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Full text of "Histoire des chemins de fer français pendant la Guerre franco-prussienne"

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HISTOIRE 

DIS 

CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

PENDANT LA GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE 



.^ 






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I 



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OOYRA&ES DU MÊME AUTEUR 



n 



Nouvelles Etudes sur la Révolution française, â vol. 

(F. Didot) 
Le général Kléber, Vendée, Allemagne, Egypte, i vol. 

(Didier.) 
Les Français en Prusse (1807). {Id.) 
Souvenirs de la Terreur, Mémoires d'un curé de campagne. 

Deuxième édition. {Id.) 
Histoire de trois ouvriers. (Hachette.) 
Deux inventeurs célèbres : Ph. de Girard et Jacquart. {Id.) 
Denis Papin, sa vie et son œuvre. (Id,) 
Souvenirs de l'invasion prussienne en Normandie. 1 ^eau vol. 

in-18 Jésus. (Lebrument). 



Tous ces ouvrage» se trouvent également à la Librairie 
générale y 72, boulevard Haussmann. 



«35.74. —Boulogne (Seine). — Imp. JULES BOYER et C'« 
Administration : H, rue Neuve-St- Augustin, 11 



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HISTOIRE 



DKS 



IHEMINS DE .FER FRANÇAIS 



PExNDANT 



LA GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE 

PAR 

L.e Baron ERIVOUF 



PARIS 

LIBRAIRIE GÉNÉRALE 
DÉPÔT CENTRAL. DES ÉDITEURS 

72, BOULEVARD HAUSSMA.NN ET RUE DU HAVRE 



1874 
Tous droits réservés. 



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Les principaux éléments de ce travail sont 
empruntés à la correspondance des agents des 
Chemins de fer français pendant l'invasion. Nous 
avons emprunté à cette source bien des faits impor- 
tants et curieux, bien des traits de dévouement et 
de courage , dont le souvenir méritait d'être re- 
cueilli. 

Nous avons dû particulièrement insister sur les 
circonstances qui se rattachent à la question capi- 
tale de l'emploi des chemins de fer en temps de 
guerre, et sur les services rendus au pays par les 
employés de tous grades, qui, dans ces jours 
néfastes, ont fait plus que leur devoir. Nous ne 
pouvions mieux témoigner notre reconnaissance 
aux fonctionnaires supérieurs des Compagnies pour 
leurs bienveillantes et précieuses communications. 

Paris, 1" Juin 1874. 

BON ERNOUF. 



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RESEAU DE L'EST 



SOMMAIRE 

I. — (Juillet) Embarquement des troupes françaises. — 
Désordres étranges. — Insuffisance et incertitude fâcheuses 
des règlements. 

II. — (Juillet) Activité déployée par la Compagnie. — Déficit 
considérable et imprévu dans Tefiectif. — Causes di- 
verses de ce déficit. 

III. — (Juillet-Août) Encombrement à la gare de Metz. 

— Système défectueux de Tlntendance. —Chiffre minime 
d'accidents . 

IV. — (Août) Forbach et Reichshoffen; incidents peu connus. 

— Les défilés des Vosges occupés sans coup férir. — En- 
vahissement d'une grande partie du réseau de l'Est. — 
Transport du 6™^ corps, de Mourmelon à Metz. 

V. — (Août) Transport des 1®' et 5™® corps français à Châ- 
lons ; — du 7™^, de Belfort sur Reims. — Belle défense de 
la bifurcation de Blesnies. — M. Demetz à la gare de 
Commercy. 

VI. — (Août-Septembre) Transport de la garde mobile pari- 
sienne. — Réduction successive des services de l'Est. 



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CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



VII. — (Septembre-Octobre) L'exploitation française réduite 
à la section de Charleville à Givet. — Neutralisation des 
lignes affectées au ravitaillement des prisonniers et au 
transport des blessés de Sedan. — Occupation de Mul- 
house. — Défense de Rambervillers. 

VIII. — (Octobre-Janvier) Instructions de la Compagnie et 
secours envoyés à ses agents sur le territoire envahi. — 
Exploitation allemande du réseau français; Belriebs-Com- 
missionen, — Stratagème pour embaucher les employés 
français. 

IX. — (O^ctobre-Janvier) Installation du service allemand. 

— Trains de blessés. — Trains de Liebesgaben, — Restau- 
rations, 

X. — (Id.) Négligences dans l'exploitation allemande. — 
Otages sur les machines. 

XI. — (Décembre-Janvier) Projet français d'un coup de 
main sur la grande ligne de TEst. — M. Alexandre propose 
d'attaquer le pont de Fontenoy. — Le camp de la Déli- 
vrance, — Préparatifs de l'expédition. — Les éclaireurs 
Bûhler devant Nancy. 

XII. — Expédition de Fontenoy (18-22 janvier). 

XIIL — Convent^^on de Ferrières (9 mars). — Prisonniers 
français rapatriés. — Pertes énormes de la Compagnie. 

— Sa conduite patriotique. 



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RÉSEAU DE L'EST 



L,e 15 juillet 1870, la compagnie de TEst, de même 
que celles du Nord et de Lyon, avait été requise de 
mettre tous ses moyens de transport à la disposition 
du ministre de la guerre. Placées en dehors de la zone 
des transports vers la frontière, les compagnies de 
rOuest et d'Orléans était seulement invitées à y con- 
courir par des prêts de matériel. 

L,a majeure partie de cette grande expédition de 
troupes incombait naturellement à la compagnie de 
l'Est. Ses chefs n'étaient pas pris au dépourvu ; Tinci- 
dent Hohenzollern avait suffi pour les mettre en éveil. 
Le personnel était prêt, les marches des trains prépa- 
rées ; si bien que dès le lendemain de la réquisition^ le 
16 par conséquent, les transports commencèrent à 
5 heures 45 du soir. 

La marche des trains avait été réglée conformément 
aux bases adoptées en 1869, au sein de la commission 
réunie par le regrettable maréchal Niel. 

On avait pris comme objectifs les gares de Strasbourg 
et de Metz, la première pour Tannée de Mac-Mahon, 
qu'on pensait forte de 107,541 hommes; la seconde, pour 
celle de Bstzaine,évaluéeauplusbas, d'après des données 
qu'on crojait parfaitement sûres, à 220,699 hommes. 
En joig^^^^ ^ ^®' effectif celui du t>'» corps (Canro- 
bert), qu'on réunissait à Châlons et qu'on estimait. 



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CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



d'après les mêmes bases, à plus de 56,000 hommes, on 
croyait pouvoir compter sur 380,000 soldats, au mini- 
mum^ pour l'ouverture de la campagne . En déduisant 
ainsi au-delà de 200,000 hommes de l'effectif résultant 
des données officielles, lequel s'élevait à 588,000 hom- 
mes, on se figurait avoir fait la part plutôt trop large 
à toutes les causes de défalcation (1) . 

Les troupes furent réparties dans trois directions : 
par la ligne principale de Strasbourg, avec l'embran- 
chement de Frouard à Metz; par celles de Soissonset 
de Mulhouse, aboutissant également à Colmar ; enfin 
par celle de Reims, Charleville et Thionville, qui, jus- 
qu'à Soissons, appartient au réseau du Nord. 

L'embarquement commença avec un désordre regret- 
table. D'après un des articles du règlement de 1855, 
encore censé en vigueur, l'arrivée en gare ne devait 
avoir lieu qu'une heure avant le départ; néanmoins, 
les premières troupes arrivèrent plusieurs heures d'a- 
vance. Elles parurent enveloppées d'une foule immense, 
qui se précipita avec elles dans les cours et jusque sur 
les quais de la gare du boulevard de Sébastopol, en 
criant ; la Marseillaise! à Berlin ! Les soldats, pendant 
cette longue attente, étaient entraînés dans les cabarets 
voisins, et souvent ne reparaissaient que dans un état 
indescriptible. Les officiers constatèrent un grand 
nombre de cas d'ébriété furieuse, dépassant tout ce 
qu'ils avaient jamais vu dans ce genre. Ils exprimèrent 
à diverses reprises l'opinion que des boissons spéciales 

(1) Le chiffre de 588,000 hommes disponibles est indiqué 
dans une note sommaire remise à TEmpereur, le 6 juillet, 
par le ministre de la guerre, maréchal Lebœuf. 



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RESEAU DE L'EST 



avaient été versées à leurs hommes. Les employés de 
la Compagnie s'aperçurent aussi que beaucoup de mu- 
nitions avaient été dérobées aux soldats dans ces 
scènes de « fraternisation repoussante ; » ils signalè- 
rent ces larcins à l'autorité. 

Pour remettre quelque ordre dans les embarque- 
ments, il fallut revenir au règlement de 1855, sup- 
primer tout séjour inutile dans les gares, et faire 
arriver de suite les hommes devant les trains qui leur 
étaient destinés. « L'artillerie à Pantin , la garde 
impériale et beaucoup d'autres troupes à la Villette et 
à Paris, s'embarquèrent du moins dans les conditions 
plus dignes d'une armée française, tandis qu'on avait 
été bien douloureusement ému en contemplant certains 
régiments de ligne transformés en bandes indisci- 
plinées. » 

Il s'était produit une déplorable incertitude dans la 
pratique des anciens règlements concernant les trans- 
ports militaires par chemin de fer. Sur ce point comme 
sur bien d'autres, après avoir pris une grande avance, 
nous avions été suivis et ensuite dépassés. 

Ces transports avaient été, dès 1851, l'objet d'un 
règlement remanié et développé en 1855. Le trans- 
port si remarquable de l'armée d'Italie en 1859, par 
le chemin de Lyon, avait été opéré conformément aux 
dispositions de ce règlement. Toutefois plusieurs 
articles n'étaient plus à la hauteur de l'expérience et 
des derniers progrès, et l'un des premiers soins de la 
commission Niel avait été de procéder à la révision et 
à la simplification de l'ancien règlement. Mais, par 
suite d'un concours de circonstances fatales, les tra- 
vaux de cette commission avaient été interrompus. 



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CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



délaissés, juste au moment où il eût été le plus néces- 
saire de les poursuivre et de donner force de loi aux 
règlements déjà préparés. Les améliorations les plus 
urgentes, réalisées depuis plusieurs années en Alle- 
magne, demeurèrent ajournées. Au moment de la 
déclaration de guerre, on se trouva dans une position 
indéterminée, entre un règlement censé en vigueur, 
mais en partie abrogé de fait, et des réformes adoptées 
en principe, mais non promulguées. 

Les conséquences de cette fausse situation ont 
cruellement pesé, pendant toute la durée de la guerre, 
sur nos opérations militaires. Dans les circonstances 
les plus graves, plusieurs des prescriptions anciennes, 
les plus dignes d'être maintenues, ont été mises en 
oubli. Ainsi, Tun des articles de 1855 portait que « les 
officiers étaient responsables de l'exécution des mou- 
vements prescrits pendant l'embarquement, et devaient 
concourir personnellement à faire observer le règle- 
ment. » Nonobstant ce texte formel, on vit, lors de ce 
grand embarquement du chemin de fer l'Est, des offi- 
ciers refuser absolument de s'occuper de Tinstallation 
de leurs hommes : ce soin incombait, disaient-ils, aux 
agents du chemin de fer, et au besoin à des sous-offi- 
ciers. La même prétention fut émise à plus forte raison, 
postérieurement au 4 septembre, et il en résulta, dans 
plus d'une circonstance , d'énormes retards et des 
scènes déplorables de désordre. On vit aussi trop 
souvent des officiers qui tentaient de faire leur devoir 
dans ces embarquements^ désobéis et même maltraités 
par les hommes auxquels ils étaient censés commander. 



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RÉSEAU DE L*EST 



II 



La Compagnie de l'Est déploya dans ce transport 
préliminaire une activité digne des plus grands éloges. 
Du 16 au 22 juillet, on avait déjà fait partir 339 trains. 
Le 26 à minuit^ on arrivait au chiffre de 594 trains; 
la Compagnie avait transporté à la frontière toutes les 
troupes qu'on lui avait confiées, c'est-à-dire seulement 
186,620 hommes, 32,410 chevaux, 3,162 canons ou voi- 
tures, 995 wagons de munitions (1) . Ainsi, au lieu de 
385,000 hommes sur lesquels on avait compté au 
minimum, les huit corps d'armée envoyés à la fron- 
tière fournissaient à peine 220,000 hommes! 



(1) Les tableaux statistiques de l'Est établissent que ce 
chemin de fer a transporté, du 16 juillet au 4 août 1870, 
300,000 hommes (isolés non compris), 64,700 chevaux, 
6,600 canons et voitures, 4,400 wagons de subsistances et 
dô munitions. Mais il ne faudrait pas conclure de ces chiffres 
que la France avait un pareil nombre d'hommes à mettre 
en ligne, le jour des batailles de Forbach et de Reichshoffen. 
Il y avait eu de nombreuses évolutions de troupes par les 
voies ferrées, et certains régiments figurent dans ces tableaux 
deux, trois et jusqu'à quatre fois (Jacqmin, 130). M. Mau- 
pelit, inspecteur principal, se signala particulièrement par 
son activité et son intelligence dans les opérations con- 
sidérables et souvent très-compliquées d'embarquements et 
de débarquements qui ont eu lieu à la gare de la Villette au 
commencement de la guerre. Cet ingénieur, auquel ses ser- 
vices exceptionnels avaient valu la décoration, n*a survécu 
que peu de mois aux fatigues de sa tâche. 



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CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



Cet effroyable écart a été l'exemple le plus frappant, 
le plus fatal résultat du vice de notre organisation mili- 
taire. Pour se l'expliquer, il faut savoir que, malgré 
les dispositions arrêtées par le maréchal Niel dès 1868, 
les hommes de la réserve continuaient d'être dirigés 
d'abord sur les dépôts, pour être, de là, renvoyés dans 
leurs régiments. Par conséquent, ils ne rejoignaient 
qu'après un délai souvent très -long. Au début de la 
guerre, sur 100 régiments d'infanterie, 35 seulement 
se trouvaient réunies à leurs dépôts. Le 87®, par 
exemple, était à Lyon et son dépôt à Saint-Malo; 
le 98® à Dunkerque et son dépôt à Lyon. Tout soldat 
qui n'était pas présent au drapeau, fût-il même dans 
le district occupé par son régiment, devait donc d'a- 
bord être dirigé sur son dépôt pour s'y faire équiper, 
et ensuite revenir à son corps. 

D'un autre côté, on sait que, pour différents motifs, 
beaucoup de membres du Corps Législatif réclamaient 
incessamment des permissions de mariage pour les 
hommes de la réserve. Un grand nombre de ceux-ci, 
n'étant plus célibataires, parvinrent à se faire exempter 
par les généraux commandants de départements , 
nonobstant les ordres formels du ministre. 

Comment n'avait-on pas été mieux édifié sur la portée 
immédiate de ces empêchements, de ces retards, qui 
abaissaient de près de moitié au moment de l'entrée en 
campagne, le chiffre des hommes présents à la fron- 
tière ? Il y eut là un concours vraiment diabolique de 
négligences, d'oublis, de réticences de détail, aussi fu- 
neste que l'eût été la trahison. 

Ce déficit énorme, produit de causes diverses dont 
la puissance collective n'avait été exactement appréciée 



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RESEAU DE L'EST 



par personne, fut pour tout le monde un coup de 
foudre. On avait cru faire une part plus que suffisante 
à toutes les éventualités de diminution, en abaissant 
à 2,520 hommes l'évaluation de l'effectif actif des régi- 
ments de ligne, à 800 celle des bataillons de chasseurs 
à pied, dans les 24 divisions qui devaient former les 
armées d'Alsace et de Metz, au lieu des chiffres de 2,785 
hommes pour les régiments et de 938 pour les chas- 
seurs, àéterminé s par la commission du maréchal Niel, 
et notifiés en 1869 aux Compagnies (1) . On oublia, au 
dernier moment, de leur faire connaître cette première 
réduction. Les chefs de la compagnie de l'Est avaient 
donc organisé les trains d'après les notifications de 
1869. On peut juger de leur stupéfaction quand ils virent 
arriver des régiments dont l'effectif, au départ, était, 
en moyenne, inférieur de près de moitié à l'effectif 
attendu ! 

Au point de vue de la régularité du transport, cette 
situation était déjà extrêmement regrettable. On ne 
pouvait absolument établir une moyenne approximative 
du déficit qui se révélait si inopinément, tant les varia- 
tions étaient brusques et considérables. Ainsi, dans 
une seule journée, l'effectif présent au départ remonta 
à 1,600 hommes pour un des régiments embarqués ; 
pour un autre, il tombait à 550 ! 

On comptait sur le prompt ralliement des hommes 
de la réserve, pour relever à peu près les effectifs en 

(I) On laissait au dépôt de chaque régiment d'infanterie, 
1,000 hommes, dont 700 de la classe 1869, et à chaque dépôt 
de bataillon 400, dont moitié de jeunes soldats. Ces chiffres 
sont par conséquent à défalquer de celui des hommes qui 
devaient être transportés. 

1. 



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10 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

temps utile. Peut-être en eût-il été ainsi, malgré la 
perte de temps qu'occasionnait l'obligation maintenue 
de passer par les dépôts, si les événements du début 
de la campagne avait été moins malheureux. Dès le 
troisième ou le quatrième jour des transports, la plu- 
part des gares du réseau français, mais principalement 
celles de l'Est, commencèrent à être encombrées d'hom- 
mes qui a tentaient de rejoindre. » C'étaient des sol- 
dats appartenant à tous les régiments qui composaient 
les vingt-quatre divisions de l'armée, groupés par les 
intendants sous la conduite de sous-officiers. Si les 
premières nouvelles avaient été bonnes, le mal n'eût 
été ni bien long, ni bien sérieux. Les nouvelles de 
Forbach, de Reichshoffen jetèrent, au contraire, une 
démoralisation profonde parmi ces retardataires. Un 
grand nombre se séparèrent de leurs conducteurs, 
s'égarèrent plus ou moins volontairement. Dès la 
seconde quizaine d'août, ces traînards constituaient 
déjà une masse flottante, mangeant et surtout buvant 
copieusement dans les gares, et suivant des itinéraires 
fantaisistes dont le théâtre des hostilités n'était nul- 
lement l'objectif. Dans ces cohues démoralisées, la 
transition du vagabondage au pillage est facile. A la 
fin du mois d'août, la gare de Reims eut à défendre 
ses wagons contre les attaques de plusieurs milliers 
d'hommes, « qui, après avoir de bonne foi cherché leurs 
régiments, s'étaient facilement habitués à l'idée de ne 
pas les retrouver (1). » La catastrophe de Sedan, celle 



(1) Le chef de cette gare, M. Ménécier, qui avait fait 
preuve d'une énergie et d'une activité exceptionnelles, dans 
ces terribles circonstances, a été décoré en décembre 1872. 



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1^ 



RESEAU DE UEST \i 

du 4 septembre portèrent ce désordre au comble, et 
dépassèrent toutes les espérances de l'ennemi. 

Pendant ces premières semaines, la confusion avait 
encore été augmentée sur les voies ferrées par Tappel 
des hommes de la garde mobile aux chefs-lieux de 
cantons. A cette occasion, un grand nombre d'autorités 
locales réclamèrent impérieusement le concours des 
chemins de fer, même pour des trajets fort courts. Ce 
fut alors qu'on employa pour la première fois des wa- 
gons à bestiaux munis de bancs, installation peu con- 
fortable, mais qui, à cette époque de l'année, n'expo- 
sait les hommes à aucune souffrance sérieuse. 

Suivant l'habile. directeur de l'exploitation des lignes 
de l'Est, ce transport précipité de corps incomplets, qui 
engendra tant de désastres, se rattachait à une idée 
fausse. On avait voulu mener de front deux opérations 
qui auraient dû être exécutées successivement : la con- 
centration et la marche en avant. En d'autres termes, 
il eût mieux valu les compléter loin du théâtre de la 
guerre, et ne les j porter qu'après les avoir pourvus 
de tout ce qu'ils avaient à attendre d'hommes, de che- 
vaux et de munitions . 

Il est certain que ce parti eût été le meilleur ou 
plutôt le seul raisonnable, si l'on avait été en mesure 
d'opérer eh une dixaine de jours le passage complet 
des troupes du pied de paix au pied de guerre, avant 
de les lancer vers la frontière. Nous aurions été, quoi 
qu'on en ait dit depuis, en mesure de résister sans dé- 
La même distinction avait été accordée précédemment au chef 
de la gare de Troyes, qui avait activement contribué au ra- 
vitaillement de nos troupes après les premiers revers. 



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12 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

savantage aux forces dont PAllemagne du Nord pouvait 
disposer pendant cette première période de la cam- 
pagne. D'après les évaluations les plus sûres, nous n'a- 
vions affaire, au début, qu'à 475,000 hommes, et nous 
devions en avoir 385,000 à leur opposer, si le calcul 
du ministre était juste, et si l'on avait le temps de les 
rassembler. Alors nous aurions été au moins trois contre 
quatre y et les choses auraient pu tourner très -différem- 
ment. Cette opinion est celle d'un grand nombre d'offi- 
ciers allemands qui ont assisté à une première partie 
de la campagne (1). Mais n'était-il pas déjà bien tard 
pour tenter cette concentration en arrière du théâtre 
des hostilités? Au 26 juillet, la marche en avant ne 
pouvait plus être différée au delà de quelques jours, 
sous peine de voir passer aux Allemands tout l'avan- 
tage de l'offensive. Un tel inconvénient aurait-il été 
suffisamment compensé par l'avantage de rallier quel- 
ques milliers d'hommes de plus sous nos drapeaux ? Il 
est permis d'en douter. 

Au point où en étaient les choses, « le passage du 
pied de paix au pied de guerre se trouvant beaucoup 
plus long qu'on ne s'y était attendu, » une chance su- 



(I) A Wissembourg, les Allemands engagèrent au moins 
vingt bataillons, c'est-à-dire 20,000 hommes; la division 
Douay en comptait à peine 8,000. A la bataille de Wœrth, 
qu'ils eurent tant de peine à gagner, ils firent donner 75,000 
hommes au moins contre 35,000 Français , au plus. Le 18 
août, à l'attaque des lignes d'Amanvilliers qu'ils nomment 
bataille de Saint-Privat, ils étaient, de leur propre aveu , au 
moins 200,000 avec) 720 canons contre 100,000 Français 
avec 150 bouches à feu, et n'obtinrent nulle part d'avantage 
décisif. 



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RESEAU DE L'EST 18 



prême nous restait I On a vu qu'en dix jours (16-26 juil- 
let), TEst avait transporté les 220,000 hommes d'infan- 
terie et de cavalerie qu'on lui avait confiés. Au moment 
où ce transport finissait, la frontière ennemie était 
complètement dégarnie ; les chemins de fer allemands 
commençaient seulement à supprimer leur service de 
voyageurs et de marchandises. Les corps d'armée se 
formaient méthodiquement, complètement, mais au 
loin,.. Leur mouvement de concentration à la frontière 
ouest ne fut terminé que le 5 août. 

« Si, le 27 ou le 28 juillet, dit M. Jacqmin, Tarmée 
française eût franchi la frontière, elle n'eût rencontré 
devant elle aucun obstacle sérieux. Elle coupait les 
chemins de fer à l'aide desquels Tarmée allemande opé- 
rait ses mouvements de concentration et de ravitaille- 
ment, et la campagne commençait pour nous dans des 
conditions bien diflFérentes. Nous n'osons pas dire que 
le succès final nous était assuré, parce que l'Allemagne 
avait une organisation militaire supérieure à la nôtre 
et une supériorité de nombre écrasante ; mais nous 
aurions toujours eu, avec les avantages de l'ofi'ensive, 
du temps pour remédier à notre organisation défec- 
tueuse, et augmenter dans une certaine mesure nos moyens 
d'action, » 

Nous avons entendu exprimer la même opinion par 
plusieurs militaires compétents des deux nations. Quel- 
ques-uns allaient même plus loin. Ils pensaient qu'une 
telle surprise, exécutée avec la furia francese^ pouvait 
avoir des conséquences infiniment sérieuses ; jeter une 
perturbation profonde, incurable, parmi ces contin- 
gents du Sud, qui ne se mettaient en mouvement qu'à 
contre-cœur, qu'il avait fallu pousser dans les wagons 



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14 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

à coups de crosse ! Qui ne sait d'ailleurs que l'impres- 
sion d'un premier succès sur le moral d'une armée 
française est incalculable ; et combien, dans toutes les 
armées et dans tous les temps, l'empressement est plus 
vif de rejoindre un drapeau vainqueur I Nous aussi, 
nous croyons que c'était le cas ou jamais de se souve- 
nir des instructions militaires d'un de nos rares vain- 
queurs d'autrefois. Dans son catéchisme militaire, Sou- 
varow fait passer avant toute chose les avantages de 
la rapidité, de la surprise foudroyantes : •:< L'ennemi 
nous croit au moins à cent werstes, et nous tombons 
sur lui comme la neige. Voyez ! la tête lui touriie ! Atta- 
quez sur-le-champ avec ce qui est arrivé! 

D'autres pensées prévalurent : on crut avoir le temps 
de mieux s'organiser. Le 20 juillet, les généraux déjà 
présents sur la frontière, Bazaine à Metz, Frossard 
à Saint-Avold, Ladmirault à Thionville, de Failly à 
Bitche, Ducrot à Strasbourg, Douay à Belfort, furent 
avisés, par dépêche télégraphique, « que la campagne ne 
commencerait pas avant que l'armée ne fût complète- 
ment constituée, qu'en attendant il fallait rester sur 
la défensive. » (Bazaine, Armée du Rhin^ 245.) 



III 



Nous aurons à signaler les fâcheux résultats de Ten- 
combrement des gares dans plus d'une circonstance 
décisive. L'un des plus funestes fut celui qui se pro- 



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RESEAU DE L*EST 15 



dnisit tout d'abord à Metz. Quand les premiers trains 
parurent, les ordres relatifs à la destination ultérieure 
n'étaient pas arrivés; ils se firent attendre pendant plu- 
sieurs heures. Les hommes débarquaient, mais le reste 
ne pouvait être déchargé avant que la destination ne 
fût connue. En attendant, comme les trains se succé- 
daient avec rapidité, on était forcé de les garer au fur 
et à mesure, bien qu'il s'y trouvât quantité de wagons 
non déchargés qu'il fallait ensuite rechercher et déga- 
ger. De nombreuses troupes de toutes armes attendirent 
ainsi leurs ordres, et T encombrement n'était pas encore 
la conséquence la plus fâcheuse de ces retards. 

Aux arrivages de troupes succédèrent ceux de vivres, 
de matériel, et la compagnie de l'Est eut à lutter la 
première contre les difficultés résultant de l'organisa- 
tion vicieuse des services et un manque d'unité. Il y 
avait à Metz deux groupes d'intendances distincts et 
tout à fait indépendants : l'intendance territoriale et 
les intendances divisionnaires qui arrivaient avec les 
corps d'armée. La première n'avait reçu aucune instruc- 
tion pour la réception des vivres dirigés sur Metz ; les 
autres, ignorant la destination ultérieure de leurs corps, 
recevaient, mais n'osaient faire décharger les wagons. 
Elles réclamaient seulement, d'après les relevés des 
arrivages transmis par les agents de la Compagnie, ce 
qui répondait aux besoins du moment. Ces réclamations 
très-diverses se produisaient souvent à la fois, et de la 
façon la plus pressante : Tun venait chercher des fari- 
nes, un autre de Tavoine, un troisième des eflfets et 
ustensiles de campement. 

Ainsi se manifestait, dès le début, cette tendance à 
immobiliser dans les gares les wagons convertis en 



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16 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

magasins, tendance que la dictature de Tours érigea 
plus tard en système, et qui devait partout engendrer 
le chaos. Dès l'origine aussi, on parut disposé à rejeter 
sur les administrations de chemins de fer toute la res- 
ponsabilité des embarras et des lenteurs. Le 4 août, 
notamment, on se plaignait que rien ne se faisait à Metz. 
La Compagnie de TEst avait pourtant déployé une acti- 
vité remarquable. Le jour même où elle avait reçu la 
réquisition du ministère de la guerre (15 juillet), l'ins- 
pecteur principal à la résidence de Nancy arrivait à 
Metz dès six heures du soir, et prenait immédiatement 
toutes les mesures nécessaires pour renforcer le per- 
sonnel des gares de Metz, Saint-Avold et Thionville. 
Le service du camionnage fut presque triplé ; on orga- 
nisa, pour les marchandises de la guerre, huit chantiers 
spéciaux de déchargement sur une longueur de 2170 mè- 
tres. On s'était mis en mesure de décharger sans peine 
plus de 900 wagons par jour ; et du 16 juillet au 15 août, 
la moyenne journalière de ceux qu'il était permis de 
décharger ne dépassa pas 775. 

Malgré tous les efforts, l'encombrement augmentait 
à Metz d'heure en heure ; bientôt on fut obligé d'affecter 
les voies de garage et de service au remisage des 
wagons immobilisés. C'était, suivant l'expression ingé- 
nieuse du directeur, comme une cristallisation de toute 
la gare^ quand survint la débâcle. 

Les événements ayant pris tout d'abord une allure 
qui autorisait les plus fâcheuses prévisions, notamment 
celle du prochain investissement de Metz, les repré- 
sentants de l'Est durent s'efforcer, à partir du 7 août, 
de dégager leur matériel roulant. Cette opération pro- 
fita en même temps à l'armée, qui eut à sa di$pesition 



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RESEAU DE L'EST 17 



ces approvisionnements déchargés en temps utile, et à 
la Compagnie, dont le matériel fut ainsi sauvé en partie. 
Si ses représentants avaient hésité à prendre cette ré- 
lution au milieu du désarroi général, bientôt ils auraient 
été forcés de refouler leurs wagons tout chargés, et la 
disette aurait commencé avec le blocus (1). 

Pendant la première période des transports militaires, 
on n'eut à regretter qu'une seule collision de trains char- 
gés, qui eut lieu auprès de Toul. Deux hommes seule- 
ment furent grièvement blessés, 61 légèrement. Il y eut 
de plus 42 accidents individuels (dont 7 morts immé- 
diates), et Ton assure que tous furent dus à l'impru- 
dence des victimes. Un chiffre relativeme\it si minime 
de sinistres porte avec lui son éloge. 



IV 



Le rôle militaire de la compagnie de l'Est, capital 
pendant les opérations préliminaires et les premiers 

(1) 273 wagons couverts , qu'on n'avait pas eu le temps 
d'évacuer avant l'investiasementjfurent disposés par M. Dietz, 
l'un des ingénieurs de l'Est, en une ambulance qui fonctionna 
pendant toute la durée du siège , desservie par les ouvriers 
et employés de la Compagnie, avec un zèle et une intelli- 
gence qui leur ont mérité des éloges publics de l'autorité 
municipale de Metz. L'installation de cet hôpital a été re- 
connup supérieure, au point de vue hygiénique, à l'emploi 
des tentes ou des baraques. On ne saurait faire un meilleur 
emploi de véhicules ainsi bloqués dans l'enceinte d'une place. 
(V. Jacqmin, 152 et suiv.) 



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18 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

combats, allait brusquement finir par Tenvahissement 
de la presque totalité de son réseau. Pendant cette pé- 
riode d'agonie, l'historique de ce chemin de fer n'offre 
que des détails douloureux. « Chaque jour, la situation 
s'assombrit; les autorités locales sont sans instructions; 
d'heure en heure, les dépêches se succèdent plus mau- 
vaises les unes que les autres ; souvent elles sont con- 
tradictoires, et ce n'est qu'à force de dévouement que 
les agents du chemin de fer peuvent donner satisfaction 
aux demandes qui leur sont adressées. Quand le dernier 
soldat français a quitté une gare, ils s'éloignent à leur 
tour, et bien souvent la dernière machine reçoit la fu- 
sillade des éclaireurs allemands. » Il faudrait, pour 
compléter ce tableau, rappeler aussi les efforts coura- 
geux, parfois héroïques, d'un grand nombre d'agents de 
tous grades, pour contribuer à la défense de ce territoire 
alors français, tantôt en s' armant eux-mêmes pour pro- 
téger des communications importantes, tantôt en pro- 
curant des secours de toute nature à nos soldats épuisés 
ou affamés, ou en coopérant, au milieu des plus grands 
périls, au ravitaillement de nos places fortes (notamment 
à celui de Thionville) ; tantôt enfin en concourant, même 
au fort de Tinvasion et jusque dans les derniers jours de 
la guerre, à des entreprises préjudiciables à Tennemi... 
Mais des considérations particulières, trop faciles à de- 
viner, nous imposent ici de pénibles réticences. Sur ce 
réseau de l'Est on est trop près de l'Allemagne I Des 
désignations trop précises signaleraient ces braves gens 
à des vainqueurs dont la générosité n'est pas la vertu 
dominante, et la France ne pourrait suffisamment pro- 
téger aujourd'hui ceux dont tout le crime fut d'essayer 
de la défendre ! Cette nécessité d'ajourner, comme dan- 



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RESEAU DE L'EST 19 

gereux, des éloges si bien mérités, n*est pas une des 
moindres amertumes de la défaite. Vœ vîctis/ {l). 

Lors des premiers engagements, on ne profita pas, 
comme on l'aurait pu, des voies ferrées voisines de la 
frontière, sur lesquelles étaient échelonnés les divers 
corps de Farmée française. Des mouvements de concen- 
tration, aussi faciles qu'urgents, furent omis ou accom- 
plis tardivement. Celle de Wissembourg à Haguenau 
était intacte et aurait pu être utilisée au moins jusqu'à 
midi, pour amener des renforts dans la funeste journée 
du 4, qui commença nos malheurs (2). 

Nous voyons cependant qu'à Reichshoffen le 

(1) Rappelons pourtant le bel exemple d'énergie donné 
par M. Brun, Tun des inspecteurs de l'Est, sur la ligne de 
Châlons à Verdun. Chargé de surveiller un transport consi- 
dérable de numéraire pour la solde, au moment où l'ennemi 
serrait déjà de près cet embranchement, M. Brun voyageait 
avec deux barils de poudre dans son vsragon, bien décidé à 
tout faire sauter si Tennemi se saisissait du convoi. 

Depuis que ces lignes ont été écrites, un document officiel 
a rendu un juste hommage au zèle patriotique d'un autre 
agent supérieur de l'Est, M. Bellay. Il amena, dans la nuit 
du 22 au 23 novembre, 120 v^agons de vivres à Longvry où 
l'on espérait que l'armée du Rhin pourrait les prendre. A 
Thionville, où la voie avait été détruite et l'aiguillage enlevé 
jusqu'à la station de Bettenberg, M. Bellay fit faire les répa- 
rations sous la protection d'un détachement de la garnison, 
et amena lui-même trois convois de farine, dans la nuit du 
14 au 25. 

(2) Au début de l'action, la gare de Wissembourg et le 
faubourg qui la relie à la ville furent le théâtre d'une des 
luttes les plus acharnées. Les turcos fur^^nt accablés par le 
nombre, mais l'ennemi paya cher la conquête de la gare. 
Un de ses bataillons y perdit, à lui seul, 12 officiers et 
165 soldats. 



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20 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

maréchal Mac-Mahon déploya en seconde ligne, sur 
sa droite, la division Conseil-Dumesnil du 7* corps, qui 
lui avait été envoyée de Mulhouse par le chemin de fer, 
dans la nuit du 4 au 5. Cette division prit une part 
honorable à Tun des principaux incidents de la journée, 
Tattaque de Gunstett, position capitale, qui fut enlevée 
par nous vers midi, mais qu'on ne put conserver. Ils 
étaient trop/ 

On sait que Frossard fut accablé à Spicheren en même 
temps que Mac-Mahon à Reichshoffen. 

Ces deux revers simultanés (6 août) nous firent per- 
dre d'emblée toute la ligne stratégique d'Alsace paral- 
lèle à la frontière. L'ennemi nous y suivit de près; le 
dernier train français avait quitté Haguenau se diri- 
geant vers Strasbourg, dans la nuit du 6 au 7 ; le pre- 
mier train prussien arriva dans cette gare, le 7 au matin, 
par l'embranchement de Wissembourg, dont la jonc- 
tion avec le réseau des Allemands était déjà réparée. 
Leur exploitation commença par l'enlèvement des bles- 
sés de la veille. D'autre part, la concentration précipitée 
de l'armée du Rhin livrait également à l'ennemi la ligne 
de Forbach à Metz. Il ne tarda pas à s'en saisir ; le 7, 
ses avant-postes occupaient déjà la situation de Ré- 
milly, à 19 kilomètres de Metz. Malgré sa célérité, les 
chefs de gares parvinrent à sauver non-seulement les 
appareils télégraphiques, les fonds et les livres de 
comptabilité de la Compagnie, mais aussi la caisse de 
l'armée et plusieurs centaines de wagons de munitions 
et de vivres, accumulés dans les gares de Forbach, Be- 
ning et Saint-Avold. Ce sauvetage, accompli dans des 
circonstances aussi difficiles, fait le plus grand honneur 
aux agents de l'Est, notamment au chef de gare de 



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RESEAU DE L'EST M 

Sainfc-Avold, qui, le 6 au soir, n'avait encore reçu aucun 
ordre relativement aux trains en gare, et ne savait s'il 
devait les faire avancer ou reculer. 

Mais la conséquence fatale entre toutes de ces pre- 
miers désastres fut l'abandon, sans coup férir, des 
défilés des Vosges (1). 

Informée que, sur le territoire allemand, les ingé- 
nieurs préparaient de nombreux fourneaux de mines 
dans les principaux ouvrages d'art et les grandes tran- 
chées, la compagnie de l'Est avait demandé, dès le 
IS juillet^ au ministre de la guerre, s'il ne jugerait pas 
opportun de prendre des précautions semblables sur les 
lignes françaises, et notamment dans la traversée des 
Vosges. Le ministre répondit immédiatement par l'affir- 
mative, et demanda à la Compagnie de faire faire ces 
travaux après s'être concertée avec le génie pour rem- 
placement des fourneaux. Tout cela fut exécuté, et les 
passages des Vosges eussent été sans doute interceptés 
à temps, si les chemins de fer avaient été organisés 

(1) Après la bataille de Reichshoffen, une partie des 
troupes françaises s'était dirigée sur Saverne en suivant la 
grande ligne qui traverse ces défilés. Cette marche, ou plu- 
tôt cette évasion souterraine, compte parmi les épisodes les 
plus lugubres de la guerre. Quand les soldats eurent atteint 
la grande ligne Strasbourg- Paris, ik s'engagèrent dans le 
premier tunnel en suivant la voie. Le souterrain n'étant plus 
éclairé, ils avançaient à tâtons, chacun frémissant à l'idée 
de ce qui pourrait arriver, si un dernier train évadé de Stras- 
bourg venait à se jeter à travers cette cohue. Heureusement 
le service était déjà suspendu sur cette ligne, et, à la sortie 
du premier souterrain, un garde- barrière indiqua aux soldats 
un chemin qui côtoyait la voie ferrée, et sur lequel ils purent 
marcher à ciel ouvert. 



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2S CHEMINS DE FER FRANÇAIS - 

militairement chez nous comme ils Tétaient en Alle- 
magne. Mais, cette organisation n'existant pas, la com- 
pagnie de TEst, nonobstant l'absorption complète de 
son réseau par le service de la guerre, n'avait toujours 
qu'un caractère purement industriel. C'était absurde et 
funeste, mais c'était ainsi ! Dès lors, il ne lui apparte- 
nait ni de charger des fourneaux, ni de prendre l'ini- 
tiative d'une destruction qui pouvait contrarier des mou- 
vements militaires auxquels elle n'était pas initiée. 

Il faut bien arriver à dire qu'aucun ordre ne fut en- 
voyé de Paris ni d'ailleurs pendant trois mortels jours, 
relativement à ces passages. « On n'avait pas d'abord 
compris toute la gravité du désastre de Reichshoffen ; 
on croyait que les troupes se rallieraient et défendraient 
les défilés... » Pendant ce temps, les Allemands n'avan- 
çaient qu'à pas comptés. L'abandon de ces passages, si 
faciles à défendre ou à fermer, leur semblait un piège. 
Ils redoutaient une destruction combinée pour le der- 
nier moment, à bout portant, foudroyante, effondrement 
de viaduc ou écroulement do tunnel ; c'était nous faire 
trop d'honneur! Ils venaient d'occuper, le 10, le grand 
tunnel de Saverne, quand les ordres de destruction 
arrivèrent I 

Les Allemands s'empressèrent de mettre à profit 
cette bonne fortune inespérée. Les premiers trains. en- 
trés en France par Wissembourg parurent dès le 
21 août, à la gare de Nancy : quatre jours après, les 
trains de vivres destinés à l'armée du Prince Royal 
arrivaient jusque-là. Sur les sections ultérieures de la 
grande ligne de Paris, l'exploitation allemande ne ren- 
contra que deux obstacles sérieux: la résistance de 
Toul jusqu'au 23 septembre, et la destruction du sou- 



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RESEAU DE L»EST 28 



terrain de Nanteuil (entre La Ferté-sous-Jouarre et 
Château-Thierry). Cette destruction suffit pour priver, 
jusqu'à la fin de novembre, Tarmée qui bloquait Paris, 
de l'avantage d'une communication continue avec l'Alle- 
magne par chemin de fer. 

La ligne principale de Strasbourg avait été coupée 
par l'ennemi du côté de Paris dès le lendemain de 
la bataille de Reichshoffen. L'exploitation allemande, 
qui dure encore, hélas! n'y commença que le 14 no- 
vembre (1). 

Parmi les lignes secondaires de l'Alsace, une seule, 
celle de Bening à Haguenau, avait une certaine impor- 
tance stratégique pour les Allemands. Ils ne purent s'en 
servir, grâce à l'invincible défense de Bitche. Cette dé- 
fense est pour nous un des souvenirs les plus consolants 
de la guerre, et peut être comparée sans désavantage à 
celle de Colberg, en 1807, dont les Prussiens sont si 
fiers. Refoulée dans les casemates par le bombarde- 
ment , la population civile demeura jusqu'au bout 
associée aux souffrances et souvent aux dangers de la 
garnison, sans que jamais personne ait parlé de se 



(1) Le service entre Strasbourg et Bâle, -interrompu le 
8 août par Topposition de quelques éclaireurs allemands à la 
station de Fegersheim, fut rétabli le lendemain, à la suite 
d'une courageuse exploration du chef de gare de Schelestadt 
jusqu'à Strasbourg. Les agents de l'Est profitèrent de ce répit 
pour diriger sur ces deux places une partie des approvision- 
nements rassemblés à Belfort, La circulation continua sur 
cette section jusqu'au 13, date de l'investiasement de Stras- 
bourg, suivi depuis de celui de Schelestadt. La première de 
ces deux places succomba le 28 septembre, la seconde le 
24 octobre. 



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24 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

rendre, y ait seulement pensé. Ou c'en est fait de la 
France, ou Bitche redeviendra français I 

La ligne de Mulhouse à Paris n'eut pas non plus à 
subir l'exploitation étrangère, au moins dans la meil- 
leure partie de son parcours, grâce à la résistance 
de Langres et de Belfort. Celle de Nancy à Vesoul a 
été citée par les écrivains allemands comnïe un des 
exemples de la « rapidité et de la rage surprenantes 
avec lesquelles les Français avaient accumulé les ruines 
pour arrêter la marche de leurs adversaires. » Il est 
vrai que, sur cette ligne, la destruction des ouvrages 
fut opérée en temps utile. On sacrifia, dès le 13 août, 
le pont de Langley, près de Charmes ; deux mois plus 
tard, quand un corps ennemi prononça son mouvement 
dans cette direction, un autre pont, trois viaducs sau- 
tèrent le même jour (13 octobre). Ces sacrifices ne 
furent pas inutiles; la circulation allemande ne put 
être établie jusqu'à Épinal qu'à la mi-novembre, et la 
restauration de la section de Vesoul n'était pas achevée 
à l'époque de l'armistice. Plût à Dieu qu'on eût agi 
avec la même « rage » dans les défilés des Vosges I 

Sur les parties encore non envahies de son réseau, 
la Compagnie de l'Est continua de déployer une acti- 
vité que les Allemands eux-mêmes ont admirée. Du 8 au 
1 1 août, elle recueillait sur le versant occidental des 
Vosges et transportait de Sarrebourg à Toul, confor- 
mément aux ordres du ministère de la guerre, plusieurs 
milliers de soldats écloppés et débandés des 1" et 
5® corps. Elle avait aussi commencé, dès le 7, le trans- 
port d'une partie des troupes du camp de Châlons sur 
Metz. Le lendemain, il y eut contre - ordre , et ces 
troupes rétrogradèrent. Le surlendemain, 9, d'après de 



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RESEAU DE L'EST 25 



nouvelles instructions, l'opération fut reprise sur une 
plus grande échelle : il s'agissait cette fois de renforcer 
Tarmée du Rhin de tout le 6® corps. Ces marches et 
contre -marches étaient peu propres à raffermir le 
moral de la troupe, déjà fort ébranlé par les premiers 
événements de la campagne et par les intrigues révo- 
lutionnaires. Finalement, là Compagnie de TEst fut 
requise « de hâter ce mouvement par tous les moyens 
possibles. » (Télég. de Metz, 10 août.) 

Cet embarquement eut lieu, du 9 au 13, en 40 trains 
portant ensemble 31,115 hommes, 2,296 chevaux, 
255 voitures. Par suite" de ce retard de deux jours 
apporté à l'opération, la dernière partie du trajet deve- 
nait fort aventureuse. Le représentant de la Compa- 
gnie à Metz, M. Durbach, était informé fort exacte- 
ment des progrès des Allemands, et prévoyait que leur 
avant- garde devancerait, sur l'embranchement de 
Frouard à Metz, le passage d'une grande partie des 
trains venant de Mourmelon. Il demandait instamment 
qu'on gardât, du côté de Thionville, le gué de Haucou- 
court (Moselle), et du côté de Nancy, Pont-à-Mousson, 
objectif certain de l'ennemi. On n'eut pas égard à cette 
demande ; aussi, dès le 11, des uhlans se présentèrent 
à la gar^ de Pont-à-Mousson. Comme M. Durbach 
l'avait prévu, la majeure partie des trains était encore 
en deçà de ce point ; « ils arrivaient, se pressant, s'ac- 
cumulant à la file les uns des autres. » Quelques 
troupes mirent pied à terre, firent fuir ces premiers 
éclaireurs, et plusieurs trains passèrent encore. Mais, 
dans la nuit, la communication fut interceptée pour 
tout de bon par une forte avant-garde munie d'artil- 
lerie ; la suite des trains de Mourmelon fut canonnée 



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26 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

et dut rebrousser chemin. Il en fut de même, en sens 
inverse, du train express sorti de Metz le 12 au matin. 
Une partie des troupes de Mourmelon refoulées des- 
cendit à Commercy et put encore rallier Metz parSaint- 
Mihiel ; mais de toute la division Bisson, du 6® corps, 
embarquée la dernière, un seul régiment parvint à re- 
joindre. Pendant ce temps, Pont-à-Mousson était 
saccagé par cette avant-garde prussienne, venue de 
Sarreguemines à marches forcées. 

Suivant M. Jacqmin, ce ralliement du 6' corps aurait 
dû s'effectuer parterre. L'emploi de la ligne principale 
par Frouard, déjà trop compromise, fut une cause de 
trouble, d'affaiblissement pour ces troupes, et leur effort 
s'en trouva sensiblement amoindri dans les terribles 
luttes qui suivirent. Cette attaque de Pont-à-Mous- 
son ressemble fort à celle qui avait eu lieu, le 
15 juillet 1866, à Prerau, point de jonction des lignes 
de Bohême et de Gallicie, après la bataille de Sadowa. 
La tentative des Prussiens sur cette bifurcation avait 
pareillement pour but d'intercepter des trains d'infan- 
terie. Ils réussirent à en enlever un; mais l'arrivée 
immédiate d^ nombreux renforts de cavalerie autri- 
chienne les contraignit d'abandonner leur proie. A 
Pont-à-Mousson, où notre ligne n'était aucunement 
gardée, les trains les plus rapprochés du point envahi 
coururent de grands périls. L'un d'eux dut son salut à 
la présence d'esprit et au courage du conducteur et du 
mécanicien, qui rebroussèrent chemin sous un feu 
violent; et déjà serrés de près par les cavaliers prus- 
siens. 



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RESEAU DE L'EST î7 



On vient de voir que Toccupation des défilés des 
Vosges par Tennemi, et la retraite précipitée des débris 
de Mac-Mahon et du 5® corps vers le sud-ouest avaient 
entraîné l'abandon immédiat de Lunéville et de Nancy.. 
Les représentants de la Compagnie durent pourvoir, en 
moins de trois jours, au sauvetage du matériel roulant, 
épars sur la section de la ligne principale, que décou- 
vrait ce mouvement rétrograde, et sur les embranche- 
ments de Saint-Dié et d'Epinal, pareillement compro- 
mis. La seule gare de Nancy contenait encore, le 
10 août, plus de cent locomotives et du matériel en 
proportion. Le refoulement fut néanmoins poussé avec 
une telle activité que rien ne demeura en arrière, sauf 
une seule machine hors de service, que les Allemands 
trouvèrent à Nancy le surlendemain. 

Pendant ce temps, les chefs de la Compagnie combi- 
naient à Paris une opération importante autant que dif- 
ficile : la concentration de la ci- devant armée d'Alsace 
sur Châlons, au moyen d'un double mouvement tour- 
nant. Il s'agissait d'abord de soustraire à la poursuite 
acharnée de l'ennemi le 1®' et le 5* corps. Ceux-ci lui 
avaient bien donné le change un moment, en abandon- 
nant la route directe par Nancy, pour se jeter dans les 
Vosges et la Haute-Marne. Mais les Â-llemands avaient 
bientôt retrouvé la trace ; dans toutes les gares et par- 
tout, la première question de leurs éclaireurs était 
toujours : OU est Mac-Mahon? Sans l'évolution rapide 



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28 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

que celui-ci fit exécuter à ses troupes vers Châlons, au 
moyen de T embranchement de Neufchâteau pour le 
1" corps, de celui de Langres et Chaumont pour le 5*^, 
ces corps auraient été infailliblement atteints et forcés 
de combattre dans les conditions les plus fâcheuses. 

Ce transport fut donc un véritable sauvetage, auquel 
tous les agents de la Compagnie, depuis les plus élevés 
jusqu'aux plus humbles, concoururent avec un zèle 
admirable. L'opération présentait en elle-même de 
graves complications, principalement dans l'itinéraire 
du 1" corps. De Neufchâteau à Châlons, la distance à 
parcourir était de 170 kilomètres, dont la presque tota- 
lité à voie unique. Le transport était particulièrement 
pénible sur la section accidentée de Neufchâteau à 
Bologne (49 kil.), où Ton rencontre des rampes très- 
fortes, comme dans tous les chemins de fer de mon- 
tagnes. On allégea la difficulté en n'embarquant que de 
l'infanterie sur cette section, tandis que la cavalerie et 
l'artillerie étaient dirigées par terre sur les gares de 
Donjeux et Joinville. Pour toutes ces dispositions, les 
agents supérieurs de l'Est trouvèrent dans le maréchal 
Mac-Mahon un concours aussi empressé qu'intelligent. 
Les chefs des autres Compagnies n'ont pas eu toujours 
le même bonheur après le 4 septembre. 

Ce premier transport, comprenant 22,000 hommes 
d'infanterie, 3,500 de cavalerie, 500 canons ou voi- 
tures, fut exécuté avec une célérité relativement 
exceptionnelle. Dès le 14 au soir, le matériel était à la 
disposition- des troupes; trois jours après, l'embarque- 
ment était terminé, et les Allemands n'atteignirent la 
ligne de Neufchâteau que vingt-quatre heures après le 
passage du dernier train. A ce transport succéda celui 



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RESEAU DE UEST 29 

des troupes du 5® corps, dont rembarquement avait été 
réparti entre les gares de Langres, Chaumont et Bar- 
sur- Aube. 

Mais un danger imminent se révélait, dès le 15, à la 
bifurcation de Blesmes, où Tembranchement de Chau- 
mont, par lequel on ramenait sur Châlons Tarmée d'Al- 
sace, croise la ligne principale de FEst. L'ennemi 
avançait sur cette ligne plus rapidement qu'on ne l'a- 
vait pensé. Après avoir envahi Commercj, dès le 14, 
ses éclaireurs avaient aussitôt franchi la Meuse et se 
montraient aux environs de Blesmes. En ce moment, 
tous les trains venant de Neufchâteau n'avaient pas 
encore franchi ce pas dangereux, et derrière eux s'é- 
chelonnaient ceux du 5* corps. Les chefs de la Compa- 
gnie de l'Est conjurèrent l'autorité militaire de faire 
occuper fortement cette bifurcation, et ils furent en- 
tendus cette fois. Trois bataillons de ligne avaient été 
détachés de suite du camp de Châlons, pour couvrir 
provisoirement le passage. La défense en règle de la 
bifurcation et de toute la section de Blesmes à Join- 
ville fut réservée à l'une des brigades les plus solides 
et les mieux commandées du 5® corps, celle du général 
Nicolas, embarquée à Chaumont dans la nuit du 16 
au 17, et débarquée à Blesmes vers deux heures de 
l'après-midi. Cet officier prit aussitôt les dispositions 
nécessaires pour empêcher toute irruption sur un point 
quelconque de la voie ferrée, et repousser des attaques 
même très-sérieuses. Un bataillon était en réserve à 
la bifurcation, où l'on retint aussi deux locomotives 
et un matériel suffisant pour l'embarquement de 
500 hommes, afin d'assurer, au besoin, les opérations 
sur la voie. La plus grande partie de la brigade Nicolas 

2. 



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30 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

était postée aux abords de la bifurcation, occupant des 
positions bien choisies et se prêtant un mutuel soutien, 
dans la direction où devait porter vraisemblablement 
le principal effort de l'ennemi, c'est-à-dire dans l'angle 
formé à sa rencontre par le croisement des deux che- 
mins de fer. « Trois bataillons déployés, face au nord, 
étaient couverts et défendus par les tranchées pro- 
fondes des deux voies bordées de haies épaisses, dans 
lesquelles on pratiqua des passages. Leurs grand' - 
gardes, placées dan? des bouquets d'arbres sur la rive 
gauche du Bruxenelle (affluent de l'Ornain), observaient 
la plaine découverte qui s'étend au delà jusqu'à l'Or- 
nain. » Sur le flanc droit, plus particulièrement vulné- 
rable, de cette position, se trouvaient trois autres 
bataillons, concentrés dans un étroit espace, entre 
Blesmes, Scrupt, Saint-Lumier. Ceux-là guettaient les 
bois dangereux de Monrupt, de Cheminon, de Trois- 
Fontaines, percés de nombreux chemins venant de 
l'Est, c'est-à-dire du côté de l'ennemi, et donnant 
accès sur nos positions. Enfin, des postes étaient éche- 
lonnés en amont, sur l'embranchement de Chaumont, 
jusqu'à la station de Chevillon, entre Saint-Dlzier et 
Joinville. 

Grâce à cette protection , les trains du 5® corps 
s'écoulèrent sans obstacle sur Châlons. Ainsi qu'on 
devait s'y attendre, les coureurs ennemis se présen- 
tèrent sur plusieurs points; mais partout on faisait 
bonne garde, et ils furent repoussés avec perte. Avisé, 
dans la matinée du 18, de l'occupation imminente de 
Bar-le-Duc par une nombreuse avant-garde prussienne, 
le général Nicolas se hâta d'envoyer de ce côté un 
détachement de pionniers, monté sur des trucks, qui 



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RÉSEAU DE L'EST H 



eut le temps d'enlever 20 mètres de rails, auprès de 
la station de Revigny, entre Blesmes et Bar. Cette 
opération, vivement conduite par M. Varaigne, capi- 
taine du génie, sauva une quantité notable de matériel 
roulant de la Compagnie, replié sur la section de Re- 
vigny à Blesmes, et qu'on n'aurait pas eu le temps de 
faire replier. 

Malgré l'approche de détachements ennemis de plus 
en plus nombreux, mais toujours rejetés avec vigueur, 
le défilé des trains se poursuivit sans interruption. Con- 
formément à leurs instructions, le général Nicolas et 
le général de Septeuil, qui était venu le renforcer, depuis 
le 18 au soir, avec un régiment de cavalerie légère, ne 
quittèrent leurs positions que dans l'après-midi du 19, 
quand le dernier train, venant de Chaumont, eut passé 
• en gare de Blesmes. Il était temps que l'opération 
s'achevât, car, le même soir, l'ennemi occupait en force, 
sur la ligne de Chaumont, la gare de Saint-Dizier, qui 
n'est qu'à 18 kilomètres de la bifurcation. Sans cette 
défense de Blesmes, sollicitée si à propos par la Com- 
pagnie de l'Est, la voie eût été coupée deux jours plus 
tôt, et le refoulement des trains du 5® corps, sur cette 
ligne à voie unique, eût encore compromis la marche 
des trains qui, décrivant une ellipse plus prolongée, 
ramenaient vers Châlons les dernières troupes de l'ar- 
mée d'Alsace , celle du 7® corps d'armée (général 
Douay). 

Ces troupes, qui avaient évacué Mulhouse à la suite 
du désastre de Reichshoifen, étaient échelonnées autour 
de Belfort et de Montbéliard. Sur l'invitation du nou- 
veau ministre de la guerre (coin te de Palikao), les 
Compagnies de l'Est et de Lyon se concertèrent pour 



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32 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

opérer le transport de ces soldats sur Châlons, par la 
voie la plus longue de beaucoup, mais la plus sûre, et 
en fait la plus prompte, c'est-à-dire par Paris. L^em- 
barquement fut réparti à Belfort entre les deux lignes : 
une partie des trains passa par Besançon et Dijon, les 
autres par Chaumont et Troyes. Ceux-là repassaient à 
Noisy sur la ligne de Strasbourg, que les premiers 
rejoignaient de leur côté par le chemin de ceinture. 
L'embarquement, commencé le 18, était terminé à 
Belfort le 20 avant midi. L'opération fut conduite avec 
une activité et une intelligence remarquables par 
M. Lépine, inspecteur de la Compagnie de l'Est à Bel- 
fort. Le transport se fit lentement, mais avec une 
grande régularité et sans le moindre accident. A partir 
du 21 au matin, les trains parvenus à Paris furent 
dirigés, non plus sur le camp de Châlons, qui venait . 
d'être abandonné, mais sur Reims, par Soissons (1). 
L'effectif des trois corps ralliés par ce double mouve- 
ment tournant s'élevait à environ 62,000 hommes, tant 
infanterie que cavalerie, 1,300 canons et voitures. Tout 
en rendant pleine justice au zèle et à Tintelligence 
déployés dans cette manœuvre difficile par les agents 

(1) Arrivés à la gare de Pantin, à trois heures de Taprès- 
midi, dit un témoin oculaire^ nous repartîmes à cinq heures 
du soir pour Châlons. A minuit, nous arrivions à Epernay ; 
notre train y était arrêté et dirigé cette fois sur Reims. La 
même mesure devait être appliquée à tous les trains qui nous 
suivaient. Tel était Tordre adressé au chef de gare d'Eper- 
nay. (Belfort , Reims , Sedan y par le prince Bibesco, p. 37.) 
Cet ordre de rabattre sur Reims, envoyé aux premiers trains 
déjà lancés sur Epernay, et Texpédition directe des trains 
suivants par Soissons sur Reims, s'expliquent par les fluc- 
tuations du grand quartier général. 



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RESEAU DE UEST 33 



de l'Est, nous ne pouvons penser sans un serrement de 
cœur que l'armée ralliée et concentrée par ce puissant 
effort est celle-là même qu'on dirigeait vers Sedan 

La marche rapide des Allemands sur la ligne prin- 
cipale de Strasbourg à Paris donna lieu, le 15 août, à 
un incident qui mérite d'être rapporté avec quelque 
détail. 

Ce même jour, M. Demetz, préfet de la Meuse, 
avait reçu du ministre de la guerre et du général com- 
mandant supérieur l'ordre de faire sauter, sur cette 
voie principale, le tunnel le plus rapproché de Com- 
mercy. 11 avait requis et dirigé sur ce point, tant de 
Verdun que de Bar-le-Duc, toute la poudre disponible. 
Mais là, comme dans les Vosges, les ordres de destruc- 
tion arrivaient trop tard. C'était seulement depuis le 10 
qu'on travaillait à pratiquer des chambres de mines 
dans le tunnel en question ; et l'on annonçait, d'une 
part, que les travaux étaient à peine à moitié, et d'autre 
part, que l'avant- garde ennemie avait déjà passé Toul.., 
Le 14, les trains de l'Est avaient poussé pour la der- 
nière fois jusqu'à Commercy. 

Au milieu de la confusion générale, le préfet voulut 
voir les choses par lui-même. Il partit de Bar-le-Duc 
pour Commercy, monté sur une locomotive, avec 
M. Leroy, l'un des inspecteurs principaux de l'Est. Un 
courageux citoyen, M. Grandpierre, depuis député de 
ce département, s'adjoignit volontairement à cette 
excursion passablement hasardeuse. Républicain -de 
vieiUe date, M. Grandpierre, du moins, n'était pas de 
ceux qui, en haine de l'Empire, applaudissaient tout 
bas à nos revers!... 

Le préfet et ses deux compagnons étaient en blouse 



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34 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

et armés à tout événement. Ils franchirent à toute 
vapeur les 41 kilomètres qui séparent Commercy du 
chef-lieu du département. A la gare de Commercy, 
M. Demetz trouva les sous-préfet, M. Aimé, qui l'y 
attendait avec le divers représentants du service des 
ponts et chaussées et du service vicinal, auxquels le 
préfet avait donné rendez-vous par dépêche télégra- 
phique. Il y avait là aussi un officier qui pouvait, 
mieux que tout autre, donner des nouvelles sûres et 
récentes de l'ennemi. C'était le capitaine Voysseur , 
appartenant à l'état-major du grand quartier général, 
et détaché par le maréchal Bazaine pour éclairer la 
marche de l'ennemi et communiquer, s'il était possible, 
avec Mac-Mahon. Cet officier avait passé la nuit pré- 
cédente à travers les lignes allemandes. 

Tout ce monde était réuni dans les bureaux du chef 
de gare, et le préfet donnait aux difl'érents chefs de 
services des instructions appropriées aux circonstances, 
quand il s'éleva, à l'occasion des derniers renseigne- 
ments parvenus, une contestation qu'il était facile de 
résoudre en consultant la grande carte del'Etat-Major. 
Le préfet en avait précisément apporté une, mais 
l'avait laissée sur la locomotive, arrêtée à cent mètres 
en deçà du bâtiment principal de la gare. Il y courut 
de suite, et bien lui en prit; car tandis qu'il cherchait 
sa carte, trois coups de feu retentirent et on lui cria : 
« Sauvez-vous ! voici les Prussiens ; ils cassent le télé- 
graphe ! » Au même instant, le préfet, et ses deux 
compagnons, MM. Leroy et Grandpierre qui, eux, n'a- 
vaient pas quitté la machine, virent accourir le capitaine 
Voysseur, fort empressé de profiter d'une telle occasion 
pour n'être pas fait prisonnier. La gare était déjà 



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RÉSEAU DE L'EST 



cernée par des soldats à bufâeteries jaunes, que quel- 
ques optimistes prenaient bonnement pour des gen- 
darmes. C'était de Tinfanterie bavaroise. 

Le préfet, installé sur le charbon du tender, donnait 
au mécanicien Tordre de rétrograder vivement sur Bar- 
le-Duc, quand un détachement de uhlans, franchissant 
la barrière, arriva à la hauteur du bâtiment principal. 
Aussitôt M. Demetz ej; ses compagnons glissèrent des 
cartouches dans leurs fusils, pour soutenir au besoin 
leur retraite. Ils voient le commandant des uhlans saisir 
le chef de gare, lui mettre le pistolet sur la gorge en 
lui montrant la locomotive, et prononçant avec empor- 
tement quelques mots sur le sens desquels on ne pou- 
vait se tromper. C'était Tordre de donner immédiate- 
ment le signal d'arrêt à la machine qui commençait à 
démarrer. Dans cette situation délicate, le chef de 
gare eut la présence d'esprit de transmettre au lieu du 
signal d'arrêt celui de ralentissement; puis aussitôt 
s'élança dans la direction de la machine comme pour 
se faire mieux comprendre. Ce petit manège fut exécuté 
avec tant de naturel que Tofficier allemand en fut tout à 
fait la dupe. Quand le chef de gare atteignit la locomo- 
tive, elle avait déjà gagné insensiblement une centaine 
de mètres, sans que Ton eût songé àla poursuivre... D'un 
bond, le chef de gare escalada la machine, qui partit 
aussitôt à toute vapeur, laissant bien loin derrière elle 
les Allemands, si ébahis qu'ils ne songèrent pas à-faire 
usage de leurs armes. 

Le fusil à la main, M. Demetz et ses compagnons 
battirent ainsi en retraite, s'arrêtant à chaque équipe 
qu'ils rencontraient, pour faire enlever les rails derrière 
eux et détruire les appareils télégraphiques des sta- 



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3fi CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

tions, qu'on n'avait plus le temps de soustraire autre- 
trement à Tennemi. En arrivant à Bar-le-Duc, ils firent 
rompre et jeter à Teau le pont du chemin de fer sur le 
canal de la Marne au Rhin, et dirigèrent immédiatement 
sur Paris quinze locomotives qui se trouvaient au dépôt. 
En descendant de son tender, le préfet, en blouse et 
tout noir de charbon, fut plus chaleureusement acclamé 
par la foule qu'il ne l'avait jamais été sous son plus 
brillant uniforme. On lui assura que son excursion 
avait été dénoncée aux Allemands par un espion fran- 
çais (?), dont le rapport les avait déterminés à hâter 
leur mouvement sur Commercy. Ajoutons que, malgré 
Toccupation de Bar-le-Duc (18 août), M. Demetz ne 
jugea pas à propos de se replier, comme l'ont fait en 
pareille circonstance la plupart des préfets de M. Gam- 
betta. Il demeura à son poste jusqu'au moment où il 
fut mis en arrestation et embarqué pour l'Allemagne. 



VI 



L'historique du réseau de TEst explique un incident 
qui a donné lieu à de vives discussions, le retour de la 
garde mobile parisienne, du camp de Châlons à celui 
de Saint-Maur. 

Cette troupe avait été transportée de Paris à Châ- 
lons, par fraction de trois bataillons chacune, du 30 juil- 
let au 11 août. L'Intendance, avertie tardivement et 
surchargée de travail, n'avait rien préparé pour l'ins- 
tallation de ces jeunes soldats, et les premiers arrivés 



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RÉSEAU DE L*EST 87 



surtout eurent beaucoup à soufirir. Il y eut, à cette 
occasion, des murmures, des preuves d'indiscipline très- 
marquées. Cette situation déjà mauvaise s'aggravait 
encore sous Timpression des nouvelles désastreuses 
qui circulaient dans le camp. 

On ne savait trop, dans le principe, quelle destination 
donner à ces mobiles ; Thésitation redoubla naturelle- 
ment après les premiers revers. Le nouveau ministre 
de la guerre eut d'abord l'idée de faire entrer cette 
troupe dans la composition du 12® corps. Pour diffé- 
rents motifs, il changea d'avis, et envoya le 16, à la 
Compagnie de l'Est, l'ordre de procéder immédiate- 
ment au transport des dix-huit bataillons de mobiles 
de Paris vers différentes places du Nord. Mais telle 
était alors la situation des esprits, qu'on avait dû pré- 
voir que bon nombre de ces mobiles, principalement 
de ceux des bataillons dont on tenait particulièrement 
à se débarrasser, refuseraient de s'embarquer s'ils con- 
naissaient d'avance leur nouvelle destination. On avait 
donc eu l'idée de leur donner le change, en dirigeant 
d'abord les trains sur Paris. On devait ensuite rebrous- 
ser chemin vers le Nord, conformément à des indica- 
tions spéciales dont les commandants des bataillons 
devaient avoir seuls connaissance lors du départ. Le 
17, le ministre adressait à la Compagnie des instruc- 
tions confidentielles dans ce sens, et recommandais 
tout particulièrement « d'éviter que les hommes des- 
cendissent des wagons. » Il faut plaindre une autorité 
réduite à user de pareils subterfuges pour assurer 
l'exécution de ses ordres. 

Mais ce n'était pas tout. Tandis que les chefs de la 
Compagnie recevaient ces ordres à Paris et les trans- 

3 



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38 CHEMINS DR FER FRANÇAIS 

mettaient au camp, ils étaient informés, en retour, que 
le projet d'envoyer les mobiles dans le Nord était 
éventé, qu'il excitait une grande irritation, et, finale- 
ment, qu'il ne s'exécuterait pas. Le même jour (17 août), 
à l'issue du conseil dans lequel le général Trochu ve- 
nait d'être nommé gouverneur de Paris, une dépêche, 
expédiée du camp à 1 h. 54 de l'après-midi, annonçait 
que les mobiles, au lieu d'être dirigés sur le Nord, 
conformément aux instructions ministérielles, étaient 
transportés sur Paris, à destination du camp de Saint- 
Maur, suivant l'ordre de Vautorîté militaire (?). 

Il est avéré aujourd'hui que ce changement de desti- 
nation avait été décidé sur l'insistance formelle du 
nouveau gouverneur. Bien que celui-ci connût parfai- 
tement les ordres donnés à cet égard par le ministre, 
son supérieur responsable, il y substituait les siens, 
sans lui en référer, sans le prévenir. Les premiers 
trains de mobiles étaient en route; leur débarque- 
ment commençait, quand le ministre apprit qu'on les 
ramenait sur Paris I II ne pouvait être que vivement 
affecté d'une atteinte aussi grave portée au principe 
de la subordination militaire, et ne se dissimulait pas 
les inconvénients de ce retour. Mais il était en même 
temps forcé de reconnaître qu'on ne pouvait s'y op- 
poser! En conséquence, il se résigna à faire dispa- 
raître la trace de ce regrettable conflit, en invitant la 
Compagnie de l'Est « à considérer ses précédentes 
instructions comme non avenues , et à retourner 
celles qui devaient être remises- aux commandants des 
bataillons. » (18 août.) 

Les chefs de la Compagnie étaient bien instruits de 
la propagande révolutionnaire qui se faisait parmi les 



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RESEAU DE L'EST 39 



mobiles; aussi ce retour les préoccupait vivement au 
point de vue de Tordre. Ils redoutaient tout d'abord une 
débandade dans la traversée de Paris. Ils eurent alors 
ridée d'éviter cette traversée, en arrêtant les trains à 
la bifurcation de Noisy et les refoulant sur la ligne de 
Mulhouse jusqu'à la gare de Nogent-sur-Marne, qui 
n'est qu'à deux kilomètres du camp de Saint-Maur. 
Cette proposition fut communiquée, dans la soirée du 
17, au général Malroy, chef d'état-major de la pre- 
mière division militaire. Ce fut même par cette com- 
munication que cet officier, qui hiérarchiquement 
aurait dû tout savoir un des premiers, fut informé 
de la nouvelle destination assignée aux mobiles par 
« l'autorité militaire » de Châlons, contrairement aux 
ordres du ministère I 

La combinaison proposée par les chefs ie la Com- 
pagnie fut acceptée avec empressement. La seule avant- 
garde des mobiles, qui avait déjà dépassé le point 
d'arrêt convenu, débarqua à Pantin, et se rendit à 
Saint-Maur en traversant une partie de Paris. Tous les 
autres trains rétrogradèrent de Noisj sur Nogent-sur- 
Marne. Fort heureusement, ce changement d'itinéraire 
ne souleva pas d'opposition parmi ces jeunes soldats. 
Il n'aurait pas fallu compter, pour les mettre à la 
raison, sur le nouveau gouverneur (général Trochu), 
qui n'entendait employer que la force morale^ et ne 
craignait pas de dire à ces mêmes mobiles, dans une 
de ses trop nombreuses proclamations : « J*ai demandé 
votre rappel immédiat à Paris, parce que c'était votre 
droit. » C'était, si j'ose m'exprimer ainsi, traiter Tin- 
subordination par la méthode homœopathique. 

La nomenclature des amoindrissements successifs du 



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40 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

service de TEst nous offre, en quelques lignes, un 
résumé saisissant de nos désastres jusqu'à l'investisse- 
ment de Paris. Le combat du 6 août avait enlevé à 
cette Compagnie l'embranchement de Wissembourg à 
Haguenau ; ceux du 8 , la ligne d'Alsace parallèle à la 
frontière et celle de Forbach à Metz. Dès ce jour, les 
trains de la grande ligne ne dépassaient plus Sarre- 
bourg. Les Allemands ayant occupé sans obstacle les 
défilés des Vosges, la tête de cette ligne fut ramenée 
le 11 à Lunéville, le 12 à Nancy. L'embranchement de 
Nancy à Metz par Frouard avait été intercepté la nuit 
précédente ; d'autre part, l'abandon de Lunéville et de 
Nancy avait entraîné la perte des embranchements de 
Saint-Dié et d'Êpinal. Sur la grande ligne, le service 
fut limité, le 14, à Commercy; le 16, à Bar-le-Duc. 
Le 23, par suite de la reddition de Vitry, il fallut 
abandonner toute la section comprise entre cette place 
et Épernay. Cette bifurcation importante étant au 
pouvoir de l'ennemi, il n'y eut plus de communication 
possible que par Soissons, entre Paris et l'armée de 
Mac-Mahon. Le même jour, on incendia précipitam- 
ment, dans la vallée de la Marne, les estacades de 
l'embranchement Mourmelon-Châlons- Verdun, pour 
retarder la poursuite de cette armée par les troupes 
du Prince Royal. Ces troupes avaient fait d'abord fausse 
route, continuant à chercher le 1®"^ et le 5« corps dans 
la direction de Paris. Leurs éclaireurs avaient poussé 
jusque dans les environs de Troyes, s'informant tou- 
jours et partout de Mac-Mahon. Le 26, vers midi, ils 
arrivaient sur la ligne de Mulhouse, à la gare de Payns, 
à 12 kilomètres de Troyes, et le train sortant de cette 
ville rétrogradait sous la fusillade. Mais, le lendemain, 



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RESEAU DE L'EST 41 



les Allemands, reconnaissant leur erreur et ressai- 
sissant trop tôt la piste, faisaient volte-face et remon- 
taient vers le nord. Ils prenaient à revers et fran- 
chissaient sans obstacle les défilés célèbres de TAr- 
gonne, inutiles cette fois à la France comme ceux des 
Vosges. Ils couraient, ces ennemis, et nous nous 
traînions !.... L] armée française semblait, suivant un 
témoin oculaire, suivre un enterrement. Elle mit six 
jours pour faire un trajet qui, en ligne directe, eût été 
de vingt lieues à peine. A chaque instant, des averses 
furieuses s'abattaient sur elle ; d'énormes nuages noirs 
roulaient dans Tespace; la tempête mugissait sans 
relâche, et ses mille voix, courroucées ou plaintives, 
semblaient chanter un colossal hymne funèbre sur ces 
têtes vouées à la mort ou la captivité (1).... 

Par suite de ce brusque revirement de Tennemi, la 
compagnie de TEst put reporter son service en avant, 
sur les lignes de Strasbourg et de Mulhouse, mais pour 
bien peu de jours. Châlons, par exemple, redevint tête 
de ligne jusqu'au 4 septembre à minuit. Après la ca- 
tastrophe, l'absorption définitive de ce réseau s'accom- 
plit avec une rapidité foudroyante. Le 4 septembre au 
soir, les trains de l'Est ne dépassaient plus la Ferté- 
sous-Jouarre. Le 8, ils. s'arrêtaient à Lagny; le 12 au 

(1) Nous renvoyons à rhistorique du chemin de fer du 
Nord ce qui concerne le transport du 13™« corps (Vinoy) , 
de Paris à Mézières, opéré de concert par les Compagnies 
du Nord et de TEst (26 août-1®' septembre). Nous n'avons 
pas voulu morceler le récit de ce transport, ni le séparer de 
celui d'une opération plus importante encore, le retour de 
ce corps d'armée sur Paris (5-8 septembre) , accompli tout 
entier sur le réseau du Nord. 



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4Î CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

matin, à Meaux. Le 12 au 8oir, ils ne sortaient plus de 
Paris. Mais il fallait se consoler de tout, ou plutôt ê'en 
applaudir. N'avions-nous pas désormais ce talisman 
invincible, la République! I... 



VII 



Le service fut maintenu jusqu'à la dernière extré- 
mité, sur les fractions non envahies du réseau de l'Est. 
Quelques-unes demeurèrent intactes jusqu'à la fin d'oc- 
tobre. Celle qui va de Charle ville à la frontière belge 
par Givet fut même tout à fait oubliée ou dédaignée 
par l'ennemi après la capitulation de Mézières, qui 
mettait cette ligne à sa merci. L'exploitation française 
de l'Est demeura, jusqu'à la fin de la guerre, réduite à 
ce tronçon, d'une longueur de 74 kilomètres ! 

Cet embranchement, de même que ceux de Charle- 
ville à Donchery et à Hirson, avait été neutralisé après 
la journée du 1®' septembre, pour le ravitaillement des 
prisonniers parqués dans la trop fameuse presqu'île 
d'Iges, le Camp de la misère^ et pour le transport des 
blessés. Ceux-ci étaient d'abord secourus, en gare de 
Charleville, dans les wagons, sur les quais et dans les 
salles d'attente, converties en ambulances' par les agents 
de la Compagnie, puis dirigés sur les principales villes 
de nos départements du Nord et de la Belgique. La 
neutralisation des lignes afi'ectées à ces transports fut 



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RESEAU DE L'EST 48 



successivement prorogée jusqu'au 20 octobre, et le 
nombre des blessés secourue s'éleva à 9,671. 

Lo directeur de l'exploitation s'était rendu à Mul- 
house aussitôt après la bataille de Sedan, afin d'être 
plus à portée d'agir, selon les événements, sur la por- 
tion encore libre du réseau. A partir du 14 septembre, 
des patrouilles, des colonnes mobiles commencèrent à 
se montrer dans le Haut-Rhin et les Vosges, à Saint- 
Dié, à Colmar, à Mulhouse. Le service fut deux fois 
suspendu à leur approche, et repris après leur départ. 
On devait à la résistance de Strasbourg ces derniers 
intervalles de répit. 

On s'était empressé de procéder au sauvetage du 
matériel réfugié sur ces lignes. Une partie avait pu 
être évacuée par Mulhouse sur la Suisse ; mais cette 
ligne de retraite ne tarda pas à se trouver coupée par 
la destruction au moins prématurée du viaduc de Dan- 
nemarie, entre Mulhouse et Belfort. Dès lors, tout le 
matériel accumulé au delà de ce point sur les sections 
non encore envahies de la ligne Belfort-Paris, ne pou- 
vait plus s'évader qu'en passant sur le réseau de Lyon, 
par les embranchements à voie unique de Besançon ou 
de Vesoul-Gray. 

Comme on devait s'y attendre, la chute de Stras- 
bourg (29 septembre) fut pour Mulhouse le signal 
d'une nouvelle occupation qui, cette fois, ne devait pas 
même, hélas ! finir avec la guerre. Instruit de l'approche 
d'une nombreuse avant-garde, M. Jacqmin se replia 
sur le territoire suisse avec son personnel, dont il con- 
certa ensuite le rapatriement par Pontarlier avec les 
agents de la Compagnie de Lyon. Le 3 octobre, les 
Badois envahirent Mulhouse, qu'ils rançonnèrent sans 



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44 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

merci, et s'avancèrent parla voie ferrée jusqu'à Altkirch, 
dans la direction de Belfort, qu'ils semblaient menacer 
d'un siège immédiat. Mais ce n'était qu'une démon- 
stration ; pendant ce temps, le 14® corps prussien, 
commandé par Werder, l'un des meilleurs généraux 
allemands, envahissait le massif des Vosges. 

Après bien des hésitations et des tiraillements dé- 
sastreux, l'organisation de la défense de ce côté venait 
d'être confiée par la délégation de Tours (antérieure- 
ment à l'arrivée de M. Gambetta) au général Cambriels. 
Cet officier, grièvement blessé à Sedan, avait néan- 
moins réussi à s'échapper, et continuait à servir malgré 
sa blessure. Mais ce témoignage de dévouement ne 
suffisait pas pour rassurer les soi-disant patriotes franc- 
comtois, républicains encore plus ombrageux que les 
gens de Tours. La prétendue armée des Vosges, dont 
Cambriels venait d'accepter le commandement, n'était 
encore qu'une cohue d'hommes sans expérience, mal 
armés, mal équipés, auxquels tout faisait défaut, les 
vivres, les munitions, surtout la discipline. Le 6 octobre, 
une partie de cette « armée » fut surprise par une des 
divisions de Werder versRaon-l'Étape, station de l'em- 
branchement de Lunéville à Saint-Dié. Deux bataillons 
et quelques francs -tireurs montrèrent de la fermeté, 
mais il fallut céder à la supériorité écrasante du nombre 
et de Fartillerie (1). On rétrograda précipitamment sur 
Bruyères, station de l'embranchement qui doit relier 
Épinal à Saiot-Dié, mais qui avait alors pour tête de 
ligne la gare de Laveline, où Cambriels eut son quar- 

(1) En fait d'artillerie, cette armée des Vosges ne possédait 
qu'une demi-batterie. 



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RESEAU DE L'EST 45 

tier général pendant trois jours. Après cet engagement, 
auquel les écrivains locaux ont donné le nom un peu 
ambitieux de bataille de la Bourgonce, ces troupes 
novices se trouvaient dans un tel état de démoralisa- 
tion, que Cambriels prit brusquement le parti d'aban- 
donner la défense du massif des Vosges, et de mettre 
un large intervalle entre Tennemi et ses troupes, en 
leur indiquant Besançon comme point de ralliement. 
Sans doute il était pénible d'abandonner à l'invasion 
plusieurs lignes de chemins de fer (1), tout un départe- 
ment dont le sol accidenté offrait à la résistance des 
ressources exceptionnelles. Mais dans les circonstances 
où l'on se trouvait après l'engagement du 6 octobre, la 
prolongation de la lutte sur ce terrain n'aurait profité 
qu'aux Prussiens. Elle leur eût fourni l'occasion de 
surprendre quelques-uns des trop nombreux défilés des 
Vosges, d'envelopper et de détruire un rassemblement 
qui pouvait devenir en peu de temps le noyau d'un vé- 
ritable corps d'armée. Avant de mettre aux prises 
avec l'ennemi ces recrues, il fallait prendre le temps 
d'en faire de vrais soldats. Lacourbe lui-même, le plus 
habile des généraux de la première République dans 
la guerre de montagnes, n'eût pas, en pareille cir- 
constance, agi autrement que Cambriels. 

Malgré l'éloignement des troupes françaises, l'inva- 
sion rencontra, sur plusieurs points du département 
des Vosges, une résistance énergique de la part des 
gardes nationales sédentaires. L'une des plus belles fut 

(1) Réseau de l'Est : d'Épinal à Port-d'Atelier (sur la ligne 
de Mulhouse), d'Epinal à Remiremont, à Laveline ; chemin 
de fer départemental de Charmes à Rambervillers. 

3. 



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46 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

celle des habitants de Rambervillers (1). Voici quel- 
ques détails, venus de bonne source, sur cet épisode 
trop peu connu de la défense de son pays. 

Ce fut dans l'après-midi du 10 octobre, quatre jours 
après rengagement de la Bourgonce, qui avait eu lieu 
à peu de distance de là, qu'on signala rapproche d'une 
colonne prussienne, arrivant sur Rambervillers par la 
route de Saint-Dié. Aussitôt on court aux armes, mal- 
gré la défense formelle du maire. Ce fonctionnaire, 
démocrate des plus ardents, se replie instantanément, 
sans prendre le temps de ranger ou de dissimuler les 
papiers les plus importants. Il laissait notamment en 
vue, sur son bureau, la correspondance des maires des 
environs, donnant des informations sur la marche de 
l'ennemi. L'un d'eux, M. Cuny, maire de Domptail, fut 
arrêté et emprisonné à Nancy, par suite de l'impar- 
donnable négligence de son collègue. 

L'ennemi, cependant, avançait toujours. On s'em- 
presse de barricader les rues. Les meilleurs tireurs 
courent s'embusquer dans le cimetière situé hors de la 
ville, sur la route par laquelle vient l'ennemi. Cet asile 
de la mort se transforme soudain en redoute meurtrière; 
dans sa clôture de pierres sèches, on a improvisé des 
créneaux, et on attend. Les Prussiens sont bientôt en 
vue : nos cent cinquante gardes nationaux n'ont pas 
affaire à une poignée d'éclaireurs, mais à plusieurs 
milliers de soldats. Pourtant aucune hésitation ne se 



(1) Cette petite ville, l'un des chefs-lieux de canton des 
Vosges, fait tête de ligne d'un chemin de fer départemental 
qui se détache, à la station de Charmes, de la ligne d'Epinal 
à Naocy, 



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RESEAU DE L'EST 47 



produit dans la petite troupe. Elle demeure immobile, 
silencieuse à Taffût; circonstance rare, il faut le dire, 
dans les embuscades françaises pendant cette guerre. 
C est seulement quand Tennemi est arrivé à cent mètres 
qu'ils le saluent d'un feu continu, terrible, qui en quel- 
ques minutes renverse trois cents hommes, dont plus 
de tués que de blessés. Ce ne sont pas là de ces prouesses 
de francs-tireurs fantaisistes, qui ajoutaient le ridicule 
à nos malheurs ! Ces gardes nationaux, armés do Tan- 
cienne carabine rayée des chasseurs à pied, étaient 
placés sur deux rangs, dont l'un rechargeait, tandis 
que l'autre tirait à travers le mur crénelé. Ce fut ainsi 
qu'ils mirent véritablement hors de combat un nombre 
d'ennemis double du leur. 

Fort heureusement, l'artillerie ennemie avait été 
arrêtée à une grande distance par des abatis de sapins; 
sans cette circonstance, Rambervillers eût été sans 
doute détruit de fond en comble. L'infanterie prus- 
sienne se déploya, cerna la ville, y pénétra de plusieurs 
côtés à la fois. La fusillade continua quelque temps 
dans les rues ; les deux derniers coups de feu français 
furent tirés par M. Dussourt, capitaine de la garde na- 
tionale, qui, du pont de la Mortagne, fit encore coup 
double avec son fusil de chasse. Toute résistance dut 
cesser à la nuit; ceux qui avaient eu Thonneur d'y 
prendre part s'échappèrent ou se cachèrent comme ils 
purent. Quelques Français, trop grièvement blessés 
pour fuir, avaient été achevés dans le cimetière à coups 
de baïonnettes. La ville était encombrée de soldats 
ivres de rage, tirant au hasard, criblant de coups de 
fusil les habitations muettes... 

Alors commencèrent les perquisitions à domicile. 



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48 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Tout homme chez lequel on trouvait un fusil encrassé 
de poudre était mis à mort. Il y eut, dans la nuit et le 
lendemain, vingt-six de ces exécutions. Les cadavres, 
traînés dans les ruisseaux, restèrent, par ordre supé- 
rieur, exposés pendant trois jours, avec défense d'y 
toucher, sous peine de mort. Quand enfin on les laissa 
enterrer, grâce à l'intervention du curé, toute céré- 
monie religieuse fut interdite, et il fut défendu aux 
hommes d'assister à l'inhumation. Les soldats de garde 
au cimetière n'j laissaient pénétrer qu'une femme par 
cadavre,,. Parmi ces exécutions, Tune des plus odieuses 
fut celle d'un nommé Collot, vieux paysan infirme, qui 
demeurait à un kilomètre de la ville. Tout le crime de 
celui-là était d'avoir apostrophé vivement des soldats 
qui lui volaient son foin... Est-il besoin d'ajouter que 
la ville dut acquitter sur l'heure une forte contribution, 
et que tout le conseil municipal fut déporté en Alle- 
magne? Ainsi se passa, en 1870, la fête de Ramber- 
villers, qui, par une étrange et cruelle coïncidence, 
tombe précisément le 10 octobre. La voilà, pour bien 
des siècles, transformée en un anniversaire lugubre, et 
pourtant glorieux ! 

Cette résistance nous semble particulièrement remar- 
quable, en ce qu'elle fut toute spontanée de la part des 
habitants abandonnés à eux-mêmes, et non appuyée ou 
imposée, comme ailleurs, par des milices étrangères 
aux localités. 



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RESEAU DE L'EST 49 



VIÏI 



Pendant les derniers jours de l'exploitation française, 
dans le rayon de Mulhouse, l'administration de l'Est 
n'y avait conservé que le matériel strictement indis- 
pensable au service. Au moment de l'occupation défi- 
nitive, ce matériel fut évacué sur Bâle, et soustrait à 
l'ennemi, moins quatre machines remises au chemin 
de fer Central- Suisse, dont les Prussiens se saisirent 
par le droit du plus fort. Quant au matériel des sections 
au delà de Belfort, et des lignes des Vosges, qui avait 
été dirigé par Vesoul sur Gray, où il se trouvait accu- 
mulé, on n'eut que le temps de le refouler plus avant, 
sur le réseau de Lyon (18 et 19 octobre). 

Sur toute l'étendue des lignes de l'Est, au fur et à 
mesure des progrès de l'ennemi, les employés des gares 
menacées avaient mis en sûreté, conformément à leurs 
ordres, le matériel roulant, les marchandises, les regis- 
tres, caisses et appareils télégraphiques. Ils pouvaient 
ensuite, à leur choix, gagner le territoire libre ou rester 
à leur poste. La plupart, surtout ceux des lignes d* Al- 
sace et de Lorraine, prirent ce dernier parti ; c'est-à- 
dire qu'ils demeurèrent dans leurs gares, quand l'en- 
nemi les y tolérait, mais sans travailler pour lui. Ces 
employés, auxquels la langue allemande était généra- 
lement familière, recueillaient ainsi des renseignements 
qui auraient pu devenir fort utiles^ dans l'éventualité 
longtemps et vainement espérée d'un revirement of- 
fensif. 



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50 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Le Directeur de l'Est n'eut guère roccasion de se 
plaindre des procédés de la Délégation, mais il dut 
défendre la partie de son matériel réfugiée sur les 
lignes de Lyon, contre les exigences du citoyen-préfet 
(Challemel-Lacour), qui voulait s'emparer de ces wagons 
pour les transformer en baraquements de mobilisés. Il 
soutint, à cette occasion, une lutte très-vive, qui ne fut 
terminée que par une décision de Bordeaux, du 2 jan- 
vier 1871, donnant pleinement tort à ce que l'on appe- 
lait alors l'administration départementale du Rhône. 

Pendant la longue période de l'investissement de 
Paris, l'une des préoccupations les plus sérieuses des 
délégués des grandes Compagnies, en province, avait 
été de faire vivre Içur personnel. Il y avait là, on le 
conçoit, une question d'intérêt national, autant que 
d'humanité, surtout par rapport aux employés restés 
en observation sur le territoire envahi. On savait à 
quelles suggestions étaient en butte ces employés, pères 
de famille, pour la plupart. La tâche la plus lourde 
incombait forcément au directeur de l'Est, dont tout le 
réseau était envahi, et qui se voyait, dès les premières 
semaines de la guerre, privé de recettes, aussi bien 
que de moyens réguliers de communication avec la 
majeure partie de ses employés. Il tint tête à cette 
accumulation de difficultés, et vint à bout de faire 
passer, à presque tous, le montant de la demi-solde qui 
leur avait été promise. Ce secours leur arriva jusque 
dans les localités les plus encombrées, les plus sur- 
veillées par l'ennemi. 

Après la guerre, le conseil de la Compagnie de l'Est 
a dignement achevé ce que son délégué avait si bien 
commencé. Ce conseil décida que le complément de la 



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RESEAU DE L'EST 51 



demi-solde serait payé à tous les agents restés à bur 
poste, ou à un poste approuvé par les chefs dont ils 
dépendaient. C'était pour la Compagnie de TËst, privée 
de son exploitation pendant plus de six mois, un sacri- 
fice très-considérable, mais qu'elle n'a pas hésité à faire 
en faveur d'agents qui avaient donné tant de preuves 
de dévouement... £ien peu de grandes entreprises 
industrielles, privées de tout travail pendant un si long 
espace de temps, auraient pu (ou voulu) payer intégra- 
lement leur personnel. Cet acte de libéralité ou de jus- 
tice, conmie on voudra, fait honneur au patriotisme de 
ses auteurs, non moins qu'à leur humanité. Parmi ces 
employés, beaucoup appartiennent aux contrées qui 
ont cessé, momentanément, d'être françaises. Il en est, 
osons le dire, qui, cédant à d'inexorables nécessités 
d'existence, ont dû opter, du bout des lèvres, pour la 
nationalité allemande. Le souvenir des procédés géné- 
reux de la Compagnie française, à laquelle ils appar- 
tenaient, ne peut que resserrer les liens d'affection 
privée qui persistent entre eux et nous. 

Pendant toute la durée de la guerre, nos ennemis 
n'ont jamais perdu un moment pour remettre en acti- 
vité les portions du réseau français tombées en leur 
pouvoir, qui offraient de l'intérêt au point de vue mili- 
taire, principalement les lignes de l'Est. Ils nous ont 
laissé, sous ce rapport, des exemples qu'il est bon d'étu- 
dier, en attendant l'occasion de les mettre en pratique. 

On a vu précédemment que, sur la section de Wissem- 

' bourg à Haguenau, l'exploitation avait commencé dès 

le lendemain de la bataille de Reischoffen, quelques 

heures seulement après la cessation du service français. 

Cette exploitation était dirigée par trente agents du 



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52 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

chemin de fer Berg et Marché arrivés le même jour à, 
Wissembourg. La prise de possession des passages in- 
tacts des Vosges permit aux trains allemands d'arriver 
sans obstacle le 21 du même mois à Nancy. Le 23 sep- 
tembre, deux jours après la reddition de Toul, ils 
poussèrent jusqu'à Commercy ; mais ce fut seulement 
à partir du 23 novembre, après Tachèvement de la 
déviation de Nanteuil, que l'exploitation fut poussée 
jusqu'à Lagny, qui devint tête de ligne jusqu'à la fin 
de la guerre. 

Les chemins de fer français envahis furent répartis 
en cinq directions ou commissions d'exploitation {Be- 
triebs-commissionen). Chacune était composée de trois 
membres : un président, un ingénieur en chef, un admi- 
nistrateur. Ces trois membre» supérieurs avaient sous 
leurs ordres un agent commercial, trois ingénieurs des 
travaux, un inspecteur du télégraphe, un ingénieur du 
matériel et trois chefs de dépôt. Les trois premières 
commissions (Saarbruck, Strasbourg, Nancy) se parta- 
geaient la majeure partie du réseau de l'Est ; la qua- 
trième (Reims) et la cinquième (Chaumont), les em- 
branchements de ce même réseau qui se relient à ceux 
du Nord, de Lyon et d'Orléans, et les portions de ces 
trois réseaux que l'autorité militaire supérieure jugea 
à propos d'exploiter,, au fur et à mesure des progrès de 
l'invasion. Le personnel inférieur des gares, des dépôts 
et de la voie dut être emprunté presque entièrement 
à l'Allemagne. Il fallut en tirer aussi presque tous les 
ouvriers nécessaires pour la réparation des ouvrages 
d'art et des voies, les travaux de cantonnement, etc. 
La plupart des tentatives faites par les commissions 
allemandes pour embaucher de gré ou de force les 



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RESEAU DE L'EST 58 

agents français demeurèrent inutile». En Alsace et en 
Lorraine, on avait eu recours de préférence aux moyens 
de douceur. On représentait aux agents que ces deux 
provinces étaient perdues pour la France, qu'ils avaient 
dès lors intérêt à reprendre des fonctions qu'ils ne 
retrouveraient pas plus tard. On alla jusqu'à leur pro- 
poser un modèle d'engagement rédigé en allemand et 
en français, mais dont les deux textes présentaient une 
différence essentielle. Le texte allemand ne contenait 
que la promesse nettement exprimée de servir fidè- 
lement la Betriebs-commission^ comme on avait servi la 
compagnie de l'Est. La traduction française, au con- 
traire, était rédigée de manière à donner lieu de croire 
qu'il était intervenu un accord entre les administrations 
française et allemande, et que cette dernière fonction- 
nerait pour le compte de la compagnie de l'Est et de 
concert avec elle. Faut-il attribuer cette rédaction 
équivoque au « défaut d'habitude de la langue fran- 
çaise » , comme M. Jacqmin veut bien le supposer ? 
Ne faut-il pas plutôt y voir une supercherie calculée 
pour tromper ceux des agents français employés en 
Lorraine et en Alsace, auxquels la langue allemande 
était peu familière ? Cette dernière interprétation nous 
paraît la plus vraisemblable. Il y avait dans les com- 
missions allemandes des hommes qui avaient vécu plu- 
sieurs années parmi nous, chargés de missions secrètes 
à' observation, qui parlaient et écrivaient correctement 
notre langue et n'ont dû faire qu'à bon escient des 
phrases à double entente. Tel était M. Glaser, membre 
de la commission de Reims, dont nous raconterons la 
curieuse histoire à propos du chemin de fer du Nord. 
Quoi qu'il en soit, cet engagement ne fut souscrit 



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gle ^ 



54 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

que par un très-petit nombre d'individus, appartenant 
au personnel des lignes secondaires de l'Alsace. Il fut 
repoussé par Timmense majorité des employés. Plu- 
sieurs de ceux-là furent alors brutalement expulsés, 
d'autres contraints de s'enfuir. L'ennemi rencontra les 
mêmes répugnances patriotiques dans les ateliers fran- 
çais. A Épernay, sur plus de huit cents ouvriers, huit 
ou dix seulement consentirent à "travailler pour les 
Allemands. Ceux-ci ne s'attendaient pas à rencontrer 
de si graves difficultés de ce genre, eux qui avaient 
prévu tant de choses I Dès le mois de novembre, il 
fallut pourvoir, par des mesures dictatoriales, en Alle- 
magne, à l'exploitation des chemins français. Une 
circulaire prussienne prescrivit non-seulement l'ajour- 
nement indéfini de toute ouverture nouvelle, mais des 
restrictions notables dans le service sur toutes les lignes 
allemandes, et requit toutes les directions de chemins 
de fer de transmettre au ministère prussien la liste de 
tous les agents de la traction et du mouvement, des 
gares et des bureaux, des travaux et des ateliers, sus- 
ceptibles d'être utilisés sur le territoire envahi. C'est 
alors qu'on vit s'abattre sur le réseau envahi cette nuée 
d'employés de tous grades, de physionomies impos- 
sibles, à longues barbes, pourvus de ces immenses pipes 
de porcelaine qui semblaient faire partie intégrante de 
la tenue... N'oublions pas un détail caractéristique, 
parce qu'il atteste la méfiance persistante de la Prusse 
à l'égard de ses bons alliés du Sud, et la volonté non 
moins persistante de faire ]iorter sur eux la majeure 
partie des charges de la guerre, tout en retenant la 
meilleure part des profits. La presque totalité du per- 
sonnel allemand détaché en France fut empruntée aux 



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RESEAU DE L'EST B5 



États prussiens ; et ce furent au contraire les Etats 
du Sud qui, toute proportion gardée, fournirent la 
majeure partie du matériel roulant. Dès le mois do 
novembre, par exemple, la Bavière seule avait en 
France 33 machines et près de 7,000 véhicules.. Dès 
que la voie de contournement de Nanteuil fut terminée, 
et que les wagons chargés purent circuler sûrement 
juqu'à Lagny, les États du Sud durent fournir à nou- 
veau, pour Tapprovisionnement de l'armée allemande 
sous Paris, 20 trains composés chacun de 46 wagons 
de marchandises (total 1320) et de quelques voitures 
de voyageurs. A la fin de la guerre, les Allemands 
avaient sur la portion exploitée par eux du réseau fran- 
çais, environ 16,000 de leurs wagons et 4,000 des 
nôtres. 



IX 



Pendant toute la durée de Toccupation, mais surtout 
pendant la guerre, la station de Lagny (à 28 kilomètres 
de Paris) a été le point terminus de l'occupation de la 
grande ligne de l'Est par les Allemands, et un de leurs 
postes principaux (1). Ils y avaient installé leur inten- 
dance, la direction générale des ambulances et celle 
des postes. Le dépôt des prises de guerre était établi à 

(l) Ils tentèrent à plusieurs reprises de faire arriver leurs 
wagons jusqu'à la station de Chelles, plus rapprochée de 
Paris de 9 kilomètres, mais il furent toujours repousses par 
les batteries françaises du mont Avron, 



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56 CHEMINS DE FEU FRANÇAIS 

la station d'Esbly, à 5 kilomètres en arrière de Lagny : 
les Allemands y construisirent un quai spécialement 
affecté à l'embarquement du butin qu'ils emportaient de 
France. 

Les circonstances de l'occupation de Lagny et de 
l'installation des divers services de l'ennemi ont été 
relatées avec une précision rigoureuse par un agent 
supérieur de l'Est, témoin oculaire et attentif. Le 
12 septembre, le génie français avait fait sauter les 
deux ponts sur la Marne : comme on manquait de troupes 
pour défendre le passage, cette destruction ne pou- 
vait arrêter longtemps une armée nombreuse et bien 
outillée. Les ennemis parurent le 13, sur la rive gauche, 
et Ton vit arriver dès le lendemain l'avant-garde 
du prince royal. Le même jour, les Prussiens jetèrent 
sur la Marne un pont de bateaux qu'ils menaient avec 
eux sur des fourgons, et le lendemain 15, ils établirent 
sur les débris du pont de fer une passerelle pour les 
piétons. En six jours, ils construisirent d'urgence, en 
vue de l'exploitation du chemin de fer, deux ponts sur 
pilotis, qui naturellement ne furent utilisés que deux 
mois plus tard, après l'achèvement des travaux de con- 
tournement du tunnel éboulé dé Nanteuil. 

Dès le 18 septembre, la communication télégraphique 
fonctionnait régulièrement entre l'Allemagne, le bu- 
reau central de Lagny et le quartier général, établi 
alors au château de Ferrières, célèbre par les pleurs de 
M. Jules Favre, et quelques jours après à Versailles. 

Le 31 octobre et le 1*' novembre, les Prussiens, 
appréhendant une tentative désespérée sur Lagny, y 
construisirent précipitamment des redoutes et se mirent 
en mesure de faire sauter la gare et les voies au pre- 



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RESEAU DE L'EST 57 



mier signal. Les soldats furent bien joyeux d'apprendre 
que les assiégés se déchiraient entre eux, au lieu de 
combiner un effort suprême contre l'étranger. Quant à 
leurs chefs, ils savaient probablement à quoi s'en tenir 
sur la véritable cause de ces mouvements anarchiques, 
qui faisaient si bien les affaires de l'invasion. 

