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Full text of "Histoire des comtes de Poitou, 778-1204"

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'7  K'fU^..' 


HISTOIRE 


DES 


COMTES   DE   POITOU 


778-1204 


HISTOIRE 


DES 


COMTES  DE  POITOU 


778-1204 


PAU 


ALFRED   RICHARD 


ARCHIVISTE    D'E    LA     VIENNE 
MEMBIIE    NON    nbSinANT     DU    COMITÉ    DES    TRAVAUX     lIISTOniQUES 


TOME   PREMIEH 

778-1126 


>^f 


PAIUS 

ALPHONSE   l'HlAUl)   <&   FILS,   ÉDITEURS 

82,    nUE     BONAPARTE,    82 

1903 


i/.i 


AVANT-PROPOS 


Lorsqu'au  mois  de  dt'combrc  1887  j'inauçurai  à  la  Faculté  des 
lettres  de  Poitiers  les  conférences  d'histoire  du  Poitou  que  j'y  ai  pour- 
suivies pendant  neuf  années,  il  n'entrait  nullement  dans  mes  intentions 
d'en  faire  le  point  de  départ  d'une  étude  générale  sur  quelqu'une  des 
périodes  de  cette  histoire. 

,  Ce  n'était  tout  d'abord  qu'un  essai,  dans  lequel  ceux  qui  l'avaient 
inspiré  et  moi-même  n'avions  vu  que  l'occasion  de  faire  participer  les 
personnes  que  ces  questions  pouvaient  intéresser  aux  connaissances 
spéciales  que  j'avais  pu  acquérir  par  une  longue  pratique ,  mais  les 
faits  sont  venus,  comme  il  arrive  souvent,  donner  un  démenti  aux 
prévisions. 

Quand,  après  avoir  passé  en  revue  l'histoire  de  la  province,  depuis 
les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime,  il  a  fallu 
reprendre  avec  plus  de  détails  chacune  des  parties  de  cette  vaste 
esquisse,  c'est  alors  (jue  les  lacunes  qui  pouvaient  se  dissimuler  dans 
un  ensemble  apparurent  sans  voiles. 

Lors  de  ma  première  conférence,  j'avais  dit  aux  auditeurs  qu'atti- 
rait la  nouveauté  de  cet  enseignement  que  je  passerais  légèrement  sur 
ce  (pie  tout  le  monde  devait  savoir,  mais  que  je  m'étendrais  aussi  lon- 
guement qu'il  me  serait  possible  sur  ce  que  l'on  ignorait  généralement. 

C'était  de  l'inédit  que  je  promettais,  et,  sur  ce  point,  j'ai  tenu  ma 
parole;  mais  ce  qu'il  ne  fut  pas  toujours  facile  de  faire,  c'était  de  sou- 
der ensemble  tous  les  faits  ainsi  exposés,  et  d'assurer  que  ceux-ci  étaient 


VI  LES  COMTES  DE  POITOU 

bien  mis  à  l'endroit  qui  leur  convenait.  A  côlé  de  l'historien,  ou  plutùl 
du  narrateur,  il  y  eut  donc  lieu  d'assurer  une  large  place  au  critique, 
mais,  des  preuves  ou  des  témoignages  amassés  par  celui-ci,  bien  sou- 
vent il  n'est  rien  resté,  du  moment  qu'ils  n'avaient  d'autre  assise  que 
la  parole  lancée  du  haut  de  la  chaire  professorale.  Pour  convaincre,  il 
faut  des  textes. 

Aussi  n'eus-je  pas  trop  lieu  dem*étonner([uand,  rendu  à  mes  études 
ordinaires,  je  vis  attaquer  certaines  théories  que  j'avais  exposées  de 
mon  mieux,  mais  qui  n'avaient  pu  amener  à  elles  tous  ceux  devant  qui 
elles  avaient  été  produites  :  la  bataille  de  Vonillé,  la  question  des  Tai- 
faleSj  r atelier  monétaire  de  Melle,  les  armoiries  du  comté  de  Poitou ^ 
m'amenèrent  successivement  à  prendre  la  plume.  D'autres  polémiques 
auraient  pu  se  produire,  ce  que  voyant,  de  bienveillants  amis,  que  je 
remercie  de  leur  sollicitude  et  de  leur  sympathie,  quelque  fatigue  qu'elles 
m'aient  imposée,  me  pressèrent  de  mettre  au  jour  le  résultat  de  mes 
recherches  sur  l'histoire  de  notre  province. 

Je  ne  pouvais  évidemment  entreprendre  ime  histoire  générale  du 
Poitou  sur  le  plan  tracé  par  D.  Vaissele  pour  le  Languedoc  et  si  large- 
ment retouché  par  ses  nouveaux  éditeurs;  des  œuvres  semblables  ne 
peuvent  être  le  fait  d'un  seul  homme  :  au  promoteur  de  l'entreprise  il 
est  indispensable  d'adjoindre  le  concours  de  plusieurs  bonnes  volontés. 
J'étais  seul,  un  sujet  limité  s'imposait  donc;  enfin,  après  avoir  bien 
hésité,  je  me  suis  décidé  pour  l'histoire  des  Comtes  de  Poitou. 

Je  dois  pourtant  dire  (jue  deux  autres  travaux  m'avaient  vivement 
tenté  :  l'un  était  de  faire  la  géographie  historique  du  Poitou,  l'autre 
d'étudier  la  condition  des  personnes  et  des  terres  dans  ce  pays  pendant 
le  gouvernement  de  ses  Comtes.  En  m'arrêtant  à  ce  dernier  sujet,  je  ne 
faisais  que  reprendre  sur  un  plan  plus  étendu  la  thèse  que  j'avais  soute- 
nue à  l'Ecole  des  Chartes  et  dont  j'avais  seulement  tiré  (quelques  années 
après  un  mémoire  sur  les  CoUiberts,  mais,  en  y  réfléchissant  bien,  il 
appîiraissait  nettement  qu'avant  de  traiter  un  point  spécial  de  l'histoire 
du  Poitou  au  temps  de  son  autonomie  féodale,  il  fallait  être  très  docu- 
menté sur  celle-ci  dans  son  ensemble.  Or,  et  j'avais  été  maintes  fois  à 
même  de  le  constater,  le  manque  de  notions  certaines  sur  les  Comtes 


AVANT.PROPOS  VII 

était  une  occasion  continue  d'erreurs  chez  les  écrivains  qui  ^e  hasar- 
daient à  traiter  un  point  d'histoire  dans  lequel  leurs  personnes  ou  leurs 
actes  devaient  être  rappelés. 

Cette  période  de  quatre  siècles  et  plus,  qui  s'étend  de  la  création 
du  comté  de  Poitou  en  773  à  sa  disparition  en  tant  que  fief  indépen- 
dant par  sa  réunion  à  la  couronne  de  Frai>ce  en  1 2o4,  est  sans  contre- 
dit la  plus  obscure  de  nos  annales,  comme  l'est  du  reste  celle  qui  lui 
correspond  dans  l'histoire  de  France.  Les  textes  pourtant  ne  manquent 
pas,  et  bien  qu'ils  présentent  des  lacunes  dont  la  plupart  ne  seront 
jamais  comblées,  leur  ensemble  permet  toutefois  d'établir  une  suite 
de  faits  que  l'on  peut  sans  crainte  qualifier  d'histoire  ;  seulement  leur 
mise  en  œuvre  offre  des  difficultés  telles  que,  même  avec  la  recherche 
la  plus  minutieuse,  le  travail  le  plus  patient,  on  n'est  pas  toujours 
assuré  de  les  surmonter. 

Le  plus  grand  écueil  auquel  se  heurte  le  travailleur  qui  se  livre  à 
l'étude  de  ces  temps  reculés,  c'est  le  défaut  de  dates,  d'où  les  erreurs 
sans  nombre  sur  la  chronologie  générale,  sur  la  succession  des  faits  ou 
l'identité  des  personnes.  Non  seulement  cette  omission  se  rencontre 
chez  les  historiens  les  plus  accrédités,  comme  Adémar  de  Chabannes, 
dont  la  chronique,  qui  s'étend  du  ix«  au  xi«  siècle  ne  contient  presque 
pas  de  dates,  ou  comme  Suger,  qui  n'en  a  mis  aucune  dans  la  vie  de 
Louis  YI,  mais  elle  existe  aussi  dans  des  documents  dont  la  date  devrait 
être  le  principal  élément,  c'est-à-dire  dans  les  actes  authentiques.  Et 
encore  arrive-t-il  parfois  que  l'on  est  très  embarrassé  pour  mettre  à  leur 
place  exacte  les  actes  pourvus  de  l'indication  de  l'année,  selon  que  leur 
rédacteur  a  fait  partir  celle-ci  de  Noël,  du  i»'  janvier,  du  25  mars  ou 
de  Pâques. 

Si,  à  défaut  de  l'énoncé  de  l'année,  on  veut  s'appuyer  sur  des  syn- 
chronismes,  sur  les  années  du  règne  d'un  pape  ou  d'un  roi,  ce  qui  est 
assez  fréquent,  on  rencontre  des  cas  où  l'on  reste  fort  perplexe,  comme 
par  exemple  celui  du  roi  Charles  le  Simple,  à  qui  on  peut  attribuer  six 
époques  différentes  pour  le  commencement  de  son  règne. 

En  témoignage  de  cette  pénurie  de  dates,  on  peut  présenter  le  car- 
lulairc  de  Saint-Cypricn  de  Poitiers,  un  des  plus  précieux  recueils  de 


VIII  LES  COMTES  DE  POITOU 

chartes  qui  nous  ait  été  conservé,  lequel,  sur  les  SgS  actes  qu'il  con- 
tient, s'ëtcndanl  de  l'an  888  à  1 1 49>  "'en  compte  que  43  qui  portent 
une  indication  précise  d'année . 

En  réalité,  pendant  les  xi"  et  xii«  siècles,  mettre  une  date  à  un  récit, 
à  une  charte,  à  une  lettre  surtout,  était  un  fait  exceptionnel.  La  règle 
la  plus  suivie  était  qu'il  n'y  en  eût  pas;  et  de  cela  il  n'y  a  pas  trop  lieu 
de  s'étonner.  Aujourd'hui,  combien  n'est-il  pas  de  personnes  qui  se 
refusent  volontairement  à  mettre  en  tète  de  leurs  lettres  toute  autre 
indication  que  celle  du  jour  où  elles  les  écrivent,  si  bien  que  celles  de 
ces  missives  qui  surnageront  présenteront  aux  historiens  de  l'avenir 
des  obscurités  identiques  à  celles  que  l'on  rencontre  chez  leurs  devan- 
cières. 

Ces  quelques  remarques  ont  simplement  pour  objet  de  faire  sentir 
au  lecteur  une  partie  des  difficultés  de  la  lâche  entreprise  et  de  lui  don- 
ner l'explication  de  lacunes  ou  d'erreurs  qu'il  sera  à  même  de  relever. 
Je  ne  parle  pas  du  déchiffrement  des  actes  originaux  ou  autres,  ceci 
est  affaire  de  métier. 

Ce  qui  rend  particulièrement  délicate  l'histoire  des  Comtes  de  Poi- 
tou, c'est  qu'ils  ne  se  sont  pas  exclusivement  cantonnés  dans  leur 
domaine  primordial.  De  très  bonne  heure,  ils  sont  devenus  ducs 
d'Aquitaine,  puis  de  Gascogne,  et  enfin  pendant  un  moment  ils  ont 
été  comtes  de  Toulouse.  Le  cadre  à  remplir  était  déjà  vaste;  il  s'est 
encore  élargi  avec  Aliénor.  La  comtesse  de  Poitou,  étant  devenue 
d'abord  reine  de  France,  puis  reine  d'Angleterre,  il  a  fallu  la  suivre, 
tout  en  ne  tenant  véritablement  compte  que  des  actes  émanés  d'elle 
ou  de  ses  maris,  qui  avaient  rapport  à  ses  états  patrimoniaux  ou  qui 
étaient  nécessaires  pour  établir  une  suite  régulière  dans  le  récit  de  son 
existence.  Puis  sont  venus  successivement  son  fils  Richard,  son  petit- 
fils  Othon,  et  môme  Jean-sans-Terrc  qui,  bien  qu'ayant  abandonné  le 
Poitou  à  sa  mère,  ne  laissa  pas  de  se  mêler  de  son  gouvernement. 

Je  ne  saurais  don:;  dire  que  cette  œuvre  est  complète  ;  dans  les 
questions  d'histoire  on  ne  peut  jamais  être  sûr  d'arriver  à  ce  résultat  ; 
il  en  est  pareillement  de  l'exactitude  au  sujet  des  dates  ou  des  faits 
rapportés,  mais  si  je  n'ai  pas  toujours  rencontré  la  vérité,  je  puis  du 


AVANTPROPOS  ix 

inoins  affirmer  que  je  l'ai  passionnément  cherchée.  Être  vrai,  être  utile, 
tel  est  le  but  vers  lequel  tendaient  les  auteurs  de  VArl  de  vérifier  les 
dates  ;  je  nie  suis  proposé  pour  objet  d'appliquer  au  Poitou  les  princi- 
pes qui  les  avaient  guidés  dans  leur  conception  de  l'histoire  générale, 
l'avenir  dira  si  j'ai  réussi. 

Outre  les  notes  que  l'on  rencontrera  au  bas  des  pages  et  que  certains 
trouveront  peut-être  trop  minutieuses,  il  a  été  joint  au  second  volume 
de  cet  ouvrage  quelques  appendices  consacrés  j\  l'étude  de  diverses 
questions  qui  demandaient  à  être  spécialement  détaillées.  Ce  volume 
sera  terminé  par  la  liste,  non  pas  des  ouvrages  ou  fonds  d'archives 
consultés,  celle-ci  aurait  été  infinie,  mais  seulement  de  ceux  qui,  cités 
en  abn'gé  dans  les  notes,  ont  besoin  d'être  exactement  connus,  afin 
que  l'on  puisse  en  toute  sûreté  recourir  aux  références  indiquées.  On 
y  trouvera  aussi  une  table  générale  des  noms  de  personnes  et  de  lieux, 
s'a{)pli(piant  aux  deux  volumes  de  l'Histoire. 

Comme  il  a  été  dit  plus  haut,  cette  œuvre  est  absolument  person- 
nelle, et  je  ne  puis  mieux  faire  que  de  la  placer  sous  le  patronage 
de  l'enseignement  que  j'ai  reçu  à  l'Ecole  des  Chartes,  il  y  a  quarante 
ans,  enseignement  dont  je  me  suis  toujours  efforcé,  dans  mes  divers 
travaux,  de  mettre  en  pratique  la  sévère  méthode. 

Il  me  reste  enfin  à  remercier  le  Conseil  général  de  la  Vienne,  qui 
a  bien  voulu,  en  m'accordant  une  précieuse  subvention,  reconnaître 
les  services  qu'il  m'a  été  donné  de  rendre  au  département  depuis  1868, 
année  où  j'ai  été  appelé  i\  la  direction  de  ses  Archives. 

Poitiers,  5  juin  igo3. 


LES 


COMTES  DE  POITOU 


La  mort  violente  du  duc  Waïfre  en  768,  la  défaite  de  son  père 
liunald  en  771  avaient  amené  la  soumission  de  l'Aquitaine  entre 
les  mains  des  fils  de  Pépin  le  Bref.  Charles,  resté  seul  maître  du 
royaume  franc  par  la  mort  de  son  frère  Carloman,  advenue  le 
4  décembre  771,  dut  se  préoccuper  de  donner  h  la  vaste  région, 
dont  la  conquête  avait  coûté  aux  siens  tant  d'etforts,  une  orga- 
nisation qui  y  ramènerait  le  calme  et  la  relèverait  des  ruines  que 
plusieurs  années  de  ravages  y  avaient  accumulées.  Mais  les  luttes 
qu'il  eut  à  soutenir  contre  les  Lombards  et  les  Saxons,  et  quel- 
ques autres  entreprises  qui  réclamaient  toute  son  activité,  lui 
firent  pendant  un  temps  négliger  ses  nouveaux  domaines  de 
l'Ouest,  où  du  reste  la  pacification  s'opérait  peu  à  peu.  Il  n'y 
reparut  qu'en  778,  alors  qu'il  dirigeait  une  puissante  expédition 
contre  les  Sarrasins  d'Espagne.  Sa  femme  Hildegarde,  qui  l'ac- 
compagnait, s'arrêta  dans  la  villa  royale  de  Chasseneuil,  où  le 
roi  avait  célébré  les  fêtes  de  Pâques,  et,  dans  le  courant  de  l'été, 
y  mit  au  monde  un  fils  qui  fut  appelé  Louis.  A  son  retour  d'Es- 
pagne, vers  la  fin  de  l'automne,  Charles  décora  cet  enfant  du  titre 
de  roi  d'Aquitaine;  le  15  avril  781,  il  confirma  cet  acte  en  faisant 
donner  au  jeune  prince  l'onction  sacrée;  plus  tard,  en  796,  il  lui 


3  LES  COMTES  DE  POITOU 

constitua  une  cour  et  lui  assigna  comme  résidences  d'hiver  quatre 
palais  ou  villas  royales  qu'il  devait  habiter  tour  àluur;  deux 
d'entre  elles,  Doué  et  Cliassoneuil,  étaient  situées  en  Poitou  (1). 
La  création  d'un  état  vassal,  fortement  organisé,  qui  couvrirait 
ses  frontières  du  côté  des  ennemis  héréditaires  du  nom  chrétien, 
telle  est  la  combinaison  que  le  futur  empereur  des  Francs  avait 
conçue  et  qu'il  appliqua  sans  retard  avec  toute  la  précision  qui 
était  l'essence  de  son  génie.  Or  donc,  à  la  fin  de  778,  il  partagea 
l'Aquitaine,  devenue  un  royaume,  entre  neuf  comtes  qui  furent 
investis  non  seulement  du  pouvoir  civil  et  judiciaire  dont  jouis- 
saient les  comtes  mérovingiens,  mais  à  qui  il  donna  en  outre  l'au- 
torité militaire,  précédemment  réservée  aux  ducs,  avec  la  charge 
spéciale  d'assurer  cette  protection  des  frontières,  objet  dos  pré- 
occupations constantes  dos  rois  francs;  de  plus,  afin  qu'ils  se  sen- 
tissent plus  portés  h  s'occuper  avec  /.èle  de  la  mission  qui  leur 
était  confiée,  la  durée  n'en  fut  pas  limitée.  C'étaient  des  hommes 
de  race  franque,  dévoués  personnellement  au  roi  et  en  qui,  sur 
toutes  choses,  il  pouvait  absolument  compter.  Pour  le  moment, 
Charles  ne  toucha  pas  aux  évoques,  que  leur  caractère  sacré  dé- 
fendait contre  ses  entreprises,  mais  il  se  réservait  bien  de  leur 
choisir,  quand  l'occasion  s'en  présenterait,  des  successeurs  à  son 
gré;  il  se  montra  moins  scrupuleux  à  l'égard  des  administrateurs 
des  abbayes,  encore  peu  nombreuses,  il  est  vrai,  mais  toutes  rela- 
tivement puissantes  par  l'étendue  de  leurs  domaines.  Il  mit  à  leur 
tête  de  nouveaux  abbés,  pris  aussi  parmi  ses  fidèles  francs  et  qui, 
dans  la  société  religieuse,  devaient  contrebalancer  l'influence 
contraire  que  pouvaient  exercer  les  évêques.  C'est  encore  à  des 
hommes  de  sa  race,  que  l'on  appelait  les  vassaux  du  roi,  qu'il 
confia  les  situations  les  plus  importantes  du  pays  et  l'administra- 
tion des  villas  du  fisc  royal.  Grâce  à  ces  habiles  mesures,  toute 
résistance  efficace  se  trouva  annihilée;  les  énergiques  dévoue- 
ments auxquels  il  était  fait  appel  constituaient  en  effet  les  mailles 
d'une  sorte  de  puissant  réseau  qui  recouvrait  tout  le  pays,  et  le 
jeune  prince,  sous  la  direction  d'un  habile  tuteur,  put,  sans  faire 


(i)    Les  deux  autres  résidences  royales  officielles  étaient  Ângoac  en   Angoumois 
et  Ebreuil  en  Auvergne. 


ABBON 


appel  aux  armes  de  son  père  et  durant  toute  la  vie  de  celui-ci, 
gouverner  en  paix  son  royaume  d'Aquilaine  (1). 


I.  -ABBON 

(778-814?) 


Le  premier  comte  de  Poitou  s'appelait  Abbon.  Il  avait  pour 
voisins  Humbert  à  Bourges,  Roger  à  Limoges,  Wuilbod  à  Péri- 
gueux  et  Seguin  à  Bordeaux  ;  son  pouvoir  s'étendait  sur  la  cité  de 
Poitierset  sur  celle  d'AngouIême  qui,  dans  la  nouvelle  organisation, 
ne  fut  pas  pourvue  d'un  comte  non  plus  que  celle  de  Saintes,  alors 
que  l'une  et  l'autre  en  avaient  possédé  sous  les  Mérovingiens: 
Saintes  fut  raltaché  à  Bordeaux.  L'importance  et  la  multiplicité 
des  attributions  qui  furent  conférées  aux  comtes  aquitains  ne 
devaient  pas  leur  permettre  de  fréquenter  assidûment  la  cour 
impériale  et  de  prendre  part  aux  grandes  expéditions  militaires 
qui  marquèrent  le  règne  de  Charlemagne.  Aussi  ne  saurait-on 
affirmer  que  le  comte  Abbon, qui  peut-être  resta  à  la  tête  du  Poi- 
tou pendant  trente-cinq  ans,  soit  le  môme  que  le  personnage  de 
ce  nom  qui,  avec  onze  autres  chefs  francs,  fut  garant  du  traité  que 
l'empereur  passa,  en  811,  avec  le  prince  danois  Hemming  (2). 
Abbon  dut  prendre  assurément  part  aux  nombreux  faits  de  guerre 
qui  signalèrent  la  lutte  presque  continuelle  entre  les  Francs  et 
les  Sarrasins,  mais  il  n'en  est  pas  resté  de  trace.  De  ce  silence 
des  textes  il  résulte  que  l'existence  du  premier  comte  carlovin- 
gien  du  Poitou  ne  nous  est  guère  connue  que  par  sa  nomination 
et  par  quelques  rares  actes  de  son  administration  qui  ont  été 
conservés. 

En  780,  il  présida  à  Poitiers  deux  plaids  où  furent  portées  des 


(i)  Recueil  des  hi'st.  de  France,  VI,  p.  88,  Vita  Hludowici  piiimp.;  Pertz,  Mon. 
Germ.,  SS.,  Il,  p.  608;  Besly,  Hist.  des  comtes  de  Poiclov,  preuves,  p.  i48. 

(2)  Rec.  des  hist.  de  France,  V,  p.  60,  Annales  Francorum  ;  Besly,  Hist.  des 
comtes,  preuves,  p.  i48;  PerU,  Afon.  Germ,,  SS.,  I,  p.  198,  tinhardi  annales.    • 


4  LES  COMTES  DE  POITOU 

affaires  intéressant  l'abbaye  de  Noaillé.  Dans  le  premier,  qui  eut 
lieu  le  dimanche  18  novembre,  il  fut  reconnu  que  le  domaine  pré- 
tendu par  l'abbaye  de  Saint-liilaire  à  Lussac  appartenait  à  Noail- 
lé (1);  au  second,  qui  se  tint  entre  deux  églises  le  samedi  l"décem- 
bre,  fut  présenté  un  litige  déjà  ancien  entre  un  certain  Gratien  qui 
avait,  au  temps  de  Waïfre  ,  usurpé  Noailié  et  ses  dépendances 
sur  l'abbaye  de  Saint-Hilaire  et  qui  prétendait  vouloir  conserver 
l'une  d'elles,  le  domaine  de  Jassay;  la  cause  ne  paraissant  pas 
encore  assez  instruite  aux  prud'hommes,  probi  homines,  appelés 
à  la  juger,  elle  fut  renvoyée  à  une  assemblée  ultérieure,  soit  de- 
vant le  comte,  soit  devant  l'abbé  de  Saint-Hilaire,  Jepron,  lequel 
siégea  à  côté  du  comte  dans  ces  deux  affaires  (2). 

Le  nom  d'Abbon  se  trouve  encore  au  bas  d'une  sentence  ren- 
due à  Saint-Hilaire  de  Poitiers  par  les  missi  dominici  du  roi  Louis, 
le  28  avril  791,  dans  une  contestation  advenue  entre  des  parti- 
culiers au  sujet  de  la  possession  de  l'alleu  du  Pin  en  Aunis  (3), 
et  d'un  diplôme  de  sauvegarde  et  d'immunité  accordé  au  monas- 
tère de  Noaillé  par  le  même  roi,  qui  se  tenait  alors  en  Limousin, 
dans  son  palais  de  Jogundiagu^  (Le  Palais),  du  3  août  794  (4). 

Ces  faits  sont  bien  peu  importants,  mais  il  était  néanmoins 
nécessaire  de  les  relever,  car  ils  constituent  tout  ce  que  l'on  sait 
des  actes  du  comte  Abbon.  On  ignore  même  totalement  quand 
il  cessa  d'occuper  ses  hautes  fonctions.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que, dès  les  premiers  temps  du  règne  de  Louis  le  Débonnaire 
comme  empereur,  on  lui  trouve  un  successeur  (5). 


(i)  Mabille,  Le  royaume  d'Aquitaine  et  ses  marches,  p.  Sg  ;  D.  Fontencau, 
XXI,  p.  3i. 

(2)  Besly,  Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  149;  Mabille,  Le  royaume  d'Aquitaine, 
p.  39  ;  D.  FoDteneau,  XXI,  p.  35. 

(3)  Mabille,  Le  royaume  d'Aquitaine,  p.  39  ;  D.  Fonteneau,  XXI,  p.4'- 

(4)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Noailié,  n°  2  ;  Gallia  christ.,  II,  iostr.,  col.  346,  où 
cette  pièce  n  été  datée  à  tort  de  l'aDoée  793. 

(5)  Les  auteurs  de  VArl  de  vérifier  les  dates,  p.  710,  égarés  par  Besly  (Hist.  des 
comtes,  p.  6),  placent  après  Abbon  un  comte  du  nom  de  Ricuin.  M.  Mabille,  dans 
sa  remarquable  élude  critique  sur  le  royaume  d'Aquitaine  et  ses  marches,  p.  ^o,  a 
relevé  celte  erreur  à  juste  titre.  Il  fait  aussi  justice  d'un  autre  comte  du  nom  de 
Reuaul,  placé  par  Besly  après  Ilicuin  (Hisl.  des  comtes,  p.  7,  et  preuves,  p.  167). 
Voy.  Api'endice  I. 


BERNARD 


II.  -  BERNARD 

(8i5  82O?) 


Lf^cnnilf»  Bfirnarti  pslcitéavec  la  qiinlino.alionfrhnmmt^illuslr»', 
vif  iflusler,  dans  la  iTolîce  d'un  plaid  Icnii  à  Poili»?r?î  [o  mevc.voûï 
20  juin  8t5  par  Godil,  son  rmsxu'i  (i).  au  sujet  de  deux  serfs 
de  Tabbayc  de  Noaillé  qui  furent  convaincus  d'avoir  fail  fabri- 
quer de  fausses  cliarles  d'affrancliissoment.  (2).  En  ce  monienl 
ce  n'était  dt^j^i  plus  Louis  le  Débonnaire  qui  régnait  en  Aqui- 
taine. Devenu  empereur  des  Francs  par  la  mort  de  son  père, 
en  811,  il  avait  f^uivi  los  erremenls  de  ce  dernier  et  l'Aquitaine, 
maintenue  dans  sa  semi-indi-pendance,  reçut  pour  roi  t^'^pin,  le 
second  fils  de  Louis,  Ce  prince,  élevé  dans  les  sentiments  d'une 
piété  exirôme,  se  montra  pendant  t(Uit  son  r^gne,  quoiqu'avec 
quelques  défaillances,  favorable  aux  én;lises,  soil  en  leur  accor- 
dant des  privilèges  d'immunité,  soit  en  leur  restituant  les  domaines 
dont,  suivant  les  nécessités  df>  la  jinlilique,  elles  avait^nl  pu  être 
dépouillées  pour  être  données  en  j^ralilictilion  aux  fidèles  du 
roi  (3).  C'est  ainsi  que  le  comte  Bernard  possédait  l'imporlaut 
domaine  de  Tizay,  ancienne  dépendance  de  t'abbaje  de  Saint- 
Maixent;  se  disani  poussé  par  des  mol  ifs  pieux,  le  comle  renonça 
nn  jour  à  la  possession  de  ce  bénéfice  el^  s'adressant  au  roi,  lui 
demanda  de  faire  aussi  de  son  c<Mé  l'abandon  de  tous  ses  droits 

(1)  La  qualité  de  missfis  paraissant  îdeutifjue  nvec  celle  ilc  rirecomes  (R.  de  Lns- 
leyric, /."/«(V «•««/•  Ira  comtes  cl  les  l'icomles  de  Limoges,  p,  47'»  Godil  est  le  premier 
vicomte  de  I*oilou  dont  le  nom  serait  parvenu  jusqu'à  nous.  Il  n'est  pas  à  croire  quf 
le  misiitis  Tnl  tout  d^abord  chargé  d'administrer  un  territoire  particulier  ;  ce  n'était 
encore  que  le  fondé  de  pouvoir  du  comle. 

(a)  Mjtbillc,  Le  roijtiume  il'Afjiiilititie,  p.  /jo;  Bcsly,  ///.«/.  des  comfes,  preuves, 
p.  17C). 

(3)  Voy.  le  diplôme  de  ce  prince  du  «er  avril  82.')  pour  l'abbaye  de  Saiitle-Croix  de 
Poitiers,  délivré  en  la  foi  et  de  M<nilirre  (Ursl^*,  fiot/n  de  Ginjrnney  p.  21),  ceux  du 
24  juin  827  et  Hu  a4  novembre  83/|,  accordés  A  Saiot-llilaire-le-Cirtind  (nédel.  Docu- 
ments pour  l'histoire  de  Saint- //ildire,  I,  pp.  3  et  7I,  celui  du  11  janvier  8i'7  pour 
SaintAlaixcnt,  délivic  dans  le  palais  de  Chas.^cntniil  {\.  Ricliard,  Chartes  de  Saint- 
Mni.rent,  I,  p.  5),  celui  du  18  mai  8a6,  pour  t'abbnye  de  Niùrmoutier  {^Recueil 
fies  fiitt.  de  France,  VI,  p,  664). 


6  LES  COMTES  DE  POITOU 

sur  ce  domaine  ;  Pépin  accueillit  favorablemenl  celte  demande 
cl  délivra,  le  22  décembre  825,  un  diplôme  qui  rendait  h  Tabbaye 
la  pleine  et  incommutable  possession  de  Tizay(l). 

On  ne  connaît  pas  Torigine  de  Bernard  (2).  C'était  assurément 
un  chef  franc,  mais  on  ne  saurait,  pas  plus  qu'on  ne  l'a  fait  pour 
Abbon,  l'identifier  avec  un  des  signataires  du  traité  de  811  avec 
Hemming,  portant  ce  nom  de  Bernard  et  le  litre  de  comte  (3). 
On  ignore  pareillement  quand  il  cessa  d'occuper  ses  fonctions, 
soit  par  cas  de  mort,  soit  pour  toute  autre  cause,  mais  l'évé- 
nement se  produisit  sûrement  de  826  à  828  et  fut  le  point  de 
départ  d'un  nouvel  état  de  choses  danslacilé  de  Poitiers. 

11  ne  semblait  pas  que  le  comte,  placé  à  la  tête  de  celte  région, 
dût  avoir  jamais  à  lutter  contre  l'ennemi  extérieur,  cl,  pourtant, 
le  cas  se  présenta  sous  l'administration  de  Bernard  et  se  perpé- 
tua sous  ses  successeurs.  Les  Normands,  ces  hardis  marins  que 
bien  des  motifs  poussaient  à  quitter  leurs  froides  résidences  pour 
aller  chercher  au  loin  les  aventures,  avaient  depuis  plusieurs 
années  paru  dans  les  eaux  de  la  France,  mais  ils  s'étaient  jus- 
qu'alors contentés  d'écumer  les  mers.  La  mort  de  Charlemagne, 
qui  avait  su  préserver  les  côtes  de  son  vaste  empire  par  de  sages 
mesures,  négligées  sans  nul  doute  par  son  successeur,  les  rendit 
plus  hardis;  ils  prirent  l'habitude  de  relâcher  dans  l'île  d'Her 
(Noirmoutier),  où  ils  se  livraient  à  des  actes  de  violence,  particu- 
lièrement à  l'égard  des  colons  du  monastère  de  Sainl-Filbert,de 
qui  l'île  dépendait. 

Les  religieux  de  Saint-Filbert,  atîn  de  se  mettre  personnelle- 
ment à  l'abri  de  ces  incursions  pendant  l'époque  où  elles  se  pro- 
duisaient, c'est-à-dire  pendant  l'été,  obtinrent  de  Louis  le  Débon- 
naire l'autorisation  de  construire  un  nouveau  monastère  à  Deas, 
sur  les  bords  du  lac  de  Grand-Lieu  ;  le  16  mars  819,  l'empereur 
compléta  sa  concession  en  leur  délivrant  un  diplôme  qui  leur 
permettait  de  couper  la  roule  royale  pour  amener  l'eau  de  la 


(i)  A.  Richard,  Cliarles  de  Saint-Maixenl,  I,  p.  3. 
'aj  Voy.  Apfendick  I. 

(3   Rec.  des  hist.  de  France,  V,  p.  Oo,  Aaaaics  Fraocorum;  Pertz,  Mon.  Gerin, 
SS.^  I,  p.  i<)tt.,  ËÏDhardi  aauales.  'm 


BERNARD 

rivière  de  la  Boulogne  à  leur  nouvelle  résidence  {\).  Le  choix  de 
celle-ci,  silut-e  seuli.'ineiîl  à  six  lieues  de  la  mer,  porle  en  lui  la 
preuve  qu'à  celle  époque  on  ne  considérait  pas  les  Normands 
comuic  un  ennemi  redoulable  pour  les  territoires  eu  lerro  Icruie  ; 
on  ne  voyait  en  eux  que  des  pirates  qui  s'aballaienl  sur  les  côLes, 
el,  semblables  à  Toiseau  de  proie,  s'enfuyaient  aussitôt  qu'ils 
s'étaient  emparés  del'objetde  leur  eonvoitise.Otuie s'explique  pas 
toutefois  oomuienl  le  comte  Bernard,  dûment  averti  par  les  ap- 
préhensions des  moines  de  l'ili.'  d'iler,  n'ait  pris  aucune  mesure 
eCticace  pour  protéger  le  littoral  du  E^oitou,  quidans  cette  région 
est  d'un  abord  si  facile,  contre  le  retour  de  ces  redoutables 
visiteurs. 

En  effet, en  820,  deux  filsdu  vieux  Piudrod,  evpulsés  de  la  Scan- 
dinavie par  leurs  frères,  s'étant  dirigés  vers  l'Ouest  avec  treize 
barques.conlournèreni  les  cMe^  de  France  sans  pouvoir  [irendre 
terre,  et  enfin  ari-ivèreut  dans  la  Imiedc  Boiirgneuf,  qu'ils  trou- 
vèrent sans  défense  ;  ils  y  abordèrent,  e-nvahireul  l'île  do  Bouin, 
pillèrent  le  bourg  et  le  détruisirent  de  fund  f  u  comble  {2),  Bernard 
était  assurément  occupé  par  ailleurs,  iiétitiiuoitis  le  souverain 
dut  tirer  de  ces  faits  cat  enseignement,  que  le  territoire  confié  au 
comte  de  Poitiers  était  trop  vasie  pour  qu'il  en  pût  surveiller 
efficacement  toutes  les  parlics.  L>u  vivant  de  BtM-nard,  la  situation 
ne  fut  sans  doute  pas  modifiée,  mais  à  sa  mort,  croyons-nous, 
la  cité  fut  démembrée  et  on  en  détacha  toule  la  portion  occi- 
dentale, qui  d'ancienneté  était  désignée  sous  le  nom  de  pays 
d'Herbauge  el  forma  un  comté  particulier  (3)  à  la  tète  duquel  fut 
mis  un  personnage  du  nom  de  Rainaud  (4).  (ietle  première  atteinte 


(i)  Lex,  Documents  oriyinaaa:  antérifitrt  ù  l'an  mil,  p.  i  ;  Recueil  ilfs  hisl.  //c 
Fronei",  VI,  p.  5iO, 

(i)  Peilz,  Afnn.  Oer/ji.,  SS.,  F,  p.  307,  Eînhardi  anaatt's;  Mabille,  Lfs  invntions 
nurmundes  duiis  la  Loire,  p.  20. 

(3)  Au  leinp.s  de  Gr^sTuitc  de  Tours,  le  litloritl  de  l'Océau,  de  l'emboucLurc  de  lu 
Loire  à  celle  du  Loy,  était  counu  sous  le  iiûni  àl'Arbatilirum,  le  pays  d'Ilerbauge 
(L.oo^noa, Géufjraiihie  de  lu  Gaule  au  VJ"  siècU-,  p.  Îi0/|).  Il  cstl  possible  que,  dès 
l'érection  du  couilë  d'Ilcrbsiuec,  u»  <iit  ctinipri;'  Suus  relie  dciiouilnuliuu  le  (lays  du  ce 
DOm  el  ceux  de  Tilîauge  et  de  Maut»e  ijui  onl  eu  pendant  deux  sircles  «u  moius  une 
e.visleui'e  coiuniune.  (Voy.  ma  noiice  ijititulée:  Les  'J'aljnlts,  in  J'/ieifulie  et  le  jniys 
de  Tiffanfft,  parue  acconipii^înce  d'une  Ciule  d.ms  le  Dnlletin  delà  Soc.  des  Antif/. 
t/e /'Ouf«/,  4*  U 'nieslre  de  jHytii. 

(4)  Les  chroDÎr{ues  donnent  à  ce  comlc  lu  nom  de  Haiiialdtis:  il  est  loulefuia  à 
Vkicr  qu'il  est  appelé  Hainoldus   daDs   celle  d'Adéniar   de   Gbabunucs,  HetjiniilJuf 


LES  COMTES  DE  POITOl' 


portée  à  l'œuvre  de  Chariemagne,  bien  qu'elle  soit  le  fait  de 
Charles  le  Chauve,  nous  paraît  avoir  été  conçue  par  Louis  le  Dé- 
bonnaire s'iramisçant  en  sa  qualité  d'empereur  et  au  nom  de  l'in- 
térêt général  dans  les  atTaires  de  l'Aquitaine  (1). 


III.  —  EMENON 

(828-839) 

Le  mardi  9  juin  828  le  roi  Pépin  se  tenait  dans  son  palais  do 
Chasseneuil,  situé  sur  les  bords  du  Clain,  pour  juger  les  causes 
qui  seraient  portées  devant  lui.  Il  était  assisté  de  vingt-quatre  de 
ses  fidèles  et  de  Jean,  comte  de  son  palais  ;  la  notice  de  ce  plaid 
rapporte  qu'en  tête  de  ces  fidèles  se  trouvait  le  comte  llimmon, 
présidant  en  quelque  sorte  la  cour  du  roi  dans  le  jugement  d'un 
litige,  sous  la  haute  direction  de  ce  prince  (2i.  On  ne  sauraitdou- 
ter,  étant  données  les  circonstances  où  nous  le  rencontrons,  que 

dans  celle  de  Fontenellc  (Perlz,  Afon.  Oerm.,SS.,  II,  p.  3oa),  et  Reginardas  dans  la 
vie  de  Louis  le  Débonnaire  (Periz,  Mon.  Germ.,  SS.,  II,  p.  645).  La  chronique  de 
Fontenclle  et  c«Ue  de  Saint-Serge  (Marchegay,  Chron.  des  égf.  dWnjoa,  p.  129)  le 
qualifient  de  daœ,  aussi  nous  ranij^eons-nous  à  l'opinion  des  crudits  qui  voient  en  lui 
le  duc  place  à  Ançoulêmc  par  Louis  le  Débonnaire  en  8/40  lorsque  ce  prince  divisa 
l'Aquitaine  en  trois  commandements  militaires  (Loup  de  Ferrières,  lettre  28,  Ree. 
des  hisl.  de  Fnnce,  VII,  p.  4^0.  Levillain,  dans  la  Bih!.  de  T fic^tle  dea  Chartes, 
LXI,  p.  508,  établit  que  cette  lettre  est  du  1 1  août  840).  Enfin  la  chronique  de  Saint- 
Serge  nous  rapporte  que  le  conte  d'II-îrbauge  était  de  race  Aquitanique,  génère 
Aquitanns,  ce  qui  permettrait  de  le  ratiacher  à  quelqu'une  des  grandes  familles  qui 
se  partageaient  alors  le  pouvoir  dans  celte  région. 

(1)  Les  actes  de  Louis  le  Débonnaire  en  Aquitaine  et  particulièrement  en  Poitou  se 
manifestèrent  surtout  t\  l'égard  des  établissements  religieux  ;  on  connaît  ceux  qui 
concernrnt  les  abbayes  de  Saint-lIilaire-Ic-Grand,  de  mai  8o8(Uédel,  Documents  pour 
Saifit-Ifilaire,  I,  p.  3).  de  Charroux,  flu  i3  février  8i5  et  du  i3  août  83o  (Hesly, 
Ilist.  des  comtes,  p.  i64;  Rec.  des  /list.  de  France,  VI.  pp.  474  et  566),  de  Saint- 
Marxcnt,dn  18  juin  8i5  et  du  10 octobre  827  (A.  Richard,  Charles  de  Saint-}/ai.renl, 
I,  pp.  1  et  6),  de  Sainte-Croix,  de  822  et  sans  date  précise  (Baluze,  Capital,  reg . 
Franc,  I,  col. 629,  et  Rec. des  hist.de France,  VI,  p. 634),  de  Noirmoutier,  du  3août 
83o  et  (lu  27  novembre  83  )  {flec.  des  hisl.  de  France,  VI,  pp.  363  01628). 

(2)  Guér.ird,  Poli/ptiqne  d'irminnn,  II,  p.34'i.  Cette  pièce  importante,  qui  n'a  pas 
été  utilisée  par  nos  devanciers,  a  un  double  intérêt,  car,  outre  qu'elle  signale  à  une 
date  certaine  la  présence  k  Poitiers  du  roi  Pépin  et  de  sa  cour,  elle  précise  en  Poitou 
l'emplacement  de  sa  villa  de  Cisanngiliim.  Il  est  possible  que  les  rois  Carlovingiens 
aient  possédé  une  autre  résidence  du  même  nom.aujnurJ'iniiCasseuil  sur  la  Garonne. 
(Voy.   C.  Jullian,  Le  pnhtis  carolingien  de  Cassinogilnm,  p.  89.)  ^ 


EMENON  9 

ce  personnage  ne  soille  successeur  de  Bernard,  appelé  par  les 
chroniques Emenon  ou  Iminon.  Homme  de  race  franqiie  (1),  ainsi 
que  l'indique  la  forme  de  son  nom,  il  avait  deux  frères,  Turpion 
et  Bernard,  mais  nous  ne  pouvons  dire,  malgré  le  nom  porté  par 
ce  dernier,  que  quelque  lien  les  rattachait  au  comte  précédent  (2). 
Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'Emenon  était  tout  dévoué  à  Pépin  et 
hostile  h  Louis  le  Débonnaire  et  il  ne  serait  pas  impossible  que 
le  point  de  départ  de  cette  hostilité  remontât  au  démembre- 
ment du  comté  de  Poitiers,  dont  le  nouveau  comte  se  trouvait  en 
partie  privé  de  par  la  volonté  impériale;  il  ne  larda  pas,  du  reste, 
à  manifester  hautement  ses  sentiments. 

Louisle  Débonnaire,  après  la  mort  de  sa  femme  Hermingarde, 
s'était  remarié  avec  Judith  de  Bavière.  Le  15  juin  823,  l'impc- 
ralrice  mit  au  monde  un  fils  qui  fut  nommé  Charles  ;  or,  comme 
l'empereur  avaitdopuispliisieurs  années  partagé  ses  états  entre  ses 
enfants  du  premier  lit,  le  dernier  venu  se  trouvait  sans  patrimoine. 
Judith,  femme  intelligente  et  ambitieuse,  se  préoccupa  prompte- 
mènt  de  celte  situation;  elle  voulait  que  son  fils  fût  aussi  roi, 
et,  pour  arriver  à  son  but,  elle  ne  cessa  d'exciter  l'empereur  contre 
ses  autres  enfants,  afin  de  faire  attribuer  à  Charles  la  dépouille 
de  l'un  d'eux. 

Dès  829,  à  la  diète  de  Worms,  Louis  enleva  à  son  fils  aine 
Lothaire  quelques  provinces  de  la  Germanie  avec  lesquelles  il 
constitua  h  Charles  un  royaume  sous  le  nom  d'Allemagne,  mais 
Lothaire  et  ses  deux  autres  frères.  Pépin  d'Aquitaine  et  Louis 
de  Bavière,  menacés  comme  lui^  se  soulevèrent  l'année  suivante 
contre  leur  père  et  le  mirent  dans  l'impuissance  de  leur  résister. 
Judith,  faite  prisonnière  à  Laon,   fut  confiée  à  Pépin,  qui  l'em- 


i)  Les  chroniques  donnent  en  afénéral  an  comte  de  Poilou  les  noms  d'E/nenus  ou 
Eini'no;  onlroiive  encore  l/ninn  dans  la  chroniqac  d'Adon(/{ec.  des  hist.  de  France^ 
VII,  p.  5'))  cl  dans  celle  de  Flenry  (A/.,  VII,  p.  27^.  enfin  il  est  appelé  Iinmo  dans  le 
livre  des  nuracics  de  sainte  Foy  qui  en  fait  postérieurement  un  comte  de  Périgord 
(lier,  des  hisl.  de  France,  VI,  p.  GôC)).  L'identification, pour  nous  certaine,  du  comte 
llirnmo  avec  Knienon  nous  a  permis  de  faire  remonter  de  deux  ans  avant  la  date  gé- 
néralement admise  la  prise  de  possession  du  comté  de  Poitou  par  ce  pcrsonnaçe. 

(2)  Los  historiens  ont  hasardé  diverses  suppositions  sur  l'orii^'inc  du  comte  Emenon 
M.  Mabillc  môme  est  porté  à  admettre  qu'il  pou^-rait  être  fils  de  Bernard  [Le rot/anme 
d'Ar/uitdine,  p.  /|i);  mais  toutes  ces  hypothèses  sont  «rratuiteset  ne  reposent  sur  au- 
cun fondiMnent  sérieux.  Voy.  Aphendick  I. 


lo  LES  COMTES  DE  POITOU 

mena  dans  le  monastère  de  Sainte-Croix,  où  on  la  contraignit  de 
prendre  le  voile  (1). 

Mais  le  calme  ne  fut  pas  de  longue  durée.  L'empereur,  ayant, 
grâce  à  son  fils  Lolhaire,  repris  tout  son  pouvoir,  tint  à  Aix-ia- 
Chapelle,  au  mois  de  février  831,  une  diète  où  Judith,  tirée  de 
Sainte-Croix,  vint  se  disculper  de  l'accusation  d'adultère  portée 
contre  elle  par  ses  beaux-fils;  l'impératrice  ressaisit  toute  son 
influence  et,  à  son  tour,  se  vengea  de  ses  ennemis.  Tous  ceux  qui 
avaient  pris  part  à  la  conspiration  contre  l'empereur  furent  frap- 
pés; les  évoques,  les  abbés,  les  comtes  et  autres  grands  person- 
nages furent  dépouillés  de  leurs  dignités,  privés  de  leurs  biens 
et  envoyés  en  exil  dans  les  monastères.  Mais  Louis,  par  faiblesse 
ou  par  bonté,  ne  donna  pas  suite  aux  décisions  de  la  diète  et  par- 
donna à  presque  tous  les  coupables,  sauf  toutefois  à  son  cousin, 
Wala,  abbé  de  Corbie,  qui  fut  envoyé  à  Her  (2).  L'internement 
de  ce  personnage  dans  un  coin  du  pays  d'Herbauge  témoigne  que 
la  division  du  Poitou  était  déjà  opérée,  car  l'empereur  ne  pou- 
vait penser  à  confier  au  geôlier  de  Judith  la  surveillance  du  plus 
violent  adversaire  de  l'impératrice.  Il  est  même  possible  que  l'é- 
rection du  pays  d'Herbauge  en  comté,  sur  laquelle  nous  ne  som- 
mes pas  fixé,  n'ait  eu  lieu  qu'à  cette  époque  et  ait  été  la  punition 
infligée  à  Kmenon. 

La  lutte  reprit  ensuite  avec  des  péripéties  diverses  entre  Louis 
le  Débonnaire  et  ses  fils;  aussi  les  Normands, que  leurs  premiers 
succès  avaient  enhardis,  eurent-ils  beau  jeu  pour  renouveler  leurs 
incursions.  Ils  s'attaquaient  particulièrement  à  l'île  d'Her,  dont 
la  situation  forte,  à  proximité  des  côtes,  leur  offrait  un  solide 
refuge.  Dès  830,  les  religieux  de  Saint-Filbert  avaient  obtenu 
des  empereurs  Louis  le  Débonnaire  et  Lolhaire  (3)  la  permission 
de  fortifier  leur  demeure  et  le  motif  qu'ils  exposèrent  n'était  que 
trop  valable,  car,  en  83i,  les  pirates  reparurent,  firent  le  siège 
du  monastère  cl  ne  se  retirèrent  que  devant  la  vigoureuse  résis- 
tance des  religieux.  Ils  étaient  arrivés  dans  l'île  sur  neuf  gros 
vaisseaux  et  avaient  débarqué  en  toute  sécurité  sur  une  couche; 

(i)  Annales  de  Sainl-Bertin  et  de  Sainl-Vausl,  éd.  Debaisues,  p.  2  ;  Pcrlz,  Mon. 
Germ.,  SS.,  p.  303,  Vila  llluduvvici  inip. 
(a)  GuUiu  Christ.,  X,  col.  12G8. 
{^)  Recueil  des  hist.  de  J'rance,  VI,  p.  303. 


EMENON  1 1 

c'élail  le  20  août,  jour  de  la  fête  de  saint  Filbert;  la  lutte,  enga- 
gée à  trois  heures  de  l'après-midi,  dura  jusqu'à  la  nuit;  elle  se 
termina  par  le  départ  des  envahisseurs  qui  perdirent  beaucoup 
d'hommes  et  de  chevaux  (1).  Toutefois,  malgré  ce  succès,  le  péril 
était  grand  et  l'on  devait  s'attendre  à  un  prompt  retour  offensif 
car  les  Normands,  ne  pouvant  tenir  la  mer  pendant  les  gros 
temps  de  l'hiver  avec  leurs  bateaux  légers,  faisaient  toujours  leurs 
expéditions  au  printemps  et  retournaient  ensuite  à  l'automne 
dans  leur  pays  pour  jouir  du  fruit  de  leurs  rapines.  En  effet,  l'an- 
née suivante,  ils  reparurent  pour  tirer  vengeance  de  leur  précé- 
dente défaite.  Cette  fois  ils  se  heurtèrent  au  comte  d'Herbauge, 
Rainaud,  qui  engagea  une  lutte  dont  le  résultat  fut  sans  doute 
indécis  (2).  Celte  sanglante  rencontre, qui  eut  lieu  au  mois  de  sep- 
tembre 835,  mit  toutefois  un  temps  d'arrêt  dans  le  retour  des 
pirates  qui,  comme  on  le  voit  par  la  présence  des  chevaux  signa- 
lés dans  l'affaire  de  834,  étaient  dans  l'intention  d'étendre  leurs 
ravages  dans  l'intérieur  des  terres.  C'est  alors  que  l'abbé  d'Her, 
Hilbod,  sentant  qu'à  un  moment  donné  son  monastère  deviendrait 
la  proie  de  ses  ennemis  acharnés,  résolut  de  profiter  du  répit  qu'ils 
ui  laissaient  pour  mettre  à  exécution  une  grave  détermination. 
Au  printemps  de  l'année  836,  il  se  rendit  à  la  diète  que  Pépin 
tenait  alors  en  Aquitaine.  11  exposa  au  roi  que  les  Normands  abor- 
daient à  tout  moment  dans  l'île,  et  même  qu'il  leur  était  arrivé 
d'y  séjourner  une  partie  de  l'année;  que,  malgré  les  efforts  des 
religieux,  le  monastère  était  exposé  à  succomber  quelque  jour, 


(ij  Acla  suncl.  ord.  saucti  Denedicti,  IV,  p.  558,  Emieutariiis,  Histurin  Iraiisla- 
lionis  sancti  Filiberli. 

(2)  Les  chroniqueurs  sont  loin  d'être  d'accord  sur  ces  cvéneineDls.  Adémar  de  Cha- 
hauncs  dans  su  chrouique,  Ennentaire  dans  soq  histoire  de  la  trauslation  de  saiut 
Filbert  nous  ont  paru  être  les  auteurs  les  plus  dijs^aes  de  foi.  Adémar  (éd.  Chavuoou, 
p.  i3i)  raconte  que  Rninaud  l'ut  battu  par  ses  adversaires  ;  M.  Mabille,  d'après  deux 
textes  (Chronicon  Aquitan.,  Fcrtz,  Mon.  Gerin.,  SS.,  11,  p.  202;  Erinentarius,  Acla 
sancl.  ord.  sancti  B<:ned.,\V,  p.  558),  avaacd  que  les  Xormands  furent  mis  en  fuite 
et  dureut  se  rembarquer,  mais  que  le  comte  Rainaud  périt  dans  la  mêlée  {Les  inva- 
sions normandes,  p. 21).  Or  ce  dernier  fait  est  absolument  controuvé,  Rainaud  ayant 
été  tué  à  Blaiu  eu  843,  comme  nous  l'établissons  plus  loin;  il  y  a  plutôt  lieu  de  croire 
à  un  couibut  sauglaiii,  sans  résultat  efficace  pour  le  moment,  ce  qui  semble  être  con- 
tirnië  par  l'abseuce  des  Noriiiauds  l'auuée  ;>uivaule.  La  clironi<iue  d'Aquitaine  publiée 
par  Pertz  doit  avoir  coufuudu  les  deux  expéditions  oonuauJes,  car  elle  assidue  au 
combat  de  RaiiiauJ  avec  les  pirates  la  date  du  20  août  qui,  d'après  Ermealaire,est 
celle  Je  la  résisiaucj  valeureuse  des  moines  de  Noirmoulier  l'unoée  précédente. 


la  LES  COMTES  DE  POITOU 

car,  lorsque  la  mer  était  houleuse,  il  était  impossible  de  recevoir 
des  secours  du  continent  ;  que  pour  ces  motifs,  il  demandait  qu'à 
l'exemple  de  la  plupart  des  habitants  de  l'île,  qui  Tavaient 
déjà  abandonnée,  il  lui  fût  permis  de  transporter  les  reliques  de 
saint  Filbert,  patron  du  monastère,  à  Deas,  où,  pour  se  mettre 
en  sûreté,  ses  religieux  résidaient  déjà  une  partie  de  Tété.  Sa 
requête  fut  favorablement  accueillie  ;  le  7  juin,  les  relijîieux  pro- 
cédèrent à  l'exhumation  dos  restes  du  saint  et  c'est  ainsi  que 
commença  cet  exode  auquel,  pendant  tant  d'années,  durent  se 
résigner  la  plupart  des  communautés  du  Poitou  (1). 

Mais  si  la  tranquillité  reparut  quelque  peu  sur  les  côtes,  elle 
disparaissait  au  contraire  dans  l'intérieur  du  pays. 

Pépin  était  venu  mourir  à  Poitiers  le  13  décembre  838  et  avait 
été  enterré  dans  l'église  de  Sainle-Hadegonde.  Ses  dernières  an- 
nées s'étaient  terminées  dans  le  calme  et  il  passait  surtout  sa  vie 
dans  ses  villas  du  Poitou,  qu'il  affectionnait  particulièrement  ;  il 
s'était  mis  en  bons  termes  avec  l'Église  en  restituant  aux  établis- 
sements religieux  les  biens  qu'il  leur  avait  enlevés  pour  soutenir 
la  lutte  contre  son  père  et  en  construisant  des  monastères,  tels 
que  Sainl-Cyprien  aux  portes  de  Poitiers  et  Saint-Jean-d'Angély, 
dans  sa  villa  royale  de  ce  nom,  sur  la  Boulonne  (2). 

Le  roi  d'Aquitaine  étant  au  moment  de  sa  mort  totalement  ré- 
concilié avec  l'empereur,  il  pouvait  croire  que  son  fils,  nommé 
comme  lui  Pépin,  lui  succéderait  sans  obstacle.  Il  n'en  fut  rien. 
Judith  n'avait  nullement  renoncé  à  l'espoir  de  trouver  dans  les 
dépendances  de  l'Empire  franc  un  royaume  pour  son  fils  Charles, 
et  elle  avait  rencontré  en  Poitou  un  agent  habile,  jouissant  d'as- 
sez d'autorité  pour  pouvoir  faire  prévaloir  ses  idées.  La  situation 
de  ce  pays  était  en  ce  moment  particulièrement  tendue;  comme 
conséquence  de  la  lutte  interminable  engagée  entre  Louis  le  Dé- 
bonnaire et  ses  fils,  deux  partis  s'y  étaient  formés:  l'un,  que 
l'on  pourrait  appeler  le  parti  aquitain,  se  composait  de  Poitevins 
de  vieille  race,  groupés  autour  du  comte  Emenon  et  qui,  toujours 


(i)  Actasnnct.  ord.  sancti  Bened.,  IV,  p.  54o,  Ermentnrius  ;  Periz,  Mon.  Germ., 
SS.,  M,  p.  102,  Chronicon  AquitaDicum. 

(a)  Ann,  de  Sainl-Iiertin,  p.  28  ;  Chron.  d'Adémar,  p.  i32. 


EMENON  i3 

hostiles  auxFrancs  duNord,seresserraientautour  du  jeune  Pépin, 
lequel  symbolisait  pour  eux  une  dynastie  nationale;  l'autre,  formé 
surtout  des  leudes  francs  et  des  hommes  ambitieux  ralliés  à  la 
politique  impériale,  avait  pour  chef  Ébroïn,  évêque  de  Poitiers  (t  ) . 

Ce  dernier  était  un  homme  de  haute  naissance;  cousin  de  Ror- 
gon,  comte  du  iMaine,  il  aspirait  à  jouer  un  rôle  politique.  Con- 
naissant les  idées  secrètes  de  Louis  et  surtout  celles  de  Judith, 
il  se  rendit  auprès  de  l'empereur  et  il  eut  l'art  de  lui  présenter 
l'installation  du  jeune  Charles  sur  le  tr6ne  d'Aquitaine  comme 
étant  l'expression  du  désir  populaire  ;  puis,  pour  faire  taire  la 
conscience  de  Louis, qui  ne  pouvait  empêcher  qu'elle  lui  reprochât 
la  spoliation  de  son  petit-fils  Pépin,  il  soutint  et  fit  admettre  cette 
thèse  que  la  couronne  d'Aquitaine  n'était  pas  héréditaire  et  que 
l'e  mpereur  avait  pleinement  le  droit  d'en  disposer .  Les  deux  gen- 
dres de  Pépin  I",Gérard, comte  d'Auvergne, et  Ralliier,qui  devint 
peu  après  comte  de  Limoges,  par  hosliUlé  contre  leur  beau-frère, 
se  prononcèrent  même  en  faveur  des  subtilités  d'Ebroïn,  qui 
avait  su  pareillement  amener  à  lui  le  comte  d'Herbauge. 

Sûr  du  résultat  qui  devait  combler  ses  désirs,  Louis  convoqua 
le  1"  septembre  839,  à  Chalon-sur-Saône,  une  diète  où  furent 
appelés  tous  les  grands  d'Aquitaine.  Gagnés  en  grande  majorité 
à  la  cause  du  prince  connu  plus  tard  sous  le  nom  de  Charles  le 
Chauve,  ils  le  proclamèrent  leur  roi.  Pour  appuyer  ce  vote, 
l'empereur  pénétra  en  Aquitaine  avec  son  armée  et  se  dirigea  sur 
le  Poitou,  qui  était  le  centre  de  la  résistance  à  ses  desseins  ; 
Emenon,  qui  avait  proclamé  roi  Pépin  II,  et  de  concert  avec  son 
frère  Bernard  avait  essayé  d'organiser  la  résistance, se  trouva  in- 
capable de  soutenir  la  lutte,  il  fut  même  abandonné  par  son  frère 
Turpion.  Aussi  l'empereur,  après  avoir  soumis  quelques  rébel- 
lions isolées,  put-il  arriver  à  Poitiers  au  mois  de  novembre,  et 
y  faire  couronner  Charles  en  qualité  de  roi  d'Aquitaine.  Puis, 
afin  d'assurer  dans  l'avenir  l'autorité  de  son  fils,  il  remplaça  les 
comtes  qui  lui  étaient  hostiles  par  des  hommes  dévoués  à  sa 
cause.  Il  plaça  Rathier  à  Limoges,  Seguin  à  Bordeaux,  Renoul  à 
Poitiers,Turpion  à  Angoulême,  Landri  à  Saintes.  Emenon  et  son 
frère  Bernard  furent  chassés  de  Poitiers  ;  Emenon  se  retira  à 

(»)  Feitz,  Mon.  Germ.,  56'.,  II,  p.  64»,  Vila  Hludowici  inij). 


i4  LES  COMTES  DE  POITOU 

Angoulêrae  auprès  de  Turpion,  qui  avait  vu  généreusement 
récompenser  sa  fidélité,  et  Bernard  fut  rejoindre  le  comte 
d'Herbauge  (i). 

Le  démembrement  des  comtés  de  Bordeaux  et  de  Poitiers  par 
rinstallation  de  comtes  à  Saintes  et  à  Angoulème  est  un  des  faits 
caractéristiques  de  la  politique  de  Louis  le  Débonnaire;  ce  prince 
se  rendit  parfaitement  compte  qu'il  y  avait  plus  d'avantage  pour 
le  pouvoir  royal  à  amoindrir  celui  des  comtes,  en  augmentant 
leur  nombre,  que  de  concentrer  en  quelques  mains  toutes  les 
forces  du  pays  et,  par  ces  actes  capitaux  qui  consacraient  la  dis- 
location de  la  grande  circonscription  confiée  au  comte  Abbon  par 
Charlemagne,  circonscription  déjà  entamée  par  la  création  du 
comté  d'Herbauge,  il  porta  un  coup  sensible  à  la  conception  du 
grand  empereur.  Les  temps,  il  est  vrai,  étaient  changés  ;  les  com- 
tes n'étaient  plus  de  simples  agents  soumis  aux  volontés  du  chef 
de  l'Étal;  ils  essayaient  déjà,  au  milieu  de  troubles  sans  cesse 
renaissants,  de  manifester  leur  indépendance  à  l'égard  du  pouvoir 
central  et  de  faire  reconnaître  leurs  droits  à  une  succession  hé- 
réditaire de  leurs  bénéfices  ou  tout  au  moins  de  leurs  charges. 
Pour  mieux  marquer  l'autonomie  des  cités  de  Saintes  etd'Angou- 
lême  et  affirmer  leur  séparation  des  comtés  dont  elles  faisaient 
partie  depuis  plus  de  soixante  ans,  l'empereur  ordonna  de  frap- 
per monnaie  à  son  nom  dans  ces  deux  villes  (2). 


IV.  —  RENOUL  I 

(839-806) 

Benoul.àquil'empereur  avait  donné  le  comlé  de  Poitiers,  était 
fils  de  Gérard,  comte  d'Auvergne,  l'un  de  ses  plus  solides  parli- 

(i)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  38  ;  Chron.  cCAdémar,  p.  i32,  add. 

(2)  Chron.  d'Adémar,  p.  i32,  add. La  mort  de  Louis  le  Débonnaire,  advenue  pen- 
dant la  soumission  de  l'Aquitaine,  arrêta  sans  doute  Pexécution  des  mesures  qu'il 
venait  de  prendre,  car  l'on  ne  connaît  pas  de  pièces  carlovinf^iennes  sorties  d'ateliers 
ouverts  à  Saintes  ou  à  Angoulémc. 


sans;  il  ne  paraît  pas  toutefois  être  issu  de  l'iinioa  de  Gérard  avec 
la  filli'  de  Pf'piti  1"  d'Aquilaine,  ce  qui  le  ferait  entrer  dans  la 
descendance  de  Charlemagne;  on  croit  seulement  qu'il  est  sorti 
d'tm  premier  mariage  du  comte  d'Auvergne  (1).  La  suite  prouva 
l'excellence  de  ce  choix;  le  nouveau  coQile  se  montra  toujours 
le  représentant  attitré  de  la  politique  carlovingienne  et  son  dt'»- 
vouement  à  CliarN^s  le  Chauve,  pendant  la  lutte  di'  ce  prince  contre 
lY'pin  II,  ne  se  rlénientit  jamais  (2j.  L'empereur  passa  l'hiver  à 
Poitiers,  s'occupanl  de  pacifier  le  pays,  et  il  n'en  partit  qu'au 
printemps  de  840  pour  se  rendre  sur  les  frontières  de  Flilst  et 
cliAlierla  r<>volte  de  son  fils  Louis;  afin  d'enlever  aux  factieux 
tonte  enseigne  de  ralliement  il  em:ii<"nail  avec  lui  le  jeune  Pépin. 
L'impératrice  Judilh  et  son  fils  Charles  restèrent  à  Poitiers,  qui 
prenait  de  plus  en  plus  le  caractère  de  capitale  de  l'Aquitaine  et 
où  la  sécurité  de  la  famille  impériale  était  garantie  par  la  fidélité 
du  comte  Renoul  et  de  l'évêque  Étiroïn.  Ils  s'y  trouvaient  encore 
quand  ils  reçurent  l'annonce  de  la  mort  de  l'empereur,  advenue 
le  2rt  juin  dans  une  lie  du  Uhin  (3).  ConformémenI  au  jiarlage 
fait  par  Louis  à  Worms,  en  839,  Charles  fut  pourvu  de  la  cou- 
ronne de  France.  Quant  à  Lothaire,  devenu  empereur,  il  cherclia 
d'abord  à  ménager  les  droits  de  son  neveu  Pépin,  mais  celui-ci, 
sans  attendre  les  négociations  qui  allaient  s'engager  et  profitant 
du  départ  de  Charles,  vint  mettre  le  siège  devant  Poitiers  où  ré- 
sidait Judith  (4).    Le  retour  du  roi  le  roniraignit  à  s'éloigner, 


(t)  Mabille,  Lr  rot/aitme  (TAqatlaine,  pp.  17,  19  el  43. 

(2)  Le  nom  de  ce  comte  esl  écrit  en  latin  Uia^ôi  Jiumn/il/ris  (Adémar,  p.  t32  ;Rédel, 
Documents  pour  Suinl'ffilairf,  p.  g),  tantôt  Rnnnnlfiis  (Chronique  de  Saint- 
Maijcent,  orig',),  Rannlfns  (.\dt'tnar,  p.  i4a)  ou  lianiilphus  ((^hrou.  d'Adon,  Perlz, 
Mon.  Gfr/n.,  .S.V. ,  II,  p.  Sa/i)  et  mt-me  fitiijniif/nx  (Chron.  Norm.Tn.,  Perlz,  Afon. 
Germ.,  I,  p.  534).  ^'lanl  à  In  forme  française  que  les  historiens  lui  ont  donnée  jus- 
qu'ici, elle  n'est  que  la  reproduction  textuelle,  sauf  ta  finale,  du  mot  latin  ;  .linsi 
Ûoucbet  {Annalea  d''A<{ttilnine)i:cT'\\.  Ranl'lfiib,  Besty  (Hixt.  des  comfpx  de  Poictou) 
Ranul>e,  Rcdet  {Documrnts  pour  Soinl-//il<iire,  I,  p.  fj)  RAijrui-FE.  Cette  façon  de 
s'exprimer  noua  parait  clinquante,  et  de  même  que  les  aoms  à'Arnnlfas  et  de  Hadiil- 
fus^  si  communs  à  l'époque  où  vivait  lr  comte  /Vi/nnitljns,  soal  fort  justement  traduits 
chez  nos  historiens  par  ceux  d'Arnoul  et  de  Raoul,  bous  croyons  devoir,  par  analoa^ie, 
attribuer  au  comte  de  Poitou  relui  de  Renoul,  lequel  existe  du  rcst»':  dans  l'onomasti- 
que française  du  Moyen-Age,  el  parliculièremenl  en  Poitou.  En  Limousin  ftniinnlfiu 
a  donné  Hannols  et  Radalfa*,  Raols  (Duplès-Agicr,  Chron.  de  Saint- Atari inl  de 
Limoqes). 

Aun.  de  Saint- Berlin, 


13) 


PP- 


(4)  Perlz,  Aiuu.  Gerin.,  SS,,  II,  p.  65G,  Nitltardi  bist. 


i6  LES  COMTES  DE  POITOU 

mais  pour  continuer  dans  tous  les  coins  de  l'Aquitaine  cette  lutte 
interminable  qui  ne  devait  finir  qu'à  sa  mort  et  qui,  au  fond, 
puisait  sa  force  dansThoslilité  de  race  existant  entre  hommes  du 
Nord  et  hommes  du  Midi;  le  Poitou,  pays  frontière,  devenait  for- 
cément l'objet  des  premières  convoitises  des  antagonistes. 

Les  intrigues  de  Lothaire  ne  tardèrent  pas  à  amener  une  situa- 
tion excessivement  grave.  S'appuyant  sur  Pépin,  il  engagea  con- 
tre ses  deux  frères,  Louis  et  Charles,  une  lutte  d'abord  sourde, 
qui  finit  par  une  prise  d'armes  formidable.  Judith  ayant  amené  à 
son  fils  les  contingents  de  l'Aquitaine  du  Nord,  Pépin  ayant  avec 
ses  Méridionaux  rejoint  Lolhaire,  les  deux  armées  se  rencontrè- 
rent à  Fontenoy  [Fontanelum]^  le  2b  juillet  841  ;  ce  fut  la  bataille 
la  plus  meurtrière  de  ces  luttes  fratricides.  La  noblesse  franque 
y  fut  décimée,  et  parmi  les  chefs  qui  succombèrent  se  trouva 
Ricuin,  comte  de  Nantes.  11  y  eut  deux  prétendants  à  sa  succes- 
sion :  Hainaud,  comte  d'Herbauge,  et  Lambert,  comte  des  Mar- 
ches de  Bretagne,  qui,  l'un  et  l'autre,  avaient  vaillamment  com- 
battu à  Fontenoy.  Charles  donna  la  préférence  à  Rainaud  ; 
Lambert  en  conçut  un  profond  ressentiment  et  se  relira  auprès 
de  Nominoé,  le  prince  de  Bretagne.  C'était  un  acte  de  félonie, 
car  Nominoé  était  en  lutte  avec  le  roi  de  France.  Celui-ci,  débar- 
rassé momentanément  de  Pépin,  envoya  contre  les  Bretons  une 
armée  qu'il  plaça  sous  les  ordres  du  comte  d'Herbauge.  Rainaud 
atteignit  ses  adversaires  au  passage  de  la  Vilaine,  à  iVlissac,  et 
les  mit  en  déroute.  Il  se  reposait  de  son  succès  à  Blain,  lorsqu'à 
son  tour  il  fut  surpris  par  son  ennemi  Lambert,  le  23  juin  843, 
et  fut  tué  dans  l'action  (1). 

Toutefois  Lambert  ne  s'était  pas  borné  à  se  mettre  au  service 
de  Nominoé  ;  il  n'avait  pas,  en  outre,  hésité  à  recourir,  pour 
satisfaire  son  ambition,  à  l'aide  d'auxiliaires  que  son  devoir  était 
de  combattre,  et  à  leur  livrer  en  proie  le  pays  dont  il  n'avait  pu 
jusqu'alors  être  le  maître.  A  la  suite  de  leur  défaite  d'IIer,  les 
Normands  étaient  restés  huit  ans  sans  revenir  dans  ces  régions, 
mais,  à  l'appel  de  Lambert,  une  flotte  de  67  navires,  commandés 
par  Bjœrn  Côlo-de-fer,  apparut  au  mois  de  juin  sur  les  côtes  de 

(i)  Chron.  de  Nantes,  éd.  Merlet,  p.  8;  Marcbegay,  Chrun.  des  églises  d'Anjou 
p.   1^9,  Saim-Seige. 


RENOUL  I  17 

Bretagne.  Elle  s'arrêta  quelques  jours  au  bourg  de  Batz,  puis, 
franchissant  l'embouchure  de  la  Loire,  elle  remonta  jusqu'à 
Nantes  où  elle  parvint  le  24  juin.  La  ville  était  complëlement 
dégarnie  de  troupes;  la  veille,  le  comte  Rainaud  avait  succombé; 
les  émissaires  de  Lambert  favorisèrent  la  surprise  des  Normands, 
qui  pénétrèrent  dans  la  cité  à  l'heure  'où  l'évoque  Gohard  célé- 
brait la  messe  en  l'honneur  de  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste. 
L'évêque  fut  tué  à  l'autel;  la  foule  qui  se  pressait  dans  la  cathé- 
drale fut  en  partie  massacrée  ;  la  ville  fut  atrocement  pillée  et  sur 
beaucoup  de  points  incendiée.  Dès  la  nuit  suivante,  les  pirates 
remontèrent  sur  leurs  navires  et  redescendirent  le  fleuve,  pour 
aller  s'installer  dans  l'île  d'Her,  qui  devenait  leur  quartier  géné- 
ral. Outre  le  butin  considérable  qu'ils  avaient  recueilli,  ils  em- 
menaient avec  eux  la  plupart  des  hommes  marquants  afin  de  les 
rançonner;  mais,  quand  il  fut  question  de  procéder  au  partage, 
l'accord  cessa  de  régner  entre  les  vainqueurs  ;  des  luttes  éclatè- 
rent et  enfin,  un  beau  jour,  le  parti  le  plus  faible,  sans  s'attarder 
plus  longtemps,  remonta  sur  ses  navires  et  s'en  fut,  pendant  que 
la  saison  était  encore  favorable,  ravager  les  côtes  de  l'Aquitaine 
du  Sud;  profitant  de  ces  dissensions,  une  partie  des  prisonniers 
faits  à  Nantes  put  s'évader  et  rentra  dans  cette  ville  le  30  septem- 
bre (1). 

Au  mois  d'août,  Charles  le  Chauve  avait  fait  avec  ses  frères  un 
nouveau  partage  de  la  monarchie  franque  ;  l'Aquitaine  et  les 
pays  du  Midi  étant  maintenus  dans  son  lot,  il  reprit  sans  tarder 
sa  lutte  contre  Pépin.  Au  printemps  de  844,  il  se  dirigea  sur  Tou- 
louse, où  le  fils  du  comte  Bernard,  qu'il  avait  récemment  fait  met- 
tre à  mort,  s'était  dôclaré  pour  son  adversaire  ;  mais  le  siège  traîna 
en  longueur  et  Charles,  voyant  qu'il  ne  pouvait  venir,  avec  ses 
seules  forces,  à  bout  de  la  résistance  de  la  ville,  donna  l'ordre  à 
l'archi-chapelain  de  son  palais,  l'évêque  de  Poitiers  Ébroïn,  de 
venir  le  rejoindre  avec  de  puissants  renforts.  Pépin,  avec  cette 
rapidité  de  décision  dont  il  fit  preuve  dans  beaucoup  de  circon- 
stances, se  porta  devant  l'armée  de  secours  et  la  surprit  aux  envi- 

(t)  La  chronique  d'Adëmar  doane  à  cette  troupe  de  Normands  le  nom  de  c  Wefal- 
diDji;!».  Chron.  <rAdémar,  p.  i33;  Marcbegay,  Chrori.  des  égl.  d^ Anjou,  p.  i3o, 
Saint-Serge;  Chron,  de  Nantes,  p.  i5. 


i8  LES  COMTES  DE  POITOU 

rons  d'Angoulême,  le  7  juin.  Un  grand  nombre  depersonnagea  de 
marque  périrent  dans  l'aclion,  beaucoup  furent  faits  prisonniers, 
et  entre  autres  Ébroïn  (i). 

La  défaite  de  ses  auxiliaires  contraignit  le  roi  de  France  à  lever 
le  siège  de  Toulouse,  mais  ce  fut  pour  se  retourner  contre  son 
autre  ennemi,  Nominoé.Leducde  Bretagne  avait  toujours  pour 
allié  Lambert,  qui,  grâce  à  son  odieuse  trahison,  était  en  possession 
du  comté  de  Nantes.  Ce  dernier,  poursuivant  ses  avantages,  avait 
tourne  ses  armes  contre  le  fils  de  son  prédécesseur,  Hervé,  qui 
avait  à  tout  le  moins  pu  conserver  jusque-là  le  comté  d'Herbauge; 
avec  l'aide  de  Bernard,  le  frère  de  l'ancien  comte  de  Poitiers  (2), 
qui  n'avait  cessé  de  résider  dans  ce  pays,  Hervé  lutta  vaillam- 
ment, mais  leurs  troupes  furent  défaites  et  tous  deux  succom- 
bèrent dans  un  combat,  en  cette  année  844  (3). 

(i)  Ann.  de  Saint-Bertin,  p.  58;  Pertz,  Mon.  Germ.,  SS.,  II,  p.  364,  Fulden- 
sea  annales. 

(a)  La  chronique  d'Adémar  (p.  i33)  l'appelle  Cornes  Piclavinns,  mais  cette  der- 
nière qualification  doit  s'cnlendre  en  ce  sens  qu'il  était  orig-inaire  du  Poitou  ou  appar- 
tenait à  la  famille  des  précédents  comtes  de  ce  pays,  et  nullement  signifier  qu'il  tenait 
alors  le  comté  de  Poitou,  lequel  était  entre  les  mains  de  Renoul  1. 

(3)  Chron.  d'Adémar,  p.  i33  ;  De  Certain,  Les  miracles  de  saint  Benoit,  p.  71. 
La  chronique  de  Nantes  passe  ces  faits  sous  silence  et  tout  au  contraire  rapporte  qu'a- 
près la  mort  de  Hainaud,  qu'elle  qualifie  de  duc  d'Aquitaine,  Charles  le  Chauve 
confia  la  défense  du  pays  à  un  autre  duc  nommé  Bégun.  Celui-ci  aurait  aussitôt 
essayé  de  reprendre  les  anciennes  possessions  de  Uuinaud  sur  des  fidèles  de  I^ambert 
entre  qui  ce  dernier  les  aurait  paitagées,  à  savoir  le  pays  d'IIerLauge,  qu'il  aurait 
attribué  à  Gunfroy,  son  neveu,  celui  de  Mauge  donné  à  Uainier  et  celui  de  TifFauge 
à  Girard.  Bégun  aurait  été  tué  au  moment  où,  après  une  expédition  fructueuse,  il 
repassait  les  gués  du  Blaison  et  inhumé  à  Saint-Georges  do  Monluigu  (iJtirenam). 
L'éditeur  decettc  chronique,  M.MerIct,  place  ces  faits  dans  les  derniers  mois  de  l'année 
843{C/jrort.  de  Nantes,  p.  24),  par  suite,  peu  après  la  mort  de  Hainaud.  Ce  récit 
du  chroniqueur  nous  parait  suspect  et  doit  rapporter  des  faits  postérieurs  ou  conlrou- 
vés.  Nulle  part  ailleurs  il  n'est  question  des  quatre  personnages  qui  y  jouent  un  râlo 
si  important  :  Jîégon,  Gunfroy,  Hainier  et  Girard;  de  plus,  si  on  acceptait  ces  dires, 
ni  Hervé  ni  Rainon,  désignés  comme  comtes  d'Herbauge  en  844  et  en  85:i  par  des 
auteurs  dignes  de  foi,  n'auraient  pu  posséder  ce  comté.  Nous  croyons,  pour  notre 
part,  à  une  erreur  occasionnée  par  un  récit  légendaire,  recueilli  sur  place  par  l'auteur 
de  la  chronique.  La  désignation  du  Blaison,  ruisseau  de  huit  kilomètres  de  parcours, 
est  bien  précise  pour  avoir  été  imaginée  par  lui  ;  or,  tout  nous  porte  &  croire  que  c'est 
sur  les  bords  de  ce  petit  cours  d'eau  qu'Hervé  et  Bernard  ont  perdu  la  vie.  En  effet, 
si  nous  rapprochons  ce  texte  de  celui  des  annales  de  Saint-Berlin,  on  voit  que  celles-ci 
disent  qu'en  844  Lambert,  ami  des  Bretons,  surprit  certains  marquis  de  Charles  le 
Chauve  au  pont  de  la  Maine  (Meduanœ)  et  que  ces  derniers  périrent  dans  l'affaire 
{Ann.de  5ain/-i5er/i7i,  p.  58).  On  a  toujours  considéré  que  ce  nom  de  .IM/«a/ia 
s'appliquait  à  la  Mayenne  et  l'on  a  cru  que  les  adversaires  de  Lambert  étaient  des 
marquis  commandant  les  marches  de  Bretagne  et  d'Anjou.  Or,  le  Blaison  est  un 
allluent  de  la  Maine  (Mei/nuna),  rivière  du  Bas- Poitou,  autrement  dit,  du  pays  d'Her- 
bauge el,  près  du  confluent  des  deux  cours  d'eau,  à  un  peu  plus  d'un   kilomètre 


RENOUL 


»9 


Ne  pouvant  venir  par  les  arnifis  à  bout  de  Pépin,  qui  trouvait 
loujours  de  nouvelles  ressources  dans  les  populations  du  Midi, 
Charles  se  résolut  à  Iraiter  avec  lui  aux  meilleures  conditions 
possibles.  Il  avail  d'aljord  essayé  de  le  faire  comparaître  à  la 
diète  de  Tliionville,  où  les  trois  fils  de  Louis  le  Débonnaire  au- 
raient pu  régler  les  questions  pendantes  entre  eux,  mais  Pépin  s'y 
rel'usa  ;  le  roi  de  France  se  décida  alors  à  s'aboucher  directement 
avec  lui  et  lui  assigna  en  8i5un  rendez-vous  sur  les  limites  de  la 
France  et  de  TAquilaine,  dans  Tabbaye  de  Fleury,  autrement 
Saint- Hcnoît-sur-Loire.  Comme  ni  Tun  ni  l'autre  des  contractants 
n'avait  la  ferme  intention  de  remplir  ses  engagements,  ils  se  mon- 
trèrent assez  faciles  sur  les  conditions  de  l'accorda  élablirenlre 
eux.  Pùfiin  senribla  le  plus  favorisé,  car  Charles  le  reconnaissait 
comme  roi  d'Aquitaine,  mais,  en  retour,  il  se  plaçait  dans  la 
vassalité  de  son  oncle,  lui  prèlail  serment  de  fidélité  et  renonçait 
en  sa  faveur  à  toutes  prétentions  sur  les  comtés  de  Poitou,  de 
Sainlonge  et  d'Angoumois(l].  Par  le  fait  de  celle  réserve,  Charles 
le  Chauve  témoignait  une  fois  de  plus  de  sa  prédilection  justifiée 
pour  les  contrées  où  ii  avait  vécu  enfant  et  où  il  comptait  de  nom- 
breux lidèles,  prêts  à  lui  donner  tout  leur  appui  en  cas  de  nouvelles 
guerres  faciles  à  prévoir.  11  tenait  aussi  à  ne  pas  se  priver  d'une 
source  considérable  de  ses  revenus. 

En  Poitou  se  trouvait  alors  le  principal  atelier  monétaire  du 
royaume,  atelier  qui  s'alimentait  sur  place  par  le  produit  de  la 
seule  mine  d'argent  qui  fût  peut-être  ouverte  en  France.  Les  rois 
mérovingiens  et  sans  doute  les  Gallo-Komains  avaient  exploité  les 
(lions  de  plomb  qui  se  rencontraient  sur  le  territoire  de  Melle  î 


l'un  de  l'autre,  udc  ancieDoe  voie  traversait  la  Maine  aur  uo  pont  et  le  Blaison 
à  gué  (jUDDd  il  avait  de  l'eau,  car  pendant  l'été  il  est  k  sec.  L'affaire  où  ont  péri 
les  deux  comtes  peut  donc  infiiffcreniment  porter  le  nom  de  la  Moine  ou  du  Ulaison, 
mais  le  récit  de.s  annales  de  Saint-Berlin  appartient  h  l'hintuire  tandis  que,  dans  la 
chronique  de  Nantes,  ce  n'est  qu'une  légende. 

(i)  Ann.  de  Suint-Bertiii,  p.  62.  Rcginon,  dans  sa  chronique  [V^cr\z,  Mon,  Germ . , 
5.9.  |I,  p.  578),  donne  n  Renoul,  au  niomcntde  sa  mort,  Li  qualité  de  duc  d'Aquitaine, 
dux  Affuitamœ .  Doni  Vaissclc  et  les  auteurs  de  Y  Art  de  vérijîer  les  Ja/ei,  partant 
de  ce  dire,  ont  prétendu  qu'un  des  effets  du  traité  de  Fleury-Hur-Loire  avait  été  de 
partager  r.Xquitainc  en  deux  duchés,  celui  de  Toulouse  et  celui  de  Poitiers;  M.  Mabille 
(Le  royaume  d'Aquitaine,  p.  /|2)  déclare  que  rette  opinion  est  erronée  et  que  Renoul 
n'a  jamais  exercé  aucune  autorité  sur  les  cités  de  Saintes  et  d'An^ulême,  qui  avaient 
pareillemeut,  à  cette  époque,  chacune  uo  comte  à  leur  tète. 


*o 


LES  «OJMTES  DE  POITOU 


toutefois  il  ne  semble  pas  que  l'argent  conlonu  dans  ce  minerai 
en  ail  été  extrait  avaiil  Cliurlemagne.  Les  procédés  nécessaires 
pour  arriver  à  ce  résullal  furent  mis  en  œuvre  par  des  ouvriers 
habiles,  amenés  par  l'empereur  de  l'ilalie  oïl  les  Iradilions  de 
la  science  romaine  avaient  le  mieux  survécu  (i). 

Les  pièces  de  Louis  le  Débonnaire  et  de  Charles  le  Chauve 
frappées  à  Melle  porlaienl  à  leur  revers  le  nom  de  leur  lieu  de 
fabricalion,  Metali.vm,  nom  qui  devinl  rupidi-ment  célèbre,  car, 
par  l'effet  d*un  jeu  de  mot  bien  naturel,  il  emportait  avec  lui  une 
signification  précise,  celle  d'être  la  ville  du  métal,  la  ville  de 
Targent  (2). 

Pépin,  qui,  dans  l'adversité,  témoignait  de  qualités  çuerrièrea 
exceptionnelles,  se  montrait  dans  la  prosprrilé  d'une  indolence 
extrèmeel,  livré  aux  plaisirs,  négligeait  complètement  les alfaires 
publiques.  Il  tenait  du  reste  assez  pende  compte  de  la  convention 
passée  avec  Charles;  il  venait  fréquemmenl  jouir  en  IViitou  don 
agréments  de  la  chasse  et  au  mois  de  mars  8i8,  se  trouvant  non 
loin  de  Saint-Maixenl,  il  ne  trouva  rien  mieux  que  d'aller  passer 
les  fêtes  de  Pâques  dans  ce  monastère  où  il  fut  traité  en  roi  ; 
aussi  en  retour  confirma-t-il  les  immunités  de  rélahlissemeat  (3). 

Pour  le  commun  de  ses  anciens  sujets  il  était  toujours  le  roi 
légal;  il  circulait  des  pièces  de  monnaies  frappées  h  Poitiers  et  à 
Melle  au  nom  de  Pépin,  roi  des  Aquitains,  et  les  populations  ne 
voyaieut  pas  encore  très  bien  ci>mmenl  il  pouvait  avoir  cessé 
d'être  leur  chef.  Elles  restaient  dans  le  doule  et  leur  irrésolution 
a  été  on  ne  peut  mieux  établie  par  un  scribe  de  l'abbaye  de  Noaillé 
qui,  ayant  h  dater  une  charte  du  mois  de  décembre  848,  s'expri- 
mait ainsi:  «  Fait  l'an  neuf«  après  ta  mort  de  l'empereur  Louis  n  .De 
Charles  le  Chauve  et  de  Pépin,  il  n'est  pas  question  (4).  Charles, 
de  son  côté,  usait  de  la  suprémaliequi  lui  avait  été  reconnue  pour 
agir  en  roi  dans  les  états  de  son  neveu. C'est  ainsi  que  de  Poitiers, 


|i)  Lecoinirc-Duponi,  Essai  snr  les  monnaies  frapfièes  en  Poitou,  pp.  ïy^  et  fi6  ; 
A.  HichanJ,  Ohservaltont  sur  les  mines  iVanjent  el  l'alelier  monélaire  de  Melle. 

(2)  Les  textes  primitifs  delà  chrooique  de  Saiot-Dcrlin  donnentn  celle  locfllilè laalôl 
le  nom  de  MetuUtimy  lanlût  ccfui  de  Metollttm;  ccuc  dernière  forme  csl  cell*;  que  l'on 
rcDContre  sur  les  bt:au.x  deniers  de  Louis  le  Débonnaire   el  de  Charles  le  Chauve. 

(3)  A.  Richard,  Chartes  de  Snint-Maijceid,  I,  (>.  8. 

(4)  «  Dalfl  iu  anno  viin  in  nieuse  decèbr.  poat  obiluni  doaiui  Hiiidowici  impr.  » 
Archive»  de  la  Vienne,  origin.,  NoailJè,  no  6. 


RENOUL  I  il 

OÙ  il  résidait  le  1^  mars  848,  il  s'était  rendu  à  Limoges  oti,  dans 
le  courant  du  mois, il  tint  un  plaid  solennel  durant  lequelles  cha- 
noines de  Saint-Martial  obtinrent  de  lui  l'autorisation  de  prendre 
l'habit  monacal  (1). 

D'autre  part  les  Normands  ne  restaient  pas  inactifs  et  leurs 
attaques  soudaines  ne  cessaient  d'entretenir  la  terreur  dans  le 
pays.  Cette  môme  année  848  une  de  leurs  bandes  remonta  la 
Sèvre  Niortaise  aussi  loin  que  la  rivière  put  porter  leurs  bateaux, 
se   lança  à  travers  les  terres  sur  Melle,  dont  le  renom  devait 
hanter  depuis  longtemps  leur  imagination  de  pillards,  et  détruisit 
son  atelier  (2).  Le  succès  les  enhardit  et  ils  revinrent  en  852  ; 
le  comle  de  Poitiers  et  Rainon,  le  nouveau  comte  d'Herbauge,qui 
n'avaient  pu  empêcher  leur  débarquement,  se  mirent  à  leur  pour- 
suite et  les  atteignirent  le  4  novembre  au  moment  où  ils  arrivaient 
à  Brillac,  lieu  de  stationnement  de  leurs  bateaux.   La  lutte  fut 
très  vive,  mais  il  est  à  croire  qu'elle  resta  indécise,  les  chroni- 
queurs qui  ont  rapporté  ce  fait  variant  sur  son  issue  (3).  Ce  qui  in- 
cite à  penser  que  le  combat  de  Brillac  n'avait  pas  été  trop  défa- 
vorable aux  gens  du  Nord,  c'est  qu'au  mois  de  mai  853  ils  brû- 
lèrent LuQon  (4)  et  qu'en  855  ils  tentèrent  une  nouvelle  expédi- 
tion qui  les  éloignait  encore  plus   que  la  pointe  sur  Melle  de 
leur  lieu  de  débarquement.  Une  marche  rapide  les  ameua  à  Poi- 
tiers qu'ils  comptaient  enlever  par  surprise,  mais  ils  se  heurtèrent 
à  une  résistance  inattendue  ;  ils  y  rencontrèrent  Charles,  fils  de 
Charles  le  Chauve,  qui  venait  de  se  faire  sacrer  roi  d'Aquitaine 
à  Limoges  ;  l'armée  du  prince  arrêta  les  pirates  à  un  mille  de  la 
ville  et  leur  infligea  une  défaite  complète  ;  trois  cents  seulement 
échappèrent  au  désastre  (5). 

Malheureusement  pour  eux  la  situation  était  pour  le  moment 
changée  en  Aquitaine.  La  lutte  entre  Pépin  et  Charles  le  Chauve 
avait  recommencé  promptement^  ainsi  qu'il  fallait  s'y  attendre, 


(i)  Chron.  éCAdémar,  p.  34. 
(a)  Ann.  de  Saint-Bertin,^.  68. 

(3)  Chron.  d'Adémar,  p.  i35  ;  Pertz,  Mon.  Germ.,  SS.,  II, p.  a53,  Cbron.  Aquit.; 
Chronicon  Engolismense,  éd.  Castaigne,  p.  6.  La  villa  Briliacas  doit  être  ideotifiép 
soit  avec  Brillac  sur  la  Vendée,  soit  avec  le  port  de  Breuillac  sur  la  Sèvre, 

(4)  Perlz,  Mon.  Germ.,  SS.,  II,  p.  253,  Cbron.  Aquit. 

(5)  Ann,  de  Saint-Bertin,  p.  88. 


u  LES  œMTES  DE  POITOU 

dès  849  (1),  et  s'était  continuée  pendant  quelques  années  avec  des 
péripéties  diverses  jusqu'au  jour  où  l'épin,  arrêté  par  son  allié 
le  duc  de  Gascogne,  Sanche,  qu'il  avait  gravement  ofîensé,  fut 
par  lui  livré  au  roi  de  France,  en  septembre  852,  et  renfermé 
dans  Tabbaye  de  Saint-Médard  de  Soissons  (2). 

Pendant  les  années  qui  précédèrent  on  constate  fréquemment 
la  présence  de  Charles  en  Poitou,  où  il  hivernait  même  généra- 
lement pendant  qu'il  soutenait  contre  les  Bretons  une  lutte  qui 
se  termina  à  l'avantage  de  ces  derniers.  En  851,  Erispoé,  fils  de 
Nominoé,  était  venu  à  Angers  où  il  avait  reconnu  la  suzeraineté 
du  roi  de  France,  mais  en  retour  il  s'était  fait  attribuer  les  pays 
de  Rennes,  de  Nantes  et  de  Raiz,  avec  le  droit  de  porter  des  in- 
signes royaux.  L'abandon  du  pays  de  Raiz  est  le  premier  dé- 
membrement que  le  Poitou  ait  eu  à  subir. 

Devenu  maître  de  l'Aquitaine  toute  entière,  Charles  le  Chauve 
se  montra  très  dur  dans  la  répression,  aussi  les  partisansde  Pépin 
aux  abois  se  tournèrent-ils  vers  le  roi  de  Bavière  et  lui  demandè- 
rent-ils pour  roi  son  fils  Louis.  Celui-ci  arriva  de  Germanie  avec 
des  troupes  qui  se  comportèrent  plutôt  en  conquérantes  qu'en 
alliées.  Charles  le  Chauve  profita  du  peu  de  sympathie  que  ren- 
contrait son  neveu,  pour  obtenir  du  roi  de  Bavière  qu'il  rappelât 
son  fils,  mais  au  même  moment,  en  85 i,  Pépin  s'échappait  de  sa 
prison  et  retrouvait  ses  anciens  partisans  (3).  Pour  parer  à  cette 
nouvelle  difficulté  et  donner,  au  moins  en  apparence,  satisfaction 
aux  sentiments  d'indépendance  des  Aquitains  qui,  depuis  qu'il 
était  devenu  roi  de  France,  semblaient  n'être  plus  que  des  sujets  de 
ce  royaume,  il  renonça  au  titre  de  roi  d'Aquitaine,  qu'il  n'avait 
cessé  de  porter  jusqu'à  ce  jour  et,  dans  une  .diète  spéciale,  tenue 
à  Limoges  au  milieu  d'octobre  855,  il  fit  élire  roi  son  fils  Charles; 
en  outre,  il  reconstitua  en  sa  faveur  l'ancien  royaume  d'Aqui- 

(i)  Pertz,  Mon,  Germ.,  SS.,  II,  p.  190,  Annales  Lobicases. 

(2)  Pertz,^o/i.  Ge/'m.,55.,II,p.  253,  Cbron.  Aquit.  ;  Ann.  de  Sainl-nert(n,p.  79. 
D'après  un  diplôme,  dunt  raulhenticiié  est  aujourd'hui  contestée,  Charles  IcCliauvesc 
serait  trouvé,  le  8  juin  849,  au  Vieux -Poitiers,  où  il  aurait  donné  à  l'abbaye  de  Sainl- 
FIorent-le>Vieil  les  privilèges  excessifs  qui  faisaient  une  sorte  de  petit  diocèse  du 
territoire  soumis  à  ce  monastère.  (Voy.  Port,  Dictionnaire  de  hfaine -et- Loire,  Saint- 
Florent-le-Vieïl,  III,  p.  366;  Giry,  Elude  critique  de  quelques  docuincnls  anjevins 
de  l'époque  carolingienne,  dans  Mém.  de  l'Acad.  dex  Inicript.  el  lielles-Lettres  ^ 
XXXVI,  a«  part.,  pp.  232-243. 

(3)  Ann.  de  Saint-Berlin,  pp.  84  et  85. 


rtENOUL  I 


a3 


laîno  en  lui  rendanl  les  comlt's  de  Poiliers,  d'AngoiilêiiK?  el  de 
Saintes,  qu'il  en  avait  jadis  détachés  (I).  C'fst  en  revenant  de 
Limoges,  où  il  avait  élé  sacré  roi,  que  le  jeune  prince,  passant  à 
Poiliers,  se  trouva  au  moment  propice  pour  infiltrer  aux  Nor- 
mands la  dure  leçon  à  laquelle  ils  étaient  loin  de  s'attendre. 

Ceppndanl  l'armée  de  Charles  n'agissait  pas  autrement  que  cello 
de  Louis  de  Bavière  :  «  Elle  marquait  son  séjour  par  les  dévas- 
talions,  les  incendies,  l'enlèvement  de  captifs;  les  églises,  les 
autels  sacrés  n'étaient  même  pas  h  l'abri  de  la  cupidité  el  de  l'au- 
dace de  celle  tourbe  (2).  »  Les  années  qui  suivirent  furent  le 
comhie  du  désarroi,  les  Aquitains  se  montrant  dans  toute  leur 
inconstance,  appelant  ou  rejetant  suivant  leur  fantaisie  Charles 
on  l'épin,  en  unmotjComméledit  énergiquement  le  chroniqueur, 
les  méprisant  tour  à  lour(3).  Des  luttes  intestines  locales  se  pro- 
duisirent en  outre  pendant  ces  temps  si  troublés  et  il  est  à  croire 
que  c'est  h  l'occasion  de  Tune  d'elles  que,  le  18  avi'il  858,  Ébroïn, 
l'évoque  de  Poitiers,  fut  lue  dans  sa  ville  épiscopale  (i).  L'année 
précédente,  celle-ci  avait  été  dévastée  par  les  pirates  danois  qui, 
associés  avec  Pépin,  avaient  ravagé  beaucoup  de  lieux  en  Aqui- 
taine, lin  858,  le  jeune  Charles  el  Pépin  s'étant  réconciliés,  sans 
doule  par  crainte  de  Louis  le  Germanique,  furent  au  mois  de 
juillet  trouver  Cbarles  le  Chauve  qui  se  tenait  dans  l'Ile  d'Oissel, 
à  Tembouchure  de  la  Seine  ;  le  roi  fil  uno  sorte  de  partage  entre 
son  fils  et  son  neveu  et  donna  à  ce  dernier  des  comtés  el  des  mo- 
nastères en  Aquitaine,  mais  ce  don  éventuel  ne  fut  pas  lenu,  car, 
en  859,  Pépin,  abandonné  par  les  Aquitains,  se  relira  auprès  du 
comte  d'Anjou  et  des  Bretons  hostiles  au  roi  de  Prancc.  Ce  fut 
pour  pou  de  temps.  Hobert  le  Fort  et  Salomon  ayant  successive- 
ment fait  leur  paix  avec  Charles^  l'ex-roi  d'Aquitaine  rentra  dans 

(0  Ann.fie.  Satnl- Berlin,  p.  87;  Perlz,  Mon,  Germ.,  SS.,  Il,  p.  aSi.  Aonalea 
Leraoviceoaes.  Adémar  do  Chabannes(p.  i36)  dit  à  tort  que  c'esl  Charles  le  Chauve 
qui  fut  sacré  roi  à  Limuges  ea  Hbît:  ce  fait  se  rapporte  à  son  His  nommé  aussi  Cbarles. 

(j)  Ann.  de  Suint-Bfitin,  p.  8^. 

(3).'l/m.  de  Saint-Berlin,^.  88. 

(4)  L'iascriplion  tuinuloirc  du  puissant  prclal,  qui  clait  en  rtityme  lemps  alibc  de 
Saiot-liiliiire  de  l'oiliers  et  de  Saiot-Gerniain  de  Paris,  dit  expresscnienl  'qu'il!  fui 
victime  des  babilaols  de  Poiliers  : 

Triste  vix  unqiiam  polerit  dciKniope  crimïn 
Piftavic  mngni  prcsutis  iotrntii. 

(Moachci, l,e$ Annales  d' Aqtiilaine,Vo\\\ers,\î)0'j ,  fol. 59  v»;  ï\t&\y,Fve.iiiit(sde Poic- 
^>rjr,pp.9l  elss.La  date  de  858  est  fournie  par  le  continuateur  d'AJmoiu  i;l.v,cliap.  30), 


a4  LES  COMTES  DE  POITOU 

ce  pays  pour  y  fomenter  une  guerre  de  partisans.  Il  alla  même 
plus  loin  :  prenant  exemple  sur  ce  qu'avait  fait  Lambert  de  Nantes, 
vingt  ans  auparavant,  il  s'adressa  à  des  bandes  normandes  que  le 
duc  de  Bretagne  avait  prises  pour  auxiliaires  et  qui  se  trouvaient 
alors  sans  emploi  ;  à  leur  tête  ils'allaqua  aux  pays  soumis  à  Charles, 
et  particulièrement  au  Poitou,  où  il  n'avait  jamais  pu  faire  une 
installation  durable  (1). 

Au  commencement  d'octobre  863,  les  Normands  se  trouvaient 
dans  l'Angoumois.  Le  comte  Turpion,  qui  voulut  les  arrêter,  fut 
blessé  dans  un  sanglant  combat  le  4  de  ce  mois  et  mourut  peu 
après;  il  ne  laissait  pas  d'enfants  et  son  comté  passa  à  son  frère 
Emenon^  l'ancien  comte  de  Poitou  dépossédé  par  Louis  le  Débon- 
naire (2).  Il  importe  d'insister  sur  ce  fait  qui  témoigne  que  l'idée 
de  la  perpétuité  des  charges  et  par  suite  de  leur  hérédité  au  sein 
de  quelques  grandes  familles  entrait  tout  à  fait  dans  les  mœurs  ; 
les  cas  en  deviendront  par  la  suite  de  plus  en  plus  fréquents. 

De  l'Angoumois,  une  petite  armée  se  porta  sur  Poitiers  ;  les 
faubourgs  de  la  ville  furent  brûlés,  les  églises  de  Saint-Hilaire  et 
de  Sainte-Radegonde  furent  réduites  en  cendres.  Les  défenseurs 
de  la  cité,  craignant  de  ne  pouvoir  longtemps  résister,  offrirent 
de  se  racheter,  ce  qui  fut  accepté.  Les  Normands  s'éloignèrent 
pour  continuer  ailleurs  leurs  ravages  et  poussèrent  même  jus- 
qu'en Auvergne  où  ils  tuèrent  le  comte  Etienne  (3). 

Les  pirates  avaient  trouvé  tant  de  facilité  pourleurs  expéditions 
les  années  précédentes  que  leur  retour  ne  pouvait  se  faire  atten" 
dre.  En  effet,  ils  reparurent  en  Poitou  en 865.  Ils  venaient  de  rava- 
ger lesbords  de  la  Loire  jusqu'à  Orléans;  prenant  la  voie  de  terre, 
ils  marchèrent  sur  Poitiers,  surprirent  la  ville  et  l'incendièrent. 

C'était  alors  la  cité  la  plus  opulente  de  l'Aquitaine  (4)  que  ni 
ses  épais  murs  romains,  ni  les  profonds  fossés  de  son  enceinte 
ne  purent  sauver  du  désastre  (5).  Ce  fut  le  dernier  coup.  Le  pays 

(i)  Ann.  de  Saint-Berlin,  pp.  90,  gS,  99,  128, 

{2)Chron.  d'Adémar^  p.    i36;  Chron.  Engolismense,  p.  6. 

(3)  Ann.  de  Saint-Bertin,  p.  127;  Marcbegay,  Chron,  des  éffl.  d'Anjou,  p.  867, 
Saint-Màixent. 

(4)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  149;  Pertz,  Mon.  Germ.,  SS.,  1, 534,  Chron.  Normaan. 

(5)  «  Pictavîs  fœcuadissima  quondam  urbs  Aquitaniie  »  (De  Certain,  Afiracles  de 
saint  Benoit,  p.  78);  «  Piclavis  popalosa  civilas  »  (Ermeatarius,  Acta  sanct,  ord, 
S.  Bened.,  IV,  p.  548). 


RENOUL  I  25 

était  totalement  dévasté  ;  toutes  les  abbayes  étaient  en  ruines  ; 
une  seule  subsistait,  Saint-Savin,  qui  servait  alors  de  refuge  aux 
religieux  de  plusieurs  monastères,  échappés  de  leurs  demeures 
avec  les  restes  de  leurs  saints  patrons  et  qui  attendaient,  sous 
la  protection  de  solides  fortifîcations,  le  moment  propice  pour 
se  diriger  vers  des  lieux  où  ils  pourraient  vivre  en  sécurité  (1). 

Pépin  guidait  dès  lors  les  pirates  normands  et  c'est  assuré- 
ment dans  sa  présence  et  dans  celle  des  Aquitains  qui  suivaient 
encore  sa  destinée,  qu'ils  trouvèrent  la  confiance  nécessaire  pour 
se  hasarder  aussi  loin  de  leurs  navires,  leurs  vraies  bases  d'opé- 
ration . 

Le  confite  Renoul,  voyant  que  par  la  force  il  ne  pouvait  venir 
à  bout  d'un  ennemi  si  persévérant^  eut  recours  à  la  ruse.  Il  pro- 
posa à  Pépin  une  entrevue  ;  celui-ci  s'y  étant  rendu  insuffisam- 
ment accompagné,  le  comte  s'empara  de  sa  personne  et  s'em- 
pressa de  le  remettre  entre  les  mains  do  Charles  le  Chauve.  Le 
malheureux  prince,  amené  au  plaid  de  Pislres,  qui  se  tint  le 
1"  juillet  864,  fut  tonsuré  et  enfermé  dans  l'abbaye  de  SenUs,  d'où 
il  ne  devait  plus  sortir.  Sa  mort,  arrivée  le  29  septembre  866,  dé- 
livra bientôt  le  roi  de  France  de  son  implacable  adversaire  (2). 

Lors  de  la  prise  de  Poitiers,  Renoul  ne  se  trouvait  pas  dans 
celte  ville.  Les  incursions  des  Normands  étaient  si  soudaines  que 
lorsque  les  comtes,  n'ayant  pas  de-milice  permanente  à  leur  dis- 
position, avaient  fini  de  rassembler  leurs  troupes  pour  aller  à  la 
rencontre  des  envahisseurs,  ceux-ci  avaient  déjà  disparu.  Le  comte 
de  Poitiers  ne  redoutait  pas  de  lutter  contre  eux,  aussi,  l'année 
suivante,  accueillit-il  avec  empressement  la  demande  que  lui 
adressa  Robert  le  Fort,  comte  d'Anjou  et  de  Touraino,  d'unir  leurs 
forces  contre  les  pirates  qui  avaient  formé  le  projet  de  ravager 
à  nouveau  la  région  de  la  Loire. 

Les  deux  corales  étaient  liés  d'amitié.  Deux  ans  auparavant  ils 
avaient  échappé  ensemble  à  un  danger  commun.  Bernard,  fils  de 
Dodane,  comte  d'Auvergne,  avait  assisté  comme  eux  à  la  diète  de 


(i)  Marchcgay,  C/irort.  des  égl.  d'Anjou,  p.  SyiiSaint-Maixent. 

(2)  Ann.  de  Saint- Berlin,  p.  iSy  ;  Perlz,  Afon.  Germ.,  SS.,  II,  p.  82^,  Chron. 
Adonis  coatiaualio  ;  Biluze,  Capitularia,  II,  col.  8ao,  Coosilium  Iliacmari  archU 
ppiscopi  de  pqenitentia  Pippini  junioris. 


36  LES  COMTES  DE  POITOU 

Pistres,  ot  bien  qu'il  eiM  été  récemment,  de  la  part  de  Charles  le 
Chauve,  l'objet  de  grandes  faveurs,  il  ne  songeait  qu'à  tirer  ven- 
geance de  la  mort  de  son  père  et  de  son  frère,  jadis  ordonnées  par 
le  roi;  son  but  était,  selon  les  uns,  de  tuer  Charles,  selon  les 
autres,  de  massacrer  Hobert  et  Renouljes  principaux  conseillers 
du  prince  et  ennemis  de  sa  famille.  11  s'était  embusqué  dans 
une  forêt  sur  leur  passage,  mais  le  roi,  averti  à  temps,  envoya 
des  troupes  pour  s'emparer  du  traître  ef  c'est  seulement  par 
une  fuite  rapide  que  Bernard  échappa  à  la  peine  qu'il  avait  en- 
courue  (1). 

La  troupe  de  Normands  que  les  deux  comtes  avaient  en  vue 
d'atteindre  était  peu  nombreuse  ;  elle  ne  comptait  que  quatre  cents 
hommes,  mais  tous  cavaliers,  et  elle  avait  à  sa  tôle  Hastings,  le 
plus  redoutable  de  leurs  chefs.  Il  avait  pénétré  en  Anjou,  envahi 
et  pillé  le  Maine;  il  revenait  en  suivant  les  bords  de  la  Sarthe, 
quand  il  apprit  que  la  retraite  lui  était  coupée;  incapable  de  résis- 
ter en  rase  campagne  à  l'armée  des  confédérés,  il  s'enferma  dans 
l'église  de  Brissarthe  qui,  construite  en  pierre,  faisait  pour  lui 
l'office  d'une  véritable  forteresse.  La  famine  l'aurait  sûrement 
contraint  de  se  rendre,  une  imprudence  de  Robert  le  sauva.  Sur 
le  soir,  les  Normands  ayant  tenté  une  sortie,  le  comte  d* Anjou 
se  laissa  entraîner  à  les  poursuivre,  sans  armes  défensives,  jus- 
qu'au seuil  de  l'édifice  qui  leur  servait  d'asile.  Il  y  fut  tué  et  même 
ils  s'emparèrent  de  son  corps.  Kenoul,qui  assistait  de  loin  à  l'af^ 
faire,  fut  presque  au  même  instant  frappé  d'une  flèche  partie 
d'une  des  fenêtres  de  l'église  (2  juillet  866).  Ces  catastrophes  suc- 
cessives jetèrent  un  grand  trouble  dans  les  rangs  des  assiégeants 
qui  se  retirèrent  aussitôt;  de  leur  côté,  les  Normands,  se  voyant 
délivrés,  se  dirigèrent  en  loule  hâle  vers  leurs  bateaux  ;  Renoiil 
succomba  à  sa  blessure  trois  jours  après  (2). 

En  récompense  des  grands  services  qu'il  avait  rendus  au  roi 
de  France,  spécialement  en  lui  livrant  Pépin,  le  comte  de  Poitou 
s'était  fait  concéder  de  nombreux  bénéfices  cl  particulièrement 


(i)  Ann.de  Sainl-Bertin,  p.  i38, 

(2)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  iSg;  Periz,  Mon.  Germ.,  SS.,  I,  p.  678,  Reg^no- 
pia  chroD. 


RENOUL  37 

l'abbaye  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers  (1).  Lorsqu'il  succomba  ^ 
Brissarihe,  il  était  donc,  comme  disent  les  chroniqueurs,  pourvu 
de  richesses  et  d'honneurs  ;  tel  était  pareillement  le  cas  de 
Robert  ;  aussi  certains  esprits,  mus  par  des  considérations  parti- 
culières, s'obstinèrent-ils  à  voir  dans  la  mort  si  dramatique  des 
deux  comtes  un  jugement  de  Dieu  qui  les  punissait  de  s'être 
approprié  des  biens  d'église  (2). 

Renoul  avait  en  outre  accru  sa  puissance  territoriale  en  ralta- 
chantau  Poitou  le  comté  d'Herbauge  qui  en  était  distrait  depuis 
vingt-cinq  ans  environ.  Après  le  combat  de  852,  le  comte  d'Her- 
bauge, Rainon,  qui  devait  avoir  certains  liens  de  parenté  avec  son 
prédécesseur  Hervé,  mais  qui  était  sûrement  parent  de  Renoul, 
disparaît  de  la  scène  politique  ;  son  comté  passa  au  comte  de 
Poitou,  qui  lui  succéda  en  vertu  de  ce  droit  héréditaire  à  la  pos- 
session des  bénéfices  dont  on  a  vu  précédemment  l'application 
en  Angoumois  (3).  Toutefois,  il  ne  semble  pas  que  le  pays  de 
Raiz,  que  les  Bretons  avaient  certainement  occupé  et  que  Charles 
le  Chauve  leur  avait  abandonné  par  le  traité  d'Angers,  ait  fait 
en  même  temps  retour  au  Poitou  dont  il  cessa  désormais  de  faire 
partie. 

Renoul  avait  épousé  vers  845  une  fille  de  Rorgon,  comte  du 
Maine  (4).  On  peut  croire  que  l'évêque  de  Poitiers,  Ébroïn,  qui 
partageait  avec  Renoul  la  confiance  du  roi  de  France,  ne  fut  pas 

(i)  M.  Mabille  a  aUribué  aussi  à  Renoul  la  possession  de  l'abbaye  de  Saint-Sau- 
veur de  Charroux  et  rapporte  qu'après  sa  mort  elle  passa  à  Frolier,  archevêque  de 
Bordeaux.  Ma'çrc  nos  recherches  nous  n'avons  pu  découvrir  le  texte  dans  lequel  cet 
crudit  a  pris  celle  information,  mais  comme  nous  le  savons  très  bien  renseigné  nous 
croyons  devoir  citer  son  dire,  bien  qu'il  ne  nous  ait  pas  élé  possible  de  le  contrôler , 

(2)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  iSg.  Renoul  dut  être  pourvu  de  Saint  llilaire  après 
la  mort  de  révé<|ue  Ëbroîn,  en  HôS.En  Ions  cas,  il  en  était  possesseur  en  SOa.Le  g  mai 
de  cette  année,  Charles  le  Chauve  confirma  par  un  diplôme  un  échangede  domaines 
situés  dans  la  vigueric  de  Civaux,  passé  entre  Renoul,  qualifié  d'honmic  illustre  et 
vénérable,  «  vir  venerabilis  RaninulFus  comes,  illuster  cornes  Ramnulfus  »  agissant 
en  qualité  d'abbé  de  Saint-Hilaire, et  Garnier,  prêtre  de  l'église  cathédrale  de  Poitiers 
(Rédet,  Doc.  pour Sainl-IFilnire,  I,  p.  g). 

(3)  Adémar,  dans  sa  chronique  (p.  i3j),  présente  Rainon  comme  le  cousin  de 
Renoul  «  coosanguincus  suus  »  ;  la  chronique  d'Aquitaine  (Periz,  Mon.  Gerin., 
SS  ,  II,  253)  le  désigne  seulement  comme  son  parent  «  propinquus  ejus  ».  On  ne  sait 
par  suite  de  quelles  circonstances  il  avait  succédé  à  Hervé,  ce  dernier  étant  l'aîné  de 
plusieurs  frères  qui  auraient  dû  posséder  après  lui  le  comté  d'Herbauge  (De  Certain, 
,\fir(icles  de  saint  Benoit,  p.  71  j. 

(/|)  Celle  alliance  ne  peut  guère  être  présentée  que  sous  uqe  forme  dubitative.  Elle 
a  pour  elle  un  texte  d'Abbon  (Hec.  des  hist,  de  France,  Vlll,  p.  5,  vers  68),  où  i| 


28  LES  COMTES  DE  POITOU 

étranger  à  ce  mariage;  parent  du  comte  du  Maine,  dont  un  des 
fils,  Gozlin,  vint  recevoir  à  Poitiers,  en  845,  l'ordre  de  prêtrise, 
il  devait  avoir  le  désir  naturel  de  resserrer  les  liens  qu'avait  fait 
naître  entre  lui  et  le  comte  de  Poitou  la  mission  dont  ils  étaient 
chargés  (1).  De  celte  union  étaient  issus  trois  fils  :  Renoul  II,  qui 
fut  comte  de  Poitou  après  son  père,  Gauzbert  et  Eble. 


V— RENOUL  n 

(866-8go) 

Au  moment  de  la  mort  de  Renoul  1  ses  enfants  étaient  encore 
jeunes,  aussi  Charles  le  Chauve,  appliquant  à  leur  égard  les  erre- 
ments de  sa  politique  habituelle,  s'orapressa-t-il  de  mettre  la  main 
sur  les  bénéfices  dont  jouissait  leur  père  et  d'en  disposer  en  faveur 
d'autres  fidèles  qui  attendaient  impatiemment  que  leur  tour  arri- 
vât d'avoir  part  aux  largesses  royales.  Dans  cette  distribution  de 
«  bienfaits  »,  le  Poitou  fui  toutefois  excepté  et  mis  en  quelque 
sorte  sous  séquestre,  soit  que  le  prince  s'en  soil  réservé  les  reve- 
nus, soit  qu'il  les  ait  affectés  k  l'entretien  du  nouveau  roi  qu'il 
venait  de  donner  à  l'Aquitaine. 

Charles,  le  fils  aîné  du  roi  de  France,  qui  portait  cette  qualifi- 
cation royale  lors  de  la  mort  de  Hcnoul,  ayant  succombé  peu 
après  à  Buzançais,  le  29  septembre  806,  fui  promptement  rem- 
placé, car  il  entrait  dans  les  conceptions  administratives  de 
Charles  le  Chauve  d'avoir  un  roi  à  la  tôle  de  l'Aquitaine,  ne  fût- 
ce  qu'à  litre  nominal.  Dans  ce  but,  il  donna  rendez-vous  aux 

est  dit  qu'EbIc,  abbé  de  Saint-Denis,  ctiiit  le  neveu  de  Gozlin,  archevêque  de  Paris . 
Or  Gozlin  était  fils  du  comte  du  Maine  et  de  sa  seconde  femme  Bilechildc,  dont  les 
enfants  sont  connus.  La  femme  de  RcnouI,  dont  le  nom  ne  nous  est  pas  parveau, 
pourrait  être  une  fille  de  Rotrudc,  la  première  femme  de  Rorgon,  à  laquelle  jusqu'a- 
lors onn*a  donné  qu'un  filsj  I^ouis,  abbé  de  Saint-Denis  et  chancelier  de  France, mort 
en  867.  (Voy.  Appendice  I,  §  2). 

(i)  La  parente  de  Rorgon  et  d'Ébroïo  est  formellement  indiquée  dans  une  charte 
du  i«rmars  83g  du  monastère  de  Glanfcuil,  dont  était  abbé  Gausbert,  frère  du  comte 
du  Maine,  et  où  ce  dernier  avait  offert  à  Dieu  son  fils  Gozlin  (Marchegay,  i4rcA. 
d'Anjou,^.  379,  cart.  de  Saint-Maur) . 


RENOUL  II  ag 

grands  du  royaume  Aquitain  sur  les  bords  de  la  Loire,  sans  doute 
à  Pouilly,  pour  la  mi-carême  de  Tannée  867  et  là  il  leur  présenta 
son  fils  Louis  pour  régner  sur  eux;  en  outre,  il  constitua  à  ce 
prince  une  cour,  composée  de  familiers  de  son  palais,  wzmw^e- 
riales^  lesquels  devaient  assurer  dans  tout  le  pays  l'exécution  de 
ses  volontés  (1).  C'est  à  ces  agents  que  dut  être  confiée  l'adminis- 
tration du  Poitou,  dont  les  comtes  ne  sont  mentionnés  nulle  part 
pendant  une  période  de  douze  années  pour  le  moins.  Il  n'est  pas 
hors  de  propos  à  ce  sujet  de  remarquer  la  similitude  de  la  situa- 
tion des  enfants  de  Robert  le  Fort  et  de  Renoul.  Charles  le  Chauve 
dépouilla  les  uns  et  les  autres  successivement  de  leurs  domaines, 
leur  enlevant  toute  autorité  sur  ceux  qu'il  avait  bien  voulu  leur 
conserver  ;  par  suite  le  silence  se  fait  pendant  toute  la  vie  du  roi 
sur  les  comtés  dont  les  héritiers  des  victimes  de  Brissarthe  étaient 
détenteurs  et  dont  aucun  acte  ne  nous  révèle  le  sort,  à  savoir 
sur  ceux  de  Blois  et  de  Nevers,qui  faisaient  partie  de  l'hérédité 
de  Robert,  et  sur  celui  de  Poitou,  patrimoine  de  Renoul  (2;. 

Les  enfants  de  Renoul  furent  placés  à  la  cour  du  roi  d'Aqui- 
taine où  ils  devaient  être  retenus  dans  une  demi-captivité,  ana- 
logue à  celle  que  Louis  le  Débonnaire  avait  voulu  appliquer  en 
839  à  son  petit-fils,  Pépin  II,  qu'il  disait  vouloir  élever  près  de 
Iui,«adnutriendum  »,  écrit  le  chroniqueur  (3);  là  ils  partageaient 
le  sort  de  fils  de  personnages  d'un  rang  élevé  qui  remplissaient 
diverses  fonctions  dans  le  palais  du  roi.  Parmi  ces  derniers  se 
trouvait  Gailon,  fils  d'un  comte  du  même  nom,  alors  décédé.  Du 
consentement  de  sa  mère  Ililtrude,  ce  jeune  homme  entra  dans 
la  communauté  des  moines  de  Saint-Filbert  et  leur  fit  don  de 
nombreux  domaines  en  Poitou,  particulièrement  du  monastère 
de  Saint-Fraigne,  où  les  religieux,  qui  n'avaient  pas  alors  de  rési- 
dence stable,  auraient  pu  s'installer  définitivement  si  la  crainte 
des  Normands  n'avait  pas  mis  obstacle  à  ces  projets.  L'acte 
consacrant  la  donation  de  Gailon  fut  dressé  le  25  août  868  et  il 
le  fit  signer  par  ses  compagnons, qualifiés,  grâce  à  leur  haute  si- 


(i)  Atm.  de  Saint-Bertin,  pp.  iSg  et  i65. 

(a)  Voy.  PerU,  Mon.  Germ.,  I,  p.  678,  Reginonis  chron.,  an.  867;  Favre,  Eudes, 
comte  de  Paris,  pp.  6,  12,  i3. 
(3)  Chron.  d^Adémar,  p.  iSa,  add. 


3o  LES  COMTES  DE  POITOU 

tuation,  d'hommes  vénérables,  «  viri  vencrabiles  »  ;  Ténumération 
de  ces  témoins  comprend  quatre  comtes  :  Hcnoul,  Josbert,  Hildrad 
et  Hainaud  et  un  certain  nombre  de  particuliers  parmipesquels, 
au  premier  rang,  on  en  relève  un  du  nom  d'B'.ble.  Les  comtes 
Renaud  et  Josbert  et  peut-être  Eble  sont  assurément  les  enfants 
de  Henoul, attachés  comme  Gailon,  qui  bien  que  (ils  de  comte  ne 
portait  pas  ce  titre,  à  la  cour  du  roi  d'Aquitaine  (i). 

La  présence  de  ces  jeunes  gens  auprès  du  roi  explique  com- 
ment, à  défaut  d'autre  cause. ils  ne  pouvaient  participera  l'admi- 
nistration du  comté  de  Poitou  non  plus  qu'à  sa  défense,  quand  sa 
sécurité  était  menacée.  C'est  ainsi  qu'à  la  fin  de  celte  année 
868, les  Normands  ayant  de  nouveau  pénétré  en  Poitou,  les  habi- 
tants du  pays  les  attaquèrent,  en  tuèrent  un  grand  nombre  et 
mirent  le  reste  en  fuite;  les  vainqueurs  firent  à  celte  occasion  don 
à  saint  Hilaire,  sous  la  protection  de  qui  ils  s'étaient  placés,  de 
la  dîme  du  butin  dont  ils  s'étaient  emparés  (2). 

Parmi  les  honneurs  possédés  par  Renoul  I  et  dont  ses  enfants 
furent  dépouillés,  il  s'en  trouvait  un  dont  on  connaît  parfaitement 
le  sort,  c'est  l'abbaye  de  Saint-Hilaire.  Charles  le  Chauve  en  fit 
cadeau  à  Acfred,  ancien  comte  de  Toulouse,  qui  lui  avait  prêté 
un  puissant  concours  dans  sa  lutte  contre  Pépin.  Mais  Acfred 
était  ambitieux;  il  obtint  encore  du  roi  le  comté  de  Bourges,  dont 
était  alors  détenteur  le  comte  Gérard,  lequel  ne  voulut  naturel- 
lement pas  se  laisser  dépouiller.  Un  lutte,  promptement  termi- 
née, s'engagea  entre  les  deux  comtes;  Acfred,  ayant  été  presque 
aussitôt  le  début  des  hostilités  cerné  par  les  hommes  de  Gérard, 
s'enferma  dans  la  ferté  ou  maison  forte  d'une  villa  où  il  s'était 
retiré  ;  sur  son  refus  d'en  sortir,  le  feu  fut  mis  à  la  maison  ; 
chassé  par  les  flammes,  le  comte  chercha  à  s'évader,  mais  il  fut 
saisi  par  ses  ennemis  qui  lui  tranchèrent  la  lôle  et  rejetèrent  son 
corps  dans  le  brasier  (3).  C'est  ainsi  que,  dans  des  actions  sans 
intérôl  et  restées  pour  la  plupart  du  temps  ignorées,  périrent 
tant  d'hommes  notables  de  cette  époque  que  l'on  voit  tout  à  coup 

(i)  Maître,  Cunauld,  son  prieuré  et  ses  archives,  p.  28. 

(2)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  i83.  L'omission  du  nom  du  chef  des  Poitenns,  con- 
trairement à  l'habitude  des  chroniqueurs,  indique  clairement  qu'ils  n'avaient  pas  de 
comte  à  leur  tète,  mais  seulement  des  officiers  d'un  rang  secondaire. 

(3)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  171. 


RENOUL  II  3i 

disparaître  sans  laisser  de  traces  ;  leur  cupidité,  qui  ne  connais- 
sait aucun  frein,  les  entraînait  souvent  dans  des  entreprises  insi- 
gnifiantes où  ils  succombaient  misérablement. 

Pour  venger  la  mort  d'Acfred,  arrivée  au  commencement  de 
l'année  868,  Charles  le  Chauve  ravagea  le  Berry,  mais  sans  résul- 
tais pratiques  et  en  fîn  décompte  il  se  décida  à  rentrer  en  France. 
Il  se  trouvait  à  Saint-Denis  pour  le  début  du  carême  (1),  mais 
pendant  qu'il  résidait  sur  les  bords  de  la  Loire,  il  avait  eu  le 
temps  de  donner  l'abbaye  de  Sainl-Hilaire,  une  seconde  fois  va- 
vante  en  si  peu  de  temps,  à  Frotier,  archevêque  de  Bordeaux  (2). 

Ce  n'est  pas  seulement  du  silence  des  textes  au  sujet  des  com- 
tes du  Poitou  pendant  une  période  de  dix  années  que  l'on  peut 
induire  la  main-mise  de  Charles  le  Chauve  sur  le  comté,  main- 
mise qui  rentrait  parfaitement  dans  ses  façons  d'agir^  mais  on 
peut  .encore  tirer  quelque  enseignement  de  certains  actes  du 
roi  (3).  C'est  ainsi  que  le  18  mars  868  il  restitua  à  l'église  épisco- 
pale  do  Paris  la  villa  de  Naintré  sur  le  Clain,  dont  elle  avait  été 
jadis  dépouillée  (4).  Dans  son  diplôme  il  n'indique  pas  quels  étaient 
en  ce  moment  les  détenteurs  du  domaine  de  Naintré,  mais  on  ne 
saurait  douter  que  c'étaient  les  comtes  de  Poitou  aux  droits  de 
qui  Charles  s'était  suppléé  et  en  vertu  desquels  il  disposait  régu- 
lièrement de  leurs  bénéfices. 

Quelque  temps  après,  vers  872,  on  le  voit  régler,  par  l'inter- 
médiaire de  ses  agents  directs,  lesmissi,  les  difficultés  qu'avait 
un  monastère  avec  les  hommes  puissants  qui  l'avoisinaient.  L'ab- 
baye de  Charroux  se  plaignait  des  empiétements  qui  étaient 
commis  sur  ses  biens;  pour  y  mettre  ordre^  le  roi  envoya  un 

(i)  La  fête  de  Pâqaes  étant  tombée  le  18  avril  co  celle  année  868,  le  carême  com- 
mença le  3  mars, 
(a)  Ann.  de  Saint- Berlin,  p.  172. 

(3)  Besl;  (Hist.  des  comtes,  p.  21),  après  avoir  constaté  qu'en  aucun  livre  qui 
soit  digne  de  fui  il  n'est  fait  mention  des  comtes  de  Poitou  durant  vinçt  années  (le 
temps  de  celte  obscurité  ne  dépasse  pas  réellement  dix  ou  douze  années),  écrit  que  «par 
avanture  »  Bernard  d'Auvergne  prit  la  tutelle  des  enfants  de  Renoul  I,  ses  neveux. 
Or,  il  est  démontré  que  ce  Bernard,  confondu  par  Thistorien  de  nos  comtes  avec  le 
oeveude  l'ancien  comte  de  Poitou,  Emenon, portant  ce  même  nom  de  Bernard  et  dé- 
signé communément  sous  l'appellation  de  Bernard  fils  de  Bilcchildc,  était  le  cousin 
et  non  le  frère  de  Renoul  I  cl  qu'aucun  texte  ne  permet  de  lui  attribuer  quelque  in- 
gérence  dans  les  affaires  du  comté  de  Poitou  (Voy.  Appendice  I). 

(4)  Baluze,  Capital,  reç/um  Franc,  II,  append.,col.  i485. 


32  LES  COMTES  DE  POITOU 

comle  de  son  palais,  Emenon,  assisté  d'un  subdélégué  nommé 
Hier,  qui  devaient  juger  les  instances  introduites  par  les  moines 
et  empêcher  les  usurpations.  Dans  le  même  diplôme  le  roi  dé- 
clara que  des  avoués  seraient  chargés  après  le  départ  des  missi 
de  défendre  au  nom  de  l'autorité  royale  les  droits  et  les  privilè- 
ges de  l'abbaye  (1). 

Enfin  vers  875  il  intervient  directement  dans  les  affaires  de 
l'abbaye  de  Sainte-Croix.  Sa  fille  Rotrude  avait  pris  le  voile  dans 
ce  monastère;  or,  l'abbesse  étant  venue  à  mourir,  le  choix  de  la 
phipart  des  religieuses  se  porta  sur  la  fille  du  roi,  tandis  que 
quelques-unes  se  prononçaient  en  faveur  de  l'une  d'entre  elles, 
Odile;  le  roi  écrività  Frotier,  archevêque  de  Bordeaux,  à  Enge- 
noul,  évêque  de  Poitiers,  et  àl'évêque  Erard,  d'avoir  à  se  rendre 
dans  l'abbaye,  afin  d'y  présider  à  une  élection  régulière.  L'arche- 
vêque de  Reims,  Hincmar,  adressa  en  même  temps  de  sages 
conseils  aux  religieuses.  Le  roi  disait  aux  évêques  que  si  toute 
la  communauté  ou  même  seulement  une  partie,  fût-ce  même  la 
moindre,  était  d'accord  pour  choisir  Rotrude,  ils  devraient  l'ins- 
taller en  qualité  d'abbesse  ;  si  au  contraire  les  religieuses  por- 
taient leur  voix  sur  une  autre,  cello-ci  prendrait  la  direction  de 
la  maison  jusqu'à  ce  que  le  roi  eût  statué  sur  le  cas;  enfin  que  si 
Rotrude  était  élue,  Odile  retournerait  dans  le  monastère  d'où 
elle  était  venue.  Il  est  à  croire  que  l'influence  de  la  fille  du  roi 
prévalut,  car  elle  fut  maintenue  comme  abbesse  (2). 

Ces  quelques  faits, auxquels  on  ne  peut  opposer  de  contre-par- 
tie, paraissent  bien  fournir  la  preuve  que  jusqu'à  sa  mon  Charles 
le  Chauve  ne  cessa  de  posséder  le  Poitou  et  de  l'administrer 
comme  les  autres  dépendances  du  domaine  royal  proprement 
dit.  Il  avait  une  politique  centralisatrice  et  il  s'efforça  de  l'appli- 
quer le  plus  qu'il  put,  surtout  en  Aquitaine  ;  elle  était  en  opposi- 
tion avec  les  tendances  indépendantes  des  grands  seigneurs,  aussi 
quand  il  lui  fallut  recourir  à  eux  fut-il  fort  embarrassé  pour  justi- 
fier ses  actes  et  les  leur  faire  approuver.  C'est  pourquoi,  à  l'as- 
semblée de  Kiersy-sur-Oise  de  877,  où  tant  de  questions  avaient 

(i)D.  Fonteneau,  rv,  pp.  3i  et  35. 

(2)  Mabillon,  Annales  ord.  S.  Benedicti,lU,  p.  199;  Pertz,  Mon.  Gerin.^  1^.9.,  XIII, 

p.  "j48. 


RENOUL  II  33 

élé  posées  par  lui  aux  membres  de  la  diète,  ne  fit-il  qu'indiquer 
qu'il  y  avait  lieu  de  s'occuper  de  l'Aquitaine,  sans  proposer  de 
solution  à  intervenir  (1). 

Charles  le  Chauve  mourut  le  6  octobre  877  ;  or,  six  mois  étaient 
à  peine  écoulés  que  l'on  voit  les  enfants  de  Renoul  I  établis  en 
Poitou  et  y  occuper  la  position  k  laquelle  leur  naissance  aurait 
dû,  depuis  longtemps,  leur  donner  droit.  Au  mois  d'avril  878  le 
comte  Josbert  fait  abandon  à  l'église  de  Saint-Hilaire  de  Poi- 
tiers d'un  mansc  seigneurial  situé  près  de  Saintes,  dans  la  villa 
de  Dorodonno,  avec  les  serfs  qui  y  demeuraient.  Pour  assurer 
à  cet  acte  toute  sa  valeur  il  y  apposa  sa  signature  et  le  fit 
confirmer  par  les  assistants  ;  en  tôle  de  ceux-ci  est  le  comte  Re- 
noul (2). 

Uien  qu'aucune  qualification,  selon  le  général  usage  de  ce  temps, 
n'accompagne  le  nom  des  deux  comtes,  on  peut  dire  que  Renoul 
signa  l'acte  en  qualité  de  comte  de  Poitiers,  titre  qu'à  partir  de 
cette  époque  lui  donnent  les  historiens.  Quant  à  Josbert,  qui  n'é- 
tait pas  plus  que  son  frère  un  simple  comte  palatin,  on  peut  se 
demander  s'il  n'administrait  pas  spécialement  la  Sainlonge  où, 
depuis  la  mort  du  comte  Landri,  advenue  eu  866,  on  ne  signale 
l'existence  d'aucun  comte,  et  qui,  depuis  ce  jour,  a  constamment 
suivi  les  destinées  du  Poitou. 

L'avènement  de  Louis  le  Bègue  marque  donc  un  important 
changement  dans  la  destinée  des  enfants  de  Renoul  I,  dont  la 
situation,  grâce  à  leur  habileté,  ne  fit  désormais  que  grandir  ;  ils 
avaient  su  profiler  des  largesses  que  ce  roi  avait  été  contraint  de 
faire  pour  se  recruter  des  partisans  et  réduire  à  néant  les  deux 

(i)  L'article  24  du  capitulaire  est  ainsi  codçu  :  De  regno  Aquitanico,  et  ces  trois 
mots,  qui  ont  toute  l'apparence  d'un  titre,  ne  sont  suivis  d'aucun  texte.  La  situation 
en  Aquitaine  était  si  tendue  qu'au  moment  de  partir  pour  Pexpédition  dont  il  ne  de- 
vait pas  revenir,  le  roi  préféra  laisser  les  choses  en  l'état  plutôt  que  de  risquer  de 
porter  à  son  comble,  par  une  solution  hâtive,  le  mauvais  vouloir  de  gens  à  qui  il  lui 
bllait  avoir  en  ce  moment  recours. 

(3)  Rédet,  Doc.  pour  Saint-ffilaire,  I,  p.  ii .  Dans  cet  acte,  le  comte  Josbert  es 
désigné  par  le  mot  latin  Gauzbertus  tandis  que  les  annales  de  Saint- Vaast  (p.  345) 
l'appellent  tantôt  Gotbertas,  tantôt  Gozberlas;  ces  formes  lalines  ont  été  interprétées 
généralement  en  français  par  celle  de  Gauzbert,  mais  la  charte  de  Cunauld  (Maître, 
loc,  cit.,  p.  a8),en  désignant  le  frère  de  Renoul  sous  le  nom  de  Josbertus  cornes,  in- 
dique que  la  lettre  G,  initiale  du  nom  de  Gauzbert,  devait  être  prononcée  dans  une 
tonalité  adoucie  qui  donne  Josbert  eu  français  ;  Besly  {ffisl.  des  comtes,  p.  ao)  l'ap- 
pelle encore  Gobert. 


34 


LES  COMTES  DE  POITOU 


parlis  qui  lui  opposaient  des  concurrents  au  trône  de  France. 
Du  reste,  on  ne  voit  pas  les  lits  de  Roiioul  I,  préoccupés  d'as- 
surer leur  auturilt^  dans  leur  comté,  prendre  pari  aux  mouve- 
menls  qui  marquèrent  le  court  règne  de  Louis  le  Bègue.  Ce 
prince  paraît  même  ne  s'être  mêlé  aux  affaires  du  Poitou  que 
dans  une  seule  circonstance,  c'est  pour  reconnaître  l'élection 
d'une  nouvelle  ab!)esse  de  Sainlé-Croix,  Ava,  qui  avait  succédé 
à  Hoirude,  et  confirmer  les  immunités  de  ce  monastère  que  la 
présence  des  princesses  de  sang  royal  seml>lai(  raUacher  plus 
inlimement  à  la  couronne;  le  diplôme  de  Louis  le  Bègue  est  du 
4  juillet  H78(t). 

La  mort  de  ce  prince,  arrivée  le  10  avril  879,  ne  nuisit  en  rien 
au  comte  de  Poitiers,  et  un  esprit  aussi  avisé  que  le  sien  ne  pou- 
vait que  tirer  bon  parti  des  difficultés  qui  se  présentaient  pour  le 
règlement  de  la  succession  à  la  couronne  de  France.  Louis  avait 
contracté  deux  unions  successives  qui  toutes  deux  se  réclamaient 
de  la  légalité.  Vers  862,  alors  qu'il  était   en  révolte  contre  son 
père,  il  avait  épousé  Ansgarde,  fille  du   comte  llardouin;   mais, 
quand  en  SG7  Charles  le  Chauve  pardonna  à  son  fils  et  lui  donna 
le  royaume  d'Aquitaine,  il  y  mil  pour  condition  qu'il  répudierait 
Ansgarde  et  prendrait  pour  femme  Adélaïde  d'Angleterre;  or,  le 
pape  Jean  VIll  ne  voulut  jamais  reconnaître  la  validité  de  ce  se- 
cond mariage,  le  premier  n'ayant  pas  été  dissous  conformément 
aux  règles  de  l'Eglise.  D' Ansgarde,  Louis  le  Bègue  avait  eu  deux 
fils,  Louis  el  Carlo.man,et  il  laissait  /Vdélaïde  enceinte;  aussi,  de 
crainte  d'un  conflit  qu'il  prévoyait,  au  moment  de  sa  mort,  le 
roi   désigna-t-il  pour  son  successeur  son  fds  aîné  Louis,  el  lui 
envoya  les  ornements  royaux.  Mais  un  troisième  parti  se  forma, 
qui  jugea  qu'un  enfant  de  quinze  ans,  tel  qu'était  Louis  !II,  n'é- 
tait pas  de  laîlle  à  défendre  le  royaume  contre  ses  ennemis  inté- 
ricurset  extérieurs  et  appelaau  trône  Louis  de  Germanie.  Devnnt 
ce  péril,  les  partisans  du  roi  défunt  se  mirent  d'accord,  ils  écar- 
tèrent le  nouveau  compétiteur  en  lui  abandonnant  la  Lorraine  et 
pour  donner  plus  de  force  à  la  royauté  légitime  et  faire  disparaî- 
tre tout  ferment  de  discorde,  ils  décidèrent  que  les  deux  enfants 


[i)  GaH.  Chrisl.f  II»  ioslr.,  col.  35S;  D.  Fuoleneau,  V,  p.  Say. 


RENOUL  II  35 

d'Ansgarde  jouiraient  à  lilre  égal  de  la  royauté.  Les  jeunes  prin- 
ces furent  sacrés  par  Anségisc,  archevêque  de  Sens,  au  mois  de 
septembre  879  (i).  L'aclion  commune  des  deux  jeunes  rois  se 
porta  donc  sur  toutes  les  parties  du  royaume  et  les  Normands 
ravageant  en  ce  moment  les  contrées  de  la  Loire,  ils  marchèrent 
contre  eux  ;  le  30  novembre  ils  les  atteignirent  sur  les  rives  de  la 
Vienne,  les  taillèrent  en  pièces  et  beaucoup  d'enlre  eux  en  s'en- 
fuyant  périrent  dans  les  eaux  de  la  rivière  (2). 

Cette  victoire  délivrait  pour  quelque  temps  le  Poitou  de  ces 
éternels  pillards  et  permettait  à  Henoul  d'asseoir  plus  solidement 
son  autorité.  On  ne  saurait  dire  auquel  des  deux  jeunes  rois  il 
s'était  plus  particulièrement  attaché,  mais  le  hasard  le  plaça 
bientôt  dans  la  dépendance  immédiate  de  Carloman.  En  e(Tet,  les 
grands  seigneurs  trouvant  sans  doute  des  inconvénients  personnels 
dans  cette  possession  ind  ivise  de  la  royauté  partagèrent  le  royaume 
entre  les  deux  princes  (3);  l'Aquitaine  tomba  dans  le  lot  de  Car- 
loman, dont  la  présence  en  Poitou  n'a  pas  été  constatée,  mais 
qui,  dans  ses  déplacements  fréquents^  apparaît  plusieurs  fois  sur  les 
confins  de  ce  pays,  dont  il  fut  à  diverses  reprises  sollicité  de  s'oc- 
cuper; ainsi,  étant  pour  lors  en  Berry,  on  le  voit  délivrer  le 
5  juin  881  un  diplôme  en  faveur  des  moines  de  Saint-Florent  alors 
chassés  de  leur  monastère  par  les  ^'ormands  et  dans  lequel  il  est 
dit  «  que  leur  pays,  dont  la  vue  était  autrefois  si  belle,  ne  ressemble 
<i  plus  qu'à  une  solitude;  que  ses  anciens  colons,  aussi  bien  que 
«  les  habitants  des  bords  de  la  Loire  qui  ont  été  contraints  d'aban- 
«  donner  leurs  demeures^  ont  perdu  tout  espoir  de  retour  sur 
«  cette  terre,  jadis  si  heureuse  »  (4).  Le  14  juin  882,  se  trouvant 
à  Z,i/jciacw*  en  Anjou,  il  prend  sous  sa  sauvegarde  le  monastère  de 
Beaulieu  en  Limousin  (5),  et  enfm  le  22  avril  884,  étant  au  palais 
de  Ver,  il  confirme  les  immunités  de  l'abbaye  de  Sainte-Croix  (6). 

Non  seulement  Renoul  s'empressa  de  reconnaître  l'autorité  du 

(i)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p.  aSa. 
(a)  Ann.  de  Saint-Bertin,  p.  a83. 

(3)  ^nn.  de  Saint-Berlin,  p.  284. 

(4)  Rec.  des  hist.  de  France,  IX,  p.  422. 

(.î)  Deloche,  Cari,  de  Beaulieu,  p.  20.  C.  Port,  dans  son  Dictionnaire  de  Maine- 
et-Loire,  II,  p.  5a3,  propose  d'identifier  la  localité  de  Lipciacus  avec  Lczc,  commune 
de  Choazé,  Indre-et-Loire. 

(6)  Besly,  Rois  de  Guyenne,  p.  4»;  D.  Fonteneau,  V,  p.  535, 


36  LES  COMTES  DE  POITOU 

nouveau  roi,  mais  encore  il  témoigna  manifestement  de  ses  sen- 
timents en  faisant  frapper  monnaie  à  son  nom.  Le  monnayage  du 
Poitou,  c'esl-à-dire  l'atelier  de  Melle,  se  trouvait,  en  effet,  en  ce 
moment  entre  les  mains  du  comte;  c'était  un  de  ces  bénéfices  qu'il 
avait  su  se  faire  octroyer,  et  non  le  moindre,  en  faisant  appliquer  à 
son  profil  les  usages  qui  prédominaientà  la  courdu  roi  de  France 
el  qui  marquent  d'un  cachet  si  particulier  la  fin  du  régime  carlo- 
vingien.  Quelques  années  après,  le  roi  Eudes  disait  encore  dans  le 
préambule  de  l'un  de  ses  diplômes  :  «  Il  appartient  au  roi  et  à  sa 
«  toute  puissance  de  favoriser  ses  fidèles  et  de  les  élever  en  dignités 
K  en  leur  donnant  de  grands  biens;  par  ce  moyen,  ils  sont  plus 
«  portés  à  garder  leur  fidélité  envers  Dieu  et  envers  le  roi  (1).  » 
Telle  était  en  effet  la  règle.  Charles  le  Chauve  avait  si  bien 
mis  celte  doctrine  en  pratique  que  les  biens  du  domaine  royal 
étaient  en  beaucoup  de  lieux  presque  tous  passés  dans  des  mains 
étrangères;  ses  successeurs  continuèrent  à  agir  de  même,  de 
sorte  qu'il  arriva  un  jour  où  le  roi,  n'ayant  plus  suffisamment  de 
biens  pour  se  consei'ver  un  revenu  régulier  ou  pour  faire  des 
largesses  à  ses  fidèles,  se  trouva  à  la  merci  de  ses  grands  vassaux 
enrichis  de  ses  dépouilles. 

Pour  s'assurer  les  services  de  Henoul  II,  Louis  le  Bègue  ne . 
manqua  pas  de  lui  donner  quelques  portions  du  fisc  royal,  et  l'une 
de  ces  grâces  fut  assurément  l'abandon  en  faveur  du  comte  de 
Poitiers  du  monnayage  royal  établi  à  Melle.  Cet  acte  dut  suivre  de 
bien  près  l'élévation  de  Louis  au  trône,  car  il  n'existe  pas  de 
monnaies  frappées  à  Melle  au  nom  du  roi  Louis.  On  voit  se  con- 
tinuer dans  cet  ateher  le  monnayage  au  type  de  Charles  le  Chauve 
avec  celte  modification,  toutefois,  que  les  monnaies  qui  en 
sortaient  furent  pourvues  d'un  signe  caractéristique  manifes- 
tant aux  yeux  de  tous  qu'il  n'était  plus  la  propriété  du  roi,  mais 
qu'il  était  passé  dans  celle  du  comte  (2).  Ce  signe  est  une  petite 
croix  +  qu'  t^st  intercalée  dans  la  légende  du  revers  des  pièces  au 
nom  du  roi  Carlonian  et  que  l'on  retrouve  aussi  sur  celles  posté- 
rieures qui  portent  le  nom  de  Charles. 

(i)  Rédel,  Doc.  pour  Saint- ffilaire,  p.  i6. 

(2)  Voy.  mes  Observations  sur  les  mines  d'argent  et  l'atelier  monétaire  de  Melle^ 
pp.  17  et  ss. 


RENOUL  II 


37 


La  reconnaissance  du  nouveau  roi  ainsi  publiquement  faite 
avait  d'autant  plus  de  prix  que  Renoul  Ha\l  en  quelque  sorte  le 
dt^fenseur  atlilrt''  des  droits  du  fils  d'Adélaïde  d'Angleterre  venu 
au  monde  le  Î7  septemiire  879,  au  moment  même  où  ses  deux 
frères  étaient  mis  conjointement  en  possession  du  royaume.  Cet 
enfant,  nommé.  Charles,  et  qui  plus  tard  devint  le  roi  Charles  le 
Simple,  dut  être  confié  dès  son  plus  j<îune  âge  au  comte  de  Poi- 
tiers qui  aurait  été  à  la  fois  son  défenseur  et  son  geôlier  (1).  La 
présence  entre  les  mains  de  Renoul  de  ce  jeune  prince,  avec  ses 
droits  éventuels  à  la  eouronne  de  France^  droits  qui  ne  tardèrent 
pas  à  devenir  une  réalité  par  la  mort  successive  di»  Louis  I H  et  de 
Carloman,  en  882  et  884, ne  put  que  grandir  le  rôle  que  le  comte 
de  Poitiers  se  trouvait  appelé  à  jouer.  Après  la  mort  de  Carloman 
des  intrigues  se  nouèrent  pour  faire  monter  Charles  sur  le  trône 
cl  Renoul  n'y  demeura  vraisemblablement  pas  étranger,  mais 
elles  échouèrent  devanl  les  visées  des  Francs  du  Nord,  parmi 
lesquels  il  convient  de  citer  l'oncle  du  comte  de  Poitiers.  Gn/.liu, 
qui,  en  884,  avait  été  pourvu  de  l'évêché  de  Paris,  et  son  ancien 
compagnon,  Geilon  (2),  qui,  devenu  successivement  abbé  de  Noir- 
mootier,  puis  de  Tournus»  et  enfin  évoque  de  Langres,  fut  l'un 
des  premiers  qui  se  rendirent  auprès  de  Charles  111  dit  le  Gros, 
empereur  d'Allemagne,  quand  leschofs  francs  appelcreni  celui-ci 
à  régner  sur  la  France  (3). 

Renoul  reconnut  donc  l'élection  de  Charles  le  Gros  et  pendant 
toute  la  durée  du  règne  de  ce  prince,  dont  Paulorité  se  fit  si  peu 
sentir,  il  resta  tranquille  (4).  Mais  à  la  mort  de  l'empereur, 
advenue  h  la  fin  de  l'année  887,  la  question  de  la  royauté  s'élanl 
présentée  à  nouveau,  tout  porte  a  croire  que  le  comte  de  Poitit'rs 
entrevit  l'occasion  déjouer  un  rôle  actif  et  eut  la  velléité,  sinon  de 


(i)  Ann. deSai'nt'Vaast,  pp.  3oi  et  335. 

(2)  Celle  orlho^mplip,  qui  psl  cpIIc  âcs  hisloriena  du  lemps,  témoigne  que  ].i  leUrc 
G,  initiale  du  nom  de  (lailon,  avait  le  son  du  J. 

(3)  Pour  tous  les  faits  lourhant  11  l'iiisioirc  pcnérale  de  celle  époque,  nous  ren- 
ToyoDS  à  la  remarquable  élude  de  M.  Edouard  Fa^TC,  Eudes,  comte  <le  Paris. 

(4)  Ce  fait  est  constate  par  deux  chartes  poitevines  dont  les  indicnlions  chronolo^i- 
qucs  sont  ainsi  con(;ues  :  Donoé  au  mois  d'avril  la  seconde  année  du  ri's:^p  de  Charles 
empereur  après  la  ninrt  du  roi  Cartouian  (Arch.  de  la  Vieune,  oritr-.  N<»îiiliê,  n°  eo), 
et  :  Donné  au  mois  de  septembre  l'an  second  du  rè^e  de  Charles  empereur  (Ar- 
cbivea  de  la  Vienne,  oriç. ,  Noaillé,  n'  ti). 


38  LES  COMTES  DE  POITOU 

se  faire  élire  roi  de  France,  du  moins  de  restaurer  à  son  profil 
le  tilre  de  roi  d'Âquilaine  (1).  Il  pouvait  arguer  que  de  sa  part 
ce  n'était  pas  une  usurpation,  mais  qu'il  faisait  tout  simplement 
valoir  les  droits  qu'il  tenait  de  sa  mère,  la  petite-fille  de  Cliarle- 
magne.  Du  reste,  aussitôt  après  la  déposition  ou  la  mort  de 
Charles  III,  il  témoigna  publiquement  de  ses  sentiments  à  l'égard 
de  la  vacance  du  trône  de  France,  en  faisant  frapper  dans  son 
atelier  de  Mclle  une  monnaie  sur  laquelle  le  nom  de  la  cité  de 
Poitiers  remplace  celui  du  roi.  Il  ne  pouvait  être  question  de 
présenter  aux  chefs  francs  son  pupille,  le  fils  de  Louis  le  Bègue, 
pour  prendre  le  pouvoir,  le  motif  qui  avait  fait  précédemment 
écarter  ce  prince,  sa  jeunesse,  subsistant  toujours.  Aussi  dût- il, 
sinon  se  prononcer  pour  l'un  des  deux  grandspartis  qui  portaienldes 
candidats  au  trône,  du  moins  attendre  que  la  majorité  se  fût  dessinée 
en  faveur  de  l'un  d'eux.  Eudes,  le  fils  de  Robert  le  Fort,  qui  venait 
de  se  signaler  dans  la  défense  de  Paris  contre  les  Normands  et  que 
Charles  avait  fait  duc  des  Francs,  était  mis  en  avant  par  un  parti 
puissanlquisongeaitavant  tout  à  la  sécurité  du  royaume;  un  autre, 
qui  reprochait  à  Eudes  de  s'être  approprié,  comme  son  père,  des 
biens  ecclésiastiques,  fixa  son  choix  sur  Guy  de  Spolète,  le  petit-fils 
de  Lambert,  comte  de  Nantes,  devenu  un  puissantprince  italien,  et 
qui,  croyant  au  triomphe  de  sa  cause,  vint  en  France  et  se  fil  même 
sacrer  roi  à  Langres  par  Geilon.  Mais  Eudes,  non  plus,  ne  per- 
dait pas  de  temps  ;  il  se  fit  couronner  roi  à  Compiègne  par  l'ar- 
chevêque de  Sens,  le  29  février  888,  et  Guy,  sentant  la  lutte 
insoutenable,  se  retira  incontinent  en  Italie.  Débarrassé  de  ce 
côté,  Eudes  se  retourna  contre  le  roi  de  Germanie,  Arnoul,  que  de 
puissants  adversaires  lui  opposaient,  et  reconnut  sa  suzeraineté 
impériale.  Cet  acte  de  politique  habile  le  laissa  libre  de  s'occu- 
per des  affaires  intérieures  du  royaume  :  il  pacifia  le  nord  de  ses 
états,  et,  enfin,  mailrede  ses  actions,  il  se  tourna  vers  l'Aquitaine. 
Pendant  que  se  passaient  tous  ces  événements,  c'est-à-dire  pen- 
dant l'année  888,  Renoul  était  resté  dans  l'expectative  ;  sasitua- 


(i)  La  chronique  d'IIermana  {Rec.  des  hist.  de  France,  VllI,  p.  247)  cite  parmi 
les  grands  personnages  qui  usurpèrent  le  titre  de  roi  en  888,  Eudes,  fils  de  Robert, 
dans  la  Gaule  jusqu'à  la  Loire,  et  Renoul, au  delà,  en  Aquitaine;  les  annales  de  Fulde 
disent  aussi  que  Renoul  se  posa  comme  roi  (Pertz,  Mon.  Germ.,  SS.  I,  p.  4u5). 


RENOUL  II 


39 


tion  était  grande  et  c'est  ce  qui  ressort,  de  toute  évidence,  des 
litres  de  conite  et  de  duc  de  la  plus  grande  partie  de  l'Aqui- 
taine qui  lui  sont  donnés  par  les  chroniqueurs  (1).  Eudes  avait 
eu  soin  de  se  garantir,  autant  que  possible,  contre  toute  entreprise 
hostile  de  sa  pari  en  couvrant  do  bienfaits  son  propre  frère  Eble. 
Dès  sa  prise  de  possession  du  pouvoir,  ii  lui  avait  donné  l'impor- 
tante charge  de  chancelier  et  il  le  tenait  en  même  temps  par 
les  importants  bénéfices  dont  ii  jouissail  dans  le  nord  du 
royaume;  en  effet,  Eble,  déjà  pourvu,  en  881,  de  l'abbaye  de 
Sainl-Germain-des-Prés,  que  lui  avait  abandonnée  son  oncle 
Gozlin,  avait  succédé  à  cehji-ci  en  88G  (2)  dans  la  possession  des 
abbayes  de  Jumièges  et  de  Saint-Denis,  et  c'est  en  celte  dernière 
qualité  qu'à  la  tête  de  ses  religieux  il  avait  pris  une  part  glorieuse 
à  la  défense  de  Paris  contre  les  Normands  et  que,  parfois,  il 
suppléa  le  comte  Eudes  dans  celle  lutte  périlleuse  (3). 

Celle  confralernilé  militaire,  le  propre  soin  de  ses  intérêts 
assuraient  au  roi  dr  France  la  ndélité  d'Eble  el,  pur  suite,  de- 
vait-il l'espérer,  celle  de  Renoul;  aussi  songea-t-il,  quand  le  calme 
fui  rétabli  dans  le  nord  de  ses  états,  h  se  faire  reconnaître  véri- 
tablement roi  par  les  Aquitains.  Dans  ce  but,  sans  paraître  se 
soucier  qu'en  ce  faisant  il  put  courir  quelque  danger,  il  se 
dirigea  vers  leur  pays  à  la  fin  de  l'année  888,  accompagné  seule- 
ment d'une  simple  escorte.  Il  partit  de  l'abbaye  de  Saint-Vaasl 
après  les  fêtes  de  Noél,  mais  il  ne  dut  pas  pénétrer  bien  loin  en 
Aquitaine;  llenoul  se  porta  au  devant  de  lui  avec  ses  principaux 
adhérents  et  se  lit  particulièrement  accompagner  du  jeune 
Charles,  dont  la  présence,  dans  ces  circonstances  spéciales,  avait 
bien  sa  signification  ;  il  promit  toutefois  à  Eudes  qu'il  ne  cher- 


(i)  Afin,  de  Sainl-Vaast,  p.  335;  Mabille,  La  pancarte  noire  de  Saint-Martin  de 
Tours,  p.  1 tO. 

(a)  Gozlin  mourut  Je  i6  avriJ  886. 

(3)  IjO  rôle  i|ue  nous  atlribuoas  au  frère  de  Renoul  H  est  absoluiueiit  eu  désaccord 
avec  TopinioD  de  Mabille  {Le  royaume  d'Ai/ailainc,  p,  i8),  reprise  postéricuremenl 
par  M.  Kavre  {Eudes,  comfe  de  Paris,  p.  33,  note  lo).  Suivant  ces  érudils,  il  y 
aurait  lieu  d'établir  une  dislioclion  entre  Eble,  abbé  de  Suinl-Denis,  et  Eble,  frère  du 
citnilc  de  Poilou,  qui  seraient  deux  personnages  diffcrenis.  Nuus  faisons  valoir  par 
ailleurs  (Appendick  I)  les  arguments  tjui  nous  ont  (jorté  à  accepter  les  dires  de  Rcgi- 
non,  admis  comme  e.\ac(s  par  les  auteurs  du  Gallia  Cltristiana,  et  remis  en  lumière 
par  M.  Poupardirt  dans  sa  k  Note  sur  Ebles,  abbé  de  Saint-Denis  au  letnps  du  roi 
Eudes  «  {Bibl.  de  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  III,  p.  «j3). 


4o 


LES  COMTES  DE  POITOU 


cherait  pas  à  se  servir  du  jeune  prince  pour  lui  nuire  et  enfin  il 
lui  prGla  un  serment  de  fid«^lilr'',  peut-Mre  un  peu  vague,  mais 
dont  le  roi  du[  se  contenter  ;  Eudes,  niellant  ensuite  en  avant 
une  nouvelle  apparition  des  Normands,  ne  poussa  pas  plus  loin 
son  voyage  et  rentra  en  France  (1). 

Celle  rapide  chevauchée  n'avait  mis  le  roi  en  rapport  qu'avec 
quelques  chefs  de  l'Aquitaine  ;  maisc'i'^lail  un  premier  pas  dont  il 
ne  voulut  pas  perdre  les  avantages  et  dès  le  mois  de  juin  de 
l'année  889  il  était  de  retour  à  Orléans.  Pendant  le  séjour  qu'il  fit 
dans  celte  vilie,  il  chercha  de  nouveau  à  se  concilier  le  comte  do 
Poitiers  en  lui  accordant  quoiqu'une  de  ces  faveurs  que  celui-ci 
semble  avoir  si  fort  prisées.  L'aUbaye  de  Sainl-Martin  de  Tours 
avait  jadis  reçu  en  don  des  rois  de  France  l'alleu  de  Doussais  en 
Poitou  (2), qui  avait,  à  diverses  reprises,  élé  usurpé  par  des  parti- 
culiers. Eudes  contraignit  le  dernier  délenlcur  dece  bien  aie  res- 
tituer aux  chanoines,  mais  en  même  leuips  il  leur  imposal'obli- 
gation  de  l'aliéner  de  nouveau  en  faveur  de  HenouLqui  le  recul 
en  précaire,ainsi  quples  alleusde  Celliers  et  de  Layré(3)  dont  ce- 
lui-ci avait  fait  précédemment  don  au  monaslcre  ;  grâce  à  celle 
concession,  le  comte  de  Poitiers  s'enrichissait  d'un  important 
domaine  el  trouvait  en  même  temps  le  moyen  de  revenir  sur  un 
acte  qu'il  regrettait  sansdoule  (4J.  Vers  ce  même  temps,  Frotier, 
qui,  de  l'archevêché  de  Bordeaux, était  passé  à  celui  de  Bourges, 
vint  à  mourir,  et  Eudes,  toujours  préoccupé  de  s'attacher  Henoul, 
donna  h  son  frère  Eble  la  puissante  abbaye  de  Saint-Hilaire{5) 


(i)  Ann.  ilr  Snint-Vans/,  p.  335. 

(a)  On  cor>n.îîl  »n  (rien<(  mémvtni^^îen  porlant  ceUe  léçende  :  DVFCIiVCO  CV'RTE 
SC[  MARTINI  et  le  nom  du  mouétnire  AVL1GISILVS,  qui  nllcsle  que  dps  uno  épo- 
que reculée  Doussni»»  élait  dans  )»  dépendance  de  Sainl-Marlin  (A.  Ilichard,  A'ole 
8111' denx  monni^iies  mérnuinfiif-nnrs,  Poîljers,  1881). 

(3)  Rcnoul  déclnre  dans  l'acle  iju'il  avait  ncqnis  le  domaine  de  Cellier»  d'an,  de  .<»e« 
cousins  porlani  Ifl  mèniR  nom  que  lui  ni  l'on  voit  d-ins  la  reconnnisaancede  la  prèc-sire 
obicnue  par  son  fiU  Kbie  en  890  qu'il  tenait  Lsyrc  d'.\llarJ,  Ail'dnnlux^iW'i  d'Kdon, 
Ef/edo,  Jeur  parmi, 

(4>  Maliille,  Ptirtntrfe  noire,  p.  68,  n"  xvii.  el  p.  iiO.ni  xcvu  ;  Bcsly,  //ist.  des 
comtes,  preuves,  pp.  iSo,  201  el  203;  l'-ivre,  K-ide.s,  crjmte  de  Paria,  pp.    ijO  et  127. 

(j)  Frolier  mourut  en  SStj.poslérieuremenl  au  mois  de  juin  {Gnllin  fJÀri'ï/.  jll.eol. 
?3);  d'après  le  diplùrne  d'Euiles,  du  3o  dêecmhrr:  de  cette  année,  dool  il  viH  <*lre  parlé, 
EMe,  frérR  de  Henoul,  étant  abbé  à  celte  date,  il  n'est  pas  possible,  comme  l'nnl  fait 
les  auteurs  du  Gallin  (II,  col.  122JI,  d'intercaler  Ketioul  entre  Frotier  et  Eble;  ils 
ont  mal  inlfirprété  un  pîtssa^e  de  3eslv  {IJist.  des  comtes^  p.  itj},  icfjuel  se  rapporte 
êvHemment  A  Renoul  I  et  non  k  Rennul  II. 


RENOUL  II  4i 

que  possédait  le  prélat  défunt  ;  peu  après,  le  30  décembre,  de 
Chartres,  où  il  se  trouvait  alors,  il  confirma  un  portage  des 
terres  de  l'abbaye   fait  entre  Eble  et  ses  chanoines  (1). 

Tous  ces  actes  témoignent  du  désir  d'Eudes  de  vivre  en  bonne 
intelligence  avec  le  comte  de  Poitiers,  mais  ses  contemporains 
n'en  jugeaient  pas  tous  ainsi,  et  celle  phrase  d'un  chroniqueur  à 
propos  de  Renoul  laisse  fort  à  penser  :  «  Comme  c'élait  un  guerrier 
redoutable,  il  était  entres  grand  honneur  auprès  du  roi  (2).»  Le 
mot  est  dit,  Eudes  le  craignait;  aussi,  quand, dans  le  courant  de 
890,1e  comte  de  Poitiers  mourut  inopinément  à  la  cour  du  roi  de 
France  où  il  s'était  rendu  sur  sa  pressante  invitation,  le  bruit  cou- 
rut qu'il  avait  été  empoisonné  (3). 

Ce  n'était  pas  sans  raison  qu'Eudes  redoutait  Henonl  qui  pou- 
vait toujours  lever  contre  lui  l'étendard  de  la  révolte  au  nom  de 
Charles,  le  seul  descendant  direct  des  rois  carlovingiens,  mais 
d'autre  part  le  comte  de  Poitiers  était  tenu  à  des  ménagements 
envers  le  roi  de  France,  car  celui-ci  s'était  assuré  le  concours 
d'un  adversaire  naturel  de  Renoul,  d'un  compétiteur  à  la  posses- 
sion de  son  comté,  en  un  mol,  d'Aymar,  fils  du  comte  Emenon, 
dépossédé  par  Louis  le  Débonnaire  en  839  ;  on  peut  donc  dire 
que  le  roi  et  le  comte  étaient  à  deux  doigts  de  jeu. 

On  se  rappelle  que,  partisans  dévoués  des  droits  de  Pépin  11  h 
la  couronne  d'Aquitaine,  Emenon  el  son  frère  Bernard  avaient 
été  chassés  de  Poitiers,  et  tandis  que  Bernard,  retiré  auprès  de 
Rainaud,  comte  d'Herbauge,  succombait  avec  lui  en  844,  Eme- 
non avait  été  prendre  asile  auprès  do  son  autre  frère,  Turpion, 
qui,  ne  l'ayant  pas  suivi  dans  sa  lutte  contre  le  roi,  en  avait  été 
récompensé  par  le  don  du  comté d'AngouIême.  Pendfint  plusieurs 
années,  il  seconda  Turpion  dans  l'administration  el  surtout  dans 
la  défense  de  son  comlé,  mais  celui-ci  ayant  perdu  la  vie  le  4  oc- 
tobre 863  dans  une  rencontre  avec  des  Normands  auprès  de  Saintes 
où  Turpion  et  Maur,  le  chef  des  pirates,  s'eniretuèrent,  Eme- 
non lui  succéda,  sans  opposition,  semble-t-il,  de  Charles  le  Chauve. 


(i)  Rédet,  Doc.  pour  Saml-I/ilairo,  I,  p.  12. 

(2)  Chron.  d'Adémnr,  pp.   iSg  et  i^o.  La  chronique  de  Richard  de  Poitiers  {/ier. 
des  hist.  de  France,  IX,  p.  22)  rapporte  les  mêmes  faits ({u'Adcmar. 
"  (3)  Chron.  d'Adémar.p.  i4o. 


4a  LES  COMTES  DE  POITOU 

Mais  l'ancien  comte  de  Poilicrs,  emporlô  par  son  caractère  aven- 
tureux, ne  se  coiilenfa  pas  de  lutter  contre  l'ennemi  extérieur 
qui  ravageait  le  pays.  Il  eut,  deux  ans  après,  de  vifs  dt!m<*[6s 
avec  son  voisin  Landri,  comte  de  Saintes,  au  sujet  du  château 
de  Bouleville.  Le  14  juin  86G,  les  deux  comtes  en  vinrent  aux 
mains,  et  Landri  péril  dans  la  lutte  ;  Emenon,  blessé,  succomba 
huit  jours  après,  le  22juin,  à  Hancogne,  où  il  avait  été  transporté, 
et  fut  inliumfi  dans  la  basilique  de  Saint-Cybard,  à  Angoulôme. 
11  laissait  deux  jeunes  fils,  Aymar  et  Alleaume,  encore  forl 
jeunes;  le  roi,  s'autorisanl  du  prétexte  par  lui  invoqué  dans  plu- 
sieurs cas  identiques,  déclara  que  l'âge  de  ces  enfants  ne  leur  per- 
mettait pas  de  présider  clTicacement  à  la  défense  du  pays,  mit  la 
main  sur  le  comté  et  en  fit  don  à  Wulgrin,  son  parent,  frère 
d'Audouin^abbé  de  Sainl-Oenis,  qu'il  créa  en  mfime  temps  comte 
de  Périgueux  (1). 

Ce  personnage  était  sans  doute  ce  comte  du  palaiç  qui  avait 
été  à  plusieurs  reprises  chargé  de  missions  en  Aquitaine  pour  y 
rendre  la  justice  avec  les  rachimbourgs  (2).  11  aurait  épousé,  vers 
860  (3),  une  sœur  de  Guillaume,  comie  de  Toulouse,  et,  par  suite 
de  ce  mariage,  serait  devenu,  h  celte  date,  possesseur  de  la  ville 
d'Agen(4).  Loin  de  prendre  ombrage  de  la  présence  des  enfants 
d'Emenon,le  nouveau  comte,  qui  élait  déjà  âgé,  les  traita  à  Tégal 


(i)  Ckron,  d'Adéinar,  p.  iSy  ;  Chron.  Engolism.,  pp.  6  et  7  i  Ifist.  pont,  et  corn. 
Engolism.^  p,  18. 

(a)  L'iaterpolateur  d'Adémar  commel  uoe  erreur  manifeste  quand  il  dit  [Chron., 
i'à-])  que  c'élaient  Cnrluman  cl  Charlemagne  t[uî  avuionl  chargé  W'ulgria  de  ces 
iiiissiuns  ;  Carloman  êlaut  mon  ca  73i,  Wulgrin,  lars  de  sa  nominaliou,  eu  86G, 
n'aurait  pas  cnni|>tc  moins  de  cëqL  aas. 

{'i)  Bealy  donne  à  celle  dnme  le  nom  de  Hos^elindc  el  la  fail,  par  un  1agi>î.u3  de 
rêdacllon,  tille  de  (juilUumeet  sœurde  Uernard,  tomte  de  Toulouse  (///ïf.  des  comtes, 
p.  3aj.  M.  Maliille  {Le  royaume  tl'Aqiiilniite,  p.  'M,  note  3)  ne  veut  pas  admettre 
que  W'ulgrin  ait  conlraclé  ultiaricc  dans  la  faiiiille  des  comtes  de  Toulouse  ;  il  con- 
teste que  le  personnage  dèsîi^né  par  Adéniar,  qu'il  identifie  arec  Guillaume,  fils  de 
Dodane,  ail  jamais  élê  comte  de  Toulouse  et  il  émel  Tupinioa  qu'Adctiiar  cl  son  inter- 
poîaleuT  ont  voulu  probablemcol  parler  de  Guillaume,  corale  de  Bordeaux.  Nous 
rc[irûduisoDs  l'opinion  de  M.  ^îabiJle  sans  la  discuter,  les  docuinenis  faisant  défaut 
pnur  constater  l'existence  aussi  bien  du  comte  de  Toulouse  que  du  comte  de  nordcaux 
porttmt  le  nom  de  Guillaume. 

14)  La  date  de  Stio,  que  nous  mettons  ea  avaol  pour  le  mariitijc  de  Wulgria  et  par 
suite  pour  son  entrée  eu  possession  de  l'Agcnais,  nous  et>l  fournie  par  uti  passag'e  de 
la  clirouique  d'AJctnar  (aJd.  p.  i^o),  où  il  est  dît  que  Wulgrin  posséda  Agcn  pen- 
dant vingt-six  ans,  or,  comme  il  est  inorl  en  886,  celle  date  noua  reporte  forcément 
à  l'année  8lJo  cnritgn  pour  cclk-  rie  son  mariage. 


RENOUL  43 

des  siens  et  des  liens  d'amilié  1res  étroits  se  nouèrent  entre  les 
deux  jeunes  gens  et  les  fils  de  Wulgrin,  Audouin,  qui  fut  après 
son  père  comte  d'Angoulême,  et  Guillaume,  qui  devint  comte  de 
Périgord.  Ces  liens  se  resserrèrent  encore  parle  mariage  d'Aymar 
avecSanche,  la  fille  de  Guillaume  (1).  Le  fils  d'Emcnon,  bien  qu'il 
fût  ainsi  richement  établi,  ne  resta  pas  dans  l'inaction  et,  comme 
tous  les  enfants  de  grande  famille  de  l'époque,  il  chercha  dans 
les  aventures  le  moyen  de  se  créer  une  position  stable.  Parent 
d'Eudes,  on  ne  sait  à  quel  litre  (2),  il  s'attacha  pendant  quelque 
temps  à  sa  fortune;  en  avril  886,  il  assista  à  la  restitution  solen- 
nelle que  le  roi  de  France  fit  aux  chanoines  de  Saint-Martin  de 
Tours  de  domaines  que  son  père  Robert  le  Fort  leur  avait  enle- 
vés (3);  puis  il  vint  au  secours  de  Paris,  assiégé  de  nouveau  par 
les  Normands  et,  au  mois  de  juillet  889,  à  la  tête  d'une  troupe 
peu  nombreuse,  mais  aguerrie,  il  livra  aux  assaillants  un  combat 
heureux  (4). 

Tel  était  l'adversaire  jaloux  que,  dans  les  derniers  temps  de  sa 
vie,  Kenoul  eut  à  redouter  et  dont  l'ambition  non  dissimulée  dut 
restreindre  ses  velléités  d'indépendance  et  annihiler  en  partie  la 
force  que  lui  donnait  la  possession  de  l'héritier  légitime  delà  cou- 
ronne de  France  (5).  Henoul  ne  laissait  qu'un  fils  naturel,  Ëble, 
né  assurément  (6)  avant  le  mariage  de  son  père  et  qui,  élevé  à 
la  courde  celui-ci,  se  trouva,  par  suite  du  hasard  des  événements, 
appelé  à  recueillir  sa  succession. 


(i)  Hi$t.  pontif.  el  com.  Engolism.,  p.   20  ;  Chron.  d'Adémar,  p.  iSy. 
(a)  Taraone,  Le  siège  de  Paris  par  les  Normands,  d'Abboa,  1.  Il,  vers  SSy,  538, 
541  ;  Favre,  Eudes,  comte  de  Paris,  p.  201 . 

(3)  Mabille,  Pancarte  noire,  n»  CIV,  p.  120;  Les  inoasions  normandes  dans  la 
Loire,  preuves,  p .  53 . 

(4)  Taraone,  Le  siège  de  Paris  par  les  Normands,  d'Abboa,  1.  II,  vers  474»  SSy, 
538, 541 . 

(5)  Chron.  d'Adémar,  p.  iSg. 

(6)  Un  document  que  M.  Léopold  Delisle  suppose  élre  un  manuscrit  origi- 
nal d'Adémar  de  Chabannes  {Notice  sur  les  manuscrits  originaux  d'Adémar  de 
Chabannes,  p.  ga)  et  publié  par  M.  ChavaDon  en  appendice  de  la  chronique  d'A- 
démar, dit  (p.  ig8)  que  Henoul  épousa  Adeli/ia,  fille  de  RoUon,  duc  de  Norman- 
die, et  n'eut  pas  d'enrants.  Or  cette  assertion  est  absolument  erronée  ;  Renoul  II  n'a 
jamais  eu  aucun  rapport  avec  RoUnn  dont  l'apparition  en  France  comme  chef 
de  Normands  ne  date  que  de  885.  x\dcmar,  du  reste,  se  donne  à  lui-même  un  démenti 
en  insérant  dans  sa  chronii{ue  (p.  i/|3)  qu'Ëble,  le  fils  de  Renoul,  épousa  Adèle,  fille 
de  Rollon,  duc  de  Normandie.  Tout  ce  qu'Adémir  a  raconté  dans  le  livre  III  de  sa 
chronique,  au  sujet  des  ^rapports  de  Renoul  avec  Rollon  est  de  pure  fantaisie.  Il  y 


44  LES  COMTES  DE  POITOU 


VI.  -  EBLE   MANZER 

(890-892) 

En  laissant  insérer  dans  l'acte  de  précaire  de  889  que  les  do- 
maines abandonnés  par  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Tours  au 
comie  Renoul  passeraient  après  son  décès  à  son  fils  Eble  et  aux 
héritiers  de  celui-ci,  Eudes  et  son  frère  Robert,  qu'il  venait 
de  pourvoir  de  l'abbaye  de  Sainl-Martin,  reconnaissaient  virtuel-^ 
lemcnt  le  droit  d'Eble  à  l'héritage  de  son  père;  aussi,  lors  de  la 
mort  inopinée  de  Renoul,  qu'elle  eût  été  ou  non  le  résultat  d'un 
crime,  son  fils  lui  succéda-t-il  sans  difficulté  (1).  Sa  naissance 
illégitime  n'y  apporta  aucun  obstacle  et  pourtant  elle  était  tout-à- 
fait  basse,  vu  qu'il  était  issu  de  la  liaison  du  comte  avec  une 
courtisane,  d'où  le  surnom  de  Manzer  sous  lequel  il  est  connu 
dans  l'histoire  (2).  Bien  que  l'Ancien  Testament,  rappelé  dans  les 
capitulaires  des  empereurs,  ait  voué  celte  naissance  à  l'opprobre 
en  disant  que  le  Manzer  n'entrerait  pas  dans  la  maison  de  Dieu  (3), 
que  Louis  le  Bègue,  dans  un  capitulaire  de  l'an  867,  eut  placé  le 
Manzer  au  rang  des  personnes  viles  et  infâmes  qui  ne  pouvaient 
être  reçues  en  témoignage  ou  même  se  montrer  dans  le  palais  (4), 


a  peut-être  lieu  de  reconnaiire  la  femme  de  Renoul  II dans  la  personne  d'Ermengarde, 
qui  apposa  sa  signature  dans  la  charte  de  Josbert  de  l'an  878,  immédiatement  après 
celle  des  deux  comtes  et  qui  est  assurément  la  femme  de  l'un  d'eux  (Rédet,  Doc. 
pour  Saint-Hilatre,!,  p.  12).  Nous  ajouterons  que  rien  n'autorise  à  reconnaître  en 
la  personne  d'Adda,  épouse  de  Renoul,  conjanx  Ramnalji,  dont  la  plaque  tumulaire 
a  été  retrouvée  à  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  la  femme  d'un  comte  de  Poitou,  que  ce 
soit  Renoul  1er  ou  Henoul  II,  plutôt  que  celle  d'un  particulier  du  temps  portant  le 
même  nom  que  ces  comtes.  (Voy.  Ledain,  Musée  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
l'Ouest,  catalogue  de  la  galerie  lapidaire,  1884,  n»  482,  p.  4i .  ) 

(1)  La  forme  latine  usuelle  du  nom  du  comte  de  Poitou  est  Ebolus,  mais  on  ren- 
contre aussi  quelquefois  Ebblo  (Chartes  orig.  de  Noaillé),  Eblus  (Adémar  de  Cha- 
bannes).  Ebahis  (Dudon  de  Saint-Quentin)  et  enfin  Enbalns  (Husrues  de  Flavif^ny). 

(2)  Chron.  d* Adémar,  p.  i43.  A  la  même  époque,  on  trouve  le  surnom  de  Manzer 
appliqué  h  Jourdain,  frère  du  seigneur  de  Chabannais,  et  il  fut  encore  porté,  au  siècle 
suivant,  par  Arnaud,  fils  adultérin  de  Guillaume  Taillefer,  comte  d'Angoulème,  et 
son  successeur. 

(3)  Deutéronome,  XXIII,  a;  Baluze,  Capitularia,  l^co\.  981. 

(4)  Baluze,  Capiïa/aria,  II,  col.  362. 


EBLE  MANZER 


45 


celle  indignité  d'Eble  ne  lui  fui  pas  opposée.  Il  entrait  dans  les 
mœurs  du  temps,  mœurs  contre  lesquelles  les  inspirateurs  des 
capilulaires  cherchaient  à  réagir»  de  donner  h  l'enfant  naturel  la 
place  et  tous  les  droits  de  l'enfant  légitime  quand  celui-ci  taisait 
défaut  (1),  et  c'est  ce  qui  fit  qu'l:i^bie  fui  accueilli  sans  difficulté 
d'autant  plus  que  sa  reconnaissance  publique  par  son  père  sem- 
blait faire  de  lui  son  héritier  légal. 

Quoiqu'il  en  soit,  Ebleselrouvailjle  10  octobre  890,  à  Poitiers, 
au  milieu  d'une  nombreuse  assistance,  dans  laqui-lle  on  distin- 
guait le  comleAiraud(2)ellevicomle  Gamaufroy.  Acetle réunion, 
tenue  peut-être  peu  de  temps  après  la  mort  de  Renoul,  le  jeune 
comte,  mû,  semble-l-il,  par  des  sentiments  de  piété  qui  le 
faisaient  se  placer  sous  l'égide  de  saint  Martin  et  lui  demander 
son  intercession  pour  le  salut  de  son  âme,  pour  celle  de  son  père 
Renoul,  pour  celles  de  ses  oncles  Josbert  el  Eble  et  do  tous  ses 
parents,  fit  un  nouvel  arrangement  avec  les  chanoines  de  Sainl- 
Martin  de  Tours;  aussi  soucieux  que  son  père  de  ménager  ses 
intérêts  particuliers,  il  imita  son  exempK;  en  donnant  à  l'abbaye  le 
domaine  de  Coorcome,  mais  en  se  te  faisant  aussilùl  rétrocéder 
en  précaire,  elen  se  faisant  confirmer  dans  la  possession  de  ceux 
de  Doussais,  de  Celliers  et  de  Layré,dont  son  père  lui  avait  assuré 
la  survivance.  En  outre,  il  eut  la  précaution  de  faire  insérer 
dans  l'acte  non  seulement  la  réserve  de  ses  droits,  mais  encore 
de  ceux  des  enfants  qu'il  pourrait  avoir  d'Arembiirge,  avec  qui  il 
était  alors  fiancé  [3]. 


(i)  Le  eau  le  plus  remarquable  de  Tapiilicalion  de  ca  principes  que  l'on  puisse  cilcr 
&  l'époque  qui  nous  occupe  est  celui  d'Aruoul,  filti  iialurct  de  Cailomao,  roi  de  Ba- 
vière, qui,  après  avoir  succédé  à  sou  pore  sans  rfticoiilrer  d'obstacles,  fut  élu  roi  de 
Ucruiauie  eu  888,  eu  su  qualité  de  descendunl  des  ein)>i:reurs  carlovlui^iens  ;  puis, 
l'année  suivaule,  il  préseula  ses  deux  bAlards  aux  grands  de  son  royaume  el  obliat 
d'eux  qu'ils  les  rccouuallraicnt  cotnitie  sa  successeurs  s'il  uc  lui  naissait  pas  J'Iié- 
ritier  Ic^itiuie  {Favre,  Eudes,  comte  de  Paris,  p  loï,  noie  /j),  La  sociclé  rcUtçicuse 
aenioulraplus  sévère  à  l'égard  descufauta  illéiç^îlinics  el  c'est  ainsi  qu'au  comiiieuce- 
nienl  du  %\*  siècle  on  voil  les  njoines  do  Fleury-sur-Loirc  se  rcl'user  à  acce[iler  pour 
abbé  Goziiu,  tîls  naturel  d'Hugues  Cnpet  :  «  Nuleutcs  sibî  priecsse  tilium  scorli.  Eral 
eaitn  oobilissimi  Francoruin   ]*rincipis  fiiiua  munzcr  »  {Chron.  d'Adéinar,  p.  i(h), 

(a)  Ce  personnage,  dèsit^ué  dans  la  charte  sous  le  aonx  d'Ailruldus,  el  que  nous  ne 
pouvons  aulrcmcot  rattacher  au  Poituu,  pourrait  bien  être  le  mémo  que  le  comte 
Hildradag,  qui,  eu  868,  élail  le  compagnou  de  Geilun  et  des  comtes  Hcuoul  et  Jos- 
berU 

(3)  Mabille,  Pancarte  noire,  u"  xvu,  p.  tiS  ;  liesly,  Ilist.  de»  comtes,  preuves, 
p.  aog. 


46 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Cependant  un  oraf^e  menaçant  se  formait  contre  le  nouveau 
comte  de  Poitiers;  il  étail  jeune,  et  l'occasion  pour  le  di'pouillcr 
de  son  bel  héritage  était  par  (rop  tentante.  Celui-ci  était  envié  par 
doux  compélileurs  à  la  fois,  par  Robert,  le  frère  d'Eudes,  et  par 
Aymar,  le  filsd'Kmenon.  Du  vivant  de  Renoiil,  ce  dernier  n'avait 
pas  dissimulé  ses  appétits,  mais  il  avait  affaire  à  trop  forte  partie 
et  avait  dû  se  résignera  attendre,  peut-èlremême  fut-il  retenu  par 
Eudes,  qui  ne  voulait  pas  se  brouiller  ouvertement  avec  le  comte 
de  Poitiers.  Mais  les  circonstancesétaîent  tout  autres;  le  gardien 
disparu,  la  cage  s'élait  ouverte,  l'oiseau  avait  pris  sa  volée,  Charles 
s'était  enfui  du  Poitou  et  avait  été  se  réfugier  auprès  de 
Foulques,  archevêque  de  Heims,  qui  n^avait  cessé  d'ôlre  hostile 
au  roi  de  France,  considéré  par  lui  comme  un  usurpateur.  Ce  der- 
nier n'avait  plus  dès  lors  à  garder  déménagements,  aussi  laissa-t- 
il  faire.  Pour  le  même  motif,  il  dut  se  brouiller  avec  son  chance- 
lier, Eble,  le  frère  de  Renoul,  dont  la  haute  situation  excitait 
assurément  bien  des  envies, Celui-ci,  dontlaiidéîilé,  comme  celle 
de  beaucoup  de  grands  dignitaires  à  Tégard  d'Eudes,  était  toujours 
précaire  (1),  se  fit  le  champion  des  droits  de  son  neveu,  et,  d'accord 
avec  son  frère  Josberl,  il  entama  la  lutte  conlre  Aymar  à  la  fin 
de  l'année  891  ou  au  commencement  de  l'année  892.  On  en  ignore 
les  péripéties,  mais  son  caractère  changea  de  face  par  l'entrée 
d'Eudes  en  scène  (2).  Celui-ci,  quiltant  la  Flandre,  où  il  venait 
d'échouer  conlre  le  comle  Baudouin,  se  trouvait  à  Tours  le  13  juin 
892  (3).  Il  entrait  dans  son  caraclère d'employer  les  négociations 
avant  d'avoir  recours  aux  armes,  et  il  dut  faire  tous  ses  efforts 
pour  amener  l'abbé  Eble  et  son  frère  à  abandonner  la  cause  de 
leur  neveu.  Sur  leur  refus,  incité  par  Hobert,  qui  ambitionnait 
secrètement  le  comté  de  Poitou,  il  marcha  de  l'avant  et  s'empara 


(i)  Voici  le  jugement  que  porte  sur  lui  Abbon  datiB  sa  relalion  du  siège  de  Paris: 
0  c'élait  un  fameux  guerrier,  distinçué  par  ses  conDaissancesdans  les  lellres  et  propre 
à  loul  s'il  n'eût  élc  Irop  af^idc  de  richesses  el  tropabandotirii'  iiux  plaisirs  de  In  volup- 
té. »  {Guixot,  Coltecl.  de  Mémoires,  Vl,  p.  08;  Recueil  fies  hist.  de  France,  VIII, 
p.   a3.) 

{2)  Pcrlz,  Mon.  German.,  SS.  T,  p.  6oi^,  chron.  de  Rrc;tnon.  Cet  auteur,  ignoranl 
la  mort  de  Renoul,  joint  son  nom  h  celui  de  Josljcrl  el  d'Eble  lorsqu'il  dit  qu'en  832 
Eudes  se  rendit  en  Aquitiurie  pour  réprimer  le  mauvais  vouloir,  insolenlium,  de  cer- 
lains  personnages  qui  refusaient  d'oblenipérer  à  ses  ordres. 

(3)  Gidlia  christ.,  XIV,  instr. ,  col.  53  ;  Favre,  Eudes,  comte  de  Paris,  pièces  us- 
lif.j,  Qo  V,  p,  242. 


EBLE  MANZER  47 

de  Poitiers,  après  avoir  privé  Eble  de  sa  dignité  de  chancelier, 
dont  il  fit  don  à  Anskerick,  évêque  de  Paris  (1). 

Le  jeune  comte  Eble  ne  semble  pas  avoir  pris  une  part  active 
àtoutesces  affaires  du  Poitou.  Dèsqu'Aymar  eut  engagé  les  hos- 
tilités, il  s'était  retiré  auprès  de  Géraud,  seigneur  d'Aurillac,  per- 
sonnage qui  jouissait  alors  d'une  haute  notoriété  et  qui, plus  tard, 
ayant  abandonné  le  monde,  fonda  un  monastère  dans  sa  résidence 
et  fut  enfin  béatifié  (2).  Il  se  trouvait  à  la  cour  d'Eudes  lors  de 
la  mort  du  comte  de  Poitiers,  dont  il  était  l'ami;  Renoul  lui  recom- 
manda vivement  son  fils,  qui  ne  pouvait  trouver  un  plus  sûr  pro- 
tecteur. Aymar,  dont  les  capacités  militaires  sont  hors  de  doute, 
voulant  s'assurer  la  possession  définitive  du  Poitou  par  la  cap- 
ture de  son  compétiteur,  poursuivit  Eble  dans  sa  retraite  et, 
après  diverses  tentatives,  fit  le  siège  d'Aurillac  ;  il  y  échoua.  Son 
frère  Alleaume,  Adaieimus,  ayant  réussi  à  pénétrer  dans  la  ville 
pendant  que  Géraud  assistait  à  la  messe,  fut  à  son  tour  surpris 
par  les  hommes  du  seigneur  qui  fermèrent  derrière  lui  les  portes 
de  la  cité  ;  fait  prisonnier,  Alleaume  mourut  quatorze  jours 
après  (3).  Malgré  son  succès,  Géraud,  redoutant  de  ne  pouvoir 
résister  aux  attaques  combinées  d'Eudes  cl  d'Aymar,  confia  Eble 
à  son  puissant  voisin,  Guillaume  le  Pieux,  comte  d'Auvergne, 
qui  avait  avec  le  jeune  comte  de  Poitiers  des  liens  do  parenté  (4). 
Guillaume  était  assez  fort  pour  ne  pas  craindre  d'entrer  en  lutte 
avec  le  roi  de  France.  Comte  d'Auvergne  et  de  Velay,  marquis  de 
Gothie,  il  prenait  aussi  le  litre  de  duc  d'Aquitaine  depuis  la  mort 
de  Renoul.  11  rassembla  une  armée  et,  quand  Eudes  se  présenta 
pour  se  faire  livrer  Eble,  le  roi  trouva  devant  lui  les  troupes  de 

(i)  Anskerick  figure  comme  chancelier  dans  un  diplôme  d'Eudes  du  3o  septembre 
8ga  {Recaeil  des  hitt.  de  France,  IX,  p.  459).  I^es  hésitations  d'Eudes  ont  été  con- 
si^ées  par  les  annales  de  Saint- Vaast  (p.  345),  qui  rapportent  que  le  roi  se  de- 
manda s'il  se  remettrait  en  bons  termes  avec  les  deux  frères,  s'il  les  chasserait  du 
royaume  ou  les.ferait  mettre  à  mort.  C'est  à  cette  dernière  alternative  qu'il  semble  s'être 
résolu. 

(a)  Chron.  d'Adémar,  p.  i4o.  Les  Bollandistes  ont  relaté  tous  les  faits  relatifs 
à  Eble  dans  leur  introduction  à  la  vie  de  saint  Géraud  {Acta  Sanct.,  oclobr.,  VI, 
pp.  284  à  288),  mais  induits  en  erreur  par  D.  Vaissète,  ils  donnent  sur  ces  événe- 
ments des  détails  inexacts. 

(3)  Bolland.,  Acla  Sanctoram,  octobr.,  VI,  p.  3i2. 

(4)  D'après  le  tableau  généalogique  de  la  descendance  de  Gérard,comte  d'Auvergne, 
établi  par  M.  Mabille  (Le  royaume  et  Aquitaine,  p.  19),  Eble  aurait  été  parent  de 
Guillaume  d'Auvergne  au  ix«  degré. 


48 


LES  COMTES  DE  POITOU 


(iuillaiime.  Un  cours  d'eau  seul  les  séparait,  mais  au  inomenl  de 
livrer  bataille,  les  deux  adversaires,  se  voyant  à  peu  près  d'égale 
force  et  étant  incertains  du  résultat,  se  contentèrent  de  s'obser- 
ver (1).  Ces  faits  devaient  se  passer  vers  le  mois  de  septembre  ou 
d'octobre,  avunt  ou  après  le  séjour  d'Eudes  à  Cosne-sur-Loire,  où 
il  se  IrouvaiL  le  30  septembre  892  {'2).  Le  seul  acte  d'aulorilé  que 
put  accomplir  Eudes  fui  de  déclarer  Guillaume  dépourvu  de  tous 
ses  bénéfices  et  de  les  donner  à  Hugues,  comte  de  Bourges,  mais, 
après  le  dépari  du  roi,  Guillaume  se  jela  sur  ce  nouvel  adversaire 
qu'il  vainquit  et  tua  de  sa  main  (3j. 

Pendant  qu'Eudes  était  ainsi  occupé  en  Auvergne,  les  hostilités 
avaient  continué  en  Poitou  ;  l'abbé  Eble,  s'étaul  arrêté  à  faire  le 
siège  d'un  château  établi  dans  une  position  dilTicile,  y  fut  tué  d'un 
coup  de  pierre,  le  2  octobre  (4);  quant  à  Josberl,  qui  attendit 
l'arrivée  des  troupes  royales,  il  fut  assiégé  dans  un  de  ses  châ- 
teaux et  péril  dans  l'attaque  (5).  Le  roi  n'avait  pas  dès  lors  quitté 
le  Berry  où,  sur  ta  demande  des  évêques  et  des  grands  seigneurs 
du  nord  de  la  France,  qui  chaque  année  avaient  eu  à  pourvoira 
l'entretien  de  sa  cour  et  de  son  armée,  ilavuil  tout  d'abord  résolu  de 
prendre  ses  quartiers  d'hiver  (6).  C'est  au  milieu  de  ce  repos  qu'il 
fut  surpris  par  la  nouvelle  que  Charles  le  Simple  avait  été  cou- 
ronné roi  de  France  le  28  janvier  803  par  Foulques,  archevêque 
de  Reims,  dans  la  basilique  de  Saitil-Hemi  (7).  Ce  prélat,  l'âme 
de  cette  entreprise,  s'était  assuré  des  adhérents  en  Aquitaine,  k 


(i)  Rec.  des  hist.  Je  tmnce,  VIII,  p.  a5,  Abboo. 

(2)  liée,  des  hisl,  de  France,  IX,  p.  /JSy;  dîplilme  di'liudcs  en  fiiveur  du  iiioûas- 
lére  de  MonlicrMiuey. 

(ij  Hec.  des  hisl.  de  France,  VIII,  p.  u5,  Abbuu. 

(4)  D'après  Besly  [I/isi.  des  comtes,  p.  3i),  le  cbùleau  devant  hquel  aurait  auo- 
coiiibc  lible  sérail  ctlui  de  Brillai;  en  Poilou.  Ili-jT»uoa  fixe  tl  raDnée  S<j3  la  niorl  de 
l'abbc  de  Sainl-Dciiis  {l'ccli.  Mon.  Germ.,  SS,,  1,  [>.  0o5),  mais  1»  date  précise  du 
3  oclobrc  (le  vi  des  nuacs  d'ocLobre),  inscrite  dans  le  uccrc»Iuge  de  Tabbayc  de  Suiiit- 
Geruiaiu  dch-l'rés  (Bcsiy,  f/ist.  des  comtes,  prcuvtjs,  p.  aui),  rappniciiéedca  circons- 
lauccâ  de  la  vie  d'Eudes  (jue  nous  avons  relatées,  ne  penttet  pus  de  s'tiirêler  à  cetle 
dalf ,  et  doit  faire  adupler  celle  de  892  fournie  par  les  annales  de  S;*inl-V'aa8l.  Les 
IlollaudiMes,  dans  leur  iulrodnction  à  lu  vie  Je  bamt  Géruud  (Acta  Stmct.f  octobr. 
VI,  p,  iiSO),  supposent,  sans  plus  de  raison  que  13esly,  que  le  château  devanl  le<juel 
périt  l'abbi  Kblc  est  Loudun,  Luudnnense  custrum.  {Voy.  aussi  l'êlojje  d'Eble  dan» 
ll/istoire  des  ministres  d'État,  par  Charles  d'Auleuil,  Paris,  iG4ï.) 

(â)  Ann.  de  Saint-V^aasi,  p.  345;  Pertz,  Mon.  Germ.,  SS.,  1,  pp.  Co4  el  6o5, 
cbron.  de  Koiyfinou. 

(G)  Ann.  de  Saint-Vaasl,  p.  344- 

(7)  Hec.  des  hist.  de  France,  IX,  p.  ^ùi. 


EBLE  MANZER  4g 

savoir  Guillaume  d'Auvergne,  Richard  d'Autun  et  enfin  Aymar, 
qui,  après  Pâques,  étaienl  venus  avec  une  armée  considérable 
rejoindre  l'archevêque  de  Reims  et  le  comte  de  Vermandois,  le 
tuteur  de  Charles (1). 

Aymar  avait  été  frustré  dans  ses  espérances.  Il  avait  pu  croire, 
lors  de  la  prise  de  Poitiers  par  les  troupes  du  roi,  que  celte 
ville  lui  serait  remise;  il  n'enfui  rien.  Eudes,  sans  tenir  compte 
des  services  que  le  fils d'Emenon  lui  avait  précédemment  rendus, 
oubliant  que  c'était  à  sa  sollicitation  qu'il  était  venu  en  Poitou, 
uniquement  pour  lui  porter  aide,  jugea  que  ce  qui  avait  été  bon  à 
prendre  était  bon  à  garder  et  donna  le  comté  à  son  frère  Robert. 
Mais  Aymar  n'était  pas  homme  à  se  laisser  ainsi  dépouiller.  Pen- 
dant que  l'attention  d'Eudes  était  attirée  sur  ce  qui  se  passait  au 
nord  de  ses  états,  il  tenta  une  attaque  de  nuit  contre  les  troupes 
royales  préposées  à  la  défense  de  Poitiers,  les  surprit,  en  massa- 
cra une  partie  et  s'empara  de  la  ville,  oîiil  s'installa  en  maître  (2). 
Ces  événements  durent  surprendre  Eudes  et  lui  donner  à  réfléchir, 
et  il  ne  faut  pas  chercher  ailleurs  les  motifs  de  son  peu  d'em- 
pressement à  répondre  à  la  levée  de  boucliers  de  Charles  le 
Simple  et  de  ses  adhérents,  et  comment  il  se  fit  qu'il  n'entreprit 
une  campagne  contre  lui  que  dans  le  milieu  de  l'été  de  893, 
c'est-à-dire  six  mois  après  son  couronnement.  Il  ne  pouvait  laisser 
derrière  lui  une  Aquitaine  hostile  et,  pour  chasser  ce  péril  immi- 
nent, il  fit  appel  à  tous  ses  talents  de  négociateur  :  ils  réussirent, 
et,  sans  effusion  de  sang,  il  amena  les  confédérés  aquitains  à 
retourner  chez  eux.  La  paix  étant  faite  avec  Aymar,  il  put  ensuite 
poursuivre  sans  inquiétude  ses  pérégrinations  dans  les  contrées 
qui  étaient  plus  ou  moins  soumises  à  l'influence  de  ce  comte.  Il 
se  rendit  d'abord  en  Limousin,  puis  dans  l'Angoumois,  qui  était 
en  la  possession  d'Audouin,  fils  de  Wulgrin,  où  il  mit  toutes  choses 
en  ordre;  enfin  il  gagna  le  Périgord,  que  tenait  Guillaume,  frère 
d'Audouin  et  père  de  Sanche,  la  femme  d'Aymar,  et  où,  s'occu- 
pant  avec  zèle  des  intérêts  communs  des  nobles  de  la  région,  il 


(i)  Ann.  de  Saint-  Vaasl,  p.  346.  En  898,  la  fête  de  Pâques  tomba  le  8  avril. 

(2)  Hec.  des  hîst.  de  France,  VIII,  pp.  24  et  25.  Abboa,  qui  rapporte  ce  fait,  dit 
que  la  surprise  de  Poitiers  eut  lieu  pendant  le  sommeil  d'Eudes,  mais  on  peut  prendre 
cette  iadicatîoQ  d'un  poète  au  »ens  figure. 

4 


t.o  LES  COMTES  DE  POITOU 

régla  avec  équité  les  différends  qui  existaient  entre  eux(l).  Eudes 
quitta  ensuite  les  pays  d'Aquitaine;  le  28  mai  893,  il  se  trouvait 
à  Chalon-sur-Saône,  où  il  avait  dû  se  rendre  pour  ramener  à 
lui  le  comte  d'Autun  et  d'où,  à  la  requête  de  son  frère  Kobert, 
qualifié  de  comte  et  de  marquis,  il  donna  à  l'abbaye  de  Cormery, 
enTouraine,laterre  de  Nueil-sous-Faye  qui  faisait  partie  de  son 
propre  domaine  (2). 


VII.— AYMAR 

(892-902) 

Il  ne  semble  pas  qu'il  soit  possible  de  refuser  à  Aymar  le  titre  de 
comte  de  Poitou  bien  que  l'on  ne  possède  aucun  acte  qui  lui  attribue 
cette  qualité  (3)  ;  il  était  de  fait  possesseur  du  comté  ou,  du  moins,  de 
Poitiers  et  cela  suflisait  sans  doute  à  son  ambition.  La  lutte  d'Eudes 
contre  Charles  le  Simple, commencée  en  893, duratoutel'année  894, 
elle  roi  ne  put  pendant  ce  temps  s'occuper  des  affaires  de  l'Aqui- 
taine ;  enfin,  dans  le  courant  de  l'été  de  895,  désireux  de  prendre 
quelque  repos,  il  se  rendit  à  Tours,  où  il  se  trouvait  le  17  juillet, 
sans  doute  à  la  sollicitation  de  son  frère  Robert  (4).  C'est  alors  que 
durent  se  régler  définitivement  les  droits  prétendus  par  ce  der- 
nier et  par  Aymar  à  la  possession  du  comté  de  Poitou.  Aymar 
garda  le  comté,  mais  il  lui  fallut  abandonner  à  son  concurrent 
d'importants  domaines,  précédemment  possédés  par  le  jeune  Eble 

(  1  )  Richer,  Histoire,  I,  1 2. 

(2)  Curtul.  de  Cormery,  p.  67.  Le  dipli^nie  d'Eudes  est  inexactement  daté  par  l'é- 
diteur de  celte  publication  <}ui  le  place  en  892  ;  or,  la  date  inscrite  sur  cet  acte  est 
celte  du  5  des  calendes  de  juin  de  la  sixième  année  du  règne  d'Eudes,  ce  qui  répond 
au  28  mai  898.  Les  renscigaemenls  fournis  par  les  chroniqueurs  sur  le  séjour 
d'Eudes  en  Aquitaine  sont  lelicmcnt  confus  qu'il  est  à  peu  près  impossible  d'en  établir 
la  chronologie  exacte.  Toutefois,  on  peut  assurer  que  les  faits  rapportés  se  sont  passés 
outre  le  3o  septembre  892  et  le  28  mai  8j3,datcsccrta>ncs  de  la  présence  d'Eudes  dans 
ces  régions,  fournies  par  des  diplômes  royaux  (/{ce.  des  hist.  de  France,  IX,  p.  46i)- 

(3)  Dans  les  textes  anciens,  il  est  désigné  sous  les  noms  A'Adamaras  (Rcdcl,  Doc. 
pour  Sairil-Hilaire,  I,  p.  16),  d'//adumiirus  {A/m.  de  Sainl-Vaasf,  p.  34t3),  d'Ade- 
marus  {Chron.  d'Adémar,  p.  i4o);  Besly  l'appelle  Aymar  (//isl.  des  comtes,  p.  3i). 

(4)  /iec.  des  Jtist.  de  France,  IX,  p.  464  ;  diplôme  d'Eudes. 


AYMAR  5i 

et  particuiièremenl  la  lerre  de  Doussais,  que  Robert  restitua 
solennellement  aux  chanoines  de  Sainl-Martin  de  Tours,  le 
27  mars  897,  jour  de  Pâques(l).Quantà  l'abbaye  deSaint-IIilaire, 
le  puissant  bénéfice  qui  avait  servi  aux  rois  de  France  à  diverses 
reprises  pour  rémunérer  de  précieux  services,  elle  se  trouvait 
sans  titulaire  depuis  la  mort  de  l'abbé  Eble  en  892  ;  les  deux 
compétiteurs  ie  mirent  d'accord  pour  proposer  au  roi  de  l'attri- 
buer à  Egfroijévêque  de  Poitiers,  dont  les  bons  offices  avaient  dû 
amener  le  rapprochement  qui  s'était  fait  entre  eux  ;  mais  Eudes, 
tout  en  acquiesçant  à  leur  demande,  laissa  indécise  la  question 
de  possession  du  comté  ;  dans  son  diplôme,  il  ne  donna  à  aucun 
d'eux  le  titre  de  comte,  il  les  appelle  seulement  ses  fidèles  et 
des  marquis  dévoués  (2).  11  est  possible  qu'Eudes  ait,  en  outre, 
laissé  à  Aymar  la  jouissance  du  comté  de  Limoges,  soit  qu'il  ait 
été  enlevé  par  celui-ci  aux  comtes  de  Toulouse,  qui  le  possédaient 
encore  en  887  (3),  soit  qu'Aymar  l'ait  échangé  avec  Eudes  de 
Toulouse  contre l'Agenais  qui,  après  la  mort  de  Wulgrin,  en  886, 
était  tombé  dans  le  lot  de  Guillaume, beau-père  d'Aymar  (4).  Quoi 
qu'il  en  soit,  ce  dernier  était  reconnu  dès  898  comme  comte  de 
Limoges.  Au  mois  de  novembre  de  cette  année,  il  se  trouvait  dans 
l'abbaye  de  Beaulieu  en  Limousin,  oîi  il  assista  à  la  donation  de 
l'église  de  Condat,  en  Quercy,  faite  par  un  particuher  à  cette 
abbaye  ;  le  donateur,  Godefroy,  et  sa  femme  Godilane  imposèrent 
dans  l'acte,  au  bas  duquel  le  comte  Aymar  apposa  sa  signature, 
l'obligation  pour  les  moines  de  prier  pour  eux  et  pour  le  comte  (5). 
Toutefois  il  est  bien  possible  que  ce  dernier  ne  soit  véritablement 


(i)  Mabille,  Pancarte  noire, a?  lv,  p.  94;  Martène,  Thés.  nov.  anecd.,  I,  col.  56. 

(3)  Hédet,  Doc.  poar  Sainl-Hilaire,  l,  p.  16;  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Saint- 
Hilaire,  n*  g.  La  partie  inférieure  de  ce  diplôme  ayant  été  mutilée,  la  date  a  disparu, 
mais  elle  peut  être  établie  approximativement  par  la  meotion  du  chancelier  Gautier, 
archevêque  de  Sens,  qui  succéda  à  Anskerick,  au  commencement  de  l'année  894. 

(3)  La  domination  des  comtes  de  Toulouse  sur  le  Limousin  est  bien  constatée  de- 
puis le  milieu  du  ix*  siècle  jusqu'à  l'annce  887  ;  à  partir  de  cette  date,  les  chroniques 
aussi  bien  que  les  cartulaires  de  la  région  ne  font  plus  mention  d'eux  en  celte  qualité 
de  comtes  de  Limoges  ;  le  dernier  acte  où  leur  nom  apparaisse  est  la  vente  de  la  villa 
du  Saillant  faite  par  le  comte  Eudes  et  sa  femme  Garsinde  a  Froticr,  archevêque  de 
Bourges,  lequel  en  fit  cadeau  à  l'abbaye  de  Beaulieu,  au  mois  d'août  887,  en  présence 
d'Egfroî,  évéque  de  Poitiers  {Cari,  de  Beaulieu,  éd.  Deloche,  p.  24). 

(4)  La  possession  de  l'Agenais  par  Guillaume,  comte  de  Périgurd,  fils  de  Wulgrin, 
est  indiquée  à  diverses  reprises  par  Adémar  {fihron,,  pp.  137,  i38,  198). 

(5)  Cart,  de  Beaulieu,  p.  61. 


52  LES  COMTES  DE  POITOU 

entré  en  jouissance  du  pays  qu'après  la  mort  d^Eudes,  qui  avait  pu 
avoir  l'intention  de  réunir  le  Limousin  à  ses  domaines.  Il  est  un  fait 
qui  témoigne  de  cette  mainmise  absolue  du  roi  sur  le  pays,  bien 
plus  complète  que  sur  le  Poitou,  c'est  que  l'atelier  de  Limoges,  sur 
l'ordre  du  roi  de  France,  frappa  monnaie  en  son  nom,  tandis  qu'il 
n'ya  pas  trace  de  ce  nom  d'Eudes  sur  les  monnaies  du  Poitou  (1  ). 
En  ce  moment,  Charles  le  Simple  était  monté  sur  le  trône  : 
Aymar  avait  reconnu  son  autorité  et  il  pouvait  dès  lors  se  consi- 
dérer comme  possesseur  incontesté  du  Poitou  ;  mais  flble  n'avait 
pas  renoncé  à  l'héritage  paternel.  A  l'exemple  de  ce  qu'avait 
fait  son  compétiteur,  il  agit  par  surprise  :  une  nuit  de  l'année 
902,  profitant,  sans  nul  doute,  de  l'absence  d'Aymar,  il  pénétra 
dans  Poiliers  et  se  rendit  maître  de  la  ville  ;  cet  acte  fut  le  prin- 
cipal épisode  de  la  lutte  qui  reprenait  enlre  eux.  Vaincu,  Aymar 
dut  se  résignera  rentrer  dans  la  vie  privée  et  se  fixa  en  Périgord. 
Bien  que  les  chroniqueurs  ne  s'occupent  plus  de  lui  jusqu'au  mo- 
ment de  sa  mort,  il  est  peu  présumable  qu'il  soit  resté  étranger 
aux  événements  qui  se  sont  déroulés  pendant  cette  époque  si 
troublée  et  dont  les  faits  principaux  sont  seuls  parvenus  jusqu'à 
nous.  On  doit  même  admettre  qu'après  la  mort  de  son  oncle 
Audouin,  le  comte  d'Angoulême,  arrivée  le  27  mars  916,  lequel 
ne  laissait  qu'un  jeune  enfant,  Guillaume,  surnommé  plus  tard 
Taillefer,  il  a  pris  de  gré  ou  de  force  l'administration  de  ce 
comté  (2).  Ce  qui  pourrait  faire  croire  que  ce  fut  par  violence, 
c'est  que,  peu  après,  Lambert,  vicomte  de  Marcillac,  et  son  frère 
Arnaud,  vassaux  du  comte  d'Angoulême,  tentèrent  d'assassiner 
Sanche,  la  femme  d'Aymar.  Celle-ci  échappa  à  leurs  coups  ;  Ber- 
nard, son  frère,  qui  fut  plus  tard  comte  de  Périgord,  se  chargea 
de  venger  cette  injure.  Il  poursuivit  les  coupables  et,  s'étant  emparé 
d'eux,  il  les  fit  mettre  à  mort,  le  10  avril  91 S  (3).  Or,  ceux-ci  lais- 
saient un  autre  frère,  Odolric  ou  Horric  à  qui  Guillaume  Taillefer 

(i)  Eag^el  el  Serrure,  Numismatique  da  moyen-âge,  I,  pp.  248  et  a^O- 
(2}  Od  peut  tirer  un  indice  de  rimporlance  du  rôle  joué  par  Aymar  daas  les  affaires 
de  l'Angoumois  de  ce  fuit  que  la  date  de  sa  mort  a  été  notée  par  la  chronique  d'An- 
goulême qui,  en  dehors  des  évêques,  ne  cite  que  les  comtes  de  ce  pays,  et  elle  le  fait 
dans  la  même  forme  concise  :  «  DCCCCXXX.  Quarto  nonas  apriiis  Adcmarus  cornes 
oblil  »  {Chron.  Enr/olism.,  p.  8). 

(3)  Chron,  Engrolism,,  p.  8,  et  I/ist.  pontif.  et  com.  Engolism.,  p.  ai;   Chron. 
d'Adémar,  pp.  i38,  i45,  198  et  200. 


AYMAR  53 

rendit  plus  lard  la  vicomte  de  Marcillac.  On  peut  se  demander 
si,  en  agissant  ainsi,  le  comte  d'Angoulême  cédait  à  un  sentiment 
de  pitié  ou  bien  s'il  prenait  le  contre-pied  des  actes  d'Aymar  et 
de  Sanche. 

Aymar  mourut  le  2  avril  926  et  fut  enterré  à  Saint-IIilaire  de 
Poitiers,  ce  qui  témoigne  qu'à  celte  époque  il  était  totalement 
réconcilié  avec  Eble  (1).  Il  ne  laissa  pas  d'enfants.  Sa  femme, 
qui  mourut  à  Angoulême  et  fut  inhumée  dans  l'église  de  Saint- 
Cybard  (2),  était,  comme  lui,  d'une  piété  extrême  ;  aussi  les  deux 
époux  purent-ils,  sans  craindre  de  voir  contester  leurs  dernières 
volontés,  se  montrer  très  généreux  envers  l'Église.  Cinq  grandes 
abbayes  reçurent  d'eux  d'importants  domaines,  tous  situés  sur 
les  confîns  du  Poitou,  de  la  Saintonge  et  de  l'Angoumois;  ils 
donnèrent  Vouharte  à  Cliarroux,  Mouton  à  Saint-Martial  de 
Limoges,  Gourville  à  Saint-Cybard  d'Angoulême,  Néré  à 
Saint-Jean  d'Angély  et  Courcôme  à  Saint -Hilaire  de  Poi- 
tiers (3).  La  présence  de  ce  dernier  domaine  entre  les  mains 
d'Aymar  vient  à  point  pour  attester,  à  défaut  de  tout  autre  témoi- 
gnage, l'existence  des  bons  rapports  qui  se  sont  établis,  à  un 
moment  donné,  entre  lui  et  Eble.  On  se  rappelle  que  ce  dernier 
avait  concédé  en  890  l'alleu  de  Courcôme  à  Saint-Martin  de 
Tours,  mais  qu'il  s'en  était  réservé  la  jouissance  par  un  acte  de 
précaire;  quand  il  fut  évincé  du  Poitou,  en  893,  toutes  ses  posses- 
sions passèrent  naturellement  entre  les  mains  d'Aymar,  qui  les 
perdit  à  son  tour  en  902  et  qui,  par  suite,  ne  pouvait  détenir  Cour- 
côme à  sa  mort  que  par  un  don  particulier  d'Eble  (4). 


(i)  Chron.  (TAdémar,  pp.  i45  et  201.  Lîi  chronique  d'ADjjouIême  fixe  à  l'année 
gSo  la  mort  d'Aymar,  mais  il  paraît  plus  sur  de  s'en  rapporter  à  la  chronique  d'Adé- 
mar  qui,- à  deux  reprises  différentes,  le  fait  succomber  dix  ans  après  le  comte  d'An- 
goulême, Audouin,  lequel  mourut  certainement  en  g  16. 

(2)  La  chronique  d'Adémar  (p.  i45),qui  relate  la  mort  de  Sanche,  dit  qu'elle  eut  lieu 
le  2  des  nones  d'avril  (4  avril),  sans  indiquer  l'année. 

(3)  Bien  que  le  texte  de  la  chroniqucd'Adén)ar  qui  rapporte  ces  donations  dise  qu'elles 
furent  le  fait  d'Aymar,  et  provenaient  de  son  domaine  privé,  de  jure  proprio  (pp. 
i4i  et  igg),  il  nous  parait  rationnel  d'y  faire  participer  Sanche,  ù  qui  Aymar  avait  dû 
constituer  un  douaire  sur  ses  propres  biens. 

(4)  L'abbaye  de  Saint-Martin  de  Tours  ne  rentra  jamais  en  possession  de  Courcôme  ; 
il  n'est  même  pas  sûr  que  l'abbaye  de  Saint-Iiilaire  ait  été  appelée  à  jouir  de  la  dona- 
tion d'Aymar,  car,  au  milieu  du  xe  siècle,  les  comtes  de  Poitou  étaient  encore  en  pos- 
session de  cet  alleu  qui  fut  donné  à  Saint-Hilaire  par  Guillaume  Fier-à-Bras  (Rédet, 
Doc.  pour  Saint-Hilaire,  I,  p.  44). 


54  LES  COMTES  DE  POITOU 

Avec  Aymar  s'éleignil  la  descendance  d'Emenon  qui,  pondant 
quatre-vingts  ans,  fut  une  menace  perpc'^luelle  pour  la  dynastie 
fondée  par  Renoul  1  et  dont  la  disparition  assurait  à  celle-ci  la 
possession  incontestée  du  Poitou. 


VI  bis.  —  EBLE  ponr  la  seconde  fois 
(902-935) 

Le  coup  de  main  d'Eble  ne  devait  pas  lui  susciter  de  difficultés 
du  côté  du  roi  de  France.  Aymar  avait  perdu  son  plus  fort  appui 
dans  Eudes,  décédé  quatre  ans  auparavant,  et  Charles  le  Simple 
ne  pouvait  voir  qu'avec  satisfaction  un  membre  de  cette  famille 
d'Auvergne,  qui  lui  était  si  dévouée,  administrer  l'important 
comté  de  Poitou.  Reconnu  par  le  roi,  soutenu  par  son  parent 
Guillaume  le  Pieux,  Eble  porta  tous  ses  soins  à  consolider  son 
autorité. 

11  avait  d'abord  à  récompenser  les  dévouements  personnels 
grâce  auxquels  il  avait  pu  rentrer  dans  son  héritage.  Les  béné- 
fices laïques  ou  ecclésiastiques  à  sa  disposition  furent  par  lui  dis- 
tribués à  SOS  fidèles  ;  toutefois,  comme,  parmi  ces  derniers,  il  s'en 
trouvait  ci  qui  l'octroi  de  domaines  ou  de  sommes  d'argent  ne 
pouvait  suffire,  à  ceux-là  il  conféra  des  dignités.  Jusqu'alors  le 
Poitou  n'avait  compté  qu'un  seul  vicomte,  qui  résidait  h  Thouars, 
et  dont  la  charge  avait  fini  par  devenir  héréditaire  (1).  Eble 
en  créa  doux  autres  :  l'un,  Maingaud,  qui  fut  placé  à  Aunay  ; 
l'autre,  Alton,  à  Molle  (2).  La  situation  d'Aunay  était  très  impor- 


(i)  Le  premier  vicomte  que  Ton  puisse  aUribuer  à  Thouars  est  Geoffroy,  qui  assiotc 
en  ceUe  qualité  à  une  donation  de  biens  faite  en  août  876  h  l'abbaye  de  Saînt-Jouio- 
de-Marnes  (Grand maison,  Carlnl.  rie  Sainf-Joiiin,  p.  12);  toutefois,  on  ne  saurait  af- 
firmer qu'il  se  rattache  directement  à  ses  successeurs.  On  trouve  après  lui  Savari,  qui 
est  présent  en  juillet  90^  à  une  vente  de  biens  faite  près  de  Saint-Maixent  (A.  Richard, 
Chartes  de  Saint -Muixent.  I,  p.  18),  et  qui,  jusqu'ici,  paraît  ôlrc  la  tige  de  dépari 
des  vicomtes  héréditaires  de  Thouars. 

(2)  Ces  d"ax  vicomtes  assistent,  le  i4  mai  904,  à  un  plaid*  tenu  par  Eble,  dans  la 
ville  de  Poitiers  (De  Lasleyrie,  Etude  sar  les  comtes  de  Limngex,  p.  106)  ;  le  nom 
d'Alton  est  accompairac  de  la  qualification  de  vicomte  de  Melie   dans  un  autre  plaid 


EBLE   >[ANZER  ôfi 

lante.  Celle  ancienne  localilé  romaine,  posée  sur  la  grande  voie 
de  Poiliers  à  Saintes,  à  quelques  pas  de  la  frontière  de  la  Sain- 
longe,  étail  tout  indiquée  pour  devenir  un  poste  de  surveillance. 
Quant  à  Melle,  c'était  encore  le  centre  monétaire  du  Poitou  ; 
les  produits  de  seâ  mines  et  de  son  atelier  entraient  pour  une 
large  part  dans  les  revenus  du  comte  de  Poiliers.  à  qui  celte 
ressource  spéciale  permettait  de  se  livrer  à  ces  dépenses  pour 
lesquelles  l'argent  immédiatement  disponible  est  une  nécessité. 
Eble  ne  crut  pas  trop  faire  pour  celui  de  ses  (idMes  qui  avait  la 
garde  et  peut-être  la  gérance  de  ce  précieux  domaine.  C'est  dans 
les  siens  queSavari,  le  vicomte  de  Thouars,  fui  principalement 
récompensé  ;  son  frère  Aymar  reçut  l'abbaye  de  Sainl-Maixent 
et  son  autre  frère  Aimeri  l'avouerie  de  la  même  abbaye  (1)  ; 
une  seule  famille  possédait,  par  ce  moyen,  la  plus  grande  partie 
des  revenus  de  ce  puissant  établissement.  Undes  fidèlps  du  comte, 
Ebbon,  fut  pourvu  de  l'abbaye  de  Saint-Paul  de  Poiliers  (2)  et 
d'autres  largesses  furent  répandnessur  tous  ces  grands  du  Poitou, 
sur  ces  autres  fidèles  que  l'on  voit  se  presser  autour  du  comte 
lors  de  la  tenue  de  ses  plaids  (3).  Ses  générosités  furent  sûrement 
nombreuses,  car  ce  n'élaient  pas  seulement  des  dévouements 
d'un  jour  qu'il  convenait  de  s'assurer.  Jusqu'à  ce  qu'il  fût  bien 
établi  qu'Aymar  n'était  plus  àredouter,  on  pouvait  toujours  crain- 
dre de  sa  part  un  retour  offensif.  11  ne  semble  pas  s'être  produit, 
et  pourtant  le  pécule  qu'il  avait  abandonné  était  beau.  En  dehors 
du  Poitou,  son  domaine  patrimonial,  qu'Eble  avait  enlevé  à  son 
adversaire,  il  l'avait  encore  dépouillé  du  Limousin,  dont  il  est 


d'Eble,  d'avril  907  (Arch.  de  la  Vienne,  ori!r.,NoaiIlc,  n*  20  :  Hcslv.  Ifist.  des  comtes, 
preuves,  p.  224) . 

(i)  A.  J\ichard,  Chartes  ile  Sainl-.Vni.renI,  introd.,  I,  p.  lxiv.  Aymar  anrait,  selon 
la  chronique  de  Saint-Maixent  {p.  '6-j'M,  possédé  l'abbaye  dès  «)o3. 

(2)  Voy .  l'acle  d'échansfc  de  biens  passé  au  mois  de  m.irs  y23  entre  Ilolliard,  abbé 
de  Noaillé,  el  Eble,  comte  de  Poitou,  ce  dernier  agissant  pour  le  compte  de  l'abbaye  de 
Saint-Paul  que  possédait  en  bénéfice  son  vassal  Ebbon  (Arch.  de  la  Vienne,  orisc., 
Noaillé,  n"  3o;  llesly,  Ilist.  des  vomies,  preuves,  p.  221). 

(3)  On  connail  l'existence  de  quatre  plaids  tenus  par  le  comte  Eble:  en  go/j,  \!\  mai 
[De  L»sieyTte,  Etude  sur  les  comfes  (if /^imo(/es,  p.  loG);  en  907,  avril  (Arch.  delà 
Vienne,  oritf.,  Noaillé, no  20;  Hesly,  Jiist.  des  co//i/ra,j)reuves,  p. 22'|)  :  en  f(25,  28  avril 
(A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Mai.retit.  I.p.sS)  ;  en  f)2G,  21  mai  (l>rsly,  Ilist.  des 
comtes,  preuves,  p.  218).  On  y  constate  la  préseure,  parmi  les  très  nobles  hommes, 
vassaux  du  comte,  des  vicomtes  de  Thouars,  de  Melle,  d'Aunay  et  de  Limoges,  de 
jages,  aaditores  et  arnannenses,  et  de  vicaires  ou  vie^uiers. 


56 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


reconnu  comte  dès  904,  c'esl-à-dire  deux  ans  seulemenl.  après 
la  reprise  du  Poitou.  Le  14  mai,  Eble,  enlouré  des  grands  du 
pays,  parmi  lesquels  on  remarquait  les  vicomtes  Maingaud  el 
Alton,  i'audileur  Bi'gon,  l'amuian  ïîomaire,  tenait  un  plaid  à  Poi- 
tiers. Devant  lui  se  pn^senta  Galon,  avocat  du  monastèro  de 
Nouaiilé,  qui  demanda  justice  contre  Audebert,  vicomte  de 
Limoj;es,  lequel,  par  cupidité,  avait  enlevé  aux  moines  la  forèl 
de  Notre-Dame  de  Bouresse.  Audeberl,  qui  élait  présent,  après 
avoir  entendu  les  dépositions  des  témoins,  reconnut  son  tort  et 
rendit  à  l'abbaye  son  bien  usurpé  (1). 

Pendant  ie  temps  qu'Aymar  avait  possédé  le  Poitou,  sa  bra- 
voure bien  connue  le  rendant  redoutable  à  ses  adversaires,  le 
pays  si  fatigué  avait  pu  respirer.  L'occupation  inopinée  de  Poiliers 
par  Eble  ne  changeait  rien  à  la  siluation.  Néanmoins,  le  calme 
n'existait  pas  dans  le  sens  absolu  du  mot,  les  Normands  restant 
loujouis  pour  les  populalions  à  l'étal  de  menace  permanente.  Kn 
897,  ils  avaient  encore  commis  de  noiiibreuï^es  déprédations  dans 
la  région  (2),  mais  en  90!1  leur  ex|H'Mlition  prîl  presque  le  carac- 
tère d'une  invasion.  Ilsremontèrenl  la  Loire  els'empai'L'rcntencore 
une  fois  des  villes  de  Nantes  el  d'Angers  ;  puis  ils  se  porlèrenl 
sur  Tours,  où  ils  brûlèrent  l'église  et  le  monastère  de  Saint- 
Martin;  mais  ne  purent  emporter  la  ville  (3).  La  rive  gauche  du 
llouve  ne  resia  certainement  pas  indemne.  Toulelbis,  cet  élat  do 
trouble  n'existait  qu'au  nord  du  Poitou,  la  Iranquillité  régnait 
au  centre.  On  en  a  la  preuve  par  la  détermination  que  prirent 


{i)De  Lasteyrie  {Elude  sur  les  comtes  de  Li/n'M/Px.p. loù).  Dans  ce  savant  ii)éinoire, 
M.  de  Lasli-yrie  déclari-  (pp.  4o  et  4i)  qu'il  rL-unucii  à  expliquer  coinuieal  il  se  fait 
que  le  LiniDusici,  possession  cerlaioe  des  conilcs  de  Tmilouse  60887,  se  trouve,  au 
conmu'nceiiieiit  du  x^  siècle,  aux  tnaîiis  d'un  conite  de  l'oilou.  Il  hasarde  toutefois 
cette  .supposition  (|ue  ce  chao^^cmcal  a  pu  se  [moduire  après  l.t  mort  d'Eudes,  comte 
de  Toulouse  en  g  18,  et  que  le  roi  de  Fran<:eaura  dè(iu->i3édé  le;»  héritiers  d'Eudes  pour 
donner  le  Lirnoasin  à  son  fidèle  le  comte  de  Poitou.  Cette  sup[iosition  est  absolument 
f^raluite  el  u'a  pour  elle  que  ce  que  Ton  sait  des  façotis  d'agir  des  rois  de  cette  épo- 
que. Nous  ne  s.ivonsi  pour  quel  motif  .M.  de  Lasteyrie  ne  nicntiooao  pas  la  charte  de 
Beaulieu  de  8y8  qui  nous  appreuil  qu'à  celle  date  Aymar  était  comte  de  Limog'cs;  si 
n  ce  fait  l'on  joial  le  plaid  de  4joj,  teau  seulement  six  ans  après,  duquel  il  résulte 
4ju'.\udebcrt,  en  venant  se  présealer  devant  le  conile  de  l'oiliers  comme  son  juslicca- 
hlc,  recoiioiill  par  ce  fait  sa  suzeraitielc,  il  nous  sernlil*;  i[irii  défaut  de  tout  argumcnl 
contraire  on  peut  l'aire  remonter  aux  dernières  aunécs  da  j.x«  siècle  la  prise  de  pos- 
session du  Limousin  par  les  comtes  de  Poitou. 

(2)  Ann.  de  Saint-Berlin,  p,   355,  Saiut-V'aasl. 

i'i)  Chron,  de  Touruine,  éd.  Saliiiuu,  pp.  107  et  loS. 


EBLE    MANZER 


5? 


en  908  los  moines  de  Chanoux  de  rapporter  dans  leur  monas- 
tère le  bois  de  la  Vraie  Croix  et  les  ornements  précieux  de  leur 
église,  qu'à  la  fui  du  siècle  précôdenl,  par  crainte  des  Normands, 
ils  avaient  mis  en  sûreté  à  Angoiilème.  Mais  le  comte  Audouin 
ne  voulait  pus  se  dessaisir  du  trésor  dont  il  était  détenteur  ;  il 
lui  avait  inôuie  assij^né  une  église  de  sa  capitale  pour  lieu  de 
dépôt,  celle  de  Saint-Sauveur.  Cependant,  une  maladie  de  lan- 
gueur étant  venue  Tatleindre  et  la  famine  ravageant  ses  états, 
il  crut  voir  dans  ces  faits  une  inlervenlion  divine  et,  en  91  o,  il 
chargea  son  fils  Guillaume  de  reslitu*M-  aux  moines  de  Charroux 
le  bois  précieux  qu'il  avait  fait  placer  dans  une  châsse  dorée 
enrichie  de  pierres  [jrécieuses  (1). 

D'un  autre côlé,  en  !)1  f  (2),  les  moines  de  Saint-Maixent  proje- 
tèrent de  faire  revenir  de  Bretagne  le  corps  de  leur  saint  patron, 
mais,  quand  lecorlègealleignitla  Loire,  ils  apprirent  (pie  lesjiaïens 
dévastaient  le  Poitou.  La  Bretagne,  d'où  ils  venaient,  était  aussi 
menacée  ;  dans  celte  alternative,  il  ne  leur  restait  d'autre  res- 
source que  de  s'éloigur'r  au  plus  vite.  Us  remontèrent  le  fleuve,  cl 
achetèrent  l'église  de  Candé-sur-Beuvron,  mais,  le  danger  élanl 
loujaurs  imminent,  ils  ne  purent  se  fixer  en  ce  lieu,  et,  conlrainls 
d'aller  toujours  de  l'avant,  ils  gagnèrent  l'Auxerrois,  où  le  comte 
de  Bourgogne,  Uichard,  leur  donna  l'hospitalité  (3) 

C'était  devant  Hollon  que  s'enfuyaient  ainsi  les  porteurs  des 
précieuses  rfliqucÀ.  Le  grand  chef  des  Normands  dirigeait  en  ce 
moment  une  des  phis  imporlanles  entreprises  qu'il  uil  tentées. 
Après  avoir  ravagé  le  centre  de  ta  France,  il  s'était  replié  sur 
Chartres.  L'évêque  de  cette  ville,  Gualeaume,  s'adressa,  pour 
avoir  des  secours,  aux  d^'ux  plus  vaillants  et  plus  puissants  guer- 


(i)  Chron.  d'Ailèmar,  p.  i41.  l^e  morceau  du  bois  de  la  Vriiic  Croix,  dont  la  pns 
session  donna  t:inl  rie  rolief  <«  l'abhaye  de  Charroii.v,  avjiil  été  donné  h  Cliiirlcriiai^nu 
par  le  palriarclio  de  Jérusulcni  et  déposé  par  ce  prince  dans  l'étflise  de  Clj.irroux.  que 
til  construire  son  fidèle,  le  cjnilc  de  Litiiaye<,  Roçer.  Celte  Jibl);iye  dut  à  coltc  cir- 
Cunsluncc  la  sarictiHc^lion  de  son  nom,  Sanctus  Ctifrufits,  ainsi  <|uc  nous  l'apprcod 
Adémar  {C/iron.,  p.  i6j..  add.),  Icipicl  dési^jnc  çcocralcmenl  celle  locidîté  avec  ccUe 
qualiScatiou  pieuse. 

(a)  Ciirtiil.  de  lltilnn,  éd.  de  Courson,  pp.  aaS-aSo, 

(3)  Le  domaine  où  le  roaile  da  Ri:>urs^Q<>;ao  installa  tes  reli<riciiY  de  Hi'don.  silii(i 
sur  les  bords  de  l'Arniançon,  s'appelail  Ancy.  C'est  une  commune  du  diîpartcment  de 
l'Yonne,  pendant  lon-^lcmps  désitçaée  sous  le  nom  d'Ancy-le-Scrveux  cl  qui  porte 
aujourd'hui  celui  d'Aacy-te-Libre;  son  église  a   toujours  saint  Mnixenl  pour  patron. 


58  I^ES  COMTES  DE  POITOU 

riers  du  royaume,  Richard  le  Jusiicier,  comte  de  Bourgogne,  el 
EbleManzer,  comte  de  Poitou.  A  diverses  reprises,  ces  deux  comtes 
avaient  essayé  de  secouer  Tapalhie  des  Francsqui  conslil  uaient  l'en- 
lourage  de  Charles  le  Simple,  et  s'étaient  offerts,  en  cas  de  guerre 
avec  les  païens,  devenir  directement  en  aide  au  roi.  Ils  répondirent 
donc  favorablement  à  la  supplique  de  Guateaume,  et,  rassemblant 
leurs  troupes,  ils  se  dirigèrent  vers  Chartres,  où  Robert,  duc  de 
France,  devait  venir  les  rejoindre  avec  les  contingents  du  Nord. 
Rollon,qui  assiégeait  la  ville,  se  vit  h  son  tour  menacé.  La  bataille 
s'engagea  le  samedi  20  juillet  911.  Afin  de  paralyser  la  tactique 
habituelle  des  Normands, qui  se  déployaient  en  arc  de  cercle  et, 
par  leurs  pointes,  cherchaient  à  pénétrer  dans  le  gros  de  l'armée  ad- 
verse ou  même  h  la  prendre  à  dos,  Richard  divisa  ses  troupes  en 
trois  corps  :  le  premier  comprenant  les  Aquitains,  c'est-à-dire  les 
contingents  d'Auvergne  el  de  Berry  commandés  par  l'auvergnat 
nalmace(l),  assistés  d'une  troupe  de  Neustricns  d'élite  ;  le  second 
corps  était  composé  de  gens  du  Nord,  et  le  troisième  du  gros  des 
Neustriens.  Le  centre  de  RoUon,  qu'il  avait  dégarni  pour  ren- 
forcer ses  ailes,  fut  enfoncé,  et  quand  celles-ci  eurent  fait  leur 
mouvement  convergent  elles  se  heurtèrent  au  second  corps,  à  qui 
le  troisième  vint  en  aide.  A  ce  moment,  les  habitants  de  Chartres 
firent  une  sortie  sous  la  conduite  de  leur  évêque  ;  Rollon,  se 
voyant  cerné,  culbuta  les  troupes  qu'il  avait  en  face  et  opéra  sa 
retraite.  Les  Aquitains  firent  alors  volte-face  et  achevèrent  de 
décider  la  victoire.  Mais  si  une  partie  des  Normands  put  rejoindre 
son  chef,  qui  n'était  pas  inquiété  dans  sa  marche,  ceux  qui  com- 
posaient l'aile  séparée  de  lui  par  l'armée  des  comtes  ne  purent 
le  rejoindre  et,  combattant  pas  à  pas,  finirent  par  gagner  la  colline 
de  Lèves  où,  la  nuit  survenant,  on  cessa  de  les  poursuivre.  A  cet 
instant,  Eble,  qui  avait  été  retardé  dans  sa  marche,  arriva  avec 
ses  Poitevins.  Il  reprocha  amèrement  aux  Francs  el  aux  Bour- 
guignons de  ne  pas  l'avoir  attendu,  leur  disant  :  «  J'aimerais  mieux 
mourir  avec  tous  mes  compagnons  plutôt  que  de  ne  pas  me  battre.  » 
Les  confédérés  lui  montrèrent  le  parti  qui  occupait  la  colline  de 

(i)  T^  vicomte  Oalmacc  fut  témoin  d'une  donation  faite  au  monaatèrc  de  Sauxillan- 
ges,  le  II  octobre  gaô,  par  Acfrcd,  comte  d'Auvergne  el  duc  d'Aquitaine  {Cariai,  de 
Sauxillanges,  kà.  Doniol,  p.  5o). 


EBLE  MANZER  59 

Lèves  et  lui  dirent  de  Texterminer  afin  de  vensrerle  san^  des  leurs 
qui  avait  été  répandu  dans  cette  tuile  formidable.  Eble  monta  à 
l'assaut  de  la  colline,  mais  les  Normands,  combattant  avec  le 
courage  du  désespoir,  réussirent  à  le  repousser.  Les  Poitevins 
apportèrent  alors  les  fascines  et  aulrt^s  objets  dont  les  troupes  de 
RoUon  s'étaient  munies  pour  donner  Tassaul  h  la  ville  ;  ils  comp- 
taient s'en  servir  pour  entourer  la  position  des  assiégés,  mais 
ceux-ci  s'en  emparèrent  el  formèrent  une  enceinle  dans  laquelle 
ils  se  trouvaient  à  l'abri.  Pendant  celemps,  les  Francs  restaient 
paisibles  spectateurs  de  la  lulle.  Eble,  voyant  qu'il  ne  pouvait 
aboutir  el  que  le  succès  élail  incertain,  fit  demander  aide  à 
Kicbard,  qui  avait  installé  son  camp  sur  le  champ  de  bataille  ;  avec 
son  secours  on  entoura  la  colline  de  façon  qu'aucun  Normand 
ne  pûl  s'échapper (i).  La  situation  de  ces  derniers  devenait  des 
plus  critiques;  ils  tinrent  conseil,  cl  l'un  d'eux,  Frison  de  nation, 
leur  donna  cet  avis  :  «  Pendant  le  silence  delà  nuit,  qu'un  certain 
nombre  d'entre  nous  descendent  de  la  colline  et  se  glissent  sans 
bruit,  aussi  loin  que  possible,  au  milieu  des  tentes;  ils  sonneront 
alorsde  la  trompette. En  entendant  ce  bruit,  nos  ennemis  croiront 
queRollon  est  revenu  lesatlaquer  et,  remplis  d'effroi,  ils  s'enfui- 
ront de  tous  côtés.  C'est  alors  que,  profilant  de  leur  désarroi,  le 
restant  de  notre  troupe  se  précipitera  sur  le  camp,  et  là,  com- 
battant avec  acharnement, nous  arriverons  aie  traverser.  »  Ce  plan 
s'exécuta.  Les  troupes  de  Richard,  surprises  dans  leur  premier 
sommeil,  se  dispersèrent  de  toutes  parts  el  livrèrent  passage  aux 
assaillants  qui  se  hâtèrent  de  gagner  les  bords  de  l'Eure,  où  ils  se 
retranchèrent  sur  une  motte,  dans  un  marais.  Puis,  pour  arrêter 
la  poursuite  des  cavaliers  qui  composaient  l'armée  des  comtes,  ils 
employèrent  le  procédé  barbare  de  se  former  une  enceinte  avec 
les  cadavres  dépecés  el  les  chairs  sanguinolentes  d'animaux  do- 
mestiques. Quand, au  matin,  l'armée, revenue  de  sa  panique,  cons- 
tata la  fuite  des  assiégés,  la  poursuite  recommença,  mais  les  che- 


(1)  Le  corps  de  saint  Maixent  s?  trouvait  encore,  le  27novemltrc  910,  dans  sa  rési- 
dence bretonne  de  Maxcnt  {Cnrlal.  de  iiednn,  p.  22O"),  où  il  avait  été  transporté  vers 
8G0;  or,  comme  le  comte  Richard  est  mort  en  921,  et  qu'il  n"v  a  pas  trace  d'une  im- 
portante invasion  normande  dans  ces  réarious  entre  celle  de  Rolloa  en  91 1  et  celle  de 
RaçhcnoU  en  928,  il  en  résulte  que  l'exixle  des  moines  de  Saint-Maixent  ne  peut  se 
rapporter  qu'à  l'invasion  de  911. 


fto 


LES  COMTES  DE  POITOU 


vaux  reculèrenl  devant  robslaclerépufînanl  qui  leur  était  opposé, 
et  les  Normands,  laissés  en  paix, purent  s'embarquer  tranquille- 
ment et  rejoindre  leur  chef  (1).  L'émotion  causée  par  leur  attaque 
soudaine  pendant  la  nuit  avait  élé  telle  qu'Eble  s'était  enfui  cotnme 
lesaulresetrestacaché  jusqu'au  jour  dans  lamaison  d'un  foulun(2). 

Si  les  bandes  normandes  n'avaient  pas  été  anéanties,  néanmoini* 
un  grand  résultat  avait  été  atteint.  KoUon  sentit  que,  désormais, 
il  ne  lui  stillirait  plus  de  se  précipiter  sur  une  contrée  pour  voir 
la  population  se  dérober  devant  lui;  il  comprit  que  l'idée  de  la 
résistance  h  outrance  était  néeel  le  fait  que  sa  tactique  ordinaire 
avait  été  déjouée  lui  inspira  des  craintes  pour  l'avenir.  Aussi 
accepla-t~il  peu  après  les  avances  que  Charles  le  Simple  lui  fît 
faire  et,  Tannée  suivante,  le  traité  de  Saint-Clair-sur-Eple,  en  lui 
donnant  la  Neuslrie  occidentale  et  la  tille  du  roi,  hl-elle  de  lui 
undéfenseur  de  celte  société  dontjjusqu'à  ce  jour,  il  n'avait  cessé 
d'être  l'ennemi.  Du  reste, la  frayeur  inslincliveque  les  .\ormands 
inspiraient  de(»uis  [dus  d'un  demi-siècle  se  dissipait  peu  à  peu  par 
reifel  do  leur  IVéquentatiun  ;  les  connaissant  mieux,  on  ne  redouta 
plus  d'entrer  en  lutte  avec  eux,  si  bien  que  lorsque  Hac;benold  se 
lança,  en  923,  sur  la  haule^Loire  avec  tous  les  aventuriers  qu'il 
put  rassembler,  il  trouva  devant  lui  les  Aquitains,  commandés 
par  Haymondj  coiiile  de  Toulouse,  et  Guillaume,  comte  d'Auver- 
gne, qui  rarrèlérent  cl  lui  tuèrent  douze  mille  hommes  f3). 

Elile  ne  paraît  pas  avoir  pris  part  à  celle  dernière  allaire,  d'au- 
tant plus  qu'il  semble  qu'à  celle  époque  il  n'avait  rien  à  redouter 
des  pirates  danois.  Ceux-ci,  depuis  leur  apparition  sur  les  côtes 
de  Franco,  n'avaient  pour  ainsi  dire  pas  quitté  l'embouchure  de 
la  Loire  qui  fut  le  théAtre  de  leurs  premières  expéditions^  mais 


(i)  DudoQ  de  Sainl-Quenlîn,  f)e  ruoribiis  lYormanniœ  iiiitcnm,  I.  II,  zl{  (éd.  Lair, 
p.  165);  RicluT,  flisloire,  lîv.  I,  aS-Jo.  Voy.  aussi  Lair  :  Lr.  siè^e  de  Cliarlies  p.ip 
les  NoriiLiiids,  Cuiifjrés  archèol.  de  France,  L.WH*  session,  pp.  lytielss. 

(a)  tieUe  avenlurf.  nipporlcc  p.ir  DudûJi  cl  iiiuplilk-c  p;ir  (îyill.'miiie  de  Jumicge!« 
{ftr.c .  (les  hisi .  de  Fromc,  VIII,  p.  îM},  fut  pendant  Jon;i^leiii(>s  nialièrc  à  plais:iii- 
leric  pour  les  Normands.  Elit'  Hl  iiii^iiie  Tubjel  d'une  clioiison  saliriijuc  <ju'un  trouvère, 
parlant  «  d'Ebalus  *|ucns  d*.'  l'ciliers  >•,  ruppcJJiit  cnrorc  au  xii''  »ièfle  cJaus  le»  vers 
Buivauls: 

Vers  en  Ureul  e  cslniboz  (chaDsou) 
Il  ont  assez  de  vitains  nio/. 

fBcnoît,  C.hron.  des  ducs  île  Normandie,  I,  pp.  afi*')  et  288.) 
(3)  Rfc.  des  liist.  de  France,  VIJI,  pp,   17g  ut  180,  Fludoard. 


EBLE  MANZER 


6i 


aussi  ils  n'avaioni  guère  louché  à  la  Bretagne  proprement  dite, 
où  dos  chefs  résolus  avaient  toujours  su  les  tenir  à  distance.  En 
9!l,ils  finirent  par  se  jeter  sur  elle  et  enfin  en  91 9,  après  plusieurs 
années  de  luttes  sangliinles.  ils  en  avaient  fait  l'invasion  métho- 
dique. Ils  s'étaient  d'abord  atlaqués  à  Nantis,  qui  tomba  à  nou- 
veau en  leur  pouvoir  el  où  ils  s'ôtablirenl  à  demeure,  à  la  suilc 
de  U  cession  du  comté  nantais  que  leur  fit,  en  921,  Robert,  frère 
dEudes,  qui,  chargé  de  la  défense  des  Marches,  n'avail  pas  trouvé 
d'aulre  moyen  de  se  débarrasser  d'eux.  Vis-à-vis  de  Nantes,  de 
l'autre  côté  de  la  Loire.  s<^  trouvait  le  pays  de  Raiz,  que  Charles 
le  Chauve  avait  jadis  cédé  à  Erispoé  ;  les  chefs  normands,  étant 
aux  droits  dos  comtes  do  Nantes,  s'y  installèrent  et,  parlnntde  là, 
poussèrenttous  lesjours  plus  loin  leurs  déprédations  dans  la  partie 
du  Poitou  qui  confinait  à  leurs  possessions;  bientôt  cette  région  ne 
fut  plus  qu'une  ruine.  Désireux  d'arrêter  ce  mouvement  qui  mena- 
çait de  gagner  le  centre  de  ses  possessions,  Eble,  se  conforinanl  à 
la  polili(|ue  de  l'épotjiie,  arrêta  les  pirates  à  prix  d'argent;  il  olïrit 
d'abord  de  leur  abandonner  les  territoires  dévastés  et  presque 
déserts  de  l'ancien  comté  d'ilerbauge  et  de  plus  il  s'engageait  h 
leur  payer  un  tribut  aimuel,  moyennant  quoi  ils  s'éloigneraient  pour 
toujours  du  Poitou.  C'est  ce  qui  eut  lieu  :  les  barques  normandes 
en  cours  d'expédition  dans  la  Loire  respectèrent  désormais  le 
littoral  poitevin  el  on  ne  voit  pas  que  les  bandes  qu'elles  portaient 
aient,  pendant  les  vingt  annéesqu'elles  occupèrenlle  pays  nantais, 
manqué  à  leur  parole.  Telle  nous  paraît  devoir  être  l'explication 
d'un  l'ail  que  certains  hisloriens  poitevinsonl  nié  par  patriotisme 
elqui,  mieux  compris,  est  lout  à  l'honneur  d'Eble. 

Ilnesemldepasquelecomb'dePoilousesoit  lancé  dans  de  gran- 
des expéditions  militaires  et  qu'il  l'ùl  un  de  ces  hauts  barons  dont 
l'état  de  guerre  était  la  vie  ordinaire  ;  il  est  hors  de  doute  qu'il 
eut  des  difficultés  avec  des  voisins  entreprenants,  mais  son  carac- 
tère conciliant  dut  amener  proroptemenl  la  fin  de  ces  contes- 
tations, dont  le  souvenir  n'a  pas  été  conservé  (t).  Ce  qui  élait  de 


(»)  M.  Desnoyera  (Ann,  de  lu  Soc.  de  r/iiifl.  de  France  pour  i855,  p.  i83)  dit, 
à  l'arlide  de  Guillaume  I*'',  comte  de  Périçord,  qu'EbIc,  comte  de  Poiiiers,  lui  enleva 
l'AgeDaîs  ;  nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  discuter  cette  opinioa  qui  ne  repose  sur  au- 
cun rondement  et  qui  a  élé  reproduite  dans  les  mêmes  termes  par  M.  de  Mas-Latrie 
dans  son  Trésor  de  Chronologie,  col.  lôôg. 


6s 


LES  COMTES  DE  POITOU 


la  prudence,  voire  môme  do  l'habilclé,  devait  passer  aux  yeux  de 
beaucoup  pouf  d(î  la  couardise,  particulièreiuenl  chez  les  Nor- 
mands, dont  les  historiens  ne  larissenl  pas  sur  les  démérites  des 
Poitevins,  identifiés  par  eux  avec  leurs  chefs. 

