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HISTOIRE
DIS
CHEMINS DE FER FRANÇAIS
PENDANT LA GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE
.^
r
I
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OOYRA&ES DU MÊME AUTEUR
n
Nouvelles Etudes sur la Révolution française, â vol.
(F. Didot)
Le général Kléber, Vendée, Allemagne, Egypte, i vol.
(Didier.)
Les Français en Prusse (1807). {Id.)
Souvenirs de la Terreur, Mémoires d'un curé de campagne.
Deuxième édition. {Id.)
Histoire de trois ouvriers. (Hachette.)
Deux inventeurs célèbres : Ph. de Girard et Jacquart. {Id.)
Denis Papin, sa vie et son œuvre. (Id,)
Souvenirs de l'invasion prussienne en Normandie. 1 ^eau vol.
in-18 Jésus. (Lebrument).
Tous ces ouvrage» se trouvent également à la Librairie
générale y 72, boulevard Haussmann.
«35.74. —Boulogne (Seine). — Imp. JULES BOYER et C'«
Administration : H, rue Neuve-St- Augustin, 11
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HISTOIRE
DKS
IHEMINS DE .FER FRANÇAIS
PExNDANT
LA GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE
PAR
L.e Baron ERIVOUF
PARIS
LIBRAIRIE GÉNÉRALE
DÉPÔT CENTRAL. DES ÉDITEURS
72, BOULEVARD HAUSSMA.NN ET RUE DU HAVRE
1874
Tous droits réservés.
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Hc-^nrs "SCXoÛ''^^
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Les principaux éléments de ce travail sont
empruntés à la correspondance des agents des
Chemins de fer français pendant l'invasion. Nous
avons emprunté à cette source bien des faits impor-
tants et curieux, bien des traits de dévouement et
de courage , dont le souvenir méritait d'être re-
cueilli.
Nous avons dû particulièrement insister sur les
circonstances qui se rattachent à la question capi-
tale de l'emploi des chemins de fer en temps de
guerre, et sur les services rendus au pays par les
employés de tous grades, qui, dans ces jours
néfastes, ont fait plus que leur devoir. Nous ne
pouvions mieux témoigner notre reconnaissance
aux fonctionnaires supérieurs des Compagnies pour
leurs bienveillantes et précieuses communications.
Paris, 1" Juin 1874.
BON ERNOUF.
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RESEAU DE L'EST
SOMMAIRE
I. — (Juillet) Embarquement des troupes françaises. —
Désordres étranges. — Insuffisance et incertitude fâcheuses
des règlements.
II. — (Juillet) Activité déployée par la Compagnie. — Déficit
considérable et imprévu dans Tefiectif. — Causes di-
verses de ce déficit.
III. — (Juillet-Août) Encombrement à la gare de Metz.
— Système défectueux de Tlntendance. —Chiffre minime
d'accidents .
IV. — (Août) Forbach et Reichshoffen; incidents peu connus.
— Les défilés des Vosges occupés sans coup férir. — En-
vahissement d'une grande partie du réseau de l'Est. —
Transport du 6™^ corps, de Mourmelon à Metz.
V. — (Août) Transport des 1®' et 5™® corps français à Châ-
lons ; — du 7™^, de Belfort sur Reims. — Belle défense de
la bifurcation de Blesnies. — M. Demetz à la gare de
Commercy.
VI. — (Août-Septembre) Transport de la garde mobile pari-
sienne. — Réduction successive des services de l'Est.
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CHEMINS DE FER FRANÇAIS
VII. — (Septembre-Octobre) L'exploitation française réduite
à la section de Charleville à Givet. — Neutralisation des
lignes affectées au ravitaillement des prisonniers et au
transport des blessés de Sedan. — Occupation de Mul-
house. — Défense de Rambervillers.
VIII. — (Octobre-Janvier) Instructions de la Compagnie et
secours envoyés à ses agents sur le territoire envahi. —
Exploitation allemande du réseau français; Belriebs-Com-
missionen, — Stratagème pour embaucher les employés
français.
IX. — (O^ctobre-Janvier) Installation du service allemand.
— Trains de blessés. — Trains de Liebesgaben, — Restau-
rations,
X. — (Id.) Négligences dans l'exploitation allemande. —
Otages sur les machines.
XI. — (Décembre-Janvier) Projet français d'un coup de
main sur la grande ligne de TEst. — M. Alexandre propose
d'attaquer le pont de Fontenoy. — Le camp de la Déli-
vrance, — Préparatifs de l'expédition. — Les éclaireurs
Bûhler devant Nancy.
XII. — Expédition de Fontenoy (18-22 janvier).
XIIL — Convent^^on de Ferrières (9 mars). — Prisonniers
français rapatriés. — Pertes énormes de la Compagnie.
— Sa conduite patriotique.
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RÉSEAU DE L'EST
L,e 15 juillet 1870, la compagnie de TEst, de même
que celles du Nord et de Lyon, avait été requise de
mettre tous ses moyens de transport à la disposition
du ministre de la guerre. Placées en dehors de la zone
des transports vers la frontière, les compagnies de
rOuest et d'Orléans était seulement invitées à y con-
courir par des prêts de matériel.
L,a majeure partie de cette grande expédition de
troupes incombait naturellement à la compagnie de
l'Est. Ses chefs n'étaient pas pris au dépourvu ; Tinci-
dent Hohenzollern avait suffi pour les mettre en éveil.
Le personnel était prêt, les marches des trains prépa-
rées ; si bien que dès le lendemain de la réquisition^ le
16 par conséquent, les transports commencèrent à
5 heures 45 du soir.
La marche des trains avait été réglée conformément
aux bases adoptées en 1869, au sein de la commission
réunie par le regrettable maréchal Niel.
On avait pris comme objectifs les gares de Strasbourg
et de Metz, la première pour Tannée de Mac-Mahon,
qu'on pensait forte de 107,541 hommes; la seconde, pour
celle de Bstzaine,évaluéeauplusbas, d'après des données
qu'on crojait parfaitement sûres, à 220,699 hommes.
En joig^^^^ ^ ^®' effectif celui du t>'» corps (Canro-
bert), qu'on réunissait à Châlons et qu'on estimait.
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CHEMINS DE FER FRANÇAIS
d'après les mêmes bases, à plus de 56,000 hommes, on
croyait pouvoir compter sur 380,000 soldats, au mini-
mum^ pour l'ouverture de la campagne . En déduisant
ainsi au-delà de 200,000 hommes de l'effectif résultant
des données officielles, lequel s'élevait à 588,000 hom-
mes, on se figurait avoir fait la part plutôt trop large
à toutes les causes de défalcation (1) .
Les troupes furent réparties dans trois directions :
par la ligne principale de Strasbourg, avec l'embran-
chement de Frouard à Metz; par celles de Soissonset
de Mulhouse, aboutissant également à Colmar ; enfin
par celle de Reims, Charleville et Thionville, qui, jus-
qu'à Soissons, appartient au réseau du Nord.
L'embarquement commença avec un désordre regret-
table. D'après un des articles du règlement de 1855,
encore censé en vigueur, l'arrivée en gare ne devait
avoir lieu qu'une heure avant le départ; néanmoins,
les premières troupes arrivèrent plusieurs heures d'a-
vance. Elles parurent enveloppées d'une foule immense,
qui se précipita avec elles dans les cours et jusque sur
les quais de la gare du boulevard de Sébastopol, en
criant ; la Marseillaise! à Berlin ! Les soldats, pendant
cette longue attente, étaient entraînés dans les cabarets
voisins, et souvent ne reparaissaient que dans un état
indescriptible. Les officiers constatèrent un grand
nombre de cas d'ébriété furieuse, dépassant tout ce
qu'ils avaient jamais vu dans ce genre. Ils exprimèrent
à diverses reprises l'opinion que des boissons spéciales
(1) Le chiffre de 588,000 hommes disponibles est indiqué
dans une note sommaire remise à TEmpereur, le 6 juillet,
par le ministre de la guerre, maréchal Lebœuf.
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RESEAU DE L'EST
avaient été versées à leurs hommes. Les employés de
la Compagnie s'aperçurent aussi que beaucoup de mu-
nitions avaient été dérobées aux soldats dans ces
scènes de « fraternisation repoussante ; » ils signalè-
rent ces larcins à l'autorité.
Pour remettre quelque ordre dans les embarque-
ments, il fallut revenir au règlement de 1855, sup-
primer tout séjour inutile dans les gares, et faire
arriver de suite les hommes devant les trains qui leur
étaient destinés. « L'artillerie à Pantin , la garde
impériale et beaucoup d'autres troupes à la Villette et
à Paris, s'embarquèrent du moins dans les conditions
plus dignes d'une armée française, tandis qu'on avait
été bien douloureusement ému en contemplant certains
régiments de ligne transformés en bandes indisci-
plinées. »
Il s'était produit une déplorable incertitude dans la
pratique des anciens règlements concernant les trans-
ports militaires par chemin de fer. Sur ce point comme
sur bien d'autres, après avoir pris une grande avance,
nous avions été suivis et ensuite dépassés.
Ces transports avaient été, dès 1851, l'objet d'un
règlement remanié et développé en 1855. Le trans-
port si remarquable de l'armée d'Italie en 1859, par
le chemin de Lyon, avait été opéré conformément aux
dispositions de ce règlement. Toutefois plusieurs
articles n'étaient plus à la hauteur de l'expérience et
des derniers progrès, et l'un des premiers soins de la
commission Niel avait été de procéder à la révision et
à la simplification de l'ancien règlement. Mais, par
suite d'un concours de circonstances fatales, les tra-
vaux de cette commission avaient été interrompus.
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CHEMINS DE FER FRANÇAIS
délaissés, juste au moment où il eût été le plus néces-
saire de les poursuivre et de donner force de loi aux
règlements déjà préparés. Les améliorations les plus
urgentes, réalisées depuis plusieurs années en Alle-
magne, demeurèrent ajournées. Au moment de la
déclaration de guerre, on se trouva dans une position
indéterminée, entre un règlement censé en vigueur,
mais en partie abrogé de fait, et des réformes adoptées
en principe, mais non promulguées.
Les conséquences de cette fausse situation ont
cruellement pesé, pendant toute la durée de la guerre,
sur nos opérations militaires. Dans les circonstances
les plus graves, plusieurs des prescriptions anciennes,
les plus dignes d'être maintenues, ont été mises en
oubli. Ainsi, Tun des articles de 1855 portait que « les
officiers étaient responsables de l'exécution des mou-
vements prescrits pendant l'embarquement, et devaient
concourir personnellement à faire observer le règle-
ment. » Nonobstant ce texte formel, on vit, lors de ce
grand embarquement du chemin de fer l'Est, des offi-
ciers refuser absolument de s'occuper de Tinstallation
de leurs hommes : ce soin incombait, disaient-ils, aux
agents du chemin de fer, et au besoin à des sous-offi-
ciers. La même prétention fut émise à plus forte raison,
postérieurement au 4 septembre, et il en résulta, dans
plus d'une circonstance , d'énormes retards et des
scènes déplorables de désordre. On vit aussi trop
souvent des officiers qui tentaient de faire leur devoir
dans ces embarquements^ désobéis et même maltraités
par les hommes auxquels ils étaient censés commander.
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RÉSEAU DE L*EST
II
La Compagnie de l'Est déploya dans ce transport
préliminaire une activité digne des plus grands éloges.
Du 16 au 22 juillet, on avait déjà fait partir 339 trains.
Le 26 à minuit^ on arrivait au chiffre de 594 trains;
la Compagnie avait transporté à la frontière toutes les
troupes qu'on lui avait confiées, c'est-à-dire seulement
186,620 hommes, 32,410 chevaux, 3,162 canons ou voi-
tures, 995 wagons de munitions (1) . Ainsi, au lieu de
385,000 hommes sur lesquels on avait compté au
minimum, les huit corps d'armée envoyés à la fron-
tière fournissaient à peine 220,000 hommes!
(1) Les tableaux statistiques de l'Est établissent que ce
chemin de fer a transporté, du 16 juillet au 4 août 1870,
300,000 hommes (isolés non compris), 64,700 chevaux,
6,600 canons et voitures, 4,400 wagons de subsistances et
dô munitions. Mais il ne faudrait pas conclure de ces chiffres
que la France avait un pareil nombre d'hommes à mettre
en ligne, le jour des batailles de Forbach et de Reichshoffen.
Il y avait eu de nombreuses évolutions de troupes par les
voies ferrées, et certains régiments figurent dans ces tableaux
deux, trois et jusqu'à quatre fois (Jacqmin, 130). M. Mau-
pelit, inspecteur principal, se signala particulièrement par
son activité et son intelligence dans les opérations con-
sidérables et souvent très-compliquées d'embarquements et
de débarquements qui ont eu lieu à la gare de la Villette au
commencement de la guerre. Cet ingénieur, auquel ses ser-
vices exceptionnels avaient valu la décoration, n*a survécu
que peu de mois aux fatigues de sa tâche.
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CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Cet effroyable écart a été l'exemple le plus frappant,
le plus fatal résultat du vice de notre organisation mili-
taire. Pour se l'expliquer, il faut savoir que, malgré
les dispositions arrêtées par le maréchal Niel dès 1868,
les hommes de la réserve continuaient d'être dirigés
d'abord sur les dépôts, pour être, de là, renvoyés dans
leurs régiments. Par conséquent, ils ne rejoignaient
qu'après un délai souvent très -long. Au début de la
guerre, sur 100 régiments d'infanterie, 35 seulement
se trouvaient réunies à leurs dépôts. Le 87®, par
exemple, était à Lyon et son dépôt à Saint-Malo;
le 98® à Dunkerque et son dépôt à Lyon. Tout soldat
qui n'était pas présent au drapeau, fût-il même dans
le district occupé par son régiment, devait donc d'a-
bord être dirigé sur son dépôt pour s'y faire équiper,
et ensuite revenir à son corps.
D'un autre côté, on sait que, pour différents motifs,
beaucoup de membres du Corps Législatif réclamaient
incessamment des permissions de mariage pour les
hommes de la réserve. Un grand nombre de ceux-ci,
n'étant plus célibataires, parvinrent à se faire exempter
par les généraux commandants de départements ,
nonobstant les ordres formels du ministre.
Comment n'avait-on pas été mieux édifié sur la portée
immédiate de ces empêchements, de ces retards, qui
abaissaient de près de moitié au moment de l'entrée en
campagne, le chiffre des hommes présents à la fron-
tière ? Il y eut là un concours vraiment diabolique de
négligences, d'oublis, de réticences de détail, aussi fu-
neste que l'eût été la trahison.
Ce déficit énorme, produit de causes diverses dont
la puissance collective n'avait été exactement appréciée
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RESEAU DE L'EST
par personne, fut pour tout le monde un coup de
foudre. On avait cru faire une part plus que suffisante
à toutes les éventualités de diminution, en abaissant
à 2,520 hommes l'évaluation de l'effectif actif des régi-
ments de ligne, à 800 celle des bataillons de chasseurs
à pied, dans les 24 divisions qui devaient former les
armées d'Alsace et de Metz, au lieu des chiffres de 2,785
hommes pour les régiments et de 938 pour les chas-
seurs, àéterminé s par la commission du maréchal Niel,
et notifiés en 1869 aux Compagnies (1) . On oublia, au
dernier moment, de leur faire connaître cette première
réduction. Les chefs de la compagnie de l'Est avaient
donc organisé les trains d'après les notifications de
1869. On peut juger de leur stupéfaction quand ils virent
arriver des régiments dont l'effectif, au départ, était,
en moyenne, inférieur de près de moitié à l'effectif
attendu !
Au point de vue de la régularité du transport, cette
situation était déjà extrêmement regrettable. On ne
pouvait absolument établir une moyenne approximative
du déficit qui se révélait si inopinément, tant les varia-
tions étaient brusques et considérables. Ainsi, dans
une seule journée, l'effectif présent au départ remonta
à 1,600 hommes pour un des régiments embarqués ;
pour un autre, il tombait à 550 !
On comptait sur le prompt ralliement des hommes
de la réserve, pour relever à peu près les effectifs en
(I) On laissait au dépôt de chaque régiment d'infanterie,
1,000 hommes, dont 700 de la classe 1869, et à chaque dépôt
de bataillon 400, dont moitié de jeunes soldats. Ces chiffres
sont par conséquent à défalquer de celui des hommes qui
devaient être transportés.
1.
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10 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
temps utile. Peut-être en eût-il été ainsi, malgré la
perte de temps qu'occasionnait l'obligation maintenue
de passer par les dépôts, si les événements du début
de la campagne avait été moins malheureux. Dès le
troisième ou le quatrième jour des transports, la plu-
part des gares du réseau français, mais principalement
celles de l'Est, commencèrent à être encombrées d'hom-
mes qui a tentaient de rejoindre. » C'étaient des sol-
dats appartenant à tous les régiments qui composaient
les vingt-quatre divisions de l'armée, groupés par les
intendants sous la conduite de sous-officiers. Si les
premières nouvelles avaient été bonnes, le mal n'eût
été ni bien long, ni bien sérieux. Les nouvelles de
Forbach, de Reichshoffen jetèrent, au contraire, une
démoralisation profonde parmi ces retardataires. Un
grand nombre se séparèrent de leurs conducteurs,
s'égarèrent plus ou moins volontairement. Dès la
seconde quizaine d'août, ces traînards constituaient
déjà une masse flottante, mangeant et surtout buvant
copieusement dans les gares, et suivant des itinéraires
fantaisistes dont le théâtre des hostilités n'était nul-
lement l'objectif. Dans ces cohues démoralisées, la
transition du vagabondage au pillage est facile. A la
fin du mois d'août, la gare de Reims eut à défendre
ses wagons contre les attaques de plusieurs milliers
d'hommes, « qui, après avoir de bonne foi cherché leurs
régiments, s'étaient facilement habitués à l'idée de ne
pas les retrouver (1). » La catastrophe de Sedan, celle
(1) Le chef de cette gare, M. Ménécier, qui avait fait
preuve d'une énergie et d'une activité exceptionnelles, dans
ces terribles circonstances, a été décoré en décembre 1872.
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1^
RESEAU DE UEST \i
du 4 septembre portèrent ce désordre au comble, et
dépassèrent toutes les espérances de l'ennemi.
Pendant ces premières semaines, la confusion avait
encore été augmentée sur les voies ferrées par Tappel
des hommes de la garde mobile aux chefs-lieux de
cantons. A cette occasion, un grand nombre d'autorités
locales réclamèrent impérieusement le concours des
chemins de fer, même pour des trajets fort courts. Ce
fut alors qu'on employa pour la première fois des wa-
gons à bestiaux munis de bancs, installation peu con-
fortable, mais qui, à cette époque de l'année, n'expo-
sait les hommes à aucune souffrance sérieuse.
Suivant l'habile. directeur de l'exploitation des lignes
de l'Est, ce transport précipité de corps incomplets, qui
engendra tant de désastres, se rattachait à une idée
fausse. On avait voulu mener de front deux opérations
qui auraient dû être exécutées successivement : la con-
centration et la marche en avant. En d'autres termes,
il eût mieux valu les compléter loin du théâtre de la
guerre, et ne les j porter qu'après les avoir pourvus
de tout ce qu'ils avaient à attendre d'hommes, de che-
vaux et de munitions .
Il est certain que ce parti eût été le meilleur ou
plutôt le seul raisonnable, si l'on avait été en mesure
d'opérer eh une dixaine de jours le passage complet
des troupes du pied de paix au pied de guerre, avant
de les lancer vers la frontière. Nous aurions été, quoi
qu'on en ait dit depuis, en mesure de résister sans dé-
La même distinction avait été accordée précédemment au chef
de la gare de Troyes, qui avait activement contribué au ra-
vitaillement de nos troupes après les premiers revers.
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12 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
savantage aux forces dont PAllemagne du Nord pouvait
disposer pendant cette première période de la cam-
pagne. D'après les évaluations les plus sûres, nous n'a-
vions affaire, au début, qu'à 475,000 hommes, et nous
devions en avoir 385,000 à leur opposer, si le calcul
du ministre était juste, et si l'on avait le temps de les
rassembler. Alors nous aurions été au moins trois contre
quatre y et les choses auraient pu tourner très -différem-
ment. Cette opinion est celle d'un grand nombre d'offi-
ciers allemands qui ont assisté à une première partie
de la campagne (1). Mais n'était-il pas déjà bien tard
pour tenter cette concentration en arrière du théâtre
des hostilités? Au 26 juillet, la marche en avant ne
pouvait plus être différée au delà de quelques jours,
sous peine de voir passer aux Allemands tout l'avan-
tage de l'offensive. Un tel inconvénient aurait-il été
suffisamment compensé par l'avantage de rallier quel-
ques milliers d'hommes de plus sous nos drapeaux ? Il
est permis d'en douter.
Au point où en étaient les choses, « le passage du
pied de paix au pied de guerre se trouvant beaucoup
plus long qu'on ne s'y était attendu, » une chance su-
(I) A Wissembourg, les Allemands engagèrent au moins
vingt bataillons, c'est-à-dire 20,000 hommes; la division
Douay en comptait à peine 8,000. A la bataille de Wœrth,
qu'ils eurent tant de peine à gagner, ils firent donner 75,000
hommes au moins contre 35,000 Français , au plus. Le 18
août, à l'attaque des lignes d'Amanvilliers qu'ils nomment
bataille de Saint-Privat, ils étaient, de leur propre aveu , au
moins 200,000 avec) 720 canons contre 100,000 Français
avec 150 bouches à feu, et n'obtinrent nulle part d'avantage
décisif.
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RESEAU DE L'EST 18
prême nous restait I On a vu qu'en dix jours (16-26 juil-
let), TEst avait transporté les 220,000 hommes d'infan-
terie et de cavalerie qu'on lui avait confiés. Au moment
où ce transport finissait, la frontière ennemie était
complètement dégarnie ; les chemins de fer allemands
commençaient seulement à supprimer leur service de
voyageurs et de marchandises. Les corps d'armée se
formaient méthodiquement, complètement, mais au
loin,.. Leur mouvement de concentration à la frontière
ouest ne fut terminé que le 5 août.
« Si, le 27 ou le 28 juillet, dit M. Jacqmin, Tarmée
française eût franchi la frontière, elle n'eût rencontré
devant elle aucun obstacle sérieux. Elle coupait les
chemins de fer à l'aide desquels Tarmée allemande opé-
rait ses mouvements de concentration et de ravitaille-
ment, et la campagne commençait pour nous dans des
conditions bien diflFérentes. Nous n'osons pas dire que
le succès final nous était assuré, parce que l'Allemagne
avait une organisation militaire supérieure à la nôtre
et une supériorité de nombre écrasante ; mais nous
aurions toujours eu, avec les avantages de l'ofi'ensive,
du temps pour remédier à notre organisation défec-
tueuse, et augmenter dans une certaine mesure nos moyens
d'action, »
Nous avons entendu exprimer la même opinion par
plusieurs militaires compétents des deux nations. Quel-
ques-uns allaient même plus loin. Ils pensaient qu'une
telle surprise, exécutée avec la furia francese^ pouvait
avoir des conséquences infiniment sérieuses ; jeter une
perturbation profonde, incurable, parmi ces contin-
gents du Sud, qui ne se mettaient en mouvement qu'à
contre-cœur, qu'il avait fallu pousser dans les wagons
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14 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
à coups de crosse ! Qui ne sait d'ailleurs que l'impres-
sion d'un premier succès sur le moral d'une armée
française est incalculable ; et combien, dans toutes les
armées et dans tous les temps, l'empressement est plus
vif de rejoindre un drapeau vainqueur I Nous aussi,
nous croyons que c'était le cas ou jamais de se souve-
nir des instructions militaires d'un de nos rares vain-
queurs d'autrefois. Dans son catéchisme militaire, Sou-
varow fait passer avant toute chose les avantages de
la rapidité, de la surprise foudroyantes : •:< L'ennemi
nous croit au moins à cent werstes, et nous tombons
sur lui comme la neige. Voyez ! la tête lui touriie ! Atta-
quez sur-le-champ avec ce qui est arrivé!
D'autres pensées prévalurent : on crut avoir le temps
de mieux s'organiser. Le 20 juillet, les généraux déjà
présents sur la frontière, Bazaine à Metz, Frossard
à Saint-Avold, Ladmirault à Thionville, de Failly à
Bitche, Ducrot à Strasbourg, Douay à Belfort, furent
avisés, par dépêche télégraphique, « que la campagne ne
commencerait pas avant que l'armée ne fût complète-
ment constituée, qu'en attendant il fallait rester sur
la défensive. » (Bazaine, Armée du Rhin^ 245.)
III
Nous aurons à signaler les fâcheux résultats de Ten-
combrement des gares dans plus d'une circonstance
décisive. L'un des plus funestes fut celui qui se pro-
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RESEAU DE L*EST 15
dnisit tout d'abord à Metz. Quand les premiers trains
parurent, les ordres relatifs à la destination ultérieure
n'étaient pas arrivés; ils se firent attendre pendant plu-
sieurs heures. Les hommes débarquaient, mais le reste
ne pouvait être déchargé avant que la destination ne
fût connue. En attendant, comme les trains se succé-
daient avec rapidité, on était forcé de les garer au fur
et à mesure, bien qu'il s'y trouvât quantité de wagons
non déchargés qu'il fallait ensuite rechercher et déga-
ger. De nombreuses troupes de toutes armes attendirent
ainsi leurs ordres, et T encombrement n'était pas encore
la conséquence la plus fâcheuse de ces retards.
Aux arrivages de troupes succédèrent ceux de vivres,
de matériel, et la compagnie de l'Est eut à lutter la
première contre les difficultés résultant de l'organisa-
tion vicieuse des services et un manque d'unité. Il y
avait à Metz deux groupes d'intendances distincts et
tout à fait indépendants : l'intendance territoriale et
les intendances divisionnaires qui arrivaient avec les
corps d'armée. La première n'avait reçu aucune instruc-
tion pour la réception des vivres dirigés sur Metz ; les
autres, ignorant la destination ultérieure de leurs corps,
recevaient, mais n'osaient faire décharger les wagons.
Elles réclamaient seulement, d'après les relevés des
arrivages transmis par les agents de la Compagnie, ce
qui répondait aux besoins du moment. Ces réclamations
très-diverses se produisaient souvent à la fois, et de la
façon la plus pressante : Tun venait chercher des fari-
nes, un autre de Tavoine, un troisième des eflfets et
ustensiles de campement.
Ainsi se manifestait, dès le début, cette tendance à
immobiliser dans les gares les wagons convertis en
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16 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
magasins, tendance que la dictature de Tours érigea
plus tard en système, et qui devait partout engendrer
le chaos. Dès l'origine aussi, on parut disposé à rejeter
sur les administrations de chemins de fer toute la res-
ponsabilité des embarras et des lenteurs. Le 4 août,
notamment, on se plaignait que rien ne se faisait à Metz.
La Compagnie de TEst avait pourtant déployé une acti-
vité remarquable. Le jour même où elle avait reçu la
réquisition du ministère de la guerre (15 juillet), l'ins-
pecteur principal à la résidence de Nancy arrivait à
Metz dès six heures du soir, et prenait immédiatement
toutes les mesures nécessaires pour renforcer le per-
sonnel des gares de Metz, Saint-Avold et Thionville.
Le service du camionnage fut presque triplé ; on orga-
nisa, pour les marchandises de la guerre, huit chantiers
spéciaux de déchargement sur une longueur de 2170 mè-
tres. On s'était mis en mesure de décharger sans peine
plus de 900 wagons par jour ; et du 16 juillet au 15 août,
la moyenne journalière de ceux qu'il était permis de
décharger ne dépassa pas 775.
Malgré tous les efforts, l'encombrement augmentait
à Metz d'heure en heure ; bientôt on fut obligé d'affecter
les voies de garage et de service au remisage des
wagons immobilisés. C'était, suivant l'expression ingé-
nieuse du directeur, comme une cristallisation de toute
la gare^ quand survint la débâcle.
Les événements ayant pris tout d'abord une allure
qui autorisait les plus fâcheuses prévisions, notamment
celle du prochain investissement de Metz, les repré-
sentants de l'Est durent s'efforcer, à partir du 7 août,
de dégager leur matériel roulant. Cette opération pro-
fita en même temps à l'armée, qui eut à sa di$pesition
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RESEAU DE L'EST 17
ces approvisionnements déchargés en temps utile, et à
la Compagnie, dont le matériel fut ainsi sauvé en partie.
Si ses représentants avaient hésité à prendre cette ré-
lution au milieu du désarroi général, bientôt ils auraient
été forcés de refouler leurs wagons tout chargés, et la
disette aurait commencé avec le blocus (1).
Pendant la première période des transports militaires,
on n'eut à regretter qu'une seule collision de trains char-
gés, qui eut lieu auprès de Toul. Deux hommes seule-
ment furent grièvement blessés, 61 légèrement. Il y eut
de plus 42 accidents individuels (dont 7 morts immé-
diates), et Ton assure que tous furent dus à l'impru-
dence des victimes. Un chiffre relativeme\it si minime
de sinistres porte avec lui son éloge.
IV
Le rôle militaire de la compagnie de l'Est, capital
pendant les opérations préliminaires et les premiers
(1) 273 wagons couverts , qu'on n'avait pas eu le temps
d'évacuer avant l'investiasementjfurent disposés par M. Dietz,
l'un des ingénieurs de l'Est, en une ambulance qui fonctionna
pendant toute la durée du siège , desservie par les ouvriers
et employés de la Compagnie, avec un zèle et une intelli-
gence qui leur ont mérité des éloges publics de l'autorité
municipale de Metz. L'installation de cet hôpital a été re-
connup supérieure, au point de vue hygiénique, à l'emploi
des tentes ou des baraques. On ne saurait faire un meilleur
emploi de véhicules ainsi bloqués dans l'enceinte d'une place.
(V. Jacqmin, 152 et suiv.)
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18 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
combats, allait brusquement finir par Tenvahissement
de la presque totalité de son réseau. Pendant cette pé-
riode d'agonie, l'historique de ce chemin de fer n'offre
que des détails douloureux. « Chaque jour, la situation
s'assombrit; les autorités locales sont sans instructions;
d'heure en heure, les dépêches se succèdent plus mau-
vaises les unes que les autres ; souvent elles sont con-
tradictoires, et ce n'est qu'à force de dévouement que
les agents du chemin de fer peuvent donner satisfaction
aux demandes qui leur sont adressées. Quand le dernier
soldat français a quitté une gare, ils s'éloignent à leur
tour, et bien souvent la dernière machine reçoit la fu-
sillade des éclaireurs allemands. » Il faudrait, pour
compléter ce tableau, rappeler aussi les efforts coura-
geux, parfois héroïques, d'un grand nombre d'agents de
tous grades, pour contribuer à la défense de ce territoire
alors français, tantôt en s' armant eux-mêmes pour pro-
téger des communications importantes, tantôt en pro-
curant des secours de toute nature à nos soldats épuisés
ou affamés, ou en coopérant, au milieu des plus grands
périls, au ravitaillement de nos places fortes (notamment
à celui de Thionville) ; tantôt enfin en concourant, même
au fort de Tinvasion et jusque dans les derniers jours de
la guerre, à des entreprises préjudiciables à Tennemi...
Mais des considérations particulières, trop faciles à de-
viner, nous imposent ici de pénibles réticences. Sur ce
réseau de l'Est on est trop près de l'Allemagne I Des
désignations trop précises signaleraient ces braves gens
à des vainqueurs dont la générosité n'est pas la vertu
dominante, et la France ne pourrait suffisamment pro-
téger aujourd'hui ceux dont tout le crime fut d'essayer
de la défendre ! Cette nécessité d'ajourner, comme dan-
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RESEAU DE L'EST 19
gereux, des éloges si bien mérités, n*est pas une des
moindres amertumes de la défaite. Vœ vîctis/ {l).
Lors des premiers engagements, on ne profita pas,
comme on l'aurait pu, des voies ferrées voisines de la
frontière, sur lesquelles étaient échelonnés les divers
corps de Farmée française. Des mouvements de concen-
tration, aussi faciles qu'urgents, furent omis ou accom-
plis tardivement. Celle de Wissembourg à Haguenau
était intacte et aurait pu être utilisée au moins jusqu'à
midi, pour amener des renforts dans la funeste journée
du 4, qui commença nos malheurs (2).
Nous voyons cependant qu'à Reichshoffen le
(1) Rappelons pourtant le bel exemple d'énergie donné
par M. Brun, Tun des inspecteurs de l'Est, sur la ligne de
Châlons à Verdun. Chargé de surveiller un transport consi-
dérable de numéraire pour la solde, au moment où l'ennemi
serrait déjà de près cet embranchement, M. Brun voyageait
avec deux barils de poudre dans son vsragon, bien décidé à
tout faire sauter si Tennemi se saisissait du convoi.
Depuis que ces lignes ont été écrites, un document officiel
a rendu un juste hommage au zèle patriotique d'un autre
agent supérieur de l'Est, M. Bellay. Il amena, dans la nuit
du 22 au 23 novembre, 120 v^agons de vivres à Longvry où
l'on espérait que l'armée du Rhin pourrait les prendre. A
Thionville, où la voie avait été détruite et l'aiguillage enlevé
jusqu'à la station de Bettenberg, M. Bellay fit faire les répa-
rations sous la protection d'un détachement de la garnison,
et amena lui-même trois convois de farine, dans la nuit du
14 au 25.
(2) Au début de l'action, la gare de Wissembourg et le
faubourg qui la relie à la ville furent le théâtre d'une des
luttes les plus acharnées. Les turcos fur^^nt accablés par le
nombre, mais l'ennemi paya cher la conquête de la gare.
Un de ses bataillons y perdit, à lui seul, 12 officiers et
165 soldats.
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20 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
maréchal Mac-Mahon déploya en seconde ligne, sur
sa droite, la division Conseil-Dumesnil du 7* corps, qui
lui avait été envoyée de Mulhouse par le chemin de fer,
dans la nuit du 4 au 5. Cette division prit une part
honorable à Tun des principaux incidents de la journée,
Tattaque de Gunstett, position capitale, qui fut enlevée
par nous vers midi, mais qu'on ne put conserver. Ils
étaient trop/
On sait que Frossard fut accablé à Spicheren en même
temps que Mac-Mahon à Reichshoffen.
Ces deux revers simultanés (6 août) nous firent per-
dre d'emblée toute la ligne stratégique d'Alsace paral-
lèle à la frontière. L'ennemi nous y suivit de près; le
dernier train français avait quitté Haguenau se diri-
geant vers Strasbourg, dans la nuit du 6 au 7 ; le pre-
mier train prussien arriva dans cette gare, le 7 au matin,
par l'embranchement de Wissembourg, dont la jonc-
tion avec le réseau des Allemands était déjà réparée.
Leur exploitation commença par l'enlèvement des bles-
sés de la veille. D'autre part, la concentration précipitée
de l'armée du Rhin livrait également à l'ennemi la ligne
de Forbach à Metz. Il ne tarda pas à s'en saisir ; le 7,
ses avant-postes occupaient déjà la situation de Ré-
milly, à 19 kilomètres de Metz. Malgré sa célérité, les
chefs de gares parvinrent à sauver non-seulement les
appareils télégraphiques, les fonds et les livres de
comptabilité de la Compagnie, mais aussi la caisse de
l'armée et plusieurs centaines de wagons de munitions
et de vivres, accumulés dans les gares de Forbach, Be-
ning et Saint-Avold. Ce sauvetage, accompli dans des
circonstances aussi difficiles, fait le plus grand honneur
aux agents de l'Est, notamment au chef de gare de
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RESEAU DE L'EST M
Sainfc-Avold, qui, le 6 au soir, n'avait encore reçu aucun
ordre relativement aux trains en gare, et ne savait s'il
devait les faire avancer ou reculer.
Mais la conséquence fatale entre toutes de ces pre-
miers désastres fut l'abandon, sans coup férir, des
défilés des Vosges (1).
Informée que, sur le territoire allemand, les ingé-
nieurs préparaient de nombreux fourneaux de mines
dans les principaux ouvrages d'art et les grandes tran-
chées, la compagnie de l'Est avait demandé, dès le
IS juillet^ au ministre de la guerre, s'il ne jugerait pas
opportun de prendre des précautions semblables sur les
lignes françaises, et notamment dans la traversée des
Vosges. Le ministre répondit immédiatement par l'affir-
mative, et demanda à la Compagnie de faire faire ces
travaux après s'être concertée avec le génie pour rem-
placement des fourneaux. Tout cela fut exécuté, et les
passages des Vosges eussent été sans doute interceptés
à temps, si les chemins de fer avaient été organisés
(1) Après la bataille de Reichshoffen, une partie des
troupes françaises s'était dirigée sur Saverne en suivant la
grande ligne qui traverse ces défilés. Cette marche, ou plu-
tôt cette évasion souterraine, compte parmi les épisodes les
plus lugubres de la guerre. Quand les soldats eurent atteint
la grande ligne Strasbourg- Paris, ik s'engagèrent dans le
premier tunnel en suivant la voie. Le souterrain n'étant plus
éclairé, ils avançaient à tâtons, chacun frémissant à l'idée
de ce qui pourrait arriver, si un dernier train évadé de Stras-
bourg venait à se jeter à travers cette cohue. Heureusement
le service était déjà suspendu sur cette ligne, et, à la sortie
du premier souterrain, un garde- barrière indiqua aux soldats
un chemin qui côtoyait la voie ferrée, et sur lequel ils purent
marcher à ciel ouvert.
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2S CHEMINS DE FER FRANÇAIS -
militairement chez nous comme ils Tétaient en Alle-
magne. Mais, cette organisation n'existant pas, la com-
pagnie de TEst, nonobstant l'absorption complète de
son réseau par le service de la guerre, n'avait toujours
qu'un caractère purement industriel. C'était absurde et
funeste, mais c'était ainsi ! Dès lors, il ne lui apparte-
nait ni de charger des fourneaux, ni de prendre l'ini-
tiative d'une destruction qui pouvait contrarier des mou-
vements militaires auxquels elle n'était pas initiée.
Il faut bien arriver à dire qu'aucun ordre ne fut en-
voyé de Paris ni d'ailleurs pendant trois mortels jours,
relativement à ces passages. « On n'avait pas d'abord
compris toute la gravité du désastre de Reichshoffen ;
on croyait que les troupes se rallieraient et défendraient
les défilés... » Pendant ce temps, les Allemands n'avan-
çaient qu'à pas comptés. L'abandon de ces passages, si
faciles à défendre ou à fermer, leur semblait un piège.
Ils redoutaient une destruction combinée pour le der-
nier moment, à bout portant, foudroyante, effondrement
de viaduc ou écroulement do tunnel ; c'était nous faire
trop d'honneur! Ils venaient d'occuper, le 10, le grand
tunnel de Saverne, quand les ordres de destruction
arrivèrent I
Les Allemands s'empressèrent de mettre à profit
cette bonne fortune inespérée. Les premiers trains. en-
trés en France par Wissembourg parurent dès le
21 août, à la gare de Nancy : quatre jours après, les
trains de vivres destinés à l'armée du Prince Royal
arrivaient jusque-là. Sur les sections ultérieures de la
grande ligne de Paris, l'exploitation allemande ne ren-
contra que deux obstacles sérieux: la résistance de
Toul jusqu'au 23 septembre, et la destruction du sou-
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RESEAU DE L»EST 28
terrain de Nanteuil (entre La Ferté-sous-Jouarre et
Château-Thierry). Cette destruction suffit pour priver,
jusqu'à la fin de novembre, Tarmée qui bloquait Paris,
de l'avantage d'une communication continue avec l'Alle-
magne par chemin de fer.
La ligne principale de Strasbourg avait été coupée
par l'ennemi du côté de Paris dès le lendemain de
la bataille de Reichshoffen. L'exploitation allemande,
qui dure encore, hélas! n'y commença que le 14 no-
vembre (1).
Parmi les lignes secondaires de l'Alsace, une seule,
celle de Bening à Haguenau, avait une certaine impor-
tance stratégique pour les Allemands. Ils ne purent s'en
servir, grâce à l'invincible défense de Bitche. Cette dé-
fense est pour nous un des souvenirs les plus consolants
de la guerre, et peut être comparée sans désavantage à
celle de Colberg, en 1807, dont les Prussiens sont si
fiers. Refoulée dans les casemates par le bombarde-
ment , la population civile demeura jusqu'au bout
associée aux souffrances et souvent aux dangers de la
garnison, sans que jamais personne ait parlé de se
(1) Le service entre Strasbourg et Bâle, -interrompu le
8 août par Topposition de quelques éclaireurs allemands à la
station de Fegersheim, fut rétabli le lendemain, à la suite
d'une courageuse exploration du chef de gare de Schelestadt
jusqu'à Strasbourg. Les agents de l'Est profitèrent de ce répit
pour diriger sur ces deux places une partie des approvision-
nements rassemblés à Belfort, La circulation continua sur
cette section jusqu'au 13, date de l'investiasement de Stras-
bourg, suivi depuis de celui de Schelestadt. La première de
ces deux places succomba le 28 septembre, la seconde le
24 octobre.
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24 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
rendre, y ait seulement pensé. Ou c'en est fait de la
France, ou Bitche redeviendra français I
La ligne de Mulhouse à Paris n'eut pas non plus à
subir l'exploitation étrangère, au moins dans la meil-
leure partie de son parcours, grâce à la résistance
de Langres et de Belfort. Celle de Nancy à Vesoul a
été citée par les écrivains allemands comnïe un des
exemples de la « rapidité et de la rage surprenantes
avec lesquelles les Français avaient accumulé les ruines
pour arrêter la marche de leurs adversaires. » Il est
vrai que, sur cette ligne, la destruction des ouvrages
fut opérée en temps utile. On sacrifia, dès le 13 août,
le pont de Langley, près de Charmes ; deux mois plus
tard, quand un corps ennemi prononça son mouvement
dans cette direction, un autre pont, trois viaducs sau-
tèrent le même jour (13 octobre). Ces sacrifices ne
furent pas inutiles; la circulation allemande ne put
être établie jusqu'à Épinal qu'à la mi-novembre, et la
restauration de la section de Vesoul n'était pas achevée
à l'époque de l'armistice. Plût à Dieu qu'on eût agi
avec la même « rage » dans les défilés des Vosges I
Sur les parties encore non envahies de son réseau,
la Compagnie de l'Est continua de déployer une acti-
vité que les Allemands eux-mêmes ont admirée. Du 8 au
1 1 août, elle recueillait sur le versant occidental des
Vosges et transportait de Sarrebourg à Toul, confor-
mément aux ordres du ministère de la guerre, plusieurs
milliers de soldats écloppés et débandés des 1" et
5® corps. Elle avait aussi commencé, dès le 7, le trans-
port d'une partie des troupes du camp de Châlons sur
Metz. Le lendemain, il y eut contre - ordre , et ces
troupes rétrogradèrent. Le surlendemain, 9, d'après de
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RESEAU DE L'EST 25
nouvelles instructions, l'opération fut reprise sur une
plus grande échelle : il s'agissait cette fois de renforcer
Tarmée du Rhin de tout le 6® corps. Ces marches et
contre -marches étaient peu propres à raffermir le
moral de la troupe, déjà fort ébranlé par les premiers
événements de la campagne et par les intrigues révo-
lutionnaires. Finalement, là Compagnie de TEst fut
requise « de hâter ce mouvement par tous les moyens
possibles. » (Télég. de Metz, 10 août.)
Cet embarquement eut lieu, du 9 au 13, en 40 trains
portant ensemble 31,115 hommes, 2,296 chevaux,
255 voitures. Par suite" de ce retard de deux jours
apporté à l'opération, la dernière partie du trajet deve-
nait fort aventureuse. Le représentant de la Compa-
gnie à Metz, M. Durbach, était informé fort exacte-
ment des progrès des Allemands, et prévoyait que leur
avant- garde devancerait, sur l'embranchement de
Frouard à Metz, le passage d'une grande partie des
trains venant de Mourmelon. Il demandait instamment
qu'on gardât, du côté de Thionville, le gué de Haucou-
court (Moselle), et du côté de Nancy, Pont-à-Mousson,
objectif certain de l'ennemi. On n'eut pas égard à cette
demande ; aussi, dès le 11, des uhlans se présentèrent
à la gar^ de Pont-à-Mousson. Comme M. Durbach
l'avait prévu, la majeure partie des trains était encore
en deçà de ce point ; « ils arrivaient, se pressant, s'ac-
cumulant à la file les uns des autres. » Quelques
troupes mirent pied à terre, firent fuir ces premiers
éclaireurs, et plusieurs trains passèrent encore. Mais,
dans la nuit, la communication fut interceptée pour
tout de bon par une forte avant-garde munie d'artil-
lerie ; la suite des trains de Mourmelon fut canonnée
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26 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
et dut rebrousser chemin. Il en fut de même, en sens
inverse, du train express sorti de Metz le 12 au matin.
Une partie des troupes de Mourmelon refoulées des-
cendit à Commercy et put encore rallier Metz parSaint-
Mihiel ; mais de toute la division Bisson, du 6® corps,
embarquée la dernière, un seul régiment parvint à re-
joindre. Pendant ce temps, Pont-à-Mousson était
saccagé par cette avant-garde prussienne, venue de
Sarreguemines à marches forcées.
Suivant M. Jacqmin, ce ralliement du 6' corps aurait
dû s'effectuer parterre. L'emploi de la ligne principale
par Frouard, déjà trop compromise, fut une cause de
trouble, d'affaiblissement pour ces troupes, et leur effort
s'en trouva sensiblement amoindri dans les terribles
luttes qui suivirent. Cette attaque de Pont-à-Mous-
son ressemble fort à celle qui avait eu lieu, le
15 juillet 1866, à Prerau, point de jonction des lignes
de Bohême et de Gallicie, après la bataille de Sadowa.
La tentative des Prussiens sur cette bifurcation avait
pareillement pour but d'intercepter des trains d'infan-
terie. Ils réussirent à en enlever un; mais l'arrivée
immédiate d^ nombreux renforts de cavalerie autri-
chienne les contraignit d'abandonner leur proie. A
Pont-à-Mousson, où notre ligne n'était aucunement
gardée, les trains les plus rapprochés du point envahi
coururent de grands périls. L'un d'eux dut son salut à
la présence d'esprit et au courage du conducteur et du
mécanicien, qui rebroussèrent chemin sous un feu
violent; et déjà serrés de près par les cavaliers prus-
siens.
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RESEAU DE L'EST î7
On vient de voir que Toccupation des défilés des
Vosges par Tennemi, et la retraite précipitée des débris
de Mac-Mahon et du 5® corps vers le sud-ouest avaient
entraîné l'abandon immédiat de Lunéville et de Nancy..
Les représentants de la Compagnie durent pourvoir, en
moins de trois jours, au sauvetage du matériel roulant,
épars sur la section de la ligne principale, que décou-
vrait ce mouvement rétrograde, et sur les embranche-
ments de Saint-Dié et d'Epinal, pareillement compro-
mis. La seule gare de Nancy contenait encore, le
10 août, plus de cent locomotives et du matériel en
proportion. Le refoulement fut néanmoins poussé avec
une telle activité que rien ne demeura en arrière, sauf
une seule machine hors de service, que les Allemands
trouvèrent à Nancy le surlendemain.
Pendant ce temps, les chefs de la Compagnie combi-
naient à Paris une opération importante autant que dif-
ficile : la concentration de la ci- devant armée d'Alsace
sur Châlons, au moyen d'un double mouvement tour-
nant. Il s'agissait d'abord de soustraire à la poursuite
acharnée de l'ennemi le 1®' et le 5* corps. Ceux-ci lui
avaient bien donné le change un moment, en abandon-
nant la route directe par Nancy, pour se jeter dans les
Vosges et la Haute-Marne. Mais les Â-llemands avaient
bientôt retrouvé la trace ; dans toutes les gares et par-
tout, la première question de leurs éclaireurs était
toujours : OU est Mac-Mahon? Sans l'évolution rapide
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28 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
que celui-ci fit exécuter à ses troupes vers Châlons, au
moyen de T embranchement de Neufchâteau pour le
1" corps, de celui de Langres et Chaumont pour le 5*^,
ces corps auraient été infailliblement atteints et forcés
de combattre dans les conditions les plus fâcheuses.
Ce transport fut donc un véritable sauvetage, auquel
tous les agents de la Compagnie, depuis les plus élevés
jusqu'aux plus humbles, concoururent avec un zèle
admirable. L'opération présentait en elle-même de
graves complications, principalement dans l'itinéraire
du 1" corps. De Neufchâteau à Châlons, la distance à
parcourir était de 170 kilomètres, dont la presque tota-
lité à voie unique. Le transport était particulièrement
pénible sur la section accidentée de Neufchâteau à
Bologne (49 kil.), où Ton rencontre des rampes très-
fortes, comme dans tous les chemins de fer de mon-
tagnes. On allégea la difficulté en n'embarquant que de
l'infanterie sur cette section, tandis que la cavalerie et
l'artillerie étaient dirigées par terre sur les gares de
Donjeux et Joinville. Pour toutes ces dispositions, les
agents supérieurs de l'Est trouvèrent dans le maréchal
Mac-Mahon un concours aussi empressé qu'intelligent.
Les chefs des autres Compagnies n'ont pas eu toujours
le même bonheur après le 4 septembre.
Ce premier transport, comprenant 22,000 hommes
d'infanterie, 3,500 de cavalerie, 500 canons ou voi-
tures, fut exécuté avec une célérité relativement
exceptionnelle. Dès le 14 au soir, le matériel était à la
disposition- des troupes; trois jours après, l'embarque-
ment était terminé, et les Allemands n'atteignirent la
ligne de Neufchâteau que vingt-quatre heures après le
passage du dernier train. A ce transport succéda celui
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RESEAU DE UEST 29
des troupes du 5® corps, dont rembarquement avait été
réparti entre les gares de Langres, Chaumont et Bar-
sur- Aube.
Mais un danger imminent se révélait, dès le 15, à la
bifurcation de Blesmes, où Tembranchement de Chau-
mont, par lequel on ramenait sur Châlons Tarmée d'Al-
sace, croise la ligne principale de FEst. L'ennemi
avançait sur cette ligne plus rapidement qu'on ne l'a-
vait pensé. Après avoir envahi Commercj, dès le 14,
ses éclaireurs avaient aussitôt franchi la Meuse et se
montraient aux environs de Blesmes. En ce moment,
tous les trains venant de Neufchâteau n'avaient pas
encore franchi ce pas dangereux, et derrière eux s'é-
chelonnaient ceux du 5* corps. Les chefs de la Compa-
gnie de l'Est conjurèrent l'autorité militaire de faire
occuper fortement cette bifurcation, et ils furent en-
tendus cette fois. Trois bataillons de ligne avaient été
détachés de suite du camp de Châlons, pour couvrir
provisoirement le passage. La défense en règle de la
bifurcation et de toute la section de Blesmes à Join-
ville fut réservée à l'une des brigades les plus solides
et les mieux commandées du 5® corps, celle du général
Nicolas, embarquée à Chaumont dans la nuit du 16
au 17, et débarquée à Blesmes vers deux heures de
l'après-midi. Cet officier prit aussitôt les dispositions
nécessaires pour empêcher toute irruption sur un point
quelconque de la voie ferrée, et repousser des attaques
même très-sérieuses. Un bataillon était en réserve à
la bifurcation, où l'on retint aussi deux locomotives
et un matériel suffisant pour l'embarquement de
500 hommes, afin d'assurer, au besoin, les opérations
sur la voie. La plus grande partie de la brigade Nicolas
2.
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30 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
était postée aux abords de la bifurcation, occupant des
positions bien choisies et se prêtant un mutuel soutien,
dans la direction où devait porter vraisemblablement
le principal effort de l'ennemi, c'est-à-dire dans l'angle
formé à sa rencontre par le croisement des deux che-
mins de fer. « Trois bataillons déployés, face au nord,
étaient couverts et défendus par les tranchées pro-
fondes des deux voies bordées de haies épaisses, dans
lesquelles on pratiqua des passages. Leurs grand' -
gardes, placées dan? des bouquets d'arbres sur la rive
gauche du Bruxenelle (affluent de l'Ornain), observaient
la plaine découverte qui s'étend au delà jusqu'à l'Or-
nain. » Sur le flanc droit, plus particulièrement vulné-
rable, de cette position, se trouvaient trois autres
bataillons, concentrés dans un étroit espace, entre
Blesmes, Scrupt, Saint-Lumier. Ceux-là guettaient les
bois dangereux de Monrupt, de Cheminon, de Trois-
Fontaines, percés de nombreux chemins venant de
l'Est, c'est-à-dire du côté de l'ennemi, et donnant
accès sur nos positions. Enfin, des postes étaient éche-
lonnés en amont, sur l'embranchement de Chaumont,
jusqu'à la station de Chevillon, entre Saint-Dlzier et
Joinville.
Grâce à cette protection , les trains du 5® corps
s'écoulèrent sans obstacle sur Châlons. Ainsi qu'on
devait s'y attendre, les coureurs ennemis se présen-
tèrent sur plusieurs points; mais partout on faisait
bonne garde, et ils furent repoussés avec perte. Avisé,
dans la matinée du 18, de l'occupation imminente de
Bar-le-Duc par une nombreuse avant-garde prussienne,
le général Nicolas se hâta d'envoyer de ce côté un
détachement de pionniers, monté sur des trucks, qui
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RÉSEAU DE L'EST H
eut le temps d'enlever 20 mètres de rails, auprès de
la station de Revigny, entre Blesmes et Bar. Cette
opération, vivement conduite par M. Varaigne, capi-
taine du génie, sauva une quantité notable de matériel
roulant de la Compagnie, replié sur la section de Re-
vigny à Blesmes, et qu'on n'aurait pas eu le temps de
faire replier.
Malgré l'approche de détachements ennemis de plus
en plus nombreux, mais toujours rejetés avec vigueur,
le défilé des trains se poursuivit sans interruption. Con-
formément à leurs instructions, le général Nicolas et
le général de Septeuil, qui était venu le renforcer, depuis
le 18 au soir, avec un régiment de cavalerie légère, ne
quittèrent leurs positions que dans l'après-midi du 19,
quand le dernier train, venant de Chaumont, eut passé
• en gare de Blesmes. Il était temps que l'opération
s'achevât, car, le même soir, l'ennemi occupait en force,
sur la ligne de Chaumont, la gare de Saint-Dizier, qui
n'est qu'à 18 kilomètres de la bifurcation. Sans cette
défense de Blesmes, sollicitée si à propos par la Com-
pagnie de l'Est, la voie eût été coupée deux jours plus
tôt, et le refoulement des trains du 5® corps, sur cette
ligne à voie unique, eût encore compromis la marche
des trains qui, décrivant une ellipse plus prolongée,
ramenaient vers Châlons les dernières troupes de l'ar-
mée d'Alsace , celle du 7® corps d'armée (général
Douay).
Ces troupes, qui avaient évacué Mulhouse à la suite
du désastre de Reichshoifen, étaient échelonnées autour
de Belfort et de Montbéliard. Sur l'invitation du nou-
veau ministre de la guerre (coin te de Palikao), les
Compagnies de l'Est et de Lyon se concertèrent pour
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32 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
opérer le transport de ces soldats sur Châlons, par la
voie la plus longue de beaucoup, mais la plus sûre, et
en fait la plus prompte, c'est-à-dire par Paris. L^em-
barquement fut réparti à Belfort entre les deux lignes :
une partie des trains passa par Besançon et Dijon, les
autres par Chaumont et Troyes. Ceux-là repassaient à
Noisy sur la ligne de Strasbourg, que les premiers
rejoignaient de leur côté par le chemin de ceinture.
L'embarquement, commencé le 18, était terminé à
Belfort le 20 avant midi. L'opération fut conduite avec
une activité et une intelligence remarquables par
M. Lépine, inspecteur de la Compagnie de l'Est à Bel-
fort. Le transport se fit lentement, mais avec une
grande régularité et sans le moindre accident. A partir
du 21 au matin, les trains parvenus à Paris furent
dirigés, non plus sur le camp de Châlons, qui venait .
d'être abandonné, mais sur Reims, par Soissons (1).
L'effectif des trois corps ralliés par ce double mouve-
ment tournant s'élevait à environ 62,000 hommes, tant
infanterie que cavalerie, 1,300 canons et voitures. Tout
en rendant pleine justice au zèle et à Tintelligence
déployés dans cette manœuvre difficile par les agents
(1) Arrivés à la gare de Pantin, à trois heures de Taprès-
midi, dit un témoin oculaire^ nous repartîmes à cinq heures
du soir pour Châlons. A minuit, nous arrivions à Epernay ;
notre train y était arrêté et dirigé cette fois sur Reims. La
même mesure devait être appliquée à tous les trains qui nous
suivaient. Tel était Tordre adressé au chef de gare d'Eper-
nay. (Belfort , Reims , Sedan y par le prince Bibesco, p. 37.)
Cet ordre de rabattre sur Reims, envoyé aux premiers trains
déjà lancés sur Epernay, et Texpédition directe des trains
suivants par Soissons sur Reims, s'expliquent par les fluc-
tuations du grand quartier général.
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RESEAU DE UEST 33
de l'Est, nous ne pouvons penser sans un serrement de
cœur que l'armée ralliée et concentrée par ce puissant
effort est celle-là même qu'on dirigeait vers Sedan
La marche rapide des Allemands sur la ligne prin-
cipale de Strasbourg à Paris donna lieu, le 15 août, à
un incident qui mérite d'être rapporté avec quelque
détail.
Ce même jour, M. Demetz, préfet de la Meuse,
avait reçu du ministre de la guerre et du général com-
mandant supérieur l'ordre de faire sauter, sur cette
voie principale, le tunnel le plus rapproché de Com-
mercy. 11 avait requis et dirigé sur ce point, tant de
Verdun que de Bar-le-Duc, toute la poudre disponible.
Mais là, comme dans les Vosges, les ordres de destruc-
tion arrivaient trop tard. C'était seulement depuis le 10
qu'on travaillait à pratiquer des chambres de mines
dans le tunnel en question ; et l'on annonçait, d'une
part, que les travaux étaient à peine à moitié, et d'autre
part, que l'avant- garde ennemie avait déjà passé Toul..,
Le 14, les trains de l'Est avaient poussé pour la der-
nière fois jusqu'à Commercy.
Au milieu de la confusion générale, le préfet voulut
voir les choses par lui-même. Il partit de Bar-le-Duc
pour Commercy, monté sur une locomotive, avec
M. Leroy, l'un des inspecteurs principaux de l'Est. Un
courageux citoyen, M. Grandpierre, depuis député de
ce département, s'adjoignit volontairement à cette
excursion passablement hasardeuse. Républicain -de
vieiUe date, M. Grandpierre, du moins, n'était pas de
ceux qui, en haine de l'Empire, applaudissaient tout
bas à nos revers!...
Le préfet et ses deux compagnons étaient en blouse
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34 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
et armés à tout événement. Ils franchirent à toute
vapeur les 41 kilomètres qui séparent Commercy du
chef-lieu du département. A la gare de Commercy,
M. Demetz trouva les sous-préfet, M. Aimé, qui l'y
attendait avec le divers représentants du service des
ponts et chaussées et du service vicinal, auxquels le
préfet avait donné rendez-vous par dépêche télégra-
phique. Il y avait là aussi un officier qui pouvait,
mieux que tout autre, donner des nouvelles sûres et
récentes de l'ennemi. C'était le capitaine Voysseur ,
appartenant à l'état-major du grand quartier général,
et détaché par le maréchal Bazaine pour éclairer la
marche de l'ennemi et communiquer, s'il était possible,
avec Mac-Mahon. Cet officier avait passé la nuit pré-
cédente à travers les lignes allemandes.
Tout ce monde était réuni dans les bureaux du chef
de gare, et le préfet donnait aux difl'érents chefs de
services des instructions appropriées aux circonstances,
quand il s'éleva, à l'occasion des derniers renseigne-
ments parvenus, une contestation qu'il était facile de
résoudre en consultant la grande carte del'Etat-Major.
Le préfet en avait précisément apporté une, mais
l'avait laissée sur la locomotive, arrêtée à cent mètres
en deçà du bâtiment principal de la gare. Il y courut
de suite, et bien lui en prit; car tandis qu'il cherchait
sa carte, trois coups de feu retentirent et on lui cria :
« Sauvez-vous ! voici les Prussiens ; ils cassent le télé-
graphe ! » Au même instant, le préfet, et ses deux
compagnons, MM. Leroy et Grandpierre qui, eux, n'a-
vaient pas quitté la machine, virent accourir le capitaine
Voysseur, fort empressé de profiter d'une telle occasion
pour n'être pas fait prisonnier. La gare était déjà
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RÉSEAU DE L'EST
cernée par des soldats à bufâeteries jaunes, que quel-
ques optimistes prenaient bonnement pour des gen-
darmes. C'était de Tinfanterie bavaroise.
Le préfet, installé sur le charbon du tender, donnait
au mécanicien Tordre de rétrograder vivement sur Bar-
le-Duc, quand un détachement de uhlans, franchissant
la barrière, arriva à la hauteur du bâtiment principal.
Aussitôt M. Demetz ej; ses compagnons glissèrent des
cartouches dans leurs fusils, pour soutenir au besoin
leur retraite. Ils voient le commandant des uhlans saisir
le chef de gare, lui mettre le pistolet sur la gorge en
lui montrant la locomotive, et prononçant avec empor-
tement quelques mots sur le sens desquels on ne pou-
vait se tromper. C'était Tordre de donner immédiate-
ment le signal d'arrêt à la machine qui commençait à
démarrer. Dans cette situation délicate, le chef de
gare eut la présence d'esprit de transmettre au lieu du
signal d'arrêt celui de ralentissement; puis aussitôt
s'élança dans la direction de la machine comme pour
se faire mieux comprendre. Ce petit manège fut exécuté
avec tant de naturel que Tofficier allemand en fut tout à
fait la dupe. Quand le chef de gare atteignit la locomo-
tive, elle avait déjà gagné insensiblement une centaine
de mètres, sans que Ton eût songé àla poursuivre... D'un
bond, le chef de gare escalada la machine, qui partit
aussitôt à toute vapeur, laissant bien loin derrière elle
les Allemands, si ébahis qu'ils ne songèrent pas à-faire
usage de leurs armes.
Le fusil à la main, M. Demetz et ses compagnons
battirent ainsi en retraite, s'arrêtant à chaque équipe
qu'ils rencontraient, pour faire enlever les rails derrière
eux et détruire les appareils télégraphiques des sta-
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3fi CHEMINS DE FER FRANÇAIS
tions, qu'on n'avait plus le temps de soustraire autre-
trement à Tennemi. En arrivant à Bar-le-Duc, ils firent
rompre et jeter à Teau le pont du chemin de fer sur le
canal de la Marne au Rhin, et dirigèrent immédiatement
sur Paris quinze locomotives qui se trouvaient au dépôt.
En descendant de son tender, le préfet, en blouse et
tout noir de charbon, fut plus chaleureusement acclamé
par la foule qu'il ne l'avait jamais été sous son plus
brillant uniforme. On lui assura que son excursion
avait été dénoncée aux Allemands par un espion fran-
çais (?), dont le rapport les avait déterminés à hâter
leur mouvement sur Commercy. Ajoutons que, malgré
Toccupation de Bar-le-Duc (18 août), M. Demetz ne
jugea pas à propos de se replier, comme l'ont fait en
pareille circonstance la plupart des préfets de M. Gam-
betta. Il demeura à son poste jusqu'au moment où il
fut mis en arrestation et embarqué pour l'Allemagne.
VI
L'historique du réseau de TEst explique un incident
qui a donné lieu à de vives discussions, le retour de la
garde mobile parisienne, du camp de Châlons à celui
de Saint-Maur.
Cette troupe avait été transportée de Paris à Châ-
lons, par fraction de trois bataillons chacune, du 30 juil-
let au 11 août. L'Intendance, avertie tardivement et
surchargée de travail, n'avait rien préparé pour l'ins-
tallation de ces jeunes soldats, et les premiers arrivés
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RÉSEAU DE L*EST 87
surtout eurent beaucoup à soufirir. Il y eut, à cette
occasion, des murmures, des preuves d'indiscipline très-
marquées. Cette situation déjà mauvaise s'aggravait
encore sous Timpression des nouvelles désastreuses
qui circulaient dans le camp.
On ne savait trop, dans le principe, quelle destination
donner à ces mobiles ; Thésitation redoubla naturelle-
ment après les premiers revers. Le nouveau ministre
de la guerre eut d'abord l'idée de faire entrer cette
troupe dans la composition du 12® corps. Pour diffé-
rents motifs, il changea d'avis, et envoya le 16, à la
Compagnie de l'Est, l'ordre de procéder immédiate-
ment au transport des dix-huit bataillons de mobiles
de Paris vers différentes places du Nord. Mais telle
était alors la situation des esprits, qu'on avait dû pré-
voir que bon nombre de ces mobiles, principalement
de ceux des bataillons dont on tenait particulièrement
à se débarrasser, refuseraient de s'embarquer s'ils con-
naissaient d'avance leur nouvelle destination. On avait
donc eu l'idée de leur donner le change, en dirigeant
d'abord les trains sur Paris. On devait ensuite rebrous-
ser chemin vers le Nord, conformément à des indica-
tions spéciales dont les commandants des bataillons
devaient avoir seuls connaissance lors du départ. Le
17, le ministre adressait à la Compagnie des instruc-
tions confidentielles dans ce sens, et recommandais
tout particulièrement « d'éviter que les hommes des-
cendissent des wagons. » Il faut plaindre une autorité
réduite à user de pareils subterfuges pour assurer
l'exécution de ses ordres.
Mais ce n'était pas tout. Tandis que les chefs de la
Compagnie recevaient ces ordres à Paris et les trans-
3
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gle J
38 CHEMINS DR FER FRANÇAIS
mettaient au camp, ils étaient informés, en retour, que
le projet d'envoyer les mobiles dans le Nord était
éventé, qu'il excitait une grande irritation, et, finale-
ment, qu'il ne s'exécuterait pas. Le même jour (17 août),
à l'issue du conseil dans lequel le général Trochu ve-
nait d'être nommé gouverneur de Paris, une dépêche,
expédiée du camp à 1 h. 54 de l'après-midi, annonçait
que les mobiles, au lieu d'être dirigés sur le Nord,
conformément aux instructions ministérielles, étaient
transportés sur Paris, à destination du camp de Saint-
Maur, suivant l'ordre de Vautorîté militaire (?).
Il est avéré aujourd'hui que ce changement de desti-
nation avait été décidé sur l'insistance formelle du
nouveau gouverneur. Bien que celui-ci connût parfai-
tement les ordres donnés à cet égard par le ministre,
son supérieur responsable, il y substituait les siens,
sans lui en référer, sans le prévenir. Les premiers
trains de mobiles étaient en route; leur débarque-
ment commençait, quand le ministre apprit qu'on les
ramenait sur Paris I II ne pouvait être que vivement
affecté d'une atteinte aussi grave portée au principe
de la subordination militaire, et ne se dissimulait pas
les inconvénients de ce retour. Mais il était en même
temps forcé de reconnaître qu'on ne pouvait s'y op-
poser! En conséquence, il se résigna à faire dispa-
raître la trace de ce regrettable conflit, en invitant la
Compagnie de l'Est « à considérer ses précédentes
instructions comme non avenues , et à retourner
celles qui devaient être remises- aux commandants des
bataillons. » (18 août.)
Les chefs de la Compagnie étaient bien instruits de
la propagande révolutionnaire qui se faisait parmi les
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RESEAU DE L'EST 39
mobiles; aussi ce retour les préoccupait vivement au
point de vue de Tordre. Ils redoutaient tout d'abord une
débandade dans la traversée de Paris. Ils eurent alors
ridée d'éviter cette traversée, en arrêtant les trains à
la bifurcation de Noisy et les refoulant sur la ligne de
Mulhouse jusqu'à la gare de Nogent-sur-Marne, qui
n'est qu'à deux kilomètres du camp de Saint-Maur.
Cette proposition fut communiquée, dans la soirée du
17, au général Malroy, chef d'état-major de la pre-
mière division militaire. Ce fut même par cette com-
munication que cet officier, qui hiérarchiquement
aurait dû tout savoir un des premiers, fut informé
de la nouvelle destination assignée aux mobiles par
« l'autorité militaire » de Châlons, contrairement aux
ordres du ministère I
La combinaison proposée par les chefs ie la Com-
pagnie fut acceptée avec empressement. La seule avant-
garde des mobiles, qui avait déjà dépassé le point
d'arrêt convenu, débarqua à Pantin, et se rendit à
Saint-Maur en traversant une partie de Paris. Tous les
autres trains rétrogradèrent de Noisj sur Nogent-sur-
Marne. Fort heureusement, ce changement d'itinéraire
ne souleva pas d'opposition parmi ces jeunes soldats.
Il n'aurait pas fallu compter, pour les mettre à la
raison, sur le nouveau gouverneur (général Trochu),
qui n'entendait employer que la force morale^ et ne
craignait pas de dire à ces mêmes mobiles, dans une
de ses trop nombreuses proclamations : « J*ai demandé
votre rappel immédiat à Paris, parce que c'était votre
droit. » C'était, si j'ose m'exprimer ainsi, traiter Tin-
subordination par la méthode homœopathique.
La nomenclature des amoindrissements successifs du
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40 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
service de TEst nous offre, en quelques lignes, un
résumé saisissant de nos désastres jusqu'à l'investisse-
ment de Paris. Le combat du 6 août avait enlevé à
cette Compagnie l'embranchement de Wissembourg à
Haguenau ; ceux du 8 , la ligne d'Alsace parallèle à la
frontière et celle de Forbach à Metz. Dès ce jour, les
trains de la grande ligne ne dépassaient plus Sarre-
bourg. Les Allemands ayant occupé sans obstacle les
défilés des Vosges, la tête de cette ligne fut ramenée
le 11 à Lunéville, le 12 à Nancy. L'embranchement de
Nancy à Metz par Frouard avait été intercepté la nuit
précédente ; d'autre part, l'abandon de Lunéville et de
Nancy avait entraîné la perte des embranchements de
Saint-Dié et d'Êpinal. Sur la grande ligne, le service
fut limité, le 14, à Commercy; le 16, à Bar-le-Duc.
Le 23, par suite de la reddition de Vitry, il fallut
abandonner toute la section comprise entre cette place
et Épernay. Cette bifurcation importante étant au
pouvoir de l'ennemi, il n'y eut plus de communication
possible que par Soissons, entre Paris et l'armée de
Mac-Mahon. Le même jour, on incendia précipitam-
ment, dans la vallée de la Marne, les estacades de
l'embranchement Mourmelon-Châlons- Verdun, pour
retarder la poursuite de cette armée par les troupes
du Prince Royal. Ces troupes avaient fait d'abord fausse
route, continuant à chercher le 1®"^ et le 5« corps dans
la direction de Paris. Leurs éclaireurs avaient poussé
jusque dans les environs de Troyes, s'informant tou-
jours et partout de Mac-Mahon. Le 26, vers midi, ils
arrivaient sur la ligne de Mulhouse, à la gare de Payns,
à 12 kilomètres de Troyes, et le train sortant de cette
ville rétrogradait sous la fusillade. Mais, le lendemain,
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RESEAU DE L'EST 41
les Allemands, reconnaissant leur erreur et ressai-
sissant trop tôt la piste, faisaient volte-face et remon-
taient vers le nord. Ils prenaient à revers et fran-
chissaient sans obstacle les défilés célèbres de TAr-
gonne, inutiles cette fois à la France comme ceux des
Vosges. Ils couraient, ces ennemis, et nous nous
traînions !.... L] armée française semblait, suivant un
témoin oculaire, suivre un enterrement. Elle mit six
jours pour faire un trajet qui, en ligne directe, eût été
de vingt lieues à peine. A chaque instant, des averses
furieuses s'abattaient sur elle ; d'énormes nuages noirs
roulaient dans Tespace; la tempête mugissait sans
relâche, et ses mille voix, courroucées ou plaintives,
semblaient chanter un colossal hymne funèbre sur ces
têtes vouées à la mort ou la captivité (1)....
Par suite de ce brusque revirement de Tennemi, la
compagnie de TEst put reporter son service en avant,
sur les lignes de Strasbourg et de Mulhouse, mais pour
bien peu de jours. Châlons, par exemple, redevint tête
de ligne jusqu'au 4 septembre à minuit. Après la ca-
tastrophe, l'absorption définitive de ce réseau s'accom-
plit avec une rapidité foudroyante. Le 4 septembre au
soir, les trains de l'Est ne dépassaient plus la Ferté-
sous-Jouarre. Le 8, ils. s'arrêtaient à Lagny; le 12 au
(1) Nous renvoyons à rhistorique du chemin de fer du
Nord ce qui concerne le transport du 13™« corps (Vinoy) ,
de Paris à Mézières, opéré de concert par les Compagnies
du Nord et de TEst (26 août-1®' septembre). Nous n'avons
pas voulu morceler le récit de ce transport, ni le séparer de
celui d'une opération plus importante encore, le retour de
ce corps d'armée sur Paris (5-8 septembre) , accompli tout
entier sur le réseau du Nord.
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4Î CHEMINS DE FER FRANÇAIS
matin, à Meaux. Le 12 au 8oir, ils ne sortaient plus de
Paris. Mais il fallait se consoler de tout, ou plutôt ê'en
applaudir. N'avions-nous pas désormais ce talisman
invincible, la République! I...
VII
Le service fut maintenu jusqu'à la dernière extré-
mité, sur les fractions non envahies du réseau de l'Est.
Quelques-unes demeurèrent intactes jusqu'à la fin d'oc-
tobre. Celle qui va de Charle ville à la frontière belge
par Givet fut même tout à fait oubliée ou dédaignée
par l'ennemi après la capitulation de Mézières, qui
mettait cette ligne à sa merci. L'exploitation française
de l'Est demeura, jusqu'à la fin de la guerre, réduite à
ce tronçon, d'une longueur de 74 kilomètres !
Cet embranchement, de même que ceux de Charle-
ville à Donchery et à Hirson, avait été neutralisé après
la journée du 1®' septembre, pour le ravitaillement des
prisonniers parqués dans la trop fameuse presqu'île
d'Iges, le Camp de la misère^ et pour le transport des
blessés. Ceux-ci étaient d'abord secourus, en gare de
Charleville, dans les wagons, sur les quais et dans les
salles d'attente, converties en ambulances' par les agents
de la Compagnie, puis dirigés sur les principales villes
de nos départements du Nord et de la Belgique. La
neutralisation des lignes afi'ectées à ces transports fut
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RESEAU DE L'EST 48
successivement prorogée jusqu'au 20 octobre, et le
nombre des blessés secourue s'éleva à 9,671.
Lo directeur de l'exploitation s'était rendu à Mul-
house aussitôt après la bataille de Sedan, afin d'être
plus à portée d'agir, selon les événements, sur la por-
tion encore libre du réseau. A partir du 14 septembre,
des patrouilles, des colonnes mobiles commencèrent à
se montrer dans le Haut-Rhin et les Vosges, à Saint-
Dié, à Colmar, à Mulhouse. Le service fut deux fois
suspendu à leur approche, et repris après leur départ.
On devait à la résistance de Strasbourg ces derniers
intervalles de répit.
On s'était empressé de procéder au sauvetage du
matériel réfugié sur ces lignes. Une partie avait pu
être évacuée par Mulhouse sur la Suisse ; mais cette
ligne de retraite ne tarda pas à se trouver coupée par
la destruction au moins prématurée du viaduc de Dan-
nemarie, entre Mulhouse et Belfort. Dès lors, tout le
matériel accumulé au delà de ce point sur les sections
non encore envahies de la ligne Belfort-Paris, ne pou-
vait plus s'évader qu'en passant sur le réseau de Lyon,
par les embranchements à voie unique de Besançon ou
de Vesoul-Gray.
Comme on devait s'y attendre, la chute de Stras-
bourg (29 septembre) fut pour Mulhouse le signal
d'une nouvelle occupation qui, cette fois, ne devait pas
même, hélas ! finir avec la guerre. Instruit de l'approche
d'une nombreuse avant-garde, M. Jacqmin se replia
sur le territoire suisse avec son personnel, dont il con-
certa ensuite le rapatriement par Pontarlier avec les
agents de la Compagnie de Lyon. Le 3 octobre, les
Badois envahirent Mulhouse, qu'ils rançonnèrent sans
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44 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
merci, et s'avancèrent parla voie ferrée jusqu'à Altkirch,
dans la direction de Belfort, qu'ils semblaient menacer
d'un siège immédiat. Mais ce n'était qu'une démon-
stration ; pendant ce temps, le 14® corps prussien,
commandé par Werder, l'un des meilleurs généraux
allemands, envahissait le massif des Vosges.
Après bien des hésitations et des tiraillements dé-
sastreux, l'organisation de la défense de ce côté venait
d'être confiée par la délégation de Tours (antérieure-
ment à l'arrivée de M. Gambetta) au général Cambriels.
Cet officier, grièvement blessé à Sedan, avait néan-
moins réussi à s'échapper, et continuait à servir malgré
sa blessure. Mais ce témoignage de dévouement ne
suffisait pas pour rassurer les soi-disant patriotes franc-
comtois, républicains encore plus ombrageux que les
gens de Tours. La prétendue armée des Vosges, dont
Cambriels venait d'accepter le commandement, n'était
encore qu'une cohue d'hommes sans expérience, mal
armés, mal équipés, auxquels tout faisait défaut, les
vivres, les munitions, surtout la discipline. Le 6 octobre,
une partie de cette « armée » fut surprise par une des
divisions de Werder versRaon-l'Étape, station de l'em-
branchement de Lunéville à Saint-Dié. Deux bataillons
et quelques francs -tireurs montrèrent de la fermeté,
mais il fallut céder à la supériorité écrasante du nombre
et de Fartillerie (1). On rétrograda précipitamment sur
Bruyères, station de l'embranchement qui doit relier
Épinal à Saiot-Dié, mais qui avait alors pour tête de
ligne la gare de Laveline, où Cambriels eut son quar-
(1) En fait d'artillerie, cette armée des Vosges ne possédait
qu'une demi-batterie.
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RESEAU DE L'EST 45
tier général pendant trois jours. Après cet engagement,
auquel les écrivains locaux ont donné le nom un peu
ambitieux de bataille de la Bourgonce, ces troupes
novices se trouvaient dans un tel état de démoralisa-
tion, que Cambriels prit brusquement le parti d'aban-
donner la défense du massif des Vosges, et de mettre
un large intervalle entre Tennemi et ses troupes, en
leur indiquant Besançon comme point de ralliement.
Sans doute il était pénible d'abandonner à l'invasion
plusieurs lignes de chemins de fer (1), tout un départe-
ment dont le sol accidenté offrait à la résistance des
ressources exceptionnelles. Mais dans les circonstances
où l'on se trouvait après l'engagement du 6 octobre, la
prolongation de la lutte sur ce terrain n'aurait profité
qu'aux Prussiens. Elle leur eût fourni l'occasion de
surprendre quelques-uns des trop nombreux défilés des
Vosges, d'envelopper et de détruire un rassemblement
qui pouvait devenir en peu de temps le noyau d'un vé-
ritable corps d'armée. Avant de mettre aux prises
avec l'ennemi ces recrues, il fallait prendre le temps
d'en faire de vrais soldats. Lacourbe lui-même, le plus
habile des généraux de la première République dans
la guerre de montagnes, n'eût pas, en pareille cir-
constance, agi autrement que Cambriels.
Malgré l'éloignement des troupes françaises, l'inva-
sion rencontra, sur plusieurs points du département
des Vosges, une résistance énergique de la part des
gardes nationales sédentaires. L'une des plus belles fut
(1) Réseau de l'Est : d'Épinal à Port-d'Atelier (sur la ligne
de Mulhouse), d'Epinal à Remiremont, à Laveline ; chemin
de fer départemental de Charmes à Rambervillers.
3.
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46 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
celle des habitants de Rambervillers (1). Voici quel-
ques détails, venus de bonne source, sur cet épisode
trop peu connu de la défense de son pays.
Ce fut dans l'après-midi du 10 octobre, quatre jours
après rengagement de la Bourgonce, qui avait eu lieu
à peu de distance de là, qu'on signala rapproche d'une
colonne prussienne, arrivant sur Rambervillers par la
route de Saint-Dié. Aussitôt on court aux armes, mal-
gré la défense formelle du maire. Ce fonctionnaire,
démocrate des plus ardents, se replie instantanément,
sans prendre le temps de ranger ou de dissimuler les
papiers les plus importants. Il laissait notamment en
vue, sur son bureau, la correspondance des maires des
environs, donnant des informations sur la marche de
l'ennemi. L'un d'eux, M. Cuny, maire de Domptail, fut
arrêté et emprisonné à Nancy, par suite de l'impar-
donnable négligence de son collègue.
L'ennemi, cependant, avançait toujours. On s'em-
presse de barricader les rues. Les meilleurs tireurs
courent s'embusquer dans le cimetière situé hors de la
ville, sur la route par laquelle vient l'ennemi. Cet asile
de la mort se transforme soudain en redoute meurtrière;
dans sa clôture de pierres sèches, on a improvisé des
créneaux, et on attend. Les Prussiens sont bientôt en
vue : nos cent cinquante gardes nationaux n'ont pas
affaire à une poignée d'éclaireurs, mais à plusieurs
milliers de soldats. Pourtant aucune hésitation ne se
(1) Cette petite ville, l'un des chefs-lieux de canton des
Vosges, fait tête de ligne d'un chemin de fer départemental
qui se détache, à la station de Charmes, de la ligne d'Epinal
à Naocy,
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RESEAU DE L'EST 47
produit dans la petite troupe. Elle demeure immobile,
silencieuse à Taffût; circonstance rare, il faut le dire,
dans les embuscades françaises pendant cette guerre.
C est seulement quand Tennemi est arrivé à cent mètres
qu'ils le saluent d'un feu continu, terrible, qui en quel-
ques minutes renverse trois cents hommes, dont plus
de tués que de blessés. Ce ne sont pas là de ces prouesses
de francs-tireurs fantaisistes, qui ajoutaient le ridicule
à nos malheurs ! Ces gardes nationaux, armés do Tan-
cienne carabine rayée des chasseurs à pied, étaient
placés sur deux rangs, dont l'un rechargeait, tandis
que l'autre tirait à travers le mur crénelé. Ce fut ainsi
qu'ils mirent véritablement hors de combat un nombre
d'ennemis double du leur.
Fort heureusement, l'artillerie ennemie avait été
arrêtée à une grande distance par des abatis de sapins;
sans cette circonstance, Rambervillers eût été sans
doute détruit de fond en comble. L'infanterie prus-
sienne se déploya, cerna la ville, y pénétra de plusieurs
côtés à la fois. La fusillade continua quelque temps
dans les rues ; les deux derniers coups de feu français
furent tirés par M. Dussourt, capitaine de la garde na-
tionale, qui, du pont de la Mortagne, fit encore coup
double avec son fusil de chasse. Toute résistance dut
cesser à la nuit; ceux qui avaient eu Thonneur d'y
prendre part s'échappèrent ou se cachèrent comme ils
purent. Quelques Français, trop grièvement blessés
pour fuir, avaient été achevés dans le cimetière à coups
de baïonnettes. La ville était encombrée de soldats
ivres de rage, tirant au hasard, criblant de coups de
fusil les habitations muettes...
Alors commencèrent les perquisitions à domicile.
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48 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Tout homme chez lequel on trouvait un fusil encrassé
de poudre était mis à mort. Il y eut, dans la nuit et le
lendemain, vingt-six de ces exécutions. Les cadavres,
traînés dans les ruisseaux, restèrent, par ordre supé-
rieur, exposés pendant trois jours, avec défense d'y
toucher, sous peine de mort. Quand enfin on les laissa
enterrer, grâce à l'intervention du curé, toute céré-
monie religieuse fut interdite, et il fut défendu aux
hommes d'assister à l'inhumation. Les soldats de garde
au cimetière n'j laissaient pénétrer qu'une femme par
cadavre,,. Parmi ces exécutions, Tune des plus odieuses
fut celle d'un nommé Collot, vieux paysan infirme, qui
demeurait à un kilomètre de la ville. Tout le crime de
celui-là était d'avoir apostrophé vivement des soldats
qui lui volaient son foin... Est-il besoin d'ajouter que
la ville dut acquitter sur l'heure une forte contribution,
et que tout le conseil municipal fut déporté en Alle-
magne? Ainsi se passa, en 1870, la fête de Ramber-
villers, qui, par une étrange et cruelle coïncidence,
tombe précisément le 10 octobre. La voilà, pour bien
des siècles, transformée en un anniversaire lugubre, et
pourtant glorieux !
Cette résistance nous semble particulièrement remar-
quable, en ce qu'elle fut toute spontanée de la part des
habitants abandonnés à eux-mêmes, et non appuyée ou
imposée, comme ailleurs, par des milices étrangères
aux localités.
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RESEAU DE L'EST 49
VIÏI
Pendant les derniers jours de l'exploitation française,
dans le rayon de Mulhouse, l'administration de l'Est
n'y avait conservé que le matériel strictement indis-
pensable au service. Au moment de l'occupation défi-
nitive, ce matériel fut évacué sur Bâle, et soustrait à
l'ennemi, moins quatre machines remises au chemin
de fer Central- Suisse, dont les Prussiens se saisirent
par le droit du plus fort. Quant au matériel des sections
au delà de Belfort, et des lignes des Vosges, qui avait
été dirigé par Vesoul sur Gray, où il se trouvait accu-
mulé, on n'eut que le temps de le refouler plus avant,
sur le réseau de Lyon (18 et 19 octobre).
Sur toute l'étendue des lignes de l'Est, au fur et à
mesure des progrès de l'ennemi, les employés des gares
menacées avaient mis en sûreté, conformément à leurs
ordres, le matériel roulant, les marchandises, les regis-
tres, caisses et appareils télégraphiques. Ils pouvaient
ensuite, à leur choix, gagner le territoire libre ou rester
à leur poste. La plupart, surtout ceux des lignes d* Al-
sace et de Lorraine, prirent ce dernier parti ; c'est-à-
dire qu'ils demeurèrent dans leurs gares, quand l'en-
nemi les y tolérait, mais sans travailler pour lui. Ces
employés, auxquels la langue allemande était généra-
lement familière, recueillaient ainsi des renseignements
qui auraient pu devenir fort utiles^ dans l'éventualité
longtemps et vainement espérée d'un revirement of-
fensif.
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50 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Le Directeur de l'Est n'eut guère roccasion de se
plaindre des procédés de la Délégation, mais il dut
défendre la partie de son matériel réfugiée sur les
lignes de Lyon, contre les exigences du citoyen-préfet
(Challemel-Lacour), qui voulait s'emparer de ces wagons
pour les transformer en baraquements de mobilisés. Il
soutint, à cette occasion, une lutte très-vive, qui ne fut
terminée que par une décision de Bordeaux, du 2 jan-
vier 1871, donnant pleinement tort à ce que l'on appe-
lait alors l'administration départementale du Rhône.
Pendant la longue période de l'investissement de
Paris, l'une des préoccupations les plus sérieuses des
délégués des grandes Compagnies, en province, avait
été de faire vivre Içur personnel. Il y avait là, on le
conçoit, une question d'intérêt national, autant que
d'humanité, surtout par rapport aux employés restés
en observation sur le territoire envahi. On savait à
quelles suggestions étaient en butte ces employés, pères
de famille, pour la plupart. La tâche la plus lourde
incombait forcément au directeur de l'Est, dont tout le
réseau était envahi, et qui se voyait, dès les premières
semaines de la guerre, privé de recettes, aussi bien
que de moyens réguliers de communication avec la
majeure partie de ses employés. Il tint tête à cette
accumulation de difficultés, et vint à bout de faire
passer, à presque tous, le montant de la demi-solde qui
leur avait été promise. Ce secours leur arriva jusque
dans les localités les plus encombrées, les plus sur-
veillées par l'ennemi.
Après la guerre, le conseil de la Compagnie de l'Est
a dignement achevé ce que son délégué avait si bien
commencé. Ce conseil décida que le complément de la
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RESEAU DE L'EST 51
demi-solde serait payé à tous les agents restés à bur
poste, ou à un poste approuvé par les chefs dont ils
dépendaient. C'était pour la Compagnie de TËst, privée
de son exploitation pendant plus de six mois, un sacri-
fice très-considérable, mais qu'elle n'a pas hésité à faire
en faveur d'agents qui avaient donné tant de preuves
de dévouement... £ien peu de grandes entreprises
industrielles, privées de tout travail pendant un si long
espace de temps, auraient pu (ou voulu) payer intégra-
lement leur personnel. Cet acte de libéralité ou de jus-
tice, conmie on voudra, fait honneur au patriotisme de
ses auteurs, non moins qu'à leur humanité. Parmi ces
employés, beaucoup appartiennent aux contrées qui
ont cessé, momentanément, d'être françaises. Il en est,
osons le dire, qui, cédant à d'inexorables nécessités
d'existence, ont dû opter, du bout des lèvres, pour la
nationalité allemande. Le souvenir des procédés géné-
reux de la Compagnie française, à laquelle ils appar-
tenaient, ne peut que resserrer les liens d'affection
privée qui persistent entre eux et nous.
Pendant toute la durée de la guerre, nos ennemis
n'ont jamais perdu un moment pour remettre en acti-
vité les portions du réseau français tombées en leur
pouvoir, qui offraient de l'intérêt au point de vue mili-
taire, principalement les lignes de l'Est. Ils nous ont
laissé, sous ce rapport, des exemples qu'il est bon d'étu-
dier, en attendant l'occasion de les mettre en pratique.
On a vu précédemment que, sur la section de Wissem-
' bourg à Haguenau, l'exploitation avait commencé dès
le lendemain de la bataille de Reischoffen, quelques
heures seulement après la cessation du service français.
Cette exploitation était dirigée par trente agents du
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52 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
chemin de fer Berg et Marché arrivés le même jour à,
Wissembourg. La prise de possession des passages in-
tacts des Vosges permit aux trains allemands d'arriver
sans obstacle le 21 du même mois à Nancy. Le 23 sep-
tembre, deux jours après la reddition de Toul, ils
poussèrent jusqu'à Commercy ; mais ce fut seulement
à partir du 23 novembre, après Tachèvement de la
déviation de Nanteuil, que l'exploitation fut poussée
jusqu'à Lagny, qui devint tête de ligne jusqu'à la fin
de la guerre.
Les chemins de fer français envahis furent répartis
en cinq directions ou commissions d'exploitation {Be-
triebs-commissionen). Chacune était composée de trois
membres : un président, un ingénieur en chef, un admi-
nistrateur. Ces trois membre» supérieurs avaient sous
leurs ordres un agent commercial, trois ingénieurs des
travaux, un inspecteur du télégraphe, un ingénieur du
matériel et trois chefs de dépôt. Les trois premières
commissions (Saarbruck, Strasbourg, Nancy) se parta-
geaient la majeure partie du réseau de l'Est ; la qua-
trième (Reims) et la cinquième (Chaumont), les em-
branchements de ce même réseau qui se relient à ceux
du Nord, de Lyon et d'Orléans, et les portions de ces
trois réseaux que l'autorité militaire supérieure jugea
à propos d'exploiter,, au fur et à mesure des progrès de
l'invasion. Le personnel inférieur des gares, des dépôts
et de la voie dut être emprunté presque entièrement
à l'Allemagne. Il fallut en tirer aussi presque tous les
ouvriers nécessaires pour la réparation des ouvrages
d'art et des voies, les travaux de cantonnement, etc.
La plupart des tentatives faites par les commissions
allemandes pour embaucher de gré ou de force les
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RESEAU DE L'EST 58
agents français demeurèrent inutile». En Alsace et en
Lorraine, on avait eu recours de préférence aux moyens
de douceur. On représentait aux agents que ces deux
provinces étaient perdues pour la France, qu'ils avaient
dès lors intérêt à reprendre des fonctions qu'ils ne
retrouveraient pas plus tard. On alla jusqu'à leur pro-
poser un modèle d'engagement rédigé en allemand et
en français, mais dont les deux textes présentaient une
différence essentielle. Le texte allemand ne contenait
que la promesse nettement exprimée de servir fidè-
lement la Betriebs-commission^ comme on avait servi la
compagnie de l'Est. La traduction française, au con-
traire, était rédigée de manière à donner lieu de croire
qu'il était intervenu un accord entre les administrations
française et allemande, et que cette dernière fonction-
nerait pour le compte de la compagnie de l'Est et de
concert avec elle. Faut-il attribuer cette rédaction
équivoque au « défaut d'habitude de la langue fran-
çaise » , comme M. Jacqmin veut bien le supposer ?
Ne faut-il pas plutôt y voir une supercherie calculée
pour tromper ceux des agents français employés en
Lorraine et en Alsace, auxquels la langue allemande
était peu familière ? Cette dernière interprétation nous
paraît la plus vraisemblable. Il y avait dans les com-
missions allemandes des hommes qui avaient vécu plu-
sieurs années parmi nous, chargés de missions secrètes
à' observation, qui parlaient et écrivaient correctement
notre langue et n'ont dû faire qu'à bon escient des
phrases à double entente. Tel était M. Glaser, membre
de la commission de Reims, dont nous raconterons la
curieuse histoire à propos du chemin de fer du Nord.
Quoi qu'il en soit, cet engagement ne fut souscrit
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gle ^
54 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
que par un très-petit nombre d'individus, appartenant
au personnel des lignes secondaires de l'Alsace. Il fut
repoussé par Timmense majorité des employés. Plu-
sieurs de ceux-là furent alors brutalement expulsés,
d'autres contraints de s'enfuir. L'ennemi rencontra les
mêmes répugnances patriotiques dans les ateliers fran-
çais. A Épernay, sur plus de huit cents ouvriers, huit
ou dix seulement consentirent à "travailler pour les
Allemands. Ceux-ci ne s'attendaient pas à rencontrer
de si graves difficultés de ce genre, eux qui avaient
prévu tant de choses I Dès le mois de novembre, il
fallut pourvoir, par des mesures dictatoriales, en Alle-
magne, à l'exploitation des chemins français. Une
circulaire prussienne prescrivit non-seulement l'ajour-
nement indéfini de toute ouverture nouvelle, mais des
restrictions notables dans le service sur toutes les lignes
allemandes, et requit toutes les directions de chemins
de fer de transmettre au ministère prussien la liste de
tous les agents de la traction et du mouvement, des
gares et des bureaux, des travaux et des ateliers, sus-
ceptibles d'être utilisés sur le territoire envahi. C'est
alors qu'on vit s'abattre sur le réseau envahi cette nuée
d'employés de tous grades, de physionomies impos-
sibles, à longues barbes, pourvus de ces immenses pipes
de porcelaine qui semblaient faire partie intégrante de
la tenue... N'oublions pas un détail caractéristique,
parce qu'il atteste la méfiance persistante de la Prusse
à l'égard de ses bons alliés du Sud, et la volonté non
moins persistante de faire ]iorter sur eux la majeure
partie des charges de la guerre, tout en retenant la
meilleure part des profits. La presque totalité du per-
sonnel allemand détaché en France fut empruntée aux
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RESEAU DE L'EST B5
États prussiens ; et ce furent au contraire les Etats
du Sud qui, toute proportion gardée, fournirent la
majeure partie du matériel roulant. Dès le mois do
novembre, par exemple, la Bavière seule avait en
France 33 machines et près de 7,000 véhicules.. Dès
que la voie de contournement de Nanteuil fut terminée,
et que les wagons chargés purent circuler sûrement
juqu'à Lagny, les États du Sud durent fournir à nou-
veau, pour Tapprovisionnement de l'armée allemande
sous Paris, 20 trains composés chacun de 46 wagons
de marchandises (total 1320) et de quelques voitures
de voyageurs. A la fin de la guerre, les Allemands
avaient sur la portion exploitée par eux du réseau fran-
çais, environ 16,000 de leurs wagons et 4,000 des
nôtres.
IX
Pendant toute la durée de Toccupation, mais surtout
pendant la guerre, la station de Lagny (à 28 kilomètres
de Paris) a été le point terminus de l'occupation de la
grande ligne de l'Est par les Allemands, et un de leurs
postes principaux (1). Ils y avaient installé leur inten-
dance, la direction générale des ambulances et celle
des postes. Le dépôt des prises de guerre était établi à
(l) Ils tentèrent à plusieurs reprises de faire arriver leurs
wagons jusqu'à la station de Chelles, plus rapprochée de
Paris de 9 kilomètres, mais il furent toujours repousses par
les batteries françaises du mont Avron,
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56 CHEMINS DE FEU FRANÇAIS
la station d'Esbly, à 5 kilomètres en arrière de Lagny :
les Allemands y construisirent un quai spécialement
affecté à l'embarquement du butin qu'ils emportaient de
France.
Les circonstances de l'occupation de Lagny et de
l'installation des divers services de l'ennemi ont été
relatées avec une précision rigoureuse par un agent
supérieur de l'Est, témoin oculaire et attentif. Le
12 septembre, le génie français avait fait sauter les
deux ponts sur la Marne : comme on manquait de troupes
pour défendre le passage, cette destruction ne pou-
vait arrêter longtemps une armée nombreuse et bien
outillée. Les ennemis parurent le 13, sur la rive gauche,
et Ton vit arriver dès le lendemain l'avant-garde
du prince royal. Le même jour, les Prussiens jetèrent
sur la Marne un pont de bateaux qu'ils menaient avec
eux sur des fourgons, et le lendemain 15, ils établirent
sur les débris du pont de fer une passerelle pour les
piétons. En six jours, ils construisirent d'urgence, en
vue de l'exploitation du chemin de fer, deux ponts sur
pilotis, qui naturellement ne furent utilisés que deux
mois plus tard, après l'achèvement des travaux de con-
tournement du tunnel éboulé dé Nanteuil.
Dès le 18 septembre, la communication télégraphique
fonctionnait régulièrement entre l'Allemagne, le bu-
reau central de Lagny et le quartier général, établi
alors au château de Ferrières, célèbre par les pleurs de
M. Jules Favre, et quelques jours après à Versailles.
Le 31 octobre et le 1*' novembre, les Prussiens,
appréhendant une tentative désespérée sur Lagny, y
construisirent précipitamment des redoutes et se mirent
en mesure de faire sauter la gare et les voies au pre-
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RESEAU DE L'EST 57
mier signal. Les soldats furent bien joyeux d'apprendre
que les assiégés se déchiraient entre eux, au lieu de
combiner un effort suprême contre l'étranger. Quant à
leurs chefs, ils savaient probablement à quoi s'en tenir
sur la véritable cause de ces mouvements anarchiques,
qui faisaient si bien les affaires de l'invasion.