La première machine allemande n'arriva en gare de 
Lagny que le 20 novembre. Quatre jours après, un ser- 
vice régulier entre Strasbourg et Frouard était orga- 
nisé, et chaque train recevait un nombre déterminé de 
voyageurs civils. 

Parmi les nombreuses constructions faites à Lagny 
avant comme après l'ouverture de l'exploitation alle- 
mande, nous devons une mention spéciale à celles qui se 
rapportaient au service des vivres. On construisit tout 
d'abord trois grandes baraques, dont la principale était 
destinée à l'alimentation des troupes de passage ; elle 
contenait trehte-six fourneaux en fonte, suffisants pour 
faire la soupe à trois mille hommes à la fois (1). 

Dans les premières semaines du siège, les Allemands, 
privés de leurs arrivages rapides d'approvisionnements 
par l'interruption prolongée du chemin de fer, souffri- 
rent souvent de la disette. Ils n'entendent pas raillerie 
sur le chapitre de la nourriture, et nous avons trouvé 
dans des correspondances interceptées la preuve que ce 
jeûne forcé exerçait une certaine influence sur le moral 
de nos ennemis (2). 

(1) Une autre de ces baraques était un bazar où des com^ 
merçants, surtout des juifs, trafiquaient d'objets mobiliers de . 
toute espèce provenant des champs de bataille et des réquisi- 
tions. La troisième était le casino des officiers. 

(2) Notamment dans le 12® corps d'armée (Saxons) . 



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S8 CHEMINS DE PER FRANÇAIS 

Malheureusement leurs chefs n'épargnèrent rien pour 
leur donner prompte et pleine satisfaction sur ce point 
essentiel. L'intendance prussienne se hâta d'installer à. 
Lagny un prodigieux entrepôt de vivres auquel elle 
affecta une bonne partie des bâtiments de la gare, reliés 
et successivement augmentés par d'autres constructions. 
Avant la fin de 1870, tous ces magasins se trouvèrent 
bourrés de comestibles, de liquides de toute espèce, 
venus d'Allemagne et souvent aussi de plus près. L'ap- 
provisionnement quotidien de chaque corps d'armée 
était fait au moyen de fourgons et de voitures réquisi- 
tionnées, et Tapprovisionnement général se retrouvait 
incessamment remis au complet par les arrivages du 
chemin de fer. Jamais il ne fut question chez les Alle- 
mands du système de conversion de wagons en maga- 
sins, qui charmait si fort la Délégation de Tours, et 
donna partout de si tristes résultats. 

Parmi les détails les plus instructifs de l'organisation 
du service à Lagny, nous mentionnerons encore les 
ponts mobiles de chargement qu'ils y transportèrent dès 
les premiers jours. « Ces ponts, de très-grandes dimen- 
sions, leur permettaient de décharger sous quai, che- 
vaux et voitures. Ils sont suspendus sur des ressorts qui 
portent un essieu placé au milieu avec une paire de 
roues; ces roues permettent qu'un seul homme les fasse 
circuler sans effort à de grandes distances; elles aident 
aussi à les consolider... Une vis de pression sert à caler 
les ressorts et à lever les ponts à la hauteur voulue. » 
Cet outillage spécial aurait évité, de notre côté, bien 
des difficultés, bien des impossibilités meurtrières, sur- 
tout dans le transport de l'armée de l'Est. 

L'organisation des trains destinés aux transports et à 



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RÉSEAU DE L'EST 59 



la rapatriation des blessés allemands peut donner lieu 
à des remarques intéressantes^ et qui ne sont pas toutes 
à Tavantage de la dictature prussienne. Nous voyons, 
par exemple, que dès le mois de septembre 1868, les 
ingénieurs de tous les chemins de fer allemands, réunis 
à Munich, s'occupèrent de cette grave question. L'adop- 
tion d'un type uniforme pour les wagons de blessés eût 
été un véritable et immense bienfait, et le gouvernement 
prussien eût trouvé là un digne emploi de la prépon- 
dérance conquise à Sadowa. Mais les préoccupations 
politiques et guerrières du moment laissaient peu de 
place aux considérations purement philanthropiques. On 
ne songea guère à poursuivre le problème de l'unifica- 
tion allemande^ dans ces détails qui n'intéressaient que 
l'humanité. Abandonnés sur ce point à leur libre arbitre, 
«les cinquante administrations allemandes représentées 
à la conférence de 1868 se divisèrent sur les systèmes 
en présence, et rien de sérieux ne fut exécuté jusqu'au 
moment où la guerre éclata. » 

Cette réserve faite, il est juste de reconnaître que 
plusieurs améliorations louables furent réalisées au der- 
nier moment, soit pour obtenir la flexibilité indispen- 
sable aux blessés par la substitution aux sièges fixes de 
brancards suspendus, soit pour le chauffage et la venti- 
lation des wagons, et les détails d'aménagement d'in- 
térieur ayant pour but de faciliter, pendant le trajet, 
la présence et la circulation des médecins, des infir- 
miers, en un mot l'assistance continue des victimes de la 
guerre. Sous ce rapport, il faut accorder une mention 
honorable à la direction de Bavière, qui se trouva en 
mesure de diriger sur le théâtre de la guerre, dès le 
15 septembre, huit trains d'ambulances convenablement 



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60 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

disposés. Après le rétablissement de la circulation sur 
la ligne principale de TEst, on eut aussi Tidée heureuse 
d'utiliser au retour, en les transformant en Lazareth^ 
Zûge, des wagons qui avaient servi, à Taller, pour les 
transports d'approvisionnements. On arriva ainsi à for- 
mer des trains extraordinaires d'ambulances qui embar- 
quèrent soit à Lagny, point habituel de chargement, 
soit à Épernay ou autres stations intermédiaires d'éva- 
cuation, des trains contenant, en moyenne, plus de 5 et 
600 malades ou blessés (1). Parvenus sur le territoire 
allemand, ils étaient débarqués au fur et à mesure, là 
où ils pouvaient être le mieux assistés, et notamment 
aux points les plus rapprochés de leur domicile. A la 
seule gare de Mayence, plus de cent mille ont été soi- 
gnés, pansés et ravitaillés à leur passage. 

Les ambulances dites d'évacuation, établies dans les 
dépendances de plusieurs gares du réseau de l'Est, ren- 
dirent également de grands services. Ces ambulances re- 
cevaient les blessés qui avaient besoin d'un certain temps 
avant de pouvoir supporter un nouveau déplacement. 
L'une des plus considérables et des mieux aménagées 
fut établie à la bifurcation d'Épernay, qui resta tête 
de ligne de l'exploitation allemande jusqu'à l'achève- 
ment des travaux de Nanteuil. Une partie du magasin 
du matériel, affectée à cet usage dès l'origine, conte- 
nait 350 lit§. Vers la fin de décembre, cet établissement 
étant devenu insuffisant, on transforma la remise à 
machines en une seconde ambulance, contenant 400 lits. 
Chaque jour, les soldats malades, blessés ou fatigués, 

(1) Le 14 décembre, un seul de ces trains en débarqua 
1,400 à Francfort-sur-le-Mein. 



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RÉSEAU DE L'EST 61 



arrivant par les voitures de réquisition, et ensuite par 
les trains, étaient admis à Tambulance de la gare d'É- 
pernay. Ils y passaient généralement de douze à vingt- 
quatre heures; après cet intervalle de repos salutaire, 
ils étaient, suivant leur état, évacués sur les ambu- 
, lances fixes de la ville, au nombre de cinq (1), ou diri- 
gés vers TAllemagne par les trains. 

N'oublions pas un dernier trait, bien curieux et carac- 
téristique à propos de ces trains d'ambulances. Pendant 
toute la durée de la campagne, mais surtout dans la 
seconde quinzaine de décembre, ces trains furent affec- 
tés, au départ d'Allemagne, au transport des Liebes» 
gaben^ dons d'amour ou d'affection envoyés à de chers 
absents, notamment aux approches de Noël et du jour 
de l'an. Les nombreuses lettres interceptées qui ont 
passé sous mes yeux pendant la guerre annonçaient 
avec force effusions de tendresse l'expédition de Liebes" 
gaben^ consistant quelquefois en objets d'habillement, 
plus souvent en comestibles. « Par quelle association 
d'idées, dit à ce sujet M. Jacqmin, le même peuple peut- 
il arriver à réglementer l'emploi normal de la torche, 
du pétrole et les trains de Liebesgaben? » Nous igno- 
rons, par exemple, si l'on avait réglementé aussi l'ex- 
pédition en retour des Liebesgaben^ recueillis sur le ter- 
ritoire envahi. Il y aurait eu de quoi former plus d'un 
train spécial. 

L'organisation des restaurations ou réfectoires pour 
les troupes de passage dans les principales gares de l'Est 
mérite aussi une attention sérieuse. En fait d'alimenta- 



(1) L'une des plus vastes était installée dans un cellier de 
la maison Moët et Chandon. 



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CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



tion, les Allemands sont passés maîtres. Sur les lignes 
de TEst, ils avaient établi une demi-douzaine de ces 
réfectoires-monstres. Sept cents hommes pouvaient se 
restaurer à la fois dans celui de la gare d'Epernay, 
neuf cents dans celui de Châlons. Ce dernier, surtout, 
installé dans la remise des machines, offrait à certaines 
heures un aspect pantagruélique. Toutes les ouvertures 
avaient été bouchées soigneusement : des poêles en 
fonte chauffaient plus que suffisamment cette vaste 
pièce. De chaque côté de la porte d'entrée principale 
donnant sur la voie, on remarquait deux vastes bassins 
en forme d'auges. Us servaient aux ablutions des sol- 
dats allemands avant le repas, car ces soldats se la- 
vaient quelquefois, dit-on. « La cuisine se faisait à la 
vapeur, au moyen de huit grandes chaudières en cuivre 
d'une contenance d'environ 250 litres, garnies chacune 
d'un serpentin intérieur, dans lequel circulait la va- 
peur d'une locomobile installée dans la cuisine même... 
Cette installation suffisait pour préparer en deux 
heures assez de bouillon et de bœuf pour rassasier 
1,800 hommes; » 1,800 Allemands 111 

Le coup d'œil de ces réfertoires ne manquait pas de 
pittoresque, surtout quand un train arrivait de nuit. 11 
s'arrêtait devant la Restauration, La troupe descendait 
et entrait en ordre dans le réfectoire, où tout se passait 
aussi régulièrement qu'à la parade. Rien de semblable 
n'a existé dans nos armées. Quand on distribuait des 
vivres, ce qui n'arrivait pas toujours, surtout depuis 
l'avènement de la République, les hommes les empor- 
taient et les consommaient, en route fort irrégulière- 
ment. Aux arrêts, ils se précipitaient en désordre à 
Tassant des buffets , des cantines, et trop souvent ne 



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ÈÉSEAU DE L»EST 63 



remontaient en wà|^on que dans un état honteux 
d'ivresse. 

On ne peut contempler sans un serrement de cœur 
le contraste navrant de ces Allemands largement repus, 
bien chauffes, bien installés, avec nos malheureux sol- 
dats, qui, souvent à la même heure, souifraient, dans 
les wagons comme au bivouac et sur les routes, toutes 
les tortures du froid et de la faim I 



X 



Tout en rendant justice au mérite technique de l'or- 
ganisation du service allemand sur nos lignes envahies, 
service qui embrassait, à la fin de la guerre, 3,800 kilo- 
mètres du réseau français, dont la presque totalité de 
celui de TEst, il ne faudrait pas croire que ce service 
ait fonctionné en tout et partout d'une manière irré- 
prochable. Où trouve, à ce sujet, des indications cu- 
rieuses dans une circulaire adressée aux commandants 
d'étapes sur les lignes de l'Est. On y signalait de graves 
irrégularités dues à diverses causes, notamment aux 
stations trop prolongées à la « Restauration. » Il sem- 
blait donc qu'au moins à une certaine époque, ce mé- 
canisme, si bien combiné en théorie, tendait à se détra- 
quer, et que Ton aurait pu quelquefois appliquer aux 
vainqueurs, vers la fin de la guerre, le reproche que 
fait Tite-Live aux Carthaginois après la bataille de 
Cannes, d'avoir trop compté sur la valeur persévérante 
de la fortune, et mal suivi les sages prescriptions d'An- 



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64 " CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

nibal (1). Heureusement pour les Prussiens, les hommes 
du 4 septembre n'étaient ni des Fabius, ni des Scipion. 

Il j avait eu sur les chemins de fer du Palatinat, dès 
le début, des encombrements auxquels Tappréhension 
d'une brusque attaque des troupes françaises n'était pas 
étrangère. Plus tard, sur le réseau français exploité 
par l'ennemi, l'inexpérience du personnel allemand, la 
rigueur de la saison, les exigences compliquées du ser- 
vice militaire, donnèrent lieu à de graves accidents. 
Des machines tombèrent dans la Meuse^ à Charleville; 
sur d'autres point, il y eut des rencontres de trains, 
des déraillements occasionnés sans doute quelquefois 
par des dégradations opérées, ou des obstacles placés 
à dessein sur les voies, mais souvent aussi par suite de 
réparations incomplètes et de la maladresse des nou- 
veaux mécaniciens. On crut néanmoins devoir mettre 
indistinctement tous les accidents sur le compte des 
francs-tireurs. Pour réprimer ces tentatives, dont on 
exagérait à dessein l'importance, on fit usage, sur les 
lignes de l'Est, du système odieux des otages sur les 
machines. 

Le premier document officiel concernant cette mesure 
est une notification affichée à Nancy le 18 octobre 1870. 
Le commissaire civil allemand, en Lorraine, avisait 
la population française que « plusieurs endommage- 
ments (sic) ayant eu lieu sur les chemins de fer, le com- 
mandant en chef avait donné l'ordre de faire accompa- 
gner les trains par des habitants connus et jouissant de 
la considération générale^ lesquels seraient placés sur 

(1) Cœterum hœc, ut inprosperis rébus fieri solet, segniter 
otioseque gesta sunt. 



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RESEAU DE L'EST 65 

l 

la locomotive de manière à faire comprendre que tout 
accident causé par l'hostilité des habitants frapperait 
en premier lieu leurs nationaux. Les préfets (alle- 
mands) étaient chargés d'organiser, d'accord avec la 
direction des chemins de fer et les commandants des 
étapes, un service régulier d'accompagnement. » Le 
commissaire auteur de ce placard franco-tudesque s'ap- 
pelait le marquis de Villiers. C'était un de ces descen* 
dants des réfugiés protestants de la an du dix-septième 
siècle, devenus plus Prussiens que les Prussiens eux* 
mêmes. 

Ce système fut appliqué avec rigueur non-seulement 
à Nancy, mais à Mulhouse, à Reims, et dans plusieurs 
autres villes. Les personnes choisies pour servir d'o- 
tages recevaient à domicile la réquisition autographiée 
du commandant d'étape, « d'avoir, au reçu de la pré- 
sente, à se rendre à la gare du chemin de fer, à la dis- 
position du soussigné, pour accompagner, par mesure 
de sûreté, le train partant à.... pour....; sous peine, en 
cas de refus, d'être appréhendé par la gendarmerie. » 
Réglementairement, les otages devaient être placés sur 
la machine. Parfois ils étaient autorisés, par faveur ^ à 
monter dans un des compartiments occupés par les 
officiers, dont plusieurs ne se gênaient pas de blâmer 
ce luxe barbare de précaution. Reste à savoir si cette 
réprobation était bien sincère. 

A Nancy, ce fut le procureur général français, 
M. Isoard, qui figura le premier comme otage, sur un 
train allant à Lunéville, le 22 octobre. Les récalcitrants 
eurent beaucoup à souffrir; l'un d'eux, le juge de paix 
de Charmes (Vosges), fut arraché de son lit et grave- 
ment maltraité. A Reims, on exigea jusqu'à douze 



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66 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

otages par jour, et ce genre de réquisition ne cessa que 
le 18 mars suivant. Ces réquisitions d'otages, destinés 
à être, les uns, exposés sur des locomotives, les autres 
séquestrés et au besoin déportés, en cas d'accident, 
étaient une forme nouvelle du système général de 
« guerre de Terreur » {Schreckenskrieg)^ pratiqué par 
lea Allemands sur le territoire envahi. Les autres 
formes étaient Texécution des individus non militaires, 
coupables d'avoir, sans uniforme, résisté à main armée 
aux envahisseurs, dégradé les routes ou les chemins de 
fer ; Tincendie et le rançonnement des communes aux- 
quelles appartenaient les coupables^ « ainsi que celles 
dont le teriitoire avait servi à l'action incriminée. » 

Ainsi s'exprimait, dès le 29 août, le général Von 
Boniû, gouverneur de Lorraine, dans un arrêté qui fut 
successivement reproduit, et plus d'une fois rigoureu- 
sement exécuté à Ablis, à Châteaudun, à Saint-Calais, 
à Bazincourt, à Etrépagny et dans bien d'autres loca- 
lités. Cet arrêté reproduisait et développait, avec une 
aggravation de rigueur, la proclamation du roi Guil- 
laume publiée la veille à Clermont-en-Argonne, En 
effet, cette proclamation ne semblait menacer que des 
travaux forcés ou de la déportation les combattants 
non réguliers, n'ayant pas d'uniformes on n'en ayant 
pas un assez apparent (1). L'arrêté du 29 allait plus 
loin: il portait, en toutes lettres, que « les conseils de 



(1) Il fallait, aux termes de la proclamatiou, que les détails 
d'uniforme pussent être facilement distingués à l'œil nu et à 
portée de fusil (?). Il est curieux de comparer cette prescrip- 
tion avec l'article 39 du règlement de 1813 pour la levée en 
masse prussienne, lequel prohibait toute espèce d*uniforme. 



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RÉSEAU DE L'EST 67 



guerre qui jugeraient les délinquants ne pourraient 
condamner à une autre peine que la mort. » 

L'exposition des otages sur les locomotives a été ap- 
préciée avec sévérité par des juges impartiaux, n'ap- 
partenant à aucun des deux peuples. « Si Ton admet 
ces pratiques, dit un écrivain belge, pourquoi une ar- 
mée assiégeant une place ne mettrait-elle pas au pre- 
mier rang des bourgeois inoffensifs au moment où elle 
monterait à Tassaut? C'est un sûr moyen d'empêoher 
de faire jouer les mines. Ëi cependant, quelle différence 
trouverait-on entre cette manière d'agir et celle qui 
cons'ste à exposer des êtres inoffensifs au danger de 
sauter avec tout un train de chemin de fer? » 

Ce système, il est vrai, n'a fait immédiatement aucune 
victime, les trains ainsi protégés sur nos lignes de 
l'Est n'ayant pas éprouvé d'accident. Mais la France et 
l'Europe ne sauraient oublier que ce sont les Prussiens 
qui ont appris aux insurgés de 1871 ces étranges pro- 
cédés de guerre. Seulement, ceux-là ont employé le 
pétrole sur une plus vaste échelle ; à la séquestration 
des otages, ils ont ajouté. le meurtre. Les élèves ont 
surpassé leurs maîtres I 

Toutes ces précautions prises par les Allemands, per 
fas et nefaSy pour protéger leur exploitation de nos 
lignes de l'Est, n'empêchèrent pas l'exécution du coup 
de main le plus hardi qui ait été tenté dans cette 
guerre. On devine qu'il s'agit de la destruction du pont 
deFontenoy-sur-Moselle, sur la grande ligne de l'Est, 



(V. nos Souvenirs de l'Invasion en Normandie^ p. 23.) Les 
Prussiens avaient commencé par faire de leur mieux aux 
autres ce qu'ensuite ils n'ont pas touIu qu'on leur fît. 



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68 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

destruction opérée le 22 janvier 1871 par une poignée 
d'hommes énergiques. Accomplie seulement un mois 
plus tôt, cette rupture, interrompant la principale com- 
munication entre TAllemagne et les troupes employées 
au siège de Paris et dans l'ouest de la France, aurait 
pu exercer une grande influence sur les événements, 
si toutefois Tincapacité des dictateurs n'avait pas annulé 
cet avantage inespéré. Mais cet incident se produisit trop 
tard; les revers des armées françaises de la Loire, de 
l'Est et du Nord avaient fixé irrévocablement la fortune 
du côté des Allemands. Aussi ce remarquable fait de 
guerre demeura inutile. Il ne nous fut révélé que par 
la colère vraie ou feinte de l'ennemi, par les odieuses 
représailles qu'il exerça, suivant son habitude, contre 
des populations inoffensives. Nous nous faisons un devoir 
de publier les détails aussi complets que véridiques, 
qui nous sont parvenus sur cet événement, l'un des 
plus considérables et des plus dramatiques qui aient eu 
lieu sur le réseau français. 



XI 



La destruction du pont de Fontenoy fut le principal 
incident d'une lutte dont on a trop peu parlé, celle 
que soutinrent, jusqu'à la fin delà guerre, les com- 
pagnies franches organisées à Langres et dans les 
Vosges. 

La garnison de Langres était composée, lors de l'in- 



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RESEAU DE UEST 



vasion, du 50® de ligne, d'une partie du 18®, et do 
quelques milliers de mobiles et mobilisés du Gard, de 
la Haute-Savoie, etc. Elle se trouva renforcée succes- 
sivement d'un grand nombre d'évadés de Sedan, de 
Verdun, de Metz. Il y avait d'excellents éléments 
parmi ces hommes, parmi ceux qui étaient vraiment 
des évadés et non des fuyards. 11 s'y trouvait d'anciens 
soldats du Mexique, d'Italie, de Chine, et même de 
Crimée ; quelques-uns étaient parvenus à s'échapper 
jusqu'à trois fois. Plutôt surexcités qu'abattus par 
tant de désastres, ils étaient animés d'une rage patrio- 
tique qui les rendait souvent difficiles à manier. Un 
de leurs chefs, qui ne péchait pas non plus par trop de 
calme, nous a raconté qu'il était obligé d'exercer sur 
ses hommes une surveillance rigoureuse et incessante, 
pour prévenir des emportements par trop téméraires, 
a Quatre ou cinq commençaient très-bien le feu contre 
plusieurs centaines d'ennemis. » 

Le général Arbellot, commandant de Langres, eut 
de bonne heure l'idée de former avec ces hommes si 
résolus des cadres de compagnies franches. Ce système, 
qui ailleurs n'a donné que des résultats insignifiants ou 
fâcheux, était parfaitement approprié à la nature du 
terrain dans les environs de Langres, région boisée et 
montueuse qu'on dirait faite exprès pour la guerre de 
partisans. C'est là, en effet, cette marche de Lorraine 
et de Champagne, patrie de Jeanne Darc, qui fut le 
théâtre de si nombreux faits de guerre : d'abord entre 
les rois de France et les ducs des Lorraine pour la pos- 
session de Neufchâteau et des places voisines ; puis 
entre les Bourguignons et les Armagnacs. « On mon- 
trait naguère encore, près de Neufchâteau, a écrit Mi- 



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70 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

chelet, un arbre antique dont les branches avaient sans 
âoute porté bien des fruits humains : le chêne des 
partisans, » Le célèbre historien se trompe en parlant 
ici au passé. Cet arbre légendaire, dont cinq hommes 
réunis ne peuvent embrasser le tronc, existe encore 
dans la forêt de Boëne, où les volontaires des Vosges 
avaient établi leur centre de ralliement. 

Plusieurs de ces compagnies travaillèrent utilement 
à ravitailler Langres, et gênèrent beaucoup lesfourra- 
geurs ennemis. Elles inquiétèrent parfois très-sérieu- 
sement les communications que Chaumont, devenu 
l'un des grands centres administratifs prussiens, entre- 
tenait avec Vesoul et Neufchâteau (1). On avait songé, 
dès le principe, à faire détruire par les plus hardis de 
ces partisans quelqu'un des principaux ouvrages de la 
grande ligne de communication allemande Strasbourg- 
Paris. L'exécution de ce coup de main aurait été pro- 
bablement plus facile, et son résultat sûrement décisif, 

(1) Langres, si rapproché de Chaumont, ne put cependant 
jamais l'attaquer sérieusement, parce que les Allemands fu- 
rent de bonne heure en mesure de faire arriver instantané- 
ment des renforts sur ce point par la section de chemin de 
fer Blesme-Chaumont. Leurs trains militaires commencèrent 
à circuler dés le 7 novembre jusqu'à Doujeux, c'est-à-dire 
sur près des deux tiers du parcours, et jusqu'à Chaumont le 
7 décembre, après le rétablissement des ponts sur la Marne. 
Il aurait fallu détruire, outre ces ponts, les ponceaux qui 
existent sur cette ligne, à partir de la bifurcation Bologne- 
Neufchâteau. Alors il y aurait eu chance que les renforts 
allemauds destinés à Chaumont. obligés de suivre la route 
de terre, arrivassent trop tard, ou même pas du tout, car 
cette route traverse, entre Joinville et Chaumont, une région 
boisée fort propice aux embuscades. 



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RÉSEAU DE L'EST 71 



si l'on avait été en mesure de l'entreprendre avant la 
capitulation de Metz. Mais le nouveau gouvernement 
avait d'autres préoccupations. 

Nous ne pouvons ici qu'indiquer sommairement les 
chefs appartenant à la garnison de Langres, qui ont 
marqué dans la petite guerre des Vosges et concouru 
directement ou indirectement à l'expédition de Fon- 
tenoy. M. Magnin était un adjudant aux tirailleurs algé- 
riens, échappé de Verdun avec une poignée d'hommes 
de son régiment, dont il fit le « noyau d'entrain » 
d'une compagnie. M. Richard , sergent de zouaves 
retraité, avait repris du service après nos premiers 
revers ; il commandait les francs-tireurs de la Meuse. 
M. Coumès était un jeune lieutenant d'infanterie évadé 
de Metz; autorisé par le commandant de Langres à 
former une compagnie franche de 150 hommes, il n'en 
voulut prendre d'abord qu'une trentaine, avec lesquels 
il quitta Langres, le 24 novembre, pour s'enfoncer dans 
les Vosges, où nous le retrouverons bientôt. Les com- 
pagnies Biihler et Lé vy n'étaient pas plus nombreuses. 
M. Buhler, vieux soldat de Crimée et du Mexique, en 
dernier lieu maréchal des logis chef aux chasseurs de 
la garde, s'était échappé, après la capitulation de Metz, 
du camp prussien d'Ars-Laquenexy sous une grêle de 
balles. Lévy, plus brave que prudent, avait du moins 
su bien choisir ses hommes ; enveloppés dans un bois 
tout près de Langres, ils se firent tuer jusqu'au der- 
nier avec leur chef, plutôt que de se rendre. 

D'autres partisans, non moins intrépides, organi- 
saient la résistance dans l'arrondissement de Neufchâ- 
teau. Il y avait là un sous-préfet, M. Victor Martin, 
homme déjà âgé, qui en aurait remontré à plus d'un 



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72 CHEMINS DR FER FRANTAÎS; 

préfet de ce temps-là, sinon au dictateur lui-même, 
par Taudace et l'activité juvéniles. Il était dignement 
secondé par plusieurs habitants du pays, tant militaires 
que civils, mais surtout par un vieux troupier nommé 
Bernard , naguère simple caporal d'administration 
dans les convois de l'armée du Rhin, mais qui avait 
aussi fait ses classes comme partisan dans la contre- 
guérilla du Mexique. C'était un de ces hommes qui 
souvent passent inaperçus dans les temps ordinaires, 
mais se font jour et s'imposent d'emblée, par leurs 
qualités et même par leurs défauts, dans les cir- 
constances difûciles. 

Très-chaud partisan de l'entreprise sur la grande 
communication allemande, le sous-préfet de Neuf châ- 
teau s'était mis de lui-même en quête des voies et 
moyens. Ayant appris que M. Alexandre, l'un des ins- 
pecteurs principaux ou chefs de section de la ligne de 
l'Est, résidait toujours à Toul, et pouvait donner des 
renseignements précieux, il parvint à se mettre en 
relation avec lui, et le convoqua à une sorte de 
conseil de guerre, dans la région la plus sauvage 
des Vosges, à Vrécourt, sur la limite de ce département 
et de celui de la Haute- Marne. M. Alexandre risqua 
sans hésiter sa vie pour répondre à cet appel. Écartant 
l'idée d'une entreprise sur Saverne, point trop éloigné 
et désormais trop bien gardé, il proposa d'attaquer 
soit un des ponts de Liverdun, soit le tunnel de Foug, 
soit enfin le pont de Fontenoy. Il révéla aussi que ces 
deux derniers ouvrages étaient minés, et donna les 
indications nécessaires pour retrouver l'emplacement 
de ces mines, ignorées des Prussiens. A Foug, deux 
galeries parallèles avaient été pratiquées au commen- 



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RESEAU DE L'EST 73 



cernent de la guerre dans l'épaisseur de la voûte. On 
ne s'était pas trouvé en mesure d'en faire usage avant 
l'arrivée de l'ennemi, mais on avait eu le temps d'en 
masquer l'entrée par une maçonnerie légère. A Fon- 
tenoj, le fourneau de mine creusé dans la première 
pile, du côté de la rive droite, datait de la construction 
même du pont, et descendait jusqu'au niveau des hautes 
eaux. Au moment de la guerre, la dalle couvrant le 
trou de descente avait été enlevée et remplacée par 
une cheminée en maçonnerie montant jusqu'au ballast. 
M. Alexandre concluait en faveur de Fontenoy. A 
Liverdun il n'y avait pas de fourneau préparé ; le tra- 
vail à la barre de mine est long, bruyant. L'écho est 
là d'une sonorité extrême ; le bruit des coups de fusil 
ne pouvait manquer d'être entendu distinctement de 
Frouard, de Nancy. Enfin, la destruction du chemin de 
fer entraînait celle de l'un de nos plus beaux ouvrages 
d'art; le pont sur lequel, au même endroit, le canal de 
la Marne au Rhin franchit la Moselle. Quant à l'entre- 
prise sur Foug, on en avait déjà trop parlé; plusieurs 
compagnies de francs-tireurs, auxquelles Langres avait 
fourni de la poudre pour cet objet, avaient dû y 
renoncer. 'Dès le mois de décembre, le tunnel était 
gardé de chaque côté par des postes nombreux et 
une batterie de mitrailleuses placée en eufilade. De 
plus, le transport des poudres étant une des grandes 
difficultés de l'opération, l'ingénieur de l'Est calculait 
qu'il n'en faudrait pas moins d'un millier de kilogrammes 
pour déterminer l'éboulement du souterrain de Foug, 
tandis qu'à Fôntenay 400 suffiraient, comme il est 
arrivé en eflet. C'est donc à M. Alexandre qu'appartient 
le mérite de l'initiative. 

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74 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Cependant la majorité du conseil réuni à Vrécçiurt 
avait donné d'abord la préférence au projet sur 
Liverdun. On était séduit par la facilité exception- 
nelle qu'il offrait pour la surprise du poste prussien 
logé dans le bâtiment de la station, sur la lisière des 
bois. Ce fut donc ce projet qu'allèrent présenter à 
Tours quatre délégués, dont trois étaient des employés 
des ponts et chaussées, et le 'quatrième le commandant 
Bernard. M. Gambetta parut émerveillé; il s'écria, 
un peu tard, « que la réussite d'un coup de main sur la 
ligne de Strasbourg vaudrait deux victoires sous les 
murs de Paris. » Bernard et ses compagnons revinrent 
porteurs d'instructions ministérielles qui les dési- 
gnaient pour faire partie d'un comité militaire de 
défense de la Meurthe , de la Meuse et des Vosges, 
lequel devait être organisé et présidé par le sous- 
préfet de Neufchâteau, avec mission « d'organiser la 
résistance au cœur même de l'invasion, d'arrêter la 
levée des contributions et réquisitions prussiennes, 
faire partir les mobilisés malgré l'ennemi, etc. ; mais 
sutioni de couper les commumcatwns avec V Allemagne. » 
Il ne manquait pour cela que les hommes, l'argent, les 
vivres et les munitions. Ces Messieurs de Tours avaient 
même négligé de définir les rapports du comité avec 
l'autorité militaire de Langres, sans laquelle il ne 
pouvait rien faire. Il en résulta des tâtonnements, des 
tiraillements qui occasionnèrent de nouveaux retards, 
alors qu'il y avait déjà trop de temps perdu (1). 



(1) II est juste de rappeler ici que, dans la seconde quin- 
zaine d'octobre, M. Georges, préfet des Vosges, ayant su que 
la grande ligne de TEst était faiblement gardée aux abords 



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RESEAU DE L'EST 75 



Presque aussitôt après son retour, Bernard eut l'oc- 
casion de s'aboucher avec Coumès. Cette première 
entrevue eut lieu à Lamarche, petite ville du départe- 
ment des Vosges, où Coumès, à peine sorti de Langres, 
était accouru pour mettre à la raison quelques fourra- 
geurs ennemis. Le jeune lieutenant, qui avait sa bonne 
part d'esprit d'aventure, demanda et obtint du comman- 
dant de Langres, son supérieur régulier, la permission 
de se mettre à la disposition du comité militaire des 
Vosges. A l'exemple de Bernard, il dut se faire passer 
pour un garibaldien : c'était alors le seul moyen d'inspi- 
rer de la confiance. Ce prestige de Garibaldi était 
l'œuvre des hommes du 4 septembre, qui croyaient faire 
preuve d'intelligence et de patriotisme en diffamant 
les officiers de l'armée française, et prodiguant des 
hommages emphatiques aux champions de la Répu- 
blique cosmopolite 1 

Nous glisserons rapidement sur les incidents de cette 
petite guerre, antérieurs à la grande expédition. Le 2 
décembre, Coumès repoussa à Vittel une colonne réqui- 
siiionnaire, dont il coupa et rejeta l'avant-garde sur 
Contrexe ville, où elle fut prise avec armes et bagages : 
ce paisible établissement thermal n'avait jamais été à 
pareille fête I Dans la nuit du 6 au 7, Bernard, avec 
cinquante hommes seulement, se jeta sur deux compa- 
gnies (450 hommes) logées à Dombrot-le-Sec, et leur 



de Toul, avait proposé de tenter une expédition de ce côté. 
U alla même en parler à Tours, où le délégué de la guerre lui 
promit de faire mettre à sa disposition quelques éclaireurs 
garibaldiens. Mais, dans l'intervalle, Metz capitula, et la gar- 
nison de Toul fut considérablement renforcée. 



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76 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

donna une telle alerte, qu'elles décampèrent au- t)etit 
jour, emportant leurs blessés et leurs morts (1). Le 
résultat de cette mêlée nocturne attestait de nouveau 
notre supériorité persistante dans les combats corps à 
corps. Le 7 et le 8, on se battit à quelques lieues de là, 
dans la Haute-Marne. Des détachements réquisition- 
naires envoyés contre la petite ville patriote de Nogent- 
le-Roi, entre Chaumont et Langres, furent repoussés 
deux fois avec perte par les habitants, avec le concours 
de la compagnie franche Magnin et de quelques mo- 
biles. Mais quatre jours plus tard Fennemi revint à la 
charge avec des forces supérieures, bombarda la ville, 
et finit par s'en emparer après un combat des plus vifs, 
où plusieurs habitants périrent, et où la compagnie 
Magnin, qui avait tenu bravement jusqu'au bout, perdit 
les deux tiers de son effectif. On a trop peu parlé de 
cette défense ; elle mérite d'être citée auprès de celles 
de Rambervillers et de Châteaudun. 

De son côté, la garnison de Neuf château n'avait pas 
voulu rester sous le coup des échecs de Contrexeville et 
de Dombrot. Le 10 décembre, une colonne prussienne 
de 1,200 hommes s'avança sur Lamarche. Elle n'y pé- 
nétra qu'après avoir été tenue en échec, pendant plu- 
sieurs heures, par le feu meurtrier d'une centaine de 
tirailleurs placés sous les ordres de Bernard et de Cou- 

(1) Bernard fat énergiquement secondé dans cette affaire, 
et dans tout le reste de la campagne, par M. Rambanx, garde 
général, qui avait mis ses forestiers à la disposition du comité 
de défense, et s'engagea lui-même dans les chasseurs des 
Vosges. M. Rambaux a fait partie de l'expédition de Fojitenoy, 
dont il vient de publier un récit qui nous a fourni plusieurs 
additions intéressantes. 



i 



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RESEAU DE L'EST 77 

jnè9i» auxquels vint se joindre la petite compagnie 
Biihler, au retour d'une excursion dans la Haute-Saône. 
Les Prussiens essayèrent en vain d'envelopper ces 
tirailleurs; leur manœuvre favorite devait échouer 
contre ces hommes aussi alertes que robustes, et sur 
un pareil terrain. Peu soucieux de poursuivre un 
avantage chèrement acheté^ ils évacuèrent précipitam- 
ment Lamarche dès le lendemain matin. Nous avions 
eu trois morts et quatorze blessés ; la perte de l'en- 
nemi était bien autrement considérable. 

Le comité des Vosges prit alors une détermination 
fort sage et tout à fait militaire. Le quartier général 
de la défense fut transférée à six kilomètres de La- 
marche, sur la montagne du Crochet^ au centre de la 
forêt de Boëne, où Bernard et Coumès avaient rassem- 
blé leurs hommes après l'afifaire du 10. Cette forêt, d'une 
étendue de trois mille hectares, couvre un vaste pla- 
teau, élevé d'une soixantaine de mètres en moyenne 
au-dessus des vallées voisines, et d'un accès des plus 
difficiles. A la cime de la hauteur du Crochet, point 
culminant du plateau, et formant une sorte de donjon 
naturel» existait une maison forestière, autour de la- 
quelle on construisit des baraques. Avec quelques for- 
tifications improvisées et quelques abatis, on transforma 
en peu de jours, ou plutôt en peu d'heures, cette posi- 
tion déjà naturellement très forte en une véritable cita- 
delle, presque aussi difficile à découvrir qu'à forcer. 
La superficie totale de ce camp fortifié était d'environ 
neuf hectares. Une seconde maison forestière, placée 
du côté où l'accès du plateau était relativement le plus 
facile, fut transformée en une véritable redoute, pou- 
vant au besoin recevoir toute une compagnie. 



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78 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Cette organisation à part cumulait tous les avantages. 
Elle assurait le maintien de la discipline, Tinstruction 
des recrues, le secret des entreprises ; préservait des 
représailles de Tennemi les villages voisins, qu'il ne 
pouvait plus accuser d'héberger les Garibaldiens. De 
plus, les chefs, dont l'objectif principsd était l'entre- 
prise sur la grande ligne de TEst, « ne laissaient tirer^ 
en fait de coups de fusils, que le strict nécessaire, » et 
s'abstenaient à dessein d'attaquer, même dans les con- 
ditions les plus favorables, les colonnes expéditionnaires 
qui venaient rôder parfois jusque dans les environs du 
mystérieux campement dit de la Délivrance, ou de la 
Vacheresse, du nom du village le plus voisin. Sans cette 
abstention judicieuse, la grande entreprise fût devenue 
impossible. Les hommes firent preuve d'une patience 
héroïque pendant ces six semaines d'affût, au fort du 
plus sauvage massif des Vosges et d'un cruel hiver. 
Mais la satisfaction du devoir accompli, l'illusion 
d'une prochaîne revanche, allégeaient leurs fatigues 
dans cette âpre et libre région , redoutée de l'é- 
tranger. Nous devons les envier plutôt que les plaindre, 
nous qui avons dû vivre alors sur le territoire envahi, 
subir les avanies ou la courtoisie ironique du vainqueur î 
Cependant cette petite guerre des Vosges avait at- 
tiré l'attention du grand état-major prussien. Le gé- 
néral Werder reçut de Versailles, à diverses reprises, 
l'ordre de serrer Langres de plus près ; mais cet ordre 
ne fut qu'imparfaitement exécuté. Les Prussiens repous- 
sèrent, il est vrai, le 16 décembre, à Langeau, une 
démonstration que la garnison de Langres faisait dans 
la direction de Dijon, pour coopérer à l'entreprise de 
Cremer et de Garibaldi. Mais diverses compagnies fran- 



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RESEAU DE KEST 79 

cbes poursuivirent le ravitaillement de Langres: l'une 
d'elles parvint même à faire dérailler un train mili- 
taire, à 12 kilomètres de Chaumont (24 décembre). Pen- 
dant que ces incidents détournaient l'attention du camp 
de la Vacheresse, qui faisait le mort, ce camp recevait 
de nombreux renforts, complétait son armement, d'a- 
bord singulièrement défectueux* Tout un bataillon 
sortit de terre, ou plutôt de dessous la neige, dans 
Tespace d'une semaine. Bernard, se rappelant les contre- 
guerilleros du Mexique, organisa un peloton d'éclai- 
reurs à cheval, composé d'anciens cavaliers de l'armée 
du Rhin. 

Le 20 décembre, le comité militaire des Vosges reçut 
de Bordeaux ri^jonction pressante d'attaquer la ligne 
de VEst. Dans ces instructions envoyées de Bor- 
deaux, il était dit que cette entreprise se rattachait au 
plan de campagne qui venait d'être adopté pour l'armée 
dé Bourbaki pour délivrer Belfort, que le transport de 
cette armée allait s'opérer avec une extrême promptitude 
par les voies ferrées ; que l'ennemi surpris et privé de 
ses communications et de renforts par la rupture de la 
grande ligne de l'Est, ne manquerait pas d'aban- 
donner le siège de Belfort, ainsi que Yesoul , et 
qu'alors les troupes libératrices seraient bientôt en 
mesure de se rabattre sur Neufchâteau et Toul, contrées 
plus kospîtalîères (textuel). L'imagination du délégué 
de la guerre allait vite en besogne ; les faits, par mal- 
heur, ne répondirent pas à ses espérances (V. Chemins 
de fer de Lyon), 

Dans les derniers jours de décembre, Coumès courut 
à Langres rendre compte de la situation^ et remit sur 
le tapis son delenda Carthagol la poudre de mine, qu'il 



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80 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

sollicitait à mains jointes depuis un mois. Le comman- 
dant, qui d'autre part avait reçu des ordres itératifs et 
formels d'employer toutes ses ressources pour rendre 
Langres imprenable, hésitait à faire cette nouvelle 
avance de munitions pour une aventure dont Tobjectif 
n'était même pas arrêté. Il conseilla donc à Coumès 
d'aller lui-même reconnaître les trois points indiqués 
par M. Alexandre (Liverdun, Foug, Fontenoy), et ajouta 
« que la livraison de la poudre dépendrait des rensei- 
gnements obtenus. » Au retour de cette exploration 
périlleuse, accomplie par Coumès avec le concours de 
M. Goupil, employé du chemin de fer de l'Est, et de 
deux autres hommes dévoués, le commandant ne se 
décidait pas encore ; les ch^fs du camp de la Délivrance 
songeaient à remplacer la poudre par de la dynamite^ 
quand le général Arbellot, malade, remit le commande- 
ment à son chef d'état-major, le lieutenant-colonel du 
génie Meyère. Cet officier, dont les Allemands eux- 
mêmes ont loué les talents et l'énergie, avait toujours 
été partisan de l'entreprise ; il obtint enfin, mais seu- 
lement le 10 janvier, l'autorisation de fournir la poudre, 
et s'empressa d'en accorder 600. kilogrammes au lieu 
de 400. De même que M. Alexandre, Coumès donnait la 
préférence au pont de Fontenoy, pour lequel cette quan- 
tité suffisait*. Tous les autres préparatifs étaient d'ail- 
leurs terminés, si bien que, la poudre étant enfin par^ 
venue sans accident au camp de la Yacheresse le 16 
janvier, la coloîme, forte de 1,200 hommes, dont la 
majeure partie était venue de Langres, s'ébranla le 18 
au soir (1). 

(1) Ce» retards apportés à la litraisott de la poudre avaient 



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lUSSEAU %E VEST 81 

La petite compagnie Biihler, qui, le 10 décembre 
précédent» avait prêté main forte, à Lamarche^ aux 
partisans des Vosges et fait sa retraite à part, était 
revenue le 7 janvier dans cette localité, juste au mo- 
ment où Ton j apprenait le mouvement de Tannée fran- 
çaise de TEkt. Sous Timpression de. cette nouvelle^ 
Bûhler s'était déterminé de suite à faire une démons- 
tration sur Nancy. Il avait été encouragé dans ce projet 
aventureux par deux membres du comité de la défense 
des Vosges, qui lui donnèrent imprudemment à entendre 
qu'il ne pouvait manquer d'être bientôt appuyé par 
l'expédition contre les communications allemandes, 
qui allait enfin s'ébranler. M. Bûhler se mit donc 
en marche, ou plutôt prit sa course avec sa petite 
troupe, d'une telle vitesse qu'il était arrivé à sept kilo- 
mètres de Nancy avant que l'expédition ne fût en mou- 
vement. Il ne la rencontra qu'à son retour, et encore 
fort loin de la Moselle. L'apparition de cette poignée 
d'éclaireurs produisit une panique incroyable sur les 
Prussiens à Nancy. On fit à la gare des préparatifs non 
équivoques d'évacuation; « il y avait des sentinelles 



naturellement causé au camp de la Yacheresse une impa- 
tience dont on retrouve Timpression dans le récit de M. Ram- 
baux. Les notes que nous avons sous les yeux, et qui nous 
ont été remises par l'un des principaux chefs de l'expédition, 
prouvent que les reproches adrestés au général Arbellot et à 
son successeur sont absolument injustes. Tous deux avaient 
les mains liées par leurs instructions, et n'ont pu agir autre- 
ment qu'ils n*ont fait. Tout le tort retombe sur l'administration 
de la guerre, qui aurait dû comprendre plus tôt que l'entre- 
prise sur la ligne de l'Est ne pouvait absolument se passer 
du concours de l'autorité nuUtaire de I,.angres. 



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82 CHEMINS DE "FER FRANÇAIS 

jusqae sur les toits. La troupe qui causait tout cet émoi 
se composait en réalité... de vingt-deux hommes! Un 
grand nombre des habitants de cette ville et des environs 
crurent alors, et ont cru longtemps, que la destruction 
de Pontenoy avait été opérée par les éclaireurs qui 
étaient venus peu de jours auparavant si près de Nancy. 
Cette troupe était la seule qu'on eût vue de jour dans 
ces parages ; de plus, Blihler, qui avait séjourné quelque 
temps à Nancy après son évasion de Metz et y con- 
naissait plusieurs personnes, leur avait fait parvenir 
l'avis de ne pas se servir du chemin de fer, sur lequel 
une catastrophe était imminente. Cette marche sur 
Nancy avait été entreprise trop précipitamment, 
mais elle dénotait une rare audace, et son souvenir 
mérite d'être conservé. 



XII 



La colonne qui se mit en route le 18 janvier au soir, 
sous la direction supérieure du commandant Bernard, 
pour aller détruire Tun des ouvrages de la grande ligne 
do Strasbourg, se composait : en première ligne, des 
compagnies Coumès et Bernard ; de six autres, récem- 
ment organisées dans les Vosges sous le titre commun 
de Chasseurs de la Délivrance; des compagnies Magnia 
et Richard fusionnées, et des éclaireurs à cheval. En 
seconde ligne, marchaient une compagnie de voltigeurs 
et un bataillon de mobiles du Gard euToyés de Lan- 



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RÉSEAU DE L'EST 83 

grest et qui n'avaient rallié le camp que depuis peu do 
jours. Des échelles de corde avaient été fabriquées 
d'avance par Richard, dit le capitaine bleu^ à cause de 
la couleur des parements de sa troupe, dans le cas où 
Ton aurait à descendre dans le souterrain de Foug; 
car, si étrange que cela puisse paraître, il y avait en- 
core, au moment du départ, dissentiment entre les 
membres du comité sur le choix du point d'attaque. La 
faute en était au ministre et au délégué de la guerre» 
qui avaient négligé de subordonner le comité des Vosges 
à Tautorité militaire. 

Quatre hommes, choisis parmi les plus alertes et les 
plus résolus, étaient partis dès la veille dans la direo- 
tion de Commercj. Leur mission était d'interrompre 
au dernier moment la communication télégraphique, et 
d'enlever, au besoin, des rails pour arrêter les trains 
de secours. 

Parvenus à Chàtenoy, entre Mirecourt et Neufcfa&- 
teau, les chefs de l'expédition firent la rencontre de 
Biihler, et furent désagréablement surpris d'apprendre 
Texcursion prématurée qu'il venait de faire. Ils crai- 
gnaient que cet incident n'eût donné prématurément 
l'éveil aux Prussiens sur toute la ligne. Aussi l'entrevue 
qu'eut l'un de ces chefs avec l'audacieux partisan à 
Attigneville ne fut rien moins que gracieuse. Il dit à 
BuMer que, sans le vouloir, il avait travaillé jootir/e rot' 
de Prusse, Un peu plus loin, Biihler ayant voulu se 
reporter en avant pour attaquer un convoi prussien 
assez mal accompagné qui défilait sur la route de Neuf- 
château à Colombey, c'est-à-dire sur le front de la 
même colonne française, en fut assez vertement empê- 
ché, ce qui faillit amener une collision. Mais on ne 



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84 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

tarda pas à s'expliquer, et le commandant Bernard sut 
faire comprendre à Bûhler l'inopportunité d'un coup de 
main qui n'eût pas manqué de compromettre une entre- 
prise autrement importante. Il rengagea, tandis que la 
colonne poursuivrait sa marche vers la Moselle, à s'en 
aller faire une diversion du côté opposé, ce dontBûhler 
s'acquitta avec zèle et intelligence. 

Cette dernière explication avait eu lieu au delà des 
bois d'AttigneviUe, à la ferme de la Hayevaux, gîte 
désigné et préparé, où la colonne, marchant presque 
toiyours à travers les bois, était parvenue après un 
parcours de 40 kilomètres. Le péril était surtout grand 
depuis Châtenoy; il avait fallu que le temps fût aussi 
mauvais pour qu'on réussît à dérober la marche d'une 
troupe aussi nombreuse à l'attention des garnisons de 
Neufchâteau et de Mirecourt, entre lesquelles il fallait 
cheminer. La ferme-école de la Hayevaux, située 
sur un plateau à la lisière de grands bois, n^est 
qu'à 10 kilomètres de Neufchâteau, mais elle en est 
séparée par la vallée du Yair et des terrains boisés et 
difficiles. On laissa reposer les hommes pendant toute 
la nuit et la journée suivante; ils étaient si fatigués 
de quatorze heures de marche forcée à travers les bois, 
sur un sol accidenté et couvert de neige, qu'ils n'avaient 
pas la force de manger. Pendant ce temps, les édai- 
reurs avaient poussé une pointe vers la Meuse, à la 
hauteur de Domremy. Le souvenir que ce nom réveille 
n'est pas déplacé dans le récit de l'entreprise de ces 
hommes qui rêvaient, comme Jeanne Darc, de bouter 
les étrangers hors de France! 

Le 19 au soir, d'importantes résolutions avaient été 
prises «n conseil. On reconnut que la colonne était ivt^ 



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RÉSEAU DU L*EST 85 



forte pour un coup de main de ce genre, que le grand 
nombre ne faisait qu*augmenter les chances d'insuccès. 
Un certain nombre de. mobiles était déjà tout à fait 
éclopés; il n'était que trop facile de roir que bien d'au- 
tres n'iraient pas jusqu'au bout. De plus, des renseigne-^ 
ments fournis par les éclaireurs donnaient lieu de crain- 
dre une prochaine attaque contre le camp pendant 
rexpédition, prévision que justifia l'événement. On 
résolut en conséquence de ne conserver que les com- 
pagnies de première ligne, gens alertes et rompus à la 
fatigue, et de renvoyer le reste en arrière pour rallier 
la réserve laissée au camp, et tenir au besoin Neufchâ- 
teau .en échec. 

Réduite ainsi à 250 hommes environ, dont 200 com- 
battants» la colonne expéditionnaire se remit en mou- 
vement le 20| à neuf heures et demie du soir. La région 
qu'ils abordaient leur était moins connue ; cette seconde 
marche était moins longue, mais non moins fatigante 
que la première, et plus dangereuse. Les précautions 
les plus minutieuses devenaient nécessaires; elles ne 
firent pas défaut. Un groupe d'éclaireurs à cheval mar- 
chait à 500 mètres en avant; quelques-uns, porteurs de 
lanternes à feux blancs et rouges, pour faire les signaux 
convenus^ poussaient de temps à autres des reconnais- 
sances lointaines dans toutes les directions. 4Jn gros 
chien, dont Téducation militaire ne laissait rien à dé- 
sirer, marchait aussi à l'avant-garde, flairant les moin- 
dres buissons. Puis venaient les fuitassins sur deux 
files, dans le plus grand silence, chacun s'efforçant de 
mettre le pied dans la trace du camarade qui le précé- 
dait, pour laisser le moins de vestiges possible dans la 
neige. Enfin, Farrière-garde escortait les charrettes 



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86 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

renfermant la poudre. L'obscurité était profonde ; les 
feux des éclaireurs, entrevus au loin par intervalles, 
semblaient de petites étoiles mouvantes. 

Enân, dans la traversée des villages qu'on ne pouvait 
absolument éviter (Tranqueville, Harmonvillet Autre- 
ville, Saulxure, Vannes), on avait soin» pour éviter des 
indiscrétions dangereuses^ de faire bousculer les cu- 
rieux par les soldats alsaciens ûe la troupe» qui les fai-, 
salent rentrer chez eux avec force jurons allemands,, 
pour leur faire croire au passage d'une troupe ennemie. 
Nos gens suivirent ainsi quelque temps la route de 
Nancy, puis piquèrent à gauche de Colombey, dans la 
direction de Vannes-le-Châtel, sur la lisière des dépar- 
tements de la Meurthe et de la Moselle. Ils cheminaient 
Tœil et Toreille au guet, n'oubliant pas que Cçlombey 
qu'ils côtoyaient à trois ou quatre kilomètres de distance , 
était incessamment visité par des patrouilles venant de 
Vézelise, oùl'ennemi était en force. Ils avaient hâte d'at- 
teindre les premiers contreforts du v^^ste plateau boisé, 
qui s'étend entre les vallées dç la Meuse et de la Mo- 
selle. Là seulement, en effet, ils pouvaient trouver de 
bonnes positions de défense sur les ruisseaux et les 
ravins qui relient ce plateau à la plaine, si le malheur 
voulait qu'ils fussent aperçus et attaqués avant d'at- 
teindre la forêt. La dernière partie de cette marche fut 
cruelle. Les hommes enfonçaient jusqu'aux genoux 
dans la neige non frayée, accumulée sous le couvert 
du bois. 

Enân, vers trois heures du matin, ils arrivèrent à la 
ferme de Saint'Fiacre^ au-dessus de Gibeaumeix. Là 
on pouvait, avec une sécurité relative, se permettre 
quelque repos. Ceux deshomoies qui pouvaient encore 



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RESEAU DU L'EST 87 



se tenir debout furent déguisés en bûcherons et postés 
autour de la ferme, dont on barricada les issues : les 
autres s'empilèrent dans les granges et les écuries. L*un 
d'eux me disait dernièrement : « Nous étions décidés à 
nous laisser rôtir vivants plutôt que de nous rendre, si 
Ton était venu nous relancer jusque-là. » 

Au jour, on tint conseil pour décider enfin (et ce n'é- 
tait pas trop tôt!) quel serait l'objectif de l'expédition ; 
ce choix devait régler l'itinéraire ultérieur. Là majorité 
penchait encore pour Liverdun ; la minorité tenait pour 
Fontenoy, et cette opinion énergiquement soutenue 
finit par triompher. Nous avons déjà montré que c'était 
la plus raisonnable (1). Comme on n'avait plus besoin 
des éclaireurs à cheval, on les renvoya en arrière, avec 
mission de se montrer beaucoup du côté de Châtenoy, 
pour donner de plus en plus le change à Neufchàteau. 
On laissa aussi les charrettes qui ne pouvaient plus ser- 
vir pour le surplus du trajet. La poudre fut chargée sur 
des chevaux. La petite troupe se remit en marche, con- 
tournant les villages à l'ordinaire, et choisissant tou- 
jours, comme de raison, les endroits les plus escarpés. 
Du point culminant du plateau, elle aperçut Tensemble 
de la vallée de la Moselle, et les flèches de Toul s'estom- 
pant dans la brume. Elle descendit à travers les vignes, 
passa en contre-bas d'une partie de la route de Neuf- 

(1) La ferme de Saint-Fiacre est à 25 kilomètres de Fon- 
tenoy et seulement à 10 de Foug; muis Ton savait que sur ce 
dernier point une surprise était désormais impossible. On 
n'hésitait donc plus qu'entre Fontenoy et Liverdun. L'un des 
chefs dit qu'il ne voudrait pas avoir à se reprocher la des- 
truction d'un ouvrage tel que le pont-canal, que la Fronce 
perdait assez d^argmi t^us ks jours. 



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88 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

château à Toul; puis, enfilant un chemin creux, longea 
de trèB-prës les rempsurts ée Toul sans être aperçue de 
Tennemi. Les rares paysans qu'on rencontrait saluaient 
les uniformes français avec un enthousiasme mêlé de 
crainte. « Partout, m'a raconté un des chefs de Tentre- 
prise, nous nous donnions comme appartenant à Tavant- 
garde de Bourbaki. Les hommes pleuraient de joie, les 
femmes nous sautaient au cou. « Ohi disaient les 
paysans, ttiez^en beaucoup/ » 

Il était nuit close quand on atteignit Pierre4a-Treicbe, 
à six kilomètres de Toul. C'était là qu'on allait passer 
la Moselle, au-dessus de cette yille, pour se diriger 
ensuite en aval sur Fontenoy, à travers l'angle que 
forme cette rivière et dont Toul occupe le sommet. On 
ât halte pour quelques heures dans une sorte de manoir 
isolé, habitation d'un brigadier forestier. Afin de dé- 
router les curieux, et au besoin les patrouilles enne- 
mies, Bernard, qui avait eu la précaution de se munir 
au départ de quelques capotes et casques prussiens, en 
affubla les factionnaires, choisis parmi les Alsaciens de 
sa compagnie. On m'a même assuré que deux de ces 
sentinelles, abordées par une patrouille venant de Toul, 
se tirèrent à merveille de ce colloque. 

La Moselle fut franchie à une heure du matin, par 
un froid de dix-neuf degrés. Elle était déjà prise en 
partie, mais les mariniers du village, qui étaient dans 
le secret, se jetèrent bravement à l'eau pour dégager 
le bac des glaçons qui l'entouraient. Ces braves gens 
ne voulurent accepter aucune espèce de rétribution 
pour un travail presque mortel : la race des pontonniers 
de la Bérésina n'est pas éteinte en France I L'embar- 
cation ne pouvait tenir qu'une quarantaine d^ommes 



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RESEAU DU UBST 89 



à la fois, ce qui prolongea singulièrement la durée de 
eette traversée, Fun des épisodes les plus émouvants 
de Texpédition. Le débarquement eut lieu, toutefois, 
sans aucune espèce d*accident. Puis on gravit, dans le 
plus grand silence, la rive droite, fort escarpée à cette 
place. C'était là encore, on le comprend, l'un des en- 
droits les plus dangereux; il fallait glisser littéralement 
entre les doigts de l'ennemi, en coupant la ligne des 
patrouilles qui exploraient les bords du fleuve à de 
courts intervalles. Parvenue sans accident sur la crête, 
la colonne s'enfonça aussitôt dans les bois, observant 
toujours les plus grandes précautions pour dissimuler 
son passage.' A l'extrême arrière-garde, un bomme traî- 
nait un grand râteau pour effacer la trace des pas dans 
la neige. A l'avant-garde^ des sapeurs faisaient des 
entailles aux arbres pour indiquer la direction. On 
employait aussi, dans le même but, des coups de sifflets 
diversement modulés, comme faisaient les Prussiens. 
La petite troupe n'avait pas fait trois cents pas depuis 
le débarquement, quand elle vit soudain Tborizon s'é- 
clairer sur la gaucbe d'une lueur rougeàtre. En même 
temps, on commença à entendre gronder le canon de 
Toul, auquel répondaient au loin celui de Gommercj et 
le râlement lugubre des mitrailleuses de Foug. Ces 
signaux d'alarme, qui se prolongèrent pendant plus 
d^une heure, indiquaient que la communication télégra- 
phique était déjà interrompue. 

La colonne traversa le bois qui s'étend entre la 
Moselle et la route de Dammartin-lès-Toul, puis la 
route de Nancy en amont de Gondreville. Appuyant 
ensuite à droite, pour se maintenir sous le couveiHi des 
bois, elle descendit vers la Moselle et Fontenoy, en 



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90 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

con1a*e-bas du village de Velaine-en-Haye. Enfin, après 
trois heures et demie de marche forcée à travers les 
halliers, les fondrières et la neige., on arriva sur Fon- 
tenoy. Cinq heures sonnaient quand Tavant- garde 
aperçut, au débouché d'un chemin creux, les premières 
maisons du village et le fameux pont, situé à 800 mètres 
de la station. 

On fit halte un quart d'heure, pour former le plan 
d'attaque et reprendre haleine. Afin d'éviter de cruelles 
méprises et de faire le moins de bruit possible, on dé- 
fendit de charger les armes. La lune, voilée jusque-là 
par les nuages, se montra assez mal à propos; les 
hommes n'eurent que le temps de se rejeter dans 
l'ombre du chemin creux. Il s'en fallut de bien peu que 
les factionnaires du pont, parfaitement en vue de ce 
point, n'entrevissent sur la hauteur ces ombres sus- 
pectes, et ne fissent retentir en temps utile leur Wehr 
hemusl 

Un habitant de Fontenoy vint annoncer qu'une forte 
pairouille, de soixante hommes environ, venait préci- 
sément de quitter le village. C'était une heureuse 
coïncidence. On se partagea la tâche : une partie de la 
troupe devait prêter main-forte aux mineurs et obser- 
ver les environs, tandis que l'autre «'occuperait d'en- 
lever, ou plutôt d'écraser le poste de la station, avant 
que l'enàployé du télégraphe n'eût le temps de parler à 
Nancy ou à Toul. Coumès et Magnin se chargèrent de 
cette besogne avec quarante de leurs hommes les plus 
solides : le reste cerna le pays pour empêcher les autres 
Prussiens de s'échapper. On proposait à Coumès de 
prendre par le village, en suivant la ligne des fumiers 
qui bordeht de part et d'autre les maisoiis, suivant 



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RÉSEAU DU L'EST 91 



1 habitude générale et malsaine des paysans de la 
Meurthe. Cette manœuvre avait l'avantage d'amortir 
le bruit de la marche, mais d'autre part elle risquait 
d attirer l'atfention des soldats logés dans le village, 
tournes préféra courir droit au poste de la station, 
occupé par 50 hommes du 17- régimentde lalandwehr. 
C étaient des gens de Dusseldorf. 

Un incident burlesque faillit tout gâter au dernier 

moment. La petite troupe Coumès-Magnin était guidée 

par un ei-zouave qui était du pays. Ce brave homme, 

ayant d aventure mis le pied dans un trou dissimulé 

par la neige, trébucha et lit avec son sac, sa gamelle 

et autres ustensiles, une culbute bruyante, si bien 

réussie que ses camarades éclatèrent de rire en vrais 

français, malgré la gravité des circonstances. Depuis 

un moment déjà, ils voyaient s'agiter des ombres 

derrière les vitres de la station. Au bruit de leurs rires 

la porte de ce bâtiment s'ouvrit, tandis qu'ils péné- 

traient dans la cour. A la lueur projetée par cette 

porte, ils entrevirent les hommes du poste qui sor- 

taient et se mettaient en rang pour recevoir cette 

joyeuse reconnaissance. Leur physionomie exprimait 

moins l'épouvante que la surprise et l'ahurissement 

d un brusque réveil. Le chef du poste fit armer et dit 

V»t mve? en français; au même instant le factionnaire 

des armes croisait la baïonnette sur M. Coumès, qui 

marchait en tête de sa troupe, et criait : Haltf hait! 

wer da? Coumès lui riposta par deux coups de sabre en 

pleine figure, qui le renversèrent. C'était le signal 

convenu : nos gens fondirent sur leur proie. 

Un des principaux acteurs de cette scène terrible 
nous disait dernièrement : « Je n'oublierai de ma vie 



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9S CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

le hurrahl étranglé de ces hommes épouvantablement 
surpris. Ce fut comme un cri de bête fauve qui leur 
resta dans le gosier. » La plupart se rejetèrent dans la 
station, s'y barricadèrent et firent feu des fenêtres. 
Un sergent-majoi: de la garde, d'un coup de revolver, 
brisa la serrure. 

Ce fut alors, non pas un massacre, comme on Ta 
dit, mais un combat corps à corps, dont Tissue ne 
fut pas longtemps douteuse. Quelques-uns de ces 
Allemands se défendirent avec le courage du désespoir ; 
l'un d'eux, décoré de la croix de fer, criblé de coups, 
refusait encore de se rendre. En revanche, leur chef 
s'était fourré sous une table ; il fallut le tirer par les 
pieds de cette cachette. En même temps, on entendait 
au dehors des coups de feu isolés : c'était la chasse aux 
Prussiens logés dans le village, et dont bien peu 
réussirent à s'échapper. On ne fit en tout que huit 
prisonniers. Il faut dire que parmi les Français engagés 
dans une entreprise qui cumulait tous les genres de 
péril, plusieurs avaient de cruelles injures à venger. 
L'un d'eux, peu de temps auparavant, avait eu son 
frère fusillé comme soldat irrégulier. Un autre, nommé 
Hamard, fait prisonnier à Sedan, s'était échappé à la 
nage du camp de la Misère^ sous une grêle de balles ; 
était revenu prendre part à la défense de Toul, où il 
avait été grièvement blessé, et finalement s'était évadé 
de l'ambulance pour venir s'engager dans les partisans 
des Vosges (1). 



(1) M. Simorre, chef de la station, auquel les Prussiens 
avaient permis d'y rester, quoiqu'il ne fît aucun service pour 
eux, avait assisté à cette lotte. Malgré le conseil des Fran- 



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- RESEAU DU L'EST «3 

Tout allait bien pareillement du côté du pont. Deux 
hommes qui avaient fait preuve d'une vigueur et d'une 
agilité extraordinaires dans le combat nocturne de 
Dombrot, étaient chargés de supprimer sans bruit les 
deux factionnaires. Cette tâche fut accomplie un instant 
avant Fattaque de la station. Aussitôt MM. Tissot et 
Loisant, des ponts et chaussées, se mirent à Tœuvrc, 
secondés par Bernard, Richard et leurs hommes. Il y 
eut là un moment d'angoisse terrible. Le tampon placé 
à l'orifice de la cheminée, qu'on avait cru seulement à 
30 centimètres du niveau du ballast, se trouvait à une 
profondeur de plus du double ; si bien que déjà l'on 
se demandait avec épouvante si l'on n'avait pas creusé 
à la bonne place; si par conséquent, après tant de la- 
beurs et de périls, tout n'étaitpas manqué, quand enfin 
on entendit que la pioche rencontrait du bois I Les tra- 
vailleurs mirent à jour l'orifice de la cheminée et 
commencèrent à charger le fourneau. Pendant l'opéra- 
tion, un train venant de Toul arriva jusqu'à l'extrémité 
du pont, mais rétrograda à toute vapeur au bruit des 
coups de feu. On pense que c'était un train de blessés, 
les Prussiens ayant l'habitude de faire ainsi voyager 
leurs blessés la nuit, pour en dérober la vue aux popu- 
lations envahies, et aussi aux hommes de la landwehr, 
qu'on craignait de décourager. 

Le chargement touchait à sa fin quand il faillit arri- 



çais, il refusa ensuite de s'éloigner, aya»t avec lui son père, 
yieillard octogénaire qui n'était pas transportable et qu'il ne 
voulait pas abandonner. Arrêté l'un des premiers au retour 
des Prussiens^ il fut relâché an bout de quelques jours. 



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94 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ver une catastrophe. En voulant prendre la lanterne 
sur le rebord du fourneau, Tun des travailleurs laissa 
cchai)per la chandelle, qui roula toute allumée dans le 
trou, à quelques centimètres des sacs de poudre déjà 
installés! Plus de cent hommes, qui dans ce moment se 
ti'ouvaient sur le pont, furent sauvés par Tadmirable 
présence d'esprit et l'adresse de M. Tissot, qui, sans 
perdi*e une seconde, se courba, disparut à moitié dans 
cette cavité béante d'où instantanément la mort pou- 
vait jaillir, et parvint à ressaisir la chandelle sans 
perdre Téquilibre. 

On n'employa que quatre cents kilogrammes de 
poudre; les deux tiers de ce qu'on avait apporté. 
M. Alexandre avait estimé cette charge suffisante, et 
l'on pouvait avoir besoin du reste pendant la retraite. 
Enfin tout le monde s'éloigna du pont ; six mèches an- 
glaises furent immédiatement ajustées à la mine, et le 
tout fortement bouché et assujetti avec un cadavre 
ennemi. Immédiatement, chacun reprit son rang, et la 
troupe remonta le village. On annonçait déjà, mais 
prématurément, l'approche des uhlans et même de 
l'artillerie ennemie. 11 était sept heures, et la colonne 
arrivait au haut de la montée du village, quand le pont 
sauta avec deux formidables détonations, auxquelles 
répondit un cri vigoureux de Vive la France! Les 
pauvres habitants se pressaient autour des soldats, 
leur serraient les mains. La plupart ne prévoyaient 
pas ce qu'allait leur coûter cette entreprise, ou plutôt, 
dans leur émotion patriotique, ils n'y songeaient pas 
encore. Pourtant quelques-uns, plus clairvoyants, di- 
rent : Vous partez, nous sommes perdus/ 
L'explosion avait détruit deux arches entières, fait 



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RESEAU DU L'EST 9$ 

écrouler la pile du fourneau, et fortement lézardé les 
deux suivantes. Le tout constitua une brèche d'environ 
trente-cinq mètres, dans la grande ligne allemande. 
Si le fourneau avait été pratiqué dans une pile du mi- 
lieu et non dans la plus rapprochée d'une des rives, on 
n'aurait pu combler, comme on le ût, le vide causé par 
l'explosion, et le rétablissement de la grande commu- 
nication allemande eût exigé bien plus de temps. Elle 
resta néanmoins interrompue dix-sept jours (1). 

La retraite s'opéra en quatre jours, sans accident, 
mais non sans fatigue ni péril. Cette fois, la colonne 
appuya davantage sur la gauche dans la boucle de Ixi 
Moselle. Elle parvint à passer sur la glace, qui toute- 
fois n'avait que bien juste la consistance nécessaire, 
surtout pour les chevaux, qu'on tenait et qu'on parvint 
à sauver. Elle se rompit même en partie pendant ce 
trajet, et les hommes de l'arrière-garde ne purent pas- 
ser qu'en sautant de glaçon en glaçon. On retourna 
ensuite par Goviller, Vandéléville, Vicherey, Dam- 
martin, Houécourt, etc., jusqu'à Bulgnéville, où les 
partisans se retrouvaient chez eux, ce village étant 
dans la ligne de leurs cantonnements ordinaires. Par- 
tout sur leur passage ils avaient été parfaitement 
accueillis et fêtés, parfois même un peu trop, ce qui 
donna lieu à quelques scènes regrettables, principale- 
ment à Vandéléville et Vicherey. Au retour, ils apprirent 
que les mobiles du Gard, renvoyés en arrière au début 
de l'expédition, avaient été surpris à Vrécourt, sur la 
lisière de la forêt de Boëne, par une colonne d'explo- 



(1) On trouvera dans rouvrage de M. Jacqmin (306-7) le 
détail des réparations allemandes. 



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96 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ration partie de Neufchâteau, qui toutefois avait perdu 
du monde, et n'avait osé aller plus avant. Cet engage- 
ment avait eu lieu deux jours avant l'explosion de 
Fontenoy; ainsi la diversion combinée par les auteurs 
de ce coup de main avait pleinement réussi, puisque 
la garnison de Neufchâteau, si bien placée pour barrer 
le passage ou la retraite à la petite colonne dirigée sur 
Fontenoy, avait fait une expédition dans le sens op- 
posé. 

Deux jours après, l'un des chefs qui avaient été à 
Fontenoy était à Sau ville, non loin du camp , oc- 
cupé à expédier sur Langres les prisonniers, quand 
un enfant de seize ans demanda à lui parler. 

— Mon commandant^ je viens pour être soldat avec 
vous. Comme cela, j'aurai au moins de quoi manger. 
Nous n'avons plus rien, notre maison est brûlée. 

— Comment, ta maison est brûlée ? 

— Oui, mon commandant, quand j'ai quitté Fonte- 
noy, tout flambait comme de la paille. A dix heures 
du soir, on y voyait comme en plein jour. 

Les prisonniers crurent leur dernière heure arrivée. 
Quelques-uns tournèrent vers le chef français des 
regards suppliants, baisant à grand bruit des photo- 
graphies de femmes et d'enfants. Il ne leurfutfait aucun 
mal. 

La destruction du pont n'avait été connue à Nancy 
que dans l'après-midi, au retour du train-poste. La 
garnison de Toul avait été sur pied toute la nuit, mais 
s'était tenue sur la défense. Elle croyait être attaquée 
d'un moment à l'autre par l'avant-garde de Bourbaki. 
Aussi Fontenoy n'avait été réoccupé que dans la soirée 
du lendemain. 



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RESEAU DU L'EST %7 

La surprise de Fennemi avait été complète ; sa ven- 
geance fat impitoyable. Dix millions de contribution 
extraordinaire furent immédiatement levés en Lor- 
raine. Le vilkge de Fontenoy, convaincu dô connivence, 
disait-on, avec les personne* malintentionnées qui avaient 
détruit le pont (c'était une insigne fausseté) fut incendié 
au pétrole, sauf trois maisons auprès de la gare, 
affectées aux logements militaires pendant les travaux 
de restauration. L'opération fut exécutée en conscience ; 
nos communards eux-mêmes n'eussent pas mieux fait. 
Les meubles, les récoltes furent consumés ; la plupart 
des bestiaux périrent avec les étables. On tirait sur 
les habitants qui cherchaient à sauver quelque chose. 
Pourtant deux ou trois tout au plus avaient été du se- 
cret ; un seul avait participé à la destruction du pont. 

Le préfet allemand requit d'urgence à Nancy 500 ou- 
vriers pour laréparation de cet ouvrage. Comme, malgré 
les plus terribles menaces, personne ne se présentait, le 
même fonctionnaire décréta, le 23 janvier, la suspen- 
sion de tous les travaux publics, la fermeture de tous 
les chantiers, ateliers et fabriques, et, ce qui était plus 
fort, la défense aux patrons, entrepreneurs et fabri- 
cants, de continuer à payer leurs ouvriers pendant ce 
chômage forcé, sous peine d'une amende de dix à cin- 
quante mille francs par chaque paye qu'ils auraient 
faite. Puis vinrent les menaces de mort contre les 
surveillants, les ouvriers ; et finalement (le 26 janvier), 
une razzia de 150 à 200 individus de tout âge et de tout 
costume, exécutée sur la principale place de Nancy. 

Dans les premiers jours de février, Fontenoy of- 
frait un spectacle lamentable. Les femmes, les enfants 
bivouaquaient en plein air dans la neige ; le jour, ils 

6 



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98 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

erraient au milieu des ruines, quêtant parmi les dé- 
combres encore fumants quelques débris de leur mobi- 
lier. La plupart des hommes avaient été successive- 
ment arrêtés, conduits à Toul ou à Nancy, quelques- 
uns dans un tel état, qu'un officier supérieur allemand, 
dont un journal du temps a publié le récit, ne put les 
voir sans en être ému, malgré sa gallophobie. Des 
femmes, des vieillards moururent par suite de ces mau- 
vais traitements. Mais Tépisode le plus odieux fut la 
mort d'une femme paralytique septuagénaire brûlée 
vive dans sa maison. Des soldats avaient repoussé à 
coups de baïonnette ceux qui voulaient l'emporter ! 

Le récit le plus complet, le plus autorisé du sac de 
Fontenoy, est celui que vient de publier le curé de ce 
village et de celui de Gondreville, M. l'abbé Briel. 
(Quarante-neuf maisons furent successivement brûlées 
en trois jours. Après l'incendie, les Prussiens amenè- 
rent un photographe... On groupa les soldats avec art; 
on acheva de démolir une maison dont les murs encore 
debout projetaient une ombre disgracieuse. M. Briel 
a vu toutes ces scènes . 

A l'occasion de cet incident, certains journalistes 
allemands prétendirent que la destruction des ouvrages 
de chemins de fer en temps de guerre constituait un 
attentat au droit des gens. Ils oubliaient, ou plutôt 
ils ne voulaient pas se souvenir que la destruction des 
voies ferrées pouvant servir à l'ennemi est devienne 
par la force des choses un moyen de guerre aussi indii^ 
pensable, aussi légitime que l'a été de tout temps celle 
des ponts, des routes ordinaires ; qu'un mois avant 
l'affaire de Fontenoy, les Prussiens avaient fait sauter, 
par mesure de précaution, un ouvrage bien autrement 



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RESEAU DU L'EST 99 

considérable des lignes françaises de TOuest, le pont 
d'Orival, près d'Elbeuf. (V. Chemins de VOuest,) 

Quant aux représailles exercées systématiquement 
contre les auteurs présumés de ces brigandages^ elles 
furent tout d'abord blâmées, même en Allemagne, par 
lès écrivains impartiaux. En revanche, elles ont trouvé 
des apologistes en France parmi les gens qui pré- 
tendent au monopole du patriotisme. Ainsi, on lit dans 
une rapsodie radicale publiée récemment sur les cam- 
pagnes de l'Est, que ces récriminations contre les 
violences des Allemands sont ridicules et déplacées, 
que les armées du premier Empire en avaient fait autant 
chez eux, que tous les séides du despotisme se valent, 
etc. Nous avons prouvé ailleurs par des arguments 
contemporains empruntés à nos ennemis que, sauf' 
quelques excès commis dans l'emportement de la lutte, 
Toccupation française, prise dans son ensemble, fut 
moins pénible, moins répugnante que ne l'a été la 
récente occupation prussienne (1). D'autre part, s'il est 
un peuple auquel ses antécédents interdisent le droit 
de proscrire la défense d'un territoire envahi, c'est bien 
celui qui compte parmi ses titres d'honneur le fameux 
règlement de 1813, où nous lisons : « Chaque citoyen 
est obligé de s'opposer à l'invasion avec n'importe 
quelle arme. C'est un combat qui sanctifie tous les 
moyens... Les plus terribles sont les meilleurs, etc. 

Mais tous les sophismes s'évanouissent devant ce qui 
nous reste à dire. 

Malgré les représailles iniques des Prussiens, le coup 
de main de Fontenoy avait produit une impression 

(1) V. Les Français en Prusse. Didier. 



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100 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

profonde. De toutes parts, on accourait s'enrôler dans 
la légion de la Délivrance^ quand on apprit que Paris 
avait capitulé ! M. Jules Favre ignorait qu'une partie 
des Vosges résistait encore à Tinvasion étrangère. 
Aussi ce diplomate novice et larmoyant, qui laissait 
exclure de l'armistice l'armée de l'Est, espérant que 
cette exclusion exigée par les Allemands tournerait 
contre eux (!), avait laissé englober la totalité du dépar- 
tement des Vosges dans la zone des territoires occupés 
par l'ennemi. Le commandant Bernard et les autres 
chefs durent donc, non sans d'amers regrets, évacuer 
les positions qu'ils occupaient depuis près de deux mois, 
et dans lesquelles ils n'avaient été ni forcés, ni même 
attaqués. Comme la place de Langres et sa zone neutre 
étaient alors fort encombrées, comme il se trouvait notam- 
ment dans cette zone force Garibaldiens dont ils vou- 
laient éviter le contact, les partisans des Vosges pré- 
férèrent rentrer dans les lignes françaises au delà du 
département de la Haute-Marne, et gagner le Jura. 
Pendant les pourparlers relatifs à cette évacuation, les 
chefs de la légion eurent l'occasion de s'entretenir à 
Épinal, à Nancy et Dôle, avec plusieurs hauts fonction- 
naires prussiens, tant civils que militaires. Ils se pré- 
sentèrent comme étant les personnes malintentionnées 
(suivant l'expression du gouverneur de la Lorraine) 
qui avaient fait sauter le pont de Fontenoy, et expri- 
mèrent librement leur opinion sur les représailles 
exercées contre le village et la Lorraine entière. Mais 
ce qu'on aurait peine à croire, et ce qui est pourtant 
justifié par des témoignages authentiques, c'est que 
ceshommes, qu'on qualifiait encore la veille de brigands, 
reçurent après l'armistice un accueil des plus flatteurs !. 



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RESEAU DU L'EST 101 

Par une convention militaire signée à Dôle le 14 fé- 
vrier 1871, le général de Manteuffel accorda aux troupes 
françaises sous les ordres du commandant Bernard le pas- 
sage libre avec escorte d'honneur à travers les troupes 
prussiennes. Il leur avait même été promis verbalement, 
« qu'en considération de la fière attitude qu'ils avaient 
toujours eue dans les Vosges, » leur campement forti- 
fié dans la forêt de Boëne serait respecté, et on leur 
tint parole. Toutes les clauses de la convention du 
14 février furent parfaitement observées. « La légion 
des Vosges traversa les lignes ennemies, fanfare en 
tête et enseignes déployées. L'avant-garde des chas- 
seurs avait un drapeau sur lequel étaient écrits les mots 
Alsace et Lorraine. Le général Werder les salua à Bôle, 
à la tête de son étai-major, Partout les postes prussiens 
leur présentèrent les armes (1). » 

Tout ceci ne s'accordait guère, il faut en convenir, 
avec V incendie au pétrole du village de Fontenoj, et 
les dix millions de contributions de guerre. Force est 
bien d'en conclure qu'au fond cette indignation n'était 
pas sincère, et que ces représailles vandales et fiscales, 
pour un fait de guerre dont on complimentait ensuite 
les auteurs, n'étaient, en réalité, qu'une nouvelle appli- 
cation du célèbre axiome : La force prime le droit I 
Peut-être même, une fois la première émotion passée, 
n'était- on pas fâché d'avoir trouvé là un nouveau pré^ 
texte pour intimider les populations et battre monnaie 
à leurs dépens. 

(1) Le commandant Bernard, en attendant la revanche, 
est allé, pour se tenir en haleine, guerroyer au Chili con- 
tre les anciens sujets d'Orélie l^r. M. Coumès est aujourd'hui 
professeur d'art militaire à Saint-Cyr. 

6. 



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iO« CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



xni 



Après la signature des préliminaires de paix, une 
convention spéciale , signée à Ferrières le 9 mars , 
stipula les conditions de la remise aux Compagnies 
françaises de la portion de leur réseau située sur les 
t^ritoires qui demeuraient soumis à une occupation 
temporaire. Bien que cette remise intéressât les. cinq 
grandes Compagnies , nous croyons à propos d'en 
parler spécialement à Tai'ticle de TEst, d'abord parce 
que celle-là y avait l'intérêt le plus grand, puisque 
tout son réseau était pris; ensuite parce que ce fut 
M. Durbach, sous-directeur de TEst, qui fut délégué 
par le Gouvernement français pour conclure cette con« 
vention. Il fallut en passer par de cruelles exigences f 
Ainsi, par Tarticle 1®', les autorités allemandes autori- 
saient bien les Compagnies à reprendre leur exploita- 
tion^ mais en se réservant le droit de les évincer de 
nouveau, sans explication ni autre formalité que celle 
de les prévenir quatre jours d'avance. Quant aux sec- 
Uons comprises dans le territoire cédé, et qui apparte- 
naient en totalité au réseau de l'Est^ l'autorité alle- 
mande en conservait l'administration et l'exploitation . 
L'article 2, qui pesait aussi à peu près exclusivement 
sur la Compagnie de l'Est, plaçait les administrations 



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RESEAU DE L'EST ld3 

françaises, vis-à-vis de la commission executive et des 
commissions de lignes allemandes^ dans les mêmes 
conditions que les administrations allemandes, c'est- 
à-dire dans un assujettissement complet. En consé- 
quence, les Compagnies françaises (art. 3) étaient 
tenues de faire avec priorité^ sur leur propre service, 
les trains militaires requis par Tautorité allemande. 
Celle-ci se réservait la détermination du nombre de 
ces trains, des points d'embarquement et de débarque- 
ment, des itinéraires, etc. 

Plusieurs des stipulations arrêtées le 9 mars se rap- 
portaient à un objet auquel le (Gouvernement français 
attachait une grande importance, et dont les nouveaux 
événements de Paris allaient faire pour lui, quelques 
jours. plus tard, une question de vie ou de mort, le 
prompt rapatriement des prisonniers français. Déjà 
Tun des articles des préliminaires signés à Versailles, 
le 26 février précédent, avait arrêté en principe le 
retour immédiat de ces prisonniers, et la mise à dispo- 
sition de l'autorité allemande d'une portion du maté- 
riel roulant nécessaire à ce transport. L'article 6 de la 
convention du 9 mars fixa à cinq mille le nombre des 
wagons qui lui seraient remis, dans le plus bref délai 
possiUe, sur les points désignés par elle. 11 fut égale- 
n^nt convenu (art. 8) que ces wagons, dirigés sur 
l'Allemagne, vers les localités où se trouvaient internés 
les prisonniers français^ pourraient être utilisés, à 
l'aller, pour le rapatriement des troupes allemandes. 

Les Compagnies françaises ne perdirent pas un 
moment pour réclamer l'exécution de cette convention. 
Dès le 13 mars, celles de Lyon et d'Orléans obtinrent 
la remise de leurs lignes. Celle du Nord rentra en pos- 



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104 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

session des siennes deux ou trois jours après. Mais la 
remise du réseau de l'Est, réparti, comme on Ta vu 
plus. haut, entre cinq directions allemandes, présentait 
de bien plus grandes difficultés. Aussi, comme souvent 
il arrive, l'affaire la plus considérable, et à tous les 
points de vue la plus urgente, fut celle qui marcha le 
moins vite. Il fallut passer avec chacune de ces direc- 
tions un traité spécial, et l'exploitation française ne 
put reprendre qu'à des dates échelonnées du 17 au 
24 mars. 

Pendant ce temps, l'insurrection de Paris apportait 
une nouvelle perturbation dans les services à peine 
réorganisés, et retardait la remise du matériel destiné 
au rapatriement , alors précisément que ce retour 
devenait le plus nécessaire! La Compagnie de l'Est 
faillit même, par suite de ces événements, reperdre 
tout son réseau. Si les difficultés qui surgirent alors 
n'avaient été promptement aplanies, on ne saurait 
trop dire quand et comment le rapatriement se serait 
opéré, pi où nous en serions aujourd'hui. A cette ocpa- 
sion, les autorité^ allemandes exigèrent qu'un service 
complet de tête de ligne fûtorganisé à Pantin, de manière 
à être, au besoin, absolument indépendant de la situa- 
tion de Pg^ris. Pour le même motif, elles demandèrent 
aussi l'installation d'une délégation supérieure de la 
Compagpie à Nancy, et firent de cette double demande 
une condition sine quâ non de la remise du i^éseau. 
Après tout , il était naturel que les Allemands récla- 
mÉ^ssent des garanties, pour l'exécution des engage- 
ments pris au nom d'un pouvoir que de nouvelles 
péripéties révolutionnaires mettaient à ^on tour en 
question. Sur les deux points, il leur fut donné de 



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RESEAU DE L'EST 105 

suite satisfaction, et la Compagnie de TEst put recons- 
tituer un service aussi complet que le permettaient les 
circonstances. 

Comme le retour des prisonniers devait s'effectuer 
principalement par l'Est, la Compagnie avait réclamé une 
convention spéciale pour régler le mode de leur remise 
aux autorités françaises, et indiqué, comme offrant des ' 
facilités plus grandes pour cette opération, les gares 
de CharleviUe, Lunéville et Vesoul. Il fut fait droit à 
sa demande par un acte particulier, signé le 11 mars 
à Ferrières, dont Tarticle 3 stipulait que les prison- 
niers rentrant par Metz seraient dirigés sur Charle- 
viUe ; ceux arrivant par Strasbourg sur Lunéville , 
ceux revenant par Mulhouse sur Vesoul. 

La Compagnie s'acquitta avec zèle de cette tâche 
consolante et si urgente du rapatriement. Le chiffre 
des hommes qui lui furent remis*, à ces trois gares, 
s'éleva à 295,261, et ce n'était pas là encore, hélas! 
l'effectif total des soldats français internés en Alle- 
magne. Il faut y ajouter 25 à 30,000 hommes, qui 
revinrent sur les navires français envoyés dans 
l'Elbe; ceux qui obtinrent la permission de revenir 
isolément, et qui rentrèrent par la Belgique, prin- 
cipalement des officiers. Il faut j joindre encore 
ceux qui ont succombé à la nostalgie de l'exil; 
ceux qui n'ont pu survivre aux désastres, à l'humilia- 
tion de la patrie, et qui dorment leur dernier sommeil 
dans les cimetières des places allemandes... 

De la nouvelle frontière française, des trains spé- 
ciaux de l'Est ramenèrent les prisonniers rapatriés 
vers l'intérieur de la France, et notamment du côté de 
Versailles. On sait s'ils y étaient impatiemment atten- 



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106 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

dus! On en forma Tarmée qui devait arracher, malheu- 
reusement bien tard, Paris aux bandits de la Commune. 
La Compagnie de l'Est concourut également, en sens 
inverse et dans une forte proportion, à la rapatriation 
des troupes allemandes. Il y eut sur ses lignes, prin- 
cipalement du 12 au 26 septembre 1871, un mouvement 
extraordinaire, correspondant à l'évacuation des dépar- 
tements les plus rapprochés de Paris. Dans cet espace 
de temps, les agents de la Compagnie eurent à faire, 
sur les réquisitions allemandes, et avec priorité sur 
tout autre service, 79 trains extraordinaires de troupes 
et de munitions. Ce transport fut accompli avec une 
précision extrême et sans accident, grâce à Fexacte 
observation, par les troupes allemandes, de ces sages 
règlements qui ont eu tant de part à leurs succès. Du 20 
mars au 31 décembre 1871, la Compagnie eut à trans- 
porter en totalité, de France en Allemagne, 388,242 of- 
ficiers et soldats, 50,871 chevaux, plus de 21 millions 
de kilogrammes de matériel de guerre, d'approvision- 
nements, de bagages, etc. Une partie de ces soldats 
accomplit exclusivement son parcours par les lignes 
de TEst. Le reste fut d'abord embarqué sur celles du 
Nord, jusqu'à Soissons ou Laon, d'où ces troupes pas- 
saient sur l'autre réseau. Jamais, depuis les grandes 
émigrations barbares, si lourde invasion n'avait pesé 
sur un Etat civilisé, et encore ces chiffres ne compren- 
nent pas les soldats rapatriés par les paquebots de la 
Compagnie Transtlantique, ceux qui s'embarquèrent à 
Belfort, alor^ occupé par les Allemands, et dans les 
gares de la partie du réseau de l'Est qui cessait d'être 
française. Enfin , notre Compagnie eut encore la 
commission pénible de transporter, dans le sens de 



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RESEAU DE L'EST iOl 

TAUemagne sur la France, les troupes qui venaient y 
prendre garnison, pour la garantie de la contribution 
de guerre. 

Du moment où Ton n'avait pas tenté, pour porter la 
guerre de prime abord sur le territoire allemand, 
Teffort énergique, désespéré qui eût été pour nous la 
soûle chance de triomphe et de salut, la ligne de TEst, 
par la fatalité de sa position, était condamnée à devenir 
en entier, et dès les premiers moments, la proie de 
Tennemi. Aussi ses pertes ont été plus grandes, 
plus foudroyantes surtout que celles des autres 
Compagnies, qui ne furent privées de leur exploitation 
que partiellement, au fur et à mesure des progrès ulté- 
rieurs de rinvasion. 

La Compagnie de l'Est a été forcée de dépenser 
15 millions, rien que pour remettre en état son matériel 
roulant, les lignes et portions de lignes qui lui restent. 
Ce chiffre représente , .à lui seul , près de la moitié 
de la somme totale qu'il a fallu dépenser pour cet 
objet sur le réseau français (1). Il eût été bien, plus 
considérable encore, si l'on n'avait pas profité, dans une 
certaine mesure, des réparations exécutées par les Alle- 
mands eux-mêmes (notamment de celle du pont de 
Fontenoy), et si Ton ne s'était trouvé dispensé, par 
malheur, de la réparation d'ouvrages détruits sur la 
partie du territoire français aujourd'hui cédé à l'Alle- 
magne, comme le grand pont de Kehl (détruit par. les 



(1) Le chiffre total de la dépense faite pour rétablir rexploi- 
tation du réseau français est évalué à près de 33 millions, 
dont 15 millions rien que pour la compagaie de TEst, et 12 
pour celle de l'Ouest. (Jacqmin, 323) 



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108 CH1>MIN8 DE FER FRANÇAIS 

Allemands au début de la guerre), qui avait été cons- 
truit à frais communs par la Compagnie de TEst et le 
grand-duché de Bade, comme aussi les ponts sur les 
rivières delà plaine d'Alsace, aux abords de Schelestadt, 
de Strasbourg I 

La triste nomenclature des destructions accomplies 
pendant la guerre sur les lignes de TEst ne comprend 
pas moins de cinquante -neuf ouvrages : ponts, souter- 
rains et viaducs. Parmi ces destructions, plusieurs ont 
été, comme on vient de le voir, utiles à la défense du 
territoire ; d'autres, inutiles et même nuisibles, avaient 
eu lieu malgré les avis des agents supérieurs de la Com- 
pagnie. D'autres enfin, et des plus essentielles, ne fu- 
rent pas opérées. Parmi ces ouvrages fatalement ou- 
bliés, on remarque surtout les tunnels de Saverne,dont 
nous avons suffisamment parlé, et le trop fameux pont 
du chemin de fer, à Bazeilles, sur la ligne de Sedan à 
Thionville (31 août) , dont la destruction, opérée en temps 
utile, aurait empêché au moins une partie des désastres 
du lendemain (1). 

Six seulement des gares de l'Est ont été détruites 
pendant la guerre, soit à dessein, soit par accident. Les 
plus importantes furent celles de Mourmelon, incendiée 
par l'imprudence des soldats allemands qui la gardaient; 
celle de Strasbourg, démolie aux trois quarts par le 
bombardement, et celle de Schelestadt, détruite par le 
génie militaire français pour la défense de la place. Ces 
deux dernières gares se trouvant sur le territoire pré- 



(1) Consulter à ce sujet l'important récit du prince Bibesco, 
Belfortt Reims, Sedan, p. 128. 



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RESEAU DE L'EST 109 

sentement cédé à rAUemagne, la Ck)mpagnie de TEsty 
à son grand regret, n'a pas eu à les reconstruire. 

En revanche, ses pertes en matériel roulant ont été 
de beaucoup les plus considérables. Elle ne pouvait 
avoir, en effet, en raison de l'intérêt stratégique de son 
réseau, et de la rapidité des premières péripéties, la 
même liberté d'action que les autres Compagnies, pour 
faire refluer son matériel en temps utile hors de la 
portée de Fennemi. Elle a dû, au contraire, en laisser, 
sur réquisition de l'autorité militaire, une quantité con- 
sidérable à proximité du théâtre des opérations, soit 
dans les places menacées, soit sur les voies, en vue des 
besoins de l'armée. Aussi elle a eu sa lourde part 
dans les désastres de 1870. D'après les calculs de 
M. Jacqmin, sur un total de 90 machines françaises 
tombées, pendant la guerre, aux mains des Allemands, 
84 appartenaient à la compagnie de l'Est (1). 

Sur ces quatre-vingt-quatre machines, dix furent 
prises après les batailles de Forbach et de Reichshoffen ; 
onze après celle de Sedan; trente-huit à Stras- 
bourg où elles avaient été laissées sur réquisition du 
général Uhrich; quatre à Metz; onze laissées à Mont- 
médy sur réquisition de l'intendance. Le nombre des 
wagons perdus fut naturellement en proportion de celui 



(1) L'énumération de M. Jacqmin n'est pas complète. Il 
faut y ajouter notamment quatre machines du Nord, prises à 
Rouen le 5 décembre dans des circonstances assez curieuses 
voir ci-après Chemins de fer du Nord^ et les machines de 
rOueat, prises le 9 à Dieppe, mais dont on avait eu le temps 
d'enlever les bielles; deux autres de la Compagnie de Lyon, 
saiwes le 1<^' février 1871, etc. 



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110 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

des machines. Sur environ 4,000 wagons français qui 
tombèrent au pouvoir de l'ennemi , bien plus des trois 
quarts appartenaient à la Compagnie de TEst. Ajoutons 
qu'au moment de la déclaration de guerre cette Com- 
pagnie avait en Allemagne environ 1,400 wagons, tan- 
dis qu'il n'y en avait pas plus de 600 allemands d'engagés 
sur le réseau français. Chaque nation ayant conservé 
les wagons qu'elle avait sur les rails à l'époque de la 
rupture, tout le désavantage fut, comme on voit, du 
côté de la Compagnie française. Celle-ci eut donc en 
totalité, au delà de 4,000 wagons capturés. Elle a dû 
faire de grands sacrifices pour recouvrer ce matériel, 
dont une partie avait essuyé de graves avaries dans les 
sièges ou sur les champs de bataille. 

Dans ce cataclysme de 1870, la Compagnie de l'Est, a 
donc été la plus éprouvée. L'invasion lui avait enlevé 
son réseau tout entier ; on sait trop que la paix ne lui 
en a restitué qu'une partie. Elle a perdu 830 kilomètres 
de ses lignes sur le territoire aujourd'hui devenu alle- 
mand, plus les 250 kilomètres du LuxenJbourg dont 
Texploitation lui a été retirée. Malgré tous ses désas- 
tres, on l'a vue, à peine remise en possession de son 
exploitation, faire acte de charité patriotique en rapa- 
triant gratuitement un grand nombre de prisonniers 
français qui revenaient sans aucune ressource. Plus 
récemment encore, elle a discrètement fait preuve du 
même bon vouloir à l'égard des émigrants alsaciens 
et lorrains. « Cette Compagnie si rudement éprouvée, 
dit M. About, rapatrie à moitié prix, souvent pour rien, 
les familles et les mobiliers de nos petits fonctionnaires 
nécessiteux. Ses directeurs et ses agents sont devenus, 
par la force des choses, les confidents de douleurs et de 



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RESEAU DE L'EST iil 

misères sans nombre. Ses guichets reçoivent chaque 
jour des confessions déchirantes, et Ton y exerce à petit 
bruit une générosité vraiment patriotique. Les action- 
naires s'en plaindront-ils? Non certes. Les béné- 
dictions des pauvres et la reconnaissance du pays ne 
sont pas un dividende à mépriser! » (Alsace, p. 16.) 

Tout le personnel de cette Compagnie, depuis les 
grades les plus élevés jusqu'au plus humble, a hono- 
rablement payé sa dette au pays. Plusieurs des opéra- 
tions des agents de l'Est pendant la première période de 
la guerre, notamment le premier transport des troupes 
disponibles à la frontière , et le double mouvement 
de l'armée d'Alsace, sont justement admirées des Alle- 
mands eux-mêmes : elles méritaient d'aboutir à une 
meilleure fin. Espérons que cette leçon effroyable ne 
sera pas perdue comme tant d'autres; qu'à l'occasion 
(et Dieu veuille que cette occasion soit prochaine !) il 
sera fait un usage mieux entendu et plus heureux de 
semblables efbrts. 



Exoriare aliquisl . 



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II 



RESEAU DU NORD 



SOMMAIRE 

I . — (Août-Septembre) Translation du siège de Tadministra- 
tion à Lille. — Transport du 13« corps (Vinoy), de Paris 
à Cbarleville. — Eéembarqaement de ces troupes pour 
Paris, après le désastre de Sedan. — Commencement de 
rinvasion des lignes du Nord. 

II. — (Septembre) Surprise de la gare de Creil. — Histoire 
curiens^ et peu édifiante de l'ingénieur prus«ien G!aser. 

— Progrès de Tinvaaion. 

lîï. — (Octobre) Prop««tiona prussienne', repoussées par la 
Compagnie. — Travam des Allemands à Creil. — Sinistre 
de Critot. — Apparitioft et disparition de M. Gambetta. 

— Combats de Saint«Qaei^tt et de Formeries. 

IV. — (Novembre) Difficultés et mesures financières. — 
Nouveaux progrès de Tinvasion. — Bataille de Villers- 
RretonnAux et prise d'Amiens. — M. Gallet, chef de gare 
à Boves. 

V. — (Décembre-Janvier) Démonstrations de Tennemi du 
côté d'Arras. — Sa marche sur Rouen. — Occupation de 
cette ville. — Prise d'une partie du matériel de la ligne 



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114 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

d'Amiens à Rouen. — Bataille de Pont-Noy elles. — Re- 
traite de Tarmée française ; services rendus par les employés 
de la Compagnie. — Surprise de la gare d'Achiet. — Es- 
carmouche dans celle de Busignj. 
VI. — (Janvier-Février) Encombrement sur la partie libre 
du réseau. — Bataille de Bapaume. — Télégrammes et 
incidents curieux. — M. Cogniaux^ conducteur des tra- 
vaux. — Bataille de Saint-Quentin. — Services importants 
rendus par M. Muel. — Situation des lignes du Nord au 
moment de l'armistice. — Ouvrages d'art détruits pendant 
la guerre. — Concours apporté par la compagnie du Nord 
au ravitaillement de Paris. — Encore Fingénieur Glaser. 



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RESEAU DU NORD 115 



L'administration des chemins de fer du Nord, 
s'était hâtée de pourvoir, dans la mesure du possible, 
aux éventualités redoutables de l'invasion. Dès le 2 
septembre, la direction supérieure du service départe- 
mental fut conférée à l'un des membres du comité, 
M. le baron de Saint- Didier, dans l'hypothèse dès 
lf)rs probable de l'investissement de Paris. 