Poursuivant  la  politique  de  lîenuui,  l^ble  fut,  en  Aquitaine,  i'uu 
des  principaux  tenants  de  la  dynastie  carlovingienne,  mais  sa 
déférence  envers  Charlf's  le  Simple,  qui  avait  été  le  pupille  de  son 
père  et  dont  il  avait  été  le  compagnon  pendant  son  enfance,  ne 
fut  pas  poussée  jusqu'au  point  de  faire  de  lui  l'iiomnic  du  roi. 
Bien  au  contraire,  il  se  portait  presque  son  égal,  s'intitulant 
K  comte  par  la  grâce  de  Dieu  »  aussitôt  qu'il  eut  reconquis  son 
comté  et  témoignant  par  1;\  que,  s'il  soutenait  les  intérêts  de 
Charles,  c'était  avec  la  toute  plénitude  de  son  indépendance  (1). 
Il  avait  du  reste  de  nombreux  motifs  pour  se  montrer  hostile  à 
Itobert,  son  ancien  adversaire,  quand  celui-ci,  qui  avait  succédé 
à  son  frère  Eudes  comme  duc  de  France,  voulut,  à  son  exemple, 
monter  sur  le  trône.  11  se  GL  élire  roi  le  22  juin  922,  mais  Eblc  ne 
reconnut  jamais  cet  acte  (2).  Robert  n'eut  pas  le  temps  do  cher- 
cher à  réduire  le  Poitou;  le  16  juin  913,  il  fut  tué  à  la  bataille  de 
Soissons;  toutefois  Charles  le  Simple  ne  jouit  pas  longtemps  de  ce 
succès,  car,  en  924,  Herbert,  comtede  Vermandois,  l'ayant  attiré 
dans  un  piège,  se  saisit  de  lui  et  l'enferma  dans  le  chiiteau  de 
Péronne  (3).  Herbert  prit  parti  pour  un  nouvel  adversaire   du 


(  j  )  Dc3  l'année  907,  il  se  qualifiait  ainsi  :  n  Prevcnicnlc  gratia  Dci  comileni  »  (Arch. 
de  la  Vienne,  orijj.»  Noailié,  ni^  au)  ;  en  gS/j,  ou  relève  aussi  celte  formule  :  a  Ebolus, 
nùsericordia  OuJ^Picluvui'Uni  umilis  cornes  »  (Arcb.dc  la  Vtenue^  orig'.,Saint-Cyprien, 
QO  i). 

(2}  On  trouve  la  preuve  ccriaine  de  ce  fait  dans  le  eonlexle  de  la  date  apposée  par 
Adalberl,  scribe  du  ch.ipiire  de  Saiut-llilaire  de  Poitiers,  «u  bus  del'aclc  qu'il  venait 
de  dresser  en  avril  92^  pour  des  particuliers  et  qui  porte  la  mention  qu'it  fut  passé  la 
vingt-sixiôtiie  année  du  règne  de  tlliarles  le  Simple  ^Hédet,  Doc. pour  Sai/it-//ilaire, 
l,  p.  19). 

(3)  D'après  rialerpol&teur  d'Adémar  de  Chabamiea  (cd,  Cbavaiiou,  p.  i/p),  Charles 
sérail  venu  en  Limousin  chcrcbcr  des  secours  et  rarniée  uvec  ta(]ucllc  il  combattit  à 
SoissoQS  aurait  clé  formée  partie  d'Ai|uilaius  el  partie  d^\Ilemauds.  Puis, après  la  vic- 
toire, le  roi  aurait  envoyé  à  Saint-Martial  des  li\Tes  cl  des  orucmcuts  jtrccieux,  dé- 
pouilles de  la  cbapelle  doincsLi(|ue  du  roi  Hubert.  iM.  Eckel,  auteur  d'un  travail  criti- 
que sur  Charles  le  Simple  (i//i/.  de  VEtole  des  //aitles-Khidrs',  jï/j"  fascicule),  ne 
Bi|j;oale  inèiiie  pas  ces  faits  qu'il  a  dû  considérer  comme  de  la  pure  Jéi^eiide,  d'aulaul 
plus  ijue  !e  narrateur  y  fait  intervcDir  Othon,  empereur  d'AII''UKi|çne,  qui  u'est  monté 
sur  le  trône  i]ue  treize  ans  après  la  bataille  de;  Soissous.  Il  n'y  a  pas  lieu  d'accorder 
plus  d'autorité  nu  texte  reproduit  par  le  Gallia  Chrisliaius,  II,  col.  G56,  à  l'article 
d'Elieune,  al/bé  de   Saint- Martial,  lequel  rapporte  que,   sur    l'ordre  de   Charles  le 


■ 


4 


EBLE  MANZER 


G3 


pauvre  cari«r^'ingien,ci  savoir.dc  Raoul,  duc  de  Bourgogne, qui,  un 
mois  après  la  tnortde  Hoberl.le  13  juillet  923, s'élait  fait  élire  roi. 
Taul  que  Charles  avait  pu  lutter  contre  l'usurpateur,  le  comte 
de  Poitou  lui  avait  gardé  sa  foi,  et  on  en  a  la  preuve  par  les  for- 
mules qu'il  faisait  insérer  dans  les  actes  émanés  de  lui  ou  dans 
ceux  que  des  particuliers  de  ses  étals  passaient  entre  eux.  Mais 
quand  ce  prince  fut  enfermé  dans  un  lieu  d'où  il  ne  semblait  plus 
devoir  sortir,  qu'il  ne  possédait  même  plus  l'ombre  du  pouvoir, 
il  fallut  bien  accepter  les  faits  accomplis,  toutefois,  en  y  mettant 
une  restriction  signiiicative  :  les  actes  poitevins  furent  donc  datés 
de  l'année  du  règne  de  llauul,  à  laquelle  on  ajoutait  cette  men- 
tion caractéristique  que  ces  cboses  se  passaient  pendant  le  temps 
que  Charles  était  détenu  en  prison  (1).  Kaoul  ne  sembla  pas 
d'abord  prêter  attention  à  ces  indices  de  mauvais  vouloir  et  il 
chercha  à  se  rapprocher  d'Eble.  Comme  il  était  toujours  en 
compétition  avec  le  comte  d'Auvergne  au  sujet  de  la  possession 
du  13erry,  il  avait  intérêt  à  se  ménager  le  comte  de  Poitou, 
dont  on  connaît  les  liens  étroits  avec  les  comtes  d'Auvergne,  à 
qui  il  pouvait  prêter, en  cas  de  lutte,  un  puissant  secours.  Accor- 
der des  faveurs  c'était  se  créer  des  amis  et,  parmi  ces  témoigna- 
ges d'amitié  que  le  roi  de  France  prodigua  à  Ebie,  on  peut  citer 
l'acte  par  lequel  il  mil,  à  la  fîu  de  9â3,  la  puissante  abbaye  de 
Tulle,  en  bas  Limuusiii,  sous  la  sujétion  de  celle  de  Saint-Savin  en 
Poitou.  Bien  qu'Eble  fùldepuis  vingt  ans  en  possession  du  titre  de 
comte  de  Limoges,  son  autorité  n'était  pas  aussi  solidement  éta- 
blie dans  ce  pays  que  dans  son  domaine  héréditaire,  et  le  fait 
d'avoir  dans  la  partie  la  plus  éloignée  du  comté  un  poste  impor- 
tant, occupé  par  un  liotnme  à  sa  dévotion,  c'était  une  garantie  de 


Simple,  Karolo  J/Z/iorf,  cet  abbé  aurail  fortifié  Lîmoçes  pour  s'opposer  aux  entrepri- 
ses de  Guilluume,  cooile  dcF'oilou;  or,  le  roi  de  Fraticc  mourul  eu  92g,  tandis  que  le 
premier  des  comtes  de  Poitou  du  aoni  de  Guillaume  n'arriva  au  pouvoir  qu'en  935 
{Voy.  Duplès-Apier,  Chron.  du  Suinl-A/i-trlial,  y».  3,  Coinmeuioratio  abbaium). 

(1)  «  Ouando  Kurolus  in  cuslodia  leiiebalur  »  (Rédel,  Duc.  pour  Saùtt^I/iluire, 
I,  p,  ao,  doaalion  datée  de  lu  deuxième  année  du  rc!;ne  de  Uaouï.aoûl  924). La  même 
formule  se  retrouve  au  bas  de  chartes  de  l'abbaye  de  Noaillé,  avec  quelques  variau~ 
les:  l'anno  m  r«giii  RoduUi  quatuto  Karolus  in  custodia  teaebatur»,  décembre925; 
H  auno  un  re<^iji  Uodulfi  rct^i  Karolo  iu  custodia  lenentcm  •>»  juin  9^7  (Arch.  de  la 
Vienne,  orig.,  Noaillc,  n"»  3i  et  32).Cepcada(i(,  ù  Saint•^faixeQt,au  njois  de  marsga/j, 
Raoul  est  désigné  cuiuiuo  roi  sans  aucune  autre  uicutiuu  (A,  Richard,  Chartes  Je 
Saint  Maijcetit,  I,  p,  22), 


64  LES  COMTES  DE  POITOU 

plus  pour  l'exercice  de.  ses  droits  de  suzeraineté  sur  les  turbulents 
seigneurs  de  celte  r<^gion(l). 

Satisfait,  Eble  se  tint  tranquille.  Il  reconnaît  Raoul  comme 
roi  de  France,  et  à  mesure  que  le  temps  s'avance  il  s'éloigne  de 
Charles  dont  il  finit  par  approuver  l'emprisonnement.  Ainsi,  le 
8  avril  925,  ayant  tenu  à  Poitiers  un  plaid  solennel  auquel  assis- 
tèrent les  personnages  les  plus  importants  de  ses  états,  il  se  con- 
tenta de  faire  constater  par  Adalhert,  le  notaire  de  Saint-llilairc 
et  peut-être  le  sien,  que  Charles  était  retenu  en  prison  avec  ses 
infidèles,  c'est-à-dire  avecles  gensqui  suivaient  sa  cause  etétaient 
hostiles  au  roi  de  France,  autrement  dit  à  Raoul,  bien  que  le  nom 
de  ce  dernier  fût  omis  dans  la  formule  de  la  date  et  que  celle-ci 
fût  exprimée  par  le  nombre  des  années  du  règne  de  Charles,  la 
Irenfième  (2);  mais  Tannée  suivante,  au  mois  de  janvier  926,  ayant 
assisté  à  une  donation  faite  à  l'église  de  Sainte- Radegonde,  il 
laissa  Rainard  écrire  que  l'acte  était  passé  la  troisième  année  du 
règne  du  roi  Raoul,  «  alors  que  Châties  élait  à  bon  droit  retenu 
en  prison  avec   ses  infidèles  (3)  » . 

Ayant  donc  réussi  à  détacher  le  comte  de  Poitou  du  groupe  de 
ses  ennemis  et  étant  à  tout  le  moins  sûr  de  sa  neutralité,  Raoul 


(i)  De  Lasteyrie,  Etude  sur  les  comtes  de  Limoges,  p.  4'»  d'après  Baluze,  Ilist. 
Tiitet.,  app.,  col.  SaS. 

(2)  «  Anno  XXX,  quando  fuit  Karolus  deteatus  cum  suis  infidelibus  i>  (A.  Ri- 
chard, Charles  de  Saint-Maixent,  I,  p.  24,  d'après  l'oris^inal).  Ce  dernier  acte  est 
daté  du  jeudi  4  des  calendes  de  mai  (28  avril)  de  la  trcnticnic  année  du  règne  de 
Charles  le  Simple.  D.  Fonlencau  (t.  XV,  p.  98)  a  rapporté  cette  indication  à  l'année 
928,  D.  Col  et  M.  de  Lasteyrie  à  l'année  927  (De  Lasteyrie,  Etude  sur  les  comtes 
de  Limoges,  p.  1 14),  mais  il  appartient  réellement  à  l'année  gzf),  où  le  28  avril  tombe 
un  jeudi.  Il  semble  toutefois  A  première  vue  qu'il  y  a  contradiction  entre  cette  année 
925  et  la  trentième  annécdu  rè^ne  de  Charles  leSimpicqui,  selon  le  comput  ordinaire, 
lequel  fait  partir  le  règne  de  ce  prince  du  i<t  janvier  898,  date  de  la  mort  du  roi 
Eudes,  correspondrait  à  l'année  928;  mais  ce  mode  de  compter  comportait  des  excep- 
tions et  certains  dataient  le  commencement  du  rcgpc  de  Charles  le  Simple  du  jour 
où  Eudes  lui  attribua  officiellemeat  une  partie  du  royaume  de  France,  c'est-à-dire 
du  4  avril  896,  ce  qui  fait  correspondre  la  trentième  année  du  règne  de  Charles  à 
l'année  926. Tel  est  le  système  qui  a  clé  suivi,dans  le  cas  présent,  par  le  notaire  Adai- 
bert.  Il  n'est  pas  hors  de  propos,  à  ce  sujet,  de  faire  remarquer  que  nous  avons  suivi 
la  règle  commune  pour  fixer  la  date  des  actes  de  celte  époque  lorsqu'elle  est  sim« 
plement  fournie  par  l'énoncé  des  années  du  règne  de  Charles  le  Simple,  et  en  consé- 
quence il  pourrait  arriver,  si  le  notaire  rédacteur  d'un  acte  s'est  conformé  au  système 
d'Adalbert,  qu'il  y  ait  lieu  de  vieillir  ce  document  de  deux  ou  trois  ans. 

(3)  Anno  III  regni  Kodulfi  régi,  Karolo  cum  suis  infidelibus  mérite  captus  (Bîbl. 
Nat.,  ull'-s  acq.,  latin,  no  2806,  fo  2,  orig.;  Besly,  Hist.  des  comtes,  preuvcs,p.  2a5). 


EBLE  M.VNZEK 


r.r> 


se  tourna  vers  TAuvergnc,  oh  toutes  sos  tentatives  avalent  éclioiiô. 
Dans  le  courant  de  l'année  924,  il  s'attaqua  au  comlo  (îuillaumc 
le  Jennej  qui  se  refusait  ouverlemonl  à  le  reconnaîlre  pour  roi. 
Au  cours  de  sa  marche,  il  se  trouvait  arrêté  sur  les  bords  de  la 
Loire,  dans  TAulunois,  lorque  le  comte  riuillaiinie  parul  de  l'autre 
cùté  du  lleuve.  Avant  d'en  venir  aux  mains,  des  pourparlers  s'en- 
gagèrent entre   les  deux   parties;  enfin,  presse  par  les  siens,  le 
comte  se  décida  ti  passer  le  fleuve  el  à  venir  faire  sa  soumission 
au  roi  qui  l'attend  ail  h  cheval  ;  malgré  l'accolade  qu'ils  éclian- 
gèrenl,  l'accord  ne  se  fil  pas  de  suite  et  c'est  seulement  aprt'stiu il 
jours  de  négociations  que  Raoul,  trouvanl  sans  douLe  son  intérêt  à 
céder  aux  demandes  du  comte  d'Auvergne  Jui  reslilua  le  Berry(l). 
Comme  on  peut  le  croire,  celte  réconciliation  n'était  pas  bien 
sincère,  et,  en  926,  les  hostilités  recommencèrent  ;  le  roi, repre- 
nant sa  primitive  entreprise,  attaqua  Nevers,  qui  était  défendu 
par  Acfred,  frère  de  Guillaume,  et  se  fit  livrer  par  lui  des  otages  en 
garantie  de  sa  soumission,  puis  il  poursuivit  le  comte  jusque  dans 
l'Auvergne  et  allait  sans  nul  doute  l'atteindre,  quand  une  inva- 
sion des  Hongrois  le  contraignit  à  se  retirer.  Guillaume  survécut 
peu  à  ces  revers  successifs  et  mourut  le   16  décembre  92G  (2). 
Il    eut  pour  successeur   Acfred,  qui   professait  les  mûmes  senti- 
ments que  lui  à  l'égard  du  roi  de  France  el  qui  les  a  exprimés  de 
la  façon  la  plus  énergique  dans  l'acte  defondalion  du  monastère 
de  Sauxillanges  que,  par  son  ordre, le  prêtre  Raginbert  data  ainsi  : 
M  Fait  le  5  des  ides  d'octobre  (It    octobre  027),   la  cinquième 
année  à  parlir  du  jour  où  les  Francs,  manquant  à  leur  serment 
de  fidélité,  «in/ideJes.n  envers  leur  roi  Charles,  le  dégradèrent, 
«  inAonestaverunt  »,  el  se  clioisirent  Raoul  pour  chef  (3).  »  Acfred 
mourut  peu  après,  à  la  fin  de  celte  même  année  i>27,  ne  laissant 
pas  d'enfants  et  sa  succession,  comprenant  tes  comtés  d'Auvergne 
el  de  Velay  el  le  titre  ducal  d'Aquitaine,  passa  àFble,  son  parent 


(i)  Rec.  des  hiti.  de  France,  \'\U,  p.  i8r,  Flodoard;  RJcher,  Hlsloire,  I.  I,  48; 
Ckron.  de  Touraine,  p.  iio. 

(a)  Rec.  des  hisL  de  France,  VMI,  p.  i8/|,  Flodoard. 

(3)  Cariai,  de  Sauxillanges,  a"  xiii,  p.  5i.  Dans  le  cariulaire  de  Suint-Julieo  de 
I3rioude,oa  relève  remploi  de  formutes  aussi  énergiques  lant  du  vivant  de  Guillaume 
le  Jeune  que  de  son  successeur  dans  des  acles  des  i(i  février,  1 1  octobre  el  8  décem- 
bre 926  cl  1 1  octobre  927,  (Voy.  Brucl,  Essai  sur  lu  chronologie  da  carlul,  dc 
Brioude.) 


Ofi 


LES  COMTf;S  DE  POITOU 


ùloigrir,  qu'il  avait  pu  du  reslo  désigner  commo  son  successeur, 
el  qui  6Lail,  à  celle  époque,  le  seul  descendant  direct  de  leur 
ancêtre  commun  (1). 

Comme  Charles  le  Simple  jouîssaitalors  de  quelque  liberté, son 
geôlier, le  comlcdeVermandoiSirayanl  momonlanémenl  lire  de 
sa  prison,  El)U;  ol>linl  de  lui  d'i^lre  coiillrmé  dans  la  possession  de 
l'important  liérilagc  qui  venait  de  lui  échoir  (2).  Mais  la  restau- 
ration de  Charles  n*eul  qu'une  durée  éphémère;  le  malheureuv 
prince  fut  enfermé  de  nouveau  dans  la  lour  de  Péronne,  où  il 
ne  larda  pas  à  succomber,  le  Toctobre  929,  el  sa  mort  remit  bien 
des  choses  en  suspens. 

Eble,  malgré  quelques  défiiitlances,  ne  s'était  pas  contenté  de 
lémoîgner  liaulement  de  sa  fidélité  fi  la  racccarlovingienjie,  dette 
do  reconnaissance  que  son  père  lui  avait  léguée  et  dont  son  édu- 
cation s'était  ressentie;  il  airiinia  un  jour  ces  sentiments  par  un 
lénioignage  palpable  qui  est  parvenu  jusqu'à  nous.  Bien  qu'Eudes 
eut.  par  l'expulsion  du  fils  de  Uenoul  II  el  par  la  reconnaissance 
d'Aymar,  mis  fin  aux  volléilés  d'indépendance  des  comtes  de 
l'oilou,  il  ne  paraît  pas  toutefois  avoir  exercé  sur  le  pays  une 
aulorité  assez  directe  pour  y  faire  prévaloir  le  monnayage  à 
son  nom  qu'il  avait  imposé  à  Bourges,  à  Limoges  et  à  Toulouse. 


{i)  Voici,  d'après  les  ruchcrches  de  M.  Mabillc  (Lr  royaume  d'Aquildirte,  p.  19), le 
Inlilfjiu  de  la  (ilialiou  des camlcs  d'Auvergne  et  de  Poitou, établissanlqii'Eblc  cl  Acfred 
èlaicnl  pnrcats  au  dixiùmc  degré: 


Gérard,  comlc  d"x\uvergQe 
I  _ 

RcuolJ  Ilt,  cûmle  de  Puiloa 
I  


Guillaume,  frëre  deGérard,  qui  Fui  comte 
d'Auvergne  après  lui. 


Bernard  I,  comte  d'Auvcry;De. 


RcDouI  II,  comte  de  Ptiilou 


Eble,  comte  de  Poitou 


Bernard  11  Plantcvcluc,  comte  d'Auver- 
guo. 


Guillaume  le   Adaliude,  mariée  à  Acfred, 
Pieux,    ct«       comte  de  Carcassonnc. 
d'Auver- 
gne. 


Guillaume  le  Jeuuc,       AcTred,   comte  du 
comLcd'Auvcr^ne        Géviiudan  ,     puis 
d'Auveriçne. 

(2)  Chron.  d'Adè/nar,  p.  i^'i.  AJéuiar  commet  une  erreur  en  disant  qu'Eblc  suc- 
céda dircclemcnl  à  Guillaume  le  Jeune.  H  n*a  pas  eu  coonaLsanoce  d'Acfred,  qui  no 
fui,  il  est  vrai,  ijiie  pendanl  quflttiu's  mois  en  possession  de  rbérilaye  de  son  frère. 


EBLE  MANZKR 


67 


Aymar  conliiitia  à  émeUi'o  ou  Poitou  des  aïonnaios  au  nom  cl  au 
monogramme  de  Charles  io  Chauve,  accompagnas  do  la  croiseltc 
comlale,  ainsi  que  l'avaicnl  fait  ses  prédiicesstHirs.  Eblo  s'affran- 
chit de  celle  routine,  el  fil  preuve  dans  celle  malièrc  d'un  espril 
d'initiative  que  l'on  relrouve  dans  beaucoup  de  ses  actes.  Les 
monnaies  poilcvines  frappL'Os  jusqu'à  ce  jour  porlaicnl  d'un  côlô 
une  pelite  croi.v  avec  le  nom  du  roi,  carlvs  ou  c.vrlem.vnvs 
REX,  et  de  l'aulrc  celui  de  Talelicr  de  xMelte,  metvllo,  encadrant 
le  monogramme  royal  II  ne  loucha  point  h  la  marque  essenlielto, 
celle  qui  s'appliquait  au  roi,  mais,  sur  le  revers,  reprenanl  un 
lype  des  monnaies  de  Charles  le  Chauve,  il  plaça  le  nom  de  Melio 
sur  deux  lignes,  seulement  on  lui  appliqua  l'orlhographcdu  Icmps 
et  MRTALLVM  deviut  MKTALO.  Du  coup,  lo  monogrammc  du  roi 
disparut,  el  comme  ces  pièces  n'avaient  pas  leurs  similaires  dans 
le  monnayage  royal,  Eble  supprima  la  croisctte  qui  permellail 
jusqu'alors  de  distinguer  la  iahricalion  du  comte  de  Poitou  de 
celle  du  roi  de  France  (1). 

La  drsparilion  de  son  compélileur  ayant  enlevé  à  Haoul  loulc 
crainte  au  sujet  de  la  fidélité  des  grands  seigneurs  du  royaume, 
il  reprit  ses  projets  de  domination  directe  sur  l'Aquitaine.  La 
maison  d'Auvergne  disparue,  ce  fut  à  celle  de  Poitou  qui  la  rem- 
plaçait qu'il  s'attaqua,  et  il  le  fil  sans  larder.  Bien  qu'Ehle,  quand 
il  lui  fut  acquis  que  la  restauration  de  l'ht^ritier  des  Carlovingiens 
élait  impossible,  eut  l'cconnu  à  tout  lo  moins  dans  les  protocoles 
de  ses  actes  la  royauté  de  Raoul  que,  pendant  deux  ou  trois  an?, 
il  avait  feint  d'ignorer,  co  dernier  ne  fut  pas  dupe  de  celle 
manifoslalion  platonique,  attestée  par  ce  qui  se  passa  dans  les 
élahlisscmonls  i-eligîeux  de  la  région  où  l'on  voil,  de  92-ï  à  927, 
certains  d'entre  eux,  tels  que  Saint-Hiluire,  Sainle-Hadegonde, 
Saint-Maixenl,  inscrire  dans  leurs  formulaires  le  nom  de  llaoul, 
tandis  que  d'aulres,  tels  que  Saint-Cyprien,  ne  connaissaient  que 
Charles  le  Simple  (2). 

Tout  d'abord, dès  030,  sous  prétexte  d'aller  comballre  un  parti 
de  Normands  qui  avaient  fait  irruption  dans  l'Aquitaine,  il  péné- 
tra dans  ce  pays  et  rencontra  les  envahisseurs  dans  le  Limousin, 

(1)  Voy.  Appendice  VMI. 

(a)  Cart.  de  Saint-Cyprien,   pp.  iSi'i,  i55  et  iSS, 


68 


Li:S  COMTKS  DE  PDITOL' 


OÙ  il  les  di^fil  coniplèlcinoiil  (  t  ).  Ce  sl1cc^s  lui  accjuiL  hoaunmp  do 
r^iMilalioii  auprès  dos  Aquilairis  oA  les  disposa  en  sa  ravpur;  mais, 
rappelé  en  France  par  lagiieirc  que  se  faisaient  Hugues  le  Gi-and 
elle  comte  de  Vermandois,  il  ne  poussa  pas  plus  loin  son  enlro- 
prise;  toutefois,  eL  ce  fui  un  premier  acle  de  méfiance  à  l'égard 
d'Eble,  ildétivia  l'abbaye  de  Tulle  de  la  sujétion  envers  l'abbaye  de 
Sainl-Savin  qui  lui  avait  été  imposée  sepl  ans  auparavant  el  alTai- 
blil  d'autant  l'autorité  dti  comte  de  Poitou  dans  cette  partie  reculée 
desesélals.  Il  esl  possible  que  celle  mesure  de  Raoul  ail  concordé 
avec  la  mort  d'Adémar,  seigneur  des  Echelles,  abbé  laïque  de 
Tulle.  Ce  dernier,  qui  n'avait  pas  d'enfants  légitimes,  (il  vers  celle 
époque  son  lestamonL  en  présence  du  comte  de  Poitou,  de  son  fils 
Guillaume,  des  comtes  Odolric  et  Cauzberl,  Il  abandonnait  aux 
moines  de  Tulle  les  grands  biens  qu'il  possédait  dans  les  comtés 
de  Limoges  el  de  Cahors  el  ne  demandait  en  relour  que  des 
prières  pour  le  salut  de  son  âme,  pour  sa  femme  Gauzla,  pour 
le  roi  Haoul  et  pour  son  seigneur  le  comte  Eblc,  qui  avail  donné 
son  consenlemenl  à  cette  générosité  {'!).  C'esl  à  la  même  époque 
que,  pour  couper  courl  à  loutes  les  prélenlions  qu'Eble  pouvait 
faire   valoir  sur  le  Berry  en  sa  qualité  d'hérilier  des  comles 
d'Auvergne,  Raoul   déclara  que  ce  pays  ferait  désormais  parlie 
inlégranle  du  domaine  royal  el  no  posséderait  plus  do  comle(3). 
Durant  Tannée  !)JI,  le  roi  vint  de  nouveau  en  Aquitaine  sous 
ombre  de  réconcilier  certains  scigiieui's  du  pays  qui  se  faisaieul 
la  guerre  (i),  mais   des  dissensions   ayanl  éclaté  dans  le  nord 
de  la  France,  il  dut  encore  repartir  el,  pi^r  là,  fut  cuipcché  de 
donner  suile  h  des  projets  qu'il   poursuivit  résotumenl  l'année 
suivante  (932).  Toutefois, avant  d'agir,  Raoul  prit  soin  de  s'assu- 
rer la   neutralité  el  peut-Être  l'aide  des  grands   seigneurs  du 
Midi.  Il  leur  donna  rendez-vous  h  la  limile  de  ses  possessions, 
sur  les  bords  de  la  Loire;  là  on  vil  se  rendre  Raimond-Pons, 
comle  de  Toulouse,  el  Ermcngaud,  comte  de  Rodez,  qui  placèrent 
leurs  mains  dans  celles  du  roi  et  lui  jurèrent  fidélité  suivant  la 

(i)  Rîcher,  Histoire,  1.  I,  07;  Hec.des  hisl.  de  France,  VIII,  p.  i80^  Flodoard. 

(a)  Gtttlia  Christ.,  Il,  instr.,  col,  aoS. 

(â)  De  Lastcyrie,  Elude  sur  les  vomies  de  Limoges,  p.  40/  d'après  Baluze,  Hist. 
Talel.,  app.,  col.  Ï25. 

(4)  Flodoard  dil  ausi<i  4]ue  Raoul  fut  visiter  le  tombeau  de  saîol  Martin  (/{ec.  des 
hist.  de  Fratu'.e,  VIII,  pp.  186  et  187). 


EBLE  iMANZEK  69 

formule  que  celui-ci  leur  imposa.  Quant  à  Loup  Acinaire,  comle 
des  (lascons,  il  fui  encore  plus  loin  ;  il  remit  son  bi^néfice  à 
liaoul  qui  le  lui  rendit  et  lui  concéda  do  le  tenir  désormais  dii'ec- 
lemenl  du  roi  de  Fiance  (I). 

Cesacles  tHaicnl  évidemment  dirigés  contre  l'Ible,  à  qui  on  en- 
levait les  droits  de  suzeraineté  qui  lui  appartenaient  en  sa  qualité 
de  duc  d'Aquitaine,  mais  Raoul  ne  s'en  tint  pas  là.  Quand  il  eut 
ainsi  délaclié  du  coml»^  de  Poitou  ceux-là  qui  pouvaient  lui  parler 
secours,  il  i^'atlaqua  direclement  à  lui.  Il  ne  semble  pas  qu'lible 
ait  voulu  tenter  le  sort  des  armes  ;  il  préféra  se  soumettre  aux 
dures  conditions  que  lui  posa  son  adversaire.  Afin  de  rattacher  à 
sa  cause  le  comte  de  Toulouse,  Raoul  avait  dû  lui  faire  des  pro- 
messes dont  la  dépouille  d'Eble  était  le  gage;  en  sa  qualité  d'hé- 
ritier pour  partie  du  Guillaume  le  Pieux,  dans  la  succession  de 
qui  il  avait  recueilli  le  marquisat  de  Golhie,  Raimond-Pons  re- 
vendiquait le  lilre  de  duc  d'Aquitaine  et,  par  surcroît,  le  comté 
d'Auvergne  :  Raoul  lui  donna  l'un  et  l'autre  (2). 

Bien  qu'à  première  vue  le  sacrifice  consenli  par  Eble  paraisse 
considérable,  il  diminue  d'importance  quand  on  l'examine  de 
près,  et  l'on  en  arrive  à  constater  que  sa  soumission  spontanée 
aux  volontés  de  son  ennemi  fui  un  acte  d'babiteté  politique.  Isolé 
comme  il  l'était,  il  se  sentail  incapable  de  résister  aux  forces  dont 
le  roi  de  France  pouvait  disposer  ;  vaincu,  il  était  menacé  de 
perdre  ses  étals  el  peut-être  la  vie;  il  préféra  transiger  et  s'assu- 
rer la  possession  tranquille  de  son  patrimoine  en  abandonnant 
ce  qui  faisait  l'objet  do  la  convoitise  de  ses  adversaires,  d'autant 
plus  que,  n'élanl  pourvu  que  depuis  peu  de  temps  de  Thériiage 


(1)  Richer,  Histoire,  I.  I,  64;  Rec.  des  hi$t.  de  France,  VJII,  p.  tSS,  F'iadoard. 

(2)  D.Vaisselc, //<»/. </(?Z.anyrtf*/ot\n"*  éd.,  III,  p.  1 1 1.  LcabaoûlgStiiftaiiuond-Pons, 
prcDADlle  lilre  de  duc  des  Aquilaius,  assiste  daus  l'é^'lisi-  de  Saiul*  Julien  de  Brioude, 
en  compagnie  de  Godciscac,  ëvcque  du  Puy,  des  vicomtes  Dalniace  el  Robert,  à  uoe 
donation  faite  en  faveur  de  ce  innuuslcrc  (Doûiûl,  Curlul .  de  Jiriuiide,  JUèiii.  de  l'A- 
cadémie de  Clcraiool-l'errand,  XWIV,  p.  i*)"]).  Les  (luclualions  diverses  auxquelles 
a  élé  soumise  l'Aquilaine  cl  particulicrcmcnl  l'Auvergne  à  cette  épO(|uc  sont  aellemeut 
indiquées  parles  iudiculions  ihronologiques  des  cliarlcs  du  cartulaire  de  UrÎDudc;  on 
y  voit  que  jus(ju'au  mois  d'octobre  (j'iO  celles-ci  sonl  fourniespar  le  nombre  des  années 
da  règne  de  Raoul,  roi  des  Fiiakcs  ;  puis,  de  novembre  92IJ  à  bùùI  lyjfjf  c'est  R&oul, 
roi  des  AotitAiNs;  de  celte  date  ù  novembre  yay  on  voit  reparaître  le  roi  des  Kmanos 
sans  autre  dcsi^ialion  et  enfin,  h  [)nrlir  de  décembreij^g  jusqu'au  2  octobre  fj33,  Raoul 
esl  pourvu  de  la  double  qualité  de  roi  des  Fhancs  el  des  A^uitAt.-<â  (Voy.  Urucl; 
Ktsai  sur  la  chrouulotjie  du  carlulaire  de  Briuude). 


70 


Les  co.MTns  i>e  poitou 


d'Acfied,  il  ne  lui  avait  pas  encore  él6  possible  de  bien  asseoir  sa 
doniinalion  en  Auvergne  ou  Je  faire  valoir  loul  ce  que  pouvait 
comporler  le  lilrc  de  duc  d'Aquilaine. 

Nous  sommes  loin  de  connaître  tous  les  actes  accomplis  par 
Haoul  à  celle  époque  el  qui  avaient  pour  objet  d'amoindrir  la 
puissance  du  comte  de  Poitou.  L'un  d'eux  dut  être  la  reconnais- 
sance efTcctive  d'une  situation  ambiguë  douties  premières  mani- 
festations remontaient  sans  doute  fort  loin.  Il  existait  entre  le 
Poitou  et  le  Limousin  une  bande  de  territoire  fort  étendue,  em- 
pruntée presque  en  entier  au  diocl'se  de  Limoges  el  qui  portait 
le  nom  de  Marche  ;  sa  possession,  comme  celle  de  toutes  les  mar- 
ches réparties  sur  plusieurs  poiuts  du  royaume,  avait  dû  rester 
contestée  entre  les  comtes  des  pays  limilroplies  à  la  suite  des 
t^ucrrcs  privées  advenues  entre  eux;  l'éloignement  des  comtes  de 
Toulouse,  possesseurs  du  Limousin,  n'avait  pu  que  favoriser  les 
empiétements  des  comtes  de  Poitou,  mais  quand  ceux-ci  eurent 
réuni  li  leur  domaine  le  comté  de  Limoj^cs,  la  .Marche  aurait  dû 
di^parallre.U  n'en  fut  rien  ;  il  y  avait  des  situations  acquises  à 
ménager  cl  il  semble  que  ce  territoire,  en  tout  ou  en  partie,  avait 
été  inféodé  aux  seigneurs  de  Charroux.  Raoul  fit  de  ces  sei- 
gneurs^ toujours  prêts  à  guerroyer,  le  pivol  de  sa  politique  à 
l'égard  d'Eble,  et,  sous  le  nom  de  marquis  ou  de  comtes,  leur 
donna  un   rang  égal  à  celui  des  comtes  de  Poitou  (1). 

Celle  grosse  question  de  la  suzeraineté  effective  du  roi  de 
Trance  sur  le  Poitou  étant  définitivement  réglée,  Eble  put  con- 
sacrer les  derniers  jours  de  sa  vie  à  l'administration  paisible  des 
importants  domaines  qu'il  avait  conservés.  C'était  un  bon  justi- 
cier, et  ce  que  nous  savons  de  lui,  en  dehors  des  faits  militaires, 
nous  a  été  surtout  conservé  par  les  notices  dos  plaids  qu'il  a  tenus 
cl  où  on  le  voit  exercer  avec  zcle  celle  attribution,  la  plus  im- 
portante dont  aient  joui  les  comtes,  celle  de  rendi-c  la  justice. 
Ce  n'esl  pas  seulement  à  Poitiers,  dans  sou  palais,  qu'il  tenait  ses 


(i)  Le  premier  comte  de  la  Marche  esl  Bosoq  le  Vieux, qui  cal  dL-sÎL,»né  diinsun  acte 
du  mois  (I'uoi"il  t)5i>  avec  la  qualilicfllion  de  marquis,  floso  mnnfu'o,  et  ailleurs  sans 
mnniue  de  dignité,  Duso  Vclattts  de  Murcu  {Galiia  Christ.,  H,  inslr.,  col.  lO'j;  de 
Lasieyrie,  Kfiitle  sur  les  comtes  de  Limoges,  p.  08  ;  L'/imn.  dWdémar,  p.  i5ij).  Il 
êtall  lils  de  Sulpice  et  pelil-GIs  de  Geoffroy,  cumte  de  Charroux  (NfiircUej;ay,  Chrun. 
deségl.  d^ Anjou,  p.  âytl,  Saint-Maixenlj. 


r 


KBLE  MANZlcn 


assises  judiciaires  ;  il  n'hésiUil  pas  à  se  Iransporler  sur  les  divers 
points  du  comlé  où  son  devoir  l'appelait.  C'esl  ainsi  que,  dans 
une  même  aiïaire»  une  poursuite  intentée  par  les  chanoines  de 
Sainl-.Marlin  de  Tuurs  eunlre  Savari,  vicomle  de  Thotiars,  qui 
leur  avait  enlevé  les  domaines  de  Curi;ay  el  d'Antoigné  et  les  dé- 
lenail  depuis  six  ans,  il  recul  leurs  plaintes  à  son  plaid  de  Poitiers, 
en  avril  ou  mai  92(5,  puis  il  les  accueillit  de  nouveau  àCoulombiers 
el  enfin  à  Avrigny,  où,  le  29  mai,  il  ratifia  l'accord  intervenu  à 
Thouars  entre  les  parties  le  22  du  m<'^me  mois  el  le  fil  attester 
par  ses  fidèles  (I).  Dans  une  autre  atfaire,  où  un  diacre  appelé 
Launon  élail  poursuivi  pai-  un  nommé  Vsarn  en  restitution  de 
son  bien  qu'il  avait  injustement  usurpé,  on  voil  Ysarn,  après  une 
première  sentence  rendue  par  Eble  et  les  très  nobles  personnes 
ses  vassaux,  poursuivre  sa  réclamation  pendant  deux  ans  à  tous 
les  plaids  publics,  et  comme  personne  ne  s'y  présenta  pour  con- 
tredire ii  la  première  sentence,  lible  ordonna  enfin  l'exécution  de 
celle-ci  à  un  plaid  tenu  au  mois  d'aviil  907,  auquel  assisluieut 
trois  vicomtes,  un  auditeur  ou  homme  de  loi,  deux  viguiers  et 
quinze  particuliers  désignés  spécialement  comme  témoins  (2). 

Toutefois,  si,  comme  justicier,  il  se  montra  disposé  à  défendre 
les  droits  des  établissements  religieux,  toujours  menacés  par  des 
voisins  trop  avides,  il  ne  paraît  pas  avoir  fait  preuve  à  leur  égard 
de  la  générosité  à  laquelle  les  rois  de  France  ou  d'Aquitaine 
avaient  été  si  enclins.  Ainsi,  lorsqu'en  924  les  moines  de  Redon 
vinrent  négocier  devant  lui,  avec  les  religieux  de  Saini-Maixent, 
le  retour  de  Bourgogne  des  reliques  de  leur  saint  patron,  qu'il 
accepla  que  les  engagements  pris  de  Tune  et  de  l'autre  part 
fussent  placés  sous  sa  sauvegarde  el  présida  à  la  réception  de 
leur  serment  relij^ioux  dans  l'église  de  Notre-Dame  de  Poitiers, 
enfin  que,  le  lendeuiaiti,  il  regut  d'eux  un  nouveau  serment  dans 
son  palais,  il  se  contenta,  pour  tout  témoignage  do  sympathie, 
de  défrayer  les  parties  de  leurs  dépenses  pendant  qu'i.dles  séjour- 
nèrent à  Poitiers  (3).  A  vrai  dire, on  ne  connaît  de  lui,  en  dehors 


(i)  Mabille,  Pancarte  noire,  n«  cxvi,  p.  taS;  Bcsly,  Hîsl.   des   comtes,  preuves, 
p.  si8. 

(a)  Arcb.  de  la  Vienne,  orig.,  Nooillé,  n«  ao. 
(;^)  Cariai,  de  /iaion,  p.  238, 


72  LES  COMTES  DE  POITOU 

des  aulorisalioiis  qu'il  donna  à  quelques-uns  de  ses  vassaux  de 
disposer  do  portions  de  leurs  b6n6llces,  aucune  donation  faite 
par  lui  h  des  (['[ablisseraenls  religieux;  on  ne  peut,  on  effet,  con- 
sidt-rer  réellement  comme  lelle  Tuljandon  qu'il  Hl  à  l'ubbaye  de 
Noftillu.cn  U32,d'un  droil  du  rivage  situé  dans  le  pays  de  Thouars, 
dépundauL  de  son  bénéfice  particulier,  et  sur  lequel  il  retint  deux 
deniers  que  les  religieux  devaient  lui  payer  annuellement  {!). 
Comme  les  abbayes  étaient  pour  la  plupart  en  la  possession  de 
SCS  fidèles,  el  c'était  le  cas  pour  Tabbayc  de  Sainl-Maixenl,  qui 
appartenait  aux  vicomtes  de  Thouars,  il  préféra  sans  nul  doute 
faire  dircclemenl  à  ceux-ci  des  largesses  qui  les  allachaienl  plus 
élroilemenl  à  sa  personne  plu  loi  que  de  les  leur  faire  arriver  par 
une  voie  détournée  qui  ne  pouvait  alteindre  le  but  qu'il  se  pro- 
posait. Cette  allitude  réservée,  il  la  garda  aussi  à  l'égard  du  pou- 
voir épiscopal  et  môme,  vers  la  fin  de  sa  vie,  s'étanl  brouillé,  on 
ne  sait  pourquoi,  avec  Frolier  II,  évoque  de  Poitiers,  il  le  dé- 
pouilla de  ?ou  évéclié  (2). 

Quand  Eblc  mourut,  dans  le  courant  de  l'année  93o  (3),  àTâge 
d'environ  soixanle-cinq  ans,  son  pouvoir  (4)  était  bien  quelque 
peu  amoindri  ;  néanmoins,  il  était  encore  un  des  plus  puissants 
soigneurs  de  France.  Il  possédait  le  Poitou  el  sans  doute  le  pays 
d'Aunis  à  litre  héréditaire,  le  Limousin  par  conquête,  el  élevait 

(i)  Arch,  delà  Vienne,  oriç^.,  Noaillé,  do  ag. 

fa]  Cart.  de  Saint-Cijpt'ien,  p.  go.  Au  mois  dedéccrnbre  f)34,  Frolier  remplissait 
encore  les  fonctions  cpiscopales,  car  on  le  voil  se  désister  en  faveur  tics  religieux  de 
Noaillé  ilu  droit  de  e;îie  qu'il  réclniunil  d'eux  A  cause  de  l'église  de  Moalvinard  (Arclu 
de  la  Vienne,  oriy.,  Noaillé,  n°  ï/|  ;  Gtttl.  Christ.,  Il,  col.  i  iGo). 

(3J  Besly  (fJ/st .  des  comtes,  p,  3(j)  adopte  pour  la  mort  d'ChIe  ta  date  de  5)35  in- 
dii|iiée  par  llouchct  dans  les  Anuales  d'A(|uit;iinc  (éd.  de  iC/i/j»  p.  117),  mais  M.  Des- 
ijujers  el  M.  Kfdcl,  qui  ï:i  suivi,  se  rallaelieulù  lu  date  de  f)3i!,  au  plus  lard,  fournie 
par  lu  charte  du  cailulaire  de  ISainl-f  yprien  [j>.  yo).  citée  plus  liaul.  Nous  noua  ran- 
geons à  l'opinion  de  nesly,  qui  nous  parail  jusliHcc  par  une  charle  originale  des 
archives  de  la  Vicuuc  (Sainl-Cyprico,  n<*  i),  datée  du  mois  de  janvier,  l'an  xi  du 
rè^ne  de  Raoul,  c'est-à-dire  du  mois  de  janvier  <j34,  el  par  laquelle  Eltlt  concède 
aux  moines  de  Sainl-Cypricn  une  aire  de  marais  salants  situes  prés  d'Ançoulioa. 
Il  nous  parail  naturel  d'accorder  bieu  plus  de  confiance  à  une  pièce  aulbenlit[ue  qu'à 
une  IrauscriptioD  du  carlulaîre, lelle  c[ue  su  prcseule  celle  dcg3a,  el  bien  que  nous  ne 
connaissions  pas  d'autre  aclc  émané  d'Eble  pendaal  les  années  r)32  à  ^33,  ipie  celui  de 
janvier  ^S.J,  nous  inclinons  à  le  faire  vivre jus<pi'en  y^fj,  d'aulanl  plus  que  le  premier 
acte  certain  que  l'on  puisse  attribuer  ù  son  successeur  n'est  que  du  mois  de  décem- 
bre de  celle  année  ij3j, 

(4]  Eble  élant  iiaacé  en  %o  alors  que,  d'après  les  textes,  il  était  encore  jeune,  il  est 
nalurel  de  lui  aUribucr  ù  cetle  date  environ  ving:t  an?,  ce  qui  placerait  sa  Daissaocc 
vers  l'année  870. 


EBLE  MiVNZEIl 


73 


des  prélenlions  sur  la  Saintonge  proprement  dile,  que  se  dispii- 
Itiîenl  les  comtes  d'Angoulêmc,  de  Périgueux  et  de  Bordeaux, 
et  où  les  évoques  de  Saintes,  à  l'exemple  de  nombreux  prùlals 
de  celle  époque,  cherchaient  à  se  constituer  un  grand  domaine 
féodal  (1)  ;  enfin,  il  laissait  cà  se.s  héritiers  des  droits  k  faire 
valoir  sur  le  comté  d'Auvergne  et  le  duché.d'Aquilaine,  dont  il 
avait  joui  pendant  quelques  années  et  qui  faisaient  vérilablemenl 
partie  de  son  héritage. 

Tel  élaiL  le  résultat  auquel  était  arrivé  ce  personnage  qui, 
parti  d'une  situation  équivoque,  réduit  pendant  plusieurs  années 
à  ses  propres  ressources,  avait  su,  au  milieu  des  difflcullés  de 
l'époque  si  troublée  où  il  avait  vécu,  créer  d'abord  sa  position, 
la  mainlenir,  puis  l'accroître  et  lui  donner  le  j,'rand  développe- 
ment que  nous  constatons.  Ce  n'était  assurément  pas  un  homme 
de  mince  valeur  ;  il  possédailloulesles  qualités  qui  fonlun  chef  de 
dynastie, et  il  avait  eu  plus  de  trente  ansdevant  lui  pour  en  établir 
solidement  les  bases  ;  prâce  à  sa  ténacité,  la  race  du  duc  Gérard 
d'Auvergne,  le  noble  et  fidèle  compagnon  de  l'empereur  Louis  le 
Débonnaire,  présida  pendant  près  de  trois  siècles  aux  destinées 
du  comté  de  Poitou. 

Eblo  s'était  marié  deux  fois:  sa  première  femme  fui  Aremburge, 
avec  qui  il  était  fiancé  h  l'époque  de  la  mort  de  son  père  {2}  ; 
la  seconde,  EMii.LAWE.qui,  de  concert  avec  lui,  acheta  en  91 1  l'alleu 
de  Baidon  (3).  11  est  à  présumer  que  c'est  de  sa  seconde  femme 
qu'il  eut  les  deux  enfants  qui  héritèrent  de  lui  :  Guillaume,  qui 
fut  comte  de  Poitou,  clEble,  qui  entra  dans  l'Eglise  (4). 


(1)  La  suprêrnalie  du  Poîfou  ssur  !a  Saiiilong-o  s'était  établie  dans  le  cours  du  ixe 
siècle,  après  la  mort  dti  comte  I^aaJri.  M»is  tiiridis  ijuc  la  cégioQ  siluéc  au  sud  de  la 
Charente  était  deveaue  un  champ  de  compétitiuu  entre  les  comtes  voisins  de  tlordeaux, 
de  Pcrijîueux  cl  d'AnifOuléinc,  deslicas  très  étroits  avaieot  directciiicnl  ratlaclié  l'Au- 
ais  au  Poitou,  cl  raulorilé  d'EbIc  daos  ce  pays  est  incontestée  ;  elle  est  en  particulier 
constatée  par  la  coucesaion  qu'il  fit,  ea  janvier  984  >  aux  luoiues  de  Saiat-l'.ypricn,  à  la 
demande  »ie  son  vassal  ftoger,  de  portion  du  bénétice  que  celui-ci  possédait  eu  Aunis, 
pour  y  établir  des  salines  (Cnrtiit.  de  Stiint-Cypriert ,   pp.  3i8  el3i(j). 

[■2)  Mubillc,  l'une  irle  noire,  n"  xvid,  p.  G8  ;  licily,  fliit,  des  comtes,  pretives, 
P-  309. 

(3)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Maixent,  I,   p.  19. 

(^1)  Adéuiar,  i|ui  dans  sa  chpooiijue  (p.  r/iti,  Joanc  les  noms  des  deux  enfanta  d'Eble, 
leur  attribue  pour  mère  Adèle,  fille  de  Hjllan,  duc  de  Normandie;  Uesly  {llist.  des 
comtes,  p.  3»;))  combat  celte  opinion,  mais  fait  de  celte  princesse,  par  inlerprélatioa 
d'un  lexte  de  Guillaume  de  Mahacsbary,  la  lillc  d'EJouard,  roi  d'Angleterre,  Nous 


74 


LES  COMTES  DE  POITOU 


VIII.  —  GUILLAUME  TÊTE  D'ÈTOUPE 

I*'  Comte  —  III»  Duc 

Le  fils  olné  d'Eble  Manzcr  portail  le  nom  de  Gnillauino,  Il  fui 
le  premier  de  celle  brillante  lignée  de  comtes,  d(''signés  tous  par 
celleappellalionde(iiiil!aume/iui  se  succédèrent  àlati^ledu  Poitou 
pendant  deux  sièiio?.  Selon  Titsa^e  du  temps,  il  fui  pourvu  d'un 
sobriquet  qui  servait  à  le  dislinp;uer  d'autres  comtes,  ses  bomo- 
nymos,  et  qui  fut  emprunté  à  la  nature  et  à  la  couleur  de  ses 
cbevcux,  celui  de  Tête  d'Eloupe,  eapul  stupe  (1).  Ce  surnom  fui 
aussi  donné  postérieurement  à  Uaimond  Bérenger,comle  de  IJar- 
celone,  au  xi*  siècle,  «  à  cause  de  sa  perruque  espoisse,  blonde  et 
déliée  qui  ne  sert  pas  de  petit  ornement  à  un  prince  »,  dit  Besly, 
mais  cet  historien,  qui  admet  bien  celte  interprétation  rationnelle 
pour  le  comte  de  Barcelone,  la  rejette  quand  il  s'agit  du  comte 
de  l^oilou  et  ne  veul  y  voir  qu'une  allusion  à  une  qualité  morale; 
pour  lui,  le  sobriquet  de  caput  slnpp.  est  l'équivalent  du  raol 
umpicns,  a  c'est-à-dire  bébélé,  et  qui  n'a  pas  plus  de  sentiment 
que  do  l'estouppe,  imprudent  et  malavisé  »,  qu'il  applique  aussi 
bien  à   Charles   le   Simple   qu'au  comte  de   Poitou   (2).  Celte 


établissons  dans  uae  étude  apéciale  (appendice  II),  qu'il  y  a  eu  chez  les  bîsloricna 
confusion  entre  la  femme  d'Eble  el  cclJc  de  sou  tils  Guillaume  Tèle  d'Ediupe.  Ce  i]ui 
nous  porte  surloul  à  atlrihuer  ù  KniilLuie  les  deux  fds  d'Ivble  Manzcr,  ccsl  t^iie  l'on 
voit  eu  janvier  iiG")  ou  t)6G  te  frère  de  Guillaume  Tète  d'Eloupe,  Kble,  alors  aljbê  de 
Saiiit-Mnixcnl,  donner  à  ce  monaslcre  Tulleu  de  Baidonj  qu'il  déclare  lui  ap|>îirlenir  à 
tilre  lièrcJilJnre,  ce  qui  ne  peut  être  exact  que  s'il  est  le  tils  dEmiltaue,  <jui  avait 
acquis  ce  domaine  en  »jî  i  et  dans  la  succcsbiou  de  i[ui  il  l'aurait  trouvé  (A.  Hicliard, 
Chartes  de  Saiiit-Muij'eni^  I,  p-  4^)-  I^uliu  Guy  Allard,  hislorit-D  du  Diiupbïnc,  ailrl- 
bue  à  Eble  un  fds  nommé  Gcilon,  qui  serait  devenu  la  tifçe  des  comtes  de  Valcn- 
linois  du  nom  de  Poitiers  ',  c'est  uq  de  cea  ooiubreux  systèmes  imag'inés  pour  expliquer 
ie  nom  de  Poitiers  porté  par  ces  couilcs  (\'oy.  J.  Clievalier,  Mémoires  pour  servir  à 
t histoire  des  comtés  de  Valenlinois  el  de  Diois,  I,  p,  137,  note  1). 

[t)Chron.  d'Adérnar,  p.  if\f\;  A.  Richard,  Chorli-s  de  Siiirtt-Mai.venl,  l,  pp.  3-j 
cl  73.  La  chronique  de  Nantes  (éd.  Meilel,  p.  «jD)  l'appelle  Cnpitt  desttipia, 

(2)  L'opinion  de  Besly  a  fait  son  chemin  el  est  passée  dans  l'histoire  avec  toutes  ses 
conséquences  ;  clic  n'est  pourtant  fondée,  comme  uuus  le  disons,  que  sur  une  erreur 


GUILLALME  TETE  D'ÉTOLFE  ,5 

apprôcialion  de  l'homrae,  fondée  sur  une  erreur  malérielle  de 
lecture  que  l'on  a  essayé  de  corroborer  par  la  mise  en  vedelle  de 
deux  fails  raal  inlerprélés,  doit  êlre  rejelée  sans  liésilalion. 
Guillaume  Tèle  d'Éloupc  no  fut  pas  inférieur  au  rôle  qu'il  élail 
appelé  àjouer;  il  succéda  îi son  père  dans  des  circonslances  diffi- 
ciles et,  lanl  par  sou  habilelé  que  par  son  énergie,  il  arriva  non 
seulement  à  réparer  les  revers  de  fortune  qui  avaient  marquetés 
dernières  années  de  la  vie  d'Eble,  mais  encore  à  grandir  consi- 
dérablement sa  silualion  devenue  fort  brillance  quand  il  aban- 
donna volonlair^mcnl  le  pouvoir. 

Au  momenl  do  sa  prise  de  possession  du  comté  de  Poitou, 
Guillaume  devait  avoir  une  vingtaine  d'années  [\);  aussi  son  pre- 
mier soin  fut-il  de  chercher  à  conlracler  une  union  qui  lui  fût 
profitable.  Dans  ce  bul,  il  se  rendit  à  la  cour  du  roi  de  France, 
où  du  reste  l'appelait  son  devoir  de  vassal,  désireux  de  se  faire 
maintenir  dans  la  possession  de  ses  bénéfices.  Là,  il  trouva 
Hugues  le  Grand,  duc  de  France,  qui,  dit  un  historien,  avait  été 
le  gran<l  ami  de  son  père  et  reporta  cette  afleclion  sur  le  fils  (2). 
Mais  cette  amitié,  comme  on  le  verra  par  la  suite,  a  bien  des 
rapports  avec  celle  que  professe  le  rapace  pour  Toiselel  qu'il 
se  prépare  à  enserrer.  Sur  les  conseils  d'Hugues,  qui  complail 
retirer  quelques  avantages  de  l'afTaire  si  elle  tournait  à  bien, 
Guillaume  rechercha  Adèle,  sœur  de  Guillaume  Longue-Epée, 
duc  de  Normandie.  Celte  princesse,  que  lïoUon  avait  eue  de  son 
union  avec  Poppa,  la  fille  du  comte  de  Bayeux,  épousée  par  lui 


tnatcriello  Je  cet  vcrivaio.  Ayant  trouve  ilaaa  une  cbronii]ue  manuscrite,  qu'il  dé- 
8i:;ne  par  \c  nom  de  30q  possesseur,  M.  Pctau,  la  phrase  suivante:  «  LuJovious 
ille,  hlius  Karoli  Insipienlis,  dédit  Wuillclmo  Caput  Stupn?  civitatem  Arvcrtiis  c( 
Valesiœus  (Ilisloire  des  comtes,  preuves,  p,  2/|4),  il  appliqua,  sans  y  prendre  carde, 
au  comte  de  Poitou  {/Itst.  des  comtes,  pp.  4'  et^l^i).  "  surnom  d'insîpiens  qui  avait 
été  donné  au  roi  de  France  par  l'intcrpoiateur  d'Adémar  de  Chabannes  (p.  i38),  au 
lieu  de  celui  de  simplejc,  employé  par  Riclicr  {f/ist.,  1.  I,  i4).  Dans  le  mémoire  de 
AI.  Eckel  sur  Charles  Ik Simple,  on  rencontre  un  appendice,  pa^e  1/40, ainsi  intitule  : 
Dusumom  'Me  Simple"  attribué  à  Charles  III  ;le  texte  recueilli  par  Besly,  qui  est  sans 
doute  postérieur  à  Adémar,  n'y  est  pas  cite.  Geoffroy  du  N'içeois  ^Labbe,  A'ova  bibl, 
man.,  I,  p.  3o4)  dit  que  Rnlmond,  vicomte  de  Cariai,  portail  le  surnom  de  Télé 
d'Eluupe  pour  cause  des  multiples  cicatrices  dont  son  crâne  était  couvert. 

(1)  Guillaume  Tète  dTloupc,  ayant  contracté  mariai^e  en  gJj,  ne  pouvait  a  voir  à  cette 
date  moins  de  ving;t  ans,  par  suite  sa  naissance  doit  èlre  reportée  à  l'année  gi5  au 
|)lus  lard. 

(1]  «  Suum  specîalcm  amicum.  p  Mabille,  Pancarte  noire,  ao  cxvr,  p.  128,  charte 
du  ai  mai  920  ;  Bcsiy,  ///*/.  des  comtes,  preuves,  p.  iig. 


76 


LES  COMTES  DE  POITOU 


à  la  mode  danoise,  du  Icmps  qu'il  n'était  encore  qu'un  chef  de 
bandes,  avait  primitivement  porté  le  nom  de  Gerioc  et  n'avait 
reçu  celui  d'Adèîe  que  lors  de  son  baptême  (1).  Hugues  cl  Iléri- 
bcrl,  comte  de  Verniandois,  qui  étaient  momenlan^-menl  alliés, 
se  rendirent  avec  Guillaume  atiprfcs  du  duc  de  Normandie  sous  le 
prétexte  d'assister  à  de  brilianles  chasses  au  cerf  qu'il  préparait 
dans  la  forêt  de  Lions-  La  réception  du  duc  fui  splcndide.  Or,  un 
jour,  le  comte  de  Poitou  l'aborda  en  lui  disant  :  u  Seigneur  duc, 
savez-vous  pourquoi  mes  compagnons  et  moi  nous  sommes  ici  ? 
—  Jel'ignore,  répondit  le  duc.  — Eli  bien,  luidit  le  comle,  voici 
le  motif  de  notre  venue.  J'ai  le  désir  que  vous  nie  donniez  voire 
sœur  en  mariage,  et, ne  trouvant  pas  assez  digne  devons  défaire 
faire  cette  demande  par  de  simples  envoyés,  je  me  suis  résolu  à 
venir  vous  l'adresser  moi-même;  cesera  le  gage  indissoluble  d'une 
alliance  que  nous  conlracterons  ensemble.  »  Le  duc,  feignant  de 
ne  pas  prendre  la  chose  au  sérieux,  lui  répondit  :  «  Les  Poitevins 
ont  de  tout  temps  été  timides  et  froids  souslesarmcs;  de  plus,  ils 
sont  avares  ;  il  ne  convient  pas  qu'ils  aient  une  jeune  fille  douée 
des  qualités  que  possède  ma  soeur,  »  Le  comle  de  Poitiers,  qui 
ne  paraît  pas  avoir  entendu  fiieilement  la  plaisanterie,  se  montra 
1res  irrité  de  ces  paroles,  mais  le  duc  de  Normandie,  continuant 
sa  phrase,  le  calma  en  lui  disant  :  «  Ne  vous  emportez  pas;  de- 
main je  vous  rendrai  réponse  sur  l'une  et  l'autre  de  vos  demandes 
après  avoir  pris  conseil  de  mes  fidèles.  »  En  effet,  le  lendemain, 
lïugues  et  lléribert,  continuant  toujours  leurs  bons  offices  en 
faveur  de  Guillaume  elles  fidèles  du  duc  s'élant  prononcés  dans 
le  môme  sens,  le  mariage  du  comte  de  Poitou  cl  de  la  princesse 
normande  fut  arrêté  et  promptemenl  célébré,  car  il  eut  lieu 
avant  la  On  de  celle  année  93a  (2).  Guillaume  Longue  Epée  se 

(r)  Guillaume  de  Jumièges  (Rec.  tles  hi.it,  ite  France,  VIII,  p.aCo)  lui  donne  le 
nom  de  Gcrioc  ;  quaat  à  celui  d'Klborc,  que  Ton  rcncoalre  dans  le  Hamnn  de  Rou, 
vers  233 1  (éd.  Pluquet,  I,  p.  1 17),  il  est  éviderimieut  le  produit  d'une  déformation  lin- 
guistique, tnadia  <]uc  celui  de  Gerbot,  lQdi<[ué  dans  une  note  de  l'éditeur  du  Roman  de 
Kou  (p.  117,  note  yl,  ti'est  que  le  résultat  d'une  mauvaise  lecture.  Tous  les  chroni- 
(jueurs  de  France  aussi  bien  que  les  chartes  désignent  la  femme  de  Tèle  d'Etoupr  sous 
le  nom  J'Adcle,  .1  (te/a,  dont  fa  forme  gc-aitive  était  Adivlane  (Arch.  de  la  Vienne, 
orig.,  Noaillc,  u"  /|o).On  trouve  encore  la  forme  Alftina  (Cart.  dcSaint-fJi/pn'en, 
p.  28). 

(2)  La  date  du  niaria^e  du  comle  de  Poitou  est  précisée  par  un  acte  du  caitulaire 
de  Saint  Cyprico,  passé   uu  temps  du  roi  Haoul  (Icqurl  moutul  le  i4  janvier  (jZi')), 


* 


r.lIILLAI'.MK  TJvTK  D'I^TuUPE 


77 


monira  généreux  à  Téganl  de  sa  sœur  :  il  lui  fil  de  1res  riches 
prést^nis,  qui  consislaienl  principalemeiil  en  cavales  aux  harnais 
ornés  de  phalères,  en  nombreux  esclaves  de  l'un  el  de  l'aulre 
sexe,  en  bijoux  d'or  et  d'argenl  finemenl  Iravaillés,  en  une  grande 
quantité  de  coiïres  remplis  de  vêlements  de  soie,  lissés  d'or  el 
chargés  d'ornements  (I).  Ilériberl  de  Vermandois,  non  content 
d'avoir  favorisé  l'union  du  comle  de  Poitou  avec  la  sœur  du  duc 
de  Normandie,  donna  à  ce  dernier  sa  tille  Leudegarde  en  ma- 
riage (2). 

Des  liens  du  sang  s'établissaient  ainsi  entre  les  premières 
familles  féodales  de  France,  et  Guillaume,  grâce  à  l'alliance  qu'il 
venait  de  contracter,  se  trouvait  entrer  dans  le  concert  des  grands 
seigneurs  qui  réglaient  alors  les  destinées  du  pays.  Mais  si  la  con- 
duite d'Iléribert  ne  fut  inspirée  dans  la  circonstance  que  par  le 
désir  de  se  mettre  en  bons  termes  avec  le  duc  de  Normandie  et 
Je  comte  de  Poitou,  il  en  fut  autrement  de  la  part  d'Hugues  le 
Grand.  Ce  personnage  était  d'une  avidité  extrême,  et  il  entrait 
certainement  dans  ses  calculs  de  tirer  quelque  profit  de  son  rôle 
d'cnlremelteur.  Il  dut  en  demander  le  prix  au  comte  de  Poitou, 
qui  se  monira  peu  disposé  à  accueillir  de  semblables  ouvertures; 
aussi  Hugues,  déçu  de  ce  côté,  chercha-l-il  un  autre  moyen  d'arri- 
ver à  ses  lins. 

Le  roi  de  France,  llaoul,  était  mort  le  14  ou  le  15  janvier  936 
et  le  trône  resta  quelque  temps  vacant.  Le  fds  de  Charles  le 
Simple,  Louis,  vivait  retiré  auprès  du  roi  Athelstan,  frère  de  sa 
mère  Edgive.  A  la  soUicitalion  de  ce  prince,  Hugues  fil  revenir 
le  jeune  Louis  en  France  et  le  fitsacrer  roi  à  Laon  le  19  juin  936. 
Ce  service  méritait  récompense,  et  Hugues  la  trouva  enjetantson 
dévolu  sur  le  Poitou.  H  est  possible  que  Tête  d'Étoupe  ait  eu  le 
pressentiment  des  événements  qui  allaient  se  produire,  etqu'ilait 
cherché  à  y  parer  par  une  mesure  qu'on  lui  voit  prendre  dans 
le  courant  de  cette  même  année  930.  Son  père,  Kble,  avait  ins- 
tallé deux  vicomtes  au  sud  du  Poitou,  à  une  époque  où  le  danger 


<iù  Toa  voit  la  femme  d«  Guillaume  assister  à  une  donation  de  biens  faite  à  co   mo- 
nastère {Cart.  de  SainlCi/prien,  p.  a8), 

(0  Oudnn  de  Sainl-(Jiientin,  f/ist.  Normann.)  éd.  Lair,  pp.  tga-ig3. 

{•à)  fifr.  »/<?«  /n'tt.  de  France,  VIII,  p.  aGu,  Guillaume  de  Jumii^i^cs. 


78 


LES  COMTliS  DK  POITOI 


venait  de  ce  côl6,  mais  au  moment  aii  lo  nouveau  comte  avait 
pris  le  pouvoir^  la  sitiialiuii  nV'lait  plus  la  mômei  c'était  au  Nnrd 
et  h.  l'iîst  qu'il  fallait  rej^arder,  vers  la  Touraiiie  et  le  Berry,  où  le 
duc  de  France  était  lout-puissanl.  Pour  prolégcr  ses  frontières 
et  assurer  d'une  fa^oa  permanente  la  SL'curil(5  de  sa  capitale, 
(luiilaume  cri-a  deux  nouveaux  vicomtes:  ceux  de  ClullellerauU  cl 
de  Brosse;  le  donjon  du  premier  vicomte,  Airaud,  commandait 
le  passage  de  la  Vienne,  sur  la  voie  de  Tours  à  Poitiers  (1)  ;  celui 
du  second,  Raoul,  surveillait  les  voies  venant  de  Bourges  et  de 
Clermonl  (2),  mais  ces  prudentes  mesures  n'arrêtèrent  pas  les 
projets  de  Hugues,  et  on  le  trouve^,  un  beau  jour,  partageant 
avec  Guillaume  Tùte  d'Élotipe  l'autorilô  sur  le  coml6  de  Poitou. 
Quels  procéd(5s  erapIoya-t.-il  pour  arrivera  ses  fins  ?  On  l'ignore; 
peul-ôlre  fit-il  valoir  auprès  du  jeune  roi  que  ce  comté  avait  él6 
autrefois  donné  par  le  roi  Eudes  à  son  frère  Hubert,  et,  en  celle 
qualité,  en  revendiquait-il  sinon  la  possession  absolue,  tout  au 
moins  la  copropriété,  lin  elVet,  on  le  voit,  à  la  Un  de  936  ou  dans 
les  premiers  mois  de  D37,  assister  en  celte  qualité  de  comte,  avec 
son  fils  nommé  aussi  Hugues,  à  une  importante  donation  faite 
par  Sénégonde,  vicomtesse  d'Aunay,  à  l'abbaye  de  Saint-Cyprien 
de  Poitiers,  Son  seing  vient  immédiatement  après  celui  de  Tôle 


(i)  Le  personnage  du  nom  d'Airaud,  qui  fui  élevé  par  Tétc  d'Ëtoupe  à  ta  dignité  tic 
viconile,  iloit  être  sùrenicn(  iiienlific  avec  celui  qui  assislc,  au  mois  de  janvier  93O,  en 
qualité  de  témoin,  aux  côtés  du  comte,  à  la  consccratiuo  de  la  nouvelle  éçliâc  de  Sainl- 
Cyprieu  [Cai't.  de  Sutitt-Ci/priai^  p.  G).  Comme  à  celte  date  il  uo  portait  pas  encore  le 
titre  de  vicomte  et  qu'il  en  était  pourvu  à  la  fia  de  lu  itiKine  année,  il  csL  par  suite 
bien  établi  que  lu  crcytion  de  la  vicûaitc  de  HliAtetlerautt  se  produisit  daus  le  courant 
de  celle  année  yïtj,  Nous  avoQS  dcmontir,  dans  uotrc  étude  sur  les  armoiries  du  comté 
de  l'oilou  {Mé/ii.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  i'Ouesl,  a'  série,  l,  XVII.  pp.  /|13  etauiv.), 
que  l'un  ne  doit  attacher  aucune  créance  à  l'as.scrlion  d'un  FeuJiste  du  xv  siècle  qui 
faisait  sortir  la  vicuuité  de  CliàtclierauU  d'un  partii!»^e  IVêral  du  comté  de  Poitou. 

(3)  Brosse,  la  réaidcace  de  Raoul,  aujourd'hui  cluitcaii  en  ruines,  siscumniuac  de 
Chaillac  (ludrej,  iiUih  situé  eu  iJerry,  sur  les  conlius  du  l'uituu  cl  du  Liaiousîn  (pays 
dans  lesquels  te  nouveau  vicomle  devait  posséder  d'importants  domaiucs).  L'annexion 
du  cliàlcau  de  Urosse  au  Poitou,  dont  il  ne  cessa  depuis  celte  époque  de  faire  partie, 
doit  cire  attribuée  à  Eblc  ou  peut-ûtiô  sculemeut  à  Tétc  d'Elotipe,  el  clic  s'explique 
racilemeut  par  ce  fait  que  l'anarchie  réçnait  eu  quclijue  sorte  en  lierry  où  le  tilre  de 
comte  avait  clé  supprimé  par  le  roi  Raoul  en  yHo.  Les  hlslorieus,  à  défaut  de  texte 
certain,  out  évité  de  se  prononcer  sur  la  date  de  l'érectian  de  cette  vicomte  {voy ,  de 
Lasieyric,  Elude  sur  les  comtes  de  Limofjei,  p.  «17);  toutefois  il  est  établi  que  Géraud, 
qui  fut  vicomte  de  Limoges  vers  ^70,  avait  épousé  Rolliildc,  dllc  et  unique  héritière 
d'un  vicomte  de  Brosse,  dont  le  oora  est  resté  inconnu,  el  que  l'un  des  enfants  issus 
de  celte  union  devînt  la  (ige  d'une  nouvelle  maison  de  Brosse.  Or,  tout  porte  à  croire, 
en  faiîiûut  un  simple  rap[irocheirient  de  dates,  que  Kothilde  est  la  fille  du  preaiicr 
vicomte  de  Brosse,  sans  doute  de  Riioul. 


nUILLAl'MIÎ  Tl'Tt:  D'ÉTOfin-:  79 

d'Éloupe  qui,  entouré  de  ses  vicomtes,  au llienliqua  par  sa  pié- 
sence  la  généreuse  concession  do  la  vicomtesse  (i).  Puis  encore 
l'année  suivante,  au  mois  d'avril  938,  Hugues  prend  le  titre  de 
comte  de  Poitou  dans  le  procès-verbal  de  consécration  do  l'é- 
glise de  la  l^ésurrociion  de  Poitiers,  faite  par  l'ôvêque  Auboin  (2). 
Toutefois,  la  silualion  qui  est  révélée  par  ces  actes  ne  tarda 
pas  à  se  modifier.  En  ramenant  Louis  d'Angleterre,  Hugues 
avait  compté  profiler  de  la  jeunesse  et,  par  suite,  deFinexpéricnce 
du  roi  (il  n'avait  que  seize  ans),  pour  agir  à  son  égard  en  véri- 
table maire  du  [>alnis,  faisant  servir  sa  haute  situation  à  la  satis- 
faction de  ses  intérêts  personnels.  Mais  ses  calculs  furent  di^joiiés 
par  rintetligence  de  Louis,  qui  voulut  gouvornor  lui-même,  En 
tout  cas,  si,  au  début  de  son  règne,  le  roi  avait  gratifié  le  duc  de 
France  du  comté  de  Poitou,  il  sut,  à  un  moment  donné,  lui 
reprendre  ce  don,  Guillaume,  qui  devait  supporter  avec  peine  le 
partage  d'aulorité  et  sans  doute  de  revenu  qui  lui  avait  élé  imposé, 
et  que  ses  traditions  de  famille  portaient  à  s'allacher  à  la  race  de 

(i)  Cari,  de  Sainl-Cijprti'n,  p.  JaS.  Quatre  vicomlcs  assislent  à  celle  donalion  ; 
on  reconnaît  facilcnjcnt  trois  d'entre  eux,  Ctiâlon,  Airaad,  Savari,  vicomtes  d'Au- 
nay,  de  CliàlcllcrajiU  et  de  Tbouars  ;  quant  au  (]u.itrièmc,  qui  porte  le  nom  de  Raoul, 
ce  ne  peut  iilre  qu'un  vicorulc  (■trjin^cr  uu  Poitou  ou  celui  de  L5ru5se,opîniiui  à  laijuelle 
oous  nous  rangeons.  U  ne  saurait,  en  ciTel,  être  quesliftn  dans  ce  personnage  d'un 
vicomte  de  Melle,  cet  office  ajaat  àCi  être  stippriiiic  après  la  mort  d'Alton,  dont  il 
n'est  plus  question  après  930  et  comme,  d'autre  pnrt,  on  a  la  certitude  ifc  l*cxislenc« 
d'un  vicomte  de  lîrosse  en  97(»,  il  y  a  toute  probabilité  pour  que  le  vicomte  Raoul  de 
937  soit  Je  premier  seigneur  pourvu  de  cette  dignité. 

(a)  C'arl.  de  Sainl-C.ijjtrien,  p.  Gi,  Les  deux  textes  que  Dous  venons  de  citeront, 
quelque  concises  que  soient  les  indications  qu'ils  fournissent,  une  valeur  de  premier 
ordre  ;  eu  nous  apprenant  qu^IIuçues  le  Grand  fut  pendant  quel([uc  temps  eu  posses- 
sion du  Poitou,  conjoinlcmoiitavcc  Guillaume,  ils  nous  donnent  ta  clé  de  In  lutte  qui 
s'est  poursuivie  entre  le  comte  de  l'oilou'et  le  duc  de  France  pendant  toute  leur  exis- 
tence. Or,  plusieurs  historiens,  s'inspiranl  de  Uouchcl,  dans  ses  Aunales  d'Aquitaine 
(éd.  de  16^^,  p.  117),  se  sont  refusés  à  recouaaitrc  les  causes  de  cet  anUi^unisœe  et 
rcjeltent  l'immixtion  d'Huçucs  le  Grand  dans  les  nifnircs  du  f'oitou.  Pour  eux,  les 
noms  de  Guillaume  et  d'Hug^ues,  apposés  au  bas  des  chartes  de  937  et  de  gltS,  s^ap- 
pliquenl  à  un  seul  personnag^e  qui  se  serait  appelé  Giiillaume-Hugues.  £n  particu- 
lier, MM.  de  la  Fontenelle  et  Uufour,  dans  leur  Histoire  des  rois  et  des  ducs  d'A' 
qnitdine,  \,  pp.  4^i  et 470,  ont  prétendu  que  Guillaume  Télc  d'I^loupc  ovatt  d'abord 
porté  le  nom  d'Huçues,  que  celui  de  Guillaume  .ivait  ensuite  été  pris  par  lui  en  mé- 
moire de  son  parent,  le  comte  d'Auvergne,  et  aussi  pour  complaire  (!)  à  son  beau- frère 
Guillaume  de  \ormandie.  M.  Rédel,  dans  une  note  du  Carlulairc  de  Saint-Cyprien,  a 
fait  justice  de  ces  allégations  ;  il  fait  ressortir  à  juste  titre  que  si  la  st^ature  d  Hugues, 
Hugo  cornes  Pictavomin,  se  trouve  seule  énoncée  dans  l'acte  de  ç)38,  par  contre,  le 
comte  Guillaume,  le  comte  Hugues  et  un  autre  Hugues  qui  est  évidemment  le  fils  de 
ce  dernier, depuis  Hugues  Capct  signent  ensemble  l'acte  de  987,  u  S.  Willelmi  l'onti- 
lis.  Ilnfjuni  comitis./dem  Ifiiffoni  »,  c«  qui  Irancbe  complélemcul  la  queslioa  {Carf. 
de  Sainl-Ci/prien,  pp  61  et3a5). 


8o 


LES  COMTES  DE  POITOr 


Charlemagne,  se  tourna  du  côLé  du  roi  ;  lorsque  ce  dernier  etilrc- 
pril,  en  930,  d'enlever  la  Lorraine  à  Ollion  le  Grand,  le  pacte 
conclu  lors  du  mariage  de  Tôle  d'Eloupe  6lail  rompu  ;  dans 
renloiiragc  du  puissant  duc  de  France,  allié  d'Oliion,  on  voit 
bien  le  duc  de  Normandie,  les  comles  de  Flandre  et  de  Verman- 
dois,  mais  celui  de  Poitou  n'y  ligure  pas. 

Guillaume  ne  se  contenta  pas  de  se  retirer  de  celle  ligue;  bien 
plus,  il  mit  ses  actes  d'accord  avec  ses  sentiments.  Au  mois  de 
juin  9i0,  Hugues  le  Grand,  Héribert  cl  Guillaume  Longue  Epéo, 
toujours  unis,  s'élaieni  emparés  do  Heims,que  défendait  l'arche- 
vêque Artaud,  partisan  du  roi, puis  ils  avaient  marché  sur  Laon, 
dont  ils  firent  le  siège. Louis  d'OuIrcmer  était  alors  en  Bourgogne: 
il  accourut  au  secours  de  sa  capitale,  accompagné  de  Guillaume 
Tète  d'Éloupe  cl  de  Hugues  le  Noir,  duc  de  Bourgogne.  Les  assié- 
geants ne  l'attendirent  pas,  et  le  roi,  après  avoir  ravitaillé  la  ville, 
retourna  dans  son  séjour  favori  {!). 

Cette  vigoureuse  intervonlion  de  Tête  d'Éloupe  en  faveur  du 
roi  de  France  estle  premier  acte  qui  révèle  son  antagonisme  avec 
Hugues  le  Grand.  Celui-ci,  du  reste,  n'a  pas  dû  jouir  pondanl 
plus  de  deux  ans  des  droits  qu'il  s'était  lait  attribuer  sur  le  Poitou, 
car  du  momenl  où  il  fut  retenu  dans  le  Nord  par  les  intrigues  que 
lui  et  ses  alliés  ourdissaient  contre  Louis  d'Outremer,  c'est-à- 
dire  à  partir  de  939,  Guillaume,  assuré  de  l'appui  de  ce  prince, 
n'eut  pas  de  peine  h  se  débarrasser  de  toute  immixtion  étrangère 
dans  ses  affaires  (2).  Toute  la  vie  du  comte  sera  employée  à  assu- 
rer à  sa  race  la  possession  du  Poitou,  qu'Hugues  et  ses  enfants 
ne  cessèrent  de  lui  disputer. 

H  est  il  croire  que  c'est  pendant  la  période  de  calme  qui  sui- 
vit l'évincenient  du  duc  de  France  que  Tête  d'Éloupe  régla  la 
question  de  ses  frontières  de  l'Ouest  avec  Alain  Barbe  Torle, 
comte  de  Nantes.  Lorsque  ce  personnage  reconquit,  en  937,  sa 
capitale  sur  les  Normands,  qui  la  détenaient  depuis  seize  années, 


* 


(i)  Hec.  clesbisf.  de  France,  Vlil,  pp.  i(j3  el  194.  FloJoard. 

(2)  LapossessioD  efTective  par  Hugues  d'iiue|>arl  d'aulorilédanslo  Poîlou  est  forcé- 
ment comprise  entre  le  ig  juin  gSti,  date  du  cnuronnenicDl  du  Louis  d'Outremer,  et 
l'aonée  qSçj,  durant  laquelle  le  duc  de  France  ne  put  (|uittcr  la  région  du  Nord,cVsl- 
à-dire  pendant  les  années  ij'S-j  et  i)o8,  ce  i]ui  s'accurdc  pnrfaiteineni  avec  les  textes 
poitevins  que  nous  avons  cités  prccédcmincut. 


fJLILLAUMl-:  TÈTt:  IVliTOirE 


8i 


il  occupa  na{urt?llemcnl  les  teniloircs  qui  se  h'oiivaienl  sons 
leur  domiiialion-  Ceux-ci  l'avaicnl  ôlendiic  sur  les  pays  d'fler- 
haugo,  (le  Maugc  el  de  TilTaiigc,  alors  à  peu  près  déserls  h  la 
suite  des  dévaslalions  que,  depuiâ  un  sifcclo,  les  piralcs  du  Nord 
n'avaient  cessé  d'y  commellre.  Essayer  de  reprendre  ces  régions 
au  comle  do  Nantes  viclorieux,  c'était  s'engager  dans  une  guerre 
assurément  longue  et  qui  pouvait  devenir  désastreuse,  eu  égard  h 
rinimilié  d'IIogues  le  Grand  qui,  en  s'alliant  avec  Alain,  aurait 
pu  assaillir  le  comte  de  I^îlou  do  deux  côtés  h  la  foià  ;  celui-ci 
crut  plus  expédient  de  traiter  avec  le  comte  breton,  el,  tout  en 
lui  faisant  reconnaître  te  principe  de  sa  souveraineté  sur  ces 
territoires,  il  lui  en  abandonna  la  jouissance  sa  vie  durant.  D*iin 
commun  accord,  des  limites  furent  tracées  pour  délimiter  les  pays 
qui  passaient  ainsi  sous  Taulorilé  du  comte  de  Nanle^,  dont,  par 
cet  acte  d'habileté  politique  cl  véritablement  peu  onéreux  pour 
lui,  Guillaume  achetait  ta  neutralité  et  pcut-ôtre  l'alliance  (t). 
En  tout  cas,  l'accord  était  conclu  avant  l'année  942,  où  l'on  vit 
les  Bretons  se  joindre  aux  Poitevins  pour  porter  secours  à  Louis 
d'Outremer  (2). 

Le  roi,  pendant  ce  temps,  continuait  avec  succès  la  lutte  enga- 
gée contre  Hugues,  Iléribert  et  Olhon,  et  il  déployait  la  plus 
grande  activité  pour  se  créer  des  amitiés.  Celle  du  comle  de 
Poitou  lui  avait  été  assurée  dès  le  premier  jour,  aussi  ne  pouvait- 
il  manquer  de  renrécompenscrlargemenl.  Ala  fiuderannée  941, 
il  entreprit  une  grande  tournée  dans  ses  états  el  particulièrement 
en  Bourgogne, où  ilrésidait  commea  son  ordinaire;  ilserenditd'a- 
bord  au  mois  de  novembre  àïournus,  où  il  délivra  un  diplôme  con- 
firmant les  biens  et  les  privilèges  de  celle  abbaye  (3).  De  là,  il 
fut  à  Vienne,  où  un  grand  nombre  de  seigneurs  d'Aquitaine  vinrent 
lui  prêter  leurs  serments  de  fidélité  ou  les  lui  renouveler  (i)  ; 


(i)  C/tron.  (le  A'unlcs,  p.  9G.  La  ligne  de  démarc.ilion  parluil  Je  la  Loire,  à  l'em- 
bouchure du  LnyoD, suivait,  ea  le  remonlant,  le  cours  Je  ceUe  rivîV're  jusqu'à  son  con- 
fluent avec  rilirômc,  prennit  ensuite  celle-ci  jusfju'à  sa  source,  passail  à  Pierrelilc, 
à  Ciriaciis,  et  enfin  gag^aait  le  Lay  pour  JcsecnJrt:  avec  lui  jusqu'à  iOcéan  {Voy.  la 
carie  qui  occompaçnc  ma  public^ilion  portanl  pour  litre  :  Les  Taifules,  la  TheiJ'alic 
et  le  pays  de  Tilfauges) . 

(2)  Rec.  des  /tisl-  de  France,  VllI,  p.  irjO,  KloJoarJ. 

(3)  /tec.  des  liist.  de  France,  [X,  p.  5y3,  Dipluraala. 

(4)  Rec.  des  hisi,  de  France,  Vllj,  p.    iq5,  FioJoard. 


S2 


LES  COMTliS  DU  POITOr 


enfin  il  gagna  lo  Poilon.  Lo  5  janvier  042  îi  se  Imiivait  à  Pniliers 
où,  à  la  rt'qiièle  de  Guillanmo,  de  son  frère  l*Jjlt>  pA  d\\n  ccr- 
lain  comle  Roger,  à  qui  le  roi  venait  de  donner  le  comlé  de  Laon 
el  qui  se  IrouvaiL  (.Ujk  dans  sa  compagnie  à  Tournus,  il  confirma 
le  diplôme  du  30  décembre  889,  par  lequel  le  roi  Eudes  avait  fait 
le  parlage  des  biens  du  monastère  de  Sainl-IIilaire  entre  Tabbô 
ol  les  chanoines  (1).  Cet  ado  é\a.\i  le  conipléraenl  d'une  autre 
faveur  que  le  roi  venail  d'accorder  au  camlo  de  Poitou.  Depuis 
la  mort  de  révèque  Egfroi,  advenye  en  l'an  000,  la  charge  d'abbà 
de  Sainl-llilairo  clait  resiée  vacaulo,  et  l'établissement  religieux 
était  dirigé  par  le  Irésoricr,  Ce  dernier  étail  en  ce  moment  Eble, 
le  propre  frère  du  comle,  qui  avait  succédé  en  celle  qualité  à 
Auboin,  devenu  en  937  évèque  de  Poiliers  (2).  Le  roi  fit  don  de 
l'abbaye  an  comte  de  Poitou;  aussi  à  partir  de  ce  mois  de  janvier 
942,  voit-on  (luillaumc  joindre  à  son  litre  de  comte  celui  d'abbé 
de  Saiiit-llilaire,  avoir  la  haute  direction  des  affaires  du  monas- 
tère, concéder  à  des  particuliers  par  des  litres  précaires  de  natu- 
res diverses  des  biens  faisant  partie  du  domaine  de  Tabbaye  (3). 
Le  surlendemain,  7  janvier,  se  trouvant  encore  à  Poitiers,  à  la 
sollicitation  de  ce  même  Eble  el  du  comle  Roger,  le  roi  mil 
Marlin,  le  serviteur  de  Dieu,  h  la  lète  de  Tabbaye  de  Sainl-Jean- 
d'Angély,pour  y  faire  revivre  la  vie  monastique  sous  la  règle  de 


(i)  I\é(l(*t,  D')!'.  pour  Safnt-f/ilairc,  1,  p,  33, 

(3)  On  trouve  Eble  en  possession  ilc  celle  cliarçc  âc  trésorier  de  Sninl-IIilairc  dès  le 
mois  d'avril  i)'|0  cl  dini^^cnut  en  celte  r[u,ilité  les  délibéralioas  des  chanaincs  (Rcdet, 
IJor.  pour  Sdint-Hilaire,  p,  ail. 

[3)  RcJct,  Dùc.  p<jur  Suinl-Ilituire,  pp.  25,  27,  2j)  el  3û.  La  possession  de  ToU- 
Ijnyc  de  Sainl-IIilaire  par  le  coinicdc  l'oitou  ne  fut  pas  Hmilcc  à  Tclc  d'Kioupc  ;  après 
sa  morl,  Jes  comlcs  ses  successeurs  couliuuctrnl  à  jouir,  tout  au  nioius,  du  litre 
d'ablji",  cl  celte  pcrpéluiii  dans  In  délenlion  par  des  Uiï  pics  d'un  béncficc  ccclcsios- 
liijiie  esl  un  des  laiis  les  plus  curieux  de  notre  fii^toire  féodale.  La  diifoilé  d'abbé  do 
Sainl-IIilaire  lit  di-sorniais  pai-iie  du  piilriaioinc  des  comtes  de  Poitou,  cl  elle  passa  par 
la  suile  aux  rois  de  France,  leurs  licriliers  par  droit  de  cnnfjuiîle.  Il  clail  d'usag'c  que, 
rorsi]u'un  roi  venait  pour  la  première  fois  à  Poitiers,  il  se  rendît  à  Saint-llilairc,  cl 
lA,  rcvèlant  des  vêlemenls  ecclcsinsliqucs,  il  prononçait  un  sermenl  dool  le  texte  nous 
n  élé  conservé.  Il  est  niiisi  coniju  :  «  Juriitucnltim  qiiod  facerc  cL  prcstare  lenelur 
Uex,  abbas  ccclc.vîe  bcatissimi  llilarlt  niaîoris  Ptcia/'e/iif's  quamprîmu/n  personaîiter 
aA  ea/ndem  acccsseril.  Rs^o  N.  abbas  ccclcsic  bcalissimi  llilarii  juro  et  promitlo 
fiilelilatcrti  ecclcsie  prediclc  cl  pcrsotiis  ciusdein  me  ol)-;crvaiurum.  Item  observabo 
el  dcfcndii//!  i*jra  et  lil)er!ale<»  ccolesie.  Ilcin  non  occupabo  pcr  nie  ncc  per  aSiu/»  bona 
ccdesie  prcdicte  aucloritatc  propria  {Arcb.  de  la  Vienne,  orig.,  parcb.  du  xv«  siècle, 
G2>}.  Le  dernier  rolquiac  suit  astreint  fi  cette  rormalitc  est  Lotiia  XIII, en  i6r4- 


Gi;iLLAr.vii':  tkii-:  Dicrori^i': 


83 


sainl  Benoît  (1).  Louis  d'Oulromer  ne  s  en  linl  pas  à  cgs  simples 
marques  de  bienveillance  à  IV^^^ird  de  son  précieux-  allié  ;  il  lui 
conféra  aussi  le  lilre  de  comte  palatin  ou  du  palais,  conies  jmktlii. 
D'ordinaire,  ce  litre  élait  porlé  par  un  personnage  de  la  cour 
du  roi,  à  qui  celui-ci  déléguait  ses  attributions  judiciaires;  aussi 
ne  sail-on  au  jusle  quelle  autorité  plus  grande  il  pouvait  appor- 
ter au  comlo  de  Poitou  ;  mais  en  lout  cas  il  fui  favorablement 
accueilli  par  celui-ci^  qui  s'en'para  aussitôt  (2). 

Après  s'être  ainsi  assuré  TAquilaino,  Louis  rentra  dans  sa 
résidence  ordinaire,  puis,  dans  le  courant  de  l'été,  il  se  rendit 
auprès  de  Guillaume  de  Normandie,  beau-frère  de  Télé  d'Éloupc, 
afin  dû  l'altacher  aussi  à  sa  cause.  Le  duc,  selon  ses  habitudes, 
reçut  le  rui  h.  IJouen  avec  un  grand  faste.  Pendant  son  séjour 
arrivèrent  le  comte  de  Poitou  et  celui  de  Bretagne,  dont  les  con- 
lingonts grossirent  considérablement  l'armée  royale.  Celle-ci  fut 
camper  sur  les  bords  de  TOisc  ;  Hugues  le  Grand  et  les  siens 
avaient  délruit  les  ponls,  enlevé  les  bateaux  et  fait  lellement  le 
vide  que  le  passage  de  la  rivière  par  leurs  adversaires  devint 
impossible.  Pcndanl  que  les  deux  armées  se  lenaient  ainsi  en 
face  l'une  de  Pautre,  des  négociations  s'engagèrent  cl  on  finit 
par  conclure  une  trêve  de  deux  mois,  allant  de  la  mi-scptcmbrc 
à  la  mi-novembre  (3). 

Le  but  que  poursuivait  Guillaume  en  venant  porter  aide  au  roi 
de  France  n'en  était  pas  moins  atlcinl  :  il  contraignait  Hugues  à 
réserver  toutes  ses  forces  pour  la  lulte  qui  se  soutenait  dans  le 
nord  de  la  France^  et,  par  là,  il  éloignait  du  Poitou  le  Iléau  de  la 
guerre  qui  depuis  six  ans  le  menaçait.  Dès  sa  prise  do  possession 
du  pouvoir,  il  y  avait  ramené  le  calme  intérieur,  troublé  par  Tex- 
pulsion  de  Frotierll  ;  soit  qu'il  ail  sacrifié  à  cette  tendance  qu'ont 
les  nouveaux  délenleurs  de  Pautorité  à  prendre  le  conlrepied  de 
leurs  prédécesseurs,  soit  pour  toute  autre  cause,  il  avait  rétabli 


(i)  GnUla  ChrîsL,  TI,  iaslr,,  col.  4^4;  Musset,  Cai't.  de  Saint -Jean  d'Angély,  I, 
p.  10, 

(?)  Rëdcl,  Doc.  poiw  Snint-lliluîre,  I,  p.  25,  cliartc  de  janvier  r)'|2  ;  il  csl  encore 
à  nutcr  que,  (tuns  le  diplôme  royal  du  â  de  ce  nidtiic  mois,  (iuillauiiit;  est  dc&igné  sous 
le  lilrc  de  comlc  cl  de  marquis,  tiLiis  celte  dernière  appcllalion  ne  nous  paraît  être 
qu'ua  litre  de  chaoccllcric  que  TcHc  d'Kloupc  ne  pril  dans  uucuu  des  actes  émanes 
de  lui. 

(3)  Rcc.  des hist.  de  France,  VIlI,  p.  iq6,  FloJoard  ;  Rîcbcp,  ffistoîre,  1.  Il,  p.  aS. 


85 


LI-:S  COMTES  DR  l'OlTOr 


l'évêriiie  fie  Poitiers  dans  tous  les  honneurs  <Iont  son  père  l'avail 
privé  (1).  Il  est  du  rcsic  possible  que  Frolieruit  acliel6  son  par- 
don par  un  acle  de  ^[(Vntrosili'!  oxceplionnclle.  Guillaume  se  mon- 
Ira  loule  sa  vie  on  ne  peul  mieux  disposé  pour  l'abbaye  de  Saint- 
Cyprien,  qui  6tail  alors  dirigée  par  un  homme  de  grande  science 
et  d'une  grande  piélé, l'abbé  Martin  ;  il  est  possible  que  ce  person- 
nage ou  quelqu'un  des  rclrpieux  du  monaslôre  ail  él6  réducalcur 
du  jeune  comlo,  toujours  est-il  que  l'un  vil  révèquc  de  Poitiers 
faire  don  h  l'abbaye  de  Saint-Cyprien  de  tous  ses  biens  hérédi- 
laires,  du  consentement  du  roi  Haoul,  du  comle  (iuillaume,  de 
ses  parents,  des  clercs  de  son  église,  de  l'archidiacre  du  diocèse  et 
des  principaux  seigneurs  du  pays  (2).  La  déclaration  en  fut  faile 
publiqucmenljdans  le  courant  du  mois  de  janvier  de  Tannée  936, 
par  Tarchcvèque  de  Tours,  Téotelon,  qui,  prenant  la  place  de  Fro- 
tier,  vint  procéder  àla  dédicace  de  lanouvelle  église  du  monastère 
en  présence  du  comle  do  Poitiers,  du  vicomte  Savariel  d'une  nom- 
breuse assislance  (3).  On  est  en  droit  de  se  demander  si,  vu  Vûb- 
sence  bien  constatée  de  l'évêque,  la  donation  fut  bien  spontanée. 
Le  nouveau  sanctuaire,  jusqu'alors  mis  sous  l'invocation  do  Notre 
Dame  et  qui  fut  placé  désormais  sous  celle  de  saint  Cyprien, 
dont  les  reliques  y  avaient  été  déposées  par  Frolier,  reçut  îi  celte 
occasion,  dans  le  courant  de  cette  année  936,  les  libérables  de  plu- 
sieurs particuliers  (4),  Guillaume  autorisa  spécialemonl  le  vicomte 
de  Tliouars,  Savari,  cl  le  clerc  Ftoborl  h  altandonnor  au  monas- 
lêre  quelques  porlionsdclûursbénéncGs(5),  elenlln  lui-môme  céda 
à  l'enlraînemenl  général  en  donnant  aux  religieux  Fimportanl 
domaine  de  Colombiers,  avec  soncrtv/rw/n  et  son  église,  mais  loule- 
fois  avec  une  certaine  réserve,  car  il  en  retenait  l'usufruit  on 
payant  cinq  sous  de  cens  annuel  et  môme  avec  la  faculté  de  rache- 
ter son  don,  s'il  lui  convenait  (6). 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  saurait  y  avoir  de  doute  sur  les  senti- 


(i)  Cari,  de  Saînt-Ci/prie/h  p.  go. 

la)  Cart.  de  Saint-Cyprien,  pp.  l\,  87,  117. 

(3)  Citrt.  de  Sainl-Cyprie/t,  p,  6.  Cet  acle  portant  la  date  de  gSC  el,  d'ualre  pari, 
l'iiidiailion  que  Raoul  était  encore  n'gnanl,  il  ne  saurait  èlre  placé  que  dans  les  pre- 
miers jours  de  janvier,  le  roi  tHant  mort  le  i/j  ou  le  1 5  janvier  gSC. 

(4)  Ciirt.  (le  Sciinl-V.ijprien,  pp.  28,  i5o,  190,  195,  aSi,  234,  *77>  ^25,  33a,  !\\!\. 

(5)  Cart.  de  Saint-Cijprien,  p.  323. 
(<i;  Cart.  de  Saint-Cyprien,  p.  7G. 


^lau.me  tête  U'ÉTOUPÏ 


85 


racnls  religieux  de  Têle  d'Eloupe,senlimenls  qui,  par  la  suite, 
furent  stimulés  par  sa  femme  Adèle.  La  fille  du  duc  de  Nor- 
mandie, vraisemblablement  païenne  au  début  de  sa  vie,  dé- 
ploya, comme  tous  l**s  néophytes,  un  zèle  ardent,  et  dans  ces 
matières  son  influence  s'exerça  aussi  bien  sur  son  frère  que  sur 
son  mari.  En  Normandie,  elle  ne  futpas  étrangère  aux  projets  de 
reconstruction  de  l'abbaye  de  Jumièges  par  Guillaume  Longue- 
Epée,  et  elle  le  seconda  vivement  en  lui  envoyant,  pour  procéder 
à  la  réforme  religieuse  du  monastère,  un  abbé  poitevin  qui 
jouissait  alors  d'une  liaule  réputation.  Celait  .Marlio  qui,  dè.s933, 
était  à  la  tète  du  monastère  de  Saint- Cyprien  de  Poitiers,  et, 
vers  936,  avait  été  contraint  de  se  donner  un  coadjuleur  pour  se 
consacrer  à  la  réforme  d'élablissements  religieux  où  par  suite  des 
maux  occasionnés  par  les  guerres  et  les  désastres  du  siècle  pré- 
cédent, la  discipline  s'étail  fort  relâcbée.  C'est  ainsi  qu'il  avait 
été  appelé  à  Sainl-Auguslin  de  Limoges,  d'où  Adèle  semble 
l'avoir  tiré  pour  l'envoyer  en  Normandie  ;  le  désir  de  la  com- 
tesse était  presque  un  ordre  et,  en  940,  Martin  se  rendit  à  Ju- 
mièges accompagné  de  douze  religieux  enlevés  de  Sainl-Cyprien 
avec  lesquels  il  constitua  le  noyau  du  nouvel  établissement  (1). 
Maïs  raclivilé  de  Louis  d'Outremer  ne  se  démentait  pas.  Con- 
linttanl  la  politique,  qui  lui  avait  si  bien  réussi,  de  s'appuyer  sur 
l'Aquitaine  pour  contrebalancer  l'intluence  d'Hugues  et  de  ses 
adhérents,  on  le  voit  presque  chaque  année  se  montrer  aux 
peuples  de  ce  pays  avec  un  certain  apparat  mililairej  se  faire 
prêter  par  les  grands  soigneurs  aquitains  de  nouveaux  serments 
de  fidélité  et  régler  les  dilîércnds  qui  surgissaient  enlrc  eux;  il 
usait  même  souvent  à  leur  égard  de  certains  droits  de  préroga- 
tive suprême,  privilège  de  l'autorité  royale  dont  il  aurait  été  sans 
doule  fort  embarrassé  de  faire  exécuter  les  décisions  si  elles 
n'avaient  pas  été  d'accord  avec  les  sentiments  de  ceux  qui  venaient 
s'y  soumettre.  Ainsi,  en  04i,  se  trouvant  à  Nevers  avec  la  reine 
Gerberge,  il  y  reçut  lîaimond-Pons  ,  comte  do  Toulouse,  qui 


^l)  Martin  mourut  .ablié  de  Juih'k'ïîcs  en  9^3  ;  les  hisloricas  normands  placenl  son 
arrivée  dans  cette  .ibbuye  en  (j4o  (Voy,  Du<lon  de  Sainl-Quenlin,  cd.  Lair,  p.  tou, 
note),  sans  loutcfois  que  ses  liens  avec  Je  l'oiiou  aicnl  clé  brisés,  car  on  a  vu  qu'oo 
g4»  Louis  d*Uu(renicr  le  commit  Ain  direction  de l'^bbayc  de  Saint-Jean  d'Ançcly. 


R6 


LES  COMTKS  DL;  l'OlTOU 


ôlail  loujoiirs  pourvu  du  litro  tlo  duc  d'Aqiiilaino  qu'Eudos  lui 
avail  ocLroyô  après  l'avoir  enlevé  à  Eble  Manzer  (1).  La  défôrcnce 
de  ce  puissant  personnage  iniptiquail  la  reconnaissance  par  le  roi 
de  la  dignité  dont  il  élail  pourvu,  quelque  désir  que  pùl  avoir  le 
comle  do  Poilou  de  la  voir  rentrer  dans  sa  maison,  mais  il  ne 
larda  pas  à  se  produire  un  événemenl  nouveau  qui  devait  per- 
mettre au  roi  de  France  de  donner  satisfaction  aux  aspirations 
de  son  vassal.  liaîmond  mourut  en  £).>0  ou  au  comraencemenl  de 
Uai,  et  Louis^  qui  n'avait  pas  de  ménagements  k  garder  avec 
Guillaume  ïaittefer,  son  jeune  successeur,  lui  enleva  l'Auvergne 
qu'il  rendit  à  Tôte  d'Eloupo.  En  agissant  ainsi,  il  restait  dans  les 
traditions  de  la  royauté  carlovingienne,  qui  manifesta  toujours  la 
prétention  de  ne  voir  dans  les  possessions  des  grands  feudalaires 
que  des  bénéfices  dont  elle  pouvait  disposer  à  la  mort  du  titu- 
laire (2).  La  preuve  du  relief  que  Louis  d'Outremer  sut  donner 
à  sa  personne  royale  dans  l'Aquitaine  est  attestée  par  les 
monnaies  portant  son  nom  qui  furent  frappées  à  Angouléme, 
h  Périgueux  et  à  Saintes  (3). 

Pour  l'aire  exécuter  ses  volontés,  Louis  rassembla  une  armée 
on  Bourgogne.  L'évéquc  de  Clermont,  Etienne  II,  vint  aussitôt 
le  trouver  à  Miicon  pour  l'assurer  de  sa  soumission  et  môme  se 
fit  accompagner  do  riches  présents  en  témoignage  do  son  bon 
vouloir.  Le  roi  se  préparait  néanmoins  à  entrer  en  Auvergne  en 
compagnie  du  comle  de  Poilou,  qui  était  venu  au  devant  de  lui, 
quand  il  tomba  malade  ;  aprl's  sa  gnérison  il  ne  poussa  pas  plus 


(i)  Le  lilrc  de  prince  ou  de  duc  des  Aquitains  a  clé  pris  par  Raimùnd-Pons  ou 
Juin  élé  donné  dans  plusieurs  actes  dates  dti  rcyne  de  Louis  d'Oulrciner,  tels  qucl.i 
rmiJation  du  rnonaslt'rc  de  Cliamleu^'e,  du  28  a'iiil  g3t>  (D.  Vaiissclc,  f/iat,  de  Lan- 
ijiivdtjt\  nouv.  éd.,  III,  p.  117),  cl  lu  coiifirmalian  de  cet  acte  par  le  roî  de  France, 
du  mois  de  novembre  941  (/f/.,  III3  p.  1^7)1  ï'  posscdnil  ca  môme  temps  l'Auverg'nc 
el  le  Vclay  (/J.,  IV,  uule  XV'L  pp.  73  cl  8j). 

(2)  Les  Uisluricns  qui  ont  pris  nu  sérieux  les  assenions  d'Adémar  de  Chabannca 
{Chron.f  p.  i^O)  el  de  Tauleur  de  la  chronique  de  S.iinl-Mai.venl  (p.  37O),  disant 
qu'après  Lt  nioft  d'Kble  son  fils  Ciuillaume  Télé  d'Etoupe  Fui  pourvu  des  comtés 
d'Auvergne,  de  Velay,  de  Liinousîn  et  de  Poilou  et  prit  le  lilre  Je  dtic  d'Aquilaioe, 
onl  commis  una  grosse  erreur.  Adém,nr,  donl  la  clironiqac  de  Saint-.Mnixcnt  est  la 
copie  Icxluelle,  ne  fournil  sur  Tépoque  «]ui  nous  occupe  que  dos  indications  Ires  som- 
maires, souvent  même  erronées,  t-l  il  ne  Taul  voir  dans  la  phrase  quelque  peu  ambiçuë 
de  sa  chrouiquc  autre  chose  qtt'une  indication  i^éncrale  des  litres  portés  par  Tétc 
d'Klnirpc,  sans  précision  aucune  de  l'époque  où  il  a  pu  les  prendre. 

(S)  N'oy.  Killon,  Çottsii/èralio/ix  sur  [es  monnitits  de  France,  p.  ita,  et  Monnaies 
féodnhs  françaises^  coll.  Je.Tn  Hotisseau,  pp.  ilr.  Ha. 


GUILLAUME  TI-TE  D'ÉTOUPF. 


»7 


loin  ses  projets  cl  retourna  en  France  (1).  Quî^nl  à  Ciuillaume, 
afin  de  maintenir  le  pays,  il  y  plaça  de  fartes  garnisons  i^i).  Du 
reste,  l'évoque  de  Clermont,  que  l'on  a  vu  prendre  les  devants  el 
se  mettre  à  la  disposition  du  roi,  était  manirestemcnl  un  zélé 
partisan  du  comte  de  Poitou.  Il  se  remua  beaucoup  pour  lui  con- 
cilier les  seigneurs  auvergnats  opposants,  el  le  succès  couronna 
ses  efforts,  car  l'année  suivante,  au  mois  de  juin  952,  Guillaume 
tenant  un  plaid  à  l-^nizincua  avec  l'évèque,  un  grand  nombre 
d'entre  eux  vinrent  le  trouver  et  se  recommandèrent  à  lui.  Parmi 
lesassistantsjon  remarquait  deux  vicomtes  :nobert,Yicomle  d'Au- 
vergne, cl  Dalmace,  vicomte  de  nrioude(3).  Une  ()araîl  pas  du  resle 
qu'il  y  ait  eu  quelque  teiUative  de  résistance  à  la  décision  royale 
de  la  part  du  nouveau  comte  de  Toulouse,  mais  on  verra  par  la 
suite  que  si  dans  ce  moment  il  ne  se  senlil  pas  en  état  de  lutter 
contre  les  forces  combinées  du  roi  el  du  comte  de  Poitou,  il  no 
renonça  pas  à  ses  droits  sur  un  pays  où  sa  race  s'élait  acquis  de 
vives  sympathies. 

Les  historiens  s'accordent  pour  dire  qu'au  môme  temps  où 
Guillaume  prit  possession  de  l'Auvergne  il  fut  pourvu  du  lilre 
de  duc  d'Aquitaine  ;  le  fait  est  possible,  mais  rien  ne  vient  abso- 
lument le  conlirmer.  Il  est  seulement  établi  que  le  roi  étendit  à 
toute  l'Aquitaine  la  délégation  qu'il  avait  déjà  donnée  au  comte 
pour  le  Poitou  en  lui  conférant  le  litre  de  comte  palatin  ;  celui- 
ci  suppléait  au  titre  de  duc  que  Guillaume  ne  parait  pas  avoir 
jamais  porté  car,  en  juillet  •j:i9,  il  se  qiialilie  simplement  de 
comte  de  loul  le  duché  d'Aquitaine,  el,  dans  unaulre,  qui  (lutte 
entre  9ol  et  9îi3,  de  comte  palatin  d'Aquitaine  (4). 

Jusqu'à  la  mort  de  Louis  d'Outremer,  la  silualion  si  favorisée 
du  comle  de  Poitou  ne  se  modifia  pas  ;  mais  quand  ce  prince  suc- 
comba inopinément,  le  10  septembre  9b  i,  sa  veuve  Gerberge  dut 
se  préoccuper  d'assurer  le  trône  à  son  jeune  fils  Lolhaire.  A 


(i)  Rec.  des  hist.  de  France,  VHI,  p.  207,  Flodoord  ;  Richcr,  //istoirc,  1.  II,  98,  93  ; 
D.  Vaisscle,  I/isl.  de  Lan j ne. toc,  nouv.  6J.,  III,  pp.  il\i  à  i^4- 
(2)lUcher,   Histoire,  1.  111,4, 

(3)  Brucl,  Charles  de  Cltinij,  I,  p.  781. 

(4)  A.  Richard,  Chartes  de  Sainl-Maixenl,  I,  pp.  32,  4*-  CcUe  CODSlntatloo  ÎDfirmc 
ralléguliati  de  D,  Vaisscle  (Hist.  de  LanyieJac,  nouv.  cdiliuo,  III,  p.  2;)8),  qui  dit 
qu'il  De  paniU  pas  que  les  comlcsde  P'.iitiuri,  ducs  d'Aquiluiue,  se  buiuiitjiiiuais  dunné 
eax-mtïnics.  ce  titre  Je  comte  palalin  dans  leurs  nc'.cs, 


HES  COMTES  DE  POT 

dt'faiil  d'appui  qu'elle  ne  Irouvail  pas  dans  safamille,  elle  fui  con- 
lraiii[cde  s'adresser  h  lîii^ucâle  Grand,  que  le  roi  défunt  avail 
su  mainlonir  à  l'écarl,  clqui,  par  suile  de  ces  circonslances  spé- 
ciales, se  trouvaiL  devenir  pour  la  (roisième  fois  l'arbitre  des 
destinées  de  !a  dynaslie  carlovingiennc.li  se  mil  à  la  disposition 
de  la  reine,  maïs  celle  fois  encore  bien  résolu  à  se  faire  payer 
ses  services.  Il  commença  par  faire  sacrer  à  Iteims,  le  12  novem- 
bre 954,  le  jeune  roi  qui  n'avail  que  treize  ans,  et  cnrelourilse 
(il  pourvoir  par  lui  do  la  suzeraineté  sur  les  deux  grands  fiefsuîi 
Louis  d'Oulrenier  avail  trouvé  ses  plus  fermes  appuis,  la  Bour- 
gogntîcl  le  Poitou  (1).  Une  fois  m&îlre  de  ces  deux  pays,  la  royauté, 
devenue  absolument  sans  force,  ne  pouvait  plus  être  qu'un  jouet 
cnlre  ses  mains.  Un  des  premiers  actes  par  lesquels  se  manifes- 
tûrenl  les  sentiments  d'Hugues  à  l'égard  du  comte  de  Poitou  fut 
la  délivrance  faite  par  le  roi  à  Laon,  le  8  mars  955,  d'un  di- 
plôme ayant  pour  oljjet  de  confirmer  les  privilèges  de  l'église  du 
Puy  en  Velay.  Lolliairc  disait  en  substance  dans  le  préambule 
qu'il  agissait  ainsi  sur  la  demande  qui  lui  avait  été  faite  par 
l'évêquc  Golescalc  cl  par  HaUiide,  la  femme  de  Hugues  j  or 
comme  le  Velay  faisait  partie  des  territoires  soumis  au  comte  de 
Poitou,  cet  acte  était  une  véritable  déclaration  de  guerre  à  l'égard 
de  Tcled'Eloupe  dont  les  droits  étaient  absolument  méconnus  (2), 
Mais  ce  n'étaient  que  les  préliminaires  de  la  hille  qui  allait 
s'engager.  Sans  manifester  ouvertement  ses  sentiments  hostiles, 
Hugues  rassembla  une  armée,  el,  accompagné  du  jeune  roi  el  desa 
ûièrc,  il  partit  au  mois  de  juin  pour  l'Aquitaine.  Tout  d'abord  il 
les  promena  dans  ses  domaines  de  la  Neuslrie  et  dans  ceux  deses 


(i)  Rec.  des  lu'st.  de  France,  VIII,  p.  209,  Flodoard.  Rlcher  [Histoire,  1.  III,  i) 
prétend  que  les  princes  dcBourgog'nc,  d'Aijuilalue  cl  de  Golhlc  concoururcnL  à  l'élec- 
tiot»  lie  Lothaire  cl  assistcrcnl  à  son  couronnement,  (jui  eut  lieu  le  12  novembre  gS:]. 
M.  Lot  {Les  derniers  Carolirtf/iens,  p.  9,  noie)  Jil,  à  propus  de  la  présence  dea 
^randâ  de  Lurraiae  It  celle  CLTcmonic,  (juc  «  c'est  là  une  de  ses  ex.iu^érations  habi* 
tuelles  fde  Richerl,  el  donl  il  use  pour  rehausser  le  prestige  des  Caroliujjiens  ».  Celte 
observiilion  peut  iHrc  étendue,  ce  nous  semble,  aux  ducs  de  Bourgogne  et  de  Poitou, 
donl  ks  possessions  èlaienl  le  gage  donné  par  la  reine  Gerberge  à  Hugues  le  Grand 
«fin  d'oLtenir  son  appui  pour  le  jeune  roi,  et  qui  ne  priuvaienl  venir  ac  jeter  ainsi  dans 
la  gueule  du  loup.  IHi  reste,  Flodoard  se  conicule  de  dire  que  le  sacre  de  Lothaire  à 
Ileiins  se  lit  avec  rassenlitncaC  d'èvSqucs  et  de  ^^rands  personna^^cs  de  l'Vancc,  de 
Bùurgofïnc  et  d'Aquitaine  ;  il  n'emploie  pas  le  mot  princi/jes,  qui  avail  ua  sens  déter- 
miné et  reslreinl. 

(2)  liée,  des  hist.  de  France,  IX,  p,  O18. 


ClILLAUME  TÊTE  DÉTOLTE 


89 


alliés,  allant  successivemenl  à  Pari?,  à  Orléans,  à  Chartres,  h 
Blois  el  enfin  à  Tours.  De  celle  ville,  il  ftil  envoyé  des  messagers  à 
Guillaume  pour  l'inviler  ;i  venir  Irouver  le  roi,  mais  celui-ci  re- 
fusa. Hugues,  qui  s'allendail  h  celle  réponse,  se  dirigea  aussitôt 
sur  Poitiers,  011  il  pensait  que  le  comte  s'était  renfermé  et  dont  il 
espérait  venir  promploraent  à  bout.  On  était  au  mois  d'août;  l'ar- 
mée royale  essaya  de  s'emparer  d'emblée  de  la  ville,  mais  elle 
fut  arrêtée  par  les  hautes  el  solides  murailles  delà  vieille  enceinte 
romaine  qu'elle  ne  put  forcer.  Bien  que  son  armée  fûl  surtout 
composée  de  cntvaliers  et  qu'il  fiU  dépourvu  d'un  matériel  de 
siège,  Hugues  s'acharna  contre  la  cité,  mais  la  garnison  se  défen- 
dit vaillamment  el  résista  à  toutes  les  attaques.  Renaud,  comle  do 
Roucy,  beau-frère  du  roi,  réussit  seulement  fi  s'emparer  du  bourg 
fortifié  de  Sainte- Radegonde,  accolé  aux  murailles  de  la  ville,  et 
l'incendia.  C'est  à  ce  moment  seulement  que  le  duc  apprit  que 
Guillaume  ne  se  trouvait  pas  dans  Poitiers.  L'attaque  qu'il  pour- 
suivait furieiisemenl  n'ayant  plus  sa  raison  d'être,  il  se  résolut  à 
lever  le  sii'ge.  Son  départ  fui  du  reste  hâté  par  un  événemcnl 
fortuit  el  dont  il  sut  tirer  parti.  Un  jour,  pendant  un  grand  orage, 
il  s'éleva  un  violent  tourbillon  de  vent  qui  renversa  sa  tente  sens 
des^îus  dessous.  Ce  fait  frappa  vivement  l'imagination  de  ses 
troupes,  déjà  fatiguées  par  deux  mois  de  siège  etquiétaienl  forte- 
ment éprouvées  par  le  manque  de  vivres  ;  on  eut  soin  d'y  faire  voir 
un  signe  manifeste  de  l'intervention  desainlllilaire,  le  protecteur 
el  le  défenseur  de  la  cité,  el  comme,  d'autre  pari.  Hugues  pouvait 
craindre  de  se  voir  pris  entre  l'armée  que  Guillaume  rassemblait 
el  les  défenseurs  de  Poitiers,  il  n'y  avait  donc  qu'à  partir  (1). 
Ce  que  le  duc  de  France  redoutait  se  serait  en  effet  réalisé.  Le 
comte  de  Poitou,  aussitôt  qu'il  eut  eu  connaissance  de  la  marche 
en  avant  de  ses  ennemis,  s'était  rendu  en  Auvergne  y  chercher 
de  l'aide  (2).  Il  ramassa  les  garnisons  des  places  fortes  et,  ayant 


{t]Rec.des  hist,  de  France,  WU,  f>.  210,  Flodoard;  /rf.,p.  323,  Aon.  NiverneDscs 
/rf.  ,Vin,  p.  SaS,  Musqués  de  Fleuri  ;  Pevu,  Montimentaf  SS.,  I,  p.i02,Aaa.  Saacta; 
Colambae  ScDODeasis  ;  Richer,  Histoire,  I.  111,  3. 

(a)  Hiolier,  //isloire,  I.  III,  4-  Guillaume  se  trouvaît  en  Auverçnc  dès  !e  mois  de 
juin  (Voy.  Baluze,  f/isl.  jénéal.  de  lu  maison  d'Attoerr/ne,  H, p.  2).  Ayant  publié  co 
188C  l'analyse  informe  d'une  charte  de  l'abbaye  de  Saint-Maixcnt,  datée  d'avril  g!î5, 
noua  avions  cru,  d'après  son  texte  (Chartes  de  Saint-Mniocenl,  I,  p.  3i),  qu'IIutjaca 
était  venu  faire  le  siège  de  Poitiers  à  cette  dr«t«j  erreur  <iuc  la  découverte  Je  la  pièce 


LES  CO.MTl'S  DK  POITOU 

réiiiiî  une  arraée  îniporlanlc,  il  m^ircha  au  secours  de  sa  cftpilale. 
L'armtic  royale  élail  di'jà  parlie,  il  n'y  «vail  donc  plus  qu'à  la 
laisser  conlitiuer  sa  relraile,  mais  Guillaume,  au  lieu  de  mellre 
on  pratique  le  proverbe  populaire,  cité  par  Besly  (1),  que  l'on 
doit  faire  un  pont  d'or  à  son  ennemi  fuyant,  se  confiant  dans  le 
nombre  de  ses  soldats  et  désireux  de  tirer  vengeance  du  mal  qui 
lui  avail  616  causé,  se  lança  à  la  poursuite  de  ses  ennemis.  Hugues 
se  retourna  contre  lui  et,  après  une  lullc  acharnt';e  dans  laquelle 
sa  cavalerie  jotia  un  grand  rôle,  il  rôussil  à  metlre  l'armée  poi- 
tevine en  déroule.  Elle  perdit  un  grand  nombre  d'Iiommes  ;  beau- 
coup furent  fails  prisonniers,  le  comle  môme,  à  peine  entouré  de 
quelques  fidèles,  put  se  sauver  difficilement. 

Hugues,  salisfail  d'avoir  assuré  sa  relraile,  ne  poussa  pas  plus 
loin  SCS  avantages  et,  dans  le  courant  d'oclobre,  il  avait  rejoint  la 
France  (2).  Le  roi  relourna  à  Laon  (3),  le  duc  rentra  à  Paris  11 
n'enlrail  sûrement  pas  dans  ses  desseins  de  s'arrêter  sur  le  demi- 
succès  qu'il  venait  de  remporter,  el  il  projetail  de  revenir  en 
Poitou  l'année  suivante,  mais  il  tomba  malade  el  mourut  au  mois 
dejuin  cette  année  DiiC  (4j. 


oriijiDate,  disparue  il  y  a  ua  demi-siùcle,  expliquera  peut-tîlre.  Il  csl  tout  simple- 
ment pussibLc  i|ue  le  rédacteur  de  l'acte  ait  écrit  «.  aprilis  n  au  Ueud'  «  au|^usti  ». 

(i)  Besly,  l/isl.  des  rornlcs,  p.  ^li. 

(a)  La  version  de  Uiclicr  sur  les  suilesdc  la  victoire  de  l'armée  royale  s'ccarlant  no- 
tablcmcDt  de  celle  de  Flodoard,  il  nous  paraît  boa  de  les  mettre  l'une  et  l'autre  en  pré- 
sence. Uiclicr  prélcad  qu'IIuqucs,  cnliardi  [»ar  son  succès,  fit  marcher  do  nouveau  son 
armée  sur  Poitiers  ;  que  les  IiaLîtaDls,  tcrrîtiès  par  la  déPailc  de  Guillaume,  se  sou- 
mirent à  lui,  dcmandatil  pour  seule  grùce  que  l'on  qinrj^oàt  leur  cilc,  dont  les  soldais 
réclamaient  le  pillni^^e  pour  s'indemniser  des  peines  qu'ils  avaient  éprouvées.  Hugues 
les  aurait  ajiaisés  t:l  se  si'rail  cuntcrilé  d'e.viçer  des  habitants  un  j^rand  nombre  d'o- 
lajçtfs  [/Jistuire,  Hv.  lit,  S).  Ce  récit  nous  parait  suspccl  ;  si,  comme  le  dit  Riclier  Uii- 
niémo,  le  comte  de  Poitou  n'avait  pti  s'cc!i:<ppur  a]nis  I:i  bataille  que  s^nlcc  au  vtnsi- 
nage  des  montagnes,  ec  tiiti  placerait  le  chatnp  de  la  lutte  sur  les  fronlicres  du  Lî- 
moustn  oa  miîmc  de  la  Iluurg^ognc,  car  il  ne  faut  pas  oublier  (pi*un  fort  coatiot^col  de 
Bourguignons  faisait  partie  de  l'armée  royale  (Voy.  Loi,  Les  derniers  Carûfingiens, 
p.  i5,  Qole  1,  cl  SCS  références),  ccitc  armcc  élall  âc]h  forl  loin  de  Poitiers  et  il  n'est 
pas  à  présumer  qu'à  la  saison  déjà  avancée  oi"i  l'on  se  trouvait  Hugues  soit  revenu  sur 
ses  pas.  Kn  oulre,  si  les  habitants  de  Poitiers  s'élaicat  mis  à  sa  disposition,  il  ne  se 
serait  ccrlainement  pas  contenté,  pour  lou(  bénélice,  de  se  faire  livrer  des  otatfes,  et 
il  aurait  obleaudu  roi  la  dêpossession  de  Gtiillaume,  ce  ipiî  était  le  but  certain  qu'il 
poursuivait.  Pour  ces  motifs,  nous  nous  en  tenons  au  récit  de  Flodoard,  moins  enclin 
que  llichcr  n  disïiimulcr  ce  qui  pouvait  nuire  au  relief  de  la  maison  de  France. 

(3)  Lh  roi  était  de  retour  à  Laon  le  nj  ou  le  20  octobre  q55  (Bruel,  Churles  de 
aiimj,  II,  p.  77), 

{!\]  Voy.  Loi,  Les  derniers  Caro!inr/ieni,p.  iC,  noie  (J,  pour  la  délcrmination  pré- 
cise de  la  mort  d'Huacues  le  (îr^md. 


GUILLAUMt:  TÈTE    D'CTOUPK 


9» 


La  disparilton  de  son  irréconciliabln  ennemi  donna  quelque 
répil  à  Guillaume^  niais  ce  ne  fut  pas  pour  longtemps.  Les  lils  du 
duc  de  France  poursuivirent  la  poliLique  de  leur  père  el  clier- 
chèrenl  à  enlrainer  Lolhaire  à  seconder  leurs  visées.  A  la  fin  de 
l'année  958^  le  roi  partit  pour  la  Bourgogne,  où  la  situation  élail 
troublée  par  suite  de  la  morl  du  duc  Gilbert,  avec  sa  mîjre  Ger- 
berge,  et  le  1 1  novembre,  à  l'insligalion  d'Hugues  Capel,  qui  sY.- 
tail  fait  accompagner  par  sa  mère  llatuide,  sœur  de  Gerberge,  il 
lintà  Marzy,  près  de  îNevers,  un  plaid  où  Tul  décidée  une  nouvelle 
campagne  contrôle  couite^de  Poitiers.  Mais  cette  démonslralion, 
peul-èlre  préparée  par  les  deux  princesses,  resta  sans  effet  ;  des 
seigneurs  bourguignons  qui  ne  voulaient  pas  reconnaître  l'auto- 
rité d'Othon,  lequel,  comme  gendre  de  Gilbert,  prétendait  à  la 
possession  absolue  du  ducbé,  vinrent  se  placer  dans  la  suzerai- 
neté directe  du  roi  de  France  ;  Lolhiiire  accepta,  ce  qui  le 
brouilla  avec  ses  cousins  (I). 

Celle  nouvelle  alfairc  détourna  complètement  Hugues  de  ses 
projets  ;  comme  conséquence  de  riiostililé  déclarée  de  Lolbaîre, 
sa  situation  militaire  avait  notablement  diminué,  et,  ne  pouvant 
compter  sur  l'aide  de  son  frère,  dont  toute  rallenlion  se  portait  du 
côté  de  la  Bourgogne,  il  ne  se  trouva  pas  assez  fort  pour  entre- 
prendre seul  une  nouvelle  marche  sur  Poitiers.  Kn  ÎJ.'>9,  les  parties 
belligérantes  se  contentèrent  de  guerroyer  sur  les  limites  de  leurs 
possessions,  et  le  Borryfiil  le  théâtre  principal  de  ces  luttes  ; 
deux  épisodes  nous  en  sont  connus.  Des  seigneurs  du  Poilou 
avaient  construit  un  château  fort  près  du  monastère  de  Saint- 
Cyran  et  menaçaient  le  pays.  Le  possesseur  d'un  t^hiVlcau  situé 
h  l'est  de  Saint-Genou  d'l']strée,  redoulanl  l'attaque  des  Poi- 
tevins, fut   demander    secours  non  pas  au    roi,  son   seigneur 


(i)  Rec.  des  hiHt.  (le  France^  VIII,  p.  an»  Flodoard,  M.  Lot  {Les  dfrnt'ers  CarO' 
li/ifjiens,  p.  2.''))  prétend,  eu  inlcrprélant  ta  dalo  d'uac  charle  de  Cluny,  que  douze 
jours  scuIcmcHl  après  le  plaid  de  Marzy  Lolliairiî  su  serait  emparé  de  Dijon,  ce  qui 
nurait  été  le  véritable  molif  de  sa  mcsinlclli|^cacc  nvcc  ses  cousiaa.  Or,  cet  ode,  qui 
est  du  23  novcmlire  (lïrucl,  Chartes  de  Clunij,  II,  p.  162),  porte  deux  dates  qui  ne 
sont  pas  d'necord  ;  l'une  est  cctle  de  la  cinquictnc  année  du  règ'Qe  de  Lolhaire,  ce  qui 
correspond  à  tannée  f)5ij,  l'autre  de  la  sixième  indiclion  qui  tontbo  en  y'îo.  M.  Loi 
déoionlre  que  la  priae  de  Dijon  ne  peut  avoir  eu  lieu  en  rjîji>,  nuis  qu'elle  est  possi- 
ble en  fjOo  (/f7.,p.  3i,  note  1);  toulcfois,  comme  la  date  de  <j58  se  rallachc  mieux  à 
la  suite  de  son  récit  il  s'arrête  à  elle  sans  autre  motif  ;  nous  ne  le  suivons  pas  dans 
ceUe  voie  el  tenons  pour  bonne  l'année  gOo,  qui  du  reste  cadre  bien  avec  les  faits. 


^ 


LliS  COMTES  DE  POITOU 


direct,  mais  au  duc  Je  France.  IlLigucs  accourut  avec  plusieurs 
milliers  d'hommes  et  vint  me  lire  le  siège  devant  le  château  enne- 
mi qui  résista.  Tout  d'abord,  ses  troupes  s'abstinrent  de  piller  le 
pays  qu'elles  traversaient,  afin  d'cmpÈcher  les  babilanls  de  s'enfuir 
avec  leurs  biens.  Mais,  dès  le  lendemain  de  leur  arrivée  devant 
la  petite  forteresse,  ils  les  rançonneront  sous  le  prétexte  de  s'ap- 
provisionner pour  le  siège  qu'ils  allaient  entreprendre.  Les  reli- 
gieux de  Saint-Genou  ainsi  que  le  seigneur  berrichon  qui  avaient 
appelé  Tarraée  neustrienne  ne  purent  que  se  repentir  de  leur  con- 
Oance  et  ils  se  hâtèrent  de  recourir  à  l'intervention  de  leur  sainl 
palron,  qui  ne  leur  fit  pas  défaut,  dit  la  légende  (l).Un  autre  éta- 
blissement religieux,  l'abbaye  de  Massay,  eut  aussi  à  souITrir  de 
ces  luîtes,  el  elle  fut  emportée  de  nuil  par  les  Poitevins  (2).  Le 
pays  était  du  reste  hérissé  de  ces  forteresses  qui  offraient  un 
obstacle  conlinuet  à  la  marche  en  avant  de  petites  troupes;  une 
armée  seule  pouvait  en  venir  k  boni,  et  encore  on  verra  bien  sou- 
vent celle-ci  s'épuiser  dans  des  luttes  acharnées  conlre  des 
repaires  qui,  défendus  par  une  troupe  d'hommes  déterminés, 
étaient,  grâce  à  leur  situation,  presque  imprenables  avec  les 
moyens  d'attaque  de  l'époque. 

L'année  960  ne  vint  apporter  aucune  amélioralion  à  cette 
situation;  au  contraire,  elle  s'aggrava.  Brunon,  l'archovôque  de 
Cologne,  oncle  commun  du  roi  et  des  ducs  de  France  et  qui  rem- 
plissait en  quelque  sorte  les  fondions  de  régent  du  royaume, 
amena  ses  neveux  à  une  réconciliation,  mais  le  Poitou  el  la  Bour- 
gogne en  furent  encore  le  gage.  Hugues  Capet  et  Olhon  vinrent, 
dans  le  courant  de  novembre  ou  de  décembre,  trouver  Lolhaire 
à  Dijon  et  lui  prêtèrent  serment  de  fidélité  ;  en  retour,  le  roi  con- 
firma Hugues  dans  son  litre  de  duc  de  France  et  lui  concéda  en 
outre  le  Poilou;  Olhon  recul  pareillement  la  Bourgogne.  Mais 
autre  chose  était  de  recevoir  le  don  d'un  comté  que  d'en  avoir 
la  possession.  Hugues  en  fit  l'expérience,  car  Tôle  d'Eloupe  n'é- 
tant rien  moins  que  disposé  à  subir  cette  spoliation,  il  fut  con- 
traint d'altendre  des  temps  plus  propices  pour  profiter  delà  géné- 


(j)  MalnIlon,yl c/a  Sanctortim,  IV,  pari.  H,  [>.  a3o,  Translatio  sancli  Genuiti;  Tîrc. 
des  ht  si.  de  France,  IX,  p.  144- 

(2)  Pertz,  Afonamenta,  SS.  111,  p.  iGg,  Annales  iMasciacenses. 


GIJILI-AL'ME  TKTE  D'ETOITE 


î»3 


rosilé  du  princo.  Lollmire  avai(,pîir  son  aclivilé_,  par  son  (Snergio, 
relevé  la  puissance  royale  el  rejelf^  au  second  ran^  celle  des 
dues  de  France,  aussi  de  plusieurs  poinis  du  royaume  lui  arri- 
vaicnlde  nombreuses  adhésions.  Il  devint  v^3rilahleraenl  l'arbitre 
de  ses  vassaux,  ainsi  que  le  comporlail  sa  qualité  de  roi.  Aussi, 
le  comte  de  Poilou,  suivant  l'impulsion  commune,  prit-il  le  parti 
de  s'adresser  direclement  à  lui  pour  régler  son  ditTérend  avec 
Hugues  Capel.  Au  mois  d'octoljre  961,  des  évêques  el  de  grands 
personnages  d'Aquilaine  se  rendirent  auprès  du  roi  qui  venait 
prendre  ses  quartiers  d'hiver  en  Bourgogne  ;  parmi  eux  se  trou- 
vaient certainement  des  émissaires  chargés  de  négocier  la  récon- 
ciliation de  Ti^te  d'Ktoupc  avec  Lolhaire.  Ce  dernier  n'avait 
pas  de  molils  particuliers  pour  en  vouloir  k  son  puissant  vassal  ; 
tout  enfant,  il  n'avait  tait  que  suivre  les  inspirations  d'Hugues 
le  Grand  el  depuis,  en  prenant  parti  pour  ses  cousins,  il  s'était 
conformé  aux  volontés  de  son  oncle  Brunon,  qui  avait  toujours 
considéré  comme  plus  profitable  au  roi  le  maintien  de  ses  bons 
rapports  avec  la  maison  des  ducs  de  France  plutùt  qu'avec  le 
comte  de  Poitou  {!.). 

Les  négocialions  furent  sans  doute  assez,  longues,  mais  elles 
finirent  néanmoins  par  aboutir  ;  du  reste  de  nouveaux  désaccords 
avaient  éclaté  entre  Hugues  Capet  et  Lolhaire,  et  celui-ci  fat 
heureux  de  pouvoir  opposer  comme  contrepoids  h  Thostitité  de 
son  cousin  la  fidélité  de  Tête  d'I^loupe.  Le  comte  de  l'oitou  vint 
même,  en  962,  lrou\er  le  nÀ  h  sa  villa  de  Vitry  en  Pertliois  et  se 
mettre  à  sa  disposition.  Comme  témoignage  de  bon  vouloir  à  son 
égard,  le  roi  fit  délivrer  par  son  chancelier  Adalric,  à  la  date  du 
14  octobre  de  celle  année  9G2,  un  diplôme  autorisantia comtesse 
Adèle  à  disposer  comme  il  lui  conviendrait  d'un  vaste  domaine 
sis  aux  environs  de  Poitiers,  la  Cour  do  Faye,que  Robert,  fils  du 
comte  Maingaud,  lui  avait  donné  en  bien  propre  (2), 


(i)  Rec.  tics  hisl,  de  France,  Vltl,  pp.  210  el  2J2,  Flodoord. 

(2)  Besly,  f/ist.  iles  comtes^  preuves,  p.  258;  Gallia  Christ. ^  W,  iastr.,  col.  3Co. 
C'esl  dans  le  recueil  de  D.  FoDlcncau,  XXVII,  p.  ^'\,  que  I'od  trouve  la  meilleure 
tmoscripltOQ  de  ce  texte  faile  d'après  l'original  aujourd'hui  perdu.  Uq  autre  diplôme 
de  même  d.ite  se  rapportant  à  la  fondation  de  fabliityc  de  la  Trinité,  publié  dans  le 
Rmieit  des  historiens  de  l'rnnce,  IX,  p.  05r,  el  dans  ]eG'd(in,\\.  instr.,  col.  36i, 
est  d'une  insigne  fausseté  (Voy.  Appendigr  II). 


<A 


LlvS  i:(>.MTIi:S  DIÎ  POITOI 


En  mellanl  par  son  adhûsion  sincère  In  roi  do  France  dans  ses 
inlrrèls,  le  comlc  de  Poilou  avait  lroiiv<;  le  vérilablo  obslacloà 
opposer  aux  tenlalivos  de  ses  ennemis.  11  [iiit  d&s  lors  se  croire 
à  l'abri  des  inlrigues  do  la  famille  d'IIuiJ^ues  le  Grand  et  de  la 
haine  que,  depuis  vingt-cinq  ans,  celle-ci  luiavait  vouée.  Aussi  le 
momenl  lui  somblu-1-il propice  pour  mellre  iicxécuUon  unprojcl 
qui  semble  avoir  été  longuemcnl  prémédilé  chez  hii.  Il  élait, 
avons-nous  dil,  profondément  religieux  et,  par  surcroll,  il  subis- 
sail  en  ces  matières  l'ascendant  de  sa  femme.  L'acquisition  de 
Faye  par  la  comtesse  de  Poitou  n'avait  pas  eu  réellement  pour 
objet  d'augmenter  sa  fortune  personnelle  ;  elle  destinait  ce  do- 
maine à  devenir  la  principale  dotation  d'un  tdablissemenl  reli- 
gieux qu'elle  avait  le  desseinde  fonder.  Les  règles  qui  régissaient 
rabbîiyc  de  SainLc-Croix  ne  satisfaisaient  sans  doute  pas  ses 
aspiralions  religieuses;  de  plus.clle  ressentait  celte  attraction  du 
pouvoir  qui  porte  les  personnes  ayant  exercé  quelque  aulorilé  à 
vouloir  transporter  cette  ingérence  dans  les  œuvres  auxquelles 
elles  se  trouvent  mêlées  ;  elle  voulait  fonder  un  monoslère  dont 
elle  dirigerait  les  destinées.  Celle  résolution^  qui  devait  recevoir 
son  exécution  peu  après  l'acquisition  de  Fayc,  inllua  sur  la  con- 
duite de  TClo  d'Eloupe  ;  à  l'exemple  de  sa  femme,  il  se  décida  à 
abandonner  le  monde  et  san.-^  plus  tarder  il  entra  dans  le  monastère 
de  Saint-Cyprien  de  Poitiers,  pour  lequel  il  avait  toujours  témoi- 
gné un  attachement  particulier  cl  où  il  mourut,  le 3  avril963,  après 
y  avoir  fait  seulement  un  court  séjour  (t). 

(i)  Adcmar  de  Cbabannes  et  la  clironiquc  de  Saliil-Maixcnl  sonl  en  désaccord  sur 
le  lieu  où  serait  morl  Télc  d'Etoujie.  AJéiiiar  (p.  i5o}  rapporte  que  le  comte  rc4;til 
la  sêpallurc  dans  l'iibbaye  de  SaÎDt-Cyprica,  landia  que  l'auleur  de  In  elironiquc  lui 
fait  au  contraire  abandonner  celle  abbaye  et  terminer  ses  jours  dans  celle  de  Saint- 
MaixenI  (i)p,38o-38i).  Nous  n'hésitons  pasik  rejeter  celle  dernière  iiitlicalion  qui  nous 
puraîl  t>lre  le  résultat  d'une  erreur  de  l'annaliste.  Il  n  confuntlu  fc  |ièic  et  le  lils, 
ISuilIaumc  Tête  d'F4oupc  cl  Guillnume  Ficr-à-lir.ia.  Ce  dernier  s'est  en  cITet  relire, 
sur  la  lin  de  sa  vie,  à  SainlMaixent,  oii  il  niourul.  (Chron.d'AJihnir,  p.  ijO).  Or,  la 
cliroûiquc  de  Sainl-Maixcnt  passe  complètement  soua  silence  la  mort  de  Fier-à-Dras, 
et  ceci  se  conçoit, l'auteur  ayant  aniatj^ann-  les  deux  faits  qu'il  a  eihpruulûs  à  Adémar 
cl  les  ayant  condensés  en  un  scid  qu'il  applique  à  Tète  d'Etoupe.Ou  peul  de  plus, 
pour  8'éclaircr,lirer  une  indication  prcciscd'un  te\le  des  archives  de  l'abbayedcSaint- 
Maixenl,  ainsi  couru  :  »  Les  dévolions  que  l'on  doit  faire  le  saint  temps  de  car«yme-.. 
Pour  le  mois  d'avril,  le  trois,  la  déposilioa  du  comte  (juillaume,  lequel  ne  gial  (Mis 
céans  »  (A.  Richard,  Churfes  de  Saini-Moixe/il,  11,  p.  3i.^().  On  connaît  cxaclcnient 
la  date  de  la  mori  des  divers  comtes  de  Poitou  du  nom  de  CiuiUaumc,  sauf  de  celle 
des  deux  premiers,  Télc  d'Eloupe  et  Fier-à-Bras,  et  comme  ce  dernier  fut  enterre  à 


4 


t.UILLAI  MK  TKTE    D'ÉTOLPi:  gS 

Nous  ne  sfidrions  allribiicr  à  la  seule  influence  d'Adèle  la  viva- 
cil6  des  sonlimcnls  religieux  de  Tète  d'Eloupe,  vivacilé  qui  vint 
aboulir  à  celle  î:,'rande  déleruiination  de  se  retirer  du  monde, 
alors  qu'il  élall  encore  dans  la  force  de  l'âge  ;  pour  le  maintenir 
dans  cette  voie,  il  possédait  encore  dans  son  entourage  un 
modèle  et  peul-ôlre  un  conseiller,  son  frère  Kble.  Ce  second  fils 
du  Manzer,  qui  avait  616  destiné  à  l'ii^glise,  avait  élé  gt^néreuso- 
mcnl  pourvu  par  le  comte  do  Poitou  de  riches  Ijénéfices  ecclé- 
siastiques, mais  sa  conduile  trancha  avec  celle  de  ces  chefs  de 
diocèses  ou  d'abbayes  qui  ne  vivaient  guère  aulremcnl  que  comme 
des  seigneurs  séculiers,  et  il  mérita  cet  éloge  que  font  de  lui  les 
chroniqueurs,  qu'il  fut  un  bon  pasteur,  bomis pastor  erdesie.  Dès 
936,  il  recul  l'investiture  delà  puissante  abbaye  de  Sainl-Maixcnl 
à  qui,  à  diverses  reprises,  il  fit  dos  dons  imporlants,  prélevés 
sur  les  domaines  qu'il  avait  reçus  pour  sa  part  dans  l'héri- 
lagc  paternel  (1).  En  937,  xVuboin,  trésorier  de  Sainl-Hilaire,  ce 
qui  élail  la  principale  di^'uilé  après  celle  d'abbé  qui  n'élait  pas 
alors  occupée  mais  que  Tête  d'Eloupe  complaît  bien  se  faire 
octroyer  quelque  jour,  passa  évêque  de  Poitiers.  Eble,  déjà 
doyen,  pril  sa  place  comme  trésorier  et  organisa  le  régime  de 
vie  des  chanoines  qui  avaient  remplacé  les  moines  ii  la  suile 
des  désordres  survenus  dans  l'abbaye  par  TelTel  dos  invasions  nor- 
mandes ;  il  fit  confirmer  les  règles  de  cet  établissement  le  5  jan- 
vier 942  par  le  roi  Louis  d'Outremer  (2)  ;  en  944,  il  devint 
évèquc  de  Limoges,  et  enfin  il  fui  aussi  pourvu  de  l'abbaye  de 
Sainl-Michel  en  Lherm  (3).  Comme  il  ne  pouvait  sulfire  seul  à 


Saînt-MaixcDt,  la  mcntinD  ci-dessus  ne  pcul  donc  s'appliquer  qu'à  Trtc  d'Cinupc. 
Noua  ferons  cnlîo  remarquer  que  ccUc  date  du  .3  avril  qG3,  si  rapprochée  de  celle  du 
i/|  oclobregGa.où  I'od  constate  la  présence  du  comte  à  Vilry.esl  encore  un  arj^'umciit 
h  fournir  à  l'appui  de  notre  manière  de  voir,  car  il  serait  bien  cloûDant  qtic,  dans  Ee 
court  espace  de  six  mois  de  temps,  compris  cotre  ces  deux  dates,  le  comte  de  Poitou 
ait  pu  prendre  In  résolution  de  se  retirer  du  monde,  d'entrer  dans  un  monastère,  de 
Tabandonncr,  cl  enfin  de  passer  dans  un  autre  où  il  serait  venu  mourir, 
(i)  A.  Richard,  Chartes  de  Sainl-Mai.TenI,  l,  pp.  3-j  et  /[S. 

(2)  Uédct,  Doc.  pour  Sainl-llilaire,  I,  p.  23. 

(3)  La  chronique  d'Adémar  (pp.  \!\(i  cl  201)  et  celle  de  Saint-Maixcnt,  qui,  dans  ce 
passaiçc,  comme  dans  beaucoup  d'autres,  en  est  la  copie  (extucllc,  semblent  dire  qu'Eble 
fut  pourvu  des  bénéfices  qu*il  a  possédée,  dès  la  mort  de  son  père.  Il  y  a  lieu  de  ftire 
ù  ce  sujet  la  même  réserve  <|ue  pour  Tête  d'iiloupc  cl  de  reconnaître  quc,coiimi£*  lui.il 
ne  les  a  eus  que  successivement;  ainsi,  il  ne  put  devenir  cvèquedc  Limoge»  qu'après  la 
mort  de  Turpion.dont  le  décès  est  rapporté  au  aâ  juillel  qVi  (Ca//.C/ir/»/.,n,col,5o9). 


\fi 


LES  CO.MTI'^S  UE  POITUlI 


remplir  son  rôle  èpiscopal  et  h  veiller  à  la  direction  des  monas- 
tères qui  lui  (l'iuient  suumis,  il  se  reposa  de  ce  soin  sur  des  per- 
sonnes éprouvées,  particulit'rcmenl  k  Sainl-Maixent  où,  dès9i2, 
on  lui  voit  uneoadjuleur  portant  comme  lui  le  litre  d'abbé  (1);  à 
Limoges,  il  eut  un  cliorévêque(2).  11  lit,  disent  encore  les  chroni- 
queurs, beaucoup  de  choses  dignes  de  louanges  ;  c'est  ainsi  que, 
profitant  du  séjour  de  Louis  d'Oulrmier  ti  Poitiers  et  du  désir 
qu'avait  ce  prince  de  s'attacher  élroitemenl  le  comte  de  Poitou, 
il  obtint  de  lui  cet  autre  diplôme  du  7  janvier  042,  par  lequel 
le  roi,  à  sa  requête,  réforma  l'abhaye  de  Saint-Jean  d'Angély  et 
la  contia  à  Martin,  l'abbé  de  Saint-Cyprien  (;i).  Mais  ce  qui 
signale  particulièrement  Eble  à  notre  allcntion,  c'est  sa  préoccu- 
pai ion  de  fortifier  le  siège  de  chacune  de  ses  possessions,  soit 
que  par  ces  mesures  il  voulût  opposer  un  ûhslacle  h  de  nouvelles 
invasions  normandes  dont  la  mémoire  était  toujours  vivace,  soit 
qu'à  l'imitation  de  ce  qui  se  passait  par  tout  le  pays  dont  le  sol  se 
couvrait  de  forteresses^ il  ait  cru  prudent  de  mettre  les  édifices 
sacrés  h  l'abri  des  tentatives  de  pillage  de  voisins  peu  scrupuleux; 
k  Limoges,  il  termina  renceinte  commencée  par  son  prédéces- 
seur Turpion,  qui  renfermait  la  calhédrale  de  Saint-Elicnne, 
et  il  créa  ainsi  la  ville  épiscopale,  la  cité,  en  face  de  celle,  dite  le 
chAleaii,  que  commençaient  à  constituer  les  abbés  de  Saint-Mar- 
tial (i),  à  Saint-llilaire,  où  l'abbaye  primitive  ne  fut  pas  recons- 
truite, les  chanoines  habitant  des  demeures  particulières,  il 
fit  entourer  le  bourg  do  murailles  qui  étaient  terminées  en 
942  (5);  à^Saint-Maixenl,  il  agit  de  même  sorte,  mais  il  se  con- 
tenta do  faire  de  l'abbaye,  qu'il  avait  relevée  de  ses  ruines,  un 
chàLeau-fort  placé  au  milieu  do  l'aggloméralion  qui  s'était  for- 
mée autour  d'elle  (6)  ;  à  Saint-Michel,  qui  était  un  poste  fortilié 
avancé,  placé  enire  l'enibouchure  de  la  Sèvre  et  celle  du  Lay 
dans  l'Océan,  et  qui  surveillait  on  même  temps  les  Bretons  du 


(i)  A.  Bichard,  Chartes  de  Saini-Maixent,  io(rod.,p.  lxvii. 

(2)  C/irnn.  (l'A(lémfir.p.}/i-j\Da[i\L'&'A!r\eT,Chron.<ieSaint-Afariîal,Commemoriii\o. 

(ï)  Gallia  Christ. ,  II,  iostrun).,  col.  /(04. 

(^)  Chron.  ifAdémar,  p.  201. 

[F»)  Chron.  d'AUérnar,  p.  201  ;  le  châlcau,  caafnim,  de  Saial-Hilaire  csl  mentionne 
pour  la  première  fois  dans  une  charte  de  Guillaume  Tète  d'Kloupc,  de  juin  9^1  ou  g^i 
(lléJet,  iJoc.  pour  Sitiiit-Ililaire,  1,  p.  2 a). 

(6)  Chron.  d'Adémar,  p.  202. 


GUILLAUME  TÊTE  D'ÉTOUPE 


97 


comli'  d'Iïerbauge,  il  releva  Fabbaye  qui  avail  été  ruinée  (1)  ; 
enfin,  en  961 ,  il  créa  un  aulre  poste  défensif,  au  point  où  la  Sèvre 
cesse  d'ôlre  praticable  à  la  navigation, en  Iransformaniréglise de 
Noire- Dame  du  Porl-Dieu,  que  l'abbaye  de  Sainl-Maixent  avait 
reçue  rOeemmenL  en  don  des  vicomtes  deThouars,  en  une  nouvelle 
abbaye  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  Saint-Ligaire  et  qu'il  plaça 
du  resle  dans  la  dépendance  de  Saint-Maixent  (2).  De  Limoges  à 
la  mer,Eble  avait  donc  établi  une  série  de  forteresses  qui,  outre 
la  sécurité  qu'elles  apportaient  h  ses  possessions  territoriales, 
servaient  à  assurer  Tautorilé  du  comte  de  Poitou  et  garantissaient 
la  tranquillité  du  pays.  Cette  tranquillité  relative  nous  paraît 
indéniable  au  temps  de  la  dominaliou  de  T^te  d'Étoupe;  elle  est 
surtout  attestée  par  les  concessions  nombreuses,  faites  par  te 
comte,  par  son  Frère  ou  par  d'autres  personnes,  de  terrains  si- 
tués sur  les  côtes  de  i'Aunis  afin  d'y  établir  des  salines  (3).  Le  sel, 
ce  condiment  si  précieux  pour  la  santé  de  l'homme,  devait  faire 
souvent  défaut  aiix'malhcureuses  populations  de  ces  temps  trou- 
blés ;  grâce  à  l'inlelligente  impulsion  du  comte  de  Poitou,  secon- 
dée par  les  tendances  des  établissements  monastiques  à  mettre 
en  rapport  leurs  nombreuses  possessions,  une  révolution  dut  se 
produire  à  celle  époque  dans  les  conditions  de  l'existence,  et  c'est 
ainsi  que  l'on  doit  s'expliquer  l'importance  du  mouvemenl  que 
tant  d'actes  nous  signalent  en  faveur  de  l'extension  de  cette 
industrie  de  la  fabrication  du  sel  ;  celle-ci  du  resle  ne  tarda  pas 
à  transformer  un  pays  jusqu'alors  presque  désert  et  à  y  amener 
la  richesse. 
Le  nom  de  Tête  d'Étoupe  se  trouve  donc  accolé  à  celui  d'Eble 


(i  )  C/iron.  d'Adémnr,  p.  t^y.  La  charte  de  reslauralion  de  l'abbaye  de  SainUMichel 
par  l'abbé  Kbl<?,  qui  a  été  publiée  parle  Gallia  Christ.,  II,  inslr.,cnl./|o8,  est  de  toute 
fnusselc;  ellfi  sorl  de  Tofficme  nionlée  an  xvi'  siècle  pour  la  ^loritlcnlioD  de  la  ramilleij 
de  Sanzar  et  à  laifuellu  ou  doit  entre  autres  les  Mémoires  de  la  Gaulle  Acqai/aniqntl 
de  Jean  de  lallayc  (Voy.ma  A'o/«  sur  quatre  abbés  poilerins  du  nom  deliilly,  1886), 

(2)  A.  Richard,  Chartes  deSainl-A/aixcnt,l,p.  72;  Marcheyay,  Chron.des  éyliset 
d'Anjou  y  p.  38o,  Sainl-Maixcot. 

(3)  Voy.,  dans  lu  collection  de  D,  FoDleneau^  les  chnrles  de  Noaîllc  :  I.  XXI,  pp. 
260  el  285,  et  t.  XXVII  tef\  p.  33,  de  Sainl-Cyprica  :  t.  VI,  pp.  gS,  109,  i3i,  149, 
173  et  iBfj,  el  t.  XXVn  his,  pp.  73,  75,  77,  79,  81,  83,  85,  87,  89  et  91,  de  Saint- 
Maixcnt  :  L  XV,  pp.  101  cl  io5,  et  I.  XXVII  ôi's,  pp.  fiQi  cl  5g3.  Ces  cbarles,  outre 
l'intérêt  qu'offre  leur  objet  s[  ccini,  permettent  encore  d'affirmer  que  rA«Qi.s  litnit  dans 
la  [lossession  directe  de^  comtes  de  Poitou,  possessioa  déjà  établie,com[ue  nous  l'avoQS 
vu,  au  temps  du  cunile  VMv. 

7 


98 


LES  COMTES  Dli  POITOU 


dons  CCS  acles  comme  dans  bien  d'aiilrcs  qui  lémoignenl  de  la 
persislaiice   da  rapporls  inltmes  qui  exislaieiil  eiitro  les  deux 
frèresj  aussi  est-ce  sans  surprise  que  Ton  voit  Kble,  au  momenl  où 
Têted'Etoupe  se  relire  du  monde,  abandonner  lui  aussi  un  de  ses 
principaux  bénéfices,  l'abbaye  de  Saint-Maixenl,  préludant  par  ce 
renoncement  à  celui  plus  complet  qui  marquera  la  fin  de  sa  vie(l). 
L'ère  des  fondations  religieuses,  celle  qui,  selon  l'expression 
d'un  chroniqueur,  vil  recouvrir  de  blanches  toisons  le  sol  de  la 
France, n'était  pas  encore  arrivée;  on  était  trop  près  des  ravages 
des  Normands  et  il  fallait  de  longues  périodes  de  calme  pour  que 
la  fortune  publique  s'accroissant  permît  de  faire  face  aux  dépenses 
considérables   qu'entraînaient  ces  constructions  d'églises  et  de 
monastères.  Malgré  la  piété  dont  il  a  donné  des  preuves,  on  n'a 
donc  aucun  témoignage  établissant  que  Guillaume  Tôled'Ktoupe 
ait,  en  dehors  de  ses  acles  comme  abbé  de  Saint-Hilaire,  consis- 
tant surtout  en  mainfermes,  c'est-à-dire  en  concessions  tempo- 
raires à  cens,  personnelles  ou  avec  faculté  de  transmission,  de  terres 
faisant  partie  du  domaine  canonial  (2),  fondé  quelque  établisse- 
ment religieux  ;  ses  générosités  à  Tégard  de  ceux  qui  existaient 
furent    même   très    bornées  et  Ton    ne    trouve  véritablement 
à  citer  que  la  donation  qu'il  fil,  en  936  ou  937,  à  l'abbaye  de 
Saint-Cyprien  de  Poitiers,  récemment   restaurée  par  l'évoque 
Frolier,  du  domaine  de  Colombiers  (3).  On  le  voit  aussi  mêlé 
aux  affaires  de  l'abbaye  de  Saint-Maixenl,  que  possédait  son  frère 
Kble,  mais  c'est  surtout  pour  donner  en  niainfermc  des  domaines 
qui  en  dépendaient;  une  fois  même,  ayant  concédé  en  bénéfice 
l'église  de  Saint-Geimier  'i  un  de  ses  fidèles  nommé  Bégon,  el 
contraint  par  la  suite  de  l'enlever  à  ce  dernier  qui  abusait  de  la 
situation  de  celte  église  au  milieu  des  bois  de  l'abbaye  qui  l'en- 
touraient de  toutes  parts  pour  causer  à  ceux-ci  de  graves  dom- 
mages, il  ne  la  donna  aux  moines  de  Saint-Maixenl  qu'à  la  charge 
de  payera  Bégon  un   cens  annuel  de  cinq  sous.  Le  comte  prit 
celte  décision,  qu'on  ne  saurait  qualifier  de  don,  dans  un  plaid  où 
se  trouvaient  les  trois  vicomtes  de  Thouars,   de    Châtelleraull 
el  d'Aunay  el  le  viguier  lUinaud.  La  faveur  accordée  à   Saint- 


(i)  A,  Richard,  Charles  de  Siiini-Afai\i:ent,  inirod.,  p.  lxvi. 
(a)  Hcdel,  Doc.  pour  Sainl-IIi taire,  I,  p]).  aa,  a/i»  '-tlt  ag,  3o. 
(3)  Cariai,  de  Saint-Cyprien,  p.  76;  voj.  plus  haut  p,  84. 


GUÎLI.AUME  FIER-A-BRAS 


99 


Maixenl  était  assez  minime  el  ne  dut  être  prise  qu'à  la  sollici- 
talion  de  i'abb6  Kble,  qui  assista  à  la  décision  du  comte  (i). 
C'est  à  ces  seuls  actes  que  se  réduit  ce  que  nous  savons  sur  les 
rapports  de  Guillaume  Tête  d'Étoupe  avec  les  établissements  reli- 
gieux de  son  comté;  c'est  peu  de  chose  (2). 

De  son  mariage  avec  Adèle  de  Normandie,  fluillaume  Tête 
d'Étoupe  laissa  deux  enfants:  un  fils  nommé  aussi  Guillaume, qui 
lui  succéda,  et  une  fille,  Adélaïde,  qui  devint  la  femme  d'Hugues 
Cape  t. 


IX.  -  GUILLAUME  FIEHA-BRAS 

II"  COMTE  —  IV*  DUC 
(963-993) 

Le  successeur  de  Guillaume  Tête  d'Étoupe  est  connu  sous  le 
nom  de  Kier-à-Bras,  Fera  Brac/iia{2)y  qui  lui  fut  donné  à  raison 


(i)  A.  Richard,  Charles  de  Saint-Maiœent,  I,  pp.  39,  82,  ^2. 

(2)  Nous  omettons  à  deasein,  parmi  tes  actes  émanés  de  Guillaume  Têle  d'Etoupe, 
celui  que  les  Bénédictins  ont  inséré  dans  le  Gallia  Chrittiana,  II,  instr. ,  col.  4o8,  et 
griicc  auii|uel  Ils  ont  intercalé  un  personnage,  Dommé  DioQ.dans  la  série  desabbdsde 
Saint -Michcl-ea-Lherm.  D.  Fonteneau,  qui  a  eu  connaissaocc  du  prétendu  origioat, 
une  simple  feuille  de  pareliemin  d'une  écriture  du  xv"  siècle  (il  aurail  dû  dire  du  xvi* 
siècle)  qui  se  trouvait  dans  les  archives  du  chapitre  de  Saint-llitaire-Je-Grand  de  Poi- 
tiers et  qui  malheureusement  ne  nous  est  pas  parvenue,  en  n  Taltia  critique  minutieuse 
au  point  de  vue  diplomntique  el  a  conclu  à  sa  fausseté;  quant  h  nous, la  présence  d'ua 
seigneur  de  Sanzay  parmi  les  lénnoins  nous  édifie  sur  la  provenance  de  la  pièce  qui 
rentre  dntts  la  série  des  nombreux  documents  Fabriqués  par  cette  ramillc  de  Sanzay 
et  fourrés  par  elle  dons  les  papiers  des  monastères  ou  éq'lises  de  la  région  afin  de 
servir  de  preuves  aux  Mémoires  et  recherches  de  France  et  de  Iti  Gaulle  AcquHani- 
qne  du  sietir  Jean  de  In  Haije  (Voy,  mon  introduction  aux  Chartes  de  l'abbaye  de 
Suint-Mnixent,  I,  p.  lxxi). 

Il  y  a  lieu  de  faire  \a  même  observatioD  au  sujet  d'un  acte  du  cartuleirc  de  Satol- 
Jean  d' Anc^ély,  relatant  de  nombreux  dons  faits  à  celte  abbaye  par  des  comtes  de  Poi- 
tou du  nom  de  Guillaume,  dans  lesquels  D.  Foolencau  (XlIIt  p.  ^7)  voil  Tète  d'Etoupe 
et  son  fils  Ficr-à-Bras;  la  pcrsunnalilc  de  Tête  d'Etoupe  doit  être  complètement  écar* 
léo  (Voy.  Musset,  Cart,  de  Saint-Jean  d\lnfféli/,  p.  12,  note  a.) 

(3)  Marchegay,  Cbron.  des  églises  d' An j on,  p.38t ,  Sainl-Maixent.  Beslj  a,  par  inad* 
vertance, commis  une  erreur  fj^ravedans  son  ffisloire  descomtes  f/<"/*oiWoH,ch.xv,pp« 
46  et  ss.,  au  sujet  du  tils  de  Tête  d'Etoupe;  il  ne  lui  donne  pas  de  surnom  et  réserve 
celui  de  Fier-à-Bras  pour  le  successeur  de  ce  dernier,  qui  est  au  contraire  connu  sous 
le  nom  de  Guillaume  le  Grand.  Cependant,  ou  doit  noter  que  cette  erreur  de  notre 


lOO 


LES  COMTES  DE  POITOU 


de  sa  force  peu  commune  et  peut-èLre  aussi  parce  qu'à  cet  avan- 
tage physique  se  joii,'nail  uno  qualit»!^  guerrière,  car  c'est  à  ce 
dernier  titre  que  le  normand  (iiiillau me, frère  de  Robert  Tiuiscard, 
fut  décoré  du  surnom  k  peu  près  idenlique  de  Ferrebrachia  {\}. 
Il  nous  apparaît  comme  un  liomme  violent,  mais  de  peu  de  ju- 
gement, qui  peut  être  rangé  dans  la  catégorie  de  ces  gens  chez 
qui  le  développement  de  l'intelligence  n'a  pas  suivi  celui  de  la 
vigueur  corporelle.  Quant  à  la  forme  française  de  ce  sobriquet  de 
Fier-à-Bras,  elle  se  retrouve  dans  les  anciens  textes,  et  même 
elle  était  appliquée  au  diable  (2). 

En  donnant  i\  son  fils  aîné  le  nom  de  Guillaume,  Tôle  d'Étoupe 
avait  certainement  eu  rarrière-pensée  d'en  faire  une  qualification 
dynastique.  S'étant  vu  disputer  le  titre  de  duc  d'Aquitaine  porté 
par  son  père,  il  ne  négligea  rien  pour  affirmer  les  droits  que  sa 
race  avait  à  s'en  parer  et  le  fait  de  la  transmission  d'un  nom 
prédispose  à  accepter  favorablement  celui  d'un  litre.  Lors- 
qu'Eble  appela  son  fiisfîuîllaume,  ilne  pouvait  assurément  avoir 
eu  la  pensée  qui  germa  dans  l'esprit  de  ce  dernier;  il  agissait 
ainsi  en  mémoire  do  ses  parents, les  comles  d'Auvergne  de  ce 
nom,  et  en  particulier  de  celui  qui  avait  été  le  prolecleur  de  sa 
jeunesse,  mais  il  ne  pouvait  prévoir,  lors  de  la  naissance  de  cet 
enfant jque  les  trois  derniers  possesseurs  de  ce  pays  d'Auvergne 
décéderaient  sans  hoirs  et  que  leur  héritage,  spécialement  le 
duché  d'Aquitaine,  lui  reviendrait;  il  en  était  autrement  de 
Tête  d'Étoupe.  Le  hasard  des  événements  avait  voulu  qu'à  un 
moment  donné  il  recouvrât  ce  duché  d'Aquitaine,  dont  il  avait 
été  momentanément  dépouillé,  et  dont  le  litre  avait  été  succes- 
sivement porté  si  brillamment  par  deux  ducs  du  nom  de  lluiU 


1 


historien  se  trouve  corrigée  dans  le  lableau  çéacalogique  intitulé  :  Comles  de  Poiciiers 
et  ducs  de  GuyentiCj  placé  en  tôle  du  volume  et  auquel  il  y  a  toujours  lieu  de  se  tenir 
de  préférence. 

(i)  Du  Caoçe,  Glossarium,  au  mol  Ferrebrachia,  d'a|>rês  Guillaume  de  Fouille, 
De  gestis  Norman .  : 

Is  quia  fortis  erat,  et  Fcrrea  diclus  linbere 
Brachia,  nam  validas  vires  animumque  gercbat. 
(a)  Du  (iaoge,  Giossariti/ity  d'après  les  Miracles  de  Notre-Dame  : 

Ficrabras 

Ccsl  anemis  qui  maint  mal  brace. 
M.  Lot  (Les  derniers  Ciirotiftifietts,  p.  210)    désigne  le  comte  de  Poitou   sotia  le 
Bumom  de   Fierebrace  ;  douk  ne  saurions  dire  à  quel  ancien  texte  il  a  euiprunté  cetle 
traduclioa  du  mot  Ferabrachia. 


GUILLAUME  FIER-A-BRAS 


lOI 


laume.  Il  élail  le  Iroisième  Guillaume  qui  en  fût  pourvu  et  il  eut 
alors  celle  inspiration  géniale  que  ce  nom  et  celle  qualité  demeu- 
rassent inséparables  l'un  de  l'aulre,  c'est-à-dire  que  les  comtes 
de  Poitou  fussent  ù  toujours  des  Guillaume  d'Aquitaine;  celle 
idée  fut  si  bien  comprise  par  les  intéressés  que  désormais  le  nom 
de  Guillaume  fut  toujours  attribué  par  les  comtes  de  Poitou  à 
leur  premier  né  jusqu'à  rexlinclion  de  leur  race;  môme  si,  par 
un  cas  fortuit,  il  arrivait  qu'un  putné  passât  au  premier  rang, 
celui-ci  s'empressait  d'abandonner  le  nom  qu'il  avait  reçu  au 
baptême  et  de  prendre  la  dénomination  patronymique  sous 
laquelle  avaient  été  désignés  ses  prédécesseurs,  tel  fut  le  cas  pour 
Pierre  et  pour  (iuy-Geoffroi,  les  fils  de  Guillaume  le  Grand  (1). 

Deux  faits  d'ordre  général  attirent  tout  d'abord  l'altention 
dans  l'histoire  de  Fier-à-Rras  :  l'un,  c'est  que  dans  tous  ses  actes 
il  s'intitule  duc  d'Aquitaine,  puis,  que,  dés  son  avènement,  les 
hostilités  cessent  entre  les  comtes  de  Poitou  et  la  maison  ducale 
de  France,  faits  qui  peuvent  avoir  entre  eux  une  certaine  corré- 
lation. 

Ce  titre  de  duc, que  son  père  n'a  pas  osé  prendre,  Fier-à-Bras 
s'en  pare  aussitôt  et  dans  le  préambule  d'une  charte  datée  du  mois 
de  mars  967,  par  laquelle  il  concède  à  un  particulier,  en  qualité 
d'abbé  deSaint-Hilairc.  la  possession  censuelledecertainesterres, 
il  se  qualifie  de  duc  des  Aquitains  par  la  grâce  divi(ie(2).  Ce  protocole 
était  de  régie  dans  les  actes  importants,  mais  quand  il  agissait 
simplement  comme  abbé  de  Suint-Hilaire,  dignité  qui,  avons- 
nous  dit,  ne  cessa,  depuis  Tête  d'Etoupe,  d'être  unie  à  celle  de 
comte  de  Poitou,  il  n'était  en  général  désigné  que  sous  le  titre 


(i)  Olte  uniformilé  de  nom,  allant  du  père  au  fils  et  à  leurs  desceDdants,  avait  des 
iDconvénienls  ;  il  était  ioévitabte  qu'il  devait  se  produire  des  confusions,  tant  dans  la 
litpiée  des  comtes  (jue  dans  les  faits  attribués  à  chacun  d'eux,  surtout  à  une  époque 
où  la  mémoire  des  événements  n'était  guère  conservée  que  parla  tradition  orale.  Cet 
embarras  a  clé  en  partie  évité  par  suite  dQ  l'habitude  de  distîn^uer  les  s;;rns  par  un 
sobriquet,  coutume  remontant  à  la  plus  haute  antiquité  et  qui  fut  très  appliquée 
â  l'époque  dont  nous  nous  occupons  ;  nous  nous  en  sommes  tenu  à  cet  usage,  et  si 
nous  avons  soin  de  donner  eo  tète  des  chapitres  consacrés  à  chacun  de  nos  comtes 
leur  numéro  d'ordre  dans  la  série  des  comtes  de  Poitou  et  ceux  qui  leur  reviennent 
dans  la  suite  des  (îcillaume,  considérés  tant  comme  comtes  de  Poitou  que  comme 
ducs  d'Aquitaine  ;  nous  ne  faisons  pas  étal  de  ces  numéros  dans  notre  récit  et  nooa 
les  désiirnons  uniquement  par  leurs  surnoms. 

(a)  «  Guillelmus,  divina  ordioante  cterocntia,  AquitaDcostom  dux  >  (Rédet,  Dçc. 
oour  Saînt-f/i'laire,  I,  p.  36). 


loa 


LES  COMTES  DE  POITOU 


de  comte  et  abbé  (i).  Dans  d'autres  circonstances,  il  se  fait  appe- 
ler comte  et  duc.  mais,  à  l'opposé  de  son  pÎTe,  il  ne  joint  pas  à 
celle  qualification  de  comte  la  dtisignalion  des  divers  comtés  sur 
lesquels  il  dominait  ;  cet(o  dénomination  de  duc  d^Aquitaine,  qu'il 
portait  seule,  est  insuflisante  pour  nous  permetlre  desavoir  sur 
quelles  portions  du  duché  il  exerçait  son  autorité  imniédiale  cl 
elle  dissimule  sûrement  à  nos  yeux  un  amoindrissement,  qui  fut 
la  perle  de  l'Auvergne  et  du  Velay  (2). 

Guillaume,  qui  avait  environ  vingt-six  ans  lors  de  la  mort  de 
son  père,n'étail  pas  alors  marié;  il  ne  semble  pas,  du  reste,  avoir 
été  pressé  de  changer  sa  situation,  car  c'est  seulement  dans  le  cou- 
rant de  l'année  9G8  qu'il  épousa  l']mma  ou  Emmeline,  fille  de  Thi- 
bault le  Tricheur,  comte  de  Chartres,  de  Blois  et  de  Tours,  le  plus 
puissant  vassal  du  duc  de  France  (3).  Il  constitua  à  sa  femme  un 
douaire  importani,  désigné  un  jour  par  lui  sous  le  nom  de  main- 
ferme,  principalemenl  dans celteporliondu  Bas-Poitou  qui  s'étend 
entre  les  marais  de  la  Sèvrc  et  le  Lay,  tandis  que  le  comte  de  Blois 
donnait  en  dot  à  sa  fille  le  château  de  Chinon  et  son  territoire  (4). 
Celle  alliance,  préparée  par  l'évêque  de  Limoges,  qui  nous  appa- 
raît comme  le  continuateur  de  la  politique  de  Tête  d'Étotipe 
et  l'administrateur  du  Poitou  sous  le  nom  de  son  neveu,  avait 


(i)  nédct,  Doc.  pour  Siiint-Ifilaire,  charios  de  (^67  à  991,  pp.  37  à  63, 
(2)D.  \'aisséle,  dans  sod  Hisloire  de  Languedoc,  el  ses  nouveaux  éditeurs  n'ont  pu 
percer  le  voile  quicacho  ravêiieinent  de  la  dynastie  des  comtes  nationaux  de  l'Auver- 
ffoc  ;  oa  conalale  seulement  que  Guy,  fils  de  Roberl, vicomte  de  Clcrmont,  qui,  dans  le 
cartulaire  de  Sauxîllaiia;es  (pp.  toO,  a84  et  278}  est  d'abord  qualifié,  au  lemps  do 
Lothairc,  de  vicomte,  puis  do  comle,  titre  dans  lequel  il  semble  succéder  à  Guillaume 
Taillcfcr,  comle  de  TotiInu<ïe,  Ce  dernier  avait  dû  faire  un  accord  au  aujel  de  l'Au- 
verjijnc  avec  rbértticr  de  Tcte  d'Eloupc  qui  lui  aurait  abandonné  ce  pays  eu  écbanjje 
de  ce  titre  de  duc  d'Aquitaine,  por>c  précédemmenl  par  Taillefer, et  demi  ni  celui-ci  ni 
ses  successeurs  ne  se  sont  parés  à  partir  de  l'avènemenL  de  Fier-à-Bras  {V'oy.  /h'st. 
de  Umtjuedoc,  nli«  éd.,  UI,  p,  180  ;  IV,  p.  88,  notes  xvj  et  xviii).  Le  conmle  de 
Toulouse,  après  avoir  essaye  vainement  d'asseoir  sa  domination  sur  ce  pays  d'Au- 
vergne, dut  y  renoncer  de  j^rè  ou  de  Force  lorsque  Lolbairc  vint  installer  son  tils 
Louis  à  Brioude  en  qualité  de  roi  d'Aquitaine  ;  il  est  même  possible  que  le  litre  de 
comte  fut  octroyé  par  le  roi  au  vicomte  Guy  pour  l'attacher  plus  étroitement  au  jeune 
prince. 

(3)  Ladate  précisede  ce  mariag-e  estinconnue,  mais  elle  esta  peu  prèa  fixée  par  l'il^e 
qu'avait  Guillaume  le  Grand,  fils  de  Fier-à-Bras  et  d'Emma,  lors  de  son  décès  advenu 
le  3o  janvier  io3o  ;  il  avait  alors  61  ans,  ce  qui  porte  sa  naissance  à  l'année  loBij 
environ.  La  nouvelle  comtesse  aurait  été  forl  jeune,  car»  si  l'on  s'en  rapporte  à  Pierre 
de  Maillezais  (Labbe,  AVjya  6/6/,  /«««.,  II,  p.  228),  elle  aurait  eu  quarante  et  un  ans  en 
QQJi,  ce  qui  lui  donnerait  quinze  ans  lors  de  son  mariage. 

(4)  Besly,  Hîst.  des  comtes,  preuves,  pp.  280  el  288. 


GUILLAUME  FIER-A-BRAS 


lo3 


assurément  un  caraclère  politique  ;  grâce  à  elle,  la  frontière  du 
nord  du  Potlou  se  lrouvaitd<?sormais  prol<5gée  parle  châlcau-fort 
de  (lliinon.  el,  d'autre  pari,  elle  devait  forcL'nienl  amener  une 
détente  dans  les  rapports  entre  le  comte  de  Poitou  et  le  duc  de 
Franoe,  suzerain  du  père  de  la  nouvelle  comtesse.  La  situation 
d'HuguesCapelétaUIoin  d'être  aussi  brillante  que  celle  desonpère 
ïlugues  le  tîrand.  11  n'avait  pas  trouvé  dans  Lolhaire  le  prince 
facile  à  mener  qu'avaient  été  ses  prédécesseurs  ;  celui-ci  s'était 
aiïranclii  du  rôle  secondaire  que  leur  faisaient  jouer  les  ducs  de 
France  :  il  avait  voulu  être  roi,  et  il  Fêtait.  La  vie  dllugues  se 
passait  à  se  brouiller  et  à  se  réconcilier  avec  le  roi  son  cousin,  et 
l'avenir  ne  lui  paraissait  peul-être  pas  absolument  sûr.  8a  poli- 
tique, dont  l'babileté  devait  le  faire  arriver  un  jour  au  pouvoir 
suprême,  lui  conseillait  d'abandonner  contre  le  duc  d'Aquitaine 
une  lutte  dont,  avec  ses  seules  forces,  il  paraissait  peu  probable 
qu'il  piH  venir  à  bout,  et,  d'autre  part,  celle-ci  se  trouvait  être 
d'accord  avec  les  sentiments  qui  régnaient  à  Poitiers.  De  là  un 
rapprochement  qui  finit  par  une  alliance  dont  le  gage  fut  le 
mariage  dllugues  avec  Adélaïde,  sœur  de  Fier-ii-Bras(l).  De  ce 
jour  une  paix  que  rien  ne  paraît  avoir  troublé  régna  entre  les 
ducs  de  France  et  d'Aquitaine. 

La  première  manifestation  qui  nous  soil  parvenue  delà  person- 
nalité de  Fier-à-Bras  comme  comte  de  Poitou  ne  remonte  qu'au 
mois  de  janvier  965  ou  9C6  ;  il  assistait  alors  à  une  importante 
donation  que  fil  son  oncle  Eble  à  Fabbaye  de  Sainl-Maixonl  et 
dans  laquelle  il  est  expressément  mentionné,  car  l'évêque  de 
Limoges,  au  moment  où  il  faisait  à  ses  moines  ce  riche  abandon 
de  son  domaine  privé,  avait  déclaré  qu'en  agissant  ainsi  il  avait 


(0  On  n'est  pas  plus  renseigné  sor  la  dal«  du  œariaj^  da  duc  de  France  avec 
Adélaïde  que  sur  celle  de  l'union  du  comte  de  Poitou  avec  Emma  ;  bien  plus,  on  a'esl 
demandé  lone^temps  quelle  élail  la  maison  à  laquelle  appartenait  celle  princesse. 
M.  Lot  {Les  derniers  Carolingiens,  appendice  IX,  pp.  358  à  36i)  la  rattache  à  la 
maison  d'Aquitaine  et  établit  très  judicieusement  que  la  parenté  qui  existait  entre  les 
comtes  de  Poitou  cl  les  rois  de  France  de  la  race  capétienne  provenait  de  ce  mariat^e. 
Telle  était  aussi  ropinioo  de  .Mabillon  (.Inn.  Jiened.,  III,  pp.  655  et  650),  que  nous 
adoptons  pleinement. M.  Ptister,  qui  s'est  consacréspécialemenlaurè^^ne  du  roi  Robert, 
augure  (t'tudes  sur  le  règne  de  Robert  le  Piea,T,  p.  a)  que  la  naissance  de  ce  prince 
eut  lieu  vers  970,dale  qui  permettrait  de  placer  le  manage  d'Hugues  Clapet  dans  l'année 
96Q  au  plus  lard,  c'csl-i-dire  très  préa  de  l'époque  où  Tcte  d'Etoupe  dul  contracter 
le  sien. 


LES  COMTES  DE  POITOU 

en  vue  le  salut  de  son  âme,  le  pardon  de  l'âme  de  son  frère  le 
comlc  Guillaume  et  la  consalation  de  son  neveu,  qui  portail  le 
le  même  nom.  Le  comte  de  Poitou  ôtail  accompagné  des  trois 
vicomtes  d'Aunay,  de  tUiâlelleraull  el  de.  Thouars,  dont  la  pré- 
sence avait  pour  objet  de  donner  toute  garantie  à  l'exécution  de 
l'acte,  car,  bien  qu'Eble  déclarât  disposer  de  sou  bien  hérédi- 
taire, il  n'était  rien  moins  que  sûr  que  ses  volontés  fussent  un 
jour  exécutées,  l'abbaye  ne  devant  entrer  en  possession  des  biens 
qui  lui  étaient  ainsi  attribués  qu'après  la  mort  du  donateur  {!). 

Vers  la  même  époque,  un  événement^  qui  aux  yeux  de  tous  ses 
contemporains  avait  une  importance  capitale,  se  produisit  à  Poi- 
tiers- Aussitôt  après  que  ïôle  d'Ètoupe  se  fut  retiré  du  monde, 
Adèle  de  Normandie  mil  à  exécution  son  projet  de  se  consacrer 
à  Dieu.  Elle  avait  acheté  im  vaste  emplacement  contigu  aux  mu- 
railles de  la  ville,  touchant  à  la  poterne  de  Saint-lïilaire  de  la 
Celle,  et  situé  non  loin  de  l'abbaye  de  Sainte-Croix  dont  il  semblait 
être  la  continuation,  afin  d'y  construire  un  monastère  en  l'honneur 
de  la  Sainte  Trinité,  Mais  l'autorisation  royale  était  nécessaire 
pour  amener  la  réalisation  de  ce  dessein  et  assurer  la  perpétuité 
de  l'élablisseraent.  Guillaume,  sollicité  par  sa  mère,  s'adressa  à 
Lolbatre  ;  conformément  à  leur  désir,  le  roi  autorisa  rétablisse- 
ment qu'Adèle  avait  en  vue  et  lui  concéda  la  faculté  de  jouir  en 
toute  franchise  des  biens  qui  lui  étaient  donnés  dans  le  présent 
et  de  ceux  qu'il  pourrait  acquérir  à  l'avenir;  dans  son  diplùme  il 
mentionnait  môme  ceux  qui  devaient  constituer  la  première  dota- 
lion  de  l'abbaye,  à  savoir,  celle  cour  de  Faye,  acquise  antérieu- 
rement par  Adèle  du  comte  Koborl,  dans  laquelle  se  trouvaient  les 
églises  de  Saint-Julien  l'Ars  et  de  Sainl-Gcrvaisde  Nieuil-l'Espoir 
et,  de  pluSj  la  cour  de  Secondigné,  près  Cbizé,  avec  son  église  de 
Saint-Pierre  et  les  alleux  du  Vert  et  de  Sari  (2). 

Il  ne  parait  pas  que  Fier-à-Bras  ait  contribué  personnellement 
à  la  fondation  de  sa  mère,  et  même  ses  générosités  à  l'égard  des 


(i)  A.  Richard,  Chartfs  de  Sninl-Maîxenl,  I,  p.  48- 

(a)[lealy,  llist.  ifei  comtes,  prsuves,  p.  3j(j  ;  D.  Foalenenu,  XXVII,  p.  27,  d'a- 
près l'oritîinal  aujntirtî'liui  perdu,  Cet  acle  n'est  pas  dalé,  mais  comme  il  a  été 
dressé  par  le  uolnire  Gpiiorj  h  la  requi^le  de  l'archevêque  de  Reims,  Odolric,  çrand- 
chancelier,  il  doit  être  compris  cnlro  les  années  f>63  et^fj!];,  dales  de  ta  mort  de  Téle- 
d'Etoupo  et  de  ceîlo  d'OJoIric  '^Voy.  Appenuicb  II). 


GUILLAUME  FIER-A-BRAS 


to5 


établiàseaienls  rcîligieux  nous  paraissent  dans  ces  premiers  temps 
assez  reslrei nies.  Diri^çé  parEble,  il  nedissipail  pas  son  domaine 
personnel,  et  c'est  évidemment  uniquement  pour  être  agréable 
à  son  oncle  qu'il  donna  à  SainL-Marlial  de  Limoges  le  domaine 
d'Asnais  en  Sainlonge(l)  et  qu'il  restitua  C.aui'cnme  à  Saint- 
llilaire  de  l'oiliers.Ce  dernier  alleu  avait  été  d'ancienneté  lt')gué 
à  celle  abbaye  par  le  coiiile  Aymar,  mais,  après  la  mort  de  ce 
dernier,  le  comte  Eble  avait  jugé  bon  de  le  réunir  h  son  domaine. 
Pier-à-Bras  mil  toutefois  une  restriction  à  son  acte  d'abandon; 
il  déclara  que  les  chanoines  de  S:unl-llilaire  auraient,  à  partir 
de  ce  jour,  la  jouissance  del'j^glise  de  Notre-Dame  de  r.ourcôme, 
mais  qu'ils  n'entreraient  en  possession  du  domaine  qu'après  son 
décès,  et  enfin,  pour  bien  marquer  leur  droit  de  propriêlé,  il 
s'engageait  à  leur  payer  chaque  année,  le  1*'  novembre,  jour  de  la 
fêle  de  sainl  Hilaire,  une  redevance  de  o  sous  (2). 

On  le  voit  encore  assister,  en  966  ou  967,  avec  le  docteur  de  la 
loi  Amel,  à  la  donation  que  le  vicomte  d'Aunay  Chaton,  sa  femme 
Arsende  et  son  frère  Eblc  firent  à  l'abbaye  de  Siini-Cyprien  de 
l'alleu  et  de  l'église  de  Homazîères,dans  le  pays  de  Uriou  {'A). 

C'est  à  ces  quelques  faits  isolés  que  se  réduit  ta  connaissance 
que  l'on  a  des  premières  années  du  gouvernement  de  Fier-ù-Bras. 
Assurément  il  n'était  pas  marié  lors  de  la  fondation  de  la  Trinité, 
car  son  nom  Hgure  seul  dans  les  actes  qui  accompagnèrent  l'exé- 
cution dt'S  désirs  d'Adèle,  aussi  bien  que  dans  tous  ceux  émanant 
de  son  autorité  souveraine^  soit  comme  comte,  soit  comme  abbé 
de  Saint-llilaire  qui  précédèrent  l'année  968;  mais  à  partir  de 
son  mariage  la  situation  se  modifia.  Le  comte,  Ger  de  sa  jeune 


(i)  Duplcs-Agier,  Chron.  de  Saint-Martial  de  Limoges,  p.  /|"). 

(a)  Hcdrl,  Doc.  pour  Saint-Hilaire,  I,  p.  44*  CeUe  pièce,  comme  il  arrive  sou- 
veol  à  ceUc  époque,  n'csl  p.is  datée.  Besl^'  {Ilist.  de<t  co/ntes 'preuves^  p.  aO."»)  l'at- 
tribue à  l'année  gyô  ;  D.  FoiUeneau(X,  p.  171)  el  Rédel  la  rajeunissent  el  la  placent  en 
çyo.  II  nous  parait  que  celle  date  n'csl  pas  encore  assez  reculceet  quelle  doit  être  anté- 
rieure au  niarjaije  deFicr-à-tiras,pour  ce  motif  qu'après  cet  événement  le  comteasso- 
cia  constamment  sj  f^mme  et  son  fils  h  ses  actes;  dans  le  cas  présent,  les  cîianoines 
n'auraient  pas  manqué  de  faire  inlcrveuir  la  femme  et  le  iî\s  du  comte  de  Poitou  pour 
se  garantir  contre  toute  revendication  ultérieure.  D'autre  part,  Guillaume  impose 
aux  chanoines  l'obliçpalion  de  faire  dans  l'avenir  mémoire  de  lui  etde  te  rappeler  dans 
leurs  prières,  ufin  d'oblcuir  le  pardon  de  ses  fautes  cl  ne  parle  nullement  de  sa  fa- 
mille. Ce  sont  autant  de  prêsnmptions  (ju'il  n'était  pas  encore  marié  et  par  suite  que  la 
charte  doit  être  placée  entre  les  années   cfùZ  et  gCâ. 

(3)  Cart.  de  Suint-Cyprien,  p.  a8G. 


LES  COMTES  DE  POITOU 


femme,  la  fait  assister  aux  grandes  réunions  plénières  où  il  la 
pri'senle  à  ses  vassaux  ;  c  est  ainsi  qu'en  îHjO  on  la  voil  à  ses  cùt<^s 
dans  une  assemblée  où  se  Irouvaient  les  vicomtes  d'Aunay,  de 
ChAlellerault  et  de  Thouars,  ce  dernier  accompagin''  de  sa 
femme  Audéurde,  et  dans  laquelle  toute  authcnlicilù  fui  donnée 
à  l'acte  de  fondation  du  prieuré  de  tUiâleau-Larcher,  faite  par 
Ebbon,  par  sa  femme  Ode  el  teur  filsAchard(l).  Puis,  celte  môme 
année,  un  enfant  lui  étant  né,  il  agit  pareillement  i\  son  égard  et 
fait  porter  au  nombre  des  témoins  d'une  concession  de  marais 
faite  à  l'abbaye  deSaint-Cyprien,  non  seulement  sa  femme  Emma, 
mais  encore  son  fils  (juillaume  (i). 

La  présence  de  la  vicomtesse  Audéardeà  Poiliersavail  eu  une 
conséquence  pratique  qu'il  n'est  pas  bors  de  propos  de  signaler. 
Elle  avait  pu  s'entretenir  avec  la  veuve  de  Tête  d'Éloupe  dans  la 
retraite  que  celle-ci  s'élail  préparée  el  voirie  fonctionnement  de 
son  œuvre.  Pénétrée  de  l'idée  qui  avait  présidé  à  la  fondation  du 
monastère  de  la  Trinité,  elle  résolut  d'installer  sans  tarder,  mais 
dans  de  moins  grandes  proportions  que  la  comtesse  de  Poitiers, 
une  maison  qui  servirait,  sous  la  forme  monaslique,  de  refuge 
aux  jeunes  filles  de  ses  vastes  domaines.  Elle  l'établit  dans  une 
vallée,  aux  portes  du  chilteau  de  Tbouars,  el  la  plaça  sous  l'invo- 
caLion  de  la  Sainte  Vierge^  de  sainl  André  el  de  saint  Jean-Bap- 
tiste (3).  Puis,  pour  assurer  la  perpéluilé  de  sa  création,  elle 
s'adressa  au  comte  d'Anjou,  son  voisin,  et  obtint  de  lui  qu'il  lui 
abandonnât,  pour  toute  la  durée  de  sa  vie  aussi  bien  que  de  celle 
do  son  mari,  le  vicomte  Arberl,  la  jouissance  des  églises  de  Saint- 
Ililaire  de  Faye,  de  Saint-Pierre  de  Misse  et  de  Saint-Saturnin 
de  Chavagné  avec  leur  territoire  que  ce  comte  avait  précédem- 
ment donnés  en  bénéfice  au  vicomte  Aimeri,  l'oncle  et  le  prédé- 
cesseur d'Arberl  :  c'était  en  un  mot  la  transmission  d'une  main- 
ferme.  Ces  domaines  devaient,  après  la  mort  des  bénéficiaires, 
passer  à  la  nouvelle  abbaye,  qui,  sans  nul  doute,  dut  jouir  de 
leur  revenu  dès  son  établissement.  Le  duc  d'Aquitaine,  en  sa 

(i)  Caj'l.  de  Saint-Ci/prieftj  p.  25/|. 

(aj  Cart.  de  Saint-Ctjprien,  p.  3 16.  Cel  acte  est  compris  entre  le  12  novembre  gtiS  el 
le  la  novembre  yO^. 

(3)  Ce  nioaastère,  qui  resla  dnns  l'absolue  dé|)endance  des  vicomics  de  Thouars, 
fut  par  la  sulle  conuu  sous  le  aoai  de  Saint-Jean  de  Bonnevul. 


GUILLAUME  FFER-A-BRAS 


toy 


qualité  de  suzeraîn,  donna  son  consenlement  à  cette  aliénation  et 
mônioil  s'enlremit  poiirohlenir  du  roi  son  autorisation  suprême  ; 
Lotliaire  se  rendit  à  t'oitiers,  où  le  comte  d'Anjou  vint  lui  pré- 
senter sa  requête,  le  fO  janvier  973,  et  là  le  roi  fiL  délivrer  un 
diplôme  par  lequel  il  donnait  gracieusement  son  assentiment  à 
toutes  les  conventions  conclues  entre  les  parties  (t). 

Il  semble  que  Fier-à-Bras  ail  été  destiné  à  subir  toute  sa  vie 
la  pressante  influence  de  son  entourage.  Jeune  homme,  c'était 
son  oncle  J->l>le  qui  gouvernait  en  son  lieu;  plus  Lard,  ce  fut  sa 
femme  qui  faisait  exécuter  par  lui  les  décisions  qu'elle  avait  pri- 
ses. Les  premiers  actes  auxquels  il  ait  attaché  son  nom  sont  des 
témoignages  de  bon  vouloir  k  l'égard  de  particuliers  ou  des  géné- 
rosités envers  des  élablissemenls  religieux  ;  ils  consistent  en  gé- 
néral dans  des  concessions  en  main  ferme,  faites  h  des  personnes 
qui  lui  sont  spécialement  recommandées^  de  domaines  dépendants 
de  quelqu'une  des  abbayes  de  la  région  à  charge  de  leur  payer, 
en  signe  de  sujétion,  quelques  sous  de  cens,  généralement  cinq  ; 
de  967  a  975,  on  en  relève  presque  chaque  année  dans  les  cartu- 
laires(2). 

De  toulcsces  libéralités  la  plusimportante est  celle  par  laquelle 
Guillaume^  prenant  dans  l'acte  le  titre  de  duc  de  toute  la  monar- 
chie des  Aquitains,  fit  don  à  son  fidèle  Bérnerroi,  à  la  femme  de 
celui-ci  et  à  deux  de  leurs  successeurs,  après  leur  décès,  de  la 
chapelle  de  Saint-Denis  de  Jaunay  avec  toutes  ses  dépendances, 
à  charge  de  lui  payer  une  redevance  annuelle  de  cinq  sous  h  la 
Toussaint,  Non  seulement  le  duc  ordonna  à  Boson,  chef  des  scri- 
bes du  chapitre  calhédral  de  Saint-I'ierre,  de  rédiger  celte  main- 
ferme,  mais  encore  il  apposa  lui-même  sa  croix  au  bas  de  l'acte 


(i)  Gallia  Christ.,  II,  cot.  306,  iM.  Lot,  qui  coafoad  l'abbaye  de  Saint-Jeaa  de 
lk>OQeval  avec  celle  de  Bunncvaux,  près  Poiliers,  dil  que  l'aclc  de  fondalion  de  Bon- 
pcva!  est  bien  su?pcct  {Lfs  tlettn'ers  Carolingiens,  p.  7O).  Peut-élre  a-t-il  élé  quel- 
que peu  retouché,  mats  on  n'ea  doit  pas  moius  considérer  les  clauses  comme  exactes 
el  il  contient  des  iadic.tttûns  diplomuttques  qu'ua  faussaire  postérieur  n'aurait  pu 
iiuagincr,  telles  que  la  meûtion  de  la  présence  de  (jibouin,  évéque  de  Ghâlons-sur- 
Marne,  qui  accompagnait  ordloaircrnenl  Lolhaire  dans  ses  voyag^es  (Voy.  Lot,  pp. 36, 
59 el  9a.) 

\2)  Voy.  Rédel,  Doc.  pour  Saint-llilaire,  I,  pp.  30,  4o,  4a.  4i».  46  et  48  (actes  de 
967,  qOij,  970,  974.  v-ers  974  et  97a);  A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Maixent,  I,  p, 
53  (acte  de  968);  D.  Funlencau,  XIH,  p.  92  {acte  de  janvier  97/1  pour  Snint-Jeaa 
d'Angcly). 


LES  COMTES  DE  POITOU 

et  le  fit  reconnaître  par  la  nombreuse  assistance  qui  l'entourait; 
à  la  suite  du  seing  du  comte  soûl  en  eiïet  mentionnés  C(?iix  de  la 
comtesse  Emma,  de  leui-  liis  Guillaume,  encore  tout  enfant,  de 
Gilbert,  évèquo  de  Poitiers,  de  Savari,  trésorier  do  Sainl-liilaire, 
de  Frogier,  abb6  de  Saifit-Michel  en  Lherm,  de  I5oson  et  de  Main- 
gaud,  archidiacres,  de  Seguin,  abbé  de  Notre-Dame-la-Grande, 
de  Constantin,  abbé  de  Saint-Lîgaire,d'Isembert  de  Gliâlelaillon  et 
de  son  fils  du  même  nom,  de  Manassé,  son  frère,  dWrnoul,  abbé 
de  Saint-Jouin-de-Marnes,  d'Airaud,  vicomte  de  Châlellerault, 
d'Aimeri,  vicomte  de  Thouars,  d'un  autre  Aimeri,  peut-être  son 
fils,  dont  le  nom  vient  immédiatement  après  celui  du  jeune  («uil- 
laume  et  qui  élait  vraisemblablement  son  compagnon  de  jeux, 
de  (Jhâlon,  vicomte  d'Aunay,  de  Heuaud,  le  viguier,  et  de  Gerore, 
le  veneur.  Cet  acte,  qui  donne  une  idée  de  raffiaence  de  person- 
nages importants  qui  se  rendaient  auprî^s  du  comte  de  Poitou 
lors  de  la  tenue  de  ses  plaids,  est  du  mois  de  juin  974  ou  975  (1). 
Eble,  le  pieux  et  sage  conseiller  de  Fier-à-Bras,  n'assistait  pas 
(1  celte  assemblée,  un  grave  événement  venant  à  ce  moment  même 
de  troubler  sa  vie.  Possesseur  des  abbayes  de  Saint-Maixenl  et 
de  Saint-Michel  en  Uierm  en  Poitou,  de  celle  de  Soligiiac  en  Li- 
mousin, de  l'évèché  de  Limogeseldela  trésorerie  de  Sainl-llilaire 
de  Poitiers,  il  aurait  pu,  comme  tant  de  hauts  dignitaires  ecclé- 
siastiques de  l'époque,  vivre  en  grand  seigneur  terrien,  plus 
occ;^pé  des  choses  mondaines  que  de  celles  du  ciel,  ainsi  que  s'ex- 


(i)  Uesty,  ItfsL  des  comfe.s,  preuves,  p.  2()0 ;  Ciirl.  de  Bourg'ucil,  p.  ^3.  Les  ren- 
vois fails  au  cartulaire  Je  Bourifueil  se  rapportenl  au  vnlumc  appelé  par  Salmrm  le 
carluJairc  Je  D.  Fouquct  el  <)tïi  ea  ]8(J8  était  en  possession  de  M.  l'ablié  Goupil  Je 
Boinllé  à  Uouryueil.  Ccl  acte  est  ainsi  daté  dans  lo  carlulairc:  nnna  XL  régnante 
rege  Lolharùi.  Il  y  «  une  erreur  manileslc  Jniis  le  nombre  ci-dessus  indiqué  des 
années  du  rèi^ac  de  Loihaire  ;  ce  prince jjayant  succédé  à  son  père  le  lo  septembre  i)54 
et  é(aul  mon  le  2  mars  98C,  n'eut  «pic  IreiHc-deuv  ans  de  règue.  Bcsly,  supposant 
ipic  le  second  cliiiïrc  de  îa  date  de  la  cliiirtcdc  lîouri^ucil  devait  être  uo  X,  transfor- 
mée en  L  ywr  le  copiste  du  cartulaire,  pliti;a  ccl  nclc  en  97')  ;  en  le  faisant  il  cunmiet- 
lait  une  léiyëre  erreur,  car  le  mois  de  juin  de  t'aunée  y7!>  correspond  à  la  xxi*  année 
du  règne  de  Lolliaire.  C'tst  puurlant  cette  (î:ile  <|uc  nous  adoplonH  et  nous  ne  noua 
charg-eoDS  pas  d'explî([uer  coriuneol  le  sciibe  du  cartulaire  a  pu  écrire  XL  au  lieu  de 
XXI,  mais  le  fait  ne  nous  en  paraît  pas  moins  rcrtain.  Tous  les  synchronisnics  que 
fournissent  les  nombreux  témoins  de  l'acte  conviennent  à  celte  année,  et  particuliè- 
rement celui  tiré  de  In  présence  de  l'évi^qiie  Gilbert  qui,  selon  la  chronique  de  Sainl- 
Maixeul  (p.  38iK  succéda  à  Pierre,  évéque  de  Poilicrs,  dans  celte  année  975;  nous 
rejetons  donc  sans  hésiler  les  années  r)8u,r)83  clmi^me  (jt^j.tjue  l'on  a  succcssiv^ement 
attribuées  à  cel  acte,  el  contre  chacune  desquelles  il  y  a  lieu  de  présenter  de  graves 
objectioos. 


GnLLAUME  FIER-A-BRAS 


log 


prîmaienl  ces  mômes  personnages,  alors  qu'ils  élaienl  touchés  de 
la  grâce  ou  qu'ils  succombaient  sous  le  poids  des  remords  causés 
par  les  trop  nombreux  actes  de  violence  ou  de  rapine  qu'ils  étaient 
sujets  à  commetlre,  mais  il  était  pourvu  de  sentiments  véritable- 
ment chrétiens,  et  il  mil  sa  conduite  en  rapport  avec  eux;  dès 
lors,  commonçail  à  se  produire  ce  mouvement  religieux  qui  se 
dessina  plus  vivement  par  la  suite  et  qui  tendait  à  la  réforme  des 
établissements  où  la  discipline  s'était  relâchée  par  TefTel  des 
invasions  normandes  et  d'un  état  de  guerre  permanent.  Eble 
sentit  qu'il  ne  lui  était  pas  possible  de  remplir  avec  exactitude 
les  devoirs  qui  lui  incombaient  h  l'égard  des  diverses  charges 
dont  il  était  pourvu  ;  il  abandonna  la  plupart  de  ses  dignités  et  ne 
conserva  véritablement  que  l'administration  de  Saint-llilaire, 
dont  l'exercice  lui  était  facilité  par  suite  de  l'obligation  où  il  se 
trouvait  de  faire  de  fréquents  séjours  à  Poitiers  pour  assister 
aux  conseils  du  comte;  ailleurs,  il  s'était  ctioisi  des  coadjuleurs; 
on  en  connaît  un  pour  Saint-Maixent  dès  942,  on  en  trouve  à 
Saint-Michel  en  97i  et  enfin,  à  Limoges,  il  avait  fait  nommer, 
assurément  par  le  duc  d'Aquitaine,  un  chorévêque  du  nom  de 
Benoit,  élevé  par  lui  dès  Tenfance,  et  qui, par  TefTelde  ce  choix, 
devenait,  ainsi  qu'il  le  désirait,  son  successeur  désigné  (1).  Au 
mois  de  juin  974,  Benoît  se  trouvait  aux  côtés  d'Kbte  à  Saint- 
Hilaire  de  Poitiers  en  compagnie  des  deux  abbés  sulTraganls  de 
celui-ci,  Guiberl  et  Frogier.  Or,  il  advint  qu'une  guerre  éclata 
entre  Géraud,  vicomte  de  Limoges,  el  Boson  dit  le  Vieux,  comte 
de  la  iMarche.  Ce  dernier  se  préparant  à  faire  le  siège  du  chfkteau 
de  Brosse,  une  des  principales  forteresses  du  vicomte  de  Limoges, 
qui  lui  était  advenue  par  son  mariage  avec  Holhilde,  héritière 
du  vicomte  de  Brosse,  envoya  son  fils  Hélie,  comte  de  Périgueux, 
auprès  du  duc  Guiilaume  pour  le  décidera  faire  campagne  avec 
lui,  mais  malgré  les  présents  dont  il  avait  accompagné  sa  requête, 
llélie  échoua  dans  sa  négociation.  On  peut  croire  qu'Eble  ne  fut 
pas  étranger  à  cette  détermination  et  qu'il  prit  parti  pour  son 
suppléant  au  siège  de  Limoges,  le  chorévêque  Benoît,  qui  favorisait 


(i)  A.  Richard,  Charte*  de  Sainl-Mai.cent,  iolrod.,  I,  p.  ucvl;  Chron.  d'Adémar, 
p.  147;  Chron.  de  Saint-Martial  de  Limoges,  p.  i45)  Rédel,  Doc.  poar  Sainl- 
JJiluire,  I,  p.  ^Q. 


LES  COMTES  DE  POITOU 


le  vicamlc.  Les  Iroupes  de  Géraud  commandées  par  son  fiis  Guy, 
secondées  par  les  gens  d'Argenton,  cnlrèrent  en  lulle  avec  les 
Marcliois,qiii  ravageaient  le  pays  de  Saint-lienoîl-du-SauU,el  les 
repoussèrent  (I).  Ilélie,  furieux  de  son  insuccès,  s'en  vengea  sur 
l'évêque  ïîenoît;  celui-ci  se  trouvait  à  Poitiers  au  mois  de  mars 
97()  et  y  avait  assisté  à  l'acte  solennel  de  raiïranchissement  d'un 
serf  du  domaine  d'Hl)le,  fait  par  ce  dernier  sur  la  requête  des 
chanoines  de  Saint-Milaire  (2).  Il  s'en  retournait,  sans  doute  ù 
Limofîes,  quand  il  fui  pris  par  llétie,  qui  lui  fil  crever  les  yeux; 
Benoît  ne  put  résister  à  ce  cruel  supplice  et  succomba  a  ses  souf- 
frances (3).  Eble,  profondément  affligé  de  ce  malheur  auquel  il 
avait  peut-être  inconsciemment  contribué  en  détournant  son  ne- 
veu de  s'allier  avec  le  comte  de  la  Marche,  tomba  dans  une  mala- 
die de  langueur  dont  il  iiiouruL  le  26  février  977  dans  t'abbaye 
de  Saint-Michel  eu  Lherra  où  il  s'était  retiré  (4). 

Le  chûtiment  des  coupables  ne  s'était  pas  fait  attendre  jusque- 
là.  Fier  à-Bras,  justement  indigné  de  leur  conduite  atroce,  unit 
ses  forces  à  celles  du  vicomte  de  Limoges  qu'il  chargea  spéciale- 
ment de  tirer  vengeance  de  l'atleulat  commis  sur  l'ami  et  l'auxi- 
liaire de  son  oncle.  Dans  un  premier  engagement  Ilélie  fut  vain- 
queur, mais  lors  d'une  seconde  rencontre  Guy,  le  fils  du  vicomte 
de  Limoges,  triompha  de  lui  et  le  fit  prisonnier  avec  son  frtre 
Audebert.  Ilélie  fut  enfermé  dans  le  châleau  de  Monlignac  el 
devail',en  punition  de  son  crime,  avoir  les  yeux  crevés;  il  réussit 
à  s'échapper,  mais,  s'élant  rendu  en  pèlerinage  à  Home  pour 

(i)  De  Certain,  Miracles  de  saint  Benoit,  p.  i  nj. 

(2)  Hédel,  Doc.  pour  Sainl-l/ii(tire,  I,  p.  fit. 

(3)  Chroit.  tl'Adéinar,  p.  147.  l-.e  citrouiqueur  ne  dit  pas  quel  fui  le  motif  qui 
poussa  le  comlc  de  IVrigueux  à  faire  subir  A  Bcnoîl  ce  cruel  supplice.  M.  de  Las(ey- 
vm  [Etude  sttr  les  vomies  de  Limoges,  p.  Si)  émet  la  supposilioD  qu'IIéJie  voulait 
pcut-élrc  réserver  !e  sièjçe  de  Limo^-es,  après  la  dispnrilioo  d'Eble,  h.  son  jeune  frère 
Maclin,  qui  fut  plus  lard  évi' [ue  de  r*ériiîueu.v;  ce  calcul  est  possible,  maïs  aussi 
bieu,  il  n'y  a  pcut-élre  pas  lieu  d'en  chercher  si  loniç  et  ne  doit-on  voir  dans  l'acte 
d'Fléltc  que  ta  Pcroce  manifestation  d'uu  caractère  barbare, 

{'1)  Chron,  iVAdi'iiiar,  pp.  i/|7-i;)0.  J/obituûirc  de  l'abbaye  de  Sainl-Maixent  (A, 
flichard,  C/iarli's  'de  Saiui-Maixeiif,  II,  p.  3i5)  indique  au  2G  février  la  déposition 
(la  mort)  de  l'évêque  Eble;  la  date  de  J'aniice  est  inconnue,  mais  noua  établissons  plus 
loin  (page  ni,  noie  2)  qu'elle  répond  A  l'année  577  au  plus  tôt.  N'ayant  pas  eu  à  * 
noire  disposition,  en  188O,  les  élémcnls  d'information  que  nous  possédons  aujoor. 
d'bui,  nous  avions  alors  commis  une  lè«;èrc  erreur  {Charles  de  Sainl-Mnixeuf^ 
iutrod.,  j),  i.xvi)  en  assig-nanl  la  mort  d'Eble  j»  l'année  976,  d'après  un  documeal  dont 
nous  leuoQs  aujourd'hui  l'ÏDdication  pour  inexacte. 


* 


4 


GUILLAUME  FIER-A-BRAS 


soUiciler  son  pardon  auprès  du  pape,  il  mouruL  en  roulft,  Quanl 
à  Audebert.  il  fui  lon^lemps  retenu  dans  la  lour  do  la  cilé  de 
Limoges,  dont  il  ne  sorlil  que  pour  épouser  Auinodi^  la  sccur 
du  vicomte  fiuv.  Il  restait  encore  un  troisième  IVère,  Josherl, 
sans  doute  le  plus  criminel,  (auteur  direct  de  la  mort  de  lîenoll  ; 
H  s'était  réfugié  auprès  de  Renoiil,  frère  de  Guillaume  Taittefer, 


ilèi 


alors 


comte  d'An^uuieme,  qui  coniesiaii  alors  a  son  neveu  Arnau* 
Manzer,  fils  naturel  de  Taillel'er,  la  possession  du  coraLé.  Josbert 
fut  fait  prisonnier  par  Arnaud,  qui,  te  considérant  comme  l'etmc- 
mi  personnel  du  comte  de  Poitou,  le  lui  livra.  .losbert  fut  donc 
transféré  à  Poitiers  et  Fier-ù-Bras,  par  application  de  la  loi  du 
talion,  lui  fil  crever  les  yeux  (1),  Ces  actes  de  barbarie  semblent 
tout  naturels  aux  gens  de  l'époque;  il  n'y  a  pas  dans  les  chroni- 
queurs de  cris  d'indignation  contre  de  semblables  procédés  qui 
témoignent  de  la  sauvagerie  dont  faisaient  preuve  dans  leurs 
guerres  privées  tous  les  seigneurs  que  la  passion  du  lucre  ou  les 
motifs  les  plus  futiles  jetaient  à  chaque  instant  les  uns  contre  les 
autres  ;  nous  ne  pouvons  dire  qu'une  chose  pour  excuser  le 
comte  de  F'oitou  (2),  c'est  qu'il  était  de  son  temps. 

11  ne  prit  pas  personnellement  part  à  la  guerre  avec  les  comtes 
de  la  Marche  ;  il  était  plus  occupé  de  ses  plaisirs,,  laissant  à  son 

(i)  Chron.  (TAJéitiar,  pp.   1-^8,  i5o. 

^2)  Aucun  des  évriiemciils  ipic  nous  veuona  de  rapporter  n'est  daté,  sauf  toutefois 
ht  mort  du  comle  Hcnoul,  sur  tni)uellc  ou  va  revenir.  Pour  plao«r  les  fnils  dans 
leur  ardre  vi-rilatilc,  il  n  l'allii  recourir  à  des  syachroiiisines.  L'cvèi]ue  ISenoîl 
était  vivant  la  \ingt-deuxièiue  année  du  rèi^.je  de  LoUiaire  (entre  le  loseplcn^bre 
975  et  le  10  seplembre  9761,  ce  qui  est  ctalili  par  une  charte  du  carlulaire  de  Sainl- 
Cyprien,  où  00  le  voit  vendre  à  celte  abbaye,  pour  la  somme  de  200  sous,  l'alleu 
de  Moolpalais,  sis  dans  le  pays  de  Thouars  (Hédcl,  Cait.  dr  S<iinl-Cijprifn,  p.  lu). 
A  cet  acte  assistent  te^  vicomtes  Arberl,  Chàlun  et  Ralnaud,  donL  la  présence 
implique  à  Poiiiers  une  rcuuion  qui  ne  peut  être  qu'un  plaid  du  comte;  or,  au  mois  de 
mars,  sous  le  rès;ne  de  Lolhaire,  llcnoil  se  trouve  dans  cette  ville  et  est  présent  à 
l'afTraachissenirnt  Fait  par  Ehie  du  serf  Duraud,  auquel  assiste  aussi  Gilbert, évèquc  de 
Poitiers  iRcdel,  Dec. pour  Sainl-Hilatre,  I,  p.  50  ;  comme  Gilbert  uc  fut  élcvêau  pon- 
tificat qu'en  975  (Çhron.ite  Saint-A/iiijcent,p.  38 1),  il  en  résulte  que  cetlccbnrlcd'afï'raQ- 
cbissement  doit  être  placée  au  mois  de  mars  976,  époque  où  l'on  a  la  cerlîtude  de 
l'existence  de  Benoit.  Le  supplice  et  la  mort  de  celui-ci  sont  donc  postérieurs  ù  ce  mois 
de  mars  976,  mais  ne  scmbleul  pas  pouvoir  dépasser  le  mois  de  juillet  de  celte  année 
si  l'on  s'en  rapporte  à  la  chronique  d'AngouIcmc.Ce  document  apprenti,  en  cfTcr, 
que  Renoul,  comte  d'Anijoutéme,  l'un  des  complices  derallental  connais  sur  lieaoit, 
fut  tué  le  G  des  calendes  d'août  (27  juillet)  973  [Citron.  Engolixmense,  p.  9).  Evi- 
demment, cette  date,  rappruchéc  des  faits  énumérés  plus  haut,  est  inexacte,  mais  Ter- 
reur qu'elle  renferme  peut  être  Fuicilcinenl  corrigée  cl  doit  simplement  consister  dans 
l'omiasion  d'un  chiffre  à  la  lia  de  la  aunaéralion,  ce  i]ui  fait  qu'un  doit  lire  dccccuucvi 
au  lieu  de  dccccucxt. 


lia  LES  COMTES  DE  POITOU 

oncle  le  soin  d'adminislrer  son  comié  de  Poitou  eises  possessions 
direoles.  La  chasse  avait  pour  lui  aulremeiil  d'allraits,  et,  ne  se 
contentant  pas  des  vastes  forêts  qui  envîromiaienl  Poitiers  et  qui 
lui  fonl  encore  une  ceinture  allrayante,  il  avait  été  chercher  un 
autre  théâtre  pour  se  livrer  à  son  divertissennenl  favori.  Son 
choix,  qui  atteste  la  tranquillité  dont  jouissait  alors  le  Poitou, 
s'était  particulièrement  fixk  sur  un  point  éloigné  de  sa  résidence 
ordinaire,  l'Ile  de  Maillezais,  perdue  dans  les  marais  de  la  Sèvre 
et  de  l'Aulise.  Celle  île,  couverle  de  bois,  était,  de  par  sa  silualion, 
ahondanimenl  pourvue  de  toutes  sortes  de  gibiers;  il  y  avait  été 
construit  unchâteau-fort,  qui  protégeait  celle  région  isolée  contre 
les  incursions  de  pirates  ou  de  bandils,  mais  qui  fut  surtout  uti- 
lisé par  (Guillaume  comme  rendez-vous  de  chasse.  IJn  jour,  pen- 
dant une  partie  qu'y  faisait  te  comte  avec  ses  fidèles,  l'un  d'eux, 
(iaucelme,  poursuivant  une  laie,  la  trouva  réfugiée  dans  les  ruines 
d'une  église,  sans  doute  détruite  par  les  Normands  qui  avaient  à 
diverses  reprises  établi  leurs  repaires  dans  ces  lieux  sauvages  et 
presque  inhabités.  Ou  n'y  voyait  alors  qu'une  peuplade  compo- 
sée de  gens  II  moitié  libres,  des  colliberts,  anciens  colons  romains 
établis  dans  cette  région,  et  qui,  par  suite  de  leur  isolement  et 
des  maux  qu'ils  avaient  soufterls,  étaient  retombés  dans  la  bar- 
barie ;  en  particulier,  leur  dévotion  envers  la  pluie,  la  bienfai- 
trice de  leur  pays,  attestait  la  disparition  de  toutes  croyanceschré- 
liennes  et  peut-être  un  retour  vers  celles  qui  auraient  été  prati- 
quées par  leurs  ancêtres.  Cette  situation  e\|iliquait  l'abaiulou 
de  l'édifice  religieux  rencontré  par  Caucelme  ;  la  comtesse,  qui 
accompagnait  son  mari  dans  ses  déplacements,  fut  vivement  frap- 
pée des  circonstances  qui  avaient  amené  cette  découverte  et  elle 
décida  Fier-à-Bras  non  seulement  ;i  relever  les  murailles  de  l'é- 
glise, mais  encore  à  établir  en  ce  lieu  un  monastère  dont  les 
hôtes  célébreraient  le  service  divin  pendant  le  séjour  des  comtes 
dans  ces  parages.  Les  travaux  commencèrent  bientôt,  mais  alors 
qu'ilsétaient  eu  train  il  survint  un  grave  événement  qui  en  arrêta 
pour  quelque  temps  l'exécution  (0. 


(j)  Lahhc,  Noua  bibLman.,  II,  p.  224«  Ces  faitselceux  qui  vont  suivre  aonlrapporléa 
dans  un  ialércssuul   liistorlquc  de    l'abbaye  de  Maïllezais,  ijuc  rédigea  l'un  des  reli- 


GUILLAUME  FIER-A-BR\S 


ii3 


La  mort  d'Rhte  auieiia  un  {j^rand  changement  dans  les  liabilu- 
des  du  comte;  it  lui  faltut  gouverner  ses  étais,  les  parcourir  en 
tous  sens  pour  y  maintenir  la  tranquillité  et  prendre  part  lui- 
même  à  des  expéditions  guerrières  donl  jusque-là  il  avait  pu  lais- 
ser la  direclion  h  son  oncle,  comme  le  l'ut  la  campagne  contre  les 
comtes  de  la  Marche.  Après  la  mort  d'Alain  Barbe-Torle  les  rap- 
ports s'étaient  lendusenlre  les  comtes  de  Poitou  et  ceux  de  Xanles 
et  Fier-à-Bras  avait  à  veiller  sur  ses  frontières  de  Bretagne  ;  or, 
un  jour  qu'il  revenait  d'une  expédition  dans  ces  régions,  il  accepla 
l'hospitalité  du  vicomle  de  Thouars,  qui  le  reçut  grandement; 
durant  les  fêtes,  le  comte  s'éprit  d'une  jeune  femme  de  la  famille 
vicomtale  et  noua  avec  elle  des  relations  adultères  (1).  Emma  n'a- 
vait point,  en  ces  matières,  la  lolérance  que  l'on  constate  maintes 
fois  à  celte  époque  et  (pic  l'on  pourrait  même  dire  avoir  été  dans  les 
mœurs  courantes;  elle  reprocha  vivement  à  son  mari  la  conduite 
qu'il  tenait;  celui-ci  nen  lînl  compic  et  continua  sa  liaison  avec 
la  vicomtesse,  qu'il  garda  môme  auprès  de  lui.  Emma  jura  de  se 
venger.  Un  soir  qu'elle  voyageait  dans  le  pays  de  Talmond,  elle 
rencontra  sa  rivale  sur  la  roule  ;  se  précipitant  sur  elle  avec  rage, 
elle  la  renversa  de  cheval  et  l'abreuva  d'outrages,  puis  elle  l'a- 
bandonna aux  gens  de  sa  suite  qui,  pendani  toute  la  nuit,  abusè- 
rent d'elle.  Mais  quand  le  calme  fut  revenu  dans  ses  esprits,  la 
comtesse  envisagea  les  conséquences  de  son  acte  de  folie  et  elle 
comprit  qu'elle  avait  tout  à  redouter  de  la  colère  de  son  mari 
qu'elle  connaissait  bien.  Profitant  de  la  nuit,  elle  partit  avec  une 
pelite  escorte  de  gens  dévoués  et  finit  par  gagner  son  cliclleau  de 
Chinon,  où  elle  savait  trouver  un  abri  sur.  Fier-à-Dras,  furieux, 


gteo3c  de  ce  monîisière,  nommé  Pierre,  vers  to6o,el  qui  a  élé  public  par  Liibl>e  (tYonu 
hibl.  mun..  Il,  pp.  222  h  a.lS).  Bcsiy,  i|tii  nvnil  Recouvert  le  manuscril  oriçriiial  dr  CH 
écrit  dans  la  bibliolbèiiuc  de  Mnillczais,  en  tîl  de  lari^es  extraits  qu'il  itisém  dann  les 
preuves  de  son  Histoire  de»  eofiites  de  Poitou,  mnis  il  n'utilisa  pas,  dans  le  cours  de 
»on  œuvre,  ce  qui  .^c  rapportait  à  Fier-à-Uras,  le  trouvant  sans  doute  peu  honorable 
pour  1.1  lurmoirc  de  ce  comte;  nous  ne  part^srcons  pas  son  scrupule  et,  comme  le  récit 
de  Pierre  de  .Mailleziiis  se  trouve  géncralentcol  d'accord  avec  la  chroooloijie  fournie 
parles  textes  authentiques  que  nous  poisédons,  noua  lui  avons  emprunté,  après  avoir 
collatîonaé  avec  soin  son  texte  sur  rorig'inal(Bibl.  Nat.,  niss.  latin,  a"  4^0-)«  tout  ee 
qui  peut  écbirer  l'histoire  de  nos  comtes  en  nous  tenant  touteFois  en  gnrdc  contre 
les  c5cagératioas  ou  les  ijuclques  erreurs  que  l'auteur  a  pu  commettre  dans  la  relation 
de  r^tilK  remonl.int  .1  prôs  d'un  si»-cle. 
(1)  Voj.  ArrE."«i>ioj   III. 

8 


n4 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


ne  pouvant  se  venger  sur  sa  femme  qui  lui  échappait  par  sa  fuite 
et  par  l'assistance  qu'elle  recevait  de  son  frère,  le  comte  de  Blois, 
s'en  prit  à  l'objet  de  ses  afieetions  :  il  ordonna  d'anôanlir  tous  les 
travaux  entrepris  à  Maillezais,  tant  sur  son  ordre  que  sur  celui 
delà  comtesse;  un  chevalier  de  grand  renom,  Foulques,  frère 
d'Hugues,  comte  du  Mans,  se  chargea  de  cette  besogne  et  en  fut 
richement  récompensé.  11  reçut  entre  autres  la  vaste  terre, située 
h  six  milles  de  Fontenay,  comprenant  trois  églises,  celles  de 
Saint-Pierre  de  Marsay,  de  Sainle-Hadegonde-la-Vineuse  et  de 
Saint-Martin  de  Fontaines  avec  quinze  villas,  qui  provenait  du 
douaire  constitué  h  Emma(l),  puis  d'autres  domaines,  sis  aux 
portes  de  Poitiers,  que  Fier-à-Bras  enleva  aux  chanoines  deSainl- 
llîlaire,  et  en  parliciilier  la  moitié  de  la  cour  de  Vouzaille. 

11  estasse/,  difficile  de  préciser  l'époque  où  se  produisit  la  sépa- 
ration violente  entre  le  comte  de  Poitou  et  sa  femme;  toutefois, 
elle  paraît  avoir  suivi  de  près  la  mort  d'Eble.  A  l'appui  de  cette 
opinion  on  peut  tirer  un  indice  de  ce  fait  que,  de  975  à  985,  on 
ne  trouve  dans  les  chartes  poitevines,  et  particulièrement  dans 
celles  de  Sainl-Ililaire,  ofi  jusqu'alors  le  nom  de  Fier-à-Bras  se 
retrouve  presque  tous  les  ans,  aucune  trace  du  comte  qui  devait 
se  tenir  éloigné  de  Poitiers.  Sa  présence  au  don  de  marais  salants 
qu'un  diacre  du  nom  deBoson  fil  en  avril  081  à  l'abbaye  de  Sainl- 
Jean-d'Angély,  où  il  apparaît  entouré  du  comte  d'Anjou,  des 
vicomtes  d'Aunay  et  de  ChâLelleraull,  ne  peut  que  corroborer 
celte  manière  de  voir  (2). 

Ce  n'est  pas  en  qualité  de  simple  visiteur  que  Gooiïroi  Grise- 
gonelle,  comle  d'Anjou,  se  trouvait  k  cette  époque  auprès  du 
comlede  Poitiers.  Il  était  venu  faire  son  service  de  plaid,  service 
qui  devait  avoir  lieu  à  des  intervalles  réguliers  et  auquel  étaient 
tenus  les  grands  vassaux  du  comte.  Les  chroniqueurs  ne  nous  ont 
pas  appris  à  quelle  époque  s'étaient  établis  ces  liens  étroits  de 
dépendance;  toutefois  on  peut  assurer  qu'ils  sont  antérieurs  àl'an- 


(i)  Labbe,  A'ona  hihl .  inan.,  U,  p.  225.  Pierre  de  Maillezais  ne  donne  pas  le  nom 
de  l'exécuteur  de  la  vengeance  de  Fier-à-Bras,  muis  celui-ci  ressort  de  toute  évi- 
dence de  deux  actes  qui  moiitrenl  Fouti]ucs  en  possession  do  partie  du  douaire 
d'Emma  (A.  Uîcliard,  Charles  de  Saint- Mauvent,  1,  p.  77  ;  Besly,  IIisl.  des  comtes, 
preuves,  p.  27^^ 

(u')D,  Fouleneiiu,  XI]I,  p.  92. 


GUILLAUME  FIER-A-imAS 


ttS 


née  975  (1).  Les  possesseurs  du  coinlé  d'Anjou  ne  s'étaient  pas 
conlenlés  de  jouir  du  mince  lorriloire  qui,  d'ancienneté,  faisait 
partie  de  leur  domaine  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  ils  avaient 
de  bonne  heure  cherché  à  étendre  de  ce  calé  leur  aulorilé  au 
détriment  du  Poitou  ou  de  la  Bretagne  qui,  depuis  Barhe-Torle, 
dominait  dans  les  Mauges.  Foulques  le  Bon,  père  de  Grisegonelle, 
y  était  déjà  possessionné,  car  il  avait  enlevé  aux  moines  de  Saint- 
Aubin  d'Angers  le  domaine  ou  cour  de  Méron,  situé  en  Poitou, 
qui  leur  avait  été  donné  par  Pépin  le  Bref  ;  pour  pouvoir  agir 
ainsi,  il  fallait  que  la  région  où  se  trouvait  Méron  fût  sous  son 
absolue  domination  et  il  en  était  pareillement  au  temps  de  son 
successeur,  qui,  en  966,  restitua  ce  domaine  aux  moines  de 
Saint-Aubin  (2).  Mais,  soit  que  Grisegonelle  ne  se  soit  pas  con- 
tenté de  jouir  des  usurpations  commises  par  son  père,  soit  que 
Fier-k-Bras,  poussé  par  son  oncle,  ait  essayé  de  rentrer  en  pos- 
session des  territoires  qui  lui  avaient  été  enlevés,  une  guerre  avait 
éclaté  entre  les  deux  comtes.  Selon  les  chroniques  angevines,  Grise- 
gonelle aurait  envahi  le  Poitou,  pris  le  château  de  Loudun,  défait 
les  troupes  du  comte  au  lieu  dit  les  Roches,  et  les  aurait  poursui- 
vies jusqu'à  Mirebeau  (3),  tandis  que  les  chroniqueurs  poitevins, 
au  contraire,  rapporlent  que  Fier-à-Bras  vint  promptement  à 
bout  de  son  adversaire  (4).  Les  deux  récits  ont  la  môme  conclu- 
sion, îi  savoir  :  que  le  comte  de  Poilou  donna  en  bénéfice  à  celui 
d'Anjou,  Loudun  et  plusieurs  autres  localités  dont  Mirebeau  fut 
sans  doute  une  des  principales,  mais  si  pourles  Angevins  cet  acte 
apparaît  comme  la  conséquence  de  la  défaite  du  comte  de  Poitou, 
il  a  pour  les  Poitevins  le  caractère  d'un  acte  dépure  bienveillance. 
Quoi  qu'il  en  semble  au  premier  abord,  cette  dernière  version 
est  la  plus  vraisemblable.  Si  le  comte  d'Anjou  avait  acquis  par 
droit  de  conquête  des  territoires  aussi  rapprochés  de  Poitiers 
que  l'est  le  Mirebalais,  leur  possession  aurait  été  l'occasion  de 


(i)  l^  fnil  de  la  détenlion  par  le  comte  d'Anjou  des  ég'Iises  de  Foye,  de  Misse  et 
de  Chava^né  en  Poilou,  doot  il  s'était  dessaisi  en  faveur  du  vicomte  de  Thouars 
avant  973,  en  est  un  téraoiçnaçc  certain.  (Voy.  plus  haut,  pa^c  iu6.) 

(3)  Mibille.  Inlrod.  aiu:  rhron.  d' Anjou,  p,  lxvui,  note  i, 

(3   iMarchegay,  Chron.  (VAnjoUy  p.  376,  hist,  de  Foulque  Ucchin. 

(4j  Marcliegay,  Chron.  des  églises  d^  Anjou,  p.  384,  Sainl-Maixcnl  ;  Chron.  d'A- 
dimar,  p.  iSa. 


LES  COMTRS  DE  POITOU 

lulles  conlinuclles  outre  In  Poiloii  el  r.Vnjotj,  landis  qu'à  parlir 
de  ce  moment,  et  pi*nd.inl  d»*  longues  années,  la  paix  ré^ma  entre 
les  deux  pays;  d'ai(tr<'  pari,  l'acle  volonlairc  de  Fier-ii-Bras  élail 
loulà  fait  dans  les  pratiques  de  l'époque,  pratiques  si  détestables 
au  point  de  vue  politique,  qui  semblent  établir  que  l'iniportance 
d'un  grand  seigneur  f»^.odaldevail  sejuger  à  la  puissance  deses  vas- 
saux. Assurément,  si  ceux-ci  avaient  toujours  rempli  h  l'égard  de 
leur  suzerain  les  obligations  auxquelles  les  astreignait  leur  vassa- 
lité, la  situation  déco  dernier  n'aurait  pu  que  grandir,  mais  quand 
le  seigneur  n'était  pas  personnellement  assez  puissant  pour  con- 
traindre ses  lioaimcs  liges  à  s'acquitter  de  leurs  devoirs  envers 
lui,  ils  les  n6gligeai''nt  ou  s'en  airranchissaienl  ;  telle  élait  la 
situation  du  roi  de  France  par  rapport  à  ses  grands  vassaux,  telle 
devint  celte  du  duc  d'Aquitaine  vis-fi-vis  des  siens.  Mais  tout  d'a- 
bord ces  graves  inconvf'inients  ne  sautaient  pas  aux  yeux,  les  con- 
séquences néfastes  de  ces  inféodalions  m  sr;  pro luisaient  qu'à  la 
suite  des  temps,  el  pour  le  moment  le  comte  de  Poilou,  en  faisant 
enirer  dans  saligenco  directe  le  comte  d'Anjou,  n'envisagea itqu  o 
l'éclat  qu'allait  donner  à  ses  plaids  la  comparution  obligée  de  re 
puissant  personnage  el  le  secours  qu'il  pourrait  en  attendre  pour 
ses  expéditions  miiilatres. 

La  présence  de  Grisegonelle  est  constatée  à  Poitiers  à  une 
époque  où  Pierre,  qui  mourut  en  l'année  975,  élait  encore  évêque 
de  celle  ville.  Très  liabile  à  profiter  des  occasions  qui  pouvaient 
servir  ses  intérêts,  le  comte  se  rendit  auprès  de  l'abbesse  de 
f^ainte-Croix,  Hermengarde,  et  demanda  qu'on  lui  confiât  le  soin 
de  défendre  devant  lescours  de  justice  les  possessions  de  l'abbaye 
sises  dans  le  territoire  soumis  à  son  autorité,  autrement  dit 
d'être  son  avoué  ;  mats  cette  mission  n'était  pas  gratuite,  cl  pour 
en  désintéresser  le  comte  d'Anjou  l'abbesse  lui  offrit  de  lui  aban- 
donner les  cours  de  Prouilly  et  des  Arcis  en  Loudunais.  De  plus, 
elle  lui  concédait  pour  la  garde  spéciale  des  domaines  de  Sainte- 
Croix  dans  celte  dernière  région,  un  droit  sur  les  fourrages,  une 
redevance  sur  les  porcs  cl  un  bian  de  quinze  jours  établis  sur  ces 
domaines,  qu'il  tiendrait  d'elle  en  fief.  Le  comte  acceptn  ces  con- 
ditions et,  se  rendant  à  l'abbaye,  il  baisa,  en  présence  de  Févôque 
Pierre,  le  bois  delà  Vraie  Croix,  puis,  posant  la  main  sur  cet  insi- 


GUILLAUME  FIER-A-BRAS 


»'7 


gno  trésor  du  monaslère,  il  jura  deromplir  fidèlement  sescngage- 
oienls  (1 1.  Nous  lu  reliouvonsencorcà  l'oiliers  au  mois  d'avril  970 
en  nombreuse  compagnie;  ii  avait  parlieulièn'nienl  au|in>s  de  lui 
son  Gis  Geoffroi,  l'évoque  d'Angers  Hainaud,  le  vicomte  de  Thouars 
Aimeri,  un  autre  vicomte  du  nom  de  Hainaud  et  divers  person- 
nages de  marque;  en  leur  présence  il  reslilua  à  TablH^  Arnoul 
et  au\  moines  de  Sainl-Jouin-de-Marnes,  qui  étaient  venus  lui 
adresser  leurs  instantes  réclamations.  ré.i,'lise  de  «^  Lusedus  «  en 
Anjou,  que  son  aïeul  et  que  son  père,  profitanl  de  ce  que  les  Nor- 
mands a\aient  détruit  cotte  église,  la  leur  avait^nt  autrefois  enle- 
vée (2).  Ces  divers  actes,  s'échelonnant  sur  plu*ieurs  années,  éta- 
blissent^ à  n'en  pas  douter,  que  Grisegonelle,  pénéreusemcnl 
pourvu  par  le  comte  de  Poitou  d'importants  l)énélices,  venait 
auprès  de  lui  en  vassal  fidèle  et  non  en  conquérant;  cette  der- 
nière situation  aurait  été  pour  lui  trop  pleine  de  périls. 

Si  la  haute  situation  faite  dans  le  l'oitou  aux  comtes  d'Anjou 
fut  un  danger  pour  l'avenir,  elle  eut,  il  faut  l'avouer,  quelques 
conséquences  heureuses  lorsque  fut  conclu  l'accord  qui  l'avait 
établie;  Fier-à-Bras  l'utilisa  particulièrement  contre  les  comtes 
de  Nantes.  Le  traité  de  Ïl4i  avait,  suivant  ce  que  nous  en  savons, 
investi  Alain  Barbe-Tortc  du  pays  d'llcrbau.;;e.  sa  vie  durant, 
mais  il  est  aussi  possible  que  la  concession  qui  lui  était  faite  ne 
s'arrêtait  pas  là  et  qu'elle  eiU  le  caractère  des  actes  si  pratiqués 
h  celle  époque,  celui  des  mainferraes,  comportant  un  droit  de 
jouissance  pour  un  ou  deux  héritiers  désignés;  or,  Barbe-Torle 
mourut  en  952  cl  ont  pour  successeurs,  d'abord,  son  fils  légitime 
Drogon.  qui  décéda  l'année  suivante,  puis  successivement  ses  deux 
nis  naturels,  lloël,  tué  vers  l'an  981,  et  (^luérech.  Il  dit  possible, 
dans  l'hypothèse  d'une  mainferme,  que  Fier-à-Bras  se  soit  con- 
sidéré comme  dégagé  des  conditions  imposées  à  son  père,  par 
suite  du  caractère  illégal  de  la  possession  du  comté  de  Nantes  par 
les  deux  derniers  comtes,  tandis  que  ceux-ci,  n'admettant  pas 
que  leur  droit  fût  contesté,  entendaient  revendiquer  à  leur  profit 
toute  la  valeur  des  clauses  du  traité  de  942.  Toujours  est-il  que  le 


>i)  Malitllon,  Afin,  Bened.^  III,  p.  OôC;  Arch.  de  la  Vicane,  orig-.,  Suiole-Croix, 
copie  du  xi«  siècle,  n"  i . 

(a]  Cauvia.  Qéoq.  ane.  tlu  diocèse  da  Afftns,  iaslr.,  p.  67 


ii8 


LES  COMTES  DE  POITOU 


comle  de  Poilou  eiivuliiL  de  lri!s  bonne  heure  les  territoires  contestés 
et  mit  la  main,  entre  autres,  sur  le  pays  de  Talmond,  ce  qu'atleste 
ravenlure  d'I^mma  et  la  rencontre  qu'elle  lit  de  sa  rivale  dans 
cette  région.  Les  comtes  de  Nantes  restaient  d'autre  part  les  maî- 
tres du  pays  d'au  delà  la  Loire  qui  les  avoisinail;  mais  entre  eux 
et  le  comte  de  Poitou  l'étal  de  guerre  resta  permanent,  A  la  suite 
de  luîtes  obscures,  et  auxquelles  se  rallachenl  peut-être  celles 
que  Grisegonelle  soutint,  comme  Ton  sait,  contre  les  Bretons,  un 
traité  de  paix  Fut  conclu  entre  (luérecliet  Fier-à-Uras.  Ce  traité 
semble  avoir  été  établi  en  application  du  principe  de  ïiiti  possi- 
ifeih\  chacun  des  comtes  restant  en  possession  du  terri loire  qu'il 
détenait  réellement, Guillaume  repoussant  parsuite  la  frontière  de 
ses  états  vers  le  Nord  et  laissant  sans  doute  indécise  la  question 
d'en  fixer  les  points  précis;  c'est  censément  à  celle  é}>oque  et 
aux  conséquences  de  cet  accord  qu'il  faut  faire  remonter  la  créa- 
lion  des  marches  séparantes  de  Bretagne  et  de  Poilou  (1). 

On  ne  saurait  dire  quelle  part  prit  Fier-à-Bras  à  une  avenlure 
advenue  pendant  son  isolement  et  a  laquelle  il  ne  dut  pas  rester 
totalement  étranger.  Le  royaume  d'Aquitaine  existait  toujours 
nominalement  et  les  rois  de  France  prédécesseurs  de  Lolhairc, 
aussi  bien  que  lui-même,  s'intitulaient  rois  des  Francs  et  des 
Aquitains.  Mais,  en  somme,  l'action  du  pouvoir  royal  ne  se  mani- 
festait dans  ces  contrées  qu'à  de  rares  intervalles  et  l'indépen- 
dance du  payss'accenluait  dejour  en  jour.  Lolhaire,qui  déployait 
une  activité  extrême  pour  reconslituer  l'empire  Carlovingien, 
crut  pouvoir  mettre  un  terme  ù  cette  situation  en  plaçant  un  roi 


(i)  Chron.  de  Nantes,  p.  120.  Si  l'on  s'en  rapportait  au  texte  de  la  chronique  four- 
ni par  l'éflilion  de  M.  Mcriet,  on  pourrait  croire  qu'il  n'y  eut  rien  de  chanjçé  dans  la 
situation  crct'c  par  le  Irnilé  ttc  94^»  mais  il  n'eu  fut  pas  tiiosi.  On  en  trouve  la  preuve 
dans  la  chronique  elle-même;  son  aulcur^après  avoir  annoncé  r(ueGuérech  fit  sa  paix 
avec  Kicr-jt- liras  et  lrai;a  d'accord  avec  lui  les  limites  du  pays  nnntais  d'outre-Loire, 
déeiare  qu'il  n'y  a  pas  Jieu  de  s'élendre  à  ce  sujet,  mitiime  est  sile/itlnm.  Ces  mois 
laissent  percer  le  mccotilealcinent  d'un  arrau^enienl  dont  !e  narrateur  connaissait  les 
termes,  mais  qu'il  ne  ju4,^eait  pas  bon  de  révéler.  Même  en  cet  endroit  s'arrêtait  son 
texte,  comme  nous  l'apprend  une  note  de  M.  Merict,  édileur  Je  la  chronique  (p.  120). 
Cet  érudit  a  cru  devoir  ajoutera  ce  récit  un  passage  explicatif  tiré  d'une  autre  source 
et  le  fondre  par  suite  avec  lui.maisilcn  csl  réellement  dislincl  et  est  évidcmmenl  l'œuvre 
d'un  interpolateur,  lequel  n'était  pas  mieux  renseigné  que  nous  sur  les  clause^  du 
"traité  et  qui,  pour  éclairer  le  texte  de  son  devancier,  jugea  bon  de  reproduire  sim- 
plement  celles  du  traité  de  «j^a,  auxijuelles  celui  passé  entre  Guérech  cl  Ficr-à-Bras 
avait  dil  apporter  une  profonde  inodificatioD  . 


^ 


GUfLLAU.HE  FIER  A  BRAS 


i'9 


eiïeclif  à  la  161e  de  1' Vqnilaine.  ïïdnA  ce  bul,  il  pourvut  son  fils 
Louis  de  ce  titre  royal  et  le  maria  avec  Adélaïde,  veuve  du  comle 
de  (jévaudan  et  sœur  du  comte  (icollVoi  dWrijou.  Mais  le  rôvo 
du  roi  de  France  s'évanouit  bientôt  devanl  l'incapacité  de  son  fils; 
il  dut,  deux  ans  aprivs  l'avènement  de  celui-ci,  aller  lui-même  le 
chercher  en  Auvergne  où  il  l'avait  inslallé.  A  son  retour,  en  982 
ou  9H3.  il  passa  sur  des  territoires  placés  sous  la  suzeraineté  de 
Fier-à-Brasel  s'arrêta  particulièrement  à  Limoges,  où  il  permît  à 
Guigues,  abbé  de  Saint-Martial,  de  compléter  l'enceinte  du  clu'i- 
leau   vis-à-vis  la  cité  épi^copale  (1). 

Mais  les  années  se  passaient;  le  comte  vieillissait,  sa  conduite 
depuis  le  départ  d'Emma  avait  été  celle  d'un  homme  abandonné 
à  lui-même  et  se  laissant  aller  au  gré  de  ses  passions,  aussi  cette 
vie  de  désordre  avait  contribué  plus  que  loute  autre  cause  à  afTai- 
blir  sa  sanlé.  Il  s'était  mis  entre  les  mains  des  médecins  et  il 
avait  particulièrement  accordé  sa  confiance  à  un  Italien  du 
nom  de  Madelme,  qui  s'était  largement  fait  récompenser  do  ses 
soins  (2).  Guillaume  lui  avait  donné  un  grand  domaine,  situé 
auprès  de  Fonlenay,qui  avait  été  précédemment  l'objet  de  ses  lar- 
gesses et  dont  il  avait  gratifié  Foulques  du  Mans,  l'instrument  de 
sa  vengeance  à  l'égard  d'Emma,  mais  Foulques  était  mort,  puis 
Madelme  et,  sans  doute  aussi,  bien  d'autres  compagnons  de  plai- 
sirs du  comte;  quant  à  lui,  il  était  malade,  et,  dansson  isolement, 
ses  pensées  prirent  un  autre  cours.  On  le  pressent  du  reste  en 
bulle  à  des  sollicitalions  auxquelles  il  ne  savait  pas  résister,  et 
l'on  ne  s'étonne  pas  de  le  voir  disposer, en  faveur  de  gens  attentifs 
à  profiter  de  la  situation,  de  biens  distraits,  soit  de  son  domaine 
particulier,  soit  d'établissemenls  religieux.  C'est  ainsi  que,  vers  la 
fin  de  Tannée  980  ou  au  commencement  de  987,Airaud,  fidèledu 
comte,  et  sa  femme  Emma  se  font  donner  en  mainferme,  sous  la 


(i)Lol,  Lfs  derniers  Carolingiens,  pp.  127-139,  d'après  la  chronique  de  Saiat- 
Maixent,  la  comméinoralion  dc3  abbcs  de  Saint-Martial  d'Adémar  de  Chal»aoaes, 
l'Histoire  de  Ricbcr,  etc. 

(a)  Pierre  de  Maillezais  s'étend  loo^uemeot  {Labbe,  Nooa  bibl.  man.,  II,  p.  226) 
sur  le*  mérites  du  médecin  it.ilirn  qui  soi^^Dail  Fier-à-Bras,  et  à  qui  ou  dut  lu  fonda- 
lion  de  réfi:lise  de  Lié  dans  les  murais  de  Muillczais;  aussi  parall-il  nalurct  de  l'iden- 
lifier  avec  Je  médecin  Mndclmc,  qui  fut  l'objet  de  si  grandes  liliéralitéB  de  la  part  du 
comle  dans  celle  même  n'-uion.  (Voy.  A.  Richard,  C/uirlus  île  Saînl-.\fiii.ient,  I, 
p.  7«)- 


130 


LRS  COMTKS  DE  POlTcH' 


modique  redevance  d'un  sou,  le  domaine  d'Ansoulesse,  que  le 
comte  enleva,  pour  le  Icnr  donner,  k  l'abbaye  de  Satnl-Denis; 
auprès  de  lui  se  Irouvatenl  le  vicomle  de  CliâlellerauU  Kgfroi 
el  son  frère  Boson,  le  vicomte  d'Aunay  Châlon,  le  viguier  Hai- 
naud.  mais  pas  un  membre  nolable  du  clergé  (1).  Celle  cons- 
lalalion  n'a  pas  lieu  de  nous  surprendre,  elle  est  le  dernier  ter 
moignîif;e  d'une  silualion  qui  a  dû  se  perpéUier  pendant  les 
dix  années  duruiiL  Icsfjnclii's  ou  ne  renconlre,  dans  les  cliar- 
triers  religieux,  aucun  acte  de  Kier-à-Bras,  ol  donl  la  cause  doit 
provenir  de  son  existence  irrégulière.  Mais  quand  le  comte  fut 
fermement  résolu  à  modifier  son  genre  de  vie,  son  enlourage 
changea;  le  6  mars  987,  il  assista,  mais  celle  lois  sans  l'accom- 
paj^nemenl  do  ses  liiimiliers  ordinaires,  à  l'abandon  en  main-forme 
du  moulin  de  Comporté  que  Bernard,  abbé  de  Sainl-Maixenl,fjt  à 
un  clerc  de  Sainl-llilaire,  lequel  avait  sans  nul  doute  secondé  les 
efforts  que  lui-même  el  d'autres  hommes  dereligion  faisaient  pour 
amener  Ficr-à-Bras  à  résipiscence  (2);  il  en  fut  pareillement 
lorsque  le  chanoine  de  la  cathédrale  Aubouin  donna  aux  moines 
de  tSainl-Cyprien  son  alleu  de  Surin,  le  vicomte  d'Aunay  celui  de 
Saleigiies,  le  prêtre  Constant  sa  villa  de  Vintrui,  Arsendeson  alleu 
de  iNachamps  (3).  Les  nouveaux  conseillers  du  comte  sentirent 
que  pour  éviter  un  retour  vers  le  passé  il  fallait  ramener  la  paix 
dans  celte  union  depuis  si  longtemps  troublée  el  ils  employèrent 
tous  leurs  efforts  à  préparer  un  rapprochement  entre  Guillaume 
el  sa  femme, mais  Inut d'abord  ils  rencontrèrent  de  laparlde  cette 
dernière  une  vive  résistance.  Emma  ne  voulait  pas  reprendre  la 
vie  commune, et  tes  négociations, qui  (inalemenl  devaient  aboutir, 
furent  très  longues  (4). 

Pendant  ce  temps,  un  fait  d'une  importance  capitale  s'était 
produit  en  France,  La  race  carlovingienne  avait  élé  définilive- 


(i)  Cart.  de  Satnl-Cyprien,  p.  192.  Parnti  les  siîrnataires  de  l'acle  od  rencontre 
un  personnage  du  nom  de  Giroire  (jui  peut  rtrc  ulcntifié  hvcc  l'un  dv  ceux  du  tuùine 
noni  qui  furent  léiaoins  en  uiai  985  tl'uuc  concessiou  eu  ni»iii-rernie  fuite  par  Fier-à- 
Bras  à  Uadfroi.rlfirc  dfl  Saiiil-llilaire,  qufl  l'on  peut  supposer  uvoir  été  l'un  des  fami- 
liers du  ccvmle  (Uédel.  Dnc. pour  Saint- ftihttre,  1,  p.  53). 

(2)  A.  Ricliard,  Chartes  de  Saint -Muixent^  I,  p.  71. 

(3)  Cart.  df.  Saint-Ctjprien,  p(K.  -j'S,  28G,  297  et  3i2. 

(4j  Labbe,  Noifa  hibl.  mun..  Il,  ji.   225^  Pierre  de  .^faillezais. 


GLILLAUirE  FIER-A-BR.VS 

menl  écark^e  du  Irdne  après  la  morl  de  Louis  le  Fainéant.  Le 
du<:  de  France  Hugues,  élu  le  1"  juin  987,  sacré  le  3  juillet 
suivant^  le  remplaçait  et  nianifeslait  son  intention  de  devenir  le 
chef  d'une  nouvelle  dynastie  en  associant  à  son  pouvoir  son  lils 
Robert,  dont  le  couronnement  devait  avoir  lieu  le  jour  de  No6l  de 
la  même  année.  Bien  que  (îuillaume  ne  semble  pas  avoir  pris  une 
part  directe  à  l'élection  d'Hugues  et  aux  événements  qui  l'onl 
suivie,  on  ne  saurait  douter  toutefois  qu'il  les  accueillit  avec  une 
grande  satisfaction;  l'élévalion  de  son  beau-frère  au  Ironc  de 
France  lui  faisait  justement  prévoir  que  la  paix  avec  ses  voisins, 
qu'il  ne  semble  pas  avoir  jamais  ckerclié  lui-même  à  troubler, 
serait  encore  plus  solidement  assurée  par  ce  fait  que  ceux-ci  étaient 
les  vassaux  directs  d'Hugues,  dont  Tautorilé  setrouvaitnalurelle- 
monlaccrue  par  sa  nouvelle  situation  et,  d'autre  part,  que  ce  der- 
nier se  sentait  très  fortifié  par  son  alliance  personnelle  avec  leduc 
d'Aquitaine,  qui  lui  garantissait  la  sécurité  de  ses  frontières  du 
Sud  cl  lui  laissait  par  suite  la  libre  disposition  de  ses  forces  pour 
lutter  contre  les  derniers  partisans  du  régime  déchu.  Aussi  n'y 
a-l-il  pas  lieudes'étonner  devoir  le  nouveau  roi  de  France, après 
avoir  assuré  la  tranquillité  dans  le  nord  de  ses  étals,  les  aban- 
donner pour  aller  rendre  visite  à  Fier-à-Bras  et  s'entendre  avec 
lui  pour  régler  d'un  commun  accord  leurs  rapports  futurs.  Au 
mois  d'août  987  il  quitta  l'aris;  le  25,  il  se  trouvait  à  Orléans,  où 
il  délivrait  un  diplôme  en  faveur  de  l'abbaye  de  Saint-Mesmin(l), 
et  de  là  il  pénétrait  en  Aquitaine  accompagné  de  l'archevêque  de 
Bourges  et  des  évôqups  d'Orléans  et  d'Angers. 