La première machine allemande n'arriva en gare de
Lagny que le 20 novembre. Quatre jours après, un ser-
vice régulier entre Strasbourg et Frouard était orga-
nisé, et chaque train recevait un nombre déterminé de
voyageurs civils.
Parmi les nombreuses constructions faites à Lagny
avant comme après l'ouverture de l'exploitation alle-
mande, nous devons une mention spéciale à celles qui se
rapportaient au service des vivres. On construisit tout
d'abord trois grandes baraques, dont la principale était
destinée à l'alimentation des troupes de passage ; elle
contenait trehte-six fourneaux en fonte, suffisants pour
faire la soupe à trois mille hommes à la fois (1).
Dans les premières semaines du siège, les Allemands,
privés de leurs arrivages rapides d'approvisionnements
par l'interruption prolongée du chemin de fer, souffri-
rent souvent de la disette. Ils n'entendent pas raillerie
sur le chapitre de la nourriture, et nous avons trouvé
dans des correspondances interceptées la preuve que ce
jeûne forcé exerçait une certaine influence sur le moral
de nos ennemis (2).
(1) Une autre de ces baraques était un bazar où des com^
merçants, surtout des juifs, trafiquaient d'objets mobiliers de .
toute espèce provenant des champs de bataille et des réquisi-
tions. La troisième était le casino des officiers.
(2) Notamment dans le 12® corps d'armée (Saxons) .
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S8 CHEMINS DE PER FRANÇAIS
Malheureusement leurs chefs n'épargnèrent rien pour
leur donner prompte et pleine satisfaction sur ce point
essentiel. L'intendance prussienne se hâta d'installer à.
Lagny un prodigieux entrepôt de vivres auquel elle
affecta une bonne partie des bâtiments de la gare, reliés
et successivement augmentés par d'autres constructions.
Avant la fin de 1870, tous ces magasins se trouvèrent
bourrés de comestibles, de liquides de toute espèce,
venus d'Allemagne et souvent aussi de plus près. L'ap-
provisionnement quotidien de chaque corps d'armée
était fait au moyen de fourgons et de voitures réquisi-
tionnées, et Tapprovisionnement général se retrouvait
incessamment remis au complet par les arrivages du
chemin de fer. Jamais il ne fut question chez les Alle-
mands du système de conversion de wagons en maga-
sins, qui charmait si fort la Délégation de Tours, et
donna partout de si tristes résultats.
Parmi les détails les plus instructifs de l'organisation
du service à Lagny, nous mentionnerons encore les
ponts mobiles de chargement qu'ils y transportèrent dès
les premiers jours. « Ces ponts, de très-grandes dimen-
sions, leur permettaient de décharger sous quai, che-
vaux et voitures. Ils sont suspendus sur des ressorts qui
portent un essieu placé au milieu avec une paire de
roues; ces roues permettent qu'un seul homme les fasse
circuler sans effort à de grandes distances; elles aident
aussi à les consolider... Une vis de pression sert à caler
les ressorts et à lever les ponts à la hauteur voulue. »
Cet outillage spécial aurait évité, de notre côté, bien
des difficultés, bien des impossibilités meurtrières, sur-
tout dans le transport de l'armée de l'Est.
L'organisation des trains destinés aux transports et à
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RÉSEAU DE L'EST 59
la rapatriation des blessés allemands peut donner lieu
à des remarques intéressantes^ et qui ne sont pas toutes
à Tavantage de la dictature prussienne. Nous voyons,
par exemple, que dès le mois de septembre 1868, les
ingénieurs de tous les chemins de fer allemands, réunis
à Munich, s'occupèrent de cette grave question. L'adop-
tion d'un type uniforme pour les wagons de blessés eût
été un véritable et immense bienfait, et le gouvernement
prussien eût trouvé là un digne emploi de la prépon-
dérance conquise à Sadowa. Mais les préoccupations
politiques et guerrières du moment laissaient peu de
place aux considérations purement philanthropiques. On
ne songea guère à poursuivre le problème de l'unifica-
tion allemande^ dans ces détails qui n'intéressaient que
l'humanité. Abandonnés sur ce point à leur libre arbitre,
«les cinquante administrations allemandes représentées
à la conférence de 1868 se divisèrent sur les systèmes
en présence, et rien de sérieux ne fut exécuté jusqu'au
moment où la guerre éclata. »
Cette réserve faite, il est juste de reconnaître que
plusieurs améliorations louables furent réalisées au der-
nier moment, soit pour obtenir la flexibilité indispen-
sable aux blessés par la substitution aux sièges fixes de
brancards suspendus, soit pour le chauffage et la venti-
lation des wagons, et les détails d'aménagement d'in-
térieur ayant pour but de faciliter, pendant le trajet,
la présence et la circulation des médecins, des infir-
miers, en un mot l'assistance continue des victimes de la
guerre. Sous ce rapport, il faut accorder une mention
honorable à la direction de Bavière, qui se trouva en
mesure de diriger sur le théâtre de la guerre, dès le
15 septembre, huit trains d'ambulances convenablement
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60 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
disposés. Après le rétablissement de la circulation sur
la ligne principale de TEst, on eut aussi Tidée heureuse
d'utiliser au retour, en les transformant en Lazareth^
Zûge, des wagons qui avaient servi, à Taller, pour les
transports d'approvisionnements. On arriva ainsi à for-
mer des trains extraordinaires d'ambulances qui embar-
quèrent soit à Lagny, point habituel de chargement,
soit à Épernay ou autres stations intermédiaires d'éva-
cuation, des trains contenant, en moyenne, plus de 5 et
600 malades ou blessés (1). Parvenus sur le territoire
allemand, ils étaient débarqués au fur et à mesure, là
où ils pouvaient être le mieux assistés, et notamment
aux points les plus rapprochés de leur domicile. A la
seule gare de Mayence, plus de cent mille ont été soi-
gnés, pansés et ravitaillés à leur passage.
Les ambulances dites d'évacuation, établies dans les
dépendances de plusieurs gares du réseau de l'Est, ren-
dirent également de grands services. Ces ambulances re-
cevaient les blessés qui avaient besoin d'un certain temps
avant de pouvoir supporter un nouveau déplacement.
L'une des plus considérables et des mieux aménagées
fut établie à la bifurcation d'Épernay, qui resta tête
de ligne de l'exploitation allemande jusqu'à l'achève-
ment des travaux de Nanteuil. Une partie du magasin
du matériel, affectée à cet usage dès l'origine, conte-
nait 350 lit§. Vers la fin de décembre, cet établissement
étant devenu insuffisant, on transforma la remise à
machines en une seconde ambulance, contenant 400 lits.
Chaque jour, les soldats malades, blessés ou fatigués,
(1) Le 14 décembre, un seul de ces trains en débarqua
1,400 à Francfort-sur-le-Mein.
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RÉSEAU DE L'EST 61
arrivant par les voitures de réquisition, et ensuite par
les trains, étaient admis à Tambulance de la gare d'É-
pernay. Ils y passaient généralement de douze à vingt-
quatre heures; après cet intervalle de repos salutaire,
ils étaient, suivant leur état, évacués sur les ambu-
, lances fixes de la ville, au nombre de cinq (1), ou diri-
gés vers TAllemagne par les trains.
N'oublions pas un dernier trait, bien curieux et carac-
téristique à propos de ces trains d'ambulances. Pendant
toute la durée de la campagne, mais surtout dans la
seconde quinzaine de décembre, ces trains furent affec-
tés, au départ d'Allemagne, au transport des Liebes»
gaben^ dons d'amour ou d'affection envoyés à de chers
absents, notamment aux approches de Noël et du jour
de l'an. Les nombreuses lettres interceptées qui ont
passé sous mes yeux pendant la guerre annonçaient
avec force effusions de tendresse l'expédition de Liebes"
gaben^ consistant quelquefois en objets d'habillement,
plus souvent en comestibles. « Par quelle association
d'idées, dit à ce sujet M. Jacqmin, le même peuple peut-
il arriver à réglementer l'emploi normal de la torche,
du pétrole et les trains de Liebesgaben? » Nous igno-
rons, par exemple, si l'on avait réglementé aussi l'ex-
pédition en retour des Liebesgaben^ recueillis sur le ter-
ritoire envahi. Il y aurait eu de quoi former plus d'un
train spécial.
L'organisation des restaurations ou réfectoires pour
les troupes de passage dans les principales gares de l'Est
mérite aussi une attention sérieuse. En fait d'alimenta-
(1) L'une des plus vastes était installée dans un cellier de
la maison Moët et Chandon.
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CHEMINS DE FER FRANÇAIS
tion, les Allemands sont passés maîtres. Sur les lignes
de TEst, ils avaient établi une demi-douzaine de ces
réfectoires-monstres. Sept cents hommes pouvaient se
restaurer à la fois dans celui de la gare d'Epernay,
neuf cents dans celui de Châlons. Ce dernier, surtout,
installé dans la remise des machines, offrait à certaines
heures un aspect pantagruélique. Toutes les ouvertures
avaient été bouchées soigneusement : des poêles en
fonte chauffaient plus que suffisamment cette vaste
pièce. De chaque côté de la porte d'entrée principale
donnant sur la voie, on remarquait deux vastes bassins
en forme d'auges. Us servaient aux ablutions des sol-
dats allemands avant le repas, car ces soldats se la-
vaient quelquefois, dit-on. « La cuisine se faisait à la
vapeur, au moyen de huit grandes chaudières en cuivre
d'une contenance d'environ 250 litres, garnies chacune
d'un serpentin intérieur, dans lequel circulait la va-
peur d'une locomobile installée dans la cuisine même...
Cette installation suffisait pour préparer en deux
heures assez de bouillon et de bœuf pour rassasier
1,800 hommes; » 1,800 Allemands 111
Le coup d'œil de ces réfertoires ne manquait pas de
pittoresque, surtout quand un train arrivait de nuit. 11
s'arrêtait devant la Restauration, La troupe descendait
et entrait en ordre dans le réfectoire, où tout se passait
aussi régulièrement qu'à la parade. Rien de semblable
n'a existé dans nos armées. Quand on distribuait des
vivres, ce qui n'arrivait pas toujours, surtout depuis
l'avènement de la République, les hommes les empor-
taient et les consommaient, en route fort irrégulière-
ment. Aux arrêts, ils se précipitaient en désordre à
Tassant des buffets , des cantines, et trop souvent ne
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ÈÉSEAU DE L»EST 63
remontaient en wà|^on que dans un état honteux
d'ivresse.
On ne peut contempler sans un serrement de cœur
le contraste navrant de ces Allemands largement repus,
bien chauffes, bien installés, avec nos malheureux sol-
dats, qui, souvent à la même heure, souifraient, dans
les wagons comme au bivouac et sur les routes, toutes
les tortures du froid et de la faim I
X
Tout en rendant justice au mérite technique de l'or-
ganisation du service allemand sur nos lignes envahies,
service qui embrassait, à la fin de la guerre, 3,800 kilo-
mètres du réseau français, dont la presque totalité de
celui de TEst, il ne faudrait pas croire que ce service
ait fonctionné en tout et partout d'une manière irré-
prochable. Où trouve, à ce sujet, des indications cu-
rieuses dans une circulaire adressée aux commandants
d'étapes sur les lignes de l'Est. On y signalait de graves
irrégularités dues à diverses causes, notamment aux
stations trop prolongées à la « Restauration. » Il sem-
blait donc qu'au moins à une certaine époque, ce mé-
canisme, si bien combiné en théorie, tendait à se détra-
quer, et que Ton aurait pu quelquefois appliquer aux
vainqueurs, vers la fin de la guerre, le reproche que
fait Tite-Live aux Carthaginois après la bataille de
Cannes, d'avoir trop compté sur la valeur persévérante
de la fortune, et mal suivi les sages prescriptions d'An-
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64 " CHEMINS DE FER FRANÇAIS
nibal (1). Heureusement pour les Prussiens, les hommes
du 4 septembre n'étaient ni des Fabius, ni des Scipion.
Il j avait eu sur les chemins de fer du Palatinat, dès
le début, des encombrements auxquels Tappréhension
d'une brusque attaque des troupes françaises n'était pas
étrangère. Plus tard, sur le réseau français exploité
par l'ennemi, l'inexpérience du personnel allemand, la
rigueur de la saison, les exigences compliquées du ser-
vice militaire, donnèrent lieu à de graves accidents.
Des machines tombèrent dans la Meuse^ à Charleville;
sur d'autres point, il y eut des rencontres de trains,
des déraillements occasionnés sans doute quelquefois
par des dégradations opérées, ou des obstacles placés
à dessein sur les voies, mais souvent aussi par suite de
réparations incomplètes et de la maladresse des nou-
veaux mécaniciens. On crut néanmoins devoir mettre
indistinctement tous les accidents sur le compte des
francs-tireurs. Pour réprimer ces tentatives, dont on
exagérait à dessein l'importance, on fit usage, sur les
lignes de l'Est, du système odieux des otages sur les
machines.
Le premier document officiel concernant cette mesure
est une notification affichée à Nancy le 18 octobre 1870.
Le commissaire civil allemand, en Lorraine, avisait
la population française que « plusieurs endommage-
ments (sic) ayant eu lieu sur les chemins de fer, le com-
mandant en chef avait donné l'ordre de faire accompa-
gner les trains par des habitants connus et jouissant de
la considération générale^ lesquels seraient placés sur
(1) Cœterum hœc, ut inprosperis rébus fieri solet, segniter
otioseque gesta sunt.
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RESEAU DE L'EST 65
l
la locomotive de manière à faire comprendre que tout
accident causé par l'hostilité des habitants frapperait
en premier lieu leurs nationaux. Les préfets (alle-
mands) étaient chargés d'organiser, d'accord avec la
direction des chemins de fer et les commandants des
étapes, un service régulier d'accompagnement. » Le
commissaire auteur de ce placard franco-tudesque s'ap-
pelait le marquis de Villiers. C'était un de ces descen*
dants des réfugiés protestants de la an du dix-septième
siècle, devenus plus Prussiens que les Prussiens eux*
mêmes.
Ce système fut appliqué avec rigueur non-seulement
à Nancy, mais à Mulhouse, à Reims, et dans plusieurs
autres villes. Les personnes choisies pour servir d'o-
tages recevaient à domicile la réquisition autographiée
du commandant d'étape, « d'avoir, au reçu de la pré-
sente, à se rendre à la gare du chemin de fer, à la dis-
position du soussigné, pour accompagner, par mesure
de sûreté, le train partant à.... pour....; sous peine, en
cas de refus, d'être appréhendé par la gendarmerie. »
Réglementairement, les otages devaient être placés sur
la machine. Parfois ils étaient autorisés, par faveur ^ à
monter dans un des compartiments occupés par les
officiers, dont plusieurs ne se gênaient pas de blâmer
ce luxe barbare de précaution. Reste à savoir si cette
réprobation était bien sincère.
A Nancy, ce fut le procureur général français,
M. Isoard, qui figura le premier comme otage, sur un
train allant à Lunéville, le 22 octobre. Les récalcitrants
eurent beaucoup à souffrir; l'un d'eux, le juge de paix
de Charmes (Vosges), fut arraché de son lit et grave-
ment maltraité. A Reims, on exigea jusqu'à douze
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66 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
otages par jour, et ce genre de réquisition ne cessa que
le 18 mars suivant. Ces réquisitions d'otages, destinés
à être, les uns, exposés sur des locomotives, les autres
séquestrés et au besoin déportés, en cas d'accident,
étaient une forme nouvelle du système général de
« guerre de Terreur » {Schreckenskrieg)^ pratiqué par
lea Allemands sur le territoire envahi. Les autres
formes étaient Texécution des individus non militaires,
coupables d'avoir, sans uniforme, résisté à main armée
aux envahisseurs, dégradé les routes ou les chemins de
fer ; Tincendie et le rançonnement des communes aux-
quelles appartenaient les coupables^ « ainsi que celles
dont le teriitoire avait servi à l'action incriminée. »
Ainsi s'exprimait, dès le 29 août, le général Von
Boniû, gouverneur de Lorraine, dans un arrêté qui fut
successivement reproduit, et plus d'une fois rigoureu-
sement exécuté à Ablis, à Châteaudun, à Saint-Calais,
à Bazincourt, à Etrépagny et dans bien d'autres loca-
lités. Cet arrêté reproduisait et développait, avec une
aggravation de rigueur, la proclamation du roi Guil-
laume publiée la veille à Clermont-en-Argonne, En
effet, cette proclamation ne semblait menacer que des
travaux forcés ou de la déportation les combattants
non réguliers, n'ayant pas d'uniformes on n'en ayant
pas un assez apparent (1). L'arrêté du 29 allait plus
loin: il portait, en toutes lettres, que « les conseils de
(1) Il fallait, aux termes de la proclamatiou, que les détails
d'uniforme pussent être facilement distingués à l'œil nu et à
portée de fusil (?). Il est curieux de comparer cette prescrip-
tion avec l'article 39 du règlement de 1813 pour la levée en
masse prussienne, lequel prohibait toute espèce d*uniforme.
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RÉSEAU DE L'EST 67
guerre qui jugeraient les délinquants ne pourraient
condamner à une autre peine que la mort. »
L'exposition des otages sur les locomotives a été ap-
préciée avec sévérité par des juges impartiaux, n'ap-
partenant à aucun des deux peuples. « Si Ton admet
ces pratiques, dit un écrivain belge, pourquoi une ar-
mée assiégeant une place ne mettrait-elle pas au pre-
mier rang des bourgeois inoffensifs au moment où elle
monterait à Tassaut? C'est un sûr moyen d'empêoher
de faire jouer les mines. Ëi cependant, quelle différence
trouverait-on entre cette manière d'agir et celle qui
cons'ste à exposer des êtres inoffensifs au danger de
sauter avec tout un train de chemin de fer? »
Ce système, il est vrai, n'a fait immédiatement aucune
victime, les trains ainsi protégés sur nos lignes de
l'Est n'ayant pas éprouvé d'accident. Mais la France et
l'Europe ne sauraient oublier que ce sont les Prussiens
qui ont appris aux insurgés de 1871 ces étranges pro-
cédés de guerre. Seulement, ceux-là ont employé le
pétrole sur une plus vaste échelle ; à la séquestration
des otages, ils ont ajouté. le meurtre. Les élèves ont
surpassé leurs maîtres I
Toutes ces précautions prises par les Allemands, per
fas et nefaSy pour protéger leur exploitation de nos
lignes de l'Est, n'empêchèrent pas l'exécution du coup
de main le plus hardi qui ait été tenté dans cette
guerre. On devine qu'il s'agit de la destruction du pont
deFontenoy-sur-Moselle, sur la grande ligne de l'Est,
(V. nos Souvenirs de l'Invasion en Normandie^ p. 23.) Les
Prussiens avaient commencé par faire de leur mieux aux
autres ce qu'ensuite ils n'ont pas touIu qu'on leur fît.
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68 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
destruction opérée le 22 janvier 1871 par une poignée
d'hommes énergiques. Accomplie seulement un mois
plus tôt, cette rupture, interrompant la principale com-
munication entre TAllemagne et les troupes employées
au siège de Paris et dans l'ouest de la France, aurait
pu exercer une grande influence sur les événements,
si toutefois Tincapacité des dictateurs n'avait pas annulé
cet avantage inespéré. Mais cet incident se produisit trop
tard; les revers des armées françaises de la Loire, de
l'Est et du Nord avaient fixé irrévocablement la fortune
du côté des Allemands. Aussi ce remarquable fait de
guerre demeura inutile. Il ne nous fut révélé que par
la colère vraie ou feinte de l'ennemi, par les odieuses
représailles qu'il exerça, suivant son habitude, contre
des populations inoffensives. Nous nous faisons un devoir
de publier les détails aussi complets que véridiques,
qui nous sont parvenus sur cet événement, l'un des
plus considérables et des plus dramatiques qui aient eu
lieu sur le réseau français.
XI
La destruction du pont de Fontenoy fut le principal
incident d'une lutte dont on a trop peu parlé, celle
que soutinrent, jusqu'à la fin delà guerre, les com-
pagnies franches organisées à Langres et dans les
Vosges.
La garnison de Langres était composée, lors de l'in-
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RESEAU DE UEST
vasion, du 50® de ligne, d'une partie du 18®, et do
quelques milliers de mobiles et mobilisés du Gard, de
la Haute-Savoie, etc. Elle se trouva renforcée succes-
sivement d'un grand nombre d'évadés de Sedan, de
Verdun, de Metz. Il y avait d'excellents éléments
parmi ces hommes, parmi ceux qui étaient vraiment
des évadés et non des fuyards. 11 s'y trouvait d'anciens
soldats du Mexique, d'Italie, de Chine, et même de
Crimée ; quelques-uns étaient parvenus à s'échapper
jusqu'à trois fois. Plutôt surexcités qu'abattus par
tant de désastres, ils étaient animés d'une rage patrio-
tique qui les rendait souvent difficiles à manier. Un
de leurs chefs, qui ne péchait pas non plus par trop de
calme, nous a raconté qu'il était obligé d'exercer sur
ses hommes une surveillance rigoureuse et incessante,
pour prévenir des emportements par trop téméraires,
a Quatre ou cinq commençaient très-bien le feu contre
plusieurs centaines d'ennemis. »
Le général Arbellot, commandant de Langres, eut
de bonne heure l'idée de former avec ces hommes si
résolus des cadres de compagnies franches. Ce système,
qui ailleurs n'a donné que des résultats insignifiants ou
fâcheux, était parfaitement approprié à la nature du
terrain dans les environs de Langres, région boisée et
montueuse qu'on dirait faite exprès pour la guerre de
partisans. C'est là, en effet, cette marche de Lorraine
et de Champagne, patrie de Jeanne Darc, qui fut le
théâtre de si nombreux faits de guerre : d'abord entre
les rois de France et les ducs des Lorraine pour la pos-
session de Neufchâteau et des places voisines ; puis
entre les Bourguignons et les Armagnacs. « On mon-
trait naguère encore, près de Neufchâteau, a écrit Mi-
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70 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
chelet, un arbre antique dont les branches avaient sans
âoute porté bien des fruits humains : le chêne des
partisans, » Le célèbre historien se trompe en parlant
ici au passé. Cet arbre légendaire, dont cinq hommes
réunis ne peuvent embrasser le tronc, existe encore
dans la forêt de Boëne, où les volontaires des Vosges
avaient établi leur centre de ralliement.
Plusieurs de ces compagnies travaillèrent utilement
à ravitailler Langres, et gênèrent beaucoup lesfourra-
geurs ennemis. Elles inquiétèrent parfois très-sérieu-
sement les communications que Chaumont, devenu
l'un des grands centres administratifs prussiens, entre-
tenait avec Vesoul et Neufchâteau (1). On avait songé,
dès le principe, à faire détruire par les plus hardis de
ces partisans quelqu'un des principaux ouvrages de la
grande ligne de communication allemande Strasbourg-
Paris. L'exécution de ce coup de main aurait été pro-
bablement plus facile, et son résultat sûrement décisif,
(1) Langres, si rapproché de Chaumont, ne put cependant
jamais l'attaquer sérieusement, parce que les Allemands fu-
rent de bonne heure en mesure de faire arriver instantané-
ment des renforts sur ce point par la section de chemin de
fer Blesme-Chaumont. Leurs trains militaires commencèrent
à circuler dés le 7 novembre jusqu'à Doujeux, c'est-à-dire
sur près des deux tiers du parcours, et jusqu'à Chaumont le
7 décembre, après le rétablissement des ponts sur la Marne.
Il aurait fallu détruire, outre ces ponts, les ponceaux qui
existent sur cette ligne, à partir de la bifurcation Bologne-
Neufchâteau. Alors il y aurait eu chance que les renforts
allemauds destinés à Chaumont. obligés de suivre la route
de terre, arrivassent trop tard, ou même pas du tout, car
cette route traverse, entre Joinville et Chaumont, une région
boisée fort propice aux embuscades.
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RÉSEAU DE L'EST 71
si l'on avait été en mesure de l'entreprendre avant la
capitulation de Metz. Mais le nouveau gouvernement
avait d'autres préoccupations.
Nous ne pouvons ici qu'indiquer sommairement les
chefs appartenant à la garnison de Langres, qui ont
marqué dans la petite guerre des Vosges et concouru
directement ou indirectement à l'expédition de Fon-
tenoy. M. Magnin était un adjudant aux tirailleurs algé-
riens, échappé de Verdun avec une poignée d'hommes
de son régiment, dont il fit le « noyau d'entrain »
d'une compagnie. M. Richard , sergent de zouaves
retraité, avait repris du service après nos premiers
revers ; il commandait les francs-tireurs de la Meuse.
M. Coumès était un jeune lieutenant d'infanterie évadé
de Metz; autorisé par le commandant de Langres à
former une compagnie franche de 150 hommes, il n'en
voulut prendre d'abord qu'une trentaine, avec lesquels
il quitta Langres, le 24 novembre, pour s'enfoncer dans
les Vosges, où nous le retrouverons bientôt. Les com-
pagnies Biihler et Lé vy n'étaient pas plus nombreuses.
M. Buhler, vieux soldat de Crimée et du Mexique, en
dernier lieu maréchal des logis chef aux chasseurs de
la garde, s'était échappé, après la capitulation de Metz,
du camp prussien d'Ars-Laquenexy sous une grêle de
balles. Lévy, plus brave que prudent, avait du moins
su bien choisir ses hommes ; enveloppés dans un bois
tout près de Langres, ils se firent tuer jusqu'au der-
nier avec leur chef, plutôt que de se rendre.
D'autres partisans, non moins intrépides, organi-
saient la résistance dans l'arrondissement de Neufchâ-
teau. Il y avait là un sous-préfet, M. Victor Martin,
homme déjà âgé, qui en aurait remontré à plus d'un
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72 CHEMINS DR FER FRANTAÎS;
préfet de ce temps-là, sinon au dictateur lui-même,
par Taudace et l'activité juvéniles. Il était dignement
secondé par plusieurs habitants du pays, tant militaires
que civils, mais surtout par un vieux troupier nommé
Bernard , naguère simple caporal d'administration
dans les convois de l'armée du Rhin, mais qui avait
aussi fait ses classes comme partisan dans la contre-
guérilla du Mexique. C'était un de ces hommes qui
souvent passent inaperçus dans les temps ordinaires,
mais se font jour et s'imposent d'emblée, par leurs
qualités et même par leurs défauts, dans les cir-
constances difûciles.
Très-chaud partisan de l'entreprise sur la grande
communication allemande, le sous-préfet de Neuf châ-
teau s'était mis de lui-même en quête des voies et
moyens. Ayant appris que M. Alexandre, l'un des ins-
pecteurs principaux ou chefs de section de la ligne de
l'Est, résidait toujours à Toul, et pouvait donner des
renseignements précieux, il parvint à se mettre en
relation avec lui, et le convoqua à une sorte de
conseil de guerre, dans la région la plus sauvage
des Vosges, à Vrécourt, sur la limite de ce département
et de celui de la Haute- Marne. M. Alexandre risqua
sans hésiter sa vie pour répondre à cet appel. Écartant
l'idée d'une entreprise sur Saverne, point trop éloigné
et désormais trop bien gardé, il proposa d'attaquer
soit un des ponts de Liverdun, soit le tunnel de Foug,
soit enfin le pont de Fontenoy. Il révéla aussi que ces
deux derniers ouvrages étaient minés, et donna les
indications nécessaires pour retrouver l'emplacement
de ces mines, ignorées des Prussiens. A Foug, deux
galeries parallèles avaient été pratiquées au commen-
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RESEAU DE L'EST 73
cernent de la guerre dans l'épaisseur de la voûte. On
ne s'était pas trouvé en mesure d'en faire usage avant
l'arrivée de l'ennemi, mais on avait eu le temps d'en
masquer l'entrée par une maçonnerie légère. A Fon-
tenoj, le fourneau de mine creusé dans la première
pile, du côté de la rive droite, datait de la construction
même du pont, et descendait jusqu'au niveau des hautes
eaux. Au moment de la guerre, la dalle couvrant le
trou de descente avait été enlevée et remplacée par
une cheminée en maçonnerie montant jusqu'au ballast.
M. Alexandre concluait en faveur de Fontenoy. A
Liverdun il n'y avait pas de fourneau préparé ; le tra-
vail à la barre de mine est long, bruyant. L'écho est
là d'une sonorité extrême ; le bruit des coups de fusil
ne pouvait manquer d'être entendu distinctement de
Frouard, de Nancy. Enfin, la destruction du chemin de
fer entraînait celle de l'un de nos plus beaux ouvrages
d'art; le pont sur lequel, au même endroit, le canal de
la Marne au Rhin franchit la Moselle. Quant à l'entre-
prise sur Foug, on en avait déjà trop parlé; plusieurs
compagnies de francs-tireurs, auxquelles Langres avait
fourni de la poudre pour cet objet, avaient dû y
renoncer. 'Dès le mois de décembre, le tunnel était
gardé de chaque côté par des postes nombreux et
une batterie de mitrailleuses placée en eufilade. De
plus, le transport des poudres étant une des grandes
difficultés de l'opération, l'ingénieur de l'Est calculait
qu'il n'en faudrait pas moins d'un millier de kilogrammes
pour déterminer l'éboulement du souterrain de Foug,
tandis qu'à Fôntenay 400 suffiraient, comme il est
arrivé en eflet. C'est donc à M. Alexandre qu'appartient
le mérite de l'initiative.
5
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74 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Cependant la majorité du conseil réuni à Vrécçiurt
avait donné d'abord la préférence au projet sur
Liverdun. On était séduit par la facilité exception-
nelle qu'il offrait pour la surprise du poste prussien
logé dans le bâtiment de la station, sur la lisière des
bois. Ce fut donc ce projet qu'allèrent présenter à
Tours quatre délégués, dont trois étaient des employés
des ponts et chaussées, et le 'quatrième le commandant
Bernard. M. Gambetta parut émerveillé; il s'écria,
un peu tard, « que la réussite d'un coup de main sur la
ligne de Strasbourg vaudrait deux victoires sous les
murs de Paris. » Bernard et ses compagnons revinrent
porteurs d'instructions ministérielles qui les dési-
gnaient pour faire partie d'un comité militaire de
défense de la Meurthe , de la Meuse et des Vosges,
lequel devait être organisé et présidé par le sous-
préfet de Neufchâteau, avec mission « d'organiser la
résistance au cœur même de l'invasion, d'arrêter la
levée des contributions et réquisitions prussiennes,
faire partir les mobilisés malgré l'ennemi, etc. ; mais
sutioni de couper les commumcatwns avec V Allemagne. »
Il ne manquait pour cela que les hommes, l'argent, les
vivres et les munitions. Ces Messieurs de Tours avaient
même négligé de définir les rapports du comité avec
l'autorité militaire de Langres, sans laquelle il ne
pouvait rien faire. Il en résulta des tâtonnements, des
tiraillements qui occasionnèrent de nouveaux retards,
alors qu'il y avait déjà trop de temps perdu (1).
(1) II est juste de rappeler ici que, dans la seconde quin-
zaine d'octobre, M. Georges, préfet des Vosges, ayant su que
la grande ligne de TEst était faiblement gardée aux abords
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RESEAU DE L'EST 75
Presque aussitôt après son retour, Bernard eut l'oc-
casion de s'aboucher avec Coumès. Cette première
entrevue eut lieu à Lamarche, petite ville du départe-
ment des Vosges, où Coumès, à peine sorti de Langres,
était accouru pour mettre à la raison quelques fourra-
geurs ennemis. Le jeune lieutenant, qui avait sa bonne
part d'esprit d'aventure, demanda et obtint du comman-
dant de Langres, son supérieur régulier, la permission
de se mettre à la disposition du comité militaire des
Vosges. A l'exemple de Bernard, il dut se faire passer
pour un garibaldien : c'était alors le seul moyen d'inspi-
rer de la confiance. Ce prestige de Garibaldi était
l'œuvre des hommes du 4 septembre, qui croyaient faire
preuve d'intelligence et de patriotisme en diffamant
les officiers de l'armée française, et prodiguant des
hommages emphatiques aux champions de la Répu-
blique cosmopolite 1
Nous glisserons rapidement sur les incidents de cette
petite guerre, antérieurs à la grande expédition. Le 2
décembre, Coumès repoussa à Vittel une colonne réqui-
siiionnaire, dont il coupa et rejeta l'avant-garde sur
Contrexe ville, où elle fut prise avec armes et bagages :
ce paisible établissement thermal n'avait jamais été à
pareille fête I Dans la nuit du 6 au 7, Bernard, avec
cinquante hommes seulement, se jeta sur deux compa-
gnies (450 hommes) logées à Dombrot-le-Sec, et leur
de Toul, avait proposé de tenter une expédition de ce côté.
U alla même en parler à Tours, où le délégué de la guerre lui
promit de faire mettre à sa disposition quelques éclaireurs
garibaldiens. Mais, dans l'intervalle, Metz capitula, et la gar-
nison de Toul fut considérablement renforcée.
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76 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
donna une telle alerte, qu'elles décampèrent au- t)etit
jour, emportant leurs blessés et leurs morts (1). Le
résultat de cette mêlée nocturne attestait de nouveau
notre supériorité persistante dans les combats corps à
corps. Le 7 et le 8, on se battit à quelques lieues de là,
dans la Haute-Marne. Des détachements réquisition-
naires envoyés contre la petite ville patriote de Nogent-
le-Roi, entre Chaumont et Langres, furent repoussés
deux fois avec perte par les habitants, avec le concours
de la compagnie franche Magnin et de quelques mo-
biles. Mais quatre jours plus tard Fennemi revint à la
charge avec des forces supérieures, bombarda la ville,
et finit par s'en emparer après un combat des plus vifs,
où plusieurs habitants périrent, et où la compagnie
Magnin, qui avait tenu bravement jusqu'au bout, perdit
les deux tiers de son effectif. On a trop peu parlé de
cette défense ; elle mérite d'être citée auprès de celles
de Rambervillers et de Châteaudun.
De son côté, la garnison de Neuf château n'avait pas
voulu rester sous le coup des échecs de Contrexeville et
de Dombrot. Le 10 décembre, une colonne prussienne
de 1,200 hommes s'avança sur Lamarche. Elle n'y pé-
nétra qu'après avoir été tenue en échec, pendant plu-
sieurs heures, par le feu meurtrier d'une centaine de
tirailleurs placés sous les ordres de Bernard et de Cou-
(1) Bernard fat énergiquement secondé dans cette affaire,
et dans tout le reste de la campagne, par M. Rambanx, garde
général, qui avait mis ses forestiers à la disposition du comité
de défense, et s'engagea lui-même dans les chasseurs des
Vosges. M. Rambaux a fait partie de l'expédition de Fojitenoy,
dont il vient de publier un récit qui nous a fourni plusieurs
additions intéressantes.
i
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RESEAU DE L'EST 77
jnè9i» auxquels vint se joindre la petite compagnie
Biihler, au retour d'une excursion dans la Haute-Saône.
Les Prussiens essayèrent en vain d'envelopper ces
tirailleurs; leur manœuvre favorite devait échouer
contre ces hommes aussi alertes que robustes, et sur
un pareil terrain. Peu soucieux de poursuivre un
avantage chèrement acheté^ ils évacuèrent précipitam-
ment Lamarche dès le lendemain matin. Nous avions
eu trois morts et quatorze blessés ; la perte de l'en-
nemi était bien autrement considérable.
Le comité des Vosges prit alors une détermination
fort sage et tout à fait militaire. Le quartier général
de la défense fut transférée à six kilomètres de La-
marche, sur la montagne du Crochet^ au centre de la
forêt de Boëne, où Bernard et Coumès avaient rassem-
blé leurs hommes après l'afifaire du 10. Cette forêt, d'une
étendue de trois mille hectares, couvre un vaste pla-
teau, élevé d'une soixantaine de mètres en moyenne
au-dessus des vallées voisines, et d'un accès des plus
difficiles. A la cime de la hauteur du Crochet, point
culminant du plateau, et formant une sorte de donjon
naturel» existait une maison forestière, autour de la-
quelle on construisit des baraques. Avec quelques for-
tifications improvisées et quelques abatis, on transforma
en peu de jours, ou plutôt en peu d'heures, cette posi-
tion déjà naturellement très forte en une véritable cita-
delle, presque aussi difficile à découvrir qu'à forcer.
La superficie totale de ce camp fortifié était d'environ
neuf hectares. Une seconde maison forestière, placée
du côté où l'accès du plateau était relativement le plus
facile, fut transformée en une véritable redoute, pou-
vant au besoin recevoir toute une compagnie.
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78 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Cette organisation à part cumulait tous les avantages.
Elle assurait le maintien de la discipline, Tinstruction
des recrues, le secret des entreprises ; préservait des
représailles de Tennemi les villages voisins, qu'il ne
pouvait plus accuser d'héberger les Garibaldiens. De
plus, les chefs, dont l'objectif principsd était l'entre-
prise sur la grande ligne de TEst, « ne laissaient tirer^
en fait de coups de fusils, que le strict nécessaire, » et
s'abstenaient à dessein d'attaquer, même dans les con-
ditions les plus favorables, les colonnes expéditionnaires
qui venaient rôder parfois jusque dans les environs du
mystérieux campement dit de la Délivrance, ou de la
Vacheresse, du nom du village le plus voisin. Sans cette
abstention judicieuse, la grande entreprise fût devenue
impossible. Les hommes firent preuve d'une patience
héroïque pendant ces six semaines d'affût, au fort du
plus sauvage massif des Vosges et d'un cruel hiver.
Mais la satisfaction du devoir accompli, l'illusion
d'une prochaîne revanche, allégeaient leurs fatigues
dans cette âpre et libre région , redoutée de l'é-
tranger. Nous devons les envier plutôt que les plaindre,
nous qui avons dû vivre alors sur le territoire envahi,
subir les avanies ou la courtoisie ironique du vainqueur î
Cependant cette petite guerre des Vosges avait at-
tiré l'attention du grand état-major prussien. Le gé-
néral Werder reçut de Versailles, à diverses reprises,
l'ordre de serrer Langres de plus près ; mais cet ordre
ne fut qu'imparfaitement exécuté. Les Prussiens repous-
sèrent, il est vrai, le 16 décembre, à Langeau, une
démonstration que la garnison de Langres faisait dans
la direction de Dijon, pour coopérer à l'entreprise de
Cremer et de Garibaldi. Mais diverses compagnies fran-
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RESEAU DE KEST 79
cbes poursuivirent le ravitaillement de Langres: l'une
d'elles parvint même à faire dérailler un train mili-
taire, à 12 kilomètres de Chaumont (24 décembre). Pen-
dant que ces incidents détournaient l'attention du camp
de la Vacheresse, qui faisait le mort, ce camp recevait
de nombreux renforts, complétait son armement, d'a-
bord singulièrement défectueux* Tout un bataillon
sortit de terre, ou plutôt de dessous la neige, dans
Tespace d'une semaine. Bernard, se rappelant les contre-
guerilleros du Mexique, organisa un peloton d'éclai-
reurs à cheval, composé d'anciens cavaliers de l'armée
du Rhin.
Le 20 décembre, le comité militaire des Vosges reçut
de Bordeaux ri^jonction pressante d'attaquer la ligne
de VEst. Dans ces instructions envoyées de Bor-
deaux, il était dit que cette entreprise se rattachait au
plan de campagne qui venait d'être adopté pour l'armée
dé Bourbaki pour délivrer Belfort, que le transport de
cette armée allait s'opérer avec une extrême promptitude
par les voies ferrées ; que l'ennemi surpris et privé de
ses communications et de renforts par la rupture de la
grande ligne de l'Est, ne manquerait pas d'aban-
donner le siège de Belfort, ainsi que Yesoul , et
qu'alors les troupes libératrices seraient bientôt en
mesure de se rabattre sur Neufchâteau et Toul, contrées
plus kospîtalîères (textuel). L'imagination du délégué
de la guerre allait vite en besogne ; les faits, par mal-
heur, ne répondirent pas à ses espérances (V. Chemins
de fer de Lyon),
Dans les derniers jours de décembre, Coumès courut
à Langres rendre compte de la situation^ et remit sur
le tapis son delenda Carthagol la poudre de mine, qu'il
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80 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
sollicitait à mains jointes depuis un mois. Le comman-
dant, qui d'autre part avait reçu des ordres itératifs et
formels d'employer toutes ses ressources pour rendre
Langres imprenable, hésitait à faire cette nouvelle
avance de munitions pour une aventure dont Tobjectif
n'était même pas arrêté. Il conseilla donc à Coumès
d'aller lui-même reconnaître les trois points indiqués
par M. Alexandre (Liverdun, Foug, Fontenoy), et ajouta
« que la livraison de la poudre dépendrait des rensei-
gnements obtenus. » Au retour de cette exploration
périlleuse, accomplie par Coumès avec le concours de
M. Goupil, employé du chemin de fer de l'Est, et de
deux autres hommes dévoués, le commandant ne se
décidait pas encore ; les ch^fs du camp de la Délivrance
songeaient à remplacer la poudre par de la dynamite^
quand le général Arbellot, malade, remit le commande-
ment à son chef d'état-major, le lieutenant-colonel du
génie Meyère. Cet officier, dont les Allemands eux-
mêmes ont loué les talents et l'énergie, avait toujours
été partisan de l'entreprise ; il obtint enfin, mais seu-
lement le 10 janvier, l'autorisation de fournir la poudre,
et s'empressa d'en accorder 600. kilogrammes au lieu
de 400. De même que M. Alexandre, Coumès donnait la
préférence au pont de Fontenoy, pour lequel cette quan-
tité suffisait*. Tous les autres préparatifs étaient d'ail-
leurs terminés, si bien que, la poudre étant enfin par^
venue sans accident au camp de la Yacheresse le 16
janvier, la coloîme, forte de 1,200 hommes, dont la
majeure partie était venue de Langres, s'ébranla le 18
au soir (1).
(1) Ce» retards apportés à la litraisott de la poudre avaient
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lUSSEAU %E VEST 81
La petite compagnie Biihler, qui, le 10 décembre
précédent» avait prêté main forte, à Lamarche^ aux
partisans des Vosges et fait sa retraite à part, était
revenue le 7 janvier dans cette localité, juste au mo-
ment où Ton j apprenait le mouvement de Tannée fran-
çaise de TEkt. Sous Timpression de. cette nouvelle^
Bûhler s'était déterminé de suite à faire une démons-
tration sur Nancy. Il avait été encouragé dans ce projet
aventureux par deux membres du comité de la défense
des Vosges, qui lui donnèrent imprudemment à entendre
qu'il ne pouvait manquer d'être bientôt appuyé par
l'expédition contre les communications allemandes,
qui allait enfin s'ébranler. M. Bûhler se mit donc
en marche, ou plutôt prit sa course avec sa petite
troupe, d'une telle vitesse qu'il était arrivé à sept kilo-
mètres de Nancy avant que l'expédition ne fût en mou-
vement. Il ne la rencontra qu'à son retour, et encore
fort loin de la Moselle. L'apparition de cette poignée
d'éclaireurs produisit une panique incroyable sur les
Prussiens à Nancy. On fit à la gare des préparatifs non
équivoques d'évacuation; « il y avait des sentinelles
naturellement causé au camp de la Yacheresse une impa-
tience dont on retrouve Timpression dans le récit de M. Ram-
baux. Les notes que nous avons sous les yeux, et qui nous
ont été remises par l'un des principaux chefs de l'expédition,
prouvent que les reproches adrestés au général Arbellot et à
son successeur sont absolument injustes. Tous deux avaient
les mains liées par leurs instructions, et n'ont pu agir autre-
ment qu'ils n*ont fait. Tout le tort retombe sur l'administration
de la guerre, qui aurait dû comprendre plus tôt que l'entre-
prise sur la ligne de l'Est ne pouvait absolument se passer
du concours de l'autorité nuUtaire de I,.angres.
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82 CHEMINS DE "FER FRANÇAIS
jusqae sur les toits. La troupe qui causait tout cet émoi
se composait en réalité... de vingt-deux hommes! Un
grand nombre des habitants de cette ville et des environs
crurent alors, et ont cru longtemps, que la destruction
de Pontenoy avait été opérée par les éclaireurs qui
étaient venus peu de jours auparavant si près de Nancy.
Cette troupe était la seule qu'on eût vue de jour dans
ces parages ; de plus, Blihler, qui avait séjourné quelque
temps à Nancy après son évasion de Metz et y con-
naissait plusieurs personnes, leur avait fait parvenir
l'avis de ne pas se servir du chemin de fer, sur lequel
une catastrophe était imminente. Cette marche sur
Nancy avait été entreprise trop précipitamment,
mais elle dénotait une rare audace, et son souvenir
mérite d'être conservé.
XII
La colonne qui se mit en route le 18 janvier au soir,
sous la direction supérieure du commandant Bernard,
pour aller détruire Tun des ouvrages de la grande ligne
do Strasbourg, se composait : en première ligne, des
compagnies Coumès et Bernard ; de six autres, récem-
ment organisées dans les Vosges sous le titre commun
de Chasseurs de la Délivrance; des compagnies Magnia
et Richard fusionnées, et des éclaireurs à cheval. En
seconde ligne, marchaient une compagnie de voltigeurs
et un bataillon de mobiles du Gard euToyés de Lan-
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RÉSEAU DE L'EST 83
grest et qui n'avaient rallié le camp que depuis peu do
jours. Des échelles de corde avaient été fabriquées
d'avance par Richard, dit le capitaine bleu^ à cause de
la couleur des parements de sa troupe, dans le cas où
Ton aurait à descendre dans le souterrain de Foug;
car, si étrange que cela puisse paraître, il y avait en-
core, au moment du départ, dissentiment entre les
membres du comité sur le choix du point d'attaque. La
faute en était au ministre et au délégué de la guerre»
qui avaient négligé de subordonner le comité des Vosges
à Tautorité militaire.
Quatre hommes, choisis parmi les plus alertes et les
plus résolus, étaient partis dès la veille dans la direo-
tion de Commercj. Leur mission était d'interrompre
au dernier moment la communication télégraphique, et
d'enlever, au besoin, des rails pour arrêter les trains
de secours.
Parvenus à Chàtenoy, entre Mirecourt et Neufcfa&-
teau, les chefs de l'expédition firent la rencontre de
Biihler, et furent désagréablement surpris d'apprendre
Texcursion prématurée qu'il venait de faire. Ils crai-
gnaient que cet incident n'eût donné prématurément
l'éveil aux Prussiens sur toute la ligne. Aussi l'entrevue
qu'eut l'un de ces chefs avec l'audacieux partisan à
Attigneville ne fut rien moins que gracieuse. Il dit à
BuMer que, sans le vouloir, il avait travaillé jootir/e rot'
de Prusse, Un peu plus loin, Biihler ayant voulu se
reporter en avant pour attaquer un convoi prussien
assez mal accompagné qui défilait sur la route de Neuf-
château à Colombey, c'est-à-dire sur le front de la
même colonne française, en fut assez vertement empê-
ché, ce qui faillit amener une collision. Mais on ne
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84 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
tarda pas à s'expliquer, et le commandant Bernard sut
faire comprendre à Bûhler l'inopportunité d'un coup de
main qui n'eût pas manqué de compromettre une entre-
prise autrement importante. Il rengagea, tandis que la
colonne poursuivrait sa marche vers la Moselle, à s'en
aller faire une diversion du côté opposé, ce dontBûhler
s'acquitta avec zèle et intelligence.
Cette dernière explication avait eu lieu au delà des
bois d'AttigneviUe, à la ferme de la Hayevaux, gîte
désigné et préparé, où la colonne, marchant presque
toiyours à travers les bois, était parvenue après un
parcours de 40 kilomètres. Le péril était surtout grand
depuis Châtenoy; il avait fallu que le temps fût aussi
mauvais pour qu'on réussît à dérober la marche d'une
troupe aussi nombreuse à l'attention des garnisons de
Neufchâteau et de Mirecourt, entre lesquelles il fallait
cheminer. La ferme-école de la Hayevaux, située
sur un plateau à la lisière de grands bois, n^est
qu'à 10 kilomètres de Neufchâteau, mais elle en est
séparée par la vallée du Yair et des terrains boisés et
difficiles. On laissa reposer les hommes pendant toute
la nuit et la journée suivante; ils étaient si fatigués
de quatorze heures de marche forcée à travers les bois,
sur un sol accidenté et couvert de neige, qu'ils n'avaient
pas la force de manger. Pendant ce temps, les édai-
reurs avaient poussé une pointe vers la Meuse, à la
hauteur de Domremy. Le souvenir que ce nom réveille
n'est pas déplacé dans le récit de l'entreprise de ces
hommes qui rêvaient, comme Jeanne Darc, de bouter
les étrangers hors de France!
Le 19 au soir, d'importantes résolutions avaient été
prises «n conseil. On reconnut que la colonne était ivt^
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RÉSEAU DU L*EST 85
forte pour un coup de main de ce genre, que le grand
nombre ne faisait qu*augmenter les chances d'insuccès.
Un certain nombre de. mobiles était déjà tout à fait
éclopés; il n'était que trop facile de roir que bien d'au-
tres n'iraient pas jusqu'au bout. De plus, des renseigne-^
ments fournis par les éclaireurs donnaient lieu de crain-
dre une prochaine attaque contre le camp pendant
rexpédition, prévision que justifia l'événement. On
résolut en conséquence de ne conserver que les com-
pagnies de première ligne, gens alertes et rompus à la
fatigue, et de renvoyer le reste en arrière pour rallier
la réserve laissée au camp, et tenir au besoin Neufchâ-
teau .en échec.
Réduite ainsi à 250 hommes environ, dont 200 com-
battants» la colonne expéditionnaire se remit en mou-
vement le 20| à neuf heures et demie du soir. La région
qu'ils abordaient leur était moins connue ; cette seconde
marche était moins longue, mais non moins fatigante
que la première, et plus dangereuse. Les précautions
les plus minutieuses devenaient nécessaires; elles ne
firent pas défaut. Un groupe d'éclaireurs à cheval mar-
chait à 500 mètres en avant; quelques-uns, porteurs de
lanternes à feux blancs et rouges, pour faire les signaux
convenus^ poussaient de temps à autres des reconnais-
sances lointaines dans toutes les directions. 4Jn gros
chien, dont Téducation militaire ne laissait rien à dé-
sirer, marchait aussi à l'avant-garde, flairant les moin-
dres buissons. Puis venaient les fuitassins sur deux
files, dans le plus grand silence, chacun s'efforçant de
mettre le pied dans la trace du camarade qui le précé-
dait, pour laisser le moins de vestiges possible dans la
neige. Enfin, Farrière-garde escortait les charrettes
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86 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
renfermant la poudre. L'obscurité était profonde ; les
feux des éclaireurs, entrevus au loin par intervalles,
semblaient de petites étoiles mouvantes.
Enân, dans la traversée des villages qu'on ne pouvait
absolument éviter (Tranqueville, Harmonvillet Autre-
ville, Saulxure, Vannes), on avait soin» pour éviter des
indiscrétions dangereuses^ de faire bousculer les cu-
rieux par les soldats alsaciens ûe la troupe» qui les fai-,
salent rentrer chez eux avec force jurons allemands,,
pour leur faire croire au passage d'une troupe ennemie.
Nos gens suivirent ainsi quelque temps la route de
Nancy, puis piquèrent à gauche de Colombey, dans la
direction de Vannes-le-Châtel, sur la lisière des dépar-
tements de la Meurthe et de la Moselle. Ils cheminaient
Tœil et Toreille au guet, n'oubliant pas que Cçlombey
qu'ils côtoyaient à trois ou quatre kilomètres de distance ,
était incessamment visité par des patrouilles venant de
Vézelise, oùl'ennemi était en force. Ils avaient hâte d'at-
teindre les premiers contreforts du v^^ste plateau boisé,
qui s'étend entre les vallées dç la Meuse et de la Mo-
selle. Là seulement, en effet, ils pouvaient trouver de
bonnes positions de défense sur les ruisseaux et les
ravins qui relient ce plateau à la plaine, si le malheur
voulait qu'ils fussent aperçus et attaqués avant d'at-
teindre la forêt. La dernière partie de cette marche fut
cruelle. Les hommes enfonçaient jusqu'aux genoux
dans la neige non frayée, accumulée sous le couvert
du bois.
Enân, vers trois heures du matin, ils arrivèrent à la
ferme de Saint'Fiacre^ au-dessus de Gibeaumeix. Là
on pouvait, avec une sécurité relative, se permettre
quelque repos. Ceux deshomoies qui pouvaient encore
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RESEAU DU L'EST 87
se tenir debout furent déguisés en bûcherons et postés
autour de la ferme, dont on barricada les issues : les
autres s'empilèrent dans les granges et les écuries. L*un
d'eux me disait dernièrement : « Nous étions décidés à
nous laisser rôtir vivants plutôt que de nous rendre, si
Ton était venu nous relancer jusque-là. »
Au jour, on tint conseil pour décider enfin (et ce n'é-
tait pas trop tôt!) quel serait l'objectif de l'expédition ;
ce choix devait régler l'itinéraire ultérieur. Là majorité
penchait encore pour Liverdun ; la minorité tenait pour
Fontenoy, et cette opinion énergiquement soutenue
finit par triompher. Nous avons déjà montré que c'était
la plus raisonnable (1). Comme on n'avait plus besoin
des éclaireurs à cheval, on les renvoya en arrière, avec
mission de se montrer beaucoup du côté de Châtenoy,
pour donner de plus en plus le change à Neufchàteau.
On laissa aussi les charrettes qui ne pouvaient plus ser-
vir pour le surplus du trajet. La poudre fut chargée sur
des chevaux. La petite troupe se remit en marche, con-
tournant les villages à l'ordinaire, et choisissant tou-
jours, comme de raison, les endroits les plus escarpés.
Du point culminant du plateau, elle aperçut Tensemble
de la vallée de la Moselle, et les flèches de Toul s'estom-
pant dans la brume. Elle descendit à travers les vignes,
passa en contre-bas d'une partie de la route de Neuf-
(1) La ferme de Saint-Fiacre est à 25 kilomètres de Fon-
tenoy et seulement à 10 de Foug; muis Ton savait que sur ce
dernier point une surprise était désormais impossible. On
n'hésitait donc plus qu'entre Fontenoy et Liverdun. L'un des
chefs dit qu'il ne voudrait pas avoir à se reprocher la des-
truction d'un ouvrage tel que le pont-canal, que la Fronce
perdait assez d^argmi t^us ks jours.
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88 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
château à Toul; puis, enfilant un chemin creux, longea
de trèB-prës les rempsurts ée Toul sans être aperçue de
Tennemi. Les rares paysans qu'on rencontrait saluaient
les uniformes français avec un enthousiasme mêlé de
crainte. « Partout, m'a raconté un des chefs de Tentre-
prise, nous nous donnions comme appartenant à Tavant-
garde de Bourbaki. Les hommes pleuraient de joie, les
femmes nous sautaient au cou. « Ohi disaient les
paysans, ttiez^en beaucoup/ »
Il était nuit close quand on atteignit Pierre4a-Treicbe,
à six kilomètres de Toul. C'était là qu'on allait passer
la Moselle, au-dessus de cette yille, pour se diriger
ensuite en aval sur Fontenoy, à travers l'angle que
forme cette rivière et dont Toul occupe le sommet. On
ât halte pour quelques heures dans une sorte de manoir
isolé, habitation d'un brigadier forestier. Afin de dé-
router les curieux, et au besoin les patrouilles enne-
mies, Bernard, qui avait eu la précaution de se munir
au départ de quelques capotes et casques prussiens, en
affubla les factionnaires, choisis parmi les Alsaciens de
sa compagnie. On m'a même assuré que deux de ces
sentinelles, abordées par une patrouille venant de Toul,
se tirèrent à merveille de ce colloque.
La Moselle fut franchie à une heure du matin, par
un froid de dix-neuf degrés. Elle était déjà prise en
partie, mais les mariniers du village, qui étaient dans
le secret, se jetèrent bravement à l'eau pour dégager
le bac des glaçons qui l'entouraient. Ces braves gens
ne voulurent accepter aucune espèce de rétribution
pour un travail presque mortel : la race des pontonniers
de la Bérésina n'est pas éteinte en France I L'embar-
cation ne pouvait tenir qu'une quarantaine d^ommes
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RESEAU DU UBST 89
à la fois, ce qui prolongea singulièrement la durée de
eette traversée, Fun des épisodes les plus émouvants
de Texpédition. Le débarquement eut lieu, toutefois,
sans aucune espèce d*accident. Puis on gravit, dans le
plus grand silence, la rive droite, fort escarpée à cette
place. C'était là encore, on le comprend, l'un des en-
droits les plus dangereux; il fallait glisser littéralement
entre les doigts de l'ennemi, en coupant la ligne des
patrouilles qui exploraient les bords du fleuve à de
courts intervalles. Parvenue sans accident sur la crête,
la colonne s'enfonça aussitôt dans les bois, observant
toujours les plus grandes précautions pour dissimuler
son passage.' A l'extrême arrière-garde, un bomme traî-
nait un grand râteau pour effacer la trace des pas dans
la neige. A l'avant-garde^ des sapeurs faisaient des
entailles aux arbres pour indiquer la direction. On
employait aussi, dans le même but, des coups de sifflets
diversement modulés, comme faisaient les Prussiens.
La petite troupe n'avait pas fait trois cents pas depuis
le débarquement, quand elle vit soudain Tborizon s'é-
clairer sur la gaucbe d'une lueur rougeàtre. En même
temps, on commença à entendre gronder le canon de
Toul, auquel répondaient au loin celui de Gommercj et
le râlement lugubre des mitrailleuses de Foug. Ces
signaux d'alarme, qui se prolongèrent pendant plus
d^une heure, indiquaient que la communication télégra-
phique était déjà interrompue.
La colonne traversa le bois qui s'étend entre la
Moselle et la route de Dammartin-lès-Toul, puis la
route de Nancy en amont de Gondreville. Appuyant
ensuite à droite, pour se maintenir sous le couveiHi des
bois, elle descendit vers la Moselle et Fontenoy, en
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90 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
con1a*e-bas du village de Velaine-en-Haye. Enfin, après
trois heures et demie de marche forcée à travers les
halliers, les fondrières et la neige., on arriva sur Fon-
tenoy. Cinq heures sonnaient quand Tavant- garde
aperçut, au débouché d'un chemin creux, les premières
maisons du village et le fameux pont, situé à 800 mètres
de la station.
On fit halte un quart d'heure, pour former le plan
d'attaque et reprendre haleine. Afin d'éviter de cruelles
méprises et de faire le moins de bruit possible, on dé-
fendit de charger les armes. La lune, voilée jusque-là
par les nuages, se montra assez mal à propos; les
hommes n'eurent que le temps de se rejeter dans
l'ombre du chemin creux. Il s'en fallut de bien peu que
les factionnaires du pont, parfaitement en vue de ce
point, n'entrevissent sur la hauteur ces ombres sus-
pectes, et ne fissent retentir en temps utile leur Wehr
hemusl
Un habitant de Fontenoy vint annoncer qu'une forte
pairouille, de soixante hommes environ, venait préci-
sément de quitter le village. C'était une heureuse
coïncidence. On se partagea la tâche : une partie de la
troupe devait prêter main-forte aux mineurs et obser-
ver les environs, tandis que l'autre «'occuperait d'en-
lever, ou plutôt d'écraser le poste de la station, avant
que l'enàployé du télégraphe n'eût le temps de parler à
Nancy ou à Toul. Coumès et Magnin se chargèrent de
cette besogne avec quarante de leurs hommes les plus
solides : le reste cerna le pays pour empêcher les autres
Prussiens de s'échapper. On proposait à Coumès de
prendre par le village, en suivant la ligne des fumiers
qui bordeht de part et d'autre les maisoiis, suivant
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RÉSEAU DU L'EST 91
1 habitude générale et malsaine des paysans de la
Meurthe. Cette manœuvre avait l'avantage d'amortir
le bruit de la marche, mais d'autre part elle risquait
d attirer l'atfention des soldats logés dans le village,
tournes préféra courir droit au poste de la station,
occupé par 50 hommes du 17- régimentde lalandwehr.
C étaient des gens de Dusseldorf.
Un incident burlesque faillit tout gâter au dernier
moment. La petite troupe Coumès-Magnin était guidée
par un ei-zouave qui était du pays. Ce brave homme,
ayant d aventure mis le pied dans un trou dissimulé
par la neige, trébucha et lit avec son sac, sa gamelle
et autres ustensiles, une culbute bruyante, si bien
réussie que ses camarades éclatèrent de rire en vrais
français, malgré la gravité des circonstances. Depuis
un moment déjà, ils voyaient s'agiter des ombres
derrière les vitres de la station. Au bruit de leurs rires
la porte de ce bâtiment s'ouvrit, tandis qu'ils péné-
traient dans la cour. A la lueur projetée par cette
porte, ils entrevirent les hommes du poste qui sor-
taient et se mettaient en rang pour recevoir cette
joyeuse reconnaissance. Leur physionomie exprimait
moins l'épouvante que la surprise et l'ahurissement
d un brusque réveil. Le chef du poste fit armer et dit
V»t mve? en français; au même instant le factionnaire
des armes croisait la baïonnette sur M. Coumès, qui
marchait en tête de sa troupe, et criait : Haltf hait!
wer da? Coumès lui riposta par deux coups de sabre en
pleine figure, qui le renversèrent. C'était le signal
convenu : nos gens fondirent sur leur proie.
Un des principaux acteurs de cette scène terrible
nous disait dernièrement : « Je n'oublierai de ma vie
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9S CHEMINS DE FER FRANÇAIS
le hurrahl étranglé de ces hommes épouvantablement
surpris. Ce fut comme un cri de bête fauve qui leur
resta dans le gosier. » La plupart se rejetèrent dans la
station, s'y barricadèrent et firent feu des fenêtres.
Un sergent-majoi: de la garde, d'un coup de revolver,
brisa la serrure.
Ce fut alors, non pas un massacre, comme on Ta
dit, mais un combat corps à corps, dont Tissue ne
fut pas longtemps douteuse. Quelques-uns de ces
Allemands se défendirent avec le courage du désespoir ;
l'un d'eux, décoré de la croix de fer, criblé de coups,
refusait encore de se rendre. En revanche, leur chef
s'était fourré sous une table ; il fallut le tirer par les
pieds de cette cachette. En même temps, on entendait
au dehors des coups de feu isolés : c'était la chasse aux
Prussiens logés dans le village, et dont bien peu
réussirent à s'échapper. On ne fit en tout que huit
prisonniers. Il faut dire que parmi les Français engagés
dans une entreprise qui cumulait tous les genres de
péril, plusieurs avaient de cruelles injures à venger.
L'un d'eux, peu de temps auparavant, avait eu son
frère fusillé comme soldat irrégulier. Un autre, nommé
Hamard, fait prisonnier à Sedan, s'était échappé à la
nage du camp de la Misère^ sous une grêle de balles ;
était revenu prendre part à la défense de Toul, où il
avait été grièvement blessé, et finalement s'était évadé
de l'ambulance pour venir s'engager dans les partisans
des Vosges (1).
(1) M. Simorre, chef de la station, auquel les Prussiens
avaient permis d'y rester, quoiqu'il ne fît aucun service pour
eux, avait assisté à cette lotte. Malgré le conseil des Fran-
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- RESEAU DU L'EST «3
Tout allait bien pareillement du côté du pont. Deux
hommes qui avaient fait preuve d'une vigueur et d'une
agilité extraordinaires dans le combat nocturne de
Dombrot, étaient chargés de supprimer sans bruit les
deux factionnaires. Cette tâche fut accomplie un instant
avant Fattaque de la station. Aussitôt MM. Tissot et
Loisant, des ponts et chaussées, se mirent à Tœuvrc,
secondés par Bernard, Richard et leurs hommes. Il y
eut là un moment d'angoisse terrible. Le tampon placé
à l'orifice de la cheminée, qu'on avait cru seulement à
30 centimètres du niveau du ballast, se trouvait à une
profondeur de plus du double ; si bien que déjà l'on
se demandait avec épouvante si l'on n'avait pas creusé
à la bonne place; si par conséquent, après tant de la-
beurs et de périls, tout n'étaitpas manqué, quand enfin
on entendit que la pioche rencontrait du bois I Les tra-
vailleurs mirent à jour l'orifice de la cheminée et
commencèrent à charger le fourneau. Pendant l'opéra-
tion, un train venant de Toul arriva jusqu'à l'extrémité
du pont, mais rétrograda à toute vapeur au bruit des
coups de feu. On pense que c'était un train de blessés,
les Prussiens ayant l'habitude de faire ainsi voyager
leurs blessés la nuit, pour en dérober la vue aux popu-
lations envahies, et aussi aux hommes de la landwehr,
qu'on craignait de décourager.
Le chargement touchait à sa fin quand il faillit arri-
çais, il refusa ensuite de s'éloigner, aya»t avec lui son père,
yieillard octogénaire qui n'était pas transportable et qu'il ne
voulait pas abandonner. Arrêté l'un des premiers au retour
des Prussiens^ il fut relâché an bout de quelques jours.
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94 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ver une catastrophe. En voulant prendre la lanterne
sur le rebord du fourneau, Tun des travailleurs laissa
cchai)per la chandelle, qui roula toute allumée dans le
trou, à quelques centimètres des sacs de poudre déjà
installés! Plus de cent hommes, qui dans ce moment se
ti'ouvaient sur le pont, furent sauvés par Tadmirable
présence d'esprit et l'adresse de M. Tissot, qui, sans
perdi*e une seconde, se courba, disparut à moitié dans
cette cavité béante d'où instantanément la mort pou-
vait jaillir, et parvint à ressaisir la chandelle sans
perdre Téquilibre.
On n'employa que quatre cents kilogrammes de
poudre; les deux tiers de ce qu'on avait apporté.
M. Alexandre avait estimé cette charge suffisante, et
l'on pouvait avoir besoin du reste pendant la retraite.
Enfin tout le monde s'éloigna du pont ; six mèches an-
glaises furent immédiatement ajustées à la mine, et le
tout fortement bouché et assujetti avec un cadavre
ennemi. Immédiatement, chacun reprit son rang, et la
troupe remonta le village. On annonçait déjà, mais
prématurément, l'approche des uhlans et même de
l'artillerie ennemie. 11 était sept heures, et la colonne
arrivait au haut de la montée du village, quand le pont
sauta avec deux formidables détonations, auxquelles
répondit un cri vigoureux de Vive la France! Les
pauvres habitants se pressaient autour des soldats,
leur serraient les mains. La plupart ne prévoyaient
pas ce qu'allait leur coûter cette entreprise, ou plutôt,
dans leur émotion patriotique, ils n'y songeaient pas
encore. Pourtant quelques-uns, plus clairvoyants, di-
rent : Vous partez, nous sommes perdus/
L'explosion avait détruit deux arches entières, fait
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RESEAU DU L'EST 9$
écrouler la pile du fourneau, et fortement lézardé les
deux suivantes. Le tout constitua une brèche d'environ
trente-cinq mètres, dans la grande ligne allemande.
Si le fourneau avait été pratiqué dans une pile du mi-
lieu et non dans la plus rapprochée d'une des rives, on
n'aurait pu combler, comme on le ût, le vide causé par
l'explosion, et le rétablissement de la grande commu-
nication allemande eût exigé bien plus de temps. Elle
resta néanmoins interrompue dix-sept jours (1).
La retraite s'opéra en quatre jours, sans accident,
mais non sans fatigue ni péril. Cette fois, la colonne
appuya davantage sur la gauche dans la boucle de Ixi
Moselle. Elle parvint à passer sur la glace, qui toute-
fois n'avait que bien juste la consistance nécessaire,
surtout pour les chevaux, qu'on tenait et qu'on parvint
à sauver. Elle se rompit même en partie pendant ce
trajet, et les hommes de l'arrière-garde ne purent pas-
ser qu'en sautant de glaçon en glaçon. On retourna
ensuite par Goviller, Vandéléville, Vicherey, Dam-
martin, Houécourt, etc., jusqu'à Bulgnéville, où les
partisans se retrouvaient chez eux, ce village étant
dans la ligne de leurs cantonnements ordinaires. Par-
tout sur leur passage ils avaient été parfaitement
accueillis et fêtés, parfois même un peu trop, ce qui
donna lieu à quelques scènes regrettables, principale-
ment à Vandéléville et Vicherey. Au retour, ils apprirent
que les mobiles du Gard, renvoyés en arrière au début
de l'expédition, avaient été surpris à Vrécourt, sur la
lisière de la forêt de Boëne, par une colonne d'explo-
(1) On trouvera dans rouvrage de M. Jacqmin (306-7) le
détail des réparations allemandes.
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96 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ration partie de Neufchâteau, qui toutefois avait perdu
du monde, et n'avait osé aller plus avant. Cet engage-
ment avait eu lieu deux jours avant l'explosion de
Fontenoy; ainsi la diversion combinée par les auteurs
de ce coup de main avait pleinement réussi, puisque
la garnison de Neufchâteau, si bien placée pour barrer
le passage ou la retraite à la petite colonne dirigée sur
Fontenoy, avait fait une expédition dans le sens op-
posé.
Deux jours après, l'un des chefs qui avaient été à
Fontenoy était à Sau ville, non loin du camp , oc-
cupé à expédier sur Langres les prisonniers, quand
un enfant de seize ans demanda à lui parler.
— Mon commandant^ je viens pour être soldat avec
vous. Comme cela, j'aurai au moins de quoi manger.
Nous n'avons plus rien, notre maison est brûlée.
— Comment, ta maison est brûlée ?
— Oui, mon commandant, quand j'ai quitté Fonte-
noy, tout flambait comme de la paille. A dix heures
du soir, on y voyait comme en plein jour.
Les prisonniers crurent leur dernière heure arrivée.
Quelques-uns tournèrent vers le chef français des
regards suppliants, baisant à grand bruit des photo-
graphies de femmes et d'enfants. Il ne leurfutfait aucun
mal.
La destruction du pont n'avait été connue à Nancy
que dans l'après-midi, au retour du train-poste. La
garnison de Toul avait été sur pied toute la nuit, mais
s'était tenue sur la défense. Elle croyait être attaquée
d'un moment à l'autre par l'avant-garde de Bourbaki.
Aussi Fontenoy n'avait été réoccupé que dans la soirée
du lendemain.
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RESEAU DU L'EST %7
La surprise de Fennemi avait été complète ; sa ven-
geance fat impitoyable. Dix millions de contribution
extraordinaire furent immédiatement levés en Lor-
raine. Le vilkge de Fontenoy, convaincu dô connivence,
disait-on, avec les personne* malintentionnées qui avaient
détruit le pont (c'était une insigne fausseté) fut incendié
au pétrole, sauf trois maisons auprès de la gare,
affectées aux logements militaires pendant les travaux
de restauration. L'opération fut exécutée en conscience ;
nos communards eux-mêmes n'eussent pas mieux fait.
Les meubles, les récoltes furent consumés ; la plupart
des bestiaux périrent avec les étables. On tirait sur
les habitants qui cherchaient à sauver quelque chose.
Pourtant deux ou trois tout au plus avaient été du se-
cret ; un seul avait participé à la destruction du pont.
Le préfet allemand requit d'urgence à Nancy 500 ou-
vriers pour laréparation de cet ouvrage. Comme, malgré
les plus terribles menaces, personne ne se présentait, le
même fonctionnaire décréta, le 23 janvier, la suspen-
sion de tous les travaux publics, la fermeture de tous
les chantiers, ateliers et fabriques, et, ce qui était plus
fort, la défense aux patrons, entrepreneurs et fabri-
cants, de continuer à payer leurs ouvriers pendant ce
chômage forcé, sous peine d'une amende de dix à cin-
quante mille francs par chaque paye qu'ils auraient
faite. Puis vinrent les menaces de mort contre les
surveillants, les ouvriers ; et finalement (le 26 janvier),
une razzia de 150 à 200 individus de tout âge et de tout
costume, exécutée sur la principale place de Nancy.
Dans les premiers jours de février, Fontenoy of-
frait un spectacle lamentable. Les femmes, les enfants
bivouaquaient en plein air dans la neige ; le jour, ils
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98 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
erraient au milieu des ruines, quêtant parmi les dé-
combres encore fumants quelques débris de leur mobi-
lier. La plupart des hommes avaient été successive-
ment arrêtés, conduits à Toul ou à Nancy, quelques-
uns dans un tel état, qu'un officier supérieur allemand,
dont un journal du temps a publié le récit, ne put les
voir sans en être ému, malgré sa gallophobie. Des
femmes, des vieillards moururent par suite de ces mau-
vais traitements. Mais Tépisode le plus odieux fut la
mort d'une femme paralytique septuagénaire brûlée
vive dans sa maison. Des soldats avaient repoussé à
coups de baïonnette ceux qui voulaient l'emporter !
Le récit le plus complet, le plus autorisé du sac de
Fontenoy, est celui que vient de publier le curé de ce
village et de celui de Gondreville, M. l'abbé Briel.
(Quarante-neuf maisons furent successivement brûlées
en trois jours. Après l'incendie, les Prussiens amenè-
rent un photographe... On groupa les soldats avec art;
on acheva de démolir une maison dont les murs encore
debout projetaient une ombre disgracieuse. M. Briel
a vu toutes ces scènes .
A l'occasion de cet incident, certains journalistes
allemands prétendirent que la destruction des ouvrages
de chemins de fer en temps de guerre constituait un
attentat au droit des gens. Ils oubliaient, ou plutôt
ils ne voulaient pas se souvenir que la destruction des
voies ferrées pouvant servir à l'ennemi est devienne
par la force des choses un moyen de guerre aussi indii^
pensable, aussi légitime que l'a été de tout temps celle
des ponts, des routes ordinaires ; qu'un mois avant
l'affaire de Fontenoy, les Prussiens avaient fait sauter,
par mesure de précaution, un ouvrage bien autrement
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RESEAU DU L'EST 99
considérable des lignes françaises de TOuest, le pont
d'Orival, près d'Elbeuf. (V. Chemins de VOuest,)
Quant aux représailles exercées systématiquement
contre les auteurs présumés de ces brigandages^ elles
furent tout d'abord blâmées, même en Allemagne, par
lès écrivains impartiaux. En revanche, elles ont trouvé
des apologistes en France parmi les gens qui pré-
tendent au monopole du patriotisme. Ainsi, on lit dans
une rapsodie radicale publiée récemment sur les cam-
pagnes de l'Est, que ces récriminations contre les
violences des Allemands sont ridicules et déplacées,
que les armées du premier Empire en avaient fait autant
chez eux, que tous les séides du despotisme se valent,
etc. Nous avons prouvé ailleurs par des arguments
contemporains empruntés à nos ennemis que, sauf'
quelques excès commis dans l'emportement de la lutte,
Toccupation française, prise dans son ensemble, fut
moins pénible, moins répugnante que ne l'a été la
récente occupation prussienne (1). D'autre part, s'il est
un peuple auquel ses antécédents interdisent le droit
de proscrire la défense d'un territoire envahi, c'est bien
celui qui compte parmi ses titres d'honneur le fameux
règlement de 1813, où nous lisons : « Chaque citoyen
est obligé de s'opposer à l'invasion avec n'importe
quelle arme. C'est un combat qui sanctifie tous les
moyens... Les plus terribles sont les meilleurs, etc.
Mais tous les sophismes s'évanouissent devant ce qui
nous reste à dire.
Malgré les représailles iniques des Prussiens, le coup
de main de Fontenoy avait produit une impression
(1) V. Les Français en Prusse. Didier.
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100 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
profonde. De toutes parts, on accourait s'enrôler dans
la légion de la Délivrance^ quand on apprit que Paris
avait capitulé ! M. Jules Favre ignorait qu'une partie
des Vosges résistait encore à Tinvasion étrangère.
Aussi ce diplomate novice et larmoyant, qui laissait
exclure de l'armistice l'armée de l'Est, espérant que
cette exclusion exigée par les Allemands tournerait
contre eux (!), avait laissé englober la totalité du dépar-
tement des Vosges dans la zone des territoires occupés
par l'ennemi. Le commandant Bernard et les autres
chefs durent donc, non sans d'amers regrets, évacuer
les positions qu'ils occupaient depuis près de deux mois,
et dans lesquelles ils n'avaient été ni forcés, ni même
attaqués. Comme la place de Langres et sa zone neutre
étaient alors fort encombrées, comme il se trouvait notam-
ment dans cette zone force Garibaldiens dont ils vou-
laient éviter le contact, les partisans des Vosges pré-
férèrent rentrer dans les lignes françaises au delà du
département de la Haute-Marne, et gagner le Jura.
Pendant les pourparlers relatifs à cette évacuation, les
chefs de la légion eurent l'occasion de s'entretenir à
Épinal, à Nancy et Dôle, avec plusieurs hauts fonction-
naires prussiens, tant civils que militaires. Ils se pré-
sentèrent comme étant les personnes malintentionnées
(suivant l'expression du gouverneur de la Lorraine)
qui avaient fait sauter le pont de Fontenoy, et expri-
mèrent librement leur opinion sur les représailles
exercées contre le village et la Lorraine entière. Mais
ce qu'on aurait peine à croire, et ce qui est pourtant
justifié par des témoignages authentiques, c'est que
ceshommes, qu'on qualifiait encore la veille de brigands,
reçurent après l'armistice un accueil des plus flatteurs !.
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RESEAU DU L'EST 101
Par une convention militaire signée à Dôle le 14 fé-
vrier 1871, le général de Manteuffel accorda aux troupes
françaises sous les ordres du commandant Bernard le pas-
sage libre avec escorte d'honneur à travers les troupes
prussiennes. Il leur avait même été promis verbalement,
« qu'en considération de la fière attitude qu'ils avaient
toujours eue dans les Vosges, » leur campement forti-
fié dans la forêt de Boëne serait respecté, et on leur
tint parole. Toutes les clauses de la convention du
14 février furent parfaitement observées. « La légion
des Vosges traversa les lignes ennemies, fanfare en
tête et enseignes déployées. L'avant-garde des chas-
seurs avait un drapeau sur lequel étaient écrits les mots
Alsace et Lorraine. Le général Werder les salua à Bôle,
à la tête de son étai-major, Partout les postes prussiens
leur présentèrent les armes (1). »
Tout ceci ne s'accordait guère, il faut en convenir,
avec V incendie au pétrole du village de Fontenoj, et
les dix millions de contributions de guerre. Force est
bien d'en conclure qu'au fond cette indignation n'était
pas sincère, et que ces représailles vandales et fiscales,
pour un fait de guerre dont on complimentait ensuite
les auteurs, n'étaient, en réalité, qu'une nouvelle appli-
cation du célèbre axiome : La force prime le droit I
Peut-être même, une fois la première émotion passée,
n'était- on pas fâché d'avoir trouvé là un nouveau pré^
texte pour intimider les populations et battre monnaie
à leurs dépens.
(1) Le commandant Bernard, en attendant la revanche,
est allé, pour se tenir en haleine, guerroyer au Chili con-
tre les anciens sujets d'Orélie l^r. M. Coumès est aujourd'hui
professeur d'art militaire à Saint-Cyr.
6.
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iO« CHEMINS DE FER FRANÇAIS
xni
Après la signature des préliminaires de paix, une
convention spéciale , signée à Ferrières le 9 mars ,
stipula les conditions de la remise aux Compagnies
françaises de la portion de leur réseau située sur les
t^ritoires qui demeuraient soumis à une occupation
temporaire. Bien que cette remise intéressât les. cinq
grandes Compagnies , nous croyons à propos d'en
parler spécialement à Tai'ticle de TEst, d'abord parce
que celle-là y avait l'intérêt le plus grand, puisque
tout son réseau était pris; ensuite parce que ce fut
M. Durbach, sous-directeur de TEst, qui fut délégué
par le Gouvernement français pour conclure cette con«
vention. Il fallut en passer par de cruelles exigences f
Ainsi, par Tarticle 1®', les autorités allemandes autori-
saient bien les Compagnies à reprendre leur exploita-
tion^ mais en se réservant le droit de les évincer de
nouveau, sans explication ni autre formalité que celle
de les prévenir quatre jours d'avance. Quant aux sec-
Uons comprises dans le territoire cédé, et qui apparte-
naient en totalité au réseau de l'Est^ l'autorité alle-
mande en conservait l'administration et l'exploitation .
L'article 2, qui pesait aussi à peu près exclusivement
sur la Compagnie de l'Est, plaçait les administrations
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RESEAU DE L'EST ld3
françaises, vis-à-vis de la commission executive et des
commissions de lignes allemandes^ dans les mêmes
conditions que les administrations allemandes, c'est-
à-dire dans un assujettissement complet. En consé-
quence, les Compagnies françaises (art. 3) étaient
tenues de faire avec priorité^ sur leur propre service,
les trains militaires requis par Tautorité allemande.
Celle-ci se réservait la détermination du nombre de
ces trains, des points d'embarquement et de débarque-
ment, des itinéraires, etc.
Plusieurs des stipulations arrêtées le 9 mars se rap-
portaient à un objet auquel le (Gouvernement français
attachait une grande importance, et dont les nouveaux
événements de Paris allaient faire pour lui, quelques
jours. plus tard, une question de vie ou de mort, le
prompt rapatriement des prisonniers français. Déjà
Tun des articles des préliminaires signés à Versailles,
le 26 février précédent, avait arrêté en principe le
retour immédiat de ces prisonniers, et la mise à dispo-
sition de l'autorité allemande d'une portion du maté-
riel roulant nécessaire à ce transport. L'article 6 de la
convention du 9 mars fixa à cinq mille le nombre des
wagons qui lui seraient remis, dans le plus bref délai
possiUe, sur les points désignés par elle. 11 fut égale-
n^nt convenu (art. 8) que ces wagons, dirigés sur
l'Allemagne, vers les localités où se trouvaient internés
les prisonniers français^ pourraient être utilisés, à
l'aller, pour le rapatriement des troupes allemandes.
Les Compagnies françaises ne perdirent pas un
moment pour réclamer l'exécution de cette convention.
Dès le 13 mars, celles de Lyon et d'Orléans obtinrent
la remise de leurs lignes. Celle du Nord rentra en pos-
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104 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
session des siennes deux ou trois jours après. Mais la
remise du réseau de l'Est, réparti, comme on Ta vu
plus. haut, entre cinq directions allemandes, présentait
de bien plus grandes difficultés. Aussi, comme souvent
il arrive, l'affaire la plus considérable, et à tous les
points de vue la plus urgente, fut celle qui marcha le
moins vite. Il fallut passer avec chacune de ces direc-
tions un traité spécial, et l'exploitation française ne
put reprendre qu'à des dates échelonnées du 17 au
24 mars.
Pendant ce temps, l'insurrection de Paris apportait
une nouvelle perturbation dans les services à peine
réorganisés, et retardait la remise du matériel destiné
au rapatriement , alors précisément que ce retour
devenait le plus nécessaire! La Compagnie de l'Est
faillit même, par suite de ces événements, reperdre
tout son réseau. Si les difficultés qui surgirent alors
n'avaient été promptement aplanies, on ne saurait
trop dire quand et comment le rapatriement se serait
opéré, pi où nous en serions aujourd'hui. A cette ocpa-
sion, les autorité^ allemandes exigèrent qu'un service
complet de tête de ligne fûtorganisé à Pantin, de manière
à être, au besoin, absolument indépendant de la situa-
tion de Pg^ris. Pour le même motif, elles demandèrent
aussi l'installation d'une délégation supérieure de la
Compagpie à Nancy, et firent de cette double demande
une condition sine quâ non de la remise du i^éseau.
Après tout , il était naturel que les Allemands récla-
mÉ^ssent des garanties, pour l'exécution des engage-
ments pris au nom d'un pouvoir que de nouvelles
péripéties révolutionnaires mettaient à ^on tour en
question. Sur les deux points, il leur fut donné de
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RESEAU DE L'EST 105
suite satisfaction, et la Compagnie de TEst put recons-
tituer un service aussi complet que le permettaient les
circonstances.
Comme le retour des prisonniers devait s'effectuer
principalement par l'Est, la Compagnie avait réclamé une
convention spéciale pour régler le mode de leur remise
aux autorités françaises, et indiqué, comme offrant des '
facilités plus grandes pour cette opération, les gares
de CharleviUe, Lunéville et Vesoul. Il fut fait droit à
sa demande par un acte particulier, signé le 11 mars
à Ferrières, dont Tarticle 3 stipulait que les prison-
niers rentrant par Metz seraient dirigés sur Charle-
viUe ; ceux arrivant par Strasbourg sur Lunéville ,
ceux revenant par Mulhouse sur Vesoul.
La Compagnie s'acquitta avec zèle de cette tâche
consolante et si urgente du rapatriement. Le chiffre
des hommes qui lui furent remis*, à ces trois gares,
s'éleva à 295,261, et ce n'était pas là encore, hélas!
l'effectif total des soldats français internés en Alle-
magne. Il faut y ajouter 25 à 30,000 hommes, qui
revinrent sur les navires français envoyés dans
l'Elbe; ceux qui obtinrent la permission de revenir
isolément, et qui rentrèrent par la Belgique, prin-
cipalement des officiers. Il faut j joindre encore
ceux qui ont succombé à la nostalgie de l'exil;
ceux qui n'ont pu survivre aux désastres, à l'humilia-
tion de la patrie, et qui dorment leur dernier sommeil
dans les cimetières des places allemandes...
De la nouvelle frontière française, des trains spé-
ciaux de l'Est ramenèrent les prisonniers rapatriés
vers l'intérieur de la France, et notamment du côté de
Versailles. On sait s'ils y étaient impatiemment atten-
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106 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
dus! On en forma Tarmée qui devait arracher, malheu-
reusement bien tard, Paris aux bandits de la Commune.
La Compagnie de l'Est concourut également, en sens
inverse et dans une forte proportion, à la rapatriation
des troupes allemandes. Il y eut sur ses lignes, prin-
cipalement du 12 au 26 septembre 1871, un mouvement
extraordinaire, correspondant à l'évacuation des dépar-
tements les plus rapprochés de Paris. Dans cet espace
de temps, les agents de la Compagnie eurent à faire,
sur les réquisitions allemandes, et avec priorité sur
tout autre service, 79 trains extraordinaires de troupes
et de munitions. Ce transport fut accompli avec une
précision extrême et sans accident, grâce à Fexacte
observation, par les troupes allemandes, de ces sages
règlements qui ont eu tant de part à leurs succès. Du 20
mars au 31 décembre 1871, la Compagnie eut à trans-
porter en totalité, de France en Allemagne, 388,242 of-
ficiers et soldats, 50,871 chevaux, plus de 21 millions
de kilogrammes de matériel de guerre, d'approvision-
nements, de bagages, etc. Une partie de ces soldats
accomplit exclusivement son parcours par les lignes
de TEst. Le reste fut d'abord embarqué sur celles du
Nord, jusqu'à Soissons ou Laon, d'où ces troupes pas-
saient sur l'autre réseau. Jamais, depuis les grandes
émigrations barbares, si lourde invasion n'avait pesé
sur un Etat civilisé, et encore ces chiffres ne compren-
nent pas les soldats rapatriés par les paquebots de la
Compagnie Transtlantique, ceux qui s'embarquèrent à
Belfort, alor^ occupé par les Allemands, et dans les
gares de la partie du réseau de l'Est qui cessait d'être
française. Enfin , notre Compagnie eut encore la
commission pénible de transporter, dans le sens de
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RESEAU DE L'EST iOl
TAUemagne sur la France, les troupes qui venaient y
prendre garnison, pour la garantie de la contribution
de guerre.
Du moment où Ton n'avait pas tenté, pour porter la
guerre de prime abord sur le territoire allemand,
Teffort énergique, désespéré qui eût été pour nous la
soûle chance de triomphe et de salut, la ligne de TEst,
par la fatalité de sa position, était condamnée à devenir
en entier, et dès les premiers moments, la proie de
Tennemi. Aussi ses pertes ont été plus grandes,
plus foudroyantes surtout que celles des autres
Compagnies, qui ne furent privées de leur exploitation
que partiellement, au fur et à mesure des progrès ulté-
rieurs de rinvasion.
La Compagnie de l'Est a été forcée de dépenser
15 millions, rien que pour remettre en état son matériel
roulant, les lignes et portions de lignes qui lui restent.
Ce chiffre représente , .à lui seul , près de la moitié
de la somme totale qu'il a fallu dépenser pour cet
objet sur le réseau français (1). Il eût été bien, plus
considérable encore, si l'on n'avait pas profité, dans une
certaine mesure, des réparations exécutées par les Alle-
mands eux-mêmes (notamment de celle du pont de
Fontenoy), et si Ton ne s'était trouvé dispensé, par
malheur, de la réparation d'ouvrages détruits sur la
partie du territoire français aujourd'hui cédé à l'Alle-
magne, comme le grand pont de Kehl (détruit par. les
(1) Le chiffre total de la dépense faite pour rétablir rexploi-
tation du réseau français est évalué à près de 33 millions,
dont 15 millions rien que pour la compagaie de TEst, et 12
pour celle de l'Ouest. (Jacqmin, 323)
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108 CH1>MIN8 DE FER FRANÇAIS
Allemands au début de la guerre), qui avait été cons-
truit à frais communs par la Compagnie de TEst et le
grand-duché de Bade, comme aussi les ponts sur les
rivières delà plaine d'Alsace, aux abords de Schelestadt,
de Strasbourg I
La triste nomenclature des destructions accomplies
pendant la guerre sur les lignes de TEst ne comprend
pas moins de cinquante -neuf ouvrages : ponts, souter-
rains et viaducs. Parmi ces destructions, plusieurs ont
été, comme on vient de le voir, utiles à la défense du
territoire ; d'autres, inutiles et même nuisibles, avaient
eu lieu malgré les avis des agents supérieurs de la Com-
pagnie. D'autres enfin, et des plus essentielles, ne fu-
rent pas opérées. Parmi ces ouvrages fatalement ou-
bliés, on remarque surtout les tunnels de Saverne,dont
nous avons suffisamment parlé, et le trop fameux pont
du chemin de fer, à Bazeilles, sur la ligne de Sedan à
Thionville (31 août) , dont la destruction, opérée en temps
utile, aurait empêché au moins une partie des désastres
du lendemain (1).
Six seulement des gares de l'Est ont été détruites
pendant la guerre, soit à dessein, soit par accident. Les
plus importantes furent celles de Mourmelon, incendiée
par l'imprudence des soldats allemands qui la gardaient;
celle de Strasbourg, démolie aux trois quarts par le
bombardement, et celle de Schelestadt, détruite par le
génie militaire français pour la défense de la place. Ces
deux dernières gares se trouvant sur le territoire pré-
(1) Consulter à ce sujet l'important récit du prince Bibesco,
Belfortt Reims, Sedan, p. 128.
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RESEAU DE L'EST 109
sentement cédé à rAUemagne, la Ck)mpagnie de TEsty
à son grand regret, n'a pas eu à les reconstruire.
En revanche, ses pertes en matériel roulant ont été
de beaucoup les plus considérables. Elle ne pouvait
avoir, en effet, en raison de l'intérêt stratégique de son
réseau, et de la rapidité des premières péripéties, la
même liberté d'action que les autres Compagnies, pour
faire refluer son matériel en temps utile hors de la
portée de Fennemi. Elle a dû, au contraire, en laisser,
sur réquisition de l'autorité militaire, une quantité con-
sidérable à proximité du théâtre des opérations, soit
dans les places menacées, soit sur les voies, en vue des
besoins de l'armée. Aussi elle a eu sa lourde part
dans les désastres de 1870. D'après les calculs de
M. Jacqmin, sur un total de 90 machines françaises
tombées, pendant la guerre, aux mains des Allemands,
84 appartenaient à la compagnie de l'Est (1).
Sur ces quatre-vingt-quatre machines, dix furent
prises après les batailles de Forbach et de Reichshoffen ;
onze après celle de Sedan; trente-huit à Stras-
bourg où elles avaient été laissées sur réquisition du
général Uhrich; quatre à Metz; onze laissées à Mont-
médy sur réquisition de l'intendance. Le nombre des
wagons perdus fut naturellement en proportion de celui
(1) L'énumération de M. Jacqmin n'est pas complète. Il
faut y ajouter notamment quatre machines du Nord, prises à
Rouen le 5 décembre dans des circonstances assez curieuses
voir ci-après Chemins de fer du Nord^ et les machines de
rOueat, prises le 9 à Dieppe, mais dont on avait eu le temps
d'enlever les bielles; deux autres de la Compagnie de Lyon,
saiwes le 1<^' février 1871, etc.
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110 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
des machines. Sur environ 4,000 wagons français qui
tombèrent au pouvoir de l'ennemi , bien plus des trois
quarts appartenaient à la Compagnie de TEst. Ajoutons
qu'au moment de la déclaration de guerre cette Com-
pagnie avait en Allemagne environ 1,400 wagons, tan-
dis qu'il n'y en avait pas plus de 600 allemands d'engagés
sur le réseau français. Chaque nation ayant conservé
les wagons qu'elle avait sur les rails à l'époque de la
rupture, tout le désavantage fut, comme on voit, du
côté de la Compagnie française. Celle-ci eut donc en
totalité, au delà de 4,000 wagons capturés. Elle a dû
faire de grands sacrifices pour recouvrer ce matériel,
dont une partie avait essuyé de graves avaries dans les
sièges ou sur les champs de bataille.
Dans ce cataclysme de 1870, la Compagnie de l'Est, a
donc été la plus éprouvée. L'invasion lui avait enlevé
son réseau tout entier ; on sait trop que la paix ne lui
en a restitué qu'une partie. Elle a perdu 830 kilomètres
de ses lignes sur le territoire aujourd'hui devenu alle-
mand, plus les 250 kilomètres du LuxenJbourg dont
Texploitation lui a été retirée. Malgré tous ses désas-
tres, on l'a vue, à peine remise en possession de son
exploitation, faire acte de charité patriotique en rapa-
triant gratuitement un grand nombre de prisonniers
français qui revenaient sans aucune ressource. Plus
récemment encore, elle a discrètement fait preuve du
même bon vouloir à l'égard des émigrants alsaciens
et lorrains. « Cette Compagnie si rudement éprouvée,
dit M. About, rapatrie à moitié prix, souvent pour rien,
les familles et les mobiliers de nos petits fonctionnaires
nécessiteux. Ses directeurs et ses agents sont devenus,
par la force des choses, les confidents de douleurs et de
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RESEAU DE L'EST iil
misères sans nombre. Ses guichets reçoivent chaque
jour des confessions déchirantes, et Ton y exerce à petit
bruit une générosité vraiment patriotique. Les action-
naires s'en plaindront-ils? Non certes. Les béné-
dictions des pauvres et la reconnaissance du pays ne
sont pas un dividende à mépriser! » (Alsace, p. 16.)
Tout le personnel de cette Compagnie, depuis les
grades les plus élevés jusqu'au plus humble, a hono-
rablement payé sa dette au pays. Plusieurs des opéra-
tions des agents de l'Est pendant la première période de
la guerre, notamment le premier transport des troupes
disponibles à la frontière , et le double mouvement
de l'armée d'Alsace, sont justement admirées des Alle-
mands eux-mêmes : elles méritaient d'aboutir à une
meilleure fin. Espérons que cette leçon effroyable ne
sera pas perdue comme tant d'autres; qu'à l'occasion
(et Dieu veuille que cette occasion soit prochaine !) il
sera fait un usage mieux entendu et plus heureux de
semblables efbrts.
Exoriare aliquisl .
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II
RESEAU DU NORD
SOMMAIRE
I . — (Août-Septembre) Translation du siège de Tadministra-
tion à Lille. — Transport du 13« corps (Vinoy), de Paris
à Cbarleville. — Eéembarqaement de ces troupes pour
Paris, après le désastre de Sedan. — Commencement de
rinvasion des lignes du Nord.
II. — (Septembre) Surprise de la gare de Creil. — Histoire
curiens^ et peu édifiante de l'ingénieur prus«ien G!aser.
— Progrès de Tinvaaion.
lîï. — (Octobre) Prop««tiona prussienne', repoussées par la
Compagnie. — Travam des Allemands à Creil. — Sinistre
de Critot. — Apparitioft et disparition de M. Gambetta.
— Combats de Saint«Qaei^tt et de Formeries.
IV. — (Novembre) Difficultés et mesures financières. —
Nouveaux progrès de Tinvasion. — Bataille de Villers-
RretonnAux et prise d'Amiens. — M. Gallet, chef de gare
à Boves.
V. — (Décembre-Janvier) Démonstrations de Tennemi du
côté d'Arras. — Sa marche sur Rouen. — Occupation de
cette ville. — Prise d'une partie du matériel de la ligne
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114 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
d'Amiens à Rouen. — Bataille de Pont-Noy elles. — Re-
traite de Tarmée française ; services rendus par les employés
de la Compagnie. — Surprise de la gare d'Achiet. — Es-
carmouche dans celle de Busignj.
VI. — (Janvier-Février) Encombrement sur la partie libre
du réseau. — Bataille de Bapaume. — Télégrammes et
incidents curieux. — M. Cogniaux^ conducteur des tra-
vaux. — Bataille de Saint-Quentin. — Services importants
rendus par M. Muel. — Situation des lignes du Nord au
moment de l'armistice. — Ouvrages d'art détruits pendant
la guerre. — Concours apporté par la compagnie du Nord
au ravitaillement de Paris. — Encore Fingénieur Glaser.
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RESEAU DU NORD 115
L'administration des chemins de fer du Nord,
s'était hâtée de pourvoir, dans la mesure du possible,
aux éventualités redoutables de l'invasion. Dès le 2
septembre, la direction supérieure du service départe-
mental fut conférée à l'un des membres du comité,
M. le baron de Saint- Didier, dans l'hypothèse dès
lf)rs probable de l'investissement de Paris.