Avant d'aborder la période de scission complète du 
service, nous dirons quelque chose d'un incident capital 
antérieur à l'investissement. Nous voulons parler du 
transport du 13® corps de Paris à Mézières dans les 
derniers jours d'août, et de son retour sur Paris après 
la catastrophe de Sedan. Ce corps était composé des 
divisions d'Exéa, Blanchard et Maudhuy. Il comprenait, 
en tout, 2,600 hommes d'infanterie, deux régiments de 
cavalerie, quatorze batteries et un parc d'artillerie, des 
détachements du génie et de la gendarmerie. La divi- 
sion d'Exéa avait été expédiée sur Reims dès le 26 
août. « Le reste partit à destination de Mézières ; en trois 
mouvements », du 30 août au 1^' septembre, en 66 
trains formés de 2429 véhicules. Pour accélérer Topé- 
ration, on n'avait chargé à la gare de Paris que l'in- 
fanterie et l'état-major général; la cavalerie, qui, une 
fois rendue à Soissons, devait rallier par l'embranche- 
ment de Reims la division d'Exéa, fut embarquée à 



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116 CEHMINS DE FER FRANÇAIS 

Versailles, rartillerie à Pantin (Est). Par ce fraction- ■ 
nement, on atténuait en partie les difficultés de Topé- 
ration. 

L'itinéraire était par Soissons, Laon, Vervins et 
Hirson; le plus court eût été par Reims et Rethel 
(248 kil. au lieu de 271), mais cette ligne était déjà 
coupée entre Rethel et Mézières. Des circonstances 
particulières compliquaient encore les difficultés de 
ce transport. Non-seulement le chemin n'était établi 
que sur une seule voie à partir de Soissons, c'est-à-dire 
pendant plus de la moitié du parcours, mais la dernière 
section, celle comprise entre Vervins et Hirson, n'était 
pas encore entièrement terminée. Toutefois la prompte 
arrivée de ce renfort était chose si urgente que Tordpe 
avait été donné de passer à tout risque, et Ton passa 
sans accident. La marche subit seulement un ralentis- 
sement forcé sur cette voie moins solide, où les rampes 
atteignent, sur certains points, 13 et 14 millimètres par 
mètre. Sur la section Hirson-Charleville, divers inci- 
dents occasionnèrent de nouveaux retards, et ce fut 
seulement le 31, à minuit et demi, que la première 
colonne, partie à une heure du matin, atteignit la gare 
de Oharleville-Mézières (Est). 

Malgré sa proximité de la frontière, cette gare n'é- 
tait nullement appropriée aux nécessités de la guerre : 
le débarquement nécessita force manœuvres, et ne s'o- 
péra que très-lentement. Les bruits les plus contradic- 
toires circulaient sur l'engagement que venait d'avoir 
à Beaumont le 5® corps (de Faillj). Les renseignements 
donnés par l'inspecteur de l'Est étaient les plus tristes 
et aussi les plus véridiques; le général Vinoy le crut 
et fit bien ! Il prit en conséquence des mesures pour 



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RÉSEAU DU NORD 117 

garder fortement Charleville et la ligne, et fit partir 
deux fortes reconnaissances, Fane sur Poix (sectioB de 
Charleville à Rethel), pour rétablir la voie ferrée déjà 
coupée sur ce point, et communiquer avec d'Exéa qu'on 
pensait être à Rethel; Tautre, en amont de la Meuse, 
pour maintenir la communication avec Sedan par la 
rive droite, en détruisant le pont de Flize, par lequel 
l'ennemi pouvait déboucher d'un instant à l'autre. 

Le lendemain matin (31), la voie ferrée étant encore 
libre, le général Vinoy envoya son aide-de-camp, M. de 
Sesmaisons, par un train spécial qui parvint à destina- 
tion, mais non sans avoir essuyé le feu des Prussiens. Der- 
rière lui, la voie ferrée et la route de terre furent inter- 
ceptées; toutefois Taide-de-camp put revenir sur Char- 
leville par une autre route nouvellement ouverte. Ce 
fut l'Empereur lui-même qui lui indiqua cette dernière 
issue, non encore occupée par l'ennemi. M. de Sesmai- 
sons rapportait au commandant du 13* corps l'ordre de 
de se concentrer sur Mézières. Toutes les informations 
prenaient une couleur sinistre : l'ennemi était en force 
sur la rive gauche de la Meuse, aussi bien que dans la 
direction de Poix. Le lendemain, Vinoy acquit de bonne 
heure la certitude qu'il était impossible de percer sur 
Sedan, et même dangereux de rester plus longtemps à 
Mézières. Il avait d'ailleurs reçu carte blanche de Paris. 
A six heures du soir, il résolut de se replier immédia- 
tement sur Marie, par terre, avec les troupes déjà 
débarquées. On sait, aujourd'hui, que s'il avait hésité 
davantage à prendre cette détermination, il aurait été 
coupé de Paris, forcé de se jeter en Belgique ou de 
capituler. Quant à faire rembarquer les troupes, il n'y 

fallait plus penser, si près d'un ennemi vainqueur. Elles 

7. 



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H8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

auraient été prises comme dans une souricière, sur la 
section de Gharleville-Hirson. 

En même temps, les mesures nécessaires furent prises 
pour faire rétrograder les troupes non encore débar- 
quées. « A Texception de sept trains qui n'avaient pas 
encore dépassé Laon, tous les autres se trouvaient éche- 
lonnés alors entre ce point et Mézières, parcours en 
entier à voie unique. » Afin d'exécuter le nouveau mou- 
vement avec toute la rapidité possible, Tinspecteur 
principal Muél fit rétrograder directement sur Laon 
tous les trains qui se trouvaient encore en deçà d'Hir- 
son, et replier tout ce qui avait dépassé ce point, sur 
Tembranchement d'Hirson à Aulnoye (1). Là, ces trains 
ralliaient la grande ligne d'Erquelines, sur laquelle ils 
cheminaient jusqu'à Tergnier, pour se rabattre sur 
Laon par l'embranchement de la Fère. Ils commencè- 
rent à arriver le 3 dans l'après-midi en gare de Laon, 
moins de vingt-quatre heures après le retour de ceux 
qui avaient rebroussé chemin directement. Tout en 
faisant un détour considérable, ces convois revenus par 

(1) La station d'.Hirson, point de jonction d'une des lignes 
directes sur Paris avec celle qui court parallèlement à la 
frontière, était sans défense, malgré son importance mili- 
taire. Poui»tant des hommes clairvoyants avaient appelé à 
diverses reprises l'attention du gouvernement sur le système 
adopté depuis longtemps déjà en Prusse pour fortifier les 
points stratégiques des voies ferrées. Mais il aurait fallu de 
l'argent, et l'on craignait de donner prise aux déclamations 
des rhéteurs de l'extrême gauche, qui jetaient les hauts cris 
à la moindre augmentation du budget de la guerre, et pro- 
testaient au nom de la politique d'expansion et de la fraternité 
universelle I 



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RÉSEAU DU NOÏID 119 

Aulnoye et Tergnier avaient gagné un temps précieux, 
ayant pu cheminer sur deux voies avec une célérité 
beaucoup plus grande. Pendant ce temps, Tavant-garde 
débarquée précédemment à Mézières, se dérobant par 
une marche nocturne au corps chargé de lui couper la 
retraite, et recueillant en route un certain nombre de 
fuyards de Sedan, avait pu dans la journée du 4, 
atteindre la ligne d'Hirson à la station de Marie, d'où 
un train spécial transporta le soir même à Laon, les 
hommes trop fatigués. 

Au moment où ce retour et cette concentration du 
13® corps sur Laon avait été résolus, on ne connaissait 
pas encore toute l'étendue du désastre. On espérait 
recueillir au moins quelques débris qui, réunis à une 
réserve intacte dans cette belle position de Laon, pour- 
raient s'y défendre contre un ennemi épuisé par sa vic- 
toire. Mais la situation était telle en réalité, que cette 
première idée de tenir à Laon faillit avoir les plus 
funestes conséquences. En effet, dès le 2 au soir, l'ins- 
pecteur principal (Muel) avait demandé au général de 
Maudhuy, revenu sur Laon le premier et commandant en 
chef en l'absence de Vinoy,siles troupes séjourneraient à 
Laon, et si l'on pouvait en conséquence diriger im- 
médiatement sur Paris, par Reims, le matériel 
vide au fur et à mesure du débarquement. Ce mouvement 
avait pour but de dégager la gare de Laon et d'accé- 
lérer par là l'opération. « Sur la réponse affirmative du 
^e?n«m/, on dirigera sur Reims tous les trains vides. » Mais 
cette évacuation de matériel était à peine achevée, qu'il 
y eut lieu de le regretter amèrement. « Le 4, vers 
10 heures du matin, le général de Maudhuy, connais- 
sant enfin tout ce qui s'était passé à Sedan, redemandait 



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120 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

mstamment du matériel pour transporter ses trp^upes 
*ur Paris. Le même jour, à 4 heures 40 du soir, Fias- 
/>ecteur principal recevait Tordre de diriger sur Laon im- 
médiatement le matériel nécessaire au réembarquement 
de toutes les troupes du général Vinoy. » C'était donc 
la contre-partie exacte du mouvement qui avait eu lieu, 
cinq jours auparavant, à la gare de Paris; mais dans 
des conditions bien autrement difficiles. Cette retraite 
ne pouvait déjà plus s'opérer que par T embranchement 
de Tergnier et la grande ligne qui passe par Compiègne 
et Creil. On savait, en effet, que Tautre ligne allait être 
interceptée par la destruction, entre Laon et Soissons, 
du pont de Villeneuve, qui sauta, en eflfet, dans la ma- 
tinée du 0. D'un autre côté, on apprenait que la divi- 
sion d'Exéa, envoyée précédemment à Reims, venait 
de faire sa retraite directement par Soissons. Il était 
temps, car la tête de la colonne de Tennemi (division 
du duc de Mecklembourg), avait paru à Reims moin? 
de deux heures après le départ de Tarrière-garde fran- 
çaise. En même temps, un autre détachement prussien, 
arrivant du côté de Rethel, venait de se sai&ir du 
pont de Guignicourt, sur Tembranchement de R,eims à 
Laon. 

Il n'y avait donc pas de temps à perdre pour faire 
partir les troupes concentrées sur cette ville, et l'on 
peut même dire qu'il n'eût plus été temps, sans la louable 
activité des employés supérieurs du Nord. 

« Des ordres furent donnés sur tout le réseau, pour 
diriger rapidement sur Laon le matériel roulant de 
toute espèce. En même temps, on faisait appel aux 
autres Compagnies. Celle de l'Est avait en partie di- 
rigé par Epernay sur Paris, le matériel vide qu'on avait 



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RESEAU DU NORD ISl 

d'abord évacué de Laon sur Reims. Tout son ré- 
seau se trouvant envahi ou sous le coup imminent 
de rinvasîon, ses li^es étaient naturellement très 
encombrées. Il était donc impossible à cette Compagnie 
de réintégrer à celle du Nord son matériel aussi rapi- 
dement qu'il Teût fallu ; d'autant plus qu'elle était forcée 
de le faire passer en entier par Paris, la gare de Reims 
ayant été évacuée dans la nuit du 3 au 4, et les éclai- 
reurs ennemis ayant déjà paru à Fismes. » 

La Compagnie du Nord dut donc se suffire à elle- 
même dans cette circonstance, où le moindre retard 
pouvait occasionner une nouvelle aggravation de mal- 
heurs, entraîner peut-être la reddition de Paris sans 
coup férir. A défaut de wagons vides, on en prit de 
pleins qu'on déchargea. Dans la soirée du 4 et la nuit 
suivante, on parvint à expédier 1,300 véhicules de toute 
espèce sur la gare de Laon, où l'embarquement s'opé- 
rait au fur et à mesure de leur arrivée. 

Du 4 au soir au 6, à huit heures du matin, on fit 
partir de cette gare environ 14,500 hommes (division 
Maudhuy), en 9 trains de 45 ou 46 voitures chacun, 
plus trois trains d'artillerie chargés à la Fère. Dans 
cette même matinée du 6, la division Blanchard dut 
franchir à pied les 17 kilomètres qui sépare la station 
de Laon de celle de Tergnier. Il avait été convenu que 
l'embarquement de ces dernières troupes se ferait dans 
cette gare plus spacieuse. Il commença le 6 vers deux 
heures de l'après-midi, et le dernier train quitta la gare 
de Tergnier à une heure dix minutes du matin. On avait 
fait partir dans ce laps de temps, par dix trains suc- 
cessifs, 12,500 hommes, 340 chevaux et 41 wagons de 
canons et de mitrailleuses. Ces trains furent expédiés 



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122 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

d'heure en heure, et non « ensemble et à la même 
heure », comme il est dit dans l'ouvrage du général 
Vinoy (p. 98). Il est vrai qu'avant de partir le matin 
par Vexpress pour Paris, où il allait prendre les ordres 
du nouveau gouvernement, le général avait exprimé le 
désir que l'expédition pût avoir lieu tout d'une pièce: il 
pensait que cette disposition permettrait aux troupes 
de se mieux défendre en cas de surprise. Mais ce sys- 
tème offrait des difficultés insurmontables dans l'exécu- 
tion. M. Muel, inspecteur principal, qui a dirigé en 
personne toute l'expédition , jugea indispensable de 
laisser un certain intervalle entre chaque départ, et le 
trajet, ainsi réglé, s'accomplit dans un ordre parfait et 
sans aucun accident. 

Il n'est pas exact non plus que cet embarquement 
n'ait duré que trois ou quatre heures au plus, comme 
le dit aussi le rapport du général Vinoy. Ce qui est vrai, 
c'est que, « grâce à l'activité déployée sur tout le réseau 
du Nord pour débarrasser tous les wagons propres à ce 
transport ; grâce aussi au renfort reçu le 5 au soir, 
d'environ 500 véhicules envoyés par les Compagnies de 
l'Est, de Lyon et d'Orléans, on aurait pu tout terminer 
le 6 avant la nuit, sans les retards occasionnés par 
d'autres transports militaires non moins urgents, pour 
lesquels on venait apporter coup sur coup des réquisi- 
tions et des télégrammes, et qui nécessitèrent l'expédi- 
tion immédiate de trains vides vers d'autres points du 
réseau. » 

Il résulte, en effet, d'un tableau dont nous avons eu 
communication, que, du 5 au 8 septembre, le chemin de 
fer du Nord, indépendamment du 13® corps, a transporté 
de différents points de son réseau, sur Paris pour la 



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RESEAU DU NORD 1Î8 

plupart, 35,000 hommes et 13,567 chevaux. Dans la no- 
menclature de ces troupes, les « isolés venant de Sedan » 
figurent dans une proportion assez forte (7,350 hommes, 
5,550 chevaux). Sur ce nombre, plus du tiers (2,700 
hommes, 2,380 chevaux), furent recueillis à la station 
de Landrecies, où Ton dut organiser coup sur coup 
pour eux, dans ces trois jours, quatre trains spéciaux. 
On en fit partir aussi d'Hirson, de Douai, de Valen- 
ciennes. Mais, dans cet éparpillement des fugitifs de 
Sedan, sur le réseau du Nord, l'odyssée la plus lamen- 
table fut celle des débris de plusieurs régiments de ca- 
valerie qui vinrent s'échouer à la station d'Albert, sur 
la ligne d'Amiens à Arras, après avoir fait, à travers 
les terres, plus de quarante lieues depuis le fatal champ 
de bataille. 

Pendant ces quatre journées (5-8 septembre), le 
mouvemont sur les lignes du Nord avait pris des pro- 
portions colossales. Il arriva à Paris 135 trains mili- 
taires spéciaux, dont 52 directement à la gare de 
Paris, 83 à celle de La Chapelle. De plus, 116 trains 
de matériel vide avaient été mis en mouvement pen- 
dant cette période pour faire face à d'autres néces- 
sités, ce qui donne, rien que pour le matériel afiecté 
au service militaire, le chiffre de 251 trains spéciaux, 
formés de plus de 10,000 voitures et wagons. 

Enfin, à cette même date, le transport des voyageurs 
devenait plus actif qu'il n'avait jamais été. Aux départs 
de Paris, l'expulsion des Allemands, l'émigration des 
ce bouches inutiles, » rendaient nécessaire le dédou- 
blement de la plupart des trains, principalement de 
ceux du soir, qu'on était obligé de faire suivre de deux 
et quelquefois de trois trains spéciaux. L'affluence 



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424 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

n'était pas moins grande, d'autre part, aux trains se 
dirigeant vers Paris. Dans les gares, devenues toutes 
bien trop petites, les accumulations de bagages for- 
maient de véritables montagnes. Les habitants de la 
banlieue venaient en masse se réfugier dans la capi- 
tale; des approvisioiinements aussi arrivaient en quan- 
tité considérable, et pourtant insuffisante, hélas! 

A la même époque, les éclaireurs ennemis étaient 
déjà signalés dans les environs de Soissons. Le génie 
français, qui venait de faire sauter, en deçà de cette 
ville, le pont de Villeneuve, s'apprêtait à détruire éga- 
lement, au-delà, le souterrain de Vierzy. Il fallut donc 
évacuer la gare de Soissons, où se trouvaient alors 
500 wagons provenant de l'évacuation de Reims. Parmi 
ces wagons, il y en avait un grand nombre chargés de 
mobilier, et servant d'abri aux familles fugitives des 
employés. On parvint à faire face à ce surcroît de tra- 
vail, et à mettre le tout à l'abri de l'ennemi. 

En résumé, le sauvetage du 13® corps fait époque 
dans les annales militaires des chemins de fer. Aucune 
opération si considérable n'avait été encore accomplie, 
dans des circonstances aussi difficiles, avec autant de 
précision et de célérité. 

L'ennemi s'approchait rapidement : dès le 5 au soir, 
des uhlans se présentaient à Goucy-lès-Eppes, station 
de rembranchement de Reims, qui n'est qu'à 12 kilo- 
mètres de Laon. Le lendemain, une scène déplorable 
eut lieu, après le départ des troupes, à la gare de cette 
ville, qui n'était pas encore complètement évacuée. Un 
grand convoi de munitions^ de bestiaux et de gt^iins, 
fut pillé par d'étranges citoyens, traînards militaires 



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RESEAU DU NORD 125 

et civils, qui fêtaient ainsi, à leur manière, l'avènement 
de la République. 

Les communications avec la capitale cessèrent com- 
plètement à partir du 19 septembre. Depuis le 13, le 
délégué du Comité, installé à Lille, avait pris la direc- 
tion supérieure, et le service de Texploitation y avait 
été centralisé et confié à M. Thouin, chef du mouve- 
ment, qui avait suivi M. de Saint-Didier. A partir de 
cette époque, tous les incidents qui se produisaient 
sur les différents points du réseau furent régulièrement 
consignés dans un journal tenu au bureau du mouve- 
ment de Lille. La plupart des faits qui suivent sont 
empruntés à ce document authentique, auquel les obli- 
geantes indications de plusieurs chefs de service nous 
ont fourni un complément précieux. 



II 



La station de Lille s'indiquait en quelque sorte 
d'elle-même pour cette centralisation administrative, 
étant voisine d'une frontière neutre, et située en dehors 
de la zone d'invasion immédiate. 

L'organisation des diverses branches du nouveau 
service central fut opérée avec la promptitude qu'exi- 
geaient les circonstances. Dès le 13 septembre, on était 
avisé que la communication directe sur Paris, par Oreil, 
était coupée par suite de la rupture des ponts sur l'Oise, 
à Creil et à Anvers. Le 15, on apprit par le télégraphe 



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126 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

que les gares de Creil et de Chantilly étaient envahies, 
celle de Clermont menacée. Les circonstances de la 
surprise de Creil sont assez curieuses. L'évacuation 
n'était pas terminée, les trains circulaient encore sur 
Tembranchement de Beauvais ; l'un d'eux entrait pré- 
cisément en gare quand parurent les uhlans, escortant 
un ancien employé de la Compagnie, d'origine alle- 
mande. Quatre machines, cent cinquante wagons tom- 
bèrent là en leur pouvoir. Plusieurs coups de feu furent 
tirés sur le train arrivant; la machine de manœuvres, 
dont l'ennemi tenait particulièrement à s'emparer, fut 
sauvée par la présence d'esprit du mécanicien, qui fîla 
à toute vapeur sur Clermont, malgré les cris, la pour- 
suite et les coups de feu des uhlans. 

L'histoire de cet ex-employé qui servait de cornac 
aux envahisseurs sur le réseau du Nord est des plus 
instructives. Quelques années auparavant, cet homme, 
nommé Glaser, était entré au service de la Compagnie 
sur la recommandation de personnes honorables, dont 
la religion avait été étrangement surprise. Glaser, 
blond, long et mince Prussien, fut d'abord employé 
comme agent réceptionnaire, c'est-à-dire chargé de 
l'examen et du contrôle des fournitures de matériel. Il 
s'acquittait fort bien de ces fonctions : seulement on 
remarqua que, dans les usines où il avait affaire, il fai- 
sait beaucoup causer les contre-maîtres, qu'il s'infor- 
mait et prenait note de l'importance des affaires, des 
détails de Ja fabrication, etc. La chose alla si loin, 
qu'un des principaux fournisseurs de rails pour la Com- 
pagnie s'en plaignit à l'ingénieur en chef, pensant que 
cet homme essayait de surprendre quelques procédés 
industriels pour en trafiquer dans son pays. En consé- 



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RÉSEAU DU NORD 127 



quence, Glaser fut changé de service. On le nomma 
inspecteur des disques, emploi qui nécessitait de fré- 
quentes tournées sur tout le réseau. Là encore, on 
n'eut qu'à se louer de la façon dont il s'acquittait de 
son affice. Seulement on apprit quMl faisait de grandes 
conversations avec les employés, qu'il les questionnait 
sur toutes les parties du service, et notamment sur la 
moyenne des différentes recettes ; qu'il examinait avec 
attention remplacement, les abords des gares, et tou- 
jours prenait force notes et croquis. Il fut même plu- 
sieurs fois surpris furetant dans les bureaux, et eut à 
ce sujet des scènes avec plusieurs agents. 

Ces faits furent signalés à l'administration centrale, 
qui eût bien fait de se débarrasser tout de suite de ce 
curieux. Mais Glaser avait déjà passé plusieurs années 
au service de la Compagnie, et d'ailleurs on sait trop 
que la défiance à l'égard des Allemands n'était nulle 
part à Tordre du jour en France. On se contenta donc 
d'assigner à celui-là un travail plus sédentaire et plus 
surveillé, dans les bureaux de Paris. Cela ne faisait 
plus le compte de ce grand observateur; aussi, pour la 
première fois, il remplit assez négligemment sa tâche. 
En conséquence, il ne fut pas compris, en 1870, parmi 
les employés gratifiés^ et fut congédié quelques mois 
après. Il prit la chose on ne peut plus philosophique- 
ment, et écrivit même à cette occasion à un de ses 
anciens collègues, que, dans sa disgrâce, il lui restait 
une consolation qui n'en serait pas une pour un Fran- 
çais, celle d'avoir travaillé pour le Roi de Prusse, 

Après la déclaration de guerre, Glaser resta à Paris 
le plus longtemps qu'il put, ayant sans doute encore 
quelques notes à prendre. Mais, le 15 septembre, on le 



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128 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



vit paraître à la gare de Creil, à la tête des uhlahs, en 
grand uniforme tout chamarré de broderies. Il venait 
d'être nommé membre d'une dés cinq directions alle- 
mandes des chemins français, celle dite de Betms^ dont la 
juridiction s'étendait sur les lignes de Châlons, Char- 
leville, Sedan, Soissons, Laon, et au-delà (1). Le chef 
de Creil, M. Lucas, était précisément un dé ceux qui 
avaient eu maille à partir avec T ex - inspecteur des 
disques pour ses investigations indiscrètes; Toffieier 
prussien avait à venger les injures de l'espion. Il 
fouilla les caisses de la grande et dé la petite vitesse, 
se plaignant amèrement, là comme ailleurs, de ne pas 
trouver son compte. Il voulait forcer M. Lucas de rester 
à son poste, et lui offrit même de prendre la direction 
du service qui allait être organisé pour le transport 
des approvisionnements prussiens. Sur son refus, il 
l'expulsa de la gare, en menaçant dé lui faire un 
mauvais parti s'il y reparaissait. 

Cependant un des surveillants de cette gare, nommé 
Chivot, parvint à rajuster, tant bien que mal, un bout 
de fil à l'appareil, et à transmettre encore quelques 
dépêches aux postes d'Amiens et de Breteuil, au risque 
d'être surpris par les patrouilles allemandes, qui sur- 
venaient de temps à autre à l'improviste. Grâce à cet 
homme courageux , la communication avec Creil per- 
sista jusqu'au 25, époque où ce poste fut occupé à de- 
meure par un détachement de cuirassiers blancs.J 

Depuis le 15, les trains d'Amiens allant vers Paris 

(l) Plus tard, par suite des nouveaux progrès des armées 
allemandes, cette juridiction s'étendit jusqu'à Tergnier, 
Amiens et Réuen. . . 



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RESEAU DU NORD 129 

s'arrêtaient à Breteuil. En même temps, le flot de Tin- 
yasion, s'étalant en quelque sorte aux abords de la 
capitale, gagnait les embranchements transversaux. Le 
dernier rapport de Lille qui parvint aux administra- 
teurs bloqués dans Paris, portait la date du 18. Depuis 
cette époque, aucun des agents expédiés parle délégué 
de Lille ne put pénétrer dans Paris, 
. Des instructions, en date du 17, prescrivaient aux 
employés des gares envahies de rester, s'ils le pou- 
vaient, à leur poste ou aux environs, prêts à reprendre 
leur service en cas de retraite de Tennemi, à recueillir 
et transmettre des renseignements par le télégraphe, 
ou sinon par des cantonniers faisant office d'estafettes 
d'un poste à l'autre. Ce fut ainsi qu'on apprit de suite 
le pillage des gares de la ligne de Pontoise, de celle 
de Senlis (20-25 septembre), A Beaumont et ailleurs, 
çn remarquait que les envahisseurs faisaient main- 
basse avec un vif empressement sur les wagons de 
farines. Pendant les premiers temps du siège de Paris, 
la qualité et la quantité des vivres laissaient beaucoup 
à désirer, et les Allemands n'entendent pas raillerie 
sur ce chapitre. Ceux-là se plaignaient beaucoup de ce 
dénuement dans leurs correspondances de famille, ainsi 
que j'ai pu m'en convaincre moi-même, un peu plus 
tard, en lisant des réponses trouvées sur des Boldats 
^orts ou prisonniers. Cet état de choses se prolongea 
jusqu'à l'occupation de Gisors et de la ligne de l'Epte 
(9 octobre), qu'on eut le tort de leur abandonner presque 
sans défense. Cette occupation leur livra les riches 
plaines du Vexin. 

. A la £n de septembre, ils s'occupaient activement à 
réparer, en vue du ravitaillement, les diverses sections 



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ISO CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

qui se réunissent à Creil. C'était là que leur Glaser 
avait son quartier - générai. Ce grand observateur 
recueillait le fruit de ses travaux. A chaque station il 
exhibait son carnet, appelait par leur nom les employés, 
les sommait de reprendre leur service au compte de 
S. M. le Roi de Prusse. Après Toccupation de Beau- 
vais, il y envoya chercher, par des uhlans, un ingé- 
nieur de la Compagnie qu'il avait noté comme capable 
de diriger les travaux des ponts, et qui, heureusement, 
avait quitté la ville quelques moments avant l'arrivée 
de cette escorte d'honneur. Après tout, ce Glaser était 
un homme précieux. En très-peu de temps, il fit et sur- 
tout prit quantité de choses, saccagea les gares inter- 
ceptées, s'emparant sans façon de tout ce qui pouvait 
être utilisé dans le service qu'il rétablissait, y compris 
le numéraire qui a toujours son utilité. 

Il y eut à la même époque, dans plusieurs localités 
de la vallée de l'Oise, un soulèvement populaire, promp- 
tement et cruellement réprimé. Pendant cette courte 
lutte, le bourg, la vaste gare de Creil étaient encom- 
brés de troupes. 

Compiègne avait déjà reçu plusieurs visites prus- 
siennes, notamment celle de Glaser, qui venait mettre 
la batellerie en réquisition pour ses ponts provisoires. 
Un moment, il n'y eut qu'un très-petit nombre d'hommes 
installés au château, buvant fort bien et se gardant 
assez mal. Le chef de la station, ayant pu s'éloigner, 
sans être aperçu, vint jusque dans les lignes françaises 
pendre compte de cette situation. En ce moment, l'em- 
branchement d'Amiens à Tergnier, et la partie de la 
grande ligne comprise entre cette bifurcation et Com- 
piègne étaient intactes, bien que le service y fût sus- 



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RESEAU DU NORD 131 

pendu. Il était donc possible et facile d'y transporter 
un bataillon. Un des employés supérieurs du Nord, 
M. Saisset, en fit inutilement la proposition à un géné- 
ral, qui le renvoya à un autre ; tous deux considéraient 
l'entreprise comme bien hasardeuse, et Toccasion fut 
manquée tandis qu'ils hésitaient à prendre un parti. 

A la fin de septembre, l'exploitation du réseau du 
Nord était déjà réduite, par suite de l'invasion, à 
1,284 kilomètres au lieu de 1,587. 



111 



Depuis que l'ennemi était maître des sections de 
grandes lignes les plus proches de Paris, les trains sur 
celle de Boulogne et Amiens ne dépassaient plus Bre- 
teuil. Le 1*" octobre, sur une fausse alerte, les mobiles 
qui occupaient ce point au nombre de près de 4,000, 
se replièrent sur Ailly. Ils n'eurent pas plutôt franchi 
le pont de Courcelles, qu'on s'empressa de le faire 
sauter, comme s'il avaient eu toute une armée à leurs 
trousses, et il n'y avait personnel On n'avait même pas 
laissé le temps d'évacuer la gare : une vingtaine de 
wagons y restèrent bloqués et tombèrent au pouvoir 
des Prussiens, quand il plut à ceux-ci de venir les 
prendre (1). 

(1) Malgré l'abandon de Breteuil, les allées et venues fré- 
quentes d'escouades réquûitionnaires jusqu'à ce poste et au- 



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182 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Cependant les réparations, à Creil et aux alentours, 
étaient fort entravées par le refus de concours du per- 
sonnel français. Les Prussiens essayèrent de traiter 
directement avec le représentant de la Compagnie. 
Glaser, instigateur de cette négociation, avait eu 
Taudace d'envoyer à M. de Saint-Didier un sauf-con- 
duit, avec invitation de venir s'entendre avec lui. Le ctef 
de la station de Chantilly, M. Bisetzki, le conducteur 
des travaux, et un négociant de la ville, furent envoyés 
à Lille avec mandat de proposer à la Compagnie d'ex- 
ploiter elle-même, au compte des Prussiens, une partie 
de son réseau pour le transport de leurs approvisionne- 
ments. Cette proposition fut naturellement déclinée, et 
les trois envoyés, qui n'avaient accepté une pareille 
mission que pour se tirer des griffes prussiennes, 
obtinrent l'autorisation de rester à Lille jusqu'à de 
meilleurs jours. 

C'est à l'époque de cet incident que se rapportent 
plusieurs actes odieux de violence, commis contre des 
hommes qui n'étaient coupables que d'avoir refusé de 
servir contre leur pays, ou d'avoir transmis des ren- 
seignements sur la marche de l'invasion. Plusieurs chefs 
de gares, soupçonnés d'être trop bons Français, furent 
contraints de se sauver. M. Piquet, chef à Senlis, fut 
moins heureux; emprisonné au mois d'octobre, il ne 

delà, le chef de la station, M. Petit, eut l'adresse et le cou- 
rage de maintenir ses communications télégraphiques avec 
Amiens jusqu'à ravanl-veille de la bataille de Villers-Breton- 
neux, c'est-à-dire pendant six semaines. Dans sa dernière 
dépêche, expédiée en quelque sorte sous les yeux de l'ennemi, 
il donnait des détails précis sur le mouvement de l'armée 
prussienne contre Amiens. 



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RESEAU DU NORD 133 

recouvra sa liberté qu'après la paix. Un mécanicien de 
Creil, qu'on avait surpris essayant un pistolet, fut 
transporté en Allemagne. Enfin, on fusilla un malheu- 
reux garde-barrière , nommé Dupré , soupçonné de 
connivence avec les insurgés de la vallée de FOise. 

Glaser, travaillant toujours « pour le roi de Prusse, » 
mais désormais à visage découvert, continuait de dé- 
ployer une grande activité. Dès les premiers jours 
d'octobre, les trains des Allemands circulaient de Creil à 
Clermont. Toutefois, il paraît que ce travail faisait peu 
d'honneur à l'habileté de leurs ingénieurs. 

La journée du 4 octobre est une date néfaste dans 
les annales de la compagnie du Nord. C'est celle d'un 
accident considérable, le seul qui se soit produit sur 
ce réseau, à une époque où les chances de sinistres 
étaient si nombreuses. Celui-là eut lieu à Critot, sur le 
petit embranchement qui relie la ligne d'Amiens à 
celle de Dieppe, et que ce train avait pris pour éviter 
un encombrement sur la voie directe. 

Cette communication d'Amiens sur Rouen suffisait 
à peine au transport des soldats échappés de Sedan, 
qu'on dirigeait vers le Mans ou Cherbourg. Ce fut un 
de ces trains qui dérailla en approchant de Critot ; le 
mécanicien, mal renseigné ou trop peu attentif, s'en- 
gagea dans une voix de garage sans issue. Dans le pre- 
mier moment, on parlait à Rouen de tout un régiment 
broyé, anéanti ; on attribuait déjà cet accident comme 
tout le reste, à la trahison. Vérification faite, il se 
trouva en tout onze morts , dont un employé de la Com- 
pagnie, et 107 blessés, dont 17 avec fractures. 

C'était encore beaucoup trop, mais on est surpris 
qu'il ne soit pas arrivé plus de malheurs semblables et 

8 



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134 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

plus grands, quand on se rend compte des incidents 
nombreux et variés qui se reproduisaient alors sans 
relâche sur tout le réseau : encombrement des voies, 
des gares; entassements di marchandises en retard de 
chargement ou de livraison ; enlèvements ou replace- 
ments de rails qu'il fallait exécuter d'urgence ; retraites 
ou réinstallations précipitées de matériel; manœuvres 
multipliées, compliquées, se succédant, s'enchevêtrant 
nuit et jour. A toutes ces difficultés s'ajoutait celle de 
suffire aux exigences croissantes du service, avec un 
personnel décimé par le départ des mobiles et mobi- 
lisés, et dont les vides n'étaient qu'imparfaitement 
comblés au moyen des réfugiés de la portion envahie 
du réseau : puis encore le matériel surmené comme le 
personnel, et par conséquent des avaries plus fré- 
quentes, réparées imparfaitement, en toute hâte. 

Enfin, il ne faut pas oublier le relâchement forcé des 
habitudes de surveillance ordinaires, qui occasionnait 
sur bien des points des cohues aux arrivées comme aux 
départs, et encore le passage et le séjour de personnes 
étrangères au service sur les voies, dans les dépen- 
dances des gares et jusque parmi les manœuvres. Aussi, 
Ton trouve dans le journal tenu à Lille, des mentions 
ft'équentes d'accidents isolés, de trains restés « en dé- 
tresse », par suite d'accidents de wagons ou de ma- 
chines, ou du mauvais état de la voie. 

Dans ces sombres jours, la régioû du Nord fut illu- 
minée un moment par l'apparition d'un météore, je 
veux dire de M. Gambetta lui-même, évadé de Paris 
en ballon. En homme avisé, il avait préféré courir le 
risque de tomber entre les mains de ses ennemis, plutôt 
que de rester dans celles de ses amis. Sa présence dans 



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RÉSEAU DU NORD 135 



le Nord coïncidait justement avec la première attaque 
de Saint-Quentin (8 octobre). 

M. Grambetta, qui disait avoir quitté Paris pour 
aller exercer Tapostolat de la défense, avait là une 
belle occasion de prêcher d'exemple, comme avaient 
fait les Merlin de Thionville et autres, lors de la 
première République. Mais la nouvelle école a changé 
tout cela et placé le cœur à Topposite, comme le Méde- 
cin malgré lui. Aussitôt arrivé à Amiens, M. Gambetta 
se hâta de commander un train spécial avec double 
locomotive à l'avant et à l'arrière, comme un simple 
monarque eût pu faire, et partit à toute vapeur du côté 
opposé à celui où l'on se battait. Pendant ce temps, son 
préfet, M. A. de Laforge, démocrate de la vieille école, 
s'exposait bravement et se faisait blesser à Saint- 
Quentin. La petite colonne prussienne fut forcée de 
battre en retraite, nous laissant six prisonniers qui 
furent transportés à Lille par un train spécial. Le 11 
et le 12,' Saint-Quentin reçut par le chemin de fer des 
renforts qui furent rembarques précipitamment peu de 
jours après, l'autorité militaire ayant jugé impossible 
de conserver cette ville après la chute de Soissons 
(17 octobre.) Saint-Quentin fut occupé le 21 sans coup 
férir, et il fallut en passer par toutes les exigences de 
l'envahisseur, d'autant plus dures que précédemment on 
avait osé résister. Les Prussiens disparurent dans la nuit 
du 23 au 23, laissant la ville livrée à une anarchie 
morale non moins triste que l'occupation étrangère. 
Pendant cette première occupation, ils enlevèrent et 
emportèrent une grande quantité de rails ; à la même 
époque ils en faisaient autant du côté de Saint-Just et 
de Breteuil sur la ligne d'Amiens. C'était une nouvelle 



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136 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

commande d« l'inévitable Glaser, pour ses lignes de 
ravitaillement. Après leur départ, on reprit tant bien 
que mal le service sur les sections encore libres des 
lignes de Tergnier et d'Erquelines. Mais il régnait une 
telle incertitude sur les mouvements de l'ennemi, qu'on 
n'osa pas rétablir des départs réguliers ; la marche des 
trains était réglée au jour le jour. Dans les derniers 
jours d'octobre , toutes les communications furent 
momentanément suspendues avec les pays envahis; 
c< il n'en arrivait plus personne, et personne n'osait y 
aller » (1). 

Le 27, une forte colonne Prussienne venant de 
Beauvais parut inopinément à la station de Formeries 
(ligne d'Amiens à Rouen). Ce poste était gardé par 
une poignée de soldats du 19® qui firent une si belle 
défense que des renforts leur arrivèrent de diïïërents 
côtés en temps utile. L'ennemi fut mis en déroule, et 
aurait pu être cerné et anéanti, s'il y avait eu de notre 
côté plus d'entente et unité de commandement (2) . 

A la fin du mois d'octobre, l'invasion avait fait de 
nouveaux progrès,; de 1284 kilomètres, le réseau encore 
exploité était tombé à 1052. 

(1) Sur la ligne d'Amiens à Tergnier, le service des 
voyageurs et des marchandises fonctionna jusqu'au 20 no- 
vembre, mais sans dépasser la station de Ham devenue iéte 
de ligne, depuis que le comité de déf6ns0 avait fait couper 
la voie à Flavy-le-Martel, après la prise de Saint-Quentin. 

(2) On trouvera dans l'excellent ouvrage de M. Rolin, la 
Guerre dans l'Ouest (Pion), un récit détaillé et fort exact de 
ce combat (p. 114 et suiv.). 



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RESEAU DU NORD 137 



IV 



Cependant la tâche des employés de la Compagnie 
devenait plus pénible de jour en jour, même dans la 
région qui n'était pas encore menacée, à cause des orga- 
nisations continuelles de trains militaires^ et de T^- 
fluence croissante des marchandises réfugiées su|^ le 
territoire libre. Dans ces circonatances difficiles, la 
Compagnie du Nord demeura âdèle à ses traditions de 
discipline et d'humanité. Le service sanitaire du per- 
sonnel fut continué avec une sollicitude, une régularité 
remarquables. Dans les moments les plus critiques, le 
journal tenu à Lille ne cesse de mentionner les bles- 
sures, même les plus légères, des moindres agents, la 
cause de chaque accident, le nombre de jours de repos 
prescrits par les médecins, les gratifications accordées, 
comme aussi les punitions infligées. Nous avons remar- 
qué qu'à toutes les époques et sur tous les points, les 
faits d'ivresse furent notés et punis. Ce maintien de la 
discipline, dans des temps, si profondément troublés, 
^ est digne des plus grands éloges. 

Les employés forcés de se cacher ou de fuir, furent 
payés comme slls n'avaient pas quitté leurs postes, et 
ceux qui transmettaient des renseignements utiles 
recevaient en plus des grati^cations . Toutes les 
mesures étaient prises pour assurer la reprise immé- 
diate des services, dans l'hypothèse d'un prompt arran- 
gement ou de grands succès militaires. Des ponts 

8. 



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138 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

provisoires avaient été préparés pour remplacer, le cas 
échéant, ceux qui avaient été détruits sur l'Oise et sur 
l'Aisne. La prolongation de la guerre à outrance rendit 
ces préparatifs inutiles: on dut même, au mois de 
janvier suivant, transporter en Belgique ces ponts pro- 
visoires, quand il y eut lieu de craindre que le départe- 
ment du Nord ne fût à son tour envahi. Parmi les 
autres prescriptions transitoires qu'exigeait la situa- 
tion, nous signalerons un ordre judicieux qui a dû 
empêcher bien des malheurs ; celui de doubler^ pour 
les trains en détresse, les signaux ordinaires par des 
signaux détonnants. 

Le journal tenu à Lille ne nous fournit en novembre 
que des détails d'un intérêt médiocre jusqu'aux derniers 
jours de ce mois, où se prononce le mouvement décisif 
de l'ennemi sur Amiens et Rouen. 

On sait que les deux armées employées autour de 
Metz avaient été séparées aussitôt après la capitula* 
tion. Tandis que Ttine était dirigée sur la Loire, l'autre, 
celle de Manteuffel^ avait pour mission de combattre 
l'armée française du Nord. On s'abusa d'abord sur le 
plan de ce général ; on crut à une entreprise contre 
Lille. 

Pourtant, dès le milieu de novembre, on avait des 
indices significatifs sur ses projets immédiats. Depuis 
plusieurs semaines, Tennemi travaillait sans relâche à 
la restauration de Tembranchement de Reims à Laon ; 
craignant une attaque des francs-tireurs contre le pont 
intact de Guignicourt, l'ouvrage le plus important de 
cette ligne, il y avait installé une garnison permanente, 
aux frais des communes voisines. Le 13, la première 
locomotive d'essai allemande venant de Reims, entra en 



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RESEAU DU NORD 139 



gare de Laon. Cette gare, remise en communication 
aveo Reims, fat aussitôt transformée en magasin d'ap- 
provisionnements pour l'armée qui allait marcher vers 
le Nord-Ouest. Le 22, M. d'Arcangues transmettait par 
voie télégraphique au général Favre, commandant inté- 
rimaire de l'armée du Nord, des renseignements qu'il 
venait de recevoir de Compiègne, annonçant l'arrivée 
de nombreuses troupes prussiennes dans cette ville et 
aux environs, et la présence au château du général 
Manteuffel et de son état-major. 

Du 15 au 25, de grands trains militaires allemands 
parurent successivement en gare de Laon. Une partie 
de ces troupes fut dirigée de suite sur La Fère, dont l'en- 
nemi tenait à s'emparer ; l'autre sur Nojon et Roye, 
pour prendre part à l'expédition contre Amiens. Le 
bombardement de La Fère commença le 25, et dès le 
lendemain on dut capituler pour sauver la ville d'une 
destruction complète. C'était encore un de ces succès 
techniques, dus uniquement à la supériorité écrasante 
des engins de guerre, succès aussi inévitable, partant 
aussi peu glorieux que celui des premières armes à feu 
contre celles de jet. Mais qu'importe aux Prussiens, 
pourvu que le but soit atteint ? La gloire militaire, telle 
qu'on la comprenait jadis, celle qui admettait parmi ses 
éléments principaux le dédain, la recherche héroïque 
du danger, est pour ces vainqueurs de la nouvelle école 
un fétiche de rebut ; « une valeur qui n'est plus cotée 
en Allemagne », comme disait M. de Bismarck à 
Ferrières. 

Il y eut, après cette capitulation, de tristes scènes 
d'adieux à la gare de Laon, où les prisonniers étaient 
embarqués pour TAllemagne. L'un de ces départs fut 



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140 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

signalé par un incident bizarre : au dernier moment, 
des soldats prussiens saisirent et emballèrent de force 
en wagon, malgré ses protestations et ses cris, un 
pauvre diable venu là en amateur, qui se trouva trans- 
porté en Allemagne avant que le malentendu fût 
écfetirci. 

Pendant que La Fère se rendait, un premier enga- 
gement avait lieu, dans les environs d'Amiens^ sur 
une partie du terrain où fut livrée le lendemain la ba- 
taille qui décida du sort de cette ville. Nous étions 
à peine deux contre trois .dans cette lutte mémorable, 
et encore bien autrement inférieurs en artillerie. 
Pourtant le succès fut longtemps douteux. Quelque 
temps après, un officier prussien qui avait assisté à 
cette bataille disait devant moi^ en frappant un mur 
du fourreau de son sabre : A Amiens^ Français comme 
cela I On ne saurait trop regretter que les fluctuations 
continuelles du commandement eussent fait perdre de 
vue la nécessité de renforcer l'armée du Nord d'une 
bonne partie des troupes de Rouen. Cette concentra^ 
tion pouvait aisément se faire par Tembranchement 
d'Amiens à Rouen, ligne intacte et pourvue de tous les 
moyens nécessaires pour transporter en vingt-quatre 
heures, d'une extrémité à l'autre, quinze mille hommes 
et même davantage. On avait plus que le temps néces- 
saire pour opérer ce mouvement, puisque dès le 23 il 
n'y avait plus à douter qu'Amiens ne fût l'objectif de 
l'ennemi. Ce renfort aurait largement suffi pour faire 
pencher la balance en notre faveur. 

Pendant ces deux journées de combat, le chef de 
station de Boves, M. Gallet, placé dans une situation 
des plus périlleuses, montra un sang-froid, un courage 



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RESEAU DU NORD 141 

remarquables. On nous saura gré d'insérer ici quelques 
passages du rapport de cet homme de cœur, qui a fait 
pluB que son devoir dans ces terribles circonstances. 

« Le 26, dès dix heures du matin, la canonnade se 
faisait entendre dans la direction de Moreuil.....; à 
1 heure 30, du côté de Théry, à 5 kilomètres seule- 
ment de Boves. A 2 heures 25, la fusillade était déjà 
très- vive à 1,500 mètres de la gare ; un quart d'heure 
aprèsyles balles y arrivaient à profusion. Vers 10 heures 
renàemr était refoulé vers le bois de Gentelles : la fii- 
^llade a cessé vers 4 heures 25, pcJur être suivie d'une 
charge à la baïonnette qui mit l'ennemi en fuite sur 
Bertheaumont et Théry. Daiïs cet engagement, les 
pertes peuvent être évaluées à cinq Prussiens pour 
un Français (1).... » 

« Le 27, à 10 heures 15, crainte d'une surprise ou 
d'une trahison, j'ai pris Tinitiative auprès de la gare 
d'Amiens de faire changer le mot d'ordre (en suppri- 
mant le nom de la station)... De 10 h. 30 à 3 h., il j a 
•eu un combat acharné sur plusieurs points ; quantité 
de balles dans la gare. A midi, l'artillerie ennemie, 
placée au bord du bois de Gentelles, a dirigé ses 
coups sur les bâtiments de la station. Plusieurs pro- 
jectiles sont tombés sur la voie, dans la cour et le jar- 
din de la gare. L'explosion de quelques-uns causa des 
dégâts, même aux toitures, à cause des cailloux brisés 



(1) Ce fut une des trop rares occasions où Ton trouva, pen- 
dant cette guerre, roccasion de recourir à un mode de com- 
battre dans lequel nos soldats a*ont rien perdu de leur vieille 
supériorité. Les Prussiens s'imaginent en avoir fini avec la 
baïonnette; ils se trompent peut-être!. 



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143 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

qui volaient avec force.... Après diverses alternatives 
de mouvements en avant et rétrogrades..., à 2 heures, 
une colonne ennemie, pourvue d'une nombreuse aiiiil- 
lerie, a débusqué nos tirailleurs des ruines du château 
de Boves, et pris position sur le plateau des ruines et les 
hauteurs vers Cagny et Longeau (2). Ce naouvement.., 
et le renfort qu'il donnait aux troupes engagées, ont 
forcé les nôtres à battre en retraite sur Amiens. 

« Afin de pouvoir agir jusqu'à la dernière heure, 
j'avais barricadé la porte du télégraphe avec les ca- 
siers et un matelas... Néanmoins, à 2 heures 45, j'ai 
été forcé de quitter mon bureau par les nombreux 
projectiles qui y arrivaient. Du côté de la gare l'en- 
nemi était à 500 mètres, faisant un feu très- vif, et nos 
troupes battaient en retraite. Voyant que toute résis- 
tance devenait inutile, je me déterminai alors à 
quitter définitivement mon poste avec nos dernières 
troupes, et en emportant le registre du télégraphe. 
Ma retraite s'est opérée par Longueau, en suivant la 
voie pendant 600 mètres. Forcé par les balles de quit- 
ter cette voie, j'ai dû continuer à travers champs où 
je n'ai été inquiété que par des obus, dont trois tom- 
bèrent, à quelques mètres de moi. Grâce au terrain 
fortement détrempé, ils n'éclatèrent pas et ne firent 
que m'éclabousser. » 

Ajoutons que pendant les trois dernières heures du 
combat, c'est-à-dire au plus fort du danger, M. Gallet 
avait voulu demeurer seul à son poste. 



(1) Cjstfe colonne put se diriger sur Boves, à travers les 
Jourbières de Cottenchy, conduite par des Allemands qw 
avaient habité et étudié le pays. 



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RESEAU DU NORD 143 

La belle conduite de cet agent a été attestée par 
trois hommes qui se connaissaient en courage, le gé- 
néral Derroja, le colonel' Pittié du 24® et le chef do 
bataillon Talandier du même régiment, qui avait été 
engagé de ce côté pendant toute la journée. (1) C'est ce 
même Talandier qui faisait passer par Boves au fort du 
péril ce télégramme héroïque : Faut-il tenir jusqu'au 
dernier homme ? Des ordres. 

Dans cette journée malheureuse, mais honorable, 
l'armée française formait au sud d'Amiens un demi 
cercle d'environ 25 kilomètres de rayon, la gauche 
appuyée sur Corbie, la droite au chemin de fer d'A- 
miens à Rouen, Ces dispositions, qui ont été vivement 
critiquées par quelques officiers français, ont obtenu 
cependant l'approbation des meilleurs critiques alle- 
mands. Les principales péripéties eurent lieu sur 
deux des voies ferrées qui aboutissent à Amiens ; à 
Bov^s (ligne de Paris) et Villers-Bretonneux (ligne de 
Tergnier). 

Vers midi, l'action était engagée sur toute la 
ligne. A notre extrême droite, l'ennemi fut contenu 
toute la journée par le feu soutenu et habilement di- 
rigé de la batterie de marine Meunier, apportée le ' 
matin même par le chemin de fer et postée à cheval 
sur la grande route de Paris. On vient de voir, par le 
rapport de M. Gallet, comment les choses se passèrent 
au centre. Plus loin, vers Gentelles et Cachy, les Prus- 
siens furent tenus en respect par l'énergique attitude 

(1) Deux autres agents qui secondaient Gallet; MM. Fla- 
mant^ chef à Saint-Pol> et Martin, précédemment sous-chef 
à la gare de Laon^ joaéritèrent aussi de grands éloges. 



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144 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

du 20* chasseurs et du 69* de marche. Plus tard même 
nos troupes prirent Toffensive de ce côté, et ne se 
replièrent qu'à la nuit sur la bifurcation de Longeau. 
La lutte était encore plus animée à Villers-Bre- 
tonneux. Sur ce point, notre ligne de défense formait 
un angle aigu, dont le sommet était une redoute établie 
au pont du chemin de fer, à 1,200 mètres environ de 
la gare. Pendant la journée entière, on s'arracha tour 
à tour cette clef de la position. Ce ne fut pas Teffort de 
Tennemi qui détermina la retraite sur ce point, mais 
répuisement des munitions. Notre perte totale fut 
d'environ 1,400 hommes; l'ennemi en perdit davantage 
à la seule attaque de Villers-Bretonneux. 

Ce fut seulement vers deux heures, au moment où 
l'invasion de cette station semblait imminente, que 
M. Maucomble, inspecteur, fit replier le matériel resté 
j ««que-là à la disposition de l'autorité militaire. Pen- 
dant toute la journée, malgré les progrès successifs de 
l'ennemi, les trains avaient circulé sur les lignes en- 
core libres. Ceux du Nord, qui passaient tout près du 
champ de bataille, n'éprouvèrent pourtant aucun acci- 
dent. On en fut redevable au courageux sang-froid du 
. surveillant Philippe, de garde à la bifurcation de 
Glisy. Ce brave homme resta jusqu'à six heures du 
soir dans ce poste des plus périlleux, maintenant la 
communication avec l'inspecteur principal à Amiens, 
et indiquant les moments où le passage était possible. 
Vers cinq heures du soir, l'ennemi, maître de Villers- 
Bretonneux et de Boves, suivait nos troupes en re- 
traite sur Corbie et Longueau. Du côté de Villers-Bre- 
tonneux, il pouvait couper la voie entre Amiens et 
Corbie, passer même la Somme pour prendre à revers 



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RESEAU DU NORD ' 145 

Farmée française. Dxx côté opposé, il avait occupé la 
ligne d'Amiens à Rouen, et menaçait ainsi celle de 
Boulogne, qui n'était pas protégée. 

Ainsi, les deux lignes de retraite du matériel d'A- 
miens étaient compromises ; 40 machines et 500 wa* 
gons qui se trouvaient en gare risquaient de tomber 
aux mains de l'ennemi. 

On comprend combien était difficile la position des 
chefs de services dans des crises semblables, où ils 
avaient à concilier leurs obligations de mandataires et 
leurs devoirs de citoyens; risquant de priver la défense 
d'un concours précieux en faisant partir trop tôt leur 
matériel, ou de le compromettre en le faisant partir 
trop tard. 

MM. d'Arcangues, inspecteur principal, et Guérard, 
ingénieur de la traction, avaient cru devoir commencer 
les préparatifs d'évacuation de la gare vers huit heures 
du soir, alors que notre mouvement général de retraite 
était déjà connu et bien dessiné. Mais d'autre part, ils 
recevaient encore du Nord des trains d'approvisionne- 
ments et de munitions, et ils avaient Tavis officiel de 
nouveaux trains de troupes venant renforcer l'armée 
fi'ançaise. Dans cette situation, et quoiqu'il en pût ar- 
river, l'inspecteur ne pouvait ni ne voulait procéder à 
• cette évacuation sans y être formellement invité par 
l'autorité militaire. Il attendait donc, dans une cruelle 
anxiété, la décision du conseil de guerre rassemblé à 
la préfecture, et qui se prolongea fort avant dans la 
nuit. Dans cet intervalle, on faisait décharger les mu- 
nitions destinées à la lutte que le brave général Paulze 
d'Ivoy voulait renouveler le lendemain. Ce fut seule- 
ment à deux heures et demie du matin que M. d'Ar- 

9 



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146 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

cangues reçut du général Lecointe, président du coa- 
geil de guerre qui venait de résoudre affirmativement 
la question de retraite, Tordre de sauver le matériel 
de la Compagnie (1). Tout put encore être sauvé : il ne 
resta à Amiens qu'un certain nombre de machines 
en réparation, dont Tingénieur de la traction avait fait 
d'avance enlever les bielles, et qui par conséquent ne 
purent servir à l'ennemi. 

Dans la même journée, un détachement prussien, 
dirigé d'urgence vers l'embranchement de Rouen , 
coupait la voie à Namps, et se saisissait, dès le 28 au 
matin, du tunnel intact de Famechon. Ce mouvement, 
qu'on aurait dû prévoir, allait exercer une grande 
influence sur les événements ultérieurs. 

Par suite de ces nouveaux progrès de l'invasion, la 
Compagnie n'exploitait plus, le 30 novembre, que 
945 kilomètres de son réseau. 



Dès le 1" décembre, l'armée prussienne se mit en , 
marche d'Amiens sur Rouen en deux colonnes. L'une 

(1) Le commissaire général de la défense, M. Testelin, qui 
n'avait pas bougé de Lille, approuva la retraite par télé- 
gramme. (( N'étant pas sur les lieux et n'ayant aucune con- 
naissance militaire (on le savait de reste), il s'en rapportait 
aux généraux, leur rdoommandant seulement de ne pas 
tergiverser. » 



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Gj3ogle 



RESEAU BU NORD 447 



suivait H direction du chemin de fer ; Tantre s'avança 
par AiUy, Breteuil, Gournay. Pour faire illusion sur 
ce mouvement, Tennemi avait lancé au loin, dans la 
direction d'Arras et dans celle de Boulogne, de faibles 
détachements qu'on prit, en effet, pendant plusieurs 
jours, pour Favant-garde de forces imposantes. Ses 
éolaireurs tenaient à dessein un langage propre à 
accréditer cette opinion, tout en ayant soin d'enlever 
des rails ; précaii^ion défensive qui ne s'accordait guère 
avec le grand mouvement offensif qu'ils annonçaient. 
Ce stratagème n'avait que trop bien réussi ; déjà toutes 
les gares étaient évacuées jusqu'à Arras, quand on fut 
sûrement informé qu'aucune force sérieuse n'était en 
mouvement dans cette direction, et que pourtant la 
majeure partie de l'armée ennemie avait quitté brus- 
quement Amiens. Instruits à la fois par Lille et Rouen 
de ce départ précipité, les profonds tacticiens de Tours 
s'empressèrent d'en conclure et de proclamer que cette 
armée était rappelée précipitamment vers Paris, tandis 
qu'elle menaçait et envahissait Rouen. Cet aveugle- 
ment était d'autant plus inexcusable que, dès le 30, 
des télégrammes d'Albert et d' Arras leur signalaient 
qu'un corps prussien de plusieurs milliers d'hommes, 
avec une vingtaine de pièces d'artillerie, venait d'être 
rencontré par un voyageur digne de toute confiance, 
sur la route d'Amiens à Poix, dam la direction de 
Rauen (1). 



(1) Ils recevaient à la même date, également en vain, des 
renseignements semblables de Rouen. (V. à ce sujet nos 
Somenirs de VinMision en i^onnondt'^, et, ci*>aprèft, ràistorique 
40 rOuest.) 



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U8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Le registre télégraphique de la Compagnie est des 
plus curieux à cette date. On j retrouve l'impression 
palpitante de ce pêle-mêle d'informations contradic- 
toires qui se succédaient, se disputaient le pas littéra- 
lement à chaque minute, et parmi lesquelles, il faut le 
dire, de meilleures têtes que celles des dictateurs de 
Tours auraient eu de la peine à se reconnaître. Un 
exemple, pris au hasard, suffira pour donner quelque 
idée de ce chaos. Le 2 décembre, à deux heures quinze 
minutes de Taprès-midi, M. d'Arcangues communiquait 
au chef du mouvement de Lille, M. Thouin, l'avis de 
la marche prétendue de toute l'armée prussienne sur 
Arras, transmis par un chef de francs-tireurs qui parais^ 
sait sûr de son fait, et les mesures prises en consé- 
quence pour l'évacuation de la gare d'Achiet. Ce télé- 
gramme se croisait avec celui de M. Thouin, expédié 
de Lille à deux heures trente minutes : « U serait 
urgent de faire une reconnaissance sur Achiet. La 
nouvelle de Vévacuation d'Amiens est affichée ici; il est 
indispensable d'être fixé. Si la reconnaissance réussit, 
faites réparer la voie et pousser au delà. » C'était 
Tours qui venait d'annoncer à Lille cette évacuation. 
Ajoutons qu'à la même heure encore, et même un peu 
plus tard, le général commandant à Arras ne songeût 
encore qu'à faire replier toutes ses grand'gardes jusque 
sous le canon de la place (télégramme d' Arras à Achiet, 
trois heures dix-huit minutes). D'autre part, l'inspec- 
teur Maucomble recevait la nouvelle certaine que les 
éclaireurs prussiens, après avoir tranquillement dégradé 
la voie, avaient battu en retraite sur Albert, Enfin 
le 3, au matin» on apprenait, par des gens arrivant 
d'Albert, que cette localité venait d'être à son towr 



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RÉSEAU DU NORD 14» 



éTàcuée, et qu'il ne restait à Amiens qu'une garnison. 
Bans ce chaos, qu'obscurcissaient encore les bévues 
dictatoriales, on se retrouvait comme on pouvait, 
presque toujours trop tard. 

C'est pour nous un devoir d'exhumer, des documents 
qu'il nous a été permis de consulter, des traits de 
dévouement trop ignorés jusqu'ici. Aussi nous nous 
empresserons de signaler la conduite d'un habitant 
d'Albert, M. Berthet, qui, dans cette localité aban- 
donnée à la merci de l'ennemi, ne cessait de trans- 
mettre à Lille des informations circonstanciées et sou- 
vent fort exactes sur les mouvements des Prussiens. 
C'était lui qui avait fait connaître le premier, dès le 
30 novembre, leur marche sur Rouen. Aussitôt qu'ils 
eurent quitté Albert, M. Berthet entreprit une excur- 
sion dont il consigna les résultats dans une longue 
dépêche adressée d'Achiet à Lille, le 8 décembre. Il 
n'avait pu dépasser Clermont. Là, il avait appris que 
les garnisons de Creil, Compiègne et Beauvais étaient 
trop faibles, la plus grande partie ayant été, depuis 
quatre ou cinq jours, brusquement rappelée vers Paris 
à cause de la grande sortie. A Amiens, la citadelle était 
fortement occupée : « On y avait fait entrer, dans la 
matinée du 7, une grande quantité de pétrole, pour 
incendier la ville en cas d'attaque. » Enfin, il avait vu 
l'affiche prussienne annonçant l'échec de la sortie de 
Paris et la prise de Rouen, événement dont il transmit 
la première nouvelle certaine dans la région du Nord. 

La Compagnie avait eu sa part de ce nouveau désastre. 
La colonne prussienne qui suivait la ligne d'Amiens à 
Rouen avait marché si vite que M. Saisset, inspecteur 
prindpalj après avoir télégraphié le 4, de grand matin, 



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150 CHEMINS DE Fl^ PEANÇAÎS 

qne Forges devenait tête de ligne^ apprenait quelques 
minutes plus tard Tenvahissement de cette station. 
Cependant il avait fait évacuer successivement ses 
gares en temps utile, et concentré à celle de Montéro- 
lier-Buchy (12 kilomètres de Rouen) tout son matériel 
(14 machines, 350 wagons), prêt à se replier au pre- 
mier signal sur la ligne de TOuest par l'embranchement 
de Clères. 

Malheureusement M. Saisset avait dû faire retour- 
ner sur Rouen, la veille au soir, une portion de ce 
matériel (4 machines et 48 wagons), pour déférer à 
une réquisition verbale du commandant de la garde 
nationale, M. Estancelin, qui pensait en avoir besoin 
pour transporter des troupes à Buchy. 

Dans la nuit du 3 au 4, Tinspecteur principal avait 
accompagné à Buchy le commandant de la subdivision 
de Rouen. On allait essayer de tenir avec des troupes 
trop peu nombreuses, novices, et vaincues d'avance 
par la fatigue et la faim. Le succès d'une pareille ten^ 
tative paraissait tellement problématique, qu'au point 
du jour M. Saisset crut devoir faire filer, sans plus de 
retard, son matériel par l'embranchement de Clères. 
C'était l'unique ligne de retraite, et il voyait trop bien 
que d'un moment à l'autre elle pouvait se trouver 
compromise. Il n'était que temps, en eflfet, d'opérer ce 
mouvement, car, dans le trajet de Buchy à Clères, le 
convoi reçut une grêle de coups de feu, et la ligne fut 
coupée entreCritot et Bosc-le-Hard, derrière les derniers 
wagons. Par suite de jeette rupture, le train mis la 
veille à la disposition de M. Estancelin, qui n'en avait 
fait aucun usage, demeura intercepté et tomba au pou- 
voir de l'ennemi. Celui-ci put même s'en servir de 



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RÉSEAU DU NORD IM 



suite, car, dans la confusion occasionnée par la déroute, 
Tordre d'enleyer les coussinets n'avait pas été exécuté. 

Les Prussiens restaient donc naaîtres de cette ligne 
intacte d'Amiens à Rouen, sur laquelle ils purent faire 
circuler des trains dès le lendemain de Toccupation (1). 
Il aurait suffi pourtant de détruire le tunnel de Fame- 
chon du côté d'Amiens, ou celui de Sommerj du côté 
de Rouen, pour leur enlever cette communication rapide 
qui allait leur être d'un si grand secours à Pont-No jelles, 
à Moulineaux, à Bapaume, à Saint-Quentin ! 

Dans cette débâcle qui précéda et décida l'occupation 
de Rouen, il j eut encore çà et là quelques exemples 
consolants de patriotisme. Dans la nuit du 3 au 4 dé- 
cembre, un détachement nombreux de gardes nationaux 
de Saint-Saens, à peine armés, sans uniforme et n'igno- 
rant pas à quoi ce défaut d'uniforme les exposait, avait 
fait bravement plusieurs lieues à travers la neige pour 
venir jusqu'à la gare de Buchj, se mettre à la disposi- 
tion de l'autorité militaire. Dans la journée du 4, au 
moment où les Prussiens coupaient la voie sur l'em- 
brancheïnent dé Clères non loin de Critot, le chef de 
cette station, M. Lavallée, parvint à tromper leur sur- 
veillance, et courut au-devant d'un convoi de troupes 
françaises dont l'approche lui avait été signalée de 
Clères un instant avant la rupture des fils. Il l'atteignit 
au moment où il arrivait dans la gare de Bosc-le-Hard, 



(1) Le dernier train français qui circula de Forgea à Rouen, 
dans la matinée du 14, avait été salué aux environs de Buchy 
d'une telle averse de projectiles, que les voyageurs, parmi 
lesquels il se trouvait des fômmes, durent s'improviser un 
rwnpart avec leurs bagages* 



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t$l CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

^ 500 . mètres seulement de Tendroit où la voie était 
rompue et l'ennemi embusqué. Cet avis contribua beau- 
coup au salut de ces troupes (2® bataillon des mobiles 
de la Seine - Inférieure , commandant Rolin), qui se 
tirèrent honorablement et sans trop de pertes d'une 
situation des plus difficiles. Rappelons aussi que les 
employés de cette ligne d'Amiens à Rouen, sommés de 
reprendre leur service pour Tennemi, s'y refusèrent 
unanimement. 

Cependant la brigade prussienne qui venait de s'emr 
parer de La Fère faisait des démonstrations inquié- 
tantes contre la partie encore intacte du réseau du 
Nord. Un détachement avait occupé de nouveau Saint- 
Quentin le 5 décembre; un autre s'avançait au delà, 
surprenait le 9 la gare d'Essigny, dans la direction de 
Busigny. D'autre part, la garnison prussienne d'Amiens 
continuait à s'éclairer assez loin, du côté d'Arras et 
d'AbbevUle. 

Tout à coup les afiaires parurent changer de face* 
Le général Faidherbe, qui arrivait enfin pour prendre 
le commandement de l'armée du Nord, arrêtait soudain 
la retraite de cette armée, la reportait en avant, dé- 
ployant une énergie, une activité incontestables. Il lui 
suffit de quelques jours pour faire des soldats de ces 
mobiles novices qui, suivant Texpression d'un de leurs 
chefs, lui avaient si bien glissé entre les doigts à Amiens, 
qu'il en était réduit à demander par le télégraphe ce 
qu'ils étaient devenus. Les agents de la Compagnie 
secondaient de leur mieux cette reprise d'ofPensive. 
Le 11 et le 12 seulement, on fit partir de différents 
points du réseau encore libre, de Dunkerque, Lille, 
Fives , Douai , Valenciennes , Cambrai, vingt et un 



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RÉSEAU DU NORD 18S 



grands trains militaires. Une portion de ces troupes 
était transportée sur la ligne d'Arras, sur laquelle les 
dégâts opérés par les Prussiens après la prise d'Amiens 
avaient été réparés avec une remarquable activité, sous 
la direction de M. l'inspecteur Latour de Briey. Dès 
le 16, les trains militaires purent arriver jusqu'à la 
station d'Albert, et, le 20, jusqu'à celle de Corbie. 
D'autres troupes françaises s'avançaient sur les em- 
branchements de Tergnier et de Busigny. Dès le 11 , 
une avant-garde française reprenait possession de la 
station et du fort historique de Ham ; deux cents Prus- 
siens pris dans ce fort étaient transportés à Lille par 
un train spécial. Saint- Quentin retomba au pouvoir 
des nôtres. Laon même crut un moment à la délivrance. 
L'armée française du Nord , ayant Amiens pour 
objectif, vint prendre position sur l'Hallue. La station 
de Corbie devenait alors d'une grande importance stra- 
tégique. L'état-major voulait y réunir tous les trains 
de munitions et d'approvisionnements. L'inspecteur 
principal objecta que cet encombrement de matériel 
serait par trop téméraire sur un point où il ne pouvait 
manquer, au moindre mouvement rétrograde des nôtres, 
de devenir la proie de l'ennemi; qu'il valait mieux opérer 
cette concentration à Albert, d'où l'on serait en mesure 
de satisfaire immédiatement à toutes les réquisitions 
transmises par le télégraphe. La station de Corbie est 
en effet située dans un véritable entonnoir ; dominée, ainsi 
que sa ligne de retraite, par les hauteurs qui bornent 
la Somme, et dont on ne pouvait interdire l'accès à l'en- 
nemi arrivant du côté d'Amiens. On eut heureusement 
égard à ces observations, et M. d'Arcangues, n'ayant 
pas d'encombrement à Corbie, put effectuer sans perte 

9. 



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154 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



rëvacuation de cette gare pendant la bataille du 23 
(Pont-Noyelles) (1). 

On sait qu'après cette affaire acharnée et indécise, 
le général en chef français crut indispensable d'or- 
donner la retraite sur la Scarpe. Toutes les évolutions 
faites par Tarmée ennemie indiquent qu'elle s'attendait 
à voir Faidherbe prendre à son tour l'offensive. La vé- 
rité est qu'il aurait pu franchir la Somme et faire une 
pointe sur le quartier général du 8® corps; l'état-maj or 
prussien l'avouait après l'armistice. Mais, en faisant 
ce mouvement, il aurait risqué d'être assailli, ayant 
la Somme à dos, par les renforts allemands amenés de 
Rouen en chemin de fer. 

Il fut donc bien inspiré en ordonnant, le 24 au matin, 
la retraite sur la Scarpe. Toutes les opérations si multi- 
pliées, si compliquées, que ce mouvement nécessitait 
sur les voies ferrées, pour l'évacuation des gares, le 
transport des troupes, des blessés, des munitions, etc., 
furent exécutées avec une célérité et une précision remar- 
quables. On espérait que la station d'Achiet resterait tête 
de ligne. Le 26, vers neuf heures, l'inspecteur principal 
d'Arcangues, qui se trouvait à Arras avec le général en 
chef, lui témoignait quelques inquiétudes pour cette 
gare d'Achiet, dont l'évacuation n'était pas terminée. 
Celui-ci affirma que, d'après les derniers renseignements 
parvenus à l'état-maj or, elle ne courait aucun risque, 
qu'aucun ennemi ne s'était montré dans les environs. 
Quelques moments après, un télégramme du chef de la 



(1) Tous les rapports citent avec éloge M. Dieu, chef de 
gare à Corbie, qui ne quitta pas son poste et rendit les plus 
grands Bérviceti dànrf ce^tte criée* 



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RESEAU DU NORD iftjS 



statibon confirmait pleinement cette assnrance.... Deux 
heures plus tard, un nouyeau télégramme annonçait qn« 
la station était envahie par une nombreuse cavalerie. 
La surprise fut si complète, que le dernier train d'éva- 
cuation qui se trouvait en gare tomba au pouvoir de Ten- 
nemi; la locomotive seule parvint à s'échapper. Plus de 
cent wagons de houille, destinés aux usines de lacontrée^ 
et des colis de toute espèce qui se trouvaient sur le quai 
furent pillés, sur Tinvitation des Prussiens, par des gens 
peu scrupuleux du pays. Une deuxième locomotive, qui 
venait d'arriver en gare pour enlever la houille, réussit 
également à se sauver, en filant à toute vapeur à con^re- 
voie^ en arrière de la première qui cheminait sur honm 
voie^ gardant une avance qui lui permettait de prévenir, 
par un avertissement donné en temps utile, toute ren- 
contre fâcheuse pour Fautre machine. Grâce à cette 
^combinaison, l'évasion à contre-voie de celle-ci s'opéra 
avec une sécurité parfaite ; seulement, toutes deux eu- 
rent à essujer le feu des uhlans qui leur faisait inutile- 
ment signe d'arrêter. 

Il fallut enlever de nouveau les impedimenta^ les 
blessés transportables : opérer immédiatement, pour la 
première fois, le déménagement de la gare d'Arras, et 
ce n'était pas trop tôt, car un poste français resté à 
cette gare fut inquiété à diverses reprises pendant les 
derniers jours de décembre. Le flux de l'invasion de^vait 
monter encore plus haut cette fois. Le génie français 
crut indispensable de faire sauter, le 28 au matin, le 
pont de Saint-Laurent entre Arras et Lens. Toute com- 
munication par le chemin de fer se trouva ainsi inter- 
ceptée entre ces deux villes, mais cette rupture n'em- 
pêchait pas les éclaireurs g^lemands de parcourir tout 



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Ift6 CHEMINB DE FER FRANÇAIS 

le pays àTouest et au nord d'Arras. Le 29, une panique 
causée par la déroute d'un bataillon de mobilisés qui 
prétendait avoir été surpris à Souchez par toute une 
armée, amena Tévacuation partielle de la ligne des houil- 
lères, de Lens à Hazebrouck. En moins de quarante-huit 
heures, plus de mille wagons furent enlevés de cette 
ligne, après quoi Ton apprit que l'apparition de treize 
uhlans avait causé cette débâcle ! I 

Les Allemands s'avançaient aussi dans la direction de 
Boulogne: il fallut évacuer, avant le !•' janvier, les 
gares d'Abbeville, de Noyelles, de Saint-Valery. L'en- 
nemi semblait vouloir déborder la droite des nouvelles 
positions françaises; le 30, ses éclaireurs se montraient 
vers Béthune. En même temps, il attirait à lui, sur sa 
droite, un petit corps venant de Montmédy, qui passa 
sous le commandement du prince Albert de Prusse 
junior^ un long et mince officier que nous avions trop 
bien connu dans le Yexin. Le 24, ces troupes entrèrent 
à Saint-Quentin, mais elles en repartirent brusquement 
dès le lendemain matin dans la direction d'Amiens, par 
suite d'un ordre arrivé dans la nuit. Ceci tendrait à 
prouver que, immédiatement après la bataille du 23 
(Pont -Noy elles), Manteuffel s'était plutôt considéré 
comme vaincu et menacé d'être attaqué à son tour, 
puisqu'il appelait à lui tous ses renforts. Faidherbe 
ayant au contraire reculé, son adversaire prolongea de 
nouveau sa droite vers Tergnier. Cette fois, les Prussiens 
occupèrent à demeure cette bifurcation importante. 

Du 28 au 31, ils poussèrent aussi de fortes reconnais- 
sances au delà de Saint-Quentin^ jusqu'à la bifurcation 
de Busigny. Dans l'enceinte même de cette station, il 
y eut, le 31, une escarmouche. Un train militaire trans- 



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RËSBÀU DU MORD ift7 



portant des mobiles arrivait d'Aulnoye, en même temps 
qu'apparaissaient les uhlans. Les employés de la gare, 
réunis aux moins effarouchés de nos jeunes soldats, sa- 
luèrent les Prussiens d'une fusillade qui les fit rétro- 
grader à toute bride. Mais deux jours après Tennemi 
revint en force : il fallut se replier, comme toujours ! 



VI 



Les désastres du mois de décembre avaient augmenté 
les embarras de toute nature sur la portion encore libre 
du réseau, réduite à 625 kilomètres. L'encombrement 
devenait sensible dans les localités considérées comme 
points de refuge. Les sucres, par exemple, étaient expé- 
diés tantôt en Belgique sur Anvers, où Tengorgement 
était tel, qu'il fallut souvent suspendre les expéditions; 
tantôt sur Dunkerque pour y être embarqués. La gène 
futsurtout grande à cette dernière station, après la perte 
de la ligne d'Amiens à Rouen et de différents points du 
littoral. La gare était loin de sufâre aux exigences de 
cette situation, et, de plus, les moyens français d'em- 
barquement faisaient défaut. On dut autoriser par 
exception la marine neutre à faire le cabotage entre 
les pays français, et l'on put ainsi profiter des vapeurs 
anglais qui se présentèrent en grand nombre. Néan- 
moins, on resta aux prises avec l'encombrement, même 
fort au delà de la guerre. Il fallut, à diverses reprises, 
condamner une des voies aboutissant à Dunkerque, sur 



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ilt CHEMIKS DB FER LANÇAIS 

une longueur de 8 et jusqu'à 16 kilomètreB, pour effec- 
tuer le remisage des wagons de houille et autres^ ae* 
culés à cette extrémité du réseau. Les sucres affluaient 
à tel point, que pendant quelque temps ils ne purent 
être emmagasinés tous à couvert; et il en résulta, par 
les neiges et le dégel, des avaries coûteuses pour la 
Compagnie. 

La bataille de Bapaume (2-3 janvier) fut encore une 
de ces rencontres dont chaque parti s'attribue l'hon- 
neur. Malgré les lourdes plaisanteries du Moniteur 
prussien contre ce général français qui « ne se lassait 
pas de vaincre et de se retirer », les Allemands, eux- 
mêmes, ont reconnu, après la guerre, que les Français 
avaient eu plutôt l'avantage. Un des généraux prussiens 
qui avaient pris part à l'affaire me l'avoua à moi-même 
quelque temps après. Il ajoutait que l'état-major 
prui^ien avait cru devoir, pour cette fois seulement, 
déroger à ses habitudes ordinaires de véracité (?), en 
raison de l'effet moral que l'aveu d'une défaite aurait 
infailliblement produit sur les soldats fatigués de la 
guerre. 

Quelques-uns des télégrammes expédiés pendant la 
bataille et immédiatement a^rès par des agents de la 
Compagnie, reproduisent avec exactitude l'impression 
du moment, tout à fait favorable à nos armes. Le 2 jan- 
vier, à cinq heures vingt de l'api^ès-midi, l'inspecteur 
Latour de Briey , qui pendant toute l'action s'était tenu 
à Boileux, gare très voisine du combat, télégraphiait 
d'Hazebrouck : a Fusillade commencée ce matin à dix 
heures, du côté de Courcelles-le-Comte. Bataille s'est 
étendue dans la direction de Courcelles-Bapaume. Canon- 
nade dès onze- heures et demie, très^viv^à. trois heures 



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RÉSEAtT DU KaRO IM 



et demie; quatre heures et demie, canon plus rare êi 
plus éloigiïé. A quatre heures, on me rapportait à Boi- 
leu^x que notre armée poussait Vennemi.,,, » Le lende- 
main, à six heures du soir, M. Cogniaux, conducteur 
des travaux, qui avait assisté de fort près au combat, 
télégraphiait à Lille : « Prussiens refoulés jusqu'aux 
environs de Bapaume. » 

Dès raprès-midi du 2, le lugubre défilé des wagons de 
blessés commençait sur les lignes d'Hazebrouek et de 
Douai. A trois heures dix, Lille recevait ce télégramme 
navrant dans son laconisme : « Envoyer d'urgence un 
train de malades à évacuer sur le Nord. Combat com- 
mencé vers midi. On a besoin de tous les lits ded hôpi- 
taux, les malades attendent! » Le lendemain et les 
jours suivants, par un froid mortel, ces expédition» de 
blessés se poursuivent sur tous les points du réseau 
non envahi où l'on sait, où l'on espère trouver des res- 
sources, sur Lille, Séclin, Tourcoing, Roubaix. « On les 
logera chez les habitants, quand la place manquera à 
l'hôpital î » 

Le général Faidherbe ne crut pas devoir poursuivre 
son avantage dans une saison si rigoureuse, avec des 
troupes mal approvisionnées, et trop peu exercées aux 
fatigues de la guerre. On sait aujourd'hui qu'il manqua 
ainsi Toccasion de délivrer Péronne, cette place dont 
la perte a exercé une si fatale influence sur led der- 
nières opérations. 

Malgré la retraite de Tarmée du Nord, l'ennemi re- 
cula sur plusieurs points. Sur la ligne de Boulogne, où 
les uhlans avaient été jusqu'à la station de Montreuil- 
Verton, le service fut rétabli jusqu'à Abbeville, le 
4 jâAvier. Du eôté d'Airas, l'ennemi aHandenna ttmt à 



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MO CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

fait Achiet, dont la gare avait été fort abîmée pendant 
la bataille. On s'était battu pendant plusieurs heures, 
et Ton y retrouva une quarantaine de cadavres tant fran- 
çais que prussiens.Gautier, chef de lastation, homme fort 
énergique, mort depuis, n'avait pas quitté son poste. 
Un obus vint éclater dans sa salle à manger au moment 
où il venait d'en sortir. 

Huit jours après la bataille, la circulation était réta- 
blie jusqu'à Achiet, grâce à l'activité intrépide de 
M. Cogniaux, conducteur des travaux, qui emboîtait 
littéralement le pas à l'ennemi, replaçant les rails, 
réparant au fur et à mesure les dégâts sur chaque par- 
celle de terrain reconquise. Dans son rapport, qui nous 
a été d'un grand secours, l'inspecteur spécial de la 
ligne d'ArrasàHazebrouck dit, à propos de M. Cogniaux: 
« 11 n'a pas cessé un moment d'éclairer la ligne aux 
points extrêmes les plus rapprochés de l'ennemi. Il se 
rendait fréquemment lui-même bien au delà des avant- 
postes français, et souvent il nous eût été impossible 
de prendre certaines déterminations, relativement au 
service avancé des transports de guerre, si M. Cogniaux 
ne m'avait constanunent prêté son concours. » 

Le dernier mouvement offensif de Faidherbe amena 
de nouvelles péripéties sur les lignes du Nord. Les 
inspecteurs d'Arcangues et Muel rivalisaient d'activité : 
les trains militaires purent circuler de nouveau le 14 
jusqu'à Busigny du côté de Saint-Quentin ; le 15 jus- 
qu'à Albert du côté d'Amiens. Faidherbe avait fait 
annoncer par le télégraphe qu'il marcherait sur cette 
ville, tandis que, en réalité, Saint-Quentin étaitson objec- 
tif. Malheureusement, Von Gœben, le successeur de 
Manteuffel, ne se laissa pas tromper. Sa situation stra- 



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RÉSEAU DU NORD iti 



tégique venait d'ailleurs de s^améliorer sensiblement 
par la prise de Péronne (lO'janvier). 

Le 16, la garnison prussienne de Saint-Quentin fut 
refoulée avec quelque perte. Deux jours après, la cir- 
emlation était rétablie pour les trains* militaires français 
jusqu'à cette ville, alors que commençait déjà la bataille 
qui allait j ramener l'ennemi. 

Le général de GkBben guettait Tarmée française au 
débouché de Saint- Quentin. Il avait déjà reçu et conti- 
nuait à recevoir, par les voies rapides, des renforts qui 
lui assuraient de plus en plus la supériorité numérique. 
A Rouen, à Amiens, il ne restait presque plus de 
troupes. D'autre part, « des trains de troupesallemandes, 
. se succédant d'heure en heure, débarquaient à la gare 
de la Fère, les 18 et 19 janvier. Ces trains venaient 
tantôt du c6té de Soissons, tantôt du côté de Reims ; 
ilfi apportèrent en deux jours au delà de 15,000 hommes. 
La tenue de ceux qui arrivaient de Reims était des plus 
soignées, parce qu'ils avaient fait le trajet entier en 
wagons, ceux au contraire qui étaient venus par Sois- 
sons avaient dû mettre pied à terre dans les endroits 
où la voie était interrompue, comme le souterrain de 
Yierzy ; on reconnaissait ceux-là à la boue qui les cou- 
vrait. Tous ces renforts débarquaient à la Fère, et 
s'acheminaient vers Saint- Quentin par la route de 
terre (1). » 

(1) Il y a 23 kilomètres de la Fère à Saint-Quentin. Les 
Prussiens avaient aussi rétabli depuis les premiers jours de 
janvier la circulation sur la ligne de Creil à Tergnier, mais 
il DO vint de ce côté qu'un détachement de 1,500 hommes 
environ, qui débarqua à Tergnier dans la nuit du 18 au 19. 
Tpus ces renseignements nous viennent de M. Muel. 



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ÎW CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Si nos renseig^nements sont exacts. Von Gk»ben au- 
rait préféré ne pas attaquer si promptement, laisser 
l'armée française se compromettre davantage ; il dut 
obéir à des ordres supérieurs. Le courage nous manque 
pour retracer toutes les péripéties d'ailleurs bien con* 
nues des combats livrés le 18, dans l'angle de la Somme 
et du canal, et de la journée décisive du 19. Cette ba- 
taille de Saint-Quentin rappelle, dans des moindres 
proportions, le désastre de Leipzig. L'armée française 
succomba du moins avec honneur, contre un ennemi 
très-supérieur en nombre et bien commandé. L'un des 
épisodes les plus dramatiques de la bataille fut la dé- 
fense héroïque du faubourg d'Isle et de la gare par les 
troupes du général Derroja. Cette gare ne fut pas prise 
d'assaut, comme l'ont prétendu les Allemands ; quand 
ils y pénétrèrent, ses défenseurs l'avaient déjà éva- 
cuée pour suivre le mouvement général. 

L'inspecteur principal du Nord, M. Muel, qui s'était 
déjà fort distingué lors de la retraite du 13® corps, 
rendit encore de très- grands services dans cette lu- 
gubre nuit du 19 au 20 janvier. Il avait eu soin dft 
faire préparer d'avance, à Busigny, des trains tout atte- 
lés, avec lesquels il opéra le sauvetage d'une douzaine 
de mille hommes de toutes armes. Il osa même, à la 
nuit close , faire retourner un de ces trains jusqu'à la 
station d'Essigny- le -Petit, la dernière avant Saint- 
Quentin, pour recueillir quelques centaines de marins 
qui, ayant marché et combattu sans interruption de- 
puis trois jours, tombaient littéralement de fatigue et 
ne pouvaient plus avancer. 

A Saint-Quentin, comme partout, les marins ont été 
héroïque». Au moment où cette foule épuisée^ éperdue. 



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RÉSEAU DU NORD 1«8 



se précipitait dans les wagons, ce furent des marins 
qui, se retournant encore une fois, enyojèrent aux 
vainqueurs les derniers coups de fusil. 

Sur la proposition du général en chef, M. Muel fut 
décoré pour sa belle conduite dans cette journée. 

Par suite de cette nouvelle débâcle, le niveau de 
rinvasion monta plus haut que jamais sur les lignes 
du Nord.. Des stations, dontTennemi n'avait pas encore 
approché jusque-là, furent envahies, notamment celle 
d'Aulnoye, à 25 kilomètres seulement de la frontière. 
Elle fut surprise le 23, au matin : Tinspècteur princi- 
pal, qui venait de la faire évacuer, s'y trouva entouré 
d'ennemis qui s'informaient de lui en l'appelant par son 
nom.Heureusementilsneleconnaissaientpasdevue,etil 
leur donna le change par son sang-froid. Près de la station 
duCateau, entre Busigny et Aulnoye, les Prussiens firent 
sauter le viaduc de Saint-Benin, pour barrer le passage 
aux troupes françaises qui auraient pu venir de Mam- 
beoge les attaquer. Par une singulière coïncidence, au 
même moment, les autorités militaires françaises, sous 
le coup d'une appréhension absolument pareille, en- 
voyaient un détachement pour détruire ce viaduc. Il 
semble pourtant que nous aurions eu plutôt intérêt à 
le conserver, puisque les Prussiens jugeaient néces- 
saire de le détruire ! 

A la fin de janvier, les places d'Arras, Abbeville, 
Landrecies, Cambrai, étaient gravement compromises. 
Le département du Nord, entamé à son tour, semblait 
devenir l'objectif principal de l'ennemi. On redoutait 
un de ces mouvements tournants qui lui sont familiers. 
« Les forces prussiennes pouvaient d'un côté se prolon- 
gei^ au éud*e«t par la ligne de Busigny sur Jeumont, 



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f «4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

tourner Valenciennes, isoler les places fortes des fron- 
tières; de l'autre, se dirigeant au nord -ouest par 
Saint-Pol et Hazebrouck, couper nos communications 
avec le littoral, et envahir tout à fait le départenaent 
en se rejoignant par Armentières, Turcoing et Rou- 
baix. » Tout en continuant de prêter son concours, à 
Tautorité militaire, le représentant de la Compagnie 
avait dû prendre des mesures dans Thypothèse de l'en- 
vahissement total du réseau, et des submersions que 
Ton aurait pu tenter pour le combattre. 
. Au moment de l'armistice, 237 machines étaient déjà 
réfugiées en Belgique; 66, ramassées au delà d'Aul- 
noye sur les quelques kilomètres encore libres de la 
ligne d'Erquelines, n'avaient qu'un pas à faire pour 
se trouver aussi en sûreté. Les derniers, au nombre 
de 173, indispensables pour ce qui restait de service, 
avaient également leur ligne de retraite assurée, 
quand intervint l'armistice. « Les conditions de cet 
armistice étaient bien dures, et il y, en avait d'af- 
freuses », comme Tannonçait au général Faidherbe, 
par le télégraphe, le chef d'état-major général Ville- 
noisy. L'une des plus pénibles fut la cession d'Abbe- 
ville, sur laquelle les Prussiens restèrent inflexibles. 
Sur les voies ferrées du Nord, quarante-cinq ouvrages 
d'art avaient été plus ou moins démolis ou endomma- 
gés. Les plus importants étaient les trois ponts de 
l'Oise, celui de l'Aisne, trois viaducs sur les lignes 
d'Hirson, le pont du canal Saint-Denis, les deux ponts 
de Daours et d'Aubigny sur la Somme ; le souterrain 
de Vierzy, près de Soissons; enfin, le viaduc de Saint- 
Benin. Deux gares- seulement^ celles du Bourget et de 
Landrecies, avaient été entièrement détruites; beau- 



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RÉSEAU DU NORD iH 



coup d'autres avaient plus ou moins souffert. Les unes, 
celles où Ton s'était battu, étaient criblées de balles 
et d'obus» et avaient subi des incendies partiels; dans 
d'autres , notamment à Soissons , on retrouvait des 
marques non moins sensibles et plus répugnantes du 
long séjour d'étrangers qui ne se gênent pas en pays 
conquis. Moins de dix-huit mois après, presque toutes 
les traces de ces dégâts étaient effacées. La Commune 
a fait des ruines qui ne disparaîtront pas si vite ; sans 
parler des ruines morales, les plus difficiles à réparer. 

Dès que l'armistice fut connu, on s'occupa de réta- 
blir la circulation au moyen d'ouvrages provisoires. 
Ces travaux furent conduits avec une rapidité presque 
fabuleuse, témoignage non équivoque de la cohésion, 
de la vitalité persistante d'une grande administration, 
tîinq jours après l'armistice, la Compagnie du Nord 
était en mesure de contribuer largement au ravitaille- 
ment de Paris. La ligne d'Amiens à Rouen rendit alors 
d'immenses services, et l'on dut s'estimer heureux 
qu'elle eût échappé à la destruction. Les Prussiens 
eux-mêmes ont vanté la manière dont fut opéré ce 
ravitaillement. 

L'historique de cette opération exigeait à lui seul 
une étude spéciale. Pendant toute la durée des négocia- 
tions, les Prussiens n'étaient visiblement préoccupés 
que d'une chose : la crainte qu'il n'entrât trop de vivres 
dans Paris ; que cette ville ne se trouvât à l'expiration 
dé l'armistice, suffisamment approvisionnée pour re- 
prendre la lutte. On craignait aussi que le ravitaille- 
ment n'épuisât les départements occupés, au préjudice 
de l'armée d'occupation. L'intérêt d'humanité fut donc 
impitoyablement subordonné à l'intérêt politique et 



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166 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

militaire ; on s'attacha à. ne laisser péMtrer àom Paris, 
au jour le jour, que strictement ce qu'il ffiUait pour 
que la population ne mourût pas de faim jusqu'à la 
paix. Telle est la seule explication ppssible, la seule 
vraie, des rigueurs de l'ennemi. 

On sait que l'accès des lignes de Boissons, de Ter- 
gnier, d'Arras, de Boulogne, demeurait interdit aux 
trains français de ravitaillement venant du Nord ; ils 
ne pouvaient circuler que de Dieppe à Paris, par 
Rouen, Amiens et Creil. On s'efforça d'agir pour le 
mieux, dans cette limite restreinte. Aussitôt qu'elle 
fut débloquée, l'administration centrale du Nord se 
hâta d'expédier dans cette direction tout le matériel 
vide disponible. Cinq machines et un grand nombre de 
wagons partirent de Paris dès le 1" février, sous la 
conduite de MM. Lafont et Sales, ingénieurs du Nord, 
et Bisson, l'un des principaux chefs de service de 
l'Ouest. Le même jour et les deux suivants, il fut ex- 
pédié sur Paris seize trains de ravitaillement, dont 
plusieurs, il est vrai, restèrent en détresse. En même 
temps, on faisait à Creil, auprès des autorités prus- 
siennes, des démarches pour obtenir d'établir un ser- 
vice de trains mixtes, spécialement destiné au trans- 
port des approvisionnements nombreux qui existaient 
encore dans le département de l'Oise. Ces démarches 
n'obtinrent aucun succès I J'ai vu, à la même époque, 
des habitants d'autres départements voisins de la ca- 
pitale, venus par terre avec des provisions pour leurs 
parents restés à Paris pendant le siège, repoussés im- 
pitoyablement à. toutes les issues, et s'en retournant 
désespérés (1-7 février). Et pourtant les Prussiens 
étaient bien informés, par leurs observateurs, de la dé- 



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RESEAU DU NORD 4«7 



trej3sé qui régnait dans Paris, où le rationnement fonc- 
tionnait encore» Ils savaient qu'avant le jour on voyait 
se former aux portes des boulangers des rassemble- 
ments de femmes, d'enfants affamés, qui, en s'en re- 
tournant, mordaient d'avance dans un pain encore 
presque aussi noir, aussi gluant que celui des derniers 
jours du siège I 

Cependant M. Tinspecteur Muel avait obtenu, à 
force de sollicitations, le passage par Tergnier et Com- 
piègne des trains de ravitaillement chargés dans le 
département du Nord. Des dispositions avaient été 
prises en conséquence le 5 février. Mais il paraît que 
dans l'intervalle il y avait eu contre-ordre , car ces 
trains furent arrêtés à Tergnier et forcés de rétrogra- 
der. Après de nouveaux et inutiles efforts auprès du 
sous-préfet (prussien) de Saint-Quentin, qui continuait 
de promettre et de ne pas tenir, M. Muel prit le parti 
de s'adresser directement à M. de Bismark, auquel il 
passa lui-même la dépêche pour plus de sûreté, et cette 
fois il réussit. 

Jusqu'à la conclusion de la paix, de nouvelles chi- 
canes, dont le détail nous entraînerait trop loin, ralen- 
tirent encore à diverses reprises l'expédition des 
trains de vivres, et occasionnèrent de nouveaux en- 
combrements. Les gares étaient bourrées de wagons 
chargés qu'il était impossible de faire partir, de den- 
rées qu'on ne pouvait charger faute de matériel. 
Dans la seule station de Lille, à la date du 4 mars, 
il n'y avait pas moins de 42 trains, d'ensemble 1,800 wa- 
gons pleins. Toutes les voies de garage étaient occu- 
pées; le matériel faisait absolument défaut pour les 
chargements ultérieurs de subsistances et pour les 



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iM CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

besoins locaux. Cet état de choses était dû unique- 
ment aux difficultés calculées qu'élevaient coup sur 
coup les autorités allemandes à rapproche du dénoû- 
ment, pour rester en mesure de réaffamer Paris de 
suite, si leurs prétentions exorbitantes déterminaient 
la rupture des négociations.... Comme nous Tavons 
dit ailleurs : « Nous avons beau nous promettre d'être 
impitoyables à l'heure de la revanche ! Nous pourrons 
les vaincre, nous ne saurons jamais exploiter comme 
eux la victoire (1). » 

Pendant toute la durée de l'occupation prussienne 
sur le réseau du Nord, le célèbre Glaser continua d'y 
parader en triomphateur, et d'y faire de temps à autre 
d'étranges actes d'autorité. A Chantilly, notamment^ il 
voulut séquestrer comme otage, pour la garantie de je 
ne sais quelle réquisition, le chef de la station revenu 
à son poste sur la foi des traités, et qui parvint heu- 
reusement à s'échapper. En parcourant les lignes, 
après la conclusion de l'armistice, les chefs de services 
du Nord eurent souvent l'ennui de retrouver tantôt à 
une gare, tantôt à une autre, Tex-inspecteur des 
disques Glaser, arpentant majestueusement le quai 
comme un pays conquis. Plus chamarré, plus gourmé 
que jamais, il ne manquait pourtant pas, quand il 
apercevait un de ses anciens supérieurs, de lui adres- 
ser le salut militaire, témoignage ironique de respect, 
qui dans cette situation semblait un nouvel outrage, 

(1) les français en Prusse, p. 304. 



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III 



UÉSEAU DE L'OUEST 



SOMMAIRE 

I. — (Septembre et Octobre) Translalion de l'administration 
à Argentan. — Interruption définitive des communications 
avec Paris. — Evénements à Mantes. — M. Mathieu, chef 
de gare à Garancières. 

IL — (Octobre) Progrès de l'invasion . — Événements à 
Dreux, etc. 

III. — (Octobre-Novembre) Occupation définitive de Dreux. 
— L'administration transférée à Granville. — Aspect lu- 
gubre de la gare du Mans. — Circulaire étrange du minis- 
tère de la guerre. 

IV. — (Novembre et Décembre) M. Drouard, chef de gare 
à Evreux. — Occupation de Rouen, évacuation des deux 
gares, etc. 

V. — (Décembre-Janvier) Evénements sur la rive gauche 
de la Seine. — Escarmouche à la gare de Serquigny. — 
Reconnaissances de M. Roger. — Nouvelles des gares de 
la banlieue de Paris. — M. Baumah 

10 



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170 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

VI. — T (Décembre- Janvier) Combats sur la rive gauche de la 
Seine. — Elbeuf entre deux feux. — Destruction du pont 
d'Orival. — Derniers événements sur les lignes de Nor- 
mandie. 

VII. — (Décembre-Janvier) Derniers événements sur la ligne 
de Bretagne. — Arrêté dictatorial du ministère de îa 
guerre. — Encombrement au Mans. — Marche des Alle- 
mands sur cette ville. — Télégrammes de M. Piquet pen- 
dant la bataille. — Evacuation difficile de la gare. — Acci- 
dent de Louverné. 

IX. — (Suite) Le délégué de la guerre et la Compagnie de 
rOuest. — L'odysaée bovine de la Défense Nationale; les 
fournisseurs Barthélémy et Ferrand. 

X, — (Février-Mars 1871) Concours apporté par la Compa- 
gnie au ravitaillement de Paris. — Les Prussiens à la 
gare de Rouen. — Pertes de la Compagnie pendant la 
guerre. 



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RESEAU DE L*OU£ST 171 



Dès le commencement de septembre 1870, il avait 
été décidé qu'en cas d'interruption complète des com- 
munications entre les départements et Paris, les trois 
services du mouvement général, du commerce et du 
contrôle deâ lignes de FOuest seraient réunis à Argen- 
tan, sous la direction de M. Protais, l'un des agents 
généraux du mouvement. Argentan avait obtenu la 
préférence à cause de sa position centrale, et aussi de 
la facilité de retraite vers la mer qu'offrait, en cas 
d'absolue nécessité, l'embranchement de Gran ville. 
Dans la prévision de complications inévitables et pro- 
chaines, on crut aussi devoir fractionner le service 
départemental. Aux quatre chefs du mouvement, 
MM. de Gombert, Piquet, Talleau et Banès, on adjoi- 
gnit MM. Roger et Serres, inspecteurs, le premier 
pour la ligne de Caen à partir de la bifurcation 
de Mantes jusqu'à Mézidon, les embranchements de 
Trouville et Honfleur, et celui de Serquigny à Rouen ; 
le second, pour la ligne de Gran ville et la section de 
celle du Mans à Mézidon, jusqu'à la bifurcation de 
Surdon. Un autre inspecteur, M. Lesaulnier, fut chargé 
spécialement des transports du camp de Conlie, sur 



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17Î CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

lequel on fondait alors des espérances qui devaient 
avorter misérablement, grâce au mauvais vouloir des 
dictateurs révolutionnaires. 

On organisa avec soin des reconnaissances par ma- 
chines sur les sections menacées. L'une des premières 
et des plus hardies fut exécutée le 19 septembre, au 
moment même où s'achevait Tinvestissement de Paris. 
Depuis la veille, les trains de la ligne de Granville ne 
dépassaient plus Dreux. De cette gare, M. Serres s'a- 
vança encore, malgré le bruit de plus en plus distinct 
du canon, jusqu'à celle de Villiers-Neauphle (40 kil. 
de Paris), où des uhlans avaient déjà paru. Il n'eut 
que le temps de recueillir le personnel et le matériel 
de la section (1). 

Le mouvement d'émigration augmentait d'heure en 
heure sur les parties encore libres du réseau. Les em- 
barras se compliquaient encore aux points principaux 
de bifurcation, comme Rouen, Serquigny, Mézidon, où 
le courant des fugitifs rencontrait le courant trans- 
versal des trains de troupes, épaves de Sedan, que la 
ligne du Nord déversait d'Amiens sur Rouen, d'où ces 
ces soldats étaient acheminés sur Serquigny, Mézidon 

(1) Le chef de la station de Versailles-Chantiers (mort depuis) 
avait complète ment perdu la tête. Il s^était sauvé, abandonnant 
un certain nombre de wagons dont les Prussiens, attentifs àti- 
rer parti de tout, firent longtemps usage pour transporter des 
approvisionnements sur la voie ferrée de Rambouillet à Ver- 
sailles. Il n'avait pas même eu la précaution de démonter son 
télégraphe, encore en communication avec Paris. Aussi, l'on 
ne fut pas peu surpris, à la gare Saint-Lazare, en recevant, 
dans la soirée du 18, un télégramme en style franco-tudesque, 
qui invitait facétieusement la Compagnie de TOuest à repren- 
dre le service sur Versailles. 