Son  séjour  auprès  de  Guillaume  qui,  pour  faire  honneur  à  son 
hôte,  le  roi  des  Francs  et  des  Aquitains,  avait  sans  nul  doute 
convoqué  ses  principaux  feudalaires,  fut  marqué  par  un  de  ces 
faits  de  la  vie  religieuse  qui  ont  tant  contribué  au  développe- 
ment social  des  populations  arriérées  de  l'époque.  Boson,  comte 
de  la  Marche,  se  présenta  un  jour  devant  ceséminonts  personna- 
ges et  leur  demanda  de  vouloir  bien  donner, par  rallestalion  de 
leur  présence,  plus  d'autorité  au  projet  qu'il  leur  soumit  d'établir 
un  chapitre  de  chanoines  dans  sa  ville  du  Dorât. L'évêque  dePoi- 

(i)  Loi,  Let  derniers  Caroljngien*,  preuves,  p.  4o5. 


"^ 


LES  COMTES  l>E  PÛITOI] 


liers,  qui  <'4endail  son  aulorid'  fcclésinstiqn**  sur  ce  leniloire 
bien  qu'il  fùl  en  pays  Limousin,  y  (Jonnail  son  ronsenleiiienl; 
aussi  le  roi,  lu  duc  cl  les  noaibreux  prélats  qui  les  enlouraienl 
s'empressèrenl-ils,  ainsi  qu'ils  en  avaienlété  priés,  de  confirmer 
toutes  les  disposilions  prises  par  le  fondateur  du  nouvel  élablis- 
seraent(l).  Ces  faits  sulliraienl  pour  fournir  la  preuve  des  bons 
rapports  qui  existaient  enlre  le  roi  de  France  elle  duc  d'Aquilaine, 
mais  ils  sonl  de  plus  corroborés  [tar  un  témoignage  qui  ne  sau- 
rait ôtre  suspect,  à  savoir  les  indications  chronologiques  qui  se 
lisent  au  bas  des  actes  passés  en  Poitou  à  partir  de  987  el  qui 
toutes  se  réfèrent  aux  années  du  règne  des  rois  ttugues  et  Ro- 
bert(2).  Du  reste,  Hugues  ne  paraît  pas  avoir  cherché  à  s'ingérer 
dans  les  affaires  du  l'oitou  ;  son  avrnemenl  irrégulieràla  couronne 
encourageait  les  grandsi  vassaux  à  suivre  son  exemple  el  à  s'ap- 
proprier des  droits  régaliens,  usurpation  contre  laquelle  il  aurait 
été  mal  venu  à  prolester. t*our  le  moment, il  se  préoccupait  surtout 
de  consolider  sa  situation  nouvelle  par  l'adhésion  éclatante  de 
l'Aquitaine,  cl,  de  plus,  on  peut  le  croire,  il  agit  en  particulier 
pour  amener  le  rapprochement  tant  désiré  entre  l''ier-i'i-Bras  et 
sa  femme,  dont  la  famille  comptait  parmi  les  plus  dévouées  au 


(i)  Aubugeois  delà  Ville  du  Bost,  J/ist,  du  Dorai,  preuves,  p.  igg;  D.  Fooleneau, 

XXIV,  p.  359. 

(2)  Les  actes  daléa  des  preraicres  années  du  rcijnc  des  roîs  Hugues  el  Roberl  sont 
nonibreti.K  dans  les  charlrîers  poilevtns  et  il  est  superflu  d'en  faire  ]'éuu(iicr;tlioa; 
leur  accord  unauirac  lémoigne  que  la  recon naissance  de  ces  princes  avail  élé  imnié- 
diiil&,  aussi  convient-il  de  rejeter  sans  hésilatiun,  ainsi  i[ug  l'a  déjit  fait  M.  Loi  (Ars 
(trrniers  Canilini/ieits,  p.  210,  n"  a),  ud  passade  de  lu  chronique  d'Adcmar  de 
Cliabanncs  (]ui  jusqu'ici  avait  clé  accepté  sans  conlnMe  par  tous  les  bisluricns. 
Adémar  rapporte  (p.  i5i)  et  à  sa  suite  la  Iranslalinn  de  saiut  Genou  (Rec.  des 
fitul.  de  France,  X,  p.  36i)  el  la  chroni(|ue  de  Sainl-Maixent  (p.  281),  que, 
Guillaume  ayant  reFusé  de  reconnaître  lltisçues  Capcl  pour  roi.  co  prince  serait  venu 
assiéi^er  Poitiers,  mais  en  vain; que,  l'orcé  de  lever  le  siège,  il  aurait  clé  rcjoinl  sur 
les  bords  de  la  Loire  par  le  comte  de  Poitou;  que  ce  dernier  aurait  élé  complètement 
défait  dans  une  grande  bataille  et  que  les  troupes  royales  seraient  ensuite  rentrées  en 
France.  Ce  récit  n'est  autre  que  celui  de  la  caiiipasçne  d'Huii^ues  le  Grand  contre  Tétc- 
d'Etoupe,  dont  Adcmar  uc  parle  pas  en  son  lien,  et  ([ui  a  été  transpusc  dans  son  récit, 
comme  la  plupart  des  événemeuls  de  la  fia  du  x*  siècle.  On  doit  cependant  admettre 
(|u'il  y  avait  en  Aquitaine  des  partisans  de  la  dynastie  carluviui^ientie  qui  lui  con> 
aervèreut  leur  foi  tant  qu'elle  compta  un  représentant  attitré  :  Boluze  en  cite  un 
exemple  {Hist.  de  Ttille,  p.  1^84),  et  nous-nièiiic  avons  relevé  dans  les  cliartricrs  du 
Poîlou  deux  cas  où  les  rédacleura  des  actes  ont  fait  partir  le  reçue  de  Robert,  soit 
de  rcmprisiinacment  de  Charles  de  Lorraine,    du  3o  mars  ijgi,  soit  de  sa  mort,  au 

\  23  juin    oga  (Rédct,  Doc.  pour   iui/d-Bilaire,   l,  p.  52  ;  Cart.  de  Sainf-Ci/prien, 

'  p.  3jo). 


GUILLAUME  FfER-A-BRAS 

nouveau  régime.  Qne  ce  soit  grâce  à  TacUon  personnelle  du  roi 
ou  par  l'effel  d'autres  influences,  Emma  finil  par  se  laisser  con- 
vaincre et,  pour  débuter,  elle  envoya  à  son  mari  le  jeune  Guil- 
laume qu'elle  avait  jusque-là  gardé  près  d'elle  ;  à  la  fin  du  mois 
de  mai  de  l'année  988,1e  jeune  comte  élait  à  Poitiers  et  il  assista 
aux  côtés  de  Fier-à-Bras,  au  don  qu'une  dame,  du  nom  d'OlhoI- 
garde, faisait  à  l'abbaye  deSainl-Cyprien;  ce  jour-là,  en  outre  des 
personnages  laïques,  assistants  ordinaires  des  plaids. u  savoir  :  le 
vicomte  d'Aunay,  le  vicomte  de  Thouars,  le  vicomte  de  Ctiâtelle- 
raull  et  son  frère, on  constate  la  présence  de  l'élément  religieux 
représenté  par  l'évêque  de  Poitiers,  le  doyen  et  l'archidiacre  de 
la  cathédrale,  et  l'abbé  Frogier(l). 

Emma  se  décida  enfin  à  suivre  son  fils;  toutefois,  en  femme 
de  tête  qu'elle  était,  elle  posa  ses  conditions  ;  elles  furent  toutes 
acceptées  ctlacomtesse  rentra  en  Poitou  dans  le  courant  de  cette 
année  988.  Fier-à-Bras  en  témoigna  une  joie  exubérante;  il 
oubliait  le  passé,  ou,  du  moins,  il  voulait  se  le  faire  pardonner; 
aussi,  quand  dans  un  acte  il  lui  arrive  de  parler  d'Emma,  c'est 
sa  femme  bien  aimée^dileclissima^ei  quand  il  lui  fait  un  don,  il  ne 
manque  pas  d'ajouter  que  c'est  en  témoignage  du  grand  amour 
qu'il  a  pour  elle  (2).  Son  affection  pour  son  fils  est  aussi  très 
vive  (3),  et  l'effet  de  leur  retour  est  tel  qu'il  voit  disparaître  la 
maladie  dont  il  était  atteint  (4). 

En  un  mol  tout  est  à  la  joie  à  la  cour  du  comte  du  Poitou  et  le 
comte  de  Blois,  le  frère  d'Emma,  vient  lui-même  à  Poitiers  pour 
sceller  par  saprésence  la  réconciliation  des  deux  époux. 11  assiste  en 
cette  qualité  à  la  donation  que  Fier-à-Bras  fit  à  labbaye  de  Saint- 
Cyprien.sous  les  réserves  ordinaires  en  vue  d'une  aliénation  tem- 
poraire, de  l'égUse  de  Saint-Pierre  de  Vouneuil,  avec  tous  les 
domaines  qui  en  dépendaient;  outre  le  comte  de  Blois  se  trou- 


(i)  Cari,  de  Saint-Cyprien,  p.  a83.  Cel  acte  fui  passé  la  première  aonée  du  rèîçne 
d'Hugues  Capel,  c'est-à-dire  entre  le  i*'  juia  987  et  le  i^r  juin  988,  mais  sa  dale  doit 
être  rapportée  au  mois  de  mai  988,  Aimeri,  vicomte  de  Thouars,  signalaire  de  l'aclei 
D'ayaal  succédé  à  soa  père  Arbert  qu'au  commeucemcot  de  ce  mois. 

(2)  Eicsly,  flitt.  des  comtes,  preuves,  pp.  278  cl  27.^;  Cari,  de  Bourgucil,  pp.  33 
el  4i. 

(3)  Besly.  liiat.  dex  conitfs,  preuves,  p.  a68;  Cart,  de  Bourg^ucil,  p.  33. 

(4)  Labbe,  Mouu  tiU,  man.,  II,  p.  -au-],  l'ierre  de  Maillezais. 


LKS  COMTES  DE  POITOU 


vuiiHil  présents  h  cet  acio  Fier-îi-Uras  el  sa  femmojeiir  fils  Guil- 
laume, révoque  do  Poitiers,  le  ilojen  Uerriuii,  le  vicomle  Kj^frui, 
Tabbé  Seguin  el  autres  (!).  Vers  la  luèmc  époque,  le  couite,  sa 
femme  et  son  (Ils  aulhenliquèrenl  .par  leur  présence  d'autres 
dons  imporlanls  faits  à  l'abbaye  de  Saint-Cyprien  (2). 

Les  senlimonls  de  la  duchesse  étant  d'accord  avec  ceux  des 
personnages  qui  avaient  facilité  sou  relour  à  Poitiers,  il  est  très 
naturel  qu'elle  ait  Inut  d'abord  usé  de  l'inlluence  qu'elle  avait 
ressaisie  pour  amener  Fier-à-Uras  à  réparer  les  actes  de  violence 
ou  d'injustice  qu'il  avait  pu  commettre  à  l'égard  des  établisse- 
ments roligiotix  dont  les  biens  excitaient  toujours  la  convoitise 
des  détenteurs  du  pouvoir.  Comme  de  juste,  sa  sollicitude  se  porta 
sur  Maillemis;  le  comte  n'avait  sans  doute  pas  allendu  les  exlior- 
lations  de  sa  femme  pour  reprendre  les  travaux  interrompus, 
sachant  bien  qu'il  ne  pouvail  rien  faire  qui  lui  l'iU  plus  agréable; 
aussi  dans  le  courant  de  l'année  *J8i)^les  liAlimenls  se  trouvèrent- 
ils  en  élal  de  recevoir  des  hôtes.  Kmma  y  plaça  son  cousin  Jos- 
liert,  qui  vint  s'y  établir  avec  treize  religieux;  pour  subvenir  à 
l'existence  de  celle  communauté,  elle  lui  fit  don  du  domaine  do 
Puy-Lctard  qui  faisait  [larlie  de  son  douaire  ci  ntiquclello  ajoula 
les  serfs  qu'elle-même  avait  amenés  de  son  pays  pour  le  culti- 
ver (3). 

Selon  les  ri!igles  juridiques  alors  en  vigueur,  la  comtesse  n'au- 
rait dil  pouvoir  disposer  que  temporairement  d'un  domaine  fai- 
sant parlie  de  sa  dotation,  de  sa  mainferme,  comme  disent  les 
textes  (4),  mais, dans  le  cas  présent,  en  procédant  à  une  aliénation 
sans  réserve,  elle  agissait  dans  la  plénitude  do  ses  droits,  Kn 
eiïet  en  reprenant  son  rang,  elle  était  rentrée  en  possession  des 
biens  qui  lui  avaient  été  attribués  lors  de  son  mariage  elque,à  la 
suite  de  leur  séparation,  Fier-ii-lîraslui  avait  enlevés,  faisant  pas- 
ser les  uns  dans  son  domaine  privé  et  disposant  des  autres  en  fa- 
veurde  particuliers. Ceux-ci  durent, lorsdu  retour  de  la  comtesse, 

(i)  Cart.  lie  Sainl-Cyprien,  p.  5i, 

(■•)  Cnrt .  de  Saint-'^'tjprien,  pp,   i  i!i,  aïo. 

(3)  Labbe,  Novn  htiit.  man..  Il,  p.  aaO,  F^ierre  de  Maillezais.  Josbert  venail  d'élre 
pourvu  de  l'abbaye  de  Saint-Juîiea  de  Tours  après  la  mort  d'Ebrard  (Galti'a  Christ., 
XIV,  col.  a4') 

(4)  Bealy,  Hisl ,  des  comtes^  preuves,  p.  a8o. 


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GUILLAUME  FiER-A-BR.\$ 

renoncer  plus  ou  moins  volonliers    aux    concessions    qui   leur 
avaient  élt»  fiiles-,  néanmoins  il  fallut  que  le  comle,  par  un  acte 
public,  noiiliài  h  tous  celle  nouvelle  mutation.  En  cons^'iquence 
on  le  voit,  dans  les  premiers  mois  de  l'année  989,    faire  dres^ 
ser  un  acte  par  lequel  il  donne  en  une  seule  fois  à  sa  femme 
la  moitié  de  la  cour  el  de  Téglise  de  Chasseignes.  l'église    de 
Vouzaille   el  la  moitié  de  sa  cour,    l'église  de  Notre-Dame  de 
M  Jazeneas  >»,  les  domaines  deSigon  surl'Auzance,  de  Vayres  sur 
le  Clain,el  de  Valençay  sur  la  Vienne,  tous  biensqui  avaienl  fait 
partie  du  bénéflce  de  Foulques  du  Mans,  les  églises  de  Mignéelde 
Marsay  près  Poitiers,  l'église  de  Sainl-Clémenl  dans  le  pays  de 
Niort  el  celle  de  Coulon  sur  la  Sèvre,   les  villas  d'Oulmes.  de 
Nanleuil.  d'Auriac  el  de  Drenon,  celles  de  Toorlron,   de   Traie 
sur  l'Aulise  el  de  Pdy-Lelard,  les  églises  de  Chassenon   el  de 
Sainl-Maurice  des  Loges,  el  enfin  celle  de  Monlreuil. Celle  longue 
liste  de  domaines,  el  en  particulier  de  biens  ecclésiastiques,  est 
intéressante  à  relever,  tout  d'abord  parce  qu'elle  nous  fixe  sur 
l'importance  du  douaire  que  le  comle  avait  primitivement  cons- 
titué à  sa  femme  el  dont  ces  biens  faisaient  assurément  partie,  et 
d'autre  part  parce  qu'elle  renseigne  sur  la  nature  el  la  position  du 
domaine  privé  des  comtes  de  F*oiiou  ;  on  voit  que  leurs  posses- 
sions directes  s'élendaicnl  plus  particulièrement  en  Bas-Poitou, 
dans  le  pays  compris  entre  la  Sèvre   et  la  Vendée,  qu'elles  ne 
dépassaient  pas  sur  ce  point,  et  comoae  ni  dans  cette  importante 
énuméralion^  ni  dans  lei  concessions  diverses  émanées  de  Fier- 
à-Bras  il  n'est  question  de  domaines  situés  au  delà  du  Lay  supé- 
rieur, on  doit  en  conclure  que  celte  région  était  encore  au  pou- 
voir des  comtes  de  Nantes. 

Le  comle  ne  se  contentait  pas  d'assigner  ces  biens  à  sa  femme  , 
sa  vie  durant,  il  l'autorisiit,  en  outre,  à  en  disposer  selon  sa 
convenance,  soit  en  fnveur  d'établissements  religieux,  soit  de 
particuliers,  en  un  mot,  il  en  abandonnait  complètement  la  pro- 
priété. Au  roomenl  oîi  il  allait  remellre  k  Emmi  la  charte  qui 
monumenlait  ces  dispositions,  Fier-à-Bras  ajouta  à  ses  libéralités 
l'églis»?  de  Cezais,  dont  il  se  réservait  toutefois  la  jouissance 


(i)  Ucâlj,  /fisi.  des  eoinlet,  preuves,  p.  173;  Arcb.  d'ioiire-el -Luire,  orig.,  11,  :t4  > 


izG 


LES  COMTES  DE  POITOU 


pendant  sa  vie.  On  voit  encore  la  comtesse  se  faire  donner^  au  mois 
de  janvier  9i)0,  Té^lise  de  Saint-Denis  de  Jaunay,que  quinze  ans 
auparavant  Berncfroi  avait  reçue  du  comte  en  mainferme  {!). 

Les  travaux  de  Maillezais  étaient  assurément  encore  en  train 
quand  Emma  profila  d'une  occasion  qui  se  présentait  pour 
assurer  l'existence  du  nouvel  élablissemenl  et  le  garantir  autant 
que  possible  contre  de  nouvelles  violences  de  son  mari.  Elle  en 
ffl  faire  la  consécration  solennelle  par  l'archevêque  de  Bordeaux 
et  les  évoques  qui  venaient  d'assister  au  concile  de  Charroux. 

Une  réunion,  ayant  un  caractère  tout  à  fait  régional,  c'est-à- 
dire  aquitain,  s'était  en  elîel  tenue,  le  l""  juin  989,  dans  l'abbaye 
de  Charroux,  sous  la  présidence  de  Gombaud,  archevêque  de  Bor- 
deaux, assisté  des  évoques  de  Poitiers,  de  Périgucux,  de  Saintes 
et  d'Angoulême,  ses  sutïraganis,  et  de  Limoges,  suffragant  de 
l'archevêque  de  Bourges.  On  ne  connaît  pas  les  décisions  qui  furent 
prises  dans  cette  assemblée  à  l'égard  des  personnes  ou  des  éta- 
blissements, mais  on  a  conservé  les  trois  canons  qui  y  furent 
édictés  portant  anathème  contre  les  ravisseurs  des  églises,  les 
dissipateurs  des  biens  des  pauvres  et  les  persécuteurs  des  clercs. 
Fier-à-Bras  ne  fut  certainement  pas  indifférent  à  la  tenue  du  con- 
cile, si  mémo  il  n'y  assista  pas  ;  ce  qui  le  prouve,  c'est  que,  pour 
se  conformer  à  l'usage  qui  voulait  que,  pour  donner  plus  d'auto- 
rité aux  décisions  qui  y  seraient  prises,  rassemblée  se  plaçât  sous 
le  patronage  d'un  saint  vénéré  dont  les  précieux  restes  étaient 
apportés  en  grande  pompe  au  lieu  de  la  réunion,  on  y  délibéra 
sous  l'égide  de  saint  Junieu,  le  fondateur  de  l'abbaye  de  Noaillé, 
établissement  qui,  nous  le  savons,  était  alors  sous  la  dépendance 
absolue  du  comte  de  Poitou  dont  le  consentement  dut  être  néces- 
saire pour  faire  le  déplacement  de  ces  reliques  (2). 


(1)  Cari,  de  Bourçueil,  p.  4'-  Cet  acte  a'est  pas  daté,  mais  il  est  évidemraenl  pos- 
téneur  bu  précédeot  i[iii  se  place  dans  le  couraol  de  l'anaéc  {)Sg  et  ae  peut,  comme 
on  le  verra  plua  loin,  dépasser  l'année  990. 

(2)  Labbe,  Concilia,  IX,  coL  733.  Les  historiens  ecclésiastiques  ne  sont  pas  d'accord 
sur  la  date  qu'il  con\nentd'altribuerau  coDclle  de  Charroux  ;  les  uns  le  placent  en  989, 
les  autres  eu  990.  La  première  de  ces  dates  est  seule  admissible.  Kn  elTel,  Audi^ier, 
cvèquo  (le  Limoges, assista  sûrement  nu  concile;  or,  celui-ci  «"étant  ouvert  le  i^f  juin, 
le  prélat  ne  pouvait  ètreeuierré  le  to  du  même  mois  à  Saint-Denîs,  près  Paris.  Les 
deux  événements  s'éclairent  l'un  par  l'autre  et  ne  peuvent,  appartenir  à  la  même 
année  *,  le  concile  eut  lieu  en  989  et  Audigier  est  mort  en  990. 


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GUILLAUME  FIER-A-BRAS 


ia7 


Or  donc,  les  prélatss^élanl  rendusàf*oiliers,àlacour  du  comle, 
celui  ci, sur  la  soUicilalion  expresse  de  sa  femme, leur  demanda  de 
vouloir  bien  faire  la  dédicace  du  monastère  de  Matlloïiais.  Us  y 
consentirent  voionliers  el,  quelques  jours  après, ils  consacrèrent 
solennellemenl  féglise  de  la  nouvelle  abbaye  qui  venait  à  peine 
de  recevoir  ses  hôtes.  Après  la  c6rémonie,Ie  comte  repartit  pour 
Poitiers  ainsi  que  rarchevôq^ue  el  les  évoques  qui  ravaient  accom- 
pagné, à  l'exception  de  l'évoque  de  Poitiers,  qui  demeura  à 
Maîllezaîs  avec  la  comtesse  pour  donner  par  sa  présence  plus 
de  poids  aux  dispositions  qu'elle  avait  encore  envie  de  prendre. 
C'est  ainsi  qu'elle  fit  placer  dans  le  côté  gauche  de  l'église  des 
reliques  de  saints  qu'elle  avait  recueiUies  en  divers  lieux  et 
abandonna  solennellemenl  aux  moines  le  domaine  de  Puy-Le- 
lard  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  <Juanl  à  Guillaume,  rentré  à 
Poitiers,  il  fil  procéder  par  les  prélats  à  la  dédicace  de  l'église 
de  Sainl-Hilaire  (1). 

Les  idées  du  comte  de  Poitou  avaient  en  effet  totalement  changé 
de  direction  et  Emma  ne  s'était  pas  contentée  d'en  profiter  pour 
la  satisfaction  de  ses  intérêts  ou  de  ses  affections  personnelles  ; 
elle  avait,  sous  l'impulsion  de  ceux  qui  l'inspiraient  ou  la  secon- 
daient, attiré  la  sollicitude  du  comte  sur  tous  les  établissements 
religieux  de  la  région  ;  Noaillé  fut  l'un  des  premiers  à  s'en 
ressentir.  Celte  abbaye,  violemment  détachée  de  Saint-Hilaire, 
administrée  par  les  agents  du  comte,  était  menacée  de  deve- 
nir, comme  l'abbaye  de  Saint-Paul  de  Poitiers,  un  simple  béné- 
fice,destiné  à  récompenser  les  services  de  quelque  fidèle,  Emma 
saisit  l'occasion  d'un  grand  plaid  qui  se  tint  au  mois  de  jan- 
vier 989  (2)  pour  donner  une  plus  grande  publicité  au  courant 
nouveau  qui  se  manifeslait  dans  les  jagissemenls  de  son  mari  ;  à 
cette  assemblée, où  se  trouvaient  les  vicomtes  de  Thouars,d*Aunay 


(i)  Labbe,  Xora  hihL  mm..  Il,  p.  226.  Le  Icxle  de  Pierre  de  Maitlezaia  porte  que 
l'caflisc  de  Sairvl-Hilaire,  dont  il  e*i  ici  ((uestioti,  était  constralle  devant  le  palais  du 
comte,  «  corara  îpsius  nuhi  principis  conslilulani  ».  Il  D^exiale  pas  Irace  qu'une  église 
de  Saint-Hilaire  fut  placée  eu  ce  lieu,  el  il  semble  que  ce  passade  doive  s'appliquera 
la  basili(]ue  de  Saint-lIilaire-le-Grand,  doul,  selon  [es  consiaiations  archéologiques 
les  plus  sûres,  le  clocher  à  tout  te  moins  appartient  au  x»  siède. 

(a)  L'acte  est  daté  de  l'an  II  du  rôgue  du  roi  Robert,  le  point  de  départ  étant  le 
couroaaementde  ce  prince  eftectué  le  3o  décembre  987  ou  le  i^'  janvier  9Ô8. 


LES  COMTKS  DE  POITOU 

et  de  ChAtfllpraiill,  Boson,  le  fn-re  de  ce  dernif^r,  un  aulre  vî- 
coinlodii  nom  de  Main ard  et  son  filsCombaiid,  i'évèqtjedei'oiliers 
cl  son  (ri'Vi^  Manassé,  Tabbé  Frogier,  K^  trésorier  el  le  doyen  de 
Saint-Hilaire,  le  comle,  sa  femme  el  son  (îls  firent  don  à  Fabbaye 
de  Noaillô  de  l'alleu  seigneurial  de  Ligoure  en  Aunis,  avec  son 
église  de  Saint-Sauveur,  Tôglise  de  Hioux  el  des  moulins  (1), 

Soit  à  Tune  des  séances  de  ce  plaid,  soit  à  celui  qui  put  se 
tenir  dans  le  même  mois  l'année  suivante  (990)  (2)  e(  dont  l'assis- 
tance était  des  plusbrillanles.car  on  y  voyait  Guillaume  Taillefcr, 
comte  d'Angoulême,  Guy,  vicomte  de  Limoges,  el  son  fils  Aymar, 
Egfroi,  vicomte  de  Châtelleraull,  Gilbert,  évêque  de  Poitiers, 
Audigier,  évêque  de  Limoges,  et  eniin  Savari,  trésorier  de  Sainl- 
Hilaire,  la  comtesse  amena  son  mari  h  consentir  à  l'acte  qui  fait 
peut-être  le  plus  d'honneur  û  sa  mémoire,  car c'osl  une  œuvre  de 
charité  qui  se  détache  avec  une  auréole  particulière  de  la  sombre 
nuit  de  cette  fin  du  x'  siècle.  Devant  celle  assistance  inaccoulu- 
mée  le  comte,  assisté  de  sa  femme  el  de  son  fils,  déclara  qu'il 
avait  décidé  de  fonder,  près  deféglise  de  Saint-llilaire  de  Poi- 
tiers, un  hôpital  ou  refuge  pour  les  pauvres  ;  il  dotait  celle  mai- 
son de  plusieurs  terres  situées  à  Chilvert,  à  Vouneuil  et  aulres 
lieux,  et  plaçait  à  sa  tôle,  pour  sa  vie  durant,un  nommé  SieborL 
avec  défense  à  ce  gardien  et  h  ceux  qui  lui  succéderaient  par 
la  suite  défaire  d'autre  service  que  celui  des  pauvres,  auquel  îls 
devraient  absolument  se  consacrer  (3).  Bien  que  ce  soit  le  comte 
qui  parle  seul  dans  cet  acle,  on  sent  dans  les  dispositions  qu'il 
renferme  la  main  délicate  d'une  femme  qui,  faisan  t/|)reuve  d'un 


(i)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Noaillé,  n»5g. 

(a)  D.  Fnnleitnnu  {X,  p.  323}  place  judicieusement  ce  plaîd,  qui  ne  porte  pas  d'in- 
diciitlon  d^Tonéi",  en  rjKg  on  en  090.  En  cflet>  si  l'on  ne  retrouve  pns  dans  l'nrte  de 
Noailk'  cl  dajis  celui  de  Salut-Hilairc  les  inArncs  «ssisUialg,  ce  i|i]i  pourrait  faire 
supposer  l'existence  de  deux  plnirlu  lenus  h  ua  an  d'intervalle,  il  y  a  lieu  de  Icnir 
compte  que  Pun  et  l'autre  aunl  du  mois  de  janvier  cl  que  loua  les  lîeux  porleul  la 
mention  insolite  du  rè^ne  du  mi  Rolicrt,  ce  qui  lendrail  ji  faire  croire  (ju'ils  son! 
l'œuvre  du  même  scribe  qui  aurait  omis  le  chiffre  des  anoéca  du  règne  dans  Factc  de 
SaiDl-llilaire.  Hédet  {Doc.  //oar  Saînt-Hiluirc,  I,  p.  54)  a  adoplê  la  dalc  de  gSg 
sans  en  indiquer  les  molifs. 

(3)Ccl  établissement  hospilalier  disparul  de  boane  lieurc,  à  moins  (ju'il  ne  se  soit 
fondu  avec  celui  qui  cxislail  eu  yOy  cl  pcul-^lre  dra  le  temps  d'Alcuin.dans  le  bourg 
de  Suint-Hilaire  sou3  le  nom  de  Sanrfns  Petrus  e.r  I/itspilafe  (Snitil-Pierre  l'Hous- 
teau).  V'oy.  Largeaull,  Inscripliuai  mélriqtios  composées  par  Alcuin  Mém,  île  la 
Soc.  iles  .ititiif .  ilf  l'Oavitf  ac  série,  1.  VII,  p.  2/1^). 


1 


f.ClLLAUME  FIER -A-BRAS 


lao 


sonlimenl  assez  rare  à  l'i-poqu*^  et  mellanl  en  action  le  prt^ceplr» 
ilii  Christ  rappelé  dans  le  prf'iambiile  âo  la  fondation  :  Date  ele^ 
mosinmn  et  erce  omn'm  tnitnda  xiint  co/y/.v,  croyait  devoir  associer 
les  d6sh6rif6s  de  la  terre  à  iévi'Miement  heureux  qui  la  ramenait 
après  une  si  longue  absence  à  la  place  qui  lui  était  due. 

Mais  ces  salisfacJions  d'un  ordre  gtfincral  ne  suffisaient  pas 
à  Emma  ;  elle  voulait  en  obtenir  de  plus  personnelles  et  ce  ne 
fut  assurément  pas  sans  difllcultés  qu'elle  put  amener  Fier-à- 
Bras  à  se  montrer  généreux  pour  une  œuvre  qui  avait  tout  le 
caractère  d'une  protestation  contre  ses  actions.  Empêchée,  par 
sa  brusque  séparation  d'avec  le  comte,  de  poursuivre  la  cons- 
truction de  Maillcxais,  elle  avait  essayé,  pendant  sa  retraite  h 
Chinon,  de  donner  suite  à  ses  aspirations  et  elle  avait  onlr-epris 
de  fonder  un  monastère  sur  ses  domaines.  Mais  ses  ressources 
étaient  insuflisanles  et  l'établissement  édifié  sur  sa  cour  de 
Bourgucil  ne  pouvait  être  que  fort  modeste,  aussi  voulut-elle 
profiler  de  sa  réconciliation  avec  son  mari  pour  donner  à  ses 
projets  loule  l'extension  possible.  Elle  appela  Josberl  à  Bour- 
gueil;  celui-ci  dut  quitter  Maillerais,  où  il  élail  à  peine  installé 
et  où,  selon  toute  apparence,  il  eut  un  suppléant,  portant  le  litre 
de  prieur,  car  il  conserva  la  haute  direction  du  monastère.  Puis, 
sans  tenir  compte  de  la  permission  expresse  que  Fier-à-Bras  lui 
avait  donnée  quand  il  reconstitua  son  douaire,  elle  commença, 
pour  plus  de  sûreté,  par  lui  faire  abandonner  directement  à  la 
nouvelle  abliayo  les  églises  de  Scillé,  de  <(  Jazenas  «  et  de  Vou- 
zaille  en  partie,  tandis  que,  de  son  côté,  elle  renonçail  à  la  pro- 
priété de  ces  domaines  et  ajoulait  au  don  de  son  mari  Mij^Mie, 
Sigon  et  rnlleu  de  Charruyau.  Cnfin,  non  contente  de  l'assen- 
linient  de  Fier-à-Bras,  de  son  lits,  et  de  tous  les  intéressés,  et 
voulant  assurer  d'une  manière  immuable  la  perpétuité  de  sa  fon- 
dation, elle  s'adressa  au  pape  Jean  V,  qui  y  donna  son  approba- 
tion et  attesta  la  léj^'ilimilé  des  dons  qui  avaient  été  faits  par  la 
comtesse,  provenant  tant  de  son  domaine  particulier  de  Bour- 
gueil  que  de  tous  ceux  qui  lui  étaient  advenus  en   Poitou  (I). 


(i)  Cari.  d('  lîûurmjcil,  p.  17:  Arch.  (i'Irjdrc-cl-Loirr,  oriii^.,  H.  a'i.  l.e  ftulliii 
CJtritil.,  l.  Xl\',  col.  050,  cousidêrf  ccl  aci^i  comme  le  tilrc  fie  limJali'm  de  Pabbaye* 
lie  Buui'g'ucil,  iiui  «li's  lors  ne  dalcrail  rjucdeVaD  990,  mais  celle  apprccialion  ne  peut 

9 


]3o 


LES  COAfTES  DE  POITOU 


D'autre  part,  comme  le  domaine  de  Vouzaille  avait  primilive- 
menl  fait  partie  des  possessions  du  chapitre  de  Saint-Hilaire  de 
I*oiliers  et  que  ses  détenteurs  temporaires,  car  il  avait  *^Lé  aliéné 
en  mainferme,  étaient  tenus,  en  signe  de  sujétion,  de  payer  aux 
clianoines,  lors  de  la  fêle  de  saint  Hilaire  du  1"  novembre,  un 
cens  annuel  de  cinq  sous,  ceux-ci  ne  cessèrent  de  réclamer  contre 
l'usurpation  commise  par  les  moines  de  Bourgueil;  la  contes- 
tation dura  plus  d'un  siècle,  et  ne  fut  terminée  que  par  deux 
jugements  rendus  au  concile  d'Issoudun  de  1181  et  à  celui  de 
Saintes  de  H83,  qui  déclarèrent  que  la  Cour  de  Vouzaille  serait 
divisée  par  moitié  entre  les  deux  parties  (i). 

Malgré  qu'elle  eût  obtenu  beaucoup  de  son  mari  pour  son 
œuvre  de  prédilection,  la  satisfaction  de  la  comtesse  n'était  pas 
complète;  elle  voulait  plus  encore.  Comme  Fier-à-Bras  était 
reniré  en  possession,  on  ne  sait  comment^  de  la  cour  seigneu- 
riale de  Poussais  et  de  son  église  de  Saint-Hilaire,  qu'un  nommé 
Augier,  Otyenus,  avait  tenue  de  lui  en  bénéfice,  elle  le  porta  à 
on  faire  la  session  directe  à  l'abbaye  de  Bourgueil,  moyennant  le 
prix  de  IbOO  sous  d'argent  (2).  Cette  dernière  clause  ne  fut  sans 
doute  pas  exécutée,  et  comme  la  somme  convenue  entre  les  par- 
ties était  sîirement  destinée  à  désintéresser  le  possesseur  béné- 
ficiaire du  domaine,  celui-ci  dut  un  jour  réclamer  l'exécution 
du  contrat;  toujours  est-il  que  l'on  voit  postérieurement  le  comte 
faire  aux  moines  de  Bourgueil  la  vente  de  six  jougs  de  vigne,  dont 
cinq  situés  dans  la  villa  de  Lorberie  et  le  sixième  dans  celle  de 
Fonlenay,  contigus^  dit-il,  à  la  mainferme  dont  il  avait  doté  sa 
femme;  en  retour  l'abbé  Josbert  lui  versa  1200  sous  d'argent, 
non  pas  seulement  comme  paiement  de  ces  vignes,  dit  ingénue- 
ment  le  lexte  de  l'acte,  mais  pour  la  cour  de  Poussais  et  son 
église  de  Saint-llilaire.  Cette  somme  de  1200  sous  venait-elle  en 
supplémentde  celle  de  1 500  sous  à  laquelle  avait  été  primitivement 


être  prise  dans  un  sens  absolu,  car  le  monasière  cxiâtaLl  déjà  artial  qu'il  résulle  des 
paroles  mômes  d'Emma  :  «  nolum  fierî  cupio  mcum  quocldam  monaslcrium  in  mea 
curte  Burfïolio  cotrslruxissc  in  honore  vidclicet  Sancle  Trinitatis  n  el  il  ne  faul  voir 
dans  l'flcle  de  géoerosilc  de  la  comtesse  de  Poitou  et  de  son  mari  qu'une  dotation  des- 
liiu-e  ;>  assurer  la  vilalîtë  cl  rindépcndaace  dti  nouvel  êtablissemenl. 

(r)  Kcdet,  Une.  pinir  Sainl-f/ilaire,  1,  p.  1 13. 

(2)  Cari,  de  Uuurgucil,  p.  33. 


GUILLAUME  FIFR-A-BrUS 


i.lt 


ixé  le  prix  de  vente  de  Foussais,  ou  étail-elle  une  réduction  du 
prix  convenu?  nous  ne  saurions  le  dire  (!).  Le  comte  Audeberl 
de  la  Marche  et  l'évèque  de  Poitiers  assistèrent  à  la  rédaction  de 
l'acle,  qui  se  fil  le  9  du  mois  de  mars  091,  peu  après  la  donation 
de  Jaunay,  à  laquelle  Tun  et  l'autre  étaient  aussi  présents  (2). 
Tous  ces  actes  sont  compris  entre  l'année  987,  où  l'on  voit  le 
fils  de  Fier-à-Bras  revenir  prendre  sa  place  aux  côtés  de  son 
père,  et  Tannée  99U,  où  celui-ci  se  montra  si  disposé  à  subir  les 
volontés  de  sa  femme;  mais,  soit  que  les  exigences  d'Emma 
fussent  devenues  de  plus  en  plus  pressantes  et  qu'elle  ait  froissé, 
en  les  faisanl  dépouiller  de  leurs  bénéfices,  les  gens  de  l'entou- 
rage immédiat  de  son  mari  qui,  pour  ce  motif,  l'auraient  à  nouveau 
excité  contre  elle,  soit  pour  toute  autre  cause,  le  tempérament 
irascible  du  duc  reprît  le  dessus  et  sa  femme  eut  encore  à  souffrir 
de  sévices  qu'il  exerça  contre  elle.  Elle  s'y  déroba  par  la  fuite, 
mais  elle  ne  partit  pas  seule:  elle  entraîna  son  fils  ou  même  le  fit 
enlever  par  des  gens  dévoués  (3),  en  tout  cas,  leur  présence  auprès 
du  comte  n'est  pas  constatée  pendant  l'année  991.  Toutefois, 
le  départ  des  siens  n'apporta  aucun  changement  dans  la  façon 
d'agir  de  Fier-ci-Bras  et  il  persévéra  dans  la  voie  qu'il  suivait 
depuis  quelques  années  :  Maillerais  seul  eut  à  souffrir  de  son  res- 
sentiment; l'édifice  consacré  ne  fut  pas  détruit,  mais  la  commu- 
nauté perdit  son  indépendance  et  fut  soumise  a  Saint-Cyprien,  qui 
avait  toujours  eu  les  préférences  du  comte. 

Dans  sa  jeunesse,  celui-ci  avait  été  associé  par  son  père  et  sa 
mère  à  la  restauration,  voire  même  à  la  reconstruction  de  Tab- 
baye  de  Saint-Jean-d'Angély  et  à  diverses  reprises  il  lui  avait 
donné  des  marques  de  sa  bienveillance,  particulièrement  au 
moment  où  la  sollicitude  d'Emma  et  des  directeurs  de  ses  actes 


(i)  B«!ily,  Hist.  diin  comtes,  preuves,  p.  a8o  ;  C.nrl.  dn  Bourg-ueil,  p.  3/(.  Cette 
pièce  porte  dans  Besly  la  datp  de  l'an  X  du  rêçae  de  llui^ues  Capel,  et  dans  le  cartu- 
lalre  de  Bour^ueil  celle  de  t'ao  IX,  ce  qui  correapoad  aux  années  997  ou  996;  or, 
ni  Tuae  ni  l'autre  de  ces  années  ne  peut  élre  admise,  l'une  puur  ce  niotir  qu'Hu- 
gties  Capet  était  mort  avant  le  mois  dentars  997,  date  de  l'acte,  scloa  Besly,  cl  l'nutre, 
parce  que,  comme  on  le  verra  plus  loin,  Audebert  de  la  Marche,  un  de  aca  «ignntairefl, 
était  en  révolte  contre  le  cornlc  de  Poitou  en  99O.  Kn  I.-1  plaidant  à  la  fin  de  l'année  tjfjo, 
ainsi  qu'il  semble  résulter  de  son  conleou,  nous  croyons   être  dans  le  vrai. 

(2)  Voy.  plus  haut,  paçe  i25. 

(3)  Labbe,  Nova  bibl.  mon . ,  U,  p.  337. 


LKS  ):OMTi:S  Mv  l'OITOU 


s'étendait  sur  tous  les  iHahlissomenls  religieux  de  la  région;' au 
mois  d'aoùl,  en  990,  semble-l-il,  il  avait  donné  à  SainlJean  les 
églises  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-  Itévérend  de  Benon,  des  pêclu:- 
ries  et  plusieurs  domaines,  en  particulier  l'important  alleu  de 
Muron  en  Aunis  f^l,  en  retour,  il  avait  imposé  aux  moines  l'obli- 
gation de  célébrer  chaque  jour  le  saint  sacrifice  delà  messe,  non 
seulement  afin  d'obtenirdu  Seigneurie  pardon  desesfanles,  mais 
encore  pour  le  saint  de  son  Ame  et  de  celles  de  son  ancêtre  Eble, 
de  son  père  (luillaume,  de  sa  mère  Adèle,  de  sa  femme  Emma, 
de  son  fils  Guillaume  et  des  autres  enfants,  fils  et  filles,  issus  de 
son  mariage  (1).  Au  mois  de  janvier  091,  il  compléta  ces  libéralités 
en  donnant  à  Sainl-.lean  la  forél  d'Essouvert  en  Aunis,  mais  celle 
fois  il  n'imposait  aux  religieux,  en  fait  de  charge  pieuse,  que  des 
prières  pour  son  âme  et  pour  celles  de  son  père  et  de  sa  mère  (2). 
L'omission  de  sa  femme  et  de  son  fils  est  significative,  surtout 
quand  on  conrûdère  combien  cet  acte  et  le  précédent  sont  rap- 
prochés. L'impression  qui  se  dégage  de  ce  texte  est  accentuée 
par  celle  que  produit  la  lecture  d'un  autre  document,  encore  plus 
important,  et  qui  est  daté  du  20  avril,  lors  de  la  tenue  du  plaid  où 
assistaient  le  comte  d'AngouIémc  Guillaume  Taillefer,  le  comte 
Audeberl  de  la  Marche,  le  vicomte  Guy  de  Limoges,  celui  de 
CliAtellerault  et  son  IVère  lioson,  le  vicomte  Géraud  de  Brosse  et 
l'abbé  de  Sainl-MaixonI,  Bernard.  Dans  celle  assemblée,  Fier-à- 
Bras,  complétant  lesdisposilioris  généreuses  dont  il  avait  fait  preuve 

(i)  Bcaly,  flisl.dea  comtes^  preuves^  p.  26^;  Cari. de  Snint-Jean-ttWngéUj,  p.  26. 

(2]  (larl.  de  Sninf-Jfand'  Anfjélij,\y  p.  27;  Uesly,  ifhf.  des  rflw/t's,  preuves,  p.  27g. 
CeUn  ilonalinn  a  élc  IrHD'^crile  par  ÏK  l*"onlcnpati>  XIII,  p.  111,  sur  l'orij^inal  dont 
l'aullienticilé  cUU  ÏDiliâCulable.auâsi  csl-il  parti  de  là  pour  arg-uer  de  faux,  avec  rai- 
son, un  Jiplijme  d'Hugues  Capel,  de  juillet  (jSij  {firctu'il  dex  fii'xt.  de  Fnince,  X, 
p.  BfjO  ;  Uesly,  Ifist.  lies  la'/ife.i,  preuves,  p.  37K;  Cart.  de  Sfiint-Je<tn-irAn(/éli/,l, 
p.  2ï),  eu  vertu  duquel  le  roi  accordait,  sur  Ja  demande  du  duc  dl'A«[ui(aine,  à  un 
rrlit^ipax  nomme  Audoiiin,  la  direction  de  l'abbaye  de  Saint-Jcon-d'Angély,  où 
reposait  le  chef  de  aainl  Jean,  el  rnuinlcnail  les  moines  dons  la  possession  de  h  forêt 
d'iissuuvert-,  or  celte  confirnialitin  serait  antérieure  de  deux  années  A  la  donniion,  ce 
qui  est  inadmissible.  Du  reste,  pour  établir  la  fausseté  de  ce  diplôme,  on  peut  encore 
faire  ressortir  que  le  chef  de  samt  Jean-Bnpliste  ne  fut  découvt*rt  qu'en  loio  par  cet 
abbé  Aiirlitiiîn  ipii,  selon  toute  vriiisemblance,  ne  fut  nommé  abbé  rjue  vers  celle 
époqtje,  Robert  et  Aimeri  ayant  si^retnenl  piiiivemc  l'abbaye  nti  temps  d'Iiuii^ues 
Ciipct.  Par  tous  ers  molifs,  ce  document,  déjA  suspei;té  par  les  Bunédictins  au  pi.>inl 
de  vui;  diplomn tique,  doi(  élrc  rcjelé  sans  hésiter  et  ne  peut  en  aucune  l'nçoii  l'ire 
invoqué,  comme  l'ont  fait  M.  Lucliairc  [llisi,  dex  ifts!ifations  sous  les  premiert 
<:ript'ttens,  11,  p.  aor)  et  M.  Lot  (Les  derniers  Ciirolinijtens,  p.  210,  note  2),  pour 
afiirmcr  les  bons  rapports  d'Hugues  Capel  et  de  Fier-à-Ura». 


GUILT^l^E  RER-A-BRAS 


i33 


h  l'égard  de  Fabbaye  de  Noaillé,  lui  reslitua  la  libre  disposition 
d'elie-même  dont  elle  avait  élé  privée  par  ses  prédécesseurs  el, 
faisant  revivre  les  stipulations  des  dipl<^ines  de  Louis  le  Débon- 
naire, de  mai  808,  el  de  Pépin  I  d'Aquitaine,  du  24  juin  827  (I), 
il  déclara  qu'à  Taveair  la  sujétion  des  religieux  de  Noaillé  à 
l'égard  du  chapilre  de  Saint-Hilaire  se  réduirait  au  paiement 
d'un  cens  annuel  de  20  sous^  el  qu'ils  pourraient  choisir  libre- 
ment leurs  abbés  à  la  seule  condition  de  faire  approuver 
celte  élection  par  les  chanoines;  enfin  il  exemplail  l'abbaye  de 
toutes  charges  et  de  tous  services  temporels  s'appliquant  tant  à 
sa  personne  qu'à  celles  de  ses  successeurs  el  de  leurs  agents  (2). 
Dans  cet  acte,  d'une  si  réelle  importance  pour  la  société  reli- 
gieuse de  l'époque  et  auquel  Fier-à-Bras  avait  voulu  donner  la 
plus  grande  solennité,  il  n'est  nullement  question  de  la  comtesse 
ou  de  son  fils,  enfin  leur  absence  de  Poitiers  esl  encore  constatée 
par  un  acte  de  décembre  991,  alors  que  le  comte,  atin  de  bien 
marquer  son  intérêt  pour  Noaillé,  assista  seul  en  qualité  de 
témoin  à  la  donation  d'une  saline  dans  le  marais  de  Voutron,  que 
cet  abbaye  reçut  d'un  nommé  (.londen  (3). 

.Mais  Guillaume,  dans  un  sentiment  de  justice  bien  naturel, 
n'entendait  pas  que  les  faveurs  qu'il  accordait  à  Noaillé  portas- 
sent préjudice  à  Saint-Hilaire,  dont  il  était  l'abbé  el  dont,  par 
suite,  il  devait  sauvegarder  les  intérêts.  Alors  qu'il  avait  encore 
auprès  de  lui  sa  femme  et  son  fils,  il  avait  donné  à  l'abbaye  sa 
terre  seigneuriale  de  Rox  dans  le  pays  d'Aunis  el  la  villa  d'«  Eco- 
lonii»  dans  le  pays  de  Mervenl(4);mai3  quelle  que  fiU  l'importance 
de  ces  domaines,  ils  ne  pouvaient  entrer  en  ligne  de  compte  avec 
ceux  dont  il  l'avait  dépouillée  par  le  passé  ou  qu'il  lui  enlevait 
dans  le  présent.  Cédant  donc,  ainsi  qu'il  le  dit,  aux  angoisses 
qui  l'étreigoaienl  dans  la  pensée  de  la  vie  future,  et  surtout  aux 
sollicitations  des  chanoines,  il  déclara  un  jour  qu'il  leur  donnait 
en  toute  propriété  la  cour  de  Courcôme  et  son  église,  que,  bien 


(i)  Rédet,  Doc.  pour  Saint' Hilnire,  I,  pp.  3  el  5. 
(a)  Rcdcl,  Doc.  pour  Sainl-tlilaire,  I,  p.  O2. 

(3)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Noaillé,  n"  6ï, 

(4)  Be«ly,  Uist.  des  comtet,  preuves,  pp.   aG6  el  292;    Rédet,  Doc.  pour  Saint- 
fiilaire,  I,  p.  Sy. 


i34 


LES  COMTES  DE  POITOU 


des  années  auparavanl,  il  avait  annoncé  devoir  lour  abandon- 
ner, mais  dont  il  s'était  réservé  la  jouissance  sa  vie  durant, 
et  l'église  de  Saint-Hilaire-sur-rAulise,  puis  il  leur  fit  la  remise 
d'un  cellier  dont  il  s'était  aussi  emparé  et  qu'il  avait  ap|>ro- 
prié  à  son  usage;  connaissant  par  expérience  les  prévarications 
qui  se  commettaient  dans  l'exercice  de  ce  droit  de  ccllerage,  il 
leur  imposa  l'obligalion  de  surveiller  avec  soin  les  agissements 
du  préposé  qu'ils  y  placeraient,  et  particulièrement  d'empêcher 
qu'il  ne  prélevât  à  son  profit  le  produit  du  balayage  du  cellier, 
qu'il  ne  se  servît  de  fausses  mesures  ou  ne  délivrât  un  blé  pour 
un  autre;  enfui  il  rappelait  dans  sa  charte  toutes  les  dispositions 
de  celle  du  20  avril  91H,  relatives  à  Noaillé  {!). 

Vers  le  même  temps,  il  usa,  peut-être  pour  la  première  fois, 
de  ce  droit  régalien  si  important,  dont  l'exercice  par  les  grands 
seigneurs  féodaux  fut  une  des  conséquences  de  l'usurpation 
d'Hugues  Capet  et  en  vertu  duquel  ils  s'attribuèrent  une  part 
importante  dans  le  choix  des  évoques  et  des  abbés  des  grands 
monastères,  au  sujet  de  qui  on  violait  constamment  les  règles 
canoniques.  L'évêque  de  Limoges,  Audigier,  s'était  rendu  en 
France  au  printemps  de  990,  peut-être  dans  le  but  d'assister,  au 
nom  du  duc  d'Aquitaine,  au  concile  de  Senlis,  où  Hugues  Capel 
avait  assigné  Arnout,  archevêque  de  Reims,  pour  régler  avec  lui 
les  questions  qui  les  divisaient  et  particulièrement  le  détacher  de 
son  alliance  avec  Charles  de  Lorraine,  son  compétiteur.  Audi- 
gier avait  emporté,  afin  de  paraître  avec  plus  d'éclat  à  cette 
assemblée,  les  ornements  les  plus  précieux  de  l'abbaye  de  Saint- 
iMartial,  mais  il  tomba  malade  et  mourut  le  10  juin,  Il  demanda 
à  recevoir  sa  sépulture  dans  l'église  de  Saint-Denis,  à  laquelle 
il  légua  pour  cet  objet,  tout  comme  s'ils  lui  appartenaient,  les 
ornements  de  Saint-Martial  (2).  Aussitôt  que  Fier-à-Bras  fut  avisé 

(i)  Rcdel,  Doc.  pour  Sainf-IIilaire,  I,  p.  Sg.  Cet  acte  n'est  pas  daté,  mais  it  a  dû 
suivre  de  près  celui  de  raETranchiB^ienieut  de  IS'uaillé,  si  rnémc  il  na.  pas  été  rédigé 
en  môme  temps,  aussi  convient-il  de  l'attribuer,  comme  ce  dernier,  h  l'année  tffjii. 

(3)  La  date  de  la  morld'Audig^ier  est  fouraic  parl'obituairc  deSatut-Martiul  (Leroux, 
£k>c.  hist.  concernant  ta  Marche  el  le  Litnuusin,  \,  p,  73)  ;  quant  îï  Audouin,  il 
était  en  possession  de  révèché  de  Limoges  dès  ie  a3  août  990  {De,  Lasleyrie,  Eludes 
ttir  tes  comtes  de  LimQfjes\  p,  84),  d'après  lecartulaire  de  Saint-Elienne  de  Limoges. 
Voy.  aussi  la  cliron.  de  Richard  de  Poitiers,  dans  D.  Marlène,  Ampl,  cmlleciio,  V, 
co!.  11G8,  el  la  cliroa.  d'Adémar,  p.  ib-j. 


Gl  [LLAUMF-:  FIER-A-BKAS 


i3!i 


de  ce  décès,  usant  de  ses  nouvellns  prérogalivf's,  il  poiirvul  <]<i\ 
t'évêché  de  Limoges,  Audouin,  frère  de  Tévèque  dériinl  el  du 
vicomte  Guy;  c'rlait  une  récompense  de  la  fidélité  que  les  uns 
et  les  autres,  enfants  du  vicomte  Géraud,  n'avaient  cessé  de 
garder  au  comte  de  Poitou.  Audouin  fui  sacré  à  Angoulême 
par  Gombaud,  archevêque  de  Bordeaux,  assisté  des  évoques 
d'Angoulême,  de  Péripueux  et  de  Saintes,  c'est-à-dire  unique- 
ment de  prélats  appai  tenant  à  sa  province  ecclésiastique  (1).  H 
semble  que  l'on  doive  rapprocher  ce  fait  de  la  présence  d'Audi- 
gier  au  concile  provincial  de  Charroux,  l'année  précédente,  el 
reconnaître,  dans  ces  cas  simultanés,  une  propension  bien  avérée 
vers  la  séparation  de  l'évéclié  de  Limof,'es  de  sa  métropole,  qui 
était  Bourges,  pour  le  rattacher  à  celle  de  Bordeaux, la  véritable 
capitale  religieuse  des  étals  du  duc  d'Aquitaine, 

Le  nouvel  isolement  de  Fier-h-Bras  parait  avoir  duré  deux 
années  et  il  dul  trouver  bien  lourd  le  fardeau  de  l'administration 
de  ses  étals  dont  il  avait  compté  se  décharpier  sur  son  (ils  (2). 
Aussi,  à  un  moment  donné,  ses  sentiments  se  trouvant  d'accord 
avec  les  suggestions  instantes  auxquelles  il  était  en  butte,  il  fut 
pris  par  des  idées  de  retraite.  Comme,  malgré  toutes  les  preuves 
de  bonne  volonté  qu'il  avait  données  à  sa  femme,  celle-ci  ne  lui 
avait  pas  pardonné  le  passé  et  que  sur  certains  points  elle  n'avait 
pas  transigé  et  avait  continué  de  lui  rester  étrangère,  il  sentil 
qu'une  reprise  de  la  vie  commune  était  impossible.  Malade,  il  ne 
songea  qu'au  repos,  et  celui-ci  il  ne  pouvait  le  trouver  sûrement 
que  dans  un  cloître.  Il  se  retira  donc  à  Sainl-Cyprien,  d'où  avail 
dû  partir  l'inspiration  à  laquelle  il  obéissait  et,  y  prenant  l'IinbJI 
monacal  (3),  laissa  la  place  à  son  fils.  Emma  s'installa  prés  du 


(i)  Chron.  iTAdémarf  p.  157. 

(2)  Il  ne  OOU9  parait  pas  hors  de  propos  de  Taîre  remarquer  en  cet  endroit  en  quoi 
notre  récit  diffère  de  celui  de  Pierre  de  Maillezats.  Selon  lui.  un  rapprochement 
serait  intervenu  entre  les  deux  époux  après  une  sép.iration  de  deux  ans,  puix  serait 
survenue  une  aouvetle  brouille,  qui  aurait  duré  cinq  ans,  à  la  suite  de  quoi  Ficr-à- 
Bris  aurait  rappelé  sa  femme  et  sou  fils  et  leur  aurait  abandonné  le  pouvoir.  De 
notre  côté»  en  nous  appuyant  sur  les  textes  authentiques,  nous  croyons  pouvoir  dire 
que  la  première  séparation  entre  les  deux  époux  aurait  été  la  plus  longue  et  aurait 
duré  dix  ans  et  non  cinq  aus,et,  d'autre  part,  que  la  plus  courte  aurait  été  de  deux  ans, 
comme  l'a  écrit  l'anoaliste  qui  aurait  simplement  ialerverli  Tordre  des  faits  au  sujet 
des  rapporta  d'Emma  et  de  sou  mari . 

(3)  Labbe,  Nopa  ùtfit.  rnan..  Il,  p.  227,  Pierre  de  Maillczais, 


i36 


LES  COMTES  DE  POITOIT 


jeune  comte,  prêle  h  le  seconder  dans  les  fliJlîculli'îs  qui  ne  pou- 
vaient manquer  de  surgir  lors  de  celle  niodificalion  dans  Texer- 
cice  du  pouvoir. 

Le  séjour  de  Fier-à-Bras  à  Saint-Cyprien  fut  de  courte  durée, 
soit  qu'il  n'ail  pu  s'entendre  avec  le  nouvel  abbé,  Girau,  soil,  et 
ceci  est  plus  probable,  qu'il  ait  trouvé  que  sa  femme  et  lui  étaient 
trop    près  l'un  de  l'autre  ;  il  se  chercha  donc  une  aulre  rési- 
dence el  c'est  sur  Sainl-Maixent  qu'il  s'arrêta,  l'abbé  de  ce  mo- 
nastère,  Uernard,  dont  on  constate   fréqueraraont  la  présence 
dans  les  conseils  du  comte,  n'ayanl  sans  doute  pas  été  étranger  à 
ce  choix.  Mais,  pour  recevoir  dans  l'abbaye  l'accueil  qu'il  désirait, 
il  lui  fallait  bien  disposer-  les  moines  en  sa  faveur  et  par  suite  leur 
faire  des  lar^'esses.  C'est  ce  qu'il  fil  dans  une  grande  assemblée 
qui  se  tint  à  Sainl-Hilaire  au  mois  de  décembre  0D2.  On  y  remar- 
quait, outre  Guillaumej  sa  femme  el  son  fils,  Gilbert,  évêque  de 
Poitiers,  el  Audouin,  évoque  de  Limoges,  Audeberl,  comte  de  la 
Marche,  les  vicomtes  Egfroi,  Chcllon  el  Aimeri  el  de  nombreux 
personnages  lanl  de  l'entourage  du  comte  que  du  clergé.  En  leur 
présence,    Guillaume    vendit  d'abord  aux   religieux  de  Sainl- 
Maixent  l'important  bénéfice  qu'avaient  successivement  possédé, 
aux  environs  de   Fontenay,   Foulques  du   Mans   et  le   médecin 
Madeime,  puis  il  ajouta  à  cette  cession,  qui  n'était  aulre  qu'une 
donation  déguisée,  mais  à  laquelle  on  donnait  ce  caraclère  afin 
d'éviter  à  l'avenir  toute  revendication,  l'abandon  des  églises  de 
Saint-Martin  de  Fraigneau   et   de   Saint-Élienne   de    Brillouel, 
bénéfices  qui  étaient  conligus  au  lerritoire  qui  faisait  l'objel  de 
la  vente  el  enfin  la  villa  d*Arty  (1). 

De  ce  jour,  c'est-à-dire  du  commencemenl  de  l'année  993, 
Guillaume  le  Jeune  commença  à  régner  sur  le  Poitou  (2},  tandis 
que  Fier-à-Bras  restait  confiné  dans  le  monastère  de  Sainl-Mai- 
xent,  d'où  il  sortait  parfois  pour  comparaître  dans  quelque  acle 
où  sa  présence  était  requise  afin  de  lui  donner  plus  de  garantie; 
c'est  ainsi  qu'en  aoùl  99i  il  réunit  à  l'abbaye  de  Saint-Florent 


(i)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint~Maixent,l,  p.  77. 

(ai  Ûd  ne  saiirail  affirmer  que  Fier-îl-Uras,  lors  de  sa  retraite,  renouça  à  loutcs  aeii 
préroçiitivea  «iucales,  l'acte  de  f}vp,  dont  il  va  être  parlé,  lui  dounanl  cxpi-essérneot 
le  tiire  de  duc,  taudis  qu'Hiiuna  pjclc  sitnpleaieul  celai  de  comtesse. 


GITTIX-\UMK  FIF.R-A-BRAS  |S^ 

deSaurour.  la  celle  ou  pelil  cotivenl  «Je  Saiiil-tMichcl  en  FHorm, 
qu'il  avail  anlérieuremenl  donné  en  bénéfice  à  Aimeri,  vicomte  do 
ThouarSjCt  que  ce  dernier  consentail  à  abandonner  à  Robert,  abbé 
de  Sainl-Florcnt,  à  la  charge  d'y  envoyer  des  religieux  pour  l'ha- 
biter; le  ressentiment  du  comle  à  l'égard  de  sa  femme  éclate 
encore  dans  cet  acte,  car  il  ne  demande  de  prières  aux  religieux 
que  pour  son  père  et  sa  mère,  pour  lui-même  et  son  fils,  pour  le 
vicomte  Aimeri  et  safemmeElvis,  et,  de  plus,  il  ne  fait  confirmer 
l'acte  que  par  son  filsel  par  ses  fidèles  (l).  Enfin,  au  mois  de  mai 
995,  il  se  hoiivail  à  Poilii'rs,  où  il  fut  témoin  en  même  temps  que 
son  fils  Guillaume, Tévèque  de  Poitiers,  les  Irois  vicomtes  d'Aunay, 
de  Thouars  et  de  Chàk Hérault  et  même  Emma,  à  la  donation 
qu'un  nommé  Achard  fil  de  quelques  salines  à  l'abbaye  de  Sainl- 
l'yprien  (2).  L'acte  qui  a  conservé  trace  de  ce  fait  semble  en 
même  lemps  porter  un  nouveau  témoignage  de  l'aversion  que  la 
comlesse  professait  pour  son  mari,  car  son  nom,  au  lieu  de  se 
trouver,  comme  il  est  d'usage,  en  tôle  des  signatures,  a  été  ins- 
crit le  dernier  et  comme  par  surcroît.  Toujours  malade  de  l'aban- 

(i)  Gallia  c/irisL,  I!,  inslr.,  col.  4'o;  Marchegay,  Car/,  du  BaS'Pitihnt,  p.  35i. 

(a)  Cart.  de  Saint-Ojpi'ien,  p.  3t5.  Ccl  acte  scnihte  devoir  (inncher  la  qiicslion, 
restée  toujours  indécise,  de  rrpo<{iie  où  l'on  doit  placer  la  murt  de  Fier-à-Bras.  Sa 
date  (mai  de  ta  buitiètnc  anuéc  du  l'èguc  du  roi  lAoLcrl)  currc^{)aad,  suivant  la  nié- 
tiiode  de  coniput  ordiiiairi",  à  l'aDuôc  <.>!,>.'>,  c'esl-A-dire  qu'elle  csl  [lustiVricure  de  deux 
uutlc:ià  celle  «fue  l'on  allribue  ordiiialrcnicnt  uu  décès  du  Conile  de  Poitou,  llesïly,  qui 
a  clé  universellement  suivi,  la  tixc  au  'i  février  iji^S  ;  il  se  l'oiidait  sur  un  texte  Je 
Raoul  Glaber  portant  que  le  comte  décéda  en  <)i)3  {liuonl  (llnher,  éd,  F^rnu,  p.  ^i/, 
et  (|ui  était  corroboré  par  le  passade  de  la  chronique  de  i'icrre  de  Mailteziiis  où 
il  est  dit  (Labbc>  .\<>ua  bibl.  tnan,,  II,  p.  2^57)  que  Guillaume  le  Cirand  mourut  en 
io3o  après  trente-sept  ans  de  rèijfrie,  ce  qui  ic()orte  nalHrflleuierit  son  jnêneuveot  à 
l'unnce  «jrjî.  Or  la  charte  de  Saint-t'yprieo,  dt»nl  l'ori^înal  existe  aux  Archives  de  la 
V'icnue  (Saial-CyprJeo  uo  ti>  et  qui  est  d'une  aullicnticilù  indiscutable,  nous  apprend 
que  Cniillaunie  existait  au  mois  de  mai  (jigri  ;  de  plus,  d'après  ta  chronique  de  Pierre 
de  Maillezais,  Fïcr-à-fJraa  vivait  encore  lors  des  enlrcprises  du  comte  de  la  Marche 
sur  Poitiers;  or  connue  ces  faits  ne  se  soûl  ])assés  tpi'aprcs  In  mort  d'Eudes  de  lilois, 
advenue  en  gyS,  il  eu  résulte  que  celle  du  comte  de  Poitou  est  forcément  postérieure 
à  cette  date.  Ou  comprend  l'crreiu-  de  Kuoul  Gluber  qui,  ijçnorunt  que  le  comle 
de  Poitou  aurait  vécu  [«eudanl  quelques  années  enseveli  dons  un  cloilre,  crut  it  sa 
mort  lorsqu'il  lui  c-onnulun  successeur  et  ou  s'explique  Texacliludc  de  l'iudicaltutï  du 
chroniqueur  de  Maille/ais  du  moment  qu'elle  peut  se  rapporter  à  l'abdication  de  Fier- 
à  Liras  et  non  à  son  décès.  Nous  no  saurions  dire  quel  est  le  lexle  sur  lequel  Besly 
s'est  appuyé  {Hist.  des  comtes,  p.  4ll)  pour  fixer  au  3  février  le  jour  de  la  mort  du 
comte  de  Poitou,  mais  cette  indication  est  inexacte,  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  que 
le  livre  des  anniversaires  de  l'abbaye  de  Saint-Maixent,  consacré  aux  mois  de  février, 
mars  el  avril,  ne  porte  aucune  mculioa  à  ctUe  date  du  3  février  cl  qu'il  ne  si^uule 
d'autre  décès  de  comte  do  Poitou  que  celui  do  Tète  d'Eloupe,  adveuu  le  3  avril 
A.  Richard,  Chartes  de  Satat-MuiJce.tl,  II,  p.  3iO). 


■  38 


LES  COMTES  DE  POITOU 


don  dans  laquelle  laissait  sa  ^mmr  (I),  le  comie  finit  par  suc- 
comber à  la  fin  de  Tannée  99b  ou  dans  le  courant  de  l'anncSe  990 
et  mourut  dans  l'abbaye  deSainl-Maixenl,  où  le  lendemain  de  son 
décès  son  corps  titl  mis  en  sépulture  dans  le  latéral  fjauche  do 
l'église  (2). 

FicT-à-Bras  élail-il  lettré?  Nous  ne  saurions  ralïirmer  à  défaut 
de  loute  indication  précise  à  ce  sujet  ;  il  n'est  même  pas  sûr  qu'il 
sût  écrire, car  on  ne  peut  lui  attribuer  aucune  des  signalures  que 
l'on  renconlre  dans  les  nombreux  actes  où  il  apparaît  soit  comme 
auteur  principal,  soit  en  qualité  de  témoin,  ïl  y  a  lieu  cependant 
de  signaler  certains  signes  caractéristiques,  tous  autographes,  qui 
accompagnent  sa  signature  sur  certaines  piî*ces  et  qui  lémoignenl 
d'im  goûl  pour  le  dessin  ou  à  loul  le  moins  pour  l'écriture  qui  se 
rencontre  rarement  cliez  les  contemporains  du  comte,  lesquels 
laissaient  généralementaux  scribes  officiels  le  soin  d'inscrire  leur 
nom  au  bas  des  actes.  Celui  du  comte  de  Poitou  se  présente,  à 
diverses  époques,  précédé  de  signes  qui  afTeclent  quatre  formes 
différentes  :  en  970,  c'est  une  rose  à  huit  pétales  s'étalanl  autour 
d'un  point  central;  en  974  et  975,  c^est  une  croix»  soit  simple,  soit 
redoublée,  placée  dans  une  rose  formée  de  quatre  demi-cercles 
alternant  avec  quatre  pointes;  en  985,  les  huit  bras  de  la  croix 
redoublée  se  terminent  par  des  points,  chacun  d'eux  étant  sur- 
monté d'un  demi-cercle;  enfin,  en  991,  c'est  unu'  croix  simple 
dont  les  quatre  extrémités  sont  barrées  et  entre  chacun  des  qua- 
tre bras  se  trouve  un  signe  en  forme  de  fiamme  (3). 

De  tous  les  enfants,  tant  fils  que  filles,  dont  Fier-à-Bras  a  parlé 
dans  une  charte  de  l'abbaye  de  Sainl-Jean-d'Angély,  toutefois 
sans  désignation  expresse,  on  n'en  connaît  que  deux,  l'aîné  appelé 
comme  lui  (îuillaume,  qui  lui  succéda,  et  un  second  fils,  désigné 
sous  le  nom  d'Eble,  qui  n'apparaît  qu^une  fois  dans  un  acte  du 
temps  du  roi  Hoberl  (4). 


(i)  o  Ob  facious  amÎBsa:  uxoris.  » 

(a)  Labbe,  NovabibL  man.,  II,  p,  327,  Pierre  de  Maillezais;  Chron.  (TAdémar, 
p.  «■^»0. 

(3)  Arch.  d«  la  Vieime,  où^.,  Sainl-Hilairc,  n"»  ii,  33,  37,  /|i.  Un  de  ces  signes 
se  remarque  d<>vuDl  Ih  siKD.iliire  du  Iréaorier  Savari  dans  une  charte  de  SainuHiJaire 
(Arch.  de  lu  \'ienDe,  orig. ,  n*^  4'î).  '!"'  *e  place  entre  988  cl  996. 

(/l^lesly,  Hisl,  des  comtes,  preuves,  p.  2O4;   Carl.  de  Sainl-Jean-d'Ancjélyy 
p.  a3a;  €arL  de  Sainl-Cyprien,  p.  a56. 


TLLAUME  LE  GRAND 


r39 


X.  —  GUILLAUME  LE  GRAND 

III"  Comte  —  V*;  Duc 

Le  fils  de  Guillaume  Fior-ci-Bras  a  reçu  de  la  poslérili'j  le  sur- 
nom de  Grand  (1 1.  Ce  n'est  pas  à  des  vicinires  si;^nal«''e8,  à  des 
conquêtes  qu'il  est  redevable  de  celle  brillante  qualificalion,  il  la 
doit  à  ses  niérites  d'homme  privé  et  public,  à  ses  qualités  d'ad- 
minislraleur  et  d'homme  politique,  au  rôle  important  que  sa 
sagesse  et  sa  modéi-ation  lui  onl  fait  jouer  au  milieu  d'une  société 
extrêmement  troublée,  où  la  salisfaclion  immédiate  et  irréHérliie 
des  appélils  de  chacun  tenait  trop  souvent  lieu  de  règle  de  con- 
duite. 

Bien  que  nous  fassions  partir  de  l'année  993  la  domination  de 
Guillaume  le  Grand  sur  le  F'oitou,  il  est  possible  qu'il  n'ait  été 
considéré  par  son  père  que  comme  pourvu  d'une  délégation  spé- 
ciale et  qu'il  ne  fi'il  en  quebjue  sorte  que  son  lieul<'nant-t,'énérul, 
le  régent  du  comté  pendant  la  retraite  volontaire  de  Fii;r-à-Bras 
à  Sainl-Maixcnt  ;  le  seul  document  à  date  ccriaine,  racle  de  mai 
995  (2),  où  on  les  rencontre  ensemble,  tendrait  à  faire  croire 
que  telle  pourrait  avoir  été  la  situation;  en  outre,  In  distinction 
absolument  anormale  que  font  les  rédacteurs  des  chartes  entre 
le  père  et  le  fiis,  en  donnant  à  Fier-fi-Bras  la  qualification  de 
vieux,  senior,  témoignent  que  le  Poitou  avait  alors  à  sa  tôle  deux 
personnes  portant  ce  même  nom  de  Guillaume,  le  jeune  et  le 
vieux  (3).  En  réalité,  c'est  Guillaume  le  jeune  qui  gouvernait  et 
c'est  à  lui  que  doivent  élre  attribués  les  actes  qui  correspondent 


(i)  Desly,  dans  son  Histoire  des  comtes,  p.  5i,  donne  à  Guillaume  III  le  surnom 
de  Fier-à-Bras,  mais  cette  erreur  est  corrigé*  dans  son  tableau  chronolopiiiue  dea 
comtes,  où  il  est  appelé  à  juste  litre  Guillaume  le  Grand.  Cette  qualification  ressort 
de»  termes  mêmes  du  portrait  qu'Adémara  tracé  de  ce  comte  (p.  iWj,  où  il  le  qualifie 
de  très  t^loricux  et  très  puissant,  gloriosissimut  et  poientistimut, 

(a)  Voy.  plus  baut,  page  iSy. 

(3)  Gall.  Christ. f  II,  iost.,  col.  4ii. 


i4o 


LES  COMTES  DE  POITitU 


h  l'i^poqijo  rlf  sa  prise  do  possession  du  pouvoir.  Il  n'ôlait  du  rpsle 
pas  seul  à  l'exercer,  sa  mère  Emma,  femme  de  161e  el  d'énergie 
comme  il  s'en  est  beaucoup  rencontré  h  cette  époque,  le  secon- 
dait, el  mellait  à  sa  disposition  la  connaissance  des  affaires  qu'elle 
avait  acquise  pendant  son  long;  séjour  à  Chinon. 

Bien  qu'elle  eût,  tant  avec  ses  propres  ressources  que  grâce 
aux  générosités  de  son  mari,  largement  doté  son  monastère  de 
Bourgueii,  elle  ne  se  tenait  pas  pour  satisfaite;  conmie  son  do- 
maine de  Cliinon  devait  après  sa  mort  faire  retour  à  la  Touraine, 
elle  pouvait  craindre  que  les  possesseurs  de  ce  comté,  arguant  du 
dôfaiil  d'autorisalion  de  leur  part,  ne  voulussent  reprendre  les 
biens  détachés  du  bénéfice  comlal  qui  constituaient  la  dotation 
principale  du  monastère.  Klle  se  tourna  donc  vers  son  frère,  el, 
accompagnée  de  son  cousin  Josberl,  Tabbé  de  Sainl-Julien  de 
Tours,  elle  se  rendit,  le  12  février  99o,  auprès  d'Kudes.  qui  assié- 
geait alors  le  cbàleau  de  Langeais,  possession  du  comte  d'Anjou. 
Le  puissant  frère  de  la  comtesse  de  Poitou  accueillit  favorable- 
ment leur  demande  et  déclara,  par  un  acte  solennel  dans  lequel 
comparurent  les  comtes  el  principaux  personnages  de  son  armée» 
reconnaître  la  validité  de  la  fondation  de  l'abbaye  de  lîourgueil 
etdesdonations  qui  avaieul  été  faites  aux  religieuxqui  habitaienl 
le  monastère  (I).  Mais  Emma  ne  s'en  tint  pas  là;  Eudes  étant 
nnu'l  peu  après  (2),  elle  s'adressa  à  sa  belle-sœur  IJertlie  pour 
que  celle-ci,  en  qualité  de  douairière  et  au  nom  de  ses  enfants 
mineurs,  obtint  des  rois  de  France  la  confirmation  de  l'acte  du 
comie  de  Touraine.  L'abbé  Josbert  servit  encore  d'intermédiaire 
dans  la  circonstance,  et  il  obtint  sans  peine  le  diplôme  solli- 
cité qui  fut  délivré  à  Paris  dans  le  palais  des  rois,  par  les  soins 
du  chancelier  Roger,  après  le  4  juillet  995  (3);  puis  ce  fut  au  tour 
de  Rerllie  elle-même  qui,  sur  la  demande  précise  d'Emma, 
inquiète  de  donnera  son  œuvre  toutes  les  garanties  possibles, 
reconnut  l'année  suivante,  se  trouvant  à  Blois  avec  ses  fils,  l'a- 


{i}  Cari,  de  Bourpueil,  p.  2r  ;  Besly,  //isl.  des  comtes,  preuves,  p.  288.  Cet 
hislnrien  critique  à  ton  la  date  de  99L1  consigoée  dans  cet  acte  qui  est  exacie. 

(2)  Eiilre  te  12  lévrier  et  le  4  juillet  rj<j5  i^Pfisler,  Etniies  sur  ie  rè'jnt  de  Robert^ 
p.  48,  noie  a). 

(;j)  IJcsIy,  Ifisl.  des  comtes,  preuves,  p.  277;  Cart.  de  Hourgueil,  p.  2/1  ;  Arch, 
d'Indrc-el-Loire,  oritf.,  "•  ^h- 


GUILLAUME  LE  GRAND 


t4t 


handon  que  son  mari  avait  fail  du  domaine  do  Bourgueil  pour  éta> 
1*1  il-  un  monaslèrc  (1). 

La  mort  d'Kudes  s'était  produite  dans  des  circonstances  assez 
pénibles.  Depuis  plusieurs  années,  il  était  en  lutte  avec  son  voisin 
Foulques  Ncrra,qui  avait  succédé  à  Grisegonelte  dans  le  comté 
d'Anjou;  leurs  domaines  étaient  absolument  enchevêtrés,  et  tan- 
dis que  Foulques  possédait  en  Touraine  d'importants  territoires, 
entre  autres  Loches,  Eudes  dominait  à  Sauraur  par  un  de  ses 
vassaux.  Le  comte  d'Anjou,  qui  est  resté  le  type  le  plus  accentué 
de  ces  féroces  batailleurs  du  haut  moyen-àge,  avait  pour  objec- 
tif de  souder  l'une  à  l'autre  ses  possessions  el,  pour  ce  faire,  il 
profilait  des  tUnicultés  que  l'auibition  suscitait  à  Eudes;  celui-ci, 
après  avoir  eflicacement  soutenu  les  rois  Capétiens,  se  les  était 
aliénés  en  embrassant  le  parti  de  l'empereur  (Itlon  lll,  tellement 
que,  dans  la  dernière  cauipngne,  Hugues  Capet  s'était  avancé  en 
armes  jusqu'à  la  Loire,  pour  favoriser  les  prétentions  du  comte 
d'Anjou.  Il  ne  s'était  retiré  que  sur  les  instantes  protestations  de 
fidélité  du  comte  de  Touraine,  dont  la  situation  restait  toujours 
très  précaire  (2). 

Elle  le  fut  bien  plus  après  sa  mort,  advenue  presque  subite- 
ment à  Châteaudun;  profilant  du  désarroi  dans  lequel  se  trouvait 
la  comtesse  Berthe,  restée  veuve  avec  deux  jeunes  garçons. 
Foulques  résolut  de  frapper  un  grand  coup.  Toutefois,  craignant 
de  ne  pouvoir  avec  ses  seules  forces  triompher  des  obstacles  qu'il 
prévoyait,  il  s'adressa  à  un  turbulent  seigneur,  Audebert,  comte 
du  Périgord  et  d'une  partie  de  la  Marche.  Ce  personnage  était 
fils  de  Boson  le  Vieux,  comte  de  la  .Marche;  il  avait  été  fait  pri- 
sonnier avec  son  frère  llèlie  à  la  suite  de  rallenlat  de  ce  dernier 
contre  l'évéque  Benoll,  Bemis  en  liberté  après  son  mariage  avec 
la  fille  de  (iéraud^  vicomte  de  Limoges,  son  geôlier,  il  avait  sans 
doute,  grâce  à  l'influence  que  ce  dernier  possédait  auprès  du  duc 
d'Aquitaine,  olilenu  de  celui-ci  le  don  du  comté  de  Périgord, 
resté  sans  maître  depuis  la  mort  d'Ilélie.  En  cette  qualité, 
il  lit  plusieurs  fois   le  service  de  plaid    auprès   de   Fier-à-Bras 


(i)  CNr(.  lie  Bourtnic)'.  P-  33. 

(a)  Hicbcr,  Histoire,  I.  IV,  S  9^  "  v4> 


i4a 


LES  COMTES  DE  POITOU' 


particulièremenl  en  9î>i  (1).  Mais  il  6tatt  pourvu  d'une  ambition 
extrême  et  celle-ci  était  aiguillonnée  par  une  visée  toute  [>arti- 
ciilière.  Après  la  mort  de  la  fille  du  comte  de  Limoges,  il  s'était 
remarié  avec  Aumode,  Adaimod'ts^  fille  d'Adélaïde,  comtesse  de 
Provence;  cette  jeune  princesse  qui,  selon  les  dires  d'un  chroni- 
queur, s'occupait  d'œuvres  de  magie»  avait  prédit  qu'elle  serait 
un  jour  comtesse  de  Poitiers;  or,  Audeberl,  qui  ne  pensait  pas 
que  sa  femme  put  occuper  cette  situation  autrement  que  si  lui- 
même  était  pourvu  de  celle  de  comte,  était  décidé  à  saisir  avec 
empressement  toute  occasion  pouvant  amener  la  réalisation  de 
ses  rêves  qui  se  présenterait  à  lui  (2).  11  prôta  donc  facilement 
l'oreille  aux  avances  du  comte  d'Anjou  dont  il  était  du  reste 
le  cousin-germain  par  alliance,  Adélaïde,  ta  mère  d'Aumode, 
étant  sœur  de  GeolTroi  Grisegonellc,  père  de  Foulques.  Il  ras- 
sembla donc  une  troupe  considérable  et,  sans  se  préoccuper  de 
son  suzerain,  le  comte  de  Poitou,  dont  il  devait  traverser  le  terri- 
toire pour  rejoindre  le  comte  d'Anjou,  il  se  dirigea  vers  la  Tou- 
raine.  Assurément,  dans  sa  marche,  il  aurait  pu  éviter  Poitiers, 
mais  les  mobiles  secrels  qui  dirigeaient  ses  actes  le  poussèrent 
à  tenter  une  entreprise  qui,  si  elle  eût  réussi,  aurait  pu  ouvrir  à 
son  ambition  les  horizons  les  plus  étendus.  Arrivé  à  deux  milles 
de  la  capitale  du  Poitou,  il  s'arrêta  pour  attendre  les  contingenls 
que  lui  amenait  un  de  ses  vassaux,  Hugues  de  Gargilesse.  Les 
habitants  de  Poitiers,  peu  rassurés  sur  ses  intentions  et  dédai- 
gnant d'attendre  les  secours  qui  devaient  leur  être  fournis, 
attaquèrent  son  camp  à  l'improviste,  mais  ils  furent  repoussés 
avec  perte  d'un  grand  nombre  d'entre  eux;  de  son  côté,  Audeberl 
fil  de  nuit  une  lentativepour  s'emparer  delà  ville,  maisil  ne  réussit 
pas  (3).  Il  sentit  que  ses  projets  étaient  éventés  et  il  ne  lui  res- 


(<)  Voy.  plus  haut,  page  i3a.  La  BiluatioQ  du  comte  de  la  Marchf  par  rapport  au 
comte  de  Poitou  est  nettement  caractérisée  par  Pierre  de  Maillezais,  qui  dit  expres- 
sément que  c'est  grâce  au  doa  et  aux  secours  eu  arg^eut  et  en  hommes  de  ce 
dernier  prince  qu'il  avait  été  pourvu  de  soa  comté  :  «  Cujus  dono,  ope  cl  auxilio  ad 
comilalum  provectus  erat  »  {Labbe,  Nova  fnbl.  mon,,  II,  p.  217).  Toutefois,  nous 
devons  faire  remarquer  que,  dans  ce  texte, il  est  qtieslioa  de  Boson,  qui,  comme  nous 
ie  diflODS  plus  loin,  a  été  coofoodu  par  le  moine  de  iMaillezaiii  avec  sou  frère  Audeberl. 

(a)  Labbe,  A'ot'a  bibt.  man..  Il,  p,  238,  Pierre  de  Mailleiais. 

flî)  Chron.  (T Adémar,  p.  j56;  De  Certain,  ,\firacles  de  saint  Benott,  p,  if^'j', 
Labbe,  Nova  hibi.  man.,  Il,  p.  ua8,  Pierre  de  Maillezais. 


GUILLAUME  LE  GRAND 


•43 


tail  qu'à  poursuivre  sa  roule,  ce  qu'il  fil.  Sans  attendre  Foulques, 
qui  devail  aussi  venir  le  rejoindre  sous  les  murs  de  Poitiers,  il 
pénétra  en  Touraine  et  s'empara  de  Tours  par  surprise.  La  veuve 
d'Eudes,  la  comtesse  Berllie,  ne  se  trouvait  pas  dans  cette  ville  ; 
peut-être  élail-elle  déjà  à  Paris,  car  ce  moment  concorde 
avec  celui  où  elle  se  mit,  elle  et  ses  fils  Thibaud  et  Eudes,  sous 
la  protection  spéciale  de  Robert,  le  fils  du  roi  de  France  ;  tou- 
jours est-il  qu'Hugues  Capet,  prenant  fait  et  cause  pour  les  jeunes 
comtes  de  Touraine.  intima  au  comte  de  Péri^ord  l'ordre  d'avoir 
à  cesser  ses  entreprises  sur  leurs  domaines  ;  c'est  à  cette  occa- 
sion qu'il  lui  fit  poser  cette  question  célèbre:  «Qui  l'a  fait  comte?  » 
à  quoi  Audeberl  répondit  hardiment  :  «  Qui  l'a  fait  roi?  u  (t). 

Toutefois,  le  roi  de  France,  occupé  par  ailleurs,  ne  prit  pas 
dès  ce  moment  l'olTensive  contre  le  comte  de  Périgord  qui,  après 
avoir  remis  sa  conquête  entre  les  mains  du  comte  d'Anjou,  re> 
tourna  dans  ses  états,  mais  le  fruit  de  sa  victoire  ne  tarda  pas  à 
être  perdu,  car  Foul<{ues  n'ayant  pas  tardé,  par  ses  actes  de 
violence,  à  indisposer  les  habitants  de  Tours,  ceux-ci,  sous  la 
direction  de  leur  vicomte,  surent,  par  une  ruse  habile,  se  débar- 
rasser des  Angevins  et  remirent  leur  ville  entre  les  mai  ns  de  Berthe 
et  de  son  fils  Eudes  (2). 

Sur  ces  entrefaites,  Fier-à-Bras  vint  à  mourir.  Aussitôt  après 
ses  obsèques^  son  fils  convoqua  à  Poitiers  les  hommes  nobles  et 
puissants  du  comté  afin  d'aviser  aux  moyens  de  tirer  vengeance 
de  l'affront  que  les  vassaux  du  duc  défunt  lui  avaient  fait  su- 
bir, et  de  ramener  la  concorde  parmi  les  éléments  divisés  du 
pays  ;  l'assemblée  se  montra  favorable  aux  idées  exprimées 
par  le  nouveau  comte  et  affirma  par  serment  sa  fidélité  envers 
lui  (3).  Désormais  rassuré  surlasolidité  de  son  pouvoir,  Guillaume 
n'hésita  pas  à  engager  la  lutte  contre  les  comtes  de  la  Marche  ; 
Audebert  n'était  pas,  en  effet,  son  seul  adversaire.  Si  celui-ci, 


(i)  Chron.  d'Adémar,  p.  i56.  M.  Pfister  {Eludes  sar  le  règne  de  fiobert,  p.  a85, 
aole  4)  révo({ue  en  doute  la  phrase  célèbre  que  l'interpolateur  dWdëmnr  a  cuasii^èe 
en  cpl  endroic.  Rico  n'autorise  à  faire  celle  supposition;  les  propos  prèles  au  cc»nite 
aussi  bien  qu'au  roi  étaient  absolument  dnns  l'esprit  du  temps  et  ce  que  l'on  connaît 
du  caractère  d'Audcbert  rend  cette  arrogance  de  sa  pari  parroitement  adiuissible. 

(a)  Chron.  d'Adémar,  p.  i56;  Salmoo,  Chrnn.  de  Toaraine,  p.  ai6. 

(3)  Labbe,  Nova  bibl.  mon.,  II,  p.  227,  Pierre  de  Maillezais. 


i44 


LES  COMTES  DE  POITOU 


oublianl  qu'il  ne  possédait  son  comté  de  Périgord.que grâce  au  don 
el  à  Tassislance  mililaire  du  comte  de  Poitou,  avait  levé  publi- 
quement i'élendard  de  la  révolte  et  dévoilé  par  là  ses  visées 
ambitieuses,  Boson,  son  frère,  qui  possédai!  l'autre  parlie  de  la 
Marche,  avait  par  de  sourdes  menées  cherché  à  détacher  du  comte 
ses  principaux  vassaux  et  prêtait  à  Aiideberl  nn  vigoureux  appui. 
Ce  dernier  s'était  tout  d'abord  emparé  du  château  de  fiençais, 
un  des  importants  domaines  du  comte  de  Poitou,  la  citadelle 
avec  taquelle  il  menaçait  Charroux,  la  capitale  do  la  Marche, 
située  seulement  à  six  lieues  de  distance  et  qu'il  avait  démantelé. 
Guillaume  commença  sa  campagnepar  remettre  la  main  sur  Gen- 
cais  et,  après  l'avoir  de  nouveau  forlifié,  il  y  plaça  une  forte  gar- 
nison. Audebert,  sentant  toute  l'importance  de  celle  place,  revint 
l'attaquer  aussitôt  que  le  comte  de  Poitou  se  fut  éloigné  et  en 
peu  de  lemps  mit  ses  défenseurs  aux  abois.  Ils  étaient  sur  le 
point  de  se  rendre  quand  une  imprudence  d'Audeberl  les  sauva  : 
un  jour  que  le  comte  de  la  iMarche,  se  considérant  déjà  comme 
matlrc  du  château,  en  faisait  le  lour  sans  être  recouvert  par  son 
armure,  une  flèche,  lancée  par  les  assiégés,  vinl  l'atteindre  el  le 
blessa  morlellemenL  Transporté  à  Charroux,  il  y  succomba  quel- 
ques jours  après  et  fut  enterré  dans  le  monastère  (1). 

Sa  femme  Aumode  t'avait  accompagné  el  se  tenait  dans  le 
château  de  Rochemeaux,  la  citadelle  de  Charroux  (2).  Le  comte 
de  Poitou,  qui  avait  élé  chercher  de  l'aide  auprès  du  comte 
d'Angouléme,  s'avançait  en  ce  moment  avec  lui  au  secours  de 
Gençais  ;  profilant  delà  circonstance  heureuse  qui  l'avait  délivré 
d*Audebert,  il  mil  aussilùt  le  siège  devanl  le  château  de  Roche- 
meaux, que  la  veuve  du  comte  de  Périgord  n'avait  encore  pu 
quitter  ;  Boson  tenta  avec  une  troupe  d'élite  de  l'aire  une  trouée 
parmi  les  assaillants,  mais  ilfutrepoussé  (3).  Rochemeaux  fut  pris 


(i)  Chron.  (TAdémar,  p.  t56. 

(2)  Le  c!iâteau-fort  tfe  Rochemeaux,  qui  fut  délruit  pcoilanl  tes  guerres  des  An- 
g^laisj  élail  situé  A  mille  métrés  switemenl  de  l'enceiule  de  Charroux. 

(3)  L'appeudicc  à  la  clironiquc  d'Adémar  (éd.  tlliavanon,  p,  aoS)  rapporte  «juc 
BfiBoti  fut  fait  prisonnier  duos  sa  tenlalive  [lonr  faire  U'vpr  le  sii'ije  de  Hnchcme-aux, 
el  emuienc  à  Poiliers;  ce  rdcil  nous  paraîi  controuvé,  ainsi  qu'il  rcssnrl  des  fait»  de 
guerre  qui  suivent  et  où  l'on  voit  Gtiillanme  contraint  de  faire  appel  au  roi  de  France 
jHxir  venir  h  lioitl  rie  son  vassal  révolté. Du  reste,  ret  appendice,  ainsi  que  l'a  njni,'is- 
lialeiucul  démontré  M,  Lcupold  L>elisle  [iVottce  sur  les  ;nanascrits  originntijc  d'Acié- 


GUILLAUME  LE  GRAND 


i45 


de  vive  force  et  Aumode  louibaenlrelesmainsdes  vainqueurs {!}. 
tîurllaume  prolégva  la  veuve  de  son  ennemi  contre  les  entreprises 
de  ses  gens  el  se  la  fil  livrer  ;  celle  dernière,  peu  soucieuse  de  con- 
server la  fidélilé  qu'elle  devait  à  la  mémoire  de  son  mari,  essaya 
de  séduire  le  jeune  comle,  mais  celui-ci  résista  à  ses  avances  et, 
la  confiant  à  des  chevaliers  dévoués,  il  la  renvoya  à  sa  mère  (2). 
Malgré  ces  événements  heureux  pour  la  cause  de  Guillaume, 
la  guerre  n'était  pas  terminée.  Boson  étail,  aussi  bien  que  son 
frère,  un  guerrier  redoulable  et  pour  le  dompter  le  comle  de 
Poitou  fil  appel  au  roi  de  France,  à  Robert  qui,  aussilôl  aprîjs 
la  mort  d'ilujïuos  Capet,  avait  épousé  r>erlhe,  la  veuve  du  comle 
Eudes,  et  par  ce  fait  se  trouvait  amené  à  prendre  une  part  di- 
recte dans  les  affaires  de  l'Aquitaine  (3).  Robert  vinl  rejoindre 
Guillaume  à  la  lôle  d'une  brillante  Iroupe  el  de  concert  ils  furent 
attaquer  DeiUic,  forleresse  que  Boson  le  Vieux,  père  d'Audeberl  et 
de  Boson  le  jeune,  avait  édifiée  dans  une  position  formidable  et 
dont  ilavail  fait  la  capitale  de  son  petit  étal  à  la  place  de  Cliurroux 
qui  élail  par  trop  exposé.  L'entreprise  des  confédérés  fut  vaine; 
Bellac,  vaillamment  défendu  par  un  guerrier  nommé  Albert  de 
Droux, résista  à  tousles  assauts  (4).  Bobert,  rappelé  en  France, dut 
se  retirer  ;  resléseul,  Guillaume,  voyant  l'inutilité  de  ses  efforts, 
jugea  plus  opportun  de  s'entendre  avec  Boson  plutôt  que  de  con- 
tinuer une  lulle  désastreuse  pour  l'un  el  pour  l'aulre  et  mil  en 
œuvre  pour  la  première  fois  cette  diplomatie^  que  certain  de  ses 
contemporains,  plus  guerrier  que  politique,  a  qualifiée  de  ruse, 
el  qui  lui  assura  par  la  suite  de  nombreux  succès.  Audebert  avait 

mar  de  Chabannes,  pp.  ga  et  ss.)  est  une  ppcmièrc  rédaclioD  d'Adémar  de  Chabao- 
ncs,  qu'il  a  corrigée  dans  les  rcmonicmcnls  poslcrieurs  de  sa  citronique.  C'est  ainsi 
quc.daus  le  luéiiic  paragraphe,  il  allribue  la  fonJalioa  du  Bourgueil  à  Adèle  de  Nor- 
mandie, dont  il  fait  la  nièrc  de  Guillaume  le  Grand, 
(i)  Chron.  d'Adémar,  p.  i65. 

(2)  Labbc,  Nova  bibl.  man.,  \\,  p.  228,  Pierre  de  Maillozais. 

(3)  Non  seulcmeDl  Robert  était,  de  par  sa  mère,  cousia  du  comle  de  Poiilcrs,  mais 
par  son  mariage  avec  la  veuve  de  l'oncle  de  ce  dernier, il  était  considéré  comme  ayant 
la  même  qualité  que  celui-ci,  ninsi  qu'il  est  constaté  par  le  passo^çc  de  Aiclier  (noies 
de  la  tin  de  son  Hisluire)  où  il  l'ait  allusion  au  8ic<;e  de  Kochcmcaux. 

('\)  Chrun.  d'Adémar,  pp.  i50  el  167.  Ucsiy,  frappé  par  le  surnom  que  portiit  le 
défenseur  de  Bellac,  .4 660  Drulun,  s'injtçcnia  à  en  découvrir  la  signification  ;  il  trouva 
qu'en  allemand,  eu  lau^ag;c  Thiuis,  comme  il  dit,  le  mot  Drul  avait  le  sens  d'ami 
fidèle  el  loyal  (//(£/.  (/cf  comtes,  [\.  (yo);  nans  cLcrchcr  aussi  loin  nous  raltacbona 
simplement  ce  nom  à  celui  d'une  localité  du  pays,  Droux,  voisine  de  Bellac,  dont 
AbboQ  étitit  ou  devint  le  possesseur. 


LKS  COMTKS  HK  l'OlTOi: 


laissé, de  son  premier  marinj^c  avcr  la  fille  (îu  comle  de  Limcj^es, 


dâ 


un  Iiis  nomme  uernaru  el  c  esl  a  ce  jeune  homme  qu  aurait 
revenir  Fun  des  comlés  de  la  Marche  eL  celui  de  Périgord  ;  mais 
Boson  6lail  ambitieux  el  nYMail  pas  ftèné  par  les  scrupules.  11  mil 
m  main  sur  les  deux  comtés,  soit  de  sa  propre  initiative,  soil  à 
la  suggestion  de  Guillaume,  et  ce  dernîerj  agissant  en  quali(6  de 
suzerain,  confirma  l'usurpation.  Au  surplus, la  paix  était  faite  à  la 
fin  de  cette  année  997, car  Ton  voit  à  cette  date  Doson  s'intituler 
seul  comte  de  la  Marche  dans  l'acte  par  lequel  il  mit  l'abbaye 
d'Abun  dans  la  dépendance  do  celle  d'Uzerche  (I),  el  faire  depuis 
ce  jour  son  service  régulier  de  plaid  auprès  du  duc  d'Aqui- 
taine (2). 

Guillaume  avait  du  reste  en  ce  momenl  des  motifs  particuliers 
pour  se  tenir  en  paix  avec  ses  voisins  ou  ses  vassaux  ;  il  songeait 
à  se  marier.   Les  charmes  de  la  comtesse  de  Périgord  avaient, 
si  peu  qu'avait  durésacaplivité,  fîiil  impression  surlcjeunc  comte 
el,  quand  il  eut  assuré  la  tranquillité  de  ses  étals,  il  lit  demander 
Aumode  en  mariage.  Celle-ci  s'élait  alors  retirée  auprès  de  sa 
mère,  la  comtesse  de  Provence, qui  n'eut  garde  de  refuser  un  si 
brillant  parti,  et  c'est  ainsi  que  l'horoscope  que  la  femme  d'Au- 
deberl  avait  tiré  pour  ellc-môme  s'accomplit  point  par  point, 
mais  avec  un  antre  mari  que  celui  qui  s'élait  cru  un  instant  des- 
tiné à  le  réaliser.  On  ne  saurait  dire  si  l'exemple  de  Hoberl,  qui 
avait  épousé  l'année  précédente  Berlhe,  la  veuve  du  comle  de 
Touraine,  la  tante  par  alliance  de  Guillaume,  iullua  sur  les  déci- 
sions de  ce  dernier,  mais  n'est-il  pas  intéressant  de  signaler  ce 
fait,  que  les  deux  [trinces  les  plus  puissants  de  la  France,  jeunes 
encore,  de  mœurs  austères,  d'une  grande  piélé,  s'allièrent  l'un 
et  l'autre  à  des  veuves  plus  âgées  qu'eux.  L'union  qu'allait  con- 
tracter  Guillaume  pouvait  avoir    des    conséquences  politiques 
importantes,  aussi  l'on  conçoit  que  la  comtesse  Emma,  qui  paraît 
avoir  conservé  toute  sa  vie  sur  son  fils  une  grande  autorité,  ail 


(j)  Gdllia  C/ifisl.,  II,  iastr  ,coI.  190.  Ccl  .iclc  cou  lient  aussi  la  preuve  qu'Aude- 
berl  clnîl  rnorl  à  celle  dote,  car,  parmi  les  uWi^^.ilions  (jue  liosou  imposa  aux  rt'lif;;icux 
d'U/.erclie  ca  écliang'e  de  la  fuveur  «ju'il  k'uraccorJail,  on  relève  celle  de  prier  pour 
Tâme  de  son  ffêre  Audd>crl,  fldi-berti  fvalris. 

(2)  Oo  retrouve  Boson  à  la  cour  du  comle  vn  ioo3  {Cari,  de  Saint-Cypricn, 
pp.  3io-3j  1). 


GUILLAUME  LK  GRAND 


1^7 


\§fii  e]lo-nii>mc  les  démarches  pour  mener  celle  enlrcprise  à 
bonne  fin.  Lorsque  lesi^ensde  ('«uillaiimo  ramenèrent  Anmode  à 
sa  mère,  celle-ci,  «[iii  passail,  comme  sn  lltle,  pour  nécronifin- 
cienne,  avail  prédil  quVn  reconnaissance  du  service  que  le  comle 
de  Poilou  venail  de  lui  rendre  elle  ferait  étendre  ses  élals  jus- 
qu'au Rhône  ;  Emma  lui  fil  rappeler  celle  promesse  en  chargeant 
ses  envoyés  de  nombreux  présents  (I],  L'accord  fut  conclu  :  Au- 
mode  devint  comtesse  de  Poilou  el  duchesse  d'Aquitaine  (2),  et, 
quelqu'incroyablc  que  la  chose  paraisse  de  prime  abord,  la 
comtesse  de  Provence  tint  sa  parole  ;  quelques  mots  sur  sa  per- 
sonne permellronl  d'éclaircir  ce  myslère. 

Adélaïde,  plus  connue  sous  le  surnom  de  lilanciic,  Candula^ 
élail  fille  de  Foulques  le  Bon,  comte  d'Anjou.  Elle  épousa  en 
premières  noces  Etienne,  coralc  de  Gévaudan,  dont  elle  eut  plu- 
sieurs fils,  enlre  autres  Pons,  qui  succéda  à  son  p^re,  et  une  fille, 
Aumode  (:}).  ir^on  mari  étant  morl^  elle  fui  recherchée  en  mariage 
par  le  jeune  Louis,  fils  du  roi  Lolhairc.  Leur  union  fut  célébrée 
au  Vieux-Iirioude  en  980  et  Adélaïde  y  fut  couronnée  reine  d'A- 
quilaîne  ;  mais  l'accord  cnlrc  les  deux  époux  fut  de  peu  de  durée, 
et,  moins  de  deux  ans  après,  Lolhairc  venait  chercher  son  fils. 
Adélaïde,  «  qui  ne  pouvait  se  résoudre  à  rester  veuve,  »  se  ren- 
dit aussitôt  auprès  de  Guillaume  d'Arles,  comte  de  Provence,  el, 
ayant  lait  rompre  plus  ou  moins  canoniquemonl  son  union  avec  le 
mari  qui  venail  do  la  quitter,  épousa  son  protecteur  (i).  Il  esl 
probable  que,  lors  du  mariage  d'Aumodc  avec  Audebert  de  la 
Marche,  la  jeune  comtesse  ne  reçut  en  dut  que  de  riches  vêle- 
ments el  des  bijoux,  selon  l'usage  général  du  temps,  mais  son 
union  avec  (juillaume  avait  un  caractère  politique  qui  comporlaît 
d'autres  erremctils  ;  Emma  ne  se  serait  pas  contentée  de  donner 


(i)  Lalibe,  Nova  bihl.  mun.,  If,  p.  228,  Pierre  Je  Maillezais. 

(a)  Chron.  iTAdérnar,  p.  i5G.  L'union  d'AunioJc  el  de  Guillaume  fut  sans  doule 
coulractéc  à  la  fin  do  l'aonéc  ggy  ou  au  commencement  de  998.  Le  duc  n'était  pas 
encore  marié  au  mois  d'octobre  997,  car  on  le  trouve  srs^nanl  seul  à  cette  date  uue 
cborlc  de  Saint*IIiIaire  de  Poitiers  (Rédct,  Doc.  pour  Saint-Hilnire,  I,  p.  70). 

[31  Pierre  de  Maillezais  est  le  seul  bistoricn  ancien  qui  dise  qu'Aiimode  est  la  Hlle 
de  Candida  (Labbc,  Xooa  bibl.  man.,  11,  p.  228),  mais  il  n'y  a  pas  lieu  de  douter  que 
celte  princesse  ne  soit  la  même  personne  qu'Adélaïde,  la  femme  d'iviienne  Je  Gévau- 
dan, qui,  selon  l'usage  du  temps,  était  connue  aussi  bien  par  son  nom  que  par  son 
sarooni . 

14)  Richcr,  //(■«/.,  I.  Ilf,  95. 


i48 


LES  COMTES  DE  POITOU 


une  fcmmo  k  son  fils,  cUp  voulait  accroître  sa  siluation.  C'osl  le 
même  raolif  qui  avait,  dans  le  temps  poussé  Lotliairc  à  faire  con- 
tracter le  mariage  de  son  fils  Louis  avec  AdtHaïdc,  malgré  la  dif- 
férence d'humeur  cl  de  goûts  entre  lesdcux  époux.  11  n'avait  eu  en 
vue  que  de  rattacher  à  la  couronne  les  importantes  possessions 
du  comte  de  Gôvaudan  qui  lui  ouvraient  une  porte  sur  le  midi. 
En  ciïet,  celles-ci  comprenaient,  outre  le  comté  de  Gévaudan 
propromenl  dit,  une  parlic  de  l'Auvergne  avec  Brioude  comme 
capitale  et  le  pays  de  Forez;  de  plus,  ce  comte  étendait  sa  domi- 
nalion  sur  une  parlie  du  Velay  (1),  dont  le  surplus  avait  accepté 
la  suzeraineté  de  l'évoque  du  i*uy.   Le  comte   Etienne,  n'ayant 
laissé  que  des  enfants  mineurs,  le  mari  de  sa  veuve  devenait  jus- 
qu'à leur  majorilù  le  véritahie  maître  de  ces  vastes  domaines. 
Tel  était  le  calcul  qu'avait  lait  Lolhaire  el  que  l'incapacité  de  son 
fils  ne  permit  pas  de  réaliser.  Le  roi  de  France  avait  déjà  un  pied 
dans  le  pays,  car  lorsqu'il  avait  rendu  à  Tôle  d'Eloupe  le  litre  de 
duc  d'Aquitaine  avec  la  suprématie  qui  s'attacha  il  à  cette  dignité 
sur  l'Auvergne  el  le  Velay,  il  avait  eu  soin  de  maintenir  son  droit 
dans  le  choix  des  évoques  de  Puy,  mais  Adélaïde  avait  su  faire 
tourner  cette  prérogative  à  l'avantage  des  siens  en  faisant  pour- 
voir de  l'évêché  du  Puy  successivement  son  frère  Guy  d'Anjou, 
ancien  abbé  de  Cormery  et  de  Saint- Aubin  d'Angers,  puis  Dreux 
d'Anjou   el  enfin  Etienne,  de  la  maison  même  des  comtes  de 
Gôvaudan  (2).  L'inlluencc  d'Adélaïde  se  fil  enfin  sentir  sur  son 
fils  Pons,  el  elle  l'amena,  lors  du  mariage  d'Aumode,  à  reconnaî- 
tre la  suzeraineté  du  duc  d'Aquitaine  sur  toutes  ses  possessions, 
en  étendant  à  celles-ci  en  général  ce  qui  n'était  réellement  spécial 
qu'au  Velay;  par  la  suite,  on  voit  en  elTel  le  comte  de  Gévaudan 
se  soumettre  aux  exigences  que  comportait  sa  vassalité  el  faire  le 
service  de  plaid  à  la  cour  du  duc  d'Aquitaine  (3).  Or,  bien  que  le 
Forez,  possession  de  Pons,  fût  réellement  dans  la  mouvance  du 
duc  de  Bourgogne,  on  pouvait  dire,  sans  exagération  aucune,  que 
le  pays  soumis  à  la  domination  du  duc  d'Aquitaine  s'étendait  de 


(i)  Voy.  Pfisler,  Etudes  sur  le  rèffne  Je  Robert^  pp.  280-281. 
(2)  GiiUia  Christ.,  II,  col.  G^jS-Ogy. 

(iJ)  La  présence  de  Pons  aux  plaids  ducomlc  Je  Poitou  e3t  aîgnalcc  en  ioo3  et  vers 
lui  a  (C'ff.  lie  S'iint-Cijprierifpp.   3io-3ii  cl  i()5). 


GUlLLiVUMG  LK  GIlAND 


"iu 


l'Océan  au  iUiône,  conforméuienL  ù  la  prùdicUoii  de  la  comlesse 
de  Provence. 

L'union  de  Guillaume  avec  Aumode  lui  gagna  aussi  ramilié  de 
Foulques  Narra,  le  comte  d'Anjou.  Celui-ci,  lors  de  ravènemenl 
du  comLo  de  l'oilou,  lui  avait  lômoignô  de  riiosliliié  en  s'alliant 
avec  le  comle  de  Périgord,  mais  après  que  sa  cousine  fut  deve- 
nue duchesse  d'Aquitaine,  ses  sentimenls  changèrent.  Du  reste, 
Guillaume  ne  négligea  rien  pour  allirer  ti  lui  son  redoutable  voi- 
sin. II  lui  confirma  la  possession  de  Loudun  et  de  Mirebeau,  que 
Fier-ù-Bras  avait  précédemment  donnés  en  bénélice  à  GeollVoy 
Grisegonelle  el  où  le  comle  d'Anjou  fit  élever  d'importantes  for- 
teresses (1),  puis  plus  tard  il  lui  abandonna  au  même  litre 
Saintes  el  plusieurs  châteaux  en  Saiiilonge  (2). 

Ses  générosités  no  s'arrêtèrent  sans  doute  pas  là  ;  d'autres  faits 
permettent  de  soupçonner  qu'elles  furent  bien  plus  étendues,  aussi 
Foulques  ne  trahil-iljamais  la  foi  qu'il  avait  donnée  à  son  suzerain, 
le  comle  de  I*oitou.  Il  faisait  régulièrement  auprès  de  lui  le  ser- 
vice de  plaid  (3)  et  on  le  voit  même  se  charger  pour  lui  de  négo- 
ciations délicates, agissant^  disait-il  lui-même,  au  nom  de  son  maî- 
tre (4).  Il  est  vrai  qu'en  retour  Guillaume  garda  la  neutralité  la 
plusabsoluedatis  les  querelles  qui  surgissaient  constamment  entre 
Foulques  et  Eudes  de  Champagne,  comle  de  Tours  et  de  lîlois, 
son  autre  cousin,  le  fils  de  Oerlhe,  Néanmoins  il  ne  cessa  de  vivre 


(i)  La  coDslruetioii  du  chûlenu  de  Mirebrau  se  place  eolre  1002  el  lOuG,  ainsi  qu'il 
rêsuUc  d'un  acle  du  roi  Robcrl  de  celle  dalc,  qui  coatinnait  la  promesse  faiîe  [jar 
Foulques  Nerra  aux  religieux  de  Cormery  que  les  cbi\le<iu\  de  MonJbazon  el  de  Mire- 
beau,  cdiliéa  par  lui,  no  porleiuicol  aucuu  préjudice  aux  biens  de  l'abbaye  (Cart.  de 
Connenj,  p.  62;  Plistcr,  Etudes  sur  le  rr<jue  île  Habert,  p.  lxviii). 

(a)  C/iro/i.  d  Aflèinar,  p.  i(>4.  Le  texle  du  chroniqueur  esl  formel  el  8*ac«ordc  avec 
les  cuscigneuieuls  fuuruis  par  les  cliurlca.  Fouliiuc^,  pas  plus  que  ses  bériticrs,  ne 
fut  |)ourvu  du  cuinté  de  Saiuloujçe  ;  la  ville  de  Saiutcs  et  *iuflqucs  places  furies, 
Saittanas  cum  qnibiisdatn  casttillis,  lui  furcal  concédées  par  iîuilitiurne  le  (irand, 
ainsi  que  l'a  1res  bien  reconau  iM.  Faye  dans  son  élude  iniilulcc  :  De  la  d<i/ftî/iatioit 
des  comtes  d'Anjou  sur  la  Sainion(je,  où  il  fail  juslicc  des  erreurs  accumulées  par 
les  aacienshisloricQsde  l'Anjou  pour  rehausser  rimportaacc  de  leurs  comtes. .\ux  lénioi- 
goages  que  cet  écrîvuiu  a  fournis  nous  eu  ajouterous  uu  nouveau  qu'il  n'a  pas  connu 
el  qui  apporte  la  preuve  que  les  couiles  de  Poitou  avaient  non  seulement  conservé 
leurs  droits  de  suzeraineté  sur  la  Saintoa^c,  mais  aussi  des  domaines  considérables 
dans  cti  pays  :  c'est  la  concession  faite  en  io/|0  à  la  Trinité  de  VcadOnic  par  h  co;ulc 
Uuillaumo  le  Gros  dont  il  sera  parlé  en  son  lieu. 

(;j)  Voy.  cbarlcs  de  1002,  ioo3,  1019,  ioa3(Bruel,  Cartiil.  deClnny,  111,  pp.  789- 
74»;  Ucsiy,  Ilist.  des  comtes,  preuves,  pp.  807  et  354). 

(4)  Mignc,  Pati'oloijie  lai,,  CXLI,  col.  gSU,  ilobcrli  régis  epislolee. 


i.io  LES  œMTES  DE  POITOU 

en  bonslermes  avec  ce  dernier,  môme  son  fimilié  pour  lui  ne  paraît 
pas  sY'lre  jamais  démenlie  ;  ainsi,  en  i027,  lorsque  le  roi  Hobeii 
fit  flssocier  son  fi[s  ii  la  couronne,  liuillaiime  écrivit  àFulberl  de 
Charlres  :  «  Pour  le  choix  d'un  roi,  je  suis  de  l'avis  de  mon  frAre 
le  comte  Eudes.  Soyez  persuadé  que  celui  qu'il  élira,  moi  je  le 
choisirai  aussi  (1)  »  ,  Pour  aider  à  rinlelligenco  de  ces  paroles, 
il  ne  faut  pas  oublier  que  (iuillaume  fut  élevé  en  Touraine,  en 
pariie  par  les  soins  de  son  oncle  Eudes  P',et  qu'outre  les  lions 
d 'alTeclion  que  celle  vie  commune  avait  fait  naîlrc  il  considérait 
comme  un  devoir  de  reporter  sur  le  fils  la  reconnaissance  qu'il 
devait  au  père  . 

AyanI  ainsi  assuré  par  d'habiles  concessions  cl  par  une  recli- 
tude  de  conduite  absolue  la  tranquillité  de  sa  frontière  du  nord, 
Guillaume  se  préoccupa  de  proléger  la  fronliére  du  sud  de  ses 
étals  palrimoniauv  conlre  louto  agression,  11  ne  pouvait  guère 
compter  sur  les  lurbulenls  comtes  de  la  Marctie  ou  vicomtes  de 
Limoges,  mais  plus  à  l'ouest  il  rencontra  dans  Guillaume  Taillc- 
fcr  11,  comte  d'Angouléme,  l'allié  fidèle  qu'il  désirait. Guillaume 
Taillefor  avait  succédé  à  son  père  Arnaud  iMan/er,  lequel  s'était 
relire  dans  l'abbaye  de  Sainl-.Viiiand  de  Boixe  pour  y  finir  ses 
jours  et  ce  à  peu  près  au  temps  où  le  comte  de  Poitou  remplaçait 
son  père  Fier-à-Bras.  Presque  aussitôt  il  était  venu  en  aide  à 
son  suzerain  dans  sa  lutte  conlre  Audcberl  cl  Boson,  et  de  ce 
moment  les  deux  comtes  se  lièrent  d'une  étroite  amitié  qui  per- 
sista louto  leur  vie.  Dans  tous  les  actes  importants  du  gouver- 
iicraent  du  duc  d'Aquilainc,  on  voit  apparaître  un  homme  de 
bon  conseil,  le  comte  d'Angouléme,  aussi  Adémar  de  Chabannes 
a-l-il  pu  dire  que  ces  deux  a  personnages  avaient  l'un  pour  l'au- 
tre une  telle  affection  qu'ils  ne  possédaient  pour  ainsi  dire  qu'une 
seule  ûme  »>  (2). 

Un  accroissement  considérable  de  puissance  fut  pour  le  comte 
d'Angouléme  le  bénéfice  immédiat  de  celle  situation  particulière. 
Guillaume  ne  se  déparlil  pas  à  son  égard  de  cette  prodigalité  dont 
profilaient  largement  tous  ceux  qui  lui  rendaient  service,  bien  au 
contraire.  Il  lui  fit  don  successivement  des  vicomtes  de  Mette,  d'Au- 


(i)  Mi^^iie,  Patrolojie  lai.,  CXL!,  col.  83i,  Guillclmi   duels  cpistolœ. 
(a)  Chron,  d' Adémar,  p.  i6j. 


GL1LU\L'MK  LS  GRAND  191 

nayeldeRocbecliouarlfdes  seigneuries  de  Chabanais, de  Coofulon^ 

el  de  liurTec,  de  la  tiilc  de  Blaye,de  domaines  en  Aunis  el  d'autres 
biens  encore  (1).  En  outre,  afin  de  rapprocher  l'un  de  l'aulre  ses 
deux  plus  puissants  obligés  el  de  s\issurer  un  moyen  d'aclion  de 
plus  sur  le  comte  d'Anjou  dont  la  fidélité  ne  lui  était  pas  autant 
assurée  que  celle  du  comte  d'Angouléme,il  amena  Foulques  N'erra 
ù  donner  sa  sccur  Girberge  en  mariage  ;\  Guillaume  Taillefer  il. 
Le  comte  de  Poitou  mit  aussi  à  couvert  sa  rronliëre  de  l'est  par 
de  semblables  pratiques;  là  dominait  Eudes  de  Déols,  personnage 
très  batailleur,  qui  avait  notablement  arrondi  ses  domaines  au 
détriment  de  ses  voisins,  el  possédait  la  partie  du  Uerry  s'étendanl 
du  Cher  à  la  Garlempe  et  à  l'Anglin.  Il  avait  enlevé  CiiÂteauneuf 
au  vicomte  de  Bourges  et  Argenlon  au  vicomte  Guy  de  Limoges, 
elne  redoutait  pas  non  plus  des'ullaquer  au  roi  de  France  ;  bien 
que  celui-ci  eût  sous  sa  protection  directe  l'abbaye  de  Massai  en 
Berry,  Eudes,  afin  de  pouvoir  mellre  la  main  sur  le  monastère  el 
diriger  ses  destinées,  avait  conslruil,en  102G,un  cbâteau-rorl  en 
ce  lieu,  lloberl,  appelé  par  les  moines,  accourut  avec  une  armée, 
mais  c'est  en  vain  qu'il  fil  le  siège  du  cliAleau  el  il  dul  se  roli- 
rer  (3).  Tel  esl  l'homme  que  le  comte  serallacba  par  ses  bienfaits 
et  par  la  concession  de  certains  domaines  qui  le  mellaienl  en  quel- 
que sorte  dans  sa  vassalité.  Aussi  Eudi^s  se  monlra-l-il  désormais 
très  dévoué  à  sa  personne,  tellement  qu'lléribert,  engageant  Ful- 
bert de  Chartres,  l'ami  do  Guillaume,  à  passer  par  le  Berry  pour 
venir  en  Poitou,  put  lui  dire  que  la  fidélité  d'Eudes  envers  son 
seigneur  serait  pour  lui  le  gage  d'une  sauvegarde  absolue  (i). 


(i)  Bien  qu'à  l'époque  qui  nou3  occupe  Adémar  de  Cliohann»  ail  cic  conlemporaia 
des  rvénemcDis  qu'il  raconte  dans  sa  cltroniquc^  on  oc  saurait  accorder  à  ses  dires  la 
rigueur  absolue  )|u'ila  dcvraieol  coiiiporlcr  au  sujet  des  accroisscmenls  territoriaux 
qu'aurait  reçus  le  comte  d  Aogoulérne.  La  vicomié  d'Aunay,  par  exemple,  n'entra 
jamais  dans  son  domaine  particulier.  ChAloo  III,  vicomte  d'Aur.ay,  succéda  à  son 
père  Châlon  II  vers  l'an  looj  et  était  encore  en  possession  de  la  vicomte  en  io3o;  dans 
ce  long  intervalle  de  temps,  il  n'y  a  aucune  place  pour  riuillnume  Taillefer.  Pour  con- 
cilier CCS  faits  certains  avec  le  récit  d'Adcmar,  on  peut  admet! re  que  Guillaume  le 
Grand  ait  dclaciic,  à  un  moment  donné,  Aunay  de  sa  mouvance  directe  et  Tait  placé 
sous  la  suzeraineté  du  comte  d'Angouléme,  Tnit  qui  aurait  aussi  pu  se  produire  pour 
certains  autres  (grands  ficfs  compris  dans  réaumcrotiun  d  Adcmar. 

(a)  Chron.  JAtlèmiir,  p.  i03. 

(3)  LhIiIm;,  Nova  bilA.   mm..   M,  787,  Chron.  de  Vierzon;  Chron,   d'Adémar, 

p.  «37- 

(4)  Atipoe,  Patrologie  lai.,  CXLI,  col.  27a,  S.  Fulberli  cpiscopî  episloJtt?. 


i5a 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Ayant  ainsi  assuré  la  sécurité  de  son  domaine  palrimonial,  le 
Poilou,  base  de  sa  puissance,  et  s'étanl  munagô  par  ce  fait  loute 
liberté  d'action,  Guillaume  put  uiellre  k  exécution  les  projets 
qii*il  méditait.  Sa  grande  ambition,  le  but  qu'il  a  toujours  pour- 
suivi, fut  d'être  véritablement  duc  d'Aquitaine,  de  jouir  de  toutes 
les  prérogatives  que  ce  titre  pouvait  comporter,  de  lui  donner  on 
un  mot  le  corps  qui  lui  manquait  alors.  Les  limites  de  l'Aqui- 
taine étaient  indécises,  aussi  bien  que  la  nature  du  territoire  qui 
portait  ce  nom;  tout  d'abord  c'avait  élé  un  royaume  habité  par  un 
peuple  distinct  des  Francs  qui  l'avaient  conquis,  puis  il  avait  été  mis 
au  rang  de  simple  duché,  c'est-à-dire  réduit  à  n'être  phis  qu'une 
simple  division  de  lamonarcliie  lranqae;de  là  un  double  caractî?re 
qui  prenait,  suivant  les  cas,  plus  ou  moins  d'importance  selon  la  va- 
leur personnelle  ou  les  tendances  des  liommes  qui  se  trouvaient  à 
la  tèle  de  ce  pouvoir  ;  en  général, ils  se  considéraient  plus  comme 
les  chefs  d'unpeuple  que  comme  les  dominateurs  d'une  région  dé- 
terminée, et  il  y  avait  au  sud  du  royaume  les  ducs  des  Aquitains, 
tout  comme  au  nord  les  ducs  des  Francs. Cette  ambiguïté  entre- 
tenait l'orgueil  et  l'ambition  de  tous  ceux  qui  poilaienl  ce  titre, 
mais,  malgré  lous  leurs  efforts,  ils  ne  parvenaient  pas  à  elTacer 
le  stigmate  du  primitif  caractère  des  ducs  vis-à-vis  de  la  royauté. 
Les  ducs  avaient  été  tout  d'abord  des  chefs  militaires  qui  grou- 
paient, en  cas  de  nécessité,  sous  leur  autorité,  les  contingents  qui 
leur  étaient  fournis  par  plusieurs  comtes.  De  temporaires,  ces 
fonctions  étaient  devenues  peu  h  peu  permanentes,  mais  les  rois 
carlovingiens  n'avaient  cessé  déconsidérer  leurs  titulaires  comme 
des  agents  à  leur  discrétion  et  l'histoire  du  duché  d'Aquitaine 
pendant  un  sii-clo,  passantsuccessivcmeni  de  la  maison  d'Auvergne 
à  celles  de  Poilou  et  de  Toulouse,  pour  revenir  enfin  à  la  famille 
des  comtes  de  Poilou,  fournit  la  preuve  des  efforts  conslantsdes 
rois  de  Franco  pour  faire  prévaloir  cette  doctrine.  Il  leur 'était 
en  effet  bien  plus  facile  de  disposer  d'un  duché  que  d'un  comté  ; 
le  duché  ne  répondait  pas  d'abord  à  une  division  IcrriLoriale, 
devenue,  par  la  suite  des  temps,  patrimoniale,  il  n'était  qu'une 
réunion  de  coralés  mis  sous  l'aulorilé  d'un  chef,  sans  qu'il  y  eût 
un  territoire  spécial  sur  lequt.d  ce  chef,  le  duc,  put  exercer  un 
pouvoir  direct,  administratif  ou  judiciaire.  Le  duc  était  en  môme 


GUILLAUME  LL  GRAND 


i53 


temps  un  comie,  possesseur  parfois  de  plusieurs  comlés  dans 
lesquels  il  élail  arrivé  à  joitir  de  tous  les  droits  régaliens  ;  il 
sembla  naturel  à  un  esprit  ouvert  comme  Guillaume  le  Grand, 
que  dans  son  duché  il  no  pouvait  posséder  une  moindre  aulorilé 
que  dans  son  comté  et,  h  défaut  de  territoire,  ce  fut  sur  les  per- 
sonnes qu'il  chercha  à  l'exercer,  c'est-à-dire  sur  les  comtes  et 
les  grands  dignitaires  ecclésiastiques  à  l'égard  desquels  il  su- 
brogea complèlcmonl  sa  personne  à  celle  du  roi. 

Donc,  à  un  momentj  considérant  l'Aquitaine  comme  une  cir- 
conscription géographique  telle  qu'elle  avait  été  dans  les  temps 
anciens^  il  lui  arriva  de  laisser  de  ctMé  la  formule  qui  se  trouvait 
en  lôtc  de  ses  actes  et  de  ceux  de  ses  prédécesseurs,  de  «  duc 
des  Aquitains  »  et  de  la  remplacer  parcelle  autrement  expressive 
de  «  duc  d'Aquitaine  »  (i). 

Si,  à  rencontre  de  ses  devanciers,  il  avait  succédé  sans  difïi- 
cullé  aux  honneurs  de  son  père,  c'est  qu'une  grande  révolution 
s'était  accomplie.  Les  ducs  de  France,  qui  avaient  été  les  pre- 
miers champions  de  l'hérédité  des  bénéfices,  ne  pouvaient,  en 
montant  sur  le  trône,  faire  prévaloir  une  autre  doctrine  que  celle 
qu'ils  avaient  toujours  pratiquée  cl  à  laquelle  ils  devaient  d'être 
arrivés  au  sommet  de  la  hiérarchie  sociale;  ils  ne  l'essayèrent 
môme  pas,  ou  du  moins,  s'ils  le  tcnlèrent,'le  mol  d'Audeberl,  si 
vrai  que  l'on  doit  croire  qu'il  a  été  prononcé,  les  rappela  brus- 
quement à  la  réalité.  Comme  ducs  de  France,  ils  pouvaient  agir 
suivant  des  règles  que  l'usage  ancien  consacrait;  comme  rois  on 
ne  leur  reconnaissait  que  le  droit  de  succéder  au  titre,  mais  non 
aux  prérogatives  autoritaires  des  Carlovingicns,  qui  semblaient 
enfouies  dans  la  tombe  avec  eux. 

Guillaume  était  donc  duc  d'Aquitaine,  c'est-à-dire  qu'il  jouis- 
sait d'un  droit  de  suzeraineté  sur  tous  les  territoires  formant  la 
partie  centrale  du  royaume  de  France  et  comprenant  le  Poitou, 
la  Saintodge,  rAngoumois,  le  Périgord,  le  Limousin,  le  Bas- 
Uerry,  la  Haute  et  Dasse  Auvergne,  le  Velay  et  le  Gévaudau  (2). 


(i)  M  Cornes  Piclavensium  et  dux  Aequiianiae  »  (Arch.  de  la  Vienne,  ori g.,  chap. 
cathedra!,  a*  i,  vers  losô);  «  Piclavurutn  eûmes  et  dux  Aquitauife  »  (A.  Richard ^ 
Chartes  de  Sainl-Maixent,  I,  p.  99,  cnlrc  1011  et  Jûa3) 

(a)  Voy.  Appbnoice  IV. 


i54 


LES  COMTES  DB  POItOU 


11  y  a  liou  da  remarquer  que.  dans  les  actes  iiilérossaiil  le  l^oi- 
loti,  Guillaume  se  fuil  plus  parliculièremcnl  inliluler  comle  des 
Poilevins,  cornes  Pktavonim,  mais  dans  ceux  émanés  de  chan- 
celleries sises  en  dehors  du  lerriloii-e  soumis  direclcmenl  à  son 
aulorilô,  il  esl  le  duc  et  le  prince  dos  Aquitains  (I);  ce  lîlre  se 
renconlre  aussi  dans  les  charles  poilevines  et  même  l'une  d'elles, 
en  1010,  indique  par  la  qualiftcalion  qu'elle  donne  au  comte  de 
(1  dominateur  de  tuule  rAquila(ne»>,/o/i;/.¥ /m«c  Ipm/torlv  A'/ttiffinias 
fuonarr/it/.f,  que  le  but  poursuivi  par  fluillaume  était  atteint  sans 
conteste,  qu'il  était  en  quelque  sorte  un  roi  auquel  il  ne  manquait 
que  le  litre  (2).  La  prééminence  du  comle  de  Poitou  sur  TAqni- 
laine  était  telle  que  l'on  voit  les  moines  de  Cluny  donner  par 
analogie  à  Tévêque  de  Poilicrs,  Iscmljcrl,  le  litre  d'évêque  des 
Aquitains   3). 

11  esl  toutefois  un  point  qui  distingua  plus  particulièrement  Guil- 
laume des  princes  vérilablcnicnl  souverains, c'est  qu'il  ne  fil  jamais 
frapper  de  monnaie  à  son  nom.  11  tenait  de  ses  ancêtres  le  droit 
de  monnayage,  il  en  usait,  mais  il  ne  s'aiïranchit  pas  de  celle 
tradition  qu'ils  lui  avaient  aussi  léguée,  qui  consislail  à  employer 
un  type  uniforme,  cara«-lérislique  de  la  monnaie  poitevine,  laquelle 
portait  d'un  cùté  le  nom  du   roi  Chartes  et  de  l'autre  celui  de 
râtelier  de  Melle.  Lues  comles  de  Poitou  se  sont  si  peu  préoccu- 
pés de  particulariser  leur  monnayage  qu'il  est  à  peu  près  impos- 
sible de  déterminer  à  quel  personnage  appartiennent  ces  pièces 
si  nombreuses,  que  Ton  rencontre  avec  les  légendes  plus  ou  moins 
déformées  de  carlvs  rex  fr  au  droit  cl  de  Metalo  au  revers  (4). 
Dans  les  pi'olocoles  des  actes  les  formules  de  sublimité  ont  dis- 
paru avec  l'élolgnement  du  régime  carlovingien,  mais,  comme 
son  père,  Guillaume  s'inlilule  comle  par  la  clémence  divine  ou 
par  la  grûce  de  Kieu.  «  Il  assujeltit  toute  l'Aquitaine  à  son  pou- 
voir, dit  Adémar  de  Cliabannes,  de  lelle  sorleque  personne  n'o- 
sait lever  la  main  contre  lui,  et  les  grands  seigneurs  Aquitains, 


(i)  lirucl,  Charles  Je  Clnntj,  III,  pp.  782,  739,  766;  IV,  p.  21. 

(2)  A.  Richard»  Chartes  tic  Sainl-Maixent,  I,  p.  91;    Cart.  de  Saint-Cypnen, 
p.  'iii. 

(3)  Bruel.  Charles  de  Clumj,  IV,  p.  20. 

(4)  \'oy.  Lecoltilre-DupoQl,  Essai  sur  les  monnaits  frappées  en  Poitou,  pp.  ji  et 
suiv.;  Eug^fl  el  Serrure,  fruité  de  nnmismatique  dn  Moyen-Age,  II,  p.  ^i%. 


GUILLAUME  LE  GRAND 


t55 


qoi  essayèrent  de  secouer  lejoug  de  son  autorité,  furent  tous 
domptés  ou  renversés  »  (f).  Les  divers  éléments  qui  cnlraienl 
dans  la  composition  du  duché  manquaient  de  cohésion  ;  cer- 
taines parties  s*en  étaient  plus  ou  moins  détachées,  les  ras- 
sembler et  en  former  un  tout,  une  unité  qui  donnerait  à  son 
possesseur,  non  seulement  dans  le  royaume  mais  encore  hors 
des  frontières  de  France,  la  grandeur  morale  à  laquelle  Télen- 
due  des  territoires  qui  lui  seraient  soumis  lui  permettrait  de 
prétendre,  telle  est  la  mission  que  se  donna  (Juitiaume  (â).  Il 
voulut  être  m^tllre  chez  lui,  voire  même  maître  absolu,  tantôt  en 
faisant  emploi  de  la  force,  tantôt  en  agissant  avec  une  grande 
habileté  politique  laquelle,  selon  les  dires  de  son  vassal  Hugues 
de  Lusignan,  ne  fut  pas  toujours  très  loyale,  mais  qui  était  bien 
appropriée  aux  mœurs  du  temps  et  aux  instincts  brutaux,  aux 
convoitises  toujours  en  éveil,  aux  actes  souvent  irraisonnés 
et  de  première  impulsion  des  gens  à  qui  elle  s'adressait  (3). 

Maintenir  la  paix  dans  son  duché  fut  un  de  ses  principaux  soucis 
et  afin  de  pouvoir  remplir  fructueusement  ce  rôle  de  policier,  il 
a>ait  soin,  lorsqu'éclatail  quelque  guerre  privée,  de  joindre  ses 
forces  à  celles  des  belligérants  dont  il  croyaitavoir  le  plus  h  espé- 
rer pour  le  rétablissement  de  tordre.  Toutefois,  ses  débuts  ne 
furent  pas  trî;s  heureux.  On  a  vu  que,  malgré  le  secours  que  le 
roi  de  France  lui  apporta  contre  Boson,  il  échoua  devant  Oellac; 
quelque  temps  ap^s,  bien  que  soutenu  par  ce  même  Boson, 
avec  qui  il  avait,  comme  nous  l'avons  dit,  jugé  plus  expédient 
de  traiter,  iléprouva  un  nouvel  insuccès.  Guy,  vicomte  de  Limo- 


(0  Ckron.  d'Adémar,  p.   166. 

(a)  Les  prèt^Diioas  de  Guillaume  le  Graod  k  une  domioaiion  absoloAthas  le  ducbo 
d'Aquitaine  ue  le  portèrent  [»as  ccpcodanl  jusqu'à  singer  le  roi  de  France  en  8c  faisant 
cauronoer  ftolcnuellemeal,  ainsi  que  l'a  avancé  M.  Pfislor  {£"/«</«  ««r  le  r^gne  ite 
Robert,  p.  2S21.  Aucun  hislorien  du  Icmps,  aucun  annalislc  ne  relate  un  fait  aussi 
important  ci  qui  assuréaicnl  n'aurait  pu  passer  inaperçu.  Bcstjr  {/fisl.  des  comtes, 
preuves,  p.  i83)  a  bien  publié  un  curieux  document  inlilulc  :  Ordo  ad  benedicendum 
ducem  Aqaitant'œ ,  loulcfois  ce  n'est  pas  à  Gaillaum:  le  Grand  qu'il  l'applique  tout 
d'abord,  mais  bien  à  Rcnoul  I, qui, s'il  cul  quelques  veiléilés  ambilieuses  de  ce  gear«, 
ne  les  mit  assarêment  pas  »  exécution.  Nous  nous  rani^ns  pleinement  à  l'opinion  de 
M.  de  Lasleyrie  qui,  dans  son  Etade  tnr  les  comtes  de  Limoijes,^.  36,  établit  que  cet 
écrit,  dû  à  Ilélie,  prècbantre  de  Limos^cs  en  iai8,  relate  le^  cérémonies  observées 
lors  du  couronnement  de  Kicbard  Cœur  de  Lion  dans  celte  ville  en  1 1G7. 

(3)  Labbe,  \oua  Liblioth.  msn..  Il,  pp.  i33  et  suiv.,  Coavcntio  iulcr  Guiilelmum 
ducem  Aquitaniac  et  tlugonem  Chiiiarchum. 


i56 


LES  COMTES  DE  POITOU 


ges,  avail  de  nombrGux  enfatils.  L'un  d'eux,  Adèoiar,  voulant 
se  tailler  un  patrimoine,  mit  la  main  sur  le  château  de  Brosse, 
dont  sa  mère,  Uothilde,  possédait  une  moitié,  tandis  que  Tautre 
appartenait  à  Hugues  de  Gargitcsse.  Le  duc,  sans  doute  appelé 
par  ce  dernier,  vint  avec  Boson,  qui  était  déjà  en  possession  du 
Périgord,  mettre  le  siège  devant  le  châleau  en  discussion.  Pen- 
dant quinze  jours  Adéraar  résista  à  toutes  leurs  attaques  et  les 
assaillants  furent  contraints  de  se  retirer  (1). 

C'est  le  moment  où  Guillaume,  dans  sa  sollicitude  inquiète 
d'asseoir  et  de  faire  adopter  sans  conteste  son  autorité,  se  mêla  le 
plus  activement  aux  atTaires  de  ses  vassaux.  Ainsi  le  comte  d'An- 
goulôme,  celui  qui  devait  être  son  fidèle  ami,  ayant  entrepris  le 
siège  de  Blaye,  il  lui  vient  en  aide,  et,  s'élant  emparé  de  la  ville 
de  vive  force,  il  la  lui  donne  en  bénéfice.  Puis,  il  va  prêter 
assistance  à  Audouin,  évêque  de  Limoges,  pour  la  construction 
du  château  de  Beaujeu,  sur  la  route  de  Saint-Junien  à  Brigueil, 
atin  d'arrêter  les  attaques  de  Jourdain,  seigneur  de  Chabanais, 
mais,  ne  poussant  pas  l'afTaire  à  fond,  il  laisse  ensuite  les  deux 
parties  continuer  entre  elles  une  lutte  sanglante  (2).  Enfin  il  s'en- 
gage dans  les  démêlés  que  Gcottroy,  abbé  de  Sainl-xMarlial  de 
Limoges,  a  avec  certains  seigneurs  do  la  Marche.  Ceux-ci  s'étaient 
emparés  du  monastère  de  Sainl-Vaury,  dépendance  de  l'abbaye; 
pour  les  punir,  l'abbé  Geoffroy,  secondé  par  une  forte  troupe 
armée  que  le  comte  Boson  11  avait  mis  à  sa  disposition  procéda  à 
Tenlèvement  du  corps  de  saint  Vaury,  qui  fut  tiré  de  l'église  où  il 
reposait  et  qui  lui  devait  son  nom,  et  apporté  à  Saint-Martial.  11 
y  fut  gardé  jusqu'à  ce  que  les  seigneurs  pillards  qui  avaient  usurpé 
les  domaines  de  l'abbaye  les  eussent  restitués.  Ce  que  voyant 


(i)  Chron.  d'Adêrnar,  p.  i56.  Ces  faits  sont  aussi  rapportés  avec  force  détails  par 
Aimoici  [Afiracks  de  satrtl  lîenoil,  publ.  par  de  Ccriain,  p.  i3tï),  dotil  le  récit  permet 
de  rectifier  un  passage  de  rintcrpoluleur  d'Addniar  de  Cbabanacs  (CVi/'on.,  p.  i56), 
qui  coofond  le  premier  sicje  de  Ùrûssc  fait  par  Boson  le  Vieux  et  sou  fils  Hclie  au 
temps  de  Fier-â-Bras,  avec  It*  second,  culrepria  par  le  duc  Guillaume  le  G  rond  el 
BûsûD  II.  Cet  écrit,  reproduisant  l'erreur  cooienue  dans  le  texte  primitif  d'Adémar 
(p.  aoâ),  dit  que  celte  forlercsao  fui  victorieusement  défendue  par  Guy,  vicomte  de 
Lïinog-es,  coulre  les  cin*!  comicsqui  rossicg-cnicnt,  à  savoir:  le  duc  (juilluume, Arnaud 
(comte  d'Aag:ou!6aie),  lléïie  (comte  de  Périyord),  Audebcrt  cl  Boson  (Jes  deux  comtes 
de  la  iMarclic)  ;  or,  deux  de  ces  personnoges,  llélie  et  Audcbert,  ue  vivaient  plus  à 
l'époque  où  ce  récit  place  le  second  siège  de  Brosse, 
(a)  Chron.  d'Adémar f  p.   iGû. 


Gî'ILLAlNfE  LE  GRAND 

l'abhé  ramena  en  grande  pompe  les  reliques  du  saint  dans  son 
premier  séjour,  où, en  présence  de  Guillaume,  il  rétabli! la  disci- 
pline monastique  (1).  Kn  1021,  le  comle  de  Poilou  se  joint  à  celui 
dWngoulème  poui-  punir  iîuillaume,  vicomte  de  Marcillac,  el  son 
frère  Odolric  qui,  ayant  eu  un  grave  différend  avec  leur  frère 
Audouin  au  sujet  de  la  propriété  du  cbàleau  de  Ruffec,  lui  avaient 
coupé  la  langue  et  crevé  les  yeux.  Marcillac  fut  pris  el'brûlé,  les 
coupables  curent  grâce  de  la  vie,  et  Ruffec  fut  donné  à  Audouin 
qui  avait  survécu  à  ses  blessures  (2). 

Ces  faits  isolés  suffiraient  presque  à  témoigner  des  dilTicultés 
que  rencontra  Guillaume  dans  le  gouvernement  de  ses  états, mais 
il  y  a  mieux.  Pour  bien  se  pénétrer  du  rôle  qu*il  dut  jouer  pour 
mener  à  bonne  fin  la  tâche  qu'il  s'était  imposée,  rien  n'est  plus 
instructif  que  de  le  suivre  dans  ses  rapports  avec  Hugues  le  Brun, 
seigneur  de  Lustgnan  (3).  Ce  personnage  était  fils  d'Hugues  le 
Blanc,  et  pelit-flls  d'Hugues  le  Bien-Aimé,  qui  construisit  le  cbà- 
leau de  Lusignaii  el  paraît  avoir  élé  le  véritable  fondateur  de 
cette  dynastie  glorieuse  (4).  Toujours  prêt  à  se  battre,  le  Drun  ne 
négligeait  aucune  occasion  pour  s'approprier  un  domaine  à  sa 
convenance,  mais,  en  homme  politique,  il  savait  aussi  se  retirer  à 
temps  quand  l'entreprise  devenait  trop  périlleuse  pour  lui.  Ar- 
guant de  sa  fidélité  envers  le  comle  de  Poilou,  il  se  faisait  payer 
clièrement  ses  services,  demandant  constamment,  ne  se  rebu- 
tant pas  des  refus,  et  finissant  toujours,  aprfes  être  revenu  plu- 


(i)  Chron,  cTAdémar,  p.  i66. 

(a)  Chron.  d'Adèinar,  |>p.  i8G  el  207. 

(3)  C'est  la  cliruuiquc  de  .SaiDt-M»ixcnt  qui  donne  à  Ilaj^cs  de  Lusignan,  le  fila 
(l'IIu^ucs  le  Blaoc,  le  surnom  d'IIuirucs  le  Brun.  La  convention  Joui  on  va  lire  le 
résumé  rap])elie  flui^iiea  le  Chiliarque.  Le  sens  précis  de  ce  mot  correspond  à  celui 
de  chef  de  1000  liùiiimes,  loulefoîs  nous  ne  pensons  pas  «ju'il  faille  y  voir  un  iodice 
de  la  puissance  territoriale  d'Hu«^uesde  Lusii^oan  ;  t!  nous  paraît  simplctncnl  rnppelcr 
le  rôle,  assez  peu  déHoi  dans  les  acles  où  il  e^t  question  de  lui,  que  le  sire  de  Luai- 
gnan  était  appelé  à  jouer  auprès  du  comle  de  Poitou,  duc  d'Aquiluiue.  Il  suit  ce  der- 
nier dans  ses  expéditions,  il  raccompagne  k  Blaye,  nial|;ré  que  d'imporlautes  afluircs 
personnelles  auraient  dû  le  rcleair  ta  Poitou»  co  un  tnol  il  apparaît,  à  l'éf^ard  du 
comte,  dans  une  certaine  sujétion  qui  nous  porterait  b  voir  en  lui  le  comriiaiidaiil 
supérieur  de  ses  troupes,  ce  qui  correspondrait  parfaitcmeol  h.  ce  surnom  de 
Chiliarque. 

(4)  Cette  filiation  desLusi^nanest  donnée  parla  chronique  de  Saint-Maixeot  (CAron. 
des  égl.  d'Anjou,  p.  38(i,),  ijui  dit  en  outre  (jue  le  chef  de  celte  famille  eut  neuf  fils. 
Le  tableau  jïénéalo^(|ue  inliiulc  Lezignem,  placé  4  la  suite  de  l'Histoire  des  comtes 
du  Poitou,  indique  uq  dcg^rc   de  plus;  il  débute  par  Hugues  te   Veaeur,  qui,  seloû 


iS8 


LES  COMTES  DE  POITOU 


gieurs  fois  à  la  charge,  par  ohlt.'iiir  sinon  l'objtît  principal'de  ses 
di'sirs,  mais  à  tout  k'  nioins  il'iinpnrlanles  compensalions.  Kn 
voyant  ses  agissemoiils,on  ne  pcul  s'onipèclior  d'élablir  un  rap- 
prochemenl  avec  ce  qui  dut  se  passer  dans  l'entourage  des  rois 
carlovingiens  ;  ces  princes  étaient  ti  cliaque  instant  contraints  de 
lâcher  quelques  lambeaux  de  leurs  domaines  et  ils  finirent  par  se 
trouver  entièrement  dépouillés,  n'élanL  plus  en  possession  que 
d'un  titre  nu  sans  avoir  les  moyens  de  le  faire  respecter.  Or, 
(iuillauaie,  qui  fit  de  ses  concessions  bénéficiaires,  ou  plutôt 
féodales,  une  sorte  de  règle  de  gouvernement,  entama  si  large- 
ment le  patrimoine  des  comtes  de  Poitou  que  ses  successeurs 
immédiats  ne  purent  trouver  dans  leurs  propres  domaines  des 
ressources  sufïisanles  pour  résister  aux  tentatives  de  vassaux  de- 
venus réellcmi^nl  plus  puissants  qu'eux. 

Or  donc  Savari,  vicomte  de  Thouars,  avait  enlevé  h  Hugues  de 
Ijusignan  une  terre  que  celui-ci  tenait  en  fiefdu  comte  (juillaume. 
Savari  étant  mort  (vers  1010)  (t),  le  comte  promit  à  Hugues, 
dans  une  assemblée  puitlique,  de  ne  faire  ni  traité  ni  paix  avec 
Itaoul,  frère  de  Savari  et  son  successeur,  tant  que  la  terre  dont 
il  avait  été  dépouillé  ne  lui  serait  pas  rendue^  mais  poslérietii'c- 
ment  il  donna  secj'èlement  ii  llaoul  la  terre  dont  il  était  ques- 
tion. Le  sire  de  Lusignan,  outré  du  procédé,  se  rapprocha  alors 
du  vicomte  de  Thouars  et  lui  dit  que  s'il  voulait  lui  donner  sa 
fille  on  mariage  il  lui  laisserait  cette  terre  et  môme  une  autre 
encoi'c  plus  importante.  Quand  le  comte  fui  infoi'mé  de  ces  pour- 
parlers, il  en  fut  evtrèmement  irrité  ;  it  se  rendit  en  toute  hille 


Besly,  aurait  éli  l'un  des  quatre  çraads  veneurs  înslilu<S3  par  Cbarlcmagne  en  758, 
Nous  ne  saunons  dire  où  l'bistorica  a  relevé  ta  nieulion  de  ce  iiersonoage  abso- 
lument hypolhéliquc,  du  moins  à  ccKc  date  en  ce  qui  louche  les  Lusignan,  mais  il 
est  de  toute  impossibilité  (]u'il  ait  pu  étie,  comme  il  le  dit,  le  père  d'Hugues 
le  Cher  ou  le  Hien-Aimé,  qui  a  dû  naître  vrrs  l'-in  f|no.  Nous  ne  rclîendrons 
de  rcxpos«  de  Uesly  que  le  surnom  de  ^'cncu^  donné  p.ir  lui  au  premier  des  Lusi- 
goao;  celte  quaSiBcalioa  peut  avoir  pour  oritfiuc  une  tradition  pcrsistoutc,  très 
vraisemblable,  auquel  cas  ce  personihage  aurait  clé  un  veneur  des  conatcs  de  Poitou 
voire  même  le  prand  vcoeur,  lequel  aurait, ainsi  que  le  fait  s'est  si  aouveat  produit  nu 
x"  siècle,  transforme  son  ofticc  eu  seigneurie  et  son  domaioe  béucHciairc  en  propriété 
héréditaire. 

(1)  M.  Iniberl  {Notice  sur  les  otcomles  de  Thouars,  p.  r5)  fixe  à  l'année  ioo4  la 
mort  du  vicomte  Savari;  cette  date,  ainsi  qu'il  résulte  du  texte  que  nous  analysons, 
doit  tïtrc  reportée  à  raiirtèe  luio  au  plus  tôt,  et  suivre  Je  près  celle  du  décès  d'Hugues 
le  Ulaac  qui  succomba  de  1010  à  101  a. 


GLILLALWΠ LE  GRAND 


1S9 


auprès  de  Hugues  el  lui  dit  1res  fainilièreinenl:  «  Abslieiis-toi  d'é- 
pouser la  fille  de  Raoul  ;  je  le  donnerai  loul  ce  que  lu  me  de- 
manderas el  je  l'aui-ai  en  alTeclion  plus  que  loule  autre  personne 
après  mon  fils.  »  [fugues  ût  ce  que  le  comle  lui  ordonna. 

Mais  il  arriva,  sur  ces  ealreraites  (vers  1012),  que  Jousselin, 
seigneur  de  Parlhenay,  vinl  à  mourir,  Hugues  prétend  qu'il  n'a- 
dressa au  sujet  de  cel  événement  aucune  sollicilalion  au  comte, 
tant  pour  lui  que  pour  quelque  aulre  personne  et  que  ce  fut  le 
comle  lui-même  qui,  spontanément,  lui  proposa  le  fief  de  Jousse- 
lin et  sa  veuve.  On  ne  saurait  assurer  que  les  choses  se  passèrent 
bien  ainsi;  quoi  qu'il  en  soil,lIugues,après  avoir  mûrement  réfié- 
clii,dit  au  corale  :<«  .le  ferai  loul  ce  que  vous  me  demanderez.»  Guil- 
laume se  mit  alors  d'accûrdsurcotle  atTaircavec  Foulques, comte 
d'Anjou,  qui  avait  des  droits  de  su/orainelé  sur  les  fiefs  possédés 
par  le  seigneur  de  Parlhenay,  el  lui  promit  de  lui  donner  sur  ses 
propres  bénéfices  l'équivalent  de  ce  que  celui-ci  abandonnerai!  à 
Hugues.  Puis  il  (il  appeler  le  vicomte  Raoul  el  lui  dit  :  «  Hugues 
ne  tiendra  pas  les  engagements  qu'il  a  pris  avec  loi,  parce  que  je  le 
lui  défends,  mais  nous  sommes  convenus.  Foulques  et  moi.  de  lui 
donner  les  biens  et  la  femme  de  .lousselin,  voulant  que  cela  serve 
à  ta  confusion  el  le  punisse  de  tes  infidélités  ù  mon  égard.  »  Raoul 
fut  très  conlrislé  de  ce  discours  el  répondit  au  comte  :  «  Pour 
Dieu,  je  vous  en  conjure,  ne  faites  pas  cela.  »  Alors  le  comte  lui 
répliqua  :  «Promets-moi  de  ne  point  donner  la  fille  à  Hugues  et 
de  ne  point  observer  le  traité  que  tu  as  lait  avec  lui, en  revanche 
je  ferai  en  sorte  qu'il  n'ait  ni  le  lief  ni  la  femme  de  Jousselin.  » 
C'esî  ce  qui  eut  lieu,  mais  Raoul,  qui  avait  feint,  uniquement  par 
politique,  de  consentir  ù  la  proposition  du  corale,  se  rendit  quel- 
que temps  après  au  château  de  Montreuil-Bonnin.  situé  non  loin 
de  Lusignan,  et  où  résidait  alors  Guillaume,  afin  de  pouvoir  s'a- 
boucher avec  Hugues  sans  éveiller  des  soupçons.  Dans  celle  entre- 
vue, il  chercha  à  entraîner  ce  dernier  dans  une  action  commune 
contre  le  comte  ;  pour  amener  Hugues  à  lui  il  s'engageait  à  tenir 
fidèlement  lous  les  engagements  précédemment  conclus  entre  eux , 
el  à  lui  prêter  secours  en  toute  circonstance.  Hugues  déclare  que, 
par  attachement  pour  Guillaume,  il  repoussa  toutes  les  avances 
qui  lui  furent  faites,  ce  dont  il  eut  parliculièrcmenl  à  souffrir  à 


LES  COMTES  DE  POITOU 

l'occasion  des  déprédations  que  le  vicomlc  de  Tliouars  commil 
alors  sur  Iti  (erre  du  comle, 

llaûul  iHaiil  venu  à  mourir  en  iOl  i  ou  HH5,   Hugues  revint  à 
la  charge  auprès  de  Guillaume  pour  se  Taire  rendre  la  terre  que 
le  vicomte  lui  avait  enlevée.  Guillaume  lui  fil  encore  de  belles 
promesses,  s'engageanl  à  ne  pas  faire  la  paix  avec  les  Thouarsais 
avanl  que  satisfaction  lui   filt  donnée.  Mais  il  ne  se  préoccupa 
guère  de  tenir  sa  parole,  car  Geoffroy,  neveu  et  successeur  de 
Raoul,  pour  se  venj^er  du  mal  qu'Hugues  lui  avait  fait  alors  qu'il 
bataillait  pour  le  corate,  incendia  son  château  de  Mouzouil,  prit 
ses  cavaliers  el,  chose  atroce,  leur  fîtcouper  les  mains.  Du  coup, 
Hugues  se  trouvait  perdre  une  des  terres  qu'il  tenait  du  comte, 
mais,  la  guerre  continuant,  il  eut  à  son  tour  sa  revanche  el  s'em- 
para de  quarante-trois  des  meilleurs  cavaliers  du  vicomte  de 
Thouars.  H  aurait  pu,  pour  leur  rendre  la  liberté,  se  faire  donner 
au  moins  40.000  sous  (le  chitTrenous  paraît  un  peu  exagéré),  et 
obtenir  la  reslilulion  de  sa  lerre,  mais  à  ce  moment  le  comte 
intervint  et  demanda  à  Hugues  de  lui  livrer  ses  prisonniers. 
Celui-ci  voulut  résister,  mais  Guillaume  réitéra  son  exigence  en 
lui  disant:  «Ce  que  j'en  fais  ce  n'est  pas  pour  te  causer  du  tort, 
mais  tu  es  mon  vassal  et,  comme  tel,  obligé  de  te  souraetlre  h 
mes  volontés,  llemels-moi  ces  hommes  ;  je  le  les  rendrai  si  lu 
ne  rentres  pas  en  possession  de  ta  terre  el  si  lu  n'es  pas  indem- 
nisé  pour  les  maux  qui  t'ont  élé  fails  «*.  Hugues  s'exécuta  cette 
fois  encore,  mais  les  otages  ne  lui  furent  pas  remis  el  il  ne  recou- 
vra pas  sa  terre.  Toutefois,  l'auteur  du  faclum  qui  relate  ces 
fails  a  soin  d'omettre  que  peu  apriîs,  Hugues  épousa  Audéarde, 
fille  de  son  ancien  adversaire  Raoul,  elque  celte  union  mit  fin 
aux  hoslililés  entre  Thouarset  Lusignan  (I). 

L'ardeur  inquiète  d'Hugues,  après  avoir  altiré  le  comte  à  sa 
suite  au  nord  du  Poitou,  l'amena  à  intervenir  dans  de  nouveaux 
débats  au  sud  du  pays.  Un  puissant  seigneur,  triàumis^  nommé 
Aimeri  (i),   s'était  emparé  de  Civray  au  préjudice  de  Bernard, 


{i)M.  Poule  de  Puybautîel,  (|iii  a  souleoti  f.p  iSrjG  h  l'Ecule  des  Chartes  uDe  ihèse 
sur  les  sires  de  Lusignau,  rcatt-e  jusqu'à  ce  jour  inétjile,  incl  eu  doute  dans  ses  posi- 
lioDs  (jue  ta  femme  d'Hujjfues  le  Brun  ail  élé  la  lillc  de  Uauul  de  Tdouars  ou  du  moin» 
déclare  que  rien  ne  l'inditjuc;  uous  suivons  ropiniiin  de  BcsSy. 

(2)  M.  de  Puybaudel  assituite  ce  pcrsoanas^c  à  Aimeri  I  de  Rançon. 


r.UrLLAUME  LE  GRAND 


lOi 


comle  de  la  Marche,  son  suzerain.  Or,  Hugues  disail  tenir  de 
son  père  des  droils  sur  cette  localité.  Mil  par  des  rcssenlimenls 
parliculiers  qu'il  enlretenail  contre  Aimeri,  Guillaume  engagea 
Hugues  à  (aire  hommage  à  Bernard  pour  la  porlion  de  Civray  qui 
avait  appartenu  à  son  père  afin  que  de  celte  sorte  ils  fussent 
deux  à  avoir  débat  avec  Aimeri,  Mais  il  répugnait  au  seigneur 
de  Lusignan  de  se  reconnaître  vassal  du  cooilo  do  la  Marche,  et 
pendant  une  année  il  résista  aux  sollicitations  de  Guillaume,  pji- 
fin,  celui-ci,  irrité  de  ne  pouvoir  vaincre  sa  résistance,  vint  le 
trouver  et  lui  dit  :  «  Pourquoi  ne  Irailes-tu  pas  avec  Bernard?  Tu 
n'es  quelque  chose  que  par  moi  et  si  je  te  disais  de  faire  d'un 
vilain  un  homme  noble  tu  devrais  m'obéir.  »  Hugues  finit  par  se 
laisser  convaincre  et  se  constitua  vassal  de  Bernard  pour  le  quart 
de  Civray.  En  retour,  celui-ci  donna  le  comte  de  Poitou  à  Hugues 
pour  garant  et  remit  entre  les  mains  de  Guillaume  quatre  otages 
qui  devaient  être  livrés  à  Hugues  si  Bernard  no  remplissait  pas 
exactement  ses  engagements  à  son  égard.  Dès  lors  Lusignan  ne 
fut  pas  longtemps  en  paix  avec  Aimeri.  11  eut  avec  ce  dernier,  au 
sujet  de  son  droit  de  co-propriété,  des  contestations  dont,  comme 
d'ordinaire,  les  vassaux  des  belligérants  eurent  h  souffrir.  Pour 
tenir  tète  à  Aimeri,  le  comte  entreprit  avec  Hugues  la  conslruc- 
Lion  d'un  château  à  Couhé,  mais  il  ne  l'acheva  pas,  même  il  finit 
par  s'aboucher  avec  Aimeri,  et  lui  abandonna  le  château  sans 
qu'Hugues  ait  reçu  de  lui  aucune  compensation. 

Mais  l'adversaire  du  sire  de  Lusignan,  qui  paraît  avoir  eu  un 
caractère  aussi  entreprenant  que  le  sien,  mécontenta  de  nouveau 
le  comte  de  Poitou  en  s'emparant  du  château  de  Chîzé.  Guillaume 
et  Hugues  unirent  leurs  forces  et  furent  ensemble  assiéger  le 
château  de  Malval,  propriété  d'Aimerî,  qu'ils  prirent  et  détrui- 
sirent. Avant  de  s'en  retourner,  le  comle  promit  à  Hugues,  ainsi 
que  devait  le  faire  tout  suzerain  à  l'égard  de  son  vassal,  do  ne 
point  conclure  de  traité  de  paix  ou  d'association  avec  leur  ennemi 
sans  qu'il  fût  appelé  à  y  participer.  Néanmoins  il  fit  un  traité  avec 
Aimeri  et  lui  permit  de  réédifier  son  château  sans  le  consen- 
tement d'Hugues.  Tant  qu'Aimeri  vécut,  les  choses  restèrent  en 
cet  état,  mais,  après  sa  mort,  de  violentes  discussions  éclatèrent 
entre  son  fils  Aimeri  11  el  Hugues  au  sujet  du  droit  de  propriété 


jOz 


LES  COMTES  DE  POITOU 


de  ce  dernier  sur  le  quari  deCivray  et  dosa  préLenliond'y  vouloir 
édifier   un  chûleaii.  Sur  le  conseil  de  Bernard  et  malgré.  l'oppo- 
silion  du  comte,  il  en  acheva  la  conslruction,mais  les  hommes  de 
Civray,  pour  qui  il  se  montrait  un  maîlre  fort  dur,  se  soulevèrent 
el  livrèrent  la  place  à  Bernard.  Celui-ci  la  garda  el,  pour  plus  de 
sécurilô, s'allia  avec  Aimeri  II  conlre  llugues.i'e  dernier, selon  son 
habitude,  s'en  fui  porler  ses  doléances  à  Guillaume  qui,  au  lieu 
d'en  tenir  compte,  rendit  à  Bernard  les  otages  que  ce  dernier  lui 
avait  précédemment  livrés.  Voyant  alors  qu'il  ne  pouvait  espérer 
aucun  secours  de  son  seigneur, Hugues  se  tourna  vers  l'évoque  de 
Limoges,  Géraud.  Celui-ci  accueillit  ses  avances,  et  d'un  commun 
accord  ils  envahirent  la  Marclie,  où  ils  construisirenl  une  forte- 
resse (t).  Mais  le  comte,  qui  soutenait  Bernard,  son  beau-fils, 
enleva  le  château  de  vive  force  et  le  livra  aux  flammes  ;  de  plus, 
de  concert  avec  son   fils  aîné,  qui,  dès  lors,  semble  avoir  part 
au  gouvernement,  il  défendit  à  tous  ses  vassaux,  sous  peine  de 
raorl,  de  prêter  aide  à  Hugues.  La  lutte  entre  les  deux  compéti- 
teurs :i  la  possession  de  Civray  devenait  chaude  ;  toutefois,  par 
la  médiation  du  comte,  ils  convinrent  entre  eux  d'une  trêve  de 
quinze  jours.  Afin  d'ôler  ù  lluf^ues  la  tentation  de  recommen- 
cer aussitôt  les  hostilités,  le  comte  l'emmena  faire  un  ost  contre 
le  château  d'Aspremont  qui  fut  promptement  réduit,  el  de  là  à 
Blaye,  où  il  devait  avoir  une  conférence  avec  le  comte  Sanche. 
Mais  pendant  la  tenue  de  cctleconférence  Bernard  était  entré  en 
campagne.  Il  se  dirigea  sur  Confolensj  s'empara  du  bourg  et  de 
ses  faubourgs  qu'il  brûla,  fit  de  nombreux  prisonniers  et  enfin 
mit  le  siège  devant  le  vieux  château  où  se  tenait  alors  la  femme 
d'Hugues.  Ce  derniervenait  de  rentrera  Lusignan  quand  un  mes- 
sager lui  apporta  ces  nouvelles;  il  se  rendit  aussitôt  auprès  du 
comte,  mais  ne  put  décider  celui-ci   à  lui  venir  en  aide.  Néan- 
moins Bernard  ne  l'allendit  pas;  à  son  approche  il  leva  le  siège 
de  Confolens  après  avoir  causé  au  domaine  de  Lusignan  plus  de 
50.000  sous  de  dommage. 
Toutefois  la  lutte  n'était  pas  terminée.  Peu   de  temps  après, 


(i)  Ces  faits  ae  passèrent  ea  to23  au  plus  tard,  Tévéque  Géraud  ëlani  mort  le 
Il  novembre  de  celle  anaée  (Voy.Duplès-Ajrier,  C'/ii-on.  de  Limoijes,  p,  40;  B,  Itier, 
Bull,  (le  lu  Soc.  des  Antif/.  fie  ffJiies/,  |f«  série,  VI,  p.   ii3}. 


GIJILLAL'.ME  LE  GRAND 


■  63 


Hugues  alla  nicllrc  le  fini  au  cliiltcau  de  Geiiçay,  possession  do 
son  ennemi  Aimcri  11^  fil  prisonniers  des  hommes  cl  des  femmes 
el  enleva  luut  ce  qu'il  Irouva  h  sa  convenance.  Puis  il  s'en  fui 
Irouver  le  comte  cl  lui  demanda  la  permission  de  reconstruire 
le  châleau  ;  (luillaurae  lui  fil  celle  objeclion  qu'éLanl  pour  ce 
domaine  dans  la  \assalil6  de  Foulques,  comle  d'Anjou,  il  ne 
pourrail  se  dispenser  de  le  lui  remellre  si  celui-ci  le  lui  deman- 
dail.  A  quoi  Hugues  répondil  que  lorsqu'il  Oia'd  devenu  le  vassal 
de  Foulques  il  lui  avait  dil  que  si  ses  hommes  lui  faisaienl  des 
dommages  11  se  réservait  la  faculté  de  leur  enlever  une  portion 
de  leurs  biens,  el  que  s'il  ne  lui  reconnaissait  pas  le  droit  d'agir 
ainsi  il  ne  se  soumellrail  pas  à  sa  fidélité;  ce  à  quoi  Foulques 
aurait  répondu  :  «  Prends  aux  aulres  ce  que  lu  voudras,  mais 
ne  touche  pas  à  ce  qui  m'appartient.  »  Après  avoir  enlendu  ces 
paroles,  le  comle  laissa  Hugues  libre  d'agir,  el  lui  dit  :  «  Si  je 
puis  acheter  la  part  de  Foulques,  nous  posséderons  chacun,  toi 
el  moi,  une  part  du  château  >).Hitand  il  fut  construit,  Foulques, 
comme  on  pouvait  s'y  attendre,  réclama  ses  droits.  Hugues  lui 
répondit  que,  suivant  leurs  conventions  anciennes,  il  i|;îardait  pour 
lui  le  chàloau  qu'il  avait  pris  sur  ses  ennemis,  el  qu'il  consentait 
seulement  à  le  tenir  de  lui  en  vassalité,  ajoutant  qu'autrefois  il 
avait  appartenu  à  ses  parents  el  qu'il  y  avait  plus  de  droits  de  pro- 
priété que  ceux  qui  le  détenaient. 

Foulques  lui  posa  alors  celte  question  spécieuse  :  «Comment 
pourrais-tu  tenij-  de  moi  contre  mon  gré,  ce  que  je  ne  l'aurais 
pas  donné  ?  »  Hugues  se  retourna  alors  vers  le  comle  de  Poitou 
el  lui  demanda  conseil.  «  Si  le  comle  d'Anjou,  lui  répondit  Guil- 
laume, veut  le  donner  la  garantie  que  tes  ennemis  ne  rentreront 
pas  en  possession  du  château,  tu  ne  peux  le  garder  ;  autrement, 
ne  l'en  dessaisis  pas,  on  n'aura  aucun  reproche  à  l'adresser.  » 
Huguess'informa  alors  des  otages  que  pourrail  lui  donner  le  comle 
d'Anjou  ;  mais  celui-ci  refusa  absolument  de  s'engager  de  celle 
sorte  el  lui  dit  :  «  Je  m*entendrai  avec  le  comte  de  Poilou,  je 
lui  fournirai  des  otages,  il  t'en  donnera  à  son  tour  et  c'est  ainsi 
que  se  fera  l'accord.  »  Foulques  réclama  alors  au  comte  le  châ- 
teau d'Hugues.  «Je  ne  te  te  rendrai  jamais,  dit  celui-ci,  sans  avoir 
des  gages.  »  Ft  il  dit  à  son  tour  à  Hugues  :  «  Je  suis  disposé  à 


iH 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


t'en  donner,  lesquels  ^feux-lu  ?  •>  A  quoi  ccluî-ci  répondit  :  «  Ac- 
cepte ce  que  lu  voudras  du  comte  Foulques  et  donne-moi  ce 
que  je  requiers.  Je  demande  l'homme  qui  garde  la  tour  de  Mette, 
de  sorte  que  si  Aimeri  a  la  forteresse  sans  mon  gré  et  qu'il  pût 
de  cela  ra'advenir  du  dommage,  le  gardien  de  la  tour  la  remettra 
entre  mes  mains.»  —  «Cela  je  ne  puis  le  faire,  dit  le  comte (^).  » 
Alors  ïlugues  voulut  Chîzé  ;  le  comte  refusa  encore,  prélexlant 
qu'il  n'ulait  pas  en  son  pouvoir  d'en  disposer  ainsi.  Ce  que  voyant, 
Hugues,  irrité,  se  relira  à  Gençay  qu'il  fortifia)  et  munît  de  tout 
ce  qui  était  nécessaire  pour  soutenir  un  long  siège  s'il  fallait  en 
arriver  à  une  guerre  ouverte. 

Le  comte  revint  à  la  rescousse  el,  pour  attirer  la  confiance 
d'Hugues,  lui  donna  rendez-vous  hors  de  la  cilé,  lui  faisant  dire 
par  le  comte  d'Angoulême  de  venir  se  meltre  à  sa  merci,  car  il 
ne  pouvait  se  faire  qu'il  ne  prôlûl  pas  aide  au  comte  d'Anjou  et 
d'autre  part  il  ne  voulait  pas  se  risquera  perdre  l'amitié  et  d'flu- 
gués  et  de  Foulques.  Le  sire  de  Lusignan  se  rendit  à  l'invitation  du 
comte,  el  lui  dit  :  «Je  mets  toute  maconfîance  en  loi,  maisprends 
bien  garde  de  ne  pas  la  fausser,  car  alors  je  cesserai  d'être  Ion 
fidèle  ;  pour  plus  de  garantie,  si  lu  neveux  pas  me  donner  d'autres 
cautionsje  te  demanderai  de  prendre  rengagement  que  mon  fief 
soit  considéré  comme  un  otage  que  tu  m'aurais  donné, de  sorte  que 
si  lu  ne  tenais  pas  les  promesses  donl  il  serait  le  garant, je  ne  res- 
terais plus  jamais  à  Ion  service  cl  je  serais  délié  de  tous  les  ser- 
raentsquejct'auraisfaits.» — «Qu'il  en  soit  ainsi,répondil  le  comte.» 
Hugues  remit  alors  le  châteati  de  Gençay  à  Guillaume,  malgré 
l'opposition  de  ses  hommes  ;  toutefois,  avec  celte  clause  restrictive 


(i)  Oa  remarquera  que  le  comte  de  Poitou  déclare  ne  poarolr  disposer  de  la  tour 
de  Melte,  c'est-à-Jire  de  la  forteresse  nui  prolêgcait  celte  localilé.  Il  esl  h  croire  qu'il 
en  avait  déjn  fuit  dun  à  GuiURumcd'Aii^oulcme,ctdccerail  semble  découler  une  con- 
séquence qui  n'avait  pas  échappé  ù  la  saijacilê  de  M.  Lecoiulrc-Duponl  {Essai  sur 
les  monnaies  frappées  en  Poitou,  i84o,  p.  82).  Ce  savant  avait  conclu  de  rnbandoo 
de  Mellc  par  le  comte  de  Poitou  que  les  mines  de  plomb  argentifère  de  cette  région 
étatcnl  épuisées  et  que  l'atelier  monétaire  de  Mellc  était  fermé.  On  ne  comprendrait 
pas  que  le  comte  aurait,  par  un  acte  de  géncrusité  excessive,  abandonné  la  source 
d'un  de  ses  plus  importaats  revenus  ;  aussi,  n'ayant  b  utiliser,  comme  matière  pre- 
mière, que  du  mêlai  déjà  employé  qui  était  refondu  ù  nouveau,  il  transféra  ailleurs 
lo  centre  de  sa  fabrication  monétaire,  sans  toutefois  apporter  de  modification  au  type 
si  caoDu  de  ses  monnaies  :  on  coulinuadonc  de  frapper  des  <c  mailJiîS  »  dans  de  nou- 
veaux ateliers  qui  furent  Poitiers,  Niort  et  Sainl-Jcan  d'ADgély. 


GUIIXAUVIK  LE  <;ilAND 


t65 


qu'il  ne  serait  pas  rendu  à  Aimeri  sans  sonconsentemenl  et  qu'il 
ne  lui  en  ad  viendrait  aucun  dommage.  Mais,peu  après,  le  comle, 
sans  se  soucier  d'Hugues,  ci5da  le  château  à  Aimeri  et  recul  en 
retour  une  terre  seigneuriale  et  de  l'argent.  Comme  Hugues  ne 
tarda  pas  *i  6 Ire  moloslô  lanl  dans  ses  biens  que  dans  ceux  de 
ses  vassaux,  par  reiïelde  celte  opéralionjl  reclama  une  compcn- 
salion.Le  comte  lui  Ht  réponse  que, quand  bien  même  le  monde 
entier  lui  apparlicndrail,  il  ne  lui  en  abandonnerait  pas  de  la 
grandeur  d'un  doigt.  Furieux,  Hugues  se  rendit  h  la  cour  du 
comle  et  renia  la  foi  qu'il  lui  devait  pour  toutes  choses,  excepta 
pour  sa  personne  et  son  domaine  de  Lusignan.  Puis  il  se  mil  en 
campagne  et  alla  assiéger  Chizé,  dont  il  s'empara  et  en  chassa 
Pétrone,  qui  avait  le  commandement  de  la  tour.  Pour  excuser  son 
action,  il  mettait  en  avant  que  ce  domaine  avait  appartenu  à  son 
père  ou  à  quelque  autre  de  ses  parents.  Guillaume,  tenant  à  ren- 
trer] en  possession  de  la  lour  de  Chi/é  et  voyant  qu'il  ne  pouvait 
venir  à  bout  des  incessantes  réclamations  d'Huguos  au  sujet  de 
ses  droits  successoraux  plus  ou  moins  réels  sur  une  foule  de 
domaines,  se  décida  à  lui  donner  satisfaction  sur  un  point.  Il  lui 
fit  offrir  de  lui  abandonner  le  fief  de  Jousselin,  l'oncle  d'Hugues, 
avec  le  château,  la  tour  et  toutes  ses  dépendances,  moyennant 
quoi,  de  son  côté,  celui-ci  déclarerait  renoncer  à  toutes  les 
prétentions  qu'il  avait  émises  ou  pourrait  vouloir  produire  au 
nom  de  son  père  ou  de  ses  autres  parents.  Des  pourparlers 
s'engagèrent,  on  lutta  de  finesse  de  côté  et  d'autre,  et,  en 
somme,  Hugues  arriva  à  ses  fins,  car  cet  héritage  de  son  oncle 
Jousselin  n'élail  autre  que  la  terre  de  Vivonne,  voisine  du  châ- 
teau de  Lusignan  et  dont  la  possession  augmentait  considéra- 
blemenU'élendue  de  son  domaine  patrimonial.  Guillaume  le  fil 
revenir  à  sa  merci,  lui  fit  jurer  fidélité,  à  lui  et  à  son  fils,  se  fil 
rendre  Cliizé  et  lui  livra  enfin  le  fief  de  Jousselin.  Par  \h  furent 
assoupies  toutes  contestations  entre  le  comte  et  Hugues,  qui 
mourut  un  an  après  (1). 


(i)  Hugues  dut  mourir  dans  le  coiiranl  de  l'année  loaS  ou  1026,  peu  après  qu'il 
eut  obtenu  du  pape  Jean  X!X,  par  l'eulrcriiisc  de  révèque  do  l'oitlers,  uoe  butio 
d'exeniplioQ  el  le  privilén;e  unissant  son  prieuré  de  Noire-Dame  à  l'abbaye  de  Noaillé 
(Arcbiv.  de  la  Vienne,  orig.,  Nooillé,  no  83). 


iOt> 


LES  COMTES  DE  POITOU 


11  aurait  616  difficile,  à  défaut  de  dates  précises,  de  scinder  en 
plusieurs  parties  ce  récit  imagé  des  rapports  qui  ont  existé 
entre  Guillaume  le  Tirand  et  Hugues  de  Liisignan,  el  dont  l'ins- 
pirateur n'est  autre  que  ce  dernier  ;  il  aurait  perdu  de  son  in- 
lérêl  et  nous  n'aurions  pu  en  tirer  l'enseignement  qui  ressort 
-de  ce  spectacle  donné  par  un  ambitieux  avide  qui  élale  sans 
voiles  ses  grossiers  appétits,  et  qui  nous  apprend  combien  le  lien 
do  vassalité,  si  élroJt  enlre  l'homme  et  son  seigneur  dans  le 
monde  féodal,  élait  alors  imparfaitement  établi.  L*altache 
n'était  encore  que  personnelle  et,  par  suite,  pouvait  se  modi- 
fier suivant  les  circonstances;  il  lui  faudra  devenir  réelle  pour 
rester  immuable  (f). 

La  satisfaction  qu'Hugues  de  Lusignan  obtint  du  comte  de 
Poitou  par  l'abandon  du  Oefde  Vivonne  doit  remonter  à  l'année 
102i,  et  précéder  de  peu  rechange  de  terres  qu'il  lit  avec  le  cha- 
pitre de  Sainl-Hilaire  de  Poitiers  pour  la  fondation  du  prieuré 
de  ivoire-Dame  de  Lusignan,  échange  qui  ne  pouvait  se  faire  que 
du  consentement  exprès  ducomle,  en  sa  qualité  d'abbé  de  Saint- 
llilairo.  L'acte  qui  permit  h  Hugues  de  donner  suite  h  ses  projets 
est  du  G  mars  1025,  et  il  fut  passé  en  présence  du  comte  et  do 
toute  sa  cour.  Parmi  les  assistants,  on  remarque  Egfroi,  vicomte 
de  Chàtellerault,  et  l'on  doit  conclure  de  ce  fait  qu'Hugues  avait, 
en  recevant  \1vonne,  renoncé  à  se  prévaloir  des  promesses  qu'il 
prétendait  lui  avoir  été  faites.  Il  avait  en  effet  soutenu  que  le 
jour  oii  Uohon,  évoque  d'Angoulème,  avait  baisé  le  bras  de 
Guillaume,  c'est-à-dire  s'était  reconnu  son  fidèle  vassal,  le  comte 
s'était  engagé,  devant  Févêque,  à  lui  donner,  après  la  mort 
du  vicomte  Boson,  la  jouissance  Lénéficiaire  de  la  vicomte  de 


(i)  Le  texte  de  cette  relation,  écrite  dans  uq  lalia  barbare,  fait  partie  d'uo  manus- 
crit de  la  lîibliolhèque  Nnlionalo  {n*  Sçjay  du  fonds  lalio}.  Il  a  été  publié  par  Ucsly, 
dans  les  preuves  de  son  Histoire  d«acomlcsdu  Poitou  (pp.  a88  ùis  el  suivantes)  et  par 
Labbe,  dans  hi  A'ùi'a  bihliolktca  maniiscripfofiim,  II,  pp.  i85  Cl  BS.  Commi;  la  plu- 
part des  documents  de  cette  époque,  il  ac  porte  pas  de  dnlc,  d'où  nombre  d'erreurs 
dont  il  a  été  bi  cause.  Il  est  sûrement  postérieur  à  l'élévalion  de  Rolion  à  révôchc 
d'Angoulcnic,  <|ui  cul  lieu  vers  1020,  et  anlcrieur  à  la  fondation  du  prieure  de  Notre- 
Dame  de  Lusignan,  c'est-à-dire  au  0  mars  joiS.  Nous  ne  serions  pas  éloiyaé  de  croire 
que  c'est  lors  des  pourparlers  qu'llutjues  enjfapeait  avec  le  duc  Guillaume  pour  obte- 
nir la  cession  Je  territoires  qu'il  ambiliouniiit  auprès  de  son  cîiAleau  que,  de»  conces- 
sions ayant  été  faites  de  part  el  d'autre,  le  sire  de  Lusignan  présenta  au  duc  le  méniO'irc 
de  ses  revendicaiions  qui  nous  est  bcureusemcot  parvenu. 


(il.'lLLAUMF:  LE  GRAND 


167 


ChAlelierault.  Lttsignan  n'en  fui  pas  pourvu,  la  présence  d'Eg- 
froi,  fils  de  Boson  à  l'acle  de  925,  suflil  pour  l'allesler  (1). 

Celle  saisine  ou  main-mise  sur  les  biens,  voire  môme  sur  la 
femme  de  son  vassal  décédé  que  nous  avons  vu  le  comte  de  Poitou 
meltre  en  pratique  après  la  niorl  des  seigneurs  de  Parlhenay  el 
de  Vivonne,  eu  verlu  de  ses  droils  de  suzeraineté,  il  l'appliqua 
aussi  sur  une  plusgrande  écbelle  onsaqualilô  de  ducd'Aquilaine. 
Boson,  le  comte  de  la  Marche  el  de  Périgord,  qui  semble,  depuis 
son  accord  avec  le  duc,  avoir  toujours  vécu  en  bonne  intelligence 
avec  lui,  mourut  à  Périgueux  en  1006,  empoisonné  par  sa  femme, 
disent  les  liisloriens  (2).  Guillaume,  à  cette  nouvelle,  se  hâta  de 
mettre  la  main  sur  ses  états,  el  s'adjugea  la  tutelle  de  ses  enfants 
mineurs  et  de  son  neveu,  le  fils  d'Audel>erl.  Pendant  plusieurs 
années  les  deux  comtés  furent  administrés  parle  duc  d'Aquitaine, 
qui,  lorsque  ses  pupilles  furent  arrivés  à  leur  majorité, leur  parta- 
gea l'héritage  de  leur  grand-piire  Boson  !,  que  le  défunt  avait, 
comme  nous  l'avons  dit,  entièrement  usurpé.  11  donna  Périgueux 
il  Hélie,  le  fils  de  Boson  11,  el  rendit  la  Marche  a  Bernard,  le  fils 
d'Audebert,  auprès  de  qui  il  plaça  comme  conseils  etpoul-ctre 
comme  surveillants  deux  hommes  dévoués,  Pierre,  abbé  du  Dorai, 
et  llumbcrt  de  Droux,  fils  d'Abbon,  l'ancien  défenseur  de  Bellac. 
-Mais  après  la  mort  de  ce  dernier,  Pierre,  resté  seul  au  pouvoir, 
en  abusa  el  le  duc,   forcé  de   défendre  le  comte  de   la  Marche 
contre  les  menées  'de  son  tuteur,  dut  chasser  celui-ci  de  vive 
force  (3). 

Vers  ce  temps,  Guillaume  perdit  sa  mère.  Depuis  Tavènement 
de  son  fils,  Emma  n'avait  cessé  de  prendre  part  au  gouvernement 
du  comté  de  Poitou  et,  par  son  habileté,  en  lui  faisant  épouser 
Aumode,  elle  avait  beaucoup  contribué  à  assurer  sa  domination 

(1)  Le  récit  de  l'entfagemeal  pris  par  le  comte  au  sujet  de  la  vicomte  de  QjiUcl- 
Jerautt  se  trouvant  ea  tète  du  mémoire  d'IIug'ucs  de  Lusig'D.in  et  prccédual  des  évé- 
nements <|ui  se  sotit  passés  vers  iui2,  les  historieDS  ont  cru  de\t)ir  placer  à  celle  épo- 
que Ja  mort  du  vicomte  Boson,  mais  ils  ont  fait  erreur,  car  Rohonj  appelé  en  témoi- 
gnage par  Hugtj;es,no  fut  nommé  évéque  qu'en  1120;  la  mort  de  Uoson  est  donc  pos- 
térieure à  celte  date, ce  qui  cal  d'accord  avec  ce  que  l'on  sait  de  son  successeur  Egfroi 
qui  n'est  désigné  pour  la  preiniiTe  fois  en  tiualilé  de  vicomte  que  vers  t'an  lo/'i  ou 
1024  dans  une  donalion  *juc  fit  le  comte  de  Poitou  aux  chanoines  de  sa  calhcdrnle 
(Arch.  de  la  Vienne,  orii;.,  chapitre  calhédral  de  l'uiliers,  u"  1). 

(a)  Chrun,  tlAtlàiidr,  p.  1G7. 

(3)  Chrun,  d'Adétiiur,  p.    1O8. 


i6S 


LES  COMTES  DE  POITOU 


comme  duc  d'Aquilaine.  il  lui  avait  du  resle  laissé  une  part  im- 
porlanle  d'aylorilé(l);  elle  disposait  î\  son  gré  de  son  douaire  et 
c'est  ainsi  qu'elle  donna  à  Tôvôque  de  Poîliers  le  domaine  de 
Sainl-Paul-en-G;\line  et  qu'elle  établit  sur  les  habitants  de  la  ville 
de  Saint-Maixent,  pour  tenir  lieu  du  service  militaire  auquel  ils 
auraient  pu  être  astreints,  le  lourd  iuipùl  connu  sous  le  nom 
d'ariban  (2)»  Elle  possédait,  on  ne  sait  h  quel  litre,  les  domaines 
de  Coudres  el  de  Longueville,  dans  le  diocèse  d'Évreux;  elle  en 
fit  don  à  Tabbaye  de  Bourgueil  et,  au  mois  de  septembre  1001, 
elle  se  rendit  à  Blois,  où  se  tenait  la  reine  Berllie  qui,  sur  sa 
demande,  confirma  celte  donation  (3). D'autre  part, elle  obtint  de 
son  fils  de  nombreuses  faveurs  tant  pour  le  monastère  de  Bour- 
gueil que  pour  celui  de  Maillezais,  ses  deux  [œuvres  de  prédilec- 
tion; mais  elle  ne  fut  pas  exclusive  et  il  esl  facile  de  constater, 
quand  on  la  voit  assister  à  de  nombreux  contrats  passés  au  profit 
d'abbayes  poitevines  et  leur  donner  plus  d*aulorité  par  sa  présence, 
qu'elte  s'intéressait  à  toutes  les  œuvres  pies,  méritant  par  là  la 
qualification  de  chérie  de  Dieu,  ama/ji!is  Deo^  qui  lui  est  donnée 
par  ses  contemporains  (4).  Le  dernier  acte  à  date  certaine  auquel 
elle  assiste  est  la  donation  de  Bretignotle  faite  par  son  fils  à  l'ab- 
baye de  Bourgueil,  du  27  décembre  1003,  mais  ctlc  étail  en- 
core de  ce  monde  lors  de  la  naissance  de  son  petit-fils  Guillaume, 
événement  qui  esl  forcément  postérieur  de  quelques  mois  à  cette 
date  (5).  Avant  de  mourir,  elle  disposa  par  testament  des  domai- 


(i)  Eq  996,  elle  est  même  qunliHîe  de  comtesse  des  Poilevlas  (Cart.de  Rourg-ueil, 
p.  23). 
(a)  Bruel,  Charles  de  Cliintj^  III,  p.  789;  A.  Richard,  Charles  de  Sainl^Matxent, 

p.  lO/j. 

(3)  Cari,  de  Dourg-ueil,  p.  4g< 

(/|)  Cart.  de  Bourg-ueil,  p.  aS,  On  la  vnil  faire  planter  en  vigne,  pour  l'usage  des 
religieux  de  Saint- Cypricn,  le  domaine  des  Hordes,  (jui  venait  de  leur  cire  donne 
{Cttrl.  de  Saini-('yprtetif  pas^c  127,  note  i), 

(5)  Besly,  f/isi.  des  comtes^  preuves,  p.  353;  Cart.  de  Bourg'ueil,  p.  aï,  Pierre 
de  Maillczais  (Labbe,  IVoim  bihLmun.,  H,  p.  228)  rapporte,  sans  loulcfois  s'en  porter 
garant,  1  ut  aiunl,  b  dit-il,  qu'Emma  serait  morte  à  r;\ije  de  f|uarante  cl  un  an,  la 
deuxième  année  du  règne  de  son  fils;  or  l'erreur  du  chroniqueur  est  manifeste,  car 
Emma  assista  avec  le  comte  Guillaume,  sa  femme  Aumodc  cl  leur  fils  Guillaume  à  la 
donation  de  l'église  de  Saint-.Maxire  h  Pabbayo  de  Sainl-Cyprien  [Cari,  de  Saint- 
Cypn'en,  p,  33o).  Comme  le  jeuoe  comte  n'était  pas  né  le  27  décembre*iot)3,  aiusi 
qu'il  résulte  de»  termes  de  la  cbaric  de  lli>urgiietl,sa  naissance  n'a  pu  avoir  lieu  qu'eu 
ioo4  au  plus  lût,  et  précéda  la  mon  de  sa  j^ranj'-raère.  Cî!le-ci,  lors  de  son  décès, 
ne  pouvait  avoir  moins  de  c5iii|iiantr-qualre  ans. 


GUILLAUME  LE  GR.\ND  ifty 

nés  qui  lui  restaient  après  les  nombreuses  générosités  qu'elle 
avait  faites,  et,  en  particulier,  elle  partagea  en  trois  parties  sa 
terre  de  Frouzille  dont  elle  attribua  un  tiers  <à  Sainl-Hilaire-le- 
Grand,  un  tiers  à  Sainle-Croix  et  l'autre  tiers  à  son  parent  Eble 
de  Châlelaillon  (I). 

Après  Emma,  Aumode  succomba  à  son  tour.  Elle  était  restée 
plusieurs  années  sans  donner  d'enfants  i\  son  mari;  c'est  ce  que 
le  comte  nous  apprend  lui-même  dans  Tacle  précité  où,  après 
l'énoncé  de  ses  générosités  aux  moines  de  Rourgueil,  il  leur 
demande  des  prières,  pour  lui,  pour  sa  mère,  pour  sa  femme,  et 
pour  ses  fils,  s'il  plaît  h  Dieu  do  lui  en  donner.  Ces  paroles  d'es- 
poir furent  exaucées,  car  il  lui  vint  un  fils,  sans  doute  l'année 
suivante,  et  peu  après  Aumode  disparut  de  ce  monde  ou  du  moins 
il  n'est  plus  fait  nulle  part  mention  de  sa  personne  (2). 

Guillaume, devenu  veur,songea  à  se  remarier  et  toujours  poli- 
tique il  chercha  à  contracter  une  alliance  qui  lui  fût  encore  pro- 
fitable. 11  fixa  son  choix  sur  Brisqiie,  sœur  de  Sanche-Guillaume, 
duc  de  Gascogne,  son  puissant  voisin  (3).  Cette  union,  outre  ses 
conséquences  immédiates,  en  produisit  dans  l'avenir  que  le  comte 
de  Poitou  lui-même  ne  pouvait  prévoir:  il  arriva  en  effet  que,  la 
descendance  masculine  de  Sanche-Guilhiunie  étant  venue  à  dis- 
paraître, le  fils  de  Brisque  devint  de  droit  duc  de  Gascogne  et 
réunit  ce  litre  à  celui  de  duc  d'Aquitaine  (4). 

(Quelque  temps  après,  en  Tannée  1014,  il  se  produisit  dans  les 


(i)  Arch.hiat,  da  Poitou^  i,  p.  3o.  Cart.  de  Saicit-Nîcolas  de  Poilîers. 

(2)  La  (laie  précise  de  la  mort  d'Aumode  n'est  pas  coDoue  ;  son  Dom  se  relrouve 
dans  les  chartes  poiteviocs  de  Wu  looo  à  ioo5(Voy.  Car/,  de  Saint-fltjprien,  pp.  33o, 
3io-3ii  ;  Besly,  Hisl.  des  comtes,  preuves,  p.  354);  Chron,  d'Adémar,  p.  167; 
Marchegay,  Chron.  des  égl.  cC Anjou,  p.  388,  SaÎDl-Maixenl. 

(3)  La  chronique  de  Saint-Maixenl,  après  avoir  annoaeé  (p.  387)  le  mariage  de 
Guillaume  le  Grand  avec  Brisque  de  Gascog'nc, /?r<>ca,  mentionne  bien  plus  loin  la 
mort  de  celte  comtesse  (p.  3S8),  mais  alors  elle  lui  donne  le  [nom  de  Sancie,  Sanci'a^ 

(4)  L'union  de  Brisque  avec  Guillaume  le  Grand  se  fit  au  commencement  de  l'année 
ion,  son  frcrc  Sancbe,  qui  la  maria,  n'étant  devenu  duc  de  Gascos;Tie  quo  par  la 
mort  de  son  père,  Dernard  Guillaume,  advenue  le  jour  de  Noiii  loio.  En  outre,  ce 
mariage  est  antérieur  au  10  mars  de  l'année  101 1,  car,  dans  une  charte  de  l'abbaye 
de  Saiul-Maixcnt  portant  cette  date,  il  est  question  de  la  femme  et  du  fils  du  comte 
(A.  (licbard,  6Viar/e9  r/e  Saint  Maixent,\,  p.  91),  Ce  fils  était  Guillaume,  rcnfant 
d'Aumode,  Eudes,  le  fils  aine  de  Brisque  n'étant  pas  encore  né,  autrement  son  pcre 
n'aurait  pas  manqué  de  le  faire  nommer  dans  l'acte.  Il  est  question  de  Brisque  dans 
quelques  chartes  poitevines  comprises  entre  celte  date  de  ion  et  1018  (Voy.  Cari, 
de  Saint-Ci/prien,  pp.  5o,  194  et  Î28), 


I70  LES  COMTES  DE  POITOU 

étals  de  Guillaume  un  évfnenienl  qui  oui  i 
menl(l).  Audouin,  abb6  de  Sainl-Jean  d'Angtiy,  m  loul  â  coup 
répandre  le  broit  qiio,  dans  les  ruines  de  l'ancienne  église  du 
monaslcrc,  on  avait  rclrouvé  la  lôle  de  saint  Jean-Baplisie,  encluls- 
s6e  dans  une  boîte  de  pierre  ayant  la  forme  d'une  pyramide.  Celte 
précieuse  relique  était  disparue  depuis  les  invasions  normandes 
et  c'est  avec  des  transports  d'enthousiasme  que  le  montle  cliré- 
lien  devait  apprendre  sa  réapparition.  Guillaume,  qui  était  allé 
en  pèlerinage  à  Home  où  il  avait  passé  les  fêtes  de  Pâques, ordonna 
aussitôt  son  retour  de  montrer  aux  populations  cet  insigne  trésor 
religieux  qu'il  lit  placer  dans  un  reliquaire  en  argent  massif  sur 
lequel  on  grava  ces  mois  :  Hïc  reqmescU  capul  precursorls  Domi- 
ni.  Là  repose  la  tête  du  précurseur.  Cette  ostension  fut  le  signal 
de  grandes  fêtes  religieuses  auxquelles  prit  part  une  multitude 
de  peuple  venue  d'Aquitaine,  de  France,  d'Espagne  et  d'Ilalie, 
et  parliculièrement  de  grands  personnages,  tels  que  le  roi  de 
France  Robert  et  sa  femme  Constance,  le  roi  de  Navarre  Sanclie, 
le  duc  de  Gascogne  Sanche-Guillaume,  Eudes  comte  de  Cham- 
pagne, Isembert  de  Cliâlelaiiloti  ;  des  comtes,  des  évêqucs^  des 
abbés,  une  foule  immense,  aflluèrent  dans  le  monastère.  Parmi 
ces  visilcurs,  nous  cilerons  Géraud,évéque  de  Limoges,  qui,  au 
mois  d'octobre,  se  mit  en  route  avec  l'abbé  de  Sainl-Martial  et  son 
clergé  en  emportant  les  reliques  de  saint  Martial  et  celles  de  sa 
cathédrale  dans  un  coiïrel  recouvert  d'or  el  de  pierres  précieuses. 
Les  Limousins  passèrent  parCbarroux  et  arrivèrent  à  Saint-Jean 
où  Géraud,  après  avoir  célébré  sa  messe  d'arrivée,  bénit  les 
pèlerins  qui  l'accompagnaient  avec  la  tôte  du  Précurseur.  Ils  en 
repartirent  cinq  jours  avant  la  fôte  de  la  Toussaint  (2). 

Malgré  la  foi  profonde  dans  le  merveilleux  qui  caractérise  par- 
ticulièrement cette  époque,  les  circonstances  de  la  découverte  du 
chef  de  saint  Jean-Baptiste  furent  si  extraordinaires  qu'elles  sou- 
levèrent quelques  doutes  (3).  Aussi  le  comte  de  Poitou,  soucieux 


I 


(i)  Voy.  Appendice  V. 

(a)  (Ihron.d'Aihknar,  p.  l'^çy, 

(3j  Aciémar  se  fait  quelque  peu  l'écho  Je  ces  bruits  quaad  il  dit  ;  oq  rapporte  que  le 
criine  découvert  à  Stiinl-Jean  d'Aoçély  émit  le  propre  chef  du  Prccurseur  :  «  quod 
saDctum  caput  dicunt  esse  propriuni  Uaplislii;  Johannis  u  {Chron.,  p,  170),  mais  ils 
8onl  clairement  cAprisnés  dans  une   vie  de  saint  Léonard,  que  Besly  rcnconlra  dans 


GUÎTXAUME  LE  GRAND 


»7« 


de  s*éclairer,  ordonna-t-îl  aux  évêques  de  la  province  de  Bor- 
deaux el  à  ceux  qui  y  élaienl  étrangers,  mais  qui  se  Irouvaienl 
sous  sa  domination,  de  se  rassembler  à  Sainl-Jean  d'Angély,  afin 
d'examiner  si  le  chef  que  l'on  présentait  au  peuple  était  bien 
celui  du  Précurseur.  L'opinion  des  prélats  fut  favorable  et  les 
oslcnsions  se  renouvelèrent  sans  cesse  (1). 

Dans  le  nombre  des  personnages  qui  y  prirent  part  se  Irouvail 
Théodelin,  abbé  de  Maillezais,  qui,  par  une  pieuse  tromperie, 
chercha  à  dérober  une  des  dents  du  chef  sacré  ;  selon  l'auteur  du 
récit  il  en  fui  miraculeusement  puni,  ce  qui  ne  put  que  contribuer 
à  accroître  la  confiance  populaire  dans  la  vénérable  relique  (2^. 

Aussi  les  offrandes  de  toutes  sortes  alTluaient-elles  au  monas- 
tère de  Saint-Jean.  Le  roi  Robert,  entre  autres,  lui  donna  une 
conque  en  or  pur,  pesant  30  livres,  ainsi  que  de  précieuses  étoffes 
pour  faire  des  ornements  d'église.  Celle  abondance  de  biens  et 
le  désordre  que  produisait  forcément  dans  l'abbaye  l'inlroduction 
constante  d'éléments  étrangers  y  amena  un  profond  relâchement 
et  Guillaume,  imitant  à  moins  d'un  siècle  de  distance  ce  qu'avait 
fait  son  aïeul  Tète  d'Éloupe,  fut  contraint  d'intervenir  afin  de 
rétablir  la  discipline  régulière.  Il  chargea  de  ce  soin  Odilon,  le 
célèbre  abbé  de  Cluny,  qui  plaça  successivement  à  la  tète  de 
l'abbaye  deux  de  ses  disciples,  llaymond  el  Aimeri. 

xMais  cette  réforme  ne  fut  pas  du  goùL  de  tout  le  monde,  et  par- 
ticulièrement de  ceux  qui  profilaient  de  l'existence  luxueuse  que 
leur  procurait  la  générosité  des  fidèles.  Un  jour,  les  hommes  des 
religieux  se  soulevèrent  contre  les  agents  que  le  comte  entretenait 
à  Saint-Jean,  blessèrent  morlellemenl  son  prévôt  et  mirent  à  bas 
sa  résidence,  celle  dans  laquelle  il  avait  si  faslueusement  reçu 
les  pèlerins  de  haute  marque.  On  était  dans  le  temps  de  carême. 


lea  archives  du  clupitre  de  Saiol-IIilaîre-le-Grand  de  Poilicrs,  où  il  est  dit  qu'il  parut 
douteux  A  un  grand  nomlirc  de  personnes  que  la  lète  du  Précurseur  se  trouvûl  à 
Soinl-Jcan  d'Anq^ély  :  u  ut  plurimis  vtderetur  dubium  ulrum  S.  Johannis  capul  liabc* 
retur  apud  Ang^cliacum  »  ^Bcsly,  ///*/.  des  comtes,  preuves,  p.SaS).  OuCan;^  éloLlil, 
dans  son  Traité  hislorif/ue  du  chej  de  S.  Jenn-Daptisle  (Paris,  i605, 10-4",  chap.  V 
et  VI).  que  si  celle  relique  avait  été  conservée  elle  devail  se  lrouv«r  à  .Amiens  el  que 
le  crûne  possédé  par  le  mouaatère  de  Saial-Jean  oe  pouvait  élre  que  celui  de  saint 
Jean  d'Edesse. 

(i)  Hesly,  Hi$t.  <ieg  comtes,  preuves,  p.  3x5:  Boll.,  Acla  Sanctoram,  t.  IVjunii, 
p.  755. 

(a)  Labbe,  Xoim  biOl.  man.,  II,  p.  284,  Pierre  de  Maillezais. 


17s 


ÎS  COMTES  DE  POITOU 


L'entourage  de  Guillaume,  et  partieulièremonl  Foulques  Nerra, 
qui  faisait  alors  à  Poiliers  son  service  de  plaid  el  qui  élail 
toujours  partisan  des  résolutions  extrêmes,  lui  conseilla  de 
détruire  le  bourg  de  Saint-Jean,  de  chasser  les  moines  de  l'ab- 
baye et  de  les  remplacer  par  des  chanoines.  Bien  que  le  comle 
fût  profondément  outré  de  l'injure  qui  lui  avait  été  faite,  il  ne 
se  laissa  pas  entraîner  par  des  conseils  intéressés,  et,  avec  la 
sagesse  el  la  prudence  qu'il  mellait  en  toutes  choses,  il  préféra 
calmer  la  sédition  plutôt  que  de  recourir  à  l'emploi  de  la 
force  (1).  Puis,  voyant  avec  justesse  quelle  était  la  cause  initiale 
de  tous  ces  désordres,  il  ordonna  de  cesser  les  oslensions  du 
chef  du  Précurseur,  le  fit  replacer  dans  la  pyramide  qui  le 
contenait  primitivement  et  au  devant  de  laquelle  un  encensoir 
d'argenl  fut  suspendu  par  de  petites  chaînes  (2). 

Vers  celte  époque»  on  put  craindre  un  retour  offensif  des  enne^ 
mis  du  nom  chrélien.  Malgré  rétablissement  de  Rollon  en  Neus- 
Irie  et  la  conversion  au  christianisme  des  populations  du  nord, 
il  y  avait  toujours  chez  elles  des  hommes  d'aventures  que  tour- 
mentait le  souvenir  des  fructueuses  expéditions  du  passé.  De 
temps  en  temps  une  bande  quittait  les  fîords  du  Danemark  el  de 
la  Norwège  et  se  lançait  sur  l'Océan  à  la  recherche  de  l'im- 
prévu.Le  littoral  du  Poitou, d'un  accès  si  facile, avait  pour  eux  une 
attirance  particulière.  Uujour,  une  troupe  de  Normands  aborda 
non  loin  de  l'abbaye  de  Saint-Michel-en-Lherm,  cherchanl  l'oc- 
casion de  faire  un  bon  coup.  Or  Emma,  femme  de  Guy,  vicomte 
de  Limoges,  se  rendait  en  ce  moment  à  l'abbaye  en  pèlerinage. 
Elle  voyageait  de  nuit  en  loute  sécurité,  lorsque,  le  30  juin,  jour 
de  la  fêle  de  saint  Martial,  elle  fut  prise  par  les  forbans  qui  rem- 
menèrent en  captivité  et  la  retinrent  pendant  trois  ans  au  delà 
de  la  mer.  Des  propositions  de  rachat  leur  furent  faites,  mais  ils 
mirent  longtemps  à  les  accepter  ;  enfin,  on  sortit  du  trésor  de 
Saint-Martial  une  grande  quantité  de  matières  précieuses  et  en 
particulier  une  statue  de  saint  Michel,  en  or,  ainsi  que  de  nom- 
breux ornements  qui  leur  furent  remis.  Mais  les  Normands  n'é- 
taient  plus  des  guerriers,  comme  par  le  passé;  c'étaient  des 


(1)  Chron.  d'Adémar,  p.  i8i. 

(2)  Chron.  d'Adémar,  p.  i84. 


GUILLAITME  LE  GRiVND 


.73 


pirates  pour  qui  la  foi  jurée  ne  cotnptail  pas;  ils  reçurent  la 
rançon,  mais  ne  rendirent  pas  la  vicomlcsse,  qui  ne  dut  sa  déli- 
vrancequ'aux  bonsonicesde  Uicbard,  duc  de  Normandie,  lequtil, 
grâce  aux  attaches  que  les  siens  avaient  toujours  conservées  avec 
leur  pays  d'origine, finit  par  obtenir  qu'Emma  fùl  rendue  à  la 
liberté  (1). 

Le  succès  de  ce  coup  de  main  devait  forcément  amener  de 
nouvelles  tentatives  de  déprédations.  Aussi,  un  jour,  une  véri- 
table armée  d'invasion  se  dirigea  vers  l'Aquitaine  et,  au  mois 
d'août,  aborda  sur  les  frontières  du  Poitou.  A  cette  nouvelle, 
Guillaume, se  conformant  à  la  pratique  qu'il  suivait  toujours  dans 
les  circonstances  solennelles^  ordonna  aux  évêqucsde  recomman- 
der aux  peuples  de  lui  attirer  le  secours  divin  en  observant  ie 
jeûne  et  en  chantant  les  litanies,  puis,  à  la  tête  d'une  troupe  d'6- 
lile,  il  marcha  contre  les  envahisseurs.  Le  comte,  arrivé  le  soir 
auprès  d'eux,  attendit  jusqu'au  lendemain  pour  commencer  l'at- 
taque, mais  les  Normands,  qui  étaient  inférieurs  en  nombre, 
appelèrent  celle  fois  encore  à  leur  aide  les  ressources  de  leur 
génie  rusé.  Pendant  la  nuit  ils  creusèrent  autour  de  leur  camp  do 
nombreuses  petites  fosses  qu'ils  recouvrirent  de  gazon.  Ce  qu'ils 
espéraient  ne  manqua  pas  d'arriver.  Dès  le  malin,  les  Aquitains, 
avec  l'imprévoyance  dont  ils  donnèrent  si  souvent  des  preuves, 
ayant  Guillaume  àleurlête,  se  lancèrent  àtoute  bride  contre  leurs 
ennemis,  mais  leur  course  fut  arrêtée  par  l'obstacle  caché  :  les 
chevaux,  tombant  dans  les  trous,  se  renversaient,  et  les  Normands 
se  précipitant  sur  les  cavaliers  pesamment  armés  et  qui  avaient 
peine  à  se  relever,  les  faisaient  prisonniers.  A  la  vue  de  ce  dé- 
sastre, ceux  qui  suivaient  s'écartèrent  prudemment  des  obstacles 
dont  ils  pouvaient  redouter  en  tout  lieu  Texistence,  et  renon- 
cèrent à  poursuivre  leur  attaque;  le  comte  lui-même  faillit  être 
pris,  mais,  ne  perdant  pas  son  sang-froid,  il  réussit,  grûco  h 
son  habileté  de  cavalier  et  à  un  elFort  violent  de  son  cheval,  à 
franchir  la  fosse  contre  laquelle  celui-ci  avait  butté  et  il  put,  sain 
et  sauf  rejoindre  les  siens.  Toutefois,  de  crainte  de  voir  les  Nor- 


(1]  Chron.  d'Atfémar,  p.   iGG.  A  défaul  de  doIps  cbronolo^iqucs  fourutes  par  le 
chroniqueur,  oa  peu(  supposer,  d'apréij  la  place  que  ce  fatl  occupe  daas  la  suite  de  soo 
tt,  qu'il  se  passa  vers  l'année  loio. 


'7'^ 


LES  COMTES  DE  POITOU 


mands  mellre  leurs  prisonniers  à  morl,  il  ne  recommença  pas 
combat;  les  deux  parlis  passèrent  la  journi'Oà  s'observer, cl  enfin 
ia  nuil  suivanlo,  an  momcnl  de  la  pleine  mer,  les  pirates  remon- 
tèrenl  surleurs  navires  avecleurs  prisonniers  cl  gagnèronlle  large. 
Tous  les  capliTs  étant  des  personnagi^s  de  marque  el  de  Tenlou- 
raj;c  du  comlej celui-ci  ne  pouvait  les  abandonner  ;  pour  les  ra- 
cheter il  futconlrainl  de  faire  de  grands  sacrifices  et  ne  put  arri- 
vera ses  fins  qu'au  poids  de  ror.Toutefois  les  envahisseurs  s'étaient 
vus  si  près  de  leur  perle  qu'ils  sentirent  que  l'époque  des  vicloires 
faciles  étail  passée  et  ils  ne  reparurent  plus  sur  les  côtes  de 
TAquitaine  (I). 

Les  deux  incursions  successives  des  Normands,  les  actes  de 
piraterie  qu'ils  avaient  pu  commettre  impunément,  cl  qui  avaient 
été  sur  le  point  d'avoir  une  terminaison  si  néfaste,  donnèrent  à 
réllécliir  à  Guillaume.  Le  sens  gouvernemental  du  duc  était  trop 
ouvert  pour  qu'il  ne  se  soit  pas  dès  lors  aperçu  du  danger  per- 
manent qui  résultait  pour  ses  états  de  la  facilité  d'une  descente 
sur  les  côtes  désertes  du  Bas-Poilou.  Depuis  un  siècle,  rien  n'a- 
vait été  tenté  pour  remédier  à  Tétat  désolé  de  cette  région, 
absoluraient  dépeuplée  par  les  invasions.  Les  forêts  s'étaient 
développées,  le  pays  s'était  recouvert  de  bruyères  et  il  était 
devenu  pour  les  comtes,  ses  possesseurs  directs,  un  de  leurs 
plus  beaux  domaines  de  chasse.  Un  viguicr,  dominant  les  molles 
de  Brera  et  de  Talmont,  des  agents  forestiers  étaient  les  repré- 
sentants de  leur  autorité;  au  nord,  au  sud,  les  vicomtes  de 
Tliouars  etsous  eux  les  seigneurs  de  Farlhenay  possédaient  bien 
de  vastes  territoires,  mais  ces  puissants  seigneurs  se  contentaient 
d'en  tirer  les  maigres  revenus  qu'ils  pouvaient  donner  (2). 

Ce  n'est  pas  à  eux  que  le  comte  s'adressa.  Il  conçut  l'idée  de 

(ij  Chron.  d'Adémur,  p.  ijC.  Comme  daoa  le  paragraplie  précédent  le  clironî- 
queur  a  parlé  du  pape  lienoîl  VI II,  qui  rétjna  de  1012  à  1024, el  de  Geoffroy,  qui  fut 
abbé  de  Saint-Martial  de  Limoges  de  1008  ù  1020,  il  ne  semble  p.'is  que  révénement 
dont  il  est  ici  questioa  puisse  être  mis  après  l'année  1020;  nous  inclinerions  ptul^it 
à  placer  l'épisode  de  ta  vicomtesse  de  Linioi^cs  cl  celui  du  comte  de  Poitiers  sous  le 
régne  de  Suénou  I,  roi  de  Danemark,  qui,  de  lOoS  à  roi3,  ne  cessa  de  faire  des  expc- 
dilioas  marilirues  contre  l'Any^letcrre,  auxquelles  celles  dirigées  coatre  l'Aquitaine 
peuvent  bien  se  rattacher. 

(a)  Curl.  de  Suitit-Ctjprten,  pp.  SSS-SSg.  Les  possessions  des  seigneurs  de  Par- 
ihenay  et  de  Thouars  le  long  des  côtes  de  rOcéao,  cl  qui  rcmonlaienl  au  moins  jus* 
qu'à  la  rivière  de  Vie,  proveuaicnl  sans  util  doute  de  concessions  qui  leur  avaient  clé 
faites  par  Guillaume  Fier-à -Bras  après  soa  accord  avec  le  comte  de  Nantes. 


I 


GLILLAOIE  LE  GRAND 


«75 


redonner  la  vie  au  pays  en  y  appelant  une  populalion  nombreuse 
qui,  groupée  autour  de  ses  chefs  naturels,  sudirait  pour  arrêter 
toute  entreprise  hostile  venant  de  la  mer.  Mais  il  ne  pouvait 
entrer  dans  ses  vues  de  donner  à  ces  contrées  renouvelées  une 
organisation  autre  que  celle  qui  régissait  alors  la  société»  c'est-à- 
dire  une  organisation  féodale  ;  il  ne  pensa  peul-élre  même  pas 
à  faire  administrer  ce  territoire  par  ses  agents,  il  était  trop  certain 
que,  vu  la  tendance  à  inféoder  toute_charge  personnelle,  à  créer  ces 
liens  rallachanl  l'homme  l'un  à  l'autre  à  tous  les  degrés  de  l'échelle 
sociale,  et  qui  seuls  semblaient  conslituer  une  force  dans  une 
société  si  troublée,  il  chercha  dans  son  entourage  un  personnage 
doué  des  qualités  qui  lui  permellraienl  de  réaliser  le  projet  qu'il 
avait  en  vue. Son  choix  se  fixa  sur  un  guerrier  du  nom  de  Guillau- 
me, que  le  surnom  de  Chauve  dislingue  de  ses  successeurs.  Il 
devait  être  de  haute  race,  afin  de  n'avoir  pas  à  rencontrer 
dans  les  compagnons  qu'il  était  appelé  à  dominer  des  émules 
ou  des  rivaux,  et  nous  ne  serions  pas  surpris  que  ce  fût  un  des 
enfants  que  Guillaume  Fier-à-Bras  laissa  de  ses  nombreuses 
liaisons. Le  comlelui  donnale  pays  de  Talmond,  comprenant  loule 
la  région  sise  cuire  la  Jaunay,  TYon,  le  Lay  et  l'Océan,  avec 
l'île  d'Yeu,et  lui  fil  épouser  AmeHne,sœur  de  Guillaume  de  Par- 
thenay,  qui  lui  abandonna  une  partie  de  ce  qu'il  possédait  dans 
celle  région  (l),le  tout  formant  une  grande  seigneurie. Guillaume 
le  Chauve  s'intitula  dès  lors  prince  et  seigneur  du  château  de 
Talmond  (2),  amena  aveclui  du  Ilaut-Poilou  des  guerriers  nobles 
ou  non  nobles  qui  devinrent  ses  barons,  à  qui  il  donna  des  terri- 
toires en  fief,  avec  l'obligation  d'y  construire  des  églises,  cl  il  fut 
suivi  d'une  masse  de  population  qu'enlralnail  l'appcU  de  ce  bien 
qui  a  toujours  été  le  plus  envié,  la  liberté.  En  vertu  de  contrats 


(i)  Marchftgay,  Cart,  da  Bas-Poîtoa,  pp.  82,92,  98,  prieuré  de  FonUioes. 

(3)  Cart.  de  Talmond,  p.  6.5.  La  qualificatioa  insolite  de  prince,  pr inceps, prise  par 
Guillauniele  Chauve  est  une  attestation  certaine  de  la  haute  situation  que  le  comte  de 
Poitou  lui  avait  faite  ;  il  n'est, pour  son  chilleBu  de  Taltnond,  dans  la  dépendance  d'au- 
cua  autre  seijÇ^eur  que  le  comte,  cl  se  considère  comme  l'ég'Bl  des  vicomtes,  jouissant 
des  mêmes  droits  qu'eux  et  dcsignanl  comme  eux  ses  vassaux  par  le  titre  de  barons, 
baroncs.  On  pourrait  peut-être  aussi  voir  dans  ce  titre  de  prince  lindice  , d'un  rôle 
militaire  el  tout  spécial  qui  aurait  été  conhé  au  seigneur  de  Talmond,  la  qualitica- 
tion  de  prince  s'accolant  à  celle  de  seigneur  et  étant  absolument  indépendante  d'elle 
•  Talemonlis  castri  princcps  et  dominus  «. 


}'}i) 


LES  COMTES  DE  POITOU 


librement  consentis,  les  vilains,  possesseurs  de  terres  où  ils  édi- 
fièrent leurs  demeures,  furent  absolument  libres  de  leurs  per- 
sonnes, et  n'étaient  obligés  envers  leurs  seigneurs  qu'aux  charges 
et  redevances  imposées  sur  leurs  tenues,  suivantl'usage féodal  (I). 
Serfs  ou  coUiberts  ne  se  rencontrent  pas  dans  le  ïalmondais  et 
l'effet  de  cette  situation  privilégiée,  dont  nous  faisons  honneur 
à  Guillaume  le  Grand, se  fit  sentir  dans  les  régions  avoisinanles; 
elle  y  amena  la  disparition  de  l'clatde  servage  qui, pour  des  motifs 
à  peu  près  semblables,  ne  s'implanta  pas  dans  ce  centre  impor- 
tant qui  s'éleva  bientôt  de  l'autre  côté  du  golfe  delà  Sèvre,  à  la 
ilochelle. 

En  ce  temps,  à  une  époque  indécise  qui  se  place  enlre  lOlO  et 
1020,  un  grand  désastre  vint  alïliger  la  capitale  du  Poitou.  Un 
immense  incendie  la  ravagea  et  réduisit  en  cendres  la  calhédrale, 
plusieurs  églises  et  le  palais  du  comte.  Guillaume  sut  pourvoir  à 
la  tâche  considérable  qui  lui  incombait  :  il  reconstruisit  son  palais 
et  vint  en  aide  aux  établissements  religieux  dont  les  ressources 
s'épuisaient  à  relever  les  édifices  ruinés;  ceux-ci  furent  rétablis 
avec  plus  de  splendeur  qu'ils  n'en  avaient  auparavant,  et  Ton 
doit  croire  que  les  églises,  enlre  autres  améliorations,  virent 
remplacer  par  des  voûtes  en  pierres,  dont  l'usage  se  généralisait, 
les  plafonds  de  bois  qui  prôlaient  à  Tincendic  des  aliments  si 
dangereux  (2).  La  calhédrale  de  Saint-Pierre  fut  l'objet  des 
soins  particuliers  du  comte,  el  les  travaux  marchèrent  assez,  rapi- 
dement pour  qu'en  1024  on  fût  en  état  d'en  faire  la  dédicace. 
Guillaume  fit  de  nombreuses  invitations  pour  cette  cérémonie  qui 
devait  avoir  lieu  le  17  octobre  ;  parmi  les  prélats  dont  il  comptait 


(t)  La  Boulelicre,  Cari,  de  Taîmond,  introd,,  p.  /\à;  Mnrchegay,  Cari,  dit  Bat- 
Poitoti,  p.  y7,  prieuré  de  Fonlaines. 

(2)  Chron.  ifAdémar,  p.  i8is.  Le  chroniqueur  place  ccl  événemenl  ù  la  suite  des 
faits  se  rapporlaut  à  la  découverte  du  chef  de  saial  Jean-Uapfistc.  Il  y  a  peut-élre  lieu 
de  le  rapprocher  d'ua  autre  fait  que  le  retcotisscmeul  donaé  à  cet  évëaemeat 
mémorable  a  fuit  laisser  dans  l'ombre,  mais  dont  le  souvenir  noiisa  été  conservé  par 
une  inscription.  Dans  les  derniers  jours  du  mois  di?  février  de  rannt'C  ioi2j.  v.  s., 
c'esl-ii-dire  en  ioi3,  l'abbesse  de  Saiote-Croix  de  Poiiiers,  Hcliardc,  en  faisant  faire 
dca  travaux  dans  t'cglise  de  Salnte-Hadeg'ondc,  découvrit  le  tombeau  de  la  saiatc  qui 
était,  depuis  les  invasions  normandes,  resté  caché  à  tous  les  regards.  11  est  possible, 
voire  même  probable,  que  cette  recherche  se  ratlachait  à  la  reslauralioa  de  l'église, 
consumée  à  une  époque  dont  l'inscriptioD  relalaot  cette  découverte  nous  aurait  à  peu 
près  conserve  la  date  (Voy.deux  oolîccs  de  M.rahbn  Auber  et  le  fac-similé  dcsinscrip' 
lions  dans  les  Bulletins  de  la  Soc, des  Anliq.  de  rOnesl,  1847-18/(9,  pp.  36i  el  537). 


GUILLAUME  LE  GRAND 


'77 


faire  ses  hôtes,  se  Irouvaienl  son  ami  Fulbert, Tévêque  de  Char- 
tres, el  l'archevêque  de  Bordeaux,  qui,  pour  des  motifs  divers, 
ne  se  rendirent  pas  à  Poitiers  (1). 

Atin  déviter  «  un  plus  grand  mal»»,  selon  tes  termes  qu'emploie 
Richer  à  propos  du  mariage  du  roi  Robert  avec  Bcrthe,  il  ne 
put  se  résoudre  à  rester  veuf  après  la  mort  de  Brisque  et  il 
épousa, en  10i9,  Agnès,  fille  d'Otto-Guillaume,  le  puissant  comte 
de  Bourgogne  (2).  Celle  union  était  disproportionnée,  Guillaume 
ayant  atteint  la  cinquantaine,  et  sa  femme  étant  toute  jeune  ; 
mais  cette  fois  encore  il  sut  mettre  la  politique  d'accord  avec  ses 


(i)  Les  hUloriens  ne  sont  pas  d'nrcord  au  sujet  de  la  date  qu'il  coovîeat  de  dooDcrâ 
la  dédicace  de  la  calhédrale  de  i'uilierj»  que  l'abbé  Auber  (//ist.de  la  catkédruU  de 
Poitiert,  I,  p.  36)  el  Lcdain  [Hist.  sommaire  de  Poiliert,  p.  Sa)  placeat,  sans  motifs 
plaasiblcs, au  i!>  octobre  ioai.G;lte  date  oous  semble  devoir  èlre  rapprochée  de  queU 
ques  anités,  el  il  nous  paraît  qu'il  y  a  seulemeol  lieu  d'hésiter  entre  les  «oDées  ioa4 
el  loaS.  La  première  de  ces  dates  «  pour  elle  les  inductions  que  l'on  peut  lirer  d'une 
lettre  de  Fulbert  h  Guillaume  le  Graad  dans  laquelle  i'évéque  de  Chartres  lui  marque 
toute  sa  bonne  volonté  pour  amener  un  rapprochement  entre  le  roi  et  l'archevêque 
de  Bourges d'uD côté  el  le  comte  de  l'autre (Mii^ne,  Pii/ro/o^^ie  lai.,  CXLI.col.  236); 
or  rel  accord  s'opéra  dans  le  courant  de  l'année  ioa4, après  le  coocticde  Faris,qui  se 
tint  lorsdes  fêtes  de  la  Pentecôte  decettc  année,et  comme  Fulbert  déclar*;  ilans  la  même 
lettre  que, pressé  de  terminer  avant  l'hiver  les  grands  travaux  de  sa  propre  cathédrale 
Cl  d'en  couvrir  les  crypies,  il  ne  pourra  se  rendre  à  l'inviiatioa  que  le  comle  lui  « 
envoyée  pour  assister  à  la  dédicace  de  la  cathédrale  de  Poitiers,  il  s'en  suivrait  que 
cette  dernière  cérémonie  eut  lieu  postérieuremenl  au  aa  mai  ioa4i  juur  de  la  Penie- 
cole  cl  anlcrieuremeat  â  l'hiver  de  celte  même  année.  Comme  corollaire  de  la  lettre 
de  Fulbert  on  rencontre  une  lettre  d'Iaemberl,  évéque  de  Poitiers,  à  l'archevêque  de 
Bordeaux,  lequel  aj'ant  réclamé  une  escorte  pour  se  rendre  à  Poitiers,  I'évéque  lui 
répondit  (iAif^ae,  Putroloyie  /u/.,CXLI,  col.  37i)qu'il  était  empêché  de  le  faire  par  suite 
de  l'absence  du  duc,  parti  en  expédition  et  qui  ue  devait  rentrer  que  le  17  des  calendes 
de  novembre  (16  octobre),  veille  de  la  fêle  de  la  dédicace  ><  cum  sequenti  die  simus 
dedicaiuri  ecclesiam  nostram  ».  Celle-ci  aurail  donc  eu  lieu  le  17  octobre  loa^.  Mais 
ici  surfait  une  difficulté  :  les  canons  des  conciles  ordonnaient  que  les  consécrations 
des  églises  ne  se  Gsscnt  qu'un  dimanche  ;  or,  en  ioa4.  le  17  octobre  tombant  un 
samedi,  il  y  aurait  lieu  par  suite  d^admettre  que  I'évéque  de  Poitiers  ait  déféré  à  une 
invitation  pressante  de  Guillaume,  fixant  la  fête  au  lendemain  de  son  retour  ou  mieux 
encore  que  les  cérémonies  de  la  consécratiou  d'une  éiz^lise  comportaient  un  vigile  et 
duraient  deux  jours.  Toutefois,  nous  devons  faire  remarquer  que  les  anciens  bréviai- 
res de  Poitiers  indiquent  au  17  octobre  la  fêle  de  la  dédicace  de  la  calhédrale,  et 
qu'eu  ioa5  ce  jour  tomba  un  dimanche. 

(a)  La  chronique  de  Saiot-.Mai.vcol  (p.  38^)  rapporte  le  mariag'e  de  Guillaume 
et  d'Agnès  à  l'année  loaS,  mais  cette  date  est  contredite  par  une  charte  du  carlulaire 
de  Cluny  (III,  p.  789,  éd.  Bruel),  qui  est  datée  du  mois  de  mars  1018,  v.  s. .  et  dans 
laquelle  on  voit  A|(rnc.s  assister  à  ladonalion  que  son  mari  fait  à  l'abbaye  de  Cluny  de 
l'église  de  Saiat-Paul-en-Gâline.  Cet  acte  étant  le  seul  de  ceux,  assez  nombreux,  du 
chartrier  de  Cluny  où  parait  Agnès,  qui  porte  uue  date,  nous  ne  pouvons  faire  autre- 
loent  que  d'adopter  l'indicalioa  chronologique  qu'il  fournit  en  mettant  l'erreur  de  la 
chronique  de  Saini-Maixcnl  sur  l"  compte  d'une  faute  de  lecture  assez  compréhen- 
sible, le  chiffre  V  de  la  date  MWlll  ayant  pu  être  pris  pour  un  \  cl  donuer  par 
suite  .\L\X111. 


17» 


LKS  COMTES  DE  POITOU 


senlimenls  :  Agnès  élaiL  de  raco  illuslre,  son  père  élanl  fils  d'A- 
ilalberl,  qui.  pendatil  quelque  temps,  avait  porlé  le  titre  de  roi 
d'Ualie,  el  sa  mère,  Ermeiilrude,  élanl  petile-lille  du  roi  Louis 
d'Oulremer  (1). 

Pendant  les  années  qui  suivirent,  Guillaume  semble  ^"ètre 
exclusivemeiil,  consacré  à  sa  nouvelle  épouse  el  à  la  recons- 
Iruclion  des  édifices  publics  de  sa  capitale,  mais  en  1022  il  se 
lança  dans  une  alTaire  qui  ne  lui  pas  sans  lui  causer  d'assez  vifs 
ennuis. 

Il  avait  toujours  pris  une  part  prépondérante  dans  la  nomina- 
tion des  évêques  des  cités  qui  étaient  dans  sa  sujétion  directe  en 
lanl  que  comte,  à  savoir  :  Poitiers,  Limoges  el  Saintes,  el  avait 
lail  élire  à  ces  sièges  des  prêtais  à  sa  dévotion.  A  Limoges,  les 
vicomtes  avaient  bien  cherché  à  usurper  ce  précieux  privilège  de 
choisir  l'évêque,  mais  Guillaume  se  montra  toujours  très  ferme 
dans  le  maintien  de  ses  droits.  C'est  ainsi  que,  l'évêque  Audouiti 
élanl  venu  à  mourir  le  23  juin   1014,  son  neveu  Géraud,  fils  de 
Guy,   vicomte   de  Limoges,  fui  aussitôt  choisi  pour  lui  succé- 
der (2).  Comme  l'évêché  de  Limoges  dépendait  de  la  province 
ecclésiastique  de  Bourges  el  quu  Gauzlin,  qui  avait   été  nommé 
archevêque  par  le  l'oi  liobert, n'avait  |jas  encore  pu  prendre  posses- 
sion de  son  siège  par  suite  de  l'opposition  du  vicomte  el  doshabi- 
lauls  de  Bourges  qui  ne  voulaient  pas  d'un  bûlard  pour  archevê- 
que,fût-il  de  sang  royal  (Gauzlin  était  fils  naturel  d'Hugues  Capel), 
Guillaume  décida  que  le  sacre  de  Géraud  serait  fait  à  Poitiers 
par  Parchevêque  de   Bordeaux,  Seguin.  Ce  prélat  el  ses  suffra- 
gants,  Arnaud,  évèquedePérigueux,  islon,  évèquede  Sainles,  Gri- 
moard,  évêque  d'Angoulême,  el  Gislebert,évêque  de  Poitiers,  se 
réunirent  donc  pour  accomplir  la  formalité  dePéleclion  de  Pévè- 
que  par  ses  pairs,  mais  plutôt  en  somme  pour  ratifier  le  choix 
du  comte.  Ils  ne  se  montrèrent  rélVactaires  qu'à  l'occasion  de  la 
cérémonie  religieuse.  Quand  Guillaume  porta  son  choix  sur  lui, 
Géraud  était  encore  laïque  ;  les  évèqucs   déclarèrent    unanime- 
ment que,  d'après  l'autorité  des  Pères  de  TÉglise  et  les   règles 
canoniques, on  ne  pouvait  conférer  simullanémenltous  les  ordres 


(n  Voy.  Plister,  Etudes  sur  le  règne  dt  Jioùeri,  pp.  ^52  et  260. 
(a)  Arbellol^  Chron,  de  Aluleu,  p.  '61. 


GLTILLAUME  LE  GRAND 


'7',» 


ecclésiastiques  depuis  le  grade  de  portier  jusqu'à  la  prêtrise, 
que  pendant  les  quatre-teoips  de  Tannée  et  cerlains  jours  du 
temps  de  carême (I)  jusqu'aux  Hameaux  ;  durant  quinze  jours  ils 
refusèrent  de  faire  la  cérémonie  du  sacre,  mais  Guillaume  ne 
tint  aucun  compte  de  leurs  scrupules  et,  sur  son  ordre,  Gisleberl 
conféra  le  même  jour  à  Géraud  tous  les  grades  ecclésiastiques, 
après  quoi  Seguin  consacra  le  nouvel  évêque  dans  l'église  de 
Saint-Hilaire  (2). 

Bien  que  Gauzlin  se  filt  fait  représenter  au  sacre  de  Géraud  par 
deux  moines  de  son  abbaye  de  Saint-Benoil-sur-Loire,  le  duc 
d'Aquitaine  et  les  évèques  de  la  province  de  Bordeaux,  s'aulori- 
sant  de  ce  précédent,  voulurent,  lors  de  la  nomination  d'un  nou- 
vel évéque  de  Limoges,  le  soustraire  encore  à  la  juridiction  de  son 
ordinaire.  Géraud,  que  le  duc  Guillaume  parait  avoir  afreclionné 
particulièrement  età  qui  il  avait  donné, outre  sonévêché,  la  charge 
importante  de  trésorier  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  mourut  pré- 
maturémeut  à  Charrou\,le  1  i  novembre  1022,  après  quinze  jours 
de  maladie,  en  se  rendant  à  Poitiers  pour  assister  aux  fêtes  de  la 
Toussaint  (3). 

C'était  le  troisième  personnage  de  la  famille  des  vicomtes  de 
Limoges  qui  occupait  le  siège  épiscopal  de  cette  ville;  aussi  les 
compétitions  parmi  ses  parents  furent-elles  nombreuses,  et  c'est 
à  prix  d'argent  que  ceux  qui  aspiraient  à  cette  dignité  cherchèrent 
à  l'obtenir.  Le  comte  était  vivement  sollicité  dans  ce  sens,  mais 
des  influences  religieuses,  auxquelles  se  joignit  celle  particulière' 
ment  puissante  de  Guillaume,  comte  d'Angoulême,  agirent  sur  lui 
et  à  la  fin  de  janvier  1023,  pour  se  dégager,  il  tint  un  plaid  ù 
Saint-Junien,  où  il  convoqua  le  vicomte  Guy  et  les  principaux  per- 
sonnages du  Limousin.  Dans  cette  assemblée,  on  procéda  à  une 


(i)  11  oe  Dûus  «  pas  été  possible  de  spécifier  «{uel^  élaicDl  les  jours  du  lempd  de 
carême  où  il  était  permis  de  faire  des  ordioalioas;  le  sens  de  Texpressiou  «  dies  alba* 
torum  II,  empluyée  par  Adémar,  n'a  été  déterminé  par  aucun  glossaire  de  dates. 

(s)  Chron.  d' Adémar,  p.  173,  et  add.,  p.  173.  La  prise  de  possession  de  rérècbé 
de  Limoges  ou  iotroaisatiua  de  l'evèque  eut  lieu  le  mardi 9  novembre  ioi4,jourde  la 
fêle  de  saint  Tbéodure. 

^3)  Citron,  d' Adémar,  p.  174.  V07.  le  récit,  par  M.  Faye,  de  la  découverte  de  la 
sépulture  de  Géraud  daus  les  ruines  de  l'église  abbatiale  de  Cbarruos  eo  i85o  {Dnll. 
de  lu  Soc.  des  Antiq.  (/e  TOrief/,!'*  série, VI,pp.  109  elss.,el  Didroo,Anruil.<trchéol., 

\?'  m)' 


LES  COMTES  DE  POITOU 

élection  d'où  sortit  le  nom  de  Jourdain  de  Laron,  prévôt  de  l'ab- 
baye de  Saiiit-Junien,  homme  d'une  grande  nobles&e  d'âme  el 
d'une  grande  simplicité  d'allures,  mais  qui  loiilefois  élail  laïque 
et  comptailsans  nul  doute  parmi  les  fidèles  du  comte,  car  ou  Ire  Té  vê- 
ché  dont  Guillaume  disposa  en  sa  faveur,  illuidonnaà  tenir  en  alleu 
le  fief  de  Courlfages  (1);  le  lendemain  malin, le  comte, accompagné 
des  évoques  Islon  et  Isembertel  d'un  grand  nombre  des  assistants 
au  plaid, se  rendit  à  Limoges  où  il  fut  reçu  en  grande  pompe  par 
les  moines  de  Saint-Martial.  Le  jour  suivant, il  fit  tondre  la  barbe 
du  nouvel  évoque,  l'emmena  dans  la  cathédrale  de  Saint-Etienne 
où  il  le  Hi  ass^^oir  sur  le  trône  épiscopal  et  Finveslit  de  sa  di- 
gnité par  la  remue  du  bâton  pastoral.  Puis,  s'en  allant  à  Kome 
pour  y  passer,  suivant  son  habitude, le  temps  du  carême, il  ordonna  à 
son  fils  (juillaume  de  faire  procéder  avanl  son  relouràl'ordinalion 
de  l'évoque.  Le  jeune  comte  convoqua  l'assemblée  des  prélats  à 
Saint-Jean  d'Anj^ély  ;  le  samedi  de  la  mi-carôme,  24  mars  1023, 
Jourdain  reçut  1r  diaconat  ella  prêtrise  et  le  lendemain  diman- 
che, il  fut  consacré  devant  le  chef  du  Précurseur  par  l'évêque  de 
SainieSj  Islon,  qui  remplissait  alors  la  charge  d'archevêque  de 
Bordeaux, et  qu'assistèrent  Rohon,  évêque  d'Angoulôme,  Arnaud, 
évêque  de  Périgueux,    et    Isembert,   évêque    de    Poitiers,    qui 
venait  récemment  de  remplacer  son  oncle  Gisleberl  ;  le  comte 
d'Angoulême  et  l'évoque  de  Périgueux  accompagnèrent  Jourdain 
à  Limoges  et  concoururent  à  son  installation.  Mais  l'archevêque 
df  Bourges  ne  voulut  pas  reconnaître  la  consécration  du  prélat 
faite  en  dehors  de  sa  parlicipatiou  el  au  mépris  de  ses  droits  tant 
spirituels  que  temporels, car  l'archevêque  recevait  une  importiinte 
rétribution  pour  la  cérémonie  de  Timposition  des  mains.il  frappa 
tout  le  diocèsede  Limogesd'excommunication  àTexception  del'ab- 
bayedeSainl-Martial,qui  était  dansiadépendance  directe  du  Saint- 
."5iège,et  interdit  à  l'évêque  d'exercer  toute  fonction  épiscopale. 
Guillaume,  qui  avait  tant  contribué  à  l'éleclion  de  Jourdain,  dont 
la  consécration  n'avait  eu  lieu  que  par  ses  ordres,  prit  nalurelle- 


(j  )  Besly,  ffist.  des  comtes,  preuves,  p.  3o4  6is,  d'après  une  charte  de  Sainl-Elienoe 
de  Limogea;  cet  acte  ne  porle  p«9  de  date  ni  de  désig'nation  expresse  de  conite  de 
Puitou,  mais  oous  (l'hêsitons  pas  à  recotinaUro  dans  cette  donHtion  la  main  de  Guil- 
Inume  le  Hrand. 


GUILLAUME  LE  GRAND 


i8i 


menl  failel  cause  pourltii,  tandis  que  le  roi  de  France  soutint  Gaiiz- 
lin  ;  delà  grande  querelle  entre  les  deux  princes,  aussi  Roljerl, 
pourymettrefin,  convoquii-t-ilà  Paris,  pour  !a  Pentecôte  de  1024, 
un  grand  concile  auquel  assistèrent  une  foule  de  personnages  de 
marque.  La  sentence  d'excommunication  fut  conGrmée  ;  Jour- 
dain,soutenu  par  Guillaume,  essaya  bien  de  résister  ;  il  eut  même 
la  velléité  de  porter  l'affaire  à  Rome,  mais, en  fin  de  compte,  sur 
le  conseil  d'hommes  sages,  et  particulièrement  de  Fulbert  de 
Chartres,  qui  s'entremit  pour  lui,  il  se  décida  à  se  soumettre.  En 
conséquence  il  se  rendit  en  procession  à  Bourges,  nu-pieds, 
accompagné  de  cent  clercs  ou  moines,égalemenl  nii-pieds,et  vint 
en  cet  état  implorer  le  pardon  de  son  supérieur  ;  celui-ci.  satisfait 
de  cet  acte  d'humilité,  fut  au-devant  de  son  sufTragant  et  le  reçut 
avec  tous  les  honneurs  ordinaires  en  le  relevant  par  ce  fait  de  la 
peine  portée  contre  lui.  peine  qui  frappait  en  même  temps  son 
diocèse  (1). 

Des  motifs  particuliers  empêchèrent  peut-être  Guillaume  de 
poursuivre  sa  résistance  contre  Tomnipotence  que  le  roi  s'attri- 
buait en  la  circonstance,  car, en  somme,  c'était  lui  qui  se  trouvait 
derrière  Gauzlin,  qu'il  avait  imposé  à  l'archevêché  de  Bourges. 
de  même  que  Jourdain  ne  s'était  soustrait  ù  la  juridiction  de  son 
ordinaire  que  sur  l'ordre  de  Guillaume.  II  pouvait  avoir  à  souf- 
frir de  la  brouille  qui,  depuis  deux  ans,  existait  entre  le  roi  et 
lui^  et  il  préféra  sacrifier  une  satisfaction  d'amour-propre  (car 
en  somme  il  était  dans  son  tort)  à  des  intérêts  autrement  graves. 

Henri  II,  l'empereur  d'Allemagne,  venait  de  mourir  en  Saxe, 
le  13  juillet  102-i.Ilne  laissait  pas  d'enfants.  Les  grands  seigneurs 
d'Italie  crurent  l'occasion  favorable  pour  secouer  le  joug  de 
l'Empire  germanique  et  ils  se  cherchèrent  un  roi.  Ils  offrirent 
d'abord  la  couronne  fiu  roi  do  France  ou, à  son  défaut, à  son  fils 
atné  ïïugues;  Robert  déclina  leurs  avances.  Les  envoyés  italiens 
se  lournèrenl  alors  vers  le  duc  d'Aquitaine,  qu'ils  connaissaient 
de  longue  date,  ses  fréquents  voyages  à  Rome  l'ayant  mis  en 
rapport  non  seulement  avec  les  papes,  mais  encore  avec  toute  la 
haute  noblesse  italienne.  L'habileté  et  la  sagosfe  dont  il  avait  fait 


(i)  Chrtin.  ifAtiémar.  pp.  i8»  et  ss. 


i8a 


LES  COMTES  DE  POlTOr 


preuve  dans  le  gouvernoment  de  son  duché  en  ni«^ine  lemps  que 
la  puissance  dont  il  jouissait  le  mellalcnl  au  premier  rang  des 
princes  de  son  temps. Sa  générosité  élait  l}ien  connue  el,de  plus, 
sa  femme  Agnès  était  la  pelile-fille  d'Adalbert,  le  dernier  n/i  de 
race  nationale  qu'eût  possédé  lltalie.  C'eût  été  à  tous  les  points 
de  vue  un  concurrent  redoutable  pour  le  nouvel  empereur  d'Al- 
lemagne. 

Guillaume  refusa  la  couronne  pour  lui-même,  mais  ceux  qui  la 
lui  ofTraient  ne  s'élanl  pas  rebutés  et  lui  ayant  demandé  son  fils, 
il  sollicita  quelque  délai  avant  de  faire  connaître  sa  décision.  Jl 
se  méfiait  des  Italiens  dont  il  connaissait  la  duplicité;  aussi,  avant 
de  pousser  raffaire  à  boul,  rt'clama-l-il  aux  envoyés  un  engage- 
ment qui  serailpris  par  tous  les  marquis, les  évèques  el  les  grands 
du  royaume  conslalanl  [ju'ilsélaienl  d'accord  pour  conférer  h  son 
fils  le  royaume  d'Italie  el  l'empire  Romain.  Les  envoyés  firent 
sermenl  qu'il  aurait  IouIp  satisfaction,  autant,  dirent-ils,  qu'il 
serait  en  leur  pouvoir  (1), 

Guillaume  senlif  toute  l'imporlance  de  cette  reslriction;aussi, 
sans  se  liàler,  avec  sa  prudence  habituelle,  chercha-t-il,  avant 
d'agir,  à  s'assurer  tous  les  éléments  du  succès.  D'abord  il  se  pré- 
occupa de  se  ménager  l'appui  du  roi  de  France  el  lui  fil  deman- 
der par  Foulques  Nerra  d'empêcher  les  seigneurs  de  la  Lorraine 
de  se  joindre  au  nouvel  empereur  d'Allemagne,  Conrad  II;  ilpro- 
mellail  au  roi,  pour  ce  bon  olFice,  une  somme  de  1000  livres  et 
cent  vêlements  précieux;  la  reine  Constance  devait  en  outre  rece- 
voir un  don  particulier  de  500  livres.  De  plus,  il  s'entendit  avec 
son  cousin  Eudes  de  lilois,  qui  aspirait  à  la  possession  du  royaume 
de  Bourgogne  sur  lequel  les  empereurs  d'Allemagne  cherchaient 
aussi  à  mettre  la  main  (2).  Les  promessesetlesdons  cfTeclifs  ne  fu_ 
rent  assurément  pas  ménagés  aux  personnages  lesplus  marquants 
(]ui  pouvaient  contribuer  au  succès  de  l'alTaire  et  Tévùque  de 
Turin  reçutenlre  autres,  poursacalhédrale,  la  mâchoire  de  saint 
Jean,délachée  du  chef  conservé  à  Sainl-.Iean  dWngély  (3). 


(i)  Cfiron.  d'Adèmir,  p.  i88;  Mig^ne,  Patrologie  lai.,  CXLI, col.  272,  lellrc  d"IIé- 
ribtTl  n  Fulbert,  évoque  de  Charlres. 
(a)  jMignic,  Patrohjjie  lat.,  UXLI,  col.  qSS,  leUrc  de  Fouhjues  au  roi  Ituberl. 
(3)  IJu  Cauçe,  Traité  his(.  ilu  c'ief  tle  saint  Jenn-Uapliste,  p,  i5a. 


GUILLALTME  LE  GRAND  ^^  ,g3 

D'un  autre  côté,  atîn  de  s'assurer  les  ressources  nécessaires 
pour  pousser  l'affaire  à  bout, Guillaume  tin!  à  Poiliers,le  G  mars 
1025,  un  plaid  solennel  où  assisl^^enl  sa  femme  Agnès,  ses  fils 
Gaillaume  et  Eudes,  Guillaume,  comte  d'Angoulème,  et  son  fils 
Audouin.révêque  de  Saintes,  coadjuteur  de  l'archevêque  de  Bor- 
deaux, les  évêquesde  Poitiers,  d'Angoulême,  de  Périgueux  et  de 
Limoges,  les  abbés  des  monastères  du  diocèse  de  Poiliers,  les 
chanoines  de  Sainl-llilaire.  et  de  .çrands  personnages  du  Poi- 
tou (I  i.fsembert,évêque  de  Poitiers,  Islon.évêque  de  Saintes,  et 
Hohon.évêque  d'Angoulême,  furent  chargés  par  le  comte  de  s'oc- 
cuper des  préparatifs  de  toutes  sortes  que  comportait  une  pareille 
entreprise,  et  sans  doute  aussi  de  veiller  à  l'adminislralion  du 
duché  pondant  une  absence  qui  pouvait  beaucoup  se  prolonger  (2). 
Puis  Guillaume  se  rendit  à  Tours,  où  Eudes  lui  avait  ménagé 
une  entrevue  avec  le  roi  de  France,  et  où  furent  réglées  les  con- 
ditions d'une  action  commune  ainsi  que  la  part  qui  devait  revenir 
à  chacun  d'eux  en  prévision  d'un  succès  futur  (3). 

L'hiver  ayant  été  ainsi  employé  à  toutes  ces  négociations, 
le  comie  attendit  la  réponse  que  les  Ilaliens  devaient  faire  aux' 
conditions  qu'il  avait  posées  pour  son  acceptation.  Celle-ci  ne 
venant  pas,  il  jugea  prudent  de  s'assurer  par  lui-même  de  la 
situation  et  accompagné  de  son  fidèle  conseiller,  le  comte  d'An- 
goulème,  il  se  rendit  en  Lombardie  afin  de  se  mettre  en  rapport 
avec  les  grands  seigneurs  du  pays.  Il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir 
du  sort  qui  était  ménagéau  futur  roi  d'Italie.  La  pluparl  des  évè- 
ques  devaient  leurs  sièges  au  dernier  empereur  d'Allemagne, 
l'archevêque  de  Ravenne,Arnoul,  était  même  son  frère;  ils  étaient 


(i)  A  cette  assemblée,Hui;ues  de  LusisToan  fit  approuver  l'acte  d'échange  iotervena 
CDtre  loi  et  le  cbapilm  de  Saint-Hilaire-le-Grand  qui  lui  cêJfiil  «ne  pièce  de  terre  sise 
eu  face  de  son  cliAteau  où  il  projetait  de  construire  une  l'çlise  en  l'honneur  de  Notre 
Dame  (Arcb.  de  la  Vienne,  oriç.,  Noaillé.  n»  79  ;  Mém.  litf  la  Soc.  des  Antiq.  de 
rOaett,  I"  série,  XI,  p.  337). 

(a)  Mi^e,  Palroloyie  int,,  CXLI,  col,  270;  lettre  d'Isembert.ivéque  de  Poiliers,  à 
révéque  d'ADc»ers,  par  laquelle  il  a'exeuse  de  ne  pouvoir  aller  assialer  à  la  dédicace 
de  sa  cathédrale. 

(3j  Hugues  de  Lusi^an  avait  accompagné  Guillaume  à  Tours  où, sur  son  instance:, 
le  roi  délivra  un  diplt^mir  conKrmaat  la  foodatiou  du  prieuré  de  Nolre-Uame  et  assu- 
rant aux  rrlif^ieux  qui  le  desserviraient  la  propriété  f>erpéturlle  des  biens  qui  leur  au- 
raient été  donnés  nu  de  ceux  qu'ils  pourraient  acquérir  dans  l'avenir  (Arcb.  de  la 
Vienne,  orig..  Noatllé,  n«  81  ;  .W/n.  de  In  Soc.  des  Antiq.  de  rOaest^  x^*  série,  XI, 
p.  398  ;  Migne,  Palrotogie  lai.,  Icllre  de  Fulbert  au  roi  Itolierl  ). 


LES  COMTES  DE  POITOU 

donc  partisans  de  la  domination  de  l'Empire.  Les  grands  sei- 
gnoiirs,  désireux  de  s'assurer  la  possession  de  ces  riches  évèchés, 
voulaient  que  le  nouveau  roi  en  chassât  les  lilulaires  et  les  rem- 
plaçât par  des  hommes  à  leur  dévotion.  C'était  mettre  entre  leurs 
mains  tout  le  pouvoir  spirituel  et  temporel  du  pays,  dans  lequel 
le  roi,  ne  possédant  aucun  bien  et  sans  autorité  personnelle,  se 
serait  trouvé  absolument  isolé,  et  aurait  été  en  quelque  sorte  le 
prisonnier  des  barons,  qui, sous  l'ombre  de  son  nom, auraient  fait 
toutes  leurs  volontés. 

Celle  situation  était  Irop  en  opposition  avec  les  sentiments  de 
Guillaume  pour  qu'elle  pûl  lui  agréer.  Il  avait  toujours  été  le 
maître  dans  ses  étals,  et  il  n'entendait  pas  que  son  fifs  abdiquât 
ainsi  son  autorité.  De  plus,  11  lui  répugnait  prufondémenl  d'user 
de  violence  àFégard  de  cesévéques,  de  ces  memhres  de  Tépisco- 
pat  pour  qui  il  avait  toujours  témoigné  le  plus  grand  respect  et 
de  rompre  ainsi  avec  son  passé  et  ses  traditions  de  famille  ii). 
Enfin  il  sentait  qu'il  n'existait  pas  chez  les  Italiens  celle  utiaiiimité 
de  sentiments  (jui  devait  faire  la  plus  grande  force  du  roi  qu'ils 
auraient  élu,  et  qui  aurait  été  un  grand  facteur  dans  la  lutte 
qu'il  ne  pouvait  tarder  ri  entreprendre  contre  l'empereur  d'Alle- 
magne. 