Avant d'aborder la période de scission complète du
service, nous dirons quelque chose d'un incident capital
antérieur à l'investissement. Nous voulons parler du
transport du 13® corps de Paris à Mézières dans les
derniers jours d'août, et de son retour sur Paris après
la catastrophe de Sedan. Ce corps était composé des
divisions d'Exéa, Blanchard et Maudhuy. Il comprenait,
en tout, 2,600 hommes d'infanterie, deux régiments de
cavalerie, quatorze batteries et un parc d'artillerie, des
détachements du génie et de la gendarmerie. La divi-
sion d'Exéa avait été expédiée sur Reims dès le 26
août. « Le reste partit à destination de Mézières ; en trois
mouvements », du 30 août au 1^' septembre, en 66
trains formés de 2429 véhicules. Pour accélérer Topé-
ration, on n'avait chargé à la gare de Paris que l'in-
fanterie et l'état-major général; la cavalerie, qui, une
fois rendue à Soissons, devait rallier par l'embranche-
ment de Reims la division d'Exéa, fut embarquée à
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116 CEHMINS DE FER FRANÇAIS
Versailles, rartillerie à Pantin (Est). Par ce fraction- ■
nement, on atténuait en partie les difficultés de Topé-
ration.
L'itinéraire était par Soissons, Laon, Vervins et
Hirson; le plus court eût été par Reims et Rethel
(248 kil. au lieu de 271), mais cette ligne était déjà
coupée entre Rethel et Mézières. Des circonstances
particulières compliquaient encore les difficultés de
ce transport. Non-seulement le chemin n'était établi
que sur une seule voie à partir de Soissons, c'est-à-dire
pendant plus de la moitié du parcours, mais la dernière
section, celle comprise entre Vervins et Hirson, n'était
pas encore entièrement terminée. Toutefois la prompte
arrivée de ce renfort était chose si urgente que Tordpe
avait été donné de passer à tout risque, et Ton passa
sans accident. La marche subit seulement un ralentis-
sement forcé sur cette voie moins solide, où les rampes
atteignent, sur certains points, 13 et 14 millimètres par
mètre. Sur la section Hirson-Charleville, divers inci-
dents occasionnèrent de nouveaux retards, et ce fut
seulement le 31, à minuit et demi, que la première
colonne, partie à une heure du matin, atteignit la gare
de Oharleville-Mézières (Est).
Malgré sa proximité de la frontière, cette gare n'é-
tait nullement appropriée aux nécessités de la guerre :
le débarquement nécessita force manœuvres, et ne s'o-
péra que très-lentement. Les bruits les plus contradic-
toires circulaient sur l'engagement que venait d'avoir
à Beaumont le 5® corps (de Faillj). Les renseignements
donnés par l'inspecteur de l'Est étaient les plus tristes
et aussi les plus véridiques; le général Vinoy le crut
et fit bien ! Il prit en conséquence des mesures pour
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RÉSEAU DU NORD 117
garder fortement Charleville et la ligne, et fit partir
deux fortes reconnaissances, Fane sur Poix (sectioB de
Charleville à Rethel), pour rétablir la voie ferrée déjà
coupée sur ce point, et communiquer avec d'Exéa qu'on
pensait être à Rethel; Tautre, en amont de la Meuse,
pour maintenir la communication avec Sedan par la
rive droite, en détruisant le pont de Flize, par lequel
l'ennemi pouvait déboucher d'un instant à l'autre.
Le lendemain matin (31), la voie ferrée étant encore
libre, le général Vinoy envoya son aide-de-camp, M. de
Sesmaisons, par un train spécial qui parvint à destina-
tion, mais non sans avoir essuyé le feu des Prussiens. Der-
rière lui, la voie ferrée et la route de terre furent inter-
ceptées; toutefois Taide-de-camp put revenir sur Char-
leville par une autre route nouvellement ouverte. Ce
fut l'Empereur lui-même qui lui indiqua cette dernière
issue, non encore occupée par l'ennemi. M. de Sesmai-
sons rapportait au commandant du 13* corps l'ordre de
de se concentrer sur Mézières. Toutes les informations
prenaient une couleur sinistre : l'ennemi était en force
sur la rive gauche de la Meuse, aussi bien que dans la
direction de Poix. Le lendemain, Vinoy acquit de bonne
heure la certitude qu'il était impossible de percer sur
Sedan, et même dangereux de rester plus longtemps à
Mézières. Il avait d'ailleurs reçu carte blanche de Paris.
A six heures du soir, il résolut de se replier immédia-
tement sur Marie, par terre, avec les troupes déjà
débarquées. On sait, aujourd'hui, que s'il avait hésité
davantage à prendre cette détermination, il aurait été
coupé de Paris, forcé de se jeter en Belgique ou de
capituler. Quant à faire rembarquer les troupes, il n'y
fallait plus penser, si près d'un ennemi vainqueur. Elles
7.
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H8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
auraient été prises comme dans une souricière, sur la
section de Gharleville-Hirson.
En même temps, les mesures nécessaires furent prises
pour faire rétrograder les troupes non encore débar-
quées. « A Texception de sept trains qui n'avaient pas
encore dépassé Laon, tous les autres se trouvaient éche-
lonnés alors entre ce point et Mézières, parcours en
entier à voie unique. » Afin d'exécuter le nouveau mou-
vement avec toute la rapidité possible, Tinspecteur
principal Muél fit rétrograder directement sur Laon
tous les trains qui se trouvaient encore en deçà d'Hir-
son, et replier tout ce qui avait dépassé ce point, sur
Tembranchement d'Hirson à Aulnoye (1). Là, ces trains
ralliaient la grande ligne d'Erquelines, sur laquelle ils
cheminaient jusqu'à Tergnier, pour se rabattre sur
Laon par l'embranchement de la Fère. Ils commencè-
rent à arriver le 3 dans l'après-midi en gare de Laon,
moins de vingt-quatre heures après le retour de ceux
qui avaient rebroussé chemin directement. Tout en
faisant un détour considérable, ces convois revenus par
(1) La station d'.Hirson, point de jonction d'une des lignes
directes sur Paris avec celle qui court parallèlement à la
frontière, était sans défense, malgré son importance mili-
taire. Poui»tant des hommes clairvoyants avaient appelé à
diverses reprises l'attention du gouvernement sur le système
adopté depuis longtemps déjà en Prusse pour fortifier les
points stratégiques des voies ferrées. Mais il aurait fallu de
l'argent, et l'on craignait de donner prise aux déclamations
des rhéteurs de l'extrême gauche, qui jetaient les hauts cris
à la moindre augmentation du budget de la guerre, et pro-
testaient au nom de la politique d'expansion et de la fraternité
universelle I
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RÉSEAU DU NOÏID 119
Aulnoye et Tergnier avaient gagné un temps précieux,
ayant pu cheminer sur deux voies avec une célérité
beaucoup plus grande. Pendant ce temps, Tavant-garde
débarquée précédemment à Mézières, se dérobant par
une marche nocturne au corps chargé de lui couper la
retraite, et recueillant en route un certain nombre de
fuyards de Sedan, avait pu dans la journée du 4,
atteindre la ligne d'Hirson à la station de Marie, d'où
un train spécial transporta le soir même à Laon, les
hommes trop fatigués.
Au moment où ce retour et cette concentration du
13® corps sur Laon avait été résolus, on ne connaissait
pas encore toute l'étendue du désastre. On espérait
recueillir au moins quelques débris qui, réunis à une
réserve intacte dans cette belle position de Laon, pour-
raient s'y défendre contre un ennemi épuisé par sa vic-
toire. Mais la situation était telle en réalité, que cette
première idée de tenir à Laon faillit avoir les plus
funestes conséquences. En effet, dès le 2 au soir, l'ins-
pecteur principal (Muel) avait demandé au général de
Maudhuy, revenu sur Laon le premier et commandant en
chef en l'absence de Vinoy,siles troupes séjourneraient à
Laon, et si l'on pouvait en conséquence diriger im-
médiatement sur Paris, par Reims, le matériel
vide au fur et à mesure du débarquement. Ce mouvement
avait pour but de dégager la gare de Laon et d'accé-
lérer par là l'opération. « Sur la réponse affirmative du
^e?n«m/, on dirigera sur Reims tous les trains vides. » Mais
cette évacuation de matériel était à peine achevée, qu'il
y eut lieu de le regretter amèrement. « Le 4, vers
10 heures du matin, le général de Maudhuy, connais-
sant enfin tout ce qui s'était passé à Sedan, redemandait
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120 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
mstamment du matériel pour transporter ses trp^upes
*ur Paris. Le même jour, à 4 heures 40 du soir, Fias-
/>ecteur principal recevait Tordre de diriger sur Laon im-
médiatement le matériel nécessaire au réembarquement
de toutes les troupes du général Vinoy. » C'était donc
la contre-partie exacte du mouvement qui avait eu lieu,
cinq jours auparavant, à la gare de Paris; mais dans
des conditions bien autrement difficiles. Cette retraite
ne pouvait déjà plus s'opérer que par T embranchement
de Tergnier et la grande ligne qui passe par Compiègne
et Creil. On savait, en effet, que Tautre ligne allait être
interceptée par la destruction, entre Laon et Soissons,
du pont de Villeneuve, qui sauta, en eflfet, dans la ma-
tinée du 0. D'un autre côté, on apprenait que la divi-
sion d'Exéa, envoyée précédemment à Reims, venait
de faire sa retraite directement par Soissons. Il était
temps, car la tête de la colonne de Tennemi (division
du duc de Mecklembourg), avait paru à Reims moin?
de deux heures après le départ de Tarrière-garde fran-
çaise. En même temps, un autre détachement prussien,
arrivant du côté de Rethel, venait de se sai&ir du
pont de Guignicourt, sur Tembranchement de R,eims à
Laon.
Il n'y avait donc pas de temps à perdre pour faire
partir les troupes concentrées sur cette ville, et l'on
peut même dire qu'il n'eût plus été temps, sans la louable
activité des employés supérieurs du Nord.
« Des ordres furent donnés sur tout le réseau, pour
diriger rapidement sur Laon le matériel roulant de
toute espèce. En même temps, on faisait appel aux
autres Compagnies. Celle de l'Est avait en partie di-
rigé par Epernay sur Paris, le matériel vide qu'on avait
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RESEAU DU NORD ISl
d'abord évacué de Laon sur Reims. Tout son ré-
seau se trouvant envahi ou sous le coup imminent
de rinvasîon, ses li^es étaient naturellement très
encombrées. Il était donc impossible à cette Compagnie
de réintégrer à celle du Nord son matériel aussi rapi-
dement qu'il Teût fallu ; d'autant plus qu'elle était forcée
de le faire passer en entier par Paris, la gare de Reims
ayant été évacuée dans la nuit du 3 au 4, et les éclai-
reurs ennemis ayant déjà paru à Fismes. »
La Compagnie du Nord dut donc se suffire à elle-
même dans cette circonstance, où le moindre retard
pouvait occasionner une nouvelle aggravation de mal-
heurs, entraîner peut-être la reddition de Paris sans
coup férir. A défaut de wagons vides, on en prit de
pleins qu'on déchargea. Dans la soirée du 4 et la nuit
suivante, on parvint à expédier 1,300 véhicules de toute
espèce sur la gare de Laon, où l'embarquement s'opé-
rait au fur et à mesure de leur arrivée.
Du 4 au soir au 6, à huit heures du matin, on fit
partir de cette gare environ 14,500 hommes (division
Maudhuy), en 9 trains de 45 ou 46 voitures chacun,
plus trois trains d'artillerie chargés à la Fère. Dans
cette même matinée du 6, la division Blanchard dut
franchir à pied les 17 kilomètres qui sépare la station
de Laon de celle de Tergnier. Il avait été convenu que
l'embarquement de ces dernières troupes se ferait dans
cette gare plus spacieuse. Il commença le 6 vers deux
heures de l'après-midi, et le dernier train quitta la gare
de Tergnier à une heure dix minutes du matin. On avait
fait partir dans ce laps de temps, par dix trains suc-
cessifs, 12,500 hommes, 340 chevaux et 41 wagons de
canons et de mitrailleuses. Ces trains furent expédiés
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122 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
d'heure en heure, et non « ensemble et à la même
heure », comme il est dit dans l'ouvrage du général
Vinoy (p. 98). Il est vrai qu'avant de partir le matin
par Vexpress pour Paris, où il allait prendre les ordres
du nouveau gouvernement, le général avait exprimé le
désir que l'expédition pût avoir lieu tout d'une pièce: il
pensait que cette disposition permettrait aux troupes
de se mieux défendre en cas de surprise. Mais ce sys-
tème offrait des difficultés insurmontables dans l'exécu-
tion. M. Muel, inspecteur principal, qui a dirigé en
personne toute l'expédition , jugea indispensable de
laisser un certain intervalle entre chaque départ, et le
trajet, ainsi réglé, s'accomplit dans un ordre parfait et
sans aucun accident.
Il n'est pas exact non plus que cet embarquement
n'ait duré que trois ou quatre heures au plus, comme
le dit aussi le rapport du général Vinoy. Ce qui est vrai,
c'est que, « grâce à l'activité déployée sur tout le réseau
du Nord pour débarrasser tous les wagons propres à ce
transport ; grâce aussi au renfort reçu le 5 au soir,
d'environ 500 véhicules envoyés par les Compagnies de
l'Est, de Lyon et d'Orléans, on aurait pu tout terminer
le 6 avant la nuit, sans les retards occasionnés par
d'autres transports militaires non moins urgents, pour
lesquels on venait apporter coup sur coup des réquisi-
tions et des télégrammes, et qui nécessitèrent l'expédi-
tion immédiate de trains vides vers d'autres points du
réseau. »
Il résulte, en effet, d'un tableau dont nous avons eu
communication, que, du 5 au 8 septembre, le chemin de
fer du Nord, indépendamment du 13® corps, a transporté
de différents points de son réseau, sur Paris pour la
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RESEAU DU NORD 1Î8
plupart, 35,000 hommes et 13,567 chevaux. Dans la no-
menclature de ces troupes, les « isolés venant de Sedan »
figurent dans une proportion assez forte (7,350 hommes,
5,550 chevaux). Sur ce nombre, plus du tiers (2,700
hommes, 2,380 chevaux), furent recueillis à la station
de Landrecies, où Ton dut organiser coup sur coup
pour eux, dans ces trois jours, quatre trains spéciaux.
On en fit partir aussi d'Hirson, de Douai, de Valen-
ciennes. Mais, dans cet éparpillement des fugitifs de
Sedan, sur le réseau du Nord, l'odyssée la plus lamen-
table fut celle des débris de plusieurs régiments de ca-
valerie qui vinrent s'échouer à la station d'Albert, sur
la ligne d'Amiens à Arras, après avoir fait, à travers
les terres, plus de quarante lieues depuis le fatal champ
de bataille.
Pendant ces quatre journées (5-8 septembre), le
mouvemont sur les lignes du Nord avait pris des pro-
portions colossales. Il arriva à Paris 135 trains mili-
taires spéciaux, dont 52 directement à la gare de
Paris, 83 à celle de La Chapelle. De plus, 116 trains
de matériel vide avaient été mis en mouvement pen-
dant cette période pour faire face à d'autres néces-
sités, ce qui donne, rien que pour le matériel afiecté
au service militaire, le chiffre de 251 trains spéciaux,
formés de plus de 10,000 voitures et wagons.
Enfin, à cette même date, le transport des voyageurs
devenait plus actif qu'il n'avait jamais été. Aux départs
de Paris, l'expulsion des Allemands, l'émigration des
ce bouches inutiles, » rendaient nécessaire le dédou-
blement de la plupart des trains, principalement de
ceux du soir, qu'on était obligé de faire suivre de deux
et quelquefois de trois trains spéciaux. L'affluence
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424 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
n'était pas moins grande, d'autre part, aux trains se
dirigeant vers Paris. Dans les gares, devenues toutes
bien trop petites, les accumulations de bagages for-
maient de véritables montagnes. Les habitants de la
banlieue venaient en masse se réfugier dans la capi-
tale; des approvisioiinements aussi arrivaient en quan-
tité considérable, et pourtant insuffisante, hélas!
A la même époque, les éclaireurs ennemis étaient
déjà signalés dans les environs de Soissons. Le génie
français, qui venait de faire sauter, en deçà de cette
ville, le pont de Villeneuve, s'apprêtait à détruire éga-
lement, au-delà, le souterrain de Vierzy. Il fallut donc
évacuer la gare de Soissons, où se trouvaient alors
500 wagons provenant de l'évacuation de Reims. Parmi
ces wagons, il y en avait un grand nombre chargés de
mobilier, et servant d'abri aux familles fugitives des
employés. On parvint à faire face à ce surcroît de tra-
vail, et à mettre le tout à l'abri de l'ennemi.
En résumé, le sauvetage du 13® corps fait époque
dans les annales militaires des chemins de fer. Aucune
opération si considérable n'avait été encore accomplie,
dans des circonstances aussi difficiles, avec autant de
précision et de célérité.
L'ennemi s'approchait rapidement : dès le 5 au soir,
des uhlans se présentaient à Goucy-lès-Eppes, station
de rembranchement de Reims, qui n'est qu'à 12 kilo-
mètres de Laon. Le lendemain, une scène déplorable
eut lieu, après le départ des troupes, à la gare de cette
ville, qui n'était pas encore complètement évacuée. Un
grand convoi de munitions^ de bestiaux et de gt^iins,
fut pillé par d'étranges citoyens, traînards militaires
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RESEAU DU NORD 125
et civils, qui fêtaient ainsi, à leur manière, l'avènement
de la République.
Les communications avec la capitale cessèrent com-
plètement à partir du 19 septembre. Depuis le 13, le
délégué du Comité, installé à Lille, avait pris la direc-
tion supérieure, et le service de Texploitation y avait
été centralisé et confié à M. Thouin, chef du mouve-
ment, qui avait suivi M. de Saint-Didier. A partir de
cette époque, tous les incidents qui se produisaient
sur les différents points du réseau furent régulièrement
consignés dans un journal tenu au bureau du mouve-
ment de Lille. La plupart des faits qui suivent sont
empruntés à ce document authentique, auquel les obli-
geantes indications de plusieurs chefs de service nous
ont fourni un complément précieux.
II
La station de Lille s'indiquait en quelque sorte
d'elle-même pour cette centralisation administrative,
étant voisine d'une frontière neutre, et située en dehors
de la zone d'invasion immédiate.
L'organisation des diverses branches du nouveau
service central fut opérée avec la promptitude qu'exi-
geaient les circonstances. Dès le 13 septembre, on était
avisé que la communication directe sur Paris, par Oreil,
était coupée par suite de la rupture des ponts sur l'Oise,
à Creil et à Anvers. Le 15, on apprit par le télégraphe
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126 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
que les gares de Creil et de Chantilly étaient envahies,
celle de Clermont menacée. Les circonstances de la
surprise de Creil sont assez curieuses. L'évacuation
n'était pas terminée, les trains circulaient encore sur
Tembranchement de Beauvais ; l'un d'eux entrait pré-
cisément en gare quand parurent les uhlans, escortant
un ancien employé de la Compagnie, d'origine alle-
mande. Quatre machines, cent cinquante wagons tom-
bèrent là en leur pouvoir. Plusieurs coups de feu furent
tirés sur le train arrivant; la machine de manœuvres,
dont l'ennemi tenait particulièrement à s'emparer, fut
sauvée par la présence d'esprit du mécanicien, qui fîla
à toute vapeur sur Clermont, malgré les cris, la pour-
suite et les coups de feu des uhlans.
L'histoire de cet ex-employé qui servait de cornac
aux envahisseurs sur le réseau du Nord est des plus
instructives. Quelques années auparavant, cet homme,
nommé Glaser, était entré au service de la Compagnie
sur la recommandation de personnes honorables, dont
la religion avait été étrangement surprise. Glaser,
blond, long et mince Prussien, fut d'abord employé
comme agent réceptionnaire, c'est-à-dire chargé de
l'examen et du contrôle des fournitures de matériel. Il
s'acquittait fort bien de ces fonctions : seulement on
remarqua que, dans les usines où il avait affaire, il fai-
sait beaucoup causer les contre-maîtres, qu'il s'infor-
mait et prenait note de l'importance des affaires, des
détails de Ja fabrication, etc. La chose alla si loin,
qu'un des principaux fournisseurs de rails pour la Com-
pagnie s'en plaignit à l'ingénieur en chef, pensant que
cet homme essayait de surprendre quelques procédés
industriels pour en trafiquer dans son pays. En consé-
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RÉSEAU DU NORD 127
quence, Glaser fut changé de service. On le nomma
inspecteur des disques, emploi qui nécessitait de fré-
quentes tournées sur tout le réseau. Là encore, on
n'eut qu'à se louer de la façon dont il s'acquittait de
son affice. Seulement on apprit quMl faisait de grandes
conversations avec les employés, qu'il les questionnait
sur toutes les parties du service, et notamment sur la
moyenne des différentes recettes ; qu'il examinait avec
attention remplacement, les abords des gares, et tou-
jours prenait force notes et croquis. Il fut même plu-
sieurs fois surpris furetant dans les bureaux, et eut à
ce sujet des scènes avec plusieurs agents.
Ces faits furent signalés à l'administration centrale,
qui eût bien fait de se débarrasser tout de suite de ce
curieux. Mais Glaser avait déjà passé plusieurs années
au service de la Compagnie, et d'ailleurs on sait trop
que la défiance à l'égard des Allemands n'était nulle
part à Tordre du jour en France. On se contenta donc
d'assigner à celui-là un travail plus sédentaire et plus
surveillé, dans les bureaux de Paris. Cela ne faisait
plus le compte de ce grand observateur; aussi, pour la
première fois, il remplit assez négligemment sa tâche.
En conséquence, il ne fut pas compris, en 1870, parmi
les employés gratifiés^ et fut congédié quelques mois
après. Il prit la chose on ne peut plus philosophique-
ment, et écrivit même à cette occasion à un de ses
anciens collègues, que, dans sa disgrâce, il lui restait
une consolation qui n'en serait pas une pour un Fran-
çais, celle d'avoir travaillé pour le Roi de Prusse,
Après la déclaration de guerre, Glaser resta à Paris
le plus longtemps qu'il put, ayant sans doute encore
quelques notes à prendre. Mais, le 15 septembre, on le
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128 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
vit paraître à la gare de Creil, à la tête des uhlahs, en
grand uniforme tout chamarré de broderies. Il venait
d'être nommé membre d'une dés cinq directions alle-
mandes des chemins français, celle dite de Betms^ dont la
juridiction s'étendait sur les lignes de Châlons, Char-
leville, Sedan, Soissons, Laon, et au-delà (1). Le chef
de Creil, M. Lucas, était précisément un dé ceux qui
avaient eu maille à partir avec T ex - inspecteur des
disques pour ses investigations indiscrètes; Toffieier
prussien avait à venger les injures de l'espion. Il
fouilla les caisses de la grande et dé la petite vitesse,
se plaignant amèrement, là comme ailleurs, de ne pas
trouver son compte. Il voulait forcer M. Lucas de rester
à son poste, et lui offrit même de prendre la direction
du service qui allait être organisé pour le transport
des approvisionnements prussiens. Sur son refus, il
l'expulsa de la gare, en menaçant dé lui faire un
mauvais parti s'il y reparaissait.
Cependant un des surveillants de cette gare, nommé
Chivot, parvint à rajuster, tant bien que mal, un bout
de fil à l'appareil, et à transmettre encore quelques
dépêches aux postes d'Amiens et de Breteuil, au risque
d'être surpris par les patrouilles allemandes, qui sur-
venaient de temps à autre à l'improviste. Grâce à cet
homme courageux , la communication avec Creil per-
sista jusqu'au 25, époque où ce poste fut occupé à de-
meure par un détachement de cuirassiers blancs.J
Depuis le 15, les trains d'Amiens allant vers Paris
(l) Plus tard, par suite des nouveaux progrès des armées
allemandes, cette juridiction s'étendit jusqu'à Tergnier,
Amiens et Réuen. . .
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RESEAU DU NORD 129
s'arrêtaient à Breteuil. En même temps, le flot de Tin-
yasion, s'étalant en quelque sorte aux abords de la
capitale, gagnait les embranchements transversaux. Le
dernier rapport de Lille qui parvint aux administra-
teurs bloqués dans Paris, portait la date du 18. Depuis
cette époque, aucun des agents expédiés parle délégué
de Lille ne put pénétrer dans Paris,
. Des instructions, en date du 17, prescrivaient aux
employés des gares envahies de rester, s'ils le pou-
vaient, à leur poste ou aux environs, prêts à reprendre
leur service en cas de retraite de Tennemi, à recueillir
et transmettre des renseignements par le télégraphe,
ou sinon par des cantonniers faisant office d'estafettes
d'un poste à l'autre. Ce fut ainsi qu'on apprit de suite
le pillage des gares de la ligne de Pontoise, de celle
de Senlis (20-25 septembre), A Beaumont et ailleurs,
çn remarquait que les envahisseurs faisaient main-
basse avec un vif empressement sur les wagons de
farines. Pendant les premiers temps du siège de Paris,
la qualité et la quantité des vivres laissaient beaucoup
à désirer, et les Allemands n'entendent pas raillerie
sur ce chapitre. Ceux-là se plaignaient beaucoup de ce
dénuement dans leurs correspondances de famille, ainsi
que j'ai pu m'en convaincre moi-même, un peu plus
tard, en lisant des réponses trouvées sur des Boldats
^orts ou prisonniers. Cet état de choses se prolongea
jusqu'à l'occupation de Gisors et de la ligne de l'Epte
(9 octobre), qu'on eut le tort de leur abandonner presque
sans défense. Cette occupation leur livra les riches
plaines du Vexin.
. A la £n de septembre, ils s'occupaient activement à
réparer, en vue du ravitaillement, les diverses sections
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ISO CHEMINS DE FER FRANÇAIS
qui se réunissent à Creil. C'était là que leur Glaser
avait son quartier - générai. Ce grand observateur
recueillait le fruit de ses travaux. A chaque station il
exhibait son carnet, appelait par leur nom les employés,
les sommait de reprendre leur service au compte de
S. M. le Roi de Prusse. Après Toccupation de Beau-
vais, il y envoya chercher, par des uhlans, un ingé-
nieur de la Compagnie qu'il avait noté comme capable
de diriger les travaux des ponts, et qui, heureusement,
avait quitté la ville quelques moments avant l'arrivée
de cette escorte d'honneur. Après tout, ce Glaser était
un homme précieux. En très-peu de temps, il fit et sur-
tout prit quantité de choses, saccagea les gares inter-
ceptées, s'emparant sans façon de tout ce qui pouvait
être utilisé dans le service qu'il rétablissait, y compris
le numéraire qui a toujours son utilité.
Il y eut à la même époque, dans plusieurs localités
de la vallée de l'Oise, un soulèvement populaire, promp-
tement et cruellement réprimé. Pendant cette courte
lutte, le bourg, la vaste gare de Creil étaient encom-
brés de troupes.
Compiègne avait déjà reçu plusieurs visites prus-
siennes, notamment celle de Glaser, qui venait mettre
la batellerie en réquisition pour ses ponts provisoires.
Un moment, il n'y eut qu'un très-petit nombre d'hommes
installés au château, buvant fort bien et se gardant
assez mal. Le chef de la station, ayant pu s'éloigner,
sans être aperçu, vint jusque dans les lignes françaises
pendre compte de cette situation. En ce moment, l'em-
branchement d'Amiens à Tergnier, et la partie de la
grande ligne comprise entre cette bifurcation et Com-
piègne étaient intactes, bien que le service y fût sus-
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RESEAU DU NORD 131
pendu. Il était donc possible et facile d'y transporter
un bataillon. Un des employés supérieurs du Nord,
M. Saisset, en fit inutilement la proposition à un géné-
ral, qui le renvoya à un autre ; tous deux considéraient
l'entreprise comme bien hasardeuse, et Toccasion fut
manquée tandis qu'ils hésitaient à prendre un parti.
A la fin de septembre, l'exploitation du réseau du
Nord était déjà réduite, par suite de l'invasion, à
1,284 kilomètres au lieu de 1,587.
111
Depuis que l'ennemi était maître des sections de
grandes lignes les plus proches de Paris, les trains sur
celle de Boulogne et Amiens ne dépassaient plus Bre-
teuil. Le 1*" octobre, sur une fausse alerte, les mobiles
qui occupaient ce point au nombre de près de 4,000,
se replièrent sur Ailly. Ils n'eurent pas plutôt franchi
le pont de Courcelles, qu'on s'empressa de le faire
sauter, comme s'il avaient eu toute une armée à leurs
trousses, et il n'y avait personnel On n'avait même pas
laissé le temps d'évacuer la gare : une vingtaine de
wagons y restèrent bloqués et tombèrent au pouvoir
des Prussiens, quand il plut à ceux-ci de venir les
prendre (1).
(1) Malgré l'abandon de Breteuil, les allées et venues fré-
quentes d'escouades réquûitionnaires jusqu'à ce poste et au-
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182 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Cependant les réparations, à Creil et aux alentours,
étaient fort entravées par le refus de concours du per-
sonnel français. Les Prussiens essayèrent de traiter
directement avec le représentant de la Compagnie.
Glaser, instigateur de cette négociation, avait eu
Taudace d'envoyer à M. de Saint-Didier un sauf-con-
duit, avec invitation de venir s'entendre avec lui. Le ctef
de la station de Chantilly, M. Bisetzki, le conducteur
des travaux, et un négociant de la ville, furent envoyés
à Lille avec mandat de proposer à la Compagnie d'ex-
ploiter elle-même, au compte des Prussiens, une partie
de son réseau pour le transport de leurs approvisionne-
ments. Cette proposition fut naturellement déclinée, et
les trois envoyés, qui n'avaient accepté une pareille
mission que pour se tirer des griffes prussiennes,
obtinrent l'autorisation de rester à Lille jusqu'à de
meilleurs jours.
C'est à l'époque de cet incident que se rapportent
plusieurs actes odieux de violence, commis contre des
hommes qui n'étaient coupables que d'avoir refusé de
servir contre leur pays, ou d'avoir transmis des ren-
seignements sur la marche de l'invasion. Plusieurs chefs
de gares, soupçonnés d'être trop bons Français, furent
contraints de se sauver. M. Piquet, chef à Senlis, fut
moins heureux; emprisonné au mois d'octobre, il ne
delà, le chef de la station, M. Petit, eut l'adresse et le cou-
rage de maintenir ses communications télégraphiques avec
Amiens jusqu'à ravanl-veille de la bataille de Villers-Breton-
neux, c'est-à-dire pendant six semaines. Dans sa dernière
dépêche, expédiée en quelque sorte sous les yeux de l'ennemi,
il donnait des détails précis sur le mouvement de l'armée
prussienne contre Amiens.
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RESEAU DU NORD 133
recouvra sa liberté qu'après la paix. Un mécanicien de
Creil, qu'on avait surpris essayant un pistolet, fut
transporté en Allemagne. Enfin, on fusilla un malheu-
reux garde-barrière , nommé Dupré , soupçonné de
connivence avec les insurgés de la vallée de FOise.
Glaser, travaillant toujours « pour le roi de Prusse, »
mais désormais à visage découvert, continuait de dé-
ployer une grande activité. Dès les premiers jours
d'octobre, les trains des Allemands circulaient de Creil à
Clermont. Toutefois, il paraît que ce travail faisait peu
d'honneur à l'habileté de leurs ingénieurs.
La journée du 4 octobre est une date néfaste dans
les annales de la compagnie du Nord. C'est celle d'un
accident considérable, le seul qui se soit produit sur
ce réseau, à une époque où les chances de sinistres
étaient si nombreuses. Celui-là eut lieu à Critot, sur le
petit embranchement qui relie la ligne d'Amiens à
celle de Dieppe, et que ce train avait pris pour éviter
un encombrement sur la voie directe.
Cette communication d'Amiens sur Rouen suffisait
à peine au transport des soldats échappés de Sedan,
qu'on dirigeait vers le Mans ou Cherbourg. Ce fut un
de ces trains qui dérailla en approchant de Critot ; le
mécanicien, mal renseigné ou trop peu attentif, s'en-
gagea dans une voix de garage sans issue. Dans le pre-
mier moment, on parlait à Rouen de tout un régiment
broyé, anéanti ; on attribuait déjà cet accident comme
tout le reste, à la trahison. Vérification faite, il se
trouva en tout onze morts , dont un employé de la Com-
pagnie, et 107 blessés, dont 17 avec fractures.
C'était encore beaucoup trop, mais on est surpris
qu'il ne soit pas arrivé plus de malheurs semblables et
8
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134 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
plus grands, quand on se rend compte des incidents
nombreux et variés qui se reproduisaient alors sans
relâche sur tout le réseau : encombrement des voies,
des gares; entassements di marchandises en retard de
chargement ou de livraison ; enlèvements ou replace-
ments de rails qu'il fallait exécuter d'urgence ; retraites
ou réinstallations précipitées de matériel; manœuvres
multipliées, compliquées, se succédant, s'enchevêtrant
nuit et jour. A toutes ces difficultés s'ajoutait celle de
suffire aux exigences croissantes du service, avec un
personnel décimé par le départ des mobiles et mobi-
lisés, et dont les vides n'étaient qu'imparfaitement
comblés au moyen des réfugiés de la portion envahie
du réseau : puis encore le matériel surmené comme le
personnel, et par conséquent des avaries plus fré-
quentes, réparées imparfaitement, en toute hâte.
Enfin, il ne faut pas oublier le relâchement forcé des
habitudes de surveillance ordinaires, qui occasionnait
sur bien des points des cohues aux arrivées comme aux
départs, et encore le passage et le séjour de personnes
étrangères au service sur les voies, dans les dépen-
dances des gares et jusque parmi les manœuvres. Aussi,
Ton trouve dans le journal tenu à Lille, des mentions
ft'équentes d'accidents isolés, de trains restés « en dé-
tresse », par suite d'accidents de wagons ou de ma-
chines, ou du mauvais état de la voie.
Dans ces sombres jours, la régioû du Nord fut illu-
minée un moment par l'apparition d'un météore, je
veux dire de M. Gambetta lui-même, évadé de Paris
en ballon. En homme avisé, il avait préféré courir le
risque de tomber entre les mains de ses ennemis, plutôt
que de rester dans celles de ses amis. Sa présence dans
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RÉSEAU DU NORD 135
le Nord coïncidait justement avec la première attaque
de Saint-Quentin (8 octobre).
M. Grambetta, qui disait avoir quitté Paris pour
aller exercer Tapostolat de la défense, avait là une
belle occasion de prêcher d'exemple, comme avaient
fait les Merlin de Thionville et autres, lors de la
première République. Mais la nouvelle école a changé
tout cela et placé le cœur à Topposite, comme le Méde-
cin malgré lui. Aussitôt arrivé à Amiens, M. Gambetta
se hâta de commander un train spécial avec double
locomotive à l'avant et à l'arrière, comme un simple
monarque eût pu faire, et partit à toute vapeur du côté
opposé à celui où l'on se battait. Pendant ce temps, son
préfet, M. A. de Laforge, démocrate de la vieille école,
s'exposait bravement et se faisait blesser à Saint-
Quentin. La petite colonne prussienne fut forcée de
battre en retraite, nous laissant six prisonniers qui
furent transportés à Lille par un train spécial. Le 11
et le 12,' Saint-Quentin reçut par le chemin de fer des
renforts qui furent rembarques précipitamment peu de
jours après, l'autorité militaire ayant jugé impossible
de conserver cette ville après la chute de Soissons
(17 octobre.) Saint-Quentin fut occupé le 21 sans coup
férir, et il fallut en passer par toutes les exigences de
l'envahisseur, d'autant plus dures que précédemment on
avait osé résister. Les Prussiens disparurent dans la nuit
du 23 au 23, laissant la ville livrée à une anarchie
morale non moins triste que l'occupation étrangère.
Pendant cette première occupation, ils enlevèrent et
emportèrent une grande quantité de rails ; à la même
époque ils en faisaient autant du côté de Saint-Just et
de Breteuil sur la ligne d'Amiens. C'était une nouvelle
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136 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
commande d« l'inévitable Glaser, pour ses lignes de
ravitaillement. Après leur départ, on reprit tant bien
que mal le service sur les sections encore libres des
lignes de Tergnier et d'Erquelines. Mais il régnait une
telle incertitude sur les mouvements de l'ennemi, qu'on
n'osa pas rétablir des départs réguliers ; la marche des
trains était réglée au jour le jour. Dans les derniers
jours d'octobre , toutes les communications furent
momentanément suspendues avec les pays envahis;
c< il n'en arrivait plus personne, et personne n'osait y
aller » (1).
Le 27, une forte colonne Prussienne venant de
Beauvais parut inopinément à la station de Formeries
(ligne d'Amiens à Rouen). Ce poste était gardé par
une poignée de soldats du 19® qui firent une si belle
défense que des renforts leur arrivèrent de diïïërents
côtés en temps utile. L'ennemi fut mis en déroule, et
aurait pu être cerné et anéanti, s'il y avait eu de notre
côté plus d'entente et unité de commandement (2) .
A la fin du mois d'octobre, l'invasion avait fait de
nouveaux progrès,; de 1284 kilomètres, le réseau encore
exploité était tombé à 1052.
(1) Sur la ligne d'Amiens à Tergnier, le service des
voyageurs et des marchandises fonctionna jusqu'au 20 no-
vembre, mais sans dépasser la station de Ham devenue iéte
de ligne, depuis que le comité de déf6ns0 avait fait couper
la voie à Flavy-le-Martel, après la prise de Saint-Quentin.
(2) On trouvera dans l'excellent ouvrage de M. Rolin, la
Guerre dans l'Ouest (Pion), un récit détaillé et fort exact de
ce combat (p. 114 et suiv.).
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RESEAU DU NORD 137
IV
Cependant la tâche des employés de la Compagnie
devenait plus pénible de jour en jour, même dans la
région qui n'était pas encore menacée, à cause des orga-
nisations continuelles de trains militaires^ et de T^-
fluence croissante des marchandises réfugiées su|^ le
territoire libre. Dans ces circonatances difficiles, la
Compagnie du Nord demeura âdèle à ses traditions de
discipline et d'humanité. Le service sanitaire du per-
sonnel fut continué avec une sollicitude, une régularité
remarquables. Dans les moments les plus critiques, le
journal tenu à Lille ne cesse de mentionner les bles-
sures, même les plus légères, des moindres agents, la
cause de chaque accident, le nombre de jours de repos
prescrits par les médecins, les gratifications accordées,
comme aussi les punitions infligées. Nous avons remar-
qué qu'à toutes les époques et sur tous les points, les
faits d'ivresse furent notés et punis. Ce maintien de la
discipline, dans des temps, si profondément troublés,
^ est digne des plus grands éloges.
Les employés forcés de se cacher ou de fuir, furent
payés comme slls n'avaient pas quitté leurs postes, et
ceux qui transmettaient des renseignements utiles
recevaient en plus des grati^cations . Toutes les
mesures étaient prises pour assurer la reprise immé-
diate des services, dans l'hypothèse d'un prompt arran-
gement ou de grands succès militaires. Des ponts
8.
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138 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
provisoires avaient été préparés pour remplacer, le cas
échéant, ceux qui avaient été détruits sur l'Oise et sur
l'Aisne. La prolongation de la guerre à outrance rendit
ces préparatifs inutiles: on dut même, au mois de
janvier suivant, transporter en Belgique ces ponts pro-
visoires, quand il y eut lieu de craindre que le départe-
ment du Nord ne fût à son tour envahi. Parmi les
autres prescriptions transitoires qu'exigeait la situa-
tion, nous signalerons un ordre judicieux qui a dû
empêcher bien des malheurs ; celui de doubler^ pour
les trains en détresse, les signaux ordinaires par des
signaux détonnants.
Le journal tenu à Lille ne nous fournit en novembre
que des détails d'un intérêt médiocre jusqu'aux derniers
jours de ce mois, où se prononce le mouvement décisif
de l'ennemi sur Amiens et Rouen.
On sait que les deux armées employées autour de
Metz avaient été séparées aussitôt après la capitula*
tion. Tandis que Ttine était dirigée sur la Loire, l'autre,
celle de Manteuffel^ avait pour mission de combattre
l'armée française du Nord. On s'abusa d'abord sur le
plan de ce général ; on crut à une entreprise contre
Lille.
Pourtant, dès le milieu de novembre, on avait des
indices significatifs sur ses projets immédiats. Depuis
plusieurs semaines, Tennemi travaillait sans relâche à
la restauration de Tembranchement de Reims à Laon ;
craignant une attaque des francs-tireurs contre le pont
intact de Guignicourt, l'ouvrage le plus important de
cette ligne, il y avait installé une garnison permanente,
aux frais des communes voisines. Le 13, la première
locomotive d'essai allemande venant de Reims, entra en
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RESEAU DU NORD 139
gare de Laon. Cette gare, remise en communication
aveo Reims, fat aussitôt transformée en magasin d'ap-
provisionnements pour l'armée qui allait marcher vers
le Nord-Ouest. Le 22, M. d'Arcangues transmettait par
voie télégraphique au général Favre, commandant inté-
rimaire de l'armée du Nord, des renseignements qu'il
venait de recevoir de Compiègne, annonçant l'arrivée
de nombreuses troupes prussiennes dans cette ville et
aux environs, et la présence au château du général
Manteuffel et de son état-major.
Du 15 au 25, de grands trains militaires allemands
parurent successivement en gare de Laon. Une partie
de ces troupes fut dirigée de suite sur La Fère, dont l'en-
nemi tenait à s'emparer ; l'autre sur Nojon et Roye,
pour prendre part à l'expédition contre Amiens. Le
bombardement de La Fère commença le 25, et dès le
lendemain on dut capituler pour sauver la ville d'une
destruction complète. C'était encore un de ces succès
techniques, dus uniquement à la supériorité écrasante
des engins de guerre, succès aussi inévitable, partant
aussi peu glorieux que celui des premières armes à feu
contre celles de jet. Mais qu'importe aux Prussiens,
pourvu que le but soit atteint ? La gloire militaire, telle
qu'on la comprenait jadis, celle qui admettait parmi ses
éléments principaux le dédain, la recherche héroïque
du danger, est pour ces vainqueurs de la nouvelle école
un fétiche de rebut ; « une valeur qui n'est plus cotée
en Allemagne », comme disait M. de Bismarck à
Ferrières.
Il y eut, après cette capitulation, de tristes scènes
d'adieux à la gare de Laon, où les prisonniers étaient
embarqués pour TAllemagne. L'un de ces départs fut
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140 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
signalé par un incident bizarre : au dernier moment,
des soldats prussiens saisirent et emballèrent de force
en wagon, malgré ses protestations et ses cris, un
pauvre diable venu là en amateur, qui se trouva trans-
porté en Allemagne avant que le malentendu fût
écfetirci.
Pendant que La Fère se rendait, un premier enga-
gement avait lieu, dans les environs d'Amiens^ sur
une partie du terrain où fut livrée le lendemain la ba-
taille qui décida du sort de cette ville. Nous étions
à peine deux contre trois .dans cette lutte mémorable,
et encore bien autrement inférieurs en artillerie.
Pourtant le succès fut longtemps douteux. Quelque
temps après, un officier prussien qui avait assisté à
cette bataille disait devant moi^ en frappant un mur
du fourreau de son sabre : A Amiens^ Français comme
cela I On ne saurait trop regretter que les fluctuations
continuelles du commandement eussent fait perdre de
vue la nécessité de renforcer l'armée du Nord d'une
bonne partie des troupes de Rouen. Cette concentra^
tion pouvait aisément se faire par Tembranchement
d'Amiens à Rouen, ligne intacte et pourvue de tous les
moyens nécessaires pour transporter en vingt-quatre
heures, d'une extrémité à l'autre, quinze mille hommes
et même davantage. On avait plus que le temps néces-
saire pour opérer ce mouvement, puisque dès le 23 il
n'y avait plus à douter qu'Amiens ne fût l'objectif de
l'ennemi. Ce renfort aurait largement suffi pour faire
pencher la balance en notre faveur.
Pendant ces deux journées de combat, le chef de
station de Boves, M. Gallet, placé dans une situation
des plus périlleuses, montra un sang-froid, un courage
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RESEAU DU NORD 141
remarquables. On nous saura gré d'insérer ici quelques
passages du rapport de cet homme de cœur, qui a fait
pluB que son devoir dans ces terribles circonstances.
« Le 26, dès dix heures du matin, la canonnade se
faisait entendre dans la direction de Moreuil.....; à
1 heure 30, du côté de Théry, à 5 kilomètres seule-
ment de Boves. A 2 heures 25, la fusillade était déjà
très- vive à 1,500 mètres de la gare ; un quart d'heure
aprèsyles balles y arrivaient à profusion. Vers 10 heures
renàemr était refoulé vers le bois de Gentelles : la fii-
^llade a cessé vers 4 heures 25, pcJur être suivie d'une
charge à la baïonnette qui mit l'ennemi en fuite sur
Bertheaumont et Théry. Daiïs cet engagement, les
pertes peuvent être évaluées à cinq Prussiens pour
un Français (1).... »
« Le 27, à 10 heures 15, crainte d'une surprise ou
d'une trahison, j'ai pris Tinitiative auprès de la gare
d'Amiens de faire changer le mot d'ordre (en suppri-
mant le nom de la station)... De 10 h. 30 à 3 h., il j a
•eu un combat acharné sur plusieurs points ; quantité
de balles dans la gare. A midi, l'artillerie ennemie,
placée au bord du bois de Gentelles, a dirigé ses
coups sur les bâtiments de la station. Plusieurs pro-
jectiles sont tombés sur la voie, dans la cour et le jar-
din de la gare. L'explosion de quelques-uns causa des
dégâts, même aux toitures, à cause des cailloux brisés
(1) Ce fut une des trop rares occasions où Ton trouva, pen-
dant cette guerre, roccasion de recourir à un mode de com-
battre dans lequel nos soldats a*ont rien perdu de leur vieille
supériorité. Les Prussiens s'imaginent en avoir fini avec la
baïonnette; ils se trompent peut-être!.
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143 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
qui volaient avec force.... Après diverses alternatives
de mouvements en avant et rétrogrades..., à 2 heures,
une colonne ennemie, pourvue d'une nombreuse aiiiil-
lerie, a débusqué nos tirailleurs des ruines du château
de Boves, et pris position sur le plateau des ruines et les
hauteurs vers Cagny et Longeau (2). Ce naouvement..,
et le renfort qu'il donnait aux troupes engagées, ont
forcé les nôtres à battre en retraite sur Amiens.
« Afin de pouvoir agir jusqu'à la dernière heure,
j'avais barricadé la porte du télégraphe avec les ca-
siers et un matelas... Néanmoins, à 2 heures 45, j'ai
été forcé de quitter mon bureau par les nombreux
projectiles qui y arrivaient. Du côté de la gare l'en-
nemi était à 500 mètres, faisant un feu très- vif, et nos
troupes battaient en retraite. Voyant que toute résis-
tance devenait inutile, je me déterminai alors à
quitter définitivement mon poste avec nos dernières
troupes, et en emportant le registre du télégraphe.
Ma retraite s'est opérée par Longueau, en suivant la
voie pendant 600 mètres. Forcé par les balles de quit-
ter cette voie, j'ai dû continuer à travers champs où
je n'ai été inquiété que par des obus, dont trois tom-
bèrent, à quelques mètres de moi. Grâce au terrain
fortement détrempé, ils n'éclatèrent pas et ne firent
que m'éclabousser. »
Ajoutons que pendant les trois dernières heures du
combat, c'est-à-dire au plus fort du danger, M. Gallet
avait voulu demeurer seul à son poste.
(1) Cjstfe colonne put se diriger sur Boves, à travers les
Jourbières de Cottenchy, conduite par des Allemands qw
avaient habité et étudié le pays.
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RESEAU DU NORD 143
La belle conduite de cet agent a été attestée par
trois hommes qui se connaissaient en courage, le gé-
néral Derroja, le colonel' Pittié du 24® et le chef do
bataillon Talandier du même régiment, qui avait été
engagé de ce côté pendant toute la journée. (1) C'est ce
même Talandier qui faisait passer par Boves au fort du
péril ce télégramme héroïque : Faut-il tenir jusqu'au
dernier homme ? Des ordres.
Dans cette journée malheureuse, mais honorable,
l'armée française formait au sud d'Amiens un demi
cercle d'environ 25 kilomètres de rayon, la gauche
appuyée sur Corbie, la droite au chemin de fer d'A-
miens à Rouen, Ces dispositions, qui ont été vivement
critiquées par quelques officiers français, ont obtenu
cependant l'approbation des meilleurs critiques alle-
mands. Les principales péripéties eurent lieu sur
deux des voies ferrées qui aboutissent à Amiens ; à
Bov^s (ligne de Paris) et Villers-Bretonneux (ligne de
Tergnier).
Vers midi, l'action était engagée sur toute la
ligne. A notre extrême droite, l'ennemi fut contenu
toute la journée par le feu soutenu et habilement di-
rigé de la batterie de marine Meunier, apportée le '
matin même par le chemin de fer et postée à cheval
sur la grande route de Paris. On vient de voir, par le
rapport de M. Gallet, comment les choses se passèrent
au centre. Plus loin, vers Gentelles et Cachy, les Prus-
siens furent tenus en respect par l'énergique attitude
(1) Deux autres agents qui secondaient Gallet; MM. Fla-
mant^ chef à Saint-Pol> et Martin, précédemment sous-chef
à la gare de Laon^ joaéritèrent aussi de grands éloges.
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144 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
du 20* chasseurs et du 69* de marche. Plus tard même
nos troupes prirent Toffensive de ce côté, et ne se
replièrent qu'à la nuit sur la bifurcation de Longeau.
La lutte était encore plus animée à Villers-Bre-
tonneux. Sur ce point, notre ligne de défense formait
un angle aigu, dont le sommet était une redoute établie
au pont du chemin de fer, à 1,200 mètres environ de
la gare. Pendant la journée entière, on s'arracha tour
à tour cette clef de la position. Ce ne fut pas Teffort de
Tennemi qui détermina la retraite sur ce point, mais
répuisement des munitions. Notre perte totale fut
d'environ 1,400 hommes; l'ennemi en perdit davantage
à la seule attaque de Villers-Bretonneux.
Ce fut seulement vers deux heures, au moment où
l'invasion de cette station semblait imminente, que
M. Maucomble, inspecteur, fit replier le matériel resté
j ««que-là à la disposition de l'autorité militaire. Pen-
dant toute la journée, malgré les progrès successifs de
l'ennemi, les trains avaient circulé sur les lignes en-
core libres. Ceux du Nord, qui passaient tout près du
champ de bataille, n'éprouvèrent pourtant aucun acci-
dent. On en fut redevable au courageux sang-froid du
. surveillant Philippe, de garde à la bifurcation de
Glisy. Ce brave homme resta jusqu'à six heures du
soir dans ce poste des plus périlleux, maintenant la
communication avec l'inspecteur principal à Amiens,
et indiquant les moments où le passage était possible.
Vers cinq heures du soir, l'ennemi, maître de Villers-
Bretonneux et de Boves, suivait nos troupes en re-
traite sur Corbie et Longueau. Du côté de Villers-Bre-
tonneux, il pouvait couper la voie entre Amiens et
Corbie, passer même la Somme pour prendre à revers
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RESEAU DU NORD ' 145
Farmée française. Dxx côté opposé, il avait occupé la
ligne d'Amiens à Rouen, et menaçait ainsi celle de
Boulogne, qui n'était pas protégée.
Ainsi, les deux lignes de retraite du matériel d'A-
miens étaient compromises ; 40 machines et 500 wa*
gons qui se trouvaient en gare risquaient de tomber
aux mains de l'ennemi.
On comprend combien était difficile la position des
chefs de services dans des crises semblables, où ils
avaient à concilier leurs obligations de mandataires et
leurs devoirs de citoyens; risquant de priver la défense
d'un concours précieux en faisant partir trop tôt leur
matériel, ou de le compromettre en le faisant partir
trop tard.
MM. d'Arcangues, inspecteur principal, et Guérard,
ingénieur de la traction, avaient cru devoir commencer
les préparatifs d'évacuation de la gare vers huit heures
du soir, alors que notre mouvement général de retraite
était déjà connu et bien dessiné. Mais d'autre part, ils
recevaient encore du Nord des trains d'approvisionne-
ments et de munitions, et ils avaient Tavis officiel de
nouveaux trains de troupes venant renforcer l'armée
fi'ançaise. Dans cette situation, et quoiqu'il en pût ar-
river, l'inspecteur ne pouvait ni ne voulait procéder à
• cette évacuation sans y être formellement invité par
l'autorité militaire. Il attendait donc, dans une cruelle
anxiété, la décision du conseil de guerre rassemblé à
la préfecture, et qui se prolongea fort avant dans la
nuit. Dans cet intervalle, on faisait décharger les mu-
nitions destinées à la lutte que le brave général Paulze
d'Ivoy voulait renouveler le lendemain. Ce fut seule-
ment à deux heures et demie du matin que M. d'Ar-
9
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146 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
cangues reçut du général Lecointe, président du coa-
geil de guerre qui venait de résoudre affirmativement
la question de retraite, Tordre de sauver le matériel
de la Compagnie (1). Tout put encore être sauvé : il ne
resta à Amiens qu'un certain nombre de machines
en réparation, dont Tingénieur de la traction avait fait
d'avance enlever les bielles, et qui par conséquent ne
purent servir à l'ennemi.
Dans la même journée, un détachement prussien,
dirigé d'urgence vers l'embranchement de Rouen ,
coupait la voie à Namps, et se saisissait, dès le 28 au
matin, du tunnel intact de Famechon. Ce mouvement,
qu'on aurait dû prévoir, allait exercer une grande
influence sur les événements ultérieurs.
Par suite de ces nouveaux progrès de l'invasion, la
Compagnie n'exploitait plus, le 30 novembre, que
945 kilomètres de son réseau.
Dès le 1" décembre, l'armée prussienne se mit en ,
marche d'Amiens sur Rouen en deux colonnes. L'une
(1) Le commissaire général de la défense, M. Testelin, qui
n'avait pas bougé de Lille, approuva la retraite par télé-
gramme. (( N'étant pas sur les lieux et n'ayant aucune con-
naissance militaire (on le savait de reste), il s'en rapportait
aux généraux, leur rdoommandant seulement de ne pas
tergiverser. »
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Gj3ogle
RESEAU BU NORD 447
suivait H direction du chemin de fer ; Tantre s'avança
par AiUy, Breteuil, Gournay. Pour faire illusion sur
ce mouvement, Tennemi avait lancé au loin, dans la
direction d'Arras et dans celle de Boulogne, de faibles
détachements qu'on prit, en effet, pendant plusieurs
jours, pour Favant-garde de forces imposantes. Ses
éolaireurs tenaient à dessein un langage propre à
accréditer cette opinion, tout en ayant soin d'enlever
des rails ; précaii^ion défensive qui ne s'accordait guère
avec le grand mouvement offensif qu'ils annonçaient.
Ce stratagème n'avait que trop bien réussi ; déjà toutes
les gares étaient évacuées jusqu'à Arras, quand on fut
sûrement informé qu'aucune force sérieuse n'était en
mouvement dans cette direction, et que pourtant la
majeure partie de l'armée ennemie avait quitté brus-
quement Amiens. Instruits à la fois par Lille et Rouen
de ce départ précipité, les profonds tacticiens de Tours
s'empressèrent d'en conclure et de proclamer que cette
armée était rappelée précipitamment vers Paris, tandis
qu'elle menaçait et envahissait Rouen. Cet aveugle-
ment était d'autant plus inexcusable que, dès le 30,
des télégrammes d'Albert et d' Arras leur signalaient
qu'un corps prussien de plusieurs milliers d'hommes,
avec une vingtaine de pièces d'artillerie, venait d'être
rencontré par un voyageur digne de toute confiance,
sur la route d'Amiens à Poix, dam la direction de
Rauen (1).
(1) Ils recevaient à la même date, également en vain, des
renseignements semblables de Rouen. (V. à ce sujet nos
Somenirs de VinMision en i^onnondt'^, et, ci*>aprèft, ràistorique
40 rOuest.)
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U8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Le registre télégraphique de la Compagnie est des
plus curieux à cette date. On j retrouve l'impression
palpitante de ce pêle-mêle d'informations contradic-
toires qui se succédaient, se disputaient le pas littéra-
lement à chaque minute, et parmi lesquelles, il faut le
dire, de meilleures têtes que celles des dictateurs de
Tours auraient eu de la peine à se reconnaître. Un
exemple, pris au hasard, suffira pour donner quelque
idée de ce chaos. Le 2 décembre, à deux heures quinze
minutes de Taprès-midi, M. d'Arcangues communiquait
au chef du mouvement de Lille, M. Thouin, l'avis de
la marche prétendue de toute l'armée prussienne sur
Arras, transmis par un chef de francs-tireurs qui parais^
sait sûr de son fait, et les mesures prises en consé-
quence pour l'évacuation de la gare d'Achiet. Ce télé-
gramme se croisait avec celui de M. Thouin, expédié
de Lille à deux heures trente minutes : « U serait
urgent de faire une reconnaissance sur Achiet. La
nouvelle de Vévacuation d'Amiens est affichée ici; il est
indispensable d'être fixé. Si la reconnaissance réussit,
faites réparer la voie et pousser au delà. » C'était
Tours qui venait d'annoncer à Lille cette évacuation.
Ajoutons qu'à la même heure encore, et même un peu
plus tard, le général commandant à Arras ne songeût
encore qu'à faire replier toutes ses grand'gardes jusque
sous le canon de la place (télégramme d' Arras à Achiet,
trois heures dix-huit minutes). D'autre part, l'inspec-
teur Maucomble recevait la nouvelle certaine que les
éclaireurs prussiens, après avoir tranquillement dégradé
la voie, avaient battu en retraite sur Albert, Enfin
le 3, au matin» on apprenait, par des gens arrivant
d'Albert, que cette localité venait d'être à son towr
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RÉSEAU DU NORD 14»
éTàcuée, et qu'il ne restait à Amiens qu'une garnison.
Bans ce chaos, qu'obscurcissaient encore les bévues
dictatoriales, on se retrouvait comme on pouvait,
presque toujours trop tard.
C'est pour nous un devoir d'exhumer, des documents
qu'il nous a été permis de consulter, des traits de
dévouement trop ignorés jusqu'ici. Aussi nous nous
empresserons de signaler la conduite d'un habitant
d'Albert, M. Berthet, qui, dans cette localité aban-
donnée à la merci de l'ennemi, ne cessait de trans-
mettre à Lille des informations circonstanciées et sou-
vent fort exactes sur les mouvements des Prussiens.
C'était lui qui avait fait connaître le premier, dès le
30 novembre, leur marche sur Rouen. Aussitôt qu'ils
eurent quitté Albert, M. Berthet entreprit une excur-
sion dont il consigna les résultats dans une longue
dépêche adressée d'Achiet à Lille, le 8 décembre. Il
n'avait pu dépasser Clermont. Là, il avait appris que
les garnisons de Creil, Compiègne et Beauvais étaient
trop faibles, la plus grande partie ayant été, depuis
quatre ou cinq jours, brusquement rappelée vers Paris
à cause de la grande sortie. A Amiens, la citadelle était
fortement occupée : « On y avait fait entrer, dans la
matinée du 7, une grande quantité de pétrole, pour
incendier la ville en cas d'attaque. » Enfin, il avait vu
l'affiche prussienne annonçant l'échec de la sortie de
Paris et la prise de Rouen, événement dont il transmit
la première nouvelle certaine dans la région du Nord.
La Compagnie avait eu sa part de ce nouveau désastre.
La colonne prussienne qui suivait la ligne d'Amiens à
Rouen avait marché si vite que M. Saisset, inspecteur
prindpalj après avoir télégraphié le 4, de grand matin,
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150 CHEMINS DE Fl^ PEANÇAÎS
qne Forges devenait tête de ligne^ apprenait quelques
minutes plus tard Tenvahissement de cette station.
Cependant il avait fait évacuer successivement ses
gares en temps utile, et concentré à celle de Montéro-
lier-Buchy (12 kilomètres de Rouen) tout son matériel
(14 machines, 350 wagons), prêt à se replier au pre-
mier signal sur la ligne de TOuest par l'embranchement
de Clères.
Malheureusement M. Saisset avait dû faire retour-
ner sur Rouen, la veille au soir, une portion de ce
matériel (4 machines et 48 wagons), pour déférer à
une réquisition verbale du commandant de la garde
nationale, M. Estancelin, qui pensait en avoir besoin
pour transporter des troupes à Buchy.
Dans la nuit du 3 au 4, Tinspecteur principal avait
accompagné à Buchy le commandant de la subdivision
de Rouen. On allait essayer de tenir avec des troupes
trop peu nombreuses, novices, et vaincues d'avance
par la fatigue et la faim. Le succès d'une pareille ten^
tative paraissait tellement problématique, qu'au point
du jour M. Saisset crut devoir faire filer, sans plus de
retard, son matériel par l'embranchement de Clères.
C'était l'unique ligne de retraite, et il voyait trop bien
que d'un moment à l'autre elle pouvait se trouver
compromise. Il n'était que temps, en eflfet, d'opérer ce
mouvement, car, dans le trajet de Buchy à Clères, le
convoi reçut une grêle de coups de feu, et la ligne fut
coupée entreCritot et Bosc-le-Hard, derrière les derniers
wagons. Par suite de jeette rupture, le train mis la
veille à la disposition de M. Estancelin, qui n'en avait
fait aucun usage, demeura intercepté et tomba au pou-
voir de l'ennemi. Celui-ci put même s'en servir de
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RÉSEAU DU NORD IM
suite, car, dans la confusion occasionnée par la déroute,
Tordre d'enleyer les coussinets n'avait pas été exécuté.
Les Prussiens restaient donc naaîtres de cette ligne
intacte d'Amiens à Rouen, sur laquelle ils purent faire
circuler des trains dès le lendemain de Toccupation (1).
Il aurait suffi pourtant de détruire le tunnel de Fame-
chon du côté d'Amiens, ou celui de Sommerj du côté
de Rouen, pour leur enlever cette communication rapide
qui allait leur être d'un si grand secours à Pont-No jelles,
à Moulineaux, à Bapaume, à Saint-Quentin !
Dans cette débâcle qui précéda et décida l'occupation
de Rouen, il j eut encore çà et là quelques exemples
consolants de patriotisme. Dans la nuit du 3 au 4 dé-
cembre, un détachement nombreux de gardes nationaux
de Saint-Saens, à peine armés, sans uniforme et n'igno-
rant pas à quoi ce défaut d'uniforme les exposait, avait
fait bravement plusieurs lieues à travers la neige pour
venir jusqu'à la gare de Buchj, se mettre à la disposi-
tion de l'autorité militaire. Dans la journée du 4, au
moment où les Prussiens coupaient la voie sur l'em-
brancheïnent dé Clères non loin de Critot, le chef de
cette station, M. Lavallée, parvint à tromper leur sur-
veillance, et courut au-devant d'un convoi de troupes
françaises dont l'approche lui avait été signalée de
Clères un instant avant la rupture des fils. Il l'atteignit
au moment où il arrivait dans la gare de Bosc-le-Hard,
(1) Le dernier train français qui circula de Forgea à Rouen,
dans la matinée du 14, avait été salué aux environs de Buchy
d'une telle averse de projectiles, que les voyageurs, parmi
lesquels il se trouvait des fômmes, durent s'improviser un
rwnpart avec leurs bagages*
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t$l CHEMINS DE FER FRANÇAIS
^ 500 . mètres seulement de Tendroit où la voie était
rompue et l'ennemi embusqué. Cet avis contribua beau-
coup au salut de ces troupes (2® bataillon des mobiles
de la Seine - Inférieure , commandant Rolin), qui se
tirèrent honorablement et sans trop de pertes d'une
situation des plus difficiles. Rappelons aussi que les
employés de cette ligne d'Amiens à Rouen, sommés de
reprendre leur service pour Tennemi, s'y refusèrent
unanimement.
Cependant la brigade prussienne qui venait de s'emr
parer de La Fère faisait des démonstrations inquié-
tantes contre la partie encore intacte du réseau du
Nord. Un détachement avait occupé de nouveau Saint-
Quentin le 5 décembre; un autre s'avançait au delà,
surprenait le 9 la gare d'Essigny, dans la direction de
Busigny. D'autre part, la garnison prussienne d'Amiens
continuait à s'éclairer assez loin, du côté d'Arras et
d'AbbevUle.
Tout à coup les afiaires parurent changer de face*
Le général Faidherbe, qui arrivait enfin pour prendre
le commandement de l'armée du Nord, arrêtait soudain
la retraite de cette armée, la reportait en avant, dé-
ployant une énergie, une activité incontestables. Il lui
suffit de quelques jours pour faire des soldats de ces
mobiles novices qui, suivant Texpression d'un de leurs
chefs, lui avaient si bien glissé entre les doigts à Amiens,
qu'il en était réduit à demander par le télégraphe ce
qu'ils étaient devenus. Les agents de la Compagnie
secondaient de leur mieux cette reprise d'ofPensive.
Le 11 et le 12 seulement, on fit partir de différents
points du réseau encore libre, de Dunkerque, Lille,
Fives , Douai , Valenciennes , Cambrai, vingt et un
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RÉSEAU DU NORD 18S
grands trains militaires. Une portion de ces troupes
était transportée sur la ligne d'Arras, sur laquelle les
dégâts opérés par les Prussiens après la prise d'Amiens
avaient été réparés avec une remarquable activité, sous
la direction de M. l'inspecteur Latour de Briey. Dès
le 16, les trains militaires purent arriver jusqu'à la
station d'Albert, et, le 20, jusqu'à celle de Corbie.
D'autres troupes françaises s'avançaient sur les em-
branchements de Tergnier et de Busigny. Dès le 11 ,
une avant-garde française reprenait possession de la
station et du fort historique de Ham ; deux cents Prus-
siens pris dans ce fort étaient transportés à Lille par
un train spécial. Saint- Quentin retomba au pouvoir
des nôtres. Laon même crut un moment à la délivrance.
L'armée française du Nord , ayant Amiens pour
objectif, vint prendre position sur l'Hallue. La station
de Corbie devenait alors d'une grande importance stra-
tégique. L'état-major voulait y réunir tous les trains
de munitions et d'approvisionnements. L'inspecteur
principal objecta que cet encombrement de matériel
serait par trop téméraire sur un point où il ne pouvait
manquer, au moindre mouvement rétrograde des nôtres,
de devenir la proie de l'ennemi; qu'il valait mieux opérer
cette concentration à Albert, d'où l'on serait en mesure
de satisfaire immédiatement à toutes les réquisitions
transmises par le télégraphe. La station de Corbie est
en effet située dans un véritable entonnoir ; dominée, ainsi
que sa ligne de retraite, par les hauteurs qui bornent
la Somme, et dont on ne pouvait interdire l'accès à l'en-
nemi arrivant du côté d'Amiens. On eut heureusement
égard à ces observations, et M. d'Arcangues, n'ayant
pas d'encombrement à Corbie, put effectuer sans perte
9.
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154 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
rëvacuation de cette gare pendant la bataille du 23
(Pont-Noyelles) (1).
On sait qu'après cette affaire acharnée et indécise,
le général en chef français crut indispensable d'or-
donner la retraite sur la Scarpe. Toutes les évolutions
faites par Tarmée ennemie indiquent qu'elle s'attendait
à voir Faidherbe prendre à son tour l'offensive. La vé-
rité est qu'il aurait pu franchir la Somme et faire une
pointe sur le quartier général du 8® corps; l'état-maj or
prussien l'avouait après l'armistice. Mais, en faisant
ce mouvement, il aurait risqué d'être assailli, ayant
la Somme à dos, par les renforts allemands amenés de
Rouen en chemin de fer.
Il fut donc bien inspiré en ordonnant, le 24 au matin,
la retraite sur la Scarpe. Toutes les opérations si multi-
pliées, si compliquées, que ce mouvement nécessitait
sur les voies ferrées, pour l'évacuation des gares, le
transport des troupes, des blessés, des munitions, etc.,
furent exécutées avec une célérité et une précision remar-
quables. On espérait que la station d'Achiet resterait tête
de ligne. Le 26, vers neuf heures, l'inspecteur principal
d'Arcangues, qui se trouvait à Arras avec le général en
chef, lui témoignait quelques inquiétudes pour cette
gare d'Achiet, dont l'évacuation n'était pas terminée.
Celui-ci affirma que, d'après les derniers renseignements
parvenus à l'état-maj or, elle ne courait aucun risque,
qu'aucun ennemi ne s'était montré dans les environs.
Quelques moments après, un télégramme du chef de la
(1) Tous les rapports citent avec éloge M. Dieu, chef de
gare à Corbie, qui ne quitta pas son poste et rendit les plus
grands Bérviceti dànrf ce^tte criée*
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RESEAU DU NORD iftjS
statibon confirmait pleinement cette assnrance.... Deux
heures plus tard, un nouyeau télégramme annonçait qn«
la station était envahie par une nombreuse cavalerie.
La surprise fut si complète, que le dernier train d'éva-
cuation qui se trouvait en gare tomba au pouvoir de Ten-
nemi; la locomotive seule parvint à s'échapper. Plus de
cent wagons de houille, destinés aux usines de lacontrée^
et des colis de toute espèce qui se trouvaient sur le quai
furent pillés, sur Tinvitation des Prussiens, par des gens
peu scrupuleux du pays. Une deuxième locomotive, qui
venait d'arriver en gare pour enlever la houille, réussit
également à se sauver, en filant à toute vapeur à con^re-
voie^ en arrière de la première qui cheminait sur honm
voie^ gardant une avance qui lui permettait de prévenir,
par un avertissement donné en temps utile, toute ren-
contre fâcheuse pour Fautre machine. Grâce à cette
^combinaison, l'évasion à contre-voie de celle-ci s'opéra
avec une sécurité parfaite ; seulement, toutes deux eu-
rent à essujer le feu des uhlans qui leur faisait inutile-
ment signe d'arrêter.
Il fallut enlever de nouveau les impedimenta^ les
blessés transportables : opérer immédiatement, pour la
première fois, le déménagement de la gare d'Arras, et
ce n'était pas trop tôt, car un poste français resté à
cette gare fut inquiété à diverses reprises pendant les
derniers jours de décembre. Le flux de l'invasion de^vait
monter encore plus haut cette fois. Le génie français
crut indispensable de faire sauter, le 28 au matin, le
pont de Saint-Laurent entre Arras et Lens. Toute com-
munication par le chemin de fer se trouva ainsi inter-
ceptée entre ces deux villes, mais cette rupture n'em-
pêchait pas les éclaireurs g^lemands de parcourir tout
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Ift6 CHEMINB DE FER FRANÇAIS
le pays àTouest et au nord d'Arras. Le 29, une panique
causée par la déroute d'un bataillon de mobilisés qui
prétendait avoir été surpris à Souchez par toute une
armée, amena Tévacuation partielle de la ligne des houil-
lères, de Lens à Hazebrouck. En moins de quarante-huit
heures, plus de mille wagons furent enlevés de cette
ligne, après quoi Ton apprit que l'apparition de treize
uhlans avait causé cette débâcle ! I
Les Allemands s'avançaient aussi dans la direction de
Boulogne: il fallut évacuer, avant le !•' janvier, les
gares d'Abbeville, de Noyelles, de Saint-Valery. L'en-
nemi semblait vouloir déborder la droite des nouvelles
positions françaises; le 30, ses éclaireurs se montraient
vers Béthune. En même temps, il attirait à lui, sur sa
droite, un petit corps venant de Montmédy, qui passa
sous le commandement du prince Albert de Prusse
junior^ un long et mince officier que nous avions trop
bien connu dans le Yexin. Le 24, ces troupes entrèrent
à Saint-Quentin, mais elles en repartirent brusquement
dès le lendemain matin dans la direction d'Amiens, par
suite d'un ordre arrivé dans la nuit. Ceci tendrait à
prouver que, immédiatement après la bataille du 23
(Pont -Noy elles), Manteuffel s'était plutôt considéré
comme vaincu et menacé d'être attaqué à son tour,
puisqu'il appelait à lui tous ses renforts. Faidherbe
ayant au contraire reculé, son adversaire prolongea de
nouveau sa droite vers Tergnier. Cette fois, les Prussiens
occupèrent à demeure cette bifurcation importante.
Du 28 au 31, ils poussèrent aussi de fortes reconnais-
sances au delà de Saint-Quentin^ jusqu'à la bifurcation
de Busigny. Dans l'enceinte même de cette station, il
y eut, le 31, une escarmouche. Un train militaire trans-
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RËSBÀU DU MORD ift7
portant des mobiles arrivait d'Aulnoye, en même temps
qu'apparaissaient les uhlans. Les employés de la gare,
réunis aux moins effarouchés de nos jeunes soldats, sa-
luèrent les Prussiens d'une fusillade qui les fit rétro-
grader à toute bride. Mais deux jours après Tennemi
revint en force : il fallut se replier, comme toujours !
VI
Les désastres du mois de décembre avaient augmenté
les embarras de toute nature sur la portion encore libre
du réseau, réduite à 625 kilomètres. L'encombrement
devenait sensible dans les localités considérées comme
points de refuge. Les sucres, par exemple, étaient expé-
diés tantôt en Belgique sur Anvers, où Tengorgement
était tel, qu'il fallut souvent suspendre les expéditions;
tantôt sur Dunkerque pour y être embarqués. La gène
futsurtout grande à cette dernière station, après la perte
de la ligne d'Amiens à Rouen et de différents points du
littoral. La gare était loin de sufâre aux exigences de
cette situation, et, de plus, les moyens français d'em-
barquement faisaient défaut. On dut autoriser par
exception la marine neutre à faire le cabotage entre
les pays français, et l'on put ainsi profiter des vapeurs
anglais qui se présentèrent en grand nombre. Néan-
moins, on resta aux prises avec l'encombrement, même
fort au delà de la guerre. Il fallut, à diverses reprises,
condamner une des voies aboutissant à Dunkerque, sur
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ilt CHEMIKS DB FER LANÇAIS
une longueur de 8 et jusqu'à 16 kilomètreB, pour effec-
tuer le remisage des wagons de houille et autres^ ae*
culés à cette extrémité du réseau. Les sucres affluaient
à tel point, que pendant quelque temps ils ne purent
être emmagasinés tous à couvert; et il en résulta, par
les neiges et le dégel, des avaries coûteuses pour la
Compagnie.
La bataille de Bapaume (2-3 janvier) fut encore une
de ces rencontres dont chaque parti s'attribue l'hon-
neur. Malgré les lourdes plaisanteries du Moniteur
prussien contre ce général français qui « ne se lassait
pas de vaincre et de se retirer », les Allemands, eux-
mêmes, ont reconnu, après la guerre, que les Français
avaient eu plutôt l'avantage. Un des généraux prussiens
qui avaient pris part à l'affaire me l'avoua à moi-même
quelque temps après. Il ajoutait que l'état-major
prui^ien avait cru devoir, pour cette fois seulement,
déroger à ses habitudes ordinaires de véracité (?), en
raison de l'effet moral que l'aveu d'une défaite aurait
infailliblement produit sur les soldats fatigués de la
guerre.
Quelques-uns des télégrammes expédiés pendant la
bataille et immédiatement a^rès par des agents de la
Compagnie, reproduisent avec exactitude l'impression
du moment, tout à fait favorable à nos armes. Le 2 jan-
vier, à cinq heures vingt de l'api^ès-midi, l'inspecteur
Latour de Briey , qui pendant toute l'action s'était tenu
à Boileux, gare très voisine du combat, télégraphiait
d'Hazebrouck : a Fusillade commencée ce matin à dix
heures, du côté de Courcelles-le-Comte. Bataille s'est
étendue dans la direction de Courcelles-Bapaume. Canon-
nade dès onze- heures et demie, très^viv^à. trois heures
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RÉSEAtT DU KaRO IM
et demie; quatre heures et demie, canon plus rare êi
plus éloigiïé. A quatre heures, on me rapportait à Boi-
leu^x que notre armée poussait Vennemi.,,, » Le lende-
main, à six heures du soir, M. Cogniaux, conducteur
des travaux, qui avait assisté de fort près au combat,
télégraphiait à Lille : « Prussiens refoulés jusqu'aux
environs de Bapaume. »
Dès raprès-midi du 2, le lugubre défilé des wagons de
blessés commençait sur les lignes d'Hazebrouek et de
Douai. A trois heures dix, Lille recevait ce télégramme
navrant dans son laconisme : « Envoyer d'urgence un
train de malades à évacuer sur le Nord. Combat com-
mencé vers midi. On a besoin de tous les lits ded hôpi-
taux, les malades attendent! » Le lendemain et les
jours suivants, par un froid mortel, ces expédition» de
blessés se poursuivent sur tous les points du réseau
non envahi où l'on sait, où l'on espère trouver des res-
sources, sur Lille, Séclin, Tourcoing, Roubaix. « On les
logera chez les habitants, quand la place manquera à
l'hôpital î »
Le général Faidherbe ne crut pas devoir poursuivre
son avantage dans une saison si rigoureuse, avec des
troupes mal approvisionnées, et trop peu exercées aux
fatigues de la guerre. On sait aujourd'hui qu'il manqua
ainsi Toccasion de délivrer Péronne, cette place dont
la perte a exercé une si fatale influence sur led der-
nières opérations.
Malgré la retraite de Tarmée du Nord, l'ennemi re-
cula sur plusieurs points. Sur la ligne de Boulogne, où
les uhlans avaient été jusqu'à la station de Montreuil-
Verton, le service fut rétabli jusqu'à Abbeville, le
4 jâAvier. Du eôté d'Airas, l'ennemi aHandenna ttmt à
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MO CHEMINS DE FER FRANÇAIS
fait Achiet, dont la gare avait été fort abîmée pendant
la bataille. On s'était battu pendant plusieurs heures,
et Ton y retrouva une quarantaine de cadavres tant fran-
çais que prussiens.Gautier, chef de lastation, homme fort
énergique, mort depuis, n'avait pas quitté son poste.
Un obus vint éclater dans sa salle à manger au moment
où il venait d'en sortir.
Huit jours après la bataille, la circulation était réta-
blie jusqu'à Achiet, grâce à l'activité intrépide de
M. Cogniaux, conducteur des travaux, qui emboîtait
littéralement le pas à l'ennemi, replaçant les rails,
réparant au fur et à mesure les dégâts sur chaque par-
celle de terrain reconquise. Dans son rapport, qui nous
a été d'un grand secours, l'inspecteur spécial de la
ligne d'ArrasàHazebrouck dit, à propos de M. Cogniaux:
« 11 n'a pas cessé un moment d'éclairer la ligne aux
points extrêmes les plus rapprochés de l'ennemi. Il se
rendait fréquemment lui-même bien au delà des avant-
postes français, et souvent il nous eût été impossible
de prendre certaines déterminations, relativement au
service avancé des transports de guerre, si M. Cogniaux
ne m'avait constanunent prêté son concours. »
Le dernier mouvement offensif de Faidherbe amena
de nouvelles péripéties sur les lignes du Nord. Les
inspecteurs d'Arcangues et Muel rivalisaient d'activité :
les trains militaires purent circuler de nouveau le 14
jusqu'à Busigny du côté de Saint-Quentin ; le 15 jus-
qu'à Albert du côté d'Amiens. Faidherbe avait fait
annoncer par le télégraphe qu'il marcherait sur cette
ville, tandis que, en réalité, Saint-Quentin étaitson objec-
tif. Malheureusement, Von Gœben, le successeur de
Manteuffel, ne se laissa pas tromper. Sa situation stra-
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RÉSEAU DU NORD iti
tégique venait d'ailleurs de s^améliorer sensiblement
par la prise de Péronne (lO'janvier).
Le 16, la garnison prussienne de Saint-Quentin fut
refoulée avec quelque perte. Deux jours après, la cir-
emlation était rétablie pour les trains* militaires français
jusqu'à cette ville, alors que commençait déjà la bataille
qui allait j ramener l'ennemi.
Le général de GkBben guettait Tarmée française au
débouché de Saint- Quentin. Il avait déjà reçu et conti-
nuait à recevoir, par les voies rapides, des renforts qui
lui assuraient de plus en plus la supériorité numérique.
A Rouen, à Amiens, il ne restait presque plus de
troupes. D'autre part, « des trains de troupesallemandes,
. se succédant d'heure en heure, débarquaient à la gare
de la Fère, les 18 et 19 janvier. Ces trains venaient
tantôt du c6té de Soissons, tantôt du côté de Reims ;
ilfi apportèrent en deux jours au delà de 15,000 hommes.
La tenue de ceux qui arrivaient de Reims était des plus
soignées, parce qu'ils avaient fait le trajet entier en
wagons, ceux au contraire qui étaient venus par Sois-
sons avaient dû mettre pied à terre dans les endroits
où la voie était interrompue, comme le souterrain de
Yierzy ; on reconnaissait ceux-là à la boue qui les cou-
vrait. Tous ces renforts débarquaient à la Fère, et
s'acheminaient vers Saint- Quentin par la route de
terre (1). »
(1) Il y a 23 kilomètres de la Fère à Saint-Quentin. Les
Prussiens avaient aussi rétabli depuis les premiers jours de
janvier la circulation sur la ligne de Creil à Tergnier, mais
il DO vint de ce côté qu'un détachement de 1,500 hommes
environ, qui débarqua à Tergnier dans la nuit du 18 au 19.
Tpus ces renseignements nous viennent de M. Muel.
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ÎW CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Si nos renseig^nements sont exacts. Von Gk»ben au-
rait préféré ne pas attaquer si promptement, laisser
l'armée française se compromettre davantage ; il dut
obéir à des ordres supérieurs. Le courage nous manque
pour retracer toutes les péripéties d'ailleurs bien con*
nues des combats livrés le 18, dans l'angle de la Somme
et du canal, et de la journée décisive du 19. Cette ba-
taille de Saint-Quentin rappelle, dans des moindres
proportions, le désastre de Leipzig. L'armée française
succomba du moins avec honneur, contre un ennemi
très-supérieur en nombre et bien commandé. L'un des
épisodes les plus dramatiques de la bataille fut la dé-
fense héroïque du faubourg d'Isle et de la gare par les
troupes du général Derroja. Cette gare ne fut pas prise
d'assaut, comme l'ont prétendu les Allemands ; quand
ils y pénétrèrent, ses défenseurs l'avaient déjà éva-
cuée pour suivre le mouvement général.
L'inspecteur principal du Nord, M. Muel, qui s'était
déjà fort distingué lors de la retraite du 13® corps,
rendit encore de très- grands services dans cette lu-
gubre nuit du 19 au 20 janvier. Il avait eu soin dft
faire préparer d'avance, à Busigny, des trains tout atte-
lés, avec lesquels il opéra le sauvetage d'une douzaine
de mille hommes de toutes armes. Il osa même, à la
nuit close , faire retourner un de ces trains jusqu'à la
station d'Essigny- le -Petit, la dernière avant Saint-
Quentin, pour recueillir quelques centaines de marins
qui, ayant marché et combattu sans interruption de-
puis trois jours, tombaient littéralement de fatigue et
ne pouvaient plus avancer.
A Saint-Quentin, comme partout, les marins ont été
héroïque». Au moment où cette foule épuisée^ éperdue.
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RÉSEAU DU NORD 1«8
se précipitait dans les wagons, ce furent des marins
qui, se retournant encore une fois, enyojèrent aux
vainqueurs les derniers coups de fusil.
Sur la proposition du général en chef, M. Muel fut
décoré pour sa belle conduite dans cette journée.
Par suite de cette nouvelle débâcle, le niveau de
rinvasion monta plus haut que jamais sur les lignes
du Nord.. Des stations, dontTennemi n'avait pas encore
approché jusque-là, furent envahies, notamment celle
d'Aulnoye, à 25 kilomètres seulement de la frontière.
Elle fut surprise le 23, au matin : Tinspècteur princi-
pal, qui venait de la faire évacuer, s'y trouva entouré
d'ennemis qui s'informaient de lui en l'appelant par son
nom.Heureusementilsneleconnaissaientpasdevue,etil
leur donna le change par son sang-froid. Près de la station
duCateau, entre Busigny et Aulnoye, les Prussiens firent
sauter le viaduc de Saint-Benin, pour barrer le passage
aux troupes françaises qui auraient pu venir de Mam-
beoge les attaquer. Par une singulière coïncidence, au
même moment, les autorités militaires françaises, sous
le coup d'une appréhension absolument pareille, en-
voyaient un détachement pour détruire ce viaduc. Il
semble pourtant que nous aurions eu plutôt intérêt à
le conserver, puisque les Prussiens jugeaient néces-
saire de le détruire !
A la fin de janvier, les places d'Arras, Abbeville,
Landrecies, Cambrai, étaient gravement compromises.
Le département du Nord, entamé à son tour, semblait
devenir l'objectif principal de l'ennemi. On redoutait
un de ces mouvements tournants qui lui sont familiers.
« Les forces prussiennes pouvaient d'un côté se prolon-
gei^ au éud*e«t par la ligne de Busigny sur Jeumont,
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f «4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
tourner Valenciennes, isoler les places fortes des fron-
tières; de l'autre, se dirigeant au nord -ouest par
Saint-Pol et Hazebrouck, couper nos communications
avec le littoral, et envahir tout à fait le départenaent
en se rejoignant par Armentières, Turcoing et Rou-
baix. » Tout en continuant de prêter son concours, à
Tautorité militaire, le représentant de la Compagnie
avait dû prendre des mesures dans Thypothèse de l'en-
vahissement total du réseau, et des submersions que
Ton aurait pu tenter pour le combattre.
. Au moment de l'armistice, 237 machines étaient déjà
réfugiées en Belgique; 66, ramassées au delà d'Aul-
noye sur les quelques kilomètres encore libres de la
ligne d'Erquelines, n'avaient qu'un pas à faire pour
se trouver aussi en sûreté. Les derniers, au nombre
de 173, indispensables pour ce qui restait de service,
avaient également leur ligne de retraite assurée,
quand intervint l'armistice. « Les conditions de cet
armistice étaient bien dures, et il y, en avait d'af-
freuses », comme Tannonçait au général Faidherbe,
par le télégraphe, le chef d'état-major général Ville-
noisy. L'une des plus pénibles fut la cession d'Abbe-
ville, sur laquelle les Prussiens restèrent inflexibles.
Sur les voies ferrées du Nord, quarante-cinq ouvrages
d'art avaient été plus ou moins démolis ou endomma-
gés. Les plus importants étaient les trois ponts de
l'Oise, celui de l'Aisne, trois viaducs sur les lignes
d'Hirson, le pont du canal Saint-Denis, les deux ponts
de Daours et d'Aubigny sur la Somme ; le souterrain
de Vierzy, près de Soissons; enfin, le viaduc de Saint-
Benin. Deux gares- seulement^ celles du Bourget et de
Landrecies, avaient été entièrement détruites; beau-
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RÉSEAU DU NORD iH
coup d'autres avaient plus ou moins souffert. Les unes,
celles où Ton s'était battu, étaient criblées de balles
et d'obus» et avaient subi des incendies partiels; dans
d'autres , notamment à Soissons , on retrouvait des
marques non moins sensibles et plus répugnantes du
long séjour d'étrangers qui ne se gênent pas en pays
conquis. Moins de dix-huit mois après, presque toutes
les traces de ces dégâts étaient effacées. La Commune
a fait des ruines qui ne disparaîtront pas si vite ; sans
parler des ruines morales, les plus difficiles à réparer.
Dès que l'armistice fut connu, on s'occupa de réta-
blir la circulation au moyen d'ouvrages provisoires.
Ces travaux furent conduits avec une rapidité presque
fabuleuse, témoignage non équivoque de la cohésion,
de la vitalité persistante d'une grande administration,
tîinq jours après l'armistice, la Compagnie du Nord
était en mesure de contribuer largement au ravitaille-
ment de Paris. La ligne d'Amiens à Rouen rendit alors
d'immenses services, et l'on dut s'estimer heureux
qu'elle eût échappé à la destruction. Les Prussiens
eux-mêmes ont vanté la manière dont fut opéré ce
ravitaillement.
L'historique de cette opération exigeait à lui seul
une étude spéciale. Pendant toute la durée des négocia-
tions, les Prussiens n'étaient visiblement préoccupés
que d'une chose : la crainte qu'il n'entrât trop de vivres
dans Paris ; que cette ville ne se trouvât à l'expiration
dé l'armistice, suffisamment approvisionnée pour re-
prendre la lutte. On craignait aussi que le ravitaille-
ment n'épuisât les départements occupés, au préjudice
de l'armée d'occupation. L'intérêt d'humanité fut donc
impitoyablement subordonné à l'intérêt politique et
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166 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
militaire ; on s'attacha à. ne laisser péMtrer àom Paris,
au jour le jour, que strictement ce qu'il ffiUait pour
que la population ne mourût pas de faim jusqu'à la
paix. Telle est la seule explication ppssible, la seule
vraie, des rigueurs de l'ennemi.
On sait que l'accès des lignes de Boissons, de Ter-
gnier, d'Arras, de Boulogne, demeurait interdit aux
trains français de ravitaillement venant du Nord ; ils
ne pouvaient circuler que de Dieppe à Paris, par
Rouen, Amiens et Creil. On s'efforça d'agir pour le
mieux, dans cette limite restreinte. Aussitôt qu'elle
fut débloquée, l'administration centrale du Nord se
hâta d'expédier dans cette direction tout le matériel
vide disponible. Cinq machines et un grand nombre de
wagons partirent de Paris dès le 1" février, sous la
conduite de MM. Lafont et Sales, ingénieurs du Nord,
et Bisson, l'un des principaux chefs de service de
l'Ouest. Le même jour et les deux suivants, il fut ex-
pédié sur Paris seize trains de ravitaillement, dont
plusieurs, il est vrai, restèrent en détresse. En même
temps, on faisait à Creil, auprès des autorités prus-
siennes, des démarches pour obtenir d'établir un ser-
vice de trains mixtes, spécialement destiné au trans-
port des approvisionnements nombreux qui existaient
encore dans le département de l'Oise. Ces démarches
n'obtinrent aucun succès I J'ai vu, à la même époque,
des habitants d'autres départements voisins de la ca-
pitale, venus par terre avec des provisions pour leurs
parents restés à Paris pendant le siège, repoussés im-
pitoyablement à. toutes les issues, et s'en retournant
désespérés (1-7 février). Et pourtant les Prussiens
étaient bien informés, par leurs observateurs, de la dé-
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RESEAU DU NORD 4«7
trej3sé qui régnait dans Paris, où le rationnement fonc-
tionnait encore» Ils savaient qu'avant le jour on voyait
se former aux portes des boulangers des rassemble-
ments de femmes, d'enfants affamés, qui, en s'en re-
tournant, mordaient d'avance dans un pain encore
presque aussi noir, aussi gluant que celui des derniers
jours du siège I
Cependant M. Tinspecteur Muel avait obtenu, à
force de sollicitations, le passage par Tergnier et Com-
piègne des trains de ravitaillement chargés dans le
département du Nord. Des dispositions avaient été
prises en conséquence le 5 février. Mais il paraît que
dans l'intervalle il y avait eu contre-ordre , car ces
trains furent arrêtés à Tergnier et forcés de rétrogra-
der. Après de nouveaux et inutiles efforts auprès du
sous-préfet (prussien) de Saint-Quentin, qui continuait
de promettre et de ne pas tenir, M. Muel prit le parti
de s'adresser directement à M. de Bismark, auquel il
passa lui-même la dépêche pour plus de sûreté, et cette
fois il réussit.
Jusqu'à la conclusion de la paix, de nouvelles chi-
canes, dont le détail nous entraînerait trop loin, ralen-
tirent encore à diverses reprises l'expédition des
trains de vivres, et occasionnèrent de nouveaux en-
combrements. Les gares étaient bourrées de wagons
chargés qu'il était impossible de faire partir, de den-
rées qu'on ne pouvait charger faute de matériel.
Dans la seule station de Lille, à la date du 4 mars,
il n'y avait pas moins de 42 trains, d'ensemble 1,800 wa-
gons pleins. Toutes les voies de garage étaient occu-
pées; le matériel faisait absolument défaut pour les
chargements ultérieurs de subsistances et pour les
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iM CHEMINS DE FER FRANÇAIS
besoins locaux. Cet état de choses était dû unique-
ment aux difficultés calculées qu'élevaient coup sur
coup les autorités allemandes à rapproche du dénoû-
ment, pour rester en mesure de réaffamer Paris de
suite, si leurs prétentions exorbitantes déterminaient
la rupture des négociations.... Comme nous Tavons
dit ailleurs : « Nous avons beau nous promettre d'être
impitoyables à l'heure de la revanche ! Nous pourrons
les vaincre, nous ne saurons jamais exploiter comme
eux la victoire (1). »
Pendant toute la durée de l'occupation prussienne
sur le réseau du Nord, le célèbre Glaser continua d'y
parader en triomphateur, et d'y faire de temps à autre
d'étranges actes d'autorité. A Chantilly, notamment^ il
voulut séquestrer comme otage, pour la garantie de je
ne sais quelle réquisition, le chef de la station revenu
à son poste sur la foi des traités, et qui parvint heu-
reusement à s'échapper. En parcourant les lignes,
après la conclusion de l'armistice, les chefs de services
du Nord eurent souvent l'ennui de retrouver tantôt à
une gare, tantôt à une autre, Tex-inspecteur des
disques Glaser, arpentant majestueusement le quai
comme un pays conquis. Plus chamarré, plus gourmé
que jamais, il ne manquait pourtant pas, quand il
apercevait un de ses anciens supérieurs, de lui adres-
ser le salut militaire, témoignage ironique de respect,
qui dans cette situation semblait un nouvel outrage,
(1) les français en Prusse, p. 304.
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III
UÉSEAU DE L'OUEST
SOMMAIRE
I. — (Septembre et Octobre) Translalion de l'administration
à Argentan. — Interruption définitive des communications
avec Paris. — Evénements à Mantes. — M. Mathieu, chef
de gare à Garancières.
IL — (Octobre) Progrès de l'invasion . — Événements à
Dreux, etc.
III. — (Octobre-Novembre) Occupation définitive de Dreux.
— L'administration transférée à Granville. — Aspect lu-
gubre de la gare du Mans. — Circulaire étrange du minis-
tère de la guerre.
IV. — (Novembre et Décembre) M. Drouard, chef de gare
à Evreux. — Occupation de Rouen, évacuation des deux
gares, etc.
V. — (Décembre-Janvier) Evénements sur la rive gauche
de la Seine. — Escarmouche à la gare de Serquigny. —
Reconnaissances de M. Roger. — Nouvelles des gares de
la banlieue de Paris. — M. Baumah
10
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170 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
VI. — T (Décembre- Janvier) Combats sur la rive gauche de la
Seine. — Elbeuf entre deux feux. — Destruction du pont
d'Orival. — Derniers événements sur les lignes de Nor-
mandie.
VII. — (Décembre-Janvier) Derniers événements sur la ligne
de Bretagne. — Arrêté dictatorial du ministère de îa
guerre. — Encombrement au Mans. — Marche des Alle-
mands sur cette ville. — Télégrammes de M. Piquet pen-
dant la bataille. — Evacuation difficile de la gare. — Acci-
dent de Louverné.
IX. — (Suite) Le délégué de la guerre et la Compagnie de
rOuest. — L'odysaée bovine de la Défense Nationale; les
fournisseurs Barthélémy et Ferrand.
X, — (Février-Mars 1871) Concours apporté par la Compa-
gnie au ravitaillement de Paris. — Les Prussiens à la
gare de Rouen. — Pertes de la Compagnie pendant la
guerre.
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RESEAU DE L*OU£ST 171
Dès le commencement de septembre 1870, il avait
été décidé qu'en cas d'interruption complète des com-
munications entre les départements et Paris, les trois
services du mouvement général, du commerce et du
contrôle deâ lignes de FOuest seraient réunis à Argen-
tan, sous la direction de M. Protais, l'un des agents
généraux du mouvement. Argentan avait obtenu la
préférence à cause de sa position centrale, et aussi de
la facilité de retraite vers la mer qu'offrait, en cas
d'absolue nécessité, l'embranchement de Gran ville.
Dans la prévision de complications inévitables et pro-
chaines, on crut aussi devoir fractionner le service
départemental. Aux quatre chefs du mouvement,
MM. de Gombert, Piquet, Talleau et Banès, on adjoi-
gnit MM. Roger et Serres, inspecteurs, le premier
pour la ligne de Caen à partir de la bifurcation
de Mantes jusqu'à Mézidon, les embranchements de
Trouville et Honfleur, et celui de Serquigny à Rouen ;
le second, pour la ligne de Gran ville et la section de
celle du Mans à Mézidon, jusqu'à la bifurcation de
Surdon. Un autre inspecteur, M. Lesaulnier, fut chargé
spécialement des transports du camp de Conlie, sur
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17Î CHEMINS DE FER FRANÇAIS
lequel on fondait alors des espérances qui devaient
avorter misérablement, grâce au mauvais vouloir des
dictateurs révolutionnaires.
On organisa avec soin des reconnaissances par ma-
chines sur les sections menacées. L'une des premières
et des plus hardies fut exécutée le 19 septembre, au
moment même où s'achevait Tinvestissement de Paris.
Depuis la veille, les trains de la ligne de Granville ne
dépassaient plus Dreux. De cette gare, M. Serres s'a-
vança encore, malgré le bruit de plus en plus distinct
du canon, jusqu'à celle de Villiers-Neauphle (40 kil.
de Paris), où des uhlans avaient déjà paru. Il n'eut
que le temps de recueillir le personnel et le matériel
de la section (1).
Le mouvement d'émigration augmentait d'heure en
heure sur les parties encore libres du réseau. Les em-
barras se compliquaient encore aux points principaux
de bifurcation, comme Rouen, Serquigny, Mézidon, où
le courant des fugitifs rencontrait le courant trans-
versal des trains de troupes, épaves de Sedan, que la
ligne du Nord déversait d'Amiens sur Rouen, d'où ces
ces soldats étaient acheminés sur Serquigny, Mézidon
(1) Le chef de la station de Versailles-Chantiers (mort depuis)
avait complète ment perdu la tête. Il s^était sauvé, abandonnant
un certain nombre de wagons dont les Prussiens, attentifs àti-
rer parti de tout, firent longtemps usage pour transporter des
approvisionnements sur la voie ferrée de Rambouillet à Ver-
sailles. Il n'avait pas même eu la précaution de démonter son
télégraphe, encore en communication avec Paris. Aussi, l'on
ne fut pas peu surpris, à la gare Saint-Lazare, en recevant,
dans la soirée du 18, un télégramme en style franco-tudesque,
qui invitait facétieusement la Compagnie de TOuest à repren-
dre le service sur Versailles.