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RESEAU DE L'OUEST 173 

et le Mans. M. Moser, inspecteur, télégraphiait de 
Rouen, le 17: « Nos difficultés sont grandes. Personne 
ne sait ici à l'avance ce qu'il va faire. » Les plus grandes 
difficultés provenaient en effet, non pas tant de la sur- 
ckarge du travail que de son irrégularité, et notamment 
des fl.uctuations incessantes de Tautorité militaire. 
Le 18 septembre, quelques trains avaient encore pu 
s'évader de Paris à travers la fusillade de Clamart, et 
le 19 au matin, M. Protais croyait que la communica- 
tion subsistait encore. Il fut détrompé par un dernier 
télégramme de son collègue Bisson, resté à Paris. 
Celui-ci annonçait que la rupture avec Paris était 
consommée, et transmettait à M. Protais Tordre 
de prendre la direction. A cette date, les fils étaient 
rompus, les appareils enlevés ou détraqués de toutes 
parts. Nous n'avons pu retrouver Titinéraire de 
cette communication dernière , transmise probable- 
ment par un employé de la banlieue, qui aura, au péril 
tie sa vie, rattaché un fil, remonté son appareil entre 
deux visites de T ennemi. Combien d'actes de coura- 
geux dévouement passent inaperçus dans les grandes 
catastrophes ! 

Pendant les derniers jours de septembre, la bifurca- 
tion de Mantes eut à subir bien des péripéties. Cette 
ville fut occupée une première fois, le 22 septembre, 
par une avant-garde. A tort ou à raison, les Prussiens 
attribuaient aux employés du chemin de fer quelques 
coups de feu tirés la veille sur des éclaireurs ; cela leur 
suffit pour saccager les deux gares. En arrivant à 
celle de bifurcation, ils firent une décharge qui blessa 
grièvement Taiguilleur Duwicquet. Trois autres em- 
ployés furent emmenés comme otages, et pendant plu- 

10. 



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174 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

sieurs jours on les crut morts. Aux premiers coups 
de canon, la ville, abandonnée à elle-même, avait dû 
capituler. Le sous-préfet, que les hommes du 4 septem- 
bre avaient envoyé là pour faire son petit pacte avec 
la mort, s'était « replié à pied », longtemps d'avance 
et au pas accéléré, en suivant la voie ferrée. On le re- 
trouva plus mort que vif, blotti dans la maisonnette 
d'un cantonnier. Mantes fut réoccupé lo 24 par les ti- 
railleurs Mocquart, mais, après divers incidents étran- 
gers à l'objet spécial de ce livre, cette ville fut aban- 
donnée de nouveau le premier octobre au matin. Moins 
de trois heures après, les Allemands y arrivaient de 
toutes parts au nombre d'environ 4,000, infanterie, ca- 
valerie (brigade Bredow) et artillerie. Les habitants 
étaient loin de s'attendre à un revirement si prompt. 
Le sous-inspecteur Bouillon, qui arrivait pour réta- 
blir le service, parvint à sauver le télégraphe, qu'on 
venait précisément de réinstaller, et s'échappa en- 
suite à travers champs, malgré le cordon d'envahisse- 
ment que l'ennemi avait formé suivant son habitude. Cet 
agent, homme énergique et actif, a été décoré des 
premiers après la guerre. Sa correspondance con- 
tient des détails curieux sur la situation morale du pays. 
Malgré les progrès journaliers de l'invasion, les pre- 
neurs du 4 septembre soutenaient que les Prussiens 
étaient constamment battus, qu'il n'en pouvait être au- 
trement depuis l'avènement de la République, et regar- 
daient de travers ceux qui se permettaient d'en douter. 
Dans le département d'Eure-et-Loir, la station de Ga- 
rancières-la-Queue, située à 49 kilomètres de Paris, sur 
la ligne de Gran ville, resta tête de ligne jusqu'au 29 sep- 
tembre. Le chef de cette station, nommé Mathieu, 



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RESBAU DE L*OUE$T 17ft 

père de neuf enfants, faisait avec zèle Toffice dange- 
reux d'éclaireur. Chaque jour il montait sur une loco- 
motive, et poussait des reconnaissances dans la direc- 
tion de Paris, jusque sous le feu des vedettes enne- 
mies, n fut enfin obligé de se replier sur Dreux. Trois 
semaines après, cette ville était envahie à son tour» 
Mathieu y fut reconnu par les Prussiens, arrêté et con- 
damné à mort pour avoir trop bien fait son devoir. 
L'autorité municipale obtint, non sans peine, un contre- 
ordre qui faillit arriver trop tard. Ce brave homme, 
sauvé cette fois, ne devait pas avoir le bonheur (si c'en 
est un), de survivre à cette fatale guerre. 



II 



Pendant tout le mois d'octobre, les stations télégra- 
phiques faisant tête de ligne, du côté de l'invasion, 
signalèrent incessamment des escarmouobes, des alertes 
plus ou moins fondées, dans les départements de l'Eure 
et de l'Eure-et-Loir, notamment à Dreux, à Chartres, 
à Evreux. 

Dreux, où l'on teinta deux fois de se défendre, eut à 
subir pendant six semaines bien des péripéties. Le 9 et 
le 10, des mobiles de l'Orne et des gardes nationaux 
sédentaires de Dreux et d'autres localités voisines, 
accourus au bruit du tocsin, escarmouchèrent contre 
une colonie ennemie qui venait par Houdan. Dans la 
nuit du 10 au 11, Chartres reçut de M, Richard, chef de 



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176 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

gare à Dreux, ce fâcheux télégramme : « Troupes se 
replient, la ville se rend. » Les bases d'une capitula- 
tion venaient d'être arrêtées en effet, quand survinrent 
des renforts français. Les Prussiens rétrogradèrent, et 
les démocrates se déchaînèrent contre l'autorité muni- 
cipale, qui avait traité de la reddition, quand on n'es- 
pérait plus de secours. L'un de ses détracteurs les plus 
acharnés était le sous-préfet gambettiste, qui préten- 
dait et s'imaginait peut-être avoir fait des prodiges. 
Il fit arrêter et détenir illégalement pendant plusieurs 
jours le maire, M. Batardon, et trois de ses collègues, 
dont tout le tort était de ne pas dater du 4 septembre. 
Il était d'autant plus mal fondé dans ses récrimi- 
nations, que lui-même avait télégraphié dans la nuit à 
M. Serres qu'il eut à expédier de Laigle sur Nonan- 
court assez de matériel pour enlever « les 2,177 hom- 
mes de troupes qui évacuaient Dreux. » Cette démar- 
che impliquait, de la façon la moins équivoque, 
l'assentiment et lé concours de son auteur à la reddi- 
tion (1). 

La prise d'Orléans (11 octobre), amena de nouvelles 
et plus profondes perturbations sur le réseau de l'Ouest- 
Bretagne. La ville de Chartres, débordée et abandonnée 
à elle-même, se rendit le 21 sans coup férir. Depuis 
la veille, tout service avait cessé sur la section entière 
du Mans à Chartres. Les éclaireurs ennemis étaient 
venus jusqu'à la gare de Connerré, qui n'est qu'à24kilo- 



(1) M. Batardon et ses collègues n'avaient pu obtenir du 
gouvernement de M. Thiers la réparation à laquelle ils avaient 
droit. Elle ne leur a été accordée que le 19 août 1873, par 
une note du Journal offideL 



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RESEAU DE UOUEST 177 

mètres du Mans. Sur la ligne de Granville, on dut sup- 
primer, le 22, tout service sur la section de Laigle à 
Dreux. Cette ville était menacée par la division d'in- 
fanterie de Wittich, qui venait de saccager Château- 
dun et d'occuper Chartres. Dreux possédait alors deux 
canons, ayant chacun sept coups à tirer ! Le 23 au matin, 
le chef de gare télégraphiait : « Prussiens entrent, je 
démonte appareil. » Ce n'était encore qu'une fausse 
alerte. Quelques instants après , les habitants se 
croyaient sauvés en voyant arriver plusieurs milliers 
d'hommes, mobiles, franc-tireurs, marins, commandés 
par M. du Temple, capitaine de frégate. Mais de 
bonne heure, le lendemain, l'inspecteur Serres annon- 
çait un nouveau revirement. Pendant toute la journée 
on se battit autour de Dreux, menacé de trois côtés à 
la fois par des forces supérieures. Dans la nuit suivante, 
les troupes françaises se retirèrent par la route d'Evreux, 
la seule qui fût encore libre. Quelques heures après 
l'ennemi parut; 2,000 hommes s'installèrent à la gare 
avec une vingtaine de canons. Le chef de gare Ri- 
chard, qui aurait voulu rester en observation à son poste, 
fut menacé d'arrestation et eut bien de la peine à s'é- 
chapper. 

Le 26, les Allemands s'avancèrent du côté de Nonan- 
court jusqu'à Saint-Germain (Saint-Remy-sur-Àvre), 
et y coupèrent la voie ferrée, ce qui dénotait l'inten- 
tion de se mettre sur la défensive. En effet, ils ne tar- 
dèrent pas à se replier sur Chartres, et Dreux resta 
livré au va-et-vient alternatif des patrouilles fran- 
çaises et prussiennes. Il en était de même sur les 
plateaux du Vexin normand, dans la vallée de la Seine, 
dans celles de l'Eure et de l'Avre. Cette situation rappe- 



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178 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

lait celle des borders pendant les longues guerres entre 
l'Angleterre et l'Ecosse. Les populations, vivant au 
milieu d'alertes incessantes, accueillaient avec une 
égale facilité les nouvelles les plus contradictoires et 
les plus absurdes. Ainsi, quelques jours après l'occu- 
pation de Gournay et de Gisors (4-9 octobre), une co- 
lonne mobile prussienne ayant fait une pointe du 
côté de Rouen, jusqu'à Saussay et Écouis, pour couper 
le chemin de fer départemental de Pont- de-l' Arche, 
cette opération, purement défensive, répandit au loin 
la terreur. Rouen se crut menacé par toute une armée, 
et pendant plusieurs heures « se tint prêt à tout événe- 
ment. » Les uns se préparaient à la défense ; d'autres, 
et des plus zélés démocrates, à se replier sur le Havre. 
On expédia en toute hâte des renforts dans la vallée 
d'Andelle, et quand on apprit que l'ennemi s'était 
immédiatement replié sur Gisors, on passa tout à coup 
de l'épouvante à V enthousiasme, (Télég. de M. Banès, 
14 et 15 oct.) 

De même, aprèsle combat de Villegast (22 octobre), un 
de nos trop rares succès, le préfet de l'Eure, un citoyen 
Fléau ^ dont les réactionnaires s'obstinaient à écrire le 
nom avec un accent aigu, malgré ses protestations, fai- 
sait placarder que les Prussiens de Mantes étaient 
absolument démoralisés, « qu'ils ne cherchaient les 
troupes françaises que pour se rendre ; » etc. 

Une cruelle exécution eut lieu le 31 octobre à Bréval, 
première station de la ligne d'Êvreux après la bifurca- 
tion de Mantes, pour venger quelques cavaliers qui, la 
veille, avaient donné là dans une embuscade. Le village 
fut bombardé deux jours de suite; la gare et une tren- 



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RESEAU DE L'OUEST 479 

taiue de maisons furent incendiées; le curé et d'autres 
notables emmenés comme otages. 



m 



Au commencement de novembre, le service de l'Ouest 
s'arrêtait : sur la ligne de Rouen, à Gaillon (94 kil. de 
Paris), sur celle de Gran ville, à Bourth, première sta- 
tion au delà de Laigle (127 kil.); sur celle de Bretagne 
à Nogent (149 kil.). En ajoutant à ces chiffres les 
50 kilomètres d'Évreux à Mantes, la ligne entière de 
Gisors et celle de la banlieue, on trouve que l'invasion 
avait déjà enlevé à ce réseau au delà de 600 kilo- 
mètres. 

On espérait cependant reprendre bientôt le service 
jusqu'à Dreux. Le chef de cette station était revenu à son 
poste aussitôt après le départ de l'ennemi, et y tenait 
bon, malgré les visites continuelles de patrouilles alle- 
mandes. Le 11 novembre, une douzaine de cuirassiers 
blancs furent surpris par des francs-tireurs embusqués 
dans la gare même de Dreux. Dix de ces cavaliers furent 
tués, un fait prisonnier, un seul parvint à s'échapper. 
D'après la jurisprudence connue des Allemands, il y 
avait là de quoi faire brûler le lendemain la gare et 
même la ville. Heureusement Dreux fut occupé le jour 
même par une forte avant-garde française. Ce revi- 
rement offensif coïncidait avec les premiers succès de 
l'armée de la Loire. Le commandant du Temple deman- 



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180 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

dait, le 13 novembre, le rétablissement du service du 
chemin de fer. Cependant il entrevoyait déjà, le 
16, que sa tâche serait plus difficile qu'il n'avait 
pensé, et demandait deux ou trois jours de délai, avant 
de a répondre de la situation. » Les éclaireurs ennemis 
avaient reparu à une lieue de Dreux, du côté de 
Chartres. D'autre part, on signalait dans la soirée au 
commandant français la présence d'une colonne ennemie 
de 3,000 hommes à Nogent-le-Roi. // n'y croyait pas 
beaucoup, et il avait tort. Toute la quinzième division 
prussienne, commandée par le duc de Mecklembourg, 
manœuvrait contre cette avant -garde française. Le 
lendemain 17, elle fut assaillie de plusieurs côtés à la 
fois, et rejetée sur Nonancourt. 

L'arrivée des Prussiens à cette gare fut marquée par 
un acte de barbarie dont il importe de conserver le 
souvenir. Notre retraite, qui s'opérait sur la voie ferrée, 
était couverte par un bataillon de marins. Parvenus 
à un bouquet de bois près de la gare, quelques hom- 
mes de cette arrière-garde envoyèrent une décharge 
très -meurtrière à l'ennemi qui arrivait sans précaution, 
croyant le combat fini. Les Prussiens , attribuant cette 
surprise aux employés du chemin de fer, saccagèrent 
la gare et la brûlèrent en partie. Quatre employés res- 
tés à leur poste furent arrêtés, et les soldats qui les 
emmenèrent firent sur eux une décharge qui tua 
l'homme d'équipe Meulières et blessa grièvement le 
conducteur Dano. Les deux autres avaient eu la pré- 
sence d'esprit de se jeter à terre, et s'échappèrent par 
des ruelles où les meurtriers perdirent heureusement 
leur trace. 

Les troupes françaises rétrogradèrent jusque sur 



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RESEAU DE L'OUEST «8i 

riton, suivies de près par la cavalerie ennemie. Il 
fallut abandonner Tembranchement de Laigle à Con- 
ches , et préparer Tévacuation de Laigle, l'autorité 
militaire renonçant à défendre la ligne de Tlton. 

Pendant que la 15® division prussienne avançait ainsi 
dans la direction de Granville, la 17* en faisait autant 
sur la grande communication d'Ouest-Bretagne. Ce 
double mouvement semblait présager une attaque com- 
binée contre l'embranchement du Mans à Mézidon, la 
seule communication stratégique encore intacte qui 
restât entre le nord et le midi de la France. Dans la 
prévision de cette attaque, le représentant de F Ouest 
transféra, le 22, le siège central de la Compagnie d'Ax- 
g€fntan à Granville. M. Montouan, inspecteur de la 
traction, chargé du service des locomotives sur les 
lignes de Granville et de Mézidon, rendit dans cette 
circonstance des services exceptionnels. On lui dut le 
sauvetage du matériel de guerre, successivement re- 
foulé de gare en gare, dans ce mouvement général de 
retraite. 

Le 20 novembre, M. Talon, sous-inspecteur, chargé 
de faire évacuer les stations de la ligne du Mans à 
l'approche de l'ennemi, était à Nogent, et y demandait 
des nouvelles au préfet fugitif d'Eure-et-Loir. Celui-ci 
répondait : « qu'il ne savait rien, Tautorité militaire 
mettant un soin tout particulier à ne lui rien dire ; qu'il 
s'en plaindrait à son ami Gambetta! » Le lendemain, la 
situation se dessinait de la manière la plus fâcheuse, 
et le préfet se repliait. « Toute sa crainte, dit un 
témoin, était de ne pas partir assez vite. » Vers trois 
heures, le chef de la gare de Condé-sur-Iton télégra- 
phiait que les troupes battaient précipitamment en 

11 



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^ 182 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

retraite sur le chemin de fer, poursuivies par Tennemi. 
Moins d'une heure après, elles traversèrent Nogent 
en grand désordre. A cinq heures, les premiers uhlans 
étaient signalés à 3 kilomètres de la ville, qui, toute- 
fois, ne fut occupée que le lendemain. L'ennemi s'em- 
para d'une assez grande quantité de matériel de guerre 
qui n'était arrivé en gare qu'après le départ du dernier 
train. Cet incident donna lieu à une dénonciation 
violente contre le chef de cette station, M. Toussaint. 
Mais cet agent fut pleinement justifié par l'enquête; 
elle prouva qu'il avait employé jusqu'au dernier vragon 
disponible du dernier train, et chargé même des objets 
militaires au préjudice de son propre mobilier, qui fut 
pillé par l'ennemi. 

La poursuite avait continué sur la voie ferrée jusqu'à 
la station de Connerré. En même temps, d'autres trou- 
pes de la même division prussienne, détachées sur 
l'ancienne route de Paris à Alençon, s'avancèrent jus- 
qu'à Mamers. Il y eut alors, dans les départements de 
l'Orne et de la Sarthe, un accès redoublé d'encom- 
brement, d'efiarement, court, mais terrible. Bu 18 
au 23 novembre, le Mans, Alençon s'attendaient à être 
envahis d'un moment à l'autre. 

La gare du Mans, surtout, offrait un aspect lugubre 
dans la nuit du 22 au 23, Les employés déména- 
geaient à la hâte; les quais, la voie même étaient 
jonchés de mobilisés débarquant de Conlie, armés 
de mauvais fusils à piston, la plupart sans sacs ni cou- 
vertures, épuisés de faim et de fatigue, grelottant sous 
leurs légers vêtements trempés. Les salles d'attente, 
transformées en ambulances, étaient encombrées de 
malades et de blessés. Un grand nombre de ces mal- 



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RÉSEAU DE L'OUEST i«3 

heureux étaient enveloppés de manteaux noirs, sur les- 
quels la lueur du gaz faisait ressortir des faces livides. 
C'était un spectacle douloureux, sinistre, à désespérer 
de la France, si Ton n'eût aperçu çà et là, pareilles à 
des anges consolateurs, au-dessus de toute fatigue 
comme de toute crainte, nos héroïques sœurs de Cha- 
rité... 

Toutefois, M. Gambetta lui-même était alors au Mans, 
et sa présence rassurait quelque peu les gens au fait 
de ses allures en temps de crise. Ils se disaient que 
le danger ne pouvait être aussi pressant, puisque 
le fougueux dictateur était encore là. C'était du Mans 
qu'il télégraphiait à M. de Kératry : « Venez^ nous 
nous battrons ensemble. » 

Cependant le capitaine de vaisseau Jaurès s'efforçait 
d'organiser un corps d'armée, dans lequel devaient 
figurer les troupes refoulées de Nonancourt. Elles 
furent embarquées à la station du Merlerault (ligne de 
Granville), d'où on les fit redescendre vers le Mans, 
par la bifurcation de Surdon , Sées et Alençon. Ce 
transport, d'environ 13,000 hommes, fut conduit avec une 
activité remarquable par MM. Serres et Piquet, non tou- 
tefois sans de vives appréhensions, carie trajet n'était 
rien moins que sûr au moment où les ordres leur parvin- 
rent. Heureusement, tandis que ce transport s'exécu- 
tait, la petite armée du duc de Mecklembourg recevait 
l'ordre de se rabattre immédiatement de l'ouest vers 
le sud, en conversant à gauche, pour concourir aux 
opérations contre l'armée de la Loire. Pendant cette 
crise, les difficultés de la situation étaient aggravées 
encore par les prescriptions absurdes de la Délégation 
de Tours, décidant de tout, tranchant sur tout, avec 



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184 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

une témérité qui n'avait d'égale que son ignorance. 
Ainsi, au moment où les représentants de la Compa- 
gnie pouvaient à peine suffire au transport des troupes 
destinées à former le corps de Jaurès ; où, dans une 
seule journée, celle du 24 novembre, il avait fallu 
faire dix-sept trains extraordinaires sur une ligne à 
voie unique, la Délégation intervenait pour exiger im- 
périeusement renvoi immédiat, d'abord sur le Havre, 
puis sur Cherbourg, d'une énorme quantité de matériel 
vide, destiné à charger des denrées pour Paris. 

A cette même date se rapporte une étrange dépêche 
adressée de Tours, le 23 novembre, au représentant 
de l'Ouest par le délégué de la guerre. Il avait fait 
examiner les tableaux graphiques du réseau de l'Ouest. 
Ony avait remarqué que les voyageurs passant d'une ligne 
à une autre étaient souvent obligés d'attendre auxpoints 
de bifurcation ; il fallait faire en sorte de supprimer tous 
ces arrêts. On avait également remarqué que les voya- 
geurs arrivant à Rouen par la ligne d'Amiens (Nord) 
étaient forcés de traverser la ville pour aller d'une gare 
à l'auk'e. Il importait, dans l'intérêt des communica- 
tions entre le Nord et le Midi, que cet inconvénient 
fût supprimé, et que toute la correspondance entre la 
ligne du Nord et celle de l'Ouest pût s'effectuer sans 
rompre charge à la gare de la rue Verte. (Rouen, r. d.) 
Il n'y avait pas un mot dans tout cela qui ne fût mar- 
qué au coin de l'ignorance la plus complète de la pra- 
tique du service et de la topographie. La gare du Nord 
est à une grande distance et fortement en contre-bas 
de celle de la rue Verte, et il n'existe encore, entre la 
ligne du Nord et celle de l'Ouest, d'autre communication 
que l'embranchement à vote unique^ de Montérallier à 



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RESEAU DE L'OUEST 185 



Clères (ligne de Dieppe), qui aboutit à 25 kilomètres 
au delà de Rouen. Cet embranchement n'était et ne 
pouvait être utilisé que comme moyen accessoire de 
dégagement, et non sans danger encore, comme le dé- 
montrait trop bien le cruel accident arrivé quelques 
semaines auparavant à la station de Critot (1). Dans 
cette situation, on comprend quels détours, quelle perte 
de temps, quels sinistres il aurait fallu subir, pour réa- 
liser ridée de M. le délégué de la guerre, celle d'ar 
mener, sans rompre charge , à la gare de la rue 
Verte, tous les trains d'Amiens. Bien entendu, il ne fut 
tenu aucun compte de ces singulières instructions, et 
Ton fut dispensé de toute explication par les graves 
événements qui se produisirent bientôt sur cette partie 
du réseau. 



W 



Tandis qu'Alençon et le Mans étaient menacés, 
Evreux essuyait une alerte non moins vive, quoique 
moins fondée. Ce chef-lieu d'un département en partie 
envahi n'était gardé, le 19 novembre, que par dix gen- 
darmes, quatre chasseurs et quelques mobiles conva- 
lescents, et il y avait en gare un grand convoi de mu- 
nitions. M. Drouard, chef de gare, était allé à la divi- 

(1) V., sur cet accident, /îë^eaM duNord^ p. 133, 134. 



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18« CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

sion demander des nouvelles, et venait de recevoir du 
général lui-même Tassurance « qu'il n'y avait rien à 
craindre. » En retournant à son poste, il rencontra les 
uhlans. 

Ils arrivaient par les hauteurs qui dominent la gare 
et la ville, mais M. Brouard discerna qu'ils étaient peu 
nombreux. Il se mit en défense avec ses employés et 
quelques gardes nationaux, et accueillit par une fusillade 
les Allemands qui descendaient vers la gare. Deux em^ 
ployés subalternes, le mécanicien Ribot et le chauffeur 
Malandin, se signalèrent particulièrement par l'énergie 
de leur attitude. Déconcertés par cette résistance, les 
assaillants, qui étaient à peine 200 en réalité, avec 
deux mauvais canons, se retirèrent, envoyant en ma- 
nière d'adieu quelques obus sur la ville. Pendant ce 
temps, le général s'en allait, après avoir déclaré au 
maire, pour Tencourager, qu'il n'avait à compter sur 
aucun secours. Il s'était imaginé tout à coup que les 
détachements postés dans les vallées de l'Eure et de la 
Seine allaient être tournés , et leur avait envoyé 
l'ordre d'évacuer immédiatement leurs positions ! 

On s'attendait à voir l'ennemi reparaître en force le 
lendemain, et faire payer cher, suivant sa coutume, la 
résistance de la veille. M. Roger, chef du mouvement, 
arrivé à Evreux de grand matin pour surveiller l'éva- 
cuation de la gare, trouva : « le général parti, le préfet 
« malade, personne en état de donner des renseigne- 
« ments certains ou d'agir. » Cependant cette journée 
et la suivante se passèrent sans accident, et les habi- 
tants reprirent tout à fait confiance en voyant arriver 
le 22, par le chemin de fer, le deuxième bataillon de 
marche, composé des débris du 41® et du 94« de ligne 



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RESEAU DE L*OUEST 187 

que venait 4'organiseràRouenunofâcier d'un véritable 
mérite, M. Rousset (1). Cette réoccupation du chef-lieu 
coïncidait avec un revirement offensif dans la vallée 
de la Seine. Ramenés par un convoi de nuit jusqu'au- 
près de Vernon, les mobiles de TArdèche repoussèrent 
victorieusement de cette ville un détachement prussien 
assez considérable. 

L'attitude de quelques hommes de cœur avait seule 
préservé Evreuxde se rendre honteusement à une poi- 
gnée d'hommes isolés. Le chef de gare, qui avait pris 
rinitiative de la résistance et sauvé son convoi, a été 
décoré l'un des premiers après la guerre. 

Mais bientôt une nouvelle catastrophe, prévue de 
longue main par tous les hommes sensés, Poccupalion 
de Rouen, allait forcer la Compagnie de l'Ouest d'a- 
bandonner la plus grande partie du réseau normand. 
Nous avons longuement parlé ailleurs de cet événe- 
ment, nous ne reviendrons ici que sur les détails qui 
concernent particulièrement les chemins de fer (2). 

Pendant la marche de Manteuffel sur Rouen, tout le 
matériel des chemins de fer de l'Ouest était mis en ré- 
quisition pour porter les troupes de Rouen sur Paris, 
conformément aux ordres formels et itératifs de 
M. Gambetta, qui répondait aux avis, aux instances des 
Rouennais « que les Prussiens avaient autre chose à 



(1) C'est ce même bataillon, qui, transporté quelques jours 
après dans le Vexin, eut la principale part au succès du com- 
bat nocturne d'Etrépagny. 

(2) Voir, sur la prise de Rouen, la Guerre dam l'Ouest, 
par M. Rolin, et nos Souvenirs de r Invasion en Normandie. 
Voir aussi, dans ce volume, l'article Réseau du Nord* 



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188 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

faire que de venir se promener en Normandie (1). » 
Les réquisitions étaient alors si pressantes, si multi- 
pliées, que les chefs du mouvement de Rouen et Ser- 
quigny n'avaient pas le temps de faire des rapports. 
Nous remarquons pourtant que le chef de Rouen, 
M. Banès (décoré depuis pour services de guerre), 
comprenait bien la situation dès le 30 novembre , Il 
annonçait à la fois le succès malheureusement inutile 
d'Etrépagny, et l'arrivée à Poix d'une forte avant-garde 
prussienne se dirigeant vers Rouen. Mais il fallait obéir 
aux injonctions de l'autorité militaire, à celles-là même 
qui semblaient tout à fait incompréhensibles. Le 1®' et 
le 2 décembre, nous voyons M. Roger occupé à faire 
transporter plusieurs milliers de mobilisés et du ma- 
tériel de guerre de Serquigny, Lisieux, Brionne, sur 
Conches et Évreux, encore en vue du mouvement vers 
Paris ! Toute la nuit du 2 au 3 est employée à expé- 
dier de Serquigny d'autre matériel réclamé d'urgence 
pour Rouen. Le lendemain, nouvelle demande d'un 
nombre de véhicules suffisant pour transporter 4,000 
hommes. M. Roger n'en avait pas le quart disponible; 
son collègue de Caen, M. Talleau, était également à 
bout de ressources. Ils ne pouvaient obtenir de rensei- 
gnements du général commandant à Rouen sur la des- 
tination ultérieure de tous ces transports, ni sur quoi 
que ce fût. Comment, en effet, l'autorité militaire au- 
rait-elle pu indiquer ce qu'elle ignorait encore elle- 
même, alors que, d'une part, les ordres de concentra- 

(1) Ce n'était pas une simple invitation^ comme Ta pré- 
tendu M. de Freycinet dans son livre (la guerre en province), 
mais bien une injonction absolue, réitérée plusieurs fois par 
jour, du 30 novembre au 3 décembre. 



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RESEAU DE KOUEST 189 



tion et de marche sur Paris étaient encore maintenus» 
et que, de l'autre, les têtes de colonnes prussiennes 
n'étaient plus qu'à quelques lieues de Rouen! Mais, 
quelques heures après, le délégué de la Compagnie 
fut renseigné catégoriquement par un télégramme de 
M. Banès. « Rouen étant très-gravement menacé^ celui-ci 
se mettait en mesure d'évacuer le matériel de la rive 
droite sur le Havre, celui de la rive gauche sur Ser- 
quigny. » 

Les agents du chemin de fer avaient secondé de 
leur mieux les dernières tentatives de résistance. Au- 
cun accident n'eut lieu, malgré la complication des ma- 
nœuvres, la multiplicité des embarquements et des 
débarquements, la cohue des émigrants, dont l'af- 
fluence augmentait d'heure en heure. L'encombre- 
ment fut surtout extrême dans la soirée du 4, aux 
deux derniers trains qui purent partir pour Dieppe 
et le Havre, et il s'en fallut de bien peu que celui 
de Dieppe ne fût intercepté. Quand il atteignit le 
pont d'Étaimpuis, les Prussiens y étaient déjà; ils 
coupaient les fils télégraphiques, mais n'avaient 
pas eu le temps d'enlever les rails. Le train ayant 
poursuivi sa route malgré leurs injonctions mena- 
çantes, ils dirigèrent contre lui une fusillade qui 
atteignit le conducteur Wallet. On ne s'en aperçut qu'à 
Dieppe même, où l'on trouva ce malheureux, victime 
de son devoir, ployé en deux dans sa guérite, les deux 
tempes traversées d'une balle. La mort avait dû être 
instantanée. La ligne de Dieppe avait été coupée quel- 
ques instants après le passage de ce dernier train. 
Celle du Havre le fut quelques heures plus tard. 

L'évacuation des gares de Rouen, n'ayant été or- 



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190 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

donnée qu'à la dernière extrémité, se trouvait forcé- 
ment scindée en deux opérations distinctes. Celle de 
la rue Verte (rive droite) fut dirigée par M. Banès 
lui-même, qui ramena et mit en sûreté au Havre 
265 wagons et 15 machines (1). L'évacuation plus con- 
sidérable des gares de Saint-Sever et de Sotteville avait 
été confiée à M. Tinspecteur Moser, et lui fit beaucoup 
d'honneur. Elle ne commença que le 5, vers quatre 
heures du matin. Comme le service de la petite 
vitesse était déjà supprimé depuis plusieurs jours, 
les deux gares étaient bourrées de colis de toute es- 
pèce. On dut, en quelques heures, former et faire 
partir quarante trains, d'ensemble 1664 véhicules, qui 
furent dirigés par Oissel sur Serquigny. Toutes les 
voies de cette bifurcation étaient alors occupées par le 
matériel de grande vitesse qu'on préparait pour rame- 
ner sur Bernay etLisieux les 6,000 mobilisés qui se trou- 
vaient à Évreux. 11 fallut refouler le matériel rouen- 
nais sur la ligne de Caen, jusque sur les sections 
les plus éloignées des lignes de Granville et Rennes. 
Le général Briand, qui se retirait de Rouen sur Hon- 
fleur,avaitaussidemandéàSerquignydumatériel.Ilpen- 
sait à faire embarquer ses troupes à Pont-Audemer, sur 
le chemin de fer départemental qui rejoint àGlosla ligne 
de Serquigny, pour les reporter de là sur Honfleur par 
Bernay. Indépendamment des difficultés que présen- 
taient l'acheminement d'un matériel aussi considérable 



(1) Une certaine quantité de matériel et quelques machines 
acculées à Dieppe, tombèrent entre les mains des Prussiens,' 
qui occupèrent cette ville le 9. Mais on avait eu le temps 
d'enlever et d'expédier en Angleterre les bielles des locomotives. 



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RESEAU DE L'OUEST 191 

et rembarquement de 20,000 hommes sur la ligne à 
voie unique de Pont^Audemer à Glos, ce singulier iti- 
néraire faisait décrire aux troupes une courbé de 
104 kilomètres pour aller de Pont-Audemer à Ron- 
fleur, tandis qu'il n'y en a que 23 entre ces deux loca- 
lités par la route de terre. Il avait, de plus, le grave 
inconvénient de faire rebrousser chemin aux soldats 
pendant une partie notable du parcours, dans la direc- 
tion de l'ennemi, qui s'avançait à grands pas. Ce pro- 
jet fut heureusement abandonné, grâce aux représen- 
tations des agents de la Compagnie. L'embarquement 
de ces 25,000 hommes à Honfleur pour le Havre fut 
effectué avec une rapidité extrême, grâce à l'ingénieur 
des ponts et chaussées, M. Arnoux, qui déploya dans 
cette opération difficile un zèle et une habileté remar- 
quables. 

L'évacuation de Rouen (r. g.) et de Sotteville ne fut 
terminée que le 6 au soir, et sans aucun accident, bien 
que les abords de la gare Saint-Sever fussent envahis 
depuis la veille, et que lee éclaireurs prussiens eussent 
déjà dépassé la bifurcation d'Oissel. Ils rôdaient dans la 
forêt de la Londe et le parc d'Orival, au moment où le 
dernier train d'évacuation se trouvait encore sur le 
port. A l'aspect des casques pointus, les mécaniciens 
eflfrayés dételèrent la locomotive et s'enfuirent, aban- 
donnant ce train, composé de 67 wagons. M. Moser, ac- 
compagné de deux auxiliaires énergiques, le mécani- 
cien Josset et le chauffeur Guilbert, revint enlever ces 
derniers véhicules en présence des uhlans ébahis (1). 

(1) Josset et Gailbert méritent d'être particulièrement 
signalés, pour leur dévouement à toute épreuve pendant la 



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192 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Toutes les gares des lignes d'Évreux à Serquigny 
et de Rouen à Vernon avaient été pareillement éva- 
cuées dans la journée du 5 et la nuit suivante. Il était 
temps, car le lendemain les Prussiens inondaient toute 
la presqu'île ou boucle de la Seine. Une avant- garde 
se saisit tout d'abord de Grand-Couronne. Cette posi- 
tion, qui suivant l'occurrence commande ou défend 
Rouen du côté de Saint-Sever, était couverte par un 
commencement d'ouvrages de campagne, destinés à 
fermer la presqu'île en se reliant aux deux coudes du 
fleuve en amont et en aval. Ces iravaux avaient été 
entrepris pour couvrir Rouen contre une attaque par 
la rive gauche ; ils profitaient, par conséquent, à l'en- 
nemi, maître de cette ville et de la rive droite. Ses 
éclaireurs étaient déjà sur toutes les routes, s'infor- 
mant de la direction suivie par nos troupes. « Ils étaient 
polis, mais généralement négligeaient de payer ce qu'ils 
consommaient. >^ 

Fendant cette journée du 5, féconde en catastrophes, 
le représentant de l'Ouest avait appris coup sur coup, 
à cinq heures du matin, l'évacuation de Rouen; à onze 
heures celle d'Orléans; dans l'après-midi, celle de 
Tours. 



période de résistance. Le 26 novembre précédent, ils avaient 
rempli une mission non moins hasardeuse, en allant opérer, 
au milieu des vedettes ennemies, le sauvetage d'un certain 
nombre de wagons abandonnés auprès du tunnel de Boisset, 
sur la ligne d'Evreux. Quelques jours après Tévacuation de 
Rouen, ils accompagnèrent encore M. Roger dans une recon- 
naissance des plus aventureuses sur Beaumont. 



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RESEAU DE UOUEST <93 



Du 6 au 10 décembre, Tinvasion avait gagné bien du 
terrain dans TEure et la Seine-Inférieure. Tout service 
avait cessé sur la ligne Vernon-Rouen-le Havre, sur 
celle d'Evreux à Serquigny, enfin, sur les embranche- 
ments d'Evreux à Couches, de Serquigny à Oissel et 
Pont-Audemer. On procédait même à l'évacuation par- 
tielle des gares sur ceux de Lisieux à Honfleur et Trou- 
ville. Dès le 7, le Havre signalait la présence des uhlans 
à Yvetot et Beuzeville; Serquigny, l'envahissement 
d'Elbeuf et d'Evreux et la marche d'un fort détache- 
ment sur Louviers ; Lisieux, l'occupation consommée 
de Bourgàchard, celle imminente de Pont-Audemer. 

Le 9 et le 10, la bifurcation de Serquigny, devenue 
tête de ligne et qu'on avait d'abord résolu de défendre, 
semblait menacée sérieusement des deux côtés et de 
très près. D'une part, l'ennemi était en force à Couches ; 
de l'autre, il arrivait à Brionne (le 9 au matin). Les 
Prussiens manœuvraient en même temps pour tourner 
les positions qu'on faisait mine de défendre. 4,000 
hommes, venus de Rouen par la Bouille et Bourgàchard, 
occupaient Ponl^Audemer et poussaient des reconnais- 
sances vers Honfleur. Une patrouille de trente cava- 
liers s'avança même, le 9, jusqu'à Fiquefleur, et explora 
le plateau de Fatouville, qui domine de ce côté l'em- 
bouchure de la Seine. Ceux-là étaient probablement 
des soldats d'élite, car ils payèrent scrupuleusement 
leur dépense dans une ferme. 



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194 CHEMINS DE PER FRANÇAIS 

La correspondance de M. Roger est fort intéres- 
sante à cette époque. Placés en vedettes à Serquigny, 
ce chef de service et ses auxiliaires déployaient une 
remarquable activité pour organiser les transports mi- 
litaires qu'on leur demandait à toute heure, recueillir 
et transmettre des informations. .M. Roger écrivait, le 
10 : « Je suis surchargé et n'arrête pas un instant.... 
Un nouveau commandant de l'Eure, fe sixième depuis 
trois moisi est arrivé ce soir. C'est M.,., capitaine de 
vaisseau, qui paraît être enfin l'homme voulu. Il se 
dispose à organiser la défense, qui, jusqu'ici, a laissé 
beaucoup à désirer. Il n'y a pas de camp à Serquigny. 
Aucun des projets n'a reçu de solution. Les travaux 
étaient abandonnés, les canons laissés de côté. Les 
forces étaient d'environ 15,000 hommes; elles sont 
descendues successivement à 2,000. Aujourd'hui, elles 
sont remontées à 5,500. Nous allons voir ce qu'elles 
vont devenir sous la nouvelle direction. » Dans un 
conseil de guerre, tenu le même jour, on décida que 
les troupes, trop menacées à Serquigny, se replieraient 
immédiatement sur Bernay. Quelques heures après cette 
reculade prématurée, toutes les stations télégraphiques 
signalèrent un mouvement pareil du côté de l'ennemi. 
C'était l'attitude menaçante de l'armée du Nord 
qui le contraignait d'interrompre sa poursuite. Cet inci- 
dent donna lieu aux interprétations les plus fantastiques. 
C'est surtout dans ces moments de détresse et d'anar- 
chie que « l'homme est de feu pour les mensonges. » 
On commença par croire à une victoire décisive rem- 
portée enfin sous Paris, et ce fut alors qu'on vit appa- 
raître, jusque sur le territoire envahi, des bulletins 
manuscrits et même imprimés, où il était question de 



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RÉSEAU DE L'OUEST 195 

80,000 Prussiens tués ou blessés, de 65,000 autres noyés 
dans la Marne, de TEmpereur Guillaume investi à son 
tour dans Versailles ; de Trochu, Garibaldi et Chanzy, 
se donnant la main sous Paris, expression que quel- 
ques patriotes naïfs prenaient au pied de la lettre» On 
se rabattit ensuite à soutenir qu'au moins Rouen était 
évacué. Ce bruit prit une telle consistance, que les au- 
torités du Havre mirent des steamers en réquisition pour 
transporter les troupes. Elles commençaient à s'embar- 
quer quand on acquit la certitude que Rouen était tou- 
jours occupé par l'ennemi. On prétendit alors que la 
nouvelle de l'évacuation avait été mise en circulation par 
l^s Prussiens eux-mêmes ; qu'ils avaient voulu attirer là 
flottille française pour la détruire, au moyen de torpilles. 
Il y eut dans l'Eure, à cette date, un certain nombre 
de petits combats d'avant-postes, dont plusieurs furent 
livrés aux abords des voies ferrées. Telle fut la sur- 
prise du poste allemand de la gare de Beaumont (12 dé- 
cembre), par le capitaine de Boisgelin, des mobiles de 
l'Eure, qui se trouvait là sur son terrain ; et, le len- 
demain, la déroute d'un détachement de pionniers, 
accueillis par une fusillade meurtrière à Serquigny, où 
ils venaient enlever les rails (1). Dans ces circonstances, 
dont un cruel hiver compliquait encore les difficultés, 
le dévouement des agents de l'Ouest ne se ralentissait 
pas. Le lendemain de l'escarmouche de Serquigny, 
tandis qu'on se battait encore dans les environs, et 
que les habitants se tenaient cachés dans les bois, 
M, Faulcon, chef de gare, était à son poste et avait 



(1) Pour le détail de ces engagements, v. Rolin, Guerre 
dans V Ouest, eh. XII. 



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196 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

déjà remonté son appareil télégraphique. M. Roger fit 
à diverses reprises des reconnaissances sur machine blin- 
dée dans la direction d'Evreux et dans celle de Rouen, 
en plein territoire envahi. Le 15, ayant poussé jusqu'à 
Brionne, il s'y trouva face à face avec une forte pa- 
trouille allemande, et n'eut que le temps de rétrograder 
à toute vapeur. Les Allemands menacèrent plusieurs 
fois les employés, notamment ceux de Bourgtheroulde, 
de leur faire un mauvais parti, si les machines conti- 
nuaient à circuler. Ces menaces n'empêchèrent point 
M. Roger de s'avancer, le 19, jusqu'à cette même gare 
de Bourgtheroulde, la plus voisine des lignes de défense 
allemandes qui couvraient Rouen sur la rive gauche de 
la Seine. 

Cependant, à la suite de la déplorable sédition mili- 
taire de Bernay (17 déc), les troupes de l'Eure venaient 
de recevoir un nouveau commandant, M. Roy, ancien 
capitaine d'infanterie, qui avait repris du service après 
nos premiers revers. Les troupes dont il disposait se 
montaient à une dizaine de mille hommes, mobiles, 
mobilisés et francs-tireurs, avec seulement quatorze 
pièces d'artillerie, et point du tout de cavalerie. Il 
se décida néanmoins à prendre l'offensive, et porta sa 
petite armée sur la rive droite de la Rille. 

Par suite de ce revirement, la circulation des trains 
fut reprise à partir de Serquigny : d'une part, jusqu'à 
Brionne, oti le général Roy venait de transférer son 
quartier général; de l'autre, jusqu'à Beaumont. Ils ne 
pouvaient aller plus loin du côté d'Evreux, à cause de 
la destruction du viaduc de Grosley; mais on était 
rentré en communication avec Evreux par les embran- 
chements intacts de Conches et de Laigle. Toutes ce« 



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RESEAU DE L'OUEST 197 

localités n'étaient plus que visitées de temps à autre 
par des patrouilles allemandes. 

Dès qu'Evreux fut à peu près libre, M. Bouillon y 
courut pour réorganiser la correspondance télégra- 
phique. On profita de cette délivrance momentanée du 
département de TEure et d'une partie de celui de Seine- 
et^Oise pour se remettre en rapport avec des localités 
dont on n'avait pas eu de nouvelles depuis longtemps. 
Ce fut alors qu'on fut, pour la première fois, sûrement 
informé de ce qui s'était passé lors de l'invasion, et 
depuis, dans plusieurs stations de la banlieue de Paris. 
Ces renseignements furent rapportés par le facteur 
Lebrun, de la gare de Triel, qui, au péril de sa liberté 
et peut-être de sa vie, pénétra jusqu'à Versailles et 
Saint-Germain, s'aboucha avec plusieurs employés 
de* la Compagnie et se chargea de leur correspon- 
dances (1). L'un des rapports les plus intéressants était 
celui de M. Arnaud, chef de la station de Chatou, réfu- 
gié à Saint-Germain depuis le 20 septembre. Cet em- 
ployé faisait, de temps à autre, des excursions jusqu'à 
son ancienne résidence, et les factionnaires prussiens 
le laissaient passer quelquefois. Les avant-postes des 
deux partis n'étaient séparés sur ce point que par la 
Seine ; les Français occupaient Rueil et les Allemands 
Chatou. Dans les derniers jours de décembre, ceux-ci 
avaient complètement évacué la gare, sur laquelle il 
arrivait fréquemment des obus du Mont-Valérien. Les 



(1) Précédemment, dans les derniers jours de septembre, 
cet employé s'était non moins courageusement exposé en 
recueillant un ballon tombé à Yernouillet, et en facilitant 
Tévasion des passagers. 



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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

approches du fleuve étaient sévèrement gardées, toutes 
les rues de Chatou barricadées. Les Allemands avaient 
installé une redoute à l'entrée du pont, et détruit la 
première arche. Pour aller en voiture de Chatou et 
du Pecq à Saint-Germain, on était obligé de suivre la 
voie ferrée, etc. 

Bonnières comptait parmi les localités les plus éprou- 
vées. Cette petite ville avait eu à supporter, du 14 oc- 
tobre au 13 décembre, des passages et des logements 
de troupes continuels; les vivres, depuis longtemps 
rares, allaient manquer complètement quand Tennemi 
avait enfin quitté la place. Les habitants de Vernon, 
laissés à la merci de Tinvasion depuis la prise de Rouen, 
avaient aussi à souffrir de la brutalité et surtout de la 
voracité de leurs hôtes forcés. On racontait que sept 
Prussiens, logés dans un des hôtels delà ville, avaient 
absorbé, dans Tespace d'une nuit, vingt bouteilles de 
vin chaud et plus de soixante verres de cognac, répé- 
tant toujours : nix payer I Ils finirent pourtant par 
s'exécuter, ayant probablement oublié, à force de boire, 
qu'ils étaient en pays conquis. 

On eut aussi des détails sur la situation de Rouen par 
un chef de gare qui venait d'y passer deux jours (20- 
22 déc). Rouen était alors encombré de voitures de 
réquisitions, ramenées du pays de Caux. La garnison 
dissimulait mal son inquiétude sous un calme afTecté. 
Les Prussiens ne semblaient pas moins anxieux en amont 
de Rouen; à Pont-de-l' Arche, où ils se retranchaient 
et ne laissaient plus passer personne ; à Elbeuf , où il 
se préparaient à passer sur l'autre rive et à faire sauter 
les ponts, menaçant de brûler la ville si la population 
ouvrière faisait mine de bouger pendant l'opération. 



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RÉSEAU DE L'OUEST 199 

Le 24, un de leurs détachements vint jusqu'au Bourg- 
theroulde ; le commandant signifia au maire qu'il eût à 
faire sonner le tocsin s'il se présentait des francg- 
tireurs; sans quoi, on reviendrait mettre le feu au pays. 
L'ennemi craignait alors une attaque combinée des trou- 
pes françaises de la rive gauche et de celles du Havre, 
coïncidant avec le revirement offensif de l'arméeduNord, 
et appuyée par les canonnières Farcy et Protectrice., 
qui avaient remonté en Seine jusqu'à Quillebœuf. 

Dans ces douloureuses circonstances, nous devons 
mentionner tout particulièrement la conduite à la fois 
humaine et courageuse de l'un des employés supérieurs 
de la Compagnie, M. Baumal, ingénieur de la traction 
à Sotteville-lez-Rouen. Avant l'invasion, M. Baumal 
avait rendu de grands services dans l'organisation des 
transports d'hommes et de munitions qu'il fallait expé- 
dier sans relâche sur Vernon, Evreux, Serquigny, et 
qui, malgré des complications exceptionnelles, ne don- 
nèrent lieu à aucun accident. Pendant la période de 
l'occupation, M. Baumal demeura à son poste, et se 
dévoua au soulagement du nombreux personnel des 
ateliers de Sotteville. Plus d'une fois il franchit les 
lignes allemandes portant sur lui des sommes considé- 
rables destinées à la solde des ouvriers, des employés, 
qu'il fallait garantir, à tout risque, des tentatives d'em- 
bauchage de l'étranger, des horreurs du besoin : male- 
suada famés I Ce devoir d'humanité et de patriotisme ne 
pouvait être accompli sans fatigue ni sans danger. 
Contraint de faire des grands détours pour éviter les 
avant-postes ennemis, M. Baumal dut souvent faire à 
pied, d'une seule traite, quarante kilomètres et davan- 
tage à travers la neige. 



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200 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



VI 



La retraite momentanée de Tarmée du Nord, après la 
bataille de Pont-Noyelles(23déc.), jeta un grand trouble 
dans les opérations françaises. Les tentatives de diver- 
sion sur les deux rives de la Seine, qui auraient dû coïn- 
cider avec la reprise d'offensive de Farmée du Nord, 
eurent lieu pendant cette nouvelle retraite. Les troupes 
du Havre, imparfaitement organisées, mal renseignées, 
furent tenues en échec par une poignée d'ennemis, 
et ne dépassèrent pas Bolbec (25 déc.-3 janvier) (1). 
Sur la rive gauche, au contraire, le général Roy 
attaqua avec beaucoup de vigueur, mais seulement le 
30 décembre. Le résultat de cette première journée fut 
tout à notre avantage. Les Prussiens furent débusqués 
de leurs positions avancées et rejetés avec perte sur 
Grand-Couronne. L'engagement eut lieu en partie sur 
la voie ferrée, entre la station de Bourgtheroulde et 
celle de la Londe, en avant de laquelle Tennemi s'était 
retranché (entre les kilomètres 141 et 144). Le soir, la 
voie était dégagée d'ennemis jusqu'au tunnel d'Orival. 

On se battit encore, à l'entrée de la presqu'île de la 
Seine, pendant toute la journée du 31, et jusque sur le 



(1) Pendant cette période, les Allemands se tenaient prêts 
à battre en retraite devant ces troupes sorties du Havre, et 
s*attendaient à les voir marcher en avant ; car ils firent sau- 
ter, le 25, le viaduc qui passe sur la route de Bolbec à Fécamp, 
pour les empêcher de se servir du chemia de fer. 



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RÉSEAU DE L'OUEST SOI 

pont d'Orival, que les Prussiens s'acharnaient, depuis 
plusieurs jours, k déboulonner et à détruire. Ce pont, 
Tun des ouvrages d'art les plus importants du réseau 
de rOuest, ne fut entièrement rompu qu'à la onzième 
explosion, qui eut lieu dans la journée du 31. D'au- 
tre part, les Prussiens avaient ressaisi, par sur- 
prise, la position de Château-Robert, trop faiblement 
gardée. Mais ils en furent de nouveau expulsés, après 
quatre heures de combat. 

Malheureusement le général Roj était trop faible 
pour faire de nouveaux progrès. Il ne trouvait pas dans 
les troupes du Calvados l'appui sur lequel il avait 
compté. Le général qui les commandait, craignant 
une invasion sur d'autres points de son département, 
ne voulait pas dépasser Brionne. On dut en référer à la 
Délégation, qui donna au commandant du Calvados un 
congé de santé, et plaça les forces des deux départements 
sous les ordres du général Roy. Mais toutes ces corres- 
pondances, et ensuite les formalités indispensables pour 
la « remise du service » d'un état-major à l'autre, avaient 
absorbé un temps précieux, et le général Roy n'avait 
pas encore ce supplément de troupes dans la main 
quand il fut attaqué, le 4 janvier, par des forces supé- 
rieures (1). 

(1) La responsabilité de ces tiraillements remontait encore 
à la Délégation de Bordeaux, qui n'avait pas voulu déférer 
le commandement supérieur au général des troupes du Cal- 
vados ; militaire brave et expérimenté, mais dont le républi- 
canisme lui était suspect. Elle avait cru pouvoir compter 
davantage sur un officier qui ne devrait qu'à elle son avance- 
ment. Là, comme ailleurs, des considérations politiques exer- 
çaient une influence prépondérante et funeste sur le choix 
des chefs militaires. 



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ses CHEinNS DE FER FRANÇAIS 

Pendant ce temps, Elbeuf se trouvait entre deux 
feux. La situation de cette ville ne permettait pas 
de la disputer à un adversaire maître des hau- 
teurs. Le commandant prussien avait prudemment 
repassé, dès le 24, sur la rive droite, et rompu les deux 
ponts qui relient la ville au faubourg de Saint-Aubin. 
Mais sa sécurité ne pouvait être assurée pleinement que 
par la rupture, en aval, du grand pont du chemin de 
fer (pont d'Orival), qui se faisait beaucoup attendre. 
Cependant, nos troupes, d*abord victorieuses, avaient 
effectivement occupé les hauteurs et la ville elle-même. 
Les employés de la gare, située sur la rive droite, 
voyaient donc en face d'eux les Français, et n'en vi- 
vaient pas moins prisonniers au milieu des Prussiens (1). 
Une batterie française installée sur la plate-forme 
d'un château qui domine Elbeuf, gênait beaucoup les 
mineurs ennemis , acharnés après le pont d'Orival. 
Pour la faire taire, les Prussiens de Saint-Aubin avaient 
fait avancer dans l'enceinte de la gare quatre pièces de 
canon, qui furent bientôt débusquées par le feu très 
vif partant de la rive opposée. Alors l'ennemi fit usage 
d'une pièce à longue portée qui prit le château pour 
point de mire, et y mit un certain nombre d'obus, sui- 
vant l'expression délicate du commandant prussien 
(colonel de Massow), qui me raconta lui-même cette 
opération quelque temps après. Il avait bien regretté 
d'être forcé d'^n venir là, ce château appartenant à des 
personnes fort respectables, mais la guerre était la 
guerre ! 

Pendant toutes ces péripéties, la communication était 

(1) Rapport de M. Renard, chef de gare, 3 janvier. 



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RÉSEAU DS L'OUEST UZ 

absolument interoeptée eatre les deux rives. M. Auboin, 
chef de gare à Oissel, qui touchait presque aux avant- 
postes français, resta plus de huit jours bloqué, sans 
pouvoir faire parvenir aucune information à ses chefs. 
Les sentinelles tiraient sur les gens qui essayaient de 
traverser en bateau. Le frère d'un des hommes d'équipe 
de la gare d'Oissel avait été tué ainsi, près de la 
Bouille. Aussi, personne ne voulait se charger, à aucun 
prix^ de porter des messages dans les lignes françaises. 
Enân, le 2 janvier, M. Auboin put aller jusqu'à Rouen 
à pied, en suivant la voie ferrée. Il s'y rendit aussitôt, 
et parvint à faire passer des informations intéressantes 
par Dieppe et Honfleur, sur les travaux qu'ils fai- 
saient aux ponts du chemin de fer de Rouen (r. d.) 
et sur celui du Manoir. Ils avaient relevé le bal- 
last sur le côté et arrangé ces ponts en chemins 
rmsesj à l'aide de traverses prises dans les gares et de 
madriers apportés par voitures et par bateaux, de ma- 
nière à pouvoir y faire passer le plus gros matériel 
de guerre. Avec des ponts ainsi disposés, des armées 
entières, traînant leur impedimenta et de l'artillerie 
du plus fort calibre, pouvaient franchir le double 
passage de la Seine et se diriger sans obstacle vers 
Paris. 

Cependant, le délégué de l'Ouest, informé des pre- 
miers succès du général Roy, venait d'autoriser la 
reprise du service sur la ligne de Normandie jusqu'à 
Beaumont et Brionne. Mais déjà la situation était com- 
plètement changée. Le général de Manteuffel, appre- 
nant le danger que courait la division de Bentheim à 
Rouen, avait attiré à lui d'autres troupes pour continuer 
la lutte contre l'armée du Nord, et expédié aussitôt sur 



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M4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Rouen, par la ligne d'Amiens, des renforts qui arri- 
vèrent à destination les 2 et 3 janvier. 

Dans la matinée du 4, par un temps de brouillard 
propice aux surprises, les mobiles de TArdèche et des 
Landes, postés dans la forêt de la Londe, furent assail- 
lis de plusieurs côtés à la fois par des forces supérieures. 
L'ennemi attachait surtout une grande importance à la 
possession du mamelon boisé qui commande la Bouille 
et Moulineaux, et où Ton distingue encore quelques 
traces de la forteresse construite par Jean sans Terre 
sur l'emplacement du manoir légendaire de Robert le 
Diable. Château-Robert, lieu prédestiné aux sinistres 
aventures, fut définitivement perdu. Il fallut céder à la 
supériorité écrasante de l'artillerie ennemie et battre 
en retraite sur Pont-Audemer. Le bruit du canon, réper- 
cuté dans les falaises, arrivait, comme un grondement 
lointain d'orage, aux troupes havraises, immobiles sur 
les plateaux de la rive droite. Entre les forces françaises 
des deux rives il y avait si peu d'entente, que ces 
troupes venues du Havre attribuaient ce bruit lointain 
d'artillerie à nos canonnières! 

Par suite de ces événements, « notre ligne se trouva 
coupée. » L'ennemi, maître de la forêt, s'était porté 
rapidement sur Bourgtheroulde, où le général Roy se 
trouvait en personne avec un seul régiment de mo- 
biles de l'Eure. Dès dix heures du matin, le facteur- 
chef Janvier, faisant les fonctions de chef de gare dans 
cette localité, voyait paraître des fuyards, des blessés 
qui arrivaient du côté de la Londe en suivant la voie 
ferrée. Au bruit croissant de la fusillade, il expédiait 
ce dernier télégramme : « Nos troupes se replient 
poursuivies. J'enlève appareil. Nous avons affaire à 



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RESEAU DE L'OUEST ÏOS 

forces supérieures, arrivées à Rouen depuis la veille. » 
Vivement pressé de toutes parts et séparé de ses deux 
ailes, Roy dut se replier sur Brionne. Quelques mobiles 
de l'Eure, qui formaient Textrême arrière-garde, 
retranchés derrière Téglise , sous les ordres de 
M. Guillaume, chef de bataillon, retardèrent assez 
longtemps la poursuite d'un ennemi bien supérieur, qui 
les fusillait presque à bout portant, sans oser les 
aborder corps à corps. Heureusement le brouillard, 
Tobscurité croissante empêchaient les Prussiens de 
discerner le petit nombre des adversaires qui les te- 
naient en échec. Finalement, le commandant Guillaume 
eut ridée d'ordonner à haute voix au bataillon de 
charger à la baïonnette, et profita aussitôt, pour déga- 
ger sa poignée de braves, du flottement occasionné par 
cette ruse, parmi les ennemis qui occupaient déjà sa 
ligne de retraite. 

Tout le pays offrait un spectacle navrant. La neige 
était épaisse, le froid des plus vifs; il y avait des morts 
et des blessés sur toutes les routes qui aboutissent au 
Bourgtheroulde. L'ennemi avait payé cher sa victoire (1) : 
il se montra cette fois beaucoup plus rigoureux pour la 
population du Bourgtheroulde et pour les villages voi- 
sins qu'il ne l'avait été lors de la première occupation. 
Ces pauvres gens expièrent cruellement leur délivrance 

(1) Dans son rapport, le général Roy évalue la perte des 
Allemands, dans cette journée, à 2,000 hommes tués et bles- 
sés. Il paraît incontestable que les Prussiens se tuèrent à 
eux-mêmes beaucoup de monde, avant plusieurd fois tiré les 
uns sur les autres dans les mouvements tournants qu'ils 
exécutaient simultanément dans le brouillard à travers les 
bois, sur des lignes parallèles et conceu triques. 

12 



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IM CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

éphémère. Un grand nombre d'habitants avaient pris 
la fuite, les autres s'épuisaient pour suffire aux exi- 
gences faméliques des vainqueurs. Pendant les der- 
niers jours delà guerre et toute la durée de l'armistice, 
le Bourgtheroulde eut à supporter une garnison perma- 
nente et des passages c/ontinuels de troupes. Les vivres 
y étaient hors de prix et firent défaut plus d'une fois. 
L'ennemi exerçait une surveillance rigoureuse sur les 
communications. Cependant le facteur-chef Janvier 
était resté à son poste et expédiait chaque jour des 
rapports, dont quelques-uns parvinrent. 

J'ai visité cette localité peu de temps après ces der- 
niers combats ; son aspect était aussi triste que celui 
de Châteaudun et d'Étrépagny. Les maisons, en par- 
tie désertes, portaient des traces nombreuses de balles 
et d'obus; plusieurs étaient entièrement effondrées. 
Le sol du cimetière était jonché de croix, de tombes 
brisées ; de cette enceinte funèbre labourée par la 
mitraille, on entendait retentir dans le bourg les voix 
avinées des vainqueurs... 

Tandis que la petite armée du général Roy succom- 
bait aux abords de Rouen, celle de Faidherbe battait 
pour la seconde fois en retraite dans le nord, après 
Taffaire de Bapaume. D'un autre côté, les troupes 
du Havre, qui n'avaient tenté aucun effort sérieux 
pour concourir au mouvement du général Roy, 
avaient rétrogradé précipitamment sur Harfleur, à 
la première nouvelle de sa défaite. Le service du che- 
min de fer, repris depuisquelques jours jusqu'à Beuze- 
ville, fut de nouveau supprimé à partir du 6. Enfin, 
comme il fallait qu'en toute chose notre malheur fût 
complet, la débâcle avait gravement endommagé les 



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RÉSEAU DE KOUEST 107 

canonnières destinées à opérer une diversion par la 
Seine. Tout espoir d'établir une entente entre Tannée 
de Faidherbe, les troupes de la rive gauche de la Seine 
et celles du Havre était désormais perdu sans re- 
tour (1). 

L'échec du 4 janvier avait rejeté les troupes fran- 
çaises sur la ligne de la Rille, qu'on se préparait à 
défendre à outrance (Roger, 7 janvier); mais la délé- 
gation et les Prussiens ne l'entendaient pas ainsi. Le 
général Roy, que les précédents bulletins de Bordeaux 
venaient de signaler comme un grand capitaine inventé 
■par la République, fut sacrifié sans scrupule pour un 
échec dont, à coup sûr, il n'était pas seul responsable. 
Dès le 9, il était remplacé par l'ancien colonel du 
4V de ligne, M. Saussier, nouvellement promu général 
de brigade. C'était la huitième fois que ces troupes chan- 
geaient de commandant ! 

Par suite de l'adjonction trop longtemps différée 



(1) Les Prussiens, qui avaient réussi à dissimuler aux habi- 
tants de Rouen les engagements de la fin de décembre, ne 
purent en faire autant le 4 janvier : on entendait trop distinc- 
tement le canon. Pendant toute la matinée, la population 
anxieuse se pressa sur les quais, croyant à une prochaine 
délivrance. Mais dans Taprès-midi le bruit du canon s'éloigna 
peu à peu, et aussi Tespérance! 

Un monument, élevé près de la Maison-Brûlée à la mé- 
moire des braves qui ont péri dans les combats des 30 et 
31 décembre 1870, et du 4 janvier 1871, a été inauguré le 
18 juin 1873. La liste des soldats français connus, tués à 
Château-Robert, à Moulineaux et Saint-Ouen, comprend 
42 mobiles de TArdèche, 22 des Landes, 17 de TEure. Sui- 
vant le général, notre perte totale dans cette journée aurait 
été d'environ 500 hommes tués et blessés. 



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208 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

des forces du Calvados à celles de TEure, M. Saussier se 
trouvait à la tête de 18,000 hommes. Sa première 
pensée fut de tenir sur la Rille, car il demanda tout 
d'abord au chef du mouvement de mettre à sa disposi- 
tion, à son quartier général de Serquigny, un matériel 
suffisant pour porter d'urgence un secours d'au moins 
1,500 hommes sur n'importe quel point. M. Moser, 
inspecteur, qui faisait Vintérim de Serquigny en rem- 
placement de M. Roger, mandé d'urgence à Cherbourg, 
s'empressa de déférer à cette réquisition (1). Mais, 
trois jours après, le général ayant reçu de nouvelles 
instructions, réclama le concours de M. Moser pour ra- 
mener toutes les troupes sur Lisieux, où il transférait 
son quartier général. Le 15, il ajoutait que ce n'était 
là qu'une première étape; qu'il avait ordre, après deux 
ou trois jours de repos, de diriger sur Argentan toutes 
ses forces, réunies au 19® corps et destinées à ren- 
forcer, comme le reste, l'armée de Chanzy. De nou- 
velles instructions précipitèrent encore ce départ : dès 
le 16, la majeure partie des troupes quitta Lisieux. 
11 n'y avait plus d'illusion possible : le Gouvernement 
de la Défense sacrifiait les département de l'Eure et du 
Calvados pour envoyer à l'armée de la Loire, refoulée 
en Bretagne, des renforts qui ne pouvaient plus la re- 
joindre! Moser, télégraphiait, le 16, à Granville : 
« L'ennemi s'avance à mesure que nos troupes s'é- 
loignent; probablement, il sera demain à Serquigny, 
peut-être à Bernay. » Cette retraite produisit un effet 



(1) M. Roger était appelé à concourir au transport du 
19*^ corps. (Voir ci-après,) 



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RESEAU DE L'OUEST 209 

désastreux dans les cantons où la population semblait 
le plus disposée à la résistance. 

Cependant, les troupes prussiennes qui venaient de 
repousser le général Roy n'avançaient qu'avec une cir- 
conspection extrême. Ainsi, la gare de Saint-Léger, 
entre le Bourgtheroulde et Glos, ayant été surprise le 
11, par une avant-garde de cinquante hommes, ils s'em- 
pressèrent de détruire un pont pour intercepter la voie 
ferrée. Ces précautions défensives s'expliquaient par 
les mouvements des armées dans le nord. Le général 
von Gœben, qui venait de remplacer Manteuffel dans 
le commandement des troupes opposées à Faidherbe, 
rappelait de nouveau à lui, par le chemin de fer 
d'Amiens, les troupes qui avaient été envoyées sur 
Rouen dans les premiers jours de janvier. Nous avons 
vu, pendant l'armistice, plusieurs officiers qui avaient 
pris part à ces évolutions successives et pris part tour 
à tour à l'occupation de Rouen, à l'affaire de Pont- 
Noyelles, aux combats de Moulineaux et de la Londe, 
et finalement à la bataille de Saint-Quentin. Dans 
l'espace d'un mois, ils avaient été transportés trois fois 
avec leurs troupes par ce chemin de fer de Rouen à 
Amiens, que, par une distraction inconcevable, on avait 
laissé intact à l'ennemi. 

Mais l'invasion de la Normandie, un moment sta- 
tionnaire, reprit son cours à la suite des revers essuyés 
par nos armées de la Loire et du Nord. Immédiatement 
après la bataille du Mans, le duc de Mecklembourg 
avait été détaché avec tout son corps d'armée (13janv.) 
et une nombreuse cavalerie sur Alençon, qui fut occupé 
le 17 janvier, après une escarmouche assez vive. 
D'Alençon, il se porta immédiatement sur Rouen, par 

13. 



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«10 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



Gacé et Bernay. Ce mouvement ne pouvait rencontrer 
que peu ou point de difficultés dans un pays que ne 
défendait plus aucune force régulière, et dans lequel 
on avait précédemment enlevé à la garde nationale 
sédentaire une grande partie de ses fusils pour armer les 
mobilisés. Il y eut pourtant quelques tentatives isolées 
de résistance, très-dignes d'éloges, parmi lesquelles il 
faut citer particulièrement celle des gardes nationaux 
de Bernay, qui arrêtèrent à eux seuls une nombreuse 
avant-garde ennemie pendant une journée entière 
(21 janvier). Mais il fallut céder au nombre ; et Ber- 
nay, dont la gare avait été évacuée dès le 19, fut 
occupé le 22 par 10,000 hommes. 

L'occupation de Lisieux et de Pont-rÉvêque (Calva- 
dos) semblait également imminente. Dès le 17, la pre- 
mière de ces deux villes n'était plus gardée que par 
400 douaniers et une cinquantaine de francs-tireurs. 
Dans ces cruelles circonstances, les autorités civiles du 
Calvados firent preuve d'une énergie patriotique dont 
l'histoire leur tiendra compte. Le jeune sous-préfet dé 
Pont-l'Evêque, M. V. du Bled, se signala particulière- 
ment en cette occasion. Il fit appel aux gardes na- 
tionaux de son arrondissement, qu'il réunit au nombre 
de 9,000, et imposa, par la fermeté de son attitude, 
à l'ennemi qui le menaçait du côté de Pont-Audemer. 
Sans cette démonstration, Pont-l'Evêque, Lisieux, 
peut-être aussi d'autres villes plus importantes, au- 
raient succombé avant l'armistice.... 

Les considérations qui avaient retardé la poursuite 
des Prussiens sur la rive gauche de la Seine après leur 
succès du 4, leur imposaient la même circonspection 
du côté du Havre. Aussi, quand nos troupes rétrogra- 



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RESEAU DE L'OUEST 2H 

dèrent de Bolbec sur Harfleur, Fennemi ne les suivit 
qu'avec une extrême lenteur. Le 10, il fit mine de tâter 
nos avant-postes à Gainneville, lança quelques obus, 
dont deux arrivèrent jusque dans Harfleur, et fut re- 
poussé avec perte d'une quinzaine d'hommes. Il dé- 
truisit en partie le viaduc de Mirville, et fit sur la voie 
ferrée d'autres dégradations qui dénotaient la crainte 
persistante d'un revirement offensif. Mais la Délégation 
de Bordeaux avait bien d'autres idées I Après les événe- 
ments du commencement de janvier, elle songea un mo- 
ment à faire transporter une grande partie de l'armée du 
Havre à Caen, par une flottille à vapeur, et de Caen 
sur le Mans par le chemin de fer, toujours pour ren- 
forcer l'armée de Chanzy. Des ordres furent transmis 
dans ce sens à Granville, et le délégué de l'Ouest dut 
télégraphier, le 9 janvier, à onze heures du matin, au 
chef de mouvement des lignes du Mans que, « malgré 
ses difficultés, il lui fallait à tout prix s'entendre avec 
son collègue de Rennes pour envoyer d'urgence sur 
Caen une grande quantité de matériel. » L'exécution 
de ce plan magistral eût gravement compromis le 
Havre, sans compter que le renfort ne serait pas arrivé 
en temps utile ni jamais, attendu que ces ordres étaient 
donnés seulement le 9 janvier, que la bataille du Mans 
fut livrée le 12, et la communication avec Caen par 
Alençon aussitôt interceptée. Heureusement, les repré- 
sentations des autorités du Havre avaient fait réfléchir 
les stratégistes de Bordeaux. La dépêche ordonnant de 
préparer le matériel pour Caen circulait sur la ligne de 
l'Ouest, quand survint un autre télégramme du Havre 
annonçant un contre-ordre. Parmi les idées extrava- 
gantes qui ont passé par la tête des dictateurs répu- 



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212 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

blicains pendant cette crise, celle-là tient un rang des 
plus distingués. 



VII 



Nous allons maintenant reprendre et suivre jusqu'au 
bout, sans interruption, le récit des incidents encore 
plus graves et plus pénibles, qui venaient de se succé- 
der sur le réseau de TOuest-Bretagne, pendant les deux 
derniers mois de la guerre. 

Dans les premiers jours de décembre , Orléans 
était reperdu, Blois et Tours menacés. La délé- 
gation de la Défense se repliait sur Bordeaux, 
circonstance qui, suivant son historiographe, aurait 
dû rassurer^ mais produisait justement Teflet con- 
traire. Après avoir énergiquement lutté pendant quatre 
jours (7-10 décembre), contre des troupes plus nombreu- 
ses que les siennes et mieux exercées, le général 
Chanzy avait reculé en bon ordre et pris position sur 
la ligne du Loir, où il s'attendait à être encore assailli. 
L'éventualité d*un nouveau et prochain mouvement de 
retraite, dirigé cette fois sur le Mans, devenait à 
chaque instant plus problable. 

Telle était la situation, quand le délégué de l'Ouest 
reçut du ministère de la guerre la dépêche suivante, 
en date du 14 décembre, mais qui ne parvint à destina- 
tion que le 18. 

« A dater de ce jour, tout service public est supprimé 



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RESEAU DE L»OUEST 211 

à la gare du Mans. Cette gare doit être complètement 
réservée au service de la guerre, et tous les wagons 
du commerce immédiatement évacués; à l'exception 
(de ceux contenant) des subsistances militaires, des 
objets d'équipement et d'habillement. Supprimez aussi 
tout service public sur les lignes du Mans à Alençon, 
à Laval, à Angers, qui seront également et exclusive- 
ment réservées à la guerre ; toutefois, vous pourrez affec- 
ter un train de guerre, matin et soir, au service de la 
poste. Mettez vos services sur ces lignes à la disposi- 
tion complète du service de l'Intendance pour les mou- 
vements de guerre, les déchargements, etc. » 

Cette mesure n'était que l'application partielle d'un 
décret du 23 octobre précédent, qui plaçait les compa- 
gnies de chemins de fer sous la dépendance absolue du 
ministre de la guerre et des agents accrédités par lui. 
Cet arrêté dictatorial n'avait reçu jusque-là aucun com- 
mencement d'exécution; il n'avait pas même été 
notifié aux Compagnies, qui n'en avaient eu connais- 
sance que par le Moniteur de Tours. 

Conformément à cet ordre, le service des voyageurs 
et marchandises fut officiellement suspendu sur les sec- 
tions indiquées, comme il avait dû l'être depuis le 
22 novembre, sur l'initiative de la Compagnie et par 
la force des événements, sur la section du Mans à No- 
gent-le-Rotrou, point extrême de l'exploitation du côté 
de Paris. 

En examinant les choses de près, on s'aperçoit que 
l'utilité de l'ordre du 14 était fort contestable. En 
vertu d'une décision antérieure, et par la force des 
choses, la priorité était déjà assurée aux transports de 
guerre ; sauf de rares intermittences, le service était 



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M CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

absorbé par ces transports, sur les lignes les plus rap- 
prochées du théâtre des hostilités. Sous ce rapport, la 
situation ne fut pas sensiblement modifiée par Tordre 
du 14 décembre. En effet, Turgence des transports 
de guerre ne pouvait absolument en faire disparaître 
une autre non moins impérieuse, celle d'assurer à la 
population civile l'arrivée des objets de consommation 
indispensables , de laisser quelque mouvement au 
commerce. Le général en chef Chanzy lui-même , 
qu'on ne saurait accuser de partialité pour l'intérêt 
civil au détriment de celui de l'armée, ne put mécon- 
naître cette nécessité. Il admit quelques exceptions au 
principe d'absorption exclusive du service par les trans- 
ports militaires, et ordonna à l'Intendance de tolérer ces 
exceptions. Ce fut ainsi, par exemple, que le chef du 
mouvement, organe des réclamations persistantes de la 
ville, obtint, le 30 décembre, après bien des difficultés, 
l'autorisation d'expédier un train de marchandises par 
jour alternativement sur Angers et Laval, et d'affecter 
une des halles de la gare au dépôt de ces marchan- 
dises. 

La situation restait donc à peu près la même. Il n'y 
avait, en réalité, qu'une seule innovation importante, 
et celle-là plutôt nuisible qu'utile ; le dessaisissement 
administratif de la Compagnie, son assujettissement 
absolu au corps de l'intendance, absolument étranger 
à la pratique des chemins de fer. 

Les inconvénients de ce déplacement d'autorité se 
firent sentir dès les premiers jours, lors de l'évacua- 
tion de Vendôme et de la retraite sur le Mans. Tandis 
que la Compagnie prêtait son concours à l'évacua- 



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RES.EAU DE L'OUEST SIS 

tion des malades et des blessés de Vendôme; par 
ordre de Tlntendance, de nombreux groupes de 
wagons de subsistances furent immobilisés dans la gare 
du Mans. Ils y formèrent un noyau d'embarras perma- 
nent, à travers lequel les nombreux trains militaires, 
transitant dans toutes les directions, se frayaient péni- 
blement passage. 

On espérait, par cette retraite, entraîner bien avant 
dans rOuest une grande partie des forces allemandes. 
On put croire, pendant quelques jours, que ce but était 
atteint. Le 23 décembre, le chef du mouvement, M. Pi- 
quet, avisait le général en chef que Sceaux, sur la li- 
gne de Chartres, et Vivien, sur celle d'Alençon, signa- 
laient à la fois l'apparition de partis ennemis. La 
présence simultanée des Prussiens sur ces deux points, 
éloignés seulement de 30 kilomètres du Mans, l'un 
vers l'est, l'autre vers le nord, semblait indiquer un 
naouvement concentrique contre cette ville. Du côté de 
Sceaux, l'ennemi avait fait sauter un viaduc et opéré 
d'autreB dégâts qui furent réparés avec une prompti- 
tude remarquable ; si bien que, quarante-huit heures 
plus tard, les trains de reconnaissances militaires pu- 
rent arriver de nouveau jusque-là. Aussi le général en 
chef fut bientôt édifié sur la signification véritable de 
ces démonstrations; elles n'avaient d'autre but que de 
le contenir, de l'observer. Le prince Frédéric-Charles 
ne commettait pas la faute qu'on avait espérée, celle 
de s'engager à fond dans l'Ouest. Ce qui le rendait si 
circonspect, c'était l'appréhension d'un mouvement de 
Bourbaki contre la ligne d'investissement au sud de 
Paris, combiné avec un revirement offensif de Chanzy. 
C'était là, en effet, le mellfeur plan, celui que Chanzy 



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«1« CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

s'efforça jnsqu'au dernier moment de faire prévaloir ; 
mais Bordeaux en avait décidé autrement I 

Ce fut seulement dans les premiers jours de janvier 
que M. de Moltke, pleinement édifié sur la véritable 
destination que Bordeaux avait assignée à Bourbaki, 
et s'estimant assez fort pour faire échouer cette diver- 
sion dans Test sans le concours de l'armée de Frédéric- 
Charles, lança celle-ci à fond contre Chanzy. 

On était alors dans un de ces moments de calme 
trompeur qui parfois séparent deux orages. Tout sem- 
blait si paisible , même dans la direction la plus 
voisine de l'ennemi, que le délégué de la Compagnie 
venait, le 6 janvier, d'envoyer au Mans l'ordre de 
réorganiser , à partir du lendemain , un service 
mixte sur Nogent. Une réponse de M. Piquet, ex- 
pédiée le même jour, à 2 h. 23, lui apprit qu'en ce 
moment même un combat très- vif était engagé à 8 kilo- 
mètres au delà de cette station, vers celle de Condé. Le 
lendemain, Nogent était à son tour occupé de nouveau, 
dépassé par l'ennemi, qui se présentait de toutes parts 
avec des forces supérieures! Le Mans était devenu l'ob- 
jectif de la marche concentrique de quatre corps d'ar- 
mée. De forts détachements de cavalerie, jetés aux 
deux ailes, avaient mission de couper les embranche- 
ments de Tours et de Mézidon. 

Cependant l'Intendance avait, dès le 8, suspendu 
rigoureusement tout arrivage de voyageurs et de mar- 
chandises, et prévenu confidentiellement le chef du 
mouvement de prendre ses dispositions en vue de l'éva- 
cuation. Dès lors onfit inutilement lesdémarcheslesplus 
actives auprès du commandant en chef, pour obtenir 
l'autorisationdecommencercetteopération. Néanmoins, 



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RÉSEAU DE L'OUEST 217 



dès le 10, tous les wagons inutiles étaient évacués non- 
seulement de la gare même, mais des sections du Mans 
à Alençon et à Sablé. Ces wagons étaient dirigés, les 
uns vers Rennes, les autres vers Angers. On ne pouvait 
plus compter sur d'autres débouchés. L'évacuation sur 
Granville ou sur Cherbourg était impossible, car, de- 
puis les premiers jours de décembre, ces deux sections 
du réseau étaient déjà encombrées du matériel réfugié 
des lignes d'Ouest -Normandie et du Nord (ligne 
d'Amiens à Rouen). Il importait d'ailleurs de ne pas 
trop surcharger ces sections, d'y conserver une cer- 
taine liberté de mouvement, car l'on avait à prévoir, 
dans un délai très-bref, le transport par ces mêmes 
voies du 19® corps, en formation à Cherbourg et à Ca- 
rentan. 

Ces premiers efforts pour dégager quelque peu la 
gare du Mans furent encore contrariés, non-seulement 
par le froid et la neige, mais encore par les fluctuations 
de l'Intendance. Elle avait d'abord autorisé, dans la 
matinée du 10, le départ d'un certain nombre de ses 
wagons vers Sablé. Puis tout à coup elle vint à craindre 
qu'ils ne fussent coupés sur cette ligne trop rapprochée 
de l'ennemi, et exigea leur retour immédiat, ne voyant 
plus pour eux de retraite sûre que du côté de la Bre- 
tagne. 

Le 10 au soir, une nouvelle conférence fut tenue 
chez le commandant en chef. Celui-ci se prononça 
encore une fois contre Tévacuation. Il avait toujours 
pleine confiance dans le succès, et redoutait l'effet 
moral de semblables apprêts sur des soldats novices. 

Nous n'avons pas à raconter ici les sanglantes péri- 
ls 



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218 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

péties de la journée du 11, que les Allemands eux- 
mêmes n'osent qualifier que d'indécise. On trouve 
le reflet fidèle des émotions de cette lutte dans les 
télégrammes qu'adressait d'heure en heure à Gran- 
ville le chef du mouvement. « A onze heures du 
matin , la canonnade a cessé tout à coup , au 
moment où elle se rapprochait sensiblement. . . La situa- 
tion est plus grave que jamais : froid, neige, employés 
malades et surcroît de travail... » Quelques minutes 
après, un nouveau contre-ordre de l'Intendance forçait 
de différer l'évacuation des wagons de subsistances, 
qu'elle avait d'abord permis de commencer. A 4 heures 
20 minutes, M. Piquet annonce que « la ligne de Tours 
vient d'être coupée à Écommoy, celle d'Alençon à 
Montbizot (20 kilomètres du Mans). » Cette dernière 
nouvelle était prématurée ; Montbizot ne fut occupé par 
l'ennemi que le lendemain, « Le bruit du canon a 
repris, il augmente, se rapproche... » 

En ce moment, M. Piquet venait d'obtenir, à force 
d'instances, l'autorisation de faire filer sur Laval 
60 wagons d'artillerie. C'était un allégement bien 
faible pour sa gare, plongée dans un véritable chaos. 
Le 11 au soir, elle ne contenait pas moins de 1,200 
véhicules divers. Ce chiffre se décomposait ainsi : wa- 
gons d'intendance, approvisionnements, 558 ; d'obus 
et de munitions, 70 ; de matériel d'artillerie, 70 ; de 
marchandises du commerce , 134 ; du mobilier de la 
gare et de l'outillage des dépôts de l'Ouest et d'Or- 
léans, 42 ; wagons vides, 150 ; à voyageurs, 176. Parmi 
cette cohue, des trains militaires de toute nature con- 
tinuaient à faire, dans toutes les directions, des trouées 
refermées aussitôt, portant d^-s vivres, des munitions 



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RESEAU DE L'OUEST t|9 

et des renforts, soit au Mans même, soit sur les lignes 
de T* urs ou d'Alençon. 

Telle était la situation, lorsque, le 12 janvier, à 
BÎieures 1/2 du matin, le représentant de la Compagnie 
au Mans reçut Tavis confidentiel suivant du comman- 
dant en chef, qui venait d'apprendre la perte du poste 
capital de la Tuilerie : 

« La situation s'est aggravée cette nuit.. . Je ne puis 
prévoir ce qui se passera aiyourd*hui ; il est donc pru- 
dent de replier de suite votre matériel sur chacune des 
lignes encore libres, ne laissant ici sous vapeur que 
des trains vides pour l'évacuation des malades, » 

La situation devenait menaçante, en effet. Déjà quel- 
ques obus tombaient aux abords de la gare. La cir- 
conspection extrême des Allemands nous fut, cette 
fois, de quelque secours. Si leur dixième corps avait 
commencé plus tôt, et mené plus vivement contre l'aile 
droite française, parles routes d'Ecommoy et du grand 
Lucé, le mouvement tournant qui ne fut terminé que 
vers 3 heures de l'après-midi, la débâcle aurait été bien 
plus prompte, et l'évacuation de la gare fort compro- 
mise. 

Heureusement aussi, le chef du mouvement n'avait 
pa<? perdu une minute, car les difficultés de la veille 
s'étaient encore accrues par suite de l'arrivée, pendant 
la nuit, de sept nouveaux trains militaires, d'ensemble 
250 véhicules, qui s'étaient arrêtés sur les signaux 
avancés de la gare. Il y avait, du côté de Mézidon, 
deux trains d'infanterie pour le Mans (70 véhicules), 
deux de cavalerie venant de Carentan à destination d'Is- 
soudun (id.) ; du côté d'Angers, un train de munitions 
de 40 véhicules, venant de Sablé pour le Mans ; enfin 



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HO CHEMINS DE PER FRANÇAIS 

du côté de Laval, un train de matériel d'intendancd 
(toujours rintendance!) venant de Sillé pourAlençon et 
Vivoin (35 véhicules), plus un de munitions, venant de 
Laval, pour le Mans (id.). Le nombre des véhicules à 
évacuer en pleine bataille, et bientôt en pleine échauf- 
fourée, se trouvait donc porté de 1,200 à 1,450. 

Des mesures furent immédiatement prises pour faire 
rétrograder ces derniers trains vers leurs points de 
départ, pendant qu'on formait pêle-mêle dans les gares 
les trains à évacuer. De plus, on télégraphia dans 
toutes les sections de ne plus rien envoyer, pas même 
la poste. (Piquet, 12 janvier, 7 h. 20 du matin.) 

Les difficultés de cette opération si tardivement au- 
torisée étaient immenses, et s'aggravaient encore à 
chaque instant. Les voies étaient couvertes d'une 
couche de neige glacée, épaisse d'au moins 30 centi- 
mètres, qui gênait considérablement les manœuvres, 
le fonctionnement des aiguilles et le jeu des plaques. 
Le personnel était exténué par quatre mois de travaux 
excessifs et sans relâche ; car pendant toute la guerre 
et bien longtemps encore après, jusqu'à la fin de 1871, 
la gare du Mans dut satisfaire à des exigences hors de 
proportion avec ses aménagements. Le chef de gare 
principal, M. Loire, les deux sous-inspecteurs qui lui 
avaient été adjoints , deux sous -chefs . de gares et 
soixante agents de tous grades étaient alités ; 
atteints, pour la plupart, de la variole, qu'ils devaient 
au contact forcé des ambulances militaires installées 
dans les salles d'attente. M. Loire, qui avait fait preuve 
d'un dévouement sans limites, n'était tombé malade que 
pendant les derniers jours. Il mourut à la fin de jan- 



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RESEAU DE L'OUEST 221 

vier, sans avoir pu recueillir la récompense duo à ses 
services. 

Il nous faut encore rappeler que des fuyards nom- 
breux forcèrent , dès dix heures du matin , le 
cordon de gendarmerie formé dans Tintérieur de la 
gare ; qu'ils se répandaient sur toutes les voies, en- 
vahissant les wagons, les voitures, dont ils cou- 
vraient les marchepieds, les toitures et même les 
tampons. C'étaient de ces malheureux mobilisés que, 
par des considérations politiques, on avait laissé se 
morfondre si longtemps sans armes et sans instruction 
dans les boues du camp de Conlie, et qui, au dernier 
moment, par une déplorable fatalité, se trouvaient 
seuls dans un des postes les plus importants et les plus 
sérieusement attaqués. (V. le rapport de M. de la Bor- 
derie sur le Camp de Conlie,) 

Disons encore que, dans ce moment où le télégraphe 
eût été d'une si grande utilité, les employés de l'État, 
chargés exclusivement de la manœuvre des appareils 
dans cette gare devenue toute militaire, avait aban- 
donné leur poste. 

De plus, l'évacuation ne pouvait s'opérer que par la 
ligne de Rennes. On savait, en eifet, que le quartier 
général et l'Intendance allaient à Laval. D'ailleurs, la 
ligne du Mans à Tours était occupée par Tennemi de- 
puis la veille, celle d'Alençon sérieusement menacée. 
Quant à la section du Mans à Angers, on n'eut le temps 
d'y lancer que huit trains. 

Après le refoulement des sept trains de la nuit, il 
devint possible enfin, vers huit heures du matin, de 
mettre en mouvement, au fur et à mesure, ceux que 
Ton formait dans l'intérieur de la gare. Malgré les dif- 



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222 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ficultés, les horreurs de la situation, on travaillait avec 
rénergie du désespoir, au bruit du combat qui se rap- 
prochait d'un moment à Tautre, Néanmoins, en moins 
de sept heures, on était parvenu à former vingt-cinq 
trains, comprenant ensemble près de mille véhicules. 
Le dernier s'ébranlait à 2 heures 45 minutes de l'après- 
midi, au moment où les Prussiens pénétraient dans la 
gare. Il leur échappa sous une grêle de projectiles, et 
franchit le pont miné de la Sarthe, qu'on essaya vaine- 
ment de faire sauter derrière lui. De cet immense ma- 
tériel il ne resta aux mains de l'ennemi que six machines 
et 212 wagons d'approvisionnements, tandis que te 
nombre des wagons sauvés s'élevait à 998, dont 272 
s'évadèrent par la ligne d'Angers, et le reste par 
par celle de Rennes. Un pareil résultat, obtenu 
dans des conjonctures si difficiles, fait le plus grand 
honneur au chef du mouvement, M. Piquet, et à ses 
auxiliaires. Parmi les employés des différents services 
qui ont fait preuve, dans cette crise, d'un dévouement 
exceptionnel, nous devons signaler nominativement 
MM. Ginestet, agent principgj, d'Absac, Talon et Vatel, 
sous -inspecteurs, Richerolles et Mathieu, chefs des 
stations envahies de Mantes et de Garancières, et em- 
ployés alors à celle du Mans ; Decourt, inspecteur de 
la traction ; Fourquet, sous-chef du dépôt ; les méca- 
niciens Berton et Renouf ; les chauffeurs Bellot et Pa- 
pillon (1). L'honorable conduite de M. Piquet, dans 

(1) MM. Decourt, Fourque et Bellot ne quittèrent la gare 
qu'avec la dernière machine, se dirigeant sur Rennes. Plus 
tard encore, alors que la gare était déjà envahie, Renouf et 
Papillon sauvèrent deux derniers trains en manœuvrant sur 
les voies dites d'Angers, au delà du pont de la Sarthe. 



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RESEAU DE UOUEST 2«3 

cette circonstance et dans celle qui suivirent, lui a valu 
la* croix de la Légion d'honneur. 

Tous les employés qui ont figuré dans cette terrible 
épreuve sont convaincus que « l'évacuation aurait pu 
être complète, que pas un wagon ne serait resté au 
pouvoir de Tennemi, si Ton avait pu défendre la gare 
deux heures de plus. » Il y a, dans ce douloureux épi- 
sode de la journée du 12 janvier, un enseignement utile 
pour Tavenir. Il faut que remploi et le sort des voies 
ferrées tiennent désormais une plus large place dans 
les préoccupations des chefs militaires. 
, L'évacuation de la gare du Mans eut pour épilogue 
le lamentable accident de Louverné (4 kilomètres de 
Laval) ; le seul sinistre considérable que Ton ait eu à 
déplorer, pendant la guerre, sur le réseau de TOuest. 
Ce fut un des trains d'évacuation qui vint, dans la nuit, 
tamponner celui qui le précédait. Pourtant le signal 
d'arrêt avait été fait et compris, mais sans doute trop 
tard, ou bien encore l'impulsion persista avec une viva- 
cité inattendue sur des rails en pente, couverts de glace 
et devenus glissants à l'excès. Le choc fut si violent, 
que des deux machines attelées au train qui venait 
heurter l'autre, l'une fut renversée et écrasa une voi- 
ture dans sa chute. Il y eut dix blessés, dont trois 
grièvement, et douze morts, dont quatre employés de 
la Compagnie, trois femmes, trois militaires, plus deux 
masses informes^ dont rien ne pouvait plus faire recon- 
naître l'identité. Parmi les employés victimes, M. Ma- 
thieu, chef de la gare de Garancières, fut particulière- 
ment regretté. Nous avons signalé le courage de 
Mathieu, les dangers qu'il avait courus pendant les 
premiers mois de la guerre. Depuis son évasion de 



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224 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



Dreux il continuait à rendre d'excellents services sur 
la portion encore libre du réseau. Employé enfin au 
Mans, il avait été Tun des meilleurs auxiliaires du 
chef du mouvement, surtout dans la grande opération 
finale, qui se terminait si tragiquement pour lui. 



VIII 



Cette opération eut pour corollaire, sur la partie en- 
core non envahie des lignes de Normandie et sur celles 
de Bretagne, une crise suprême d'encombrement, qui 
donna lieu à des incidents curieux et instructifs. 

Il ne suffisait pas d'évacuer la gare du Mans, car 
aussitôt après, tandis qu'une division prussienne des- 
cendait vers Alençon, une forte avant-garde (brigade 
de cavalerie Schmidt, appuyée par des fractions du 
9® corps), avait passé cette rivière, et s'avançait rapi- 
dement vers Sillé-le-Guillaume. Une partie de cette 
troupe marchait directement sur Conlie, en suivant la 
voie ferrée. L'occupation de ce camp profita moins aux 
Allemands qu'ils ne l'avaient espéré, grâce à l'infati- 
tigable activité de M. Piquet, qui, après la journée si 
laborieuse du Mans, avait passé une partie de la nuit 
suivante à Conlie et le reste à Sillé, recueillant, sau- 
vant tout ce qui pouvait l'être encore. 

L'ennemi avançant toujours dans toutes les direc- 
tions, il fallut délaisser à leur tour les gares de la 
ligne d'Alençon (14 et 15 janvier) et celles de la sec- 



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RESEAU DE L'OUEST 225 



tion de Laval à Mayenne. Enfin la gare de Laval elle- 
même dut être évacuée, par ordre supérieur, le 16 et 
le 17, « au bruit du canon et des mitrailleuses. » 
Cette dernière opération était d'autant plus difficile, 
que, dès le 15, l'une des voies du chemin de Rennes, 
le seul par lequel pouvait s'eifectuer la retraite, était 
encombrée par les wagons de l'Intendance, sur une 
longueur de plusieurs kilomètres. Plus de deux mille 
véhicules de toute espèce se trouvèrent alors accumu- 
lés entre Laval et Rennes. 

La gare de Rennes, déjà surchargée auparavant, fut 
bientôt encombrée à son tour si complètement que 
toute manœuvre, même à bras, y devint complètement 
impossible. Elle se trouvait comme prise entre deux 
énormes courants contraires, venant, Tun de Laval, 
l'autre de Redon. « Les difficultés grandissaient à 
chaque instant » (17 janvier). Bientôt l'Intendance, 
qui, dans l'appréhension d'une plus longue poursuite 
de l'ennemi, n'avait d'abord retenu à Laval qu'une 
centaine de wagons, en redemanda une quantité consi- 
dérable. L'artillerie, en même temps, réclamait ses 
munitions. Il fallut procéder à des manœuvres infi- 
niment laborieuses pour dégager tous ces wagons 
épars, enchevêtrés dans les groupes qui stationnaient 
entre Laval et Rennes, et aussi les machines qui 
avaient dû jeter leur feu. Le personnel, privé de repos et 
de sommeil depuis plusieurs jours, était épuisé, et les 
chefs de services en réclamaient avec instance le dou- 
blement. On dut faire appel, le 16 janvier, à celui des 
lignes de Normandie réfugié au Havre. On ne peut 
s'empêcher de remarquer à cette occasion que de cruels 
embarras auraient été évités, que des obstacles insurmon- 

13. 

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226 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

tables n'auraient pas même existé, si, à l'exemple des 
Prussiens, Ton avait songé de longue mainà former dans 
chaque corps des compagnies de mécaniciens, de pion- 
niers, etc., au courant de toutes les parties du service 
dès voies ferrées. Dans un travail publié dès 1867 sur 
la campagne de Sadowa, et rédigé sur des documents 
de source allemande, nous avions nous-même signalé 
le profit que la Prusse avait su tirer de cette organisa- 
tion. J'ai su depuis que ce travail avait été remarqué... 
en Prusse I 

La bataille du Mans durait encore, quand le délégué 
de la Compagnie de TOuest reçut à Granville une dé- 
pêche chiffrée du délégué de la guerre, prescrivant de 
faire préparer d'urgence le matériel nécessaire pour 
transporter de Cherbourg sur Alençonles troupes orga- 
nisées tant bien que mal dans la presqu'île du Coten- 
tin (19® corps). Ce transport, spécialement recommandé 
au patriotisme des agents de la Compagnie, devait 
commencer dans la soirée du 13. La difficulté de l'opé- 
ration consistait surtout dans les conditions d'établisse- 
ment des lignes sur lesquelles devaient circuler les 
trains. En eifet, sur un parcours total de 244 kilomètres, 
entre Caen et Alençon, 162 sont à voie unique. On n'a 
l'avantage de la double voie que sur trois sections, 
d'ensemble 80 kilomètres. 

Il importait donc, pour effectuer ce transport avec la 
célérité voulue, d'éviter sur la voie unique tout croise- 
ment avec du matériel vide en retour. En conséquence, 
on dut préalablement concentrer à Cherbourg et dans 
les gares voisines la totalité des machines et des véhi- 
cules nécessaires. C'était le seul moyen de se mettre 
en mesure de garer successivement tout ce matériel, 



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RESEAU DE L'OUEST 227 

après le transport au delà du point de débarquement. 
N'oublions pas qu'il s'agissait de faire voyager plus de 
30,000 hommes d'infanterie, et 2,500 chevaux, avec 
12 batteries d'artillerie. 

Tout se préparait déjà pour l'exécution de ce mou- 
vement, quand Granville reçut de Bordeaux, dans la 
soirée du 12, l'ordre de tout ajourner. On avait sans 
doute besoin d'être édifié sur le résultat des combats 
du Mans. Après deux jours de réflexions , un nou- 
veau télégramme, expédié le 14, prescrivit de com- 
mencer l'opération le lendemain. Seulement, cette 
fois, il était dit que l'embarquement aurait lieu à Ca- 
rentan au lieu de Cherbourg, et toujours joowr Alençon, 
Il y avait là un changement et une persistance égale- 
ment malencontreuses. Carentan n'était qu'une gare 
intermédiaire de troisième ordre, et Ton devait déjà 
savoir à Bordeaux qu' Alençon n'était plus un point sûr 
de débarquement. L'inspecteur Chariot télégraphiait, 
le même jour, d'Argentan : « Le point final de ce trans- 
port ne sera certainement Alençon, qui sera occupé 
demain. » Il ne se trompait que de deux jours. 

Tout bien considéré, l'oracle de Bordeaux prononça, 
par un quatrième télégramme (15 janvier, sept heures 
trente-huit du matin), qu'on irait de Carentan à Dom- 
front au lieu d' Alençon, et par conséquent qu'on dé- 
barquerait à la station la plus voisine de Domfront, 
c^lle de Fiers (ligne de Granville). C'était encore un 
parcours de 183 kilomètres, dont seulement 35 à double 
voie. 

On se mit aussitôt à l'œuvre, en se concertant avec 
le général Girard, commandant du 19® corps, pour ré- 
partir l'embarquement entre les gares de Cherbourg, 



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2Î8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

de Valognes et de Carentan. 16,616 hommes (chevaux 
et artillerie non compris) furent embarqués à Cher- 
bourg, 14,702 à Valognes, 1,761 seulement à Carentan. 
Sans cette modification aux derniers ordres venus de 
Bordeaux, l'opération eût été impossible. Le petit em- 
branchement, long de 19 kilomètres, qui va de Fiers à 
Barjou-Pont-d'Ouilly, se trouvait là tout à point, pour 
le garage de ce matériel vide. 

Tout étant ainsi réglé, le premier train partit de 
Cherbourg le 15, à huit heures trente du soir, et arriva 
à Fiers le lendemain, huit heures sept du matin. Tout 
semblait faire espérer que cette opération si bien com- 
mencée se poursuivrait de même. La direction supé- 
rieure de cet immense transport^, auquel devaient être 
employés 1,478 véhicules, 70 machines, divisés en 
37 trains, était confiée à MM. Roger et Talleau, ins- 
pecteurs divisionnaires. Des inspecteurs et agents su- 
périeurs du mouvement étaient postés aux trois points 
d'embarquement, à la bifurcation de Mézidon et aux 
gares d'Argentan et de Fiers. Sur tout le parcours, des 
hommes de la voie étaient échelonnés de kilomètre en 
kilomètre; le télégraphe fonctionnait régulièrement 
sur tous les points. Tout était organisé, en un mot, 
pour marcher jusqu'au bout, rapidement et sans en- 
combre. 