Il  chercha  bien  à  constituer  et  à  rattacher  plus  spécialement  à 
son  fils  un  parti  dans  leeiuel  seraient  entrés  lesév^ques  qu'il  aurait 
détachés  de  rattache  impériale  et  les  barons  qui  n'auraient  pas 
été  les  adversaires  de  l'épiscopat.  Il  s'ouvrit  dans  ce  sens  h  l'un 
de  ses  chauds  partisans,  Mainfroi,  marquis  de  Suze  :  u  11  ne  me 
paraît  pas,  hii  disait-it,  que  l'entreprise  commencée  au  sujet  de 
mon  (ils  puisse  aboutir  utilement  et  honnêtement.  Comme  votre 
nation  ne  garde  pas  les  serments  qu'elle  a  donnés,  de  grandes 
embûches  seront  dressées  contre  nous.  Si  nous  ne  pouvons  ni  y 
écha[)per  ni  les  surmonter,  le  sceptre  qui  nous  est  oU'ert  ne  sera 
qu'un  vain  hochet,  et  nous  aurons  perdu  toute  la  bonne  renom- 
mée que  nous  pouvons  avoir.  »>  Il  le  priait  ensuite  de  s'entendre 
secrètement  avec  l'archevêque  de  M  ilan  et  l'évoque  de  Verceil, pour 


(i)  Miçne,    Pfttrologie   lai.,  CXIJ,  col.   Sag,    leUre  du   duc  Guillaume   i^  Léoo, 
évèquc  de  Vcrceil. 


GUlLLAinVfE  LE  GRAND 


i85 


voir  si  celle  façon  d'agir  avait  quelque  chance  de  réussite  (1). 
Mais  il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  que  ses  efforts  seraient  vains, 
et  il  prit  le  parti  de  s'en  aller  sans  bruit,  abandonnant  les  Maliens 
à  eux-mêmes;  moinsde  deux  ans  après  ils  étaient  retombés  sous 
le  joug  de  l'Allemagne. 

Un  de  ses  confidenls.Léon,  évêque  de  Verceil,  lui  écrivit, alors 
qu'il  était  déjà  en  roule  pour  revenir  en  Poitou,  une  lettre  énig- 
raalique  où  semble  dominer,  avec  des  sentiments  d'amitié  qui 
paraissent  réels  si  l'on  en  juge  d'après  les  lettres  de  Guillaume, 
un  ton  de  persiflage  qui  devait  être  alors,  et  qui  a  été  longtemps 
depuis,  la  caractéristique  des  Italiens  à  l'égard  des  gens  d'au  delà 
les  monts.  «Ne  t'ai  triste  pas. mon  cher  ami,  lui  écrivail-il,si  tu  as 
élé  trompé  par  les  Lombards.  Si  tu  veux  m'en  croire.je  te  don- 
nerai ù  ce  propos  un  bon  conseil.  Ne  le  laisse  pas  abattre;  n'aie 
cure  du  passé,  et  prends  garde  à  l'avenir.  Si  lu  veux  me  mander 
par  un  homme  très  sûr  ce  que  tu  coçnples  faire,  je  te  donnerai  un 
trbs  bon  conseil.  En  attendant,  envoie-moi  la  mule  merveilleuse, 
le  frein  précieux  et  le  nuignirupic  lapis  que  je  l'ai  demandés 
depuis  six  ans.  Je  t'en  remercie  d'avance  ;  ton  bienfait  ne  sera 
pas  perdu  et  je  t'accorderai  lout  ce  que  tu  désireras  (2).  » 
Dans  ces  derniers  mots  Léon  faisait  allusion  à  des  promesses  que 
Guillaume  lui  avail  faites  au  début  des  négociations  en  cas  de 
réussite;  le  comte  se  lira  avec  habileté  de  l  impasse  où  on  l'accu- 
lait et  répondit  sur  le  même  Ion  qu'il  n'avait  pu  trouver  en  Poi- 
tou de  mule  merveilleuse  ayant  des  cornes,  trois  queues  el  cinq 
paltes,  mais  qu'il  lui  en  choisirait  une  très  bonne  parmi  les 
meilleures,  avec  un  frein  comme  il  le  demandait.  Que,  pour  ce 
qui  était  du  lapis,il  avait  oublié  quelle  largeur  et  quelle  longueur 
il  devait  avoir,  et  lo  priait  de  le  lui  ronr.émorer,  ra.>suiaiit  qu'au 
cas  où  il  ne  pourrait  en  trouver  de  tout  fiit  il  lui  en  ferait  tisser 
un  suivant  la  finjon  du  pays,  li^nfin  il  dit  à  l'évèquc  qu'il  le  lient 
quille  de  son  offre  généreuse,  car  il  sait  qu'il  ne  peu!  lui  |>ro- 
curer  ce  qu'il  désire,  et  pour  toute  récompense  il  lui  réclame 


(i)  Mierne,  Patrologie  /a^,G.\LT,  col.  827,  lettre  du  dac  Guillaume  au  marquis 
Mainfroi  et  à  sa  femme  B. 

(a)  Miffne.  Palrologie  lat:,  CXLI,  col.  82g,  lettre  de  Léon,  évéque  de  Verceil,  au 
duc  Guillaume. 


■  86 


LES  COMTES  DR  POITOU 


seulpmenl  un  souvenir  dans  sos  [U'ie'Tcs.  Mais  Guillaume,  aprts 
avoir  ainsi  répondu  à  son  corrospondant  sur  le  Ion  que  celui-ci 
avail  omployé,  profila  de  l'occasion  pour  lui  exposer  ses  senti- 
ments h  l'égard  de  ses  compatriotes  :«  J'aurais <^lé  roi  d'Halie.lui 
dit-il,  si  j'avais  voulu  souscrire  à  des  exigences  honteuses  et  cri- 
minelles; mon  fils  et  moi  nous  avons  préféré  noiiR  relirer  (i).  « 
L'échec  que  venait  de  subir  le  duc  d'A(iuilaine  n'avait  en 
somme  rien  que  d'honorable,  aussi  sa  situation  n'en  fut-elle  pas 
amoindrie.  Dès  son  retour  d'Italie,  lequel  s'eiïectua  au  milieu  de 
Tannée  1025  (2),  il  ne  manqua  pas  une  occasion  qui  se  présentait 
pour  afTirmor  ses  droits  de  suzeraineté.  Guy,  vicomte  de  Limoges, 
élait  mi.irl,  ftM'l  ûjié,  pendant  son  absence  ;  Guillaume  avait  eu 
souvent  h  se  plaindre  de  ce  vassal  turbulent,  qui,  père  d'une  nom- 
breuse famille,  avait  réussi  à  donner  à  tous  ses  enfants  des  situa- 
tions importantes.  Adémar,  l'aîné,  s'était  surtout  signalé  par  des 
aclesde  violence  qui  avaient  assurément  indisposéle  comte  contre 
lui,  car  il  ne  semble  pas  avoir  succédé  à  son  père  sans  diilicullé; 
le  comte  d'Angoulôme,  ce  saf^e  conseiller  de  (juillaume,  intervint 
encore  dans  la'circonstance,  et,  à  sa  prière,  Adémar  fui  pourvu  de 
la  vicomte  de  Limoges  (3).  (.In  voitencore  le  comte, continuanlsnn 
rôle  d(|  grand-prévôt,  venir  se  joindre  à  tiuillaume  d'Angoulême 
pour  punir  Guillaume, vicomte  de  Marcillac,et  son  frère  Odotric 
qui,  pour  s'assurer  de  la  possession  de  l{utrec,que  leur  dispulait 
]f»ur  frère  Audouin,  sVMaienl  emparés  de  celui-ci  par  trahison  et 
lui  avaient  fait  couper^la  langue  et  crever  les  yeux.  Le  duc,  après 
la  prise  du  cliAteau  de  Marcillac,  n'appliqua  pas  aux  coupables 
la  peine  du  talion,  mais  les  priva  do  tous  leurs  biens,  qui  furent 


(i)  Mipne,  Palrologie.  Int.,  CXLI,  col.  829  et  83o,  IcUiea  <Ju  duc  Guillaume  à 
l't'v<\([ue  de  Vercpil. 

(2)  Diin»  la  seconde  lellre  de  l'évéque  de  Verccil,  Guillaume  lui  dil  qu'il  espère 
rccc'Noir  de  se»  nouvelles  pour  la  fêle  de  Noirc-Darne  proehainc;  or,  ét.iiU  donné  que 
le  duc  se  rendil  en  Jinlic  au  printemps,  celte  fêle  de  NoIre-iJanje  ne  peut  »'trc  aulre 
que  celle  de  l'Assomption  [jït  iioùij  ou  de  la  Naiivilé  (8  septembre),  ce  qui  pcimcl  de 
placer  le  retour  du  duc  aux  mois  de  juia  ou  de  juillel , 

(3)  Chron.  d'Atlé/iiar,  p.  i8î<.  Ce  fail,  qui  est  d'une  imporlnnce  majeure  pour  éta- 
blir les  rapport»  des  vicomtes  de  Limou;es  avec  les  comtes  de  l-'oiîou,  a  êlé  traveatî 
par  M.  Marvaud  dans  son  //inloire  des  lucomle.s  de  Li/noyes,  ainsi  que  tous  ceux  qui 
clablisseDi  la  sujétion  de  cen  vicomtes  à  t'éii^ard  des  comtes  de  l'nitnii  ;  aussi  ne  tien- 
drons-Dous  aucuD  compte  des  dire»  de  c«t  écrivain,  qu'il  faudrait  relever  à  chaque 
infitaol. 


GUILLAUME  LE  GRAND  187 

attribués  à  Aiidouin,  lequel  avait  survécu  k  sa  mutilation  (1). 
Malgré  l'habitude  qu'avait  (luillaume  de  s'ingérer  dans  los 
aaires  de  ses  vassaux,  il  ne  semble  pas  qu'il  ait  gêné  Foulques, 
comte  d'Anjou,  dans  l'accomplissement  d'un  de  ces  coups  de  per- 
fidie qui  lui  étaient  assez  familiers  (2).  Ce  dernier,  rêvant  tou- 
jours d'augmenter  ses  étals,  tenla  vers  ces  temps  de  meltre  la 
main  sur  le  Maine.  Profilant,  on  peut  le  dire,  de  la  simplicité  du 
comte  Hubert  Eveille-Chien,  il  l'attira  à  Sainles,  sous  le  prétexte 
fallacieux  de  lui  sous-inféoder  colle  ville  et  les  domaines  de  Sain- 
tonge  qu'il  tenait  de  la  générosilé  du  comte  de  Poitou.  Le  comte 
Herbert,  qui  ne  vit  dans  celle  offre  que  le  bénéfice  qu'il  pouvait  en 
retirer,  et  qui  d'ailleurs  avait  rendu  à  Foulques  assez  de  services 
pour  ne  pas  avoir  à  s'inquiéler  de  sa  duplicité  bien  connue,  se 
rendit  à  son  invitation.  L'entrevue  avait  élé  fixée  au  deuxième 
jour  de  la  première  semaine  de  carême(3),dansle  capitole, autre- 
ment dit  le  château  de  la  ville.  A  peine  Herbert  y  eut-il  péné- 
tré qu'il  fut  immédiatement  fait  prisonnier.  Afin  de  s'emparer 
plus  facilement  de  ses  possessions,  Foulques  avait  résolu  de  le 
faire  mettre  à  mort,  mais  le  plan  qu'il  avail  conçu  ne  réussit 
qu'en  partie.  Sa  femme  Audéarde,  sa  digne  compagne,  qui, 
dans  la  circonstance, juslifinil|sarépulalion  de  peu  aimable,  ;«a^« 
Manda,  devait, le  jour  oti  s'accomplirait  le  guet-apens  de  Sainles, 
mcllre  la  main  sur  la  comtesse  du  Maine,  mais  le  trop  d'em- 
pressement qu'elle  y  mil  fil  échouer  sa  tentative.  La  comtesse  et 
les  grands  seigneurs  manceaux,  mis  sur  leur  garde,  résistèrent  à 
toutes  les  attaques  de  Foulques  qui,  craignant  de  terribles  repré- 
sailles, n'osa  meltre  son  prisonnier  à  mort.  11  le  garda  deux  ans 

{\)Chron.  (VAdémnr,  p.  186. 

(2)  Les  fa(;oDs  d'af^ir  de  Foulques  élaieol  si  noioircs  que  nul,  nmi  ou  ennemi,  ne 
voulait  s'exposer  à  se  trouver  en  sa  puissance.  Ainsi  llildcj^aire,  l'écoL^lre  de  Poitiers, 
ayant  demandé  h  son  maître  et  ami,  Fulbert  de  Chartres,  de  venir  le  trouver  pendant 
le  séjour  de  Guillaume  en  Italie,  il  commença  par  le  rassurer  au  sujet  du  comte 
d'Anjou  :  «  Notre  comte  Guillaume,  lui  écril-il,  a  fait  venir  Foulques  et  a  obtenu  de 
lui  l  en^-açement  formel  qu'il  ne  vous  tendrait  aucune  embûche  pendant  votre  voyage 
et  non  seulement  celui-ci  lui  en  a  fait  le  serment,  mais  encore  il  a  manifesté  le  désir 
d'être  informé  de  votre  passaçe  dans  ses  états  afin  de  vous  couvrir  lui-même  de  sa 
protection  »  (Migne,  Patroloyic  lut,,  CXLI,  col.  272). 

(3j  Cet  attentat  dut  avoir  lieu  le  7  mars  1020;  Foulques  paraît  avoir  choisi  inten- 
tionnellement ce  moment  pour  le  perpétrer,  car  l'évêque  de  Saintes,  qui  aurait  pu 
le  gêner,  de/ait  se  trouver  ce  jo  jr-l<\  à  Poitiers,  à  la  grande  asseinblce  ù  laquelle  il 
se  dispensa  lui-même  d'assister.  (Voy.  plus  haut  page  i83.) 


i88 


LES  COMTES  DE  POITOU 


et  ne  le  relâcha  que  sons  de  bonnes  cautions  (1).  Mnh  celle 
affaire  devait  lourner  mal  pour  Foulques, car  Alain,  duc  de  Breta- 
gne, allié  d'Herbert,  s'étant  empan'^  du  Lude  dans  le  courant 
de  l'année  1027,  le  comte  d'Anjou  Tut  contraint  de  relâcher  toutes 
les  cautions  qu'Herbert  lui  avait  données  (2). 

Comme  on  Fa  vu,  Guillaume  ne  manquait  aucune  occasion  pour 
cherchiT  à  faire  prévaloir  sa  pers(Minalité  ducale.  Celle  tendance 
se  manifesta  particulièrement  vers  celle  année  1027, lors  de  l'élec- 
tion d'un  archevêque  de  Bordeaux. Les  évoques  du  duché  d'A- 
quitaine dépendaient, avons-nous  dit,  de  deux  métropolitains:  les 
arclievêquesde  Bourges  et  de  Bordeaux:  mais,  par  un  fait  anor" 
mal,  les  deux  métropoles  n'étaient  pas  sous  raulorité  du  duc 
d'Aquitaine  :  Bourges  dépendait  du  roi,  Bordeaux  appartenait  au 
duc  de  Gascogne,  riuillaume  n'avait  pas  cherché  à  s'immiscer  dans 
l'élection  des  archevêques  de  Bourges,  et  même  on  a  vu  que  ses 
elTorts  pourenleverl'évêché  de  Limoges  à  leur  suprématie  avaient 
eu  un  assez  piteux  résultat,maisiln'en  était  pas  ainsi  de  Bordeaux. 
L'histoire  de  cet  archevêché  est  pour  celte  période  assez  obscure  ; 
après  Seguin,  dont  on  n'a  plus  trace  au  delà  de  101*>,on  trouve 
un  Arnaud  ou  Acius,qui  aurait  siégé  vers  1022,  puis, en  1025, 
on  rencontre  le  nom  d'Islon^évêque  de  Maintes, qui  administrait 
Tarclievêché  du  vivant  d'Arnaud,  atteint  de  paralysie,  et  qui  par 
suite  se  qualifiait  d'archevêque  de  Bordeaux  (3).  Après  la  mort 


C^' 


f 


\i>^ 


{t)  Chron.  (fAdémar,  p.  189. 

|a)  Marcbeçay,  Chron.  des  éf/l.  d'Anjou,  p.  166,  l'Evicre. 

(3)  Chron.  d'Adémar,  p.  ig^'.  Gallin  Christ.,  II,  col.  800.  Islon  prend  le  litre 
d'archevêque  rie  Uordciiuv  daDS  l'iiclc  (|iie  l'on  considère  Iiabiltiellcmenl  comme  celui 
de  la  fondation  du  prieure  de  Notcp-LKime  d«  Lnsiijjnan,  lequel  es(  du  9  innrs  iiiafi, 
bien  qu'il  porte  la  da<e  de  to24,à  Irtijutlle  lu  jilupurl  dfs  hïslorieus  s«  sont  tenus  dpn» 
ri^aorancc  où  ils  étaient  <jue,  des  lors,  l'année  en  Poitou  fouiinençnit  au  2")  mars. 
Certains  lufme  de  ce»  écrivains, non  scuIcmeuL  conimellenl  cette  erreur  de  date,  mois 
ils  se  trompent  jtussi  sur  la  localilé  qui  fait  l'objcl  de  l'acte,  et  le  considèrent 
ainsi  que  l'a  fait  Du  Temps  [Le  clergé  de  France,  II.  p.  irjfi),  comme  se  rapportaot 
à  l'abbaye  de  Noire-Dame  de  Celles.  Il  y  a  \h  une  double  erreur  que  nous  avon» 
jugé  â  propos  de  relever.  Adcmar  de  CbabanneH,  dans  la  succession  des  archevêques 
de  Bordeaux,  ne  menlionnopas  Islon,  à  juste  tilro,  celui-ci  n'ayant  jamais  été  que  le 
coadjuteur  d'Acius,  ainsi  qu'il  est  expressémeni  itinrquc  dans  une  variante  de  sa 
chronique  où  il  est  dil  (ju'lslon,  après  avoir  administré  rarchevèché  de  Bordeaux  du 
vivant  d'Acius  et  sur  la  deoiande  expresse  de  ce  prélat,  renonça  spontanêmenl,  après 
«a  morl,  coaformément  aux  réj^les  canoniques,  à  la  mission  qu'il  tenait  de  lui(CAron. 
dCAdémar,  p.  ig^). 


ILLAUME  LE  GRAND  iSg 

d'Arnaud,  Islon  se  relira  el  il  fui  procédé  à  l'élection  d'un  nou- 
veau prêtai.  Or,  Guillaume  pril  une  pari  ituportante  à  ce  choix 
qui  se  fil  d'un  commuu  accord  eulre  lui  el  Sunche,  duc  de  Gas- 
cogne, son  beau-frère-  Ils  se  réunirenl  à  Blaye,  ville  en  quelque 
sorle  neutre,  car,  quoique  fkisunt  parlie  de  ta  Gascogne,  elle 
élail  possédée  depuis  de  longues  années  par  le  comle  d'Angoti- 
tême,  tidèle  vassal  du  duc  d'Aquilaine.  Celui-ci  fui  l'hôte  des 
deux  ducs  qui  fixèrent  leur  choix  sur  un  ecclésiaslique  de 
mœurs  irréprochables,  nommé  GeolTroy,  lequel  fui  aussitôt  con- 
sacré,à  savoir  le  8  septembre  1028,  dans  Téglise  de  Sainl-Komain 
de  Blaye,  par  les  évoques,  ses  suflraganls,  convoqués  à  cet  effet  : 
Isembert  de  Poitiers^Arnaud  de  Périgueux  et  Islon  de  Saintes  (I). 
Ce  Geoffroy  était  de  nation  française,  ce  qui  semble  indiquer 
que, dans  la  circonstance,  Guillaume  avait  réussi  à  imposer  son 
candidat.  Du  reste,  son  inlhience  paraît  avoir  prédominé  dans  les 
élections  précédenies,  et  si  on  n'ose  l'aîrirmer  pour  Tarclievéque 
Arnaud,  le  fait  est  absolument  certain  pour  fslon,  qu'il  chargea, 
lors  de  son  départ  pour  ritalie,  de  veiller  conjointement  avec 
deux  aulres  évèquesau  maintien  du  bon  ordre  dans  le  duché  (2). 

Durant  toute  sa  vie,  Guillaume  s'était  toujours,  par  caraclère, 
beaucoup  préoccupé  des  questions  religieuses,  et  en  ce  moment 
il  en  était  deux  qui  attiraient  particulièrement  son  attention, 
l'une,  l'extension  de  l'hérésie  des  .Manichéens  dans  ses  états, 
l'autre,  la  reconnaissance  de  l'apostolat  de  saint  .Marlial,  question 
qui  partageait  en  deux  camps  le  clergé  du  Limousin  et  même  ce- 
lui d'une  parlie  de  la  France  et  était  arrivée  à  un  état  aigu. 

Comme  il  arrive  généralement  aux  époques  de  foi  vive,  certains 
esprits,  surexcités  par  l'étude  des  questions  ardues  que  compor- 
tent les  mystères  de  la  religion  chrétienne,  ne  se  contentaient 
pas  des  solutions  approuvées  par  l'Église,  et  allaient  chercher 
au  delà  ce  qu'ils  pensaient  être  la  vérité.  C'est  ainsi  qu'au  com- 
mencement du  XI''  siècle  naquit  l'hérésie  des  Manichéens.  Ktle 
apparut  d'abord  dans  les  écoles,  puis,  malgré  la  répression  vio- 


(i)  L,  Detisle,  Notice  tur  les  mnnascriis  orij.  J'Adèinnr,  p.  77. 

(a)  Oa[>eul  rapprocher  de  ce  récil  ce  fait  que, vers  loaa,  Guillaume  cul  encore  une 
ImporlaDle  eotrcvue  &  Blaye  avec  le  duc  de  Gascog'ne  et  que  celle-ci  pouvait  bien  ne 
pasèlre  étrangère  à  la  situation  faite  à  l'archevêché  de  Bordeaux  par  la  maladie  d'Ar- 
naud (Voy.  plus  haut,  page  t6o,  et  Labbe,  Nooa  bibl,  mon.,  U,  p.  174). 


igo 


LES  COMTES  DE  POITOU 


lente  dont  elle  fut  Tobjel,  elle  se  propagea  rapidement.  D'Or- 
léans, son  centre,  elle  gaj^na  l'Aquitaine  el  trouva  divus  le  Limou- 
sin, dont  les  peuples  ont  toujours  témoigné  des  Icndauces  dévo- 
lieuses,  voire  même  superstitieuses,  un  terrain  prupiee  pour  faire 
fructifier  sa  semence. Les  Manicliéens  n'uUai|uaienl  pas  seulement 
les  dogmes  de  rÉ^iise  catholique  par  la  croyance  à  deux  princi- 
pes opposés,  Dieu,  principe  du  bien,  le  diable,  principe  du  mal, 
ils  rejt'taienl  le  baplôme,  la  présence  réelle,  le  culte  de  lu  Vierge 
Marie  el  des  Saints,  et  ne  condamnaient  pas  seulement  la  hiérar- 
chie ecclésiastique,  les  temples  religieux  el  les  cérémonies  de 
rÉglise,  mais  encore  ils  sapaient  la  société  elle-même  dans  sa 
base,  en  se  prononçant  contre  l'union  de  l'homme  el  de  la  femme  ' 
qu'ils  toléraient  seulement. 

A  l'abri  de  ces  doctrines  professées  par  des  hommes  instruits 
etd'uu  cai'actère  jflus  particulièremenlspéculalif,desabus s'intro- 
duisirent dansia  pratique  populaire,  et  Adémar  de  Chabannes,  qui 
vit  de  près  les  Manichéens  à  Limoges,  déclare  qu'ils  adoraient  le 
diable  d'abord  sous  la  figure  d'un  nègre, puis  sous  celle  de  l'ange 
de  la  lumière  qui  devait  leur  apporter  chaque  jour  beaucoup 
d'argent,  enfhi  que  si,  en  public,  ils  praliquaieul  l'abstinence 
comme  les  moines  et  prêchaient  la  chasteté,  dans  des  réunions 
mystérieuses  ils  commellaienl  toutes  les  abominations  de  la 
luxure.  Ils  attirèrent  beaucoup  de  peuple  à  leurs  croyances  sub- 
versives, aussi  Guillaume  fut-il  amené  à  sévir  contre  eux.  A.  Limo- 
ges, ils  apparurent  du  temps  de  l'évêque  Géraud,  mais  il  ne  sem- 
ble pas  que  Ton  ail  recouru  contre  eux  au  supplice  du  feu,  inau- 
guré par  le  roi  Ilobcrt  à  Orléans;  seulement,  vers  10ii7,  le  duc 
fit  tenir  àCharroux  un  concile,  où  se  trouvèrent  presque  lous  les 
grands  seigneurs  de  l'Aquitaine  et  oh  furent  arrêtées  des  mesu- 
res pour  obvier  à  la  propagation  de  l'hérésie  (1). 

Bien  qu'Adémar  ait  écrit  que  les  Manichéens  étaient  les  véri- 
tables fliessagers  de  rAntc-Christ,il  ne  semble  pas  qu'il  ait  donné 
à  ces  mots  leur  sens  litléral  et  qu'il  ait  cru  que  leur  apparition 
présageait  la  fin  du  monde.  Les  prédictions  de  l'Apocalypse  ont 
de  tu  ut  temps  frappé  des  intelligences  maladives  qui  ont  vu  dans 


(i)  Chron.  <f  Adémar,  pp.  173,  184,  i^< 


GUILLAUME  LE  GRAND 


191 


les  grandes  calasLrophes  qui  se  reproduisent  périodiquement  les 
averlisseuienls  d'un  prochain  cataclysme.  Cette  préoccupation  u 
pu  se  faire  jour  dans  certains  milieux  auK  approches  de  celle 
date  de  l'an  mil  à  laquelle  on  pouvait  attribuer  un  caractère  lali- 
dique,  mais  elle  ne  se  fait  iiultemenl  sentir  dans  les  actes  de  nos 
ducs  d'Aquitaine.  Guillaume  Fier-à-lîras  a  agi  sans  plus  de  façon 
que  ses  prédécesseurs  el, quant  àson  fils,  sous  qui  a  sonné  Theure 
prétendue  lalale,  sa  conduite  est  celle  d'un  homme  qui  songe  à 
préparer  l'avenir  en  vue  de  sa  propre  salisfaclion.  S'il  assure  son 
pouvoir,  c'est  pour  en  jouir;  s'il  se  montre  généreux  à  l'égard 
des  élabli&sèuients  religieux,  c'est  parce  qu'il  esl  un  homme 
pieux,  et  même  il  n'esl  pas  aussi  large  à  leur  égard  que  cer- 
tains de  ses  devanciers  ou  de  ses  successeurs,  car  son  esprit 
sage  et  pondéré  l'éloigné  de  ces  entraînements  qui  ont  poussé 
les  uns  et  h;s  autres,  tour  à  tour,  dans  des  voies  exlrêmes.  Il  est 
certain  que  dans  le  siècle  qui  a  précédé  l'an  mit  et  môme  d'assez 
bonne  heure  on  trouve  fréquemment,  dans  les  préambules  de  char- 
tes du  Poitou  contenant  des  donations  de  biens  aux  églises^ 
celle  formule  k  peu  près  invariable  :  <i  La  fin  du  monde  étant 
proche, sa  ruine  s'accroît  de  jour  en  jour, ainsi  qu'en  témoignent 
des  présages  certains  (t)."  Elle  élatl  consignée  dans  le  célèbre  re- 
cueil de  formules  rédigé  par  Marculfe  dans  la  seconde  moitié  du 
va*  siècle,  el  quijusqu'à  l'apparition  des  légistes^a  été  usité  dans 
les  chancelleries  et  fut  le  guide  des  notaires  (2).  Ceux-ci  possédaient 
des  extraits  de  ce  recueil,  de  peliles  cûmpihilions  dans  lesquelles 
les  parties  choisissaient  les  textes  qui  étaient  le  plus  en  rapport 
avec  les  sentiments  qui  les  guidaient  dans  leurs  actes  et  c'est 
ainsi  que  s'explique  la  dissemblance  que  Ton  constate  dans  la 
pratique  quand  on  veut  étudier  la  chose  de  près.  Ainsi,  il  semble 
qu'il  a  existé  en  Poitou  deux  écoles  ou  plutôt  deux  formulaires, 
employés  chacun  dans  une  portion  du  pays.  A  Poitiers,  où  sié- 
geait la  chancellerie  du  comte  de  Poitou,  où  l'enseignement  le 
plus  élevé  se  donnait  dans  les  écoles  de  Saint-llilaire  et  de  la 


(i)  u  Mundi  leriuiuo  appropiuiiuanle  ruiaisque  cjua  crebreacisutibuâ  jam  cerla  sigaa 
inaDifestHndir.  w 

(a)  De  Huzière,  Recueil  général  des  formules  usitées  dans  l'e/npire  des  Francs 
du  V*  au  xe  siècle,  l,  p.  224  i  BaJuze,  Capilularia,  II,  col.  4o3. 


iga 


LES  COMTES  DE  POrTOU 


Calhédrale,  les  formulai  res  n'ont  jamais  donné  place  à  la  croyance 
de  la  lin  du  monde  prochaine,  qui  pouvait  sembler  une  hérésie; 
dans  les  charles  de  Sainl-Hilaire-le-Grand  et  de  Saint-Cyprien, 
on  n'en  rencontre  aucune  trace  tandis  qu'elle  apparuH  dans  la 
plupart  des  autres  char  tri  ers  du  Poitou  :  à  SaiuL-Maixent,  de 
«73  à  la  fui  du  siècle;  à  Noaillé,  de  971  h  1020  (1)  ;  à  Saint- 
.louin-de-Marnes,  où,  de  9(»4  fi  1038,  on  emploie  celte  formule 
précise  :  «  à  mesure  que  ce  siècle  s'écoule  la  fin  du  monde  appro- 
che (2);  »  enfin  à  Sainl-Jean  d'Angély.où  l'on  trouve  non  seule- 
ment l'emploi  de  la  formule  ordinaire  vers  971, mais  encore  celui 
d'une  autre  fort  alambiquée  où  il  est  l'ail  allusion  aux  iniquités  des 
nations  (3). 

Il  ne  semble  pas  que  riuillaume  ait  pris  des  mesures  spéciales 
contre  les  Juifs  qui  étaient  à  celle  époque  répandus  un  peu  par- 
tout, mais  dos  inanift^sliitions  pnrliriilières  d'un  zèle  excossif  se 
produisaient  de  temps  en  temps.  Ainsi,  en  1010,  l'évêque  de 
Limoges,  Audouin,  ayant  résolu  de  faire  disparaître  tous  les  Juifs 
de  son  diocèse,  leur  donna  un  mois  pour  se  faire  baptiser  ou  quit- 
ter lepays.ll  ne  voulut  pas  employer  la  force,  mais  agir  par  la  per- 
suasion et  des  docteurs  chrétiens  furent  chargés  de  les  évangé- 
liser  et  de  discourir  avec  eux, mais  ci'  fut  en  pure  perle, car  trois 
ou  quatre  seulement  consentirmt  à  se  faire  baptiser,  les  autres, 
avec  femmes  et  enfanls,  préférèrent  s'exiler  et  se  répandirent 
dans  les  villes  voisines  (4).  Il  ne  faut  pas  oublier  que,  vers  le 
même  temps,  un  acte  qui  causa  un  grand  bruit  fat  encore  le 
fait  d'un  Limousin.  A  Toulouse,  pour  les  fêles  de  Pâques,  il 
était  d'usage  que,  dans  la  cathédrale,  un  Juif  vînt  recevoir  un 
soulUeten  représailles  de  celui  donné  au  Christ  dans  sa  passion. 


(i)  A.  Richard,  Charles  de  Sainl-Afttixent,  I,  pp.  03,  67,  7^,  86,  88,  ya,  9/1,  98; 
Arcb.de  la  Vienne,  orig^.,  Noaîllé,  no»  8,  ai,  /|0,  Tjj,  61,62,  O7,  68,  70,  70,  87. 

(2)  Cart,  de  Saint'Joain-tie-A/arnes,  pjK  1,  ii,  «7;  «  L)um  seculum  transit  Hnia 
muodi  tippropiu4]uat.  u 

(3)  Cari,  de  Saint'Jean  d'Angély,  de  971  à  102O,  1,  pp.  74,  75,  a>7,  a3o,  aSi  : 
u  Jam  muodi  Icrmino  appropiaquantc  cl  ecclcsk  Dli  *juo  in  divcrsitatem  ç^cntium  a 
Domino  disposilc  longue  laleque  a  Jîdelitjus  cjusconblructe  fuerant  fessf  jaccbanl  quod 
ut  Domiuua  dicît  îniquitascotûdiaDa  malitic  incrcnipatasumït,preserlim  ciim  sit  |H)sita 
inter  scorpiones  et  serpentes  more  liominurn  viventcs.  » 

(4)  Chron.  irAilénmr,  p.  163.  Il  y  a  lieu  cfe  rn(iprDcher  de  ce  faîl  le  trailé  com- 
posé par  Fulbert  de  CLarlres  contre  les  Juifs  (Aligne,  Patroloyie  {ut,,  GXLI, 
col.3o5). 


r.UILLAUMlî  LE  GRAND 


193 


Or  le  viconilo  Aimeri  de  Uochechotiarl  so  Irauvail  au  lonips  des 
fêles  à  Toulouse,  et,  par  déférence  pour  lui,  on  chargea  son  cha- 
pelain d'infliger  au  Juif  la  flélrissure  habituelle-  Mais  celui-ci, 
subissant  encore  la  vive  impression  des  scènes  de  la  Passion  qu'il 
venait  d'entendre  rappeler^  frappa  si  violemmenl  le  malheureux 
que,  faisant  jaillir  de  sa  tête  la  cervelle  cl  les  yeux,  il  le  tua  du 
coup,  ce  qui,  croyons-nous,  dul  forlement  surprendre  les  assis- 
tants habitués  à  des  pratiques  plus  douces  (IJ. 

Ce  fait  de  brutalité  était  sùremenl  dû  à  une  vivo  surexcitation 
du  sentiment  religieux,  surexcitation  qui  était  dans  les  tendances 
de  l'époque  el  qui  se  manifestait  à  tout  propos,  ne  fût-ce  que  par 
des  actes  de  pénitence  cxccssive^succédanl  à  des  actes  do  violence 
inouïs  et  souvent  en  précédant  de  nouveaux.  Guillaume  parait 
à  ce  sujet  presque  une  exception  dans  la  société  du  temps,  mais 
si  son  caractère  répugnait  aux  excès,  il  le  portait  à  se  mêler  aux 
discussions  religieuses,  dans  lesquelles  il  soutint  avec  âpreté  sa 
manière  de  voir.  Tel  fut-il  entre  autres  dans  la  question  de  l'apos- 
lolal  de  saint  Martial,  qui,  pendant  quelques  années,  agita  profon- 
dément ses  ôlats. 

Il  ne  s'agissait  pas,  comme  do  nos  jours  Font  cherché  les  his- 
toriens, de  savoir  si  saint  Martial  vint  dès  le  premier  siècle  évan- 
géliser  l'Aquitaine,  ce  fait  n'était  pas  alors  révoqué  en  doute. 
On  admettait  que  saint  Martial  était  l'un  des  soixante-douze  apô- 
tres du  Christ  et  qu'il  avait  été  envoyé  do  Itome  dans  les  Gaules 
par  saint  Pierre  lui-même  ;  mais  les  moines  de  Saint-Martial  do 
Limoges  avaient  été  plus  loin  :  ils  revendiquaient  pour  leur  patron 
la  qualité  d'apùire.  Jourdain,  l'évéque  de  Limoges,  dont  la  cathé- 
drale était  placée  sous  rinvocution  de  saint  Etienne,  proto-mar- 
tyr, vit  dans  cette  prétention  des  moines  une  menace  pour  la 
suprématie  de  son  église  el  même  pour  l'autorité  épiscopale  dont 
ils  tendaient  à  s'all'ranchir  en  se  faisant  rattacher  directement 
au  Saint-Siège.  L'utl'uiie  fut  portée  à  un  concile  qui  se  tint  à 
Poitiers  le  13  janvier  1024.   Il  n'y  fut  pris  aucune  décision  (2), 


(1)  Chron.  d'Atléma?',  p.  175. 

(a)  L'Art  île  oéi-ijier  les  dates,  p.  202,  ïndi<(ae,  d'après  Pogi.lttlcnue  de  ce  coocilo 
en  1023.  Mais,  clanl  doonée  sa  dale  du  i3  janvier,  il  se  pourrait,  aetoa  le  mide  de 
comput  quia  pu  élrc  employé, que  ceUo  assemblée  n'ai(  eu  lieu  qu'eu  1024*,  cq  tout  cas, 
elle  eât  .lutérieureù  celle  de  Paris  de  celle  même  auuce  io-'/|,  coalmlremeot  h  l'opinioa 

i3 


^^ 


LBS  COMTi:s  rtE  POÎTOT' 


Kllfi  vint  ensuite  au  concile  ile  l^iiis  du  24  mai  de  la  mGme 
année,  où  se  jugeait  l*"?  dilléreiid  on  Ire  Jourdain  et  son  mélropoli- 
lilain^  Oauziin,  oLoù  l'ivêquc  fui  excommunif^i  malf;ré  les  eiïorts 
du  duc  d'AtiuUaine;  Hoberl  el  Gauzlin  se  montrèr-onl  favorables 
aux  prélenlions  dos  religieux  de  Sainl-Marlial  el  firenl  reconnaî- 
tre leur  palron  comme  apôlrc.  Jourdain  s'inclina  devant  la  déci- 
sion du  concile  en  ce  qui  le  Louchait  personnellement,  mais  il  avait 
h  sauvegarder  des  inlorèts  et  il  dut  pousser  l'afTaire  de  l'aposlolal 
de  saint  Martial  dans  ses  dernières  11  miles.  S'étanl  réconcilié  avrc 
l'arclieviique  de  tioui-gcs,  il  (onil)a  d'accord  avec  lui  clses  autres 
contradicteurs  pour  soiimetlre  la  question  au  pape  Benoît  VIH. 
Sur  ces  cnlrefallcs,  celui-ci  mourut  (le  i\  juin  102i),  et  ce  fut 
son  successeur  Jean  XIX  qui  rc-pondil  à  l'évoque  de  Limoges,  hc 
pape  tourna habilemonL  ladînTicullé  en  donnant  une  grande  exten- 
sion au  mol  d'apùlre,  dont  le  sens  lui  identifié  avec  celui  d'envoyé 
de  Dieu.  Jourdain  se  conLenla  de  celte  demi-satisfaction,  el  dans 
les  premiers  jours  du  mois  d'août  1029  se  tint  à  Limoges  un  con- 
cile où  assistèrent  rarchevèque  de  Bourges  avec  ses  suffragants 
d'Albi,  de  Caliors  el  de  Limoges  et  les  évoques  d'Angoulèmc»  de 
Périgueux  et  de  Poitiersqtii  dépendaientde  rarchevôché  de  Bor- 
deaux. A  celle  assemblée  solennelle  il  fut  arrêté  qu'îl  l'avenir 
l'odice  de  saint  Martial  serait  célébré  comme  celui  d'un  apùlre  el 
on  déclara  que  ceux  qui  enfreindraient  celle  décision  seraient 
excommuniés.  Guillaume  prit  une  part  importante  h  cette  résolu- 
tion el  entraîna  les  assislanls  en  leur  présenlanL  un  livre  fort  an- 
cii^n,  écrit  en  lettres  d'or,  dont  Canul,  roi  d'Angleterre,  lui  avait 
fait  présent  avec  bien  d'autres  objets  précieux,  et  dans  lequel  on 
lisait  quesainL  Martial  était  un  apùlre  au  môme  litre  que  Paul  et 
Barnabe,  qui  ne  furent  pas  au  nombre  des  douze  disciples  du 
Chrisl  (1).  Mais  les  controverses  avaient  été  si  vives  qu'elles  se 
continuèrent  encore  quelque  temps  el  elles  ne  furent  closes  qu'a- 
près que  les  deux  conciles  de  Bourges  et  de  Limoges,  tenus  coup 
sur  coupon  novembre  103t,  eurcnlmaintenu,  contre  lousceux  qui 

émise  par  M.  Pfislcr  {Etudes  sur    te  rèffne  de  Rohert,  p.  3^3),  qui  nUribuc  aussi  à 
tort  à  celte  dernière  réunion  un  fait  tjui  se  passa  à  Limoijes. 

(i)  Mignc,  Palrologie  /a/.,G.\LI,  col.  87-1 12,  Adcin.ari  epislola  de  aposlolalu  sancli 
Mnrtiaiia j //f«i,  col.  iri-112,  Fragmenlum  Bermonia  Ademarî;  //«•/«,  coi,  ii5-ia4, 
Sermoncs  1res  Adcmari  ;  Item,  coi.  iij8,  Epistola  JorJani. 


GUILL.VUME  LK  GRAND 


iy5 


s'obslincraienl  à  regarder  saint  Martial  comine  un  simple  confes- 
seur, la  peino  de  l'excûmmunicalton  (I). 

La  parlicipalion  du  comte  de  Poitou  à  cette  grande  querelle 
religieuse  osl  le  dernier  acte  de  sa  vie  publique  que  nous  con- 
naissions. Peu  après,  ?l  l'ioailationde  son  père  et  de  son  aïeut,  il 
prit  la  détermination  de  se  retirer  dans  un  monastère.  11  ne  nous 
paraît  pas  qu'en  agissant  ainsi  il  ait  simplement  obéi  à  l'impul- 
sion de  ses  sentiments  religieux;  nous  inclinons  plutôt  à  croire 
que  des  raisons  politiques  le  poussèrent  à  prendre  celte  grave 
décision.  Guillaume  était  beaucoup  plus  dgé  que  sa  femme  Agnès 
et  celle-ci  se  trouvait  maldecellc  union  disproportionnée  ;d'aulrc 
part,  elle  était  ambitieuse.  Elle  voyait  avec  inquiétude  arriver  le 
moment  oii,  par  suite  de  la  mort  de  son  époux,  elle  perdrait  le 
haut  rang  dont  elle  jouissait  et  serait  contrainte  de  s'incliner 
devant  une  nouvelle  ducbes.se.  La  succession  ducale  devait  enelîel 
revenir  h  Guillaume,  le  fils  d'Aumodc,  quij,  déj;\  âgé,  ne  man- 
querait pas  de  se  marier  aiissitôl  qu'il  serait  arrivé  au  pouvoir. 
Aussi,  se  modelant  sur  Conslance,  la  reine  de  France,  qui  avait 
fait  tousses  efforts  pour  enlever  le  trône  aux  enfants  du  premier 
mariage  du  roi, elle  entreprit  une  lutte  sourde  contrôle  lils  de  la 
première  femme  de  son  mari  et  cbercha  h  attirer  ses  préférences 
sur  l'aîné  de  ceux  qui  étaient  issus  de  leur  union  et  à  qui  elle 
faisait  porterdèsce  moment  le  nom  dynastique  de  <iuillaume(2). 
Mais  le  cûmle,avec  celte  fermeté  dont  il  donna  tant  de  preuves,  ne 
se  prétapas  àces  manœuvres;  son  fiisaîné,donl  il  n'avait  pu  faire 
un  roi,  devait  lui  succéder  dans  son  ducbé.  Toutefois,  craignant 
h  juslc  titre  qu'Agnès,  dont  il  connaissait  le  caractère  violent,  ne 
vînt  à  profiler  du  moment  de  [rouble  qui  suivrait  sa  mort  pour 
usurper  le  pouvoir,  il  ne  trouva  d'autre  moyen  pour  empêcher 
ses  machinations  d'aboulir  que  de  mettre,  lui  vivant,  son  fils 

(i)  LaLbc,  Conriliii,  IX,  p.  803;  Art  de  vêrijtcr  les  tîntes,  p.  ao2. 

(2)  La  chronique  de  Saiol-Maixcnl  ropporle  (pp.  388  et  3y'i)  que  le  fila  otoé  d'A- 
gnès porluil  le  iiotu  de  Pierre  ;  par  la  sui(e,  il  fut  appelé  (iutlbumc,  ainsi  que  ses 
prédécesseurs,  mais  il  esl  avéré  que  sa  mèro  lui  faisait  prcnJre  tout  cnfanl  ce  nom 
de  GuiHauoie,  réservé  aux  nlués  des  comtes  de  Poitou  ;  il  él.iit  bien  l'ainé  des  enfants 
d'Agnès,  oiais,  dans  l;i  série  des  entants  de  Guillaume,  il  n'avait  que  le  troisiétno 
rang.  Ce  fait  est  coustnlc  par  une  charte  de  Noaillé  (Arch.  de  la  Vienne, oritf.,  u»> 80), 
postérieure  au  mois  d'aoùl  1029  cl  dans  laquelle  se  trouvent  les  souscriptions  du  duc 
el  de  sa  famille  dans  l'oi-drc  suivant;  S.  Willehni  cornitia.  S.  Atjnetis  sutpujcoris, 
S.   WilletmiJiUi  sut,  S.  Udoni  Jilii  sui.  S.  Iterum  Willelmi  Jilii  sut. 


.96 


LES  CONfTES  DE  POITOU 


aîné  pn  possession  de  l'aiiLorilé.  Il  ne  put  ou  ne  voulut,  comme 
l'avail  l'ail  le  roi,  associer  son  fils  à  soniilre  ainsi qu'àson  pouvoir, 
et,  pour  arriver  à  ses  fins,  il  renonça  à  l'un  el  à  l'aulre.  11  se 
retira  dans  la  splendide  abbaye  de  Maillezais,  où  il  mourut  peu  de 
temps  après,  le  31  janvier  1030,  âgé  de  soixante  et  un  ans,  el  fut 
inhumé  dans  le  cloître  de  l'abbaye  (i). 

La  vie  de  Guillaume  le  Grand  serait  imparfaitement  connue  si 
l'on  s'en  tenait  aux  faits  principaux  de  son  histoire  que  nous  venons 
de  rai)peler  ;  on  peut  heureusement,  î^ràce  h  son  contemporain, 
voire  môme  son  panégyriste,  Adémar  de  Chabannes,  avoir  une 
idée  plus  complète  du  rùlequ'il  joua  dans  la  société  de  son  époque. 

Le  tj'ès  glorieux  étirés  puissant  comte  de  Poitou,  duc  des  Aqui- 
tains, se  montra,  dit-il,  au-dessus  des  princes  de  son  temps  par 
son  alTabililé  exlrôme  ;  ses  conceptions  étaient  aussi  élevées  que 
sa  sagesse  élail  grande,  salibéraliléélail  excessive,  et  s'il  était  vé- 
ritablemenl  le  défenseur  des  pauvres,  on  pouvait  encore  Tappeler 
le  père  des  moines,  le  constructeur  el  le  défenseur  des  églises, 
enfin  toute  sa  vie  il  ht  preuve  du  plus  grand  dévouement  envers 
le  Saint-Siège;  dès  sa  jeunesse,  il  prit  l'habilude  d'aller  tous  les 
ans  à  Rome,  généralement  à  l'époque  du  carême,  et  si,  pour  un 
motif  quelconque,  il  ne  faisait  pas  ce  voyage,  il  le  remplaçait  par 
un  pieux  pèlerinage  à  Saint-Jacques-de-Composlelle  (2). 

Les  dates  de  ces  visites  au  célèbre  sanctuaire  galicien  ne  nous 
sontpasconnuos,  mais  on  peut  croire  que  l'une  d'elles  se  fil  pendant 
la  rcconslruction  de  la  cathédrale  de  Poitiers,  el  que  le  comte 
dut  à  la  générosité  d'Alphonse  V,  roi  de  Léon,  son  ami,  quelque 
portion  des  reliques  de  sainl  Aciscleel  de  saint  Némèse  qui  furent 


(r)  Celte  date  de  loîo  esl  fournie  par  k  chronique  de  Saint-Meixenl  (p.^ijo)  cl  par 
Pierre  (le  Mattlczaîs  (Labbc,  A'opa  bibl.  inan,,  II,  p.  257),  mais  ces  deux  textes  ne 
sont  pas  d'accord  sur  Idtfc  qu'avait  Guillaume  le  tirand  nu  moment  de  sa  mort; 
tandis  que  la  clironiquu  do  Sainl-.Maixent  indique  soixante  et  onze  ans,  Pierre  de 
Maillcziiis  ne  parle  que  de  soixante  et  un  aus.  Besly,  dont  nous  avons  du  reste  adopté 
la  manière  de  voir,  l'ail  reinanjucr  à  juste  tïtrc  [llist,  des  fom/as, preuves,  p-  278  ùis) 
ijiie  ai  l'on  cuucédaJt  au  cumte  l":|sjc  de  soîxanlc  et  onze  ans  lors  de  son  décès, il  fau- 
drait faire  remoaler  sa  naissance  à  l'anoêe  'jjy,  ce  qui  ue  peut  se  concilier  avec  Vi\ge 
que  devait  alors  avoirs»  mère:  le  mariage  de  celte  dernière^  ainsi  «pie  nous  l'avons  dit 
plus  haut  (pai^c  loa,  note  3),  n'a  pu  avoir  lieu  ({u'en  ç^^S. 

(a)  Chro/t.  <l'A(lém'-ir,p.  itiS.Le  comte  sclrouvaîl  ii  Home  en  ioi2,avec  Audouin, 
évèquedcLinioîjes(C'Aro«,  (/\-lt/émar,  p.  171),  elen  101 3,  lors  de  ia  découverte  du  chef 
de  sainl  Jean-Baptiste  (//ewi,  p.  17'J);  le  2  mai  1017,  il  était  à  Pavic,  revenant  de 
Ituiuc  avec  ses  deux  fils  (Brucl,  Charles  de  Clnnij,  III,  p.  73î). 


GITILI.AUME  LE  GRAND 


'y? 


enlermôed  avec  des  parcelles  de  celles  de  saint  lîasyplie  dans  une 
ampoule  ou  reliqnaire  en  plomb,  que  l'on  plaça  dans  le  massif 
de  Taulel  de  la  cliapelle  de  Sainl-Xisle  h  la  calhédrale{l). 

ïûulefois,  malgré  sa  piélé,  ritiillaurae  ne  se  rondil  jamais  aux 
Lieux  SaiiUs.  Le  voyage  t'Iait  trop  long,  on'pourrail  mùmc  dire 
trop  périlleux,  pour  un  chef  d'étal,  et  il  dut  se  contenter  d'encou- 
rager de  ses  conseils,  et  sans  doute  aussi  de  ses  deniers»  les  gens 
de  son  entourage  qu'un  zèle  ardent  ou  parfois  un  sentiment  de 
vaine  gloriole  poussaient  à  celle  entreprise.  L'Aquitaine  fournit 
à  cette  époque  un  fort  contingent  de  pèlerins  appartenant  à  toutes 
les  classes  de  la  société,  tant  pauvres  que  riclies,  au  nombre  des- 
([uels  on  remarque  les  deux  plus  fidèles  vassaux  du  duc  d'Aqui- 
taine, (juillaume  Taillefer,  comte  d'Angoulème,  el  Foulques 
Narra.  Ce  .dernier,  qui  avait  tant  de  méfaits  sur  la  conscience, 
fit  même  trois  fois  le  voyage  de  Jérusalem  (il  succomba  dans  le 
cours  du  dernier,  en  lOiO);  quant  à  (îuillaume  Taillefer,  il  fil 
partie  d'une  troupe  de  près  de  sept  cents  personnes,  venues  de 
tous  les  points  de  la  France,  qui  gagna  la  Palestine,  par  terre,  au 
prix  des  plus  grandes  fatigues.  Lecomted'Angoulêrae  parait  avoir 
été  le  personnage  le  plus  signalé  de  ce  pèlerinage,  dans  lequel 
il  fut  accompagné  par  l'abbé  de  Sainl-Cybard,  qui  mourut 
en  roule,  el  où  l'on  remarquait  aussi  Eudes,  comte  de  Cliâleau- 
roux,  qui  avait  pour  principal  compagnon  lliicliard,  abbé  de 
Déols  (2).  Parmi  les  autres  pèlerins  notables  de  l'Aquitaine  à  celle 
époque,  on  trouve  Guy,  vicomte  deLimoges,el  son  frère  Audouin, 
évoque  de  cette  ville  (3),  Jourdain  de  Laron,  successeur  de  ce 

(i)  Otte  ampoule  a  été  découverte  en  1891,  lors  des  rcpuralions  faile!»  à  la  chapelle 
de  Sainl-Xiate  et  remise  en  place  le  25  iiuvembic  189/1.  Elle  portallsur  son  couvercle 
une  inscription  curieuse  en  quatre  lignes  ainsi  con<;uc  :  a  Scputcrum  Khuscpi,  No- 
œenstii,  Aciscii  (ou  AciscLii).  )> 

-{■  SEPVLC  II  RUESEPIV  ||  NOMEMSTtI  ||  ACISGLl. 

Aciscle  elNcnicsc  sont  des  marlyrs  de  Cordouc  dont  les  reliques  furent  transférées 
h  Saint-Jacques  de  Couipustclle  au  xi«  siècle  et  Hasyphe  fut  niarlyrisé  à  I\omc,  d'où 
Guillaume  le  Grand  put  rapporter  quelques  parcelles  de  ses  os.  Voy,  notre  article  : 
L'/ftscri/ition  du  reltqtiaire  deSar/tt-AisU  à  lu  cathédrale  de  Poitiers  [Courrier  de 
la  \  tenue,  no  du  5  décembre  i8^)/|;  Lu  Semaine  reliffietise  du  diocèse  de  PnilirrSf 
no»  des  i  el  ij  décembre  i8<j/|);  Bolland.,  Acta  sancl.  jnnit,  VU,  pp.  aj5  el  238  b; 
Item,  juin,  V,  p.  387. 

(a)  C/irun.  dWdt'niary  pp.  r08,  17 ij  189;  PÛster,  Etudes  sur  le  règne  de  Robert, 
pp.  345-350. 

(3)  Chron^d'Adémnr,p,  i(i8. 


igg 


I.ES  COMTES  m:  POITOTT 


dernier  (1),  Raymond,  seigneur  du  Limousin,  oncle  du  chroni- 
quourAdi''mar  de  Clialjanncs{2),  llaoul,  t'vêqiie  dePérigueux  (3), 
Isemlierl,  L'vôque  dePoiliers  (4),  Josbcrl,  seigneur  de  Malemorl, 
qui,  fail  prisonnier  par  le"vicomle  de  Comborn,  fui  délivré  par  les 
habilanls  de  ses  domaines  el  uiourul  en  odeur  de  sainlclé  en 
allant  à  Jérusalem  (5). 

Un  voyage  pénililc  el  forcômcnt  accompagné  de  privations  ne 
pouvait  aussi  entrer  dans  les  goùls  de  Guillaume,  qui  mettait  du 
fivsie  on  (ouïes  choses.  Dans  les  localités  qu'il  traversait,  dans  les 
assemblées  publiques  auxquelles  il  assislail,  il  élail,  dil  encore 
Adémar,  considéré  plut<M  comme  un  roi  que  comme  un  duc,  tanl 
sa  personne  abondait  en  noblesse  el  on  grandeur.  Aussi  il  s'alla- 
cha  tellement  Alfonse,  roi  de  Léon,  Sanche,  roi  de  Navarrei  Ca- 
nut, roi  de  Danemark  cl  d'Angleterre,  que,  chaque  année^  ces 
princes  lui  faisaient  porter  de  riclies  présents  par  des  envoyés 
spéciaux,  qui,  à  leur  retour,  en  emportaient  de  plus  précieux 
encore.  11  se  lia  aussi  d'une  grande  amitié  avec  l'empereur  Henri 
et  l'un  et  Fautre  se  faisaient  un  honneur  d'échanger  réciproque- 
ment des  cadeaux  ;  parmi  ceux  si  nombreux  que  fit  Guillaume 
à  l'empereur,  on  remarqua  surtout  une  magnillque  épée,  toute 
en  or,  sur  laquelle  étaient  gravés  ces  mois  :  Ihft/inrm  fm/teralor 
Ce.yrt;-A*///*w/^/A'.l']nlin  les  pontifes  romains  l'accueillaient  à  chacun 
de  ses  voyages  avec  autant  de  déférence  que  s'il  eiH  été  le 
chef  du  Saint-Empire  el  le  Sénat  de  nome  l'acclamail  du  nom 
de  père  (6). 

AdiVmar  dit  aussi  qu'il  possédait  toute  l'affection  du  roi  de 
France.  Sur  ce  point  il  y  a  une  certaine"  réserve  à  faire,  et  on 
I)Ourrait  peut-être  appliquer  aux  sentiments  de  Ruberl  à  l'égard 
de  Guillaume  ce  qu\\(Iéniar  dit  de  ceux  que  témoignait  Eudes  à 


{i)  Cfiron.  iVAilémar,  p.    \ç)f\. 
(a)  Cfiron.  d' Adémar,  p.  i6.S. 

(3)  Chrtm .  d'Ailémar,  p.  jji.  Il  n'y  a  pas  lieu  d'accorder  la  moindre  crénace  aa 
récit  âr  (ifolTroy  du  Nigeois  (\A\hhe,  Xor>/i  lu'/jl ,  inan.,  ll,p.297},qui  fail  mourir  Raoul 
en  l'alcsliric,  au  cours  d'une  cxpddilJon  militaire  avec  le  comte  de  Poitou  ;  il  a 
pareiilenienl  ronfoadu  Guillaume  \c  drand  avec  Guiilaume  lo  Jeune;  quant  à  Baoul, 
il  esl  mnrl  ù  Péripjueu.t.d'oprca  Adcmar. 

(4)  Cfiron.  d'Adrrnnr,  p.  171. 
(f})  Cfiron.  d'Adânar,  p.  ifj'j. 
(C)  Cfiron.  d' Adémar,  p.  i03. 


GriLT.AUMR  LE  GRAND 


»1>0 


Renoul  II  :  «  Il  l'ainiuil  parcu  qu'il  le  redoiitail.  »  Toiil  d'abord 
los  rapports  des  deux  princes  durent  être  inlimes.  Pur  suite  du 


dlli 


Ad<''laïd( 


de  F 


k-Ui 


h 


mariage  a  iiugues  (..apei  avec  Adéiaiac,  sœu 
élaieiil cousins goruiatiiis  (I);  puis  Itoliert  ayant  L'prtusé,  malgré  tous 
les  obstacles,  Berlhe  de  Blois,  la  tanle  de  iiuillaunie,  it  reporta 
sur  la  famille  de  celle-ci  tous  les  sentiments  d'atTeclion  qu'il  pou- 
vait avoir  pour  elle, môme  ilen  fitlamanifeslation  éclatante  cpmnd 
il  porta  aide  au  duc  d'Aquitaine  pour  venir  h  bout  des  comtes 
de  la  iMarche  et  de  Périgord,  Mais  ledivorcc  de  Borlliediiljeler 
un  IVoid  sur  ces  relations;  du  plus,  bien  que  OuilUuimc  fût  devenu 
pour  un  temps  le  beau-friM-e  du  roi  de  France  par  le  mariage  de 
ce  dernier  avec  Constance,  sœur  d'Auraodc»  les  luîtes  conlinuel- 
les  de  Robert  avec  Eudes  de  Bluis,  le  cousin  de  Guillaume  et 
que  celui-ci  regardait  comme  un  frère,  obligèrent  ce  dernier  h 
une  grande  réserve  afin  de  n'ôtre  pas  obligé  de  prendre  parti 
pour  l'un  ou  l'autre  des  bolJigéranls  :  on  peut  même  se  demander 
si  le  comle  de  Poitou, à  l'imilalion  de  son  ancêtre  Itenoul,  ne  se 
ménagea  pas  un  otage  contre  les  entreprises  que  le  roi  de  France 
aurait  pu  méditer  contre  lui.  11  eut  en  elTel  pendant  quelque  temps 
parmi  ses  lauiiliers  le  jeune  Louis,  l'un  des  fds  de  Charles  de 
Lorraine,  le  compélileur  malheureux  des  Capétiens,  pelil-fils  par 
suite  de  Louis  d'Outremer  et  dont  il  reconnaissait  publiquement 
laqualitéprincière(2).  On  voit  bien  Robert  etsa femme  Constance 
se  rendre  à  Saint-Jean  d'Angély  pour  prendre  part  aux  fêtes  de 
la  découverte  du  chef  du  Précurseur,  puis  (îuillaume  assister,  le 
Ûjuin  1017,  à  Compiègne, au  sacre  de  Hugues,  le  fils  aîné  du  roi, 

(i)  Une  charle  de  Bourgueil  (Besly,  //isl.  des  romles,  preuves,  p.  305)  dcraa  1028 
ou  I03Q  se  Icrniicic  ainsi  :  «  reg^Duale  rege  Rolbcrto  iu  Fraacia  cl  cjua  consobrîno 
Guillelmo  iu  Aquilauia  ». 

(2)  Ce  fait,  qui  n'a  pas  encore  clé  relevé,  ressort  en  toute  évidence  d'une  cliailc  du 
cartulaire  de  Bour^ucii  (p.  80),  par  ln<|uclle  le  comte  de  Poitou,  à  la  prière  de  l'abbé 
BernoD,  donnait  à  ce  inonaslére  des  s.-iliDes  dnns  les  marais  de  Charron.  Elle  11c  porle 
pas  de  date, néanmoins  elle  doil  être  circouscrite  culi'c  le»  aiinccs  lOùî»  et  iai2,tcrnic!i 
extrêmes  de  l'abbatial  do  Bcrnon,  cl  placée  à  une  cpoque  où  Emma,  mère  du  comle 
Guillaume,  devait  encore  exister,  car  ce  dernier  sip^nc  en  effet  l'acle,  avec  celle  dési- 
gnalion  expresse  de  tils  d'Flmma;  on  y  relève  aussi  la  signature  de  son  (ils  Guillauiiio 
et  enfin  celle  de  Louis,  fils  du  roi  Charles,  a  S.  Lodotci  tilii  Ivaroli  régis,  »  tjui  suit 
imiucdiaiemcnl  en  place  bonorable  celle  du  comle.  Celte  mention  est  à  rapprocher  de 
celle  fournie  par  .Mabillon  [Ann.  Benedict.,lV,  p.  43),  qui  cale  uue  charte  de  l'abbaye 
d'Uzercbe  en  Limousin^  ainsi  datée  :  u  Addo  ab  Tncarnalionc  M IX  rcj^naule  Uolbrrlo 
et  Ludvico  et  Karlonio  i>.  Il  est  avéré,  par  ce  dernier  acte,  qu'eu  looy  lu  Icgitiniilé  du 
pouvoir   de  Robert  n'était  pas  admise  par  tous  dans  les  étals  de  Guillaume  le  Grand. 


LES  COMTES  DE  POITOU 

en  lê(e  des  seigneurs  laïques  (1),  mais  ces  rapports  assez  peu  ?r^ 
quents  n'avaieiil  pas  le  môme  caraclère  qiïe  ceux  qui  avaient  mar- 
qué  les  débuis  du  règne  des  deux  princes.  Guillaume  voulait, 
comme  tout  rétablit,  êlre  maître  chez  lui  et  était  peu  disposé  à 
souiïrir  l'ingérence  du  roi  ;  il  le  monlra  bien  lors  du  vif  dissenli- 
menl  qui  éclata  entre  eux  lors  de  rélectton  de  Jourdain  au  siège 
épiscopal  de  Limoges  et  qui  dura  deux  ans  au  moins,  Robert 
étant  dissimulé  derrière  Farchevêque  de  Bourges,  riuillaume 
derrière  l'évéque  deLimoji^os.  Finalomenl  le  conflit  s'était  terminé 
par  la  défaite  du  duc  d'Aquitaine  à  la  suite  de  la  décision  du  con- 
cile solennel  que  le  roi  de  France  avait  convoqué  à  Paris  en  1021. 
Si,  peu  après,  Guillaume  réclama  l'appui  du  roi  pour  la  réali- 
sation de  ses  projets  sur  l'Italie,  il  n'a^'il  pas  directement  et 
dut  recourir  ii  l'eivlremise  de  Foulques  Nerra,  l'allié  naturel  du 
roi  de  France  contre  Eudes  de  Blois,  et  ce  fui  le  comte  d'Anjou 
qui  régla  les  conditions  de  l'accord. 

Il  s'abstint  aussi  en  1026  d'assister  à  la  réunion  provoquée  par 
Robert  pour  le  jour  de  la  renlccôtcarin  de  désigner  le  futur  héri- 
tier de  la  couronne,  et  chercha  même  à  détourner  Fulbert  de 
Chartres  de  s'y  trouver.  «  Quanta  moi,liii  écrivait-il,je  ne  me  ren- 
drai pas  à  la  cour  du  roi, sachant  bien  que  l'on  m'en  voudra  moins 
de  mon  absence  que  si,  présent,  je  me  prononçais  pour  le  roi  ou 
pour  lareine  ;  duresteje  ne  feraisrionpour  le  choix  d'un  roi  sans 
m'ôlremisd'accordavecmon  frère  Eudcs,et  soyez  assuré  que  celui 
qu'il  choisira,  je  le  prendrai  aussi  (2).  »  Guillaume  partageait 
sans  doute  la  jalousie  et  la  méfiauce  des  grands  seigneurs  contre 
les  agissements  de  Robert, et  particulièrement  contre  les  précau- 
tions que  prenait  le  roi  de  France  pour  assurer  la  couronne  dans 
sa  famille;  aussi  quand  Hildogaire écrit  (de  Poitiers)  à  Fulbert  de 
Chartres  que,  tant  que  le  père  est  vivant,  il  ne  doit  pas  être  créé 
d'autre  roi  à  côté  de  lui,  Fécùltltre  de  Saint-llilaire  n'est  à  n'en 
pas  douter  que  le  porte-parole  du  duc  d'Aquitaine  (3).  Fulbert  n'i- 
mita pas  la  réserve  de  Guillaume  ;  il  n'osa  résister  à  l'invitation 
de  RoberljCt  môme  il  contribua  beaucoup  à  faire  désigncrle  jeune 


(i)  Rec.  (les  ht'sL  </e  France,  X,  p.  599, 

(2)  Miçne,  Pairolujie  lai.,  CXLl,  col.  83o,  S.  Guillclnn  ducis  cpiatolo:. 

(3)  Mijçne,  Palroloffie  lai. y  C.VLI,  col.  aSS,  S,  Fufberli  epislolœ. 


GL'JLLAl'ME  LK  GRAND 


SOT 


Henri  pour  lui  succéder.  Une  lois  i'afTaire  décidée,  Guillaume 
ne  bouda  plus  el,  en  f  027,  il  se  trouvait  à  Reims,  le  jour  de  la 
Pentecôte,  parmi  les  témoins  du  sacre  du  nouveau  roi  (1).  Du 
reste,  le  duc  d'Aquitaine,  qui,  dans  ses  états,  tenait  ferracmcinl  la 
main  h  ce  que  ses  vassaux  s'ncquiltassenl  envers  lui  des  obtif:;ations 
auxquelles  ils  étaient  tenus,  ne  pouvait  s'atTrancbir  de  celles  qui  lu  i 
incombaient  envers  le  roi  de  France,  du  moment  qu'il  n'était 
pas  en  lutte  ouverte  avec  lui  ;  aussi,  au  début  de  Tannée  1028,  le 
voil-on  encore  se  rendre  à  Paris  et  assister  au  mariage  d'Adèle, 
iille  de  Robert,  avec  Baudouin,  llls  du  comte  de  Flandre  (2). 

Ces  actes  de  déférence  publique  de  la  part  de  Guillaume  main- 
tenaient son  bon  accord  avec  le  roi  et  lui  permettaient  en  même 
temps  d'exiger  des  comtes  et  autres  grands  seigneurs  dépendant 
du  duché  d'Aquitaine  la  m(:me  soumission  à  son  égard.  C'est  ce 
que  l'on  peut  induire  du  texte  d'Adémar,qui  lait  remarquer  qu'il 
avait  assujelti  tout  le  pays  à  son  pouvoir,  de  telle  sorte  que  per- 
sonne n'osait  se  mesurer  avec  lui  (3).  Comme  le  fut  plus  tard 
Louis  XIV,  il  avait  été  élevé  à  une  rude  école,  et  les  misères  de 
la  lin  du  règne  de  son  père  el  du  commencement  du  sien  l'avaient 
instruit  ;  avec  la  ferme  volonté  d'Être  le  maître  le  jour  où  la 
chose  lui  serait  possible,  il  se  Irara  le  plan  de  conduite  dont  on 
peut  suivre  facilement  l'exécution.  Une  Ibis  que  l'ordre,  troublé 
par  l'ambition  des  comles  de  la  M  arche  et  des  vicomtes  de  Limo- 
ges, fut  rétabli,  il  se  préoccupa  de  prévenir  les  soulèvements 
qui  pourraient  se  produire  contre  son  autorité  el  en  conséquence 
il  s'appliqua  à  mettre  en  pratique  le  planque  nous  avons  dévoilé, 
plan  qui  consistait  h  s'attacher  ces  turbulents  personnages  par  un 
lien  plus  étroit  de  vassalité  el  par  des  bienfaits  donl  il  était  libre 
de  leur  retirer  les  témoignages,  plutôt  que  d'employer  la  force  des 
armes,  qui  n'avait  souvent  d'autre  conséquence  que  de  laisser  der- 
rière soi,  même  en  cas  de  succès,  un  ennemi  ulcéré,  toujours  sou- 
cieux de  prendre  sa  revanche.  Il  ne  redouta  pas  d'augmenter  la 
puissance  de  certains  de  ses  vassaux,  assuré  qu'il  était  de  leur 
fidélité  par  la  concession  d'imporlanlsbénéliccs,  et  aussi,  il  faut 


(i)  liée,  des  hist.  de  France,  X,  p.  61 4. 
(3)  Rec,  des  hist.  de  France,  X,  p.  ùi-, 
(3)  Chron.  d'Adémar,  p.  i03, 


LES  CO.MTKS  DE  l'OFTOU 

bien  Tajouler,  par  ses  qualilés  personiK^les  qui  lui  allirèrenl  de 
nomlireuses  amiUés.  Ciràccàscs  générosités  à  l'égard  de  Guillaume 
d'Angoulôme,  de  Foulques  Nerra,  uil'uhi  de  Doson,  sou  ancien 
adversaire,  qu'il  laissa  sans  dilïicullé  s'emparer  du  Périgord  ou 
qu'il  en  pourvut  directement,  il  les  louait  dans  sa  main  et  se  ser- 
vait d'eux  pour  maintenir  dans  robéissance  ses  vassaux  de  moin- 
dre importance. 

Fur  son  habile  politique,  par  la  menace  de  sa  toute-puissance, 
il  arrêta  donc  tout  soulèvemenL  contre  son  autorité,  mais  ce 
résultat  ne  lui  parut  pas  suffisant;  il  était  dans  son  caractère  de 
vouloir  que  l'ordre  régnât  partout,  et  rien  n'y  était  plus  contraire 
que  ces  guerres  privées,  de  seigneur  à  seigneur,  qui  souvent  dégé- 
néraient en  atrocités  (1),  cl  qui  parfois  étaient  les  débuts  d'un 
incendie  souvent  dillicile  à  éteindre.  En  oppdsjtiun  avec  les  usa- 
ges barbares  de  l'époque  où  les  barons,  toujours  en  campagne 
tes  uns  contrôles  autres,  n'avaient  trouvé  de  meitleurmoyenpour 
all'aiblir  leurs  adversaires  que  de  mettre  à  mort  ou  de  mutiler 
grièvement  les  prisonniers  qu'iis  faisaient,  Guillaume  inaugura 
des  façons  d'agir  plus  douces;  il  fit  toujours  grâce  de  la  vie  aux 
captifs,  et  quand  il  y  avait  lien  de  leur  rendre  la  liberté^il  les 
rolcUdiail  sains  et  saufs  (2).  Mais  ces  procédés,  malgré  la  contagion 
de  l'exemple  qui  pouvait  en  sortir,  n'avaient  qu'une  action  assez 
limitée,  et  la  magnanimité  du  duc  d'Aquitaine  avait  surtout  pour 
clTt't  d'augmenter  son  prestige  et  d'accroître  le  dévouement  dont 
il  était  l'objet.  Aussi  seconda-l-il  de  tous  ses  efforts  les  tentatives 
que  fit  le  clergé  pour  arrêter  ces  luttes  barbares  et  cii  restrein- 
dre les  clfets.  C'est  an  concile  de  Cliarroux,  en  988  ou  989,  que 
se  dessina  pour  la  première  fois  ce  mouvement  contre  les  acles 
de  violence  des  seigneurs,  qui  ne  respectaiu'nl  ni  les  prêtres  ni 
les  faibles  (3).  Peu  après,  vers  990,  il  se  tint  au  Puy  une  réunion 
d'évêqucs  du  Midi,  qui  proclama  la  paix  de  Dieu  et  dont  les 
décisions  nous  font  connaîtie  le  mal  profond  dont  souffrait  alors 
la  société. 


(]}  U  sulfil  Je  rappeler  les  mcfuits  des  vicomtes  dcThounrs  etdca  sîrea  de  Ltisî^ç^nan 
i|Liv  Duus  avuns  racoutcii  [ilus  tiaul;  ces  crimes  abondent  du  realc  duna  Icscbrouiijues 
du  ICTiips. 

(2)  C/iron.  d'Adéinar,  p.  208. 

(3J  Labbe,  Concilia,  IX,  col.  733. 


comin 
ardents  causait  à  Limoges  de  grands  ravagipis,  le  duc  conseilla  à 
l'abhé  de  Sainl-Marlial  el  à  l'évoque  Audouin  d'invîler  le  peuple 
à  lu  uiorlilicalion,el  les  prélals.se  conronnanlà  celle  invilation, 
ordonnërcnl  un  triiluum  de  jeune.  Puis,  tous  les  évèques  de  l'Aqui- 
taine se  réunirent  dans  celle  ville  de  Limoges  où  de  toules  parts 
on  apporta  des  reliques  de  saints,  particutièrement  celles  de  saint 
Benoît,  qui  furent  extraites  du  monastère  de  Saint-Benott-du- 
Sau]l(2),  et  le  corps  de  saint  Marlial  qui  fut  lire  de  son  tombeau  el 
exposé  à  la  vénération  des  lidùles  au  Monl-Jovy.  A  celle  assemblée 
à  laquelle  assistaient  les  archevêques  de  Bourj^es  el  de  Bordeaux, 
les  évéques  de  Clermonl,  du  Puy,  de  Limoges^  de  Saintes,  de 
Périgueux  et  d'Angoubime,  fut  proclamée  la  paix  de  Dieu  h  la- 
quelle adhérèrent  le  duc  d'Aquitaine  el  successivement  tous  les 
grands  personnages  du  duché. 

Les  décrois  dn  concib:^  qui  frappaîenl  de  peines  ecclésiastiques 
ceux  qui  les  violeraient  lurent  approuvés  par  le  pape  (3).  Mais, 
malgré  cette  pression  de  l'esprit  public,  le  but  poursuivi  élait 
loin  d'êlre  alteint  ;  aussi,  afin  d'arriver  à  ce  résultat  tant  souhaité, 
de  nouvelles  assemblées  se  linrenl  en  Aquitaine.  Vers  l'an  1000, 
le  13  janvier,  jour  de  la  fête  de  saint  llilaire,  rarchevêque  de 
Bordeaux  présida,  à  Poitiers,  une  réunion  oîi  se  trouvèrent,  outre 
sessulfragants  de  Poitiers,  d'AngouIôme  et  de  Saintes,  l'évêque 
de  Limoges  et  douze  abbés  ;  il  y  fut  décidé  entre  autres  que  toute 
querelle  survenue  au  sujet  de  biens  usurpés  ne  devrait  pas  se 
régler  par  les  armes,  mais  être  portée  devant  la  justice  (i). 

Un  autre  concile  se  tint  dons  la  môme  ville,  le  10  mars  1011, 
mais  on  nen  connaît  ni  l'objet  ni  les  assistants  ;  toutefois  on  doit 
présumer  qu'il  y  fui  encore  question  de  celte  paix  de  Dieu  qui 
rencontrait  toujours  des  esprits  récalcitrants  ;  on  sait  seulement 
que  Févéque  de  Poitiers,  Gilbert,  avait  ordonné  aux  moines  de 
Saint-Maixenl   d'y  apporter   le  corps  de  leur  saint  patron  qui 


(i)  D.  Vaissete,  ffisl.de  Lanrfutfdoc,  nouv.  éd.,  V,  p.  i5. 
(a)  De  Cerlain,  Miracles  de  suint  Henoil,  p.  1 16. 

(3)  C/iroit.  d'Adémar,  p,  :58  ;  M'ts^uc, Palrolofjie  /a/  ,CXLI,  col.  117-iao,  Sermo- 
Qes  1res  Ademari. 
(.'1)  fiec.  des  hitt .  de  France,  X,  p.  536;  Labbe,  Concilia,  IX,  col.  ^80. 


204 


LES  COMTES  ÙE  POITOU 


reçut  la  visili?  du  duc,  d'abord  ti  Samt-llilaire^  puis  à  Saint- 
Grégoire  (1), 

Le  nord  de  la  France,  le  véritable  royaume,  ne  suivit  que  tar- 
divement le  mouvement  du  sud, car  c'est  vers  l'année  JOIO-IOH 
seulement  que  le  roi  Robert  fil  tenir  pour  la  première  fois  une 
assemblée  dans  le  dessein  d'y  proclamer  la  paix  de  Dieu  ;  Ton 
pourrait  croire  que  riuillaume  n'y  fut  pas  étranger,  car  Fulbert 
de  Chartres,  son  ami,  joua  un  rôle  marqué  dans  celle  réunion 
dont  il  célébra  les  résultats  par  un  chant  lyrique  enlhou- 
siasle  (2). 

Guillaume  avait,  aulanl  que  possible,  fait  observer  dans  ses 
étals  les  prescriptions  des  conciles,  mais  il  ne  négligea  pas  à  1*00- 
casion  de  les  faire  renouveler.  Dans  les  derniers  lemps  de  sa  vie, 
à  rassemblée  de  Charroux,  qu'il  avait  fait  tenir  en  1028  ou  1029 
dans  le  but  déterminé  de  faire  condamner  Fhérésie  des  Mani- 
chéens, il  fut  ordonné,  à  son  instigation  ,  à  tous  les  grands  de 
l'Aquitaine  qu'il  y  avait  convoqués,  de  garder  la  paix  de  Dieu  et 
de  vénérer  l'Église  catholique  (3). 

Le  rôle  joué  par  Guillaume  le  Grand  dans  cette  magnifique 
inslilulion  de  la  paix  de  Dieu  est  des  plus  important,  sinon  même 
prépondérant,  caries  nombreux  conciles  tenus  en  Aquitaine,  où 
celle  paix  fut  proclamée,  furent  convoqués  par  ses  ordres  ;  les 
textes  sont  formels  sur  ce  point.  11  voulait  dominer  dans  les 
clioses  religieuses  comme  il  chercha  à  le  faire  dans  la  société 
civile  ;  heureusement  qu'il  avait  un  esprit  sage  et  politique  et  qu'il 
tourna  vers  le  bien  les  qualités  de  volonlô  et  d'esprit  de  suite  dans 
lesalTiiircs  dont  il  ôlait  doué.  Ce  fut  un  grand  prince  ;  il  aurait 
pu  être  un  tyran. 


(i)  Marclieffny,  C/iron.  ries  éfjh  (T Anjou,  p.  387,  Saînl-Maiscnl.  La  date  de  loio, 
inditjuëe  pnr  ce  dociiiiieal,  doit  dire  leporléc  à  l'auuée  101 1,  ainsi  qu'il  rêsullc  J'une 
cbartft  du  cfiriulaire  de  Saint-Mnixecl  (A.  Richard,  Charles  de  Soint-MnixeiU,  f, 
p.  01),  où  il  est  dit  que  le  concile  s'ouvrit  le  10  mars;  or,  la  présence  k  cet  acte  de  la 
comlessc  Bris(|ue,qui  épousn  Guillnumc  dans  les  deux  premiers  mois  de  l'arjuéc  ion, 
place  forcement  à  cette  époijue  la  Icuue  de  ceUe  assemblée,  ce  qui  eVsI  nullement 
eu  conlradiclion  avec  le  texte  Je  la  clironiquc,  dont  Tautcur,  suivant  l'usag-e  com- 
mun en  Poitou,  commcDeail  raaaée  au  35  mars. 

(2)  Rec.  des  hist.de  France,  X,  p.  ^54;  Mi^e,  Patrologie  lat.,  CXL[,  col.  3/|f), 
S.  Fulberli  hymni. 

(3)  Chron.  d'Adémar,  p.  19^. 


raiiXAiME  u:  (irand 

ies  évêques,  membres  de  ces  conciles,  étaienl  pour  la  plupart 
les  obligés  du  duc  d'Aquilaine;  on  a  vu  la  part  imporlanle  qu'il 
prit  à  l'élection  do  l'arclievèque  de  Bordeaux,  Goolïroi  II,  des  évê- 
ques  de  LimoiJios  (léraud  cl  Jourdain  ;  les  évoques  de  Poitiers, 
Isember l,  el  de  Saintes,  Islon,  lui  dovaionl  aussi  leurs  sièges  (  1 1^  et 
le  fait  qu'Arnaud  de  Villebois,  successeur  de  Itaoul,  évoque  de  Péri- 
gueux,  fut  sacré  en  1010  à  Xaiiteuil-eii- Vallée,  abbaye  poitevine, 
par  Seguin,  archevêque  de  Bordeaux,  semble  bien  témoigner  de 
l'ingérence  du  duc  d'Aquitaine  dans  celte  nominolion  (i)  ;  pour  ce 
qui  esl  des  évoques  d' A ngouléme,  étant  donnés  ses  rapports  inli mes 
avec  le  comle  Guillaume  Taillefer,on  peut  croire  que  les  prélals 
furent  choisisd'un  commun  accord  enlre  le  duc  et  son  vassal.  En 
tout  cas,  Hohon,run  d'eux,  qui  devint  évoque  vers  1020,  était  un 
Pûilevin,  originaire  de  Monlaigu ,  cl  sans  doute  membre  de  la  famille 
qui  possédait  ce  lief;  de  plus,  on  le  voil  faire  acte  de  vassalité  à 
l'égard  de  Guillaume,  assurémenL  pour  des  domaines  qu'il  tenait 
de  sa  générosité  (3).  Quanl  h  lui,  dit  Adémar,  il  élail  rare  qu'on  le 
rencontrât  sans  qu'il  fût  dans  la  compagnie  de  quelque  évoque,  et 
d'autre  pari  il  tenail  en  grand  honneur  les  moines  et  les  abbés 
canoniquemenl  élus,  dont  il  prenait  volonliers  les  conseils.  Aussi 
veillait- il  avec  soin  h  la  régularilé  de  la  vie  monasUque,  et  quand 
il  s'apercevait  que  le  bon  ordre  étail  troublé  dans  un  couveni,  il 
employait  toute  son  autorité  pour  le  rétablir;  sa  vigilance  s'ap- 
pliqua à  presque  toutes  les  abbayes  du  Poitou. 

Saint-Cyprien  de  Poitiers,  qui  avail  élé  pendant  si  longtemps 
un  modèle  de  vie  religieuse,  avait  dégénéré  et  les  moines  s'élaienl 
alTranchis  de  presque  toutes  leurs  obligations  monastiques.  Pour 
remédier  à  cet  élat  le  comte  s'adre3sa:iAbbon,abbéde  Reury,  qui 
mainlenaildans  son  monastère  une  ferme  discipline  el,  tant  par  ses 


(i)  Quand  Ciuillaujtic  le  Grawd  arriva  âa  (vouvi>ir,Gislebert,  le  cunlUenldesa  mère, 
occupait  rcv<^c!ié  Je  l*ailtcra  depuis  viaçl  aua  cnviroa;  il  mourut  à  la  fin  de  l'année 
loaa  et  fut  enterre  :V  Maillczais,  où  il  s*élait  saas  doute  retiré  depuis  dôj:\  *]ucli|ue 
temps;  le  diocèse  était  adjninislré,  en  qualité  d'archidiacre,  par  son  neveu  li^i^nditirl, 
qui  lui  succéda  sans  dirticuUé.  Islim  était  frère  de  (rrlmoarJ,  évéquc  d'Atij^foutèniu 
et  parviul  à  I  cvèché  de  Saitile»  à  la  Bu  du  x*  siècle  ;  il  fut  u«i  des  j>lus  fidèles  conijta- 
gDons  du  duc  Guillaume,  qui  le  fit  charger  d'admipislrer  peadant  uo  cerlaiu  temps 
l'archevèchc  de  Bordeaux. 

(2|  Chron.  cf  Adémar,  p.  170. 

(3)  Historin  poniijic.  et  comiUi/n  Engolism.,  p.  27;  Bosly,  iJisl,  des  comletf 
preuves,  p.  288  Ois. 


LES  COMTDS  DE  POITOU 

conseils  que  par  ses  reraonlraticcs,  exerçait  une  grande  influence 
sur  les  centres  religieux  où  le  di^sordrc,  quand  ils  tombaietil  sous 
i'aulorilô  de  chefs  laïques,  ne  lardait  guère  à  pénétrer.  En  iÛOi, 
le  savanl  abbé  Ht  coup  sur  coup  deux  voyages  en  Gascogne  pour 
établirla  paix  dansle  prieuré  de  la  Réole,  que  Guillaume  Sanciie, 
duc  de  Gascogne,  avait  jadis  donné  à  l'abbaye  do  Fleury.  Au  der- 
nier de  ces  voyages,  il  se  rendit  aupri^^s  du  comte  de  Poilou,  à  qui  il 
avait  fait  demander  audience,  et  implora  son  appui  au  sujel  d'une 
possession  de  son  monastère  nommée  Salx.  Au  même  lemps,  se 
termina  heureuseraenl  une  affaire  concernant  son  cousin  Gilbert, 
abbé  de  Saint-Cyprien,  contre  qui  avail  été  portée  une  fausse  accti- 
salion  criminelle.  Il  écrivit  de  Poitiers  à  ce  sujet  à  Odilon,  abbé  de 
Cluny,  snus  l'aulorilé  de  qui  le  comte  avait  placé  Sainl-Cyprien, 
en  lui  disant  qu'il  s'était  mis  en  son  lieu  en  vcrUi  de  cet  adage 
qui  porte  que  nous  devons  considérer  les  biens  de  nos  amis 
comme  nos  propres  biens  et  par  suite  les  favoriser  de  notre  mieux, 
puis,  après  avoir  célébré  les  fêtes  de  la  Toussaint,  il  traversa 
Charroux,  Nanlcuil,  Angoulème  et  arriva  à  la  Réole,  où  il  trouva 
la  mort  dans  une  rixe,  le  13  novembre  (t). 

A  Saint-Maixent,  postérieurement  à  1010,  Guillaume  envoya 
comme  abbé,  après  la  mort  de  Bernard,  un  moine  nommé  lîainaud 
que  sa  science  avail  fait  surnommer  le  IMaton  do  son  époque  (2)* 

11  chassa  ensuite  de  l'abbaye  de  Charroux,  vers  1014,  un  per- 
sonnage puissant  nommé  Pierre,  qui  s'élait  fait  nommer  par  des 
manœuvres  simoniaqucs  et  administrait  l'abbaye  comme  un  bien 
séculier.  Celle  dernière  et  son  église  de  Saint-Sauveur  venaient 
d'ôlre  délruiles  par  un  incendie  que  les  contemporains  rappro- 
chèrent de  l'apparition  d'une  comète  qui  se  montra  sous  la  forme 
d'une  épée  au  septentrion  pendant  plusieurs  nuits  d'été.  Le  comte 
recourut  à  Ariberl,  abbé  de  Saint-Savin,  qui  avait  maintenu  le 
bon  ordre  dans  celte  abbaye,  et  lui  demanda  de  lui  procu- 
rer dix  religieux  qui  fussent  do  fervents  observateurs  de  la  règle 
de  saint  Benoît.  Sous  la  direction  de  Gombaiid,  l'un  d'entre  eux, 


(i)  Mi'ïnc?,  Patrologie  iat.f  CXXXIX,  col.  887;  /îcc.  des  fitxt.  de  Frann\  X, 
p.  !\fn\  Mabillon,  Acta  sanct.  ord.  S.  Beiiedicli,  vj*  s.,  I,  pp.  5k  et  ^S;  l'hhoa, 
Codex  canonam,  |),  4 '5. 

{2)  Chi'on,    d'Adémar,    p.    iC4;    A,    llîcharJ,    Chartes  de  Sm'nl'Maixenl,    I, 

p.  LXXItt. 


GurLLAi  ^f 


aù'j 


que  Gtiillaumc  leur  donna  pour  chcf.ils  vinrent  s'installer  h  Char- 
rotix  qni  rocoinuiença  bientùl  h  jnslifier  la  qnalillcalion  do  sainl 
qui  rlnil  communômenl  donnée  h  co  rnonaslèrOi^l  qu'il  devait  pri- 
milivcmonl  à  la  possession,  alors  bien  jalous(''Oj  d'un  important 
morceau  du  bois  de  la  Vraie  Croix  (I). 

Le  comlc  do  Poitou  fil  aussi  appel  au  zi^le  du  grand  abbé  do 
Cluny,  Odilon,pour  ramener  dansje  devoir  les  hôtesde  plusieurs 
monastères  ctiez  qui  le  relâchement,  à  peine  inlroduil,  prenait 
rapidement  les  plusgrandes  proportions.  Le  2  mai  1017,  se  trou- 
vant ïi  l'avie  avec  ses  deux  lils  aînés, Guillaume  el  lùides,  lors  du 
retour  d'un  de  ses  voyages  à  Rome,  il  donna  à  Labbaye  de  Cluny 
la  moitié  du  cens  des  poissons  dû  par  les  pêcheurs  de  File  de  Ré. 
Les  rapports  du  comte  avec  Odilon  dataient  de  loin  el  l'abbô  de 
Cluny  vint  à  diverses  reprises  en  Poitou,  pour  visiler  les  mo- 
naslères  qni  furent  plarés  sous  sa  haute  direction,  comme  ce  fut 
le  cas  pour  Saint-Cyprien  de  Poitiers;  c'est  lors  d'un  de  ces 
voyages  qu'il  ôlablil  à  Saint-Jean  d'Angély  une  réforme  qui  ne 
fut  pas  afçréée  par  tous  ceux  qui  devaient  y  être  soumis  (2). 

Les  choix  faits  par  Guillaume  témoignaient  non  seulement  de 
ses  sentiments  de  piété  el  de  son  désir  de  voir  fleurir  dansles  éta- 
blissements religieux  les  principes  élevés  qui  formenl  Tessonce 
des  règles  monasliques,  mais  ils  étaient  encore  inspirés  par  une 
juste  appréciation  failo  par  lui-momc  do  la  valeur  intellectuelle 
des  hommes  qu'il  appelait  à  occuper  ces  hautes  positions  d'abbés. 

Emma  avait  profilé  de  sa  retraite  à  Chinon  pour  faire  donner 
h  son  fils  une  instruclion  aussi  développée  qu'il  était  possible 
à  l'époque,  et  c'est  sans  doute  parmi  les  chanoines  do  Saint- 
Martin  de  Tours  ou  les  moines  de  Marraoulier  qu'il  faut  cher- 
cher les  éducateurs  du  jeune  comte.  Leur  enseignement  tomba 
sur  un  terrain  propice;  aussi,  pendant  loule  sa  vie,  Guillaume 
montra-lil  une  grande  déférence  pour  les  hommes  de  science. 
«  S'il  apprenail,  dit  Adémar,  qu'un  clerc  était  pourvu  de  savoir, 


(i)  Cfiron.  (fWdétiutr,  pp.  lO?.  el  iS^;  Mitrnc,  Pnlrologie  lai.,  CXLI,  col.  83i, 
Guîlleltni  ilucis  l'jiîsIoI.t;  GulUn  Christ.,  Il,  coL  i^iSo  et  1287.  Adcrnar  désigne 
toujours  Cli.irrauv  sous  Je  nom  de  Sanclns  Carroftis, 

(a)  Ciirou.  (f'Afté/itar,  p.  tG^i  ;  Brucl,  Charles  f/«>  Clumj,  p,  ySs  {yo^.  pliis  liaut, 
p.    171). 


ao8 


LKS  COMTES  m'.  POITOU 


il  rhonorait  grandement  (1).»  H  avait  parlîcuIièremeDl  la  plus 
{grande  estime  pour  Fiilbcrl,  lo  savant  évêque  de  Cliartres^  qu'il 
chercha  vainement  à  attirer  en  Poitou,  el  à  qui  il  conféra,  en 
1022,  ne  pouvant  l'aire  plus^  l'importante  dignité  de  trésorier  du 
chapitre  de  Saint-llilaire-lc-Grand,  après  la  mort  de  Gérand, 
évêquc  de  Limoges  (2). 

Toutefois  Fulbert,  absorbé  par  l'administration  de  son  impor- 
tant diocèse  et  se  trouvant  par  suite  dans  rimposâibilité  de  rem- 
plir les  devoirs  de  sa  charge  de  trésorier,  ne  tarda  pas  à  vouloir 
renoncer  à  celle-ci.  Le  comte  se  donna  beaucoup  do  peine  pour 
triompher  de  ces  scrupules  et  entre  autres  il  fit  valoir  celle  con- 
sidération, qui  lui  vint  beaucoup  en  aide,  que  l'évèque  de  Chartres 
trouverait  dans  les  importants  revenus  de  sa  charge  des  ressour- 
ces précieuses  pour  la  réédification  de  sa  cathédrale,  ressources 
accrues  notablement  par  les  dons  fréquents  qu'il  tenait  de  lagônéro- 
si  té  de  Guillaume  lui-même.  Fulbert  se  laissa  convaincre,  cl  jusqu'à 
sa  morl,  arrivée  le  l0avriHO28  (3),it  resta  trésorier  de  Sainl-lli- 
taire.  Ses  séjours  à  Poitiers  furent  cependant  très  rares,  comme  il 
le  prévoyait,  mais,  ne  voulant  pas  priver  la  ville  du  bien  que  le  comte 
espérait  de  sa  présence,  il  y  laissa  son  disciple  le  plus  cher,  IHlde- 
gaireou  llildier,  qui  géra  en  son  nom  la  trésorerie  de  Sainl-llilaire 
eldirigea  en  outre  l'école  du  chapitre  tant  au  spirituel  qu'au  tem- 
porel(4.).  Sous  la  directiond'un  telmaître,etavecrappui  du  comte, 
Pécule  de  Sainl-llilaire  acquit  un  grand  renom  ;  c'était  un  des  très 
rares  établissements  de  ce  genre  qui  eussent  été  créés  au  sud  delà 
Loire,  tandis  que  les  écoles  monastiques  elépiscopales  abondaient 
alors  dans  le  nord  de  la  France.  Mais  aussi  à  chaque  difliculté  la 
main  ferme  el  prudente  de  Fulbert  apparaissail  ;  Hildegaire  le 


(i)  Cfiron.  d'Adémar,  p.  1G4.  , 

(2)  Ciiron.  d'Afléniar,  p,  16.^.  Les  mérites,  de  Fulbert  sont  rappelés  dans  une 
înscripliuQ  ([ui  acconiput^ue  &on  porlrait  en  pied  peint  à  Trcsque  au  xui*  aiùcle  dans 
l'une  des  arcades  inférieures  du  clocher  de  Sainl-llilaire  [Bnil.  de  la  Soc.  des  Antiq. 
de  rOitcsly   !''«  séiie,  XllI,  p.  ii^y,  note  de  M.  de  Looguemar). 

(3)  Plistcr,  Etudes  sur  le  rèr/iic  de  /iul/crt,  p.  xvi.v. 

(4)  Uildcg^aire  est  tjduéralcnieat  désigné  avec  la  qualilè  d'écoliUre  de  !a  catiiédralc 
de  Poitiers;  il  nous  pai'ajl  plutùl,  d'après  sa  cotTcapondance  avec  Fulbert,  qu'il  était 
ccolîltre  du  chapitre  de  Siiint-llilaire.  Douze  lettres  de  ce  pcraonnag-e  se  sont  rcncoQ- 
Irées  dons  la  correspondance  de  Falherl[M\i!;ne, Pulrûlorji'e  Int.,  CXLI.cot.  2(jti-277, 
tcUrca  tiG-iig,  125-128,  1 32,  i34,  r35,  l'Srj).  \'oy.  /lisl.  lill.de  Iti  France,  V[\, 
pp.  îût  el  ss. 


GUILLAUME  LE  GRAND  109 

consultait  sur  toutes  choses,  ol  les  sages  conseils  du  maître  no  se  fai- 
saient pas  attendre  ;  un  jour  même  il  dit  à  son  disciple  :  <»  Veille 
à  ce  que  les  élèves  ne  souffrent  ni  de  la  faim  ni  du  manque  de 
vêtements,  »>  paroles  qui  nous  éclairent  sur  la  qualité  sociale  de 
la  plupart  des  jeunes  gens  qui  suivaient  l'enseignemenl  élevé  de 
l'écolàtre  de  Chartres;  enfin,  arrivaient  souvent  des  Uvres  qui 
grossissaient  la  bibliolhèque  de  l'abbaye  (I). 

Guillaume,  considérant  Fulbert  comme  son  matlreel  un  guide 
sûr,  recourait  à  ses  lumières  dans  toutes  les  circonstances  déli- 
cates de  son  existence,  et  lui  posait  aussi  des  questions  qui  devaient 
éclairer  son  jugement.  Ainsi  un  Jour  il  lui  demanda  en  quoi  con- 
sistait le  devoir  de  fidélité  qu'un  vassal  devait  à  son  seigneui',  et 
Fulbert,  avec  une  concision  toute  laline,  lui  indiqua,  en  yajoulant 
un  léger  commentaire,  les  six  caracléres  que  devait  comporter 
cet  engagement  (2). 

Le  comte  de  Poitou  entretenait  une  nombreuse  correspondance 
tant  avec  ses  amis  qu'avec  des  hommes  de  science,  mais  de  toutes 
ces  lettres  il  n'en  a  survécu  que  sept  qui  furent  comprises  dans 
les  recueils  que  l'on  fil  de  bonne  heure  des  lettres  de  Fulbert; 
elles  sont  adressées  à  MainIVoi,  marquis  de  Su/e,el  à  sa  reiiunc 
lierthe,  à  Léon,  évéque  de  Verceil,  à  Fulbert,  à  Aribert,  abbô  do 
Saint-Savin,  et  à  Hildegaire  (3).  On  a  aussi  connaissance  d'une 
lettre  où  il  faisait  au  roi  Robert  la  description  d'une  pluie  de  sang 
tombée  en  Aquitaine  el  d'une  autre  adressée  à  Azelin,  archevê- 
que de  Paris,  au  sujet  de  la  politique  royale  (i).Ces  lettres,  très 
remarquables  de  pensées,  sont  écrites  dans  un  style  élégant,  qui 
confirme  pleinement  les  éloges  qui  ont  été  décernés  h  (îuillaume 
de  son  vivant  sur  l'étendue  de  son  savoir.  Le  désir  de  s'instruire 
s'alliait  chez  lui  au  goût  pour  les  livres.  Il  cul  une  bibliothèque 
dans  son  palais,  et,  pour  l'acroltre,  il  se  livra  lui-mômo  à  la  trans- 
cription des  manuscrits.  Il  avait  l'habitude  de  se  mcltre  h  la 


(i)  Migne,  Patrologie  tal.y  CXLl,  col.  232,  leUre  23;  l'fialer,  Etudes  sar  te  régna 
de  Robert,  p.  i4,note  i. 

(2}  Migne,  Patrologie  lat.,  CXLl,  col.  aSi-sCo,  IcUres  de  Fulbert  A  Ilildegnirc, 
no»  60,  63-06,  III  el  1  i3;//e/n,  col.  229  237,  leUrea  do  Fulbert  tiu  duc  Guillaume, 
no»  58,  5g,  71-73. 

(3)  M'igae,  Patrologie  Int.,  CXLl,  col,  827-832,  Guillclmi  ducis  cpistolœ  ;  llist, 
littéraire  de  la  France,  VII,  pp.  284  el  ss. 

(4)  L,  Delisle,  Vie  de  Gaaslin,  p.  60,  lettre  de  Robert  à  Gauzlin,  Mk  Jo  l'icury. 


SIO 


LKS  C0MT1':S  DE  POITOU 


loclure  aussil<Vl  qu'il  se  Imuvail  seul,  ou  Inon  encore  il  passait  une 
longue  imrlio  de  sos  iiuils  ii  lire  jusqu'à  ce  qu'il  fiU  vaiiiru  par  le 
sommeil  (1),  aussi  esl-ce  avec  une  grande  joie  qu'il  recul  du  roi 
Canul  le  livre  sacré,  si  riclieinonl  d6cor6,  qu'il  présentaau  concile 
de  Limoges  (2);  de  son  côl6,  il  envoyait  aussi  en  don  à  ses  cor- 
respondanls  des  ouvrages  qu'il  avait  fait  Iranscrire  ('J). 

Au  XI"  siècle,  la  grande  inslruclion  s'alliait  généralement  avec 
une  grande  piétù,  el  celle-ci  se  oianifestail  plus  particulièrement 
par  des  actes  de  générosité  en  faveur  des  couvents.  Guillaume 
était  de  son  temps,  el  la  liste  de  ses  bienfaits  que  l'on  connaît  est 
longue,  mais  s'il  enrichit  plusieurs  abbayes_,  il  n'en  établit 
aucune  elen  cela  il  se  distingua  non  seulement  de  ses  ancêlres  ou 
de  ses  successeurs,  mais  encore  des  grands  personnages  de  son 
époque.  Kn  général,  presque  toujours  môme,  ces  fondations 
furent  la  conséquence  d'une  exaltation  religieuse  souvent  momen- 
tanée qui  avait  pour  point  de  départ  un  sentiment  de  crainte  dans 
l'avenir  causé  par  les  excfcs  de  la  vie  présente  :  Foulques  Nerra, 
le  terrible  comte  d'Anjou,  fonda  les  abbayes  de  Beaulieu  el  de 
Saint-Nicolas  d'Augerselfut  trois  fois  en  pèlerinage  à  .lôrusalem. 
Guillaume  n'a  à  son  acquit  ni  voyages  sensationnels  ni  brillantes 
fondations  religieuses;  ayant  toujours  évité  de  fairelemal,  il  n'a- 
vait pas  à  rechercher  de  grands  pardons. 

Ou  a  pu  constater  par  ses  actes  la  profonde  alTection  qu'il  avait 
pour  sa  mère,  savér-ilable  éducalrice;  aussi,  dans  celte  voie  de 
la  bienfaisance  à  l'égard  d-\s  élablissemeuls  religieux,  suivit-il 
tout  d'abord  celle  que  sa  mère  lui  avait  tracée,  el  les  principales 
œuvres  qu'il  ail  accomplies  en  ce  sens  furent  le  complément  de 
cellesqu'Emmaavail  ébauchées, h.  savoir:  Bourgueilet  Maillezais. 

A  Bourgueil,  cette  œuvre  de  l'exil,  à  iaquollc  il  avait  pris  une 
part  Icllemenl  signalée  que  souvent  elle  l'ut  considérée  comme  lui 
élatit  personnelle,  il  fil  en  l'an  1000,  fila  sollicitation  desa  mère, 
deux  dons  importants  :  le  28  avril,  ce  fut  Talleu  de  Colombiers 
avec  son  église  de  Nolre-Lïame,  et,  le  7  octobre,  Auzay  et  Longè- 
ves,  avec  leurs  églises,  sept  autres  villas  situées  non  loin  de  Fon- 


(i)  Chron,  iTAdémar,  p.   176. 

(2)  Labbe,  Concilia,  IX,  col.  882  (Voy,  plus  liaul,  p.    igj^i), 

(3)  Mignc,  Pidrulogie  taf.,  C.XLI,  cul.  fii,  S.  Fulbcrii  epîstolse. 


GUILLAUMfc:  LE  liRAND 

lonaVi  eti  en  oiilrtî,  les  églises  fie  Sainl-Nazairo  ol  d'Angoiilins  en 
Aiinis  (1).  Puis  endn,  le  27  décembre  1003,  subissant  toujours  la 
même  pression,  il  abanilonnail  aii\  religieux  de  Bourgueil  les 
localilés  (le  CrolignoUe  cl  de  Faymoreau  avec  leurs  églises  (2). 
Les  abbés  du  monastère  ne  se  montrèrent  pas  moins  soucieux 
d'obtenir  directement  des  faveurs  du  comte;  c'est  ainsi  que  Bcrnon 
se  fit  donner  des  salines  dans  le  marais  de  Charron  (3),  puis 
reçut  le  conscntemoni  du  môme  pour  un  échange  qu'il  fil  avec 
Hoberl,  abbé  de  Jumièges,  du  domaine  de  Longueville  en  Norman- 
die, cadeau  de  la  comtesse  Emma,  contre  celui  do  Tourlenay, 
près  Thouars,  que  la  comtesse  Adèle,  femme  de  Tête-d'Ktoupo, 
avait  autrefois  donné  à  l'abbaye  normande  (i);  d'autre  part,  il 
semble  que  la  donation  de  l'église  de  Sainl-Nazairo  d'Angoulins, 
malgré  les  termes  précis  de  la  charte  qui  la  contient,  n'avait  pas 
été  complète,  car  un  chevalier  du  nom  de  ioscelin,  vraisembla- 
blement le  seigneur  de  Parlhenay,  demanda  un  jour  au  comte, 
qui  y  consentit,  de  concéder  celle  église  aux  moines  de  Bour- 
gneil,  et,  pour  plus  de  silrelé,  Tabbé  Toudon,  qui  continuait  les 
Iradilions  de  ses  prédécesseurs,  donna  h  Joscelin  vingt-cinq  livres 
d'argenl,  somme  considérable  qui  témoigne  que  Ton  est  plulùten 
présence  d'une  vente  que  d'une  donalion  (5). 

Emma  avait  d'abord  usé  de  son  inlluence  sur  son  fils  pour 
allirer  ses  grâces  sur  le  monastère  qui  était  son  œuvre  favorite, 
celui  qu'elle  avait  établi  dans  son  domaine  particulier  et  à  qui 
elle  n'avait  cessé  d'apporter  des  embellissements.  Mais  quand  il 
fut  pourvu,  elle  se  retourna  vers  celle  création  des  premiers 
jours  forcément  abandonnée  par  elle  ctqui demandait  d'autre  se- 
cours que  Bourgueil  déjà  parvenutisonplcinépanouîssement.  C'é- 
taient ces  lieux  où  son  fils  avait  passé  sa  promit^re  jeunesse,  cette 
île  de  Maillezais,  placée  au  centre  de  ces  contrées  du  Bas-Poitou  cl 
de  l'Aunis,  dans  lesquelles  les  comlespratiqii  aient  incessamment  de 


{i)htslj,  Hitt.  des  co/n/w,  preuves,  pp.  355,  3ô0;  Cari,  de  Dourgucîl,  pp.  3Ii, 
45  et  46. 

(a)  Besly,  ffisl.  des  comtes,  preuves,  p.  353  ;  Cart  do  Uourgpcil,  p.  55. 

(3)  Cart.  de  Bourgneîl,  p.  8G.  Beraoa  fuC  abbé  entre  ioo5  et  loia. 

(4)  Cart.  de  Rourgucil,  p.  73. 

{5)  Cart.  de  Bourgueil,  p.  85.  La  présence,  à  cet  acte,  de  Boson,  vicomte  de  Cli.4- 
tcllcraull.  f|UL  inuiirut  en  1012,  iailii|uâ  (ju'tl  lioU  cire  placé  celle  même  auuéc  <jui  iul 
celte  du  début  de  l'abbatial  de  Teudun. 


212  LRS  COMTES  DK  POITOU 

larges  (rouées  pour  salisfaire  ies  appL'lils  personnels  de  leur 
entourage  el  les  besoins  conslamment  renaissants  des  élablisse- 
menls  religieux. 

Le  chtlleau   de   Maillezais   élail  toujours  le  rendez-vous  de 
chasse  aimé  du  comte,  el  h  côté  subsistait  paisiblement  le  monas- 
ière  décliu,  devenu  un  simple  prieuré,  avec  son  église  de  Saint- 
Pierre  réunie  à  rabbayc  de  Saint-Gyprien.  Dans  le  courant  de 
Tannée  1003,  sur  la  sollicitation  de  sa   mère  et  en  présence  de 
personnages  émiuents  tels  que  sa  femme,  les  comtes  de  k  Marche 
el  du  Gôvaudan,  les  vicomtes  d'Aunay  el  de  Thouars,  Tévôque  de 
Poitiers,  le  trésorier  de  Saiut-Hilaire,  l'abbé  de  Saiul-Cyprlen  et 
aulreSj  il  délacha  Maille/ais  de  Saïnt-Cyprien  et  le  remit  dans  sa 
primitive  autonomie  (t).  Mais  il  ne  sutllsait  pas  de  décréter  que 
le  titre  et  le  rang  d'abbaye  étaient  rendus  au  monastère,  il  était 
urgent  do  le  doler  sufïisanimenl  pour  qu'il  pût  porter  le  fardeau 
que  ces  qualités  lui  imposaient;  or  donc,  au  mois  de  juillet  de  la 
même  année,  le  duc  lui  fit  abandon  de  biens  considérables,  parmi 
lesquels  nous  citerons  loute  l'île  de  Maillezais,  l'église  de  rilcr- 
menauU  et  de  nombreuses  villas  en  Poitou,  des  péages  et  une  tle 
avec  son  église  en  Aunis  (2)  ;  la  charte  monumentanl  celle  royale 
concession  fut  passée  à  Poitiers  en  présence  de  la  comtesse  Au- 
mode,  de  l'archevêque  de  Bordeaux,  des  évêques  de  Poiliers,  de 
Limoges  et  de  Saintes,  des  comtes  d'Angoulême  et  de  la  Marche, 
des  vicomtes  de  Limoges,  d'Aunay  et  de  Thouars,  qui  en  garan- 
tissaient l'exécution.  Le  duc  ne  tarda  pas  à  vouloir  se  rendre 
compte  par  lui-même  de  la  situation  nouvelle  faite  aux  moines  de 
Maillezais,  el  au  mois  de  décembre  de  la  même  année  il  vint  pren- 
dre gîte  dans  l'abbaye  avec  une  brillante  suite  qui  comprenait 
encoresa  femme  el  sa  mère,  avec  les  comtes  d'Anjou  et  de  la  Mar- 
che, les  vicomtes  de  Thouars,  de  Châtellerauïtcl  d'Aunay,  l'évo- 
que de  Saintes  et  bien  d'autres  grands  personnages;  c'est  de  cette 
résidenceque,  le  27,  il  fit  à  Bourgueil  la  donation  de  Fayraoreau. 


(i)  Cari,  (le  Saint-Cyprien,  p.  3io. 

{a}  Arcèrc,  llis(.  de  la  liucheUe,  II,  p,  663.  Le  Gallia,  II,  inslr.,  col.  879,  public  un 
dîpUlme  du  comte 'îuillaunicconlcnnn  lies  principales  disposilîoDB  de  celui  édité  par  Arcère 
cl  qu'il  pluce.à  lorl  sejable-l-il,  vers  l'au  1000;  il  doit  èlre  reporté  à  l'aonèe  tûo3,  après 
lu  inorldc  la  coiiiicsse  Etiuua  qui  n'est  tncntionnéeni  daas  l'titic  ni  dans  l'autre  pièce. 


GUILLAUME  LE  CiRA.ND 

En  1004,1a  charte  de  dolalioii  de  l'abbaye  l'uL  confirmée  par  le 
pape,  et  lors  d'un  voyaE^c  à  Homo,  an  lomps  du  pape  Serge  IV, 
l'abbéThéodclin,  qui,  selon  ses  conlemporams,élai[  d'une  habileté 
consommée,  réussit,  avec  l'appui  du  comté,  h  faire  distraire  son 
abbaye  du  pouvoir  épiscopal  et  à  la  placer  dans  la  dépendance  im- 
médiate de  la  Cour  pontincolc.  Théodelin  abandonna  Fancienno 
résidence  monachale,  qui  prit  dès  lors  le  nom  de  Saint-Pierre-lc- 
Vieux,  et  sur  remplacement  du  château  des  comtes  de  Poitou, 
que  Guillaume  lui  abandonna,  il  fit  édifier  un  superbe  monastère 
dont  la  construclion  dura  quatre  ans;  il  fut  inauguré  en  iÛlO  (1). 
Mais  les  plaisirs  de  la  chasse  attiraient  toujours  le  comte  dans  ces 
parages,  aussi,  désormais  privé  de  sa  résidence  ordinaire, en  fit-il 
construire  une  aulre,  le  chAloau  deVouvent,sur  les  bords  de  la 
forêt,  dans  une  forte  position.  Ce  fut  pour  lui  Toccasion  de  faire  de 
nouvelles  générosités  à  Maillezais,  qui  s'était  du  reste  beaucoup 
cnriclii  depuis  sa  reconstruction  et,  vers  1023,  à  la  soUicilalion 
de  l'abbé  Théodelin,  qui  semble  avoir  toujours  joui  d'une  grande 
influence  auprès  deGuillaume, celui-ci, dans  uneassemblée  oùTon 
remarque  son  cnlourage  ordinaire  decomtes  et  de  vicomtes,  donna 
à  Tabbayc  l'important  bénéfice  do  Bernard  Tallupesà  Fontenay  ; 
ce  personnage,  n'ayant  pasd*enfantSj  faisait  volontairement  l'aban- 
don de  son  bien,  et  le  comte  ajoutait  à  celle  libéralité  plusieurs 
églises  sises  aux  environs  et  en  parlicuher  colle  de  Mcrvenl, 
l'ancienne  métropole  du  pays,  ainsi  qu'un  terrain  distrait  de  la 
forôt  de  Vouvcnl  sur  lequel  les  moines  devaient  construire  une 
église  h  côté  du  nouveau  chAleau  (2). 

Guillaume  ne  pouvait  oublier  Sainl-Cy|n-ion  où,  du  vivant  de  son 
père, ilavait  assisté  à  tant  d'actes  iuiportanls;  quand  il  fut  arrivé 
au  pouvoir  ilmaintint  cette  tradition  et  il  se  rendait  fréquemment 
au  monastère  sur  l'invitation  des  religieux  pour  y  assister  comme 
témoin  aux  nombreuses  donations  que  recevait  l'abbaye;  toute- 
fois, dans  tous  ces  actes,  lors  même  qu'ils  semblent  émanés 
de  lui,  on  ne  voit  guère  de  concessions  qu'il  ail  faites  direc- 


(i)  Labbe,  Novabibt.  man.,  II,  pp.  aSi  et  233,  Pierre  de  Maillezais;  Marchcgay, 
Chron.  des  égl.  il'AnJou,  p,  387,  Saint-Maixcnl. 

(a)  Bcsiy,  Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  307;  Arcère,  llisl.  de  la  JiocheUef  H, 
p.  665. 


2tfi 


LES  COMTES  (»E  POITOU 


Icment.  C'est  ainsi  que,  lorsqu'il  délacha  Rolennellp.ment  Mait- 
Iczais  de  Saint- Cyprien,  il  sentit  bien  qu'il  devait  une  com- 
pensalion  à  celle  dernière  abbaye,  mais,  en  somme,  l'acte  qu'il 
accomplit  à  celle  occasion  aplulùt  le  caraclère  d'une  reslilulion 
ou  d'une  confirmation  de  liljéralilt'S  antérieures  ;  il  lui  donna  les 
coiilumes  imposées  sur  la  lerro  de  Deuil  en  Sainlonge,  avec  le 
terri loire  allant  de  cel  alleu  à  la  forêt,  lui  concéda  la  terre  de 
(îermond  pour  y  conslruirc  une  liabilalion  de  moines,  la  fran- 
chise du  Iransporl  du  sel  lanl  pour  les  besoins  des  religieux  de 
l'abbaye  que  ceux  des  prieurs  de  Deuil,  el  enfin  l'alleu  de  Na- 
cbaraps.  Or,  ce  dernier  alleu  avait  6lé  donné  antérieurement  aux 
moines  par  Arsende  el  son  fils  (îuillaurae  avec  d'autres  domaines, 
en  présence  du  comlo,  de  l'évêque  de  Poitiers  el  de  deux 
vicomtes  ;  quant  à  Fallcn  de  Deuil,  les  moines  l'avaient  reçu 
d'Acbard,  fils  d'Ebbon,  au  temps  de  Pier-à-Bras. 

Parmi  les  actes  intéressant  Saint-Gyprien,  auxquels  Guiflaumc 
prit  plus  ou  moins  pari, on  peulciter  celui  par  lequel, à  la  requête 
de  Gisleberl,  évêque  de  Poitiers,  il  confirma  les  priviR'gos  de 
franchise  dont  jouissait  le  bourg  formé  autour  du  monastère  de 
Saint-Cyprien  ;  il  abolit  aussi  en  sa  faveur  les  péages  imposés  sur 
les  unes  tant  à  Poitiers  qu'à  Pont-Ueau  et  à  Masscuil  ;  il  assista, 
avec  sa  mère,  sa  femme  Aumodcel  son  fils  Guillaume,  au  don, 
fait  aux  moines  par  Raoul  el  sa  femme  Bélucie,  de  l'église  de 
Saint-Maxire  el,  plus  fard,  avec  sa  seconde  femme  Brisque,  ses 
fils  Guillaume  et  Eudes  et  de  nombreux  personnages,  parmi  les- 
quels on  remarque  le  comte  Pons  de  Gévaudan,  la  vicomtesse 
Audéarde  accompagnée  du  «  vir  clarissimus  »  Hubert»  peut- 
élre  son  petit-fils,  TévCque  de  Poitiers,  Béliarde,  abbesse  de 
Sainte-Croix,  à  la  donation  d'Ansoulesse  par  Thebaull  el  sa 
femme  Gisla,  enfin  il  approuva  les  concessions  faites  à  la 
même  abbaye  d'un  domaine  en  Aunis  par  Egfroi,  vicomle  de 
GhcUeîleraull,  de  terres  à  Périgné  par  le  chevalier  Aymar, 
d'une  forêt  à  Mezeaux  par  Hugues  de  Lusignan  (l). 


(i)  Cnrfitl,  fie  Saînt-Ci/prien,  pp.  3io,  3ii,  2ï,  23,  829,  19'i,  3i3,  283  el  /jg. 
Aucun  de  CCS  acles  n'est  dalé  dîius  le  carlulaire  clj  Je  plus,  leur  analyse  y  est  sou- 
vent déFeclueuse,  aussi^  à  dt-faul  de  synclirooisnica  précis,  y  a-t-ii  lieu  d'être  trèa 
réservé  quant  à  l'épot^ue  où  ils  oal  élé  passés. 


r.UILLAUMK  LK  CHAND 

Une  autre  abbaye  du  PoKoii,  Sainl-Maixenf,  eut  aussi  grando- 
meiil  à  se  louer  de  Guillaume  ;  il  lui  donna  lY'glise  de  Damvix, 
dans  le  Bas-l'oilou,  avec  la  forêt  qui  l'cnlourait,  et  ce,  semble-l- 
il,  en  reconnaissance  de  ce  que  les  religieux  avaient  laissé  Irans- 
porler  à  Poitiers  le  corps  de  leur  saint  patron,  le  iOmars  lOH, 
h  roccasion  de  la  tenue  d'un  concile  dans  IV'glise  de  Saint- 11  i- 
laire.  Quand  il  eut  placé  lïainaud  à  la  tète  de  la  communaulé, 
afin  de  bien  disposer  les  moines  en  faveur  de  cet  àtrangei',  il  leur 
abandonna  le  droit  de  vinage  qu'il  percevait  sur  les  vignes  du  lieu 
de  Sainl-Maixcnl;  puis,  à  la  requête  du  môme  abbé,  il  déchargea 
la  ville  à  tout  jamais  du  paiement  de  l'impôt  de  l'ariban,  c'est- 
à-dire  de  la  corvée  spéciale  qui  y  avait  été  établie  par  sa  mère 
Emma  el  dont  celle-ci  avait  fait  don  à  un  chevalier,  nommé 
Hugues,  à  qui  fut  en  retour  assurée  une  rente  annuelle  de  cin- 
quante sous;  enfin,  en  mai  1029,  il  ratifia,  de  concert  avec 
GeoITroy,  vicomte  de  Thouars,  des  dons  de  colliberts  faits  à  la 
même  abbaye  par  Rainaud,  chevalier  du  vicomte  (1). 

Avant  même  que  la  découverte  de  la  tête  du  Précurseur  eiU 
attiré  sa  générosité  sur  Saint-Jean  d'Angély,  il  avait  fait  cadeau 
à  celle  abbaye  du  bois  d'Argenson,  près  de  Saint-Féli\  en  Aunis, 
cl  par  la  suite  il  assista  avec  ses  fils  à  de  nombreuses  donations 
faites  à  cet  élablissenTcnl  (2). 

Lorsque  l'évêque  de  Poitiers  el  les  chanoines  de  ta  cathédrale 
eurent  à  faire  de  grands  sacrifices  pour  la  reconstruction  de  cet 
édifice,  il  leur  abandonna,  pour  les  indemniser,  un  domaine  con- 
tenant cent  cinquante  arpenls  de  superlicie,  sis  à  Biard,  auprès  de 
Poitiers,  conligu  'aux  terres  ^des  ^'chanoines  de  Saint-Ititaire, 
el  dont  l'évêque  Isembert  devait  jouir  sa  vie  duranl(3).  lldonna 
aussi  au  chapitre,  comme  on  Ta  vu,  des  reliques  insignes  el  fit 
faire  un  coflVet  d'or,  recouvert  de  pierres  précieuses  el  orné  au 
sommet  d*un  saphir  de  la  grpsseur  d'une  noix,  dans  lequel  il  Ht 


(i)  A.  RicbarcJ,  Chartes  de  Saini-Maixent,  I,  pp.  91,  go,  10/4,  loO,. 

(2)  D.  Fonlencau,  XIIl,  p.  i2t  ;  Item^  pp.  5i(),  J25,  537,  5/|i. 

(3)  Arch.  de  la  Vienne,  orîç.,  clsnpitrcde  la  calhédrnlc,  n»i;  H.Fonleneau,!!,  p.  11. 
Cet  acte  doit  avoir  suiii  de  près  l'élcvalioa  d'Isemberl  à  l'L'piscopat.car  Guillaume  n'y 
appareil  qu'avec  ses  deux  fils  Guillaume  el  Eudes,  sa  femme  Apm's  et  les  vicomtes 
GcofTroy,  Egfroi  et  Cbdloo.  SI  Ag-nès  avait,  avaut  ce  moincul,  donné  un  nouveau  filiï 
À  soD  inarij  ccl  enfant  eût  été  sûrement  mcatioaQé  dans  cet  acte  important. 


aïO 


LKS  Co.M  liiS  DE  POITOU 


nietlre  des  poils  de  la  barbe  de  sainl  Pierre,  relique  qui,  selon 
la  iradilion,  avait  ulù  donnée  à  saiiil  Uilaiie  lorsqu'il  passa  à 
lïomo,  en  relournanl  de  son  exil,el  sur  laquelle  devaient  jurer 
l'évoque  et  les  clianoines  lors  de  leur  prise  de  possession  (1). 

Nous  ne  rappellerons  que  pour  mémoire  la  g6n6rosil6  de  (Guil- 
laume envers  Fulbert  et  les  sommes  considérables  qu'il  lui  adres- 
sa pour  la  reconstruction  de  Notre-Dame  de  Chartres,  mais  sa 
bonne  volonlô  était  iittîriio  à  l'égard  des  personnes  éminenlcs  qu'il 
avait  pu  approcher.  Ayant  recouru  au  zèle  d'Odilon,  le  célèbre 
abbé  de  Cluny^pour  amener  les  religieux  de  plusieurs  monaslères 
de  ses  étals  à  mener  une  exislence  plus  régulière,  il  lui  en 
témoigna  sa  reconnaissance  par  des  acles  de  munifirence  que 
nous  ne  connaissons  assurémenl  pas  tous.  Dès  1017,  il  lui 
concéda  la  moitié  du  cens  des  pêcheries  de  l'île  de  Hé,  puis,  au 
mois  de  mars  1018,  v.  s»,  il  lut  donna  Féglise  de  Saint-Paul  en 
(lAtine,  dans  la  viguerie  de  Mervent,  que  la  comtesse  Emmaavail 
autrefois  possédée  en  douaire,  dont  elle  avait  gratifié  Gislebert, 
évêquc  de  Poiliers,el  auquel  celui-ci  renonçait  en  faveur  de  Pab- 
baye  (2).  Quelque  temps  après,  vers  1023,  le  comte  ratifia  gracicu- 
semeiil  le  don  do  l'église  de  Mougon  avec  ses  dépendances,  que 
ni  à  Odilon  Guillaume,  vicomte  d'.'\unay,  et  sa  mère  Amélie  ;  l'abbé 
de  Cluny  fit  le  voyage  de  Poitou  pour  assurer  définilivemeni  h 
son  monastère  celle  importante  possession,  aussi  bien  que  le 
domaine  de  Triou,que  Cliâlon,  père  du  vicomte  Guillaume,  et 
sa  femme  avaient  antérieurement  donné  à  Mougon;  il  obtint  en 
outre  de  l'évèque  Isembert  que  désormais  celle  église  serait 
pour  toujours  àl'avcnir  affrancliie  de  loule  domination  laïque  et 
dépendrait  uniquement  de  Pévéquo  de  i^oiliers  et  des  moines  de 
Cluny,  qui  vinrent  y  élablir  un  florissant  prieuré  (3).  H  y  a 
encore  lieu  d'ajouter  aux  revenus  considérables  que  les  moines 
tiraient  de  ces  fondations,  celui  de  la  monnaie  de  Niort,  dont  le 
comte  leur  (il  un  jour  cadeau  (4). 


{t)  D,  Fontenciu,  LIV,  p.  62.  Ce  reliquaire  disparut  lors  du  pillage  de  i562. 

(2)  Bruet,  l.hai'tcs  ilv  Cinni/,  III,  pp.  782  et  ySg, 

(3)  llruel,  C/ifii-tcs  dt;  Clnnij.  Ill,  p.  7O7  ;  Kein,  IV,  p,  iq.  La  présence  de  l'évèque 
Isembert  !Ï  l'ai'le  d'uniou  de  iMouifon  à  Cluny  ne  permet  pas  de  placer  celui-ci  avant 
1023,  conlraircmcDt  à  l'opinian  de    son   savant  cijilcur,  qui  le  date  de  laao  environ. 

(4)  BrucI,  Charles  de  Clrmi/,  III,  p.  761  ;  Mêm.dela  Suc.  tles  A/tltr/.  de  l'Ouest, 


GUILLAUMt:  LK  GRAND 


»»T 


L'abbaye  de  Saint-Hilaire  tHait  assea  riche  pour  n'avoir  pas  à 
réclamer  sa  pari  daos  les  largesses  du  comte,  mais  elle  ne  se  res- 
senlil  pas  moins  de  sa  sollicitude.  En  sa  qualité  d'abbé,  il  se  môla 
des  alTaires  intérieures  de  rétablissement,  et  on  le  voit  détermi- 
ner, d'accord  avec  le  doyen  du  chapitre,  l'emploi  d'une  somme  de 
35  livres  qu'Hildegaire  avait  rcmiscsà  ce  dernier  avanl  son  départ 
pour  Chartres  (1).  11  concéda  h  dos  particuliers  en  mainferme, 
suivant  les  usages  du  temps,  des  domaines  qui,  après  la  mort  du 
bénéficiaire  ou  môme  après  celle  d'un  ou  deux  de  ses  héritiers 
désignés  par  lui,  devaient  faire  retour  à  la  mense  commune  (2). 
Toutefois,  il  ne  se  dissimula  pas  le  vice  de  ces  actes  qui  ne  lendailâ 
rien  moins  qu'à  diminuer  peu  à  peu  le  domaine  lerrilorial  de  l'ab- 
baye; d'un  autre  côté,  les  chanoines,  se  considérant  comme  pos- 
sesseurs privés  du  palrimoine  commun,  ne  se  faisaient  pas  faule 
soil de  l'aliéner,  soit  d'en  détourner  certaines  portions  dont  ils 
allribuaienl  la  propriété  lant  à  eux-mêmes  qu'à  leurs  familles.  Le 
comte-abbé  prit  des  mesures  pour  obvier  à  celle  dilapidation, 
mais  ce  fut  sans  grand  succès,  l'usage  contre  lequel  il  voulait 
réagir  étant  trop  ancré  dans  les  mœurs  et  ne  devant  céder  que 
plus  larda  d'autres  influences.  Ltii-môme  avait  du  reste  sacrifié 
à  la  coutume,  car  il  se  fit  abandonner  par  les  chanoines  de 
Saint-llilaire  des  terres  à  la  Vacherie,  près  de  Poitiers,  alla  d'y 
faire  planter  des  vignes  {3}. 

Conlentons-nous  enfin  de  signaler  la  curieuse  lenlalive  qu'il  fit 
pour  arrcler  l'absorption  des  terres  rurales  par  des  personnes  qui, 
par  leur  condition  sociale,  y  étaient  étrangères;  nous  imposons, 
dil-ilun  jour,  auvraans  des  paysans  et  des  suburbains  celte  obli- 
gation étroite  que,  lorsque  leur  détenteur  viendra  à  succomber, 
seul  le  paysan  puisse  succéder  à  une  terre  de  paysan  et  le  bour- 
geois à  une  terre  de  bourgeois.  Il  y  a  là  une  de  ces  conception 
qui  ont  vu  lejour  dans  tous  les  temps,  aussi  bien  anciens  que  moder- 
nes,et  donlla  réalisation  s'est  toujours  montrée  impossible,  tant 


ir«  série,  XII,  p.  fij,  Cet  acte  csl  lotalement  dépourvu  d'indications  cbrouologiques ; 
laulefuis,  à  cause  de  ta  présence  d'Aiçni-s,  ilne  pcul  étfe  placé  avanl  l'année  loiçy,  clne 
doit  â(rc  çuèrc  poslérieurà  ceUcda(c,carf(nti*ymcnlionnc  piisd'enfaatsde  la  comicssc. 

(i)  Miçne,  Pntrologie  lat .,  CXLI,  col.  2/4.  '^»  l'ulberli  epistula:, 

(a)  Arch.  hist.itn  Poitou,  l,  p,  a5,Cart.  de  Sainl-Nicolas, 

(3)  Rèdel,  Duc.  pour  Saint-Hiiuirs,  I,  pp.  08,  70-72,75. 


2l8 


LES  COMTES  DE  POITOU 


elle  eslonopposilionavec  lesfigissemenls  delà  nalureluiraaine(l). 

11  rrnmivela  à  Sainl-Marlifil  de  Limoges  le  don  de  l'église 
d'Anais  en  Saiiilonge  que  son  père  avait  fail  préciidemmenl  à  celle 
abbaye  (2),  enfin  il  fit  cadeau  à  piasieurs  autres  monastères,  tant 
de  Bourgogne  que  d'Aquitaine,  dont  les  noms  ne  nous  sont  pas 
parvenus^  tle  domaines  siltiés  plus  parliculi»>remenl  en  Aunis, 
sur  les  bords  de  lu  mer,  dont  les  revenus  spéciaux  devaient  être 
atTectés  h  ralinionlation  des  religieux  {3).  Sa  main  large  ne  s'ou- 
vrait pas  seulement  pour  les  élablisseraents  de  ses  états  ou  du 
royaume  de  France,  il  se  montra  tout  aussi  généreux  à  l'égard  des 
étrangers.  C'est  ainsi  que,  dans  le  cours  de  ses  voyages  en  llalie, 
il  eut  occasion  de  passer  par  le  monastère  de  Saint-Michel  de 
FEcluse,  en  Piénionl,  et  peut-être  d'y  recevoir  l'hospitalité  ; 
celle-c  fut  payée  par  l'abandon  d'une  terre  en  Bas-i*oitou  où 
les  religieux  de  l'Ecluse  élevèrent  l'imporlant  prieuré  de  Mou- 
liers-les-iVl  aux  faits  (4). 

Du  reste  rien  de  ce  qui  touchait  aux  choses  religieuses  ne  lui 
était  indinV'rent  ;  ainsi  un  pèlerin  du  Limousin,  fait  prisonnier  en 
allantti  Sainte-Foi,  avait  été,  disait-on.  délivré  par  l'inlercession 
de  la  sainte.  Guillaume,  averti  do  ce  fait,  manda  ce  pèlerin  à  sa 
cour  et  celui-ci  y  porta  témoignage  de  sa  libération  miraculeuse 
en  présence  de  Béalrico^sœur  de  itichard,  duc  de  Normandie,  et 
femme  d'Eble,  vicomte  de  Turenne,  qui  était  sans  doute  venu 
faire  son  service  de  plaid  auprès  du  comte  (5). 

Très  bienveillant,  mais  en  même  temps  très  autoritaire,  il  n'ad- 
mettait pas  que  l'on  manquât,  ;i  son  égard,  aux  procédés  dont 
il  usait  dans  ses  relations  habituelles;  l'abbaye  de  Saint-Florent 
de  Saumur  en  fit  l'expérience  à  son  détriment.  Depuis  une  quin- 


(i)  Rcdel,  Doc,  ponr  Saint- Hilaire,  I,  pp.  78-80. 

(2)  Chron.  (TAilémar,  p.   1O4. 

(3)  Ln  ripntnlion  de  çénërosîlé  <îe  tîaillaumc  ie  Grnnd  élail  si  bien  t'tablic  rfue  les 
chauoincs  de  Sainte-Croix  de  Bordeaux  fahriquiTcnt  une  charte,  i]u'iis  datèrent  de 
rnnnce  1027,  el  par  laquelle  le  duc  leur  concéd.iii  la  villa  de  Sainl-Macaire  avec  plu- 
sieurs autres  domaÏDCs.  Ce  qu*il  y  a  de  sinj^ulicr,  c'est  qu'Henri  III,"  roi  d'Anglelcrre, 
lûcn  qu'ayant  reconnu  laTaussctc  de  ce  document,  crut  devoir  le  confirmer  et  maintenir 
les  dispositions  qu'il  contenait  par  acte  du  28  août  12/12  {Gallia  Christ.,  Il,  înstr., 
col.  aûS;  Mitrnc,  Ptitrologie  lat.,  CXLl,  col.  83i-83/j). 

(4)  Cfiron.  d'Afièniar,  p.  i64.L*alibayc  de  Saint-Miclicl  de  l'Ecluse  fil  abnûdon  de 
ce  prieure  à  rcvôchc  de  Lu<;on  en  i(*|jt  (IV.  Fonlencau,  XIV,  p.  3ïfj). 

(">}  JJouillct,  Liher  mirtiftil.  snnrhr  Fii/is,  |>.  111. 


GUILLAUME  LE  GRAND 


«19 


zaïne  d'années  ello  Ll6tenait,par  la  grâce  du  vicomle  de  Thouars 
cl  de  Guillaunie  Fier-à-Bras^  ranciennc  abliaye  de  Saiiil-Michol 
en  Lherm,  qu'elle  avail  réduite  au  rang  d'une  simple  prévoie  ;  un 
jour,  le  comte,  passanl  à  proximité  de  ce  lieu,  envoya  demander 
au  prévôl-moiiie  une  assiettée  de  mulels,  sorle  de  poisson  qui 
abondait  dans  ces  parages.  Le  prévôl,craignanlsansdouLede  nuire 
aux  intérêts  de  son  monastère  eL  de  créer  un  précédent  qui  pour- 
rail  devenir  undroil  par  la  suite, refusa  ;  Guillaume, oulré  decellc 
laron  d'agir,  fit  supporter  le  poids  de  sa  eoièro  aux  religieux  de 
Sainl-Florenl,  et  leur  enleva  Sainl-Mictiel,  à  qui  il  rendit  son 
autonomie  et  qui  reprit  son  rang  d'abhaye  (1). 

Tels  sont  les  principaux  faits  que  présente  riiislolro  de  rjuillau- 
me  le  Grand  dans  ses  rapports  avec  la  société  religieuse,  et  leur 
cnnnaissance  donne  une  éclatante  eonfirmalion  aux  paroles  du 
chroniqueur  disant  qu'il  fui  un  grand  ami  de  l'Eglise. Il  est  loulo- 
fois  un  acle  qui  parait  être  en  conlradiclion  avec  les  liabiludes  de 
toute  sa  vie  :  il  se  rapporte  à  Noaillé.  11  semble  que  celle  abbaye, 
malgré  les  actes  solennels  qui  avaient  reconnu  son  indépendance 
absolue,  sauf  une  sujétion,  pliilut  honorifique,  envers  l'abbaye  de 
Sainl-llilaire,  n'ait  cessé  d'être  considérée  par  les  comtes  comme 
une  dépendance  de  leur  (ief  seigneurial,  Guillaume  l'aflribua  à 
son  fils  aîné,  qui  la  posséda  on  ne  sait  en  quelle  qualité,  mais 
qui,  à  tout  le  moins,  en  percevait  les  revenus  pour  sa  subsis- 
tance. Le  jeune  comle,  louché  par  les  sollicitations  des  moines, 
qui  ne  cessaient  de  lui  représenter  l'élat  de  pauvreté  auquel  ils 
étaient  réduits,  leur  rendit  la  jouissance  absolue  de  l'abbaye  dont 
ils  devraient  êlre  considérés  à  l'avenir  comme  les  seuls  proprié- 
taires; puis,  le  30  septembre  1028,  leur  délivra  une  cUarle,  dans 
laquelle  il  s'adressait  son  père,  h  son  frère  Eudes  et  aux  autres 
grands  personnages  du  comlé,  pour  qu'ils  eussent  à  ratirier  les 
dispositions  qu'il  avait  prises,  et  que,  do  concert  avec  lui,  ils  fis- 
sent disparaître  loutes  les  mauvaises  coutumes,  «  semblables, 
disait-il,  à  une  plante  mortifère  (2)». 


(1)  Marchegay,  Chrun.  des  ègl.  d' An/on,  p.  aGg,  Saint-Florent  de  Saumur.  Ces 
faits  arrivèrcnl  dans  les  derniers  tc;n|i3  île  la  vie  de  l'abbé  llobert,  qui  mourut  ea 

JOl  I. 

(3)  Arch,  de  la  Vienne,  oi-iç.,    Noaillé,  o»  86. 


230  LES  COMTES  DE  POITOU 

Mais  ce  fiùl  cl  celui  d'avoir  dc^laoliti  Sainl-Micliel  en  rilerm  de 
l'nbbaye  de  Sainl-Florentne  sauraicnlcn  rien  modifier  le  carac- 
lèrc  général  de  la  conduile  du  comlc  de  Poiloiij  si  dévoué  aux 
œuvres  pies,  elle  témoignage  le  plus  éclalanl  de  ses  senlimerils 
futpeul-etresa  relraile  volonlaîre  dans  un  monaslèrc,  alors  qu'il 
élail  à  Tapogéc  de  sa  puissance.  Du  rcsie  on  peut  croire  que  l'inac- 
lion  dans  laquelle  il  se  confina,  si  opposée  à  l'exislcnce  active 
qu'il  avait  menée  jusqu'à  ce  jour,  amena  sa  fin  prématurée  (1). 

Des  trois  femmes  qu'il  availsuccessivemcnt  épousées, Guillaume 
eut  au  moins  six  enfants:  d'Aumode,  rriiillaume;  de  Brisque, 
Eudes  et  Tliibault,  ce  dernier  niorl  jeune;  d'Agnès,  Pierre,  Guy 
et  Ala.  Les  quatre  garçons  qu'il  laissa  à  son  décès  se  sont,  le 
fait  mérite  d'être  signalé,  succédé  l'un  après  l'autre  à  la  lête  du 
comté  de  Poitou  (2). 


XI.  -  GUILLAUME  LE  GROS 

IVo  Comte  —  VI*  Duc 
( in3u-io38) 

La  sagesse,  l'habileté  politique  de  Guillaume  le  Grand  avaient 
fait  du  duc  d'Aquitaine  le  plus  puissant  feudataire  du  royaume 

(i)  Bien  que  b  chronique  de  Saint-Mnîxcnt  l'aFfirnip,  ît  n'est  pas  probable  que  Guil- 
laume se  sait  faîl  nmiuc  :  cet  acte  serait  en  conlradiclion  avec  celle  Fa(;on  d'a«;ir  qui 
Fui  )a  rt-^lc  de  sa  vie  :  il  c'Lait  le  puissaat  duc,  et  il  le  resta  dan»  «a  retraite.  S'il 
avait  rcvùtu  l'habit  rclij^ieux,  Pieire  de  Maîllczaîa  n'aurait  pas  manqué  de  relever 
un  fait  <{ui  aurait  tant  liODorc  sa  communauté;  or,  il  n'y  fait  aucune  allusion  cl  se 
coDlcntc  de  dire  que  le  duc,  en  se  retirant  daus  l'iibbayc  de  Maillezuis,  laissa  le 
pouvoir  0  ses  tils.  Il  ne  Faut  donc  voir  dans  le  récit  de  la  chronique  i|u'uac  de  ces 
ampltBca lions  du  texte  de  Pierre  de  Maillezais  dont  nous  avon»  relevé  par  ailleurs 
d'autres  témoignages;  on  rencontre  du  renie  dans  le  manuscril  original  de  cet  auteur 
une  interpolation  faite  au  xv^  siècle,  qui  reproduit  les  énonciations  erronées  de  la 
chronique  tant  au  sujet  de  l'âge  de  Guillaume  que  de  son  entrée  parmi  les  religieux 
de  l'abliaye,  et  qui  eoBn  place  sa  sépulture  dans  le  chœur  de  l'église  et  non  dans  le 
cloître,  ainsi  quo  le  porte  le  texte  original. 

[i)  Marchegny,  Vhron.  des  éf/L  d'Anjou,  pp,  387  ei  388,  Saînl-Maixcnl.  En 
dehors  de  la  chronique,  le  seul  texte  qui  mentionne  Thibault  est  une  chuile  de  l'abLaye 
de  Saint'Maixcnt,  qui  doit  être  placée  après  la  mort  de  Urisquc  et  avaat  le  nouveau 
mariage  de  Guillaume  avec  Agnès,  le  comte  seul,  avec  ses  (rois  fils,  étant  désigné  à 
deux  reprises  dans  l'acte  (.\.  Richard,  CftaHes  de  Sfiint-Mai.xenl,  1,  p.  gg). 


r.lKLLAIIME  LE  flKOS 

de  France.  Celle  silualion,  si  lïrniljlomeiU  acquise,  fui  compro- 
mise presque  aussilùl  après  la  niorl  de  (jiiillaumc  par  les  intri- 
gues de  sa  veuve  Agnès  qui,  pendant  de  nonabreuses  années,  devait 
jouer  un  rôle  néfaslo  dans  les  affaires  du  Poiloii. 

Guillaume  le  Gros  (l),  le  nouveaa  duc,  élailfilsde  Guillaume 
le  Grand  et  de  sa  première  femme,  Aumode  de  Gévaudan  ;  il 
avait  environ  vingt-six  ans  lorsqu'il  succéda  k  son  père  (2).  Ce- 
lui-ci ne  s'était  pas  contenté  de  le  faire  assister,  ainsi  que  son 
frère  Eudes,  à  de  nombreux  plaids  oîi  ils  se  trouvaient  avec  les  prin- 
cipaux vassaux  du  comte  pour  traiter  d'affaires  aussi  bien  publi- 
ques que  privées,  il  l'avait,  en  plus,  réellement  associé  à  divers 
actes  de  son  administration.  Lorsque  Guillaume  eut  renoncé  pour 
lui-môme  à  l'offre  que  les  Lombards  lui  faisaient  de  la  couronne 
d'Italie,  ceux-ci  s'élaienl  rejetéssurson  fils  ;  les  chefs  du  parti  qui 
appelait  les  princes  Aquitains  au  delà  des  monts  espéraient  bien 
régner  sous  le  nom  du  jeune  GuillaumCj  mais  le  duc,  dont  la 
clairvoyance,  cette  fois  encore, ne  se  trouva  pas  en  défaut,dôjoua, 
on  l'a  vu, toutes  ces  combinaisons  en  refusanf,  en  10:25,  pour  son 
fils,  un  trône  où,  suivant  ses  propres  paroles,  celui-ci  ne  pouvait 
trouver  que  le  déshonneur  et  la  honte  (3) . 

11  no  nous  paraît  pas  que  Guillaume  le  Gros  ait  cherché  à 
contrecarrer  les  idées  de  son  père;  sa  situation  était  assez 
belle  pour  qu'il  n'en  ambilionnAt  pas  une  autre.  11  jouissait,  au 
point  de  vue  pécuniaire,  d'une  indépendance  réelle,  car  le  comte 
lui  avait  constitué  des  revenus  personnels,  représenlant  peut- 
être  les  droits  réservés  d'Aumode  et,  en  particulier,  il  lui  avait 
donné  l'abbaye  de  Noaillé.  Nous  avons  vu  que,  le  30  septem- 
bre 1028,  le  jeune  Guillaume  se  dessaisit  de  cet  établissement 


(i)  Beàly  donne  ijiJilTcrciiiniciil  ù  Ciiillaumo  IV  les  surnoms  de  Guillaume  le  Gros 
ou  Guillaume  le  Gra^.  Ces  ternies  souL  la  Iraduclion  de  l'expression  pin(/uis  par  la- 
ijuclle  la  chrooique  de  SaÏDl-Muixcnt  (CAron,  des  étjt .  d'Anjou^  p.  Sgi)  caractérise 
le  ftla.  de  Guillaume  le  Grand. 

(2)  La  naissance  de  Guillaume  IV  a  dtl  avoir  lieu  en  l'année  ino/).On  a  vu  quc,daBS 
la  donation  de  Krelignolle  que  El  Guillaume  le  Grand  à  l'abbaye  do  Uaurgueit,  le  37 
décembre  ioo3,  il  cxprimail  ses  regrets  de  n'avoir  pas  encore  de  fils  ;  on  peut  croire 
que  SCS  soubails  fureut  exaucés  dès  l'année  suivante,  bien  <]uc  nous  ne  possédions  pas 
d'actes  à  date  cerlnlnc  où  il  soit  question  du  jeune  Guillaume  du  vivant  de  sa  mère. 

(3  1  Ouod  Cfcpturu  est  de  filto  mco  non  videlur  mibi  rnlum  fore,  oec  utile,  nec 
<(  bonesluui,  Si  eas  (iosidias)  cjiverc  vel  auperarc  non  posaumus, . .  .fama  uoslra  péri- 
«  clitabitur  »  (Miyne.  Putrohijie  lat.,  CXLI,col.  827). 


2»t 


LES  COMTES  DE  POITOU 


en  faveur  de  l'abbé  el  des  religieux  qui  on  reprenaient  la  pro- 
priété absofue;  il  esl  possible qu'ilail  cédéiiiMie  cerlainepressiûn 
exercée  par  son  père,  mais  celui-ci  ne  manqua  assurément  pas 
de  lui  donner  des  compensations  el,  en  particulier,  de  l'associer 
plus  intimement  à  son  gouvernement,  association  qui  finit 
par  se  résoudre  dans  l'abdication  de  Guillaume  le  Grand.  Cette 
qualité  d'héritier  désigné  apparaît  du  reste  d'assez  bonne  heure, 
car  nous  savons  que  le  jeune  comte  prit  une  pari  efl'ective  aux 
pourparlers  qui  eurent  lieu  entre  son  père  et  Hugues  de  Liisignan 
et  qui  se  terminèrent,  vers  1025,  par  l'abandon  «du  fief  de  Jous- 
selin  de  Vivonne  à  ce  dernier.  Guillaume  aurait,  en  effet,  dit  à 
Hugues:  H  Jure-moi  fidélité  à  moi  et  à  mon  fils  et  je  le  don- 
nerai lo  fief  de  ton  oncle  ou  son  équivalent,  »  ce  à  quoi  te  sire 
de  Lusignan  avait  répondu,  la  main  sur  le  crucifix,  qu'il  le  ferait 
si  le  comte  et  son  fils  ne  devaient  pas  garder  de  mauvaises 
pensées  à  son  égard,  et  ceux-ci  ayant  protesté  do  leurs  bonnes 
intentions,  tant  pour  le  présent  que  pour  l'avenir,  il  se  rendit  à 
eux,  leur  fil  hommage  et  leur  jura  fidélité  (1). 

L'acte  d'affranchissement  de  Noaillé  a  cela  de  remarquable 
qu'il  n'y  est  fait  aucune  mention  de  la  comtesse  Agnès  el  de  ses 
enfants  qui,  par  l'effet  de  la  renonciation  expresse  de  Guillaume 
à  la  possession  de  l'abbaye,  pouvaient^  selon  la  jurisprudence  du 
temps,  se  considérer  comme  lésés,  leur  frère  faisant  le  total 
abandon  d*un  bénéfice  qui  aurait  diï  être  compris  dans  l'héritage 
paternel.  La  comtesse  vivait  peut-être  déjà  éloignée  de  son  mari 
ou  ÙL  tout  le  moins  ne  dissimulait  pas  son  hostilité  à  l'égard  de 
ses  beaux-fds  qui,  du  reste,  devaient  le  lui  rendre. 

La  mort  de  Guillaume  le  Grand  ne  fit  qu'aggraver  une  situation 
déjà  si  tendue.  A  peine  le  nouveau  comte  fut-il  libre  de  ses  actions 
qu'il  songea  au  mariage.  Son  union  avec  Euslachie  est  sûrement 
antérieure  à  la  mort  du  roi  ilobort  et  doit  appartenir  à  l'année 
1030  ou  aux  premiers  mois  de  1031,  car  on  voit  le  comte  el  sa 
femme  assister,  Robert  étant  encore  roi,  h  un  plaid  important  oii 
Retrouvaient  Bernard,  comte  de  la  Marche,  Adalbcrt,comle  de 
Périgord,  et  son  frère,  Tévêque  de  Poitiers  et  son  frère  et  autres 


[i)  Bealy,  f/isl.  des  comtes,  preuves,  p.  ag/j. 


GUILLAUME  LE  IIROS 

grands  personnages  (!).  On  ne  sail  aa  juslo  dans  quelle  maison 
Guillaunio  le  Gros  pril  sa  femme;  il  ne  sérail  pas  impossible 
qu^ellc  fùl  d'un  rang  secondaire  par  rapport  à  lui,  ce  qui  ne  pou- 
vait que  contribuer  h  blesser  la  comtesse  douairière  qui,  non  seu- 
lement perdail,  par  celle  union,  loul  espoir  de  réussir  dans  ses 
desseins,  dont  le  moindre  ôlail  assurément  le  partage  du  duché 
enlre  les  enfants  issus  des  trois  unions  que  Guillaume  le  Grand 
avait  successivement  contractées,  mais  encore  était  contrainte 
d'abandonner  à  la  cour  ducale  ce  premier  rang,  celte  immixtion 
dans  le  gouvernement,  que  son  caractère  allier  et  ambitieux  ne 
cessa  de  rechercher  (2). 

Pen^lant  tout  son  règne,  Guillaume  le  Gros  lU  de  fréquents 
séjours  à  Saint-Jean  d'Angély,  qu'il  semblait  afTectionner  loul 
parliculièrement;  il  y  résidait  au  mois  de  juin  1031  et  il  y  tint 
un  plaid  dont  nous  ne, connaissons  malheureusement  pas  l'objet, 
mais  où  il  dut  se  traiter  des  affaires  d'une  haute  gravilé  si  Ton 
en  juge  par  les  noms  des  personnages  éminents  que  l'on  y  voit 
rassemblés  :  Eudes,  le  frère  du  comte,  les  évoques  de  Saintes, 
de  Poitiers  et  de  Périgueux,  le  comte  d'Angoulème  cl  le  vicomte 
d'Aunay  (3). 

Dans  la  môme  année  il  se  produisit  dans  les  esprits  un  grand 
apaisement  auquel  Guillaume  ne  fut  sans  doule  pas  étranger.  Les 
questions  religieuses  passionnaient,  nous  l'avons  vu,  aussi  bien 
les  laïques  que  le  clergé  et  le  comle  n'avait  pu  resler  indifférent 
h  celle  grande  polémiquede  l'apostolat  de  saint  Martial  à  laquelle 


(i)  L'acte  n'eiit  pas  daté,  maia  comme  on  indique  qu'il  fut  paasc  sous  le  reçue  du 
roi  Robert, il  scplace  entre  te  3i  jam'ier  iu3n,clatc  de  la  mort  de  Guillaume  [c  Grand, 
et  le  v-O  juillet  loit,  date  de  la  murt  de  lluLierl  [Cn/i.  île  Saiiit-Ci/piien,  p.  171^'. 

(a  Ueslj'  {Uist.  des  comtes,  p.  81)  avance;,  sous  liiutcs  réserves,  ear  îl  ne  ciie  pas 
de  textes  à  l'apjiui  de  son  dire,  que  queli[Ufs  auteur», dont  il  tait  aussi  les  nomâ,  oat 
fait  d'Euslacbte  iaiille  de  Ucriai,  seii^neur  de  Mualreuil,  et  de  sa  femme  Grécic,  niaia 
cetlc  asacrlioa,  admise  comme  assurée  par  certaius  historiens, tombe  d'elle-même  par 
ce  fait  que  Grécic,  devenue  veuve,  se  remaria,  jeune  encore,  avec  Geoffroy  Martel, 
vers  io\i\;  elle  ne  saurait  donc  titre  la  mère  d'iiustacliie,  mariée  vers  io3o. 

^3)  La  plupnrl  des  reuaeigneiucnts  certains  cjue  l'un  possède  sur  Guillaume  te  Gros 
sont  fournis  par  le  cartulaire  de  Saint-Jean  d'Ançcly,  qui  noua  a  conservé  le  souve- 
nir de  trois  plaids  Icuua  par  le  comte  dans  cette  localité  aux  dates  suivuules  ;  io3i, 
juin  (I).  Fuateneau,  Xlll,  p.  i^j);  loSy,  mxraj  après  le  ^5  \//.,  Xlll,  pp.  141  et 
i/jg);  io38,  0  seplciubrc  \[t.,  XIII,  p.  i53j.  Les  carlulaires  du  llaut-l^ultou  sont  pur 
contre  fort  peu  ducumcnléa  pour  la  période  qui  s'étend  entre  to3o  et  luao,  el  aotta 
cilcrons  parliculièrement  le  riclio  charlrier  de  Saint- Ililaire,  qui  ne  contient  aucun 
acte  où  l'uu  voie  intervenir  te  cumlc  Guillaume  et  son  frère  Eudes, 


LES  COMTES  DE  I^OITOU 

son  père  avait  é\6.  mêlé  ;si  nous  n'avons  pas  irace  de  sa  présence 
au  conrilo  de  lloiirges,  il  assistait  loulerols  h  cclni  do  Limugos, 
tenu,  comme  le  précédent,  au  mois  de  novuml>re  1U3I,  et  où  la 
question  reçut  enfin  une  solution  quijlesarguuienls  étant  épuisés 
de  part  et  d'autre,  devint  enfin  définitive  (1), 

Parmi  les  autres  affaires  qui  furent  traitées  à  celle  assem- 
blée de  Limoges, il  en  est  une  à  laquelle  on  voit  Guillaume  lo  Gros 
prendre  pari  personnellement. 

Les  comtes   de  Toulouse   s'étaient,  au  siècle  précédent,  mis 
en  possession  du  monastère  de  Beaulieu,  el,  sans  doute,  ne  pou- 
vant le  f:;arder  en  leur  pouvoir,  l'avaient  concédé  en  bénéfice  au 
comte  de  Périgord.   Celui-ci    l'avait  donné  en  arriére-fief  au 
vicomte  de  Comborn,  qui  s'élail  attribué  la  qualité  d'abbé  sous  le 
prétexte  que  son  oncle  Bernard,  qui  fut  ensuite  évéque  de  Cahors, 
avait  possédé  cette  dignité.  Les  religieux  avaient  eu  grandement 
à  se  plaindre  de  se  trouver  sous  une  pareille  domination  et  ils 
avaientporlé  leurs  doléances  au  concile  de  Limoges.  A  la  séance 
du  18  novembre  1031,  le  duc  d'Aquitaine  et  les  membres  du  con- 
cile donnèrent  mission  h  Jourdain,  évequo  de  Limoges,  de  placer 
avant  Noël  un  abbé  régulier  à  la  lélo  du  monastère  de  lleaulieu 
souspeine  d'excommunication  à  l'égard  des  opposants  ou  des  con- 
tradicteurs. Ce  même  Jourdain  prononça  devant  l'assemblée  un 
éloquent  discours  en  faveur  de  la  paix  de  Dieu,  à  la  suite  duquel 
une  solennelle   malédiction    fut  prononcée   contre   les    grands 
seigneurs  et   autres  assistants  qui  refuseraient  d'accéder   aux 
décisions  pacifiques  du  concile  (2). 

On  trouve  ensuite  le  comte  à  Saint-Maixenl,  le  5  décembre 
suivant,  en  compagnie  de  sa  femme  Eustachie,  de  sa  sœur  Ala, 
de  Tévêque  de  Poitiers,  Isembert,  el  du  vicomte  de  Çhâlellerault, 
de  qui  les  moines  obtinrent  l'affranchissement  de  deux  serfs  qui 
passèrent  au  service  de  l'abbaye  (3). 
Peu  après,  au  milieu  de  la  tranquillité  qui  semblait  devoir 


(i)  Pfislcr,  Etudes  sur  le  rênnt  de  Robert,  p.  3^4;  ArbcUoI,  Dissertation  sur 
fapostolat  de  saint  Marital,  p.  55  j  Labbe,  Concilia,  IX,  col,  gG5. 

(2]  Labbe,  Concilia,  JX,  col.  8q8;  Migne,  Patroloyie  lat.,  CXLII,  col.  1378. 

(3)  A.  Richard,  Chartes  de  Sainl-Muixent,  I,  p.  112.  Les  faits  cuiinus  de  la  vie 
de  Guillaume  te  Gros  pcrmcUenl  de  préciser  la  dalc  de  cet  acle,quc  dous  avions  placé 
du  leslc,  dans  rouvTaj»'e  précilc,  entre  io3i  et  io33. 


GITILLAUME  LE  GROS 


..s5 


marquer  le  gnuvernemeni  <lii  (Ils  de  Guillaume  le  drand  éclata 
commiMin  coup  de  foudre  l'annonce  du  mariage  d'Agnes,  la  veuve 
du  vieux  dur,  avec  (icolTroy  Marlcl,  Ois  de  Foulques  Nerra, 
comlc  d'Anjou,  Bien  que  lu  duchesse  fîïL  encore  jeune  par  rap- 
port au  mari  qu'elle  venait  de  perdre,  elle  élail  plus  âgée  que 
rieoiïroy,  qui  n'avait  que  vingt-six  ans.  Violent,  ambitieux,  d'une 
bravoure  extrême,  peu  gêné  par  les  scrupules,  le  comte  angevin 
avait  déjà  fait  ses  preuves;  aussi  est-ce  sur  lui  qu'Agnès  jeta 
les  yeux  pour  reconquérir  sa  situation  perdue.  L'opinion  publi- 
que se  prononça  contre  elle;  on  voyait  avec  peine  la  veuve  du 
puissant  duc  d'Aquitaine  oublier  l'union  qui  lui  avait  fait  tant 
d'honneur,  ne  tenir  aucun  compte  des  trois  enlanls  qu'elle 
avait  eus  de  lui  el  qui  semblaient  être  un  reproche  vivant  de 
Taclo  qu'elle  commellail,  et  enfin  prendre  pour  mari  un  jeune 
homme,  qui  était  assui'émcnl  destiné  à  devenir  comte  d'Anjou, 
mais  qui  pour  le  monifnl  n'avail  d'autre  bien  que  le  Saumurois, 
que  son  père  lui  avait  donné  pour  sa  subsistance  et  auquel,  l'an- 
née précédente,  il  avait  frauduleusement  joint  le  Vendômois. 
D'autre  part  Agnès  violait  ouvertement  les  lois  religieuses; 
des  liens  de  parenté  la  rattachaient  à  Geoffroy  el  son  mariage 
fut  par  l'église  qualifié  d'incestueux  (1).  Mais  chez  celle  femme 

(i)  I^  canon  XVII  des  aclea  du  concile  de  Bourges,  qui  veaail  de  se  (cnir  ca 
novembre  iû3t,  avait  fnrmclienienl  intwnilt  le  niariaçc  entre  parents  jusqu'au  sixième 
degré.  A  notre  point  de  vue  îicluel,  la  |iatcnl!'  tiVxistail  pas  entre  Gcoflrojr  et  Agnes, 
mais  l'Eglise  rccunnaîssoit  nlurs  la  parenté  par  allianct;  etduillaume  le  GrHnd,  suivant 
la  méthode  de  compter  alors  en  u.9a;^c,  était  cousin  de  Geoffroy  au  (jualriènic  dcyré. 
flesly  [Hist.  (les  coml^s^p.  Hi)  expose  plusieurs  sysièmes  pour  établir  cette  parcnttî  ; 
nous  nous  ratlaclions  au  dernier,  aiu  sujet  duquel  ii  dit  :  «  Si  nous  ne  touchons  ù  lu 
vérité,  nous  n'en  sommes  p.ia  trop  cstoiguez.  »  Eq  voici  l'ccoaomic  : 
Ilerberl,  comte  de  Vcrmandois. 

I     , 

Lefgjirdc,  malice  i  Thibault  le  Tricheur,       Albert  I,  conile  de  VermaQdoig,  mariée 

comte  de  Bluis,  en  ij42.  Gerbcrge. 


Emma, femme  de  Guillaume  Ftcr-à-Bras,       Adèle,  mariée   h   Gcolfroy  Grisegonelle, 
comte  de  l'uitou.  comte  d'Anjou,  vers  970- 

I I 

Guillaume  le  Grand,   comte  de  Porlou,      Foulques  Nerra,  comte  d'Anjou,  marié  h 
marié  â  Agnès  de  Rour^njrnc.  llildegarde. 


Geoffroy  Martel. 
Voy.  Arl  (le  vérifier  lus  dates,  \>.  OJ!  ;  Mabille,  Introdaclion  aav  chroniques 


i5 


S26 


LES  COMTES  DE  POITOU 


prôvalail  un  impérieux  besoin  de  domination.  Si,  forl  jeune,  elle 
avait  accepté  une  alliance  avec  Guillaume,  déjà  Agé,  c'était  afin 
de  devenir  duchesse  d'Aquitaine;  devenue  mère,  elle  espéra 
amener  son  vieil  époux  à  lui  assurer  le  pouvoir  en  dépouillant  les 
cnfanls  des  premiers  lits  au  profil  des  siens  ;  mais,  comme  on  l'a 
vu,  elle  échoua  el  son  ambition  déçue  la  jeta  dans  la  résolution 
extrême  d'arriver  par  d'autres  voies  au  bul  qu'elle  poursuivait 
désespérément. 

Son  mariage  fui  célébré  le  premier  janvier  1032,  pendant  l'ab- 
sence de  Foulques  Nerra,  dont  on  pouvait  redouter  l'opposition 
cerlaine,  mais  le  comte  d'Anjou  prenait  alors  part,  aux  environs 
de  Paris,  à  la  lutte  engagée  entre  la  reine  Constance  el  le  roi 
Henri;  du  moment  qu'Eudes  de  Champagne,  son  irréconciliable 
ennemi,  s'était  rangé  sous  la  bannière  delà  reine,  il  ne  pouvait 
faire  autrement  que  de  venir  apporter  son  appui  au  roi.  Devant 
le  fait  accompli  il  ne  put  que  s'incliner,  mais  ses  sentiments  in- 
times furent  vivement  froissés  et  ce  ne  fut  assurément  pas  l'un 
des  moindres  griefs  qu'il  amassa  contre  son  fils  el  qui  amenèrent 
les  lutles  des  années  qui  suivirent,  luttes  que  le  caractère  vio- 
lent des  deux  adversaires  rendait  sans  merci.  Il  ne  pouvait  ou- 
blier tous  les  bienfaits  dont  Guillaume  le  Grand  l'avail  comblé, 
Tamilié  que  ce  prince  lui  avait  constamment  témoignée  et  il  lui 
semblait  que  l'action  commise  par  GeoHVoy  était  une  sorte  de 
manquement  à  la  foi  jurée  par  le  vassal  à  son  seigneur;  puis, 
quoique  par  ses  actes  de  violence  il  s'attirât  souvent  les  foudres 
de  l'Eglise,  il  ne  se  mettait  pas  de  gaieté  de  cœur  en  opposition 
avec  elle.  G'élail  pour  lui  un  cas  de  conscience  que  de  voir  son 
IjIs  commeltre  un  acte  qu'elle  qualiliait  de  crime  {!}. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'année  1032  s'écoula  sans  qu'il  se  fût  produit 
de  graves  événements.  Le  duc  d'Aquitaine  n'avait  alors  d'aulre 
préoccupation  que  l'administration  de  ses  élats  et  même,  à  la  fin 


■ 


des  comtes  d^ Anjou,  p.  lxx.  Noua  ne  pouvons adrueure,  oomnie  cet  auteur,  que  Lel- 
gorde  et  Adèle  auraient  été  sœurs;  le  rapprochera  en  t  des  dalca  indique  8i\remenl 
qu'il  saute  un  detçré  cl  Adèle  ne  peut  être  autre  qu'une  de  ces  filles  d'Albert  1, 
dont  l'Art  de  rérijter  les  dates  ue  donue  pas  les  uoma.  L'abbé  Mêlais,  Cartul . 
saint,  ile  la  Trinité  de  Vendôme,  iutrod.,  p.  0,  suit  sans  ta  discuter  l'upiniou  de 
M.  Mabille. 

(i)  Voy.  Marcfiepav,  Chron.des  ègl.  d'Anjou,  {i.  l'S,  Suint-Aubiu  d'Angers;  Item, 
p.   1 35,  Saint-Serge  d'Augcrs. 


GUILLAUME  LE  GIIOS  ^27 

de  celle  année,  il  assiblaà  un  imporlanl  concile,  lenu  à  Poitiers, 
auquel  se  Irouvèrenl  Irois  évêques,  Isemberl  de  Poiliors,  Jour- 
dain de  Limoges  et  Arnaud  d'i  Périgueux,  ainsi  qu'un  grand 
nombre  d'abbd'-s,  de  moines  el  de  laïques,  luitie  autres  décisions 
qui  furent  prises  dans  celle  assemblée,  il  y  fut  dilque  si  quel- 
que parliculier  possédait  des  biens  de  l'Église  par  fraude  ou  par 
violence,  ou  avail  mis  la  main  sur  eux  sans  y  avoir  droit,  il  élail 
lenu  de  les  resliluer  immédiatemenl  (1). 

Quelque  temps  après,  le  comle,  se  rendant  sans  doule  à  Saint- 
Jean  d'Angély,  passa  par  iMelle,  les  religieux  de  Sainl-.VIaixenl 
vinrent  l'y  Irouver  et  lui  exposèrent  les  nombreux  griefs  qu'ils 
avaient  contre  ses  agents.  Guillaume,  entouré  de  ses  juges,  de  ses 
prévtMa  et  d'un  grand  nombre  de  nobles,  présida  le  plaid  ;  il 
interrogea  lui-même  les  lémoins  et,  s'élant  rendu  compte  de  la 
justesse  des  réclamations  des  moines  de  Sainl-Maixent,  il  rendit 
le  10  décembre  1032  une  sentence  forl  intéressante,  réglant  le 
partage  des  droits  de  justice  dans  leurs  possessions  respecti- 
ves (2). 

Une  autre  Ibis,  se  trouvant  sans  doule  dans  le  pays  de  Gbâlel- 
lerault,  il  assista  à  la  donation  qu'une  dame  nommé  Gerbcrge  fit 
à  l'abbaye  de  Noaillé  de  l'église  de  Sainl-Maurice  de  Puymille- 
roux;  l'évoque  de  Poitiers,  l'abbé  de  Noaillé  el  le  vicomte  de 
Chàlellerault  sont  seuls  cilés  comme  se  Irouvanl  auprès  de  lui  (3). 

Mais  c'est  de  SainL-Jean  d'Angély  qu'il  s'occupait  surtout  et, 
vers  la  même  époque,  il  donna  un  éclatant  témoignage  de  Finlé- 
rél  qu'il  portait  à  celte  abbaye,  tl  s'adressa  au  pape  Jean  XIX, 
qu'il  avail  connu  personnellemeni  lorsqu'il  accompagnait  son 
père  en  Ilalie,  et  obtint  de  lui  qu'il  mil  l'abbaye  sous  la  protec- 
lion  spéciale  du  Saint-Siège;  le  pape  souscrivit  de  grand  cœur  à 
la  demande  du  comle;  le  i"  mai  1033  il  notifia  sa  décision  aux 
grands  seigneurs  de  l'Aquitaine  qui  avaient  des  rapports  avec  l'ab- 


(0  A.  Richard,  Charles  tle  Saiiti-Maixent,  \,  p.  109;  Marclic^ay,  ('hruriAies  éyt. 
d'Anjou,  p.  3gi ,  Saiol-Maivent  ;  M.  PHstcr,  Eludes  sur  le  rèijne  de  Itoherl,  place  à 
lort  ce  concile  dans  l'année  1026,  la  charle  de  S;iint-Maixcin  établissant  irune  faroa 
irrérutnbliMjiie  le  comte  Ciuillaumu  t]iii  y  prit  part  éutil  tiuillaunie  le  Grus. 

(2)  A.  Hichanl,  Charles  de  Sfiint-Maixent,  1,  p.  110, 

(3)  Arch.  (le  la  Vienne,  ori^.,  Noaillé,  u«  88.  Cet  acte,  nui  t'st  siftiplemeul  iliilé  du 
régna  du  roi  Henri,  ne  peut  se  placer  qu'entre  le  ai  juillel  iwJi,  avènement  d'tteuri, 
el  le  2Q  septembre  io33,  diile  de  la  captivité  du  cumie  de  E'uitou. 


aafi 


LES  COMTES  tIE  POITOU 


hîiye  (le  SaiiU-Jean  et  1ns  cliar^ea  de  vcilliT  ;"i  ce  qu'il  n'y  fi'il 
apport»''  aucun  trouble;  c'étaionl  lo  1res  rolif^MOux  Guillaume  duc 
des  Aquitains,  rjeoiïroy»  enraie  d" A ni,'nu!»>me,  Ilélie^  comte  doPéri- 
gord,  les  fds  d 'Hugues  de  Lusignan,  (luillaunie  de  Partlienfiy, 
Guillaume  de  Talmond,  Guillaume  fils  de  Cbàlon,vicomle  d'Aunay, 
Aimeri  de  Taillebourg,  Guillaume  de  Surgères  et  Aubouin  (1). 

Mais  celte  tranquillilé  ne  faisait  pas  le  comple  d'Agnès.  Lors- 
que, du  vivant  de  son  mari,  elle  poursuivait  le  but  vers  lequel  elle 
tendait  encore,  elle  avait  eu  soin  de  s'assurer  des  parlisans,  chose 
facile  à  une  époque  où  pour  les  raisons  les  plus  futiles  des  jalou- 
sies violentes  ou  même  des  haines  éclalaienl  journeilemenL  et  il 
n'esl  pas  impossible  qu'elle  en  ait  en  outre  recruté  quelques-uns 
parmi  certains  grands  vassaux  qui,  par  suile  du  mariage  de  Guil- 
laume avec  Euslachie  et  de  la  faveur  qui  en  découla  surla  fimille  ou 
les  amis  de  la  jeune  comlosse.  avaient  cessé  de  tenir  la  première 
place  dans  les  conseils  du  comte;  on  remarquera  en  effet  que, 
parmi  les  personnages  assistant  aux  plaids  tenus  par  Guillaume 
le  Gros,  on  trouve  bien  les  vicomtes  d'Aunay  et  de  ChâtellerauU, 
mais  on  ne  rencontre  jamais  les  vicomles  de  Tliouars  non  plus 
que  les  seigneurs  du  Bas-Poitou  qui  gravitaient  dans  leur  orbite. 
Knfin  le  jour  arriva  où  Geoffroy  Martel,  entrant  hanliment  dans 
les  vues  de  sa  femme,  entama  la  lutte  contre  le  comie  de  l^oilou. 

On  ne  sait  quel  mntif  il  mit  en  avant  pour  déclarer  la  guerre 
à  son  suxerain;  son  peu  d'imporlaucc  ne  l'a  pas  fait  relever  par 
les  historiens;  peut-être  n'en  donna-1-il  pas,  peut-être  encore 
Agnès  réclama-l-elle  sa  filte  Alaà  son  bcau-fils  qui  aurait  refusé 
de  la  lui  rendre,  La  jeune  comtesse  Ala  se  trouvait  en  effet  entre 
les  mains  de  Guillaume  le  Gros;  on  la  voit  suivre  la  comtesse 


(i)  Le  ftallia  chri.it.,  II,  col,  .'\CfCt,  place  la  lettre  du  papo  Jfan  XIX  vers  io3o; 
Besly,  flisl.  des  comten,  preuves,  \\.  ayt)  bis,  \a  met  en  io3oou  iû3t;  Miiftic,  Patro- 
togie  fat,,  CXLI,  col.  ii'i/i,  ne  lui  assig^nc  niicune  dote  précise  entre  ifn/|  cl  io33. 
D'après  nos  calculs  elle  ne  pi!ul  appartenir  qu'aux  années  m'Ai  ou  io33  cl  plus  vrai- 
8cml>!ablcmenl:  à  cette  dernière.  ICncfFel,  on  trau%'c,  parmi  les  grands  seig-neurs  aqui- 
tains nnramés  par  le  pape,  tîeofTroy,  comle  d'Ani^oul^nic,  qui  stiecéda  à  son  frère  Au- 
douin  dans  le  courant  de  l'année  loix^ffirit . pontif.  ci  co/n.  EnrfHlisin.,  p. 35). Comme 
il  est  avéïé  qu'Audouia  gouverna  l'Antçoiiraftis  pendant  quatre  ans  après  la  mort  de 
8on  père  Guillaume  advenue  le  fi  ou  le  S  avril  1028,  el,d'a«(rc]i<irl,<iue  lîpoiïrriY  dut 
mettre  quelque  (eraps  pour  s'emparer  du  pouvoir  et  en  dépouiller  son  neveu  Guillaume 
Clianssard,fil9  d'Audouin,  tout  concorde  pour  faire  reporter  au  i"""  mai  to33  la  lettre 
de  Jean  XIX,  r|ui  décéda  lui-iuciiie  vers  la  fin  de  ce  mots. 


GflLLAUMK  LE  GROS 


aafj 


Euslaebie  dans  ses  déplacemeiils  el  au  bas  des  actes  où  leur  pr6- 
seucG  e^t  iiK'ntioiiiiL'c,  leurs  deux  uoinssoul  bnijours  placés  l'un 
hcàl'i  de  raulre(1)-0uoi qu'il  ensuit,  loul  le  monde  esl  d'accord 
pour  dire  que  lieoflVuy  fut  t'insUgaleur  de  la  guerre.  Quand  il 
fut  prùl,  il  partit  en  liAle  du  Saumuroisel  se  dirigea  sur  Huiliers; 
Guillaume,  bien  que  surpris»  marcha  rapideliieut  à  sa  rencontre 
et  put  même  iVauchir  avant  lui  les  marais  de  la  Dive,  ce  passage 
dangL'fcux  qui  a  tant  marqué  dans  lUiistoire  de  la  province. 

La  troupe  du  comte  de  Poitou  avait  à  peine  débouché  sur  le 
plateau  de  Sainl-Jouin-de-iMarnes  qu'elle  se  heurta  contre  les 
Angevins;  la  rencontre  eut  lieu,  le  20  septembre  1033,  au  pied 
d'une  éminonce,  isolée  dans  la  plaine,  comme  la  configuration  du 
sol  en  présente  assez  souvcjit  dans  cette  région,  et  connue  sous 
le  nom  de  Mont-Coucr.  La  lulle  fut  acharnée,  mais  ta  trahison 
préparée  par  Agnès  fit  son  œuvre  elle  duc  ftil  fait  prisonnier  (2). 

H  tie  semble  pas  que,  satisfait  de  ccl  immense  succès,  Geofi'roy 
eût  pousse  sa  marche  jusqu'à  Poitiers.  Il  dut  se  lu\ter  de  mettre 


(r)  A.  IlicharJ,  C/mrha  ^/t-  Stiinl-.if<ii,ri>nt,].  j^p.  ii3-n^.  Nous  avions  dans  cfl 
ouvra:£î<;  assitfiic  les  diilcs  cxtrr'inos  du  loLl  i  «t  du  (lûd'inbre  tù'H  à  lu  cliaric  cliinslatjuclle 
oo  voJl  Guillîiuiiie  le  tîros,  Kusiachic  et  Alii  assisler  ù  l;«  d<iiialtiiii  faite  par  Eoi^elbert 
à  l'abbnyc  de  Sairil-Miii\enl.  mais  il  nuiia  paraît  rtsutter  d'une  étude  plus  altcnlïvc  de 
cet  acte  i|ue  sa  date  véritable  dtiii  iMrc  partëoau  5  déccml>re  lo'-U.  Il  doit,  en  effet,  être 
aulrricur  au  ni<iri.i|u^c  d'Atones,  qui  eut  lieu  au  mois  de  janvier  io32,  cl  surtout  à  la 
bataillf  de  MuiU-CIoucr,  du  20  scptPiiibre   lo'.VS. 

(■j)  Les  cliiuiùipies  di>  Saiut-Aubin  d'Aoïjers  cl  de  Sainl-Finrcnl  Je  Saumur  dt'si- 
pnent  e.vpri'sst'meiil  l'aiitiêc  io33  coniinc  ètanl  celle  de  la  braille;  la  clir<>i)ii|iie  do 
Snint-ScriTi"  d'Anjuer»  la  pLu-.c  on  11128,  mais  cclLc  indication  provient  assiircmcat 
d'une  faute  de  Iculure,  MX.VVIH  nu  lieu  dc'^  MXXXIII,  la  lettre  X  aj-aat  êlé  prise 
pour  la  lettre  V  ;  quant  a  la  cl)rnni(|uc  de  !::aint-Maixent,  clic  fournil  deux  Jules: 
l'une,  de  MXXXV,  qui  se  Iruuve  dans  uu  passai^e  du  mnnusrril  oriifinal  omis  par 
MM.  Marchrrjay  el  Maliillc  dans  leur  cdilinii,  et  celle  de  Ja  fjualriènio  année  après  la 
niurl  de  (îuillaumc  le  tiraiid,  «  quarlo  anno  posl  murtein  patris  D.Cecuiiiteélanl  décé- 
dé le  01  janvier  kkÎu,  les  ijuali-eans  rêvuhis  après  sa  mort  répondent  au  3(i  janvier 
lo'Sft,  niais  ou  reiicontrc  twnt  d'erreurs  de  dates  dans  cet  etnIroil  de  la  chronique  que 
noua  n'Iiésiloiis  pas  à  acreplcr  celle  ipii  est  fournie  (larlcs  clirouiques  d'Anjou,  beau- 
coup plus  sûres.  L.  l'aluslrCj  dans  sou  i/t'sloire  de  (iniltauftie  IX,  p.  /fi,  11.  3,  a 
cru  devoir  ndopicr  celle  aiuiêc  (r»34,  mais  il  commet  une  erreur  certaine  en  fixant  le 
jour  de  In  balaille  au  ()  septrrnbre,  rjui  ne  réfionii  eu  aucune  farou  au  vu  des  ciilen- 
des  d'octobre,  fourni  par  tous  les  textes  (Marchcjjay,  Chronii/nes  des  éijL  d'An- 
iWM,  pp.  23,  i3j,  188,  3iji  I.  La  cbroniipue  de  Saint-Maixent  seule  désigne  cxpressé- 
mcnl  le  lieu  de  la  rcotonlrc  :  <i  juxla  inonasleriuiii  snncti  Jin'ini  ad  nionlrai  Coe- 
rium  (p.  3i)L!).  »  La  célébrité  acijuisc  dc|mis  \mv  celle  lucalité  de  Mnncuntour  et  sa 
proximité  de  l'abbave  de  Saint-Jouiu  l'ont  pendant  lunî^lcmps  fait  rcîçarder  comme 
clanl  le  lieu  de  la  i-cnconlre  de  iii33,  mais  M,  H.  Irnbcrt,  dans  son  Ifixlnirf  de 
Thfniuf'.'i,  p.  /)2,  :t  jnslemcnl  reconnu  le  Afuiis  ('tnviiis  clans  le  Muut-tloucr, lieu-dit  de 
[a  coiiimuuu  de  Taii!,é  (Deux-Scvrcs),  sis  à  8  kilumèlres  de  Saiul-Jouiii. 


a3o 


LES  COMTES  DE  POITOU 


sa  riclio  proie  on  sûrfrl<'\  Ksl-ce  Sanmiir,  osl-ro  VemiAmo,  qui 
devinl  le  lieu  de  capliviti'!  de  Guillaume  le  Gros?  On  nn  lo  sait 
el  il  ne  serait  pns  «donnant  que  GenfTroy,  pour  éviter  loule  lenla- 
tivc  de  délivrance  de  son  prisonnier, 'ait  laissé  ignorer  la  forte- 
resse dans  laquelle  il  l'avail  renfermé.  Tout  d'abord  il  avail  à  se 
prémunir  contre  les  Toilevins,  qui^  en  réunissant  loules  les 
forces  du  duché  d'Aquilaine,  auraient  pu  lui  arracher  sa  prise 
el  d'aulre  part  il  fallait  qu'il  se  tint  en  garde  contre  son  père  qui, 
possédanl  encore  les  bénéfices  don!  Guillaume  le  Grand  l'avait 
j^ralillé,  élail  vassal  du  duc,  et  ne  pouvait,  sans  commellre  un 
acte  de  félonie,  s'associer  à  ta  conduite  de  son  fils.  Foulques  Nerra 
ne  savait  ^Mière  résister  ;"i  sos  passions,  ji  ses  emporlements,  mais 
il  entendait  l'honneur  i^  sa  façon  et  son  premier  mouvement  fut 
de  lenler  quelque  entreprise  contre  Geoiïroy  ;  mais  il  s'arrêta 
liienlôt  et  mênne  au  commencement  de  Tannée  1035  il  parlit  une 
Iroisième  fois  pour  la  Terre  Sainle;  il  est  h  présumer  que  sa 
conscience  était  troublée  par  ce  fail  d'avoir  toléré  depuis  plus 
d'un  an  que  son  (ils  restât  le  {geôlier  de  son  seigneur.  Mais  si  h  ce 
sujet  il  put  avoir  certains  accommodements  de  conscience  il  agit 
tout  autrement  quand  ses  intérêts  directs  se  trouvèrent  en  jeu  ; 
lorsqu'il  revint  d'Orient,  dans  le  courant  de  cette  même  année 
103o,il  conslala  que  Geoffroy  s'était  emparé  de  quelque  portion 
de  ses  domaines  et  alors  éclata  entre  eux  celle  guerre  qur  les  his- 
toriens du  temps  ont  qualifiée  d'exécrable  et  qui  couvrit  l'Anjou 
de  misères  et  de  ruines. 

Cette  lutte  acharnée  se  prolongea  avec  des  fortunes  diverses, 
mais  elle  eut  toutefois  pour  conséquence  d'amener  la  délivrance 
de  Guillaumele  Gros.  Soit,  comme  l'ont  écrit  certains  historiens, 
que  Foulques  ait  réussi  h  dompler  son  fils,  soit  que  ce  dernier 
ait  fini  par  manquer  d'argent  pour  continuer  la  lutte  contre  son 
père,  il  accepta  un  jour  la  rançon  que  lui  offrait  la  duchesse 
d'Aquitaine. 

Après  la  capture  de  Guillaume  h  la  bataille  de  Mont-Couer, 
l'évoque  d^  Poilicrs,  Isemberl.  qui,  comme  archidiacre  au  lemps 
de  son  oncletJisleberl  et  depuis  comme  évéque  en  titre, avail  pris 
sous  Guillaume  le  Grand  une  part  importante  à  l'administration 
du  comté  de  Poitou,  en  devinl  en  quelque  sorte  le  régent.  On 


GUILLAUME  LC  GROS  ^.i, 

floit  croire  qu'il  pourvut  d'abord  à  la  défense  des  éliits  du  mal- 
heureux prince  et  comme  les  ressources  qu'offrait  le  duchi'î  n'a- 
vaient pu  être  épuisées  par  une  Iiitle  de  si  peu  de  durée,  il  dut 
se  trouver  proraplement  en  état  d'opposer  une  barrière  sérieuse 
aux  nouvelles  entreprises  de  Geoffroy  Martel.  Au  fond,  cetui-ci 
devait  être  assez  embarrassé  desa  capture  dont  la  gardeevigeait 
une  surveillance  rainulieitse,et  sur  ce  point  ses  intérêts,  qui  pri- 
rent toujours  le  premier  ranp;dansses  décisions, ne  s'alliaientque 
difficilement  avec  les  calculs  de  sa  femme.  Du  moment  que  pour 
conquérir  le  Poitou  il  fallait  s'engaf^er  dans  une  guerre  longue  et 
dispendieuse,  sans  avantage  cerlain  pour  lui-même,  il  n'hésita  pas 
et  jugea  qu'il  valait  mieux  tirer  le  plus  grand  profit  possible  de 
l'olagequ'unechnncc  inespérée  avait  mis  entre  sesmains.Du  reste, 
l'évèque  Isembert  était  partisan  de  la  paix,  et  dans  une  grande 
assemblée  qu'il  fit  teniràPoitiers  el  où  assistèrent  les  feudalaires 
du  duc  il  fit  décider  qu'au  lieu  de  poursuivre  par  les  armes  une 
vengeance  contre  le  mari  d'Agnès  on  Irailerail  avec  lui. Celui-ci, 
forcé  de  se. contenter  d'une  rançon,  finit  par  aulorîser  son  pri- 
sonnier à  s'entendre  avec  ceux  (pii  s'occupaient  de  sa  délivrance. 
i*ar  les  ordres  du  duc,  la  duchesse  Eustachie  et  l'évèque  Isem- 
bert, qui  gouvernaient  simultanément  le  duché,  se  mirent  en 
mesure  de  ramasser  la  grosse  somme  exigée  par  Geoffroy,  et  s'a- 
dressèrent aux  monastères,  qui,  do  gré  ou  deforcejeur  livrèrent 
une  partie  de  leurs  richesses  en  or  el  en  argent  (l).  Tout  en  cédant, 
(luelques-uns  eurent  rhabitcté  de  se  faire  donner  une  compensa- 
lion  et  tel  fiil  le  cas  pour  l'abbaye  de  Sainl-Maixent,  qui  se  fit 
abandonner  par  Eustachie  une  partie  de  la  forêt  d'Argenson  (2). 
Enfin,  après  trois  années  de  caplivité,  le  jour  de  la  délivrance 


(i)  Marchea^ay,  Chron.  dcsvgl.  d'Anjon,  p.  ;<«)2,  Saînl-Maîxenl. 

(2)  A.  Richard,  Chartes  de  Saift(-Mai.vnt,  p.  i  j3.  La  sit'ur  du  comir,  AJii,  dési- 
\rnct  elle-mi*me  avec  la  rjualilicalion  de;  cornlesse,  assista  à  la  «liinalion  et  y  dlonoa  sou 
consenliMTipnt  en  (ant  que  cela  pouvait  lui  toucher. Ce  fait  csl  parlirulièrcmenlà  signa- 
ler, car  lE  donne  la  preuve,  en  le  rapprochant  de  l'indicatlou  fournie  par  l."J  charic  du 
5  décembre  mit  tnenlionncc  pln.s  haut  (V'oy. page  aaçf,  noie  i),  que  la  fille  d'A^^nè?  ne 
cessa  de  vivre  aux  ciUcs  de  la  comtesse  Euslochie,  e(  d'autre  pari  que.  jus«prà  ce  que 
Goiliatimc  fût  sorti  de  prison,  les  succès  de  GeolFroy  se  bornèrent  à  la  capture  de  ce 
coniliî.  Il  est  possible  que  la  remise  de  la  jeuac  comtesse  Ala  à  sa  niëre  ail  été  une 
des  clausfs  de  la  convcniion  intervenue  entre  le  comle  de  Poitou  et  son  gctMier  lors 
de  la  coDclusioD  de  la  paix. 


23:1 


LES  COMTES  DE  POITOU 


arriva  (1)  ;  à  la  lin  de  l'année  1036,  riuilhiume  le  Gros,  moyen- 
nanl  une  ran<;on  énarme,  peul-ôire  bien  d'un  million  (2),  fut 
mis  en  liberté  sans  avoir  eu  loulefois  à  l'aire  à  son  geôlior  aucune 
cession  de  territoire  (3). 

Dans  le  courant  du  mois  de  mars  1037,  il  lin!  ii  Saint-Jean 
(J'Aniîély,  qui  était  décidément  sa  demeure  favorite,  un  grand 
plaid  où  assistèrent  son  frère  Hudes,  alors  en  possession  du 
comlé  de  Gascogne,  l'archevêque  de  lîordeaux  Geofl'roy,  les 
évèques  Iscmbert  de  Poitiers,  Girard  d'Angoulôme,  Arnaud  de 
Villebois  de  Pérîgueux,  Jourdain  de  Limoges^  les  comtes 
Bernard  de  la  Marche  et  GeolTroy  d'Angoulûuie  et  le  vicomte 
Guillaume  d'Aunay  (4),  Sauf  ce  fait   on   ne  sait  rien  de  la  vie 

(i)  I\aoul  Cilatjcr  {/It'sloires,  éd.  Prou,  p.  ii3).  rVicliard  de  Cluny  {Hec,  des  hist. 
(le  FrniicffW,  [i.  aSû)  avance  que  Guillaume  resta  cinq  années  eu  caplivilc;  sur  ce 
point  il  f^iil  erreur,  car  il  esl  prouvé  par  les  Icxlcs  nuthcnliqucs  que  nous  citons  que 
celle-ci  ne  dura  que  trois  ans  et  quehities  mois.  Le  miîme  chroniqueur,  asscs  ioexac- 
leinenl  loaseij^ué  sur  les  niïatrcs  du  Paitou,  dit  aussi  que  Gutlluunu-  mourut  le  qua- 
Irième  jour  après  sa  mise  en  liberté;  dus  textes  prouvcDt  encore  que  celte  assertion 
esl  inexacte. 

{a)  Tous  les  liistoricns  sout iraccord  [lour  dire  que  le  montant  delà  raoron  de  tluil- 
iauuic  (ut  1res  élevé;  flichard  de  Cduny  seul  a  fixé  un  chitFre;  il  rapporte  que  <icof- 
froy  Martel  ne  relâcha  le  duc  d'Aquit;iiiiie  que  moycûoaQl.  une  rançon  «ie  aùo.ooo  sous 
[Itec,  /les  hist.  île  France,  XI,  p.  aSô).  Hîen  ne  prouve  IVxiictitud»!  de  celle  indi- 
cation, mais  elle  n'a  pas  lieu  de  nous  surpreiKÎre.  Hicu  qu'il  soit  assez  difficile 
d'évaluer  la  valeur  de  Tarifent  à  celte  époque,  il  nous  parait  cependant  que,  par  com- 
paraison,on  peut  arriver  à  un  ri'sulUit  a|)proxim.itil'.  En  ell'et,  daus  uua  charte  de  l'ah- 
baye  de  Saint-Jean  d'AuijfcIj  de  la  lin  du  xj^  siècle,  il  est  parlé  d'uac  mute  a  laquelle 
est  doaaée  une  cstimatiou  de  loo  sous;  or,  en  portant  à  Tioo  francs  le  prix  uiojcn  de 
la  mule,  noua  arrivons  (^  attribuer  au  sou  la  valeur  de  5  francs,  ce  qui,  pour  aoo.ooo 
sQuSj  correspond  au  chilïrc  d'un  million  (Voy.  Lccointrc-Duponl,  Essai  sur  les  mon- 
naifsfntpfièet  en  Poitou,  pp.  78  et  iSa). 

(3)  Nous  nous  trouvons  sur  ce  (loint  en  désaccord  avec  les  vieux  historiens  ange- 
vins (|ui  prélendent  que,  pour  ohtctiir  sn  liberté,  (îuillauuie  dut  cùder  la  Saintonf^c  à 
son  heureux  rival .  Ils  avaucent  juème  que  le  molif  de  la  çoerre  dcclarcc  p;ir  ticofVroy 
au  comte  do  Poitou  fut  la  revendication  de  ce  utème  pays  de  Saintonu^e  qui  aurait 
apparletiu  dans  le  passé  à  un  ancélrc  des  comtes  d'Anjou.  Tout  ce  qu'ils  disciil  n'est 
que  fables  et  particulièremcnl  leur  créiitinn  d'un  Aimeri,  comte  de  Saintes,  qui  n'a 
jamais  existé  et  dont  ils  fout  l'aïeul  de  licofFroy  Martel.  Ce  dernier  n'avait  ù  adresser 
au  comte  de  Poitou  aticunc  rcclamalioii  sur  Saintes,  (|ue  possédait  son  [lère,  Foulques 
Ncrra.eti  vertu  de  hi  concession  i>cnéiiciairâ  tjui  lui  en  avait  clé  faite  par  (ïuillaumclc 
Grand  et  dont  il  avait  toute  chance  d'hériter  après  la  mort  de  celui-ci.  M.  Kaye  a  fait 
)uatlcede  ces  taia>^iualioas  dans  son  intcrcssautc  élude  intitulée  :  De  la  il  ont  i  nation 
des  comtes  d' Anjou  sur  la  i'^iVi/o^^e,  sur  laquelle  nous  aurons  à  revenir  parla  suite. 

(^1)  Lors  de  la  tenue  de  ce  plaid,  l'ahhaye  de  Saint-Jean  d'Ang;ély  reçut  deux  dons 
inqiortants.  Foucaud  de  V'alans  lui  al)andonna  l'éi5;!ise  de  Sainl-Uévércnd  de  Ooix- 
Comlesse  et  le  ilii-valier  Itaiuaud  l'église  de  Bemencui!  (Ti.  Fonleneau,  XIII,  pp.  i/)i 
et  i/|'j).  Ces  deux  actes  sont  fort  importants  pour  l'hi^-loire  de  <iuillaume;  ils  fixent 
d'abord  sur  la  date  de  sa  sortie  de  prisiiti  et  d'autre  part,  ils  donnent  les  noms 
des  personnaj^f-;  qui  lui  étaient  restés  lidéles.  Hesly  {//isi.  des  com(i;s,  preuves, 
p.  3u2  bis)  n'a  lait  que  citer  la  douattou  deRenicncuil  et  lui  allrihuc  ^aus  raison  la  date 


(îUILLAIJMIv  LK  tlKOS 


233 


publique  (Iti  comle  tlo  Poitou  après  sa  sortie  de  prison;  il  ne 
semble  pas  avoir  pris  part  n  la  lutte  qui  ?e  poursiiivail  futre  Foul- 
ques Nerra  cl  son  lit!?,  dans  laquelle  au  resle  il  n'avait  rien  à  gagiun* 
elses  efforts  durenl  plutôt  se  porter  vers  le  sud  du  duché  alin  de 
consolider  lu  silualion  de  son  frère  en  Gascogne  {\),  Il  mourut 
sans  laisser  d'enfanls,  le  15  décembre  1038,  et  fut  enterré  aupri-s 
de  son  père  dans  Tabbaye  de  Maillezais  (2).  Quant  à   sa  femme 


de  loSg;  mais  D.  Foalcncau.qui  a  r«  produit  hilêgralpoicnt  lea  deux  lexlcs,les  met 
avec  justesse  en  to'17.  Nous  njmiler<»rïs  que  Iticn  (iti'un  seul,  celui  île  Uetneneuil, 
porte  la  nieiitioti  du  mois  de  mars,  ils  furenl  l'un  cl  t'aulre  passés  (icndanl  la  Icnuir 
du  iin^iiie  plaid,  \u  f[iu',  l'on  y  rcncoiilrc  les  m<^(<u:s  nssislaiits,  cilos  comme  lemuiua 
des  actes,  De  plus,  ils  (>orlenl  l'uti  et  l'autre  la  mention  qu'ils  l'uieiU  faits  la  dixième 
année  du  ri^nc  du  roi  Henri.  Or,  comme  on  est  d'accord  pour  reeoun;iilre  nue  ce 
prince  commeoija  à  régner  le  i4  mai  1027,  le  mois  de  mais  de  lu  dixième  antieii 
de  son  rèjaroc  représente  le  mois  de  mars  loSy,  Ce  qui  lémuii^nc  que  l'ou  ne  saurait 
reporter  ces  aeles  à  une  date  postérieure,  c'est  (|ue,  parmi  leurs  sii?tinlaircs,  on 
rencoQlrc  le  nom  d'Arnaud,  évèqnc  de  Pcrigucux,  lequel  décédu  le  i/|  juillet  (2  des  ides) 
de  l'année  10J7  {Gitllia  clirisliuttat  II,  col.  i/p;)),  Nous  tirerons  encore  un  autre 
cnscisînciiicnl  de  ces  Icxles,  c'est  ((ue  Je  nioilc  de  CDmput  nsilc  à  cette  époque  a 
Saiol-Jean  d'Anijéiv  ne  faisait  pas  conimcticer  l'année  au  25  mars,  suivant  l'usage 
poitevin,  ni  h  Pj\qucs.  suivant  le»  liahiludis  du  rtord  de  ïa  l"'rance, 

(j)  D'îi|jrcs  les  liisluricas  du  midi  et  /M/7  de  vên/ier  Icx  Untes  fp.  729),  Sancbe- 
Giiillnuioe,  tiiic  de  Ga.sfo<;ne,  mourut  le  4  ocloln-e  to3y,  sans  postérité  miMe.  Le  duclié 
aurait  alors  clé  orcnpé  par  Uércniîcr,  que  l'un  cruil  (ils  d'Audouin,  comle  d'Ant^oulème, 
et  d'Alatisic,  Hlle  da  Sanclic-Cinillaiinie.  Te  dernier  sérail  à  son  tour  décédé  sans 
cofanls  vers  l'an  jo3G  et  il  auiaiteu  pour  successeur  lludos,  le  cousîii  i^crmain  de  sa 
mère.  Les  cvéoemoiils  ipii  se  passèrent  en  (iascot^-iH-  après  Ut  inorl  irEudcs  laissent 
supposer  (jue  Ceîui-ci  ne  rectieîllil  pas  sans  diincciUës  l'Iiérilaiçc  de  lîércutçer.  D'après 
une  cbarle  de  Sainl-Seuriti  de  Bordeaux,  ou  peut  aussi  croire  que  l'autorité  de  Bércni;cr 
n'avait  pas  élc  parloul  rccoimue,  cl  (pie,  s'il  avail  occupe  la  (u-iscoçiic,  Kudea,  de  miii 
ctJlé,  aurait  pria  directement  possessiou  de  Uordeaux  dés  la  mort  de  sou  oncle 
Sanche  (Cari,  de  Saiiil-Sciirin,  |i.  lo). 

(i)  La  chronique  de  Saiot-Maixcit  semble  assii^ricr  les  années  loIiS  ou  10^7  à  la 
mort  de  fiuillaume  le  tiros  (|i.  '.\\yî),  mais  cette  indécision  allcslc  combien  son  auteui* 
était  peu  renseiiijné  sur  re  puiul  <le  cbronolo^'tc  ;  prireiUenicnl  les  éditeurs  de  IWrl  t/e 
vèri/lerles  </(//<.'.v,chcrcbant à  concilicrces  vagues  indications. ont  placé, à  loulltasard, 
cet  événement  au  conjnicncemcnl  de  l'année  10^7  (p.  7JÔ).  Quant  à  Haoul  lilafysr, 
i/Iistoires,  éd.  l'rou.  p,  ii.'î),  il  fi.vc  le  décès  du  conil*  en  itt.Uy,  car  il  rapporic  que 
l'année  où  mourut  Conrad,  roi  des  Horiiains  (événement  qui  eul  lieu  le  /(  juin  ro!{()).  le 
comle  des  l'utievins,  liuillaurnc,  fut  délivré,  ifn'tce  à  beaucoup  d'arjjeul,  de  la  prison 
où  Geollroy  Martel  l'avait  dclenu  trois  ans,  et  iju^it  mourut  la  niémeatmée;  en  disant 
ceci  l'bislorien  a  fait  assiirémeiit  utie  coiifusinn  cnlre  la  mort  de  (.«uillaunie  et  celle  de 
son  frère  luidcs,  advenue  en  celte  année  toSij.  Comme  preuve  que  le  comte  n'est  pas 
mort  ausailtît  sa  sortie  de  prison  ou  peu  de  jours  après,  comme  tous  les  historiens  le 
répèlent  à  la  suite  de  la  chronique  de  Saint-.Nfai.veut,  on  peut  produire  :  1"  les  deux 
chartes  de  mars  1037  ([ue  notts  avons  citées  [dus  haut  [Voy.  pajce  aSa);  zf  l'acte  de 
vente  consentie  le  li  seplembre  io38  par  le  prêtre  Uainioud  et  stm  tils  à  l'abba^-e  de 
Saint-Jean  d'AIl^:ély  de  terrains  sis  dans  la  clianoinie  de  Siiinl-l'ierrcle-Hoellier  à 
Poi(iers  et  à  laquelle  assistèrent  tiuillaiime,  sa  femme  lîuslaclïic,  révéquc  de  Poitiers 
Isemberl,  et  Ermenifurdc,  abiicssc  delà  Trinité,  qui  reçut  100  so»s  pour  l'amortisse- 
ment des  droits  que  .son  abbaye  avait  sur  ces  Iciraina  {D.  Fonleiieau,  XIII,  p.  iri3; 
iSt'^ly,  //i$l,  des  comles,  preuves,  p.  ;{ui  bisj.  .Nous  nous  trouvons  du  reste  d'accord 


î31 


LES  CO\tTES  DE  POITOU 


Eiistarhic,  qui  lui  nvail  donnô  lanl  de  liVmoignap^os  de  son  aiïec- 
lion,  eWv  ne  lui  survt^ciil  (\\io  peu  do  lemps  el  elle  recul  la  s<''pul- 
lurc  dans  rt'-glise  de  IVo Ire- Dame  de  Poiliers  (1). 


XII.  -  EUDES 

(  io38.  to3()) 


Les  Poitevins  se  trouvèreni  en  j^rand  d(''sarroi  nprès  la  morl 
inopinée  de  Guillaume  le  (iros.  Le  conile  ne  laissait  pas  d'en- 
fanls  el.  selon  les  règles  du  droil  féodal,  sa  stiecession  devait 
revenir  à  son  frère  cadel,  Eudes  (2),  le  fils  de  Gnillaume  le  Grand 
et  de  Brisque  de  Gascogne;  mais  chacun  sonïail  que  la  Irans- 
mission  régulière  du  pouvoir  ne  se  ferail  pas  sans  difflcullé.  11 
semblait  à  lous  bien  difficile  qti'Aj;iiés  eût  renoncé  pour  toujours 
à  la  salisfacLion  de  ses  désirs  et  qu'elle  ne  proHlrll  pas  de  la  chance 
qui  s'olTrail  pour  faire  adjuger  à  ses  enfants  à  tout  le  moins  une 
portion  du  comié  de  Poilou,  Toulefois,  le  sentiment  du  devoir 
l'emporta  sur  l'hésilation  des  intérêts  el  Eudes  fut  appelé  par  ses 
princii>aux  vassaux  à  venir  prendre  possession  du  comté. 

nvec  l'Itislorîen  des  comles  du  l'oilou  |iniir  (i.\cr  à  to3S  la  dnlc  de  la  morl  de  Giiil- 
latimf  le  (îros  (//f>/. ,  jiûk(?  ^'j)  '•  i">iishv<hi9  lie  pliia^pour  délcrmîner  I*'  jour  précis  du 
drcns,  une  indîcaliori  Irturnic  pNr  rnliitiiaire  de  Hiblmyedc  laTrinilc  de  Poiliprs[Bib!. 
de  Poiliers,  ninn.  ti"  ^^o.f'ifiy)  où  il  est  marque  que  le  xvrinlesfalcndes  de  janvier  : 
«  Ohiit  Guillermus  rouies  ».Couimc  nn  esl  renseiRué  sur  le  jour  du  drrès  de  (nus  les 
comtes  de  l'oiiou  du  noiu  de  iiuillaume,  sauf  pour  (juillaume  le  Gros,  nous  D'hésilons 
pfts  à  altrihuer  reite  menlirm  de  IVibiluairoi"!  la  personne  de  ce  comle.  Ce  dernier  devait 
avoir  des  altaclies  parUculiiVes  avec  l'abbnvc  de  la  Trinité,  car  le  manuscrit  en  qucs- 
iJon  indique  aussi  la  date  de  lu  morl  d'Eudes,  le  fri^rc  de  Guillaume,  cl  peul-^tre  aussi 
celle  de  sa  feumie  lîuslacfiie. 

(i)  Marchcu^ay,  Chrun.  des  èfj! .  ffAnJoti,  p.  Sq^,  Sainl-Maixeni.  Il  est  possible 
qu'ICuHlacliir,  resiée  suris  !i(>pui  après  ht  mort  de  sou  beau-frère  liudes,  se  soil  retirée 
à  l'nldj.i yc  de  la  Trinité,  dnnl  l'ahliessc,  ErmeDejai'de,  venait  de  recevoir  des  lémoi- 
^ns\f!;v»  de  la  bienveillance  du  duc.  Sur  ce  calendrier  delà  Trinité,  où. en  fait  de  com- 
tes de  l'tiilou,  on  ne  relève  (]ue  les  noms  de  Guillnunielc  (îrns  el  de  sou  frère  EudV>s, 
on  rencontre  celle  mention  ,tiix  ides  dv  septembre  (i3  srplenibre)  :  «  Ohiil  Euslacliia 
tnonaclia.  » 

(a)  fîesly  appelle  ce  comte  indilTéremmcnt  Olton  ou  Eudes,  C'est  ce  dernier  nom 
qui  >pul  lui  convient  conuue  éiant  Ifi  traduction  frarirnisc  de  \n  forme  latine  Odo  que 
l'on  rencontre  dans  les  textes  (\'oy.  Chrrm.  des  égl.d'AiiJoti,  p.^ya,  Sainl-MaixenlJ. 


EUDES 


235 


Lo  noiivt^aii  comle  i!'lail  en  nom  fort  jeune  ;  il  ne  flcvtiit  pris 
avoir  plus  de  vinji;l-six  ans  et  avait  passé  on  Poitou  la  plus  fjrande 
partie  de  su  vie.  ((n  le  voit  assisler,  du  vivant  de  son  père  (iuil- 
laume  le  (Iraiid,  auv  ri'innions  où  celtii-ci  se  présenlail  entouré 
de  ses  deux  fils  aînés  qu'il  semtdait  par  ce  fait  associer  h  ses 
actes  d'adminisiralion  ;  d'aulre  part,  jusqu'en  1032,  Hudes  avait 
résidé  ronstamment  à  la  cour  de  son  frère,  ainsi  que  nous  rap- 
prennent les  actes  auxquels  il  prit  part  et  où  leurs  noms  sont  tou- 
jours associés.  A  celte  époque,  il  se  rendit  dans  le  midi  pour 
essayer  de  recueillir  la  succession  de  son  oncle  Sanclie,  comte  de 
Gascogne  et  de  Bordeaux,  qui  venait  de  mourir;  aussi  est-il  pro- 
batjle  qu'il  n'assisla  pas  à  la  liataille  de  Monl-Couer,  la  soudaineté 
de  Fatlaque  ne  lui  ayant  pas  permis  d'arriver  à  lempspour  pren- 
dre part  à  la  lulle.  Mais  après  que  Guillaume  fui  sorti  de  prison, 
Eudes  reparaît  i\  côté  de  lui  en  Poitou  avec  son  litre  d)^  comle 
des  dascons  (i).  Le  pays  où  il  avait  passé  sa  jeunesse  rallirail 
beaucoup  plus  que  celui  dont  il  vcnail  d'hériter,  aussi  s'empres- 
sa-l-il  de  répondre  à  l'appel  des  Poilevins  ;  mnis  quelque  lulle 
qu'il  y  apporlàl  la  trahison  l'avait  devancé. 

La  soumission  des  seigneurs  qui  avaient  favorisé  les  projets  am- 
bllieux  d'Agnès  et  amené  le  désastre  de  Monl-Couerne  fui  jamais 
bien  sincère,  aussi  la  comtesse  n'eul-elle  pas  beaucoup  de  peine 
?i  les  décider  fi  prendre  les  armes  conireleur  nouveau  suzerain  ; 
on  pourrait  même  induire  d'une  simple  menlion  relevée  au  bas 
d'une  charte  qu'elle  donna  à  ses  partisans  le  semblant  de  pré- 
texte dont  ils  avaient  besoin  pour  juslilicr  leur  félonie  eu  faisant 
prendre  à  son  fils  aîné  le  lilre  de  comle  do  Poilou  aussilol  la 
mort  de  Guillaume  le  Gros  (2).  La  rançon  payée  par  ce  dernier 


(i)  Chartes  de Sainl-Jcnn  d'Aûgély  de  l'année  lo^-j  (D. l'Vinlcneau,  XIH,  pp.   i/ji  et 

(a)  Au  moîs  âe  janvier.  Van  sppl  ffu  résine  du  roi  Iltori,  le  vicomlti  de  Tbnunra 
approuva  le  don  du  [n-icuré  fie  Snint-ildcqijp.s  de  Munlaubc-iii  fnilpjir  son  vassal  Dodelin 
à  l'abbaye  dr  SRinl-Jouin-de-Miiriies  ;  eu  dehors  de  liiidicnliou  chronoloiftque  priu- 
cipalc  il  esl  dit  dans  In  eliiirlc  i|iren  ce  leni|)s  la  comlesse  Agaês  lenait  avec  son  HIs 
Guillaume  le  comté  de  l'oilou,  «  (Joniiits'ia  At{ne  cum  \\'illclmo  lîlio  comiluluni  Pic- 
lavenscm  leuenlc  •).  Or,  biea  que  D,  Fonleupau  (t.  Xlll,  p.  27<ji  ait  donné  à  ceu« 
pièce  la  dnto  de  ioI{7-io3><,  que  M.  de  CirandniaisoD,  qui  Ta  publiée  dans  les  ;l/^- 
moii'et  de  la  Soc.  de  Slalis/ique  des  lJeuj:-Sévres,  t.  X\'U,  i"  série,  i854,  p.  i 
[Chartalurinm  Sancii  Joiûni),  l'ail  daice  de  janvier  lo.îS,  nous  n'Iiésilnns  [i«s  fï  la 
reportera  TaQuéc  10^9. Eu  elTel,  celle  formule  «.  Dalaîu  uieutic  januanuanuo  sepliaio 


936 


LES  COMTES  DE  l'OITOU 


devait  du  resic  singulièromcnl  l'iicililer  les  négocialions,  Une 
Ujjue  s'éluil  donc  formce  cuutre  Eudes  ;  avi'C  une  décision  (j»fi 
t'iiil  honneur  ;i  son  caraclèrCj  celui-ci  chercha  iinmédialeuient 
à  la  rompre.  Maigre  quo  l'on  fût  au  coiur  de  Thiver,  il  parlil 
de  Gascogne  avec  une  pelile  armée,  el,  sans  passer  par  Poitiers, 
il  se  dirigea  vers  le  centre  de  la  révollo;  malheureusement  il 
se  heurta  presque  aiissilùt  à  un  obslacle  dont  il  no  soupçonnait 
pas  rexislence.  A  rcxtrémitô  sud  de  la  Gâtine,  sur  le  bord  même 
de  Tancien  ciieiniu  qui  de  Tiiouars  descendait  aux  gués  de  la 
Sèvre  el  niotiail  au  pays  des  salines,  se  trouvait  un  ancien  oppidum 
gaulois.  Il  occupait  l'extrémité  d'un  étroit  promontoire,  au  point 
do  jonction  de  deux  vdllées  fortement  cnraissées  ;  aussi  Guillaume 
do  l'arlhenay,  prévoyant  t'attaque  d'Iiiidcs,  l'avail-il,  avec  l'aide 
dos  AngevinSj  rajiidemetit  fortilié.  On  l'appelait  le  château  de 
Germoiid,  du  nom  du  bourg  qui  s'élevait  en  face(l).  Tous  les 
elîorts  d'Eudes  pour  s'emparer  do  cette  colline  escarpée  furent 
infructueux  ;  d'autre  part,  le  froid  danscelle  région  sauvage  devait 
être  vivement  senti  par  les  hommes  du  midi  qui  composaient  sa 
troupe,  aussi  fut  il  contraint  de  se  relirei'.  Il  revint  donc  sur  ses 
pas,  mais  là  encore  il  rencontra  un  antagoniste.  Soit  que  son 
premier  insuccès  ait  encouraj:;é  les  défections,  soit  qu'à  son  ré- 
cent passage  il  ail  négligé  cet  adversaire,  Guillaume  le  lîùlard, 
seigneur  de  Mauzé,  lui  ferma  les  portes  de  son  château.  Celait 
un  nouvel  allront  que  le  comte  de  Poitou  ne  pouvait  supporter 
sans  tomber  dans  une  déconsidération  extrême.  Il  attaqua  donc 
vigoureusement  Mauzé,  qui,  situé  au  milieu  des  marais,  en  pays 


« 


rcj^nanlc  Hrnrico  rci^e  r>  peut  parfaitement  se  coraprcndie  aiosi  :  Donai'e  au  moi»  de 
janvier,  le  roi  Henri  rcifUiint  depui.s  7  aas;  or,  le  roi  Uoberl  cl.iul  mort  le  20  juillet 
m'.ii,  à  ceUe  date  de  l';trjnce  iujS  lleuri  repliait  depuis  7  ans,  et  îl  n'eut  huil  ans  de 
ri-^uc  tju'au  20  juillet  inlli).  Il  nous  partît  (loue  nii[ur<'l  <le  [>lacc'r  au  mois  de  j.'iuvier 
dt;  ccltt'  auut't;  m'.Uj  la  doiiation  de  IJijdevIiu,  d'autant  [dus  iju'en  iu3S  Guilliiuiue  le 
Gnis  ctait  cncnrc  coiule  de  Poitou,  cl  qu'Agnès,  .aussi  bien  que  son  (ils,  ne  pouvait, 
aprt'3  la  paix  si^^née  entre  le  comte  d'Anjou  et  celui  de  Poitou,  avoir  aucune  prélen- 
lion  sur  ce  dernier  coinlt^, 

(1)  Marclic;jay,  C/iroit,  dtts  é<jt,  d'Anjou,  p.  3ij2,  Sainl-Maixent.  Le  château  dcsi- 
(çnè  sous  le  uoin  de  Cicrmond  par  la  chronique  a  porte  jusqu'à  nos  jours  celui  de 
château  dcH  Mottes.  Cette  appellalion  lui  venait  do  deuv  molles  en  Icne,  élevées  à 
chacune  des  exIrJiuités  du  l'cnceinto  forlifirjc;  celle-ci  était  pluliM  un  camp  reclao- 
g(j|,iirc  qij'un  cIi.'ilejiH,  avec  la  sfçnification  que  nous  lui  donuous  aujourd'liui,  car  il 
ne  sr;iuhL'  pits  que  sers  retranchements  uiçnl  étr*  jamais  couverts  de  murailles,  pcul- 
élre  proteij;caicul-il3  siuipicmeat  un  donjon  de  boia. 


=3? 

découvorl,  élîiit  d'une  approcha  plus  ("acilo  que  (Jormond  ;  il 
«'•lait  sur  lo  poinl  d'emporler  la  place,  quand  il  succomba  dans  la 
lultn,  le  10  mars  103U(1).  Le  corps  d'Eudes  fui  Iransporlt^à  Mail- 
lezais  et  inhumé  i\  cùlé  de  ceux  de  sou  père  el  de  son  frère  (2), 
11  ne  paraît  pas  avoir  éié  mariù  ;  en  loul  cas.  il  ne  laissa  pas  de 
poslérilé.  LochampsG  trouvait  donc  déj^agéel  Agnts,  ne  trouvant 
plus  d'obstacle  devant  elle,  put  revenir  triomphalement  dans  te 
Pûilou  doul  elle  allait  ôtre  maîtresse  sous  le  nom  de  ses  fils. 


XIII.  -  GUILLAUME  AIGRET 

V'-'  Comte  —  VJI-'  Du: 

(  io3f)-[o58) 

Par  suite  delà  fin  lamentable  du  comte  Eudes,  sou  fi'ère  lûé- 
rin,  Pierre,  le  fils  atm'i  d'Agnes,  se  trouva  nahirellemenl  appelé 
à  lui  succéder  à  la  tèle  du  comté  de  Foilou  et  du  duché  d'Aqui- 
taine. Toutes  les  loyaulés  qui  s'étaient  adirniées  pour  soutenir  les 
droits  de  ses  prédécesseurs  s'étalent  en  vain  produites  ;  elles  tom- 
baient îi  néant  devant  ce  fait  brutal  que  les  deux  jeunes  princes, 
issus  des  premiers  uiaria;;es  de  tuiillaume  le  (îrand,  ne  laissaient 
pa?  de  |)Oslérilé  dtrecle.  Le  nouveau  comte  avait  droit  à  loute 
soumission  de  la  part  des  fidèles  vassaux  de  ses  frères,  elle  ne  lui 
fit  pis  défaut,  mais  si  les  anciens  griefs  parurent  oubliés,  on  vil 
une  modification  profonde  se  produire  dans  Tentouraj^e  du  comle 
oii  prédominèrent  désormais  les  vicomlcs  deThouars  el  les  sires 
de  Lusignan  el  surtout  les  barons  batailleurs  qui  s'étalent  atta- 
chés à  la  forlune  d'Agnès,  tels  que  Guillaume  de  î*arlhenay,  \i- 
meri  <le  Hancon,  Gilberl  Bcrlais,  ainsi  que  quelques  clievaliers 
moins  haut  cotés,  comme  Constantin  de  Mette,  Guillaune  Cha- 


(i)  Cette  dale  csl  rnrirnle  jiar  le  précieux  calendrier  de  la  Triiiilc  de  Poilicrs  qui, 
au  Tj  dcsûles  de  jnnrs  (  ir}  mars),  l'oiHieiil  CfUc  Kienlîon  ;  «  (ïliitus  Odoiiis  coruiiis  m 
(liibl.  de  Poiliers,  maii.  n"  ^.'io,  fol.  '.A-j). 

(a)  MarclieiÇiiy,  f'.hmn.  tins  é'jl .  d'AnJim,  (>.  iiyiî,  Siiinl-Muixeal. 


x38 


LKS  COMTES  DK  POITOU 


bal,  Henoiil  Haiole,  Simon  de  Verruye,  Adémar  Mnle  Capse,  Hilde- 
berl  de  Hocheiïieaux  (1 1. 

Du  reslt',  le  pouvoir  n'éiail  pas  à  proprcmcnl  parler  dans  les 
mains  du  jeune  comte,  mais  bien  dans  celles  de  sa  mère.  Pierre 
élait  minaur  ;  il  devait  avoir  enviruii  seize  ans  en  HJ^U  et  jusqu'à 
sa  majoril6  ce  fui  Agnès  qui  gouverna  rùellemenl  le  Poitou,  Ce 
fait  ressort  de  tous  les  actes  de  l'époque,  du  témoignante  de  tous 
ses  contemporains.  En  1041,  l'un  d'eux  écrit  que  le  comte  Guil- 
laume et  son  frère  Geoffroy  possùdaienl  le  Poitou,  mais  que  leur 
mère  Agnès  adminislrail  avec  une  grande  sagesse  le  pays  des  Gau- 
les (2).  Ce  dernier  mol  doit  èlre  interprété  dans  le  sens  de  ducbe 
d'Aquitaine,  mais  ii  n'en  est  pas  moins  typique  pour  allirmer  la 
grande  autorité  de  la  comtesse.  Il  ne  semble  pas  non  plus  qu'elle 
ait  tenu  à  faire  partager  son  pouvoir  à  son  mari  ;  Geoiïroy  Mar- 
tel n'apparaît  guère  aux  côtés  de  sa  femme,  sauf  dans  des  actes 
mémorables,  tels  que  des  fondations  religieuses,  et  il  paraît  hors 
de  doute  que  lui  aussi,  à  tout  le  moins  pendant  les  premières  an- 
nées de  son  mariage,  subit  l'ascendant  de  cette  femme  supérieure. 
Dans  plusieurs  des  actes  oii  ils  comparaissent  ensemble,  passés  en 
Anjou  et  où  parsuite  Geoffroy  parle  le  premier, il  ladésigne  comme 
sa  très  chère,  1res  noble  et  très  sage  épouse  (3).  Il  n'agissait  pas 
autrement  que   les    rédacteurs  des  chartes  des  abbayes,   qui, 
rompant  ;tvec  leurs  habitudes  de  ne  donner  aucuns  qualilicatifs 
aux  comles  ou  aux  grands  seigneurs  donl  ils  avaient  à  ciler  les 
noms,  n'épargnent  rien  pour  témoigner  leurs  senlimenlsà  l'é- 
gard d'Agnès  :  c'est  la  très  vénérable  et  très  sage  comlessc,  qui 
en    toutes   circonstances  témoigne  de  ses  sentiments    pieuv  en 
vérilable  amante  du  Seigneur  ;  c'est  la  comtesse  que  Dieu  a  dotée 
de  nombreux  dons  et  pourvue  par  lui  de  ses  bienfaits  autant  que 
ses  mérites  peuvent  l'en  rendre  digne   {4).  Ces  louanges  exces- 
sives sont  plutôt  un  elîel  de  la  crainte  que  de  l'alTeclion;  il  valait 
mieux  être  de  ses  amis  que  de  ses  ennemis.  Certains  même  la 


{i)  Voy.  les  chartes  des  obbayes  Je  Sainl-Maixeut,   de   Saiut-Jcan  d'Aopély,  de 
Saiule-Croix  de  Talmond,  et  Bcsiy,  ///*/.  des  comtes,  preuves,  pp.  3 1 4-328  bis. 

(2)  A.  Richard,  Charles  de  Saittt-Maixent^  1,  p.  1 15. 

(3)  MiirchejrBy,  Archives  irAfiJon,  p    377,  Cnrl.  de  SaiQl-Maiir. 

[!i)  A.   ilicliiirJ,    Chiirli-s  f/f  Sainl-Miii.rent,  1,  p.   ii>j;  Alurc[iei;iiy ,  Chaiifs  poil, 
de  Sairil-Floreat,  Arch.  hist.  du  Puitoa,  11,  p.  8;^. 


GUILLAUME  AIGRKT 


a  39 


mellaîent  sur  le  mêmie  pied  que  son  mari,  tel  que  ce  moine  de 
Sainl-Florenl,qui  écrivait,  vers  1040,  que  le  comte  GeolTroy  et  la 
comtesse  A^^nès  gotiveriiaienL  les  comlùs  de  Poitou,  d'Anjou  et  de 
Touraine(l), 

Il  semble  que,peiidanl  loule  la  minorité  de  son  tils  aîné,  Agnès 
ail  évité  de  se  prononcer  sur  la  part  qui  reviendrait  à  celui-ci 
dans  la  succession  de  ses  frères.  Dans  les  préambules  des  actes 
il  est  bien  désigné  le  premier,  mais  le  nom  de  son  frère  Guy 
suit  immédialemenl  el  ces  premières  lignes  d'une  charte  de  l'ab- 
baye de  Sairit-Maixent,  du  21  août  lÛ4i,  nous  paraissent  indiquer 
d'une  fa<;.un  précise  quelle  était  en  ce  momenl,  c'est-à-»iire  de- 
puis 1039,  ta  vérilaLle  situation  politique  du  Poilou.  «<  En  ce  temps, 
est-il  dit,  Guillaume,  (Ils  du  duc  (iuillaume,  et  son  frère  nommé 
Guy,  ainsi  que  leur  mère  la  comtesse  Agnès  possédaient  le  pays 
de  Poitou,  et  avec  l'aide  de  GcutTroy,  beau-père  des  jeunes  comtes, 
le  gouvernaient  avec  une  vigueur  et  un  zèle  extrêmes  (2)  >.  ;  il 
arrive  même  IVéqtiemmenL  que  le  comte  d'Anjou  n'est  pas  indiqué 
et  qu'Agnès  apparaît  seule  en  possession  du  pouvoir,  comme  dans 
ce  cas  où  Ton  voit  le  rédacteur  d'un  acte  dire  que  ces  choses  se 
sont  passées  :  «  Au  temps  où  la  comtesse  Agnès  était  à  la  tèle  du 
pays  de  Poilou  avec  ses  fils  (juillaurae  et  GeolTroy  et  administrait 
vigoureusement  le  duché,  autant  qu'il  était  en  son  pouvoir  (3)  h, 
ou  bien  encore  plus  simplement  :  «  Alors  que  régnaient  en  Poi- 
tou le  comte  Guillaume,  son  frère  Guy  et  la  vénérable  comtesse 
Agnès,  leur  mère  (4)  ». 

Il  est  probable  qu'en  laissant  dans  le  doute  la  part  qui  reviendrait 
a  chacun  de  ses  enfants,  .Agnès  voulait  éviter  toute  déperdition  des 
forces  du  pouvoir  sou%'erain,  bien  plus  puissant  si  elles  convergeaient 
vers  une  seule  main,  c'est-à-dire  vers  la  sienne.  Celte  habitude 
survécut  au  partage  qui  se  lit  en  1044  et  l'on  voit,  vers  1040, 
Geoffroy  Martel  désigner  les  deux  enfants  de  sa  femme  sous  laqua- 
lilicalion  commune  de  comtes  de  Poilou,  comités  Pidaoenses  (5). 

(1)  Arch.  hist.  du  Poitoiiy  II,  p.  44,  Chartes  poil-  de  Saint-Flûrenl. 

(2)  A  IlicharJ,  Chartes  de  Saint' Maixent,  I,  p.  iSa. 

(îi)  A,  Richard,  Charte»  de  Saint-Maixent,  I,  p.    laS,  et  encore  pp.  ia6,   149, 

(4)  A,  Kichard,  Charles  de  Saint-Mai.vent,  I,  [).  12O. 

{ il  Arch.  h1.1t.  du  Poitou,  I,  p.  ii,  Cart.  de  Sainl-Njculas. 

Ou  puul  eucure  citer   ce  pasisu^c  de  lu  cUurte  de  daiiuiiuu  Je  Fiiuire  du  mois  de 


Il  y  a  loulefois  lion  ili'  remarquer  (ju'tîlle  fil  prendre  à  son  (ils 
fMc'rrc,  dans  les  actes  officiels,  le  nom  de  Gtiillaume.  Ce  nom 
<''lail  devenu  en  quelque  sorlo  palronymique  ol  s'appliqii.iil  à  la 
flynaslie  des  comtes  de  l'oilou,  dont  il  indiquait  la  st-rie  ininler- 
rompiie.  Eudesne  le  porla  pas  et  sembla  par  suite  devoir  être  lenu 
en  dehors  de  la  suite  directe  dos  comtes,  c'esl-à-dire  ôlre  con- 
sidéré comme  un  usurpateur,  justifiant  par  là  la  lutte  engagée 
contre  lui  par  Agnès.  Il  n'est  pas  impossible  du  reste  que  bien 
avant  rette  époque  elle  n'ait  eu  rinlcnlion  do  désigner  son  fiîsaîné 
comme  le  successeur  évenluol  de  Guillaume  le  Grand  et  n'ait 
clierclié  h  lui  faire  porterie  nom  de  Guillaume,  de  préférence  à 
cetui  de  Pierre,  sous  lequel  le  jeune  prince  ne  cessa  pas,  du  resle, 
d'être  communémenl   désigné  (I). 

Néanmoins  ses  contemporains  lui  donn^rent  un  surnom  que 
lliisloire  a  conservé,  celui  d'Aigrct,  qui  doit  cire  prison  bonne 
part,  emportant  la  signification  de  vif,  de  t^rave  et  dont  la  forme 
latine  était  Acer  (2). 

Le  premier  actedanslequelonvoiejntervenirle  nouveau  comleesl 
du  maisde  juillet  1039,  quatre  mois  seulement  aju'èsla  mort  d'Eu- 


juitlel  io3r},  où  Guîll.iunic  àe  Parthenay  parle  de  la  coinlesse  Agnès  et  de  sesdctis 
lils,  «nos  deux  coiiilcs,  n  dil-il  (lîesly^  //ist.  des  comtes,  preuves,  p.  3i6  bis). 

(i)  C'est  ce  (lui  paraît  ressorlir  du  relevé  des  sûuscri[>li(}ns  qui  se  trouvent  au  l>a9 
iîe  In  donnlion  de  l\t)leu  de  Hrêjcuille,  Brfiijeli<if  sur  la  Dive,  t'aite  vers  loa'i,  par 
Adelinc  et  son  Gla  Uuri^on  à  Hugues  de  Lusignan,  dont  il  a  et»'-  parle  plus  haut, 
]i.  ![)(>,  nule  2 

(2)  La  cliruniijuc  de  SaiuL-Mnixenl  (paç.  388)  désii-nc  aîusi  le  comte  de  Poilou  : 
u  Fclrum  cotînomine  Acerrimum  »,  cl  ailleurs  (page  4<'o}  :  «  Willclcnus  qui  et  Pelrus 
ciii^^nomenlo  Acer  »;  d'aulie  part,  uue  charte  du  rarlulairc  de  Sainl-CvpricQ  de  l'oi- 
ti»Ts,  que  Ion  peut  dater  de  l'aun/c  io/|0,  porte  ceUc  souscription  :«  S.  Willelmi  Ai- 
çret  cûniitis  »  {Aicli.  iiisl.  tiii  /'uiV'yw,  II,  p.  2()t).  On  ne  saiiraît  douter  que  de  son 
viviinl  l'ierre-tiuillaumc  n'ait  porte  ce  surnom  ;  il  lut  est  oFficicItemetit  donné  daus 
la  cliarlc  par  laquelle  Açaès  concède  vers  io5o  à  l'abbaye  de  Saint-Jean  d'Ans^cly  les 
coulumes  dudil  lieu  eldaushiquclle  elle  indique  cxpresséraent  qu'elle  est  venue  àSaiul- 
Jcan  avec  le  coin  te  de  Poilou,  (luilLtume,  qui  csl  surnnmmc  Aigrel,  «  qui  cof^ominalus 
C8l  Ali^rcl  »  I  llcsly,  f/isf .  des  comtes,  preuves,  p.  ^28  bis';.  Agnès,  abbesse  de  N.-D. 
de  Saintes,  ayant  vers  rt.îo  à  rappeler  les  dons  faits  par  des  comtes  de  Poitou  à  son 
monastère. cite  Icauoms  des  fils  d'Açuès,  Guillaume  Aigret  et  Guy  {Cart.de  N. -D.de 
Sni/ifes,  p.  l'i'Sj.  Dans  Vlh'stoirr  des  comtes  de  /*o/c/oh,  Pïcrrc-Guillaumc  est  appelé 
le  Hardy  (p,  fj/j  ;  celte  dénonuuation  est  moderne,  elle  futetnpruutée  par  Besly  à  Viuct 
qui  crut  devoir  interprt^ter  de  celte  Façou  le  mol  Ai^^rel,  dont  le  sens  ne  lui  piiraissaîl 
pas  très  clair.  Ce  surnom  d'.\!çret  n'est  pas  particulier  à  Guillaume  V;  on  le  ren- 
contre à  diverses  dates  dans  les  toxt<'s  poitevins  et  nous  cilcrniis  en  partirufier,  au 
xw  siècle,  (I  Grtulcrius  Aigrct,  »  arciiiprclre  de  Parcds  [Arch.  hist.  du  Puituii,  I, 
p.  62). 


GUILLAUME  AlGRET 


»4' 


dos.  C'esl  le  début  do  la  politique  d'Agnès,  qui,  pour  as^surer  la 
(ranqiiillilédu  pays  où  elle  venait  de  revenir  en  souveraine,  chetcha 
promplemenlà  s'allirerde  nouveaux  adhérents.  Dansce  but,  elle 
s'allacha  à  gagner  les  élablissemenls  religieux  que  Guilhiuuie  le 
Gros  avait  particulièrement  favorisés  et  spécialement  Sfiinl-Joan 
d'Angély,qui  avait  été  >ori  séjour  de  prédilection.  Nott  seulement 
L'Ile  fit  faire  parle  comte  une  doualion  iuiporlanle  à  celle  abbaye, 
mais  encore  elle  obliiil  d'un  de  ses  fidèles,  Guillaume  de  Par- 
Ihenay,  que  celui-ci  lui  abandonnai  des  droits  qu'il  possédait  dans 
la  localité  de  Priaire,  et  qu'il  tenait  de  la  comtesse  Adèle  (1).  Il 
est  à  remarquer  que,  dans  cet  acte,  rédigé  sous  l'inspiration 
d'Agnès,  elle  fil  donner  à  son  fils  la  qualification  de  Guillaume  le 
Jeune,  par  opposition  à  celle  de  Vieux,  portée  par  Guillaume  le 
Grand,  dont  elle  tenait  à  le  présenter  comme  l'héritier  direct  et 
immédiat  (2). 

Elle  rail  aussi  la  main  sur  l'abbaye  de  Saint-Mai\eut,  en  y 
faisant  élire  abbé  le  fils  d'un  de  ces  seigneurs  de  Gàtine  qui  lui 
avaient  prèle  une  aide  si  efficace,  Archembaud,  dont  elle  ÉH  quel- 
ques années  après  un  archevêque  de  Bordeaux,  et  qui  fut  toute 
sa  vie  un  de  ses  conseillers  préférés  (3).  En  retour,  celui-ci 
lui  abandonna  quelques  portions  des  domaines  de  l'abbaye 
qui  lui  servirent  à  récompenser  ses  partisans.  C'est  ainsi  qu'un 
chevalier,  nommé  Hainaud  Berclio,  assurément  encore  un  fiâti- 
neau  (4),  obltnt  d'elle  l'alleu  de  Thorignô  ;  c'était  uu  domaine 
fertileet  dont  ledonatairelinlîi  s'assurer  la  possession.  Dans  ce  but 
Bercho,  qui  nous  apparaît  comme  un  habile  homme,  afin  de  se 


pj  D.  Foatencau,  Xdl,  p.  lOi  ;  Ucsiy,  iiislnirc  dfs  comtes,  preuves,  p.  Si')  Lis. 

|ï)  Le  même  suraoïn  de  Jeuue  usL  donné  au  comte  de  Poitou  dans  une  cbarte  Je 
l'abbnye  de  Boursfueil  (Cari,  mun.,  p.  .iti)  publiée  par  Besly  {//ist.des  com/M, preu" 
▼es,  p.  3/ji  1ns), 

(3/  Plusieurs  historiens  ont  avaacé  qu'Archembaud  appartenait  à  la  famille  de 
Paribeany  et  que  c'est  ù  la  suite  de  son  élévation  à  rarchcvéché  de  Bordeaux  que  les 
seigneurs  de  l'arlhenay  ont  pris  le  surooni,  ttevetm  par  la  suite  bcrédilaire  chez  eux, 
de  Larchev(^que.  fila  cela  ils  se  trompent:  l'ai>bc  de  SaiDi-Maixent  cliiit  le  HIs  de  Hai- 
naud,  et  le  Frère  de  Uernard  Tircuil,  de  Tbeliuiit  et  de  Kulnnud,  jiussessionnés  eu 
Gillinc  el  qui  ont  assurément  douné  leur  nom  au  bouru;  de  la  Cbapclle-Tireuil  (Voy, 
A.  Richard,  Charles  de  Saint-Mai.venl,  !,  pp.  lxxiv,  lxxvJ.  L'archevêque  de  Bor- 
deaux, à  qui  les  seigneurs  de  Partbeuay  out  eniprualé  leur  suraoui,  est  Joscelia, 
successeur  d  Archembaud. 

(4)  Il  nous  semble  présuniablc  que  le  domaioe  de  la  Bercholière,  commune  do  lu 
Boissicre-en-GAline,  a  tiré  son  nom  de  celui  de  la  familte  Bercho  ou  Bercboz. 

i6 


a^a 


LES  COMTES  DE  POITOU 


DicUreen  fcarde  coiilre  uniMeveiidicalian  possible,  le  coniraire  de 
ce  qui  venait  de  se  passer  pouvant  bien  se  présenter  dans  l'avenir, 
vint  déclarer  aux  moines  qu'il  ne  se  considôrail  que  comme  un 
possesseur  viager  de  Thoriû[né  et  par  le  moyen  de  celte  condes- 
cendance il  oblinl  d'eux  la  confirmation  du  don  d'Agnès,  auquel 
acquiesça  aussi  le  frère  d'AelVed  de  Bri/ay,qui  avait  précédem- 
ment donné  ce  domaine  à  l'abbaye  et  pouvait  le  revendiquerai  ). 
Ce  fait  n'est  pas  isolé,  car  on  sait  par  l'histoire  de  sa  vie  qu'Agnès 
était  généreuse  envers  ceux  qui  la  servaient  bien,  mais  aussi  que 
souvent  ses  largesses  se  produisaient  au  détriment  d'autres  per- 
sonnes ;  c'est  ainsi  que  l'abbaye  de  Saint-Maixeni  lui  dut  encore 
la  perle  de  ses  droits  do  coutume  à  Monlamisé  (2). 

Elle  aimait  aussi  à  faire  des  libératîlés  aux  établissements  reli- 
gieux, car,  dit  le  chroniqueur,  elle  avait  beaucoup  à  se  faire  par- 
donner (cl),  mais,  tout  en  y  contribuant  grandement  de  ses  de- 
niers, elle  savait  amener,  de  gré  ou  de  force,  ses  proches  ou  des 
gens  de  son  entourage  à  Fimiler.  C'est  ce  qui  apparaît  lorsque, 
peu  après  son  mariagn  avec  (îeolTroy  Martel,  afin  d'obtenir  que 
TKglise  oubliât  ce  que  les  chroniqueurs  appellent  son  inceslejclle 
fonda,  à  Vendôme,  une  abbaye  sous  le  vocable  de  la  Trinité. 

La  dédicace  de  ce  monastère  se  fil  avec  la  plus  grande  pompe  le 
31  mai  1040,  en  présence  du  roi  de  F'rance,  du  duc  d'Aquitaine, 
et  d'une  nombreuse  assistance  dans  laquelle  on  remarquait  encore 
jiius  declievalierspoitcvinsqued'ant;(!vins;  aux  côlés  de  Guillaume 
Aigrel  se  tenaient  Guillaume-Audouin,  le  comle  dépossédé  d'An- 
goulôme,  Guillaume  de  Parlhcnay  avec  ses  (Jàlineaux,  Manassès, 
lefrèrederévéque  de  Poitiers,  en  un  mot,  lousceuxque  la  comtesse 
avait  attachés  élroilement  à  sa  forlune.  Aj^ni^s  et  son  mari  cons- 
tituèrent à  rélaldi-^sement  qu'ilscréaient  une  dotation  importante, 
composée  de  domaines  situés  non  seulement  dans  l'Anjou,  mais 
encore  en  Poitou  et  surtout  en  Saintonge,  Parmi  ces  derniers 
il  devait  s'en  trouver  qui  faisaient  partie  du  douaire  qu'Agnès 
n'avait  pu  manquer  de  se  faire  reconnaître  par  GeonVoy  Martel 


(i)  A.  Uicliard,  Chartes  de  Soi'nl-Mni.rfni,  1,  p.   ia8. 
(a)  A.  Ilicliard,  Chartes  de  Saini-Maijcenl,  I,  p,   i^o. 

(3)  <>  Ouc  domlaa,  si  ia  multis   Dnmioum  oiFeodil,  itcrum  ia  niultis    eum  plaça- 
vil  u  (Marche^ay,  Chron.  des  éji.  d'Anjou,  p.  3r)7,  Soinl-Mni.xeul). 


GUILLAUME  AIGRFT 


a43 


dès  qu'il  ftil  en  possession  de  ce  dernier  pays.OiiIre  ces  donations 
communes  aux  deux  époux,  il  en  élait  de  parliculières  k  chacun 
d'eux;  lel  ôkiil  le  cas  de  r<?glise  et  du  domaine  de  Puyravault 
et  de  ce  qui  pouvait  appartenir  h  la  comtesse  dans  l'écluse  du 
pont  de  Saintes,  pour  lesquels  il  fallut  que  le  comte  de  Poitou 
donnât  son  aulorisalion  spéciale  (t). 

Le  clergé  ne  fit  pas  défaut  à  cotte  solennilé,  mais  on  constate 
que  l'action  d'Afjnès  s'était  liien  plus  énergiquemeni  exercée  à 
l'égard  des  dignitaires  ecclésiastiques  du  Poitou  qui  se  rendirent 
en  foule  ù  la  convocation,  que  sur  les  Angevins,  bien  moins 
nombreux  qu'eux.  On  y  trouve  en  effet  les  évoques  de  Poitiers, 
de  Sainles,  d'Angouléme  et  d'Albi,  les  principaux  membres  des 
chapitres  calhédraux  de  Poitiers,  dWngoutème  et  de  Saintes, 
le  clmntre  de  Suinl-liilaire-le-Grand  de  Foiliers  et  les  abbés  de 
Charroux,  de  Saint-Jean  d'Angély,  de  Nanteuil-cn-Vallée,  de 
Saint-Savin,  de  Saint-Michel-cn-Lherm,  do  Saint-Maixent,  de 
Luçon,  de  Quinçay  et  de  Saint-Martial  de  I^imoges,  qui  tous 
furent  témoins  des  concessions  de  privilèges  faites  à  la  nouvelle 
abbaye  par  l'archevêque  de  Tours  et  l'évêque  de  flharlres  (2). 

Du  reste,  peu  aprës  la  délivrance  de  ces  actes,  Agnès  fit  de 
nouvelles  démarches  auprès  de  son  fils  pour  obtenir  de  lui  qu'il 
confirmât  Pensemble  de  la  donation  des  biens  sur  lesquels  il 
avait  droit  de  su/erainelé.Ils  consistaient  dans  l'église  de  Saint- 
Georges  d'Ole ron,  les  boîs  de  Sainl-Aignan  el  de  Coulorobiers, 
la  moitié  des  lorrains  mis  en  culture  dans  la  Ibrôl  de  Marennes 
et  les  églises  construites  dans  celle  furet,  la  moitié  des  cens  de 
sèches  en  Saintonge  et  l'église  de  Puyravault  avec  ses  dépen- 
dances, tous  domaines  compris  dans  Pacte  primitif-  Guillaume 
y  ajouta  l'église  de  Notre-Dame  de  Surgères  el  le  bois  de  Fié. 
Tous  ces  biens  étaient  situés  en  Saitïtonge;  quant  à  ceux  du  Poi- 
tou faisant  partie  des  donations  de  sa  mère,  h  savoir  l'église 
d'Availlesprès(-hi£é  el  la  moitié  de  l'église  d'Olonne  avec  ses  dîmes 
et  ses  salines,  il  en  confirma  en  même  temps  l'ahandon.  Il  n'est 
toutefois  pas  question  dans  ce!  acte  du  domaine  de  la  Peyre  de 
Jaunay,  de  deux  maisons  sur  le  marché  de  Poitiers  et  d'une  autre 

(i)  Teulet,  Lni/ettes  dn  Trésor  des  Chartes,  I,  p.    i8. 
(2)  Mêlais,  Cort.  de  la  Trinité  de  Vendômf,  I,  pp.  8.'»-f)o. 


LKS  COMTES  DE  POITOL' 


maison  dans  le  fauboiiriî  dft  la  ville.  ('Minncés  daur^la  charle  de  fon- 
dation de  laTrinilii  el  qui  dans  l'inlervalio  avaient  sans  doule  été 
échangés  pour  d'autres  domaines.  Kn  cemomrnt  Guillaume  Aigret 
était  assurément  de  retour  à  Poitiers;  sa  mère  n'était  pas  à  côté 
de  lui,  mais  on  y  trouve  deux  vicomtes  du  Poitou,  Egfroi  de  Chà- 
telleraull  el  Guillaume  d'Aunay,  ainsi  que  la  plupart  des  assis- 
tanlsdes  fêles  de  Vendnme,  tels  que  le  comte  Guillaume-Audouin 
Manassï'S,  Aimeride  Uancon.  Guillaume  de  Partlienayet  aulres(i). 

Puis  ce  fut  au  tour  de  l'ubliuve  deSainl-Rorent  de  Saumur  de 
se  ressentir  des  générosilés  d'Agnès.  En  104-3,  elle  lui  donna  le 
domaine  des  Fosses,  primitivement  nommé  Beltron,  situé  entre 
Niorl  el  Chixé,  et  que  de  gré  ou  de  force  elle  s'élait  fait  aban- 
donner par  les  religieuses  de  Sainte-Croix.  Dans  ce  but,  elle 
s'éluil  rendue  au  mois  do  juin  à  Poitiers  pour  y  lenir  sa  cour, 
accompagnée  de  son  mari,  du  vicomte  de  ChAfelIeraull  el  de  tous 
les  seigneurs  de  son  entourage  ordinaire  ;  li's  évoques  de  Poitiers 
et  d'Angoulôme,  lesabhés  de  Maillezais,  de  SainI  Cyprien  el  de 
Noaillé,  consacrèrenl  par  l'aulorité  de  leur  présence  le  renonce- 
ment de  Pélrnnille,  abbesse  de  Sainte-Croix,  el  de  ses  religieuses; 
celles-ci  du  reste  ne  tViisaienl  que  ratifier  une  usurpation  ancienne, 
car  la  comtesse  jouissait  de  ce  domaine  depuis  longlemps  par 
suite  de  l'abandon  que  lui  en  avaient  fail  les  abbesses  précé- 
dentes. Elle  obtint  en  mémo  lemps  que  le  vigiiier  de  Melle  renon- 
çât aux  droits  inbéi-ents  h  ses  fonctions  qu'il  possédait  sur  ce 
domaine  des  I"'osses  (2). 

Agnès  ulilidl  encore  le  couîsentement  de  l'abbessc  Pélmnille 
pour  faire  don,  à  la  même  altbaye  de  Sainl-Florenl,  de  l'église  de 
Sainte- Hadegonde  de  Villeneuve  d'Argenson,  qui  avail  été  usurpée 
sur  Sainte-Croix  par  quelques  seigneurs  el  qu'elle  leur  enleva  à 
son  tour  (3).  Enfin  il  est  à  croire  que  c'est  pour  lui  ôlre  agréable 

(i)  Mctais,  Carliil,  saint,  de.  la  Trinité  de  VendAme,  p.  43.  Cet  écrivnin  pince 
ccUe  chnric  entre  les  nnnécs  io/|2  et  io58,  mais  elle  ne  peut  être  postérieure  k 
l'onoéc  io4ti,  tliilc  de  In  mort  d'E'jjfroi,  vicomte  de  Cliàlclleraiilt,  el  elle  est  probable- 
ment de  l'nnnt'e  io/(o,  comme  In  clinrle  primilivc  «  laquelle  elle  venait  donner  loule 
consfcrtilion  iN'oy.  niisii,  pour  le  relevé  des  domaiuesdc  Saîoloo'îft  donnés  par  Ag^nès 
)'i  la  Trinité,  les  pièces  reproduites  nux  paçes  33,  34,  3'),  4/|  cl  4^  du  même  recueil, 
dont  nous  avons  corriçc  (juclqucs  atlributfons  çéoçrapbiques. ) 

(a)  Arcli.  hiit.  dn  Poilni?,  il,  pp.   S.'i,  87,  89,  90,   Charles  poil,  de   Sainl-Florcnt. 

(3j  Arch.  hisl.  du  Hoihiti,  II,  p.  84,  Cliart.  poit.  de  Saiut^Floreal. 


GUILLAUMR  AIGRRT 


245 


qiio  Guinaume  voulut  bien,  en  ce  qui  le  concernait,  reconnallre 
à  l'iibijayc  de  Saint-Maur-sur-Loirc  la  possession  de  l'é^lis**  de 
Coiicourson,que  lenaiLdolui  en  bénéfice  le  vicomte  de  Thouarsel 
que  celui-ci  avait  inféodée  à  un  particulier  qui  en  avait  fait  don 
au  monastère  (1). 

Deux  faits  importants  dans  la  vie  d'Agnès  signalèrent  Tannée 
suivante  :  le  mariage  de  son  fils  Guillaume  Aigret  et  la  procla- 
mation do  sa  majarilé.  Comme  il  était  h  su|)]>oser  que  par  ce  der- 
nier acte  il  écliapperail  quelque  peu  à  l'influence  que  sa  mère 
exerçait  sur  lui,  celle-ci  lui  cljcrclia  une  femme  et  nous  pouvons 
être  assuré  qu'en  politique  avisée  elle  fixa  son  choix  sur  une  per- 
sonne qui  ne  pouvait,  soit  par  elle,  soit  par  les  siens,  lui  inspirer 
aucune  crainte;  la  jeune  comlesse  s'appelait  llermensende,  el 
n'estconnue  que  par  l'affcclion  profonde  qu'elle  voua  à  son  mari; 
d'autre  part  elle  devait  appartenir  à  une  famille  qui  élait  alors 
assez  peu  en  évidence  pour  qu'aucun  texte  ne  nous  ail  fourni  la 
moindre  indication  sur  son  origine  (2).  Guillaume  devait  donc 
atteindre  ses  vingt  et  un  ans  en  lOil,  et  la  comtesse  sentait 
que  la  situation  qu'elle  avait  établie  et  qu'elle  maintenait  depuis 
cinq  ans  ne  pouvait  se  perpétuer.  Son  rùle  de  régenle  allait  ces- 
ser el  il  élait  bien  délicat  de  laisser  le  pouvoir  indivis  entre  ses 
deux  fils;  c'est  alors  que,  continuant  les  traditions  de  toute  sa 
vie,  elle  songea,  sans  avoir  à  démembrer  le  duché  d'Aquitaine,  à 
donner  satisfaction  à  chacun  d'eux.  Elle  fit  tenir  k  Poitiers  un 
grand  plaid  où  furent  appelés  tous  les  vassaux  du  duché,  et  là, 
assistée  do  son  mari,  elle  fil  reconnaître  Guillaume  en  qualité  de 
comte  de  Poitou  el  de  duc  d'Aquitaine,  tandis  que  l'on  attribua 
le  comté  de  Gascogne  à  GeolVroy  qui,  Jrgalcmenl,  n'y  avait  aucun 
droit.  Dans  son  ambition  excessive, elle  ne  craignit  pas  de  poser 


(i)  Marchegay.  Archives  d'Anjou,  p.  3Cf),  Cart.  de  Sainl-Maur. 