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RESEAU DE L'OUEST 173
et le Mans. M. Moser, inspecteur, télégraphiait de
Rouen, le 17: « Nos difficultés sont grandes. Personne
ne sait ici à l'avance ce qu'il va faire. » Les plus grandes
difficultés provenaient en effet, non pas tant de la sur-
ckarge du travail que de son irrégularité, et notamment
des fl.uctuations incessantes de Tautorité militaire.
Le 18 septembre, quelques trains avaient encore pu
s'évader de Paris à travers la fusillade de Clamart, et
le 19 au matin, M. Protais croyait que la communica-
tion subsistait encore. Il fut détrompé par un dernier
télégramme de son collègue Bisson, resté à Paris.
Celui-ci annonçait que la rupture avec Paris était
consommée, et transmettait à M. Protais Tordre
de prendre la direction. A cette date, les fils étaient
rompus, les appareils enlevés ou détraqués de toutes
parts. Nous n'avons pu retrouver Titinéraire de
cette communication dernière , transmise probable-
ment par un employé de la banlieue, qui aura, au péril
tie sa vie, rattaché un fil, remonté son appareil entre
deux visites de T ennemi. Combien d'actes de coura-
geux dévouement passent inaperçus dans les grandes
catastrophes !
Pendant les derniers jours de septembre, la bifurca-
tion de Mantes eut à subir bien des péripéties. Cette
ville fut occupée une première fois, le 22 septembre,
par une avant-garde. A tort ou à raison, les Prussiens
attribuaient aux employés du chemin de fer quelques
coups de feu tirés la veille sur des éclaireurs ; cela leur
suffit pour saccager les deux gares. En arrivant à
celle de bifurcation, ils firent une décharge qui blessa
grièvement Taiguilleur Duwicquet. Trois autres em-
ployés furent emmenés comme otages, et pendant plu-
10.
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174 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
sieurs jours on les crut morts. Aux premiers coups
de canon, la ville, abandonnée à elle-même, avait dû
capituler. Le sous-préfet, que les hommes du 4 septem-
bre avaient envoyé là pour faire son petit pacte avec
la mort, s'était « replié à pied », longtemps d'avance
et au pas accéléré, en suivant la voie ferrée. On le re-
trouva plus mort que vif, blotti dans la maisonnette
d'un cantonnier. Mantes fut réoccupé lo 24 par les ti-
railleurs Mocquart, mais, après divers incidents étran-
gers à l'objet spécial de ce livre, cette ville fut aban-
donnée de nouveau le premier octobre au matin. Moins
de trois heures après, les Allemands y arrivaient de
toutes parts au nombre d'environ 4,000, infanterie, ca-
valerie (brigade Bredow) et artillerie. Les habitants
étaient loin de s'attendre à un revirement si prompt.
Le sous-inspecteur Bouillon, qui arrivait pour réta-
blir le service, parvint à sauver le télégraphe, qu'on
venait précisément de réinstaller, et s'échappa en-
suite à travers champs, malgré le cordon d'envahisse-
ment que l'ennemi avait formé suivant son habitude. Cet
agent, homme énergique et actif, a été décoré des
premiers après la guerre. Sa correspondance con-
tient des détails curieux sur la situation morale du pays.
Malgré les progrès journaliers de l'invasion, les pre-
neurs du 4 septembre soutenaient que les Prussiens
étaient constamment battus, qu'il n'en pouvait être au-
trement depuis l'avènement de la République, et regar-
daient de travers ceux qui se permettaient d'en douter.
Dans le département d'Eure-et-Loir, la station de Ga-
rancières-la-Queue, située à 49 kilomètres de Paris, sur
la ligne de Gran ville, resta tête de ligne jusqu'au 29 sep-
tembre. Le chef de cette station, nommé Mathieu,
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RESBAU DE L*OUE$T 17ft
père de neuf enfants, faisait avec zèle Toffice dange-
reux d'éclaireur. Chaque jour il montait sur une loco-
motive, et poussait des reconnaissances dans la direc-
tion de Paris, jusque sous le feu des vedettes enne-
mies, n fut enfin obligé de se replier sur Dreux. Trois
semaines après, cette ville était envahie à son tour»
Mathieu y fut reconnu par les Prussiens, arrêté et con-
damné à mort pour avoir trop bien fait son devoir.
L'autorité municipale obtint, non sans peine, un contre-
ordre qui faillit arriver trop tard. Ce brave homme,
sauvé cette fois, ne devait pas avoir le bonheur (si c'en
est un), de survivre à cette fatale guerre.
II
Pendant tout le mois d'octobre, les stations télégra-
phiques faisant tête de ligne, du côté de l'invasion,
signalèrent incessamment des escarmouobes, des alertes
plus ou moins fondées, dans les départements de l'Eure
et de l'Eure-et-Loir, notamment à Dreux, à Chartres,
à Evreux.
Dreux, où l'on teinta deux fois de se défendre, eut à
subir pendant six semaines bien des péripéties. Le 9 et
le 10, des mobiles de l'Orne et des gardes nationaux
sédentaires de Dreux et d'autres localités voisines,
accourus au bruit du tocsin, escarmouchèrent contre
une colonie ennemie qui venait par Houdan. Dans la
nuit du 10 au 11, Chartres reçut de M, Richard, chef de
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176 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
gare à Dreux, ce fâcheux télégramme : « Troupes se
replient, la ville se rend. » Les bases d'une capitula-
tion venaient d'être arrêtées en effet, quand survinrent
des renforts français. Les Prussiens rétrogradèrent, et
les démocrates se déchaînèrent contre l'autorité muni-
cipale, qui avait traité de la reddition, quand on n'es-
pérait plus de secours. L'un de ses détracteurs les plus
acharnés était le sous-préfet gambettiste, qui préten-
dait et s'imaginait peut-être avoir fait des prodiges.
Il fit arrêter et détenir illégalement pendant plusieurs
jours le maire, M. Batardon, et trois de ses collègues,
dont tout le tort était de ne pas dater du 4 septembre.
Il était d'autant plus mal fondé dans ses récrimi-
nations, que lui-même avait télégraphié dans la nuit à
M. Serres qu'il eut à expédier de Laigle sur Nonan-
court assez de matériel pour enlever « les 2,177 hom-
mes de troupes qui évacuaient Dreux. » Cette démar-
che impliquait, de la façon la moins équivoque,
l'assentiment et lé concours de son auteur à la reddi-
tion (1).
La prise d'Orléans (11 octobre), amena de nouvelles
et plus profondes perturbations sur le réseau de l'Ouest-
Bretagne. La ville de Chartres, débordée et abandonnée
à elle-même, se rendit le 21 sans coup férir. Depuis
la veille, tout service avait cessé sur la section entière
du Mans à Chartres. Les éclaireurs ennemis étaient
venus jusqu'à la gare de Connerré, qui n'est qu'à24kilo-
(1) M. Batardon et ses collègues n'avaient pu obtenir du
gouvernement de M. Thiers la réparation à laquelle ils avaient
droit. Elle ne leur a été accordée que le 19 août 1873, par
une note du Journal offideL
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RESEAU DE UOUEST 177
mètres du Mans. Sur la ligne de Granville, on dut sup-
primer, le 22, tout service sur la section de Laigle à
Dreux. Cette ville était menacée par la division d'in-
fanterie de Wittich, qui venait de saccager Château-
dun et d'occuper Chartres. Dreux possédait alors deux
canons, ayant chacun sept coups à tirer ! Le 23 au matin,
le chef de gare télégraphiait : « Prussiens entrent, je
démonte appareil. » Ce n'était encore qu'une fausse
alerte. Quelques instants après , les habitants se
croyaient sauvés en voyant arriver plusieurs milliers
d'hommes, mobiles, franc-tireurs, marins, commandés
par M. du Temple, capitaine de frégate. Mais de
bonne heure, le lendemain, l'inspecteur Serres annon-
çait un nouveau revirement. Pendant toute la journée
on se battit autour de Dreux, menacé de trois côtés à
la fois par des forces supérieures. Dans la nuit suivante,
les troupes françaises se retirèrent par la route d'Evreux,
la seule qui fût encore libre. Quelques heures après
l'ennemi parut; 2,000 hommes s'installèrent à la gare
avec une vingtaine de canons. Le chef de gare Ri-
chard, qui aurait voulu rester en observation à son poste,
fut menacé d'arrestation et eut bien de la peine à s'é-
chapper.
Le 26, les Allemands s'avancèrent du côté de Nonan-
court jusqu'à Saint-Germain (Saint-Remy-sur-Àvre),
et y coupèrent la voie ferrée, ce qui dénotait l'inten-
tion de se mettre sur la défensive. En effet, ils ne tar-
dèrent pas à se replier sur Chartres, et Dreux resta
livré au va-et-vient alternatif des patrouilles fran-
çaises et prussiennes. Il en était de même sur les
plateaux du Vexin normand, dans la vallée de la Seine,
dans celles de l'Eure et de l'Avre. Cette situation rappe-
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178 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
lait celle des borders pendant les longues guerres entre
l'Angleterre et l'Ecosse. Les populations, vivant au
milieu d'alertes incessantes, accueillaient avec une
égale facilité les nouvelles les plus contradictoires et
les plus absurdes. Ainsi, quelques jours après l'occu-
pation de Gournay et de Gisors (4-9 octobre), une co-
lonne mobile prussienne ayant fait une pointe du
côté de Rouen, jusqu'à Saussay et Écouis, pour couper
le chemin de fer départemental de Pont- de-l' Arche,
cette opération, purement défensive, répandit au loin
la terreur. Rouen se crut menacé par toute une armée,
et pendant plusieurs heures « se tint prêt à tout événe-
ment. » Les uns se préparaient à la défense ; d'autres,
et des plus zélés démocrates, à se replier sur le Havre.
On expédia en toute hâte des renforts dans la vallée
d'Andelle, et quand on apprit que l'ennemi s'était
immédiatement replié sur Gisors, on passa tout à coup
de l'épouvante à V enthousiasme, (Télég. de M. Banès,
14 et 15 oct.)
De même, aprèsle combat de Villegast (22 octobre), un
de nos trop rares succès, le préfet de l'Eure, un citoyen
Fléau ^ dont les réactionnaires s'obstinaient à écrire le
nom avec un accent aigu, malgré ses protestations, fai-
sait placarder que les Prussiens de Mantes étaient
absolument démoralisés, « qu'ils ne cherchaient les
troupes françaises que pour se rendre ; » etc.
Une cruelle exécution eut lieu le 31 octobre à Bréval,
première station de la ligne d'Êvreux après la bifurca-
tion de Mantes, pour venger quelques cavaliers qui, la
veille, avaient donné là dans une embuscade. Le village
fut bombardé deux jours de suite; la gare et une tren-
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RESEAU DE L'OUEST 479
taiue de maisons furent incendiées; le curé et d'autres
notables emmenés comme otages.
m
Au commencement de novembre, le service de l'Ouest
s'arrêtait : sur la ligne de Rouen, à Gaillon (94 kil. de
Paris), sur celle de Gran ville, à Bourth, première sta-
tion au delà de Laigle (127 kil.); sur celle de Bretagne
à Nogent (149 kil.). En ajoutant à ces chiffres les
50 kilomètres d'Évreux à Mantes, la ligne entière de
Gisors et celle de la banlieue, on trouve que l'invasion
avait déjà enlevé à ce réseau au delà de 600 kilo-
mètres.
On espérait cependant reprendre bientôt le service
jusqu'à Dreux. Le chef de cette station était revenu à son
poste aussitôt après le départ de l'ennemi, et y tenait
bon, malgré les visites continuelles de patrouilles alle-
mandes. Le 11 novembre, une douzaine de cuirassiers
blancs furent surpris par des francs-tireurs embusqués
dans la gare même de Dreux. Dix de ces cavaliers furent
tués, un fait prisonnier, un seul parvint à s'échapper.
D'après la jurisprudence connue des Allemands, il y
avait là de quoi faire brûler le lendemain la gare et
même la ville. Heureusement Dreux fut occupé le jour
même par une forte avant-garde française. Ce revi-
rement offensif coïncidait avec les premiers succès de
l'armée de la Loire. Le commandant du Temple deman-
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180 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
dait, le 13 novembre, le rétablissement du service du
chemin de fer. Cependant il entrevoyait déjà, le
16, que sa tâche serait plus difficile qu'il n'avait
pensé, et demandait deux ou trois jours de délai, avant
de a répondre de la situation. » Les éclaireurs ennemis
avaient reparu à une lieue de Dreux, du côté de
Chartres. D'autre part, on signalait dans la soirée au
commandant français la présence d'une colonne ennemie
de 3,000 hommes à Nogent-le-Roi. // n'y croyait pas
beaucoup, et il avait tort. Toute la quinzième division
prussienne, commandée par le duc de Mecklembourg,
manœuvrait contre cette avant -garde française. Le
lendemain 17, elle fut assaillie de plusieurs côtés à la
fois, et rejetée sur Nonancourt.
L'arrivée des Prussiens à cette gare fut marquée par
un acte de barbarie dont il importe de conserver le
souvenir. Notre retraite, qui s'opérait sur la voie ferrée,
était couverte par un bataillon de marins. Parvenus
à un bouquet de bois près de la gare, quelques hom-
mes de cette arrière-garde envoyèrent une décharge
très -meurtrière à l'ennemi qui arrivait sans précaution,
croyant le combat fini. Les Prussiens , attribuant cette
surprise aux employés du chemin de fer, saccagèrent
la gare et la brûlèrent en partie. Quatre employés res-
tés à leur poste furent arrêtés, et les soldats qui les
emmenèrent firent sur eux une décharge qui tua
l'homme d'équipe Meulières et blessa grièvement le
conducteur Dano. Les deux autres avaient eu la pré-
sence d'esprit de se jeter à terre, et s'échappèrent par
des ruelles où les meurtriers perdirent heureusement
leur trace.
Les troupes françaises rétrogradèrent jusque sur
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RESEAU DE L'OUEST «8i
riton, suivies de près par la cavalerie ennemie. Il
fallut abandonner Tembranchement de Laigle à Con-
ches , et préparer Tévacuation de Laigle, l'autorité
militaire renonçant à défendre la ligne de Tlton.
Pendant que la 15® division prussienne avançait ainsi
dans la direction de Granville, la 17* en faisait autant
sur la grande communication d'Ouest-Bretagne. Ce
double mouvement semblait présager une attaque com-
binée contre l'embranchement du Mans à Mézidon, la
seule communication stratégique encore intacte qui
restât entre le nord et le midi de la France. Dans la
prévision de cette attaque, le représentant de F Ouest
transféra, le 22, le siège central de la Compagnie d'Ax-
g€fntan à Granville. M. Montouan, inspecteur de la
traction, chargé du service des locomotives sur les
lignes de Granville et de Mézidon, rendit dans cette
circonstance des services exceptionnels. On lui dut le
sauvetage du matériel de guerre, successivement re-
foulé de gare en gare, dans ce mouvement général de
retraite.
Le 20 novembre, M. Talon, sous-inspecteur, chargé
de faire évacuer les stations de la ligne du Mans à
l'approche de l'ennemi, était à Nogent, et y demandait
des nouvelles au préfet fugitif d'Eure-et-Loir. Celui-ci
répondait : « qu'il ne savait rien, Tautorité militaire
mettant un soin tout particulier à ne lui rien dire ; qu'il
s'en plaindrait à son ami Gambetta! » Le lendemain, la
situation se dessinait de la manière la plus fâcheuse,
et le préfet se repliait. « Toute sa crainte, dit un
témoin, était de ne pas partir assez vite. » Vers trois
heures, le chef de la gare de Condé-sur-Iton télégra-
phiait que les troupes battaient précipitamment en
11
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^ 182 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
retraite sur le chemin de fer, poursuivies par Tennemi.
Moins d'une heure après, elles traversèrent Nogent
en grand désordre. A cinq heures, les premiers uhlans
étaient signalés à 3 kilomètres de la ville, qui, toute-
fois, ne fut occupée que le lendemain. L'ennemi s'em-
para d'une assez grande quantité de matériel de guerre
qui n'était arrivé en gare qu'après le départ du dernier
train. Cet incident donna lieu à une dénonciation
violente contre le chef de cette station, M. Toussaint.
Mais cet agent fut pleinement justifié par l'enquête;
elle prouva qu'il avait employé jusqu'au dernier vragon
disponible du dernier train, et chargé même des objets
militaires au préjudice de son propre mobilier, qui fut
pillé par l'ennemi.
La poursuite avait continué sur la voie ferrée jusqu'à
la station de Connerré. En même temps, d'autres trou-
pes de la même division prussienne, détachées sur
l'ancienne route de Paris à Alençon, s'avancèrent jus-
qu'à Mamers. Il y eut alors, dans les départements de
l'Orne et de la Sarthe, un accès redoublé d'encom-
brement, d'efiarement, court, mais terrible. Bu 18
au 23 novembre, le Mans, Alençon s'attendaient à être
envahis d'un moment à l'autre.
La gare du Mans, surtout, offrait un aspect lugubre
dans la nuit du 22 au 23, Les employés déména-
geaient à la hâte; les quais, la voie même étaient
jonchés de mobilisés débarquant de Conlie, armés
de mauvais fusils à piston, la plupart sans sacs ni cou-
vertures, épuisés de faim et de fatigue, grelottant sous
leurs légers vêtements trempés. Les salles d'attente,
transformées en ambulances, étaient encombrées de
malades et de blessés. Un grand nombre de ces mal-
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RÉSEAU DE L'OUEST i«3
heureux étaient enveloppés de manteaux noirs, sur les-
quels la lueur du gaz faisait ressortir des faces livides.
C'était un spectacle douloureux, sinistre, à désespérer
de la France, si Ton n'eût aperçu çà et là, pareilles à
des anges consolateurs, au-dessus de toute fatigue
comme de toute crainte, nos héroïques sœurs de Cha-
rité...
Toutefois, M. Gambetta lui-même était alors au Mans,
et sa présence rassurait quelque peu les gens au fait
de ses allures en temps de crise. Ils se disaient que
le danger ne pouvait être aussi pressant, puisque
le fougueux dictateur était encore là. C'était du Mans
qu'il télégraphiait à M. de Kératry : « Venez^ nous
nous battrons ensemble. »
Cependant le capitaine de vaisseau Jaurès s'efforçait
d'organiser un corps d'armée, dans lequel devaient
figurer les troupes refoulées de Nonancourt. Elles
furent embarquées à la station du Merlerault (ligne de
Granville), d'où on les fit redescendre vers le Mans,
par la bifurcation de Surdon , Sées et Alençon. Ce
transport, d'environ 13,000 hommes, fut conduit avec une
activité remarquable par MM. Serres et Piquet, non tou-
tefois sans de vives appréhensions, carie trajet n'était
rien moins que sûr au moment où les ordres leur parvin-
rent. Heureusement, tandis que ce transport s'exécu-
tait, la petite armée du duc de Mecklembourg recevait
l'ordre de se rabattre immédiatement de l'ouest vers
le sud, en conversant à gauche, pour concourir aux
opérations contre l'armée de la Loire. Pendant cette
crise, les difficultés de la situation étaient aggravées
encore par les prescriptions absurdes de la Délégation
de Tours, décidant de tout, tranchant sur tout, avec
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184 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
une témérité qui n'avait d'égale que son ignorance.
Ainsi, au moment où les représentants de la Compa-
gnie pouvaient à peine suffire au transport des troupes
destinées à former le corps de Jaurès ; où, dans une
seule journée, celle du 24 novembre, il avait fallu
faire dix-sept trains extraordinaires sur une ligne à
voie unique, la Délégation intervenait pour exiger im-
périeusement renvoi immédiat, d'abord sur le Havre,
puis sur Cherbourg, d'une énorme quantité de matériel
vide, destiné à charger des denrées pour Paris.
A cette même date se rapporte une étrange dépêche
adressée de Tours, le 23 novembre, au représentant
de l'Ouest par le délégué de la guerre. Il avait fait
examiner les tableaux graphiques du réseau de l'Ouest.
Ony avait remarqué que les voyageurs passant d'une ligne
à une autre étaient souvent obligés d'attendre auxpoints
de bifurcation ; il fallait faire en sorte de supprimer tous
ces arrêts. On avait également remarqué que les voya-
geurs arrivant à Rouen par la ligne d'Amiens (Nord)
étaient forcés de traverser la ville pour aller d'une gare
à l'auk'e. Il importait, dans l'intérêt des communica-
tions entre le Nord et le Midi, que cet inconvénient
fût supprimé, et que toute la correspondance entre la
ligne du Nord et celle de l'Ouest pût s'effectuer sans
rompre charge à la gare de la rue Verte. (Rouen, r. d.)
Il n'y avait pas un mot dans tout cela qui ne fût mar-
qué au coin de l'ignorance la plus complète de la pra-
tique du service et de la topographie. La gare du Nord
est à une grande distance et fortement en contre-bas
de celle de la rue Verte, et il n'existe encore, entre la
ligne du Nord et celle de l'Ouest, d'autre communication
que l'embranchement à vote unique^ de Montérallier à
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RESEAU DE L'OUEST 185
Clères (ligne de Dieppe), qui aboutit à 25 kilomètres
au delà de Rouen. Cet embranchement n'était et ne
pouvait être utilisé que comme moyen accessoire de
dégagement, et non sans danger encore, comme le dé-
montrait trop bien le cruel accident arrivé quelques
semaines auparavant à la station de Critot (1). Dans
cette situation, on comprend quels détours, quelle perte
de temps, quels sinistres il aurait fallu subir, pour réa-
liser ridée de M. le délégué de la guerre, celle d'ar
mener, sans rompre charge , à la gare de la rue
Verte, tous les trains d'Amiens. Bien entendu, il ne fut
tenu aucun compte de ces singulières instructions, et
Ton fut dispensé de toute explication par les graves
événements qui se produisirent bientôt sur cette partie
du réseau.
W
Tandis qu'Alençon et le Mans étaient menacés,
Evreux essuyait une alerte non moins vive, quoique
moins fondée. Ce chef-lieu d'un département en partie
envahi n'était gardé, le 19 novembre, que par dix gen-
darmes, quatre chasseurs et quelques mobiles conva-
lescents, et il y avait en gare un grand convoi de mu-
nitions. M. Drouard, chef de gare, était allé à la divi-
(1) V., sur cet accident, /îë^eaM duNord^ p. 133, 134.
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18« CHEMINS DE FER FRANÇAIS
sion demander des nouvelles, et venait de recevoir du
général lui-même Tassurance « qu'il n'y avait rien à
craindre. » En retournant à son poste, il rencontra les
uhlans.
Ils arrivaient par les hauteurs qui dominent la gare
et la ville, mais M. Brouard discerna qu'ils étaient peu
nombreux. Il se mit en défense avec ses employés et
quelques gardes nationaux, et accueillit par une fusillade
les Allemands qui descendaient vers la gare. Deux em^
ployés subalternes, le mécanicien Ribot et le chauffeur
Malandin, se signalèrent particulièrement par l'énergie
de leur attitude. Déconcertés par cette résistance, les
assaillants, qui étaient à peine 200 en réalité, avec
deux mauvais canons, se retirèrent, envoyant en ma-
nière d'adieu quelques obus sur la ville. Pendant ce
temps, le général s'en allait, après avoir déclaré au
maire, pour Tencourager, qu'il n'avait à compter sur
aucun secours. Il s'était imaginé tout à coup que les
détachements postés dans les vallées de l'Eure et de la
Seine allaient être tournés , et leur avait envoyé
l'ordre d'évacuer immédiatement leurs positions !
On s'attendait à voir l'ennemi reparaître en force le
lendemain, et faire payer cher, suivant sa coutume, la
résistance de la veille. M. Roger, chef du mouvement,
arrivé à Evreux de grand matin pour surveiller l'éva-
cuation de la gare, trouva : « le général parti, le préfet
« malade, personne en état de donner des renseigne-
« ments certains ou d'agir. » Cependant cette journée
et la suivante se passèrent sans accident, et les habi-
tants reprirent tout à fait confiance en voyant arriver
le 22, par le chemin de fer, le deuxième bataillon de
marche, composé des débris du 41® et du 94« de ligne
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RESEAU DE L*OUEST 187
que venait 4'organiseràRouenunofâcier d'un véritable
mérite, M. Rousset (1). Cette réoccupation du chef-lieu
coïncidait avec un revirement offensif dans la vallée
de la Seine. Ramenés par un convoi de nuit jusqu'au-
près de Vernon, les mobiles de TArdèche repoussèrent
victorieusement de cette ville un détachement prussien
assez considérable.
L'attitude de quelques hommes de cœur avait seule
préservé Evreuxde se rendre honteusement à une poi-
gnée d'hommes isolés. Le chef de gare, qui avait pris
rinitiative de la résistance et sauvé son convoi, a été
décoré l'un des premiers après la guerre.
Mais bientôt une nouvelle catastrophe, prévue de
longue main par tous les hommes sensés, Poccupalion
de Rouen, allait forcer la Compagnie de l'Ouest d'a-
bandonner la plus grande partie du réseau normand.
Nous avons longuement parlé ailleurs de cet événe-
ment, nous ne reviendrons ici que sur les détails qui
concernent particulièrement les chemins de fer (2).
Pendant la marche de Manteuffel sur Rouen, tout le
matériel des chemins de fer de l'Ouest était mis en ré-
quisition pour porter les troupes de Rouen sur Paris,
conformément aux ordres formels et itératifs de
M. Gambetta, qui répondait aux avis, aux instances des
Rouennais « que les Prussiens avaient autre chose à
(1) C'est ce même bataillon, qui, transporté quelques jours
après dans le Vexin, eut la principale part au succès du com-
bat nocturne d'Etrépagny.
(2) Voir, sur la prise de Rouen, la Guerre dam l'Ouest,
par M. Rolin, et nos Souvenirs de r Invasion en Normandie.
Voir aussi, dans ce volume, l'article Réseau du Nord*
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188 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
faire que de venir se promener en Normandie (1). »
Les réquisitions étaient alors si pressantes, si multi-
pliées, que les chefs du mouvement de Rouen et Ser-
quigny n'avaient pas le temps de faire des rapports.
Nous remarquons pourtant que le chef de Rouen,
M. Banès (décoré depuis pour services de guerre),
comprenait bien la situation dès le 30 novembre , Il
annonçait à la fois le succès malheureusement inutile
d'Etrépagny, et l'arrivée à Poix d'une forte avant-garde
prussienne se dirigeant vers Rouen. Mais il fallait obéir
aux injonctions de l'autorité militaire, à celles-là même
qui semblaient tout à fait incompréhensibles. Le 1®' et
le 2 décembre, nous voyons M. Roger occupé à faire
transporter plusieurs milliers de mobilisés et du ma-
tériel de guerre de Serquigny, Lisieux, Brionne, sur
Conches et Évreux, encore en vue du mouvement vers
Paris ! Toute la nuit du 2 au 3 est employée à expé-
dier de Serquigny d'autre matériel réclamé d'urgence
pour Rouen. Le lendemain, nouvelle demande d'un
nombre de véhicules suffisant pour transporter 4,000
hommes. M. Roger n'en avait pas le quart disponible;
son collègue de Caen, M. Talleau, était également à
bout de ressources. Ils ne pouvaient obtenir de rensei-
gnements du général commandant à Rouen sur la des-
tination ultérieure de tous ces transports, ni sur quoi
que ce fût. Comment, en effet, l'autorité militaire au-
rait-elle pu indiquer ce qu'elle ignorait encore elle-
même, alors que, d'une part, les ordres de concentra-
(1) Ce n'était pas une simple invitation^ comme Ta pré-
tendu M. de Freycinet dans son livre (la guerre en province),
mais bien une injonction absolue, réitérée plusieurs fois par
jour, du 30 novembre au 3 décembre.
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RESEAU DE KOUEST 189
tion et de marche sur Paris étaient encore maintenus»
et que, de l'autre, les têtes de colonnes prussiennes
n'étaient plus qu'à quelques lieues de Rouen! Mais,
quelques heures après, le délégué de la Compagnie
fut renseigné catégoriquement par un télégramme de
M. Banès. « Rouen étant très-gravement menacé^ celui-ci
se mettait en mesure d'évacuer le matériel de la rive
droite sur le Havre, celui de la rive gauche sur Ser-
quigny. »
Les agents du chemin de fer avaient secondé de
leur mieux les dernières tentatives de résistance. Au-
cun accident n'eut lieu, malgré la complication des ma-
nœuvres, la multiplicité des embarquements et des
débarquements, la cohue des émigrants, dont l'af-
fluence augmentait d'heure en heure. L'encombre-
ment fut surtout extrême dans la soirée du 4, aux
deux derniers trains qui purent partir pour Dieppe
et le Havre, et il s'en fallut de bien peu que celui
de Dieppe ne fût intercepté. Quand il atteignit le
pont d'Étaimpuis, les Prussiens y étaient déjà; ils
coupaient les fils télégraphiques, mais n'avaient
pas eu le temps d'enlever les rails. Le train ayant
poursuivi sa route malgré leurs injonctions mena-
çantes, ils dirigèrent contre lui une fusillade qui
atteignit le conducteur Wallet. On ne s'en aperçut qu'à
Dieppe même, où l'on trouva ce malheureux, victime
de son devoir, ployé en deux dans sa guérite, les deux
tempes traversées d'une balle. La mort avait dû être
instantanée. La ligne de Dieppe avait été coupée quel-
ques instants après le passage de ce dernier train.
Celle du Havre le fut quelques heures plus tard.
L'évacuation des gares de Rouen, n'ayant été or-
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190 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
donnée qu'à la dernière extrémité, se trouvait forcé-
ment scindée en deux opérations distinctes. Celle de
la rue Verte (rive droite) fut dirigée par M. Banès
lui-même, qui ramena et mit en sûreté au Havre
265 wagons et 15 machines (1). L'évacuation plus con-
sidérable des gares de Saint-Sever et de Sotteville avait
été confiée à M. Tinspecteur Moser, et lui fit beaucoup
d'honneur. Elle ne commença que le 5, vers quatre
heures du matin. Comme le service de la petite
vitesse était déjà supprimé depuis plusieurs jours,
les deux gares étaient bourrées de colis de toute es-
pèce. On dut, en quelques heures, former et faire
partir quarante trains, d'ensemble 1664 véhicules, qui
furent dirigés par Oissel sur Serquigny. Toutes les
voies de cette bifurcation étaient alors occupées par le
matériel de grande vitesse qu'on préparait pour rame-
ner sur Bernay etLisieux les 6,000 mobilisés qui se trou-
vaient à Évreux. 11 fallut refouler le matériel rouen-
nais sur la ligne de Caen, jusque sur les sections
les plus éloignées des lignes de Granville et Rennes.
Le général Briand, qui se retirait de Rouen sur Hon-
fleur,avaitaussidemandéàSerquignydumatériel.Ilpen-
sait à faire embarquer ses troupes à Pont-Audemer, sur
le chemin de fer départemental qui rejoint àGlosla ligne
de Serquigny, pour les reporter de là sur Honfleur par
Bernay. Indépendamment des difficultés que présen-
taient l'acheminement d'un matériel aussi considérable
(1) Une certaine quantité de matériel et quelques machines
acculées à Dieppe, tombèrent entre les mains des Prussiens,'
qui occupèrent cette ville le 9. Mais on avait eu le temps
d'enlever et d'expédier en Angleterre les bielles des locomotives.
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RESEAU DE L'OUEST 191
et rembarquement de 20,000 hommes sur la ligne à
voie unique de Pont^Audemer à Glos, ce singulier iti-
néraire faisait décrire aux troupes une courbé de
104 kilomètres pour aller de Pont-Audemer à Ron-
fleur, tandis qu'il n'y en a que 23 entre ces deux loca-
lités par la route de terre. Il avait, de plus, le grave
inconvénient de faire rebrousser chemin aux soldats
pendant une partie notable du parcours, dans la direc-
tion de l'ennemi, qui s'avançait à grands pas. Ce pro-
jet fut heureusement abandonné, grâce aux représen-
tations des agents de la Compagnie. L'embarquement
de ces 25,000 hommes à Honfleur pour le Havre fut
effectué avec une rapidité extrême, grâce à l'ingénieur
des ponts et chaussées, M. Arnoux, qui déploya dans
cette opération difficile un zèle et une habileté remar-
quables.
L'évacuation de Rouen (r. g.) et de Sotteville ne fut
terminée que le 6 au soir, et sans aucun accident, bien
que les abords de la gare Saint-Sever fussent envahis
depuis la veille, et que lee éclaireurs prussiens eussent
déjà dépassé la bifurcation d'Oissel. Ils rôdaient dans la
forêt de la Londe et le parc d'Orival, au moment où le
dernier train d'évacuation se trouvait encore sur le
port. A l'aspect des casques pointus, les mécaniciens
eflfrayés dételèrent la locomotive et s'enfuirent, aban-
donnant ce train, composé de 67 wagons. M. Moser, ac-
compagné de deux auxiliaires énergiques, le mécani-
cien Josset et le chauffeur Guilbert, revint enlever ces
derniers véhicules en présence des uhlans ébahis (1).
(1) Josset et Gailbert méritent d'être particulièrement
signalés, pour leur dévouement à toute épreuve pendant la
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192 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Toutes les gares des lignes d'Évreux à Serquigny
et de Rouen à Vernon avaient été pareillement éva-
cuées dans la journée du 5 et la nuit suivante. Il était
temps, car le lendemain les Prussiens inondaient toute
la presqu'île ou boucle de la Seine. Une avant- garde
se saisit tout d'abord de Grand-Couronne. Cette posi-
tion, qui suivant l'occurrence commande ou défend
Rouen du côté de Saint-Sever, était couverte par un
commencement d'ouvrages de campagne, destinés à
fermer la presqu'île en se reliant aux deux coudes du
fleuve en amont et en aval. Ces iravaux avaient été
entrepris pour couvrir Rouen contre une attaque par
la rive gauche ; ils profitaient, par conséquent, à l'en-
nemi, maître de cette ville et de la rive droite. Ses
éclaireurs étaient déjà sur toutes les routes, s'infor-
mant de la direction suivie par nos troupes. « Ils étaient
polis, mais généralement négligeaient de payer ce qu'ils
consommaient. >^
Fendant cette journée du 5, féconde en catastrophes,
le représentant de l'Ouest avait appris coup sur coup,
à cinq heures du matin, l'évacuation de Rouen; à onze
heures celle d'Orléans; dans l'après-midi, celle de
Tours.
période de résistance. Le 26 novembre précédent, ils avaient
rempli une mission non moins hasardeuse, en allant opérer,
au milieu des vedettes ennemies, le sauvetage d'un certain
nombre de wagons abandonnés auprès du tunnel de Boisset,
sur la ligne d'Evreux. Quelques jours après Tévacuation de
Rouen, ils accompagnèrent encore M. Roger dans une recon-
naissance des plus aventureuses sur Beaumont.
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RESEAU DE UOUEST <93
Du 6 au 10 décembre, Tinvasion avait gagné bien du
terrain dans TEure et la Seine-Inférieure. Tout service
avait cessé sur la ligne Vernon-Rouen-le Havre, sur
celle d'Evreux à Serquigny, enfin, sur les embranche-
ments d'Evreux à Couches, de Serquigny à Oissel et
Pont-Audemer. On procédait même à l'évacuation par-
tielle des gares sur ceux de Lisieux à Honfleur et Trou-
ville. Dès le 7, le Havre signalait la présence des uhlans
à Yvetot et Beuzeville; Serquigny, l'envahissement
d'Elbeuf et d'Evreux et la marche d'un fort détache-
ment sur Louviers ; Lisieux, l'occupation consommée
de Bourgàchard, celle imminente de Pont-Audemer.
Le 9 et le 10, la bifurcation de Serquigny, devenue
tête de ligne et qu'on avait d'abord résolu de défendre,
semblait menacée sérieusement des deux côtés et de
très près. D'une part, l'ennemi était en force à Couches ;
de l'autre, il arrivait à Brionne (le 9 au matin). Les
Prussiens manœuvraient en même temps pour tourner
les positions qu'on faisait mine de défendre. 4,000
hommes, venus de Rouen par la Bouille et Bourgàchard,
occupaient Ponl^Audemer et poussaient des reconnais-
sances vers Honfleur. Une patrouille de trente cava-
liers s'avança même, le 9, jusqu'à Fiquefleur, et explora
le plateau de Fatouville, qui domine de ce côté l'em-
bouchure de la Seine. Ceux-là étaient probablement
des soldats d'élite, car ils payèrent scrupuleusement
leur dépense dans une ferme.
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194 CHEMINS DE PER FRANÇAIS
La correspondance de M. Roger est fort intéres-
sante à cette époque. Placés en vedettes à Serquigny,
ce chef de service et ses auxiliaires déployaient une
remarquable activité pour organiser les transports mi-
litaires qu'on leur demandait à toute heure, recueillir
et transmettre des informations. .M. Roger écrivait, le
10 : « Je suis surchargé et n'arrête pas un instant....
Un nouveau commandant de l'Eure, fe sixième depuis
trois moisi est arrivé ce soir. C'est M.,., capitaine de
vaisseau, qui paraît être enfin l'homme voulu. Il se
dispose à organiser la défense, qui, jusqu'ici, a laissé
beaucoup à désirer. Il n'y a pas de camp à Serquigny.
Aucun des projets n'a reçu de solution. Les travaux
étaient abandonnés, les canons laissés de côté. Les
forces étaient d'environ 15,000 hommes; elles sont
descendues successivement à 2,000. Aujourd'hui, elles
sont remontées à 5,500. Nous allons voir ce qu'elles
vont devenir sous la nouvelle direction. » Dans un
conseil de guerre, tenu le même jour, on décida que
les troupes, trop menacées à Serquigny, se replieraient
immédiatement sur Bernay. Quelques heures après cette
reculade prématurée, toutes les stations télégraphiques
signalèrent un mouvement pareil du côté de l'ennemi.
C'était l'attitude menaçante de l'armée du Nord
qui le contraignait d'interrompre sa poursuite. Cet inci-
dent donna lieu aux interprétations les plus fantastiques.
C'est surtout dans ces moments de détresse et d'anar-
chie que « l'homme est de feu pour les mensonges. »
On commença par croire à une victoire décisive rem-
portée enfin sous Paris, et ce fut alors qu'on vit appa-
raître, jusque sur le territoire envahi, des bulletins
manuscrits et même imprimés, où il était question de
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RÉSEAU DE L'OUEST 195
80,000 Prussiens tués ou blessés, de 65,000 autres noyés
dans la Marne, de TEmpereur Guillaume investi à son
tour dans Versailles ; de Trochu, Garibaldi et Chanzy,
se donnant la main sous Paris, expression que quel-
ques patriotes naïfs prenaient au pied de la lettre» On
se rabattit ensuite à soutenir qu'au moins Rouen était
évacué. Ce bruit prit une telle consistance, que les au-
torités du Havre mirent des steamers en réquisition pour
transporter les troupes. Elles commençaient à s'embar-
quer quand on acquit la certitude que Rouen était tou-
jours occupé par l'ennemi. On prétendit alors que la
nouvelle de l'évacuation avait été mise en circulation par
l^s Prussiens eux-mêmes ; qu'ils avaient voulu attirer là
flottille française pour la détruire, au moyen de torpilles.
Il y eut dans l'Eure, à cette date, un certain nombre
de petits combats d'avant-postes, dont plusieurs furent
livrés aux abords des voies ferrées. Telle fut la sur-
prise du poste allemand de la gare de Beaumont (12 dé-
cembre), par le capitaine de Boisgelin, des mobiles de
l'Eure, qui se trouvait là sur son terrain ; et, le len-
demain, la déroute d'un détachement de pionniers,
accueillis par une fusillade meurtrière à Serquigny, où
ils venaient enlever les rails (1). Dans ces circonstances,
dont un cruel hiver compliquait encore les difficultés,
le dévouement des agents de l'Ouest ne se ralentissait
pas. Le lendemain de l'escarmouche de Serquigny,
tandis qu'on se battait encore dans les environs, et
que les habitants se tenaient cachés dans les bois,
M, Faulcon, chef de gare, était à son poste et avait
(1) Pour le détail de ces engagements, v. Rolin, Guerre
dans V Ouest, eh. XII.
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196 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
déjà remonté son appareil télégraphique. M. Roger fit
à diverses reprises des reconnaissances sur machine blin-
dée dans la direction d'Evreux et dans celle de Rouen,
en plein territoire envahi. Le 15, ayant poussé jusqu'à
Brionne, il s'y trouva face à face avec une forte pa-
trouille allemande, et n'eut que le temps de rétrograder
à toute vapeur. Les Allemands menacèrent plusieurs
fois les employés, notamment ceux de Bourgtheroulde,
de leur faire un mauvais parti, si les machines conti-
nuaient à circuler. Ces menaces n'empêchèrent point
M. Roger de s'avancer, le 19, jusqu'à cette même gare
de Bourgtheroulde, la plus voisine des lignes de défense
allemandes qui couvraient Rouen sur la rive gauche de
la Seine.
Cependant, à la suite de la déplorable sédition mili-
taire de Bernay (17 déc), les troupes de l'Eure venaient
de recevoir un nouveau commandant, M. Roy, ancien
capitaine d'infanterie, qui avait repris du service après
nos premiers revers. Les troupes dont il disposait se
montaient à une dizaine de mille hommes, mobiles,
mobilisés et francs-tireurs, avec seulement quatorze
pièces d'artillerie, et point du tout de cavalerie. Il
se décida néanmoins à prendre l'offensive, et porta sa
petite armée sur la rive droite de la Rille.
Par suite de ce revirement, la circulation des trains
fut reprise à partir de Serquigny : d'une part, jusqu'à
Brionne, oti le général Roy venait de transférer son
quartier général; de l'autre, jusqu'à Beaumont. Ils ne
pouvaient aller plus loin du côté d'Evreux, à cause de
la destruction du viaduc de Grosley; mais on était
rentré en communication avec Evreux par les embran-
chements intacts de Conches et de Laigle. Toutes ce«
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RESEAU DE L'OUEST 197
localités n'étaient plus que visitées de temps à autre
par des patrouilles allemandes.
Dès qu'Evreux fut à peu près libre, M. Bouillon y
courut pour réorganiser la correspondance télégra-
phique. On profita de cette délivrance momentanée du
département de TEure et d'une partie de celui de Seine-
et^Oise pour se remettre en rapport avec des localités
dont on n'avait pas eu de nouvelles depuis longtemps.
Ce fut alors qu'on fut, pour la première fois, sûrement
informé de ce qui s'était passé lors de l'invasion, et
depuis, dans plusieurs stations de la banlieue de Paris.
Ces renseignements furent rapportés par le facteur
Lebrun, de la gare de Triel, qui, au péril de sa liberté
et peut-être de sa vie, pénétra jusqu'à Versailles et
Saint-Germain, s'aboucha avec plusieurs employés
de* la Compagnie et se chargea de leur correspon-
dances (1). L'un des rapports les plus intéressants était
celui de M. Arnaud, chef de la station de Chatou, réfu-
gié à Saint-Germain depuis le 20 septembre. Cet em-
ployé faisait, de temps à autre, des excursions jusqu'à
son ancienne résidence, et les factionnaires prussiens
le laissaient passer quelquefois. Les avant-postes des
deux partis n'étaient séparés sur ce point que par la
Seine ; les Français occupaient Rueil et les Allemands
Chatou. Dans les derniers jours de décembre, ceux-ci
avaient complètement évacué la gare, sur laquelle il
arrivait fréquemment des obus du Mont-Valérien. Les
(1) Précédemment, dans les derniers jours de septembre,
cet employé s'était non moins courageusement exposé en
recueillant un ballon tombé à Yernouillet, et en facilitant
Tévasion des passagers.
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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS
approches du fleuve étaient sévèrement gardées, toutes
les rues de Chatou barricadées. Les Allemands avaient
installé une redoute à l'entrée du pont, et détruit la
première arche. Pour aller en voiture de Chatou et
du Pecq à Saint-Germain, on était obligé de suivre la
voie ferrée, etc.
Bonnières comptait parmi les localités les plus éprou-
vées. Cette petite ville avait eu à supporter, du 14 oc-
tobre au 13 décembre, des passages et des logements
de troupes continuels; les vivres, depuis longtemps
rares, allaient manquer complètement quand Tennemi
avait enfin quitté la place. Les habitants de Vernon,
laissés à la merci de Tinvasion depuis la prise de Rouen,
avaient aussi à souffrir de la brutalité et surtout de la
voracité de leurs hôtes forcés. On racontait que sept
Prussiens, logés dans un des hôtels delà ville, avaient
absorbé, dans Tespace d'une nuit, vingt bouteilles de
vin chaud et plus de soixante verres de cognac, répé-
tant toujours : nix payer I Ils finirent pourtant par
s'exécuter, ayant probablement oublié, à force de boire,
qu'ils étaient en pays conquis.
On eut aussi des détails sur la situation de Rouen par
un chef de gare qui venait d'y passer deux jours (20-
22 déc). Rouen était alors encombré de voitures de
réquisitions, ramenées du pays de Caux. La garnison
dissimulait mal son inquiétude sous un calme afTecté.
Les Prussiens ne semblaient pas moins anxieux en amont
de Rouen; à Pont-de-l' Arche, où ils se retranchaient
et ne laissaient plus passer personne ; à Elbeuf , où il
se préparaient à passer sur l'autre rive et à faire sauter
les ponts, menaçant de brûler la ville si la population
ouvrière faisait mine de bouger pendant l'opération.
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RÉSEAU DE L'OUEST 199
Le 24, un de leurs détachements vint jusqu'au Bourg-
theroulde ; le commandant signifia au maire qu'il eût à
faire sonner le tocsin s'il se présentait des francg-
tireurs; sans quoi, on reviendrait mettre le feu au pays.
L'ennemi craignait alors une attaque combinée des trou-
pes françaises de la rive gauche et de celles du Havre,
coïncidant avec le revirement offensif de l'arméeduNord,
et appuyée par les canonnières Farcy et Protectrice.,
qui avaient remonté en Seine jusqu'à Quillebœuf.
Dans ces douloureuses circonstances, nous devons
mentionner tout particulièrement la conduite à la fois
humaine et courageuse de l'un des employés supérieurs
de la Compagnie, M. Baumal, ingénieur de la traction
à Sotteville-lez-Rouen. Avant l'invasion, M. Baumal
avait rendu de grands services dans l'organisation des
transports d'hommes et de munitions qu'il fallait expé-
dier sans relâche sur Vernon, Evreux, Serquigny, et
qui, malgré des complications exceptionnelles, ne don-
nèrent lieu à aucun accident. Pendant la période de
l'occupation, M. Baumal demeura à son poste, et se
dévoua au soulagement du nombreux personnel des
ateliers de Sotteville. Plus d'une fois il franchit les
lignes allemandes portant sur lui des sommes considé-
rables destinées à la solde des ouvriers, des employés,
qu'il fallait garantir, à tout risque, des tentatives d'em-
bauchage de l'étranger, des horreurs du besoin : male-
suada famés I Ce devoir d'humanité et de patriotisme ne
pouvait être accompli sans fatigue ni sans danger.
Contraint de faire des grands détours pour éviter les
avant-postes ennemis, M. Baumal dut souvent faire à
pied, d'une seule traite, quarante kilomètres et davan-
tage à travers la neige.
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200 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
VI
La retraite momentanée de Tarmée du Nord, après la
bataille de Pont-Noyelles(23déc.), jeta un grand trouble
dans les opérations françaises. Les tentatives de diver-
sion sur les deux rives de la Seine, qui auraient dû coïn-
cider avec la reprise d'offensive de Farmée du Nord,
eurent lieu pendant cette nouvelle retraite. Les troupes
du Havre, imparfaitement organisées, mal renseignées,
furent tenues en échec par une poignée d'ennemis,
et ne dépassèrent pas Bolbec (25 déc.-3 janvier) (1).
Sur la rive gauche, au contraire, le général Roy
attaqua avec beaucoup de vigueur, mais seulement le
30 décembre. Le résultat de cette première journée fut
tout à notre avantage. Les Prussiens furent débusqués
de leurs positions avancées et rejetés avec perte sur
Grand-Couronne. L'engagement eut lieu en partie sur
la voie ferrée, entre la station de Bourgtheroulde et
celle de la Londe, en avant de laquelle Tennemi s'était
retranché (entre les kilomètres 141 et 144). Le soir, la
voie était dégagée d'ennemis jusqu'au tunnel d'Orival.
On se battit encore, à l'entrée de la presqu'île de la
Seine, pendant toute la journée du 31, et jusque sur le
(1) Pendant cette période, les Allemands se tenaient prêts
à battre en retraite devant ces troupes sorties du Havre, et
s*attendaient à les voir marcher en avant ; car ils firent sau-
ter, le 25, le viaduc qui passe sur la route de Bolbec à Fécamp,
pour les empêcher de se servir du chemia de fer.
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RÉSEAU DE L'OUEST SOI
pont d'Orival, que les Prussiens s'acharnaient, depuis
plusieurs jours, k déboulonner et à détruire. Ce pont,
Tun des ouvrages d'art les plus importants du réseau
de rOuest, ne fut entièrement rompu qu'à la onzième
explosion, qui eut lieu dans la journée du 31. D'au-
tre part, les Prussiens avaient ressaisi, par sur-
prise, la position de Château-Robert, trop faiblement
gardée. Mais ils en furent de nouveau expulsés, après
quatre heures de combat.
Malheureusement le général Roj était trop faible
pour faire de nouveaux progrès. Il ne trouvait pas dans
les troupes du Calvados l'appui sur lequel il avait
compté. Le général qui les commandait, craignant
une invasion sur d'autres points de son département,
ne voulait pas dépasser Brionne. On dut en référer à la
Délégation, qui donna au commandant du Calvados un
congé de santé, et plaça les forces des deux départements
sous les ordres du général Roy. Mais toutes ces corres-
pondances, et ensuite les formalités indispensables pour
la « remise du service » d'un état-major à l'autre, avaient
absorbé un temps précieux, et le général Roy n'avait
pas encore ce supplément de troupes dans la main
quand il fut attaqué, le 4 janvier, par des forces supé-
rieures (1).
(1) La responsabilité de ces tiraillements remontait encore
à la Délégation de Bordeaux, qui n'avait pas voulu déférer
le commandement supérieur au général des troupes du Cal-
vados ; militaire brave et expérimenté, mais dont le républi-
canisme lui était suspect. Elle avait cru pouvoir compter
davantage sur un officier qui ne devrait qu'à elle son avance-
ment. Là, comme ailleurs, des considérations politiques exer-
çaient une influence prépondérante et funeste sur le choix
des chefs militaires.
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ses CHEinNS DE FER FRANÇAIS
Pendant ce temps, Elbeuf se trouvait entre deux
feux. La situation de cette ville ne permettait pas
de la disputer à un adversaire maître des hau-
teurs. Le commandant prussien avait prudemment
repassé, dès le 24, sur la rive droite, et rompu les deux
ponts qui relient la ville au faubourg de Saint-Aubin.
Mais sa sécurité ne pouvait être assurée pleinement que
par la rupture, en aval, du grand pont du chemin de
fer (pont d'Orival), qui se faisait beaucoup attendre.
Cependant, nos troupes, d*abord victorieuses, avaient
effectivement occupé les hauteurs et la ville elle-même.
Les employés de la gare, située sur la rive droite,
voyaient donc en face d'eux les Français, et n'en vi-
vaient pas moins prisonniers au milieu des Prussiens (1).
Une batterie française installée sur la plate-forme
d'un château qui domine Elbeuf, gênait beaucoup les
mineurs ennemis , acharnés après le pont d'Orival.
Pour la faire taire, les Prussiens de Saint-Aubin avaient
fait avancer dans l'enceinte de la gare quatre pièces de
canon, qui furent bientôt débusquées par le feu très
vif partant de la rive opposée. Alors l'ennemi fit usage
d'une pièce à longue portée qui prit le château pour
point de mire, et y mit un certain nombre d'obus, sui-
vant l'expression délicate du commandant prussien
(colonel de Massow), qui me raconta lui-même cette
opération quelque temps après. Il avait bien regretté
d'être forcé d'^n venir là, ce château appartenant à des
personnes fort respectables, mais la guerre était la
guerre !
Pendant toutes ces péripéties, la communication était
(1) Rapport de M. Renard, chef de gare, 3 janvier.
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RÉSEAU DS L'OUEST UZ
absolument interoeptée eatre les deux rives. M. Auboin,
chef de gare à Oissel, qui touchait presque aux avant-
postes français, resta plus de huit jours bloqué, sans
pouvoir faire parvenir aucune information à ses chefs.
Les sentinelles tiraient sur les gens qui essayaient de
traverser en bateau. Le frère d'un des hommes d'équipe
de la gare d'Oissel avait été tué ainsi, près de la
Bouille. Aussi, personne ne voulait se charger, à aucun
prix^ de porter des messages dans les lignes françaises.
Enân, le 2 janvier, M. Auboin put aller jusqu'à Rouen
à pied, en suivant la voie ferrée. Il s'y rendit aussitôt,
et parvint à faire passer des informations intéressantes
par Dieppe et Honfleur, sur les travaux qu'ils fai-
saient aux ponts du chemin de fer de Rouen (r. d.)
et sur celui du Manoir. Ils avaient relevé le bal-
last sur le côté et arrangé ces ponts en chemins
rmsesj à l'aide de traverses prises dans les gares et de
madriers apportés par voitures et par bateaux, de ma-
nière à pouvoir y faire passer le plus gros matériel
de guerre. Avec des ponts ainsi disposés, des armées
entières, traînant leur impedimenta et de l'artillerie
du plus fort calibre, pouvaient franchir le double
passage de la Seine et se diriger sans obstacle vers
Paris.
Cependant, le délégué de l'Ouest, informé des pre-
miers succès du général Roy, venait d'autoriser la
reprise du service sur la ligne de Normandie jusqu'à
Beaumont et Brionne. Mais déjà la situation était com-
plètement changée. Le général de Manteuffel, appre-
nant le danger que courait la division de Bentheim à
Rouen, avait attiré à lui d'autres troupes pour continuer
la lutte contre l'armée du Nord, et expédié aussitôt sur
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M4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Rouen, par la ligne d'Amiens, des renforts qui arri-
vèrent à destination les 2 et 3 janvier.
Dans la matinée du 4, par un temps de brouillard
propice aux surprises, les mobiles de TArdèche et des
Landes, postés dans la forêt de la Londe, furent assail-
lis de plusieurs côtés à la fois par des forces supérieures.
L'ennemi attachait surtout une grande importance à la
possession du mamelon boisé qui commande la Bouille
et Moulineaux, et où Ton distingue encore quelques
traces de la forteresse construite par Jean sans Terre
sur l'emplacement du manoir légendaire de Robert le
Diable. Château-Robert, lieu prédestiné aux sinistres
aventures, fut définitivement perdu. Il fallut céder à la
supériorité écrasante de l'artillerie ennemie et battre
en retraite sur Pont-Audemer. Le bruit du canon, réper-
cuté dans les falaises, arrivait, comme un grondement
lointain d'orage, aux troupes havraises, immobiles sur
les plateaux de la rive droite. Entre les forces françaises
des deux rives il y avait si peu d'entente, que ces
troupes venues du Havre attribuaient ce bruit lointain
d'artillerie à nos canonnières!
Par suite de ces événements, « notre ligne se trouva
coupée. » L'ennemi, maître de la forêt, s'était porté
rapidement sur Bourgtheroulde, où le général Roy se
trouvait en personne avec un seul régiment de mo-
biles de l'Eure. Dès dix heures du matin, le facteur-
chef Janvier, faisant les fonctions de chef de gare dans
cette localité, voyait paraître des fuyards, des blessés
qui arrivaient du côté de la Londe en suivant la voie
ferrée. Au bruit croissant de la fusillade, il expédiait
ce dernier télégramme : « Nos troupes se replient
poursuivies. J'enlève appareil. Nous avons affaire à
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RESEAU DE L'OUEST ÏOS
forces supérieures, arrivées à Rouen depuis la veille. »
Vivement pressé de toutes parts et séparé de ses deux
ailes, Roy dut se replier sur Brionne. Quelques mobiles
de l'Eure, qui formaient Textrême arrière-garde,
retranchés derrière Téglise , sous les ordres de
M. Guillaume, chef de bataillon, retardèrent assez
longtemps la poursuite d'un ennemi bien supérieur, qui
les fusillait presque à bout portant, sans oser les
aborder corps à corps. Heureusement le brouillard,
Tobscurité croissante empêchaient les Prussiens de
discerner le petit nombre des adversaires qui les te-
naient en échec. Finalement, le commandant Guillaume
eut ridée d'ordonner à haute voix au bataillon de
charger à la baïonnette, et profita aussitôt, pour déga-
ger sa poignée de braves, du flottement occasionné par
cette ruse, parmi les ennemis qui occupaient déjà sa
ligne de retraite.
Tout le pays offrait un spectacle navrant. La neige
était épaisse, le froid des plus vifs; il y avait des morts
et des blessés sur toutes les routes qui aboutissent au
Bourgtheroulde. L'ennemi avait payé cher sa victoire (1) :
il se montra cette fois beaucoup plus rigoureux pour la
population du Bourgtheroulde et pour les villages voi-
sins qu'il ne l'avait été lors de la première occupation.
Ces pauvres gens expièrent cruellement leur délivrance
(1) Dans son rapport, le général Roy évalue la perte des
Allemands, dans cette journée, à 2,000 hommes tués et bles-
sés. Il paraît incontestable que les Prussiens se tuèrent à
eux-mêmes beaucoup de monde, avant plusieurd fois tiré les
uns sur les autres dans les mouvements tournants qu'ils
exécutaient simultanément dans le brouillard à travers les
bois, sur des lignes parallèles et conceu triques.
12
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IM CHEMINS DE FER FRANÇAIS
éphémère. Un grand nombre d'habitants avaient pris
la fuite, les autres s'épuisaient pour suffire aux exi-
gences faméliques des vainqueurs. Pendant les der-
niers jours delà guerre et toute la durée de l'armistice,
le Bourgtheroulde eut à supporter une garnison perma-
nente et des passages c/ontinuels de troupes. Les vivres
y étaient hors de prix et firent défaut plus d'une fois.
L'ennemi exerçait une surveillance rigoureuse sur les
communications. Cependant le facteur-chef Janvier
était resté à son poste et expédiait chaque jour des
rapports, dont quelques-uns parvinrent.
J'ai visité cette localité peu de temps après ces der-
niers combats ; son aspect était aussi triste que celui
de Châteaudun et d'Étrépagny. Les maisons, en par-
tie désertes, portaient des traces nombreuses de balles
et d'obus; plusieurs étaient entièrement effondrées.
Le sol du cimetière était jonché de croix, de tombes
brisées ; de cette enceinte funèbre labourée par la
mitraille, on entendait retentir dans le bourg les voix
avinées des vainqueurs...
Tandis que la petite armée du général Roy succom-
bait aux abords de Rouen, celle de Faidherbe battait
pour la seconde fois en retraite dans le nord, après
Taffaire de Bapaume. D'un autre côté, les troupes
du Havre, qui n'avaient tenté aucun effort sérieux
pour concourir au mouvement du général Roy,
avaient rétrogradé précipitamment sur Harfleur, à
la première nouvelle de sa défaite. Le service du che-
min de fer, repris depuisquelques jours jusqu'à Beuze-
ville, fut de nouveau supprimé à partir du 6. Enfin,
comme il fallait qu'en toute chose notre malheur fût
complet, la débâcle avait gravement endommagé les
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RÉSEAU DE KOUEST 107
canonnières destinées à opérer une diversion par la
Seine. Tout espoir d'établir une entente entre Tannée
de Faidherbe, les troupes de la rive gauche de la Seine
et celles du Havre était désormais perdu sans re-
tour (1).
L'échec du 4 janvier avait rejeté les troupes fran-
çaises sur la ligne de la Rille, qu'on se préparait à
défendre à outrance (Roger, 7 janvier); mais la délé-
gation et les Prussiens ne l'entendaient pas ainsi. Le
général Roy, que les précédents bulletins de Bordeaux
venaient de signaler comme un grand capitaine inventé
■par la République, fut sacrifié sans scrupule pour un
échec dont, à coup sûr, il n'était pas seul responsable.
Dès le 9, il était remplacé par l'ancien colonel du
4V de ligne, M. Saussier, nouvellement promu général
de brigade. C'était la huitième fois que ces troupes chan-
geaient de commandant !
Par suite de l'adjonction trop longtemps différée
(1) Les Prussiens, qui avaient réussi à dissimuler aux habi-
tants de Rouen les engagements de la fin de décembre, ne
purent en faire autant le 4 janvier : on entendait trop distinc-
tement le canon. Pendant toute la matinée, la population
anxieuse se pressa sur les quais, croyant à une prochaine
délivrance. Mais dans Taprès-midi le bruit du canon s'éloigna
peu à peu, et aussi Tespérance!
Un monument, élevé près de la Maison-Brûlée à la mé-
moire des braves qui ont péri dans les combats des 30 et
31 décembre 1870, et du 4 janvier 1871, a été inauguré le
18 juin 1873. La liste des soldats français connus, tués à
Château-Robert, à Moulineaux et Saint-Ouen, comprend
42 mobiles de TArdèche, 22 des Landes, 17 de TEure. Sui-
vant le général, notre perte totale dans cette journée aurait
été d'environ 500 hommes tués et blessés.
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208 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
des forces du Calvados à celles de TEure, M. Saussier se
trouvait à la tête de 18,000 hommes. Sa première
pensée fut de tenir sur la Rille, car il demanda tout
d'abord au chef du mouvement de mettre à sa disposi-
tion, à son quartier général de Serquigny, un matériel
suffisant pour porter d'urgence un secours d'au moins
1,500 hommes sur n'importe quel point. M. Moser,
inspecteur, qui faisait Vintérim de Serquigny en rem-
placement de M. Roger, mandé d'urgence à Cherbourg,
s'empressa de déférer à cette réquisition (1). Mais,
trois jours après, le général ayant reçu de nouvelles
instructions, réclama le concours de M. Moser pour ra-
mener toutes les troupes sur Lisieux, où il transférait
son quartier général. Le 15, il ajoutait que ce n'était
là qu'une première étape; qu'il avait ordre, après deux
ou trois jours de repos, de diriger sur Argentan toutes
ses forces, réunies au 19® corps et destinées à ren-
forcer, comme le reste, l'armée de Chanzy. De nou-
velles instructions précipitèrent encore ce départ : dès
le 16, la majeure partie des troupes quitta Lisieux.
11 n'y avait plus d'illusion possible : le Gouvernement
de la Défense sacrifiait les département de l'Eure et du
Calvados pour envoyer à l'armée de la Loire, refoulée
en Bretagne, des renforts qui ne pouvaient plus la re-
joindre! Moser, télégraphiait, le 16, à Granville :
« L'ennemi s'avance à mesure que nos troupes s'é-
loignent; probablement, il sera demain à Serquigny,
peut-être à Bernay. » Cette retraite produisit un effet
(1) M. Roger était appelé à concourir au transport du
19*^ corps. (Voir ci-après,)
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RESEAU DE L'OUEST 209
désastreux dans les cantons où la population semblait
le plus disposée à la résistance.
Cependant, les troupes prussiennes qui venaient de
repousser le général Roy n'avançaient qu'avec une cir-
conspection extrême. Ainsi, la gare de Saint-Léger,
entre le Bourgtheroulde et Glos, ayant été surprise le
11, par une avant-garde de cinquante hommes, ils s'em-
pressèrent de détruire un pont pour intercepter la voie
ferrée. Ces précautions défensives s'expliquaient par
les mouvements des armées dans le nord. Le général
von Gœben, qui venait de remplacer Manteuffel dans
le commandement des troupes opposées à Faidherbe,
rappelait de nouveau à lui, par le chemin de fer
d'Amiens, les troupes qui avaient été envoyées sur
Rouen dans les premiers jours de janvier. Nous avons
vu, pendant l'armistice, plusieurs officiers qui avaient
pris part à ces évolutions successives et pris part tour
à tour à l'occupation de Rouen, à l'affaire de Pont-
Noyelles, aux combats de Moulineaux et de la Londe,
et finalement à la bataille de Saint-Quentin. Dans
l'espace d'un mois, ils avaient été transportés trois fois
avec leurs troupes par ce chemin de fer de Rouen à
Amiens, que, par une distraction inconcevable, on avait
laissé intact à l'ennemi.
Mais l'invasion de la Normandie, un moment sta-
tionnaire, reprit son cours à la suite des revers essuyés
par nos armées de la Loire et du Nord. Immédiatement
après la bataille du Mans, le duc de Mecklembourg
avait été détaché avec tout son corps d'armée (13janv.)
et une nombreuse cavalerie sur Alençon, qui fut occupé
le 17 janvier, après une escarmouche assez vive.
D'Alençon, il se porta immédiatement sur Rouen, par
13.
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«10 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Gacé et Bernay. Ce mouvement ne pouvait rencontrer
que peu ou point de difficultés dans un pays que ne
défendait plus aucune force régulière, et dans lequel
on avait précédemment enlevé à la garde nationale
sédentaire une grande partie de ses fusils pour armer les
mobilisés. Il y eut pourtant quelques tentatives isolées
de résistance, très-dignes d'éloges, parmi lesquelles il
faut citer particulièrement celle des gardes nationaux
de Bernay, qui arrêtèrent à eux seuls une nombreuse
avant-garde ennemie pendant une journée entière
(21 janvier). Mais il fallut céder au nombre ; et Ber-
nay, dont la gare avait été évacuée dès le 19, fut
occupé le 22 par 10,000 hommes.
L'occupation de Lisieux et de Pont-rÉvêque (Calva-
dos) semblait également imminente. Dès le 17, la pre-
mière de ces deux villes n'était plus gardée que par
400 douaniers et une cinquantaine de francs-tireurs.
Dans ces cruelles circonstances, les autorités civiles du
Calvados firent preuve d'une énergie patriotique dont
l'histoire leur tiendra compte. Le jeune sous-préfet dé
Pont-l'Evêque, M. V. du Bled, se signala particulière-
ment en cette occasion. Il fit appel aux gardes na-
tionaux de son arrondissement, qu'il réunit au nombre
de 9,000, et imposa, par la fermeté de son attitude,
à l'ennemi qui le menaçait du côté de Pont-Audemer.
Sans cette démonstration, Pont-l'Evêque, Lisieux,
peut-être aussi d'autres villes plus importantes, au-
raient succombé avant l'armistice....
Les considérations qui avaient retardé la poursuite
des Prussiens sur la rive gauche de la Seine après leur
succès du 4, leur imposaient la même circonspection
du côté du Havre. Aussi, quand nos troupes rétrogra-
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RESEAU DE L'OUEST 2H
dèrent de Bolbec sur Harfleur, Fennemi ne les suivit
qu'avec une extrême lenteur. Le 10, il fit mine de tâter
nos avant-postes à Gainneville, lança quelques obus,
dont deux arrivèrent jusque dans Harfleur, et fut re-
poussé avec perte d'une quinzaine d'hommes. Il dé-
truisit en partie le viaduc de Mirville, et fit sur la voie
ferrée d'autres dégradations qui dénotaient la crainte
persistante d'un revirement offensif. Mais la Délégation
de Bordeaux avait bien d'autres idées I Après les événe-
ments du commencement de janvier, elle songea un mo-
ment à faire transporter une grande partie de l'armée du
Havre à Caen, par une flottille à vapeur, et de Caen
sur le Mans par le chemin de fer, toujours pour ren-
forcer l'armée de Chanzy. Des ordres furent transmis
dans ce sens à Granville, et le délégué de l'Ouest dut
télégraphier, le 9 janvier, à onze heures du matin, au
chef de mouvement des lignes du Mans que, « malgré
ses difficultés, il lui fallait à tout prix s'entendre avec
son collègue de Rennes pour envoyer d'urgence sur
Caen une grande quantité de matériel. » L'exécution
de ce plan magistral eût gravement compromis le
Havre, sans compter que le renfort ne serait pas arrivé
en temps utile ni jamais, attendu que ces ordres étaient
donnés seulement le 9 janvier, que la bataille du Mans
fut livrée le 12, et la communication avec Caen par
Alençon aussitôt interceptée. Heureusement, les repré-
sentations des autorités du Havre avaient fait réfléchir
les stratégistes de Bordeaux. La dépêche ordonnant de
préparer le matériel pour Caen circulait sur la ligne de
l'Ouest, quand survint un autre télégramme du Havre
annonçant un contre-ordre. Parmi les idées extrava-
gantes qui ont passé par la tête des dictateurs répu-
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212 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
blicains pendant cette crise, celle-là tient un rang des
plus distingués.
VII
Nous allons maintenant reprendre et suivre jusqu'au
bout, sans interruption, le récit des incidents encore
plus graves et plus pénibles, qui venaient de se succé-
der sur le réseau de TOuest-Bretagne, pendant les deux
derniers mois de la guerre.
Dans les premiers jours de décembre , Orléans
était reperdu, Blois et Tours menacés. La délé-
gation de la Défense se repliait sur Bordeaux,
circonstance qui, suivant son historiographe, aurait
dû rassurer^ mais produisait justement Teflet con-
traire. Après avoir énergiquement lutté pendant quatre
jours (7-10 décembre), contre des troupes plus nombreu-
ses que les siennes et mieux exercées, le général
Chanzy avait reculé en bon ordre et pris position sur
la ligne du Loir, où il s'attendait à être encore assailli.
L'éventualité d*un nouveau et prochain mouvement de
retraite, dirigé cette fois sur le Mans, devenait à
chaque instant plus problable.
Telle était la situation, quand le délégué de l'Ouest
reçut du ministère de la guerre la dépêche suivante,
en date du 14 décembre, mais qui ne parvint à destina-
tion que le 18.
« A dater de ce jour, tout service public est supprimé
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RESEAU DE L»OUEST 211
à la gare du Mans. Cette gare doit être complètement
réservée au service de la guerre, et tous les wagons
du commerce immédiatement évacués; à l'exception
(de ceux contenant) des subsistances militaires, des
objets d'équipement et d'habillement. Supprimez aussi
tout service public sur les lignes du Mans à Alençon,
à Laval, à Angers, qui seront également et exclusive-
ment réservées à la guerre ; toutefois, vous pourrez affec-
ter un train de guerre, matin et soir, au service de la
poste. Mettez vos services sur ces lignes à la disposi-
tion complète du service de l'Intendance pour les mou-
vements de guerre, les déchargements, etc. »
Cette mesure n'était que l'application partielle d'un
décret du 23 octobre précédent, qui plaçait les compa-
gnies de chemins de fer sous la dépendance absolue du
ministre de la guerre et des agents accrédités par lui.
Cet arrêté dictatorial n'avait reçu jusque-là aucun com-
mencement d'exécution; il n'avait pas même été
notifié aux Compagnies, qui n'en avaient eu connais-
sance que par le Moniteur de Tours.
Conformément à cet ordre, le service des voyageurs
et marchandises fut officiellement suspendu sur les sec-
tions indiquées, comme il avait dû l'être depuis le
22 novembre, sur l'initiative de la Compagnie et par
la force des événements, sur la section du Mans à No-
gent-le-Rotrou, point extrême de l'exploitation du côté
de Paris.
En examinant les choses de près, on s'aperçoit que
l'utilité de l'ordre du 14 était fort contestable. En
vertu d'une décision antérieure, et par la force des
choses, la priorité était déjà assurée aux transports de
guerre ; sauf de rares intermittences, le service était
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M CHEMINS DE FER FRANÇAIS
absorbé par ces transports, sur les lignes les plus rap-
prochées du théâtre des hostilités. Sous ce rapport, la
situation ne fut pas sensiblement modifiée par Tordre
du 14 décembre. En effet, Turgence des transports
de guerre ne pouvait absolument en faire disparaître
une autre non moins impérieuse, celle d'assurer à la
population civile l'arrivée des objets de consommation
indispensables , de laisser quelque mouvement au
commerce. Le général en chef Chanzy lui-même ,
qu'on ne saurait accuser de partialité pour l'intérêt
civil au détriment de celui de l'armée, ne put mécon-
naître cette nécessité. Il admit quelques exceptions au
principe d'absorption exclusive du service par les trans-
ports militaires, et ordonna à l'Intendance de tolérer ces
exceptions. Ce fut ainsi, par exemple, que le chef du
mouvement, organe des réclamations persistantes de la
ville, obtint, le 30 décembre, après bien des difficultés,
l'autorisation d'expédier un train de marchandises par
jour alternativement sur Angers et Laval, et d'affecter
une des halles de la gare au dépôt de ces marchan-
dises.
La situation restait donc à peu près la même. Il n'y
avait, en réalité, qu'une seule innovation importante,
et celle-là plutôt nuisible qu'utile ; le dessaisissement
administratif de la Compagnie, son assujettissement
absolu au corps de l'intendance, absolument étranger
à la pratique des chemins de fer.
Les inconvénients de ce déplacement d'autorité se
firent sentir dès les premiers jours, lors de l'évacua-
tion de Vendôme et de la retraite sur le Mans. Tandis
que la Compagnie prêtait son concours à l'évacua-
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RES.EAU DE L'OUEST SIS
tion des malades et des blessés de Vendôme; par
ordre de Tlntendance, de nombreux groupes de
wagons de subsistances furent immobilisés dans la gare
du Mans. Ils y formèrent un noyau d'embarras perma-
nent, à travers lequel les nombreux trains militaires,
transitant dans toutes les directions, se frayaient péni-
blement passage.
On espérait, par cette retraite, entraîner bien avant
dans rOuest une grande partie des forces allemandes.
On put croire, pendant quelques jours, que ce but était
atteint. Le 23 décembre, le chef du mouvement, M. Pi-
quet, avisait le général en chef que Sceaux, sur la li-
gne de Chartres, et Vivien, sur celle d'Alençon, signa-
laient à la fois l'apparition de partis ennemis. La
présence simultanée des Prussiens sur ces deux points,
éloignés seulement de 30 kilomètres du Mans, l'un
vers l'est, l'autre vers le nord, semblait indiquer un
naouvement concentrique contre cette ville. Du côté de
Sceaux, l'ennemi avait fait sauter un viaduc et opéré
d'autreB dégâts qui furent réparés avec une prompti-
tude remarquable ; si bien que, quarante-huit heures
plus tard, les trains de reconnaissances militaires pu-
rent arriver de nouveau jusque-là. Aussi le général en
chef fut bientôt édifié sur la signification véritable de
ces démonstrations; elles n'avaient d'autre but que de
le contenir, de l'observer. Le prince Frédéric-Charles
ne commettait pas la faute qu'on avait espérée, celle
de s'engager à fond dans l'Ouest. Ce qui le rendait si
circonspect, c'était l'appréhension d'un mouvement de
Bourbaki contre la ligne d'investissement au sud de
Paris, combiné avec un revirement offensif de Chanzy.
C'était là, en effet, le mellfeur plan, celui que Chanzy
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«1« CHEMINS DE FER FRANÇAIS
s'efforça jnsqu'au dernier moment de faire prévaloir ;
mais Bordeaux en avait décidé autrement I
Ce fut seulement dans les premiers jours de janvier
que M. de Moltke, pleinement édifié sur la véritable
destination que Bordeaux avait assignée à Bourbaki,
et s'estimant assez fort pour faire échouer cette diver-
sion dans Test sans le concours de l'armée de Frédéric-
Charles, lança celle-ci à fond contre Chanzy.
On était alors dans un de ces moments de calme
trompeur qui parfois séparent deux orages. Tout sem-
blait si paisible , même dans la direction la plus
voisine de l'ennemi, que le délégué de la Compagnie
venait, le 6 janvier, d'envoyer au Mans l'ordre de
réorganiser , à partir du lendemain , un service
mixte sur Nogent. Une réponse de M. Piquet, ex-
pédiée le même jour, à 2 h. 23, lui apprit qu'en ce
moment même un combat très- vif était engagé à 8 kilo-
mètres au delà de cette station, vers celle de Condé. Le
lendemain, Nogent était à son tour occupé de nouveau,
dépassé par l'ennemi, qui se présentait de toutes parts
avec des forces supérieures! Le Mans était devenu l'ob-
jectif de la marche concentrique de quatre corps d'ar-
mée. De forts détachements de cavalerie, jetés aux
deux ailes, avaient mission de couper les embranche-
ments de Tours et de Mézidon.
Cependant l'Intendance avait, dès le 8, suspendu
rigoureusement tout arrivage de voyageurs et de mar-
chandises, et prévenu confidentiellement le chef du
mouvement de prendre ses dispositions en vue de l'éva-
cuation. Dès lors onfit inutilement lesdémarcheslesplus
actives auprès du commandant en chef, pour obtenir
l'autorisationdecommencercetteopération. Néanmoins,
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RÉSEAU DE L'OUEST 217
dès le 10, tous les wagons inutiles étaient évacués non-
seulement de la gare même, mais des sections du Mans
à Alençon et à Sablé. Ces wagons étaient dirigés, les
uns vers Rennes, les autres vers Angers. On ne pouvait
plus compter sur d'autres débouchés. L'évacuation sur
Granville ou sur Cherbourg était impossible, car, de-
puis les premiers jours de décembre, ces deux sections
du réseau étaient déjà encombrées du matériel réfugié
des lignes d'Ouest -Normandie et du Nord (ligne
d'Amiens à Rouen). Il importait d'ailleurs de ne pas
trop surcharger ces sections, d'y conserver une cer-
taine liberté de mouvement, car l'on avait à prévoir,
dans un délai très-bref, le transport par ces mêmes
voies du 19® corps, en formation à Cherbourg et à Ca-
rentan.
Ces premiers efforts pour dégager quelque peu la
gare du Mans furent encore contrariés, non-seulement
par le froid et la neige, mais encore par les fluctuations
de l'Intendance. Elle avait d'abord autorisé, dans la
matinée du 10, le départ d'un certain nombre de ses
wagons vers Sablé. Puis tout à coup elle vint à craindre
qu'ils ne fussent coupés sur cette ligne trop rapprochée
de l'ennemi, et exigea leur retour immédiat, ne voyant
plus pour eux de retraite sûre que du côté de la Bre-
tagne.
Le 10 au soir, une nouvelle conférence fut tenue
chez le commandant en chef. Celui-ci se prononça
encore une fois contre Tévacuation. Il avait toujours
pleine confiance dans le succès, et redoutait l'effet
moral de semblables apprêts sur des soldats novices.
Nous n'avons pas à raconter ici les sanglantes péri-
ls
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218 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
péties de la journée du 11, que les Allemands eux-
mêmes n'osent qualifier que d'indécise. On trouve
le reflet fidèle des émotions de cette lutte dans les
télégrammes qu'adressait d'heure en heure à Gran-
ville le chef du mouvement. « A onze heures du
matin , la canonnade a cessé tout à coup , au
moment où elle se rapprochait sensiblement. . . La situa-
tion est plus grave que jamais : froid, neige, employés
malades et surcroît de travail... » Quelques minutes
après, un nouveau contre-ordre de l'Intendance forçait
de différer l'évacuation des wagons de subsistances,
qu'elle avait d'abord permis de commencer. A 4 heures
20 minutes, M. Piquet annonce que « la ligne de Tours
vient d'être coupée à Écommoy, celle d'Alençon à
Montbizot (20 kilomètres du Mans). » Cette dernière
nouvelle était prématurée ; Montbizot ne fut occupé par
l'ennemi que le lendemain, « Le bruit du canon a
repris, il augmente, se rapproche... »
En ce moment, M. Piquet venait d'obtenir, à force
d'instances, l'autorisation de faire filer sur Laval
60 wagons d'artillerie. C'était un allégement bien
faible pour sa gare, plongée dans un véritable chaos.
Le 11 au soir, elle ne contenait pas moins de 1,200
véhicules divers. Ce chiffre se décomposait ainsi : wa-
gons d'intendance, approvisionnements, 558 ; d'obus
et de munitions, 70 ; de matériel d'artillerie, 70 ; de
marchandises du commerce , 134 ; du mobilier de la
gare et de l'outillage des dépôts de l'Ouest et d'Or-
léans, 42 ; wagons vides, 150 ; à voyageurs, 176. Parmi
cette cohue, des trains militaires de toute nature con-
tinuaient à faire, dans toutes les directions, des trouées
refermées aussitôt, portant d^-s vivres, des munitions
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RESEAU DE L'OUEST t|9
et des renforts, soit au Mans même, soit sur les lignes
de T* urs ou d'Alençon.
Telle était la situation, lorsque, le 12 janvier, à
BÎieures 1/2 du matin, le représentant de la Compagnie
au Mans reçut Tavis confidentiel suivant du comman-
dant en chef, qui venait d'apprendre la perte du poste
capital de la Tuilerie :
« La situation s'est aggravée cette nuit.. . Je ne puis
prévoir ce qui se passera aiyourd*hui ; il est donc pru-
dent de replier de suite votre matériel sur chacune des
lignes encore libres, ne laissant ici sous vapeur que
des trains vides pour l'évacuation des malades, »
La situation devenait menaçante, en effet. Déjà quel-
ques obus tombaient aux abords de la gare. La cir-
conspection extrême des Allemands nous fut, cette
fois, de quelque secours. Si leur dixième corps avait
commencé plus tôt, et mené plus vivement contre l'aile
droite française, parles routes d'Ecommoy et du grand
Lucé, le mouvement tournant qui ne fut terminé que
vers 3 heures de l'après-midi, la débâcle aurait été bien
plus prompte, et l'évacuation de la gare fort compro-
mise.
Heureusement aussi, le chef du mouvement n'avait
pa<? perdu une minute, car les difficultés de la veille
s'étaient encore accrues par suite de l'arrivée, pendant
la nuit, de sept nouveaux trains militaires, d'ensemble
250 véhicules, qui s'étaient arrêtés sur les signaux
avancés de la gare. Il y avait, du côté de Mézidon,
deux trains d'infanterie pour le Mans (70 véhicules),
deux de cavalerie venant de Carentan à destination d'Is-
soudun (id.) ; du côté d'Angers, un train de munitions
de 40 véhicules, venant de Sablé pour le Mans ; enfin
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HO CHEMINS DE PER FRANÇAIS
du côté de Laval, un train de matériel d'intendancd
(toujours rintendance!) venant de Sillé pourAlençon et
Vivoin (35 véhicules), plus un de munitions, venant de
Laval, pour le Mans (id.). Le nombre des véhicules à
évacuer en pleine bataille, et bientôt en pleine échauf-
fourée, se trouvait donc porté de 1,200 à 1,450.
Des mesures furent immédiatement prises pour faire
rétrograder ces derniers trains vers leurs points de
départ, pendant qu'on formait pêle-mêle dans les gares
les trains à évacuer. De plus, on télégraphia dans
toutes les sections de ne plus rien envoyer, pas même
la poste. (Piquet, 12 janvier, 7 h. 20 du matin.)
Les difficultés de cette opération si tardivement au-
torisée étaient immenses, et s'aggravaient encore à
chaque instant. Les voies étaient couvertes d'une
couche de neige glacée, épaisse d'au moins 30 centi-
mètres, qui gênait considérablement les manœuvres,
le fonctionnement des aiguilles et le jeu des plaques.
Le personnel était exténué par quatre mois de travaux
excessifs et sans relâche ; car pendant toute la guerre
et bien longtemps encore après, jusqu'à la fin de 1871,
la gare du Mans dut satisfaire à des exigences hors de
proportion avec ses aménagements. Le chef de gare
principal, M. Loire, les deux sous-inspecteurs qui lui
avaient été adjoints , deux sous -chefs . de gares et
soixante agents de tous grades étaient alités ;
atteints, pour la plupart, de la variole, qu'ils devaient
au contact forcé des ambulances militaires installées
dans les salles d'attente. M. Loire, qui avait fait preuve
d'un dévouement sans limites, n'était tombé malade que
pendant les derniers jours. Il mourut à la fin de jan-
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RESEAU DE L'OUEST 221
vier, sans avoir pu recueillir la récompense duo à ses
services.
Il nous faut encore rappeler que des fuyards nom-
breux forcèrent , dès dix heures du matin , le
cordon de gendarmerie formé dans Tintérieur de la
gare ; qu'ils se répandaient sur toutes les voies, en-
vahissant les wagons, les voitures, dont ils cou-
vraient les marchepieds, les toitures et même les
tampons. C'étaient de ces malheureux mobilisés que,
par des considérations politiques, on avait laissé se
morfondre si longtemps sans armes et sans instruction
dans les boues du camp de Conlie, et qui, au dernier
moment, par une déplorable fatalité, se trouvaient
seuls dans un des postes les plus importants et les plus
sérieusement attaqués. (V. le rapport de M. de la Bor-
derie sur le Camp de Conlie,)
Disons encore que, dans ce moment où le télégraphe
eût été d'une si grande utilité, les employés de l'État,
chargés exclusivement de la manœuvre des appareils
dans cette gare devenue toute militaire, avait aban-
donné leur poste.
De plus, l'évacuation ne pouvait s'opérer que par la
ligne de Rennes. On savait, en eifet, que le quartier
général et l'Intendance allaient à Laval. D'ailleurs, la
ligne du Mans à Tours était occupée par Tennemi de-
puis la veille, celle d'Alençon sérieusement menacée.
Quant à la section du Mans à Angers, on n'eut le temps
d'y lancer que huit trains.
Après le refoulement des sept trains de la nuit, il
devint possible enfin, vers huit heures du matin, de
mettre en mouvement, au fur et à mesure, ceux que
Ton formait dans l'intérieur de la gare. Malgré les dif-
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222 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ficultés, les horreurs de la situation, on travaillait avec
rénergie du désespoir, au bruit du combat qui se rap-
prochait d'un moment à Tautre, Néanmoins, en moins
de sept heures, on était parvenu à former vingt-cinq
trains, comprenant ensemble près de mille véhicules.
Le dernier s'ébranlait à 2 heures 45 minutes de l'après-
midi, au moment où les Prussiens pénétraient dans la
gare. Il leur échappa sous une grêle de projectiles, et
franchit le pont miné de la Sarthe, qu'on essaya vaine-
ment de faire sauter derrière lui. De cet immense ma-
tériel il ne resta aux mains de l'ennemi que six machines
et 212 wagons d'approvisionnements, tandis que te
nombre des wagons sauvés s'élevait à 998, dont 272
s'évadèrent par la ligne d'Angers, et le reste par
par celle de Rennes. Un pareil résultat, obtenu
dans des conjonctures si difficiles, fait le plus grand
honneur au chef du mouvement, M. Piquet, et à ses
auxiliaires. Parmi les employés des différents services
qui ont fait preuve, dans cette crise, d'un dévouement
exceptionnel, nous devons signaler nominativement
MM. Ginestet, agent principgj, d'Absac, Talon et Vatel,
sous -inspecteurs, Richerolles et Mathieu, chefs des
stations envahies de Mantes et de Garancières, et em-
ployés alors à celle du Mans ; Decourt, inspecteur de
la traction ; Fourquet, sous-chef du dépôt ; les méca-
niciens Berton et Renouf ; les chauffeurs Bellot et Pa-
pillon (1). L'honorable conduite de M. Piquet, dans
(1) MM. Decourt, Fourque et Bellot ne quittèrent la gare
qu'avec la dernière machine, se dirigeant sur Rennes. Plus
tard encore, alors que la gare était déjà envahie, Renouf et
Papillon sauvèrent deux derniers trains en manœuvrant sur
les voies dites d'Angers, au delà du pont de la Sarthe.
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RESEAU DE UOUEST 2«3
cette circonstance et dans celle qui suivirent, lui a valu
la* croix de la Légion d'honneur.
Tous les employés qui ont figuré dans cette terrible
épreuve sont convaincus que « l'évacuation aurait pu
être complète, que pas un wagon ne serait resté au
pouvoir de Tennemi, si Ton avait pu défendre la gare
deux heures de plus. » Il y a, dans ce douloureux épi-
sode de la journée du 12 janvier, un enseignement utile
pour Tavenir. Il faut que remploi et le sort des voies
ferrées tiennent désormais une plus large place dans
les préoccupations des chefs militaires.
, L'évacuation de la gare du Mans eut pour épilogue
le lamentable accident de Louverné (4 kilomètres de
Laval) ; le seul sinistre considérable que Ton ait eu à
déplorer, pendant la guerre, sur le réseau de TOuest.
Ce fut un des trains d'évacuation qui vint, dans la nuit,
tamponner celui qui le précédait. Pourtant le signal
d'arrêt avait été fait et compris, mais sans doute trop
tard, ou bien encore l'impulsion persista avec une viva-
cité inattendue sur des rails en pente, couverts de glace
et devenus glissants à l'excès. Le choc fut si violent,
que des deux machines attelées au train qui venait
heurter l'autre, l'une fut renversée et écrasa une voi-
ture dans sa chute. Il y eut dix blessés, dont trois
grièvement, et douze morts, dont quatre employés de
la Compagnie, trois femmes, trois militaires, plus deux
masses informes^ dont rien ne pouvait plus faire recon-
naître l'identité. Parmi les employés victimes, M. Ma-
thieu, chef de la gare de Garancières, fut particulière-
ment regretté. Nous avons signalé le courage de
Mathieu, les dangers qu'il avait courus pendant les
premiers mois de la guerre. Depuis son évasion de
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224 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Dreux il continuait à rendre d'excellents services sur
la portion encore libre du réseau. Employé enfin au
Mans, il avait été Tun des meilleurs auxiliaires du
chef du mouvement, surtout dans la grande opération
finale, qui se terminait si tragiquement pour lui.
VIII
Cette opération eut pour corollaire, sur la partie en-
core non envahie des lignes de Normandie et sur celles
de Bretagne, une crise suprême d'encombrement, qui
donna lieu à des incidents curieux et instructifs.
Il ne suffisait pas d'évacuer la gare du Mans, car
aussitôt après, tandis qu'une division prussienne des-
cendait vers Alençon, une forte avant-garde (brigade
de cavalerie Schmidt, appuyée par des fractions du
9® corps), avait passé cette rivière, et s'avançait rapi-
dement vers Sillé-le-Guillaume. Une partie de cette
troupe marchait directement sur Conlie, en suivant la
voie ferrée. L'occupation de ce camp profita moins aux
Allemands qu'ils ne l'avaient espéré, grâce à l'infati-
tigable activité de M. Piquet, qui, après la journée si
laborieuse du Mans, avait passé une partie de la nuit
suivante à Conlie et le reste à Sillé, recueillant, sau-
vant tout ce qui pouvait l'être encore.
L'ennemi avançant toujours dans toutes les direc-
tions, il fallut délaisser à leur tour les gares de la
ligne d'Alençon (14 et 15 janvier) et celles de la sec-
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RESEAU DE L'OUEST 225
tion de Laval à Mayenne. Enfin la gare de Laval elle-
même dut être évacuée, par ordre supérieur, le 16 et
le 17, « au bruit du canon et des mitrailleuses. »
Cette dernière opération était d'autant plus difficile,
que, dès le 15, l'une des voies du chemin de Rennes,
le seul par lequel pouvait s'eifectuer la retraite, était
encombrée par les wagons de l'Intendance, sur une
longueur de plusieurs kilomètres. Plus de deux mille
véhicules de toute espèce se trouvèrent alors accumu-
lés entre Laval et Rennes.
La gare de Rennes, déjà surchargée auparavant, fut
bientôt encombrée à son tour si complètement que
toute manœuvre, même à bras, y devint complètement
impossible. Elle se trouvait comme prise entre deux
énormes courants contraires, venant, Tun de Laval,
l'autre de Redon. « Les difficultés grandissaient à
chaque instant » (17 janvier). Bientôt l'Intendance,
qui, dans l'appréhension d'une plus longue poursuite
de l'ennemi, n'avait d'abord retenu à Laval qu'une
centaine de wagons, en redemanda une quantité consi-
dérable. L'artillerie, en même temps, réclamait ses
munitions. Il fallut procéder à des manœuvres infi-
niment laborieuses pour dégager tous ces wagons
épars, enchevêtrés dans les groupes qui stationnaient
entre Laval et Rennes, et aussi les machines qui
avaient dû jeter leur feu. Le personnel, privé de repos et
de sommeil depuis plusieurs jours, était épuisé, et les
chefs de services en réclamaient avec instance le dou-
blement. On dut faire appel, le 16 janvier, à celui des
lignes de Normandie réfugié au Havre. On ne peut
s'empêcher de remarquer à cette occasion que de cruels
embarras auraient été évités, que des obstacles insurmon-
13.
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226 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
tables n'auraient pas même existé, si, à l'exemple des
Prussiens, Ton avait songé de longue mainà former dans
chaque corps des compagnies de mécaniciens, de pion-
niers, etc., au courant de toutes les parties du service
dès voies ferrées. Dans un travail publié dès 1867 sur
la campagne de Sadowa, et rédigé sur des documents
de source allemande, nous avions nous-même signalé
le profit que la Prusse avait su tirer de cette organisa-
tion. J'ai su depuis que ce travail avait été remarqué...
en Prusse I
La bataille du Mans durait encore, quand le délégué
de la Compagnie de TOuest reçut à Granville une dé-
pêche chiffrée du délégué de la guerre, prescrivant de
faire préparer d'urgence le matériel nécessaire pour
transporter de Cherbourg sur Alençonles troupes orga-
nisées tant bien que mal dans la presqu'île du Coten-
tin (19® corps). Ce transport, spécialement recommandé
au patriotisme des agents de la Compagnie, devait
commencer dans la soirée du 13. La difficulté de l'opé-
ration consistait surtout dans les conditions d'établisse-
ment des lignes sur lesquelles devaient circuler les
trains. En eifet, sur un parcours total de 244 kilomètres,
entre Caen et Alençon, 162 sont à voie unique. On n'a
l'avantage de la double voie que sur trois sections,
d'ensemble 80 kilomètres.
Il importait donc, pour effectuer ce transport avec la
célérité voulue, d'éviter sur la voie unique tout croise-
ment avec du matériel vide en retour. En conséquence,
on dut préalablement concentrer à Cherbourg et dans
les gares voisines la totalité des machines et des véhi-
cules nécessaires. C'était le seul moyen de se mettre
en mesure de garer successivement tout ce matériel,
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RESEAU DE L'OUEST 227
après le transport au delà du point de débarquement.
N'oublions pas qu'il s'agissait de faire voyager plus de
30,000 hommes d'infanterie, et 2,500 chevaux, avec
12 batteries d'artillerie.
Tout se préparait déjà pour l'exécution de ce mou-
vement, quand Granville reçut de Bordeaux, dans la
soirée du 12, l'ordre de tout ajourner. On avait sans
doute besoin d'être édifié sur le résultat des combats
du Mans. Après deux jours de réflexions , un nou-
veau télégramme, expédié le 14, prescrivit de com-
mencer l'opération le lendemain. Seulement, cette
fois, il était dit que l'embarquement aurait lieu à Ca-
rentan au lieu de Cherbourg, et toujours joowr Alençon,
Il y avait là un changement et une persistance égale-
ment malencontreuses. Carentan n'était qu'une gare
intermédiaire de troisième ordre, et Ton devait déjà
savoir à Bordeaux qu' Alençon n'était plus un point sûr
de débarquement. L'inspecteur Chariot télégraphiait,
le même jour, d'Argentan : « Le point final de ce trans-
port ne sera certainement Alençon, qui sera occupé
demain. » Il ne se trompait que de deux jours.
Tout bien considéré, l'oracle de Bordeaux prononça,
par un quatrième télégramme (15 janvier, sept heures
trente-huit du matin), qu'on irait de Carentan à Dom-
front au lieu d' Alençon, et par conséquent qu'on dé-
barquerait à la station la plus voisine de Domfront,
c^lle de Fiers (ligne de Granville). C'était encore un
parcours de 183 kilomètres, dont seulement 35 à double
voie.
On se mit aussitôt à l'œuvre, en se concertant avec
le général Girard, commandant du 19® corps, pour ré-
partir l'embarquement entre les gares de Cherbourg,
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2Î8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
de Valognes et de Carentan. 16,616 hommes (chevaux
et artillerie non compris) furent embarqués à Cher-
bourg, 14,702 à Valognes, 1,761 seulement à Carentan.
Sans cette modification aux derniers ordres venus de
Bordeaux, l'opération eût été impossible. Le petit em-
branchement, long de 19 kilomètres, qui va de Fiers à
Barjou-Pont-d'Ouilly, se trouvait là tout à point, pour
le garage de ce matériel vide.
Tout étant ainsi réglé, le premier train partit de
Cherbourg le 15, à huit heures trente du soir, et arriva
à Fiers le lendemain, huit heures sept du matin. Tout
semblait faire espérer que cette opération si bien com-
mencée se poursuivrait de même. La direction supé-
rieure de cet immense transport^, auquel devaient être
employés 1,478 véhicules, 70 machines, divisés en
37 trains, était confiée à MM. Roger et Talleau, ins-
pecteurs divisionnaires. Des inspecteurs et agents su-
périeurs du mouvement étaient postés aux trois points
d'embarquement, à la bifurcation de Mézidon et aux
gares d'Argentan et de Fiers. Sur tout le parcours, des
hommes de la voie étaient échelonnés de kilomètre en
kilomètre; le télégraphe fonctionnait régulièrement
sur tous les points. Tout était organisé, en un mot,
pour marcher jusqu'au bout, rapidement et sans en-
combre.
Mais Ton avait compté sans l'impéritie et l'insou-
ciance de certains chefs militaires, sans l'indiscipline de
beaucoup de soldats, enfin sans les fluctuations et les
contre-ordres de Bordeaux. « Les troupes, prévenues
tardivement, n'arrivèrent point aux heures conve-
nues ; de plus , par suite de l'inertie des officiers
et de la mauvaise volonté des soldats, l'embar-
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RESEAU DE L'OUEST «29
quement se ôt avec une extrême lenteur. Au dé-
but surtout, cette opération ne prit pas moins de
deux à trois heures , en moyenne , par chaque
train. A Valognes, notamment, dans la nuit du 15 au
16, on ne put parvenir à embarquer, d'une heure à
neuf du matin, que deux trains de mobilisés. » Ils ap-
partenaient à un grand département du Midi que nous
nous abstiendrons de nommer. « Les officiers s'étaient
empressés de monter dans les voitures de première
classe qui leur étaient destinées, sans se préoccuper
autrement de leurs hommes. Ceux-ci se refusaient ab-
solument à prendre place dans les wagons à marchan-
dises munis de bancs, genre de véhicules assez peu con-
fortables, il est vrai, mais dont il avait bien fallu se
servir pendant toute la campagne, faute d'un nombre
suffisant de wagons de deuxième et troisième. Les em-
ployés du chemin de fer réclamaient vainement le con-
cours des officiers ; il fallut l'intervention énergiqua
d'un lieutenant-colonel pour arracher ceux-ci à leur
inertie. »
Malgré ces retards, on était parvenu à faire partir,
en vingt-quatre heures, dix-sept trains, portant en-
semble 16,515 hommes et 971 chevaux, quand de nou-
veaux incidents surgirent dans la soirée du 16. On
reçut aux gares d'embarquement l'ordre de tout sus-
pendre ; à Argentan, celui d'arrêter la marche des
trains qui n'avaient pas dépassé ce point. Ce temps
d'arrêt était déterminé précisément par des avis venus
d'Argentan ; on redoutait une tentative des Prussiens,
maîtres d'Alençon, pour couper la communication
entre Cherbourg et Granville. On était avisé , le
même soir , que Sées , à 17 kilomètres seulement
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230 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
d'Argentan, était sérieusement menacé. Le 17, de
grand matin, on recevait successivement Tordre de
faire couper la voie et sauter le pont d'Alménèche,
à 11 kilomètres dans la même direction, puis celui de
continuer néanmoins les transports, en débarquant
quelques troupes à Argentan pour garder le passage.