Mais Ton avait compté sans l'impéritie et l'insou- 
ciance de certains chefs militaires, sans l'indiscipline de 
beaucoup de soldats, enfin sans les fluctuations et les 
contre-ordres de Bordeaux. « Les troupes, prévenues 
tardivement, n'arrivèrent point aux heures conve- 
nues ; de plus , par suite de l'inertie des officiers 
et de la mauvaise volonté des soldats, l'embar- 



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RESEAU DE L'OUEST «29 



quement se ôt avec une extrême lenteur. Au dé- 
but surtout, cette opération ne prit pas moins de 
deux à trois heures , en moyenne , par chaque 
train. A Valognes, notamment, dans la nuit du 15 au 
16, on ne put parvenir à embarquer, d'une heure à 
neuf du matin, que deux trains de mobilisés. » Ils ap- 
partenaient à un grand département du Midi que nous 
nous abstiendrons de nommer. « Les officiers s'étaient 
empressés de monter dans les voitures de première 
classe qui leur étaient destinées, sans se préoccuper 
autrement de leurs hommes. Ceux-ci se refusaient ab- 
solument à prendre place dans les wagons à marchan- 
dises munis de bancs, genre de véhicules assez peu con- 
fortables, il est vrai, mais dont il avait bien fallu se 
servir pendant toute la campagne, faute d'un nombre 
suffisant de wagons de deuxième et troisième. Les em- 
ployés du chemin de fer réclamaient vainement le con- 
cours des officiers ; il fallut l'intervention énergiqua 
d'un lieutenant-colonel pour arracher ceux-ci à leur 
inertie. » 

Malgré ces retards, on était parvenu à faire partir, 
en vingt-quatre heures, dix-sept trains, portant en- 
semble 16,515 hommes et 971 chevaux, quand de nou- 
veaux incidents surgirent dans la soirée du 16. On 
reçut aux gares d'embarquement l'ordre de tout sus- 
pendre ; à Argentan, celui d'arrêter la marche des 
trains qui n'avaient pas dépassé ce point. Ce temps 
d'arrêt était déterminé précisément par des avis venus 
d'Argentan ; on redoutait une tentative des Prussiens, 
maîtres d'Alençon, pour couper la communication 
entre Cherbourg et Granville. On était avisé , le 
même soir , que Sées , à 17 kilomètres seulement 



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230 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



d'Argentan, était sérieusement menacé. Le 17, de 
grand matin, on recevait successivement Tordre de 
faire couper la voie et sauter le pont d'Alménèche, 
à 11 kilomètres dans la même direction, puis celui de 
continuer néanmoins les transports, en débarquant 
quelques troupes à Argentan pour garder le passage. 

Mais on n'était pas encore au bout de ces péripéties, 
dont nous abrégeons le détail. A 11 heures du matin, 
le commandant du 19® corps annonçait à Cherbourg 
que le restant des troupes allait être dirigé sur Dom- 
front, non par Argentan et Fiers, mais par Saint'Lô, 
Après en avoir conféré avec le général, Tun des chefs 
de service se rend à Lison, point d'embranchement 
de la ligne de Saint-Lô, pour veiller à la réexpédition 
des trains. Là, il reçoit, à cinq heures de l'après-midi, 
une nouvelle dépêche qui lui prescrit de considérer ce 
qui venait d'être arrêté comme non avenu, de tout diri- 
ger sur Fiers, comme précédemment. Il fallut encore 
une fois tout défaire, tout contremander, pour rentrer 
dans le programme primitif ! 

Le commandant du 19® corps s'était décidé à trans- 
porter son quartier général à Argentan, pour couvrir 
la marche des trains. Il y débarqua dans la matinée 
du 18, avec deux régiments de marche et quelque ar- 
tillerie. Mais Ton apprenait en même temps que les 
Prussiens étaient en grand nombre à Sées ; on en si- 
gnalait d'autres du côté de Laigle, ce qui semblait l'in- 
dice d'un mouvement concentrique contre Argentan. 
La situation s'assombrit encore dans l'après-midi. Des 
uhlans avaient paru à deux kilomètres de Surdon, point 
de bifurcation des lignes d'Alençon et de Laigle. Dans 
ces deux directions, les chefs de gare avaient démonté 



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RESEAU DE L'OUEST 231 

leurs appareils et se repliaient sur Argentan, qui res- 
tait ainsi dépourvu d'informations rapides. Cependant, 
le transport des troupes sur Fiers continua le 18 et 
le 19^ mais avec des hésitations, des appréhensions 
continuelles. Ainsi que le télégraphiait à Granville 
rinspecteur Chariot : On travaillait bien peu sûrement. 
On craignait à chaque instant une attaque sérieuse sur 
Argentan ou la ligne de Fiers. Enfin, le 19, au soir, le 
général crut nécessaire de se replier sur Falaise. Il 
donna Tordre de refouler sur Caen les sept derniers 
trains de troupes, qui n'avaient pas encore atteint Ar- 
gentan, et d'évacuer à la suite cette gare et les autres 
jusqu'à Mézidon. 

Le 20 au matin, quelques uhlans entraient en effet à 
Argentan. Du clocher de la cathédrale, on distinguait 
parfaitement, dans l'après-midi, un corps considérable 
en marche sur l'ancienne route de Paris. Granville, 
Caen, Cherbourg, s'attendaient à être prochainement 
attaqués. C'était pourtant une fausse alerte, du moins 
pour cette partie de la Normandie; ce corps s'avançait 
dans une direction opposée, ayant pour objectif Ber- 
nay et Rouen. Aussi ses flanqueurs évacuèrent Argen- 
tan la nuit suivante, et les troupes françaises y ren- 
trèrent le lendemain. Cette ville ne fit donc qu'entrevoir 
la silhouette désagréable de l'invasion. Mais il était 
fort heureux que les Prussiens n'eussent pas été mieux 
informés pendant leur marche de ce qui se passait de 
notre côté. 

La Compagnie de l'Ouest n'encourut aucun reproche 
dans cette circonstance. Ses agents étaient en mesure, 
dès le 13, conformément au premier ordre venu de 
Bordeaux, et tout aurait pu dès lors être fini au plus 



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23Î CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

en quarante-huit heures; tandis que, grâce à cette sé- 
rie déplorable d'ajournements, de tergiversations, de 
tiraillements, le transport, commencé seulement le 15, 
ne put être terminé que le 19. Pendant ce temps, les 
Prussiens avançaient, et ce ne fut pas la faute de Bor- 
deaux si une partie du 19« corps ne fut pas surprise en 
flagrant délit pendant l'opération (1). 



IX 



La correspondance qu'échangeaient Bordeaux et 
Granville pendant cette dernière et désastreuse période 
de la guerre, embrassait bien d'autres objets qoe le 
transport des troupes de Cherbourg. On y trouve, no- 
tamment, plus d'une révélation édifiante sur les conflits 
qui se produisirent entre les délégués au ravitaillement 
de Paris et l'Intendance, au moment même de la re- 
traite du Mans. 

Avant tout, il faut savoir qu'après la bataille de Coul- 
miers, le ministre du commerce avait prescrit la con- 
centration à Laval d'un grand nombre de bestiaux pour 
le ravitaillement de Paris, dont la délégation de Tours 



(1) L'un des agents supérieurs qui ont dirigé ces trans- 
ports, M. Roger, a fait preuve, dans cette circonstance, 
comme pendant toute la guerre, d*une énergie et d'une acti- 
vité infatigables. Il a été décoré, ainsi que M. de Gombert, 
chef du mouvement sur la ligne de Rennes. 



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RESEAU DE L'OUEST 233 

considérait alors la délivrance comme infaillible et pro- 
chaine, grâce aux combinaisons stratégiques de M. Gam- 
betta et de ses accoljtes. Il s'est passé d'étranges choses 
à propos de ces achats de bestiaux. Ainsi, le mandat 
confié d'abord à un M. Ferrand, relativement à ces ac- 
quisitions de bétail, lui fut tout à coup retiré et confié 
à un certain Barthélémy, naguère fabricant de papiers 
peints dans le faubourg Saint- Antoine, etl'un des agents 
électoraux les plus actifs de M. J. Favre. Néanmoins 
M. Ferrand, qui était le protégé de M. Gambetta, comme 
Barthélémy était celui de MM. Jules Favre et Simon, 
continua à faire des achats considérables, qui en 
définitive furent ratifiés.... Toujours est-il que, dès le 
17 novembre, 600 bœufs et bientôt après 2,500 furent 
réunis à Laval. La plupart de ces bestiaux, achetés à 
des prix fort élevés, provenaient du Maine et de la 
Basse-Normandie. Ils étaient concentrés sur Laval par 
les soins de M. Cézanne, inspecteur général de l'agri- 
culture, investi d'un mandat supérieur pour tout ce qui 
concernait le ravitaillement de Paris. M. Cézanne avait 
été primitivement délégué par M. le général Trochu, 
pour concourir à l'exécution de sa fameuse combinai- 
son, celle d'une trouée du côté de Rouen. Il avait en 
conséquence reçu mission de concentrer au Havre tout 
ce qu'il pourrait ramasser de légumes, salaisons, etc., 
et de faire diriger ce premier ravitaillement par la 
grande ligne d'Ouest-Normandie, le plus près possible 
de Paris. Le général se figurait a^ors que ce convoi 
pourrait être amené jusqu'à Triel ou Poissy, et qu'il 
n'aurait qu'à étendre la main pour le prendre. Sorti de 
la capitale en ballon, M. Cézanne n'avait pas tardé à 
se convaincre par lui-même que ces dispositions étaient 



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234 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

incompatibles avec la situation des affaires en province : 
il avait donc dirigé sur Cherbourg, au lieu du Havre, 
ses approvisionnements en légumes et salaisons. Ils y 
restèrent jusqu à Tarmistice... 

C'était de lui que les employés de TOuest devaient 
recevoir Tordre de charger ces bestiaux, destinés à ser- 
vir de cortège triomphal à M. Gambetta rentrant à 
Paris. 

Le 2 décembre, conformément aux instructions de 
M. Cézanne, 1^175 bœufs furent chargés à la 
gare de Laval, et expédiés le même jour en cinq 
trains vers Orléans, par le Mans et Tours. Un 
ordre du gouvernement, qui plus tard devait donner 
lieu à un conflit des plus fâcheux, accordait à ces trains 
destinés au ravitaillement de Paris, la priorité même 
sur les transports de guerre. 

Le 3, de grand matin, on continuait le chargement 
des bestiaux en gare de Laval, quand Tordre arriva de 
suspendre Topération. L'issue malheureuse du combat 
de Loigny, qui avait eu lieu la veille, avait fait réflé- 
chir M. Gambetta et ses auxiliaires. Ils commençaient à 
comprendre que Texécution du plan qu'ils avaient im- 
posé au général en chef rencontrait plus de difficultés 
qu'ils ne Tavaient pensé ; et que cette accumulation de 
trains de ravitaillement sur les derrières de Tarmée de 
la Loire pourrait devenir plus nuisible qu'utile, si cette 
armée, au lieu de pousser en avant, était forcée de se 
mettre sur la défensive, à plus forte raison de rétro- 
grader. 

Les péripéties militaires qui se succédèrent en peu 
d'heures ne justifièrent que trop ces appréhensions bien 
tardives. Les trains de bestiaux expédiés le 2 à desti- 



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RESEAU DE L'OUEST 235 

nation de Paris, refoulés précipitamment sur les lignes 
de rOuest, après la reprise d'Orléans par les Allemands, 
rentrèrent le 7 à Laval et à Mayenne. Pendant ce laps 
de six jours, ces animaux n'avaient pas été débarqués ; 
ils étaient restés en wagon et en pleine voie du côté 
de Tours, exposés à un froid des plus rigoureux, et à 
peu près sans nourriture. 

Après cette triste excursion, l'état sanitaire de ces 
bestiaux laissait naturellement beaucoup à désirer. 
Quelques-uns avaient contracté dans leur pérégrination 
les germes du typhus, apporté, dit-on, dans la vallée 
de la Loire par des bœufs allemands capturés. Toute- 
fois, soit que la Délégation, réfugiée à Bordeaux, jugeât 
utile, pour l'effet moral, de continuer à s'occuper os- 
tensiblement du ravitaillement de Paris, soit pour tout 
autre motif, les achats de bestiaux furent poussés avec 
plus d'activité que jamais. Vers la fin de décembre, ce 
troupeau homérique était reporté à 3,550 têtes de bétail 
ainsi réparties : 600 à Mayenne, 950 à Fougères, 2,000 à 
Laval. Aussi l'encombrement était tel dans l'enceinte 
et aux abords de cette dernière gare, que des trains 
d'artillerie expédiés de Rennes à l'armée restèrent 
pendant vingt heures à quelques kilomètres de Laval, 
sans pouvoir être déchargés. Une bonne partie de ce 
bétail était forcément parquée en plein air, par la neige 
et des froids de 12 ou 15 degrés. 

Dans cet état de choses, on devine quelles complica- 
tions durent se produire lors de la retraite du Mans, 
quand il fallut refouler bien avant en Bretagne cet im- 
mense troupeau, pour le sauver de l'ennemi. Une autre 
circonstance non moins grave, l'apparition du typhus, 
commandait d'ailleurs cette évacuation. Aussi, dès le 



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236 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

12 jan-vier, les délégués au ravitaillement requéraient 
300 wagons pour transporter sur Landerneau leur 
bétail en détresse. Par une coïncidence déplorable, 
cette exigence intervenait au plus fort de la crise, 
alors que, par suite de l'évacuation du Mans, la ligne 
de Laval se trouvait dans un état d'encombrement 
indescriptible. On réussit cependant, le 14 au matin, 
à fournir une centaine de wagons pour cette des- 
tination. On se disposait à en livrer encore autant 
dans la nuit du 14 au 15. Mais, sur ces entre- 
faites, M. l'intendant en chef de l'armée de la Loire, se 
prévalant du pouvoir dictatorial qui lui avait été 
conféré, prit possession entière et exclusive de 
la gare de Laval, et accapara pour son service 
tout le matériel. On dut donc inviter les préposés au 
ravitaillement à continuer leur évacuation exclusive- 
ment par les routes de terre, chose peu commode, il 
faut le dire, dans une saison pareille. Aussi, comme on 
devait s'y attendre, ces messieurs jetèrent les hauts 
cris. M. Barthélémy, qui prenait le titre de délégué du 
ministre du commerce, menaçait des foudres de ses pro- 
tecteurs Favre et Simon, parlait de ruiner la Compagnie 
en indemnités pour le bétail écloppé. Pendant ce temps, 
l'Intendance, pour laquelle on faisait tout, trouvait 
qu'on n'en faisait pas encore assez. De part et d'autre, 
on se plaignait à Bordeaux, en s' accordant à rejeter 
tout le blâme sur la Compagnie. 

M. Protais, délégué de l'Ouest, avait beau faire va- 
loir les difficultés, les impossibilités de la situation, 
réclamer quelque relâche. On renvoyait ses observa- 
tions au service même de l'Intendance, juge et partie 
à la fois. Le chef de ce service télégraphiait de Bor- 



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RESEAU DE L'OUEST 237 

deaux le 15 : « Je ne puis risquer d'entraver le service 
des vivres, en interdisant les transports par chemins de 
fer. Je ne puis que recommander votre dépêche à Tin- 
tendant en chef. Il faut que vous ayez auprès de lui un 
agent ayant qualité pour diriger tout votre service, et 
qu'on évite des échanges de dépêches entre Laval, 
Granville et Bordeaux : ce nest pas pratique. Donnez 
des ordres pour qu'on assure avant tout le service de 
la guerre, et évitez de nous créer des difficultés. » 

Cette dépêche était inexacte de tout point. La Com- 
pagnie avait pour représentant à Laval un de ses meil- 
leurs agents, M. Piquet, ayant toute la bonne volonté 
et la capacité de faire ce qui n'était pas absolument 
impossible. Toutes les objurgations de l'autorité supé- 
rieure étaient pour les employés de la Compagnie ; les 
intendants, les délégués au ravitaillement, bien appuyés 
à Bordeaux, n'en recevaient aucune. On ne s'en tint 
même pas aux réprimandes; sous prétexte que « rien 
ne se faisait à Laval, que Tintendance ne pouvait rien 
y obtenir, » on s'avisa d'y expédier d'urgence un délé- 
gué direct, investi de pouvoirs illimités. Il était 
même autorisé à prendre en main, s'il le jugeait con- 
venable, la direction supérieure de tous les services, à 
suspendre le délégué de la Compagnie et à se faire re- 
connaître à sa place par tous les employés. Heureuse- 
ment, cet envoyé (M. Lejeune, chef de la compagnie 
des Charentes) avait plus de bon sens que ceux qui 
l'envoyaient, et se garda bien de faire usage de ce 
mandat dictatorial. 

La conclusion de cette odyssée bovine fut digne 
de l'exorde. Le typhus faisait d'effrayants progrès parmi 
ces malheureuses bêtes; elles semaient, de plus, la 



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Î3« CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

contagion sur leur passage. Dès le 20 janvier, la situa- 
tion était tellement grave, qu'une dépêche envoyée de 
Saint-Brieuc, adressée au délégué de l'Ouest, réclamait 
d'une façon suppliante l'envoi de 250 wagons à cette 
gare, pour y charger une notable partie de ces bes- 
tiaux. On parvint à expédier de Rennes ce matériel, 
mais seulement jusqu'à Lamballe. Ce fut là qu'on 
chargea, le 21 janvier, ce bétail invalide à destination 
de Landerneau. 

Enfin, lorsqu'après la conclusion de l'armistice, on 
se disposait à tenter l'embarquement et l'expédition 
sur Paris de ce troupeau, réduit alors à 2,700 têtes, 
l'épidémie prit tout à coup un caractère foudroyant. 
En moins d'une semaine tout fut compromis, perdu 
sans ressources ; 400 soldats étaient occupés nuit et 
jour à enfouir les cadavres de ces bestiaux, qui tom- 
baient dans la proportion moyenne d'un par minute. 
Par deux arrêtés successifs des 5 et 6 février, le préfet 
du Finistère dut interdire tout embarquement, et cir- 
conscrire, dans un cordon sanitaire des plus rigoureux, 
les animaux qui n'avaient pas encore succombé. Plus 
de deux mille furent enterrés ainsi en moins de quinze 
jours. Enfin, deux navires condamnés, le Pont-d'Oi^ et 
VOrénoque, furent envoyés dans le port de Landerneau 
pour y prendre chargement du reste. On précipita à 
fond de cale, on assomma les derniers survivants. Les 
deux navires furent ensuite conduits au large vers 
Ouessant et coulés à coups de canon. Ce fut ainsi qu'on 
parvint à éteindre cet horrible foyer d'infection. Mais 
de tous ces bestiaux, dont l'acquisition et les trans- 
ports multipliés sont revenus à plus de trente millions^ 
pas un seul n'est arrivé jusqu'à Paris. 



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RESEAU DE L'OUEST 239 

Tel fut le résultat d'un fatal enchaînement de 
fausses mesures, auxiliaires de la fatalité. CMtait une 
faute d'avoir précipité ces achats de bestiaux dès le 
lendemain de Coulmiers ; c'en était une autre d'avoir 
précipité l'embarquement, l'acheminement sur les der- 
rières de l'armée, alors que celle-ci était engagée dans 
une série d'entreprises, dont le résultat aurait dû être 
considéré comme au moins douteux, après l'issue indé- 
cise des engagements de Ladon, de Beaune-la-Rolande. 
Ce résultat était connu depuis 48 heures à Tours quand 
l'ordre fut expédié de charger, à Laval et Mayenne, le 
bétail destiné pour Paris. Ce fut une nouvelle faute, 
après le refoulement obligé des convois déjà expédiés 
et qui rapportaient les germes de l'épidémie, de conti- 
nuer les acquisitions à outrance, pour atténuer la 
fâcheuse impression de l'échec du mouvement sur 
Paris ; puis encore de différer à tout risque, jusqu'au 
dernier moment, l'évacuation sur la Bretagne, alors 
que l'armée de la Loire se repliait déjà sur le Mans. 
Mais on avait commis au début une erreur également 
grave, en persévérant à faire faire au compte de l'Etat 
ces énormes achats pour le ravitaillement de Paris, 
achats que l'industrie privée eût opérés, dans toutes les 
hypothèses, d'une façon beaucoup moins coûteuse et 
plus expéditive. Ce système avait été appliqué non- 
seulement aux acquisitions de viande sur pied, mais à 
celles des denrées de toute nature qui allaient s'immo- 
biliser à Cherbourg. Aussi, quand le moment vint enfin 
d'employer ces denrées, elles avaient subi un effroyable 
déchet par suite de cette longue attente et des froids 
rigoureux. Sur 1,800 wagons de pommes de terre, plus 
des trois quarts, détériorés par la gelée, furent absolu- 



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UO CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ment perdus; le gouvernement de la Défense jouait dé- 
cidément de malheur avec ce légume ! On avait aussi ra- 
massé une quantité énorme de viandes salées, sans faire 
cette réflexion pourtant assez simple, que la population 
parisienne, une fois débloquée, préférerait toute autre 
nourriture à celle-là, dont elle avait été gorgée pen- 
dant Finvestissement. Aussi la majeure partie de ces 
salaisons, dont plus de 8,000 tonnes furent introduites 
dans Paris pendant Tarmistice, n'a pu y trouver d'a- 
cheteurs même à vil prix. En fait, le ravitaillement fut 
opéré engrande partie parTindustrie privée, tout comme 
il Teût été sans tous ces gaspillages inutiles... Inutiles! 
pas à tout le monde néanmoins I Si les denrées de la 
dictature étaient gelées, ses bestiaux morts, les mar- 
chés du moins étaient valides et les commissions ac- 
quises... 

Le premier, nous avons signalé ce ténébreux scan- 
dale dans la Revue de France, au commencement de 
1872. Cette révélation eut un certain retentissement, 
mais le gouvernement d'alors fit la sourde oreille ; il 
choyait trop certains hommes du 4 septembre, pour ne 
pas user d'indulgence avec leurs protégés. Aussi ce 
n'est que postérieurement à la chute de ce gouverne- 
ment, en juin 1873 et mars 1874, que la police cor- 
rectionnelle a liquidé les comptes de ces fournisseurs, 
qui ont été condamnés à plusieurs années de prison, et 
à la restitution de fortes sommes escomptées à l'État. 
C'est déjà quelque chose que de pendre les petits vo- 
leurs ; — en attendant qu'on ait fabriqué des cordes 
assez solides pour supporter les autres (1). 

(1) Les débats de Taffaire Barthélémy ont révélé qu'il était 



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RÉSEAU DE L'OUESl I4« 



La Compagnie de TOuest, qui avait contribué, dans 
une proportion considérable, à Tapprovisionnement de 
Paris avant le siège, prit également une part impor- 
tante à son ravitaillement pendant Tarmistice. 
Voici, à cet égard, des chiffres officiels : 
1*» Du 15 août au 19 septembre 1870, date de Tinter- 



arrivé en ballon, avec misaioa de préparer un ravitaillement 
jusqu'à concurrence de 30 millions, avec 6 0/0 de commission, 
soit 1,800,000 livres. MM. J. Simon et J. Favre n'avaient pas 
cru pouvoir faire moins pour rémunérer d'anciens services 
électoraux. Il est vrai que le mandat avait été réduit à 4 mil- 
lions et 3 0/0 par les délégués de Tours, qui avaient aussi 
leurs pauvres. Néanmoins Barthélémy avait encore fait d'as- 
sez bonnes affaires. Il avait touché 4,600,000 francs pour ses 
fournitures, et réclamait en sus 250,000 francs de prétendues 
avances, et 140,000 francs de commission. Vérification faite, 
il a'est trouvé que l'ancien courtier électoral de MM. Favre 
et Simon, s'était entendu avec des compères, intermédiaires 
sous-commissionnés, dont le rôle consistait à signer des fac- 
tures énonçant des prix supérieurs de 25 à 30 0/0 aux prix 
réels. Ce prétendu créancier était, en réalité, débiteur 
de 450,000 francs volés. L'histoire de Ferrand, recommandé 
par M. Gambetta pour son désintéressement^ est tout aussi 
édifiante ; il aurait même, paraît-il, volé davantage et sans 
complices subalternes. Ce personnage, en état de faillite 
avant la guerre, habitait au moment de son arrestation 
(septembre 1873) un château acheté au nom de sa femme et 
splendidement meublé. Il se préparait, dit-on, à y héberger 
certaines notabilités démocratiques. 

14 



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242 CHEMINS DE PÊR FRANÇAIS 

ruption absolue de son service sur Paris, la Compagnie 
j avait fait entrer, pour Tapprovisionnement, 14,982 
wagons, répartis en 516 trains, chargés de 67,716 têtes 
de bétail et de 72,442 tonnes, dont 53,250 de comes- 
tibles; le reste en fourrages, avoine, son et combus- 
tible. Dans le chiffre des comestibles, les farines figu- 
rent à elles seules pour 20,769 tonnes, c'est-à-dire 
pour plus de moitié (1). 

2® Du 1*' février au 7 mars 1871, elle a introduit 
dans Paris, pour le ravitaillement, 517 trains d'en- 
semble 15,241 wagons, portant 20,837 têtes de bétail 
et 80,013 tonnes, dont 62,709 de comestibles. Cette 
fois, les farines ne figurent dans ce total que pour 
22,492 tonnes. En revanche , malgré le déchet des 
pommes de terre du gouvernement, la Compagnie de 
rOuëst parvint, grâce au zèle de l'industrie privée, à 
transporter, pendant ces premiers jours du ravitaille- 
ment, la quantité relativement énorme de 12,349 tonnes 
de ce légume. Ce résultat est d'autant plus remarquable 
que, pendant la période corrélative de l'approvision- 
nement, la même Compagnie n'avait eu à faire entrer, 



(1) Pendant le siège, les ateliers de TOuest ne restaient 
pas inactifs dans Paris ; ils fabriquaient des armes à feu, des 
projectiles, des machines blindées. Parmi les employés de 
rOuest bloqués dans Paris, il n'est que juste de citer 
M. Roussel, mécaDicien, qui fit plus que son devoir. Pendant 
tonte la durée du siège, il conduisit l'une des locomotives 
transformées en moteurs de la minoterie de Vaugirard. Cet 
établissement était fréquemment atteint par les projectiles 
de Tennemi, et abandonné des autres mécaniciens. Seul, 
M Roussel, quoique père de famille, resta jusqu'à la fin à ce 
poste périlleux, où il avait été placé sur sa demande. 



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RESEAU DE L'OUEST 143 

malgré les efforts de M. le ministre du commerce de la 
Défense et de ses auxiliaires des deux sexes, que 
2,367 tonnes seulement desdites pommes. 

L'opération du ravitaillement rencontra des obstacles 
de plus d'une nature pendant Tarmistice. L'un des 
principaux venait encore de l'Intendance, qui, fidèle 
jusqu'au bout à son système, persistait à retenir plus de 
1,600 wagons, transformés en magasins fixes. « L'in- 
térêt suprême, disait à cette occasion un intendant, est 
le ravitaillement de l'armée. » Et, sous ce prétexte, 
il refusait toute autorisation de déchargement, alors 
qu'on manquait de matériel roulant pour Paris affamé. 

La formation des trains de vivres tenus en réserve 
dans la presqu'île du Cotentin, au commencement de 
décembre, avait donné lieu aussi à bien des difficultés. 
Pour abriter cette réserve dans les lignes de défense, 
c'est-à-dire entre Cherbourg et Carentan, on avait dû 
établir des voies de garage supplémentaires sur une 
longueur de 17 kilomètres. Il avait constamment fallu, 
en effet, maintenir libre la voie principale pour le 
passage des trains d'armes et de munitions sortant de 
l'arsenal de Cherbourg, et pour l'arrivage des troupes 
qui devaient faire partie du 19® corps. Précisément à 
la même époque, les transports militaires atteignaient 
sur tout le réseau leur maximum d'intensité ; le fameux 
troupeau de bœufs commençait ses évolutions, l'inten- 
dance ses confiscations de matériel. Malgré toutes ces 
difficultés, la Compagnie de l'Ouest était en mesure de 
coopérer immédiatement, sur une vaste échelle, au 
ravitaillement de Paris. Malheureusement, ses lignes, 
sauf celle de Dieppe, avaient été d'abord exclues de 
cette opération. Les Allemands ne voulaient laisser 



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«44 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

entrer dans Paris que la quantité de vivres stricte- 
ment nécessaire à sa subsistance pendant l'armistice, 
et au jour le jour. Cette surveillance s'exerçait d'une 
façon particulièrement impérieuse et même insultante 
à la gare principale de Rouen. Des officiers véri- 
fiaient minutieusement la provenance des vivres, l'ori- 
gine des bestiaux, le nombre et la contenance des 
véhicules. Chefs et soldats allaient et venaient de côté 
et d'autre, se mêlant de tout, contrôlant tout. Quand on 
leur faisait observer que cet encombrement de troupes 
gênait par trop le service, ils répondaient : Nous sommes 
les maîtres en guerre/ 

On fit les démarches les plus actives afin d'obtenir la 
levée de l'interdiction pour les autres communications 
susceptibles d'être utiliséesàbref délai, à cause du peu 
d'importance des dégâts : celles de Cherbourg et de 
Granville par Argentan et Dreux, et de Redon, Brest, 
Saint-Malo par le Mans et Chartres. L'interdit fut levé le 
5 février; non que les Allemands fussent devenus plus 
sensibles dans cet intervalle, mais parce que l'échec 
essuyé à Bordeaux par les partisans*de la guerre à ou- 
trance présageait un plus prompt arrangement. Pen- 
dant ces quelques jours de négociations, pas un moment 
n'avait été perdu pour remettre les lignes en état; si bien 
que, dès le 6 et le 7, les trains commencèrent à y circu- 
ler (1). Nous avons donné ci-dessus le chifire total des 

(1) A cette occasion, M. Decoenne, ingénieur divisionnaire 
à Rouen, se signala par ractivité qu'il mit à rétablir en peu 
de jours la circulation des trains entre le Havre et Maisons, 
malgré les lacunes résultant de la destruction du tunnel de 
RoUeboise, du viaduc de Mirville et de plusieurs autres 
ouvrages 



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RESEAU DE L'OUEST 245 

transports opérés pendant Tarmistice sur les lignes de 
rOuest. On peut juger de l'activité que déployèrent les 
agents de cette Compagnie, quand ils eurent enfin leurs 
coudées franches, par ce fait que, du 6 au 11 février, ils 
avaient déjà fait entrer dans Paris, par Chartres et 
Dreux, 82 trains d'ensemble 2,053 wagons, non compris 
ceux venant de Dieppe, qui, à partir de Rouen, étaient 
forcés d'emprunter les lignes du Nord, la communica- 
tion directe de Rouen sur Paris étant interceptée pour 
longtemps par la destruction d'ouvrages considérables. 
Pour avoir le chiifre total des trains de ravitaillement 
qui avaient déjà pénétré dans Paris au 11 février, il 
faut ajouter 7 trains d'ensemble 167 wagons, venus de 
Landerneau par Redon et le réseau d'Orléans, et 
41 trains, 1,271 wagons, venus par Dieppe et la ligne 
du Nord. Total, 130 trains, 3,491 wagons. 

La gare des Batignolles ne tarda pas à s'encombrer, 
faute de mesures efficaces pour l'enlèvement et Tem- 
magasinage. Il est vrai que les difficultés étaient encore 
accrues par le manque presque absolu de chevaux dans 
Paris (on sait où ils avaient passé), et par la nécessité 
de diriger sur Batignolles, par le raccordement de Viro- 
flay, tous les trains venant par Dreux et Chartres. Les 
travaux de défense de Paris avaient intercepté absolu- 
njent la communication de ces lignes avec leur débouché 
naturel, et ce fut seulement le 6 mars que les trains 
venant de ce côté purent avoir accès aux gares de 
Vaugirard et de Paris (Montparnasse). Nous croyons 
néanmoins que ces difficultés de déchargement et 
d'emmagasinage auraient pu être fort allégées, et les 
soufi'rances de la population soulagées plus prompte- 
ment, si le gouvernement avait su se faire obéir, et 

14. 



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246 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

employer à ces travaux essentiefls tant de milliers 
d'hommes qu'il payait pour ne rien faire, dont le temps 
s'écoulait à déblatérer dans les cabarets contre les 
ruraux et les capitulards, — en attendant Fouvrage 
d'un autre genre qu'allait bientôt leur fournir l'insur- 
rection du 18 mars (1). 

A la même époque, et malgré la conclusion de la 
paix, des documents contemporains fournissent de 
tristes renseignements sur la situation de plusieurs des 
principales stations des lignes de l'Ouest. Le commis- 
saire de celle d'Yvetot écrivait le 19 mars : « L'occu- 
pation continue ; nous sommes cernés et ruinés. Mon 
bureau à la gare était d'abord une écurie, aujourd'hui 
c'est un corps-de-garde... Quand verrons-nous la fin?... » 
La gare principale de Rouen (rive droite) fourmillait 
jour et nuit de Prussiens, ses quais étaient encombrés 
d'officiers qui restaient attablés à boire et à fumer pen- 
dant des journées entières, sans s'inquiéter s'ils ne 
gênaient pas le service. L'un d'eux fit un jour en ville, 
à la suite d'un copieux déjeuner, le pari d'entrer à 
cheval dans la gare, en traversant la salle d'attente 
remplie de voyageurs. Il le fit comme il l'avait dit, mal- 
traita un employé qui voulait lui barrer le passage; 
injuria le chef de gare, M. Renard, qui se permettait 

(1) Pendant cette période néfaste, M. Montouan, ingénieur 
de la traction, dont nous avons déjà signalé les services sur 
les lignes de Granville et de Mézidon, en rendit un peut-être 
encore plus grand, par la promptitude qu'il mit à organiser 
les transports extraordinaires qu'on était forcé d'improviser 
dans la gare de Versailles, devenue tête de ligne par suite des 
nouveaux événements, et dépourvue de tous les aménagements 
nécessaires à cette destination. 



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RESEAU DE L'OUEST 247 

quelques observations. Sur ces entrefaites le cheval 
s'abattit, mais le cavalier eut plus de peur que de mal, 
heureusement pour la ville de Rouen, qui avait déjà 
tant à payer. Néanmoins Faffaire avait fait du bruit; 
l'autorité prussienne s'en émut, non pas contre l'auteur 
de cette échauffourée, mais contre le chef de gare qui 
avait tenté de l'empêcher. Cet employé fut arrêté , 
brutalisé, condamné à une détention qui, toutefois, fut 
abrégée, grâce aux démarches de M. Pouyer-Quertier. 
Ce procédé de l'autorité prussienne était d'autant plus 
étrange, que le chef de gare avait preuve d*une grande 
modération, et retenu ses employés exaspérés qui vou- 
laient faire un mauvais parti à Tivrogne. 

La guerre avait littéralement jonché de ruines le 
réseau de l'Ouest. Parmi les ouvrages les plus impor- 
tants, détruits, soit par les Français, soit par les Alle- 
mands, nous citerons les ponts sur la Seine, d'Argen- 
teuii, de Chatou, de Croissy, de Bezons, d'Orival; le 
souterrain de Rolleboise, trois viaducs sur la ligne de 
Rouen-le Havre, douze sur celle de Versailles au Mans, 
r incendie total ou partiel de plusieurs gares. De toutes 
les compagnies françaises, aucune n'a autant souffert, 
si ce n'est celle de l'Est. Sur le chiffre total de 32 mil- 
lions qu'il a fallu dépenser pour remettre en état les 
chemins de fer français, l'Est figure à lui seul pour 
15 millions, l'Ouest pour 12. Mais, du moins, cette der- 
nière Compagnie n'eut pas à subir l'exploitation alle- 
mande, et la totalité de son réseau lui a été restituée ! 



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IV 

RÉSEAU D'ORLÉANS 



SOMMAIRE 

I. — (Septembre) Translation du siège de rexploitation à 
Tours. — Aventures du dernier train sorti de Paris, — 
Premiers progrès de l'invasion. 

II. — (Octobre) Première évacuation de la gare d'Orléans. 
— Panique de la Délégation. — Châteaudun. 

III. — (Novembre -Décembre) Transport de l'armée de la 
Loire. — Reprise d'Orléans. — Nouvelle évacuation de la 
gare. — Le dernier train. — Scènes à Vierzon. 

IV. — Le train du ministre de la guerre (4 décembre 1870). 

V. — Le général Chanzy et la Compagnie d'Orléans. — 
M. Gambelta à la gare de Blois, le 9 décembre. — Sauve- 
qui-peut général à Tours. — Evacuation complète de la 
gare. 

VI. — Concours prêté par la Compagnie d'Orléans au trans- 
port de l'armée de l'Est. — Derniers événements. 



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250 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



Des cinq grandes Compagnies françaises de chemins 
de fer, celle d'Orléans fut la moins profondément at- 
teinte par rinvasion. Toutefois, de ces trois sections, 
celles de Paris à Tours par Orléans et par Vendôme, et 
d'Orléans à Vierzon, d'ensemble 515 kilomètres, ont 
été le théâtre de grands événements militaires, d'inci- 
dents dramatiques et curieux (1). 

Dans les premiers jours de septembre, les chefs de 
cette Compagnie avaient dû prendre les mêmes précau- 
tions que leurs collègues des autres lignes. Le siège 
central de l'exploitation et des différents services fut 
transféré le 12 à Tours, et deux mois après à Bor- 
deaux, quand la Délégation battit en retraite sur cette 
ville. Les directeurs de l'exploitation et du mouvement, 
MM. Lemercier et de Mussy, eurent donc l'agrément 
de se trouver en contact incessant avec les dictateurs, 
c'est-àrdire avec le ministre ou le sous-ministre de la 
guerre, car depuis l'arrivée de M. Gambetta le reste 
ne comptait plus. Ëtant constamment à portée de donner 
des explications verbales, ces chefs de service res- 
tèrent habituellement dans d'assez bons termes avec ce 



(1) De Pans à Tours, par Orléans, 234 kilomètres; par 
Vendôme, à partir de la bifurcation de Brétigny, 202 kilo- 
mètres; d'Orléans à Vierzon, 79 kilomètres. 



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RESEAU D'ORLEANS iM 

qu'il fallait bien appeler le Gouvernement. Du moins, 
cette position les exemptait de ces télégrammes furi- 
bonds, dont on bombardait surtout les chefs des Com- 
pagnies de Lyon et de l'Ouest. 

Dans les derniers jours qui précédèrent l'investisse- 
ment, la Compagnie d'Orléans contribua pour sa part 
au mouvement énorme de marchandises, denrées, bétail, 
munitions qui venaient s'engouflfrer dans Paris, et au 
mouvement non moins considérable d'émigration qui se 
produisait en sens inverse. Il j eut là des scènes de tu- 
multe, d'encombrement, dont ceux qui en ont été les 
témoins ne perdront jamais le souvenir I 

Le dernier train formé à la gare de Paris partit le Id, 
à une heure quarante de l'après-midi, mais il dut s'ar- 
rêter à la station d'Ablon (15 kilom.). On venait d'y 
entendre de très près le canon des Prussiens ; depuis 
la veille, on les apercevait en grand nombre de l'autre 
côté de la Seine. Enfin l'on affirmait que déjà ils devaient 
avoir traversé le fleuve en amont; que le train, s'il 
poursuivait sa route, allait infailliblement les rencon- 
trer à la bifurcation de Juvisy. M. FayoUe, inspecteur 
de l'exploitation, qui accompagnait ce train, le fit garer. 
De l'étage supérieur du bâtiment de la station, il vit 
distinctement, en effet, un assez grand nombre de cas- 
ques pointus sur la rive droite, mais l'inspecteur crut 
distinguer que c'était seulement une avant- garde qui, 
après avoir poussé une reconnaissance avancée jusqu'au 
bord de la Seine, semblait plutôt rétrograder. Alors 
M. FayoUe, voulant se rendre compte par lui-même de 
la situation au delà du point d'arrêt, monta sur une 
machine d'exploration, et se dirigea sur Juvisy. A une 
petite distance d'Ablon, il reconnut que Tennemi avait 



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i52 CHEMINS DE J'ER FRANÇAIS 



cherché à détraquer les rails à coups de canon, en diri- 
geant ses projectiles sur un ponceau, situé entre les 
stations d'Ablon et d'Athis : c'était la canonnade qui 
avait jeté la terreur dans le pays. Mais le pont, bien 
que sérieusement endommagé, était encore assez solide 
pour supporter le passage d'un train, et il n'y avait 
d'autre avarie à la voie qu'un rail cassé par un éclat 
d'obus. Après avoir fait remplacer ce rail par les ou- 
vriers qui l'accompagnaient, M. Fayolle poussa jusqu'à 
Juvisy, où aucun ennemi n'avait paru. Le train aurait 
pu passer, et l'inspecteur retourna sur Ablon avec l'in- 
tention de lui faire continuer sa route ; mais il ne l'y 
trouva plus. Pendant son absence, quelques éclaireurs 
ennemis avaient tiré de l'autre rive sur le train. Des 
francs-tireurs qui s'y trouvaient ripostèrent d'abord par 
les portières des wagons. Bientôt ils descendirent, 
coururent s'embusquer dans les jardins du village qui 
descendent vers la Seine, et prolongèrent ainsi une 
fusillade insignifiante, mais qui effrayait sérieusement 
les voyageurs du train, où les femmes et les enfants 
étaient en majorité. Cédant à leurs instances, le méca- 
nicien avait rebroussé chemin sur Paris. L'inspecteur 
fit de même, et ramena avec lui, dans quelques wagons 
restés en gare, les francs-tireurs qui avaient causé cette 
nouvelle panique. Cet incident fit cesser prématurément 
la marche des trains. Ils auraient pu circuler encore 
sans danger d'un bout à l'autre sur les deux lignes de 
Paris à Tours par Orléans et Vendôme, au moins pen- 
dant toute la journée du 16, puisque l'ennemi n'avait 
encore franchi la Seine sur aucun point, et ne la passa 
à Corbeil que la nuit suivante (1). 

(1) Le lendemain 17 les ennemis revinrent en force vera 



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RÉSEAU D'ORLÉANS 25S 

• 

Informé de ce nouvel éyénement, M. Solacroup, di- 
recteur de la Compagnie, fit repartir, dès cinq heures 
du matin, M. Fayolle, avec une machine, pour faire 
évacuer sur Orléans toutes les stations de la ligne 
au delà de Juvisy. (Celles en deçà étaient déjà repliées 
sur Paris.) M. FayoUe s'acquitta heureusement de cette 
mission, devenue hasardeuse par suite des progrès 
rapides de Tennemi. La gare importante de Brétigny, 
où se bifurquent les deux lignes de Tours, avait été 
évacuée la veille à onze heures du soir sur Dourdan 
(ligne de Vendôme). Cependant, comme aucun ennemi 
n'avait paru dans la nuit à cette bifurcation , le chef 
de gare était revenu le matin à son poste, rapportant 
ses appareils pour transmettre des renseignements à 
Paris. Mais, quelques heures plus tard, la station fut 
surprise, et le chef n'eut que le temps de s'échapper, 
laissant une partie du matériel télégraphique aux 
mains de Tennemi. 

Sur la section d*Orléans, Ëtampes, Angerville et 
Toury devinrent successivement tête de ligne, au fur 
et à mesure des progrès de Tinvasion. Sur la ligne de 
Vendôme-Tours, le service avait été limité le 17 à 
Dourdan (56 kil. de Paris), puis à Châteaudun (134 kil.). 
Cette localité resta tête de ligne jusqu'au 12 octobre^ 



Ablen, et jetèrent un pont de bateaux sur lequel défila la divi- 
sion de cavalerie Stolberg, suivie du cinquième corps prus- 
sien. Toute la population d'Ablon avait pris la fuite, sauf une 
trentaine de perâonnes. On assure que, dans cette circons- 
tance, quelques hussards ivres justifièrent assez mal la belle 
réputation de continence qu'on a faite aux Allemands. (Voir 
Desjardins, Tableau de l'invasion dans le déparlement de 
Seine-et'Oise, p. 9.) 

15 



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gle J 



*Ô4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

époque à laquelle on fut obligé d'évacuer toutes les 
gares jusqu'à Vendôme, par suite de Tenvahissenaent 
delaBeauce et de la première occupation d'Opléans (1). 

Dès les premiers jours d'octobre, quelques engage- 
ments, précurseurs de la bataille d'Artenay, avaient eu 
lieu aux environs de Toury, et forcé la Compagnie de 
limiter son service public à Orléans. Alors commença 
ce qu'on pourrait appeler son service militant de la 
Compagnie; c'est-à-dire, d'une part, l'organisation 
quotidienne de trains de munitions et de vivres qui 
allaient approvisionner les troupes jusque sur le lieu 
de l'action, et en ramenaient les blessés; d'autre part, 
l'expédition des machines d'exploration, qui souvent 
devançaient la limite extrême de nos avant-postes. 

Ce service. fut continué sans désemparer jusqu'à la 
Un de la guerre. Pour bien apprécier, là comme ailleurs, 
les difficultés d'une pareille tâche, il ne faut pas perdre 
de vue les obstacles de tout genre qui entravaient les 
manœuvres, les départs, la marche et l'arrivée des 
trains, obstacles dont les relations du t^mps peuvent 
à peine donner une. idée. Le 5 octobre, le vaillant aéro- 
naute Gaston Tissandier quittait Orléans pour se 
rendre à Lyon par Saincaise et la ligne du Bourbon- 
liais: il allait chercher la soie nécessaire au confec- 
tipnnement de ses ballons. Il lui fallut deux jours et 
deux nuits pour faire un trajet qu'on accomplie d'or- 

(1) Pendant cette première période, les employés de la 
station de Dourdan, restés à leur poste, méritèrent les plus 
grands éloges. Le chef de gare trouva le moyen de trans- 
mettre encore des eommunications télégraphiques plusieurs 
jours après Tocoupation, et des facteurs risquèrent plusieurs 
fois leur vie pour apporter des renseignements. 



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RESEAU D*ORLEANS IM 

dinaire en quatorze ou quinze heures par trains omnibus. 
Toutes les gares, grandes et petites, étaient encombrées 
de voyageurs civils et de troupes, c'est-à-dire de gens 
revêtus des costumes les plus variés. Malgré tous les 
efforts des agents, trop peu nombreux et pas du tout 
écoutés, la plus grande confusion régnait dans les em- 
barquements commo dans les débarquements, grâce à 
rinsôucianee d'un grand nombre d'officiers, qui n'exer- 
çaient aucune surveillance sur leurs hommes, alléguant 
qu'ils n'avaient pas à s'en occuper dans les gares, que 
ce n était pas leur affaire^ que d'ailleurs ils ne voulaient 
pas se compromettre en donnant des ordres qui sûre- 
ment ne seraient pas exécutés. Ce dernier motif n'était 
malheureusement que trop fondé. Depuis le 4 septembre, 
l'insubordination, dont le pouvoir révolutionnaire of- 
frait un exemple triomphant, était à Tordre du jour 
parmi les nouveaux soldats: c'était ainsi qu'on s'ima- 
ginait régénérer et sauver le pays! I 

Sur ces lignes comme sur les autres, il y eut, parmi 
les agents de tout grade, d'admirables exemples de 
courage et de dévouement. Dans les mois de décem- 
bre et janvier, quand la rigueur de la saison vint 
s^àjouter à la fatigue et aux périls de ce service de 
guerre^ on vit des mécaniciens, des conducteurs de 
trains de troupes ou d'approvisionnement demeurer 
inunobiles, à leur poste, dix-huit et vingt heures de suite 
par les froids les plus vifs, en plein champ, sous la 
pluie et la neige.... 



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156 CHEMINS DE FËR FRANÇAIS 



II 



Chargé de couvrir Orléans avec un corps en formsk- 
tion contre des troupes organisées et supérieures en 
nombre, le général de la Motte-Rouge ne pouvait que 
succomber dans raccomplissement d*une tâche impos- 
sible. Sa conduite fut appréciée à Tours avec une sévé- 
rité à laquelle d'anciennes rancunes politiques n'étaient 
nullement étrangères. 

La marche des Bavarois à travers la Beauce ne ren- 
contra d'autre obstacle que quelques escarmouches de 
compagnies franches, parmi lesquelles il faut signaler 
la belle résistance, auprès d'Angerville, de quarante-six 
tirailleurs du Gers, qui furent presque tous pris ou 
tués. L'issue malheureuse du combat d'Artenaj (10 
octobre) rendait imminente l'invasion d'Orléans. Aussi, 
M. de la Taille, inspecteur principal .de la ligne, fit 
aussitôt toutes les dispositions nécessaires pour l'éva- 
cuation de la gare. Pendant toute la nuit et la matinée 
suivante, il y fut formé plus de vingt trains. spéciaux. 
Le 11, à midi, la lutte recommença vers Gercottes; 
bientôt elle s'étendit aux faubourgs d'Orléans, où une 
arrière-garde peu nombreuse, mais composée d'hommes 
d'élite, s'efforçait de retarder les progrès de l'ennemi* 
Les abords du chemin de fer, en particulier, furent 
vigoureusement défendus par le 39* de ligne, le régi- 
ment des mobiles de la Nièvre, et par le commandant 
d'artillerie Tricoche, qui tint tête longtemps avec ses 



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RESEAU D^ORLEANS S»7 

'dix canons à une artillerie bien supérieure, et ne se 
replia qu'au dernier moment sur la gare des Aubrais 
et de là sur Orléans. Mais, pendant ce temps, la confu- 
sion augmentait d instant en instant dans les deux gares 
^ei sur les voies intermédiaires, par suite de l'arrivée des 
trains de k'oupes et de munitions venant de Bourges 
et Vierzon et qu'il fallait débarquer , renforts tardifs 
qui ne paraissaient que pour être entraînés dans, la 
débâcle. 

" Enfin, dans l'après-midi, voyant l'armée française 
en pleine retraite, et l'espace compris entre, les deux 
gares encombré de soldats en débandade, M. de la Taille 
dut songer au départ définitif. En tardant davantage. 
Une pouvait plus que compromettre un matériel indis- 
pensable à l'armée. Tandis que se faisaient les dernières 
manœuvres et que les obus arrivaient déjà danfr la 
gare, M. de la Taille eut la présence d'esprit de faire 
réembarquer en toute hâte deux batteries d'artillerie 
qui venaient d'arriver, et dont le déchargement était 
commencé. Il jugea avec raison que, dans l'état des 
choses^ cette artillerie ne pourrait être utilisée, et 
deviendrait sûrement la proie de Tennemi. Pour la 
sauver, il sacrifia une quarantaine de wagons^ dont 
quelques-uns chargés de houille, qui tombèrent entre 
les mains des Bavarois. Ce sauvetage valut le leode- 
Hiain à l'inspecteur principal les remerciement du 
^bef d*état4najor. 

Il n'avait quitté la gare qu'à cinq heures du soir. En 
^è moment, une partie du faubourg Bannier, que tra- 
verse le chemin de fer, était en fiammes, et les projec- 
tiles ennemis arrivaient bien au delà ; en pleine ville 
ei jusque sur la place du Martroi. Peu de temps après, 



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«8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

les Bavarois entraient dans Orléans, musique en tête, 
et lui imposaient, comme cadeau de bienvenue, une 
contribution de guerre d'un million. Ils ne trouvèrent 
à la gare, outre les wagons dont nous avons parlé, que 
deux machines hors de service. Ils parvinrent néan- 
moins à les utiliser pour leurs transports, au moyen 
de bielles qu'ils tirèrent d'Epernay, alors point central 
de l'exploitation allemande du réseau de TEst. 

Les troupes qui venaient de céder Orléans ^' étaient 
retirées dans la direction de Vierzon. Elles furent ral- 
liées sur les hauteurs de Saint-Aubin, près delà station 
de la Ferté (22 kil. d'Orléans). Sur cette section, ajant 
la Perte pour tête de ligne, circulaient incessanament 
des trains spéciaux de troupes et d'approvisionnements 
entre Bourges, Vierzon et les lieux de campement. 
Cette situation se prolongea jusqu'au 17 octobre, époque 
où Tarmée, dont le général d'Aurelles venait de prendre 
le commandement, se reporta en arrière, dans la posi- 
tion de Salbris qui couvre Vierzon (1). 

Sur la section d'Orléans à Tours, Beaugeney était 
devenu tête de ligne après l'évacuation d'Orléans. 
Mais, quelques jours plus tard, les chefs de la Compa- 
gnie, voyant que les patrouilles ennemies arrivaient 
jusqu'à Beaugency et qu'il était impossible d'obtenir 
des troupes pour garder cette station, prirent le parti 
de limiter leur service à Blôis, où le 16® corps d'armée 
' était en formation. Ce mouvement en arrière redoublât 
les alarmes de la Délégation, déjà singulièrement 
effiirouchée de la prise d'Orléans. On ne doutait plus de 

(4) La station de Salbris est à 55 kilomètres d'Orléans. 
'^ de Viôrzon. 



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RESEAU D'ORLEANS tft9 



la prochaine marche de rennemi sur Tours, et Ton ne 
discutait plus que le choix d'un nouvel asile. M. Cré- 
inieùx opinait pour Bordeaux ; M. Gambetta penchait 
pour Clermont, d'où il pensait être plus à portée de 
diriger, à distance respectahle, Tensemble de la àé- 
fense. Fidèle à ses vieilles habitudes, M. Glais-Bi^oin 
n'était d'accord avec aucun de ses collègues. La réso- 
lution de quitter Tours était si bien prise, qu'un des 
chefs de la Compagnie s'étant rendu un jour près 
d'un membre du Gouvernement pour obtenir des 
explications, la conférence fut interrompue par la 
femme du personnage dont il s'agit, venant demander 
SI c* était la peine de donner le linge à blanchir^ puis- 
qu'on était si près de s'en aller. Fort heureusement^ 
la Compagnie n'avait eu garde de négliger le ser*- 
vice d'exploration. Chaque jour des machines cir- 
culaient de Blois jusqu'à Beaugency et quelquefois 
au delà, et rapportaient des informations (1). On ne 
tarda pas à acquérir par cette voie la certitude que 
*les Bavarois ne songeaient pas à dépasser Orléans. 
Alors il ne fut plus question de départ, et même l'on 
tâcha de faire croire qu'on n'y avait jamais pensé. 
Seul, M. Glais-rBizoin, qui avait été d'avis de rester 
quand les autres songeaient à partir, voulait absolu- 



(1) Le 15 octobre, une de ces machines, montée par 
M. Bazin, inspecteur de la section (mort depuis, par suite 
des fatigues de la campagne), s'étant avai^oée jusqu'à la statioA 
de Meung, la première après Beaugency du côté d'Orléans, 
fut saluée par une patrouille de cavale lie bavaroise d'une 
vingtaine de coups de feu qui n'atteignirent personne. Mais 
le lendemain, tfn détachement ennemi vint détruire le viaduc 
de Beaugency pour mettre un terme à ces explorations. 



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«60 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

meJit s'en aller diriger la défense en Bretagne, quand 
f)n se détermina à rester. 

A cette époque se rattache un épisode à la fois lu- 
gubre et consolant, la défense de Châteaudun (19 oc- 
tobre). Déjà, quelques jouis auparavant, une autre 
station de la ligne de Paris-Vendôme-Tours, le village 
tl'Ablis, avait été incendiée par les Prussiens en repré- 
sailles de la destruction d'un escadron de cavalerie 
surprix dans cette localité par les francs-tireurs de 
Paris (L4powski), dans la nuit du 7 au 8. Ce fut cette 
même troupe, renforcée d'un certain nombre de gardes 
nationaux de la localité, en tout moins de 3,000 hommes, 
*qiii barricada Châteaudun et s'y défendit toute une 
journée, sans artillerie, contre des troupes dix fois 
plus nombreuses (toute la 22* division d'infanterie et 
4a 4* de cavalerie prussienne), avec trente pièces de 
canon. Dans cet engagement^ Pennemi se présenta na> 
tarellement du côté le plus accessible, celui de la gare, 
située au point où le plateau de la Beauce se relie à 
Tescarpement sur lequel est bâtie la ville haute , domi- 
nant, de l'autre côté, la ville basse et la vallée du Loir. 
La gare était donc, en quelque sorte, la clef de Châ- 
teaudun* Son matériel ne fut évacué qu'à la dernière 
heure et sous le feu de l'artillerie ennemie, qui forçait 
nos tirailleurs de se replier sur la ville. La gare fut 
criblée de projectiles et le feu y prit en plusieurs en- 
droits, mais il fut éteint par les employés du chemin 
de fer» restés bravement à leur poste. 

Le commandant en chef prussien, général de Wittich, 
se voyant maître de la gare, crut l'être bientôt de la 
.ville et la ûi attaquer immédiatement par Tune de ses 
brigades (la 43«). Mais, malgré la supériol*ité dû 



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RESEAU D'ORLEANS t61 

nombre, elle eut a£Eàire à forte partie. Le combat, 
commencé dans la matinée, se poursuivit avec un achar- 
nement sans égal jusque bien avant dans la nuit, à la 
lueur des incendies allumés par les obus. On se battait 
corps à oorps, et plusieurs officiers prussiens durent se 
jeter dans la mêlée pour encourager et ramener leurs 
hommes. Un des historiens allemands de la campagne, 
avoue que a les Allemands eurent besoin de toutes 
leurs forces pour réduire cette poignée d'hommes; qu'il 
leur fallut donner successivement Tassant à un grand 
nombre de maisons, de barricades, les aUaquer tout 
ensemble de front et à revers, en démolissant des 
murs ». On croirait lire un épisode du fameux siège 
de Sarragosse (1). 

La perte des assaillants de Châteaudun fut grande ^ 
leur vengeance atroce. Il paraît avéré que le feu mis 
par le bombardement fut propagé sur plusieurs points 
à titre de représailles, après que les deux colonnes 
d'attaque eurent opéré leur jonction devant Thètel de 
ville, mouvement dont le succès» longtemps disputé, 
avait mis fin à toute résistance. Un effroyable ouragan 
vint apporter son concours à cette œuvre de destruc^ 
tion, comme si la fureur des hommes n*ei^t pas suffi! 
L'incendie dévora des femmes, des enfants, des blessés .•^ 
ses progrès contraignirent même à reculer encore une 
fois ceux qui lui devaient la victoire. Une relatioi\ 
allemande du temps nous apprend que a l'on fut obligé 



(1) Châteaudun semble un lieu prédestiné aux défenses 
héroïques. Au fort de rinvasion anglaise du xv« siècle, cette 
ville avait été victorieusement défendue par le sire d'Iliers, 
Tun des plus valeureux auxiliaires de Jeanne Darc. 

15, 



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gle J 



MÈ CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

de retirer les chevaiix de la 4^ division des écuries où 
ils avaient été placés d'abord, et que déjà le feu ga- 
gnait. » Soldats, officiers, durent bivaquer en plein air. 
Quand ils se remirent en marche, le lendemain de grand 
matin, ils y voyaient aussi clair qu'en plein jour, à la 
lueur de cet immense brasier. Et ce fut seulement al<»*s 
que le général de Wittich, installé à la gare, permit 
aux habitants de Châteaudun de travailler à éteindre 
Pincendie ! 

Bien que la voie ferrée fût intacte jusqu'à Tours, 
Châteaudun n'avait pas été secouru, et n'était sans 
doute pas secourable, vu l'insuffisance des moyens dont 
on disposait alors. Le sentiment de cette impuissance 
était bien profond chez les hommes qui avaient acea^aré 
la dictature militaire ; car ce fut en vain que plusieurs 
télégrammes expédiés de Châteaudun et des stations 
voinnes arrivèrent à Tours dans la soirée du 16 et 
jusque bien avant dans la nuit, implorant du seoourgpour 
cette ville qui brûlait déjà, mais résistait encore (1) ! 



(1) On trouve à ce sujet des détails curieux dans Touvra^e 
de M. Glais-Bizoin (p. 158-162). Après d'inutiles démarches 
auprès de Tautorîté militaire, il voulut expédier de lui-môme, 
sur Châteaudun, un bataillon de mobilisés qui arrivait en 
gare venant de Laval. 11 n'y renonça qu'en s'apercevant qu'ils 
n'avaient pas de cartouches. M. Glais-Bizoin croyait et croit 
encore qu'il aurait suffi d'un renfort de 3,000 hommes, envoyé 
par le chemin de fer, pour sauver ou Venger Châteaudun. C'est 
l'illusion d'un patriote ardent, mais mal informé, 



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RESEAU D'ORLEANS 268 



III 



Pôu de jours après cette catastrophe, dans la soirée 
du 25octobr6^ la Compagnie d'Orléans fut avisée qu'elle 
aurait à embarquer le 27 et le 28, dû camp de Salbris 
deux divisions du 15® corps, c'est-à-dire 25,000 hommes 
avec voitures et bagages, 23 batteries d'artillerie, deux 
régiments de cavalerie, plus le parc d'artillerie et un 
équipage de ponts. Ces troupes devaient être transpor- 
tées de Salbris à Tours par Vierzon, et dirigées de là, 
leB tines sur la station de Vendôme, les autres sur celle 
de Mer, la dernière qu'on rencontre avant Beaugencj 
sur la section Tours-Oriéans. 

Tous les détails de ce mouvement avait été concertés 
eiïtre le directeur de l'exploitation et le délégué de la 
guerre. Ce dernier entendait que le transport fût abso- 
lument terminé en deux jours, et avait calculé avec 
une précision mathématique les heures de départ et 
d'arrivée des trains, sans daigner tenir compte de bien 
des rétards accidentels qui ne pouvaient manquer de se 
produire dans de telles circonstances. 

La Compagnie fit à la hâte les dispositions néces-' 
saires. L'embarquement de l'artillerie eut lieu à Vier- 
zon, celui de la cavalerie et de Tinfanterie aux deux 
stations les plus rapprochées des campements de Sal- 
bris, celles de Nouan et de Salbris. Cette opération com- 
mencée le 27 à sept heures du matin, fut continuée 
jour et nuit sans désemparer jusque dans la matinée 
du 29 ; mais une partie du parc d'artillerie, le matériel 



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Uk CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

da génie et Téquipage des ponts ne purent être expé- 
diés de Vierzon que le 30. 

Pour mieux dissimuler ce mouvement» on avait sus- 
pendu le service des voyageurs, non-seulement sur la 
section de Vierzon à Tours, mais sur celle de Tours au 
Mans, et répandu le bruit que les troupes partant de 
Vierzon étaient à destination du Mans. Mais le secret 
avait été éventé à Tours, et le but véritable de Texpé- 
dition connu de beaucoup trop de gens. 

Ce transport fut fait en 42 trains, d'ensemble 
1,800 wagons. Une telle opération eût été difficile en 
•tout temps, mais le devenait encore davantage dans 
une saison avancée et avec des troupes novices. Une 
partie de ces troupes, et notamment l'artillerie, avai^it 
eu d*assez longues distances à parcourir dans les ternes 
détrempées, pour atteindre les points d'embarquement. 
La majeure partie du parcours à effectuer (section de 
Vierzon à Tours) était en voie unique : aussi TonlÉt 
obligé, à la fin de la première journée, de suspendre le 
mouvement pendant quelques heures, pour opérer le 
renvoi des premiers wagons déchargés. Il fallut aussi 
intelrcaler au milieu de ce mouvement d'autres trains 
de troupes, qui étaient réellement dirigées sur le Ms^is, 
et transporter 10,000 hommes qui se rendaient de 
Bourges à Salbris pour y remplacer le corps d^année 
qu^on expédiait sur la rive droite de la Loire. Il y eut 
à Tours même d'assez longs retards, parce qu'au nfto- 
ment où les trains y arrivaient, l'indication de la direc- 
tion ultérieure sur Mer ou Vendôme n'était pas encore 
parvenue aux agents de la Compagnie. Le service des 
voyageurs avait été suspendu, par ordre, entre Tours 
et le Mans. Mais le ministère de la guerre avait cru 



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ItÉSEAU D*<»tLBÂM8 «65 

■faire preuve de finesse en n'appliqaant pas cetie me- 
sure là justement où elle eût été le plus néoessaire : aux 
deux sections sur lesquelles le débarquement devait 
avoir lieu. Il s'imaginait dissimuler ainsi un mouvement 
déjà connu, et n'aboutissait qu'à le retarder par un 
surcroît d'encombrement. 

A propos de ce transport de Salbris, M. le général 
d' Aurelles, dans son livre sur La première armée de la 
Lotre^ dit que le matériel d'artillerie ne fut pas chargé 
avec tout Tordre désirable. Il ajoute que les plateaux 
et les ponts nécessaire pour la descente des chevaux de 
la cavalerie et de Tartillerie n'étaient pas rendus 
d'avance aux points de débarquement, et qu'il en ré- 
sulta de nouveaux retards. S'il y eut en effet des irré- 
gularités dans le chargement, il serait aussi juste de 
les imputer à l'inexpérience des artilleurs en fait de 
chemins de fer, qu'à celle des agents civils en fait d'ar- 
tillerie. Il est vrai néanmoins de dire que cette circons- 
tance a été l'une de celle où l'on a dû regretter le plus 
que l'organisation des bataillons d'ouvriers militaires 
des chemins de fer, f&t encore en France à l'état de 
projet. M. le général d' Aurelles fait encore observer 
avec raison que l'artillerie aurait pu se rendre direc- 
tement par terre, en deux jours, de Salbris à Blois, et 
qu'en prenant ce parti on aurait obtenu une économie 
de temps considérable, attendu que cette artillerie dut 
employer cinq jours à se réorganiser après le débar- 
quement. Nous croyons, en effet, qu'il eût mieux valu 
n'embarquer que l'infanterie, et utiliser pour le reste 
la voie de terre par Romorantin, plus courte des deux 
tiers. Mais le tort d'avoir agi autrement ne saurait 
être imputé aux chefs de la Compagnie. Nous savons 



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CHEMINS DB FER FRANÇAIS 



de «ooroe certaine qu'ils conseillèrent d'adopter le trajet 
par terre pour la cavalerie et Tartillerie . Mais leurs 
représentations ne furent pas écoutées ; ils durent se 
résigner à exécuter les ordres donnés à très-bref délai 
par le délégué de la guerre. Enfin, au reprooho de 
n'avoir pas amené les plateaux et les ponts pour le 
débarquement, la Compagnie oppose une réponse pé-^ 
remptoire : ces plateaux, ces ponts n'existaient pas. Il 
en avait bien été question dans les articles préparés 
par la commission Niel. Cet outillage devait être con- 
fectionné aux frais et sur la demande du ministère de 
la guerre. Mais on sait déjà que le nouveau règlement 
était resté malkeureusement à Tétat de projet. En fait, 
la Compagnie n'avait reçu aucune commande de ce 
genre, ni avant, ni depuis le 4 septembre. 

Il faut encore tenir compte de ce fait considérable, 
que cette opération si compliquée se ût sans le moindre 
aocident. Il est vrai que les hommes et les chevaux 
eurent à souffrir de la faim, rien n'ayant été préparé 
pour eux à Tours. Mais les questions d'approvisionné-, 
ments ne regardaient pas la Compagnie. 

Pour compléter la concentration de l'armée à Mer et 
sur Vendôme, et satisfaire à ses besoins, la Compagnie 
dut faire jusqu'au 8 novembre, dans ces deux direc- 
tions, de nombreux trains de troupes et d'approvision- 
nements. Mais le service fut souvent entravé sur ces 
lignes, comme ailleurs, par le système vicieux de trans- 
formation des w^agons en magasins. 

Les stations de Vendôme et de Mer restèrent têtes 
de lignes jusqu'au 8 novembre. On sait que ce jour-là 
les 15« et 16« corps quittèrent leurs positions pour atta- 
quer l'ennemi, et<][ue les Bavarois ne furent pas plnsti 



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RBSEAU DORLEANS i«f 

heureux à Coolmiers en 1870, qu'ils ne Tavaient été en 
1813 À Hanau. 

L'issue de la bataille du 9 détermina le général Von 
der Tann à se rapprocher des renforts qu'on lui en- 
voyait de Chartres et de Versailles. C'est du moins ainii 
que le rapport officiel prussien jugea prudent de quali- 
fier cette retraite forcée. Le 10, nous rentrions dans 
Oriéans, que les Bavarois avaient évacué précipitam* 
ment, n'ayant eu le temps ni d'enlever leurs maladea, 
ni de détruire les ponts. Le même jour, M. Sévène, 
ingénieur en chef de la Compagnie, établissait une 
passerelle sur l'arche rompue du viaduode Beaugency. 
Dès le lendemain, la circulation était reprise et le ser- 
vice rétabli, d'une part, jusqu'à Orléans; de l'autre, 
jusqu'aux ruines de Châteaudun. • 

Cette situation fut maintenue jusqu'aux derniers 
jours de novembre. Le 27, l'ennemi montrant des forces 
considérables vers Châteaudun, il fallut procéder aune 
nouvelle évacuation de cette gare sur Vendôme. Niais, 
cette fois, le sacrifice du pont du Loir^ près de la sta- 
tion de Cloyes, fut jugé nécessaire à la défense. On lé 
fit sauter aussitôt après le passage du dernier train 
d'évacuation. Cet acte de destruction, absolument inu- 
tile, fut accompli malgré les représentations de la Com- 
pagnie. On voulait empêcher l'ennemi de se servir de 
cette ligne pour tenter un coup de main sur Tours. 
Mais c'était là une crainte chimérique, et qui prouvait 
(seulement qu'on était mal renseigné ou trop prompt à 
s'alarmer. Ce chemin de fer n'aurait pu servir à l'en- 
nemi que s'il avait eu à sa disposition des machines et 
des wagons pour l'exploiter. Or, à cette époque, il avait 
bien assez à faire d'organiser Texploitation de la ligne 



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%%S CH^CINS DE FER FRANÇAIS 

stratégique de TEst. Il ne faisait qu'entrer en pocuies- 
sion de la section d'Epernay à Lagnj^ si longtemps 
interceptée par Teffondrement du souterrain de Nan- 
teuil (Y. Historique de l'Est); il n'avait pas et n'eut ja- 
mus de matériel sur la rive gauche de la Seine. 

Les gares d'Orléans et des Aubrais devinrent le 
tiié&tre de nouvelles péripéties, quand l'armée de la 
Loire, après d'héroïques et inutiles efbrts pour exécu- 
ter le plan insensé d'o£fensive imposé à ses chefs, se 
trouva coupée en trois tronçons, et rejetée, partie sur 
Bleis etBeaugency, partie sur Gien, partie sur Orléans, 
Dans la matinée du 4, la gare des Aubrais étsdt encom- 
brée de matériel» de vivres, de munitions; on comptait 
encore sur les défenses de la ville pooir arrêter l'en- 
nemi (1). 

Le général des Pallières, commandant du 15^ corps, 
était chargé de protéger la retraite. Sa première divi-* 
sion, celle qui avait soutenu honorablement la veille 
un combat inégal à ChiUeurs, et qui arriva la première 
sur Orléans, était celle dont le moral avait le moins 
souffert. Les troupes qui composaient cette divisiou 

(1) On voit, par le journal de Fétat-major, que la Compa- 
gnie d'Orléans avait activemeot concouru à Tinstallation de 
ces défenses. Les pièces, les munitions et le matériel étaient 
rendus en gare dès le 15 novembre. Le 18, les canons, les 
munitions et le matériel nécessaires pour les batteries de 
€^dy (près Cercottes) et de Chevilly (près de la gare de cette 
localité) étaient expédiés par la voie ferrée. Le 26, le chemin 
de fer amenait encore à. Orléans quatre chaloupes canonnières 
à vapeur avec leur armement, qui furent déchargées et mises 
àTeau le lendemain. Enfin, les ingénieurs de la Compagnie 
aw^ent eu à s'entendre avec ie commaiktant d«a batteries 
pour la construction de wagons blindés munis de canons. 



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RBàEAÙ D'ORLÉANS 



fhréîit acheminées directement dans la matmée vers la 
gare des Aubraîs. Elles y complétaient leur approiHt- 
sibnnement de vivres et de cartouches, puis allaient 
occuper leurs postes de combat, dans les tranchées <|ui 
s'étendent de cette gare au fleuve. Leur résistance, 
(jui couvrait, sur la droite, l'évacuation par le pont du 
chemin de fer et celui d'Olivet, fut énergiquement sou- 
tenue jusqu'au bout. Entre huit et neuf heures du «bir, 
« cette division occupait encore les tranchées au nord 
et à Test de la ville, entre le chemin de fer et la route 
de Gien : et les batteries de marine, placées de ce o6té, 
continuaient encore leur feu malgré l'obscurité. » 

Mais il s'en fallait de beaucoup que la retraite fût 
aussi bien couverte du côté opposé, celui des faubourgs 
Saint- Jean et Madeleine. Depuis la veille^ les rue», les 
établissements publics d'Orléans étaient encombrés 
d^ùolés provenant de tous les corps, démoralisés, démo^ 
ralisant/ Vers midi, les soldats des 2* et3« avisions 
du 15« corps, qui avaient combattu sous les ordres 
directs du général en chef, débouchèrent par toutes 
les routes qui aboutissent à Orléans. <c Ces troupes 
marchaient en ordre, mais paraissaient accablées de 
lassitude. Elles traversèrent la ville, se dirigeant vers 
la Loire, et de ce moment l'armée défila sans interrup- 
tion vers les ponts. » 

Vers quatre heures, parut enfin l'arrière-garde de 
ces deux divisions, qui disputait le terrain pied à pied 
depuis Cercottes. C'était pourtant sur cette arrière- 
garde, épuisée par trente heures de lutte, de marches 
et de contre-marches incessantes, qu'on était forcé de 
iM>mpter pour le complément de la défense, pour garnir 
les tranchées qui couvraient la gauche de la retraite . 



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S70 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

• 
On voit en effets par le remarquable rapport du comr 

mandant des batteries d'Orléans, que, dans la soirée 
du 4, « les batteries de la marine étaient en état de 
tout entreprendre, complètement approvisionnées, en 
masure de couvrir le lendemain matin toute la c^^n- 
pagne de nos projectiles, » ainsi que Tordre en fiit 
donné d'abord. « Les munitions permettaient de conti- 
nuer un feu nourri pendant toute cette deuxième jour- 
née. Mais le complément indispensable de ce programme 
était l'occupation solide des retranchements qui couvraimt 
les intervalles »(1). 

C'était là précisément la tâche impossible. Ce fut 
en vain que les généraux s'efforcèrent, dans l'après- 
midi et le soir, de soustraire au mouveijient de retraite 
un nombre d'honmies suffisant pour garnir les tran- 
chées-abris de gauche, a A peine, dit le général des 
Pallières, avions-nous placé un groupe pour aller à un 
autre, que le premier nous glissait entre les mains. >> 
Le commandant en chef, prévoyant bien que les gens 
de Tours songeaient déjà à rejeter sur lui la respon- 
sabilité du désastre dont ils étaient les auteurs, avait 
voulu un moment arrêter la retraite, rappeler toutes 
ses troupes à Orléans, s'y maintenir à tout risque. En 
présence des informations qui lui parvenaient de toutes 
parts, il dut bientôt renoncer à cette résolution déses- 
pérée. Il était impossible de faire parvenir des ordres 
en temps utile, d'une part aux 16^ et 17« corps dirigés 

(1) Rapport du commandant Ribourt, du 20 décembre (Des 
Pallières, 413 etsuiv.), M. Ribourt, aujourd'hui contre-amiral, 
aTait été dignement gecondé dans cette crise, par tous les offi- 
ciers placés sons ses ordres, et particulièrement-par le lieute- 
ottOit de Taissean Gtambar, marin d*ua& rare énergie. 



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RÉ^LA^U 1)*0RLBANS tW 

siar Blois et Beaugency, de l'autre aux 18* et 20*, 
coupés et refoulés sur la Haute-Loire. Il était tout aussi 
impossible de fttire rebrousser chemin aux soldats du 
15* qui avaient déjà franchi la Loire, de retenir dans 
Orléans ceux qui s'y trouvaient encore. Les hommes 
H*en pouvaient et nen voulaient plus,.. On ne pouvait 
donc plus songer, ni à ramener sur cette ville assez de 
troupes pour livrer bataille, ni même à y prolonger la 
défense le lendemain. Il fallait que tout fût terminé 
dans la nuit. 

Telles étaient les circonstances tembles dans les- 
quelles il fallut évacuer précipitamment les deux gares 
d'Orléans, bourrées de matériel de guerre, dont la perte 
eût été une nouvelle aggravation du désastre. Le 4 au 
matin, M. de la Taille, inspecteur principal, compre- 
nant déjà toute la gravité de la situation, avait de- 
mandé « quand il faudrait faire replier le matériel du 
chemin de fer ». Sa demande, adressée au général des 
Pallières, avait été transmise au précédent quartier- 
général du commandant en chef, qui, dans ce moment 
même revenait sur Orléans. Par conséquent, elle ne 
reçut pas de réponse immédiate. Pendant ce temps, les 
événements se succédaient, s'accumulaient avec une 
telle rapidité que, quand l'opération fut enân autorisée, 
il était ^éjà presque trop tard. Elle fut dirigée de la 
façon la plus remarquable par M. de la Taille. Voici 
dans quels termes en par le letémoin le plus compétent, 
le commandant du 15® corps, chargé en dernier lieu de 
la défense. « On ne saurait trop faire l'éloge de l'acti- 
vité et de l'énergie déployée par l'administration du 
chemin cle fer d'Orléans, dans cette journée du 4, pour 
«écouler tout le matériel accumulé dans la place. Les 



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nt CHEMINS DE- FER FRANÇAIS 

employés ne se laissèrent arrêter par aucune difficulté; 
le dernier train ne partit d'Orléans (dans la directiOB 
de Tours) qu'à cinq heures vingt minutes du soir, et il 
eut à subir, comme les trois précédents, le feu de Ten- 
tiemi. Les chefs de train n'en continuèrent pas moins 
leur route avec une intrépidité digne d'être signalée 
au pays. » {Orléans^ p. 245.) 

Nous trouvons des détails curieux sur ce dernier 
train, dans le récit d'un témoin oculaire, Gaston Tis- 
sandier, qui parvint à y faire insérer son fourgon 
d'aérostats et d'aérostiers. 

L'aspect de la grande gare, au moment de ce départ, 
était épouvantable. Les wagons regorgeaient de monde, 
les quais étaient encombrés de blessés aux yeux ha- 
gards, la plupart en haillons , sans capotes ni couver- 
tures> assiégeant les portières des voitures, implorant 
avec désespoir des places et n'en trouvant plus. Le 
fourgon de Tissandier contenait les six ballons péni- 
blement sauvés de la déroute et dix-sept hommes, d'é- 
quipe ; il avait de plus donné asile à cinq capitaines de 
la ligne, qui se tenaient accroupis sur les nacelles. 

« Le train va partir, et c'est le dernier!... Les bles- 
sés auxquels il reste quelque force, se hissent sur le 
toit des wagons : malgré le froid et bientôt la neige; 
ils vont rester là immobiles, à plat ventre, Ceucc-^l^ 
sont les privilégiés; d'autres, et en bien plus grand 
nombre, ne partiront pas; la captivité les attend I Les 
spectateurs affolés de ce départ crient, s'agitent; leur 
tumidte alterne avec les détonations du cation. Le$i 
avertissements les plus sinistres arrivent aux voya» 
geurs... — Vous n*arriverez pas ! — Les i*ail« sont cour 



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RÉSEAU D*ORLÉANS tTJ. 



p4s I ..^. Votre train va être brisé ! *- Les canons prus- 
siens vous attendent au tournant de la Loire 1... 

« Enân, à cinq heures vingt minutes, la locomotive 
donne le signal; la secousse du départ arrache aux bles- 
sés des cris de douleur. On suit lentement le bord du 
fleuve, en contre-bas des batteries françaises, dont les 
boulets sifflent à travers les arbres. On aperçoit sur la 
droite le pont d'Olivet et le pont de bateaux jeté au- 
près, couverts de vagues humaines. L'orage croissant 
du canon (domine tous les bruits, et le soleil couchant 
darde ses rayons d'un rouge de sang sur ce panorama 
sinistre. » 

A la hauteur de la chapelle Saint-Mesmin (6 kil. d'Or- 
léans), le train fut salué de quelques coups de pistolet 
par des uhlans, comme l'avaient été les deux précé- 
dents. Mais il courut un danger plus sérieux; ces ca- 
valiers commençaient à jeter des morceaux de bois sur 
la voie. Heureusement l'obstacle était encore trop lé- 
ger pour faire dérailler le train ; ils farent écartés des 
rails par la seule impulsion de la locomotive. 

A Beaugency, les voyageurs croisèrent un train qui 
»ta.tionnait en gare, et dans lequel se trouvait M. Gam- 
bette, lui-même, qui se dirigeait ou du moins avait voulu 
se diriger sur Orléans. Nous reviendrons tout à l'heure 
sur cet épisode, le plus curieux, sinon le plus édifiant, 
de Todyssée du trop célèbre dictateur. 

Le train, évadé le dernier d'Orléans du côté de 
Tours, était composé en grande partie de militaires ap- 
partenant au 15* corps qui devait se rallier au camp de 
Selbris, et auxquels on faisait faire le -circuit par 
Tours^ à cause de l'extrême encombrement de la ligne 
directe d'évacuation d'Orléans sur Vierzon. On pour- 



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i74 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

suivit doQo sans désemparer jusqu'à destination^ et le 
train ne aarréta qu'à minuit en gare de Yierzon* Ce 
fut un lugubre trajet, accompli sous des ra&ies de 
neige, dans une profonde obscurité. Absorbés par le 
souvenir des scènes lamentables auxquelles ils venaient 
d'assister, par l'incertitude menaçante de l'avenir, les 
voyageurs gardaient un silence qui n'était interrompu 
que par le mugissement de la tempête à travers les 
portes mal jointes, par les trépignements des malheu- 
reux qui grelottaient à découvert sur les toitures des 
wagons et des fourgons, par les gémissements des bles- 
sés. A l'arrivée, on retira de l'intérieur et du toit des 
voitures plusieurs cadavres!... 

Pendant ce temps, l'évacuation des troupes et du 
matériel d'Orléans sur Vierzon se poursuivait par la 
ligne directe, au bruit du canon et de la fusillade qui 
continuaient dans l'obscurité. Cette évacuation fut sin* 
gulièrement facilitée et hâtée par la suspension d'armes 
de deux heures, conclue, vers neuf heures et demi,e du 
soir, entre le général des Pallières et le général prus- 
sien de Treskow, commandant une des divisions du 
13* corps, déjà maîtresse du faubourg Saint-Jean. C'é- 
tait ce dernier qui avait pris l'initiative de cette négo- 
ciation, qui épargna à la ville et aux trçupes françaises 
des malheurs encore plus grands. Les Allemands n'au^ 
raient ni demandé ni consenti une suspension d'armes 
à cette heure, s'ils avaient bien connu la situation vé- 
ritable de la défense. Elle était toujours bien soutenue 
sur notre droite par la 1" division qui garnissait les 
tranchées; et, au moment même où avaient lieu lès 
pourparlers pour la suspension d'armes, une avants 
garde ennemie était expulsée de la gare des Aubrais 



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RESEAU D'ORLEANS i75 



par le feii d^une de nos batteries. Mais, dès huit heures 
du soir, rennemi s'était avancé dans le faubourg Ban- 
nier jusqu'à la grille du chemin de fer. Sur notre 
gauche, après avoir forcé, non sans peine, l'entrée 
barricadée du faubourg Saint-Jean, il avait été obligé 
de rétrograder par le feu très-meurtrier qui partait 
d'une dernière barricade construite au débouché de ce 
faubourg sur le Mail, avec des meubles, des voitures 
et une grande porte cochère (1). 

Mais cette barricade avait été ensuite abandonnée 
par presque tous ses défenseurs. Derrière ce dernier 
rempart, qui faisait hésiter encore Tennemi, il ne res- 
tait plus, vers neuf heures du soir, qu'une quarantaine 
de soldats, sans soutien auqun. Le ^néral Peytavin, 
qui commandait la 3® division du 15® corps, avait bien 
reçu et exécuté Tordre du commandant en chef, de 
laisser une arrière-garde de ce cMé pour garnir les 
tranchées. Mais cette arrière-garde avait, en peu de 
temps, fondu dans sa main et suivi le torrent de la 
reta^aite ; une partie même se trouva séparée du reste 
et prit la direction de Blois. Les Prussiens ignoraient 
cet abandon ; et ne se doutaient pas «c qu'ils n'avaient 
qu'à avancer par les faubourgs SaintnJean, de la Made- 
leine et les bords de la Loire, pour nous barrer la re- 
traite et arriver sans coup férir au milieu de la ville. » 

Grâce à cette heureuse ignorance, la 1" division du 

(l) Nous voyons dans une histoire allemande do la cam-^ 
pagne, récemment publiée^ que les chasseurs clu 9** régiment 
prussien, qui formaient l'avant-garde de ce côté, tombaient 
par* monceaux (Haufenweùe) sous le feu de cette barricade: 
(HUU., p. ao2>. 



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176 CHEMINS DE FBR FRANÇAIS 

15* corps put quitter sans brait ses tranchées, et s*é- 
cooler par le pont du chemin de fer, dans la direction 
de Vierzon. Les deux autres divisions, auxquelles se 
réunirent un grand nombre d^isolés appartenant aux 
16* et !?• corps, continuèrent leur mouvement dans la 
même direction, par le pont d'Olivet. Les ordres en- 
voyés de Tours pour détruire ces ponts ne purent être 
exécutés. D n'j eut pas lieu de le regretlîer, car l'en- 
nemi n'inquiéta que mollement la retraite sur la rive 
gaache« D'ailleurs, il aurait jeté facilement en quel- 
ques heures des ponts provisoires, puisque Ton n'était 
pas en mesure de lui disputer le passage. Cette rupture 
eût été, comme tant d'autres du même genre dans le 
cours de la guerre, un grand sacrifice pour un résultat 
à peu près nul. 

Pendant toute la journée du 5, les soldats qui ve- 
naient d'évacuer Orléans continuèrent leur mouvement 
sur Vierzon jusqu'à la Motte-Beuvron (48 kilomètres 
d'Orléans), où ceux qui avaient conservé leurs rangs 
passèrent la nuit. Le lendemain» ils se dirigèrent sur 
Salbris, où l'intention du général en chef était de leur 
faire reprendre leurs anciennes positions. C'était le 
paili le plus judicieux, aussi la Délégation s'empressa 
d'en décider autiement. Après avoir organisé une ar- 
rière-garde pour repousser au besoin la poursuite de 
l'ennemi, le général des Pallières prit à la Motte-Beu- 
vron le train de Vierzon jusqu'à Salbris. La plus 
grande confusion régnait à cette gare, devenue mo- 
mentanément tête de ligne. Le général trouva tout le 
train en partance envahi par plusieurs centaines de 
soldats de toutes armes qui l'avaient pris d'assaut, se 
disant écloppés. Avec le secours d'une compagnie de 



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RESEAU D'ORLEANS 277 

mobiles préposés à la garde de cette station, il ât éva- 
cuer les wagons, et reconnut, vérification faite, qu'il 
n*j avait pas plus d'une centaine de ces hommes en 
état de marcher. La plupart avait aux pieds des. écor- 
chures profondes, ayant été pourvus de ces fameuses 
chaussures à semelle de carton qui laissaient nos mal- 
heureux soldats pieds nus après deux heures de 
marche, mais qui ont procuré de si heaux hénéfices 
aux fournisseurs... et à leurs compères. 

Dans ce parcours de la Motte-Beuvron à Salhris, le 
général se retrouva avec l'inspecteur principal d'Or- 
léans, qui venait d'opérer le sauvetage du matériel. 
Tous deux savaient que l'arrivée de M. Gambetta avait 
été annoncée le 4 à Orléans. Ils savaient aussi déjà que 
le train qui l'apportait était arrivé de bonne heure fort 
près de cette ville, et s'étonnaient qu'il eût été, comme 
on le disait, forcé de rétrograder, tandis que des trains 
circulant en sens inverse, partis d'Orléans dans la soi- 
rée, étaient parvenus à Tours sans avaries. 

Avant d'expliquer cet incident, nous citerons encore 
des faits affligeants, mais caractéristiques, et qui se 
rattachent intimement à l'historique du chemin de fer 
d'Orléans. 

Instruit de la présence à Vierzon d'un grand nombre 
d'isolés , appartenant non^seulement aux corps qui 
avaient fait retr aite sur Blois, mais à celui qu'il com- 
mandait; le général des Pallières envoya dès le 6, de 
Sail>i*i3 à Yierzon, par le chemin de fer, quatre compa- . 
gnies d'infanterie de marine^ commandées par un, 
homme d'une rare énergie, le chef de bataillon Lau- 
rent, avec mission de rechercher ces traînards, d'en 

16 



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i7« CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

faire le triage, et de les réexpédier à Salbris, par la 
voie ferrée, dès le lendemain matin« 

Le commandant Laurent et ses hommes partirent le t> 
au soir. Le trajet qui n'est que de 23 kilomètres de 
Salbris à Yierzon , se ût très-lentement, à cause des 
groupes de fuyards qui marchaient sur la voie; 
aussi le train n'arriva que vers onze heures du soir à 
Yierzon. Là, le commandant apprit avec étonnement 
du chef de cette station, qu'il y avait en ville plusieurs 
milliers d'hommes, et quantité d'officiers de tous grades 
appartenant aux trois corps qui avaient été engagés 
en avant d'Orléans. En présence d'un tel nombre de 
fuyards, la mission du commandant Laurent devenait 
bien difficile, sinon périlleuse ; pourtant il fit résolu- 
ment son devoir. Il plaça immédiatement trois postes 
très-forts aux principales issues, sur les deux voies 
ferrées de Bourges et de Tours et sur la grande route, 
consigna le reste de ses hommes à la gare, envoya de3 
patrouilles dans toutes les auberges, avec ordre de 
fusiller tous ceux qui refuseraient de se lever. Dans 
un seul hôtel, on trouva trente-quatre officiers. 

« Le jour vint; la gare fut encombrée de gardes 
mobiles, de francs-tireurs, voulant monter en wagon 
pour aller soit à Bourges, soit à Tours; peu leur 
importait. Ils appartenaient en grande majorité au 
16« corps. Il y avait là des groupes de 250, 300 hommes 
appaiienaut à un même régiment de mobiles. » Ces 
fuyards s'entassaient sans ordre dans les wagons ; Lau- 
rent les ât descendre indistinctement à coups de crosse, 
et déclara qu'on ne réembarquerait que par détache- 
ments organisés. Cette prétention excita des mur- 
mures; des francs-tireurs à revers rouges, commandés 



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RESEAU D^ORLEANS S79 



par un Espagnol affublé ûeB insignes d^offieier supé- 
rieur, cernèrent un moment Fofflcier courageux qui 
osait parler encore de discipline^ d^honneur! Les uns 
se moquaient de lui, les autres le menaçaient ; ses 
hommes durent exécuter une véritable charge à la 
baïonnette pour dégager et débarrasser le quai de la 
gare. 

Cependant plusieurs offleiers de mobiles, rappelés 
au sentiment du devoir, se mirent à rassembler leurs 
hommes. On procéda au triage et à rembarquement 
par ordre, et l'opération marchait bien, quand arriva 
une dépêche de Tétat-major du 15° corps, qui enjoignait 
de tout suspendre, le général ayant pris dans Tinter- 
valle la résolution de se rendre lui-même à Yierzon 
avec son corps. Nous n'avons pas ici à discuter le mé- 
rite <ie cette résolution, dans laquelle d'ailleurs on ne 
persista pas. Mais l'arrivée de ce conlj^e-ordre était fort 
inopportune ; l'interruption de l'embarquement semblait 
donner raison aux récalcitrants. En un clin d'œil, les 
choses prirent une fâcheuse tournure : l'attitude des 
traînards qui encombraient la cour de la gare et le 
boulevard devint tout à fait menaçante. Le comman- 
dant Laurent, voyant ses hommes débordés, bousculés 
par les séditieux, saisit un fusil, et abattit d'un coup 
de crosse un des plus mutins. Les clameurs redou- 
blèrent : une des compagnies d'infanterie de marine, 
qui occupait la salle d'attente, se porta sur le perron 
et apprêta ses armes. Tout en vociférant, les rebelles 
reculèrent, mais le commandant Laurent dut se ren- ' 
fermer dans un rôle purement passif. Pendant le reste 
de la journée et la nuit suivante, les fuyards conti- 
nuèrent de s'embarquer à volonté, prenant d'assaut les 



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UO CHEMINS DE FER FRAJ^ÇAIS 

trains d'évacuation, à mesure qu'on parvenait à les for- 
mer. Il aurait suffi d'une seule fausse manœuvre au 
milieu de cette cohue, pour amener de grands malheurs. 
Il n' j eut toutefois aucun accident, grâce à la prétsence, 
à l'énergie infatigable de M. de la Taille, auquel cette 
évacuation ne fait guère moins d'honneur que celle 
d'Orléans. La plupart de ces traînards étaient ivres et 
proféraient les plus terribles menaces contre leurs 
chefs « qui les avaient trahis. » Il faut bien reconnaître 
que les télégrammes de Tours, alors affichés par- 
tout, s'exprimaient, à propos de la catastrophe d'Or- 
léans, dans des termes propres à autoriser les plus 
odieux soupçons, principalement contre l'ex-général en 
chef d'Aureiles. Or, ce général se trouvait précisément 
de passage à Vierzon. Le maire, gendre de M. Pyat, et 
digne d'un tel beau -père, n'avait pas osé retenir pri- 
sonnier le vainqueur de Coulmiers, bien qu'il en eût 
bonne envie, mais le général d'Aureiles fut forcé d'at- 
tendre plusieurs heures, chez le chef de gare, un train 
pour Ljon. Heureusement il put partir sans avoir été 
reconnu de quelques soi-disant patriotes qui le cher- 
chaient, avec l'intention évidente de le signaler comme 
traître aux isolés qui encombraient la gare (1). 

Le commandant Laurent était resté bloqué avec ses 
hommes dans les bâtiments de la gare. L'exaspération 
des isolés était telle, que plusieurs soldats de nmiiae 

(1) Dû 43ait qa*à la suite du refus fait pai» Je général d'Au- 
reiles d'accepter le commandement du camp de Cherbourg, 
nomination qui équivalait à une destitution, un décret avait 
été rédigé, ab irato^ pour le faire passer en conseil de guerre. 
C« décret fut envoyé au Moniteur; il était déjà à l^mprimérie 
quand on se ravisa. 



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RESEAU D'ORLEANS ^i 

qui «e hasardèrent en ville furent insultés, poursuivis, 
et faillirent être assassinés. Vers le milieu de la nuit, 
il y eut une panique. Le général des Pallières avait 
eu, comme on vient de le voir, Tidée de se porter de 
Salbris sur Vierzon avec le 15® corps, et avait fait j»ar- 
tir en avant dans cette direction son convoi, escorté 
par une partie de sa troisième division. Mais le général 
d'AurfeUes avait blâmé ce mouvement, et, bien qu'il fte 
fût plus commandant en chef, des Pallières crut devoir 
obtempérer à son avis et marcher vers Gien, confor- 
mément aux dernières instructions de Tours. 

En conséquence, il s'était porté directement sur Oien 
par Aubigny, et avait envoyé un officier d'état-major 
porter à la 3* division, déjà parvenue à moitié chemin 
de Vierzon, l'ordre d'obliquer à gauche pour le re- 
joindre dans la nouvelle direction. Ce brusque change- 
ment au milieu de l'obscurité, coïncidant avec le bruit 
lointain d'une escarmouche à l' arrière-garde, produisit 
k plus fâcheuse impression sur le moral déjà fort 
ébranlé des soldats. Un grand nombre s'enfuirent en 
désordre sur Vierzon, et y arrivèrent à la fois par la 
grande route, par la voie ferrée, p8«» tous les sentiers, 
croyant et affirmant que l'armée prussienne était à 
leurs trousses. Il y eut alors un sauve-qui-peut géné- 
ral; le lendemain , au point du jour, il ne restait pas 
un seul fuyard ; tons avaient déguerpi du côté de 
Bourges ou d'Issoudun. Les employés du chemin de fer 
évacuèrent leur matériel sur Bourges, et l'on en fit au- 
tant aux stations intermédiaires, où les fuyards aiinon- 
çaient l'approche de l'ennemi. Cependant le comman- 
dant Laurent était resté à la gare de Vierzon, jugeaôt 
cette alnrme au moins prématurée. En effet, lesT écllti- 

16. 



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S8i CHEMINS DE F£R FRANÇAIS 

renrs prussiens qui harcelaient^ le 7, Tarrière-garde du 
15^ corps n'avaient pas dépassé ce jour^Ià la station de 
Tlieilloy, à 9 kilomètres de Vierzon, sur la ligne d'Or- 
léans. Le 8 au matin, voyant que Vierzon était absolu- 
ment évacué, le commandant Laurent se mit eu marche 
à son tour, en côtoyant la voie ferrée dans la direction 
(le Bourges, où il arriva dans la nuit. Eu approchant 
de Bourges, il essuya la fusillade des traînar4s qui 
longeaient le bord opposé du chemin de fer. « Je dus^ 
dit-il, faire chasser ces groupes affolés, qui sans doute 
ne pouvaient pas s'imaginer qu'une troupe en ordrç cir- 
culant à côté d'eux fût française 11 » Quelques heures 
plus tard, il eut le chagrin d'entendre, au buffet de la 
gare, un lieutenant-colonel déblatérer à haute voix 
contre le général d'Aurelles et les autres chefi^'de cco^ps, 
au milieu d'un groupe d'officier de toutes armes« Cet 
officier qui pérorait à Bourges appartenait à l'un das 
corps d'armée refoulés sur Beaugency. Laurent ne put 
y tenir; il s'écria : <( Mon colonel, où sont vos soldats? 
où sont vos officiers? où êtes-vous vous-même? » 

Cette indignation n'était que trop légitime, mais elle 
faisait fausse route. Après tout, ces soldats fuyards, ces 
officiers frondeurs ne faisaient que répéter le langage 
officiel des hommes dont la mauvaise direction avait 
causé le désastre, et qui travaillaient patriotiquement 
à l'aggraver, par leurs insinuations venimeuses contre 
les généraux, dont le plus grand tort était de leur 
avoir obéi. 

Ceci nous ramène droit à M. Gambetta, dont on n'a 
pas craint de célébrer « la vaillance et la résolution » 
dans cette crise. Nous allons voir ce qu'on doit en. 
penser. 



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RESEAU D*ORLBANS 28a 



IV 



C'était dans la nuit du 3 au 4 décembre que le géné- 
ral d^Aurelles avait fait connaître qu'il se voyait forcé 
d'évacuer Orléans. Il prévoyait bien dès lors qu'on 
tâcherait de faire peser sur lui toute la responsabilité 
de cette mesure, et que l'on aurait bien des chances 
d'y réussir, pendant cette fièvre chaude de l'opinion. 
Suivant toute apparence, cette appréhension bien na- 
turelle ne fut pas étrangère à la détermination déses- 
pérée que prit tout à coup le général, dans la matinée 
du lendemain, de contremander ses premières dispo- 
sitions, d'essayer de rallier ses forces sur Orléans et 
« dy organiser la résistance. » 

Le télégramme qui faisait connaître à Tours cette 
nouvelle résolution se croisa avec celui de la Déléga- 
tion, qui autorisait la retraite. Cette réplique envoyée 
de Tours était évidemment destinée à recevoir une 
grande publicité, et rédigée de manière à compromettre 
le général d'une façon grave et en quelque sorte in- 
définie. « L'opinion du Gouvernement était absolument 
contraire à cette mesure; mais enfin, il était bien forcé 
do laisser faire le général, puisque celui-ci affirmait 
que ses troupes ne tiendraient pas, que la retraite était 
indispensable pour éviter un malheur plus grand en- 
core*. • » 

.Son changement de résolution fut accueilli avea joie 
par la Délégation, qui lui fit aussitôt connaître, en re - 
tour^ que le ministre de la guerre en personne partait 



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384 CHEMBNS DE FEà FRANÇAIS 

à rinstant par un train spécial. Il venait à Orléans voir 
les choses par lui-même, encourager les troupes, la 
population par sa présence et ses discours. Jamais il 
n'aurait eu, ni n'aura plus belle occasion d'utiliser son 
éloquence. 

M. Gambetta partit en eflfet à une heure et demie 
pour Orléans. Le général d'Aurelles et M. de la Taille 
l'attendaient à Orléans pour quatre heures ; ils l'atten- 
dirent en vain. Le ministre a raconté le Tendémain dans 
une circulaire fameuse, qu'à quatre heures et demie il 
avait été forcé de s'arrêter au-delà du village de la 
Chapelle (à 5 kilomètres environ d'Orléans) : que le 
passage était barré à cette hauteur par des cavaliers 
prussiens qui avaient tiré sur son train, et couvert la 
vote de madriers et de pièces de bois pour entraver la 
marche des convois. La circulaire ajoute que lé ministre 
rétrograda jusqu'à Beaugencj, où il avait l'intention 
de prendre une voiture pour se rendre par terré à Or- 
léans, ow ton pouvait croire qu'on se battait (textael), 
puisque de la Chapelle on avait entendu la canonnade. 
Mais, avant de poursuivre l'aventure, on tenait à être 
bien certain que la résistance continuait. « A Beau- 
gencj, il ne fut pas possible d'avoir de nouvelles, » Dans 
le doute, le ministre rétrograda jusqu'à Blois, et ce fut 
là qu'il reçut de Tours, à neuf heures du soir, comicnu- 
nication de la dernière dépêche du général d'Aurelles, 
annonçant qu'il se voyait forcé de revenir à sa première 
résolution, qu'Orléans serait évacué dans la nuit. 

Ily a dans cette version, élaborée soigneusement pour 
sauvegarder le prestige du dictateur, un mélange assez 
habile de vérité et de fiction. Il paraît vrai qîie des 
tthlans tirèrent quelques coups de pistolet ^Ur le traife 



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RESEAU D'ORLÉANS S85 



dictatorial; ceci est attesté par une dépêche du même 
jour, que l'inspecteur Bazin adressa de la station de 
Mer, près Beaugencj, au délégué de la guerre. Mais il 
est faux que la voie fût en ce moment interceptée. La 
voie était parfaitement libre ; elle ne cessa de Tétre 
qii'uûe heure et demie, peut-être deux heures après. 

C'est ce que nous allons démontrer. 

Nous savons, par M. de la Taille, que les trois der- 
niers trains d'évacuation qui purent être expédiés 
d'Orléans dans la direction de Tours partirent à cinq 
heures, cinq heures dix et cinq heures vingt minutes. 
. Ces trains essuyèrent le feu de l'ennemi à la hauteur 
de la Chapelle, comme l'avait essuyé une heure avant 
le train de M. Gambetta, venant en sens inverse. Mais 
il n'y eut que le dernier des trois qui faillit dérailler, 
parce que les Prussiens venaient de placer des ma- 
driers en travers de la voie (1), Néanmoins ce train 
passa malgré l'obstacle, qui sans doute n'était pas bien 
considérable, puisque la locomotive réussit à le dé- 
placer. Le choc ne dut même, pas être bien violent, 
puisque M. Tissandier ne dit pas un mot d'un tel in- 
cident. Mais son récit nous permet de ressaisir une 
circonstance qui avait échappé à M. de la Taille ; le 
point de rencontre du dernier train d'évacuation avec 
le train Gambetta. Ce croisement eut lieu à la station 
de Beaugency, sur laquelle le ministre s'était replié 
dès qu'il eut reçu des coups de feu, ainsi qu'on vient 
de le voir dans le récit officiel. Et ici vient se placer 
un détail dont nous garantissons l'authenticité. Le mé- 

(1) Lettre de M. de la Taille à M. le général de« Pallières, 
da 15 janvier 1872. 