(2)  Lu  cbrouique  Je  i'Dviérc,  suivie  ea  ccl»  parcellecle  SaiQl-Maixenl,qui  l'a  copiée, 
place  cet  événcmeal  en  io5i  (Marchegay,  Chron.  des  égt.  d'Anjou,  pp.  1O7  cl  398), 
mais  creUe  aUés^ation  tombe  devant  Je  texte  formel  de  la  charte  de  SaiiU'Maixcnt,doDt 
l'original  nous  a  été  conservé  (A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Mai jrent,  I,  pp.  i34- 
i36),  qui  dit  iorrnelleincDl  que  GuiliiMime  était  marié  en  io/|j.  Cette  charte  donne  à  la 
comtesse  les  uouts  d'  n  Hernicnsemlia  «et  d'  "  Ermcosendis  »;  on  relève  aussi  celui 
d'  «  Ërmcnfteidiis  i>  dans  In  Chmii.  de  Suint-Afaixent,  p.  898,  d'  «  lieriiiisindis  » 
dans  Besly,  Comtes  de  Poitou,  preuves^  p. 333  bis,  d'après  Pierre  Uaniieu,  cl  d'  c  Er- 
mesendis  »  dans  le  cartulaire  de  Taimond,  p.  77. 


r.ES  COMTES  DE  POITOU 

son  fils  comme  liériUcr  du  malheureux  Eudes,  s'emparanl  ainsi 
sans  vergo^'ne  des  dépouilles  de  sa  viclime  (ï). 

lin  des  premiers  acles  d'Ai^'ni's  qui  suivirenl  ce  grand  événe- 
ment fui  sans  doule  ladonalion  qu'elle  fil  à  laTriniléde  Vendôme 
de  la  moilié  de  l'église  de  Villerable,  dans  laquelle,  outre  elle  et 
son  luari,  on  voil  apparaître  Guillaume,  duc  des  Aquitains,  Guy- 
Geoffroy,  pourvu  du  litre  de  comte,  et  Robert  le  bourguignon, 
neveu  d'Agnès,  fils  de  sa  sœur  Maliaull  et  de  Landri,  comte  de 
Nevers{2). 

Bien  que  de  droit  il  fiU  émancipé,  (îuillaume  resta  de  fait  de 
sous  la  tutelle  de  sa  mère  ;  c'est  ce  que  nous  apprend  naïvement 
un  simple  rédacteur  de  chartes.  Vers  celte  époque,  en  1044  ou 
1045,  un  chevalier,  Hélie  de  Vouvarit,  queTon  voil  en  juin  10t3aux 
cùlésdu  comte  lors  des  donationstiu'iifit  à l'ahbaye  de  Vendôme, 
eul  des  diflicultés  avec  son  suzerain.  Or,  dans  Tacle  qui  rapporte 
ce  fait,  il  est  dit  que  ce  fui  Agnès  qui  lit  marcher  contre  lui  ses 
troupes,  et,  «  selon  son  habitude  »,  s'empara  de  Vouvcnl  (3); 
elle  en  chassa  llélie  et  confia  la  garde  du  château  au  fils  d'un 
chevalier  nommé  Uaimond,qui  en  avait  été  autrefois  le  détenteur. 
Celui-ci  abusa  de  sa  situation  pour  vouloir  imposer  certains  droits 
sur  les  domaines  que  l'abbaye  de  Saiiit-Maiveat  possédait  dans 
celle  région;  l'abbé  Archembaud  s'adressa  au  comte  el,  profi- 
tant de  ce  qu'il  se  trouvait  à  Sainl-Maixent  cinq  jours  avant  Noël 
avec  sa  femme  el  sa  mère,  il  lui  fil  consentir  l'ahandon  de  tous 
ses  droits  en  faveur  de  l'abbaye  et  obtint  même  le  cadeau  d'autres 
domaines  importants.  Il  est  intéressant  de  remarquer  que  l'abbé, 
pour  assurer  plus  etficacemeal  la  perpétuité  de  ce  don,  chercha 
à  lui  allribuer  le  caractère  d'une  venle  en  faisant  à  son  tour  cadeau 
au  comte  d'une  somme  de  300  sous  en  argent  el  d'un  cheval  valant 
500  sous,  et,  d'autre  part,  que  le  scribe,  qui  se  conlenlede  signaler 
la  présence  d'Hermensende  aux  côtés  de  son  mari,  rapporte  que  le 
duc  Guillaume  et  sa  mère  Agnès  gouvernaient  alorsrAquilaine(l). 

(i)  Marche^ay,  Chron,  des  tgl.  d'Anjou,  p.  3y'i,  SainlMaixcnt.  Le  chroniqueur, 
en  relatant  ces  (ails,  ajoute  que  les  deux  princes  tirenl  )*uii  et  l'autre  Jci^ranJes  choses. 

(a)  Metals,  Curtiil.  de  ta  Trinité  de  Vendôme,  I,  p.  127. 

(3i  Bruel,  Charles  de  Clunij,  IV,  p.  54. 

(4)  A.  Richard,  Chartes  //<■  Sinnt~Muij:enti  I,  p.  i3G.  Si  l'oa  rccoimnil  au  sou 
d'arji^eDl  à  cette  éporpie  la  valeur  de  cinq  francs  de  uulrc  iiiounaie  actuelle,  un  vijili|uc 
le  cheval  douiiè  par  les  moines  de  Saiat-Maixcat  au  comte  élail  apprécié  2.5oo  fraDCii. 


GUILLAUME  AIGRET 


24? 


Cetaccord  ne  fui  pas  ratifié  par  Gtiy-GeofTroy,  pour  lors  abseiil,  et, 
malgré  la  précaulion  prise  par  Archeuibaud,  ce  dernier  comle  ne 
se  gêna  pas  plus  Lard  pour  donner  à  l'acle  le  caraclère  d'une 
concession  gracieuse  et  pour  enlever  aux  moines  de  Sainl-Maixcnt 
les  domaines  el  les  prérogatives  qui  en  faisaient  l'objet  (!). 

La  plupart  des  documents  de  celte  époque  ne  portant  pas  de 
signes  chronologiques,  il  est  bien  difïicile  d'assigner  une  date 
précise  à  des  faits  relativement  importants  s'ils  n'ont  pas  été 
relevés  par  les  chroniqueurs.  Ceux-ci  nous  apprennent  bien  qu'en 
1042  régna  une  grande  famine  ;  qu'il  en  surgit  une  nouvelle  en 
10 44,  qui  fut  encore  plus  terrible,  et  nous  savons  par  un  acte  au- 
thenlique  que  la  pénurie  du  blé  dut  ûtre  bien  grande  puisque  l'on 
voit  des  meuniers,  poussés  par  la  faim,  se  trouver  dans  la  néces- 
sité de  se  défaire  de  leurs  moulins.  Nous  apprenons  déplus  par  ce 
dernier  documenl  que  le  roi  de  Krance,  Henri  I.se  trouvait  alors  en 
Poitou  elque  la  cessiund'un  de  ces  moulins  se  fil  en  sa  présence,  ci 
Sainl-Ma«xenl,où  il  se  trouvait  avec  le  comte  de  Poitou,  sa  mère 
et  son  frère  (2).  C'est  tout  ce  que  l'on  sait  du  voyage  d'Ilenri- 
nous  ignorons  pareillement  à  quel  moment  Agnès,  pour  défendre 
Poitiers,  qui  du  côté  du  plateau  avait  depuis  longtemps  débordé 
en  dehors  de  Tenceinle  romaine,  fit  établir  un  élang  au-dessous 
de  celui  de  Saint-Ililaire,  transformant  ainsi  en  une  vaste  nappe 
d'eau  le  vallon  de  Ja  Boivre  (3). 

C'est  encore  vers  celte  époque  que,  pour  libérer  le  comte  de 
Poitou  de  l'obligalion  de  fournir  des  sèches  aux  moines  de  Cluny, 
la  comtesse  Ot  abandonner  par  ses  enfants  h  celte  abbaye  leur 
droit  de  monnayage  à  Saint-Jean  d'Angély  cl  les  coutumes  qu'ils 
percevaient  à  Mougon  (4), 


(i)  A.  Richard,  C/iarlesde  Saint-MaLvenI,  I.  p.  153. 

(al  A.  Richard,  Charles  de Sainl-Muij^cnt^  1,  p.  t38.  D'après  les  iodications  coD- 
Icnucs  dans  la  charte,  on  voit  que  ccllocî  doîl  iMrc  placée  après  la  prise  de  possession 
de  Tarchevéché  de  Bordeuux  par  ralitiê  ArchemLaiid,  «  qui  nuûc  est  urclùepiscopus 
efTectus  »,  laquelle  eut  lieu  en  \»!\h  ou  io/)0. 

(3)  Ccl  élauj^  fut  donné  plus  tard  par  Guy-Geoffroy  à  Monlierueuf,  tors  de  la  fon- 
dalion  de  celle  althaye,  doul  îJ  prit  le  nom.  I>a  gare  de  Poitiers  el  ses  dépendances  en 
occupcnl  aujuurd  hui  l'eriiplncciiienL  [V'oy.  Arch.  Itist .  du  Poitou,  XXIX.  p.  83.) 

,/|i  Bruel,  Chartes  de  Ctanij,  IV,  p.  5/j;  Lecointre-Duponi,  NnUce  sur  deux  dé- 
niera de  Saoari/  deMaiiléun  et  sur  râtelier  monétaire  de  Aiorl  ati.r  XJ'fl  A'//«*ie- 
cles,  L'acle  par  lequel  Agnès  et  ses  deux  fils  Guillaume  et  Geoffroy  doonèreut  à  Cluny 
la  monnaie  de  Sninl'Jcan  d'Angély  el  au  bas  duquel  se  trouve  la  prccicusc  aanolatioa 


24H 


LES  COMTES  DE  POITOU 


A  peine  Agnè.'î  avail-elle  remis  le  pouvoir  à  son  fils  que  celui- 
ci  fui  appelé  à  se  prononcer  dans  une  question  où  son  autorité 
souveraine  était  en  jeu.  La  part  qne  prenaient  les  comtes  dans 
le  choix  des  évèques  de  TAquitaine  élail  grande  ;  cIIl:  n'était 
môme  pas  conlcslée,  étant  donné  le  double  caractère  de  ces 
prélats,  qui  n'étaient  pas  seulement  des  pasteurs  religieux,  mais 
aussi  et  surtout  de  grands  seigneurs  terriens  qui,  en  vertu  des 
principes  du  droit  féodal,  devaient  tenir  du  comte,  le  chef  su- 
prême du  pouvoir  dans  le  diocèse,  l'investilure  de  leurs  domaines. 
En  cela  les  comtes  avaient  succédé  aux  droils  régaliens  des 
empereurs  francs,  et,  comme  eux,  ils  opéraient  une  confusion 
entre  l'autorité  religieuse  et  la  puissance  féodale  dont  les  évoques 
étaient  pourvus.  De  plus,  la  simonie  régnait  en  maîtresse  dans 
ces  questions  et  on  la  comprend  chez  des  hommes  qui,  souvent, 
étaient  des  clercs  de  fraîche  date,  quand  ramliilion  leur  élait 
venue  d'aspirer  h  l'épiscopat.  A  Limoges,  l'évêque  n'avait  pas 
afïaire  h  un  comte  dunt  le  pouvoir  se  sérail  plus  ou  moins  étendu 
sur  tout  le  territoire  du  diocèse  ;  il  n'avait  en  face  de  lui  qu'un 
vicomle,  puissant  parce  qu'il  possédait  une  partie  de  la  ville  siège 
de  l'évêché,  mais  qui  devait  reconnaître  plusieurs  égaux  en  di- 
gnité dans  l'ancien  comté  de  Limoges.  Au-dessus  d'eux  se  Irouviul 
le  comte  de  Poitou,  duc  d'Aquitaine  ;  c'est  lui  qui,  ayant  depuis 
un  siècle  pris  la  place  des  comtes  de  Limoges,  choisissait  les  évo- 
ques en  se  mettant  d'accord  avec  le  clergé  et  le  peuple  du  diocèse, 
et  qui,  coDime  suzerain,  donnait  l'investiture   aux   vicomtes  (1). 

Jourdain  de  Laron  avait  été  élu  évoque  en  10:23  à  Saint-Ju- 


relataotla  prise  de  Vouvanl  par  At^cs,  a  ut  Fecit  »ua  consucludo  n,  a  été  mise  par 
D.  Botiqucl  [fieriun  Gallicurnm  scriplorex,  X,  p.  2(jC>)  en  ioo5,  par  M.  de  la  Fiuilenelle 
de  X'aiidnré  (ftenae  Anijlo'Française,  1,  p.  at5,  noie  i)  en  io2ri,par  ftf.  Rruel  en 
io3i,  el  par  M.  Lecoinlre-Diiponl  entre  les  années  io3o  el  loSg;  or,  la  présciicc  d*A- 
llfut'î*  el  de  SCS  (kuix  fîls,  ji^issnnt  cniimie  possesseurs  siniullanés  du  cuinté  de  Poitou, 
doil  forcémeni  faire  reporter  leur  donatiou  à  une  «nnée  postérieure  à  loSg,  date  de 
la  niorL  de  Cîiiilliiuuic  le  Gros,  de  plus  le  rapprociienienl  decel  acte  avec  celui  du  car- 
tulnire  de  Solol-Maixeut,  cilé  plus  haut  (page  a4&i  ^o^^  >)i  '''*  ^ssigDe  la  dnle  ap> 
proxiinatîvc  (te  iol\l\  ou  iO(45. 

(i)  Pjrmi  les  olilifçalians  ausquelles  le  vicomle  de  Limoijes  élait  tenu  à  l'ég-ard  du 
comte  de  Poitou  se  trouvait  le  druît  lie^Jte;  qunnd  le  vicotnlc  Adéniar  livra  eu  1062 
Saint-Martial  aux  CUmistes,  il  leur  iniipûsa  la  cbarçe  de  recevoir  une  fois  seufernenl 
ea  son  lieu,  et  quand  i!  les  en  requerrait,  le  comte  de  Poitou  lorsqu'il  viendrait  k 
Limoges  el  de  le  défrayer  de  paia  et  de  vin.  [Oallta  Christ,,  II,  iRslr.,col.  180  , 


GUILLAUME  AIGRET 

nien  par  l'influence  du  duc  Guillaume  le  Grand,  mais  après  un 
long  exercice  du  pouvoir  t^piscopal,  voyanl  autour  de  lui  les  scan- 
dales qui  se  commoLliiienl  dans  rélection  des  évoques,  scandales 
que  seule  la  main  aulorilaire  de  Grégoire  Vil  el  de  ses  légats 
devait  parvenir  à  refréner,  lise  montra  hoslile  aux  abus  dont  il 
avait  profilé  ;  il  chercha  à  y  mettre  un  terme,  à  tout  le  moins  en 
ce  qui  concernait  Limoges,  el  dans  ce  but  il  essaya  de  lier  les 
mains  du  comte  de  Poitou. 

En  10i5,  ïe  3  des  nones  d'août  (3  aoill),  il  amena  Guillaume 
Aigret  à  Limoges  et  là,  en  présence  des  nobles,  du  clergé  et  du 
peuple  de  la  ville,  il  lui  lit  conclure  un  accord  avec  le  chapitre 
catliédral;  il  fut  convenu  que,  lorsque  le  siège  épiscopal  devien- 
drait vacanl,  le  comie  de  Poitou  no  ferait  pas  de  nomination 
sans  qu'il  lïïl  procédé;»  une  élection  et  sans  l'assentiment  des  cha- 
noines de  la  cathédrale  el  des  [)Ossesseurs  des  tours  de  Nieuil 
et  de  Noblat.  De  pkis,  pour  empêcher  que,  pendant  la  vacance 
du  siège,  les  comtes  ne  vinssent  à  disposer  à  leur  gré  des  biens 
de  l'évêclié,  il  fut  décidé  que  ni  Guillaume  ni  ses  successeurs  n'u- 
seraient de  celle  prérogative,  et  qu'enfin,  en  tout  étal  de  cause, 
ils  prendraient  les  membres  du  chapitre  sous  leur  protection 
spéciale.  Pour  assurer  l'exécution  de  ces  clauses,  les  chanoines 
prirent  des  précautions  minutieuses;  par  exemple,  pour  garantir 
leur  sécurité,  le  comte  leur  donna  deux  cautions  :  Aimeri  de 
Hancon  el  Auberl  de  Chauibon,  el  11  s'engageait  à  en  nommer 
deux  autres  aussitôt  après  la  raorl  de  ceux-ci,  quand  le  cas  se 
présenterait;  de  plus,  le  comte  désigna  six  chevaliers  qui  se- 
raient garants  des  conventions  établies  pour  l'élection  de  l'évo- 
que, à  savoir  :  Guillaume  de  la  Hoche,  Guillaume  des  Cartes,  Hu- 
gues de  la  Celle,  Géraud  de  Vouvant,  le  fils  de  Uaimond  de  lîri- 
diers  et  Pierre  de  Niort,  à  chacun  desquels,  en  cas  de  mort,  il 
devrait  donner  un  remplaçant  dans  les  quinzejours  ;  de  leur  côté, 
les  chanoines  désignèrent  cinq  d'entre  eux  qui  se  portèrent  cau- 
tions de  l'exécution  des  engagements  que  la  communauté  avait 
pris  envers  le  comte  (i). 

C'est  sans  doute  à  cette  occasion  que  le  comte  de  Poitou  fit  don 


(i)  Gattia  Chrixt.t  ÎI,  iuatr.,  col.  172. 


LRS  rOMTKS  DE  POITOU 

à  Jourdain  de  Laron,  mais  en  spécifiant  que  c'était  le  parlicu 
lier   eL  non  l'évèque  e|u'il  en  f^raliliait,  dos  cours  de  Carsates, 
que  Jourdain  litindrail  en  fief'de  lui.  Jourdain  donna  plus  lard  ce 
domaine  aux  chanoines  de  sa  calbédrale  qui  de  ce  fait  se  Irouvèrent 
sous  la  suzeraineté  directe  du  comle  (l). 

L*nml>ition  d'Agnès  ne  s'étail  pas  resfreinle  à  ses  fils  ;  loul  en 
gouvernant  l'Aquitaine  sons  leur  nom  vl  en  se  faisant  la  r<^pula- 
lion  d'une  femme  supérieure,  <<  inclila  «jOlle  cherchait  poursalille 
Ala  une  brillante  alliance.  Quand  celle-ci  fut  en  û^^i^e  d'être  ma- 
riée, elle  fixa  son  choix  sur  le  prince  le  plus  en  vue  de  la  chré- 
tienté, et  cette  fois  encore  elle  réussit  dans  son  entreprise.  Henri 
le  Noir,  empereur  d'Allemagne,  élait,  depuis  le  18  juillet  HI38, 
veuf  de  Marjïuerite,  fille  de  Canut,  roi  d'Angleterre,  dont  il  n'a- 
vait pas  d'enfants  raàles.  Selon  les  liabiludos  de  l'époque  une  nou- 
velle union  s'imposait  presque;  aussi  Agnès  mit-elle  tout  en  œu- 
vre pour  amener  l'empereur  à  la  réaliser.  Ala,  dont  l'éducation 
avait  été  très  soignée,  était  belle  et  intelligente  et  faite  pour 
plaire  ;  comme  on  ne  la  voit  pas  intervenir  dans  les  actes  passés 
par  sa  mère  et  ses  frères  de  lOiO  à  1043,  on  peiil  croire  qu'Agnès 
l'envoya  en  liourgogne,  auprès  de  son  oncle,  le  comle  Henaud, 
que  là,  l'empereur  la  vit  et  s'en  éprit.  Le  mariage  fut  célébré  à 
Besuni,^onle21  octobre  1043  (à). 

C'est  à  son  retour  qu'Agnès  régla  ta  situation  de  ses  deux  fils,  et 
qu'elle  acheva  de  pacifier  le  Poitou.  De  son  côté,  son  mari  Geof- 
froy Marlel  avait  en  Anjou  triomphé  de  tous  ses  adversaires  et 
même,  te  21  août  lOii,  il  avait  fait  prisonnier  le  principal  d'entre 
eux,  Thibault  III,  comte  de  Tours  et  de  Blois.  lîien  ne  pouvait 
faire  obstacle  aux  projets  que  mûrissait  alors  Agnès.  L'Allema- 
gne l'attirait  ;  elle  y  voyait  un  vaste  champ  où  elle  pourrait  déve- 


[i)  Gallid  (Jhrisl. ,  II,  iimlr.,  co\.   171. 

(2)  Marcliciîoy,  Chrnn.  dff  é<j! .  d' Anjoa  :  Saint-Aubiu  d'Aaçers,  p.  24;  Saiol- 
Scrgetl'Aniîcrs,  p.  i30.  \yA  cIironu[ue  de  Saiiil-Maixeot  (p.  StjSj  semble  assii^uer  ;m 
niariajîe  d'Alji  la  dalc  de  loijy,  mais  si  l'on  y  regarde  di*  pré*  on  voit  qii'tiilc  jndii]ue 
H  l'iituiée  suiviitilelu  Jute  cxade  tic  lii  naissance  de  sou  fîU  Henri;  i»r,  comme  le  chro- 
niqueur n'nvail  pas  riKirqui;  à  fa  djie  le  inariiii^e  d'Alu  cl  de  l'empereur  d'AlIimia;;ne, 
il  se  lira  d'à  flaire  l-o  employant  pour  le  mp[ielcr  rexpresàion  vajjue,  «  i)er  hec  leuipora  ». 
(|uo  l\>n  n  eu  torl  d'.ipjilir[ucr  â  l'annéu  in/Jy.  Raoul  Ciliiber  [flistoints,  p.  1271  noie  le 
mariage  en  in/i."*,  mais  la  concordance  des  dalcs  Iburuies  par  ks  cln'unii[Lieiiri  nni^e- 
viu»  avec  celles  des  liiatoncns  allemand.i  (Voy.  Be->!y.  llisi.  lifs  vninlts,  preuves, 
p.  336  biai,  ne  pertuclpas  d'élever  uu  doulc  sur  L'exactiludc  de  la  dalc  de  io/|3. 


GUILLAUME  AlGRliT 


aSi 


lopper  les  talenls  dont  elle  était  douée  et  elle  songea  à  jouer  près 
de  l'empereur  le  rôle  de  la  belle-mère  qui,  pfir  les  mains  de  sa 
fille,  dirige  les  aiïaires  de  son  gendre. 

l'allé  se  dt^sintéressa  loul  d'abord  du  gouverncaienl  du  Poitou, 
ainsi  que  le  spécifie  le  chroniqueur  (1),  et  se  relira  on  Anjou,  inaia 
pour  peu  de  iemps,carentratnant  avec  elle  Geoffroy  Marlelj  à  qui 
rinaetion  devait  peser,  elle  [)arlit  pour  rAlloraagne  avec  une 
nombreuse  suite  de  Poitevins  et  d'Angevins.  Elle  était  h  Gozlarle 
25  décembre  10 'i5,  et  l'on  peut  croire  qu'elle  ne  fut  pas  étrangère 
à  la  décision  que  pril  l'empereur,  l'année  suivante,  d'aller  rétablir 
Tordre  en  Italie.  Le  20  décembre  iOiO,  elle  assistait  au  concile  de 
Sutri  qui  condamna  les  prétentions  de  Grégoire  VI  et  donna  laliare 
à  Clément  ll.Le  jourde  Noël,  le  nouveau  pape  déposa  la  couronne 
impériale  sur  la  tèle  de  l'empereur  el  de  sa  femme.  Agnès  dut 
amplement  jouir  du  triomphe  de  sa  (Ttle  qui  était  aussi  le  sien, 
car,  dans  les  fêles  qui  furent  célébrées  à  celte  occasion,  la  mère 
de  r impératrice  se  trouvait  mise  au  premier  rang.  Mais  ne  pou- 
vant rester  dans  une  oisiveté  contraire  à  son  caraclère,elle  se  fit, 
h  défaut  d'Ala,  la  compagne  des  entreprises  de  l'empereur. 
Elle  se  rendit  avec  lui  au  monl  Gargan  où,  sans  doute  sur  se 
conseils,  il  t ru i la  avec  les  chefs  .Normands  qui  détenaient  la  Pouille, 
mais  son  ingérence  dans  les  affaires  du  pays  ne  fut  pas  goiitéo 
par  tous,  aussi  quand  elle  revint  à  Bénévenl,  la  population  l'insulla 
et, en  tin  de  compte,  se  souleva.  L'empereur,  pressé  de  revenir  en 
Allemagne,  ne  jugea  pas  à  propos  de  réduire  la  ville  et  rentra 
à  Kome  où  il  avait  laissé  sa  femme;  dans  le  cours  du  voyage,  l'im- 
péralrice  mit  une  lille  au  monde  sur  le  territoire  de  Kavenne,  el 
enfin  Tons'arrèlaà  Mantoue  pour  célébrer  les  fêles  de  Pâques (2). 

Nous  ne  saurions  dire  si  Agnès  suivit  plus  longtemps  le  couple 
impérial  el  si  de  ce  point  d'arrêt  elle  revint  directement  en  Anjou; 
entoutcas  soti séjour  en  Allemagne  fut  très  limité,  car  celte  même 
année  elle  accomplissait  un  des  actes  les  plus  notables  de  son  exis- 
tence. Les  seiitimeuls  religieux  qui  souvenlsommeillaient  en  elle, 
mais  qui  parfois  se  réveillaient  avec  éclul,  s'étaient  développés 
durant  ses  promenades  en  Italie»  elello  en  donna  la  manifestalion 


\t)  Mjtcli.r^iy,  f.Urott.  tle^  éjl.  il'A/ijoi,  p.   3^5,  S,ùul->rji\ciil. 
(:<)  Ucttij ,  ftiit.  lies  comtes,  preuves,  pp    31'4  ^'l  ^33. 


LKS  COMTES  DF  POITOU 

presque  aussllôl  son  retour.  Le  comLu  d'Anjou  possédait  une  grande 
partie  de  la  Saintonge  et  en  parliculier  Saintes,  qui,  en  dehors  de 
sonévêché,n'avail  réellement  pas  d'élablissemenls  religieux.  Elle 
résolut  de  combler  celle  lacune  el  elle  amena  son  maria  fonder  dans 
cette  ville,  conjoinlemenl  avec  elle,  un  couvent  de  religieuses.  La 
préoccupation  d'Agnès  d'assurer  une  retraite  aux  jeunes  filles 
nobles,  laissées  sans  soutien  dans  une  société  aussi  troublée,  se 
manifeste  ouvertement  dans  cet  acte  qui  mérite  une  sérieuse  atten- 
tion, car,  accompli  sous  la  même  inspiration  que  celle  à  qui  l'on 
devait  Sainte-Croix  et  la  Trinité  de  Poitiers  el  Saint- Jean  de  Bon- 
neval,  il  est  en  désaccord  avecles  façons  de  penser  el  de  faire  de 
l'époque  où  l'on  ne  voyait  généralement  que  riiomme  se  con- 
sacrer à  la  vie  religieuse,  landis  que  la  femme,  maintenue  dans 
une  situation  subalterne  et  à  demi  servante,  ne  semblait  avoir 
guère  d'autre  rôle  que  celui  que  la  nalureluî  a  départi,  de  four- 
nir des  citoyens  a  l'Elat.  La  dédicace  de  l'abbaye  de  Notre-Dame 
de  Saintes  se  fil  avec  la  plus  grande  pompe,  le  2  novembre  1047. 
Agnès  tint  à  y  paraître  entourée  d'un  cortège  de  hauts  dignitai- 
res de  l'Eglise  ;  on  y  comptait  Irois  archevêques,  ceux  de  Bor- 
deaux, de  Besançon  el  de  Bourges,  six  évoques,  ceux  de  Sainles, 
de  Nevers,  d'Angoulème,de  l*érigueux,  de  Nantes  el  de  Limoges, 
huit  abbés,  l'évèque  désigné  de  Poitiers  el  un  nombreux  clergé. 
D'autre  pari  on  voyait  dans  l'assistance  le  comte  d'Anjou,  le  duc 
d'Aquitaine,  lecomle  Geoffroy,  son  frère,  le  comte  Geoffroy  d'An- 
goulème  el  une  foule  de  chevaliers  rangés  autour  de  leurs  suze- 
rains. Pour  faire  vivre  son  institut,  Agnès  le  dota  richement  el  lui 
fil  abandonner  par  le  comte  d'Anjou  une  partie  de  ses  posses- 
sions directes  delà  Sainionge,  déjà  ébréchécs  par  la  dotation  de 
la  Trinité  de  Vendôme;  en  outre,  elle  le  fil  pourvoir  de  privilèges 
spéciaux  par  l'imposante  assemblée  du  clergé  qui  se  trouvait  réu- 
nie à  Sainles,  el  enlîn,en  1049,  elle  obtint  du  pape  Léon  L\  un 
privilège  apostolique  qui  mit  l'abbaye  sous  la  protection  directe 
du  Saint-Siège  (1). 

Comme  il  était  dans  ses  traditions  de  s'emparer  sans  scrupule 
des  domaines  à  sa  convenance  qu'elle  attribuait  à  ses  nouvelles 


(i)  Cari,  de  Notre-Dame  de  Saintes,  pp.  i,  6,  8. 


GUILLAUME  AIGRET 


a53 


(puvres  nu  mèrno  de  dt'^pouiUfr  pour  cet  objcl  d'atilres  i^la- 
blisst^meiils  religieux,  elle  Uni  à  faire  conslaler  que  la  fondalioti 
(le  i\olro-I)arae  de  Saintes  avait  été  exemple  de  toutes  manœu- 
vres dolosives;  elle  déclara  formellement  et  h  diverses  reprises 
que  l'abbaye  avait  été  construite  à  ses  frais  el  à  ceux  de  son 
mari  el  qu'elle  avait  payé  de  son  argent  les  domaines  dont  elle 
lui  avait  fait  don.  ("est  ainsi  qu'elle  acliela  de  Guillaume  de 
Parthenay  l'île  de  Vix,  dans  les  marais  de  la  Sevré,  moyennant 
une  somme  de  1500  sous,  et  comme  celle-ci  pouvait  paraître  peu 
élevée,  elle  précisa  que  ce  prix  d'achat  élail  un  complément  des 
services  qu'elle  avait  autrefois  rendus  à  son  vendeur  (I).  On  la  voit 
même,  redoutant  qu'un  domaine  donné  par  son  mari  ne  fût  venu 
à  celui-ci  par  l'eiïel  d'une  spoliation,  s'adresser  à  l'ancien  pos- 
sesseur de  ce  domaine  pour  que  celui-ci  on  fil  un  abandon 
personnel  à  l'abbaye (2). 

.  Les  soucis  que  pouvait  causer  à  Agnès  sa  nouvelle  création  ne 
lui  faisaient  pas  négliger  les  anciennes.  Au  mois  de  mars  lOiS,  peu 
après  la  mort  d'Hubert  de  Vendôme,  évèque  d'Angers,  on  la  re- 
trouve dans  cellevilleoù  elle  assiste  avec  son  mari  à  un  acte  passé 
en  faveur  de  l'abbaye  du  Ronceray  (3),  puis  celle  mèmeannéeelle 
fait  beaucoup  d'acliats  de  biens  destinés  à  l'abbaye  de  la  Trinité  ; 
elle  mît  le  comble  à  ces  acles  de  générosité  en  donnant  à  ce" 
monastère,  de  concert  avec  son  mari,  l'église  de  la  Toussaint 
d'Angers.  L'acte  fut  passé  le  6  janvier  i0i9;  Agnès  avait 
encore  auprès  d'elle  en  ce  moment  ses  deux  fils,  Guillaume  el 
GeolTroy,  el  sa  suite  habituelle,  Aimei'i  de  Rochechouarl,  Aimeri 
de  Haucon,  Gautier  Tizon,  (iuillaijuie  de  l^arthenay  et  son  fils  du 
môme  nom  (4).  Du  reste,  vers  celte  époque  et  peut-être  un  peu 
antérieurement,  elle  fit  de  véritables  sacrifices  pour  accroître  ses 
fondations  précédentes  ;  ainsi  elle  acheta  de  Pierre  de  Didonne, 


(t)  Cari,  (le  JVotre-Darne  de  Sninles^  p.  i4''.  On  pourrait  encore  se  demiDder 
SI  la  donation  de  l'abbaye  de  SuiaC-l'al^ns,  Faite  au  même  établisscmenl  iors  de  sa 
fondation  par  Guillaume,  vicomte  d'Aunay,  qui  pour  ce  faire  l'enleva  à  sou  vassal 
Constantin  de  Mellc,  fut  bien  un  arte  spontané,  et  si  une  certaine  pression  ne  fut 
pns  en  ce  sens  exercée  sur  le  vicomte  par  la  comtesse  et  par  son  mari  (Item,  p.  55). 

(a)  Ctirl.  de  Notre-Dame  de  Sninlrs,  p.  91. 

(3)  Mctais,  Cart.  de  la  Trinité  de  Vendôme,  I,  p.  i3i,  noie  1. 

(4)  Mêlais,  Cart.  de  la  Trinité  de  Vendôme  ,1,  p.  1O7. 


354 


LES  COMTES  DIS  POITOU 


jiJoyonnanL  GOOO  sous  eL  quelques  autres  ("ddeaiix,  la  moïlié  de  la 
forôl  de  Maronnes  pour  en  gralifior  la  Trinité  de  Vendôme  à  qui 
elle  avait  prôcéderaraont  fait  don  de  l'aulre  moitié;  elle  acheta 
aussi  de  Dodon  de  Brou,  pour  le  môme  objet,  l'église  de  Saint- 
Jusl  dans  la  même  forêt,  et  enfin  elle  se  lit  céder  par  Geoffroy 
Martel,  pour  IHO  livres,  les  églises  de  Chevtré  et  de  .Menelil  en 
Anjouafm  que  Nolre-Damc  de  Saintes  pût  échanger  ces  domaines 
avec  la  Trinité,  contre  celui  de  Marennes,  ce  qui  était  à  la  con- 
vcnancedes  deux  abbayes  (1). 

Le  mouvement  religieux,  qui  est  une  des  caraclérisliques  du 
xi«  siècle,  était  alors  dunslo.ulc  son  intensité  ;  une  architecture 
nouvelle^  plus  ri(!he,  |)lus  solide  que  la  précédente,  venait  de 
naître  et  on  démolissait  des  édifices  à  peine  élevés  pour  en 
édilier  de  neufs  suivant  lesnouvelles  méthodes  de  construction  et 
les  nouveaux  styles  de  décoration  ;  aussi  à  chaque  page  les  chro- 
niques remémorenl-elles  des  dédicaces  d'églises  auxquelles  les 
principaux  personnages  du  pays  ne  manquaient  pas  d'assister. 
On  a  vu  Guillaume  Aigrel  se  rendre,  en  lon,  à  Saintes  pour  par- 
ticiper à  l'inauguration  du  monastère  de  Notre-Dame;  la  même 
année,  le  16  juin  1047,  il  n'avait  pas  dû  manquer  de  se  Irouver 
à  Charroux  où  se  fil  la  dédicace  de  Fabbayo;  l'aiTluence  de  monde 
à  cette  dernière  cérémonie  fut  telle  que,  quarante  ans  après,  les 
vieux  barons  la  cilaienl  encore  comme  élant  celle  où  ils  avaient 
vu  l'assislance  lapins  considérable  (2).  Knfin,  toujours  à  la  même 
époqur,eul  lieu  la  consécration  du  monastère  de  Sainl-.Micliel-en- 
Lherm,  mais  on  ne  sait  si  nos  comtes  y  assistèrent  (3). 

En  1049,  c'est  à  Poitiers  qu'on  relève  une  semblable  solennité. 
Le  i"  novembre  se  fit  la  dédicace  de  la  nouvelle  église  de  Sainl- 
llilaire.  Depuis  plusieurs  années  celle  construction  était  en  clian- 
lier.  Elle  avait  été  entreprise  par  Emma,  reine  d'Angleterre, 
femme  de  Canut  le  Grand.  Celle  princesse  avait  avec  Agnès  plu- 
sieurs points  de  ressemblance  :  comme  elle,  dévote  sans  scru- 
pules, douée  aussi    d'une  intelligence    supérieure,  elle  avait, 


(i;  Mêlais,  Curt.  saint,  de  la  Trinité  de  Vendime,  p,  Sg. 

(2)  Marchegay,  Cliron.  des ê'jl. d'Anjou:  Sainl-Adbia,  p.  a/J  ;  Saiot-Serge,  p.  i36; 
La  Cliaise-Ie-Vicomic,  p.  3/|o;  Saint^Maixeot,  p.  3j)0. 
{A)  Marchegay,  Cfiron.  de*  érjl.  d'Anjou,  pp.  lU/t  el  397.  Sainl-Mftixeal. 


GUILLAUME  AIGRET 


9&5 


sous  le  nom  de  ses  deux  fils,  gouverné  vérilablemenl  leurs  /-lais  ; 
les  deux  princesses  élaienl  du  reste  proches  parentes,  Emma 
6lanl  fille  de  Richard  I*' de  Normandie,  oncle  de  Guillaume  le 
Grand.  Il  esl  à  croire  que  la  reine  d'Angleterre  fil  à  un  momenl 
donné  un  voyage  en  Poitou  et  qu'elle  en  rapporta  une  dévotion 
spéciale  pour  saint  Hilaire  ;  toujours  esl-il  qu'elle  chargea  un 
arcliilecle  de  sa  nation,  Gautier  Coorland,  de  dresser  les 
plans  d'une  nouvelle  église  de  Saint-llilaire  et  qu'elle  pourvut 
il  loules  les  dépenses  de  la  construction.  iMais  en  1044  elle  fui 
privée  du  pouvoir,  et,  dépouillée  de  ses  richesses,  elle  ne  put 
conlinuer  l'entreprise.  Celle-ci  allait  être  suspendue  el  peut-être 
abandonnée  quand  elle  fut  reprise  par  Agnès,  qui  poussa  le  comte 
de  Poitou,  à  qui  incombait  véritablement  ce  soin  en  sa  qualité 
d'abbé  de  Sainl-llilaire,  à  terminer  rédirice(t).  Le  jour  môme 
de  la  cérémonie,  Guillaume  reslilua  aux  chanoines  l'église  de 
Saint-Sauveur  et  de  Notre-Dame  (sans  doute  l'église  de  Noire- 
Dame  de  la  Chandelière),qui  leuravail  été  enlevée  parles  comtes, 
ses  prédécesseurs.  Sa  mère  Agnès  parait  seule  à  c(Mé  de  lui  dans 
l'acte  dressé  à  cet  eiïet,  où  il  esl  en  outre  relaté  que  c'est  lui 
el  sa  mère  qui  ont  élevé  la  basilique  avec  une  grande  magnifi- 
cence. Mais  l'opinion  publique  ne  s'y  trompa  pas  et  le  chroni- 
queur de  Saint-Maixcnt  a  pu  dire  en  toute  justice  que  celle 
reconstruction  fut  l'œuvre  d'Acnés,  qui  aurail  elle-même  ordonné 
que  Ton  procédât  à  la  dédicace  de  l'église  (2). 

Vers  la  même  époque  elle  donna  un  nouveau  témoignage  de  sa 


(i)  Ces  faits,  du  moins  tels  {]uf  nous  venons  de  les  raconler,  sont  restés  inconnus 
des  hîslorlens  qui  aims  oui  'précédés,  lesquels,  iiilerpréliiul  dans  uu  sens  erroné  le 
(pxtcdo  la  cIironii|uc  de  Suinl-Maixpnt,  faisaient  vivre  dautier  Coorland  nu  corntncn- 
cotnenl  du  x*  siècle,  et  rcconnaissaîenl  on  lui  l'arcliiteclc  d'une  Adèle  d'Ausfletcrrc, 
di^nl  11  a  Ole  démonlré  jilus  haut  la  non-cxislencc.  Pour  plus  de  détails,  on  peut  se  re- 
purler  à  la  lettre  adressée  par  nous  à  M.  de  la  llouralière,le  sa  juin  iSyt.el  qu'il  a  in- 
scrcc  sous  celle  rubrique:  <t  A  quelle  époi]ue  vivait  Gaulier  Coorlaud?  »,  à  la  suite  do 
la  seconde  édition  de  sa  Notice  Itisturiqat  el  arcMologiqnii  xiir  l  tUjlise  de  Saint" 
flilaire-le-(irantl  de  /'o/N'rrï.pp.  3i-Sii.  Il  n'y  n  pas  aussi  lieu  de  s'élonner  des  géné- 
rosités d'Emma  h  l'ci^-ard  d'ua  édifice  relisjieux  situé  en  dcliors  de  ses  étals,  la  reine 
d'AnsfIeterre  ne  faisait  que  suivre  en  cela  les  traditions  de  son  mari  qui  envoya  à  Ful- 
bert de  Chartres  une  somme  d'artfenl  considérabte  pour  aider  à  la  reconstruction  de 
sa  cathédrale  incendiée  en  1020  (Mig-ne,  Patroloffie  lat.,  CXLI,  col.  233). 

(2)  iNfarchegaj.  Chron.  des  égl  d'Anjou,^.  3{)7,  Saint-Maixent  ;  Rédet,  Documenta 
pour  Sainl-J/ilaire,lr  p.  86;  Marléoe,  Thésaurus,  III,  col.  ma,  Cliron.  de  Mon- 
licrncuf. 


256 


LES  COMTES  DE  POITOU 


ferveur  religieuse  en  élablissanl  à  Poiliiiis  une  collégiale,  com- 
posée do  treize  chanoines  vivant  sous  la  règle  <le  saint  Augustin, 
à  qui  incombait  le  devoir  de  prier  pour  leurs  fondateurs  et  en 
particulier  pour  le  comlc  Guil!aume.  son  premier  mari.  L'église 
delà  collégiale,  placée  sous  l'invocation  de  saint  Nicolas,  fut  cons- 
truite en  dehors  des  murs  de  la  ville,  près  du  Grand  Marché, 
sans  doute  par  la  main  des  mêmes  ouvriers  qui  venaient  de  réé- 
difier  Sainl-Hilaire,  LtiQ  large  doLalion  fut  assurée  aux  chanoines 
pour  leur  subsistance,  et  comme  certains  des  domaines  qui  leur 
furent  atlribués  étaient  situés  dans  la  féodalité  du  comte  d'Anjou, 
celui-ci,  à  la  sollicitation  de  sa  femme,  les  prit  sous  sa  prolec- 
lion  (1).  Dans  l'acle  «le  fondation  Agnès,  comme  à  son  ordinaire, 
fait  intervenir  ses  deux  (lis  ;  elle  les  associa  aussi  k  une  œuvre 
charitable,  qu'il  serait  injuste  de  ne  pas  mettre  en  relief,  celle 
de  rétablissement  d'une  aumônerie,  qui  fut  placée  surledrand 
Marché,  non  loin  de  Sainl-Nicolas;  la  piété  d'Agnès  ne  doit  pas 
être  seule  mise  en  cause  en  celte  occurrence, elle  s'inspira  aussi  de 
la  verlu  decharilé,  qui  ne  trouvait  sans  doute  plus  suffisamment  son 
compte  dans  les  obligations  imposées  aux  églises  ou  aux  monas- 
tères, lesquels  ne  voulaient  ou  ne  pouvaient  sans  doute  y  satisfaire. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  sa  qualité  de  comte  de  Poitou  que 
Guillaume  Aigrel  intervint  dans  la  dotation  de  Saint-Nicolas  ;  il 
y  coopéra  personnellement  en  attribuant  aux  chanoines,  après 
sa  mort,  deux  péages  que  sa  femme  possédait  en  Aunis,  l'un  à 
Angoulins,  l'autre  à  Voulron  (2). 

L'année  suivante,  en  lOoO,  les  évêques  de  Saintes,  d'Angou- 
lême  et  d'Angers  procédèrent  à  la  bénédiction  de  l'église  de 
Saint-Jean  d'Angély  dont  le  chevet  venait  d'être  achevé.  Agnès 
y  tint  la  première  place  avec  ses  deux  fils  ;  placés  devant  l'autel 


(i)  Arck.  hisl.  du  PoUnu,  I,  pp.  i,  i5,  aS,  32,  Cari.  He  S»int-Nîc<il»s;  .Marchc- 
gay,  Chron,  des  égl.  d'Anjou,  p.  3y8,  Saint-Mai.xenl.  L'abside  de  SaÎDl-NicoIas  el 
sa  crypte  subsistiiieut  encore  à  peu  près  intacts  en  iKgi.  A  rcUe  dalc,  ce  qui  en  res- 
tait fut  dénaturé  et  englobe  dans  des  maisons  qui  en  cacliaient  désormais  la  vue.  De- 
puis ce  jour,  l'édilice  a  élé  peu  à  peu  démoli  cl  il  a  clé  dé6nitivcinenl  rasé  en  190a; 
quelques  chapiteaux  et  autres  niorreaux  de  sculpture  ont  été  transportés  au  Musée 
de  la  Société  des  Aotiquairca  do  l'Ouest  (Voy,  B.  Ledain,  L'église  de  Saint-Nicolas 
de  Poitiers). 

{2)  Arch.  hist,  du  Foilou-,  I.  pp,  7  et  11,  Cari,  de  Saint-Nicolas.  Les  péages  en 
question  faisaient  sans  nul  doute  partie  du  douaire  d'Hcrmeaseode. 


ÎRRT 


a57 


dé  saint  .lean  sur  leqiiol  ils  Crenl  brûler  chacun  un  grain  d'en- 
cens» en  guise  d'oiïrande  au  Seigneur»  la  comtesse  el  ses  fils  firent 
abandon  au  monasU'Tc  de  toulle  bour,:^'  avec  les  églises  qu'il  ren- 
fermait el  les  dépendances  territoriales  que  les  rois  de  France 
elles  ducs  d'Aquitaine  avaient  autrefois  données  aux  religieux, 
mais  qui  leur  avaienlété  ravies,  particulièremont  par  Agnèselle- 
mêuie  ;  en  guise  d'indemnité  elle  ajouta  de  nombreux  privilèges  h 
ceux  qu'elle  venait  de  reconnaUre  el  y  joignit  des  francliises  pour 
les  habitants  du  bourg  (1).  Le  comte  d'Anjou  ne  prit  aucune  part 
effective  à  cet  acte,  mais  son  nom  se  rencontre  parmi  ceux  des 
assistants  avec  le  comte  d'AngoulAme  et  le  vicomt^de  Thouars{2). 

Cette  même  ann^e,  Agnès,  en  compagnie  des  jeunes  comtes 
se  rendit  dans  ses  domaines  du  Talmondais.  et  là,  sans  doute 
sous  sa  pression, Guillaume  le  Jeune. seigneur  de  Talmond,  fit  don 
à  l'abbaye  de  IVÎarmoutior  des  domaines  de  Fontaines  et  d'An- 
gles, dont  il  avait  liérité  de  sa  mère  et  oîi  l'abbé  Auberl  et  ses 
religieux  établirent  aussitôt  un  prieuré.  Celle  fondation  était  faite 
en  violation  des  intentions  formelles  de  Guillaume  le  Vieux, 
fondateur  de  la  dynastie  des  seigneurs  de  Talmond,  qui,  voulant 
assurer  une  véritable  dotation  spirituelle  à  l'abbaye  de  Sainte- 
Croix,  qu'il  venait  d'établir  sur  son  domaine,  avait  défendu  h  ses 
successeurs  de  disposer  de  terres  du  Taîmondais  en  faveur  d'autres 
établissements  religieux.  Pour  donner  à  l'acte  toute  sa  valeur, 
la  comtesse  et  ses  fils  y  apposèrent  leur  signature,  c'est-à-dire 
tracèrent  leur  croix  sur  le  parchemin  (3). 

La  sauvegarde  accordée  par  le  comte  d'Anjou  aux  domaines 
de  Saint-Nicolas  el  son  assistance  à  la  bénédiction  de  Saint-Jean 


(i)  Agnès  devait  jouir  â  Sainl-Jean  de  droits élendus.  car  elle  y  possédait  un  prévûl 
qui  jcxcrçait  ses  ntiributioDS  lant  pour  son  complique  pour  celui  du  comle  de  Poitou 
(D.  [•"onleneau,  XII!,  p.  169). 

(a)  Bealy  ou  ses  éditeurs  {flist.  des  comtes,  preuves,  pp.  3aS-33i  bi»)  donnent  à 
celle  chorlc  la  date  Je  iii4'^;  la  chronique  de  Saint-Maixeol  (p.  898)  place  b  dédi- 
cace de  Saint-Jean  en  io5o  el  y  fiiil  assister  I»etnl>erl,  évi^que  de  Poitiers,  Lien  (|u'il 
ne  soit  pas  désiçoé  daas  l'acte.  Celui-ci  étant  dépourvu  d'indtcalions  chronoloçi- 
ques,  on  peut  rester  dama  le  doute,  loulefois  il  semble  plus  expêdicot  d'adopter  ta  date 
fournie  par  la  chronique  de  Saiol-Maixent. 

(3)  .Marclieçny,  Cnr(.  du  Bas-Poitou,  p.  87,  prieuré  de  Fontaines.  Cet  acte  ne  peut 
être  placé  qu'entre  les  années  lo/ig-ioôy,  pendant  lesquelles  riuillaunie  le  Jeune  pos- 
séda la  seigneurie  de  Talmond, aussi  la  date  de  loJocQviroDquc  lui  a  attribue  M.  Âlar- 
chegay  paratl  devoir  être  conservëc. 

'7 


s5S 


LES  COMTBS  DK  POITOU 


furent  sans  doule  une  des  dernières  faveurs  qu'Agnès  oblint 
de  son   mari.  GoofTroy  Marlcl  avait  semblé   pendant  longtemps 


la  fei 


ilail 


vivre  en  bonne  inlelligence  avec  ia  lemme  qui  seiaii  en  quel- 
que sorte  donnée  à  lui,  mais,  parvenu  au  comble  de  son  ambi- 
tion, jouissant  d'une  autorité  et  d'un  prestige  inconlost{»s,  il 
sentit  qu'il  lui  manquait  quelque  chose.  Son  union  avec  la 
veuve  de  Guillaume  le  firand  ùtait  restée  siérile;  il  n'avait  pas 
d'enfants,  de  descendants  issus  de  sa  chair,  à  qui  il  pùl  laisser  ses 
magnifiques  domaines.  Des  regrets  qu'il  en  ressenltt  à  l'idée  d'un 
divorce  il  n'y  avait  qu'un  pas  ;  il  le  franchit,  et  un  beau  jour  il 
répudia  sa  femme.  A  celte  époque  les  prétextes  ne  manquaient 
pas  pour  rompre  une  union  ;  on  invoquait  la  raison  de  parenté  et 
dans  les  grandes  familles  qui  conLraclaienl  ensemble  de  fréquentes 
alliances,  les  cas  de  dissolution  d'un  mariage  n'étaient  pas  difTi- 
ciles  H  trouver.  Du  reste,  l'union  d'Agnrs  avait,  comme  on  l'a 
vu,  été  qualifiée  d'illégitime  d<''s  qu'elle  s'était  produite  cl  Geof- 
froy ne  l'ignorait  pas.  Il  pril  pour  femme  Grécie,  veuve  de  Reriais, 
son  vassal,  seigneur  de  Monlreuil,  puissant  baron  cité  dans  de 
nombreux  actes  de  l'époque  ;  ce  mariage  eut  lieu  entre  les  années 
lOoOet  1052  (1). 

Agnès  ainsi  délaissée  ne  manquait  pas  de  lieux  de  refuge:  elle 
avait  d'abord  les  domaines  qu'elle  avait  reçus  en  douaire,  puis  son 
abbaye  de  Notre-Dame  de  b'aintes,  mats  Poitiers  raltirail  princi- 
palement ;  là  elle  était  sûre  de  pouvoir  continuer  à  jouer  un  rôle 


(i)  C.  Porl  dans  son  Dictionnaire  historique  ffe  Maine-chljiire,  I.  II,  p.  298, 
HTarticlc  de  <jrcc!r,  plate  le  nouveau  mariag^c  deG<?uffpoj  Marlel  vcra  jû55  ou  lOJy; 
mais  il  esl  établi  par  le  charlricr  de  Jb  Trînilc  de  Vendôme  que  le  6  janvier  lo/jç) 
A^ès  élail  encore  femme  de  (JeoJTroy  Muriel  qui  déclare,  dans  le  préambule  de  Tacle 
de  dnnaiion  de  la  Toiissaint  d'Anîfers  à  l'obbayo  de  la  Trinilé,  qu'Ag'ncs  est  son 
épouse  hicn-aimée,  l'objet  de  son  unique  amour  (Mélais.Car/.  de  ta  Trinité  de  Ven- 
di'ime,  I,  p.  i(>5),  rt  qu'à  cet  acte,  qui  se  passa  à  Angers,  la  comtesse  était  présente, 
ayant  dans  aa  coinpajjnie  ses  deux  fils,  et  ses  cLevaliers  poilevins  Aimeri  de  iloche- 
cliouart,  Aimeri  de  Hancon,  Gautier  Tison,  Adémar  Malti  Cnpsf^  Guillaume  de  Par- 
llienay  et  son  fila.  La  participation  de  Geoffroy  Martel  aux  faveurs  accordées  par  sa 
femme  à  Saint-Ntcolas  de  Poitiers  cl  »  Salnl-Jcan  d'Angély  pendant  Tannée  lo^f».  ne 
permet  pas  de  placer  la  séparation  des  deux  époux  avant  l'année  toDo,  mais  elle 
était  effecluée  dans  le  cours  de  celte  année,  ce  que  semble  prouver  le  don  du  comté 
de  Vendôme  fait  par  le  comte  d'Anjou. sans  la  participalion  de  sa  Femme,  à  son  neveu 
Foulques;  à  cet  acte  imporlanl  on  ne  voit  paraître  aucun  chevalier  poitevin  {Cart . 
de  la  Trinité  de  l'emlume,  I,  p.  171)-  ^^^  resle  Grécie  esl  désii^née  avec  son  litre 
de  comtesse  dans  une  cliarlc  du  26  mars  io53  [Hem^  p.  176),  et  parait  encore  comme 
femme  du  comte  d'Aujou  dans  une  cbarto  non  datée  du  cariuluirc  de  Sainl-Maur-sur» 
Loire  (Marchegay,  Archives  d'Anjon,  p.  38i). 


GUILLAUME-:  AIGEIET 


259 


impotiaiil,  Guillaume  reslani  toujours  soumis  aux  volonlés  de  sa 
mère(l).  Du  reste,  malgré  le  partage  de  l'hùrilage  d'Eudes  interve- 
nu en  lOii  entre  les  deux  fils  d'Agnès,it  ne  semble  pas  qu'aux  yeux 
de  leurs  contemporains  la  dislinclion  entre  les  domaines  qui  leur 
avaient  éié  dévolus  ait  616  nellcmeni  établie,  et  quand  Agnos  fut 
revenue  dominer  àla  cour  du  comte,  on  put  croire  que  rien  n'était 
changé  dans  la  situation  constatée  dix  ans  auparavant;  tel  était  le 
sentiment  du  rédacteur  d'une  charte  de  l'abbaye  deSaint-Muixent 
qui  dit  en  1051  que  le  duc  Guillaume»  son  frère  Geoll'roy  et  leur 
mère  la  comtesse  Agnùs  continuaient  â  gouverner  le  Fuilou  (2). 

Nous  ne  savons  rien  des  actes  de  Guillaume  Aigret  pendant  cette 
année  i051,  mais  dans  le  courant  de  l'année  lOo^l'ùvèque  de  Limo- 
ges, Jourdain  de  Laron,  étant  venu  à  mourir  le  chapitre  calhédral 
de  Saint-Iitienne  lui  écrivit  aussitôt  pour  lui  demander  qu  en  vertu 
de  Faccord  de  1  Û4o  il  ne  donnai  pasi  evôcLé  à  prix  d'argent. Aprbs 
lui  avoir  dépeint  le  triste  état  dans  lequel  se  trouvait  le  diocèse 
et  le  clergé,  les  chanoines  ajoutaient  :  «  Qu'est-ce  qui  te  manque  ? 
L'Aquitaine  tout  entière  l'appartient...  nous  réclamons  de  loi  un 
évoque  et  non  un  loup  rapace,  un  homme  qui  soit  le  directeur  des 
âmes  el  non  un  professeur  de  déprédation,  qui  viendrait  prêcher 
que  le  bien  est  la  chose  mauvaise  et  que  c'est  le  mal  qui  est  le 
bien. . .  qu'il  devienne  le  maître  de  tout  ce  qu'a  possédé  son  pré- 
décesseur. . .  tout  ce  que  nous  avons  est  à  toi  ;  tu  es  le  gardien 
de  notre  bien,  envoie- nous  un  berger  pour  prendre  soin  du 
troupeau,  et  non  un  homme  qui  eu  lasse  sa  proie,. .  Adieu,  sois 
le  défenseur  de  saint  Etienne  ['^).  » 

Guillaume  semble  avoir  déféré  à  l'appel  instant  des  chanoines. 
Il  se  tint  à  Limoges  une  grande  assemblée  d'évêquesdont  le  choix 
se  porta  sur  Hier  Chabot,  un  liouinie  de  race  noble,  qui  veuf  ne 
s'était  pas  remarié  et  que  ses  mérites  signalèrent  à  leur  attention. 
Dans  l'acte  dressé  pour  constater  la  décision  de  l'assemblée  il  fut 


{1)  On  peut,  grâce  à  1  énoncé  des  donations  faites  par  Agnès,  se  rendre  compte  de 
rimport.iace  des  biens  qui  lui  avaient  été  donnés  en  douaire  et  de  leur  situation;  ils 
ne  Igrmaicnt  pas  un  cn.Henible  compact»  mais  ila  cLaieut  dissi^minés  sur  plusieurs 
points  du  Poitou,  à  Poitiers  et  aux  environs,  à  Saint-Maixcnt,  à  Maillezais,  à  Talmond 
el  aussi  en  Sainlonge. 

(2)  A.  Richard,  Charles  de  Saint-Maixent,  I,  p.  i4i. 

(3)  Gallia  Christ.,  JI,  instr.,  col.  173. 


>6o 


LRS  COMTES  HE  POITOU 


expressément  porié  que  réieclion  s'élail  faite  de  la  volonlé  el  du 
consentement  du  comte  de  Poitou,  du  vicomte  Adi'imar,  des 
barons,  des  nobles,  du  clergé  et  du  cliapîire  cathédral  (1  ), 

Versie  mômelemps Iccomle,  de  concerlavec  sauirre  etson  Frère, 
confirma  les  dons  qui  avaient  éléfaîlsà  l'église  Notre-Dame  du  Piiy 
en  Yelay  alors  qu'il  était  en  bas-âge,  par  son  père  Guillaume,  sa 
mère  Agnès  et  ses  frères  Guillaume  et  I^ludes,  lesquels  consislaient 
en  la  moitié  de  l'île  de  Hé,  des  étangs,  des  écluses,  deux  villages 
elle  bois  de  Sainl-Ouen,  vulgairement  appelé  le  Breuil  (2). 

l'ar  suite  de  la  répudiation  d'Agnès,  la  situation  était  extrême- 
ment tendue  entre  Geoffroy  Martel  et  ses  beuux-fils,  à  tout  le  moins 
avec  Guillaume,  qui  subissait  toujours  l'ascendant  de  sa  mère. 
Excités  par  elle,  ils  se  préparèrent  à  tirer  vengeance  de  l'alTronl 
qui  lui  avait  été  fait,  mais  le  comte  d'Anjou,  avec  la  rapidité  de 
décision  qui  était  un  des  trails  saillants  de  son  caractère,  les 
devanra  :  il  leva  en  1053  une  armée  considérable  et  marcba  sur 
Poitiers.  Le  comte  de  Poitou  n'était  pas  prêt  j  son  frère  ne  l'avait 
sans  doute  pas  encore  rejoint  avec  les  forces  qu'il  pouvait  lui 
amener  de  son  comté  de  Gascogne,  et  devant  l'impossibilité  où  il 
se  trouvait  de  lutter  conire  son  beau-père,  il  s'empressa  de  faire  sa 
paix  avec  lui  (3j.  r*eut-être  est-ce  à  cette  époque  qu'il  convient 
de  placer  un  voyage  que  til  Agnès,  accompagnée  de  son  conseiller 
l'archevêque  Arctiembaud,    nbbé  de  Sainl-Maixent,  auprès  de 


(i)  Kabbe,  Conciita,\X,co\.  1060.  Bifri  qu'il  n'y  ail  à  rclenir,  au  sujet  de  ccl  évêque, 
que  le  nom  qu'il  portail,  il  semble  loutcfoi»  qu'il  (hmiI  <Hre  raUaché  à  la  famille  de 
GuillauNie  Chabot,  i'iiiidea  familiers  du  coinle  de  l'oilou. 

(a)  En  attribuant  cet  acte  à  (liiillaurne  Aiijrcl,  nous  nous  raog'CODS  à  l'opinion  do 
Bcsly  qui  a  démontré  (///*/.  f/w  cowi/es,  preuve»,  pp.  ad  i-2(J3)  que  bien  que  i'/fisinire 
tic  A'otre-D<tnie  tlu  Pny,  c.  nj,  I.  2,  p.  28^,  lui  donne  la  date  de  l'an  1000,  il  ne 
jHuI  êlre  placé  qu'enirc  les  années  1047  el  io58.  (Voy.  aussi  D.  Yaissele,  fiitt,  de 
LarigiieildC,  n.  éd.,  IV,  p.  8f)). 

(i)  Dom  Houssoau,  Livre  noir  de  Saint-Floreut  de  Snumur,  t.  Il,  n»  S^o.  Besljr 
(//isl.  tles  conttc.1,  preuves»  p.  .'^27  bis)  a  piililié  les  formules  finnles  de  cet  nele  qui, 
dans  800  icxlc,  porte  la  date  de  io43.  H  y  a  b'i  une  erreur  luanifcsle,  rcsuhnt  d'uua 
foule  d'impression,  que  n'a  pas  reproduite  Mnrcheçay,  lequel  dans  ses  Arr/i.  d'An- 
jou.p.  371,  donne  à  la  pièce  sa  date  véritable  de  iojJ.  Mais  Tindication  inexacte  de 
y/Zisl.  des  comtes  de  Poitou  n'en  a  pas  moins  clé  adoptée  par  certains  bi.Htoricris, 
(|ui  n'ont  pas  réllcchi  qu'en  10:^3  (àoolîfoy  ^Martel  clait,  de  par  sa  femme  Açucs,  le 
véritable  (lussosseur  du  comte  de  Poitou  cl  ne  pouvaiten  toute  justice  partir  eu  guerre 
contre  îui-inèfoe.  Nous  ne  croyons  [)asnon  plus  qu'il  faille  prendre  à  la  lettre  le  texie 
de  la  rbarlc  de  Saint-Florent,  que  Mnrcliescny  [dace  par  erreur  avant  1054  cl  qui  dit 
que  tienlTroy  déclara  la  guerre  uu  comte  de  Poitou;  le  contraire  nous  (varalt  bien  plus 
vraisemblable. 


iult,  comle  de  Champagne.  Enlrait-il  dans  ses  inlenlions 
d'amener  ce  comle  à  reprendre  ses  lutles  anciennes  contre  Geof- 
froy Martel  qui  lui  avait  enlevé  la  Touraine,  nous  ne  saurions  le 
dire,  le  molif  de  ce  voyage  ne  nous  ayant  pas  élé  révélé  (1). 

Le  12  mai  I0j4,jourde  l'Ascension,  Guillaume  se  trouvait  à 
Poitiers.  Les  religieux  de  Saint-Florent  de  Saumur  n'avaient  pu 
jouir  paisiblement  du  domaine  des  Fosses  qu'Agnt'-sleuravail  donné 
en  1043,  Les  agents  du  comle  exigeaient  d'eux  certains  droits cou- 
tumiers  qui  les  lésaient  grandement;  sur  leur  requôle  Guillaume 
les  exempta  de  tous  ces  devoirs,  défendit  de  les  molester  à  l'ïivenir 
et  pour  le  surplus  confirma  les  disposilions  do  la  charte  primitive 
de  donation.  Uien  qu'il  déclare  agir  en  la  circonstance  du  ctin.sen- 
temenl  de  son  frère  Geolfroyel  de  sa  mère  Agnès,  ni  l'un  iiiTaulre 
ne  comparaissent  parmi  les  témoins  de  l'acte  oii  l'on  rencontre 
l'archevêque  de  Bordeaux,  les  évêques  d'AngouIéme  et  de  Limoges, 
le  comte  de  la  Marche  Audebert,  le  vicomte  Savarî  de  Thouars, 
Guillaume  de  Parlhenay  et  autres  compagnons  ordinaires  du 
comle  (2). 

Agnès  n'assista  donc  pas  li  la  libération  de  la  terre  des  Fosses, 
et  même  après  celte  date  on  ne  la  rencontre  plus  opérant  en  per- 
sonne aux  côtés  de  son  lils.  II  est  possible  que  Geoffroy  Martel 
ail  imposé  au  comte  de  Poitou  l'éloignement  de  sa  mi-rc  el  que  cel- 
le-ci ait  été  chercher  un  refuge  auprès  de  son  fils  Guy  dont  l'auto- 
rité s'affirmait  alors  en  Gascogne  ;  elle  a  encore  |)u,  dès  cette  épo- 
que, aller  demander  au  monastère  de  Notre-Dame  de  Saintes  l'asile 
où  nous  la  retrouverons  plus  tard.  Nous  ne  serions  pas  étonné 
qu'il  faille  placer  à  cette  date  un  fait  que  nous  apprend  une  charte 


(i)  A.  KicharJ,  Charles  de  Saint-Maixenî,  I,  p.  i/(o.  Peodanl  ce  voyaf^e,  l'Abbé 
d<:  SaÎMi-Maixeiiit  cuiiseniil  à  ce  que  l;i  corutesse  dihpoïsAl  du  Jomaiue  de  Sivrcc,  au- 
tremeot  dit  le  Puy  Sainl-Maixenl  tlaos  la  paroisse  de  Moulaïuîsé,  <jui  apparteiiuit  à 
Bon  abbtiyc. 

(2)  Arc/i.  fiist.  (lu  Poitou,  II,  p.  gS,  Charles  poil,  de  Saîiil-Florcnt.  Le  cbarlrier 
de  Saiul-Florcnl  cuulenait  ua  autre  acte  de  conHrziiation  delà  possejisiaa  dea  Fosses 
par  celle  abbaye  (/i!e/«,p.fjoi.  Mais  cet  acte,  idenliquoau  précédcnlel  dépourvu  de  date, 
n'eal  qu'un  proj,et  relrouvé  duus  le  chartritT  de  l'abbaye  t't  auquel  le  rédaclcur  du  car- 
lulairc  en  rincurpuraiit  dans  stni  recueil, a  nialadroile^nunl  «]uulc  des  uoxns  de  Icinuins 
empruuléa  à  l'acle  df  iDÛ/t,  sauf  qu'où  y  trouve  tu  plua  Guillaume,  èvèque  de  Pcii- 
gueiix,  el  GetifFroy  Martel.  Or,  c'est  en  loCo  seulement  qu'un  cvê(|UP  du  uom  de 
Guillaume  moula  sur  îe  siège  de  Përigcux  et  nous  savons  qu'en  «oii/j  Je  conile 
d'Anjou  êiuit  tolalement  séparé  de  sa  fcmine  el  ne  pouvait  venir  à  cûlë  d'elle  couipn- 
raltre  dans  ua  aclc  à  Poitiers. 


a02 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


de  Bourgueil.  Celle  abbaye  possédait  depuis  la  fin  du  siècle 
précédent  des  domaines  en  Bas-Poilou;  le  comle,  croyanl  sans 
doute  avoir  des  droits  sur  ces  territoires  et  n'étant  plus  retenu 
par  les  scrupules  de  sa  mère,  ne  se  gêna  pas  pour  imposer  aux  re- 
ligieux de  Bourgueil  la  charge  de  recevoir  chaque  année  dans 
leurs  pacages  du  Busseau,de  ï'oussais  el  d'Auzais  et  sur  chacun 
de  ces  Irois  domaines  deux  hommes  et  trois  chevaux  qui  y  séjour- 
neraient le  lemps  qu'il  lui  plairait.  Ce  procédé  était  ingénieux  el 
en  le  généralisant  le  comité  aurait  pu  faire  élever  et  entretenir 
à  peu  de  frais  les  chevaux  nécessaires  au  service  de  sa  maison. 

Celle  façon  d'agir,  allant  à  l'cncontre  de  l'œuvre  privilégiée 
d'Agnès,  vienl  déjà  témoigner  que  la  comtesse  ne  jouissait  plus 
auprès  de  son  fils  de  celle  influence  sans  limites  dont  on  a  tant  de 
preuves.  Son  amoindrissement^esl  encore  alleslé  par  ce  qui  se 
passa  dans  le  Taluiondaîs. 

Pour  récompenser  Guillaume  le  Chauve,  le  fondateur  de  la  dy- 
nastie des  sires  de  Talmond,  de  l'aide  qu'il  hji  avait  priMée  contre 
les  fils  aînés  de  son  mari,  la  comtesse  lui  avait  concédé  cerlains 
droils  et  en  parliculier  la  moitié  du  produit  des  églises  d'OIonne. 
Après  la  morl  de  Guillaume,  advenue  vers  1049,  Agnès  reprit 
ce  qu'elle  avait  donné,  mais  comme  le  sire  de  Talmond  avait  dis- 
posé de  ces  biens  en  faveur  de  l'abbaye  de  Sainte-Croix  qu'il  avait 
fondée,  ce  furent  en  fin  de  comple  les  moines  qui  se  trouvèrent 
lésés. Tant  qu'Agnès  dominaen  Poitou,  ceux-ci  ne  purent  faire  que 
de  timides  réclamations,  mais  quand  la  silualion  de  la  coinlesse 
se  trouva  diminuée,  en  ce  moment  leur  voix  s'éleva.  Guillaume 
le  Jeune,  fils  et  successeur  de  Guillaume  le  Chauve,  s'était  résolu 
en  1056  à  partir  en  pèlerinage  pour  Borne,  mais  avant  d'enlre- 
prendrece  voyage,sachant,disail-îl,qu'ily  a  danger  pour  ceux  qui 
le  font  et  qu'il  ignore  les  accidents  du  cliemin,  il  régla  ses  alTaires 
el  en  parliculier  reconnut  le  droit  des  moines  de  Sainte-Croix  sur 
les  églises  d'OIonne.  Il  ne  revint  pas  et  eut  pour  successeur  son 
frère  Pépin  qui,  à  son  tour,  ne  larda  pas  h  succomber,  ne  laissant 
pour  héritières  que  sa  sœur  Asceline  et  sa  mère  Ameline.  Mais 
le  comlc  de  Poitou,  soit  en  vertu  du  droit  de  rachat  à  merci, 
droit  féodal  ([ui  était  peut-être  déjà  eu  vigueur  et  qui  le  rendait 
usufruitier  de  la  seigneurie  jusqu'à  ce  que  son  possesseur  eût 


GUILLAUME  AIGKET 


adi 


acquitté  des  droits  considérables  pour  rentrer  enjouissancedc  son 
Lien,  soit  que  l'acte  de  la  concession  l'aile  par  Guillaume  le  Grand 
au  premier  sire  de  Talmond  eût  spécifié  que  celte  importanle 
seigneurie  reviendrait  au  domaine  comlal  dans  le  cas  où  la  des- 
cendance mâle  de  ses  possesseurs  serait  interrompue,  toujours 
est-il  que  GuillaumeAigret  mit  la  main  sur  le  domaine  de  Talmond 
et  qu'il  vint  s'y  installer  avec  une  nombreuse  suite,  au  commence- 
ment de  l'anni'e  1058,  pour  se  livrer  aux  plaisirs  de  la  chasse. 

Dans  sa  compagnie  se  trouvaient  sa  femme  llermensende,  Guil- 
laume, évêqued'Angoulème,  Savari,  vicomte  deTliûuars  et  autres 
grands  personnages.  L'abbé  de  Sainte-Croix,  Vital,  profita  de 
l'occasion  et  vint  directement  se  plaindre  ù  lui  du  lorl  que  lui  avait 
causé  A{^'iil's  en  s'empuranlde  la  moitié  de  la  dîmeeldes  oiïertes 
d'Olonne.  Le  comte  fil  porter  l'aiïaire  à  un  plaid  qu'il  tint  à  Tal- 
mond et  où  assistèrent  les  gens  de  sa  suite  et  les  principaux  per- 
sonnages du  pays.  Dans  celle  assemblée,  où  les  droits  d'Agnès 
furent  sans  doute  défendus  par  Renoul  de  Saint-Michel,  le  prévôt 
qui  administrait  ses  domaines  du  Tulmonduis,  il  fut  déclaré  que 
la  comtesse  avait  injuslemenl  mis  la  main  sur  les  possessions  de 
Sainte-Croix,  et  Guillaume,  ratilianl  celte  décision,  ordonna  que 
l'abbaye  rentrerait  pour  toujours  en  possession  de  ce  qui  lui  avait 
été  enlevé;  de  plus,  soit  pour  raison  de  dévotion,  soit  pour  indem- 
niser les  moines  du  tort  qui  leur  avait  été  causé  depuis  plusieurs 
années,  il  leur  fit  don  du  droit  de  pânage  pour  tes  porcs  de  l'at>- 
baye  dans  la  forêt  deJard  qui  faisait  partie  du  domaine  comlal  (1), 

A  la  fin  de  cette  même  année,  les  comtes  de  Poilou  et  d'Anjou 
élaienl  en  guerre.  Geoffroy  Martel,  aprèsja  répudiation  d'Agnès, 


(i)  fjart.  de  Tulmorid,  pp.  76-77.  I-^  seigneurie  de  Tnimonri  était  eocote  entre  les 
maÎD»  du  conilc  de  Ptiitou  quand  arrive  la  mort  de  Guillaume  Aiiçrel;  c'est  ce  quff 
l'ou  doii  inférer  de  deux  ucics  du  cartuiaire  de  Sainte-Croix,  non  datés  il  est  vrai, 
mais  (fans  l'un  desquels  il  est  dit  qu'aussili^l  après  le  décès  du  comte  Guillnume  son 
frère  GeolTroy-tjuy,  confirma  aux  rnûines  de  Talmoud  lu  eoncessioti  que  sou  prédé- 
cesseur venait  de  leur  faire  {^.^«r/.  iie  Tftl/nond,  pp.  77  et  i»7).  La  constataiion  de 
ce  fait  doit  faire  renvoyer  ù  1  anuée  loSS  la  prise  de  possession  de  la  sciarneuri»  de 
Talmond  par  Cliàlon,  mari  d'Asceline,  que  les  historiens  plii<;aient  en  l'anui-c  loây  en- 
viron (//.,  p.^  Gi).  Une  autre  preuve  que  Geoffroy  déliol  pendunl  quelque  temps  la  aei- 
gaeurie  de  Tulmond  est  fournie  par  le  carhtlnire  de  Sainlc-CroiTc  i|ui  noua  uppreud 
{II.,  p.  I  iq)  que  BosoQ  ^  de  Davio  n  exenjpla  les  navires  de  l'abbaye  du  droit  que  lui 
payaieni  ceux  qui  faisaieni  le  ininsit  avec  la  Ittclagne,  el  ceci  du  conseolement 
d'abord  de  Geoffroy  et  ensuite  de  Châlon,  ses  seigneurs. 


a64 


LES  COMTES  DR  POITOU 


n'avait  pas  rencontré  lasafisfaction  qu'il  chi.'t'clmil  ;  il  remplaça 
bienlùl  Grécie  par  Adèle,  la  fille  du  comte  Kudes,  puis  il  revint  à 
Grécie  el  enfin,  après  un  nouveau  renvoi,  il  s'allachaà  Adélaïde  la 
Teutonne  (i).  Celle  dernière  mil  promplemenl  à  proiit  l'ascen- 
dant qu'elle  prit  sur  le  vieux  comte,  et  se  Ut  aUribuer  par  lui 
un  mag;nifique  douaire  qui  comprenait  le  Sauuiurois  el  d'autres 
domaines  que  les  héritiers  de  Geoffroy  durent  plustard  racheter. 
En  agissant  ainsi,  le  comie  d'Anjou  brisail  les  derniers  liens  qui 
pouvaient  le  rai  tacher  encore  à  Agnès  ;  il  disposait  du  douaire 
qu'il  lui  avait  constitué  bien  des  années  auparavant  et  l'on  peut 
croire  que  la  comtesse  n'élait  pas  d'humeur  à  se  laisser  impuné- 
nienl  dépouiller  de  ses  revenus.  Elle  sortit  de  sa  retraite  el  eut 
encore  assez  d'au  loi- ilé  sur  son  fils  pour  le  décider  a  faire  valoir 
Ses  droits  les  armes  à  la  main.  Cette  fois  le  comte  de  Poitou  prit 
ses  précautions  el  ce  fut  son  adversaire  qui,  hors  de  doute,  fut 
surpris.  Geoffroy  essaya  bien  de  résister  h  colle  attaque  inopinée, 
mais  les  premières  rencontres  ne  lui  furent  pas  favorables  et  il 
se  laissa  enfermer  dans  le  château  de  Saumur  dont  Guillaume 
vint  faire  le  siège  en  règle.  La  situation  du  comte  d'Anjou  était 
des  plus  critiques,  quand  il  fut  sauvé  par  un  de  ces  coups  de 
chance  dont  son  histoire  abonde.  Le  comte  de  Poitou  tomba 
malade  de  la  dysenterie  el  fut  contraint  de  se  retirer;  peu 
après  il  succomba  à  la  maladie,  âgé  seulement  de  trente-cinq 
ans  (2).  Ses  entrailles  furent  portées  dans  l'église  do  Saint-Nico- 
las de  Poitiers  (3). 


(i)  Celle  iiiiunvéralioti  Jcs  femmes  de  GeolTroy  Martel  «c  rencontre,  dans  une  cbarle 
de  l'abbiiye  du  Hooccray  i[ui  les  qualitie  toutes,  saua  disliiictîon,  du  iJlre  de  eoncu- 
liinea  OJarchetç-iy.  Citron,  des  é<jl,  d'Anjoit^^,  293,  Dole  i).  M.l'abbd  Mêlais,  s^ap- 
puyaiit  sur  la  cliarte  n"  CV  de  la  Triaiiê  de  V^eadiiiue  et  la  ctiartc  de  la  fondai  ion  du 
[irieuré  du  Flessis,  dépendant  de  l'abbaye  de  Bourg'ueil,  avance  qu'Agnès  fut  reprise 
par  SUD  mari  en  io56  pour  être  répudiée  à  nauveau  biealilt  après  [Cari,  saint,  de  la 
Trinité,  p.  fi,  noie  t).  Mais  celte  a^serlian  ne  repose  que  sur  un  acte  dalé  de  io56 
(C'iri.  de  ia  Trinité  de  Vendt^me,  I,  p.  78)  où  ou  ra[ip«lle  les  fondations  de  la  Tri- 
nité cl  de  rt-vière,  faites  la  première  avant  la  iiiurl  de  Foulque»  Nerra  advenue 
le  ar  juin  10^0,  l'aulre  peu  après  son  décès;  cet  ade  n'est  <|u'une  iiolîce  rappelant  des 
faila  anténeurs  à  sa  rédaction  et  no  piNil  en  aucune  laron  élrc  appliqué  à  A;;'nés, 
Le  prieuré  de  l'Evière,  selon  C.  Port  {Dict.  de  Mai ne-el- Loire,  Ij  p.  .%)  a  été  fondé 
à  deux  fois,  en  io4o  et  en  1047, 

(21  Marcfiei^ay,  Chron.  des  ér/i,  d'Anjou,  p. /|,oo.  Sainl-Maix<*nl  ;  IJcsIy,  //'*/.  des 
comtes,  preuves,  p.  327  bis;  Mêlais,  Curt.  de  lu  Trinité  de  Vendôme,  I,  pp.  120 
et  lai. 

(3}  Arch,  hisl.  du  Poilou,]l,  p.  i3.  Cari,  de  Saial-Nicolaa. 


GUILLAUME  AIGRET 


365 


r 


k 


Il  ne  laissait  pas  d'enfanlset  son  frère  Guy-GeofTroy  fut  appelé 
ri  lui  succéder  lant  comme  duc  d'Aquitaine  que  comme  comte  de 
Poitou.  Sa  femme,  tlermensende,  donl  il  éluj't  lendremenl  aimé, 
se  relira  du  monde  el,  dit  le  chroniqueur,  se  voua  à  un  veuvage 
sévère.  Kllefil  même  plus,  elle  embrassa  la  vie  religieuse  et  fina- 
lement se  relira  à  Home  auprès  de  sa  belle-sœur  Ala,  qui,  après 
avoir  gouverné  l'empire  d'Allemagne  en  qualité  de  régente  de 
1056  à  1061,  el  renversée  du  pouvoir,  s'en  fut  chercher  au  loin 
ie  repos  du  cloître  (1). 

Les  chroniques  fournissent  relativement  peu  de  détails  sur 
la  vie  de  Guillaume  V,  mais  son  surnom  d'Aigrel,  Arerrimus, 
et  le  passage  de  la  chronique  de  Saint-Maixent,  où  il  est  dit  que 
pareillement  à  son  frère  Geoffroy  il  réalisa  de  grandes  entreprises 
«  ulrique  magna  el  forli  agesserunt  »,  nous  laissent  à  penser  qu'il 
gouverna  vigoureusement  le  duché  d'Aquitaine  el  qu'il  sut  répa- 
rer les  maux  causés  par  la  captivité  de  Guillaume  le  Gros  el  par 
son  arrivée  au  pouvoir  à  la  suite  d'une  guerre  civile. 

Il  est  le  premier  de  nos  comtes  dont  on  connaisse  un  sceau. 
11  en  usait  rarement  el  il  ne  parait  pas  qu'il  ail  eu  un  chancelier  ; 
il  est  possible  qu'il  ail  recouru  lï  celui  du  chapitre  de  Sainl-liilaire 
donl  il  pouvait  requérir  les  services  en  sa  qualité  d'abbé  de  cet 
établissement.  Une  empreinte  de  ce  sceau,  aujourd'hui  perdue, 
élail  apposée  à  la  charte  de  confirmation  des  dons  faits  par  Agnès 
à  la  Trinité  de  Vendôme  de  l'année  1040  environ;  elle  élait  sur 
cire  blanche  et  était  suspendue  au  parchemin  par  un  double  lacs 
de  cuir;  on  y  voyait  un  guerrier  à  cheval, armé,  tenant  une  épée 
d'une  main  et  un  bouclier  de  l'aulre.  Une  légende  entourait  celte 
figure  et  devait  porter  l'indication  de  Guillaume,  comte  des  Poi- 
tevins et  duc  des  Aquitains  (2). 


(i)  Resly,  //tsi.  des  contins,  preuves,  p.  333  bis,  d'après  deux  lettres  du  cardinal 
d'Osiie,  Pierre  Darnien,  à  l'impcralrice  A;fnc«;  voy.  aussi  aux  pages  iJa^»  3^7  el 
3;<8  bis. 

(2)  Mêlais,  Cart.  saint,  de  la  Trinité  de  Vend/'ime,  p.45.  La  descriplioa  de  ce  sceau, 
qui  appartient  au  type  que  l'on  est  convenu  d'appeler  le  type  équestre,  se  trouve  dans 
un  oifiimiis,  daté  de  1527.de  la  cbarte  de  Guillaume  Ai)jrel  :  la  lét^ende  avait  presque 
tolnleineat  disparu  el  l'on  n'y  lisait  plus  alors  ([ue  la  iia  du  dernier  mol  :  anoiwm 
{.[i/uilanoru/rtf. 


9«6 


LES  COMTES  DE  POITUU 


XIV  -  GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 

VI"  Comte.  —  Vil  h  Dlc. 
(io58-to86) 


Le  successeur  de  (juillaume  Aif^rel  porte  trois  noms  dans 
rhisloire  :  Guy,  Geoffroy  et  Guillaume.  Lors  de  son  baplême  il 
recul  celui  de  Guy,  Wido  (1).  Mais  de  1res  bonne  heure  et  con- 
ctirrenmienl  avec  lui  ap|>araît  celui  de  Geoirroy,G*7;///w/w^-  (2).  Il 
n'y  a  pas  lieu  d'hésiter  à  reconnaître  dans  ce  fait  l'œuvre  d'Agnès 
qui,  de  même  qu'elle  faisait  prendre  à  Pierre,  son  fils  aîné,  le 
nom  de  Guillaume,  bien  avant  qu'il  fùl  monté  sur  te  trône  ducal, 
avait  aussi  pu  rêver  de  faire  passer  le  comté  d'Anjou  sur  la  tête 
de  son  lits  cadet.  Elant  femme  à  savoir  ce  qu'il  fallait  espérer  de 
l'issue  de  son  mariage  avec  Geoffroy  Martel  et  calculant  les  clian- 
ces  d'une  union  stérile,  il  avait  dû  entrer  dans  ses  plans  ambi- 
tieux de  substituer  son  fils  aux  deux  neveux  de  Geoffroy,  Lors  du 
mariage  de  sa  mère,  Guy  avait  environ  six  ans,  et,  comme  il 
arrive  souvent,  Geoffroy,  n'ayant  pas  d'enfants, reporla  toute  son 
alTeclionsurle  dernier-né  de  sa  femme.  Celui-ci, du  reste,  conserva 
toute  sa  vie  un  souvenir  ému  des  soins  dont  le  comte  d'Anjou 
avait  entouré  sa  jeunesse  et  c'est  à  lui-même  que  l'on  en  doit  le 
témoignage  quand  on  le  voit,  dix-sept  ans  après  la  mort  de  Geof- 
froy Martel,  l'appeler  publiquement  son  seijçneur  et  quasi  son 

(i)  «  Guido  d'ictus  ia  l/a^jtisino,  GulHeimus  cagnomiae  »  (Ctrol  tle  lu  Ville,  //ist. 
de  la  Grantle-Sautre,  preuve»,  I,  p.  49^)- 

(2)  Lu  charte  de  Saint-Hiîuire  dalcc  de  novembre  io58.  où  l'on  trouve  pour  la  prc- 
nùcrc  fois  le  nom  de  Guy  dans  un  litre  nullienlifpie,  indit|ut;  ex[)ressènieat  que  celui 
de  Geoffroy  est  un  surnom  ;  «  S.  ^Viilnnis,  quem  GausFridum  cognomiaBbamus, 
alibnlift  «lustri  »  {ÏKédcl,  Duc. pour  Saiiit-/Iiiaire,l,p.  89).  Ce  uoni  de  Geoffroy  est  du 
ri'ste  donné  ù  notre  rorntc  liicn  anlcrieurenicnl  à  sa  prise  de  possession  du  conilé  de 
Hoitou.  Ainsi,  en  \o/\\,  on  lit  dans  uue  ehutie  de  l'aLbaye  de  Sainl-Maixenl  *A.  Ri- 
chard, Charles  de  Sairit'Mni\r<'nf,  I,  p.  nf))  celle  menlion  spéciale  :  a  Willelnio 
comité  cum  tuo  gerin.-tno  Goslredo  »;  de  noiubrcu-x  exemples  de  cette  appellation 
se  renconlrcDl  dès  celte  époque  dans  les  litres  des  ctablisscmenls  religieux  de  la 
ré^ioa.  Enfin  la  clirouique de Saint-Maixent  lorsqu'elle  cnreifîstrcla  naissance  du  comte 
s'exprime  ainsi  :  «  G:uifrednm  qui  cl  Wido  vocalus  est  r>  el  lors  de  sa  mort  elledil: 
«  Obiil  Guido  qui  cl  GoB'redus  ».  (Marcbegay,  Chron.  des  égt.  d'Anjvu,  pp.  i588 
et  4o3). 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


«67 


père  (l).De  celle  habitude  prise  de  bonne  heure  il  est  résulté  que 
c'est  sous  ce  nom  de  Geoffroy  que  notre  conile  de  Poitou  est  le 
plus  fréquemment  désigné  et  que  lui-même  aimait  à  s'entendre 
appeler.  On  ne  connaît  qu'un  seul  de  ses  trois  noms  reproduit 
sous  une  forme  monogrammatique  et  c'est  celui  de  Geoffroy  (2). 
C'est  seulement  après  sa  prise  de  possession  du  couilé  de  Poitou 
qu'il  se  fil  donner  dans  les  actes  le  nom  dynastique  de  Guil- 
laume (3).  [*ûur  plus  de  précision  certains  documents  ont  désigné 
ce  comte  sous  deux  de  ses  noms (4)  :  à  leur  exemple  nous  l'appel- 
lerons Guy-Geoffroy,  comme  le  fait  la  chronique  de  Sainl-Maixent 
quand  elle  relate  son  décès  et  qui  est  le  nom  le  plus  particulière- 
ment consacré  par  rhistoire(5).Ilavailpour  habitude  de  s'intituler 
dans  les  actes  authentiques,  tout  à  la  fois  comte  des  Poitevins, 
t:omesPiclavenutim,iil  duc  des  Aquitains,  é/wj-  A(/uitanon/m,  iipàr 
la  grâce  de  Dieu  «,  mais  il  prenait  aussi  ces  titres  isolément  sui- 


(1)11  DomiDUi^  et  taaquam  paler  meus  Gosl'ridus  cornes  >,  â3  mai  1078  (Mêlais, 
Cm/7,  saint,  de  la  Trinité  de  Venddme^  p.  6a), 

(2)  Les  chartes  ori-jinales  du  cliapilredeS»inl-Hil»lrc  de  Poiticra  nous  oDl  conservé 
deux  représenlatious  de  ce  mono;jrannne,  TuDri  de  l'aDDée  1067,  l'autre  du  ^  fé- 
vrier io83  (Arcli.  de  la  Vienne,  ori?.^  Saiut-Hilairc,  do«  65  el  7a)  ;  on  irourrra  ces 
rnoDOi^rammes  sur  uue  planche  spéciale  ainsi  que  les  croix  aulograpLes  ijue  le  comte 
Irarail  souvenl  au  bas  (îes  actes  à  la  suite  de  son  nom, 

(3)  Nous  n'avons  rencontré  dans  le  niiitutieux  dêpouillenn^nl  des  pièces  oïli  ii  est 
fait  rncnlion  du  cotnlc  de  Poitou,  nui|uel  nous  nous  sommes  livre,  aucune  indicatioD 
précise  soil  sur  le  temps  suit  sur  les  lieux  où  l'un  des  triais  noms  sous  lequel  il  était 
connu  fui  spécialentcnt  employé.  Pendant  assez  lonsflemps,  dans  les  chartes  de  Poi- 
tou, il  est  |>lus  particuiicreincnt  appelé  Guy,  mais  à  partir  de  107')  euviron  le  nom  de 
Geoirroy,tjui  se  trouve  surlouL  dausiesilocumentsde  la  Sainton«îc  ou  de  la  région  An- 
li;cviuc,  leitd  k  prédominer;  quant  à  celui  de  Gtiillauine,  il  lui  est  surtout  donné  dans 
le  Bordelais,  la  Gascogne,  le  Limousin  et  dans  les  documents  cmanë.<«  de  pcrsonnai^es 
éfranefcrsau  Poitou,  tels  que  le  roi,  le  pape,  les  chrooïqueurs.  Le  premier  emploi  de 
ce  nom  de  Guillaume  que  nous  ayons  relevé  jusquMci  se  trouve  dans  une  charte  de 
la  collégiale  de  Sainl-.Scurin  de  Bordeaux  de  l'an  io6o(Besly,  Hist.des  comtes,  preu- 
ves, p,  345  bis;  Bruiails.  Cnrt.  de  Saint-Seurin,  p.  i3). 

(.'1)  Outre  les  exemples  tirés  de  la  chrunîque  de  Sainl-Maixcnl  et  du  cliarlrier  de 
Saiot-Ililaire  cités  à  la  pa^e  précédente,  on  relève  cucore  quelques  variantes  du  nom 
du  comte  dans  les  cartulaires,  tels  que  u  Gofridus  Guydo  (Talmond,  infjS},  \\'ido 
coçnûmioalus  Gofrcdus  [Sainl-Jean  d'Anjçély,  107G),  NVido  conjes  arj;nomeoto  Jof- 
ridus  (Sainl-Maixent,  loG/j),  Guido  qui  el  aiio  nominc  Goiïredus  vocabatur  (Saiul- 
Mnixent,  1078)  »,  Le  nom  de  Geoffroy  n'a  été  accolé  que  fort  rarement  k  celui  de 
Guillaume  ;  on  le  trouve  seulement  dans  son  inscription  tumuluirc:  1  Gulltelmus  qui 
Gaufridus  »,  et  dans  une  chronique  de  la  cathédrale  d'Ang-outème,  <t  Willclmus  Geo- 
fredus  «,  ce  qui  ne  peut  infirmer  les  lémoignaiçes  fournis  par  des  documents  authen- 
tiques appartenant  aux  diverses  anuées  de  la  vie  du  comte. 

(5)  Bcsiy,  //ist.  des  comifs,  p.  96:  Guy-GKormoY-GuiLLAUME  VII;  le  P.  Anselme, 
Hiitt.gènénl.  de  ta  maison  de  France,  11,  p.  5i8:  Go-Geoffroy  dit  Glillaumc  VIII; 
L'Art  de  oérijter  les  dates,  1770,  p,  710:  Gut-GËornor,  Guillaume  VL 


sft8 


Li:s  COMTES  DE  POITOU 


vaut  les  circonslances  et,  lorsqu'il  s'agissait  d'actes  intéressanl 
seulement  le  Poitou,  il  est  jj'énéralemetil  désigné  dans  les  sous- 
criptions avec  la  simple  qualité  de  comte  des  Poitevins  ;  cepen- 
dant, à  la  fin  de  sa  carrière,  son  titre  de  duc  seml>la  préva- 
loir (1). 

Lorsque  Guy-GeofTroy  devint,  par  la  mort  de  son  frîîre,  comle 
de  Poitou  et  duc  d'Aquitaine,  il  était  déjà  depuis  plusieurs  années 
en  possession  du  liordelais  et  de  l'Amenais.  Eudes,  sonderai-frère, 
avait  hérité,  vers  1036,  du  chef  de  sa  mère,  Brisque,du  duché  de 
Gascogne,  mais  il  n'en  avait  joui  que  peu  d'années,  ayant  été  lue 
en  1039  au  siège  de  Mauzé,  A  sa  mort,  Agnès  put  mettre  sans 
dilliculté  la  main  sur  le  Poitou, qui  revenait  du  reste  naturellement 
à  ses  enfants,  mais  on  ne  saurait  dire  au  juste  si  elle  réussit  à 
garder  Bordeaux.  Il  semble  que  Tarcbevôque  de  celte  ville, 
Geoffroy,  profitant  des  circonslances,  ail  visé,  comme  le  tentèrent 
d'autres  prélats  à  cette  époque,  à  s'octroyer  une  semi-indépen- 
dance. Bien  qu'il  eût  été  nommé  par  le  comle  Sancho  en  1027, 
ce  n'était  pas  un  homme  du  Midi  ;  il  appartenait  h  la  race  franque, 
et  Guillaume  le  Grand,  avons-nous  dit,  ne  fut  pas  étranger  à 
son  choix.  Quel  rôle  joua-l-il  pendant  les  cinq  années  qui  sépa- 
rent la  morl  d'Eudes  dujouroù  Agnès,  dans  la  grande  assemblée 
des  barons  poitevins,  fit  reconnaître  son  fils  comme  comte  de 
Gascogne?  Les  textes  sont  muets  à  ce  sujet.  Il  est  seulement  un 
lait  certain  c'est  que  les  comtes  de  Périgord  avaient  pris  pied  dans 
le  pays,  soit  pour  leur  propre  comple,  c'esl-à-dire  en  faisant  va- 
loir certains  droits  à  Fhérilaged'Eudes,  soitque  l'archevêque,  in- 
capable de  lutter  avec  SOS  propres  forces  contre  les  puissants  com- 
pélileurs  à  la  possession  de  sa  ville  archiépiscopale,  ait  fait  avec 
eux  un  partage  du  pouvoir.  Toujours  est-il  qu'en  1043  une  cer- 
taine comtesse  Aina,en  donnant  à  l'abbaye  do  Notre-Dame  de  Sou- 


^t)  Voici  le  relevé  de  ces  diverses  sppclEa lions  :  Duc  des  Aquitains  a  dnx  Aquita- 
norum»,  «  ou  Aquitanis  »;  vvc  u'Ai^vitaive  «  dus  Aquilauia;  »,  ou  encore  «  dux  in 
Aquitaaia  »,  ou  ot  dux  Ai|uiliinicus  »  {Curt.  de  N.-D.  de  Stiinles,  io58);  piu.><:b  uks 
AQUITAINS  tt  princeps  AquitaDorum  »  (C/iarl .  de  ;V<j/7/crtf/.ï,  1060)  ;  comte  uk  Poitou 
«  conies  Pictaveasis  «  ou  «  Picluvia  u,  comte  des  Poitevins  u  conie»  Piclavorum  »,  duc 
DUS  Gascons  a  dux  .-Vquîtauoruni  scu  Guasconum  >*  {Char(.  de  Cliini/,  1070);  i'hincb 
DK  Gascogne  «  priticeps  Vasconie  »  (Churt.de  la  /iêoie,  jo8/();  coûte  Dts  BonDU^Ais 
X  cornes  liurdei^aleasiuni  o  {Cart.de  Vaujc^vers  1074), <:t  euiiu  utc  osa  Gaulois  «dux 
Gallorum  »  (Chart.  de  Suint- Mai jcent,  loCo  ou  io(ii). 


GUY-GEO  FFROY-GL'!LLALMK 


36g 


lac  des  domaines  situés  sur  In  Dordoçne,  s'inlitulail  à  la  fois  com- 
tesse de  Bordeaux  et  de  Périgueiix  (I).  Qu'était  celle  comtesse 
Aïna?  Simplomenl  la  veuve  d'Aiideberl  H,  comte  de  Périgord, 
qui  dut  décéder  à  peu  près  h  celte  époque,  laissant  plusieurs 
jeunes  enfanls  :  Hélie,  Audeberl,  et  une  fille  dont  on  ignore 
le  nom  (2). 

Agnès,  après  la  mort  d'Eudes,  n'avait  pas  renoncé  à  faire  valoir 
les  droits  que  pouvaient  avoir  ses  enfants  à  une  pari  dans  l'héri- 
lage  de  leur  frère  consanguin,  mais  elle  avait  dû  se  résigner  à 
alLendre  que  celui  â  qui  elle  la  destinail  fut  en  élal  de  pouvoir 
soutenir  on  personne  sesprétentions.  l^Ln  lOii.Ciuy-GeolTroy  avait 
près  de  vingl  ans  ;  c'est  alors  qu'Agnès,  en  femme  avisée,  entra 
en  pourparlers  avec  la  comtesse  Ama,  qui  devait  avoir  fort  à  faire 
pour  soulenir  la  lulle  contre  les  prétendants  au  duché  de  Gas- 
cogne ;  elle  lui  demanda  pour  son  fils  la  main  de  la  fille  d'Aude- 
berl,  à  qui  fiirenl  abandonnés  en  dol  tous  les  droits  et  toutes  les 
prétentions  des  comtes  de  Périgord  sur  le  Bordelais  (3). 


(1]  «  Aona  coniilissa  Burdc(^1ensis  seu  Peitafçoticœ  patriae  »  [Gallia  Christ,,  II, 
inslr. ,  col.  a6«j}.  Le  icxterlu  Galliu  porle  <t  Aoua  »,  mais  le  nom  réel  de  la  comlesse, 
d'après  le  r;irlulairr  de  Nolrc-Diitnc  de  Suinles,  paraît  l'Ire  a  Aîoa  i>. 

(2)  L'//i.t(,  cfironolti^it/iie  de  la  Maison  de  France,  VA  ri  de  vérifier  les  dates, 
la  lisle  chronoiotfiiiue  des  granda  FeuJalaires  de  Y Atirtttnire  de  lu  Société  de  l'Ilis- 
tiiire  lie  France^  pour  ne  citer  que  ceux-là  onl  accumulé  erreurs  sur  erreurs  dans  la 
chriinolûçic  des  comtea  d'AnjçouIcme,  les  confoadnotavec  Irjj  comles  de  (a  Marche  et 
dénalurant  leur  Hliation.  M.  de  Mas-Lalrie,  dans  son  Trésor  de  Clironnloyie,»  ajouté 
de  nouveauTi  élénienls  de  confusion  â  ceux  de  ses  devanciers,  et  L.  l'aluslre,  brochanl 
sur  le  loul,  ne  fail  qu'un  seul  personnajçc  des  Irois  comles  du  nom  d'AudcberL  donl 
deux  du  Péfii^ord  cl  l'un  delà  Mnrche,(]ui  vivaieut  au  temps  de  Guy-GcolFroy.  L'élude 
alleotive  des  textes  publiés  par  le  Galliu  el  [larle  carlulaire  de  Notre-Dame  de  Saintes 
nous  a  permis  de  redresser  res  multiples  contradiclious.  Ilélie,  comte  de  Pérîfçord 
par  la  jjrâce  de  Guillnume  le  Grand(\'(>y.  plus  haul  p.  167),  eut  pour  successeur  vers 
loiii  Audeberl  a  Cadeneranus  »  ;  celui-ci  épousa  Aïoa,  sans  doute  fille  de  Girard  de 
Montagnac,  tjui  possédait  par  droit  licrédilaire  les  domaines  situés  sur  les  bords  de 
la  Dordog^nc  qu'elle  donna  à  l'abbaye  de  SouIpc.  Audeberl  ne  g-ouvcrna  le  comlô  que 
peu  de  Itinpa  {Gai L  iJhrist,  II,  col.  l'i^çj),  et  mourut  assurémcnl  avant  io4-^,  date  à 
laquelle  sa  femme  fit  la  donation  préciiée  ù  Notrc-Dauic  de  Soulac.  Il  laissa  plusieurs 
enfants  :  Hélie,  qui  lui  succéda,  Audebert  el  une  fille,  à  tout  le  moins.  Hélte  et  Au- 
deberl, aiçissaal  sous  l'aulorîté  de  leur  mère  Aïna,  doDuèrcul  Aidrulel  au  prieuré  de 
Sninl-Silviiin  {Cart.  de  JVotre- Daine  de  SninleSj  y.  1  i«j),  puis  Hélie  seul  Ht  don, 
vers  lo'io,  de  ce  même  prieuré  de  Sainl-Silvain  à  l'abbaye  de  Saintes  {Ctirt.de  Noire- 
Dame  de  Saintes,  p.  28).  il  cul  pour  successeur  son  frère  Audeberl  111,  qui  mourut 
vers  1107  ou  1117,  seliin  les  historiens  susnommés. 

(3)  Marchegay,  Cltrûn.  des  égl,  d'Anjou,  pp.  Sgîi,  ^00,  Sainl-Maixcnt.  Voici  com- 
naeut  s'exprime  la  chronique  au  auj^t  de  l'accession  de  Guy-Geoffroy  au  conilé  de 
Gascojrae :  «  Allerum  in  Gasconîa  transroissum  cl  comilem  facium  ....  habuilque 
Gaufridus  itluc  uxorem  suam  AuJeberti  comilia  Pctrai^orica:   fitiam  ».    Dans  ctiie. 


870 


LES  COMTES  DE  POITOU 


fldt'vfiit  y  avoir  cnlre  les  doux  ^'poux  une  grande  dispropor- 
tion d'âge,  mais  l'essenliel  (''lail,  pour  une  femme  ambitieuse 
comme  Agnès,  d'avoir  assuré  h  son  fils  des  droits  à  revendiquer 
et  des  ressources  pour  les  faire  valoir.  Socimdi;  par  les  contin- 
gents angevins  ot  poitevins  que  sa  m^'-remil  à  sa  disposition,  Guy- 
GeoITroy  entama  la  lullc  contre  les  deux  grands  seigneurs  du 
midi  :  Centule  III,  vicomte  de  Béarn,  et  Bernard  11  Tumapalcr, 
comte  d'Armagnac,  qui  prétendaient  l'un  et  l'autre  à  l'héritage 
des  ducs  de  Gascogne. 

11  ne  larda  pas  à  trouver  un  puissant  auxiliaire  dans  la  personne 
d'un  nouvel  archevêque  de  Bordeaux.  Geoffroy  étant  mort  le 
10  juillet  de  cette  année  1044  ou  de  l'année  t045,  Agnès  fit  élire  à 
sa  place  une  de  ses  créatures  qui  fut  toute  sa  vie  un  de  ses  plus 
actifs  agents.  Arcliembaud,  abbé  de  Saint-Maixent,  qui,  sorti 
d'une  petite  famille  de  la  Gâtine  du  Poitou,  arriva  rapidement 
à  ces  hautes  dignités  (t). 

Aussi  habile  négociateur  que  guerrier  redoutable,  Guy- 
Geoffroy  arriva  à  conclure  avec  ses  adversaires  un  accord  du- 
rable :  ils  lui  reconnurent  la  possession  du  Bordelais  et  l'Agenais, 
mais  il  ne  prit  que  le  titre  de  comie  de  ces  régions,  abandonnant 
aux  deux  compélileurscelui  de  duc  de  Gascogne  qui  emportait 
la  suprématie  sur  toutes  les  seigneuries  s'étendant  de  la  Garonne 
aux  Pyrénées  (2),  Ceux-ci  s,e  disputèrent  longtemps  ce  gros  mor- 


phra<ie  qui  rapporte  si  brièvement  ce  qu'il  DOua  a  t'allu  dètnillcr  co  plusieurs  lîgoes, 
l'emploi  du  mol  "  illuc  »  est  siguitjcalif;  il  veut  cvidemmenl  dire  que  c'est  eu  vue  de 
la  possessi<>ii  du  comté  de  (îaHCOsjne  qu'eut  lieu  le  mariage  de  Geoffroy  tivec  In  title 
d'Audeiitert.  Nous  ajouterons  que  la  tîliatioii  que  nous  avons  précédeniment  dounée 
permet  de  délcrnûuer  la  valeur  exacte  de  deux  nasertions  qui,  au  premier  abord, 
fienaLlcQt  contradictoires.  La  clirunique  de  Saiot-Maixcril,  p.  'Sij'i,  dît  que  Guv-Gcof- 
froy  épousa  In  lille  d'Atidelicrl,  comte  de  Périçord,  taudis  qui"  IScsIy.  dans  son  His- 
toire des  comleSf  p.  y^,  rapporte  au  cootraire,  seuible-t-il,  que  la  fcaime  du  comte  de 
Poitou  était  sœtir  d'Audebert.  En  se  reportant  au  tableau  qui  suit,  on  peut  se  coa- 
vniucre  que  les  deux,  écrivains  oat  l'un  et  l'autre  raison,  leurs  textes  se  rapportant  à 
des  pcraonaagcs  différeuta: 

Hélie  II,  Gis  de  Oosoo,  comte  de  la  Marche 

. I 

Audcl>erl  II,  marié  à  Aîna 

_. J ____^ 

llélie  III,  Audeberl  III,  la  femme  de  Guy. 

morl  sans  postérité  qui  continue  la  Hlintion  Geoffroy. 

(i)  A,  nichard,  Chartes  de  Saint-Maixenl,  I,  p.  uxxiv. 

(a)  Marchegay,    C/iron,  des   égl.   d'Anjou,  pp.    SgS,  4oo,  Saint-Maixenl.  «  Qui 


nUY-GEOFFROY-GlJTLLAUME 


%^l 


ceau,  et  ce  n'os[  que  tardivement  qu'ils  fiiiirenl  par  s'entendre  à 
son  sujet  :  le  litre  ducal  fut  altribué  à  Tumapaler,  mais  sa  sœur 
Adélaïs,  sans  doute  richement  dotée,  épousa  Gaston,  fils  aînr^  du 
vicomte  de  B<'*ani. 

Quant  à  Ciuy-Geoiïroy,  bien  que  devenu  possesseur  incontesté 
des  deux  comtés  qui  constituaient  son  lot,  il  ne  semble  pas  s'être 
contenté  de  cette  situation.  Ses  ressources  devaient  êlre  assez 
bornées  ;  l'aide  qu'il  avait  reçue  n'avait  pns  été  gratuite,  et  pour 
désintéresser  ses  auxiliairea  il  dut  fortement  entamer  le  domaine 
privé  qui  avait  pu  lui  être  dévolu  avec  son  litre  de  comte. 

Ce  domaine  privé  avait  réellement  peu  d'importance,  ayant  été 
gaspillé  par  les  précédents  possesseurs  du  Bordelais,  toutefois 
le  nouveau  comte  ne  négligea  pas  d'aflirmer  ses  droits  souverains 
et  fit  frapper  monnaie  en  son  nom.  En  agissant  ainsi,  il  se 
posait  en  héritier  direct  des  anciens  comtes  nationaux  du  pays 
dont  le  dernier,  Sanchc-Guillaume,  avait  émis  des  deniers  portant 
ces  doublesdésignalions  de  Guillaume, /'ï«?//e//«i'/A\  et  de  Bordeaux, 
Durdefialn.  Mais  il  ne  continua  pas  le  type  de  ces  monnaies  qui 
portaient  le  monogramme  carolin  et  il  le  remplaça  par  celui  qui 
avait  été  adopté  depuis  quelques  années  par  les  comtes  de  Pé- 
rigord,  lequel  dérivait  du  type  d'Angoulôme,  que  Geoffroy 
Martel  avait  à  peu  près  à  la  même  époque  introduit  à  Sain- 
tes. Ce  type  était  caractérisé  par  le  nom  d'un  roi  carlovingien, 
Loi>oiGvs,  mis  au  droit  de  la  pièce  et  au  revers  par  (rois  croisel- 
les.  Guy-Geoffroy  remplaça  le  nom  du  roi  par  le  sien  et  fit  modi- 
fier quelque  peu  les  détails  du  revers  du  denier  (1), 

Du  reste,  pendant  les  dernières  années  de  la  vie  de  Guillaume 
Aigrel,  il  parut  peu  â  la  cour  de  son  frère, fi  qui  sa  récente  union 
pouvait  faire  espérer  des  héritiers,  et  comme  il  avait  toute  quié- 
tude du  côté  de  la  Gascogne  il  put  donner  carrière  à  ses  goûts 
guerriers  ou  même  chercher  les  occasions  de  satisfaire  à  ses  be- 
soins d'argent.  U  s'attacha  donc  à  la  fortune  du  comte  d'Anjou 
et  à  ce  litre  se  mêla  aux  querelles  dans  lesquelles  l'ambilioii  et 


(Wido)  jam  Gasconiam  acquisicrat  armis  et  induslria  i>\  Besly,  ///*/,  des  comtes, 
preuves,  p.  342  bis,  d'après  Ilichard  de  Poitiers:  «  Hii  duo  fraires  sibi  V'asconiam 
Bubju^aruDt  ». 

(i)  Voy,  Appkndick  t. 


rOMTES  DE  POITOU 


le  caractère  boiiiilanl  de  ce  dernier  l'engageaient  conslammenl. 

Le  roi  de  Franer  llpnri  I  avait  pris  parti  dans  la  tulle  engagée 
enlre  fîuillaunie  le  ItAlard,  duc  de  Normandie,  el  le  comte  d'Ar- 
qués. Geotîroy  Marlel,  qui  venait  de  mellre  la  main  sur  le  Maine, 
objet  constant  de  la  convoitise  des  comtes  d'Anjou  el  des  ducs  de 
Normandie,  envoya  des  contingents  au  roi  de  Franco  et  ce  fut 
Guy-Geoffroy  qui  les  commanda.  Le  roi  lui  confia  la  garde  du 
cliâleau  de  Moulins  et  îl  s'y  défendit  viclorieusemenl  jusqu'au 
jour  où  k  reddition  d'Arqués  par  la  famine  le  conlraignil,  en 
iOo3,à  remettre  sa  forteresse  au  duc  de  Normandie  (l).  Malgré 
l'échec  qu'il  éprouva  dans  cette  circonstance,  son  allachement 
pour  le  comle  d'Anjou  le  porta  quelques  années  plus  tard  à 
s'armer  en  sa  faveur  pour  une  noiiveilo  lulLe  contre  l^uillaume  le 
BAtard.  Le  1"  mars  1058,  le  roi  de  France  élail  venu  h  Angers, 
pour  lancer  encore  une  fois  Gooiïroy  Marlel  contre  son  élernel 
rival. Celui-ci  se  laissa  faire  et  alli  assi<''ger  le  cliïlleau  d'Ambriè- 
res  que  le  duc  de  Normandie  avait  édifié  dans  une  forte  position 
sur  les  frontières  du  Maine.Guy-Geoffroy  se  Irouvail  dans  l'armée 
angevine  qui  dut  se  retirer  après  avoir  vu  repousser  toutes  ses 
aliaques  (2). 

C'est  pendant  cette  campagne,  qui  éloignait  les  troupes  du 
comle  d'Anjou  des  frontières  du  Poitou,  que  Guillaume  Aigret 
envahil  le  Saumurois.  Sa  mort  rapide  mit  fin  à  la  lutte  et  Guy- 
Geoffroy  passa  ainsi  subitement  du  rôle  secondaire  d'auxiliaire 
du  comle  d'Anjou  k  la  haute  situation  de  duc  d'Aquitaine.  Il 
était  de  taille  à  bien  remplir  celle-ci  el  à  venir  h  bout  des  dilfi- 
cuJlés  qui  ne  pouvaient  manquer  de  surgir. Une poliliqiie  nouvelle 
s'imposait  en  eiïel  ;  le  nouveau  duc  ne  pouvait  s'associer  à  celle 
qui  avait  depuis  plusieurs  années  dirigé  les  aclions  de  son  prédé- 
cesseur el  forcément  le  rôle  d'Agnès  allait  finir. 

Un  de  ses  premiers  acles  fut  de  rompre  le  mariage  que'danssa 
jeunesse  sa  mère  lui  avait  fait  contracter.  Celle  union  était  restée 
slérile,  aussi  quand  il  se  fut  fait  reconnaître  comme  possesseur 


(i)  Besly,  ///*/.  (les  comtes,  preuves,  pp.  3/|0  bis  et  34 1  bis;  Afig^ne,  Palrolofjie 
lai.,  CIAXIX,  p.  laiO;  fiec.  des  hisl.  de  France,  XI,  p.  82,  Guiliaurne  de 
Poitiers. 

(a)  Besly,  ffist.  des  comtes,  preuves,  p.  37O;  Mabille,  Chron.  des  comtes  d'An- 
jou, iDtrod.,p.Lxxxiii. 


GUY-GEO  FFRÛY-(;LILL  AU  ME 


273 


légal  du  duché  d'Aquilainc  et  que  d'aulreparl  iU'lail  évidenl  que 


le 


)tifs 


iL 


i' 


la  fille  (Il 


mène  sa  mer< 
conile  de  [-"cu-igord  n  avaient  plus  l'intérêt  puissantqu  ils  présen- 
taient quatorze  ans  auparavant,  il  invoqua  des  raisons  de  consan- 
guinité pour  répudier  sa  femme.  Quels  étaient  les  degrés  de  pa- 
renté qui  existaient  entre  eux?  Nous  l'ignorons  au  juste;  peut-être 
mil-on  tout  simplement  en  avant  l'alliance  contractée  par  IJuil- 
laume  le  Grand,  père  de  Guy-Geoffroy  avec  Aumode,  veuve  d'Au- 
debert,  comte  de  la  Marclie,  apparenléaux  comtes  deFérigord(1  ). 
Cet  événement  dut  se  produire  à  la  ïm  de  cette  même  année 
1038.  Nous  avons  connaissance  à  cette  date  d'une  grande  réunion, 
tant  religieuse  que  civile, qui  se  tint  à  Foiliers.  L'acte  qui  la  fait 
connaître  est  d'une  importance  minime. Il  s'agissait  de  la  conces- 
sion, faite  par  les  chanoines  de  Saint-Iïilaire  de  Poitiers  à  un  de 
leurs  confrères,  de  rusufruit  d'un  moulin  situé  sur  lalioivre;  les 
dignitaires  de  la  collégiale, et  en  particulier  le  comte  GuilJaume 
Ajgret,  en  sa  qualité  d'abbé  de  Sainl-Hilaire,  s'étaient  montrés 
favorables  à  cet  arrangement,  mais  évidemment  il  n'avait  pu  Être 
minuté  avant  la  mort  de  Guillaume,  aussi  lé  premier  soin  des 
parties  dut-il  ôtre,  quand  ce  fut  chose  possible,  de  faire  rédiger 
un   acte,  qu'elles  apportèrent  dans  la  salle  du   chapitre  oii  se 
trouvait  leur  comte,  entouré  de  ses  grands^    «  oblimatibus  ». 
Ceux-ci  furent  les  témoins  de  la  convention  et  apposèrent  leur 
croix  au  bas  de  la  charte  ;  c'étaient,  outre  le  comte  Guy,  que  les 
chanoines  déclarenlconnaltre  sous  son  surnom  de  Geoffroy,  Agnès, 
éamère,  lsembcrt,évéquo  de  Poitiers, Guillaume, évoque  d'Angou- 
léme,  Audebert,  comte  du  la  Marche,  Uarthélemy,  archevêque 
de  Tours,  Archembaud,  archevêque  de  Bordeaux^  Arnoul,évêque 
de  Saintes,  Hugues,  vicomte  de  ChAlellerauU,  Adémar  l'avocat, 
Haymond,  abbé  de  Bourgueil,  Pétrone,  abbé  deNoaillé,Joscclin, 
trésorier  de  Saint-lïilaire,  assisté  de  tous  les  membres  du  cliapi- 


(1)  Marclicgay,  Chron.  deségl.  d'Anjou,  p,  4oo,  Saînt-Moixenl.  Les  cliroaîqueurs, 
pas  plus  du  reste  qu'aucun  acte  aulheatique.ne  dous  oqI  coaiicrvé  le  nom  do  lu  pre- 
mière femme  du  comte  de  Poitou.  Il  oc  serait  peut-èlre  pas  impossible  qu'il  fciill« 
l'idcntitier  avec  une  certaiue  relij^ieusc  de  Notre-Dame  de  Saintes,  nommée  Garsende, 
et  déooûimée  dans  uu  acte  de  iiû4  «  Garseoda  de  Feireguis  »  (Cari,  de  JYotre- 
Dame  de  Sai/iteSf  p.  io3);  sa  présence  parmi  les  religieuses  de  Saintes  donnerait  la 
clé  deâ  douatioas  imporlaalcs  que  la  comlesso  de  Périgord  cl  ses  lits  tirent  à  co  uio« 
oastère. 

18 


«74 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Ire.  Il  n'esl  fail,  dans  les  lexles,  aucune  allusion  à  la  cause  qui  avait 
pu  moliver  la  réunion  à  Sainl-Iiilaire  d'un  si  grand  nombre  de 
hauts  dignitaires  eccli'^siasliques.  Mais  la  présence  de  l'avocat 
Adémar,  noté  immédiateraenl  après  le  vicomte  de  Châlelleraull, 
semble  indiquer  qu'une  aiïaire  litigieuse  importante  était  portée 
devant  cet  aréopage.  Nous  pensons  qu'on  y  débattit  celle  de  la 
rupture  du  mariage  du  comte,  le  clergé  étant  forcément  appelé 
à  se  prononcer  sur  les  questions  de  parenté  invoquées  par  les 
parties  en  pareille  circonstance  (1). 

Cet  acle  est  du  mois  de  novembre  iOîiS  et  le  mariage  de  Guy- 
Geoffroy  dut  le  suivre  de  près.  Sa  nouvelle  épouse  s'appelait 
Mathilde,  ou  autrement,  selon  le  parler  poitevin,  Mathéode, 
Mateoda  (2).  L'histoire,  qui  n'a  pas  conservé  le  nom  de  la  pre- 
mière femme  de  Guy-GeoITroy,nous  apareillement  laissé  ignorer 
à  quelle  famille  appartenait  la  seconde  (3). 

A  la  réunion  de  Poitiers  furent  aussi  sans  doute  articulés  des 
griefs  conlre  Archembaud,  l'archevêque  de  Bordeaux.  C'était, 
nous  l'avons  vu,  un  homme  politique,  le  confident  de  la  comtesse 
Agnès  ;  il  ne  pouvait  manquer  d'avoir  sur  la  conscience,  comme 
tant  de  prélats  du  temps,  bien  des  actes  répréhcnsibles,  que  l'on 
ne  manquait  pas  de  relever  quand  lesdélenteurs  du  pouvoir  sou- 
verain les  abandonnaient,  pour  les  faire  descendre  de  leur  trône 
épiscopaU  Tel  fut  le  cas  pour  Archembaud.  Le  duc  d'Aquitaine 
devait  tenir  à  ce  qu'à  la  tète  de  l'archevôcliéde  Bordeaux,  la  senti- 
nelle avancée  et  puissante  de  ses  élats  héréditaires  vis-à-vis  les 
turbulents  seigneurs  du  Midi,  se  trouvât  un  homme  qui  fut  entiè- 


(i)  Rédet,  Doc.  pour  Saint- Hilaire^  I^  p.  88. 

(2)  Marcbcg-ay,  Chron.  des  égt.  d'AnJoa,  p.  ^oo,  Saint-Maixeot,  On  rencontre 
encore  ce  nom  aous  d'aulres  formes  laliues  :  «  Maleldis» (Car/,  de  N.-D.de  Saintes, 
p.  2G)  el«  Malbilda  »  (Rédet,  Doc.  pour  Saint-/Iilaire,l,  p,  91,  et  Besly,  Hitt.  des 
comtes,  p.  341  bis,  d'après  k'  cari,  de  Bourgueil), 

(3)  DieQ  qu'il  soil  luujours  un  peu  périlleux  de  se  laisser  guider  par  de  simples 
indices  il  semble  que,  durant  le  Icaips  de  l'uuioa  du  cûuile  avec  Matbéode,  ou  rencon- 
tre frcqucrimicnl  dans  son  entourage  les  vicomtes  de  Thouars  et  les  acigneurs  de 
cette  région  qui  disparaissent  ensuite.  Y  a-l-il  plus  qu'une  coïncidence  dans  celte 
conslBlaliou?  Uesly  [f/ist.  des  comtes,  p.  99)  dit  que  Matbéode  était  fille  d'Aude- 
bert  I  ou  11,  comte  de  la  Marche,  sans  toutefois  iudiqucr  la  source  où  il  a  pris  ce  ren- 
seignement; noua  ne  pouvons  doue  que  mentionner  son  dire  sans  le  contrôler,  mais 
d'orea  et  déjà  il  nous  parait  avoir  fiiit  une  confusion  entre  Matliëodo  et  la  première 
femme  tanommée  de  Guy-Geoffroy  qui,  selon  la  chronique  de  Saiol-XTaixent  (p.  SqS), 
était  iillc  d'Audcbcrt,  comte  de  l\'rigard. 


r.UV-r.EOFFftOY-GUlLLAUME  376 

remenl  à  lui;  il  le  rencontra  dans  la  personne  de  Joscoliti,  le  tré- 
sorier de  Saint-lIilaire-Ie-Grand  (1).  Ce  chef  du  puissanl  chapitre 
était  le  (ils  de  Guillaume  de  Parlhenay,  rentreprenaiil  allié  du 
comte  d'Anjou  ;  dès  10i7,  Agnès  l'avait  fait  pourvoir  de  la  trésorerie 
de  Saint-Hilaire,  et  de  plus,  depuis  quatre  ans,  iJ  avait  hérité  de 
son  père  de  la  seigneurie  de  ParUienay.  Ace  double  litre, il  comp- 
tait parmi  les  plus  importants  personnages  du  Poitou;  de  plus  il  était 
ambitieux  et,  pour  arriveràses  fins,  il  jugea  bon  de  se  tourner  vers 
le  nouveau  comte  et  de  lui  donner  tout  son  appui  pour  amener  la 
rupture  de  son  union  avec  la  fille  du  comte  de  Périgord,  Guy-Geof- 
froy le  récompensa  de  ses  services  aussitôt  qu'il  lui  fut  possible 
en  faisant  déposer  Arcbembaud  el  en  lui  donnant  sa  place  (2). 
La  présence  avérée  de  Parchevôque  de  Tours  à  Poitiers  au 
mois  de  novembre  IO08  invite  h  placer  à  peu  près  à  la  mémo 
date  le  premier  acte  d'administration  de  Guy-GeoiTroy  dont  nous 
ayons  connaissance.  Dés  sa  prise  de  possession  du  Poitou,  il 
avait  eu  à  récompenser  des  services  intéressés  et,  comme  il 
arrivait  généralement,  ces  largesses  se  faisaient  au  détriment 
des  établissements  religieux,  un  comte  leur  reprenant  ce  que  son 
prédécesseur  leur  avait  donné.  Le  nouveau  comte  avait  donc 
gratiûé  un  de  ses  chevaliers,  nommé  IJaoul,  de  Pile  de  Vix  que 


(i)  Nuus  employons  à  desscia  la  furme  Joscelia  pour  rendre  ca  Français  le  nom  de 
l'archevêque  de  Uordeaux.  Leâ  textes  laltos  t'appelleul  gènèratenienl  «  Goscelious  9, 
mais  OH  trouve  aussi  1.  Joacelinua  »  (Bruel,  Charles  de  Citinr/,  IV,  p.  Oio;  U.  Foaie- 
oeau,  XIX,  p.  4^)>  d'où  l'on  peut  iuduire  ()ue  la  lettre  g  dotitiait  devant  la  voyelle  o 
une  prononcialion  adoucie,  rcprêsculco  en  t'rai>i;ai.s  pur  la  syllabe  ge,  comme  duus  le 
nom  de  GeoflVuy,  écrit  eu  latlu  u.  Gosfredus  ou  GuQ'ridus  u  el  i[ue!i|ucfuis  «  JoitTredua  ». 
La  forme  "  Gauijrredus  »  doit  être  particulurc  aux.  st-ribt'6  de  ccrtaiucs  régions  où  le 
parler  était  plus  dur.  Il  eu  est  pareillciucnl  du  ouaj  1  Guusberlus  u  qui,  dans  les  textes, 
est  t'réquemment  écrit  u  Josbcrlus  u. 

(i)  Le  Gallîa  C/tristiuiKi,  II,  col.  Boa,  marque  que  Josccliu  fut  clu  archevêtiue  de 
Bordeaux  dés  loSg,  mais  il  place  un  archevêque  du  nom  d'Audron  entre  Arcbembaud 
el  Josceliii;  or,  ce  persouuni^e,  qui  e^l  auïi:>i  uieutiouué  daus  uue  cliurte  du  c»r- 
lulaire  de  Safnt-Scuria  (p.  i<.j),  n'a  pu  occuper  le  biègc  arcbicpJscupai  <|uc  durant  quel- 
ques mois  seulement,  car,  selon  Je  tnéinc  Gulliu,  il  mourut  le  i"" novembre  d'une  année 
iudélermioce.qui  ne  peut  étreévideuimeal  que  io5i).  La  coiislatation  de  ce  fait  n'enlève 
rien  à  nos  coujecturea  sur  le  rôle  de  Guy-Geollioy  dans  l'élecliou  de  Joscelin,qui  a  du 
avoir  lieu  à  la  tiu  de  tannée  lojg,  Archembaud,  d'après  une  charte  du  c-arlulaire 
de  Saint-Maixent  dont  il  va  être  parlé,  ne  portant  déjà  plus  au  niuis  d'avril  lojy  que 
le  litre  d'arcbevéque  sans  spéciHcalion  de  siétje.  Joscelin,  selon  une  charte  do  Saim- 
Seurio,  citée  plus  loin,  qui  parall  appartenir  à  la  fin  de  l'année  loOu,  était  archevêque 
à  celte  date;  les  termes  qu'elle  emploie,  tt  Josceliuu  arcbiepiscopo  pupulutu  aibi 
commiaaum  calbolice  doccolCi  «  semblent  bien  indiquer  que  la  prise  de  pusscssiua  de 
l'arcbevècbé  par  Joscelia  était  alors  toute  récente. 


376 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Guillaume  de  Parlhenày  avait,  à  la  sollicilalion  d'Agnès  el  peul- 
êlre  pour  facililer  ravènciiicnl  do  son  fils  à  la  Irt^sorerie  de  Saint- 
lïilatre,  donné,  en  1047,  à  l'abbaye  de  Nolrc-Dame  de  Sainles. 
Joscelin,  gardien  des  volontés  de  son  père,  adressa  iminùdiale- 
menldes  réclamations  au  comlc  cl  oblinl  que  Vix  fùl  reslilué  aux 
nonnains  de  Sainles  (1).  Peul-êire  aussi  est-ce  à  celte  assemblée 
que  Guy-GeofTi'oy  confirma  le  don  que  son  frère  avait  fail  k  l'ab- 
baye de  Talmond  quelques  mois  plustùt  pour  indemniser  celle-ci 
du  lorl  qu'Agnès  lui  avait  précédemment  causé  (2). 

Iln'enlrait  pas  dans  la  règle  de  gouvernement  que  s'imposa  le 
nouveau  duc  d'Aquitaine  de  mener  une  vie  sédentaire.  Nous 
devons  la  connaissance  de  la  plupart  des  faits  de  son  existence 
aux  déplacements  incessants  qu'il  était  contraint  de  faire  soit 
pour  se  livrer  aux  plaisirs  de  la  chasse,  soi!  pour  s'occuper  de 
l'administration  de  ses  domaines,  exercer  la  souveraine  justice  ou 
surveiller  les  agissements  de  ses  vassaux. 

Au  mois  d'avril  1059,  Guy-Geoffroy  se  trouvait  à  Sainl-Maixent 
oîi  peut-être  était-il  venu  célébrer  les  fêles  de  Pâques  qui  tombè- 
renl  celte  année  le  4  avril  ;  il  n'était  accompagné  que  del'évêque 
de  Poitiers,  de  Foulques,  comte  d'Angoulême,et  de  quelques-uns 
de  ses  chevaliers.  Archembaudy  qui  résidait  en  ce  moment 
dans  son  abbaye,  profila  de  la  présence  du  duc  pour  obtenir  de 
lui  une  petite  portion  de  la  forêl  deVouvant,arm  qu'il  pûl  y  faire 
construire  une  église.  Le  cas  était  assez  curieux.  Un  trembleraenl 
déterre  s'était  fait  violemment  ressenlirquelque  temps  auparavant 
dans  la  localité  de  Sainle-l{a{logondc, dépendance  du  monastère; 
leshabilanls^elTrayés,  s'étaient  réfugiés  dans  la  forêt  de  Vouvant 
et  ne  voulaient  pas  relourner  dans  leurs  anciennes  demeures; 
ils  étaient  absolument  dénués  de  tous  secours  spirituels,  et  c'est 
afin  de  pouvoir  y  subvenir  que  l'abbé  de  Sainl-Maixent  sollicitait  la 

(1)  Cart.  de  Noire-Dame  de  Saintes^  p.  i^S.  Cel  accord  est  postérieur  à  l'avèoe- 
menl  de  Guy-GeofTi'oy  au  comté  de  Poitou  dans  le  coups  de  l'clé  de  1060  el.d'aulre  part, 
ntiléricur  ft  I  eléviilion  de  Josceliri  â  l'archevêché  de  Bordeaux  ea  lojy,  puisque  ce 
dernier  y  est  simplement  désigné  avec  sa  qualité  de  trésorier  de  Sainl-IIilaîre.  Outre 
le  nom  de  l'nrclicvèquc  de  Tours  nous  relevons  daus  cel  ticle  ceux  d'iluçjcs,  vicomle 
de  Cltfllellerau1l,(le  Jean  de  Cliiaon,  de  Guy  do  Preuilly,  de  Gtiiliiiufne  Uisljrd  et  de 
Bouchnrd  de  MorU£;ne,  qui  avaieat  assisté  en  io:i7  à  la  primitive  doaatiou  dû  Vix  à 
Noire-Dame  de  Saintes. 

(a)  Cart.  de  Talmond,  pp.  77  el  1 27.  Cel  acte  non  daté  ne  peul  s'écarter  dea  années 
lo5y  ou  io5g. 


GUY-GEOFFROY-fiflI.LAUME 


«77 


générosilô  de  Giiy-Geoiïroy.  Celui-ci  ne  seoiblapas  s*ôlre  fail  trop 
prier  et  posa  lui-même  sur  l'aulelabbalial  lacharle  qui  consacrait 
le  don  qui  ôlait  réclamé  de  lui  (1).  Après  la  conslructïon  de  Vé- 
glise,  un  centre  dépopulation  se  forma  autour  d'elle  et  reçut  le 
nom  de  Bourneau,  Burgm  noviu. 

Peu  de  lemps  après,  considérant  son  pouvoir  comme  parfaite- 
ment assura,  il  put  quitter  ses  états  pour  répondre  à  Tappel  du 
roi  Henri  qui,  fidèle  aux  traditions  des  premiers  Capétiens,  allait 
de  son  vivant  faire  sacrer  roi  de  France  par  l'archevêque  de 
Reims»  son  fils  Philippe.  La  cérémonie  eut  lieu  le  29  mai 
10;j9,  jour  de  la  Pentecôte.  Le  duc  d'Aquitaine  y  tint  le  pre- 
mier rang,  marchant  en  tôle  des  vassaux  laïques  de  la  couronne, 
immédiatement  après  les  légats  du  pape  et  les  membres  du  haut 
clergé.  Son  brillant  entourage  dépassait  de  beaucoup  ceux  des 
autres  vassaux  du  roi  et  venait  adirmer  sa  puisance  à  tous 
les  yeux;  on  y  comptait  trois  comtes  el  un  vicomte  qui  allait 
de  pair  avec  eux,  Guillaume,  comte  d'Auvergne,  Audebert, 
comte  de  la  Marche,  Foulques,  comte  d'AngouIème,  Adémar, 
vicomte  de  Limoges,  et  en  outre  trois  évoques  :  Arnoul,  évêque 
de  Saintes,  Guillaume,  évoque  d'Angoulème,  et  Hier,  évoque  de 
Limoges  (2). 

L'avènement  de  Guy-GeoITroy  au  duché  d'Aquitaine,  inaugu- 
rant une  politiqucnouvelle,  ne  s'était  assurément  pas  accompli  sans 
causerde  froissements;  les  familiers  du  duc  précédent  se  trouvaient 
éloignés  de  la  cour  tandis  que  de  nouveaux  venus  prenaient  leur 
place.  11  n*y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  de  voir  éclater  des 
mouvements  parmi  les  seigneurs  du  pays  que  la  rude  main  d'A- 
gnès avait  matés  et  qui  n'étaient  pas  fâchés  de  prendre  leur  re- 
vanche. Ils  trouvèrent  un  auxiliaire  précieux  dans  un  adversaire- 
né  du  duc  d'Aquitaine,  qui,  dans  l'enivrement  du  premier  exer- 
cice du  pouvoir  souverain,  accueillit  leurs  ouvertures  avec  faveur 
el  se  jeta  tôle  baissée  dans  une  entreprise  aventureuse. 

C'était  Guillaume  IV,  comte  de  Toulouse,  qui  venait  à  l'âge  de 
vingt  ans,  de  succéder  à  son  père  Pons.  Sans  que  rien  ail  pu  don- 


(i)  A.  Richard,  Chartfit  de  Saint-Afatj:ent,  I,  p,  i44- 

(2)  Rec.  des  hist.  de  France,  XI,  p.  3a,  aOrdo  qualiter  Philippus  I  in  regem  con- 
secratus  «st  *  ;  Coll.  Guizol,  VTI,  pp.  go-91 . 


378 


LES  COMTES  DE  POITOU 


ner  l'éveil  sur  ses  inlenlions,  ce  que  le  chroniqueur  qualifie 
d'acte  de  Irahison,  il  se  jela  sur  l'Aquilaine  el  surprit  aux  portes 
de  Bordeaux  lin  corps  de  Iroupes  qui  y  élail  rassemblé  ;  une 
cenliiine  environ  des  clieviiliers  qui  en  faisaienl  parlîe  fui  mas- 
sacrée. Il  ne  semble  pas  que  Taii^resseur  ail  poussé  plus  loin  ses 
avanlages  ou  du  moins  Guy-Geo(Troy  ne  lui  laissa  pas  le  lemps 
d'en  profiler.  Ayanl  fail  appel  à  ses  barons,  il  marcha  direcle- 
menl  sur  Toulouse.  Inaugurant  une  tactique  dont  nous  le  verrons 
user  constamment  parla  suite,  il  commença  par  ravager  impi- 
toyablement les  abords  delà  ville  elj'ayant  parce  moyen  réduite  ?i 
la  dernière  extrémité,  il  s'en  empara  et  l'incendia  (1).  En  môme 
lemps  une  autre  lovée  de  boucliers  se  produisait  en  Poitou.  Hu- 
gues dit  le  Pieux,  seigneur  de  Lusignan,  prit  aussi  les  armes 
contre  son  seigneur,  mais  le  comte  ayant  dévasté  tout  le  pays,  le 
força  h  se  renfermer  dans  sa  forteresse.  iManquant  d'approvi- 
sionnements, Hugues  se  trouva  coniraint  défaire  des  sorties  pour 
se  nivilailler;  dans  Tune  d'elles  il  fut  surpris  par  les  chevaliers  du 
comte  el  tué  à  la  porte  mûoae  de  son  chûtcau,  le  8  octobre  (8  des 
ides)  de  l'année  1060  (2). 

Il  est  impossible  de  ne  pas  établir  un  rapprochement  entre 
ces  deux  faits  qui,  malgré  l'absence  de  date  pour  le  premier, 
nous  semblent  s'ôlre  passés  simulLanément,  et  témoignent  ainsi 
d'une  entente  contre  l'autorité  de  Guy-GeolTroy  (3).  Un  lien  unis- 


(i)  Marchegay,  Chron.  des  égl.  d" Anjou,  p.  .^oi,  Sainl-Mnixenl. 

{2)  Marchctçay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  /joi»  Saint-Maixenl.  Bien  que  les  sei- 
fjoeiirs  de  Lusijçûan  fussent  très  lurbulcois,  nous  ne  croyons  paatju'il  faille  prendre  à 
la  IcUre  le  texte  d'un  nccord  intervenu  entre  Hugues  le  Diable,  le  fils  d'Husfues  le 
Pieux,  el  l'ijbbayc  de  Sainl-,Mnixen(  du  lo  mars  lol'ir)  (A.  Hicbnrd,  Chartes  de  Sainl- 
Mdi.ifnt,  1,  p.  iM,  el  dans  lequel  Muv^ues  déclare  restituer  à  cette  abbaye  les  éjflitc» 
qu'il  lui  avait  enlevées  au  temps  où  il  clail  en  f^ucrrc  avec  le  comte  de  Poitou  ;  îj 
nous  paraît  probable  que  le  sire  de  Lusignan  fail  allusion  aux  cvénemeals  de  lo&u 
auxquels  il  était  en  l'ige  de  prendre  part  sou3  la  dircclion  Je  son  père. 

(3j  L'auteur  de  la  chrf»aiquc  de  Snint-Maixenl,  le  seul  qui  fournisse  quelques  détails 
sur  l'açression  dont  se  rendit  cmipabk*  lecomle  de  Toulouse,  ne  nous  dil  pas  au  juste! 
h  quelle  époijuc  clic  eut  lieu,  mais  celle-ci  csl  cerlaiiietneni  antérieure  à  rannêe  10C7, 
Haie  n  laquelle  une  charle  du  cartulairc  de  Nolre-namc  de  Saintes,  doai  il  sera  parlé 
plus  loin,  rapporte  cet  évéucmcnt.  Cette  attaque  inopiocc  ducnuitc  de  Toulouse  parait 
être  l'aclc  de  présomption  vaniteuse  d'un  jeune  homme  {il  n'avoil  que  vinfçt  ans)  et  le 
dé»;*'  de  se  signaler  au  début  de  sa  prise  de  possession  du  pouvoir. On  ne  connaît  pas 
la  date  précise  de  la  mort  du  comte  Pons,  mais  il  est  ecrluin  que  (îuillaume  lui  suc- 
cêdii  la  fin  de  ranoci  loOo,  car  Pons  clailencore  vivant  Itjra  Je  ravèncment  de  Phîlip- 
pcl'Tà  la  couronne  de  Kraoccle  29  août  loGn, d'après  une  charte  du  carlulaire  de  l'ab- 
baye de  Lc/iil,  publiée  par  D.  Vaissetc  [Uisl.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  V,  col.  Soa). 


GUY-r,EOFFROY.GUILL.\UME 


*7Ô 


sait  le  sîrc  de  Lusignan  et  le  comte  de  Totilouse,  c'i^lait  la 
célèbre  Almodts,  dont  la  siluation  hkarre  d'avoir  complô  trois 
maris  vivants  en  même  temps,  a  vivemenl  frappé  rimaginalîoii  des 
clironiqueurs.  Fille  de  Bernard  V\  comte  de  la  Marche,  elle  fut 
d'abord  mnriée  au  sire  de  Luaignan  dont  il  est  ici  question  (1). 
Hugues  en  eut  deux  fils,  puis  il  la  répudia  pour  cause  de  parenté 
et  lapassaàPons  V,  comle  de  Toulouse,  qu'cllfi  épousa  entre  lOiO 
et  10io(2).  Elle  eutde  ce  dernier  quatre  otifants,  entre  autres  fiuil- 
lauine,  l'adversaire  de  Guy-Geoirroy,et  lîaymondde  Saint-riilk'S, 
qui  furent  successivement  comles  de  Toulouse,  mais  dans  le  cou- 
ranldel'année  1053  Pousse  sépara  à  son  tour  desa  femme  etelle 
conclutaussitôt  une  nouvelle  union  avec  Haymond-Béranger,  comte 
de  Barcelone  (3).  Il  ne  semble  pas  que  les  deux  époux  se  soient 
quittés  en  mauvais  termes,  car  Almodts  continua  à  jouir  de  l'évô- 
chéd'Albi  et  de  l'abbaye  de  Saint-Gilles  que  son  mari  luiavail  don- 
nés en  douaire,  tandis  que  le  comte  de  Barcelone  la  gratifiait 
pour  môme  cause  de  l'évêclié  de  Girone  (4).  Femme  astucieuse 
et  très  habile,  elle  exerça  toute  sa  vie  une  grande  influence  sur 


On  peut  admeUre  que  le  souléveraenl  fomeuté  par  Hugues  de  Lusi^aa  ayant  eu 
lieu  eu  octobre  loOo,  la  divcrsioa  opérée  par  Guillaume  de  Toulouse  fui  absolumcat 
inallendue,  ce  qui  donnerait  l'explication  des  muts  n  per  traditioneni  »,  employée 
par  le  chroniqueur  h  t'occasîou  du  massacre  des  chcvalici-s  du  duc  d'Aquttaioe,  qui 
aurait  eu  lieu  vers  la  niêine  épuquci  c'est-à-dire  à  la  tin  de  celte  auDée  lotio. 

(i)  Marche^'ay,  Chroii.  des  éf/l.  d'Anjon,  p.  l\ni,  Saint-Maixcnl.  Audcbert  û'élani 
devenu  comte  de  la  Marche  qu'eu  1047,  on  ne  saurait,  admettre,  comme  l'a  écrit  D. 
Vaisselc  (III,  p.  299),  par  une  fausse  interprétation  de  ce  te\le,  que  ce  fut  lui  qui 
maria  sa  sœur  à  lluji^ues  de  Lusignan  par  qui  cite  avait  été  répudiée  avanl  io44 
{Voy.  aussi  D.  Vaissele,  IV,  note  xxxiij. 

(2)  La  chronique  de  Saint-Maixent.en  employant  la  phrase  c  dedil  in  uxorem  x, 
pour  marquer  le  passa|c;e  successif  d'Almodis  des  hras  d'Hugues  de  Lusignan  dans 
ceux  de  l*ojis  de  Toulouse,  puis  de  Ka\ra<>od-Béran^er  de  BarceJoue,  témoijjne  bien 
qu'il  y  eut  entre  Almodis  et  ses  maris  des  sëparolioas  amiables. 

(3)  Marcbeçay,  Chron.  des  égl.  d' An/ou,  p.  4ot,  Saiut-Maixent. 

(4)  Comme  le  fit  plus  lard  Guy-Geoffroy,  Almodis  se  montra  généreuse  envers  l'ab- 
baye de  Gluny.  Sur  ses  instances,  l'ons  transféra  le  ay  juin  loîi'S  l'abbaye  de  Moissac 
à  celle  de  Cluny  (D.  Vaissetc,  /It'st.  de  Lanijnedoc,  nouv.  éd.,  V,  col.  544).  Le  1 5  dé- 
cembre lotJO,  se  trouvant  à  Nimes,  elle  unit,  d'accord  avec  son  fils  Raymond  de  Saiut- 
Gillc8,pour  les<iulaj^*nient  lie  l'Ame  du  L'uiiile  Pons,«pro  domui  Pooiii  comitisremcdio  », 
l'abbaye  de  .Saiul-Gillcs  au  miunistère  bourçuignou  (U.  Vaissele,  V,  col.  5/(2;  lîruci, 
Chartes  de  Cluny,  IV,  p.  Siy),  enfin  peu  de  temps  après  elle  donna  à  Moissac  Talleu 
de  Saiol-Pierrc  de  Cuisines  (L).  Vaissele,  V,  col.  544)*  t^es  deux  abbayes  de  .Moissac 
et  de  Saint-Gilles  avaient  fait  partie  du  dounire  do  .Majore,  première  femme  de  Pons, 
et  étaient  ensuite  passées  pour  la  même  cause  daus  les  mains  d'Almodis  (D.  Vaisscte, 
III,  pp.  387,  33^).  Ces  faits  suffisent  pour  fournir  In  preuve  de  1  întluence  d'Aimo- 
dis  et  de  son  maintien  dans  la  possession  de  son  douaire  après  qu'elle  se  fut  sépa- 
rée du  comte  Pous, 


aSo 


LES  COMTES  DE  POITOU 


son  enlourage.  Or  nous  ne  serions  pas  surpris  que  ce  soil  à  ses 
ïnlrigiies  que  fui  dû  ce  soulevemenl  contre  Faolorilé  du  comle, 
dont  lous  les  adhérenls  ne  sont  certainement  pas  connus/mais 
dont  les  deux  principaux  lui  ioucliaienl  de  si  près  {\).  It  est  en 
elTel  à  remarquer  qu'au  mois  de  juin  1053,  c'esl-h-dire  quelques 
mois  seulement  avant  qu'elle  se  séparai  d'avec  Pons,  celui-ci  ma- 
nifesta pour  la  prcmitTC  fois,  dans  un  acte  authentique,  certaine 
tendance  à  revenir  vers  un  passé  déjà  lointain.  Lorsqu'il  réunit 
le  monastère  de  Moissac  à  l'abbaye  de  Cluny.il  déclara  qu'il  agis- 
sait en  conséquence  du  conseil  avisé  et  unanime  de  sa  femme, 
la  comtesse  Adalmodis  et  des  grands  de  TAquilaine  qui  lui  étaient 
soumis  (2).  Or,  de  tous  ces  grands,  un  seul  est  énoncé  dans  t'acle, 
à  savoir  Bernard,  évêque  de  Cahors,  dans  la  sujétion  ecclésiasti- 
que de  qui  se  trouvait  Moissac  et  qui,  selon  les  usages  du  temps, 


(i)  D.  Vaissclc  (///«<.  de  Langaedûc,  nouv*  éd.,  III,  p.  4i8)  iocliDe  h  placer  ce« 
évéïicmenls  vers  l'aDDec  1079.  A  celle  époque,  comme  nous  le  verrons  en  leur  lieu, 
Guillaume  IV,  comte  de  Toulouse,  maoifesla  des  prclenlions  au  lilre  de  duc  d'Aqui- 
taine el  D.  Vaissete  en  inféra  que  ce  comlc  ne  s'en  était  pas  tenu  à  des  protocoles, 
qu'il  les  avait  appuyés  par  des  acles.  Lce  raisons  alléguées  par  le  savant  bcucdictin 
sont  ioa;cnicu8cs  et  ont  pour  elles  toutes  les  apparences  de  la  >Tnisemblance,  mais 
elles  ûfi  sauroietit  tenir  contre  un  texte  fonnel  ipii  ne  permet  pas  de  placer  la  cara* 
pa<;ne  de  Toulouse  après  l'annce  1067.  A  cette  date,  Joscclin,  archidiacre  de  Saintes, 
rcdiî^ea  la  charte  fiar  lafjiicUc  f^uy-Geoffroy  confirma  les  dons  faits  par  Geoffroy 
Martel  el  A^nés  à  l'abbaye  de  Notre-Dame  de  Satnles.  Or,  Joscelin,  admirateur 
enthousiaste  du  comte  de  Poitou,  ne  put  s'empècber  de  rappeler  les  hauts 
faits  qui  avaient  illustré  son  nom  et  dont  le  souvenir  était  encore  tout  récent,  (^  savoir 
riacendie  de  Toulnuso  cl  la  prise  de  Barbaslro  :  a  présente  Açnele,  maire  comitis 
Piclavensium  Willelmi,  qui  Tolosain  inceadit  el  Barhastram  Sarracenis  abstulit  », 
{Cari,  lie  Xulre-Damc  du  Suintes,  pp.  22-a3).  Ce  texte  formel,  que  D.  Vaissete  n'a 
pas  connu,  arrête  toute  discussion  au  sujet  de  celle  date  de  1079  ou  loSo  qu'il  pré- 
conise, et  de  plus  il  a  l'avantaiçe  de  nous  permettre  de  mettre  en  valeur  un  passade 
d'une  charte  de  l'année  loOo  auquel  oa  n'avait  jusqu'ici  prôtc  nulle  attention. .\  cette 
d.ilc  llier,  scii^neur  de  Barbezieux,  restitua  aux  chanoines  de  Saint-Seurin  de  iJor- 
deaux  une  ë{|flisc,  que  son  pil're  Audouin  avait  fondée  sur  son  domaine  el  qu'il  avait 
pritnitivcmcol  duuûéeà  l'éifliseJe  Bordeaux,  muis  qu'il  lui  avait  ensuite  enlevée  pour 
en  gratifier  Cluny  en  se  faisant  moine  dans  ce  monastère.  Or, celle  pièce  est  ainsi 
dalée:  «  Hec  aulem  carlula  composita  fuit  ab  lucarnatione  Domini  anno  nnllesimo 
sexapesimoj  Philippo  regc  rcgnaotc,  cl  Guillelmo,  Aquitania*  duce,  rebelles  triuni- 
phanlc  et  Goscelino  nrchiepiscopo  populum  sibi  coinmissum  calbolice  doceole  > 
(lîrutails, Car/,  de  SainlSedrin,  p.  i3;  Bcs\y,//ist.des  comtes,  preuves,  p.  3^4  bis). 
Le  mol  «  rebelles  «, employé  par  le  rédacleur  de  lu  charte  bordelaise,  se  rapporte  évi- 
demmcnl  n  des  faits  qui  s  étaient  passés  dans  cette  région,  et  sous  cette  dcnominalion 
t;éuérale  nous  inclinons  i\  voir  le  comte  de  Toulouse  qui  n*aurait  pas  tardé  à  recevoir 
la  punition  de  sa  Ira  lire  use  agression.  La  charte  de  Sainl-Scuria  doit  titre  de  la  fia 
de  l'année  1060. 

(3)  a  Commun)  et  snlubri  coosilio  uxoris  meœ  Adalmodis  comilissœ  ac  principum 
Aquitanorum  mihi  subditoruni  ».  (D.  Vaissete,  //('.</.  de  Lftngitedoc,  nouv,  éd.,  V, 
col  470:  Bruel,  Charte»  de  Cluny,  IV,  p.  8:20). 


GUY-GKOFFROY-r.l  ILLAUME 


2S1 


venail  par  sa  présence  donner  (i  PacLc  civil  du  comle  la  confir- 
mation spirituelle  qui  y  semblait  nécessaire.  Dans  ce!  appel  aux 
seigneurs  d'Aquitaine  que  rien  ne  vienl  justifier,  car  le  Quercy 
n'avait  cessé  d'appartenir  aux  comtes  de  Toulouse  depuis  le  jour 
où  ils  s'étaient  constitués  en  possesseurs  héréditaires  de  leurs 
bénéfices,  il  semble  que  l'on  voit  poindre  des  prétentions  à  la  su- 
prématie de  TAquilaine  dontnoiisn'hésitons  pasà  faire  remonter 
l'inspiration  à  Almodis  ;  son  fils,  avec  la  fougue  irréHâchie  de  la 
jeunesse,  n'aurait  fait  qu'essayer  de  rendre  efTectifs  les  rêves  dont 
sa  jeunesse  aurait  été  bercée. 

Mais  avant  que  ces  événements  se  fussent  déroulés,  une  sorte 
de  révolution  de  palais  s'était  produite  h  la  cour  du  comle  de 
Poitou.  Sa  mère  Agnès  s'était  retirée  dans  l'al>baye  de  Notre- 
Dame  de  Saintes  où  elle  prit  assurément  le  voile,  mais  sans  pro- 
noncer les  vœux  qui  auraient  fait  d'elle  une  véritable  roligieusp, 
soumise  à  une  discipline  et  à  une  règle  que  son  tempérament  aurait 
dilTicilemenl  pu  supporter.  C'est  ainsi,  nous  paratl-il,que  l'on  doit 
entendre  l'expression  de  sandimomalis  employée  en  {OQi  à  l'é- 
gard de  la  comtesse  par  le  rédacleur  d'une  charte  de  l'abbaye 
de  Saint-Maixent  (1). Cette  retraite  concorde  du  reste  avec  le  sort 
fait  à  Archembaud,  qui  perdait  en  ce  moment  à  la  fois  l'arche- 
vêché de  Bordeaux  et  Tabbaye  de  Saint-Maîxent  (2).  Le  dernier 
acte  de  la  procédure  suivie  contre  le  confident  d'Agnès  se  passa-t-il  k 
l'assemblée  deMaille/.aisàlaquelle  assistèrent,avec  Guy-Georfroy, 
l'évêquede  Poitiers  Isembert,  Arnoul,  évêque  de  Saintes,  Guil- 
laume, évêque  d'Angoulémo,  ainsi  que  les  abbés  de  Saint-Jean 
d'Angélyelde  Luçon  et  011,  sous  la  présidence  d'Hugues,  abbé  de 
Cluny,  Goderan,  un  pieux  religieux  de  ce  monastère,  fut  élu  abbé 
de  Maillezais  (3)  ?  Nous  ne  saurions  hasarder  à  ce  sujet  que  des 
conjectures,  bien  que  cette  réunion  aît  dû  avoir  lieu  au  commen- 
cement de  l'année  1060, 

Celle  élection  de  Goderan  est  particulièrement  à  noter.  Le 
^      comte  de  Poitou  d'un  cùté,  les  grands  dignitaires  ecclésiastiques 

^^H  (i)  «  s,  AjB^nelia  comilisse  et  snDetimoQialiSfgenitricia  ejusdcm  dacîs  »  (A.Richard, 

^^^  Chartes  de  Sainf-iWat.i'enl,  I,  p.  i^O). 

^  (2)  Voy.  A.  Richard,  Chartes  de  Sainl-Maij'ent,  I,  p.  cxxv. 

^^^  (3)  Lacurie,  Hist.  de  .Ifailtetait,  preuves,  p.  20g. 


98a 


LES  COMTES  DE  POITOU 


de  l'autre,  donnèrent,  en  y  prenant  part,  un  essor  actif  aux  len 
dances  qu'avaient  les  réfornialeurs  de  Cltiny  à  amener  les  cou- 
vents de  rAqyitaine  à  s'aflllier  à  leur  règle.  La  nomination  de 
l'abbé  Eudes  à  Saint-Jean  d'AngV'ly  cette  même  anni-e,  celle  d'A- 
démar  à  Saint-Martial  de  Limoges  en  1064,  celle  de  Benoît  h 
Saint-Maixent  en  1069,  semblent  donner  raison  à  l'assertion  du 
pani^gyrislc  de  Guy-GeofTroy  quand  il  déclare  que  le  duc  rétablit 
la  discipline  ecclésiastique  dans  les  monastères  où  elle  était  par 
trop  relâchée  (1). 

Dans  le  courant  de  celte  même  année  lOGO,  Agnès  reçut  dans 
son  monastère  la  visite  de  sa  belle-fille  Mathéode.  Celle-ci  est 
citée  en  tête  des  témoins  de  l'acte  contenant  la  donation  d'un  fief 
de  vigne  que  l'abbé  de  Saint-Jean  d'Angély  abandonna  aux  reli- 
gieuses de  Saintes  sur  la  prière  d'Agnès,  en  reconnaissance  des 
bienfaits  dont  elle  avait  comblé  son  abbaye  {2}. 

Mais  avant  do  prendre  sa  retraite  la  vieille  comtesse  avait  eu 
soin  d'obtenir  de  son  fils  des  faveurs  pour  une  de  ses  œuvres  de 
prédilection.  Il  s'agit  d'une  redevance  bizarre  et  par  le  fait 'assez 
dilTicile  à  percevoir  par  ceux  qui  en  étaient  gratifiés.  Sur  sa  requête, 
le  comte  ordonna  que  la  dîme  du  pain  et  duvinaffeclés  à  son  usage 
et  conservés  dans  tous  ses  celliers  du  Poitou  serait  prélevée  tous 
les  ans  le  jour  de  la  fcle  de  saint  Michel,  qu'on  lèverait  aussi  la 
dîme  delà  chair  le  jour  de  la  saint  André,  et  que  le  produit  de 
ces  dîmes  serait  réparti  par  tiers  entre  les  églises  de  Saint-Nico- 
las et  de  Sainle-Radegonde  de  Poitiers  et  les  pauvres;  déplus 
il  donnait  à  ces  deux  églises  de  Poitiers,  quatre  laies,  à  savoir, 


(i)  Arch.  de  la  VieDoe,  chron.  du  moiae  Martin  :  a  Quoi  monasleria  rcgalarï 
ordioe  deiilituU  reroruiavil  d.  Le  nioiati  .Martiu,  religieux  de  Mûolieroeuf,  a  écrit 
celte  chrojii([ue  en  Fao  i  lofi  et  !a  dédia  :'■  ua  autre  religieux  du  nom  de  Robert.  Elle 
débute  aiusi  dîirjs  le  seul  maouscril  (]ue  l'on  connaisse:  n  lucipil  pruloi^us  de  coqsUu» 
cioDe  Monasterii  Novi  l'ictavis  ».  Ce  muDuscril  ne  date  i|u<:  du  coininrncemeal  du 
xiye  siècle  et  le  texte  de  la  cbrooiqueu  été  transcrit  à  la  suite  du  carlulaire  de  Saint- 
IStctilaa  de  l'tii  iers,  autre  copie  de  même  date  cùascrvée  aux  archives  départementa- 
les de  Ici  Viirim,  fdnds  de  Moolicrncuf,  liasse  71.  Celle  chronique  a  clé  publiée  en 
majeure  partie  par  D.D.  Martcne  el  Durand  dans  le  Thésaurus  noviit  anecdotnrmn, 
111,  col.  1209-1220,  et  le  surplus  par  M.  de  Cberçé  à  la  suite  de  son  mémoire  sur 
Moniierncuf  (.Vé/n.  de  la  Soc.  dus  Anliq.  de  l'Ouest,  1"  série,  XI,  pp.  a58-a6i). 
M.  l'abbé  Auber  se  trojn[»e  étranjemenl  {Etude  sur  tes  historiens  du  Puitoa,  p.  70) 
quand  il  li.xc  la.  date  de  celle  chronique  à  l'année  iiyGet  qu'il  intercale  h  celte  époque 
le  persunnage  du  nom  de  Hubert,  à  ijui  elle  est  dédiée,  parmi  les  abbés  de  Mûolicr» 
neuf. 

{2)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Sainte»,  p.  a6. 


GUT.GE0FTR0T.CUILLAU3klE  ilî 

deux  lors  delà  fête  de  leurs saînls  patrons,  une  à  NoêlelTaulre  à 
Piques  (I).  La  comtesse,  de  son  côté,  ajoutait  aux  dons  spéciaux 
quVUe  arail  faits  à  5aint-NicoIas,celuidu  droit  de  rente  du  sel  sur 
le  marché  de  Poitiers, droit  qui  devait  faire  partie  de  son  douaire, 
mais  il  ne  semble  pas  que  Guy-Geoffroy, bien  qu*il  ait  donné  à  ce 
legs  son  assentiment  formel.en  ait  laissé  l'objet  à  la  disposition  des 
chanoines,  car  quelques  années  plus  tard  nous  le  IrouTons  en  pos- 
session d'un  seigneur  nommé  Auberl  de  Chambon  ii). 

Peu  après  éclala  une  véritable  guerre  entre  le  Poitou  et  l'An- 
jou. GeoOroY  Martel  était  mort  le  14  novembre  1060,  laissant 
ses  états  à  ses  deux  neveux,  issus  de  sa  sœur  Ermengarde  et  de 
Ferréol,  comte  de  Gâlinais  ;  à  l'ainé,  Geoffroy  le  Barbu,  étaient 
échus  les  comtés  d'Anjou  et  de  Touraine,  et  Foulques  le  Réchin, 
le  plus  jeune,  avait  eu  les  domaines  deSaintonge  avec  le  Gâtinais 
et  quelques  fiefs  du  Poitou .  Guy-Geolîroy  n'avait  pas  beaucoup  de 
sympathie  pour  les  héritiers  de  Geoffroy  Martel  que,  croyons-nous, 
il  avait  pu  croire  un  instant  devoir  supplanter.  Aussi, étant  donnée 
la  jeunesse  des  deux  jeunes  comtes,  cnil-il  l'occasion  favorable 
pour  satisfaire  une  ambition  légitime  de  sa  part,  à  savoir  de 
remettre  la  main  sur  la  Saintonge  dont  son  père  s'était  impru- 
demment dépouillé  ;  la  présence  de  sa  mère  dans  Tabhaye  de 
Notre-Dame  de  Saintes,  la  certitude  qu'il  pouvait  avoir  du  con- 
cours zélé  de  Tévëque  Arnoul,qui,  unissant  à  celte  qualité  celle  de 
doyen  du  chapitre  de  Saint-Pierre  de  Poitiers,  était  encore 
plus  dans  sa  dépendance,  tout  le  poussa  à  marcher  de  Tavant . 

La  mort  de  Geoffroy  Martel  l'avait  surpris  dans  le  cours  de 
ses  opérations  contre  le  comte  de  Toulouse  et  il  est  à  présumer 
qu'il  passa  l'hiver  à  Bordeaux  pour  achever  la  pacification  du 
pays  où  son  adversaire  n'avait  pas  été  sans  se  ménager  des  intel- 
ligences. Mais  au  printemps,  dégagé  de  ces  préoccupations,  il 
crut  l'occasion  bonne,  en  revenant,  à  la  tête  de  ses  chevaliers.à 
sa  résidence  ordinaire,  de  tenter  un  coup  de  main  sur  Saintes. 
Celui-ci  ne  réussit  pas,  la  ville  lui  offrit  une  résistance  inattendue 
et  fil  demander  des  secours  k  son  seigneur.  Foulques  le  Béchio, 


(i)  Arch.  hùt.  da  Pvitoa,  I,  p.  az,  cart.  de  Sainl-Nicolas  de  Poilier». 

(aj  Arth.  Mit.  da  Poitoa,  I,  pp.  7  cl  4»,  cari,  de  Saiul-Nicolas  d«  Poîtiera. 


s84  LKS  COMTES  DE  POITOU 

qui  n'avait  encore  que  dix-huit  ans,  réclama  l'aide  de  son  frère 
Geoffroy  et  tous  les  deux,  à  la  tête  d'une  armée  rapidement  ras- 
semblée,envahirent  le  Poitou.  Fuy-Geofrroy,arrôlé  dans  son  entre- 
prise, se  hâta  de  revenir  à  Poitiers, mais  il  ne  put  éviter  la  rencon- 
tre de  ses  adversaires.  Le  choc  eul  lieu  dans  une  plaine,  près  des 
sources  de  la  Boulonne,  le2ll  mars  1061  (1).  Les  Poitevins,  sans 
doute  inférieursen  nombre  à  leurs  adversaires,  lurent  mis  en  pleine 
déroule.  Le  triomphe  des  Angevins  fui  dû  à  une  habile  tactique: 
les  deux  comtes  el  les  autres  porteurs  de  bannières,  se  groupant 
en  forme  de  coin,  se  lancèrenl  au  milieu  des  Poitevins  et  enfon- 
cèrent leurs  rangs.  Ceux-ci, se  voyant  ainsi  tronçonnés,  cédèrent, 
et,  renonçant  au  combat,  prirent  la  fuite;  le  nomttre  des  tués  et 
des  blessés  et  surtout  des  prisonniers  fui  considérable,  mais  Guy- 
Geoiïroy  put  s'échapper,  évitant  ainsi  le  désastre  qui,  vingt-cinq 
ans  auparavant,  avail  si  cruellement  frappé   le  Poitou  (2).  Les 

(r)  Marcheg'oy,  Chron,  des  égl .  W Anjou,  p.  /io2,  Saint-Maixcnl.  L'emplaccmeat 
de  la  balallle  est  déleraiiné  par  le  nom  ([ue  porle  encore  aujourd'hui  un  pelU  chef- 
lieu  de  commune,  La  Ualaille,  situe  à  /[  kilomètres  au  sud-ouetil  de  la  source  de  la, 
Boulonno. 

(2)  Les  chroniques  ecclcsiasliques  dWnjou  ne  relaient  pas  cet  événemeal  cl  les  chro- 
niques laïques  !e  confandeiit  avec  la  halailie  dcMont-Coucr  à  laquelle  elles  douncnl  le 
nom  de  baiaillc  de  Clief-Boulonne  (Marchcgay  et  Salmon,  C/iront'q/ies  d\4njoa,  I, 
pp.  i/7-i3o,  Chroriica  de  gcslis  cousulum  Andegavoruni  ;  Ifcm,  I,  pp.  3!Ja-333,  His- 
Iciiia  ahbreviala  consulum  Andegavorum).  La  chroniiiue  de  Saiol-Maixcnt  seule  con- 
sacre qucifjues  détails  h  cet  évéacmecil;  dans  (]ualre  vers  elle  endooue  le  résume  ainsi 
(juc  la  date.  Celle-ci  prêle  h  certaines  difficultés  qu'il  coavieDl  d'élucider.  Elle  dit  que 
la  bolnillc  eut  lieu  en  io(>i,  un  mardi.jour  de  la  fêle  de  sainl  Bcnnlt,«  îuquedïe  uiar- 
tis  fuît  el  sancti  Bencdicli  v.  Deux  fèlea  de  saiut  Benoit  étaieul  alors  célébrées  : 
celle  de  sa  mort  le  21  mars,  celle  de  sa  iranslntion  le  tt  juillet;  à  laquelle  des  deux 
se  rapporte  te  texte  de  la  chronique?  En  général  les  historiens  ont  adopte  la  date  du 
21  mars  pour  celle  de  la  bataille  ;  néanmoins  M.  Port,  dans  son  Dtclionrtaire hiito- 
riqne  de  Maine-et-Loire,  ne  se  proaonce  pas,  car,  à  l'arlicle  de  Foulques  le  Récliin 
(II,  p.  t  <j'.e),il  place  la  Lulaille  leao  niiiira,et  dans  celui  de  GeofFroy  le  Barbu  (11, p-  353), 
il  assigne  A  ce  iiiAmc  fait  ta  date  du  [i  juillet. Le  inèine  auteur  est  parcillcmeut indé- 
cis sur  le  jour  du  combat  ;  ta  chronique  dil  un  mardi  ;  or,  en  lotîi,  les  deux  fêtes  d*- 
saiut  Benoit  lombeol  ua  iDcrcredi  et  non  un  mardi.  Ou  peut  expliquer  ce  fait  par  une 
erreur  de  comput  de  la  part  du  chronjqueur,erretirque  nous  retrouverons  en  d'autres 
circonstances,  mais,  quoi  qu'il  en  soit,  la  difficulté  reste  entière  ;  est-ce  le  jour  de  In 
saint  Benoit  d'hiver  ou  de  la  saint  Benoît  d'été  qu'eut  lieu  la  bataille?Bicn  que  l'usage 
se  fût  introduit  de  donner  uae  plus  grande  solennité  à  la  sainl  Benoit  d'été,  vu  que  la 
fêle  du  saiut  ea  hiver  lombail  toujours  en  carême,  nous  inclinons  néanmoins  k  croire 
que  la  rencontre  des  deux  troupes  eut  lieu  le  21  mars.  Geoffroy  Martel  étant  mon, 
nous  l'avoosdit.te  i4  novembre  ioQo,Guy-GL'oflrroy  dut  donner  carrière  leplustôt  pos- 
sible à  SCS  appétits  el  entreprendre  uae  chevauchée  pour  meUrc,eo  quelque  sorte  par 
surprise,  la  main  sur  l'objet  de  sa  convoitise.  En  outre,  bien  que  les  faits  généraux 
du  récit  de  la  bataille  de  Mont-Couer,dilc  de  Chef-Boutonnc  dans  l'histoire  des  comtes 
d'Anjou,  se  rapportent  au  premier  de  ces  événcmeolB,  il  est  certains  d'entre  eux  qu'il 
conTienl  de  retenir  dans  te  mélange  qui  a  élé  fait  par  l'historien.  Il  y  eal  dit  en  effet 


GUY.GEOFFK0Y-GU1LLAUME 


a85 


comtes  angevins  ne  poursuivirent  pas  leur  succès;  leur  corps  de 
troupe,  rassemblé  il  la  hûle,  devail  ùlre  peu  considérable  ot  ils 
n'avaient  eu  aiïaire  en  quelque  sorte  qu'à  l'entourage  du  duc; 
aussi,  craignant  un  retour  ofTensif  auquel  ils  n'auraient  pu  opposer 
une  résistance  efficace  et  voulant  d'autre  part  mettre  en  silreté  leurs 
prisonniers,  le  fruit  le  plus  sérieux  de  leur  victoire,  ils  rentrèrent 
dan»  leur  pays,  où  le  partage  du  butin  fut  sans  doute  entre  les 
deux  frères  le  point  de  départ  de  ditricullés  qui,  par  la  suite, 
devinrent  si  graves  (t  ), 

U  est  dona  hors  de  doute  qu'ils  se  retirèrent  précipitamment  et 
que  Guy-Geoffroy  put  préparer  sa  revanche  en  toute  sécurité. 
Il  ne  tarda  guère.  Le  13  mai  suivant,  c'est-à-dire  deux  mois 
apn^s,  il  se  trouvait  à  Saint-Maixent,  où  il  se  rencontra  avec  sa 
mère  Agnès  et  Isembert.évêque  de  i'oiticrs;  l'on  peut  croire  que 
dans  cette  entrevue  fut  étudiée  la  possibilité  de  reprendre  l'afTaire 
qui  venait  de  si  mal  tourner (2).  Ce  n'était  plus  par  surprise  que 
le  comte  pouvait  agir,  il  fallait  faire  la  véritable  conquête  du 
pays. 

Dans  ce  but,  au  commencement  de  Tannée  suivante,  il  rassem- 
bla une  puissante  armée  avec  laquelle  il  se  dirigea  sur  Saintes. 
Arrivé  devant  la  ville,  il  fit  Iracer  autour  d'elle  une  ligne  de  cir- 
convallation   formée  par    de   petits   cliàlolels   qui,  se    prêtant 


que  les  Aogerin.s,  pour  se  mettre  à  Tabri  du  froid  piquant  qui  refait  ta  ce  moment, 
s'instaltèreut  dans  les  tentes  des  vainqueurs  cl  firent  avec  les  corps  des  vaincus  une 
barrière  contre  Je  vent  du  nord.  Or,  si  ce  fait  se  comprend  pour  un  cvénenicnt  arrivé 
lest  mars,  il  ne  peut  en  aucune  fai,on  êlrc  admis  pt>ur  te  i  [  juillcl,  pas  plus  que  pour 
le  20  septembre,  jour  où  se  livra  la  bataille  de  Moul-Coucr:  ce  dclad  trat^lque  appar- 
tient donc  à  la  bataille  de  Clief- Bouton  ne  et  ea  place  la  date  ù  la  tin  de  l'hiver. 

(i)A  défaut  du  silence  des  chroniqueurs  ang-evlns,  nous  croyons  avoir  retrouvé  un 
souvenir  de  cet  évéïiemeul  dans  le  cartulaire  de  ta  Trinilê  de  Vendùiue  (liesly,  fiist. 
des  comles,  preuves. p  ^'i^fj  bis).  Il  est  dit  dans  une  charte  du  mois  d'août  1074  que  le 
comte  Foulques  s'é'aut  trouvé  contraint  d'engager  une  tulle  avec  le  comte  de  Poitou, 
celui-ci  l'avait  mis  en  position  ou  deconibatlrc  corps  â  corps  ou  de  fuir  avec  lionie.Dans 
cet  inimincQl  péril»  se  souvenant  des  torts  doulil  s  était  rendu  coupable  envers  la  Trinité, 
Foulques  avait  fait  un  vœu  et  eu  présence  de  plusieurs  de  ses  chevaliers  s'était  écrié 
tout  haut  que  si  le  Seigneur  lui  accordiiit  celle  fois  la  victoire  sur  ses  ennemis  il  res- 
tituerait aux  moines  de  Vendôme  ce  qu'il  leur  avait  injustemeul  ravi.  Aprèi  avoir  pro- 
noncé ces  paroles  il  fut  au  combat  et,vaiuqueur,fit  prisonniers  plusieurs  lo!>Ic3  guer- 
riers; puis  il  retourna  avec  allégresse  dans  ses  domaines.  Pas  plus  que  nous  M.  Port 
{^Dictionnaire  de  Maine-et-Loire,  11,  v  Foulques  le  Réchiu)  n'a  été  tenté  de  ratta- 
cher ce  récit  à  une  guerre  entre  les  comtes  d'Anjou  et  de  Poitou  en  1074»  Jo"l  'l 
n'existerait  d'autre  trace  que  ce  texte,  et  il  nous  paraît  juste  de  le  rapporter  à  la  cam- 
pagne de  loGi. 

(a)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint- Maixenl,  1,  p.   14^*' 


i80 


LES  COMTES  DE  POITOU 


muluallemenl  assislance,  empôchaieul  la  garnison  de  sortir  de 
ses  murs  ;  en  sûreté  de  ce  côté,  il  put  ravager  impunément  le 
pays, ce  qui  eut  pour  résultai  d'affamer  les  habitants, Les  secours 
n'arrivant  pas,  la  garnison  angevine  fut  contrainte  de  capituler, 
et  les  bourgeois,  à  son  exemple, durent  se  livrer,  corps  et  biens, 
au  vainqueur  (I).  H  y  a  tout  lieu  de  croire  que  Guy-GeolTroy 
n'abusa  pas  de  sa  victoire;  la  présence  d'Agnès  et  de  l'évêque 
Arnoul  devait  protéger  leur  résidence  et  si  la  prise  de  Saintes 
avait  été  signalée  par  les  atrocités  qui  signalèrent  plus  tard  celles 
de  Saumur  et  de  Luçon,  le  chroniqueur,  qui  s'est  étendu  com- 
plaisammenl  sur  celles-ci, n'aurait  pas  manqué  de  les  relater (2). 

Lorsqu'il  reprit  possession  du  domaine  comtal  que  son  père  avait 
jadis  aliéné  en  faveur  de  Foulques  Ncrra,  Guy-Geoffroy  ne  rati- 
fia certainement  pas  toutes  les  aliénations  que  les  comtes  d'An- 
jou avaient  pu  faire  depuis  un  demi-siècle  environ;  plus  d'un  éta- 
blissement religieux  fut  contraint  de  se  dessaisir  de  quelques 
droits  ou  privilèges  spéciaux  et  en  particulier  l'abbaye  de  Noire- 
Dame  de  Saintes  dut  renoncer  à  ce  privilège  exclusif  d'émettre 
des  monnaies  en  Saintonge,  qui  faisait  partie  de  la  magnifique 
dotation  qui  lui  avait  été  constituée  par  Agnès  et  Geoffroy 
Martel  en  1047  {3). 

Les  comtes  de  Poitou  possédaient  d'ancienneté  nn  atelier  mo- 
nétaire à  Saintes  ;  il  avait  été  aliéné,  sans  doute  par  Guillaume  le 
Grand  dans  un  de  ses  accès  de  générosité,  et  en  1034  il  était  tenu 
indivisément  en  fief  par  deux  chevaliers,  l'rancon,  possesseur  du 
capi  tôle  de  Sain  tes,  et  Mascelin  de  ïonnay.  Après  la  conquête  delà 


(i)  Eq  voyant  Guy-GeoITroy,  six  scinaioea  après  sa  dcfailc,  veair  à  Sainl-Maixent 
apposer  sa  yi^nalure  au  bas  d'un  simple  acle  de  donitlion  faile  à  celle  abbaye,  nous 
«rions  d^aburd  pensé  que  featrcvue  certaine  du  comlc  et  de  sa  mère  avait  eu  pour 
objet  de  préparer  J'iovasion  de  la  Saintonge  et  que  celle-ci  avail  eu  lieu  au  mois  de 
juin  ou  au  commeucement  de  juillet,  mais  nous  venons  de  donner  pJusbaut  les  raisons 
qui  aùu<>  ont  tait  pencher  pour  une  autre  suEulioii.  D'autre  part,  on  voit  par  la  liste 
des  témoins  que  le  comte  était  là  sans  l'cntuaragc  laïque  de  ses  grands  vassaux  ou 
de  ses  lidètes;  on  y  comptaîl  sculeuieut  son  prévOl,  Celle  coirevue  entre  lanière  cl 
le  fi\s,  venus  l'une  de  Saiiiles  et  l'autre  de  Poitiers,  a  donc  toul  le  caractère  d'un  con- 
cdiabule  secret,  tenu  dans  un  lieu  uù  les  indiscrélioas  ue  pouvaient  être  commises. 

(a)  Marchegay,  Lhron.  des  éjt.  d'Anjoti,  p.  4o3,  Saml-Maixenl. 

(3)  Désonnais  on  voit  en  ellét  Guy-GeolTroy  disposer  de  douiaines  en  Saintonge,  et 
en  gratifier  ses  tidèles;  ainsi  it  donna  en  lie},  »  tiscaliter  »,  à  Pierre  de  llridier,  son 
8énécbal,dcs  métayers  dans  l'Ile  d'ÛJérun,  dont  celui-ci  ae  dépouilla  plus  lard  en  faveur 
du  niunaslèrc  de  Saint-Nicolas  de  F'oiticrs  {Arck.  hisl,  du  Poitou,  l,  p.  43,  cari,  de 
hiatnt-Nicolas}. 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


•87 


Saintongepar  Geoffroy  Martel, l'atelier  resta  pendanl  dix  ans  sans 


telle 


la 


04- 


l1 


d'Aï 


fonctionner 

jou,se  trouvant  à  Saintes,  voulut  y  remédier  et  ordonna  aux  che- 
valiers de  reprendre  la  frappe  do  la  monnaie,  leur  déclaranl  que 
s'ils  ne  se  conformaient  pas  à  son  invitation  il  leur  enlèverait 
ce  fief  et  le  raltaclierail  à  son  domaine.  Il  leur  assigna,  pour  ce 
faire,  un  délai  de  trois  ans,  mats  pour  des  raisons  que  nous 
ignorons,  peut-être  une  première  mise  de  frais  dans  laquelle  les 
co-possesseurs  de  la  monnaie  ne  voulaient  pas  s'engager,  celle-ci 
resta  dans  le  môme  abandon.  Lors  d'un  voyage  à  Saintes,  que  le 
comte  fit  vers  1047,  il  s'aperçut  que  ses  ordres  n'avaient  pas  été 
exécutés  ;  mettant  alors  sa  menace  à  exécution,  il  reprit  le  fief, 
ainsi  qu'il  l'avait  dit,  et  envoya  demander  des  monnayeurs  à  An- 
goulême.  Ceux-ci  rouvrirent  l'atelier  et  fabriquèrent  des  pièces 
sur  le  type  de  celles  de  leur  lieu  d'origine  {I}. 

C'est  peu  après  que  le  comte  d'Anjou  fil  don  à  l'abbaye  de 
Notre-Dame,  qu'il  fondait  d'accord  avec  sa  femme  Agnès,  de  la 
monnaie,  du  monnayage  et  du  change  de  tout  l'évéchôde  Saintes. 
Il  avait  obtenu  de  Francon  que  celui-ci  renonçât  bénévolement 
aux  droits  qu'il  pouvait  avoir  sur  l'objet  de  cette  donation,  et 
Agnès,  plus  scrupuleuse,  acquit  de  Mascelin  sa  part  dans  ces 
droits  moyennant  une  somme  de  3000  sous  et  deux  chevaux  de 
prix  (2).  Les  deux  époux  tirent  venir  les  monnayeurs  qui  tra- 
vaillaient sur  divers  points  du  territoire  de  l'évècbé  et  leur  firent 
prêter  serment  à  Constance,  la  première  abbesse  du  monastère  ; 
comme  complément  de  leur  don,  ils  y  ajoutèrent  une  maison 
contiguë  à  l'arche  du  ponl  de  Saintes,  à  droite  en  sortant  de  la 
ville,  où  sérail  installé  ratehor  de  la  frappe  de  la  monnaie  (3). 


(i)  Voy.  Benj.  Fillon,  Considérations  sur  les  monnaies  de  France,  p.  iia,  et  Col- 
lection Jean  /ioussean,  pp.  Sa  et  34- 

(a)  Gallia  Christ.,  II,  instr.,  col.  /(So-  Lelexle  donné  par  l'abbë  Grasilier  {Cari,  de 
Notre-Dame  de  Sat/tfes,p.  3)  porte  que  le  prix  d'achal  de  la  porlion  de  iMiiscelîn  fut 
de  1000  sous  <  mîUiuni  solidorum  •'.  Le  lexle  de  D,  Fonlcncaiu  (XXV\  p.  33[>)  étant 
en  concordance  avec  celui  du  (Jallia,  nous  adoptons  de  préférence  la  leçon  daunéc 
par  ces  deux  recueils. 

(3)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  pp.  3  et  70.  L'expression  «  cpiscopatus  Xan^ 
lonensÎ!)  n  employée  par  Geoffroy  Martel  ne  saurait  s'appliquer  à  SaiiU-Jeau  d'Augély, 
dont  la  monnaie  appartenait  à  Cluny  depuis  dix  ans  au  moins  et  qui  ne  cessa  d'èlre 
la  propriété  de  ce  monastère.  I^  sens  du  mot  «  episcopatus  »  doit  dire  restreint  aux 
possessions  du  comte  d'Anjou  dans  l'éviicljé  de  Saintes, 


988 


LES  COMTES  DE  POITOU 


L'abbesse  Conslance,  incapable  d'user  par  elle-mônie  du  privi- 
lège qui  lui  élail  concédé,  donna  en  fief  à  Guiîiauuie  Aubert  le 
change,  la  brisure  de  la  monnaie  qui  avait  lieu  lors  du  retrait  des 
anciennes  pi^ces  et  qu'en  retour  il  en  était  donné  de  nouvelles,  le 
sol  conligu  au  pont,  la  levée  de  4  deniers  à  percevoir  sur  chaque 
lot  de  20  sousde  monnaie  fabriquée  etenfinla  faculté  d'avoir  une 
place  dans  la  maison  de  la  monnaie  lors  delà  fabrication  de  celle- 
ci  afin  d'en  faciliterla  surveillance.  Telle  était  lasitualion  lorsque 
Guy-Geoiïroy  rentra  en  possession  de  Saintes.  Il  fil  reconnaître 
son  droit  souverain  dans  l'émission  de  la  monnaie  et  les  ateliers 
de  Saintongo  rentrèrent  dans  le  rang  des  autres  établissements 
situés  sur  le  territoire  du  comté  de  Poitou  ;  ils  frappèrent  des  piè- 
ces au  type  immobilisé  du  carlvs  hk\  fr  portant  au  revers  me- 
TALO,qui  était  universellement  connu  sous  le  nom  de  monnaiepoi- 
levine,si  bien  que  nulle  part,  même  dans  les  chartes  locales  de  la 
Sain  longe,  il  n'est  parlé  de  deniers  au  nom  de  ce  pays,  mais  seu- 
lement de  deniers  poitevins  (I).  La  seule  difficulté  que  le  comte 
de  Poitou  semble  avoir  rencontrée  dans  la  reprise  deses  droits, dont 
la  surveillance  était  spécialement  confiée  à  son  prévôt,  lequel  pour 
cet  objet  percevait  quelques  redevances  spéciales,  provint  de  Fran- 
con;  celui-ci  n'avait  peut-être  pas  renoncé  aussi  gracieusement  que 
le  disait  Geoffroy  d'Anjou  à  ses  droits  de  change  el  de  monnaie, 
ou  du  moins  il  ne  l'avait  pas  laissé  paraître,  et  s'était  unjour  em- 
paré des  matières  d'or,  d'argent,  do  bronze  et  de  plomb  qu'un  pau- 
vre diable  avait  recueillies  en  tamisant  le  sable  el  les  vases  de  la 
Charente  avec  t'assenliment  du  prévôt  du  comte,  Seniorel  de  Saint- 
Jean  ;  Guy-Geoffroy  contraignit  Francon  à  restituer  au  prévôt  et 
au  passeur  de  sable  ce  dont  ils'élail  indûment  emparé  (2). 

Il  y  aurait  lieu  de  s'étonner  de  l'inertie  du  comte  d*Anjou  qui 
ne  tenta  aucun  eiïorl  pour  essayer  de  disputer  au  comte  de  Poitou 
ce  riche  domaine  de  Saintonge,  surtout  après  le  succès  qui  avait 


(i)  Les  BtipulRtions  de  paiemeots  ou  de  redevances  dansTévéché  de  Sainles,  même 
de  la  pari  des  religieuses  de  Notre-Dame,  sont  loujoura  énoncées  en  monnaie  poite- 
vine {Cart.  de  Noire-Dame  de  Saintes,  p.  Gg;  D.  Fonteucau,  LXIil,  p.  Sug).  L'é- 
mission des  deniers  poitevins  fui  toujours  très  abondante,  si  bien  que, lors  delà  conquéle 
de  Jérusalem,  c'était  la  monnaie  dont  les  Croises  êlaient  pourvus  en  la  plus  grande 
quantité  (//i'.t/.  occ.  des  Cmisades,  JII,  p.  Ï78,  Raimond  d'Aifuilcrs). 

(a)  Cari,  de  iXolre-Dame  de  Saintes,  p,  52. 


GUY-GEOFFaOV-GL'IIJ.AUMK 


iH 


marqué  son  inlervcnlion  l'année  précédente,  si  l'on  ne  connaissail 
l'anlipalhic  qui  exislail  entre  les  deux  neveux  deOeolTroy  Marlcl, 
la  lutte  sourde  qui  avait  dès  lors  éclaté  entre  eux.  La  Sainlonge 
rormail  une  part  importante  du  lot  attribué  h  Foulques  le  Uéchin, 
loL  qu'il  tenait  en  vassalité  de  son  frère  :  en  1001 ,  au  début  de  la 
prise  de  possession  de  leurs  héritages,  Geoffroy  le  Barbu,  r-oyale- 
ment  pourvu  des  conilés  d'Anjou  et  de  Touraiuc,  n'avait  pas 
hésité  à  prendre  parti  pour  son  fVère  et  c'étaient  ses  Iroupos 
qui  avaient  été  véritablement  victorieuses,  mais,  en  1062,  il 
resta  neutre,  et  le  Héchin,  réduit  à  ses  seules  forces,  ne  ténia 
même  pas  d'opposer  quelque  résistance  à  l'armée  du  duc  d'Aqui- 
taine. 

(7étail  en  elTi'l  une  véritable  armée  que  Guy-GeofVroy  avait 
rassemblée  a(iu  de  s'assurer  une  réussite  certaine;  elle  ne  conte- 
nait pas  seulement  des  conlingenls  fournis  par  les  nombreux  vas- 
saux de  son  duché, il  avait  encore  soudoyé  des  troupes  étrangères 
et  lointaines,  et  surtout  des  gens  venus  du  nord  de  la  France,  du 
Vermandois,  En  ce  moment,  la  sage  adminisiration  du  royaume 
de  France  par  Baudouin,  comte  de  Flandre,  oncle  et  tuteur 
du  roi  Philippe,  laissait  inoccupés  les  chevaliers  qui  avaient  pris 
part  aux  nombreuses  luttes  des  années  précédentes  (1).  Ils  vin- 
rent avec  ardeur  se  ranger  sous  la  bannière  du  comte  de  Poi^ 
lou,mais,  après  la  prise  de  Saintes,  Guy-Geoffroy  se  trouva  em- 
barrassé do  ces  auxiliaires  et  alors  il  se  lança  dans  une  de  ces 
aventureuses  expéditions  qui  furent  pendant  deux  siècles  le  pro- 
pre de  la  chevalerie  :  les  inlidèles  devinrent  à  un  moment  donné 
l'objectif  des  guerriers  chrétiens  désireux  de  batailler  et  k  qui 
les  luttes  de  voisinage,  les  actes  de  rapine  et  de  brigandage  ne 
savaient  plus  suffire. 

Le  comte  de  Barcelone,  Raymand-Béronger,  enquête  d'assis- 


(i)  Marcheg'ay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou^  p.  4o3,  Saint-Maixenl.  Plusieurs  histo- 
riens el  eu  parliculier  Tabbc  Delarc  {Saint  Gréfjuire  VU,  II,  p.  3ijo),  adoplciitJa  cor- 
reclioa  iailc  »u  Icxlc  de  la  chronique  de  Sainl-Maixcot  pur  les  cdilcura  du  Recueil 
des  hist.  de  France  qui  rtiiiiplacèreut  par  le  mol  «  Nurmaauia  a  celui  de  «  Verman- 
nis  i>  cpii  ne  leur  disait  rien.  M.  Dclnix  admet  même  une  faute  de  copie  de  la  pari 
de  .MM.  .Marchcfjay  el  Mabille, éditeurs  du  tachrjni<|ue.  En  cela  iJ  se  trompe,  car  noua 
avons  pu  constater  sur  le  uianuscril  oriçinal  qu'il  porte  bien  <t  Vermanni»  »,  aussi 
conserverons  Qous  ce  mot  dont  aotn  avons  donné  la  sii^uilkaliou,  aussi  biea  que  la 
date  ûxée  par  ce  document  à  la  prise  de  liarbastro, 

19 


ago 


LES  COMTFS  DK  fOilOU 


lance  contre  les  Maures,  fil  dpmander  an  duc  d'Aqiiilaine  de 
vouloir  bien  venir  à  son  aide.  Dans  celle  avance  il  iaul  encore 
rcconnîiîlre  la  main  d'Almodis  de  la  Marche,  qui,  grâce  h  son 
inlelligence,  jouait  un  rôle  prépondéranl  dans  les  conseils  de  son 
Iroisicme  mari.  Lalssanl  de  côlé  ses  prévenlions,  elle  ne  voyait 
de  son  œil  de  femme  politique  que  le  succès  continu  qui  accom- 
pajznail  les  cnlrepriscs  de  Guy-tieoiïroy  ;  il  était  puissant,  la  for- 
tune le  favorisait_,  aussi  n'hésila-t-elle  pas  à  s'adresser  à  lui.  Tou- 
tefois on  doit  se  demander  si  le  duc  d'Aquitaine  fit  d'emblée 
celle  grande  chevauchée  du  Poitou  en  Espagne  et  s'il  ne  se 
trouvait  point  à  proximité  de  ce  dernier  pays  lorsque  les  sei- 
gneurs des  Pyr<''n6e3  lui  deniandèreiil  de  venir  à  leur  aide  pour 
r<;duire  l'imporlante  forteresse  de  ilarbastrot 

Nous  savons  que,  du  duché  de  Gascogne  qui  lui  avait  été  attri- 
bué en  1044,  Guy-(îeo(Troy  ne  possédait  réellement  que  le  Borde- 
lais et  peut-être  rAgcnais.  Un  accord  lacile  ou  même  une  con- 
voniion  écrite  avaient  été  passés  cnlre  lui  et  Bernard  Tumapalor, 
comlc  d'Armagnac,  qui  s'était  h  la  suite  arrogé  le  litre  de  duc  de 
Gascogne.  Mais  les  raisons  pour  rompre  de  telles  conventions 
n'étaient  pas  dilficilesi'i  rencontrer  quand  l'une  des  parties  croyait 
y  trouver  son  intérêt, et  tel  était  le  cas  pour  Ouy-GoolTroy. 

Pour  joindre  les  cols  du  Bigorre  ou  du  Comminges  qui  lui  per- 
mettaient de  descendre  de  l'autre  côté  des  monts  et  de  se  join- 
dre aux  confédérés  chrétiens,  il  lui  fallait  traverser  la  Gascogne 
et  mf'me  les  possessions  directes  de  Bernard  Tumapaler,  c'esl-à- 
dirc  rArmagnac.  Le  comte  voulut-il  arrêter  le  duc  d'Aquitaine, 
ou  des  diflicultés  s'élcvùrcnt-elles  entre  eux  à  l'occasion  de  ce 
passage,  on  no  saurait  le  dire,  mais  il  est  un  fait  certain,  c'est 
que  le  7  mai  Î063  une  bataille  s'engagea  non  loin  de  l'abbaye  de 
Saint-Jean  de  la  Caslelle,  située  entre  l'Adour  et  le  Midou  (1). 
Les  Gascons  n'étaient  pas  en  étal  de  résistera  leurs  adversaires, 
aussi  Bernard  vaincu  s'empressa-1-il  de  solliciter  la  paix;  moyen- 
nant une  somme  de  lîi.OOO  sous, il  renonça  en  faveur  de  son 
vainqueur  h.  toutes  ses  prétentions  sur  le  duché  de  Gascogne  (2). 


(i)  Crue  localité  n'est  plus  oujourd'hui  connue  qoe  sous  le  nom  de  Saiol-Jean  et 
fall  parue  du  cnrilna  de  Grenade,  département  des  Landes. 

(2)  Fragmenldii  carlulaire   de  Sainl-Sever,  publié  par  de  Marca,  ///'«/.  île  Béarn, 


ÎIJY^EOFFROY-GUILLAUME 


»9« 


Aucun  obslacle  ne  devait  plus  arrêter  le  duc  d'Aquitaine.  Il 
put  Iraversor  sans  dinicullé  les  Pyréni'es  et  descendre  dans  la 
plaine  de  Harbaslro  (I).  La  garnison  maure  résista  vaillamment 
el  succomba  tout  entière,  en  sorte  que  la  ville,  peut-on  dire, 
fut  prise  faute  de  défenseurs.  Les  chevaliers  français  qui  étaient 
venus  se  mettre  sous  les  ordres  de  (aiy-GeolTroy,  lo  plus  puissant 
des  chefs  qui  prirent  part  à  celte  campagne,  eu  tircrenl,  un 
grand  profil.  Barbaslro  était  une  ville  opulente  et  aprôs  sa  prise 
ils  ravagèrent  par  le  fer  el  le  feu  la  plus  grande  partie  de  la 
région,  se  chargèrent  de  riches  dépouilles  et  emmenèrent  de 
nombreux  esclaves.  Les  chefs  Sarrazins  ne  trouvèrent  d'autre 
lacliqun  pour  arrêter  les  vainqueurs  que  do  dévaster,  le  pays 
devant  eux,  si  bien  que  l'armée, réduite  à  des  privations  tant  par 


p.  279,  el  par  le  GalUa  Chrittiana,  I,  col.  1181.  Dans  ces  deux  oavrai^sja  dale  ia> 
diqucc  pour  la  bitt^itlc  est  l'année  10/3, mois  il  nous  p.nraU  de  loule  <5vidcocc  que  l'on 
ne  saurait  s'arrèlrr  à  ceUe  énonci.ilion,qui  es(  uac  faute  du  cartul.iirc  ou  de  la  copie  de 
de  Mnrca,  et  qu'il  faut  lire  lOtiS.fcln  effet,  (c  dernier  acte  public  qui  fasse  mention  du 
duc  Bernard  Tumapalcr  esl  le  procè^-verlial  de  la  dédicace  de  l'cgltie  de  Nngaro  on 
1063,  et  l'on  sait  qu'il  se  retira  dans  no  monastère  avant  ^ou^°crlu^o  du  concile  de 
J.icca  en  io63.  I/enlrécen  religion  du  duc  de (îascogiie suivit  donc  de  près  sa  défaite. 
Ceci  est  dans  l'ordre  naturel  et  nous  sommes  sur  ce  point  absolu nical  d'accord  avec 
Palustre  (///«/.  de  Guillfinme  IX,  p.  64tnoto  i).  En  1073,  l'autoritc  du  duc  d'Aqui- 
taine sur  la  Gascoi^ne  était,  d'après  tous  les  textes,  depuis  long'temps  établie,  fait  qui 
a  échappé  aux  auteurs  do  l'Art  de  vérijîerles  dates,  p.  729,  et  de  Vllixtoire  yénéu- 
logi'fiic  de  la  maison  de  France,  III,  p.  ^ii  *  de  plu3,  ils  assig^ncnt  à  celte  bataille 
la  dale  de  1070,  en  renvoyant  pour  l'étiiblir  A  Vllistoire  de  Béorn  de  Marca.  Mais, 
nous  venons  de  dire  comment  il  parali  prcsomobic  que  cet  historien  a  cora- 
rais  dans  la  circonstance  une  erreur  do  date,  cl  nous  ferons  en  outre  retnarquer 
que  ce  n'est  pas  l'aiinco  1070  qu'il  indique, d'a[/rcs  le  cartuLiire  de  Sainl-Sevcr,  mais 
bien  1073. 

L'abbé  Manlczun(^ts/.r/e/a  Gascogne,\\^  p.  87)  place  le  fait  d'amies ea  io6a  saos 
donner  les  motifs  qui  lui  font  rejeter  celles  de  1070  ou  de  1073,  fournies  par  les  au- 
teurs qui  viennent  d'être  cités  et  qui  sont  les  seuls  auxquels  il  se  réfère.  Ou  doit  croire 
({u'il  a  admis,  comme  nous  le  faisons, que  la  soumissiou  de  la  Gascogne  a  été  lice  à  la 
campagne  de  Uarbasiroel  qu'il  a  simplement  emprunte  cette  date  de  10C2  aux  extraits 
de  la  cbrooiquc  de  Saiot-.Maixeol  publiés  par  Desly  {llist.  des  comtes,  preuves, 
p,344  bis).On  peut  encore  citer, tant  il  a  été  émis  d'opinions  différentes  sur  ta  bataille 
de  la  Casiclle,  celle  de  l'aulcur  de  la  Chronologie  des  ducs  de  Gascogne,  parue  dans 
Y  Annuaire  de  ia  Société  de  l'Uist.  de  France,  i855,  p.  89,  qui  dit  que  Bernard  ven- 
dit en  loOa  la  Gascogne  à  Guy-Geoffroy.  U  ne  nous  a  pas  éié  possible  de  retrouver 
le  point  de  départ  de  cette  nouvelle  indication  et  nous  en  sommes  réduit  â  penser 
qu'elle  n'est  qu'une  faute  d'impression  et  qu'il  faut  lire  1062. 

(i)  Nous  ne  suivrons  pas  l'alttstre  [llist.  de  Guillaume  /X,  p.  74)  dans  les  évolu- 
tions qu'il  fait  faire  au  duc  d'Aquitaine,  lui  faisant  traverser  avec  son  armée,  sans 
aucun  motif,  les  comtés  de  Toulouse,  de  Carcassonnc,  de  Uoussillon,  pour  arriver  à 
Géronc  en  Catalogne,  dont  il  fait  le  rendez-vous  des  confédérés,  tandis  que,  comme 
il  esl  naturel  et  comme  il  a  dû  se  passer,  le  duc  pouvait,  en  sortant  de  la  Gascogne 
par  les  cols  des  Pyrér.ée8,enlrer  directemcol  dans  la  vallée  de  la  Cinça,  à  la  sortie  de 
laquelle  se  trouve  Barbastro. 


aga 


LES  COMTES  DK  POITOU 


ses  propres  excès  que  par  l'habilelô  de  ses  adversaires,  se  vil, 
sans  doute  aux  approches  de  l'hiver  qui  vienl  silôl  dans  ces 
régions  monlajT^neuses,  conlrainie  de  se  relirer,  sans  que  la 
prise  de  Barbaslro  ail  amenft  les  résulLals  elDcaces  que  pou- 
vaient en  attendre  les  chrétiens  (i). 

Mais  Guy-Geoffroy  en  avail  assez.  La  conquête  de  celle  ville, où 
ses  troupes  se  couvrirent  de  gloire  et  dont  la  prise  lui  fut  unani - 
memenl  allribiiée,  lui  suffisait.  Il  vil  que  dans  celle  lutte  conti- 
nue entre  les  rois  espagnols  et  les  princes  maures  il  ne  saurait  y 


(i)  Marcheçay,  Chron,  îles  églistts  tTAi 


/|o3,  Saint-MaixcDl;  Besly,  ///«/. 


laixeot 

France 

Ruberl  h  la  mort  du  roi  Fhilippe;  Rec.  des  hist.  de  France,  XII,  p.  -jtfi,  Hugues  de 
Flcury,  La  dale  de  la  prise  de  Barbaslro  n'est  pas  unilormémenl  rapportée  par  les 
hïsloricns.  Noua  avons  admis  celle  de  loù'i  pour  deux  motifs:  d'abord  parce  qu'elle 
nous  puratt  se  lier  iatimcmcnl  à  l'aiFaire  de  ta  Casicllc,  placée  au  7  mai,  c'csl-à-dire 
au  nioitienl  où  Tarmce  du  duc  d'Aquitaioe  devait  nonnalemeiil  se  diriger  vers  les 
Pyrénées  pour  les  traverser  après  la  fonte  des  netges;  puis,  d'autre  part,  parce  que  le 
chroniqueur  de  Saiut-Maixcut  ni.^  met  aucune  iulerruption  dans  son  récit  entre  la 
prise  de  Saintes  et  celle  de  Barbaslro .  II  relie  ces  deux  événements  qu'ît  marque  tous 
les  deux  à  l'année  10O2,  par  le  mol  c  indé  ».  De  là,  dit-il,  c'est-à-dire  de  Saintes,  le 
duc  se  rendit  en  Espagne. Or, la  campatf ne  qui  se  termina  par  îa  prise  de  Saintes  fut 
assez  longue,  si  Ton  en  juge  par  les  détails  que  fournil  li*  cbronique  sur  la 
construction  de  chàteau.\,!e  ravage  du  pays,  etc.,  cl  il  est  peu  probaLIc  que  ces  faits 
se  soicut  passés  assez  tût  pour  avoir  pu  permettre  à  Gtiy-Geoflroy  de  se  trouver 
à  la  Castelle  le  7  mai  loCi^.  Il  est  du  reste  certain,  d'après  la  charte  de  Satnl-Maixcnt 
préGédemiiieul  citée,  que,  le  i3  niai  mûi,  il  se  Icnail  en  Poitou.  L'expédition  de 
Guy-Geoffroy  dans  le  Midi  se  trouve  par  suite  forcément  reportée  à  Tannée  suivante, 
et  c'est  ce  que  l'on  doit  naturullenienl  déduire  du  mol  «  indè  »  employé  par  le  chro- 
niqueur de  Snint-MnLxent,  qui  ne  mentionne  aucun  lait  sous  la  date  de  Tannée  ioC3, 
ce  mol  «  indè  h  lui  nyanl  sans  doule  parusuflisammenl  explicite.  Du  reste,  il  serait 
bien  difrïcilc  d'admettre  i|uc  quelque  assuré  qu'il  fût  de  la  non-iulervcnlion  des  An- 
gevins, Guy  Gfoffroy  aurait  précipitamment  quitté  le  territoire  (ju'il  venait  de  con- 
quérir cl  couru  de  nouvelles  aventures  sans  avoir  solidement  assis  son  autorité  sur 
les  lieux  dont  il  venait  de  s'em|)arcr. 

Un  historien  espagnol,  Zurita  {Anales  de  Aragon,  I,  p,  a4,  éd.  dc^iôio),  cité  par 
Palustre  [Ifist.  de  Gfiiilamne  /A',  p.  74.  noie  1}  donne  à  la  prise  de  Barbaslro  la 
dule  de  loOii.  Palustre  se  rangea  la  manière  devoir  de  Thistorien  espagnol;  nous  ne 
saurions  le  suivre  dans  la  voie  où  il  s'est  engagé,  nous  contenlaal  de  renvoyer  à 
l'argumentation  à  laquelle  nous  venons  de  nous  livrer  et  disant  avec  Besly:  a  Qui  vou- 
«  droit  s'amuser  aux  cottes  et  calcul  des  historiens  Espagnole  se  jclleroil  dans  un 
«  labirinlhe  d"où  tous  les  filets  d'Ariadne  ne  le  sçauroicnt  tirer  {ilisL  des  comtes, 
p.  loâ).  DeJarc  {llisi .  de  saint  Grégoire  V//,  p.  388  et  ss.)  qui  donne  d'iiiléressiints 
dclails  sur  la  prise  de  Barbaslro  empruntés  h  VVsfoiredç  IJ  Nomiant  et  aux  écrivains 
arabes  ado[ile  aussi  la  dale  de  iolJ3,maîs  nouspar.iît  amoindrir  par  trop  le  riilcduduc 
d'.\quil:iine.  Un  argument  plus  sérieux  pourrait  ôlrc  tiré  d'une  iudicationchronologique 
fournie  par  une  charte  du  carlulaire  de  Notre-Dame  de  Saintes  du  it\  août  ioG5,où 
il  est  dit  qu'elle  fut  p.Tsséc  au  temps  du  comte  Guillaume  qui  enleva  la  ville  de  Bar- 
baslro aux  Sarrazins,  a  tempore  Willelmi  comilis  qui  Barhastam  civiutem  Sarracenia 
abstulil  >  (p.  i5o).  .Mais  nous  ne  voyons  dans  cette  énonciation,  dont  on  rencontre  du 
reste  d'uulres  exemples,  que  le  rappel  du  fait  le  plus  éclatant  de  la  vicmihtaire  du  duc. 


guy-geoffroy-gi;illai;mk  "^^    293 

avoir  pour  lui  aucun  avaiilage,  el  en  homme  avisé  qu'il  élail,  il 
songea  à  se  relirer.  Il  avail  mis  la  main  sur  la  Tiascognc,  ce  qui 
élait  resseiilit'l,  il  n'avait  plus  qu'à  rentrer  en  Poitou  (1). 

La  soumission  de  ces  régions  au  duc  d'Aquitaine  fil  du  reste 
si  peu  de  bruit  que  les  chroniques  n'y  font  aucune  allusion  ;  elles 
furent  autrement  frappées  de  la  prise  de  Barbastro, qu'elles  célé- 
brèrent il  l'envi  (2).  Les  historiens  du  midi,  qui,  sous  rinlluence 
d'un  patriotisme  local  exagéré,  ont  déploré  ce  qu'ils  ont  appelé 
l'asscrvissemenl  de  leur  pays,  ne  se  sont  pas  rendu  un  comple 
exactde  la  situation.  En  devenant  duc  de  Gascogne, Guy-Geoffroy 
entrait  simplement  en  possession  d'un  titre  nu;  aucune  dépen- 
dance territoriale  ne  l'accompagnait,  et  le  lien  féodal  était  si 
relâché  dans  ces  régions  que  la  vassalité  de  ces  comtes  gascons 
envers  leur  supérieur  était  h  peu  prt'.'S  illusoire;  en  somoie,  ils 
étaienlparfaitement  indépendants  el, comme  nous  l'apprend  This- 
to ire, leur  sujétion  se  réduisit  à  bien  peu  de  chose, 

Un  témoignage  de  ce  fait  est  fourni  par  les  annales  ecclé- 
siastiques. Afin  d'assurer  le  maintien  de  leurs  privilèges  ou  des 
donations  qui  leur  étaient  faites^  les  établissements  religieux 
avaient  grand  soin  de  faire  reconnaître  ces  actes  par  tous  les 
personnages  qui,  à  un  titre  quelconque,  pouvaient  revendiquer 

(1)  Bcsly  a  publié  (I/isl,  des  comtes,  preuves,  p>38i)  ua  passage  tiré  d'un  ren^islre 
de  la  c.itbéctrale  d'Anc;oul^me,  où  il  esl  dit  que  le  frère  du  comte  d'AngoutOtnc,  Adé- 
mar,  qui  élait  sans  doulc  laïque  ù  ccUc  époque  et  qui,  devenu  clerc,  succéda  en  1076 
i  son  autre  frère  Guillaume  dons  révêché  de  cette  ville,  accompagna  en  1080  Guy- 
Gcoiïroy  dans  son  cxpcdilioo  contre  les  Sarraziiis;  mnlgré  ce  texte,  il  oe  nous  en 
coule  pas  d'afUrmerque  Guj-Gcoffroyue  Gtpasd'autre  campaiftie  eu  Espasfne  que  celle 
de  io63,  el  noua  n'hésitoos  pas  à  rcfçardcr  cette  date  de  1080  cfimiuc  une  adjonclion 
erronée,  d'autant  plus  qu'elle  ne  se  retrouve  pns  dans  \'l/înloria  pontijlcam.  et  coini- 
titm  Engotismensium,  qui  {p.  Sc))  mentionne  le  fait,  mais  sans  lui  nllribuer  aucune 
date  précise. 

{2)  Ce  silence  deschroniques,an)èrcmeal  relevé  par  l'abbc  iMonlezun  {llisl.  de  la  Gas- 
coyneJl,p.  37),  est  un  lémoignaq'e  de  plus  en  faveur  de  notre  opinion  que  la  bataille  de 
la  Caslcllc  ne  fut  qu'un  épisode  de  îa.  campagne  de  Barbaslro  devant  laquelle  il  s'efTaçait. 
Cettebatatllc  ne  fut  du  reste peul-être  qu'un  cugag^ement  de  peu  d'importance  et  qui  ne 
devint  i^rand  que  par  les  conséciuencca  qui  en  découlL-rcnt.  Une  charte  du  cartulaira 
de  Saint-Cyprien  est  ainsi  datée:  <t  Acia  sunl  hec  temporc  quo  cornes  l'ictavîensiscepit 
Barbasiam  y>{Carl.  de  Sainl'Cijprien,^.  333). Nous  avons  déjà  cité  plus  haut  celledu 
cartulairedc  Notre-Dame  de  Saintesdu  i4  aoùl  loGii  p.  iôo);enfin  (c  mémo  carlulaire 
fournit  un  autre  témoignage  de  l'importance  que  prit  cet  événement  aux  yeux  du 
vulgaire:  Joscelin,  archidiacre  de  Saintes,  qui  dicta, en  1067,  les  termes  de  la  charte 
de  donation  de  Saint-Julien  de  l'Escap  à  t'abbayc  de  Notre-Dame,  dit  que  ce  fut  fait 
en  présence  d'Agnès,  mère  du  comte  de  Poitou,  «jui  brûla  Toulouse  et  enleva  Barbas- 
lro aux  Sarrazins,  a  qui  Tolosam  incendit  et  Bnrbasinm  Snrracenis  abstulit  »  (p.  23). 


«9'« 


LES  COMTES  DE  POITOU 


sur  lacliose  on  qupsiion  quelque  parcelle  d'autorité;  or,  on  peut 
tirer  cette  conclusion  de  l'examen  des  chartes  des  abbayes  de  la 
Gascogne,  que  c'est  un  fait  exceptionnel  de  voir  l'une  d'elles 
s'adresser  à  l'auloriiô  suprême  du  duc,  donl  le  nom  n'est  même 
pas  rappelé  parmi  les  ôlémenls  de  date  de  ces  actes.  Un  dos 
rares  exemples  que  nous  en  ayons  recueilli  est  conlemporain 
de  la  campagne  de  liarbaslro.  Soi!  avanl  son  départ  pour  ri")spa- 
}Tne,  soil  après  sou  retour,  tfuy-(!eofFroy  reçut  la  jdainle  de 
Raymond,  l'ancien  évêque  de  Lescar,  sur  ce  que  la  veuve  et  le 
lits  de  Garsie-Guillem  de  Salies  ne  lui  restituaient  pas  l'église 
de  Caresse,  que  Cenlulle,  vicomie  de  Itéarn,  avait  jadis  donnée 
sans  droit  à  ce  dernier.  Le  duc  chargea  Garste-Arnaud,  vicomte 
de  Dax,  de  tenir  on  son  nom  le  plaid  où  le  diiïérend  serait  appelé. 
L'aiïaire  ne  fut  qu'assoupie  par  le  jugement  de  l'assemblée  et 
reprit  quelques  années  après  par  le  fait  de  Bernard  de  Bas,  le 
nouvel  évoque  de  Lescar,  qui  s'adressa  encore  au  duc, mais  celui-ci 
délégua  de  nouveau  ses  pouvoirs  aux  seigneurs  qui  devaient  tenir 
les  plaids  de  Gascogne  (1). 

De  retour  dans  ses  états  patrimoniaux  Guy-Geotîroy  se  préoc- 
cupa surtout  de  consolider  son  autorité  et  de  faire  sentira  ses 
vassaux  qu'ils  avaient  un  maître  contre  lequel  toute  tentative 
de  révolte  serait  un  acte  de  félonie  promptement  et  sévèrement 
réprimé.  D'autre  part, il  se  montra  généreux  envers  ceux'h\  qui 
l'avaient  bien  servi  dans  ses  entrepises  et  leur  fit  de  nombreuses 
largesses.  Il  est  vrai  que  souvent  l'objet  de  celles-ci  était  fourni 
par  des  établissements  religieux  auxquels  le  duc  venait  ainsi  ravir 
les  possessions  qu'ils  tenaient  de  la  générosité  de  ses  prédéces- 
seurs. Pour  mettre  sa  conscience  à  couvert  il  faisait  valoir  qu'il 
n*avait  pas  donné  son  consentement  aux  actes  de  ces  derniers 
ou  qu'en  prenant  le  pouvoir  il  ne  les  avait  pas  garantis.  Mais  ce 
n'étaitqu'un  prétexte  spécieux  et  au  fond  sa  façon  d'agir  était  bel 
et  bien  une  spoliation. L'abbaye  de  Saint- .Maixent  eut  particuliè- 
rement à  se  plaindre  de  lui;  non  seulement  il  lui  relira  des  biens 
dont  elle  était  redevable  à  son  frère  et  à  sa  mère,  mais  encore  il  fit 
dans  le  monastère  de  nombreux  séjours,  imposant  par  là  aux  roli- 


(i)  Callia  Christ. ,1,  col.  1288;  MonlezuD,  ///*/.  de  la  Gascogne,  H,  pp.  37-89  . 


GUy.GEOFFnOY-Gl'ILL.VUME 

gieuxd'iiicessanlesd6[)enses  dunlilnolcs  désinlôressait  pas.lllciir 
enleva  entre  autres  la  moitié  du  péage  do  la  ville  do  Sainl-Maixcnl, 
les  lorrains  mis  en  ciilliirc  provenant  des  défricliemoots  do  la 
forèl  de  la  Sèvre,  le  gros  bois  de  celte  forùt  nécessaire  à  leurs 
besoins  ot  les  coutumes  de  la  FonL-de-Lay,  toutes  possessions 
dont  ils  s'éluienL  enrichis  pondant  le  gouvorncmenl  de  Talibô 
Arcliembaud.  Aimeri,  le  successeur  d'Arclieniband,  vinl  trouver 
Guy-Geollroy  vers  colle  époque,  cl  oblinl  de  lui.  on  lui  faisant 
cadeau  de  300  sous,  une  charte  qui  mainh^nail  l'abliaye  dans  la 
possession  des  redevances  de  la  Font-de-Lay  ;  quant  au  surplus, 
il  vit  toules  ses  réclamalions  rejelées  (1). 

Dien  qu'ayant  pris  l'habit  monaslique  dans  l'abbaye  de  Notre- 
Dame  de  Saintes,  Agnès  n'y  vivait  pas  en  recluse  et  elle  en  sortait 
souvent,  soit  dans  un  but  politique, comme  nous  a  paru  tïvc  son 
entrevue  avec  son  fds  à  Saiiil-Maixent  ea  1001,  soit  pour  obtenir 
de  lui  des  concessions  en  faveur  de  ses  fondations  religiousos. 
Elle  aimait  aussi  ù  s'adresser  à  la  cour  de  BoniR,  dont  elle  avait 
apprécié  la  puissance  et  auprès  de  laquelle  elle  avait  pour  inter- 
médiaire sa  fille,  lancienne  impératrice  d'Allemagne,  qui,  à  son 
exemple,  joua  pendant  toute  sa  vie  un  rôle  dans  les  affaires 
publiques.  C'est  ainsi  que  pour  assureràson  abbaye  delà  Trinité 
de  Vendôme  les  riches  possessions  dont  elle  l'avait  fail  doter, 
elle  recourut  successivement  aux  papes  Nicolas  11  et  Alexan- 
dre Il  et  oblinl  d'eux  des  bulles  spéciales  de  confirmation 
en  date  du  27  avril  1001  et  du  8  mai  1063  (2)  ;  de  plus,  Nicolas  11 
lui  accorda  la  même  faveur  pour  Noire-Dame  de  Saintes,  par 
une  bulle  datée  du  mémejour  que  celle  qui  privilégiait  la  Trinité 
de  Vendôme  (3).  Il  est  probable  que  c'est  aussi  dans  la  journée 
où  il  délivrait  la  bulle  en  faveur  de  Vendôme  qu'Alexandre  H  con- 
céda ù  Agnès  une  faveur  particulière  pour  sa  fondation  de  Saint- 
Nicolas  de  Poitiers  qu'elle  sentait  peut-être  menacée.  11  mit  celle 
église  avec  toules  ses  dépendances  sous  la  proleclion  du  Saint- 
Siège,  en  imposant  aux  chanoines  l'obligation  de  vivre  conven- 
luellement  dans  leur  collégiale. Si  Fon  envisage  la  grandeaulurité 


(i)  A.  Richard,  Charles  de  Sainl-Mai,Tent,  I,  pp.   i53  el  19G. 
(a)  Mêlais,  Cart.  saint,  df  lu  Trinité  de  Vend'hne,  pp.  /|(j  et  r»o, 
(3)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  8. 


998 


LES  COMTES  DE  POFfOU 


dontjûuîrenl  à  celle  époque  certaines  princesses,  on  ne  sera  pas 
étonné  de  voir  dans  cet  acte  le  pape  ajouter,  dans  les  anallièmes 
lanc<5s  par  lui  contre  les  puissants  qui  violeraienl  sa  constitu- 
tion apostolique,  la  personne  des  comtesses  à  celle  des  rois,  des 
ducs  et  des  comtes,  que  l'on  y  rencontre  liabituellemenl.  En 
outre,  il  paraît  évident  que  la  cour  de  Rome  avait  acceplô  sans 
difllcullô  la  répudiation  d'Agnès  que  GeolTroy  Martel  avail  fait 
admettre  en  se  rtf'cl amant  des  règles  canoniques,  car  dans  l'acte 
de  Saint-Nicolas  il  n'esl  pas  parlé  de  l'union  de  la  comtesse  avec 
le  comle  d'Anjou,  le  pape  la  désignant  simplement  comme  la  veuve 
du  très  noble  duc  d'Aquitaine  (I). 

Guy-Geofîroy  se  montra  dans  la  circonslance  le  fidèle  exécu- 
teur des  volontés  de  sa  mt'Te.  D'après  sondire,ce  sérail  lui-môme 
qui  aurait  demandé  au  Saint-Siège  de  prendre  le  monastère  de 
Sainl-IS'icolas  sous  sa  sauvegarde  ;  mais  même  en  a^^issant  ainsi 
il  prenait  ses  précaulions  pour  que  la  cour  romaine  ne  vînt  pas 
s'immiscer  dans  la  direction  intérieure  de  rétablissement  ou  en 
disposât  à  son  gré, et  il  élablit  que  les  chanoines  de  Saint-Pierre 
de  Home  ne  pourraient  exiger  d'autre  marque  de  sujétion  de  la 
pari  de  ceux  de  Saint-Nicolas  de  Poitiers  que  le  paiement  d'un 
cens  annuel  de  10  sous.  Kn  confirmant  aux  chanoines  de  Saint- 
Nicolas  la  possession  des  biens  qui  leur  avaient  été  donnés,  tant 
par  sa  mère  que  par  son  frère,  et  en  leur  conférant  certains  pri- 
vilèges, il  avait  aussi  eu  soin  de  se  réserver  le  bénéfice  des  ser- 
vices religieux  et  en  particulier  il  leur  imposait  de  chanter  pour 
lui  une  messe  desauvegarde^  <«  satus  populi^  »  le  second  dimanche 
de  chaque  mois;  en  même  lemps  il  leur  enjoignait  charitable- 
ment d'avoir  à  nourrir  un  pauvre  cliaquejour.Lepape,dans  sa  bulle 
de  privilège,  n'attribue  pas  au  comle  de  Poitou  un  rôle  aussi  im- 


^ 


(i)  a  QuoDdam  Artjtiilanorum  ducis  usori  nobilissime  »  {Arch.  hist,  tla  Potloa, 
I,  pp.  10  cl  12).  Ces  dc'u.x  [)ioces  ne  sutii  jtas  dalûos,  mais  Tiisaife  de  la  cour  de  Rome 
étant  de  délivrer  lo  iiicinp  jour  les  actes  inlcrcssanl  une  mi?me  rètpoa  ou  une  même 
personue,  aiusi  que  nous  l'avons  constaté  plusieurs  fois  dans  le  cours  de  nos  recher- 
ches, nous  u'hésilons  pas  à  placer  la  bulle  d'A!c,\andrc  H  au  8  mai  ioG3,  Jalede  l'acle 
obtenu  par  Ajçncs  en  faveur  de  la  Trinité  de  VendAme.  Les  Ana/ecta  Jriris pnrtlijicii 
qui  oui  publié  ccdc  bulle  en  i8r>8,  87'  tt^■r.^ison,  Itii  attribuent  \a  date  de  io03  environ; 
Q0U9  nccroignons  pas  d'clrc  plus  prceia.  Pareillcmenl,  celte  précieuse  publication, qui  a 
reproduit  la  charte  de  Guy-^ivoiïroy  dans  la  même  livrajsou,  ta  place  en  loùi  envi- 
ron, mais  DOua  pensons  qu'elle  n'a  pas  précédé  aussi  longtemps  ta  bulle  puQlitîcale 
et  que,  l'une  et  l'autre,  doivent  appartenir  à  l'année  iot>3. 


îirV'-GEOFFROY-GUrLLAUME 


'9J 


porlani  que  celui  qu'il  pe  donne  ;  il  se  conlente  de  signaler  les 
dons  qu'il  fit  au  nouvel  élablissement,  el  déclare  express<5ment 
que  la  faveur  qu'il  vient  d'accorder  lui  a  616  demand6e  par  la 
ducliessed'Aquitaineelsurloulparrinip6ralrice  de  Rome,  Agnès, 
fille  charnelle  de  la  duchesse,  el  que  lui-même  considère  comme 
sa  fille  spirituelle. 

Dans  le  courant  de  l'année  1064,  nous  retrouvons  le  duc  par- 
courant encore  ses  6lals.  Il  est  d'abord  à  Sainl-Maixent,  où  il 
appose  sa  sij2;naturc  au  bas  d'une  charte  avec  sa  mère  Agfnès  et 
l'évèque  Isembert  (l);de  là  il  passe  sans  nul  doute  en  Bas-Poitou, 
on  ildélivre  certains  domaines  dépendants  de  l'abbaye  de  Bourgueil 
des  charges  que  leur  avait  imposées  son  frère  GuiIlaumeAigret.il 
les  convertit  en  des  obligations  charitables  ou  de  dévotion,  parti- 
culièrement celles  de  nourrir  et  de  vôlir  chaque  jour  sept  pauvres  et 
de  faire  pareillement  chaque  jour  la  commémoralion  de  sa  personne 
dans  le  sacrifice  de  la  messe.  Il  était  là  en  compagnie  de  sa  mère, 
de  sa  femme  Alalhéodc,  de  Tévôque  de  Poitiers,  de  l'archevêque 
de  Bordeaux  et  de  son  frère  Simon  de  Parthenay,  des  abbés  de 
Maillezais  et  de  Saint-Maixent,  du  vicomlc  de  Thouars  accompa- 
gné de  ses  trois  frères  et  d'autres  grands  personnages  (2).  La 
même  année, ayant  dans  sa  compagnie  l'éveque  d'Angoulème,ii  fit 
don  de  divers  biens  sis  dans  la  villa  de  Bouzet  au  monastère  de 
Satnt-Lomer  de  Mainsal  en  Auvergne  (3). 

Les  chroniques,  les  chartes,  sont  à  peu  près  muettes  sur  Tan- 
née 1065,  mais  plusieurs  faits  sur  lesquels  nous  sommes  incom- 
plètement renseignés  signalent  l'année  1066.  Un  motif,  que  rien 


(i)  A.  Richard,  Chrirfcs  de  Saint-. yai.rent,  I,  p.  iT)!. 

(2)  lieslvi  nui  a  publié  celle  charte  {f/ist.  des  comtes,  preuves,  p.  Zf\ï  Ims),  ne  lui 
donne  pas  de  dale.Réikt,  dans  sa  table  manuscrite  du  cari,  de  Bourg'ueil,  Uii  assigne 
celle  de  io63  environ.  Pouf  nous,  qui  savons  que  Guy-Geoffroy  faisait,  en  io63,  son 
e.xpédilioa  de  Gascotjne  el  de  Barbaslro,  et  qu'en  loG/j  il  se  trouvait  uvec  Agnès  à 
Saint-Maixeot,  noua  inclinons  à  placer  cette  charte  à  celle  même  date.  Eu  effet, 
Açaês  est  présente  h  t'acte  avec  un  j^rand  nombre  de  hauts  persoonanftg:cs,  jinrmi 
lesquels  on  remarque  Aiiiieri,  vicomte  de  Thouars,  (|ue  l'on  sait  cire  sorti  de  prison 
en  106O,  C'est  donc  en  loC^  ou  io65  au  plus  lard  que  doit  être  placée  la  charte  de 
Bourgueil. 

(3)  LeGallia  Christtana,  qui  nous  apprend  ce  fait  (II,  col.  993),  ne  nous  indique 
pasàquellc  source  il  l'a  cm[iruulé,  Peut-être, dans  ccdon,  faut-il reconnuîtreractiondu 
comte  de  La  Marche,  Audcl>erl,qui,  dés  celle  époque,  fréquenloil  assidùnicnl  la  cour 
éw  comte  de  Poitou. 


îqS 


LES  COMTES  DE  POITOU 


ne  nous  a  révélé  entraîna  celle  année  Guy-Geoffroy  à  Rome.  Sa 
sœur  Agnès,  qui  jouail  un  rôle  iniportant  dans  les  afl'aires  de  la 
pfipaulé,  l'appela-l-eile  auprfis  d'elle  pour  la  réalisation  de  quel- 
que dessein  inconnu  qui  flallail  rambiliondu  duc  d'Aquitaine,  le 
fail  est  possible,  car  nous  ne  voyons  rien  dans  la  vie  inlime  de 
Guy-Geoffroy  qui  puisse  nioliver  de  sa  part  un  semblable  voyage. 
Il  devuil  en  ce  momont  se  sentir  bien  assuré  de  la  tranquillité 
de  ses  é(a(s  et  pourtant  une  brtîve  mention  au  bas  d'une  charle 
nous  apprend  que  celle  uiôme  anuro  le  puissant  vicomte  de 
Thouars,  Aimeri  IV,  sorlil  de  sa  prison  (1).  La  situation  des  do- 
maines de  ce  vicomte  le  metlant  en  rapports  aussi  fréquents  avec 
son  voisin  le  comte  dWnjou  qu'avec  son  suzerain  le  comte  de 
Poilou,  il  est  diflicile  de  savoir  quel  esL  celui  des  deux  com- 
tes qui.  dans  une  lutte  heureuse  avec  le  vicomte  de  Thouars, 
avait  réussi  à  mettre  la  main  sur  lui.  Ou  peut  être  sur  que,  sui- 
vant les  habitudes  de  l'époque,  le  prisonnier  dut,  pour  sortir  de 
caplivilé, verser  une  grosse  somme  de  deniers  et  que  sasilualion 
pécuniaire  s'en  trouva  fort  embarrassée,  aussi,  pour  se  remettre 
à  Ilot,  Aimeri  s'engagea  dans  une  entreprise  qui,  étant  donnés  son 
caractère  entreprenant  et  ses  qualités  militaires,  devait  lui  rap- 
porter honneur  et  prolit. 

11  répondit  à  l'uppel  de  (Juillaume  le  Bâtard,  duc  de  Norman- 
die, et,  accompagné  d'un  grand  nombre  de  ses  vassaux, il  vint,  au 
mois  de  septembre  I06G,  le  rejoindre  à  Saint-Pierre-sur-Dive,  pour 
de  lu  marcher  à  la  conquête  de  l'Aniçlelerro.  Mis  à  la  tôle  d'un 
des  trois  corps  qui  composaient  Tarmée  d'invasion,  il  contribua 
puissamment  au  succès  de  la  bataille  d'Ilaslinj^ïs  et  au  couronne- 
ment de  Guillaume,  comme  roi  d'Angleterre  ;  parmi  les  seigneurs 
poitevins  qui  l'accompagnèrent,  il  faut  citer    particulièremenl 


(i)  A.  Rîcbnrd,  Charles  de  Sainl-Afai.ienl,  I,  p.  i5o.  Ce  documcnl  a  échappé  â 
Palustre  tjui,  duns  son  Histoire  île  (jinllanme  IX,  ne  fail  nucunc  allusïoa  aux  failfl 
qu'il  rapporle. 

(2)  A.  Rkliiird,  Chartes  tle  Saint- M<iix(fnl,  I,  p.  ifjo.  L'original  de  c«Uc  charle 
existe  à  la  Libliothètjue  de  Niorl  cl  rauUicniicité  des  fuila  qu'elle  signale  ne  saurait 
être  suspectée.  M.  Imberl,  dans  sa  notice  sur  les  vicomtes  de  Tliouars  [Miin.  de  la 
Soc,  des  Antiq.  de  COttest,  iro  série,  XXIX,  p.  348j,  sentbie  révoquer  en  doute  la 
caplivilé  d'Ainieri  en  loGG  ;  il  n'avnil  eu  du  reste  connaissance  de  ce  fait  que  par  une 
aotcdcD.  Fonleaeau  (X\'UI,p.  33),où  le  savant  bénédictia  se  réfère  au  texte  de  la 
charte  précitée. 


Si 


«UY-GEnFFROY-GUILLAUMR 

onay,  qui  revint,  comme  lui,  coiu 


do  Par  tu 


mon,  vidame  no  l'arinonay,  qui  revini,  comme  lui,  comblé  de 
riches  di^poiiilles  (I  i. 

\,e  duc  d'At}uilaine  s'élall  co  m  plein  ment  désintéressé  de  celte 
entreprise,  aussi  bien  que  ses  voisins  les  comtes  d'Anjou,  entre 
qui  la  lutte  avait  pris  un  caractère  de  plus  en  plus  violent.  La 
division  entre  Geoflroy  le  Barbu  el  Foulques  le  Réchin,qui  avait 
permis  à  Guy-Geoffroy  de  prendre  si  rapidement  sa  revanche  de 
rL'chee  de  Chef-Bou tonne,  n'avait  fait  que  s'accentuer.  Geoffroy 
le  Barbu  s'était  aliéné  le  clergé  de  ses  élals  el,  d'aulre  part,  des 
molifs  dedissentimenl,donl  le  mobile  ne  nous  apparaît  pas,  avaient 
éloigné  de  lui  plusieurs  de  ses  plus  puissants  feudalaires;  depuis 
10621a  guerre  n'avait  pas  cessé  entre  les  deux  frères.  Au  commen- 
cement de  l'année  1067,  Foulques  prit  Saumur  et  marcha  sur  An- 
gers. Du  môme  coup  il  s'empara  de  la  ville  elde  son  frère  que  la 
trahison  de  ses  serviteurs  lui  livra,  Geoffroy  fui  jeté  en  prison.  Il 
en  sortit  peu  de  temps  après  à  lasollicilalion  dulégal,  le  cardinal 
Etienne, mais  ce  fut  pour  reprendre  la  lulle  tant  contre  son  frère 
que  contre  le  clergé.  Le  légal,  mal  récompensé  de  son  entremise, 
excommunia  Geoffroy  ellui  enleva  par  la  même  sentence  le  comté 
d'Anjou  qu'il  allribuaà  Foulques.Celui-ci  accourut  au  secours  de 
la  place  de  Brissac,que  Geoffroy  était  venu  assiéger,  le  battit,  lui 
lua  un  millier  d'hommes  et  enlln  mit  à  nouveau  lamatnsur  lui.  Le 
comle,  enferme  dans  un  solide  cachot,  y  resta  jusqu'à  sa  mort, 
advenue  seulement  trente  ans  après  (2). 

On  ne  connaît  pas  la  date  exaclc  de  la  bataille  de  Brissac,  mais 
celle-ci  parait  s'élre  livrée  dans  le  courant  de  l'année  106H,à  peu 
pr^s  au  moment  où  le  comte  de  Poitou  marchait  avec  toutes  ses 
forces  au  secours  de  Geoflroy  le  Barbu.  Pendant  que  celui-ci  se 
portait  sur  Brissac,  Guy-Geoffroy  entreprenait  le  siège  de  Sau- 
mur, une  des  plus  importantes  forteresses  du  Réchin  et  qui,  en 


(i)  La  Fontenclle  de  VauJoré,  dans  un  article  de  ta  Revue  A ng h- Française,  I, 
pp.  30-.'>o,  a  résumé  tout  ce  que  les  tiîstorieas  nous  oa(  appris  sur  la  coopération  des 
Poilevius  à  la  comiut^le  de  IWnglelerre  (Voy.  aussi  Inibert,  //istoire  de  Thoaars, 
daus  les  .\/ém.  de  la  Soc.  de  Statislitjue  des  Deux  Sèvres,  a*  série,  X,  pp.  4^48  ; 
Palustre,  flist.  de  Guillaume  I.\\  pp. 80-81  ;  Ledatn,  la  Gàline,  ï«  éd.,  p.  44)- 

(2)  Porl,  Dictionnaire  de  Maine -el-Loire^  tome  II,  dans  les  articles  consacrés  à 
Geoffroy  le  Rarbu  et  à  Foulques  Héchio  renvoie  h  tous  les  textes  qui  se  rapportent 
à  la  vie  des  deux  comtes.  Voy.  aussi  Delarc,  Saint  Grégoire  VII,   11,  pp.  817  cl  ss. 


3oo 


LES  COMTES  DE  POITOU 


cas  de  guerre  avec  les  Poitevins,  futtoujours  l'objectif  de  l'entrée 
en  campagne  de  ces  derniers. 

La  marche  de  Geoffroy  dut  ôlre  exlrêmemenlrapide.  Cettefa- 
çon  d'agir  semble  avoir  été  un  de  ses  principaux  moyens  de  succès  ; 
pour  opérer  ainsi,  il  ne  pouvait  évidemment  mettre  en  mouvement 
que  des  forces  médiocres,  les  cbevaliers  de  son  entourage  immé- 
diat, maïs  si  la  réussite  couronfiaiL  sa  première  entreprise  il 
démoralisait  par  là-ûiôrae  le  vaincu, etc'est  seulement  dans  des  cas 
bien  rares  que  les  événements  se  tournèrent  contre  lui,  comme 
il  advint  de  sa  première  campagne  de  Sainlonge.  Il  se  trouvait 
en  effet  à  ï*oiliers  dans  le  courant  de  mai  1068,  quand  il  apprit 
la  prise  d'armes  de  Geoffroy  le  Barbu  ;  on  le  voit  à  celte  date 
assister  à  la  donation  du  monastère  de  Sainl-Porcliaire  de  Poitiers, 
faite  par  rarchevèqtie  Joscelin,  toujours  en  sa  qualité  de  trésorier 
de  Saint-Hilaire,  à  l'abbaye  de  ïiourgueil.  Aux  côtés  du  comlc, 
on  ne  voit  que  sa  femme  Maihéode,  l^ludes,  frère  du  comte  de  la 
Marche,  Savari  et  Raoul,  frères  d'Aimeri,  vicomte  de  Thouars, 
et  Isembert,  évfique  de  Poitiers  (1).  Aucun  autre  de  ses  grands 
vassaux  ne  dut  évidemment  raccompagner  dans  sa  campagne  de 
Saumur  ;  autrement  nous  les  retrouverions  près  de  lui  à  Poitiers. 

La  résistance  des  assiégés  fut  énergique,  mais  ils  ne  purent 
résister  à  l'impétuosité  del^allaque  des  troupes  de  Guy,  Le  ci  des 
calendes  de  juin  (28  mai)  î 068,  il  s'empara  de  la  forteresse, qui  fut 
livrée  aux  flammes;  il  n'en  subsista  rien;  les  habitations  situées 
dans  son  enceinte  ainsi  que  celles  du  dehors  el  l'église  de  Saint- 
Florent  furent  incendiées  (2). 

Cet  acte  de  sauvage  vigueur  devait  se  renouveler  bientôt.  Le 
succès  du  Réchinà  Bnssac,  la  prise  de  Geoffroy,  qui  mettait  fin 
à  la  guerre  à  laquelle  le  comte  de  Poitou  ne  venait  de  prendre 
part  qu'en  qualité  d'auxiliaire,  durent  arrêter  celui-ci  dans  son 
entreprise.  Les  deux  comtes  étaient  tous  les  deux  de  fins  politi- 
ques et,  n'jiyant  aucun  motif  personnel  pour  continuer  la  lutte 
entre  eux,  ils  ne  devaient  pas  tarder  k  s'entendre.  On  ne  sait 
moyennant  quelles  conditions  Guy-Geoffroy   remit  Saumur  au 


4 


(t)  Rédel,  Doc.  poar  Saint-ffilaire^  I,  p.  91  ;  Besly,  f/isf.  des  comtes,  preares, 
p.  35 1  bis, 
(al  Mfircheiçay,  Chron.  desêffl.  d'Anjou,  p.  /)o4,  SninUMaixcnt. 


GUY-GEOFFIIOY-CUILLAUME 


Sol 


comte  d* Anjou, mais  il  semble  n'avoir  rîen  gardé  de  sa  conquête; 
des  raisons  particulières  durent  aussi  le  pousser  à  ne  pas  se  mon- 
trer trop  exigeant  à  l'égard  de  son   adversaire. 

Une  prise  d'armes  s'était  en  effet  produite  à  l'autre  extrémité  de 
ses  domaines.  Par  qui  fut-elle  fomentée,  on  l'ignore,  mais  étant 
donné  le  Heu  qui  fut  le  centre  de  ce  mouvement, on  doit  croire  que 
laiamitte  deTliouarsn'yfutpasélrangère.Lesvicomlesde  Thouars 
étendaient  leur  suzeraineté  ou  leurs  domaines  particuliers  jus- 
qu'à l'Océan,  et  tes  cadets,  en  attendant  leur  venue  possible  à 
la  possession  de  la  vicomte  par  l'efTet  du  droit  de  viage,  étaient 
pourvus  par  leurs  aînés  de  sortes  d'apanages  qui  leur  permettaient 
de  vivre.  Un  des  frères  du  vicomte  Aimeri  IV  aurait-il  écouté  les 
avances  du  Réchin  pour  créer  des  embarras  au  comte  de  Poitou 
sur  ses  derrières,  serait-ce  Aimeri  lui-même  qui  aurait  trempé 
dans  l'entreprise,  toujours  est-il  que  Guy-Geo!Troy,  s'étanl  mis 
d'accord  avec  le  comte  d'Anjou,  se  porta  en  toute  hâte  sur  Luçon 
où  la  révolte  avait  éclaté.  Les  troupes,  qui  avaient  été  implaca- 
bles à  Sauraiir,continurrent  à  se  montrer  telles  ;  le  château,  c'est- 
à-dire  la  ville  alors  fortifiée,  fut  pris  et  livré  aux  llammes,  le 
monastère  de  Noire-Dame  fut  anéanti  élit  périt  dans  le  désastre 
un  grand  nombre  d'habitants,  tant  hommes  que  femmes  (1). 

H  est  possible  que  celte  môme  année  le  comte  de  Poitou  ait  fait 
sentir  le  poids  de  son  autorité  au  vicomte  de  Limoges,  Adémar, 
qui  était  conslamment  en  conflit  avec  ses  voisins  et  avec  le  clergé 
du  diocèse.  Il  avait,  en  i007, incendié  une  partie  de  la  ville  épis- 
copale,  massacré  de  nombreux  habitants  et  commis  bien  d'autres 


(i)  MarcLe^ay,  C/iro/i.  des  égt.  d'Anjou,  p,  4o4»  Salnl-MaixcDt.  Nous  ne  saurions 
suivre  Palustre  dans  les  conséquences  qu'il  donne  n  l'ullairc  de  Lu^on.  I]  dit  [Hist. 
de  Guillaume  IX,  p,  ag}  que  Guy-Geoffroy  prit  easuile  possession  du  chàleau  de 
Fonienny,  possédé  par  le  vicomte  de  Thouars,  cl  !e  réunit  au  domaine  dtical.  Nous 
n'avons  trouvé  nulle  part  menliou  de  ce  fait  qui  serait  aussi  resté  isçnoré  de  Fîllon, 
lequel  n'aurait  pas  mani^uë  de  le  signaler  tant  dans  ses  Recherches  hislorit/ues  sur 
Foniena y- Vendée  que  dans  Poitou  et  Vendée.  Du  reste,  ce  n'est  pas  Aimeri  qui  dé- 
tenait alors  Foatenay,  mais  bien  soo  frère  Savari ,  lequel  en  était  eucorc  possesseur  en 
io83,  aiusj  qu'il  résulte  d'uue  charte  de  Saint-Florent  de  Saumur,  citée  par  Filloa 
[Recherches  historiqnes,  I,p.  \(>,  noies  i  cl  2)  et  publiée  par  Marchegny  (/l''c/«.  hist, 
de  la  Sainiotuje  et  de  l'Annis,  IV,  p.  Jq),  C'est  aussi  ce  même  Savari,  qui,  dans  les 
listes  de  chevaliers  poitevins  qui  coopérèrent  à  la  conquéle  de  l'Angleterre,  esl  dési- 
gné simplement  aoua  la  qualité  de  sire  de  F'ontenay,  que  La  Fonlenelle  Je  Vaudoré, 
convaincu  que  Fontcnay  était  alors  la  propriété  du  comte  Je  Poitou,  inlerpréla  à  tort 
par  sire  de  Frontenay  i^Revue  anglo-française^  I,  p.  3g). 


3oi 


LES  COMTES  DE  POITOU 


méfails,  En  guise  de  i-t'-paralion  lecomle  le  corjlrai<;nil  à  abandon- 
ner Tabbaye  de  Sainl-Aiidré  au  chapitre  calhrdral  de  Sainl- 
Etienne  ;  de  plus,  el  en  cela  nous  reconnaissons  lo  caractère  pru- 
dent el  avisé  de  Guy-GeofTroy,  il  le  força  û  faire  rédiger  un  acte 
qui  conserverait  la  mémoire  de  cette  donation  (1). 

Mais  avant  de  parler  des  deux  grands  événements  qui,  cette 
même  année  1068,  marquî-rent  dans  la  vie  de  Guy-Gooffroy,  la 
mort  de  sa  mère  et  son  troisième  mariage,  il  nous  faut  revenir 
un  peu  en  arrière  et  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  derniers  temps  de 
l'existence  d'Agnès.  Bien  qu'elle  se  fût  retirée  au  monastère  de 
Notre-Dame  de  Saintes,  la  comtesse  n'y  faisait  pas  une  résidence 
continue.  Ainsi,  en  tOG^j,  elle  se  trouvait  â  Poitiers  où, le  jour  de 
saint  Clément  (4  décembre),  elle  versa  à  Michel  le  Monnayer  le 
prix  d'un  moulin  qu'elle  lui  avait  jadis  acheté  et  dont  elle  avait  fait 
don  à  Vendôme  lors  de  son  divorce  avec  Geoffroy  (2). En  outre  elle 
n'avait  pas  cessé,  comme  nous  l'avons  vu,  d'avoir  avec  son  fils  des 
rapports  fréquents.  Alors  que  dans  le  courant  de  1067  le  comte 
se  trouvait  à  Saintes^  sa  mère  vint  le  trouver  dans  sa  demeure  et 
lui  demanda  de  confirmer  tous  les  dons  qw'elle  et  le  i-omle  Geof- 
froy d'Anfj^ers  avaient  faits  à  l'abbaye  de  Notre-Dame  et  de  s'en 
porter  le  défenseur;  par  amour  filial,  le  comte  accéda  h  cette 
prière,  el  non  seuiemenl  il  apposa  sa  croix  sur  la  charte  qui 
devait  conserver  le  souvenir  de  ce  fait,  mais  encore  il  la  fit 
approuver  par  ses  barons (3). 

A  la  même  époque  l'un  de  ces  derniers,  Ostence,  seigneur  de 
Taillebourg,  fil  don  à  l'abbaye  de  Noire-Dame  de  Saintes  de  l'église 
de  SainL-Julien  de  l'Escap,  avec  toutes  ses  dépendances.  Mais 
cette  église  était  en  la  puissance  de  deux  chevaliersqui  la  tenaient 
en  fief:  Guy  de  Limoges,  neveu  du  vicomte  d'Aunay,  et  Hélie, 
fils  d'Achard  de  Dorn.  Oslence  s'entendit  avec  lo  premier  pour 
qu'il  fit  à  Notre-Dame  la  concession  Cju'il  désirait  et  à  laquelle 
assistèrent  le  comlcde  Poitou,  l'archevêque  de  lîordeaux, le  comte 


(i)  Gallia  Christ.,  lî,  insir.,  cul.  173.  Bien  que  l'iiclc  qui  énonce  ce  faîl  et  qui 
est  daté  de  lO-jZ  ne  dise  pas  que  la  donolion  de  Snint-.Aadré,  Imposée  par  Je  comia 
au  vicomle  Adémar,  ail  eu  Heu  à  la  suite  des  évêneiiieals  de  10Û7,  il  nous  paratlre»- 
sortir  des  dispasilions  qu'il  renferme  qu'elle  en  fui  la  conséquence  nalurelle, 

(a)  Mêlais,  Cart.  de  la  Trinité  de  VendAine,  \,  p.  Soy. 

(3j  Cari,  de  Noire-Darne  de  Saintes,  p.  ar, 


GlJY-GEOFFrvOY.GUILLAUME 

Audebert  delà  Marche, Si "fion  de  Pari 


3o3 


Parlhenay  cl  la  comlesse  Agnès. 
La  ni?gocialiûn  avec  lléliedo  Rorn  se  fil  ensiiKe  el  elle  eul  pour 
principaux  témoins  l'évêque  d'Angoulôme,  Guillaume  de  Mares- 
lais  el  le  vicomte  d'Aunay;  Joscelin,  archidiacre  de  Saintes,  pe 
chargea  de  dicler  la  charle  qui  fut  rédigée  avec  siraplicilé  afin 
qu'elle  fût  comprise  de  tous.  Enfin  celle-ci  recul  Tapprobalion 
de  Joscetin,  archevôque  de  Bordeaux,  d'Isembert,  évèque  de 
Poiliers,  de  Guillaume,  évoque  d'Angoulôme,  cl  d'Arnoul,  évoque 
de  Saintes (1). 

Un  grave  motif  avait  amené  ces  grands  dignitaires  ccclésiasli- 
ques  dans  celle  ville  de  Saintes,  en  même  temps  que  le  comte  de 
Poitou.  Le  pape  Alexandre  II  avait  ordonné  la  déposition  de  l'é- 
vêque Arnoul,  convaincu  de  simonie,  et  il  fallait  procéder  à  Vè- 
leclion  d'un  nouveau  prélat.  Arnoul  conserva  son  titre  jusqu'à  la 
nomination  de  son  successeur  qui  fut  Goderan,  abbé  de  Maille/ais, 
et  ancien  moine  de  l'abbaye  de  Cluny,  dont  la  prépondérance 
monacale  s'alFirmait  de  plus  en  plus  dans  les  étals  du  duc  d'Aqui- 
taine (2). 

Après  la  réunion  du  synode  el  sans  doule  après  le  départ  de  la 
plupart  des  assistants,  Goderan  fut  à  son  tour  invité  à  donner  son 
approbation  à  l'aclequi  authentiquait  la  donation  du  seigneur  de 
Taillebourg.  f'c  fui  le  troisième  jour  après  son  ordination  que  le 
nouvel  évCque  y  apposa  sa  croix.  Le  premier  jour,  c'était  l'évoque 
d'Angoulêmcqui S'était  acquitté  de  celle  formalité  ;  lesecond  jour 
ce  fut  Arnaud,  frère  de  cel  évoque,  accompagné  de  nombreux  che- 
valiers delà  région.  Quand  Goderan  signa  h  son  lour il  avait  h  côté 
de  lui  Eudes,  abbé  de  Saint-Jean  d'Angély.  Agnès,  la  mère  du 
comte,  était  aussi  présente  et  elle  avait  autour  d'elle  les  gens  de 
sa  compagnie  ordinaire  :  maître  Alon,  chanoine  de  Saint-Nicolas 
de  Poitiers,  Geoffroy  dit  Léger,  chanoine  de  Sainl-llilaire,  le 
médecin  Astopapio,  le  chevalier  Lisois,  Isembert,  prévôt  de  la 
Trinité,  el  d'autres  servi  leurs  moins  notables.  On  voit  par  ce  relevé 
que  la  comlesse  ne  vivait  pas  en  recluse  à  ^olre-Dame  de  Saintes 


(i)  Curt.  Je  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  aa. 

(a)  Gailia  Christ.,  II,  col.  lo'jo,  note  a,  d'après  les  leUres  d'Alexandre  II, publiées 
dans  les  Concilia  de  Labbe,  II,  col.  iiSa. 


3o4 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


et  qu'elle  avait  auprès  d'elle  un  entourage  mondain,  voire  môme 
une  petite  cour  (1). 

Au  sortir  de  Saintes,  Geoiïroy  s'était  rendu  au  château  de  Pons 
où  on  le  retrouve  avec  l'évoque  (îoderan,  l'6vôque  et  le  comte 
d'Angoulème;  le  vicomte  d'Aunay,  à  qui  ce  château  appartenait, 
donna  en  pr<:?senee  du  comte  ù  l'abbaye  de  Saint-Floront  de  Sau- 
mur  l'égliae  de  Saint-Martin  de  t^ons  et  la  chapelle  dcNolre-Dame 
hors  des  murs  du  château  avec  toutes  leurs  dépendances  (5i). 