Mais on n'était pas encore au bout de ces péripéties,
dont nous abrégeons le détail. A 11 heures du matin,
le commandant du 19® corps annonçait à Cherbourg
que le restant des troupes allait être dirigé sur Dom-
front, non par Argentan et Fiers, mais par Saint'Lô,
Après en avoir conféré avec le général, Tun des chefs
de service se rend à Lison, point d'embranchement
de la ligne de Saint-Lô, pour veiller à la réexpédition
des trains. Là, il reçoit, à cinq heures de l'après-midi,
une nouvelle dépêche qui lui prescrit de considérer ce
qui venait d'être arrêté comme non avenu, de tout diri-
ger sur Fiers, comme précédemment. Il fallut encore
une fois tout défaire, tout contremander, pour rentrer
dans le programme primitif !
Le commandant du 19® corps s'était décidé à trans-
porter son quartier général à Argentan, pour couvrir
la marche des trains. Il y débarqua dans la matinée
du 18, avec deux régiments de marche et quelque ar-
tillerie. Mais Ton apprenait en même temps que les
Prussiens étaient en grand nombre à Sées ; on en si-
gnalait d'autres du côté de Laigle, ce qui semblait l'in-
dice d'un mouvement concentrique contre Argentan.
La situation s'assombrit encore dans l'après-midi. Des
uhlans avaient paru à deux kilomètres de Surdon, point
de bifurcation des lignes d'Alençon et de Laigle. Dans
ces deux directions, les chefs de gare avaient démonté
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RESEAU DE L'OUEST 231
leurs appareils et se repliaient sur Argentan, qui res-
tait ainsi dépourvu d'informations rapides. Cependant,
le transport des troupes sur Fiers continua le 18 et
le 19^ mais avec des hésitations, des appréhensions
continuelles. Ainsi que le télégraphiait à Granville
rinspecteur Chariot : On travaillait bien peu sûrement.
On craignait à chaque instant une attaque sérieuse sur
Argentan ou la ligne de Fiers. Enfin, le 19, au soir, le
général crut nécessaire de se replier sur Falaise. Il
donna Tordre de refouler sur Caen les sept derniers
trains de troupes, qui n'avaient pas encore atteint Ar-
gentan, et d'évacuer à la suite cette gare et les autres
jusqu'à Mézidon.
Le 20 au matin, quelques uhlans entraient en effet à
Argentan. Du clocher de la cathédrale, on distinguait
parfaitement, dans l'après-midi, un corps considérable
en marche sur l'ancienne route de Paris. Granville,
Caen, Cherbourg, s'attendaient à être prochainement
attaqués. C'était pourtant une fausse alerte, du moins
pour cette partie de la Normandie; ce corps s'avançait
dans une direction opposée, ayant pour objectif Ber-
nay et Rouen. Aussi ses flanqueurs évacuèrent Argen-
tan la nuit suivante, et les troupes françaises y ren-
trèrent le lendemain. Cette ville ne fit donc qu'entrevoir
la silhouette désagréable de l'invasion. Mais il était
fort heureux que les Prussiens n'eussent pas été mieux
informés pendant leur marche de ce qui se passait de
notre côté.
La Compagnie de l'Ouest n'encourut aucun reproche
dans cette circonstance. Ses agents étaient en mesure,
dès le 13, conformément au premier ordre venu de
Bordeaux, et tout aurait pu dès lors être fini au plus
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23Î CHEMINS DE FER FRANÇAIS
en quarante-huit heures; tandis que, grâce à cette sé-
rie déplorable d'ajournements, de tergiversations, de
tiraillements, le transport, commencé seulement le 15,
ne put être terminé que le 19. Pendant ce temps, les
Prussiens avançaient, et ce ne fut pas la faute de Bor-
deaux si une partie du 19« corps ne fut pas surprise en
flagrant délit pendant l'opération (1).
IX
La correspondance qu'échangeaient Bordeaux et
Granville pendant cette dernière et désastreuse période
de la guerre, embrassait bien d'autres objets qoe le
transport des troupes de Cherbourg. On y trouve, no-
tamment, plus d'une révélation édifiante sur les conflits
qui se produisirent entre les délégués au ravitaillement
de Paris et l'Intendance, au moment même de la re-
traite du Mans.
Avant tout, il faut savoir qu'après la bataille de Coul-
miers, le ministre du commerce avait prescrit la con-
centration à Laval d'un grand nombre de bestiaux pour
le ravitaillement de Paris, dont la délégation de Tours
(1) L'un des agents supérieurs qui ont dirigé ces trans-
ports, M. Roger, a fait preuve, dans cette circonstance,
comme pendant toute la guerre, d*une énergie et d'une acti-
vité infatigables. Il a été décoré, ainsi que M. de Gombert,
chef du mouvement sur la ligne de Rennes.
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RESEAU DE L'OUEST 233
considérait alors la délivrance comme infaillible et pro-
chaine, grâce aux combinaisons stratégiques de M. Gam-
betta et de ses accoljtes. Il s'est passé d'étranges choses
à propos de ces achats de bestiaux. Ainsi, le mandat
confié d'abord à un M. Ferrand, relativement à ces ac-
quisitions de bétail, lui fut tout à coup retiré et confié
à un certain Barthélémy, naguère fabricant de papiers
peints dans le faubourg Saint- Antoine, etl'un des agents
électoraux les plus actifs de M. J. Favre. Néanmoins
M. Ferrand, qui était le protégé de M. Gambetta, comme
Barthélémy était celui de MM. Jules Favre et Simon,
continua à faire des achats considérables, qui en
définitive furent ratifiés.... Toujours est-il que, dès le
17 novembre, 600 bœufs et bientôt après 2,500 furent
réunis à Laval. La plupart de ces bestiaux, achetés à
des prix fort élevés, provenaient du Maine et de la
Basse-Normandie. Ils étaient concentrés sur Laval par
les soins de M. Cézanne, inspecteur général de l'agri-
culture, investi d'un mandat supérieur pour tout ce qui
concernait le ravitaillement de Paris. M. Cézanne avait
été primitivement délégué par M. le général Trochu,
pour concourir à l'exécution de sa fameuse combinai-
son, celle d'une trouée du côté de Rouen. Il avait en
conséquence reçu mission de concentrer au Havre tout
ce qu'il pourrait ramasser de légumes, salaisons, etc.,
et de faire diriger ce premier ravitaillement par la
grande ligne d'Ouest-Normandie, le plus près possible
de Paris. Le général se figurait a^ors que ce convoi
pourrait être amené jusqu'à Triel ou Poissy, et qu'il
n'aurait qu'à étendre la main pour le prendre. Sorti de
la capitale en ballon, M. Cézanne n'avait pas tardé à
se convaincre par lui-même que ces dispositions étaient
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234 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
incompatibles avec la situation des affaires en province :
il avait donc dirigé sur Cherbourg, au lieu du Havre,
ses approvisionnements en légumes et salaisons. Ils y
restèrent jusqu à Tarmistice...
C'était de lui que les employés de TOuest devaient
recevoir Tordre de charger ces bestiaux, destinés à ser-
vir de cortège triomphal à M. Gambetta rentrant à
Paris.
Le 2 décembre, conformément aux instructions de
M. Cézanne, 1^175 bœufs furent chargés à la
gare de Laval, et expédiés le même jour en cinq
trains vers Orléans, par le Mans et Tours. Un
ordre du gouvernement, qui plus tard devait donner
lieu à un conflit des plus fâcheux, accordait à ces trains
destinés au ravitaillement de Paris, la priorité même
sur les transports de guerre.
Le 3, de grand matin, on continuait le chargement
des bestiaux en gare de Laval, quand Tordre arriva de
suspendre Topération. L'issue malheureuse du combat
de Loigny, qui avait eu lieu la veille, avait fait réflé-
chir M. Gambetta et ses auxiliaires. Ils commençaient à
comprendre que Texécution du plan qu'ils avaient im-
posé au général en chef rencontrait plus de difficultés
qu'ils ne Tavaient pensé ; et que cette accumulation de
trains de ravitaillement sur les derrières de Tarmée de
la Loire pourrait devenir plus nuisible qu'utile, si cette
armée, au lieu de pousser en avant, était forcée de se
mettre sur la défensive, à plus forte raison de rétro-
grader.
Les péripéties militaires qui se succédèrent en peu
d'heures ne justifièrent que trop ces appréhensions bien
tardives. Les trains de bestiaux expédiés le 2 à desti-
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RESEAU DE L'OUEST 235
nation de Paris, refoulés précipitamment sur les lignes
de rOuest, après la reprise d'Orléans par les Allemands,
rentrèrent le 7 à Laval et à Mayenne. Pendant ce laps
de six jours, ces animaux n'avaient pas été débarqués ;
ils étaient restés en wagon et en pleine voie du côté
de Tours, exposés à un froid des plus rigoureux, et à
peu près sans nourriture.
Après cette triste excursion, l'état sanitaire de ces
bestiaux laissait naturellement beaucoup à désirer.
Quelques-uns avaient contracté dans leur pérégrination
les germes du typhus, apporté, dit-on, dans la vallée
de la Loire par des bœufs allemands capturés. Toute-
fois, soit que la Délégation, réfugiée à Bordeaux, jugeât
utile, pour l'effet moral, de continuer à s'occuper os-
tensiblement du ravitaillement de Paris, soit pour tout
autre motif, les achats de bestiaux furent poussés avec
plus d'activité que jamais. Vers la fin de décembre, ce
troupeau homérique était reporté à 3,550 têtes de bétail
ainsi réparties : 600 à Mayenne, 950 à Fougères, 2,000 à
Laval. Aussi l'encombrement était tel dans l'enceinte
et aux abords de cette dernière gare, que des trains
d'artillerie expédiés de Rennes à l'armée restèrent
pendant vingt heures à quelques kilomètres de Laval,
sans pouvoir être déchargés. Une bonne partie de ce
bétail était forcément parquée en plein air, par la neige
et des froids de 12 ou 15 degrés.
Dans cet état de choses, on devine quelles complica-
tions durent se produire lors de la retraite du Mans,
quand il fallut refouler bien avant en Bretagne cet im-
mense troupeau, pour le sauver de l'ennemi. Une autre
circonstance non moins grave, l'apparition du typhus,
commandait d'ailleurs cette évacuation. Aussi, dès le
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236 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
12 jan-vier, les délégués au ravitaillement requéraient
300 wagons pour transporter sur Landerneau leur
bétail en détresse. Par une coïncidence déplorable,
cette exigence intervenait au plus fort de la crise,
alors que, par suite de l'évacuation du Mans, la ligne
de Laval se trouvait dans un état d'encombrement
indescriptible. On réussit cependant, le 14 au matin,
à fournir une centaine de wagons pour cette des-
tination. On se disposait à en livrer encore autant
dans la nuit du 14 au 15. Mais, sur ces entre-
faites, M. l'intendant en chef de l'armée de la Loire, se
prévalant du pouvoir dictatorial qui lui avait été
conféré, prit possession entière et exclusive de
la gare de Laval, et accapara pour son service
tout le matériel. On dut donc inviter les préposés au
ravitaillement à continuer leur évacuation exclusive-
ment par les routes de terre, chose peu commode, il
faut le dire, dans une saison pareille. Aussi, comme on
devait s'y attendre, ces messieurs jetèrent les hauts
cris. M. Barthélémy, qui prenait le titre de délégué du
ministre du commerce, menaçait des foudres de ses pro-
tecteurs Favre et Simon, parlait de ruiner la Compagnie
en indemnités pour le bétail écloppé. Pendant ce temps,
l'Intendance, pour laquelle on faisait tout, trouvait
qu'on n'en faisait pas encore assez. De part et d'autre,
on se plaignait à Bordeaux, en s' accordant à rejeter
tout le blâme sur la Compagnie.
M. Protais, délégué de l'Ouest, avait beau faire va-
loir les difficultés, les impossibilités de la situation,
réclamer quelque relâche. On renvoyait ses observa-
tions au service même de l'Intendance, juge et partie
à la fois. Le chef de ce service télégraphiait de Bor-
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RESEAU DE L'OUEST 237
deaux le 15 : « Je ne puis risquer d'entraver le service
des vivres, en interdisant les transports par chemins de
fer. Je ne puis que recommander votre dépêche à Tin-
tendant en chef. Il faut que vous ayez auprès de lui un
agent ayant qualité pour diriger tout votre service, et
qu'on évite des échanges de dépêches entre Laval,
Granville et Bordeaux : ce nest pas pratique. Donnez
des ordres pour qu'on assure avant tout le service de
la guerre, et évitez de nous créer des difficultés. »
Cette dépêche était inexacte de tout point. La Com-
pagnie avait pour représentant à Laval un de ses meil-
leurs agents, M. Piquet, ayant toute la bonne volonté
et la capacité de faire ce qui n'était pas absolument
impossible. Toutes les objurgations de l'autorité supé-
rieure étaient pour les employés de la Compagnie ; les
intendants, les délégués au ravitaillement, bien appuyés
à Bordeaux, n'en recevaient aucune. On ne s'en tint
même pas aux réprimandes; sous prétexte que « rien
ne se faisait à Laval, que Tintendance ne pouvait rien
y obtenir, » on s'avisa d'y expédier d'urgence un délé-
gué direct, investi de pouvoirs illimités. Il était
même autorisé à prendre en main, s'il le jugeait con-
venable, la direction supérieure de tous les services, à
suspendre le délégué de la Compagnie et à se faire re-
connaître à sa place par tous les employés. Heureuse-
ment, cet envoyé (M. Lejeune, chef de la compagnie
des Charentes) avait plus de bon sens que ceux qui
l'envoyaient, et se garda bien de faire usage de ce
mandat dictatorial.
La conclusion de cette odyssée bovine fut digne
de l'exorde. Le typhus faisait d'effrayants progrès parmi
ces malheureuses bêtes; elles semaient, de plus, la
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Î3« CHEMINS DE FER FRANÇAIS
contagion sur leur passage. Dès le 20 janvier, la situa-
tion était tellement grave, qu'une dépêche envoyée de
Saint-Brieuc, adressée au délégué de l'Ouest, réclamait
d'une façon suppliante l'envoi de 250 wagons à cette
gare, pour y charger une notable partie de ces bes-
tiaux. On parvint à expédier de Rennes ce matériel,
mais seulement jusqu'à Lamballe. Ce fut là qu'on
chargea, le 21 janvier, ce bétail invalide à destination
de Landerneau.
Enfin, lorsqu'après la conclusion de l'armistice, on
se disposait à tenter l'embarquement et l'expédition
sur Paris de ce troupeau, réduit alors à 2,700 têtes,
l'épidémie prit tout à coup un caractère foudroyant.
En moins d'une semaine tout fut compromis, perdu
sans ressources ; 400 soldats étaient occupés nuit et
jour à enfouir les cadavres de ces bestiaux, qui tom-
baient dans la proportion moyenne d'un par minute.
Par deux arrêtés successifs des 5 et 6 février, le préfet
du Finistère dut interdire tout embarquement, et cir-
conscrire, dans un cordon sanitaire des plus rigoureux,
les animaux qui n'avaient pas encore succombé. Plus
de deux mille furent enterrés ainsi en moins de quinze
jours. Enfin, deux navires condamnés, le Pont-d'Oi^ et
VOrénoque, furent envoyés dans le port de Landerneau
pour y prendre chargement du reste. On précipita à
fond de cale, on assomma les derniers survivants. Les
deux navires furent ensuite conduits au large vers
Ouessant et coulés à coups de canon. Ce fut ainsi qu'on
parvint à éteindre cet horrible foyer d'infection. Mais
de tous ces bestiaux, dont l'acquisition et les trans-
ports multipliés sont revenus à plus de trente millions^
pas un seul n'est arrivé jusqu'à Paris.
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RESEAU DE L'OUEST 239
Tel fut le résultat d'un fatal enchaînement de
fausses mesures, auxiliaires de la fatalité. CMtait une
faute d'avoir précipité ces achats de bestiaux dès le
lendemain de Coulmiers ; c'en était une autre d'avoir
précipité l'embarquement, l'acheminement sur les der-
rières de l'armée, alors que celle-ci était engagée dans
une série d'entreprises, dont le résultat aurait dû être
considéré comme au moins douteux, après l'issue indé-
cise des engagements de Ladon, de Beaune-la-Rolande.
Ce résultat était connu depuis 48 heures à Tours quand
l'ordre fut expédié de charger, à Laval et Mayenne, le
bétail destiné pour Paris. Ce fut une nouvelle faute,
après le refoulement obligé des convois déjà expédiés
et qui rapportaient les germes de l'épidémie, de conti-
nuer les acquisitions à outrance, pour atténuer la
fâcheuse impression de l'échec du mouvement sur
Paris ; puis encore de différer à tout risque, jusqu'au
dernier moment, l'évacuation sur la Bretagne, alors
que l'armée de la Loire se repliait déjà sur le Mans.
Mais on avait commis au début une erreur également
grave, en persévérant à faire faire au compte de l'Etat
ces énormes achats pour le ravitaillement de Paris,
achats que l'industrie privée eût opérés, dans toutes les
hypothèses, d'une façon beaucoup moins coûteuse et
plus expéditive. Ce système avait été appliqué non-
seulement aux acquisitions de viande sur pied, mais à
celles des denrées de toute nature qui allaient s'immo-
biliser à Cherbourg. Aussi, quand le moment vint enfin
d'employer ces denrées, elles avaient subi un effroyable
déchet par suite de cette longue attente et des froids
rigoureux. Sur 1,800 wagons de pommes de terre, plus
des trois quarts, détériorés par la gelée, furent absolu-
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UO CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ment perdus; le gouvernement de la Défense jouait dé-
cidément de malheur avec ce légume ! On avait aussi ra-
massé une quantité énorme de viandes salées, sans faire
cette réflexion pourtant assez simple, que la population
parisienne, une fois débloquée, préférerait toute autre
nourriture à celle-là, dont elle avait été gorgée pen-
dant Finvestissement. Aussi la majeure partie de ces
salaisons, dont plus de 8,000 tonnes furent introduites
dans Paris pendant Tarmistice, n'a pu y trouver d'a-
cheteurs même à vil prix. En fait, le ravitaillement fut
opéré engrande partie parTindustrie privée, tout comme
il Teût été sans tous ces gaspillages inutiles... Inutiles!
pas à tout le monde néanmoins I Si les denrées de la
dictature étaient gelées, ses bestiaux morts, les mar-
chés du moins étaient valides et les commissions ac-
quises...
Le premier, nous avons signalé ce ténébreux scan-
dale dans la Revue de France, au commencement de
1872. Cette révélation eut un certain retentissement,
mais le gouvernement d'alors fit la sourde oreille ; il
choyait trop certains hommes du 4 septembre, pour ne
pas user d'indulgence avec leurs protégés. Aussi ce
n'est que postérieurement à la chute de ce gouverne-
ment, en juin 1873 et mars 1874, que la police cor-
rectionnelle a liquidé les comptes de ces fournisseurs,
qui ont été condamnés à plusieurs années de prison, et
à la restitution de fortes sommes escomptées à l'État.
C'est déjà quelque chose que de pendre les petits vo-
leurs ; — en attendant qu'on ait fabriqué des cordes
assez solides pour supporter les autres (1).
(1) Les débats de Taffaire Barthélémy ont révélé qu'il était
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RÉSEAU DE L'OUESl I4«
La Compagnie de TOuest, qui avait contribué, dans
une proportion considérable, à Tapprovisionnement de
Paris avant le siège, prit également une part impor-
tante à son ravitaillement pendant Tarmistice.
Voici, à cet égard, des chiffres officiels :
1*» Du 15 août au 19 septembre 1870, date de Tinter-
arrivé en ballon, avec misaioa de préparer un ravitaillement
jusqu'à concurrence de 30 millions, avec 6 0/0 de commission,
soit 1,800,000 livres. MM. J. Simon et J. Favre n'avaient pas
cru pouvoir faire moins pour rémunérer d'anciens services
électoraux. Il est vrai que le mandat avait été réduit à 4 mil-
lions et 3 0/0 par les délégués de Tours, qui avaient aussi
leurs pauvres. Néanmoins Barthélémy avait encore fait d'as-
sez bonnes affaires. Il avait touché 4,600,000 francs pour ses
fournitures, et réclamait en sus 250,000 francs de prétendues
avances, et 140,000 francs de commission. Vérification faite,
il a'est trouvé que l'ancien courtier électoral de MM. Favre
et Simon, s'était entendu avec des compères, intermédiaires
sous-commissionnés, dont le rôle consistait à signer des fac-
tures énonçant des prix supérieurs de 25 à 30 0/0 aux prix
réels. Ce prétendu créancier était, en réalité, débiteur
de 450,000 francs volés. L'histoire de Ferrand, recommandé
par M. Gambetta pour son désintéressement^ est tout aussi
édifiante ; il aurait même, paraît-il, volé davantage et sans
complices subalternes. Ce personnage, en état de faillite
avant la guerre, habitait au moment de son arrestation
(septembre 1873) un château acheté au nom de sa femme et
splendidement meublé. Il se préparait, dit-on, à y héberger
certaines notabilités démocratiques.
14
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242 CHEMINS DE PÊR FRANÇAIS
ruption absolue de son service sur Paris, la Compagnie
j avait fait entrer, pour Tapprovisionnement, 14,982
wagons, répartis en 516 trains, chargés de 67,716 têtes
de bétail et de 72,442 tonnes, dont 53,250 de comes-
tibles; le reste en fourrages, avoine, son et combus-
tible. Dans le chiffre des comestibles, les farines figu-
rent à elles seules pour 20,769 tonnes, c'est-à-dire
pour plus de moitié (1).
2® Du 1*' février au 7 mars 1871, elle a introduit
dans Paris, pour le ravitaillement, 517 trains d'en-
semble 15,241 wagons, portant 20,837 têtes de bétail
et 80,013 tonnes, dont 62,709 de comestibles. Cette
fois, les farines ne figurent dans ce total que pour
22,492 tonnes. En revanche , malgré le déchet des
pommes de terre du gouvernement, la Compagnie de
rOuëst parvint, grâce au zèle de l'industrie privée, à
transporter, pendant ces premiers jours du ravitaille-
ment, la quantité relativement énorme de 12,349 tonnes
de ce légume. Ce résultat est d'autant plus remarquable
que, pendant la période corrélative de l'approvision-
nement, la même Compagnie n'avait eu à faire entrer,
(1) Pendant le siège, les ateliers de TOuest ne restaient
pas inactifs dans Paris ; ils fabriquaient des armes à feu, des
projectiles, des machines blindées. Parmi les employés de
rOuest bloqués dans Paris, il n'est que juste de citer
M. Roussel, mécaDicien, qui fit plus que son devoir. Pendant
tonte la durée du siège, il conduisit l'une des locomotives
transformées en moteurs de la minoterie de Vaugirard. Cet
établissement était fréquemment atteint par les projectiles
de Tennemi, et abandonné des autres mécaniciens. Seul,
M Roussel, quoique père de famille, resta jusqu'à la fin à ce
poste périlleux, où il avait été placé sur sa demande.
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RESEAU DE L'OUEST 143
malgré les efforts de M. le ministre du commerce de la
Défense et de ses auxiliaires des deux sexes, que
2,367 tonnes seulement desdites pommes.
L'opération du ravitaillement rencontra des obstacles
de plus d'une nature pendant Tarmistice. L'un des
principaux venait encore de l'Intendance, qui, fidèle
jusqu'au bout à son système, persistait à retenir plus de
1,600 wagons, transformés en magasins fixes. « L'in-
térêt suprême, disait à cette occasion un intendant, est
le ravitaillement de l'armée. » Et, sous ce prétexte,
il refusait toute autorisation de déchargement, alors
qu'on manquait de matériel roulant pour Paris affamé.
La formation des trains de vivres tenus en réserve
dans la presqu'île du Cotentin, au commencement de
décembre, avait donné lieu aussi à bien des difficultés.
Pour abriter cette réserve dans les lignes de défense,
c'est-à-dire entre Cherbourg et Carentan, on avait dû
établir des voies de garage supplémentaires sur une
longueur de 17 kilomètres. Il avait constamment fallu,
en effet, maintenir libre la voie principale pour le
passage des trains d'armes et de munitions sortant de
l'arsenal de Cherbourg, et pour l'arrivage des troupes
qui devaient faire partie du 19® corps. Précisément à
la même époque, les transports militaires atteignaient
sur tout le réseau leur maximum d'intensité ; le fameux
troupeau de bœufs commençait ses évolutions, l'inten-
dance ses confiscations de matériel. Malgré toutes ces
difficultés, la Compagnie de l'Ouest était en mesure de
coopérer immédiatement, sur une vaste échelle, au
ravitaillement de Paris. Malheureusement, ses lignes,
sauf celle de Dieppe, avaient été d'abord exclues de
cette opération. Les Allemands ne voulaient laisser
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«44 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
entrer dans Paris que la quantité de vivres stricte-
ment nécessaire à sa subsistance pendant l'armistice,
et au jour le jour. Cette surveillance s'exerçait d'une
façon particulièrement impérieuse et même insultante
à la gare principale de Rouen. Des officiers véri-
fiaient minutieusement la provenance des vivres, l'ori-
gine des bestiaux, le nombre et la contenance des
véhicules. Chefs et soldats allaient et venaient de côté
et d'autre, se mêlant de tout, contrôlant tout. Quand on
leur faisait observer que cet encombrement de troupes
gênait par trop le service, ils répondaient : Nous sommes
les maîtres en guerre/
On fit les démarches les plus actives afin d'obtenir la
levée de l'interdiction pour les autres communications
susceptibles d'être utiliséesàbref délai, à cause du peu
d'importance des dégâts : celles de Cherbourg et de
Granville par Argentan et Dreux, et de Redon, Brest,
Saint-Malo par le Mans et Chartres. L'interdit fut levé le
5 février; non que les Allemands fussent devenus plus
sensibles dans cet intervalle, mais parce que l'échec
essuyé à Bordeaux par les partisans*de la guerre à ou-
trance présageait un plus prompt arrangement. Pen-
dant ces quelques jours de négociations, pas un moment
n'avait été perdu pour remettre les lignes en état; si bien
que, dès le 6 et le 7, les trains commencèrent à y circu-
ler (1). Nous avons donné ci-dessus le chifire total des
(1) A cette occasion, M. Decoenne, ingénieur divisionnaire
à Rouen, se signala par ractivité qu'il mit à rétablir en peu
de jours la circulation des trains entre le Havre et Maisons,
malgré les lacunes résultant de la destruction du tunnel de
RoUeboise, du viaduc de Mirville et de plusieurs autres
ouvrages
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RESEAU DE L'OUEST 245
transports opérés pendant Tarmistice sur les lignes de
rOuest. On peut juger de l'activité que déployèrent les
agents de cette Compagnie, quand ils eurent enfin leurs
coudées franches, par ce fait que, du 6 au 11 février, ils
avaient déjà fait entrer dans Paris, par Chartres et
Dreux, 82 trains d'ensemble 2,053 wagons, non compris
ceux venant de Dieppe, qui, à partir de Rouen, étaient
forcés d'emprunter les lignes du Nord, la communica-
tion directe de Rouen sur Paris étant interceptée pour
longtemps par la destruction d'ouvrages considérables.
Pour avoir le chiifre total des trains de ravitaillement
qui avaient déjà pénétré dans Paris au 11 février, il
faut ajouter 7 trains d'ensemble 167 wagons, venus de
Landerneau par Redon et le réseau d'Orléans, et
41 trains, 1,271 wagons, venus par Dieppe et la ligne
du Nord. Total, 130 trains, 3,491 wagons.
La gare des Batignolles ne tarda pas à s'encombrer,
faute de mesures efficaces pour l'enlèvement et Tem-
magasinage. Il est vrai que les difficultés étaient encore
accrues par le manque presque absolu de chevaux dans
Paris (on sait où ils avaient passé), et par la nécessité
de diriger sur Batignolles, par le raccordement de Viro-
flay, tous les trains venant par Dreux et Chartres. Les
travaux de défense de Paris avaient intercepté absolu-
njent la communication de ces lignes avec leur débouché
naturel, et ce fut seulement le 6 mars que les trains
venant de ce côté purent avoir accès aux gares de
Vaugirard et de Paris (Montparnasse). Nous croyons
néanmoins que ces difficultés de déchargement et
d'emmagasinage auraient pu être fort allégées, et les
soufi'rances de la population soulagées plus prompte-
ment, si le gouvernement avait su se faire obéir, et
14.
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246 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
employer à ces travaux essentiefls tant de milliers
d'hommes qu'il payait pour ne rien faire, dont le temps
s'écoulait à déblatérer dans les cabarets contre les
ruraux et les capitulards, — en attendant Fouvrage
d'un autre genre qu'allait bientôt leur fournir l'insur-
rection du 18 mars (1).
A la même époque, et malgré la conclusion de la
paix, des documents contemporains fournissent de
tristes renseignements sur la situation de plusieurs des
principales stations des lignes de l'Ouest. Le commis-
saire de celle d'Yvetot écrivait le 19 mars : « L'occu-
pation continue ; nous sommes cernés et ruinés. Mon
bureau à la gare était d'abord une écurie, aujourd'hui
c'est un corps-de-garde... Quand verrons-nous la fin?... »
La gare principale de Rouen (rive droite) fourmillait
jour et nuit de Prussiens, ses quais étaient encombrés
d'officiers qui restaient attablés à boire et à fumer pen-
dant des journées entières, sans s'inquiéter s'ils ne
gênaient pas le service. L'un d'eux fit un jour en ville,
à la suite d'un copieux déjeuner, le pari d'entrer à
cheval dans la gare, en traversant la salle d'attente
remplie de voyageurs. Il le fit comme il l'avait dit, mal-
traita un employé qui voulait lui barrer le passage;
injuria le chef de gare, M. Renard, qui se permettait
(1) Pendant cette période néfaste, M. Montouan, ingénieur
de la traction, dont nous avons déjà signalé les services sur
les lignes de Granville et de Mézidon, en rendit un peut-être
encore plus grand, par la promptitude qu'il mit à organiser
les transports extraordinaires qu'on était forcé d'improviser
dans la gare de Versailles, devenue tête de ligne par suite des
nouveaux événements, et dépourvue de tous les aménagements
nécessaires à cette destination.
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RESEAU DE L'OUEST 247
quelques observations. Sur ces entrefaites le cheval
s'abattit, mais le cavalier eut plus de peur que de mal,
heureusement pour la ville de Rouen, qui avait déjà
tant à payer. Néanmoins Faffaire avait fait du bruit;
l'autorité prussienne s'en émut, non pas contre l'auteur
de cette échauffourée, mais contre le chef de gare qui
avait tenté de l'empêcher. Cet employé fut arrêté ,
brutalisé, condamné à une détention qui, toutefois, fut
abrégée, grâce aux démarches de M. Pouyer-Quertier.
Ce procédé de l'autorité prussienne était d'autant plus
étrange, que le chef de gare avait preuve d*une grande
modération, et retenu ses employés exaspérés qui vou-
laient faire un mauvais parti à Tivrogne.
La guerre avait littéralement jonché de ruines le
réseau de l'Ouest. Parmi les ouvrages les plus impor-
tants, détruits, soit par les Français, soit par les Alle-
mands, nous citerons les ponts sur la Seine, d'Argen-
teuii, de Chatou, de Croissy, de Bezons, d'Orival; le
souterrain de Rolleboise, trois viaducs sur la ligne de
Rouen-le Havre, douze sur celle de Versailles au Mans,
r incendie total ou partiel de plusieurs gares. De toutes
les compagnies françaises, aucune n'a autant souffert,
si ce n'est celle de l'Est. Sur le chiffre total de 32 mil-
lions qu'il a fallu dépenser pour remettre en état les
chemins de fer français, l'Est figure à lui seul pour
15 millions, l'Ouest pour 12. Mais, du moins, cette der-
nière Compagnie n'eut pas à subir l'exploitation alle-
mande, et la totalité de son réseau lui a été restituée !
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IV
RÉSEAU D'ORLÉANS
SOMMAIRE
I. — (Septembre) Translation du siège de rexploitation à
Tours. — Aventures du dernier train sorti de Paris, —
Premiers progrès de l'invasion.
II. — (Octobre) Première évacuation de la gare d'Orléans.
— Panique de la Délégation. — Châteaudun.
III. — (Novembre -Décembre) Transport de l'armée de la
Loire. — Reprise d'Orléans. — Nouvelle évacuation de la
gare. — Le dernier train. — Scènes à Vierzon.
IV. — Le train du ministre de la guerre (4 décembre 1870).
V. — Le général Chanzy et la Compagnie d'Orléans. —
M. Gambelta à la gare de Blois, le 9 décembre. — Sauve-
qui-peut général à Tours. — Evacuation complète de la
gare.
VI. — Concours prêté par la Compagnie d'Orléans au trans-
port de l'armée de l'Est. — Derniers événements.
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250 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Des cinq grandes Compagnies françaises de chemins
de fer, celle d'Orléans fut la moins profondément at-
teinte par rinvasion. Toutefois, de ces trois sections,
celles de Paris à Tours par Orléans et par Vendôme, et
d'Orléans à Vierzon, d'ensemble 515 kilomètres, ont
été le théâtre de grands événements militaires, d'inci-
dents dramatiques et curieux (1).
Dans les premiers jours de septembre, les chefs de
cette Compagnie avaient dû prendre les mêmes précau-
tions que leurs collègues des autres lignes. Le siège
central de l'exploitation et des différents services fut
transféré le 12 à Tours, et deux mois après à Bor-
deaux, quand la Délégation battit en retraite sur cette
ville. Les directeurs de l'exploitation et du mouvement,
MM. Lemercier et de Mussy, eurent donc l'agrément
de se trouver en contact incessant avec les dictateurs,
c'est-àrdire avec le ministre ou le sous-ministre de la
guerre, car depuis l'arrivée de M. Gambetta le reste
ne comptait plus. Ëtant constamment à portée de donner
des explications verbales, ces chefs de service res-
tèrent habituellement dans d'assez bons termes avec ce
(1) De Pans à Tours, par Orléans, 234 kilomètres; par
Vendôme, à partir de la bifurcation de Brétigny, 202 kilo-
mètres; d'Orléans à Vierzon, 79 kilomètres.
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RESEAU D'ORLEANS iM
qu'il fallait bien appeler le Gouvernement. Du moins,
cette position les exemptait de ces télégrammes furi-
bonds, dont on bombardait surtout les chefs des Com-
pagnies de Lyon et de l'Ouest.
Dans les derniers jours qui précédèrent l'investisse-
ment, la Compagnie d'Orléans contribua pour sa part
au mouvement énorme de marchandises, denrées, bétail,
munitions qui venaient s'engouflfrer dans Paris, et au
mouvement non moins considérable d'émigration qui se
produisait en sens inverse. Il j eut là des scènes de tu-
multe, d'encombrement, dont ceux qui en ont été les
témoins ne perdront jamais le souvenir I
Le dernier train formé à la gare de Paris partit le Id,
à une heure quarante de l'après-midi, mais il dut s'ar-
rêter à la station d'Ablon (15 kilom.). On venait d'y
entendre de très près le canon des Prussiens ; depuis
la veille, on les apercevait en grand nombre de l'autre
côté de la Seine. Enfin l'on affirmait que déjà ils devaient
avoir traversé le fleuve en amont; que le train, s'il
poursuivait sa route, allait infailliblement les rencon-
trer à la bifurcation de Juvisy. M. FayoUe, inspecteur
de l'exploitation, qui accompagnait ce train, le fit garer.
De l'étage supérieur du bâtiment de la station, il vit
distinctement, en effet, un assez grand nombre de cas-
ques pointus sur la rive droite, mais l'inspecteur crut
distinguer que c'était seulement une avant- garde qui,
après avoir poussé une reconnaissance avancée jusqu'au
bord de la Seine, semblait plutôt rétrograder. Alors
M. FayoUe, voulant se rendre compte par lui-même de
la situation au delà du point d'arrêt, monta sur une
machine d'exploration, et se dirigea sur Juvisy. A une
petite distance d'Ablon, il reconnut que Tennemi avait
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i52 CHEMINS DE J'ER FRANÇAIS
cherché à détraquer les rails à coups de canon, en diri-
geant ses projectiles sur un ponceau, situé entre les
stations d'Ablon et d'Athis : c'était la canonnade qui
avait jeté la terreur dans le pays. Mais le pont, bien
que sérieusement endommagé, était encore assez solide
pour supporter le passage d'un train, et il n'y avait
d'autre avarie à la voie qu'un rail cassé par un éclat
d'obus. Après avoir fait remplacer ce rail par les ou-
vriers qui l'accompagnaient, M. Fayolle poussa jusqu'à
Juvisy, où aucun ennemi n'avait paru. Le train aurait
pu passer, et l'inspecteur retourna sur Ablon avec l'in-
tention de lui faire continuer sa route ; mais il ne l'y
trouva plus. Pendant son absence, quelques éclaireurs
ennemis avaient tiré de l'autre rive sur le train. Des
francs-tireurs qui s'y trouvaient ripostèrent d'abord par
les portières des wagons. Bientôt ils descendirent,
coururent s'embusquer dans les jardins du village qui
descendent vers la Seine, et prolongèrent ainsi une
fusillade insignifiante, mais qui effrayait sérieusement
les voyageurs du train, où les femmes et les enfants
étaient en majorité. Cédant à leurs instances, le méca-
nicien avait rebroussé chemin sur Paris. L'inspecteur
fit de même, et ramena avec lui, dans quelques wagons
restés en gare, les francs-tireurs qui avaient causé cette
nouvelle panique. Cet incident fit cesser prématurément
la marche des trains. Ils auraient pu circuler encore
sans danger d'un bout à l'autre sur les deux lignes de
Paris à Tours par Orléans et Vendôme, au moins pen-
dant toute la journée du 16, puisque l'ennemi n'avait
encore franchi la Seine sur aucun point, et ne la passa
à Corbeil que la nuit suivante (1).
(1) Le lendemain 17 les ennemis revinrent en force vera
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RÉSEAU D'ORLÉANS 25S
•
Informé de ce nouvel éyénement, M. Solacroup, di-
recteur de la Compagnie, fit repartir, dès cinq heures
du matin, M. Fayolle, avec une machine, pour faire
évacuer sur Orléans toutes les stations de la ligne
au delà de Juvisy. (Celles en deçà étaient déjà repliées
sur Paris.) M. FayoUe s'acquitta heureusement de cette
mission, devenue hasardeuse par suite des progrès
rapides de Tennemi. La gare importante de Brétigny,
où se bifurquent les deux lignes de Tours, avait été
évacuée la veille à onze heures du soir sur Dourdan
(ligne de Vendôme). Cependant, comme aucun ennemi
n'avait paru dans la nuit à cette bifurcation , le chef
de gare était revenu le matin à son poste, rapportant
ses appareils pour transmettre des renseignements à
Paris. Mais, quelques heures plus tard, la station fut
surprise, et le chef n'eut que le temps de s'échapper,
laissant une partie du matériel télégraphique aux
mains de Tennemi.
Sur la section d*Orléans, Ëtampes, Angerville et
Toury devinrent successivement tête de ligne, au fur
et à mesure des progrès de Tinvasion. Sur la ligne de
Vendôme-Tours, le service avait été limité le 17 à
Dourdan (56 kil. de Paris), puis à Châteaudun (134 kil.).
Cette localité resta tête de ligne jusqu'au 12 octobre^
Ablen, et jetèrent un pont de bateaux sur lequel défila la divi-
sion de cavalerie Stolberg, suivie du cinquième corps prus-
sien. Toute la population d'Ablon avait pris la fuite, sauf une
trentaine de perâonnes. On assure que, dans cette circons-
tance, quelques hussards ivres justifièrent assez mal la belle
réputation de continence qu'on a faite aux Allemands. (Voir
Desjardins, Tableau de l'invasion dans le déparlement de
Seine-et'Oise, p. 9.)
15
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gle J
*Ô4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
époque à laquelle on fut obligé d'évacuer toutes les
gares jusqu'à Vendôme, par suite de Tenvahissenaent
delaBeauce et de la première occupation d'Opléans (1).
Dès les premiers jours d'octobre, quelques engage-
ments, précurseurs de la bataille d'Artenay, avaient eu
lieu aux environs de Toury, et forcé la Compagnie de
limiter son service public à Orléans. Alors commença
ce qu'on pourrait appeler son service militant de la
Compagnie; c'est-à-dire, d'une part, l'organisation
quotidienne de trains de munitions et de vivres qui
allaient approvisionner les troupes jusque sur le lieu
de l'action, et en ramenaient les blessés; d'autre part,
l'expédition des machines d'exploration, qui souvent
devançaient la limite extrême de nos avant-postes.
Ce service. fut continué sans désemparer jusqu'à la
Un de la guerre. Pour bien apprécier, là comme ailleurs,
les difficultés d'une pareille tâche, il ne faut pas perdre
de vue les obstacles de tout genre qui entravaient les
manœuvres, les départs, la marche et l'arrivée des
trains, obstacles dont les relations du t^mps peuvent
à peine donner une. idée. Le 5 octobre, le vaillant aéro-
naute Gaston Tissandier quittait Orléans pour se
rendre à Lyon par Saincaise et la ligne du Bourbon-
liais: il allait chercher la soie nécessaire au confec-
tipnnement de ses ballons. Il lui fallut deux jours et
deux nuits pour faire un trajet qu'on accomplie d'or-
(1) Pendant cette première période, les employés de la
station de Dourdan, restés à leur poste, méritèrent les plus
grands éloges. Le chef de gare trouva le moyen de trans-
mettre encore des eommunications télégraphiques plusieurs
jours après Tocoupation, et des facteurs risquèrent plusieurs
fois leur vie pour apporter des renseignements.
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RESEAU D*ORLEANS IM
dinaire en quatorze ou quinze heures par trains omnibus.
Toutes les gares, grandes et petites, étaient encombrées
de voyageurs civils et de troupes, c'est-à-dire de gens
revêtus des costumes les plus variés. Malgré tous les
efforts des agents, trop peu nombreux et pas du tout
écoutés, la plus grande confusion régnait dans les em-
barquements commo dans les débarquements, grâce à
rinsôucianee d'un grand nombre d'officiers, qui n'exer-
çaient aucune surveillance sur leurs hommes, alléguant
qu'ils n'avaient pas à s'en occuper dans les gares, que
ce n était pas leur affaire^ que d'ailleurs ils ne voulaient
pas se compromettre en donnant des ordres qui sûre-
ment ne seraient pas exécutés. Ce dernier motif n'était
malheureusement que trop fondé. Depuis le 4 septembre,
l'insubordination, dont le pouvoir révolutionnaire of-
frait un exemple triomphant, était à Tordre du jour
parmi les nouveaux soldats: c'était ainsi qu'on s'ima-
ginait régénérer et sauver le pays! I
Sur ces lignes comme sur les autres, il y eut, parmi
les agents de tout grade, d'admirables exemples de
courage et de dévouement. Dans les mois de décem-
bre et janvier, quand la rigueur de la saison vint
s^àjouter à la fatigue et aux périls de ce service de
guerre^ on vit des mécaniciens, des conducteurs de
trains de troupes ou d'approvisionnement demeurer
inunobiles, à leur poste, dix-huit et vingt heures de suite
par les froids les plus vifs, en plein champ, sous la
pluie et la neige....
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156 CHEMINS DE FËR FRANÇAIS
II
Chargé de couvrir Orléans avec un corps en formsk-
tion contre des troupes organisées et supérieures en
nombre, le général de la Motte-Rouge ne pouvait que
succomber dans raccomplissement d*une tâche impos-
sible. Sa conduite fut appréciée à Tours avec une sévé-
rité à laquelle d'anciennes rancunes politiques n'étaient
nullement étrangères.
La marche des Bavarois à travers la Beauce ne ren-
contra d'autre obstacle que quelques escarmouches de
compagnies franches, parmi lesquelles il faut signaler
la belle résistance, auprès d'Angerville, de quarante-six
tirailleurs du Gers, qui furent presque tous pris ou
tués. L'issue malheureuse du combat d'Artenaj (10
octobre) rendait imminente l'invasion d'Orléans. Aussi,
M. de la Taille, inspecteur principal .de la ligne, fit
aussitôt toutes les dispositions nécessaires pour l'éva-
cuation de la gare. Pendant toute la nuit et la matinée
suivante, il y fut formé plus de vingt trains. spéciaux.
Le 11, à midi, la lutte recommença vers Gercottes;
bientôt elle s'étendit aux faubourgs d'Orléans, où une
arrière-garde peu nombreuse, mais composée d'hommes
d'élite, s'efforçait de retarder les progrès de l'ennemi*
Les abords du chemin de fer, en particulier, furent
vigoureusement défendus par le 39* de ligne, le régi-
ment des mobiles de la Nièvre, et par le commandant
d'artillerie Tricoche, qui tint tête longtemps avec ses
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RESEAU D^ORLEANS S»7
'dix canons à une artillerie bien supérieure, et ne se
replia qu'au dernier moment sur la gare des Aubrais
et de là sur Orléans. Mais, pendant ce temps, la confu-
sion augmentait d instant en instant dans les deux gares
^ei sur les voies intermédiaires, par suite de l'arrivée des
trains de k'oupes et de munitions venant de Bourges
et Vierzon et qu'il fallait débarquer , renforts tardifs
qui ne paraissaient que pour être entraînés dans, la
débâcle.
" Enfin, dans l'après-midi, voyant l'armée française
en pleine retraite, et l'espace compris entre, les deux
gares encombré de soldats en débandade, M. de la Taille
dut songer au départ définitif. En tardant davantage.
Une pouvait plus que compromettre un matériel indis-
pensable à l'armée. Tandis que se faisaient les dernières
manœuvres et que les obus arrivaient déjà danfr la
gare, M. de la Taille eut la présence d'esprit de faire
réembarquer en toute hâte deux batteries d'artillerie
qui venaient d'arriver, et dont le déchargement était
commencé. Il jugea avec raison que, dans l'état des
choses^ cette artillerie ne pourrait être utilisée, et
deviendrait sûrement la proie de Tennemi. Pour la
sauver, il sacrifia une quarantaine de wagons^ dont
quelques-uns chargés de houille, qui tombèrent entre
les mains des Bavarois. Ce sauvetage valut le leode-
Hiain à l'inspecteur principal les remerciement du
^bef d*état4najor.
Il n'avait quitté la gare qu'à cinq heures du soir. En
^è moment, une partie du faubourg Bannier, que tra-
verse le chemin de fer, était en fiammes, et les projec-
tiles ennemis arrivaient bien au delà ; en pleine ville
ei jusque sur la place du Martroi. Peu de temps après,
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«8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
les Bavarois entraient dans Orléans, musique en tête,
et lui imposaient, comme cadeau de bienvenue, une
contribution de guerre d'un million. Ils ne trouvèrent
à la gare, outre les wagons dont nous avons parlé, que
deux machines hors de service. Ils parvinrent néan-
moins à les utiliser pour leurs transports, au moyen
de bielles qu'ils tirèrent d'Epernay, alors point central
de l'exploitation allemande du réseau de TEst.
Les troupes qui venaient de céder Orléans ^' étaient
retirées dans la direction de Vierzon. Elles furent ral-
liées sur les hauteurs de Saint-Aubin, près delà station
de la Ferté (22 kil. d'Orléans). Sur cette section, ajant
la Perte pour tête de ligne, circulaient incessanament
des trains spéciaux de troupes et d'approvisionnements
entre Bourges, Vierzon et les lieux de campement.
Cette situation se prolongea jusqu'au 17 octobre, époque
où Tarmée, dont le général d'Aurelles venait de prendre
le commandement, se reporta en arrière, dans la posi-
tion de Salbris qui couvre Vierzon (1).
Sur la section d'Orléans à Tours, Beaugeney était
devenu tête de ligne après l'évacuation d'Orléans.
Mais, quelques jours plus tard, les chefs de la Compa-
gnie, voyant que les patrouilles ennemies arrivaient
jusqu'à Beaugency et qu'il était impossible d'obtenir
des troupes pour garder cette station, prirent le parti
de limiter leur service à Blôis, où le 16® corps d'armée
' était en formation. Ce mouvement en arrière redoublât
les alarmes de la Délégation, déjà singulièrement
effiirouchée de la prise d'Orléans. On ne doutait plus de
(4) La station de Salbris est à 55 kilomètres d'Orléans.
'^ de Viôrzon.
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RESEAU D'ORLEANS tft9
la prochaine marche de rennemi sur Tours, et Ton ne
discutait plus que le choix d'un nouvel asile. M. Cré-
inieùx opinait pour Bordeaux ; M. Gambetta penchait
pour Clermont, d'où il pensait être plus à portée de
diriger, à distance respectahle, Tensemble de la àé-
fense. Fidèle à ses vieilles habitudes, M. Glais-Bi^oin
n'était d'accord avec aucun de ses collègues. La réso-
lution de quitter Tours était si bien prise, qu'un des
chefs de la Compagnie s'étant rendu un jour près
d'un membre du Gouvernement pour obtenir des
explications, la conférence fut interrompue par la
femme du personnage dont il s'agit, venant demander
SI c* était la peine de donner le linge à blanchir^ puis-
qu'on était si près de s'en aller. Fort heureusement^
la Compagnie n'avait eu garde de négliger le ser*-
vice d'exploration. Chaque jour des machines cir-
culaient de Blois jusqu'à Beaugency et quelquefois
au delà, et rapportaient des informations (1). On ne
tarda pas à acquérir par cette voie la certitude que
*les Bavarois ne songeaient pas à dépasser Orléans.
Alors il ne fut plus question de départ, et même l'on
tâcha de faire croire qu'on n'y avait jamais pensé.
Seul, M. Glais-rBizoin, qui avait été d'avis de rester
quand les autres songeaient à partir, voulait absolu-
(1) Le 15 octobre, une de ces machines, montée par
M. Bazin, inspecteur de la section (mort depuis, par suite
des fatigues de la campagne), s'étant avai^oée jusqu'à la statioA
de Meung, la première après Beaugency du côté d'Orléans,
fut saluée par une patrouille de cavale lie bavaroise d'une
vingtaine de coups de feu qui n'atteignirent personne. Mais
le lendemain, tfn détachement ennemi vint détruire le viaduc
de Beaugency pour mettre un terme à ces explorations.
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«60 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
meJit s'en aller diriger la défense en Bretagne, quand
f)n se détermina à rester.
A cette époque se rattache un épisode à la fois lu-
gubre et consolant, la défense de Châteaudun (19 oc-
tobre). Déjà, quelques jouis auparavant, une autre
station de la ligne de Paris-Vendôme-Tours, le village
tl'Ablis, avait été incendiée par les Prussiens en repré-
sailles de la destruction d'un escadron de cavalerie
surprix dans cette localité par les francs-tireurs de
Paris (L4powski), dans la nuit du 7 au 8. Ce fut cette
même troupe, renforcée d'un certain nombre de gardes
nationaux de la localité, en tout moins de 3,000 hommes,
*qiii barricada Châteaudun et s'y défendit toute une
journée, sans artillerie, contre des troupes dix fois
plus nombreuses (toute la 22* division d'infanterie et
4a 4* de cavalerie prussienne), avec trente pièces de
canon. Dans cet engagement^ Pennemi se présenta na>
tarellement du côté le plus accessible, celui de la gare,
située au point où le plateau de la Beauce se relie à
Tescarpement sur lequel est bâtie la ville haute , domi-
nant, de l'autre côté, la ville basse et la vallée du Loir.
La gare était donc, en quelque sorte, la clef de Châ-
teaudun* Son matériel ne fut évacué qu'à la dernière
heure et sous le feu de l'artillerie ennemie, qui forçait
nos tirailleurs de se replier sur la ville. La gare fut
criblée de projectiles et le feu y prit en plusieurs en-
droits, mais il fut éteint par les employés du chemin
de fer» restés bravement à leur poste.
Le commandant en chef prussien, général de Wittich,
se voyant maître de la gare, crut l'être bientôt de la
.ville et la ûi attaquer immédiatement par Tune de ses
brigades (la 43«). Mais, malgré la supériol*ité dû
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RESEAU D'ORLEANS t61
nombre, elle eut a£Eàire à forte partie. Le combat,
commencé dans la matinée, se poursuivit avec un achar-
nement sans égal jusque bien avant dans la nuit, à la
lueur des incendies allumés par les obus. On se battait
corps à oorps, et plusieurs officiers prussiens durent se
jeter dans la mêlée pour encourager et ramener leurs
hommes. Un des historiens allemands de la campagne,
avoue que a les Allemands eurent besoin de toutes
leurs forces pour réduire cette poignée d'hommes; qu'il
leur fallut donner successivement Tassant à un grand
nombre de maisons, de barricades, les aUaquer tout
ensemble de front et à revers, en démolissant des
murs ». On croirait lire un épisode du fameux siège
de Sarragosse (1).
La perte des assaillants de Châteaudun fut grande ^
leur vengeance atroce. Il paraît avéré que le feu mis
par le bombardement fut propagé sur plusieurs points
à titre de représailles, après que les deux colonnes
d'attaque eurent opéré leur jonction devant Thètel de
ville, mouvement dont le succès» longtemps disputé,
avait mis fin à toute résistance. Un effroyable ouragan
vint apporter son concours à cette œuvre de destruc^
tion, comme si la fureur des hommes n*ei^t pas suffi!
L'incendie dévora des femmes, des enfants, des blessés .•^
ses progrès contraignirent même à reculer encore une
fois ceux qui lui devaient la victoire. Une relatioi\
allemande du temps nous apprend que a l'on fut obligé
(1) Châteaudun semble un lieu prédestiné aux défenses
héroïques. Au fort de rinvasion anglaise du xv« siècle, cette
ville avait été victorieusement défendue par le sire d'Iliers,
Tun des plus valeureux auxiliaires de Jeanne Darc.
15,
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gle J
MÈ CHEMINS DE FER FRANÇAIS
de retirer les chevaiix de la 4^ division des écuries où
ils avaient été placés d'abord, et que déjà le feu ga-
gnait. » Soldats, officiers, durent bivaquer en plein air.
Quand ils se remirent en marche, le lendemain de grand
matin, ils y voyaient aussi clair qu'en plein jour, à la
lueur de cet immense brasier. Et ce fut seulement al<»*s
que le général de Wittich, installé à la gare, permit
aux habitants de Châteaudun de travailler à éteindre
Pincendie !
Bien que la voie ferrée fût intacte jusqu'à Tours,
Châteaudun n'avait pas été secouru, et n'était sans
doute pas secourable, vu l'insuffisance des moyens dont
on disposait alors. Le sentiment de cette impuissance
était bien profond chez les hommes qui avaient acea^aré
la dictature militaire ; car ce fut en vain que plusieurs
télégrammes expédiés de Châteaudun et des stations
voinnes arrivèrent à Tours dans la soirée du 16 et
jusque bien avant dans la nuit, implorant du seoourgpour
cette ville qui brûlait déjà, mais résistait encore (1) !
(1) On trouve à ce sujet des détails curieux dans Touvra^e
de M. Glais-Bizoin (p. 158-162). Après d'inutiles démarches
auprès de Tautorîté militaire, il voulut expédier de lui-môme,
sur Châteaudun, un bataillon de mobilisés qui arrivait en
gare venant de Laval. 11 n'y renonça qu'en s'apercevant qu'ils
n'avaient pas de cartouches. M. Glais-Bizoin croyait et croit
encore qu'il aurait suffi d'un renfort de 3,000 hommes, envoyé
par le chemin de fer, pour sauver ou Venger Châteaudun. C'est
l'illusion d'un patriote ardent, mais mal informé,
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RESEAU D'ORLEANS 268
III
Pôu de jours après cette catastrophe, dans la soirée
du 25octobr6^ la Compagnie d'Orléans fut avisée qu'elle
aurait à embarquer le 27 et le 28, dû camp de Salbris
deux divisions du 15® corps, c'est-à-dire 25,000 hommes
avec voitures et bagages, 23 batteries d'artillerie, deux
régiments de cavalerie, plus le parc d'artillerie et un
équipage de ponts. Ces troupes devaient être transpor-
tées de Salbris à Tours par Vierzon, et dirigées de là,
leB tines sur la station de Vendôme, les autres sur celle
de Mer, la dernière qu'on rencontre avant Beaugencj
sur la section Tours-Oriéans.
Tous les détails de ce mouvement avait été concertés
eiïtre le directeur de l'exploitation et le délégué de la
guerre. Ce dernier entendait que le transport fût abso-
lument terminé en deux jours, et avait calculé avec
une précision mathématique les heures de départ et
d'arrivée des trains, sans daigner tenir compte de bien
des rétards accidentels qui ne pouvaient manquer de se
produire dans de telles circonstances.
La Compagnie fit à la hâte les dispositions néces-'
saires. L'embarquement de l'artillerie eut lieu à Vier-
zon, celui de la cavalerie et de Tinfanterie aux deux
stations les plus rapprochées des campements de Sal-
bris, celles de Nouan et de Salbris. Cette opération com-
mencée le 27 à sept heures du matin, fut continuée
jour et nuit sans désemparer jusque dans la matinée
du 29 ; mais une partie du parc d'artillerie, le matériel
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Uk CHEMINS DE FER FRANÇAIS
da génie et Téquipage des ponts ne purent être expé-
diés de Vierzon que le 30.
Pour mieux dissimuler ce mouvement» on avait sus-
pendu le service des voyageurs, non-seulement sur la
section de Vierzon à Tours, mais sur celle de Tours au
Mans, et répandu le bruit que les troupes partant de
Vierzon étaient à destination du Mans. Mais le secret
avait été éventé à Tours, et le but véritable de Texpé-
dition connu de beaucoup trop de gens.
Ce transport fut fait en 42 trains, d'ensemble
1,800 wagons. Une telle opération eût été difficile en
•tout temps, mais le devenait encore davantage dans
une saison avancée et avec des troupes novices. Une
partie de ces troupes, et notamment l'artillerie, avai^it
eu d*assez longues distances à parcourir dans les ternes
détrempées, pour atteindre les points d'embarquement.
La majeure partie du parcours à effectuer (section de
Vierzon à Tours) était en voie unique : aussi TonlÉt
obligé, à la fin de la première journée, de suspendre le
mouvement pendant quelques heures, pour opérer le
renvoi des premiers wagons déchargés. Il fallut aussi
intelrcaler au milieu de ce mouvement d'autres trains
de troupes, qui étaient réellement dirigées sur le Ms^is,
et transporter 10,000 hommes qui se rendaient de
Bourges à Salbris pour y remplacer le corps d^année
qu^on expédiait sur la rive droite de la Loire. Il y eut
à Tours même d'assez longs retards, parce qu'au nfto-
ment où les trains y arrivaient, l'indication de la direc-
tion ultérieure sur Mer ou Vendôme n'était pas encore
parvenue aux agents de la Compagnie. Le service des
voyageurs avait été suspendu, par ordre, entre Tours
et le Mans. Mais le ministère de la guerre avait cru
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ItÉSEAU D*<»tLBÂM8 «65
■faire preuve de finesse en n'appliqaant pas cetie me-
sure là justement où elle eût été le plus néoessaire : aux
deux sections sur lesquelles le débarquement devait
avoir lieu. Il s'imaginait dissimuler ainsi un mouvement
déjà connu, et n'aboutissait qu'à le retarder par un
surcroît d'encombrement.
A propos de ce transport de Salbris, M. le général
d' Aurelles, dans son livre sur La première armée de la
Lotre^ dit que le matériel d'artillerie ne fut pas chargé
avec tout Tordre désirable. Il ajoute que les plateaux
et les ponts nécessaire pour la descente des chevaux de
la cavalerie et de Tartillerie n'étaient pas rendus
d'avance aux points de débarquement, et qu'il en ré-
sulta de nouveaux retards. S'il y eut en effet des irré-
gularités dans le chargement, il serait aussi juste de
les imputer à l'inexpérience des artilleurs en fait de
chemins de fer, qu'à celle des agents civils en fait d'ar-
tillerie. Il est vrai néanmoins de dire que cette circons-
tance a été l'une de celle où l'on a dû regretter le plus
que l'organisation des bataillons d'ouvriers militaires
des chemins de fer, f&t encore en France à l'état de
projet. M. le général d' Aurelles fait encore observer
avec raison que l'artillerie aurait pu se rendre direc-
tement par terre, en deux jours, de Salbris à Blois, et
qu'en prenant ce parti on aurait obtenu une économie
de temps considérable, attendu que cette artillerie dut
employer cinq jours à se réorganiser après le débar-
quement. Nous croyons, en effet, qu'il eût mieux valu
n'embarquer que l'infanterie, et utiliser pour le reste
la voie de terre par Romorantin, plus courte des deux
tiers. Mais le tort d'avoir agi autrement ne saurait
être imputé aux chefs de la Compagnie. Nous savons
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CHEMINS DB FER FRANÇAIS
de «ooroe certaine qu'ils conseillèrent d'adopter le trajet
par terre pour la cavalerie et Tartillerie . Mais leurs
représentations ne furent pas écoutées ; ils durent se
résigner à exécuter les ordres donnés à très-bref délai
par le délégué de la guerre. Enfin, au reprooho de
n'avoir pas amené les plateaux et les ponts pour le
débarquement, la Compagnie oppose une réponse pé-^
remptoire : ces plateaux, ces ponts n'existaient pas. Il
en avait bien été question dans les articles préparés
par la commission Niel. Cet outillage devait être con-
fectionné aux frais et sur la demande du ministère de
la guerre. Mais on sait déjà que le nouveau règlement
était resté malkeureusement à Tétat de projet. En fait,
la Compagnie n'avait reçu aucune commande de ce
genre, ni avant, ni depuis le 4 septembre.
Il faut encore tenir compte de ce fait considérable,
que cette opération si compliquée se ût sans le moindre
aocident. Il est vrai que les hommes et les chevaux
eurent à souffrir de la faim, rien n'ayant été préparé
pour eux à Tours. Mais les questions d'approvisionné-,
ments ne regardaient pas la Compagnie.
Pour compléter la concentration de l'armée à Mer et
sur Vendôme, et satisfaire à ses besoins, la Compagnie
dut faire jusqu'au 8 novembre, dans ces deux direc-
tions, de nombreux trains de troupes et d'approvision-
nements. Mais le service fut souvent entravé sur ces
lignes, comme ailleurs, par le système vicieux de trans-
formation des w^agons en magasins.
Les stations de Vendôme et de Mer restèrent têtes
de lignes jusqu'au 8 novembre. On sait que ce jour-là
les 15« et 16« corps quittèrent leurs positions pour atta-
quer l'ennemi, et<][ue les Bavarois ne furent pas plnsti
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RBSEAU DORLEANS i«f
heureux à Coolmiers en 1870, qu'ils ne Tavaient été en
1813 À Hanau.
L'issue de la bataille du 9 détermina le général Von
der Tann à se rapprocher des renforts qu'on lui en-
voyait de Chartres et de Versailles. C'est du moins ainii
que le rapport officiel prussien jugea prudent de quali-
fier cette retraite forcée. Le 10, nous rentrions dans
Oriéans, que les Bavarois avaient évacué précipitam*
ment, n'ayant eu le temps ni d'enlever leurs maladea,
ni de détruire les ponts. Le même jour, M. Sévène,
ingénieur en chef de la Compagnie, établissait une
passerelle sur l'arche rompue du viaduode Beaugency.
Dès le lendemain, la circulation était reprise et le ser-
vice rétabli, d'une part, jusqu'à Orléans; de l'autre,
jusqu'aux ruines de Châteaudun. •
Cette situation fut maintenue jusqu'aux derniers
jours de novembre. Le 27, l'ennemi montrant des forces
considérables vers Châteaudun, il fallut procéder aune
nouvelle évacuation de cette gare sur Vendôme. Niais,
cette fois, le sacrifice du pont du Loir^ près de la sta-
tion de Cloyes, fut jugé nécessaire à la défense. On lé
fit sauter aussitôt après le passage du dernier train
d'évacuation. Cet acte de destruction, absolument inu-
tile, fut accompli malgré les représentations de la Com-
pagnie. On voulait empêcher l'ennemi de se servir de
cette ligne pour tenter un coup de main sur Tours.
Mais c'était là une crainte chimérique, et qui prouvait
(seulement qu'on était mal renseigné ou trop prompt à
s'alarmer. Ce chemin de fer n'aurait pu servir à l'en-
nemi que s'il avait eu à sa disposition des machines et
des wagons pour l'exploiter. Or, à cette époque, il avait
bien assez à faire d'organiser Texploitation de la ligne
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%%S CH^CINS DE FER FRANÇAIS
stratégique de TEst. Il ne faisait qu'entrer en pocuies-
sion de la section d'Epernay à Lagnj^ si longtemps
interceptée par Teffondrement du souterrain de Nan-
teuil (Y. Historique de l'Est); il n'avait pas et n'eut ja-
mus de matériel sur la rive gauche de la Seine.
Les gares d'Orléans et des Aubrais devinrent le
tiié&tre de nouvelles péripéties, quand l'armée de la
Loire, après d'héroïques et inutiles efbrts pour exécu-
ter le plan insensé d'o£fensive imposé à ses chefs, se
trouva coupée en trois tronçons, et rejetée, partie sur
Bleis etBeaugency, partie sur Gien, partie sur Orléans,
Dans la matinée du 4, la gare des Aubrais étsdt encom-
brée de matériel» de vivres, de munitions; on comptait
encore sur les défenses de la ville pooir arrêter l'en-
nemi (1).
Le général des Pallières, commandant du 15^ corps,
était chargé de protéger la retraite. Sa première divi-*
sion, celle qui avait soutenu honorablement la veille
un combat inégal à ChiUeurs, et qui arriva la première
sur Orléans, était celle dont le moral avait le moins
souffert. Les troupes qui composaient cette divisiou
(1) On voit, par le journal de Fétat-major, que la Compa-
gnie d'Orléans avait activemeot concouru à Tinstallation de
ces défenses. Les pièces, les munitions et le matériel étaient
rendus en gare dès le 15 novembre. Le 18, les canons, les
munitions et le matériel nécessaires pour les batteries de
€^dy (près Cercottes) et de Chevilly (près de la gare de cette
localité) étaient expédiés par la voie ferrée. Le 26, le chemin
de fer amenait encore à. Orléans quatre chaloupes canonnières
à vapeur avec leur armement, qui furent déchargées et mises
àTeau le lendemain. Enfin, les ingénieurs de la Compagnie
aw^ent eu à s'entendre avec ie commaiktant d«a batteries
pour la construction de wagons blindés munis de canons.
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RBàEAÙ D'ORLÉANS
fhréîit acheminées directement dans la matmée vers la
gare des Aubraîs. Elles y complétaient leur approiHt-
sibnnement de vivres et de cartouches, puis allaient
occuper leurs postes de combat, dans les tranchées <|ui
s'étendent de cette gare au fleuve. Leur résistance,
(jui couvrait, sur la droite, l'évacuation par le pont du
chemin de fer et celui d'Olivet, fut énergiquement sou-
tenue jusqu'au bout. Entre huit et neuf heures du «bir,
« cette division occupait encore les tranchées au nord
et à Test de la ville, entre le chemin de fer et la route
de Gien : et les batteries de marine, placées de ce o6té,
continuaient encore leur feu malgré l'obscurité. »
Mais il s'en fallait de beaucoup que la retraite fût
aussi bien couverte du côté opposé, celui des faubourgs
Saint- Jean et Madeleine. Depuis la veille^ les rue», les
établissements publics d'Orléans étaient encombrés
d^ùolés provenant de tous les corps, démoralisés, démo^
ralisant/ Vers midi, les soldats des 2* et3« avisions
du 15« corps, qui avaient combattu sous les ordres
directs du général en chef, débouchèrent par toutes
les routes qui aboutissent à Orléans. <c Ces troupes
marchaient en ordre, mais paraissaient accablées de
lassitude. Elles traversèrent la ville, se dirigeant vers
la Loire, et de ce moment l'armée défila sans interrup-
tion vers les ponts. »
Vers quatre heures, parut enfin l'arrière-garde de
ces deux divisions, qui disputait le terrain pied à pied
depuis Cercottes. C'était pourtant sur cette arrière-
garde, épuisée par trente heures de lutte, de marches
et de contre-marches incessantes, qu'on était forcé de
iM>mpter pour le complément de la défense, pour garnir
les tranchées qui couvraient la gauche de la retraite .
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S70 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
•
On voit en effets par le remarquable rapport du comr
mandant des batteries d'Orléans, que, dans la soirée
du 4, « les batteries de la marine étaient en état de
tout entreprendre, complètement approvisionnées, en
masure de couvrir le lendemain matin toute la c^^n-
pagne de nos projectiles, » ainsi que Tordre en fiit
donné d'abord. « Les munitions permettaient de conti-
nuer un feu nourri pendant toute cette deuxième jour-
née. Mais le complément indispensable de ce programme
était l'occupation solide des retranchements qui couvraimt
les intervalles »(1).
C'était là précisément la tâche impossible. Ce fut
en vain que les généraux s'efforcèrent, dans l'après-
midi et le soir, de soustraire au mouveijient de retraite
un nombre d'honmies suffisant pour garnir les tran-
chées-abris de gauche, a A peine, dit le général des
Pallières, avions-nous placé un groupe pour aller à un
autre, que le premier nous glissait entre les mains. >>
Le commandant en chef, prévoyant bien que les gens
de Tours songeaient déjà à rejeter sur lui la respon-
sabilité du désastre dont ils étaient les auteurs, avait
voulu un moment arrêter la retraite, rappeler toutes
ses troupes à Orléans, s'y maintenir à tout risque. En
présence des informations qui lui parvenaient de toutes
parts, il dut bientôt renoncer à cette résolution déses-
pérée. Il était impossible de faire parvenir des ordres
en temps utile, d'une part aux 16^ et 17« corps dirigés
(1) Rapport du commandant Ribourt, du 20 décembre (Des
Pallières, 413 etsuiv.), M. Ribourt, aujourd'hui contre-amiral,
aTait été dignement gecondé dans cette crise, par tous les offi-
ciers placés sons ses ordres, et particulièrement-par le lieute-
ottOit de Taissean Gtambar, marin d*ua& rare énergie.
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RÉ^LA^U 1)*0RLBANS tW
siar Blois et Beaugency, de l'autre aux 18* et 20*,
coupés et refoulés sur la Haute-Loire. Il était tout aussi
impossible de fttire rebrousser chemin aux soldats du
15* qui avaient déjà franchi la Loire, de retenir dans
Orléans ceux qui s'y trouvaient encore. Les hommes
H*en pouvaient et nen voulaient plus,.. On ne pouvait
donc plus songer, ni à ramener sur cette ville assez de
troupes pour livrer bataille, ni même à y prolonger la
défense le lendemain. Il fallait que tout fût terminé
dans la nuit.
Telles étaient les circonstances tembles dans les-
quelles il fallut évacuer précipitamment les deux gares
d'Orléans, bourrées de matériel de guerre, dont la perte
eût été une nouvelle aggravation du désastre. Le 4 au
matin, M. de la Taille, inspecteur principal, compre-
nant déjà toute la gravité de la situation, avait de-
mandé « quand il faudrait faire replier le matériel du
chemin de fer ». Sa demande, adressée au général des
Pallières, avait été transmise au précédent quartier-
général du commandant en chef, qui, dans ce moment
même revenait sur Orléans. Par conséquent, elle ne
reçut pas de réponse immédiate. Pendant ce temps, les
événements se succédaient, s'accumulaient avec une
telle rapidité que, quand l'opération fut enân autorisée,
il était ^éjà presque trop tard. Elle fut dirigée de la
façon la plus remarquable par M. de la Taille. Voici
dans quels termes en par le letémoin le plus compétent,
le commandant du 15® corps, chargé en dernier lieu de
la défense. « On ne saurait trop faire l'éloge de l'acti-
vité et de l'énergie déployée par l'administration du
chemin cle fer d'Orléans, dans cette journée du 4, pour
«écouler tout le matériel accumulé dans la place. Les
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nt CHEMINS DE- FER FRANÇAIS
employés ne se laissèrent arrêter par aucune difficulté;
le dernier train ne partit d'Orléans (dans la directiOB
de Tours) qu'à cinq heures vingt minutes du soir, et il
eut à subir, comme les trois précédents, le feu de Ten-
tiemi. Les chefs de train n'en continuèrent pas moins
leur route avec une intrépidité digne d'être signalée
au pays. » {Orléans^ p. 245.)
Nous trouvons des détails curieux sur ce dernier
train, dans le récit d'un témoin oculaire, Gaston Tis-
sandier, qui parvint à y faire insérer son fourgon
d'aérostats et d'aérostiers.
L'aspect de la grande gare, au moment de ce départ,
était épouvantable. Les wagons regorgeaient de monde,
les quais étaient encombrés de blessés aux yeux ha-
gards, la plupart en haillons , sans capotes ni couver-
tures> assiégeant les portières des voitures, implorant
avec désespoir des places et n'en trouvant plus. Le
fourgon de Tissandier contenait les six ballons péni-
blement sauvés de la déroute et dix-sept hommes, d'é-
quipe ; il avait de plus donné asile à cinq capitaines de
la ligne, qui se tenaient accroupis sur les nacelles.
« Le train va partir, et c'est le dernier!... Les bles-
sés auxquels il reste quelque force, se hissent sur le
toit des wagons : malgré le froid et bientôt la neige;
ils vont rester là immobiles, à plat ventre, Ceucc-^l^
sont les privilégiés; d'autres, et en bien plus grand
nombre, ne partiront pas; la captivité les attend I Les
spectateurs affolés de ce départ crient, s'agitent; leur
tumidte alterne avec les détonations du cation. Le$i
avertissements les plus sinistres arrivent aux voya»
geurs... — Vous n*arriverez pas ! — Les i*ail« sont cour
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RÉSEAU D*ORLÉANS tTJ.
p4s I ..^. Votre train va être brisé ! *- Les canons prus-
siens vous attendent au tournant de la Loire 1...
« Enân, à cinq heures vingt minutes, la locomotive
donne le signal; la secousse du départ arrache aux bles-
sés des cris de douleur. On suit lentement le bord du
fleuve, en contre-bas des batteries françaises, dont les
boulets sifflent à travers les arbres. On aperçoit sur la
droite le pont d'Olivet et le pont de bateaux jeté au-
près, couverts de vagues humaines. L'orage croissant
du canon (domine tous les bruits, et le soleil couchant
darde ses rayons d'un rouge de sang sur ce panorama
sinistre. »
A la hauteur de la chapelle Saint-Mesmin (6 kil. d'Or-
léans), le train fut salué de quelques coups de pistolet
par des uhlans, comme l'avaient été les deux précé-
dents. Mais il courut un danger plus sérieux; ces ca-
valiers commençaient à jeter des morceaux de bois sur
la voie. Heureusement l'obstacle était encore trop lé-
ger pour faire dérailler le train ; ils farent écartés des
rails par la seule impulsion de la locomotive.
A Beaugency, les voyageurs croisèrent un train qui
»ta.tionnait en gare, et dans lequel se trouvait M. Gam-
bette, lui-même, qui se dirigeait ou du moins avait voulu
se diriger sur Orléans. Nous reviendrons tout à l'heure
sur cet épisode, le plus curieux, sinon le plus édifiant,
de Todyssée du trop célèbre dictateur.
Le train, évadé le dernier d'Orléans du côté de
Tours, était composé en grande partie de militaires ap-
partenant au 15* corps qui devait se rallier au camp de
Selbris, et auxquels on faisait faire le -circuit par
Tours^ à cause de l'extrême encombrement de la ligne
directe d'évacuation d'Orléans sur Vierzon. On pour-
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i74 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
suivit doQo sans désemparer jusqu'à destination^ et le
train ne aarréta qu'à minuit en gare de Yierzon* Ce
fut un lugubre trajet, accompli sous des ra&ies de
neige, dans une profonde obscurité. Absorbés par le
souvenir des scènes lamentables auxquelles ils venaient
d'assister, par l'incertitude menaçante de l'avenir, les
voyageurs gardaient un silence qui n'était interrompu
que par le mugissement de la tempête à travers les
portes mal jointes, par les trépignements des malheu-
reux qui grelottaient à découvert sur les toitures des
wagons et des fourgons, par les gémissements des bles-
sés. A l'arrivée, on retira de l'intérieur et du toit des
voitures plusieurs cadavres!...
Pendant ce temps, l'évacuation des troupes et du
matériel d'Orléans sur Vierzon se poursuivait par la
ligne directe, au bruit du canon et de la fusillade qui
continuaient dans l'obscurité. Cette évacuation fut sin*
gulièrement facilitée et hâtée par la suspension d'armes
de deux heures, conclue, vers neuf heures et demi,e du
soir, entre le général des Pallières et le général prus-
sien de Treskow, commandant une des divisions du
13* corps, déjà maîtresse du faubourg Saint-Jean. C'é-
tait ce dernier qui avait pris l'initiative de cette négo-
ciation, qui épargna à la ville et aux trçupes françaises
des malheurs encore plus grands. Les Allemands n'au^
raient ni demandé ni consenti une suspension d'armes
à cette heure, s'ils avaient bien connu la situation vé-
ritable de la défense. Elle était toujours bien soutenue
sur notre droite par la 1" division qui garnissait les
tranchées; et, au moment même où avaient lieu lès
pourparlers pour la suspension d'armes, une avants
garde ennemie était expulsée de la gare des Aubrais
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RESEAU D'ORLEANS i75
par le feii d^une de nos batteries. Mais, dès huit heures
du soir, rennemi s'était avancé dans le faubourg Ban-
nier jusqu'à la grille du chemin de fer. Sur notre
gauche, après avoir forcé, non sans peine, l'entrée
barricadée du faubourg Saint-Jean, il avait été obligé
de rétrograder par le feu très-meurtrier qui partait
d'une dernière barricade construite au débouché de ce
faubourg sur le Mail, avec des meubles, des voitures
et une grande porte cochère (1).
Mais cette barricade avait été ensuite abandonnée
par presque tous ses défenseurs. Derrière ce dernier
rempart, qui faisait hésiter encore Tennemi, il ne res-
tait plus, vers neuf heures du soir, qu'une quarantaine
de soldats, sans soutien auqun. Le ^néral Peytavin,
qui commandait la 3® division du 15® corps, avait bien
reçu et exécuté Tordre du commandant en chef, de
laisser une arrière-garde de ce cMé pour garnir les
tranchées. Mais cette arrière-garde avait, en peu de
temps, fondu dans sa main et suivi le torrent de la
reta^aite ; une partie même se trouva séparée du reste
et prit la direction de Blois. Les Prussiens ignoraient
cet abandon ; et ne se doutaient pas «c qu'ils n'avaient
qu'à avancer par les faubourgs SaintnJean, de la Made-
leine et les bords de la Loire, pour nous barrer la re-
traite et arriver sans coup férir au milieu de la ville. »
Grâce à cette heureuse ignorance, la 1" division du
(l) Nous voyons dans une histoire allemande do la cam-^
pagne, récemment publiée^ que les chasseurs clu 9** régiment
prussien, qui formaient l'avant-garde de ce côté, tombaient
par* monceaux (Haufenweùe) sous le feu de cette barricade:
(HUU., p. ao2>.
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176 CHEMINS DE FBR FRANÇAIS
15* corps put quitter sans brait ses tranchées, et s*é-
cooler par le pont du chemin de fer, dans la direction
de Vierzon. Les deux autres divisions, auxquelles se
réunirent un grand nombre d^isolés appartenant aux
16* et !?• corps, continuèrent leur mouvement dans la
même direction, par le pont d'Olivet. Les ordres en-
voyés de Tours pour détruire ces ponts ne purent être
exécutés. D n'j eut pas lieu de le regretlîer, car l'en-
nemi n'inquiéta que mollement la retraite sur la rive
gaache« D'ailleurs, il aurait jeté facilement en quel-
ques heures des ponts provisoires, puisque Ton n'était
pas en mesure de lui disputer le passage. Cette rupture
eût été, comme tant d'autres du même genre dans le
cours de la guerre, un grand sacrifice pour un résultat
à peu près nul.
Pendant toute la journée du 5, les soldats qui ve-
naient d'évacuer Orléans continuèrent leur mouvement
sur Vierzon jusqu'à la Motte-Beuvron (48 kilomètres
d'Orléans), où ceux qui avaient conservé leurs rangs
passèrent la nuit. Le lendemain» ils se dirigèrent sur
Salbris, où l'intention du général en chef était de leur
faire reprendre leurs anciennes positions. C'était le
paili le plus judicieux, aussi la Délégation s'empressa
d'en décider autiement. Après avoir organisé une ar-
rière-garde pour repousser au besoin la poursuite de
l'ennemi, le général des Pallières prit à la Motte-Beu-
vron le train de Vierzon jusqu'à Salbris. La plus
grande confusion régnait à cette gare, devenue mo-
mentanément tête de ligne. Le général trouva tout le
train en partance envahi par plusieurs centaines de
soldats de toutes armes qui l'avaient pris d'assaut, se
disant écloppés. Avec le secours d'une compagnie de
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RESEAU D'ORLEANS 277
mobiles préposés à la garde de cette station, il ât éva-
cuer les wagons, et reconnut, vérification faite, qu'il
n*j avait pas plus d'une centaine de ces hommes en
état de marcher. La plupart avait aux pieds des. écor-
chures profondes, ayant été pourvus de ces fameuses
chaussures à semelle de carton qui laissaient nos mal-
heureux soldats pieds nus après deux heures de
marche, mais qui ont procuré de si heaux hénéfices
aux fournisseurs... et à leurs compères.
Dans ce parcours de la Motte-Beuvron à Salhris, le
général se retrouva avec l'inspecteur principal d'Or-
léans, qui venait d'opérer le sauvetage du matériel.
Tous deux savaient que l'arrivée de M. Gambetta avait
été annoncée le 4 à Orléans. Ils savaient aussi déjà que
le train qui l'apportait était arrivé de bonne heure fort
près de cette ville, et s'étonnaient qu'il eût été, comme
on le disait, forcé de rétrograder, tandis que des trains
circulant en sens inverse, partis d'Orléans dans la soi-
rée, étaient parvenus à Tours sans avaries.
Avant d'expliquer cet incident, nous citerons encore
des faits affligeants, mais caractéristiques, et qui se
rattachent intimement à l'historique du chemin de fer
d'Orléans.
Instruit de la présence à Vierzon d'un grand nombre
d'isolés , appartenant non^seulement aux corps qui
avaient fait retr aite sur Blois, mais à celui qu'il com-
mandait; le général des Pallières envoya dès le 6, de
Sail>i*i3 à Yierzon, par le chemin de fer, quatre compa- .
gnies d'infanterie de marine^ commandées par un,
homme d'une rare énergie, le chef de bataillon Lau-
rent, avec mission de rechercher ces traînards, d'en
16
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i7« CHEMINS DE FER FRANÇAIS
faire le triage, et de les réexpédier à Salbris, par la
voie ferrée, dès le lendemain matin«
Le commandant Laurent et ses hommes partirent le t>
au soir. Le trajet qui n'est que de 23 kilomètres de
Salbris à Yierzon , se ût très-lentement, à cause des
groupes de fuyards qui marchaient sur la voie;
aussi le train n'arriva que vers onze heures du soir à
Yierzon. Là, le commandant apprit avec étonnement
du chef de cette station, qu'il y avait en ville plusieurs
milliers d'hommes, et quantité d'officiers de tous grades
appartenant aux trois corps qui avaient été engagés
en avant d'Orléans. En présence d'un tel nombre de
fuyards, la mission du commandant Laurent devenait
bien difficile, sinon périlleuse ; pourtant il fit résolu-
ment son devoir. Il plaça immédiatement trois postes
très-forts aux principales issues, sur les deux voies
ferrées de Bourges et de Tours et sur la grande route,
consigna le reste de ses hommes à la gare, envoya de3
patrouilles dans toutes les auberges, avec ordre de
fusiller tous ceux qui refuseraient de se lever. Dans
un seul hôtel, on trouva trente-quatre officiers.
« Le jour vint; la gare fut encombrée de gardes
mobiles, de francs-tireurs, voulant monter en wagon
pour aller soit à Bourges, soit à Tours; peu leur
importait. Ils appartenaient en grande majorité au
16« corps. Il y avait là des groupes de 250, 300 hommes
appaiienaut à un même régiment de mobiles. » Ces
fuyards s'entassaient sans ordre dans les wagons ; Lau-
rent les ât descendre indistinctement à coups de crosse,
et déclara qu'on ne réembarquerait que par détache-
ments organisés. Cette prétention excita des mur-
mures; des francs-tireurs à revers rouges, commandés
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RESEAU D^ORLEANS S79
par un Espagnol affublé ûeB insignes d^offieier supé-
rieur, cernèrent un moment Fofflcier courageux qui
osait parler encore de discipline^ d^honneur! Les uns
se moquaient de lui, les autres le menaçaient ; ses
hommes durent exécuter une véritable charge à la
baïonnette pour dégager et débarrasser le quai de la
gare.
Cependant plusieurs offleiers de mobiles, rappelés
au sentiment du devoir, se mirent à rassembler leurs
hommes. On procéda au triage et à rembarquement
par ordre, et l'opération marchait bien, quand arriva
une dépêche de Tétat-major du 15° corps, qui enjoignait
de tout suspendre, le général ayant pris dans Tinter-
valle la résolution de se rendre lui-même à Yierzon
avec son corps. Nous n'avons pas ici à discuter le mé-
rite <ie cette résolution, dans laquelle d'ailleurs on ne
persista pas. Mais l'arrivée de ce conlj^e-ordre était fort
inopportune ; l'interruption de l'embarquement semblait
donner raison aux récalcitrants. En un clin d'œil, les
choses prirent une fâcheuse tournure : l'attitude des
traînards qui encombraient la cour de la gare et le
boulevard devint tout à fait menaçante. Le comman-
dant Laurent, voyant ses hommes débordés, bousculés
par les séditieux, saisit un fusil, et abattit d'un coup
de crosse un des plus mutins. Les clameurs redou-
blèrent : une des compagnies d'infanterie de marine,
qui occupait la salle d'attente, se porta sur le perron
et apprêta ses armes. Tout en vociférant, les rebelles
reculèrent, mais le commandant Laurent dut se ren- '
fermer dans un rôle purement passif. Pendant le reste
de la journée et la nuit suivante, les fuyards conti-
nuèrent de s'embarquer à volonté, prenant d'assaut les
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UO CHEMINS DE FER FRAJ^ÇAIS
trains d'évacuation, à mesure qu'on parvenait à les for-
mer. Il aurait suffi d'une seule fausse manœuvre au
milieu de cette cohue, pour amener de grands malheurs.
Il n' j eut toutefois aucun accident, grâce à la prétsence,
à l'énergie infatigable de M. de la Taille, auquel cette
évacuation ne fait guère moins d'honneur que celle
d'Orléans. La plupart de ces traînards étaient ivres et
proféraient les plus terribles menaces contre leurs
chefs « qui les avaient trahis. » Il faut bien reconnaître
que les télégrammes de Tours, alors affichés par-
tout, s'exprimaient, à propos de la catastrophe d'Or-
léans, dans des termes propres à autoriser les plus
odieux soupçons, principalement contre l'ex-général en
chef d'Aureiles. Or, ce général se trouvait précisément
de passage à Vierzon. Le maire, gendre de M. Pyat, et
digne d'un tel beau -père, n'avait pas osé retenir pri-
sonnier le vainqueur de Coulmiers, bien qu'il en eût
bonne envie, mais le général d'Aureiles fut forcé d'at-
tendre plusieurs heures, chez le chef de gare, un train
pour Ljon. Heureusement il put partir sans avoir été
reconnu de quelques soi-disant patriotes qui le cher-
chaient, avec l'intention évidente de le signaler comme
traître aux isolés qui encombraient la gare (1).
Le commandant Laurent était resté bloqué avec ses
hommes dans les bâtiments de la gare. L'exaspération
des isolés était telle, que plusieurs soldats de nmiiae
(1) Dû 43ait qa*à la suite du refus fait pai» Je général d'Au-
reiles d'accepter le commandement du camp de Cherbourg,
nomination qui équivalait à une destitution, un décret avait
été rédigé, ab irato^ pour le faire passer en conseil de guerre.
C« décret fut envoyé au Moniteur; il était déjà à l^mprimérie
quand on se ravisa.
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RESEAU D'ORLEANS ^i
qui «e hasardèrent en ville furent insultés, poursuivis,
et faillirent être assassinés. Vers le milieu de la nuit,
il y eut une panique. Le général des Pallières avait
eu, comme on vient de le voir, Tidée de se porter de
Salbris sur Vierzon avec le 15® corps, et avait fait j»ar-
tir en avant dans cette direction son convoi, escorté
par une partie de sa troisième division. Mais le général
d'AurfeUes avait blâmé ce mouvement, et, bien qu'il fte
fût plus commandant en chef, des Pallières crut devoir
obtempérer à son avis et marcher vers Gien, confor-
mément aux dernières instructions de Tours.
En conséquence, il s'était porté directement sur Oien
par Aubigny, et avait envoyé un officier d'état-major
porter à la 3* division, déjà parvenue à moitié chemin
de Vierzon, l'ordre d'obliquer à gauche pour le re-
joindre dans la nouvelle direction. Ce brusque change-
ment au milieu de l'obscurité, coïncidant avec le bruit
lointain d'une escarmouche à l' arrière-garde, produisit
k plus fâcheuse impression sur le moral déjà fort
ébranlé des soldats. Un grand nombre s'enfuirent en
désordre sur Vierzon, et y arrivèrent à la fois par la
grande route, par la voie ferrée, p8«» tous les sentiers,
croyant et affirmant que l'armée prussienne était à
leurs trousses. Il y eut alors un sauve-qui-peut géné-
ral; le lendemain , au point du jour, il ne restait pas
un seul fuyard ; tons avaient déguerpi du côté de
Bourges ou d'Issoudun. Les employés du chemin de fer
évacuèrent leur matériel sur Bourges, et l'on en fit au-
tant aux stations intermédiaires, où les fuyards aiinon-
çaient l'approche de l'ennemi. Cependant le comman-
dant Laurent était resté à la gare de Vierzon, jugeaôt
cette alnrme au moins prématurée. En effet, lesT écllti-
16.
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S8i CHEMINS DE F£R FRANÇAIS
renrs prussiens qui harcelaient^ le 7, Tarrière-garde du
15^ corps n'avaient pas dépassé ce jour^Ià la station de
Tlieilloy, à 9 kilomètres de Vierzon, sur la ligne d'Or-
léans. Le 8 au matin, voyant que Vierzon était absolu-
ment évacué, le commandant Laurent se mit eu marche
à son tour, en côtoyant la voie ferrée dans la direction
(le Bourges, où il arriva dans la nuit. Eu approchant
de Bourges, il essuya la fusillade des traînar4s qui
longeaient le bord opposé du chemin de fer. « Je dus^
dit-il, faire chasser ces groupes affolés, qui sans doute
ne pouvaient pas s'imaginer qu'une troupe en ordrç cir-
culant à côté d'eux fût française 11 » Quelques heures
plus tard, il eut le chagrin d'entendre, au buffet de la
gare, un lieutenant-colonel déblatérer à haute voix
contre le général d'Aurelles et les autres chefi^'de cco^ps,
au milieu d'un groupe d'officier de toutes armes« Cet
officier qui pérorait à Bourges appartenait à l'un das
corps d'armée refoulés sur Beaugency. Laurent ne put
y tenir; il s'écria : <( Mon colonel, où sont vos soldats?
où sont vos officiers? où êtes-vous vous-même? »
Cette indignation n'était que trop légitime, mais elle
faisait fausse route. Après tout, ces soldats fuyards, ces
officiers frondeurs ne faisaient que répéter le langage
officiel des hommes dont la mauvaise direction avait
causé le désastre, et qui travaillaient patriotiquement
à l'aggraver, par leurs insinuations venimeuses contre
les généraux, dont le plus grand tort était de leur
avoir obéi.
Ceci nous ramène droit à M. Gambetta, dont on n'a
pas craint de célébrer « la vaillance et la résolution »
dans cette crise. Nous allons voir ce qu'on doit en.
penser.
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RESEAU D*ORLBANS 28a
IV
C'était dans la nuit du 3 au 4 décembre que le géné-
ral d^Aurelles avait fait connaître qu'il se voyait forcé
d'évacuer Orléans. Il prévoyait bien dès lors qu'on
tâcherait de faire peser sur lui toute la responsabilité
de cette mesure, et que l'on aurait bien des chances
d'y réussir, pendant cette fièvre chaude de l'opinion.
Suivant toute apparence, cette appréhension bien na-
turelle ne fut pas étrangère à la détermination déses-
pérée que prit tout à coup le général, dans la matinée
du lendemain, de contremander ses premières dispo-
sitions, d'essayer de rallier ses forces sur Orléans et
« dy organiser la résistance. »
Le télégramme qui faisait connaître à Tours cette
nouvelle résolution se croisa avec celui de la Déléga-
tion, qui autorisait la retraite. Cette réplique envoyée
de Tours était évidemment destinée à recevoir une
grande publicité, et rédigée de manière à compromettre
le général d'une façon grave et en quelque sorte in-
définie. « L'opinion du Gouvernement était absolument
contraire à cette mesure; mais enfin, il était bien forcé
do laisser faire le général, puisque celui-ci affirmait
que ses troupes ne tiendraient pas, que la retraite était
indispensable pour éviter un malheur plus grand en-
core*. • »
.Son changement de résolution fut accueilli avea joie
par la Délégation, qui lui fit aussitôt connaître, en re -
tour^ que le ministre de la guerre en personne partait
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384 CHEMBNS DE FEà FRANÇAIS
à rinstant par un train spécial. Il venait à Orléans voir
les choses par lui-même, encourager les troupes, la
population par sa présence et ses discours. Jamais il
n'aurait eu, ni n'aura plus belle occasion d'utiliser son
éloquence.
M. Gambetta partit en eflfet à une heure et demie
pour Orléans. Le général d'Aurelles et M. de la Taille
l'attendaient à Orléans pour quatre heures ; ils l'atten-
dirent en vain. Le ministre a raconté le Tendémain dans
une circulaire fameuse, qu'à quatre heures et demie il
avait été forcé de s'arrêter au-delà du village de la
Chapelle (à 5 kilomètres environ d'Orléans) : que le
passage était barré à cette hauteur par des cavaliers
prussiens qui avaient tiré sur son train, et couvert la
vote de madriers et de pièces de bois pour entraver la
marche des convois. La circulaire ajoute que lé ministre
rétrograda jusqu'à Beaugencj, où il avait l'intention
de prendre une voiture pour se rendre par terré à Or-
léans, ow ton pouvait croire qu'on se battait (textael),
puisque de la Chapelle on avait entendu la canonnade.
Mais, avant de poursuivre l'aventure, on tenait à être
bien certain que la résistance continuait. « A Beau-
gencj, il ne fut pas possible d'avoir de nouvelles, » Dans
le doute, le ministre rétrograda jusqu'à Blois, et ce fut
là qu'il reçut de Tours, à neuf heures du soir, comicnu-
nication de la dernière dépêche du général d'Aurelles,
annonçant qu'il se voyait forcé de revenir à sa première
résolution, qu'Orléans serait évacué dans la nuit.
Ily a dans cette version, élaborée soigneusement pour
sauvegarder le prestige du dictateur, un mélange assez
habile de vérité et de fiction. Il paraît vrai qîie des
tthlans tirèrent quelques coups de pistolet ^Ur le traife
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RESEAU D'ORLÉANS S85
dictatorial; ceci est attesté par une dépêche du même
jour, que l'inspecteur Bazin adressa de la station de
Mer, près Beaugencj, au délégué de la guerre. Mais il
est faux que la voie fût en ce moment interceptée. La
voie était parfaitement libre ; elle ne cessa de Tétre
qii'uûe heure et demie, peut-être deux heures après.
C'est ce que nous allons démontrer.
Nous savons, par M. de la Taille, que les trois der-
niers trains d'évacuation qui purent être expédiés
d'Orléans dans la direction de Tours partirent à cinq
heures, cinq heures dix et cinq heures vingt minutes.
. Ces trains essuyèrent le feu de l'ennemi à la hauteur
de la Chapelle, comme l'avait essuyé une heure avant
le train de M. Gambetta, venant en sens inverse. Mais
il n'y eut que le dernier des trois qui faillit dérailler,
parce que les Prussiens venaient de placer des ma-
driers en travers de la voie (1), Néanmoins ce train
passa malgré l'obstacle, qui sans doute n'était pas bien
considérable, puisque la locomotive réussit à le dé-
placer. Le choc ne dut même, pas être bien violent,
puisque M. Tissandier ne dit pas un mot d'un tel in-
cident. Mais son récit nous permet de ressaisir une
circonstance qui avait échappé à M. de la Taille ; le
point de rencontre du dernier train d'évacuation avec
le train Gambetta. Ce croisement eut lieu à la station
de Beaugency, sur laquelle le ministre s'était replié
dès qu'il eut reçu des coups de feu, ainsi qu'on vient
de le voir dans le récit officiel. Et ici vient se placer
un détail dont nous garantissons l'authenticité. Le mé-
(1) Lettre de M. de la Taille à M. le général de« Pallières,
da 15 janvier 1872.
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iîsr, <;hkmin8 de fer français
canicien du train spécial fut remercié avec effusion
par le ministre, qui l'appela son sauveur. M, Gambetta
se croyait véritablement sauvé d'un danger eflProjable;
il en tremblait encore... pour la France.