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iîsr, <;hkmin8 de fer français 

canicien du train spécial fut remercié avec effusion 
par le ministre, qui l'appela son sauveur. M, Gambetta 
se croyait véritablement sauvé d'un danger eflProjable; 
il en tremblait encore... pour la France. 

La circulaire disait encore que le ministre resta en 
gare de Beaugency, attendant des nouvelles et n'en 
recevant aucune. Ceci est d'une inexactitude flagrante : 
avant le dernier train sorti d'Orléans, celui garé à 
Beaugency avai{ communiqué avec ceux partis à. cinq 
heures et cinq heures dix, qui tous deux avaient fran- 
chi sans accident le passage de la Chapelle, nonobstant 
la fusillade. Et il n'y avait pas alors d'autre obstacle, 
car la tentative d'interruption de la voie au moyen de 
madriers ou de bûches, ne se produisit à la Chapelle 
qu'au troisième et dernier train venant d'Orléans, et 
encore celui-là avait passé ! Ce ne fut qu'après son 
passage que la voie fut définitivement interceptée. La 
nouvelle, ainsi que nous le voyons dans le récit de 
M. Tissandier, en fut immédiatement transmise à Beau- 
gency : elle y parvint au moment où le dernier train 
croisait le train garé du ministre, dont elle détermina 
la retraite sur Blois. 

- L'impression qui résulte de cette enquête est que 
M. Gambetta, après avoir reculé devant un dsaiger qui 
n'était nullement sérieux, s'était arrêté en route, n'osait 
se reporter en avant et se tenant à l'aflTût d'un prétexte 
plausible de rétrograder tout à fait ; qu'il ne pouvait 
ignorer que le passage était toujours libre, puisque 
dans l'intervalle d'une heure, il fut croisé par trois 
trains sortis d'Orléans ; que néanmoins il prolongea sa 
halte jusqu'au moment, impatiemment attendu, où il 
apprit que la voie était définitivement intercepté* ; 



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RESEAU D'ORLEANS 487 

enân, que pour dissimuler cette hésitation, on imaginn 
d'antidater de deux heures Fobstruction absolue de la 
voie, en affirmant qu'elle existait déjà quand le train 
Gambetta s'était présenté 

Cet incident fut promptement connu, et bien com- 
pris en Allemagne. Le colonel suisse de Rustow, dont 
Touvrage a paru dans les premiers mois de 1871, et qui 
n'est d'ailleurs nullement hostile aux hommes du 4 Sep- 
tembre, dit nettement que des coupa de feu furent tirés 
sur le train par des cavaliers appartenant à la dirisioiï 
du prince Albrecht, que néanmoins M. Gambetta aurait 
pu passer, mais qu'il préféra rétrograder. Cette appré- 
ciation est pleinement confirmée parla correspondance 
de M. de la Taille et le récit de M. Tissandier. 

Cette circonspection excessive du dictateur est donc 
désormais un fait acquis à l'histoire. Il a donné là un 
furieux coup de canif au pacte avec la mort, et en pure 
perte, car il pouvait entrer sain et sauf à Orléans par 
cette voie et en sortir par la route de Vierzon, comme 
ont fait tous les chefs militaires et civils. Sans doute, 
sa présence n'eût changé en rien le cours des événe- 
ments. M. Gambetta n'était pas de taille à faire pouT 
Orléans, au dix-neuvième siècle, ce que la Pucelle 
avait fait au quinzième, bien qu'un de ces flatteurs, tou- 
jours prêts à encenser tous les pouvoirs, lui eût dé- 
cerné d'avance le sobriquet grotesque de Jean Darcîl 
Aussi ce n'est pas pour Orléans, c'est surtout pour 
M. Gambetta lui-même qu'on pourrait regretter qu'il 
ait fait à ce point violence à son audace naturelle. S'il 
avait vu les choses de plus près, comme c'était après 
tout son devoir de ministre dç la guerre dans cette 
grave circonstance, peut-être se fût-il fait scrupule de 



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388 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

prodiguer aux généraux, malheureux par sa faute, ces in- 
sinuations calomnieuses d'incapacité, de pusillanimité, 
que Topinion affolée transformait si vite en preuves 
avérées de trahison. Il nous semble aussi que celui qui 
ne se sentait pas le courage d'affronter les armes dé- 
risoires de quelques uhlans, aurait dû être moins 
prompt à taxer de lâcheté d'autres personnes qui ont 
pu commettre des fautes graves, mais qui du moins 
avaient bravé des périls bien autrement sérieux ; — à 
Metz, par exemple, et à Sedan. 



La retraite du 15^ corps sur Salbris, puis sur Gien, 
et finalement sur Bourges, où l'appelait le général 
Boiirbaki, détermina la suspension du service sur la 
ligne entière de Vierzon. Cette station importante avait 
dû, comme on Ta vu plus haut, être évacuée d'urgence 
dans la nuit du 7 au 8, Les derniers revers et l'étrange 
langage du Gouvernement, qui semblait mettre en 
suspicion la capacité, sinon la loyauté des généraux, 
avaient exercé la plus fâcheuse influence sur le moral 
du soldat. Les éclaireurs prussiens, qui n'avaient pas 
dépassé, le 7, la station de Theilloy, apprenant que 
Vierzon était abandonné, s'y portèrent le 8, et firent 
sauter le pont sur l'Yonne, auprès de la station. Cette 
mesure de défense indiquait suffisamment que la pour- 
suite de l'ennemi ne s'étendrait pas plus loin de ce 



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RESEAU D'ORLEANS i«î* 

côté. En effet, cette section ne fut pas occupée d'une 
façon permanente. 

L'autre portion de l'armée (16« et 17* corps), ralliée 
sur la rive droite de la Loire par le général Chanzj . 
se maintint, pendant plusieurs jours, entre Orléans et 
Beaugencj. Par sa conduite dans ces circonstances dif- 
ficiles, ce général s'est acquis des droits impérissables 
à la reconnaissance du paj^. Ce fut alors que commença 
cette belle retraite sur le Mans, série d'engagements 
journaliers, dans lesquels nos jeunes soldats tinrent 
tête plus d'une fois avec avantage à de vieilles troupes 
supérieures en nombre et récemment victorieuses (1). 

Pendant près d'un mois, la Compagnie dut pourvoir 
sans relâche aux approvisionnements de l'armée de 
Chanzy en vivres, fourrages et munitions. Du 4 au 12 
décembre, elle eut jusqu'à trois cents wagons et douze 
machines accumulés dans la petite station de Mer- 
Ohambord, à quelques kilomètres seulement du théâtre 
des opérations, où les trains allaient chaque jour porter 
des vivres et des munitions. Là encore, de modestes 
employés, des chauffeurs, des mécaniciens, donnèrent, 
en plus d'une occasion, des exemples trop peu remarqués 
de dévouement, de fermeté stoïque. 

La situation de cette ligne devint très-critique après 
la surprise de Chambord, quand le corps prussien qui 
suivait la rive gauche se présent» devant Blois. Pendant 
deux jours et deux nuits (9-10 décembre), les scènes les 
plus tumultueuses, les plus sinistres, se succédèrent à 

(1) Notamment dans les combats livrés, le 7 et le 8, autour 
de Beaugency, et auxquels le général Chanzy a donné le nom 
àe bataille de Joanes. 

17 



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MO CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

la gare de Blois, encombrée de matériel de guenre, de 
troupes, de blessés dont il arrivait à chaque instant de 
nouveaux convois. Le 9 au soir, on vit arriver à Blois 
un train spécial portant M. Gambetta, son confide&t 
M. Spuller et quelques autres acol;ytes. Depuis sa re- 
culade d'Orléans^ le dictateur se donnait beaucoup de 
mouvement. Il était allé à Bourges pour combiner avec 
le général Bourbaki un plan de revirement offensif sur 
Romorantin, bientôt abandonné pour ce malenconi^eux 
projet de diversion dans TEst, qui mit le comble h nos 
infortunes (I). Puis le ministre de la guerre était re- 
venu « porter sa flamme » du côté de la nouvelle armée 
de la Loire. Il semblait en effet très-enflammé en dé- 
barquant à Blois, où il flt une scène violente «u chef 
de gare, homme âgé et respectable, dont tout le crime 
était de ne pas s'être trouvé sur le quai pour recevoir 
on tel personnage. Après Tavoir traité avec une gro&r 
sièreté qui révolta tous les assistants, M. Gambetta 
remonta en wagon et repartit comme un ouragan, sans 
que personne, pas même lui peut-être, sût exactement 
ce qu'il était venu faire. Il semblait en proie à une 
exaltation qui n'était pas seulement patriotique.... 

On a ridiculement vanté ces évolutions du ministre 
de la guerre après le désastre d'Orléans. La vérité est 
que son attitude, ses discours rappelaient beaucoup les 
allures de certain insecte immortalisé par I^a Fontaine^ 
avec cette différence, à l'avantage de la mouche du co- 
che, qu'au moins elle n'avait pas contribué à mettre 
celui-ci dans l'ornière. 

(1) G*ét&it de Bourges que M. Gambetta avait lancé ce 
mémorable télégramme : c L'armée de la Loire n*e8t pas 
anéantie, elle est séparée en deux armées (légale force* » 



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RESEAU D'ORLEANS 2»! 

Le même soir, le chef de gare de Blois fut avisé de 
commencer l'évacuation du matériel de guerre, cai* les 
Prussiens avançaient. La Compagnie avait cru ^voir 
maintenir, à tout risque, et jusqu'au dernier moment, 
une quantité considérable de véhicules à la disposition 
de l'armée. Ce matériel eût été gravement compromis, 
si le corps ennemi qui s'avançait par la rive gauche 
était parvenu à franchir la Loire. Heureusement, les 
premiers Prussiens avaient trouvé le pont coupé, et 
n'avaient pas l'outillage nécessaire pour le rétablir. Us 
s'installèrent seulement en face de la ville, et la mena- 
cèrent de bombardement si le pont n'était pas rétabli. 
Pendant ce temps Chanzy, ayant dû renoncer à l'espoir 
d'une réunion avec Bourbaki, se repliait sur Vendôme; 
et les chefs de service de la Compagnie recevaient le 
conseil d'évacuer définitivement Mer et les stations 
suivantes jusqu'à Tours. Cette opération était devenue 
périlleuse dans la section du parcours où le chemin de 
fer n'était séparé de l'ennemi que par la Loire. 

Cette évacuation eut lieu le 11. Ce fut seulement 
dans la nuit suivante que le dernier train quitta Blois. 
Ce train, composé de trois machines et quatre-vingts 
wagons ) était sous la direction de M. Loiseau, contrô- 
leur de l'exploitation. Il passa heureusement, falots et 
ingnaux éteints, sous le feu des batteries ennemies de 
la rive gauche. 

Le Gouvernement et tous les hauts fonctionnaires 
avaient déjà quitté Tours depuis quarante-huit heures. 
U semble que ceux de la guerre auraient dû partir les 
derniers; ce fut précisément le contraire. Les instruc- 
tions pour leur départ furent transmises confidentielle^ 
ment dans la matinée du 9, et le désarroi était tel, que 



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i»t CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

les autres chefs de service n'avaient été nullement 
avisés d'une résolution si grave. Ce ne fut que vers la 
fin du jour qu'ils apprirent qu'avant minuit, un train 
spécial emportait, loin de Tours, M. Gambetta et sa 
fortune. Ce fut alors un sauve-qui^peut général. Le 
délégué des finances, se voyant distancé dans l'organi- 
sation des trains spéciaux du lendemain, eut recours, 
pour se faire faire place, à un argument irrésistible. Il 
déclara que, tant qu'il ne serait pas rendu de sa personne 
à Bordeaux, personne ne toucherait un centime, pas 
plus M. le ministre de la guerre que les autres. Une 
telle considération ne pouvait manquer de faire brèche : 
il fut réservé un compartiment aux employés des 
finances dans le wagon de M. Gambetta. 

Tel fut le premier résultat de ce fameux -mouvement 
de retraite de Tours sur Bordeaux, qui, suivant l'histo- 
rien de la Guerre en province^ « aurait dû rassurer. » 
Par suite de cette évolution rassurante, l'encombrement 
devint eflTroyable le lendemain à la gare de Tours. Il y 
eut notamment le 11, au train de huit heures du soir, 
une véritable débâcle de fuyards. Ce train, qui partait 
pour le Mans, fut pris d'assaut par une foule où l'on 
reconnaissait bon nombre de ces francs-tireurs de fan- 
taisie, de ces gens à idées qui, depuis plusieurs semaines, 
remplissaient les hôtels, les cafés, les antichambres et 
les bureaux du Gouvernement. 

Bans la nuit du 12 au 13, les autorités militaires quit- 
taient la ville à leur tour, et donnaient au représentant 
de la Compagnie l'ordre d'évacuer d'urgence, les wagons 
de munitions; Mais, indépendamment de ce matériel de 
guerre, il y avait alors en gare plus de douze cents wa- 
gons de rintendanee ou de marchandises et un grand 



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RESEAU D'ORLEANS «93 

nombre de machines, sans compter ce qui se trouvait 
réuni dans les dépôts et les ateliers. C'eût été un acte 
d'insigne folie, que de laisser à la discrétion de l'ennemi 
un matériel dont il n'aurait pas manqué de tirer parti' 
pour ses transports, sur la portion des lignes d'Orléans 
et de rOuest dont il était maître. Aussi le directeur de 
l'exploitation prit sur lui d'ordonner l'évacuation défi- 
nitive et complète de la gare de Tours. 

L'opération, commencée le 13 au matin, fut conduite 
avec toute la célérité nécessaire. Le 13 au soir, le der- 
nier convoi quittait la gare et se dirigeait sur Angers, 
conduit par M. de La Panouse, inspecteur général du 
mouvement, chargé de la direction du réseau de la 
Basse-Loire. Le lendemain, le service fut repris sur 
Tours, mais avec toutes les précautions qu'exigeaient 
les circonstances. 

La ville était, en effet, menacée de toutes parts. L'en- 
nemi occupait les lignes de Blois et de Yierzon, et l'on 
se battait tous les jours sur celle de Vendôme. Le 20 dé- 
cembre, un engagement très- vif eut lieu à Monnaie, à 
quelques kilomètres de Tours ; les Prussiens y durent à 
la supériorité du nombre un succès chèrement acheté. 
Ce combat semblait présager l'occupation de la ville, 
où, depuis le 12, il n'y avait plus un soldat français. On 
en fut pourtant quitte cette fois, mais pour quelque 
chose de pire que la peur. Le 21, une quinzaine de 
uhlans, le pistolet au poing, se présentaient à l'entrée 
du pont de pierre. Un coup de feu, parti d'un groupe 
qui stationnait sur le pont, atteignit un de ces cavaliers. 
Hs rebroussèrent chemin au galop. Tout aussitôt, et 
contmie si l'on n'eût attendu que ce signal, une batterie 
allemande, établie sur la tranchée qui domine la ville 



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gle J 



294 CHEMINS DE FEE FRANîÇAIS 

au nord, lança dans la rue Royale et sur le pont une 
vingtaine d'obus qui tuèrent trois personnes et en bles- 
sèrent plusieurs autres. Après cet acte de représailles 
odieux et inutile, Tennemi se retira sans pénétrer dans 
la ville. Aussi le service continua encore pendant 
quelque temps jusqu'à Tours, mais naturellement d'une 
façon des plus précaires. 

Quelques jours avant cette alerte, Tarmée de Chanzy 
ayant abandonné Vendôme, on avait dû évacuer aussi 
cette gare où il restait des vivres et des munitions en 
assez grande quantité. Cette opération eut lieu le 16; 
elle finissait au moment où Tavant-garde ennemie enva- 
Misait la ville. C'était dans Tintérêt de l'armée que 
estle letraite avait été retardée jusqu'au dsinier 
iiRiiBfiiit.11 s'en fallut même de bien peu que le dentim' 
txwn à^^raeosttDii ne se trouvât intarec^té. Un xiffîm^r 
an génie, qui avait miaâon de faire ssoÉer un das pon^ 
de la ligne , ne voulait pas absolument diMrar ds 
quelques instants Texécution de son ordre, pour laisser 
à ce train le temps de passer. Il fallut recourir au général 
en chef, qui heureusement n'était pas loin. 



VI 



Il ne nous reste plus, qu'à donner quelques expli- 
cations sur le concours qu'eut à prêter la Compagnie 
d'Orléans au transport de Tarmée de BourbaM. 

Ce fut seulement le 20 décembre que le reprësentanti 



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RteSEAU D'ORLÉANS t95 

de la Compagnie fut avisé par le délégué de la guerre, 
qu'il aurait à faire, dès ce même jour, de très-gros 
transports de troupes sur les sections du réseau de Lyon 
Todsines de celui d'Orléans, et qu'il fallait immédiate- 
ment remettre à la Compagnie de Lyon la plus grande 
quantité possible de matériel vide, pour l'aider à effec- 
tuer plus promptement, sur ses propres lignes,. la suite 
de ces^ transports et d'autres encore plus considérables. 
M. Lemercier donna de suite les ordres nécessaires, 
mais en même temps il crut devoir faire observer qu'il 
lui serait bien difficile, sinon impossible, de mettre en 
temps utile du matériel vide à la disposition de l'autre 
Compagnie. La sienne venait de faire des transports 
militaires importants et lointains sur la ligne de TOuest, 
où ses wagons avaient conduit jusqu'à Carentan et 
Cherbourg des bataillons de mobilisés destinés à fs^re 
partie du 19® corps. Ce matériel n'était pas rentré, et, 
comme il n'y avait plus à compter sur la coaimunica- 
tion directe de Tours sur Vierzon, les voi^orog de la 
Compagnie allaient avoir à faire un imaienoe orochet, 
par Poitiers et même par Niort, pour revenir ensuite 
sur Montluçon, Vierzon, Bourges et Saincaize (1). 

On ne tint pas compte de ces difficultés, et l'admi- 
nistration de la guerre reçut, du 21 au 23 décembre, 
des plaintes sur la lenteur que mettait la Compagnie 
d'Orléans à livrer du matériel à l'autre Compagnie. 
Aussi, le directeur de l'exploitation, qui s'était rendu 
à Poitiers pour surveiller lui-même l'opération, y reçut 

(1) Nous disons par Niort, parce qu'on ne put en dirger 
qa*un petit nombre piar Tours sar Poitiers, à cause du voisi- 
nage de l'ennemi. 



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CHEMINS UK FER FRANÇAIS 



une dépêche foudroyante du délégué de la guerre, 
adressée en duplicata à son collègue de Clermont. Cette 
dépêche, que nous citerons dans l'historique des che- 
mins de Lyon, accusait les directeurs d'une inertie 
honteuse et les menaçait d'une enquête. Mais, par 
une singulière coïncidence, cette objurgation arri- 
vait à M. Lemercier en même temps qu'un télégramme 
de l'inspecteur principal de la Taille, du 23 décembre 
au soir, qui lui annonçait que l'opération du transport 
des troupes, commencée la veille, était complètement 
terminée en ce qui concernait le chemin de fer d'Or- 
léaniS, et que deux cents wagons vides étaient déjà 
remis à la Compagnie de Lyon. 

M. Lemercier répliqua immédiatement par la com- 
munication de ce télégramme à la diatribe de Bordeaux. 
Quelques jours après (26 décembre), il y répondit plus 
en détail, en démontrant que si l'embarquement n'avait 
pas commencé dès le 21, c'était par l'ordre exprès du 
général; que l'injonction itérative de Bordeaux n'était 
arrivée que la nuit suivante ; qu'en moins de quarante- 
huit heures, tout avait été chargé et expédié en sept 
cent quinze wagons; que, de plus, deux cents voitures 
vides avaient été livrées dès le 23 au soir, deux cents 
autres le lendemain, et qu'on ne s'était arrêté que sur 
l'ayis passé par la Compagnie de Lyon de ne pas en 
envoyer d'autres. Le ministre de la guerre laissa cette 
communication sans réponse, mais il ne fut plus ques- 
tion d'enquête. 

Les campements de Bourges et de Vierzon ne demeu- 
- rèrent pas longtemps inoccupés. Chaque jour des con- 
vois de la Compagnie y amenaient de nouvelles troupos. 
Le 31 décembre, la direction reçut l'ordre de prendre 



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& 



RESEAU D'ORLEANS S97 

les dispositions nécessaires pour transporter encore sur 
Saincaize, en trente-six heures, la totalité du 15* corps, 
évalué à trente mille hommes^ et destiné à faire partie 
de Tarmée de l'E^t, L'exécution de ce mouvement 
incombait encore à M. de la Taille. Le l'"^ janvier, il 
annonçait n'avoir pas encore une seule voiture dispo- 
nible! Pour lui amener plus promptement le matériel 
nécessaire, M. Lemercier avait eu Tidée de faire 
réparer d'urgence les ouvrages détruits sur la ligne 
de Tours à Vierzon, que les Prussiens n'avaient jamais 
occupée que par intermittence, et qu'ils avaient totale- 
ment abandonnée depuis quelque temps. Cette opéra- 
tion, très propre à accélérer l'arrivage du matériel, fut 
^ tout d'abord entravée par un général qui s'opposait aux 

1^; travaux de réparation, dans la crainte d'une attaque à 

V laquelle ne songeaient pas du tout les Prussiens. Il fallut 

recourir à Tautorité supérieure pour faire lever ce veto 
. malencontreux. 

„ Le mouvement commença néanmoins le 3 janvier, et 

fut terminé le 6. Bans cet espace de temps, on embarqua 
non pas seulement trente mille hommes, mais quarante- 
quatre mille cinq cents, avec sept mille six cents che- 
vaux, vingt batteries d'artillerie, le parc et une cen- 
taine de voitures . Cette grande opération exigea 
l'emploi de trois mille six cents wagons, répartis en 
quatre-vingt-quinze trains. Elle fut accomplie avec 
J^eaucoup d'ordre, et valut à M. de la Taille la croix 
d'officier de la Légion d'honneur. Il serait à désirer 
que le Gouvernement de la Défense nationale n'eût 
jamais décerné que des récompenses aussi bien mé- 
^: ritées(l). 

(1) Parmi les ingénieurs des chemins de fer, M. de la Taille 

17. 



^a- 



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IW CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

La situation s'aggrava sensiblement dans le nord du 
réseau après la bataille du Mans. Le 19 janvier, la gare 
de Tours fut définitivement évacuée deux heures seu- 
lement avant rentrée des ennemis. Dès le lendemain, 
ceux-ci firent sauter les trois ponts des chemitis de fer 
du Mans, de Paris et de Nantes. Par suite de ces der- 
niers événements, le service fut limité à la station de 
Saumur sur la ligne de Nantes, à celle *Châtellerault 
sur la ligne de Bordeaux, et cette situation se prolongea 
jusqu'à la conclusion de Tarmistice. 

Le réseau d'Orléans était celui qui avait eu le moins à 
souffrir de l'invasion. Cependant neuf ouvrages impor- 
tants, dont trois grands ponts sur la Loire, avaient été 
gravement endommagés, soit par les Français, soit par 
lés Allemands. Heureusement la destruction de ces 
ouvrages n'était pas complète ; la circulation put être 
rétablie promptement, et les travaux de réparation ne 
coûtèrent pas plus de 1,500,000 francs. Le service fut 
repris: de Paris à Vierzon le 3 février; le 20, de Tours 
à Poitiers et Angers ; le 23, d'Orléans à Tours, et le 
16 mars 1871 de Tours et de Vendôme au Mans. 

Pendant la durée des hostilités, la Compagnie d'Or- 
léans n'avait cessé de se prêter avec empressement à 
tout ce qu'on exigeait d'elle pour la défense nationale. 
Elle installa une cartoucherie à Viviers, et construisit 
à Périgueux trois batteries mobiles blindées. A Paris, 
les grandes halles des gares d'Orléans, ainsi que celles 
de l'Est, servirent, comme on sait, pour la fabrication 



est incontestablement l'un de ceux qui ont rendu les plus 
grands services. Peu de temps après, il faillit être enlevé par 
une fièvre cérébrale, suite des fatigues de cette campagne, 



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RESEAU D'ORLEANS S99 

des ballons, et plusieurs départs d'aérostats eurent 
lieu dans les cours de ces gares. Les ateliers des che- 
mins d'Orléans et de TOuest furent principalement 
chargés, pendant le siège, de la construction des ma- 
chines et des wagons blindés. Ces engins furent em- 
ployés dans les gares de Villiers, de Choisj, du Bourget, 
et Ton aurait pu en tirer encore un plus grand parti, 
sans la ruptufe imprudente des voies ferrées. Le gou- 
vernement issu du 4 septembre avait laissé cette puis- 
sante ressource de défense à peu près inutile comme 
tant d'autres. Elle fut ensuite laissée à la disposition 
des soldats de la Commune, qui n'en ûrent que trop 
d'usage au pont d'Asnières. 

Dans les circonstances les plus périlleuses, les agents 
de tous les grades de la Compagnie d'Orléans ont digne^ 
ment rempli leur devoir. On les a vus, lors des deux 
évacuations d'Orléans, comme ceux de l'Est à Forbach, 
comme ceux de l'Ouest au Mans, sauver les caisses, les 
muuitions, les vivres de l'armée, travailler des heures 
entières sous le feu de l'ennemi. Parmi ces actes de dé- 
vouement patriotique, nous ne comptons pas toutefois, 
et pour plus d'un motif, le sauvetage de M. Gambetta. 



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V . 



RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 



SOMMAIRE 

I. — (Septembre-Octobre) Tpanslalion du siège de Tadminis- 
tration à Clermont-Ferrand. — Évacuation de la gare de 
Montereau (ligne de Bourgogne). — Événements sur les 
lignes dé Franche- Comté. — La ligue de TEst. ~ M. Gam- 
betta à Besançon. 

II. — (Octobre) Évacuation de la gare d'Auxerre. — Exploits 
d'un médecin cemmandant en chef. — Péripéties de la 
défense à Dijon. — Capitulation de cette ville. — Panique 
à Lyon, Autun, etc.; M. de la Taille, inspecteur principal. 

— Montbéliard et Délie envahis. — M. Echalier. — Des- 
truction des ponts du Doubs. 

in. — (Novembre) Garibaldi à Dôle. — Transport des Gari- 
baldiens à Autun. — Transport du 18* corps, de Chagny 
à Oien. — Démonstrations de Tennemi dans les vallées du 
Doubs et de TOgnon, — Échec des Prussiens à Vou- 
j eau court. 

IV. — (Novembre) Employés du chemin de fer maltraités. 

— Les Garibaldiens à Autun. — Abus des réquisitions 
pour transports gratuits. — Histoire étrange d'une entre- 
preneuse de ravitaillement. 

V. — (Décembre) Nouvelle panique sur la ligne de Bour- 
gogne. — Tentative infructueuse de l'armée garibaldienne 
à Dijon; retour de Tétat-major sur Autun par un train des 
plus extraordinaires. — Combat d' Autun. 

yi. .- (18 Décembre) (3ombat de NuiU. 



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3(tt CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

. 

VII. — Ligne du B'^urbonnais. — Oecipatioa de Coibeil; 
combat de Dannemoj; occupation de Malesherbes, de Ne- 
mours. — Motitargia tête de ligne. — Reconnaissances 
hardies d*agents du chemin de fer. 

VIII. — Ligne du Bourbonnais (suite). — Les AUemands 
à Malesherbes. — Évacuation du matériel sur Gien. 
Francs- tireurs à Fontainebleau. — Uhlans surpris à Ne- 
mours. 

IX. — Ligne du Bourbonnais (isuite). — Montargis 
pris et repris. — Combats de La-ion et de Beàune- 
la-Rolande, — Encombrement à Gien, mesures prises 
pour y remédier. — Deuxième combat à Beau ne-la-Rolande, 
destruction de "la gare. — Retraite du 18« corps sur 
Gien. 

X. — Ligne du Bourbonnais (suite). — Les blessés 
français à la gare de Gien. — Retour des Allemands 
mands à Montargis; évacuation du matériel sur Çosne et 
Nevers. — Occupation de Gien ; journal de M. Çillette. — 
Pillage de la gare de Bonny. 

XI. — Ligne du Bourbonnais (suite et fin). — Les 
Hessois surprifl à Châtillon. — M. Mouroux à Gien. — 
Délivrance momentanée, de cette ville. — Nouveau mou- 
vement rétrograde des troupea françaises. 

XII. — Transport des 18^ et 20® corpa. MM. Audibert et de 
Freycinet. — Causes diverses de retard et d'encombre- 
ment. — Souffrances endurées pendant le trajet. 

XIII. — (Janvier) Transport du 15® corps, de Vierzon. à 
Cierval. — Insuffisance de cette gare comjooe point de dé- 
barquement. — Accumulation des trains de troupes et de 
ceux d'approvisionnements. — Nouvelles objurgations du 
délégué de la guerre; répliques du représentant de la 
Compagnie. — Désastre final. 

XIV. — (21 Janvier) Surprise de la gare de Dôle. — Vérita- 
bles causes de cette catastrophe. — Violences des Prussiens* 

XV. — (Janvier) Transport de Tarmée deGaribaldi à Dijon. 
— Inaction funeste de cette armée. — Combats du 21 et 
du 23 janvier; incidents curieux et peu connus. — Réoccu-, 
pation de Dijon par les Allemands. — Conclusion. 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 308 



Dès les premiers jours de septembre, le siège de 
radmiuistration départementale des chemins de fer 
de Lyon avait été transporté à Ciermont-Ferrand , 
poste moins central que Lyon ; mais , de toute manière, 
plus sûr et plus tranquille. Ce fut donc dans Tancienne 
capitale de l'Auvergne que s'installèrent MM. Audi- 
bert, directeur, et Ruinet, sous-directeur de Texploi- 
tation de ce vaste réseau (1). 

Les premiers incidents de Tinvasion sur la grande 
ligne de Bourgogne sont résumés dans un rapport de 
M. rinspecteur Delanney du 15 septembre. Le 14 au 
soir, Montereau était menacé par toute une division, 
sans autre appui qu'une poignée de francs-tireurs, 
qu'on se hâta de congédier. La communication télé- 
graphique sur Paris n'était pas encore interceptée; 
M. Delanney se hâta d*en profiter pour faire connaître 
la situation. Il reçut l'ordre d'arrêter à Sens les trains 



(1) De tous les chefs de Compagnies, M. Audibert est celui 
dont la tâche a été la plus pénible. Les fatigues et les préoccu- 
pations meurtrières de cette guerre malheureuse, les persé- 
cutions des « sinistres bateleurs » de la Défense, avaient 
porté à sa santé un coup dont il n'a pu se relever. Il est mort, 
DU plutôt il a fini de mourir en mai 1873. C'est une perte 
immense pour Timportante Compagnie dont il était l'âme, et 
sensible pour le pays tout entier. 



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304 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

à destination de Paris, de faire évacuer et refouler 
sans délai sur Sens tout le matériel de Montereau et 
des gares suivantes ; celui des stations au-dessous dé 
Montereau étant déjà, ou allant être replié sur Paris. 

Il y avait alors en gare vingt-six machines , dont 
l'évacuation fut organisée à la hâte en quatre trains. 
L'évacuation fut accomplie avec tout Tordre possible 
dans des circonstances aussi difficiles. M. Delanney 
ne s'éloigna qu'avec le dernier train, qui recueillit, 
chemin faisant, le matériel, le mobilier et la majeure 
partie du personnel des gares jusqu'à Sens. Le chef 
de la station de Montereau, M. Dauphin, y était resté 
avec un de ses sous-chefs ; ceux de Villeneuve-la-Guyard 
et de Pont-sur-Yonne demeurèrent pareillement à leur 
poste. 

' Pendant ce temps , des précautions semblables étaient 
prises sur la portion également compromise du réseau 
de Lyon qui confine aux lignes de Lorraine et d'Alsace. 
Un rapport de M. Ruinet, sous -directeur de l'exploi- 
tation , en date du 16 septembre , signalait d'une façon 
toute particulière le zèle du jeune sous-inspecteur 
de Lamolère , alors employé sur l'un des embranche- 
ments les plus menacés , celui de Besançon à Belfort (1). 
Il lui fallait à la fois pourvoir d'urgence à l'évacuation 
du matériel de Paris-Lyon-Méditerranée, et se con- 



(1) M. de Lamolère, aujourd'hui inepeeteur, avait été dé- 
taché à Belfort dès le mois d'août pour concourir au transport 
du 7« corps d'armée par Châlons. (Voy. Réseau de l'Est.) Il 
avait, dès cette époque, rendu des services assez importants 
ponr être jugé, par le commandant de ce corps (général 
Douay), digne d'obtenir la croix, qui toutefois ne lui a été 
donnée qu'assez longtemps après la guerre. 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE »05 

certer avec les agents de TEst pour Févacuation de la 
quantité bien autrement considérable de matériel de 
cette Compagnie, qu'il était possible de sauver encore 
en le faisant replier sur le réseau da Ljon. M. de 
Lamolère, dès le 14, fit replier le matériel compromis 
de sa Compagnie par la ligne du Doubs dont les ponts 
étaient encore intacts, tandis que celui de TEst était 
évacué sur Vesoul et Graj. L'opération ne fut aucune- 
ment troublée par Tennemi, dont toutes les forces 
ditjponibles de ce côté étaient alors absorbées par Tin- 
vestissement de Metz et le siège de Strasbourg. Ce ne 
fut qu'après la* capitulation de cette dernière place 
(28 septembre), qu'il se trouva en mesure d'envabir la 
région des Vosges, et de faire des démonstrations dans 
la Côte-d'Or, la Haute-Saône et le Doubs. 

Besançon offrait alors un beau spectacle^ si nous en 
croyons i'ex-sous-préfet radical de Pontarlier, M. Beau- 
quier, qui a raconté à sa façon la campagne dfb TEst. 
Cependant les détails qu'il donne sur la situation n'ont 
rien de séduisant. L'anarchie était à l'ordre du jour 
depuis l'avènement si opportun de la République. Le 
comité de défense de Besançon , improvisé par accla- 
mation dans une réunion publique, s'attachait surtout 
à mettre en suspicion le commandant du département, 
le général de Prémonville, comme clérical et bonapar- 
tiste. Par une contradiction singulière, les mêmes gens 
qui le signalaient comme indigne de commander, lui 
reprochaient en même temps de ne pas savoir se 
faire obéir. Partout on demandait à grands cris des 
armes, et du meilleur modèle. On ne put satisfaire à 
cette « rage d'armement » que dans une proportion 
fort restreinte , et ce fut un bonheur, car, « dans près- 



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306 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

que. toutes les localités , ces fusils furent renvoyés en 
toute hâte au chef-lieu à la première alerte, » (de peur 
d'imprudence^ écrivait un maire), ou saisis par l'en- 
nemi. 

Le citoyen Ordinaire , nommé préfet du Doubs après 
le 4 septembre , avait imaginé une association défen- 
sive on ligne dite de TEst, et convoqué de son chef à 
Besançon des délégués des comités de défense des 
départements les plus menacés de ce côté (1). Ces 
ligueurs, de même que ceux du Midi, étaient moins 
préoccupés des Prusnens que de ceux qu'ils qualiêaient 
dans leurs colloques intimes de Prussiens et demi, 
c'est-àrdire des monarchistes de toutes nuances. 

Iol Délégation de Tours , avant l'arrivée de M. Oana- 
betta, avait fortement approuvé cette ligue. Elle 
recommandait à ses préfets , par le télégraphe , 
« de contrebalancer le pouvoir des généraux par celui 
d hommSs énergiques , qui eussent pour but ek faire 
pénétrer f esprit civil dans les affaires militaires. » En 
môme temps , elle ajoutait à cette situation déjà pas- 
sablement embrouillée une complication nouvelle, en 
accolant ou superposant au préfet chef de ligue un 
commissaire de la défense nationale (M. Grévy). Ce d.er- 
nier eut le bon sens de donner sa démission. 

Nous avons déjà indiqué ailleurs (V. Réseau de F Est) 
que la nomination du général Cambriels au comman- 
dement de ce qu'on appelait l'armée des Vosges avait 
été vue de fort mauvais œil par les républicains avan- 
cés. Tout d'abord, cet officier avait scandalisé la démo- 



(l) Doubs, Jura, Haut-Rhin, Vosges, Haute-Saône, Meur- 
the, Haute-Marne, Côte-d'Or. 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 307 

cratie en osant dire dans une proclamation : « J'espère 
qtte Dieu maintiendra mes forces à la hauteur de ma 
mission (1). » L'ex-sous-préfet de Pontarlier trouve 
que ce discours sent le mysticisme. 

Après réchauiFourée de la Bourgonce (7 octobjie)^ 
Cambriels fut bien forcé d'ordonner la retruite 4« 
troupes qui déjà ne se retiraient que tpop d'ellM- 
mêmes; il leur indiqua comme ppint â6 ralliement 
Besançon , où elles pouvaient être eixc&re transportes 
par la ligne Belfort-Montbéliard. L^emb^uement^ 
qui devait avoir lieu le 16 au matin à. la gare de Tlsle 
sur le Doubs, fut commencé pendant la nuit dans des 
conditions déplorables. L'apparition de quelques uhians 
avait déterminé une panique parmi les mobiles qui 
bivouaquaient à Héricourt. Ils coururent pêle-mêle à 
la gare r prirent d'assaut les trains , forcèrent las mées^ 
nidens de démarrer. Les rameurs les plus absurde 
mrmila^it pendant ce trajet nocturne; les uns, crai- 
gnant quelque surprise, voulurent absolument des- 
cendre à la station de Baume; les autres poussèrent 
jusqu'à Besançon, où l'arrivée de cette cobue répandit 
la consternation. Ceux qui avaient fui les premiers, 
criaient le plus haut qu'ils étaient trahis , que rien ne 
pouvait justifier une pareille retraite. Pour les républi- 
cains exaltés, l'insuccès d'un général de l'Empire était 
plutôt un événement heureux ; l'intérêt de parti pas- 
sant, comme de juste, avant celui de la défense com- 
mune. Us n'épargnèrent pas même à cette occasion 
M. Gambetta, qui, sur ces entrefaites, arrivait à 
Besançon (18 octobre). Ils s'attendaient à la destitution 

(1) Beauquier, Campagnes dans l'Est, 23. 



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308 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

et à la mise en jugement de Cambriels, à son rempla- 
cement par le « vieux héros» GaiibaLU, qui venait 
aussi d'apparaître avec la jeunesse italienne. Aujour- 
d'hui encore, les ré(»uMioains purs du Doubs gardent 
rancune à M. Gambetta d'avo r donné raison à Cam- 
briels. Ils lui reprochent d'avoir embaumé tEmpire, 
de n'avoir pas changé assez de préfets et de sous- 
préfets (!), d'avoir dissous la ligue de l'Est et fait un 
accueil assez froid à la jeunesse italienne et au vieux 
héros, de ne lui avoir confié qu'un commandement 
imaginaire dans les Vosges. Ils prétendent que le dicta- 
teur alla jusqu'à dire , en remontant en wagon : Gari- 
baldi est un embarras pour nousll! (1). 

Malgré les progrès rapides de l'invasion de la Haut - 
Saône, l'arrivée de Garibaldi et de son entourage à 
Dôle (13 octobre) et ensuite à Besançon , inspirait une 
confiance naïve à certains patriotes. Le préfet du 
Doubs s'empressait de contremander, même en dehors 
de sa circonscription, le désarmement des localités 
menacées. Ainsi, il télégraphiait, le 14 octobre, au 
comité de défense de Gray (Haute -Saône) : « Gardez 
vos armes pour vous défendre à outrance, Garibaldi 
est arrivé ll^i En attendant, Lure était occupé sans 
coup férir, le 18, par une avant-garde de 4,000 hommes ; 
les* autres stations de la ligne de Belfort-Vesoul , 
Châmpagnej,Ronchamp, étaient pareillement envahies; 
Vesoul même se voyait menacé par des forces supé- 
rieures. 

Le même jour, l'inspecteur principal Richard sus- 
pendit tout service sur les lignes Vesoul-Gray-Auxonne, 

(1) Compagnes dans l'Est, p. 43 etsuiv. 



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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 30d 

et procéda d'urgence à Tévacuation de Gray, où se 
trouvaient accumulés cinq cents wagons et cinquante- 
cinq machines, appartenant en grande partie à la 
compagnie de TEst. Par ménagement pour les sus- 
ceptibilités des partisans de la lutte à outrance, on 
avait commencé très-tard cette opération, 

Elle n'était pas terminée quand on apprit, le 19, 
rentrée des Prussiens à Vesoul (39 kilomètres de Graj). 
Néanmoins on parvint, à force d'activité et en fçtisant 
des trains d'heure en heure, à soustraire la totalité de 
ce matériel à l'ennemi. Il n'y avait plus un seul wagon 
à Gray quand les premiers éclaireurs s'y présentèrent 
deux jours après. 



II 



Bans ces derniers jours d'octobre, la tâche des 
agents de la Compagnie était encore aggravée par les 
exigences de certaines autorités civiles. Ainsi, au 
• moment où Dijon était déjà gravement compromis^le 
préfet de l'Yonne, M. Ribière, défendait encore toute 
-suspension de service dans sa circonscription, préten- 
dant que cette mesure était contraire aux nécessités 
de )a défense et aux instructions de Tours. M. Richard 
avait beau faire observer . qu'une des nécessités les 
.plus urgentes de la défense était justement de ne pas 
laisser à la discrétion de l'ennemi un matériel qui 
allait se trouver pris dans une impasse à Auxerre, si 



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Siu CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

son unique ligne de retraite par Dijon venait à être 
interceptée (22 octobre). Le préfet ne voulait rien 
entendre, ou plutôt il était comme plusieurs de ses 
collègues, dominé par une coterie. Le 25, ces citoyens 
s'opposaient encore par la force à l'évacuation de la 
gare d'Auxerre. Heureusement la nuit porta conseil- . 

Le général Werder dirigeait en réalité la majeure 
partie de ses forces sur Dijon. Pour dissimuler ce 
mouvement, il ât en même temps du côté de Besançon 
une démonstration qui donna lieu , du 23 au 25 , à 
diverses escarmouches. L'ennemi fut contenu d'autant 
plus facilement, qu'il était peu soucieux de s'engager à 
fond. A cette occasion, les chauds patriotes repro- 
chèrent encore à Cambriels de ne s^être pas remis de 
suite en campagne, d'être resté immobile, « sous pré- 
texte de vouloir instruire ses troupes. » Cambriels, 
souffrant de sa blessure et abreuvé de dégoûts, avait 
obtenu son changement, et s'empressa de remettre le 
commandement au général Michel (1*' novembre). 

,M. Gambetta, qui avait montré quelque bon sens 
dans le Doubs, s'en était bien dédommagé à Dijon. Il 
s'était avisé de conférer le grade de général et de con- 
fier la défense du département de la Côte-d'Or à un 
médecin sans malades, absolument étranger au métî^ 
de la guerre. Il s'agissait de barrer à l'ennemi le pas- 
sage de la Saône, au confluent de cette rivière avec 
rOgnon, vers Pontaillier et Talmay. Le 26 au matin, 
un télégramme des plus alarmants mettait Dijon en 
émoi. On battait le rappel; les quatorze ou quinze mille 
mobilisés et mobiles accumulés à Dijon étaient entassés 
dans des wagons qui les emportaient du côté de Pon- 
taillier. Là, le médecin commandant en chef, qui depuis 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE Hi 

huit jours, dit-on^ n'avait ni mangé ni dormi, donnait 
des signes non équivoques d'hallucination. Il faisait 
notamment arrêter, sans qu'on ait jamais pu savoir 
pourquoi, le chef de la p^^tite gare de Talmaj et son 
facteur, et les envoyait sous bonne garde à Dijon, où 
ils furent relâchés sur parole après un court interro- 
gatoire. Comme d'autres généraux sortis de la même 
fabrique , celui-là avait arboré un képi galonné à 
outrance, « où tant d'or se relevait en bosse, qu'il 
étonnait tout le pays, » comme le carrosse des Femmes 
semantes. La carrière militaire du docteur L... fut 
courte et peu glorieuse. Pour défendre le passage 
de la Saône , il eut la fâcheuse idée de faire 
passer son monde sur l'autre bord, et de recevoir le 
combat avec la rivière à dos. Cette stratégie eirt Je 
résultat qu'il était facile de prévoir. Tout fut culbuté 
dans la Saône : cinq ou six mille hommes tombèrent 
au pouvoir de l'ennemi, une bonne partie du reàte 
s'enfuit directement sur Beaune. Le commandant, qui 
avait absolument perdu la tête, arriva l'un des pre- 
miers dans cette ville. Il y fut bafoué, mis en arresta- 
tion, conduit à Lyon pour être jugé, mais l'affaire fut 
étouffée, en raison de l'énergie des convictions répu- 
blicaines du prévenu. 

Le colonel Fauconnet, un véritable militaire, envoyé 
de Lyon pour prendre le commandement, était arrivé 
au milieu de cette bagarre. Il rallia quelques troupes 
et les ramena sur Dijon. Les deux journées suivantes 
furent signalées par des tiraillements déplorablefa. 
Deux partis divisaient le comité de défense et \% 
conseil municipal. Les uns, avec le maire, voulaient 
qu*on défendît seulement les abords de Dijon; les 



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Mt CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

autres , avec le préfet Dazincourt , se prononçaient 
pour la lutte à outrance, s'inquiétant fort peu du bom- 
bardement des propriétés... des autres. Au milieu de 
cette anarchie, les agents de la Compagnie recevant 
coup sur coup, ou tout à la fois, des injonctions con- 
tradictoires, ne savaient auquel entendre. Fort heu- 
reusement, rinspecteur principal Richard avait prévu 
de longue main Tinévitable dénouement. Dès le 26, 
avant Téchauffourée de Talmaj, il avait arrêté le ser- 
vice au delà de Dijon, et s était mis en mesure d'opérer 
en deux heures Tévacuation de la gare. Le lendemain, 
il avait pareillement supprimé les trains sur la ligne 
de Dôle-Besançon, menacée du côté d'Auxonne. Il y 
avait bien de ce côté les Garibaldiens , sur lesquels 
certains patriotes dijonnais comptaient beaucoup, mais 
M. Richard ne partageait pas cette confiance (1). Cepen- 
dant, il avait dû différer la fin de l'évacuation le 28, 
d'après un ordre du comité de défense, portant « que 
des mesures dont on espérait le succès étaient prises 
pour empêcher l'ennemi d'arriver au moins le jour même 
à Dijon. » Dans l'après-midi, et jusque bien avant dans 
la journée du lendemain, le parti opposé à la lutte à 
outrance prévalut, et finit même par renoncer à toute 
idée de résistance. On fit partir précipitamment âur 
Beaune, par lé chemin de fer, tout ce qui restait de 
troupes régulières. Le désarmement de la garde natio- 
nale fut prescrit et commencé : un train spécial, sous 
la direction de M. de Rampont, inspecteur, vint de 
Beaune, le 29 au matin, enlever un premier charge- 
ment de munitions et de plusieurs milliers de f^ls. 

(1) Lettre du 27 octobre. 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE HS 

M. Richard lui-même partit dans la soirée avec le der- 
nier train d'évacuation. 

On s'occupait de démonter le télégraphe, quand tout 
à coup la scène changea. Deux télégrammes contradic- 
toires pour Beaune furent apportés coup sur coup à la 
gare de Dijon : Tun demandait un train vide pour 
prendre le re>te des fusils de la garde nationale; 
l'autre, au contraire, exigeait le retour des fusils pré- 
cédêtoment expédiés, et rappelait les troupes. M. Bar- 
ville, chef de gare, courut demander des explications 
au préfet, et n'en obtint que d'assez confuses. La vérité 
était que Teitrême circonspection des Prussiens avait 
déterminé brusquement une réaction en sens inverse. 
On se âgura que les ennemis avaient dû essuyer 
quelque désastre, ou- qu'ils étaient trop peu nombreux 
pour attaquer sérieusement. Alors on se déchaîna 
contre ceux qui avaient ordonné le désarmement et 
renvoyé les troupes. « Le conseil municipal est dissous 
de fait, écrivait M. BarvUle, l'agitation est extrême en 
ville ; les gardes nationaux encore armés partent au- 
devant des Prussiens; d'autres demandent CétabUsse- 
ment d'une Commune. » Le préfet lui-même, entraîné 
par ce mouvement qu'il voulait toujours avoir l'air de 
diriger, annonçait par une proclamation que la pré- 
tendue armée allemande se réduisait à quelques 
maraudeurs, « qui ne s'étaient fait reconnaître que par 
la semelle de leurs souliers. » 

Le chef de gare et ses employés coururent de sérieux 
périls dans la soirée du 29. A Dijon, comme ailleurs, 
les grands patriotes étaient plus curieux de rechercher 
de prétendus traîtres que de marcher à l'ennemi. Leur 
animation était extrême contre l'employé du télégraphe. 

is 



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814 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Ils r&oousaient de s'être laissé circonvenir par des 
monarchistes qui annonçaient rapproche de Ten- 
nemi, au moment où celui-ci tombait dans les filets 
de Garibaldi... « En ce moment, écrivait M. Barville 
le 29 au soir, la gare est envahie par les exaltés qvi 
demandent le retour des fusils. Leur attitude est mena* 
çante; quelques-uns parlent même de brûler la g^el » 
Par son sang-froid et son énergie, M. Barville rendit 
de grands services dans cette crise, aussi bien que 
pendant Toccupation prussienne. 

Dijon, attaqué le 30 à dix heures du matin^ ne capi- 
tula qu'après sept heures de combat. La défense était 
dirigée par le colonel Fauconnet, revenu de Beaune 
dans la nuit avec ses hommes. Ces soldats, qui avaient 
fui le 27 à Talmaj, se sentant mieux commandés, 
n'étaient plus les mêmes ; secondés par un certain 
nombre de gardes nationaux de Dijon et des environs, 
ils disputèrent les abords de la ville avec une ténacité 
remarquable. Mais il fallut céder enfin à la supériorité 
du nombre et de Tartillerie. Vers quatre heures et 
demie, les défenseurs de Dijon étaient refoulés sur les 
faubourgs, les obus comme uçaient à pleuvoir sur la 
ville. Fauconnet, mortellement atteint, conseilla lui- 
même par écrit de cesser une résistance désormais 
sans espoir. Un habitant, chargé par la municipalité 
d'arborer le drapeau parlementaire, faillit être assas- 
siné par quelques exaltSs, qui tiraient sur lui et le 
drapeau comme sur une cible. 

L'occupation de Dijon et les démonstrations faites 
aussitôt après au delà de ce point par Tennenii, cau- 
sèrent une perturbation profonde sur le réseau bour^ 
guignon et franc-comtois. Toutes les gares jusqu^à 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE Si» 

* ■ 

G^igûj at^aient été évacuées précipitamment. Dès le 
l^ûovembt©^ des éclaireurs allemands étaient signalés 
h qnin26 kilomètres de cette station, devenue tète de 
ligtre^^t seulemeîit pour les trains de guerre. Pendant 
pltlsIeiaTs jouris, on trut à la marche d'une armée 
e&neibie sur Ljon , mouvement qui à cette époque 
n^urait pas rencontré d'obstacle sérieux, comme en 
font foi les révélations édifiantes du préfet d'alors à la 
ooïnmission d'enquête (1). Et e&core M. t&allemal- 
Lacour n'a eu garde de tout dire. Ainsi, il a cdzipMl»* 
m^nt passé sous silence un conflit dos plus grafes a|iii 
etit lieu le 3 à la gare de la Guillotière, Le p^^qA y 
retenait un grand nombre de camions, contenant das 
approvisionnements pour l'armée de la Loire. Le préfet 
avait eu beau ordonner à plusieurs reprises la levée 
de cet embargo, son ordre paraissait peu goûté. 
( Gottiau , !•' novembre. ) Toutes les gares de Lyon 
étaient à cette époque effroyablement encombrées : 
oelles de Vaize et de la Guillotière par les transports 
de guerre sur Chagny et le Bourbonnais, celle de Per- 
raohe par des cohues tumultueuses d'émigrants^ appré- 
hendant l'invasion étrangère ou les vivacités de la 
démagogie lyonnaise. 

Les embarras n'étaient pas moindres à Chagny. Les 
troupes encombraient la gare et ses dépendances ; les 
distributions avaient lieu sur les voies, faute d'empla- 
cements convenables (2). On se préparait tumultueuse- 

(1) Enquête parlementaire, t. H, p. 457-479. 

(2) De Rampont, 5 novembre. Cet ingénieur prit quelques 
jotirs après on congé pour aller servir dans Tarmée de la 
Loire. 



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316 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ment à défendre ce point, d'une si grande importance 
stratégique ; les routes, les rues étaient barricadées, six 
pièces de canon mises en position sur les hauteurs. 
Le commandement des troupes de Chagny fut confié 
d'abord à un ancien lieutenant-colonel, promu d'un 
élan général divisionnaire, ce Espérons, écrivait un des 
inspecteurs de la ligne, qu'il justifiera cet avancement 
express. » 

Du 1*' au 7 novembre, les Allemands poussèrent au 
delà de Dijon, dans la vallée de la Saône et dans celle 
de rOuche, des reconnaissances qui répandirent au 
loin répouvante et déterminèrent Tévacuation des sec- 
tions Chagnj-Montchanin, Autun-Epinac. La partie la 
plus imponante de cette opération concernait rétablis- 
sement du Creuzot, où se trouvait une grande quantité 
de matériel de guerre en construction, qu'il importait 
de soustraire à l'ennemi. Tout ce matériel fut chargé, 
le 5 novembre, sur soixante et dix wagons et dirigé vers 
Moulins, sous la direction de Tinsyecteur d'Autun, 
M. de la Taille. Il faisait en même temps charger sur 
quarante wagons et replier le matériel des mifies 
d'Epinac, menacées d'encore plus près par l'ennemi. 
On prenait encore d'autres mesures de défense; les 
trains de guerre n'avançaient plus jusqu'à Chagnj sans 
demander la voie^ quand on apprit que les détache- 
ments ennemis avaient rétrogradé sur tous les points. 

Sur les lignes non envahies de la Franche-Comte, 
les agents de la Compagnie avaient incessamment à 
lutter contre les exigences de l'état-major de la pré- 
tendue armée des Vosges, qui prétendait empêcher 
tout service régulier, et accaparer le personnel et le 
matériel pour ses reconnaissances. Le sous -inspecteur 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 817 

Lamolère avait seul trouvé grâce devant ces guerriers, 
et parvt*nait à s'en faire écouter. Ce fut lui qui obtint 
de Garibaldi Fautorisation de reprendre le service 
sur les lignes Dole -Mouchard et Mouchard-Beaançon 
(26 octobre). 

L'investissement de Belfort (4 novembre), devait 
avoir naturellement pour • conséquence la perte de 
Montbéliard. Cette ville fut en effet occupée le 8 sans 
coup férir. Les Pru^^siens suivirent jusqu'au bout Tem- 
branchement sur la Suisse et envahirent le 9 la station 
de Délie, la dernière du territoire français. Les offi- 
ciers affectaient une politesse exquise; mais les soldats 
volaient tout d ins les maisons dont les habitant* 
avaient pris la fuite, et un peu aussi dans les autres. 

M. Pellet, inspecteur, prévoyant cette marche de 
Tennemi, avait fait replier, le 2, sur Clerval, tout le 
matériel qui se trouvait au delà du Doubs sur la ligne 
de Belfort, notamment un train à destination de cette 
place, chargé de cinq millions de cartouches. Ces mu- 
nitions furent sauvées par ce mouvement de retraite; 
elles le furent une seconle fois le lendemain par la 
judicieuse résistance 'de Tin-pecteur Échalier à Toffi- 
cier qui accompagnait le convoi, et voulait à toute 
force revenir sur Belfort investi. M Échalier reçut à 
cette occasion les félicitations du général MicheL 

L'autorité militaire crut alors ne pouvoir plus différer 
la destruction des ponts du chemin de fer sur le Doubs 
au delà de Clerval. Cette mesure, projetée depuis long- 
temps, avait subi des retards qu'on attribua ridicule- 
ment à une influence bonapartiste. La destruction de 
ces ponts avait été vivement combattue par les inspec- 
teurs de la Compagnie. Ils représentaient (queTennemi, 

18. 



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318 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

n'étant pas maître de Belfort, ne pourrait employer^ 
cette ligne aux gros transports de guerre indispeii--. 
sables contre une place telle que Besançon; qu^il ne 
pourrait s'en servir que comme d'une chaussée pour des 
troupes légères ; que cette destruction tournerait coi^fere 
nous le jour où nous serions en mesure de tenter un 
effort sérieux pour secourir Belfort. Cette dernière 
considération, trop bien justifiée deux mois après par 
révénement, avait fait impression sur le général 
Michel. Il avait promis de ne faiire sauter les ponts 
«que quand Tennemî serait dessus (Échalier, 8 no- 
vembre). » Mais, quelques heures plus tard, par suite 
d'une panique sur le haut Doubs, Tordre de mettre le 
feu aux poudres fut réitéré et exécuté. 



III 



On a beaucoup déraisonné à propos des esearmoiiches 
qui eurent lieu en novembre dané les vallées de rO^non 
et du Doubs. On a dit que la marche des Prussiens sur 
Lyon avait été empêchée par les savantes combinai- 
sons de Garibaldi. La vérité est. que GaribalcU ao com- 
bina ni empêcha rien pendant les quelques jours qu'il 
passa encore à Dôle et aux environs avec ce qu'on 
appelait ambitieusement son armée^ laquelle se com- 
posait, de l'aveu d'un écrivain peu suspect de ten- 
dances réactionnaires, « d'un ramassis sans cohésion 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 319 

de solâata de toutes armeg et de toutes nationalités (1). 
Il n'y avait guère de sérieux dans ce « ramassis » que 
l^'çonapagnie génoise, composée d'anciens compagnons 
àei Oaribaldi, et d'un certain nombre de francs-tireurs 
anciens militaires. 

Pendant le mois de novembre, on se battit plusieurs 
foiai sur les trois embranchements qui relient Gray à la 
ligçe Dijon-Dôl^Besançon. Le 4, des fourrageurs 
allemands saccagèrent la gare de Talmay et celle de 
PontaiUier, dont le chef, soupçonné d'intelligences avec 
les frànc9-tireurs, n'eut que le temps de se sauver à 
Attxonne. En revanche, un autre détachement prussien 
fut surpris et assez maltraité le lendemain à la station 
de Genlis (19 kilomètres de Dijon), par la guérilla 
VEgalité marseillaise. 

Préoitément, à la même époque, le ministre de la 
guerre et son délégué se déterminaient à enlever aux 
départements de l'Est la plupart de leurs défenseurs, 
en reportant les troupes de Besançon sur l'armée de 
la Loire, par les voies ferrées. Mais comme on appré- 
hendait quelque mouvement de l'ennemi pendant 
cette longue évolution, soit pour surprendre les troupes 
pendant le transport, soit pour les devancer et les 
couper de la Loire en perçant sur Nevers, on. résolut 
de retirer préalablement de la ligne du Doubs Varmée 
de Garibaldi, pour lui confier la défense des défilés du 
Morvan. Cette détermination fut aussitôt notifiée à 



(1) Beauqmer^ p. 72. L'un des grands exploits des milices 
ganbaldiennes à Dôlè fut rexpulsion des jésuites, soupçontiés 
dé faire des signaux aux Prussiens et à Chambord du. haut 
d'une montagne!! 



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MO CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Garibaldi, et le transport de ses troupes effectué en 
neuf trains (8-11 novembre) de Dôle à Chagny (1). 

Il fut ensuite procédé au transport sur la Loire de 
la meilleure partie des troupes de Besançon, devenues 
le 18* corps. On avait d'abord songé à leur faire acoona- 
plir la totalité de cette évolution par les voies ferrées, 
en les embarquant à Besançon pour Chagny par la 
seule communication encore libre, c'est-à-dire par ïa 
ligne Besançon-Lyon jusqu'à Bourg, et retour sur 
Chagny par Mâcon. Il y eut à ce sujet des pourparlers, 
le 9 et le 10 novembre, entre le ministre de la Guerre 
et les chefs de la Compagnie. Il fut reconnu qu'il y au- 
rait plutôt peite de temps à faire faire aux troupes cet 
immense crochet sur des lignes dont une partie (la 
section Besançon-Bourg), n'avait qu'une seule voie ; en 
conséquence, les troupes furent dirigées par terre sur 
Chagny, du 10 au 15 novembre. 

Restait le transport de Chagny sur Gien; celui-là 
ne pouvait être accompli en temps utile que par les 
voies ferrées. Dans la nuit du 15 au 16 novembre, le 
délégué de la guerre adressa à M. Coffinhet, inj^pecteur 
principal des lignes de Chagny à Montchanin-Saincaize 
et Mont chanin -Moulins, une dépêche confidentielle 
prescrivant le transport immédiat de ce corps de 
40,000 hommes, avec cavalerie et artillerie, de Chagny 

(1) Ce transport eut lieu par les lignes Dôle-Mouchard, 
Lons-le-Saulnier, Bourg-Mâcon-Châlon. Ce long détour éfant 
inévitable, à cause de Tétat d'imperfection de la voie directe 
de Dôle à Châlon, qu'on tenta vainement d'utiliser un peu 
plus tard, lors du revirement vers TEH de Tarmée de Bour- 
baki. La légion bretonne, qui persistait à méconnaître Tau- 
torité de Garibaldi, fut dirigée à part sur Lyon. 



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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANÉE 821 

sur Gien. Ce mouvement devait être commencé dans 
la matinée même du 16, et continué sans désemparer 
« de manière à être terminé le 17 au soir ». Un duplicata 
fut adressé à Tinspecteur du Bourbonnais, M. Mitchell, 
que ce transport concernait pour la section de Nevers 
à Gien. 

• Expédiée de Tours à minuit vingt minutes, cette dé- 
pêche ne parvint qu'à cinq heures trente minutes du 
matin à Nevers, résidence de M. Coffînhet, lequel dut 
encore la réexpédier à Clermont, siège de l'admini- 
stration centr.ale, où elle ne parvint que trois heures 
après. Il restait tout au plus trente-six heures aux chefs 
de la Compagnie pour exécuter, sans entente préalable 
avec Tautorité militaire, l'opération considérable dont 
ils recevaient la première nouvelle par cette dépêche, 
opération qui allait demander cinquante trains pour le 
moins. 

Il y eut à ce sujet un échange de correspondances 
fort aigres entre Tours et Clermont. D'abord, par suite 
d'un malentendu regrettable entre le directeur de Tex- 
ploitation et Tautorité militaire, le délégué delà guerre 
crut que la Compagnie s'était engagée à fournir de 
suite et sans interruption deux trains par heure; et 
comme il s'en fallait de beaucoup qu'on eût marché 
aussi vite dans les premières journées, il télégraphia 
à M. Audibert « qu'il le rendait personnellement res- 
ponsable du retard. » 

Le directeur de l'exploitation fit immédiatement par- 
venir à Tours des explications de nature à satisfaire des 
hommes sérieux. L'autorité militaire avait eu d'abord 
ridée d'expédier de Chagnj les trains de troupes alter- 
nativemet via Nevers et via Moulins, pensant obtenir 



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3Î2 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ainsi une amélioration sensible du mouvement. Ce sys' 
tènâe eût entraîné des complications de service gênantes 
peut* la réexpédition du matériel déchargé, et, par 
SQite, ralenti le mouvement qu'on voulait hâter. M. Bi- 
dermann, ingénieur en chef, qui s'était rendu de suite 
à Chagny pour diriger lui-même les expéditions., avait 
jugé avec raison que le moyen d'obtenir la plus grande 
somme de vitesse possible était de s'assurer, tant à 
Vdihv qu'au retour, toutes les facilités d'un service à 
dottMe voie, en affectant exclusivement aux trains 
chargés la ligne la plus directe, celle de Montchanin à 
âaMicaîze, et l'autre aux retours de matériel. Mais il 
était impossible, pour plus d'un motif, ({ue l'opération 
fût accomplie aussi vivement qu'on le voulait à Tours., 
D'abord, la concentration sur Chagny du matériel né- 
cessaire exigeait absolument un certain délai. On était 
incessamment sur le qui- vive à Chagny; « il n'y avait 
donc sur ce point et dans les environs que le matériel 
nécessaire aux besoins prévus, c'est-à-dire à peine 
l'équivalent de deux ou trois trains complets. » Or, pour 
transporterie nombre d'hommes annoncé, il fallait au 
minimum vingt-cinq machines et sept cent cinquante 
véhicules. Il fallait tirer ce matériel de localités éloi- 
gnées, comme Lyon, Valence, Saint-Etienne, Cler- 
monfc... De plus^ tous les trains devaient être formés^ 
chargés à Chagny même, et cette circonstance d'une 
gare unique pour les départs opposait des obstacles in- 
surmontables à l'accélération de ces départs au delà 
d'une certaine limite. « C'est à peine, écrivait M. Au- 
dibert, si dans les grandes gares de Paris ou de Lyon, 
où Ton peut former et charger les trains sur plusieurs 
points à la fois, il serait possible d'expédier en moyenne, 



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RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE 3Î3 

d'une manièï*e continue, des trains toutes les demi- 
heiires. Ghagnj se prête très-mal à des opération? de 
ce genre. C'est une gare de bifurcation, dont le trafic 
propre est à peu près nul. Elle est, par conséquent, 
pourvue d'un assez graod nombre de voies, mais ses 
quais sont des plus restreints, et situés d'une manière 
peu commode pour les manoeuvres. Le chargement des 
chevaux et du matériel y est forcément très-lent et 
très-pénible. Dans ces conditions, je considère que si 
l'on arrive à y former et à expédier, en moyenne, un 
train par heure, on aura obtenu un résultat des plus 
satisfaisants (1). » M. Audibert avait raison, mais il 
était bien regrettable qu'on eût si peu remarqué, ^ 
l'origine, l'importance de cette bifurcation au point de 
vue militaire. 

Le représentant de la Compagnie de Lyon n'était 
pas encore quitte des aménités du délégué de la guerre. 
Celui-ci ayant appris , dans la nuit du 17 au 18 , que 
le service ordinaire avait été continué, pendant le 
mouvement des troupes, sur la section de Moulins à 
Gien, se hâta d'en conclure que cette circonstance 
était la cause principale du retard, et adressa à ce 
sujet une objurgation des plus vives à M. Audibert : 
« Ainsi, Monsieur, voilà un mouvement retardé de 
deux jours, malgré mes ordres réitérés, parce qu'il 
vous a convenu de mener de front le service de la 
guerre et les services commerciaux. Une telle mol- 
lesse est bien coupable; vous aurez à répondre de ses 
conséquences... Quant à présent, je supprime jusqu'à 
nouvel ordre tout train de voyageurs et de marchan- 

(1) Lettre de M. Audibert à M. Gambetta, 17 novembre. 



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3i4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

dises entre Moulins et Gien, et je traduirai devant 
une cour martiale tout agent qui enfreindra cette déci- 
sion. » (18 nov.) M. Audibert eut beau faire observer 
que le maintien d'un petit nombre de trains réguliers 
sur cette section (parmi lesquels figuraient les trains- 
poste que le délégué lui-même autorisait à conserver) 
n'avait nullement préjudicié au mouvement; qu'on 
avait pu même expédier sans difficulté sur cette même 
section plusieurs trains de troupes qui ne venaient 
pas de Chagny. Le délégué de la guerre persista à 
soutenir qu'on avait commis une faute grave ; perdu 
un temps précieux en maintenant les trains civils, qui 
absorbaient une partie du matériel qu'on aurait dû 
employer tout entier aux transports militaires; que 
ces transports avaient encore été retardés par lee 
garages indispensables pour laisser passer des trains 
ordinaires. Or, il n'y avait eu que deux garages 
de trains de troupes pour laisser passer ceux de 
voyageurs. Encore Tun de ces derniers était le 
train-poste , qui , dans tous les cas , eût été maintenu. 
Tout s'était donc réduit, pour ces trois jours, à un 
garage unique^ qui entraîna un retard de quarante 
minutes pour le train de troupes garé. De plus, il avait 
été employé en tour, dans ces trains ordinaires, huit 
voitures de première et deuxième classe, dix de la 
fepoisième. Les réprimandes du délégué de la guerre 
étaient donc absolument puériles, mais il tenait à avoir 
le dernier mot : on le lui laissa. 

Le chiffre réel de l'effectif à transporter dépassa 
sensiblement celui qui avait été annoncé de Tours ; il 
exigea l'emploi de quatre-vingt-huit trains au lieu de 
cinquante. Tout fut terminé lo 10 an soir, c'est-à-dire 



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RÉSBAU DE LYON-MÉDITERRAKÉB J» 

à la fin du quatrième jour depuis la réception de l'ordre 
de Tours. C'était donc, en moyenne, vingt-deux trains 
par jour; et comme une f»ran le partie du premier 
avail été absorbée par les délais nécessaires pour la 
rassemblement du matériel, on peut compter que, 
pendant les trois derniers jours, il fut formé au delà 
de vingt-cinq trains toutes les vingt-quatre heures. 
Ainsi, MM. Bideimann, Coffinhet, Mitchell et leurs 
auxiliaires étaient parvenus, à force d'activité, à 
dépasser la moyenne d'un train par heure promise par 
M. Audibert. 

Cette opération ne donna lieu qu'à une collision 
relativement peu importante, qui se produisit le 19 au 
disque de Nevers, et dans laquelle il n'y eut qu'un 
homme de blessé. 

L'ennemi, qui dans les premiers jours de novembre, 
s'ét.it retiré de Gray et des environs, informé du 
départ des gnibaldiens et dos troupes de Besançon, 
ne tarda pas à reparaître. Ses éclaireurs passèrent sur 
la rive gauche du Doubs qui n'était plus défendue, et 
poussèrent jusqu'aux premiers contre-forts du Jura. 
Les employas des lignes do Gray n'avaient eu que le 
t-^mps de s'enfuir de n-uveau. Sur la section Dôle- 
Besançon, l'aiguilleur Poncelet, envoyé de Ranchot 
en reconnaissance, fut tuo sur le teniioire de Rouf- 
fange (Jura).. Le 14, on signalait Tappariiion des 
uhlins à Dole, où Garibaldi avait eu pendant trois 
semaines son quartier-général. On fut obligé d'évacuer 
cette gare et les suivantes du côté de Besançon, et 
même celles de l'embranchement Dôle - Pontarlier 
jusqu'à s»n point de croisement avec la ligne Besan. 
çon-Lyon (Arc-Seuans-Mouciiard). Le matériel fut éga- 

19 



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326 CHEMINS t)E FER FRANÇAIS 

lenient replié et le service suspendu quelques jours 
sur cette ligne jusqu'à Mouchard, sauf pour les trans- 
ports de guerre. Toutefois, le général prussien ne se 
crut pas assez fort pour occuper à la fois une si grande 
étendue de pays , et abandonna promptement la rive 
gauche du Doubs (15-20 novembre). Cette retraite fut 
improuvée à Versailles. 

Depuis cette époque jusqu'au transport de Tannée 
de TEst, il n'y eut de ce côté que des alertes et des 
escarmouches d'une médiocre importance. Dans toute 
la vallée du haut Doubs, les avant-postes échangeaient 
des coups de feù d'une rive à l'autre, et l'on entendait 
distinctement le canon de Belfort. 



IV 



Pendant que les Allemands multipliaient dans l'Est 
des démonstrations plutôt défensives, ils opéraient un 
mouvement sérieux vers la Loire pour réparer leur 
échec de Coulmiers. 

. On reçut des informations suivies sur ce mouvement 
par les employés des gares de la ligne de Bourgogne 
en aval de Dijon, qui jusque-là n'avaient été que 
faiblement inquiétés. Le 12 novembre, l'inspecteur 
Bonamy signala de Tonnerre la présence d'une forte 
avant-garde à Châtillon (embranchement de Chaumont 
à Nuits-sous-Ravières). Là, comme partout, nous 
nous trpuyionjs pris au dépourvu! O» avait négligé de 



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RÉSEAU I>M LYON-MÉDITERRANÉE 3«7 

détruire les ouvrages de cette ligne transversale qui 
relie le réseau de Lyon à celui de l'Est, et pouvait, 
par conséquent, permettre d'établir une communica- 
tion continue par les voies rapides entre TAllemagne 
et les troupes allemandes envoyées dans l'ouest de la 
France, 

On se hâta de faire sauter le pont de FArmançon à 
Nuits-sous-Ravières, mais le temps manqua pour en 
faire autant à celui de Sainte-Colombe, près Châtillon. 
Pendant huit ou dix jours, tout le département de 
l'Yonne, sauf Tarrondissement d'A vallon, fut inoiidé 
de troupes de passage. Dès que ce torrent fut à peu 
près écoulé, M. Bonamy retourna à son poste de Ton- 
nerre, que les derniers Prussiens avaient quitté le 25. 
La plupart des gares avaient servi de campement, et 
Ton s'en apercevait du reste, principalement à Ton- 
nerre, à Laroche, à Sens, à Châtillon. Dans cette der- 
liière localité, les Allemands avaient agi avec une 
brutalité exceptionnelle. Les logements des employés 
avaient été envahis, les femmes et les enfants expulsés 
sur l'heure, sans pouvoir rien emporter. Le chef de la 
petite gare de Brienon, prè§ de Laroche, avait été 
complètement dévalisé, etc. 

Comme on devait s'y attendre, les Prussiens se 
préoccupèrent aussitôt de la réparation du pont de Nuits- 
SDUS-Ravières. Le chef et lesous-chef de Tonnerre et 
d'autres agents avaient dû s'enfuir, pour se soustraire 
aux réquisitions menaçantes des ingénieurs allemands 
qui voulaient disposer d'eux, et même les châtier pour 
avoir mis les voies hors de service. Ceux qui tentèrent 
de rester en gardant, conformément à leurs instruc- 
tions, une attitude passive, furent iiyuriés, maltraités 



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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

6t finalement expulsés. Ces refus patriotiques eurent 
du moins pour effet de retarder l'organisation de «e 
service, à Tépoque où Tennemi en aurait pu tirer le 
meilleur parti. Ses wagons ne commencrent à circuler 
sur la communication de Chaumont à Juvisj, parNuits- 
sous-Ravières et Moret, que très-peu de jours avant 
l'armistice. On avait espéré que les Garibaldiens, qui 
n'étaient pas loin de Nuits-sous -Ravières, mettraient 
obstacle à la réparation du pont ; mais ils avaient autre 
chose à faire, sinon mieux 1 Toutefois il faut savoir gré 
à un certain nombre d'entre eux, dignes du nom de 
soldats, de l'excursion hardie qu'ils firent vers Châtillon, 
sous la conduite de Ricciotti Garibaldi. Ils y surprirent 
un bataillon prussien, et regagnèrent avec le même 
bonheur Autun, ramenant avec eux 262 prisonniers, 
qui furent expédiés sur Lyon'par le chemin de fer (1). 
La ci-devant armée des Vosges, lors de son débar- 
quement à Autun, était forte de 15,000 hommes envi- 
ron, dont les deux tier-» étaient plus incommodes, sinon 
plus dangereux, pour les Français que pour les Prus- 
siens. Sauf de rares occasions où reparaissaient quel- 
ques lueurs fugitives d'énergie, le céîèbre condottiere 
était aussi délabré au moral qu'au physique. Il suivait 
avec une docilité d'enfant les inspirations de son an- 
cien aide de camp Bordone, qui faisait les fonctions de 
chef d'état-major. Ce pharmacien belliqueux avait pris 
sur lui un ascendant extraordinaire qu'il a conservé 



(1) Télégramme de M. de Forestier, inspecteur, du 23 no- 
vembre. Toutefois, M de la Taille, qui avait reçu ces prison- 
niers lors de leur débarquement à Autun, m'a afnrmé n'en 
avoir compté que 160. 



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RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE S» 

jusqu'à la fin de la campagne, en dépit des autorités 
françaises et même des fils et du gendre de Oaribaldi. 
Cette infiuence se manifesta de la fnçon la plus fâcheuse 
sur les opérations militaires, notamment dnns Tafi^ire 
d'Autun dont nous allons parler, et plus tard à Dijon. 
Plusieurs personnes conçurent même à cette occasion 
des soupçons étranges^ qui ne nous paraissent pas suf- 
fisamment jusiifîés. 

Parmi les chefs garibaldiens, deux seulement avaient 
une valeur réelle comme partisans, Ricciotii Garibaldi 
et le général hongrois Bossak, qui fut tué au mois de 
janvier sous Dijon. Dans ce ramassis de volontaires 
cosmopolites, Bossak s'était formé une sorte de batail- 
lon sacré, composé d'environ .600 hommes, dont « le 
meilleur, suivant Texpression facétieuse de l'un des 
aides de camp du général, avait tué au moins son père 
ou sa mère, » mais tous alertes, résolus, astreints à 
une discipline rigoureuse. Parmi les autres chefs, on 
remarquait le célèbre Delpech, promu d'emblée géné- 
ral de brigade, après avoir été, comme il Ta dit lui- 
même, « accidentellement préfet à Marseille pendant 
vingt-quatre heures. » Pendant son généralat non moins 
accidentel, M. Delpech parut toujours beaucoup plus 
empressé de guerroyer contre les prêtres et les monar- 
chistes de toute nuance que contre les Prussiens. 

Les relations de Tétat-major garibaldien avec le mi- 
nistère de la guerre et la Compagnie de Lyon étaient 
généralement tendues à tout rompre. Ainsi, pendant la 
grande opération du transport des troupes du général 
Crouzat, de Chagny à Gien, opération à laquelle toutes 
les ressources de matériel disponible étaient affectées 
par ordre supérieur, M. Bordone et ses acolytes per- 



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ZZt CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

sistaient à soutenir que ce mouvement ne devait ppé- 
j.udicier en rien au service particulier de leur armée^ 
et à réclamer impérieusement des trains spéciaux qu'on 
ne devait ni ne pouvait leur fournir, menaçant de se 
servir eux-mêmes si on ne les servait pas à leur gré» 
Us repoussaient également, de la façon la plus catégor 
?ique, tout contrôle financier. L'incroyable tolérance 
de l'administration de la guerre pour de pareils actes 
ne peut s'expliquer que par des considérations poli- 
tiques. Les mêmes tiraillements se reproduisirent un 
peu plus tard, lors du mouvement général sur Dijon, 
qui eut lieu après la bataille de Nuits. L'un des chefs 
écrivait textuellement à cette occasion : Le ministre 
ri a pas le droit d'empêcher un transport commandé par 
Gariàaldi I 

Parmi leurs réquisitions quotidiennes, il y en avait 
de fort étranges dans la forme et dans le fond. L'une 
des plus curieuses, qui a été justement signalée à la 
commission d'enquête, fut faite après coup par un des 
officiers supérieurs de cet état-major, en faveur d'une 
personne à laquelle il portait un intérêt tout particu- 
lier. Cette personne avait fait venir de Marseille à Au- 
tun, une fourniture considérable de provisions de 
bouche. Au moment de la livraison, elle refusa d'ac- 
quitter les frais de transport, et exhiba le lendemain 
une réquisition garibaldienne, qui, suivant toutes les 
règles, aurait dû être faite et produite antérieurement 
au transport. Le chef de gare, M. Bouchot, qui se mon- 
trait récalcitrant, fut traité de clérical et menacé d'ar- 
restation. 

L'abus des réquisitions pour transport gratuit avait 
pria à cette époque (novembre) des proportions in- 



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RÉSEA.Ç DELLYO]ir»MÉDFrERIlANÉE 3BK 

oroyahles*. Un préfet du Midi, le propre neveir,:il^st 
Trai,.d*un des membres de la Délégation, expédiait? su* 
brepticement à Tours sa femme, nantie d'iine réquisi- 
tion, qui lui donnait le titre de déléguée, auprès du Gou- 
vernement. Vers, la même époque, rinspecrteùr de la 
ligae du Bourbonnais recevait la visite d'une espèce de 
wrag'o. de formidable encolure, ndunie de grosses. botte» 
et d'un assortiment de revolvers. Cette héroïne ^qUr 
voyageait également en vertu d'une réquisition admi-^ 
niatrative, faisait les plus bizarres confidences: sur sa 
vie passée. Elle se vantait d'avoir lancé dans le demi 
où quart de monde parisien plusieurs célébrités ga;;^ 
lantes, notamment une certaine Anglaise dont cm ,a 
beaucoup parlé à Paris dans l'hiver de 1873, à propos 
d'une tentative de suicide. Pour lors, elle avait changé 
d'industrie, et prétendait avoir des moyens particuliers 
de faire entrer un convoi de vivres dans Paris. En con- 
séquence, elle demandait qu'on mît à sa disposition un 
train spécial jusqu'au confluent de la Seine et du canal 
du Loing (station de Moret). M. Mitchell s'empressa 
naturellement d'éconduire cette ravitailleuse équi- 
voque. Mais, quelques jours après, il la retrouva à 
Tours, et le délégué de la guerre lui demanda fort sé- 
rieusement pourquoi il avait laissé échappé cette forte 
occasion de faire entrer des vivres dans Paris. Mr Mit- 
chell eut quelque peine à lui faire comprendre que le 
matériel consacré à ce transport eût été plus que com- 
promis, et -que si cette singulière entrepreneuse de ra- 
vitaillement, ou ceux qu'elle représentait» avaient, 
comme elle s'en vantait, des intelligences parmi les 
Allemands, ces honnêtes spéculateurs avaient dû 
prendre leurs précautions pour être indemnisés a tput 
événement.,. 



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CHEMINS DE FER NUANÇAIS 



Pour en revenir à Tannée ^aribaldienne, disons en- 
core que rorganieaiiori du service sanitaire y laissait 
beancoup, sinon tout à désirer. On voyait cependant 
circuler bon nombre d'individus costumés en chirur- 
giens, d'infirmiers et surtout d'infirmières à chemises 
rouges. Mais ces chirurgiens n'étaient que pour la 
montre; et quant aux infirmières, e'ies étaient ^i occu- 
pées avec les hommes valides qu'il ne leur restait plus 
de temps pour les malades et les b'essés. Ceux-ci au^ 
raient été foi*t à plaindre, s'ils n'avaient été recuoiUis 
dans des ambulances organisées par les cléricaux 
qu'ils insultaient, et soignés par les médecins de la 
viUe. 



Après le transport à Autun de l'armée garibaldienne, 
et pendant cplui du 18* corps, les hostilités commen- 
cèrent à prendre un caractère plus sérieux dans les 
vallées de la Saône et de l'Ouche. 

Dès le 11 novembre, une avant-garde française avait 
été reportée de Chignj à Beaune. On savait qne de 
nombreuses troupes allemandes se dirigea'ent vers la 
Loire. Etaient-elles destinées à renforcer les vaincus 
de Coulmiers ou bien à prendre le vainqueur à revers, 
en interceptant l'important renfort qu'on lui expédiait 
de Chagny à Gien par les voies ferrr^es ? Dans tous les 
cas, il était bon de faire une diversion pour troubler 



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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 933 

rennemi dans sa marche de flanc, et couvrir le transport 
du 18* corps français. 

On pensait réoccuper sans combat Dijon, brusque- 
ment évacué le 11 par les Allemands. Le 14, les ordres 
étaient donnés pour réparer la voie depuis Beaune. On 
calculait qu'il faudrait six ou sept jours pour rétablir 
une passerelle sur le canal de Bourgogne, dont Tennemi 
avait fait sauter le pont. Mais le même jour, M. De- 
lannej, parti en reconnaissance pour hâter les tra- 
vaux, était arrêté à sept kilomètres de Dijon par les 
agents de la voie, qui lui apprenaient que Teunemi ve* 
nait de réoccuper cette ville. 

Cette nouvelle détermina une reprise de panique, 
courte, mais des plus violentes, sur toute la ligne de 
Bourgogne jusqu'à Lyon. Là, les autorités militaires et 
ce qu'on appelait alors Tautorité civile, crurent pour la 
cinquième ou la sixième fois à là prochaine apparition 
d'une armée prussienne. L'anxiété redoubla quand on 
apprit le retour d'une avant-garde ennemie sur Nuits, 
Tapparition de ses éclaireurs à Prémeaux. Cette nou- 
velle détermina un mouvement rétrograde d'une partie 
des troupes françaises, l'évacuation sur Châlon du ma- 
tériel des lignes d'Autun et de Montchanin , celle 
même des gares de Chagny et de Fontaines... Cette 
fois encore, on avait pris une simple démonstration 
pour la marche d'une armée. L'ennemi s'avança dans 
la vallée jusqu'à Seurre, comme s'il eût voulu tourner 
Beaune ; mais il revint aussitôt sur Nuits, et se replia 
finalement sur Dijon, après une escarmouche assez 
vive avec quelques compagnies de francs-tireurs et de 
mobilisés qui ne craignirent pas de le harceler dans 
sa retraite. 

19. 



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5*4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Cette nouvelle reculade des Prussiens, et ensuite 
rheureux coup de main de Ricciotti Garibaldi vers 
Châtillon, firent renaître la confiance. Il était de nou- 
veau question d*un mouvement combiné sur Dijon entre 
les troupes qui étaient censées obéir à Garibaldi, et 
celles de la vallée de la Saône, qui allaient être renfor- 
cées de la deuxième légion des mobilisés du Rhône. 
Elle fut embarquée à Lyon, le 26, en trois trains avec 
les tirailleurs des Cévennes et ceux de la Mort, au mi- 
lieu des acclamations ordinaires, et transportée jus- 
qu'à Nuits, où elle stationna toute la journée du 28. I^ 
y avait si peu d'entente entre les chefs, que Garibaldi 
faisait son attaque par la vallée de TOuche, tandis que 
ces troupes qui auraient dû le seconder en opérant sur 
sa droite étaient encore en chemin de fer. 

U armée garibaldienne s'avançait avec assurance, 
croyant trouver les ennemis en pleine retraite, et 
poussa d'abord assez vivement leurs avant-postes. Mais, 
à quelques kilomètres de l'octroi, elle fut arrêtée et 
mise soudain en complète déroute par un feu nourri 
d'artillerie. Les démocrates ardents, voulant sauvegar- 
der à tout prix le prestige garibaldien, prétendirent 
que la mauvaise conduite des mobiles de l'Aveyron et 
d'Autun avait été l'unique cause de cet échec. Cette 
assertion calomnieuse fut loyalement démentie dans 
le journal d'Autun, par Tun des fils de Garibaldi (Me- 
notti). La poursuite de l'ennemi fut retardée par une 
poignée d'hommes résolus, et notamment par M. Che- 
net, commandant de la guérilla dite A'Orietit^ qui fit 
preuve ce jour-là d'une grande fermeté. Pendant co 
temps, Garibaldi était entraîné par son état-major du 
côté de Pont-d'Ouche, tête de ligne de l'embranche- 



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RESEAU DB LYON-MEDlTERRANÉE zm 

ment, qui relie les mines d'Épinac au canal de Bour^ 
gpgne. Sur ce tronçon de chemin de fer, il n'était 
resté qu'un certain nombre de wagonnets\ dont on avait 
pensé que l'ennemi ne pourrait rien faire. Les chefs, 
garibaldiens s'entassèrent dans ces véhicules incom- 
modes et même dangereux, et ce fut dans cet équipage 
p^u triomphal qu'il firent leur rentrée à Autun. Ceo 
u' empêcha pas le gouvernement de Tours d'adresser^, 
par le télégraphe ses félicitations à l'illustre général 
« pour le brillant fait d'armes accompli par ses braves 
troupes sous les murs de Dijon I » Ce n'était que Ta- 
vant-garde des fuyards qui avait pu trouver place dans ce 
train si particulier ; quelques heures après, le général 
de brigade Delpech arrivait à son tour à Pont-d'Ouche. 
Très mortifié de n'y plus trouver aucun moyen d'éva- 
sion, il implorait de l'inspecteur d' Autun, par le télé- 
graphe, le retour des wagonnets sauveurs. U était trop 
tard pour obtempérer à ce désir, et le général reçut 
l'ordre de « se masser à Auxy », entre Epinac et Au- 
tun. M. Delpech n'avait que de trop bonnes raisons 
pour ne pas exécuter cet ordre. Ne pouvant se masser 
à lui tout seul, il s*éclipsa, et ne reparut qu'après le 
combat du 1®' décembre. 

Cependant l'inspecteur d'Autun, voyant Garibaldi et 
son état-major revenir d'Épinac « dans des conditions 
si peu régulières, » et leurs soldats affluer sur Autun 
en pleine débandade, avait été demander des renseigne- 
ments et des instructions au chef d'état-major. Celui-ci 
lui répondit d'abord de se tenir tranquille, qu'on le pré- 
viendrait en temps utile si l'évacuation devenait néces- 
saire. Mais quelques heures après, on apprit que l'avant- 
garde allemande était à Arnay-le-Duc (trois kilomètres 



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Ste CHEMINS DB FER FRANÇAIS 

d'Autan). A cette nouvelle, la première pensée des 
chefs garibaJdieDS fut de battre en retraite. L'inspecteur 
en fut avisé officiellemeot, et dut demander un supplé- 
ment de matériel à Monlchanin pour charger les muni- 
tions, effets de magasin, etc. On se prépara donc à 
évacuer en toute hâte les deux sections d'Autun à Étang 
et à Montchanin, tandis que M. Delannej, prévenu par 
son collègue, prenait les mêmes dispositions sur la ligne 
de Montchanin à Chagnj, pareillement menacée. L'une 
des grandes préoccupations des deux inspecteurs était 
toujours rétablissement du Creuzot. 

C'était M. Gaukler, de i'état-major garibaldien, qui 
avait été chargé de s'entendre avec l'inspecteur pour 
l'organisation du départ. Le langage de cet officier 
n'était rien moins que rassurant. Suivant lui^ Varmée 
était absolument hors d'étal de défendre Autun. Un 
train spécial pour le général et son état-major était 
commandé pour le lendemain P**^ décembre» cinq heures 
du matin. Ce train devait se diriger sur Étang et revenir, 
par l'embranchement de Montchanin, d«^barquer à la 
station de Marmagne. Le point de ralliement était la 
foi te position de Monceni», au-dessus du Creuzot. Les 
troupes devaient s'y rendre directement d' Autun en 
passant par la montagne. 

Tout était donc bien entendu ainsi, et pendant la nuit 
entière le personnel de la gare d' Autun fut occupé à 
charger les munitions et les bagages. Mais à l'heure 
convenue on ne vit rien paraître, et une heure après 
M. de la Taille fut informé que le projet de retraite 
était abandonné. Ce brusque changement a été attribué 
à Garibaldi lui-même, qui au dernier moment, aurait 
refusé de quitter Autun sans combat. On dit aussi que 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 3S7 

rétÉtt-major avait reçu dans Tintervalle de meilleurs 
rens'^igneinents. Ce qui est certain; c'est que, dans la 
matinée, M. Bordone affectait une sérénité impertur- 
bable. Le Creuzot ayant demandé à Autun Tautoris^ation 
de commencer révacuaiion de son matériel (400 wagons 
remorqués par vingt machines), M. Bordone fit répon- 
dre : « On vous a efli*ajés à tort; nous vous couvrons. » 
On arrêtamême, comme porteurs de fausses nouvelles, 
deux voyageurs qui préteu'laient avoir rencontré Ten- 
nemi dans les environs. Les chefs garibaldiens éiaient 
donc pleinement rassurés. On peut même dire qu^ils 
Tétaient trop, car quelques heures plus tard M. de la 
Taille télégraphiait à Lyon : « On se bat dans les fau- 
bourgs. Suis à la gare avec deux trains (de munitions) 
et injonction de ne pas partir sans ordre. Crains d'être 
pris. » 

L'inspecteur Delanney, replié sur Châlon, recevait 
en même temps un télégramme non moins alarmant 
du commandant de la subdivision de la Côte-d'Or, le 
colonel Pelissier (depuis général). Il annonçait qu'une 
autre colonne ennemie menaçait Chagny par Bligny- 
sur-Ouche, et ajoutait : « Prenez vos mesures; je don- 
nerai peut-être au dernier moment Tordre de faire 
sauter le tunnel de Chagny. » 

Le mouvement offensif des Allemands après le com- 
bat de Dijon avait été singulièrement encouragé par 
Tincapacité d'un général divisionnaire de promotion 
nouvelle, qui commandait accidentellement dans la 
vallée de la Saône. Au tort d'être resté immobile pen- 
dant que les garibaldiens se portaient sur Dijon, cet 
homme de guerre avait ajouté le tort non moins grave 
de se replier précipitamment à la première nouvelle 



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33» CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

de leur insuccès. Dès le 28 au soir, la deuxième légion- 
du Rhône, postée à Nuits en arant-garde^ avait reçu 
l'ordre d'évacuer de suite cette position avantageuse. 
Cette circonstance nous fournit un exemple renaarquable 
des inconvénients de l'emploi des voies ferrées pour des 
transports militaires à trop courte distance. Celle de 
Nuits à Beaune est de quinze kilomètres. L'un des ba- 
taillons de cette légion fit ce trajet à pied ; aussi il arriva 
bien avant les deux autres, expédiés par la voie ferrée. 
Cet embarquement improvisé n'avait pu se faire qu'avec 
beaucoup de tumulte et de lenteur : heureusement, l'en- 
nemi était plus éloigné qu'on ne le croyait (1). 

Un rapport de M. de la Taille, du 3 décembre, nous 
fournit des détails précieux sur le combat d'Autun. 

Le 1°% vers midi, la station de Saint-Léger (à 15kil, 
d'Autun, ligne Épinac) télégraphiçiit que des voyageurs 
venaient de rencontrer l'ennemi à Igornay , dans la vallée 
de l'Arroux. L'inspecteur s'empresse de transmettre ce 
renseignement à M. Bordone, qui commence par ré- 
pondre qu'il n'en croit pas un mot. Cependant, toute 
réflexion faite, il prie M. de la Taille de faire lui-mênae 
une reconnaissance sur machine dans cette direction 
jusqu'à, la station de Dracy, la première après Autun 
(7 kilomètres). 

Mais il n'était déjà plus nécessaire d'aller si loin. 
L'inspecteur, accompagné du sieur Ferrand, piqueur 
de la voie, n'avait pas fait trois kilomètres, quand ils 
découvrirent au loin sur la route de terre, « une masse 
noire de troupes. » En même temps, ils aperçoivent, 
accourant à eux sur la voie, le chef de Dracy, M. Des- 

(1) Mouton, Historique de la deuxième légion du Rhône. 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 339 

granges, et son garde -barrière, qui leur font signe de 
s'arrêter et sautent sur la machine. Pendant que celle- 
ci rétrogradait à toute vapeur, Desgranges racontait 
qu'en voyant arriver cette troupe ennemie il avait pris 
de suite sa course du côté d'Autun pour donner Talarme, 
qu'il avait été un moment arrêté par les uhlans qui 
galopaient le long de la voie ferrée, et qui toutefois 
l'avaient relâché en apercevant de loin la fumée de la 
locomotive. Alors, ils avaient couru s'embusquer der- 
rière une n^aison de garde-barrière, à moins de 150 mè- 
tres de l'endroit où la locomotive s'était arrêtée sur les 
signaux du chef de gare. Il était fort heureux pour l'ins- 
pecteur et ses compagnons que cet employé eût si bien 
fait son devoir ; car au premier abord ils î^ valent cru 
que cette colonne était française, n'imaginant pas que 
l'ennemi pût arriver en force aussi près de la ville sans 
avoir été signalé. 

Quelques instants après, M. de la Taille était à l'état- 
major, racontant son aventure à M. Bordone qui n'y 
croyait encore qu'à demi, soutenant qu'il ne pouvait y 
avoir de ce côté que quelques éclaireurs. L'entretien 
fut interrompu par le canon ; c'était une brigade entière 
qui attaquait la ville. Voilà- comment se gardait et nous 
gardait la jeunesse italienne (1). 

Malgré l'avantage de U surprise, la supériorité de l'ar- 
tillerie et du nombre des combattants^ les Allemands ne 
purent s'emparer d'Autun. L'honneur de cette journée 

(1) On sait que M. Bordone a prétendu rejeter la respon- 
sabilité de cette surprise sur le commandant de la Guérilla 
d'Orient (Chenet), qui fut même condamné à mort par con- 
tumace. Les débats contradictoires ont fait justice de cette 
inculpation. 



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340 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



doit être principalement attribué à Tartillerie française, 
composée de douze pièces de montagne, d'un calibre 
trèis-inférieur à celui des vingt bouches à feu allemandes, 
mais bien postées et surtout bien servies par les artil- 
leurs mobiles de la Charente -Inférieure , qui furent magni- 
fiques^ dit M. de la Taille. Ces braves jeunes gens étaient 
120 hommes en tout, sur lesquels il j en eut quarante- 
huit^ c'est-à-dire plus du tiers, tués ou mis hors de 
combat. Quant aux Garibaldiens, les chefs et un certain 
nombre de soldats firent bonne contenance, mais les 
autres, tout à fait démoralisés depuis l'échec de Dijon, 
lâchèrent pied au premier coup de canon et s'enfuirent 
très vite et très-loin. Ces fuyards franchirent tout 
d'une traite le massif de collines qui sépare Autun de 
l'embranchement de Montchanin-Chagnj. Le lendemain 
il j en avait un millier à la gare de Montchanin, 1,500 à 
celle du Creuzot, se disant trahis, insultant les habi- 
tants, menaçant les employés, demandant à grands cris 
qu'on les conduisît à Lyon. (Télégrammes de Mont- 
chanin et du Creuzot, 3 décembre). Le préfet de Saône- 
et-Loire réclamait instamment du matériel pour enle- 
ver cette horde indisciplinée, sourde à tous les ordres 
de rappel et de ralliement. Ce préfet n'était autre qu'un 
ancien journaliste d'opposition à outrance, M. Frédéric 
Morin, qui commençait à s'apercevoir que si la critique 
du pouvoir ,est aisée, son exercice est difficile. Plusieurs 
de ces républicains cosmopolites gagnèrent la grande 
ligne de Bourgogne, et parvinrent à s'embarquer pour 
Lyon. Il y en eut même qui ne s'arrêtèrent qu'à 
Marseille. 

Suivant l'opinion de témoins oculaires, ces fuyards 
auraient contribué, sans s'en douter, à l'échec des Alle- 



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IIÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE Ui 

mands. Ceux-ci s'étonnaient de n'avoir pas rencontré 
plus d'obstacle aux abords de la ville, et redoutaient 
quelque piège. D^s posiiions qu'ils occupaient, ils pou- 
vaient voir distinctement en face d'eux tous ces gens en 
chemise rouge courir sur les pentes supérieures de la 
colline qui domine Autun et la vallée de l'Arroux. Ils 
leur firent l'honneur de prendre pour une tentative dan- 
gereuse de mouvement tournant ce qui n'était qu'une 
déroute. 

La gare avait été l'un des points les plus exposés : 
tout le personnel du chemin de fer se conduisit admi- 
rablement. Au moment où l'action s'engagea, il y avait, 
le long du quai découvert, une vingtaine de wagons 
requ'S la veille par l'état-mnjop garil»aldien pour char- 
ger les chevaux et les voitures. Il fallut en former d'ur- 
gence un train aux plaques, prendre et remorquer les 
Wrfgons; toutes ces manœuvres furent accomplies sous 
le feu de l'ennemi. Sans abandonner leur tâche péril- 
leuse, les employés s'efforçaient de retenir les fuyards, 
désarmaient ceuxqui semblaient avoirabsolument perdu 
la tête. Le chef de gare Bouchot et un homme d'équipe, 
nommé.Petit, se signalèrent particulièrement dans cette 
crise. Vers deux heures de l'après-midi, les projectiles 
pleuvaient littéralement sur la gare : la plupart étaient 
heureusement interceptés par le pont de là route d'E- 
pinac qui passe au-dessus de la voie ferrée. Cependant 
les artilleurs allemands apercevaient fort bien les deux 
trains de munitions que l'inspecteur avait ordre de re- 
tenir à tout risque, et tiraient dessus sans relâche. Au 
moment où l'engagement semblait le plus vif, trois bou- 
lets arrivèrent coup sur coup dans les roues d'une des 
locomotives. L'officier préposé au convoi prit peur et 



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34t CHEMINS DE FER FRANÇAIS' 

ordonna aux mécaniciens de démarrer. Ceux-ci obéirent, 
malgré les signaux contraires de Tinspecteur. qu'ils ne 
voyaient pas. Cet éloignement de la réserve des muni- 
tions était un incident des plus graves ; il pouvait serr 
vir de prétexte à Tabandon de la ville, et roii n*eût pas 
manqué d'en rejeter la responsabilité sur Tinspecteur. 
M. de la Taille courut donc après le convoi, sauta dans 
le frein de queue, au risque de se faire écraser, mais il 
ne parvint à se faire entendre et à arrêter le train 
qu'au bout de quatre kilomèlres. Dans cet intervalle, le 
feu avait sensiblement diminué; les Allemands pronon* 
çaient leur mouvement de retraite. 

On s'attendait à une nouvelle attaque pour le lende- 
main; si elle avait eu lieu, il est difficile de dire ce qui 
serait arrivé. Mais le retour oflfensif des troupes fran- 
çaises sur Nuits détermina la retraite définitive des 
Allemands. Ce revirement était dû au général de bri- 
gade Cremer, qui venait de remplacer le divisionnaire 
justement révoqué. M. Cremer, qui avait blâmé le mou- 
vement rétrograde sur Beaune, se hâta de faire réoc- 
cuper Nuits, dont il délogea sans peine une faible avant- 
garde ennemie. Il retira de Verdun et ramena sur sa 
gauche, vers Bligny-sur-Ouche (ligne d'Epinac à Pont- 
d'Ouche), une partie de la première légion du Rhône. 
Ce mouvement, qui menaçait la ligne de retraite des 
troupes allemandes enfournées sur Autun, fut proba- 
blement le salut de cette ville. Cremer s'efforça de 
leur couper la communication de Dijon, mais cette 
démonstration n'eut d'autre résultat que d'accélérer 
leur marche. Son entreprise aurait eu besoin du con- 
cours des Garibaldiens, qui restèrent à Autun pour 
célébrer leur gloire, au Ijeu de se lancer à la poursuite 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 343: 

de rennomi. Les troupes de Cremer ne marchaijent 
d'ailleurs qu'avec une .lenteur, extrême, grâce au.x 
fameux souliers de carton de la Défense, qui faisaient 
merveille au profit de Tennemi. Aussi Cremer ne put 
atteindre sur le canal de Bourgogne que l'extrême 
arrière-garde des Badois, à laquelle il livra à Château- 
neuf un combat dont on a fort exagéré l'importance . 
Ce combat ne fut en réalité qu'un retour offensif de 
cette arrière -garde contre l'avant- garde française, qui 
conserva sa position à Châteauneuf, mais ne put pour- 
suivre l'ennemi (1). 