Soit  en  allant  ù  Saintes,  soit  à  son  retour,  le  comte  fut  entraîné 
à  lîle  d'Aix  par  l'abhé  de  Cluny,  qui  allait  y  recevoir  pour  son 
abbaye  une  importante  donation.  En  eiïet,  Isembert,  le  puissant 
seigneur  de  Châtelaillon,  se  dépouillait  en  sa  faveur  et,  motivant 
sa  générosité  par  son  désir  de  participer  aux  bénéfices  spirituels 
de  l'abbaye  de  Cluny,  «  dont  l'éclat  brillait  au-dessus  de  tous  les 
autres  monastères)),  il  lui  abandonnait  l'île  d'Aix  en  toute  propriété, 
ainsi  que  d'autres  domaines  en  l'îled'Oléron  et  surla  terre-ferme. 
C'est  Guy-Geoffroy  lui-même  qui,  en  donnant  son  approbation 
à  l'aclc,  fit  la  remise  de  ces  biens  entre  les  mains  de  l'abbé 
Hugues,  concéda  ce  qui  pouvait  lui  compéter,  et  enfin  confirma 
spécialement  tout  ce  qui  avait  pu  être  fait  à  celte  occasion  (3). 

Nous  ne  pensons  pas  que  le  comte  ait  assisté  l'année  suivante 
au  synode  que  le  légal  Etienne  avait  convoqué  à  Bordeaux  et  qui 
s'y  ouvrit  le  T'  avril  1068.  Guy-Geofîroy  devait  être  absorbé 
par  les  affaires  d'Anjou,  que  le  légat  avait  déchaînées  et  aux- 
quelles il  s'était  dérobé  en  se  rendant  à  Bordeaux,  où  l'on  cons- 
tate la  présence,  outre  l'archevêque,  de  sept  évêques  des  archi- 
diocfeses  de  Tours  et  de  Bordeaux  (4). 


(i)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  pp.  22-23. 

(2)  Arch.  hist.  de  la  Satnlonge^  IV,  p.  35,  cliarles  saint. tic  Saml-Florent  de  Sau- 
mur,  La  charte  de  Saial-Florenl,  dalëe  de  rannée  1067,  permet  de  fixer  d'une  façua 
ccrlaiiie  rclection  do  Goderan  à  J'êvôcbé  de  Saintes,  au  sujet  de  laquelle  le  Gui  lia 
reste  perplexe  et  qu'il  place  dubilativemeot  à  l'aonée  1068  (II,  col.  1062),  et  de  pré- 
ciser CQ  même  temps  la  date  des  deux  chartes  du  cartulaire  de  >folre-Dame  de  Saintes 
que  noua  venons  de  citer,  qui  dc  porlfticnt  pas  diodicationa  chronologiques  et  que  Too 
ne  pouvait   plarer  qu'approximaliveiucnt  dans  l'année  10G7. 

(3)  Arcère,  //isi .  de  la  RochvUe,  II,  p.C3ti.  Bien  que  cet  acte  porte  la  date  de  1077, 
on  ne  saurait  douter  que  le  scribe  qui  t'a  écrit  a  commia  une  erreur  dc  dix  ans;  le  pape 
Alexandre,  qu'il  îndiquecommc  occupant  le  triJnepputifical,  étant  mort  le  2a  avril  loyS. 
Celle  opinion  est  aussi  celle  do  M.  Bruel  {Charles  de  Çlumj,  IV,  p.  622). 

(4)  ^Iabillon,  Ann.  Beriedici.f  \,  p.  12. 


GUY-GEOI'FROY-GIJILLAUME 


3o5 


Le  duc  d'Aquilaiiio  ôlail  ù  peiue  de  retour  de  son  expédilioii 
que,  le  ^2  juin  106S,  h  la  sollicitalion  de  sa  mère  el  sur  la 
demande  de  rarchevèiiue  Joscelin,  il  consenlil  au  don.  que  firenl 
les  clianoinea  de  Sainl-llilaire  ù  ceux  de  Satnl-Nicolas  du  do- 
maine de  la  Vacherie,  sis  aux  portes  de  I*ûiliers(l);  c'élait  en 
quelque  sorte  la  rt^gularisation  d'allribulions  plus  ou  moins 
légales  que  la  comtesse  avait  faites  à  son  œuvre  préférée  lors 
de  sa  fondation.  Agnès,  senlant  venir  la  fin  de  ses  jours,  met- 
tait ordre  aux  acles  que  sa  conscience  pouvait  avoir  k  lui  repro- 
cher ;  les  apparences  furent  sauvées  par  rengagement  que  pri- 
rent les  chanoines  de  Saint-Nicolas  de  payer  à  ceux  de  Saint- 
Hilarre  un  cens  annuel  de  dix  sous,  puis,  peu  après,  ils  liront  une 
convention  identique  avec  les  religieux  de  Maillezais,  au  sujet 
du  domaine  d'Agressay  el  qu'accepta  au  nom  de  ces  derniers 
leur  ahbé,  Goderan,  évoque  de  Saintes,  le  i'^  août  1008. 

Ce  fut  le  dernier  acte  public  de  la  vie  d'Agnès  dont  nous  ayons 
connaissance.  Comme  nous  savons  que  dans  les  derniers  temps 
de  sa  vie  elle  prit  ThabiL  religieux  (2),  il  paraît  nalurcl  fpie  pour 
peu  qu'elle  se  soit  conformée  aux  prescriptiuns  de  la  rt*gle  de 
l'établissement  où  elle  s'élail  retirée,  elle  dut  y  finir  ses  jouis. 

Cet  événement  serait  donc  arrivé  à  Notre-Dame  de  Saintes.  On 
peut  croire  que,  malade»  elle  appela  son  fils  auprès  d'elle  pour 
lui  faire  ses  dernières  recommandations,  car  nous  trouvons  Ouy- 
Geoiïroy,  le  dimanche  2G  octobre, au  chûleau  do  Surgères.  11  avait 
auprès  de  lui  le  coiilident  d'Aj^nès,  Archembaud,  l'ancien  arche- 
vêque de  Bordeaux,  et  un  puissant  seigneur  du  pays,  GeoiVroy  de 
Rochefort,  qu'il  chargea  de  satisfaire  à  la  demande  que  lui  lit 
Oderic,  abbé  de  Vendôme,  el  ses  moines  de  faire  disparaître  les 
mauvaises  coutumes  que  le  prévôt  du  comte  avait  imposées  sur 


(i)  Ai'ch.  hi'st,  du  Poitou,  I,  p.  a4,  cartui.  Je  SaiuUNicoIas  Je  Puiliers. 

(a)  «  Aguete  veru  cumilist>a  adhuc  viveale  sed  jum  ve&te  luulala,  a  ioC8.  Métaia 
{Cari,  sain/,  de  ta  Trinité  de  Vendàme,  p.  j3  ;  Uesly,  //iat.  des  comtes,  preu- 
ves, p.  348  bis).  L'enirce  d'Agnès  ea  religion  sembli;  aussi  résulter  des  Icrmcs  em- 
ployés j>ar  le  caleudrier  de  Nolre-Uanic  de  Vendùiue  i|uaDJ  il  inscrit  sou  obit  :  Aprèa 
avoir  coulracté  uq  mariage  séculier,  dil-il,c]le  seclioisil  uu  meilleur  époux  en  prci-aDl 
ie  Seii^neur  pour  uiari  ;  elle  vivait  dans  le  moude,  mais  elle  était  mûrie  pour  lui  afîu 
de  vivre  avec  une  plus  graude  félicite  après  sa  murt,  a  puïl  sa^cularciu  aiuriluia  Deo 
marilo  meliori  copulata,  viveus  muaJo,  morlua  poat  morlcm  felicius  victura  «.(Besly, 
ffist.  des  comtes,  preuves,  p.  34y  bis). 


3)q6 


LES  COMTES  DE  POITOU 


leur  terre  de  Sainl-Ai^nan  (I).  Quelques  jours  après,  le  9  no- 
vembre 1068  (le  cinquième  jour  des  ides),  mourut  la  comtesse, 
celle  femme  qui  pendant  Irente-huil  années  avail  jou6  un  rôle  si 
important  dans  riiisloire  du  Poitou  et  de  l'Anjou  et  dont  les  actes 
avaient  contribué  à  placer  au  premier  rang  les  ducs  d'Aquitaine 
issus  d'elle.  Son  corps  fui  transporté  dans  l'église  de  Saînt-Mico- 
las  de  Poitiers,  qu'elle  avait  désignée  elle-même  pour  être  le  lieu 
de  sa  sépulture  (2). 

On  ne  saurait  dire  que  la  mort  d'Agnès  était  attendue  par  son 
fils,  mais  h  peine  la  comtesse  était-elle  disparue  qu'il  mit  j'i  exé- 
cution un  projet  auquel  il  avait  d\\  s'arrêter  depuis  déjà  quelque 
temps.  De  son  premier  mariage  avec  la  fille  du  comte  de  Périgord 
il  n'élait  pas  issu  d'enfant;  de  son  union  avec  xMalhéode  il  n'avait 
eu  qu'une  fille  et  l'on  peut  croire  qu'avec  le  caractère  froid  et 
positif  que  ses  actes  nous  dévoilent,  il  devait  f>nvisager  avec  amer- 
tume lasituation  dans  laquelle  il  se  trouvait  el  quin'élail  pas  sans 
rapport  avec  celle  de  l'homme  qui  avait  été  son  guide,  de  celui  qu'il 
appelait  son  second  père,  en  un  mot  de  Geoffroy  .Martel,  Après  lui 
le  pouvoir  serait  forcément  passé  aux  mains  d'une  femme  et  celle 
perspective  lui  paraissait  grosse  de  menaces  pour  l'œuvreù  laquelle 
il  consacrait  ses  facultés  entières.  Donner  à  son  titre  de  duc  d'A- 
quitaine sa  valeur  absolue  et  le  perpétuer  dans  sa  race,  telle  était 
son  ambition  ;  mais,  pour  la  réaliser,  il  lui  fallait  avoir  une  des- 
cendance masculine  et  aprL's  dix  années  d'union  avec  Mathéode  il 
lui  sembla  qu'il  ne  fallait  plus  caresser  cette  espérance.  Contrac- 
ter un  nouveau  mariage  lui  parut  le  seul  remède  à  la  situation. 
Nul  doute  qu'il  n'eût  rencontré  dans  sa  mère  une  vive  opposition  à 
ce  dessein  î  dans  sa  jeunesse,  à  l'âge  oh  la  passion  et  l'ambition 


(i)  Mêlais,  Cart.  saint,  de  la  Trinité  de  Vendi'me,  p.  5o. 

(a)  it  V  idus  novenibris.  Deposilio  domine  AgDclis  comitissc  Piclaveasis.  Hee 
jacet  apud  Sanclum  Nicbolaurn.  i>  (Arch.  de  la  X'ienoe,  reg.  n»  2o5,  fol.  i80,  obt- 
tuitjrc  de  MoDlierncuf.)  Les  obiluaircs  vcndiïmols  placcat  la  morl  de  la  comtesse  au 
10  novembre,  le  iv  des  ides,  la  veille  de  la  fêle  de  saint  Marlin.  Celle  date  a  clé  ac- 
ceptée jusqu'à  ce  jour  gr.1ce  à  la  publicatioo  faite  par  Besly  de  l'obituairedc  Notre- 
Dame  de  Vendâme  {llist ,  des  comtes,  p.  3^9  bis),  mais  il  nous  scn»l>1e  plus  sûr  d'a- 
dopter celle  qu'iiidifiue  l'obiluairo  de  Moalîerneuf,  documcat  du  jcv*  siècle,  il  est 
vrai,  niais  t|ui  n'esl  <jue  la  reproduction  d'un  texte  plus  ancien  et  qui  fournil  seul  le 
détail  précis  du  lieu  de  rinhurrialioQ  de  la  comtesse.  Les  extraits  des  obituaires  ven- 
dômuis  ont  été  publiés  par  M.  l'abbé  Mêlais  (Cart.  saint,  de  la  Trinité  de  Ven- 
dôme, pp.  /|  el  5,  noie  i). 


GIJY-GEOFFROY-(il[IJ,ArMI-: 


307 


N 


du  pouvoir  cliri£;f^aicnt  ses  aciions,  celle-ri  avail  pu  ouvertement 
braver  los  foudres  de  l'Église, mais  avec  le  temps  elle  s'élait  assa- 
gie^eldo  fond  du  cloîlreoîi  elle  s'était  relirée  elleaurait  éléleplus 
redoutable  adversaire  que  le  comte  aurait  pu  rencontrer,  (^clui- 
C!  ne  s'exposa  pas  à  cette  lutte,  mais  quand  il  se  sentit  libre 
de  toute  entrave,  il  se  hâta  de  se  débarrasser  de  Malhéode,  en 
invoquant  pour  cela  nous  no  savons  quel  prétexte  facile  et  il 
demanda  en  mariage  Audéarde,  fille  de  Robert  le  Vieux,  duc  de 
Bourgogne  (1). 

La  jeune  princesse  avait  vingt  ans, Guy-Geoffroy  devait  compter 
environ  quarante-cinq  années.  Non  seulement  celte  union  était 
disproportionnée,  mais  de  plus  elle  était  réellement  entachée 
d'illégalité.  La  plupart  du  temps,  quand  les  grands  personnages 
avaient  le  désir  de  faire  rompre  un  mariage  qui  leur  pesait, 
ils  le  faisaient  dissoudre  pour  ce  motif  que  les  conjoints  étaient 
parents  à  un  degré  prohibé.  Or,  comme  à  celte  époque  l'Église 
poussait  la  consanguinitéii  l'infini  et  qu'elle  faisait  môme  entrer  cer- 
taines alliances  dans  ses  calculs  de  parenté,  il  était  rare  qu'en  cher- 
chant bien  on  ne  trouvât  quelque  raison  de  nullité.  Mais  toi  n'é- 
tait pas  le  cas.  On  pouvait  assurer  d'avance  que  l'union  qui 
allait  se  contracter  était  précaire,  car  les  deux  conjoints  étaient 
parents  ;  Audéarde  descendait,  au  quatrième  degré»  de  Guillaume 
Tête  d'Étoupe,  comte  de  Poitou, dont  Guy-GeotTroy  était  Tarrière- 
petit-fils  (2). 

Ces  faits  se  passèrent  en  1069  (3),  et  la  même  année,  le  roi  de 

(1)  Marciiegay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  4o4»  Saint-Maixenf.  Celle  clironique 
(lonoe  à  la  femme  de  Guy-dcoiïroy  le  Dom  d"  «  Aldcardis  »;  dans  le  carlulaire  sain- 
lonifeais  de  la  Triailé  de  Ventlùnie,  pp.  5C  et  70,  on  trouve  les  formes  <(  Hildiardis  » 
cl  «  Ilildegardis  «;  on  rencoulre  encore  «  Aldiardis  »  (licsly,  //tst,  des  cornles, 
preuves,  p.  3çjï)  et  même  «.  Alderardiss  {Arch.  hist .  du  Poitou,  XXIX,  p.  84). 

(a)  Guillaume  Tèle  d'Etoupe 


Adélaïde,  mariée  à  Hugues  Capel 


Robert,  roi  de  France 


Robert,  duc  de  Bourgogne 


Hildegarde,  aliàs  Audéarde. 
{Z)  Chron.  des  égl.    d'Anjou,  p.  4o4,  Saint-Maixcnt.   Malhéode  comparatl  encore 
avec  son  titre  de  comicsse  dans  un  acte  de  mai  1  ,CS  (Rédct,^Jor./j'j.7/>  Suint/Jil(ure,l, 


3f>8  LES  COMTES  DE  POITOU 

L6on,  Alforisc  le  Vaillanl,  lit  domandor  en  maringc  In  fillo  que  le 
comledcPoifou  avnilcuo  deMalliéodccI  qui  6lail  nomin^>e  Agnès, 
comme  son  aïeule.  Celle  imion  prémnlurôe,  car  la  jeune  reine  ne 
pouvail  avoir  que  neuf  ans  au  [dus,  se  termina  mal,  comme  la  plu- 
jjarlde  celles  decclemps,raaisj  enla  conlraclant,  le  roi  de  Léon, 
ii'avail  assurément  d'aulre  but  que  de  se  concilier  Tamilié  et 
l'aide  en  cas  de  besoin  du  puissant  duc  d'Aquilaine  (1).  C'est 
aussi  à  celle  (époque  qu'un  annaliste  place  un  des  faits  importants 
de  la  vie  de  Guy'<;eofTroy,  celui  qui  a  surtout  contribué,  par  des 
souvenirs  palpables,  h  conserver  sa  mémoire  à  travers  les  siècles. 
Kn  1009,  dil-il,  sur  Tordre  du  comte  Guillaume,  Monlicrneuf  fut 
commencé  h  Poitiers  (2).  Par  Finiportance  de  sa  dotation,  par  les 
largesses  que  le  comte  ne  cessa  de  lui  prodiguer,  cet  établisse- 
ment ne  larda  pas  à  prendre  rang  parmi  les  plus  notables  du 
Poitou.  Or,  quand  on  étudie  Guy-Geoffroy  dans  ses  actes»  on  ne 
trouve  pas  que  son  caractère  ait  pu  le  porter  naturellement  à  de 
semblables  générosités.llomme  babi le, voire  môme  retors,  prorapt 
h  faire  des  promesses,  mais  aussi  h  les  éluder  quand  il  lui  était 
possible  de  le  fdire  sans  rien  compromellre,  il  ne  se  démentit 
jamais  à  l'égard  do  Monlicrneuf. 

Malgré  ces  événements,  qui  marquèrent  si  grandement  celle 
année  !069dansla  viedeGuy-GeofTroyJecomte  n'interrompit  pas 

p.  gi).  Nous  ferons  remarquer,  sans  aulremenl  iosisler,  qu'elle  n'a  jamais  pris  U 
qualité  de  ducliessc,  tandis  que  son  mari,  particuli^cment  dans  cet  acte  où  leursdeux 
signatures  se  suivent,  est  qualifié  de  duc  des  Aquitains. 

(i)  C/irori.  dcsèfjl.  (l'AtiJoii,  p.  ^o^j  Sainl-Maixent.  Alfonse  nyanl  ajouté  à  sa 
couronne  celle  de  Caslille,  par  suite  de  la  mort  de  son  Frère  Sjnche  adicnue  le  G  oc- 
lolire  1071,  c'est  sous  ce  titre  de  reine  de  Castille  e«  de  Léon  ipie  l'on  relève  la  pre- 
mière menlioQ  cJ'Aguês  ;  comme  l'acle  où  elle  coiiiparall  en  celte  qualité  est  du 
16  juin  107.^,00  eut  en  droit  de  conclure  que  c'est  seulement  daoa  le  courant  del'aDDée 
1073  ou  eu  celle  nicnie  année  107^  que  la  (îlle  du  comte  de  l'oitou,  alors  ûgîe  de  qua- 
torze ans  envifOD,  vint  rcj">indre  son  époux.  Ne  lui  ayanl  pas  donne  d'cufanls,  elle 
fut  répudiée  on  ne  sait  pour  quel  molif,  sous  celui  de  parenté  selon  quelques-uns, 
et  elle  éiaJt  rciuplaccc  dès  107^1  par  Cooslance  de  Uourgofïne,  veuve  du  comlc  Hiia^ucs 
de  ChAlou  et  su^ur  de  la  dernière  femme  de  (juyGejfFroy  ;  Alfonse,  après  avoir  clé 
le  (jfcndre  de  ce  dcruicr,  devint  ainsi  son  beau-frère.  Quant  ù  Ag^ucs,  rendue  libre  à 
l'à^e  de  vingt  ans  à  peine,  on  ig^nore  son  sort  postérieur  (Roiney,  llisl.  d'Espagne, 
V,  p.  3O9:  Alt  de  vérijier  tis  dates,  p.  801)). 

(2)  Chron.  des  cjl.  d'Anjou,  p.  /So4.  Sainl-Maixent.  Celle  dale  de  ioG()  a  été  reje- 
tée par  M.  de  Chergé  dans  son  Mémoire  liis torique  sur  l'abbaye  de  Monlicrneuf  de 
l'oiticrs  {Afdm.de  I2  Soc.  des  Aritiq.  de  l'O.iest,  f  série,  XI,  l^^,  pp.  i54-«6S), 
equel  fait  parùr  la  fondation  de  celle  abbaye  de  raûDce  107J  bculemcul.  Nous  com- 
battons plus  loin  celte  opinion  qui,  depuis  celle  publicalioa,  urait  clé  adoptée  par  loua 
nos  bistoriens  locaux. 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUAfE 


3oO 


le  spérôgrinalions  qu'il  élail  dans  ses  habitudes  de  faire  au  Iravers 
de  ses  étais.  Sa  présence  raiïcrmissail  les  dôvoiiemcnls  et  empo- 
chait les  rébellions  de  se  produire  ,  devant  lui  venaient  aussi  so 
Irai  ter  les  affaires  importantes  que  ses  délégués  n'avaient  pu 
résoudre.  Aussi  pour  bien  saisir  le  caractère  de  ses  actions  cl 
par  suite  pour  bien  faire  son  liistoire  est-il  indispensable  de  le 
suivre  chaque  année  dans  ces  voyages,  qui  n'avaient  pas  pour 
objet  de  répondre  à  des  besoins  de  locomotion,  mais  qui  étaient 
œuvre  de  politique. 

Dans  le  courant  de  l'année,  étant  donc  à  Saint-Jean  il'Angély 
en  compagnie  de  l'évoque  d*Angoulèmo,du  prévôt  et  de  l'archi- 
diacre  de  Saintes,  et  autres,  il  donna  son  consentement  au  don, 
que  fil  à  l'abbaycOstende  de  Bezenac,  do  la  moitié  de  ses  droits 
dans  les  offrandes  et  les  sépultures  de  l'église  de  Pérignac, 
qui,  du  fisc  du  comte,  étaient  passés  aux  ancêtres  de  sa  femme 
Eufémie  (1). 

Le  ;i  mai  1070,  il  se  Irouvait  en  Gascogne, dans  le  monastère  do 
ia  Castelle,qui  avait  été  le  théâtre  de  l'un  de  ses  premiers  exploits; 
ce  jour-là,  il  confirnia  les  donations  faites  à  l'église  de  Sainl- 
Seurîn  de  Bordeaux  par  Guillaume-Sanclie  et  Bernard-Guillaume, 
ses  prédécesseurs  (i). 

L'année  suivante  ^071),  se  tenant  à  Saintes  dans  le  dortoir  du 
chapitre  de  Saint-l*ierreoù  il  avait  sans  doute  pris  son  gtteen  com- 
pagnie de  Boson,  comte  de  la  Marche,  Pons,  le  sacristain  deCIuny, 
qui  se  trouvait  en  ce  lieu,  oblint  de  lui  qu'il  fit  abandon  de  tout 
droit  de  coutume  sur  les  choses  qui  pouvaient  élre  envoyées  à 

(i)  D.  Fonleneau,  XIII,  p.  173, 

(2)  La  meotion  de  ce  Foilcst  fourme  par  un  extrait  du  cartulairc  do  Sa'int-Scurin, 
donné  par  Besly  {/Jisl.des  cunites,  preuves,  p. 355  bis).  Ce  texte, qui  ne  so  trouve  pas 
dti  reste  dans  Icdilion  du  Cartulairc  de  Saiat-Scurin  donnée  par  M.  Itrutaifs,  a  ouvert 
la  porte  à  ecrlaines  apprécialJoiia  qui  ntius  paraissent  erronées.  Il  dit  en  effet  nue  le 
comte  avec  une  armée  nombreuse,  a  iunumerabili,  vreniporlail  dnus  ce  lieu  delà  Cas- 
telle»  eu  1070,  une  triomphante  victoire  sur  aes  coneinis,  a  triunipkabal  insii^ni  Vic- 
toria »,  Or  ceUe  indication  est  eo  désaccord  avec  le  passade  d'une  autre  charic  de 
Saint-Seurin,  de  celle  même  année  1070,011  il  est  rapporlC(]iie  Guy-Geoffroy  gouvernait 
alors  en  paix  ses  étals,  «  |>ace  ac  justicia  cluentc  v  (BrulailSj  Cart.  de  Sainl-Seurin, 
p.  1^;  Ucsly,  HtsI.  des  comtes,  preuves,  p.  3â4  l>ïs).  Les  cïironii<[aeura  ne  signalaal 
aucun  fait  de  guerre  pendant  celle  année  1070,1!  noua  parait  hoTA  de  doute  ijuc  Dc^ly 
a  d(i  commettre  une  légère  erreur  delrunscription  en  écrivant  a  iriumpbabat  d  au  lieu 
de 't  iriumphaverat  w,  expression  qui  pouvait  rappeler  la  victoire  de  io03.  Nous  reje- 
tons par  suite  touie  intcrprélalioa  de  ce  mot  qui  tendrait  à  repousser  à  l'année  1070 
U  soumission  de  la  Gascogae  advenue  sept  ans  auparavant . 


3ro 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Cluny,  soit  pour  la  nourriture,  soil  pour  la  vêlure  des  religieux; 
à  son  exeniple,  et  on  peut  ajouter  sous  sa  conlrainle,  le  gouver- 
neur raililaire  de  Saintes,  Francon,  renonça  à  tous  les  profits 
qu'il  aurait  pu  rclircr  de  celle  redevance  coutumière  (1). 

Celle  même  année,  le  22  octobre  (xt  des  calendes  de  novembre 
1071),  lui  naquit  un  fils  qu'il  appela  Guillaume,  pour  se  confor- 
mer à  la  tradilion  de  famille  qui  alLribuaii  ce  nom  aux  fils  aînés 
des  comtes,  présumés  leurs  héritiers  direcls  (2).  A  partir  de  ce 
jour  on  constate  un  changement  significatif  dans  les  façons  d'agir 
de  Guy-Geoffroy.  Jusque-là,  il  n'a  guère  manifesté  h.  l'égard  de 
l'Église  que  des  sentiments  assez  lièdes  ;  du  moment  où  il  lui  est 
né  un  fils, il  devient  tout  autre. Pour  consacrer  la  légitimité  de  son 
enfant  il  lui  fallait  faire  reconnaître  l'union  contre  laquelle  la  cour 
de  Home, à  défauld'un  évèque  trop  soumis, s'était  élevée  dèsqu'elle 
fut  contractée. Il  cherche  dès  lors  les  occasions  de  faire  des  gé- 
nérosités aux  églises  et  elles  ne  manquaient  pas,  car  bien  que 
nous  en  connaissions  beaucoup  elles  ne  sont  assurément  pas 
venues  toutes  jusqu'il  nous.  11  s'humilie  mème^  tout  en  restant  le 
puissant  duc  :  «  GaufFredus  peccalor  quidem,  sed  gralia  Dei 
dux   Aquilanorum  (3).  » 

Nous  ne  savons  au  juste  rien  de  ses  actions  pendant  l'année 
1072,  mais  en  1073  l'abbé  de  Cluny,  qui  voyageait  pour  lors  en 
Poitou,  obtint  de  lui  des  dons  importants  en  faveur  de  l'abbaye 
de  Saint-Jean  d'Angély  que  dirigeait  Eudes,  un  des  plus  actifs 
agents  de  la  réforme  de  Cluny  dans  la  région  et  que  nous  verrons 
plus  lard  spécialement  attaché  à  la  direction  spirituelle  de  Guy- 
GeolTroy.  Le  comte,  se  trou  vaut  avec  eux  dans  ce  monastère  de  Saint- 
Jean,  abandonna  aux  religieux  l'église  et  k  villa  de  Loulai  avec 
toutes  leurs  dépendances  ainsi  que  les  dîmes  de  la  Jarrie  (4).  Ce 


{])  Bruel,  Chnrtet  de  Cluny,  IV,  p.  555. 

(2}  Mnrchesfay,  Chran.  des  églises  dTAnjoa,  p.  l\o!\,  Salnl-Maixeat.  Paluslre,  dans 
son  Histoire,  de  Guillatime  IX,  p.  ii3,  note  2,  ajoute  h  ce  fail  cet  autre  que  le  jeune 
comte  fut  ba[itis«5  le  jour  de  P;l<iu<is  de  l'anai'îB  1072;  mais  non  n'est  moins  cerlain, 
car,  s'il  clail  d'usiiçe  qu'à  celte  époque  on  ne  biiplisait  ijue  pour  les  fctesde  Pâques  el 
de  Pcnlccôle,  les  grands  seigneurs  féodaux,  sur  ce  point  comme  sur  bien  d'autres, 
savaient  s'alTraucdir  des  rèçleraeals  ecclésittslif|ues. 

(3)  Arch,  !ii.tt.  de  lu  Girondn,  III.  p,  f^\,  d'aprci  une  tpanscription  faite  sur  les 
reg^istrcs  du  Biire.*iu  des  finances. 

(/|)  D.  Fonteneau,  XIII,  p.  i8r. 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


3i 


fui  vers  celle  époque,  peut-êlre  môme  dans  ce  voyage  qu'il  donnu 
au  môme  monastère  une  mélairie  en  Aunispour  le  luminaire  de 
l'autel  de  saini  Jean.  H  lui  concéda  aussi  touLes  les  coutumes 
qui  avaient  été  mises  sur  le  domaine  de  l'abbaye  depuis  la  mort 
de  son  père  et  le  pasquier  quise  trouvait  dans  le  faubourg  (1),  Nous 
ne  saurions  dire  si  tous  ces  biensapparlenaienl  régulièrement  au 
comte,  mais  il  est  certain  qu'un  beau  jour  une  réclamation  s'éleva 
au  sujet  de  la  dîme  de  Loulai. Gautier  Muschel  ou  Muscat  la  reven- 
diqua comme  étant  son  bien  propre  el,  pour  obtenir  son  désiste- 
ment, l'abbaye  dut  consentir  à  inscrire  dans  son  marlyrologo  le 
nom  d'Oda,  femme  de  Gautier,  et  donna  100  sous  à  son  lîls  (1). 

Celle  même  année  Guy-GeolTroy  eul  encore  à  s'occuper  du  Li- 
mousin, et  ce  fut  assurément  sous  sa  conlrainle  qu'Adémar,  qui 
n'avait  pas  rempli  son  engagement  au  sujet  de  l'abandon 
de  Sainl-André  au  chapitre  de  Suint-Élienne  pour  l'indemniser 
des  dévasialions  qu'il  avail  commises  sur  les  domaines  de  l'évè- 
ché,  s'humilia  et, pieds  nus,  en  costume  de  pénitent,  se  rendît  à  la 
cathédrale  où,  assisté  de  ses  deux  (ils,  il  renouvela  le  don  de 
Sainl-André  el  renonça  en  outre  en  faveur  du  chapitre  à  son  alleu 
de  Massiac  (3). 

La  puissance  duduc  était  loutefois  dès  lors  si  bien  reconnue  de 
tous  que  l'on  voit  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  l\\  qui  du  reste 
élailson  cousin  germain,  lui  demander  des  secours  en  1074  pour 
comballro  les  Saxons.  Guy,  pleinement  édifié  sur  le  peu  de  profil 
qu'il  y  avail  à  retirer  pour  lui  d'expéditions  lointaines,  répondit  à 
l'empereur  qu'avant  d'arriver  jusqu'àlui  il  lui  faudrait  vaincre  la 
résistance  de  tant  de  Francs,  de  Normands  et  même  d'Aquitains, 
qui  les  séparaient,  que  l'exécution  de  ce  projet  était  tout  à  fait 
impraticable  (4). 

(i)  D.   Fonteneau,  LXlI,4i.  587  ;  Bcsij,  fïisl.  (tes  comtes.,  preuves,  p.  386. 

(2)  D.  Fonleaeau,  LXIIl.p.  23,  charte  noa  datée  du  cartulatre.  de  Saint-Jeao.Palus- 
Ire  [Ifîst.  de  Guillaume  IX,  pp.  i  ir>-i  17)  place  en  1078  une  expédition  de  <-!uy-Geof- 
frny  contre  Foulques,  comte  d'Angouléiiie,  entreprise  à  fa  sollicitation  de  Guillaume 
Taillefer,  évéque  d'Angoulêtoe  et  frère  de  Foulques.  Ce  dernier,  après  un  premier 
échec,  aurait  lutté  contre  le  comte  de  Poitou  sous  Cognac  et  aurait  délivré  MorUgne 
qui  était  près  de  capituler.  C'est  à  ces  faits  que  se  serait  boruc  cette  prise  d'armes 
qui  n'a  pour  g-araat  que  Yllisloria  pontijîcum  et  coiniliim  Enrjulismensiam  et  qui 
peut    aussi  bien   se  r^ipporter  à  Guillaume  Aigret  qu'à  Guy-GcoiTroy. 

(3)  Gullia  Christ.,  II,  iustr.,  col.  173. 

(4)  Besly,  //ts/.  des  cnmies,  preuves,  p.  336  bis,  d'après  Brunon,  f/ist .  Je  bello 
Saxunico. 


I» 


LB! 


ÎMtES  DE  POITOU 


La  grande  préocciipalion  de  Guy-fifoffroy  étail,  nous  l'avons 
dil,  d'assurer  sa  siico.ession  au  fr!sd'Aiid6arde  ;  plie  éclate  dans 
un  grand  nombre  de  ses  anles.  Ne  pouvant,  comme  le  roi  de 
France,  faire  sacrer  son  fils  par  aniicipalion,  il  prenait  la  pré- 
caulion  de  le  faire  comparaître  à  côté  de  lui  dans  des  actes 
publics,  afin  qu'il  fût  bien  reconnu  par  tous  comme  son  liéritier 
et  futur  successeur.  Le  jeune  riuillaume  avait  h  peine  deux  ans 
quand  le  comte  le  fait  intervenir,  te  3  mars  t074  (v  des  nones), 
dans  la  reslitulion  qu'il  fil  à  l'abbaye  de  Maillezais  de  la  terre  de 
Xanton  dont  sonfrère  Guillaume  Aigret  l'avait  dépouillée. Ce  der- 
nier, bien  qu'il  eût  été  témoin  avec  (iuy-Geoffroy  de  la  donation  que, 
dans  leur  enfance, leur  père  Guillaume  le  Grand  el  Agnès  avaient 
faite  de  cette  terre  ri  l'abbaye, la  lui  avait  enlevée  pour  en  gratifier 
Tliibaut  Cbabol,  lequel,  pour  ce  mol  if,  resta  excommunié  toute  sa 
vie.  Le  comte  se  tenait  dans  une  chambre  de  son  chftteau  de 
Mervenl  quand  il  fit  cotte  largesse  aux  moines  de  Maillezais,  et 
comme  un  certain  Gaultier  l^'uliil  pouvait  revendiquer  quelques 
droits  sur  l'objet  de  la  donation,  il  le  désintéressa  en  lui  donnant 
2000  sous  en  présence  de  témoins.  Mais  l'acte  ne  fut  rédigé  que 
quelques  jours  après  ;  le  7  avril  (le  vu  des  ides),  se  Irouvant 
encore  dans  le  pays  et  ayant  pris  glle  dans  la  maison  d'Airaud 
de  Forges,  il  chargea  le  moine  Audebert  d'écrire  la  charte,  que 
souscrivirent  à  sa  demande  toutes  les  personnes  de  sa  cour,  «  ses 
hommes  et  ses  amis,);  qui,  outre  son  fils/'taicnllsembcrt,  évoque 
de  Poitiers,  Boson,  comle  de  la  Marche,  Hugues  de  Lusignan, 
Ebbon  de  Parlhenay  et  autres  grands  personnages  (1). 

Le  17  octobre,  il  se  rendit  à  Noaillé  à  la  requête  de  Geoffroy, 
fils  d'Hugues  de  Saint-Maixent,qui  voulaitassurertoulesgaranties 
à  l'abandon  qu'il  fil  ce  jour  à  cette  abbaye  de  l'église  de  Fouras 
en  Aonis  et  de  ses  dépendances  qu'il  tenait  en  fief  du  comle; 
celui-ci  était  accompagné  des  évèques  de  Poitiers  et  de  Saintes 
qui  reconnurent  la  validité  de  la  donation  (2). 

Audéarde  n'a  pas  paru  dans  cet  acte  d'un  intérêt  relativement 
secondaire,  mais  lorsque  Guy-GcoCfroy  concéda  gratuitement  el 

(i)  Lacurie,  f/isl.  Je  MaiUt'^ais,  preuves,  p.  21O.  Le  jeuDC  comle  comparait  ainsi  : 
«  E^i>  -f-  Guilldtnuii  couceio  lionum  pulrîs  iiici.  » 

(2)  I>.  Konlencaii,  XW,  p.  /[Sy;  Fiiye,  Noies  sur  quelques  chartes  de  Foaras  {Dali, 
de  la  Soc.  des  Anl.  de  l'Ouesl,  i"  série,  V,  p.  3 28). 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


3r3 


sans  aucune  récompense  le  lieu  de  Sainle-Gemuiii  ou  Saiiiloiigc 
à  Durand,  abbé  de  la  Chaise-Dieu,  pour  y  établir  trois  religieux, 
la  comtesse  fui  présente  à  cet  acte  ainsi  que  son  fils  el  y  donna 
son  assentiment  formel;  deux  grands  seif^nours  saintongeois, 
Arnaud  de  Montausier  el  Guillaume Frecland,  se  trouvaient  sur  les 
lieux  ainsi  que  Foulques,  comle  d'Anjou,  qui  à  ce  moment  était 
évidemment  tolalemenl  réconcilié  avec  le  comte  de  Poitou  (1). 

On  constate  encore  la  présence  d'Audéarde  à  Saintes,  l'an- 
née suivante  (1075),  pendant  la  tenue  du  synode  général  qu'y 
présida  Tarchevôque  de  Bordeaux  assisté  des  évèqucs  d'Anfj;ou- 
lêmo,  de  Saintes  et  de  Périgueux  et  de  nombreux  abbés.  Aux 
côtés  du  comle  de  Poitou  se  trouvaient  Audeberl,  comle  de  la 
Marche,  Hugues  de  Lusignan,  Géraud  de  Rançon  el  plusieurs 
chevaliers  de  ce  pays. 

Lors  d'une  des  réunions  du  synode  le  comte  et  les  prélats  recon- 
nurent la  fondation  de  l'abbaye  de  Sainl-Éticnne  de  Vaux  par 
Arnaud,  fils  de  Gamnion. Depuis  ûéjh  quelque  temps  celle  œuvre 
était  en  chantier;  l'idée  première  en  était  due  à  Pierre,  frère 
d'Arnaud,  mais  il  élail  mort  el  ce  dernier  en  avait  poursuivi  scru- 
puleusement l'accomplissement.  Il  avait  oblenu  tout  d'abord  l'as- 
sentiment du  duc  d'Aquitaine, de  Tévôque  de  Saintes,  Goderan,  et 
des  grands  seigneurs  de  la  Sainlonge  ;  puis  il  conslruisit  les  billi- 
menls  claustraux  dans  lesquels  vinrent  s'installer  des  religieux 
que  Goderan  détacha  de  son  abimye  de  Maillezais,  sous  la  direc- 
tion de  l'un  d'eux,  nommé  Martin.  Quoique  celui-ci  fût  décoré 
du  litre  d'abbé,  le  nouveau  monastère  fui  mis  toutefois  dans  la 
dépendance  de  Maillezais  (2). 


(i)  Besly,  Hiit.des  comtes,  preuves,  p.  879  bis. 

la)  Grasilier,  Cart.  inétUts  de  fn  Saintunfji',  p.  /|i,Vaux.  GoJerAQ  mounil  le  viu 
des  ides  d'août  (6  août)  1078  (Arnauld,  Hist.  de  Maillerais,  p.  8i),  el  eut  Hos.iri 
pour  successeur  (Murchegay,  Chron,  des  égt,  d'Anjou,  p.  ^a^y,  Saint-Maixcal  ;  Tau- 
leur  de  la  chroaiquc  a  placé  ce  fait  sous  l'aiioée  1074»  mais  celle  date  doit  être 
reclifîée  par  suilc  du  sjDchrooismc  de  ravèaement  de  Grégoire  VII  au  Irôue  pontifi- 
cal qu'il  indique  dans  la  même  anuée  et  qui  eut  lieu  eu  1073).  Le  Gallia  et  les  hista- 
rieas  qui  ont  dcrit  d'après  lui  oui  commis  de  nombreuses  erreurs  au  sujet  de  révéquc 
Boaon;  ils  en  font  le  compétiteur  de  Goderan  cl  suppoicQt  qu'il  aurait  pu  êlrc  1  clti  du 
chapitre  de  Saintes.  Pour  élayer  leurs  dires,  ils  s'iippuyenl  sur  une  charte  du  cap- 
lulaîre  de  Saint-Amaal  de  Uoixe  de  iol56  et  sur  uoe  atilre  du  cartulaire  de  N.-l).  de 
Saintes  de  1071,  qui  ont  été  iacxacteineut  dal^'ca.  Il  en  est  parciltcmi^nt  de  l'opinioa 
de  certains  écrivains  qui,  ayant  rencontré  une  charte  du  cartulaire  de  Notre-lJame 
de  SatQles  de  l'ao  1080  (p.  43)1  où  il  est  queslioa  de  Goderan^  te  font  vivre  jusqu'à 


3i4 


LES  COMTES  DE  POITOU 


En  prôsence  du  comte,  l'abbesse  de  Notre-Dame  de  Sain  les 
donna  ÎÛO  sous  à  H61ie  de  Born  pour  niellre  fin  aux  récla- 
mations incessantes  de  ce  dernier  qui  prétendait  n'avoir  con- 
senti à  la  donation  de  1067  que  contraint  et  forc<^  par  Oslonce 
de  Taillebourg  (I).  Enfin,  continuant  son  voyage  avec  Audéarde 
et  se  trouvant  avec  elle  k  Monlierneuf,  monastère  que  venaient 
d'ôdifier  les  religieux  de  la  Trinité  de  Vendôme,  il  leur  donna 
ce  qui  lui  appaiionail  dans  lelireuil  do  Saini-Forlunalet  posa  lui- 
même  la  cliarle  sur  l'autel  avecle livre  des  collectes  en  disant  aux 
moines  :  «  J'avoue  que  lecadeau  queje  vous (atsprésenlement  est 
de  peu  de  valeur,  mais  si  Dieu  prolonge  ma  vie,  sachez  que  vous 
en  recevrez  de  plus  consid<5rables.  »  Il  retourna  en  effet  dans  ce 
lieu  quelque  temps  après  et  augmenta  sa  donation  première  (2). 

Comme  on  le  voit,  le  comte  de  Poitou  donnait  de  fréquentes 
preuves  de  son  bon  vouloir  à  l'égard  des  églises,  mais  quels  que  fus- 
sent ses  elTorls  ils  restaient  impuissants  et  ne  pouvaient  arriver  à 
désarmer  le  pape,  qui,  plus  grand  était  le  coupable,  se  montrait 
d'autant  plus  sévère  dans  la  répression.  Ce  pape  était  alors  Hilde- 
brand,  le  rigide  Grégoire  VU,  quivcnaild'èlrcôiu  le  22  avril  1073. 
Le  pontife  étendait  sur  loulela  cliréliontéson  regard  inquisiteur  et 
s'enbr(;aitde  réprimer  les  abus  qui  menaçaient  de  toutes  parts  l'É- 
glise et  la  Société.  Il  s'atlaquait  aussi  bien  au  clergé  qu'aux  grands 
seigneurs  séculiers  et  sa  main  vigoureuse  ne  reculait  devant  rien. 
A  Poitiers,  la  situation  était  depuis  longtemps  tendue.  L'évéque 
Isemberl  II  appartenait  à  une  grande  famille  féodale,  qui, en  fai- 
sant monter  successivement  quatre  de  ses  membres  sur  le  trône 
épiscopal  qu'ils  occupaient  depuis  un  siècle, en  était  venue  à  con- 
sidérer l'évêché  comme  un  tîef  familial,  fief  puissant  parPétendue 
de  ses  domaines  lerriloriaux. 

D'autre  part,  la  trésorerie  de  Saint-Hilaire,  dignité  qui  faisait 
de  son  titulaire  le  chef  de  ce  riche  établissement,  situé  aux  pories 
du  Poitiers  gallo-romain  dans  lequel  il  ne  devait  pas  larder  à  être 


cette  date;  l'auteur  du  carlulaipe,  qui  a  transcrit  cet  acte,  atlù  commettre  une  erreur 
de  nom  et  inlerpréter  sans  nu!  duulc  la  leitre  îniliale  du  nom  do  rûvêquo  de  Saiotes 
qui  devait  être  un  B  par  la  lettre  <ï,  tjui  lui  a  fourni  le  nom  de  Goderau. 

(i)  CffN,  lie  Noh'e-Otime  de  Saintes,  p.  a4.  Cet  acte  n'est  pas  date,  mais  il  se 
place  forccmeat  à  celle  tfpoquc , 

(a)  Métais,  Cari,  saint,  de  la  Trinité  de  Vendôme,  p.  55. 


CLTY-GEOFFRO  Y-GUILLAUME 


3i5 


compris,  était  occupée  par  Joscelin,  à  la  fois  seigneur  deParlhe- 
nay  el  arcUevôquc  do  Bordeaux,  qui,  mêlé  inliaiemenl,  en  vertu 
de  sa  qualité,  aux  aiïaircsde  l'évèché  de  Poitiers, soutenait  contre 
son  chefunc  lutte  qui  devenait  de  plus  en  plusilpre.Isemberl  sym- 
palUisail  ouvertement  avec  BérangerJ'archidiacre  d'Angers, dont 
les  doctrines  hérétiques  sur  la  présencoréelle  soulevaient  dans  le 
clergé  d'ardentes  discussions.  Joscelin,  qui  avait  été  Tami  du  ré- 
formateur et  avait  d'abord  incliné  vers  lui, s'était  retourné  et  était 
devenu  le  champion  in(raital>le  de  la  foi  catholique  romaine. 

Celte  conversion  s'était  produite  h  la  suite  d'un  voyage  à  Rome 
que  Joscelin  avait  dû  faire  pour  répondre  à  une  invitation  dti  pape. 
Bien  que  l'archevêque  de  Bordeaux  ne  semble  pas  avoir  adopté 
sur  le  fond  les  erreurs  de  Déranger,  il  n'en  professait  pas  moins 
certaines  opinions  hétérodoxes.  C'est  ainsi  qu'il  avait  voulu  pros- 
crire dans  son  diocèse  les  croix  et  les  crucifix  ;  Alexandre  II  lui 
écrivit  h  ce  sujet  en  1073  et  lui  inliraa,sous  peine  d'excommunica- 
tion,d'avoir  à  changer  de  sentiment  el  de  venir  se  justifier  devant 
lui(ij. 

Chacun  des  deux  prélats  avait  ses  partisans  ;  au  premier  rang 
se  trouvaient  les  chapitres  dont  ils  étaient  les  chefs  et  entre  qui 
la  lutte  prit  un  caractère  d'une  vivacilé  extrême.  Afin  de  ratta- 
cher la  cour  de  Homo  à  sa  cause, Joscelin  poussa  les  chanoines  de 
Sainl-Hilaire  à  demander  la  protection  du  Sainl-vSiêge  et  le  pape 
leur  accorda  cette  faveur  par  une  bulle  du  22  avril  1074(2).  Mais 


(i)  Analecta  juris ponltficii,  X,  p.  407. 

(3)  CeUebuite  porte  riridicatioii  du  \  ij&<i  calcudes  de  mai,  indtcliun  xr,  c'est-à-dire 
du  aaavrit,  l*an  premier  du  ponlitiral  de  fîréjjoire  VII.D.  FaiiteDcau  {X,  p.  35[)acru 
devoir  interpréter  ces  nicotions  numérales  en  attribuant  h.  cet  acte  la  date  de  loyS  ; 
coiiimo  llildebrand  fui  élu  pape  lo  22  nvril  1073,  il  eonsidtirc  que  la  bulle  fut  délivrée 
ce  jour  même,  qui  tombe  bica  dans  In  première  unuêcdu  ponliKcal  du  pope,  et  de  plus 
qu'il  répond  à  l'indiclion  xi  qui  est  le  chiflre  do  cette  année  1073.  Rcdet,  qui  a  publié 
cet  acte  dans  ses  Documents  pour  V  histoire  de  l'é'jlist  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers 
(î,  p.  93), le  met  à  l'année  1074, mais  sans  indiquer  les  motifs  qui  l'ont  gruidé  ;  nous  par- 
tageons sa  manière  de  voir  pour  lc3  raisons  suivante»  :  (jréi,niirc\'n,ëlu  le  22  avril  f073, 
ne  fut  sacré  que  le  3o  juin  suivanl  et,  jusqu'au  jour  de  sa  cousécratiun,  la  auscription 
de  ses  bulles  est  ainsi  conçue:  «  Greiforîus  in  ilomanum  poulificcmi  electua,  salutem 
in  Domino  J, -G.  »;  pûslérieureraenl,il  reprend  b  formule  ordinaire  des  papes  :  «  Epis- 
copus  servus  scrvorum  Dei.  »  Or  comme  njtre  bulle  porte  cetledernicrcsuscriptionellc 
se  place  évidemment  après  le  3o  juin  1073;  d'autre  part,  cjmine  tîrcçoirc  VII  faisait 
partir  le  cbiiTre  de  l'indiclion  du  i*'  sepicmbre  de  chaque  année,  il  résulte  de  ta  coos- 
lalatioii  L|uo  nous  venons  de  faire  plus  haut  que,  pour  sa  cbancellerie,  l'indiclion  xi 
parlait  du  !•«■  septembre  in-j^  et  ijuc,  par  suite,  le  22  avril  de  l'indiclion  xi  et  de  la 
première  année  du  pualiJical  de  Grégoire  Vil  lonibail  le  2î  avril  de  l'unuée  1074. 


3i6  LES  COMTES  DE  POITOU 

cel  acle  n'arrêta  pas  les  entreprises  d'Iseinbert  el  d'autre  pari 
lesclianoines  des  deux  établissements  rivaux  continuèrenl  à  se 
porter  de  mutuels  préjudices.  Aussi  au  printemps  de  Tannée 
t07o  Joscelin  se  rendil-il  de  nouveau  à  Rome  et  exposa  la  situa- 
tion au  pape.  Celui-ci  envoya  aux  parties  coup  sur  coup  deux 
lettres  qui  nous  font  connaître  certains  épisodes  de  celte  rivalité. 
Dans  la  première,  en  date  du  l.'i  mars  107;j  (1), adressée  aux  cha- 
noines de  Sainl-Hiiairc,  Grégoire  VII  leur  ordonnait  de  laisser 
le  chapitre  de  l'église  calliédrale  en  possession  des  usages  qu'il 
praliquail  le  jour  de  la  double  fête  de  saint  llitairo  et  de  la  Tous- 
saint, alors  qu'il  se  rendait  en  procession  dans  leur  église;  dans  la 
seconde,  datée  du  12  avril  1075  (2),  le  pape  enjoignait  à  Tévôque 
de  Poiliers  de  se  présenter  devant  son  métropolitain  au  concile 
des  év&ques  de  sa  province  et  d'y  répondre  aux  plaintes  portées 
conlrc  lui  par  les  chanoines  de  Saint-Hilaire  qui  t'accusaient  de 
détenir  injuslemenl  l'abbaye  de  iNoaillé, laquelle  élait  de  leur  dépen- 
dance,d'avoir  commis  des  dévastations  dans  leur  terre  de  Cliam- 
pagné-Saint-Uilaire,  et  d'avoirélé l'instigateur  du  refus  qu'avaient 
fail  les  chanoines  de  Saint-Pierre  de  laisser  entrer  ceux  deSainl- 
Hilaire  dans  la  cathédrale  le  jour  des   Rogations.  Enfin,  prô- 

(i)  Lablie,  Concilia^  X,  col.  4?;  llardouin.  Coll.  concil.,\l,  i'»  parlie,  col.  ia38. 
Rédet,  qiii,dnns  ses  Docii/itents  pour  Satnl-ffilnire,  I,  p.  qS,  ne  publie  pas  cette  pièce, 
mais  renvoie  aux  auteurs  précilcs  elluî  donne  la  date  du  i3  mars  iofli^  a  commis  ea 
ce  FaisaiU  une  erreur  qui  a  é\é  cause  de  la  confusion  4]ue  l'on  rencoutre  dans  loua  nos 
historiens  au  sujet  de  ces  événements.  Celle  lettre  doit  être  mise  k  l'anaée  io;5.  En 
efr<?t  clic  est  ain»i  datée:  a  Data  Bomn^  in  sjnodo,  decimo  octavo  kalenda»  aprili.s, 
indîctione  duodecima.  »  Op,  comme  nous  l'avoua  établi  dans  la  note  précédente,  l'in- 
diction  xii,  commençant  au  premier  septembre  loy/j,  et  se  terminant  à  la  même  dalc 
de  raauéc  lojô,  le  .wui  des  calendes  d'avril  (t5  mars)  de  cette  iudictioa  tombe  for- 
cément dans  l'anaée  1075. 

(a)  Cette  lettre  a  été  imprimce  parle  P.  Labbe,  Concilia,  X,  col.  58,  par  le  P. 
HardouÎD,  Coll.  concii.,  VI,  !»■«  parlie,  col.  i25o,  et  par  le  Gallia  Christ.,  Il,  col. 
iiOÔ,  qui  la  place  en  1073  ou  en  107/).  Rcdet  i  Documents  pour  Saint-Hilaire,  I,  p. 
g3)  adopte  la  d.ite  de  107^},  mais  pour  les  motifs  que  nous  avons  exposés  dans  les 
notes  préccdcalestloou.'i  parait  que  l'on  doit  mettre  à  l'Année  1075  celle  lettre  qui  estainsî 
datée  ;  il  Data  Romaî  secundo  nixia  aprilia  (12  avril)  indiclione  duodecima.  ■»  Rédet 
nous  parait  avoir  aussi  commis  une  erreur  dans  l'analyse  qu'il  donne  de  cette  pièce 
eu  disant  qu'Iacmbert  devait  se  présenter  devant  son  métropolitain,  «  au  concile  alors 
assemblé  à  Poitiers  »;  iln'c-st  lîullemenl  question  dans  la  lettre  du  pape  d'une  réunion 
synodale  se  tenant  en  ce  moment  à  Poitiers, celle-ci  aurait  du  reste  cessé  depuis  long- 
temps de  fonctionner  quand  la  lettre  pontiCcalc  serait  arrivée  dans  cette  ville.  11  y 
est  simplement  dit  qu'lscmbert  devra  se  rendre  au  synode  des  évêques,  sans  spécifi- 
cation de  J.ite  ni  de  lieu  :  «  Prœcipimus  ul  te  reprvpscntcs  in  concilio  cpiscoporura 
provinciîe  vestne  metropolitano  luo.  ■  Ce  synode  devait  èlrc  celui  de  SaiD(-.Mai-\ent, 
({ui  se  tint  au  mois  de  juin  suivant. 


GUY4".E0FFR0Y^UILLAUME 


3i7 


voyniîil  le  cas  où  il  négligerait  de  se  rendre  au  synode  provincial, 
il  l'ajournail  à  venir  auprès  de  lui  dans  lafi^lode  la  Toussainl  pro- 
chaine pour  y  dèballrecontradit^loirement  avec  quelques  chanoines 
de  t-'ainl-llilaire  les  questions  restées  lilii;ieuses  entre  eux.  Isem- 
berlse  garda  bien  de  se  présenter  devant  l'assemblée  présidée  par 
son  adversaire.  DéjJt,  le  i:{  janvier  de  celte  année  1075  (le  jour 
des  ides),  il  s'était  tenu  dans  sa  ville  épiscopale  un  concile  présidé 
par  le  légal  Giraud,  dans  lequel  on  discuta  si  vivement  les  opi- 
nions de  Béranger  qu'une  lutte  s'étanl  engagée  entre  les  deux 
partis  l'hérésiarque  manqua  d'y  être  tué  (1). 

L'assemblée  devant  laquelle  aurait  dû  comparallro  ïsemherl 
se  réunilà  Saint-Maixenl  le  M  et  le  25  juin  de  cette  même  année 
(viî  et  Viii  des  calendes  de  juillet).  Celle-ci  ne  devait  passe  con- 
tenter de  se  prononcer  sur  le  cas  d'Isembert  et  des  chapitres  ;  elle 
avait  une  mission  aulremenl  importante^  qui  était  d'exami- 
ner la  situation  maritale  du  comte  de  Poitou  et  de  décider  s'il  y 
avait  lieu  de  prononcer  la  nullité  de  son  mariage  avec  Audéarde. 
Guy-GeolTroy  devait  s'attendre  à  celle  extrémité  et  nous  ne  pen- 
sons pas  beaucoup  nous  avancer  en  disant  que  ses  générosités  à 
l'égard  des  églises  n'avaienl  pas  d'autre  but  que  de  la  relarder  ; 
mais  il  avait  déplus  fail  des  promesses  au  pape  et  il  les  avait  élu- 
dées. En  elTct,  le  7  avril  1073  (vu  des  ides),  Grégoire  Vil  lui 
écrivit  pour  savoir  ce  qui  l'avait  empôcliô  de  lui  envoyer 
les  chevaliers  qu'il  lui  avait  prorais  pour  soutenir  les  intérêts  de 
Saint-Pierre  en  Sardaigne  ;  le  temps  propice  pour  agir  étant  pas- 
sé, il  ne  lui  réclamait  plus  rien  h  ce  sujet,  mais  il  lui  demandait 
de  rester  toujours  inébranlable  dans  saUdélité  au  Saint-Siège  [ij. 


(i)  Marchcgnj,  Chron.  des  égt.  d'Anj'oittp.  4o6.  Sainl-M.iîxenl.  L'.-lr/  de  vérijier 
tes  dates,  p.  206,  place  co  concile  en  107/^,  disant  que  le  P.  Paçi  s'est  trompe  en 
lui  donaaal  la  date  de  1070,  vu  que  le  légal  Uiraud  était  revenu  à  Home  en  1074-  L.c 
P.  Pagi  élADt  d'accord  avec  la  chronique  de  Saial-Maixeat^  nous  mainlennos  la  date 
que  celle-ci  noua  fouruit  et  que  la  raisou  doaaée  p&rVArt  de  vérifier  les  dates  n'in- 
firme DuUeuieat.  En  cfTet,  on  possède  une  lettre  de  Grcg'oire  ^'II  à  l'arclievi^quc  de 
Bordeaux,  ea  date  du  >5  novembre  1076,  dans  laquelle  il  lui  dit  qu'lsemberl  a  été 
interdit  de  ses  fonctions  ecclésiastiques  par  sou  lé^at  Giraud,  évoque  d'Ostie  ;  or,  ce 
fait  n'a  pu  se  produire  qu'après  que  le  pape  eut  pris  connaissance  des  difKcultés  cuire 
Isembert  et  Joscelio,  c'est-à-dire  dans  le.'courant  de  l'année  1073.  A  cette  époque,  le 
légat  ue  se  trouvait  donc  pas  à  Rome,  mais  cerlaincmeut  en  France^  où  il  présidait 
quelque  assemblée  s^odalc. 

(î)  Labbe,  Concilia^  X,  col.  58. 


3i8 


LES  COMTES  DE  POITOU 


D'aulre  pari,  devant  riiiaiiilé  des  engagements  pris  par  le  conile 
de  Foilnu  le  pape  jugea  opporlnn  d'agir,  ei  il  le  fil  vigotireiise- 
menl,  selon  sûnhabiliide,en  ordonnant  à  son  légatde  porter  devanl 
une  assemblée  ecclésiastique  la  queslion  de  la  légalité  du  ma- 
riage du  comte.  Le  synode  provincial  se  tint  donc  à  Sainl-Maixenl 
au  mois  de  juin  1075,  sous  la  présidence  de  l'archevêque  de  Bor- 
deaux, assisté  d'Ame,  évèque  d'OIoron,  légal  du  pape,  de  Guil- 
laume, évêqued'Angoulôme,  et  de  nombreux  membres  du  clergé. 
Le  métropolitain  avait  fait  choix  de  Saint-Maixenlpourlatenuede 
l'assemblée  afin  que  ses  membres  fussent  moins  exposés  aux  ten- 
tatives de  suggestion  des  partisans  du  comte  aussi  bien  qu'aux 
actes  de  violence  qu'ils  pourraient  essayerde  commettre.  Maisleur 
éloignement  de  l'oiliers  ne  les  en  préserva  pas.  Isemberl  envoya 
à  Saint -.Maixent  une  troupe  de  ses  chevaliers  qui  rompirent  les 
portes  du  monastère,  insultèrent  gravement  le  légal  el  l'archevêque 
el  accablèrent  les  autres  membres  du  synode  de  menaces, d'injures 
et  de  sévices  graves.  A  la  suite  de  ce  coup  de  force  l'assemblée  fut 
dissoute,  mais  toutefois  elle  ne  se  sépara  pas  avant  d'avoir  pronon- 
cé contre  Isembert  l'interdiction  de  ses  Ibnclions  épiscûpales(I). 
Au  su  de  cesnouvelles,  le  pape,  vivement  irrité  contre  l^évôque 
de  Poitiers,  lui  écrivit  une  longue  lettre  le  10  septembre  ;  après 
avoir  relaté  tous  les  actes  réprébensibles  dont  il  était  le  fauteur, 
il  l'ajourna  devant  lui  à  la  prochaine  fêle  de  saint  André  (30  no- 
vembre). 11  lui  annonçait  en  môme  temps  que  s'il  se  dérobait 
à  cette  invitation,  à  moins  que  ce  ne  fût  pour  un   motif  irréfra- 


{i)  Marcli<»!fay,  Chron,  des  égl.  d^Anj'oii,  Saint-Maisçnl  ;  Gallia  Chrtsl.,  II,  col. 
iiC5-nût)  ;  lîesly,  Hîst.  des  comtes,  preuves,)).  iiOô  bis.  La  chroaiquc  de  Saial-Mai- 
xeol  s'ctaal  liûrnée  à  êouncer  la  date  du  sjuodc  tenu  Aaas  ceUc  ahbaye  et  à  citer 
les  noms  de  quelijues-uns  des  assistaola,  on  était  indécis  Rur  la  question  de  savoir 
quels  étaient  les  objets  qui  y  avaient  été  traités.  Nous  y  plarons  les  çraves  événe- 
meats  que  nous  venons  de  rapporter. Palustre  el  les  autres  historiens  de  notre  temps 
dooneoL  l'éi^lise  de  Siiint-lliluiro  de  Poitiers  pour  iht'Atre  des  désordres  qui  se  com- 
mirent. Cette  attribution  aous  parait  être  déineulie  par  les  termes  de  la  lettre  <]uc  le 
pape  écrivit  à  Isembert  le  lo  septembre  1076  (Voy.  plus  bas),  el  dans  laquelle  il 
reprochait  à  révcque  de  Poitiers  les  troubles  apportés  par  lui  à  la  tenue  d'ua  concile 
prébidé  par  Josceliu  el  réuni  dans  un  monastère,  «  mouaslerium  ».  Celte  expression 
doit  l'aire  rejeter  absolument  l'attribution  à  Saint-IIilaire,  qui  était  une  collégiale  et 
qui,  dans  les  lettres  du  pape  aussi  bien  que  dans  les  textes  du  temps,  est  désigné  par  le 
mol  <c  ecelesia  »;  pour  le  même  motif,  il  ne  saurait  être  question  de  l'cj^flise  cathédrale 
de  Poitiers,  et  comme  nous  savons  par  la  chronique  qu'il  se  tiinl  un  concile  à  Saiat- 
MaJxcut  au  mois  de  juin,  on  est  absolument  fondé  à  placer  dans  Ce  monaalére  l'as- 
semblée rappelée  dans  la  lettre  du  pape  du  10  septembre  suivant. 


GUY-GROFFROY-GiriLLAUME 


a  m 


gable,  il  le  privcrail  dores  cL  df''jfi  du  droit  d'exercer  loul  ofTine 
sacerdolal  el  de  parlicipalioii  à  la  sainte  communion.  Il  frappail 
de  la  m6mo  pénalilé  lous  ceux  qui  s'élaiont  fails  les  exécuteurs 
de  rallenlal  que  l'évêquc  avait  perp^'l ri'  conire  les  membres  du 
synode,  jusqu'à  ce  qu'ayant  donné  satisfaction  aux  injonctions  du 
pape^  celui-ci  les  relevât  delà  peine  qu'ils  avaient  encourue  (1).  F^e 
même  jour  Grégoire  écrivit  au  comte  de  Poitou.  Celui-ci,  tout  en 
acquiesçant  à  ce  que  son  cas  fût  porté  devant  une  assemblée  reli- 
gieuse, ainsi  qu'il  avait  été  fait,  s'était  servi  de  sa  sœur  Agnl»s, 
l'ancienne  impératrice  d'Allemagne,  qui  résidait  à  llomc,  pour 
obtenir  qu'il  lui  fût  permis  de  garder  sa  femme  auprès  de  lui  jiis- 
qii';i  ce  que  le  synode  qui  devait  spécialement  en  connaître  se  fiU 
prononcé.  Le  pape,  bien  qu'il  déclarât  avoir  la  plus  grande  défé- 
rence pour  rimpéralrice,  qu'il  considérait  comme  sa  mère,  n'ac- 
ceptaitpasce  compromis,  llsemétiait,  disail-il,  desimpulsionsdia- 
boliques  etenjoignait  au  contraire  au  comte  d'éloigner  Audéarde 
de  lui  afin  que  la  réforme  de  sa  conduite  el  sa  déférence  envers 
les  préceptes  divins  servissent  d'exemple  à  lous  (12). 

On  le  voit,  Grégoire  Vil  ne  semblait  pas  rendre  G uy-GeonVoy  res- 
ponsable des  actes  de  violence  qui  avaienlélé  commis  îlSaint-Mai- 
xent  ;  il  est  même  possible  qu'il  y  soit  resté  étranger  en  fait,  mais 
de  ce  qu'il  ne  les  prévint  pas,  on  peut  dire  qu'il  leur  donna  une 
approbation  tacite.  Du  reste,  pour  Ûéchir  le  pontife,  il  lui  avait 
otTert  de  se  mettre  au  service  de  Saint-Pierre  pour  comfialtre  les 
infidèles,  mais  le  pape  sentait  sans  doule  que  le  moment  n'était 
pas  encore  venu  et  il  se  contentait,  tout  en  remerciant  le  comte 
de  ses  bonnes  dispositions,  de  lui  dire  que  le  bruit  courait  que  les 
chrétiens  avaient  repoussé  les  ennemis  de  la  Croix  et  qu'il  con- 

(i)  I^bbe,  Concilia,  X,  coL  Orj;  Besly,  flist.  des  corn/nx,  preuves,  p.  3tîô  Lis. 
Celle  leitre  porle  celle  date;  «  Data  Til>uri,  quarto  idus  seplembris,  itidiclionc  iiic!- 
piente  dccimu  tcrlia.  i  D'après  les  calcula  auxquels  nous  nous  sommes  précédeniciicDl 
livré  la  dale  ci-dessus  correspond  au  lo  septembre  1076  cl  il  ncsaumtty  avoir  désor- 
mais aucun  duule  sur  la  faron  dunt  la  ctianceUcrie  papale  coinjttail  tes  indiclions»  ces 
njols  «  indictione  incipicnte  décima  lerlia  jj,  témoignant  bien  qu'il  faul  friirc  partir 
celle  iudiclion  xin  du  premier  septembre  prccédenl.  Besly  place  cette  lellrc  et  les 
suivantes  dans  l'annce  1071»;  Palustre  [llixt.  de  Guillaume  IX,  p.  127)  lui  attribue 
celle  de  1074;  nous  cspérous  avoir  démoDlré  que  la  date  de  1075  est  la  seule  qui  lui 
convietuie. 

(2)  Labbe,  Concilia,  X,  col.  70.  Les  auteurs  du  Gallia  Christiana,  qui  reprodui- 
sent cet  acte  (II,  col.  11 06),  a'ont  pas  cherché  à  loi  assigner  une  date  exacte;  dous 
reclifioos  celte  omissioo. 


3ao 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


venait  d'allcndre  les  événemeDis  avant  de  prendre  à  co  sujcL  une 
ferme  décision. 

EnQn,  le  môme  jour,  il  adressait  aussi  une  lellreàrarchevèque 
de  Bordeaux  lui  demandant  de  venir  lui-même  à  Home  ou  d'en- 
voyer une  personne  auloriséo  afin  d'entendre  ses  dires  sur  les 
aHaires  de  Saint-Hilaireconlradictoirement  avec  ceux  d'isembert, 
cité  pour  cet  objet  à  la  Toussaint.  Toutefois,  comme  il  n'avait 
qu'une  minime  confiance  dans  la  déférence  de  l'évêque  de  Poi- 
tiers à  ses  injonctions,  il  chargeait  Joscelin  de  l'excommunier(l), 
pour  le  cas  où  Isembert  se  dispenserait  de  s'y  conformer. 

Le  terme  indiqué  se  passa  en  eiïcl  sans  que  l'évoque  de  Poi- 
tiers se  fût  mis  en  mesure  de  répondre  à  l'invitation  du  pape, 
aussi, sans  attendre  le  30  novembre,  date  du  second  ajournement 
qu'il  avait  lancé  contre  lui,  Grégoire  écrivit  le  16  de  ce  mois  une 
lettre  commune  à  l'archevêque  de  Bordeaux  et  au  comte  de  Poi- 
tou ;  il  ordonnait  à  l'archevêque  de  mettre  à  exécution  l'interdit 
prononcé  contre  Isembert  par  le  légat  Giraud,  évoque  d'Ostie;  il 
lui  confiait  le  soin  des  choses  ecclésiasiiquesdu  diocèse  avec  mis- 
sion d'avertir  le  peuple  qu'il  était  délié  de  toute  obéissance  à 
l'égard  de  son  évoque  et  il  chargeait  le  comte  de  s'occuper  des 
atTaires  temporelles  de  Févôché  ;  enfin,  il  mettait  entre  leurs 
mains  la  défense  des  intérêts  du  chapitre  de  Sainl-Hilaire  (2).  Le 
môme  jour,  le  pape  notifiait  sa  décision  à  Isombertj  en  l'ajour- 
nant au  synode  pontifical  qu'il  devait  tenir  dans  la  première 
semainedu  carême  prochain.  Illui  annonçait  en  outre  qu'il  confir- 
mait l'interdit  jeté  sur  lui  par  le  légat  et  que  s'il  ne  se  rendait  pas 
à  sa  convocation  à  la  date  prescrite,  il  serait  déposé  (3). 

Trois  jours  avant,  le  i3  novembre,  jour  des  ides,  le  pape  avait 
écrit  spécialement  à  Guy-Gcofiroy  pour  le  charger  d'une  mission 
déhcate.  Le  roi  de  France,  Philippe  1"',  se  laissait  aller,  tant  dans 
sa  vie  privée  que  dans  sa  conduite  publique,  k  tous  les  excès  aux- 
quels le  portail  sa  fougue  de  jeunesse.  Pour  se  procurer  des 
ressources^  il  n'avait  pas  craint  de  se  faire  en  quelque  sorte 


(0  Labbc;  Concilia,  X,  col,  71. 

(2)  Labbc,  Concilia^  X,  coL  bO.  La  letlre  porte  pour  date:  a  Djluin  Ronw'.Jcci- 
nio  acAlo  kal,  dccembris,  iDdiclionc  dccinia  terlia.  «  D'après  nos  iudicaliotis  précé- 
dcQtea  CCS  uotions  répondent  au  16  novembre  1075. 

(:i)  Labbc,  Concilia,  X,  col.  80;  Besly,  //isl.  des  comles,  preuves,  p.  30i  bis. 


GUY.GEOFFROY  (JUILLALMI:: 


3a  1 


détrousseur  de  grands  chcmitis  et  en  parliculier  il  avail  dépouilli^ 
de  leurs  Ijiens  des  niarchands  itulietis  ({ui  cHaienl  venus  traliquer 
en  France.  Ceux-ci  avaient  porl<^  leurs  plaintes  au  pape  qui  char- 
gea le  comle  de  l'oilou  de  faire  h  ce  sujet  des  représentulions  h 
Philippe,  de  l'inviter  à  changer  de  conduite  à  l'égard  de  l'É- 
glise, à  amender  ses  mœurs  et  surtontà  resliluer  aux  marchands 
italiens  ce  qu'il  leur  avait  enlevé',  le  tout  sous  peine  d'excommu- 
nication (1).  ^ous  croyons  assez  connaître  (juy-Geoffroy  pour 
pouvoir  aflirmer  que  la  commission  lui  fui  peu  agréable  elqu'il  la 
laissa  traîner  en  longueur,  dans  l'espoir  qu'ilen  serait  comme  de 
sa  séparation  avec  Audéarde  au  sujet  de  laquelle  aucune  décision 
formelle  n*avait  encore  été  réellement  prise.  Il  avait  déjîi  donné 
une  demi-satisfaclion  aux  scnlimenls  de  la  cour  de  Home  en  con- 
sentant à  laisser  porter  l'affaire  devant  un  synode,  mais  il  sentait 
bien  que  la  situation  emljarrassée  dans  laquelle  il  se  trouvait  ne 
pouvait  durer  et  l'on  peut  croire  que  la  décision  énergique  du 
pape  à  l'égard  d'Isembert  lui  donna  à  rélléchir.  Si  l'évêque  de 
F^oiliers  venait  à  être  déposé,  son  successeur  s'inféoderait  imman- 
quablement à  la  politique  du  Saint-Siège  et  il  entrevoyait  toutes 
les  conséquences  que  pourrait  avoir  le  déchaînement  des  foudres 
de  l'Eglise  sur  lui  et  sur  les  siens. 

Il  fallait  à  tout  prix  éviter  cette  dure  extrémité  et, pour  y  parer, 
il  résolut,  au  commencement  de  Tannée  1076,  de  se  rendre  lui- 
môme  à  Oorae  (2),  Là,  il  fit,  sans  nul  doute,  valoir  la  raison  d'état 
aux  yeux  du  Pontife,  pour  établir  un  modus  vivendi  ijui  donne- 
rait à  la  fuis  salisfaction  h  ses  désirs  secrets  et  îi  la  vindicte  pu- 
blique: la  déclaration  de  la  nullité  de  son  mariage  avec  Audéarde 
entraînerait  forcément  pour  les  enfanta  issus  de  leur  union  la 


(i)  Labbe,  Concilia,  X,  col.  83:  FJcsIy,  lli&L  des  comtes,  preuves,  p.  30 1  bis. 
Cette  lettre  est  aiosi  Jatce  :  k  Data  I\omii>,tiiibu8  Davcmbiis,iDdLCliaae  deciraa  Icrlia,  » 
ce  qui  répond  nu  i3  novembre  lojj. 

(a)  Ch.  de  Chergé,  dans  son  Mémoire  fitslarir/us  sur  l'abhoye  de  Moniierneaf  de 
Puttiers,  p.  i.^<j,  a  |)lacû  le  voyngc  de  Guy-Geoffroy  ù  Rome  à  la  fia  de  l'année  loyAï 
Palustre  (ffisl.  de  Guillaume  IX,  p.  127,  note  a)  lui  aâsifj^ae  les  premiers  mois  de 
l'anDée  1075;  Ledaia  {Histoire  sommaire  de  lu  ville  de  Poitiers,  p.  5G)  accepte 
aussi  cette  date.  Nous  croyons  avoir  dèmoalré,  en  metlaul  à  leur  vcrilablc  place  les 
événements  qui  se  sont  succédé  pendant  l'aDDcu  loyâ  et  que  nos  devanciers  ont  pla- 
cés partie  en  1074,  parlie  en  loyj.  ce  qui  a  été  pour  eux  une  cause  d'erreurs  conti- 
nuelles, que  le  voyage  de  Guy-Geoffroy  à  Rome  n'a  pu  se  faire  qu'au  commencement 
de  l'année  107O, 

21 


3aa  LES  T.OMTKS  DR  POITOU 

qualité  d'illi^gilinie  ;  le  jeune  Guilliuimo,  devenant  un  bâtard,  pour- 
rait se  voir  disputer  la  possession  du  duché  d'Aquitaine;  en  ce 
qui  le  regardait  personnellement,  il  ne  consentirait  pas  à  contrac- 
ter une  quatrième  union;  il  n'avait  pas  de  frères,  et  ne  laissant 
pas  d'héritiers  directs,  entre  les  mains  de  qui  donc  tomberait  le 
duché?  Que  de  compétitions  viendraient  à  se  produire  et  par  suite 
de  guerres  qui  pourraient  causer  à  rÉglise  dans  ces  régions  des 
désastres  incalculables  ! 

Grégoire  VU  était  un  trop  grand  politique  pour  ne  pas  saisir  la 
gravité  de  la  situation  et, dans  celte  occurrence,  préférant  le  bien 
général  au  redressement  d'une  illégalité  privée,  il  donna  dans  le 
fond  salisfaction  h  la  requête  du  duc,  tout  en  y  restant  opposé 
dans  la  forme.  Son  union  avec  Audéarde  prit  le  caractère  de  ce 
que  nous  appelons  aujourd'hui  un  mariage  morganatique;  peut- 
être  alla-l-il  jusqu'à  interdire  aux  deux  époux  la  cohabitation 
permanenle  sous  un  même  loit.  Toujours  est-il  qu'à  partir  de  celle 
date  et  même  avant,  depuis  le  jour  où  l'union  du  duc  fut  oîTiciel- 
lement  contestée,  la  duchesse  disparaîl.  Il  n'est  fait  nulle  men- 
tion d'elle  dans  les  nombreux  lexles  qui  nous  sont  parvenus  jus- 
qu'à la  mort  de  Guy-GeoITroy,  son  fils  Guillaume  comparaît  soûl 
dans  les  acles  auprès  du  duc  ;  on  aurait  par  suite  pu  la  croire 
morle,  si,  après  Tavènemenl  de  ce  fils,  dont  elle  ne  se  sépara  car- 
iai nemenl  pas  pendant  les  années  de  son  enfance,  elle  ne  repa- 
raissait dans  les  chartes  à  côté  de  lui.  Il  n'est  pas  besoin  d'autre 
preuve  pour  établir  la  nature  de  l'accord  înlervenu  entre  le  pape 
et  le  duc  d'Aquitaine,  accord  auquel  Timpératrice  Agnès  dut 
prendre  une  part  importante. 

Nous  pensons  donc  que  le  voyage  du  duc  eut  lieu  au  comment 
cernent  de  l'année  1076  et  que,  parmi  ses  compagnons,  se  trouvait 
l'évêque  Isemberl  qui,  cité  par  le  pape  au  synode  pontifical  de  la 
première  semaine  du  carême  (qui  s'ouvrit  celte  année  le  10  fé- 
vrier\  se  décida  enfin  h  répondre  h  cotte  sommation.  Son  acte 
d'obéissance  eut  les  meilleurs  résultats  ;  Grégoire  VII  régla  une 
fois  pour  toutes  les  difficultés  pendantes  entre  les  deux  prélats, 
car  à  partir  de  ce  jour  on  n'en  trouve  plus  aucune  mention  dans 
les  acles  poitevins  et  d'autre  part  Isemberl  dut  faire  toutes  les 
soumissions  que  l'on  exigea  de  lui  ;  le  pape  satisfait  le  releva  de 


r.lJY-GEOFFnOY.Gl"ILI.A(;.VlE 


3i3 


loiiles  les  peines  qu'il  availencourues,  el  il  rcnlra  si  Lien  en  p;râce 
que,  trois  ans  après,  le  13  avril  1079,  Grégoire  le  chargea  de 
prendre  en  raain  les  inlérêls  d'Hugues  de  Couhé  qu'Hugues  de 
Lusignan  voulait  dépouiller  de  ses  biens  et  l'autorisa  à  excom- 
munier ce  dernier  dans  le  cas  où  il  se  refuserait  à  donner  la  salis- 
faclion  qui  lui  élait  demandée  (1).  Toulefois,  aux  yeux  de  cer- 
lains  esprils  rigorisles,  la  soumission  d'isemborl,  ne  parut  que 
superficielle  el  l'on  dut  croire  gént^ralement  qu'il  continuait  à 
partager  la  doctrine  de  l'hérésiarque  Bérenger.  C'est  ce  qui  res- 
sort d'un  fait  qui  se  passa  lors  de  la  consécration  solennelle  de 
Montierneuf  par  le  pape  Urbain  II  en  i09G;  t'autel  des  saints 
Apôtres,  qu'lsemberl  avait  bénit  en  1082,  fut  misa  bas  pour  ce 
motif  que  le  consécrateur,  en  ce  temps-là,  n'était  pas  calholi- 
quCj  et  l'on  enédifia  un  nouveau  qui  fut  bénit  par  Guillaume,  arcli£- 
véque  de  Giesi.  Aux  yeux  du  pape  Urbain  II  et  de  son  entourage, 
Isembert  avait  évidemment  versé  dans  l'hérésie  (2). 

Le  voyage  de  Guy-GeolTroy  avait  donc  doublement  réussi  ;  il 
avait  assuré  la  transmission  naturelle  du  pouvoir  après  sa  mort 
en  faisant  reconnaître  la  légilimilé  de  la  naissance  de  son  fils 
aîné  et  d'autre  pari  il  avait  ramené  la  paix  dans  ses  états  on  met- 
tant (in  à  la  mésinlelligoncc  entre  TévÈque  de  ï'ailiers  et  l'ar- 
chevêque de  Bordeaux.  Mais  ces  résultais  n'avaient  pas  été  obte- 
nus sans  de  lourds  sacrifices,  ainsi  que  le  comte  se  décida  un  jour 
à  l'avouer  {3). 

Parmi  les  «  pénitences  >)  qui  lui  furent  imposées  par  Grégoire  VII, 
il  en  était  une  qui  consistait  spécialement  dans  la  fondation 
d'un  élablissemenl  religieux  à  laquelle  le  pape  s'associerait  par 
la  délivrance  d'une  bulle  spéciale  lui  concédant  les  privilèges 
ecclésiastiques  et  que  le  comte  doterait  richement,  tant  à  l'aide 
de  ses  propres  biens  qu'avec  les  fiefs  que  ses  barons  tenaient  de 
lui  el  qu'ils  abandonneraient  gracieusement  pour  celte  œuvre. 


(i)  Labbe,  Concilia,  X,  col.  219  ;  Beslj,  Hist.  des  comtes,  p.  35?  bis.  I.a  IcUre  csl 
ainsi  datée:  <c  Idibus  aprltis,  indict.  lu.  t> 

(2)  «  <Juia  adeo  noQ  eral  catiiolicus.  u  Arch.  de  la  Vienne,  cbroa.  du  moine  Martin, 
<t-  iJescriptio  allariorum;  »  de  Chcrs^é,  Afém.  sur  Montiernenf,  p.  aCo. 

(3)  Voy.  dans  D.  Fonteneau,  XlX,  p,  77,  la  charte  de  launce  108O,  donl  il  sera 
ci-aprés  queslion;  elle  a  élè  publiée  par  M.  de  Cliergé,  Mémoire  sur  Montierneuf', 
p.  a49- 


Si4 


LES  COMTES  DE  POITOU 


LecomlehésUa  quelque  temps  sur  le  Hpu  oii  il  lui  serait  loisible 
de  salislaircà  son  cngageinoiil.  Son  choix  se  Hxa  succe«.sivement 
sur  un  emplacomenl  sis  près  du  cliùteau  de  Niorl,sur  le  bourg 
de  Benon  el  sur  l'île  d'Oléron.  M  lis  aucune  de  ces  localités  ne  lui 
convenailcl  ii  se  rabattit  alors  sur  une  maison  qui  était  déjà  éta- 
blie, mais  assurément  dans  des  proportions  autrement  moindres 
que  celles  que  réclamait  le  pape(l).En  1009,  Guy-GeofTroy  avait 
enlrepris  dans  sa  capitale  la  construction  do  réalise  de  Sainl-Jean 
FÉvangélislc,  mais  selon  loule  apparence  elle  ne  devait  être  dans 
sa  pensée  que  le  noyau  d'un  élablissemenl  de  second  ordre,  du 
genre  du  chapitre  de  Saint-Nicolas,  h  la  fondation  duquel  la 
comtesse  Agnès  l'avait  associé  dans  son  enfance.  Comme  Saint- 
Nicolas,  l'église  nouvelle  s'élevait  en  dehors  de  Fenceintede  Poi- 
lijjrs;  la  première  était  placée  au  sud  de  la  ville  sur  le  plateau,  la 
seconde  fui  édifiée  au  nord  dans  un  lieu  appelé  les  Chasseigncs, 
au  pied  de  la  colline  que  couvrait  la  cité,  près  du  conihient  de  la 
BoivrG  el  du  Clain  et  à  proximité  de  la  voie  romaine  de  Tours  à 
Poiliersqui,  non  loin  de  là,  traversait  d'ancienneté  le  Clain  par 
tin  gué  pavé  (2).  Le  premier  soin  du  comte  avait  été  de  faire 
remplacer  ce  gué  par  un  pont, qui, peut-être  dès  1077,  est  appelé 
le  Ponl-Neuf  et  en  môme  temps  une  population  assez  considé- 
rable, attirée  parles  travaux  qui  s'exécutaient  sur  ce  point,  vint 
se  grouper  autour  des  terrains  que  le  comte  avait  délimités  pour 
rédiPicalton  de  rétablissement  qu'il  avait  en  vue  et  y  construisit 
assez  d'habilalions  pour  qu'au  conimenceiucnt  de  l'année  1077 
celle  agglomération  pût  être  considérée  comme  un  bourg,  le 
bourg  de  Monlierneuf(3}. 

Ce  nom  de  Montierneuf  est  caractér'istique.  Il  ne  s'agit  plus 

(i)  Arch.  de  la  Vienne,  chron.  du  moine  Marlin  :  a  Quoi  inoûaslcria  regulafi 
ordmc  lieslitula  rcforniavil  ». 

(a)  Ce  gué  a  été  recoonu  en  i8i)7  c(  i8,)S  lors  de  In  rcconslruclion  du  pont  da 
I\ochcrcuil;  la  base  des  piles  de  ce  pont  éluil  appuyée  contre  les  fondallons  dti  gué 
placées  en  aval,  lcsi|uelles  consislaient  en  d'énormes  blocs  de  rochers  surnaonlés  d'un 
pavage  en  larpes  dallea. 

(3)  Dana  l'acle  de  conErmalion  des  prlvîlèsi'es  de  l'abbaye  de  MonlicrneuT  émané  de 
Guillaume  Vil  on  lit  ces  mois:  «  Concedo  pedagium  ponlis  uovi  (oluni,  sicut  lenipore 
palris  mei  habucrunl  »  {Arch.  hist .  du  Poitou,  XKIX,  p.yS.Trésor  des  Charles),  On 
pjul  croire  cjuc  la  conslruclion  du  pool  concorda  h  lout  le  moins  avec  l'élablîssemeat 
du  monastère,  s'il  ne  lui  csl  pas  aotéricur  el  si  Guy-GeofTroj  u'avail  p.is  eu  l'iaten- 
lion  première,  en  procédant  à  ccUe  entreprise,  de  faciliter  les  accès  de  la  ville  de 
Poitiers. 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


3î5 


de  l'église  de  Stiint-Jcan  rEvaii^éliste  qui,  selon  loule  vraisem- 
blance, ne  devait  ôlre  qu'un  eliajjilre,  «  ecclesia,  »  mais  bien  d'un 
monaslùre  qui  eut  l'iniporlance  de  ceux  donl  l'origine  se  per Juit 
dans  la  nuil  des  temps,  tels  que  Sainle-Croix  ou  Sainl-Maixenl,ou 
richeinentdol(^s  comme  Sainl-Cyprien,  el  qui  rappelai  la  dernière 
création  en  ce  genre  des  comtes  de  Poitou,  celle  do  Maillezais,  qui 
avait  près  d'un  sircle  d'existence.  Le  pape  l'avait  ainsi  voulu  et  le 
comte  s'exécuta.  Aussi  ne  lut-il  désigné  que  sous  celte  appellation 
générale  de  Moutier,  «  monaslerium,  "  î\  laquelle  lut  adjoint  le 
qualificatif  de  nouveau,  «  novum,  »  pour  lo  distinguer  de  ceux 
qui  existaient  déjà  à  Poitiers;  enfin,  selon  le  parler  poitevin,  ce 
fut  le  iMûnlierneuf(l). 

Pendant  que  lesouvriers  travaillaient  avec  activité,  cl  sans  doute 
sur  de  nouveaux  plans,  à  la  construction  du  monastère  dans  lequel 
devait  être  englobée  l'église  de  Saint-Jean  rÉvangélisle,  le  comte 
reprit  ses  pérégrinations  ordinaires.  Dans  le  courant  de  l'année 
1076  il  se  trouvait  à  Vouvanl,  entouré  d'une  nombreuse  compa- 
gnie dans  laquelle  on  remarquait  Aimeri  et  Savari,  vicomtes  de 
Thouars,  et  là,  dans  la  maison  d'Airaud  Gaissedenier,  l'un  de 
ses  (idèbjs.  il  confirma  la  fondation  de  l'abbaye  de  Nieuil-sur- 
l'Aulise  faite  par  ce  dernier  en  I06U.  Il  crut  même  devoir  ajouter 
quelque  largesse  ù  la  dotalion  d'Airaud;  il  concéda  aux  moines 
un  droit  d'usage  dans  la  forêt  de  Mervent  et  autorisa  ses  fidèles 
à  leur  abandonner  cetfu'il  leur  conviendrait  dans  les  fiefs  qu*ils 
tenaient  de  lui  (2). 


(i)  Ce  nom  typique  de  Montierneuf,  pris  dans  son  seas  absolu  et  oaomaslique,  se 
rencontre  pour  la  prcmicrB  fois  dans  les  souscriptions  de  la  charte  de  io86  déjà  citée 
(p.  323,  uole  i'  :  «  Claufredo  Novi  Moaasierii  fundatore,  » 

(2)  Arnauld,  Hisl.  de  l'abbaye  de  Nieuil-sur-rAulisc  [Mém,  de  tu  Soc.  de  stnlîsti' 
que  des  Deii.r-SVvrex,  a"  série,  II,  p.  3G8)  ;  Uesly,  //isi.  des  comtes^  preuves,  p.  SjS; 
Gallia  Christ.,  Il,  instr.,  col.  365.  Lu  rédaction  quei(|uc  peu  ambij^ui'  de  la  chrooi- 
que  de  Saial-Maixeut  a  porte  certains  historicas  â  attribuer  à  Guy-GeofTroy  la  fonda- 
tion des  abbayes  de  Nicuit  et  de  Saint-Séverio  quVltc  rapporte  à  l'année  ioGq,  ù  la 
Huite  de  celle  de  Montierncur.  MM.  Marchegay  et  Mnbille,  dans  leur  édilioo  de  ta 
Chronique  (p,  l\of\],  ont  donné  corps  à  cette  manière  de  voir  en  inlcrcalact  arbitrat- 
rcmenl  le  mol  <i  quoque  »  daos  son  texte  à  la  suite  de  l'indication  de  la  foudalioa  de 
Mouiierocuf.  Nous  croyous  qu'ils  se  seraient  èv^ilé  cette  erreur  si,  sans  tenir  compte 
des  opinions  erronées  émises  avant  eux,  ils  avaient  examiné  atten  ivemenl  le  texte 
qu'ils  publiaient.  Ils  y  auraient  vu  que  l'auteur  de  la  chronique  rappelle  dans  ce  pa- 
rai^raphe  la  foadalioii  de  quatre  nionusléres:  la  Charité,  Monlierueuf,  Sainl-Scverin 
et^ieuil;  que  documenté  seulement  pour  les  deux  premiers  il  nous  fait  connaître  les 
noms  de  leurs  fondateurs  el  que  n'ayant  rien  à  dire  pour  les  deux  derniers,  il  en 


SaC  LKS  COMTliS  DE  POITOU 

Avant  ou  après  ce  voyage,  raaîs  dans  1VH6,  Guy-Geoffroy  se 
rendil  à  Angoulême  pour  visiter  son  fidèle  conseiller  l'évêque 
tiuillaume,  que  la  maladie  relenail  doué  au  lil  dans  sa  ville  épis- 
copale.  L'évoque  avait  sans  doute  bien  des  peccadilles  sur  la 
conscience,  aussi,  l'un  dos  compagnons  du  duc,  Eudes,  abbé  de 
Saint-Jean  d'Angély,  lui  ayant  rappelé  que,  pour  avoir  rémission 
de  ses  péchés,  il  n'était  œuvre  plus  profitable  que  de  l'aire  des 
largesses  aux  éf?lises,  obtint-il  de  lui  qu'il  fît  don  ;i  son  monastère 
de  la  portion  qu'il  prélevait  sur  les  revenus  de  l'autel  du  Précur- 
seur à  Sainl-Jean  d'Angély,  droits  qui  étaient  d'un  quart  et  dont 
les  moines  possédaient  déjà  la  moitié.  Comme  l'évfique  tenait  ce 
revenu  en  bénéfice  du  comte  de  Poitou,  celui-ci  renonça  séance 
tenante  à  tous  ses  droits  de  seigneurie  el  en  lit  Tabandon  figu- 
ré à  lùides  par  la  remise  d'un  livre  ;  toutefois,  il  mit  une  condi- 
tion à  sa  générosité,  c'est  que  l'abbé  recevrait  au  nombre  de  ses 
moines  un  pauvre  clerc,  qui  prierai!  Dieu  pour  l'Ame  du  duc 
et  celle  de  l'évêque  ;  celui-ci  mourut  peu  après,  le  20  septem- 
bre iû7«  (1). 

Le  duc  était  de  retour  à  Poitiers  quand,  au  commencement 
d'oclobre,  le  roi  de  France.  Pbiliiipe  P%  arriva  inopinément  dans 
cette  ville  (2).  H  était  accompagné  de  son  frère  Hugues  le  Grand, 
de  Foulques,  évéque  non  consacré  d'Amiens,  de  Goderan  de 
Sentis,  son  cbambrier,  de  Guy,  comie  de  Nevers,  el  autres.  Le 
roi  venait  demander  secours  au  comte  de  Poitou  contre  Guillaume 
le  Bâtard,  roi  d'Angleterre,  qui,  le  mois  précédent,  avait  mis  lo 


donne  aimplemenl  le  oom  en  sous-entcnJanl  les  mois  «  iaclioata  »  ou  «  incepta  » 
qu'il  a  employés  pour  les  deux  premiers.  Fuluslrc,  qui  savait  comme  dous  le  nom 
du  fondateur  de  Nieitil,  n'ii  pa»  su  prcadre  rrunchcmcot  parti;  il  a  cru  devoir  conci- 
lier  le  texte  de  la  cliroiii^jue  uvec  uos  aouveUes  coaouissuaces  bisloriques  et  rejeter  ce 
qui  concerunil  Nieuii  tout  va  coaservanl  ce  qui  avait  rapport  A  Soiol-Séverin  dont  il 
aUribue  ]a  foadatlou  A  Guy-GeofFroy  (I/is(.  de  GiiilUiiime  IX,  p,  loi).  Rien  ne 
Tautorisait  à  agir  ainsi,  bien  au  coatraire,  car  l'on  peut  assurer  que  si  la  foQdAlioo 
de  Saint-Séveria  eût  été  l'œuvre  d'un  comte  de  Poitou,  ce  n'est  pas  un  seul  acte  de 
celui-ci  que  nous  aurions  à  enregistrer, mais  un  grand  nombre,  comme  dous  pouvons 
le  prouver  pour  toutes  leurs  autres  foodaltons.  Celle  de  Saiul-Séveria  est  due  à  un 
riche  sciçneur  de  la  repion  où  l'abbaye  est  située,  peut-titre  à   un  vicomte  d'Aunay. 

(i)  D.  FoQieucau,  LXII,  p.  Clii.  Parmi  les  témoins  de  cet  acte  se  trouvent  Uoson, 
évèque  de  Saintes,  et  le  comte  Foulques  d'Aogoulômc, frère  de  levèque,  ce  qui  témoi- 
gne que  les  deux  frères  vivaient  aiurs  en  bonne  intelligence.  (Voy.  Hitt.  pontif.  et 
comit.Eiigolism,,  p.  38.) 

(a)  .Marchegay,  Cfu^on.  deségl.  cC Anjou,  p.  4oft»  Saiol-Malxent. 


siège  devant  la  ville  de  Uol  en  Urelagne  (Ij .  La  présence  du  roi 
est  conslulée  h  Poitiers  le  9  et  le  M  octobre.  Le  9,  il  apposa  sa 
croix  au  bas  de  la  charte  portant  alTraiichissemcnt  d'un  coUibert 
fail  par  les  chanoines  do  Saint-llilaire,  après  celles  de  *iuy-Geoffroy 
et  de  rarclievêque  Joscelin  (2),  el,  le  !4  octobre^  il  délivra  un 
diplôme  en  vertu  duquel  il  autorisait  loule  personne,  homme  ou 
femme,  tenant  quelque  fief  du  domaine  de  la  couronne,  d'en 
faire  don  au  nouveau  monaslère,  à  Monlierneuf.  Une  réserve  fui 
toutefois  insérée  dans  celle  concession  ;  ^elle  concernait  les 
domaines  de  la  trésorerie  de  Saint-.Marlin  deTours  et  fut  évidem- 
ment prise  à  l'insligalion  du  trésorier  de  Saint-Martin,  Kegnaud, 
qui  faisait  partie  delà  suite  du  roi  (3). 


(i)  Marclicgay,  Chron.  des  étjl,  (VAniou:  chroo.de  Raînoud,  archidiacre  d'Angers, 
p,  11  dp.  i3,  aole  i  ;  chron.  deSaint-Aubia  d'Angers, p.  aG;  cliroD.  de  Saiut-Sergc 
d'Aogcrs,  p.  i38. 

(a)  lU-del  {Documents  poar  Saint'ffilairej  l,  p.  96)  donne  à  cet  acte  la  date  de 
1077.  Nous  ne  saurions  en  aucune  façon  acce(>ler  celle  atiribulion,  qui  esl  démentie 
aussi  bien  par  le  texte  de  la  chronique  de  Sainl-.Maixcnl,  qui  place  en  1071)  la  venue 
du  roi  de  France  ili  Poitiers,  que  par  les  divers  lërnoijçnatç^es  de  l'histoire  qui  élublis- 
aenl  qu'en  1076  cul  lieu  ht  CHinpatçnc  de  Phihppe  coulre  les  Normands,  retalée  dans 
la  charle  doni  il  est  ici  quesliun.  Celle-ci,  duut  l'orig-inal  existe  aux  Archives  de  la 
Vienne  (Sainl-llilaire,  orii;^.,  n"  G81,  csl  fort  cudonimai^éc  par  rhutuidiié;  on  y  peut 
lire  la  mentiou  du  mois  et  de  son  (luanliême  (le  7  des  ides  d'oclobrcl,  mais  celle  de 
l'année  a  disparu. L'indication  de  réjiaclc  a  survécu  el  elle  es!  marquée  par  le  chiFIVe 
xxm  ;  or,  comme  cette  épaclo  correspond  à  Tannée  1077,  Rçdet  en  a  conclu,  sons 
s'occuper  des  synchronismes,  ([ue celle  date  étail  celle  qii'd  cimvcaaild'accepler;  mais 
il  y  a  lieu  de  faire  remarquer  que,  selon  le  calcul  dos  épactes  égyptiennes,  employées 
quelqueroi!<,  le  chiffre  de  l'cpactc  pour  les  quatre  derniers  mois  de  l'année  1076  serait 
xAin,  nous  prcfcrons  nous  rattacher  à  ce  comput  qui  se  trouve  d'accord  avec  la  date 
véritaiile  de  la  charle  plulôl  que  de  croire  à  une  erreur  du  scribe. 

(3)  Besly,  Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  365  bis.  La  publication  de  celte  pièce  a 
été  faite  avec  assez  peu  de  soin,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  comparant  son 
texte  avec  celui  de  l'oriifinal  (Arch.  de  la  Vienne,  Monlierneuf,  l)  :  Besly  a  particu- 
lièrement omis  dan»  la  date  le  mot  <f  pridie  »  avant  «  idarura  >>,ce  qui  fiiit  qued'aprcs  lui 
oa  a  g-énéraleracnt  daté  ce  diplôme  du  iS  octobre,  tandis  qu'il  csl  réellement  du  iq. 
M.  de  Chert^é  a  consacré  plusieurs  paçes  de  son  Mémoire  sur  l'aUjoye  de  Afontier- 
neaj  (pp.  160  h  168)  à  une  dëmonstralion  contre  lafiuclle  nous  nous  inscrivons  en 
faux,  il  a  voulu  établir  que  le  dipUjmc  de  Philippe  l«  n*esl  pas  de  Tannée  I07t5,  mais 
bien  de  1073.  Par  suite,  îl  avance  d'une  auuée  la  venue  do  roi  à  Poitiers.  11  ne 
lient  aucun  compte  ni  de  la  date  bien  certaine  inscrite  sur  l'acte  orii^inal,  ai  des  indi- 
cations positives  fournies  par  les  chroniques  poileviDes,  angevines  ou  ang-laises,  dont 
l'une  nous  apprend  que  le  sicçe  de  Dol  dura  quarante  jours.  La  vérité  se  trouve  pour 
lui  dans  deux  liisloriens  anglais  qui,  sans  tenir  compte  des  textes  orij^înaux,  placent 
en  i07ri  le  retour  de  Guillaume  en  Normandie  et  ses  tentatives  sur  la  Hretaji^ne.  Celle 
erreur,  que  l'on  pourrait  presque  appeler  x'oulue, s'est  produite  par  suite  de  la  uéces- 
sîté  où  se  trouvait  M.  de  Chcrçé  de  juslîHer  ses  théories  premières  qui  pla(;aienl  en 
1075  le  second  voyascede  Guy-Geoffroy  à  Rome  et,  par  suite,  la  construction  de  l'ab- 
baye. Palustre  a  cru  devoir  ac  ranger  à  Topinion  de  M.  de  Chergé  (p.  iïq,  note  1), 
mais  son  témoignage  perd  bien  de  sa  valeur  qaand  ou  constate  qu'il  s'est  simplement 


Sit 


LliS  COMTES  DE  l'OITOU 


Le  dtic  d*Ar|iiila[ne  fui  assurément  surpri  s  par  la  venue  de  son 
suzerain  (1)  et  nous  iuî  savons  s'il  [irolila  de  l'occasion  pour  lui 
faire  les adnioneslalions  dont  le  pape  l'avait  précédemment  chargé. 
Il  est  fort  possible  qu'il  n'en  ail  rien  él*'!  et  qu'il  ail  cru  plus  oppor- 
tun de  se  laire  alln  d'obtenir  du  roi  celte  charte  précieuse  qui 
donnaitdesuite  un  grand  relief  fi  sa  nouvelle  création,  avant  inôme 
qu'elle  eiU  reçu  de  lui  sa  consécration  dernière.  Le  séjour  de 
Pliilippe  fut  du  reste  très  court;  après  avoir  reçu  du  duc  Faide 
qu'il  atlendail  de  lu[,  il  repai'til  aussitôt  et,  secondéaussi  par  les 
Angevins,  il  réussit  à  contraindre  le  roi  d'Angleterre  de  lever  le 
siège  de  Dot  (2).  Toujours  est-il  que  Guy-GeotTroy,  par  la  confir- 
mation anticipée  qu'il  avait  obtenue  pour  la  dotation  du  monastère 
qu'il  conslruisail,  donnai!  pour  la  première  fuis  un  corps  certain 
aux  engagements  qu'il  avait  pris  avec  le  pape.  Le  diplôme  du  roi  de 
France  fut  lepoinldedépart  de  loulcuncséried'actesqui  devaient 
concourir  à  la  cunslilulion  définitive  du  nouvel  établissement. 


laissé  égAV6r  par  les  subiililés  de  aon  devancier  sans  avoir  pris  la  peine  de  conlrâler 
ses  dires  sur  les  actes  eux-mêmes.  Ainsi  il  écrit  {/Jist.  t!e  Gaillartme  IX,  p.  i33)  que 
«  le  roi  revclil  de  son  sccini  ruyal  l'aclc  de  fond.ilion  de  la  riche  obbayc  projelée  Jc- 
«  puis  queUjues  mois  ».  Or  Pliilippe,  dans  l'acle  précilt;  ((]ui  n'est  uullcmcaL  celui  de 
la  fondalion  du  monustèrc),  dccl.ire  expressément  que,  ne  pouvant  lairc  apposer  soQ 
sceau  nu  bas  de  l'acle  aLlcnilu  iju'il  iie  l'a  pas  apporta  avec  lui,  it  y  trace  sa  croix  de 
sa  propre  main,  «  crticc  t'acta  in  iiircriuri  mar^inc  bujus  carie  propriia  manibus  Hr- 
maviinus  ».  Eu  effet, au  ba<i  de  Tactoet  prccudant  la  date, se  trouve  ta  croix  autogra- 
phe du  roi  ainsi  désignées  llt'c  crti.v  y  sifjniim  Pfiifi/u  régis.  Celle  curieuse  indica- 
tion a  lilé  omise  dans  la  copie  de  Besly,  Nous  ajouterons  que  cet  acle  e'inaae  de  In 
chuni;cllcrie  du  chapitre  de  Saiol-Hil.rire,  ainsi  que  le  léraoi^'nc  l'idcutilé  de  son 
écrilurc  avec  celle  de  la  charte  dj  eut  établissement  dont  il  a  ixé.  parlé  plus  haut  et 
qui  porte  elle  aussi  la  croix  aulograpfie  de  Philippe. 

(i)  C'est  à  bon  estent  que  nous  avons  employé  plus  haut  le  root  inopiaément  pour 
exp  imer  le  caractère  de  la  venue  de  Philippe  à  Poitiers;  il  est  la  traduction  lillérale 
de  l'expression  «  forte  >■  qui  se  trouve  dans  ta  chronique  de  Saiol*Maixenl  et  qui  peint 
parfailcnicnl  la  silualiou.  Le  roi  de  France  arriva  à  Poitiers  avec  due  troupe  peu  nom- 
breuse de  compaynons;  vcuaal  simplement  de  Tours,  eu  solliciteur,  auprès  du  comte 
de  Poitou,  il  ne  pensait  pas  qu'il  aurait,  pendniit  le  court  séjour  iju'il  avait  en  vue, 
à  délivrer  un  acte  authentique  et  c'esl  pourquoi  il  oe  s'élail  pas  lait  acconipas^ucr  de 
son  chancelier,  porteur  du  sceau  royal  ;  du  reste  lui-même  dit  dans  Tacte,  pour  justi- 
fier celle  incorrection,  qu'il  esl  venu  en  toute  h;lle  vers  le  duc  et  sans  cérémonie: 
a  Cum  mag^ua  fcstinatione  el  minus  privale.  u 

(ï)  Nous  n'insisterons  pas  plus  ([u'il  ne  laut  sur  celte  assertion  risquée  de  Palustre 
(p  i!i3),  que  la  première  pierre  du  monastère  fut  peut-être  posée  à  l'occasion  de  la 
délivrance  du  diplùma  de  Philippe.  Nous  nous  contenterons  de  renvoyer  au  diplôme 
lui-miiQS  où  le  roi  dit  que  le  duc  lui  u  demande  d'accorder  la  faveur  qu'il  précise  au 
monastère  qu'il  faisait  élever  dans  te  faubjjrjj  de  Poitiers,  »  quod  ipse  iclilicarô 
fncil  «.  Du  momeot  que  l'édifice  était  en  construcUon,  la  première  pierre  était  donc 
depuis  longtemps  pisée. 


d'Y-GEOFFIlOY-GUILLAUMI'] 


D'abord  le  duc  commença  par  en  faire  don  à  Cliiny  on  lui 
octroyant  en  mêoîc  temps  tous  les  privilèges  d'immunité,  c'osl- 
à-dire  des  franchises  dont  il  pouvait  disposer,  en  se  modelant 
pour  ce  faire  sur  ceux  qu'accordaient  aulrefois  les  rois  car- 
lovingiens  aux  monastères  qu'ils  voulaient  pourvoir  de  faveurs 
spéciales  (i).  Cet  abandon  pur  et  simple  fait  à  la  grande  abbaye 
de  Bourgogne  était  une  des  premières  condilions  imposées 
par  le  pape  au  duc;  Cluny,  depuis  sa  réforme,  avait  peu  à  peu 
établi  sa  prépondératico  sur  plusieurs  monastères  de  l'Aquilaine 
el  particulièrement  du  Poitou,  qui  se  résignaient  à  vivre  sous  sa 
règle.  !1  mettait  à  leur  lêle  des  religieux  pris  dans  son  sein  el 
d'aulre  part  se  faisait  attribuer,  par  les  comtes  ou  de  grands  sei- 
gneurs, d'importants  domaines  où  il  établissait  dos  obédiences. 
iMonlicrneuf  devait  être  la  plus  puissante  do  toutes  el  rumplir  en 
quelque  sorte  dans  ces  régions  le  rôle  <le  succursale  de  la  maison- 
mère.  Tel  est  le  but  que  poursuivait  IIugues_,  le  célèbre  abbé  qui 
présidait  avec  une  activité  infatigable  h  ce  grand  mouvement. 

Il  n'attendit  pas  que  la  consiruclion  du  monastère,  trop  lente 
sans  doute  à  son  gré,  filt  achevée  pour  se  le  faire  abandonner. 
Il  le  reçut  dans  l'état  où  il  se  trouvait,  avec  les  travaux  en  chan- 
"lier,  travaux  que  le  comte  ne  pouvait  terminer  sur  l'Iieurc,  mais 
qu'avec  le  temps  il  s'engageait  à  parfaire  en  se  conformant  au  plan 
primitivement  établi.  Il  avait  voulu  faire  grand  el  avait  chargé  un 
moine,  Ponce,  sorti  sans  doule  de  Cluny,  d'être  l'interprète  de 
ses  aspirations  ;  mais  ses  ressources  pécuniaires  étaient  assuré- 
ment insuffisantes  pour  subvenir  aux  frais  de  l'énorme  chanlier 
qu'il  avait  entrepris,  d'autant  plus  qu'il  voulait  y  pourvoir  avec 
ses  revenus  ordinaires  et  qu'il  ne  chercha  pas  a  se  procurer  de 
l'argent  par   l'aliénation  de  q  uelque  portion  de   son  domaine, 


(i)  Le  loxte  de  la  longue  formule  J'immunîlc  coasisçoéc  daa3  cctacle  a  clé  purement 
et  simplement  cmprunlé  ù  un  recueil  spécial,  celui  île  Marculfc.  Kllc  csl  la  même 
que  cells  einploycie  par  Louis  le  DébooDairc  dans  le  diplôme  qu'il  accorda  ea  8i5  à 
l'abbaye  de  Saint-.Maixeul  (Voy.  A.  Richard,  Chartes  de  Vahbaije  de  Saint-Maixent, 
I,  p.  3),  et  l'on  n'a  pas  pris  soin  d'ealcver  à  celle-ci  ce  qui  n'était  plus  ea  rapport 
avec  l'étal  de  la  société,  alors  qu'elle  faisuit  une  distinction  entre  les  hommes  libres 
«i  inçenuus  v  el  les  serfs  «  servos  )i.  Le  mol  d'immunilc  est  du  reste  relaté  dans 
l'acte  quand  le  comte  dit  que  l'abbé  de  Cluny  possédera  les  biens  du  monastère  en 
paix  sous  la  garantie  de  l'immuntlé  qu'il  lui  a  accordée:  <t  sub  cmunitatis  nostro  de- 
feosione  quietu  ordine  possidere  v(Bruel,  Chartes  de  Clumj,  IVtP>  611). 


33o 


LES  COMTES  DE  POITOU 


domaine  nolablemont  diminua  du  reste  par  les  gén4iosil6s  de  ses 
prùdécosseyrs,  coiilre  lesquelles  nous  l'avûiis  vu,  au  contraire, 
souvent  réagir. 

Lorsque  les  lieux  seraientsuffisamnient  raisenôtal.de  (elle  série 
qu'une  comniunaulé  piU  y  vivre  en  paix  et  y  pratiquer  sa  règle, 
Hugues  devait  y  envoyer  une  troupe  de  moines,  dirigés  par  un 
abbé,  pour  les  occuper  et  prier  pour  le  salut  de  l'âine  du  fonda- 
four,  de  ses  parents  et  de  tous  les  fidèles  chrétiens.  Quand  Guy- 
(IcofTroy  fil  rédiger  la  charte  relatant  toutes  ces  dispositions  se 
trouvaient  à  ses  côtés  Tarchevôque  de  Bordeaux,  les  évêques  de 
Saintes  et  de  Poitiers,  Aimeri  et  Savari,  vicomtes  de  Thouars, 
ïsembert  de  Chàtelaillon  el  de  nombreux  seigneurs  du  Poitou  (1). 

Pourvu  de  cet  acte  imporkml  qui  assurait  sa  suprématie  surle 
nouveau  monastère  de  Poitiers,  l'abbé  deCluny  le  transmît  aus- 
sitôt au  pape  qui,  par  une  bulle  du  0  décembre  107C,le  confirma 
sans  tarder(2)..Muiscen'ctail  pas  tout.  Lediplùme  du  roi  de  France, 
la  donation  du  comte  à  Cluny,  la  bulle  du  pape  pouvaient  rester 
presque  sans  elTet  s'il  plaisait  à  Guy-Geolïroy  de  ne  pas  donner 
suite  h  son  entreprise  ou  s'il  venait  à  mourir  avant  qu'il  eût  mo- 
nunienté  les  inlentionsqu'ilavail  manifestées  à  plusieurs  reprises. 
De  fait  le  nouveau  monastère  n'existait  pas.  Celle  façon  d'agir, 
contraire  â  tout  ce  qui  se  passait  d'ordinaire,  nous  dévoile  l'état 
d'esprit  du  comte,  llélail  tiraillé  entre  la  nécessité  où  il  se  trouvait 
de  satisfaire  aux  engagements  qu'il  avait  solennellement  pris  et 
le  déchirement  que  lui  causait  l'abandon  de  tant  de  biens.  Il  lui 
fallut  pourtant  s'exécuter,  et  le  28  janvier  1077  fut  délivrée  la 
charte  qui  donnait  véritablement  la  vie  à  Monlierneuf  en  lui  assu- 
rant une  dotation  splendide.  Le  comte,  renouvelant  sa  donation  à 
Cluny  el  ptaçaul  le  monastère  sous  la  direction  d'Hugues  et  de 
ses  successeurs,  déclara  qu'il  l'avait  construit  sur  son  propre 
alleu  el  qu'en  conséquence  il  serait  à  toujours  franc  et  quitte  de 


(i)  Bruel,  Chartes  lie  Cluny,  IV,  p.  Cio,  CcUc  charte, dont  l'ongioal  se  trouve  è  la 
liibliolbt'ijuc  Nalionnle,ae  porle  pas  d'ûutretiidicatiaQ  dedalequeccllc  de  Tannée  1076. 
Elle  esl  postérieure  au  passaçc  du  roi  de  France  à  Poiliers  puisque  le  diplôme  de  Hii- 
lippe  ne  tnenlionoe  pas  ceUe  donation  de  Muntierneuf  à  Cluuy  el  d'aulre  part  qu'elle- 
niiWne  était  arrivée  à  lloaieJtvant  le 9  décembre,  date  de  sa  coofcirmation  par  Grégoire  VII. 
Ùa  dait  doue  In  placer  à  la  liu  d'octobre  ou  au  commeocemciil  de  novembre  1076. 

(2)  Druel,  Charles  de  Clunij,  IV,  p.  612.  L'original  de  celle  bulle  csl  au  Musée 
briuinniquc  à  Londres. 


lui  donna  en  plus  l'eaudu  Clain  et  r^langqui  lui  étaient  conligus 
avec  tous  droits  de  pêcheries  ainsi  que  le  moulin  silué  sur  ces 
eaux,  puis  le  bourg  de  Sainl-Salurnin  de  Poiliers  avec  ses  tan- 
neurs, les  villas  d'Agressay  el  de  Meulière  el  plusieurs  autres 
domaines  situés  lant  enPoilou  qu'en  Saintonge  et  en  Bordelais. 
Depuis  que  le  Bas- Poitou, ce  réservoir  où  s'alimenlèrenl  si  long- 
temps tes  comtes  de  Poitou  pour  faire  leurs  générosilés,  était 
épuisé,  c'est  lu  SainLonge  qui  leur  tburnissait  généralement  les 
éléments  de  leurs  largesses.  Guy-GeolTroy  autorisait  enfin  ses  che- 
valiers et  les  hommes  qui  étaient  placés  dans  sa  sujétion  à  dispo- 
ser de  leurs  fiefs  en  faveur  de  sa  nouvelle  création. 

L'abbé  de  Cluny  ne  se  trouvait  pas  en  ce  moment  auprès  du 
comte,  il  était  remplacé  par  Eudes,  abbé  de  Saint-Jean  d*An- 
gély,  l'actif  représentant  de  son  ordre  en  Aquitaine,  qui  reçut  cet 
acte,  auquel  assistèrent  seulement  trois  chevaliers,  à  savoir  : 
Hugues  de  Lusignan,  Boreau  de  Montrcuil  et  Girbert  de  Saint- 
Jean.  La  présence  de  ces  trois  témoins  n'était  pas  fortuite;  en 
effet, parmi  les  domaines  dont  le  comte  faisait  l'abandon  à  Cluny, 
il  en  est  qui  ne  lui  appartenaient  pas  et  étaient  réellement  la 
propriété  de  ces  trois  chevaliers.  Ceux-ci  en  avaient  été  ingé- 
nieusement dépouillés.  Voici  ce  qui  s'était  passé:  dans  un  blanc, 
que  le  rédacteur  de  la  charte  d'octobre  ou  de  novembre  précé- 
dent avait  laissé  entre  le  corps  de  l'acte  et  les  signatures,  Guy- 
Geoffroy  avait  fait  insérer  un  nouveau  don  de  sa  part,  consistant 
dans  ces  domaines,  sans  que  leurs  détenteurs  y  eussent  donné 
leur  assentiment;  c'est  seulement  dans  cette  journée  du  28  jan- 
vier qu'ils  vinrent  le  reconnaître  crf  comparaissant  comme 
témoins.  Comme  dans  l'acte  précédent,  un  blanc  fut  laissé  dans 
celui-ci  à  la  suite  de  l'énuméralion  des  biens  composant  la  dota- 
tion de  Tabbaye  pour  y  placer  les  témoignages  de  nouvelles  géné- 
rosilés, mais  la  place  est  restée  vide  et  ne  sert  qu'à  nous  édifier 
sur  les  procédés  suivis  par  le  comte  deH^oilou  pour  amener  ses 
sujets  laïques  ou  religieuxà  faire  à  son  œuvre  des  libéralités  qui, 
la  plupart  du  temps,  n'étaient  rien  moins  que  sponlanées  (1). 

(i)  Rruel,  Chartes  dt  Cluny,  Vf,  p.  630,  d'après  l'orig^ioal.  Cet  érudit  iadiqae  eo 
note  que  celle  pièce  a  été  imprimée  par  Bealy,  //ijr/.  des  comtes,  p.  360  bis,  el  d'à- 


■iSt 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Quand  l'abbé  de  Cliiny  put  se  convaincre  que  loutes  los  condi- 
tions nécessaires  pour  assurer  la  vilalil6  de  la  nouvelle  maison 
avaient  été  remplies,  il  lui  donna  la  dernière  consécralion  en 
mellanl  un  abbé  à  sa  tête.  Son  choix  se  fixa  sur  Guy,  prieur  de 
son  abbaye  de  Cluny,  mais  comme,  par  suite  du  manque  de  bûli- 
menls  claustraux, la  communauté  ne  pouvait  encore  se  constituer, 
Guy  resta  à  (iluny  et  ne  vint  s'établir  à  iMontierneuf  qu'en  1082  ; 
durant  ce  laps  de  temps  on  ne  conslate  sa  présence  en  Poitou 
qu'une  seule  fois,  au  mois  de  janvier  lOTlJ  (t). 

Telle  est  véritablement  Ihisloire  des  origines  de  Monlierneuf. 
mais  ce  n'eslpassur  les  pièces  qui  nous  ont  servi  à  l'établir  qtiejus- 
qu'icielle  aétéécrile.  L'abbaye  lésa  toujours  dissimulées  et  elle  ne 
produisait  aux  yeux  de  ceux  qui  avaient  droit  ou  intérêt  à  les  voir  que 
des  actes  qui,  tout  en  conservant  le  caractère  généra! de  la  fonda- 
tion, la  modifiaient  cependant  dans  ses  détails.  Celui  dont  elle 
revendiquait  toutes  les  clauses  porte  lui  aussi  la  date  du  28  janvier 
1 077 .  La  d  ilTérence  qu'il  présen  te  avec  le  texte  conservé  dans  le  tré- 
sor de  Cluny,  et  celle-ci  est  majeure,  c'est  qu'il  passe  sous  silence 
lasujétion  de  Montierneufà  l'abbaye  de  Bourgogne  ;  les  privilèges 
de  liberléel  de  IVanchise  attribués  tant  au  monastère  qu'à  scjj  dé- 
pendances ou  à  ses  sujets  y  sont  détaillés  loul  au  leng  et  semblent 
même  dépasser  les  intentions  du  fondateur,  tel  ce  paragraphe  où 
le  comle,  assimilant  le  bourg  de  Montierneufà  une  église,  décla- 
rait que  ce  bourg  jouirait  du  droit  absolu  d'asile  en  faveur  de  toute 
personne  ayant  commis  un  méfait  ou  passible  de  sa  justice, jus- 
qu'à ce  que  son  aflaire  ait  été  jugée  ou  que  l'inculpé  l'iVt  laissé  en 
paix  (2). Que  Montierneufait  jouiou  tenté  de  jouir  de  touslesbiens 
et  privilèges  énumérés  dans  ce  dernier  acte,  nous  n'en  doutons 

prés  Jui  par  le  (iallia  Chrisitanu,  II,  itistr.,  col.  3r>2,toul  en  faisaot  remanjuer  que 
le  texte  qu'il  publie  est  moins  dcveloppô  que  le  leur.  Ce  dernier  a  élc  cniprunlé  au 
carlulaire  de  Muiilicrneur  et  s'il  purlc  lu  mciue  date  (|ue  l'orig^iaal  de  Cluny,  il  eu 
diffère  sur  plusieurs  points  essenùcls.  Nous  nous  expliquerons  plus  loin  ù  sou  sujet, 

(i)  Rcdei,  Docnmeitls pour  Saint-IIilnirCt  I,  p.  «j8. 

(a)  Bcsly.  Util.  îles  coinles,  preuves,  p.  306  bis,  chiffrée  35o;  Gallia  Christ.,  Il, 
instr.,  col.Soi  ;  l>.  FuDlecicau,  XIX,  p.  33;  Arch.  de  la  Vieniie, copie nolarice  du  i8  dé- 
cembre i43t),.Moalienicuf,  1. 13,  etcartuluirc  de  Mnnticrocuf,  fo5;  Tculcl,  Lai/ettes  du 
Trésor  tles  C'fiarleJt,l,  p.  23,  d'après  un  rouleau  de  la  fùn  du  xin»  siècle  rjui  fournil 
le  texte  le  plus  pur  de  cet  acte.  M.  Gucriu,  qui  l'a  aussi  publié  d'après  les  rcg^islrcs 
du  Trésor  des  Charles  (Arc/i.  hisL  ilu  /-"vitoii,  XXIX^  p,  7:^),  a  couimis  une  Icf^re 
erreur  (p.  7O,  note  2)  en  proposant  de  remplacer  le  nom  du  signataire  «  Oddo,  abba» 
Sancti  Johannis  »>  par  celui  de  «  Guïdo  »  ;  il  a  cru  que  l'abbé  désigné  était  celui  de 


^ 


Gi:y-{ÎEOFFf\OY-Gi:iLLAUMR 


33.S 


nullement,  maisnous  nousrefiisons  à  adraetirc  que  le  duc  d'Aqni- 
laine,lo  jour  même  or.ilanrail  fail  la  remisoà  Cluiiydcli'IaLlisso- 
menl  qu'il  venail  de  fi)iidor  cl  de  lous  les  biens  qu'il  y  avail  al  lâ- 
chés, ail  été,  par  une  duplicité  dont  le  but  même  nous  échappe, 
signer  un  autre  acte  qui,  par  son  silence  sur  cet  objet  principal, 
aurait  eu  pour  objet  d'ôter  au  premier  toute  sa  valeur.  Pour 
nous  ce  second  acte  csl  plus  que  suspect  (1). 

Si,  pour  une  cause  quelconque,  peul-Olre  la  rigueur  de  la  lem- 
péralure,  Tabbé  deCIuny  ne  s'élail  pas  trouvée  l'oJliers  lorsque 
(iuy-Geofîroy  se  décida  à  assurer  l'existence  de  Monlicrneuf,  il  ne 
tarda  assurément  pas  à  venir  jouir  de  son  triomphe.  Mais  son 
action  ne  s'arrêta  pas  là  et  il  prolila  des  bonnes  dispositions  du 
comte  pour  les  faire  converger  vers  les  maisons  que  son  ordre 
possédait  en  Poitou.  L'une  d'elles,  Maillczais,  déjfi  bien  riche,  tut 
[jUis  particulièrement  favorisée,  Son  alibé,  Droon,  était  un  fervent 
disciple  de  l'abbé  Hugues,  lellonienl  qu'en  1082  il  quitta  son 
abbaye  pour  rentrer  à  Cluny  sous  sadircclion.  Pour  le  moment, 
il  éluit  son  porte-parole  auprès  de  Guy-Geoffroy,  mais  celui-ci 
n'ayant  pas  à  sadis|msition  lesélémenlsderexlrémolibéralitéque 
Ton  sollicitait  de  lui  fut  contraint  de  les  aller  chercher  dans  une 
autre  partie  desos  états.  S'élanl  donc  rendu  à  Bordeaux  il  y  assura 
au  monastère  de  Maillezais  une  situation  dos  plus  enviable.  11  lui 
donna  la  basilique  de  Saint-Martin,  sise  dans  la  partie  centrale  de 
la  ville,  à  qui  fut  attribuée  la  dîme  du  blé,  du  vin,  de  la  chair  et 
de  toutes  autres  choses  dues  au  duc  d'Aqiiiluinc  dans  la  ville  de 
Bordeaux,  la  chapelle  de  son  palais,  le  mont  Judaïque,  une  l'orél 
près  de  la  cité  el  d'autres  biens,  ainsi  que  le  droit  pour  les  moines 
de  Maillezais  d'envoyer  chaque  année  un  navire  k  Bordeaux  en 
toute  franchise.  Le  comte-duc  authentiqua  l'acte  de  donation  en  y 
apposant  sa  croix  de  sa  propre  main,  en  présence  de  l'archevé- 
que  Joscelin,qui  avait  dû  consentir  àk  spoliation  cachée  derrière 
ces  générosités,  du  [)révôl  Raoul,  d'IIui^ues  de  Lusignan,  el  du 
vicomU'  de  Uax,  qui  était  son  principal  agent  dans  le  Midi  (i). 


Saint-Jeaa  Je  Muntierncuf  qui  s'ap{j«tail  Guy,  tandis  qu'il  s'agissatt  d'Eudua,  ablii'  do 
Saial-Jeaa  d'Angcly. 

(i)  Vu  cbapilrc  spécial  (Appendice  VMIjscra  consttcrt*  A  l'examcu  de»  cliorlo»  prîaiî- 
livea  de  Tabbaye  de  Moiiticrneur  et  des  sia^ularltés  qu'elles  prcsciitcui. 

(a)  Lacuric,  Hist.  de  Maillesait,  p,   ai8  ;  Archioet  kist.  de  la  Gironde,    III, 


334 


LKS  COMTES  DE  POnOU 


D'autre  pari,  soil  à  Falier,  soil  au  retour,  it  passa  par  Saint- 
Jean  d'AngtMy  où  il  se  roncantra  avf^c  Tabbé  de  Ciuny  ;  celui-ci 
lui  présenta  l'acte  de  la  donation  que  faisait  à  Saint-Jean  un  sei- 
gneur, Bertrand  de  Varaise,  qui  se  préparait  à  y  entrer  comme 
religieux  ;  elle  consistait  dans  l'église  de  Varaise  et  les  alleux  du 
Breuil-Morin,  d'Asnières  et  autres.  Ilélie,  l'oncle  de  Bernard,  se 
rendit  auprès  du  duc  et,  dans  sa  main»  donna  son  consentement 
au  don  de  son  neveu  (i). 

Giiy-GeuiTroy,s'occupant  avec  un  zèle  extrême  de  l'administra- 
tion de  ses  états  et  de  la  surveillance  de  ses  vassaux,  était  tenu  de 
voyager  constamment,  aussi  était-il  facile  à  ton  te  personne  qui  avai  l 
des  réclamations  à  lui  adresser  de  pouvoir  rapprocher.  Au  mois 
de  mai  1078,  il  se  trouva,  pour  cette  cause,  facilement  en  butte  aux 
sullicitalioni  des  religieux  de  la  Trinité  de  Vendôme  auxquelles  il 
tenta  vainemeiil  d'échapper.  En  vertu  de  son  droit  de  gîte,  il  prenait 
son  logement,  quand  il  le  pouvait,  dans  un  établissement  religieux. 
Étant  donc  venu  en  Saintonge  il  s'installa,  avec  son  chapelain 
Déranger  et  plusieurs  des  barons  qui  composaient  sa  suite,  dans 
le  monastère  de  Montîerneur,  dépendant  de  la  Trinité.  Quand  il 
eut  pris  son  repas,  aûn  de  goûter  quoique  repos,  il  ordonna  de  lui 
dresser  un  lit  qui  fut  préparé  dans  le  cliauffoir.  Après  son  som- 
meil, les  moines  se  présentèrent  devant  lui  et  lui  demandèrent  de 
supprimer  les  mauvaises  coutumes  que  ses  agents  percevaientl 
injustement  dans  leurs  terres  de  Saintonge.  Le  duc  leur  répondit 
bénignement  :  «Ne  m'importunez-pas  en  ce  moment, j'ai  de  nom- 
breuses occupations  et  je  m'en  vais  à  l'ile  d'Aix;  je  reviendrai 
aussitôt  qu'il  me  sera  possible  et  j'amènerai  avec  moi  mon  prévùl 
ainsi  que  tous  ceux  qui  ont  pu  commettre  quelque  entreprise  blâ- 
mable à  votre  égard.  Puis  après  que  vous  m'en  aurez  fourni  les  preu- 
ves, je  vous  restituerai  tout  ce  qui  aura  pu  vous  êlre  enlevé  des 


p.  44i  d'après  une  copie  du  xvii«  siècle,  qui  lui  doDoe  la  dnlc  de  1072.  Il  n'y  a  pas  lieu 
de  s'arrêter  à  cetlc  date,  évidernmeal  erronée,  el  on  doit  s'en  tenir  11  celle  de  1077, 
que  fournit  la  copie  de  D,  Fonteneau  (XXV,  p.  icj),  faite  sur  l'original  et  qui  offre 
toutes  garaoties  d'exaciitudc. 

{1)  D.  Fonteneau,  XIII,  p.  iStj;  Baaly,  Hisl.  des  comleXf  preuves,  p.  870  (par 
extrait).  Pcul-èire  faulil  placera  la  même  date  la  concession  faite  par  le  comte  d'un 
jardin  à  Saiul-Jean  d'Angély  (D,  Fonteneau,  LXIl,  p.  59i)et  surtout  son  assistance 
au  don  ([uc  3eaa  Ammiial  fit  aux  moines  du  moulin  de  l'Ile  qu'il  tenait  d'eux  en  fief 
(D.  Fonteneau,  LXII,  p.  601). 


GrY-r.nOFFUOY-GUlU.Al'MK 


3:î5 


hiens  que  possédait  le  comto  Geoffroy  d'Anjou  rt  qu'il  vous  aurait 
doniiéi!.  H  Le  duc  parlil,  mais  de  l'île  il'Aix  il  s'en  fui  à  l'île  d'Ole- 
ronelde  là  au  châleau  de  Broue.  Pendant  deux  jours,  les  moines 
allendirenlsa venue, enfin  le  troisième  ils  se  décidèrent  à  alleràsa 
rencontre  et  dépèclièrenl  deux  d'entre  eux  qui  furent  le  rejoindre 
à  Broue  et  lui  rappelèrent  ses  paroles  de  Montierneuf.  Guy 
leur  répondît  en  les  invilanl  h  se  rendre  le  lendemain,  23  mai, 
à  Marennes,  vu  qu'il  n'avail  auprès  de  lui  ni  son  prévôt  ni  les 
autres  personnes  à  qui  il  avait  donné  rendez-vous  pour  le  rensei- 
gner sur  le  fait  des  coutumes  contestées.  Les  moines  arrivèrent  à 
Marennes  avant  qu'il  fît  jour.  Ils  altondirent  longtemps.  Enfin  à 
six  heures  du  malin  le  duc  se  leva  de  sa  couche  et  ordonna  que  l'on 
préparât  sa  mule.  Mais  ceux  qui  le  j;uetlaienl,elqui  s'étaient  tenus 
dissimulés  jusqu'à  ce  moment,  se  présentèrent  inopinément  de- 
vant lui  alors  qu'il  allait  monter  sur  sa  selle.A  leur  vue  Guy-GeolTroy 
prit  par  la  main  son  prévôt,  qui  devait  l'emmener  voir  le  bois  d'En- 
cras,  et  se  relira  avec  lui  dans  un  lieu  secret,  puis  dans  l'église 
de  Sainl-Sornin.  Là,  il  assista  à  tous  les  offices,  de  prime  à  no- 
nes,  et  enfin  il  sortit  de  l'église,  toujours  accompagné  du  prévôt, 
avec  un  petit  nombre  de  personnes,  tant  clercs  que  laïques.  A  cet 
instant  les  religieux  de  Montierneuf  se  représentèrent  à  nouveau 
en  sollicitant  une  réponse  à  leur  demande.  Alors,  le  comte,  con- 
traint de  s'arrêter,  leur  avoua  que  c'était  lui-même  qui,  pressé 
par  la  nécessité,  au  lieu  de  respecter  la  liberté  des  terres  que  sa 
mère  Agnès  et  son  second  pèreGeoITi'oy  leur  avaient  données, avait 
imposé  sur  elles  de  mauvaises  coutumes.  Bevenant  sur  sa  faute,  il 
déchargea  de  loules  ces  charges  les  domaines  donnés  à  l'abbaye 
de  la  Trinité,  puis,  se  penchant, il  ramassa  uo  brin  de  jonc  vert, 
caria  maison  avait  été  récemment  jonchée, ainsi,  dit  le  rédacteur 
de  l'acte,  qu'il  était  d'habitude  de  faire  quand  on  recevait  quelque 
personnage  puissani,  soit  son  seigneur,  soit  un  ami.  Il  remit  alors 
ce  jonc  aux  deux  moines,  non  comme  un  symbole  de  donation, 
mais  comme  la  marque  d'une  rcslilution.  Les  religieux  s'étaiit 
prosternés  à  ses  pieds  en  témoignage  de  reconnaissance,  il  les 
releva  avec  bonté,  lesassuranl  que  des  faits  semblables  ne  se  renou- 
velleraient plus,  elleur  demanda  do  prier  pour  lui.  Voyant  dans 
quelles  bonnes  dispositions  le  duc  se  trouvait  en  ce  moment,  son 


336  LES  COMTES  DE  POITOU 

prévôl  Seniorel,  qui  l'avail  suivi  dans  loules  ses  pén^grinalions, 
lui  demanda  les  mêmes  faveurs  pour  les  religieuses  do  Sainles, 
ce  qu'il  lui  concéda  volontiers  (1). 

Celle  page  de  l'existence  du  ducd'Aquilaine,  que  nous  avons  tenu 
à  reproduire  en  son  enlier,  est  caraclérislique  dans  sa  simplicilé . 
On  y  prend  rhorame  sur  le  vif  et  elle  nous  fait  voir  un  Guy-Geoffroy 
lout  aulroque  celui  que  ses  pan^-gyrisles  ont  à  l'envi  dépeint. 

A  son  retour  de  Saintonge,  il  se  rendit  dans  le  Talmondais, 
oii  des  difficultés  sans  cesse  renaissantes  attiraient  sa  vigilante 
atlenlion,  A  lu  mort  de  Châlon, seigneur  de Talmond, arrivée  vers 
1074,  une  lutte  ardente  s'étail  engagée  entre  les  divers  compôli- 
leurs  à  la  possession  de  ce  grand  fief.  ClKilon  en  avait  Hé  pourvu 
en  vertu  du  droit  de  viage  qui.  après  la  mort  de  Guillaume  le 
Jeune,  advenue  vers  1057,  le  lui  avail  fait  éclioir  on  sa  qualité  de 
mari  d'Asccîine,  sœur  de  Guillaume.  Jiien  qu'à  la  raorl  de  Châlon 
sa  femme  fiVt  encore  vivante,  Normand  de  Montrevault,  époux 
d'Amoline,  fille  de  Guillaume  le  Jeune,  revendiqua  Talmond  du 
chef  de  sa  femme,  en  invoquant  ce  même  droit  de  viage  (2).  Ses 
prétentions,  qui  étaient  fort  problématiques  du  moment  qu'Asce- 
line  vivait  encore,  furent  i-epoussées  par  les  deux  lits  de  celleci, 
Guillaume  el  Pépin.  Les  deux  partis  se  firent  une  guerre  achar- 


(i)  Mêlais,  Cart.  saint,  de  la  Trinité  de  Venddme.p.  60.  l.e  texte  de  Bcsiy  {f/ist. 
des  comtes,  preuves,  p.  377]  porle,  par  nne  erreur  de  copie,  fa  date  de  1079. 

(a)  La  Boutclière  s'csl  Irompé  quand,  dans  son  éJilion  du  carlul.tirc  de  Talmond,  il 
donne  A  ce  persotmaqe  le  nom  de  Normand  de  Mourene!.  I.a  charte  xlv  du  c«rtu- 
lairc  {[pî'rï*^  i2ÎJ)  porte  liieu  «  Normannus  de  Mourcnel  »,  mais  il  y  a  1»  une  erreur  de 
iranscriptioD,  commise  sans  doute  par  le  copiste  du  cavtulaire  de  liJ^a  dont  le  volume 
imprimé  est  In  reproduction.  Il  faut  lire  <t  Normannus  de  Monrevel  »,  ainsi  qu'iJ 
résulte  d'une  cbarte  du  cartuiaire  delà  Trinitéde  Vendôme  où  ce  personnage  csl appelé 
«  Normandus  de  Monte  ReLcllo  ».  Nous  n'hésitons  pas  à  reconnaître  en  lui  un  des 
Gis  de  Foulques  Normand,  sei|çneur  de  Montrevaull  en  Anjou,  et  de  la  veuve  d'Horl, 
comicde  Nantes;  privé  de  l'héritajfc  paternel  en  vertu  du  droit  de  viaçe  qui  fit  passer 
Montrevault  â  Payen,  l'un  des  frères  de  Foulqut's,  it  vint  en  Poitou  et  se  maria  avec 
la  tille  de  riuillaumede  Talinund.  11  semble,  d'après  ce  que  les  textes  nous  apprennent 
fiurlui,  qu'il  aurait  voulu  invo<jiier  à  son  proHl  ce  même  drnil  de  viaf^e  après  la  mort 
de  Chûloo,  oncle  de  sa  femme.  Son  orig^tnc  ani^fcvioe  suffit  |)our  expliquer  les  préfé- 
rences de  Guy-Geoffroy  à  son  épard.  Norniaud  fut  reconnu,  sans  nul  doute  avec  l'ajv 
pur  du  comte,  comme  héritier  de  Châlon  et  eut  la  jouissance  du  Talmondais  jusqu'à 
sa  niorl;  Pépin,  iils  de  ChâloD,  lui  succéda.  (Marclieg'ay,  Cari,  du  Bas-Poitou,  pp. 
91  el  93,  prieuré  de  Fontaines  ;  Cart.  de  7'a!//ii)/id,  pp.  128,  i3i!  )  L'auteur  récenl 
A'Essais  historiques  sur  le  Talmondais,  M.  Loquet,  amplifiant  sur  l'erreur  de  La 
Bouletiére,  désigne  le  seiçncur  de  Talmond  sous  le  nom  de  Normand  de  Moureneau 
[Ann.  de  ia  Soc.  d'Emulation  de  la  Vendée,  iSqGj  p.  144), 


GUY-GEOFFROY-GLlLLAbME 


337 


riée  ;  le  pays,  ravagé  par  rincenJie.  fui  lotaleaionl  dévasté  (I).  Le 
comte,  qui  jouissait  encore  d'importantes  possessions  dans  leTal- 
moiidais,  semble  avoir  profité  de  ces  compétitions  pour  garder 
entre  ses  mains  le  fief  de  Talmond  après  l'expiration  de  l'année 
pendant  laquelle  il  en  avait  eu  la  jouissance  en  vertu  du  droit  de 
radial,  et  il  plaf^adeut  chevaliers,  Airautt  des  Forges  et  Pierre, 
fils  de  Mainard.à  la  têle  du  pays, comme  gardiens,  «  cusiodes  »  (2). 

Dans  ces  contrées,  cette  situalionlroublée  n'était  pas  restreinte 
à  lasociété  féodale,  elle  refînait  aussi  dans  le  monde  religieux. Les 
moines  de  Sainte-Croix  de  Talmond  disputaient  à  ceux  de. la  Tri- 
nilé  de  Vendôme  la  possession  des  revenusdes  églises  d'Orbestier  et 
d'Olonne,  arguant  les  uns  et  les  autres  qu'ils  les  tenaient  di;  la 
comtesse  Agnès,  qui  les  avail  distraits  de  son  douaire.  Les  deux 
gardiens,  sur  Tordre  du  comte,  réglèrent  une  première  difficulté 
au  sujet  de  l'église  de  Saînt-Ililaire  d'Orbestier.  Celle-ci  fut  attri- 
buée en  entier  à  Sainte-Croix  de  Talmond, mais  les  offrandes  des 
marins  entrant  dans  le  port  d'Olonne  et  celles  des  paroissiens  de 
Noire-Dame  d'Olonne  furent  partagées  par  moitié  entre  l'abbé  de 
Talmond  el  Robert,  moine  do  l'abbaye  de  Vendôme  et  gardien  de 
ses  domaines  dans  le  Talmondais.  Afin  de  faciliter  la  perceplion 
de  ces  droits,  lîobert   demanda  ensuite   à  l'abbé   de  Talmond, 
Evrard,  l'aulorisation  de  se  construire  une  demeure  dans  le  bourg; 
celui-ci  refusa,  lloburt  en  appela  au  comte,  disant  que  l'abbé  lui 
avait injustenienl  enlevé  la  propriété  de  la  moitié  du  bourg  d'Olon- 
ne,  Ciuy-GeofTroy  se  rendit  dans  le  cliAteau-fort  de  Cur/.on  el  là, 
ayant  pris  sa  demeure  dans  la  maison  de  Thebaut  Rede,  il  invita 
l'abbé  de  Talmond  à  venir  le  trouver  et  à  se  dessaisir  de  cette  moi- 
tié du  bourg.  L'abbé,  mis  en  cause,  représenta  que  les  moines  de 
Vendôme  invoquaient  h  tort,  pour  soutenir  leur  prétendu  droit, 
une  donation  de  la  comtesse  Agnès,  celle-ci  n'ayant  jamais  été  en 
possession  de  coul unies  ou  autres  droits  dans  le  bourg  d'Olonne. 
La  cour  du  comte,  composée  de  Pierre  de  Niort,  de  Josbert  le 
Franc,  d'Adémar  Mala  Capsa  le  Jeune  el  de  Normand,  lui  donna 
raison . 

Mais  le  moine   de  Vendôme,  battu  sur  ce  point,   se  rejeta 

(1)  Marchegay,  Cart,  du  lias-Poitoa,  p.  gg,  prîeurû  de  Fonlalnes. 
(a)  Cari,  de  Talmond,  p.  laS. 

11 


338  LES  COMTES  DE  POITOU 

sur  un  aiilre  el  demanda  au  comle  de  reconnaître  les  droits  de 
son  monastère  à  la  possession  do  lu  moitié  du  revenu  des  églises 
d'Olonne,  qu'il  avait  reçu  jadis  en  cadeau  de  la  comtesse  Agnès. 
Guy-GeofTroy  y  consentit  volontiers,  mais  pour  éviter  toute  diffi- 
culté dans  l'avenir,  il  voulut  que  le  fils  de  CliAlon,  qui  soutenait 
évidemment  les  prétentions  de  l'abbé  de  Talmond,  joignit  son 
apprubation  ri  la  sienne  el  à  celle  qu'avait  impliciteaient  ou  for- 
mellometit  donnée  Normaad  de  iMontrevault,  qui  vivait  dans 
l'intimité  du  comte.  Pour  cet  objet,  il  envoya  donc  vers  lui  Ai- 
rault  Gaisscdenier ,  qui  avait  assisté  au  jugement  de  la  cour  ol 
Josbert  le  Franc  (t).Maisra(îaire  ne  se  termina  pas  si  facilement. 
L'abbé  Evrard  prélendit  qu'il  tenait  celte  moitié  des  revenus  des 
églises  d'Olonne,  de  Guillaume  le  Chauve,  fondateur  de  son  mo- 
iiaslère.  Un  nouveau  jugement  s'imposait  donc. 

Les  parties  furent  citées  h  Poiliers,et,  le  4  septembre  1078,  il 
se  tint  une  grande  réunion  dans  la  maison  ronde  de  l'évoque. 
C'est  le  comte-duc  lui-même  qui  dirigea  les  débals  en  pré- 
cisant leur  objet  el  en  demandant  à  l'abbé  Evrard  s'il  pouvait 
produire  des  témoins  ou  une  cbarte  pour  appuyer  ses  dires. 
L'abbé  n'ayant  pu  fournir  les  preuves  exigées,  robjet  du  litige  fut 
attribué  'i  la  Trinilé,  mais  Guy-Geoiïroy,  pour  éviter  le  retour  de 
toute  conlestation  sur  ce  sujet,  ordonna  de  rédiger  immédiale- 
ment  un  acte  relatant  la  décision  de  l'assemblée.  Dans  celle-ci 
siégeaient  à  côté  de  lui  son  fils  Guillaume,  l'archevêque  de  Bor- 
deaux, l'évêque  de  Poiliers,  l'abbé  de  Noaillé,  des  clercs  el  des 
laïques  en  grand  nombre  (2). 

Ce  n'est  pas  seulement  entre  eux  que  les  établissements  reli- 
gieux avaient  à  batailler  pour  s'assurer  la  possession  de  domai- 
nes dont  les  primitifs  propriétaires  disposaient  souvent  plusieurs 
fois,  sans  tenir  compte  de  leurs  premiers  engagements  el  au  gré 


(i)  Cart.  de  Talmond,  p.  ia8;  Méiaxs ,  Cari ,  saint .  de  la  Trinité  de  Ven» 
dôme,  p.  53,  Dans  ceUc  dernière  publicauon,  la  pièce  que  noua  citons  porte  la  date 
de  vers  ioû8;clle  doit  être  rajeunie  de  dix  ans;  il  q'^  a  qu'A  la  rapproctier  des  autres 
lcx(câ  (|uc  nous  arons  cités  pour  se  convaincre  qu'elle  est  de  mèmï'  date,  c'esl-à-djre 
de  1078. Kn  outre  t'cditeur  de  cette  charte  n'ea  a  pas  compris  lastgniiicalioa  et  il  fait 
d'Airauh  Guîssedenier  le  donateur  de  la  moitié  des  églises  d'Olonne, taudis  qu'il  s'agit 
d'une  maintenue  de  possession  par  Guy-GeulTroy  en  faveur  de  la  Trinité  de  Veudôiuc. 

(a)  Mêlais,  (^uH.  saint,  de  la  Trinité  de  Vendôme^  ?•  58;  Besly,  Hist.  des  com- 
tes, preuves,  p.  3 59  bis. 


GUY-GEOFF!\OY-GUILLAUME 


339 


de  leurs  fantaisies  ou  de  leurs  passions  du  momenljls  avaient  sur- 
tout à  lutter  contre  les  em|ji<''Lenionts  des  seigneurs  leurs  voisins, 
et  surtout  contre  les  actes  d'omnipotence  des  comtes  reprenant 
d'une  main  ce  qu'ils  avaient  donné  de  l'autre  ou  revenant  pour  sa- 
tisfaire leurs  intérêts  sur  les  actes  de  leurs  prédécesseurs. Aussi, 
quand  ils  se  croyaient  lésés,  et  cela  arrivait  souvent, ne  cessaient- 
t-ils  de  faire  entendre  leurs  réclamations;  du  reste,  il  arrivait 
fréquemment  que  leur  voix  était  entendue,  grâce  au  concours  de 
circonstances  spéciales.  C'est  ainsi  queFtmlquosle  Normand  tenait 
en  fief  du  comte  l'église  de  Saint-Pliilippe,  et  Saint-Jacques  de  Tal- 
lent,  ancienne  possession  <^e  l'abbaye  de  Saint-Maixent.  Dans  un 
de  ses  voyages,  Guy-GeolTroy  passa  près  de  ce  lieu  où  résidait  en- 
core un  moine  du  monastère  dépossédé  ;  il  était  accompagné  de 
Simon, qui  futdepuis  évèque  d'Agen,de  l'abbé  de  Saint-Gyprien  et 
de  son  sénéchal  Pierre  de  Bndier,et  fut  prendre  son  repasdansla 
maison  du  religieux  à  qui,  sur  son  humble  requête,  il  restitua  le 
domaine  usurpé  en  remettant  symboliquement  entre  ses  mains 
le  couteau  dont  il  se  servait  (I). 

Ceci  se  passait  en  1078. Peut-être  est-ce  à  la  même  époque  qu'il 
rendit  aux  chanoines  de  Saiiit-llilaire  Péglise  de  Ouinçay,dont 
les  comtes  ses  prédécesseurs  s'étaient  injustement  emparés  et 
que  possédaient  en  fief  Giraud  et  Guillaume  de  la  Trômoïlle  ; 
pour  donner  plus  d'authenticité  à  l'acte  dans  lequel  il  fit  du 
reste  comparaître  son  fils,  il  y  traça  lui-même  sa  croix  (2), 

Peu  après,  le  15  janvier  1079,  s'ouvrit  à  Poitiers  une  des  plus 
importantes  assemblées  religieuses  que  l'on  ait  vu  s'y  réunir  (3). 


(1)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Maixent,  I,  p.   169. 

(a)  lAédet,  /Jociirnenls  poar  Saint' f/ilaire,  I,  p.  gg, 

(3)  Les  historicas  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  daie  qu'il  convient  de  donner  k  ce 
coDcile.  La  chronique  de  Sainl-Aubind'AQger3(M3rchegay,  (Jiron.  des  éjl.  d'AaJuii, 
p.  a6)  le  place  en  1077,  '*•  fn^me  année  (|iie  la  chevauchée  contre  la  Flèche.  Maiâ 
d'autre  part  la  petite  chroaîi|ue  de  Saint-Florent  de  Sauinur  (Marchesçay,  Çhron.  des 
éjl.  d'Anjou,  p.  18g)  indique  celle  expédition  cq  107b.  Cette  afl'airedela  Flèthedura 
(jualrc  aaa,  de  1077  à  1081,  et  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  tirer  parti  pour  la  dclcrmiua- 
lion  de  la  date  du  concile  des  iudicalions  Fouraies  par  les  chroniques  anircvines.  La  chro- 
nique de  Saint-Maixent  place  le  concile  en  loyij  (Marcheway,  Chron.  des  é'jl.  d' An- 
fou,  p.  4o6).  Les  auteurs  du  Gallia  Christiana  (II,  col.  iiljO)  aupposeui  qu'il  s'est 
lenu  deux  conciles  à  Poiliers,  l'un  en  1078,  l'autre  en  1079.  Telle  câl  aussi  l'opinion 
de  Rcdet,  qui  déduit  d'une  charle  du  carlulairc  de  Saini-Cyprien  (.-l/v'i.  hist.  du 
Poitou,  m,  pp,  34a  et  343,  noie  a)  qu'une  seconde  réunion  eut  lieu  à  Poitiers  après 
le  concile  de  Bordeaux  tenu  au  mois  d'octobre  loycj.  De  l'exitiuen  attentif  de  ce  docu- 


Uo 


LKS  COMTKS   DM  l'OITOU 


Le  léf^at  du  pape^  Hugues  de  Die,  la  présida.  La  leniie  de  ce  con- 
cile emprunlail  une  imporlance  parliculière  à  ce  l'ail  que  le  roi 
de  France  avail  vivement  cherché  à  y  perler  enlrave.  Philippe 
avait  écrîl  au  comte  de  Poitiers  pour  que  celui-ci  se  prêtât  h  ses 
manœuvres  el,  d'autre  pari  il  avail  déclaré  aux  évêques  du  do- 
maine roya!  qu'il  les  considérerait  comme  félons  s'ils  assistaient  à 
des  assemblées  dans  lesquelles  les  légats  du  pape  auraient  cher- 
ché à  ternir  son  pouvoir  el  celui  des  grands  du  royaume,  qu'il 
voulait  habilement  amener  à  faire  cause  commune  avec  lui.  Mal- 
gré les  efforts  du  roi,  le  concile  eut  lieu  à  la  date  indiquée,  mais 
tous  ses  membres  étaient  loin  d'être  dans  les  mêmes  senlimenls. 
Le  légal  arrivait  avec  des  instructions  précises  ayant  pour  objet 
la  réforme  de  quelques-uns  dos  nombreux  abus  dont  souffrait 
l'Eglise,  mais  ces  réformes  atteignaient  certains  membres  du  con- 
cile qui  se  sentirent  toucliés.  Celaient  entre  autres  l'archevêque 
de  Tours  el  ses  sulTraganls,  les  évêques  de  Uennes,  du  Mans  et 
d'Angers  qui  cherchèrenl  à  s'opposer  par  la  violence  à  l'accep- 
tcifion  des  [jroposilions  que  les  évêques  et  autres  membres  du 
clergé  du  sud  de  la  Loire,  depuis  longtemps  travaillés  par  les 
légats  et  par  les  représentants  autorisés  de  Cluny,  accueillaient 
au  contraire  avec  faveur. 

Le  concile  se  réunit  dans  la  cathédrale  de  Saint-Pierre.  A  un 
moment  donné  le  désordre  devint  effrayant  ;  l'archevêque  de 
Tours  fil  enfoncer  à  coups  de  haches  par  ses  albdés  les  portes  de 
l'église  el  la  quitta  avec  ses  partisans.  I/agenl  du  pape,  le  frère 
Teuzo,  avait  été  menacé  d^»  mort, aussi  le  légal,  ne  se  sentant  plus 
en  sûreté,  fixa  une  seconde  réunion  à  Saint-llilaire  sous  la  pro- 
lection  immédiate  du  trésorier  Joscelin,  l'archevêque  de  Bordeaux, 


tnpnl  noiia  avons  formi?  noire  conviclion  qnf  celte  tilIéçBlîon  ne  repose  que  sur  une 
erri'iir  «Je  jionctualion  d;ins  le  le.Me  du  rarluliiire.  Il  s'agissait  de  dilficullés  existant 
entre  It-a  refiyieiix  de  Mnrmoutier  cl  ceux  de  Saint-Hycrien  au  «ujel  de  la  possession 
de  l'île  d'Ycu.  Or,  seton  nous,  voici  ce  que  dit  le  pHssapc  mal  inicrprélc  :  Que  l'nf- 
fairc  de  l  île  d'Yeu  fui  appelée  devatil  le  cfmciJe  de  Bordeaux,  qu'elle  avait  dtîjà  été 
soumise  à  l'évèque  de  Poiliers,  (mis  au  coucilelenu  dans  celle  ville,  et  qu'à  Bordeaux 
un  archevêque,  un  évèquc  el  trois  abbés  s'occupèrent  d'elle  cl  la  renvoyèrent  à  l'évè» 
que  de  Poiliers;  que  devant  celle  juritliclion,  cpii,  8cule,devaii  en  connaître,  les  lieux 
coolestés  élont  de  stin  obédience,  il  y  eut  encore  des  eniraves  apportées  par  l'une  des 
parlîfs  cl  qu'enliii  1  a  (Fa  ire  fui  juçée  par  le  lëi^at  Arné  (jui  ne  voulut  pas  laisser  vaine 
l\puvre  de  deux  coaciles.  Bien  ponctué,  le  texte  nous  apparaît  donc  très  clair  cl  ne 
laisse  pas  de  place  pour  rcxislcncc  d'un  second  concile  de  Poitiers  à  cette  époque. 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


3/i, 


qui  faisait  ainsi  oublier  les  dissonlimLvnts  qui  avaient  précédem- 
raenl  exislé  entrt^  eux  (f). 

L'archevêque  de  Tours  se  ptV'senla  ri*>remonl  daus  la  nouvelle 
assemblée  el  insullalliigues  deDiequi  le  suspendit  immédialemont 
de  ses  fonctions  sacerdotales  et  infligea  le  même  eliâtiment  à  ses 
sufTrajj^anlselàunabhé  qui  s'étailjoinl  âeuv.Nonobstautrabsencc 
de  cesévÊqueselladéfeclionde  quelques  autres,  parmilesquels  on 
doit  compter  l'évêquedePoiliers,  contre  lesquels  le  légat  demanda 
au  pape  de  prononcer  des  peines  disin'plinaires,  la  réunion  put 
se  terminer  en  paix  el  promulga  dix  imporlaiils  canons  de  disci- 
pline ecclésiastique  (2).  Nous  ne  saurions  dire  si  la  situalion  irré- 
giilière  de  i'hilif»pe  fut  l'objet  des  délibérations  de  l'assemblée, 
mais  elle  a'uccupa  à  tout  le  moins  d'une  affaire  qui  le  touchait 
de  près  :  le  mariage  de  Foulques  le  Héchin,  comte  d'Anjou, 
avec  sa  parente,  Ernu-nj^ai-de  de  lîourbon,  dont  la  solution  défi- 
nitive fut  renvoyée  au  jugement  du  pape  (3). 

(i)  Le  légat  Huçucs  lîe  Die.sc  conrormant  servilement  aux  ms(ruclions  prérises  de 
Grétjûîre  VII,  mi>nlr<i  une  çrandc  cnerçic  duns  la  n-prcssion  des  nbus  qui  désolaieul 
r<"^-lisc  de  France.  Mais,  trop  pi'ncln'  des  droits  de  rnutorilc  souveraine  qui  lui  »vail 
été  départie,  il  lui  arriva  pnrfuis  de  dépasser  Ui  niesutc  La  convocation  pur  irnp  fré- 
quenle  des  grands  dif^niliiires  eceIéAiiis(i>(ucs  aux  réunions  ouverICH  pnr  le  léi^.it  sur 
Inus  les  poinls  de  la  France  dilt  sj^énur  plus  d'un  d'ealre  eux;  ainsi  Joî>celin  ne  s'était 
pas  rendu  au  concile  de  CU-rmont  (enu  le  7  aoi'it  royi,  el  n'avait  mt^me  pas  fait  pré- 
senter ses  excuses:  Hui;^ues  le  suspendit  de  ses  fonclious  é[>iscopjdes ;  le  10  septem- 
bre «077,  s'ouvrit  le  concile  d'Auliin  :  Joscelin  ne  s'y  présenta  pas,  et  le  ié^^nt  celte 
fois  le  suspendit  de  toutes  fonctions  sact'rtlntales,  mais  le  pape  ne  ronfuina  pas  la 
décision  de  son  représenlant,  cl  Joscdin,  sans  nvoir  interrr(m|Jti  son  ministère,  vint 
tran(]uilIciTienl  en  i07<)  n^^isler  au  concile  de  Coiliersifter.  </e,v  historiftix  île  France^ 
WX ,  p.tii^;  Miçnp,  Pnlrtilnrjie  lut.,  f-XLN'llI,  col.  74'|).  Le  pape,  au  synode  <le  fé- 
vrier in78,  av;iit  pareitlemcnl  levé  l'interdit  l.incé  par  le  Ic^'al  ati  concile  d'Aulini  con- 
tre rnrchevcque  de  Tours,  el  nous  croyotts  ipic  c'est  cet  acte  de  cooduscctidance  Ac,  la 
part  du  souverain  poiilile  qui  rendit  ce  personnaiçe  si  arro^çnnl  au  concile  de  l'uitiera. 
Nous  admettons, comme  l'ont  écrit  certains  l)i5toricDS,4ju*lluiï(jcs  de  Die  se  trouva  au 
synode  de  1078  où  il  défendit  ses  arles,  mais,  en  107*),  il  se  coulcuta  de  cliarcjer  le 
clerc  Teuzci  de  la  lettre  où  il  tneltail  le.  pape  au  courant  des  faits  jjraves  qui  s'étaient 
passés  au  concile;  on  se  (is^ureraJt  difticilemcnt  que,  sans  autres  inforniiilions,  le 
pape  eilt  absous  l'auteur  de  ces  violences  rpiarante  jours  seulement  après  les  événe- 
ments (|ui  viennent  d'être  rapportés.  Nous  ne  saurions  par  suite  jutopler  Ira  conclu- 
sions de  l'abbé  Delarc  {S tint  Gréfjoirc  Y(l,  III,  p.  4o8)  q«i  plwce  pour  ce  seul  motif 
te  roncifc  de  l'oiticrs  en  107S,  c'est,  il  nous  semble,  un  ar^-ument  conlraire. 

(2}  Lnbbe,  Concilia,  X,  col.  3O7  II  est  question  de  ce  concile  dans  une  lettre  du  pape 
du  25  novembre  1073,  relative  aux  difliculiés  pendantes  entre  les  seififueurs  de  Saint- 
Paul  el  les  clercs  de  Notre-Dame  cl  de  Sainl-Oiner  qui  s'éinient  récemment  présentés 
au  concile  de  Poitiers  devant  Hugues  de  Die,  et  dans  une  autre  lettre  du  a8  juin 
1080,  par  laquelle  te  pape  confirme  l'exconimuDication  prononcée  contre  (tosou,  au 
concile  de  Poitiers,  par  Hugues  de  Die  iLabbe,  Concilia,  X,  col.  225). 

{%)  Lnbhc,  Cnnrilia,  X.  col.  3Gfi,  3(58,  lettre  du  léf^at  Ilujfues  de  Die  au  pape. 
D'uprès  la  chronique  de  Verdun,  c*clflit  le  cinquième  concile   que  prcsidail  ce  lè^at. 


LES    COMTES  DE  POITOU 

Sans  atlendre  que  les  décisions  diiconctlo  fiisspnf  promulguées 
par  Grégoire VII, Juscelin  sollicila  If  comte  tlePoilou,en5aqijalil6 
d'abbé  deSainl-IIilaire,  d'appliquer  son  vin*  canon  k  cet  élablisse- 
meiil.Se  rendanl  à  son  désir,  le  comle-abbé  défcndil  d'admettre 
parmi  les  chanoines  aucun  fils  de  prêlre,  de  diacre,  de  sous-dia- 
cre ou  de  clerc,  non  plus  qu'un  bâtard,  el  fixa  le  nombre  des 
chanoines  à  soixante.  Il  associa  son  fils  Guillaume  à  cet  acte  qui 
tendait  àréprimer  un  des  grands  abus  deTéiioqne,  alors  que  les 
membres  du  clerfîé  réijulier  clierchaient  à  ("aire  de  leurs  dignités 
une  possession  personnelle  qu'ils  trouvaient  souvent  moyen  de  trans- 
mettre à  leurs  descendants  (1).  L'assemblée  devait  à  ce  moment 
être  à  peine  dissoute;  Hugjues  de  Die,  qui  l'avait  présidée,  ainsi 
que  le  dil  expressément  le  comte,  était  sans  doute  parti  avec  la 
plupart  des  assistants,  mais  un  certain  nombre  d'entre  eux  se 
trouvaient  encore  à  l'oiliers  elparmi  eux  on  constate  la  présence, 
outre  l'archevêque  de  Bordeaux  et  l'évéque  de  Poitiers,  du  légal 
Amé,  assesseur  d'Hugues  de  Die, du  trésorier  do  Saint-Martin  de 
Tours,  des  abbés  de  Monlierneuf,  de  Sainl-Martial  de  Limoges, 
de  Saint-Jean  d'Angély,  de  Sainl-Savin  el  de  JNoaillé,  du  prieur  de 
Saint-.^içolas  et  d'un  grand  nombre  de  seigneurs. 

Parmi  les  membres  du  concile  nous  croyons  aussi  pouvoir 
compter  Richard,  archevêque  de  Hourges,  qui  dut  contribuer  à 
faire  conclure  entre  les  chanoines  de  Sainl-Ursin  de  sa  ville 
archiépiscopale  el  ceux  de  Sainl-llilaire  un  acte  de  confralernilé 
en  vertu  duquel  ces  derniers  accordaient  aux  chanoines  de  Sainl- 
Ursin, qui  leur  avaient  fait  cadeau  d'une  croix  d'or  pour  le  grand 
aulel  de  leur  église,  une  prébende  dans  leur  chapitre  à  laquelle 
était  allaché  le  revenu  de  deux  églises  du]diocèse  de  Bourges. Ces 
conventions  furent  passées  à  Poitiers  le  13  janvier  1079,  deux 
jours  avanl  l'ouverture  du  concile,  et  sont  signées  de  Guy-Geof- 
froy el  de  son  iils  Guillaume  (2)^ 


(i)  Hédet  {Doc.  pour  Saint-IIilaire,  I,  p,  g8)  a  douné  A  ccl  acte,  (]ui  ne  porte  pas 
de  ciale,  celle  indécise  de  1078  ou  1079.  Le  Gadia  (II,  instr.,  col.  271)  penche  pour 
l'année  1078  ;  il  en  serait  de  mémo  de  Eicdel  iiuî  place  le  concile  de  Poitiers  au  15 jan- 
vier 1078.  D.  Fonteneau  (X,  p.  363)  ne  se  [ironunce  pas  entre  les  deux  dates  ;  quant 
à  nous,  avant  formellement  adopte  celle  de  1073  pour  la  tenue  du  concile,  nous  som- 
mea  furcémcnl  amené  à  placer  durant  la  même  année  le  «liplAuic  Je  Guy-GeolTroy. 

(2)  Rédet,  Doc.  pour  Sainl-Hiluire,  I,  p.  loo.  Cet  acte  nous  paniil  .ipporler  un 
nouvel  ars;umeDl  eu  faveur  de  ratlribulion  de  la  date  de  1079  au  cuttcile  de  Poitiers. 


Gin'-GKOFFROY-GLILLAUME 

Toutes  les  questions  que  le  pape  avait  à  cœur  de  voir  régler 
n'avaient  pas  rcru  leurs  solutions  h  l'assemblée  de  Poitiers,  aussi, 
pour  les  hàler,fîl-il convoquer  celte  même  année  1079  un  nouveau 
concile  à  Bordeaux.  Celui-ci  s'ouvrit  dans  cette  ville  le  14  octo- 
bre, sous  la  présidence  d'Ame,  évoque  d'OIoron,qui  avait  rempli 
à  Poitiers  le  rôle  d'assesseur  auprès  d'Hugues  de  Die,  lequel  rclln 
fois  passait  au  second  rang  ;  au  nombre  des  assistants,  on  trouve 
Aymar,  le  nouvel  évêque  d'Angoulème^  frère  du  précédent  évo- 
que, Boson,  évéque  de  Saintes,  Uaymond,  évèque  de  Bazas, 
Pierre,  évêque  d'Aire,  et  l'abbé  de  Saint-Jean  d'Angély.  Le  duc 
se  présenta  devant  l'assemblée,  sollicitant  de  ses  membres  leur 
assistance  dans  ses  défaillances  et  les  priant  de  lui  indiquer  quel- 
que bonne  œuvre  à  faire  pour  racbeler  ses  fautes.  Boson  saisit  cette 
ouverture  et  lui  demanda  de  vouloir  bien  établir  des  religieux  ù 
Saint-Iiutrope,  église  de  sa  ville  épiscopalequi  était  tombée  entre 
des  mainslaïques  et  se  trouvait  dans  la  féodalité  de  Cbàlon, vicomte 
d'Aunay.  Ce  dernier,  qui  avait  accompagné  Guy-Geoffroy,  donna 
sans  retard  son  assentiment  à  la  fondation  qui  devait  se  faire  aus- 
sitôt et  le  duc  déclara  que  des  moines,  qui  auraient  charge  de  prier 
Dieu  pour  lui  elles  siens,viendraien(  s'installera  Sain  t-Eutrope  (1). 

Malgré  la  mission  spéciale  donnée  aux  membres  du  concile 
d'avoir  à  régler  les  dil'licullés  pendantes  entre  les  établissements 
religieux  ou  leurs  rapports  avec  des  particuliers,  il  y  eut  plusieurs 
aiïaires  auxquelles  l'assemblée  ne  donna  pas  de  solution  et  qui 
lurent  renvoyées  ;i  la  décision  du  légat  tVmé,  en  particulier  celle 
relative  à  ta  possession  de  l'île  d'Yeu  qui  divisait  les  religieux  de 
Marmoulier  et  ceux  de  Saint-Cyprien  de  Poitiers  (2),  et  la  con- 
testation entre  Géraud  de  Corbie  elles  moines  de  Maillezais. 
Pour  l'intelligence  de  celle  dernière  il  nous  faut  revenir  quelque 
peu  en  arrière. 

Un  jour,  Guy-Geoffroy  rentrait  dans  la  ville  de  Poitiers  par 


(i)  Bfsly,  ///«/.  (les  comtes,  preuves,  p.  38o.  Une  (tharJe  du  cnrlulaire  de  Saint- 
Seurin  (p.  i4)  HÏt^^nale  deux  conciles  qui  auraient  été  tcuus  successivement  à  Poitiers 
et  à  Bordeaux,  ce  dcruier  présidé  par  le  léçal  Amé.  Cet  acte  porte  la  date  de  1070, 
mais  il  y  a  lieu  do  suppléer  Je  cliifFre  9  omis  parle  fait  d'une  erreur  inalérieile;  Tan- 
néeioyt)  est  du  reste  indiquée  par  l'énoticc  du  chiffre  II  pour  lindicliou,  lequel  est  celui 
de  l'iDdiction  correspoDd."int  à  l'onuéc  ii>79. 

(a)  Cart.  de  Sainl-Cijprien,  pp.  34*  cl  343. 


m 


LES  COMTES  DE  POITOU 


une  porle  lorsqu'y  p(^nétraienl  par  une  aulro  neuf  religieux  con- 
duits par  un  d'enlre  eux,  alors  âgé  d'environ  soixante  ans.  Les 
deux  groupes  se  renconlrèrenl;  le  comte,  à  la  vue  de  ces  étran- 
gers, s'informa  qui  ils  étaient.  Leur  chef,  Géraud  de  Corbie,  lui 
apprit  qu'ils  sortaient  du  monastère  de  Sainl-Méclard  de  Soissons 
dont  il  èlail  at)l)é,  et  que,  désireux  de  fuir  le  bruit  du  monde,  ils 
cherchaicrU  un  endroit  solilaire  où  ils  pussent  vivre  en  paix.  Le 
comte  leur  demanda  dese  fixer  dansses  étais.  Kn  cet  insjfint  inter- 
vint le  prévôt  de  Eîordeaux,  Haoul,  qui  dit  à  Guy  qu'il  connais- 
sait un  lieu  propice  pour  cet  objet;  tieureux  de  voir  son  désir 
exaucé,  le  comte  confia  les  voyageurs  à  son  prévôt,  déclarant 
qu'il  leur  concéderail  le  domaine  indiqué  si  celui-ci  élait  à  leur 
convenance. Le  pri^vèt  les  emmena  au  lieu  dit  le  llaul-Villiers,sis 
dans  l'Enlre-deux-mers.elieur  montra  une  pelileégliseconslruite, 
non  en  pierre  mais  en  terre,  autour  de  laquelle  les  ronces  et  le 
fouillis  de  bois  s'élaienl  tellement  accrus  qu'il  était  impossible 
d'en  a[iprocher  sans  employer  le  fer.  Le  lieu  philà  l'abbé  et  à  ses 
compagnons  et  ils  résolurent  do  s'y  fixer  (1). 

Ceci  se  passait  à  la  fin  de  l'année  1077.  iMais  le  domaine 
n'était  pas  aussi  abandonné  qu'il  y  paraissait.  Un  certain  Auger 
de  Rions,  qui  s'en  disait  alors  possesseur,  le  leur  abandonna 
volontiers,  mais  cet  acte  souleva  promplement  une  énergique 
proleslation.  Auger  ne  jouissait  que  de  la  moilié  de  l'alleu  de 
liaut-Villiers  ;  l'aulre  moitié  élait  divisée  enlre  plusieurs  person- 
n('s,  parmi  Icsqijellcs  se  trouvait  une  dame  de  (Juîlres,  nommée 
Hermengarde.  Crlle-ci  avait  concL'dé  sa  porlion  à  un  religieux  de 
At.'iillezais,  qui  voulait  y  vivre  on  solilaire  et  y  avait  construit  la 
petite  église  qui  existait  encore  sur  les  lieux,  â'élant  déplu  dans 
sa  résidence,  il  l'avait  momentanément  abandonnée,  maïs  quand 
il  vil  qu'Ilernit^ngarde,  aussi  bien  que  les  autres  possesseurs  de 
lalleu,  l'avaient  donné  sans  réserve  à  Géraud,  il  s'en  fui  porter 
plainte  à  son  abbé.  Celui-ci,  s'élanl  rendu  au  concile  de  Bordeaux, 
revendiqua  pour  son  monastère  la  concession  d'Hermengardo. 
Le  nouveau  délenteur  se  tourna  vers  le  légiil  et  surtout  vers  le 
duc  d'Aquitaine  qui   l'avait  amené  en  ce  lieu,  afin  que  ceux-ci 


(i)  Butland.,  Acla  sancL  aprilis,  1,  pp.  4i9  e^  ^^' 


Ginr-GEOFFROY-GUILLAUME 

obtinssent  de  l'abbé  de  Maillezais  l'abandon  des  biens  contestés. 
Ce  dernier  ne  voulut  pas  prendre  sur  lui  de  décider  de  l'alTaire, 
et  se  retrancha  derrière  ses  religieux  dont  il  désirait  avoir  l'avis  ; 
après  le  concile,,  le  légal  dut  se  rendre  à  Maillezais,  où,  sur  ses 
instances,  les  moines  firent  l'abandon  de  leurs  droits.  C'est  sur  ce 
domaine  que  Géraud  éleva  son  monastère  de  la  Grande-Sauve  (1). 

Au  rclour  de  Bordeaux, Guy-Geoffroy  passa  par  Saintes  avec  une 
nombreuse  suite  dans  laquelle  se  trouvaient  Améleléf^atel  Hugues 
le  vicaire  du  pape,Joscelin, archevêque  de  Bordeaux,  fîoson,  évoque 
de  Saillies,  le  viconilo  Chàlon  et  autres.  Aléard  de  Morlagne,  qui 
était  pour  Tinslant  délenteur  de  Sainl-Eulrope,en  ft  l'abandon  au 
comte  en  présence  de  ses  compagnons  et  de  plusieurs  nolabies 
habitants  de  la  ville(2). 

L'abbesse  de  Notre-Dame  de  Saintes  ne  pouvait  négliger  de 
profiter  de  la  présence  du  conile-duc  et  de  ses  bonnes  dis- 
positions ;  elle  se  fit  accorder  par  tut  plusieurs  privilèges,  con- 
cernant des  colons  ou  des  collibertsde  sa  dépendance  et  elle  lui 
tu  déclarer  en  particulier  qu'il  ne  pourrait  exiger  de  ces  hommes 
aucun  service  militaire  en  dehors  de  la  Saînlonge,  à  moins  qu'il  ne 
fill  en  danger  de  perdre  quelques  territoires  (3).  1!  se  peut  que;  ce  soit 
à  la  même  époqueque  Guy-Geoiïroy  ail  concédé  àla  même  abbaye 
un  certain  terrain  confinant  à  l'église  de  Saint  Sulpice  (4)  et 


(r)  l^carh,  /fisl.  de  Maillesnis,  preuves,  p.  222;  GaUia  Christ.,  instr.,  col.3i4< 
Les  nuleurs  du  Gnllia  ne  soiil  pas  fixés  sur  la  Fondation  de  la  Sauve  qu'ils  placent 
en  1077  ou  en  1080;  la  prciiiicTc  dala  ust  fonrain  par  la  chronique  de  Siiinl-Maixcot 
\[t,  /(iij)  et  nous  la  leuons  pour  cvacle.  En  effet  la  prcniièrc  pierre  tlu  tiiûnîisltîrc  ayaiil 
clé  posée  le  M  niRi  1080  cL  Taulcur  de  la  vicdesainl  (léraud,  (|uL  riipporle  ce  fait, 
ayant  dit  qu'il  eul  lieu  deux  ans  après  l'arrivéD  du  saint  et  de  ses  conipaijiions  à  la 
Sauve,  on  ne  saurait  admetlie  levaclilude  d'un  nuire  passage  de  la  nièrne  vie  où  il 
est  raconté  que  celle  aiTivée  eul  lien  le  ay  orloltre  1079  II  y  a  «iarm  cet  énonce  une  con- 
fusion de  date  très  nalurflle,  cl  il  u'yannlfe  léniérilé  «  aiimeUro  «jiie  les  négociations 
quVniania  saint  Géraud  pour  se  faire  abandonner  le  territoire  de  llfiiit-Villiers  et  ses 
Cùnlealnlions  arec  les  reliq'icux  de  Miiilleziiis  aient  duré  deux  années  au  bout  des- 
quelles il  fil  construire  son  monastère.  Nos  conclusions  au  sujet  de  la  Fnndalion  de 
l'ablKiye  de  la  Sauve  sont  rn  «lésaccord  avec  les  opinions  de  l'ulustrc  {llisl,de  Gnil- 
ianme  IX,  p.  i5o)  el  de  Tal/bc  Ciiot  de  la  Ville  (flist.  de  la  Grundu-Saiwe.  18^71 
I,  pp.  242,  269)  qui  placent  rcntrevue  de  Géraud  avec  !c  comlc  de  Poitou  et  son  arri- 
vée à  la  Sauve  à  la  Hn  de  l'iitince  (079;  les  documents  dont  nous  avons  fixe  les  dûtes 
nous  paraissent  établir  que  ces  faits  se  sont  passés  deux  anuces  plus  l()l. 

(a)  Besly,  /fisf.  des  rondes,  preuves,  p.  38i. 

(3)  Ciirt .  df.  lYolre-Duine  de  Sainlea,  p.  54- 

(4;  Cart.  de  Notre-ÙMne  de  Saintes,  p.  90  ;  cet  acte  oe  peut  se  placer  qu'entre  1079 
el  108  t. 


S4« 


LES  COMTES  DE  POITOU 


quVil  ail  ordonné  à  Guillaume  de  Fors,  son  prévôl  de  Saintes,  de 
restiluer  aux  religieuses  la  dime  dont  elles  jouissaient  jadis  sur 
le  moulin  du  gué  de  Beis(l). 

Mais  le  comte  n'était  pas  au  bout  de  ses  concessions.  L'évêque 
de  Saintes  voulut  en  avoir  sa  part  et  s'ingénia  pour  faire  rentrer 
dans  le  domaine  religieux  un  bien  qui  en  avait  été  autrefois 
détaché.  Des  chevaliers  étaient  en  possession  d'une  église  de  sa 
ville  épiscopale,  Sainl-Serènc;il  l'a  leur  fil  enlever  par  Guy-Geof- 
froy, lequel  en  lit  don  au  chapitre  de  Saint-Vivien  de  Saintes  que 
Boson  favorisait  parliculièremenl.  Le  comle  confirma  tous  les  dons 
que  l'évoque  avait  précédemment  faits  à  ces  chanoines, et  yajoula 
la  dîme  de  ses  moulins  établis  auprès  du  ponl,  avec  un  terrain 
pour  en  établir  un,  s'il  le  leur  c-onvenail,  ainsi  que  toutes  les  cou- 
tumes el  ce  qui  pouvait  dépendre  de  son  droit  seigneurial  sur  le 
monl  de  Saint-Vivien  el  de  Saint-Serène  (2). 

On  retrouve  lecomle-duc  à  Bordeaux  le  20  juin  1080(3);  les 
travaux  de  construction  du  monaslère  de  la  Grande-Sauve  venaient 
de  commencer,  et  tout  annonçait  que  la  création  de  Oéraud  de  Cor- 
bio,  définitivemenl  consliluée,  allait  pouvoir  prendre  place  parmi 
les  établissements  similaires  derAquitaine  ;  Guy-Geoffroy  nepou- 
vait  rester  indilTérenl  à  la  croissance  decelle  œuvre  ù  la  naissance 
de  laquelle  il  avait  présidé,  aussi,  dans  ce  jour  du  20  juin,  en 
présence  del'archevêque  Joscetin,  de  Cenlulle,  vicomte  de  Béarn, 
du  vicomte  Aimeri,  de  son  neveu  Eudes,  de  Baudouin  de  Dun  el 
aulres,afrranchil-il  le  monaslère  de  la  Grande-Sauve  de  louto  domi- 
nation temporelle  qui  pourrait  être  prétendue  par  qui  que  ce  soit 
sur  ses  domaines,  lui  donna  la  cour  de  Brajac  pour  couvrir  la  dé- 
pense du  luminaire  de  l'église,  el  de  plus,  sur  aaprière,  il  décida 
Guiltaumede  Blanqueforlel  Guillaume  Hélie,viguicr  de  Bordeaux, 
à  lui  faire  des  dons  imporlanls. 

Il  n'est  pas  probable  que  le  duc  ail  résidé  à  Bordeaux  jusqu'à 
l'ouverture  d'un  nouveau  concile  qui  se  linl  comme  l'année  pré- 
cédente au  mois  d'octobre  ;  il  est  à  croire  qu'il  rentra  dans  l'in- 
tervalle àPoiliers  elque  c'est  alorsqu'ilsigna,ensa  qualité  d'abbé 


(t)  Ciirl.  lie  iVolre-Dame  de  Saintes,  p.  98. 
(a)  Besly,  Ilisl.  des  co/ntes,  preuves,  p.  /167. 
(3)  Galtia  C/irial.,  II,  instr..  col.  27^. 


GUY-GEOFFROY-GUILL  AUME 


347 


de  Sainl-IIilaire,  la  concession  du  domaine  de  Longrels  en  Bour- 
gogne, faite  par  le  chapitre  à  des  cbanoines  réguliers  (J). 

La  rf^imion  de  Bordeaux  fui  extrêmement  nombreuse  et  il  n'est 
pasindifTérenl  de  relever  les  noms  des  principaux  assistants:  c'é- 
taient Am6  et  Hugues,  légats  du  Saint-Siùge,  Joseelin,arrliGvAque 
de  Bordeaux,  Haoul, archevêque  deTours,  Guillaume,  archevêque 
d'Auch,  Boson,  évêque  de  Saintes,  Aymar,  (5vêque  d'Angoulômc, 
Guillaume,  évêque  de  Périgueux,  Raymond,  évêque  de  Bazas, 
Huj^'ues,  évêque  de  Higorre,  Donald,  évêque  d'Agcn,  Pierre,  évo- 
que d'Aire  et  de  nombreux  abbés,entre  autre  ceux  de  Sainl-Jean 
d'Angély,  de  Maiilezais,  de  Saint-Cyprien  de  Poiliers,  de  Saint- 
Julien  de  Tours, de  Nanleuil  et  de  Charroux. Celle  imposante  réu- 
nion de  dignitaires  ecclésiastiques  élait  motivée  par  limporlance 
d'une  question  que  les  légats  avaient  portée  devant  elle;  il  devait 
y  être  pour  la  dernière  fois  parlé  deBérenger,au  suji^l  de  qui  l'a- 
paisement se  faisait  peu  à  peu  dans  le  duché  d'Aquitaine.  L'archi- 
diacre d*Angers,  régulièrement  cilé,se  présenta  devant  le  concile, 
reconnut  publiquement  ses  erreurs  et  se  réconcilia  dérmilivemenl 
avec  TEglise  (2). 

A  la  même  assemblée  fui  déposé  Hugues,  abbé  de  Sainl-Li- 
guaire(3),  et  enfin  il  y  fut  discuté  quelques  questions  Iiligieusos,en 
particulier  la  réclamation  faite  par  les  moines  de  Charroux  contre 
la  donation  de  l'église  de  Varaise,  qu'Arnaud,  seigneur  de  ce  lieu, 
avait  précédemment  transmise  à  l'abbaye  de  Saint-Jean  d'Angély. 
L'abbé  de  Saint-Jean, confiant  danssa  bonne  cause, se  présentaseul, 
n'ayant  que  ses  moines  avec  lui;  Fulcrand,  abbé  de  Chn.r- 
roux,  étail  accompagné  de  son  frère  l'archevêque  de  Tours,  d'Eu- 
des, frère  d'Audebert  comte  de  la  Marche,  et  autres  ;  malgré 
l'appui  de  ce  brillant  entourage, il  perditson  procès, et  Varaise  fui 
adjugé  à  Sainl-Jean  (4).  Quant  à  Guy-Geoffroy,  il  confirma  solen- 
nellement le  6  octobre  l'acle  de  franchise  et  de  liberté  qu'il  avail 
accordé  à  la  Grande-Sauve  le  20  juin  précédent  et  après  y  avoir 
apposé  sa  croix  il  réclama  la  môme  faveur  des  membres  du  con- 


(i)  Rédcl,  Doc.  poar  Saint-Hilaire,  I,  p.   loa. 

(2)  Marclie^ay,  C/tron.    des  èyl.  d'Anjou,  p.  407.  Saîût-Maixcnl;  Labbc,  Conci- 
lia, X,  col.  38 1. 

(3)  Marcbegaj,  (lliron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  t\o-j^  Saiol-Maixent. 

(4)  D.  Fonleueau,  I.XII,  p.  G69. 


348 


LES  COMTES  DE  POITOU 


c'\\e.  (1).  En  reconnaissance  de  sos  bienfaits,  l'abbé  el  les  moines 
dt'^cidèronl  qu'à  l'avenir  il  y  aiirail  loujours  mémoire  du  duc  dans 
leurs  prières,  que  chaque  semaine  il  sérail  chanl»^  pour  lui  une 
messe  spéciale,  el  qu'en  souveîiir  de  sa  cliarilt*  une  prébende 
monacale  sérail  quoli«liennemenl  délivrée  aux  pauvres,  le  toul  à 
porpéluilé.  Pour  donner  loute  garantie  a  leur  décision  les  moines 
eti  (îrenL  Iranscrirole  lexlo  sur  deux  feuilles  de  parchemin  dont 
Tune,  destinée  au  duc,  fui  sansdoule  remise  à  son  cousin  Hoberl 
le  Bourguignon  qui  ussisla  à  la  délibération  des  religieux  de  la 
Sauve  (2). 

Le  0  décembre,  le  duc  élail  à  Saint-.Maixenl,soil  qu'il  rentrât 
»  Poiliers,  soil,  au  contraire,  qu'nprùs  avoir  fail  un  courl  séjour 
dans  sa  principale  résidence  il  s'aiheminâlvers  Saintes,  où  devait 
se  Icnîr  un  nouveau  concile.  lluy-dcotTroy,  nous  l'avons  vu,  ne 
se  gênail  pas  pour  disposer  de  domaines  qui  ne  lui  appartenaient 
pas.loul  aussi  bien  qu'il  mellail  volontiers  la  main  sur  ceux  qu'il 
pouvait  s'approprier  sous  des  prélexles  plus  ou  moins  plausibles. 
Il  semble  qu'à  une  certaine  époque  il  ait  marqué  de  l'aigreur  à 
l'égard  de  l'abbaye  de  Sainl-Maixeul.  On  ne  saurait  en  effel  dire 
s'il  y  a  eu  autre  chose  qu'une  simple  coïncidence  entre  son  avène- 
ment en  I0;)8  au  comté  de  ï*uHou  et  le  renoncement  vers  la  même 
ilate  par  Archenibaud  âsasilualion  d'abbé  ;  nous  inclinonsâ  croire 
qu'il  avait  peu  de  sympathie  pour  le  confident  de  sa  mère  et  c*esl 
l'abbaye  qu'il  dirigeait  qui  dul  porter  la  peine  de  sa  rancune. 
Après  la  mort  d'Agni-s  it  avait,  entre  nulres  acles,  enlevé  aux 
moines  la  moitié  du  péage  de  la  vîllo  de  Sainl-Maixeul  qui  leur 
avait  été  concédé  vers  1045  par  Giiiltaumi*  Aigret  cl  Agnès, moyen- 
uanl  le  don  d'un  cheval  valant  oOOsous  el  d'une  somme  de  300 sous 


(i)  Cirol  de  In  ViUe,  i/tsl.  de  la  Grande-Sanve,  I,  pp.  !\^'\,  ^g5. 

(2)  Gallia  Christ.,  Il,  in^lr.,  col.  274.  Cel  arlp  ne  pcrinel  p.ia  de  douter  de  la  le- 
nue  d'un  concile  h  Itonlcanx  en  1080,  dnie  indicpicc  du  reste  par  Ia  chroni(|(ie  de 
Sainl-Miùxenl  ;  quant  à  l'assemblée  de  1079,  rejnlér  par  divers  historiens  que  niellait 
iD  défianre  l'indicilioii  dti  tiiuis  d'dclfjbre.jKnir  l'une  et  l'aulre  de  ces  réunions,  elle 
rsl  élnblie,  non  seulrinent  |>ur  les  textes  t|iie  iiodh  nvons  publiés,  niiÛH  encore  par  ce 
fail  ))u'un  iicle  édité  diins  le»  Arch,  liixl.  tlf  la  (îirunde,  XV',  p.  aS,  iniiiqiie  cx~ 
(Tesst'tnenl  ipjc  l'cvéïpH!  »]e  Uazas.Rrtyrnond  II,  <pii  assisl.i  avec  ses  clercs  à  la  libéra- 
tion de  Saiiit-Kutro[ie  du  joiitf  laïque, se  Irotivrtil  im  concile  de  lîordeniix  île  l'an  1079; 
lie  plus  poui'  lyw:  saint  Ticraud  ait  ;>ii  j'oscr  au  ut')is  de  mai  loSo  la  première  pierre 
de  la  firandc-Siiuvc,  il  fiillait  h  tonte  force  ipie  la  p  )sscssioQ  du  terraiu  où  devait  s'é- 
lever le  monastère  lui  ait  été  reconnue,  ce  qui  se  fît  en  vertu  de  la  décision  du  con- 
cile de  1079. 


GLnf'-GEOFFROY-GL'FLLAUME 


en  argenl.  Pour  juslider  sa  brutale  façon  d'agir,  il  avait  argué 
de  ce  qu'il  n'avait  pas  donné  son  consenleinenL  à  ce  âon  ;  puis,  en 
1078,  il  fut  chargé  ou  se  cliargea  lui-même  de  rélablir  l'ordre 
dans  le  monaslère  où  Fabbé  do  Saini-Iiiguaire  voulait  faire  pro- 
céder à  l'élection  frauduleuse  d'un  abbé.  A  cet  elTet,  il  imposa 
au  choix  des  religieux  un  moine  de  Marmoutier,  Anségise,  qui 
loutefuis  ne  fut  ordonné  abbé  que  le  21)  septembre  1080.  Pour 
amener  les  moines  à  condescendre  à  ses  désirs,  il  leur  promit  de 
revenir  sur  sa  spoliation  et  de  leur  restituer  tout  ce  qui  avait  fait 
partie  delà  donation  de  son  frère,  mais  quand  arriva  le  momentde 
s'exécuter  il  s'y  refusa  absolument.  Sur  ces  entrefaites,  un  nommé 
Foulques,  qui  tenait  le  péage  de  la  ville,  élant  venu  à  mourir,  le 
comte  manifesta  l'intention  de  disposer  de  celui-ci  à  nouveau  sans 
tenir  compte  des  droits  des  religieux.  Dans  celte  extrémité, ceux- 
ci  jugèrent  plus  expédient  de  s'imposer  un  sacrilice  et,  pour  «éviter 
toute  avanie  à  l'avenir,  ils  versèrent  k  Guy  pour  s'assurer  ce  |)éage 
2200  sous  et  plus.  Toutefois,  instruits  par  l'exemple  du  passé, 
ils  pi'irent  celle  fois  toutes  leurs  précautions  ;  Guy-Geoffj'oy 
apposa  sa  croix  au  bas  de  l'acte  de  restitution  et  le  déposa  lui- 
même  sur  l'autel  de  saint  Maixenl  d'oii  deux  religieux  l'enlevèrent. 
Enfin  le  0  février  suivant  (I081\les  moines  se  rendirent  à  Poitiers 
et  firent  confirmer  la  charte  par  le  jeune  Guillaume,  fils  du 
comte,  lequel,  lui  aussi,  y  apposa  sa  croix  (i). 

De  Saint-Maixent,  Guy  avait  poursuivi  son  voyage  vers  Saintes. 
Dès  son  arrivée  les  religieuses  de  Notre-Dame  le  sollicitèrent  de 
donner  son  assentiment  à  la  restitution  que  leur  faisait  Francon, 
ancien  gardien  du  capitole  de  la  ville,  dont  à  ce  titre  il  s'était 
dit  le  seigneur  et  avait  voulu  agir  comme  tel,  de  biens  qui  leur 
avaient  été  jadis  concédés  par  le  comte  Geoffroy  d'Anjou  et  que 
Francon  s'était  fait  remettre,  sous  prétexte  qu'ils  avaient  fait  par- 
tie de  son  propre  héritage.  Son  dôsintércssemenl  avait  pour  cause 
l'enlrée  de  sa  lille  Abeline  dans  la  communauté, aussi  le  comte  en- 
Ira-L-il  pleinement  dans  ses  vues  et,  non  content  de  lui  donner  son 
approbation,  il  lui  permit,  en  outre,  de  disposer  en  faveur  des  re- 
ligieuses d'un  moulin  sur  la  Charente  qu'il  tenait  de  lui  en  fief  (2). 

(i)  A.  Richard,  Charles  de  Saint-Mai xent,  I,  p.  75. 

(3)  Cari,  de  Notre-Dume  de  Saintes,  p.  ^2.  Au  bas  Je  la  charte  de  doaalioa,  aprèi 


35o 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Le  concile  de  Saintes  ne  sembifi  pas  avoir  pu  au  sujel  des  alTaires 
de  ri''glise  en  général  l'imporlancede  celui  de  Poitiers  et  ne  pro- 
mulgua pas  de  canons,  mais  ses  membres  eurent  à  s'occuper  de 
f,'raves  queslions  de  discipline  ecclésiastique, inléressanl  non  seu- 
lement le  pays  aquitanique,mais  encore  des  régions  qui  en  étaient 
fort  éloignées.  Nous  pouvons  d'après  des  documents  qui  y  ont  trait 
y  constater  la  présence  des  archevêques  de  Vienne,  de  Bourges, 
de  Tours  et  de  Bordeaux,  des  évêques  de  Langres,  de  Bazas  et 
d'Angoulèrae,  ainsi  que  de  nombreux  abbés.  Il  était  présidé  par  le 
légal  Amé,  assisté  d'Hugues  de  Die,  ainsi  que  cela  s'était  passé  à 
Bordeaux  (I). 

(iuy-GeolTroy  vint  donc  dans  celle  solennelle  assemblée  et  à  la 
sollicitation  des  légats  il  compléta  l'œuvre  qu'il  avait  ébauchée 
en  1079.  11  avait  bien  alors  retiré  des  mains  laïques  l'église  de 
Sainl-l^ulrope  oh  reposaient  les  reliques  de  l'apôtre  des  Santons, 
toutefois  il  ne  semble  pas  que,  malgré  sa  promesse  d'en  faire  le 
centre  d'un  établissement  religieux,  la  situation  se  fût  au  fond 
beaucoup  modifiée  :  le  détenteur  précédent  était  bien  dépossédé, 
mais  l'église  était  restée  entre  les  mains  du  comte. Or,  en  même 
temps  que  Guy-Geolfroy,  se  trouvait  à  Saintes  Hugues,  l'abbé  de 
Cluny,  qui  avait  déjà  obtenu  tant  de  faveurs  de  lui.  Il  en  sollicita 
une  nouvelle  et  se  fil  donner  l'église  de  Sainl-Eutrope  en  toute 
propriété  à  la  seule  charge  d'avoir  à  payer  i\  l'église  mère,  c'est- 
à-dire  àja  cathédrale,  un  cens  annuel  de  cinq  sous  pour  bien 
marquer  la  sujétion  de  celte  église  envers  l'évoque  et  les  cha- 
noines de  Saintes  qui  avaient  donné  leur  assentiment  k  la  donation. 
L'acte  fut  confirmé  par  les  deux  légals  avec  toute  l'autorité  qu'ils 
tenaient  de  leurcaractèreaposlolique;  de  sonc5téChâlon,  le  vicomte 
d'Aunay,  vint  à  son  tour  renouveler  son  précédent  abandon.  Puis 


la  croLx  du  comte  Guy,  se  trouve  celle  d'un  (ëmoia  du  Doiti  de  Richard,  qui  sembla 
être  désigné  comme  8on  frère:  «  Sîg^num  Ricardi  -f-  fralris  ejus.  ?>  r.'csl  ainsi  que  l'a 
compris  l'nbhé  Grasiiier  {/l.,  p.  223J,  mais  cette  nolioQ  est  absolunienl  fausse,  Guj- 
Geoiïroy  étant  le  dernîei"  vivant  des  cnfauls  de  Guillaume  le  Graad,  dont  aucun  n'.i 
porté  te  nom  de  Richard.  Dans  celle  menlioa  insolile  il  n'y  a  lieu  de  voir  que  la  fa- 
çon défectueuse  dont  l'auteur  du  cartulairc  a  transcrit  les  noms  qui  se  trouvaient  au 
bas  de  la  charte  originale  ;  il  a  placé  le  nom  de  Rîchiinl  après  celui  du  comte  Guy, 
taudis  qu'il  aurait  dû  véritablement  venir  après  celui  du  donateur  Francoo,  qui  a  été 
maieDCoatreuaeiDent  mis  le  dernier. 

(i)  Arch.  hisl.  de  la  Gironde,  V,  p.  lot,  d'après  le  cartul,  de    la  Réulc,  acte  du 
8  iauvier  io8i, 


GUY-GEOFFROY-GUI  LI.AUME 


35 1 


• 


le  H  janvier  Î081,  pendant  la  lenue  du  concile,  le  comte  se 
trouvant  dans  une  chambre  dépendant  de  l'église  de  Saint- 
Kulrope,  remtl  lui-même  à  l'abbé  de  Cluiiy  la  charte  qui  monu- 
menlait  la  donation  (1). 

Il  esl  probable  que  de  Saintes  le  duc  se  dirigea  vers  le  midi. 
Il  ne  se  trouvait  assurément  pas  à  Poitiers  le  6  février,  jour  où 
le  jeune  Guillaume»  son  fils,  apposa  sa  croix  au  bas  de  l'acte  que 
lui  présentèrent  les  moines  de  Saint-Maixent  et  où  l'on  ne  voit 
guèresà  côlé  du  jeune  prince  que  deux  fidèles  de  son  père,  Aude- 
berl, comte  de  la  Marche, et  Huguos,prévôt  de  Poitiers,  qui  étaient 
assurément  préposés  à  sa  garde  (2).  Mais  on  constate  dans  le  cou- 
rant de  l'année  sa  présenceà  Bordeaux,  on  un  grand  seigneur  gas- 
con, Olto  de  Montai,  s'était  rendu  pour  assister  à  une  assemblée 
que  le  duc  y  avait  convoquée  et  qui  y  mourut  (3),  Cet  appel  fait 
par  le  duc  aux  barons  du  midi  n'avait  pas  seulement  pour  objet  de 
régler  les  affaires  qui  pouvaient  être  portées  devant  eux,  il  voulait 
de  plus  s'assurer  leur  concours  pour  mener  à  bonne  fin  une  entre- 
prise destinée  à  accroître  encore  son  prestige.  Sanche,  roi  d'Ara- 
gon, avait  demandé  en  mariage  pour  son  fils  Pierre,  Agnès,  fitle 
de  (luy-GoolTroy  et  d'Audéarde.  La  jeune  princesse  avait  alors 
neuf  ans  et  le  mariage  ne  pouvait  devenir  effcclifquc  plusieurs  an- 
nées après  sa  conclusion  (4)  ;  pour  parer  à  toute  éventualité  et 
empêcher â'ilétait possible  ce  qui  étaitadvenu  de  l'union  delà  fille 
de  Malhéode  avec  Alfonse  de  Caslille  qui  avait  répudié  sa  femme 
enl077jle  duc  voulut  entourer  celle-ci  delà  plus  grande  solennité; 
il  fil,  en  conséquence,  choix  de  douze  barons  pris  dans  l'assem- 
blée et  les  envoya  en  ambassade  auprès  du  roi  d'Aragon,  avec 
l'inlenlion  évidente  de  donner  par  leur  présence  plus  d'autorité 

(i]  Bruel,  Chartes  de  Clnny^  IV,  p.  715.  L'acte  ne  porte  pas  de  dale  d'année,  mais 
SCulcrueDt  le  chifTrc  de  l'iodiclioa  qui  esl  marquée  iv  et  qui  se  rapporte  rêellerneot  à 
l'anuée  to8i.  Labbe,  dans  ses  Concilia  (X,  col.  397),  dit  (joe  le  syuode  de  Suiules  fui 
célébré  en  luSu,  luaiii  cette  aaserliuû  esl  déuiuutie  tunt  par  cette  indication  spéciale 
de  l'indlctioii  qui  se  lilduns  la  charte  de  l^tiioy  t|uc  par  liicle  publié  dans  les  Arch. 
Itist .  delà  Gironde,  cilé   à  la  paye  prccétieate  nule    1,  qui  est  du  8  janvier  1081. 

(a)  A.  Hichard,  Chartes  de  Saint-Maixent,  I,  p.  lyS. 

(3)  Brulail»,  Cari,  de  Sainl-Seurin,  p.  j8;  Bcsiy,  /Jist.  des  comtes,  preuves, 
p.  385. 

(4)  Guillaume,  le  Bis  ataé  de  Guy-GeofFroy,  étant  ué  le  as  octobre  1071,  sa  sœur  ne 
put  veuir  au  monde  qu'à  lu  fin  de  l'année  107a;  en  1081,  elle  devait  donc  avoir  au  plus 
neuf  ans. 


LES  COMTES  DE  POITOU 

au  pacte  qui  allait  être  conclu  ;  h  mariage  dfi  Pierre  e(  d'Ag:nès 
ayant  eu  lieu,  nous  devutis  en  conclure  que  la  mission  des  barons 
eut  un  plein  succès  (1). 

Le  s<''jour  de  Guy-Geoffroy  dans  le  midi  nous  paratt  avoir 
aussi  eu  pour  résultai  darrèler  le  cotnlo  de  Toulouse,  Guillau- 
me IV, dans  la  voie  dangereuse  pourluioù  il  semblait  vouloir  s'en- 
gager de  nouveau.  Bien  que  son  père  Pons  I"  fût  mort  en  1000, 
c'eslseuleraent  vers  l'an  1079  qu'il  fit  avec  son  frère,  Itaymood  de 
Saint-Gilles,  le  partage  définitif  de  leur  magnifique  succession. 
Jusqu'alors  il  n'avait  porlé, comme  ses  prédécesseurs, que  le  litre 
decomle  de  Toulouse,  ou  encore  celui  de  comle  palatin  que  Pons 
s'altribua  en  I0o3  dans  la  charte  qui  confirmail  l'union  de  l'ab- 
baye de  Moissac  à  celle  de  Cluny  (2). 

Uès  qu'il  se  vit  réellemenl  à  la  lête  de  l'importante  portion  des 
domaines  patrimoniaux  qui  lui  avait  élé  dévolue,  il  manifesta 
d'aulres  visées.  Le  15  mai  de  l'année  107D  ou  1080,  il  délivra 
à  Tabbaye  de  Sainl-Pons  de  Thomières  une  charte  qui  avait  pour 
objet  de  la  mainlenir  dans  toutes  ses  possessions  et  il  rappela  à 
ce  propos  que  ce  monastère  fut  fondé  par  «l'ancien  duc  et  comte 
des  Aquitains  nommé  Pons  (3)  ».  Dans  cet  acte,  il  s'inlitulail 
•comte et  duc. par  la  grâce  de  Dieu, du  Toulousain,  de  l\41bigeois, 
du  ^Jue^ci,du  Lodévois  et  du  Carcass&s.  De  plus,  il  confirmait  les 
moines  de  Saint-Pons  dans  la  possession  de  tous  les  domaines 
qu'ils  avaient  pu  acquérir  dans  le  Péri gord,  dans  l'Agenais  et  dans 
l'Aslarac  (4).  Agir  ainsi  c'élail  faire  acte  de  suzerain  à  l'égard  de 
ces  trois  derniers  comtés  qui  dépcndaicntnoloiremenlde  l'Aqui- 
taine. Du  reste  il  ne  tarda  pas  à  alîicher  hautement  des  préten- 


(i)  Marcheg-ay,  Chron.  des  églises  d'Anjou,  p.  4o5,  Saint-Maixent;  Bcsty,  Hisi, 
des  comtes,  preuves,  p.  386,  d'après  une  cliarlc  non  datée  de  l'évêché  de  !)ax.  De 
Marca  [tlist.  de  Béaru,  p.3i8]  dil  que  celle  charte  ne  peut  apparieoir  qu'aux  aonces 
loHi  ou  1082;  nous  inclinoos  pour  la  première  de  ces  dates,  qui  csl  eu  parfait  accord 
avec  les  événcnicuts  de  ta  vie  de  Guy-Geuffroy  que  nous  connaissons.  ïiesly,  daas  lu 
noie  où  il  parle  de  ce  mariage, avance  (ju'Ag-nès  était  fille  de  Guy-Geoffroy  et  de  Ma- 
tbéode  et  s'en  référé  pour  cela  à  la  chronique  de  Saiiit-Maixcnl;  sur  ce  point  il  s'esl 
trompé,  la  chronique  disant  expres»énienl  (p.  ^ob)  qu'Agnès  était  fille  d'Audéarde. 

(2)  D.  Vaîssetc,  Hisl.  de  Lani/uedoc,  nouv.  éd.,  V,  col.  523, 

(3)  a  Anliquo  duce  et  comité  Aquitauensium  Domine  Pontio  ».  Il  s'agfil  de  Raymond- 
Pons  qui  fonda  Saiol-Poos  de  Tliomièrcs  en  giù  [D.  V'aissete,  I/isl,  de  Langaedoe, 
nouv.  éd,,  III,  p.  1 18). 

(4)  D.  Vaissete,  ///*/.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  V,  col.  648. 


GUY-GEOFFROY-GLILLAUME 


353 


lions  en  ce  sens»  Le  15  juin  1080  il  renouvela  la  concession  qu'il 
venail  récemment  de  faire  aux  moines  de  Sainl-Ponsel  ce,  disait- 
il, en  mémoire  de  son  ancôtre  l'ons,  «  duc  ou  grand  prince  sou- 
verain d'Aquitaine  (t)  »;  celle  lois,  l'énuméralion  de  ses  lilres 
eal  complète  :  «  Guillaume,  par  la  grâce  de  Dieu,  comle  et  duc 
des  Toulousains,  des  Albigeois,  des  Quercinois,  des  Lodévais, 
desrérigourdins,des  Carcassinois,des  Agenois  etdes  Aslaracois,  » 
disail  lacliarle.Or^aucun  acle, aucun  autre  lexle  ne  peuventnous 
luire  supposer  que  les  Irois  comlés  de  Périgord,  d'Agenais  et 
d'A&larac  aient  été  à  quelque  époque  que  co  soit  de  la  vie  de  Guil- 
laume IV  dans  la  dépendance  du  comlé  de  Toulouse;  il  semble 
seulement  que,  n'osant  prendre  ouvertement  le  titre  de  duc  d'A- 
quitaine, qui  drpuis  piusd'un  siècle  n'élait  plus  dans  safymille(2), 
il  se  soit  seuloiiienl  contenté  de  prétendre  à  la  suzeraineté  des 
comtés  qui  conlinaienl  i  ses  domaines  3). 

C'élail  encore  Irop.  Ces  prétentions  ne  durent  pas  manquer  de 
venir  i\  la  connaissance  de  Guj-GeolTroy  et  ctdui-ci,  peut-être  à 
celle  assemblée  de  liordeuuxde  1 08 1,  se  pronon(,'a-l-il  de  telle  façon 
que  la  lentalive  du  comle  de  Toulouse  n'eut  pas  de  suile.En  ell'et, 
on  conslule  rjuc  dans  une  cUarlc  du  pays  louluttsuin,  dalée  du 
18  mai  1081, Guillaume  est  simplement  désigné  par  sa  qualité  de 
comle,  que  dans  aucun  autre  acte  de  ces  régions  ni  lui  ni  ses  suc- 
cesseurs ne  se  sont  jamais  parés  de  ce  titre  de  duc,  enfin  qu'en 
1093  le  pape  Urbain  H,  luiécrivanl,ne  le  qualillail  que  de  comle 
de  Toulouse  tout  comme  ses  prédécesseurs  (4j.  L'babilelé  poli- 
tique de  Guy-GeotVruy  dut  amener  ce  résultat  sans  clliision  de 
sang  et  l'un  peut  cunslaler  à  suri  hunneiir  qu'il  lui  arriva  bien  ra- 
rement, du  jour  où  il  fut  véritablement  duc  d'Aquitaine,  d'avoir  à 


(i)  a  A  proavo  vidclicet  tncol'ontiu  Ai|uilanoruiu  duce  vel  principe  >  ^D.  Vuisscle, 
JJist,  de  Languedoc,  douv.  éd.,  V,  col.  04yJ. 

(a)  Voy.  plus  hûul,  pp.  87  cl  100. 

\S)  Nuus  ne  savoaa  quel  caracière  il  convient  d'aUribuer  à  la  présence  du  comte  de 
Toulouse,  au  mois  d'avril  107IJ,  à  la  renusc  «le  l'abhaye  de  Beuulieu  aux  religieux  de 
Cluoy,  que  til  Hugues  de  Caatclnau,  abtxj  ladjue  de  ce  monaslcre.du  conscnieinenl  de 
Guy,évc<iuede  Litnoges.du  vicomte  ArchambauddeOoiiiburu  ctdcses  lils,eLde  l'rouiu, 
abljc  de  Tulle  (Bmcl,  Chartes  de  Vliini/,  IV,  p.  Goi;.  Guillaume  de  iouiouse  se 
Irouvait-il  alors  forluilenieol  à  Ueauiieu  ou  bien  y  vint-il  pour  assister  à  l'acte  et 
afûrmer  certaines  prcleutious  de  suzeraiaelé  provenant  de  ses  aocèires?  Eo  tout  cas 
Celles-ci  ne  sont  pas  expresséiuenl  indiquées, 

(4)  U.  V'aissele,  /fitl.  Je  La/iyaeduv,  nuuv.  éd.,  V,  col-  GÛ8,  708  et  73oi 


354 


LES  COMTES  IlE  POITOU 


Il  SOI- (le  Ici  puissance  de  sesarines{l).  Au  milicnt  <]e  l'armée  nous  le 
reli  oiivons  à  Poiliers. 

La  leiilalive  du  comle  de  Toulouse  avait  du  rcsle  peu  de  chance 
d'uboulir.  (îuy-Geod'roy  se  rendant  fiicilement  comple  de  l'ina- 
possibililô  d'exercer  une  action  efficace  par  lui-raêtne  sur  les 
turbulents  seigneurs  delà  Gascogne,  avait  pris  le  soin  de  s'y  créer 
des  partisans,  intéressés  usa  fortune el  qui  y  exerceraienlen  son 
lieu  le  rôle  de  survoîllanls.  ^ous  avons  vu  qu'il  avail  chargé  le 
vicomle  de  Dax,  Uayniond,  qui  ne  cessa  d'être  son  agent  actif,  de 
le  représenter  dans  la  présidence  des  plaids  ordinaires  de  la  Gas- 
cogne ;  d'autre  part,  pour  annihiler  autant  que  possiljle  l'autorité 
des  comtes  d'Armagnac,  les  descendants  de  son  adversaire  Ber- 
nard Tumajmler,  il  avail  élevé  à  cnlé  d'eux  la  situation  du  vicomte 
do  lîéarn.  L'Armagnac  prétendait  à  la  vassalité  du  Béarn,  il  n'en 
fut  plus  question;  en  oulre,  il  s'assura  le  dévoucmenldu  vicomte 
Ccnlulle,  le  propre  neveu  de  Tuniapaler,  en  lui  abandonnant  la 
Soute,  le  chûlcau  de  Caresse,  la  seigneurie  de  Salies,  qu'à  des 
litres  divers,  faisaient  parlie  du  domaine  ducal  et,  de  plus,  il  lui 
rt-*connul  une  sorte  de  suprématie  sur  les  pays  pyrénéens  en  lui 
accurdanL  la  jouissance  de  don/*;  gîtes  dans  lesquels  le  duc  d'A- 
quilaine  avail  le  droit  de  s'installer  lorsqu'il  venait  dans  ces  con- 
trées. Par  suite  de  la  rareté  de  ses  visites  dans  ces  régions  cel 
abandon  coulait  peu  à  (juy-Geotfroy,  mais  il  était  précieux  à  Cen- 
lulle  qui  était  en  situation  den  user  fréquemment.  Aussi  le  vi- 
cùmle  de  Béarn,  dont  la  puissance  s'était  doublée  par  son  mariage 
avec  liéatrix,  héritière  du  comté  de  IJigorre,  déclara-t-ilon  loule 
circonstance  qu'il  était  le  vassal  fidèle  de  Guy-Geoffroy  et  de  son 
fds  Guillaume  et  [jarliculièrement  dans  l'acte  oii  il  prêta  sermenl 
au  roi  Sancbe  d'Aragon  pour  la  vallée  de  la  Tena  qu*il  possédait 
dans  ses  états  (2). 

(viD.  VnUsele  {ffist.  de  Linjnedtic,  aaav.  cJ.,  II,  p.  ^i8j  et  les  hisLoricns  qui 
l'ont  ttuivi  oDi  pcDdé  aulreiiieal  que  a<>u>>.  lU  mllachcut  à  la  (eulalive  avorlée  de  Guil- 
laume IV  pour  faire  revivre  claa»  sa  m  lisoa  le  lilrc  de  duc  il'A<}uilaine,  la  chevau- 
chée qu'il  avaiC  eulrcprise  el  qui  eul  pjuf  co  icluiioa  lo  massacre  d'uue  centaine  de 
chevaliers  deGuy-GiofJVoy  auprès  de  B  icd.;auï,cxpêJilioa  (jue  cious  avons  rapportée 
ârannée  1060  (Voy.  plus  haut,  page  s?'*}. 

(a)  Moolezuo,  fîfiat  de  in  Gascogne,  II,  pp.  G8,  73.  Besly  [ffitt.  des  co/n/M,  preu- 
ves, p.  'i'Kj  bis)  pbcc  avec  raiain,  aous  semble  l-il,  en  1070.  ^"^^^^  actes  où  Cenlulle 
tcmoii^nc  de  ses  scntiiiieuls  à  1  égard  di  duc  d'Aqailaiue  et  qui,  diiiis  les  textes  des 
hisloricaa  auxquels  il  lea  &  empruntés,  portent  la  date  de  iû77> 


GLTV'-GEOFFHOY-GUILLAUME 


355 


Cependant, dcpuisie  jour  on  le comle avait  pris  envers  l'abbô  de 
Cluny  rengageai enl  de  construire  Moniierneuf»  les  travaux  avaient 
murclié  et,  à  la  lin  de  l'annôe  1081,  les  lieux  claustraux  i^e  trou- 
vaient en  élut  de  recevoir  leurs  listes.  Il  envoya  en  Bourgogne 
une  mission  pourvue  des  chevaux  nécessaires  pour  amener  à 
Poitiers  la  nouvelle  communauté.  Dix-huit  moines,  sous  la  direc- 
tion de  leur  abbé  Guy,  précédemment  prieur  de  Cluny,  parLirenl 
avec  leurs  serviteurs  et  tout  ce  qui  était  nécessaire  à  leur  instal- 
lation, etenfin  le  22  janvier  1082  eut  lieu  la  cérémonie  solennelle 
dans  laquelle  l'abbé  l'ut  inironisé  et  béni  (1).  l/ai'rivée  des  reli- 
gieux dut  assurément  concorder  avec  rachiivement d'une por lion 
de  l'église  suffisante  pour  que  le  service  divin  pût  être  célébré 
par  la  conimunauté.  Évidemment  c'était  le  chevet  de  rédilice  et 
dans  celui-ci  la  partie  de  droite  qui  élail  conligué  aux  bàlimenls 
du  inonaslère.  Là  fut  placé  un  autel  consacré  à  saint  Pierre, 
saint  l*aulj  sainl  Jacques  et  autres  apôtreset  ipii  fut  bénit  par  ré- 
voque de  Poitiers  Isembert,  A  parlir  de  ce  jour,  el  à  mesure  de 
l'avancement  de  l'édifice,  tous  les  autres  autels  furent  successi- 
vement consacrés  lors  de  leur  mise  en  place  (2). 

Les  années  qui  s'étaient  écoulées  avaient  vu  s'augmenter  la 
dotation  primitive  du  monastère,  insuffisante  sans  doute  au  gré 
de  ceux  qui  élaienl  appelés  à  en  jouir.  Des  moines  de  Ctuny  rési- 
daient à  Poitiers,  en  particulier  Ponce,  rarchilecte  qui  dirigeait 
les  constructions  de  l'abbaye,  et  ils  ne  négligeaient  aucune  occa- 
sion pour  obtenir  du  duc,  directement  ou  par  son  itjfiuence,  de 
nouvelles  générosités  (3). 

Ce  sont  des  terres  à  Moulière  que  Guillaume  Robert  aban<lonne 
avec  le  consentemenldu  duc  (i),  le  domaine  de  Prémury  que  Guy- 
Geoffroy  disait  avoir  acheté  de  rurchevèijue  de  Bordeaux,  mais 
que  revendiquait  le  chevalier  Arraut  de  Spal,  qui  avait  même 
voulu  intenter  une  action  à  ce  sujet  et  qui  dut  y  renoncer  devant 
la  pression  exercée  parle  duc  sur  lui,  latil  directement  que  par 


(i  )  Arch.  de  la  Vienne,  chnin.  du  raoiae  Mirtia:  «  Dj  priai)  abbilti  dicli  [i>ci  •, 

{2)  De  Cliergé,  Afé/n.  sur  Mjnlisnteu/,i>.  2jj;  Aroh.dj  l^i  Vicaad,  chroa.  du  maioe 
Martin  :  u  Uescripliû  alUriofurn  ». 

(.i)  Le  nioiac  l'oace,  s'iniilutaui  s  s&Jificalor  maojiateru  »,  a:>slâic  4  la  doaalîoa  de 
Guiltuume  IVoberl  doal  il  va  élre  parlé. 

(/l)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  MoutierneuF,  u*  4- 


356 


LES  COMTES  DE  POT 


Fintprmi^fîiaire  du  vicomt<^  <ic  CliAli'HjM'fiuIt  dans  la  d«''pendance 
de  qui  se  trouvai!  le  chevalier (1),  la  villa  de  la  Jarrie  el  le  bonr^ 
de  Lotilai  en  Sainton^i^,  domaines  sur  lesquels  devait  pouvoir 
compler  l'aUbaye  deSainl-Jean  d'Anj;ély  àquile  duc  avnil  donné 
en  1073  Tt^jiflisede  Loti  lai  et  les  dîmes  de  la  Jarrie  (2),  des  vignes 
et  les  maisons  qu'elles  enlouraient  sises  an  clos  Guérin,  qu'il 
avait  acquises,  moyennant  30  sous,  de  Pierre  Alarl,  lequel  élail  à 
cause  d'elles  en  compétilinn  avec  Geoffroy  Bernard (3).  Maisrim- 
porlance  de  ces  donalions  est  effacée  par  d'autres  encore  plus 
considérables. 

Parmi  les  grands  vassaux  du  comi*''!  de  Poilou,  Guy-Geoffroy 
semble  s'être  plus  spécialement  attaqué  au  vicomte  d'Aunay  qui 
jouissait  de  nombreux  fiefs  conc(!'dé5  par  les  comtes,  soit  à  lui  soit  à 
ses  ancèlres.en  ri^munrralion  îles  services  qu'ils  leur  avaient  ren- 
dus.Parmi  ces  fiefs  se  trouvait  l'abbaye  de  Saint-I*aul  de  Poitiers. 
Ce  bi^^néfice  ecclésiastique  avait  élé  primiliveuient  dans  la  dépen- 
dance de  l'évèché  à  qui  les  comtes  l'avaient  enlevé  pour  en  gra- 
tifier les  vicomtesd'Aunay.  Guy-Geoffroy  jetason  dévolu  sur  celle 
abbaye  el  fit  savoir  h  lévêque  Isembert  qu'il  l'avait  retirée  au 
vicomle  Châlon;  il  lui  demandait  en  niAmc  temps  do  vouloir  bien, 
ainsi  que  le  chapitre  de  sa  cnlhédrale,  renoncer  aux  droits  qu'ils 
pouvaient  faire  vnloîr  sur  cet  ancien  domaine  épiscopal.  Sous 
celle  conlrainle  Tévèque  n'eut  qu'à  ))lier;  il  fit  plus  encore,  ce 
fut  lui  qui,   parlant  en   son  propre  nom,    déclara  publiquement 
qu'il  abandonnait  SainUPaul  aux  religieux  de  Mouiierneuf.  Pour 
étoiiiïer  toute  opposition  de  la  part  des  chanoines  le  comte  leur 
abandonna   les  droits  de  vente  que  ses  sergents  percevaient  le 
jour  de  la  Cène  de  jeudi  saint)  sur  les  parliculiers  qui  venaient 
ce  jour-là  débiter  leur  marchandise  devant  le  porlail  de  la  cathé- 
drale de  Sainl-Pierre,  sous  son  arcade  el  dans  le  pourtour  de 
l'église;  les  chanoines  ne  se  firent  pas  prier  longtemps,  car,  en 

(i)  Arch.  de  la  Vienne,  orijj-.,  Monlierneuf,  no  0;  D.  FoDleneau,  XIX,  p.  45. 

(a)  Bruel,  Chartes  de  Ctunij,  iV,  p.  fi3i.  (Voy,  plus  haul,  pasçe  3io). 

(3)  Arch.  de  la  Viptinc,  oriif.,  MualicrneuF.  no  7;  D.  Fonteneau,  XI.\,  p.  f^-j.  Le» 
quatre  acleg  4jui  prccèdeal  ne  sont  pas  datés,  mais  comme  tous  porlcnl  qu'ils  nol 
clé  passes  prntbnl  le  temps  que  (Juy-Ocoiïroy  faisait  cooslrtiirc  MonlierDeuf  <  coq$* 
fruere  Facil  ■>  el  qac  iraulrc  [inrl  iJn'y  est  paa  question  suit  de  l'abbë  soit  de»  moines 
qui  vinrent  s'installer  dans  l'abbaye  au  commencement  de  1082,  nous  croyons  devoir 
les  placer  entre  1077  et  1081 . 


GUY-GEOKFROY  GUILLAUME 


3S7 


échange  de  pareilles  compoiisalions,  ils  n'auraienl  certainement 
pas  hésili^  à  abandonner  lous  leurs  droits  nominaux  sur  les  domai- 
nes, nombreux  dans  le  diocèse,  qui  élaienl  sortis  de  la  sujétion 
directe  de  l'évêché.  En  conséquence  le  chancelier  de  l'évoque  ré- 
digea, le  10  juillel  1081,  une  magnifique  charle  de  donation  sur 
laquelle  le  duc  et  son  fils  Giiilluume  apposèrent  leur  croix  à  la 
suile  de  celle  de  révêquelsfmbert;  le^doycn,  les  membres  du  cha- 
pitre et  l'abbé  de  Saiiit-Cyprien  furent  témoins  de  l'acte  ainsi 
que  les  familiers  du  duc  parmi  lesquels  on  comple  Robert  le 
Bourguignon,  Maingot  de  Mulle  el  ses  frères, Pierre  de  Bridier,le 
prévôt  Hugues  cl  le  comte  Audeberl  de  la  Marche. A  celle  longue 
énuméralion  d'assistants  il  ne  manque  qu'un  nom,  celui  du  prin- 
cipal intéressé,  le  vicomte  d'Aumiy  (1). 

Parmi  les  faveurs  dont  Guy-Geo!îroy  ne  cessait  de  combler 
Monlierneuf  se  Irouvail  le  droit  de  prendre  dans  la  forêt  de  la 
Sèvre  le  gros  bois  qui  était  nécessaire  à  ses  besoin;*.  Agissant  avec 
ses  procédés  ordinaires  il  avait  enlevé  la  possession  de  cet  usage 
à  des  chevaliers  à  qui  il  l'avait  dorme  vingt  ans  auparavant  ;  mais 
ce  droit  d'usage  appartenaii  primitivement  à  l'abbaye  de  Saint- 
Maixent  qui  le  tenait',  ainsi  qiiu  le  péage  delà  ville  el  d'autres  pri- 
vilèges,de  la  générosité  de  (iuillauuie  Aigrel.  nuand,eu  i08U,ces 
religieux  furent  reutrés^moyennantlinance, en  possession  du  péage 
de  la  ville,  ils  purunt  croire  que  par  ce  sacrifice  toute  la  donation 
de  Guillaume  Aigret  allait  leur  être  restituée.  Il  n'enfui  rien  ; 
l'abbé  Anségise,à  qui  évidemment  despromessesavaientété  faites, 
recourut  à  des  voies  judiciaires  pour  en  obtenir  la  réalisation.  Il 
s'adressa  d'abord  à  la  justice  du  comte  el  se  présenta  à  une  assem- 
blée dans  laquelle  se  Irouvaienl  plus  de  deux  cents  assistants  ;  il 
ne  put  rien  obtenir.  11  se  tourna  alors  vers  les  juges  religieux  el 
soumit  sa  réclamation  à  un  synode  de  Poitiers  ;  il  ne  fut  pas  plus 
heureux.  Enfin  il  porta  l'affaire  devant  un  concile  qui  se  tint  à 
Charrotix  dans  celte  année  1082,  mais  ce  fut  sans  plus  de  succès  ; 
l'infiuence  de  Cluny  paralysa  tous  ses  efforts  (2). 

La  tenue  de  l'assemblée  de  Charroux,qui  était  présidée  par  le 
légal  Amé,  fut  accompagnée  de  la  consécration  d'un  autel  dans 


t 


(i)  Areh.  de  la  Vienne,  urijç.,  Monlierneuf  n»  9;  D.  Fonicneau,  XIX,  p.  55. 
(a)  A.  Hicbard,  Charte*  de  Saint- Alaixentf  I,  p.  i<jC. 


358 


LES  COMTES  DE  POITOU 


l'ô^Iiso  alibalialo  cl  de  l'oslension  des  nombreuses  el  précieuses 
reliques  du  monastère  (1).  On  y  prononça  la  d(''position  de  Bo- 
son,  révoque  de  Saintes,  dont  le  nom  ne  se  renconlre  pas  parmi 
ceux  des  prélats  qui  astiislèrent  au  concile  tenu  en  1080  dans  sa 
ville  «''piscopale  et  dont  il  se  tenait  peut-être  drjà  éloigné  (il). 

Nous  ne  «aurions  dire  si  Guy-Geoifroy  prit  pari  aux  fêles  de 
Charroux.On  pourrait  le  croire,  élanl  données  ses  habitudes,  mais 
il  se  peut  aussi  que  la  réunion  du  concile  ail  coïncidé  avec  d'im- 
porlanLes  opérations  militaires  qui  eurent  aussi  lieu  cnllo  année. 
Le  vicomte  de  Limoges  ou  les  habitants  de  la  ville,  on  ne  sait  au 
juste, étaient  en  guerre  avec  le  duc  d'Aquitaine.  Celui-ci,  suivant 
ses  procédés  ordinaires, ravagea  impilnyaldement  les  abords  de  la 
cité  et  môme  brûla  les  églises  qui  se  trouvaient  en  dehors  de  l'en- 
ceinte, en  particulier  celle  de  Saint-Géraud.  Celle  façon  d'agir 
énergique  dut  amener  promplement  la  lin  de  la  rébellion  dont  ne 
connaît  ni  le  point  de  départ  ni  l'issue  (3). 

Bien  que  Ton  possède  peu  do  renseignements  sur  les  diflicullés 
que  Guy-tleatrroy  ne  put  manquer  d'avoir  avec  ses  vassaux,  et  que 
do  rares  laits  précis,  tel  que  celui  de  Limoges,  soient  seulement 
parvenus  jusqu'à  nous,  riiabilude  des  guerres  privées,  des  agres- 
sions soudaines,  était  tellement  ancrée  dans  les  mœurs  que  le  dur 
d'Aquitaine,  malgré  la  vigueur  de  ses  répressions  cl  l'habileté  de 
sa  politique,  ne  dut  pnséchap[ier  à  la  loi  commune  h  une  époque 
où  pour  les  régions  mémo  on  il  dominait  l'Eglise  diit,alln  de  mel- 


(i)  Marcheçay,  Chron.  des  érfl.  trAnjoii,  p.  4^7,  Saint-Maixenl. 

{7)  Gttilia  (./irrsL,  11,  col.    iaG/(. 

(!i)  rtesly,  //ii'l.  tirs  cf.mtes,  |ireiive«,  p.  ^.'id  bis,  d'après  le  cariul,  de  Salul-Etienne 
de  Lim"a;-(;s,et  p.  380,  d'cprcs  une  chrûui([ue  nianuscrile  de  Limoçea,  doûl  les  textes 
sonl  idenliqucs.  La  chronique."  de  GeolTruy  du  Vigeois  (Labhc,  Nova  hilA.,\\,  p.  aSy) 
place  ces  fnils  en  inSo,  <"l  l'édileur  dece  clironiqueur  Jes  jne(,  par  auile  d'une  corrcc- 
lion,  en  l'nnnéc  1087.  Paluslre  [t!ix{.  de  Giitllaiime  IX,  p.  iW[  et  ss.)  allrihue  Taf- 
l'aire  de  Lîriiu^es  à  un  soulùvemeul  des  Ixibitants  corilrc  leur  vicomte, lequel  aurail  eu 
pour  ohjrt  d't-lal»lir  une  commune  dan»  la  ville.  Marvauil  (IHst.  îles  vicomtes  et  de  la 
vicomte  de  Limuf/es,  1873,  I,  p,  i^O  cl  ss.J  rattache  ces  fai(s  à  la  chevauchée  de  Guil- 
laume, comte  de  Toulouse,  placée  par  H.  Vaissete  à  peu  près  à  cette  époque  (nous 
avons  étahli  (pi'ellc  doit  upparlenir  n  l'unnêe  10117)  *"'  '"'-'i''  '1"*^  '^  vicomte  Adémar  ait 
pris  parti  pour  lui.  Il  mêle  aussi  à  celte  aflaire  ufi  Guillaume  Taillefer,  comte  it'An- 
jfoulème.qui  aurait  cotitianil  Guy-iieoiVroy  à  lever  le  sièt^c  de  Limoifes;  or  GuîJInunic 
Taillefer  ne  sncccda  à  son  prrc  Foulques  qu'en  1087,  ce  qui  le  met  hors  de  cause, 
et  de  plus  Marvaud  s'appuie  pour  faire  ces  récits  sur  l'iiislorien  auiçoumoisin  Corlieu 
lequel  n'en  louche  pas  un  mot.(Voj.  le  Heciieil  en  forme  d'hiftoire  de  Cnrlieu,  publié 
parJ.  H.  Michoii,  iS^t»,  p.  ai,  à  hi  suite  de  V/fisloirn  de  l'Angoamois  de  Vigier  de 
la  Pile). 


GUY-GEOFFROY-GUILLAUME 


359 


Ire  un  obstacle  à  ces  maux,  faire  admellre  la  Trùve  de  Dieu.  Il  se 
peut  donc  qu'il  ail  eu  aussi  maille  k  partir  avec  Foulques  Taille- 
fer,  comle  d'Angoulêrae,  qite  les  chroniques  représentent  comme 
un  violent  batailleur.  Celui-ci  fui  pendant  une  partie  de  sa  vie  en 
lutte  avec  son  frère  Guillaume  qui,  pendant  près  de  trente  ans, 
posséda  l'évôché  de  cette  ville.  L'évêque  était  un  des  familiers  du 
comte  de  Potion  et  on  le  renconlre  souvent  dans  les  assemblt»es 
présidées  par  (iiiy-Geoiïroy, tandis  que  la  présence  de  son  frère 
y  est  rarement  constatée.  Tout  d'abord  l'"oiilques  aurait  repoussé 
une  agression  des  Poitevins  qui  auraient  envahi  sa  terre  pour  la 
dévaster  et  prenant  audacieusemcnl  rotlensiveil  les  aurait  repous- 
sés jusqu'à  Cognac  en  Saintonge,  après  leur  avoir  fait  un  grand 
nombre  de  prisonniers.  Kn  outre,  dans  le  môme  pays  de  Saintonge, 
il  aurait,  avec  une  troupe  considérable,  marché  au  secours  de 
Mortagne,  qui,  assiégé  par  le  duc  d'Aquitaine,  était  sur  le  point 
de  se  rendre  et  il  aurait  contraint  les  assaillants  fi  se  retirer  (!). 
Quoiqu'il  en  soit,  l'année  1082  nous  paraît  avoir  été  une  des 
plus  troublées  de  l'existence  de  fiuv-GeolTroy,  mais  les  préoccu- 
pations extérieures  ne  le  détournaient  pasde  s'oncuperdes  affaires 
intérieures  de  ses  états.  Dans  le  courant  de  l'année,  sans  doute 
avant  le  concile  de  Charroux,  il  se  tint  h  Poitiers  un  important 
synode  auquel  le  comte  assista;  on  s'y  occupa,  entre  autres,  de 
choisir  un  abbé  pour  le  monastère  de  Maille/.ais  que  Droon  venait 
de  quitter.  Avec  le  consentement  du   eomlc  et   de  l'évéque  de 


(i)  Historia  poidif.  et  comil.  Engolismensiiim, p.3G_  Le  chroniqueur  qui  r.ipportp 
ces  failH  dit  qucTévcque  Giiillnumc  était  un  des  familit^rs  du  duc  li'AquîlaÎQC  nuillim- 
me,  lequel  lui  aurait  donné  entre  autres  la  trésorerie  de  Sainl-fUiairc  et  les  offran- 
des de  l'autel  de  Snint-Jcsn  d'Ançêly.  Hcsly  \IIisl.  df.s  comtes,  p.  106')  rt  le  Gallifi 
Christ,  (fl,  ciil.  oyii)  i«)enlifient  ce  tiuillaunie,  duc  d'Aquitaine,  nvec  Guy-Geoffroy. 
Or  il  est  établi  par  de  nombreux  <locumeDts  que  Joscelin  de  Parthi*niiy  fui  trésorier 
de  .Safnt-Hibire  depuis  Mr'57  au  moinn  jusqu'A  sa  mort,  arrivi'-e  en  1080.  Dans 
col  intervalle,  qui  comprend  fout  le  temps  que  Guy-GenfFroy  çnuverno  le  duché 
d'Ai|iiilaine,  il  n'v  a  p,-»»  de  [dnce  pour  l'évèque  d'Ançouténic  à  la  tcle  de  la  trésorerie. 
Il  pu!  au  ccDlraire  succédi-r  d.ius  celle  rharjje  h  Fulbert  de  Chartres,  mort  en  1079, 
et  s'en  démettre  lors  de  son  .ivénemenl  à  l'évéché  d'AnsjouIême  vers  io/j3.P»r  suite. 
le  duc  Guillaume  dont  parlent  tes  auteurs  sérail  ou  GuilL-iume  le  Gros  ou  Guillaume 
Aiiïret,  et  les  faits  de  tfuerre  relates  par  l'hiRlorieu  de»  évéques  d'Ançouléme  se  rap- 
porteraient A  l'un  de  ces  deux  princes  cl  non  à  Guy-Geoffroy.  Le  seul  motif  qiji  pourrait 
faire  atlrihuer  le  siè«?e  de  Morla^nc  à  ce  dernier,  cVsl  que  le  clironiiiueur  rapporte 
(jue  le  comte  ovail  dévasté  les  abord»  du  chdtenu.  ce  qui  était  dans  ses  habitudes.  On 
peut  par  contre  ofiposer  n  ce  dire  que,  selon  le  Gntlin  (II,  col.  ri'.i'*)f  l'évcquc  d'.Vu- 
jçoulérre,  S)>rês  avoir  été  pendant  les  preniicrcs  années  de  fson  cpiscnpnt  en  lullc  nvec 
son  frcre,  se  réconcilia  avec  lui  et  qu'ils  vécurent  m  suite  en  pjd.\. 


3Go 


LES  CO.MTlîS  DK  POITOU 


Poiliors,  fieolTroy,  moinft  de  Sainl-Micliel  de  rEcInse,  fut  élu,  et 
Ton  fil  cnsuile  ratifier  cet  acte,  pour  la  forme,  par  les  religieux 
de  l'abbaye  (i). 

Poitiers  étail  du  resle  toujours  la  principale  résidence  du  com- 
le-duo.  Le  4  février  1083  il  ne  dédaif^na  pas  d'assisler,  ensaqua- 
lilé  d'abbé  de  Saint-llilaire,  au  contrat  de  mariage  de  deux  par- 
ticiilîi^rs  qui  résidaient  dans  le  bourg  du  cbapitre  (2),  mais  sa 
principale  préoccupaliou  éluif  loujours  Munlicrneuf.  Selon  un 
écrit  fonlemporaiu,  lorsqu'il  faisait  son  séjour  dans  sa  capitale, 
Guy-Geoffroy  ne  laissait  pas  passer  une  journée  sans  descendre 
au  monastère,  et  s'il  venait  du  dehors  il  n'entrait  pas  dans  son 
palais  sans  avoir  auparavant  rendu  visite  aux  religieux  qu'il  appe- 
lait ses  sei|:;neurs;  il  se  rendait  lui-même  à  la  cuisine  et  demandait 
au  ccllerier  do  quoi  se  composerai!  le  refias  du  jour  cl  s'il  appre- 
nait qu'il  devait  comprendre seulemenldesœufsjdu  fromage  ou  de 
petits  poissons,  il  ordonnai!  aussitôt  h  sou  trésorier  de  verser  une 
somme  convenable  pour  ramélioration  de  cet  ordinaire  (3). 

Dans  ce  tableau  il  y  p.  sans  doute  quelque  exagéralion,  l'auleur 
abusant  souven!  du  lyrisme  dans  ses  récils,  mais  les  lif^nes  géné- 
rales doivent  être  exactes.  Il  y  avait  déjà  deux  ans  que  Monlierneuf 
aurait  dû  prendre  possession  de  l'abliaye  de  Saint-Paul  quand  le 
comte  sentit  la  nécessité  d'en  finir  avec  la  résistance  du  vicomle 
d'Aunay, Celui-ci, subissanl  la  contrainte  de  procédés  sur  lesquels 
nous  n'avons  pas  de  détails,  fut  amené  à  ratifier  la  donation  de  i081 
h  laquelle  il  n'avait  pas  personnellement  pris  part  ainsi  quel'aban- 
don  généra!  fiiil  par  l'évoque  et  le  cbapilre  de  Poitiers  ;  dans 
l'acle  auquel  il  souscrivit  le  8  juin  1083  el  qui  émane  comme  le 
précédent  de  Tévôque  Isembert,  il  esl  non  seulement  question 
de  la  cession  de  l'abbaye  de  Saint-Paul,  mais  encore  des  églises 
de  Notre-Dame  du  Palais  el  de  Saint-Germain  de  Poitiers  el  de 
celle  de  Migné,  prés  de  celte  ville,  qui  étaient  dans  la  dépen- 
dance de  celte  abbaye.  Le  viconile  dut  môme  ajouter  à  la 
principale  donation,  laquelle  comprenait  ce  qu'il  tenait  féodale- 


(ly  Lacurie.  f/ist.  de  Afm'llfsais,  p.  587;  D.  Fonteoeaa,  XXV,  p.  157. 
(a)  Hédel.  Doc.  pour  Sitint-Hilnire,  I,  p.   loû. 

{3)1  Arch.   rJe  la  Vicoac,  cUroa.  du   moine  Martin,   «  De  devociooe  quam  er^ 
monacboB  hsbcbat. 


fiin-GEOFFROY-GlJlLLAUME 


3Gt 


menl  de  l'évèque, divers  biens  qui  lui  apparlenaienl  en  propre, lels 
que  la  maison  el  le  verper  qu'il  possédait  dans  les  dépendances  de 
Sainl-Paul, ainsi  que  tout  ce  que  lui  ou  les  clercs  desservanll'ab- 
baye  pouvaient  tenir  d'elle  en  bénéfice,  soil  qualre  petits  fiefs  (1). 

La  vive  pression  exercée  par  Guy-Geofl'roy  sur  son  vassal  ne 
saurai!  6tre  révoquée  en  doub\  Vin^lans  après  ces  événeuienls,  le 
comte  el  ie  vicomte  étant  morts,  Guillaume,  le  fils  de  ce  dernier, 
prolesta  contre  l'exlorfiion  dont  son  père  avait  été  victime  elqu'il 
attribuait  hautement  au  comte  lui-môme.  Les  moines  de  Monlier- 
neuf,  peu  sûrs  de  la  justesse  de  leur  droits,  et  ne  se  sentant  plus 
soutenus  par  la  main  puissante  à  qui  ils  devaient  tout,  se  mirent 
d'accord  avec  le  vicomte  d'Aunay  et  obtinrent  de  lui  la  confir- 
mation de  cet  acte  dont  l'objet  constituait  un  de  leurs  prin- 
cipaux domaines  (âj. 

Il  est  à  présumer  que  l'on  profila  de  la  situation  où  se  trouvait 
le  vicomte  Chàlon  pour  l'amener  à  reconnaître  un  autre  don  fait  à 
Monlierneur  et  même  à  y  participer.  11  aurait,  on  ne  sait  quand, 
concédé  à  Hugues,  abbé  de  Gluny,  plusieurs  églises,  entre  autres 
Javarzay;  Hugues,  faisant  en  quelque  sorte  un  cadeau  de  bien- 
venue à  l'élablissement  qui  devait,  dans  sa  penséo,  être  le  centre 
d'action  de  son  ordre  en  l'oitou,  fît  abandon  dt*  toutes  ces  églises 
à  Montierneuf.  Le  vicomte  donna  son  consenlement  à  cet  acte, 
en  renonçant  complètement  k  ses  droits  de  suzeraineté  ;  de  plus, 
auxbiensdont  il  s'était  déjà  dépouillé,  il  joignitsun  pàquier  d'Au- 
bignéet  autorisa  pour  l'avenir  les  moines  de  Montierncuf  à  acqué- 
rir sans  entraves  tout  domaine  possédé  par  quelqu'un  de  ses 
feudalaires.  Cette  l'ois  il  ne  se  déroba  pas  à  la  manifestation  de 
son  engagement;  il  fit  apposer  son  nom  au  bas  de  la  cbarie,  dont 
la  rédaction  eut  aussi  pour  témoins  le  comte  et  quehjues-uns  de 
ses  familiers  tels  que  iMaingol  de  Mette  et  Béraud  de  Dun  (3). 

La  présence  de  ce  dernier  personnage, que  l'on  rencontre  assez 


(.)  Art'h.  de  la  Vicone,  orti?,,  Moalieracuf,  n"  lo;  HcsIv  {//<s7,  des  comtes,  preu- 
ves, p.  387)  douue  la  lct;on  încorrecle  de  «  julii  >■  au  lieu  de  »  juiiii  ^. 

(a)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  acte  daté  de  i  iifijMonlierneuf  ,n«  24;  l^*  Fonteoeau, 
XIX,  p.  139;  Besly,  //ist    des  comtes,  preuves,  p.  388. 

(3)  D.  Fonteae'iu  (XIX,  p.  67)  s'est  tronipê  eu  atlribuanl  celle  donation  i  l'abbé 
de  ^fontierneuf;  à  cette  dutc,  l'ubbû  s'appelait  Guy  cl  uon  Hugues,  cl  ce  dernier  nom 
était  celui  de  l'abbé  de  Cluoy. 


363 


LES  COMTES  DE  POITOU 


rarpnwnl  à  cM\(*  Opoque,  nous  porte  h  penser  qu'à  la  inènn;  dale 
fui  passé  un  aiilre  acte,  bien  imporlanU  concernant  Monlierneuf. 
Les  deux  chartes  par  lesquelles  Guy-GeorTroy  avait  placé  l'abbaye 
sous  la  domination  de  Cluny  énonçaient  bien  en  gros  que  le  fonds 
sur  lequel  elle  se  conslruisail  et  ses  dépendances  jouiraienl  de 
de  Ions  droils  de  franchise  el  de  liberté,  mais  elles  n'étaienl 
entrées  à  ce  sujol  dans  aucune  spécification  spéciale.  Ce  silence 
aulorisail  lous  les  empiétements  oi  les  moines  no  manquèrent  pas 
de  donner  aux  termes  employés  par  le  comte  toute  l'amplitude 
qu'il  leur  fui  possible.  Cependant,  un  jour,  le  prévôl  Hugues 
trouva  qu'ils  en  abusaient,  parliculièremenlsur  ce  fail  que  Tabbé 
étendait  son  aulorilô  sur  des  particuliers  qui  devaient  être  dans 
la  ligence  du  comte  el  qu'il  lui  en  enlevait  la  directe,  c'est-à-dire 
tous  les  profits  qu'il  était  susceptible  d'en  retirer. 

11  porta  donc  plainte  à  Guy-Geoffroy  qui  assembla  son  conseil 
et,  avec  l'assentiment  des  partiesen  cause,  l'abbé  el  le  prévùt.  régla 
leurs  droits  respectifs.  Il  commença  par  déclarer  que  c'était  lui- 
même  qui  avait  construit  Monlierneuf  et  qu'il  avait  disposé  en 
faveur  de  ce  monastère  d'uneportion  considérable  de  ses  revenus 
ainsi  que  pouvaient  l'attester  les  chartes  de  privilt'ges  qu'il  lui  avait 
délivrées  ;  il  ajoutait  que,  les  choses  ainsi  concédées,  l'abbaye 
devait  les  posséder  franches  et  quittes  de  toutes  charges. sans  que 
ses  successeurs  pussent  jamais  venir  k  l'enconlre.  Cette  donation 
s'appliquait  au  bourg  au  milieu  duquel  était  édifié  le  monastère,  à 
celui  qui  existait  au  drlàde  ta  rivière  du  Clain,  au  bourgde  Saint- 
Saturnin  et  aux  terrains  que  les  moines  pouvaient  acquérir  jus- 
qu'aux murs  de  la  cité  el  dans  lesquels  il  n'avait  retenu  aucun 
droil.  Il  avait  abandonnée  l'abbaye  lous  les  hommes  coiilumiers 
(|uî  poiivaienl  habiter  ses  bourgs  jusqu'au  jour  on  la  charte  de 
donation  fut  passée,  mais  il  lui  avait  interdit  de  recevoir  à  l'ave- 
nir aucun  homme  tenu  à  quelque  devoir  envers  lui.  Pour  satis- 
faire à  la  réclamation  du  préviM,  il  spécifia  que  les  marcliands 
ambulants  demeuranl  à  Poitiers  acquitteraient  aux  moines  la  cou- 
tume habiluelle  quand  ils  viendraient  débiter  des  marchandises 
dans  leur  bourg,  mais  que  lorsqu'ils  reinonleraienl  en  ville  ils 
paieriiient  an  prt'vùl  la  même  coutume,  sans  tuulefois  qu'il  fût 
exercé  de  contrainte  sur  eux  ;  «enibliiblemenl  les  moines  devaieril 


GUY-GËOFFROY-GniLLAUME 


363 


toucher  dos  droils  cou  I  limiers  de  Ions  marchands  passîinisqiii  ven- 
draienUlans  leur  U^rriloire.  Sur  laquoslion  do  franchise  du  bourg 
propreDienlditdeMonliernfMifiîIadéchirail  complète,  delellesorle 
que  si  unparlicuMer  ayanl  commis  quelque  forfait  oti  élant  pour- 
suivi par  la  justice  du  comte  se  réfugiait  dans  ce  bourg,  il  lui  serait 
loisible  d'y  vivre  en  toute  quirlude  jusquati  jour  du  rL'glemenl 
de  son  affaire  ;  pareilleiiienl  les  habilauls  du  bouffï  ou  ceuv-l:i  qui 
y  auraient  apporté  leurshiens  posirraicnl  on  jouir'  on  loule  liberté 
ety  vivre  en  repos,  sansqu'ils  pussent  f^lreeii  butte  à  aucuns  sévi- 
ces ou  subir  aucun  dommage  dp  la  part  dos  hommes  du  comle. 

Telles  étaient  en  un  mot  les  principales  clauses  de  la  rhailo  do 
francb  ise  don  iraiy-Geoffroy  dot  ai  Isa  nouvelle  création  el  qui  venait 
placer  la  ville  de  Poitiers  enlre  Irois  liourgs  francs,  !?aint-lliluire, 
Sainte- lîadegonde  et  Monliorneirf.  Pour  lui  donner  loul<»  sa 
valeur  il  plaça  l'aclc  entre  tes  mains  de  son  fils  et  de  l'abbé  Guy 
et  le  fit  approuver  par  les  assistants,  parmi  lesquels  on  est  éton- 
né de  ne  pas  trouver  le  préviM  Hugues,  mais  seulement  son  frère 
liudos  qui,  dans  la  circonslance,  est  aussi  qualifié  de  prévôt  (1). 

Par  analogie,  nous  plaçons  h  la  même  époque  une  autre  dona- 
tion ["aile  à  Monlierncuf  et  qui  ne  nous  puruil  pas  plus  volontaire 
que  les  précédentes.  L'abbaye  de  Sainl-Cyprien  avait  re(,'u  en 
cadeau  d'Airaud  de  Montoiron,  quand  ilentra  comme  moine  dans 
la  communauté,  l'important  domaine  de  lîeilefonds  avec  l'église  de 
Liniers  elde  nombreuses  dépendances  {i).Le  comle  avait  assisté  à 
l'acte  qui  avail  été  dressé  à  cette  occasion,  semblant  par  sa  pré- 
sence devoir  lui  donner  loule  sa  valeur,  tandis  qu'au  contraire  il 
ne  se  trouvait  là  que  pour  donner  satisfaction  h  ses  secrets  désirs. 
Ilinvitadonc  les  moines  de  Saint-Cyprion,en  faisant  preuve  d'une 
grande  tiumilité  et  d'une  grande  dévotion  envers  lour  maison  et 
son  patron,  à  disposer  d'une  parlie  de  ce  qu'ils  venaient  ainsi  d'ac- 
quérir en  faveur  de  l'abbaye  de  Montiernouf;  leurabtié  Kavnaud 


(i)  Arch.  de  \a  \"tcaai^,  cart.  de  Monlîerneuf,  rc<*.  no  sot'i,  fui.  w";  l).  Fon(c- 
nfHu,  XIX,  fi.  71;  Champollion-FiiîMc,  fJoc.  hist.  inèditt^  pari.  2,  p.  j,  d'nprès  un 
irvti*  recueilli  fiar  Beslyqui  dilT^rc  ûolalilemeut  de  celui  du  carhil.«irc.  Ucratiil  de  Dun, 
don!  Ib  présence  dans  ces  divers  ncies  nous  a  servi  pour  le«  dater,  chI  cnrore  cité  co 
qunlité  de  membre  de  la  conr  de  justice  du  dmr  tlao-*  une  ebarle  de  Murmiiiilier 
relative  au  prieure  de  Foolnines  (Mnrehearnv,  Cari .  dit  lins-Poitm,^.  g't). 