La circulaire disait encore que le ministre resta en
gare de Beaugency, attendant des nouvelles et n'en
recevant aucune. Ceci est d'une inexactitude flagrante :
avant le dernier train sorti d'Orléans, celui garé à
Beaugency avai{ communiqué avec ceux partis à. cinq
heures et cinq heures dix, qui tous deux avaient fran-
chi sans accident le passage de la Chapelle, nonobstant
la fusillade. Et il n'y avait pas alors d'autre obstacle,
car la tentative d'interruption de la voie au moyen de
madriers ou de bûches, ne se produisit à la Chapelle
qu'au troisième et dernier train venant d'Orléans, et
encore celui-là avait passé ! Ce ne fut qu'après son
passage que la voie fut définitivement interceptée. La
nouvelle, ainsi que nous le voyons dans le récit de
M. Tissandier, en fut immédiatement transmise à Beau-
gency : elle y parvint au moment où le dernier train
croisait le train garé du ministre, dont elle détermina
la retraite sur Blois.
- L'impression qui résulte de cette enquête est que
M. Gambetta, après avoir reculé devant un dsaiger qui
n'était nullement sérieux, s'était arrêté en route, n'osait
se reporter en avant et se tenant à l'aflTût d'un prétexte
plausible de rétrograder tout à fait ; qu'il ne pouvait
ignorer que le passage était toujours libre, puisque
dans l'intervalle d'une heure, il fut croisé par trois
trains sortis d'Orléans ; que néanmoins il prolongea sa
halte jusqu'au moment, impatiemment attendu, où il
apprit que la voie était définitivement intercepté* ;
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RESEAU D'ORLEANS 487
enân, que pour dissimuler cette hésitation, on imaginn
d'antidater de deux heures Fobstruction absolue de la
voie, en affirmant qu'elle existait déjà quand le train
Gambetta s'était présenté
Cet incident fut promptement connu, et bien com-
pris en Allemagne. Le colonel suisse de Rustow, dont
Touvrage a paru dans les premiers mois de 1871, et qui
n'est d'ailleurs nullement hostile aux hommes du 4 Sep-
tembre, dit nettement que des coupa de feu furent tirés
sur le train par des cavaliers appartenant à la dirisioiï
du prince Albrecht, que néanmoins M. Gambetta aurait
pu passer, mais qu'il préféra rétrograder. Cette appré-
ciation est pleinement confirmée parla correspondance
de M. de la Taille et le récit de M. Tissandier.
Cette circonspection excessive du dictateur est donc
désormais un fait acquis à l'histoire. Il a donné là un
furieux coup de canif au pacte avec la mort, et en pure
perte, car il pouvait entrer sain et sauf à Orléans par
cette voie et en sortir par la route de Vierzon, comme
ont fait tous les chefs militaires et civils. Sans doute,
sa présence n'eût changé en rien le cours des événe-
ments. M. Gambetta n'était pas de taille à faire pouT
Orléans, au dix-neuvième siècle, ce que la Pucelle
avait fait au quinzième, bien qu'un de ces flatteurs, tou-
jours prêts à encenser tous les pouvoirs, lui eût dé-
cerné d'avance le sobriquet grotesque de Jean Darcîl
Aussi ce n'est pas pour Orléans, c'est surtout pour
M. Gambetta lui-même qu'on pourrait regretter qu'il
ait fait à ce point violence à son audace naturelle. S'il
avait vu les choses de plus près, comme c'était après
tout son devoir de ministre dç la guerre dans cette
grave circonstance, peut-être se fût-il fait scrupule de
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388 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
prodiguer aux généraux, malheureux par sa faute, ces in-
sinuations calomnieuses d'incapacité, de pusillanimité,
que Topinion affolée transformait si vite en preuves
avérées de trahison. Il nous semble aussi que celui qui
ne se sentait pas le courage d'affronter les armes dé-
risoires de quelques uhlans, aurait dû être moins
prompt à taxer de lâcheté d'autres personnes qui ont
pu commettre des fautes graves, mais qui du moins
avaient bravé des périls bien autrement sérieux ; — à
Metz, par exemple, et à Sedan.
La retraite du 15^ corps sur Salbris, puis sur Gien,
et finalement sur Bourges, où l'appelait le général
Boiirbaki, détermina la suspension du service sur la
ligne entière de Vierzon. Cette station importante avait
dû, comme on Ta vu plus haut, être évacuée d'urgence
dans la nuit du 7 au 8, Les derniers revers et l'étrange
langage du Gouvernement, qui semblait mettre en
suspicion la capacité, sinon la loyauté des généraux,
avaient exercé la plus fâcheuse influence sur le moral
du soldat. Les éclaireurs prussiens, qui n'avaient pas
dépassé, le 7, la station de Theilloy, apprenant que
Vierzon était abandonné, s'y portèrent le 8, et firent
sauter le pont sur l'Yonne, auprès de la station. Cette
mesure de défense indiquait suffisamment que la pour-
suite de l'ennemi ne s'étendrait pas plus loin de ce
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RESEAU D'ORLEANS i«î*
côté. En effet, cette section ne fut pas occupée d'une
façon permanente.
L'autre portion de l'armée (16« et 17* corps), ralliée
sur la rive droite de la Loire par le général Chanzj .
se maintint, pendant plusieurs jours, entre Orléans et
Beaugencj. Par sa conduite dans ces circonstances dif-
ficiles, ce général s'est acquis des droits impérissables
à la reconnaissance du paj^. Ce fut alors que commença
cette belle retraite sur le Mans, série d'engagements
journaliers, dans lesquels nos jeunes soldats tinrent
tête plus d'une fois avec avantage à de vieilles troupes
supérieures en nombre et récemment victorieuses (1).
Pendant près d'un mois, la Compagnie dut pourvoir
sans relâche aux approvisionnements de l'armée de
Chanzy en vivres, fourrages et munitions. Du 4 au 12
décembre, elle eut jusqu'à trois cents wagons et douze
machines accumulés dans la petite station de Mer-
Ohambord, à quelques kilomètres seulement du théâtre
des opérations, où les trains allaient chaque jour porter
des vivres et des munitions. Là encore, de modestes
employés, des chauffeurs, des mécaniciens, donnèrent,
en plus d'une occasion, des exemples trop peu remarqués
de dévouement, de fermeté stoïque.
La situation de cette ligne devint très-critique après
la surprise de Chambord, quand le corps prussien qui
suivait la rive gauche se présent» devant Blois. Pendant
deux jours et deux nuits (9-10 décembre), les scènes les
plus tumultueuses, les plus sinistres, se succédèrent à
(1) Notamment dans les combats livrés, le 7 et le 8, autour
de Beaugency, et auxquels le général Chanzy a donné le nom
àe bataille de Joanes.
17
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MO CHEMINS DE FER FRANÇAIS
la gare de Blois, encombrée de matériel de guenre, de
troupes, de blessés dont il arrivait à chaque instant de
nouveaux convois. Le 9 au soir, on vit arriver à Blois
un train spécial portant M. Gambetta, son confide&t
M. Spuller et quelques autres acol;ytes. Depuis sa re-
culade d'Orléans^ le dictateur se donnait beaucoup de
mouvement. Il était allé à Bourges pour combiner avec
le général Bourbaki un plan de revirement offensif sur
Romorantin, bientôt abandonné pour ce malenconi^eux
projet de diversion dans TEst, qui mit le comble h nos
infortunes (I). Puis le ministre de la guerre était re-
venu « porter sa flamme » du côté de la nouvelle armée
de la Loire. Il semblait en effet très-enflammé en dé-
barquant à Blois, où il flt une scène violente «u chef
de gare, homme âgé et respectable, dont tout le crime
était de ne pas s'être trouvé sur le quai pour recevoir
on tel personnage. Après Tavoir traité avec une gro&r
sièreté qui révolta tous les assistants, M. Gambetta
remonta en wagon et repartit comme un ouragan, sans
que personne, pas même lui peut-être, sût exactement
ce qu'il était venu faire. Il semblait en proie à une
exaltation qui n'était pas seulement patriotique....
On a ridiculement vanté ces évolutions du ministre
de la guerre après le désastre d'Orléans. La vérité est
que son attitude, ses discours rappelaient beaucoup les
allures de certain insecte immortalisé par I^a Fontaine^
avec cette différence, à l'avantage de la mouche du co-
che, qu'au moins elle n'avait pas contribué à mettre
celui-ci dans l'ornière.
(1) G*ét&it de Bourges que M. Gambetta avait lancé ce
mémorable télégramme : c L'armée de la Loire n*e8t pas
anéantie, elle est séparée en deux armées (légale force* »
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RESEAU D'ORLEANS 2»!
Le même soir, le chef de gare de Blois fut avisé de
commencer l'évacuation du matériel de guerre, cai* les
Prussiens avançaient. La Compagnie avait cru ^voir
maintenir, à tout risque, et jusqu'au dernier moment,
une quantité considérable de véhicules à la disposition
de l'armée. Ce matériel eût été gravement compromis,
si le corps ennemi qui s'avançait par la rive gauche
était parvenu à franchir la Loire. Heureusement, les
premiers Prussiens avaient trouvé le pont coupé, et
n'avaient pas l'outillage nécessaire pour le rétablir. Us
s'installèrent seulement en face de la ville, et la mena-
cèrent de bombardement si le pont n'était pas rétabli.
Pendant ce temps Chanzy, ayant dû renoncer à l'espoir
d'une réunion avec Bourbaki, se repliait sur Vendôme;
et les chefs de service de la Compagnie recevaient le
conseil d'évacuer définitivement Mer et les stations
suivantes jusqu'à Tours. Cette opération était devenue
périlleuse dans la section du parcours où le chemin de
fer n'était séparé de l'ennemi que par la Loire.
Cette évacuation eut lieu le 11. Ce fut seulement
dans la nuit suivante que le dernier train quitta Blois.
Ce train, composé de trois machines et quatre-vingts
wagons ) était sous la direction de M. Loiseau, contrô-
leur de l'exploitation. Il passa heureusement, falots et
ingnaux éteints, sous le feu des batteries ennemies de
la rive gauche.
Le Gouvernement et tous les hauts fonctionnaires
avaient déjà quitté Tours depuis quarante-huit heures.
U semble que ceux de la guerre auraient dû partir les
derniers; ce fut précisément le contraire. Les instruc-
tions pour leur départ furent transmises confidentielle^
ment dans la matinée du 9, et le désarroi était tel, que
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i»t CHEMINS DE FER FRANÇAIS
les autres chefs de service n'avaient été nullement
avisés d'une résolution si grave. Ce ne fut que vers la
fin du jour qu'ils apprirent qu'avant minuit, un train
spécial emportait, loin de Tours, M. Gambetta et sa
fortune. Ce fut alors un sauve-qui^peut général. Le
délégué des finances, se voyant distancé dans l'organi-
sation des trains spéciaux du lendemain, eut recours,
pour se faire faire place, à un argument irrésistible. Il
déclara que, tant qu'il ne serait pas rendu de sa personne
à Bordeaux, personne ne toucherait un centime, pas
plus M. le ministre de la guerre que les autres. Une
telle considération ne pouvait manquer de faire brèche :
il fut réservé un compartiment aux employés des
finances dans le wagon de M. Gambetta.
Tel fut le premier résultat de ce fameux -mouvement
de retraite de Tours sur Bordeaux, qui, suivant l'histo-
rien de la Guerre en province^ « aurait dû rassurer. »
Par suite de cette évolution rassurante, l'encombrement
devint eflTroyable le lendemain à la gare de Tours. Il y
eut notamment le 11, au train de huit heures du soir,
une véritable débâcle de fuyards. Ce train, qui partait
pour le Mans, fut pris d'assaut par une foule où l'on
reconnaissait bon nombre de ces francs-tireurs de fan-
taisie, de ces gens à idées qui, depuis plusieurs semaines,
remplissaient les hôtels, les cafés, les antichambres et
les bureaux du Gouvernement.
Bans la nuit du 12 au 13, les autorités militaires quit-
taient la ville à leur tour, et donnaient au représentant
de la Compagnie l'ordre d'évacuer d'urgence, les wagons
de munitions; Mais, indépendamment de ce matériel de
guerre, il y avait alors en gare plus de douze cents wa-
gons de rintendanee ou de marchandises et un grand
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RESEAU D'ORLEANS «93
nombre de machines, sans compter ce qui se trouvait
réuni dans les dépôts et les ateliers. C'eût été un acte
d'insigne folie, que de laisser à la discrétion de l'ennemi
un matériel dont il n'aurait pas manqué de tirer parti'
pour ses transports, sur la portion des lignes d'Orléans
et de rOuest dont il était maître. Aussi le directeur de
l'exploitation prit sur lui d'ordonner l'évacuation défi-
nitive et complète de la gare de Tours.
L'opération, commencée le 13 au matin, fut conduite
avec toute la célérité nécessaire. Le 13 au soir, le der-
nier convoi quittait la gare et se dirigeait sur Angers,
conduit par M. de La Panouse, inspecteur général du
mouvement, chargé de la direction du réseau de la
Basse-Loire. Le lendemain, le service fut repris sur
Tours, mais avec toutes les précautions qu'exigeaient
les circonstances.
La ville était, en effet, menacée de toutes parts. L'en-
nemi occupait les lignes de Blois et de Yierzon, et l'on
se battait tous les jours sur celle de Vendôme. Le 20 dé-
cembre, un engagement très- vif eut lieu à Monnaie, à
quelques kilomètres de Tours ; les Prussiens y durent à
la supériorité du nombre un succès chèrement acheté.
Ce combat semblait présager l'occupation de la ville,
où, depuis le 12, il n'y avait plus un soldat français. On
en fut pourtant quitte cette fois, mais pour quelque
chose de pire que la peur. Le 21, une quinzaine de
uhlans, le pistolet au poing, se présentaient à l'entrée
du pont de pierre. Un coup de feu, parti d'un groupe
qui stationnait sur le pont, atteignit un de ces cavaliers.
Hs rebroussèrent chemin au galop. Tout aussitôt, et
contmie si l'on n'eût attendu que ce signal, une batterie
allemande, établie sur la tranchée qui domine la ville
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gle J
294 CHEMINS DE FEE FRANîÇAIS
au nord, lança dans la rue Royale et sur le pont une
vingtaine d'obus qui tuèrent trois personnes et en bles-
sèrent plusieurs autres. Après cet acte de représailles
odieux et inutile, Tennemi se retira sans pénétrer dans
la ville. Aussi le service continua encore pendant
quelque temps jusqu'à Tours, mais naturellement d'une
façon des plus précaires.
Quelques jours avant cette alerte, Tarmée de Chanzy
ayant abandonné Vendôme, on avait dû évacuer aussi
cette gare où il restait des vivres et des munitions en
assez grande quantité. Cette opération eut lieu le 16;
elle finissait au moment où Tavant-garde ennemie enva-
Misait la ville. C'était dans Tintérêt de l'armée que
estle letraite avait été retardée jusqu'au dsinier
iiRiiBfiiit.11 s'en fallut même de bien peu que le dentim'
txwn à^^raeosttDii ne se trouvât intarec^té. Un xiffîm^r
an génie, qui avait miaâon de faire ssoÉer un das pon^
de la ligne , ne voulait pas absolument diMrar ds
quelques instants Texécution de son ordre, pour laisser
à ce train le temps de passer. Il fallut recourir au général
en chef, qui heureusement n'était pas loin.
VI
Il ne nous reste plus, qu'à donner quelques expli-
cations sur le concours qu'eut à prêter la Compagnie
d'Orléans au transport de Tarmée de BourbaM.
Ce fut seulement le 20 décembre que le reprësentanti
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RteSEAU D'ORLÉANS t95
de la Compagnie fut avisé par le délégué de la guerre,
qu'il aurait à faire, dès ce même jour, de très-gros
transports de troupes sur les sections du réseau de Lyon
Todsines de celui d'Orléans, et qu'il fallait immédiate-
ment remettre à la Compagnie de Lyon la plus grande
quantité possible de matériel vide, pour l'aider à effec-
tuer plus promptement, sur ses propres lignes,. la suite
de ces^ transports et d'autres encore plus considérables.
M. Lemercier donna de suite les ordres nécessaires,
mais en même temps il crut devoir faire observer qu'il
lui serait bien difficile, sinon impossible, de mettre en
temps utile du matériel vide à la disposition de l'autre
Compagnie. La sienne venait de faire des transports
militaires importants et lointains sur la ligne de TOuest,
où ses wagons avaient conduit jusqu'à Carentan et
Cherbourg des bataillons de mobilisés destinés à fs^re
partie du 19® corps. Ce matériel n'était pas rentré, et,
comme il n'y avait plus à compter sur la coaimunica-
tion directe de Tours sur Vierzon, les voi^orog de la
Compagnie allaient avoir à faire un imaienoe orochet,
par Poitiers et même par Niort, pour revenir ensuite
sur Montluçon, Vierzon, Bourges et Saincaize (1).
On ne tint pas compte de ces difficultés, et l'admi-
nistration de la guerre reçut, du 21 au 23 décembre,
des plaintes sur la lenteur que mettait la Compagnie
d'Orléans à livrer du matériel à l'autre Compagnie.
Aussi, le directeur de l'exploitation, qui s'était rendu
à Poitiers pour surveiller lui-même l'opération, y reçut
(1) Nous disons par Niort, parce qu'on ne put en dirger
qa*un petit nombre piar Tours sar Poitiers, à cause du voisi-
nage de l'ennemi.
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CHEMINS UK FER FRANÇAIS
une dépêche foudroyante du délégué de la guerre,
adressée en duplicata à son collègue de Clermont. Cette
dépêche, que nous citerons dans l'historique des che-
mins de Lyon, accusait les directeurs d'une inertie
honteuse et les menaçait d'une enquête. Mais, par
une singulière coïncidence, cette objurgation arri-
vait à M. Lemercier en même temps qu'un télégramme
de l'inspecteur principal de la Taille, du 23 décembre
au soir, qui lui annonçait que l'opération du transport
des troupes, commencée la veille, était complètement
terminée en ce qui concernait le chemin de fer d'Or-
léaniS, et que deux cents wagons vides étaient déjà
remis à la Compagnie de Lyon.
M. Lemercier répliqua immédiatement par la com-
munication de ce télégramme à la diatribe de Bordeaux.
Quelques jours après (26 décembre), il y répondit plus
en détail, en démontrant que si l'embarquement n'avait
pas commencé dès le 21, c'était par l'ordre exprès du
général; que l'injonction itérative de Bordeaux n'était
arrivée que la nuit suivante ; qu'en moins de quarante-
huit heures, tout avait été chargé et expédié en sept
cent quinze wagons; que, de plus, deux cents voitures
vides avaient été livrées dès le 23 au soir, deux cents
autres le lendemain, et qu'on ne s'était arrêté que sur
l'ayis passé par la Compagnie de Lyon de ne pas en
envoyer d'autres. Le ministre de la guerre laissa cette
communication sans réponse, mais il ne fut plus ques-
tion d'enquête.
Les campements de Bourges et de Vierzon ne demeu-
- rèrent pas longtemps inoccupés. Chaque jour des con-
vois de la Compagnie y amenaient de nouvelles troupos.
Le 31 décembre, la direction reçut l'ordre de prendre
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&
RESEAU D'ORLEANS S97
les dispositions nécessaires pour transporter encore sur
Saincaize, en trente-six heures, la totalité du 15* corps,
évalué à trente mille hommes^ et destiné à faire partie
de Tarmée de l'E^t, L'exécution de ce mouvement
incombait encore à M. de la Taille. Le l'"^ janvier, il
annonçait n'avoir pas encore une seule voiture dispo-
nible! Pour lui amener plus promptement le matériel
nécessaire, M. Lemercier avait eu Tidée de faire
réparer d'urgence les ouvrages détruits sur la ligne
de Tours à Vierzon, que les Prussiens n'avaient jamais
occupée que par intermittence, et qu'ils avaient totale-
ment abandonnée depuis quelque temps. Cette opéra-
tion, très propre à accélérer l'arrivage du matériel, fut
^ tout d'abord entravée par un général qui s'opposait aux
1^; travaux de réparation, dans la crainte d'une attaque à
V laquelle ne songeaient pas du tout les Prussiens. Il fallut
recourir à Tautorité supérieure pour faire lever ce veto
. malencontreux.
„ Le mouvement commença néanmoins le 3 janvier, et
fut terminé le 6. Bans cet espace de temps, on embarqua
non pas seulement trente mille hommes, mais quarante-
quatre mille cinq cents, avec sept mille six cents che-
vaux, vingt batteries d'artillerie, le parc et une cen-
taine de voitures . Cette grande opération exigea
l'emploi de trois mille six cents wagons, répartis en
quatre-vingt-quinze trains. Elle fut accomplie avec
J^eaucoup d'ordre, et valut à M. de la Taille la croix
d'officier de la Légion d'honneur. Il serait à désirer
que le Gouvernement de la Défense nationale n'eût
jamais décerné que des récompenses aussi bien mé-
^: ritées(l).
(1) Parmi les ingénieurs des chemins de fer, M. de la Taille
17.
^a-
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IW CHEMINS DE FER FRANÇAIS
La situation s'aggrava sensiblement dans le nord du
réseau après la bataille du Mans. Le 19 janvier, la gare
de Tours fut définitivement évacuée deux heures seu-
lement avant rentrée des ennemis. Dès le lendemain,
ceux-ci firent sauter les trois ponts des chemitis de fer
du Mans, de Paris et de Nantes. Par suite de ces der-
niers événements, le service fut limité à la station de
Saumur sur la ligne de Nantes, à celle *Châtellerault
sur la ligne de Bordeaux, et cette situation se prolongea
jusqu'à la conclusion de Tarmistice.
Le réseau d'Orléans était celui qui avait eu le moins à
souffrir de l'invasion. Cependant neuf ouvrages impor-
tants, dont trois grands ponts sur la Loire, avaient été
gravement endommagés, soit par les Français, soit par
lés Allemands. Heureusement la destruction de ces
ouvrages n'était pas complète ; la circulation put être
rétablie promptement, et les travaux de réparation ne
coûtèrent pas plus de 1,500,000 francs. Le service fut
repris: de Paris à Vierzon le 3 février; le 20, de Tours
à Poitiers et Angers ; le 23, d'Orléans à Tours, et le
16 mars 1871 de Tours et de Vendôme au Mans.
Pendant la durée des hostilités, la Compagnie d'Or-
léans n'avait cessé de se prêter avec empressement à
tout ce qu'on exigeait d'elle pour la défense nationale.
Elle installa une cartoucherie à Viviers, et construisit
à Périgueux trois batteries mobiles blindées. A Paris,
les grandes halles des gares d'Orléans, ainsi que celles
de l'Est, servirent, comme on sait, pour la fabrication
est incontestablement l'un de ceux qui ont rendu les plus
grands services. Peu de temps après, il faillit être enlevé par
une fièvre cérébrale, suite des fatigues de cette campagne,
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RESEAU D'ORLEANS S99
des ballons, et plusieurs départs d'aérostats eurent
lieu dans les cours de ces gares. Les ateliers des che-
mins d'Orléans et de TOuest furent principalement
chargés, pendant le siège, de la construction des ma-
chines et des wagons blindés. Ces engins furent em-
ployés dans les gares de Villiers, de Choisj, du Bourget,
et Ton aurait pu en tirer encore un plus grand parti,
sans la ruptufe imprudente des voies ferrées. Le gou-
vernement issu du 4 septembre avait laissé cette puis-
sante ressource de défense à peu près inutile comme
tant d'autres. Elle fut ensuite laissée à la disposition
des soldats de la Commune, qui n'en ûrent que trop
d'usage au pont d'Asnières.
Dans les circonstances les plus périlleuses, les agents
de tous les grades de la Compagnie d'Orléans ont digne^
ment rempli leur devoir. On les a vus, lors des deux
évacuations d'Orléans, comme ceux de l'Est à Forbach,
comme ceux de l'Ouest au Mans, sauver les caisses, les
muuitions, les vivres de l'armée, travailler des heures
entières sous le feu de l'ennemi. Parmi ces actes de dé-
vouement patriotique, nous ne comptons pas toutefois,
et pour plus d'un motif, le sauvetage de M. Gambetta.
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V .
RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE
SOMMAIRE
I. — (Septembre-Octobre) Tpanslalion du siège de Tadminis-
tration à Clermont-Ferrand. — Évacuation de la gare de
Montereau (ligne de Bourgogne). — Événements sur les
lignes dé Franche- Comté. — La ligue de TEst. ~ M. Gam-
betta à Besançon.
II. — (Octobre) Évacuation de la gare d'Auxerre. — Exploits
d'un médecin cemmandant en chef. — Péripéties de la
défense à Dijon. — Capitulation de cette ville. — Panique
à Lyon, Autun, etc.; M. de la Taille, inspecteur principal.
— Montbéliard et Délie envahis. — M. Echalier. — Des-
truction des ponts du Doubs.
in. — (Novembre) Garibaldi à Dôle. — Transport des Gari-
baldiens à Autun. — Transport du 18* corps, de Chagny
à Oien. — Démonstrations de Tennemi dans les vallées du
Doubs et de TOgnon, — Échec des Prussiens à Vou-
j eau court.
IV. — (Novembre) Employés du chemin de fer maltraités.
— Les Garibaldiens à Autun. — Abus des réquisitions
pour transports gratuits. — Histoire étrange d'une entre-
preneuse de ravitaillement.
V. — (Décembre) Nouvelle panique sur la ligne de Bour-
gogne. — Tentative infructueuse de l'armée garibaldienne
à Dijon; retour de Tétat-major sur Autun par un train des
plus extraordinaires. — Combat d' Autun.
yi. .- (18 Décembre) (3ombat de NuiU.
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3(tt CHEMINS DE FER FRANÇAIS
.
VII. — Ligne du B'^urbonnais. — Oecipatioa de Coibeil;
combat de Dannemoj; occupation de Malesherbes, de Ne-
mours. — Motitargia tête de ligne. — Reconnaissances
hardies d*agents du chemin de fer.
VIII. — Ligne du Bourbonnais (suite). — Les AUemands
à Malesherbes. — Évacuation du matériel sur Gien.
Francs- tireurs à Fontainebleau. — Uhlans surpris à Ne-
mours.
IX. — Ligne du Bourbonnais (isuite). — Montargis
pris et repris. — Combats de La-ion et de Beàune-
la-Rolande, — Encombrement à Gien, mesures prises
pour y remédier. — Deuxième combat à Beau ne-la-Rolande,
destruction de "la gare. — Retraite du 18« corps sur
Gien.
X. — Ligne du Bourbonnais (suite). — Les blessés
français à la gare de Gien. — Retour des Allemands
mands à Montargis; évacuation du matériel sur Çosne et
Nevers. — Occupation de Gien ; journal de M. Çillette. —
Pillage de la gare de Bonny.
XI. — Ligne du Bourbonnais (suite et fin). — Les
Hessois surprifl à Châtillon. — M. Mouroux à Gien. —
Délivrance momentanée, de cette ville. — Nouveau mou-
vement rétrograde des troupea françaises.
XII. — Transport des 18^ et 20® corpa. MM. Audibert et de
Freycinet. — Causes diverses de retard et d'encombre-
ment. — Souffrances endurées pendant le trajet.
XIII. — (Janvier) Transport du 15® corps, de Vierzon. à
Cierval. — Insuffisance de cette gare comjooe point de dé-
barquement. — Accumulation des trains de troupes et de
ceux d'approvisionnements. — Nouvelles objurgations du
délégué de la guerre; répliques du représentant de la
Compagnie. — Désastre final.
XIV. — (21 Janvier) Surprise de la gare de Dôle. — Vérita-
bles causes de cette catastrophe. — Violences des Prussiens*
XV. — (Janvier) Transport de Tarmée deGaribaldi à Dijon.
— Inaction funeste de cette armée. — Combats du 21 et
du 23 janvier; incidents curieux et peu connus. — Réoccu-,
pation de Dijon par les Allemands. — Conclusion.
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 308
Dès les premiers jours de septembre, le siège de
radmiuistration départementale des chemins de fer
de Lyon avait été transporté à Ciermont-Ferrand ,
poste moins central que Lyon ; mais , de toute manière,
plus sûr et plus tranquille. Ce fut donc dans Tancienne
capitale de l'Auvergne que s'installèrent MM. Audi-
bert, directeur, et Ruinet, sous-directeur de Texploi-
tation de ce vaste réseau (1).
Les premiers incidents de Tinvasion sur la grande
ligne de Bourgogne sont résumés dans un rapport de
M. rinspecteur Delanney du 15 septembre. Le 14 au
soir, Montereau était menacé par toute une division,
sans autre appui qu'une poignée de francs-tireurs,
qu'on se hâta de congédier. La communication télé-
graphique sur Paris n'était pas encore interceptée;
M. Delanney se hâta d*en profiter pour faire connaître
la situation. Il reçut l'ordre d'arrêter à Sens les trains
(1) De tous les chefs de Compagnies, M. Audibert est celui
dont la tâche a été la plus pénible. Les fatigues et les préoccu-
pations meurtrières de cette guerre malheureuse, les persé-
cutions des « sinistres bateleurs » de la Défense, avaient
porté à sa santé un coup dont il n'a pu se relever. Il est mort,
DU plutôt il a fini de mourir en mai 1873. C'est une perte
immense pour Timportante Compagnie dont il était l'âme, et
sensible pour le pays tout entier.
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304 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
à destination de Paris, de faire évacuer et refouler
sans délai sur Sens tout le matériel de Montereau et
des gares suivantes ; celui des stations au-dessous dé
Montereau étant déjà, ou allant être replié sur Paris.
Il y avait alors en gare vingt-six machines , dont
l'évacuation fut organisée à la hâte en quatre trains.
L'évacuation fut accomplie avec tout Tordre possible
dans des circonstances aussi difficiles. M. Delanney
ne s'éloigna qu'avec le dernier train, qui recueillit,
chemin faisant, le matériel, le mobilier et la majeure
partie du personnel des gares jusqu'à Sens. Le chef
de la station de Montereau, M. Dauphin, y était resté
avec un de ses sous-chefs ; ceux de Villeneuve-la-Guyard
et de Pont-sur-Yonne demeurèrent pareillement à leur
poste.
' Pendant ce temps , des précautions semblables étaient
prises sur la portion également compromise du réseau
de Lyon qui confine aux lignes de Lorraine et d'Alsace.
Un rapport de M. Ruinet, sous -directeur de l'exploi-
tation , en date du 16 septembre , signalait d'une façon
toute particulière le zèle du jeune sous-inspecteur
de Lamolère , alors employé sur l'un des embranche-
ments les plus menacés , celui de Besançon à Belfort (1).
Il lui fallait à la fois pourvoir d'urgence à l'évacuation
du matériel de Paris-Lyon-Méditerranée, et se con-
(1) M. de Lamolère, aujourd'hui inepeeteur, avait été dé-
taché à Belfort dès le mois d'août pour concourir au transport
du 7« corps d'armée par Châlons. (Voy. Réseau de l'Est.) Il
avait, dès cette époque, rendu des services assez importants
ponr être jugé, par le commandant de ce corps (général
Douay), digne d'obtenir la croix, qui toutefois ne lui a été
donnée qu'assez longtemps après la guerre.
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE »05
certer avec les agents de TEst pour Févacuation de la
quantité bien autrement considérable de matériel de
cette Compagnie, qu'il était possible de sauver encore
en le faisant replier sur le réseau da Ljon. M. de
Lamolère, dès le 14, fit replier le matériel compromis
de sa Compagnie par la ligne du Doubs dont les ponts
étaient encore intacts, tandis que celui de TEst était
évacué sur Vesoul et Graj. L'opération ne fut aucune-
ment troublée par Tennemi, dont toutes les forces
ditjponibles de ce côté étaient alors absorbées par Tin-
vestissement de Metz et le siège de Strasbourg. Ce ne
fut qu'après la* capitulation de cette dernière place
(28 septembre), qu'il se trouva en mesure d'envabir la
région des Vosges, et de faire des démonstrations dans
la Côte-d'Or, la Haute-Saône et le Doubs.
Besançon offrait alors un beau spectacle^ si nous en
croyons i'ex-sous-préfet radical de Pontarlier, M. Beau-
quier, qui a raconté à sa façon la campagne dfb TEst.
Cependant les détails qu'il donne sur la situation n'ont
rien de séduisant. L'anarchie était à l'ordre du jour
depuis l'avènement si opportun de la République. Le
comité de défense de Besançon , improvisé par accla-
mation dans une réunion publique, s'attachait surtout
à mettre en suspicion le commandant du département,
le général de Prémonville, comme clérical et bonapar-
tiste. Par une contradiction singulière, les mêmes gens
qui le signalaient comme indigne de commander, lui
reprochaient en même temps de ne pas savoir se
faire obéir. Partout on demandait à grands cris des
armes, et du meilleur modèle. On ne put satisfaire à
cette « rage d'armement » que dans une proportion
fort restreinte , et ce fut un bonheur, car, « dans près-
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306 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
que. toutes les localités , ces fusils furent renvoyés en
toute hâte au chef-lieu à la première alerte, » (de peur
d'imprudence^ écrivait un maire), ou saisis par l'en-
nemi.
Le citoyen Ordinaire , nommé préfet du Doubs après
le 4 septembre , avait imaginé une association défen-
sive on ligne dite de TEst, et convoqué de son chef à
Besançon des délégués des comités de défense des
départements les plus menacés de ce côté (1). Ces
ligueurs, de même que ceux du Midi, étaient moins
préoccupés des Prusnens que de ceux qu'ils qualiêaient
dans leurs colloques intimes de Prussiens et demi,
c'est-àrdire des monarchistes de toutes nuances.
Iol Délégation de Tours , avant l'arrivée de M. Oana-
betta, avait fortement approuvé cette ligue. Elle
recommandait à ses préfets , par le télégraphe ,
« de contrebalancer le pouvoir des généraux par celui
d hommSs énergiques , qui eussent pour but ek faire
pénétrer f esprit civil dans les affaires militaires. » En
môme temps , elle ajoutait à cette situation déjà pas-
sablement embrouillée une complication nouvelle, en
accolant ou superposant au préfet chef de ligue un
commissaire de la défense nationale (M. Grévy). Ce d.er-
nier eut le bon sens de donner sa démission.
Nous avons déjà indiqué ailleurs (V. Réseau de F Est)
que la nomination du général Cambriels au comman-
dement de ce qu'on appelait l'armée des Vosges avait
été vue de fort mauvais œil par les républicains avan-
cés. Tout d'abord, cet officier avait scandalisé la démo-
(l) Doubs, Jura, Haut-Rhin, Vosges, Haute-Saône, Meur-
the, Haute-Marne, Côte-d'Or.
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 307
cratie en osant dire dans une proclamation : « J'espère
qtte Dieu maintiendra mes forces à la hauteur de ma
mission (1). » L'ex-sous-préfet de Pontarlier trouve
que ce discours sent le mysticisme.
Après réchauiFourée de la Bourgonce (7 octobjie)^
Cambriels fut bien forcé d'ordonner la retruite 4«
troupes qui déjà ne se retiraient que tpop d'ellM-
mêmes; il leur indiqua comme ppint â6 ralliement
Besançon , où elles pouvaient être eixc&re transportes
par la ligne Belfort-Montbéliard. L^emb^uement^
qui devait avoir lieu le 16 au matin à. la gare de Tlsle
sur le Doubs, fut commencé pendant la nuit dans des
conditions déplorables. L'apparition de quelques uhians
avait déterminé une panique parmi les mobiles qui
bivouaquaient à Héricourt. Ils coururent pêle-mêle à
la gare r prirent d'assaut les trains , forcèrent las mées^
nidens de démarrer. Les rameurs les plus absurde
mrmila^it pendant ce trajet nocturne; les uns, crai-
gnant quelque surprise, voulurent absolument des-
cendre à la station de Baume; les autres poussèrent
jusqu'à Besançon, où l'arrivée de cette cobue répandit
la consternation. Ceux qui avaient fui les premiers,
criaient le plus haut qu'ils étaient trahis , que rien ne
pouvait justifier une pareille retraite. Pour les républi-
cains exaltés, l'insuccès d'un général de l'Empire était
plutôt un événement heureux ; l'intérêt de parti pas-
sant, comme de juste, avant celui de la défense com-
mune. Us n'épargnèrent pas même à cette occasion
M. Gambetta, qui, sur ces entrefaites, arrivait à
Besançon (18 octobre). Ils s'attendaient à la destitution
(1) Beauquier, Campagnes dans l'Est, 23.
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308 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
et à la mise en jugement de Cambriels, à son rempla-
cement par le « vieux héros» GaiibaLU, qui venait
aussi d'apparaître avec la jeunesse italienne. Aujour-
d'hui encore, les ré(»uMioains purs du Doubs gardent
rancune à M. Gambetta d'avo r donné raison à Cam-
briels. Ils lui reprochent d'avoir embaumé tEmpire,
de n'avoir pas changé assez de préfets et de sous-
préfets (!), d'avoir dissous la ligue de l'Est et fait un
accueil assez froid à la jeunesse italienne et au vieux
héros, de ne lui avoir confié qu'un commandement
imaginaire dans les Vosges. Ils prétendent que le dicta-
teur alla jusqu'à dire , en remontant en wagon : Gari-
baldi est un embarras pour nousll! (1).
Malgré les progrès rapides de l'invasion de la Haut -
Saône, l'arrivée de Garibaldi et de son entourage à
Dôle (13 octobre) et ensuite à Besançon , inspirait une
confiance naïve à certains patriotes. Le préfet du
Doubs s'empressait de contremander, même en dehors
de sa circonscription, le désarmement des localités
menacées. Ainsi, il télégraphiait, le 14 octobre, au
comité de défense de Gray (Haute -Saône) : « Gardez
vos armes pour vous défendre à outrance, Garibaldi
est arrivé ll^i En attendant, Lure était occupé sans
coup férir, le 18, par une avant-garde de 4,000 hommes ;
les* autres stations de la ligne de Belfort-Vesoul ,
Châmpagnej,Ronchamp, étaient pareillement envahies;
Vesoul même se voyait menacé par des forces supé-
rieures.
Le même jour, l'inspecteur principal Richard sus-
pendit tout service sur les lignes Vesoul-Gray-Auxonne,
(1) Compagnes dans l'Est, p. 43 etsuiv.
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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 30d
et procéda d'urgence à Tévacuation de Gray, où se
trouvaient accumulés cinq cents wagons et cinquante-
cinq machines, appartenant en grande partie à la
compagnie de TEst. Par ménagement pour les sus-
ceptibilités des partisans de la lutte à outrance, on
avait commencé très-tard cette opération,
Elle n'était pas terminée quand on apprit, le 19,
rentrée des Prussiens à Vesoul (39 kilomètres de Graj).
Néanmoins on parvint, à force d'activité et en fçtisant
des trains d'heure en heure, à soustraire la totalité de
ce matériel à l'ennemi. Il n'y avait plus un seul wagon
à Gray quand les premiers éclaireurs s'y présentèrent
deux jours après.
II
Bans ces derniers jours d'octobre, la tâche des
agents de la Compagnie était encore aggravée par les
exigences de certaines autorités civiles. Ainsi, au
• moment où Dijon était déjà gravement compromis^le
préfet de l'Yonne, M. Ribière, défendait encore toute
-suspension de service dans sa circonscription, préten-
dant que cette mesure était contraire aux nécessités
de )a défense et aux instructions de Tours. M. Richard
avait beau faire observer . qu'une des nécessités les
.plus urgentes de la défense était justement de ne pas
laisser à la discrétion de l'ennemi un matériel qui
allait se trouver pris dans une impasse à Auxerre, si
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Siu CHEMINS DE FER FRANÇAIS
son unique ligne de retraite par Dijon venait à être
interceptée (22 octobre). Le préfet ne voulait rien
entendre, ou plutôt il était comme plusieurs de ses
collègues, dominé par une coterie. Le 25, ces citoyens
s'opposaient encore par la force à l'évacuation de la
gare d'Auxerre. Heureusement la nuit porta conseil- .
Le général Werder dirigeait en réalité la majeure
partie de ses forces sur Dijon. Pour dissimuler ce
mouvement, il ât en même temps du côté de Besançon
une démonstration qui donna lieu , du 23 au 25 , à
diverses escarmouches. L'ennemi fut contenu d'autant
plus facilement, qu'il était peu soucieux de s'engager à
fond. A cette occasion, les chauds patriotes repro-
chèrent encore à Cambriels de ne s^être pas remis de
suite en campagne, d'être resté immobile, « sous pré-
texte de vouloir instruire ses troupes. » Cambriels,
souffrant de sa blessure et abreuvé de dégoûts, avait
obtenu son changement, et s'empressa de remettre le
commandement au général Michel (1*' novembre).
,M. Gambetta, qui avait montré quelque bon sens
dans le Doubs, s'en était bien dédommagé à Dijon. Il
s'était avisé de conférer le grade de général et de con-
fier la défense du département de la Côte-d'Or à un
médecin sans malades, absolument étranger au métî^
de la guerre. Il s'agissait de barrer à l'ennemi le pas-
sage de la Saône, au confluent de cette rivière avec
rOgnon, vers Pontaillier et Talmay. Le 26 au matin,
un télégramme des plus alarmants mettait Dijon en
émoi. On battait le rappel; les quatorze ou quinze mille
mobilisés et mobiles accumulés à Dijon étaient entassés
dans des wagons qui les emportaient du côté de Pon-
taillier. Là, le médecin commandant en chef, qui depuis
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE Hi
huit jours, dit-on^ n'avait ni mangé ni dormi, donnait
des signes non équivoques d'hallucination. Il faisait
notamment arrêter, sans qu'on ait jamais pu savoir
pourquoi, le chef de la p^^tite gare de Talmaj et son
facteur, et les envoyait sous bonne garde à Dijon, où
ils furent relâchés sur parole après un court interro-
gatoire. Comme d'autres généraux sortis de la même
fabrique , celui-là avait arboré un képi galonné à
outrance, « où tant d'or se relevait en bosse, qu'il
étonnait tout le pays, » comme le carrosse des Femmes
semantes. La carrière militaire du docteur L... fut
courte et peu glorieuse. Pour défendre le passage
de la Saône , il eut la fâcheuse idée de faire
passer son monde sur l'autre bord, et de recevoir le
combat avec la rivière à dos. Cette stratégie eirt Je
résultat qu'il était facile de prévoir. Tout fut culbuté
dans la Saône : cinq ou six mille hommes tombèrent
au pouvoir de l'ennemi, une bonne partie du reàte
s'enfuit directement sur Beaune. Le commandant, qui
avait absolument perdu la tête, arriva l'un des pre-
miers dans cette ville. Il y fut bafoué, mis en arresta-
tion, conduit à Lyon pour être jugé, mais l'affaire fut
étouffée, en raison de l'énergie des convictions répu-
blicaines du prévenu.
Le colonel Fauconnet, un véritable militaire, envoyé
de Lyon pour prendre le commandement, était arrivé
au milieu de cette bagarre. Il rallia quelques troupes
et les ramena sur Dijon. Les deux journées suivantes
furent signalées par des tiraillements déplorablefa.
Deux partis divisaient le comité de défense et \%
conseil municipal. Les uns, avec le maire, voulaient
qu*on défendît seulement les abords de Dijon; les
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Mt CHEMINS DE FER FRANÇAIS
autres , avec le préfet Dazincourt , se prononçaient
pour la lutte à outrance, s'inquiétant fort peu du bom-
bardement des propriétés... des autres. Au milieu de
cette anarchie, les agents de la Compagnie recevant
coup sur coup, ou tout à la fois, des injonctions con-
tradictoires, ne savaient auquel entendre. Fort heu-
reusement, rinspecteur principal Richard avait prévu
de longue main Tinévitable dénouement. Dès le 26,
avant Téchauffourée de Talmaj, il avait arrêté le ser-
vice au delà de Dijon, et s était mis en mesure d'opérer
en deux heures Tévacuation de la gare. Le lendemain,
il avait pareillement supprimé les trains sur la ligne
de Dôle-Besançon, menacée du côté d'Auxonne. Il y
avait bien de ce côté les Garibaldiens , sur lesquels
certains patriotes dijonnais comptaient beaucoup, mais
M. Richard ne partageait pas cette confiance (1). Cepen-
dant, il avait dû différer la fin de l'évacuation le 28,
d'après un ordre du comité de défense, portant « que
des mesures dont on espérait le succès étaient prises
pour empêcher l'ennemi d'arriver au moins le jour même
à Dijon. » Dans l'après-midi, et jusque bien avant dans
la journée du lendemain, le parti opposé à la lutte à
outrance prévalut, et finit même par renoncer à toute
idée de résistance. On fit partir précipitamment âur
Beaune, par lé chemin de fer, tout ce qui restait de
troupes régulières. Le désarmement de la garde natio-
nale fut prescrit et commencé : un train spécial, sous
la direction de M. de Rampont, inspecteur, vint de
Beaune, le 29 au matin, enlever un premier charge-
ment de munitions et de plusieurs milliers de f^ls.
(1) Lettre du 27 octobre.
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE HS
M. Richard lui-même partit dans la soirée avec le der-
nier train d'évacuation.
On s'occupait de démonter le télégraphe, quand tout
à coup la scène changea. Deux télégrammes contradic-
toires pour Beaune furent apportés coup sur coup à la
gare de Dijon : Tun demandait un train vide pour
prendre le re>te des fusils de la garde nationale;
l'autre, au contraire, exigeait le retour des fusils pré-
cédêtoment expédiés, et rappelait les troupes. M. Bar-
ville, chef de gare, courut demander des explications
au préfet, et n'en obtint que d'assez confuses. La vérité
était que Teitrême circonspection des Prussiens avait
déterminé brusquement une réaction en sens inverse.
On se âgura que les ennemis avaient dû essuyer
quelque désastre, ou- qu'ils étaient trop peu nombreux
pour attaquer sérieusement. Alors on se déchaîna
contre ceux qui avaient ordonné le désarmement et
renvoyé les troupes. « Le conseil municipal est dissous
de fait, écrivait M. BarvUle, l'agitation est extrême en
ville ; les gardes nationaux encore armés partent au-
devant des Prussiens; d'autres demandent CétabUsse-
ment d'une Commune. » Le préfet lui-même, entraîné
par ce mouvement qu'il voulait toujours avoir l'air de
diriger, annonçait par une proclamation que la pré-
tendue armée allemande se réduisait à quelques
maraudeurs, « qui ne s'étaient fait reconnaître que par
la semelle de leurs souliers. »
Le chef de gare et ses employés coururent de sérieux
périls dans la soirée du 29. A Dijon, comme ailleurs,
les grands patriotes étaient plus curieux de rechercher
de prétendus traîtres que de marcher à l'ennemi. Leur
animation était extrême contre l'employé du télégraphe.
is
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814 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Ils r&oousaient de s'être laissé circonvenir par des
monarchistes qui annonçaient rapproche de Ten-
nemi, au moment où celui-ci tombait dans les filets
de Garibaldi... « En ce moment, écrivait M. Barville
le 29 au soir, la gare est envahie par les exaltés qvi
demandent le retour des fusils. Leur attitude est mena*
çante; quelques-uns parlent même de brûler la g^el »
Par son sang-froid et son énergie, M. Barville rendit
de grands services dans cette crise, aussi bien que
pendant Toccupation prussienne.
Dijon, attaqué le 30 à dix heures du matin^ ne capi-
tula qu'après sept heures de combat. La défense était
dirigée par le colonel Fauconnet, revenu de Beaune
dans la nuit avec ses hommes. Ces soldats, qui avaient
fui le 27 à Talmaj, se sentant mieux commandés,
n'étaient plus les mêmes ; secondés par un certain
nombre de gardes nationaux de Dijon et des environs,
ils disputèrent les abords de la ville avec une ténacité
remarquable. Mais il fallut céder enfin à la supériorité
du nombre et de Tartillerie. Vers quatre heures et
demie, les défenseurs de Dijon étaient refoulés sur les
faubourgs, les obus comme uçaient à pleuvoir sur la
ville. Fauconnet, mortellement atteint, conseilla lui-
même par écrit de cesser une résistance désormais
sans espoir. Un habitant, chargé par la municipalité
d'arborer le drapeau parlementaire, faillit être assas-
siné par quelques exaltSs, qui tiraient sur lui et le
drapeau comme sur une cible.
L'occupation de Dijon et les démonstrations faites
aussitôt après au delà de ce point par Tennenii, cau-
sèrent une perturbation profonde sur le réseau bour^
guignon et franc-comtois. Toutes les gares jusqu^à
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE Si»
* ■
G^igûj at^aient été évacuées précipitamment. Dès le
l^ûovembt©^ des éclaireurs allemands étaient signalés
h qnin26 kilomètres de cette station, devenue tète de
ligtre^^t seulemeîit pour les trains de guerre. Pendant
pltlsIeiaTs jouris, on trut à la marche d'une armée
e&neibie sur Ljon , mouvement qui à cette époque
n^urait pas rencontré d'obstacle sérieux, comme en
font foi les révélations édifiantes du préfet d'alors à la
ooïnmission d'enquête (1). Et e&core M. t&allemal-
Lacour n'a eu garde de tout dire. Ainsi, il a cdzipMl»*
m^nt passé sous silence un conflit dos plus grafes a|iii
etit lieu le 3 à la gare de la Guillotière, Le p^^qA y
retenait un grand nombre de camions, contenant das
approvisionnements pour l'armée de la Loire. Le préfet
avait eu beau ordonner à plusieurs reprises la levée
de cet embargo, son ordre paraissait peu goûté.
( Gottiau , !•' novembre. ) Toutes les gares de Lyon
étaient à cette époque effroyablement encombrées :
oelles de Vaize et de la Guillotière par les transports
de guerre sur Chagny et le Bourbonnais, celle de Per-
raohe par des cohues tumultueuses d'émigrants^ appré-
hendant l'invasion étrangère ou les vivacités de la
démagogie lyonnaise.
Les embarras n'étaient pas moindres à Chagny. Les
troupes encombraient la gare et ses dépendances ; les
distributions avaient lieu sur les voies, faute d'empla-
cements convenables (2). On se préparait tumultueuse-
(1) Enquête parlementaire, t. H, p. 457-479.
(2) De Rampont, 5 novembre. Cet ingénieur prit quelques
jotirs après on congé pour aller servir dans Tarmée de la
Loire.
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316 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ment à défendre ce point, d'une si grande importance
stratégique ; les routes, les rues étaient barricadées, six
pièces de canon mises en position sur les hauteurs.
Le commandement des troupes de Chagny fut confié
d'abord à un ancien lieutenant-colonel, promu d'un
élan général divisionnaire, ce Espérons, écrivait un des
inspecteurs de la ligne, qu'il justifiera cet avancement
express. »
Du 1*' au 7 novembre, les Allemands poussèrent au
delà de Dijon, dans la vallée de la Saône et dans celle
de rOuche, des reconnaissances qui répandirent au
loin répouvante et déterminèrent Tévacuation des sec-
tions Chagnj-Montchanin, Autun-Epinac. La partie la
plus imponante de cette opération concernait rétablis-
sement du Creuzot, où se trouvait une grande quantité
de matériel de guerre en construction, qu'il importait
de soustraire à l'ennemi. Tout ce matériel fut chargé,
le 5 novembre, sur soixante et dix wagons et dirigé vers
Moulins, sous la direction de Tinsyecteur d'Autun,
M. de la Taille. Il faisait en même temps charger sur
quarante wagons et replier le matériel des mifies
d'Epinac, menacées d'encore plus près par l'ennemi.
On prenait encore d'autres mesures de défense; les
trains de guerre n'avançaient plus jusqu'à Chagnj sans
demander la voie^ quand on apprit que les détache-
ments ennemis avaient rétrogradé sur tous les points.
Sur les lignes non envahies de la Franche-Comte,
les agents de la Compagnie avaient incessamment à
lutter contre les exigences de l'état-major de la pré-
tendue armée des Vosges, qui prétendait empêcher
tout service régulier, et accaparer le personnel et le
matériel pour ses reconnaissances. Le sous -inspecteur
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 817
Lamolère avait seul trouvé grâce devant ces guerriers,
et parvt*nait à s'en faire écouter. Ce fut lui qui obtint
de Garibaldi Fautorisation de reprendre le service
sur les lignes Dole -Mouchard et Mouchard-Beaançon
(26 octobre).
L'investissement de Belfort (4 novembre), devait
avoir naturellement pour • conséquence la perte de
Montbéliard. Cette ville fut en effet occupée le 8 sans
coup férir. Les Pru^^siens suivirent jusqu'au bout Tem-
branchement sur la Suisse et envahirent le 9 la station
de Délie, la dernière du territoire français. Les offi-
ciers affectaient une politesse exquise; mais les soldats
volaient tout d ins les maisons dont les habitant*
avaient pris la fuite, et un peu aussi dans les autres.
M. Pellet, inspecteur, prévoyant cette marche de
Tennemi, avait fait replier, le 2, sur Clerval, tout le
matériel qui se trouvait au delà du Doubs sur la ligne
de Belfort, notamment un train à destination de cette
place, chargé de cinq millions de cartouches. Ces mu-
nitions furent sauvées par ce mouvement de retraite;
elles le furent une seconle fois le lendemain par la
judicieuse résistance 'de Tin-pecteur Échalier à Toffi-
cier qui accompagnait le convoi, et voulait à toute
force revenir sur Belfort investi. M Échalier reçut à
cette occasion les félicitations du général MicheL
L'autorité militaire crut alors ne pouvoir plus différer
la destruction des ponts du chemin de fer sur le Doubs
au delà de Clerval. Cette mesure, projetée depuis long-
temps, avait subi des retards qu'on attribua ridicule-
ment à une influence bonapartiste. La destruction de
ces ponts avait été vivement combattue par les inspec-
teurs de la Compagnie. Ils représentaient (queTennemi,
18.
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318 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
n'étant pas maître de Belfort, ne pourrait employer^
cette ligne aux gros transports de guerre indispeii--.
sables contre une place telle que Besançon; qu^il ne
pourrait s'en servir que comme d'une chaussée pour des
troupes légères ; que cette destruction tournerait coi^fere
nous le jour où nous serions en mesure de tenter un
effort sérieux pour secourir Belfort. Cette dernière
considération, trop bien justifiée deux mois après par
révénement, avait fait impression sur le général
Michel. Il avait promis de ne faiire sauter les ponts
«que quand Tennemî serait dessus (Échalier, 8 no-
vembre). » Mais, quelques heures plus tard, par suite
d'une panique sur le haut Doubs, Tordre de mettre le
feu aux poudres fut réitéré et exécuté.
III
On a beaucoup déraisonné à propos des esearmoiiches
qui eurent lieu en novembre dané les vallées de rO^non
et du Doubs. On a dit que la marche des Prussiens sur
Lyon avait été empêchée par les savantes combinai-
sons de Garibaldi. La vérité est. que GaribalcU ao com-
bina ni empêcha rien pendant les quelques jours qu'il
passa encore à Dôle et aux environs avec ce qu'on
appelait ambitieusement son armée^ laquelle se com-
posait, de l'aveu d'un écrivain peu suspect de ten-
dances réactionnaires, « d'un ramassis sans cohésion
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 319
de solâata de toutes armeg et de toutes nationalités (1).
Il n'y avait guère de sérieux dans ce « ramassis » que
l^'çonapagnie génoise, composée d'anciens compagnons
àei Oaribaldi, et d'un certain nombre de francs-tireurs
anciens militaires.
Pendant le mois de novembre, on se battit plusieurs
foiai sur les trois embranchements qui relient Gray à la
ligçe Dijon-Dôl^Besançon. Le 4, des fourrageurs
allemands saccagèrent la gare de Talmay et celle de
PontaiUier, dont le chef, soupçonné d'intelligences avec
les frànc9-tireurs, n'eut que le temps de se sauver à
Attxonne. En revanche, un autre détachement prussien
fut surpris et assez maltraité le lendemain à la station
de Genlis (19 kilomètres de Dijon), par la guérilla
VEgalité marseillaise.
Préoitément, à la même époque, le ministre de la
guerre et son délégué se déterminaient à enlever aux
départements de l'Est la plupart de leurs défenseurs,
en reportant les troupes de Besançon sur l'armée de
la Loire, par les voies ferrées. Mais comme on appré-
hendait quelque mouvement de l'ennemi pendant
cette longue évolution, soit pour surprendre les troupes
pendant le transport, soit pour les devancer et les
couper de la Loire en perçant sur Nevers, on. résolut
de retirer préalablement de la ligne du Doubs Varmée
de Garibaldi, pour lui confier la défense des défilés du
Morvan. Cette détermination fut aussitôt notifiée à
(1) Beauqmer^ p. 72. L'un des grands exploits des milices
ganbaldiennes à Dôlè fut rexpulsion des jésuites, soupçontiés
dé faire des signaux aux Prussiens et à Chambord du. haut
d'une montagne!!
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MO CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Garibaldi, et le transport de ses troupes effectué en
neuf trains (8-11 novembre) de Dôle à Chagny (1).
Il fut ensuite procédé au transport sur la Loire de
la meilleure partie des troupes de Besançon, devenues
le 18* corps. On avait d'abord songé à leur faire acoona-
plir la totalité de cette évolution par les voies ferrées,
en les embarquant à Besançon pour Chagny par la
seule communication encore libre, c'est-à-dire par ïa
ligne Besançon-Lyon jusqu'à Bourg, et retour sur
Chagny par Mâcon. Il y eut à ce sujet des pourparlers,
le 9 et le 10 novembre, entre le ministre de la Guerre
et les chefs de la Compagnie. Il fut reconnu qu'il y au-
rait plutôt peite de temps à faire faire aux troupes cet
immense crochet sur des lignes dont une partie (la
section Besançon-Bourg), n'avait qu'une seule voie ; en
conséquence, les troupes furent dirigées par terre sur
Chagny, du 10 au 15 novembre.
Restait le transport de Chagny sur Gien; celui-là
ne pouvait être accompli en temps utile que par les
voies ferrées. Dans la nuit du 15 au 16 novembre, le
délégué de la guerre adressa à M. Coffinhet, inj^pecteur
principal des lignes de Chagny à Montchanin-Saincaize
et Mont chanin -Moulins, une dépêche confidentielle
prescrivant le transport immédiat de ce corps de
40,000 hommes, avec cavalerie et artillerie, de Chagny
(1) Ce transport eut lieu par les lignes Dôle-Mouchard,
Lons-le-Saulnier, Bourg-Mâcon-Châlon. Ce long détour éfant
inévitable, à cause de Tétat d'imperfection de la voie directe
de Dôle à Châlon, qu'on tenta vainement d'utiliser un peu
plus tard, lors du revirement vers TEH de Tarmée de Bour-
baki. La légion bretonne, qui persistait à méconnaître Tau-
torité de Garibaldi, fut dirigée à part sur Lyon.
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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANÉE 821
sur Gien. Ce mouvement devait être commencé dans
la matinée même du 16, et continué sans désemparer
« de manière à être terminé le 17 au soir ». Un duplicata
fut adressé à Tinspecteur du Bourbonnais, M. Mitchell,
que ce transport concernait pour la section de Nevers
à Gien.
• Expédiée de Tours à minuit vingt minutes, cette dé-
pêche ne parvint qu'à cinq heures trente minutes du
matin à Nevers, résidence de M. Coffînhet, lequel dut
encore la réexpédier à Clermont, siège de l'admini-
stration centr.ale, où elle ne parvint que trois heures
après. Il restait tout au plus trente-six heures aux chefs
de la Compagnie pour exécuter, sans entente préalable
avec Tautorité militaire, l'opération considérable dont
ils recevaient la première nouvelle par cette dépêche,
opération qui allait demander cinquante trains pour le
moins.
Il y eut à ce sujet un échange de correspondances
fort aigres entre Tours et Clermont. D'abord, par suite
d'un malentendu regrettable entre le directeur de Tex-
ploitation et Tautorité militaire, le délégué delà guerre
crut que la Compagnie s'était engagée à fournir de
suite et sans interruption deux trains par heure; et
comme il s'en fallait de beaucoup qu'on eût marché
aussi vite dans les premières journées, il télégraphia
à M. Audibert « qu'il le rendait personnellement res-
ponsable du retard. »
Le directeur de l'exploitation fit immédiatement par-
venir à Tours des explications de nature à satisfaire des
hommes sérieux. L'autorité militaire avait eu d'abord
ridée d'expédier de Chagnj les trains de troupes alter-
nativemet via Nevers et via Moulins, pensant obtenir
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3Î2 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ainsi une amélioration sensible du mouvement. Ce sys'
tènâe eût entraîné des complications de service gênantes
peut* la réexpédition du matériel déchargé, et, par
SQite, ralenti le mouvement qu'on voulait hâter. M. Bi-
dermann, ingénieur en chef, qui s'était rendu de suite
à Chagny pour diriger lui-même les expéditions., avait
jugé avec raison que le moyen d'obtenir la plus grande
somme de vitesse possible était de s'assurer, tant à
Vdihv qu'au retour, toutes les facilités d'un service à
dottMe voie, en affectant exclusivement aux trains
chargés la ligne la plus directe, celle de Montchanin à
âaMicaîze, et l'autre aux retours de matériel. Mais il
était impossible, pour plus d'un motif, ({ue l'opération
fût accomplie aussi vivement qu'on le voulait à Tours.,
D'abord, la concentration sur Chagny du matériel né-
cessaire exigeait absolument un certain délai. On était
incessamment sur le qui- vive à Chagny; « il n'y avait
donc sur ce point et dans les environs que le matériel
nécessaire aux besoins prévus, c'est-à-dire à peine
l'équivalent de deux ou trois trains complets. » Or, pour
transporterie nombre d'hommes annoncé, il fallait au
minimum vingt-cinq machines et sept cent cinquante
véhicules. Il fallait tirer ce matériel de localités éloi-
gnées, comme Lyon, Valence, Saint-Etienne, Cler-
monfc... De plus^ tous les trains devaient être formés^
chargés à Chagny même, et cette circonstance d'une
gare unique pour les départs opposait des obstacles in-
surmontables à l'accélération de ces départs au delà
d'une certaine limite. « C'est à peine, écrivait M. Au-
dibert, si dans les grandes gares de Paris ou de Lyon,
où Ton peut former et charger les trains sur plusieurs
points à la fois, il serait possible d'expédier en moyenne,
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RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE 3Î3
d'une manièï*e continue, des trains toutes les demi-
heiires. Ghagnj se prête très-mal à des opération? de
ce genre. C'est une gare de bifurcation, dont le trafic
propre est à peu près nul. Elle est, par conséquent,
pourvue d'un assez graod nombre de voies, mais ses
quais sont des plus restreints, et situés d'une manière
peu commode pour les manoeuvres. Le chargement des
chevaux et du matériel y est forcément très-lent et
très-pénible. Dans ces conditions, je considère que si
l'on arrive à y former et à expédier, en moyenne, un
train par heure, on aura obtenu un résultat des plus
satisfaisants (1). » M. Audibert avait raison, mais il
était bien regrettable qu'on eût si peu remarqué, ^
l'origine, l'importance de cette bifurcation au point de
vue militaire.
Le représentant de la Compagnie de Lyon n'était
pas encore quitte des aménités du délégué de la guerre.
Celui-ci ayant appris , dans la nuit du 17 au 18 , que
le service ordinaire avait été continué, pendant le
mouvement des troupes, sur la section de Moulins à
Gien, se hâta d'en conclure que cette circonstance
était la cause principale du retard, et adressa à ce
sujet une objurgation des plus vives à M. Audibert :
« Ainsi, Monsieur, voilà un mouvement retardé de
deux jours, malgré mes ordres réitérés, parce qu'il
vous a convenu de mener de front le service de la
guerre et les services commerciaux. Une telle mol-
lesse est bien coupable; vous aurez à répondre de ses
conséquences... Quant à présent, je supprime jusqu'à
nouvel ordre tout train de voyageurs et de marchan-
(1) Lettre de M. Audibert à M. Gambetta, 17 novembre.
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3i4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
dises entre Moulins et Gien, et je traduirai devant
une cour martiale tout agent qui enfreindra cette déci-
sion. » (18 nov.) M. Audibert eut beau faire observer
que le maintien d'un petit nombre de trains réguliers
sur cette section (parmi lesquels figuraient les trains-
poste que le délégué lui-même autorisait à conserver)
n'avait nullement préjudicié au mouvement; qu'on
avait pu même expédier sans difficulté sur cette même
section plusieurs trains de troupes qui ne venaient
pas de Chagny. Le délégué de la guerre persista à
soutenir qu'on avait commis une faute grave ; perdu
un temps précieux en maintenant les trains civils, qui
absorbaient une partie du matériel qu'on aurait dû
employer tout entier aux transports militaires; que
ces transports avaient encore été retardés par lee
garages indispensables pour laisser passer des trains
ordinaires. Or, il n'y avait eu que deux garages
de trains de troupes pour laisser passer ceux de
voyageurs. Encore Tun de ces derniers était le
train-poste , qui , dans tous les cas , eût été maintenu.
Tout s'était donc réduit, pour ces trois jours, à un
garage unique^ qui entraîna un retard de quarante
minutes pour le train de troupes garé. De plus, il avait
été employé en tour, dans ces trains ordinaires, huit
voitures de première et deuxième classe, dix de la
fepoisième. Les réprimandes du délégué de la guerre
étaient donc absolument puériles, mais il tenait à avoir
le dernier mot : on le lui laissa.
Le chiffre réel de l'effectif à transporter dépassa
sensiblement celui qui avait été annoncé de Tours ; il
exigea l'emploi de quatre-vingt-huit trains au lieu de
cinquante. Tout fut terminé lo 10 an soir, c'est-à-dire
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RÉSBAU DE LYON-MÉDITERRAKÉB J»
à la fin du quatrième jour depuis la réception de l'ordre
de Tours. C'était donc, en moyenne, vingt-deux trains
par jour; et comme une f»ran le partie du premier
avail été absorbée par les délais nécessaires pour la
rassemblement du matériel, on peut compter que,
pendant les trois derniers jours, il fut formé au delà
de vingt-cinq trains toutes les vingt-quatre heures.
Ainsi, MM. Bideimann, Coffinhet, Mitchell et leurs
auxiliaires étaient parvenus, à force d'activité, à
dépasser la moyenne d'un train par heure promise par
M. Audibert.
Cette opération ne donna lieu qu'à une collision
relativement peu importante, qui se produisit le 19 au
disque de Nevers, et dans laquelle il n'y eut qu'un
homme de blessé.
L'ennemi, qui dans les premiers jours de novembre,
s'ét.it retiré de Gray et des environs, informé du
départ des gnibaldiens et dos troupes de Besançon,
ne tarda pas à reparaître. Ses éclaireurs passèrent sur
la rive gauche du Doubs qui n'était plus défendue, et
poussèrent jusqu'aux premiers contre-forts du Jura.
Les employas des lignes do Gray n'avaient eu que le
t-^mps de s'enfuir de n-uveau. Sur la section Dôle-
Besançon, l'aiguilleur Poncelet, envoyé de Ranchot
en reconnaissance, fut tuo sur le teniioire de Rouf-
fange (Jura).. Le 14, on signalait Tappariiion des
uhlins à Dole, où Garibaldi avait eu pendant trois
semaines son quartier-général. On fut obligé d'évacuer
cette gare et les suivantes du côté de Besançon, et
même celles de l'embranchement Dôle - Pontarlier
jusqu'à s»n point de croisement avec la ligne Besan.
çon-Lyon (Arc-Seuans-Mouciiard). Le matériel fut éga-
19
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326 CHEMINS t)E FER FRANÇAIS
lenient replié et le service suspendu quelques jours
sur cette ligne jusqu'à Mouchard, sauf pour les trans-
ports de guerre. Toutefois, le général prussien ne se
crut pas assez fort pour occuper à la fois une si grande
étendue de pays , et abandonna promptement la rive
gauche du Doubs (15-20 novembre). Cette retraite fut
improuvée à Versailles.
Depuis cette époque jusqu'au transport de Tannée
de TEst, il n'y eut de ce côté que des alertes et des
escarmouches d'une médiocre importance. Dans toute
la vallée du haut Doubs, les avant-postes échangeaient
des coups de feù d'une rive à l'autre, et l'on entendait
distinctement le canon de Belfort.
IV
Pendant que les Allemands multipliaient dans l'Est
des démonstrations plutôt défensives, ils opéraient un
mouvement sérieux vers la Loire pour réparer leur
échec de Coulmiers.
. On reçut des informations suivies sur ce mouvement
par les employés des gares de la ligne de Bourgogne
en aval de Dijon, qui jusque-là n'avaient été que
faiblement inquiétés. Le 12 novembre, l'inspecteur
Bonamy signala de Tonnerre la présence d'une forte
avant-garde à Châtillon (embranchement de Chaumont
à Nuits-sous-Ravières). Là, comme partout, nous
nous trpuyionjs pris au dépourvu! O» avait négligé de
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RÉSEAU I>M LYON-MÉDITERRANÉE 3«7
détruire les ouvrages de cette ligne transversale qui
relie le réseau de Lyon à celui de l'Est, et pouvait,
par conséquent, permettre d'établir une communica-
tion continue par les voies rapides entre TAllemagne
et les troupes allemandes envoyées dans l'ouest de la
France,
On se hâta de faire sauter le pont de FArmançon à
Nuits-sous-Ravières, mais le temps manqua pour en
faire autant à celui de Sainte-Colombe, près Châtillon.
Pendant huit ou dix jours, tout le département de
l'Yonne, sauf Tarrondissement d'A vallon, fut inoiidé
de troupes de passage. Dès que ce torrent fut à peu
près écoulé, M. Bonamy retourna à son poste de Ton-
nerre, que les derniers Prussiens avaient quitté le 25.
La plupart des gares avaient servi de campement, et
Ton s'en apercevait du reste, principalement à Ton-
nerre, à Laroche, à Sens, à Châtillon. Dans cette der-
liière localité, les Allemands avaient agi avec une
brutalité exceptionnelle. Les logements des employés
avaient été envahis, les femmes et les enfants expulsés
sur l'heure, sans pouvoir rien emporter. Le chef de la
petite gare de Brienon, prè§ de Laroche, avait été
complètement dévalisé, etc.
Comme on devait s'y attendre, les Prussiens se
préoccupèrent aussitôt de la réparation du pont de Nuits-
SDUS-Ravières. Le chef et lesous-chef de Tonnerre et
d'autres agents avaient dû s'enfuir, pour se soustraire
aux réquisitions menaçantes des ingénieurs allemands
qui voulaient disposer d'eux, et même les châtier pour
avoir mis les voies hors de service. Ceux qui tentèrent
de rester en gardant, conformément à leurs instruc-
tions, une attitude passive, furent iiyuriés, maltraités
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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS
6t finalement expulsés. Ces refus patriotiques eurent
du moins pour effet de retarder l'organisation de «e
service, à Tépoque où Tennemi en aurait pu tirer le
meilleur parti. Ses wagons ne commencrent à circuler
sur la communication de Chaumont à Juvisj, parNuits-
sous-Ravières et Moret, que très-peu de jours avant
l'armistice. On avait espéré que les Garibaldiens, qui
n'étaient pas loin de Nuits-sous -Ravières, mettraient
obstacle à la réparation du pont ; mais ils avaient autre
chose à faire, sinon mieux 1 Toutefois il faut savoir gré
à un certain nombre d'entre eux, dignes du nom de
soldats, de l'excursion hardie qu'ils firent vers Châtillon,
sous la conduite de Ricciotti Garibaldi. Ils y surprirent
un bataillon prussien, et regagnèrent avec le même
bonheur Autun, ramenant avec eux 262 prisonniers,
qui furent expédiés sur Lyon'par le chemin de fer (1).
La ci-devant armée des Vosges, lors de son débar-
quement à Autun, était forte de 15,000 hommes envi-
ron, dont les deux tier-» étaient plus incommodes, sinon
plus dangereux, pour les Français que pour les Prus-
siens. Sauf de rares occasions où reparaissaient quel-
ques lueurs fugitives d'énergie, le céîèbre condottiere
était aussi délabré au moral qu'au physique. Il suivait
avec une docilité d'enfant les inspirations de son an-
cien aide de camp Bordone, qui faisait les fonctions de
chef d'état-major. Ce pharmacien belliqueux avait pris
sur lui un ascendant extraordinaire qu'il a conservé
(1) Télégramme de M. de Forestier, inspecteur, du 23 no-
vembre. Toutefois, M de la Taille, qui avait reçu ces prison-
niers lors de leur débarquement à Autun, m'a afnrmé n'en
avoir compté que 160.
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RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE S»
jusqu'à la fin de la campagne, en dépit des autorités
françaises et même des fils et du gendre de Oaribaldi.
Cette infiuence se manifesta de la fnçon la plus fâcheuse
sur les opérations militaires, notamment dnns Tafi^ire
d'Autun dont nous allons parler, et plus tard à Dijon.
Plusieurs personnes conçurent même à cette occasion
des soupçons étranges^ qui ne nous paraissent pas suf-
fisamment jusiifîés.
Parmi les chefs garibaldiens, deux seulement avaient
une valeur réelle comme partisans, Ricciotii Garibaldi
et le général hongrois Bossak, qui fut tué au mois de
janvier sous Dijon. Dans ce ramassis de volontaires
cosmopolites, Bossak s'était formé une sorte de batail-
lon sacré, composé d'environ .600 hommes, dont « le
meilleur, suivant Texpression facétieuse de l'un des
aides de camp du général, avait tué au moins son père
ou sa mère, » mais tous alertes, résolus, astreints à
une discipline rigoureuse. Parmi les autres chefs, on
remarquait le célèbre Delpech, promu d'emblée géné-
ral de brigade, après avoir été, comme il Ta dit lui-
même, « accidentellement préfet à Marseille pendant
vingt-quatre heures. » Pendant son généralat non moins
accidentel, M. Delpech parut toujours beaucoup plus
empressé de guerroyer contre les prêtres et les monar-
chistes de toute nuance que contre les Prussiens.
Les relations de Tétat-major garibaldien avec le mi-
nistère de la guerre et la Compagnie de Lyon étaient
généralement tendues à tout rompre. Ainsi, pendant la
grande opération du transport des troupes du général
Crouzat, de Chagny à Gien, opération à laquelle toutes
les ressources de matériel disponible étaient affectées
par ordre supérieur, M. Bordone et ses acolytes per-
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ZZt CHEMINS DE FER FRANÇAIS
sistaient à soutenir que ce mouvement ne devait ppé-
j.udicier en rien au service particulier de leur armée^
et à réclamer impérieusement des trains spéciaux qu'on
ne devait ni ne pouvait leur fournir, menaçant de se
servir eux-mêmes si on ne les servait pas à leur gré»
Us repoussaient également, de la façon la plus catégor
?ique, tout contrôle financier. L'incroyable tolérance
de l'administration de la guerre pour de pareils actes
ne peut s'expliquer que par des considérations poli-
tiques. Les mêmes tiraillements se reproduisirent un
peu plus tard, lors du mouvement général sur Dijon,
qui eut lieu après la bataille de Nuits. L'un des chefs
écrivait textuellement à cette occasion : Le ministre
ri a pas le droit d'empêcher un transport commandé par
Gariàaldi I
Parmi leurs réquisitions quotidiennes, il y en avait
de fort étranges dans la forme et dans le fond. L'une
des plus curieuses, qui a été justement signalée à la
commission d'enquête, fut faite après coup par un des
officiers supérieurs de cet état-major, en faveur d'une
personne à laquelle il portait un intérêt tout particu-
lier. Cette personne avait fait venir de Marseille à Au-
tun, une fourniture considérable de provisions de
bouche. Au moment de la livraison, elle refusa d'ac-
quitter les frais de transport, et exhiba le lendemain
une réquisition garibaldienne, qui, suivant toutes les
règles, aurait dû être faite et produite antérieurement
au transport. Le chef de gare, M. Bouchot, qui se mon-
trait récalcitrant, fut traité de clérical et menacé d'ar-
restation.
L'abus des réquisitions pour transport gratuit avait
pria à cette époque (novembre) des proportions in-
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RÉSEA.Ç DELLYO]ir»MÉDFrERIlANÉE 3BK
oroyahles*. Un préfet du Midi, le propre neveir,:il^st
Trai,.d*un des membres de la Délégation, expédiait? su*
brepticement à Tours sa femme, nantie d'iine réquisi-
tion, qui lui donnait le titre de déléguée, auprès du Gou-
vernement. Vers, la même époque, rinspecrteùr de la
ligae du Bourbonnais recevait la visite d'une espèce de
wrag'o. de formidable encolure, ndunie de grosses. botte»
et d'un assortiment de revolvers. Cette héroïne ^qUr
voyageait également en vertu d'une réquisition admi-^
niatrative, faisait les plus bizarres confidences: sur sa
vie passée. Elle se vantait d'avoir lancé dans le demi
où quart de monde parisien plusieurs célébrités ga;;^
lantes, notamment une certaine Anglaise dont cm ,a
beaucoup parlé à Paris dans l'hiver de 1873, à propos
d'une tentative de suicide. Pour lors, elle avait changé
d'industrie, et prétendait avoir des moyens particuliers
de faire entrer un convoi de vivres dans Paris. En con-
séquence, elle demandait qu'on mît à sa disposition un
train spécial jusqu'au confluent de la Seine et du canal
du Loing (station de Moret). M. Mitchell s'empressa
naturellement d'éconduire cette ravitailleuse équi-
voque. Mais, quelques jours après, il la retrouva à
Tours, et le délégué de la guerre lui demanda fort sé-
rieusement pourquoi il avait laissé échappé cette forte
occasion de faire entrer des vivres dans Paris. Mr Mit-
chell eut quelque peine à lui faire comprendre que le
matériel consacré à ce transport eût été plus que com-
promis, et -que si cette singulière entrepreneuse de ra-
vitaillement, ou ceux qu'elle représentait» avaient,
comme elle s'en vantait, des intelligences parmi les
Allemands, ces honnêtes spéculateurs avaient dû
prendre leurs précautions pour être indemnisés a tput
événement.,.
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CHEMINS DE FER NUANÇAIS
Pour en revenir à Tannée ^aribaldienne, disons en-
core que rorganieaiiori du service sanitaire y laissait
beancoup, sinon tout à désirer. On voyait cependant
circuler bon nombre d'individus costumés en chirur-
giens, d'infirmiers et surtout d'infirmières à chemises
rouges. Mais ces chirurgiens n'étaient que pour la
montre; et quant aux infirmières, e'ies étaient ^i occu-
pées avec les hommes valides qu'il ne leur restait plus
de temps pour les malades et les b'essés. Ceux-ci au^
raient été foi*t à plaindre, s'ils n'avaient été recuoiUis
dans des ambulances organisées par les cléricaux
qu'ils insultaient, et soignés par les médecins de la
viUe.
Après le transport à Autun de l'armée garibaldienne,
et pendant cplui du 18* corps, les hostilités commen-
cèrent à prendre un caractère plus sérieux dans les
vallées de la Saône et de l'Ouche.
Dès le 11 novembre, une avant-garde française avait
été reportée de Chignj à Beaune. On savait qne de
nombreuses troupes allemandes se dirigea'ent vers la
Loire. Etaient-elles destinées à renforcer les vaincus
de Coulmiers ou bien à prendre le vainqueur à revers,
en interceptant l'important renfort qu'on lui expédiait
de Chagny à Gien par les voies ferrr^es ? Dans tous les
cas, il était bon de faire une diversion pour troubler
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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 933
rennemi dans sa marche de flanc, et couvrir le transport
du 18* corps français.
On pensait réoccuper sans combat Dijon, brusque-
ment évacué le 11 par les Allemands. Le 14, les ordres
étaient donnés pour réparer la voie depuis Beaune. On
calculait qu'il faudrait six ou sept jours pour rétablir
une passerelle sur le canal de Bourgogne, dont Tennemi
avait fait sauter le pont. Mais le même jour, M. De-
lannej, parti en reconnaissance pour hâter les tra-
vaux, était arrêté à sept kilomètres de Dijon par les
agents de la voie, qui lui apprenaient que Teunemi ve*
nait de réoccuper cette ville.
Cette nouvelle détermina une reprise de panique,
courte, mais des plus violentes, sur toute la ligne de
Bourgogne jusqu'à Lyon. Là, les autorités militaires et
ce qu'on appelait alors Tautorité civile, crurent pour la
cinquième ou la sixième fois à là prochaine apparition
d'une armée prussienne. L'anxiété redoubla quand on
apprit le retour d'une avant-garde ennemie sur Nuits,
Tapparition de ses éclaireurs à Prémeaux. Cette nou-
velle détermina un mouvement rétrograde d'une partie
des troupes françaises, l'évacuation sur Châlon du ma-
tériel des lignes d'Autun et de Montchanin , celle
même des gares de Chagny et de Fontaines... Cette
fois encore, on avait pris une simple démonstration
pour la marche d'une armée. L'ennemi s'avança dans
la vallée jusqu'à Seurre, comme s'il eût voulu tourner
Beaune ; mais il revint aussitôt sur Nuits, et se replia
finalement sur Dijon, après une escarmouche assez
vive avec quelques compagnies de francs-tireurs et de
mobilisés qui ne craignirent pas de le harceler dans
sa retraite.
19.
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5*4 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Cette nouvelle reculade des Prussiens, et ensuite
rheureux coup de main de Ricciotti Garibaldi vers
Châtillon, firent renaître la confiance. Il était de nou-
veau question d*un mouvement combiné sur Dijon entre
les troupes qui étaient censées obéir à Garibaldi, et
celles de la vallée de la Saône, qui allaient être renfor-
cées de la deuxième légion des mobilisés du Rhône.
Elle fut embarquée à Lyon, le 26, en trois trains avec
les tirailleurs des Cévennes et ceux de la Mort, au mi-
lieu des acclamations ordinaires, et transportée jus-
qu'à Nuits, où elle stationna toute la journée du 28. I^
y avait si peu d'entente entre les chefs, que Garibaldi
faisait son attaque par la vallée de TOuche, tandis que
ces troupes qui auraient dû le seconder en opérant sur
sa droite étaient encore en chemin de fer.
U armée garibaldienne s'avançait avec assurance,
croyant trouver les ennemis en pleine retraite, et
poussa d'abord assez vivement leurs avant-postes. Mais,
à quelques kilomètres de l'octroi, elle fut arrêtée et
mise soudain en complète déroute par un feu nourri
d'artillerie. Les démocrates ardents, voulant sauvegar-
der à tout prix le prestige garibaldien, prétendirent
que la mauvaise conduite des mobiles de l'Aveyron et
d'Autun avait été l'unique cause de cet échec. Cette
assertion calomnieuse fut loyalement démentie dans
le journal d'Autun, par Tun des fils de Garibaldi (Me-
notti). La poursuite de l'ennemi fut retardée par une
poignée d'hommes résolus, et notamment par M. Che-
net, commandant de la guérilla dite A'Orietit^ qui fit
preuve ce jour-là d'une grande fermeté. Pendant co
temps, Garibaldi était entraîné par son état-major du
côté de Pont-d'Ouche, tête de ligne de l'embranche-
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RESEAU DB LYON-MEDlTERRANÉE zm
ment, qui relie les mines d'Épinac au canal de Bour^
gpgne. Sur ce tronçon de chemin de fer, il n'était
resté qu'un certain nombre de wagonnets\ dont on avait
pensé que l'ennemi ne pourrait rien faire. Les chefs,
garibaldiens s'entassèrent dans ces véhicules incom-
modes et même dangereux, et ce fut dans cet équipage
p^u triomphal qu'il firent leur rentrée à Autun. Ceo
u' empêcha pas le gouvernement de Tours d'adresser^,
par le télégraphe ses félicitations à l'illustre général
« pour le brillant fait d'armes accompli par ses braves
troupes sous les murs de Dijon I » Ce n'était que Ta-
vant-garde des fuyards qui avait pu trouver place dans ce
train si particulier ; quelques heures après, le général
de brigade Delpech arrivait à son tour à Pont-d'Ouche.
Très mortifié de n'y plus trouver aucun moyen d'éva-
sion, il implorait de l'inspecteur d' Autun, par le télé-
graphe, le retour des wagonnets sauveurs. U était trop
tard pour obtempérer à ce désir, et le général reçut
l'ordre de « se masser à Auxy », entre Epinac et Au-
tun. M. Delpech n'avait que de trop bonnes raisons
pour ne pas exécuter cet ordre. Ne pouvant se masser
à lui tout seul, il s*éclipsa, et ne reparut qu'après le
combat du 1®' décembre.
Cependant l'inspecteur d'Autun, voyant Garibaldi et
son état-major revenir d'Épinac « dans des conditions
si peu régulières, » et leurs soldats affluer sur Autun
en pleine débandade, avait été demander des renseigne-
ments et des instructions au chef d'état-major. Celui-ci
lui répondit d'abord de se tenir tranquille, qu'on le pré-
viendrait en temps utile si l'évacuation devenait néces-
saire. Mais quelques heures après, on apprit que l'avant-
garde allemande était à Arnay-le-Duc (trois kilomètres
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Ste CHEMINS DB FER FRANÇAIS
d'Autan). A cette nouvelle, la première pensée des
chefs garibaJdieDS fut de battre en retraite. L'inspecteur
en fut avisé officiellemeot, et dut demander un supplé-
ment de matériel à Monlchanin pour charger les muni-
tions, effets de magasin, etc. On se prépara donc à
évacuer en toute hâte les deux sections d'Autun à Étang
et à Montchanin, tandis que M. Delannej, prévenu par
son collègue, prenait les mêmes dispositions sur la ligne
de Montchanin à Chagnj, pareillement menacée. L'une
des grandes préoccupations des deux inspecteurs était
toujours rétablissement du Creuzot.
C'était M. Gaukler, de i'état-major garibaldien, qui
avait été chargé de s'entendre avec l'inspecteur pour
l'organisation du départ. Le langage de cet officier
n'était rien moins que rassurant. Suivant lui^ Varmée
était absolument hors d'étal de défendre Autun. Un
train spécial pour le général et son état-major était
commandé pour le lendemain P**^ décembre» cinq heures
du matin. Ce train devait se diriger sur Étang et revenir,
par l'embranchement de Montchanin, d«^barquer à la
station de Marmagne. Le point de ralliement était la
foi te position de Monceni», au-dessus du Creuzot. Les
troupes devaient s'y rendre directement d' Autun en
passant par la montagne.
Tout était donc bien entendu ainsi, et pendant la nuit
entière le personnel de la gare d' Autun fut occupé à
charger les munitions et les bagages. Mais à l'heure
convenue on ne vit rien paraître, et une heure après
M. de la Taille fut informé que le projet de retraite
était abandonné. Ce brusque changement a été attribué
à Garibaldi lui-même, qui au dernier moment, aurait
refusé de quitter Autun sans combat. On dit aussi que
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 3S7
rétÉtt-major avait reçu dans Tintervalle de meilleurs
rens'^igneinents. Ce qui est certain; c'est que, dans la
matinée, M. Bordone affectait une sérénité impertur-
bable. Le Creuzot ayant demandé à Autun Tautoris^ation
de commencer révacuaiion de son matériel (400 wagons
remorqués par vingt machines), M. Bordone fit répon-
dre : « On vous a efli*ajés à tort; nous vous couvrons. »
On arrêtamême, comme porteurs de fausses nouvelles,
deux voyageurs qui préteu'laient avoir rencontré Ten-
nemi dans les environs. Les chefs garibaldiens éiaient
donc pleinement rassurés. On peut même dire qu^ils
Tétaient trop, car quelques heures plus tard M. de la
Taille télégraphiait à Lyon : « On se bat dans les fau-
bourgs. Suis à la gare avec deux trains (de munitions)
et injonction de ne pas partir sans ordre. Crains d'être
pris. »
L'inspecteur Delanney, replié sur Châlon, recevait
en même temps un télégramme non moins alarmant
du commandant de la subdivision de la Côte-d'Or, le
colonel Pelissier (depuis général). Il annonçait qu'une
autre colonne ennemie menaçait Chagny par Bligny-
sur-Ouche, et ajoutait : « Prenez vos mesures; je don-
nerai peut-être au dernier moment Tordre de faire
sauter le tunnel de Chagny. »
Le mouvement offensif des Allemands après le com-
bat de Dijon avait été singulièrement encouragé par
Tincapacité d'un général divisionnaire de promotion
nouvelle, qui commandait accidentellement dans la
vallée de la Saône. Au tort d'être resté immobile pen-
dant que les garibaldiens se portaient sur Dijon, cet
homme de guerre avait ajouté le tort non moins grave
de se replier précipitamment à la première nouvelle
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33» CHEMINS DE FER FRANÇAIS
de leur insuccès. Dès le 28 au soir, la deuxième légion-
du Rhône, postée à Nuits en arant-garde^ avait reçu
l'ordre d'évacuer de suite cette position avantageuse.
Cette circonstance nous fournit un exemple renaarquable
des inconvénients de l'emploi des voies ferrées pour des
transports militaires à trop courte distance. Celle de
Nuits à Beaune est de quinze kilomètres. L'un des ba-
taillons de cette légion fit ce trajet à pied ; aussi il arriva
bien avant les deux autres, expédiés par la voie ferrée.
Cet embarquement improvisé n'avait pu se faire qu'avec
beaucoup de tumulte et de lenteur : heureusement, l'en-
nemi était plus éloigné qu'on ne le croyait (1).
Un rapport de M. de la Taille, du 3 décembre, nous
fournit des détails précieux sur le combat d'Autun.
Le 1°% vers midi, la station de Saint-Léger (à 15kil,
d'Autun, ligne Épinac) télégraphiçiit que des voyageurs
venaient de rencontrer l'ennemi à Igornay , dans la vallée
de l'Arroux. L'inspecteur s'empresse de transmettre ce
renseignement à M. Bordone, qui commence par ré-
pondre qu'il n'en croit pas un mot. Cependant, toute
réflexion faite, il prie M. de la Taille de faire lui-mênae
une reconnaissance sur machine dans cette direction
jusqu'à, la station de Dracy, la première après Autun
(7 kilomètres).
Mais il n'était déjà plus nécessaire d'aller si loin.
L'inspecteur, accompagné du sieur Ferrand, piqueur
de la voie, n'avait pas fait trois kilomètres, quand ils
découvrirent au loin sur la route de terre, « une masse
noire de troupes. » En même temps, ils aperçoivent,
accourant à eux sur la voie, le chef de Dracy, M. Des-
(1) Mouton, Historique de la deuxième légion du Rhône.
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 339
granges, et son garde -barrière, qui leur font signe de
s'arrêter et sautent sur la machine. Pendant que celle-
ci rétrogradait à toute vapeur, Desgranges racontait
qu'en voyant arriver cette troupe ennemie il avait pris
de suite sa course du côté d'Autun pour donner Talarme,
qu'il avait été un moment arrêté par les uhlans qui
galopaient le long de la voie ferrée, et qui toutefois
l'avaient relâché en apercevant de loin la fumée de la
locomotive. Alors, ils avaient couru s'embusquer der-
rière une n^aison de garde-barrière, à moins de 150 mè-
tres de l'endroit où la locomotive s'était arrêtée sur les
signaux du chef de gare. Il était fort heureux pour l'ins-
pecteur et ses compagnons que cet employé eût si bien
fait son devoir ; car au premier abord ils î^ valent cru
que cette colonne était française, n'imaginant pas que
l'ennemi pût arriver en force aussi près de la ville sans
avoir été signalé.
Quelques instants après, M. de la Taille était à l'état-
major, racontant son aventure à M. Bordone qui n'y
croyait encore qu'à demi, soutenant qu'il ne pouvait y
avoir de ce côté que quelques éclaireurs. L'entretien
fut interrompu par le canon ; c'était une brigade entière
qui attaquait la ville. Voilà- comment se gardait et nous
gardait la jeunesse italienne (1).
Malgré l'avantage de U surprise, la supériorité de l'ar-
tillerie et du nombre des combattants^ les Allemands ne
purent s'emparer d'Autun. L'honneur de cette journée
(1) On sait que M. Bordone a prétendu rejeter la respon-
sabilité de cette surprise sur le commandant de la Guérilla
d'Orient (Chenet), qui fut même condamné à mort par con-
tumace. Les débats contradictoires ont fait justice de cette
inculpation.
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340 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
doit être principalement attribué à Tartillerie française,
composée de douze pièces de montagne, d'un calibre
trèis-inférieur à celui des vingt bouches à feu allemandes,
mais bien postées et surtout bien servies par les artil-
leurs mobiles de la Charente -Inférieure , qui furent magni-
fiques^ dit M. de la Taille. Ces braves jeunes gens étaient
120 hommes en tout, sur lesquels il j en eut quarante-
huit^ c'est-à-dire plus du tiers, tués ou mis hors de
combat. Quant aux Garibaldiens, les chefs et un certain
nombre de soldats firent bonne contenance, mais les
autres, tout à fait démoralisés depuis l'échec de Dijon,
lâchèrent pied au premier coup de canon et s'enfuirent
très vite et très-loin. Ces fuyards franchirent tout
d'une traite le massif de collines qui sépare Autun de
l'embranchement de Montchanin-Chagnj. Le lendemain
il j en avait un millier à la gare de Montchanin, 1,500 à
celle du Creuzot, se disant trahis, insultant les habi-
tants, menaçant les employés, demandant à grands cris
qu'on les conduisît à Lyon. (Télégrammes de Mont-
chanin et du Creuzot, 3 décembre). Le préfet de Saône-
et-Loire réclamait instamment du matériel pour enle-
ver cette horde indisciplinée, sourde à tous les ordres
de rappel et de ralliement. Ce préfet n'était autre qu'un
ancien journaliste d'opposition à outrance, M. Frédéric
Morin, qui commençait à s'apercevoir que si la critique
du pouvoir ,est aisée, son exercice est difficile. Plusieurs
de ces républicains cosmopolites gagnèrent la grande
ligne de Bourgogne, et parvinrent à s'embarquer pour
Lyon. Il y en eut même qui ne s'arrêtèrent qu'à
Marseille.
Suivant l'opinion de témoins oculaires, ces fuyards
auraient contribué, sans s'en douter, à l'échec des Alle-
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IIÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE Ui
mands. Ceux-ci s'étonnaient de n'avoir pas rencontré
plus d'obstacle aux abords de la ville, et redoutaient
quelque piège. D^s posiiions qu'ils occupaient, ils pou-
vaient voir distinctement en face d'eux tous ces gens en
chemise rouge courir sur les pentes supérieures de la
colline qui domine Autun et la vallée de l'Arroux. Ils
leur firent l'honneur de prendre pour une tentative dan-
gereuse de mouvement tournant ce qui n'était qu'une
déroute.
La gare avait été l'un des points les plus exposés :
tout le personnel du chemin de fer se conduisit admi-
rablement. Au moment où l'action s'engagea, il y avait,
le long du quai découvert, une vingtaine de wagons
requ'S la veille par l'état-mnjop garil»aldien pour char-
ger les chevaux et les voitures. Il fallut en former d'ur-
gence un train aux plaques, prendre et remorquer les
Wrfgons; toutes ces manœuvres furent accomplies sous
le feu de l'ennemi. Sans abandonner leur tâche péril-
leuse, les employés s'efforçaient de retenir les fuyards,
désarmaient ceuxqui semblaient avoirabsolument perdu
la tête. Le chef de gare Bouchot et un homme d'équipe,
nommé.Petit, se signalèrent particulièrement dans cette
crise. Vers deux heures de l'après-midi, les projectiles
pleuvaient littéralement sur la gare : la plupart étaient
heureusement interceptés par le pont de là route d'E-
pinac qui passe au-dessus de la voie ferrée. Cependant
les artilleurs allemands apercevaient fort bien les deux
trains de munitions que l'inspecteur avait ordre de re-
tenir à tout risque, et tiraient dessus sans relâche. Au
moment où l'engagement semblait le plus vif, trois bou-
lets arrivèrent coup sur coup dans les roues d'une des
locomotives. L'officier préposé au convoi prit peur et
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34t CHEMINS DE FER FRANÇAIS'
ordonna aux mécaniciens de démarrer. Ceux-ci obéirent,
malgré les signaux contraires de Tinspecteur. qu'ils ne
voyaient pas. Cet éloignement de la réserve des muni-
tions était un incident des plus graves ; il pouvait serr
vir de prétexte à Tabandon de la ville, et roii n*eût pas
manqué d'en rejeter la responsabilité sur Tinspecteur.
M. de la Taille courut donc après le convoi, sauta dans
le frein de queue, au risque de se faire écraser, mais il
ne parvint à se faire entendre et à arrêter le train
qu'au bout de quatre kilomèlres. Dans cet intervalle, le
feu avait sensiblement diminué; les Allemands pronon*
çaient leur mouvement de retraite.
On s'attendait à une nouvelle attaque pour le lende-
main; si elle avait eu lieu, il est difficile de dire ce qui
serait arrivé. Mais le retour oflfensif des troupes fran-
çaises sur Nuits détermina la retraite définitive des
Allemands. Ce revirement était dû au général de bri-
gade Cremer, qui venait de remplacer le divisionnaire
justement révoqué. M. Cremer, qui avait blâmé le mou-
vement rétrograde sur Beaune, se hâta de faire réoc-
cuper Nuits, dont il délogea sans peine une faible avant-
garde ennemie. Il retira de Verdun et ramena sur sa
gauche, vers Bligny-sur-Ouche (ligne d'Epinac à Pont-
d'Ouche), une partie de la première légion du Rhône.
Ce mouvement, qui menaçait la ligne de retraite des
troupes allemandes enfournées sur Autun, fut proba-
blement le salut de cette ville. Cremer s'efforça de
leur couper la communication de Dijon, mais cette
démonstration n'eut d'autre résultat que d'accélérer
leur marche. Son entreprise aurait eu besoin du con-
cours des Garibaldiens, qui restèrent à Autun pour
célébrer leur gloire, au Ijeu de se lancer à la poursuite
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 343:
de rennomi. Les troupes de Cremer ne marchaijent
d'ailleurs qu'avec une .lenteur, extrême, grâce au.x
fameux souliers de carton de la Défense, qui faisaient
merveille au profit de Tennemi. Aussi Cremer ne put
atteindre sur le canal de Bourgogne que l'extrême
arrière-garde des Badois, à laquelle il livra à Château-
neuf un combat dont on a fort exagéré l'importance .
Ce combat ne fut en réalité qu'un retour offensif de
cette arrière -garde contre l'avant- garde française, qui
conserva sa position à Châteauneuf, mais ne put pour-
suivre l'ennemi (1).