VI 



Le deuxième combat de Nuits, presque digne du 
nom de bataille, est le dernier incident considérable 
que nous offre l'historique de» chemins de Lyon 
avant le transport de l'armée de l'Est. Aussi nous 
croyons qu'on nous saura gré d'entrer dans quelques 
détails sur cet engagement, très honorable pour les 



(l) Dans son Histoire de la guêtre de 1870, le général Am- 
bert reproche à M. Cremer de n'avoir pas secondé Tattaque de 
Dijon par Garibaldi. Nous n'avons aucunement rinteotioà 
d'être agréable à Tex-général Cremer, mais Téquité ne per- 
met pas de lui attribuer ce défaut de concour.'». Il est du fait 
da l'officier que M. Cremer ne remplaça en qualité de com- 
mandant en chef que le 29, époque à laquelle l'échec de Gari- 
baldi était déjà un fait accompli, . 



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444 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

troupes françaises, et en particulier pour la meilleure 
partie des mobilisés du Rhône. 

Nous allons d'abord rappeler, d'après les documents 
militaires authentiques publiés en Allemagne, quels 
étaient alors les projets et les dispositions de Tennemi. 

Au moment de la prise d'Orléans par les Allemands 
(4 décembre), le général Zastrow, qui occupait Chau- 
mont avec le 7* corps prussien, moins une division, 
reçut par le télégraphe l'ordre de se porter sur Châ- 
tillon ; à lamême époque, la majeure partie du 14* corps, 
commandée par le général Werder, se trouvait concen- 
trée à Dijon. Ces deux généraux devaient se concerter 
pour assurer la tranquillité de l'Alsace et de la Lor- 
raine, et la sécurité des communications entre l'armée 
qui bloquait Paris et celle du prince Frédéric-Charles. 
Des instructions particulières, adressées à Zastrow le 
10 décembre, lui confiaient spécialenoent la surveillance 
de l'embranchement de Châtillon à Nuits-sous-Ravières 
et de la section correspondante de la grande ligne de 
Bourgogne jusqu'à Joigny, communication d'un grand 
intérêt pour le service des étapes, et qui allait devenir 
plus importante encore, puisqu'on n'attendait, pour y 
faire circuler des trains, que la réparation du pont do 
l'Armançon. Le général Werder eut aussi ses instruc- 
tions spéciales, le 13 décembre. Sa mission était de 
protéger le siège de Belfort, de serrer Langres d'assez 
près, pour empêcher la garnison de cette place d^en- 
voyer des partis dans les Vosges (1). Il lui était aussi 

(1) On a vn, dans l'article sur le réseau de l'Est, qu'il ne 
put accomplir qu'assez imparfaitement cette partie de sa 
mission* 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITEfiRANÉE 345 



particulièrement recommandé de reporter des éclai- 
reurs sur la rive gauche du Doubs et le long de la voie 
ferrée, à partir de Dôle, jusqu'à la bifurcation d'Arc- 
Senans (ligne Besançon- Ljon). Il eût été à désirer, 
suivant M. de Mnltke, que le territoire compris dans 
Tangle de ces deux embranchements fût occupé d'une 
façon permanente, afin d'intercepter la communication 
entre Lyon et Besançon, et de protéger par conséquent 
le siège de Belfort contre tout secours venant du sud 
de la France par voies ferrées. 

La tâche imposée aux commandants des 7^ et 
14® corps prussiens devait être accomplie au moyen 
de rapides évolutions offensives contre ies rassemble- 
ments ennemis, sans préjudice de l'occupation perma- 
nente de certains points importants, pour les commu- 
nications militaires et le ravitaillement. 

En cons'^quence, le g*^néral Zastrow concentra son 
corps d'armée sur le territoire qu'il avait mission de 
garder. Son rôle prenait une grande importance depuis 
la réoccupation d'Orléans par les Allemands. Il y avait 
lieu de penser en effet que la portion de l'armée de 
TEst refoulée séparément sur Vierzon, combinerait avec 
le reste un revirement offensif sur Paris. On éiait fort 
préoccupé de cette éventualité à l'état-maj or prussien; 
aussi dans la seconde moitié de décembre, on crut de- 
voir renforcer Je 7® corps de trois régiments empruntés 
aux garnisons de l'Alsace et de la Lorraine. Le passage 
de ces troupes fut signalé à Châtilion et Nuits-sous- 
Ravières, les 26 et 27 décembre. 

Quant à Werder, il employa diverses fractions de 
son corps d'armée pour observer Langres, renforcer 
les troupes qui assiégeaient Belfort, et protéger sa 



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346 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

oômmanicatioQ par Gray. Dijon était toujours occupé 
piair les deux brigades badoises du général Gliimer, 
que Werder comptait porter incessamment par Pontail- 
lier sur Dôle et Arc-Senans. 

Mais dans la nuit du 15, le général de Moltke, appré- 
hendant de plus en plus un mouvement sur Paris des 
troupes françaises de la haute Loire, envoya àZastrow 
Tordre de s'avancer avec le gros de ses forces, sur 
Auxerre, en poussant des reconnaissances vers Cla- 
mecy, Cosne et Gien, pour se mettre en communication 
immédiate avec la 2* armée. En même temps, il télégra- 
phia à Werder de prolonger sa droite vers Semur, pour 
protéger les communications que le mouvement pres- 
crit à son collègue allait laisser à découvert. De Moitié 
ajoutait: « Il paraît nécessaire de tenir dans les environs 
de Dyon le principal noyau de vos forces, et même cTy 
prendre t offensive. Conservez intactes de votre côté les 
lignes Gray-Auxonne-Dijon-Chagny. Détruisez complet 
tèment celles du sud entre Dôle, Besançon et Arc- 
Senans. » Ce fut pour exécuter ces nouvelles instruc- 
tions, que Werder entreprit de refouler sur Chagny, les 
troupes françaises qui avaient repris position à Nuits, 
et poussaient des reconnaissances sur Dijon. Ce fut 
précisé metit cette tentative qui donna lieu à rengage- 
ment de Nuits. On voit qu'en ce moment de Moltke ne 
craignait encore d'auti'es diversions françaises sur Bel- 
fort, que celle qui aurait pu être tentée par des 
troupes transportées de Lyon sur Besançon par Arc- 
Senans. 

De notre côté, rihcohérence des plans, Tinsubordi- 
nation, les discordes et les récriminations continuelles 
des chefs, contrastaient péniblement avec le calme et la 



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RÉSEAU DE LYON-MËDITBRRAKÉË 347 

lucidité des vues du grand état-major prussien, et Tem- 
pressement intelligent qu'apportaient les généraux dans 
Texécation des ordres qu'ils recevaient. Il y avait eu le 
12 à Chiagny un conseil de guerre fort orageux, auquel 
assistaient les généraux BressoUes, Cremer et Gari- 
baîdi. On était d'accord sur l'opportunité d'une nouvelle 
attaque sur Dijon, mieux combinée que la première. 
Mais iii la date précise, ni les dispositions ii'étaient 
encore arrêtées, quand Cremer fut attaqué à Nuits 
le 18. 

Il s'y attendait si peu, que le matin il avait poussé 
sur Gevrey, dans la direction de Dijon, une forte recon- 
naissance composée de deux bataillons de la première 
légion du Rhône, et des mobilisés de la t^ironde 
(Carajon-Latour). C'était, nous le répétons, une simple 
reconnaissance et non une marche d'avant-garde ; aussi 
les sacs avaient été laissés dans les cantonnements, et ' 
les soldats n'avaient sur eux qu'une vingtaine de car- 
touches. L'ennemi, de son côté, s'avançait de Dijon 
vers Nuits sur trois colonnes, par la forêt de Cîteaux, 
la grande route de Lyon et la voie ferrée, et enfin par 
les hauteurs, vers Villars-Fontaine. Ce dernier mouve- . 
ment n'était qu'une démonstration qui fut aisément con- 
tenue. Dès que les Allemands aperçurent les mobilisés 
du côté de Gévrey, ils manœuvrèrent pour leur couper 
la retraite sur Nuits. Ils y seraient très probablement 
parvenus sans le feu de nos batteries placées avantageu- 
sement sur la montagne de Chaux au-dessus de Nuits, et 
surtout sans celui des deux pièces minuscules de cam- 
pagne, que traînait avec lui le commandant des francs- 
tireurs du Rhône, nommé Marengo. Ces deux pièces, 
installées en avant de la gare sur la voie ferrée^ trè^ 



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nt CHEMINS DE VES^ FEAKÇAiS 

près de la colonne ennemie qui se dirigeait de ce côté, 
retarlèreiit son mouvement de près d'une heure par un 
feu aussi vif que bien dirigé, et assurèrent ainsi le 
retour des ba aillons envoyés en reconnaissance. 

La lutte fut vive, longue et meurtrière aux abords du 
chemin de fer. La première légion du Rhône et les 
mobiles Carayon (ceux-là mêmes que le préfet de Lyon 
voulait faire fusiller comme insuffisamment républi- 
cains) montrèrent une fermeté, qui eût fait honneur à 
de vieilles troupes. Celte légion était de beaucoup la 
mieux composée, en ce sens que la plupart de ceux qui 
figuraient dans ses rangs, ouvriers ou bourgeois, étaient 
des hommes résolus, n'ayant pour le moment qu'une 
haine au cœur, celle de l'étranger. 

Cependant le combat se prolongeât; les tirailleurs 
français et badois n'étaient plus séparés que par le che- 
min de fer; on en vint à se fusiller d'un talus à 
l'autre. Le colonel de la lésion, Celler, ancien militaire 
aussi intelligent que brave, voyait avec inquiétude ses 
soldats épuiser leurs cartouches et faire des pertes 
cruelles. Il courut jusqu'aux pre uières maisons de Nuits 
chercher des renforts. Il y trouva en effet, une certnin 
nombre de gens en uniionne, qui refusèrent absolument 
de le suivre. Après les avoir apo-trophés avec une vi- 
vacité peut-éte imprudente, le colonel retournait au 
combat, quand il tomba mortellement blessé... 

Après avoir résisté jusqu'à trois heures, les intré- 
pides défenseurs de la ligne du chemin de fer durent 
se replier, faute de cartouches, et gagner par Nuits les 
hauteurs. La ville, sur laquelle Tennemi faisait pleu- 
voir les obus, fut né inmoins dél'endue jusqu'à la nuit 
par quelques compagnies d'un régiment de marche et 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDIt^ERRANÉE U9 

de la deuxième légion du Rhône, dont Tun des chefs, 
M. Mouton, se distingua particulièrement par sa bra- 
voure opiniâtre. Les Badois n'occupèrent Nuits que 
pendant quelques heures; après avoir pris leur repas 
le sac au dos^ ils s'en retournèrent sur Dijon, tandis que 
les troupes françaises, ralliées sur les hauteurs où elles 
n'auraient certainement pas été attaquées, recevaient 
l'ordre de se replier de leur côté sur Chagny. 

Dans cette journée, relativement l'une des plus san- 
glantes de la guerre depuis Sedan, nous avions perdu 
environ 1,500 hommes tués ou blessés, plus 700 traî- 
nards que l'ennemi ramassa dans la ville. On peut af- 
firmer, sans exagération aucune, que la perte des Ba- 
dois fut plus que le double de la nôtre; eux-mêmes ont 
avoué officiellemeut 54 officiers et 880 soldats tués. 
Dans ce long et furieux combat de tirailleurs qui avait 
eu lieu aux abords du chemin de fer, tout l'avantage 
était resté aux Français, plus lestes et tireurs plus 
habiles. 

Sans être aussi grande qu*on l'a dit, la dispropor- 
tion ontre les forces engagéeis de j;)avt et d'autre était 
considérable encore. On peut, d'après les documents 
aujourd'hui publiés, calculer plus exactement qu'on ne 
l'avait fait d'abord le nombre de nos adversaires. Con- 
formément à la loi militaire allemande, la division ba- 
doisc Gliimer, qui s'était battue àNuits, avait été remise 
de suite au complet de l'effectif réglementaire, au 
moyen d'emprunts faits aux troupes de dépôt (1). Cet 

(l; Où trouvera le détail de cet effectif de la division ba- 
doi-^e, p. 62 et suivantr-s de la traduction française de l'ou- 
vTage du grand état-major prussien sur la (}u^,rre franco- 



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as» CHEMINS DB FER FRANÇAIS 

effectif se retrouvait donc, lors de la conclusion de 
Farmistice, le même qu'à Fépoque de rentrée en 
campagne et qu'avant le combat de Nuits. Or, il est. 
constaté officiellement que cette division comprenait, 
lors de l'armistice, 11,700 fantassins, 1,800 cava- 
liers. En ajoutant à ces chiffres les compagnies des 
pionniers, celles des canonniers pour le» 54 pièces ré- 
glementaires, on arrive à un chiffre total d'au moins 
15,000 hommes. Déduction fai e de 3,500 qui avaient 
été laissés en arrière pour garder Dijon, il reste au 
moins 11,500 hommes de toutes armes qui auraient été 
engagés dans l'affaire de Nuits. 

De notre côté, l'effectif complet des troupes dont dis- 
posait le général Cremer s'élevait bien à 10,000 hommes, 
composés des deux légions du Rhône, de deux régi- 
ments de marche, du bataillon de mobiles de la Gi- 
ronde et de quelques compagnies franches. Mais, en 
réalité, il n'y en eut pas plus de 8,000 hommes enga- 
gés, et encore il convient d'en défalquer des troupes 
qui, tardivement averties et ayant plus de chemin à faire, 
n'intervinrent qu'à la dernière heure. Ajoutons qu'une 
partie de la deuxième légion, composée d'éléments 
fort divers, ne seconda que fort mollement le comman- 
dant Mouton, qui, avec une poignée de gens de cœur 
postés dans les premières maisons, retarda de deux 
heures l'entrée des Badois dans la ville. Enfin il ne faut 
pas oublier que la supériorité de l'ennemi en artillerie 



allemande. Ce rétablissement du niveau réglementaire 
fonctionnait avec une régularité et une célérité vraiment 
incroyables, qu'on ne saurait comparer qu'aux phénomèâea 
d^élasticité bien connus des sables mouvant*. 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDÎtËiEiRÀKÉB Ui 

était écrasante, puisque nous ne disposions que d'uiM 
vingtaine de canons et qu'ils en avait presque le triple, 
la plupart d'une portée et d'un calibre supérieurs. 

On peut donc conclure^ sans exagération aucune^ 
que, de notre côté, les vrais combattants étaient à 
peine un contre deux. Malgré cette infériorité, ils firent 
preuve d'une ténacité exceptionaelle, et tout semble 
indiquer que leur retraite fut due à l'insuffisance du 
commandement supérieur. Nous avons déjà dit que les 
mobilisés de la première légion du Rhône, la troupe 
qui fut le plus sérieusement engagée, étaient partis en 
reconnaissance dès le matin sans leurs sacs, et munis 
setlement d'un petit nombre de cartouches. Engagés 
de suite et très- sérieusement, ils ne purent reprendre 
leurs sacs et ne reçurent pas de nouvelles munitions. 
Cet incident secondaire eut une grande influence sur 
le résultat de la journée. Il paraît incontestable que 
cette troupe aurait conservé sa position, si elle avait 
été en mesure de soutenir son feu avec intensité. 

Evidemment, le chef d'escadron Cremer, alors gé- 
néral de brigade, ne comptait pas prendre l'offensive 
et ne s'attendait pas davantage à être attaqué ce jour- 
là. Le courage personnel de cet officier ne saurait être 
l'objet d'un doute ; on le vit se promener avec un sang- 
froid remarquable dans la ville quand elle était déjà 
serrée de près et couverte d'obus par l'ennemi. Ceux 
qui lui. ont sévèrement reproché d'avoir passé une 
grande partie de la journée dans un café sur la prin- 
cipale place, oublient que plusieurs généraux très 
distingués ont eu cette habitude de s'isoler des troupes 
engagées, de se recueillir dans les moments décisifs. 
Ainsi faisait, par exemple, Gouvion Saint-Cjr; mais 



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»S CHEBnNS DE FER FRANÇAIS 

si on ne le voyait guère les jours de bataille, tout res- 
sentait son énergique et savante impulsion. Par mal- 
heur, le recueillement de M. Cremer n'a pas donné de 
semblables fruits. 

Après avoir manqué de prévoyance et d'activité dans 
la journée, il eut le tort d'évacuer sans combat la belle 
position de Chaux dans laquelle il avait rallié ses 
troupes, et que Tennemi épuisé n'aurait eu garde d'as- 
saillir, ne songeant lui-même qu'à battre en retraite. 
Cette reculade de M. Cremer sur Chagny, imprudem- 
ment signalée par rex-journalistc-préfct de Saône-et- 
Loire comme la conséquence d'un nouvel éohrc, con- 
sterna la population lyonnaise, et favorisa les complots 
de ces raffinés de l'anarchie, qui traitaient alors le pré- 
fet Challamel-Lacour de réactionnaire. Cet incident 
servit de prétexte à la manifestation où périt le com- 
mandant Arnaud; un républicain pourtant, et des plus 
purs! La nouvelle République, fidèle aux errements de 
l'ancienne, dévorait déjà ses enfants. 

Parmi les hommes qui se distinguèrent le plus à 
Nuits, il faut citer, outre le colouel CeUer(tué), les 
chefs de bataillon Clôt et Mouton; le chef de gare 
Meignan, qui, bravant les menaces de l'ennemi contre 
les combattants non militaires, se battit toute la jour- 
née, stimulant plus d'un tireur novice par son exemple 
et ses conseils; M. Meignan a été décoré. N'ou- 
blions pas M. Bérenger, ex-avocat général à Lyon 
et aujourd'hui membre de l'Assemblée nationale. En 
sortant du cachot où l'avaient jeté les démagogues 
lyonnais, au 4 septembre, il s'était engagé dans la 
première légion du Rhône. Le 18 décembre, il figu- 
rait au premier rang des tirailleurs à la tranchée du 



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AéSBAU DE LTON-BfÉDITERRANÉS m 

chemin de fer, et 7 fut assez griètrement blessé. M. Bé« 
renger est un magistrat qui ne s*en tient pas au cou- 
rage civil. 

Le transport de Tarmée de TEst par la section trans- 
versale du réseau de Lyon, suivit de près la bataille 
de Nuits. Mais avant d'aborder le récit de cette opé- 
ration, il est indispensable de jeter un regard en ar- 
rière sur la section de la ligne du Bourbonnais, la plus 
rapprochée de Paris. Les événements qui ont eu lieu 
de ce côté, forment un épisode à part, et Tun des plus 
intéressants de Tbistorique du réseau. Pendant toute 
la durée de la guerre, des incidents multipliés mirent 
à l'épreuve l'énergie et l'activité de l'inspeeteur prin- 
cipal de cette ligne, M. Mitchell. 



VII 



Dès le 13 septembre, cet agent, en résidence à Mon- 
targis, avait été avisé, dans l'après-midi, que l'inva- 
sion des gares de la grande ligne de Bourgogne les 
plus rapprochées de Paris devenait imminente ; qu'en 
conséquence, il fallait désormais faire passer « toutes 
choses en cours de route, » par Corbeil et Juvisy. Onze 
trains de troupes furent expédiés la nuit suivante dans 
cette direction, et « tout se passa aussi bien qu'il était 
possible, dans de pareilles circonstances. (1) » La 

(1) La ligne de Ljon à Paris par Moulins et Nevers (ditd 



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m ^CHBMINSI)B^FER FRANÇAIS - 

■ " ' ' " ■' . ^ . .1 

journée, du 14 fut relativement plus calme ; on était 
toujours en communication télégraphique avec Fontai* 
nebleau et Melun, ce qui prouvait que l'alerte de la 
veille était prématurée. Aucune mauvaise nouvelle 
n*étant parvenue dans la matinée du 15, on se prépa- 
rait à expédier un train-poste pour Corbeil, Mais lé 
«ou8-inspecteur Law de Lauriston, parti pour explorer 
la voie,, trouva cette gare en émoi. Les éclaîreur^ en* 
nemis .étaient en ville de Tautre .côté de la Seine; on 
ies voyait sur le quai, cherchant à pasaer le fleuve 
«uprèsdés débris du pont, sauté de Tavant- veille. Dans 
ner tàomént critique, il y avait en gare 22 machines et 
plus de 500 wagons d*Orléans et de Lyon. Les trains 
d'évacuation furent organisés d'urgence, avec une cé- 
lérité et un ordre très-méritoires au fort d'une telle 
panique. On expédia d'abord un train de sept machi- 
nes, où figuraient, solidement amarrés^ deux vrais 
espions qu'on venait de saisir à la gare même, munis 
de cartes détaillées du pays. On lança ensuite, de demi- 
heure en demi-heure, six trains de matériel; puis un 
autre, composé des derniers wagons de farine Darblay, 
-qu^on n'avait pas eu le temps et qu'il n'était plus temps 
-de diriger sur Paris. Les uhlans avaient paru vers 
'4 heures. de l'après-midi; à 7 heures 30, un neuvième 
et dernier t^ain quittait la gare avec le chef de station, 
M» Vuisbec, et tout son personnel. Rien n'avait été 

du Bourbonnais) se bifurque à Montargis en deux embran- 
chements. L'un suit la vallée du Loing, va se relier vers Moret 
à la ligne de Bourgogne ; l'autre oblique assez fortement à 
gauche, eii suivant la vallée de rEssonne, c'est celui de 
Gorbeil. L'invasion s'opérant de TEst à l'Ouest, ce deuxième 
embranchement devait être intercepté le dernier. 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANNEE 35& 

laissé h reïinemi, qui tira inutilement de Fautre rive 
sur les wagons. 

Le xnême soir, la vallée du Loing était envahie. 
Toutes les gares durent être précipitamment évacuées 
à partir de Moret, le personnel et le matériel repliés 
sur Nemours et Montargis. 

La communication par la vallée d'Essonnes semblait 
également perdue, Corbeil étant au pouvoir de l'en- 
nemi. Toutefois, l'administration de Paris à Lyon, 
ayant encore plus de douze cents wagons à évacuer, 
craignit de renoncer trop tôt à cette dernière issue. 
Une tentative désespérée d'exploration fut combinée 
pour le 16 au matin, au moyen d'une double recon- 
naissance par machine, partant Tune de Montargis, 
raûtre de Juvisy, pour se rencontrer à la gare de Cor- 
beil. M. Mitchell voulut faire lui-même la partie de 
cette périlleuse reconnaissance qui incombait à son 
•service. A la station de Maisse, il apprit que l'ennemi 
arrivait en force à Melun, où il était attendu depuis 
deux jours ; un peu plus loin, qu'il y avait déjà de Tin- 
fanterie prussienne campée sous les halles de Corbeil. 
Néanmoins il avançait toujours. Parvenu au pont d'Es- 
sonnes, il s'arrêta pour interroger les passants, envoya 
aux renseignements chez le maire, M. Feray. Un mo- 
ment après, son messager, revenant au pas de course, 
lui cria de se sauver, l'avant-garde ennemie étant déjà 
en vue. « Je partis, dit M. Mitchell, j'étais fixél » 
On l'était également à Paris. Un dernier télégramme 
du 17 au matin, parvenu à destination après bien des 
détours, apprit à M. Mitchell que la machine parisienne 
avait été jusqu'à la gare de Corbeil, mais avait dû ré- 
trograder sous le feu de l'ennemi. 



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356 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Le lendemain, l'inspecteur alla se concerter avec le 
préfet de Seine-et-Marne, déjà replié sur Nemours en 
attendant mieux, n avait abandonné, dès le 14, son 
chef-lieu, où Tennemi ne parut que le surlendemain. 
Justement préoccupé du fâcheux effet que produisaient 
sur les populations l'abandon trop précipité et la soli- 
tude des voies ferrées, M. Mitchell maintenait un petit 
service sur Nemours, ville qui apparemment ne cou- 
rait encore aucun risque, puisque le préfet ne parlait 
pas de s'en aller. Il aurait même reporté la marche des 
trains jusqu'à Malesherbes, point de bifurcation de la 
ligne de Pithiviers, si le génie français n'eût coupé la 
voie . Il voulut du moins rétablir les communications 
télégraphiques avec les stations encore libres ; mais, 
deux jours après, les agents réinstallés durent battre 
de nouveau en retraite. Ce n'était plus une fausse 
alerte, cette fois... 

Déjà les Allemands commençaient à se venger des 
pertes insignifiantes que leur faisaient essuyer quel- 
ques compagnies franches, en exerçant de cruelles re- 
présailles sur des populations trop inoffensives. Un 
engagement assez vif eut lieu à 5 kilomètres de la 
station de Maisse, aux abords du village de Danne- 
moy; les Allemands y perdirent, en réalité, vingt-deux 
hommes, dont un officier supérieur. Ils s'en vengèrent 
en brûlant dix-sept maisons. Les circonstances de la 
mort de l'officier sont caractéristiques et méritent 
qu'on s'en souvienne. Le combat était fini, mais l'in- 
cendie d'une partie du village n'avait pas suffi pour 
satisfaire les vainqueurs ; on avait accordé, de plus, 
une heure de pillage. L'officier en question aperçoit 
dans une écurie un jeune cheval à sa convenance et 



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RÉSEAU DE LYÔN-BIÉDITERRANÉB S57 

prétend se Papproprier. Irrité de Topposition énergi- 
que du propriétaire, il tire son revolver, casse la tête 
du chevai, puis s'éloigne tranquillement. Mais, à peine 
a-t-il fait quelques pas, qu'il tombe atteint mortelle- 
ment d'un coup tiré à bout portant par le paysan, qui 
avait retiré de sa cachette un vieux fusil de chasse (1). 
Si la conduite des Allemand:} était odieuse, celle des 
francs -tireurs était pour le moins imprudente. Après 
avoir causé la ruine de Dannemoy, ils faillirent faire 
pareillement incendier Milly, où ils s'étaient repliés et 
barricadés au grand effroi .des habitants. Le maire 
ayant risqué quelques représentations, manqua d*être 
fusillé sur place par ces terribles défenseurs. Cepen- 
dant, toute réflexion faite, ils jugèrent à propos de se 
replier, sans attendre l'ennemi, les uns directement 
sur Montargis, d'autres sur Malesherbes. Ceux-là s'ar- 
rêtèrent à la gare, située au point de raccordement 
des lignes de Corbeil et de Pithiviers, et déguerpirent 
après y avoir fait un repas copieux, et tiré quelques 
coups de feu sur une patrouille allemande... Quelques 
heures après, toute la contrée était inondée d'ennemis. 
Milly fut pillé et obligé de fournir des otages; la gare 
de Malesherbe* fut saccagée de fond en comble ; les 
employés contraints, le pistolet sur la gorge, de coopé- 
rer à cette destruction et de se sauver après. Le len- 
demain matin, l'un d'eux, un graisseur nommé ChoUet, 
se hasarria à retourner à la gare, pour prendre quel- 
ques effets qu'il pensait avoir bien cachés. A l'entrée 

(1) Ce fait est raconté dans une lettre écrite le même 
jour, par M. Fouchère, chef de la gare de Maisse, qui arri- 
vait de Dannemoy. 



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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS - 

du bâtiment principal, il avise un magnifique ofôcier 
de cavalerie, se prélassant dans le fauteuil du chef de 
gare. Chollet présente sa requête : « Oui, oui, dit bé- 
ni jnement rofôcier, vous ouvrier, pouvez aller! » Mais 
les effets avaient disparu... 

Ces escarmouches entre TEssonne et le Loiog dou- 
blaient lieu aux. bruits les plus contradictoires. Quel- 
ques francs-tireurs alertes et prudents, qui avaient 
a,ssisté de loin aux premières fusillades, avaient couru 
à Nemours, annoncer la déroute complète de l'ennemi. 
Mais le préfet républicain de Seine-et-Marne n'était 
pas homme à se laisser surprendre; dans le doute, il 
décampa et s'en vint tomber comme une bombe à Mon- 
targis, au moment où l'on j colportait la nouvelle du 
prétendu désastre des Prussiens. M. Mitchell, patriote 
sincère, mais clairvoyant, écrivait à ce sujet : « Tout 
fait supposer que Tennemi se rapproche, quelle que 
soit sa situation. » Il avait deviné juste. La colonne 
qui avait envahi Malesherbes s'était, il est vrai, dirigée 
vers Étampes, au lieu de marcher par Puiseaux sur 
Montargis, comme on l'avait craint d'abord. Mais si 
l'on était plus tranquille du côté de Corbeil, on l'était 
moins du côté de Fontainebleau. A Nemours tout le 
monde avait cru. dans la matinée du 20, à lu déroute 
des Prussiens ; mais la situation s'était fort rembrunie 
dans l'après-midi. On avait vu se replier le préfet, 
la gendarmerie ; on apprenait que les uhlans étaient 
signalés du côté de Bourron, à 14 ou 15 kilomètres. 
Abandonnée à elle-même, la garde nationale tint con- 
seil : apxès. une longue discussion, « il fut un peu dé- 
cidé qu'ion se défendrait si l'ennemi n'était pas trop 
ppnabreu?^. » Le 22, au matin, les fusils furent rett^ 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉB m 

voyés à Montkpgis; le même jour, vers deux heures de 
l'après-midi, les éclaireurs prussiens entrèrent à Ne- 
mours. « C'est une panique générale, écrivait M. Mit- 
chell, Fennemi n'a qu'à avancer! » 

II fallait penser à tout, parera tout dans ces conjec- 
tures difficiles. Montargis était alors encombré d'agents 
repliésy et ce lieu de refuge 'paraissait menacé à son 
tour» On renvoya provisoirement dans leurs familles 
ceux qui en témoignèrent le désir; les autres furent 
répartis dans des gares plus lointaines, où ils trouvè- 
rent chez leurs camarades la plus généreuse hospitalité. 
Dès le 20, M. Mitchell avait dirigé sur Gien les bureaux 
de l'inspection et les réserves de matériel. Les disposi- 
tions étaient prises, pour qu'il ne stationnât plus en 
gatre de Montargis d'autres wagons que ceux du train 
en partance, avec sa machine attelée, prête à démarrer 
au premier signal. M. Mitchell restait de sa personne à 
cette station, devenue tête de ligne. Il n'entendait se 
retirer qu'au dernier moment, « devant quelque chose de 
positif. » De plus, il avait retenu auprès de lui un cer- 
tain nombre d'agents, destinés à opérer des reconnais- 
sances dans les localités menacées ou même envahies. 
M. Mitchell trouva de dignes auxiliaires dans MM. Jacq- 
min, inspecteur , Lévino et de Lauriston, sous-inspec- 
teurs; dans M. Billette, commis àTinspection; dans les 
conducteurs de trains Frédureau, Poincloux, Mion. 

Les renseignements qu'ils rapportaient concordent 
en général d'une manière frappante avec les documents 
officiels publiés depuis en Allemagne . Ony trouve aussi 
des détails précieux sur la situation matérielle et morale 
du pays. Dès le 20_, par exemple, on savait exacte- 
ment , comment les choses se passaient à Corbeil, envahi 



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m CEEMISS DB FER FRANÇAIS 

depuis trois jours. En 48 heures, 65,000 hommes avaient 
défilé dans cette ville, se dirigeant sur Longjumeau. 
Ces troupes faisaient partie de l'armée du Prince Rojal 
de Prusse, qui, le 18, avait son quartier général chez 
M. Darblay. Un autre agent avait rencontré sous bois 
la population entière de Villabot-Ljs, s'enfujant avec 
tout ce qu'elle avait pu emporter. Une colonne de 1,200 
hommes faisant partie de ce grand passage de troupes, 
s'abattait sur ce petit village de 150 hommes. À Cor- 
beil, les habitants se tenaient cachés; les boutiques 
étaient fermées; des sentinelles placées aux portes des 
boulangeries, n'y laissaient pénétrer que les soldats 
allemands. 

Montereau n'était guère plus heureux. Le chef de 
gare, M. Dauphin, écrivait le 19 : « Nous sommes dans 
un cercle de fer. Les Prussiens nous enveloppent; ils 
viennent à Montereau jusque sur le plateau, regardent 
et se retirent. Le découragement commence ici; les 
habitants qui paraissent disposés à la résistance crai- 
gnent les représailles, et ce qui se passe aux environs 
donne à réfléchir : un seul coup de fusil pouvant faire 
brûler une localité . Un fermier chez lequel quatorze 
Prussiens avaient été faits prisonniers, a été enlevé 
avant-hier, et on ne sait ce qu'il est devenu. La même 
chose est arrivée à un maire, M. Macquin, qui n'avait 
pas voulu remettre les fusils de sa commune ...» 

Dans ces premières explorations, on fut particulière- 
ment satisfait du conducteur Mion. Établi en sentinelle 
perdue ^ Moret, point de bifurcation des lignes de Bou^ 
gogne et du Bourbonnais, Mion faisait des excursions 
quotidiennes dans toutes les directions, tantôt sur la 
voie ferrée, tantôt à pied ou en voiture. Le 20 sep* 



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RESEAU DE LYON -MÉDITERRANÉE ^ 361 

tembre, notamment, il en fit une importante par le che- 
min de fer, sur un wagonnet avec cinq hommes d'équipe, 
jusqu'à Fontainebleau, où il recueillit des employés de 
la gare des renseignements sur ce qui s'était passé 
jusque-là. Un dés premiers détachements d'ayant-garde 
qui parurent à Fontainebleau, était commandé par un 
ci -devant rapin germanique, qui n'était que trop bien 
au courant des localités, ayant vécu pendant trois ans 
dans le pays, à Barbison, où il faisait des études de 
paysage, et probablement aussi d'autre chose. Dans 
cette excursion, Mion eut la chance de sauver l'appa- 
reil télégraphique de Fontainebleau, qu'il rapporta à 
Nemours par la voie ferrée, encore intacte ce jour-là. 
Le lendemain il n'eût plus été temps. 

Cependant, les derniers renseignements semblaient 
indiquer qu'Orléans était l'objectif principal des Prus- 
siens, et qu'ils ne songeaient pas pour le moment à 
s'étendre du côté du sud. Leurs éclaireurs n'avaient fait 
que paraître à Nemours; le conducteur Frédûreau, parti 
immédiatement sur leurs traces vers Fontainebleau, 
avait trouvé une avant-garde de 650 Bavarois installée 
à Bourron, « où ils se faisaient servir comme des sei- 
gneurs, » mais ne paraissaient occupés que de réquisi- 
tions. Le 25, M. Mitchell eut une conférence à Gien 
avec les autorités militaires. Le général Michel, qui 
commandait alors de ce côté, et les officiers de son état- 
major, furent frappés de la précision des informations 
que leur fournissait l'inspecteur, du zèle et de Tintelli- 
gence de ses agents; aussi ils ne se firent pas faute de 
recourir à eux dans la suite, même par voie de. réqui- 
sition. Pour le moment, on songeait à manœuvrer sur 
les derrières de l'ennemi en marche vers Orléans. On 

21 



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âêî CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

voulait se servir de rembranchement qui relie le réseau 
de Lyon à celui d'Orléans pour porter les troupes dans 
cette direction, et Ton demandait en conséquence le 
prompt rétablissement jusqu'à Puiseaux de la voie 
ferrée, que le génie français avait coupée quelques jours 
auparavant, dans Tappréhension d'un mouvemont de 
l'ennemi en amont de la Loire» M. Mitchell prit àla 
hâte les mesures nécessaires ; il alla lui-même jusqu'à 
Beaune-la-Rolande. Dans cette contrée, voisine d'Or- 
léans, la chute de cette ville était considérée comme 
inévitable et prochaine. Pendant ce temps, ses agents 
poussaient des reconnaissances avancées sur la trace 
des Prussiens. Le 28, ils atteignaient Pithiviers, que les 
derniers ennemis quittaient à peine; du clocher de 
Téglise^ on distinguait encore facilement les troupes en 
marche. Pendant .cette première occupation, les em- 
ployés du chemin de fer avaient pris la fuite, sauf un 
brave facteur de deuxième classe, nommé Galliot, qui 
était resté jour et nuit à son poste et avait empêché 
bien des dégâts. 

Avant de se rabattre sur Pithiviers, le brave Fredur 
reau avait fait de Beaune-la-Rolande une longue et 
aventureuse excursion sur la lisière de la forêt, pour 
communiquer avec Tavant garde des troupes françaises 
qui couvraient Orléans. Il avait su que leurs avant- 
postes étaient encore, dans la matinée du 28, à Cham- 
bon et Courcy. Il ne les y trouva plus dans l'après-midi; 
«^les habitants de ces localités attendaient les Prussiens 
pour le jour même, et cachaient leurs chevaux en 
forêt. » Il avait beaucoup de peine à obtenir des ren- 
seignements : « les paysans, le prenant pour un franc- 
tireur déguisé, l'accueillaient avec une défiance 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 863 

extrême, Tinterrogeaient sans répondre à ses ques- 
tions. » Néanmoins, voulant à tout risque en savoir 
davantage, il s'était retourné et avait poussé droit du 
côté de Tennemi; mais il lui fut impossible d'aller au 
delà de Vrigny ; les Prussiens ou plutôt les Bavarois y 
arrivaient, et ne laissent plus passer personne (1). 

Une pénible déception attendait M. Mitchell à son 
retour. « J'espérais, dit-il, que nous transporterions des 
troupes à Puiseaux sur les derrières du corps d'armée 
qui se dirige sur Orléans. Cette espérance est déçue. 
Un des régiments cantonnés à Gien, le 2* lanciers, a 
pris cette nuit la route d'Orléans. A trois heures du 
matin, le chef d'état-major m'a fait prévenir que tous 
les beaux projets tombaient dans l'eau. » Cet appel di- 
rect vers Orléans d'une partie des troupes rassemblées 
en amont sur la Loire, indiquait suffisamment qu'on 
sacrifiait le projet de diversion à la nécessité de ren- 
forcer ce qui couvrait cette ville. Peut-être aussi croyait- 
on que cette diversion ne pourrait s'opérer en temps 
utile. Cependant, il est bien à remarquer que Tennemi 
était moins avancé, et manœuvrait avec moins de célé- 
rité qu'on ne pensait, puisque Ip choc décisif d'Artenay, 
qui décida l'évacuation d'Orléans, n'eut lieu que le 
10 octobre. 



(1) Le conducteur Fredureau. qui avait déployé pendant la 
guerre tant d'intelligence et de courâee, et échappé heureu- 
sement à bien des dangers, était en 1872, employé à la gare 
de Paris. Il y eut les deux jambes prises et broyées dans 
une manœuvre, et mourut quelques jours après. Ce malheu- 
reux jeune homme était à la yeÛle de se marier.... 



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364 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



VIII 



Cependant, quelques lueurs fugitives d'espoir repa- 
raissaient çà et là; sur certains points, le moral des 
populations semblait se relever. Ainsi Ton avait vu, le 
30 septembre, les paysans du canton de Beaumont en 
Gâtinais s'armer de fusils, de faulx et de fourches et 
se porter, sous la conduite de leurs curés, au-devant 
des uhlans dont on leur avait faussement annoncé 
rapproche. M. Mitchell signalait avec joie ce prélude 
d'une levée en masse. « Sï la troupe vient enfin^ disait- 
il, elle sera secondée. » 

Le même jour, l'ennemi paraissant rétrograder, on 
prenait des dispositions pour faire au moins un train- 
poste sur Nemours. Mais, dès le lendemain, la situation 
s'assombrissait de nouveau. Les envahisseurs se renfor- 
çaient, disait-on, à Melun, à Fontainebleau et ailleurs, 
et M. Mitchell mettait de nouveau en mouvement sa 
brigade d'observation. Il faisait partir Mion du côté de 
Melun, Poincloux et DumontsurPithiviers, Frédureau 
sur Malhesherbes et Milly, où l'on prétendait que l'en:^ 
nemi incendiait les bois, pour se débarrasser des em- 
buscades. « Les reconnaissances par machines, ne nous 
apprendraient rien, disait avec raison l'inspecteur, si 
elles n'étaient complétées par ces agents qui vont voir 
par eux-mêmes. » Le rapport de Mion fut assez rassu- 
rant; il avait trouvé Fontainebleau et Melun libres, et 
continué dans la direction de Paris en suivant la voie 
ferrée. Il avait vu, en passant, la gare de Cesson sac- 



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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANEE 365 

cagëe et abandonnée, etnes'^était arrêté qu'aux abords 
de celle de Combs-la- Ville (26 kilomètres de Paris), en 
apercevant un poste prussien à la hauteur du disque. 

Pendant ce temps, MM. Jacqmin, inspecteur, de 
Lauriston et Aubojneau, sous-inspecteurs, faisaient une 
exploration du côté de Puiseaux, et poussaient jusqu'à 
Beaune-la-Rolande. Là, ils rencontraient un voiturier 
qui venait de voir les troupes françaises (1", 8^ et 
77® de lig'ne), retranchées dans la forêt d'Orléans. Ils 
eurent, par lui, la nouvelle d'un petit succès obtenu 
dans la journée du 2; la surprise d'un poste ennemi à 
Bouzonville-au^Bois. En ce moment même (5 octobre), 
on entendait dans toute la contrée le canon vers Neu- 
ville. On ne tarissait pas sur les pilleries des allemands. 
A Boynes, près de Pithiviers, un de leurs détachements 
avait enlevé, d'un seul coup, soixante-cinq vaches et 
quatre cents bouteilles de vin. L'officier avait dit au 
maire qu'il était honteux de faire un pareil métier et 
préférerait bien se battre, mais qu'il avait des ordres. 
Une scène plus triste encore avait eu lieu à la Ferté- 
Alais, station dont le chef, bloqué par l'invasion, put 
néanmoins faire parvenir son rapport à Montargis. Le 
28 septembre, la gare avait été envahie par 2,000 Ba- 
varois. Comme l'ennemi n'avait rencontré aucune ré- 
sistance, il n'y avait pas d'abord eu de dégât sérieux. 
Le lendemain, une partie de la colonne était déjà partie, 
et l'on s'en croyait quitte pour cette ^fois. Malheureuse- 
ment l'autre moitié restait à la gare, attendant la 
livraison d'une contribution de guerre. Cette livraison 
se faisant attendre, les soldats commencèrent à piller 
et saccager pour passer le temps. Le malheureux chef 
de gare, qu'on avait laissé rentrèrdans son jardin, mais 



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t66 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

non dans sa maison, voyait, par les fenêtres ouyertes, 
les pillards empaqueter les objets à leur convenance, 
notamment le linge et les pendules^ et abîmer le reste. 
Il parvint à joindre un capitaine qui parlait français ; 
cet officier fit une admonestation aux voleurs, dit qu'on 
aurait dû l'appeler plus tôt, mais ne fit rien restituer. 
Des détails non moins affligeants étaient transmis par 
Fun des agents de la ligne de Corbeil, M. Larpenteur, 
chef de gare à Ballancourt. Toute la contrée était rc- 
qtasittonnée à outrance, et la situation empirait encore 
à mesure qu'on se rapprochait de Paris. 

Cependant M. Mitchell ayant acquis, le 6 octobre» 
la certitude que les troupes françaises d'Orléans s'a- 
vançaient sur Pithiviers, croyait pouvoir préparer de 
son c6té le rétablissement du service dans cette direc- 
tion , au moins jusqu'à Malesherbes, où il n'était resté 
que quelques blessés allemands dans des ambulances 
particulières. Il fallait, pour cela, réparer une coupure 
pratiquée par Tennemi entre Puiseaux et Malesherbes, 
et faire quelques restaurations indispensables à cette 
dernière gare (1). Le 7 octobre, l'inspecteur principal 
se rendit de sa personne à Malesherbes ; il eut le désa- 
grément de s'y rencontrer face à face avec une soixan- 
taine de cavaliers, uhlans et cuirassiers blancs, qui 
venaient chercher leurs malades. 11 y eut là une scène 
des plus pénibles. Au moment oii Mitchell et ses com- 
pagnons mettaient pied à terre, « un homme de la 



(1) Les salles d'attente avaient servi d'abord d'écunes, 
puis de dortoirs pour des fantassins. Ceux-ci avaient étalé 
sans façon sur le fumier les matelas mis en réquisition dans 
la ville, et tout était resté depuis dans cet état. 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 367 

campagne débouchait sur la place en carriole au grand 
galop, poursuivi par deux uhlans la lance en arrêt. 
L'un d'eux atteignit d'un furieux coup le malheureux 
paysan^ dont le seul crime était de n'avoir pas voulu 
leur donner du sel qu'il avait dans sa voiture. » Il 
tomba tout couvert de sang; la blessure, par bonheur, 
n'était pas mortelle. Toutes les issues étant gardées 
jusqu'au départ de ces odieux visiteurs, M. Mitchell 
n'avait pas même la faculté de fuir leur préstonce. a II 
fat forcé de subir le spectacle de leurs cavalcades; il 
eut la douleur d'entendre des commandements mili- 
taires en allemand sur la place de cette petite ville 
française, habituellement si paisible, place au milieu 
de laquelle un modeste monument rappelle un des 
plus beaux faits d'armes de la guerre d' Afrique (la dé- 
fense de Mazagran). » (D'est la station de Malesherbes 
qui dessert Angerville, où résidait naguère l'illustre 
Berrjer; la mort était venue à propos lui épargner ce 
spectacle ! 

Après un tel incident, M. Mitchell jugea prudent de 
différer la reprise du service* Ce qu'il venait de voir 
n'avait fait naturellement qu'augmenter son impatience 
de voir enfin la défense s'organiser sérieusement, et 
d'y coopérer lui-même de tout son pouvoir. On a'at- 
tendait d'heure en heure à un choc décisif entre les 
Français massés sur Pithiviers et les Bavarois qui se 
concentraient sur Étampes. Les. troupes que l'on orga* 
nisait à Gien devaient concourir à l'effort projeté pur 
Paris. Le 9 octobre, un train spécial conduisit à Ne- 
mours une compagnie franche organisée par l'an des 
principaux industriels de Montargis, M. de Montdésir. 
Les mobiles de la Charente, à leur tour, arrivaient de 



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3ti8 CHEMINS DK FER FRANÇAIS 

Gien à Montargis et campaient à la gare. Ils devaient 
être transportés le lendemain dans la direction de 
Paris jusqu'à la station de Bourron, et se porter de là, 
par la forêt, sur Fontainebleau, qui, d'après les der- 
niers renseignements, n'était que faiblement occupé et 
d'une façon intermittente. On n'osait pas se servir, 
pour ce mouvement, de la ligne de Corbeil, qui aurait 
eu l'avantage de porter ces renforts plus près du 
théâtre de la lutte principale. On avait appris, par un 
message de M. Féray d'Essonnes, que les Allemands 
avaient miné la voie sur plusieurs points au-delà de 
Malesherbes, à une profondeur minime, de manière à 
ce que la pression exercée sur le sol par le passage des 
trains suffit pour déterminer l'explosion. C'était un 
moyen de destruction nouveau et généreux, si l'on 
veut... 

La journée du 10 s'écoula dans une attente anxieuse ; 
de toutes les gares, depuis Montargis jusqu'à Pui- 
seaux, on entendait gronder le canon d'Artenaj. 
M. Mitchell était allé jusqu'à la coupure du chemin de 
fer, entre Puiseaux et Malesherbes ; c'était le point le 
plus rapproché du lieu de l'engagement où Ton pûf 
arriver en wagon. Il n'apprit ce jour-là rien de positif, 
sinon que Pithiviers avait été évacué par nous dans la 
nuit, et que l'ennemi y était entré à midi. En présence 
de ce renseignement de mauvais augure, il suspendit 
le départ des mobiles de la Charente sur Fontaine- 
bleau. Le 11 au matin, on ignorait encore à Montargis 
le résultat de la bataille ; la fatale nouvelle y revint par 
Saincaize, où était parvenu directement ce télégramme 
d'une concision sinistre : N'expédiez plus aucun train 
sur Orléans. ^ 



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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 869 

. Par suite de cet événement, l'inspecteur principal 
de la ligne du Bourbonnais dut se replier sur Gien. U 
écrivait le 15 de cette localité : « J'aurais pu cependant 
rester encore à Montargis, mais le général Martin des 
Pallières, qui commande ici (l'une des divisions du 
15® corps), m'a dit : « Malgré les grandes probabilités 
« qu'il y a de ne pas être coupé, il ne faut pas s'y 
« exposer ; une locomotive leur serait trop utile. » Il 
ne se décidait toutefois à la retraite qu'avec une vive 
répugnance. « Les populations que nous abandonnons 
sont affolées, disait-il. Je ne puis vous dire leur joie 
quand nous revenons ; elles accourent au- devant de nous 
comme aux premières inaugurations. C'est au moius 
ce qui a eu lieu à Beaumont et Nemours (15 oc- 
tobre). » Néanmoins, la présence de nombreux déta- 
chements prussiens en amont d'Orléans, sur les deux 
rives de la Loire, jusqu'à Jargeau et Saint-Denis de 
THôtel, ne permettait pas de songer à reprendre de 
suite le service sur Montargis. Gien même parut un 
moment menacé. Le 20, Cbâteauneuf-sur-Loire a,vait 
reçu la visite d'un détachement de hussards de lamort, 
•dont les officiers avaient demandé force renseigne- 
ments sur Gien, qui n'est qu'à sept lieues de là. Sur la 
rive droite du fleuve, on était menacé d'encore plus 
près. Tout cela était d'autant moins rassurant, que 
depuis trois jours la meilleure partie des troupes qui 
gardaient Gien l'avait quitté, se dirigeant sur Argent 
(Cher), pour aller concourir au besoin à la défense de 
Bourges. Néanmoins, M. Mitchell ne comptait se re- 
tirer qu'à la dernière extrémité. 11 écrivait le 20 : « Le 
général Morandy est toujours ici avec trois bataillons 
de mobiles; je ne me replierai que quand il partira. » 

21. 



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a70 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Le 24, il crut pouvoir reprendre un petit service 
jusqu'à Montargis. La ligne était protégée par les 
gardes nationaux des communes riveraines. Entre Or- 
léans et Gien Tennemi avait rétrogradé. Du côté de 
Paris, la communication avait été pendant quelques 
jours dégagée à une grande distance. On était rentré 
par Puiseaux en communications assez suivies avec 
Corbeil, par Nemours avec Fontainebleau, Montereau, 
Melun, où les gares avaient conservé une partie de 
leur personnel. On apprenait que Tennemi avouait 
avoir perdu 5,000 hommes dans les combats d'Orléans ; 
qu'Ëtampes, Corbeil, Evry étaient encombrés de ses 
blessés, décimés par le typhus; il en mourait en 
moyenne trente par jour. « Mais, ajoutait M. Mitchell, 
Tennemi communique le typhus moral aux populations. 
Nous avons vu plusieurs personnes de ces contrées 
qui ont Tair de prendre leur parti de Toccupation ! » 

Une alerte avait valu à la ville de Melun quelques 
jours de liberté. Le 13, les dragons wurtembergeois 
qui gardaient la station ayant eu quelques-uns de leurs 
hommes tués ou blessés en forât dans une embuscade 
de francs -tireurs, avaient pris peur et abandonné leur 
poste. Le danger n'était pas si pressant, ear les francs- 
tireurs ne parurent que dans la matinée du 17, au 
nombre d'environ 500. Ils s'installèrent à la gare, 
iirent dans la ville plusieurs barricades, et intercep- 
tèrent de leur mieux le pont de Mée au moyen de fils 
télégraphiques enlacés dans les balustrades. Le même 
jour, une avant- garde de ce corps franc, qui avait 
poussé une reconnaissance sur Cesson dans la direc- 
tion de Paris, en ramena quatre hommes, surpris, 
dans une ferme isolée. Immédiatement après, toute la 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 371 

troupe décampa sur Fontainebleau, pour y faire, sui- 
vant l'usage, une entrée triomphale avec ses prison- 
niers. Pendant ce temps, la ferme où ces hommes 
avaient été pris fut incendiée de fond en comble par 
leurs camarades, suivant les bonnes habitudes alle- 
mandes (1). 

Lia. fin du mois d'octobre s'écoula sans changements 
ni incidents notables sur la ligne du Bourbonnais, sauf 
une panique qui faillit, le 28, déterminer l'évacuation 
de <3^ien sur Cosne. Dans les premiers jours dé no- 
vembre, les coureurs allemands reparurent au delà de 
Fontainebleau et s'avancèrent même jusqu'à Nemours, 
mais ils eurent lieu de se repentir d*avoir été si loin. 
Dans la nuit du 13 au 14, 47 uhîans, arrivés de la 
veille, furent cernés dans une auberge auprès dé la 
gare . Deux seulement parvinrent à s'échapper, trois 
furent tués, tous les autres pris. Cette surprise était 
Toeuvre de 180 mobilisés de Seine-et-Marhé, électrisés 
par la nouvelle récente de la victoire de Coulmiërs 
et de la reprise d'Orléans. Mais le lendemain ils étaient 
loin, et une colonne ennemie, forte dé 1,200 hommes, 
venait inceûdier la maison où les uhlans avaient été 
surpris, la gare elle-même et pluèieùrs maisons voî* 
sines. 

(1) Pendant Tinvasion, aucun officier prussien ne logea au 
château de Fontainebleau, si ce n^est le prince Frédéric- 
Charles. Il fit pêcher et expédier sur Berlin quelques-unes 
des carpes légendaires, et demanda à acheter deux tasses 
ayant servi à Napoléon l«^. Cette demande ayant été naturel- 
lement repoussée, le prince se résigna à emporter gratis ce 
petit «ouvenir. 



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372 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



IX 



Tout en se réjouissant de la reprise d'Orléans, 
M. Mitchell ne s'exagérait pas la portée de cet 
avantage . Il faisait remarquer dès le 10 novembre que 
les Bavarois avaient fait retraite en bon ordre.,. n Dès 
le 14, il signalait le passage de troupes nombreuses, se 
dirigeant de Troyes par Pont-sur-Yonne vers Fontai- 
nebleau et Corbeil. Ce n'était rien moins que Tarmée 
de Frédéric-Charles qui accourait pour barrer le pas- 
sage aux vainqueur» de Goulmiers. Nemours, Pniseaux 
avaient tour à tour l'honneur peu enviable de possé- 
der le prince. Montargis aussi fut occupé pendant trois 
jours par deux brigados de cette armée (37« et 38®), 
dont les éclaireurs vinrent même tout près de Gien. 

Le rapport du sous-inspecteur Levino, qui s'était 
trouvé bloqué dans Montargis, donne des détails inté- 
ressants sur cette occupation. Le 18, quatorze uhlans, 
venant du côté de Courtenay, se présentent à l'entrée 
du faubourg de la Sirène, On tire sur eux ; Tua tombe^ 
les autres tournent bride. Le tocsin sonne, les boutiques 
se ferment : sous l'impulsion énergique de M. Charbon- 
nier, sous-préfet, la défense est résolue. On comptait sur 
l'appui des troupes qui débarquaient à Gien. On passe 
ainsi la nuit du 18 au 19, la journée, la nuit suivante. Le 
20, les choses tournent au pire; aucun secours n'est venu, 
aucun n'est annoncé, et une forte colonne ennemie est 
en vue avec du canon. Après une légère escarmouche on 
capitrfîe, et le 21, les Prussiens, entrent musique en 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 873 

tête. On pourrait s'étonner de Tinaction des troupes 
françaises du 18® corps, qui venait précisément de dé- 
barquer à Gien et avaient la libre disposition de la 
voie ferrée sur Montargis. Mais il ne faut pas oublier 
que le 18® corps était placé sous le commandement 
immédiat, exclusif de T administration de la guerre. Or, 
tbus^ les télégrammes de Tours prescrivaient rigoureu- 
sement l'immobilité « en attendant de nouveaux or- 
dres. » C'est donc à Tadministration de la guerre de 
ce temps-là que les habitants de Montargis sont parti- 
culièrement redevables de cette première occupation, 
qui dura trois jours. 

Les Prussiens arrêtèrent et emmenèrent comme ota- 
ges plusieurs notables, ainsi que le sous-préfet qui 
n'avait fait que son devoir. Les nombreux soldats ins- 
tallés à la gare la pillèrent quelque peu pour se dé- 
sennuyer: des marchandises que Ton croyait avoir bien 
cachées furent découvertes trop facilement^ dit-on. Ins- 
truites de la mise en mouvement bien tardive des 
troupes françaises,' les deux brigades prussiennes quit- 
tèrent Montargis dans la matinée du 24, à une heure 
de distance l'une de l'autre ; la première se dirigeant 
sur Beaune-la-Rolande, en suivant la voie ferrée. 
L'autre prit la route de Ladon ; cette localité désormais 
célèbre n'est qu'à trois lieues de Montargis. Quelques 
heures après, on entendit de ce côté le bruit d'un en- 
gagement assez vif; la faible arrière-garde prussienne 
restée en ville, disparut aussitôt sans prendre le temps 
d'emporter ses provisions. A quatre heures, il n'y 
avait plus un seul Prussien à Montargis. 

« Nous avons fait enfin un mouvement en avant I » 
écrivait le lendemain M. Mittchell. La veille, en effet, 



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S74 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

le commandant du 18® corps (colonel Billot), ayant ob- 
tenu «n/fn de Tours la permission de remuer, s'était • 
hâté de faire transporter, par la voie ferrée, son avant- 
garde sur Nogent. De ce point, les troupes débarguées 
s'étaient avsmcées jusqu'à 8 kilomètres de Montargis^ 
où la fiatigue seule les empêcha d'arriver le jour même^ 
Billot avait devancé avec intelligence les ordres du 
général en chef Gambetta, qui n'autorisa que le 25 par 
un nouveau télégramme ce mouvement sur Montargis, 
accompli (Jopuis vingt-quatre heures. (D'Aurellesp.237), 

En circulant parmi nos troupes, en accélérant leur 
marche, M. Mittchell se reprenait à espérer. Pendant 
la journée du 24 on avait entendu de toutes les gares,, 
depuis Mon targis jusqu'à Gien, le canon du côté de 
Ladon. C'était le 20^ corps qui était aux prises avec 
l'ennemi « et qu'on disait vainqueur. Le lendemain ma- 
tm, le sous-inspecteur Lévino courut aux renseigne-, 
meuts. Après une lutte indécise et sanglante contre les 
deux brigades venues de Montargis, le général Crouzat, 
ne voulant pas s'engager à. fond sans le 18° corps, 
s'étaist replié en bon ordre sur Bellegarde ; cédant 
Ladon aux Allemands qui l'évacuèrent à la Auit. Bien 
qu'ils eussent enmené une vingtaine de charrettes de 
morts et de blessés, il restait là le lendemain plus 
de leurs blessés que des nôtres, et à chaque ins- 
tant on apportait de leurs morts trouvés dans les bois. 
Un poste qu'ils avaient laissé à Ladon, et dont M. Lé- 
vino avait signalé la présence au général Crouzat, fut 
eolevé par nos chasseurs. 

L'issue de cette jourifée n'était rien moins que dé- 
courageante. « Je crois, écrivait M. Mitchell, qu'à pré-, 
sent que le 18«,a toit sa jonction avetc le 20®, qui de - 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 375 

son côté doit être relié à rarmée de la Loire, il y a 
lieu d'espérer que nous marchons définitivement 
sur Paris. Je vous prie donc de vouloir bien me ren- 
dre les agents des gares repliées, afin que je puisse 
les réinstaller au fur et mesure..., suivre les mouve- 
ments de Farmée, lui porter vivres et munitions. » 
(Lettre du 25 nov.) 

Quarante-huit heures après, Tinspecteur principal 
était forcé de reconnaître qu'il s'était trop pressé de se 
réjouir. La journée du 26 avait été pour lui des plus 
laborieuses. Il avait effectué sur Montargis de nom- 
breux transports de troupes, de vivres, de munitions : 
près de 400 wagons se trouvaient déjà accumulés dans 
cette gare. Le 27 au matin, on lui demandait encore à 
Gien pour Montargis un train spécial de 36 wagons de 
vivres et de fourrages. Gien était lui-même tellement 
encombré, que, pour former ce train spécial, il fallut 
faire vingt et une manœuvres, qui durèrent ôept heures. 

L'inspecteur principal part avec ce train de vivres et 
fourrages. Il le conduit jusqu'à Solterres, et part en 
avant pour lui faire faire de la place en gare de Mon- 
targis. Mais là, il trouve un ordre de l'intendant géné- 
ral à son adresse, et reste stupéfait en apprenant que 
« le mouvement du 18® corps, se faisant dans la direc- 
tion de Bellegarde, impose la nécessité de faire rétro- 
grader promptement sur Oien tout ce qui avait été 
transporté d'approvisionnements, etc. ; qu'on va faire 
des distributions toute la nuit, que le chemin de fer 
remportera le reste ; enfin, qu'il faut absolument que 
l'évacuation de la gare de Montargis soit terminée le 
lendemain, à six heures du matin, parce que lès grand - 
gardes seront relevées à cette heure-là. » 



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37« CHEMINS DE PER FRANÇAIS 

Oé mouvement oblique vers Bellegarde avait pour 
but de mettre enfin le 18° corps en communication 
avec le 20®, replié sur ce point à la suite de l'engage- 
ment du 24. Mais, en se rabattant ainsi sur la gauche, 
le 18* corps découvrait la ligne du Bourbonnais ; Mon* 
targis , délivré de la veille , allait se retrouver à la 
merci de T ennemi, qui avait des postes à 8 ou^ 10 kilo- 
mètre» de cette ville. Au moment où M. Mitchell rece- 
vait cette communication peu agréable, il lui arrivait 
de Gien, pour l'achever, une dépêche d'un autre inten- 
dant, M. Robert. Celui-ci, agissant en sens inverse des 
nouvelles dispositions qu'il ignorait, annonçait Texpé^ 
dition d'un nouveau et gros convoi de vivres ou de 
munitions sur MontargisI Le malheureux inspecteur 
n'eut que le temps de faire arrêter et garer à Nogent 
ce nouveau train. Puis, rCy comprenant plus rim.^ il 
courut en ville (Montargis). Là il apprit qu'effective- 
ment tout le corps d'armée était parti, moins la divi- 
sion Perrin, formant T arrière-garde, laquelle devait 
s'éloigner, à son tour, le lendemain matin. Ce général 
lui confirma que Montargis allait rester absolument à 
découvert. Il fallut donc évacuer complètement la gare 
dans la nuit. 

Cette opération ramenait sur Grien 340 wagons de 
plus, et y porta l'encombrement à sa dernière puis- 
sance. L'intendance ne devait pas, jusqu'à nouvel 
ordre ^ diriger d'autres convois sur cette gare. M. Mit- 
chell en avait obtenu la promesse formelle ; pourtant^ 
dès le 28, on lui annonçait de nouveaux arrivages, 
plus un train de troupes : « Je ne sais, écrivait-il, coia* 
ment j'en sortirai.. U y a des wagons de vivres sur uue 
longueur de deux kilomètres, et l'on ne veut preiidre 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANÉE a77 

livraison que dans la gare. On n'emporte que le pain frais; 
l'autre reste éternellement et sera perdu. » Vivement 
affecté de ce gaspillage , M. Mitchell n'avait cessé de 
réclamer la présence, au siège de l'inspection princi- 
pale, d'un fonctionnaire de la guerre, ayant mission et 
autorité de faire faire avec ordre les déchargements. 
L'intendance imagina de remédier au mal en les 
suppriniant par l'application du fanaeux système de 
lagons immobilisés. Nous avons retrouvé une pièce 
dans laquelle cette invention est exposée ex professa. 
C'est un. ordre délivré à Tours à M. C, élève des 
ponts et chaussées, de se rendre à Nevers, Moulins et 
Clermont, pour s'entendre avec les agents supérieurs 
du chemin de fer, afin de faire garer dans les stations 
importantes les wagons des subsistances, lesquels ne 
doivent plus être désormais déchargés qu'exceptionnel- 
lement^ et pourront ainsi être mis de suite en mouve- 
ment, à la première demande. 

Le 28 novembre, M. Mitchell écrivait : « Evidemment 
une bataille est imminente ; si on recule, je ne sais 
comment j'évacuerai. . . Le train qui nous arrive con- 
tient des malades, des mobilisés ivres, dés isolés de 
toutes armes, tous les embarras. Les agents sont tous 
exténués. » Cependant, plus heureux que quelques- 
uns de ses collègues, il avait trouvé iin intendant avec 
lequel on pouvait s'entendre. Il avait été convenu 
entre lui et M. Robert que, pour rendre le service 
possible, on répartirait les wagons de vivres, suivant 
la nature de leur contenu, entre Gien et. les gares sub- 
séquentes dans la direction de Cosne. Un employé de 
l'intendance, de garde à Gien, devait délivrer chaque 
jour à l'inspection principale un bordereau indiquant 



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.^78. CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

les quantité! de dutqae chose demandée pour le lende- 
main. 634 wagons étaient ainsi répartis sur une lon- 
gueur de 94 kilomètres, de la gare de Gien à celle 
de Fougues, entre Cosne et Nevers, quand commença 
le refoulement général imposé par les événementfi 
malheureux qui venaient de nous faire reperdre . 
Orléans. 

Le 28 novembre, au matin, le canon se faisait en- 
tendre de nouveau à Touest de Montargis. M. Lévino 
y courut de suite , se dirigeant sur Mézières. 
Quand il y arriva, le combat finissait à notre avantage, 
au moins en grande partie. Une seule de nos attaques 
avait échoué, celle de Beaune-la-Rolande, où le prince 
Frédéric-Charles avait d'abord envoyé Tartillerie de 
réserve du 10" corps prussien, qui, ce jour-là^ fut 
engagé presque tout entier. Un peu plus tard, il 
dirigea encore sur ce point la 3* division (Stulpnagel) 
et la 1" de cavalerie. 

Bien qu'il fût déjà plus de cinq heures, Billot propo- 
sait une nouvelle attaque combinée. Crouzat, qui com- 
mandait en chef, comme le plus ancien, jugea que la 
journée était trop avancée, nos troupes trop fatiguées, 
pour aller se heurter de nouveau contre un ennemi 
qui, d'ailleurs, venait de recevoir, dans l'intervalle, 
un renfort considérable. Le 18® corps passa donc la 
nuit à Juranville et Mézières, sur les positions qa'U 
avait conquises. Billot qui, en partant de Montargis, 
le 27, paraissait soucieux, était fort satisfait de la 
tenue de ses troupes dans le combat du 28. 11 disait 
à Lévino: Un contre un, je les battrai toujours; un; 
contre un et demi, souvent. » 

La gare de Bea^uie-^la-Rolande avait horribleinefi^ 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 379 

souffert, ou, plutôt, avait péri dans cet4e torribla 
journée. Pendant plusieurs heures, elle avait essujé 
le feu d-une batterie française installée à un kilof 
mètre de là. Toutes les portes et les fenêtres avaient 
été employées dans les tranchées ; il n'en restait pas 
même des copeaux. Les bureaux avaient été incendiés 
en grande partie ; toutes les provisions, tant solides 
que liquidés avaient disparu, ce qui n'avait rien d'ail- 
leurs que de très-naturel, les Prussiens ayant occupé 
tous les bâtiments, du grenier à la cave^ du 25 no- 
vembre au 3 •décembre. Le chef s'applaudissait d'^avoir 
au moins mis en sûreté, d'avance, la comptabilité^ les 
registres, les billets. « Je regrette de n'en avoir pas 
mis plus, ajoutait ce brave homme, mais je ne me 
doutais pas d'un pareil désordre. » Toutes les mar- 
chandises qui se trouvaient en gare avaient été la 
proie des flammes, les murs criblés de boulets. Plus 
d'un mois s'était écoulé depuis cette catastrophe quand 
cet agent put enân communiquer avec ses chefs. Pen- 
dant ce teihps, il avait été, comme tous les habitants 
du pays, bloqué par l'invasion, sans nouvelles, à peu 
prèa sans vivres. « J'ai fait, disait-il, ce que j'ai pu 
jusqu'alors, et je continue à rester à mon poste, atten- 
dant des événements plus avantageux pour moi et la 
Compagnie. » 

Du 28 novembre au 5 décembre, les employés de la 
ligne du Bourbonnais passèrent par bien des alterna- 
tives d'anxiété poignante et d'espoir. Le !•' décembre, 
Gîen et Montargis recevraient du commandant du 
18» corps un télégramme ainsi conçu : « Ne dirigez 
plus rien sur Ladon; faites rétrograder aujourd'hui 
même sur GKen tous approvisiornienrents, mùniticms, 



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380 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

détachements de tous points au delà. » Cette mesure 
était la conséquence des dernières instructions en- 
voyées de Tours aux 18® et 20® corps, leur prescri- 
vant d'appuyer sur leur gauche pour se relier au 15e, 
commandé par le général des Pallières. On sait» 
que, lors des malheureux événements qui suivirent 
( F. Réseau d'Orléans) , les deux corps dont il s'agit 
gardèrent forcément une attitude passive, dont Thisto- 
riographe de M. Gambetta a prétendu rejeter le 
blâme sur le général d'Aurelles, oubliant que la direc- 
tion de ces deux corps n'avait été conférée* à ce général 
que le 2 décembre au soir, c'est-à-dire alors qu'il 
n'était plus temps d'en tirer parti, Tentreprise sur 
Pithiviers étant manquée, et la situation de l'armée 
entière gravement compromise par l'échec de Loigny. 
« J'avais dirigé jusqu'à hier les 18® et20 eorps>... Je 
vous laisse ce soin désormais. » (Télég. de M. Qam- 
betta, 2 déc, 4 h. du s.; d'Aurelles, p. 321.) 

Le mouvement prononcé de ces deux corjw vers 
Orléans découvrait plus que jamais la ligrfe du Bour- 
bonnais. Dès le 2 décembre, le bruit courait à Gien 
que les Prussiens avaient reparu à Montargis : cette 
nouvelle était prématurée. Quelques heures plus tard, 
les télégrammes emphatiques de Tours, annonçant la 
sortie de Paris, firent renaître une joie éphémère. On 
expédia -des éclaireurs qui devaient tâcher de joindre, 
à travers les forêts de Montargis et de Fontainebleau, 
l'armée libératrice. L'enthousiasme fut bientôt re- 
froidi par d'autres nouvelles. Le 4, le bruit se répan- 
dit soudain que Gien même était menacé, et le colonel 
d'artillerie d'Artiguelongue , commandant ée place^ 
requit l'inspecteur principal de préparer immédiate- 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 381 

ment révacuation sur Ôosne et même au delà» et d'en- 
voyer sur Montargis une reconnaissance. Dans l'après- 
midi, les informations furent plus rassurantes. On 
îmnonça que la gare de Montargis était gardée par des 
francs-tireurs, que l'ennemi avait disparu des envi- 
rons. Mais la soirée fut terrible ; on commençait à 
voir arriver les bagages, les blessés du 18e corps, qui 
àe repliait sur Gien, et pas même pour y rester! 
Parmi ces blessés se trouvait un jeune officier d'état- 
major ayant à peine la force d'articuler quelques mots. 
Ce fut par lui que M. Mitchell apprit que Tarmé^^ était 
coupée en deui, et Orléans repris parTennemi (1). 



Une lettre du 5 décembre contient des détails na- 
vrant» sur le misérable état de nos troupes, à la suite 

(1) A la suite de ces nouveaux désastres, plusieurs convois 
;de prisonniers français, dirigés sur l'Allemagne, firent étape 
à Fontainebleau. Ils furent soignés avec rempressement le 
plus généreux par les liabitants, qui parvinrent même à eu 
faire évader un certain nombre : d'autres réussirent à s'é- 
chapper dans la traversée de la forêt. Un officier général 
anglais qui avait passé quelque temps au quartier général dt* 
l'armée de la -Loire,- s'arrêta aussi à Fontainebleau après la 
reprise d'Orléans. Il disait hautement que M. Gambetta 
méritait d'être pendu, qu'il avait commis un crime en forçant 
le général d'Aurelles à prendre l'offensive au lieu de recevoir 
la bataille à Orléans (Faverie). 



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ut CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

de 06 nouveau désastre. <c Ces malheiireux, écrivait 
M. Mitchell, sont par trop mal vêtus pour la saîsoa 
rigoureuse; ils ne peuvent combattre dans de telles 
conditions... Les Prussiens couchent chez les habi^ 
tants, où ils ne manquent de rien ; nos pauvres sol- 
dats couchent sous la tente, dans la boue ou aur la 
terre glacée... Hier soir, il nous est arrivé 50 char- 
rettes de blessés, dont un bon nombre grièvement; 
Nous n'avions pas été prévenus; j'ai réservé pour eux 
les voitures de voyageurs. Leur chargement, com- 
mencé à dix heures du soir, n'a fini que longtemps 
après minuit. Je renonce à vous décrire cette horrible 
scène..., les cris de ces malheureux, glacés par une 
course de dix heures en charrette! Nous mettions 
quatre hommes pour les prendre ; chaque mouTement 
leur causait d'affreuses douleurs. Et rien à leur don- 
ner, pas un médecin, pas une goutte d'eau propre, 
rien (1) ! Nous avons donné le peu de vin que nous 
avions et quelques morceaux de sucre. J'ai écrit au 
commandant de place et au préfet, pour demander 
qu'une ambulance soit établie à la gare ou dans l^au- 
berge à côté. Il est impossible qu'une scène aussi poi- 
gnante se renouvelle. » 

A partir de ce moment, les mauvaises nouvelles 
se succèdent sans interruption. Le 5 encore, un télé- 
gramme de Nevers annonce l'évacuation précipitée de 
la gare de Tours, le reflux sur le réseau de Lyon 
d'une énorme quantité de wagons de la Compagnie 
d'Orléans, encombrement auquel allait bientôt s'^ajou* 

(1) La gare de Qien est isolée, à une distance assez consi- 
dérable de la ville, 



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RESEAU DE LYON-BiEDITERRANEE 888 

ter celai du matériel replié de Gien. De ce côté, en 
efet, Tetinemi, qu'on n'apercevait plus la veille, avait 
reparu tout à coup en force ; le 6, il avait, pour la 
seconde fois> envahi Montargis. Cette ville n*avait 
pluis d^aatres défenseurs que des tirailleurs de Mûnte- 
video, qui détalèrent plusieurs heures avant Tappari- 
tion de l'ennemi (1), et deux autres compagnies 
franches qui durent aussi se retirer devant des forces 
supérieures. Une quinzaine de ces tirailleurs, restés à 
la garde des bagages, furent surpris et enveloppés par 
plus de 150 uhlans, dans la promenade du Pâtn. Us se 
défendirent avec courage, et parvinrent à se faire 
jour, laissant sur le terrain quatre morts et deux 
blessés. 

Gien entendit à son tour le canon d'assez près dans 
la journée du 7. Une colonne ennemie marchait de 
Montargis sur cette ville, en suivant la voie ferrée ; 
une autre plus nombreuse la tournait en marchant 
droit sur Briare le long du canal. Cette manœuvre 
obligea le 18© corps à se retirer précipitamment ; bien 
prit à M. Mitchell d'avoir été depuis plusieurs jours 
incessamment sur le qui-vive, car il dut faire âler en 
quelques heures 700 wagons sur Cosne et Neveri. Lui- 
même quitta Gien dans la journée du 8, et il n'était que 

(1) Ces tirailleurs montévidéens avaient pour commandant 
un drôle f >rt empanaché, sur lequel j*ai eu de curieux détails 
p^r des officiers qui Tavaient vu à Tarmée de la Loire. Il 
répétait à tout propos : ma valeur est bien connue! et néan- 
moins désertait invariablement les postes qu'où lui confiait, 
pour aller faire ripaille en lieu sûr, aux frais des habitants, 
Ce guerrier fut arrêté, traduit en cour martiale et fusillé 
pendant Tarmistice, pour pillage à main armée. 



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4W4 CHEMINS DE F^ER FRANÇAIS 

temps , car plusieurs heures avant son passage à 
Briare, les éclaireurs ennemis y avaient paru. Ils 
venaient d'essuyer, de la part de francs -tireurs em- 
busqués dans la gare, une fusillade qui les fit promp- 
tement déguerpir, mais qui, suivant Tusage, valut le 
lendemain à la ville un bombardement. On ne laissa 
en' arrière ni wagons ni machines, mais il fallut brû- 
ler, par ordre de Tintendance, une grande quantité de 
vivres et d'objets d'équipement qu'on n'avait pas eu 
le temps de charger. 

La correspondance de M. Billette, commis de l'ins- 
pection, détaché à Gien, contient des détails intéres- 
sants sur cette destruction et sur l'arrivée des Prus- 
siens. 

« Ce fut, dit-il , un bien triste spectacle que cet 
anéantissement de marchandises réunies au prix de 
tant d'argent et de travail. Des isolés de toutes armes, 
sales ou avinés, repoussaient avec dédain des paquets 
de cartouches que j'avais trouvés et que je leur 
offrais... Au lieu d'écouter nos conseils, de passer la 
Loire avec leurs camarades, ils continuaient de boire, 
et tombaient ivres-morts dans les salles d'attente, sur 
la voie et autour de l'immense brasier qui dévorait 
jusqu'à des caisses de souliers... A six heures un quart, 
deux arches du pont sautèrent; quelques instants après, 
l'ennemi envahissait la ville par toutes les routes ...» 

Cinquante ou soixante dragons fondirent sur la 
gare, ramassèrent quelques-uns de ces misérables 
traînards, et agirent fort brutalement avec les' 
employés restés .à leur poste. L'un d'eux, vieux 
soldat de Crimée , fut contraint > le sabre sur la 
gorge , de briser un fusil français. Pendant ce 



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r 



RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 3»& 

temps, une amère -garde française tiraillait de la 
rive gauche; les Allemands ripostaient en bombardant 
le faubourg, et menaçaient de brûler la ville si le feu 
ne cessait pas. Le sous-préfet ayant refusé d'interve- 
nir, quelques notables acceptèrent cette mission péril- 
leuse, et s'avancèrent «n parlementaires au milieu 
d'une grêle de projectiles, jusqu'à la coupure du pont. 
Celui qui était en tête, portant le drapeau blanc, tomba 
nQortellement atteint d'une balle française. C'était un 
avoué de la ville, nommé Jardinier. A la nuit, la gare 
fut envahie par une compagnie d'infanterie, « la 9® du 
62o régiment, 12© brigade, 6© division, 3e corps d'ar- 
mée. » Le colonel, avec des formes très-polies> s'ad- 
jugea l'appartement du chef de gare et de sa femme, 
et le docteur, également aimable, crocheta et dévalisa 
la caisse qui se trouvait dans la chambre qu'il occupa. 
Cette troupe partit le lendemain au soir dans la direc- 
tion d'Orléans. M. Billette, ancien militaire, ne peut 
s'empêcher d'admirer la précision, la célérité de cette 
manœuvre de départ. « En un clin d'œil , sans le 
moindre bruit, toute la compagnie se trouve rangée, 
sac au dos, dans la cour. Le colonel descend nous 
remercier, monte à cheval, puis ces deu^ents hommes 
disparaissent en ordre et dans le plus profond silence, 
comme des ombres. » Ce spectacle lui faisait faire de 
pénibles comparaisons avec l'indiscipline scandaleuse 
d'une partie des troupes françaises qui venaient de , 
quitter la ville. Dans un régiment campé en dernier 
lieu près de la gare, beaucoup de soldats étaient partis 
« abandonnant tout le campement : tentés, sacs, cartou- 
chières, des fusils en quantité. La route de Gien était 
jonchéed'armesbrisées; c'était un spectacle éooeurant...» 

22 



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386 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Cette ville se trouvait daas la situEtion la plus pé- 
nible , servant à la fois de poste avaueé et de lieu de 
passage pour des troupes nombreuses. La plupart ve- 
naient de Montargis, et, au grand étonnement des habi- 
tants, au lieu de continuer surNevers, retournaient 
vers Pithiviers et Orléans. <* Les soldats étaient peu 
communicatifs , sournois et menteurs; ils devaient 
avoir la consigne de dérouter les questionneurs. » 
M. Billette continuait à noter les incidents quotidiens 
de Toccupation, mais sous forme de journal, car les 
consignes allemandes devenaient de plus en plus ri- 
goureuses^ et bientôt personne n'osa plus se charger 
de lettres pour le territoire non envahi : il y allait de 
la liberté , sinon de la vie. Dans certains moments on 
ne pouvait ni entrer dans Gien ni en sortir, non plus 
qu'y circuler librement; les employés de la gare, 
n'ayant pas la permission d'aller chercher des vivres 
en ville , durent avoir plus d'une fois recours à leur 
réserve de biscuit pour ne pas mourir de faim. Ce 
journal n^ériterait d'être publié en entier. On y re- 
trouve, notés avec une précision mathématique , tous 
les coups d'épingle empoisonnés de l'invasion. La 
journée du 18 fut une des pires; les Prussiens avaient 
découvert quelques fusils dans les caves de Thôtel 
de ville; ils menaçaient de fusiller le maire. Un pla- 
card somma les habitants de remettre immédiatement^ 
sous peine de mort, les armes qu'ils avaient pu con- 
server, a Je viens d'assister sur le pont, écrivait 
Billette, à un de ces spectacles qui ne s'oublient j^^inaisl 
Les voitures de fusils arrivaient jusqu'à la cotipui^; 
puis des soldats brisaient nos armes sur le parapet et 
les jetaient à l'eau I » Ce jour-là, plusieurs des ëm- 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 387 

plojés, maltraités par des soldats ivres et qui deman- 
daient encore à boire , avaient abandonné leur poste. 
Il était presque impossible en ville de se procurer de 
la viande. Un seul boucher avait la permission d'abattre. 
Les Allemands prenaient ce qui leur convenait, et 
c( laissaient les os » à l'habitant. Le lendemain, situa- 
tion encore plus tendue, s'il est possible; toutes les 
boutiques fermées, désolation universelle. Dans un 
magasin, dont les soldats ont forcé la devanture, une 
veuve éplorée demande en vain grâce pour quelques 
marchandises qui lui restent. Les permis de circulation 
ne sont valables que pour vingt^quatre heures, car 
tous les jours il y a un nouveau commandant de place, 
et aucun ne veut s'engager pour son successeur. Bil- 
latte a pu cependant aller en ville pendant quelques 
heures ; il vient d'avoir une longue conversation avec 
le commissaire de police français. Celui-ci est frappé 
des allures plus énigmatiques que jamais des ennemis. 
Ce jour-là (13), il n'y avait pas à Gien plus de 1,700 
hommes de toutes couleurs, cavaliers bavarois, dra- 
gons du Rhin, « tous inquiets et semblant flairer quel- 
que chose. » Après avoir fait ostensiblement , les pre- 
miers jours, des préparatifs pour établir un pont de 
bateaux, comme s'ils eussent voulu aller sur Bourges, 
ils paraissaient y avoir renoncé , et prenaient , au con- 
traire , des précautions défensives du côté de Briare. 

En effet, le flot de Tinvasion, qui s'était d'abord 
porté en amont fort au delà de Gien, semblait alors 
racujer. Les jours précédents, l'ennemi av$,it occupé 
successivement Briare, Ôusson, Châtillon, Bonny, et 
menacé Neuvy-sur-Lolre , qui n'est éloigné de Cosne 
que de treize kilomètres. Ce mouvement avait forcé 



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388 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

M. Mitchell à faiï*e Un nouveau pas en arrière; de 
Cosne, il avait fait replier son matériel sur la Charité, et 
conseillait même à son collègue de la ligne de Chagny, 
M. Coffinhet, de préparer sa retraite, s'il n'était dé- 
fendu par de vraies forces. Telle était la situation, 
quand tout à coup on annonça que Tennemi rétrogra- 
dait. Sur la demande du général de Pointe de Gévignj, 
qui commandait alors à Nevers, M. Mitchell fit faire 
le 12 , sur Briare, une reconnaissance par machine qui 
poussa jusqu'à 1,200 mètres de la gare. Son rapport 
détermina le retour d'une forte avant- garde française 
sur Neuvj, Ghâtillon et Briare. L'ennemi n'ayant fait 
que paraître dans cette contrée, n'avait pas eu le 
temps d'y couper la voie ferrée ; l'on en profita pour 
les transports de l'infanterie, des vivres et des 
munitions (13-18 décembre). Les machines circulaient 
jusqu'à Briare ; on rétablissait la communication avec 
Gien , qui se croyait absolument délivré le 17 au point 
du jour. Mais bientôt les employés de la gare 
eurent le chagrin d'apercevoir à l'horizon de nou- 
veaux éclaireurs qui vinrent dans la journée 
leur rendre visite. Bientôt l'on apprit que Gien était 
menacé par 4,000 Bavarois qui avaient remonté de 
Châteauûeuf sur Ouzouer et Dampierre, en même 
temps qu'une nouvelle avalanche de la'oupes ennemies^ 
revenant aussi d'Orléans, s'abattait sur Montargis. 

Tout semblait annoncer un choc sérieux, quand sou- 
dain les troupes frauoaises se replièrent sur Cosne et 
la Charité. Ce mouvement rétrograde était la causé- 
quence d^ la nouvelle direction donnée par Tadminis- 
tration de la guerre aux deux corps (18® ôt 20®) placés 
sous le commandement du générai Boui^baki. Ce qui 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 389 

restait de troupes disponibles sur la haute Loire allait 
se trouver réduit k la défensive , ne servant qu'à mas- 
quer le plus longtemps possible cette tentative de di- 
version dans l'Est, dont on espérait alors de si mer- 
veilleux résultats. L'ennemi reparut sur la haute Loire, 
ne rencontrant d'autre obstacle que la difficulté de 
vivre dans un pays épuisé. La famine et la petite vé- 
role y sévissaient à la fois. A Ouzouer, où les Bavarois 
étaient cantonnés, leur commandant dut, par mesure 
de prudence , faire distribuer du pain à la population 
affamée et exaspérée. A la suite de quelques fusillades 
de francs-tireurs, Briare, Châtillon, Bonny furent en- 
vahis de nouveau, du 25 au 29 décembre, par une co- 
lonne mobile de Hessois, « pires que les Prussiens. » 
Ds se comportèrent on ne peut plus mal, principale- 
ment dans cette dernière localité, comme l'atteste le 
rapport du chef de gare, M. Sauvageon, rédigé aô 
irato. « C'est avec des larmes de rage que je vous 
transmets un aperçu des dégâts commis par ces scélé- 
rats, ou pour mieux dire par ces bêtes féroces, car les 
sauvages mêmes n'auraient pas commis pareilles hor- 
reurs. » Cet agent était resté bravement à son poste, 
espérant qu'il aurait la même chance que plusieurs de 
ses collègues, que sa présence serait une sauvegarde 
pour les propriétés de la Compagnie et pour son propre 
bien : il s'abusait cruellement ! Pourtant, si nous l'en 
croyons, la provocation n'avait pas été violente; un 
seul coup de fusil avait été tiré sans résultat sur les 
éclaireurs qui s'étaient présentés le 25 à l'entrée du 
pays. « Le lendemain, ils arrivent à 4 ou 500, faisant- 
feu de tous 10S côtés. Les deux premiers qui entrent 
dans la gare déchargent leurs fusils par le guichet. >^ 

22. 



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390 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Le 28, nonvellô visite non moins désagréable dans le. 
pays et à la station; ils se font aider de force pour 
abattre des poteaux télégraphiques. Mais c'est le 29 
qu'a lieu l'exécution en règle. Cette fois ils sont.au 
moiiis 2,000, demandant cognac/ et maltraitant qui- 
conque leur en refuse. Les habitants en masse sont 
requis de se transporter sur la voie ferrée, avec outils 
pour ravager. Le maire est prévenu que pendant cette 
corvée on fera des visites domiciliaires, et que toute 
maison où il sera trouvé un homme valide sera incen- 
diée. Mais le sol, durci par la gelée, gênait sensible- 
ment les travailleurs; ce fut à grand'peine qu'on par- 
vint à soulever quelques rails. Alors ce fut sur la gare 
même que les envahisseurs assouvirent leur rage. Elle 
fut traitée comme une redoute prise d'assaut ; tout fut 
brisé , lacéré , broyé , sauf un peu de linge que les 
femmes parvinrent à sauver dans cette bagarre. €eux 
qui avaient conservé quelque sang-froid en usaient, 
pour piller; la sobriété, c'était le vol! Ainsi cette 
pauvre famille eut le chagrin de voir décrocher, plier 
proprement et emporter une belle paire de rideaux 
toute neuve, qui figure probablement aujourd'hui à la 
fenêtre de quelque Gretchen hessoise. Sauvageon ayant 
réclamé l'intervention d'un ofûcier qui savait quelques 
mots de français, en reçut cette "aimable réponse : 
(( Vous, monsieur de la gare, employé, n'avez rien à 
dire, ou vous capout tout de suite. Oouvernement et 
chemins de fer, nous les ruiner, pour empêcher troupes 
françaises d'aller à Paris. » « Enfin, dit le malheureux 
Chef de gare en terminant son rapport, jles employés 
du télégraphe de l'État, en jetant un coup d'oeH sur 
les saletés et immondices, ont déclaré n'avoir rien vu 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 3»4 

de pâ.reil dans les gares qu'ils ont kantéei après des 
Prussiens. » 

Voilà ce qui se passait, le 29 décembre 1870, dans 
ce bourg de Bonny, où Ton voit encore quelques débris 
4e fenceinte fortifiée qui vit flotter dans de meilleurs 
jourè l'étendard victorieux de Jeanne Darc! 



XI 



Le dernier jour de cette fatale année fut au moins 
marqué par un succès de nos armées sur la ligne du 
Bourbonnais. Une colonne mobile, composée en grande 
partie de marins, et conduite par un homme énergique 
que ùous avons déjà vu à l'œuvre dans l'Ouest, le ca- 
pitaine de frégate du Temple, redescendit vivement, 
le 30, de Cosne par Neuvj, et tomba sur cesHesspis pil- 
lards de Bonny, qui, par bonheur, buvaient fort bien 
et se gardaient fort mal. Le choo principal eut lieu, 
le 31, à la gare même de ChâtiUon, où les IjEessois 
s'étaient logés. Cette gare est située à 4 kilomètres 
de la ville, sur la rive opposée. Après deux heures de 
lutte, ils en furent débusqués et s^enfuirent sur Briare, 
avec une perte de 150 à 200 hommes hors de combat, 
tandis que nous n'en perdîmes qu'une cii^quantaîne. 
Pendant ce combat, ceux des employés qui avaient eu 
le courage de rester se tenaient dans la maison d'habi- 
tation, évoluant, suivant les circonstances^ des combles. 



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d&i CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

au sous-sol ; jusqu'au moment où retentit à leurs 
oreilles ce commandement français trop rarement 
entendu, hélas 1 dans le courç de cette guerre : A la 
baïinmettel 

M. du Temple poussa jusqu'à Briarev où Tennemi 
avait fait de sérieux préparatifs de défense , rasé à 
hauteur d'homme et crénelé les murs du cimetière. 
Le commandant français jugea imprudent de risquer 
cette attaque si loin de nos cantonnements , et re- 
tourna sur Neuvy. Cette retraite, sans doute indis- 
pensable, consterna les populations, qui venaient de 
se croire, une fois de plus, délivrées, ou sur le point 
de rêtre. M. Mitchell, qui, par suite de ce succès, 
s'était reporté à Cosne, dut faire démonter en toute 
hâte l'appareil télégraphique, déjà réinstallé à Ghâ- 
tillon. Encouragée par notre mouvement rétrograde, 
une patrouille de uhlans s'avança de nouveau, le 
5 janvier, jusqu'à Bonny, mais elle fut surprise et 
capturée jusqu'au dernier homme par des frâncs- 
tireurs; 

A la même date, M. Mouroux, chef de gare à Neuvy, 
fit une excursion hardie et heureuse sur la rive gauche 
de la Loire jusqu'en face de Gien, dont on n'avait plus 
de houvelles depuis longtemps. Le ravitaillement de 
cette ville, toujours rigoureusement gardée, s'opérait, 
d'une rive à l'autre, au moyen d'une corde tendue* au 
dessus de la coupure du pont, et qui servait à passer 
les sacs de farine ou de légumes, et à les repasser 
vides. Mouroux réussit à s'aboucher avec le commis 
Billette, qui de son côté glissa subtilement sa corres- 
pondance dans un des sacs vides renvoyés sur l'autre 
rive. Si les factionnaires allemands s'étaient aperçus 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANÉE 393 

de ce manège, ces deux hommes courageux auraient 
été sûpemeht fusillés. 

Cette correspondance contenait de curieux détails 
sur la situation de Gien et d'autres pajs occupés par 
Tennemi pendant les derniers jours de décembre. Le 20, 
au moment où Ton commençait à entendre le aanon de 
Du Temple, en amont de la Loire, la garnison de* Gien, 
qui la veille n'était plus que de 100 hommes, se trouva 
tout à coup portée à 700. Il faut s'être trouvé dans une 
situation pareille pour comprendre ce que devaient 
éprouver ces populations envahies, affamées par 
l'étranger, en entendant ce bruit lointain de combat. 
Cette sensation né peut se comparer qu'à celle du pri- 
sonnier, au premier ébranlement des verrous de son 
cachot. Le 31, la canonnade se rapprochait; les Alle- 
mands semblaient plus anxieux. Leur commandant 
étant venu se promener à cheval jusqu'à la gare, l'un 
des employés lui demanda naïvement ce qui pouvait 
bien se passer du côté de Briare. Cet officier, qui par- 
lait assez bien le français, nessa aussitôt de le com- 
prendre et partit au galop... 

Les habitants de Gien eurent de tristes étrennes 
en 1871. Dans l'après-midi du l®"" janvier, il leur arriva 
3,000 hommes à loger et à nourrir : c'étaient les 
Hessois, battue la veille à Bonny et à Chàtillon. A Gien, 
tout comme à Bonny, ils agirent « en vrais bandits. » 
Dès le premier soir, plusieurs habitants furent battus 
ou mis sans façon à la porte par leurs pensionnai- 
res, qui âe trouvaient trop à l'étroit. On ne dépassait 
un corps de garde que pour tomber dans une patrouille ; 
chaque boulanger avait dans sa boutique des factionnai- 
res qui ne lui permettaient de délivrer du pain qu'aux 



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394 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

soldats. Une proclamation annonça que le moindre 
acte d'hostilité ou d'insubordination vis-à-vis des 
Allemands serait puni de mort. En revanche , tout 
leur était permis ; le commandant, installé à la mairie, 
n'écoutait aucune réclamation. Depuis quelques jours, 
les employés français de la gare avaient une société 
dont ils se seraient passés volontiers ; celle d'agents 
prussiens, qui venaient installer un télégraphe mili- 
taire. Ceux-ci leur disaient, pour les consoler, que des 
troupes de renfort, qu'on attendait de Châteauneuf, 
étaient pires encore que les Hessois. Quelques jours 
après, ils eurent aussi l'attention délicate de leur com- 
muniquer un télégramme de Versailles ainsi conçu : 
Le bombardement de Paris va bien! 

La journée du 2 surtout fut abominable. Les vivres 
faisaient véritablement défaut; les soldats, ivres pour 
la plupart, accusaient les habitants de cacher teurs 
provisions, et recouraient à la schlague pour tes leur 
faire exhiber. Billette fut témoin, ce jour-là, de Tio- 
lences odieuses, même contre des femmes et des enfants, 
La femme d'un aubergiste auprès de la gare, nommé 
Marchenoir^ fut blessée à la joue d'un coup de baïon- 
nette en voulant défendre son mari contre plusieurs de 
ces forcenés; ils prirent à ces pauvres gens une somme 
de 35 fr., leur unique épargne, battirent les petits en- 
fants, tuèrent le chien à coups de fusil... C'étaient en- 
core les Hessois qui se comportaient ainsi; dans ces 
dernières semaines, on leur passait tout pour les sti- 
muler, comme aux Saxons, aux Badois, aux Bavarois, 
à tous ces vassaux du nouvel empire d'Allemagne, plus 
las de la guerre que leurs seigneurs et maîtres, les 
Prussiens! 



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RESEAU DE LYON-MÉDlTERRANEE 395 



Plus d'une scène semblable arait eu lieu en ville, 
et Ton se demandait avec effroi comment se passerait 
la nuit. Cependant, le lendemain et les jours suivants, 
unô sorte de calme relatif se rétablit. Beaucoup de soldats 
partirent; ceux qui restaient, au nombre d'environ 500, 
se niontrèrent « moins brigands ; » mais les difficultés 
persistaient pour l'arrivage des subsistances. Elles 
s'aggravèrent même, postérieurement à la visite de 
Mouroux, par suite d'une levée de boucliers des gens 
de la commune de Poilly, située en face de Gien, les- 
quels se mirent tout à coup à tirailler sur les Alle- 
mands, et à empêcher le ravitaillement par la coupure 
du pont. C'était, disait-on, pour se faire rendre un de 
leurs compatriotes, retenu en otage sur l'autre rive. 
Ceux de Gien, de plus en plus affamés, commençaient 
à trouver que leurs voisins donnaient là un témoignage 
bien intempestif de patriotisme. D'autre part, les Alle- 
mands furieux faisaient revenir de l'artillerie pour 
bombarder la rive gauche, quand tout à coup Gien fut 
délivré, mais seulement pour quelques jours, par un 
nouveau revirement offensif des troupes françaises. 

Le général de Pointe de Gévigny, dont le quartier 
général était à Sancerre, avait conçu, vers le 10 jan- 
vier, le projet de surprendre les détachements disse- . 
minés de Briare à Montargis. Il avait eu, à ce sujet, 
une longue conférence avec M. Mitchell, qui lui avait 
communiqué les rapports des éclaireurs qu'il ne se las- 
sait pas d'envoyer dans toutes les directions (1). Tous 



(1) Dans ces demiert temps, il en avait reçu d'Auxerre 
(rapportés par le fidèle et courageux Frédureaa), de Mon- 
targis, Moret, Fontainebleau etMonterean. Le sous-chef de 



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396 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

avaient vu et voyaient chaque jour depuis le commen- 
cement de janvier, des passages considérables de troupes 
se dirigeant précipitamment vers TEst. C'était le 2« corps 
prussien, employé jusque-là à l'investissement de 
Paris, et qui venait de recevoir (le 3 janvier), Tordre 
d'aller se réunir au 7® pour manœuvrer sur les commu- 
nications de l'armée de Bourbaki. Dans cet état de 
choses, une démonstration de notre part sur la Haute- 
Loire s'indiquait en quelque sorte d'elle-même ; elle fut 
résolue. 

Depuis le dernier mouvement offensif, celui de du 
Temple, le siège de l'inspection principale avait été 
reporté de la Charité à Cosne, d'où l'on portait chaque 
jour des vivres, par le chemin de fer, à l'avant-garde 
qui était toujours à Neuvy. Le 12, l'inspecteur avança 
jusqu'à Bonny pour y réinstaller l'appareil télégra- 
phique. Le chef de gare lui ayant affirmé qu'on était 
couvert par une bonne compagnie de francs-tireurs, 
qui avait même dépassé Châtillon, M. Mitchell résolut 
de pousser jusqu'à cette station. Parvenu, il s'arrêta, 
bien à propos,- pour mieux examiner un poste qu'on 
apercevait à la hauteur de la gare, n'étant pas tout à 
fait sûr que ce fussent ces « bons francs-tireurs. » Il fut 
jmmédiatement fixé à cet égard par le bruit d'une dé- 



Melun, resté à son poste, faisait aussi parvenir de temps à 
autre, de ses nouvelles et de celles de quelques stations de la 
banlieue de Paris. Ce fut ainsi qu'on apprit que M. Mancini, 
sous-chef de la gare de Brunoy, avait été arrêté le \^^ octo- 
bre, retenu prisonnier pendant trois semaines, et interrogé 
plusieurs fois sur un prétendu télégraphe souterrain qui au- 
rait relié Metz à Paris, et dont les Prussiens croyaient que 
cet employé possédait le secret. 



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RÉSEAU DE LYON-BiÉDITERRAi^ÉE 397 

charge et le sifflement de plusieurs projectiles, qui 
firent ricocher de la neige sur la locomotive. 

Le mouvement projeté contre les cantonnements 
avancés de Tennemi fut exécuté le 13 et le 14, maïs il 
n'y eut que refoulement et non surprise. Notre projet 
était éventé et les Allemands nous c< glissèrent partout 
entre les doigts. » 

Le récit fait par Billette de ce qui se passa à Gien 
au moment de leur fuite, mérite d'être cité. Aucun do- 
cument ne donne une idée plus juste des conflits qui 
se produisaient parmi les populations lors de ces déli- 
vrances éphémères. 

« Ce matin (14) de bonne heure, une vive fusillade 
se faisait entendre du colé de Bel-Air, et, dès huit 
heures, la retraite des ennemis s'opérait précipitam- 
ment... A onze heures, une quarantaine de cavaliers 
arrivèrent de Briarc sur la voie, et stationnèrent une 
heure et demie à la gare, la carabine au poing. Ils 
rassemblèrent une trentaine d'hommes, femmes et 
enfants, qu'ils trouvèrent dans les vignes ou rencon- 
trèrent allant au marché, et les poussèrent devant eux 
à coups de sabre, en se dirigeant sur Gien par la route 
ordinaire. Ces pauvres gens servaient tout simplement 
de boucliers à ces misérables. 

« En sortant de la gare, je vis un paysan qui m'af- 
firma que les troupes françaises étaient tout près... En 
ville, je communiquais la nouvelle à tout le monde, en 
appelant les hommes aux armes, tant j'étais surexcité 
par les dernières scènes de violences. Les ennemis 
fuyaient dans toutes les directions. Je me dirigeai vers 
le pont avec quelques citoyens qui me connaissaient. 
Là, je me mis on communication avec M. Pouchart, 

23 



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m CHEMINS DK FKR FRANÇAIS 

conseiller municipal du £&ubourg de Berry. Je le priai 
de faire mettre des échelles de son côté tandis qu^on 
en mettrait da nôtre, de manière à permettre à, ceux 
de la rive gauche, qui avaient des armes, de passer, et 
de donner à Gien Texemple du soulèvement... Tout cela 
fut fait : quelques instants après , une trentaine 
d^hommes passaient de notre côté en armes, me remet- 
taient un fusil et des cartouches, en me priajit de 
rester à leur tête, ce que j'acceptais de grand cœur; 
quelques habitants de Gien vinrent nous apporter leur 
concours. • Sur la demande d*un grand nombre de 
citoyens, je fis sonner le tocsin à Saint-Louis. De bons 
patriotes... que je regrette de ne pas connaître, firent 
couper les cordes quelques minutes après. Je ûs faire 
immédiatement une barricade sur le pont, en priant 
M. Fouchart de laisser les échelles pour nous ménager 
une retraite, dans le cas où nous viendrions à être 
assaillis par des forces supérieures. En ce moment, 
quelques personnes, ne voyant pas paraître nos gens, 
semblaient douter de ma bonne foi, lorsqu'une clameur 
immense s'éleva sur le quai : ks Français l... Trois 
cavaliers, en effet, débouchaient sur la plaice Saint- 
Louis et étaient acclamés; ils annonçaient l^armée 
pour cette nuit ou demain matin au plus tard. Ceux qui 
avant cela ne me regardaient plus d'un bon œil vinrent 
alors me serrer la main et me remercier... » Par mal- 
heur les ennemis étaient évadés; on ne put ramasser 
que quelques traînards. 