(al  Cari,  de  Suitit-Ci/prien,  p.  i/|.'{. 


m 


LES  COMTES  DE  POITOU 


dul  s'exéculcr,  mais  SEichanl  à  qui  il  avait  affaire  il  prit  ses  pr6- 
caulioiis  el  en  faisatiL  constalt'r  Jans  l'acLe  que  lui  el  son  couvenl 
faisaient  grahiitemenl  l'abandon  à  .Monlierneuf  de  la  muiliù  de 
l'église  de  Liniers,  de  la  dlme  de  la  paroisse  el  de  toul  ce  qui 
dépendait  de  cette  église,  ils  firenl  reconnaître  par  Guy-GeofFroy 
leur  droit  léi^ilime  à  la  propriété  de  la  donation  d'Airaud  de  Aion- 
loiron  el  lui  lirenl  prendre  rengagement  de  la  déleudre  envers 
el  conlre  lous  (1). 

L'aulre  moiliô  de  l'église  de  Liniers  appartenait  h  Boson,  vi- 
comte de  Chàtelleraull .  (^elui-ci  n'échappa  pas  non  plus  à  la  pres- 
sion du  duc.  Il  avail  assisté  en  qualité  de  suzerain,  avec  sa  femme 
el  ses  Gis,  à  la  donation  d'Airaud  ;  il  dul  ainsi  que  sa  femme 
renoncer  à  leur  droit  supérieur  de  propriété  en  faveur  de  Mon- 
lierneuf. Il  est  à  présumer  que  ce  fait  se  passa  lors  d'une  visite 
que  le  vicomte  faisait  aux  travaux  de  l'abbaye,  car  cet  abandon 
se  fit  dans  la  main  de  l'archilecte,  le  moine  Ponce,  en  présence 
de  Guy-Geoffroy  et  de  son  entourage  ordinaire  (2). 

Il  nousparuîi  aussi  plausible  d'admellre  que,  profilant  de  l'occa- 
sion et  cherchant  à  se  rattraper  par  autre  part,  les  moines  dcSainl- 
Cyprien  aient  conclu  en  ce  moment  avec  le  comte  deux  accords  im- 
portants. Tarie  premier, il  leur  reconnaissait  le  droit  d'avuir,  pour 
l'usage  du  munaslère,  quatre  hommes  de  métier,  francs  el  quittes 
de  toutes  charges  envers  lui,  à  la  condition  que  ces  hommes  ne 
seraient  pas  pris  parmi  ses  coutnmiers,  c'est-à-dire  parmi  ceux 
qui  étaient  chargés  de  redevances  personnelles  envers  lui,  mais 
qu'ils  les  feraient  venir  du  dehors;  dans  l'autre,  il  déclarait  que 
les  eaux  du  Clain,  devant  le  couvent, appartenaient  aux  religieux, 
que  personne  n'avait  le  droit  d'y  pêcher,  même  ses  enfants,  mais 
que  néanmoins  il  se  réservait  la  faculté,  quand  lui  ou  son  lils  se 
trouveraient  à  Poitiers,  d'envoyer  son  sergent,  accompagné  par 
celui  des  moines,  pêcher  en  ce  lieu  pour  leur  lable  (3). 

(i)  Cnrt.  de  Sainl-Ci/priert,  pp.  i43,  i^6,  Daoa  ces  documeûla  ces  actes  acporlcnl 
pas  de  dates.  Kédet  a  placé  le  premier  enlrc  io7Ïct  i  loa  (vera  1080)  el  le  second  entre 
1073  et  io83  (vers  io8û);  noya  [«nsoos  qu'jt  convient  de  les  rapproclier  un  peu  plus 
l'un  de  rautre  el  de  (es  fuirc  feutrer  dans  la  série  des  mesures  trénérHles  que  prenait 
iilorH  Guv-Gcoffrov  en  faveur  de  Monlierfieut".  L'acte  portant  danaliun  de  Liniers  à 
Montîerneuf  se  trouve  aussi  aux  archives  de  la  ^'ieQne,  oriç.,  Montierneur,  n"  5. 

(a)  D.  i'^uDleneaii.  XIX,  p.  4g,  d'après  un  viJimua  du  8  juillet  lA?^)  Arcb.  de  la 
Vienne,  cartul.  de  Montieroeuf,  retç.  a»  aoli. 

(3)  Cart.  de  Hainl-Cyprten,  pp.  aa  et  ai. 


GUY-GEOFFROY-GIÏÏLLAUMB 

Noannioins  louks  les  flilTicnllés  qui  avaient  pu  surgir  enlre  le 
comte  f{  \os  religieux  de  Saint-Cyprion  no  s'arrangèretU  pus  à  Ta- 
rn inblei^omme  dans  If  s  cas  pr<''c»^dpiils.Lpsd(''ponsesmutliplesau\- 
qiieilfs  Giiy-riPolTroy  avail  h  pourvoir,  t^lparliculiorêmenl la  rons- 
Iniction  do.  Monliorneuf,  l'obligeaient  constanimenl  à  se  meUre 
en  qiiùle  de  nouvelles  ressources  el  ses  agents,  assurés  qu'ils 
liaient  d'ôlre  soutenus  par  lui,  ne  ménageaient  pas  à  ce  sujet  les 
revendications  qu'iU  croyaienl  pouvoir  faire  valoir, ou  cherdiaienl 
k  percevoir  dos  droits  plus  ou  moins  fondés,  ce  que  les  rédacteurs 
des  chartes  religieuses  appelaient  des  mauvaises  coutumes,  «  pra- 
vas  »  ou  «  malascoslumas  '>.  C*est  ainsi  qu'ils  prétendaient  exiger 
<les  moines  de  Sainl-Cyprien  les  mêmes  redevances  sur  les  terres 
incultes,  froustes,  «  frosla,  »  de  leur  domaine  d'Ansoulesse  que 
sur  les  terres  cuUivées.  Les  moines  se  regimbèrent  et  portèrent 
l'alTaire  dcvanl  la  cour  du  comte. Celle-ci  était  composée  d'Aude- 
berl,  comte  de  la  Marche,  de  Hobert  le  Bourguignon,  de  Pierre 
de  Bridier  et  du  prévôt  Hugues.  Us  soutinrent  que  la  terre  qui 
avait  cessé  d'être  cultivée,  et  qui  pour  ce  motif  était  rentrée  dans 
leur  domaine,  devait  y  revenir  libre  et  quille  de  toute  charge. 
Les  juges  leur  donnèrent  raison  et  le  convie,  qui  était  présent 
à  l'audience,  déclara  acce[tter  celle  décision  (I). 

Vers  ce  temps  il  dut  assister,  bien  que  nuus  n'en  ayons  pas 
la  preuve,  à  un  synode  qui  se  tint  à  Saintes  dans  le  courant  de 
Tannée  1083.  Il  ne  pouvait  en  eiïel  rester  étranger  aux  nomina- 
tions épiscopales  qui  furent  arrêtées  dans  cette  assemblée  :  Si- 
mon, chanoine  de  Saint-llilaire  le  Grand,  que  Ton  rencontre  fré- 
quemoaent  parmi  les  compagnons  du  comle  dans  ses  pérégrina- 
tions, fut  élu  évèque  d'Agen,et  Kcnoul,de  la  famille  des  seigneurs 
de  Harbezieux,  évèque  de  Saintes  en  remplacement  de  Boson 
déposé  l'année  précédente  au  concile  de  (iharroux  (2). 


(t)  Cart.  lie  Sainl-Cyprien,  p.  aoi.Cel  acte  n'est  pns  plua  daté  «pie  les  précédcntH, 
mais  on  peut  ioJuire  du  nom  des  juges  ((ui  y  comparaissent  qu'iJ  dc  saurait  |^ère 
élrc  placé  iju'entre  io>So  cl  108G;  nous  adoptons  comme  moyen  terme  la  date  de  io83. 
Nous  mentionneroDs  encore  ici  pour  mémoire  les  autorisations  accordées  parle  comte 
à  une  date  iDdélcrmiot-e  :\  GHusberl  le  Français  pour  donner  à  l'abbaye,  quand  il  j 
entra  comme  moine,  le  four  du  carrois  de  Saint-i'aul  à  Poitiers  et  à  André  Poupeau 
de  lui  abandonner  tous  ses  biens  sis  entre  Poitiers  et  Fontaine-le-Comte  {Cart.  de 
Sainl-Cypricn,  pp.  3i  et  23), 

(a)  Marchegay,  Chron.  desègl.  d'Anjou,  p.  4o8»  Sainl-Maixenl. 


366 


LES  COMTES  DE  FOITOl' 


A  ce  voyage  doit  se  rallacher  le  fait  suivant  :  un  vendredi  du 
mois  de  juin  UJ83,  Guy  se  rendait  de  Mafllezais  à  Fonlenay,  châ- 
teau du  vicomte  Savari  de  Thouars,  en  eoinpa^Miie  de  ce  dernier, 
de  Kaoul,  son  frère,  d'Htij^ues  de  Surgères  et  de  plusieurs  clercs 
parmi  lesquels  se  trouvaient  son  chapelain  Bt'renger,  Ansegise, 
abbé  de  Saint-Maixenl,  et  Guillaume,  abb6  de  Saint-Florent  de 
Saumur.  Ces  derniers  le  pressa>enl  de  sollicilalions  et  i!  finit  par 
consentir  à  donner  à  l'abbaye  de  Saint-Florent  la  chapelle  de 
Saint-Sauveur  du  château  de  Pons.  Celle  chapelle  avait  fait  par- 
lie  d'ancienneté  du  domaine  particulier  du  comlu  de  Poitou, 
môme  lorsque  le  camle  d'Anjou,  fieotîroyMarlel,  était  possesseur 
de  ce  château.  Comme  il  élail  d'usage  de  sanctionner  l'accord 
passé  par  un  signe  matériel,  il  prit  en  pleine  roule  le  peigne  de 
l'abbé  Ansegise  el  ic  remit  à  l'abbé  de  Sainl-Florenl,  qui  l'envoya 
par  la  suile  à  son  monastère  (1). 

C'est  peul-êlre  au  cours  de  ces  pérégrinations  que  l'abbé  Guil- 
laume obtint  encore  d'autres  faveurs  des  seigneurs  du  pays.  Un 
chevalier  de  Pons,  Conslanlin  le  Gros  ou  le  Roux,  lui  donna  le 
domaine  de  Tesson,  sur  lequel  il  avait  construit  une  église  et  qui 
devint  une  des  obédiences  de  Sainl-Florenl  en  Saintonge.  L'acte 
fut  passé  en  présenceel  du  consentement  du  comte  Guy-Geoffroy, 
de  son  fils  le  comte  Guillaume,  jeune  homme  de  grande  espérance 
dit  l'acte,  aux  côtés  de  qui  se  trouvaient  Henoul,  évoque  de  Sain- 
tes, Uoson  de  la  Marche,  Itobert  le  Bourguignon,  Béraud  de  Dun, 
le  prévôt  de  Poitiers  et  autres  (2). 

De  Fonlenay,  il  est  possible  que  le  comte  ail  gagné  le  Tahnon- 
dais  où  le  soin  de  ses  intérêts  et  de  constantes  dilTicullés  nécessi- 
taient sa  présence,  on  peut  le  dire,  chaque  année.  Après  la  mort 
de  Normand  de  Monlrevaull,  ce  ne  fut  pas  son  fils,  nommé  aussi 
Normand,  qui  lui  succéda  dans  le  fief  de  Talmond,  mais  Pépin, 
le  fils  d'Asceline.  Celui-ci  eut  des  diflicultés  avec  ses  vassaux,  el 


(i)  Arch.  hist.  de  la  Saintofi'je,  IV,  pp,  3(j  el  ^o,  chartes  de  Saint-Floreal. 

(2)  Arch.  hist.  de  la  Sainlonje,  ÏV,  p.  Cli.  Uans  celle  publicalioa,  ccl  acte  a  élé 
placé  en  rannce  1080  cavirou.  Il  doit  ôtrd  rtsculê  d"aj  moioi  Irois  ao»,  Kenoul  qui 
y  comparait  comme  évéque  de  Saitites  n'iiyjoi  clc  élu  qu'eu  loSÎ.  Oq  peut  déplus 
lirer  celte  iaJuclion  de  la  prcscorc  à  ceit-*  do  lalioa  du  comle  Gaitlaumi,  du  prcvél 
de  Pulticra  el  d'autres  pcrsonoaçes  que  l'oa  Irouvc  Eiabiluellemeut  auprès  du  jeune 
comte,  que  l'acle  fut  rédigé  à  Poitiers  au  retour  da  voyage  de  Saintes  au  cours  du- 
quel Heiioul  lui  élu. 


GUY-GEOFFROY-GIJILLAUME 


367 


l'un  d'eux,  Marin,  fils  de  Kroo;ier,  le.  conlraignil  môme  à  se  ren- 
dre à  Poilit'rs  devant  lacoiirdu  comte  où  il  l'avail  cil,6.  La  cour 
donna  en  partie  raison  à  Pt'piii,  mais  son  adversaire,  peu  satisfait 
de  celle  décision,  demanda  que  l'alVaire  reslàl  en  instance  jus- 
qu'au jour  où  le  comte  viendrail  dans  le  Tulmondais  et  qu'alors 
elle  sérail  porlôe  dlreclemenl  devant  lui.  Guy,  empêché  sans 
doute  de  s'arrêter  longlcnips  dans  son  voyage  et  ne  pouvant  se 
mellre  ainsi  h  l'enli<>re  disposition  des  parties,  dék'gua  ses  pou- 
voirs à  un  chevalier,  Guillaume  Acliard,  qui  prononça  définitive- 
ment sur  le  litige  (I).  Telle  élait  l'exislence  que  le  comte  menait 
dans  ses  constants  déplaceraenls,  ce  qui  n'a  rien  du  caractère 
d'ûisivelé  et  de  plaisir  que  Ton  serait  trop  porl6  à  lui  allri- 
buer. 

Dans  une  de  ces  tournées  qu'il  fit  en  Saintonge,  accompaj,'né 
sim|)lement  par  ses  prévôts,  il  eut  sans  doute  quelque  affaire  avec 
un  riche  parlicuiier  de  ce  pays,  Guillaume  rreeland.  Le  comlcle 
dépouilla  d'une  forêl  située  entre  I*onl  l'Abbé  et  Itomelte  et  en  fit 
don  à  l'abbaye  de  Monlierneuf  pour  la  défricher.  Freeland  dut 
souscrire  à  l'acte, en  déclarant  que  la  donation  du  comte  compre- 
nait tout  ce  qui  lui  était  venu  en  ce  lieu  de  ses  ancêtres  et  qu'il 
en  faisait  spontanément  l'abandon  à  son  seigneur.  Hugues,  le 
prévôt  de  Poitiers,  et  son  frère  Eudes,  Arnaud,  prévôt  de  Surgè- 
resj  Seniorel,  prévôt  de  Saintes,  et  un  certain  Foulques  Nor- 
mand, que  Ton  trouve  souvent  dans  la  compagnie  du  comte  sans 
désignation  sjtéciale,  assistèrent  à  la  rédaction  de  l'acte,  au  bas 
duquel  Guy-Geoiïroy  et  Freeland  tracèrent  leurs  croix  de  leurs 
propres  mains  (2). 


(1)  Ma^che^•ay,  Car/,  dit  Bax-Poiiou,  p.  f)!<,  prieuré  do  Fontaines.  A  défaut  de 
date  OD  peut  placer  comme  uous  le  faisons  les  fail8  énoncés  dans  cet  acte  en  l'année 
J082,  où  l'oa  voil  le  comte  se  rendre  en  UaS'Poitou.  Marchegay  leur  attribue  la  date 
de  1080  enviroa. 

(2)  Arcb.  de  la  Vienne,  oriiç.,  Munlicroeiif,  u«  i3.  D.  Fonleneaii  (pii  a  Iraoscrit 
CKtle  pièce  d'après  Tmiginal  (XIX,  p.  81),  l'attribue  au  duc  Guillaume  IX  et  la  place 
vcr-à  l'anaée  1088.  Nous  ne  saunou<»  partager  »a  manière  de  voir;  cet  acte  émane  de 
Guy-Geoffroy  et  par  suite  est  aulérteur  k  l'année  1087.  Il  est  évident  qu'il  a  été  passé 
en  Saiulonçi  où  le  clj  nie  da  Poitou  se  trouvait  seil  avfc  ses  prévtMs;  celle  fa^-on 
d'agir  est  celle  que  l'on  coaslale  daas  les  dernières  années  de  la  vie  de  Guy-Geoffroy  et 
OQ  ne  .saurait  l'appliquer  a  son  filf  qui.  en  10S8,  n'avait  g'uère  que  dix-sept  ans  et  ne 
voyageait  qu'entouré  de  ses  coa  leillers  ou  de  ses  défenseurs.  De  plus  l'ucle  original  ne 
parte  pas  en  toutes  lettres  le  aoin  du  comte,  mais  seulemcat  lulellrc  G., qui  esiriuitiule 
du  mol  Giiffi-edas,  c'est-i-Jii'e  Gjoffro/,  tandis  qie  lora^iue  le  comte  éiail  désigne 


368 


LES  COMTES  DE  POITOU 


L'année  1083  se  Icrminamal.  Le  18  octobre,  un  grand  Irem- 
blemenL  de  terre  se  lUressenlir  à  Poillors  el  d(jlcrmina  dans  celle 
ville  un  incendie  considérable.  L'église  de  Sainte-Uadcgondc  fut 
délruile  par  le  feu  et  il  semble  rùsulter  du  loxle  qui  nous  a  con- 
servé le  souvenir  de  cet  évônomenl  que  la  partie  de  la  ville  qui 
aurait  élé  mise  en  cendres  serait  le  liourg  élevé  aulour  de  celle 
église  en  debors  de  la  cilé,  dont  les  murs  auraient  d:ins  la  circon- 
stance opposé  au  fléau  une  barrière  presque  infrancbissable.  L'ha- 
bilude  de  construire  en  bois  la  plupart  des  maisons  et  môme  de 
plus  imporlanls  élablissemenls  faisait  prendre  aux  incendies  des 
proportions  considérables,  aussi  les  chroniques  du  temps  conlien- 
neul-elles  l'réqucmment  la  mention  de  grandes  conflagrations  : 
c'eslainsi  que,  Tannée  précédente  (1082),  le  feu  avait, dans  laville 
de  Saint-Maixenl,  détruit  mille  maisons  el  tous  les  édifices  reli- 
gieux ;  à  Maillezais  le  monastère,  pour  la  même  cause,  avait  été 
pareillement  détruit  (1). 

L'année  suivante  (1084)  nous  retrouvons  le  comte-duc  à  Dax  où 
il  avait  convoqué  les  principaux  personnages,  tant  religieux  que 
laïques,  de  la  région  ;  on  y  remarquait  enlrc  autres  l'archevêque 
d'AucU  et  ses  sutl'ragants,révéquede  liuzas  el  d'Aire,  les  vicomtes 
de  Tarlas  el  de  Labalut  qui,  devanl  lui^  jugèrent  diverses  contes- 
talions  qui  avaient  été  portées  à  ce  tribunal  supérieur  (2). 

Guy-GcoH'roy  maintenait  un  tel  ordre  dans  ses  étals  que,  dans. 
cette  époque  si  troublée,  c'est  à  peine  si  de  temps  en  temps  on 
relève  un  fait  d'ordre  public  el  que  l'bistoireait  daigné  noter. 
Elle  eslparticuliàreuient  complètemenL  muelle  pour  Tannée  1  U8a; 
cependant,  c'est  peut-être  au  commencement  de  cette  année  ou  de 
la  suivante  qu'il  se  passa  un  lait  sur  lequel  nous  ne  sommes  pas 
complètement  édifié»  Eble,  seigneur  de  Cliàlelaillon,  avait  enlevé 
aux  moines  de  Saint-Maixent  les  marais  de  la  Font-de-Lay  dont 
ils  jouissaient  do  toute  antiquité.  Ceux-ci  portèrent  plainte  au 
comle  qui  ordonna  à  Eble  de  les  leur  restituer.  Ce  dernier  refusa, 
Guy-Geollroy  s'empara  des  biens  en  litige  et  les  remit  aux  moines. 


Ê 


par  son  autre  nom  de  Guillaume,  lF(7/('/ffi«s,la  letlre  iailiale  de  ce  nom  était  indiquée 
jjar  le  W. 

(i)  Marchcgay,  fjhi-un.  des  égl.  d'Anjou,  pp.  /joS  cl  4*>9,  Sainl-Maixcnl. 

[2]  Besly,  //«*■(.  des  comtes,  preuves,  j>.  ibg;  Arc/i.hisi.  de  lu  Gironde,  V,  p.  170, 
il'aprêa  le  cartulaîre  de  la  Hëule. 


«UY-GEOFI'HOY-GLILLAUAIE 


Srtv, 


Mais  il  est  possible  que  (Juy-Oeoiïroy  ne  se  borna  pas  à  mcllro  la 
main  sur  Icîs  marais  de  la  l'onl-tlo-Lay,  el  (iirrlaiil  nbli»:;^  d'em- 
ployer la  force  il  se  soit  laissé  aller  à  ses  praliques  habituelles  h 
l'égard  de  ses  vassaux  récalcilranls.  Du  resle,  ce  n'était  pas  la 
première  fois  qu'il  avait  maille  h  partir  avec  les  seigneurs  deCbà- 
telaillon;  quelque  temps  auparavant  il  avait  enlevé  à  Isemberl, 
père  d'Kble,  les  marais  de  Mouillepié^  avait  dévasté  son  chûleau 
el  sa  terre,  et  enfin  il  avait  récompensé  les  services  d'un  chevalier 
du  nom  de  Fierrc  Airaud,  en  lui  Hiisant  don  de  ces  marais (I)- 

Il  aurait  peuL-ÔIre  bien  voulu  agir  de  même  façon  à  l'égard  du 
marais  de  la Font-dc-Lay, car, après  s'en  ôtrc emparé,  il  fiil,ditla 
charte  qui  nous  a  rapporté  ces  faits,  pris  d'un  scrupule,  et  il  dit 
aux  religieux  de  Sainl-Maixent  d'avoir  àjuslifîer  de  leursdroilsde 
propriété  et  de  Paire  la  délimilalion  du  domaine,  «porcalearent  ». 
II  semble  naturel  que  ces  actes  auraient  diï  précéder  le  coup  d'au- 
torilédu  coûile,  mais  pour  nous,  habitués  à  ses  façons  d'agir,  nous 
ne  voyons  en  eux  que  des  préoccupations  trahissant  une  arrière- 
pensée  qui  ne  devait  pas  aboutir.  I^>n  lîiret,  tesmoines  furent  appelés 
par  deux  fois  k  établir  leur  bon  droit  en  justice  sans  qu'il  y  fût 
donné  suilc;  enfin  Guy-GeolVroy  se  décida  h  convoquer  les 
parties  devant  lui  à  Surgères.  Les  gens  de  Sainl-Maivent  avaient 
des  titres  qu'ils  se  tinrent  prêts  à  monlrer  et  de  plus,  pour  tes 
appuyer,  ils  appelèrent  on  duel  le  sire  de  Cliàtelaillon.  tlelui-ci, 
peu  sùï  de  la  bonlé  de  sa  cause, ne  voulut  pas  se  soumettre  à  ce 
jugement  de  Dieu  cl  les  choses  restèrent  pour  le  moment  en 
l'étal,  mais  aussitôt  après  la  mort  du  comte,  lible  remil  la  main 
sur  le  domaine  contesté;  les  moines,  sans  tarder,  portèrent  leur 
plainte  à  son  successeur  (2). 

L'affaire  que  Guy-Geo(Troy  nous  semble  avoir  préméditée  n'ayant 
pas  réussi  au  gré  de  ses  souhails,  ou  restant  peut-ôtre  en  suspens 
par  suite  du  soin  qu'avait  pris  Kble  de  se  dérobera  toute  déci- 
sion définitive,  le  comte  se  tourna  d'un  autre  cùlé.  Le  grand 
mobile  des  actions  qui  marquèrent  les  dernières  années  de  sa  vie 
fut, nous  le  répétons,  l'accroissement  de  la  dotation  de  Montier- 
neuf.  Kn  agissant  ainsi  cédait-il  aux  mouvements  de  sa  conscience 

(i)  A.  Richard,  Chartet  de  Sainl-Mairml,  I,  p.  284. 

(a)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Mai jceid,  I,  p.  197,  d'uprès  qd  aclc  de  108O. 

»4 


370 


LKS  COMTliS  DE  POITOU 


OU  obéissait-il  à  une  pression  corislaule,  nous  ne  saurions  le  dire, 
c'est  un  secret  que  nous  n'avons  pu  pcnélror.  Toujours  esl-il  que 
peu  après  l'afTaire  de  la  Font-dc-Lay  il  frappa  un  grand  coup  en 
supprimant  à  Poiliers  Tune  des  fondations  de  sa  mère  et  en  l'in- 
corporant k  la  sienne. 

Ainsi  qu'il  arrivait  Irop  souvent  à  celle  époque,  le  désordre 
n'avait  pas  lardé  à  pénéirer  dans  le  prieuré  de  Saint-Nicolas, 
desservi  par  treize  clianotnos  qui  suivaient  la  rèfi^le  de  saint  Au- 
gustin. Après  la  mort  d'Agnès,  ils  se  seraient,  suivant  les  dires  de 
Guy-Geoffroy,  relâchés  de  l'observance  à  laquelle  ils  étaient  tenus  ; 
le  comte  les  aurait  invités  à  diverses  reprises  h  se  conformer  h  leur 
règle  et  leur  aurait  mfime  imposé  un  ctianoine  de  Limoges  comme 
prieur,  mais  les  chanoines  do  Saint-Nicolas  n'auraient  lenu  aucun 
compte  de  ses  observations.  Il  aurait  alors  recouru  à  l'autorité 
ecclésiastique  et  fait  approuver  par  l'évêque,  le  clergé  du  diocèse  et 
môme  des  laïques  ses  itératives  injonctions  auxquelles  ceux  h  qui 
elles  s'adressaient  ne  prirent  pas  autrement  garde.  C'est  alors  que 
Guy-deorTroy,  ayant  ainsi  préparé  habilement  le  terrain,  convoqua 
à  Poitiers  une  assemblée  où  se  trouvèrent  l'archevêque  de  Bor- 
deaux, Tévèque  de  Limoges,  les  abbés  de  Saint-Cyprien  et  de 
Noaillé,  les  deuxarchidiacresdu  diocèse,  les  chanoinesdelacalhé- 
draleel  les  clercs  de  la  cité,  L'évêque  de  Poitiers  n'assista  pasà  la 
réunion  qui  se  Uni  à  Saint-Pierre  et  cette  abstcnlion,  qui  paratt 
volontaire  de  la  part  du  chef  spirituel  du  diocèse  qui  avait  per- 
sonnellement coopéré  à  la  fondation  du  prieuré  et  s'en  était  fait 
le  proLecteur, laisse  beaucoup  à  penser.  Le  comte  remontra  à  l'as- 
semblée que  les  chanoines  n'avaient  de  révérence  ni  pour  Dieu 
ni  pour  les  hommes  (il  n'osait  dire  pour  son  autorité)  et  fit 
entendre  que  le  seul  remède  à  apporter  à  ces  abus  était  d'enlever 
à  ceux  qui  les  commettaient  l'indépendance  dont  ils  mésusaienl; 
finalement  il  proposa  de  mettre  le  prieuré  de  Saint-Nicolas  sous 
Tautorité  de  Monlierneuf,  c'est-à-dire  de  Cluny.  L'assemblée  se 
rangea  unanimement  à  cette  manière  de  voir  et  Guy-Geoffroy  en- 
voyasa  délibération  à  l'évêque  de  Poitiers,  qui,  ayant  grâce  à  elle 
fait  taire  les  scrupules  qu'il  pouvait  éprouver,  lui  donna  sa  pleine  el 
entière  approbation  et  se  mit  en  mesure  de  la  faire  exécuter  (1). 

(1)  Arch.  hisl.  da  Poitou,  I,  pp.  i4  cl  17,  oart.  de  Saint-Nicolas.  La  présence  à 


GUY-GKOFKKUY-GIJILI.AI  Ml': 


371 


L'évèqiie  IsemberL  n'ôlait  pas,  comme  on  l'a  vu,  h  l'abri  des 
en l reprises  du  comleetil  lui  fallut  plus  d'une  fois,  bon  grc  oial  gré, 
ralilier  les  décisions  qu'il  avait  prises.  C'est  ainsi  que  celle  année 
1085  sa  docilité  fut  encore  mise  k  l'épreuve.  Quand,  entouré  du 
chapitre  de  sa  cathédrale,  il  avait  fail  en  1081  l'abandon  de  l'ab- 
baye de  Sainl-Taul  à  Monlierneuf,  il  n'avail  été  fait  aucune  men- 
tion des  dépendances  de  cet  établissement.  Or, en  108H,le  dessai- 
sissement du  vicomte  Cbâlon  comprenait,  outre  Sainl-l'anl,  les 
églises  qui  étaient  sujettes  à  cette  petite  abbaye  et  particulière- 
ment celte  de  Migné  ;  l'ôvêque  avait  cette  fois  encore  donné  son 
approbation  à  l'acte.  Mais  Montierncuf  ne  s'était  pas  tenu  pour 
satisfait.  La  donation  comprenait  l'éj^lise  de  Migné  cl  son  ter- 
ritoire ;  or,  certains  droits  afférenls  à  celui-ci  avaient  été  aliénés, 
tels  que  la  dîme  de  la  paroisse  que  Guy-GeoïTroy  avait  autre- 
fois donnée  en  lief  h  Etienne  de  Migné  et  que  celui-ci,  dans  un 
pressant  besoin, avait  engagée  pour  700  sous  au  prévôt  Hugues.  Le 
comte  trouva  l'occasion  bonne  pour  mettre  à  peu  de  frais  la  main 
sur  cet  important  revenu  ;  il  désintéressa  Hugues,  fil  cadeau  de 
la  dinieà  Monlierneuf  et  obligea  Etienne, sa  femme  et  ses  enfants 
à  renoncer  à  sa  possession.  Le  curé  de  Migné,  qui  devait  avoir 
sa  part  dans  le  produit  de  la  dîme^dul  aussi  intervenir  ùraclcpoiir 
y  donner  son  approbation  formelle.  Toutes  ces  choses  se  passèrent 
en  1086,  en  présence  du  comte-duc,  de  son  fils  Guillaume,  des 
évoques  d'Angoulôme  et  de  Poitiers,  du  vicomte  de  Thouars,  d' Hu- 
gues de  Lusignan,  du  moine  l'once  et  d'autres  personnages  nota- 
bles (1).  On  pourrait  croire,  à  la  lecture  de  la  charte  qui  relate 
ces  faits  que  la  donation  d'Etienne  fut  volontaire.  Il  n'en  est  rien. 
Nous  sommes  celle  fois  encore  en  présence  d'une  spoliation  et  ce 
qui  le  prouve, c'est  que,  vingl  ansaprès^en  l  tO(j,ce  même  Etienne 
fit  à  Monlierneuf  l'abandon  formel  de  la  dime  de  .Migné  et  reçut 
en  retour  de  Tubbaye  1000  sous  limousins,  ce  qui,  avec  les  700 sous 
que  le  comte  de  Poitou  déclara  avoir  versés  au  prévôt  Hugues, 
doit  représenter  le  minimum  de  la  valeur  delà  propriété  (2). 


ceUc  assemblée  de  l'archevêque  de  Bordeaux,  Joscelin,  <jui  mourut  le  ifjjuia  1086,  en 
ptflce  la  tenue  daas  les  premiers  mois  de  ceUe  année  io8<>. 

(1)  Arcb.  de  la  Vienne,  orig.,  Montieroeuf.  n»  1 1  :  D.  Fonlcncau,  XIX,  p.  77;  J/tf/n, 
de  lu  Suc.  tie*  Anliq.  de  l'Ouest^  \"  série,  XI,  p.  aSo. 

(1)  Arcb.  de  la  Vicane,  cariai,  de  Montlerocur,  reg.  n*  ao6,  fox. 


37a 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Celle  mémo  année  1 08f>,  dans  le  coiiranl  du  mois  d'aoûl,  les  cha- 
noines de  Sainle-Uadegnnde,  qiiiavaitMil  à  se  plaindre  des  agisse- 
monts  des  sergents  dn  comte,  vinrent  le  trouver  el  luideniandèrenl 
de  les  affranchir  de  toutes  les  coutumes  qu'il  percevait  sur  leur 
domaine  de  Veuille.  Guy-Geofîroy  y  consenlil,  mais  se  fit  payer; 
les  chanoinesluiabandonnèrenlun  tiers  de  leur  lbr(M,ct,en  retour, 
le  comte  s'engagea  à  veiller  à  la  sécurité  do  la  forôl  tout  entière 
moyennant  certaine  redevance  qui  serait  payée  par  eux  à  ses  ser- 
gents; déplus  illeur  concédail  sa  villa  de  Neuillet.contiguëà  leur 
terre.  Au  bas  de  l'acte  le  comte  apposa  sa  croix;  son  fils  le  fit 
poreillement  et  à  la  suite  de  nombreux  personnages  se  firent 
porter  comme  témoins.  C'étaient  entre  autres  Renaud,  abbé  de 
Saint-Cypricn ,  Gcrvais,  abbé  de  Suin(-?avin,  Simon,  évoque 
d'Agen,  Hugues  de  Lusiguan  et  Guillaume  l'^recland.  On  y 
voit  aussi  comparaître  Guillaume  de  Parthenay,  trésorier  de 
Sainl-IIilaire,  qui  venait  de  succéder  dans  cette  liaute  dignité  à 
son  oncle  Joscelin,  archevêque  de  Bordeaux,  décédé  le  ly  juin 
précédent  (1), 

Cet  acte  est  le  dernier  delà  vie  de  Guy-Geolfroy  que  nous  con- 
naissions.Il  mourut  te  vendredi  25  septembre  1086,dans  le  château 
dcChizé,où  il  se  Irouvait  sans  doute  en  déplacement  de  cha-sse(2). 
11  fut  assisté  à  son  lit  de  mort  par  Eudes, abbé  de  Saint-Jean  d'An- 
gély,qui  lui  donna  les  derniers  sacrements  et  le  même  jour  son 
corps  fut  transporté  h  Poitiers.  La  nef  de  l'église  de  Montierneuf 
où  devait  être  établie  sa  sépulture  n'étant  pas  encore  en  état  de  le 
recevoir,  il  fut,  après  avoir  été  embaumé,  enseveli  dans  la  salle 
capilulaire  de  l'abbaye.  L'œuvre  que  le  comte  avait  entreprise  était 
loin  d'être  terminée,  elle  ne  le  fut  môme  jamais;  le  mur  d'enceinte 
du  monastère,  qui  devait  être  garni  de  tourellcsdans  tout  son  pour- 


(j)  D.  Fonlencau»  XX1\\  p.  35. Cet  acto,  à  qui  D.  Foatcncau  assîçuc  l'année  1096 
CDvirciri,  csl  ccrtnimcmcnl  anléneur  à  celle  date,  lise  compose  en  eiïcl  de  deux  parties 
bien  distinctes  :  la  prcntlérc,  qui  est  l'acte  Itii-mtfme,  dans  l.nquellc  on  voil  comparai* 
tre  GuHIaumc,  duc  ôes  Aquiiaiiis,  et  son  fils  qui  y  aj»poseDl  leurs  croix  et  qui  n'est 
pas  datL^e  ;  la  seconde, qui  n'est  qu'une  confirmaliou  de  ce  qui  précède  et  mï  on  signale 
seulement  la  présence  de  Ouillaume,tilsdu  due  [irécédemniefit  nommé,  et  d'Audénrde, 
la  femme  de  celui-ci.  Celte  seconde  partie  faisan;  ircatton  d'I'rbain  II  peut  être 
placée  durant  le  mois  d'oclobrc  de  l'une  des  années  du  pontificat  d.'  ce  pape  (1088- 
1098),  mais  CD  aucun  cas  l'ncle  primitif  ne  saurait  âlre  nltribué  à  Guillaume  VU  doot 
le  [Ils  naquit  seulement  durant  Tannée  io()ii^. 

(3)  Arch.dela  Vjecnc,  chroa.  du  moine  Martiu  :  «  De  obiluejasn.Le  moine  ^f art io, 


OUY-GÉOFFRO  Y-GUILLAUME  873 

lour,  resta  inachevé  el  pareillement  on  n"a  pas  construit  les  deux 
rlocliers,  qui,  sur  le  [tlan  qu'il  avait  adopté,  devaienl  flanquer  la 
l'açadc  de  l'église.  Une  Iroisicmo  leur,  qui  s'élève  sur  ly  chœur, 
était  encore  en  chantier,  aussi  est-ce  seulement  l'année  suivante 
que,  cette  parlie  de  l'édifice  élant  achevée,  on  fit  avec  une  grande 
pompe  la  translation  du  corps  du  comte-duc  à  la  place  qu'il  s'étail 
sans  doute  réservée  dans  la  nef,  en  face  le  crucifix. 11  fui  misdans 
un  épais  sarcophage  en  pierre,  de  plus  de  deux  mètres  de  lon- 
gueur, dont  le  couvercle,  taillé  en  bâtitTo,  était  simplement 
décoré  d'une  croix  en  fort  relief  occupant  le  sommet  du  triangle 
dans  toute  sa  longueur  [î). 

Au-dessus  du  solfut  élevé  un  tombeau  somptueux  ;  on  y  voyait 
la  statue  du  duc,  un  gisant,  ayant  les  pieds  appuyés  sur  un  chien  (2). 
La  tablette  était  supportée  par  des  colonnes  de  marbre  et  sur  le 
massif  du  monument  avaient  été  gravées  des  inscriptions;  Tune 

qui, dans  sa  relalioQ  dittiyrambi(|uc  Je  la  uiorl  du  duc,  mvilo  les  filles  de  Jértisalcm  h 
verser  des  brmes  sur  le  sorl  de  Guv-Ocoffroy,  leur  bienfaiteur,  indique  le  viir  des 
calendes  d'oclobrc  (24  sejilcmbi'e)  comme  le  jour  du  décca,  L'obiluairc  de  Monlier- 
oeuf  (Arcb.  de  In  Vienne,  reij.  no  2o5,  f<»  180)  le  mnrquc  nu  vu  des  calctides 
(35  septembre);  c'est  le  cUilTrc  que  noua  ailnplons,  non  seulement  pour  ce  motif  que 
l'inscription  du  décès  dans  l'obiluaire  de  Tabbayc  avait'pour  objet  de  rappeler  que  c'é- 
lail  en  ce  jour  que  dcvaical  t^trc  célébrées  les  cérémonies  couirnémoralives  do  cet 
cvcneincnl,  mais  encore  parce  que,  dans  un  nutrc  |>nssaçe,lc  moine  Martin  rapporte 
que  la  mort  du  duc  cul  lieu  le  jour  de  la  cinquième  fcne,  c'est- à -dire  un  vendredi,  or, 
en  H18G,  le  vu  des  calendes  d'octobre  tombe  un  vendredi.  Le  cbifTre  var  est  évidem- 
ment le  fiiil  d'une  erreur  de  copiste.  Ucsiy  {fftst.  îles  comtes,  preuves,  p.  ^87)  a 
public  le  Icxlc  de  l'obituaire  c(  celui  du  cartulaire  de  iMonlierneuf,  qui  indiquent  lo 
jour  du  décès  du  comte,  el  les  textes  des  chroniques  de  Sainl-Maixent  el  de  Vézclay 
([ui  le  placent  ajuste  litre  dans  l'année  loHti. 

(1)  La  sépulture  de  Guy-f>eo[Troy,  placée  à  rleujc  pieds  (o,G5  c.j  de  profondeur  au- 
dessous  du  sot  de  l'êçlise  de  Monlierneuf  et  restée  jusque-là  inviolée,  fui  ouverte  le 
S  juillet  1822  en  présence  d'une  commission  prcsidce  par  révèque  de  Poitiers.  On  y 
constata  (|uc  le  duc,  dont  lu  (aille  était  do  i  m. 83  c.  (cinq  pieds  cinq  pouces  el  demi), 
avait  été  enseveli  dans  un  vêtement  de  laiae  noire  desceadanl,  jusqu'au.x  chevilles  et 
que  par- dessus  celui-ci  était  uu  autre  vêlement  s^urrèlanl  aux  genoux,  avec  capuchon 
enveloppant  la  télé,  i|ui  parut  fort  grosse.  Les  mains  étaient  recouvertes  de  panis  cl 
les  piei*  chaussés  de  broJcijuins  pointus,  à  forts  lalons,  en  cuir  rouge,  montant 
au-dessus  de  la  cheville  el  lacés  sur  le  cou-de-picd  avec  des  lacets  en  soie  rouçc 
ornes  de  pièces  de  cuir  découpées  en  forme  de  roseUc»;  les  mains  étaient  repliées  en 
croix  sur  la  pi^itrinc;  au-dessous  d'elles  se  trouvaient  dcu.\  croix  superposées,  l'une 
en  cuir,  de  forme  ancrée,  l'autre  placée  au-dessus  clail  en  étoile  brodée.  (Rapport  do 
l'abbé  Gibnull  conservé  aux  archives  de  la  Vienne,  T  7  ^,  et  inséré  en  partie  dans  le 
Recueil  ifes  nrles  administrai  ifs  du  département  de  la  Vienne  ^  année  1822,  n"  48, 
p.  4-53  ;  de  Chcrgé,flist.de  Montierneuf,  p.  240,  d'après  les  doicï  deM^'  de  Beaure- 
gard.) 

(•j)  Ce  tombeau,  respecté,  semble-t-il,  par  les  prolcstanls.  fut  détruit  le  8  janvier 
1O43  par  la  chute  des  voûtes  de  rcijll3e(Thibaudcau,il6re'yc  de  i'/iisi,  du  Poitvu,l\, 
p.  Jo;  Arck,  hist.  du  Poitou,  XV,  p.  35i). 


374 


l,F>S  COMTES  PK  POITOU 


consislail  dans  les  dix  versiatins  qui  suivent,  dus  ii  la  composilion 
de  1  annaliste  de  l'abbaye,  le  moine  Martin  (1)  : 

Ad  Domini  cidtum  veniens  memoraro  seputlum, 

El  memoranda  capis  quom  togiL  isle  lapis, 
Gaufredi  r^uondam  que  suhdomuere  tirannos, 

Pulvis  ot  ossa  Ducis  pondère  [ii'essa  jacenl. 
Gloria sublitnis  et  sic  tumulatur  in  iinis, 

Dum  raoriendo  ruit,  gloria  nuUa  fuit. 
Ilic  Pictava  tuum  decus  impériale  &ub  aiilro 

Flebilis  abscoudis  quo.  moriente  mis 
Poâl  raodicum  teinpus,  jam  deiiuo  vivificaiidus, 

lïubes  lioscitiores,  pigiitis  araicitie(;J). 

Non  contents  de  rappeler  le  souvenir  de  leur  bienfaiteur  par 
l'érection  d'un  monument  aussi  luxueux  qu'il  leur  fui  possible, 
les  religieux  deMonlierneuf,  pour  honorer  sa  mémoire,  fondèrent 
d'importants  services  religieux. Entre  autres,  il  élail  chanté  à  son 

(i)  Nous  DC  reproduisons  pas  le  texte  du  manuscrit  de  la  chronique,  qai  nous  parait 
conlcnlr  certaines  fautes  du  transcription,  maïs  liicn  celui  qui  se  rcoconlre  dans  Besljr 
(///»•/.  (/'"S  i.'0/H/e5,  preuves,  p,  3f)3).  dont  l'Histoire  parut  quatre  années  seulement 
après  la  rleslructiou  du  monument  et  qui  a  dà  relever  sur  place  les  inscriptioDS  qu'il 
rapporte.  Voici  ces  variantes  :  Vers  2  :  tnemorando  su  lieu  de  memoranda ,  tcfjat  au 
lieu  de  teijit;  vers  3  :  vi  domuefT  au  lieu  de  suhdomuere  ;  vers  5  :  que  au  lieu  de  et  ; 
vers  7  :  hoc  au  lieu  de  hic;  vers  gioiuijicandos  nu  lieu  de  mvijicnndns  ;  vers  10  :  hos 
habeas  au  lieu  de  habes  hos. 

{3)  Ces  vers,  d'après  Besly,  étaient  i^ravés  sur  trois  plaques, placées  aux  o^tës  sud, 
est  et  Dord  du  mausolée;  sur  la  face  de  l'occident  s«  trouvait  une  autre  plaque  dont 
il  oe  cite  que  ces  lii:;;nes  : 

Hic  jaccl  Guillclmus  qui 
Gaufredus  cornes  Piciavorum 
.,  ^.  o  Domini 

Enfin  il  ajoute  qu'un  léopard  était  coucliô  aux  pieds  du  duc. 

Le  texte  de  rbisturien  Tliibaudeau  est  trop  amliis^ci  pour  que  l'on  puisse  Be  per- 
mettre d'affirmer  i]iic  les  plar|uca  existaient  encore  de  son  temps,  mais  il  nous  fournit 
celte  indication  précieuse  {Abréffé,  fi,  pp.  10  et  11),  qu'après  la  destruction  du  mau- 
solée,en  iO/|3,un  n'en  reliia  que  quelques  colonnes  de  marbre  ([ui,  lorsqu'il  écrivait 
(i783),orunicnt  Taulcl  du  fond  de  l'éiïii'jo.  Les  moincsavaient  fait  rétablir  le  tombeau, 
mais  il  n'était  que  de  pierre  et  on  le  voyait  en  1657  du  côté  gauche  de  la  porte  du 
chiuur,  li  où  se  trouvait  Ir  précédent. On  y  lisait  six  vers  latins  el  une  petite  inscrip- 
tion que  Heslv  {f/mt.  dea  comfes,  p.  108)  traduil  ainsi  :  •>  Cy  y^isl  Monsieur  GeoflFroy, 
ti  autrement  Guillaume,  comte  de  Poitiers  el  duc  de  Guyenne.  »  Thli)aadeau  ajoute: 
a  Ce  mausolée  a  depuis  été  rcFail  et  placé  au  milieu  de  la  oef  de  l'église  ;  c'est  une 
c  masse  de  pierre  de  trois  pieds  de  fiaulcur  surmontée  d'une  tombe  sur  laquelle  est 
«  sculptée  la  représcolalion  de  Guillaume,  ayant  un  iéopardà  ses  pieds, avec  cette  ins- 
a  criplion;  Hic  j a '.cl  Gaillelinns  T//,  qni  et  Gatt/redus,  dux  Aquilnniœ  ft  Picta- 
«  oortirn  cornes,  hnj'us  Monaslerii  îVovi  Jiindator,  obiit  anno  1086  ».  Allard  de  la 
Resaiére  {Errata  de  l'Abrégé  de  l'histoire  du  Poilon,  II,  pp.  (3c  et  tSa)  a  fait  au 
texte  des  inscriptions  données  par  Thibaudcau  quelques  petites  corrcclioas  dont  il  a 
été  tenu  compte. 

Ce  mausolée  fut  à  son  tour  renversé  pendant  la  Révolution  et  remplacé  en  1822  par 
un  monument  qui  avait  la  prétentio:i  de  reproduire  servilement  le  précédent  et  qui  lui 


GUY-GKOFFftO  Y-GUILLAUME 

inlcntioncliaqiiojoiir  une  messe  paiiifulière et  chaque  semaiao  une 
messe  cominiiiie;  dans  le  courani  de  loules  les  heures,  on  disait 
entre  les  psaumes  un  De profundh-  pour  le  repos  de  son  îlme.  Par 
une  délicate  allenlion,  les  moines  rappelaient  en  outre  sa  pré- 
sence fréquente  au  réfectoire  en  mettant  à  chaque  repas  sur  leur 
table  sa  mesure  de  vin  k  justicia  »  et  son  couvert.  Eufin  Tannî- 
versaire  de  sa  mort  était  surtout  célébré  avec  la  pompe  la  plus 
solennelle  (1). 

La  personnalité  de  Guy-Geoffroy  se  détache  vivement  de  celles 
des  comtes  de  Poitou  qui  l'ont  précédé  ou  t'ont  suivi.  Moins  l>rit- 
lanl  que  son  père  et  que  son  fils,  il  a  consolidé  l'œuvre  entreprise 
par  le  premier  et  préparé  la  situation  du  second.  Dernier-né  de 
quatre  garçons,ilnesemblail  pas  qu'il  dût  être  jamais  appelé  à  gou- 
verner le  duché  d'Aquitaine.  Son  en  fan  cose  passa  dans  une  situation 
assez  secondaii'e  à  la  cour  du  comte  d'Anjou  ;  môme  lorsque  sa 
mère  eut  réussi  ?i  te  faire  pourvoir  d'une  portion  du  duché  de  Gas- 
cogne, le  domaine  patrimonial  qu'il  avait  ainsi  acquis  était  si  mé- 
diocre et  si  insuffisant  pour  ses  besoins  qu'il  préféra  continuer  à 
mener  sa  vîe  semi-avenlureuse  et  batailler  au  loin  pour  le  compte 
des  autres.  Mais  son  existence  changea  du  tout  au  tout  quand  la 
mort  successive  de  ses  frères  l'amena  h  prendre  leur  place  à  la 
tête  du  comté  de  Poitou.  Dès  lors,  il  se  consacra  entièrement  à 
l'administration  de  ses  états  et,  trouvant  dans  son  passé  des 
leçons  bonnes  à  méditer,  il  fut  prudent,  nous  dirons  même  plus, 
politique,  et  en  général  il  ne  s'engagea  dans  une  affaire  que  quand  il 
se  vit  assuré  de  l'emporter.  Sa  défaite  à  Chef- Boutonne,  au  début  de 
sa  prise  du  pouvoir,  lui  fut  plusavantageuseque  préjudiciable,  car 
elle  lui  apprit  qu'avant  d'entreprendre  une  action  militaire  il 
fallait  l'avoir  soigneusement  préparée  ;  au  lieu  de  chevauchées  hâti- 
vement lancéesen  avant,  il  mil  en  mouvement  de  véritables  armées» 
et  lorsqu'il  lui  fallait  recourir  au  siège  d'un  lieu  fortitié  il  usait 
d'une  lactique  qu'il  avait  imaginée  et  qui  lui  réussit  toujours  (2). 


a  tout  au  inoias  eraprunlé  ses  aoachroDismes  de  coslume  qui  senleal  furîeusemeol 
leur  xvu»  siècle.  (Voy.  La  Liboriîère,  Vif  irv  souvenirs  du  Poitiers  d'avant  iyS<),p.  76). 

(1)  Arch.  de  la  Vienne,  chroii.  du  moioc  Martin  :  «  Bona  spiri  ualia  que  fiunt  pro 
60  in  moaaslerio  [>rediclo  » . 

(3)  Les  quaittca  Joui  élail  pourvu  Guy-Geoffroy  ont  clé  signalées  par  ses  contcm- 
poraîas  el  nous  cileroos  eu  lémoi^nugc  l'historien  aogevia  qui,  à  pru|H)s  de  la  prise 


ayfi 


LES  COMTES  DE  POITOH 


L'inslilulion  suranm^e  des  vigiiiers  aviinl  éU".  complMemenl 
faiiss^o  par  rapplicaliun  du  régime^dominaiiL  aux  x"  el  xC  sR-clcs 
qui  avait  converti  les  agents  du  conile  en  seigneurs  fi''odaux,  il  leur 
opposa  des  prévôts  qui  restèrent  placés  sous  sa  dépendance  immé- 
diate el  furent  à  la  fois  les  adminislraleurs  de  ses  domaines,  dont 
ils  retinrent  quelque  porlion  des  revenus  pour  rémunérer  leurs 
services,  el  les  agents  secondaires  de  sa  jusîicc.  Au-dessus  d'eux 
était  placée  la  cour  du  comte  et  enlln,  comme  lril)unal  suprême, 
il  y  avait  le  conile  lui-niOmesiégeaiU  dans  les  grandes  assemblées 
oîiélaienl  convoqués  ses  vassaux,  lanl  laïques  qu'ecclésiastiques,  el 
qu'il  présidai!  en  personne  ou  par  des  délégués,  comme  le  fulle 
vicom le  de  Dax  dans  le  Midi.  (îuy- Geoffroy  senlilquo'pour  empêcher 
les  prév(Ms  de  suivre  l'exemple  des  viguiers.  ce  à  quoi  leurs  ten- 
dances ne  pouvaient  manquer  de  les  porter,  il  lui  fallait  faire  sou- 
vent sentir  son  autorité  à  ces  agents,  et  c'est  en  partie  dans  ce  but 
que,  tous  les  ans,  il  parcourait  ses  états,  assisié  dans  chaque 
région  du  prév<M  il  qui  la  garde  en  était  confiée.  Il  arrêtait  ainsi 
leurs  empiôlcments  sur  son  domaine  aussi  bien  que  leurs  entre- 
prises à  l'égard  de  ses  sujets  qui  pouvaient  par  suite  venir  facile- 
ment porter  auprès  dosa  personne  leurs  plaintes  et  leurs  reven- 
dications. 

Ces  courses  annuelles,  les  plaids  tenus  dans  ces  occasions, rame- 
naienl  ainsi  périodiquement  auprès  du  duc  les  grands  seigneurs 
de  cliaquc  parlie  de  ses  étais,  qui,  perdant  leur  individualité  sou- 
veraine dans  ces  grandes  réunions,  avaient  fini  par  sentir  qu'ils 
avaient  un  maître  ;  l'etTel  te  plus  remarquable  de  cette  politique 
fut  assurément  le  calme  que  Guy-Georfroy  sut  donner  aux  régions 
du  Midi, ordinairement  si  troublées.  C'était  un  prince  redouté  cl 
redoutable;  il  n'était  pas  dans  son  caractère  d'agir  avec  brutalité, 
mais  s'il  n'employait  pas  la  force  il  n'en  arrivail  pas  moins  à  son 

de  Sa:Dlc9,dilquc  le  comlc  de  Poitou  clait  un  guerrier  qur,jii  l'avantage  de  la  jeunesse, 
joif;aait  la  bravoure,  riiabilelé  cl  l'activité,  n  miles  nccrrimus,  juvenis»  astulus  el 
JrtLoriosu»  »  (Marchegay,  C/iron.  d'Anjou,  p.  i3f),  De  c^-pslis  coosulum);  la  chroni- 
([ue  de  Sninl-Miiixcnl  lui  reconaaîi  les  mêmes  (jualiuls  en  disant  qu'il  c-on(]ull  la  Gas> 
coçnu  tant  par  force  <|ue  par  Itnbilctc,  «  qui  Gasconiaiu  iic<]uisicrat  nrmis  et  indus- 
Iria  »  (Marelici»;iiy,  Cfir-on.  des  é'jt.  d'Anjou,  p.  /|t)o),  lmiIîq  A  l'appui  de  tu  justesse 
de  son  jijçemcnl,  nous  citerons  l'opinioD  ([uc  lui  nUribiic  ssir  Ruhcrl  ("luiscnrd  l'au- 
leur  de  la  vie  de  l'aventurier  Norin;md.  Le  comte  Cîuy,  dil-ii,  le  prenait  pour  modèle, 
nyaot  pour  tiabiluilc  de  dire  que  nu^  homme  uc  lui  paraissait  pouvoir  mieux  rcveD- 
diipier  Ij  qualité  de  preux  que  Robert  Guiscard  qui, sorti  de  gens  ïdl'oqdus  et  pauvres, 


GUY-OEOFFROY-GUILLA  UM  E 


377 


Iml  par  des  moyens  di^tournés.  II  se  mAlapeu  aux  querelles incos- 
sanles  de  loules  ces  peliles  puissances  qui  se  parlageaienl  le  sol 
du  dttch<'\niais  quand  son  aulorilé  souveraine  /ilail  mise  en  jeu,  il 
devenait  impitoyable,  el  le  souvenir  des  répressions  sanglantes  de 
Sauuaur  cl  de  Luçon  devail  être  présenl  à  Fespril  de  tous  ;  aussi, à 
la  fin  du  siiicle,lo  porte-parole  de  l'évoque  de  Saintes  pouvait- il  à 
juste  titre  le  qualifier  de  grand-duc  des  Poitevins  (1). 

La  fermeté  du  duc  à  l'égard  des  personnalités  laïques  ne  se 
serait  pas  démentie  dans  les  afîaires  relip:ieuses  s'il  n'avait  pas  eu 
les  mains  liées  en  nombre  de  cas  par  son  ardent  désir  de  conser- 
ver sajeune  femme,  désirqui  fut  exploité  parle  pape  Grégoire  VII 
et  surtout  par  Hugues,  l'habile  abbé  de  Cluny.  Du  reste,  dans 
ces  agissements  la  politique  trouvait  encore  son  compte,  car  il 
fut  par  ainsi  amené  h  seconder  activement  les  actes  des  légats  du 
pape  qui  avaient  pour  mission  de  pacifier  l'Aquitaine, tant  an  point 
de  vue  moral  que  social.  En  résumé,  il  était  avare  de  ses  deniers, 
se  souvenant  que  dans  sa  jeunesse  il  avait  été  souvent  dans  une 
position  dilficile,  et  il  n'hésita  pas  n  faire  rentrer  dans  son  domaine 
des  biens  donnés  par  ses  prédécesseurs  à  des  abbayes  ou  même 
simplement  à  les  leur  enlever  pour  en  gratifier  des  gens  dont  il 
lui  fallait  rémunérer  les  services.  Ses  f(énérosités  immenses  h 
l'égard  dcMonticrneuf,  oldonlles  liistorienshiiontfail  tant  d'hon- 
neur, n'étaient  faites  la  plupart  du  temps  qu'au  détriment  des  dé- 
tenteurs plus  ou  moins  légitimes  des  biens  dont  il  disposait  ainsi. 

La  puissance  du  duc  d'Aquitaine  était  si  bien  reconnue  cl  sem- 
blait reposer  sur  dos  bases  si  solides  qu'elle  était  considéi'ée  à 
l'égal  de  celle  du  roi,  cl  on  voit  ses  contemporains  dater  des 
actes  par  les  années  de  son  règne  (2).  Comme  le  roi,  il  avait  un 


avail  nccomi>li  «les  icuvrcs  p!us  grandes  «juc  qucUjuc  lioinmc  que  ce  fui  (Bcsiy,  f/isl. 
des  comtes,  |>rcuvc9,  p.  343  bis). 

(i)  Mêlais,  Cart,  saint,  de  la  Trinité  de  Vendôme,  p.  yS. 

(a)  Arch,  hist.  du  Poitou,  \,  p.  i8,  cort.  de  Saiat-Nicolas;  Acdcl»  Doc.  pour 
Saint-flilaire,  I.  p.  90.  Ces  deux  aclcs  appartiennent  aux  années  1067  el  10O8, 
c'esl-à  dire  à  celles  où  la  forlune  de  Guy-Geoffroy  cUiil  A  son  aprij^ce.  I'"aul-il  croire 
que,  prisé  par  ses  succès,  le  comlc  ail  rêve  de  faire  revivre  .'i  sun  profil  le  lilrc  de  roi 
d'Aquitaine.  On  devrait  l'adracllre  si  l'on  sVn  rapporle  au  rare  dcnicp  d'argent  sur 
sur  lequel  son  nom  est  accompai^nc  de  celle  qualité:  -j-  gofiiedvs  co.  Croix.  —  rv/ 
A<^»viT*ME,  el  daus  le  chnuip:  rex,  cq  Iriiinylc.  Mais  celle  pièce  a  une  telle  idcnlité  de 
fabrJcalion  avec  celle  dont  il  sera  parlé  ci-après  cl  que  frappa  le  roi  Louis  le  Jeune, 
que  nous  hésitons  à  y  rcconnollre  un  produit  du  xi*  siècle  el  à  croire  qu'il  y  a  eu  au 
raoias  soixaulo-dix  ans  de  diataacc  cotre  rémission  de  ces  deux  pièces.  (Voy.    I*ocy 


37» 


LES  COMTES  DE  POITOU 


sceau  dont,  au  reste,  il  n'usa  p^uère  (1)  et  pareillement  à  lui  il 
employa  la  signature  en  forme  de  monogramme  dont  les  lettres 
avaient  cette  signification  :  «  Signum  Gofredi  (2)  ».  Il  estencore  à 
remarquer  que,  dans  les  actes  auxquels  il  prenait  part,  il  ne  se 
contentait  pas  de  faire  porter  son  nom,  il  y  ajoutait  sa  croix 
autographe  el  môme  il  lui  arrivait  de  faire  signaler  spécialement 
celle  particularité  (3). Cette  précaution  s'alliait  bien  avec  ses  habi- 
tudes de  prudence,  lui  si  habile  et  si  méfiant. 

Ayant  un  sceau,  il  fallait  bien  au  duc  un  chancelier.  On  lui  en 
trouve  deux  :  Thebaul,maitredesôcolesde  Sainl-Hilaire.qui  occu- 
pait cette  situation  de  i  067  à  1076,  et  Guillaume  en  10^1  (4).iNous 
ne  lui  connaissons  pas  d'autres  grands  officiers  qu'un  sénéchal, 
<(  dapifer  »  ,'bien  qu'il  ait  pu  pousser  plus  loin  son  imitation  du  roi  de 
France.  Le  seul  sénéchal  dont  on  relève  le  nom  est  Pierre  de  Dri- 
dier,  qui  paraît  dans  des  actes  de  i075  environ  à  1083.  Ce  person- 
nage semble  être  venu  de  la  Marche  ainsi  que  semble  l'indiquer, 
oulre  son  nom,  un  acte  curieux  du  carlulaire  de  Saint-Nicolas 
que  nous  rappellerons  en  quelques  mots  car, outre  son  intérêt  par- 
ticuUer,  il  nous  initie  à  une  des  sources  des  revenus  du  comte. 

Un  chevalier  appelé  Ainon  de  «  Vel?.a  •>  promit  2000  sous  à  Giiy- 
Geoffroy,  s'il  lui  donnait  pour  femme  la  fille  d'Auberlde  Cliam- 
hon  et  son  fief.  Pierre  de  Uridier  se  poria  garant  du  paiement 
des  2000  sous  et  Ainon  lui  donna  comme  otages  Giraud  de  Gouzon, 
FrancondeLairel.lienoul  deCoronelArnoul  Jornal.  Ainon,  après 


d'iiv!tat,Monnaies  féodaleSfll,  p.  76,  pi.  lix,  no  8;  F'Mon,Collec[ion  Jean  Roasteau, 
p,  35,  pi.  II,  E"  8). 

(i)  Un  seul  des  actes  émanes  de  luiy-GcolTroy  porte  l'indicalion  qu'il  a  été  scellé; 
i)  nppartîcDl  à  raanée  1079.  Ce  sceau  est  perdu,  inaisj.  il  a  laissé  sur  le  pai-cticmia  ait 
il  a  été  apposé  une  Irace  trèa  visible.  Il  devait  être  eu  cire  blanclic  et  avait  été  plaqué 
sur  l'acte  où  l'on  avait  réservé  sa  place  au  milieu  des  souacriplions  i|ui  rencndrenl  ; 
il  y  n  fail  une  tache  jaunâtre  de  neuf  ccatimètrcs  de  diamètre  cl  l'ou  voit  qu'il  était 
atlacliépar  uu  tac  ou  courroie  qui  passait  hnrizonlalementdaos  Jo  parchemin  à  travers 
huit  fentes  verticales.  (Arcli.  de  la  Vienne,  ori>^.,  chap.  de  Saint-IIilairc-lc-Grand, 
n"  69;  Rt'det,  Doc.  pour  Saint-fliftiire,  I,  p.  98). 

(2)  A.rch,  delà  Vienne,  oriç.,  chap,  de  Saint-Hilaire-le-Graml,  nos  65  et  72. 

(3)  Rcdet,  Doc.  pour  Sainl-Hilaire,  I,  p,  gg  :  «  eam(|uo  [chartam]  proprie  manus 
impressione  conaigoo  »;  Arcb.  de  la  Vienne,  ori|iç.,  chap.  de  Sainl-Hilaire-le-Graad, 
n"  65,  68,  69, 

{f\)  I\cdel,  Doc.  ponr  Sainl-ffilaire,  I,  pp.  ijr,  gti;  A.  Richard,  Chartes  de  Saint- 
Mnixenl,  I,  p.  17O;  Thibaudcau^  Abréyé,  I,  p.  3G9,  Le  chancelier  Guillaume  est 
peut-être  le  niâ me  personnage  que  Guillaume,  sous-doyen  do  Saiot-dilairc  en  1076, 
qui  aurait  rempli  ea  même  temps  la  charge  de  chancelier  de  l'ahbaye. 


r^îEOFFROY-GUILLAUMR 

son  mariage,  paya  au  comte  la  plus  grande  partie  de  la  somme 
convenue,  moins  8  livres  d'argenl  que  Pierre  de  Bridier  dut 
acquiller  et  pour  lesquelles  le  seigneur  de  Velza  lui  abandonna  le 
droil  de  venle  sur  le  sel  dans  le  marché  de  Poitiers,  qui  faisait 
partie  de  l'avoir  de  sa  femme  (0- 

II  semble  que  c'est  Guy-Geotfroy  qui  arôgulièroment  constitué 
la  cour  judiciaire  qui  jugeait  les  affaires  dont  les  prévôts  ne  con- 
naissaient pas  ou  qui  venaient  devant  elle  en  appel.  Elle  se  com- 
posait ordinairement  de  cinq  membres,  parmi  lesquels  nous 
remarquerons,  outre  le  s6nt5clial  Pierre  de  liridier  et  Hugues, 
prévôt  de  Poitiers,  Audebert,  comie  de  la  Marche,  Robert  le 
lîourguignon  et  Béraud  de  Dun.  Audebert  semble  avoir,  on  ne 
sait  pour  quelle  cause,  abandonné  son  comté  de  bonne  heure,  car, 
dès  1071 ,  Boson,  son  fils,  prend  le  titre  de  comte  de  la  Marche  (3), 
et  s'ôlre  retiré  auprès  du  comte  de  Poitou,  dont  il  était  le  com- 
pagnon le  plus  dévoué  et  qui  lui  confiait  son  jeune  fils  pendant 
ses  fréquentes  absences  (2),  A  côlé  de  lui,  on  trouve  Bobert  le 
Bourguignon  ou  de  Bourgogne  ;  celui-ci  était  un  des  fils  de 
Bobert  le  Bourguignon,  fils  lui-môme  de  Benaud  de  Nevers  et 
d'Adélaïde,  fille  de  Bobert,  roi  de  France,  Il  était  cousin  d'Au- 
déarde,  la  femme  de  flu y-Geoffroy,  et  cherchait  à  se  créer  à  la 
cour  du  comte  de  Poitou  une  situation  analogue  à  celle  que  son 
père  avait  trouvée  auprès  de  Geoffroy  Martel,  comte  d'Anjou,  qui 
l'avait  marié  avec  Avoise  de  Sablé  et  lui  avait  donné  Craon  (4). 
Quant  à  Béraud  de  Dun,  ce  devait  être  un  Marchois,  comme 
Pierre  de  Bridier,  amené  en  Poitou  par  Audebert,  ii  qui  le  comle 
donna  des  bénéfices  et  qu'il  maria  avec  une  Poitevine  nommée 
Aïna  la  Louve  (5). 

11  est  enfin  à  noter  que  dans  les  dernières  années  de  sa  vie  Guy- 
Geoffroy  a  dans  son  entourage  plutôt  des  personnes  d'une  qualité 
secondaire,  sauf  quelques  rares  exceptions  motivées  par  des 
relations  intimes, que  les  grands  seigneurs  de  ses  étals.  Il  semble, 


[i)Arch.  hist,  du  PoUon,  I,  p.  4a>  ca.-l.  de  Sjlnl-N  îcolas. 
(a^  Voy.  plus  haut  page  35  t. 

(3)  Brucl,  Charles  de  Clanij,  IV,  p.  555. 

(4)  MélalSf  C  ir/,  saint.de  la  Trinité  de  Vend'ine,  p.  6o;  Bcriraad  de  BroussUlon, 
ia  Maison  de  Craon,  I.  pp.  20-24, 

(5)  D,  FoQleneau,  LXI[I,  p.  43. 


38o 


LUS  COMTES  DE  l'OITOU 


en  Poitou  du  moins,  que  les  plaids  auxquels  venaient  assister 
les  vicoml>^s  et  les  hauts  ijarous  aicul  cessé  de  se  lonir  ;  peut-être  la 
situation  fausse  d'Audôarde  ne  l'ul-eiie  pas  «Hrangèreà  celte  façon 
d'agir  qui  jure  avec  celle  dos  prédécesseurs  de  notre  comte  el 
avec  la  sienne  au  début  de  son  gouvernemenl,  et  qui  put  êlre  la 
cause  qu'à  partir  de  sa  séparation  olficielle  d'avec  la  comtesse  les 
fêles,  accompagnement  obligé  de  la  lenue  de  grands  plaids,  dis- 
parurent lolalemènL 

Ou y-GeofTroy,  avait  contracté  trois  mariages  :  V  avec  Garsende 
de  Pt'rjgord(?),dontil  se  sépara  pour  raison  de  parenté;  2*  avec 
Malhéode,  qu'il  renvoya  el  dont  il  eut  une  fille,  Agnès,  qui  épousa 
en  1(169  Alphonse,  roi  de  Léon,  et  fui  répudiée  vers  1077  ; 
3°  avec  Audéarde  de  Bourgogne.  De  celte  dernière  il  eut  trois 
enfants  :  \"  Guillaume,  qui  lui  succéda  ;  2°  Agn(:'s,  qui  fut  mariée 
enlOSi  à  Pierre  1,  roi  d'Aragon, el  qui, devenue  veuve  en  i  101,  se 
remaria  en  11 09  avec  Hélie, comte  du  Maine  (i);  3'  Hugues.  Bien 
que  Grégoire  VU  eût  imposé  au  comte  de  Poitou  l'obligation  de 
se  séparer  d'Audéarde,  toutefois  l'union  entre  les  deux  époux  ne 
fut  pas  brisée, mais,  comme  nous  l'avons  dil,  elle  cessa  seulement 
d'être  publique.  A  partir  du  jour  oh  le  paele  fut  conclu  entre  le 
comle  elle  pape,  Audéarde  ne  fut  plus  reconnue  comme  comtesse 
de  Poitou  ;  elle  ne  comparaît  plus  dans  les  actes  à  coté  de  son 
époux,  on  ne  trouve  ra{^mc  jamais  son  nom  dans  les  nombreuses 
chartes  de  cette  époque  que  nous  possédons  encore.  Il  semblerait 
à  première  vue  que  Guy-Geoffroy  soit  alors  devenu  veuf,  car  on 
ne  trouve  plus  à  ses  cAtés  que  son  jeune  fils  Guillaume,  Celui-ci 
était  né  le  22  octobre  1071,  cl,  de  trl'sbonne  heure,  le  comte  fait 
constater  sa  présence  aupiès  de  lui  dans  tou les  les  circonstances 
notables  (2);  or,  on  ne  saurait  mettre  en  doute  que,  durant  sa 
première  enfance,  le  jeune  comte  n'ait  été  entouré  des  soins  de 
sa  mère,  ce  qui  implique  la  présence  de  celle-ci  dans  le  palais 
comial  (3). 

(i)  Les  deux  filles  de  Guy-Geoffroy  nyani  éiè,  pourvues  du  même  prénom,  il  s'en 
csl  suivi  une  confusion  cuire  elles  que  l'on  retrouve  cbcz  lous  les  hislorîens  et,  parli- 
culiùrenienl  dans  ï'Arl  de  vérijier  les  dates  qui  (p.  Soij)  marie  le  comte  du  Maine 
avec  lîi  fille  de  Malliêode. 

(a)  Le  premier  cas  (|ue  nous  ayons  relevé  csl  du  7  avril  1074;  le  jeune  Guillaume 
avait  niors  deux  nns  el  demi. 

(3)  Besly,  Hist,  des  comtes,  preuves,  p.  3^^,  d'après  le  cari,  de  Monticrneuf  el  noo 


Gm-GEOFFROY-GllU.AL'MK 


38 1 


En  {^ITel,  après  la  nioit  de  Ciuy-Geoiïroy,  comme  il  n'y  avait  plus 
cin  mollis  poiirganlor  [ipsim''na/:;<'meii(snvpt'  riv^liso,Aiidéardo  re- 
pritsasiLualioii  première. Elle  rpparul  dans k'sactes  publics  oùolle 
signa  à  la  fois  comme  comtesse  des  Poilevins  et  mère  du  comte. 
Ce  sont  les  qualificalions  qui  lui  sonl  données  en  1090,  quand  cite 
assista  à  la  reslitutiou  de  Tiie  d'Oléron  h  l'abbaye  de  la  Trinilô 
de  Vendùme  (!)  ;  en  J  lOII,  quand  elle  fil  don  à  MonJierneuC,  pour 
en  jouir  après  sa  mort,  de  tontes  les  métairies  qu'elle  possédait 
à  Jarl,  en  Bas-l^ûitou,et  que  son  mari  GeoITroy,  duc  des  Aquitains, 
lui  avait  donnécs,disait-elle,pour  cadeau  de  noces;  en  H 04, quand 
elle  assista  à  un  accord  que  son  fils,  le  comte  Guillaume,  fil  avec 
les  moines  de  Saîiil-Jcan  d'Angély  (2).  A  partir  de  cette  dernière 
date  nous  ne  trouvons  plus  Irace  d'elle;  il  est  à  croire  qu'elle 
mourut  vers  cette  époque. 

Quant  cl  Hugues,  le  plusjeune  (ils  de  Guy-GeotTroy,  il  n'est  lait 
aucune  mention  de  lui  du  vivant  de  son  père  (3),  ce  qui  nous  porte 
à  croire  que  sa  naissance  est  postérieure  à  la  séparation  officielle 
de  ses  parents.  Son  nom  est  prononcé  pour  la  première  fois  en 
1 090,  alors  que,  se  trouvant  à  Bordeaux  avec  son  fri-re  le  duc  Guil- 
laume et  la  duchesse  sa  mère,  il  assiste  à  la  conOrmalion  du  don 
de  Soulac  fait  h  l'abbaye  de  Saiute-C'roix  de  Bordeaux  (4).  Il  est 
ainsi  désigné  parmi  les  témoins  de  Tacte  :  Hugues, frère  du  comte, 
«  Hugo  fraler  Gaillelmi  comilis  »  et  c'est  là  l'unique  qualité  qui 
lui  soit  allribuée  dans  les  actes  du  vivant  de  tJuiltaume  VII  (!>].  Il 


d'après  celui  de  Sainl-Jean  d'An^çély,  comme  il  a  été  imprimé  à  tort;  D.  FoDleneau, 
XIX,  p.   iri;  Gall.  Christ.,  Il,  iaslr.,  col.  355. 

(i)  Slclais,  Cari,  saint,  de  la  Trinité  de  Vendôme,  p.  70;  Besly,  //itl.  des  co/zi- 
les,  preuves,  p.  /ji2. 

(a)  Besly,  Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  3{)2. 

(3)  On  ne  cunnait  (ju^ua  seul  docurneul,  aulériour  au  décès  de  Guy-Geoiïroy,  qui 
puisse  l'aire  supposer  dès  ce  temps  l'existence  de  son  lils  Hui^tics.  C'est  l'accord  inter- 
venu entre  te  couile  et  les  ntoiues  de  Sainl-Cypricn  au  sujet  de  ta  pcclie  du  Clain  que 
nous  avons  relaté  plus  haut  (Voy.  p.  36/})  où  il  est  dit  que,  parmi  les  personnes  «ux- 
quetles  il  est  interdit  de  pécher,  se  trouvent  les  fils  du  comte,  u  fdiî  mci  »,  mais  il  est 
fort  possible  que  celle  caonciation  ait  eu  simplement  uu  caractère  do  géDcralisalion 
auquel  on  uc  saurait  réellcmenl  s'arrêter.  Ce  qui  paraît  absotuincnt  corroborer  notre 
manière  de  voir  c'est  le  silence  observé  au  sujet  d'HuiÇues  par  la  chronique  de  Saint- 
Maixcat  qui  (p.  4o5)  mentionne  la  naissance  de  Guillaume  cl  d'Agnes  et  nullement 
la  sienne;  par  suite,  nous  ne  saurions  admettre  l'opinion  de  Palustre  (f/ist.  de 
Gnitlanme  AV,  p.  123,  note  i),  qui  place  la  naissance  d'Hugues  avant  celle  d'A^ès. 

(4)  Bcsiy,  ///'*/.  des  comtes ^  preuves,  p.  ^06. 

(5)  Bealy,  Uist,  des  comtes,  preuves,  p.  4^5  (année  iio3),  p,  39a  (aooée  iio4)  et 
p.  436  (année  1 1  ig);  D.  Footeueau,  XXIV,  p.  4^  (année  1 126). 


38a  LES  COMTES  DE  POITOU 

survécut  à  celui-ci,  et,  au  temps  de  Guillaume  VIII,  on  l'appelle 
simplement  l'oncle  du  duc,  «  avunculus  »  (I).  Il  ne  parait  pas 
qu'il  II  gués  ai  télé  jamais  pourvu  d'une  pari  quelconque  de  l'autorité 
ni  m&me  qu'il  lui  ait  élé  constitué  dans  l'héritage  paternel  un 
patrimoine  dont  il  eût  pu  disposer.  Il  portait  la  peine  de  la  position 
non  officielle  qui  était  le  sorl  de  sa  mère  au  moment  de  sa  nais- 
sance el  il  vivait  à  la  cour  comtale  dans  une  situation,  semble-l-il, 
assez  indécise,  car,  dans  les  souscriptions  de  témoins  apposées  au 
bas  des  actes,  il  n'occupe  poinl  généralement  la  place  d'honneur 
à  laquelle  sa  naissance  aurait  dû  lui  donner  droit,  el  il  vient  in- 
différemment au  milieu  de  personnages  d'un  rang  plus  ou  moin^ 
relevé  (2). 


XV.  '  GUILLAUME   LE  JEUNE 
Vile  Comte.  —  IX*  Duc 
(io8G-( raG) 

Quand  Guy-Geoffroy  s'éteignit  inopinément  dans  le  château  de 
Chizéj  le  25  septembre  1086,  il  n'avait  assurément  pris  aucune 
disposition  en  vue  de  sa  succession  future.  GuillauraCt  son  fils 
aîné,  était  encore  mineur  et  il  aurait  dû  être  placé  sous  une 
tutelle  qui  légalement  devait  être  celle  de  sa  mère,  malgré  la 
situation  irrégulière  dans  laquelle  celle-ci  se  Irouvail.  Pendant 
cinq  ou  six^années,  le  gouvernement  du  Poitou  et  du  duché 
d'Aquitaine    allait  donc  tomber  aux  mains  d'une  femme  :  une 

(i)  Ucsiy,  Hist,  des  comtes,  preuves,  p.  4^3  (ojircs  1 126). 

(2)  Dans  une  charle  de  Sainl-Jean  d'Angély,  qu'il  csl  maliieureusemeot  à  peu  près 
imjMJSsihIe  de  diilcr,  il  est  question  dl-udesjucveu  du  comte, qui  assiste  h  l'octc:  «  Odo 
nepoa  GolTridia  Piclavcnais  comilis  »  {D.  Fonteneau,  LXIII,  p.  53).  De5ly,qui  rccon- 
n;iU  dans  ce  neveu  du  comte  un  ai'clicvêqiie  de  Tours,  a  été  rhcrcber  bien  loin 
l'origine  de  celle  parente;  il  rapporte  que  par  une  cbarte  Guy  appelle  Eudes  son  ne- 
veu, parce  qu'il  avait  i-pousé  la  sœur  d'Audcbert  11,  comte  de  Péritrord,  cousin  ger- 
main d'Eudes  {/list.  des  comtes,  p.  97).  Or  il  n'y  a  jflmais  eu  d'arcLevtique  de  Tours 
du  nom  d'Eudes,  et  le  personoa^'c  désifçné  dans  la  cbarle  do  Saint-Jean  d'Aogély 
n'esl  autre  (|ue  le  fils  d'Henri  de  Hourgognc,  frère  d'Audëardc,  c'esl-à-dirc  le  propre 
neveu  de  la  cuintcsse  du  Poitou. 


GllLLAUME  LE  JIîlTNE 


383 


Agnès  aurait  pu  tenir  ce  rôle,  mais  Audéarde  n'était  [.vas  de 
taille,  aussi  les  familiers  du  duc  défunt,  tant  pour  é\ilor  celle 
extrémité  que  pour  conserver  leur  situalion,  durcnl-ils  violer  le 
principe  qui  avait  été  appliqué  quarante  ans  auparavant  dans  des 
circonstances  identiques,  et  au  lieu  d'attendre  pour  proclamer  la 
mfijorité  du  jeune  comte  qu'il  eûl  alleini  l'âge  de  vingt  et  un  ans, 
comme  cela  s'élait  passé  pour  son  oncle  Guillaume  Aigrel,  ils  le 
mirent  aussitôt  en  possession  de  tousses  droits^  conformément 
à  la  pratique  de  certaines  contrées  de  la  France,  et  en  particu- 
lier de  la  Bourgogne,  d'où  la  comtesse  était  venue;  lii,  l'enfant  de 
race  noble  i5lait  majeur  à  l'âge  de  quinze  ans  et  Guillaume  allait 
les  atteindre  dans  quelques  jours,  étant  né  le  22  octobre  1071  (1). 
Les  circonstances  au  milieu  desquelles  le  nouveau  comte  prenait 
le  pouvoir  étaient  assez  critiques.  Joscelin,  le  grand  archevêque  de 
Bordeaux,  n'était  plus  là  pour  diriger  ses  actes  et  les  soutenir  de 
toute  l'autorité  de  sa  puissance  épiscopale  aussi  bien  que  de  celle 
que  lui  donnait  dans  le  monde  féodal  sa  situation  de  baron  de 
Partlienay.  Il  élaitdécédé  le  19  juin  1086  et  Guy-Geoffroy  n'avait 
pas  encore  eu  le  loisir  de  lui  faire  donner  un  successeur  à  son 
gré.  De  vives  compétilions  s'étaient  produites  pour  occuper  le 
siège  archiépiscopal,  et,  si  le  duc  d'Aquitaine  avait  pu  charger 
de  l'adminislralion  du  diocèse  un  des  prélats  qui  lui  furent  le 
plus  dévoués,  Simon,  évêque  d'Agen,  celui-ci  n'avait  pas  eu 
assez  d'influence  ou  d'habileté  pour  se  faire  admettre  à  la 
place  de  Joscelin  et  par  suite  pour  appuyer  efficacement  les 
premiers  actes  du  jeune  Guillaume.  D'aulre  pari,  Isembert, 
l'évoque  de  Poitiers  si  mêlé  aux  affaires  du  duc  défunt,  était 
mort  à  peu  près  en  même  temps  que  lui  (2).  Les  deux  plus  im- 
portants sièges  épiscopaux  du  duché  d'Aquitaine  ne  possédaient 
donc  plus  de  titulaires  à  la  fin  de  l'année  1086,  aussi  l'élément  laïque 
se  Irouva-t-il  sans  contrepoids  et  aussi  sans  appui  dans  les  con- 
seils du  comte.  Audéarde  était  sans  énergie  et  elle  !se  contentait 
de  reprendre  dans  les  actes  publics  son  titre  de  comtesse  (3)  ;  ni 


(Il  Viollet,  Etablissements  de  saint  Louis,  I,  p.  i58;  III,  pp.  i6i,  i66  et  lOy. 

(a)  Marcheaçay,  C.hron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  /|o8,  Saint-Maixent. 

(3)  Le  premier  documenl  à  date  certaine  où  l'on  reoconlrc  le  Ulre  de*  coruidssa  » 
accompagnant  le  nom  d'Audéardeeslde  logG  (A.  Richard,  ^/iaWtfj  de  Saint-Afai.Teidf 
I,  p.  220],  Duals  au  le  rcicvc  aussi  dans  plusieurs  autres  actes  non  datés  de  celle  épo- 


384  I.KS  CU.MTES  DK  POITOU 

elle  ni  ses  conseillers  n'avaient  individuellcmonl  assez  d'uulorilc 
pour  faire  prévaloir  les  tlroils  du  pouvoir  souverain  qui  ne  larda 
pas  à  être  ballu  en  brèche.  Guy-Geoffroy,  dans  bien  des  cas,  avait 
élé  un  véritable  despote;  tout  trcuablail  devant  lui  ;  les  plus  tur- 
bulents seigneurs  avaient  élé  contraints  de  s'incliner  devant  ses 
volontés,  qu'elles  fussent  ou  non  guidées  par  Tesprit  de  justice.  A 
sa  mort,  un  soupir  de  soula^'ement  s'échappa  de  la  poitrine  de 
nombre  de  gens,  qui  cherchèrent  à  récupérer  ce  qu'ils  avaient 
perdu  ou  à  s'approprier  ce  qui  était  à  leur  convenance,  convaincus 
qu'ils  étaient  d'avoir  à  redouter  peu  de  chose  de  la  part  d'un 
enfîint.  Le  nouveau  comte  élail  en  eiïel  un  cnfanl,  «  puer  «,  et  ce 
qu'il  y  avait  de  plus  grave,  comme  le  lui  fait  dire  ingénument  un 
scribe  du  temps,  cela  se  savait  (l).  L'habitude  était  si  bien  prise 
de  le  considérer  comme  tel  que,  deux  ans  après  son  avènement, 
en  1088,  bien  qu'il  eût  atteint  Tûge  de  dix-sept  ans,  il  est  encore 
appelé  «  infans  »(2).iMus  lard,  cette dénominalion  fil  place  à  celle 
de  «junior  »,le  jeune,  qui  persista  toute  sa  vie  et  devint  pour  lui  un 
véritable  surnom, comme  il  arriva  au  roi  de  France,  Louis  ¥11(3), 
car  on  la  Irouvo  accolée  à  son  nom  en  111  i,  alors  qu'il  était  âgé 
de  quarante-deux  ans  :  le  comte  Guillaume  le  .(eune  régnant  en 
Aquitaine,  «  régnante  Guillelmo  juniore  comité  in  Aquilania  (4)» . 

que,  que  l'on  peut  faire  rcraonler  à  io88  ou  io8<j.  [Cari,  de  Saint-Cijprien,  p.  aoi; 
U.  l'onlencau,  XIX,  p.  m). 

(i)  Mêlais, Car/,  suint,  de  ta  Trinité  de  Vendôme,  p.  06;  Bcsiy,  llitt.  des  comtes, 
preuve»,  p.  4i^:  «  Cuni  itaque  patcr  meus  ex  hoc  muado  migrasse!,  salis  puer,  ul 
plurimi DOfunl,  ej^o  rcmausi.  »  Voy.  nussiA.  Riefiard,  Charles  de Sainl-Maixenl^\, 
p.  ij)7;  Cnrl.  de  Noire-Dame  de  Suintes,  p.  Sj. 

(2)  A.    Ricliard,  Chartes  de  Saint-Mai.rent,  l,  \>,  202. 

(3)  Arch.  de  la  Vienne,  orifj.,  MonlîerncuF,  no  12;  A.  Richard,  Chartes  de 
Sainl'Maiuuentt  I,  p.  21  G. 

(4)  A.  YWchnvd,  Chartes  de  Saint-Afaixent,\.^.  a83.  Les  auteurs  de  Y  Art  de 
vérijier  les  dates,  dnns  leur  préoccupaliun  de  douuer  un  Burnum  aux  deux  derniers 
Guillaume  d'Aquilaine,  ont  été  amenés  à  commeltrc  une  double  erreur.  Ayant  trouvé 
dans  la  chronique  d'An^oulème  {flist.  pontif.  et  corn.  Enffol.,  pp.  45-4?),  'es  qua- 
liScations  de  u  prior  «  et  de  «  senior  h  appliquées  à  Guillaume  VU,  ils  ont  cru 
qu'elles  représeutaient  ce  surnom  el  l'oui  appelé  tiuillaume  le  Vieux,  en  nn^me  temps 
qu'ils  ont  désigné  sous  le  nom  de  Jeune,  «  junior  w,  son  (ils  Guillaume  VHI,  que  la 
chronique  nonniiait  aiusi  [lour  le  distinjuucr  de  son  père,  Umôia  que  l'emploi  de  ces 
deux  adjecdfs  n'avait  été  fait  pur  te  chroniqueur  que  pour  dislinjjucr  le  père  el  te 
fils  dont  il  avait  à  parler  en  même  temps.  Uoiume  ses  prédécesseurs,  Guillaume  VJI 
porlc  les  quaiiticalions  de  duc  des  Aquilai/is  et  de  comte  des  Poitevins;  dans  le 
Midi,  on  trouve  ces  variantes  de  duc  d' Aquitaine  et  conUc  de  Gascogne  (Uesly, 
//isl,  des  comtes,  p.  4'o)  ou  encore  do  comte  des  Poitevins  gouvernant  \a  Gascogne 
{Arch.  hist.  de  lu  Gironde,  V,  p.  121^,  La  Héolc). 


GUILLAUME  LE  .FEl  XE 


385 


Les  rares  qualités  dont  étail  doué  le  jeune  Guillaume  no  pou- 
vaient encore  produire  leur  elTcl;  il  leur  nianquail  l'appuinl  de 
la  force  (l).L'n  venl  d'indépendance  soulTladonc  parmi  les  barons 
el  il  aurait  pu  avoir  pour  le  pouvoir  dujoune  comleles  plus  graves 
conséquences  si,  parmi  ces  révoltés,  ne  s'étaient  point  trouvés  des 
lionimes  politiques  qui,  trouvant  plirs  d'avantage  àresler  fidèles 
au  comte  qu'à  s'insurger  conire  sa  personne,  se  vendirent  à  lui, 
agissant  à  son  égard  comme  le  tirent  cinq  cents  ans  plus  tard  les 
Ligueurs  avec  le  roi  de  l""rance  Henri  IV.  Le  plus  haljîle  de  tous 
fut  assurément  Eble  de  CluUelainon,  un  des  plus  liauts  l)arons  de 
la  Saintonge,  dont  la  sœur  Aurengarde  avait  été  pendant  un  temps 
(107()-1 081)  la  femme  de  Foulques  le  lîécliin,  comle  d'Anjmi.  Il 
étail  d'abord  entré  dans  le  parti  des  raécontenis  el  s'était  empressé 
de  reprendre  aux  moines  de  Saint-Maixenl  le  marais  de  Mouille- 
pié  que  quelques  années  auparavantGuy-GeolTroy  l'avait  contraint 
de  leur  rosliluer  (2),  puis,  sans  aucune  vergogne,  il  fil  un  jour 
proposer  à  Ciuillaume  un  marché  léonin  que  ce  dernier,  dans 
la  nécessité  où  il  se  trouvait,  l'ut  contraint  d'accepter.  Il  lui  fit 
donc  savoir  qu'à  rexemple  d'autres  l>arons  il  se  retirerait  de  lui, 
et  même  prêterait  aide  ;i  ses  adversaires  autant  qu'il  serait  en  son 
pouvoir,  s'il  ne  satisfaisait  pas  à  sa  demande.  Or  celle-ci  ne  ten- 
dait à  rien  moins  qu'à  lui  abandonner  l'église  de  Saint-Georges 
d'Oléron  et  la  moitié  de  celle  île.  Celait  une  riche  proie  sur  la- 
quelle, du  haut  de  sa  forteresse,  le  seigneur  de  Clifilelaillon  devait 
jeter  tous  les  jours  des  regards  envieux.  Mais  ce  domaine  n'était 
pas  en  la  possession  directe  du  comte  ,  il  avait  fait  partie  de  la 
dotation  primitive  de  la  Trinité  de  Vendôme  constituée  par  Geof- 


(i)  «  Puer  tiiagne  ÏDcIolis  »  (Arch.  hisl.  de  la  Saintonge,  IV,  p.  67,  cbarles  de 
Saint-Flureat,  vers  io85).  Nous  tie  saurions, comme  le  fait  Paliisirc  (Hist.de  Guil- 
laume IX,  p.  tg5),  compter  au  nombre  des  éléments  de  force  du  aouvcau  comte  sou 
couronnement  en  qualité  de  duc  d'Aijuitiiiuc  dans  l't-|f;li.sc  cntliétirale  de  Saint-Eticnor 
à  Limoges.  Il  place  cet  événement  au  mois  d'octobre  loSO,  aussîitU  après  la  mort  de 
Guy-Geolî'roy,  el  donne  tous  les  détails  de  la  cérémonie  d'après  l'Orc/o  ad  benedicen^ 
dam  ducem  Atjuitaniip,  publié  par  iJesly  (f/ist.  des  comtes,  preuves,  p.  i83).  Il  a 
été  parlé  plus  baut  de  ce  document  <]ui,  selon  toute  vraisemblance,  a  été  rédigé  à  la 
suite  du  couronnement  de  Ricbnrd  Cu.'ur-de-Lion  h  Limoges  en  11O7;  rien  n'autorise 
à  rnppliiiucr  à  Guillaume  VII, aussi  renouvelons-nous  ici  pleinement  notre  adhésion  aux 
conclusions  négatives  que  M.  de  Lastejric  ii  exposées  dans  sa  savante  Elude  sur  les 
comtes  et  vicomtes  de  Limo'jes,  p.  36. 

(a)  A.  Richard,  Chartes  de  Sairit-Mai.vent,  l,  p.  107. 


386 


LES  COMTE'^  DE  POITOU 


froy  Miirlel  ol  par  Agnùs  ;  Pierre  de  Didonrie,  qui  avait  fôodale- 
monl  dos  droits  sur  ces  lerritoires,  avait  dû  y  renoncer  ainsi  que 
sa  famille  qui  ne  réclamail  rien.  Rblese  mit  en  leur  lieu  et  place 
et  pour  pallier  son  extorsion  il  avait  soin  de  déclarer  que  ces  biens 
avaient  616  anlrelbis  en  la  possession  de  ses  ancêtres,  mais  cette 
assertion  6lai!,  à  ce  qu'il  semble,  d'une  justification  difficile,  et 
ce  qu'il  y  avait  de  sûr  c'est  que  les  moines  de  laTrinilé  jouissaient 
d'Oléron  sans  conlcslalion  depuis  quarante  ans.  Quoi  qu'il  en 
soit  (iuillaume  s'empressa  de  déférer  au  désir  de  son  redoutable 
\assal  et  il  donna  son  assenliment  à  la  spoliation  qu'ftiWe  s'em- 
pressa d'opérer  sans  s'inqui6ler  des  foudres  ecclésiastiques  qui 
ne  Itirdèrent  pas  à  te  frappcr'(l). 

L'exemple  donné  par  le  seigneur  deChâlelaillon  dut  porter  ses 
fruits,  cl,  soit  en  abandonnant  quelque  portion  du  domaÎQCCom- 
lal,  soit  plus  particulièrement  en  donnant  leur  assentiment  h  des 
revendications  ou  à  des  usurpations  sur  les  possessions  des  éta- 
blissenienlsrt'lîgieux, Guillaume  ou  du  moins  ses  conseillers  assu- 
rèrent la  Iranquillilé  dans  le  pays  en  l'achetant  de  ceux  qui 
auraient  pu  la  troubler.  Il  ne  faut  pas  croire  en  olTet  que  le  cas 
d'bJ>lede  Cliàteiaitlon  soit  resté  isolé.  Sur  une  moindre  échelle 
on  voit  les  mêmes  faits  se  reproduire  dans  des  circonstances 
identiques.  Ainsi,  après  la  mort  du  vicomte  Aimeri  de  Thouars, 
son  tifs  ller-berl  enleva  aux  moines  de  Saint-Florent  la  dime  de 
plusieurs  localités  ;  il  donna  ifaint-Micliel  en  I^herm  à  son  oncle 
Haoul,  des  mélairies  dans  ta  paroisse  de  Sainte-Cécile  à  Aimeri 
du  Teil  et  laissa  Guillaume  Affroy  les  dépouiller  de  la  dîme  la 
Sainle-Pexine  et  Foulques  de  Mauléon  de  celle  l'Fpaux  (2). 

Le  premier  soin  des  conseils  du  comte  fui  de  pourvoir  aux 
sièges  épiscopaux  vacants.  Bordeaux  était  ambitionné  par  Aimé, 
l'ôvêque  d'OIorun,  mais  ce  prélat  avait  froissé  tant  de  gens  dans 
l'exercice  implacable  de  ses  fonctions  de  légat  du  Saint-Siège  que 
sa  candidature  rencontra  une  formidable  opposition  ;  dans  l'im- 
possibilité où  l'on  se  trouvait  d'entrevoir  une  solution  prochaine 
de  cesdifficullés,  t'évéque  d'Agen  continua  temporairement  d'ad- 


(i)  Mêlais,  Cari,  saint.de  la  Trinité  de  Vendôme,  p.  06;  Bcsiy,  //isl,  des  comteSp 
preuves,  p.  ^12. 

(a)  Marchpgay,  Cart.  du  Bat-^Poitoa,  p.  19,  La  Chaise-lc-Vicomle. 


GUrLLAUME  LE  JEUNE 


387 


minîplrcr  le  diocèse (1).  En  ce  qui  foncerne  l'Ovôché  do  Poilier?, 
le  choix  des  grands  seigneurs,  d'accord  avec  celui  dn  chapitre 
calht'îdral,  se  fixa  sur  Pierre,  arcliidiacre  de  Thouars,  homme 
que  recommandait  une  piiMé  éclairée  el  qui  fui  sacré  le  S  des 
calendes  de  mars  (22  février)  1087,  peu  après  son  élection. 

Dans  rnssislance  nombreuse  réunie  à  Poitiers  à  l'ocrasion  de 
réleclion  do  Tévèque  se  trouvaient,  parmi  les  dignitaires  ecclé- 
siastiques, Aimé,  le  légat  du  Sainl-Siège.  Guillaume,  archevêque 
d'Auch,  \*i  doyen  delà  cathédrale,  le  prieur  de  Sainle-Hadegondo, 
l'abbé  de  Sainl-Cyprien;  auLourdu  jeune  comte  on  voyait  Uoson, 
comte  de  la  Mfirche.  Aimeri,  vicomte  de  Thouars,  Boson,  vicomte 
de  Chili ellfrault,  (ielduin  et  Kblion,  seigneurs  de  Parlhenay, 
lîoberl  le  Bourguignon,  Maingol  deMelleelaulrcs.  Les  chanoines 
de  Saint-Nicolas,  qui  supportaient  avec  peine  le  joug  que  la  vo- 
lonté de  Guy-GeolTroyleiir  avait  imposé,  jugèrent  l'occasion  bonne 
pour  revendiquer  leuralTranchisseraenl.  A  peine  le  comte  de  Poi- 
tou était-il  décédé  qu'ils  avaient  formulé  leurs  plaintes;  mais 
l'influence  de  Cluny  continua  à  être  prépondérant*^  el  l'assemblée 
consultée  déclara  qu'il  y  avait  lieu  de  maintenir  ce  qui  avait  été 
précédemment  établi,  c'est-à-dire  l'union  du  chapitre  de  Saint- 
Nicolas  à  l'abbaye  de  Monlierneuf  (2). 

Ces  chanoines  n'avaient  pas  été  seuls  à  protester  contre  les 
actes  de  Guy-GeotTroy,  Dans  le  temps  le  comte  avait  imposé  aux 
religieux  de  Saint-Maixent  un  moine  de  Marmoutier,  Anségise, 
en  qualité  d'abbé,  s'engageanl  en  retour  h  leur  restituer  les  Itiens 
qu'il  leur  avait  précédemment  enlevés.  Mais  ces  promesses 
étaient  vaines  et  ne  furent  pas  suivies  d'effet,  aussi,  après  la  mort 
de  son  protecteur,  Anségise,  sentant  que  la  position  était  intena- 
ble, retourna  à  Marmoulier  ;  les  moines  lui  donnèrent  aussilAl 
un  successeur  dont  l'élection  eut  lieu  le  2!)  février  1087,  jtiste 
cinq  mois  après  la  disparition  du  tout-puissant  comte  (3). 

Vers  celte  époque  le  comte  et  l'évêque  de  Poitiers  se  rendirent 
à  Lusignan.   lis  cédaient  aux  sûllicitalîons  d'Hugues  le  Diable, 


(i)  Il  élail  encore  en  fonctions  le  3  décembre  1088  {Ctirt .  de  Suint-Searin,  p.  28). 
(a)  Arc/i.  hist.  du  Poitou^  [,  p.  >8,  cari,  de  Saint-Micolas;  Marchegay,  Chron.deit 
égl.  d'Anjait,  p.  /joi),  Sainl-Maixrnl, 

(3)  A.  rtichard,  Charles  de  Saint-Mai jcent,  J,  p.  u.xxvii. 


388 


LES  COMTES  DE  POITOU 


qui,voulanl  mellre  en  repos  sa  conscience  chargée  des  trop  noni- 
breux  méfaiLsqui  lui  avaient  méril6  son  surnom,  di'^sirail  donner 
la  plus  grande  solennilc  h  un  acle  pipux  qu'il  tenait  à  accomplir 
avant  de  partir  pour  la  guerre  h  laquelle  il  allail  prendre  pari. 
Pendant  que  Tévèque  se  tenait  devant  Taulel  de  Notre-Dame 
en  présence  du  comte,  d'un  nombreux  clerg(^  et  de  chevaliers  de 
Lusignan,  il  fit  don  aux  moines  qui  desservaient  cet  autel  du 
domaine  de  Faiduncin,  autrement  dit  Saint-Amanl  (1). 

Le  sire  de  Lusignan  voulait  en  effet  répondre  k  l'ardent  appel 
qui  avait  éié  adressé  aux  barons  français  par  Alfonse  VI,  roi  de 
(lastille.  Ce  prince,  l'ancien  mari  d'Agnès  de  Poitou,  dont  la  puis- 
sance s'était  considérablement  accrue  par  la  prise  de  Tolède, 
avait  vu  sa  fortune  ébranlée  par  l'arrivée  des  Atmoravides  du 
Maroc  que  les  rois  maures  d'Espagne,  craignant  d'être  Tnn  après 
l'autre  subjugués  par  lui,  avaient  appelés  ù  leur  aide.  Leur 
espoir  ne  fut  pas  déçu;  le  roi  de  Caslitle,  forcé  d'abandonner  le 
siège  de  Sarragosse,  fut  complèlomenl  défait  à  Zahacal. 

La  situation  changea  aussitôt  après  l'arrivée  des  cheva- 
liers français  accourus  de  toute  part  en  Espagne;  ceux-ci  s'em- 
parèrent tout  d'abord  de  la  ville  d'iistclla,  mais  ils  usèrenl  leur 
force  au  siège  de  Tudèle.  Les  Almora vides  s'élant  alors  retirés 
sans  poursuivre  leurs  premiers  avantages,  Alfonse  fil  la  paix  avec 
les  rois  maures  et  vil  sans  peine  l'insuccès  à  peu  près  complet  des 
auxiliaires  auxquels  il  avait  demandé  un  si  chaud  concours.  Par- 
mi les  Poitevins  qui  participèrent  à  celle  campagne»  laquelle 
ne  dura  guère  que  quatre  mois,  nous  trouvons  à  citer,  outre 
Hugues  le  Diable,  un  certain  Pierre  Abrulil,  à  qui  les  moines  de 
JNoaillé  donnèrent  par  charité  150  sous  au  moment  où  il  se  mettait 
enroule  avec  d'autres  chrétiens  (2),  et  l'auteur  de  la  chronique 


(i)  D.  Fonlcneau,  XXI,  p.  Hai . 

(2^  La  charte  de  Noaillé  (Arch.  de  la  Vienne,  orig-.,  n»  128;  D,  Kooleoeaa, 
XXI,  p.  507),  qui  U0U8  apprend  le  départ  de  Pierre  Abrtilil  |Hiwr  lu  jçuerrc  d'Es- 
pagae,  à  l'occasion  de  quoi  il  fil  don  à  l'abliayi'  d'un  doinnlne  appelé  les  Cartes,  sou- 
lève une  petite  difticulté  de  chronoioffic.  Elle  est  datée  de  l'imnéc  10S7,  le  roi  Phi- 
lippe réi^nanl,  le  duc  Groflroy  tjouvcrnant  rAijuilaine,  Pierre  dirifjfeaiM  rri^lise  de 
Poitiers,  l'an  où  les  Snrrazins  envahirent  l'Bspng'ne  contre  les  chrétiens;  toutes  ces 
notions  se  rapportent  à  l'année  1087,  sauf  celle  relative  au  duc  Geofl'roj,  mort  en 
1086.  Nous  estimons  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  à  cette  difficullé  el  que  le  scribe 
de  Noaillé  a  écrit  par  erreur  le  nom  de  Geoffroy  au  lieu  de  celui  de  Guillaume. 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


389 


de  Saint-Maixent,  qui  nous  dit  avoir  vu  le  chef  de  Texpôdition, 
nommé  Guillaume  le  Normand  (1). 

Dans  le  Bordelais,  se  produisirent  des  faits  identiques  à  ceux 
qui  se  passèrenl  en  Poitou.  Lhi  piirticmlier,  Guillaume  Ferran,  avait 
jadis  enlevé  aux  chanoines  de  Sainl-Seurin  un  cens  de  G  deniers 
que  son  père  et  sa  mère  leur  avaient  primitivement  donné.  Les 
chanoines  avaient  alors  porté  plainte  devant  la  cour  du  comte  et 
celle-ci,  où  se  trouvaient  le  duc  Guy-Geoffroy,  l'archevêque  Jos- 
celin,  et  R.,  vicomte  de  Dax,  leur  avait  donné  gain  de  cause.  Aus- 
sitôt aprt's  la  mort  de  l'archevêque  et  du  duc,  Ferran.  qui  ne  s'é- 
tait soumis  quepar  crainte  do  ce  dernier, s'empressa  de  remettre 
la  main  sur  l'objet  en  litige.  Le  pouvoir  civil,  que  représentait  le 
vicomte  de  Dax,  se  trouvant  par  suite  du  nouveau  régime  dans 
l'impossibilité  d'exercer  une  action  elTicace  sur  les  sujets  du  duc, 
Ferran  aurait  pu  jouir  sans  trouble  du  bien  qu'il  avait  usurpé 
s'il  n'avait  rencontré  sur  ses  pas  l'auloritô  ecclésiastique.  H  fut 
excommunié.  Les  conséquences  de  cet  acte  lui  furent  si  pénibles 
qu'il  revint  à  résipiscence  et  le  3  décembre  1088  il  renonça  entre 
les  mains  de  FévÔque  d'Agen,  cette  fois  défmitiveuicnl,  àses  pré- 
tentions (2). 

Peut-être  avant  de  s'amender  ainsi  Ferran  avait-il  été  aupara- 
vant l'objet  d'une  condamnation  parFautorilé  civile.  F^es  conseil- 
lers du  jeune  comte  des  Gascons,  duc  d'Aquitaine  (3).  n'avaient 
assurément  pas  manqué  de  le  faire  voir  aux  populations  du  Midi. 
Dès  l'année  1087  il  s'élail  rendu  à  Bordeaux  et  l'un  des  premiers 
personnages  qui  se  présenta  devant  hii  fui  Géraud.rabbé  delà 
Grande-Sauve.  Le  saint  personnage  obtint  du  duc  la  confirmalion 
de  tous  les  dons  qui  lui  avaient  été  personnellement  faits  par  Guy- 
GeofTroy  lors  de  la  fondation  de  son  abbaye  (4). 

Le  jeune  Guillaiime  avait  alors  autour  de  lui  Guillaume  Free- 
land  de  Biaye,  Hugues  de  Lusîgnan  et  Boson  de  la  Marctic.  Ces 
mêmes  conseillers  se  retrouvent  dans  sa  compagnie  quand,  en 


(i)  Marchcgoy,  Chron.  fies  égf.  (TAnJoti,  p.  409,  Saint-Mâixenl. 

(1)  Cort,  de  Saint-Setirin,  p.  28  ;  Hesly,  IlisL  des  comtes,  preuves,  p.  4o6. 

(3)  Ce  sonl  les  ïilres  <juc  Ciuillaiime  prenait  à  Bordeaux  [Arch.  hisl  de  ta  Gironde, 
V,  p.  127). 

(4)  Bibl.  comni.  de  IJorde.iux,  petit  cari,  de  la  Sauve,  pp.  5  et  58  ;fgrand  carlul. 
pp.  1 1  et  tûf). 


ho 


LES  COMTES  DE  POITOU 


i089,  ]\  fil  une  nouvelle  visite  h  ses  domaines  de  Gascogne;  on  y 
reiuarque  en  plus  un  Poilevin,  Aimer!  de  Thouars,  cl  les  grands 
seigneurs  de  la  région,  Ct'iilulle.couile  de  Bigorre.  Pierre,  vicomle 
de  Gabarrel,  el  Guillaume  Amanieu de  Benatigcs.  Leduc  arrivait 
de  la  Grande-Sauve  où  il  avail  reçu  riiospilalilé  el  avuil  reconnu 
dans  le  chapitre,  en  présence  de  l'abbi''  Géraud  et  de  ses  moines, 
lous  les  privilèges  que  son  père  avail  concédés  à  l'ubbaye  et  dont 
il  avail  accru  Timpurlance  ;  puis,  à  Bordeaux,  devant  lous  les 
grands  personnages  de  son  entourage,  il  renouvela  les  mêmes 
concessions  {\).  C'est  peul-èlre  en  cette  circonstance  qu'il  con- 
lirnia  l'abandon  qu'avait  fait  le  vicomte  de  Gabarrel  à  l'abbé 
Géraud,  du  raonaslère  du  Sainl-Sépulcre  que  ce  vicomle  avait 
commencé  à  construire  sur  son  lerriloire  de  Gubarrel,  el  qu'il 
accorda  à  cel  établissement  toutes  les  prérogatives  de  lasauvelé(2). 

A  défaut  d'indications  plus  précises,  c'est  lors  de  l'une  de  ces 
visites  à  Bordeaux  qu'il  convient  de  placer  le  don  important  que 
fit  le  duc  au  chapitre  métropolitain,  lîeconnaissantque  la  cathé- 
drale de  Saint-André  avail  été  dépouilléedesgrands  biens  quelui 
avaient  attribués  les  comles  Sancheel  Guy-Geoiïroy,  il  lui  aban- 
donna le  tiers  des  impôts  qu'il  percevait  dans  la  ville,  ainsi  que  de 
la  monnaie  et  du  lonlieu  ;  il  y  ajouta  encore  d'autres  privilèges 
pécuniaires  qui  constituèrent  la  plus  importante  dotation  du 
chapitre.  Uanscel  acte,  qui  doit  concorder  avec  l'une  des  premiè- 
res visites  du  jeune  duc  à  Bordeaux  et  donl  l'initiative  doit 
remonter  à  ses  conseillers,  désireux  de  Itii  concilier  la  bienveil- 
lance du  clergé  de  la  région,  Guillaume  s'intitulait  duc  el  sei- 
gneur, par  la  volonté  de  Dieu,  de  loule  l'Aquitaine,  agissant 
en  vertu  du  droit  héréditaire  qu'il  tenait  de  sun  père  et  de  ses 
ancêtres,  et  c'esl  lui-même  qui  posa  sur  l'autel  de  saint  André 
la  charte  énuméranl  ces  larges  concessions  (3). 

Aucommencemenlderannéet088étaitmort  Audebert,  le  comte 


(OBibl.  cumtn.  de  Bordeaux,  pulit  carL.  de  la  Sauve»  p.  7;  grand  cnri.,  ])p.  i4 
et  i5. 

{•à]  Galtnt  Chri.st.,  Il,  iustr.,  cûI.  Sig. 

(3)  Bcsiy,  //tsl.  des  cûtitts,  preuves,  p.  43f).  Ccl  ucle  n'est  pas  d«lé,  maïs  comme 
il  cuoncc  que  lo  conile  a  rei;u  le  baiser  de  paix  de  Piecre,  le  doyen  du  cisapilre,  el  de 
t'urchidiarrc  Ascclio,  el  ijiiM  a'csl  utiliemcul  fait  menlioa  de  retrclicvé<|uc,  il  y  a  lieu 
(Ik  croire  qu'il  fut  pubâé  pendant  la  vacance  du  r>ièL^c,  c'est-à-dire  av«ut  lo  inois  de 
uovembre    1088  od    luSij.  Palustre  {//ist.  de  Guillaume  /A",  \>.  2o4)  uviioce  que   le 


GUILLAUME  LE  JEUNK 


391 


de  la  Miirchp,  le  (idèlo  auxiliaire  de  Guy-GeolTroy,  qui  dut  diri- 
ger les  premiers  acles  de  la  vie  potilique  de  son  fils;  l'année 
précédente  s'était  aussi  éteint  Foulriucs,  comte  dWngoutème  (1). 
Ainsi  en  peu  de  temps  disparurent  les  hommes  qui  avaient  joué 
un  rôle  prépondérant  sous  le  précédent  comte,  laissant  la  place 
à  de  nouveaux  venus  dont  les  conseils  ou  rcxempic  excrcùioiit . 
une  inf  uence  plutôt  mauvaise  sur  l'esprit  du  jeune  Guillaume. 
C'étaient  Boson,  comte  de  la  Marche,  successeur  d'Audehert, 
Guillaume  Taillcfer,  comte  d'Angoulême,  successeur  de  Foulques, 
Hugues  de Lusignan,  quidevint  particulièrement  un  de  ses  fami- 
liers ;  tous  se  trouvaient  à  ses  côtés  à  Saint-Micliel-l*vClou, 
obédience  de  l'abbave  de  Muillezais,  où  l'abbé  Geoirrov  leur  don- 
nait  riiospitulilé  à  la  fin  de  1088,  et  où  Guillaume  conliruia 
le  don  qu'Knjoubert  de  Lusignan  avait  fait  à  la  même  abbaye  de 
la  moitié  d'un  domaine  sur  lequel  pourrait  être  consiruile  une 
église,  pourvue  d'un  cimetière  et  autres  dépendances  (2). 

Cependant,  pour  le  momenl,  le  jeune  comte  suivait  volontiers 
la  direction  de  l'évèquc  Pierre  qui  se  trouvait  avec  lui  à  Satnl- 
Michel  ;  il  prenait  aussi  conseil  d'un  religieux  érainent  qui  vivait 
alors  à  Poiliers,  lîaynaud,  abbé  de  Sainl-Cyprien.  C'est  à  l'in- 
fluence qu'avaient  prise  sur  lui  ces  deux  hommes  de  foi  que  Ton 
doit  attribuer  les  générosités  dont  il  fil  prouve  dans  ces  temps  à 
l'égard  de  plusieurs  établissements  religieux;  Suint-Gyprien  était 
jKiliirellement  le  plus  favorisé. Ainsi  il  alTranchit  deux  possessions 
de  cette  abbaye, Deuilet  Gcrraond,de  touteredevancecoulumière, 
suufde  l'obligation  du  service  militaire  lorsqu'il  y  avait  lieu  d'aller 
en  guerre  ou  de  faire  le  siège  de  placesfortes(^). Il  abandonna  aussi 
a  l'abbaye  toutes  les  coutumes  qu'il  possédait  «lans  son  obédience 
d'Ansoulesse  dans  te  but  d'indemniser  les  religieux  des  excès  que 
ses  agents  et  en  particulier  son  prévôt,  Ilugues-Aimeri,  avaient 
commis  dans  le  bourg  de  Saint-Cyprien,  à  Deuil,   à  Youiieuil,  à 


vnyage  du  jeune  comte  à  Bordeaux  avait  pour  objet  non  iaveslilure  solennelle  daoA 
lu  basilique  de  SaiiU-Sciiriii ;  celle  assertion, que  rien  no  vient  étaler,  ne  nous  puralt 
|ias  avoir  plus  de  iuadenient  que  le  prétendu  couronnement  de  Guillaume  dana  ré4j:lise 
de  Saint-Etienne  de  Lirnot^cs. 

(i)  //ist.  ponlif.  ei  cu/n.  Enffol.,  p.  37. 

(s)  Lacurie,  J/iit.  de  Maillesais,  preuves,  p.  22O. 

(3)  Cart.  de  Saint-Çi/fjrieiit  p.  Sog. 


393 


LES  COMTES  DE  POITOU 


Ansoulesse  et  aulres  lieux  ;  coininc!  témoignage  de  leur  gratitude 
les  moines  lui  donnèrent  100  sous  et  un  bon  cheval  et  institue- 
ront même  un  service  pour  l'dme  de  son  pure.  Ce  jour,  dansFen- 
tou  rage  du  comie,  se  trouvaient,  outre  les  prévois  de  Poitiers,  Hu- 
gues et  Eudes,  la  comtesse  Audéarde,  sa  inère,  le  comte  de  la 
.Marche,  Boson,  qui  accompagnait  son  oncle  le  comte  Eudes,  et 
enfin  Hugues  de  Lusignan  (I). 

Vers  la  même  époque,  les  mêmes  personnages  prenaient  part 
avec  d'autres  seigneurs  poitevins,  Ebbou  et  Gelduin  de  Parlhe- 
nay,  Engelohïie  de  Mortemer,  Joscelin  de  Le/ai,  Hugues  de  la 
Celle,  Gcoflroy  de  Taunay,  Pierre  de  Civray  et  autres,  l'évèque 
de  Poitiers,  les  abbés  de  Sainl-Gyprien  et  de  Saint-.Maixent,  à 
un  jugement  qui  restitua  aux  moines  de  Noaillô  les  moulins  de 
Chasse  igné  (2). 

Dans  le  courant  del'année  1088  ou  au  commencement  de  1089 
le  comte,  se  trouvant  en  Saintonge  et  ayant  toujours  l'évèque  de 
Poitiers  dans  sa  compagnie, assisia  à  la  donali«tnque  Constantin  le 
Gros  fil  aux  moines  de  Sainl-Gyprien  de  l'église  de  Saint-Léger 
prés  Pons,  en  présence  de  l'évoque  de  Saintes  et  de  plusieurs  sei- 
gneurs de  la  région  (3). 

Sur  ces  entrefaites,  le  4  novembre  1088  ou  1089,  un  concile 
s'ouvrit  à  Saintes  sous  la  présidence  de  révéque  d'Oloron  (i).  Le 
légat  du  pape  étant  venu  à  bout  de  toutes  les  résistances  et  en 
particulier  de  celle  de  la  cour  du  comte  qui  favorisait  sans  nul 
doute  un  autre  compéliteur, peut-être  TévÔque  d'Agcn,se  fit  élire 
archevêque  de  Bordeaux  par  l'assemblée  des  prélats{5).  A  peine 
en  possession  de  celte  haute  dignité^  il  formula  en  plein  concile, 


(i)  Cart,  de Saint-Ci/pnen,  p.  200. 

(a)  Arch.  de  la  Vienne,  Nuailîô,  oriç.,  n*  i3i);  D.  Fùnteneait,  I.XX,  p.    |8|. 

(3)  Cart.  (le  Snint-Cijprien,  p.  2Hj.Cet  acte,  |>liicé  par  Rédclenlre  1087 cl  H07,  esl 
sùrcmcot  antérieur  au  concile  de  Saintes  de  1088  ou  toSg,  ainsi  qu'il  résulte  d'actes 
du  n>éme  cartulaire  de  Saint-Cyprien,  pp.  288  et  289. 

(^)  Biea  que  la  chroniiine  de  Saint-Mai.vent  assigne  au  concile  de  Saintes  lu  date 
de  novembre  loSg  (iMarchuçay,  Chron.  det  èfjl.  d'Anjou,  p.  Vm)  qui  a  été  içéncra- 
lernenl  adoptée,  il  y  a  lieu  de  remarquer  que  deux  cliarlcs  de  la  Trinilé  de  Vendi^me 
(Mclaia,  Carf.  de  la  Trinilé  lie  Vendôme,  H,  pp.  ^47  cl  Vj)  placent  celte  assemblée  en 
1088:  il  asnijus  a  pas  été  possible  de  trouver  uu  texte  quelconi[ue  qui  permette  de 
Irarcher  celle  difficulté. 

("))  Marchegiiy,  Cftron.des  éffl.d  Anjou,  p.  4o9i  S.ninl-Maixenl  ;  Richard,  CAar/0v 
de  Satnl-Maijcent,  l,  p.'aoC. 


GUlLLAUiME  LE  JEUNE 


393 


concurremment  avec  Kenoul,6vèque  de  Saintes, une  excommuni- 
cation contre  le  seigneur  de  Châlelailtonelcontre  sa  femme  Yvette, 
qui  paraît  avoir  été  l'Ame  des  entreprises  de  son  mari  contre 
les  moines  de  Vendôme.  Il  semble  que  jusque-là  on  n'ait  pas  cru 
devoir  faire  remonter  la  responsabilité  de  ces  afjissements  au 
comte  de  Poitou  ;  le  seigneur  de  Gbilcluillon  ùtait  seul  en  cause, 
mais  il  se  souciait  assez  peu  des  foudres  épiscopales  el  il  con- 
tinua de  jouir  de  l'île  d'OIéron  en  toute  sécurité  (J). 

A  celte  assemblée  de  Saintes  vint  aussi  une  discussion  entre  les 
moines  de  Charroux  et  ceux  de  Vcndùme,  t\  qui  les  premiers 
reprocliaient  de  leur  avoir  enlevé  l'église  de  Saint-Salurnin-sur- 
Loire  (2).  EnRn,  le  lé^al  y  avait  encore  appelé  les  moines  de 
Saint-Aubin  d'Angers  afin  de  régler  le  dilFérend  qu'ils  avaient 
avec  ceux  de  la  Trinité  au  sujet  de  réglisc  de  Saint-Clément  de 
Craon.  Mais  le  comte  d'Anjou,  prenant  parti  pour  les  moines  de 
Vendôme,  défendit,  sous  les  plus  graves  menaces,  à  l'abbé  de 
Saint-Aubin  de  se  rendre  à  Saintes  et  manda  à  Aimé  de  venir,  en 
toute  confiance,  tenir  une  réunion  à  Mirebeau  ou  à  Loudun,  où 
il  serait  assisté  de  l'archevêque  de  Tours  et  de  t'évoque  d'Angers 
qui,  à  cause  de  l'embarras  des  chemins,  ne  pouvaient  se  rendre  à 
Saintes.  Mais  le  légat,  arguant  des  mt^mes  motifs  que  les  prélals, 
ne  voulut  pas  déférer  à  Tinvilatton  du  Héchin  et  convoqua  les 
parties  à  Bordeaux.  L'abbé  do  Saint-Aubin,  quoique  gravemeni 
malade  et  ne  tenant  aucun  compte  de  la  défense  du  comte  d'An- 
jou, se  mil  en  loule,  mais^  arrivé  à  Sainl-Jean-d'Angély»  il  fut 
arrêté  par  lloberl,  prévôt  du  comte  de  Poitou,  el  contraint  de 
revenir  sur  ses  pas,  après  avoir  été  l'objet  de  sévices,  et  qu'on 
lui  eut  extorqué  son  argent.  11  prît  gîle  dans  une  obédience  de 
l'aLbiiye  du  Bourg-Dieu  et  obtint  enfin  du  prévôt  du  comte  d'être 
autorisé  à  envoyer  le  prévôt  de  son  abbaye,  Girard,  et  un  aulre 
moine,  vers  le  comte  de  Poitou  qui  se  trouvait  alors  à  Sainl- 
Maixent.  Les  envoyés  de  l'abbaye,  non  contents  de  protester 
auprt-s  du  comte  conire  les  mauvais  trailements  qu'ils  avaient  ou 
;isul>ir  de  la  part   de  son  prévôl,  lui    rappelèrent  qu'alors  qu'il 


(1)  Mêlais,  Cari,  saint,  de   la    Trinité  de    Vcnd'hne,  p.  G6;  Besly,  Hist.  des  com- 
tes, preuves,  p.  4 12. 

(2)  Mêlais,  Cari,  de  la  Trinité  de  Vendôme,  II,  pp.  47-49' 


i<A 


LES  COMTES  DE  POITOU 


se  lenail  a  Poitiers  en  compaj^nie  d'Elie,  comle  du  Mans, 
d'HeiLerl,  vicomle  de  Thouars,  el  d'llii;^'ues  de  Lusignan,  il 
avail  accordt!!  à  leur  abbé  l'aulorisalion  de  traverser  ses  étals. 
riuillaume  ne  lit  aucun  cas  de  leurs  réclamations  t4  leur  ordonna 
de  retourner  sans  retard  dans  leur  résidence  ordinaire.  Mais 
l'îibbé  de  Sainl-.Vubin,  tout  en  déférant  personnelleraenl  à  l'invi- 
lalion  du  comle  de  i'oitou,  trouva  le  moyen  de  faire  parlir 
(lualre  de  ses  moines  qui,  passant  par  des  chemins  délournés  el 
a  travers  les  bois,  iiiiirenll  par  arriver  à  Bordeaux  (î). 

Peu  après  l'intronisation  d'Aimé,  le  comle  de  Poilou  se  rendit 
lui  aussi  h  Bordeaux  el  assista  peut-êlre  à  la  remise  de  pouvoirs 
faite  par  son  fidèle  Simon,  l'évoque  d'Agen,  au  nouvel  arche- 
\èque.  Les  chanoines  de  SaiuL-André  jugèrent  le  moment 
opportun  pour  (aire  confirmer  en  présence  du  prélat  les 
privilèges  importants  que,  sans  doute  grûce  à  rinfluence  de 
Simon,  ils  avaient  antérieurement  obtenus.  Celui-ci  assista  à  cet 
acte  solennel  à  côté  de  rurclievèque,  du  doyen  Pierre,  et  de 
l'archidiacre  Achelme  qui  donnèrent  à  nouveau  le  baiser  de  paix 
au  comte  en  présence  de  Forton,  comte  de  Fezensac,  et  de  Guil- 
laume-EIie,  le  viguier,  qui  apposèrent  leurs  croix  sur  la  charte  à 
côlé  de  celles  du  comle  el  de  l'évêque.  Dans  la  foule  des  clercs 
et  des  laïques  on  remarquait  encore  Hugues  de  Doué,  Pierre  Mai- 
nada,  Guillaume  Vendier,  (jullard  le  prévôl,  et  enlin  Bérengcr, 
chapelain  du  comte,  qui,  après  avoir  posé  la  charte  de  conces- 
sion des  privilèges  sur  l'autel  de  sainl  André,  y  apposa  le  sceau 
de  son  seigneur  (2). 

On  pourrait  s'étonner  de  ne  pas  avoir  vu  le  comle  d'Anjou,  con- 
formément aux  traditions  de  sa  maison,  profiter  des  embarras  de 
>on  voisin  le  comte  de  Poitou  pour  accroître  son  patrimoine  féodal. 
Heureusement  pour  Guillaume  que  Foulques  le  Hécliin  se  préoc- 
cupait autrement  de  ses  plaisirs  que  de  ses  intérêts,  et  il  venait 
d'épouser  dans  le  courant  de  l'année  1088  la  belle  Berlrade  de 
Montforl.  Tout  entier  à  sa  passion  il  accueillit  favorablement  les 


(i)  Mêlais,  Cari,  de  la  Trinité  de  Vendôme,  II,  p.  78. 

(7)  Ardi.  hisi.  de  la  Gironde,  XXX,  p.  a.  Cet  acic  u'esl  pas  dalc,  mais  il  est  6Ûrc- 
iiieiil  tiHléricur  à  ruiiDce  ior(0,  où  l'on  Unuvc  cjualiliés  du  lilrc  d'archidiacre,  Pierre, 
ledovcu  du  chupilrc,  el  Kble  {GulliuC/irtst.,  U,  irislr.,  col.  3ii). 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


39& 


avances  que  lui  fircnl  les  conseillers  du  jeune  comte-duc,  dési- 
reux par-dessus  loul  d'assurer  la  Ipanquillilé  de  ses  frontières,  et 
il  consentit  à  lui  donner  en  mariaj^e  la  fille  issue  de  sa  précédente 
union  avec  Hildegarde  ou  Audéarde  de  Heaugency. 

Quoique  jeune  encore,  étant  née  vers  1067,  la  nouvelle  coai- 
lesse,  qui  s'appelait  lù'inengarde,  élail  encore  de  trois  ou  quatre 
ans  plus  Agée  que  son  mari;  elle  était  belle,  savante,  gracieuse, 
mais,  par  contre,  en  vraie  filîe  du  Récliin,  elle  élail  pourvue  d'un 
caractère  dillicile  et  surtout  d'une  grande  inconstance  d'humeur 
qui  tantôt  la  poussa  dans  le  cloître  et  tantôt  la  fit  reparaître  dans 
le  monde  plus  séduisante  que  jamais. 

Il  n'est  [tas  dilïiciie  de  croire  que  les  instincts  despotiques  dont 
elle  donna  tant  de  preuves  dans  le  cours  de  son  existence  éloi- 
gnèrent d'elle  son  jeune  mari  ;  aussi,  quand  celui-ci  eut  atteint  ses 
vini,'t  ans,  s'empressa-t-il  d'éloigner  de  lui  la  femme  que  des  raisons 
politiques  seules  lui  avaient  donnée.  11  ne  nous  a  du  reste  été  con- 
servé aucun  acte  qui  signale  Ermengarde  agissant  à  côté  de  son 
époux  et  leur  union,  que  l'on  peut  placer  en  1U8Î>,  lut  assurément 
de  courte  durée.  Quels  motifs  Guillaume  lit-il  valoir  pour  rompre 
ces  liens?Onnesait.  L'Kglise  n'y  fit  aucune  opposition  et  accueillit 
favorablement  la  demande  du  duc  qui  fut  molivée,  soit  par  le  dé~ 
faut  de  consentement  de  sa  part,  soit  par  des  raisons  de  paren- 
té (1).  On  ne  connaît  exactement  ni  la  date  du  mariage,  ni  colle 
de  sa  dissolulion,  mais  il  est  à  présumer  que  celle  dernière  doit 
être  rapportée  à  l'année  1091,  car,  en  10!)2,  Ermengarde  était 
remariée  à  Alain  Fergent,  duc  de  Bretagne  (2). 

Bien  que  le  Béchin  fût  assez  peu  chalouilleux  sur  les  ques- 
tions d'honneur,  il  ne  supporta  sans  doute  pas  sans  murmurer 
quelque  peu  le  renvoi  injurieux  de  sa  lillo  qui  venait  le  trou- 
bler au  milieu  de  ses  amours.  Ce  serait  alors  qu'il  conviendrait 


(i)  Palustre  {Hisi.  de  Gaiilanine  IX,  p.  iih,  noie  3)  suppose  que,  pour  oblenir  le 
divorce,  on  mil  en  avant  la  question  ilc  parenté,  fondée  sur  le  maria£;;e  d'HiliJe^ardc, 
sœur  de  Guillautnc  le  (iriind,  uvcc  Foulipics  Nerra,  bUaïeul  du  Hécliiu.  Ce  nioiiT 
ne  jinurait  être  udniia:  Hildc^'urde  éluat  selon  tes  uns  sœur  de  GiMuiu  do  Doue,  se- 
lon d'autres  de  race  royale,  ou  enSa  orit^iniiire  de  Lorraine,  et  en  tout  cas  ne  se  ral- 
tnriiant  nnlienieul  à  la  famille  des  comtes  de  Poitou.  (Porl,  Dicl.  de  Matne-et- Loire, 
11,  p.   .H."ir)), 

(a)  Pori,  Dict.  lU  Mitinr-ct-Lolrc,  II,  p.  i  lO,  d'aprr.s  le  carlulaîre  du  Roncerajrj 
l\ec.  des  Util,  de  France,  XII,  p    ûi8,  Guillaume  de  T^r. 


3g« 


LES  COMTES  DE  POITOU 


de  placer  une  prise  d'armes, dont  les  détails  ne  nous  sont  pas  con- 
nus, survenue  entre  les  comtes  d'Anjou  et  do  Poitou,  ce  dernier 
ayant  comme  auxiliaires  Geoin-oy  lIp  Preuilly,  l'un  des  plus  puis- 
sants vassaux  du  comte  d'Anjou,  et  plusieurs  autres  seigneurs  de 
la  réf,MOn  lourangelle.  Les  lioslililésne  furent  marquées  par  aucun 
fait  saillant  et  la  paix  se  fUbientùt,  le  Iléchin  ayant  eu  à  la  fois  tous 
les  malheurs, celui  d'être  excommunié  à  cause  de  son  alliance  in- 
ceslueuse  avec  Bertrade  el  celui  de  se  voir  abandonné  peu  après 
par  la  belle  comtesse  qui,  le  15  mai  1092,  s'enfuit  à  Orléans 
rejoindre  le  roi  de  France  Philippe  l"'  (IJ. 

Cette  campagne  militaire,  à  laquelle  les  personnages  au  nom  de 
qui  elle  se  faisait  ne  semblent  avoir  pris  aucune  part,  ne  parait 
pas  en  tout  cas  avoir  détourné  le  comte  de  Poitou  de  ses  occupa- 
tions ordinaires.  Un  témoignafi;e  de  la  faiblesse  caractérisliquede 
son  gouvernement  et  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  relever, c'est  le 
grand  nombre  de  guerres  privées  que  l'on  voit  se  produire  dans 
ses  étals  patrimoniaux  quijouissaient  généralement  d'un  si  grand 
calme  sous  Guy-Geoffroy.  Un  des  faitsles  plus  nolablesde  ces  luttes 
intestines  fut  la  mort  de  Boson,  le  comte  de  la  Marche.  Une  que- 
relle, née  on  ne  sait  comment,  le  mit  aux  prises  avec  Guillaume 
Tailtefer,  comte  d'Anguulème.  Il  prit  l'initiative  et  alla  uiettre  le 
siège  devanl  tlonfolens,  une  des  places  fortes  de  son  adversaire. 
It  y  périt  (1091)  et  sa  succession,  vivement  disputée,  fut  pendant 
de  longues  années  une  cause  permanente  de  troubles  dans  toute 
celte  région  (2). 

L'héritière  légitime  du  comté  de  la  Marche  était  Aumode,  sœur 
de  IJoson  et  pour  lors  femme  de  Uogor  de  Montgoramery,  comte 
do  Lancaslre(3),  dit  le  Poitevin.  Lors  de  la  mort  imprévue  de 
son  beau  frère,  Uoger  occupait  une  liaule  situation  auprès  de  son 
parent  le  roi  d'Angleterre  et  il  lui  était  assez  dilficile  de  venir 

(i)  Mnrchejçay,  Chron.  d'Anjou,  T,  p.  i84,  çesU  Ambaziensiura  domtnoruni  ; 
PorI,  Dici,  de  Maine-el'Lot're^  I,  p.  33J;  It,  p.   igî, 

(a)  Marcl)egay,  Chron.  des  tgl.  d'AnJon,  p.  4io,  Sainl-Maixciil.  l-'n  obiluairc  de 
Saîril-Marliol  de  Limoges  rapporte  omx  des  calendes  de  mars  (21  février)  la  mnrl  d'un 
comte  Boson,  mais  ù  déraut  d'indication  plus  complète  on  dc  saurait  dire  s  il  s'ajjrit  du 
fils  dWudeberl.  (Leroux,  Doctimenin  hisloriijnes  toncfrnant  la  Marche  cl  le  Unions 
«iVi,  I,  p.  68). 

(3)  «  Boso,  cornes  de  Marchia,  occisus  est...  Huic  succedil  Aumodis,  soror  sua  >. 
(Marchcgsy,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,^.  l\\o,  SaiutoMaixenl). 


^ 


* 


* 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


5»7 


prendre  possession  du  patrimoine  nalurellemeiiL  dévolu  à  sa 
femme, pour  peu  qu'il  y  rencontrât  quelque  opposition.  Celle-ci  se 
présenta  dans  la  personne  d'Eudes,  frère  cadel  d'Audeberl  le 
précédent  comte  de  la  Marche  et  par  suite  oncle  de  Boson  cl 
d'Aumode;  il  revendiquait  pour  lui-môme  le  comté. en  vertu  d'une 
donation  m  e^rlrenth  que  lui  aurait  faite  lîoson  (lu'il  accompa- 
gnatl  sans  doute  devant  Confolt^ns  (1).  Aumode  se  trouvant  dans 
l'impossibilité  de  faire  valoir  utilement  ses  droits  et  surtout  de 
les  maintenir,  trouva  plus  expédient  de  traiter  avec  son  oncle  qui 
resta,  pour  l'instant,  à  la  tête  du  comté,  moyennant  sans  nul 
doute  un  partage  de  ses  revenus  (2).  Eudes  s'empressa  de  faire 
la  paix  avec  le  comte  d'Angoulêmc  et,  bien  plus,  s'associa  avec 
lui  pour  s'opposer  aux  entreprises  d'un  autre  concurreni  qui  con- 
testait à  Eudes  la  légalité  de  son  droit  et  voulait  à  tout  le  moins 
avoir  une  part  du  gâteau.  C'était  Hugues  de  Lusignan,  qui,  fils  de 
lasœuratnée  d'Eudes, revendiquaitriiérilage  au  nom  de  celle-ci; 
sa  mère  et  ail  en  cITet  la  célèbre  Aumode,  «A  Imodis», successivement 
femme  d'Hugues  le  Débonnaire,  sire  do  Lusignan,  de  Pons,  comte 
de  Toulouse,  et  de  Uaymond  Bérenger.  comte  de  Barcelone.  Il 
chercha  ù  mettre  la  main  sur  Charroux,  la  sentinelle  avancée  de 
la  Marche  du  crMé  du  Poitou,  et  lutta  sans  trêve  pour  conquérir 
ce  qu'il  considérait  comme  son  propre  bien,  tant  contre  Eudes 
que  contre  le  comte  d'AngouIéme  (3).  Le  comte  de  Poitou  fui 

(i)  «  Qui  in  ullimo  vilse  positus  omacm  comîlaluni  suum  ei  dedil  >  {Rec.  des  hisl. 
de  France,  XIV,  p.  1 89,  note  c,  d'après  une  charle  d'Uzcrche  antérieure  à  loyô). 

(a)  Deux  doruiiients  absoluinenl  sûrs,  la  chronique  de  Saint  >Mai\ea(  cl  le  carlulairc 
d'Uzercbc,  seniLlenl  au  [ireiuicr  abord  fournir  des  reoscignemcnl»  contradictoirea  au 
sujet  de  la  succession  de  Hoson  ;  il  nous  paraît  avoir  démontré  que  les  deux  textes 
«oui  parfaitcnieot  conciliablea,  la  propriété  de  seigneuries  en  commun  étant  à  cette 
époiiue  un  cas  excessivement  rrcijucnt.  Ou  reste,  on  voit  Aumode.  dans  uu  acte  du 
12  novembre  1058,  confirmer  les  dons  t]ue  son  père  Audeberl  avail  faits  à  l'Ealcrp 
[wur  indemniser  J'abbaye  de  l'avoir  incendiée  au  tem[>s  du  pape  Benoit  (entre  io38  el 
1048).  Aumode  s'inlilule  comtesse  delà  Marche  cl  elle  esl  enlourée  do  barons  du  pays  : 
Itierde  Breuil,  Hugues  de  la  Vilale,  Gérsud  Fouchier^  ce  qui  lémoiçnc  qu'elle  devait 
se  trouver  à  ce  momenl  dans  la  partie  de  la  Marche  voisine  de  l'Esterp  cl  peul-élre 
même  dans  celte  abbaye.  (P.  Fonteneau,  XXJV,  p.  379,  d'après  Robert  du  Dorai), 

(iï  Palustre,  qui,  après  avoir  pris  connaissance  delà  cbarlc  du  CHrlulaire  irUzerchc, 
avait  cru  devoir  biliivcment  taxer  d'erreur  la  chronique  de  Sainl-Maixent,  a  commis, 
dans  la  noie  où  il  expose  sa  théorie  (//;«/.  de  GiiiÙaume  IX,  p.  23o,  note  3),  une 
laule  grave  qu'il  esl  indispensable  de  rectifier.  Pour  appuyer  ses  dires  il  fait  d'Alnio- 
dis,  femme  de  Roger  de  .Montgommery,  la  sœur  d'.'Vudebert  et  d'l£udcs,  tandis  qu'elle 
est  fille  d'Audeberl  cl  nièce  d'Eudes,  el  la  donne  comme  mère  d'Hugues  de  Lusignoo* 
dont  elle  n'est  que  la  cousine,  confondant  ainsi  en  une  seule  personne  lu  tante  el  la 
nièce. 


SflS 


LES  COMTES  DE  POITOU 


par  la  siiîle  entraîné  à  prendre  une  pari  nrlive  dans  ces  dr'-bals. 
Au  mois  de  jnnvifM'  1092,  Giiillaumo  se  Iroiivail  h  Poiliors  ;  il 
y  l(*nail  sa  cour  où  se  Irouvaiert  eu  fait  de  prélats  l'archevêque 
de  Rord*»aii\  el  les  t»v6ques  Plerro  de  Poilit^rs,  llrnoiil  de  Saintes 
et  Simon  d'Aj^en  ;  les  laïques  étaient  fort  nombreux,  el  Ton  v  comp- 
lûllparliculièrenienl  Aimeri,  vicomte  de  Thoiiars,  entouré  denom- 
breux  nobles  de  sa  région,  ainsi  que  les  compa^^nons  ordinaires 
dii  comte,  Hobert  le  Bourguignon, Hugues  de  Lusignan,  Hugues 
de  Doué,  Maingot  de  Melle,  Guillaume  Freeland  el  autres.  Aimeri 
présenta  le  15  janvier  à  Tassislance  une  charte  dtj  1.1  décembre 
1088  par  laquelle  il  avait  attribué  aux  moines  de  Saint-Florenl 
de  Saumur  l'église  et  le  petit  monastère  qu'il  avait  fail  construire 
dans  son  château  de  la  Chaise.  Toutes  les  personnes  présentes 
ratiHèrenl  l'acte  dont  les  clauses  altribuaienldes  biens  importants 
à  rétablissement  pour  subvenir  à  sa  subsistance  (1).     ' 

Parmi  les  signataires  de  cet  acte  se  trouvait  Ebbon  de  Par- 
Ihenay,  qui,  h  lasollicitalion  du  vicomte,  avait,  le  15  janvier  Ï090, 
concédé  à  la  nouvelle  conimunaulé  certaine  terre  qu'il  possé- 
dait auprès  de  la  Cliaise,  en  reconnaissance  de  quoi  les  moines  lui 
avaient  fait  cadeau  d'un  gobelet  d'argent  et  s'étaient  engagés  k 
l'inscrire  dans  leur  martyrologe  ainsi  que  ses  parents  et  ses 
enfants  (2).  C'était  un  important  personnage  que  cet  Ebbon,  qui, 
de  force  ou  par  hatiili^té,  avait  su  arriver  à  une  situation  à  la- 
quelle de  par  son  simple  droit  de  naissance  il  n'aurait  pu  pré- 
tendre. La  convention  qui  avait  reconnu  à  Eudos  l'autorité 
principale  dans  le  comté  de  la  Marche  avait  été  une  déroga- 
tion à  l'usage  général  du  Poitou  qui  attribuait  au  fils  aîné  la 
succession  principale  du  père  de  famille  el  il  s'était  fail  appli- 
quer  celui  qui,  sous  le   nom   de  droit  de  viage  ou  de  retour, 


(i)  Marchcg-ay,  Cari,  du  Bas-Potlon,  p.  i5,  La  Chnisp-Ic-Vicomle.  Cet  «ctc  étant 
dalé  du  t8  des  calendes  de  février  et  de  la  5*  férié  de  l'nnnée  loga,  iodications  chro- 
noltiçii|Hes  qui  corrfspoodent  exactcirenl  au  jeudi  if»  janvier  1091,  il  convient  de 
niaifilenir  le  chiffre  de  celte  dernière  année  cl  de  ne  pa^  renvoyer  cet  acte  h  l'année 
iof)3,  l'usnçe  de  commencer  l'année  à  FAqucs  n'étant  pas  régulièrement  pratiqué  en 
Poilou.  En  adoptant  la  date  de  ioy3,  AL  Marchepay,  cdilear  de  cet  acte,  a  induit  en 
erreur  les  liistorieos  de  Thoiiurs  et  en  çénéral  Ions  ceux  qui  ont  eu  à  parler  de  la 
fondation  de  la  Chaise-le-Vicomte. 

(2)  Marche^y,  Cart.  du  Das-Poitou,  p.  ta,  La  Chaise-le-Vicomte.  Il  y  a  Heu 
d'appliquer  à  la  date  de  cet  acte  la  même  observation  que  celle  qui  a  fait  l'objal  de  la 
note  précédenle. 


f.iiLLAUMK  f,R  ji:i;ne 


339 


prédominait  dans  la  partie  du  Poilon  soumise  surloiil  h  l'aulo- 
ri(i''du  vicomte  de  Thouars  et  s'ôlendanldu  Tliouel  et  ûp  la  Dive, 
son  alVIiionl,  à  lamor.  CVîlait  le  partage  de  fn-re  h  fr<ire,  en  vorlu 
duquel  tous  !os  enfants  mâles  se  succédaient  dans  l'héritage  dti 
pi-re  de  famille  à  l'exclusion  ^les  enfants  issus  de  chacun  d'eux  et 
en  jouissaient  viagèremenl  jusqu'au  jour  où, le  dernier  frère  ayant 
disparu.  l'Iu^Titaj^e  revenait  au  fils  aînù  du  frère  aîné  pour  suivre 
encore  dans  cette  nouvelle  lignée  le  môme  mode  de  succession. 
Ce  sysiéme  avait  été  évidemment  imafr-iné  pour  que  le  domaine 
familial  ne  lombAl  pas  entre  les  mains  de  mineurs  incapables  de 
le  défendre  contre  les  appétits  de  gens  ne  connaissant  guère  que 
le  droit  de  la  force.  Mais,  par  contre,  il  arrivait  souvent  que  des 
gens  1res  pressés  n'attendaient  pas  que  leur  lournalurel  arrivai 
pour  user  des  droits  que  la  coutume  leur  conférait,  ils  revendi- 
quaient aussitôt  qu'ils  en  voyaient  la  possibilité  non  pas  tant  b' 
partagedu  domaine  que  celui  du  pouvoir  seigneurial.  C'est  co  qui 
se  passait  en  ce  moment  dans  le  pays  de  Câliné,  (ielduin,  frère 
de  l'arclievêque  de  Bordeaux,  .loscelin,  lui  avait  succédé  en  t08(i 
en  qualiléde  seigneurde  Parllienay  ;  leur  plusjeune  frère,  Kbbon, 
trouvant  insuIfisanLela  position  de  cadet  dans  laquelle  il  se  trou- 
vait confiné,  contraignit  Celduin  à  l'admettre  au  môme  rang  que 
lui  et  le  rôle  qu'il  s'allribua  fut  tel  qu'il  ne  tarda  pas  à  éclipser 
presque  complètement  son  atné.  C'est  ainsi  qu'il  paraît  seul  dans 
la  donation  de  leurs  biens  patrimoniaux  faile  à  la  Chaise  el.dans 
cet  acie,  énonce  simplement  qu'il  fut  passé  dans  le  logement, 
<•  caméra  »,  qu'Ebbon  possédait  à  Poitiers  et  qui  auparavant 
appartenait  à  l'archevêque  de  Bordeaux  :  de  Gelduin  il  n'est  nul- 
lement fait  mention. 

On  ne  s'étonnera  donc  pasqu'Ebbon  dut  être  vivement  atteint 
dans  son  orgueil  quand  il  villes  suffrages  qui  accueillaient  l'acte 
d'Aimeri  delliounrs,  et  qu'il  voulut  élrelui  aussi  le  fondateur  d'un 
monastère. Mais  ses  ressources  personnelles  n'auraient  pu  sulfire 
à  cet  objet, aussi,  de  gré  ou  de  force, associa-l-il  h  son  œuvre  son 
frère  Celduin  et  un  de  leurs  principaux  feudataires,  Ceoffroy  do 
Champdenier  ;  ils  abandonnèrent  en  commun  à  Seguin,  abbé 
de  la  Chaise-Dieu,  l'église  de  l*arthenay-le-Vieux  à  la  charge  d'y 
établir  une  obédience   et   ils  ajoutèrent   à   ce  don   le  territoire 


4  00 


LES  COMTES  DE  POITOU 


nécessaire  pour  y  conslruire  un  bourgqu'ils  pourvurent  par  avance 
de  nombreuses  iiiiniunîk''S.  Ils  conlraignirenl  los  possesseurs  de 
lerres  qui  élaienl  à  la  convenance  du  nouvel  établissement  à 
les  lui  abandonner  cl  Kbbon  oblint  du  comte  de  Poitou  qu'il  se 
rendît  à  Pnrllunay  pour  ratifier  par  sa  présence  Pacle  contenant 
toutes  ces  dispositions;  c'est  dans  ces  circonstances  solennelles 
que  se  fil,  le  1"  août,  jour  de  la  fêle  de  saint  Pierre-ès-liens, 
patron  de  l'église  de  Parlhenay-le-Vieux,  la  remise  de  la  charte 
conlenant  cette  riche  dotation  nux  moines  de  la  Chaise-Dieu  (1), 

Bien  qu'il  semble  d'après  l'actede  fondation  que  le  prieuré  de 
ParIhenay-le-Yieux  fiU  l'œuvre  desdeux  seigneurs  de  Parlhenay  et 
de  celui  de  Champdenier,  l'opinion  publique  ne  s'y  trompa  pasel 
ne  reconnut  qu'un  seul  fondateur,  Ebbon.  Du  reste,  celui-ci, s'ins- 
piranl  des  procédés  de  Guy-GeofTroy,  agit  semblablement  à  lui  à 
l'éfïard  de  ses  vassaux.  C'est  ainsi  que  l'un  d'eux,  Guy  de  Vau- 
couleurs,  qui,  du  consentement  de  Gelduin  et  avec  rassentimenl 
de  révoque  de  Poitiers,  avait  donné  aux  moines  de  Saint-Florent 
l'église  de  Fenioux  qu'il  tenait  en  fief  des  seigneurs  del^arlbcnay, 
reçut  d'Kbbon  Tordre,  en  vertu  de  son  droit  seigneurial  émînenl, 
de  la  reprendre  et  d'en  faire  cadeau  à  la  Chaise-Dieu;  il  le  me- 
naçait, dans  le  cas  où  il  se  refuserait  à  exécuter  ses  volontés» 
de  le  dépouiller  de  son  patrimoine;  d'autre  part,  le  moine,  qui, 
dans  lûulos  ces  négociations,  représentait  l'abbaye  de  la  Chaise, 
assurait  Guy  de  Vaucouleurs,  afin  de  faire  taire  ses  scrupules, 
qu'aucun  concile  ne  mettrait  opposition  à  la  permutation  que  l'on 
exigeait  de  lui. Celle-ci  eut  donc  lieu  elTacle  fui  approuvé  par  Gel- 
duin, par  son  fils  Raoul, parGuillaume  et  Simon  enfants  de  Simon, 
l'ancien  vidanie  de  Parthcray,qui,  en  vertu  du  droit  de  retour, 
n'avaient  sur  la  seigneurie  que  des  litres  usufrucluaîres  qu'ils  ne 
furent  du  reste  jamais  en  position  de  ftiire  valoir  (2). 

Tous  ces  faits  tendent  à  établir  qu'Ebbon  était  tout-puissant  à 
Parlhenay  et  que  Gelduin,  par  faiblesse  d'esprit  ou  pour  toute  autre 
cause,  était  sous  la  dominalion  absolue  de  son  frère.  A  un  nio- 

(i)  Besty,  Hisl.  des  comlet^  preuves,  p.  3i)6,  Ledain  {ta  Oàtine  historiqae,  i*  éd., 
p.  40)  pince  par  inadveiiance  cel  iWénement  a  la  date  du  3o  ao^x  le  texte  de  la 
charte  porte  exprcsscineal  qu'il  eut  lieu  le  jour  dc8  caleudes  d'auùl  ;  eo  la  fêle  de 
saint  Pierre. 

(a)  Ardt.  ln'st.  du  Poitou,  II,  p.  83,  cLart.  poilcvioca  de  Saiat-FlorcDL 


4 


GUILLAUME  L! 


4o« 


menl  donné  il  chercha  à  secouer  ce  joug  ;  évidemment, pour  agir 
ainsi,  il  dut  subir  quelque  influence,  peul-èlre  raèmo  y  Burail-il 
lieu  d'élabiir  une  certaine  corrélation  entre  la  brouille  qui  se 
produisit  entre  les  deux  frères  et  le  meurtre  d'Aimeri,  vicomte 
de  Thouars,  commis  par  deux  chevaliers,  lequel  advint  en  1093 
el  sur  les  causes  duquel  tous  les  annalistes  se  sont  tus  (1). 

Toujours  esl-il  que  Gelduîn,dans  le  cours  de  cette  année  1093, 
implora  l'aide  du  comte  de  Poitou,  el  que  celui-ci  envahit  inopiné- 
ment le  pays  de  Parlhenay.  Ebbon  s  enfuit  ou  peut-être  se  réfu- 
gia-t-il  siniplement  dans  son  château  dont  le  comte  ne  tenta  pas  le 
siî'ge.  Mais,  pour  tenir  en  bride  ce  vassal  remuant  el  qui  pouvait  à 
l'occasion  devenir  dangereux.  Guillaumejugea  opportun  d'établir 
surson  territoire  un  poste  d'observation  qui  deviendrait  la  basedes 
opérations  nouvelles  qu'il  pourrait  être  amené  à  entreprendre 
contre  lui.  Il  fixa  son  choix  sur  Germond,  cette  forteresse  qui 
commandait  à  l'extrémité  delà  GAtinc  le  grand  chemin  d'Anjou 
en  Saintonge  et  dont,  soixante  ans  auparavant,  le  comte  Eudes 
n'avait  pu  s'emparer.  Il  la  fil  réparer  et  agrandir  el  la  livra  à 
Gelduin,  qui  devait  en  faire  sa  place  d'armes  et  le  centre  de  sa 
résistance  contre  Ebbon  dont  un  retour  offensif  était  toujours 
à  craindre  (2). 

Il  ne  semble  pas  que  le  comte  ait  assisté  au  concile  qui  se  tint 
à  Bordeaux  en  1093  sous  la  présidence  du  légat  Aimé  et  où 
furent  surtout  traitées  des  questions  de  discipline  ecclésiastique 
ou  réglées  des  compétitions  entre  communautés  ;  du  reste,  les 
évoques  de  Poitiers  et  de  Saintes  ne  s'y  rendirent  pas  (3).  .Mais 
on  trouve  Guillaume  à  Poitiers  où,  entouré  di^  ses  compagnons 
ordinaires,  Hugues  de  Lusignan,  Hugues  de  la  Celle,  Hugues  de* 
Doué,  Guillaume  de  Parlhenay,  Hélie  de  Chauvigny,  Jean  Mes- 
chin  et  son  juge  Pierre  de  Vendre  il  fut  témoin  de  lu  donation 
que  l'évèque  Pierre  fit  à  l'abbaye  de  Sainl-Cyprien  du  domaine 
de  Chanvrolle  (4).  Bien  que  l'on  puisse  attribuer  cet  acte  à  la 
générosité  naturelle  de  l'évèque  de  Poitiers,  qui  combla  de  dons 


(i)  Mnrchegay,  C/iron.  Je»  ifffl,  tTAnjoa,  p.  189,  Saint-Fiorenl. 
(2)  Marclipgny,  Chron.  des  égl .  trAnjoa,  p.  ^to,  S«inl-MaisenU 
(3]  Galtia  Christ.,  JI,  col.  807. 
(4)  Cari,  de  Saint-Ctfprieity  p.  84, 


aO 


/|03 


LES  COMTES  DE  POITOU 


les  moaaslèrcs  de  son  diocùse,  il  l'uni  [leuL-èlrc  y  rcoûiinaîlre 
aussi  un  oiobile  moins  désinléressô  et  nous  ne  serions  pas  èlonaé 
qu'il  ail  voulu  rémunérer  les  services  que  l'abbc'  deSainl-Cyprien, 
Rainaud,  élail  en  mesure  de  lui  rendre  en  ce  moment. 

Celui-ci  s'en  élail  allé  à  Uonie  pour  les  affaires  du  diocèse  et  là 
avail  mis  loutc  sa  bonne  volonté  et  ses  remarquables  apliludesk  la 
dis[)Osition  du  pape.  Urbain  II  était  presque  sans  ressources  pour 
canliauer  la  luILe  qu'il  souleaaiL  contre  Tanli-pape  Clément  tll  : 
il  lui  fallait  s'adresser  à  la  charité  des  fidèles,  Hainaud  s'oiïril 
pour  celle  mission  ;  le  pape  accepta  avec  empressement  et,  le 
2  novembre,  il  notifia  à  tous  les  évêqueset  abbés  d'Aquitaine,  de 
Gascoi^Jieel  de  la  Basse-Bourgofçne,  la  mission  qu^il  avail  confiée  à 
l'abbé  deSuint-Cyprien  et  à  Gervais,  abbé  de  Sainl-Savia,  chargé 
de  le  seconder  dans  sa  lâiiie;  ils  devaienl  faire  des  collectes,  pour 
venir  en  aide  à  la  papauté,  auprès  des  évoques,  des  grands  sei- 
gneurs et  de  tous  les  chrétiens  en  général  ;  en  outre,  ils  avaient 
aussi  mission  d'exiger  un  tribut  spécial  des  monastères  qui  rele- 
vaient spécialement  de  robédienco  papale  (I).  Quelques  jours 
avant  le  1 7  novembre,  sur  la  requête  spéciale  de  Rainaud,  le  pape 
avail  confirmé  les  immunités  accordées  à  Monlierneuf  et  parti- 
culièrement lui  avait  attribué  la  possession  de  Saint-Nicolas  con- 
formément aux  jugements  que  le  légat  Aimé  avait  rendus  quel- 
ques années  auparavant  (2), 

Dans  cette  bulle,  le  pape,  en  parlant  du  comie  de  Poitou, dont 
jusque-la  il  n'avait  entendu  dire  que  du  bien,  Tappelait  son  fils, 
mais  su  bonne  opinion  ne  tarda  pas  à  se  modifier  sous  Tinfluence 
d'un  autre  courant  d'idées  qu'allait  faire  naître  un  personnage 
bruyant  qui  entra  en  scène  à  cette  époque.  Le  21  août  <093,  Geof- 
froy, un  des  plus  jeunes  religieux  de  la  Trinité  de  Vendôme,  fut 
élu  abbé  de  ce  monastère.  Peu  après,  il  se  rendit  à  Home  pour 
rendre  ses  devoirs  au  pape,  son  supérieur  immédiat,  ainsi  qu'il  était 
établi  par  l'acte  de  fondation  de  l'abbaye.  Doué  d'une  grande 
ambition,  il  vil  le  parli  qu'il  y  avait  à  tirer  des  diflicultés  dans 
lesquelles  se  débattait  L'rbain  11;  il  lui  apporta  douze  ou  treize 
mille    sous,  somme  considérable,  grâce    à   laquelle  le  pape  put 


(i)  Cart,  de  Saint'Ci/prien,  p.  i5. 

(a)  Arch,  lu'sl.  du  i'uitou,  I.  p.  20,  cari.  Je  Sjial-.Nicolas. 


GUILLAUME  LE  JEITNK 


êoa 


rétablir  5a  fortune  el  occuper  Itome. Geoffroy  fut  en  récompense 
pourvu  du  cardinalat  au  litre  de  Saint-Prisque  el  devinl  rapide- 
ment loul-pui^sant  à  la  cour  papale. Il  commença  par  user  de  sou 
influence  en  faveur  de  son  monastère;  le  li  mars  IÔ94,  Urbain, 
en  verlu  de  son  autorité  apostolique, chargea  ler^  comtes  d'Anjou, 
de  Poitou  el  de  Vendômois  de  se  porter  défenseurs  et  protec- 
teurs perpétuels  de  l'abbaye  de  la  Trinité  (l).Cet  acte  était  habile, 
car  la  protection  de  l'abbaye  impliquait  celle  de  ses  biens  et,  en 
Poitou,  où  la  plus  grande  partie  était  située,  il  traînait  depuis  plu- 
sieurs années  une  affaire  d'une  importance  capitale  pour  elle, 
celle  de  la  main-mise  par  Eble  de  Cbâlelaillon  sur  ses  domaines 
de  nie  d'Oléron. 

Mais  Geoffroy  ne  trouva  sans  doute  pas  suffisante  cette  inter- 
vention du  pape;  il  voulait  atteindre  directement  le  comte  de 
Poitou  et  le  contraindre  à  se  déclarer  ouvertement  pour  l'abbaye 
de  Vendôme.  Soit  pour  ce  motif,  soit  qu'il  ait  reçu  à  ce  moment 
des  nouvelles  défavorables  aux  intérêts  de  sa  maison, il  sollicita  le 
pape  d'agir  directementsurGuillaume.Enconséquence  le  31  mar.«, 
quelques  jours  seulement  après  la  promulgation  de  la  bulle, 
Urbain  II,  donnant  carrière  ù  son  caractère  impérieux  modelé 
sur  celui  de  Grégoire  VU, écrivit  au  comte  de  Poitou  une  lettre 
comminatoire  dans  laquelle  il  lui  disait  qu'il  avait  souvent  fait 
appel  à  ses  bons  senlimenls  pour  qu'il  imitât  la  sagesse  et  la 
piété  du  grand  prince  son  père,  qui  avait  montré  une  si  grande 
dévotion  pour  les  églises,  dotant  les  unes  richement  ou  même 
en  construisant  d'autres  en  leur  entier.  Le  pape  s'étonne  que 
Guillaume,  qui  fait  preuve  de  tant  de  vertus  guerrières,  qui  pos- 
sède un  esprit  si  cultivé,  s'éloigne  autant  des  qualités  de  ^on  père 
en  venant  mettre  le  trouble  dans  les  églises  et  en  dépouillant  de 
leurs  biens  celles  qu'il  a  fondées;  il  vient  d'apprendre  en  particu- 
lier qu'il  a  enlevé  l'église  de  Saint-Georges  d'Olérou  aux  reli- 


(i)  Mêlais,  Cari,  de  la  Trinité  Je  Vendôme,  p.  74.  Bien  que  celle  bulle  porte  ta 
date  de  ick^S,  elle  apparlieul  réelleairal  à  l'année  ioq^i  ^  cfaaDCcllerie  poutiiicale 
faisaol  partir  du  25  mars  le  coma)exiccni<rQl  de  rauDce.  CcUe  alirlbulioa  esl  curru- 
borée  p.ir  les  aalres  iodicalioDs  cfarooulo^ques  que  fournit  l'acte,  à  savoir  l'oti  va 
du  poDlilical  du  pape,  qui  commeace  au  la  mars  109^.  cl  l'indiclioii  ru,  qui  est  le 
chiffre  de  cette  même  année  io<j4-  Voy.  aussi  Migne,  falrol.  lai.,  CLVil,  col,  kl 
et  53,  IcUres  de  Geoffroy  de  Vendante. 


4o4  LES  COMTES  DE  l^OITOU 

gieiix  de  la  Trinité  do  Vendôinft  et  l'admonesle  pour  qu'il  la  leur 
resliluc.  Mais  le  pape  ne  secoiUenle  pas  do  lui  faire  à  ce  sujet 
des  reprcsenlalions  amicales,  il  passe  aux  menaces  et  déclare 
au  comle  que,  si  dans  le  délai  de  trente  jours  il  n'a  pas  donné 
satisfaction  à  sa  réclamation,  il  encourra  son  courroux  et  sera 
frappé  sans  miséricorde  desanallièmes  apostoliques(l). 

On  voit  que  grAce  à  Thabileté  ilé|doyée  par  iieofTroyh  sîlualion 
s'était  modirîée;  ce  n'est  plus  seulement  le  délenteur  des  biens 
de  l'abbaye,  Kble  de  CliAlelaillon,  qui  est  mis  en  cause,  mais  c'est 
avant  loul  son  suzerain  dont  la  connivence  apparaît  certaine 
derrière  les  subtilités  de  langage  de  la  lettre  papale.  On  ne  sait 
où  celle-ci  atteignit  le  comte  de  Poitou  ni  en  quel  lieu  il  avait 
passé  les  fêtes  de  Pûques  de  1094  ;  peut-être  avait-il  déjà  gagné  le 
Midi  où  de  graves  événements  attirèrent  ù  celle  date  son  atten- 
tion. Les  opérations  contre  les  Alraoravides  avaient  repris  en 
Kspagne  et  éliient  marquées  par  les  succès  des  chrétiens; 
or,  le  roi  d'Aragon,  Snncbe-Ramire,  succomba  tout  h  coup  au 
milieu  de  ses  triomphes  et  fut  frappé  à  mort  au  siège  d'iïuesca, 
le  6  juillet  1094.  Ce  prince  avait  épousé,  déjà  ûgé,  en  1080,  lafille 
de  Guillaume  IV,  comte  de  Toulouse,  et  d'Kmme  de  Morlain, 
Philippie, qui,  lors  de  la  morl  de  son  mari, n'avait  guère  que  vingt 
à  vingt-deux  ans  (2). 

(»)  Métais,  Cart.  saint,  delà  Trinité  de  Vênd'nie,  p.  0"»;  Lahhe.Cnncilia,  X.c.il. 
4G2  ;  liesly,  //i',f/.  des  comtes,  preuves,  p.  I\i^.  Ce  dernier  juilciir  pince  celle  IcUrc, 
ijui  n'est  pas  daléc,  cniocf-j;  en  cela  il  fait  erreur, Guillaume  disaDl  lui-mêtne  formclle- 
incnl  (Inns  une  ciinrle  du  10  dêccinbrc  inr)0,di>nt,  il  sera  parlé  plus  ]oia,qtie  le  pnpe  lui 
écrivit  de  Uoriic  avant  de  venir  en  France  cl  qn'il  le  menaça  de  l'excommunier  s'il 
ne  contraîçuail  pas  Khle  à  restituer  à  la  Trinilc  de  VcndtVme  ce  qu'il  lui  avait  enlevé. 

(a)  La  Kllc  de  (juillanme  de  TjuIùusc  e«l  i^cncr.iJempnt  désis^née  dans  les  textes 
sous  le  nom  de  «  l'hilippa  »,  qui  en  français  donne  Philippe,  mais  celle  forme  n'est 
qu'une  corruption  de  son  vét'it.ihle  nom  qui  élnil  «  E^hilippia  x>,  ainsi  ([ue  l'atteste  une 
charle  orijçinale  de  Saint-Sernin  de  Toulouse  de  Tan  loijS,  pulilire  par  D.  \'aiss(Me 
[Hisl.  de  Lingaedoc,  aour.  éd.,  V,  col.  7j4*7^>7)>  d'où  la  forme  l'Iiilippie  que  nous 
avons  adoptée  el  qui  coavient  plus  parliculicremenl  à  un  nom  de  femme,  celui  de 
Philippe  restant  exclusivement  masculin.  (Voy.  aussi  D.  Vaissele,  col,  767,  et  D. 
Fonlcjieau,  XXV,p.  f\\.]  Mais,  ronrormémenl  au  bizarre  usasse  du  temps,  la  jeune  fille 
portail  aussi  un  autre  nom,  et  dès  son  mariage,  dans  la  région  bordelaise,  clic  est  cons- 
lammcDl  appelée  Mahaul,  «  Malhiîdis  ».  (D.  Vnissetc,  llisl.  de  I. aiif/urdoc, nowv .  éd., 
III,  pretives,  p.  741;  U.  Konleneau,  XIII,  p.  207;  Mêlais,  C.nrttil.  sititit.  de  la  Trinité 
de  Vendôme,  p.  70;  finilia  (?/i/'/s^.  Il,  inslr.,  col.  3ii;  .Miçne,  Patrol.  Int.,  CLVII, 
col.  204,  lettre  de  Geoffroy  de  N'endôme.  Kn  Poitou,  les  deux  noms  sont  indifférem- 
ment employés;  «  Mathildis»  est  celui  que  portait  la  première  femme  de  Guillaume  de 
Toulouse,  père  de  Pbilippîe;  serait-ce  en  mémoire  d'elle, comme  l'iDsinue  D.  Vaissetc 
(in,  p.  4^9),  que  la  jeune  comtesse  aurait  été  ainsi  dé.sijei'née? 


GUILLAUME 

Celle  union,  vu  le  jeune  âge  de  la  princesse,  avait  eu  un  carac- 
lère  absolument  polilique,  car  Fliilippie  devail  ôlre,  évenluelle- 
meni,  riicrilière  du  coraléde  Toulouse.  Guillaume,  son  pèro,  qui 
avait  précédeinmenl  perdu  les  deux  (Ils  qu'il  avail  eus  de  deux 
mariages  successifs,  s'élant  dégoOlé  du  pouvoir,  avail  abandonné 
son  comlé  et  ses  autres  domaines  à  son  frère  Haymnndde  ÎSainl- 
Gilles  qui,  dès  1088, se  qualifiait  de  comle  de  Toulouse;  débar- 
rassé de  lous  liens  il  était  ensuite  parti  pour  ta  Terre-Sainle. 

Quel  était  le  caractère  de  la  cession  que  Guillaume  avait  con- 
sentie à  llaymond  ?  On  ne  le  sait  au  juste,  l'acte  n'ayant  jamais  été 
produit.  Etait-ce  une  vente  ferme  ou  une  mise  en  gage  pour  un 
temps  limité,  ou  encore  une  substitution  ayant  pour  objet  de 
conserver  au  Toulousain  sa  dynastie  nationale  et  d'éviter  son  in- 
corporation  dans  les  royaumes  d'Araj;on  et  de  Navarre,  ce  qui 
était  la  conséquence  du  mariaj^'e  de  IMiilippie,  on  l'ignore,  mais 
grâce  au  manque  de  publicité  de  l'acte  intervenu  entre  les  deux 
frères,  on  put,  pendant  la  durée  delà  vie  de  Guillaume,  considérer 
Hayraond  comme  un  simple  administrateur  du  comlé.  En  consé- 
quence les  droits  dcPhilippie  demeurèrent  intacts,  et  quand  Guil- 
laume mourut  en  Palestine,  pense-l-on,  dans  le  courant  de  l'année 
1003,  il  ne  dépendait  que  d'elle,  ou  plutôt  de  son  époux,  de  les 
faire  valoir.  Mais  en  ce  moment  Sanclie-Hamire  était  engagé  avec 
les  Maures  dans  la  lutte  où  il  devait  perdre  la  vie,  et  il  ne  put 
agir  avec  la  vigueur  que  comportait  la  situation;  des  mouve- 
ments s'élaient  en  elîet  produits  un  peu  partout  en  sa  faveur  et 
Hayraond  dut  faire  appel  à  des  secours  spirituels,  voire  môme  sur- 
naturels, pour  appuyer  son  usurpation.  11  s'élait  rendu  h  Tabbaye 
de  la  Cbaise-Dieu,  et  là,  à  l'issue  d'une  messe  solennelle,  il  avait 
déclaré  qu'ilne  tiendraille  comté  deToulouse  que  de  saint  Moberl, 
le  fondateur  de  l'abbaye,  si  Dieu  lui  faisait  la  grâce  de  l'obtenir 
par  son  intercession.  Sanche-Ramirc  avail  en  effet,  au  mois  de 
mai  1093,  affirmé  ses  droits,  présents  ou  évj-nluels,  au  comté  de 
Toulouse,  certain  jour  qu'il  s'élait  rendu  à  l'abbaye  de  Saint-Pons 
de  Tliomières,  dans  laquelle  il  avait  fuit  enirer  comme  moine  son 
fils  ïlamire,  et  d'où,  sous  prétexte  de  rendre  grâces  à  Dieu  du  suc- 
cès de  ses  armes,  il  pouvait  surveiller  de  près  les  menées  de 
Haymond.La  mort  de  Sanche-Ikmire  délivra  pour  le  moment  ce 


^dO 


I.rCS  COMTl-.S  DE  POITOU 


(lornior  tlo  loiil  i:f)mj>«''lilcur  sf'Ticiix.  cl  si  l'hilippic  (il  cnlondre 
des  plainics  ollos  ne  furcnl  pas  écoulées  (1). 

La  jeune  reine  ne  pouvait  songer  à  se  fixer  en  Espagne,  où 
l'élal  de  guerre  clnil  permanent  el  auprès  de  beaux-fils  plus  âfiés 
qu'elle  ;  d'autre  part,  elti*  ne  pouvait  penser  à  revenir  dans  le 
comlé  de  Toulouse  où  son  oncle  n'aurail  sans  doule  pas  lolérô 
sa  jjrésence  ;  il  ne  lui  reslail  d'autre  allernalive  que  dcnirer 
dans  un  moiiaslrie  ou  de  se  remarier.  On  peut  supposer  que. 
vu  le.s  droits  magnifiques  qu'elle  avait  à  faire  valoir,  les  prtHen- 
danls  à  sa  main  ne  mnnquiTent  pas, mais  le  duc  dAquitaine  devait 
les  supplanter  tous;  jeune,  beau,  s<^dtiisant,  il  avait  personnel- 
lement tout  ce  qu'il  fiillait  pour  conquérir  le  cœur  de  la  jinme 
femme,  el,  d'aulre  part,  il  lut  assurait  une  situationau  moins  aussi 
brillante  que  celte  <]ont  eltc  avait  joui  sur  le  tnVne  d'Aragon.  On 
ne  sait  nu  juste  à  quel  moment  le  mariage  eut  lieu,  mais  loni 
porte  à  croire  que  Guillaume  ne  laissa  pas  Iraîner  raffaire,  puis- 
qu'avanl  la  fin  de  l'année  1094  il  était  Tépoux  de  IMiitippic  (2). 

C'est  à  la  préparalion  et  à  la  conclusion  de  son  union  que 
Gnillaume  consacra  Télé  el  l'automne  de  1094,  car  l'on  peut 
croire  que,  pour  écartor  les  compélileurs  qu'il  diil  rencontrer 
sur  son  chemin,  il  ne  négligea  pas  de  recourir  aux  séductions  de 
sa  personne;  il  n'avait  encore  que  vingt-deux  ans.  Il  resta  donc 
pendant  assez  longtemps  éloigné  du  Poitou,  laissant  par  suite  le 
champ  libre  aux  passions  qui  ne  demandaient  qu'à  déborder.  Il 
n'avait  pas  eu  le  soin,  comme  son  père,  el  il  n'usa  du  reste  jamais 
de  celle  précaution,  d'allacher  à  sa  forlune  un  homme  qui  fut 
d'une  grande  habileté  el  en  possession  d'une  réelle  autorité  per- 
sonnelle pour  le  suppléer  pendant  ses  fréquentes  absences.  Ebbon 
de  Parthenay,  parliculiércment,  en  profila.  Sûr  de  ne  pas  Être 
inquiété  par  le  comte,  il  rassembla  rapidement  une  troupe  redou- 
table el  courut  assiéger  Gelduîn  dans  le  château  de  Germond. 
Soit  que  la  forteresse,  incomplt'lement  édifiée,  n'ait  pu  opposer 


(i)  Pouf  louH  ces  faîU,  Vî^y.  D.  Va'msetC,  ///>(.  fie  Lfinr/aeJoc,  nnuv.vi].,  III, 
pp.  /pa-4ô3,  fiiîT)-ffiri,. 

(t)  Marrhcçay,  Chron.  dt9  éjL  fVAnjon,  p.  /|ii.  S.Vinl-Maitcal.  On  remorquera 
qu'il  y  avait  à  peine  qu'^lq'ies  iiioii  que  l'iiilipjiie  clait  vcove  lorsqu'elle  pril  un 
Prtovel  cpiux;  les  p\rni|ile4  do  celte  f^jon  d'.iifir  snni  nijnilircus,  l'usug-c  n'imposnnl 
aucun  délai  à  la  femnii;  %'euve  pour  se  reinarior. 


GLILLAUME  LE 

«ne  défense  elTicace,  soit  que  Gelduin,  surpris,  n'ail  pu  W'unir 
qu'un  nombre  de  puerriers  insuffisants  pour  r^'sislcr  à  la  brusque 
irruplion  do  son  frère.  Je  cbâleau  fui  emporlé  de  vive  force,  et. 
à  partir  de  ce  jour,  il  n'est  plus  question  de  Gelduin.  Il  est  à 
croire  qu'il  péril  danslaiutle.  La  forteresse  de  Germond  entre 
les  mains  d'un  bomme  puissant  élail  un  danger  permanent  pour 
les  seigneurs  de  Parlbenay;  afin  d'ôler  ce  point  d'appui  à  des 
adversaires  possibles,  le  vainqueur  la  fit  raser  de  fond  en  comble 
et  depuis  ce  jour  elle  ne  s'est  pas  relevée  de  sa  ruine.  La  félonie 
d'Kbbon  demeura  impunie  et  il  resta  seul  et  unique  possesseur 
de  l'importante  seigneurie  de  Parlbenay.  Les  fêtes  et  les  plaisirs 
de  toute  sorle  qui  durent  être  l'accompagnement  du  mariage  do 
riuillaume  étaient  trop  dans  ses  goûts  pour  qu'il  ait  cru  devoir 
les  interrompre  afin  de  cbilier  un  vassal  turbulent  ;  il  trouva 
plus  commode  d'accepter  le  fait  accompli  qui  ne  pouvait  du  reste 
en  rien  modifier  la  transmission  du  fief.  Kbbon  étant,  de  par  la 
coutume,  l'béritier  direct  de  Gelduin  (1). 

L'histoire  n'a  enregistré  pendant  l'année  1095  aucun  geste  du 
duc  d'Aquitaine  et  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  adressé  à  Ravmond  de 
Saint-Gilles  aucune  revendication  fondée  sur  les  droits  de  sa  fem- 
me, du  reste,  ses  étals  et  toute  la  chrétienté  étaient  alors  violem- 
ment secoués  par  un  mouvement  puissant  qui  révolutionnait  les 
masses  ;  le  libre  accès  du  tombeau  du  Christ  était  entravé,  bii- 
môme  semblait  en  péril,  sa  délivrance  était  la  seule  solulion  qui 
se  présentât  aux  esprits  pour  remédier  à  cette  grave  situation.  La 
domination  arabe,  très  tolérante,  et  qui  ne  portait  aucun  obsta- 
cle aux  pèlerinages  alors  si  fréquents  vers  les  Lieux-Saints,  mal- 
gré les  difficultés  de  toutes  sortes  qu'ils  présentaient,  avait  été 
remplacée  par  celle  des  Turcs  Seljoucides,  barbares  et  fana- 
tiques, qui  abreuvaient  les  pèlerins  d'outrages  quand  ils  ne  les 
traînaient  pas  en  esclavage.  Pierre  l'Krmile  se  fit  l'écho  ardent  de 
ces  misères  et  il  parcourut  en  apùtre  l'Italie,  l'Allemagne  et  par- 
ticulièrement la  France,  Le  pape  l'rbain  If.  subissant  l'entraî- 
nement de  ces  paroles  enflammées,  se  mil  à  la  tèlo  du  mouvement 
qui  se  dessinait  partout  et,  afin  de  lui  donner  plus  de  corps  et 


(l)  Mflrcliegajr,  Chron.det  égl.  tTAnjon,  i>,  /|ii,  SalnL'.Mnixrnt. 


4o8 


LES  COMTES  DE  POITOU 


d'ainfncr  les  chefs  des  peupN^s  k  y  parlîcipcr,  il  se  résolut  à  quil- 
ler  rilalieet  à  se  reiidre  en  France  pour  y  frapper  un  grand  coup. 
Un  concile  fui  convoqué  à  Clermonl  en  Auvergne.  11  s'ouvrit  le 
18  novembre  1095;  le  clergé  de  l'Aquilaine  y  était  représenlé  par 
l'archevêque  de  Bordeaux,  les  évêques  de  Poitiers,  de  Limoges, 
de  Saintes,  de  Périgueux  ut  d'AnguuIôme,  les  abbi^  de  Charroux, 
de  Sriinl-Savin,  de  Sainl-Clyprien  el  sans  doiile  bien  d'autres 
encore  dont  les  noms  sont  perdus;  la  guerre  sainte  fut  décidée 
par  acclamalion  el,  pour  favoriser  le  mouvement,  de  grandes 
faveurs  furent  concédées  aux  gens  de  toute  condition  qui  pren- 
draient la  croix. 

L'cnlhousiasmc  qui  régnait  à  Clcrmonl  ftil  immense,  mais  dans 
celte  assemblée,  où  Ton  élait  accouru  de  tous  les  points  de  la 
France,  les  grands  seigneurs  lerriloriuiix  faisaient  défaut;  le 
comte  de  Poitou  s'y  Irouvail  presque  seul.  Sa  présence, en  dehors 
de  ioule  autre  cause,  était  motivée  par  ce  fait  que  l'Auvergne 
était  sous  sa  suzeraineté  el,  bien  que  les  liens  de  vassalité  entre 
ce  dernier  pays  et  l'Aquitaine  fussent  assez  relâchés,  il  lui  sembla 
qu'il  ne  saurait  trouver  une  meilleure  occasion  pour  les  afïir- 
mer.  Ce  fut  donc  Guillaume  qui  reçut  le  pape  el  qui  l'engagea 
à  diriger  ses  pas  vers  les  pays  qui  étaient  sous  sa  dominalion 
directe.  Si  Ton  suit  en  elTel  l'itinéraire  d'Urbain  II,  on  constate 
que  c'est  à  peine  s'il  a  fait  une  courte  incursion  en  deliors  de 
l'Aquitaine  ;  il  semble  par  suite  hors  de  doute  que  te  pape 
croyait  en  ce  momenl  pouvoir  compter  sur  l'adhésion  absolue  du 
duc,  dont  la  répulalion  élait  encore  intacte  et  à  qui  les  hautes 
qualités  dont  il  donnait  journellement  la  preuvcavaienl  attiré  un 
grand  renom  (1). 

De  Clcrmonl,  Urbain  se  rendit  ?i  Limoges,  où  il  arriva  le 
23  décembre  ;  il  y  célébra  les  fêles  de  Noël,  assisté,  ouiro  les  pré- 
lats italiens  de  sa  suite,  des  archevêques  de  Lyon,  dr  Bourges, 
de  Bordeaux  el  de  Pise,  des  évêques  de  Poitiers,  de  Saillies,  de 
Périgueux  el  de  Hodez.el  y  consacra  les  églises  do  Saint- Élienne 
et  de  Saiui-Sauveur.  En  outre,  le  pape,  à  la  requête   d'Adémar, 


fr)  Les  moines  de  M«rnir»ijlier  ([iiiiUfinient  h  cctic  épfniiie  Guillaume  Vil  de  s^aaii 
homme,  «  magnus  vjr  »  (Marclic-jay,  Cai't.  du  lias-Poitou,  p.  ao4,  Sigaurnav). 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


4oo 


abbé  de  Sainl-Marlial,  déposa  l'évêque    Utnbaiild,   pour  avoir^ 
quelques  années  auparavant,  falsifié  des  lellres  ponlificales  (1). 

Après  un  arrêt  de  quinze  jours  à  Limoges,  Urbaiu  reprit  sa 
route;  il  passa  par  Char  roux  oiî  il  procéda,  le  8  janvier  10i)G,  à 
ta  consécraliori  du  grand  autel  et  eufin  arriva  à  Poitiers  pour 
célébrer  la  fête  de  saint  Ililaire,  le  13  janvier  (2).  Guillaume,  qui 
l'avait  vraisemblablement  précédé  dans  la  capitale  de  ses  élats,lu! 
fit  une  réce[ition  spleudide.  Quelles  furent  les  questions  agitées 
entre  le  vieux  pape  cl  le  jeune  duc  pendant  les  vingt-cinq  jours 
qu'ils  passèrent  ensemble,  Tun  emporté  par  la  fougue  de  sa  pas- 
sion religieuse,  l'autre  par  les  violents  appétits  de  la  jeunesse,  on 
ne  saurait  le  dire.  Il  n'est  pas  à  supposer  que  Guillaume  se  soil 
abstenu  de  laisser  pressentir  au  pape  ses  intentions  sur  Toulouse 
et  même  qu'il  n'ait  pas  essayé  de  l'amener  à  reconnaître  la  vali- 
dité des  droits  de  IMiilippie,  mais  il  est  aussi  croyable  qu'ils  ne 
purent  se  mettre  d'accord  au  sujet  de  l'exécution  et  que  c'est  à  ce 
[vrincipat  motif  qu'est  dû  le  recul  du  duc  d'Aquitaine  et  sa  non- 
participation  à  la  première  croisade. 

Une  cérémonie  grandiose,  la  consécration  soli^nnelle  de  .Mon- 
lierncuf,  marqua  du  reste  le  séjour  du  pape  à  Poitiers. Guillaume. 
tout  en  maintenant  ses  sympathies  à  l'œuvre  de  son  père,  ne  lui 
avait  loutefois  pas  accordé  le  concours  pécuniaire  absolu  dont 
celui-ci,  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie,  faisait  sa  principale 
préoccupation  et  vers  qui  tendaient  tous  les  mobiles  de  ses 
actions.  Les  parties  del'église  qui  étaient  en  cours  de  construction 
furent  achevées,  mais  l'exécution  totale  du  plan  primitif  fut  aban- 
donnée, et  elle  ne  fut  môme  jamais  reprise.  Le  22  janvier,  le 
pape,  assisté  des  archevêques  de  Pise,  de  Lyon  et  de  Bordeaux, 
des  cardinaux-évèques  de  Segni  et  d'Albano  et  de  l'évêque  de 
Poitiers,  se  transporta  à  Montierneuf,  el, après  les  cérémonies  de 
la  dédicace,  y  bénit  spécialement  un  autel  que  l'on  avait  édifié  à 
nouveau  pour  cet  objet,  h.  la  place  de  celui  affecté  ^i  la  messe  du 


(il  Marcheîjay,  Chron.  des  igl.  tV Anjou,  p  f\tt,  Sainl-Maixeul;  Dupli*-Aiper, 
Chron.  de  Suint-Martial  de  Liinojet,  p  5o,  Bernard  Uier,et  p.  180,  varia;  Bealjr, 
//»«/.  des  comtes,  preuves,  p.  /109. 

(2)  .Marchcjçay,  '"Jiron.  des  égl. (F Anjou,  p.  ^12,  Saiot-Maixent;  Mig^ne,  Palrulogie 
Int.,  CLI,  p.  i-ji,  Noiilîa  de  conaecratione  domiuîci  allarta  Carroreasis. 


4(o 


LKS  COMTKS  DE  PdfTnil 


malin  qu'avall    aiilrefois    cmisacré   Simon,   ôvêqne   d'Aç^on  (I). 

J)e  Poilicrs,  1**  pape  se  rendit  à  Aîij^ers  oii  il  bf'iiil  le  monas- 
tère de  Sfiinl-rvicolas,  fui  à  Vendôme  remercier  par  celte  visite 
l'aiihé  Geoffroy  de  l'aide  puissante  qu'il  avait  reçue  de  lui,  passa 
à  Tours  où  on  le  voit  faire  don  de  la  rose  d'or  à  Foulques  le  lié- 
chin,  Lh  il  pri'-sida  un  nouveau  concile  où  il  renouvela  les  excom- 
munications fulminées  contre  Eble  de  Cliâlelaillon  pour  les 
usurpalions  par  lui  commises,  tant  sur  les  biens  dos  religieux  do 
Vendôme  que  sur  ceux  de  l'abbaye  de  Saint-Maixenl.Le  30  mars 
il  était  de  retour  à  Poitiers  où  il  promulgua  une  bulle  réglant  la 
question  de  siijélion  de  l'alibaye  de  Cormeri  à  l'égard  de  Sainl- 
Miirtin  de  Tours  ;  dans  ce  jour,  autour  du  pape,  l'assistance  des 
prélats  était  encore  plus  nombreuse  que  précédemment  et  au 
bas  de  l'acle  do  Cormeri  on  relève  après  sa  signature  celle  des 
arcbevèques  de  Lyon,  de  Tours,  de  Vienne,  de  Bourges  et  de 
Bordeaux,  des  évèques  de  Chartres,  d'Angers,  du  Mans,  de  Van- 
nes, de  Nantes,  de  Clermonl,  de  Bonnes  et  de  Segni.  et  enfin  de 
quatre  cardinaux  (2). 

Bopronanl  ensuile  sa  marche, Urbain,  au  sortir  de  Poitiers,  se 
rendit  ù  Saintes,  où  il  arriva  pour  célébrer  la  fôtc  do  PAques  qui, 
celte  année,  tombait  le  13  avril.  Hn  roule  il  s'arr^^ta  à  Saint-Jean 
d'Angély  où,  se  trouvant  à  portée  des  domaines  du  sire  de  CliA- 
telailIon,il  renouvela  roxcommunicalion  prononcée  conlre  lui  à 
Clermonl  ol  h  Tours  et  enfin  l'assigna  à  comparaître  à  rassem- 
blée pléniére  ou  concile  qu'il  devait  tenir  à  Saintes.  Eble  no  dif- 
féra pas  de  répondre  à  celle  sommation  et  il  se  présenta  devant 
la  réunion  des  prélats  ;  là  il  eut  à  supporter  la  violente  revendi- 
cation de  Geoffroy  do  Vendômo  qui  avait  accompagné  le  pape 
dans  ses  pérégrinations;  il  i-o  défendit  vigoureusement,  mais 
Crlmin,  après  l'audition  des  parties  en  cause,  prononça  une  sen- 
tence (oulc  en  faveur  des  prétentions  de  l'abbé  de  Vendôme. 
Eble,  qui  avait  tout  d'abord  promis  d'accepter  la  décision  à  inter- 
venir, refusa  d'y   souscrire  quand  il  vil  qu'elle  lui  était  défavo- 


(i)  Arch,  de  la  Vîenne,  cliron.  du  iroiaeMnrlin  :  »i  De  consecralione  allaris  mali- 
lonjilis  t>.  L'inscription  qui  relaie  ce  (ail  pxisic  encore  nujnyrd'liui  dans  réffiisc  de 
Monliernpiir  (Vny.  Aft'fK  tin  In  Soc.  des  Antùi.de  VOttef^t,  iSVi,  p.  87  cl  pi.  vi.) 

{2)  CnrI,  t}c  f'iinntri,\>.  Rg. 


GUILLAUME  LE  JEUNE 

'asseml 


in 


rtiblc;  aussi,  quand  il  se  relira  de  l'assemblée,  ful-ii  de  nouveau 
frappt';  d'an  al  lit' me  (1). 

Guillaume  ne  se  trouvait  pas  à  la  réunion  de  Sainlosnon  plus 
qu'à  toutes  celles  où  l'on  avail  condamné  les  agisseraenis  dKhle 
de  Châlelaillon,  el,par  ricochet, sa  conduite  personnelle.  Lorsque 
le  pape  quitta  Poitiers  pour  se  diriger  vers  l'Anjou,  il  avail  de  son 
cûlé  abandonné  celle  ville  pour  se  rendre  à  Bordeaux  où  il  se 
Irouvail  le  22  mars. Se  tenant  ce  jourdansla  lour  <•  ArbalnsU'vre  >, 
il  avait  confirmé  l'abbaye  de  Sainle-Croix,  sur  la  demande  de  labbé 
Toulques,  dans  la  possession  de  Soulac  que  Guy-Genlîroy.  son 
père,  avait  précédenimenl  allribué  à  celte  abbaye  à  la  suile 
d'nn  jugement  des  prélats  du  pays.  Le  2o,s'étant  rendu  dans  l'é- 
glise de  Sainte-Croix  et  se  trouvant  devant  l'aulel  de  saint  André, 
il  avail  renouvelé  cotte  concession  et  de  plus  pris  l'abbaye  et  son 
domaine  de  Saint-Macaire  suus  sa  proleclion  >;[)éciale.  Dans  Pas- 
sislance  qui  rcnlouraiton  roniarquaii  la  ducliesse,  sa  femme,  que 
l'on  y  désignait  sous  le  nom  de  Maiiaut  «  iMalbildis»,  son  frère 
Hugues,  Arnaud  de  Blanqiiefori,  le  prévôt  Guillaume,  de  nom- 
breux clieviiliers  et  des  membres  du  clergé  parmi  lesquels  se 
trouvait  Pierre,  le  doyen  du  chapitre  calliédral,  fireliidiacre  du 
diocèse,  à  qui  le  duc  ordonna  de  ("nirc  réfliger  immédiatement 
la  décision  qu'il  venait  de  prendre  et  d'y  faire  apposer  stin 
sceau  (2). 

On  pont  croire  qu'il  al  lendit  dans  sa  seconde  capitale  le  pas- 
sage du  pape  qui  y  arriva  vers  la  fin  d'avril  après  un  assez 
long  séjour  à  Saintes  où  il  avait  consacré  la  basiliqtie  d<'  Sainl- 
Eiilrope,  mais  Urbain  s'arréla  peu,  car  le  7  mai  il  élail  à  Tou- 
lotiso  d'où  il  conliniia  sa  marche  triomphale  à  travers  le  !\lidi. 
Le  pape  et  le  duc  se  quittèrent  sans  avoir  pu  s'entendre  ;  Guil- 
laume élait  un  esprit  lin  et  délié,  cl  l'annonce  solennelle  que 
Uaymond  de  Sainl-Gilles  avait  faite  à  Clermont  de  son  acquiesce- 
ment à  la  croisade  avail  dû  peser  sur  ses  déterminations  on  lui 
faisant  entrevoir  l'occasion  attendue  par  lui  depuis  son  mariage. 
Et  pourtant  le  pontife  n'avait  pas  ménagé  ses  clîorts  ;  partout  où 
il  élait  passé  «  il  avait  recommandé  aux  hommes  de  prendre  la 

(i)iVfélai«,  Cart.  saint,  de  la  Trinité  de  VendAme,  p.  C7. 

(a)  Besly,  Ilisl.  des  comtes,  preuves,  p.  4'o;  Gallia  Christ.,  II,  instr.,  col.  3iL 


4l3 


LES  COMTES  DE  POITOU 


<i  croix,  de  marcher  sur  Jérusalem  et  de  délivrer  lacilé  sainledes 
«  Turcs  et  autres  Gentils .  Aussi  une  grande  muUtliidc  de  nobles 
«  et  de  non  nobles,  de  riches  el  de  pauvres  de  tous  pays,  n'ayant 
M  qu'un  même  vouloir,  se  mirent  à  Qiarcher  dans  la  voie  du  Saint- 
«  Sépulcre,  après  avoir  fait  l'abandon  de  leurs  biens  (!)•».  Guil- 
laume ne  fut  pas  de  ce  nombre,  son  inlérèl  privé  paralysait  le» 
élans  vers  lesquels  devait  le  pousser  sa  nature  généreuse. 

Le  séjour  du  duc  à  Bordeaux  ne  se  prolongea  pas  outre  mesure. 
Le  22  mai  suivant  il  se  trouvait  à  Poitiers;  ce  jour,  toute  sa  cour,  cl 
particulièrement  sa  femme  l^hilipitie,  sa  mère  Audéarde,  Hugues 
de  Lusignan,  Amel  de  Cliambon,  assislèrenl  avec  lui  à  l'éreclion 
solennelle  en  paroisse  de  Téglise  de  Saint-llilaîre-enlre-Eglises, 
faite  par  Geoffroy,  chantre  du  chapitre  cathédral;  l'évêque  de 
Poitiers  avait  déjà»  lui  aussi,  renoncé  à  suivre  le  pape  el  était, 
avec  de  nombreux  membres  du  clergé,  présent  à  cet  acte  auquel 
il  donna  son  approbation  (2). 

Durant  le  cours  de  l'année  une  affaire  grave  rappela  le  duc  dans 
le  Midi. Dans  une  des  stipulations  de  la  charte  qu'il  avait  concédée 
aux  chanoines  de  Sainle-Croix  il  avait  pris  sous  saproleclion  spé- 
ciale l'église  de  Saint-Macaire,  dépendance  du  chapitre.  Or^on  ne 
sait  pour  quelle  cause,  les  habitants  de  cette  région  se  soulevè- 
rent; est-ce  con  Ire  l'autorité  lemporelle  des  chanoines,  ou  contre 
celle  du  comte  d'Angoulôme,  leur  seigneur,  qui  avait  épousé  la 
fiile  d'Amanieu,  seigneur  de  Benauge  et  de  Saint-Macaire?  peut- 
étroconlre  les  deux. Toujours  est-il  que  l'insuncclion  dut  être  vio- 
lente^ car  la  répression  fullerrible. Leduc  assiégea  à  lafuis  la  ville 
et  le  château  de  Sainl-.Macaire  et  s'en  empara;  il  massacra  les 
liabilanlsde  la  ville, qu'il  incendia;  quant  au  chclleau,qui  était  très 
forlifié,  il  le  rerail  peut-être  simplement  entre  les  mains  de  Guil- 
laume Taillefer,  le  comlc  d'Angoulême.  Pendant  ce  temps,  ce 
dernier  faisait  rentrer  sous  son  aulorilé  le  château  de  Benauge, 
ce  qui  indique  un  soulèvement  de  tout  l'hérilage  d'Amanieu  (3). 


(i)  Marchegûy,  Chron .  des  égl.  (T  Anjou,  pp.  /pi  el  4 '2,  S«ml-Miiixenl. 

(■2)  D.  Fuiitmeau,  XIII,  p.  207,  L'ry:li!fe  de  Saial-IIilaire-nirrc-Eglises  élail  siluée 
entre  la  cathédrale  cl  le  trnipic  Saint-Jean;  clic  a  été  récdifii'c  W  y  a  quel(|iic8  an- 
oées. 

(3}  D.  FoDtencau.  XIII,  p.  211;  //ist.  fiont.  et  comit.  Engolis/n.,  p.  4'-  Ce 
i^raipr  documcDt,  (|ui  acsl  qu'un  paoégjrrique,  allribue  au  comte  d'Augoulème  sfu\ 


GUILLAUME  LE  JEUNE  4i3 

Enfin  celle  môme  annôe  109G  vil  so  terminer  la  mémorable 
fin  de  non-recevotr  opposée  par  Fb!e  do  Ghûtetaillon  à  loules  les 
sommations  de  raulorilé  eccl(''siasli(iuQ.  Malgré  le  dédain  avec 
lequel  il  avail  accueilli  la  malédiclton  du  p.ipe,  les  eiïeU  de  ce 
solennel  anallième,  lancé  à  un  momenl  où  les  populations  élaienl 
impressionnées  par  les  paroles  de  ce  vieillard  qui  poussai!  les 
hommes  à  abandonner  les  choses  terrestres  pour  conquérir  le 
royaume  du  ciel,  so  firent  sentir  à  la  longue.  De  guerre  lasso,  le 
pape  s'élait  décidé  à  recourir  au  pouvoir  temporel  et  il  avait  mis 
le  coiiile  de  Poitou  en  cause.  Après  le  scandale  de  Saintes  il  avait 
dépêché  vers  Guillaume  qui,  on  l'a  vu, s'élait  prudemment  dispensé 
d'assister  au  concile,  son  légal  Aimé,  l'archevêque  de  Bordeaux, 
avec  mission  d'exiger  que  le  comle  fît  mettre  à  exécution  la  senlence 
de  restilulion  <les  biens  usurpés  sur  Tabbaye  do  Vendôme,  faute 
de  quoi  non  seulement  lui-même  mais  tous  ses  états  seraient  frap- 
pés dinterdît.  Redoutant  les  complications  qui  pouvaient  sorlir  de 
celte  fâcheuse  situation,  Guillaume  pesa  de  loule  son  autorité  sur 
les  décisions  de  son  vassal  el,  pour  mener  cette  aiïaire  à  bonne 
fin.  il  en  chargea  llenoul  de  Sainles,  l'évêque  diocésain  d'Eble, 
homme  sage  el  prudent, assez  peu  disposé  à  se  prêter  aux  violen- 
ces de  Tabbé  de  Vendôme, et  qui,  quatre  ans  à  peine  après  Tusur- 
palion  commise  par  le  sire  de  Cliâlelaillon,  s'élait  montré  dis- 
posé à  l'absoudre.  La  négociation  réussit  cl  elle  se  termina  par 
une  transaction  en  vertu  de  laquelle  Eble,  sa  femme  Yvette,  qui 
avail  été  la  plus  obslinée  dans  la  résistance  aux  réclamations  de 
Geoffroy  de  Vendôme, leur  fils  Guillaume  et  leur  fille  Marguerite, 
consenlirenl  à  abandonner  l'Ile  d'Oléron  cl  reçurent  en  relourdes 
religieux  de  Vendôme  cenl  cinquante  livres  de  monnaie  poilevine. 
L'évêque,  pour  arriver  ù  ces  fins,  s'était,  avec  les  principaux 
membres  de  son  clergé,  rendu  à  Châlelaillon,  oii  le  seigneur  le 
reçut,enlouré  des  membres  de  sa  famille  elde  plusieurschevaliers 
de  sa  dépendance,  convoqués  pour  donner  plus  de  solennité  à 
l'accord  à  intervenir. 


la  soumission  dei  châteaux  de  Oenaugc  et  de  Saînl-Maeaire;  mais  cette  assertion  rsl 
infirmée  en  ce  i{ui  louche  Sainl-Macnire  par  une  fnoniioo  précise  qui  fait  partie  des 
élémcnls  de  dale  d'une  charte  du  carlulaire  de  Saint-Jean  d'Angély  de  ceUe  aonce 
109Ô. 


LES  COMTES  DE  POITOU 

Aussitôt  que  lo  légat  eut  élu  informé  do  sa  conclusion,  arrivée 
le  18  septembre,  il  y  avait  joint,  selon  l'usage,  su  propre  conlir- 
uiatioti  aliii  de  maintenir  ses  droits  de  liautc  juridiction  ecclé- 
siastique, et  en  avait  fait  pari  à  Geoffroy, 

11  ne  manquait  plus  à  cet  acteimporlaivt,  pour  qu'il  acquit  loule 
sa  valeur,  que  de  recevoir  Tapprobalion  du  comte  de  Poitou, 
agissant  en  qualité  de  seigneur  suzerain,  cl  prenant  une  fois  de 
plus  les  moines  de  Vendôme  et  leurs  biens  sous  sa  protection 
spéciale.  Il  se  trouvait  alors  au  château  de  lienon,  qu'il  avait  fait 
récemment  reconstruire  au  milieu  des  grandes  forêts  de  l'Aunis, 
et  qui  élait  à  la  fois  un  rende/. -vous  de  chasse  et  un  poste  militaire 
d'où  il  lui  était  facile  de  surveiller  les  seigneurs  de  CliAlelaillon 
qui  t**naieut  presque  tout  le  pays  sous  leur  domination.  C'est 
seulement  le  10  décemlire  qu'il  se  prononça.  Sa  compagnie  était 
biillante,  car  on  relève  auprès  de  lui  la  présence  de  nombreu- 
ses personnes  notables,  telles  que  sa  femme,  sa  mère,  Geof- 
froy de  Preuilly,  comte  de  Vendôme,  qui  avait  été  amené  par 
l'abbé  de  la  Trinité,  les  abbés  de  Saint-Maixent  et  de  Maiilezais, 
Hugues  de  Lusignan,  Airaeri  de  Hancon,  Guillaume  de  Mauzé, 
sénéchal  du  comte,  Hugues    de  Doué  et  (icolFroy  de  Taunay  (l)» 

Le  dernier  mot  sur  cette  alTasre  fut  dit  au  concile  de  Saintes 
tenu  au  mois  de  mars  1097  ;  l'assemblée,  présidée  par  Tarche- 
vOque  de  Bordeaux  et  où  se  trouvaient  les  archevêques  d'Auch 
et  de  Dol  et  quarante  et  un  autres  évêques  e l  abbés,  confirma 
solennellement  la  charte  du  duc  d'Aquitaine  (2). 

Il  se  peut  que  Guillaume  ait  assisté  à  celte  réunion,  bien 
qu'en  général  il  se  suit  tenu  assez  à  l'écart  de  ces  grandes  mani- 
festations religieuses  et  qu'il  ailchcrché  autant  que  possible  à  ne 
pas  se  mêler  des  affaires  conlenlieuses  qui  surgissaient  chaque 

(i)Métai8,  Cari,  saint,  de  la  Trinité  de  Vendôme,  pp.  50,  71  et  72;  Mifi^nc, 
Patroi.  lai.,  CLVIl,  col.  3/j  et  iSa. 

(2)  Métnis,  Çart.  saint,  de  la  Trinité  de  Vendiime,  p.  70.  Le  P.  LaLbe  a  com- 
mis une  erreur  {Concilia,  X,  col.  Gù4)  ea  maiûtenanl  à  ce  concile  la  Jale  de  logfl, 
que  lui  avait  fournie  lu  dccisioa  susdite, relatée  dans  la  chai-lc  de  l'abbaye  de  Vendôme 
r[ui  la  fi.xe  au  2  mars  (vi  des  nooes),  que  par  tiae  cbarle  de  Saial-Jean  d'Angély  (D. 
Fonicneau,  XIII,  p.  2o3),  qui  place  la  IcDue  du  concile  au  dimanche  où  Ton  chanic 
Lœlare,  lequel  correspond  va  1097  au  10  mars  (vi  des  tdes).  Les  deu.Y  scribes  ont 
suivi  l'usage  (jui  Jjiisnil  partir  de  IViquca  le  commencement  de  l'année,  car  ils  sont 
d'accord  sur  le  chiffre  de  l'indiclion,  qui  est  iv  et  se  rapporte  à  l'année  1097,  el  s'ils 
difTèreut  sur  la  date  conciliaire,  ce  doit  être  le  résullul  d'une  erreur  du  scribe  de 
\'ciidùiiie  H|ui  aurjil  tctil  le  vi  des  noues  au  lieu  du  vj  des  ides. 


OL'ILLAUME  LE  JEUNE 


4iî 


jour  cntro  les  églises  ou  les  monastères,  mais  il  ne  lui  élail  pas 
loujours  facile  d'échapper  à  leurs  sollicitations,  parliculièremonl 
lorsque,  dans  ses  voya^^es,  il  venail  prendre  gîle  dans  quelque  éla- 
blisseiivenl.C'esl  ainsi  qu'en  1007^  peul-ôtre  à  son  relour  de  Sjin- 
les,  se  trouvant  à  Sainl-Maixenl  avec  Eudes,  son  sénécliai,  qui 
venait  de  succéder  k  Guillaume  de  Mauzi^el  Hugues  de  Doué,  son 
fidèle  compagnon, ilassista  ùunuccord  en  vertu  duquollîugues  de 
Hocliefort,  pour  désintéresser  les  religieux  du  tort  qu'il  leur  avait 
causé  en  luanl  deux  de  leurs  serviteurs  alors  qu'ils  percevaieni  sur 
le  marché  de  la  ville  les  droits  qui  leur  étaient  dus  et  des  dôpré- 
dalionsquc  ses  gens  avaient  commises  à  celle  occasion,  renont;aen 
leur  faveur  àlasommede  200sou3  qu'ils  lui  donnaient  lorsqu'il  fai- 
sait hommage  à  l'abbé  doses  biens  patrimoniaux  (1).  Peul-êlre 
est-ce  à  ce  voyage  que  le  conile,  sollicité  par  les  moines  de  Sainl- 
Maixent,  se  rendit  b.  leur  chapitre  et  leur  abandonna  toutes  les 
coulumesqu'ilétailen  droit  de  posséder  sur  leur  terre  de  Homans. 
Hugues  de  Doué  y  était  présent  ainsi  qu'Hugues  le  veneur,  agent 
du  comte  pour  la  forêt  de  la  Sèvre,  qui  dépendait  en  partie  de 
lu  paroisse  de  Romans  (2).  A  partir  de  ce  moment,  et  pendant 
tout  le  reslanl  de  l'année  tÛ'JT,  la  présence  de  Guillaume  n'est 
plusconstalée  en  Poitou;  des  préoccupations  fort  graves  le  rete- 
naient par  ailleurs  (3). 

Lors  de  la  tenue  du  concile  de  Clermonl,  au  mois  de  novembre 
1095,  Raymond  de  Saint-Gilles  avait  fait  savoir  au  pape  qu'il 
avait  déjà  pris  la  croix  pour  la  délivrance  de  la  Terre-Sainte. 
La  plus  grande  partie  de  l'année  1096  se  passa  en  préparatifs, 
puis,  tout  étant  prêt,  il  partit  à  la  lin  d'octobre  à  la  tète  du  troi- 


(t)  A.  Ricbar<],  Chartes  de  Sainl-MaLrent,  I,  p.  2a6. 

(a)  A.  Richard,  Charles  de  Sainl-Muijceul,  I,  p.  ajO. 

(3  La  cbroiiiquc  do  SiMnl-.Maixeul  i .MiinliCfïay,  Chron.  îles  éol.  d'Anjon,  p.  4'3) 
rapporte  dans  uu  passoire  assez  obscur  que,  durant  celle  année  1097,  après  Pâques, 
r.irchevèquc  de  bordeaux  aurait  clc  Tnit  prisonnier  par  le  comte  de  Poitou.  D'après 
elle,  Aimé  aurait  clc  d'abord  eu  Eapa^iic  rétablir  le  culte  chrétien  dmis  lluescn,  dont 
Pierre,  roi  d'Ar^p^oo,  se  serait  emparé,  et,  le  jour  de  Pdquea,  il  aurail  consacré  pour 
cel  objet  le  temple  dea  infidèles.  Mais  elle  assif^c  à  ce  jour  la  date  des  ides  d'avril 
(r3  avril),  qui  fut  celle  de  la  féic  en  1096,  tandis  qu'eu  1097  elle  tomba  le  jour  des 
DODCS  3  avril).  Il  nous  paraît  à  peu  près  ccrlain  que  le  chruuiqucur  ou  sou  copiste 
aura  écrit  par  erreur  u  idibus  »  au  lieu  de  «  noois  »,  car  Aime  se  trouvait  à  Saintes 
le  jour  de  Pâques  iog<i  avec  le  pape  Urbain  II  cl  Iluesca  ne  fut  pris  que  le  25  no- 
vembre suivant;  enfin,  d'autre  part,  si  l'incarcération  du  légal  du  pape  a  eu  réellement 
lieUi  clic  DV  pourrait  que  se  rallachcr  aux  faits  dont  il  va  être  parlé. 


/)i6 


LES  COMTES  DE  POITOU 


sième  corps  des  Crois<!'s.  Il  eromenail  avec  lui  Elvire  de  Caslille, 
sa  Iroisiètne  femme,  et  son  jeune  fils,  lequel  devait  succomber 
dans  Icvoynge.  Avnnl  de  quitter  sos  6lals,  il  fil  la  déclaration 
solennelle  qu'il  n'y  reviendrait  plus  jamais,  voulant  passer  le 
restant  de  son  existence  en  Orient  au  service  de  la  cause  qu'il 
avait  embrassée. 

La  plupart  des  historiens  ont  allribu6  h  l'ardeur  tle  la  foi  du 
comte  de  Toulouse  nne  délermination  aussi  extraordinaire  ; 
pour  noire  pari,  nous  inclinons  à  y  voir  aulre  chose, et  en  parti- 
culier un  acte  do  celle  politique  ondoyante  dont  il  donna  plus 
tard  de  nombreux  témoignages.  Dans  son  for  intérieur,  il  ne 
devait  se  faire  aucune  illusion  sur  les  droits  de  sa  nièce  ;  celle- 
ci  était  bel  et  bien  l'héritière  du  comlé  de  Toulouse  et  il  n'était 
rien  moins  que  sur  qu'il  pût  résister  aux  forces  du  duc  d'Aqui- 
taine, accrues  par  les  intelligences  que  celui-ci  n'avait  pas  man- 
qué depuis  deux  ans  de  se  ménager  dans  le  pnys.  D'autre  pari,  il 
avait  dû  remettre  h  son  fils  aîné,  lîerlrand,  Je  comté  de  Sainl- 
(jillesel  toutes  les  seigneuries  de  Provence  qu'il  tenait  de  la  mère 
de  ce  dernier,  sa  première  épouse,  ce  qui  lui  avait  constitué 
une  situation  presque  égale  à  celle  que  la  possession  du  comté 
patrimonial  de  Toulouse  donnait  son  frère  Guillaunic.  En  cas 
d'échec  dans  une  lutte  qui  ne  pouvait  tardera  se  produire,  Ray- 
mond se  serait  trouvé  complèlemeni  dépouillé,et  avec  lui  sa  jeune 
femme  et  l'enfant  de  son  ûge  nu1r.  11  résolut  donc,  pendant  qu'il 
jotiissail  encore  d*une  grande  situation,  d'essayer,  comme  il 
y  réussit  du  reste,  de  leur  assurer  une  position  équivalente  en 
Orient.  Il  passa  tous  ses  droits  sur  le  Toulousain  à  son  fils  Ber- 
trand qui,  grftce  à  l'importance  des  domaines  dont  il  était  déj^i 
pourvu,  élait  bien  plus  que  lui  en  mesure  de  résister  aux  atta- 
ques du  duc  d'Aquitaine.  Il  le  fortifia  aussi  de  toute  la  sympathie 
morale  qu'il  avait  acquise  en  se  déclarant  pour  la  croisade  dès 
les  premiers  jours  de  sa  prédication,  sympathies  qui  se  mani- 
festaient surtout  dans  le  clergé  et  que  son  conseil  et  compa- 
gnon, Aymar,  l'évèqtie  du  l'uy,  n'avait  pas  peu  contribué  h  déve- 
lopper. KnOn,  et  ce  fut  toujours  le  point  délicat  de  toules  les 
grandes  expéditions  militaires,  lîaymond  ne  pouvait  manquer 
d'avoir  do  grands  besoins  d'argent;  il  dut  faire  appel  au  trésor 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


^.'7 


de  son  fils,  entre  les  uiuins  de  qui  le  comlé  de  Toulouse  devint  le 
gage  ou  la  rémunération  dos  avances  qu'il  avait  fuites. 

Bernard  s'6lait  donc  mis  en  possession  anticipée  de  rhéritage  de 
son  père  dès  la  fin  de  Tannée  1090,  mais  il  ne  larda  pas  à  s'aper- 
cevoir qu'il  lui  serait  promplemenl  contesté.  A  la  fin  de  l'année 
1097  ou  au  printeini>s  de  1008,  Guillaume.ayanl  terminé  ses  pré- 
paratifs^ se  jeta  inopinément  sur  le  territoire  du  comte  de  Tou- 
louse. Une  marche  rapide  l'amena  sous  les  murs  de  la  cité  dont 
il  s'empara  presque  sans  coup  férir.  La  résistance  semble  s'être 
concentrée  dans  le  bourg  de  Saint-Sernin»  contigu  à  l'enceinte  de 
la  ville,  qui  fui  ruiné  et  dont  la  magnifique  église  eut  à  subir 
de  grands  dommages  (1). 

On  ne  saurait  dire  jusqu'où  le  duc  d'Aquitaine  poussa  ses 
avaQlages,maîs  il  est  à  présumer  qu'il  se  maintint  dans  la  limite 
de  son  droit  et  qu'il  restreignit  son  occupation  au  patrimoine  de 
l'hilippie,  sans  chercher  à  s'étendre  à  l'Est  aux  dépens  de  Ber- 
trand; en  agissant  de  cette  sorte  son  entreprise  ne  prenait  pas  le 
caractère  d'une  conquête,  elle  était  simplemenl  la  conséquence 
d'une  juste  revendication.  C  est  ainsi,  du  reste,  qu'elle  fut  consi- 
dérée par  les  grands  seigneurs  laïques,  vassaux  du  comte  de  Tou- 
louse, qui  reconnurent  aussitôt  son  autorité, mais  il  en  fui  autre- 
ment de  certains  dignitaires  ecclésiastiques,  évoques  ou  abbés, 
qui  mirent  au  soutien  de  la  cause  de  Bertrand  toute  leur  ardeur 
religieuse.  Tel  fut  Géraud,évèquc  de  Cahors, qui,  dans  le  courant 
de  cette  année  10U8,  concéda  à  certains  chevaliers  des  portions 
du  domaine  épiscopai  afin  de  les  porter  à  résister  aux  préten- 
tions du  duc  d'Aquilaine.  Pour  lui,  le  domaine  envahi  est  celui 
de  Baymond  de  Saint-Gilles  qui,  dil-il,  est  allé  sur  l'ordre  du 
pape  délivrer  Jérusalem  et  le  Saint-Sépulcre  du  joug  des  barba- 
res inlidèles  (2). 


(i)D.  Vuissete,  ///*/.  de  Languedoc,  nouv,  éd.,  III,  p.  507,  et  V,  coi.  754. 

(a)  D.  Vaissele,  IUtt.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  III,  p.  Sog,  cl  V,  col.  703.  Les 
bitiloricos  du  Lua(;ucdoc  ool  pris  aciv  de  cette  iipposilion  et  de  celles  qui  He  produi- 
sirent par  la  suite  (sans  reuiarqucr  qu'elles  ctaicut  la  cooséquence  de  seDlimcnls  c|u 
ne  furent  pas  pariioulie»  à  celle  époque,  à  savoir  l'Iioatililc  des  g^ns  du  Midi  cuulre 
ceux  du  .\ard;,pour  prulester  coiilrc  la  Ic^aliié  des  prélentioos  de  Guillaume  VII  açis- 
Maul  au  nom  de  su  fcmiue.  \\a  ont  prélcndu  appliijuer  aux  réqioaB  du  Midi  le  priaci(>fl 
dit  Je  la  toi  >aUrpic,ipic  lÎL  valuir  au  xivo  sicclu  la  inaisoa royale  de  Franre,c'e9l-à-dire 
l'exdu^iiua  des  fcuiuic^  à  l'Ucrila^o  d'uu  liuf  de  dignité.  Uieu  que  li.  Vaiitsete,  reprc- 


4i8 


LES  COM  TES  DE  POITOU 


11  ressort  de  ces  paroli?s  que  Tévôque  de  Caliors  regardait 
comme  fictive  la  renonciation  de  Itayraond  au  comté  de  Toulouse 
et  qu'à  se?  yeux  Guillaume  de  Poitiers  n'était  qu'un  usurpateur 
et  un  violateur  dos  privilèges  solennellement  reconnus  aux  croi- 
sés. Suivant  leursconviclions  ou  leurs  iiilérètsles  pelils  seigneurs 
des  diverses  parties  du  comLé  prirent  parti  pour  ou  contre  le  duc 
d'Aquitaine  et  sa  femme.  Arm  de  s'attirer  des  adliércnls  dans  le 
clergé  ceux-ci  se  montrèrent  généreux  à  l'égard  de  Sainl-Sernin 
de  Toulouse,  le  plus  important  établissement  de  la  région.  Pour 
l'indemniser  des  perlescotisidérablos  qu'il  avait  subies  lors  de  la 
prise  de  la  villfjlslui  reconnurent  la  liberté  complèle  que  le  pape 
Urbain  II  avait,  avec  rassenlimcnl  de  liaymond  de  Sainl«Gtlles, 
solennellement  conférée  au  chapitre  le  24  mai  109G,  jour  de  la 
consécration  de  la  nouvelle  église;  ils  confirmèrent  aussi  toutes  les 
donations  que  leurs  prédécesseurs  avaient  précédemment  faites 
aux  chanoines,  leur  en  firent  de  nouvelles,  et  particulièremenl 
leur  accordèrent  le  droit  de  prélever  une  jointôe  de  grain  sur  cha- 
que seller  qui  serait  apporté  par  des  étrangers  pour  être  vendu 
dans  la  ville  ou  dans  son  faubourg.  On  ne  saurait  toutefois  dire 


scnlant  du  patriollsme  local,  pcnchill  vers  celte  manière  de  voir,  il  ne  put  s'empéchcr, 
à  diverses  reprises,  de  consUUer  l'existeace  de  faits  r>nlraircs  à  cette  théorie  que  ses 
retiierclies  dans  l'histoire  de  la  province  lui  faisaieat  journellement  rencontrer.  Ainsi 
il  dit  (tunie  Itl,  paçc  4o')-  «  ^^-^  filles  siiccêdèreal  non  seulement  nux  fiefs  ordinai- 
«  res  diiraal  le  xr  siècle  et  le  suivaat,  mais  encore  à  ceax  de  dijjnitè:  In  province 
«  cti  foiiruil  divers  exemples,  autre  autres  ceux  de  IJerlhe,  comtesse  de  llouerpue  cl 
^^  (iiarijuise  de  (iolhie,  de  Garseinde  de  Bézicrs  et  d'Ermenifnrde  de  Carcassonnc.  » 
Un  pourrait  ajouter  ù  ces  exemples  celui  de  la  fille  du  comte  de  Provence,  mère  de 
I  Jertraiid,  et  su rtoulceluid'Aliéuord" Aquitaine,  la  pelile-Glle  de  Guillauuic.I).  VaiRsetCi 
pjur  trouver  une  explication  plausible  h  l'occupation  du  comté  de  Toulouse  par  Ray- 
mond de  Saint-tiilles,  en  est  réduit  à  sufipjser  u  une  substitution  énoncée  dans  le  tcs- 
«  lament  de  l'oas  (père  de  Guillautne  I\'  et  de  Raymond)  que  nous  n'avons  pas  (IV, 
«  p.  ly^i)».!!  trouve  celle-ci  toute  naturelle!  et  il  conclut  ainsi:  «  il  paraît  indiscu- 
«  table  que  celte  successioo  lui  était  dévolue  (à  Raymond  de  Saint-Gilles)  ^l'exclusion 
«  de  l*bilippie,SEi  nièce;  cette  «leratère  J'en  laissa  en  efFel  paisible  possesseur  après  la 
«  mort  du  comte  sou  père,  sans  qu'il  paraisse  qu'elle  ail  fait  la  moindre  démarche 
a  pour  faire  valoir  ses  prélentiou»  jusqucs  h  ce  que  Haimond  étant  absent  et  occupé 
«  aux  g-ucrrcs  «i  Oiilre-.Vler,  elle  ou  !c  comte  de  Poitiers,  son  mari,  lirenl  une  Icntn- 
«  itve  sur  le  comté  de  Toulouse  (lit,  p.  4^7)'  »  U-  Vaisscle,  en  écrivant  ces  lignes, 
oubliait  qu'au  moriicnt  de  la  mort  de  son  père  Pbilipijie  était  la  femme  de  Sancbe 
d'.-Vragou,  qui  semble  au  contraire  avoir  eu  l'intention  de  revendiquer  l'héritasse  de  sa 
fenmie,  cpie  celle-ci  restée  veuve  n'avait  aucun  moyeu  d'action  pour  arriver  h  celle 
lin,  et  que,  si  Guillaume  se  tint  coi  pendant  deux  ans,  on  peut  attribuer  son  inaction 
aussi  bien  à  des  dcinarches  personnelles  de  Raymond  qu'à  une  pensée  politique  chez 
le  duc  d'Aquitaine  qui  voulait  ne  rien  brusquer  et  n'agir  que  quand  il  sérail  sûr  du 
résultat. 


GUILLAUME  Llî  JEUNE 


4<9 


que  ces  concessions  furent  gralniles,  car  les  chanoines  lirèronl  de 
leur  Irésor  qnalre  livres  et  demie  d'or  et  800  sous  lonlonsains 
dont  ils  firent  cadeau  au  duc.  Os  conventions,  si  pr<5cieuses  pour 
Sainl-Sernin,  furent  passives  au  mois  de  juillet  !098,  en  présence 
d'Adémar,  vicomte  de  Toulouse,  et  de  Bernard,  vicomte  de 
Béziers.  puissants  foudntaires  du  comté  et  qui  s'associaient  ainsi 
aux  actes  de  leur  nouveau  suzerain  (\). 

Il  est  à  croire  que  Guillaume  avait  dû  afTecter  l'un  et  l'autre  à 
la  défense  de  ses  nouvollos  possessions,  car.  assuré  que  sa  con- 
quête serait  bien  gardée,  il  put,  dès  le  printemps,  revenir  dans 
SOS  étals  patrimoniaux.  Le  16  mai  1098  nous  le  retrouvons  dans 
le  Talmondais,  Par  suite  de  la  mort  de  Pépin,  ce  grand  (ief  était 
tombé  en  rachat  et  le  comte  de  Poitou  y  jouissait  personnelle- 
ment de  tous  les  droits.  En  sa  double  qualité  de  seigneur  direct 
et  de  suzerain,  il  approuva  un  legs  que  Pépin  avait  fait  à  l'abbaye 
de  Sainte-Croix  de  Talmond,  et  en  même  temps  confirma  toutes 
les  dispositions  que  les  prédécesseurs  de  Pépin  avaient  pu  prendre 
en  faveur  de  l'abbaye.  Mais  en  roi  ou  r  il  ne  négligea  pas  de  s'assurer 
II*  bénéfice  des  prières  des  religieux  qui  lui  accordèrent  le  privi- 
lège de  la  société  ou  de  l'association  avec  eux,  en  vertu  de  quoi 
ils  devaient,  durant  tout  le  temps  de  son  existence,  chanter  chaque 
semaine  une  messe  pour  la  prospérité  de  ses  entreprises  et  de 
plus  célébrer  un  service  annuel  pour  l'âme  de  son  père.  De  sa 
propre  main  il  traça  une  croix  sur  la  charte  qui  stipulait  ces  obli- 
gations et  les  concj^ssions  qui  leur  avaient  donné  naissance  (2), 

La  présence  de  Guillaume  dans  ce  pays  était  toute  fortuite,  et 
ce  qui  le  prouve  c'est  qu'on  ne  relève  dans  son  entourage  aucun 
nom  de  personnage  notable,  il  n'y  a  que  des  barons  ou  des  che- 
valiers de  la  région.  Lors  de  ce  voyage,  une  autre  affaire  fut  aussi 
portée  devant  lui  ;  c'était  une  contestation  entre  religieux.  Pépin 
avait  légué  aux  moines  de  Sainte-Croix  une  portion  de  marais 

(i)  D.  Vaissele,  f/ist.  de  Langnedor,  nouv.  fd.,  V,  col,  754.  Palustre,  qui  ne 
nous  paraît  pas  avoir  judicifuscmenl  inlerprclé  les  lermrs  de  la  charte  de  juillet 
1098  {llist.  de  Guillaume  /.V,  pp.  280-282  el  a83,  note  2),  fait  succomber,  dans  Is 
lutte  qui  eut  Saiul-Sernin  pour  théâtre,  Pierre  d'Andouque,  évêque  de  Pampelune 
(qu'il  nomme  Pierre  de  Rota);  or  ce  prélat  assista  en  11 10  à  une  donation  qui  est 
insérée  dans  le  cartulaire  de  Conques  (éd.  Desjardins,  p.  35o)  et  Fui  tué  seulement 
eo  Tii4  dans  une  sédition  dont  il  sera  parlé  plus  loin. 

(a)  Cari,  de  Talmond ,  p.  aoa. 


4x0 


LES  COMTES  DE  POITOU 


qu'il  avaiL  enlevée  à  ceux  de  Maruiùuliiir,  lesquels  la  revciidi- 
quuietit.  Mais  Guillaume,  que  ces  derniers  s'ùluieiiL  rendus  favo- 
rable en  lui  faisant  des  cadeaux,  se  dégagea  d'eux  el  délégua 
ses  pouvoirs  h  Eudes  de  la  Hoche,  qui,  vu  la  diflicullé  de  décider 
enlre  les  parties,  ordonna  qu'il  serait  procédé  à  un  duel  dont 
l'issue  donnerait  raison  au  vainquiiur  (1). 

Le  comte,  qui  ne  pouvait  luire  qu'un  court  séjour  dans  le  pays, 
n'assista  pas  à  celte  lutte  cl,  ses  alVaires  terminées,  il  reparlil;  en 
passant  pur  Saint-Michel  en  Lherm,  il  pril  à  sa  suite  l'abbé  Gué- 
rin,  et  arriva  à  Saintes,  où  il  trouva  Aimé,  Tarchevôque  de 
Bordeaux,  el  Simon,  Tôvêque  d'Agen;  ces  prélats  assistèrent 
avec  lui  à  un  accord  qui  se  fil  enlre  les  religieuses  de  Noire-Dame 
de  Saintes  et  son  Udèle  Geoffroy  de  Taunay,  à  qui  elles  donnèrent 
10.000  sous  pour  l'abandon  de  ses  droits  sur  le  domaine  de 
Balenzac  (2). 

L'époque  du  passage  du  comte  à  Saintes  est  fixée  par  celle  du 
séjour  qu'il  lit  à  Sainte-Gemme;  c'était  à  la  fin  de  juin  ou  au 
commencement  de  juillel,  alors  que  la  prise  d'Anlioche  par  les 
croisés,  advenue  le  8  juin,  élyil  déjà  parvenue  en  Occident.  A 
celle  date,  il  lit  don  au  prieuré  de  Sainle-Geuime,  où  il  avait  assu- 
rément pris  gîle,  de  divers  biens  el  entre  autres  de  relais  de  mer 
sur  les  bords  delà  Seudre,  entre  leGuù  et  le  Chapus.  Les  seules 
personnes  nolables  que  Ton  voie  assister  à  cet  acle  sont  Uobert,  le 
prévôt  de  Saintes,  el  Guillaume  de  Mauzé  ;  évidemmeuLle  comte 
retournait  hâtivement  dans  le  Midi  avec  une  su i le  toute  militaire  {3). 

On  a  vu  que,  dans  ce  mois  de  juillet  1 0U8,  il  se  trouvait  à  Tou- 
louse, mais  il  n'y  fit  pas  un  long  séjour.  La  soif  des  aventures  le 
tenait  el,  au  mois  de  septembre,  on  le  rencontre  dans  l'armée  de 


(i)  Morcl»c«;ay,  Cari,  du  Uus-Poitoii,  p.  loi,  prieure  de  FoolaÎDCS.  Le  même  édi- 
teur a  donné  uuc  Iraduclioii  fruuçaisc  de  cet  ucte  dans  la  Revue  des  provinces  de 
l'Ouest  (ve  auuce,  18Ô7,  p.  afiy),  rcimprjince  dans  ses  .Yotices  el  pièces  hisloriqaes 
sur  i'Anjuu  el  le  Paituu,  1872,  p.  173.  Celle  Iraducliou  ent  précédée  d'une  relation 
détaillée  du  duel,  quelque  pou  l'anlaiiiiâlc,  car  il  y  est  dit  que  les  chaa)pion.<i,  protCifC9 
par  un  bouclier,  lullèrcDl  aveu  des  bdluiis,  taudi»  que  le  texte  de  la  cliuric  précise  qu'ils 
eujnbaUirenl  à  C(ju])S  de  poinj^s:  u    Al  uLi  puj^ilcs  cualru  ne  ad  puçnani  vcneaint  ». 

(a)  Curl.  de  Nolre-Dainc  de  Saintes,  p,  84-  *^cl  acte  n'es»!  pas  daté,  mais  il  est  du 
lenijis  d'Urbain  II,  c'esl-ù-dire  unlcricur  à  ior)ij,  et  la  (jualiticnliou  de  ^'loricux,  «  ^lo- 
riosus  u,  qui  y  est  dounéc  à  Guiliuuine,  duil  se  rapporter  à  l'époque  où  il  fut  à  l'apo- 
gée de  sa  Foriuoe,  c'csl-à-dire  après  la  conquête  de  Toulouse. 

(3)  Ucsiy,  f/ist.   des  comtcx,  jircuvcs,  j).  411, 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


4*1 


Oiiillaiime  le  Roux,  roi  fl'AnpiIelerro,  sr»  mManl  h  la  qnoroîle  de 
rf*  princo  avnc  If»  roi  di^  Franco.  Dans  sa  compaf:^!!^,  il  assista 
aux  sièfijes  infrurlueux  di>  MonlTort  FAmaury  et  d'Epernon,  et 
quand  rfiiiilaiimc  io  Houx,  dôpilé  par  ces  écliPCs,  prétexta  dos 
afTairoiS  nrf^enles  pnur  conclure  nnc  tri^ve  avec  ses  adversaires  et 
rnlournor  en  Angleterre,  le  comte  de  Poitou  se  trouva  conlrainl 
d'ajjandonnor  aussi  la  partie.  On  ne  sait  k  quoi  atlribuer  cette 
fugue.  Avait-il  des  motifs  particuliers  d'inîmîtii'i  contre  le  roi 
Philippe,  ou  bien,  du  cbof  de  sa  femme,  fiUe  d'Edme  de  Mor- 
tain,lui  (Mail-il  advenu  en  Normandiedesinlfirèls particuliers  qui 
se  trouvaient  menacés?  Les  liislorîens  du  temps  ne  nous  ont  là- 
dessus  rien  laissé  entrevoir  (1). 

S'éloigner  de  ses  états,  ainsi  que  le  faisait  Guillaume,  sans  t[re 
couvert  par  l'immunité  spéciale  des  croisés,  aurait  été  fort  péril- 
leux, s'il  ne  s'était  senti  garanti  en  Toulousain  par  la  présence  de 
sa  femme,  en  .Aquilaine  par  quelque  fidèle,  jouant  h  son  égard 
le  rôle  du  comte  de  la  Marche  auprès  de  tîuy-GeolTroy  ;  peut- 
Èlre  avait-il  chargé  de  ce  soin  (iuillaume  Taillefer,  comte 
d'Angoul<;me,àqui,  au  commencement  de  l'année  1099,  en  témoi- 
gnage dps  sentiments  d'aiïeclion  qu'il  avait  pour  lui,  il  fil  cadeau 
de  la  villa  de  Chasseneuitelile  la  rue  qui  Iravrrsait  le  pont  .Joubert 
de  Poitiers.  Le  comte  d'Angoulème  Iransmtl  aussilAt  ce  don  à 
l'abbaye  de  Saint -Amant  de  noixe,qui  obtint  de  l'évt'^que  de  Poi- 
tiers et  de  son  cbapiire  cRJbédral  qu'ils  complélassent  cet  acte 
par  l'abandon  de  l'église  de  Saint-Clément  de  (^hasseneuil  (2). 

La  présence  continue  delà  comtesse  à  Toulouse  produisait  de 

(r)  Orcîerîc  Vilal,  ffi»{.  ecclén.,  IV,  p,  aS. 

(a)  Uesly,  £i'esqiie.t  </f  Poicltem,  jip.  71-76.  La  cliarle  da  <luc  d'Aquîlaîoé  n'a  pas 
il'irKlicatiuns  chronolns(i<jucs,  mais  ccHc  de  rt-vèiiuc,  «pii  lui  est  de  peu  poslcrieurc, 
porte  la  tliilc  du  2  des  faltodes  d'uvril  to<48  {'il  macs  iu()<|).  Cel  ncle  ofFre  cet  iulcrci 
lout  particulier  qu'il  dcniontre  <|u'i\  ccUe  époque  il  étoil  d'iisa>çc  dans  la  cliaiicclierie 
de  Icvfque  de  F^oilier»  de  faire  commencer  l'an  n<ïe  à  l'âques.  Il  8cmlil<îi«it,8i  l'on  s'eu 
Ucnl  seiitcmenl  aux  indicntiiins  cliri>D<)losfif|ucs  ntimc-rales,  qu'il  a|>f)arlic«U  s«ns  con- 
lesle  .i  l'urtDPc  loyS,  Pâques  élanl  (orobè  celle  nonée-là  le  a8  mars,  niais  à  la  suite  se 
i'f»uvc  !c  chift'rc  vu  pour  l'indiclion, lequel  correspond  ii  l'aunce  loiiçj.  Or,  eu  creuKaut 
]n  quesiion  de  pins  pics,  on  s'nfif n.fiil  (pie  ranuéc  ior>8,  vieux  style,  a  compté  deux 
calendes  d'avril;  en  cflel,  en  i<i<|(),  nouveau  slyle,  Pàquts  tomba  le  11  avril,  si  bien 
que  c'est  à  cette  daie  KPulenient  »pic  se  icrmina  l'année  1098,  vieux  style,  commencée 
le  aS  mars  de  l'année  prrccdenic;  lechillie  derindiclionscid|inuvait  diredans  laquelle 
dea  deux  années  se  trouvait  le  2  des  calendes  d'avril  de  notre  charte, et  comme  oechiflre, 
qui  est  vu,  correspond  à  l'année  iDf)r),  il  s'en  suit  que  noire  jour  du  2  des  calendes  d'avril 
diiit  être  placé  dans  cette  année  1099. 


422  LES  COMTES  DE  POITOU 

son  côté  les  plus  heureux  effets  ;  elle  y  régnait  absolument  en 
souveraine  el,  comme  telle,  elle  disposait  à  son  gré  du  domaine 
de  ses  ancêtres.  C'est  ainsi  que  par  dévotion  pour  saint  Satur- 
nin el  assurément  aussi  pour  attacher  encore  plus  étroitement 
à  sa  personne  les  chanoines  de  sa  collégiale,  elle  accrut  le  don 
qu'elle  et  son  mari  leur  avaient  précédemment  fait,  el  particuliè- 
rement elle  augmentâtes  droits  de  franchise  dont  ils  jouissaient 
dans  le  bourg  de  Saint-Sernin.  Ses  inspirateurs,  ceux  dont  elle 
avait  pris  conseil,  étaient  Munion,  le  prévôt  de  Saint-Sernin,  el 
Hobert  d'Arbrissel,  qui  débutait  dans  la  grande  voie  de  propa- 
gande de  ses  doctrines  et  s'était  créé  dans  Munion  un  adepte 
zélé  (i).  La  comtesse  disposa  encore,  pour  répondre  à  d'autres 
sollicitations,  de  l'alleu  et  de  l'église  de  Sainl-Médard  de  Fe- 
nouillet  en  faveur  de  l'abbé  de  Maillezais  (2). 

Dans  ce  môme  temps,  c'est-à-dire  durant  l'année  1099,  Philip- 
pie  mit  au  monde  un  fils,  à  qui,  conformément  à  l'usage  suivi 
dans  la  famille  comlale  poitevine,  fut  donné  le  nom  de  Guil- 
laume. Par  une  coïncidence  heureuse  ce  nom  se  trouvait  être 
celui  de  son  aïeul,  le  précédent  comte  de  Toulouse,  et,  par  ce  fait, 
les  destinées  des  deux  races  semblaient  venir  se  confondre  natu- 
rellement sur  la  môme  tête  (3). 

Malgré  la  violence   des  termes    employés   par    l'évêque    de 


(i)  D.  Vaisselp,  llist.  de  fjinffiiedoc,  nouv,,  éd.,  V,  col.  706. 

(2)  Lacurie, ///s/,  dn  Maillesais,  preuves,  p.  246.  Dans  cel  acle  Guillaume  prend 
le  titre  de  comte  des  Poitevins  et  des  Toulousains.  Le  nom  Je  Pabbé  de  Maillezais  est 
omis  dans  la  cliartc,  bien  que  celle-ci  énonce  que  la  donation  fut  faite  dans  sa  main  ; 
or,  c'est  vers  cette  éf)0(jue  que  Pierre,  un  personnas^e  très  lettré,  qui  faisait  ses  délices 
de  la  lecture  de  Cicéron,fut  élu  abbé  de  Maillezais, et  par  sui^c  n'y  aurait-il  point  lieu 
de  le  rattacher  plus  ou  moins  étroitement  au  particulier  désigné  sous  le  nom  de 
Pierre  de  Muret,  qui  vient  en  tète  des  témoins  de  l'acte,  immédiatement  avant  Foucber, 
le  prieur  de  Maillezais. 

(3)  Marcbe,!j;ay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  419.  Sainl-Maixent.En  ne  parlant  que 
de  la  seule  naissance  de  Guillaume  pendant  l'année  10^)9,  nous  nous  heurtons  Hl'opinioD 
univcrsellcrnenl  admise  qui  veut  que  Philippie  ait,  dans  le  courant  de  cetleannée  log^), 
donné  le  jour  à  deux  i^arrons,  Guillaume  et  Kaymond.Le  fait  n'est  pas  douteux  pour 
Guillaume,  mais  il  en  est  tout  aulremeut  par  rapport  i\  son  frère  ou,  du  moins,  c'est  ce 
qui  nous  paraît  résulter  du  texte  même  de  la  chronique  qui  est  ainsi  conçu  :  t  logg. 
(c  Willelmo  comili  nalus  est  filius,  equivorc  Guillclmus  vocatus.  Ex  supradicta  cun- 

((  ju<rc  habuit  quoqucquinque  filias Nnvissimcçenuil  apud  Tbolosam  utcrinuin, 

«  videlicet  Raimundum Selon  nous  Raymond  a  dû  naître  vers  1 1 14.  Trente  ans 

après,  dans  une  charte  de  S:iint-Jpao  d'-Vuifcly  (liesly,  Hist.  des  comtes,  preuves, 
p.  4(>3),  Guillaume  VIII  rappelait  avec  insistance  qu'il  était  issu  d'une  mère  toulou- 
saine, ce  qui  pouvait  prêter  à  beaucoup  de  sous-eotendus  de  sa  part. 


GUILLAUME  LE  JliUNE 


4«î 


: 


Cahors  pour  caractériser  la  conduiledii  comledePoilou  à  l'égard 
de  son  cousin  Borlrand,  il  ne  paraît  pas  que  Guillaume  ail  été 
frappé  des  censures  ecclésiasli(|ues  et  particulièrement  de  la 
peine  de  l'excommunication  dont  l'autorité  épiscopale,el  en  par- 
ticulier le  (iiipe  Urbain  H,  l'iaionl  alors  si  prodif^uies.  Toutefois  le 
clergé  loulousain  dissident  dut  faire  des  lentalivcs  auprès  du 
pape  pour  arriver  à  cerésuUal,  et  nous  ne  serions  pas  élonné  que 
c*est  à  la  préoccupation  d'arrêter  ces  menées  que  sont  dus  le 
voyage  à  Home  de  Pierre,  l'évèquede  Poiliers, au  commencement 
de  l'année  i(iOl),  et  le  long  séjour  qu'il  y  fit.  Il  s'y  trouvait  lors 
du  concile  que  le  pape  tint  dans  celte  ville  le  29  avril  et  il  n'était 
pas  de  retour  au  siège  de  son  évêclié  le  29  juin,  lors  du  synode 
qu'y  présida  Aimé,  l'archevêque  de  Bordeaux;  on  ne  conslule  sa 
présence  en  Poitou  qu'à  l'époque  de  la  saint  Luc  (1).  Chargé  de 
traiter  auprès  de  la  cour  pontificale  toutes  les  affaires  de  la 
région,  c'est  lui,  sans  nul  doute,  qui  obtint  le  27  avril  une  bulle 
par  laquelle  le  pape  conllruiait  tous  les  privilèges  accordés  par 
les  comtes  de  Poilou,  ducs  d'Aquitaine,  à  l'église  de  Sainle-Croix 
de  Bordeaux  (2). 

Le  retour  de  l'évcque  de  Poitiers  concorda  peut-être  avec  le 
grand  événement  qui  marqua  cette  année  d'une  date  ineiïaçable. 

Le  15  juillet  1099,  Jérusalem  était  tombée  aux  mains  des  Croi- 
sés. La  nouvelle  do  ce  résultai,  si  anxieusement  atlendu,  de  tant 
de  prodigieux  eiïorls,  arriva  en  Occident,  grossie  par  les  récits 
merveilleux  qui  accompagnenl  loule  expédition  loinluine  el  celle- 
ci,  par  son  caractère  spécial,  agissait  plus  que  toute  autre  sur 
l'imagination  populaire.  Aussi,  bien  des  seigneurs  qui  avaient 
résisté  au  premier  entraînement,  à  l'excitation  des  paroles 
d'Urbain  lî  cl  de  ses  ardents  disciples,  se  scntirenl-i!s  émus  el  à 
leur  tour  se  résolurent-ils  à  j>arlir.  Beaucoup  marcliuienl  pous- 
sés par  l'impulsion  intime  de  leur  foi  religieuse,  si  vivace  au  mi- 
lieu des  débordements  de  l'époque,  mais  d'autres  étaient  entral- 


(j)  Marclicyay,  Corl.  dti  Bna-Poilott,  [>,  71,  prieuré  cl'Ai7.coay.  Lcm  gynod»  de 
révoque  de  l'oilÙTS  se  tcnaicnl  deux  fois  l'an,  le  jeudi, jour  de  In  fétc  do  l'AHcenNion, 
el  le  jeudi  après  l<i  icic  de  sainl  Luc  qui  se  célèbre  le  18  octobre.  (Arcd.  do  \a  Vieutie, 
Ci.   10). 

{2)  Archioes  hiit.  de  la  Gironde,  \\,  p.  100. 


ht\ 


LES  œMTES  DE  POITOU 


nés  par  des  motifs  moins  noblfs  ;  ceux-lft  cYlairnl  les  coureurs 
d'avenlurps,  de  braves  p^uerriers  qui  cborchaipnl  dans  un  incon- 
nu plein  de  périls  l'occasion  de  nouvelles  jouissances  :  parmi  ces 
derniers  il  convient  de  placer  le  duc  d'Aqiiilaine.  Mais  pour  tenir 
un  ran^  diji^ne  de  lui  dans  l'expédition  qui  se  prépara  aussitôt 
pour  renforcer  les  rangs  des  vainqueurs»  il  ne  convenait  pas  que 
le  duc  partît  avec  une  simple  escorte,  il  lui  fallait  une  arm<^e 
qu'il  pût  diriger  et  dont  il  serait  le  seul  et  véritable  cbef.  Pour 
arriver  h  ces  fins  il  était  contraint  de  s'adresser  fi  ses  vassaux  et 
par  suite  de  profiter  de  toutes  les  circonshinces  où  il  pourrait  se 
mellre  en  rapport  avec  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux.  C'est 
dans  ce  but  intéressé  que,  laissant  encore  une  foisPbilippie  seule 
à  Toulouse,  il  se  rendit  en  Bas-Poitou  pour  assister  h  la  béné- 
diction solennelle  de  l'église  delà  Chaise. 

Le  vicomie  de  Thouars,  llerberl,  continuant  l'œuvre  de  son 
père,  avait  comblé  de  dons  ce  petit  monastère  et  de  plus  avait  fait 
poursuivre  activement  les  constructions  de  l'église  qui  s'édifiait 
sous  la  direction  d'un  moine  nommé  Jean.  La  dédicace  en  avait 
été  fixée  au  7  décembre  1099  et  devait  Ôlre  faite  par  l'évoque  de 
Poitiers,  ce  qui  s'exécuta  de  point  en  point.  La  plus  grande 
partie  des  barons  et  des  vassaux  du  vicomte  de  Thouars  et  les 
nombreux  officiers  de  sa  maison  assistèrent  à  la  cérémonie  qui 
dura  deux  jours,  le  Cet  le  7  décembre;  l'affluence  de  monde  fui 
telle  que  les  vieux  barons  disaient  ne  pas  en  avoir  vu  de  sembla- 
ble depuis  la  dédicace  de  l'abbaye  de  Charroux,  en  10G7.  L'oc- 
casion qui  s'olTrait  était  trop  favorable  pour  que  le  duc  d'Aquitaine 
la  mauipiAl;  il  se  Irouvadoncà  celle  solennité  en  compagnie  de  sa 
mère  Audéarde  qui  conlinuailà  résider  en  Poilou,  et  il  y  a  tout 
lieu  de  croire  qu'entre  le  duc  elle  vicomt<îde  Thouars  furent  arrê- 
tées les  bases  de  la  convention  qui  devait  les  mener  Tannée  sui- 
vante, l'un  eU'autre,  sur  le  chemin  de  Jérusalem  (I)- 

Toutefois,  ciimmennusl'avons  dit,  ce  n'est  pas  en  simple  p?îlerin 
que  Guillaume  couiptait  partir  pour  les  Lieux-Saints,  mais  bien 
en  prince,  presque  en  roi,  accompagné  de  fidèles  compagnons 


(i)  Marchegay,  Cart.  da  Bas-Poitou,  pp.  0,   20  et.  ?>\i,  \a  Chfiîse-le- Vicomte  ; 
Chi'on.  des  éjl.  d'Anjou,  p.  Hg,  La  Chaise-le-Vicomlc. 


GUILLAUME  LE  JEL^NE 


435 


farmos;  nfin  do  répondre  nux  exif^oncos  dn  cotto  siluatior»  ot  de 
plus  pour  sfilisfiirG  iï  ses  goiVls  d«^  liixp,  il  lui  fallaiL  de  TarfîPnl, 
bpaucoiip  d'argonl.  Pour  s'on  procurer,  il  se  Lourna  vers  le  roi 
d'Angleterre,  Guillaumo  le  Houx.  Lors  de  la  campagne  qu'ils 
avaieril  faite  ensemble,  l'annin:?  prt^cédenle,  il  avait  pu  se  rensei- 
gner sur  les  ressources  de  ce  prince;  il  savait  pcrlinemmenl 
qu'il  avait  donné  10,000  marcs  d'argent  à  son  frfcre  Robert 
Coinie-lleusc  lorsque,  quatre  ans  auparavant,  celui-ci  était 
parti  pour  la  Terre-Sainte.  Celte  somme,  qui  représentai t  plus 
de  Irois  millions  de  francs  de  noire  monnaie,  Uoberl  l'avai! 
obtenue  en  engageant  h  son  frère  son  duch6  de  Normandie  pour 
cinq  ans.  Guillaume,  s'inspîrant  de  ce  précédent,  fil  des  démar- 
ches auprès  du  roi  d'Angleterre  qui  fut  ébloui  par  l'horizon  que 
lui  ouvraient  ces  avances.  Au  fond  du  cœur  il  était  résolu,  ain!*i 
que  l'événement  le  prouva,  à  no  pas  restituer  la  Normandie  ;\ 
Uoberl  Courte-lieuse  ;  aussi,  dul-il  augurer  qu'il  pourrait  agir 
de  pareille  sorte  à  l'égard  du  duc  d'Aquilaine  et  qu'il  lui  serait 
possible  de  réunir  ses  magnifiques  étals  à  ceux  que  sa  déci- 
sion bien  arrêtée  de  reconstituer  à  son  profil  tout  l'Iiéritage 
de  Guillaume  le  Conquérant  allait  raellre  entre  ses  mains.  Par 
suite,  il  accueillit  avec  faveur  les  propositions  de  Guillaume, 
pendant  que  celui-ci,  déclarant  qu'il  voulait  venir  en  aide  au  roi 
de  Jérusalem  dont  le  trône  était  chaque  jour  menacé  pnr  les 
Infidfîles,  faisait  proclamer  la  guerre  aainle  dans  son  duché. 
Dans  le  courant  de  l'elé,  le  roi  d'Angleterre  réunit  donc  une 
grande  flotte  et,  d'autre  part,  il  rassembla  une  armée  formidable 
dans  le  double  but  d'empéclier  son  frère,  qui  revenait  alors  de 
rOrienl,  de  rentrer  dansses  domaines,  et  de  s'assurer  les  places 
principales  de  l'Aquitaine  aussitôt  qu'il  aurait  versé  entre  les 
mains  du  duc  le  subside  convenu  enln;  eux.  Il  se  croyait  telle- 
menl  sûr  de  son  fait  et  si  près  d'arriver  au  but  qu'il  poursui- 
vait qu'un  de  ses  familiers  lui  ayant  demandé,  alors  qtfd  fai- 
sait ces  préparatifs,  où  il  complail  célébrer  ctUte  année  la  fêle 
de  iXoél,  il  répondit:  \  Po)liers(t). 