VI
Le deuxième combat de Nuits, presque digne du
nom de bataille, est le dernier incident considérable
que nous offre l'historique de» chemins de Lyon
avant le transport de l'armée de l'Est. Aussi nous
croyons qu'on nous saura gré d'entrer dans quelques
détails sur cet engagement, très honorable pour les
(l) Dans son Histoire de la guêtre de 1870, le général Am-
bert reproche à M. Cremer de n'avoir pas secondé Tattaque de
Dijon par Garibaldi. Nous n'avons aucunement rinteotioà
d'être agréable à Tex-général Cremer, mais Téquité ne per-
met pas de lui attribuer ce défaut de concour.'». Il est du fait
da l'officier que M. Cremer ne remplaça en qualité de com-
mandant en chef que le 29, époque à laquelle l'échec de Gari-
baldi était déjà un fait accompli, .
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gle _|
444 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
troupes françaises, et en particulier pour la meilleure
partie des mobilisés du Rhône.
Nous allons d'abord rappeler, d'après les documents
militaires authentiques publiés en Allemagne, quels
étaient alors les projets et les dispositions de Tennemi.
Au moment de la prise d'Orléans par les Allemands
(4 décembre), le général Zastrow, qui occupait Chau-
mont avec le 7* corps prussien, moins une division,
reçut par le télégraphe l'ordre de se porter sur Châ-
tillon ; à lamême époque, la majeure partie du 14* corps,
commandée par le général Werder, se trouvait concen-
trée à Dijon. Ces deux généraux devaient se concerter
pour assurer la tranquillité de l'Alsace et de la Lor-
raine, et la sécurité des communications entre l'armée
qui bloquait Paris et celle du prince Frédéric-Charles.
Des instructions particulières, adressées à Zastrow le
10 décembre, lui confiaient spécialenoent la surveillance
de l'embranchement de Châtillon à Nuits-sous-Ravières
et de la section correspondante de la grande ligne de
Bourgogne jusqu'à Joigny, communication d'un grand
intérêt pour le service des étapes, et qui allait devenir
plus importante encore, puisqu'on n'attendait, pour y
faire circuler des trains, que la réparation du pont do
l'Armançon. Le général Werder eut aussi ses instruc-
tions spéciales, le 13 décembre. Sa mission était de
protéger le siège de Belfort, de serrer Langres d'assez
près, pour empêcher la garnison de cette place d^en-
voyer des partis dans les Vosges (1). Il lui était aussi
(1) On a vn, dans l'article sur le réseau de l'Est, qu'il ne
put accomplir qu'assez imparfaitement cette partie de sa
mission*
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITEfiRANÉE 345
particulièrement recommandé de reporter des éclai-
reurs sur la rive gauche du Doubs et le long de la voie
ferrée, à partir de Dôle, jusqu'à la bifurcation d'Arc-
Senans (ligne Besançon- Ljon). Il eût été à désirer,
suivant M. de Mnltke, que le territoire compris dans
Tangle de ces deux embranchements fût occupé d'une
façon permanente, afin d'intercepter la communication
entre Lyon et Besançon, et de protéger par conséquent
le siège de Belfort contre tout secours venant du sud
de la France par voies ferrées.
La tâche imposée aux commandants des 7^ et
14® corps prussiens devait être accomplie au moyen
de rapides évolutions offensives contre ies rassemble-
ments ennemis, sans préjudice de l'occupation perma-
nente de certains points importants, pour les commu-
nications militaires et le ravitaillement.
En cons'^quence, le g*^néral Zastrow concentra son
corps d'armée sur le territoire qu'il avait mission de
garder. Son rôle prenait une grande importance depuis
la réoccupation d'Orléans par les Allemands. Il y avait
lieu de penser en effet que la portion de l'armée de
TEst refoulée séparément sur Vierzon, combinerait avec
le reste un revirement offensif sur Paris. On éiait fort
préoccupé de cette éventualité à l'état-maj or prussien;
aussi dans la seconde moitié de décembre, on crut de-
voir renforcer Je 7® corps de trois régiments empruntés
aux garnisons de l'Alsace et de la Lorraine. Le passage
de ces troupes fut signalé à Châtilion et Nuits-sous-
Ravières, les 26 et 27 décembre.
Quant à Werder, il employa diverses fractions de
son corps d'armée pour observer Langres, renforcer
les troupes qui assiégeaient Belfort, et protéger sa
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346 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
oômmanicatioQ par Gray. Dijon était toujours occupé
piair les deux brigades badoises du général Gliimer,
que Werder comptait porter incessamment par Pontail-
lier sur Dôle et Arc-Senans.
Mais dans la nuit du 15, le général de Moltke, appré-
hendant de plus en plus un mouvement sur Paris des
troupes françaises de la haute Loire, envoya àZastrow
Tordre de s'avancer avec le gros de ses forces, sur
Auxerre, en poussant des reconnaissances vers Cla-
mecy, Cosne et Gien, pour se mettre en communication
immédiate avec la 2* armée. En même temps, il télégra-
phia à Werder de prolonger sa droite vers Semur, pour
protéger les communications que le mouvement pres-
crit à son collègue allait laisser à découvert. De Moitié
ajoutait: « Il paraît nécessaire de tenir dans les environs
de Dyon le principal noyau de vos forces, et même cTy
prendre t offensive. Conservez intactes de votre côté les
lignes Gray-Auxonne-Dijon-Chagny. Détruisez complet
tèment celles du sud entre Dôle, Besançon et Arc-
Senans. » Ce fut pour exécuter ces nouvelles instruc-
tions, que Werder entreprit de refouler sur Chagny, les
troupes françaises qui avaient repris position à Nuits,
et poussaient des reconnaissances sur Dijon. Ce fut
précisé metit cette tentative qui donna lieu à rengage-
ment de Nuits. On voit qu'en ce moment de Moltke ne
craignait encore d'auti'es diversions françaises sur Bel-
fort, que celle qui aurait pu être tentée par des
troupes transportées de Lyon sur Besançon par Arc-
Senans.
De notre côté, rihcohérence des plans, Tinsubordi-
nation, les discordes et les récriminations continuelles
des chefs, contrastaient péniblement avec le calme et la
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RÉSEAU DE LYON-MËDITBRRAKÉË 347
lucidité des vues du grand état-major prussien, et Tem-
pressement intelligent qu'apportaient les généraux dans
Texécation des ordres qu'ils recevaient. Il y avait eu le
12 à Chiagny un conseil de guerre fort orageux, auquel
assistaient les généraux BressoUes, Cremer et Gari-
baîdi. On était d'accord sur l'opportunité d'une nouvelle
attaque sur Dijon, mieux combinée que la première.
Mais iii la date précise, ni les dispositions ii'étaient
encore arrêtées, quand Cremer fut attaqué à Nuits
le 18.
Il s'y attendait si peu, que le matin il avait poussé
sur Gevrey, dans la direction de Dijon, une forte recon-
naissance composée de deux bataillons de la première
légion du Rhône, et des mobilisés de la t^ironde
(Carajon-Latour). C'était, nous le répétons, une simple
reconnaissance et non une marche d'avant-garde ; aussi
les sacs avaient été laissés dans les cantonnements, et '
les soldats n'avaient sur eux qu'une vingtaine de car-
touches. L'ennemi, de son côté, s'avançait de Dijon
vers Nuits sur trois colonnes, par la forêt de Cîteaux,
la grande route de Lyon et la voie ferrée, et enfin par
les hauteurs, vers Villars-Fontaine. Ce dernier mouve- .
ment n'était qu'une démonstration qui fut aisément con-
tenue. Dès que les Allemands aperçurent les mobilisés
du côté de Gévrey, ils manœuvrèrent pour leur couper
la retraite sur Nuits. Ils y seraient très probablement
parvenus sans le feu de nos batteries placées avantageu-
sement sur la montagne de Chaux au-dessus de Nuits, et
surtout sans celui des deux pièces minuscules de cam-
pagne, que traînait avec lui le commandant des francs-
tireurs du Rhône, nommé Marengo. Ces deux pièces,
installées en avant de la gare sur la voie ferrée^ trè^
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nt CHEMINS DE VES^ FEAKÇAiS
près de la colonne ennemie qui se dirigeait de ce côté,
retarlèreiit son mouvement de près d'une heure par un
feu aussi vif que bien dirigé, et assurèrent ainsi le
retour des ba aillons envoyés en reconnaissance.
La lutte fut vive, longue et meurtrière aux abords du
chemin de fer. La première légion du Rhône et les
mobiles Carayon (ceux-là mêmes que le préfet de Lyon
voulait faire fusiller comme insuffisamment républi-
cains) montrèrent une fermeté, qui eût fait honneur à
de vieilles troupes. Celte légion était de beaucoup la
mieux composée, en ce sens que la plupart de ceux qui
figuraient dans ses rangs, ouvriers ou bourgeois, étaient
des hommes résolus, n'ayant pour le moment qu'une
haine au cœur, celle de l'étranger.
Cependant le combat se prolongeât; les tirailleurs
français et badois n'étaient plus séparés que par le che-
min de fer; on en vint à se fusiller d'un talus à
l'autre. Le colonel de la lésion, Celler, ancien militaire
aussi intelligent que brave, voyait avec inquiétude ses
soldats épuiser leurs cartouches et faire des pertes
cruelles. Il courut jusqu'aux pre uières maisons de Nuits
chercher des renforts. Il y trouva en effet, une certnin
nombre de gens en uniionne, qui refusèrent absolument
de le suivre. Après les avoir apo-trophés avec une vi-
vacité peut-éte imprudente, le colonel retournait au
combat, quand il tomba mortellement blessé...
Après avoir résisté jusqu'à trois heures, les intré-
pides défenseurs de la ligne du chemin de fer durent
se replier, faute de cartouches, et gagner par Nuits les
hauteurs. La ville, sur laquelle Tennemi faisait pleu-
voir les obus, fut né inmoins dél'endue jusqu'à la nuit
par quelques compagnies d'un régiment de marche et
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RÉSEAU DE LYON-MÉDIt^ERRANÉE U9
de la deuxième légion du Rhône, dont Tun des chefs,
M. Mouton, se distingua particulièrement par sa bra-
voure opiniâtre. Les Badois n'occupèrent Nuits que
pendant quelques heures; après avoir pris leur repas
le sac au dos^ ils s'en retournèrent sur Dijon, tandis que
les troupes françaises, ralliées sur les hauteurs où elles
n'auraient certainement pas été attaquées, recevaient
l'ordre de se replier de leur côté sur Chagny.
Dans cette journée, relativement l'une des plus san-
glantes de la guerre depuis Sedan, nous avions perdu
environ 1,500 hommes tués ou blessés, plus 700 traî-
nards que l'ennemi ramassa dans la ville. On peut af-
firmer, sans exagération aucune, que la perte des Ba-
dois fut plus que le double de la nôtre; eux-mêmes ont
avoué officiellemeut 54 officiers et 880 soldats tués.
Dans ce long et furieux combat de tirailleurs qui avait
eu lieu aux abords du chemin de fer, tout l'avantage
était resté aux Français, plus lestes et tireurs plus
habiles.
Sans être aussi grande qu*on l'a dit, la dispropor-
tion ontre les forces engagéeis de j;)avt et d'autre était
considérable encore. On peut, d'après les documents
aujourd'hui publiés, calculer plus exactement qu'on ne
l'avait fait d'abord le nombre de nos adversaires. Con-
formément à la loi militaire allemande, la division ba-
doisc Gliimer, qui s'était battue àNuits, avait été remise
de suite au complet de l'effectif réglementaire, au
moyen d'emprunts faits aux troupes de dépôt (1). Cet
(l; Où trouvera le détail de cet effectif de la division ba-
doi-^e, p. 62 et suivantr-s de la traduction française de l'ou-
vTage du grand état-major prussien sur la (}u^,rre franco-
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as» CHEMINS DB FER FRANÇAIS
effectif se retrouvait donc, lors de la conclusion de
Farmistice, le même qu'à Fépoque de rentrée en
campagne et qu'avant le combat de Nuits. Or, il est.
constaté officiellement que cette division comprenait,
lors de l'armistice, 11,700 fantassins, 1,800 cava-
liers. En ajoutant à ces chiffres les compagnies des
pionniers, celles des canonniers pour le» 54 pièces ré-
glementaires, on arrive à un chiffre total d'au moins
15,000 hommes. Déduction fai e de 3,500 qui avaient
été laissés en arrière pour garder Dijon, il reste au
moins 11,500 hommes de toutes armes qui auraient été
engagés dans l'affaire de Nuits.
De notre côté, l'effectif complet des troupes dont dis-
posait le général Cremer s'élevait bien à 10,000 hommes,
composés des deux légions du Rhône, de deux régi-
ments de marche, du bataillon de mobiles de la Gi-
ronde et de quelques compagnies franches. Mais, en
réalité, il n'y en eut pas plus de 8,000 hommes enga-
gés, et encore il convient d'en défalquer des troupes
qui, tardivement averties et ayant plus de chemin à faire,
n'intervinrent qu'à la dernière heure. Ajoutons qu'une
partie de la deuxième légion, composée d'éléments
fort divers, ne seconda que fort mollement le comman-
dant Mouton, qui, avec une poignée de gens de cœur
postés dans les premières maisons, retarda de deux
heures l'entrée des Badois dans la ville. Enfin il ne faut
pas oublier que la supériorité de l'ennemi en artillerie
allemande. Ce rétablissement du niveau réglementaire
fonctionnait avec une régularité et une célérité vraiment
incroyables, qu'on ne saurait comparer qu'aux phénomèâea
d^élasticité bien connus des sables mouvant*.
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RÉSEAU DE LYON-MÉDÎtËiEiRÀKÉB Ui
était écrasante, puisque nous ne disposions que d'uiM
vingtaine de canons et qu'ils en avait presque le triple,
la plupart d'une portée et d'un calibre supérieurs.
On peut donc conclure^ sans exagération aucune^
que, de notre côté, les vrais combattants étaient à
peine un contre deux. Malgré cette infériorité, ils firent
preuve d'une ténacité exceptionaelle, et tout semble
indiquer que leur retraite fut due à l'insuffisance du
commandement supérieur. Nous avons déjà dit que les
mobilisés de la première légion du Rhône, la troupe
qui fut le plus sérieusement engagée, étaient partis en
reconnaissance dès le matin sans leurs sacs, et munis
setlement d'un petit nombre de cartouches. Engagés
de suite et très- sérieusement, ils ne purent reprendre
leurs sacs et ne reçurent pas de nouvelles munitions.
Cet incident secondaire eut une grande influence sur
le résultat de la journée. Il paraît incontestable que
cette troupe aurait conservé sa position, si elle avait
été en mesure de soutenir son feu avec intensité.
Evidemment, le chef d'escadron Cremer, alors gé-
néral de brigade, ne comptait pas prendre l'offensive
et ne s'attendait pas davantage à être attaqué ce jour-
là. Le courage personnel de cet officier ne saurait être
l'objet d'un doute ; on le vit se promener avec un sang-
froid remarquable dans la ville quand elle était déjà
serrée de près et couverte d'obus par l'ennemi. Ceux
qui lui. ont sévèrement reproché d'avoir passé une
grande partie de la journée dans un café sur la prin-
cipale place, oublient que plusieurs généraux très
distingués ont eu cette habitude de s'isoler des troupes
engagées, de se recueillir dans les moments décisifs.
Ainsi faisait, par exemple, Gouvion Saint-Cjr; mais
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»S CHEBnNS DE FER FRANÇAIS
si on ne le voyait guère les jours de bataille, tout res-
sentait son énergique et savante impulsion. Par mal-
heur, le recueillement de M. Cremer n'a pas donné de
semblables fruits.
Après avoir manqué de prévoyance et d'activité dans
la journée, il eut le tort d'évacuer sans combat la belle
position de Chaux dans laquelle il avait rallié ses
troupes, et que Tennemi épuisé n'aurait eu garde d'as-
saillir, ne songeant lui-même qu'à battre en retraite.
Cette reculade de M. Cremer sur Chagny, imprudem-
ment signalée par rex-journalistc-préfct de Saône-et-
Loire comme la conséquence d'un nouvel éohrc, con-
sterna la population lyonnaise, et favorisa les complots
de ces raffinés de l'anarchie, qui traitaient alors le pré-
fet Challamel-Lacour de réactionnaire. Cet incident
servit de prétexte à la manifestation où périt le com-
mandant Arnaud; un républicain pourtant, et des plus
purs! La nouvelle République, fidèle aux errements de
l'ancienne, dévorait déjà ses enfants.
Parmi les hommes qui se distinguèrent le plus à
Nuits, il faut citer, outre le colouel CeUer(tué), les
chefs de bataillon Clôt et Mouton; le chef de gare
Meignan, qui, bravant les menaces de l'ennemi contre
les combattants non militaires, se battit toute la jour-
née, stimulant plus d'un tireur novice par son exemple
et ses conseils; M. Meignan a été décoré. N'ou-
blions pas M. Bérenger, ex-avocat général à Lyon
et aujourd'hui membre de l'Assemblée nationale. En
sortant du cachot où l'avaient jeté les démagogues
lyonnais, au 4 septembre, il s'était engagé dans la
première légion du Rhône. Le 18 décembre, il figu-
rait au premier rang des tirailleurs à la tranchée du
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AéSBAU DE LTON-BfÉDITERRANÉS m
chemin de fer, et 7 fut assez griètrement blessé. M. Bé«
renger est un magistrat qui ne s*en tient pas au cou-
rage civil.
Le transport de Tarmée de TEst par la section trans-
versale du réseau de Lyon, suivit de près la bataille
de Nuits. Mais avant d'aborder le récit de cette opé-
ration, il est indispensable de jeter un regard en ar-
rière sur la section de la ligne du Bourbonnais, la plus
rapprochée de Paris. Les événements qui ont eu lieu
de ce côté, forment un épisode à part, et Tun des plus
intéressants de Tbistorique du réseau. Pendant toute
la durée de la guerre, des incidents multipliés mirent
à l'épreuve l'énergie et l'activité de l'inspeeteur prin-
cipal de cette ligne, M. Mitchell.
VII
Dès le 13 septembre, cet agent, en résidence à Mon-
targis, avait été avisé, dans l'après-midi, que l'inva-
sion des gares de la grande ligne de Bourgogne les
plus rapprochées de Paris devenait imminente ; qu'en
conséquence, il fallait désormais faire passer « toutes
choses en cours de route, » par Corbeil et Juvisy. Onze
trains de troupes furent expédiés la nuit suivante dans
cette direction, et « tout se passa aussi bien qu'il était
possible, dans de pareilles circonstances. (1) » La
(1) La ligne de Ljon à Paris par Moulins et Nevers (ditd
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m ^CHBMINSI)B^FER FRANÇAIS -
■ " ' ' " ■' . ^ . .1
journée, du 14 fut relativement plus calme ; on était
toujours en communication télégraphique avec Fontai*
nebleau et Melun, ce qui prouvait que l'alerte de la
veille était prématurée. Aucune mauvaise nouvelle
n*étant parvenue dans la matinée du 15, on se prépa-
rait à expédier un train-poste pour Corbeil, Mais lé
«ou8-inspecteur Law de Lauriston, parti pour explorer
la voie,, trouva cette gare en émoi. Les éclaîreur^ en*
nemis .étaient en ville de Tautre .côté de la Seine; on
ies voyait sur le quai, cherchant à pasaer le fleuve
«uprèsdés débris du pont, sauté de Tavant- veille. Dans
ner tàomént critique, il y avait en gare 22 machines et
plus de 500 wagons d*Orléans et de Lyon. Les trains
d'évacuation furent organisés d'urgence, avec une cé-
lérité et un ordre très-méritoires au fort d'une telle
panique. On expédia d'abord un train de sept machi-
nes, où figuraient, solidement amarrés^ deux vrais
espions qu'on venait de saisir à la gare même, munis
de cartes détaillées du pays. On lança ensuite, de demi-
heure en demi-heure, six trains de matériel; puis un
autre, composé des derniers wagons de farine Darblay,
-qu^on n'avait pas eu le temps et qu'il n'était plus temps
-de diriger sur Paris. Les uhlans avaient paru vers
'4 heures. de l'après-midi; à 7 heures 30, un neuvième
et dernier t^ain quittait la gare avec le chef de station,
M» Vuisbec, et tout son personnel. Rien n'avait été
du Bourbonnais) se bifurque à Montargis en deux embran-
chements. L'un suit la vallée du Loing, va se relier vers Moret
à la ligne de Bourgogne ; l'autre oblique assez fortement à
gauche, eii suivant la vallée de rEssonne, c'est celui de
Gorbeil. L'invasion s'opérant de TEst à l'Ouest, ce deuxième
embranchement devait être intercepté le dernier.
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANNEE 35&
laissé h reïinemi, qui tira inutilement de Fautre rive
sur les wagons.
Le xnême soir, la vallée du Loing était envahie.
Toutes les gares durent être précipitamment évacuées
à partir de Moret, le personnel et le matériel repliés
sur Nemours et Montargis.
La communication par la vallée d'Essonnes semblait
également perdue, Corbeil étant au pouvoir de l'en-
nemi. Toutefois, l'administration de Paris à Lyon,
ayant encore plus de douze cents wagons à évacuer,
craignit de renoncer trop tôt à cette dernière issue.
Une tentative désespérée d'exploration fut combinée
pour le 16 au matin, au moyen d'une double recon-
naissance par machine, partant Tune de Montargis,
raûtre de Juvisy, pour se rencontrer à la gare de Cor-
beil. M. Mitchell voulut faire lui-même la partie de
cette périlleuse reconnaissance qui incombait à son
•service. A la station de Maisse, il apprit que l'ennemi
arrivait en force à Melun, où il était attendu depuis
deux jours ; un peu plus loin, qu'il y avait déjà de Tin-
fanterie prussienne campée sous les halles de Corbeil.
Néanmoins il avançait toujours. Parvenu au pont d'Es-
sonnes, il s'arrêta pour interroger les passants, envoya
aux renseignements chez le maire, M. Feray. Un mo-
ment après, son messager, revenant au pas de course,
lui cria de se sauver, l'avant-garde ennemie étant déjà
en vue. « Je partis, dit M. Mitchell, j'étais fixél »
On l'était également à Paris. Un dernier télégramme
du 17 au matin, parvenu à destination après bien des
détours, apprit à M. Mitchell que la machine parisienne
avait été jusqu'à la gare de Corbeil, mais avait dû ré-
trograder sous le feu de l'ennemi.
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356 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Le lendemain, l'inspecteur alla se concerter avec le
préfet de Seine-et-Marne, déjà replié sur Nemours en
attendant mieux, n avait abandonné, dès le 14, son
chef-lieu, où Tennemi ne parut que le surlendemain.
Justement préoccupé du fâcheux effet que produisaient
sur les populations l'abandon trop précipité et la soli-
tude des voies ferrées, M. Mitchell maintenait un petit
service sur Nemours, ville qui apparemment ne cou-
rait encore aucun risque, puisque le préfet ne parlait
pas de s'en aller. Il aurait même reporté la marche des
trains jusqu'à Malesherbes, point de bifurcation de la
ligne de Pithiviers, si le génie français n'eût coupé la
voie . Il voulut du moins rétablir les communications
télégraphiques avec les stations encore libres ; mais,
deux jours après, les agents réinstallés durent battre
de nouveau en retraite. Ce n'était plus une fausse
alerte, cette fois...
Déjà les Allemands commençaient à se venger des
pertes insignifiantes que leur faisaient essuyer quel-
ques compagnies franches, en exerçant de cruelles re-
présailles sur des populations trop inoffensives. Un
engagement assez vif eut lieu à 5 kilomètres de la
station de Maisse, aux abords du village de Danne-
moy; les Allemands y perdirent, en réalité, vingt-deux
hommes, dont un officier supérieur. Ils s'en vengèrent
en brûlant dix-sept maisons. Les circonstances de la
mort de l'officier sont caractéristiques et méritent
qu'on s'en souvienne. Le combat était fini, mais l'in-
cendie d'une partie du village n'avait pas suffi pour
satisfaire les vainqueurs ; on avait accordé, de plus,
une heure de pillage. L'officier en question aperçoit
dans une écurie un jeune cheval à sa convenance et
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RÉSEAU DE LYÔN-BIÉDITERRANÉB S57
prétend se Papproprier. Irrité de Topposition énergi-
que du propriétaire, il tire son revolver, casse la tête
du chevai, puis s'éloigne tranquillement. Mais, à peine
a-t-il fait quelques pas, qu'il tombe atteint mortelle-
ment d'un coup tiré à bout portant par le paysan, qui
avait retiré de sa cachette un vieux fusil de chasse (1).
Si la conduite des Allemand:} était odieuse, celle des
francs -tireurs était pour le moins imprudente. Après
avoir causé la ruine de Dannemoy, ils faillirent faire
pareillement incendier Milly, où ils s'étaient repliés et
barricadés au grand effroi .des habitants. Le maire
ayant risqué quelques représentations, manqua d*être
fusillé sur place par ces terribles défenseurs. Cepen-
dant, toute réflexion faite, ils jugèrent à propos de se
replier, sans attendre l'ennemi, les uns directement
sur Montargis, d'autres sur Malesherbes. Ceux-là s'ar-
rêtèrent à la gare, située au point de raccordement
des lignes de Corbeil et de Pithiviers, et déguerpirent
après y avoir fait un repas copieux, et tiré quelques
coups de feu sur une patrouille allemande... Quelques
heures après, toute la contrée était inondée d'ennemis.
Milly fut pillé et obligé de fournir des otages; la gare
de Malesherbe* fut saccagée de fond en comble ; les
employés contraints, le pistolet sur la gorge, de coopé-
rer à cette destruction et de se sauver après. Le len-
demain matin, l'un d'eux, un graisseur nommé ChoUet,
se hasarria à retourner à la gare, pour prendre quel-
ques effets qu'il pensait avoir bien cachés. A l'entrée
(1) Ce fait est raconté dans une lettre écrite le même
jour, par M. Fouchère, chef de la gare de Maisse, qui arri-
vait de Dannemoy.
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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS -
du bâtiment principal, il avise un magnifique ofôcier
de cavalerie, se prélassant dans le fauteuil du chef de
gare. Chollet présente sa requête : « Oui, oui, dit bé-
ni jnement rofôcier, vous ouvrier, pouvez aller! » Mais
les effets avaient disparu...
Ces escarmouches entre TEssonne et le Loiog dou-
blaient lieu aux. bruits les plus contradictoires. Quel-
ques francs-tireurs alertes et prudents, qui avaient
a,ssisté de loin aux premières fusillades, avaient couru
à Nemours, annoncer la déroute complète de l'ennemi.
Mais le préfet républicain de Seine-et-Marne n'était
pas homme à se laisser surprendre; dans le doute, il
décampa et s'en vint tomber comme une bombe à Mon-
targis, au moment où l'on j colportait la nouvelle du
prétendu désastre des Prussiens. M. Mitchell, patriote
sincère, mais clairvoyant, écrivait à ce sujet : « Tout
fait supposer que Tennemi se rapproche, quelle que
soit sa situation. » Il avait deviné juste. La colonne
qui avait envahi Malesherbes s'était, il est vrai, dirigée
vers Étampes, au lieu de marcher par Puiseaux sur
Montargis, comme on l'avait craint d'abord. Mais si
l'on était plus tranquille du côté de Corbeil, on l'était
moins du côté de Fontainebleau. A Nemours tout le
monde avait cru. dans la matinée du 20, à lu déroute
des Prussiens ; mais la situation s'était fort rembrunie
dans l'après-midi. On avait vu se replier le préfet,
la gendarmerie ; on apprenait que les uhlans étaient
signalés du côté de Bourron, à 14 ou 15 kilomètres.
Abandonnée à elle-même, la garde nationale tint con-
seil : apxès. une longue discussion, « il fut un peu dé-
cidé qu'ion se défendrait si l'ennemi n'était pas trop
ppnabreu?^. » Le 22, au matin, les fusils furent rett^
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉB m
voyés à Montkpgis; le même jour, vers deux heures de
l'après-midi, les éclaireurs prussiens entrèrent à Ne-
mours. « C'est une panique générale, écrivait M. Mit-
chell, Fennemi n'a qu'à avancer! »
II fallait penser à tout, parera tout dans ces conjec-
tures difficiles. Montargis était alors encombré d'agents
repliésy et ce lieu de refuge 'paraissait menacé à son
tour» On renvoya provisoirement dans leurs familles
ceux qui en témoignèrent le désir; les autres furent
répartis dans des gares plus lointaines, où ils trouvè-
rent chez leurs camarades la plus généreuse hospitalité.
Dès le 20, M. Mitchell avait dirigé sur Gien les bureaux
de l'inspection et les réserves de matériel. Les disposi-
tions étaient prises, pour qu'il ne stationnât plus en
gatre de Montargis d'autres wagons que ceux du train
en partance, avec sa machine attelée, prête à démarrer
au premier signal. M. Mitchell restait de sa personne à
cette station, devenue tête de ligne. Il n'entendait se
retirer qu'au dernier moment, « devant quelque chose de
positif. » De plus, il avait retenu auprès de lui un cer-
tain nombre d'agents, destinés à opérer des reconnais-
sances dans les localités menacées ou même envahies.
M. Mitchell trouva de dignes auxiliaires dans MM. Jacq-
min, inspecteur , Lévino et de Lauriston, sous-inspec-
teurs; dans M. Billette, commis àTinspection; dans les
conducteurs de trains Frédureau, Poincloux, Mion.
Les renseignements qu'ils rapportaient concordent
en général d'une manière frappante avec les documents
officiels publiés depuis en Allemagne . Ony trouve aussi
des détails précieux sur la situation matérielle et morale
du pays. Dès le 20_, par exemple, on savait exacte-
ment , comment les choses se passaient à Corbeil, envahi
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m CEEMISS DB FER FRANÇAIS
depuis trois jours. En 48 heures, 65,000 hommes avaient
défilé dans cette ville, se dirigeant sur Longjumeau.
Ces troupes faisaient partie de l'armée du Prince Rojal
de Prusse, qui, le 18, avait son quartier général chez
M. Darblay. Un autre agent avait rencontré sous bois
la population entière de Villabot-Ljs, s'enfujant avec
tout ce qu'elle avait pu emporter. Une colonne de 1,200
hommes faisant partie de ce grand passage de troupes,
s'abattait sur ce petit village de 150 hommes. À Cor-
beil, les habitants se tenaient cachés; les boutiques
étaient fermées; des sentinelles placées aux portes des
boulangeries, n'y laissaient pénétrer que les soldats
allemands.
Montereau n'était guère plus heureux. Le chef de
gare, M. Dauphin, écrivait le 19 : « Nous sommes dans
un cercle de fer. Les Prussiens nous enveloppent; ils
viennent à Montereau jusque sur le plateau, regardent
et se retirent. Le découragement commence ici; les
habitants qui paraissent disposés à la résistance crai-
gnent les représailles, et ce qui se passe aux environs
donne à réfléchir : un seul coup de fusil pouvant faire
brûler une localité . Un fermier chez lequel quatorze
Prussiens avaient été faits prisonniers, a été enlevé
avant-hier, et on ne sait ce qu'il est devenu. La même
chose est arrivée à un maire, M. Macquin, qui n'avait
pas voulu remettre les fusils de sa commune ...»
Dans ces premières explorations, on fut particulière-
ment satisfait du conducteur Mion. Établi en sentinelle
perdue ^ Moret, point de bifurcation des lignes de Bou^
gogne et du Bourbonnais, Mion faisait des excursions
quotidiennes dans toutes les directions, tantôt sur la
voie ferrée, tantôt à pied ou en voiture. Le 20 sep*
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RESEAU DE LYON -MÉDITERRANÉE ^ 361
tembre, notamment, il en fit une importante par le che-
min de fer, sur un wagonnet avec cinq hommes d'équipe,
jusqu'à Fontainebleau, où il recueillit des employés de
la gare des renseignements sur ce qui s'était passé
jusque-là. Un dés premiers détachements d'ayant-garde
qui parurent à Fontainebleau, était commandé par un
ci -devant rapin germanique, qui n'était que trop bien
au courant des localités, ayant vécu pendant trois ans
dans le pays, à Barbison, où il faisait des études de
paysage, et probablement aussi d'autre chose. Dans
cette excursion, Mion eut la chance de sauver l'appa-
reil télégraphique de Fontainebleau, qu'il rapporta à
Nemours par la voie ferrée, encore intacte ce jour-là.
Le lendemain il n'eût plus été temps.
Cependant, les derniers renseignements semblaient
indiquer qu'Orléans était l'objectif principal des Prus-
siens, et qu'ils ne songeaient pas pour le moment à
s'étendre du côté du sud. Leurs éclaireurs n'avaient fait
que paraître à Nemours; le conducteur Frédûreau, parti
immédiatement sur leurs traces vers Fontainebleau,
avait trouvé une avant-garde de 650 Bavarois installée
à Bourron, « où ils se faisaient servir comme des sei-
gneurs, » mais ne paraissaient occupés que de réquisi-
tions. Le 25, M. Mitchell eut une conférence à Gien
avec les autorités militaires. Le général Michel, qui
commandait alors de ce côté, et les officiers de son état-
major, furent frappés de la précision des informations
que leur fournissait l'inspecteur, du zèle et de Tintelli-
gence de ses agents; aussi ils ne se firent pas faute de
recourir à eux dans la suite, même par voie de. réqui-
sition. Pour le moment, on songeait à manœuvrer sur
les derrières de l'ennemi en marche vers Orléans. On
21
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âêî CHEMINS DE FER FRANÇAIS
voulait se servir de rembranchement qui relie le réseau
de Lyon à celui d'Orléans pour porter les troupes dans
cette direction, et Ton demandait en conséquence le
prompt rétablissement jusqu'à Puiseaux de la voie
ferrée, que le génie français avait coupée quelques jours
auparavant, dans Tappréhension d'un mouvemont de
l'ennemi en amont de la Loire» M. Mitchell prit àla
hâte les mesures nécessaires ; il alla lui-même jusqu'à
Beaune-la-Rolande. Dans cette contrée, voisine d'Or-
léans, la chute de cette ville était considérée comme
inévitable et prochaine. Pendant ce temps, ses agents
poussaient des reconnaissances avancées sur la trace
des Prussiens. Le 28, ils atteignaient Pithiviers, que les
derniers ennemis quittaient à peine; du clocher de
Téglise^ on distinguait encore facilement les troupes en
marche. Pendant .cette première occupation, les em-
ployés du chemin de fer avaient pris la fuite, sauf un
brave facteur de deuxième classe, nommé Galliot, qui
était resté jour et nuit à son poste et avait empêché
bien des dégâts.
Avant de se rabattre sur Pithiviers, le brave Fredur
reau avait fait de Beaune-la-Rolande une longue et
aventureuse excursion sur la lisière de la forêt, pour
communiquer avec Tavant garde des troupes françaises
qui couvraient Orléans. Il avait su que leurs avant-
postes étaient encore, dans la matinée du 28, à Cham-
bon et Courcy. Il ne les y trouva plus dans l'après-midi;
«^les habitants de ces localités attendaient les Prussiens
pour le jour même, et cachaient leurs chevaux en
forêt. » Il avait beaucoup de peine à obtenir des ren-
seignements : « les paysans, le prenant pour un franc-
tireur déguisé, l'accueillaient avec une défiance
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 863
extrême, Tinterrogeaient sans répondre à ses ques-
tions. » Néanmoins, voulant à tout risque en savoir
davantage, il s'était retourné et avait poussé droit du
côté de Tennemi; mais il lui fut impossible d'aller au
delà de Vrigny ; les Prussiens ou plutôt les Bavarois y
arrivaient, et ne laissent plus passer personne (1).
Une pénible déception attendait M. Mitchell à son
retour. « J'espérais, dit-il, que nous transporterions des
troupes à Puiseaux sur les derrières du corps d'armée
qui se dirige sur Orléans. Cette espérance est déçue.
Un des régiments cantonnés à Gien, le 2* lanciers, a
pris cette nuit la route d'Orléans. A trois heures du
matin, le chef d'état-major m'a fait prévenir que tous
les beaux projets tombaient dans l'eau. » Cet appel di-
rect vers Orléans d'une partie des troupes rassemblées
en amont sur la Loire, indiquait suffisamment qu'on
sacrifiait le projet de diversion à la nécessité de ren-
forcer ce qui couvrait cette ville. Peut-être aussi croyait-
on que cette diversion ne pourrait s'opérer en temps
utile. Cependant, il est bien à remarquer que Tennemi
était moins avancé, et manœuvrait avec moins de célé-
rité qu'on ne pensait, puisque Ip choc décisif d'Artenay,
qui décida l'évacuation d'Orléans, n'eut lieu que le
10 octobre.
(1) Le conducteur Fredureau. qui avait déployé pendant la
guerre tant d'intelligence et de courâee, et échappé heureu-
sement à bien des dangers, était en 1872, employé à la gare
de Paris. Il y eut les deux jambes prises et broyées dans
une manœuvre, et mourut quelques jours après. Ce malheu-
reux jeune homme était à la yeÛle de se marier....
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364 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
VIII
Cependant, quelques lueurs fugitives d'espoir repa-
raissaient çà et là; sur certains points, le moral des
populations semblait se relever. Ainsi Ton avait vu, le
30 septembre, les paysans du canton de Beaumont en
Gâtinais s'armer de fusils, de faulx et de fourches et
se porter, sous la conduite de leurs curés, au-devant
des uhlans dont on leur avait faussement annoncé
rapproche. M. Mitchell signalait avec joie ce prélude
d'une levée en masse. « Sï la troupe vient enfin^ disait-
il, elle sera secondée. »
Le même jour, l'ennemi paraissant rétrograder, on
prenait des dispositions pour faire au moins un train-
poste sur Nemours. Mais, dès le lendemain, la situation
s'assombrissait de nouveau. Les envahisseurs se renfor-
çaient, disait-on, à Melun, à Fontainebleau et ailleurs,
et M. Mitchell mettait de nouveau en mouvement sa
brigade d'observation. Il faisait partir Mion du côté de
Melun, Poincloux et DumontsurPithiviers, Frédureau
sur Malhesherbes et Milly, où l'on prétendait que l'en:^
nemi incendiait les bois, pour se débarrasser des em-
buscades. « Les reconnaissances par machines, ne nous
apprendraient rien, disait avec raison l'inspecteur, si
elles n'étaient complétées par ces agents qui vont voir
par eux-mêmes. » Le rapport de Mion fut assez rassu-
rant; il avait trouvé Fontainebleau et Melun libres, et
continué dans la direction de Paris en suivant la voie
ferrée. Il avait vu, en passant, la gare de Cesson sac-
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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANEE 365
cagëe et abandonnée, etnes'^était arrêté qu'aux abords
de celle de Combs-la- Ville (26 kilomètres de Paris), en
apercevant un poste prussien à la hauteur du disque.
Pendant ce temps, MM. Jacqmin, inspecteur, de
Lauriston et Aubojneau, sous-inspecteurs, faisaient une
exploration du côté de Puiseaux, et poussaient jusqu'à
Beaune-la-Rolande. Là, ils rencontraient un voiturier
qui venait de voir les troupes françaises (1", 8^ et
77® de lig'ne), retranchées dans la forêt d'Orléans. Ils
eurent, par lui, la nouvelle d'un petit succès obtenu
dans la journée du 2; la surprise d'un poste ennemi à
Bouzonville-au^Bois. En ce moment même (5 octobre),
on entendait dans toute la contrée le canon vers Neu-
ville. On ne tarissait pas sur les pilleries des allemands.
A Boynes, près de Pithiviers, un de leurs détachements
avait enlevé, d'un seul coup, soixante-cinq vaches et
quatre cents bouteilles de vin. L'officier avait dit au
maire qu'il était honteux de faire un pareil métier et
préférerait bien se battre, mais qu'il avait des ordres.
Une scène plus triste encore avait eu lieu à la Ferté-
Alais, station dont le chef, bloqué par l'invasion, put
néanmoins faire parvenir son rapport à Montargis. Le
28 septembre, la gare avait été envahie par 2,000 Ba-
varois. Comme l'ennemi n'avait rencontré aucune ré-
sistance, il n'y avait pas d'abord eu de dégât sérieux.
Le lendemain, une partie de la colonne était déjà partie,
et l'on s'en croyait quitte pour cette ^fois. Malheureuse-
ment l'autre moitié restait à la gare, attendant la
livraison d'une contribution de guerre. Cette livraison
se faisant attendre, les soldats commencèrent à piller
et saccager pour passer le temps. Le malheureux chef
de gare, qu'on avait laissé rentrèrdans son jardin, mais
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t66 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
non dans sa maison, voyait, par les fenêtres ouyertes,
les pillards empaqueter les objets à leur convenance,
notamment le linge et les pendules^ et abîmer le reste.
Il parvint à joindre un capitaine qui parlait français ;
cet officier fit une admonestation aux voleurs, dit qu'on
aurait dû l'appeler plus tôt, mais ne fit rien restituer.
Des détails non moins affligeants étaient transmis par
Fun des agents de la ligne de Corbeil, M. Larpenteur,
chef de gare à Ballancourt. Toute la contrée était rc-
qtasittonnée à outrance, et la situation empirait encore
à mesure qu'on se rapprochait de Paris.
Cependant M. Mitchell ayant acquis, le 6 octobre»
la certitude que les troupes françaises d'Orléans s'a-
vançaient sur Pithiviers, croyait pouvoir préparer de
son c6té le rétablissement du service dans cette direc-
tion , au moins jusqu'à Malesherbes, où il n'était resté
que quelques blessés allemands dans des ambulances
particulières. Il fallait, pour cela, réparer une coupure
pratiquée par Tennemi entre Puiseaux et Malesherbes,
et faire quelques restaurations indispensables à cette
dernière gare (1). Le 7 octobre, l'inspecteur principal
se rendit de sa personne à Malesherbes ; il eut le désa-
grément de s'y rencontrer face à face avec une soixan-
taine de cavaliers, uhlans et cuirassiers blancs, qui
venaient chercher leurs malades. 11 y eut là une scène
des plus pénibles. Au moment oii Mitchell et ses com-
pagnons mettaient pied à terre, « un homme de la
(1) Les salles d'attente avaient servi d'abord d'écunes,
puis de dortoirs pour des fantassins. Ceux-ci avaient étalé
sans façon sur le fumier les matelas mis en réquisition dans
la ville, et tout était resté depuis dans cet état.
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 367
campagne débouchait sur la place en carriole au grand
galop, poursuivi par deux uhlans la lance en arrêt.
L'un d'eux atteignit d'un furieux coup le malheureux
paysan^ dont le seul crime était de n'avoir pas voulu
leur donner du sel qu'il avait dans sa voiture. » Il
tomba tout couvert de sang; la blessure, par bonheur,
n'était pas mortelle. Toutes les issues étant gardées
jusqu'au départ de ces odieux visiteurs, M. Mitchell
n'avait pas même la faculté de fuir leur préstonce. a II
fat forcé de subir le spectacle de leurs cavalcades; il
eut la douleur d'entendre des commandements mili-
taires en allemand sur la place de cette petite ville
française, habituellement si paisible, place au milieu
de laquelle un modeste monument rappelle un des
plus beaux faits d'armes de la guerre d' Afrique (la dé-
fense de Mazagran). » (D'est la station de Malesherbes
qui dessert Angerville, où résidait naguère l'illustre
Berrjer; la mort était venue à propos lui épargner ce
spectacle !
Après un tel incident, M. Mitchell jugea prudent de
différer la reprise du service* Ce qu'il venait de voir
n'avait fait naturellement qu'augmenter son impatience
de voir enfin la défense s'organiser sérieusement, et
d'y coopérer lui-même de tout son pouvoir. On a'at-
tendait d'heure en heure à un choc décisif entre les
Français massés sur Pithiviers et les Bavarois qui se
concentraient sur Étampes. Les. troupes que l'on orga*
nisait à Gien devaient concourir à l'effort projeté pur
Paris. Le 9 octobre, un train spécial conduisit à Ne-
mours une compagnie franche organisée par l'an des
principaux industriels de Montargis, M. de Montdésir.
Les mobiles de la Charente, à leur tour, arrivaient de
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3ti8 CHEMINS DK FER FRANÇAIS
Gien à Montargis et campaient à la gare. Ils devaient
être transportés le lendemain dans la direction de
Paris jusqu'à la station de Bourron, et se porter de là,
par la forêt, sur Fontainebleau, qui, d'après les der-
niers renseignements, n'était que faiblement occupé et
d'une façon intermittente. On n'osait pas se servir,
pour ce mouvement, de la ligne de Corbeil, qui aurait
eu l'avantage de porter ces renforts plus près du
théâtre de la lutte principale. On avait appris, par un
message de M. Féray d'Essonnes, que les Allemands
avaient miné la voie sur plusieurs points au-delà de
Malesherbes, à une profondeur minime, de manière à
ce que la pression exercée sur le sol par le passage des
trains suffit pour déterminer l'explosion. C'était un
moyen de destruction nouveau et généreux, si l'on
veut...
La journée du 10 s'écoula dans une attente anxieuse ;
de toutes les gares, depuis Montargis jusqu'à Pui-
seaux, on entendait gronder le canon d'Artenaj.
M. Mitchell était allé jusqu'à la coupure du chemin de
fer, entre Puiseaux et Malesherbes ; c'était le point le
plus rapproché du lieu de l'engagement où Ton pûf
arriver en wagon. Il n'apprit ce jour-là rien de positif,
sinon que Pithiviers avait été évacué par nous dans la
nuit, et que l'ennemi y était entré à midi. En présence
de ce renseignement de mauvais augure, il suspendit
le départ des mobiles de la Charente sur Fontaine-
bleau. Le 11 au matin, on ignorait encore à Montargis
le résultat de la bataille ; la fatale nouvelle y revint par
Saincaize, où était parvenu directement ce télégramme
d'une concision sinistre : N'expédiez plus aucun train
sur Orléans. ^
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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 869
. Par suite de cet événement, l'inspecteur principal
de la ligne du Bourbonnais dut se replier sur Gien. U
écrivait le 15 de cette localité : « J'aurais pu cependant
rester encore à Montargis, mais le général Martin des
Pallières, qui commande ici (l'une des divisions du
15® corps), m'a dit : « Malgré les grandes probabilités
« qu'il y a de ne pas être coupé, il ne faut pas s'y
« exposer ; une locomotive leur serait trop utile. » Il
ne se décidait toutefois à la retraite qu'avec une vive
répugnance. « Les populations que nous abandonnons
sont affolées, disait-il. Je ne puis vous dire leur joie
quand nous revenons ; elles accourent au- devant de nous
comme aux premières inaugurations. C'est au moius
ce qui a eu lieu à Beaumont et Nemours (15 oc-
tobre). » Néanmoins, la présence de nombreux déta-
chements prussiens en amont d'Orléans, sur les deux
rives de la Loire, jusqu'à Jargeau et Saint-Denis de
THôtel, ne permettait pas de songer à reprendre de
suite le service sur Montargis. Gien même parut un
moment menacé. Le 20, Cbâteauneuf-sur-Loire a,vait
reçu la visite d'un détachement de hussards de lamort,
•dont les officiers avaient demandé force renseigne-
ments sur Gien, qui n'est qu'à sept lieues de là. Sur la
rive droite du fleuve, on était menacé d'encore plus
près. Tout cela était d'autant moins rassurant, que
depuis trois jours la meilleure partie des troupes qui
gardaient Gien l'avait quitté, se dirigeant sur Argent
(Cher), pour aller concourir au besoin à la défense de
Bourges. Néanmoins, M. Mitchell ne comptait se re-
tirer qu'à la dernière extrémité. 11 écrivait le 20 : « Le
général Morandy est toujours ici avec trois bataillons
de mobiles; je ne me replierai que quand il partira. »
21.
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a70 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Le 24, il crut pouvoir reprendre un petit service
jusqu'à Montargis. La ligne était protégée par les
gardes nationaux des communes riveraines. Entre Or-
léans et Gien Tennemi avait rétrogradé. Du côté de
Paris, la communication avait été pendant quelques
jours dégagée à une grande distance. On était rentré
par Puiseaux en communications assez suivies avec
Corbeil, par Nemours avec Fontainebleau, Montereau,
Melun, où les gares avaient conservé une partie de
leur personnel. On apprenait que Tennemi avouait
avoir perdu 5,000 hommes dans les combats d'Orléans ;
qu'Ëtampes, Corbeil, Evry étaient encombrés de ses
blessés, décimés par le typhus; il en mourait en
moyenne trente par jour. « Mais, ajoutait M. Mitchell,
Tennemi communique le typhus moral aux populations.
Nous avons vu plusieurs personnes de ces contrées
qui ont Tair de prendre leur parti de Toccupation ! »
Une alerte avait valu à la ville de Melun quelques
jours de liberté. Le 13, les dragons wurtembergeois
qui gardaient la station ayant eu quelques-uns de leurs
hommes tués ou blessés en forât dans une embuscade
de francs -tireurs, avaient pris peur et abandonné leur
poste. Le danger n'était pas si pressant, ear les francs-
tireurs ne parurent que dans la matinée du 17, au
nombre d'environ 500. Ils s'installèrent à la gare,
iirent dans la ville plusieurs barricades, et intercep-
tèrent de leur mieux le pont de Mée au moyen de fils
télégraphiques enlacés dans les balustrades. Le même
jour, une avant- garde de ce corps franc, qui avait
poussé une reconnaissance sur Cesson dans la direc-
tion de Paris, en ramena quatre hommes, surpris,
dans une ferme isolée. Immédiatement après, toute la
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 371
troupe décampa sur Fontainebleau, pour y faire, sui-
vant l'usage, une entrée triomphale avec ses prison-
niers. Pendant ce temps, la ferme où ces hommes
avaient été pris fut incendiée de fond en comble par
leurs camarades, suivant les bonnes habitudes alle-
mandes (1).
Lia. fin du mois d'octobre s'écoula sans changements
ni incidents notables sur la ligne du Bourbonnais, sauf
une panique qui faillit, le 28, déterminer l'évacuation
de <3^ien sur Cosne. Dans les premiers jours dé no-
vembre, les coureurs allemands reparurent au delà de
Fontainebleau et s'avancèrent même jusqu'à Nemours,
mais ils eurent lieu de se repentir d*avoir été si loin.
Dans la nuit du 13 au 14, 47 uhîans, arrivés de la
veille, furent cernés dans une auberge auprès dé la
gare . Deux seulement parvinrent à s'échapper, trois
furent tués, tous les autres pris. Cette surprise était
Toeuvre de 180 mobilisés de Seine-et-Marhé, électrisés
par la nouvelle récente de la victoire de Coulmiërs
et de la reprise d'Orléans. Mais le lendemain ils étaient
loin, et une colonne ennemie, forte dé 1,200 hommes,
venait inceûdier la maison où les uhlans avaient été
surpris, la gare elle-même et pluèieùrs maisons voî*
sines.
(1) Pendant Tinvasion, aucun officier prussien ne logea au
château de Fontainebleau, si ce n^est le prince Frédéric-
Charles. Il fit pêcher et expédier sur Berlin quelques-unes
des carpes légendaires, et demanda à acheter deux tasses
ayant servi à Napoléon l«^. Cette demande ayant été naturel-
lement repoussée, le prince se résigna à emporter gratis ce
petit «ouvenir.
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372 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
IX
Tout en se réjouissant de la reprise d'Orléans,
M. Mitchell ne s'exagérait pas la portée de cet
avantage . Il faisait remarquer dès le 10 novembre que
les Bavarois avaient fait retraite en bon ordre.,. n Dès
le 14, il signalait le passage de troupes nombreuses, se
dirigeant de Troyes par Pont-sur-Yonne vers Fontai-
nebleau et Corbeil. Ce n'était rien moins que Tarmée
de Frédéric-Charles qui accourait pour barrer le pas-
sage aux vainqueur» de Goulmiers. Nemours, Pniseaux
avaient tour à tour l'honneur peu enviable de possé-
der le prince. Montargis aussi fut occupé pendant trois
jours par deux brigados de cette armée (37« et 38®),
dont les éclaireurs vinrent même tout près de Gien.
Le rapport du sous-inspecteur Levino, qui s'était
trouvé bloqué dans Montargis, donne des détails inté-
ressants sur cette occupation. Le 18, quatorze uhlans,
venant du côté de Courtenay, se présentent à l'entrée
du faubourg de la Sirène, On tire sur eux ; Tua tombe^
les autres tournent bride. Le tocsin sonne, les boutiques
se ferment : sous l'impulsion énergique de M. Charbon-
nier, sous-préfet, la défense est résolue. On comptait sur
l'appui des troupes qui débarquaient à Gien. On passe
ainsi la nuit du 18 au 19, la journée, la nuit suivante. Le
20, les choses tournent au pire; aucun secours n'est venu,
aucun n'est annoncé, et une forte colonne ennemie est
en vue avec du canon. Après une légère escarmouche on
capitrfîe, et le 21, les Prussiens, entrent musique en
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 873
tête. On pourrait s'étonner de Tinaction des troupes
françaises du 18® corps, qui venait précisément de dé-
barquer à Gien et avaient la libre disposition de la
voie ferrée sur Montargis. Mais il ne faut pas oublier
que le 18® corps était placé sous le commandement
immédiat, exclusif de T administration de la guerre. Or,
tbus^ les télégrammes de Tours prescrivaient rigoureu-
sement l'immobilité « en attendant de nouveaux or-
dres. » C'est donc à Tadministration de la guerre de
ce temps-là que les habitants de Montargis sont parti-
culièrement redevables de cette première occupation,
qui dura trois jours.
Les Prussiens arrêtèrent et emmenèrent comme ota-
ges plusieurs notables, ainsi que le sous-préfet qui
n'avait fait que son devoir. Les nombreux soldats ins-
tallés à la gare la pillèrent quelque peu pour se dé-
sennuyer: des marchandises que Ton croyait avoir bien
cachées furent découvertes trop facilement^ dit-on. Ins-
truites de la mise en mouvement bien tardive des
troupes françaises,' les deux brigades prussiennes quit-
tèrent Montargis dans la matinée du 24, à une heure
de distance l'une de l'autre ; la première se dirigeant
sur Beaune-la-Rolande, en suivant la voie ferrée.
L'autre prit la route de Ladon ; cette localité désormais
célèbre n'est qu'à trois lieues de Montargis. Quelques
heures après, on entendit de ce côté le bruit d'un en-
gagement assez vif; la faible arrière-garde prussienne
restée en ville, disparut aussitôt sans prendre le temps
d'emporter ses provisions. A quatre heures, il n'y
avait plus un seul Prussien à Montargis.
« Nous avons fait enfin un mouvement en avant I »
écrivait le lendemain M. Mittchell. La veille, en effet,
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S74 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
le commandant du 18® corps (colonel Billot), ayant ob-
tenu «n/fn de Tours la permission de remuer, s'était •
hâté de faire transporter, par la voie ferrée, son avant-
garde sur Nogent. De ce point, les troupes débarguées
s'étaient avsmcées jusqu'à 8 kilomètres de Montargis^
où la fiatigue seule les empêcha d'arriver le jour même^
Billot avait devancé avec intelligence les ordres du
général en chef Gambetta, qui n'autorisa que le 25 par
un nouveau télégramme ce mouvement sur Montargis,
accompli (Jopuis vingt-quatre heures. (D'Aurellesp.237),
En circulant parmi nos troupes, en accélérant leur
marche, M. Mittchell se reprenait à espérer. Pendant
la journée du 24 on avait entendu de toutes les gares,,
depuis Mon targis jusqu'à Gien, le canon du côté de
Ladon. C'était le 20^ corps qui était aux prises avec
l'ennemi « et qu'on disait vainqueur. Le lendemain ma-
tm, le sous-inspecteur Lévino courut aux renseigne-,
meuts. Après une lutte indécise et sanglante contre les
deux brigades venues de Montargis, le général Crouzat,
ne voulant pas s'engager à. fond sans le 18° corps,
s'étaist replié en bon ordre sur Bellegarde ; cédant
Ladon aux Allemands qui l'évacuèrent à la Auit. Bien
qu'ils eussent enmené une vingtaine de charrettes de
morts et de blessés, il restait là le lendemain plus
de leurs blessés que des nôtres, et à chaque ins-
tant on apportait de leurs morts trouvés dans les bois.
Un poste qu'ils avaient laissé à Ladon, et dont M. Lé-
vino avait signalé la présence au général Crouzat, fut
eolevé par nos chasseurs.
L'issue de cette jourifée n'était rien moins que dé-
courageante. « Je crois, écrivait M. Mitchell, qu'à pré-,
sent que le 18«,a toit sa jonction avetc le 20®, qui de -
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 375
son côté doit être relié à rarmée de la Loire, il y a
lieu d'espérer que nous marchons définitivement
sur Paris. Je vous prie donc de vouloir bien me ren-
dre les agents des gares repliées, afin que je puisse
les réinstaller au fur et mesure..., suivre les mouve-
ments de Farmée, lui porter vivres et munitions. »
(Lettre du 25 nov.)
Quarante-huit heures après, Tinspecteur principal
était forcé de reconnaître qu'il s'était trop pressé de se
réjouir. La journée du 26 avait été pour lui des plus
laborieuses. Il avait effectué sur Montargis de nom-
breux transports de troupes, de vivres, de munitions :
près de 400 wagons se trouvaient déjà accumulés dans
cette gare. Le 27 au matin, on lui demandait encore à
Gien pour Montargis un train spécial de 36 wagons de
vivres et de fourrages. Gien était lui-même tellement
encombré, que, pour former ce train spécial, il fallut
faire vingt et une manœuvres, qui durèrent ôept heures.
L'inspecteur principal part avec ce train de vivres et
fourrages. Il le conduit jusqu'à Solterres, et part en
avant pour lui faire faire de la place en gare de Mon-
targis. Mais là, il trouve un ordre de l'intendant géné-
ral à son adresse, et reste stupéfait en apprenant que
« le mouvement du 18® corps, se faisant dans la direc-
tion de Bellegarde, impose la nécessité de faire rétro-
grader promptement sur Oien tout ce qui avait été
transporté d'approvisionnements, etc. ; qu'on va faire
des distributions toute la nuit, que le chemin de fer
remportera le reste ; enfin, qu'il faut absolument que
l'évacuation de la gare de Montargis soit terminée le
lendemain, à six heures du matin, parce que lès grand -
gardes seront relevées à cette heure-là. »
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37« CHEMINS DE PER FRANÇAIS
Oé mouvement oblique vers Bellegarde avait pour
but de mettre enfin le 18° corps en communication
avec le 20®, replié sur ce point à la suite de l'engage-
ment du 24. Mais, en se rabattant ainsi sur la gauche,
le 18* corps découvrait la ligne du Bourbonnais ; Mon*
targis , délivré de la veille , allait se retrouver à la
merci de T ennemi, qui avait des postes à 8 ou^ 10 kilo-
mètre» de cette ville. Au moment où M. Mitchell rece-
vait cette communication peu agréable, il lui arrivait
de Gien, pour l'achever, une dépêche d'un autre inten-
dant, M. Robert. Celui-ci, agissant en sens inverse des
nouvelles dispositions qu'il ignorait, annonçait Texpé^
dition d'un nouveau et gros convoi de vivres ou de
munitions sur MontargisI Le malheureux inspecteur
n'eut que le temps de faire arrêter et garer à Nogent
ce nouveau train. Puis, rCy comprenant plus rim.^ il
courut en ville (Montargis). Là il apprit qu'effective-
ment tout le corps d'armée était parti, moins la divi-
sion Perrin, formant T arrière-garde, laquelle devait
s'éloigner, à son tour, le lendemain matin. Ce général
lui confirma que Montargis allait rester absolument à
découvert. Il fallut donc évacuer complètement la gare
dans la nuit.
Cette opération ramenait sur Grien 340 wagons de
plus, et y porta l'encombrement à sa dernière puis-
sance. L'intendance ne devait pas, jusqu'à nouvel
ordre ^ diriger d'autres convois sur cette gare. M. Mit-
chell en avait obtenu la promesse formelle ; pourtant^
dès le 28, on lui annonçait de nouveaux arrivages,
plus un train de troupes : « Je ne sais, écrivait-il, coia*
ment j'en sortirai.. U y a des wagons de vivres sur uue
longueur de deux kilomètres, et l'on ne veut preiidre
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANÉE a77
livraison que dans la gare. On n'emporte que le pain frais;
l'autre reste éternellement et sera perdu. » Vivement
affecté de ce gaspillage , M. Mitchell n'avait cessé de
réclamer la présence, au siège de l'inspection princi-
pale, d'un fonctionnaire de la guerre, ayant mission et
autorité de faire faire avec ordre les déchargements.
L'intendance imagina de remédier au mal en les
suppriniant par l'application du fanaeux système de
lagons immobilisés. Nous avons retrouvé une pièce
dans laquelle cette invention est exposée ex professa.
C'est un. ordre délivré à Tours à M. C, élève des
ponts et chaussées, de se rendre à Nevers, Moulins et
Clermont, pour s'entendre avec les agents supérieurs
du chemin de fer, afin de faire garer dans les stations
importantes les wagons des subsistances, lesquels ne
doivent plus être désormais déchargés qu'exceptionnel-
lement^ et pourront ainsi être mis de suite en mouve-
ment, à la première demande.
Le 28 novembre, M. Mitchell écrivait : « Evidemment
une bataille est imminente ; si on recule, je ne sais
comment j'évacuerai. . . Le train qui nous arrive con-
tient des malades, des mobilisés ivres, dés isolés de
toutes armes, tous les embarras. Les agents sont tous
exténués. » Cependant, plus heureux que quelques-
uns de ses collègues, il avait trouvé iin intendant avec
lequel on pouvait s'entendre. Il avait été convenu
entre lui et M. Robert que, pour rendre le service
possible, on répartirait les wagons de vivres, suivant
la nature de leur contenu, entre Gien et. les gares sub-
séquentes dans la direction de Cosne. Un employé de
l'intendance, de garde à Gien, devait délivrer chaque
jour à l'inspection principale un bordereau indiquant
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.^78. CHEMINS DE FER FRANÇAIS
les quantité! de dutqae chose demandée pour le lende-
main. 634 wagons étaient ainsi répartis sur une lon-
gueur de 94 kilomètres, de la gare de Gien à celle
de Fougues, entre Cosne et Nevers, quand commença
le refoulement général imposé par les événementfi
malheureux qui venaient de nous faire reperdre .
Orléans.
Le 28 novembre, au matin, le canon se faisait en-
tendre de nouveau à Touest de Montargis. M. Lévino
y courut de suite , se dirigeant sur Mézières.
Quand il y arriva, le combat finissait à notre avantage,
au moins en grande partie. Une seule de nos attaques
avait échoué, celle de Beaune-la-Rolande, où le prince
Frédéric-Charles avait d'abord envoyé Tartillerie de
réserve du 10" corps prussien, qui, ce jour-là^ fut
engagé presque tout entier. Un peu plus tard, il
dirigea encore sur ce point la 3* division (Stulpnagel)
et la 1" de cavalerie.
Bien qu'il fût déjà plus de cinq heures, Billot propo-
sait une nouvelle attaque combinée. Crouzat, qui com-
mandait en chef, comme le plus ancien, jugea que la
journée était trop avancée, nos troupes trop fatiguées,
pour aller se heurter de nouveau contre un ennemi
qui, d'ailleurs, venait de recevoir, dans l'intervalle,
un renfort considérable. Le 18® corps passa donc la
nuit à Juranville et Mézières, sur les positions qa'U
avait conquises. Billot qui, en partant de Montargis,
le 27, paraissait soucieux, était fort satisfait de la
tenue de ses troupes dans le combat du 28. 11 disait
à Lévino: Un contre un, je les battrai toujours; un;
contre un et demi, souvent. »
La gare de Bea^uie-^la-Rolande avait horribleinefi^
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 379
souffert, ou, plutôt, avait péri dans cet4e torribla
journée. Pendant plusieurs heures, elle avait essujé
le feu d-une batterie française installée à un kilof
mètre de là. Toutes les portes et les fenêtres avaient
été employées dans les tranchées ; il n'en restait pas
même des copeaux. Les bureaux avaient été incendiés
en grande partie ; toutes les provisions, tant solides
que liquidés avaient disparu, ce qui n'avait rien d'ail-
leurs que de très-naturel, les Prussiens ayant occupé
tous les bâtiments, du grenier à la cave^ du 25 no-
vembre au 3 •décembre. Le chef s'applaudissait d'^avoir
au moins mis en sûreté, d'avance, la comptabilité^ les
registres, les billets. « Je regrette de n'en avoir pas
mis plus, ajoutait ce brave homme, mais je ne me
doutais pas d'un pareil désordre. » Toutes les mar-
chandises qui se trouvaient en gare avaient été la
proie des flammes, les murs criblés de boulets. Plus
d'un mois s'était écoulé depuis cette catastrophe quand
cet agent put enân communiquer avec ses chefs. Pen-
dant ce teihps, il avait été, comme tous les habitants
du pays, bloqué par l'invasion, sans nouvelles, à peu
prèa sans vivres. « J'ai fait, disait-il, ce que j'ai pu
jusqu'alors, et je continue à rester à mon poste, atten-
dant des événements plus avantageux pour moi et la
Compagnie. »
Du 28 novembre au 5 décembre, les employés de la
ligne du Bourbonnais passèrent par bien des alterna-
tives d'anxiété poignante et d'espoir. Le !•' décembre,
Gîen et Montargis recevraient du commandant du
18» corps un télégramme ainsi conçu : « Ne dirigez
plus rien sur Ladon; faites rétrograder aujourd'hui
même sur GKen tous approvisiornienrents, mùniticms,
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380 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
détachements de tous points au delà. » Cette mesure
était la conséquence des dernières instructions en-
voyées de Tours aux 18® et 20® corps, leur prescri-
vant d'appuyer sur leur gauche pour se relier au 15e,
commandé par le général des Pallières. On sait»
que, lors des malheureux événements qui suivirent
( F. Réseau d'Orléans) , les deux corps dont il s'agit
gardèrent forcément une attitude passive, dont Thisto-
riographe de M. Gambetta a prétendu rejeter le
blâme sur le général d'Aurelles, oubliant que la direc-
tion de ces deux corps n'avait été conférée* à ce général
que le 2 décembre au soir, c'est-à-dire alors qu'il
n'était plus temps d'en tirer parti, Tentreprise sur
Pithiviers étant manquée, et la situation de l'armée
entière gravement compromise par l'échec de Loigny.
« J'avais dirigé jusqu'à hier les 18® et20 eorps>... Je
vous laisse ce soin désormais. » (Télég. de M. Qam-
betta, 2 déc, 4 h. du s.; d'Aurelles, p. 321.)
Le mouvement prononcé de ces deux corjw vers
Orléans découvrait plus que jamais la ligrfe du Bour-
bonnais. Dès le 2 décembre, le bruit courait à Gien
que les Prussiens avaient reparu à Montargis : cette
nouvelle était prématurée. Quelques heures plus tard,
les télégrammes emphatiques de Tours, annonçant la
sortie de Paris, firent renaître une joie éphémère. On
expédia -des éclaireurs qui devaient tâcher de joindre,
à travers les forêts de Montargis et de Fontainebleau,
l'armée libératrice. L'enthousiasme fut bientôt re-
froidi par d'autres nouvelles. Le 4, le bruit se répan-
dit soudain que Gien même était menacé, et le colonel
d'artillerie d'Artiguelongue , commandant ée place^
requit l'inspecteur principal de préparer immédiate-
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 381
ment révacuation sur Ôosne et même au delà» et d'en-
voyer sur Montargis une reconnaissance. Dans l'après-
midi, les informations furent plus rassurantes. On
îmnonça que la gare de Montargis était gardée par des
francs-tireurs, que l'ennemi avait disparu des envi-
rons. Mais la soirée fut terrible ; on commençait à
voir arriver les bagages, les blessés du 18e corps, qui
àe repliait sur Gien, et pas même pour y rester!
Parmi ces blessés se trouvait un jeune officier d'état-
major ayant à peine la force d'articuler quelques mots.
Ce fut par lui que M. Mitchell apprit que Tarmé^^ était
coupée en deui, et Orléans repris parTennemi (1).
Une lettre du 5 décembre contient des détails na-
vrant» sur le misérable état de nos troupes, à la suite
(1) A la suite de ces nouveaux désastres, plusieurs convois
;de prisonniers français, dirigés sur l'Allemagne, firent étape
à Fontainebleau. Ils furent soignés avec rempressement le
plus généreux par les liabitants, qui parvinrent même à eu
faire évader un certain nombre : d'autres réussirent à s'é-
chapper dans la traversée de la forêt. Un officier général
anglais qui avait passé quelque temps au quartier général dt*
l'armée de la -Loire,- s'arrêta aussi à Fontainebleau après la
reprise d'Orléans. Il disait hautement que M. Gambetta
méritait d'être pendu, qu'il avait commis un crime en forçant
le général d'Aurelles à prendre l'offensive au lieu de recevoir
la bataille à Orléans (Faverie).
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ut CHEMINS DE FER FRANÇAIS
de 06 nouveau désastre. <c Ces malheiireux, écrivait
M. Mitchell, sont par trop mal vêtus pour la saîsoa
rigoureuse; ils ne peuvent combattre dans de telles
conditions... Les Prussiens couchent chez les habi^
tants, où ils ne manquent de rien ; nos pauvres sol-
dats couchent sous la tente, dans la boue ou aur la
terre glacée... Hier soir, il nous est arrivé 50 char-
rettes de blessés, dont un bon nombre grièvement;
Nous n'avions pas été prévenus; j'ai réservé pour eux
les voitures de voyageurs. Leur chargement, com-
mencé à dix heures du soir, n'a fini que longtemps
après minuit. Je renonce à vous décrire cette horrible
scène..., les cris de ces malheureux, glacés par une
course de dix heures en charrette! Nous mettions
quatre hommes pour les prendre ; chaque mouTement
leur causait d'affreuses douleurs. Et rien à leur don-
ner, pas un médecin, pas une goutte d'eau propre,
rien (1) ! Nous avons donné le peu de vin que nous
avions et quelques morceaux de sucre. J'ai écrit au
commandant de place et au préfet, pour demander
qu'une ambulance soit établie à la gare ou dans l^au-
berge à côté. Il est impossible qu'une scène aussi poi-
gnante se renouvelle. »
A partir de ce moment, les mauvaises nouvelles
se succèdent sans interruption. Le 5 encore, un télé-
gramme de Nevers annonce l'évacuation précipitée de
la gare de Tours, le reflux sur le réseau de Lyon
d'une énorme quantité de wagons de la Compagnie
d'Orléans, encombrement auquel allait bientôt s'^ajou*
(1) La gare de Qien est isolée, à une distance assez consi-
dérable de la ville,
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RESEAU DE LYON-BiEDITERRANEE 888
ter celai du matériel replié de Gien. De ce côté, en
efet, Tetinemi, qu'on n'apercevait plus la veille, avait
reparu tout à coup en force ; le 6, il avait, pour la
seconde fois> envahi Montargis. Cette ville n*avait
pluis d^aatres défenseurs que des tirailleurs de Mûnte-
video, qui détalèrent plusieurs heures avant Tappari-
tion de l'ennemi (1), et deux autres compagnies
franches qui durent aussi se retirer devant des forces
supérieures. Une quinzaine de ces tirailleurs, restés à
la garde des bagages, furent surpris et enveloppés par
plus de 150 uhlans, dans la promenade du Pâtn. Us se
défendirent avec courage, et parvinrent à se faire
jour, laissant sur le terrain quatre morts et deux
blessés.
Gien entendit à son tour le canon d'assez près dans
la journée du 7. Une colonne ennemie marchait de
Montargis sur cette ville, en suivant la voie ferrée ;
une autre plus nombreuse la tournait en marchant
droit sur Briare le long du canal. Cette manœuvre
obligea le 18© corps à se retirer précipitamment ; bien
prit à M. Mitchell d'avoir été depuis plusieurs jours
incessamment sur le qui-vive, car il dut faire âler en
quelques heures 700 wagons sur Cosne et Neveri. Lui-
même quitta Gien dans la journée du 8, et il n'était que
(1) Ces tirailleurs montévidéens avaient pour commandant
un drôle f >rt empanaché, sur lequel j*ai eu de curieux détails
p^r des officiers qui Tavaient vu à Tarmée de la Loire. Il
répétait à tout propos : ma valeur est bien connue! et néan-
moins désertait invariablement les postes qu'où lui confiait,
pour aller faire ripaille en lieu sûr, aux frais des habitants,
Ce guerrier fut arrêté, traduit en cour martiale et fusillé
pendant Tarmistice, pour pillage à main armée.
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4W4 CHEMINS DE F^ER FRANÇAIS
temps , car plusieurs heures avant son passage à
Briare, les éclaireurs ennemis y avaient paru. Ils
venaient d'essuyer, de la part de francs -tireurs em-
busqués dans la gare, une fusillade qui les fit promp-
tement déguerpir, mais qui, suivant Tusage, valut le
lendemain à la ville un bombardement. On ne laissa
en' arrière ni wagons ni machines, mais il fallut brû-
ler, par ordre de Tintendance, une grande quantité de
vivres et d'objets d'équipement qu'on n'avait pas eu
le temps de charger.
La correspondance de M. Billette, commis de l'ins-
pection, détaché à Gien, contient des détails intéres-
sants sur cette destruction et sur l'arrivée des Prus-
siens.
« Ce fut, dit-il , un bien triste spectacle que cet
anéantissement de marchandises réunies au prix de
tant d'argent et de travail. Des isolés de toutes armes,
sales ou avinés, repoussaient avec dédain des paquets
de cartouches que j'avais trouvés et que je leur
offrais... Au lieu d'écouter nos conseils, de passer la
Loire avec leurs camarades, ils continuaient de boire,
et tombaient ivres-morts dans les salles d'attente, sur
la voie et autour de l'immense brasier qui dévorait
jusqu'à des caisses de souliers... A six heures un quart,
deux arches du pont sautèrent; quelques instants après,
l'ennemi envahissait la ville par toutes les routes ...»
Cinquante ou soixante dragons fondirent sur la
gare, ramassèrent quelques-uns de ces misérables
traînards, et agirent fort brutalement avec les'
employés restés .à leur poste. L'un d'eux, vieux
soldat de Crimée , fut contraint > le sabre sur la
gorge , de briser un fusil français. Pendant ce
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r
RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 3»&
temps, une amère -garde française tiraillait de la
rive gauche; les Allemands ripostaient en bombardant
le faubourg, et menaçaient de brûler la ville si le feu
ne cessait pas. Le sous-préfet ayant refusé d'interve-
nir, quelques notables acceptèrent cette mission péril-
leuse, et s'avancèrent «n parlementaires au milieu
d'une grêle de projectiles, jusqu'à la coupure du pont.
Celui qui était en tête, portant le drapeau blanc, tomba
nQortellement atteint d'une balle française. C'était un
avoué de la ville, nommé Jardinier. A la nuit, la gare
fut envahie par une compagnie d'infanterie, « la 9® du
62o régiment, 12© brigade, 6© division, 3e corps d'ar-
mée. » Le colonel, avec des formes très-polies> s'ad-
jugea l'appartement du chef de gare et de sa femme,
et le docteur, également aimable, crocheta et dévalisa
la caisse qui se trouvait dans la chambre qu'il occupa.
Cette troupe partit le lendemain au soir dans la direc-
tion d'Orléans. M. Billette, ancien militaire, ne peut
s'empêcher d'admirer la précision, la célérité de cette
manœuvre de départ. « En un clin d'œil , sans le
moindre bruit, toute la compagnie se trouve rangée,
sac au dos, dans la cour. Le colonel descend nous
remercier, monte à cheval, puis ces deu^ents hommes
disparaissent en ordre et dans le plus profond silence,
comme des ombres. » Ce spectacle lui faisait faire de
pénibles comparaisons avec l'indiscipline scandaleuse
d'une partie des troupes françaises qui venaient de ,
quitter la ville. Dans un régiment campé en dernier
lieu près de la gare, beaucoup de soldats étaient partis
« abandonnant tout le campement : tentés, sacs, cartou-
chières, des fusils en quantité. La route de Gien était
jonchéed'armesbrisées; c'était un spectacle éooeurant...»
22
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386 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Cette ville se trouvait daas la situEtion la plus pé-
nible , servant à la fois de poste avaueé et de lieu de
passage pour des troupes nombreuses. La plupart ve-
naient de Montargis, et, au grand étonnement des habi-
tants, au lieu de continuer surNevers, retournaient
vers Pithiviers et Orléans. <* Les soldats étaient peu
communicatifs , sournois et menteurs; ils devaient
avoir la consigne de dérouter les questionneurs. »
M. Billette continuait à noter les incidents quotidiens
de Toccupation, mais sous forme de journal, car les
consignes allemandes devenaient de plus en plus ri-
goureuses^ et bientôt personne n'osa plus se charger
de lettres pour le territoire non envahi : il y allait de
la liberté , sinon de la vie. Dans certains moments on
ne pouvait ni entrer dans Gien ni en sortir, non plus
qu'y circuler librement; les employés de la gare,
n'ayant pas la permission d'aller chercher des vivres
en ville , durent avoir plus d'une fois recours à leur
réserve de biscuit pour ne pas mourir de faim. Ce
journal n^ériterait d'être publié en entier. On y re-
trouve, notés avec une précision mathématique , tous
les coups d'épingle empoisonnés de l'invasion. La
journée du 18 fut une des pires; les Prussiens avaient
découvert quelques fusils dans les caves de Thôtel
de ville; ils menaçaient de fusiller le maire. Un pla-
card somma les habitants de remettre immédiatement^
sous peine de mort, les armes qu'ils avaient pu con-
server, a Je viens d'assister sur le pont, écrivait
Billette, à un de ces spectacles qui ne s'oublient j^^inaisl
Les voitures de fusils arrivaient jusqu'à la cotipui^;
puis des soldats brisaient nos armes sur le parapet et
les jetaient à l'eau I » Ce jour-là, plusieurs des ëm-
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 387
plojés, maltraités par des soldats ivres et qui deman-
daient encore à boire , avaient abandonné leur poste.
Il était presque impossible en ville de se procurer de
la viande. Un seul boucher avait la permission d'abattre.
Les Allemands prenaient ce qui leur convenait, et
c( laissaient les os » à l'habitant. Le lendemain, situa-
tion encore plus tendue, s'il est possible; toutes les
boutiques fermées, désolation universelle. Dans un
magasin, dont les soldats ont forcé la devanture, une
veuve éplorée demande en vain grâce pour quelques
marchandises qui lui restent. Les permis de circulation
ne sont valables que pour vingt^quatre heures, car
tous les jours il y a un nouveau commandant de place,
et aucun ne veut s'engager pour son successeur. Bil-
latte a pu cependant aller en ville pendant quelques
heures ; il vient d'avoir une longue conversation avec
le commissaire de police français. Celui-ci est frappé
des allures plus énigmatiques que jamais des ennemis.
Ce jour-là (13), il n'y avait pas à Gien plus de 1,700
hommes de toutes couleurs, cavaliers bavarois, dra-
gons du Rhin, « tous inquiets et semblant flairer quel-
que chose. » Après avoir fait ostensiblement , les pre-
miers jours, des préparatifs pour établir un pont de
bateaux, comme s'ils eussent voulu aller sur Bourges,
ils paraissaient y avoir renoncé , et prenaient , au con-
traire , des précautions défensives du côté de Briare.
En effet, le flot de Tinvasion, qui s'était d'abord
porté en amont fort au delà de Gien, semblait alors
racujer. Les jours précédents, l'ennemi av$,it occupé
successivement Briare, Ôusson, Châtillon, Bonny, et
menacé Neuvy-sur-Lolre , qui n'est éloigné de Cosne
que de treize kilomètres. Ce mouvement avait forcé
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388 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
M. Mitchell à faiï*e Un nouveau pas en arrière; de
Cosne, il avait fait replier son matériel sur la Charité, et
conseillait même à son collègue de la ligne de Chagny,
M. Coffinhet, de préparer sa retraite, s'il n'était dé-
fendu par de vraies forces. Telle était la situation,
quand tout à coup on annonça que Tennemi rétrogra-
dait. Sur la demande du général de Pointe de Gévignj,
qui commandait alors à Nevers, M. Mitchell fit faire
le 12 , sur Briare, une reconnaissance par machine qui
poussa jusqu'à 1,200 mètres de la gare. Son rapport
détermina le retour d'une forte avant- garde française
sur Neuvj, Ghâtillon et Briare. L'ennemi n'ayant fait
que paraître dans cette contrée, n'avait pas eu le
temps d'y couper la voie ferrée ; l'on en profita pour
les transports de l'infanterie, des vivres et des
munitions (13-18 décembre). Les machines circulaient
jusqu'à Briare ; on rétablissait la communication avec
Gien , qui se croyait absolument délivré le 17 au point
du jour. Mais bientôt les employés de la gare
eurent le chagrin d'apercevoir à l'horizon de nou-
veaux éclaireurs qui vinrent dans la journée
leur rendre visite. Bientôt l'on apprit que Gien était
menacé par 4,000 Bavarois qui avaient remonté de
Châteauûeuf sur Ouzouer et Dampierre, en même
temps qu'une nouvelle avalanche de la'oupes ennemies^
revenant aussi d'Orléans, s'abattait sur Montargis.
Tout semblait annoncer un choc sérieux, quand sou-
dain les troupes frauoaises se replièrent sur Cosne et
la Charité. Ce mouvement rétrograde était la causé-
quence d^ la nouvelle direction donnée par Tadminis-
tration de la guerre aux deux corps (18® ôt 20®) placés
sous le commandement du générai Boui^baki. Ce qui
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 389
restait de troupes disponibles sur la haute Loire allait
se trouver réduit k la défensive , ne servant qu'à mas-
quer le plus longtemps possible cette tentative de di-
version dans l'Est, dont on espérait alors de si mer-
veilleux résultats. L'ennemi reparut sur la haute Loire,
ne rencontrant d'autre obstacle que la difficulté de
vivre dans un pays épuisé. La famine et la petite vé-
role y sévissaient à la fois. A Ouzouer, où les Bavarois
étaient cantonnés, leur commandant dut, par mesure
de prudence , faire distribuer du pain à la population
affamée et exaspérée. A la suite de quelques fusillades
de francs-tireurs, Briare, Châtillon, Bonny furent en-
vahis de nouveau, du 25 au 29 décembre, par une co-
lonne mobile de Hessois, « pires que les Prussiens. »
Ds se comportèrent on ne peut plus mal, principale-
ment dans cette dernière localité, comme l'atteste le
rapport du chef de gare, M. Sauvageon, rédigé aô
irato. « C'est avec des larmes de rage que je vous
transmets un aperçu des dégâts commis par ces scélé-
rats, ou pour mieux dire par ces bêtes féroces, car les
sauvages mêmes n'auraient pas commis pareilles hor-
reurs. » Cet agent était resté bravement à son poste,
espérant qu'il aurait la même chance que plusieurs de
ses collègues, que sa présence serait une sauvegarde
pour les propriétés de la Compagnie et pour son propre
bien : il s'abusait cruellement ! Pourtant, si nous l'en
croyons, la provocation n'avait pas été violente; un
seul coup de fusil avait été tiré sans résultat sur les
éclaireurs qui s'étaient présentés le 25 à l'entrée du
pays. « Le lendemain, ils arrivent à 4 ou 500, faisant-
feu de tous 10S côtés. Les deux premiers qui entrent
dans la gare déchargent leurs fusils par le guichet. >^
22.
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390 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Le 28, nonvellô visite non moins désagréable dans le.
pays et à la station; ils se font aider de force pour
abattre des poteaux télégraphiques. Mais c'est le 29
qu'a lieu l'exécution en règle. Cette fois ils sont.au
moiiis 2,000, demandant cognac/ et maltraitant qui-
conque leur en refuse. Les habitants en masse sont
requis de se transporter sur la voie ferrée, avec outils
pour ravager. Le maire est prévenu que pendant cette
corvée on fera des visites domiciliaires, et que toute
maison où il sera trouvé un homme valide sera incen-
diée. Mais le sol, durci par la gelée, gênait sensible-
ment les travailleurs; ce fut à grand'peine qu'on par-
vint à soulever quelques rails. Alors ce fut sur la gare
même que les envahisseurs assouvirent leur rage. Elle
fut traitée comme une redoute prise d'assaut ; tout fut
brisé , lacéré , broyé , sauf un peu de linge que les
femmes parvinrent à sauver dans cette bagarre. €eux
qui avaient conservé quelque sang-froid en usaient,
pour piller; la sobriété, c'était le vol! Ainsi cette
pauvre famille eut le chagrin de voir décrocher, plier
proprement et emporter une belle paire de rideaux
toute neuve, qui figure probablement aujourd'hui à la
fenêtre de quelque Gretchen hessoise. Sauvageon ayant
réclamé l'intervention d'un ofûcier qui savait quelques
mots de français, en reçut cette "aimable réponse :
(( Vous, monsieur de la gare, employé, n'avez rien à
dire, ou vous capout tout de suite. Oouvernement et
chemins de fer, nous les ruiner, pour empêcher troupes
françaises d'aller à Paris. » « Enfin, dit le malheureux
Chef de gare en terminant son rapport, jles employés
du télégraphe de l'État, en jetant un coup d'oeH sur
les saletés et immondices, ont déclaré n'avoir rien vu
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 3»4
de pâ.reil dans les gares qu'ils ont kantéei après des
Prussiens. »
Voilà ce qui se passait, le 29 décembre 1870, dans
ce bourg de Bonny, où Ton voit encore quelques débris
4e fenceinte fortifiée qui vit flotter dans de meilleurs
jourè l'étendard victorieux de Jeanne Darc!
XI
Le dernier jour de cette fatale année fut au moins
marqué par un succès de nos armées sur la ligne du
Bourbonnais. Une colonne mobile, composée en grande
partie de marins, et conduite par un homme énergique
que ùous avons déjà vu à l'œuvre dans l'Ouest, le ca-
pitaine de frégate du Temple, redescendit vivement,
le 30, de Cosne par Neuvj, et tomba sur cesHesspis pil-
lards de Bonny, qui, par bonheur, buvaient fort bien
et se gardaient fort mal. Le choo principal eut lieu,
le 31, à la gare même de ChâtiUon, où les IjEessois
s'étaient logés. Cette gare est située à 4 kilomètres
de la ville, sur la rive opposée. Après deux heures de
lutte, ils en furent débusqués et s^enfuirent sur Briare,
avec une perte de 150 à 200 hommes hors de combat,
tandis que nous n'en perdîmes qu'une cii^quantaîne.
Pendant ce combat, ceux des employés qui avaient eu
le courage de rester se tenaient dans la maison d'habi-
tation, évoluant, suivant les circonstances^ des combles.
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d&i CHEMINS DE FER FRANÇAIS
au sous-sol ; jusqu'au moment où retentit à leurs
oreilles ce commandement français trop rarement
entendu, hélas 1 dans le courç de cette guerre : A la
baïinmettel
M. du Temple poussa jusqu'à Briarev où Tennemi
avait fait de sérieux préparatifs de défense , rasé à
hauteur d'homme et crénelé les murs du cimetière.
Le commandant français jugea imprudent de risquer
cette attaque si loin de nos cantonnements , et re-
tourna sur Neuvy. Cette retraite, sans doute indis-
pensable, consterna les populations, qui venaient de
se croire, une fois de plus, délivrées, ou sur le point
de rêtre. M. Mitchell, qui, par suite de ce succès,
s'était reporté à Cosne, dut faire démonter en toute
hâte l'appareil télégraphique, déjà réinstallé à Ghâ-
tillon. Encouragée par notre mouvement rétrograde,
une patrouille de uhlans s'avança de nouveau, le
5 janvier, jusqu'à Bonny, mais elle fut surprise et
capturée jusqu'au dernier homme par des frâncs-
tireurs;
A la même date, M. Mouroux, chef de gare à Neuvy,
fit une excursion hardie et heureuse sur la rive gauche
de la Loire jusqu'en face de Gien, dont on n'avait plus
de houvelles depuis longtemps. Le ravitaillement de
cette ville, toujours rigoureusement gardée, s'opérait,
d'une rive à l'autre, au moyen d'une corde tendue* au
dessus de la coupure du pont, et qui servait à passer
les sacs de farine ou de légumes, et à les repasser
vides. Mouroux réussit à s'aboucher avec le commis
Billette, qui de son côté glissa subtilement sa corres-
pondance dans un des sacs vides renvoyés sur l'autre
rive. Si les factionnaires allemands s'étaient aperçus
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANÉE 393
de ce manège, ces deux hommes courageux auraient
été sûpemeht fusillés.
Cette correspondance contenait de curieux détails
sur la situation de Gien et d'autres pajs occupés par
Tennemi pendant les derniers jours de décembre. Le 20,
au moment où Ton commençait à entendre le aanon de
Du Temple, en amont de la Loire, la garnison de* Gien,
qui la veille n'était plus que de 100 hommes, se trouva
tout à coup portée à 700. Il faut s'être trouvé dans une
situation pareille pour comprendre ce que devaient
éprouver ces populations envahies, affamées par
l'étranger, en entendant ce bruit lointain de combat.
Cette sensation né peut se comparer qu'à celle du pri-
sonnier, au premier ébranlement des verrous de son
cachot. Le 31, la canonnade se rapprochait; les Alle-
mands semblaient plus anxieux. Leur commandant
étant venu se promener à cheval jusqu'à la gare, l'un
des employés lui demanda naïvement ce qui pouvait
bien se passer du côté de Briare. Cet officier, qui par-
lait assez bien le français, nessa aussitôt de le com-
prendre et partit au galop...
Les habitants de Gien eurent de tristes étrennes
en 1871. Dans l'après-midi du l®"" janvier, il leur arriva
3,000 hommes à loger et à nourrir : c'étaient les
Hessois, battue la veille à Bonny et à Chàtillon. A Gien,
tout comme à Bonny, ils agirent « en vrais bandits. »
Dès le premier soir, plusieurs habitants furent battus
ou mis sans façon à la porte par leurs pensionnai-
res, qui âe trouvaient trop à l'étroit. On ne dépassait
un corps de garde que pour tomber dans une patrouille ;
chaque boulanger avait dans sa boutique des factionnai-
res qui ne lui permettaient de délivrer du pain qu'aux
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394 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
soldats. Une proclamation annonça que le moindre
acte d'hostilité ou d'insubordination vis-à-vis des
Allemands serait puni de mort. En revanche , tout
leur était permis ; le commandant, installé à la mairie,
n'écoutait aucune réclamation. Depuis quelques jours,
les employés français de la gare avaient une société
dont ils se seraient passés volontiers ; celle d'agents
prussiens, qui venaient installer un télégraphe mili-
taire. Ceux-ci leur disaient, pour les consoler, que des
troupes de renfort, qu'on attendait de Châteauneuf,
étaient pires encore que les Hessois. Quelques jours
après, ils eurent aussi l'attention délicate de leur com-
muniquer un télégramme de Versailles ainsi conçu :
Le bombardement de Paris va bien!
La journée du 2 surtout fut abominable. Les vivres
faisaient véritablement défaut; les soldats, ivres pour
la plupart, accusaient les habitants de cacher teurs
provisions, et recouraient à la schlague pour tes leur
faire exhiber. Billette fut témoin, ce jour-là, de Tio-
lences odieuses, même contre des femmes et des enfants,
La femme d'un aubergiste auprès de la gare, nommé
Marchenoir^ fut blessée à la joue d'un coup de baïon-
nette en voulant défendre son mari contre plusieurs de
ces forcenés; ils prirent à ces pauvres gens une somme
de 35 fr., leur unique épargne, battirent les petits en-
fants, tuèrent le chien à coups de fusil... C'étaient en-
core les Hessois qui se comportaient ainsi; dans ces
dernières semaines, on leur passait tout pour les sti-
muler, comme aux Saxons, aux Badois, aux Bavarois,
à tous ces vassaux du nouvel empire d'Allemagne, plus
las de la guerre que leurs seigneurs et maîtres, les
Prussiens!
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RESEAU DE LYON-MÉDlTERRANEE 395
Plus d'une scène semblable arait eu lieu en ville,
et Ton se demandait avec effroi comment se passerait
la nuit. Cependant, le lendemain et les jours suivants,
unô sorte de calme relatif se rétablit. Beaucoup de soldats
partirent; ceux qui restaient, au nombre d'environ 500,
se niontrèrent « moins brigands ; » mais les difficultés
persistaient pour l'arrivage des subsistances. Elles
s'aggravèrent même, postérieurement à la visite de
Mouroux, par suite d'une levée de boucliers des gens
de la commune de Poilly, située en face de Gien, les-
quels se mirent tout à coup à tirailler sur les Alle-
mands, et à empêcher le ravitaillement par la coupure
du pont. C'était, disait-on, pour se faire rendre un de
leurs compatriotes, retenu en otage sur l'autre rive.
Ceux de Gien, de plus en plus affamés, commençaient
à trouver que leurs voisins donnaient là un témoignage
bien intempestif de patriotisme. D'autre part, les Alle-
mands furieux faisaient revenir de l'artillerie pour
bombarder la rive gauche, quand tout à coup Gien fut
délivré, mais seulement pour quelques jours, par un
nouveau revirement offensif des troupes françaises.
Le général de Pointe de Gévigny, dont le quartier
général était à Sancerre, avait conçu, vers le 10 jan-
vier, le projet de surprendre les détachements disse- .
minés de Briare à Montargis. Il avait eu, à ce sujet,
une longue conférence avec M. Mitchell, qui lui avait
communiqué les rapports des éclaireurs qu'il ne se las-
sait pas d'envoyer dans toutes les directions (1). Tous
(1) Dans ces demiert temps, il en avait reçu d'Auxerre
(rapportés par le fidèle et courageux Frédureaa), de Mon-
targis, Moret, Fontainebleau etMonterean. Le sous-chef de
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396 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
avaient vu et voyaient chaque jour depuis le commen-
cement de janvier, des passages considérables de troupes
se dirigeant précipitamment vers TEst. C'était le 2« corps
prussien, employé jusque-là à l'investissement de
Paris, et qui venait de recevoir (le 3 janvier), Tordre
d'aller se réunir au 7® pour manœuvrer sur les commu-
nications de l'armée de Bourbaki. Dans cet état de
choses, une démonstration de notre part sur la Haute-
Loire s'indiquait en quelque sorte d'elle-même ; elle fut
résolue.
Depuis le dernier mouvement offensif, celui de du
Temple, le siège de l'inspection principale avait été
reporté de la Charité à Cosne, d'où l'on portait chaque
jour des vivres, par le chemin de fer, à l'avant-garde
qui était toujours à Neuvy. Le 12, l'inspecteur avança
jusqu'à Bonny pour y réinstaller l'appareil télégra-
phique. Le chef de gare lui ayant affirmé qu'on était
couvert par une bonne compagnie de francs-tireurs,
qui avait même dépassé Châtillon, M. Mitchell résolut
de pousser jusqu'à cette station. Parvenu, il s'arrêta,
bien à propos,- pour mieux examiner un poste qu'on
apercevait à la hauteur de la gare, n'étant pas tout à
fait sûr que ce fussent ces « bons francs-tireurs. » Il fut
jmmédiatement fixé à cet égard par le bruit d'une dé-
Melun, resté à son poste, faisait aussi parvenir de temps à
autre, de ses nouvelles et de celles de quelques stations de la
banlieue de Paris. Ce fut ainsi qu'on apprit que M. Mancini,
sous-chef de la gare de Brunoy, avait été arrêté le \^^ octo-
bre, retenu prisonnier pendant trois semaines, et interrogé
plusieurs fois sur un prétendu télégraphe souterrain qui au-
rait relié Metz à Paris, et dont les Prussiens croyaient que
cet employé possédait le secret.
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RÉSEAU DE LYON-BiÉDITERRAi^ÉE 397
charge et le sifflement de plusieurs projectiles, qui
firent ricocher de la neige sur la locomotive.
Le mouvement projeté contre les cantonnements
avancés de Tennemi fut exécuté le 13 et le 14, maïs il
n'y eut que refoulement et non surprise. Notre projet
était éventé et les Allemands nous c< glissèrent partout
entre les doigts. »
Le récit fait par Billette de ce qui se passa à Gien
au moment de leur fuite, mérite d'être cité. Aucun do-
cument ne donne une idée plus juste des conflits qui
se produisaient parmi les populations lors de ces déli-
vrances éphémères.
« Ce matin (14) de bonne heure, une vive fusillade
se faisait entendre du colé de Bel-Air, et, dès huit
heures, la retraite des ennemis s'opérait précipitam-
ment... A onze heures, une quarantaine de cavaliers
arrivèrent de Briarc sur la voie, et stationnèrent une
heure et demie à la gare, la carabine au poing. Ils
rassemblèrent une trentaine d'hommes, femmes et
enfants, qu'ils trouvèrent dans les vignes ou rencon-
trèrent allant au marché, et les poussèrent devant eux
à coups de sabre, en se dirigeant sur Gien par la route
ordinaire. Ces pauvres gens servaient tout simplement
de boucliers à ces misérables.
« En sortant de la gare, je vis un paysan qui m'af-
firma que les troupes françaises étaient tout près... En
ville, je communiquais la nouvelle à tout le monde, en
appelant les hommes aux armes, tant j'étais surexcité
par les dernières scènes de violences. Les ennemis
fuyaient dans toutes les directions. Je me dirigeai vers
le pont avec quelques citoyens qui me connaissaient.
Là, je me mis on communication avec M. Pouchart,
23
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m CHEMINS DK FKR FRANÇAIS
conseiller municipal du £&ubourg de Berry. Je le priai
de faire mettre des échelles de son côté tandis qu^on
en mettrait da nôtre, de manière à permettre à, ceux
de la rive gauche, qui avaient des armes, de passer, et
de donner à Gien Texemple du soulèvement... Tout cela
fut fait : quelques instants après , une trentaine
d^hommes passaient de notre côté en armes, me remet-
taient un fusil et des cartouches, en me priajit de
rester à leur tête, ce que j'acceptais de grand cœur;
quelques habitants de Gien vinrent nous apporter leur
concours. • Sur la demande d*un grand nombre de
citoyens, je fis sonner le tocsin à Saint-Louis. De bons
patriotes... que je regrette de ne pas connaître, firent
couper les cordes quelques minutes après. Je ûs faire
immédiatement une barricade sur le pont, en priant
M. Fouchart de laisser les échelles pour nous ménager
une retraite, dans le cas où nous viendrions à être
assaillis par des forces supérieures. En ce moment,
quelques personnes, ne voyant pas paraître nos gens,
semblaient douter de ma bonne foi, lorsqu'une clameur
immense s'éleva sur le quai : ks Français l... Trois
cavaliers, en effet, débouchaient sur la plaice Saint-
Louis et étaient acclamés; ils annonçaient l^armée
pour cette nuit ou demain matin au plus tard. Ceux qui
avant cela ne me regardaient plus d'un bon œil vinrent
alors me serrer la main et me remercier... » Par mal-
heur les ennemis étaient évadés; on ne put ramasser
que quelques traînards.