Cependant, la nuit venait, et avec elle Théaitation, 
rinquiétude; on ne « voyait pas prendre les armes à 
ceux qui, la veille encore, affirmaient tout bas qa*il j 
avait 300 fusils cachés, et des hommes décidés à s^en 



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RESEAU DE LYC^^MEDITBRRÂNEE 399 



servir. » Force gens se reprenaient à douter de Tar- 
rivée des Français, à redouter le retour des autres 1 
Les plus résolus, restant en trop petit nombre pour 
défendre seulement la ville contre une surprise noc* 
turne, avaient remis la partie au lendemain matin. 
Mais Tavant-garde française, composée des mobiles de 
l'Yonne^ arriva à la gare vers minuit... Il y eut alors 
un revirement contre les circonspects : on les accusait 
même d'intelligences avec Tennemi. Il faut le dire, 
rhésitation du moins était excusable, après ce qui 
s'était passé dans tant de localités, et tout récem- 
ment à Gien même. On était las de trompeuses 
espérances , las de cette guerre imprudemment 
commencée, follement poursuivie. On savait trop quel 
était* pour les populations, le profit habituel de ces 
^ retours, de ces surprises éphémères; on craignait, et 
malheureusement on avait raison de craindre, qu'il 
n'en fût de même encore cette fois. 

M. Mitchell avait suivi en wagon le mouveinent de 
nos troupes jusqu'au kilomètre 168 (à4kil. de Briare), 
où la voie était coupée. Il se rendit à Briare, dont la 
gare avait été fort saccagée lors des derniers événe- 
ments, puis en voiture jusqu'à Gien. Là, il eut le 
plaisir de serrer la main au chef de gare Guenon, resté 
à son poste avec sa famille au milieu de toutes ces 
péripéties, ainsi qu'au brave Billette, moins joyeux de 
sa délivrance qu'affecté de n'avoir pu « reconduire un 
peu » l'ennemi. En revenant à Briare après cette courte 
absence, l'inspecteur principal trouva que dans l'inter- 
valle la voie avait été déjà réparée et la locomotive 
amenée en gare, grâce à l'activité exceptionnelle des 
agents de la voie, et surtout du chef poseur Balot. 



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iOO CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Mais une nouvelle et amère déception attendait là 
rinspecteur, qui pensait rétablir immédiatement le 
service, sous la protection de Tavant-garde française. 
Le commandant de cette avant-garde lui annonça que 
le but du mouvement étant manqué, puisque l'ennemi 
prévenu à temps d'une manière ou d'une autre, avait 
pu s'échapper, on allait rétrograder de suite sur 
Neuvj... En transmettant, le 18 janvier, cette triste 
nouvelle au directeur de l'exploitation, M. Mitchell 
ajoutait : « Si l'ennemi ne revient pas à Briare, ce sera 
uniquement faute d'j pouvoir vivre. » Et, avant de 
fermer sa lettre, il apprenait que déjà les éclaireurs 
allemands reparaissaient aux abords de Gien. 

Quelques jours après, il fut appelé d'urgence à 
Besançon, pour aider ses collègues des lignes de Bour- 
gogne et du Jura dans le redoutable surcroît de travail 
que leur imposaient l'échec de l'armée de l'Est et les 
progrès de l'ennemi dans cette direction (1). 

L'une des dernières pièces du dossier de la ligne du 
Bourbonnais pendant la guerre est une reconnaissance 
de l'infatigable Billette sur Montargis (23 janvier). 
Bien que cette ville fût soigneusement gardée, il avait 
réussi à y pénétrer, et rapportait une description 
exacte de tous les ouvrages de défense, et les détails 
les plus complets qu'on eût eus jusque-là, concernant 
la mise en activité récente du service allemand sur les 
portions du réseau d'Orléans et de Lyon. Les convois 



(1) M. Mitchell a été décoré l'un des premiers pour sa con- 
duite pendant la guerre. Jamais rémunération ne fut mieux 
méritée ; il est seulement regrettable qu'on n'ait pas su tirer 
un meilleur parti de ses services. 



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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANÉE 401 

circulaient irrégulièrement, mais enfin circulaient de 
Nuits-sous-Ravières (ligne de Bourgogne) à Orléans 
par Moret, Montargis, Juvisy. Les agents français , 
ajant refusé leur concours, avaient été expulsés et 
remplacés par un personnel allemand (1). Ces trains 
transportaient des vivres» des malades, de Tartillerie, 
de la troupe ; ils devaient prochainement prendre des 
voyageurs. 

A son retour de Montargis, Billette eut le chagrin 
de trouver Gien sous le coup d'une prochaine réoccu- 
pation. L'ennemi revenait en force du côté de Dam- 
pierre, et l'on entendait dans cette direction, à moins 
d'une lieue de la ville, le bruit de la fusillade. C'était 
une poignée de francs-tireurs qui, postés aux abords 
du village de Nevoy, essayaient encore de retarder le 
retour de la colonne allemande. Dans la soirée du 25, 
M. Jacqmin, inspecteur, chargé de l'intérim en l'ab- 
sence de M. Mitchell, apprit en effet que Gieuï^était de 

nouveau envahi, Briare menacé de bombardement 

L'armistice arrêta ces représailles iniques, mais, par 
suite du dernier mouvement rétrogade des troupes 



(1) Dès le 28 décembre, les ingénieurs prussiens étaient 
arrivés à la station de Moret. Ils s'adressèrent au seul .em- 
ployé resté à son poste, et demandèrent les chefs. C'était le 
buffetier, qui répondit : « Je suis chef de cuisine, il n'y en a 
plus d'autres. » Ils auraient voulu au moins avoir un méca- 
nicien pour faire marcher la machine fixe : le buffetier leur 
dit « qu'il n'en avait pas à leur servir. » Ils prirent mal la 
plaisanterie, menacèrent de le fusiller^ et enfin lui signifièrent 
qu'il resterait prisonnier à son buffet, et nourrissant à ses frais 
chef, sous-chef, employés du télégraphe, inspecteur, tous 
armés de grands sabres et d'un formidable appétit. 



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402 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

françaises, le département du Loiret se trouva compris 
tout entier dans la zone d'occupation prussienne. 



XII 



Le transport des quatre corps composant l'armée de 
l'Est, effectué du 20 décembre 1870 au 16 janvier sui- 
vant, est rincident le plus considérable qui se soit 
produit pendant la guerre, sur le réseau de la Compa- 
gnie de Lyon-Méditerranée. C'est aussi à propos de 
cette opération que les plus graves reproches lui ont 
été adressés. L'ancien délégué à l'administration de la 
guerre, qui, dans son livre intitulé la Guerre en pro- 
vince, persiste à vanter le plan de diversion dans 
l'extrême Est comme une des plus belles conceptions 
stratégiques des temps modernes, en attribue l'issue 
déplorable à la lenteur extrême et aux désordres des 
transports. « Telle fut, dit-il, la première, et sans doute 
la vraie cause de l'insuccès d'une expédition qui, au 
dire de toits les hommes spéciattx, était destinée à pro- 
duire de grands résultats (1). » Nous regrettons que 
rhistoriographe de M. Gambetta n'ait pas jugé à pro- 
pos d'indiquer, parmi les militaires initiés à cette 
combinaison, les « hommes spéciaux » qui s'en émer- 
veillaient si fort. Le général Bourbaki n'en était pas, 
car il aurait voulu au contraire passer la Loire au-des- 

(1) M. de Freycinet, La guerre en province^ p. 224. 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANËE 403 

SOUS de Nevers, se rabattre sur Paris par Montargis et 
la forêt de Fontainebleau. Le général Chanzj n'en 
était pas non plus, car sa correspondance prouve qu'il 
combattit de toutes ses forces le plan du dictateur, dès 
qu'il lui fut connu, et jusqu^à la dernière heure. Il pro- 
posait un mouvement concentrique sur la capitale, con- 
centré entre son armée, celles de Faidherbe et de 
Bourbaki, et appuyé par quelque vigoureuse sortie de 
Tarmée de Paris. M. Gambetta, qui voyait les choses 
de plus haut, répondit que a Faction dans Textréme 
Est lui semblait à la fois plus sûre et plus menaçante. » 
Justement efirayé du peu de sûreté que présentait une 
telle opération, entreprise avec des troupes nouvelles, 
dans un pays de montagnes et au fort d*un hiver des 
plus rigoureaux, le général Chanzy télégraphiait 
encore à Bordeaux, le 6 janvier : « Paris a des vivres 
jusqu'au 15 janvier seulement, et à partir de là ne 
vivra que d'expédients.... Il y a urgence à faire un 
très-prompt et suprême effort sur Paris.... Je trouve- 
rais bonne l'opération dans l'Est, de Bourbaki, si le 
résultat pouvait en être plus immédiat pour Paris. Ces 
considérations puissantes me font toujours insister pour 
l'adoption et l'exécution à bref délai du plan que je 
vous ai proposé. » 

M. Gambetta fit répondre qu'il était trop tard pour 
changer de plan ; que d'ailleurs il persistait à considé- 
rer celui auquel il s'était arrêté comme le meilleur, 
« que c'était celui qui démoraliserait le plus les armées 
allemandes, » enfin que Paris pouvait encore atten^ 
dre... (1). U était trop tard en effet; à cette date, la 

(1) Général Chanzy, La deuxième armée de la Loire^ 
p. 240-254. 



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404 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Compagnie de la Méditerranée avait déjà transporté 
dans l'Est la plus grande partie de Tarmée de Bour- 
baki. 

Le 19 décembre, à trois heures du matin, le direc- 
teur de l'exploitation du chemin de fer de Lyon, 
M. Audibert, recevait la dépêche suivante de M. de 
Freycinet, expédiée la veille de Bordeaux, à 11 h. 20 
du soir : 

« n est probable que Gambetta présent à Bourges, 
aura besoin, demain lundi, du concours de votre Com- 
pagnie, pour prendre des dispositions spéciales. Je 
vous prie donc de vous rendre immédiatement à Bour- 
ges, et de vous adresser de ma part à M. de Serres 
chez M. Grambetta. Il n'y a pas un instant à perdre. » 

M, Gambetta s'était en effet rendu à Bourges en 
quittant l'armée de la Loire. Il avait voulu se montrer 
à celle de Bourbaki pour raffermir son moral, et lui 
communiquer, selon l'expression de son historiographe, 
« cette flamme qu'il portait en lui. » 

Ce fut donc par M. Vieczflinski (de Serres), qu'on 
apprit qu'il s'agi'ssait de transporter, avec la plus 
grande rapidité possible, le 18« et le 20* corps alors 
concentrés sur Bourges, de la Charité et de Nevres 
sur Autun, Chagny et Châlons ; et, en même temps^ le 
24* de Lyon vers Besançon. C'était donc environ 
90,000 hommes à voiturer sur un parcours moyen 
d'environ 240 kilomètres, plus l'état-major général et 
tous ses accessoires, télégraphe, postes, caisses, ambu- 
lances, etc. 

M. Audibert fit observer que tout le matériel dispo- 
nible de sa compagnie allait se trouver absorbé, rien 
que par le mouvement de Lyon sur Besançon ; que, 



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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANEE 405 

par conséquent, il était indispensable que la Compa- 
gnie d'Orléans fournît au moins une partie du matériel 
nécessaire pour le transport des troupes réunies à 
Bourges. Cet arrangement fut concerté avec Tingé- 
nieur en chef de la Compagnie d'Orléans, M. de la 
Taille, qui assistait à la conférence. De son côté, le 
directeur de la Compagnie de Lyon expédia de suite à 
ses agents les instructions nécessaires. Ces dépêches 
furent remises au bureau télégraphique de TEtat, à 
Bourges, à 10 heures 30 du matin. Néanmoins, les com- 
munications télégraphiques étaient si encombrées, que 
les dépêches ne parvinrent à destination que douze 
heures et jusqu'à vingt heures plus tard. Une première 
journée, celle du 20, fut ainsi totalement perdue. 

D'autre part, la Compagnie d'Orléans, qui avait ses 
difficultés particulières (voir ci-dessus l'article d'Or- 
léans), ne fut en mesure de commencer sa livraison de 
matériel que vers le 23 au soir. C'était un nouveau 
retard de deux jours, qu'on ne saurait non plus attri- 
buer, comme fait l'auteur de la Guerre en province, au 
« défaut d'entente entre l'état-major de Bourbaki et la 
Compagnie P. L. M. » 

Il eût été néanmoins possible, facile même, de com- 
mencer dès le 21 ce transport de Nevers sur Chagny ; 
et le même écrivain, qui déplore cette série d'ajourne- 
ments, ne peut s'en prendre de celui-là qu'au délégué 
de l'administration de la guerre, c'est-à-dire à lui- 
même. En effet, le matériel dont la Compagnie de Lyon 
aurait pu disposer se trouvait immobilisé à Lyon, en 
vue du mouvement du 24® corps qui, d'après les indi- 
cations de M. Wieczflinski, devait avoir lieu en même 
^temps que celui de Nevers. Néanmoins, cet autre mou- 

23. 



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406 CHEMINS DS FER FRANÇAIS 

yement ne s'effectua que huit jours après. Pendant 
tout ce temps, malgré ses instances réitérées, le direc- 
teur de Texploitation ne put obtenir d*avis officiel 
d'ajournement, de telle sorte qu'il restait sous le coup 
d'une réquisition à laquelle il devait se tenir prêt à 
déférer d'urgence. Se sentant dans leur tort, les gens 
de Bordeaux ne s'en plaignaient que plus vivement, 
suivant l'usage. Dès le 22, les télégrammes menaçants, 
injurieux, commentaient à pleuvoir sur Lyon et Cler- 
mont*Ferrand. Le commissaire Wieozflinski télégra- 
phiait d^Autun : « Les troupes attendent. J'appelle 
votre attention sur les conséquences dont vous êtes 
responsable. » — « L'embarquement, ajoutait de Bor- 
deaux M. de Freycinet, se fait avec une lenteur qui 
sera une étemelle honte pour ceux qui en sont la cause. 
Dès demain, une enquête sera ouverte, etc. » A la 
même date, M. Gkimbetta, qui était allé « porter sa 
flamme » à Ljon, 7 faisait, à la suite d'un repas copieux, 
une scène des plus violentes à l'inspecteur principal 
Cottiau. Il s'exprimait avec tant de volubilité, 
que son interlocuteur pouvait à peine placer un 
mot. Il parvint enfin, dans une deuxième conférence 
qui eut lieu le lendemain matin, à articuler que, 
d'après les instructions formelles de M. Gambetta lui- 
même, la Compagnie était forcée de tenir en perma- 
nence à Lyon du matériel, qui apparemment ne pouvait 
se trouver enmême temps àNevers. Le dictateur semblait 
alors plus calme, et prit cette observation en assez bonne 
part, mais il n'en fut pas de même lors d'un dernier 
entretien qui eut lieu dans Taprès-midi : le déjeuner 
avait porté conseil. La scène de la veille recommença 
avec la même violence ; l'inspecteur ayant réitéré son 



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RESEATJ DE LYON-MEDITERRANEE 407 

obseryation, son fougueux interlocuteur 8*écria que 
cela ne le regardait pas ; que c'était à Tadminietration 
du chemin de fer de satisfaire à toutes les nécessités 
du moment ; qu'il était très-mécontent, etc. (1). 

Cet incident nous donne lieu de placer une remarque 
générale, utile pour Tétude des mœurs gouverne- 
mentales de ce temps. En général, les dépêches expé- 
diées le matin de Bordeaux étaient relativement 
modérées; au contraire, les injures^ les menaces 
foisonnaient dans celles expédiées sous Tinfluenoe du 
repas du soir. Bordeaux avait la digestion féroce. 

Le représentant de la Compagnie répondit le 24 aux 
menaces de Bordeaux, par un exposé calme et véri- 
dique de la situation. 

En même temps, il se décida à considérer comme non 
avenu Tordre relatif au transport immédiat du 24« corps, 
et par conséquent à faire refluer sur Nevers le matériel 
préparé à Lyon. De son côté, la compagnie d'Orléans 
s'exécutait, et l'embarquement prit dès lors une allure 
un peu plus accélérée. Il se faisait simultanément dans 
trois stations : la Charité, Nevers et Decize. Le même 
jour, le général prussien, Werder, informé de ces 
grands arrivages de troupes et en comprenant enfln la 
destination, faisait évacuer Dijon et se concentrait sur 
Vesoul. Jusque-là il n'avait été préoccupé que de celles 
qui auraient pu être envoyées contre lui de Lyon. Les 
Prussiens avaient d'abord craint par-dessus tout l'action 
combinée de Bourbaki avec Chanzy, et pris de grandes 
précautions pour mettre obstacle à cette réunion solli- 
citée en effet par les généraux français. Mais la Délé- 

(1) Lettre de M. Cottiau à M« Audibert, du 23 décembre. 



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408 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

gation en avait décidé autrement ; elle faisait à Tennemi 
plus beau jeu qu'il n'espérait. 

Une seule circonstance, la célérité du transport, au- 
rait pu compenser jusqu'à un certain point les incon- 
vénients de ce mouvement de l'armée de l'Est, imprévu 
à force d'absurdité. Mais les mauvaises dispositions de 
l'administration de la guerre, jointes à la rigueur per- 
fide de la saison^ ne nous laissaient même pas ce der- 
nier avantage. 

Malgré les explications fournies par le représentant 
de la Compagnie de Lyon, ^es rapports avec Bordeaux 
étaient toujours fort tendus. Le 27 décembre au soir, 
on se plaignait encore de la lenteur avec laquelle s'opé- 
rait l'embarquement à Decize, par suite d'irrégularités 
dans l'expédition des trains de matériel vide expédiés 
de Nevers sur cette station, et l'on « prenait acte de ce 
nouveau retard. » M. Audibert répondait : « Les embar- 
quements se font simultanément à la Charité, à Nevers 
et à Decize. Les neiges et le froid extrême ralentissent 
considérablement les manœuvres dans les gares, exigent 
l'emploi de nombreuses machines de renfort. En pré- 
sence des difficultés qu'on a à surmonter, il est permis 
d'affirmer qu'on aurait pu faire plus et mieux qu'on n'a 
fait. » Trois jours après, au moment où cette pénible 
opération touchait à sa fin, une nouvelle objurgation 
plus menaçante arrivait de Bordeaux. « Nous ne vou- 
lons accuser h&s intentions de personne, mais il est cer- 
tain que nous n'avons pas trouvé au total dans votre 
exploitation les ressources et l'énergie que les Prussiens 
obtiennent toujours sur leurs réseaux, que le chemin 
de fer de l'Est a fournies à l'Etat au commencement de 
la campagne, et que votre personnel même aurait peut- 



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RÉSEAU DE LYONIMÉDITERRANÉE 40» 



être su déployer, s'il s'était agi d'un trafic commercial 
exceptionnel. Si votre administration n'est pas dans 
des conditions à nous assurer un concours tel que nous 
le comprenons, nous nous verrons obligés d'exploiter 
nous-mêmes votre réseau en nommant un commissaire- 
directeur. » Les gens de Bordeaux recouraient fré- 
quemment à ce procédé comminatoire, et l'on a vu pré- 
cédemment que, vis-à-vis d'une autre Compagnie (celle 
de rOuest)^ ils ne s'en tinrent pas à de simples me- 
naces. 

Le directeur de l'exploitation répondit en rappelant 
encore une fois les circonstances qui avaient retardé le 
mouvement au début. Il aurait pu mentionner bien 
d'autres difficultés d'exécution que son interlocuteur 
connaissait d'ailleurs aussi bien que lui, mais qu'il lui 
convenait d'oublier. Ainsi, au moment où ce transport 
s'opérait, 1,800 wagons chargés d'approvisionnements, 
et dont la destination n'était pas encore déterminée, 
stationnaient entre Nevers et Moulins, Ces wagons en- 
combraient toutes les gares et toute la seconde voie 
entre Saincaize et Saint-Imbert (ligne du Bourbonnais) 
sur une longueur de 16 kilomètres. Cet encombrement 
créait des difficultés inouïes pour le retour du matériel. 
Comme il ne restait de libre qu'une seule des voies 
principales, plusieurs trains subirent des arrêts de douze 
ou quinze heures. Dans cette malheureuse campagne, 
l'hiver s'était mis de la partie contre nous comme en 
1812. Pendant ce transport, la température se maintint 
constamment de 12 à 16 degrés au-dessous de zéro; 
plusieurs machines durent jeter leur feu par suite de 
ruptures de conduites ou congélation de tuyaux. Ce 
froid exceptionnel, accompagné de neige, paralysait 



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410 CHBMINS DE. FER FRANÇAIS 

aussi les manœuvres pour la formation des trains. On 
était forcé de réduire beaucoup la charge des machines; 
et néanmoins on éprouva encore, principalement à 
, Nevers, des difficultés de démarrage qui amenèrent des 
ruptures d*attelages et, par suite, d'interminables temps 
d*arrét. 

Une dernière cause de retard et d'encombrement 
paraît devoir être portée directement au compte du 
commissaire Wieczâinski. Bien que Dijon fût évacué 
par Tennemi depuis le 27 décembre, les transports ne 
pouvaient continuer par là, à cause de la rupture du 
pont sur le canal, dont la réparation exigeait quelques 
jours. M. Wieczâinski eut alors la fâcheuse idée d'ache- 
miner, par les embranchements secondaires de Dôle 
et Auxonne, une partie des troupes venant de Nevers 
et débarquées déjà à Chagny et Chalon. En s'y prenant 
ainsi il perdit du temps au lieu d'en gagner. « Pour un 
trajet aussi courte dit avec raison M. de Freycinet, il 
eût été bien préférable d'employer les routes de terre. 
En procédant à de nouveaux embarquements et dé- 
barquements d'hommes et de matériel dans les gares, 
on encombrait intempestivement la voie au moment 
où il eût été le plus nécessaire de la réserver aux trans- 
ports de l'intendance.» {La Guerre en province^ p. 225.) 
Les souffrances endurées pendant ce premier trans- 
port des troupes de l'Est ont été vivement décrites par 
des témoins oculaires. « Pour obtenir plus de célérité, 
dit l'un d'eux, on nous embarqua en chemin de fer; 
mais... de Bourges à Saincaize, pour un trajet qui se 
fait ordinairement en moins de deux heures, il nous en 
fallut douze; de Saincaize à Nevers, c'est-à-dire pourJ 
faire neuf kilomètres, nous employâmes toute la nuit.l 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITKtRANÉB 411 

De dix heures du soir à sept heures du matin, nous 
dûmes rester sur le pont de la Loire. Impossible de 
descendre du wagon; un rent glacial soufflait et il fai- 
sait dix à douze degrés de froid. Dans le silence de la 
nuit, quand les sifflets des machines se taisaient, on 
entendait les glaces se choquer sur la rivière... On se 
tassait les uns contre les autres pour conserver un peu 
de chaleur ; mais, malgpë tout, on claquait des dents. 
Ce n'était cependant que le commencement. On nous 
faisait espérer qu'au delà de Nevers on marcherait 
mieux. A Nevers on ne marcha plus du tout. Il 
fallut laisser passer devant nous le train de Tétat- 
major général ; un train de cinquante voitures , 
qui ne put être enlevé que par trois puissantes 
machines. Nous, garés sur une voie latérale, nous atten- 
dions tremblants de froid. Il nous fallut un jour et 
deux nuits pour aller jusqu'à Chagny (72 heures 
pour faire 163 kilomètres). » Les soldats du 15* corps, 
transportés peu de jours après, souffrirent encore 
davantage. 



XIII 



Le plan de campagne élaboré à Bordeaux pour Tar- 
mée de Bourbaki assignait d'abord à ce quinzième 
corps un rôle séparé. Tandis que les deux premiers 
(18« et 20*) étaient dirigés vers Belfort et l'Alle- 
magne (?), celui-là devait primitivement rester cantonné 



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412 CHBMINS DB FER FRANÇAIS 

autour de Vierzon, « ayant pour mission essentielle de 
couvrir Bourges et Nevers, » L'immobilité de ce corps 
servit aussi à dérober le mouvement des deux autres, 
et prolongea Fincertitude des Prussiens sur la véri- 
table portée de ce revirement. Le général Werder ne 
Tavait bien comprise que le 29 décembre. L'état-major 
général prussien, à son tour, trouvait le moment étran- 
gement choisi pour s'en aller tenter une diversion dans 
l'Est. Aussi craignait-il d'abord quelque ruse ayant 
pour but de dissimuler un mouvement de concentra- 
tion en sens inverse, un effort suprême combiné sur 
Paris ; — précisément cet effort suprême que Chanzy 
réclamait inutilement de M. Gambetta et autres 
« hommes spéciaux. » M. de Moltke hésitait à croire 
qu'on lui fît bénévolement la partie aussi belle. Ce ne 
fut qu'après avoir reçu du prince Frédéric- Charles des 
informations conformes à celles de Werder, qu'il dé- 
cida la formation d'une armée allemande du Sud-Est. 
Cette année, dont le commandement fut confié au gé- 
néral Manteuffel, comprenait, outre les troupes de 
Werder, celles qui allaient le secourir, en prenant à 
revers l'assaillant, savoir le septième corps allemand 
qui était alors sur la Meuse, et le deuxième qu'on pou- 
vait désormais distraire sans péril de l'investissement 
de Paris, grâce à l'éparpillement complaisant des forces 
françaises. 

Il y avait pourtant une chance pour nous dans cette 
circonspection allemande, qui avait hésité un peu trop 
longtemps à admettre la possibilité d'une semblable 
tentative. Si, pendant ce temps, Bordeaux avait pris 
de meilleures mesures pour organiser le transport de 
Bourbaki, celui-ci aurait eu chance de percer jus- 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 413 

qu'à Belfort, et cet avantage obtenu m extremis eût pesé 
sûrement d'un certain poids dans les négociations de 
Tarmistiee et de la paix. Bien des batailles ont été 
perdues par de grands capitaines, qui n'avaient commis 
d'autre faute que celle de refuser un moment de croire 
à la réalité d'un mouvement par trop téméraire (1). 
Ainsi Mante uffel n'intervint que quand tout était déjà 
fini, et l'armée française en pleine retraite. Grâce à 
rincrédulité de M. de Moltke, Werder s'était trouvé 
seul, dans le moment le plus critique, aux prises avec 
des forces numériquement supérieures. Cette supério- 
rité était, il est vrai^ plus apparente que réelle : on 
sait trop que là, comme ailleurs, les Allemands n'eurent 
aifaire qu'à des têtes de colonnes, qui luttèrent avec 
un courage, une persistance admirables, mais derrière 
lesquelles il n'y avait plus que des bataillons novices 
épuisés de fatigue, de froid et de besoin. Si le général 
prussien conserva ses positions dans la période déci- 



(1) On en trouve un mémorable exemple dans la bataille 
de Friedland. Napoléon faillit la perdre pour avoir de même 
hésité à admettre que Benningsen commît cet excès d'impru- 
dence, de déboucher en masse au delà de FAlle, et d'engager 
une affaire décisive, ayant à dos cette rivière, au risque de 
s'y faire jeter par toute Tarmée française réunie, ce qui 
advint en effet. Napoléon n'admettait pas d'abord que Lannes 
et ses divisionnaires Oudinot et Grouchy, eussent affaire à 
si forte partie. Oudinot lui envoya coup sur coup six mes- 
sages : « Dites à l'Empereur que mes petits yeux y voient 
bien, que c'est toute l'armée russe. » Napoléon le crut enfin 
et arriva, amenant ai toute Tarmée française, » Mais il n'était 
que temps, et il eût été trop tard si le corps de Lannes eût 
été moins solide et moins bien commandé. (F. notre livre 
sur les Français en Prusse (Didier), p. 293-295). 



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414 CHEMINS DB FER FRANÇAIS 

sive du 15 au 17 janvier, il le dut non-seulement à ses 
sages mesures, mais surtout à la lenteur forcée de nos 
mouvements, qui lui laissa le temps de s'asseoir soli- 
dement sur la Lisaine, Nous n'avons été réellement 
vaincus que par Thiver, et par l'incapacité présomp- 
tueuse des hommes qui disposaient des dernières res* 
sources de la France. 

Une nouvelle et funeste crise d'encombrement se 
produisit sur le réseau de Lyon pendant la première 
quinzaine de janvier, par suite de Tenclievêtrement 
des trains de l'intendance avec ceux qui, conformément 
à de nouveaux ordres venus de Bordeaux^ transportaient 
sur le théâtre des hostilités les troupes du 15* corps. 
En voulant renforcer Bourbaki, on ne réussissait qu'à 
l'affamer et à le mettre hors de combat. 

Dès le 31 décembre, en effet, M. Gambetta ot ses 
auxiliaires, impatients d'obtenir des résultats décisifs 
dans TEst, se décidaient à changer la destination 
assignée quelques jours auparavant au 15® corps, et à 
l'envoyer rejoindre Bourbaki. A 11 heures 45 minutes 
du matin, M. de Freycinet télégraphiait confidentiel- 
lement au représentant de la Compagnie P.-L.-M. : 
« Veuillez prendre toutes vos dispositions pour pou- 
voir, aussitôt que vous en aurez reçu ordre par le 
télégraphe, transporter en trente-six heures le 15® corps 
d'armée, environ trente mille hommes^ avec son artil- 
lerie, de Vierzon, où il est actuellement, sur un point 
à déterminer de la ligne de Vesoul ou de Montbéliard. 
L'ordre pourra être donné d'un moment à l'autre, mais 
ne le sera pas avant deux jours. Prière de vous con- 
certer avec votre collègue de la Compagnie intéressée 
(Orléans), qui reçoit pareille dépêche.... » Ce trans- 



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RÉSEAU DB LYON-IIÉDITERBÂNÉB 4iS 

port réclamait, en effet, le conoours des deux Com- 
pagnies. Celle d'Orléans avait à opérer le transport 
sar l'embranchement de Yierzon à Saincaize, qui fait 
partie de son réseau. C'était ensuite à celle de Lyon 
d'assurer la continuation des trains depuis la bifurca- 
tion de Saincaize jusqu'à celle de Chagnj, sur la grande 
ligne, pour gagner ensuite, par Dijon, la bifurcation 
d'Auxonne, et finalement débarquer les troupes à la 
dernière station accessible d'un des deux embranche- 
ments qui d'Auxonne se dirigent vers Belfort, l'un 
par Qray et Vesoul, l'autre par Besançon et Montbé- 
liard. 

Au moment où parvenait cet ordre, la meilleure par- 
tie du matériel était encore absorbée, d'uQ côté par le 
transport, enfin commencé, du 24* corps ; de l'autre, par 
la suite des transports du gros de l'armée, que le sous- 
délégué Wieczflinski faisait continuer de Châlons et de 
Chagny sur Dôle. 

Le premier avis confidentiel du 31 décembre, portait 
que l'ordre définitif de transport « ne serait pas donné 
avant deux jours. » Néanmoins, moins de vingt-quatre 
heures après, M. Audibert fut avisé derechef par 
deux télégrammes consécutifs, que « le transport de 
Vierzon, annoncé la veille^ commencerait le surlende- 
main 3 janvier, à six heures du matin, et devrait être 
terminé le 4 dans la soirée. On aurait à transporter 
35,000 hommes^ vingt batteries d^artillerie et les con- 
vois habituels de l'Intendance. Le point de destination 
probable était Clerval, dernière station accessible au 
delà de Besançon sur la ligne de Montbéliard. » Ainsi, 
l'administration de la guerre ne donnait que trente-six 
heures pour faire faire à un corps de 35,000 hommes, 



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416 CHEMINS DE PER FRANÇAIS 

arec son artillerie et tous ses accessoires, un parcours 
total d'environ 445 kilomètres ! 

Dans sa réponse, le représentant de la Compagnie 
signalait les causes inévitables de retard qui tenaient à 
l'état matériel de la voie. Le pont sur le canal à Dijon 
ne pouvait être rétabli que le 4. « Par conséquent, il y 
aurait forcément arrêt en route des trains militaires 
devant partir le 3; à moins de faire accomplir à ces 
trains, à partir de Chagny, Ténorme détour de Mâcon, 
Bourg, Lons-le-Saulnier, sur des lignes à fortes pentes, 
où Ton ne pouvait faire un service actif. . . » U faisait 
aussi observer « que la gare de Clerval, qu'on semblait 
vouloir indiquer comme point de destination, était des 
plus restreii^tes, et manquait absolument de quais pour 
les déchargements d'artillerie et de cavalerie. Si le 
transport ^tait dirigé sur cette gare, il fallait s'attendre 
à des mécomptes considérables, au point de vue de la 
célérité. On pouvait d'ailleurs en dire autant de toutes 
les gares des deux lignes de Dijon et de Belfort ; deux 
points exceptés, Dôle et Besançon. (2 janvier, 10 h. 
25 m.) » Tout ce parcours, en effet, est des plus pitto- 
resques, et partant des moins propres à un grand trans- 
port militaire. Ce ne sont que passages en contre-bas 
d'un côté, en corniche de l'autre, tranchées dans le roc 
ou tunnels. On compte cinq de ces derniers, rien que 
depuis Laissey, la dernière station avant Clerval. 

Le délégué de la guerre semblait avoir compris de 
lui-même Finsuffisance de Clerval. Le même jour, en 
effet, M. Audibert reçut un télégramme expédié de 
Bordeaux à midi et qui, par conséquent, s'était croisé 
avec le sien, et indiquait Besançon au lieu de Clerval, 
comme point de destination des trains* Un second, 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITEtoANÉE 417 

envoyé dans la soirée, annonçait que tout le mouve- 
ment était ajourné de vingt-quatre heures, afin qu'on 
pût faire passer les trains par Dijon. On ajoutait : 
a II est aussi inattendu que déplaisant pour nous d*être 
avisés au dernier moment, alors que le mouvement 
vous a été annoncé dès le 31 décembre au matin. » Le 
délégué oubliait que, d'après ce premier avis du 31 dé- 
cembre, Tordre de mouvement ne devait pas être donné 
avant deux jours, et que, néanmoins, il l'avait été le 
lendemain. D'un autre côté, le commissaire Wieczflinski 
en prenait fort à son aise des instructions qu'il recevait 
par voie hiérarchique. Oubliant qu'à la guerre comme 
ailleurs, la ligne directe est souvent celle dont le par- 
cours exige le plus de temps; il estimait que le plus 
sûr moyen d'accélérer la jonction du 15* corps avec le 
reste de l'armée était de le transporter par les voies 
ferrées, le plus près possible du théâtre des hostilités. 
En conséquence, comme la lutte s'engageait dans les 
environs de Montbéliard, il jugea à propos de main- 
tenir Tordre primitif de pousser jusqu'à Clerval. 

Cette prolongation eut des conséquences déplora- 
bles. On peut s'en rapporter là-dessus au témoignage 
de ceux-là même qui ont fait le mal ou l'ont laissé 
faire. « L'embarquement se fit très-potictuellement à 
Vierzon et à Bourges. Mais les trains, ne pouvant se 
décharger, restèrent échelonnés pendant plus de dix 
jours, depuis Saincaize et Nevers jusqu'à Clerval, par 
un froid de 12 à 15 degrés. Les chefs n'osaient pas 
donner aux soldats Tordre de descendre et de se can- 
tonner dans les villages, ignorant à quel moment la 
circulation pourrait reprendre. Des souffrances terri- 
bles furent endurées. Un grand nombre de chevaux 



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41g CHEMINS DB FER FRANÇAIS 



périrent. Mds ce qui fut peut-être plus désastreux en- 
core, c'est que les approvisionnements de Tlntendance 
furent, par suite de cet encombrement, arrêtés sur des 
points. éloignés du théâtre des hostilités (1)... » 

Dans certaines stations, où il n'y avait pas de quai 
de débarquement, on entassait contre les wagons des 
fagots sur lesquels on faisait glisser les chevaux. Ce 
fait se produisit notamment à la gare de Rochefort, où 
le général de Longuerue fit descendre tout un train de 
cavalerie, immobilisé là depuis trois jours et trois nuits 
qu'il était parti de la station de Dôle, dont celle de 
Rochefort n'est qu'à huit kilomètres. On y trouva plu- 
sieurs chevaux morts de froid dans les wagons. 

Ainsi, d'une part, les troupes qu'on envoyait pour 
renforcer l'armée de l'Est se démoralisaient dans de 
longs temps d'arrêt sur cette voie douloureuse. De 
l'autre, ces trains accumulés formaient, de distance en 
distance, des obstacles infranchissables à l'approvi- 
sionnement des troupes déjà engagées. Il ne paraît pas 
que ni le sous-délégué Wieczflinski, ni le délégué de 
la guerre, ni le déléguant eussent prévu des conflits pour- 
tant inévitables des trains qui transportaient le nouveau 
renfort de troupes, avec les trains de ravitaillement que 
l'intendance avait dirigés à la suite des premiers corps 
transportés. En étudiant les faits de plus près, on est 
amené à penser que l'encombrement n'eût été guère 
moindre si le débarquement du 15® corps avait eu lieu 
dès Besançon, conformément au dernier ordre expédié 
de Bordeaux. L'intendance avait des wagons accumulés 
sur la ligne de Saincaize à Chagny, sur celles de Cha- 

(1) Xa Gîterre en promnce, p. 227. 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉB 419 

gny à Dijon et à Besançon, sans compter le double 
courant plus lointain qui, à la même époque, se pro- 
duisait à partir de Lyon, d'un côté vers Dijon par 
Mâcon et Chalon ; de Tautre vers Besançon par Bourg 
et Lons-le-Saulnier. 

Quelques citations empruntées à la. correspondance 
des délégués de la guerre et de la Compagnie, et de 
plusieurs chefs de services, donnent un aperçu de ce 
chaos. Ainsi nous voyons, le 3 janvier, M. Bidermann, 
chef de Texploitation, et chargé spécialement de la 
direction des mouvements ou des tentatives de mouve- 
ments entre Dijon et Besançon, se débattre entre deux 
demandes contradictoires et également impérieuses de 
^ matériel. Tune pour la continuation des transports de 
( Vierzon, l'autre pour celui des troupes de Garibaldi 
rappelées d'Autun sur Dijon. M. Audibert en référait à 
Bordeaux pour savoir laquelle de ces demandes devait 
obtenir la priorité. Bordeaux renvoyait la décision au 
général Bourbaki, et ajoutait avec son aménité ordi- 
naire que d'ailleurs il était inconcevable que la Com- 
pagnie ne fût pas en mesure d'assurer les deux trans- 
ports à la fois (1). 

De Chalon, l'intendant en chef avait adressé à Bor- 
deaux une dépêche fulminante contre les retards qu'il 
attribuait à Vtnsuffisance et à Vineptie du personnel de 
la Compagnie. Bordeaux renvoie cette dépêche au 
directeur, en y joignant l'objurgation de rigueur, 
M. Audibert réplique assez vertement : « Aucun fon- 
dement dans les plaintes de l'intendant X... ; qui traite 

(1) Télégrammes de Dijon, 3 janvier, midi 40 m., de Cler- 
mont-Ferrand, 2 h. 45 m. s., de Bordeaux, 5 h. 25. 



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4S0 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

notre personnel d'inepte et d'insuffisant. Il y a bien 
des retards sur Dôle, mais ils résultent de ce que Tin- 
tendance» par économie, ne veut pas faire passer ses 
transports par le circuit Mâcon-Bourg , et les confie aux 
entrepreneurs de la ligne de Chalon à Dôle, ligne en 
construction et qui n'est pas en état d'être exploitée 
régulièrement. La Compagnie est tout à fait étrangère 
à ces combinaisons et à leurs résultats. De leur côté, 
les agents de la Compagnie, dans cette région, se plai- 
gnent vivement de la manière de procéder de Tinten- 
dance, qui leur donne des renseignements insuffisants 
tant au départ qu'à l'arrivée. » Il paraît qu'en effet, 
l'accès redoublé d'encombrement qui s'était produit à 
Dôle, le 3 et le 4 janvier, tenait à ce que la destination 
de la plupart des wagons avait été modifiée à cette 
gare. On en avait même retenu un grand nombre pen- 
dant plusieurs heures, sans pouvoir fixer leur destina- 
tion définitive (1). » Il faut être juste pour tout le monde. 
On comprend que l'intendance ou plutôt le commissaire 
Wieczflinski, dont elle suivait les inspirations, hésitât 
à abandonner le parcours direct de Chalon à Dôle, long 
seulement de 78 kilomètres, pour en faire 242 par Ma- 
çon et Bourg. Toutefois, mieux valait encore faire ce 
détour, car il était impossible de faire plus de trois ou 
quatre trains en vingt-quatre heures, et non sans péril, 
sur une ligne en construction. Il y avait eu à cette occa- 
sion des scènes très-vives entre les chefs de services de 
la Compagnie et ce commissaire gambettiste, qui vou- 
lait absolument les contraindre à intervenir dans l'orga- 



(1) Chalon, Dijon, Lons-le-Saulnier, Bordeaux, Clermont, 
3 et 4 janvier. 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 4ti 

nisation du service direct de Chalon à Dôle, en les 
menaçant, suivant son habitude, de les faire passer en 
cour martiale s'ils désobéissaient. Les agents tinrent 
bon, et le commissaire lui-même, après quelques essais 
qui firent perdre beaucoup de temps, fut obligé de re- 
noncer à l'emploi de cette ligne inachevée. 

Quelques jours après, le directeur de la Compagnie 
eut de nouveau maille à partir avec l'intendant en 
chef, qui, non content d'imputer la lenteur des trans- 
ports au peu de zèle des employés du chemin de fer, 
les accusait d'avoir laissé piller des wagons de vivres 
restés en souffl»ance à la petite gare de Fontaine, entre 
Chalon et Chagny. M. Audibert répondait : « 3ur plu- 
sieurs points, des wagons ont été pillés par les troupes 
de passage, sans que les officiers aient voulu intervenir. 
On ne peut exiger assurément que, dans une gare où le 
personnel se compose d'un ou deux agents, ce personnel 
puisse empêcher des faits de cette nature (9 janvier). » 
Des faits de ce genre, en effet, se produisaient jour- 
nellement sur divers points du réseau. Sous ce gouver- 
nement issu d'une émeute, l'indiscipline était logique, 
et lui seul pouvait être assez naïf pour s'en étonner. 

Deux jours après, nouvel et plus rude assaut, livré 
par le délégué de la guerre, cette fois à l'occasion des 
retards que subissent les transports de troupes. Cette 
irritation avait été provoquée par le télégramme qui 
suit, envoyé de Dijon par un employé supérieur de la 
guerre : « Depuis le 8, à trois heures du soir, aucun 
train de troupes n'a pu quitter cette ville. Il y en a sept 
ici depuis trois jours, cinq ou six entre Dijon et Chagny, 
douze échelonnés sur la première section du parcours 
de la section au delà de Dijon jusqu'à Labarre ; d'autres 



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fn CHEMINS DB FBR FRANÇAIS 

entre Labarre et Clerral. Les hommes et suHout les 
chevaux souffrent de ces arrêts interminables, et, d'après 
avis qu'on vient de recevoir de Dôle, il faut compter 
encore sur vingt-quatre heures au moins d'immobilité.» 
Le fonctionnaire qui signalait à Bordeaux cet état de 
choses ajoutait : « Le transport à pied depuis Dole au 
moins, aurait fait gagner un temps précieux. » Il avait 
parfaitement raison, mais était-il juste de s'en prendre 
au directeur de la Compagnie des suites fâcheuses d'une 
résolution dont il avait signalé d'avance le danger? C'est 
pourtant ce que fait le délégué de la guerre, qui retourne 
sur Clermont ce télégramme, avec un commentaire furi- 
bond: <c Je ne puis croire. Monsieur, que cette dépêche 
soit exacte ; car, si elle l'était, elle dénoterait de la part 
de votre administration un oubli bien grave de ses de- 
voirs envers le pays. Je déclare que si pareille situation 
existait, et s'il n'y était pas mis un terme immédiat, je 
saurais prendre des mesures qui en empêcheraient le re- 
tour à tout jamais... » « Ces retards, répond M. Audibert, 
tiennent exclusivement à ce que, dans les dispositions 
qui nous ont été prescrites, il n'a pas été tenu compte 
des impossibilités matérielles. 1^ Le point de débar- 
quement... a été reporté à Clerval. Je vous avais pré- 
venu de l'insuffisance de cette gare...; 2** l'Intendance 
avait encombré d'avance les gares, notamment Besançon 
et Dole.... Ce système de wagons convertis en magasins 
avait déjà obstrué les lignes du Bourbonnais et gêné 
beaucoup le mouvement des deux premiers corps de 
Bourbaki. Dans la situation présente, il a produit des 
effets encore plus fâcheux (11 janvier). » 

A ces causes permanentes de retard, il s'en joignait 
alors une autre assez bizarre. Le déchargement avait pu 



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KÉSBAU DS LYON-MËDITBRRANÉB 413 

commencer à Clersral le 7 janvier. Mais le commandant 
des premières troupes, arrivées en gare à une heure 
assez avancée, avait refusé absolument de ^es laisser 
débarquer, alléguant que ces hommes seraient mieux 
dans les wagons pour passer la nuit. Il ne voulait rien 
voir au delà, et Ton dut recourir à Tautorité du com- 
mandant en chef pour lui faire entendre raison. En 
attendant, cet obstacle impossible à prévoir avait occa- 
sionné un nouvel accès d'encombrement. Pendant cette 
nuit-là, rien qu'entre Francis et Besançon, sur un par- 
cours de 7 kilomètres, il y avait dix-neuf tr^xas arrêtés 
par suite de cette continuation en^avée sur Clerval et 
on signalait à Besançon de nouveaux et énormes arri- 
vages du côté de Dijon (1). 

Deux jours auparavant, au moment même où Tordre 
de prolongation jusqu'à Clerval venait d'être lancé, il 
s'était produit un autre incident, qui faillit rendre l' exé- 
cution de cet ordre tout à fait impossible. A la station 
de Laissey, la deuxième après Besançon, les conduites 
d'eau avaient gelé, et en même temps une fuite se dé- 
clarait dans celles de Clerval. Si Ton n'avait pas réussi 
à arrêter cette fuite, il aurait bien fallu, bon gré mal 
gré, que le mouvement s'arrêtât à Besançon ; c'eût été 
peut-être un bonheur ! 

Le télégramme qui suit, adressé de Clerval, le 
1 1 janvier, au chef de Texploitation par M. de Lamolère, 
chargé spécialement de l'opération du déchargement, 
montre quel zèle déployaient, dans l'accomplissement 
d'une tâche plus que difficile, ces ingénieurs dont Bor- 



(1) Télégramme du 7 janvier, 11 h. 55 du soir. 



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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

deaux, dans un télégramme d'après-dîner, inculpait 
d'inertie et d'ineptie ! 

« Je conserve libre ma voie 5 des quais, mais les voies 
3 et 7 sont occupées par le parc de réserve du grand 
quartier général (colonel Tricoche). Je ne peux le faire 
décharger; j'ai 160 wagons de l'intendance garés sur 
l'Isle (1). Après entente avec intendant Bassignot, je 
fais décharger à force, dans les cours de la gare, à ciel 
ouvert, les avoines, les caisses de biscuits et de lard: 
je bâcherai. L'intendance, de son côté, décharge dans 
les champs qui bordent la voie de l'Isle. Aussitôt que 
je le pourrai, je garerai sur l'Isle le parc Tricoche. Je 
suis très-chargé, mais malgré cela, dans une bonne 
situation, si l'intendant décharge aujourd'hui... (11 jan- 
vier, 11 h. matin). » Mais ces efforts partiels, si éner- 
giques qu'ils fussent, n'avaient qu'une influence minime 
sur l'ensemble du mouvement. Ainsi que nous le ver- 
rons tout à l'heure, on s'épuisait en détail pour arriver 
fatalement à une impossibilité suprême, celle de l'en- 
lèvement, de l'acheminement des vivres par voitures à 
la suite de l'armée. 

Le délégué de la guerre avait pris momentanément 
un ton plus conciliant. Il télégraphiait, le 12 janvier 
au matin: «Quelles que soient les parts respectives 
de vos agents et des nôtres dans les retards , laissons 
là, si vous le voulez bien, les vaines récriminations et 
occupons-nous de sauvegarder l'avenir... » On était 
alors à Bordeaux sous l'impression de l'engagement qui 
venait d'avoir lieu à Villersexel, engagement heureux, 

(1) Sur la portion intacte du parcours entre Clerval et la 
station suivante, TIsle-sur-Doubs (10 kil.). 



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RÉSEAU DE LYON-BfÉDITERRANÉE 4t5 

inais dont on s'exagérait rimportance. On recomman* 
dait instamment à M. Audibert de tenir son personnel 
tout prêt à travailler au rétablissement de la voie ferrée, 
à mesure que l'armée gagnerait du terrain. Depuis 
longtemps les ordres les plus formels et les plus près- 
jsants avaient été donnés à cet égard. Mais, le même 
jour, de nouvelles plaintes sur la lenteur des mouve- 
ments étant parvenues à Bordeaux, le délégué de la 
guerre jugeait utile de recourir encore à la menace: 
a Je vous prie de me dire quelles mesures vous avez 
prises pour terminer ce lamentable et étemel encom- 
brement, et de me faire connaître les noms des agents 
supérieurs de votre compagnie qui président de leur 
personne à Tèxécution desdites mesures (12janvier9 
11 h. 55 du soir). » 

On lui répondait : « Ce sont les difficultés de déchar- 
gement, et non de circulation, qui arrêtent les mouve- 
ments... On fait des efforts inouïs, mais il y a des 
limites impossibles à dépasser, à Clerval surtout... 
Afin de ne pas accumuler les traios à la suite les uns 
des autres en pleine voie, nous les avons retenus dans 
les gares intermédiaires où Talimentation des troupes 
est possible. Pour ce dernier point, nous faisons le né- 
cessaire^ d'accord avec l'Intendance . Il y a un grand 
nombre de trains ainsi arrêtés, non-seulement entre 
Chagny et Besançon, mais encore entre Nevers et Cha- 
gny (1). Si Ton ne prend pas le parti d'en décharger 



- (1) Bordeaux venait, en eflfet, de renvoyer à M. Audibert 
une dépêche adressée directement à M. Gambetta par le chef 
de la « légion bretonne, » qui se plaignait d'être retenu depuis 
quatre jours dans la gare d'Etang. Le directeur de Lyon au- 

Î4. 



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4M CHEMINS DB FBR FRANÇAIS 

une partie dus d'autrea gares oonyonablement amé- 
nagées, comme Dyon ou Gray par exemple, cette situa- 
tion se prolongera forcément. (13 janvier, 10 h. 30 m.) 
Trois jours après, le chef de l'exploitation Bidermann 
et le directeur Audibert se plaignaient de nouveau 
de Tobstination deTintendant, directeur du grand parc» 
qui, sourd à tous les ayertissements, continuait de di^ 
riger la totalité des vivres et du matériel de guerre sur 
Clerval. « Dans de telles conditions, il ne pouvait ré- 
pondre du ravitaillement de Tarmée en vivres et en 
munitions. » Le délégué de la guerre ripostait : « Le 
ministre ne saurait se contenter indéônimenib de la 
réponse que la gare de Clerval est insuffisante. Depuis 
le temps que cela dure^ il vous appartenait de la rendre 
suffisante (I) (16 janvier, 3 h. 20, soir) (1). n commu- 
niquait de nouvelles plaintes véhémentes, mais non 
moins vagues de Tlntendance contre Tencombrement 
qu'elle persistait à attribuer à Tindolence, sinon au maur 
vais vouloir des agents de la Compagnie. Enfin, sur 
Tobservation du directeur, « qu'il était impossible de 
répondre à des accusations générales qui ne s'appujaient 



rait dû dire qu^on faisait le possible et non le nécessaire. 
Parmi les hommes ainsi bloqués, beaucoup n'ont pas moins 
souffert de la faim que du froid. 

(1) Malgré des observations réitérées, on avait envoyé sur 
cette gare de dernier ordre, Bituée>ur une ligne à voie unique, 
tous les vivres approvisionnements et munitions néces- 
saires pour trois corps d^arméeau complet (18®, 20®, 24« corps), 
et encore pour une partie du 15*. La station de Clerval est à 
rissue d'un long tunnel, entre le Doubs et une montagne à 
pic. C'était là l'emplacement qu'on aurait dû c rendre suffi- 
sant! » 



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RÉSEAU DE LYON-IfÉDITBRRANÉE 417 

snr aucun fait précis, » Bordeaux fulminait Tincrojable 
réplique qui suit: 

« n faut croire que nos armées ne se comportent pas 
autrement sur le réseau de Lyon que sur les autres. 
Or, le réseau de Lyon est notoirement le seul sur lequel 
se produisent des encombrements aussi prolongés. Le 
ministre n'a pas le temps de discuter les faits point par 
point. U prend le résultat d'ensemble, mitant en cela 
ce que vous feriez vous-même vis-à^vis (Tun chef de gare 
dont la gare marcherait constamment mal(l) C'est pour 
couvrir sa responsabilité devant le pays, que le ministre 
de la guerre a décidé de prendre lui-même en mains 
Texploitation. Mais je renouvelle le désir et l'espoir 
qu'on n'en vienne pas à une extrémité pénible pour 
tous » (20 janvier, 3 h. 30 du soir). M. le délégué de 
la guerre agissait en ceci comme ces cavaliers mala- 
droits qui croient se tirer d'aifaire, en maltraitant la 
monture qu'ils ont surchargée et surmenée. Mais, quand 
il disait que le réseau de Lyon était « notoirement le 
seul » qui fût alors aussi encombré, il énonçait sciem- 
ment un fait inexact. Précisément à la même époque, 
des embarras semblables se produisaient sur le réseau 
de rOuest-Bretagne. Là aussi, Tadministration de la 
guerre s'imaginait remédier à tout, en menaçant à tort 
et à travers. 

On touchait au dénoûment; nous allions récolter ce 
qu'avait semé M. Gambetta et « ses hommes spéciaux. » 
Dès le 19 janvier, tandis que Bourbaki était forcé de 
se mettre en retraite, le délégué de la compagnie de 
Lyon télégraphiait à Bordeaux que « les envois sur 
Dijon et Besançon allaient être suspendus, sur l'avis 
que Djjon et Auxonne étaient menacés. » En effet, 



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41» CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

ravant-garde de Manteuffël arrivait sur la Saône. De 
Gray, elle menaçait à la fois Dijon et Dôle. Dans ce 
moment critique, Tlntendance avait encore plus de 
2,500 wagons chargés entre Lyon et Besançon. Les 
voies et les gares en étaient encombrées au point de 
rendre tout service impossible (20 janvier). » La com- 
munication de Tarmée française vers Dijon fut inter- 
ceptée à Dôle le 21, celle sur Lons-le-Saulnier le 24. 
Deux divisions du 24® corps français, envoyées pour 
couvrir cette dernière ligne, durent battre en retraite, 
mais non pas comme on Ta prétendu, devant des forces 
inférieures, car elles avaient affaire à deux corps de 
Tarmée ennemie, le 2« et le 7«. L'armée de TEst, ra- 
menée sur Besançon, se trouva ainsi coupée de Lyon, 
séparée de ses approvisionnements y prise en tête et en 
queue par des forces supérieures, sans autre refuge que 
les gorges glacées du Jura, et finalement le territoire 
helvétique. Là, nos malheureux soldats, vsciucus par la 
rigueur de la saison, par l'ineptie du gouvernement, 
bien plus que par l'ennemi, trouvèrent la plus généreuse 
hospitalité. On m'a cité des villages entiers dont la 
population vécut de pommes de terre pendant plusieurs 
jours, se privant volontairement de son pain pour nos 
soldats... 

Cette diversion sur Belfort, qui, entreprise plus tôt, 
aurait pu être utile n'était plus, en janvier 1871, qu'un 
acte d'ineptie à outrance, un gaspillage insensé et cri- 
minel de nos dernières ressources. On vient de voir 
que, malgré des avertissements réitérés, on n'avait 
tenu aucun compte des impossibilités matérielles de 
nature diverse que présentait le transport des troupes 
et des approvisionnements par le chemin de fer. Une 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 419 

autre question capitale, celle du charroi par terre de 
ces approvisionnements parvenus à la dernière gare, 
avait été traitée non moins légèrement. Bordeaux avait 
compté y pouiToir, en tout cas, au moyen de réquisitions 
faites dans le pays ; Bordeaux savait pourtant que les 
fourrageurs prussiens avaient, à plusieurs reprises, ré- 
quisitionné d'avance en tous sens les moyens de trans- 
port de vivres dans cette pauvre contrée, mais Bordeaux 
Favait oublié ! Il fallut suppléer au manque de voitures, 
en surchargeant de vivres les soldats débarqués, et 
quand ces premières provisions furent consommées, il 
n'en arriva pas d'autres, et rien n'était plus à trouver 
dans ce pays épuisé. Ainsi surtout s'expliquent ces hé- 
sitations apparentes, cette lenteur de mouvement qu'on 
a tant reprochées au général en chef après les succès 
de Villersexel et d'Arcey: pour continuer de vaincre il 
fallait pouvoir vivre, pouvoir au moins combattre, et 
les arrivages de subsistances et de munitions faisaient 
défaut. Cependant Bordeaux avaient compris enfin les 
conséquences terribles d'une semblable pénurie; les 
ordres les plus pressants arrivèrent à Clermont-Ferrand 
d'acheter, d'expédier tout ce qu'on pourrait se procurer 
de bestiaux, de véhicules, de chevaux. On en ras- 
sembla, en effet, un grand nombre, et les premiers con- 
vois étaient prêts à partir... au moment où l'armée 
entrait en Suisse ! Malgré cette catastrophe, et pendant 
toute la durée de l'armistice, les ordres n'ayant pas 
été retirés, les agents de l'Intendance, imperturbables, 
achetaient toujours I 

Nous n'avons pas voulu terminer ce travail sans 
faire un pèlerinage sur cette voie douloureuse suivie 
par l'armée de l'Est dans sa retraite. A côté de fait9 



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4M CHBMINS DB FBR FRANÇ^US 

honteux^ navrants, nous avons eu Tocoasion de recueillir 
quelques traits consolants de patriotisme et de courage, 
comme la défense des forts de Salins et de la Cluse, 
qui, du moins, couvrirent Tévetsion en Suisse, grave- 
ment compromise à son tour. L'ennemi, en effet, nous 
suivait de bien près; il allait couper à une partie des 
nôtres la retraite sur Pontarlier, sans Tobstacle que lui 
opposèrent les vieux forts de Salins, armés et appro- 
visionnés à la hÀte. Dans cette circonstance, Tinspec- 
teur de Pontarlier, M. Robert, fit preuve de beaucoup 
de sang-froid et d'activité. Par suite de Tenvahissement 
de sa ligne, un certain nombre de viragons de munitions 
et de vivres avaient été refoulés sur rembrancbe- 
ment sans issue qui relie Salins à Mouchard. En quel- 
ques heures le c^échargement de ce matériel fut 
opéréy les munitions montées aux forts. Grâce à cette 
célérité, la fameuse manœuvre prussienne, le mouve- 
ment tournant, se trouvait arrêté cette fois; Tarmée 
poursuivait sa retraite, mais dans quelles conditions et 
dans quel pays! A travers les cassures abruptes du 
Jura» sous des rafales de neige furieuses, nos malheu- 
reux soldats escaladaient les arêtes, déroulaient dans 
les fondrières : des canons, des fourgons d'artillerie 
franchirent alors des passages devant lesquels auraient 
regimbé les robustes attelages de bœufs du pays. Amère 
dérision du sorti La un de cette aventure ressemblait 
au début de l'héroïque épopée de Marengo 1 

On ne saurait voir sans émotion le théâtre du der- 
nier engagement, la gorge sauvage de la Cluse, à deux 
kilomètres de Pontarlier. Ce fut là qu'une partie du 
18® corps, qui couvrait la retraite» arrêta la brigade 
prussienne Du Trossel pendant toute la journée du 



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RËim\U DB LYON-MËDmOtRANÉB 4M 

1« tévrier, et assura ainsi le passage de Taniiée en 
Suisse (1). Sans cet effort suprême, tout était reperdu au 
dernier moment : l'ennemi, déjà maître de Pontarlier, 
allait refermer sur nous, an senil de la frontière, ce 
cercle de fer auquel nous avions échappé à Salins* 
Dans ce dernier combat, un officier dont on a trop peu 
parlé, M. Ploton, chef d'escadron d^artillerie, contribua 
puissamment au salut de Tarmée. Tandis que des sol- 
dats d'infanterie de marine, postés sur les pentes boi- 
sées, tiraillaient sans relâche, Ploton et ses hommes 
paryenaient à hisser une batterie par le sentier, en 
toute saison âpre et difficile, qui mène au fort de Joux. 
Il improvisait avec de la neige un épaulement pour 
installer ses pièces, car la plupart des embrasures du 
fort sont naturellement dirigées du côté opposé, celui 
de la frontière, tandis qu'il fallait tirer cette fois du 
côté de la France, par lequel se présentait l'ennemi. 
Soudain, de ce vieux réduit que les Prussiens ne 
croyaient armé que d'anciennes pièces hors de service, 
partit une décharge de canons à longue portée qui leur 

(1) Lev mérite de cette défense est constaté par les relations 
prussiennes. « La brigade du Trossel, qui s'était avancée au- 
^elà de Pontarlier, rencontra dans les montagnes une résis- 
tance acharnée. Les deux redoutes étaient armées de grosses 
pièces dont le tir arrivait jusqu'auprès de Pontarlier. Pen- 
dant la journée entière, V ennemi (l'arrière-garde française) 
défendit ce point avec une vigueur désespérée, surtout vers 
Taile droite, qui couvrait la route des Verrières. Jusqu'à la 
nuit, les vallées retentirent du crépitement incessant de la 
fusillade, auquel se mêlait le sourd grondement des canons. 
Les pertes de la brigade prussienne (en morts) dans cette 
journée, dépassèrent 400 hommes, dont 350poi}r le seul régi- 
ment de Colberg, » (Wartenslebeny p. 67.) 



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48S CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

enleva bon nombre d'hommes, et interrompit les tra- 
vaux qu'ils faisaient pour installer une batterie des- 
tinée à prendre à revors l'autre fort, manœuvre qui 
devait assurer le succès de leur nouveau mouvement 
tournant, décider du sort de la journée et de l'armée 
firançaisel Ainsi ces deux forts, placés en sentinelle 
à Tun des portails de la France, tiraient cette fois, non 
plus pour interdire aux étrangers Faccès de notre ter- 
ritoire, mais pour favoriser Tévasion de ses défenseurs 
sur le sol étranger. Et il faut s'estimer encore heureux 
qu'ils y aient réussi ; et voilà, dans cette guerre mau- 
dite, ce que nous, descendants des vainqueurs d'Iéna 
et d'Austerlitz, sommes condamnés à appeler un succès 1 
Il faut que Dieu aime bien la France, car il châtie bien 
son orgueil et ses folies ! 



XIV 



L'un des incidents capitaux de cette retraite avait 
été la surprise de Dôle et l'évacuation de la gare ^ > 
opérée le 21 janvier, en présence et sous le feu de 
l'ennemi. 

La veille au soir, M. Greil, intendant militaire, vint 
à la gare de Besançon apporter l'ordre d'j ramener 
sans délai environ 500 wagons d'approvisionnement 
qui se trouvaient à Dôle, point que serrait déjà de près 
Tennemi. Or, Besançon était déjà encombré; les agents 
de la traction annonçaient de nouveaux arrivages de 



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RESEAU DE LYON -MÉDITERRANÉE 4i:i 

Lyon; enfin, Tarmée de TEst étant, depuis la veille, en 
pleine retraite sur Besançon , il importait d'y faire 
refluer de suite tout le matériel encore accumulé du 
côté de Clerval. Le directeur de l'exploitation, M. Bi- 
dcrmann, fit observer que, dans une situation déjà si 
chargée, il ne pourrait se procurer de la place pour 
ces wagons de Dôle qu'en condamnant et transformant 
en voie de garage supplémentaire les sept kilomètres 
de double voie qui existent entre Besançon et Pranois ; 
que, même en prenant ce parti, on aurait encore besoin 
de quelque temps pour déblayer tout ce qui se trouvait 
échelonné de troupes, de vivres ou de munitions entre 
Besançon et. Clerval d'un côté, et Dôle de l'autre. Il 
ajouta que dans le cas où l'évacuation directe de ce 
matériel de Dôle se trouverait trop retardée et la ligne 
menacée, on tâcherait de le faire filer par celle de 
Pontarlier jusqu'à la bifurcation d'Arc-Senans et de là 
sur Besançon; qu'enfin, si cette communication venait 
également à manquer, il faudrait bien se résoudre à 
rétrograder sur Dyon... 

Pendant la nuit suivante, on s'occupa du dégagement 
de Besançon (1). Ce travail fut singulièrement retardé 
par l'obligation de trier un certain nombre de wagons 
désignés par l'Intendance pour être déchargés le len- 
demain, et par la nécessité de faire faire le détour 
d'Arc-Senans aux machines de remorque expédiées 

(1) Cette gare était une de celles où le manque de bras se 
faisait le plus sentir. On avait cependant mis des mobilisés 
de corvée à la disposition de la Compagnie, mais la plupart 
s'esquivaient à la première occasion, et les sous-officiers 
chargés de les sorveiller étaient souvent les premiers à 
déguerpir. 

25 



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U4 , CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

sur Dôle, à cause de l'encombrement de la route directe. 
Ce fut donc seulement le 21 , à cinq heures du matin, 
qu'un premier train du matériel garé à Dole put être 
acheminé par cette route sur Besançon. On s'était 
môme trop pressé de le faire partir, car il y en avait 
encore dans ce moment plusieurs autres échelonnés 
jusqu'à la station de Labarre (18 kil.), où se trouve la 
première prise d'eau pour les machines après Dôle. 

La prudence exigeait qu'on ne laissât pas s'accumuler 
de nouveaux trains entre ces deux prises d'eau, sur 
une ligne à voie unique menacée par l'ennemi. En 
conséquence, M. Bidermann télégraphia aux chefs des 
stations de Dôle et de Labarre la défense de laisser 
engager un plus grand nombre de trains entre ces deux 
gares, avant que la voie ne fiU complètement dégagée 
dans ce parcours. Cette prescription, qui devait être 
gravement incriminée quelques jours plus tard, était 
conforme aux règles du plus simple bon sens. Il eût été 
absolument insensé de lancer de nouveaux trains sur 
une section encombrée, menacée, avec la certitude à 
peu près absolue que ces trains seraient arrêtés daos 
leur marche par manque de vapeur. D'ailleurs, le sous- 
préfet de Dôle venait encore d'affirmer à l'inspecteur 
Pauly qu'il serait en mesure de le prévenir plusieurs 
jours d'avance si Dôle était menacé. 

Vers neuf heures du matin, M. l'intendant Greil 
revint à la gare de Besançon. Informé que, par suite 
de force majeure, les wagons de l'Intendance étaient 
encore retenus à, Dôle, il demanda, en raison de l'ur- 
gence, l'évacuation immédiate sur Dijon. L'ordre d'éva- 
cuation fut passé séance tenante : s'il avait été main- 



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RESEAU DE LYoN'-MEDlTEUKANEE 435 

tenu, les Prussiens n'auraient plus trouvé à Dôle un 
seul wagon... 

Mais, environ une heure après, l'intendant en chef 
survint à son tour, et parut fort contrarié de cet ordre. 
Il fit d'abord passer une, nouvelle dépêche, portant 
d'excepter du mouvement de retraite sur Dijon les 
wagons chargés de pain, d'orge, de foin et d avoine. 
M. Pauly cïbjecta que ce triage ferait perdre un temps 
considérable, peut-être irréparable, mais on insista et 
il fallut obéir. Trois quarts d'heure après, l'intendant 
en chef qui était resté à la gare changea encore d'avis, 
et informa M. Richard que décidément il préférait 
ne rien envoyer à Dijon, ramener tout sur Besançon. 
De nouvelles instructions furent transmises à Dôle dans 
ce sens. De plus, comme la voie directe par Labarre 
n'était pas encore dégagée ; comme par conséquent le 
retour général sur Besançon, prescrit en dernier lieu, 
ne pouvait s'opérer que par le circuit d'Arc-Senans 
(lignes de Pontarlier et de Lyon), ordre fut donné 
de cesser immédiatement tout service vers Dôle dans 
cette direction. De son côté, l'inspecteur de Dôle fut 
requis de diriger pàr-là tous ses trains d'évacuation, 
dès qu'il aurait reçu un train de malades expédié 
le matin de Besançon sur Dijon, par Arc-Senans et 
Dôle. 

Cet agent passait, comme on voit, par d'étranges 
péripéties. Dès qu'il avait reçu la pr<*mière dépêche, 
celle qui prescrivait de tout diriger sur Dijon, il avait 
pris des mesures pour faire des trains partant toutes 
les vingt minutes. Au moment où le premier de ces 
trains allait démarrer, était arrivée la seconde dépêche, 
celle qui prescrivait l'exception pour les wagons de 



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436 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

pain, etc. Deux machines avaient été immédiatement 
affectées au triage. Enfin, ce triage était à peine com- 
mencé, quand sui*yint la troisième dépêche, prescri- 
vant de tout diriger sur Besançon!.... 

n fallut alors supprimer les trains préparés pour 
Dijon, en préparer d'autres dans la direction opposée. 
Cependant, les heures marchaient vite, les événements 
plus vite encore. A midi 15, Tinspecteur fut prévenu 
que l'ennemi était à Moissey (14 kil. de Dôle). Cet 
avis lui venait du sous-préfet; mais les informations de 
ce fonctionnaire étaient, bien tardives, car, quelques 
minutes après, on apprit qu'une forte avant-garde 
prussienne avait déjà atteint le village d'Authume 
(5 kilomètres seulement de Dôle), et poursuivait sa 
marche sur cette ville. Un train fut aussitôt lancé vers 
Dijon, un autre vers Besançon par la ligne de Pon- 
tarlier. Mais celui-là fut le premier et le dernier qui 
put s'échapper dans cette direction : l'ennemi (brigade 
Koblenski, formant l'avant-garde du 2« corps), arrivait 
perpendiculairement à cette ligne, qu'il avait mission 
d'intercepter, et le train fut salué vigoureusement par 
l'artillerie prussienne, qui n'était plus qu'à 7 ou 800 
mètres de la voie. Les obus tombaient sur la ville; il 
n'y avait plus d'évasion possible que du côté dô Dijon, 
et encore fallait-il se hâter, car déjà les projectiles 
arrivaient jusque dans la gare. Cependant l'inspecteur 
parvint à faire partir dans l'après-midi, en plusieurs 
trains, 370 wagons. Mais il en restait encore 118 char^ 
gés de foin, paille, vins et effets de campement, quand 
la station fut envahie, vers deux heures et demie. En 
ce moment, l'inspecteur partait avec le dernier train, 
qui s'évada malgré une grêle de balles et d'obus, grâce 



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RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE 437 

à l'adresse et au courage du conducteur Gagneux (1). 

L'intendant en chef se plaignit amèrement de cette 
catastrophe, qu'il imputait aux mesures défectueuses 
de rinspecteur et à celles du chef dé la gare de Labarre. 
On vient de voir que cet agent n'avait fait que se con- 
former aux ordres de ses chefs, et que l'inspecteur de 
Dôle, loin de mériter aucun blâjae, avait fait preuve 
de beaucoup d'activité et de sang-froid dans des cir- 
constances plus que difâciles. 

On peut conclure du récit qui précède que la mé- 
saventure de Dôle doit être attribuée à trois causes : 
l'accumulation d'un grand nombre de wagons immo- 
bilisés dans une gare de médiocre étendue ; les fluc- 
tuations de l'autorité militaic e, qui, comme on vient de 
le voir, changea trois fois ses ordres en moins de douze 
heures (2) ; enfin, l'inexactitude du sous-préfet, qui 
devait si bien tenir la gare au courant des mouvements 
de l'ennemi, et qui l'avertit que cet ennemi était encore 
à trois lieues quand il touchait presque la ville. Comme 
bon nombre de ses confrères gambettistes , ce sous- 
préfet se croyait fort éclairé et ne l'était guère.... 

Avant comme après le passage des troupes françaises, 
les exactions prussiennes dans la vallée du Doubs eurent 

(1) M. de Wartensleben porte à 230 le nombre des wagons 
français capturés Le chiffre que nous donnons est celui de 
la Compagnie, et doit être le yéritable. 

(2) Il est juste d'ajouter qu'on ne saurait faire équitable- 
ment un crime à Tintendance de ces tâtonnements, qui n'é- 
taient souvent que la conséquence inévitable, et comme le 
reflet de la cruelle incertitude des mouvements militaires. 
Seulement, elle avait tort d'en rejeter la responsabilité sur 
la Compagnie. 



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438 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

un caractère particulièrement odieux. Indépendamment 
des réquisitions et logements ordinaires, une contri- 
bution de deux francs par tête y fut levée et exigée 
avec une rigueur impitoyable. On nous a cité des loca- 
lités dans lesquelles des officiers se firent délivrer^ à 
défaut d'argent, cette capitat ion en nature. L*un d'eux 
poussa le zèle jusqu'à se saisir d'un œuf^ la seule chose 
qu'il trouva à prendre chez une pauvre femme du village 
de Laissey. Cet excès de rapacité avait fini par révolter 
même certains Allemands, 43urtout les soldats du duché 
de Posen, Polonais incorporés dims l'armée prussienne. 
L'un de ces derniers avait tracé sur le mur de la salle 
d'attente de la gare de Lamarche (ligne d'Auxonne à 
Gray) une caricature représentant au naturel, avec une 
certaine verve, un pillage de bestiaux par ses camarades. 
Au premier plan, on voyait deux soldats se disputant 
un porc que l'un entraînait, tandis que l'autre, moins 
fort mais non moins avide, se cramponnait à l'animal et 
le saignait, tout en se laissant traîner après lui. 

La gare de Mouchard eut beaucoup à 3ouârir de 
l'invasion. Les Allemands étaient exaspérés de la perte 
de quelques-uns des leurs, tués dans les bois voisins par 
des gardes forestiers organisés en tirailleurs. Ils s'en 
vengèrent en incendiant une partie des bâtiments de 
la station et dix-sept wagons de l'intendance restés en 
détresse. Le buffetier faillit être passé par les armes, 
parce qu'on avait trouvé dans une malle laissée chez 
lui quelques paquets de cartouches. 

Les Prussiens étaient furieux de n'avoir pas récolté 
tout le butin qu'ils espéraient. A Pontarlier, malgré la 
rapidité foudroyante des événements, M. Richard était 
parvenu à mettre à l'abri, en temps utile, sur le terri- 



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IlÉSEAU DE LYON-MEDlTERRANÉE 431) 

toire suisse, tout le matériel acculé à la frontière. A 
Lons-le-Saulnier, l'embarquement des mobilisés et 
l'évacuation de la g«re avaient été également opérés au 
dernier moment avec une célérité remarquable, par 
M. de Lamolère. 



XV 



Pendant ces dernières semaines de la guerre, la 
Compagnie avait dû faire marcher de front le transport 
de l'armée de l'Est et celui dey garibaldiens et des mo- 
bilisés de Saône -et-Loire sur Dijon. L'inspecteur prin- 
cipal de la section (Richard), étant retenu à Besançon, 
d'où il dirigeait alors le mouvement général sur 
Clerval, MM. Blanchot et Gallet, inspecteurs, furent 
chargés du rétablissement du service sur la grande 
ligne de Bourgogne jusqu'à Dijon, où ils demeurèrent 
pendant toute la période de l'occupation garibaldienne. 
Après le départ des Badois, précipitamment rappelés 
par Werder, ce furent les soi-disant vainqueurs d'Au- 
tun qui entrèrent les premiers à Dijon en triomphateurs, 
quoique sans combat. 

Le transport de ces troupes par la grande ligne ne 
put se faire qu'avec beaucoup de difficultés et de 
lenteur, grâce à l'indiscipline de certains corps, et aux 
prétentions de quelques chefs qui ne tenaient aucun 
compte des ordres supérieurs, ni des nécessités les plus 
impérieuses du service. Lors de rembarquement à 



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440 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Autun, Tétat-major garibaldien s'exaspérait des moin- 
dres retards, et prétendait faire distraire à son profit 
le matériel affecté aux transports de Tarmée de l'Est. 

Il est aujourd'hui avéré que Tinaction de l'armée 
garibaldienne après la réoccupation de Dijon, a été 
l'une des causes principales du désastre de l'armée de 
l'Est. Les chefs de cette armée ne paraissent pas avoir 
eu ridée de profiter de leur position avantageuse sur 
le flanc de l'armée de Manteuffel marchant au secours 
de Werder, pour le harceler au passage. 

Ce fut alors qu'intervint la démonstration sur Dijon 
de la brigade Kettler. Elle donna lieu à deux combats 
(21-23 janvier), dans lesquels Garibaldi et son conseil, 
disposant de 30,000 hommes, s'imaginèrent avoir re- 
poussé les assauts réitérés de toute l'armée prussienne, 
tandis que réellement ils se laissaient tenir en échec par 
5 ou 6,000 ennemis (1). L'histoire militaire n'offre peut- 
être pas un second exemple d'une mystification aussi 
complète, aussi prolongée. Aujourd'hui encore, les 



(1) Les combats de Dijon sont racontés avec beaucoup de 
lucidité et d'impartialité dans la relation de M. de Wartens- 
leben (p. 28 et 29). On y voit que Kettler aTait Tordre général 
de couvrir du côté de Dijon les opérations de l'armée alle- 
mande du Sud. Il lui était même prescrit de réoccuper cette 
ville, que Manteuffel persistait à croire faiblement défendue, 
malgré les rapports contraires qui lui parvinrent dès le 18. 
S'il y avait, comme on le lui annonçait, trente mille hommes 
à Dijon, comment n'avaient-ils pas fait quelque tentative sé- 
rieuse pour arrêter sa marche? Comment laissaient-ils les 
patrouilles allenaandes s'avancer impunément très-près de la 
ville? Ce raisonnement eût été juste vis-à-vis d'autres adver- 
saires, mais Manteuffel ignorait les mystères de la stratégie 
des républicains cosmopolites. 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 4U 

écrivains d'un certain parti s'obstinent à dénaturer les 
faits ; à exagérer d'une part, à amoindrir de l'autre, le 
chiffre des troupes engagées, prétendant que les 
exploits du vieux héros ne sont niés que par les. 
jésuites ; que les Prussiens faisaient donner constam- 
ment des troupes fraîches, notamment la garde royafe(!), 
tandis que Garibaldi ne pouvait compter que sur une 
poignée d'hommes (1). La vérité est qu'il n'y eut d'en- 
gagé, dans ces deux journées, du côté des Prussiens, 
que leur 8* brigade d'infanterie (Kettler), laquelle eut 
en tout, dans ces deux batailles, 696 hommes, dont 
32 ofâciers, tués ou blessés (2). 

Plusieurs chefs garibaldiens se comportèrent brave- 
ment au feu; notamment, comme toujours, Ricciotti et 
Bossak. Ce dernier fut tué en chargeant à la tète de 
quelques hommes déterminés. Mais plusieurs bataillons 
français, de ceux que les documents garibaldiens quali- 
fient dédaigneusement de novizt\ ne firent pas moins 
bien leur devoir. Dans une lettre curieuse adressée à 
l'ancien chef d'état-major de Garibaldi, le général Pé- 
lissier, qui n'est rien moins qu'un jésuite, nous apprend 
que les mobiles novices de Saône-et-Loire, postés le 
2 janvier entre le chemin de fer et la colline de Tallant, 
repoussèrent vivement les Prussiens sur Hauteville et 
s'emparèrent même de cette position oii ils ne purent 



(1) Beauquier, Campagnes de l'Est, p. 169. 

(2) Ce fut seulement le 26 janvier que Manteuffel prit des 
mesures pour attaquer sérieusement Dijon, en renforçant la 
brigade Kettler, seule engagée jusque là, de deux brigades 
du 14« corps, sous le commandement supérieur du général 
Hann* (V. Wartensleben, p. 44, 76 et suiv.). 

25. 



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44i CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

toutefois se maintenir, n'ayant pas été soutenus par les 
Italiens. Il est vrai que toutes les troupes ne montrèrent 
pas la même fermeté. Pendant qu'on se battait en avant 
de Dijon, un groupe nombreux de fuyards se dirigea 
sur la gare. Ils prirent d'assaut un train en partance, 
et filèrent du côté de Lyon, annonçant bruyamment sur 
leur passage que tout était perdu. Ils ne furent arrêtés 
qu'à Chagny, où un télégramme du général Pélissier' 
les avait devancés. 

On sait que Garibaldi n'eut pas le temps de s'endor- 
mir sur ses lauriers prétendus. Menacé, dès le 27, par 
des forces triples de celles qui l'avaient tenu jusque-là 
en échec, il leur céda Dijon sans nouveau combat. Ses 
dernières troupes furent évacuées sur Chagny pendant 
la journée du 31 et la nuit suivante, et les Allemands 
occupèrent Dijon pour la troisième fois le 1®*" février. 
Au moment où leurs éclaireurs pénétrèrent dans la gare, 
le dernier train d'évacuation n'était pas encore parti. 
Le conducteur-chef n'était pas encore à son poste ; la 
prise de ce train semblait inévitable. Il fut sauvé par 
la présence d'esprit du mécanicien Thaller, qui prit sur 
lui de démarrer, passa au milieu des soldats allemands 
qui déjà couvraient les quais, poursuivit sa marche 
malgré les menaces et les coups de feu, et, finalement, 
enleva à l'ennemi sa proie. Les écrivains allemands 
eux-mêmes ont cité avec éloge la belle conduite de cet 
employé. Grâce à lui, il ne fut ramassé en gare qu'un 
petit nombre de traînards, quelques voitures de muni- 
tions et deux locomotives hors de service. (Wartensle- 
ben, p. 79.) 

Garibaidi était déjà parti depuis quelques joui^, mais 
ses officiers d'état-majbr, avant de s'éloigner à loiir 



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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 443 

tour, avaient eu Tattention délicate de faire afficher 
une proclamation signée de lui, qui signalait aux bons 
patriotes les prêtres et les riches, comme des ennemis 
pires que les Prussiens. Tel fut le dernier exploit ga- 
ribaldien ! 

Belle conclusion, et digne de Texorde ! 

En résumé, ce rassemblement, qualifié improprement 
d'armée, a donné lieu au plus graves reproches, à Di- 
jon aussi bien qu'à Dole et Autun. Ces républicains cos- 
mopolites ont fait, dans plus d'une circonstance, le jeu 
de rinvasion, tantôt par leur défaut de vigilance et leur 
inaclion, tantôt par des actes, des excitations qui sem- 
blaient cale liés pour semer la division parmi ceux 
qu'ils vennient défendre... moyennant finance. On 
pourrait leur appliquer ce mot qui a été dit ailleurs 
pendant la guerre : Nous ne prétendons pas que vous 
nous ayez vendus^ mais^ en vérité^ si voies l'aviez fait^ 
vous n'auriez pas agi autrement! 

On a longuement disserté >ur les causes du désastre 
de Tarm^e de l'Est; rien n'est venu infirmer les 
appréciations que nous avions «mises dans la Revue de 
France^ dès le commencement de 1872. La responsabi- 
lité de cette catastrophe demeure partagée entre le 
gouvernement de Paris et sa délégation de Bordeaux. 
C'est à Bordeaux qu'a été ordonnée, en dépit des con- 
seils, des instances du général Chanzj, la diversion 
dans l'extrême Est. Ce fut de Bordeaux que partirent 
ces instructions, dont on peut dire qu'elles n'eussent 
pas été mieux conçues à l'état-rnsg^T prussien pour as- 
surer la perte de l'adversaire. Puis le négociateur 
éploré de l'armistice vint mettre la main à l'œuvre, 



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444 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

parfaire ce que son collègue avait si bie^ commencé. 
Rien ne peut atténuer la double faute qu'il commit, 
d'abord en ne concluant pas un armistice général 
(comme il l'aurait pu faire, on le sait aujourd'hui, en 
concédant l'occupation temporaire de Belfort, par la- 
quelle il fallut bien passer ensuite pour avoir la paix) ; 
puis en omettant, par émotion ou distraction, de men- 
tionner dans la dépêche annonçant l'armistice à Bor- 
deaux, l'exception consentie par lui au sujet de l'armée 
de l'Est (1). 

Les Prussiens, il est vrai, ont tenté de venir en aide 
aux hommes d'État du 4 septembre ; ils leur devaient 
bien cela! Suivant les écrivains allemands, leurs 
troupes étaient déjà si avancées, leurs mesures &i bien 
prises, que le dénoûment n'eût pas varié, même si lé 
nouveau commandant en chef français avait connu de 
suite la vérité. C'est ce que s'efforce d'établir notam- 
ment M. dé Wartensleben, dont la relation, rédigée sur 
les documents du grand état-major, a un caractère 
presque officiel. Mais plusieurs des faits qu'il rapporte 
ne s'accordent pas avec cette assertion. Des termes 

(1) V. le rapport de M. de Raineville dans la commission 
d'enquête. On y voit entre autres choses curieuses, que 
M. J. Favre, mis sur la sellette, a trouvé pour son étrange 
conduite une excuse plus étrange encore. Il j^orait, a-t-iï 
dit, la situation des affaires dans l'Est, et a cru que la conti- 
nuation des hostilités de ce côté pourrait tourner à notre 
avantage! Mais M. de Bismark la connaissait bien, cette 
situation; si elle avait été seulement douteuse, aurait-il exigé 
ou toléré une semblable réserve? M. Favre était trop^ému 
pour faire cette réflexion pourtant assez simple : la naïveté 
diplomatique et la sensibilité dû célèbre avocat' coûtent cÈer 
à ïâ France - - 



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\. 



RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE 445 

mêmes de son récit, il résulte que les mouvements exé- 
cutés dans les trois derniers jours de janvier, pour 
nous couper la retraite sur Lons-le-Saulnier ou Saint- 
Claude, furent de véritables surprises, facilitées par les 
illusions qu'avait fait naître la fatale dépêche, annon- 
çant un armistice sans réserve. Le plus décisif de ces 
mouvements, l'occupation des Granges-Sainte-Marie, 
n'eut lieu que le 31, tandis que, de notre côté, on 
croyait encore à l'armistice. Et « ce fut alors {alors 
seulement), dit M. de Wartensleben lui-même, que l'en- 
nemi perdit ses dernières voies de communication avec 
lé sud. » Il reconnaît aussi que le défilé des Planches 
ne fut occupé par les Allemands que dans la soirée 
du 29, et qu'auparavant plusieurs milliers d'hommes 
du 24' corps français avaient pu profiter de cette issue 
pour gagner le haut Jura. Tout ceci vient à l'appui de 
l'affirmation si précise du général Clinchant, qu'il eût 
été en mesure d'eflfectuer la retraite de l'armée entière 
par les montagnes, sans cette nouvelle d'un armistice 
qui détermina dans son mouvement général un temps 
d'arrêt, tandis que les Allemands, bien vite instruits 
dé la vérité, poursuivaient le leur sans désemparer. 

Enfin, les dépositions des généraux Bourbaki et Clin- 
chant, devant la commission d'enquête, ont mis en pleine 
lumière une autre grande cause de l'échec du mouve- 
ment sur Belfort et du désastre final. Cette cause, que 
nous avions déjà indiquée, fut l'insuffisance des appro- 
visionnements. M. Gambstta et son délégué avaient af- 
firmé au général qu'il en trouverait une réserve consi- 
dérable à Besançon. Ils avaient compté sans la crise 
d'éncombreihent des voies ferrées, sans l'inertie gari- 
bâldiénne, sans la surprise de Dole (21 janvier), qui 



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446 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

priva rarmée de FEst, non-seulement des approvision- 
nements qui tombèrent au pouvoir de Fennemi, mais 
de tout ne qu'on ne put sauver qu'en le refoulant sur 
Dijon. Bourbblii, en rentrant à Besançon, croyait y 
trouver pour un mois de vivres ; il n'en trouva que pour 
six jours/ Cette déception suffit pour expliquer son dé- 
sespoir et la retraite de l'armée, ^eul moyen d'éviter, 
sous Besançon, une répétition de la catastrophe de 
Metz. L'intendance s'abusa non moins cruellement, 
en promettant au nouveau co^imandant en chef quinze 
iours de vivres à Pontarlier^ où il ne s'en trouva que 
pour quarante^huit heures. Le manque de vivres, tel 
fut l'inexorable motif qui imposa l'abandon immédiat 
de cette position forte en tout temps, inexpugnable en 
hiver. 

Nous pouvons donc aiyourd'hui délimiter nettement 
la part de responsabilité qui revient, dans ce désastre 
final, à chacine des fractions du Gouvernement dit de 
la Défense nationale. Les tacticiens de Bordeauii avaient 
compromis et afiTamé l'armée de l'Est; le négociateur de 
Pa,ri8, en la laissant excepter de l'armistice, et en ou- 
bliant de l'avertir de cette exception, se fit le complice 
de son investissement, et ne lui laissa d'autre refuge 
que le territoire étranger. Voilà ce que proclamera 
l'histoire, en s'étonnant qu'une telle respoiisabilité ait 
été encourue impunément. 

Treize ans a^paravaut, lors de la campagne d'Italie, 
la Compagnie de Lyon -Méditerranée avait donné un 
exemple, remarquable entre tous^ de l'emploi des che- 
mins de fer en temps de guerre. En quatre-vin^-six 
jour#, du 10 avrU a^ 15 juillet 1859, 227,669 honumes et 
36,357 chevaux avaient été expédiés directement vers le 



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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 447 



théâtre de la guerre par les lignes de la Méditerranée. 
Les mouvements les plus considérables avaient eu lieu 
du 20 au 30 avril. Pendant cette période, on transporta 
en moyenne chaque jour, sur la ligne Païis-Lyon, 
8,241 hommes et 512 chevaux. Le 25 avril, on alla 
jusqu'à 1*^,148 hommes et 655 chevaux; niaximum qui 
n'a été dépassé dans aucune guerre jusqu'en 1870. Pen- 
dant ces 86 jours, il circula sur la ligne 2,636 trains, 
dont 253 trains militaires spéciaux. Ces derniers exigè- 
rent remploi de 317 locomotives, marchant avec une 
vitesse moyenne de 24 à 36 kilomètres par heure, et sans 
aucun accident. Enfin, on a calculé que les 75,996 hom- 
nies et les 4,169 chevaux, transportés du 20 au 30 avril 
depuis Paris jusqu'aux bords de la Méditerranée et à la 
frontière sarde, auraient mis soixante jours poui* faire 
cette route par une marche d'étapes. On avait donc 
obtenu dans ces circonstanc^-s une vitesse sextuple par 
remploi du chemin de fer, et ce transport de 1859 est 
encore cité comme le tj^pe le plus accompli des opéra- 
tion!^ de ce genre par les auteurs allemands. 

D'où provient donc ce contraste navrant entre les ré* 
sultats obtenus, à treize ans de distance, sur le même 
l'éseau ? Cette question nous paraît surabondamment 
résolue par les correspondances que nous avons ana- 
lysées, et dont il nous reste à formuler la conclusion. 

La Compagnie avait fait des efforts inouïs, employé 
jusqu'à 250 machines au transport de Tarmée de l'Est. 
Mais elle avait trouvé, dans la légèreté avec laquelle 
étaient donnés les ordres de la guerre, dans l'absence 
complète d'unité et de régularité de la part des auto- 
rités militaires dans l'exécution, des obstacles qui se 
traduisaient pour l'armée par des retards, pour la 



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U8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

• 
Compagnie par un énorme surcroît de peine et de dé- 
penses.... 

Autrefois, quand il y avait lieu d'exécuter des mou- 
vements de troupes considérables, des délégués du mi- 
nistère de la guerre se concertaient au préalable avec 
les Compagnies pour régler les mouvements, confor- 
mément aux possibilités matérielles. C'était ainsi que 
l'on avait procédé pour les guerres de Crimée et d'Italie, 
et au début de la guerre actuelle. Mais l'administration 
nouvelle avait adopté un système tout différent. Sans 
entente préalable, sans informations sur l'état des lignes 
et des gares, sans connaître même les eflfëctifs réels des 
coi^s, elle prescrivait les mouvements par des télé- 
grammes aussi brefs qu'impérieux, indiquant les points 
de départ et d'arrivée, l'indication approximative et 
inexacte du nombre d'hommes, et fixait la durée maxi- 
mum des transport dans des limites toujours absolument 
impraticables. Elle n'admettait pas d'objections, même 
celles fondées sur des faits évidents, et certains de ses 
représentants y répondaient invariablement par des 
affirmations tranchantes et des menaces*... 

Parmi les causes générales qui ont exercé la plus 
fâcheuse influence sur les opérations dans l'Est, on a 
vu figurer en première ligne le système d'immobilisation 
des wagons d'intendance. L'encombrement se prolongea 
jusque bien après la guerre.Ily eut un moment 7,500 wa- 
gons chargés d'approvisionnements sur le seul ré^eftu 
de Lyon. 

Enfin, l'on doit signaler, comme une cause perma^ 
nente de retard et de désarroi, les conflits incessants 
de réquisitions des différents chefs de corps, des inten- 
dants , des officiers d'artillerie. Les agents de la 



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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANEE 449 

Compagnie ne savaient auquel entendre, n'ayant pas évi- 
demment Tautorité nécessaire pour régler ces préten- 
tions contradictoires. Cette autorité n'aurait pu appar- 
tenir qu'à un délégué de l'état-major général, et 
l'état-major général ne fut jamais représenté B,\xpr es des 
agents de la Compagnie. Puis, quand le service était 
organisé tant bien que mal, des contre-ordres, des ajour- 
nements venaient y apporter à chaque instant de nou- 
velleà perturbations. 

Cette appréciation est confirmée par le témoignage 
assurément impartial de M. l'ingénieur Lebleu, que 
l'administration de la guerre avait attaché à l'armée de 
l'Est pour surveiller le service des voies ferrées. « L'or- 
ganisation du service, dit-il, péchait par sa base.... Un 
chemin de fer est un outil puissant et docile, mais qui 
doit être employé avec intelligence. Un personnel nom- 
breux et discipliné est habitué à obéir à des ordres 
précis émanés d'une direction unique. Il est complète- 
ment dévoyé lorsque des ordres souvent contradic- 
toires lui arrivent de plusieurs côtés à la fois (Rapport 
du 6 février 1871). » 

Au reste, ceux-là même qui, pendant les opérations, 
avaient adressé les plus vifs reproches à la Compagnie 
de Lyon, cédant à l'évidence et redoutant peut-être 
aussi des récriminations gênantes, ont fini par lui ac- 
corder, quoique d'assez mauvaise grâce, un bill d'in- 
demnité. L'un des principaux, M. de Freycinet, avoue 
que « les employés de ce chemin de fer ont fait leur 
deYoiT,peut'étre sans beaucoup d'ardeur et d'enthousiasme, 
cependant d'une manière suffisante (p. 227). » Si la 
Compagnie de Lyon n'estplus coupable que d'un enthou- 
siasme insuffisant, sa justification devient par trop 

26 



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m ( HKMINS DE FER FRANÇAIS 

facile. L'enthousiasme ne se commande pas, et les 
combinaisons stratégiques de M. Gambetta et de ses 
aaxiliaires n'étaient pas précisément de nature à 
Texciter (1). 



(1) Fandant la gii'^rre, quinze ponts furent détraits sur le 
réseau «ie Ly) ; quitre par Us Allemands et onze par les 
Français. Parmi ces derniers figur^tient ceux le L-iru-he sur 
TYonne (26 janvie»), et de Huffon, sur l'Armançon, (3 fé^ lier). 
Ces destructions intelligentes eurent pour résultat d'inter- 
rompre It communication allemande entre les chemins de 
TEst et de Lyon. Mais elles furent malheureusement opérées 
trop tard, comme celle de Fontenoy. 



FIN. 



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TABLE ALPHABETIQUE 

DES 

NOMS DES AGENTS DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS 



CITES DANS CET OUVRAGE 



(E. Est, O. Ouest, Or. Orléans, N. Nord, L. Lyoappdéditerranée 



Absac (d'), C, 222. 
Alôxaiuire E., 72. 
Arcsngaes (d'), N., 139, 

145, 148, 153, 154. 
Arnaud, C, 197. 
Auboin, 0., 203. 
Auboyneau, L., 365. 
Audibert, L., 303, 321, 

322etsuiv.,404et suiv.^ 

415 et suiv. 

B 

Balot, L., 399. 
Banès, 0., 171, 188, 189. 
Barville, L , 313, 314. 
Baumal, 0., 169, 199. 
Bazin, Or., 259, 285, 
Bellay, E., 19. 



Bellpt. Om 222. 
Berton, 0., 222. 
Beuchot, L., 330, 341. 
Bidermann, L., 322. 325, 

419, 423, 433, 434. 
Billette, L., 359, 383 et 

suiv., 397 et suiv. 
Bisetzki, N. 132. 
Blanchot, L., 439. 
Bonamy, L., 3;^6, 327. 
Bouillon, 0., 174. 197. 
Brun, E., 19. 



Chariot, 0., 227, 231. 
Chivot. N., 128. 
Ghollet, L., 357. 
Coffinhet, L., 320, 321, 
325. 



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452 



CHEMINS DE FER FRAÎsÇAlS 



Cogniaux, N., 159, 161. Gallet, L., 439. 
Cottiau, L., 315, 406, 407. Galliot, L., 362. 



Gauthier, N., 160. 
Ginestet, 0., !222. 
Glaser, N., 126 et suiv. 

130, 168. 
Gombert (de), 0., 171, 

232. 



145. 
Guilbert,0., 191. 



Dano, 0., 180. 

Dauphin, L., 303, 360. 

Decoeone, 0., 244. 

Decourt, 0., ^2 Q^^^^^^ L., 399 

Desgranges, L., 339. 
Dietz, E., 17. 
Dieu, N., 154. 
Drouard, 0., 185et suiv. 
DumoDt L., 364. 
Dupré, N., 133. 
Durbach, E., 25. 
Duwicquet, 0., 173. 



E 
EchaUer, L., 317, 318. 
F 



Jacqmin, E., 7, 13, 43, 

62, etc. 
Jacqmin, L., 359, 365, 

371. 
Janvier, 0., 204, 206. 
Josset, 0., 191. 



Lafont, N., 166. 
Lamolère (de), L., 303, 

305,317,423,441. 
Larpenteur, L., 366. 
Latour de Briey, N., 153, 
. 168. 
Lauristo;! (Law de), L., 

359, 365. 



Faulcon, 0., 195. 

FayoUe, Gr., 252, 253. 

Flamant, N., 143. 

Forestier (de), L., 328. 

Fouchère^ L., 357. 

Fourquet, 0., 222. ___^ 

Frédui:eau, L., 359, 362, Lavallée, N., 151. 

363, 395. LebruD, 0., 197. 

Lemercier^ Or., 295, 290 
Lépine E., 32. 

Gagneux, L., 439. Leroy, E., 33. 

Gallet, N.^ 140 et suiv, I^saulnier, 0„ 171. 



G 



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TABLE ALPHABÉTIQUE 



453 



Lévino, L., 359, 372, 374, Petit, N.. 132. 



Petit, L.,341. 
Philippe, N., 144. 
Piquet, 0., 171, 215 et 

suiv., 237. 
Piqnet, N., 132. 
Poincloux, L., 359. 
Poncelet, L., 325. 
Protais, 0., 171,173,236. 

R 

Rampont (de), L., 312. 

315. 
Renard, 0., 202, 246. 
Renouf, 0., 222. 
Ribot, 0., 186. 
Mitchell, L., 325, 331, Richard, L., 308 et suiv., 
353 et suiv., 364 et . 321, 434, 438, 440. 
suiv. Richard, 0., 175, 177. 

Montouan, , 181, 246. RicheroUes, 0., 222. 
Moser, 0., 173, 190. 191, Robert, L., 430. 

208. Roger, 0., 171, 188, 194, 

MouUères, 0., 180. 196, 207, 208, 228, 232. 

Mouroux, L., 394. Roussel, 0., 242. 

Muel, N., 118, 119, 121, Ruinet, L., 303, 304. 

161, 163. 
Mussy (de). Or, 252. S 

P 



378. 
Loire, 0., 220. 
Loi seau, Or., 291. 

M 

Malandii^, 0., 186. 
Mancini, L., 396. 
Martin, N., 143. 
Mathieu, 0., 169, 174, 

222, 223. 
Maucomble, N., 144. 148. 
Maupetit, E., 7. 
Meignan, L., 352. 
Ménécier, E. 10. 
Mion, L,j 359 et suiv. 



Panouse (de La), Or.j 

293. 
Papillon, 0., 222. 
Pauly, L., 434 et suiv. 
Pellet, L., 317. 



Saint-Didier (de), N., 115. 
Saisset, N., 149, 150. 
Sales, N., 166. 
Sauvageon, L., 389. 
Serres, 0., 171, 172, 177. 
Sévène, Or., 267. 
Simorre, E., 102. 



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454 CHEMINS DE FER FRANÇAIS 

Talon, 0., 181, 222. 
Thouin, N., 125, 148. 
TaiUe (deU), Or., 256, Tissot, E , 99. 

257, 271, 880, 285, 287, Toussaint, 0., 182. 

297. V 

Taile (de la), L., 301, 

316, 328, 33Ô, 338 et Vatel, 0., 222^ 

gQJY^ Vuisbec, L., 354. 

Talleau, 0., 171, 188, ^ 

228. 
Thaller, L., 442. Wallet, 0., 189. 



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TABLE 



Pages. 

RÉSEAU DE L*EST 1 

— DU NORD 113 

— DE l\)UEST 169 

— D*ORLÉANS 249 

— DE LYON 301 

Table alphabétiqt'e des noms d'employés des chemins 

DE PER 451 



835.71. ■— Boulogne (Seine) . — Imprimerie JULKS BOYER et CJ' 
Administration 11. rue Neuve -St-Anjrustin. 11 



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