Cependant, la nuit venait, et avec elle Théaitation,
rinquiétude; on ne « voyait pas prendre les armes à
ceux qui, la veille encore, affirmaient tout bas qa*il j
avait 300 fusils cachés, et des hommes décidés à s^en
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RESEAU DE LYC^^MEDITBRRÂNEE 399
servir. » Force gens se reprenaient à douter de Tar-
rivée des Français, à redouter le retour des autres 1
Les plus résolus, restant en trop petit nombre pour
défendre seulement la ville contre une surprise noc*
turne, avaient remis la partie au lendemain matin.
Mais Tavant-garde française, composée des mobiles de
l'Yonne^ arriva à la gare vers minuit... Il y eut alors
un revirement contre les circonspects : on les accusait
même d'intelligences avec Tennemi. Il faut le dire,
rhésitation du moins était excusable, après ce qui
s'était passé dans tant de localités, et tout récem-
ment à Gien même. On était las de trompeuses
espérances , las de cette guerre imprudemment
commencée, follement poursuivie. On savait trop quel
était* pour les populations, le profit habituel de ces
^ retours, de ces surprises éphémères; on craignait, et
malheureusement on avait raison de craindre, qu'il
n'en fût de même encore cette fois.
M. Mitchell avait suivi en wagon le mouveinent de
nos troupes jusqu'au kilomètre 168 (à4kil. de Briare),
où la voie était coupée. Il se rendit à Briare, dont la
gare avait été fort saccagée lors des derniers événe-
ments, puis en voiture jusqu'à Gien. Là, il eut le
plaisir de serrer la main au chef de gare Guenon, resté
à son poste avec sa famille au milieu de toutes ces
péripéties, ainsi qu'au brave Billette, moins joyeux de
sa délivrance qu'affecté de n'avoir pu « reconduire un
peu » l'ennemi. En revenant à Briare après cette courte
absence, l'inspecteur principal trouva que dans l'inter-
valle la voie avait été déjà réparée et la locomotive
amenée en gare, grâce à l'activité exceptionnelle des
agents de la voie, et surtout du chef poseur Balot.
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iOO CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Mais une nouvelle et amère déception attendait là
rinspecteur, qui pensait rétablir immédiatement le
service, sous la protection de Tavant-garde française.
Le commandant de cette avant-garde lui annonça que
le but du mouvement étant manqué, puisque l'ennemi
prévenu à temps d'une manière ou d'une autre, avait
pu s'échapper, on allait rétrograder de suite sur
Neuvj... En transmettant, le 18 janvier, cette triste
nouvelle au directeur de l'exploitation, M. Mitchell
ajoutait : « Si l'ennemi ne revient pas à Briare, ce sera
uniquement faute d'j pouvoir vivre. » Et, avant de
fermer sa lettre, il apprenait que déjà les éclaireurs
allemands reparaissaient aux abords de Gien.
Quelques jours après, il fut appelé d'urgence à
Besançon, pour aider ses collègues des lignes de Bour-
gogne et du Jura dans le redoutable surcroît de travail
que leur imposaient l'échec de l'armée de l'Est et les
progrès de l'ennemi dans cette direction (1).
L'une des dernières pièces du dossier de la ligne du
Bourbonnais pendant la guerre est une reconnaissance
de l'infatigable Billette sur Montargis (23 janvier).
Bien que cette ville fût soigneusement gardée, il avait
réussi à y pénétrer, et rapportait une description
exacte de tous les ouvrages de défense, et les détails
les plus complets qu'on eût eus jusque-là, concernant
la mise en activité récente du service allemand sur les
portions du réseau d'Orléans et de Lyon. Les convois
(1) M. Mitchell a été décoré l'un des premiers pour sa con-
duite pendant la guerre. Jamais rémunération ne fut mieux
méritée ; il est seulement regrettable qu'on n'ait pas su tirer
un meilleur parti de ses services.
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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANÉE 401
circulaient irrégulièrement, mais enfin circulaient de
Nuits-sous-Ravières (ligne de Bourgogne) à Orléans
par Moret, Montargis, Juvisy. Les agents français ,
ajant refusé leur concours, avaient été expulsés et
remplacés par un personnel allemand (1). Ces trains
transportaient des vivres» des malades, de Tartillerie,
de la troupe ; ils devaient prochainement prendre des
voyageurs.
A son retour de Montargis, Billette eut le chagrin
de trouver Gien sous le coup d'une prochaine réoccu-
pation. L'ennemi revenait en force du côté de Dam-
pierre, et l'on entendait dans cette direction, à moins
d'une lieue de la ville, le bruit de la fusillade. C'était
une poignée de francs-tireurs qui, postés aux abords
du village de Nevoy, essayaient encore de retarder le
retour de la colonne allemande. Dans la soirée du 25,
M. Jacqmin, inspecteur, chargé de l'intérim en l'ab-
sence de M. Mitchell, apprit en effet que Gieuï^était de
nouveau envahi, Briare menacé de bombardement
L'armistice arrêta ces représailles iniques, mais, par
suite du dernier mouvement rétrogade des troupes
(1) Dès le 28 décembre, les ingénieurs prussiens étaient
arrivés à la station de Moret. Ils s'adressèrent au seul .em-
ployé resté à son poste, et demandèrent les chefs. C'était le
buffetier, qui répondit : « Je suis chef de cuisine, il n'y en a
plus d'autres. » Ils auraient voulu au moins avoir un méca-
nicien pour faire marcher la machine fixe : le buffetier leur
dit « qu'il n'en avait pas à leur servir. » Ils prirent mal la
plaisanterie, menacèrent de le fusiller^ et enfin lui signifièrent
qu'il resterait prisonnier à son buffet, et nourrissant à ses frais
chef, sous-chef, employés du télégraphe, inspecteur, tous
armés de grands sabres et d'un formidable appétit.
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402 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
françaises, le département du Loiret se trouva compris
tout entier dans la zone d'occupation prussienne.
XII
Le transport des quatre corps composant l'armée de
l'Est, effectué du 20 décembre 1870 au 16 janvier sui-
vant, est rincident le plus considérable qui se soit
produit pendant la guerre, sur le réseau de la Compa-
gnie de Lyon-Méditerranée. C'est aussi à propos de
cette opération que les plus graves reproches lui ont
été adressés. L'ancien délégué à l'administration de la
guerre, qui, dans son livre intitulé la Guerre en pro-
vince, persiste à vanter le plan de diversion dans
l'extrême Est comme une des plus belles conceptions
stratégiques des temps modernes, en attribue l'issue
déplorable à la lenteur extrême et aux désordres des
transports. « Telle fut, dit-il, la première, et sans doute
la vraie cause de l'insuccès d'une expédition qui, au
dire de toits les hommes spéciattx, était destinée à pro-
duire de grands résultats (1). » Nous regrettons que
rhistoriographe de M. Gambetta n'ait pas jugé à pro-
pos d'indiquer, parmi les militaires initiés à cette
combinaison, les « hommes spéciaux » qui s'en émer-
veillaient si fort. Le général Bourbaki n'en était pas,
car il aurait voulu au contraire passer la Loire au-des-
(1) M. de Freycinet, La guerre en province^ p. 224.
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANËE 403
SOUS de Nevers, se rabattre sur Paris par Montargis et
la forêt de Fontainebleau. Le général Chanzj n'en
était pas non plus, car sa correspondance prouve qu'il
combattit de toutes ses forces le plan du dictateur, dès
qu'il lui fut connu, et jusqu^à la dernière heure. Il pro-
posait un mouvement concentrique sur la capitale, con-
centré entre son armée, celles de Faidherbe et de
Bourbaki, et appuyé par quelque vigoureuse sortie de
Tarmée de Paris. M. Gambetta, qui voyait les choses
de plus haut, répondit que a Faction dans Textréme
Est lui semblait à la fois plus sûre et plus menaçante. »
Justement efirayé du peu de sûreté que présentait une
telle opération, entreprise avec des troupes nouvelles,
dans un pays de montagnes et au fort d*un hiver des
plus rigoureaux, le général Chanzy télégraphiait
encore à Bordeaux, le 6 janvier : « Paris a des vivres
jusqu'au 15 janvier seulement, et à partir de là ne
vivra que d'expédients.... Il y a urgence à faire un
très-prompt et suprême effort sur Paris.... Je trouve-
rais bonne l'opération dans l'Est, de Bourbaki, si le
résultat pouvait en être plus immédiat pour Paris. Ces
considérations puissantes me font toujours insister pour
l'adoption et l'exécution à bref délai du plan que je
vous ai proposé. »
M. Gambetta fit répondre qu'il était trop tard pour
changer de plan ; que d'ailleurs il persistait à considé-
rer celui auquel il s'était arrêté comme le meilleur,
« que c'était celui qui démoraliserait le plus les armées
allemandes, » enfin que Paris pouvait encore atten^
dre... (1). U était trop tard en effet; à cette date, la
(1) Général Chanzy, La deuxième armée de la Loire^
p. 240-254.
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404 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Compagnie de la Méditerranée avait déjà transporté
dans l'Est la plus grande partie de Tarmée de Bour-
baki.
Le 19 décembre, à trois heures du matin, le direc-
teur de l'exploitation du chemin de fer de Lyon,
M. Audibert, recevait la dépêche suivante de M. de
Freycinet, expédiée la veille de Bordeaux, à 11 h. 20
du soir :
« n est probable que Gambetta présent à Bourges,
aura besoin, demain lundi, du concours de votre Com-
pagnie, pour prendre des dispositions spéciales. Je
vous prie donc de vous rendre immédiatement à Bour-
ges, et de vous adresser de ma part à M. de Serres
chez M. Grambetta. Il n'y a pas un instant à perdre. »
M, Gambetta s'était en effet rendu à Bourges en
quittant l'armée de la Loire. Il avait voulu se montrer
à celle de Bourbaki pour raffermir son moral, et lui
communiquer, selon l'expression de son historiographe,
« cette flamme qu'il portait en lui. »
Ce fut donc par M. Vieczflinski (de Serres), qu'on
apprit qu'il s'agi'ssait de transporter, avec la plus
grande rapidité possible, le 18« et le 20* corps alors
concentrés sur Bourges, de la Charité et de Nevres
sur Autun, Chagny et Châlons ; et, en même temps^ le
24* de Lyon vers Besançon. C'était donc environ
90,000 hommes à voiturer sur un parcours moyen
d'environ 240 kilomètres, plus l'état-major général et
tous ses accessoires, télégraphe, postes, caisses, ambu-
lances, etc.
M. Audibert fit observer que tout le matériel dispo-
nible de sa compagnie allait se trouver absorbé, rien
que par le mouvement de Lyon sur Besançon ; que,
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RESEAU DE LYON-MÉDITERRANEE 405
par conséquent, il était indispensable que la Compa-
gnie d'Orléans fournît au moins une partie du matériel
nécessaire pour le transport des troupes réunies à
Bourges. Cet arrangement fut concerté avec Tingé-
nieur en chef de la Compagnie d'Orléans, M. de la
Taille, qui assistait à la conférence. De son côté, le
directeur de la Compagnie de Lyon expédia de suite à
ses agents les instructions nécessaires. Ces dépêches
furent remises au bureau télégraphique de TEtat, à
Bourges, à 10 heures 30 du matin. Néanmoins, les com-
munications télégraphiques étaient si encombrées, que
les dépêches ne parvinrent à destination que douze
heures et jusqu'à vingt heures plus tard. Une première
journée, celle du 20, fut ainsi totalement perdue.
D'autre part, la Compagnie d'Orléans, qui avait ses
difficultés particulières (voir ci-dessus l'article d'Or-
léans), ne fut en mesure de commencer sa livraison de
matériel que vers le 23 au soir. C'était un nouveau
retard de deux jours, qu'on ne saurait non plus attri-
buer, comme fait l'auteur de la Guerre en province, au
« défaut d'entente entre l'état-major de Bourbaki et la
Compagnie P. L. M. »
Il eût été néanmoins possible, facile même, de com-
mencer dès le 21 ce transport de Nevers sur Chagny ;
et le même écrivain, qui déplore cette série d'ajourne-
ments, ne peut s'en prendre de celui-là qu'au délégué
de l'administration de la guerre, c'est-à-dire à lui-
même. En effet, le matériel dont la Compagnie de Lyon
aurait pu disposer se trouvait immobilisé à Lyon, en
vue du mouvement du 24® corps qui, d'après les indi-
cations de M. Wieczflinski, devait avoir lieu en même
^temps que celui de Nevers. Néanmoins, cet autre mou-
23.
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406 CHEMINS DS FER FRANÇAIS
yement ne s'effectua que huit jours après. Pendant
tout ce temps, malgré ses instances réitérées, le direc-
teur de Texploitation ne put obtenir d*avis officiel
d'ajournement, de telle sorte qu'il restait sous le coup
d'une réquisition à laquelle il devait se tenir prêt à
déférer d'urgence. Se sentant dans leur tort, les gens
de Bordeaux ne s'en plaignaient que plus vivement,
suivant l'usage. Dès le 22, les télégrammes menaçants,
injurieux, commentaient à pleuvoir sur Lyon et Cler-
mont*Ferrand. Le commissaire Wieozflinski télégra-
phiait d^Autun : « Les troupes attendent. J'appelle
votre attention sur les conséquences dont vous êtes
responsable. » — « L'embarquement, ajoutait de Bor-
deaux M. de Freycinet, se fait avec une lenteur qui
sera une étemelle honte pour ceux qui en sont la cause.
Dès demain, une enquête sera ouverte, etc. » A la
même date, M. Gkimbetta, qui était allé « porter sa
flamme » à Ljon, 7 faisait, à la suite d'un repas copieux,
une scène des plus violentes à l'inspecteur principal
Cottiau. Il s'exprimait avec tant de volubilité,
que son interlocuteur pouvait à peine placer un
mot. Il parvint enfin, dans une deuxième conférence
qui eut lieu le lendemain matin, à articuler que,
d'après les instructions formelles de M. Gambetta lui-
même, la Compagnie était forcée de tenir en perma-
nence à Lyon du matériel, qui apparemment ne pouvait
se trouver enmême temps àNevers. Le dictateur semblait
alors plus calme, et prit cette observation en assez bonne
part, mais il n'en fut pas de même lors d'un dernier
entretien qui eut lieu dans Taprès-midi : le déjeuner
avait porté conseil. La scène de la veille recommença
avec la même violence ; l'inspecteur ayant réitéré son
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RESEATJ DE LYON-MEDITERRANEE 407
obseryation, son fougueux interlocuteur 8*écria que
cela ne le regardait pas ; que c'était à Tadminietration
du chemin de fer de satisfaire à toutes les nécessités
du moment ; qu'il était très-mécontent, etc. (1).
Cet incident nous donne lieu de placer une remarque
générale, utile pour Tétude des mœurs gouverne-
mentales de ce temps. En général, les dépêches expé-
diées le matin de Bordeaux étaient relativement
modérées; au contraire, les injures^ les menaces
foisonnaient dans celles expédiées sous Tinfluenoe du
repas du soir. Bordeaux avait la digestion féroce.
Le représentant de la Compagnie répondit le 24 aux
menaces de Bordeaux, par un exposé calme et véri-
dique de la situation.
En même temps, il se décida à considérer comme non
avenu Tordre relatif au transport immédiat du 24« corps,
et par conséquent à faire refluer sur Nevers le matériel
préparé à Lyon. De son côté, la compagnie d'Orléans
s'exécutait, et l'embarquement prit dès lors une allure
un peu plus accélérée. Il se faisait simultanément dans
trois stations : la Charité, Nevers et Decize. Le même
jour, le général prussien, Werder, informé de ces
grands arrivages de troupes et en comprenant enfln la
destination, faisait évacuer Dijon et se concentrait sur
Vesoul. Jusque-là il n'avait été préoccupé que de celles
qui auraient pu être envoyées contre lui de Lyon. Les
Prussiens avaient d'abord craint par-dessus tout l'action
combinée de Bourbaki avec Chanzy, et pris de grandes
précautions pour mettre obstacle à cette réunion solli-
citée en effet par les généraux français. Mais la Délé-
(1) Lettre de M. Cottiau à M« Audibert, du 23 décembre.
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408 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
gation en avait décidé autrement ; elle faisait à Tennemi
plus beau jeu qu'il n'espérait.
Une seule circonstance, la célérité du transport, au-
rait pu compenser jusqu'à un certain point les incon-
vénients de ce mouvement de l'armée de l'Est, imprévu
à force d'absurdité. Mais les mauvaises dispositions de
l'administration de la guerre, jointes à la rigueur per-
fide de la saison^ ne nous laissaient même pas ce der-
nier avantage.
Malgré les explications fournies par le représentant
de la Compagnie de Lyon, ^es rapports avec Bordeaux
étaient toujours fort tendus. Le 27 décembre au soir,
on se plaignait encore de la lenteur avec laquelle s'opé-
rait l'embarquement à Decize, par suite d'irrégularités
dans l'expédition des trains de matériel vide expédiés
de Nevers sur cette station, et l'on « prenait acte de ce
nouveau retard. » M. Audibert répondait : « Les embar-
quements se font simultanément à la Charité, à Nevers
et à Decize. Les neiges et le froid extrême ralentissent
considérablement les manœuvres dans les gares, exigent
l'emploi de nombreuses machines de renfort. En pré-
sence des difficultés qu'on a à surmonter, il est permis
d'affirmer qu'on aurait pu faire plus et mieux qu'on n'a
fait. » Trois jours après, au moment où cette pénible
opération touchait à sa fin, une nouvelle objurgation
plus menaçante arrivait de Bordeaux. « Nous ne vou-
lons accuser h&s intentions de personne, mais il est cer-
tain que nous n'avons pas trouvé au total dans votre
exploitation les ressources et l'énergie que les Prussiens
obtiennent toujours sur leurs réseaux, que le chemin
de fer de l'Est a fournies à l'Etat au commencement de
la campagne, et que votre personnel même aurait peut-
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RÉSEAU DE LYONIMÉDITERRANÉE 40»
être su déployer, s'il s'était agi d'un trafic commercial
exceptionnel. Si votre administration n'est pas dans
des conditions à nous assurer un concours tel que nous
le comprenons, nous nous verrons obligés d'exploiter
nous-mêmes votre réseau en nommant un commissaire-
directeur. » Les gens de Bordeaux recouraient fré-
quemment à ce procédé comminatoire, et l'on a vu pré-
cédemment que, vis-à-vis d'une autre Compagnie (celle
de rOuest)^ ils ne s'en tinrent pas à de simples me-
naces.
Le directeur de l'exploitation répondit en rappelant
encore une fois les circonstances qui avaient retardé le
mouvement au début. Il aurait pu mentionner bien
d'autres difficultés d'exécution que son interlocuteur
connaissait d'ailleurs aussi bien que lui, mais qu'il lui
convenait d'oublier. Ainsi, au moment où ce transport
s'opérait, 1,800 wagons chargés d'approvisionnements,
et dont la destination n'était pas encore déterminée,
stationnaient entre Nevers et Moulins, Ces wagons en-
combraient toutes les gares et toute la seconde voie
entre Saincaize et Saint-Imbert (ligne du Bourbonnais)
sur une longueur de 16 kilomètres. Cet encombrement
créait des difficultés inouïes pour le retour du matériel.
Comme il ne restait de libre qu'une seule des voies
principales, plusieurs trains subirent des arrêts de douze
ou quinze heures. Dans cette malheureuse campagne,
l'hiver s'était mis de la partie contre nous comme en
1812. Pendant ce transport, la température se maintint
constamment de 12 à 16 degrés au-dessous de zéro;
plusieurs machines durent jeter leur feu par suite de
ruptures de conduites ou congélation de tuyaux. Ce
froid exceptionnel, accompagné de neige, paralysait
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410 CHBMINS DE. FER FRANÇAIS
aussi les manœuvres pour la formation des trains. On
était forcé de réduire beaucoup la charge des machines;
et néanmoins on éprouva encore, principalement à
, Nevers, des difficultés de démarrage qui amenèrent des
ruptures d*attelages et, par suite, d'interminables temps
d*arrét.
Une dernière cause de retard et d'encombrement
paraît devoir être portée directement au compte du
commissaire Wieczâinski. Bien que Dijon fût évacué
par Tennemi depuis le 27 décembre, les transports ne
pouvaient continuer par là, à cause de la rupture du
pont sur le canal, dont la réparation exigeait quelques
jours. M. Wieczâinski eut alors la fâcheuse idée d'ache-
miner, par les embranchements secondaires de Dôle
et Auxonne, une partie des troupes venant de Nevers
et débarquées déjà à Chagny et Chalon. En s'y prenant
ainsi il perdit du temps au lieu d'en gagner. « Pour un
trajet aussi courte dit avec raison M. de Freycinet, il
eût été bien préférable d'employer les routes de terre.
En procédant à de nouveaux embarquements et dé-
barquements d'hommes et de matériel dans les gares,
on encombrait intempestivement la voie au moment
où il eût été le plus nécessaire de la réserver aux trans-
ports de l'intendance.» {La Guerre en province^ p. 225.)
Les souffrances endurées pendant ce premier trans-
port des troupes de l'Est ont été vivement décrites par
des témoins oculaires. « Pour obtenir plus de célérité,
dit l'un d'eux, on nous embarqua en chemin de fer;
mais... de Bourges à Saincaize, pour un trajet qui se
fait ordinairement en moins de deux heures, il nous en
fallut douze; de Saincaize à Nevers, c'est-à-dire pourJ
faire neuf kilomètres, nous employâmes toute la nuit.l
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITKtRANÉB 411
De dix heures du soir à sept heures du matin, nous
dûmes rester sur le pont de la Loire. Impossible de
descendre du wagon; un rent glacial soufflait et il fai-
sait dix à douze degrés de froid. Dans le silence de la
nuit, quand les sifflets des machines se taisaient, on
entendait les glaces se choquer sur la rivière... On se
tassait les uns contre les autres pour conserver un peu
de chaleur ; mais, malgpë tout, on claquait des dents.
Ce n'était cependant que le commencement. On nous
faisait espérer qu'au delà de Nevers on marcherait
mieux. A Nevers on ne marcha plus du tout. Il
fallut laisser passer devant nous le train de Tétat-
major général ; un train de cinquante voitures ,
qui ne put être enlevé que par trois puissantes
machines. Nous, garés sur une voie latérale, nous atten-
dions tremblants de froid. Il nous fallut un jour et
deux nuits pour aller jusqu'à Chagny (72 heures
pour faire 163 kilomètres). » Les soldats du 15* corps,
transportés peu de jours après, souffrirent encore
davantage.
XIII
Le plan de campagne élaboré à Bordeaux pour Tar-
mée de Bourbaki assignait d'abord à ce quinzième
corps un rôle séparé. Tandis que les deux premiers
(18« et 20*) étaient dirigés vers Belfort et l'Alle-
magne (?), celui-là devait primitivement rester cantonné
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412 CHBMINS DB FER FRANÇAIS
autour de Vierzon, « ayant pour mission essentielle de
couvrir Bourges et Nevers, » L'immobilité de ce corps
servit aussi à dérober le mouvement des deux autres,
et prolongea Fincertitude des Prussiens sur la véri-
table portée de ce revirement. Le général Werder ne
Tavait bien comprise que le 29 décembre. L'état-major
général prussien, à son tour, trouvait le moment étran-
gement choisi pour s'en aller tenter une diversion dans
l'Est. Aussi craignait-il d'abord quelque ruse ayant
pour but de dissimuler un mouvement de concentra-
tion en sens inverse, un effort suprême combiné sur
Paris ; — précisément cet effort suprême que Chanzy
réclamait inutilement de M. Gambetta et autres
« hommes spéciaux. » M. de Moltke hésitait à croire
qu'on lui fît bénévolement la partie aussi belle. Ce ne
fut qu'après avoir reçu du prince Frédéric- Charles des
informations conformes à celles de Werder, qu'il dé-
cida la formation d'une armée allemande du Sud-Est.
Cette année, dont le commandement fut confié au gé-
néral Manteuffel, comprenait, outre les troupes de
Werder, celles qui allaient le secourir, en prenant à
revers l'assaillant, savoir le septième corps allemand
qui était alors sur la Meuse, et le deuxième qu'on pou-
vait désormais distraire sans péril de l'investissement
de Paris, grâce à l'éparpillement complaisant des forces
françaises.
Il y avait pourtant une chance pour nous dans cette
circonspection allemande, qui avait hésité un peu trop
longtemps à admettre la possibilité d'une semblable
tentative. Si, pendant ce temps, Bordeaux avait pris
de meilleures mesures pour organiser le transport de
Bourbaki, celui-ci aurait eu chance de percer jus-
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 413
qu'à Belfort, et cet avantage obtenu m extremis eût pesé
sûrement d'un certain poids dans les négociations de
Tarmistiee et de la paix. Bien des batailles ont été
perdues par de grands capitaines, qui n'avaient commis
d'autre faute que celle de refuser un moment de croire
à la réalité d'un mouvement par trop téméraire (1).
Ainsi Mante uffel n'intervint que quand tout était déjà
fini, et l'armée française en pleine retraite. Grâce à
rincrédulité de M. de Moltke, Werder s'était trouvé
seul, dans le moment le plus critique, aux prises avec
des forces numériquement supérieures. Cette supério-
rité était, il est vrai^ plus apparente que réelle : on
sait trop que là, comme ailleurs, les Allemands n'eurent
aifaire qu'à des têtes de colonnes, qui luttèrent avec
un courage, une persistance admirables, mais derrière
lesquelles il n'y avait plus que des bataillons novices
épuisés de fatigue, de froid et de besoin. Si le général
prussien conserva ses positions dans la période déci-
(1) On en trouve un mémorable exemple dans la bataille
de Friedland. Napoléon faillit la perdre pour avoir de même
hésité à admettre que Benningsen commît cet excès d'impru-
dence, de déboucher en masse au delà de FAlle, et d'engager
une affaire décisive, ayant à dos cette rivière, au risque de
s'y faire jeter par toute Tarmée française réunie, ce qui
advint en effet. Napoléon n'admettait pas d'abord que Lannes
et ses divisionnaires Oudinot et Grouchy, eussent affaire à
si forte partie. Oudinot lui envoya coup sur coup six mes-
sages : « Dites à l'Empereur que mes petits yeux y voient
bien, que c'est toute l'armée russe. » Napoléon le crut enfin
et arriva, amenant ai toute Tarmée française, » Mais il n'était
que temps, et il eût été trop tard si le corps de Lannes eût
été moins solide et moins bien commandé. (F. notre livre
sur les Français en Prusse (Didier), p. 293-295).
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414 CHEMINS DB FER FRANÇAIS
sive du 15 au 17 janvier, il le dut non-seulement à ses
sages mesures, mais surtout à la lenteur forcée de nos
mouvements, qui lui laissa le temps de s'asseoir soli-
dement sur la Lisaine, Nous n'avons été réellement
vaincus que par Thiver, et par l'incapacité présomp-
tueuse des hommes qui disposaient des dernières res*
sources de la France.
Une nouvelle et funeste crise d'encombrement se
produisit sur le réseau de Lyon pendant la première
quinzaine de janvier, par suite de Tenclievêtrement
des trains de l'intendance avec ceux qui, conformément
à de nouveaux ordres venus de Bordeaux^ transportaient
sur le théâtre des hostilités les troupes du 15* corps.
En voulant renforcer Bourbaki, on ne réussissait qu'à
l'affamer et à le mettre hors de combat.
Dès le 31 décembre, en effet, M. Gambetta ot ses
auxiliaires, impatients d'obtenir des résultats décisifs
dans TEst, se décidaient à changer la destination
assignée quelques jours auparavant au 15® corps, et à
l'envoyer rejoindre Bourbaki. A 11 heures 45 minutes
du matin, M. de Freycinet télégraphiait confidentiel-
lement au représentant de la Compagnie P.-L.-M. :
« Veuillez prendre toutes vos dispositions pour pou-
voir, aussitôt que vous en aurez reçu ordre par le
télégraphe, transporter en trente-six heures le 15® corps
d'armée, environ trente mille hommes^ avec son artil-
lerie, de Vierzon, où il est actuellement, sur un point
à déterminer de la ligne de Vesoul ou de Montbéliard.
L'ordre pourra être donné d'un moment à l'autre, mais
ne le sera pas avant deux jours. Prière de vous con-
certer avec votre collègue de la Compagnie intéressée
(Orléans), qui reçoit pareille dépêche.... » Ce trans-
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RÉSEAU DB LYON-IIÉDITERBÂNÉB 4iS
port réclamait, en effet, le conoours des deux Com-
pagnies. Celle d'Orléans avait à opérer le transport
sar l'embranchement de Yierzon à Saincaize, qui fait
partie de son réseau. C'était ensuite à celle de Lyon
d'assurer la continuation des trains depuis la bifurca-
tion de Saincaize jusqu'à celle de Chagnj, sur la grande
ligne, pour gagner ensuite, par Dijon, la bifurcation
d'Auxonne, et finalement débarquer les troupes à la
dernière station accessible d'un des deux embranche-
ments qui d'Auxonne se dirigent vers Belfort, l'un
par Qray et Vesoul, l'autre par Besançon et Montbé-
liard.
Au moment où parvenait cet ordre, la meilleure par-
tie du matériel était encore absorbée, d'uQ côté par le
transport, enfin commencé, du 24* corps ; de l'autre, par
la suite des transports du gros de l'armée, que le sous-
délégué Wieczflinski faisait continuer de Châlons et de
Chagny sur Dôle.
Le premier avis confidentiel du 31 décembre, portait
que l'ordre définitif de transport « ne serait pas donné
avant deux jours. » Néanmoins, moins de vingt-quatre
heures après, M. Audibert fut avisé derechef par
deux télégrammes consécutifs, que « le transport de
Vierzon, annoncé la veille^ commencerait le surlende-
main 3 janvier, à six heures du matin, et devrait être
terminé le 4 dans la soirée. On aurait à transporter
35,000 hommes^ vingt batteries d^artillerie et les con-
vois habituels de l'Intendance. Le point de destination
probable était Clerval, dernière station accessible au
delà de Besançon sur la ligne de Montbéliard. » Ainsi,
l'administration de la guerre ne donnait que trente-six
heures pour faire faire à un corps de 35,000 hommes,
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416 CHEMINS DE PER FRANÇAIS
arec son artillerie et tous ses accessoires, un parcours
total d'environ 445 kilomètres !
Dans sa réponse, le représentant de la Compagnie
signalait les causes inévitables de retard qui tenaient à
l'état matériel de la voie. Le pont sur le canal à Dijon
ne pouvait être rétabli que le 4. « Par conséquent, il y
aurait forcément arrêt en route des trains militaires
devant partir le 3; à moins de faire accomplir à ces
trains, à partir de Chagny, Ténorme détour de Mâcon,
Bourg, Lons-le-Saulnier, sur des lignes à fortes pentes,
où Ton ne pouvait faire un service actif. . . » U faisait
aussi observer « que la gare de Clerval, qu'on semblait
vouloir indiquer comme point de destination, était des
plus restreii^tes, et manquait absolument de quais pour
les déchargements d'artillerie et de cavalerie. Si le
transport ^tait dirigé sur cette gare, il fallait s'attendre
à des mécomptes considérables, au point de vue de la
célérité. On pouvait d'ailleurs en dire autant de toutes
les gares des deux lignes de Dijon et de Belfort ; deux
points exceptés, Dôle et Besançon. (2 janvier, 10 h.
25 m.) » Tout ce parcours, en effet, est des plus pitto-
resques, et partant des moins propres à un grand trans-
port militaire. Ce ne sont que passages en contre-bas
d'un côté, en corniche de l'autre, tranchées dans le roc
ou tunnels. On compte cinq de ces derniers, rien que
depuis Laissey, la dernière station avant Clerval.
Le délégué de la guerre semblait avoir compris de
lui-même Finsuffisance de Clerval. Le même jour, en
effet, M. Audibert reçut un télégramme expédié de
Bordeaux à midi et qui, par conséquent, s'était croisé
avec le sien, et indiquait Besançon au lieu de Clerval,
comme point de destination des trains* Un second,
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITEtoANÉE 417
envoyé dans la soirée, annonçait que tout le mouve-
ment était ajourné de vingt-quatre heures, afin qu'on
pût faire passer les trains par Dijon. On ajoutait :
a II est aussi inattendu que déplaisant pour nous d*être
avisés au dernier moment, alors que le mouvement
vous a été annoncé dès le 31 décembre au matin. » Le
délégué oubliait que, d'après ce premier avis du 31 dé-
cembre, Tordre de mouvement ne devait pas être donné
avant deux jours, et que, néanmoins, il l'avait été le
lendemain. D'un autre côté, le commissaire Wieczflinski
en prenait fort à son aise des instructions qu'il recevait
par voie hiérarchique. Oubliant qu'à la guerre comme
ailleurs, la ligne directe est souvent celle dont le par-
cours exige le plus de temps; il estimait que le plus
sûr moyen d'accélérer la jonction du 15* corps avec le
reste de l'armée était de le transporter par les voies
ferrées, le plus près possible du théâtre des hostilités.
En conséquence, comme la lutte s'engageait dans les
environs de Montbéliard, il jugea à propos de main-
tenir Tordre primitif de pousser jusqu'à Clerval.
Cette prolongation eut des conséquences déplora-
bles. On peut s'en rapporter là-dessus au témoignage
de ceux-là même qui ont fait le mal ou l'ont laissé
faire. « L'embarquement se fit très-potictuellement à
Vierzon et à Bourges. Mais les trains, ne pouvant se
décharger, restèrent échelonnés pendant plus de dix
jours, depuis Saincaize et Nevers jusqu'à Clerval, par
un froid de 12 à 15 degrés. Les chefs n'osaient pas
donner aux soldats Tordre de descendre et de se can-
tonner dans les villages, ignorant à quel moment la
circulation pourrait reprendre. Des souffrances terri-
bles furent endurées. Un grand nombre de chevaux
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41g CHEMINS DB FER FRANÇAIS
périrent. Mds ce qui fut peut-être plus désastreux en-
core, c'est que les approvisionnements de Tlntendance
furent, par suite de cet encombrement, arrêtés sur des
points. éloignés du théâtre des hostilités (1)... »
Dans certaines stations, où il n'y avait pas de quai
de débarquement, on entassait contre les wagons des
fagots sur lesquels on faisait glisser les chevaux. Ce
fait se produisit notamment à la gare de Rochefort, où
le général de Longuerue fit descendre tout un train de
cavalerie, immobilisé là depuis trois jours et trois nuits
qu'il était parti de la station de Dôle, dont celle de
Rochefort n'est qu'à huit kilomètres. On y trouva plu-
sieurs chevaux morts de froid dans les wagons.
Ainsi, d'une part, les troupes qu'on envoyait pour
renforcer l'armée de l'Est se démoralisaient dans de
longs temps d'arrêt sur cette voie douloureuse. De
l'autre, ces trains accumulés formaient, de distance en
distance, des obstacles infranchissables à l'approvi-
sionnement des troupes déjà engagées. Il ne paraît pas
que ni le sous-délégué Wieczflinski, ni le délégué de
la guerre, ni le déléguant eussent prévu des conflits pour-
tant inévitables des trains qui transportaient le nouveau
renfort de troupes, avec les trains de ravitaillement que
l'intendance avait dirigés à la suite des premiers corps
transportés. En étudiant les faits de plus près, on est
amené à penser que l'encombrement n'eût été guère
moindre si le débarquement du 15® corps avait eu lieu
dès Besançon, conformément au dernier ordre expédié
de Bordeaux. L'intendance avait des wagons accumulés
sur la ligne de Saincaize à Chagny, sur celles de Cha-
(1) Xa Gîterre en promnce, p. 227.
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉB 419
gny à Dijon et à Besançon, sans compter le double
courant plus lointain qui, à la même époque, se pro-
duisait à partir de Lyon, d'un côté vers Dijon par
Mâcon et Chalon ; de Tautre vers Besançon par Bourg
et Lons-le-Saulnier.
Quelques citations empruntées à la. correspondance
des délégués de la guerre et de la Compagnie, et de
plusieurs chefs de services, donnent un aperçu de ce
chaos. Ainsi nous voyons, le 3 janvier, M. Bidermann,
chef de Texploitation, et chargé spécialement de la
direction des mouvements ou des tentatives de mouve-
ments entre Dijon et Besançon, se débattre entre deux
demandes contradictoires et également impérieuses de
^ matériel. Tune pour la continuation des transports de
( Vierzon, l'autre pour celui des troupes de Garibaldi
rappelées d'Autun sur Dijon. M. Audibert en référait à
Bordeaux pour savoir laquelle de ces demandes devait
obtenir la priorité. Bordeaux renvoyait la décision au
général Bourbaki, et ajoutait avec son aménité ordi-
naire que d'ailleurs il était inconcevable que la Com-
pagnie ne fût pas en mesure d'assurer les deux trans-
ports à la fois (1).
De Chalon, l'intendant en chef avait adressé à Bor-
deaux une dépêche fulminante contre les retards qu'il
attribuait à Vtnsuffisance et à Vineptie du personnel de
la Compagnie. Bordeaux renvoie cette dépêche au
directeur, en y joignant l'objurgation de rigueur,
M. Audibert réplique assez vertement : « Aucun fon-
dement dans les plaintes de l'intendant X... ; qui traite
(1) Télégrammes de Dijon, 3 janvier, midi 40 m., de Cler-
mont-Ferrand, 2 h. 45 m. s., de Bordeaux, 5 h. 25.
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4S0 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
notre personnel d'inepte et d'insuffisant. Il y a bien
des retards sur Dôle, mais ils résultent de ce que Tin-
tendance» par économie, ne veut pas faire passer ses
transports par le circuit Mâcon-Bourg , et les confie aux
entrepreneurs de la ligne de Chalon à Dôle, ligne en
construction et qui n'est pas en état d'être exploitée
régulièrement. La Compagnie est tout à fait étrangère
à ces combinaisons et à leurs résultats. De leur côté,
les agents de la Compagnie, dans cette région, se plai-
gnent vivement de la manière de procéder de Tinten-
dance, qui leur donne des renseignements insuffisants
tant au départ qu'à l'arrivée. » Il paraît qu'en effet,
l'accès redoublé d'encombrement qui s'était produit à
Dôle, le 3 et le 4 janvier, tenait à ce que la destination
de la plupart des wagons avait été modifiée à cette
gare. On en avait même retenu un grand nombre pen-
dant plusieurs heures, sans pouvoir fixer leur destina-
tion définitive (1). » Il faut être juste pour tout le monde.
On comprend que l'intendance ou plutôt le commissaire
Wieczflinski, dont elle suivait les inspirations, hésitât
à abandonner le parcours direct de Chalon à Dôle, long
seulement de 78 kilomètres, pour en faire 242 par Ma-
çon et Bourg. Toutefois, mieux valait encore faire ce
détour, car il était impossible de faire plus de trois ou
quatre trains en vingt-quatre heures, et non sans péril,
sur une ligne en construction. Il y avait eu à cette occa-
sion des scènes très-vives entre les chefs de services de
la Compagnie et ce commissaire gambettiste, qui vou-
lait absolument les contraindre à intervenir dans l'orga-
(1) Chalon, Dijon, Lons-le-Saulnier, Bordeaux, Clermont,
3 et 4 janvier.
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 4ti
nisation du service direct de Chalon à Dôle, en les
menaçant, suivant son habitude, de les faire passer en
cour martiale s'ils désobéissaient. Les agents tinrent
bon, et le commissaire lui-même, après quelques essais
qui firent perdre beaucoup de temps, fut obligé de re-
noncer à l'emploi de cette ligne inachevée.
Quelques jours après, le directeur de la Compagnie
eut de nouveau maille à partir avec l'intendant en
chef, qui, non content d'imputer la lenteur des trans-
ports au peu de zèle des employés du chemin de fer,
les accusait d'avoir laissé piller des wagons de vivres
restés en souffl»ance à la petite gare de Fontaine, entre
Chalon et Chagny. M. Audibert répondait : « 3ur plu-
sieurs points, des wagons ont été pillés par les troupes
de passage, sans que les officiers aient voulu intervenir.
On ne peut exiger assurément que, dans une gare où le
personnel se compose d'un ou deux agents, ce personnel
puisse empêcher des faits de cette nature (9 janvier). »
Des faits de ce genre, en effet, se produisaient jour-
nellement sur divers points du réseau. Sous ce gouver-
nement issu d'une émeute, l'indiscipline était logique,
et lui seul pouvait être assez naïf pour s'en étonner.
Deux jours après, nouvel et plus rude assaut, livré
par le délégué de la guerre, cette fois à l'occasion des
retards que subissent les transports de troupes. Cette
irritation avait été provoquée par le télégramme qui
suit, envoyé de Dijon par un employé supérieur de la
guerre : « Depuis le 8, à trois heures du soir, aucun
train de troupes n'a pu quitter cette ville. Il y en a sept
ici depuis trois jours, cinq ou six entre Dijon et Chagny,
douze échelonnés sur la première section du parcours
de la section au delà de Dijon jusqu'à Labarre ; d'autres
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fn CHEMINS DB FBR FRANÇAIS
entre Labarre et Clerral. Les hommes et suHout les
chevaux souffrent de ces arrêts interminables, et, d'après
avis qu'on vient de recevoir de Dôle, il faut compter
encore sur vingt-quatre heures au moins d'immobilité.»
Le fonctionnaire qui signalait à Bordeaux cet état de
choses ajoutait : « Le transport à pied depuis Dole au
moins, aurait fait gagner un temps précieux. » Il avait
parfaitement raison, mais était-il juste de s'en prendre
au directeur de la Compagnie des suites fâcheuses d'une
résolution dont il avait signalé d'avance le danger? C'est
pourtant ce que fait le délégué de la guerre, qui retourne
sur Clermont ce télégramme, avec un commentaire furi-
bond: <c Je ne puis croire. Monsieur, que cette dépêche
soit exacte ; car, si elle l'était, elle dénoterait de la part
de votre administration un oubli bien grave de ses de-
voirs envers le pays. Je déclare que si pareille situation
existait, et s'il n'y était pas mis un terme immédiat, je
saurais prendre des mesures qui en empêcheraient le re-
tour à tout jamais... » « Ces retards, répond M. Audibert,
tiennent exclusivement à ce que, dans les dispositions
qui nous ont été prescrites, il n'a pas été tenu compte
des impossibilités matérielles. 1^ Le point de débar-
quement... a été reporté à Clerval. Je vous avais pré-
venu de l'insuffisance de cette gare...; 2** l'Intendance
avait encombré d'avance les gares, notamment Besançon
et Dole.... Ce système de wagons convertis en magasins
avait déjà obstrué les lignes du Bourbonnais et gêné
beaucoup le mouvement des deux premiers corps de
Bourbaki. Dans la situation présente, il a produit des
effets encore plus fâcheux (11 janvier). »
A ces causes permanentes de retard, il s'en joignait
alors une autre assez bizarre. Le déchargement avait pu
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KÉSBAU DS LYON-MËDITBRRANÉB 413
commencer à Clersral le 7 janvier. Mais le commandant
des premières troupes, arrivées en gare à une heure
assez avancée, avait refusé absolument de ^es laisser
débarquer, alléguant que ces hommes seraient mieux
dans les wagons pour passer la nuit. Il ne voulait rien
voir au delà, et Ton dut recourir à Tautorité du com-
mandant en chef pour lui faire entendre raison. En
attendant, cet obstacle impossible à prévoir avait occa-
sionné un nouvel accès d'encombrement. Pendant cette
nuit-là, rien qu'entre Francis et Besançon, sur un par-
cours de 7 kilomètres, il y avait dix-neuf tr^xas arrêtés
par suite de cette continuation en^avée sur Clerval et
on signalait à Besançon de nouveaux et énormes arri-
vages du côté de Dijon (1).
Deux jours auparavant, au moment même où Tordre
de prolongation jusqu'à Clerval venait d'être lancé, il
s'était produit un autre incident, qui faillit rendre l' exé-
cution de cet ordre tout à fait impossible. A la station
de Laissey, la deuxième après Besançon, les conduites
d'eau avaient gelé, et en même temps une fuite se dé-
clarait dans celles de Clerval. Si Ton n'avait pas réussi
à arrêter cette fuite, il aurait bien fallu, bon gré mal
gré, que le mouvement s'arrêtât à Besançon ; c'eût été
peut-être un bonheur !
Le télégramme qui suit, adressé de Clerval, le
1 1 janvier, au chef de Texploitation par M. de Lamolère,
chargé spécialement de l'opération du déchargement,
montre quel zèle déployaient, dans l'accomplissement
d'une tâche plus que difficile, ces ingénieurs dont Bor-
(1) Télégramme du 7 janvier, 11 h. 55 du soir.
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m CHEMINS DE FER FRANÇAIS
deaux, dans un télégramme d'après-dîner, inculpait
d'inertie et d'ineptie !
« Je conserve libre ma voie 5 des quais, mais les voies
3 et 7 sont occupées par le parc de réserve du grand
quartier général (colonel Tricoche). Je ne peux le faire
décharger; j'ai 160 wagons de l'intendance garés sur
l'Isle (1). Après entente avec intendant Bassignot, je
fais décharger à force, dans les cours de la gare, à ciel
ouvert, les avoines, les caisses de biscuits et de lard:
je bâcherai. L'intendance, de son côté, décharge dans
les champs qui bordent la voie de l'Isle. Aussitôt que
je le pourrai, je garerai sur l'Isle le parc Tricoche. Je
suis très-chargé, mais malgré cela, dans une bonne
situation, si l'intendant décharge aujourd'hui... (11 jan-
vier, 11 h. matin). » Mais ces efforts partiels, si éner-
giques qu'ils fussent, n'avaient qu'une influence minime
sur l'ensemble du mouvement. Ainsi que nous le ver-
rons tout à l'heure, on s'épuisait en détail pour arriver
fatalement à une impossibilité suprême, celle de l'en-
lèvement, de l'acheminement des vivres par voitures à
la suite de l'armée.
Le délégué de la guerre avait pris momentanément
un ton plus conciliant. Il télégraphiait, le 12 janvier
au matin: «Quelles que soient les parts respectives
de vos agents et des nôtres dans les retards , laissons
là, si vous le voulez bien, les vaines récriminations et
occupons-nous de sauvegarder l'avenir... » On était
alors à Bordeaux sous l'impression de l'engagement qui
venait d'avoir lieu à Villersexel, engagement heureux,
(1) Sur la portion intacte du parcours entre Clerval et la
station suivante, TIsle-sur-Doubs (10 kil.).
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RÉSEAU DE LYON-BfÉDITERRANÉE 4t5
inais dont on s'exagérait rimportance. On recomman*
dait instamment à M. Audibert de tenir son personnel
tout prêt à travailler au rétablissement de la voie ferrée,
à mesure que l'armée gagnerait du terrain. Depuis
longtemps les ordres les plus formels et les plus près-
jsants avaient été donnés à cet égard. Mais, le même
jour, de nouvelles plaintes sur la lenteur des mouve-
ments étant parvenues à Bordeaux, le délégué de la
guerre jugeait utile de recourir encore à la menace:
a Je vous prie de me dire quelles mesures vous avez
prises pour terminer ce lamentable et étemel encom-
brement, et de me faire connaître les noms des agents
supérieurs de votre compagnie qui président de leur
personne à Tèxécution desdites mesures (12janvier9
11 h. 55 du soir). »
On lui répondait : « Ce sont les difficultés de déchar-
gement, et non de circulation, qui arrêtent les mouve-
ments... On fait des efforts inouïs, mais il y a des
limites impossibles à dépasser, à Clerval surtout...
Afin de ne pas accumuler les traios à la suite les uns
des autres en pleine voie, nous les avons retenus dans
les gares intermédiaires où Talimentation des troupes
est possible. Pour ce dernier point, nous faisons le né-
cessaire^ d'accord avec l'Intendance . Il y a un grand
nombre de trains ainsi arrêtés, non-seulement entre
Chagny et Besançon, mais encore entre Nevers et Cha-
gny (1). Si Ton ne prend pas le parti d'en décharger
- (1) Bordeaux venait, en eflfet, de renvoyer à M. Audibert
une dépêche adressée directement à M. Gambetta par le chef
de la « légion bretonne, » qui se plaignait d'être retenu depuis
quatre jours dans la gare d'Etang. Le directeur de Lyon au-
Î4.
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4M CHEMINS DB FBR FRANÇAIS
une partie dus d'autrea gares oonyonablement amé-
nagées, comme Dyon ou Gray par exemple, cette situa-
tion se prolongera forcément. (13 janvier, 10 h. 30 m.)
Trois jours après, le chef de l'exploitation Bidermann
et le directeur Audibert se plaignaient de nouveau
de Tobstination deTintendant, directeur du grand parc»
qui, sourd à tous les ayertissements, continuait de di^
riger la totalité des vivres et du matériel de guerre sur
Clerval. « Dans de telles conditions, il ne pouvait ré-
pondre du ravitaillement de Tarmée en vivres et en
munitions. » Le délégué de la guerre ripostait : « Le
ministre ne saurait se contenter indéônimenib de la
réponse que la gare de Clerval est insuffisante. Depuis
le temps que cela dure^ il vous appartenait de la rendre
suffisante (I) (16 janvier, 3 h. 20, soir) (1). n commu-
niquait de nouvelles plaintes véhémentes, mais non
moins vagues de Tlntendance contre Tencombrement
qu'elle persistait à attribuer à Tindolence, sinon au maur
vais vouloir des agents de la Compagnie. Enfin, sur
Tobservation du directeur, « qu'il était impossible de
répondre à des accusations générales qui ne s'appujaient
rait dû dire qu^on faisait le possible et non le nécessaire.
Parmi les hommes ainsi bloqués, beaucoup n'ont pas moins
souffert de la faim que du froid.
(1) Malgré des observations réitérées, on avait envoyé sur
cette gare de dernier ordre, Bituée>ur une ligne à voie unique,
tous les vivres approvisionnements et munitions néces-
saires pour trois corps d^arméeau complet (18®, 20®, 24« corps),
et encore pour une partie du 15*. La station de Clerval est à
rissue d'un long tunnel, entre le Doubs et une montagne à
pic. C'était là l'emplacement qu'on aurait dû c rendre suffi-
sant! »
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RÉSEAU DE LYON-IfÉDITBRRANÉE 417
snr aucun fait précis, » Bordeaux fulminait Tincrojable
réplique qui suit:
« n faut croire que nos armées ne se comportent pas
autrement sur le réseau de Lyon que sur les autres.
Or, le réseau de Lyon est notoirement le seul sur lequel
se produisent des encombrements aussi prolongés. Le
ministre n'a pas le temps de discuter les faits point par
point. U prend le résultat d'ensemble, mitant en cela
ce que vous feriez vous-même vis-à^vis (Tun chef de gare
dont la gare marcherait constamment mal(l) C'est pour
couvrir sa responsabilité devant le pays, que le ministre
de la guerre a décidé de prendre lui-même en mains
Texploitation. Mais je renouvelle le désir et l'espoir
qu'on n'en vienne pas à une extrémité pénible pour
tous » (20 janvier, 3 h. 30 du soir). M. le délégué de
la guerre agissait en ceci comme ces cavaliers mala-
droits qui croient se tirer d'aifaire, en maltraitant la
monture qu'ils ont surchargée et surmenée. Mais, quand
il disait que le réseau de Lyon était « notoirement le
seul » qui fût alors aussi encombré, il énonçait sciem-
ment un fait inexact. Précisément à la même époque,
des embarras semblables se produisaient sur le réseau
de rOuest-Bretagne. Là aussi, Tadministration de la
guerre s'imaginait remédier à tout, en menaçant à tort
et à travers.
On touchait au dénoûment; nous allions récolter ce
qu'avait semé M. Gambetta et « ses hommes spéciaux. »
Dès le 19 janvier, tandis que Bourbaki était forcé de
se mettre en retraite, le délégué de la compagnie de
Lyon télégraphiait à Bordeaux que « les envois sur
Dijon et Besançon allaient être suspendus, sur l'avis
que Djjon et Auxonne étaient menacés. » En effet,
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41» CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ravant-garde de Manteuffël arrivait sur la Saône. De
Gray, elle menaçait à la fois Dijon et Dôle. Dans ce
moment critique, Tlntendance avait encore plus de
2,500 wagons chargés entre Lyon et Besançon. Les
voies et les gares en étaient encombrées au point de
rendre tout service impossible (20 janvier). » La com-
munication de Tarmée française vers Dijon fut inter-
ceptée à Dôle le 21, celle sur Lons-le-Saulnier le 24.
Deux divisions du 24® corps français, envoyées pour
couvrir cette dernière ligne, durent battre en retraite,
mais non pas comme on Ta prétendu, devant des forces
inférieures, car elles avaient affaire à deux corps de
Tarmée ennemie, le 2« et le 7«. L'armée de TEst, ra-
menée sur Besançon, se trouva ainsi coupée de Lyon,
séparée de ses approvisionnements y prise en tête et en
queue par des forces supérieures, sans autre refuge que
les gorges glacées du Jura, et finalement le territoire
helvétique. Là, nos malheureux soldats, vsciucus par la
rigueur de la saison, par l'ineptie du gouvernement,
bien plus que par l'ennemi, trouvèrent la plus généreuse
hospitalité. On m'a cité des villages entiers dont la
population vécut de pommes de terre pendant plusieurs
jours, se privant volontairement de son pain pour nos
soldats...
Cette diversion sur Belfort, qui, entreprise plus tôt,
aurait pu être utile n'était plus, en janvier 1871, qu'un
acte d'ineptie à outrance, un gaspillage insensé et cri-
minel de nos dernières ressources. On vient de voir
que, malgré des avertissements réitérés, on n'avait
tenu aucun compte des impossibilités matérielles de
nature diverse que présentait le transport des troupes
et des approvisionnements par le chemin de fer. Une
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 419
autre question capitale, celle du charroi par terre de
ces approvisionnements parvenus à la dernière gare,
avait été traitée non moins légèrement. Bordeaux avait
compté y pouiToir, en tout cas, au moyen de réquisitions
faites dans le pays ; Bordeaux savait pourtant que les
fourrageurs prussiens avaient, à plusieurs reprises, ré-
quisitionné d'avance en tous sens les moyens de trans-
port de vivres dans cette pauvre contrée, mais Bordeaux
Favait oublié ! Il fallut suppléer au manque de voitures,
en surchargeant de vivres les soldats débarqués, et
quand ces premières provisions furent consommées, il
n'en arriva pas d'autres, et rien n'était plus à trouver
dans ce pays épuisé. Ainsi surtout s'expliquent ces hé-
sitations apparentes, cette lenteur de mouvement qu'on
a tant reprochées au général en chef après les succès
de Villersexel et d'Arcey: pour continuer de vaincre il
fallait pouvoir vivre, pouvoir au moins combattre, et
les arrivages de subsistances et de munitions faisaient
défaut. Cependant Bordeaux avaient compris enfin les
conséquences terribles d'une semblable pénurie; les
ordres les plus pressants arrivèrent à Clermont-Ferrand
d'acheter, d'expédier tout ce qu'on pourrait se procurer
de bestiaux, de véhicules, de chevaux. On en ras-
sembla, en effet, un grand nombre, et les premiers con-
vois étaient prêts à partir... au moment où l'armée
entrait en Suisse ! Malgré cette catastrophe, et pendant
toute la durée de l'armistice, les ordres n'ayant pas
été retirés, les agents de l'Intendance, imperturbables,
achetaient toujours I
Nous n'avons pas voulu terminer ce travail sans
faire un pèlerinage sur cette voie douloureuse suivie
par l'armée de l'Est dans sa retraite. A côté de fait9
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4M CHBMINS DB FBR FRANÇ^US
honteux^ navrants, nous avons eu Tocoasion de recueillir
quelques traits consolants de patriotisme et de courage,
comme la défense des forts de Salins et de la Cluse,
qui, du moins, couvrirent Tévetsion en Suisse, grave-
ment compromise à son tour. L'ennemi, en effet, nous
suivait de bien près; il allait couper à une partie des
nôtres la retraite sur Pontarlier, sans Tobstacle que lui
opposèrent les vieux forts de Salins, armés et appro-
visionnés à la hÀte. Dans cette circonstance, Tinspec-
teur de Pontarlier, M. Robert, fit preuve de beaucoup
de sang-froid et d'activité. Par suite de Tenvahissement
de sa ligne, un certain nombre de viragons de munitions
et de vivres avaient été refoulés sur rembrancbe-
ment sans issue qui relie Salins à Mouchard. En quel-
ques heures le c^échargement de ce matériel fut
opéréy les munitions montées aux forts. Grâce à cette
célérité, la fameuse manœuvre prussienne, le mouve-
ment tournant, se trouvait arrêté cette fois; Tarmée
poursuivait sa retraite, mais dans quelles conditions et
dans quel pays! A travers les cassures abruptes du
Jura» sous des rafales de neige furieuses, nos malheu-
reux soldats escaladaient les arêtes, déroulaient dans
les fondrières : des canons, des fourgons d'artillerie
franchirent alors des passages devant lesquels auraient
regimbé les robustes attelages de bœufs du pays. Amère
dérision du sorti La un de cette aventure ressemblait
au début de l'héroïque épopée de Marengo 1
On ne saurait voir sans émotion le théâtre du der-
nier engagement, la gorge sauvage de la Cluse, à deux
kilomètres de Pontarlier. Ce fut là qu'une partie du
18® corps, qui couvrait la retraite» arrêta la brigade
prussienne Du Trossel pendant toute la journée du
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RËim\U DB LYON-MËDmOtRANÉB 4M
1« tévrier, et assura ainsi le passage de Taniiée en
Suisse (1). Sans cet effort suprême, tout était reperdu au
dernier moment : l'ennemi, déjà maître de Pontarlier,
allait refermer sur nous, an senil de la frontière, ce
cercle de fer auquel nous avions échappé à Salins*
Dans ce dernier combat, un officier dont on a trop peu
parlé, M. Ploton, chef d'escadron d^artillerie, contribua
puissamment au salut de Tarmée. Tandis que des sol-
dats d'infanterie de marine, postés sur les pentes boi-
sées, tiraillaient sans relâche, Ploton et ses hommes
paryenaient à hisser une batterie par le sentier, en
toute saison âpre et difficile, qui mène au fort de Joux.
Il improvisait avec de la neige un épaulement pour
installer ses pièces, car la plupart des embrasures du
fort sont naturellement dirigées du côté opposé, celui
de la frontière, tandis qu'il fallait tirer cette fois du
côté de la France, par lequel se présentait l'ennemi.
Soudain, de ce vieux réduit que les Prussiens ne
croyaient armé que d'anciennes pièces hors de service,
partit une décharge de canons à longue portée qui leur
(1) Lev mérite de cette défense est constaté par les relations
prussiennes. « La brigade du Trossel, qui s'était avancée au-
^elà de Pontarlier, rencontra dans les montagnes une résis-
tance acharnée. Les deux redoutes étaient armées de grosses
pièces dont le tir arrivait jusqu'auprès de Pontarlier. Pen-
dant la journée entière, V ennemi (l'arrière-garde française)
défendit ce point avec une vigueur désespérée, surtout vers
Taile droite, qui couvrait la route des Verrières. Jusqu'à la
nuit, les vallées retentirent du crépitement incessant de la
fusillade, auquel se mêlait le sourd grondement des canons.
Les pertes de la brigade prussienne (en morts) dans cette
journée, dépassèrent 400 hommes, dont 350poi}r le seul régi-
ment de Colberg, » (Wartenslebeny p. 67.)
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48S CHEMINS DE FER FRANÇAIS
enleva bon nombre d'hommes, et interrompit les tra-
vaux qu'ils faisaient pour installer une batterie des-
tinée à prendre à revors l'autre fort, manœuvre qui
devait assurer le succès de leur nouveau mouvement
tournant, décider du sort de la journée et de l'armée
firançaisel Ainsi ces deux forts, placés en sentinelle
à Tun des portails de la France, tiraient cette fois, non
plus pour interdire aux étrangers Faccès de notre ter-
ritoire, mais pour favoriser Tévasion de ses défenseurs
sur le sol étranger. Et il faut s'estimer encore heureux
qu'ils y aient réussi ; et voilà, dans cette guerre mau-
dite, ce que nous, descendants des vainqueurs d'Iéna
et d'Austerlitz, sommes condamnés à appeler un succès 1
Il faut que Dieu aime bien la France, car il châtie bien
son orgueil et ses folies !
XIV
L'un des incidents capitaux de cette retraite avait
été la surprise de Dôle et l'évacuation de la gare ^ >
opérée le 21 janvier, en présence et sous le feu de
l'ennemi.
La veille au soir, M. Greil, intendant militaire, vint
à la gare de Besançon apporter l'ordre d'j ramener
sans délai environ 500 wagons d'approvisionnement
qui se trouvaient à Dôle, point que serrait déjà de près
Tennemi. Or, Besançon était déjà encombré; les agents
de la traction annonçaient de nouveaux arrivages de
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RESEAU DE LYON -MÉDITERRANÉE 4i:i
Lyon; enfin, Tarmée de TEst étant, depuis la veille, en
pleine retraite sur Besançon , il importait d'y faire
refluer de suite tout le matériel encore accumulé du
côté de Clerval. Le directeur de l'exploitation, M. Bi-
dcrmann, fit observer que, dans une situation déjà si
chargée, il ne pourrait se procurer de la place pour
ces wagons de Dôle qu'en condamnant et transformant
en voie de garage supplémentaire les sept kilomètres
de double voie qui existent entre Besançon et Pranois ;
que, même en prenant ce parti, on aurait encore besoin
de quelque temps pour déblayer tout ce qui se trouvait
échelonné de troupes, de vivres ou de munitions entre
Besançon et. Clerval d'un côté, et Dôle de l'autre. Il
ajouta que dans le cas où l'évacuation directe de ce
matériel de Dôle se trouverait trop retardée et la ligne
menacée, on tâcherait de le faire filer par celle de
Pontarlier jusqu'à la bifurcation d'Arc-Senans et de là
sur Besançon; qu'enfin, si cette communication venait
également à manquer, il faudrait bien se résoudre à
rétrograder sur Dyon...
Pendant la nuit suivante, on s'occupa du dégagement
de Besançon (1). Ce travail fut singulièrement retardé
par l'obligation de trier un certain nombre de wagons
désignés par l'Intendance pour être déchargés le len-
demain, et par la nécessité de faire faire le détour
d'Arc-Senans aux machines de remorque expédiées
(1) Cette gare était une de celles où le manque de bras se
faisait le plus sentir. On avait cependant mis des mobilisés
de corvée à la disposition de la Compagnie, mais la plupart
s'esquivaient à la première occasion, et les sous-officiers
chargés de les sorveiller étaient souvent les premiers à
déguerpir.
25
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U4 , CHEMINS DE FER FRANÇAIS
sur Dôle, à cause de l'encombrement de la route directe.
Ce fut donc seulement le 21 , à cinq heures du matin,
qu'un premier train du matériel garé à Dole put être
acheminé par cette route sur Besançon. On s'était
môme trop pressé de le faire partir, car il y en avait
encore dans ce moment plusieurs autres échelonnés
jusqu'à la station de Labarre (18 kil.), où se trouve la
première prise d'eau pour les machines après Dôle.
La prudence exigeait qu'on ne laissât pas s'accumuler
de nouveaux trains entre ces deux prises d'eau, sur
une ligne à voie unique menacée par l'ennemi. En
conséquence, M. Bidermann télégraphia aux chefs des
stations de Dôle et de Labarre la défense de laisser
engager un plus grand nombre de trains entre ces deux
gares, avant que la voie ne fiU complètement dégagée
dans ce parcours. Cette prescription, qui devait être
gravement incriminée quelques jours plus tard, était
conforme aux règles du plus simple bon sens. Il eût été
absolument insensé de lancer de nouveaux trains sur
une section encombrée, menacée, avec la certitude à
peu près absolue que ces trains seraient arrêtés daos
leur marche par manque de vapeur. D'ailleurs, le sous-
préfet de Dôle venait encore d'affirmer à l'inspecteur
Pauly qu'il serait en mesure de le prévenir plusieurs
jours d'avance si Dôle était menacé.
Vers neuf heures du matin, M. l'intendant Greil
revint à la gare de Besançon. Informé que, par suite
de force majeure, les wagons de l'Intendance étaient
encore retenus à, Dôle, il demanda, en raison de l'ur-
gence, l'évacuation immédiate sur Dijon. L'ordre d'éva-
cuation fut passé séance tenante : s'il avait été main-
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RESEAU DE LYoN'-MEDlTEUKANEE 435
tenu, les Prussiens n'auraient plus trouvé à Dôle un
seul wagon...
Mais, environ une heure après, l'intendant en chef
survint à son tour, et parut fort contrarié de cet ordre.
Il fit d'abord passer une, nouvelle dépêche, portant
d'excepter du mouvement de retraite sur Dijon les
wagons chargés de pain, d'orge, de foin et d avoine.
M. Pauly cïbjecta que ce triage ferait perdre un temps
considérable, peut-être irréparable, mais on insista et
il fallut obéir. Trois quarts d'heure après, l'intendant
en chef qui était resté à la gare changea encore d'avis,
et informa M. Richard que décidément il préférait
ne rien envoyer à Dijon, ramener tout sur Besançon.
De nouvelles instructions furent transmises à Dôle dans
ce sens. De plus, comme la voie directe par Labarre
n'était pas encore dégagée ; comme par conséquent le
retour général sur Besançon, prescrit en dernier lieu,
ne pouvait s'opérer que par le circuit d'Arc-Senans
(lignes de Pontarlier et de Lyon), ordre fut donné
de cesser immédiatement tout service vers Dôle dans
cette direction. De son côté, l'inspecteur de Dôle fut
requis de diriger pàr-là tous ses trains d'évacuation,
dès qu'il aurait reçu un train de malades expédié
le matin de Besançon sur Dijon, par Arc-Senans et
Dôle.
Cet agent passait, comme on voit, par d'étranges
péripéties. Dès qu'il avait reçu la pr<*mière dépêche,
celle qui prescrivait de tout diriger sur Dijon, il avait
pris des mesures pour faire des trains partant toutes
les vingt minutes. Au moment où le premier de ces
trains allait démarrer, était arrivée la seconde dépêche,
celle qui prescrivait l'exception pour les wagons de
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436 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
pain, etc. Deux machines avaient été immédiatement
affectées au triage. Enfin, ce triage était à peine com-
mencé, quand sui*yint la troisième dépêche, prescri-
vant de tout diriger sur Besançon!....
n fallut alors supprimer les trains préparés pour
Dijon, en préparer d'autres dans la direction opposée.
Cependant, les heures marchaient vite, les événements
plus vite encore. A midi 15, Tinspecteur fut prévenu
que l'ennemi était à Moissey (14 kil. de Dôle). Cet
avis lui venait du sous-préfet; mais les informations de
ce fonctionnaire étaient, bien tardives, car, quelques
minutes après, on apprit qu'une forte avant-garde
prussienne avait déjà atteint le village d'Authume
(5 kilomètres seulement de Dôle), et poursuivait sa
marche sur cette ville. Un train fut aussitôt lancé vers
Dijon, un autre vers Besançon par la ligne de Pon-
tarlier. Mais celui-là fut le premier et le dernier qui
put s'échapper dans cette direction : l'ennemi (brigade
Koblenski, formant l'avant-garde du 2« corps), arrivait
perpendiculairement à cette ligne, qu'il avait mission
d'intercepter, et le train fut salué vigoureusement par
l'artillerie prussienne, qui n'était plus qu'à 7 ou 800
mètres de la voie. Les obus tombaient sur la ville; il
n'y avait plus d'évasion possible que du côté dô Dijon,
et encore fallait-il se hâter, car déjà les projectiles
arrivaient jusque dans la gare. Cependant l'inspecteur
parvint à faire partir dans l'après-midi, en plusieurs
trains, 370 wagons. Mais il en restait encore 118 char^
gés de foin, paille, vins et effets de campement, quand
la station fut envahie, vers deux heures et demie. En
ce moment, l'inspecteur partait avec le dernier train,
qui s'évada malgré une grêle de balles et d'obus, grâce
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RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE 437
à l'adresse et au courage du conducteur Gagneux (1).
L'intendant en chef se plaignit amèrement de cette
catastrophe, qu'il imputait aux mesures défectueuses
de rinspecteur et à celles du chef dé la gare de Labarre.
On vient de voir que cet agent n'avait fait que se con-
former aux ordres de ses chefs, et que l'inspecteur de
Dôle, loin de mériter aucun blâjae, avait fait preuve
de beaucoup d'activité et de sang-froid dans des cir-
constances plus que difâciles.
On peut conclure du récit qui précède que la mé-
saventure de Dôle doit être attribuée à trois causes :
l'accumulation d'un grand nombre de wagons immo-
bilisés dans une gare de médiocre étendue ; les fluc-
tuations de l'autorité militaic e, qui, comme on vient de
le voir, changea trois fois ses ordres en moins de douze
heures (2) ; enfin, l'inexactitude du sous-préfet, qui
devait si bien tenir la gare au courant des mouvements
de l'ennemi, et qui l'avertit que cet ennemi était encore
à trois lieues quand il touchait presque la ville. Comme
bon nombre de ses confrères gambettistes , ce sous-
préfet se croyait fort éclairé et ne l'était guère....
Avant comme après le passage des troupes françaises,
les exactions prussiennes dans la vallée du Doubs eurent
(1) M. de Wartensleben porte à 230 le nombre des wagons
français capturés Le chiffre que nous donnons est celui de
la Compagnie, et doit être le yéritable.
(2) Il est juste d'ajouter qu'on ne saurait faire équitable-
ment un crime à Tintendance de ces tâtonnements, qui n'é-
taient souvent que la conséquence inévitable, et comme le
reflet de la cruelle incertitude des mouvements militaires.
Seulement, elle avait tort d'en rejeter la responsabilité sur
la Compagnie.
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438 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
un caractère particulièrement odieux. Indépendamment
des réquisitions et logements ordinaires, une contri-
bution de deux francs par tête y fut levée et exigée
avec une rigueur impitoyable. On nous a cité des loca-
lités dans lesquelles des officiers se firent délivrer^ à
défaut d'argent, cette capitat ion en nature. L*un d'eux
poussa le zèle jusqu'à se saisir d'un œuf^ la seule chose
qu'il trouva à prendre chez une pauvre femme du village
de Laissey. Cet excès de rapacité avait fini par révolter
même certains Allemands, 43urtout les soldats du duché
de Posen, Polonais incorporés dims l'armée prussienne.
L'un de ces derniers avait tracé sur le mur de la salle
d'attente de la gare de Lamarche (ligne d'Auxonne à
Gray) une caricature représentant au naturel, avec une
certaine verve, un pillage de bestiaux par ses camarades.
Au premier plan, on voyait deux soldats se disputant
un porc que l'un entraînait, tandis que l'autre, moins
fort mais non moins avide, se cramponnait à l'animal et
le saignait, tout en se laissant traîner après lui.
La gare de Mouchard eut beaucoup à 3ouârir de
l'invasion. Les Allemands étaient exaspérés de la perte
de quelques-uns des leurs, tués dans les bois voisins par
des gardes forestiers organisés en tirailleurs. Ils s'en
vengèrent en incendiant une partie des bâtiments de
la station et dix-sept wagons de l'intendance restés en
détresse. Le buffetier faillit être passé par les armes,
parce qu'on avait trouvé dans une malle laissée chez
lui quelques paquets de cartouches.
Les Prussiens étaient furieux de n'avoir pas récolté
tout le butin qu'ils espéraient. A Pontarlier, malgré la
rapidité foudroyante des événements, M. Richard était
parvenu à mettre à l'abri, en temps utile, sur le terri-
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IlÉSEAU DE LYON-MEDlTERRANÉE 431)
toire suisse, tout le matériel acculé à la frontière. A
Lons-le-Saulnier, l'embarquement des mobilisés et
l'évacuation de la g«re avaient été également opérés au
dernier moment avec une célérité remarquable, par
M. de Lamolère.
XV
Pendant ces dernières semaines de la guerre, la
Compagnie avait dû faire marcher de front le transport
de l'armée de l'Est et celui dey garibaldiens et des mo-
bilisés de Saône -et-Loire sur Dijon. L'inspecteur prin-
cipal de la section (Richard), étant retenu à Besançon,
d'où il dirigeait alors le mouvement général sur
Clerval, MM. Blanchot et Gallet, inspecteurs, furent
chargés du rétablissement du service sur la grande
ligne de Bourgogne jusqu'à Dijon, où ils demeurèrent
pendant toute la période de l'occupation garibaldienne.
Après le départ des Badois, précipitamment rappelés
par Werder, ce furent les soi-disant vainqueurs d'Au-
tun qui entrèrent les premiers à Dijon en triomphateurs,
quoique sans combat.
Le transport de ces troupes par la grande ligne ne
put se faire qu'avec beaucoup de difficultés et de
lenteur, grâce à l'indiscipline de certains corps, et aux
prétentions de quelques chefs qui ne tenaient aucun
compte des ordres supérieurs, ni des nécessités les plus
impérieuses du service. Lors de rembarquement à
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440 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Autun, Tétat-major garibaldien s'exaspérait des moin-
dres retards, et prétendait faire distraire à son profit
le matériel affecté aux transports de Tarmée de l'Est.
Il est aujourd'hui avéré que Tinaction de l'armée
garibaldienne après la réoccupation de Dijon, a été
l'une des causes principales du désastre de l'armée de
l'Est. Les chefs de cette armée ne paraissent pas avoir
eu ridée de profiter de leur position avantageuse sur
le flanc de l'armée de Manteuffel marchant au secours
de Werder, pour le harceler au passage.
Ce fut alors qu'intervint la démonstration sur Dijon
de la brigade Kettler. Elle donna lieu à deux combats
(21-23 janvier), dans lesquels Garibaldi et son conseil,
disposant de 30,000 hommes, s'imaginèrent avoir re-
poussé les assauts réitérés de toute l'armée prussienne,
tandis que réellement ils se laissaient tenir en échec par
5 ou 6,000 ennemis (1). L'histoire militaire n'offre peut-
être pas un second exemple d'une mystification aussi
complète, aussi prolongée. Aujourd'hui encore, les
(1) Les combats de Dijon sont racontés avec beaucoup de
lucidité et d'impartialité dans la relation de M. de Wartens-
leben (p. 28 et 29). On y voit que Kettler aTait Tordre général
de couvrir du côté de Dijon les opérations de l'armée alle-
mande du Sud. Il lui était même prescrit de réoccuper cette
ville, que Manteuffel persistait à croire faiblement défendue,
malgré les rapports contraires qui lui parvinrent dès le 18.
S'il y avait, comme on le lui annonçait, trente mille hommes
à Dijon, comment n'avaient-ils pas fait quelque tentative sé-
rieuse pour arrêter sa marche? Comment laissaient-ils les
patrouilles allenaandes s'avancer impunément très-près de la
ville? Ce raisonnement eût été juste vis-à-vis d'autres adver-
saires, mais Manteuffel ignorait les mystères de la stratégie
des républicains cosmopolites.
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 4U
écrivains d'un certain parti s'obstinent à dénaturer les
faits ; à exagérer d'une part, à amoindrir de l'autre, le
chiffre des troupes engagées, prétendant que les
exploits du vieux héros ne sont niés que par les.
jésuites ; que les Prussiens faisaient donner constam-
ment des troupes fraîches, notamment la garde royafe(!),
tandis que Garibaldi ne pouvait compter que sur une
poignée d'hommes (1). La vérité est qu'il n'y eut d'en-
gagé, dans ces deux journées, du côté des Prussiens,
que leur 8* brigade d'infanterie (Kettler), laquelle eut
en tout, dans ces deux batailles, 696 hommes, dont
32 ofâciers, tués ou blessés (2).
Plusieurs chefs garibaldiens se comportèrent brave-
ment au feu; notamment, comme toujours, Ricciotti et
Bossak. Ce dernier fut tué en chargeant à la tète de
quelques hommes déterminés. Mais plusieurs bataillons
français, de ceux que les documents garibaldiens quali-
fient dédaigneusement de novizt\ ne firent pas moins
bien leur devoir. Dans une lettre curieuse adressée à
l'ancien chef d'état-major de Garibaldi, le général Pé-
lissier, qui n'est rien moins qu'un jésuite, nous apprend
que les mobiles novices de Saône-et-Loire, postés le
2 janvier entre le chemin de fer et la colline de Tallant,
repoussèrent vivement les Prussiens sur Hauteville et
s'emparèrent même de cette position oii ils ne purent
(1) Beauquier, Campagnes de l'Est, p. 169.
(2) Ce fut seulement le 26 janvier que Manteuffel prit des
mesures pour attaquer sérieusement Dijon, en renforçant la
brigade Kettler, seule engagée jusque là, de deux brigades
du 14« corps, sous le commandement supérieur du général
Hann* (V. Wartensleben, p. 44, 76 et suiv.).
25.
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44i CHEMINS DE FER FRANÇAIS
toutefois se maintenir, n'ayant pas été soutenus par les
Italiens. Il est vrai que toutes les troupes ne montrèrent
pas la même fermeté. Pendant qu'on se battait en avant
de Dijon, un groupe nombreux de fuyards se dirigea
sur la gare. Ils prirent d'assaut un train en partance,
et filèrent du côté de Lyon, annonçant bruyamment sur
leur passage que tout était perdu. Ils ne furent arrêtés
qu'à Chagny, où un télégramme du général Pélissier'
les avait devancés.
On sait que Garibaldi n'eut pas le temps de s'endor-
mir sur ses lauriers prétendus. Menacé, dès le 27, par
des forces triples de celles qui l'avaient tenu jusque-là
en échec, il leur céda Dijon sans nouveau combat. Ses
dernières troupes furent évacuées sur Chagny pendant
la journée du 31 et la nuit suivante, et les Allemands
occupèrent Dijon pour la troisième fois le 1®*" février.
Au moment où leurs éclaireurs pénétrèrent dans la gare,
le dernier train d'évacuation n'était pas encore parti.
Le conducteur-chef n'était pas encore à son poste ; la
prise de ce train semblait inévitable. Il fut sauvé par
la présence d'esprit du mécanicien Thaller, qui prit sur
lui de démarrer, passa au milieu des soldats allemands
qui déjà couvraient les quais, poursuivit sa marche
malgré les menaces et les coups de feu, et, finalement,
enleva à l'ennemi sa proie. Les écrivains allemands
eux-mêmes ont cité avec éloge la belle conduite de cet
employé. Grâce à lui, il ne fut ramassé en gare qu'un
petit nombre de traînards, quelques voitures de muni-
tions et deux locomotives hors de service. (Wartensle-
ben, p. 79.)
Garibaidi était déjà parti depuis quelques joui^, mais
ses officiers d'état-majbr, avant de s'éloigner à loiir
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RESEAU DE LYON-MEDITERRANEE 443
tour, avaient eu Tattention délicate de faire afficher
une proclamation signée de lui, qui signalait aux bons
patriotes les prêtres et les riches, comme des ennemis
pires que les Prussiens. Tel fut le dernier exploit ga-
ribaldien !
Belle conclusion, et digne de Texorde !
En résumé, ce rassemblement, qualifié improprement
d'armée, a donné lieu au plus graves reproches, à Di-
jon aussi bien qu'à Dole et Autun. Ces républicains cos-
mopolites ont fait, dans plus d'une circonstance, le jeu
de rinvasion, tantôt par leur défaut de vigilance et leur
inaclion, tantôt par des actes, des excitations qui sem-
blaient cale liés pour semer la division parmi ceux
qu'ils vennient défendre... moyennant finance. On
pourrait leur appliquer ce mot qui a été dit ailleurs
pendant la guerre : Nous ne prétendons pas que vous
nous ayez vendus^ mais^ en vérité^ si voies l'aviez fait^
vous n'auriez pas agi autrement!
On a longuement disserté >ur les causes du désastre
de Tarm^e de l'Est; rien n'est venu infirmer les
appréciations que nous avions «mises dans la Revue de
France^ dès le commencement de 1872. La responsabi-
lité de cette catastrophe demeure partagée entre le
gouvernement de Paris et sa délégation de Bordeaux.
C'est à Bordeaux qu'a été ordonnée, en dépit des con-
seils, des instances du général Chanzj, la diversion
dans l'extrême Est. Ce fut de Bordeaux que partirent
ces instructions, dont on peut dire qu'elles n'eussent
pas été mieux conçues à l'état-rnsg^T prussien pour as-
surer la perte de l'adversaire. Puis le négociateur
éploré de l'armistice vint mettre la main à l'œuvre,
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444 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
parfaire ce que son collègue avait si bie^ commencé.
Rien ne peut atténuer la double faute qu'il commit,
d'abord en ne concluant pas un armistice général
(comme il l'aurait pu faire, on le sait aujourd'hui, en
concédant l'occupation temporaire de Belfort, par la-
quelle il fallut bien passer ensuite pour avoir la paix) ;
puis en omettant, par émotion ou distraction, de men-
tionner dans la dépêche annonçant l'armistice à Bor-
deaux, l'exception consentie par lui au sujet de l'armée
de l'Est (1).
Les Prussiens, il est vrai, ont tenté de venir en aide
aux hommes d'État du 4 septembre ; ils leur devaient
bien cela! Suivant les écrivains allemands, leurs
troupes étaient déjà si avancées, leurs mesures &i bien
prises, que le dénoûment n'eût pas varié, même si lé
nouveau commandant en chef français avait connu de
suite la vérité. C'est ce que s'efforce d'établir notam-
ment M. dé Wartensleben, dont la relation, rédigée sur
les documents du grand état-major, a un caractère
presque officiel. Mais plusieurs des faits qu'il rapporte
ne s'accordent pas avec cette assertion. Des termes
(1) V. le rapport de M. de Raineville dans la commission
d'enquête. On y voit entre autres choses curieuses, que
M. J. Favre, mis sur la sellette, a trouvé pour son étrange
conduite une excuse plus étrange encore. Il j^orait, a-t-iï
dit, la situation des affaires dans l'Est, et a cru que la conti-
nuation des hostilités de ce côté pourrait tourner à notre
avantage! Mais M. de Bismark la connaissait bien, cette
situation; si elle avait été seulement douteuse, aurait-il exigé
ou toléré une semblable réserve? M. Favre était trop^ému
pour faire cette réflexion pourtant assez simple : la naïveté
diplomatique et la sensibilité dû célèbre avocat' coûtent cÈer
à ïâ France - -
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\.
RESEAU DE LYON -MEDITERRANEE 445
mêmes de son récit, il résulte que les mouvements exé-
cutés dans les trois derniers jours de janvier, pour
nous couper la retraite sur Lons-le-Saulnier ou Saint-
Claude, furent de véritables surprises, facilitées par les
illusions qu'avait fait naître la fatale dépêche, annon-
çant un armistice sans réserve. Le plus décisif de ces
mouvements, l'occupation des Granges-Sainte-Marie,
n'eut lieu que le 31, tandis que, de notre côté, on
croyait encore à l'armistice. Et « ce fut alors {alors
seulement), dit M. de Wartensleben lui-même, que l'en-
nemi perdit ses dernières voies de communication avec
lé sud. » Il reconnaît aussi que le défilé des Planches
ne fut occupé par les Allemands que dans la soirée
du 29, et qu'auparavant plusieurs milliers d'hommes
du 24' corps français avaient pu profiter de cette issue
pour gagner le haut Jura. Tout ceci vient à l'appui de
l'affirmation si précise du général Clinchant, qu'il eût
été en mesure d'eflfectuer la retraite de l'armée entière
par les montagnes, sans cette nouvelle d'un armistice
qui détermina dans son mouvement général un temps
d'arrêt, tandis que les Allemands, bien vite instruits
dé la vérité, poursuivaient le leur sans désemparer.
Enfin, les dépositions des généraux Bourbaki et Clin-
chant, devant la commission d'enquête, ont mis en pleine
lumière une autre grande cause de l'échec du mouve-
ment sur Belfort et du désastre final. Cette cause, que
nous avions déjà indiquée, fut l'insuffisance des appro-
visionnements. M. Gambstta et son délégué avaient af-
firmé au général qu'il en trouverait une réserve consi-
dérable à Besançon. Ils avaient compté sans la crise
d'éncombreihent des voies ferrées, sans l'inertie gari-
bâldiénne, sans la surprise de Dole (21 janvier), qui
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446 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
priva rarmée de FEst, non-seulement des approvision-
nements qui tombèrent au pouvoir de Fennemi, mais
de tout ne qu'on ne put sauver qu'en le refoulant sur
Dijon. Bourbblii, en rentrant à Besançon, croyait y
trouver pour un mois de vivres ; il n'en trouva que pour
six jours/ Cette déception suffit pour expliquer son dé-
sespoir et la retraite de l'armée, ^eul moyen d'éviter,
sous Besançon, une répétition de la catastrophe de
Metz. L'intendance s'abusa non moins cruellement,
en promettant au nouveau co^imandant en chef quinze
iours de vivres à Pontarlier^ où il ne s'en trouva que
pour quarante^huit heures. Le manque de vivres, tel
fut l'inexorable motif qui imposa l'abandon immédiat
de cette position forte en tout temps, inexpugnable en
hiver.
Nous pouvons donc aiyourd'hui délimiter nettement
la part de responsabilité qui revient, dans ce désastre
final, à chacine des fractions du Gouvernement dit de
la Défense nationale. Les tacticiens de Bordeauii avaient
compromis et afiTamé l'armée de l'Est; le négociateur de
Pa,ri8, en la laissant excepter de l'armistice, et en ou-
bliant de l'avertir de cette exception, se fit le complice
de son investissement, et ne lui laissa d'autre refuge
que le territoire étranger. Voilà ce que proclamera
l'histoire, en s'étonnant qu'une telle respoiisabilité ait
été encourue impunément.
Treize ans a^paravaut, lors de la campagne d'Italie,
la Compagnie de Lyon -Méditerranée avait donné un
exemple, remarquable entre tous^ de l'emploi des che-
mins de fer en temps de guerre. En quatre-vin^-six
jour#, du 10 avrU a^ 15 juillet 1859, 227,669 honumes et
36,357 chevaux avaient été expédiés directement vers le
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RÉSEAU DE LYON-MÉDITERRANÉE 447
théâtre de la guerre par les lignes de la Méditerranée.
Les mouvements les plus considérables avaient eu lieu
du 20 au 30 avril. Pendant cette période, on transporta
en moyenne chaque jour, sur la ligne Païis-Lyon,
8,241 hommes et 512 chevaux. Le 25 avril, on alla
jusqu'à 1*^,148 hommes et 655 chevaux; niaximum qui
n'a été dépassé dans aucune guerre jusqu'en 1870. Pen-
dant ces 86 jours, il circula sur la ligne 2,636 trains,
dont 253 trains militaires spéciaux. Ces derniers exigè-
rent remploi de 317 locomotives, marchant avec une
vitesse moyenne de 24 à 36 kilomètres par heure, et sans
aucun accident. Enfin, on a calculé que les 75,996 hom-
nies et les 4,169 chevaux, transportés du 20 au 30 avril
depuis Paris jusqu'aux bords de la Méditerranée et à la
frontière sarde, auraient mis soixante jours poui* faire
cette route par une marche d'étapes. On avait donc
obtenu dans ces circonstanc^-s une vitesse sextuple par
remploi du chemin de fer, et ce transport de 1859 est
encore cité comme le tj^pe le plus accompli des opéra-
tion!^ de ce genre par les auteurs allemands.
D'où provient donc ce contraste navrant entre les ré*
sultats obtenus, à treize ans de distance, sur le même
l'éseau ? Cette question nous paraît surabondamment
résolue par les correspondances que nous avons ana-
lysées, et dont il nous reste à formuler la conclusion.
La Compagnie avait fait des efforts inouïs, employé
jusqu'à 250 machines au transport de Tarmée de l'Est.
Mais elle avait trouvé, dans la légèreté avec laquelle
étaient donnés les ordres de la guerre, dans l'absence
complète d'unité et de régularité de la part des auto-
rités militaires dans l'exécution, des obstacles qui se
traduisaient pour l'armée par des retards, pour la
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U8 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
•
Compagnie par un énorme surcroît de peine et de dé-
penses....
Autrefois, quand il y avait lieu d'exécuter des mou-
vements de troupes considérables, des délégués du mi-
nistère de la guerre se concertaient au préalable avec
les Compagnies pour régler les mouvements, confor-
mément aux possibilités matérielles. C'était ainsi que
l'on avait procédé pour les guerres de Crimée et d'Italie,
et au début de la guerre actuelle. Mais l'administration
nouvelle avait adopté un système tout différent. Sans
entente préalable, sans informations sur l'état des lignes
et des gares, sans connaître même les eflfëctifs réels des
coi^s, elle prescrivait les mouvements par des télé-
grammes aussi brefs qu'impérieux, indiquant les points
de départ et d'arrivée, l'indication approximative et
inexacte du nombre d'hommes, et fixait la durée maxi-
mum des transport dans des limites toujours absolument
impraticables. Elle n'admettait pas d'objections, même
celles fondées sur des faits évidents, et certains de ses
représentants y répondaient invariablement par des
affirmations tranchantes et des menaces*...
Parmi les causes générales qui ont exercé la plus
fâcheuse influence sur les opérations dans l'Est, on a
vu figurer en première ligne le système d'immobilisation
des wagons d'intendance. L'encombrement se prolongea
jusque bien après la guerre.Ily eut un moment 7,500 wa-
gons chargés d'approvisionnements sur le seul ré^eftu
de Lyon.
Enfin, l'on doit signaler, comme une cause perma^
nente de retard et de désarroi, les conflits incessants
de réquisitions des différents chefs de corps, des inten-
dants , des officiers d'artillerie. Les agents de la
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RÉSEAU DE LYON-MEDITERRANEE 449
Compagnie ne savaient auquel entendre, n'ayant pas évi-
demment Tautorité nécessaire pour régler ces préten-
tions contradictoires. Cette autorité n'aurait pu appar-
tenir qu'à un délégué de l'état-major général, et
l'état-major général ne fut jamais représenté B,\xpr es des
agents de la Compagnie. Puis, quand le service était
organisé tant bien que mal, des contre-ordres, des ajour-
nements venaient y apporter à chaque instant de nou-
velleà perturbations.
Cette appréciation est confirmée par le témoignage
assurément impartial de M. l'ingénieur Lebleu, que
l'administration de la guerre avait attaché à l'armée de
l'Est pour surveiller le service des voies ferrées. « L'or-
ganisation du service, dit-il, péchait par sa base.... Un
chemin de fer est un outil puissant et docile, mais qui
doit être employé avec intelligence. Un personnel nom-
breux et discipliné est habitué à obéir à des ordres
précis émanés d'une direction unique. Il est complète-
ment dévoyé lorsque des ordres souvent contradic-
toires lui arrivent de plusieurs côtés à la fois (Rapport
du 6 février 1871). »
Au reste, ceux-là même qui, pendant les opérations,
avaient adressé les plus vifs reproches à la Compagnie
de Lyon, cédant à l'évidence et redoutant peut-être
aussi des récriminations gênantes, ont fini par lui ac-
corder, quoique d'assez mauvaise grâce, un bill d'in-
demnité. L'un des principaux, M. de Freycinet, avoue
que « les employés de ce chemin de fer ont fait leur
deYoiT,peut'étre sans beaucoup d'ardeur et d'enthousiasme,
cependant d'une manière suffisante (p. 227). » Si la
Compagnie de Lyon n'estplus coupable que d'un enthou-
siasme insuffisant, sa justification devient par trop
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m ( HKMINS DE FER FRANÇAIS
facile. L'enthousiasme ne se commande pas, et les
combinaisons stratégiques de M. Gambetta et de ses
aaxiliaires n'étaient pas précisément de nature à
Texciter (1).
(1) Fandant la gii'^rre, quinze ponts furent détraits sur le
réseau «ie Ly) ; quitre par Us Allemands et onze par les
Français. Parmi ces derniers figur^tient ceux le L-iru-he sur
TYonne (26 janvie»), et de Huffon, sur l'Armançon, (3 fé^ lier).
Ces destructions intelligentes eurent pour résultat d'inter-
rompre It communication allemande entre les chemins de
TEst et de Lyon. Mais elles furent malheureusement opérées
trop tard, comme celle de Fontenoy.
FIN.
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TABLE ALPHABETIQUE
DES
NOMS DES AGENTS DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
CITES DANS CET OUVRAGE
(E. Est, O. Ouest, Or. Orléans, N. Nord, L. Lyoappdéditerranée
Absac (d'), C, 222.
Alôxaiuire E., 72.
Arcsngaes (d'), N., 139,
145, 148, 153, 154.
Arnaud, C, 197.
Auboin, 0., 203.
Auboyneau, L., 365.
Audibert, L., 303, 321,
322etsuiv.,404et suiv.^
415 et suiv.
B
Balot, L., 399.
Banès, 0., 171, 188, 189.
Barville, L , 313, 314.
Baumal, 0., 169, 199.
Bazin, Or., 259, 285,
Bellay, E., 19.
Bellpt. Om 222.
Berton, 0., 222.
Beuchot, L., 330, 341.
Bidermann, L., 322. 325,
419, 423, 433, 434.
Billette, L., 359, 383 et
suiv., 397 et suiv.
Bisetzki, N. 132.
Blanchot, L., 439.
Bonamy, L., 3;^6, 327.
Bouillon, 0., 174. 197.
Brun, E., 19.
Chariot, 0., 227, 231.
Chivot. N., 128.
Ghollet, L., 357.
Coffinhet, L., 320, 321,
325.
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452
CHEMINS DE FER FRAÎsÇAlS
Cogniaux, N., 159, 161. Gallet, L., 439.
Cottiau, L., 315, 406, 407. Galliot, L., 362.
Gauthier, N., 160.
Ginestet, 0., !222.
Glaser, N., 126 et suiv.
130, 168.
Gombert (de), 0., 171,
232.
145.
Guilbert,0., 191.
Dano, 0., 180.
Dauphin, L., 303, 360.
Decoeone, 0., 244.
Decourt, 0., ^2 Q^^^^^^ L., 399
Desgranges, L., 339.
Dietz, E., 17.
Dieu, N., 154.
Drouard, 0., 185et suiv.
DumoDt L., 364.
Dupré, N., 133.
Durbach, E., 25.
Duwicquet, 0., 173.
E
EchaUer, L., 317, 318.
F
Jacqmin, E., 7, 13, 43,
62, etc.
Jacqmin, L., 359, 365,
371.
Janvier, 0., 204, 206.
Josset, 0., 191.
Lafont, N., 166.
Lamolère (de), L., 303,
305,317,423,441.
Larpenteur, L., 366.
Latour de Briey, N., 153,
. 168.
Lauristo;! (Law de), L.,
359, 365.
Faulcon, 0., 195.
FayoUe, Gr., 252, 253.
Flamant, N., 143.
Forestier (de), L., 328.
Fouchère^ L., 357.
Fourquet, 0., 222. ___^
Frédui:eau, L., 359, 362, Lavallée, N., 151.
363, 395. LebruD, 0., 197.
Lemercier^ Or., 295, 290
Lépine E., 32.
Gagneux, L., 439. Leroy, E., 33.
Gallet, N.^ 140 et suiv, I^saulnier, 0„ 171.
G
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TABLE ALPHABÉTIQUE
453
Lévino, L., 359, 372, 374, Petit, N.. 132.
Petit, L.,341.
Philippe, N., 144.
Piquet, 0., 171, 215 et
suiv., 237.
Piqnet, N., 132.
Poincloux, L., 359.
Poncelet, L., 325.
Protais, 0., 171,173,236.
R
Rampont (de), L., 312.
315.
Renard, 0., 202, 246.
Renouf, 0., 222.
Ribot, 0., 186.
Mitchell, L., 325, 331, Richard, L., 308 et suiv.,
353 et suiv., 364 et . 321, 434, 438, 440.
suiv. Richard, 0., 175, 177.
Montouan, , 181, 246. RicheroUes, 0., 222.
Moser, 0., 173, 190. 191, Robert, L., 430.
208. Roger, 0., 171, 188, 194,
MouUères, 0., 180. 196, 207, 208, 228, 232.
Mouroux, L., 394. Roussel, 0., 242.
Muel, N., 118, 119, 121, Ruinet, L., 303, 304.
161, 163.
Mussy (de). Or, 252. S
P
378.
Loire, 0., 220.
Loi seau, Or., 291.
M
Malandii^, 0., 186.
Mancini, L., 396.
Martin, N., 143.
Mathieu, 0., 169, 174,
222, 223.
Maucomble, N., 144. 148.
Maupetit, E., 7.
Meignan, L., 352.
Ménécier, E. 10.
Mion, L,j 359 et suiv.
Panouse (de La), Or.j
293.
Papillon, 0., 222.
Pauly, L., 434 et suiv.
Pellet, L., 317.
Saint-Didier (de), N., 115.
Saisset, N., 149, 150.
Sales, N., 166.
Sauvageon, L., 389.
Serres, 0., 171, 172, 177.
Sévène, Or., 267.
Simorre, E., 102.
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454 CHEMINS DE FER FRANÇAIS
Talon, 0., 181, 222.
Thouin, N., 125, 148.
TaiUe (deU), Or., 256, Tissot, E , 99.
257, 271, 880, 285, 287, Toussaint, 0., 182.
297. V
Taile (de la), L., 301,
316, 328, 33Ô, 338 et Vatel, 0., 222^
gQJY^ Vuisbec, L., 354.
Talleau, 0., 171, 188, ^
228.
Thaller, L., 442. Wallet, 0., 189.
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TABLE
Pages.
RÉSEAU DE L*EST 1
— DU NORD 113
— DE l\)UEST 169
— D*ORLÉANS 249
— DE LYON 301
Table alphabétiqt'e des noms d'employés des chemins
DE PER 451
835.71. ■— Boulogne (Seine) . — Imprimerie JULKS BOYER et CJ'
Administration 11. rue Neuve -St-Anjrustin. 11
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^
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