Mais  l'événement  trompa  toutes  les  prévisions  :  le  2  août  de  celle 


(i)  Orderic  Vilal,  Hi$t.  eccléM,,  éd.  Le  Prévost,  IV,  p.  8o  et  note  t. 


426  LES  COMTES  DE  POITOU 

année  HOO,  quelques  jours  avant  son  départ  annoncé  de  l'Angle- 
terre, Guillaume  le  Roux  élantà  la  chasse,  un  personnage  de  sa  sui- 
te, Gautier  Tirel,  seigneur  de  Poix,  le  tua  par  accident  (1).  Ce  coup 
de  théâtre  dérangea  toutes  les  combinaisons  du  duc  d'Aquitaine, 
mais  il  était  trop  avancé  pour  reculer;  du  reste,  pour  se  ména- 
ger de  plus  grandes  ressources,  il  venait  de  commettre  un  acte 
impolitique  qui  fut  plus  tard  pour  lui  la  source  de  grands  ennuis  et 
l'occasion  de  luîtes  ardentes.  En  même  temps  qu'il  négociait  avec 
le  roi  d'Angleterre,  il  avait  traité  avec  Bertrand  de  Saint-Gilles 
et  lui  avait  abandonné  le  comté  de  Toulouse.  Nous  ne  saurions 
dire  quelle  est  la  nature  de  l'accord  qui  fut  conclu  entre  les  deux 
comtes,  rien  n'a  transpiré  à  ce  sujet,  mais  l'on  doit  croire  que  la 
somme  versée  par  Bertrand  fut  considérable,  car  il  ne  paraît  pas 
que  Guillaume  ait  par  trop  pressuré  ses  sujets  et  particulièrement 
les  établissements  religieux,  comme  il  élait  d'usage  en  pareilles 
circonstances. 

Nier  cette  convention  à  défaut  d'en  connaître  les  termes  serait 
aller,  ce  nous  semble,  contre  toule  vérité  historique.  Guillaume 
ne  put  effectuer  son  départ  sans  avoir  de  grosses  sommes  à  sa 
disposition,  or,  pour  s'en  procurer,  la  seule  ressource  à  la- 
quelle il  put  recourir,  celle  qui  fut  alors  universellement  prati- 
quée, aussi  bien  par  les  hauts  barons  que  parles  chevaliers  ou 
même  les  simples  particuliers,  ce  fut  de  vendre  ses  biens  ou  de 
les  mettre  en  gage  (2).  C'est  à  la  première  combinaison  qu'il 
s'arrêta  et  il  apparaît  par  tous  les  textes  que  le  seul  domaine 
dont  le  duc  d'Aquitaine  se  soit  alors  dessaisi,  c'est  de  son  comté 
deToulouse.  On  ne  saurait  dire  que  celui-ci  passa  aux  mains  de 
Bertrand  de  Saint-Gilles  par  l'effet  d'une  conquête.  S'il  y  avait  eu 
une  guerre,  celle-ci  n'aurait  pu  avoir  lieu  que  dans  le  courant  de 
l'année  1099  ;  or,  d'un  coup  de  force  advenu  à  cette  époque,  il 
n'y  a  aucune  trace,  tandis  qu'il  est  tout  à  fait  probable  qu'un 
accord  intervint  entre  Guillaume  de  Poitiers  et  Bertrand  à  a 
fin  de  cette  année. 


(i)  Orderic  Vital,  Ilist.  ecclès.,  IV,  p    80. 

(2)  C'est  .linsi  (juc  l'on  voit  Hiciiard  Forhandit,  voulant  aller  à  Jérusalem,  faire 
échaiii^c  en  1 1 12  avec  l'abbé  de  Monticrneuf  et  lut  donner  un  bon  mas  de  terre  sis  ji 
Ctiiré  contre  une  niule.  (Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Monlierneuf,  no  20}. 


GUILLAUME  LE  JKUNE 


f^^■^ 


Quand  ce  dernier  eul  élé  remis  en  possession  ducomlé  de  Tou- 
louse, il  s'empressa  de  rcconnaîlre  ki  validilé  des  acies  émanés 
de  Guillaume  et  de  sa  feoime,  sans  examiner,  diL-il,  s'ils  élaiejil. 
légalemenl  ou  non,  «  juslè  vel  injuslè.  »,  les  possesseurs  du 
conilé.  Berlrand  avail  eu  soin,  tout  d'abord,  de  s'assurer  la 
bit^nveillance  des  chanoines  de  Saiut-Sernin,  comblés  de  faveurs 
par  le  comle  et  la  comlesse  de  Poitou  el  donl  le  bourg  élail  en 
quelque  sorle  le  centre  religieux  de  sa  capilale  ;  c'est  pourquoi, 
dès  le  mois  de  décembre,  en  présence  de  Jourdain,  comte  de  Cer- 
dagne,  qui  joua  peul-èlre  le  r(>lG  do  médialeur  outre  les  deux 
jtrélendanls  an  comté  de  Tuiilouse,  conlirma-l-il  les  dons  Tails  par 
(juillaume  el  l'hilip[)ieù  Sainl-Sernin  ainsi  que  loules  les  frau- 
chises  donl  ils  avaient  dolé  le  bourg,  et  enfin,  dès  le  mois  de 
février  HOO,  il  renouvela  el  augmenta  ces  concessions  (i). 

On  ne  saurait  soutenir  non  plus  que  Guillaume  ait  abandonné 
le  Toulousain  peur  un  motif  pieux  el  sous  Ij  coup  des  menaces  de 
l'Eglise.  Celte-ci,  pour  encourager  Icsdévouemenlsqiii  auraient  pu 
être  arrêtés  parla  crainte  de  voirie  patrimoine  du  chef  de  fauiille 
devenir  pendant  son  absence  la  proie  de  voisins  avides,  avait 
fait  reconnaître  au  concile  de  Clermont  cl  admellre  par  tous  que 
les  domaines  des  croisés  élaienl  mis  sous  la  prolcclion  spéciale 
de  l'Eglise  el  que  loules  les  personnes  qui,  sous  quelque  priîlexte 
que  ce  fût,  se  saisiraient  de  leurs  biens,  encourraieuL  l'excum 
municalion  majeure.  C'est  en  1097  que  Guillaume,  s'aulorisanl 
des  droits  de  Philippie,  s'était  emparé  du  Toulousain  sur  Ber- 
trand de  Saint-Gilles,  lequel  n'avait  aucune  raison  h.  faire  valoir 


(i)  Ces  deux  pièces  ne  poricut  pns  d'iodicalion  d'année,  mais  on  ne  saurait  douler 
(ju'oUes  n[)|iiirïiotineiit  nux  mois  de  décembre  lo.jij  cl  février  iiuu.  C'est  ce  ijui  résulie 
du  rnpproelieinent  de  deux  autres  actes,  l'un  de  juiu  i  loo  (D.  Vaissetc,  /fîst.  de  Lan- 
ffiiedoc,  V,  col.  7<iî),  en  vcriu  duquel,  Isara  élant  é%'i^qiie  de  Toidouse  et  Bertrand 
passédaul  le  coiiiïé,  Ain.ilvis  de  Sentas  donne  la  dline  de  ce  lieu  à  l'tiLbayc  du 
Loznl,  et  l'autre, <|ui  est  daté  d'un  jeudi  de  féviicr  l'oa  que  le  coiule  Bertrand  re- 
couvra Toulouse  el  qui  est  cité  par  D.  Vaissete  {III,  p.  54/|),  d'après  Catcl  (i/tsl.  des 
comtes  d'.  7'oitloiise,  p.  i5/|).  Cet  événement,  ainsi  qu'il  résulte  de  larlc  préccilent, 
est  antérieur  au  niuis  de  juin  itoo,  or  si  la  prise  do  possession  de  Toulouse  n'avait  eu 
lieu  qu'en  celte  anaéo  i  loo,  le  mois  de  février,  suivant  Tancien  mode  de  compnt, 
répondrait  à  février  iioi,  el  repousserait  par  suite  à  cette  année  iioi  la  cession  de 
Toulouse  à  Bprlrand,  ce  qui  ne  peut  être,  vu  f]u'il  po'iscilail  cette  ville  dés  l'an  i  uio; 
le  mois  de  février  de  l'année  où  le  comte  Bertrand  recouvra  Ttiulousc  ne  peut  donc  èirc 
ideotiiié  qu'avec  le  mois  de  février  i  roo,  qui,  selon  l'ancien  co^nput  appartenait  à 
l'auDCc  1099,  laquelle  s'éleudait  du  10  avril  uxjg  uu  3i  mars  iiou,  vcilte  de  l'àijuçs. 


LES  COMTES  DE  POFTOU 

pour  exciper  des  privilèges  atlribuc^s  nnx  croisés  ;  par  suilc,  lo 
ducd'Aqiiilainn  n'nyanlpii  Cire  exronimiinii'i  pour  co  fait,  il  sérail 
pin?ril  de  pensor  que  deux  ou  trois  ans  aprôs  cet  ('•vi'înement  une. 
crainte  réirospoclive  ou  un  remords  tardif  lui  aurait  fait  abandon- 
ner ce  qu'il  avait  de  justes  motifs  pour  considérer  comme  Olanl 
rhéritape  de  sa  femme  (1). 

On  peut  donc  dire  que  c'est  à  la  suite  de  nfpocialions  înterve- 
nues,  peiil-cire  directemeni,  entre  Bertrand  et  Guillaume  que  ce 
dernier  se  trouva  en  possession  de  l'arf^enl  qui  lui  était  nécessaire 
tant  pour  s'équiper  que  pour  entreprendre  son  voyaf^c.  Désireux 
d'accroître  ces  ressources,  il  parcourut  aussi  ses  états  en  deman- 
deur et  durant  le  cours  de  l'été  il  était  à  Manzé  ;  là,  sollicité  par 
Thomas,  son  ancien  chamhrier,  qui  s'élail  fait  moine  à  Saint-Jean 
d'Angély,  il  donna  à  celle  abbaye  une  femme,  de  basse  condition, 
une  vilaine,  qui  serait  désormais  lenuo  de  payor  aux  moines  les 
redevances  qu'elle  lui  devait  en  qualité  de  métayère.  Ceci  se 
pas?a devant  l'aumônerio  du  lieu,  et  le  comie,  voulant  marqiu^r 
l'atTection  qu'il  portail  à  son  ancien  servileur,  l'embrassa  publi- 
quement. Ce  peitt  fail,  relevé  avec  soin  par  le  rédacteur  de  la 
charte,  est  tout  à  Tbonneur  de  riuillaume;  il  iémoipne  de  la 
simplicité  familière  qu'il  apportait  dans  ses  relalioris  avec  ses 
sujets  et  explique  les  sympalhies  dont  il  était  l'otijet  (1). 

On  ne  sait  s'il  assisla.  le  31  oclobre  llOO,  à  la  consécration  de 
l'église  abbatiale  d'Airvault,  mais  il  se  Irouvail  sûrement  k  Poi- 
tiers quand,  le  19  novembre,  conformément  aux  ordres  du  papo 
Pascal  H,  s'ouvrit  un  concile  dans  la  cathédrale  de  Saint-Pierre, 
sous  la  présidence  des  cardinaux  J«"'an  et  lienoîi  (3).  C'était  une 


(t  I  D.  Vaissrlp,qin  s'est  faille  (léfpnscur  cfca  pn'^lcndds  drnils  de  ncrIrnnJ  de  Sainl- 
Gillca  en  »j)plii.jUHiit  au  Laïu^iiedoc  le  pririci|ic  de  la  lui  saliijue  qui  n  y  i'iuil  aullonieol 
eu  vi|E!;iieur,  i-ùiiiiiic  nouH  l'uvon.s  dénioiiUé,  n  mis  en  avanl  li's  motifs  ijue  nous  venons 
d'cx|ii)Sfr  nûur  tafiriiicr  la  cruvance  coniimiae  (|ue  Ucrlrand  ne  dcvinl  possesseur  du 
iToriilé  de  Toulouse  qu'en  vcrin  d'un  en^fHfjcnient  (!cs  arpuiiienls  ue  sont  vériialdenicnt 
qu'une  couceshion  aux  aeuiinieiils  4'x|inines  iinlour  de  lui  par  kcs  corileiii(niriuns,  el 
cela  csl  si  vrai  qiie  le  tincle  liénrilictin,  après  nvoir  [dnidé  la  cause  fie  la  reslilnlioti 
\oluiitaire  ou  de  l:i  conquôle,  ajonle,  pinissé  par  sa  cunscience  d'Iiistorieii:  «  Nou«nc 
n  voudrï(in.>t  pas  cejteiidnnl  uier  que  Guillaume,  au  uniii  de  Pliiiippe,sa  femme, n'ait 
«  reçu  alors  quelque  somme  de  llaimond  de  Snini-Gilles,  ou  plutôt  de  nerlrand,iion 
a  fils,  pour  ses  piétcnlions  sur  le  cnmté  de  Toulouse  »,  (///y/.rfp  Lnn^iifdni',  nouv. 
éd.,  III,  p.  54.-\). 

(a)  Ocsly,  ///s/,  dex  comffs,  preuves,  p.  4 «6;  D.  Fonfenrau.  LXIH,  p.  ^qS. 

î'i)  Le    ifxle   publie  par    MarchegBjr  (Chron,  des  égL   d'Anjou,  p.    /|ao.   Saint- 


GIHLLAUME  LE  JEUNE 


4ï'j 


imposante  assemblée,  complanl,  selon  les  uns,  cenlquaraiiile  mem- 
bres, selon  (i'aulreSjCenlqualre-vingls,  auxquels  furent  soumises 
de  nombreuses  questions  de  discipline  ecclésiastique.  Elle  promul- 
gua dix-sept  canons  sur  ces  matières;  nous  n'en  retiendrons  qu'un 
seul,  celui  qui  reconnaissait  aux  églises  la  faculté  de  racheter  les 
privilèges  ou  les  fiefs  qu'elles  auraient  perdus  en  y  employant 
l'argent  qu'elles  possédaient.  Jusque-là  leurs  trésors  se  grossis- 
saient d'objets  i)récieux  offerts  par  de  généreux  donateurs;  à  la 
suite  de  cette  décision  ils  en  sortirent,  car,  alors  comme  aujour- 
d'hui, beaucoup  étaient  tombés  entre  les  mains  de  gens  qui 
ne  savaient  pas  apprécier  leur  valeur.  Mais  à  côté  de  ces  ques- 
tions spéciales  d'ordre  religieux,  le  pape  avait  chargé  ses  légats 
d'eu  soulever  une  autre  qui  devait  avoir  un  extrême  retentis- 
sement. 11  s'agissait  du  roi  de  France,  Philippe  1",  et  de  ses  rap- 
ports adulliires  avec  Herlrade  de  Moulfort;  une  première  fois 
excommunié,  le  roi  avait  promis  de  se  séparer  de  la  comtesse 
d'Anjou,  mais  cet  engagement  n'avait  pus  été  suivi  d'exécution  et 
le  pape  réclamait  une  nouvelle  senleuce.  Quand  l'afTaire  fut  sou- 
mise à  l'assemblée,  le  comte  de  Poitou  se  leva  et  pria  instamment 
les  membres  du  concile  ne  pas  donner  suite  à  la  demande  qui 
leur  était  faile  el  surtout  de  ne  pas  renouveler  l'excommunicaliou 
dont  le  roi  son  seigneur  avait  été  déjà  frappé  ;  des  évèques  se  joi- 
gnirent à  lui,  mais  ils  ne  purent  rien  obtenir  des  légals.  Alors  le 
comte,  rem[ilut,.unl  les  prières  par  des  menaces,  quitta  la  cathé- 
drale, suivi  de  quelques  évèques,  de  beaucoup  de  clercs  et  d'une 
grande  quantité  de  laïques.  .Malgré  le  trouble  qu'occasionna  celle 
violente  sortie,  le  concile,  se  considérant  comme  étant  encore  suf- 
lisumment  en  nombre,  vota  la  formule  d'excommunication  contre 
Philippe  et  Berlrade.  L'n  homme  du  peuple  qui  se  trouvait  sur 
les  galeries  de  l'église,  embrassant  avec  ardeur  la  cause  du  comte 
de  Puilou,  lança  une  pierre  dans  la  direction  des  cardinaux;  un 
clerc  qui  se  trouvait  près  d'eux  fut  alteitit  à  la  tôte  cl  jeté  à 
terre;  à  la  vue  du  sang  répandu  le  tumulte  devint  exlrème,  mais 
les  Pères  du  concile  s'étanl  découverts,  offrant  ainsi  leur  front 
aux  coups  dont  ils  pouvaient  être  menacés,  surent  garder  leur 


Mjtixeat)  porte  par  erreur  ■  xii"  kalcnJos  uovcoibrîs  »  au  lieu  de  >  tereîo  decimo, 
qui  se  lil  eu  toutes  IclUca  daus  le  manuscrit  orij^uutl. 


f^3n 


LES  COMTES  DE  POITOU 


sang-froid  et,  se  randolanl  sur  Bernard  do  Tiron  el  Roberl  d'Ar- 
brissel,  qui  faisaient  partie  de  l'assislance,  ils  reslèrenl  tranquilles 
à  leur  place;  leur  courageuse  alliludc  en  imposa  à  celle  foule 
surexcil<''p;  les  coniles  el  tous  ceux  qui  les  avaient  suivis  dans 
leur  retraite  vinrent  s'humilier  devant  eux  et  implorer  leur 
pardon  (1). 

Il  Gsl  à  croire  que  Guillaume,  avant  de  recourir  à  la  violence, 
avait  essayé  de  peser  de  loule  son  autorité  sur  les  membres  de 
l'assemblée  pris  en  parliculior,  et  la  jjrésence  d'évôques  parmi 
la  foule  qui  1  avait  suivi  prouve  que  ses  démarches  n'avaient  pas 
été  toutes  suivies  d'insuccès.  Il  s'était  même  adressé  à  l'un  des 
li'gals;  la  chronique  de  Saint-.Maixent  rapporte  en  effet  que  la 
veille  de  ce  jour  mémorable  saint  Ililaire  apparut  au  légal  Jean 
et  lui  dit  en  roncourageanldanssespremièresdispositions:  «Jean 
ne  crains  rien,  agis  avec  fermeté,  demain  je  serai  avec  toi  (2).  >» 

Bien  que  Ton  ne  puisse  lenir  grand  compte  des  sentiments 
exprimés  par  Guillaume  dans  ses  poésies,  cependant  on  ne  peut 
absolument  négliger  le  témoignage  qu'il  fournit  lui-même  pour 
Texplicalion  de  sa  conduite  el  son  dévouement  h  la  cause  de  Ber- 
Irade;  dans  la  pièce  de  vers  qu'il  avait  composée  lors  de  son  dé- 
part pour  la  Terre-Sainte,  il  déclare  en  effet,  après  avoir  dit  adieu 
au  Limousin,  au  l'oitou,  aux  vanités  du  monde,  aux  plaisirs 
et  aux  fêles,  vouloir  confier  ses  états  et  son  fils  à  son  parent, 
le  comte  d'Anjou,  et  au  roi,  de  peur  que  ses  ennemis,  voyant 
le  jeune  Age  el  la  faiblesse  de  son  fils,  ne  vinssent  pendant  son 
absence  envahir  son  domaine  (3). 

Les  événements  qui  s'étaient  passés  au  concile,  et  qui  témoi- 
gnent de  la  singulière  disposition  d'esprit  du  duc  d'Aquitaine 
pour  se  préparer  à  la  croisade,  avaient  vivement  tendu  les  rap- 
ports entre  lui  el  rév{^que  de  Poitiers.  Aussi  témoigna-t-il  son 
mauvais  vouloir  au  prélat  en  ne  recevant  pas  de  ses  mains  la  croix 
qui  était  le  témoignage  du  vœu  qu'il  avait  prononcé.  11  se  rendit 
pour  cet  effet  à  Limoges,  dont  l'évoque,  Pierre  Viroald,  ancien 
doyen  de  Bordeaux,  qui  venait  de  succéder  à  Guillaume  d'Uricl, 


(i)  LaLbc,  ConcrVi'o,  X,  col.  720-720. 

(2)  Warcbegay,  Chron.  des  égl.  tV Anjou,  p.  420,  Sainl-Maîxciit. 

(;<)  Alloscrra,  fteram  Aqiiiianic.  libri  quinçue,  p.  490- 


GLILLAUME  LE  JEUNE  43i 

s'élaît  sans  doute  joint  à  lui  pour  protester  contre  les  actes  de 
l'assemblée.  C'est  donc  dan<%  celle  ville  de  Limoges  qu'il  donna 
rendez-vous  aux  croisés  de  ses  états  et  qu'il  en  partit  pour  sa 
grande  expédition. 

Considérable  fut  le  nombre  de  Poitevins  qui  prirent  la  croix. 
L'enthousiasme  populaire  avait  été  excité  dès  le  commencement 
de  Tannée  1100  par  l'arrivée  de  pèlerins  qui  faisaient  de  leur 
voyage  des  récils  merveilleux;  d'autre  part,  bi?aucoup  d'entre 
eux,  échappés  aux  misères  de  la  croisade,  avaient  rapporté  de  nom- 
breuses reliques  qui  émerveillaient  les  populations  :  l'abbaye  de 
Sainl-Maixent,  entre  autres,  en  reçut  plusieurs  d'un  nommé  Pierre 
Fasin.  Puis,  des  cérémonies  religieuses  d'un  grand  éclat  avaient 
aussi  enflammé  les  esprits  ;  presque  en  même  temps  que  l'église 
delà  Chaise-le-Yicomle,le  i"  novembre  1099.  avait  été  consacrée 
celle  de  Sainte-Radegonde  de  Poitiers  et  enfin,  un  an  après,  le 
31  octobre  H 00,  lévêque  de  Poitiers  avait  été  bénir  celle  de 
Saint-Pierre  d'Airvault.  Des  corps  de  saints  personnages,  dont 
la  sépulture  était  tombée  dans  l'oubli,  avaient  été  remis  au  jour 
et  donnaient  l'essor  à  des  dévotions  nouvelles  ;  telles  furent  on 
1098  la  découverte  des  cendres  de  sainte  Pezenne  auprès  de  Niort, 
et  en  1099,  de  celles  de  saint  Agapit  ù  Sainl-Maixent  (1). 

Les  croisés  du  Poitou  se  rassemblèrent  à  Poitiers  pendant  la 
seconde  semaine  de  carême,  du  10  au  17  mars  de  l'an  HOl. 
L'évêque,  Pierre  11,  y  distribua  la  croix  bénite  à  tous  ceux  qui 
partaient;  le  lieu  de  concentration  était  le  Pré-le-Roi,  cette  vaste 
prairie,  située  au-dessous  des  murailles  de  la  ville,  enclose  de 
toutes  parts  par  la  rivière  du  Clain  et  à  laquelle  on  accédait  par 
le  pont  Sainl-Cypricn.  Ils  se  trouvèrent  là,  au  nombre  do  trente 
mille,  et  furent  ensuite  se  placer  sous  les  ordres  de  leur  comto. 
Parmi  eux  se  trouvaient  Herberl,  vicomte  do  Thouars.  et  son  frère 
Geoffroy,  qui,  pénétrés  des  sentiments  qui  agilaient  beaucoup 
de  croisés,  modelèrent  sur  eux  leur  conduite,  bien  différents  on 
cela  de  leur  seigneur  avec  qui  on  peut  les  mettre  en  opposition. 
Au  moment  où  il  allait  quitter  Thouars,  Herbert  rassembla  ses 

(i)  Marcbegar,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  pp.  4i6.  A'O  <^' 42i'».  Saiat-Maitrnl. 
L'hislorîen  de  la  Croisade,  Pierre  Tudebode,  était  ini^-no  do  Oivrav  ^//;'.</.  (>.•■»./.. 
t.  III;. 


43a 


LES  COMTES  DE  POITOU 


barons  el,  devanl  eux,  confirma  luus  les  dons  qu'il  avait  faiU 
à  Saint-Nicolas  de  la  Chaise,  celle  créaliuii  do  son  père;  il 
déclara  en  même  lemps  qu'il  désirait  avoir  sa  sépullure  dans  ce 
monastère,  auquel,  pour  tel  uLjel,  il  donnait  la  rauitié  de  ses 
biens  meubles. 

Arrivé  à  Poiliers,  il  requit  pieusement  l'évèque  de  vouloir  bien 
déclarer  que  les  bénélices  spirituels  qu'il  pourrait  retirer  de  son 
pèlerinage  profileraient  aussi  bien  à  son  père,  Aimeri,  mort  assas- 
siné, qu'à  lui-même.  Enfin,  au  moment  où  il  allait  sortir  du  Pré- 
le-ïloi.  il  cul  à  subir  les  sollicitations  d'un  moine  de  Sainl-Aulïin 
d'Angers  qui  venait  lui  demander  de  remettre  aux  religieux  une 
cliappe  qu'ils  lui  avaient  précédemment  engagée  pour  la  somme 
de  JUO  sous  ;  il  refusa  d'abord  de  la  leur  rendre,  mais  ensuite, 
se  remémorant  les  mobiles  de  son  départ  et  le  but  élevé  qu'il 
s'était  assignéj  il  fil  sans  retour,  par  TelTel  d'un  grand  délaclie- 
menl  des  choses  terrestres,  dit  le  scribe,  abandon  à  l'abbaye  de  la 
chappc  réclamée  (1  ). 

Les  divers  groupes  de  croisés,  venant  tant  de  l'Aquitaine  que 
de  la  Gascogne,  s'élani  enfin  concentrés  en  un  seul  corps,  Guil- 
laume, le  plus  noble  et  le  plus  puissant  de  tous  (2),  en  eut  le  com- 
mandement; il  se  dirigea  vers  le  lUiin,  prit  en  route  Hugues, 
comte  de  Vermandois,  frère  du  roi  Philippe,  el  se  joignit  en  Alle- 
magne à  Guelfe,  duc  de  Bavière,  et  à  Ida,  margrave  d'Autriche. 
Leur  troupe  comptait  lCO-000  personnes  de  l'un  et  de  l'aulre 
sexe  quand  elle  arriva  sous  les  murs  de  Constanlinople  (3).  Elle 
y  avait  été  précédée  par  les  Lombards  sous  la  conduite  de  l'ar- 
chevêque de  Milan,  par  les  Allemands  commandés  par  Conrad, 
connétable  de  rempereur  Henri,  et  enfin  par  une  armée  de  Francs 
dirigés  par  les  comtes  de  Blois  et  de  Bourgogne.  Malgré  des  dis- 


(i)  Marchepay,  Chrun.  des  éf/l.  irAnjua,  pp.  3,^0-341.  La  Chaisc-le- Vicomte. 

(a)  litfc.  des  liisl.  des  Croisades,  I,  pp.  4i'Ji  4't>,  CiuilJaume  de  Tyr. 

(J)  Unleric  V'ilal  (f/isl.  ecclifs.,  IV,  ji.  118)  ealiiue  à  3oo.ooo  le  nombre  des  pi'le- 
rius,  lant  Atiuîtaiiis  que  Gaacuns,  qui  parlircnt  avec  Guillaiiiue;  il  y  a  dans  ce  chifl'rc 
uuc  exiigcralion  maiiifcsle  el  pcul-êli'e  y  a-t-il  lieu  do  croire  cju'Ordcric  Vital,  au 
lieu  de  u  U'eceola  uiiliia  w,  claii  daus  l'iuicDliou  d'ccrirc  a  Iri^Lula  utillia  u.Ce  chifl'ru 
de  So.ooo,  que  dous  ad  met  tous,  ne  |iuuiTuil  du  rcâlc  s'uppliqucr  qu'.iux  combatiknls. 
spécitiès  dans  le  texte  de  riiisturifin  par  le  iticit  u  armalurum  v,  el  i'oa  ac  saurail  y 
cuiiipreudre  les  Iciumc»  cl  ha  gCDS  de  luulea  sortes  qui  iici:^uiiNjj,^aaieal  les  guer- 
riers. 


GUILLAUME  LE  JRUNK 


433 


sentiments  passagers  et  certains  actes  de  \iolonce  imputables 
siirlout  aux  Lombards,  l'empereur  Alexis  Comnène  accueillil 
forll>ien  les  chefs  croisés,  mais  il  s'empressa  de  faire  passer  leurs 
bandes  de  l'aiilre  ccMé  du  détroit  où  elles  furent  camper  dans 
les  plaines  de  Nicomédie. 

Le  corps  des  Aquitains,  arrivé  le  dernier,  serait  resté  cinq  se- 
maines sous  les  murs  dn  Conslanttnople.  Il  est  possible  que,  pen- 
dantce  séjour  forcé, l'empereur  ait  cherché  à  pesersur  leurschefs 
et  à  obtenir  d'eux  qu'ils  reconnussent  sa  suzeraineté  pour  toutes 
les  conquêlesqu  ilsespéraientfaire,maissi  ces  avances,  qui  avaient 
précédemment  réussi  auprès  de  certains  personnages  et  en  parti- 
culier auprès  de  Haymond  de  Satnl-Gilles,  rancien  comte  de  Tou- 
louse, qui,  fixé  tonl-  à  fait  en  Orient,  était  devenu  un  des  familiers 
de  ta  cour  byzantine,  elles  furent  accueillies  avec  une  souveraine 
hauteur  par  Guillaume,  qui,  se  considérant  comme  l'égal  d'un  roi, 
ne  voulait  accordera  Alexis  que  le  titre  d'éparche  et  non  celui 
d'empereur.  Uaymond.  outre  sa  situation  privilégiée  à  la  cour  de 
lîyzance,  était  en  nirme   temps   possesseur  d'un  palladium  re- 
nommé, lu  lanco  qui   aurait  percé  le  cùlé  du  Christ  et  qui,  à  la 
suite  de  circonslances  merveilleuses,  avait  été,  lors  de  la  pre- 
mière croisade,  trouvée  à  Antioche.  Les  chefs  croisés  tenaient  à 
s'assurer  ce  gage  de  succès  et  d'autre  part  ils  n'avaient  qu'une 
médiocre  confiance  dans  les  protestations  et  les  témoignages  d'a- 
mitié de  l'Empereur, qui  semblait  agir  beaucoup  plus  sous  la  pres- 
sion de  la  crainte  qu'avec  le  désir  d'appuyer  leurs  entreprises. 
Ils  lui  demandèrent  donc  de  leur  donner  Haymond  pour  guide. 
Celui-ci  refusa,  mettant  en  avant  son  âge,  les  fatigues  qu'il  avait 
éprouvées  lors  de  la  prise  de  Jérusalem  et  les  infirmités  qui  en 
étaient  résultées.  Celle  réponse   dilatoire  mécontenta  vivement 
les  croisés  et  Guillaume   les  aurai!  alors  incités  à  obtenir    par 
force  ce  que  l'on  ne  voulait  pas  leur  accorder  de  bonne  volonté. 
Ses  Aquitains  et  ses  Gascons,  se  mettant  à  la  tôle  du  mouvement, 
auraient  aussitôt  attaqué  la  triple  enceinte  de  Constantinopleet, 
après  être  venus  sans  peine  à  bout  des  premiers  obstacles,  parmi 
lesquels  nous  ne  comptons  pas  les  lions  et  les  léopards  qui, 
selon    certains  dires,  auraient  été  lâchés  pour  la  défense  de  la 
ville,  ils  se  préparaient  à  forcer  la  dernière  enceinte  quand  Alexis. 

a8 


/j.Vj  LEÎ5  COMTES  DE  POITOU 

effrayé,  décida  Hayoïond  k  se  rendre  à  une  demande  accompa- 
gnée d'un  tel  emploi  de  la  force. 

Mais  l'armée  des  croisés,  désormais  réunln  en  une  seule 
masse  que  l'on  a  évaluée  it  300.000  personnes,  ne  suivit  pas 
comme  sa  devancière  la  roule  plus  lonijue,  mais  plus  sûre,  qui 
longeait  la  mer  ;  divisée  en  trois  corps,  elle  s'enfja^'oa  dans  les 
terres.  L'un,  composé  des  Lombards,  des  Allemands  et  des 
Francs  du  Nord,  se  dirigea  vers  l'Est,  un  second,  sous  les  ordres 
du  comte  de  Nevers,  suivait  plulnl  la  voie  de  l'Ouesl,  ol  entre 
les  deux  marchaient  les  Aquîlains,  mais  Raymond  de  Sainl- 
Gilles  ne  so  trouvait  pas  avec  eux,  Bl^n  (pi'un  liislorien  ait  cru 
devoir  allribucr  à  Guillaumo  le  fait  d'avoir  demandé  l'aide  de 
Raymond,  cette  démarche  paraît  peu  probable  et  l'événement 
semble  en  démontrer  la  fausseté-  Ilesl  hors  de  doute  que  le  comte 
de  Saint-Gilles  devait  être  peu  flalté  d'avoir  k  favoriser  les  entre- 
prises du  spoliateur  de  son  fils,  et  il  ne  devait  guère  se  dissimu- 
lerquc,  si  Guillaume  revenait  triomphant  en  Or'cidt^nfJI  nelarde- 
rait  pas  à  remetlre  la  main  sur  le  comté  de  Toulouse.  De  là  son 
refus  d'accéder  aux  premières  demandes  qui  lui  furent  faites  et 
quand  enfin,  pressé  par  Alexis,  il  dut  prendre  lu  conduite  de 
l'expédilinn,  il  ne  se  joignit  pas  au  corps  commandé  par  son  neveu. 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  comment  la  portion  de  l'armée 
que  liaymond  dirigea  ftit  anéantie,  comment,  le  soir  du  second 
jour  ofi  le  camp  fut  attaqué  |>ar  les  Turcs,  il  s'enfuit  avec  l'escorte 
qui  lui  avait  été  flonnéepar  l'empereur  grec, plutiM  pour  sa  défense 
que  pour  lutter  contre  les  infidèles,  et  comment  lui  el  la  plupart 
des  chefs  qui  l'accompagnaient  rentrèrent  sains  et  saufs  àCons- 
tantinople  parla  Mer  Noire;  une  accusation  de  trahison,  dont  ses 
panégyristes  n'ont  pu  le  laver,  lui  fut  aussilAt  jetée  à  la  face  el 
elle  nous  paraît  assez  justifiée  ;  mais  là  où  des  agissements  de 
traîtres  paraissent  bien  avérés  c'est  dans  les  désastres  successifs 
qui  marquèrent  la  marche  du  corps  commandé  par  le  duc 
d'Aquitaine. 

«  Après  leur  départ  de  Constantinople,ditune  relation  due  sans 
«  nul  doute  k  un  témoin  oculaire,  les  croisés  poursuivirent  leur 
«  roule  par  des  contrées  arides  dont  leurs  devanciers  s'étaient 
«  écartés  et  où  il»  étaient  conduits  par  la  perversité  de  l'empereur 


GUILLAU.MK  LE  JEUNK  435 

«  Alfxis.  Elanl  arrivi's  dans  la  vallt't''  des  Flambeaux,  ofi  les 
i<  payons  se  tenaiont  on  rmljiiscnde,  conx-ci  sp  précipili-ronl 
«  sur  eux  an  mnoienl  où  ils  (Maienl,  aussi  bien  qiie  leurs  b{^los 
«  do  somme,  excessivement  affaiblis  par  la  laim  cl  lascif;  alta- 
«  qués  de  flanc,  ils  prirent  la  fuite  el  de  plus  de  cent  mille  per- 
ce sonnes  donl  se  composait  l'arnu^'O,  il  en  péril  la  plus  jurande 
«  parlie,  lanl  parle  fer  que  par  la  soif  et  par  la  denl  dos  bibles 
'<  fauves  ;  c'esl  à  peine  si  quelques-uns,  ayant  perdu  lotit  ce 
«  qu'ils  possédaient,  purent  sV'cbapper  (1).  » 

L'armée,  en  offel,  conduite  par  des  Grecs  ou  des  Turcs  à  la 
solde  de  l'Empereur,  avait  traversé  le  détroit  de  Sainl-Geor^^es 
au  temps  de  la  moisson  et.  après  s'être  arrêtée  h  Nicomédie,  élail 
passée  h  Stancou,  à  Phiniminium  et  élail  parvenue  à  Salamire, 
qu'elle  détruisit.  Enga^^éo  dans  dos  monla^'ncs  arides,  manquant 
d'eau,  ou  ne  trouvanl,  selon  quelques  récifs,  que  des  sources 
contaminées  avec  l'aide  de  substances  blancbûlres  ressemblant  à 
de  la  chaux,  ellearrivaau  bord  d'un  torrent, où  bomraes  etbôtes 
pouvaient  élancher  leur  soif.  C'est  ce  momenl  qu'avaient  choisi 
les  émirs  Turcs  pour  tomber  sur  elle.  Sa  dispersion  favorisait 
leur  attfique.car  il  est  bors  dedoute  que  les  assaillanlsélaicnl  bien 
inférieurs  en  nombre  aux  croisés.  La  panique  s'empara  de  celle 
multitude,  qui  s'enfuil  de  loules  paris;  le  duc  Guelfe,  après  avoir 
abandonné  sa  cuirasse,  se  sauva  à  travers  les  montagnes;  l'évft- 
que  de  Clermont  put  s'échapjier  aussi  à  grand'peine;  quant  à  la 
marj^rnve  Ida  elle  disparut  sans  qu'on  ait  jamais  pu  savoir  ce  qu'elle 
élail  devenue.  Les  femmes,  en  eiïet,  étaient  une  proie  facile  el 
recherchée  par  les  vainqueurs  qui  les  emmenaient  en  esclavage. 
<•  Le  comie  de  Poitiers_,  dit  un  chroniqueur,  placé  sur  unemon- 
«  tagnevoisine  donl  les  infidèles  entouraient  la  base,  contemplait 
"  lu  dé(\iile  des  siens.  A  la  vue  des  soldais  massacrés,  le  prince 
«  franc  pleura  amèrement .  Les  infidèles  ayant  redoublé  d'cfforls 
«  contre  lui,  le  comte,  acculé  sur  tous  les  points,  prit  la  fuite 
«  avec  quatre  cents  cavaliers.  »  Ils  n'étaient  plus  que  six  ou  môme 
deux  lorsqu'il  arriva  à  Longinade,  près  de  Tarse  en  Cilicie,  où 
Bernard  l'EIranger  l'accueillit  avec  empressement  et  lui  fournil 


(i)  Marchega;,  Chron.  detégl.  d'Anjou,  p.  3/(i,  La  Chaise-lc-Vicomte. 


436  LES  COMTES  DE  POITOU 

loul  ce  donlil  avait  besoin.  Quelque  temps  après,  Tancrède,  qui 
commandait  à  Anlioche  pondant  la  captivité  de  Boemond,  reçut 
magnifiquement  le  malheureux  comte  dans  cette  ville  et  l'y 
garda  quelque  temps.  Hugues  de  Lusignan  parvint  aussi  à  gagner 
Tarse  sain  et  sauf  ainsi  que  le  comte  de  Vcrmandois  qui,  blessé 
grièvement,  vint  mourir  en  celte  ville  que  les  fuyards  semblent 
avoir  choisie  comme  lieu  de  ralliement. 

La  défaite  des  trois  fractions  de  l'armée  croisée  s'échelonne 
entre  le  20  juillet  et  la  première  quinzaine  d'août;  ce  fut  le 
corps  du  duc  d'Aquitaine  qui  fut  le  dernier  assailli.  Dans  le  dé- 
nuement absolu  ofi  se  trouvaient  les  gens  qui  avaient  échappé 
au  désastre,  il  leur  était  impossible  de  poursuivre  leur  roule  ;  il 
fallait  faire  venir  d'Occident  de  nouveaux  subsides;  aussi,  dans 
celte  attente,  les  pèlerins  séjournèrent-ils  dans  les  lieux  où  ils 
avaient  trouvé  un  premier  asile.  Quant  ù  Raymond  il  passa  l'hiver 
à  Constantinople  et  au  printemps  il  chercha  à  rejoindre  sa  femme 
devant  Tripoli  ;  mais,  assailli  par  la  tempête,  il  fut  contraint  de 
relâcher  à  Tarse  où  Bernard  l'Etranger  se  saisit  de  lui.  Tancrède, 
qui  était  son  ennemi  personnel,  se  le  fil  livrer,  s'empara  de  ses 
trésors  et  l'enferma  dans  une  étroite  prison  sous  le  prétexte  qu'il 
était  cause  de  la  défaite  des  Croisés. 

Ceux  qui  avaient  survécu  à  ces  catastrophes  successives  se 
montrèrent  moins  sévères  et  surtout  moins  clairvoyants  que  le 
prince  d'Anlioche  ;  les  comtes  de  Blois  et  de  Bourgogne,  les  ducs 
d'Aquitaine  et  de  Bavière,  le  connétable  Conrad,  l'évoque  de  Bar- 
celone, qui  séjournaient  alors  dans  Anlioche,  intercédèrent  pour 
Raymond  et  obtinrent  sa  délivrance.  Celui-ci  ne  fut  pas  plutôt  libre 
qu'il  songea  à  profiter  des  bonnes  dispositions  qui  lui  étaient  ainsi 
témoignéesel  emmena  tous  ces  guerriers  désœuvrés  faire  le  siège 
de  Tortose,  dont  il  s'empara,  mais  quand  ils  lui  demandèrent  en 
retour  de  ce  service  de  les  conduire  à  Jérusalem,  il  refusa,  sous 
ce  prétexte  qu'il  voulait  se  donner  tout  entier  au  siège  de  Tri- 
poli. Celte  conduite  cauteleuse  ne  contribua  pas  fi  le  relever  dans 
l'opinion  do  ses  contemporains.  Toujours  est-il  que,  les  routes 
étant  devenues  assez  sûres,  les  pèlerins  se  mirent  en  marche  vers 
la  ville  sainte;  le  roi  Baudouin  vint  au  devant  eux,  les  reçut  avec 
honneur,  et  ils  célébrèrent  ensemble  les  Pâques  de  l'an  1102. 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


45? 


Après  les  fêtes,  Guillaume  et  qiielquos-uns  des  princes  s'embur- 
(HUTutiL  à  Jop|>G  (jour  retourner  en  Llurope,  mais  ils  l'urenl  sur- 
pris par  une  violente  lem[)êle  el  conlrainls  de  rentrer  à  Antioclie. 
Plusieurs»  prirent  part  le  27  niui  à  lu  funeste  ijutuilte  de  Hama,où 
fut  fait  prisonnier  Hugues  de  Lusignan  et  qui  am*Mia  la  mort 
d'Herbert  de  Tliouars.Huanl  à  (luillaume,  il  véeul  dans  la  société 
de  Tancrède  et  retourna  avec  lui  à  .)<!'rusaletii  au  mois  de  septembre 
suivant;  tîaudûuin  partait  alors  pour  faire  le  siège  d'Ascalon,  ils 
1  accompagnèrent  el  le  résultat  infructueux  de  cette  entreprise 
finil  par  dégoùlor  le  duc  d'Aquitaine  de  cette  iullcjouriialii're  et 
sans  gloire  qui  se  résolvait  dans  l'attaque  ou  ladéfensede  la  mul- 
titude déplaces  fortes  qui  couvraient  le  pays.  Il  se  rembarqua 
donc,  celte  fois  délinitivcmeiil,  et  rentra  dans  ses  étals  dans  le 
courant  de  raulomne.  de  Tannée  1 102,  après  une  absence  dedix- 
buil  mois  [t)  ;  le  29  octobre  il  se  trouvait  à  Poitiers  (2). 

Avant  de  partir  pour  l'Orient,  Guillaume  avait  confié  le  soin  de 
ses  états  à  sa  femme  IMiilippie;  elle  avait  aii[<rès  d'elle  Hugues, 
le  frère  du  cornte,  déjà  en  âge,  el  su  mère  Audéarde,  mais  on  ne 
connaît  pas  les  véritables  conseillers  ou  défenseurs  qu'il  lui  donna. 
Cependant  on  peut  signaler  dans  l'enlourage  de  lacomtesse  la  pré- 
sence du  sénéchal  de  l'oilou,  Eudes  de  Mauzé,  et  d'Hugues  de 
Doué.  L'un  el  Taulrc  se  trouvaient  avec  clleù  Saint-Maixent,  lors- 
qu'une difllculté  s'élevaau  sujet  des  prestations  ipie  ce  monastère 
pouvait  devoir  à  ses  hutes  ;  le  sénéchal  reconnut  publiquement  qu'il 
n'avait  pas  le  droit  de  requérir  des  sèches  ou  des  oignons  lorsqu'il 
descendait  chez  lesmoineselqu'ilsen  devaient  seulement  cent  pour 
la  maison  du  comte  et  cinquante  pour  celle  de  la  comtesse  (3). 


(i)  Nous  ne  citerons  aucune  référcDcc  pour  ce  résume  Je  la  fuueslc  cainpajci'ne  du 
comle  de  Poitou  eu  Orient;  ou  les  Irouvcnt  loules  daus  la  relalion  de  ces  cvéaonienl«i 
due  l'i  K  Mflbille,  le  savant  anuoiateiu'  de  U.  V'nissclc  {//ist.  de  Languedoc,  nouv. 
éd.,  III,  p.  556,  note  a),  que  nous  avons  gènëralcment  suivie.  l^'Essai  sur  le  règne 
d'Ate.ris  l  Comnéne,  que  vieot  de  publier  .M.  CLalandun,  n'apporte  aucune  moditica- 
tioa  essentielle  à  ce  récit. 

(a)  Rcdel,  Duc.  pour  Suinl-Hilnire,  I,  p.  118, 

(3)  A.  Richard,  Charles  de  Suint-Muixent,  I,  p.  ai8.  Sur  la  foi  de  D.  Fonlencau 
nous  uvioos,  danslapuldicatiou  précitée,  place  cette pii^ceeulrc  ior^3et  loijô,  mais  l'étude 
de  nouveaux  documents  nous  amèoc  h  la  nieiire  après  l'année  1096,  où  GulllauuiQ 
de  Mauzé  est  encore  scncchal,  et  pendunt  une  absence  du  comte,  itidi(|uée  par  la  pr*'- 
sencc  des  doux  fidèles  conipag^nous  de  ce  dernier  auprès  de  la  comtesse;  celle-ci 
voyageait  avec  toute  sa  mnisca,  ce  qui  ressort  de  la  rvucoutre,  parmi  les  témoins  de 
l'acte,  d'Aroaud  Miniarut,  le  très  vieux  cuisiaicr  du  comte. 


438  LES  COMTES  DE  POITOU 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'osl  que,  grâce  h  radminislration  vigilante 
des  conseillers  de  Philippic  aussi  bien  qu'à  la  sauvegarde  spéciale 
que  les  privilèges  des  Croisés  conféraient  au  duc  d'Aquitaine,  ses 
étals  jouirent  pendant  son  absence  d'une  tranquillité  absolue, 
telle  que  c'est  à  peine  si  l'historien  peut  relever  pendant  ce  laps 
de  temps  quelques  faits  d'une  importance  secondaire.  La  duchesse 
ne  fit  pas  une  résidence  continue  en  quelque  lieu  particulier; 
comme  son  mari,  elle  voyageait  fréquemment  et  on  la  retrouve 
un  jour,  non  loin  de  Saintes,  à  Champagne,  où,  pour  obtenir  que 
le  Seigneur  daignât  accorder  au  duc  un  heureux  voyage,  tant  à 
l'aller  qu'au  retour,  elle  fit  don  à  Garnier,  prieur  de  Sainte- 
Gemme,  de  la  dîme  de  la  terre  que  le  viguier,  Robert,  avait 
donnée  à  essarter  dans  la  forêt  de  Baconais  et  la  dîme  de  l'essart 
de  Ricou  ;  en  ce  moment,  elle  n'avait  auprès  d'elle  que  des  per- 
sonnages d'un  rang  inférieur,  bien  que  le  rédacteur  de  la  charte 
les  qualifie  de  barons,  tels  que  Foucaud,  Hugues  Airaud,  Aleard 
de  Ciré  et  Robert  le  viguier  (1). 

11  est  toutefois  un  point  hors  de  doute,  c'est  que,  pendant  l'ab- 
sence de  son  mari,  la  comtesse  se  laissa  entraîner  vers  les  ques- 
tions religieuses, si  passionnantes  à  celte  époque, el,en  particulier, 
qu'elle  subit  l'influence  de  Robert  d'Arbrissel,  dont  les  prédica- 
tions commençaient  à  remuer  les  populations  de  l'Ouest.  Elle 
avait  admis  dans  son  intimité  un  moine,  nommé  Robert  Quar- 
taud,  qui  avait  quitté  son  monastère  et  se  faisait  auprès  d'elle 
l'interprète  de  doctrines  que  nous  pensons  être  celles  du  fonda- 
teur de  Fonlevrault.  Robert  était  précédemment  à  la  tête  d'une 
obédience  de  l'abbaye  de  Vendôme,  située  non  loin  de  l'Océan, 
qui,  grâce  à  cette  situation,  alimentait  le  monastère  en  poisson; 
par  suite  de  son  départ,  les  moines  se  trouvaient  privés  de  ces 
ressources.  L'abbé  Geoffroy  ne  pouvait  se  résoudre  à  tolérer  cette 
situation,  aussi  écrivit-il  à  la  comtesse  de  Poitou  une  lettre 
comminatoire  dans  laquelle  il  lui  disait  que  sa  conduite,  en  sou- 
tenant Renaud,  était  dangereuse  pour  le  salul  de  son  âme  et  con- 
traire à  celui  de  son  mari;  si  elle  voulait  que  Dieu  fit  revenir 
celui-ci  en  bonne  santé  et  lui  donnâlle  triomphe  sur  ses  ennemis, 

(i)  Ucsly,  ///*/.  des  comles,  preuves,  p.  ^i(i. 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


439 


elle  Jevail  éloigner  d'elle  ce  roligieux  qui,  selon  lui,  travail 
conservé  de  sa  profession  que  la  tonsure  et  le  vèleiin'nt  et  ne 
reconnaissait  pour  règle  que  sa  voloiUé.  (îfofFroy  lui  déclarait  en 
outre  que  si  ce  moine  révollô  conlinuail  à  re.-ler  en  dehors  do 
Tubéissance  qu'il  devait  à  son  supérieur  il  sérail  excommunié, 
tant  par  lui  que  par  le  pape,  aussi  bien  que  toutes  personnes  qui 
partageraient  ses  idées. 

Malgré  qu'elle  fût  personnellemenl  visée,  la  comtesse  ne  semble 
pas  s'être  vivement  préoccupée  des  menaces  de  l'abbé  de  Ven- 
dôme, qui  était  d'ailleurs  en  aussi  mauvais  termes  avec  ses  autres 
prieurs  du  Poitou  ou  de  la  Saintonge,  tels  que  Geolïroy  de  Sur- 
gères, Jean  de  Puyraveau,  Hervé  d'Olonne,  qu'avec  Itoberl  Quar- 
laud.  L'éluignement  de  Philippie  pour  Geoffroy  était  du  reste 
antérieur  au  dé[>arl  du  comte  pour  la  croisade.  11  se  plaint  en 
etfet,  au  début  de  la  lellre  qu'il  lui  écrivit,  de  ce  que,  bien  qu'il 
fût  l'ami  du  comte,  il  ne  put,  lorsque  celui-ci  parlil  pour  Jéru- 
salem, voir  la  comlesie  et  qu'il  duL,  contre  son  gré,  s'éloigner  et 
rentrer  dans  son  abbaye  (1). 

En  dehors  do  ces  menus  fails  il  n'y  a  véritablement  à  signaler, 
pendant  l'absence  du  duc  d'Aquitaine,  que  la  mort  d'Aimé,  l'ar- 
chevôquede  Bordeaux;  le  prélal,  ensa  qualité  delégaldu  pape, 
exerçait  depuis  de  longuesaunées  une  action  prépondérante  dans 
les  asseud>Iées  conciliaires  de  la  région  et  sa  disparition  était  un 
événement  considérable.  11  décéda  le  22  mai  !HOi  et  la  duchesse 
ne  prit  pas  sur  elle  de  désigner  un  nouveaucandidal pour leposle 
qu'il  occupai!  depuis  treize  ans.  Pendant  toute  Tannée  H02  le 
siège  de  Bordeaux  resta  vacanl  ;  on  altendait  évidemment  le  retour 
du  duc.  Cehii-ci  fil  élire  en  1103  à  cette  haute  situation  Arnaud 
Géraud  de  Cabunac,  donl  on  ne  connaît  pas  les  antécédents,  mais 
qui  était  pourvu  des  ordres  sacrés  et  pourrait  bien  avoir  été  l'un 
dos  compagnons  de  Guillaume  en  Orient  (2). 

(1)  MifÇDe,  Palrol.  /a/.,  CL VII,  col.  ao^i  et  aussi  col.  178  et  17Ô;  Desly,  JJisLdet 
comtes,  preuves,  p.  '\iij. 

(y.)  Marcbegoy,  Chtott.  des  égl.  d'Anjou,  p.  421,  Suint-MaijicnJ  ;  Arch.  de  lu 
Vienne,  aécroli/^e  de  Monlierncuf,  ri'p.  n»  aofi,  loi.  itiû  v;  Dcblj,  Util,  des  comtes, 
preuves,  p.  4^^-  ()'>  i>t^  cunoiilt  les  ooiiis  que  d'un  trca  petit  nombre  de  croises  poi. 
lev(Os,auâsi  y  u-l  il  Ik-u  de  relever  ici  celui  de  l'écrivain  religieux  Raoul  Ardent, arclii- 
diacrede  Puiiicrt>.i|ui,en  qualitède  prédicaleur,  aurait  accompagné  le  coinle  de  Poitou 
en  Uriepl  (//m/,  litt.  de  la  France,  IX,  p.  254  \  Lcdain,  Uist.  de  Uressaire,  p.  tio). 


44o  LES  COMTES  DE  POITOU 

La  vie  publique,  qui  semble  avoir  sommeillé  pendant  Tabsence 
du  comte,  reprit  promptement  de  l'activilé  après  son  retour.  A  la 
fin  de  l'année  H 02,  il  se  rendit  à  plusieurs  assemblées  du  chapi- 
tre de  Saint-IIilaireel,  au  commencement  de  l'année  H  03,  il  pro- 
voqua une  réunion  spéciale  des  chanoines  dans  laquelle  il  leur 
demanda  d'accorder  une  prébende  h  un  nommé  Arbaud  ;  des 
ecclésiastiques,  tels  que  l'archevêque  de  Bourges  et  l'évêque  de 
Poitiers,  et  des  laïques  en  grand  nombre,  parmi  lesquels  se 
trouvaient  des  barons  qui  ne  sont  pas  nominativement  dési- 
gnés, se  pressaient  autour  du  comte;  on  n'y  signale  expressé- 
ment comme  présents  qu'Arnaud  le  Jeune,  Pierre  de  ïorçay 
et  Pierre  Savari,  parents  ou  amis  d'Arbaud,  qui  se  portèrent 
garants  des  engagements  pris  par  lui  à  l'égard  du  cha- 
pitre (1). 

Bien  que  la  comtesse,  lorsqu'elle  lit  don  au  prieuré  de  Sainte- 
Gemme  de  la  dîme  de  l'essart  de  la  forêt  de  Baconais,  eût  agi  en 
vertu  de  sa  plénicre  autorité,  néanmoins  elle  avait  conseillé  au 
prieur  Garnier  d'aller  trouver  le  comte  à  son  retour  de  la  croi- 
sade et  de  le  prier  de  reconnaître  cette  concession  ;  se  rendant 
à  ce  sage  avis,  Garnier  vint  à  Poitiers  et  amena  dans  la  chambre 
de  Guillaume  les  particuliers  qui  avaient  été  témoins  de  la  dona- 
tion ;  après  les  avoir  entendus,  le  comte,  «  pour  l'amour  de  la 
comtesse  »,  confirma  ce  qu'elle  avait  fait.  Quelque  temps  après, 
passant  par  la  Saintonge,  il  s'arrêta  à  Sainte-Gemme  où  il  renou- 
vela en  faveur  de  Baymond,  le  nouveau  prieur,' les  libéralités 
précédentes  (2). 

Le  comte  avait  en  effet, au  printemps  de  1103,  recommencé  ses 
pérégrinations.  Il  avait  oublié  dans  quelques  mois  de  repos  les 
misères  de  son  expédition  et,  son  caractère  léger  reprenant  le 
dessus,  il  retraça  en  vers  les  péripéties  de  sa  campagne,  en  leur 
donnant  une  tournure  plutôt  gaie  ;  il  se  faisait  particulièrement 
un  plaisir  de  réciter  cette  poésie  dans  les  réunions  de  ses  vassaux 

(i)  Rédel,  Doc.  pour  Snint-Hilaire,  I,  p.  ii4.  I^ien  que  datée  de  iioa,  celte 
charte,  d'après  les  iadicalions  fournies  par  les  épactcs  cl  l'indiclioa,  appartient  aux 
Irois  premiers  mois  de  l'année  iio3.  D'autres  litres  du  chapitre  de  Saint-Hilairc  et 
particiilicrcmcnt  un  acte  du  29  octobre  1102  rnlutent  la  présence  du  comte  à  Poitiers 
durant  cette  année  1102  (FléJel,  Doc.  pour  Saint-/Iilaire,l,  pp.  ii5,  116,  118). 

(2)  IJcsIy,  //ist.  des  comtes,  preuves,  p.  4>^- 


GUILLAUME  LE  JEUNE^ 


44. 


OU  lorsqu'il  se  trouvait  en  compagnie  de  personnes  notables  (1). 

On  relaie  d'abord  sa  présence  à  Sainl-Maixent,  où,  se  leniinl 
dans  sa  chambre  avec  son  agent  forestier  du  pays,  Hcnaud  le 
veneur,  et,  cédant  aux  instances  de  l'abbé  et  des  moines,  il  donna 
la  viguerie  de  lîomans  à  un  nommé  Gilbert  (2),  De  là  il  s'en  fut  à 
Saint-Jean  d'Angély,  où  il  contribua  à  régler  une  grosse  difticullé 
pendante  entre  les  moines  de  Tabbaye  et  ceux  de  CUiny.  Ces  der- 
niers, se  fondant  sur  ce  qu'au  lemps  de  l'abbé  Kudes  l'abbaye  de 
Saint-Jean  aurait  été  mise  sous  leur  sujélion,  l'cvcndiqnatenl  le 
droiLde  placer  à  la  tèledu  nionusliîre  un  abbé  à  leur  convenance, 
tandis  que  les  moines  de  Sainl-Jean  prétendaient  au  contraire  en 
choisir  un  à  leur  gré.  Alln  d'arriver  à  un  accord,  Renoiil,  évo- 
que de  Saintes,  Arnaud,  archevêque  élu  mais  non  consacré  de 
liordeaux,  le  comte  Guillaume,  son  frère  Hugues  et  Hugues  de 
Lusignan,  le  fidèle  compagnon  de  ses  pérégrinations  en  Orient, 
qui,coui!iie  hii,  avilit  pu  revenir  de  laf'uncàle  expéiiilion,  se  réuni- 
renlàSainl-.Iean  d'Angély(3).  L'évéque  de  Saintes  et  le  comte,  qui 
représentaient  les  intérêts  de  Chiny,  demandèrent  aux  moines 
d'élire  un  personnage  d'un  piélô  insigne  et  de  haute  noblesse, 
nommé  fleuri^  mais  en  mC-uie  temps  ils  pren;iient  cel  engagement 
que^  pDur  éviter  te  retour  des  graves  abus  qui  s'étaient  précédera- 
UR-nl  commis,  il  ne  serait  disposé  des  prieurés  ou  obédiences  de 
Saint-Jean  qu'en  faveur  des  religieux  du  monastère  ;  en  outre, 
qu'aprtis  la  mort  d'Henri  chacune  des  parties  reprendrait  la 
liberté  de  faire  valoir  ses  droits.  Ainsi  fut  fait  (4). 

Le  comte,  continuant  ensuite  son  voyage,  arrivai  Saintes  où 
les  chanoines  de  Sainl-Uibien,  mettant  à  profit  les  bonnes  dis- 
positions dans  lesquelles  il  se  trouvait,  obtinrent  de  lui  qu'il  les 


(i)  Orderic  Vilal,  Hi$t.  ecclés.,  IV,  p.   ija. 

(a)  A     Richard,  C/i«r/(?s  de  Sainl-Muixent,  1,  p.  217. 

(3)  De  uonibreux  ccrivaius.s'appuvanl  sur  l';(ulurilc  do  la  chrooîqiic  intitulée:  Gesla 
Frnnrorum  exjmgnunliuin  Iherusalem  {fifc.  îles  /lisl.des  Croisuiies,  III,  p.  534), 
fant  mourir  Hugues  de  Lusii^nan  ù  la  bataille  de  Knin:i;  nuiis  ce  fait  est  dcnieati  par 
ptusic'iirs  ch.-irtespoitevitics,  d<.'si|uellrs  il  rcsullo  i|u'Hiit;fuejs,  <|ui  prit  à  son  retour  de 
la  Croisade  le  surnom  de  Iiierosolomilain,  vi'cut  jtisqu'co  11 10,  (V'o^.  Mém.  de  la 
Son.  lies  Anliq .  de  l'Ouest,  1"  séri?,  XI,  pp    3iG-3:<i.) 

(4)  Uc'ily,  /fist.  des  rnmlrs,  preuves,  p.  ^jz5  ;  D.  Fantcneau,  XIII,  p.  asr.  Î/C 
per^oana^e  de  (^rauJe  rumillc,  dont  le  duc  prit  si  chaudement  les  intcri^ts  et  fil 
pourvoir  de  l'abbaye  de  Siiinl-Jt'an  d'Aiiirclv  d'une  fa^-on  si  anormale,  a'élail  autre 
que  suit  pareul  Hcuri,  [irieur  de  Ciuujr,  dout  il  u  été  précédciiiiiient  purlé. 


44s  LES  COMTES  DE  POITOU 

confirmât  dans  la  possession  de  l'église  de  Sainle-Serène  que 
son  père  leur  avait  autrefois  donnée;  à  cela  il  ne  fil  aucune 
objection  et  ajouta  même  à  cette  primitive  concession  la  dtme 
d'un  moulin  construit  de  son  temps  sur  la  Charente  (1).  11  se 
rendit  enfin  dans  le  Bordelais  où  sa  présence, après  une  si  longue 
absence,  était  fort  utile.  Raymond,  prieur  de  la  Réole,  lui 
avait  adressé  une  plainte  contre  Bernard,  vicomte  de  Benauge, 
qui  avait  cru  devoir  établir  en  1102  un  péage  ou  tonlieu  dans 
le  bourg  de  la  Réole;  il  accueillit  favorablement  ses  doléances  e^ 
envoya  immédiatement  des  messagers  au  vicomte  Bernai'd  pour 
qu'il  rendit  satisfaction  au  prieur,  tant  pour  ce  fait  que  pour 
d'autres  actes  qu'il  avait  commis  à  son  encontre;  de  plus,  il  lui 
donna  assignation  pour  comparaître  devant  lui  au  fort  de  Tuizan 
où  il  devait  tenir  un  plaid  et  où  il  avait  convoqué  les  grands 
seigneurs  de  Gascogne.  Parmi  ceux  qui  répondirent  à  son 
appel  et  vinrent  lui  présenter  leurs  hommages,  on  relève  les 
noms  d'Astanove,  comte  de  Fezensac,  de  Bernard,  comte  d'Ar- 
magnac, de  Gaston,  vicomte  de  Béarn,  de  Loupaner,  vicomte  de 
Lomagne,  de  Pierre,  seigneur  de  Gabarret,  de  Giraud,  évêque 
d'Agen,  et  d'Etienne,  évoque  de  Bazas.  Le  vicomte  de  Benauge, 
après  décision  de  la  cour  de  Gascogne,  s'engagea  à  donner  satis- 
faction au  demandeur  et  à  ne  plus  lever  l'impôt  qu'il  avait  établi  ; 
pour  plus  de  sûreté,  il  désigna,  comme  cautions  de  sa  parole,  le 
vicomie  de  Béarn  et  le  seigneur  de  Gabarret  (2). 

Guillaume  était  trop  bien  doué  pour  n'avoir  pas  profité  de  son 
voyage  en  Orient  et  ne  s'être  pas  pénétré  de  cette  civilisation  by- 
zantine qui  avait  tant  do  dissemblance  avec  celle  plutôt  grossière  des 
Francs.  Mais  l'influence  qu'elle  exerça  sur  lui  fut  plutôt  délétère 
et  produisit  cet  effet  que  l'on  constate  journellement  chez  les  peu- 
plades barbares  lorsqu'elles  sont  mises  en  contact  avec  les  Euro- 
péens, à  qui  elles  n'empruntent  guère  que  leurs  vices.  Son  trésor 
ducal  était  vide  ;  en  d'autres  temps,  pour  le  combler,  il  aurait 

(i)Bcsly,  Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  467. 

(2)  Arclu  hist.  de  la  Gironde,  V,  p.  129.  Nous  ne  nous  chargeons  pas  de  faire 
accorder  ces  faits  absolument  certains  avec  le  passage  de  la  chronique  des  comtes 
d'Augoulcnie  cite  plus  haut  (page  4>2,  note  3),  qui  attribue  au  comte  d'Angouléme  la 
possession  inconlesléc  de  Benauge  après  la  dure  répression  de  1096;  il  dut,  seloo 
toute  évidence,  repiettre  à  Bernard  tout  ou  partie  de  1»  vicomte, 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


443 


entrepris  une  guerre  de  rapines,  frappéses  sujets  de  contributions 
ou  pressuré  les  élablissemcnts  religieux,  lesijuels  ne  se  seraient 
pas  iaisst^  tondre  sans  réclamer  avec  ardeur.  Il  préf(''raeDiplayer 
un  procédé  moins  périlleux  qui,  dans  son  esprit,  devait  lui  pro- 

■  curer  tout  autant  de  bénéfice;  en  1 103,  il  fil  frapper  de  la  mon- 
H  naie  d'argent,  à  laquelle  il  donna  une  valeur  bien  supérieure  à 
H  celle  qui  était  attribuée  à  la  pièce  similaire  en  billon  du  moyen- 
"    nage  courant  (t.).  Celle  pièce  était   robole,  pour  laquelle   on  fil 

revivre  un  type  ancien  remonlanl  ;ï  Cliarleniaiîne  et  h  Louis  le 

I   Débonnaire,  portant  d'un  cùlé  en  deux  lignes  le  nom  royal  usité 
sur  les  monnaies  du  Poitou  et  qui  fut  ortbogruphié  Carlas  au 
lieu  de  Carlvs,  puis  de  l'autre  c<Mé  le  nom  de  Molle,  Mjïtvlo, 
entre  deux  grènetis  entourant  une  croix  (2). 
'  Il  est  probable  que  c'est  à  Saintes   que  fut  tentée  celle  opé- 

ralion  cl  que  la  monnaie  qui  en  issul  doit  être  identifiée  avec 
'        celle, dite  de  Goilart,  qui  fut  fabriquée  au  temps  de  Foucaud  Ai- 
^  raud,  prévôt  du  comte  en  celte  ville.  D'autres  émissions  eurent 
lieu  postérieurement  au  temps  du  prévôt  ItoberL  de  Gémozac, 
Wk  successeur  de  Fuucaud.  On  voit  par  ces  faits  que  Guillaume   ne 
négligea  pas  de  tirer  prolit  de  son  droit  de  monnayage  à  Saintes  ; 
il  le  fil  reconnallre  parles  religieuses  de  Notre-Dame  qui  furenl 
contraintes  de  déclarer  (pie  la  monnaie  de  la  cité  élriit   la  pro- 
priété du  comte  et  que,  si  quelque  personne  se  refusait  à  la  rece- 

■  voir,  le  comle  avait  le  droit  de  la  poursuivre.  Lorsqu'il  fit  frapper 
de  nouvelles  pièces  on  plai;a  deux  troncs  dans  la  ville  de  Saintes, 
l'un  au  Puy-Sainl-Eulra|H',  l'autre  sur  la  place  Suinl-Pierre-des- 
Bancs,  où  la  uioniiaie  rompue  était  recueillie  au  nom  du  comte 
pour  être  employée  aux  besoins  de  son  uflîcine  (3). 

Par  suite  de  la  longue  absence  de  Guillaume  son    entourage 


(ij  Marclicçay,  Chroit.  des  tjl .  dWnjoii,  p.  l\2\,  Saint-.Maixeut. 

(z)  Ea  aUribuaut  ces  piocea  à  GuilUuine  le  Jeune. ouiis  ne  l'aisoQs  que  suivre  l'opi- 
nioa  émise  il  y  a  Hoixaute  ansi  par  M.  LccoÎMlre-Djpont,  noire  mallrc  el  notre  ami 
[Essai  sur  tirs  iiiQiincuei  frappées  en  Poitou,  p.  S4},  tomcfois  nous  nous  cloiirQons 
de  lui  ea  adribuuul  au  retour  à  [n  mouuaie  d'urireal  lu  première  partie  de  la  phrase 
du  cbruni<{ueur  <|ui  cnouce  ce  fuit  et  qui  e:îlaia'>i  conçue  :  u  Aqqo  Mt>in  rua:;aii  fuit 
tribula(ii)  el  uummi  ariçculei  pro  œrciâ  tautali  el  facli  sudI.  p  CeXlc  opératioa.  conriie 
danc  un  but  de  tà^dliic  excessive,  ne  put  qu'apporter  uu  grand  (rouble  daosles  (raa- 
Baclioas  et  c'est  h   cette  bitualiuu  que,  selua  aous,   s'applique  le  mot  u  tnbuialio  s. 

(3)Curt.  de  Notre-UÀin:  de  Saintes,  p.  53.  Cette  qu^iliftcation  de  Goiîari  doQuéft 
à  la  monnaie   frappée   à  Saiulci   uu  comiueucemeut  du  xti"  siècle,  e^il  ideuli(|ue  à 


444  LES  COMTES  DE  POITOU 

s'était  nécessairement  modifié  cl  il  est  naturel  qu'il  se  soit  par- 
ticulièrement attaché  à  ses  compagnons  d'infortune,  à  ceux  qui 
avaient  échappé  avec  lui  aux  misères  de  cet  Orient  où  tant  d'entre 
eux  avaient  terminé  leur  existence.  De  retour  à  Poitiers,  il 
donna  la  charge  de  prôvôl  de  cette  ville  à  l'un  d'eux,  nommé 
Guillaume,  fils  de  Thibault  le  grammairien.  Celui-ci,  assuré  de 
la  faveur  constante  du  comte,  se  montra,  comme  il  arrive  trop 
souvent  aux  parvenus,  agressif  h  l'égard  de  ceux  qui  étaient 
élevés  en  dignité  et  oppressif  envers  les  faibles  ou  ses  inférieurs. 
Une  se  gêna  pas,  entre  autres,  pour  enlever  aux  religieux  de 
Noaillé  les  moulins  de  Chasseigne  à  Poitiers.  Les  moines  se 
retournèrent  vers  leur  défenseur  naturel,  Hugues  de  Lusignan, 
leur  avoué .  Celui-ci  harcela  le  comte  et  fil  agir  auprès  de  lui 
les  personnes  qui  l'approchaient  afin  que  les  moines  rentrassent 
dans  leurs  biens,  mais  Guillaume,  évitant  do  se  prononcer  et  do 
blesser  par  une  décision  quelconque  l'un  de  ses  deux  fidèles, 
déclara  s'en  remettre  à  l'épreuve  du  duel.  Une  île  du  Clain  était 
le  champ  clos  où  se  vidaient  les  affaires  de  cette  sorte,  sous  les 
yeux  du  peuple,  posté  de  chaque  côté  de  la  rivière.  Les  deux 
parties  envoyèrent  donc  leurs  champions  au  lieu  désigné;  celui 
des  moines  s'appelait  Daniel  Quatre  Os.  Ses  poings  eurent  raison 
de  ceux  de  sonadversaire.à  la  grande  joie  des  religieux,  qui  célé- 
brèrent sa  victoire  avec  enthousiasme. 

Sur  le  terrain  avaient  pris  place,  outre  les  combattants,  huit 
personnes,  qui  faisaient  l'office  de  témoins;  l'une  d'elles  était  le 
viguier  de  Poitiers,  et  l'on  y  voyait  aussi  le  jeune  Guillaume,  fils 
du  comte,  avec  son  pédagogue.  De  l'autre  côté  de  l'eau  se  trou- 
vaient Hugues  de  Lusignan  et  une  quantité  considérable  de  Poi- 
tevins, curieux  d'assister  à  cette  mémorable  scène  de  pugilat  (1). 

Ceci  se  passait  le  lundi  13  juin  1104;  Guillaume  n'était  pas 

celles  de  Goliard  que  l'on  relève  en  Auvergne  el  de  Goillarde  employée  en  Forez  (Du 
Canrj^e,  Glossariiim),  tous  iiiuts  qui  sont  à  rapprocher  de  l'expression  «  Goliardia  > 
qui  siçnitiait  fnussctc.  tromperie,  friponnerie.  Il  est  encore  bon  de  faire  remarquer, 
et  ceci  n'infirme  en  rien  notre  iulerprélaliun,  bien  au  contraire,  que  l'on  rencontre 
vers  celte  époque,  dans  les  chartes  de  Nolrc-Duinc  de  Saintes,  un  particulier  nommé 
(îiraud,  surnoninic  Guallard  et  fils  de  Giraud  Apurult  [Cari,  de  Noire-Dame  de 
Sain/ es,  p.  120). 

(i)  Arch.  de  la  Vienne,  orii^.,  Noaillé,  no  ijo;  D.Fonleneau,  XI,  p.  669  ;  Guérard, 
Pohjfjtiijae  d'Jrmition,  app.  a"  33 . 


GUILLAUME  LE  JEUNE  445 

alors  h  Poitiers,  des  affaires  d'une  réelle  gravité  attirant  alors 
son  attention  par  ailleurs.  Foulquesle  lléchin,  malgré  l'abandon 
de  Bertrade,  avait  conservé  la  plus  vive  affection  pour  sa  volage 
épouse;  elle  lui  avait  laissé  le  fils  qu'elle  avait  eu  de  leur  union 
passagère  et  le  comte  d'Anjou,  reportant  sur  l'enfant  les  senti- 
ments qu'il  ressentait  pour  la  mère,  ne  dissimulait  pas  ses  inten- 
tions à  son  égard  :  il  voulait  en  faire  son  principal  héritier  et  le 
pourvoir  de  son  comté  au  détriment  de  son  Hlsalné,  Geoffroy  dit 
Martel  le  Jeune,  qu'il  avait  eu  d'Ermengarde  de  Bourbon.  Mais 
celui-ci  n'était  pas  d'humeur  à  se  laisser  dépouiller.  Déjà  il  avait 
témoigné  de  la  décision  de  son  caractère  en  donnant  une  liberté 
relative  à  son  vieil  oncle,  Geoffroy  le  Barbu,  dont  il  avait  la  garde; 
en  reconnaissance,  ce  dernier  lui  avait,  disait-on,  abandonné  tous 
ses  droits  sur  le  comté  d'Anjou  que  lui  avait  enlevé  Foulques 
trente  ans  auparavant.  Fort  de  cette  investiture,  Geoffroy, 
qui  redoutait  tout  de  son  père,  répondit  par  des  actes  aux 
sourdes  menées  de  celui-ci.  Il  attacha  à  sa  cause  le  comte  Hélie 
du  Mans  et,  grâce  à  son  appui,  il  s'empara  sans  coup  férir  du  châ- 
teau de  Mazon  qu'il  incendia.  Ce  fut  ensuite  le  tour  de  l'impor- 
tante forteresse  de  Briolay,  dont  le  seigneur  tenait  pour  le  comte 
d'Anjou.  Celui-ci,  effrayé  et  même  chassé  de  sa  capitale,  se  tourna 
vers  le  comte  de  Poitou  dont  il  était  vassal  pour  ses  fiefs  du  Lou- 
dunais  et  lui  demanda  aide.  Mais  pendant  que  Guillaume  se 
préparait  à  aller  à  son  secours,  Geoffroy,  poursuivant  ses  avanta- 
ges, s'empara  du  château  de  «  Carceris  »  et  se  porta  enfin  sur 
Thouarsqui  tomba  entre  ses  mains  le  dimanche  28  août  1104,  à 
9  heures  du  malin,  et  qu'il  incendia.  Les  textes,  en  précisant 
comme  il  est  dit  l'heure  exacte  de  l'entrée  du  jeune  comte  dans  la 
ville  un  jour  férié,  semblent  bien  indiquer  que  ce  fait  so  produisit 
par  surprise.. Maîtres  de  cette  place  forte,  les  Angevins,  coupant 
en  deux,  suivant  leur  habitude,  les  possessions  du  comte  de  Poi> 
tou,  descendirent  vers  la  Saintongc  et  s'emparèrent  successive- 
ment de  Niort  et  de  Beauvoir,  où  ils  mirent  le  feu. 

Mais  Guillaume  avait  pu  rassembler  des  forces  suffisantes  pour 
tenir  tête  à  sonjeune  et  habile  adversaire,  et,  quand  il  fut  prêt,  il 
marcha  à  sa  rencontre.  Geoffroy,  menacé  d'être  séparé  de  sa 
base  d'opération,  dut  retourner  sur  ses  pas;  les  deux  armées  se 


4^6  LES  COMTES  DE  POITOIJ 

Irouvaionl  tri  pri'vsence  auprès  de  Parlhenay  cl  allaient  en  venir 
aux  mains  lorsqu'éciala  une  tempête  de  pluie  effroyable  qui  dura 
deux  jours  cl  deux  nuits.  Des  hommes  d'c'glise, qui  accompagnaient 
les  belligérants,  mirent  k  profit  leur  inaction  forcée  pour  s'inter- 
poser entre  eux  et  réussirent  si  bien  que,  sans  combattre,  lesdeiix 
armées  se  retireront  (1).  Foulques,  abandonné  par  son  allié,  dut 
se  mettre  à  la  discrétion  de  son  fils  qui  désormais  partagea  le 
pouvoir  avec  lui  (2). 

Les  succès  de  Geoffroy  Martel  avaient  donné  à  réfléchir  au 
comte  de  Poitou;  son  adversaire,  qui  avait  pénétré  sans  grandes 
difficultés  jusqu'au  cœur  de  ses  états,  pouvait  bien  prendre  quel- 
que jour  sa  capitale  même  pour  objectif;  pour  se  mettre  en  garde 
contre  une  pareille  éventualité,  il  fortifia  l'ancien  mur  de  l'en- 
ceinte romaine,  au  delà  de  laquelle  la  ville  de  Poitiers  avait 
débordé,  par  deux  tours  imporlantes  qu'il  fit  construire,  l'une  à 
l'entrée  de  la  ville,  l'autre  auprès  de  son  palais  (3), 

A  la  suite  de  ces  événements  une  tranquillité  relative  régna 
dans  les  étals  du  duc  d'Aquilaine,  mais  si  les  guerres  et  leurs 
conséquences  néfastes  étaient  pour  le  moment  assoupies,  un  grand 
trouble  continuait  ù  agiter  les  esprits, en  particulier  dans  les  clas- 

(i)  Mnrch<;g'ay,  C/iron.'drs  égl.  d'Anjou  ;  Sainl-Aiihîn,  p.  3o,  La  Chaise,  p.  34/j, 
Sftinl-Maixenl,  p.  422.  La  chronique  de  Sainl-M^ixeol  rapporte  ce  fail  nu  vides  nones 
de  novemhrc  de  l'an  1  lofi-  H  y  a  dans  mile  énonriatîon  une  erreur  évidente  ;  nu 
mois  de  novemhrc  les  nones  ne  cuinplaient  qtrc  quali'e  jours  et  c'est  en  octobre  qu'il  y 
en  avait  six;  mais  comme  il  est  bien  plus  naturel  d^ndin  et  Ire  que  le  acrilie  s'est  trompé 
sur  les  ehilFres  en  écrivant  vi  au  lieu  de  iv  ptulôt  que  sur  le  nom  du  mois,  nous 
adoptons  la  date  du  iv  des  nones,  c'cst-à-«!ire  du  5  novcmlire.  ce  qui  concorde  avec  la 
période  ordinaire  de  grandes  pluies  que  l'on  appelle  en  Poitou  les  enux  de  laToussaint. 

(2)  Nous  avons  cru  devoir  rapporter  tous  ces  faîls  à  l'année  \  10^,  bien  qtie  la  chro- 
nique de  Saint-Aubin  d'Angers  place  en  1  io3  ta  rencontre  du  comte  de  Poitou  et  de 
Geoffroy  Martel  et  en  1  io4  In  prise  de  Tîiouars.  Nous  avons  pour  jjarani  la  chroni- 
que de  Saint-Mnixent  dont  Fauteur  était  contemporain  de  ces  événements,  et  d'autre 
part  11  parait  bien  anormal  que  riuillaunie, après  avoir  fail  la  paix  avec  son  adversaire, 
ai(  abandonné  à  sa  vindicte  le  Hdèle  vassal  qui  avait  partnpc  avec  lui  les  épreuves  de 
la  croisade.  Il  est  nu  contraire  toul  naturel  que  la  prise  de  Thouars  ait  précédé  la 
rencontre  de  Parlhenay,  Le  texte  de.  ta  chronique  de  Sainl-Maixent  nous  parait  du 
reste  corroboré  par  celui  d'une  charte  du  chapitre  de  Saint-Hilaire-lc-Grand.  de  l'an- 
née I  to/J,  où  il  est  dit  que  Guillaume,  dans  la  Élcur  de  sa  jeunesse,  commandait  alors 
une  expédition  militaire  {J\édet,  /Joe.  pour  ^aint-Itilnirey  I,  p.    n(>). 

(3)  Marcheg-ay,  Citron.  d'Anjoity  I,  p.  i^a.  La  tour  élevée  dan»  les  dépendances 
du  palais  des  comlca  doit  être  la  tour  Mauberçcnn,  qui  occupa  remplacement 
réservé  aux  plaids  de  justice,  le  «  mallohcrçium  »  ;  quant  à  l'autre,  qui  se  trouvait  à 
l'entrée  de  la  ville,  elle  devait  coniiiiander  la  roule  de  l'Anjou  et  par  suite  on  peut 
croire  qu'elle  fut  le  point  de  départ  du  château  que  Jean  de  Berrj  construisît  plus 
tard  au  conlluent  de  la  Botrre  et  du  Clain. 


GUILLAUME  LC  JEUNE 


h 


447 

ses  supérietiriîs.  Celle  inquiétude  se  manifesla  surtout  par  le 
mouvement  qui  enl raina  les  populations  vers  une  nouvelle  con- 
ception sociale,  celle  as  rémancipation  de  la  femme,  et  comme 
il  arrive  dans  toutes  les  r<''formes,  le  but  fut  lout  d'abord  dépassé. 
On  ne  se  contenta  pas  do  la  considérer  comme  l'éj^ale  de  l'homme, 
cerlains  esprits  voulurent  qu'elle  lui  fût  suptVieiire.  L'apôtre  de 
cette  théorie  risquée,  Hobert  d'Arbrissel,  ne  cessait, par  sa  parole 
chaude,  ses  agissements  hardis,  de  remuer  la  sociélé, et  de  Fon- 
tevrault,  devenu  depuis  1099,  sa  résidence  ordinaire,  parlaient 
journellement  des  bandes  de  disciples;  on  se  demande  si  Guil- 
leume,  avec  les  sentiments  de  curiosité  raffinée  qui  étaient  l'es- 
sence de  sa  nature,  ne  prenait  point  un  n^el  intérêt  à  suivre  les 
développements  de  celle  œuvre,  dans  laquelle  la  femme,  î^  l'é- 
gard de  qui  il  professait  des  sentiments  moins  purs  et  surtout 
moins  élevés  que  ne  le  prêchait  le  réformateur,  jouait  le  princi- 
pal rôle.  Cet  appui  secret  semble  se  dé«;ager  du  développement 
que  l'on  voit  prendre  à  l'œuvre  de  Robert  d'Arbrissel  dans  le 
pays  d'Aquitaine,  et  de  son  peu  d'extension  hors  do  celte 
ri'-jiîion.  Dans  celle-ci.  deux  prélats  en  particulier  la  secondèrent 
de  tout  leur  pouvoir  :  Tun  élait  le  chef  du  diocèse,  Tévéque  de 
Poitiers,  Pierre  M,  qui  couvrait  de  son  autorité  épiscopale  les 
entreprises  les  plus  osées  du  réformateur  et  qui  se  rendît  spé- 
cialement à  Rome  pour  obtenir  du  pape  l'approbation  des  règles 
qu'il  avait  établies  dans  son  inslitui,  l'autre  était  Léger,  Farclie- 
véquede  Rourges,  à  qui  Robert  disait  dans  un  de  ses  élans  de  re- 
connaissance: (^  Père  très  chéri,  tu  es  à  la  fois  mon  archevêque, 
mon  primat  et  mon  palriarche.  Je  t'ai  aimé  par  dessus  toutes  choses 
et  j'ai  toujours  été  à  Ion  égard  d'une  soumission  absolue  (1).  » 

On  les  trouve  tousles trois  réunis  auprèsdeCiuillaume  unjour  de 
l'année  1 105,  alors  que  celuî-ci  décida  avec  les  gens  de  son  conseil 
d'arrêter  les  entreprises  d'Hugues  de  Lusignan,  dit  le  Vieux,  con- 
tre les  moines  de  Sainl-Maixent;  le  sénéchal  du  comte,  Gilbert, 
son  fidèle,  Hugues  de  Doué,  se  trouvaient  là  avec  plusieurs  abbés 
de  la  région,  Marc  de  Monlierneuf,  Garnier  de  Notre-Dame, 
Henri  de  Saint-Jean  d'Angély,  Baudride  Bourgueil,que  l'on  peut 


448  LKS  COMTES  DE  POITOU 

regarder  comme  les  principaux  adhérents  du  fondaleur  de  Fon- 
tevraull  et  que  sa  présence  avait  attirés  à  la  cour  du  comte  (1). 

Celle  même  année  1105,  celui-ci  se  rendit  ù  Saint-Jean,  où  il 
régla  une  affaire  litigieuse  entre  lui  et  les  religieux  ;  ceux-ci  récla- 
maient pour  Ipurs  obédiences  la  liberté  du  pasquier  de  leurs 
porcs  et  de  leurs  brebis  dans  les  bois  du  comte  et,  de  plus,  ils  dé- 
niaient à  ce  dernier  le  droit  decharnagedans  ces  mêmes  obédien- 
ces. Guillaume,  qui  était  accompagné  de  sa  mère  Audéarde  et  de 
son  frère  Hugues,  conclut  facilement  un  accord  avec  l'abbé  Henri  ; 
il  souscrivit  aux  demandes  des  religieux  de  Saint-Jean  et  reçut  en 
retour  un  cadeau  de  500  sous  ;  toutefois,  il  fit  spécifier  dans  l'acte 
que  300  de  ces  sous  seraient  en  vieux  poitevins  et  200  en  pièces 
de  moindre  taille,  c'est-à-dire  en  oboles,  de  très  bonne  monnaie. 
Celte  dernière  était  évidemment  celle  dont  il  venait  d'ordonner 
récemment  la  frappe  (2). 

Dans  le  même  temps,  il  confirma  les  accords  que  Thomas,  le 
prieur  d'Esnandes,  avait  passés  avec  les  seigneurs  des  terrains  qu'il 
avait  acquis  pour  l'accroissement  de  son  obédience;  la  comtesse 
elle-même,  sans  doute  pendant  l'absence  de  son  mari,  avait,  en 
présence  d'Hugues  Claret  et  de  Giraud  de  Passavant,  donné  son 
assentiment  à  ces  transactions  et  renoncé  à  ses  droits  de  sei- 
gneuriage  ;  il  chargea  en  outre  ses  prévôts  de  l'Aunis  de  veillera 
ce  que  les  moines  de  Saint-Jean, dont  Esnandes  dépendait,pussent 
désormais  jouir  en  paix  de  ces  domaines,  et  l'abbé, afin  de  mieux 
fixer  cet  acte  dans  la  mémoire  du  comte,  lui  fit  don  d'un  cheval. 
La  comtesse  Audéarde  était  au  nombre  des  témoins,  ainsi  que 
Raoul  du  Doignon,  Hugues  de  Doué,  Hugues  Bastard  et  Fouchier 
le  sénéchal  (3). 

On  ne  sait  rien  de  plus  sur  les  actes  de  Guillaume  pendant  l'an- 
née ilOo,  mais  autrement  agitée  devait  être  l'année  1106.  Boe- 
mond,  prince  d'Antioche,  autant  pour  satisfaire  sa  haine  contre 
Alexis  Comnène, l'empereur  de  Constantinople,que  pour  venir  en 
aide  au  roi  de  Jérusalem,  avait  entrepris  une  tournée  en  Occi- 
dent ;  il  se  rendit  d'abord  à  Rome,oi\  il  s'entendit  avec  le  pape  et 

(i)  A.  Richard,  Chartes  de  Sainf-3faLrent,  I,  p.  2f\o. 
U)  D.  FoDtcneau,  XXVII  bis,  p.  325. 
(3)  I).  Fonteneau,  XXVII  bis,  p.  333. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  449 

se  dirigea  ensuite  vers  l'Aquitaine.  Le  motif  public  de  son  voyage 
était  d'accomplir  le  vœu  qu'il  avait  formé,  pendant  qu'il  était 
prisonnier  de  l'émir  de  Mélitène,  d'aller  déposer  sur  le  tombeau 
de  saint  Léonard  de  Noblat,  en  Limousin^  des  chaînes  d'argent 
du  poids  de  celles  qu'il  avait  portées  pendant  ses  deux  années  de 
captivité.  Mais  à  Rome  il  trouva  l'évêque  de  Poitiers,  Pierre  II, 
qui,  le  25  avril,  avait  obtenu  du  pape  Pascal  II  une  bulle  spéciale, 
par  laquelle  le   souverain  pontife    prenait  sous  sa  protection 
l'établissement  des  religieuses  de  Fontevrault  et  le  confirmait 
dans  ses   possessions    présentes   et    futures  (1).  L'évoque   mit 
sa  ville  épiscopale  à  la  disposition  du  prince  d'Anlioche,  à  qui 
le  pape  avait  adjoint  pour  compagnon  Bruno,  évoque  de  Scgni, 
et  ce  dernier,  en  vertu  de  ses  pouvoirs,  convoqua  un  concile 
à  Poitiers  pour  le  26  juin  1106.  A  cette  assemblée,  oil  assista 
Suger,  alors  jeune,  et  qui   venait  de  terminer  ses  études,  on 
régla  des  affaires  locales,  telles  que  des  contestations  surve- 
nues entre  les  abbés  de  Saint-Jean  d'Angély  et  de  Vendôme  au 
sujet  de  l'île  de  Fleix,  mais  la  question  de  la  croisade,  soulevée 
par  Boemond,  dont  la  présence  était  pour  les  guerriers  et  les 
prélats  aquitains  un  grand  attrait  de  curiosité  et  un  objet  de 
vive  sympathie,primatout,et  un  nouveau  mouvement  versl'Orient 
fut  décidé  (2). 

Fort  de  cet  appui  solennel,  Boemond  partit  pour  l'Anjou  afin  de 
recruter  de  nouveaux  adhérents;  peut-être  aurait-il  pu  arriver  à 
entraîner  Geoffroy  Martel,  dont  le  caractère  pouvait  s'accommoder 
des  aventures  que  faisait  miroiter  le  prince  d'Antioche,  mais  dans 
ce  pays  la  situation  venait  de  se  modifier  complètement  par  suite 
de  la  mort  inopinée  du  jeune  comte.  Geoffroy,  après  sa  réconci- 
liation avec  son  père,  avait  pris  le  premier  rang  dans  le  gouver- 
nement du  comté, et,  entraîné  par  son  caractère  batailleur,  il  ne 
cessait  de  guerroyer  à  droite  et  à  gauche.  On  ne  sait  pour  quel 
motif  il  fut  amené  h  faire  le  siège  de  Candô,  sans  doute  simple 

(t)  Clypetis  Fonlebrnld.,  II.  p.  io-î.  Pierre  II,  de  rcl<mr  à  Poiiiors,  scimiii  la  liiill(> 
papale  au  chapitre  de  sa  c.uhéilralo,  et,  du  conscnteinniil  des  clianoiiu's,  di>iiiia  à  la 
fondation  de  Fonlcvraull  son  approbation  déliiiilive  ((%;«,•//.<  Funle/jr.ilii.,  Il,  p.  nj; 
Gallin  Christ.,  instr.,  Il,  col.  .{."i.'»). 

(2)Labbe,  Concilia,  X,  ol.  7^,0  ;  Wétais,  Cari,  sditil.  de.  lu  Triniti-  dit  Vendo/tw, 
p. 90  ;  Suger,  Vie  de  Lo-iis  le  Gros,  éd.  .Moliuier,  p.  2'i. 


45o  LES  COMTES  DE  POITOU 

question  de  difficultés  avec  un  vassal  turbulent  ;  or,  le  19  mai, 
pendant  une  entrevue  avec  les  assiégés,  il  fut  tué  en  traîtrise  d'un 
coup  de  flèche  (Ij. 

Berlrade,  dont  cette  mort  servait  les  intérêts,  fut  soupçonnée 
de  n'avoir  pas  été  étrangère  à  cet  événement  qui,  par  ricochet, dé- 
livrait aussi  le  duc  d'Aquitaine  d'un  voisin  dangereux,avec  qui  il 
avait  été  contraint  de  faire  une  paix,  peut-être  peu  honorable.  La 
reine  de  France  profita  donc  aussitôt  de  la  circonstance  pour  faire 
attribuer  à  l'enfant, issu  de  son  union  avec  le  Kéchin,lasituation  dont 
avait  joui  son  beau-fils.  Foulques  avait  de  seize  à  dix-sept  ans, 
et  il  remplissait  auprès  du  roi  l'office  de  bouteiller.  Bertrade  le 
renvoya  en  Anjou  et  le  confia  aux  bons  soins  de  Guillaume  de  Poi- 
tiers, qui  se  trouvait  pour  le  moment  à  la  cour  du  roi  de  France. 
Mais  le  duc,  qui  avait  eu,  dans  le  passé,  tant  à  se  plaindre  de  la 
maison  d'Anjou,  jugea  bon  de  profiter  de  l'occasion  pour  corriger 
les  mauvais  effets  produits  parlapolitique  de  ses  ancêtres  et  même 
par  la  sienne.  H  accepta  donc  la  mission  que  lui  donnait  la  reine, 
mais  avec  la  pensée  de  se  dégager  à  un  moment  voulu  de  la 
parole  donnée  ;  lorsqu'il  fut  arrivé  à  la  limite  de  ses  étals,  c'est-à- 
dire  vers  Fontevrault,  il  cessa  son  rôle  de  protecteur  pour  prendre 
celui  de  geôlier,  se  saisit  de  Foulques  et  le  fit  enfermer  dans 
une  de  ses  forteresses.  II  ne  consentait  à  lui  rendre  la  liberté  que 
contre  la  remise  des  châteaux  que  le  Réchin  et  le  jeune  Martel 
possédaient  en  fief,  de  droit  héréditaire,  sur  les  frontières  du  Poi- 
tou, c'est-à-dire,  ceux  du  Mirebalais,  qui,  par  suite  de  leur  voisi- 
nage de  Poitiers, ne  cessaient  d'être  inquiétants  pour  la  sûreté  de 
cette  ville. 

Le  Réchin,  excité  par  Bertrade,  menaça  Guillaume  d'une  prise 
d'armes,  mais  son  apathie  naturelle  le  retenait  d'agir,  aussi  la 
reine  fut-elle  contrainte  de  tourner  ses  efforts  d'autre  part  et  elle 
pressa  le  roi  de  France  d'intervenir.  Philippe,  toujours  captivé 
par  les  charmes  de  son  épouse  illégitime,  se  laissa  convaincre  ; 
il  partit  pour  l'Anjou, et  c'est  alors  que  l'on  put  voir  publiquement 
ce  que  l'on  a  appelé  depuis  le  ménage  à  trois,  Bertrade  trônant 
aux  côtés  du  roi  Philippe,  tandis  que  le  comte  d'Anjou,  son  pre- 

(i)  Marchegay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  3o,  Saint'-Âubiti  d'Angertf. 


GUIU-AIME  IJ-:  JlitINE 


45 1 


rtiîer  el  vérilable  mari, se  lenail  i'i  ses  pied?,  assis  sur  un  escabeau, 
dans  une  humble  posilion.  Un  leurs  pourparlers,  il  r<!'sulla  colle 
conviction  qu'un  accord  serait  plus  avantageux  qu'une  guerre 
que  personne  ne  désirait  ;  on  abandonna  au  conile  de  Poitou  les 
places  fortes  qu'il  ambilionnail,uioyennanl.  quoi  le  jeune  Foulques 
fui  di'-livré  de  sa  prison  (1). 

Ces  Faits  se  seraient  passés  dans  les  premiers  mois  de  l'année 
H07,si,commeil  a  élé  dil,le  fils  de ilerlrade resta  en  captivilé  pen- 
dant une  année  environ  (2).  Vers  ce  temps,  Robert  d'Arljrissel  se 
Irouvailencore  à  Poitiers  où  il  prenait  part  aune  imporlanle  déci- 
sion ecclésiastique.  L'évêque  Pierre  tl  avait  fait  don  en  1096, aux 
religieux  de  Saint-Florent  de  Saumur,  de  l'éf^lise  abbatiale  de 
Sainl'Laon  de  Thouars,  dépendance  du  chapitre  calhédral  ;  il 
trouvait  que  tes  chanoines  de  Saint-Laon  ne  menaient  pas  la  vie 
qu'en  vertu  de  leur  profession  religieuse  ils  s'étaient  engagés  à 
suivre,  et  il  avait  voulu,  par  leur  union  à  Saint-Florent, lés  astrein- 
dre à  plus  de  régularité  ;  mais  les  chanoines  s'insurgèrent  contre 
la  suprématie  qui  leur  était  imposée,  et  portèrent  leur  revendi- 
cation devant  le  tribunal  de  l'évêque.  Celui-ci  no  se  crut  pas  en 
droit  de  maintenir  seul  sa  primitive  décision  et  il  renvoya  l'af- 
faire devant  un  tribunal  arbitral  où  siégea  Hohert  d'Arbrissi;l  en 
compagnie  de  ses  fervents  adhérnnis,  rarchcvôque  de  Bourges, 
les  abbés  de  Monlierncuf,  de  Saiul-Cyprien,  de  Sainl-Maixenl, 
de  Saint-Jean  d'Angély,  de  Notre-Daïue,  et  enlhi  le  Irésorier  de 
Sainl-flihiire.  La  cnuse  entendue,  les  arbitres  se  prononcèrent  en 


(i)  Besly,  ffist.  des  <?o/M/e*,  preuvea,  p.  ^i^  ;  Orderic  Vila!,  Uitt.  ecclés.,  IV, 
p.  218.N0US  avous  suivi  le  texte  d'Urtlcric  N'itnl  pliildt  que  celui  de  Guilliiiimc  de  Tyr, 
reproduit  par  Ucsly  [Recaeil  (/<*.«  /ii's/,  <trs  Ooisudes,  llist.  oci-uIrnIaiLX,  I,  p.  (to-j). 
Ce  dernier  chrooiriueur  présente  Foulipu's  ouinaie^  le  buutcillcr  du  cofile  de  l'uitou,  co 
quiscmit  bien  extraordinaire,  c^r,  s'il  eût  occupé  celle  po» il i< iu.il  lui  aurait  à\é  bien 
facile  de  rentrer  en  Anjou  sans  escorte,  tes  divnjttinc»  ik-  *on  |ière  coiiuiien^'aal  à 
quel(|ueâ  lieues  seulement  de  PuiiirrH  ;  il  semble  bien  plu»  ndmiiisible  de  se  lier  au 
récit  de  l'histonen  normand,  qui  ndus  montre  le  jeune  liU  de  lUrtrade.  it^Miijnt 
auprès  d'elle  à  la  cour  du  roi  de  France;  la  reine,  cvuilînnle  dans  \f\  belles  paroles 
de  Guillaume  dePoiliers.qui  n'avait  pu  nianquer  d'iMro  un  de  *c»  ad>tnitenni,  à  Uiul  le 
moins  platonique,  a  dû  naturel tcmenl  lui  conâcr  Koulipic^  Miis  iiou}>^v>nncr  une  dé- 
loyauté possible. 

11}  bien  que  le  le.vie  d'Ordcric  Vital  soil  formel,  la  duré**  q«*<l  •«•ugiM  À  IVmprU 
soDoeoicul  de  Foul>]ucs  nous  semble  cxccMive,  d'autant  quo  le  >oyMil«  d<«  Hortrade  à 
Angers  eut  lieu  su  mois  d'octobre  iioti,  cl  qu'il  e»t  peu  cn>y«Mc  quVUtc  ail  laiué 
durer  plus  de  six  mois  les  négocinlionH  qui  a'fn^aj^rcnt  au  aujel  dn  U  délîvnknco  de 
»oa  fils. 


45a  LES  COMTES  DE  POITOU 

faveur  des  chanoines, el  l'évêque,  fidèle  exécuteur  de  leur  déci- 
sion, reconnut  Tindépendance  de  l'abbaye  de  Saint-Laon  et  la 
confirma  dans  ses  possessions  le  18  avril  1107  (1). 

Guillaume  n'assistait  pas  à  cette  réunion  ;  il  ne  prenait  pas 
plaisir,  comme  son  père,  à  se  trouver  au  milieu  de  prélats  et  à 
s'immiscer  dans  les  affaires  relig^ieuses  ;  il  vivait  en  dehors,  sauf 
à  revendiquer  ses  prérogatives  lorsqu'il  voulait  faire  prévaloir 
ses  volontés.  Mais,  quelque  léger  que  fût  [son  caractère,  il  n'a- 
vait pu  vivre  côte  à  côle  avec  Robert  d'Arbrissel  sans  que  les  en- 
tretiens privés  échangés  entre  lui  et  le  réformateur,  ou  ses  audi- 
tions publiques^aionteu  quelque  prise  sur  lui.  Il  est  des  moments 
dans  la  vie,  surtout  dans  celle  des  hommes  aux  passions  vives, 
chez  qui  les  sensations  produites  par  une  cause  latente  se  trouvent 
parfois  portées  à  l'exlrême,  oh  l'on  se  laisse  aller  à  prendre  des 
déterminations  qui  semblent  être  en  désaccord  avec  la  conduite 
ordinaire  que  l'on  mène. 

Ce  fut  assurément  le  cas  pour  le  comte  de  Poitou,  alors  qu'au 
mois  de  juillet  1107  il  se  délassait  dans  ses  domaines  du  Talmon- 
dais,  entouré  seulemenf  de  quelques  fidèles,  tels  que  Joscelin 
de  Lezay,  qui  partageait  avec  lui  la  propriété  de  ce  pays,Gilbert 
de  Veluire,  Guillaume  d'Apremont  et  le  prévôt  Girard  d'Abiré. 
Avec  eux  se  trouvait  un  certain  Fouchier,  peut-être  un  ancien 
compagnon  de  chasse  et  de  plaisir  du  comte,  mais  qui  était  alors 
un  disciple  fervent  de  Robert  d'Arbrissel  et  qui,  afin  de  mettre  en 
pratique  l'enseignement  du  maître, cherchait  un  lieu  désert  pour 
s'y  réfugier  contre  les  périls  et  les  tentations  du  monde.  Il  le 
trouva  sur  un  point  de  la  côte  de  l'Océan,  confinant  à  une  vaste 
forêt, qui  portaient  l'un  et  l'autre  le  nom  d'Orbestier.  Le  comte  lui  fit 
la  concession  perpétuelle  de  ce  territoire, à  la  charge  d'y  construire 
un  lieu  de  prières,  et  ce  dans  le  but  d'obtenir, par  l'intercession  des 
hommes  pieux  qui  résideraient  en  ce  lieu,  l'absolu  tion  de  ses  fautes, 
de  celles  de  ses  parents  et  de  ses  fidèles,  ainsi  que  la  paix  dans  ses 
états,  lasanlé  elle  salut  à  venir  pour  son  fils; à  la  terre  inculte  et 
déserte  d'Orbestier,  il  joignit  plusieurs  domaines  de  rapport, 
accorda  aux  futurs  religieux  de  nombreux  droits  d'usage  dans 

{i)  Iriibcrt,  Cari,  de  Saint-Laon  de  Thouars,  pp.  4  cl  6, 


GUILLAUME  LE  JEUNE  453 

la  forêt,  et  déclara  que  tous  les  hommes  qui  seraient  dans  leur 
dépendance  jouiraient  d'un  droit  de  franchise  absolu  ;  enfin,  pour 
donner  plus  de  poidsà  ses  libéralités  et  garanlirautant  que  possi> 
ble  leur  perpétualité,  il  mit  la  fondation  sous  la  sauvegarde  du 
roi  de  France  et  de  l'évêque  de  Poitiers. 

Joscelin  de  Lezay,  bon  gré,  mal  gré,  fil  en  même  temps  que  le 
comte  abandon  de  tous  ses  droits  de  propriété  sur  les  domaines 
qui  constituaient  la  dotation  de  la  nouvelle  abbaye  (1).  Il  était 
dans-  la  dépendance  absolue  de  Guillaume  et  ne  pouvait  refuser 
de  se  rendre  à  des  désirs  qui  étaient  pour  lui  des  ordres.  C'est 
ainsi  que  l'année  précédente  il  n'avait  pu  se  dispenser  de  rem- 
plir l'engagement,  qu'il  avait  pris  au  temps  de  Guy-Geoffroy,  de 
céder  à  Montierneuf  tout  ce  qu'il  possédait  à  Benêt, ce  que,  jus- 
qu'à ce  jour,  il  s'était  dispensé  d'exécuter  (2).  Celte  même  année 
1106,  Guillaume  avait  encore  autorisé  un  de  ses  vassaux,  Rlienne 
de  M  igné,  à  donner  à  Montierneuf  la  dîme  de  Cillais  (3). 

Le  comte  de  Poitou  était  assurément  à  cette  époque  dans  une 
disposition  d'esprit  particulière;  on  le  voit  en  elVet  fonder  une 
abbaye,  fait  unique  dans  son  existence,  et,  d'autre  part,  favoriser 
autant  qu'il  était  en  son  pouvoir  l'éclosion  d'un  élablissement, 
auquel  il  n'a  peut-être  manqué  qu'une  bonne  direction  au  début 
et  des  statuts  nettement  définis  pour  devenir  une  association  de 
premier  ordre,  telle  que  l'ordre  du  Temple  ou  celui  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem  (4).  Au  retour  de  la  première  croisade,  un 
chevalier  poitevin,  Robert,  seigneur  du  Puy,  près  de  Persac,  eut 
l'idée  d'ouvrir  une  maison  d'oii  partiraient  des  guerriers  pour 
aller  lutter  contre  les  infidèles,  qui  servirait  en  même  temps  d'a- 
sileaux  pèlerins  se  rendant  en  Terre-Sainte  et  oti  l'on  ferait  l'au- 
mône aux  pauvres  de  la  région.  11  l'installa  à  Monlmorillon  et 
lui  donna  le  nom  de  Maison-Dieu.  Le  caractère  guerrier  de  cet 
établissement,  dont  la  création   répondait  à  la  préoccupation 

(i)  Cart.  d'Orbeslier,  I,  p.  i  ;  Cart.  de  Talinond,  p.  a/jg. 

(a)  Arch.  de  la  Vienne,  orifç.,  MonlierneuF,  n*  i8.  Dans  le  préambule  de  cel  uc!e 
Juscelin  déclare  qu'il  ag^ît  du  consentement  et  par  la  volonté  de  Gailluuni^,  duc  dos 
Aquitains,  de  la  comtesse,  sa  femme,  et  de  leur  fils  Guillaume. 

(3)  ChampoUion-Fiçeac,  Doc.  histor.,  II,  p.  3. 

(4)  L'ordre  de  Saint- Lazare,  auquel  on  voulut  plus  tard  rattacher  la  Maisun-Dieu 
de  Monlmorillon,  fut  fondé  en  1112, celui  de  Saint-Jean  do  Jérusalem  en  iii3,  celui  du 
Temple  en  11 18. 


454  LES  COMTES  DE  POITOU 

générale  des  esprits  à  celle  époque,  lui  allira  en  quelques  années 
une  dotation  considérable,  et  Guillaume,  qui  comptait  cerlaine- 
ment  des  compagnons  d'armes  parmi  les  initiateurs  de  l'œuvre, 
ne  put  rester  en  dehors  de  l'entrainement  général.  Il  prit  sous 
sa  protection  spéciale  la  Maison-Dieu,  ses  hommes  et  ses  biens, 
cl  concéda  à  Robert,  qui  en  fut  le  premier  directeur,  les  droits 
de  ventes  et  de  péages  et  toutes  les  coutumes  qui  pouvaient 
lui  appartenir  sur  les  biens  qui  lui  avaient  été  donnés.  Il  associa, 
ce  qui  est  encore  bien  rare  dans  son  existence,  son  Gis  Guillaume 
à  cet  acte  généreux,  auquel  assistèrent  en  outre  Aimeri,  doyen 
du  chapitre  calhédral,  Guillaume,  mallre  des  écoles,  Renoul, 
abbé  du  Dorât,  Renaud,  abbé  de  Noire-Dame,  et  autres  (i). 

Vers  le  même  temps,  en  exécution  des  engagements  pris  par 
son  père,  il  accorda  à  Montierneuf  une  faveur  spéciale.  Par  cer- 
taine clause  de  la  charte  constitutive  du  monastère^Guy-Geoffroy 
s'élail  engagé  à  laisser  prendre  aux  religieux  dans  les  forêts  de 
son  domaine  tout  le  bois  de  chauffage  ou  de  construction  néces- 
saire aux  besoins  de  leur  existence;  or^  ils  avaient  établi,  dans  la 
forêt  d'Argenson,  autrement  dite  de  Benon,  l'obédience  de  Saint- 
Saturnin-du-Bois^  mais  les  hôtes  de  ce  lieu  n'étaient  pas  assurés 
de  pouvoir  jouir  du  privilège  concédé  à  la  maison-mère.  Ils  s'a- 
dressèrent au  comte  qui,  non  seulement  leur  accorda  ce  qu'ils 
désiraient,  mais  encore  leur  reconnut  un  droit  d'usage  dans 
les  bois  auxquels  ils  confluaient,  ainsi  que  la  licence  de  faire 
pacager  leurs  animaux  dans  toute  l'étendue  de  la  forêt  et 
l'affranchissement  de  toutes  redevances  tant  pour  leurs  terres 
que  pour  toutes  autres  de  leurs  possessions  comprises  dans  ses 
limites.  L'acte  fut  passé  à  Niort,  dans  le  courant  de  11 07;  à.part 


(i)  Arch.  de  la  VienDe,  carlul.de  la  Maisoo-Dieu,  extrait  du  xtii*  s.,  fol.  3; 
D.  Fonterirau,  XXIV,  p.  899.  Cet  acte  n'est  pas  daté,  mais  comme  dan4  le  cartulaire 
il  venait  immédiatement  après  l'approbation  donnée  par  l'évéque  de  Poitiers  aux  st«- 
tuls  de  la  Maison-Dieu, en  iio7,àla  suite  du  concile  de  Troyes,  ily  a  tout  lieu  de  croire 
que  la  charte  de  sauvegarde  du  comte  Guillaume  est  de  même  date.  Les  obédiences 
dépendant  de  la  Maison-Dieu  portaient  le  nom  caractéristique  de  commaDderies  ; 
elles  étaient  au  nombre  de  f\o,  réparties  dans  les  diocèses  de  Poitiers,  de  Bourges,  do 
Limosfes  et  de  Saintes  ;  la  seule  qu'elle  possédAt  dans  ce  dernier  diocèse  portait  le  nom 
de  Bethléem  et  était  située  à  I^  FVocheile,le  grand  port  du  Poitou.afiu  que  l'Ordre  dis- 
posât d*unc  issue  sur  la  mer,  comme  en  eurent  dans  la  même  ville  les  chevaliers  du 
Temple  et  ceux  de  Saînl-Jean  de  Jérusalem.  Les  frères  de  la  Maison-Dieu  étaient 
désignés  par  le  vulgaire  sous  le  nom  de  ><  Picaulz  ».  (Arch.  de  la  Yienne,G.  i6go). 


GUILLAUME  LE  JEUNE  455 

Hugues,  frère  du  comte,  les  témoins  qui  y  assistèrent  sont  de  pe- 
tites gens,  tels  qu'AIIiaume  le  sergent,  et  Frogier  le  cuisinier  (1). 

On  n'y  voit  aucun  membre  du  clergé;  il  est  possible  que  leur 
absence  ait  été  motivée  par  la  tenue  du  concile  qui  s'ouvrit  à 
Troyes  vers  la  fin  de  mai ,  à  l'époque  de  l'Ascension,  et  auquel  assis- 
tèrent entre  autres  les  évêqucs  de  Poitiers,  de  Limoges  et  d'An- 
goulème,  et  l'archevêque  de  Bourges.  L'assemblée  fut  présidée 
par  le  pape  Pascal  11,  que  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  V, 
avait  contraint  de  quitter  Rome.  Le  pape  avait  été  de  Cluny  à  lu 
Charité-sur-Loire,  de  là  à  Saint-Martin-de -Tours  et,  par  Chartres, 
avait  gagné  Paris  et  Troyes,  sans  entrer  dans  les  états  du  duc 
d'Aquitaine  qui  s'était  bien  gardé  de  l'inviter  à  lui  rendre  visite. 

Le  pontife  prêchait  en  tous  lieux  une  nouvelle  croisade  et  ce  fut 
sur  celle-cique  roulèrent  principalementlçsdélibéralionsdu  con- 
cile; l'assemblée  s'occupa  beaucoup  aussi  des  guerres  privées, 
et  vota  de  nouvelles  dispositions  applicables  h  la  trêve  de  Dieu; 
celle  qui  frappa  le  plus  les  esprits  fut  la  défense  intimée  aux  belli- 
gérants d'incendier  les  maisons  ou  de  dérober  les  brebis  et  leurs 
agneaux  (2).  A  cette  môme  réunion, le  pape  confirma  la  fonda- 
tion de  la  Maison-Dieu  de  Monlniorillon  et  prit  enfin  une  décision 
qui  ne  pouvait  qu'avoir  une  importante  répercussion  sur  les 
affaires  de  l'Aquitaine.  Depuis  la  mort  d'Aimé,  l'archevêque  de 
Bordeaux,  il  n'y  avait  pas  eu  de  légat  en  titre  du  Saint-Siège  dans 
ces  régions;  Pascal  11,  lors  de  la  tenue  du  concile,  conféra  celte 
qualité  à  l'évoque  d'Angoulôme,  Girard,  puis,  quelque  temps 
après,  il  détermina  nettement  la  dnléj^jatiou  qu'il  lui  conférait  en 
déclarant,  par  une  bulle  du  14  avril  1108,  que  les  pouvoirs  «lu 
légat  s'étendraient  aux  archevêchés  do  Bourges,  de  Bordeaux, 
d'Auch  et  de  Bretagne  (3). 


(i)  Arch.  do  la  Vienne,  orisf,,  Monlierneuf,  sceaiix,n*  12.'».  A  col  aiMr  p«*t  npprnilti. 
par  deux  lcmQis(|uc.s  de  cdir  hianc,  un  sceau  de  forme  ronde,  dont  la  bordure  est  vn 
partie  disparue,  mais  qui  a  encoreo.oOjm.de  diamètre;  il  est  en  cire  hlanclie.A  laquelle 
le  temps  a  donné  une  teinte  vcrdAlre  et  [)ortc  la  représentation  du  diic,  tenant  de  la 
main  droite  une  épcc  cl  de  la  gauche  la  bride  de  son  cheval  lancé  au  upalop.  l'.Vst  un 
spécimen  de  ce  genre  si  connu  sous  le  nom  de  type  équestre;  il  est  Hnemeni  grave, 
avec  peu  de  relief,  et  comp'>riait  une  légende  dont  il  ne  reste  plus  que  les  trois 
lettres  oiiv  qui  faisaient  partie  du  mot  AçnT.vxoiivM  (Voy.  appendice  x), 
(a)  .Marchegay,  Chrnn,  des  égl.  d'Anj'un,  p.  /|x3,  Saint-.Maixent, 
(3)  Labbe,  Concilia,  X,  col.  OOo;  D.  Fonlcucau,  XXIV,  p.  387. 


456  LES  COMTES  DE  POITOU 

Non  seulement  Guillaume  ne  vivait  pas  comme  son  père  dans 
la  société  des  évêques,  mais  encore  il  se  tenait  à  l'écart  d'eux,  et, 
sans  doute  peu  satisfait  des  sentiments  qu'ils  lui  témoignaient,  il 
ne  se  gênait  pas  pour  agir  à  leur  égard  avec  une  rigueur  exces- 
sive quand  l'occasion  lui  en  était  fournie.  C'est  ainsi  qu'ayant  des 
des  difticultés  avec  Eustorge,  évêque  de  Limoges,  il  se  saisit  de 
lui  et  le  retint  en  prison;  mais  cet  évêque  était  un  grand  prolec- 
teur de  l'abbaye  d'Uzerche,  aussi  l'abbé  de  ce  monastère,  Gaus- 
bert  Malafoyda,  désireux  de  venir  en  aide  à  son  évêque , se  donna- 
l-ilà  lâche  de  le  réconcilier  avec  le  comle  de  Poitou  ;  il  y  réussit, 
et  il  se  trouvait  encore  à  Limoges  lorsqu'il  y  mourut,  le  28  sep- 
tembre 1108,  succombant  sans  doute  aux  fatigues  qu'il  avait 
éprouvées  dans  ces  négociations  (1). 

On  ne  connaît  pas  les  causes  de  l'inimitié  de  Guillaume  envers 
l'évoque  de  Limoges,  et  on  est  aussi  peu  renseigné  sur  la  haine 
qu'il  professait  à  l'égard  de  Pierre  de  Soubise,  évêque  de  Saintes; 
peut-être  étaient-ce  les  mêmes  motifs,  qui,  à  la  même  époque, 
l'avaient  indisposé  contre  ces  deux  prélats?  Toujours  est-il  qu'à 
Saintes,  comme  à  Limoges,la  réconciUation  entre  le  comle  et  l'ô- 
vêque  se  fit  par  l'entremise  d'un  abbé.  Geofl'roy,  abbé  d'Ebreuil 
en  Auvergne,  qui  possédait  en  Sainlonge  plusieurs  obédiences,  fil 
rencontrer  les  deux  adversaires  dans  son  prieuré  d'Ebreuil  près 
de  Cognac,  et  là,  l'évêque  s'étanl  jeté  aux  genoux  de  Guillaume, 
obtint  son  pardon  et  vécut  à  parlir  de  ce  jour  en  bons  termes 
avec  lui  (2). 

En  ce  moment  le  comte  de  Poitou  était  en  négociations  avec  le 
roi  de  France,  et  cherchait  à  tirer  un  bon  parti  des  embarras  au 
milieu  desquels  ce  prince  se  débattait.  Philippe  I"  était  mort  à 
Melun  le  29  juillet  1108  et  dès  le  dimanche  suivant,  2  août,  son 
fils  Louis  s'était  fait  sacrer  à  Orléans.  Celle  précipitation  que 
mettait  le  nouveau  roi  à  affirmer  sa  qualité  avait  pour  but  de 
déjouer  les  machinations  qui  se  préparaient  contre  lui  à  l'insti- 
gation de  Bertrade,  la  veuve  de  son  père.  Il  réclama  en  outre 
à  ses  grands  vassaux  l'hommage  auquel  ils  lui  étaient  tenus,  mais 


(i)  Gallia  Christ.,  II,  col.  689. 

(a)  Gallia  Christ.,  II,  col.  869  et  1067. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  457 

plusieurs  d'entre  eux,  et  non  les  moindres,  s'y  refusèrent;  Guil- 
laume fut  de  ceux-là,  II  ne  semble  pas  que  de  réelles  hostilités 
aient  éclaté  entre  le  duc  d'Aquitaine  et  Louis  le  Gros,  ainsi  qu'il 
advint  entre  ce  prince  et  le  roi  d'Angleterre,  duc  de  Normandie, 
mais  le  mauvais  vouloir  du  duc  était  évident,  et  c'est  seulement 
en  échange  d'onéreuses  concessions  qu'il  se  décida  à  reconnaître 
l'autorité  du  nouveau  roi  (I). 

Toujours  est-il  qu'un  accord  fut  conclu  entre  eux  pendant  les 
jours  qui  précédèrent  le  carême  de  l'an  1109.  Dans  l'intervalle, 
Guillaume  s'était  rendu  à  Bordeaux  avec  quelques  seigneurs  du 
Poitou,  lluguesde  Lusignan,  Guillaume  de  Fors,  et  autres;le  30 
novembre  1 1 08  Pierre  d'Andouque,  évêque  de  Pampelune,et  Gau- 
tier, moine  de  Sainte-Foy  de  Conques,  étaient  venus  le  trouver 
et  lui  avaient  demandé  de  confirmer  le  don  du  lieu  de  Mansirot 
qu'un  nommé  Gaucclme,  d'accord  avec  ses  frères,  venait  de  faire 
à  celte  dernière  abbaye  pour  y  construire  un  monastère  et  une 
sauveté  qui  prendraient  le  nom  de  Marestang.  Le  duc  accueillit 
favorablement  leur  requête  et  donna  en  surplus  à  la  sauveté  tous 
les  droils  d'une  terre  franche  (2). 

Guillaume,  bien  qu'occupé  surtout  de  ses  plaisirs,  était  en  même 
temps  plein  de  viséesambitieuses  qui  n'attendaient  qu'une  occasion 
pouréclore,mais  au  fond  il  négligeait  l'administration  de  ses  étals 
et  était  loin  d'y  apporter  le  soin  de  son  père  qui,toutesa  vie,employa 
son  énergie  à  les  maintenir  dans  le  calme.  De  son  temps,  les  guer- 
res privées  furent  nombreuses  et,d'autreparl,  il  se  préoccupa  fort 
peu  d'empêcher  ses  fidèles  de  s'enrichir  aux  dépens  des  établis- 
sements religieux.  Un  des  plus  ûpres  à  cette  curée  fut  assurément 
Hugues  le  Diable,seigneur  de  Lusignan. Bien  qu'en  souvenir  de  la 
croisade  ce  seigneur  se  fit  appeler  Hugues  le  Hiérosolomilain, 
il  se  dispensait  de  pratiquer  les  devoirs  que  ce  titre  aurait  dû  lui 
imposer, Les  domaines  des  monastères  ou  des  églises  étaient  pour 
^ui  un  appât  irrésistible, et  il  manifesta  particulièrement  ses  appé- 
tits à  l'égard  de  l'abbaye  de  Saint-Maixenl,  son  opulente  voisine, 
dont  il  était  pourtant  l'avoué  et  par  suite  le  défenseur  légal. 

{i)Hec.  deshist.  de  France,  XII,  p.  ^Si.chroQ.  de  Saint- Pierre  de  Sens;  Orderic 
Vital,  Ilist.  ecclés.,  IV,  p.  284. 
(2)    Deajardins,  Cari,  de  Conques,  p. 348. 


458  LES  COMTES  DE  POITOU 

Celle-ci  avait  alors  à  sa  têle  l'abbé  Geoffroy,  lequel,  voyant  qu'il 
ne  pouvait  espérer  aucun  secours  temporel  pour  défendre  son  mo- 
nastère contre  les  entreprises  auxquelles  il  était  journellement  en 
butte, se  tourna  versle  pouvoir  spirituel  le  plus  élevé,  vers  le  pape. 
H  se  rendità  Rome  et  obtint  de  Pascal  II, heureux  d'affirmer  ses 
prérogatives,  toute  l'aide  qu  il  désirait.  Hugues  de  Lusignan,Isem- 
bert  de  Chàlelaillon,  Jean  d'Angoumois,pourne  citer  que  les  plus 
notables,  furent  invités  par  le  pape  à  restituer  à  l'abbaye  de  Saint- 
Maixent  les  domaines,  voire  môme  les  églises, qu'ils  avaient  usurpés 
sur  elle  ;  Pascal  Ilcompléla  ces  dispositions  en  prenant  l'abbaye, 
la  ville  qui  lui  était  contiguê  et  ses  autres  possessions,  sous  sa 
protection  spéciale.  Afin  que  désormais  il  n'y  eût  pas  matière  à 
contestation,  soit  avec  des  seigneurs  laïques,  soit  avec   d'autres 
établissements  religieux  pourvus  par  des  donateurs  peu  scrupu- 
leux de  biens  enlevés  à  ce  monastère,  il  fit, dans  une  bulle  datée 
du  27  avril  1110,  l'énumération  de  toutes  les  églises  que  possé- 
dait alors  l'abbaye  de  Saint-Maixent, plaça  tout  cet  ensemble,  tant 
le  corps  principal  que  ses  dépendances,  sous  sa  sauvegarde,  et, 
pour  bien  affirmer  que  ce  monastère  était  dans  sa  sujétion  immé- 
diate, il  lui  imposa  l'obligation  d'avoir  à  payer  chaque  année  au 
Saint-Siège  une  redevance  de  5  sous  poitevins  (I). 

Lorsque  l'abbé  Geoffroy  revint  d'Italie  pourvu  de  commissions 
spéciales  adressées  aux  évoques  de  Poitiers  et  de  Saintes,  il  s'em- 
pressa de  les  notifier  à  ces  prélats  qui,  naturellement,  recouru- 
rent au  bras  séculier  pour  en  assurer  l'exécution. Sur  l'invitation 
de  l'évêque  de  Poitiers,  le  comte  se  rendit  en  sa  compagnie  à 
Saint-Maixent  et  là  Joscelin  de  Lezay,  continuant  la  série  des 
actes  de  réparation  dont  il  avait  déjà  donné  quelques  témoigna- 
ges, restitua  à  l'abbaye  l'église  de  Prahec  et  reconnut  qu'il  avait 
frauduleusement  vendu  à  l'abbaye  de  Saint-Séverin  les  églises  de 
Lezay  que  son  père  avait  jadis  données  à  Saint-Maixent  (2). 

Le  comte  avait  avec  lui  son  sénéchal  Gilbert,  Guillaume  de 
Rochefort  et  un  groupe  nombreux  de  chevaliers,  mais  dans  son 
entourage  on  ne  rencontre  pas  le  nom  d'Hugues  de  Lusignan,  le 


(i)  A.  Hicliai'il,  Chuiic.i  de  S(iiiit-Mui;renl,  I,  pp.  250,  2O0  cl  2G1. 
(2)  A.  Hicbuid,  Chartes  de  bainl-Maixent,  I,  p-.  268 


GUILLAUME  Li:  JEUNK 


439 


principal  usurpateur  dos  domaines  de  l'abbaye  deSainUMaixcnl; 
il  était  malade  ou  venait  de  mourir  (i).  Son  fils,  Hugues  le  Brun, 
lui  succéda.  Ce  dernier  n'était  pas,  comme  son  père,  lié  d'une 
amitié  spéciale  avec  le  comte,  qui  gardait  un  bon  souvenir  des 
épreuves  communes  subies  en  Orient.  Aussi  vit-on  une  {guerre 
violente  éclater  entre  eux  dans  le  courant  de  celle  année  1110. 
Les  chroniqueurs  n'en  font^pas  connaître  le  motif,  el  il  ne  parait 
pas  supposable  que  les  réclamalions  de  l'abhé  (iecjfTroy.appnyées 
par  Guillaume,  en  aient  été  la  véritable  cause.  On  doit  plutôt 
chercher  celle-ci  dans  la  tension  forcée  qui  dut  se  produire  dans 
les  rapports  du  comte  avec  son  vassal  à  l'occasion  de  l'investiture 
de  la  seigneurie. 

Il  y  avait  cinquante  ans  qu'il  ne  s'était  ouvert  de  vacance  dans 
l'hérédité  des  seigneurs  de  Lusi^'nan;  or,  durant  ce  long  espace 
de  temps,  la  jurisprudence  qui  réglait  les  successions  féodales 
s'était  peu  à  peu  établie,  sans  toutefois  comporter  encore  des 
rîiglos  bien  précises.  Deux  principaux  usages  étaient  suivis  en 
Poitou  :  Fun,  le  rachat  à  merci,  dans  lequel  avait  lieu  la  main- 
mise absolue  du  seigneur  dominant  sur  les  possessions  de  son 
vassal,  mettant  ce  dernier  dans  son  entière  discrétion,  et  qui  ré- 
gnait de  la  Dive  du  Nord  à  l'Océan,  c'est-ù-dire  dans  toute  la  par- 
lie  occidentale  du  Poitou  ;  l'autre,  le  rachat  simple  ou  abonné, 
usité  dans  le  restant  du  comté,  el  qui  comportait  le  paiement  par 
le  nouveau  feudalaire  d'une  somme  fixe  el  établie  d'avance, 
laquelle  équivalait  généralement  au  produit  de  la  seigneurie  pen- 
dant une  année.  Le  sire  de  Lusignan  avait  des  possessions  dans 
les  diverses  réj^ions  du  Poitou,  et  il  est  à  présumer  que  le  comie, 
qui  avait  toujours  de  grands  besoins  d'argent,  ne  laissa  pas 
échapper  l'occasion  qui  se  présentait  sans  essayer  de  tirer  de 
son  riche  vassal  tout  ce  qu'il  était  susceptible  de  donner.  Mais 
Hugues  le  Brun,  qui  ne  parait  pas  avoir  continué  à  occuper  auprès 
du  comte  de  Poitou  la  position  subalterne  de  son  aïeul  à  l'égard 
do  Guillaume  le  Grand,  n'entendit  pas  se  laisser  pressurer  comme 


(1)  Lh  cbroai'^uc  Je  Saint-Maixcnt,  p.  /p^,  pince  en  1 110  la  mort  d'iluçucs  de  Lu- 
aiçDaa:  elle  dul  arriver  vers  !c  niilieu  de  l'clé,  cnr  l'abhé  dcSaint-Maixeot  n'a  pu  reve- 
nir de  Rome  que  vers  le  mais  de  jiiin,cl  c'est  |>eu  iijirés  son  re'our  (lu'cut  lieu  la  réu- 
nion à  luiiueile  Hugues  a'asi<islA  pus,  bien  qu'il  y  lût  griiudement  inlcrcssé. 


46o  LES  COMTES  DE  POITOU 

les  seigneurs  de  Talmond,  voisins  de  certains  de  ses  domaines. 
Il  résista  aux  prétentions  de  Guillaume,  et  la  guerre  éclata.  Elle 
fut  atroce,  étant  donnée  la  proximité  de  la  résidence  du  comte  de 
celle  de  son  vassal  rebelle,  et  c'est  entre  Poitiers  et  Lusignan  que 
ces  excès  se  produisirent  surtout  ;  beaucoup  de  lieux  sans  dé- 
fense,et  en  particulier  le  domaine  du  Plessis,  situé  auprès  de  Mon- 
treuil-Bonnin,  forteresse  des  Lusignan,  furent  incendiés  et  dé- 
truits (J).  Une  des  pires  conséquences  de  cette  lutte  sans  merci 
fut  la  famine,  suivie  naturellement  d'une  grande  mortalité  ;  en 
outre,  comme  nul  ne  se  hasardait  sur  les  chemins,  le  sel,  bien 
que  l'on  ne  fût  pas  éloigné  des  salines  de  l'Aunis,  devint  des  plus 
rare  et  fut  hors  de  prix  (2). 

C'est  que  la  guerre,  une  fois  engagée,  s'était  étendue  dans  tout 
le  pays.  Hugues  le  Brun  s'était  cherché  des  alliés  et  il  ne  lui  fui 
pas  difficile  d'en  trouver  parmi  ses  parents,  les  seigneurs  dé 
Parthenay.  Dans  ce  dernier  fief  la  situation  se  trouvait  être  la 
même  qu'à  Lusignan.  Ebbon,  qui  l'administrait  depuis  1086,  vint 
lui  aussi  à  mourir  en  1110.  Ce  fut  son  frère  cadet,  Guillaume, 
qui  lui  succéda,  conformément  à  la  coutume  des  pays  d'entre  Se- 
vré et  Dive,  là  où  régnait  le  rachat  à  merci,  mais  Guillaume  de 
Parthenay  était  d'église  et  avait  été  pourvu  dès  1086  de  la  tréso- 
rerie de  Saint-Hilaire  de  Poitiers.  Il  prit  en  quahté  de  vidame 
son  plus  jeune  frère,  Simon  H,  à  qui  appartint  véritablement  le 
gouvernement  de  la  seigneurie,  et  qui  était, de  son  côté,  peu  dési- 
reux de  souscrire  aux  exigences  du  comte  de  Poitou  (3). 

A  ces  deux  adversaires  résolus,  Guillaume  en  vit  bientôt  s'ad- 
joindre un  troisième.  Les  sires  de  Parthenay  s'étaient  toujours 
montrés  depuis  un  demi-siècle  les  alliés  fidèles  des  comtes  d'An- 
jou, auxquels  les  attachaient  sans  nul  doute  quelque  lien  de  vassa- 
lité, contre  les  comtes  de  Poitou.  Ils  se  tournèrent  vers  Foulques 
le  Jeune,  qui  avait  succédé  l'année  précédente  au  Réchin,  décédé 
dans  le  courant  d'avril  1109.  Le  comte  d'Anjou  ne  pouvait  avoir 
oublié  l'acte  de  félonie  de  Guillaume  à  son  égard,  aussi  s'em- 
pressa-t-il  d'apporter  aux  confédérés  le  secours  de  ses  armes  ; 

(t)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Maixenl,  I,  p.  265. 

(2)  Marchcçay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  424»  Sainl-Maixent. 

(3)  A.  Richard,  Chartes  de  Sainl-Maixent,  I,  pp.  242,  272  et  276. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  46> 

peut-être,  en  ce  faisant,  songeait-il  à  la  Saintonge  où  ses  ancêtres 
avaient  exercé  pendant  de  longues  années  une  domination  dont 
le  souvenir  ne  pouvait  être  clîacé.  Ce  qui  permet  de  le  supposer. 
c'esl  qu'on  le  voit  venir  mettre  avec  ses  alliés  le  siège  devant  le 
château  de  Champdenier  qui,  situé  un  peu  au  nord  deGermond. 
sur  la  même  vallée  et  par  suite  sur  la  même  voie,  avait  remplacé 
celui-ci  et  jouait  un  rôle  analogue  au  sien  pour  la  défense  du 
grand  chemin  de  laSainlonge  qu'ils  barraient  l'un  et  l'autre:  on 
ne  sait  si  les  défenseurs  de  Champdenier  purent  résister  à  l'atta- 
que des  Angevins  (1).  Le  principal  théâtre  de  la  guerre  se  trouva 
par  suite  transporté  dans  celte  région  accidentée  du  sud  de  la  Gâ- 
tine,  hérissée  de  postes  fortifiés,  que  chacun  des  partis  avait  à  ré- 
duire,suivant  les  attaches  de  leurs  défenseurs;  c'est  ainsi  que  Guil- 
laume dut  faire  en  personne  le  siège  de  Ternant,  simple  tour  sise 
sur  une  motte, dans  un  fond  de  vallée, entre  Parlhenay  et  Champ- 
denier, et,  mettant  en  pratique  le  déplorable  usage  que  n'avaient  pu 
faire  abolir  les  décisions  des  conciles,  il  incendia  les  maisons  qui 
étaient  dans  le  voisinage  immédiat  de  la  petite  forteresse  (2). 

Pour  subvenir  aux  dépenses  que  lui  occasionna  cette  guerre, 
le  comte  recourut  une  fois  encore  aux  détestables  procédés  dont 
il  avait  déjà  usé  ;  il  altéra  les  monnaies  à  un  degré  extrême,  voire 
même  il  créa  une  sorte  de  monnaie  fiduciaire  (8),  aussi  trouve-t-on 
fréquemment  dans  les  actes  de  cette  époque  des  stipulations  spé- 
ciales, portant  que  le  payement  en  argent  devrait  être  fait  en  mon- 
naie ancienne  (4). Mais  quoi  que  fil  Guillaume,  la  valeur  de  ses  adver- 
saires et  lesmultiples moyens  de  défense  dont  ils  disposaient  étaient 

(i)Marche<çay,  Chron.  dei  éjl.  iI'Aujdii,  p.  /laT»,  Siiinl-Miiixniil. 

(2)  A.  Richard,  Chartes  de  Sainl-Affti.renl,  I,  p.  37 a. 

(3)  Marchegay,  Chron,  des  éyl.  d'Anjou,  p.  /laf»,  Siiint-M.ii\iMit.  Trllc  cMt  In  xitifni- 
ficalioo  que  nous  croyons  pouvoir  donner  au  trxlo  do  la  cliiMnii|ui'  <pii,(li«n!4  nii  hriô- 
Teté,a  fait  beaucoup  disserler.  Il  est  ainsi  con<;u  :  <•  Ilrruni  nnninti  inuliili  numI  v\  otun 
granis  alii  Facti  sunt».  Quel  sens  convient-il  d'nltril>uor  au  mot  •>  i^rniiiN  »V  iM,  l/»- 
cointre-DupoDt  (Essai  sur  les  monnaies  /rafi/u'fs  en  /'tiitmi,  p.  K\)  oonnid^rt»  i|u'il 
s'applique  à  un  alliage;  ne  s'agirait-il  point  plutôt  d<<  polilM  di'hnM  dr  piAri*;*  di«  nion« 
naîe  ou  de  grains  d'argent  d'un  poids  dcIcrrnim'MiUMpicU  le  coiulo  nurnil  uttrilui(^uni< 
valeur  monétaire  précise. 

(4)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Monticrncur,  n"  y».  l,v*  oxproMsiont  •<  nd  nion««laui 
velerem  »,  employées  par  le  rédaclcur  de  la  rhiirlr,  uimh  piirnisM<iil  doiil<loiiii«iit  viifiù. 
ficatives,  en  ce  sens  que  non  Hculcnionl  elirn  rnppcllool  un  («n'iiililissoiiioiii  do  In  mon- 
naie, mais  encore  qu'elles  inditpicnl  (pic  rappnrc«n«-i<  ovloiiiMiio  di"<  piôcoi*  fut  modi- 
fiée, autrement,  il  aurait  été  bien  diflirile,  dium  In  pnitiipu*  jourmilii'ro,  do  pouvoir 
distinguer  les  jeunes  et  les  vieux  diinicrs. 


462  LES  COMTES  DE  POITOU 

tels  qu'il  ne  put  venir  à  boni  de  leur  résistance  el  dut  conclure 
une  trêve  avec  eux.  Outre  la  lassitude  que  devait  lui  occasionner 
une  lutte  incessante,  le  comte  de  Poitou  avait  des  motifs  parti- 
culiers de  désirer  la  paix  avec  ses  vassaux;  le  premier  dut  être 
une  blessure  qu'il  reçut  à  la  cuisse  devant  Taillebourg,  et  le  se- 
cond l'attention  qu'il  ne  pouvait  s'empêcher  de  prêter  aux  événe- 
ments qui  se  passaient  dans  le  Midi,  vers  lequel  il  n'avait  jamais 
cessé  de  porter  ses  regards. 

Pendant  qu'il  gisait  à  Saint-Jean  d'Angély,  dans  la  demeure 
d'un  particulier  nommé  Hélie  où  on  l'avait  transporté  blessé, 
il  reçut,  le  21  août  (de  l'année  i\{\  ou  H  12),  la  visite  de  plu- 
sieurs religieuses  de  Saintes,  conduites  par  leur  abbesse  Sibille. 
Celte  dernière  était  la  fille  de  Robert,  comte  de  Mortain,  frère 
utérin  de  Guillaume  le  Conquérant,  et  la  sœur  d'Emma  de  Mor- 
tain, seconde  femme  de  Guillaume  de  Toulouse;  c'était  donc  la 
lante  par  alliance  du  duc  d'Aquitaine.  Elle  avait  amené  avec  elle 
une  autre  des  tantes  du  duc,  nommée  Agnès,  et  enfin  la  comtesse 
de  Toulouse,  qu'accompagnait  son  chapelain  Bernard.  Guillaume 
ne  pouvait  reconnaître  cette  gracieuseté  autrement  que  par  des 
largesses,  aussi,  sur  la  demande  de  l'abbesse,  donna-t-il  à  Notre- 
Dame  de  Saintes  les  églises  de  Saint-Julien  de  l'Escap  el  de  Notre- 
Dame  de  la  Clie,  avec  les  dîmes  qui  en  dépendaient.  Au  fond, 
cette  donation  n'était  qu'une  reslilution,reconnue  par  le  donateur 
lui-même,  car  en  la  faisant  il  réclama  aux  religieuses  des  prières 
pour  l'âme  de  son  père,  de  sa  mère, et  de  ses  parents,  qui  avaient 
autrefois  pourvu  Notre-Dame  de  ces  biens  ;  enfin,  pour  donner 
toute  authenticité  à  l'acte  qui  contenait  ces  dispositions,  au  bas, 
à  la  suite  de  son  nom,  iltraça  lui-même  une  croix  (l).L'évêque  de 
Saintes,  Pierre  de  Soubise,se  Irouvaiten  cemomenf  près  du  comte 
et  s'y  tenait  encore  lors  d'une  seconde  visite  que  lui  firenlles  reli- 
gieuses. Cette  fois  l'abbesse  venait  traiter  directement  une  affaire 
avec  son  neveu  et  lui  acheter  la  dîme  de  tout  le  pays  com- 


(î)  Cart.  de  Noire-Dame  de  Saintes,  p.  i38.  Dans  ceUe  comtesse  de  Touloase,  on 
ne  peut  voir  qu'Emma  de  Mortain,  la  sœur  de  l'abbesse  Sibille;  toutefois,  ce  n'est  pas 
la  grand'mère  du  duc,  comme  le  dit  l'acte,  mais  seulement  sa  belle-mère  ;  quant  à 
Agnès,  la  tante  du  duc,  il  faut  sans  doute  l'identifier  avec  la  fille  de  Guy-Geoffroy, 
qui  venait  de  perdre  son  second  mari,  le  comte  du  Maine. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  463 

pris  entre  Champagne  el  Ponl-l'Abbé  ;  en  retour  de  cet 
abandon,  sa  communauté  donna  1000  sous  au  comte  et  400 
sous  à  la  comtesse,  et  cette  somme  considérable,  ainsi  que  d'au- 
tres destinées  à  désintéresser  les  propriétaires  de  certaines  dîmes 
établies  sur  des  terrains  compris  dans  les  limites  du  territoire 
cédé  par  le  comte,  fut  versée  par  une  religieuse  du  nom  de 
Benoîte  (1). 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  le  comte  de  Poitou  recevait 
de  l'argent  des  religieuses  de  Saintes  ;  on  peut  dire,  au  contraire, 
que  ce  fait  était  passé  en  habitude.  Quelques  années  auparavant, 
le  jour  où  l'abbesse  Florence  reçut,  au  nombre  de  ses  moniales, 
Sibille,  la  tante  du  comte,  qui  devait  un  jour  lui  succéder  dans  sa 
dignité  abbatiale^  Guillaume  restitua  au  monastère  une  terre  que 
Bernard  Badelh  possédait  injustement.  Pour  attester  que  telle 
était  sa  ferme  volonté,  il  manifesta  celle-ci  à  haute  voix  pendant 
qu'il  déposait  sur  l'autel  de  Notre-Dame  la  courroie  à  laquelle 
était  suspendu  son  couteau.  Les  religieuses  lui  firent  don  de  300 
souset,  cequi  estencore  pluscurieux,  elles  gratifièrent  de  30  sous 
un  certain  Guillaume  Cofîn  qui,  par  son  adresse,  leur  avait  fait 
obtenir  cette  concession  (2). 

La  présence  des  parentes  du  comte  dans  l'abbaye  de  Saintes 
attira  à  cette  communauté  de  nombreux  dons,  tant  de  la  part  de 
Guillaume  et  de  sa  femme,  que  de  personnes  qui  cédèrent  à  leurs 
sollicitations.  Ainsi  Hugues  de  Doué,  sur  leur  injonction,  aban- 
donna à  l'abbaye,  moyennant  250  sous,  la  dîme  de  Marennes,  un 
bois  et  un  marais  que  lui  et  ses  hommes  revendiquaient  en  jus- 
tice (3).  On  voit  aussi  Ilélie  de  Ricou  donner  à  Notre-Dame  la  dîme 
de  Saurespine,  et  faire  serment  dans  la  main  du  comte  qu'il  ne 
contesterait  jamais  la  validité  de  cet  acte  (4). 

La  blessure  de  Guillaume  avait  sans  doute  une  certaine  gra- 
vité, pour  qu'il  ait  été  contraint  de  faire  un  assez  long  séjour  à 

(i)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  85.  Ces  deux  actes  ne  sont  pas  datés, 
mais  comme  il  nous  paraît  difficile  de  placer  l'aiTaire  de  Taiilebourg  autre  part  que 
pendant  la  guerre  du  comte  de  Poitou  avec  les  Parllienay  el  les  Lusignao,  les  visites 
que  l'abbesse  de  Saintes  Ht  au  comte  ne  nous  semblent  pas  pouvoir  être  placées  à  une 
autre  date  que  iiii  ou  1112. 

(2)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  69. 

(3)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  i58. 

(4)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  170. 


464  LES  COMTES  DE  POITOU 

Saint-Jean  d'Angély.  Ce  qui  tendrait  à  le  faire  croire,  c'est  le  chan- 
gement que  l'on  constate  à  cette  époque  dans  son  entourage;  au 
lieu  des  petites  gens  de  sa  compagnie  ordinaire,  on  y  voitl'évêque 
de  Saintes,  les  religieuses  de  Notre-Dame,  et  la  comtesse  elle- 
même  (1).  Le  regain  de  bons  sentiments  que  Guillaume  témoignaà 
sa  femme  à  celte  occasion  est  attesté  par  la  mention  de  ces 
sommes  d'argent  qu'il  lui  fait  attribuer  dans  les  actes  à  côté  de 
celles  qu'il  se  faisait  donner  à  lui-même.  Cette  situation  persista 
pendant  quelque  temps,  et  c'est  en  ce  moment,  pendantraccalmie 
qui  suivit  la  cessation  des  hostilités  entre  le  comte  de  Poitou  et 
ses  adversaires,  qu'il  convient  de  placer  une  tournée  qu'il  fit  avec 
Philippie  dans  le  Talmondais. 

La  comtesse,  qui  voyageait  avec  sa  maison  et  en  particulier 
avec  Girard,  son  chapelain,  signala  son  passage  en  fondant  dans 
l'abbaye  de  Talmond  un  trentain  de  messes  pour  l'âme  de  son  père 
et  de  sa  mère  et  pour  celles  du  père  et  de  la  mère  de  son  mari  ; 
désireux  de  s'associer  personnellement  aux  sentiments  qui  inspi- 
raient cet  acte,  les  moines,  qui  étaient  tenus  de  fournir  pendant 
tout  le  carême  un  mandat  à  trois  pauvres,  c'est-à-dire  une  nour- 
riture journalière  et  déterminée,  décidèrent  de  faire  le  même 
service  à  un  quatrième  misérable.  Pour  leur  tenir  compte  des 
charges  qu'ils  s'imposaient  ainsi,  la  comtesse  leur  donna  un  ter- 
rage  et  plusieurs  deniers  de  rente  qu'elle  percevait  sur  des  héri- 
tages sis  dans  l'étendue  de  la  seigneurie.  Cette  libéralité  avait  été 
faite  solennellement  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  mais  les  moines 
ne  se  contentèrent  pas  de  cette  publicité,  ils  désiraient,  pour 
plus  de  sûreté,  que  le  comte  ratifiât  les  concessions  faites  par  sa 
femme.  C'est  à  quoi  ils  réussirent  bientôt.  Guillaume,  s'étant 
rendu  à  la  Garnache,  n'y  avait  sans  doute  pas  trouvé  d'installa- 
tion convenable;  dans  celle  occurrence,  il  pria  les  moines,  qui  pos- 

(i)  L'évêque  nommé  Pierrc,donl  il  esl  ici  qiiestion,ne  peut  être  Pierre  de  Confolens», 
qui  ne  fut  sacré  qu'en  m-]  (C/irori,  des  égl .  c/'^nyoti,  p.  426,  Saint-MaixenI),  et 
on  ne  peut  y  voir  que  Pierre  de  Soubise  tpii,  selon  la  môme  chroni(iue  (p.  k^ft), 
mourut  en  un.  Il  esl  avéré  toutefois,  d'après  une  charte  originale  de  l'abbaye 
de  Monlierneuf  (Arch,  de  la  Vienne,  orig.,  Montierncnf,  n»  20),  de  l'an  11 12,  qu'à 
celte  date  il  existait  un  évi^quc  de  Saintes  du  nom  de  Pierre,  cité  dans  la  donation 
que  Richard  Furbaudil  Ht  à  cette  abbaye  de  l'église  de  Cliirc  en  Poitou  et  d'une 
pêcherie  à  Saintes  sur  la  Charente,  ce  qui  permettrait  de  faire  remonter  à  celte  date 
l'abbatiat  dcSibille. 


GUILI.Ar.MK  LE  JEUNE 

s<^daien{  une  obédionceen  ce  lieu, de  lui  permellrn  d'aller  proiidro 
srs  repas  dans  leur  dcmourt'  ;  ils  y  conseuLir('nl,iiiais  [lendant  (lu'il 
élailii  lable,  Giraiid,le  prévôl-moinc,  se  présenta  devant  lui  avec 
deux  compaj^nons,  et  lui  demanda  de  donner  son  consenlemenl 
à  la  donalion  de  la  conilcsse,  ce  à  quoi  il  se  rendit,  volontiers 
en  présence  de  Gilbert  de  Veluirc  et  d'autres  témoins  en  grand 
nombre  (1). 

Les  moines  de  Talmond  surent,  du  reste,  tirer  plusieurs  avan- 
In^^es  de  la  présence  du  comle  de  Poitou,  et  dans  une  autre  cir- 
constance ils  profilèrent  liabilemenl  d'une  occasion  que  Guil- 
laume lui-mèmo  avait  fait  naître.  Un  jour  i!  requit  l'abbé  Ab'- 
xandrc  de  lui  c6der  un  palefroi  dont  l'aspect  l'avail  llaltô  ; 
l'abbé  se  {^arda  bien  de  refuser,  mais  il  réclama  en  même 
temps  le  paiement  de  Tanimal.  Le  comte,  qui  n'avait  sans  doute 
pas  d'argent  à  sa  disposition,  répondit  qu'il  rénéchirail  sur  ce 
qu'il  pourrait  donner  aux  moines  en  échange  de  Tobjel  de  son 
désir.  Ceux-ci,  redoutant  que  cette  promesse  ne  fût  pas  tenue, 
revinrent  bientôt  à  la  charge  et  demandèrent  à  Guillaume  de 
leur  abandonner  le  tiers  qu*il  possédait  dans  le  domaine  de 
«  Scolis  », dont  Pépin,  seigneur  de  Talmond,  leur  avait  autrefois 
cédé  une  partie;  il  y  consentit,  alteslanl  sa  volonté  par  la  remise 
symbolique  d'un  brin  de  jonc  (2). 

C'est  sans  doute  pendanl  ce  raôme  voyage  que  la  comtesse  fil 
cadeau  aux  moines  de  Bois-(îrolland,pour  le  salut  de  son  ûme  et 
de  celle  de  ses  parents,  de  tout  ce  qu'elle  avait  et  pouvait  posséder 
dans  la  maison  de  Vérins  ;  elle  se  trouvait  en  ce  moment  devant 
l'église  de  Notre-Dame  de  Jard,  en  compagnie  du  curé  de  cette 
paroisse,  de  son  pannelier  et  de  quelques  autres  personnages 
de  minime  importance  (3). 

Dans  le  même  ordre  d'idées  se  place  l'autorisation  que  Guillau- 
me, de  concert  avec  sa  femme  et  son  fils,  donna  en  î  Ml  à  un  de 
ses  chevaliers,  nommé  Ilalbier  le  Jeune,  de  restituer  à  l'abbaye 
de  Saint-Maixent  le  domaine  de  Chàteau-Tizon,quc  le  comle  avait 
précédemment  distrait   de  la   forêt  de   la  Sèvre,  propriété  de 


(i)  Cart.  de  Talmond,^.  sya. 
(a)  Curt.  de  Talmond,  p.  aaS. 
(3)  Marcbcgay,  Cart.  du  Bas-Poitou,  p.  aSa,  prieuré  de  BoîS'Grollaad . 

3o 


466  LES  COMTES  DE  POITOU 

Tabbaye  ;  il  en  avait  ensuite  fait  cadeau  à  Ralhier  pour  rémunérer 
ses  services,  malgré  Topposition  des  moines,  qui  déclarèrent 
ingénument  qu'il  ne  leur  avait  pas  été  possible  de  s'opposer  à  la 
volonté  dateur  prince  (l).Versle  même  temps,  Hugues  Camarleng 
reçut  aussi  la  permission  de  donner  à  Montierneuf  toute  la  terre 
qu'il  possédait  entre  l'Auzance  et  Poitiers  lorsque  son  fils  entra 
comme  moine  dans  cette  abbaye.  Il  est  à  noter  que  l'auteur  de 
cette  concession  déclare  la  faire  pour  le  salut  de  ses  seigneurs,  le 
comte  Guillaume, la  comtesse,  et  leur  fils  nommé  aussi  Guillaume, 
et  qu'elle  eut  lieu  en  présence  de  Rainaud,  sous-chantre  de 
Saint-Pierre,  et  précepteur,  «  didascalus  »,  du  fils  du  comte  (2). 

La  lassitude,  avons-nous  dit,  ne  fut  seule  la  cause  de  la  sus- 
pension d'armes  intervenue  entre  le  comte  de  Poitou  et  ses 
vassaux  révoltés.  La  trêve  qu'il  conclut  avec  eux,  peut-être  taci- 
tement, car  en  somme  c'est  lui  qui  était  l'agresseur,  se  prolongea 
pendant  plusieurs  années.  La  situation,  dans  le  Midi,  s'étant 
totalement  transformée, il  était  de  toute  nécessité  que  Guillaume, 
en  cas  de  besoin,  eût  ses  coudées  franches. 

Raymond  de  Saint-Gilles,  son  ancien  adversaire,  était  mort  le 
28  février  H05  dans  son  château  du  Mont-Pèlerin,  près  de  Tri- 
poli, sa  principale  résidence;  jugeant  son  héritier  incapable  de 
défendre  ses  possessions  de  Syrie  contre  les  ennemis  qui  les 
assaillaient  de  toutes  parts,  Raymond  en  avait  disposé  en  faveur 
de  son  compagnon  d'armes,  le  comte  de  Cerdagne.  Cet  héritier 
était  un  jeune  enfant,  Alfonse-Jourdain,  né  sur  cette  terre  d'O- 
rient en  1103;  il  n'avait  donc  que  deux  ans.  Sa  mère,  Elvire  de 
Castille,  le  ramena  en  Europe  et  fut  trouver  Bertrand  de  Tou- 
louse, le  fils  aîné  de  Raymond, qui  assigna  le  comté  de  Rouergue 
en  subsistance  à  son  jeune  frère.  Mais  Bertrand  fut  à  son  tour  pris 
de  cette  fièvre  qui  avait  entraîné  son  père  et  son  oncle  vers  l'O- 
rient, et,  à  leur  exemple,  il  abandonna  ses  états  pour  aller  se 
tailler  une  principauté  en  Syrie.  Au  mois  de  mars  H 09,  il  partit, 
et  son  comté,  dont  la  sécurité  était  garantie  par  les  immunités 
dont  jouissaient  les  croisés,  fut  tranquillement  administré  par 
les  agents  à  qui  il  l'avait  confié. 

(i)  A.  Richard,  Chartes  de  Saint-Maixent,  I,  p.  274. 
(2)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Montierneuf,  n»  22. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  ^ 

Devenu  bientM  comte  de  Tripoli,  il  continua  Tcxislence  batail- 
leuse de  ses  prédécesseurs  et,  comme  eux^  il  ne  tarda  pas  à  suc- 
comberje  21  avril  1 1 12.  Sa  succession  s'ouvrit  naturellement  en 
faveur  de  son  demi-frère,  Alfonse-Jonrdain,  dont  les  évèques  et  les 
grands  seigneurs  du  Toulousain  reconnurent  Tautorité,  mais  le 
pouvoir  entre  les  mains  de  cet  enfant  ne  comptait  pas  ;  il  appar- 
tenait évidemmentaux  conseilIersdesamère,qui,commeil arrive 
d'habitude,  ne  tardèrent  sans  doute  pas  à  mécontenter  leurs  égaux 
ou  même  leurs  supérieurs  en  dignité.  Ceux-ci,  subissant  avec 
peine  cette  prééminence,  cherchèrent  le  moyen  d'occuper  eux- 
mêmes  ce  premier  rang  dans  le  pays  ;  ils  crurent  le  trouver  en 
s'ad ressaut  au  comte  de  Poitou,  duc  d'Aquitaine,  qui,  par  suite 
de  son  éloignement  et  de  la  multiple  surveillance  que  réclamaient 
ses  vastes  possessions  territoriales,  devait  laisser  aux  seigneurs 
du  Midi  une  plus  grande  liberté  d'allures.  Leurs  avances  furent 
d'autant  plus  favornblemcnt  accueillies  par  Guillaume  qu'en  y 
répondant  il  ne  violait  pas  les  engagements  qu'il  avait  assurément 
pris  avec  Bernard  lorsqu'il  lui  avait  rétrocédé  le  comté  do  Tou- 
louse, et,  d'autre  part,  il  ne  pouvait  être  relonu  par  la  crainte  do  la 
violation  du  privilège  de  croisé  que  ne  pouvait  invoquer  Alfonse- 
Jourdaiii.  Il  rassembla  donc  un  corps  d'armée, et,  dans  le  courant 
de  l'année  1113,  il  se  mil  en  possession  du  comlé  do  Toulouse, 
peut-être  sans  combat.  Il  ne  revondi([uait  au  reste  que  les  domai- 
nes auxquels  Philippie  pouvait  prétendre  au  titre  horéditairo, 
à  savoir  le  Toulousain  ,  l'Albigeois,  le  Querci  et  le  diocèse  do 
Lodève,  à  quoi  il  convient  d'ajoulor  la  sn/.oraiut»lé  du  oouilé  do 
de  Carcassonne,  et  le  retour,  dans  la  ligouoo  dirorlo  d«>  l'Aqui- 
taine, du  Périgord,  de  l'Agenais  et  do  l'AsIarac,  oonh'slôo  oniro 
les  deux  grands  comtes;  Aironso-Jourdain  oonsorvail  h'  Huin>r- 
gue  et  continuait  à  jouir  du  oonilé  do  Sainl-(îill«'s,  do  la  Pi(tvou<'«» 
et  des   contrées   médilorranèonncs,  propriôlos  parlioulièros  do 
Kaymond  de  Sainl-Gillos,  sur  los(|iH'llos  (îuillauino  do  Poiti^M's 
n'avait  aucun  droil  à  fair(>  valoir  au  upin  \W  sa  l'oinint*  1 1^. 

Cette  occupalion  du  Midi  no  pouvail  Mianqur>i-  d'èlit«  curtlcuso; 
l'élan   des  seigneurs  du  rf>mlè  do  'j'onhui'^i"  voi'»  le  «lur  d'A(|ui- 

(i)  D.  Vaissete,  Hist.    de  Lanffitfiloi\  «ouv,    ('(i.,  III,   pp.    .I'|M.  /(l'I  »*•    •>''»;  IV, 
note  L,  n«  4  • 


468  LES  COMTES  DE  POITOU 

taine  ne  fut  pas  toujours  spontané,  et  il  est  à  croire  qu'il  dut  y 
aider  par  de  nombreuses  générosités.  On  sait  qu'il  n'était  pas 
économe,  et,  comme  conséquence  de  toutes  ces  dépenses,  des 
besoins  d'argent  ne  purent  larder  à  se  faire  sentir.  C'est  assu- 
rément pour  y  porter  remède  qu'on  le  voit  revenir   en  Poitou 
au  commencement  de  l'hiver  de  1113,  plutôt  que  pour  surveiller 
les  agissements  des  Lusignan  et  de  leurs  alliés,  aussi  épuisés 
que  lui.  Quelles  furent  les  mesures  qu'il  employa  pour  se  procu- 
rer de  l'argent?  On  ne  le  sait,  mais  tout  porte  à  croire  qu'il  cher- 
cha ces  ressources  en  mettant  la  main  sur  quelque  domaine  reli- 
gieux ou  plutôt  en  frappant  de  contributions  les  biens  d'église. 
C'est  alors  qu'il  rencontra  sur  son  chemin  l'évêque  de  Poitiers. 
Pierre  II  était  d'une  piété  extrême,  d'une  très  grande  gé- 
nérosité envers  les  pauvres  et  les  églises,  mais  aussi,  à  l'exem- 
ple du  pape  Pascal  II,  il  ne  pouvait  supporter  que  le  pouvoir 
laïque  portât  atteinte  aux  privilèges  ecclésiastiques.  Sans  nul 
doute,  il  avail  déjà  eu  plusieurs  fois  à  s'opposer  aux  prétentions 
du  comte  de  Poitou,  mais  cette  fois  les  agissements  de  ce  der- 
nier devaient  être  beaucoup  plus  graves,  car  il  le  menaça  de  la 
suprême  peine  religieuse,  de  l'excommunication.    Guillaume 
n'en  tint  nul  compte;  l'évêque  persisla   dans  sa  résolution  cl 
il  avait  commencé,  dans  sa  cathédrale,  à  prononcer  les  formules 
sacrées  de  l'analhème,  lorsque  le  comte  apparut.  A  la  vue  du 
prélat  il  fut  pris  d'une  fureur  violente,  le  saisit  par  les  cheveux, 
et,  dirigeant  vers  lui  la  pointe  de  son  épée,  il  s'écria  :  «  Tu  vas 
mourir  à  l'instant  si  tu  ne  me  donnes  pas  l'absolution.  >>  L'évêque, 
feignant  d'être  terrorisé  par  cette  menace,  demanda  un  peu  de 
répit,  puis,  avec  assurance,  il  acheva  la  phrase  terrible  en  vertu 
de  laquelle  le  comte  était  rejeté  de  la  communauté  des  fidèles 
chrétiens,   tellement    qu'il  ne  pouvait  prendre    son  repas  ou 
s'entretenir  avec  qui  que  ce  soit.  Après  avoir  ainsi  accompli 
ce  qu'il  considérait  comme  son  devoir  absolu ,  Pierre,   ayant 
fait  le  sacrifice  de  sa  vie,  tendit  son  cou  au  comte  en  lui  disant: 
«  Frappe,  frappe  donc.  »   Mais  Guillaume,    faisant  un   violent 
retour  sur  lui-même  et  reprenant  ses  façons  de  parler  ordinaires, 
lui  répondit.  «Il  est  certain  que  je  le  hais  profondément,  mais  ma 
haine  ne  va  pas  jusqu'à  ce  point  de  te  faire  entrer  en  Paradis 


GUILLAUME  LE  JEUNE  4«y 

pour  lui  donner  satisfaction  (I).  »  Toutefois  il  ne  désarma  pas;  il 
s'empara  du  prélat,  le  fit  jeter  en  prison,  et  enfin  IVxila  dans  son 
château  épiscopal  de  Chauvigny  d'où  il  lui  fut  interdit  de  sortir. 
Pierre  y  mourut  peu  après,  le  4  avril  1115,  en  oJeurde  sainteté, 
el  son  corps  fut  transporté  à  Sainl-Cyprien  de  Poitiers;  sur  son 
tombeau  on  grava  une  épitaphe  en  vers  latins,  qui  rappelait  ses 
mérites  et  ses  dernières  tribulations  (2). 

Pendant  que  ces  événements  se  passaient  en  Poitou,  d'autres 
de  grande  importance  se  produisaient  à  Toulouse.  Los  grands 
seigneurs  du  pays  venaient  l'un  après  l'autre  reconnaître  pour 
leur  suzeraine  la  comtesse  Philippie  et  lui  prêter  serment  de  fidé- 
lité. La  plus  importante  de  ces  adhésions  fut  assurément  celle 
de  Bernard-Aton,  vicomte  de  Béziers.  Ce  puissant  personnage 
dominait  directement  ou  indirectement  sur  le  tiers  du  comté  de 
Toulouse  et  particulièrement  sur  les  six  vicomtes  de  Carcassonne, 
de  Razès,  de  Béziers, d 'A Ibi,  d'Agde  et  de  Ntmes.  11  ne  se  con- 
tenta pas  de  venir  remplir  ses  devoirs  de  vassal,  il  réclama  de  la 
part  de  la  comtesse  un  engagement  réciproque  dont  il  fut  dressé 
acte.  Le  vicomte  disait:  «  Moi,  Bernard-Aton,  fils  d'Ermengarde, 
je  te  déclare  à  toi,  Philippie,  fille  d'Emma,  qu'à  partir  de  ce 
jour  je  le  serai  perpétuellement  fidèle,  à  ta  vie,  aux  membres 
qui  composent  la  personne,  à  ta  seigneurie,  h  celle  qu'hommes 
ou  femmes  tiennent  de  toi,  et  telle  que  l'a  possédée  ton  père  Guil- 

(i)  Migne,  Patrol,  lat.,  CLXXIX,  col.  i385,  G.  de  Malmesburi,  Gesta  regiim 
Anglorum,  Les  historieas  moderoes  se  sont  préoccupés  de  chercher  les  motifs  qui 
avaient  porté  l'évi^quc  de  Poitiers  à  lancer  contre  le  comte  une  excommunication  publi- 
que; nous  avons  fait  connaître  à  ce  sujet  notre  sentiment,  nous  n'y  reviendrons  pas. 
Mais  on  ne  saurait  passer  sous  silence  l'opinion  d'ilaule-Serre  {/ieriim  Aqnitanir., 
1.  X,  c.  i3),  et  celle  du  P.  de  la  Main  ferme  (Cli/peiis  Fonlebrald.,  II,  p,  197),  qui 
déclarent  que  le  comte  fut  puni  pour  avoir  répudié  sa  femme,  mais  celte  assertion  tombe 
d'elle-même,  des  textes  certains  établissant  (|ue  l'union  des  deux  époux  n'avait  pas 
cessé  d'exister  à  celte  date,  et  celles  de  Baillet  (  Vie  des  Suints,  lo  février,  p.  i43)  et 
de  Gervaise  {Vie  de  Siif/er,l.  VI,  p.  10),  qui  prétendent  cjuc  le  comte,  ayant  enlevé  la 
femme  de  son  frère,  fut  excommunié  par  Girard,  évéque  d'Anpouléme  ;  la  présence 
de  ce  dernier  à  Toulouse  auprès  du  comte,  à  cette  époque,  fait  tomber  cette  alléga- 
tion &  néant,  ct,d'aulrc  part,il  ne  paraît  pas  qu'Hugues  se  soit  jamais  marié. 

(2)  Ces  faits  durent  se  passer  à  la  (In  de  l'anuce  1 1 14.  Pierre  II  se  trouvait  à  Sully- 
8ur-Loirc,le  20  septembre  de  celte  annéc,cn  compaii;nie  de  IVaoul, archevêque  de  Tours, 
et  de  Girard,  évèi|uc  d'Aoïçoulèine,  légat  du  pape.  Ces  prélats  s'étaient  réunis  en  ce 
lieu  pour  le  rcujlcniciit  de  dinicullcs  survenues  entre  celle  abbaye  et  Fonlevrault  ; 
Robert  d'Arbrissel  y  vint  aussi  pour  défendre  les  intérêts  de  sa  maison,  dont  il  fit 
triompher  la  cause  (la  Vie  dit  bienhenreu.i:  Robert  d'Arbrissel,]yrc{ivca,p.  Cog;Mar. 
chegay,  Chron.  des  égL  d^ Anjou,  pp.  l\'i'y  et  42O,  Saint-Maixcnt), 


470  LES  COMTES  DE  POITOU 

hume,  comle  do  Toulouse  » ,  à  quoi  la  comtesse  répondait  :  «  Moi, 
Philippie,  fille  d'Emma,  je  te  serai  fidèle  à  toi  Bernard-Alon, 
de  même  façon  que  tu  l'es  envers  moi.  »  Le  jour  où  eut  lieu 
celle  imposante  cérémonie  l'assislance  la  plus  brillante  se  pres- 
sait à  la  cour  de  la  comtesse;  on  y  voyait,  outre  le  vicomte  do 
Béziers,  CentuUe,  comte  de  Bigorre,  Pons,  vicomte  de  Caussade 
en  Ouerci,  Arnoul  de  Monlgommeri,  Pons  de  Monlpezat,  Guil- 
laume d'Haulerive  elautres,et  parmi  les  gens  d'église  se  trouvait 
Robert  d'Arbrissel  et  son  inséparable  compagnon  Léger,  l'arche-:- 
vêque  de  Bourges,  puis  Giraud,  évoque  d'Angoulême,  Bertrand^ 
évêque  de  Bazas,  assistés  les  uns  et  les  autres  de  personnages 
ayant  un  rang  élevé  dans  le  clergé  do  leurs  diocèses  (1). 

Cet  acte  de  foi  mutuelle  n'est  pas  daté,  mais  il  ne  saurait  être 
éloigné  du  jouroù  le  fondateur  de Fonlevrault, mettant  àprofitla 
faveur  dont  il  jouissail  auprès  de  la  comtesse,  arriva  à  établir  une 
maison  de  son  ordre  dans  le  Toulousain.Philippie  ne  possédait  pas 
dans  le  pays  de  domaines  à  titre  personnel  dont  elle  pût  disposer  h 
son  gré,  aussi  s'adressa-t-elle  à  Amel,  évêque  de  Toulouse,  et  le 
contraignit  à  faire  à  Robert  une  cession  de  territoire;  de  concert 
avec  les  prévôts  de  Saint-Ktienne  et  de  Sainl-Sernin,  il  lui  aban- 
donna la  forêt  de  l'Espinasse  et  les  jarriges  adjacentes,  sur  les- 
quelles s'éleva  un  prieuré  dont  le  domaine  comprit  aussi  des 
bois  et  des  terres  que  de  puissants  personnages,  tels  que  Pons 
Raymond,  Pons  Bérenger,  et  autres  avaient  ajouté  à  la  conces- 
sion épiscopale,  le  12  mars  1114,  jour  où  elle  se  fit  dans  le 
cloître  de  Sainl-Elienne  (2). 

C'est  vers  ce  temps,  probablement  en  1114,  alors  que  la  com- 
tesse faisait  à  Toulouse  sa  résidence  ordinaire,  qu'elle  mit  au 
monde  un  fils  qui  fut  appelé  Raymond.  Ce"  nom  avait  chez  les 
comtes  de  Toulouse  le  même  caractère  traditionnel  que  celui  de 
Guillaume  pour  les  comtes  de  Poitou,  et,  dans  le  cas  présent,  il 
avait  pour  objet  de  désigner  à  tous  le  jeune  enfant  comme 
devant  être  le  futur  possesseur  du  comté  (3). 

(i)  D.  Vaissele,  f/isl.  de  Lanjudioc,  nouv.  éJ,,  V,  preuves,  col.  845. 

{•i)  Clypeus  Fontebrald.,  I,  p.  147. 

(3)  La  chroni({U3  de  Sjiiil-Mai\eiit[p.4i9)<ivail(léclaréquclanais3aace  de  Raymoad 
était  bien  postérieure  à  celle  de  soa  frère  ataé,  u  novis-iirne  »,  maïs  elle  ne  fournis- 
sait aucua  clémeDt  pour  eu  préciser  l'époijuc;  ou  en  rencontre  un  dans  Guillaume  de 


GUILLAUME  LE  JEUNE  471 

Bien  que  la  prise  de  possession  du  Toulousain  par  le  comte  de 
Poitou  semble  s'êlre  produite  pacifiquement,  néanmoins,  des 
troubles  locaux,  motivés  par  diverses  causes,  no  manquèrent 
pas  de  se  produire;  telle  fut  la  sédition  qui  éclata  à  Toulouse 
même  et  durant  laquelle  Pierre  d'Andouque,  évêque  de  Pampe- 
lune,  qui  était  descendu  dans  la  rue  pour  apaiser  le  tumulte,  fut 
blessé  d'un  coup  de  pierre,  dont  il  mourut  quelques  jours  après, 
le  jeudi  15  octobre  1114(1). 

Nous  ne  serions  pas  éloigné  de  croire,  si  l'on  recherchait  les 
causes  cette  sédition,  que  l'on  y  retrouvât  la  main  du  clergé  local  ou 
du  moins  de  ses  membres  les  plus  ardents,  que  l'excommunication 
encourue  par  Guillaume  détournait  de  sa  personne;  aussi  le  comte, 
en  habile  politique,  crut-il  devoir  donner  un  témoignage  public 
de  ce  que  sessentiments  chrétiens  n'avaient  été  nullement  altérés 
parla  sentence  rendue  contre  lui  par  l'évêque  de  Poitiers. 

Sur  son  invitation,  l'évoque  Amel  indiqua,  pour  le  premier 
novembre  suivant,  la  tenue  d'une  procession  solennelle  à  laquelle 
devaient  prendre  part  tous  les  membres  du  clergé  paroissial  de  son 
diocèse,  lesquels  devraient  se  faire  accompagner  des  reliques  pos- 
sédées par  les  églises;  Arael  invita  en  outre  à  assister  à  celle  fête 
les  évoques  qui  dépendaient  comme  lui  de  la  province  ecclésiasti- 
que de  Narbonne, ainsi  que  les  abbés  et  les  principaux  personnages 
de  la  région.  L'affluence  du  peuple  fut  telle  que  l'on  se  vit  obligé 
d'établir  des  tentes  hors  de  la  ville  pour  en  loger  une  partie,  et 
Guillaume  put  croire  que  le  résultat  qu'il  avait  cherché  était 
obtenu  (2).  Aussi  se  montra-l-il  généreux  à  l'égard  de  certaines 
maisons  religieuses  qui  avaient  particulièrement  répondu  à  l'appel 

Tyr  (flist.  </<»«  Cro/sarfM,  1,9.6^7),  lequel  rapporte  que,  lorsque, vers  ti3C,les  barons 
d'AQtiochc  fixèrent  leur  choix  sur  Raynnond  pour  devenir  l'époux  de  la  jeune  héri- 
tière de  la  principauté,  celui-ci  n'était  qu'un  adolescent,  ayant  à  peine  quelques 
poils  de  barbe,  a  adolcscens  vix  prima  inalas  vcslitus  lanui^ine  ".et  qu'il  venait  d'être 
fait  chevalier  par  le  roi  d'Anijlcterre  ;  or,  comme  il  était  de  règle  que  cette  qualité  ne 
fût  conférée  au  noble  que  lorsqu'il  atteignait  sa  majoritéet  que  celle-ci  était  fixée  en 
Poitou  à  l'àçe  de  viujjt  et  un  ans,  l'adolescent  qui  venait  d'obtenir  cette  faveur  ne 
pouvait  être  né  qu'en  iii/|  ou  iii3  au  plus  tard. 

(1)  D.  Vaissetc,  ///«/.  Je  Langiiedoc,  nouv.  éd.,  III,  p.  C22.  Palustre,  qui  donne  à 
l'évêque  de  Parnpelune  le  nom  de  Pierre  de  i\ola  {I/ist.  de  Grtilldinne  /X,  p.  288), 
le  fait  mourir  bien  à  tort  lors  de  la  prise  deToulouse  en  1(1(17  ;  nombreuxsont  les  actes 
du  carlulaire  de  Conques  (jui  attestent  son  existence  jusiiu'cn  1 1 1,\. 

(2)  I).  Yaissele,  IJisl.  de  LuiKjiitdoc,  nouv.  éd.,  III,  p.  i::f>,  et  V,  preuves,  col. 
847  et  848. 


47»  LES  COMTES  DE  POITOU 

de  leurs  évêqueset  contribué  à  donner  un  grand  éclat  à  celle  réu- 
nion extraordinaire.  Les  moines  du  Lézal,  possesseurs  des  reli- 
ques de  saint  Antoine,  les  avaienlapporlécsà  Toulouse, el  il  s'était 
produit  plusieursmiracles  dus  à  l'intercession  du  saint  :  le  comte, 
reconnaissant,  leur  fit  de  nombreuses  générosités  et  particulière- 
ment il  leur  donna  en  août  1 1 1 5,  de  concert  avec  sa  femme  et  son 
fils  Guillaume,  un  terrain  situé  dans  le  faubourg  de  la  ville,  en 
face  la  porte  du  château  Narbonnais,  avec  exemption  de  toute 
sujétion  et  la  propriété  du  droit  de  justicesur  toute  personne  qui 
viendrait  habiter  le  territoire  concédé  (i). 

Cet  acte  est  le  dernier  où  l'on  rencontre  le  nom  de  Philippie.  11 
est  certain  que  personnellement  Guillaume  ne  paraît  pas  avoir 
été  très  gêné  par  sa  situation  d'excommunié,  mais  celle-ci  fut 
vivement  ressentie  par  diverses  personnes  de  son  intimité^  au 
premier  rang  desquelles  on  doit  placer  sa  femme.  La  comtesse 
subissait  la  très  grande  influence  de  Kobcrl  d'Arbrissel  qui  ne 
semble  pas  avoir  rien  fait  pour  la  détourner  d'obéir  aux  pres- 
criptions de  l'église,  c'est-à-dire  de  se  séparer  de  son  mari. 

D'autre  part,  des  raisons,  d'ordre  plus  intime,  durent  à  celte 
époque  peser  sur  les  décisions  de  Philippie.  Pendant  qu'elle 
séjournait  à  Toulouse,  Guillaume,  sous  prétexte  de  maintenir  le 
pays  dans  son  obéissance,  voyageait,  et  particulièrement  faisait  de 
longs  séjours  en  Poitou.  C'est  pendant  une  de  ces  absences  qu'il 
noua  des  relations  avec  Dangereuse,  femme  d'Aimeri  I,  vicomte 
de  Chàlelleraull  (2).  Celle-ci,  à  l'imitation  de  la  reine  Berlrade, 
abandonna  son  mari  et  fut  vivre  avec  le  comte  qui  l'installa  à  côté 
de  son  palais,  dans  celle  lourqu'ilavailrécemmenlconstruile  pour 
en  augmenter  les  défenses,  aussi  le  peuple,  dans  sa  familiarité 
expressive, ne  tarda-t-il  pas  à  donner  à  la  compagne  du  souverain 

(i)D.  Vaissele,  llist.  de  Languedoc,  nouv.  édil.,  preuves,  V,  col.  847. 

(2)  Miîfnc,  Pdtrol.  lut.,  CLXXIX,  col.  i384,  Guill.  deMalmesburi.  Dangereuse 
ét<iit  en  iiog  la  femme  du  vicomte  Aimeri  de  Châtellcrault,  et  il  ne  semble  pas  que 
ce  personnage,  qui  a  vécu  jusqu'en  i  i5i,  so  soit  marie  deux  fois.  Elle  donna  à  cette 
date  de  iiog  son  consentement  à  la  concession  de  certaines  franchises  que  fît  son  mari 
à  réfçlise  de  Saint-Denis  en  Vaux  (.4/'c7j.  hist.  du  Poitou,  VU,  p.  346).  Son  origine 
n'a  point  été  établie  jusqu'ici;  toutefois,  il  nous  paraît  très  plausible  de  ridcntitier 
avec  une  jeune  personne  (|ue  nous  avons  rcncoalréc  dans  un  chartricr  de  la  rés^ion,  à 
la  fin  du  xi''  siècle,  laquelle  portait  ce  nom  caractéristique  de  «  Dangerosa  »  et  était 
fille  de  Barthélémy,  seigneur  de  l'Ile- IJûuchj ni,  et  de  Girberge  (Cari,  de  Noyers, 
p.  172). 


GUILLAUME  LE  JEUNE  473 

un  sobriquet  qui  caractérisait  sa  situation  auprès  de  lui,  il  l'ap- 
pela Maubergeonne  (l).Du  reste, Guillaume  ne  dissimulait  nulle- 
ment ses  sentiments  k  l'égard  delà  vicomtesse  et  les  rapports  qui 
existaient  entre  eux;  il  avait  fait  graver  son  portrait  sur  son  bou- 
clier et  disait  à  ce  propos  qu'il  agissait  à  la  guerre  à  son  égard 
de  la  même  façon  qu'elle  se  comportait  avec  lui  pendant  la  paix. 
Mais  Philippie  rencontra  des  défenseurs  dans  l'entourage  du 
comte  el  particulièrement  dans  les  rangs  du  clergé.  Le  légat 
Girard,  qui,  à  cause  de  sa  situation  politique,  n'avait  pas  cessé  de 
continuer  ses  rapports  avec  le  comte,  lui  fil  d'abord  des  repré- 
sentations sur  sa  conduite, puis  enfin,  poussé  ù  bout,  il  renouvela 
la  sentence  d'excommunication  prononcée  contre  luipar  Pierre  II. 
Dans  cet  acte  si  grave,  Guillaume,  suivant  son  habitude,  trouva 
seulement  matière  à  plaisanterie  :  «  Le  peigne,  dil-il  au  légat,  fri- 
sera les  cheveux  de  ton  front  avant  quoje  ne  m'éloigne  delà  vicom- 
tes8e(2).»  Or, Girard  était  chauve;  la  séparation  intime  du  comte 
et  de  sa  femme  était  donc  irrémédiable,  lui-môme  le  disait. 

Fontevrault  était  un  refuge  naturel  pour  de  telles  infortunes,el 
Philippie  dut  s'y  retirer  à  la  fin  de  l'année  1 1 15  ou  au  commence- 
ment de  1116.  Là  elle  trouva  Ermengarde,  femme  d'Alain,  duc  de 
Bretagne,  qui  avait  été,  avant  elle,  la  femme  de  Guillaume;  la  ren- 
contre entre  les  deux  duchesses  dut  être  piquante,  mais  tandis  que 
la  vie  d'Ermengarde  se  prolongea  longtemps  encoreavecdes  vicissi- 
tudes de  retraites  pieuses  et  de  mondanité, celle  de  Philippie  n'eut 
qu'une  assez  courte  durée;  la  duchesse  d'Aquitaine  ne  se  contenta 
pasde  vivreen  quelque  sorte  comme  pensionnaire  dans  le  monas- 
tère de  Fontevrault,  elle  fil,  peut-être  après  la  mort  de  Pierre 


(i)  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  au  récit  d'aveulures  connu  sous  le  nom  de  JouiTrois, 
qui  (éd.  Iloffmann,  pajçe  127,  vers  /(orjS)  fait  d*  «  Amauberjon  »  aliàs  «  Aniauber- 
jain  ),  la  fille  d'un  comte  de  Toulouse  du  nom  d'AIlbnsc  et  la  donne  pour  femme  à 
Jouifrois.  Le  romanrier  a  confondu  divers  traits  de  la  vie  des  deux  comtes  de  l'oitou, 
Guy-GeofFroy  et  Guillaume  VII,  mais  il  y  a  à  retenir  le  nom  qu'il  donne  à  la  femme  de 
son  héros. Ce  nom.iladiï  l'empruntera  Ordcric  Vilal,  qui,  dans  son  Ilistoireecclcsias- 
lique  (éd.  Le  Prévost,  IV^  p.  078)  rajtporle  que  la  concubine  du  comte  de  Poitou 
s'appellailMalbcrgion.  On  peut  citer  con)me  contraire  à  l'opinicm  que  nousavons  émise  sur 
l'origine  du  surnom  deI)an<,'creuse.cellcdeM.(^li;d)aneau(/to'He  des  l(in;/uc.t  romanes, 
XIX.  p.  88),  qui  a  rencontré  la  vicrifc  «  Anjalbera^a  »  dans  le  Ilecucil  des  Ilisturicns 
de  France  (XIV,  p.  19). 

(2)  «  Perinde  diclitans  se  iilam  velle  f«rrc  in  pnelio,  sicut  illa  porlabat  eum  iu 
iriclioio.  »  xMigoe,  Patrol.  lat.,  CLXXIX,  col.  i384,  Guill.  de  Malmesburi. 


474  LES  COMTES  DE  POITOU 

d'Arbrissel,  arrivée  le  25  février  iH7,  profession  absolue  de  la  vie 
monacale,  et  mourut  le  28  novembre  de  l'année  H 17  ou  1148(1). 

Tout  le  monde,  heureusement  pour  le  comte  de  Poitou,  n'avait 
pas  en  matière  religieuse  les  idées  absolues  qui  dirigèrent  les 
actions  de  sa  femme;  nombreux  furent  ceux-là,  même  dans  le 
sein  du  clergé,  qui  pratiquèrent  à  son  égard  cette  conduite  facile, 
dont  le  rigoriste  Geoffroy  de  Vendôme  donna  un  jourlui-rmême  l'ex^ 
plication  ingénue  au  pape  Pascal  II  (2).  L'abbé  de  la  Sauve,  Geof- 
froy, partageait  cette  manière  de  voir,  et  le  2  juin  1116,  il  vint 
trouver  le  comte  et  obtint  de  lui,  en  s'engageant  à  prier  pour  le 
salut  de  son  âme  etdecellesdesesancôtres,rabandon  de  tous  ses 
droits  seigneuriaux  sur  l'église  de  Bougueset  ses  dépendances  (3). 
A  cet  acte  assistaient  l'abbé  de  Sainte-Sévère  et  les  deux  archi- 
diacres de  Poitiers,  Hervé  et  Guillaume  Gilbert, 

La  présence  de  ces  deux  personnages  est  significative;  l'église 

(i)  Le  séjour  de  la  duchesse  d'Aquitaine  :i  Fonlevrault  se  place  entre  le  mois  d'août 
iii5,  époque  elle  agit  encore  de  concert  avec  aon  marî,el  le  28  novembre  11 18  au  plus 
tard,datede  son  décès,  (jui  est  ainsi  indiqué  dansTobituaire  du  prieuré  de  Fontaines  en 
Bas-Poitou:  «  4  kal.  decembris, Pbilippa  monacha,  Pictaviensia  comitissa  »  {Chjpens 
Forilebrald . ,  I,  p.  53).  Celle  mention  ue  j)récise  pas  l'année  de  la  mort  de  la  duchesse, 
mais  comme  il  est  certain  qu'elle  n'existait  plus  lors  de  la  tenue  du  concile  dcReims, 
au  mois  d'octobre  iiiq,  la  dcruicre  date  que  l'on  puisse  assigner  à  son  décès  est  celle 
du  4  des  calendes  de  décembre  de  l'an  1 118.  11  n'est  pas  à  présumer  que  cet  événe- 
ment puisse  être  reporté  à  l'année  11 16,  car  on  doit  tenir  compte  du  grand  sens  poli- 
tique dont  Robert  d'Arbrissel  était  doué,  comme  tous  les  grands  réformateurs  d'ordre 
religieux,  qui  l'aurait  empêché  d'accueillir  la  duchesse  au  nombre  de  ses  moniales; 
après  sa  mort,  arrivée  le  25  février  1 1 17,  les  mômes  motifs  ne  pouvaient  retenir  son 
successeur  ;  Philippie,  en  conséquence  de  ce  qui  vient  d'être  établi,  ne  put  mourir 
qu'en  novembre  II 17  ou  11 18. 

Un  texte,  dont  nous  n'avons  trouvé  trace  que  dans  le  Gallia,  semble  indiquer 
que  la  vie  de  Philippe  se  serait  prolongée  bien  au  delà  de  la  date  que  nous  lui  assi- 
gnons. Il  rapporte  (II,  col.  1266)  que  la  comtesse  Philippie,élant  venue  à  Montierneuf, 
fléchit  les  genoux  devant  l'abbé  Hugues  et  les  religieux  du  monastère,  et  qu'afin  d*ob- 
lenir  la  rémission  de  ses  péchés,  elle  leur  abandonna  les  marais  de  Jard,  dont  elle 
s'était  emparée  sous  le  prétexte  que  ces  marais  faisaient  partie  de  son  domaine. 
Comme,  d'après  le  Gallia,  Hugues  serait  uu  des  successeurs  de  l'abbé  Marc, 
qui  vivait  encore  en  1 126,  la  mort  de  la  comtesse  aurait  été  postérieure  à  celle  de  son 
mari.  Nous  ne  chercherons  pas  à  élucider  le  problème  de  l'abbatial  de  l'abbé  Hugues, 
mais  nous  dirons  que  si  le  texte  du  Gallia  est  exact,  il  faut  reconnaître  dans  l'abbé 
Hugues  dont  il  parle,  non  pas  un  abbé  de  Montierneuf,  mais  l'abbé  de  Cluny,  saint 
Hugues,  qui  mourut  en  1108  ou  i  lOij,  et  à  l'égard  de  qui  peut  se  comprendre  l'acte 
de  pieuse  déférence  de  la  comlesse  de  Poitou. 

(2)  Migoe,  Palrol.  lai.,  CLVII,  col.  49. 

(3)  Arch.  hist.  de  la  Gironde,  XII,  p.  317.  Le  rédacteur  de  cet  acte  qualifie  Guil- 
laume VII  de  comte  palatin  ;  bien  que  ce  titre,  attribue  au  duc  d'Aquilaine,ne  puisse 
avoir  qu'un  caractère  purement  honorifique,  il  ne  nous  semble  pas  qu'il  doive  appar- 
tenir à  Guillaume  VII  qui  ne  s'en  est  paré  dans  aucun  autre  de  ses  actes. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  475 

de  Poitiers  était  toujours  sans  pasteur  (1),  et  Ton  peut  croire  que 
les  deux  grands  dignitaires  du  diocèse,  bravant  pour  eux-mêmes  les 
conséquences  de  l'excommunication  dont  le  comte  portail  le  poids. 
se  tenaient  auprès  de  lui  pour  qu'il  consentît  à  apporter  un  re- 
mède à  la  situation  pénible  qui  était  faite  à  ses  sujets,  car^ses  étals 
étant  dans  l'interdit,  la  sépulture  religieuse  ne  pouvait  même  être 
accordée  aux  défunts  (2).  Les  efforts  qu'ils  tentèrent  ne  devaient 
pas  encore  aboutir;  le  comte  posait  assurément  ses  conditions, 
qui  durent  se  heurter  contre  l'inflexibilité  du  pape  Pascal  II,  et 
il  fallut  toute  l'habileté  du  légat,  l'évêque  d'Angoulôme,  pour 
amener  une  transaction.  Elle  se  conclut  ainsi  :  Guillaume  serait 
relevé  de  son  excommunication  et,  en  retour,  il  consentirait  à  ce 
qu'il  fût  pourvu  aux  vacances  des  évêchés,  particulièrement  à  celle 
de  l'évêché  de  Poitiers  (3).  Cet  accord  date  de  la  fin  de  l'année 
1117,  car  il  n'était  pas  encore  fait  lorsque  se  tint  dans  la  salle  du 
chapitre  de  la  cathédrale  d'Angoulême,  sous  la  présidence  du 
légat,  une  assamblée  non  conciliaire,  où  se  trouvaient  Baudri, 
archevêque  de  Dol,  Audeberl,  évoque  du  iMans,  Hainaud,  évoque 
d'Angers,  ainsi  que  les  abbés  de  Maillezais,  deTalmond,  de  Noaillé, 
et  de  Sainl-Cybard  d'Angoulême;  on  y  régla  entre  autres  un  dif- 
férend entre  un  abbé  de  Limoges  et  celui  de  Vaux  (4),  mais  il  est 
aussi  hors  de  doute  que  la  question  de  la  vacance  des  évêchés  de 
Poitiers  et  d'Agen  y  fut  agitée. 

La  solution,  en  ce  qui  concerne  Poitiers,  ne  ressort  d'actes 
authentiques  que  l'année  suivante  ;  on  trouve,  en  effet,  que,  le 
11  avril  1118, l'évoque  de  F*oitiers  approuva  un  accord  entre  l'ab- 
baye de  Noaillé  et  celle  de  Talmond  à  qui  la  première  avait  cédé 
ses  droits  sur  l'église  d'Avrillé  (b).  Cet  évoque  était  l'archidiacre 
Guillaume  Gilbert,  que  l'on  rencontre  encore  colle  même  année 
1118  au  concile  d'Angoulême,  importante  assemblée  où  se  trou- 


(1)  Cart.  de  Saml-Ci/prien,  p.  2o5  ;  «  Piclavensi  sede  orbata  prcsule  ». 

(2)  Cart.  de  Nnyers,  p.  5o5.  L'abbé  Chevalier,  éditeur  de  ce  texte,  lui  a  donné  à 
tort  la  date  de  ii3i  ;  il  ne  peut  être  place  que  vers  i'anacc  iitô  (D.  Charnard,  Chru- 
nol.  des  vicomtes  de  Cht)tetleraiilt,  p.  ?.(),  n'  ■'<). 

(3)  Marcheçay,  Chron.  des  é'jl.  d'Anjou,  p.  42O,  S.iiat-Maixeat. 
(l\)  Urasiiier,  Cari,  i/iéd.  de  tu  Suintonje,  p.   10,  Vaux. 

(5)  Arch.  de  la  Vieune,  ori'j^.,  Noaillc,  n»  i5();  la  souscription  de  révéïjue,*  ainsi 
coQ<;ue  :  a  Kgo  Wi  Piclav  eps  subscripsi  »,  est  aulu|ijraphe. 


476  LES  COMTES  DE  POITOU 

vèrent,  sous  la  présidence  du  légat  Girard,  les  archevêques  de 
Tours  et  d'Auch,  les  évoques  de  Bigorre  et  de  Périgueux,  et  où 
furent  confirmées  les  élections  de  l'archevêque  de  Tours  et  de 
deux  autres  évêques,  au  nombre  desquelles  était  celle  d'Aude- 
bert,  évoque  d'Agen  (1). 

Bien  que,  pour  des  raisons  politiques,  Guillaume  eût  été  re- 
levé de  son  excommunication,  le  légat  n'était  pas  homme  à  sup- 
porter, sans  en  tirer  vengeance,  l'insulte  qui  lui  avait  été  faite.  Il 
poussa  Vulgrin,  fils  de  Guillaume  Taillefer, comte  d'Angoulême, 
à  porter  secours  à  Adémar  d'Archiac,  que  Bardon  de  Cognac  et 
Audouin  de  Barbezieux avaient,  d'accord  avec  le  duc  d'Aquitaine, 
dépouillé  de  son  château  d'Archiac;  malgré  l'opposition  du  duc, 
Vulgrin  s'empara  du  château,  puis,  poursuivant  ses  succès,  il  remit 
de  vive  force  la  main  sur  la  baronnie  de  Matha,  que  son  père,  au 
temps  où  il  avait  été  fait  prisonnier,  avait  dû  abandonner  pour 
obtenir  sa  liberté.  Girard  n'avait  pas  seulement  aidé  Vulgrin  de 
ses  conseils,  il  lui  avait  aussi  apporté  un  concours  effectif  et  il  se 
mit  campagne  pour  le  réconcilier  avec  Adémar  de  la  Rochefou- 
cauld, contre  qui  il  marchait  à  la  tête  d'un  corps  de  mille 
hommes;  il  y  réussit  si  bien  que  Vulgrin,  étant  devenu  peu  après 
comte  d'Angoulême  par  suite  de  la  mort  de  son  frère  advenue  en 
Allemagne  en  1120,  alors  qu'il  revenait  de  la  Terre-Sainte, 
donna  à  Adémar,  pour  l'attacher  à  sa  fortune,  le  château  de 
Chabanais  et  Confolens  avec  leurs  dépendances  féodales  (2). 

Tout  entier  à  sa  passion  pour  le  métier  des  armes,  le  comte  de 
Poitou  s'engageait  ainsi  dans  une  foule  d'affaires  où  ses  intérêts 
directs  n'étaient  nullement  en  jeu,  et,  comme  on  le  voit,  les  avan- 
tages n'étaient  pas  toujours  de  son  côté.  Il  avait  un  entourage, 
on  ne  saurait  dire  une  cour,  formé  de  compagnons  d'armes,  pour- 
vus d'un  esprit  batailleur  et  aventureux  comme  le  sien,  et  qui  ne 


(i)  Arch.hisl,  du  Poitou,  II,  p.  aS,  chart.  poit.  de  Saint-Florent.  Cette  assemblée 
dut  se  tenir  au  mois  de  Février  ou  de  mars  :  c'est  ce  qui  semble  résulter  d'un  passante 
de  la  chronique  de  Saint-Maixent,  où  il  est  dit  (p.  4^7)  que,  le  3  mars.  Robert,  évêque 
de  Quimper,  procéda  à  la  consécration  de  l'église  de  Satnt-Symphorien  de  Romans,  et 
que,  le  njmars,  Etienne,  évéque  de  Clermont,  bénit  l'autel  de  saint  Etienne  dans  l'église 
de  l'abbajre  ;  la  présence  simultanée  de  ces  deux  évoques  à  Saint-Maixent  nous  paraît 
indiquer  qu'ils  se  rendaient  au  concile  ou  qu'ils  en  revenaient. 

(2)  Hist.  pontif.  et  coin.  Engolism,,  p.  4». 


GUILLAUME  LZ  JEL^NE  477 

Irouraienl  noUement  repréhensible  «on  union  publique  avec  Mau- 
bergeoninF.  Mais,  par  contre,  Guillaume  «e  déàintéressait  des 
affaires  publiques  el  en  particulier  des  cho?«?9  religieuses  qui 
tenaient  toujours  en  éveil  les  esprits  cuUiré>  de  l'époque,  ceux-là 
dont  l'action  avait  généralement  le  plus  d'intluenco  sur  les  masses. 
On  ne  le  rencontre  nulle  part  et  en  particulier  au\  grandes  assem- 
blées conciliaires,  même  à  celles  on  étaient  traitées  des  questions 
qui  entraient  dans  ses  goùls.  .\insi.  au  mois  de  février  1118.  il  ne 
se  rendit  pas  au  concile  de  Toulouse  où  fut  décidée  une  croisade 
contre  les  infidèles  d'Espagne.  Les  .Vlmoravides.  battus  par  Al- 
fonsele  Batailleur,  avaient  repris  rigoureusement  l'offensive  et 
cherchaient  à  délivrer  Saragosse  que  menaçaient  les  troupes  du  roi 
d'Aragon.  Celui-ci  fit  appel  à  l'esprit  d'aventure  des  cheraliers 
français,  qui. du  reste. trouvaient  toujours  un  profit  à  retirer  de  la 
conquête  des  riches  cités  maures.  .\  défaut  du  comte  de  Toulouse. 
plusieurs  de  ses  vassaux  prirent  la  croix,  et  en  particulier  Ber- 
nard-Aton,  le  vicomte  de  Béziers.  qui,  le  7  mai  1 H  S.  fit  son  tes- 
tament avant  de  partir  pour  la  campagne  qui  se  termina  au  mois 
de  décembre  suivant  par  la  prise  de  Saragosse  il  '. 

Néanmoins,  le  comte  dut  se  réveiller  de  son  apathie  pour  s'oc- 
cuper de  ce  qui  le  touchait  de  près.  Soit  que  la  trêve  qu'il  avait 
conclue  avec  le  sire  de  Lusignanet  ses  adhérents  fût  expirée,  soit 
plutôt  qu'il  ait  été  contraint  de  mettre  fin  aune  hostilité  latente  et 
dangereuse,  il  reprit  la  lutte  contre  ses  anciens  adversaires  ;  le 
9  août  il  les  battit  el  fit  prisonnier  Simon  de  Parlhenay  avec 
nombre  d'autres  guerriers  f'2> 

Par  suite  de  ces  dissensions,  le  pays  était  dans  un  état  de  trou- 
ble extrême.  On  voit  par  exemple  Geoffroy  d»*  Vendôme  déclarer 
à  l'évêque  d'Angoulême,  qui  avait  réclamé  sa  visil»*,  qu'il  n'ose,  à 
l'occasion  des  guerres  qui  désolent  le  Poitou,  ?e  rendre  auprès 
de  lui  ou  visiter  les  obédiences  dépendant  de  son  abijaye,  tant 
les  routes  sont  peu  sûres.  C'est  ainsi  qu'il  s'était  entendu  avec 
Tévêquede  Poitiers  qui  devait,  lors  de  la  fête  de  l'Assomption, 
se  rencontrer  avec  lui  à  Fonlevrault  et  lui  apporter  un  sauf- 
conduit,  mais   l'évêque   ne  vnl  pas  au    rendez-vous,   el   Geof- 

(1,  Fj.  Vaiiselc.    //<>/•  'It  L'm'jn'.lf^.,  n ouv.  «J.,  III.  pp.  'VîS-Ojj. 
1)  Marcbeçay.  Ckron.  det  ijl.  lï Anjou,  p.  427,  Saiot-Maiienl. 


47»  LES  COMTES  DE  POITOU 

froy  dut  retourner  (ïans  son  monastère  de  Vendôme  sans  avoir 
pu  donner  suite  à  ses  projets  de  voyage.  Il  racontait  môme  à  son 
correspondant  qu'il  avait  des  raisons  personnelles  de  redouter 
de  mauvaises  rencontres  ;  quelque  temps  auparavant,  Pierre  de 
Moncontour  avait  surpris  des  religieux  de  ses  obédiences  du 
Poitou, qui  revenaient  de  lui  rendre  visite  dans  son  abbaye;  il  s'é- 
tait emparé  de  leurs  chevaux,  de  leurs  bagages  et  de  leurs  per- 
sonnes. Geoffroy  ayant  invoqué  la  protection  du  comte  Foulques 
le  Jeune,  suzerain  du  sire  de  Moncontour,  avait  bien  pu  se  faire 
restituer  une  partie  du  butin,  mais  le  surplus  était  toujours 
détenu  par  les  ravisseurs.  Du  reste,  il  déclarait  en  terminant  qu'il 
avait  à  se  mettre  en  garde  contre  les  embûches  d'une  femme, 
et,  bien  qu'il  ne  nomme  pas  celle-ci,  on  ne  saurait  douter 
qu'il  s'agissait  de  Maubergeonne,  dont  la  faveur  devait  être  alors 
à  son  apogée  (I).  Quant  au  comte,  après  les  émotions  et  les  fati- 
gues de  la  guerre, il  se  délassait  par  celles  de  la  chasse. 

Au  printemps  de  1 1 19  il  se  trouvait  dans  ses  domaines  du  Tal- 
mondais  en  compagnie  de  son  fils,  le  jeune  Guillaume,  et  de  son 
frère  Hugues(2).  Là  il  rencontra  Marc,  abbé  de  Monlierneuf,  qui, 
assisté  de  Durand,  prieur  de  Sainl-Nicolas  de  Poitiers,  élait  venu 
visiter  le  monastère  de  Jard  que  l'abbaye  avait  fondé  dans  cette 
région,  et  dont  le  patrimoine  avait  été  constitué  par  des  donations 
de  Guy-Geoffroy  et  de  sa  femme  Audéarde.  Celle-ci,  bien  après  la 
mort  de  son  mari,  vers  H03,  se  trouvant  dans  l'oratoire  de  Mon- 
lierneuf, avait,  en  présence  de  son  neveu  Henri,  prieur  de  Cluny, 
concédé  aux  moines  toutes  les  métairies  qu'elle  possédait  à  Jard 
et  que  son  mari  lui  avait  abandonnées  pour  son  douaire  (c'était 


(i)  Migne,  Patrof.lat.y  CLVII,  col.  65-G9. 

(2)  La  présence  certaine  du  fils  de  Guillaume  le  Jeune  auprès  rie  son  père  en  iiig 
permet  de  réduire  k  néant  les  assertions  de  l'historien  anglais,  Raoul  de  Dicet, 
qui  raconte  {Rec.  des  hist.  de  France^  XIII,  p.  729)  que  le  jeune  prince,  à  l'âge  de 
dix-sept  ans,  outré  de  l'injure  que  le  duc  faisait  à  sa  mère  par  sa  liaison  publique  avec 
Maubergeonne,  «.  Amalbcrgcon  »,sc  serait  révolté  contre  lui  et  qu'une  lutte,  qui  aurait 
duré  sept  années,  se  serait  engagée,  au  grand  dommage  de  l'Aquitaine,  entre  le  père 
et  le  fils,  et  ne  se  serait  terminée  que  par  la  capture  de  ce  dernier.  La  révolte  du  jeune 
Guillaumeauraitdonc  eu  lieu  en  1 1 12  ;  or,  à  cette  date,il  ne  comptait  que  treize  ans  et 
Philippic  n'était  pas  encore  séparée  de  son  mari.  D'autre  part,  si  l'on  compte  les  sept 
années  de  guerre  à  partir  des  dix-sept  ans  du  jeune  Guillaume,  qui  ne  les  atteignit 
qu'en  1 1 16,  la  charte  de  1 1  ig  dont  il  va  être  parlé  et  d'autres  documents  postérieurs 
infligent  un  démenti  formel  à  Raoul  de  Dicet. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  479 

toujours  le  Talmondais  et  les  domaines  du  Bas-Poitou  qui  rece- 
vaient celle  affectation),  et,  dès  l'instant,  elle  les  avait  investis 
des  dîmes  de  toute  nature  qui  se  percevaient  sur  ces  terres  ; 
Guillaume,  sur  les  instances  de  Tabbé,  renouvela  la  donation  du 
domaine  avec  son  église  de  Saint-Nicolas,  ainsi  que  celle  des  dî- 
mes qui  avaient  été  concédées  à  part  (1). 

Pendant  que  le  comte  de  Poitou  se  livrait  aux  plaisirs  de  la 
chasse  avec  ses  compagnons  ordinaires,  il  se  passait  dans  le 
Midi,  que  Guillaume  négligeait  totalement  depuis  le  départ  de 
Philippie,  des  événements  qui  eurent  sur  l'avenir  une  répercus- 
sion défavorable  à  ses  intérêts.  Après  la  mort  du  pape  Gélase  H, 
successeur  de  Pascal  H,  les  cardinaux  avaient  élu  pape, le  2  février 
1119,  Guy  de  Bourgogne,  archevêque  de  Vienne.  Celui-ci,  qui 
prit  le  nom  de  Calixte  H,  se  trouvait  alors  à  Cluny  ;  au  lieu  de  se 
rendre  aussitôt  à  Bome,  il  résolut  de  faire  un  voyage  en  France 
afin  d'y  fortifier  la  prépondérance  du  Saint-Siège  et  d'y  trouver 
des  soutiens  contre  les  empereurs  d' Allemagne,  les  ennemis  per- 
pétuels de  la  papauté. 

De  Vienne,  où  il  se  rendit  d'abord,  il  passa  en  Auvergne  et 
arriva  à  Saint-Gilles,  où  il  est  à  croire  qu'il  eut  une  entrevue 
avec  Alfonse,  le  comte  dépossédé  de  Toulouse  ;  de  là  il  se  di- 
rigea sur  Béziers  où  il  put  voir  Bernard-Aton,  et  enfin  vers  Tou- 
louse où,  le  8  juillet,  il  présida  un  concile  dans  lequel  il  an- 
nonça pour  le  20  octobre  suivant  la  tenue  d'une  assemblée  extra- 
ordinaire à  Beims.  ïl  fit  dans  celte  ville  un  assez  long  séjour,  puis 
se  rendit  à  Périgueux,  à  Angoulême,  où  il  se  rencontra  avec 
l'évêque  Girard,  qui  avait  d'abord  hésité  à  reconnaître  son  élec- 
tion apostolique,  mais  à  qui,  après  celte  entrevue,  il  conserva  ses 
pouvoirs  de  légat.  De  là  il  vint  à  Poitiers, qu'il  avait  déjà  visité  en 
1096, dans  la  suite  du  pape  Urbain  II,alors  qu'il  était  déjà  archevê- 
que de  Vienne.  11  y  reçut  les  plaintes  des  établissements  religieux 
de  la  région  opprimés  par  leurs  voisins  séculiers,  et  en  particulier 
cellesdu  chapitre  de  Saint-Hilaire  (2),  il  confirma  l'abbaye  de  Notre- 
Dame  de  Saintes  et  celle  de  la  Trinité  de  Poitiers  dans  leurs  pos- 


(i)  Besly,  Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  430;  D.  Fonteneau,  XIX,  pp.  m  et  149. 
(2)  Rédet,  Doc.  poar  Saînt-Hilaire,  I,  p.  laC. 


48o  LES  COMTES  DE  POITOU 

sessions  (1)  et  même  apposa  sa  croix  au  bas  de  l'acte  par  lequel 
Hervé  de  Fors  donnait  aux  moines  de  Montierneuf  les  moulins 
de  Souslan  et  la  terre  des  Pins,  en  déclarant  que  si  Pierre,  fils 
d'Hervé,  ne  ratifiait  pas  l'acte  de  son  père,  il  serait  excommunié  (2). 
Le  séjour  du  pape  à  Poitiers  fut  1res  court;  on  y  constate  sa 
présence  le  27  et  le  28  août,  et  le  30  on  le  trouve  à  Loudun.  Use 
dirigeait  sur  Fontevrault,  à  la  demande  expresse  de  l'évêque  de 
Poitiers  qui  était,  on  le  sait,  l'un  des  plus  fervents  adeptes  duréfor- 
mateur.Calixte  déposa  dans  l'autel  de  l'abbaye,  dont  il  fitlui-même 
la  consécration,  les  reliques  de  cinq  martyrs  renfermées  dans  son 
trésor  et  qu'il  transportait  avec  lui  pour  donner  plus  d'autorité, 
selon  l'usage,  aux  assemblées  religieuses  qu'il  pouvait  avoir  à  tenir. 
C'était  le  31  août  ;  le  lendemain, il  approuva,  dans  l'assemblée  des 
religieuxeldes  religieuses  qui  composaient  l'ensemble  du  monas- 
tère, les  règles  que  leur  fondateur  leur  avait  données  (3). 

Le  duc  d'Aquitaine  laissa  sortir  le  pape  de  ses  étuis  sans  être 
venu  le  saluer,  bien  qu'il  y  eût  entre  eux  des  liens  de  parenté 
fort  proches,  car  ils  étaient  cousins  germains,  descendant  l'un  et 
l'autre  d'Othon-Guiilaume,  comte  de  Bourgogne,  et  de  sa  femme 
Ermenlrude.  Si  Guillaume  ne  fit  rien  pour  s'approcher  de  Calixte, 
il  est  à  croire  que  celui-ci  ne  tenta  aucune  démarche  pour  se  ren- 
contrer avec  son  cousin.  La  liaison  publique  de  celui-ci  avec  la 
vicomtesse  de  Châtellerault  rendait  la  situation  par  trop  délicate, 
et,  d'autre  part,  le  pape  avait  dû  recevoir  dans  le  Midi  des  confi- 
dences ou  à  tout  le  moins  apercevoir  certains  signes  précurseurs 
d'événements  graves,  sur  lesquels  il  pouvait  désirer  ne  pas  avoir 
h  s'entretenir  avec  le  duc  d'Aquitaine.  Il  est  possible  que  ce  der- 
nier se  soit  tenu  pendant  ce  temps  à  Bordeaux,  que  le  pape  avait 
évité,  en  choisissant  pour  se  rendre  à  Poitiers  la  route  de  Péri- 
gueux  et  Angoulême. 

En  quittant  le  Poitou,  le  pape  s'était  dirigé  sur  Angers,  Tours, 
Orléans  et  Paris,  et  enfin  arriva  le  18  octobre  à  Reims  pour  la 
tenue  du  concile,  qui  s'ouvrit  le  surlendemain.  A  cette  réunion 
solennelle  se  trouvaient  quinze  archevêques,  plus  de  deux  cents 


(i)  Cart.  de  Notre-Dame  de  Saintes,  p.  ii;  D.  Fonteneau,  XXVII,  p.  67. 

(2)  Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Montierneuf,  n»  3o. 

(3)  U.  Kobert,  Ilist.  de  Caliœle  II,  p.  58;  Catalogue  des  actes,  pp.  2ta  et  aaS. 


* 


GUIIXAUMK  I,K  JEUNE 

évoques  el  un  ooinbro  immense  d'abbés  et  do  clercs.  A  peine 
Louis  le  Gros,  qui  assislail  au  concile  avec  ses  barons,  eut-il  fini, 
le  jour  de  l'ouverture, de  faire  connaître  ses  jifriefs  contre  Henri, 
roid'Angletierre,que  se  pr<^>senla  une  femme,  qui,  accompagnée  de 
ses  suivantes,  s'avança  au  milieu  de  l'assemblée.  Là,  d'une  voix 
haute  el  clairn,  et  avec  une  reniarquablo  éloquence,  elle  exposa 
sa  plainte,  que  tous  écoulèrent  avec  la  plus  grande  attention.  Klle 
déclara  qu'elle,  Audéarde^  u  llildej^'ardis  »,  comtesse  de  Poitou, 
avait  été  abandonnée  par  son  mari,  que  celui-ci  avait  donné  place 
dans  sa  couche  à  Maubergeonne,  vicomtesse  de  Chàlellerault,  el 
elle  réclamait  juslice.  Le  pa[)e,  «'adressant  alors  à  l'assistance, 
demanda  si  le  comle  de  Poitou,  qu'il  avait  spécialement  convoqué 
pour  répoudre  à  cette  accusaliijn,se  trouvait  présent;  Guillaume, 
l'éloquent  évoque  de  Poitiers,  se  leva  aussitôt  ainsi  que  plusieurs 
autres  évoques  et  abbés  de  l',\quilaino;  ils  présentèrent  les  excuses 
de  leur  duc,  aflirmant  qu'il  s'élail  rais  en  chemin  pour  venir  au 
concile,  mais  que,  tombé  malade,  il  avait  dû  s'arrêter  en  route. 
Le  pape  ncciioillil  ces  l'aisons  et  il  assigna  au  duc  un  délai  pour 
se  rendre  à  la  cour  pontificale, en  suile  de  quoi  il  devrait  reprendre 
sa  femme  légitime  ou  serait  excommunié  pour  l'avoir  répudiée 
sans  molif(l). 

Il  n'est  peul-èlre  pas  hasardeux  d'avancer  que  celte  scène 
solennelle  ne  fut  réellement  qu'une  comédie,  dont  personne  n'é- 
tait dupe  :  (aiillaume  ne  se  rendit  jamais  à  Rome,  il  ne  changea 
pas  son  genre  de  vie  el  ne  fut  pas  de  nouveau  excommunié.  Quels 
étaient  donc  les  dessous  de  cotte  affaire  ?  Ils  consisteraient  sim- 
plement dans  ce  fait  que  la  comtesse  Andéarde  ne  pouvait  à  au- 
cun titre  faire  des  réclamations  contre  laliaison  illicite  du  comte 
de  Puitim;  la  mort  de  Philippio  avait  rendu  celui-ci  libre  de  ses 
actions  et  il  n'était  pas  remarié.  Or.  c'est  en  qualité  de  femme  de 
Guillaume  que  son  accusatrice  s'était  présentée  devant  l'assem- 
blée et  qu'elle  avait  dénoncé  sa  conduite  ;  pour  que  les  pères  du 
concile  l'aient  écoutée  avec  déférence,  il  fallait  qu'elle  put.  en  ap- 
parence du  moins,  poiler  légalement  le  titre  de  comtesse  de  Poi- 
tou, puis  qu'elle  fiil  d'un  rang  élevé,  el  non  pas  une  personne  de 


483  LES  COMTES  DE  POITOU 

basse  extraction, comme  quelques hisloriensronlsuppose.il  n'exis- 
tait à  cette  époque  qu'une  seule  femme  qui  pût  remplir  cette 
double  condition  :  c'était  Ermengarde,  l'épouse  d'Alain  Fergenl, 
duc  de  Bretagne,  depuis  longtemps  séparé  d'elle  et  qui, quelques 
jours  avanlTouverturedu  concile,  s'était  éteint  dans  un  couvent; 
ce  nous  semble  être  un  nouveau  chapitre  à  ajouter  à  sa  vie  si  aven- 
tureuse. Confidente  de  Philippie  à  Fonlevrault,  elle- dut  rêver  de 
reprendre  la  place  de  duchesse  d'Aquitaine  que  près  de  trente 
ans  auparavant  elle  n'avait  assurément  pas  quittée  de  son  plein  gré, 
et, en  se  présentant  en  cette  qualité  devant  l'assemblée  de  Reims, 
elle  venait  hardiment  soutenir  que  les  unions,contractées  par  elle 
et  par  le  comte  de  Poitou  depuis  leur  séparation, étaient  illicites. 
On  ne  saurait  s'étonner  outre  mesure  de  cette  prétention,  étant 
donné  le  relâchement  des  liens  du  mariage  à  cette  époque,  mais 
il  appartenait  aussi  au  pape  de  ne  pas  y  donner  suite^  et  c'est  ce 
qu'il  fil.  Du  reste, l'empressement  que  mirent  Tévêque  de  Poitiers 
et  les  prélats  de  l'Aquitaine  à  faire  valoir  les  excuse^  peu  justifiées 
de  leur  duc  témoigne  plus  que  toute  chose  qu'ils  étaient  les  uns 
et  les  autres  peu  jaloux  de  passer  sous  le  joug  de  la  fille  altière 
de  Foulques  le  Réchin  et  d'Audéarde  de  Baugency  (1). 

Quel  que  soit  le  dédain  que  Guillaume  ait  affiché  à  l'égard  des 
revendications  de  sa  première  femme,  l'affaire  fit  néanmoins 
beaucoup  de  bruit  ;  aussi,  pour  opérer  une  diversion  et  se  mettre 
en  garde  contre  les  conséquences  qu'elle  pourrait  avoir,  re- 
vint-il sur  la  détermination  qu'il  avait  prise  de  s'abstenir  dans  la 
guerre  engagée  par  la  chrétienté  contre  les  Maures  d'Espagne. 
Il  se  croisa  donc,  et,  à  la  fin  de  l'année,  il  s'en  fut  à  la  tête  de  600 
chevaliers  se  mettre  à  la  disposition  d'Alfonse  le  Batailleur,  roi 
d'Aragon;  au  printemps  de  i  120  l'armée  des  confédérés  continua 
la  série  de  ses  précédents  succès  qui  furent  couronnés  le 
18  mai  par  la  victoire  deCutanda,  dans  laquelle  les  Musulmans, 


(i)  On  Desaurait  objecter  contre  l'assiniilation  d'Ermenj^arde  avec  Audéarde  ladiffc* 
rence  qui  existe  entre  ces  deux  noms  ;  on  sait  qu'il  était  d'un  usage  fréquent  à  celte 
époque  que  les  femmes  fussent  désignées  par  plusieurs  noms  et  particulièrement  par 
celui  de  leur  mère  ;  or,  Ermengarde  était  fille  d'Audéarde,  «  Hildegardis  »,  de  Bau- 
gency, et  la  femme  de  Guillaume  VII  etd'xMain  Fergent  devait  assurément  porter  ces 
deux  noms,  comme  l'avait  fait  un  siècle  auparavant  la  deuxième  femme  de  Foulques 
rs'erra  (Voy.  Port,  Dict.  de  Maine-el-Loife,  II,  p.  Sôg). 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


^ 


\ 


commandés  par  cinq  ou  sepl  rois,  firent  une  perle   énorme  (1). 
Notons  h  ce  sujet  les  bons  rapports  du  comte  avec  Guillaume 
Gilberl,  évèque  de  Poitiers  à  celle  époque.  Le  jour  de  son  dé- 
part pour  rEspiigtie  il  se  Irouvail  dans  le  palais  de  l'évêque.où 
sans  nul  douleil  était  asïiaiiii  de  solliciteurs;  l'un  d'eux,  nommé 
Mon  Papol,  moine  de  Monlierneuf,  obtint  pour  son  monastère 
l'abandon  de  toutes  les  coulâmes  que  le  comte  possédait  à  Migné, 
à  Paclié  et  dans  tout  le  fief  d'Etienne  de  Migné.  Cet  acte  était  le 
complément  de  l'autorisalion  que  Guillaume,  en  qualité  de  sei- 
gneur suzerain. avait  donné,  celle  même  année,  à  Ponce, religieuse 
de  Sainle-rroix,  lille  d'Etienne  de  Migné, alors  décédé,  de  vendre 
il  Marc,  abbé  de  Montierneuf,  la  moitié  des  revenus  des  terres  de 
Migné  et  de  Paché,  qu'elle  avait  reçue  en  dot  lorsqu'elle  était 
enirée  en  religion    et  qui  était  tenue  en  fief  du  comte  (2).  Mais 
Guillaume,  étant  sur  son  dépari,  n'avait  pas  le  temps  de  délivrer  la 
charte  constatant  cette  concession  ;  il  laissa  ce  soin  à  son  fils,  qui 
évidemment  resta   en  Poitou,  et  l'acte  que   celui-ci   fit  rédiger 
nous  apprend  qu'auprès  du  comte  se  trouvaient  alors  Guillaume, 
son  cbapelain,le  chevalier  Simon  de  Taunay;  llaoulde  Crèvecœur, 
Marin,  prévôt  de  Poitiers,  et  Foulques  Martin  (3). 

A  son  retour  il  s'arrêta  à  Bayonne.  Le  vicomte  de  Labourd, 
Garcie-Sanche,  qui  l'avail  accompagné  dans  sa  campagne,  possé- 
dait une  moitié  de  la  cité  ;  l'autre  avait  été  abandonnée  par  le  vi- 
comte Fortin-Sanche  à  révèqueBeinardd'Aslarac.  Pour  doaaer 


(i)  Besly,  f/îtt.  des  comie*,  preuves,  pp.  4^4  *t437;  Marchriçay,  Chron.  des 
éffl.  d'Anjou,  p.  ^ïî^i  Siiinl-Maixenl  ;  /iec.  </t's  hisl.  de  France,  XII,  pp.  119  el 
4t3.  Selon  la  chroQÛjae  de  Saial-IVInixent  les  chrétferis  auraieal  lue  aux  rnusulnians 
15,000  hommes,  auraieal  fail  une  quaolité  innombrable  de  captifs,  pris  2,000  cha- 
meaux ainsi  qu'uu  très  s^rand  nornbrf:  d'itutres  animaux,  et  enlin  :ie  seraient  emparés 
de  plusieurs  places  ferles. 

{2)  Arch.  do  la  Vienne,  orig.,  Moallcrneuf,  u"  3a  bis.  D.  Fonlsneau  donne  (XIX, 
p.  i03)  une  cote  inexacte  à  celle  pièce  quand  il  y  voit  une  donation  faite  par  Etienne  de 
Miçné.  L'acquisition  du  domaine  de  Mi^^né  fut  pendant  lonçlemps  une  des  préoccupa- 
tions des  relii^ieux  de  Monliemeuf.  Il  leur  avait  été  contesté  parles  moiucs  de  Bour» 
g^ueil,  et  l'alTaJre  a«ail  été  portée  au  concile  de  Reims,  qui  reconnut  les  droits  de  .Mon- 
liemeuf; 1.1  sentence  rendue  ù  celle  occasion  avait  été  successivement  confirmée  par 
les  Ici^ats,  Pierre  de  Léon,  carilinal-prêtre,el  Gré^çoire  de  Saint  Aope,  cardinal -diacre 
(Arch.  de  la  Vienne,  oriç. ,  Monticrneuf,  n-"  36),  par  Girard,  évèque  d'Angoulénie, 
aussi  en  sa  qualité  de  léi^nt  (Arch.  de  la  Vienne,  oriç.,  Montierneuf,  n' Sy),  el  enfin 
par  i'évèque  de  Poitiers,  qui  donna  aux  relig'ieux  l'invcsiilure  de  l'éif^lisc  de  Miçnë 
(Arch.  de  la  Vienne,  orig.,  Monliemeuf,  n"  38;  D.  Fonleneau,  XL\,  p.  1O7). 
(3)  Arch.  de  la  Vienne,  ori'ç.,  Montiçrneuf,  n-  35. 


484 


LES  COMTKS  DE  POITOU 


plus  de  valeur  à  la  possession  du  vicomte,  Goîllaume  créa  sur  son 
territoire,  au  confluent  de  la  Nive  et  de  rAdour,un  lieu  de  refuge 
qui  fut  relié  par  un  pont  à  l'ancienne  ville  ;  puis,  afin  d'y  attirer 
des  habitants,  il  déclara  que  les  gens  qui  viendraient  résider  dans 
ce  bourg  neuf  y  jouiraient  d'une  liberté  pléiiière.  Celte  largesse 
transforma  rapidement  ce  refuge  de  pêcheurs  et  y  opéra  cette 
métamorphose  que  l'on  verra  se  produire  quelques  années  plus 
lard  dans  la  bourgade  de  la  Rochelle  (1). 

La  grande  faveur  accordée  par  le  duc  au  vicomle  de  Labourd 
ne  fut  pas  isolée,  elle  devait  avoir  son  pendant.  L'évèque  de 
Uayonne,  Raymond  de  .Marires,  réclama  tout  d'abord  la  conlir- 
matiun  de  l'accord  intervenu  entre  son  prédécesseur  et  celui  du 
vicomte;  Guillaume  leralKiaet  renonça  en  même  temps,  aussi  bien 
pour  hii  que  pour  ses  successeurs,  à  toutes  prétentions  sur  l'église 
de  Rayonne.  Il  fit  en  outre  abandon,  aux  sujets  de  l'évèque,  du 
padouan  uu  droil  de  vaine  pâlure  sur  les  terres  cultivées  ou  in- 
cultes sises  en  dehors  desmursjes  autorisa  à  construiredesgran- 
ges  en  ces  lieux  ou  à  mettre  les  terres  en  culture,  et  pareille- 
ment à  établir  sans  aucun  empêchement  des  pêcheries  dans  la  mer 
ou  dans  les  eaux  douces  et  à  édifier  des  moulins.  Cette  large 
concession  fut  édictée  pendant  un  arrêt  que  le  duc  fit  à  Saint- 
Sever,  en  présence  de  nombreux  barons  du  pays  et  de  quelques 
Poitevins  ou  Saititongeais,  tels  que  Hugues  Tireuii,  Geoffroy  de 
Rocheforl,  Aymar  d'Archiac  et  Bardon  de  Cognac;  pour  garanlie 
de  l'acte,  Guillaume  toucha  l'évèque  avec  son  gant  (2). 

Mais  pendant  que  Guillaume  guerroyait  en  Espagne  et  augmen- 
tait sa  renommée  de  vaillant  el  habile  guerrier,  des  mouvements 
latents  agitaient  ses  états  du  Midi.  Alfonse-Jourdain  y  avait  con- 
servé de  nombreux  partisans,  spécialement  dans  les  rangs  du 
clergé,  toutefois,  tant  que  vécut  IMiilippieJa  descendante  el  l'héri- 
lière  légale  des  anciens  comtes,  à  qui  ta  pluparl  desseigneurs  et  des 
évoques  avaient  donné  leur  foi,  les  uns  et  les  autres  se  conformèrent 
à  leurs  engagements.  La  situation  changea  après  sa  mort  ;  beaucoup 
ne  se  crurent  plus  tenus  à  la  même  liilétité  envers  le  duc  d'Aqui- 


(i)  Giry,  Etabliaeinents  de  linueii,  I,  pp.    io3  el  ss.  ;  Balasque  et  Dulaur^ns, 
Etinics  hisl.  sur  la  ville  (U  /iiii/onni:,  l,  p.  f\tS. 

[2)  Monlezuo,  //ist.  de  ta  Gascogne,  preuves,  VI,  j).  3tji. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  485 

taine  ou  son  fils,  et  les  plus  ardents  se  mirent  dès  lors  en  mouve- 
ment. Le  plus  habile,  sinon  le  plusénergiquede  leurs  adversaires, 
fut  Arnaud  de  Levezon,  évoque  de  Béziers.  Ce  prélat  comprit  qu'au 
lieu  d'attaquer  directement  le  comte  dans  le  centre  de  son  autorité, 
c'est-à-dire  à  Toulouse, où  ne  manqueraient  pas  d'accourir  aussi- 
tôt les  seigneurs  qui  lui  seraient  restés  fidèles,  il  fallait  créer  à 
ceux-ci  des  difficultés  de  façon  que,  préoccupés  de  leurs  propres 
affaires,  ils  se  trouvassent  fort  gênés  pour  porter  aide  h  leur 
suzerain.  Dans  ce  but,  il  souleva  contre  Bernard-Aton,  avec  qui 
du  reste  il  vivait  en  mauvais  termes,  les  habitants  de  Carcassonne; 
ceux-ci,  qui  ne  dépendaient  du  vicomte  de  Béziers  que  depuis 
1083,  chassèrent  de  leur  ville,  dans  un  mouvement  populaire,  le 
24  août  1120,  la  garnison  qu'il  y  avait  mise,  et  à  partir  de  ce 
jour  se  gouvernèrent  eux-mêmes  en  communauté  indépen- 
dante (1). 

Toutefois  ces  embarras  ne  pouvaient  être  suffisants  pour  empê- 
cher Bernard-Alon  de  secourir  le  comte  de  Poitou,  aussi  deux 
autres  partisans  d'Alfonse,  Amel,évêque  de  Toulouse, et  Bernard, 
évêque  d'Albi,  furent-ils  plus  hardis  qu'Arnaud  de  Levezon  et, 
employant  des  moyens  que  la  situation  de  ce  dernier  à  l'égard 
de  Bernard-Aton  ne  pouvait  lui  permettire,  négocièrent-ils  un 
accord  entre  Alfonse  et  le  vicomte  de  Béziers.  Ce  dernier  pouvait 
redouter  que  le  comte  de  Barcelone,  à  qui  quarante  ans  aupa- 
ravant il  avait  enlevé  Carcassonne,  ne  cherchât  à  reprendre  cette 
ville,  aussi  avait-il  tout  intérêt  à  s'assurer  un  appui  contre  cet 
adversaire  possible  ;  c'est  ce  que  lui  offrirent  les  deux  négocia- 
teurs. Le  comte  et  le  vicomte  s'abouchèrent  donc  un  beau  jour 
et,  sans  que  Bernard-Aton  ait  pris  d'autre  engagement  à  l'égard 
d'Alfonse  que  sa  reconnaissance  implicite  comme  comte  de 
Toulouse,  ce  dernier,  employant  à  l'égard  du  vicomte  de  Béziers 
les  paroles  de  sauvegarde  de  la  comtesse  Philippie,  déclara  que 
jamais  il  ne  lui  ferait  aucun  tort,  lui  promettant  de  ne  pas  mettre 
la  main  sur  Carcassonne  ou  sur  toute  autre  place  qu'il  possé- 
dait, et  s'engageant  à  lui  venir  en  aide,  le  cas  échéant,  contre 
les  comtes  de  Poitou  et  de  Barcelone  et  leurs  enfants  (2). 

(i)  D.  Vaissele,  //ist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  IV,  col.  220. 

(2)  D.  Vaissele,  Hist.  de  Lanyuedoc,  nouv.  éd.,  V,  preuves,  col.  907. 


486  LES  COMTES  DK  POITOU 

Cette  défeclion  rendait  1res  critique  la  position  de  Guillaume; 
il  possédait  bien  dans  Toulouse  même  le  château  Narbonnais, 
la  citadelle  de  la  ville,  occupée  par  une  forte  garnison  sous  le 
commandement  d'un  vaillant  guerrier  du  Périgord,  Guillaume  de 
Montmoreau,  mais  la  cité,  à  l'exemple  de  son  évêque,  recon- 
naissait l'autorité  d'Alfonse-Jourdain(l).llest  constant  que  dès  le 
premier  jour  le  clergé]  toulousain  tourna  le  dosau  comte  de  Poitou, 
aussi  dut-il  chercher  à  opposer  à  ses  adversaires  des  armes  de 
même  nature  que  les  leurs.  Il  s'attaqua  d'abord  aux  suiïragants 
de  l'archevêque  de  Narbonne,  mais  ceux-ci  ne  se  laissèrent  pas 
entamer  et  le  comle  dut  se  rabattre  sur  les  prélats  qui, placés  sur 
ses  frontières,  pouvaient  lui  apporter  une  aide  encore  assez  effi- 
cace. Tel  était  le  cas  pour  l'évêque  d'Agen,  dont  le  territoire  s'é- 
tendait jusqu'au  confluent  du  Tarn  et  de  la  Garonne,  à  moins  de 
vingt  lieues  de  Toulouse.  Son.  père  et  lui-même  avaient  donné  à 
l'évêque  Simon,  en  récompense  de  ses  services,  toute  l'autorité  à 
laquelle  ils  avaient  droit  en  qualité  de  comtes  du  pays.  Il  renou- 
vela cet  abandon  en  faveur  d'Audebert,  le  successeur  de  Simon, 
et,  dans  l'acte  qui  le  monumentait,  s'adressant  aux  peuples  de  la 
contrée,  il  les  adjurait  de  se  maintenir  fidèles  vassaux  de  l'évêque 
et  de  s'opposer  à  toute  tentative  qui  serait  faite  contre  son  auto- 
rité ;  il  insistait  même  spécialement  sur  la  transmission  qu'il 
faisait  à  l'évêque  des  droits  de  souveraine  justice,  qui  sont  l'apa- 
nage des  comtes,  et  de  la  fabrication  de  la  monnaie  que  le  pré- 
lat pourrait  émettre  quand  et  comme  il  lui  conviendrait  (2). 

Mais  ces  mesures,  qui  avaient  aussi  pour  objet  d'arrêter  toutes 
les  prétentions  des  comtes  de  Toulouse  sur  rAgenais,ne  pouvaient 
suffire,  il  fallait  une  action  virile,  et  on  se  demande  comment 
Guillaume  put  laisser  s'étendre  comme  une  tache  d'huile  la  dé- 
safiection  des  populations  du  Midi  à  son  égard  ?  Bien  que  son 
expédition  d'Espagne  eût  dû  lui  rapporter  des  sommes  considé- 
rables provenant  des  dépouilles  des  vaincus,  il  ne  s'était  guère 
enrichi  et,  ce  qui  le  prouve,  c'est  qu'à  peine  de  retour,  au  mois  de 
novembre,  il  procéda  à  une  nouvelle  altération  des  monnaies  ; 
mais  ce  procédé,  renouvelé  à  des  intervalles  si  rapprochés,  finis- 

(i)  D.  Vaissete,  Hist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  IV,  col.  220. 
(2)  Gallia  Christ.,  Il,  instr.,  col.  4^9. 


GUILLAUME  LE  JEUNE  487 

sait  par  perdre  de  son  efficacilô,  et  il  amena  un  décri  absolu  de 
la  monnaie  poitevine.  On  en  trouve  la  preuve  dans  les  transac- 
tions de  l'époque  où  l'on  voit  apparaître,  et  devenir  de  jour  en 
jour  plus  fréquente,  la  stipulation  de  paiements  en  monnaie 
angevine  ;  tout  d'abord,  comme  dans  la  vente  de  Migné  à  Mon- 
tierneuf  de  cette  année  1120,  il  est  spécifié  que  les  paiements 
se  feront  par  égale  portion  en  monnaie  poitevine  et  en  monnaie 
angevine,  mais  peu  à  peu  celte  dernière,  qui  avait  conservé  sa 
valeur  réelle,  finit  par  prévaloir,  si  bien  que  dans  les  contrats 
il  n'est  bientôt  plus  question  que  de  sous  angevins  (1). 

Le  résultat  cherché  n'ayant  assurément  pas  répondu  à  l'espoir 
de  Guillaume,  celui-ci  dut  s'inquiéter  de  trouver  par  ailleurs  de 
nouvelles  ressources.  Il  tenait  toujours  Simon  de  Parlhenay  en 
prison;  moyennant  une  grosse  rançon  il  lui  rendit  la  liberté  (2). 
Il  aurai!  peut-être  alors  pu  tenter  contre  les  Toulousains  une  expé- 
dition sérieuse  lorsque, dans  le  courantde  l'année  il  21 ,  il  fut  arrêté 
par  une  affaire  imprévue  qui  mettait  en  péril  l'exercice  de  ses  droits 
souverains.  L'évêque  de  Clermont,Aimeri,  ancien  abbé  de  la  Chaise- 
Dieu,  chassé  de  sa  ville  épiscopale  par  le  comte  Guillaume  d'Au- 
vergne^ au  lieu  de  s'adresser  au  duc  d'Aquitaine,  suzerain  de  ce 
dernier,  avait  porté  ses  doléances  au  roi  de  France.  Louis  le  Gros, 
heureux  de  pouvoir  affirmer  la  suprématie  de  l'autorité  royale, 
somma  le  comte  d'Auvergne  de  cesser  ses  agissements;  celui-ci 
n'ayant  pas  obtempéré  à  cet  ordre,  Louis  réunit  à  Bourges  une 
nombreuse  armée,danslaquelleon  comptait  entre  autres  les  comtes 
d'Anjou,  de  Bretagne  et  de  Nevers.  Pont-du-Château,  une  des 
principales  forteresses  du  comte  d'Auvergne,  se  rendit  aux  trou- 
pes royales  et  lui-même,  laissé  sans  secours,  dut  restituer  à  l'é- 
vêque de  Clermont  sa  cité  épiscopale  et  donner  des  otages  en  ga- 
rantie de  l'exécution  de  l'accord  qui  intervint  entre  eux  (3).  C'était 
au  duc  d'Aquitaine  qu'appartenait  dans  la  circonstance  le  rôle  de 


(i)  C'est  le  contraire  de  ce  que  l'on  cooslate  au  commeacement  du  siècle, après  la 
mort  de  Guillaume  le  Grand.  La  monnaie  poitevine  était  alors  si  considérée  que,  dans 
de  nombreux  actes  passés  en  Anjou,  concernant  l'abbaye  de  la  Trinité  de  Vendôme, 
les  transactions  sont  stipulées  en  livres  ou  en  sous  poitevins.  (Métais,  Cart.  de  la  Tri- 
nité de  Vendôme,  I,  pp.  22  et  i36.) 

(2)  .Marchegay,  Chron.  desérjl.  d'Anjou^  pp.  429  et  43o,  Saint-Maixeot. 

(3)  Suger,  Vie  de  Louis  le  Gros,  p,  106. 


488  LES  COMTES  DE  POITOU 

justicier  que  le  roi  avait  usurpé  el  il  esl  évident  qu'il  se  trouva  dans 
rimpossibilité  de  s'y  opposer. 

C'est  encore  durant  cette  année  1 121  que  Guillaume  fit  épouser 
à  son  fils  aîné  la  propre  fille  de  Maubergeonne,  dont  l'ascendant 
sur  lui  persistait  toujours  ;  de  cette  union  naquit  l'année  sui- 
vante la  célèbre  Aliéner  (1).  11  est  possible  que  ce  mariage  ne 
se  soit  pas  accompli  sans  difficullé  et  que  cette  afTaire,  aussi  bien 
que  celle  d'Auvergne,  ait  détourné  le  comte  de  Poitou  de  s'oc- 
cuper énergiquement  de  la  révolte  des  seigneurs  du  Midi  contre 
son  autorité.  Pendant  ce  temps,  celle-ci  s'accentua  et  prit  plus  de 
consistance.  Bien  que  le  pape  Calixte  ne  donnât,  au  22  avril  1 122, 
d'autre  qualité  à  Alfonse-Jourdain  que  celle  de  comte  de  Saint- 
Gilles  (2),  des  grands  seigneurs  du  pays,  tels  que  le  vicomte  de  Foix, 
le  reconnaissaient  publiquement  comme  comte  de  Toulouse  (3). 
Au  même  moment  Guillaume  se  dirigeait  vers  le  pays  soulevé  par 
le  Bas-Limousin  et  l'évêché  de  Cahors.  Le  31  mars,  il  se  trou- 
vait au  Puy-d'Arnac,  près  de  Beaulieu,  el  y  confirma  l'abbé  de 
la  Chaise-Dieu  dans  la  possession  de  l'église  de  Sainle-Livrade 
sur  le  Lot  que  ce  dernier  avait  reçue  d'Audeberl,  évêque  d'Agen. 
Parmi  les  personnages  notables  qui  ce  jour  entouraient  le  comte 
on  remarque  Euslorge, évêque  de  Limoges,  B§ioul,  abbé  de  Noaillé, 
el  Aimeri,  évêque  de  Clermont.  La  présence  de  ce  dernier  esl  assez 
énigmatique  et  tendrait  à  faire  supposer  qu'après  avoir  obtenu  du 
roi  de  France  le  secours  qu'il  aurait  sollicité  il  serait  venu  faire  sa 
paix  avec  le  comte  de  Poitou  (4). 

(i)  C'est  seulement  par  la  connaissance  de  l'âge  qu'avait  Aliéner  à  son  décès  que 
l'on  a  pu  établir  l'époque  de  sa  naissance  et  incidemment  celle  du  mariage  de  ses 
parents,  dont  il  n'est  pas  question  dans  les  chroniqueurs;  comme  en  1204  elle  avait 
quatre-vingt-deux  ans,  elle  était  par  suite  née  en  1122. 

(2)  D.  Vaissete,  Hist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  V,  preuves,  col.  901. 

(3}  On  connaît  deux  chartes  de  Ro^er  II,  comte  de  Foix,  en  faveur  de  l'abbaye  du 
Lézat,  datées  l'une  et  l'autre  du  mois  de  mars  iiai,  que  D.  Vaissete  [Hist.  de  Lan- 
guedoc, nouv.  éd. ,  V,  col.  890-897),  nous  parait  avoir  justement  rapportées  à  l'année 
1 122  ;  Pierre  Amel  de  .Moressac  reconnaît  aussi.au  mois  de  novembre  1 122,  l'autorité  du 
comte  Alfonse  [Item.,  col.  90G),  enfin  dans  un  acte  de  cette  année  1122,  par  lequel 
Aimeri,  prieur  de  Bragairac  au  diocèse  de  Toulouse,  déclare  se  soumettre  à  l'autorité 
de  Pélronille,  abbessedeFontevraulIjil  est  dit  qu'en  ce  temps  Louis  était  roi  de  France, 
Guillaume,  duc  d'Aquitaine,  et  Alfonse,  comte  de  Toulouse  {Gall.  Christ.,  I,  p.  682; 
D,  Vaissete,  Hist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  III,  p.  654). 

(4)  Gallia  Christ.,  II,  iostr.,  col.  429;  dans  le  même  volume  (instr.,  col.  176)  se 
trouve  un  abrégé  de  cet  acte  qui  porte  la  date  du  22  mars  1 122  au  lieu  du  3i. Il  résulte 
de  celte  différence  dans  l'indication  du  jour  que,  sijie  rédacteur  de  l'acte  faisait  com- 


GUILLAUME  LK  JRINE 

I)  est  probablo  que  Guillaume!  se  dirigerait  de  façon  h  joindre 
ses  forces  à  colles  de  deux  alliés  qu'il  avait  fini  par  reernler  h  l'est 
du  Toulousain.  L'un  éluil  le  comte  de  Barcelone,  qui,  ainsi  que 
le  redoutait  tiernard-Aton.  s'était  mis  en  campagne  pour  repren- 
dre Carcassonne,  et  Tautre  t'iail  Aimeri,  le  vicomte  de  Nar- 
bonne,  frère  utérin  du  comte  de  Barcelone.  Ce  vicomte  avait  en 
particulier  à  lulter  contre  le  l'nuj^ueux  partisan  d'Alfonse, Arnaud 
de  Lcvezon,qui  avait  su  en  1 121  se  faire  pourvoir  de  rarchevêché 
de  Narbonne  et  avait,  comme  à  Uéziers,  engagé  une  lutte  violente 
avec  le  seigneur  laïque  de  sa  résidence  épiscopalc  (1).  La  campa- 
gne s'acheva  sans  amener  aucun  résultat  notable;  les  belligérants 
se  tirent  nalurellement  le  plus  de  mal  possible,  mais  tout  se  borna 
au  ravage  du  plat-pays,  à  la  prise  de  quelques  châteaux-forts. 
Devant  cet  insuccès  les  adversaires  du  comte  de  Poitou  redoublè- 
rent leurs  cflbrls,qui  aboutirent  enfin  aune  opération  décisive, 
la  prise  du  chAtcau  Narbonnais- 

Ce  résultat  fut  une  des  conséquences  du  danger  imminent  que 
courut  Alfonse-Jourdain.  Le  prétendant  n'était  encore  ûgé  que 
de  vingt  ans,  et  il  ne  semble  pas  que  ses  conseillers,  ceux-là  qui 
dirigeaient  ses  actions,  l'oient  amené  à  Toulouse,  dont  le'séjour, 
par  suite  de  l'occupation  de  sa  forteresse  par  les  Poitevins,  était 
toujours  périlleux.  Il  avait  continué  à  résider  à  Saint-Gilles  ou 
dans  les  châteaux  de  la  région.  Dans  le  courant  de  Tannée  1 123, 
le  comte  de  Barcelone  et  le  vicomte  de  Narbonne,  las  de  guer- 
royer sans  résultat,  avaient  fait  une  pointe  hardie  du  côté  de  la 
Provence  eltenaienl  Atfouse-.loiirdain  assiégé  dans  Orange. Peul- 
êlre  Ouitlaume  de  Munlmoceau  avail-il  diminué  l'efTectifdc  la 
garnison  qu'il  commandait  pour  ajouter  quelques  forces  à  celles 
des  deux  adversaires  d'Alfonse;  mal  lui  en  aurait  pris,  car^  pro- 
fitant de  l'occasion,  les  Toulousains  nuraientobligé  le  gouverneur 
du  château  Narbonnais  fi  capituler.  Après  ce  succès,  libres  de 
leurs  mouvements,  ils  se  dirigèrent  en  toute  hàle  vers  Orange, 


mencer  l'anoée  à  Piiquea,  celle  fêle  clanl  Inmlido  le  afi  mars  en  i  ii'z  el  le  i5  avril  en 
II23,  il  sVn  suivrait  que  le  3i  mars  peul  aussi  l>icn  apparlcnir  ù  l'année  1122  qu'.^ 
l'anoée  iii'3,  tandis  que  le  22  mars  serait  srtrenient  de  l'année  ti23.  Il  se  pourrait 
donc  que  la  campat^ne  du  comlc  d<»  Poilnu  ne  se  serait  faite  qu'en  relie  année  i  n3. 
(j)  l>.  Vaissele,  //ist.  de  Lnnjnetioc,  nouv.  éd. ,111,  p.  Oô^jCl  V,  preuves.col.  goj). 


490  LES  COMTES  DE  POITOU 

contraignireni  le  comte  de  Barcelone  à  se  retirer  et  ramenè- 
rent en  triomphe  leur  jeune  comte  dans  sa  capitale  (1). 

L'héritage  de  Philippie  était  perdu  pour  les  siens  et  l'on  ne 
signale  plus  de  retour  offensif  de  Guillaume  vers  ces  régions  où 
ses  alliés  continuèrent  encore  la  lutte  pendant  quelque  temps  ; 
celle-ci  se  termina,  le  16  septembre  11 25,  par  un  accord  intervenu 
entre  Raymond  de  Barcelone  et  Douce,  sa  femme,  d'une  part, 
et  Alfonse  de  Toulouse,  alors  marié  avec  Faydide  d'Uzès,  d'autre 
part,  en  vertu  duquel  ils  se  partagèrent  la  Provence,  principale 
cause  de  leurs  dissentiments  :  la  partie  située  au  nord  de  la  Du- 
rance  fut  attribuée  au  comte  de  Toulouse,  la  partie  sud  devint  la 
propriété  du  comte  de  Barcelone  (2). 

L'effort  qu'avait  tenté  Guillaume  en  1122n'avait  paseudesuite, 
peut  être  même  son  insuccès  avait-il  eu  pour  cause  l'insufiisance 
des  ressources  armées  dont  le  comte  avait  pu  disposer.  Il  avait  dû 
laisser  en  Poitou  ses  meilleurs  chevaliers  pour  lutter  contre 
certains  de  ses  vassaux  dont  le  rôle  normal  consistait  à  êlre  tou- 
jours en  état  de  rébellion.  La  mort  de  Simon  de  Parlhenay, 
arrivée  subitement  dans  le  courant  de  l'année  1121,  avait  ouvert 
une  nouvelle  succession;  tout  porte  à  croire  qu'après  qu'il  eût 
obtenu  sa  libération,  moyennant  le  versement  d'une  forte  rançon, 
son  trésor  était  avide  et  que  ses  héritiers  se  trouvèrent  difficile- 
ment en  état  de  payer  h.  leur  tour  au  comte  de  Poitou  le  rachat 
qu'il  dut  exiger  d'eux.  Aussi  Guillaume,  le  fils  de  Simon,  se 
résolut-il  à  tenter  le  sort  des  armes,  mais  moins  heureux  que 
son  père,  qui,  en  semblable  occurrence,  avait  contraint  le  comte 
de  Poitou  à  signer  une  longue  trêve,  sa  forteresse  de  Parlhenay 
tomba. le  30  mars  11 22^ entre  les  mains  des  guerriers  du  comte; 
quant  à  lui  et  à  sa  mère  Impéria  ils  purent  s'échapper  à  temps 
et  furent  prendre  asile,  d'abord  auprès  de  Geoffroy  de  Rançon  à 
Vouvant,  puis  de  Jean  de  Beaumont  h  Bressuire(3). 

(i)  D.  Vjiissele, //t.v/.  de  Languedoc,  nonv.  éd.,  III,  p.  654,  et  IV, p.  *2o;  Gallia 
Christ.,  I,  instr.,  col.  i32.  La  réductioo  de  Toulouse  et  sa  prise  de  possessioo 
par  Altbiise  sont  formcllemeat  indiquées  dans  la  relation  d'un  plaid  tenu  eu  1 123  (D. 
Vaissele,  ffist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  V,  col.  906). 

(2)  D.  Vaissele,  f/ist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  V,  preuves,  col.  gSS. 

(3)  Marchegay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  43o,  Saint-Maixent  ;  Arcli.  de  Maioe- 
el-Loire,  s^rand  cartul.dc  Fonlcvrault,  chartes  nos  779-780;  Mém.  de  la  Soc.  de  tta- 
tittique  des  Deux-Sèures,  2*  série,  XIV,  pp.  285-286. 


GUILLAUME  LR  JEUNR 


49* 


Peut-êlre  est-ce  le  fils  du  comle  qui  se  chargea  de  celte  expé- 
dition; il  est  certain  qu'il  n'avait  pas  accompagné  son  père  dans 
le  Midi.  Dans  le  courant  de  l'été  1122  il  se  trouvait  à  Fonle- 
vrault  où  il  assista  à  la  donation  que  Cholard  de  Mortagne  fit, à  cette 
abbaye,  de  ceiiaiiies  dîmes  assises  sur  ses  domaines.  L'évêque 
de  Poitiers,  Guillaume  Gilbert,  rarchidiacre  de  Ttiouars,  Etienne, 
ri  plusieurs  seif^'ni'urs  de  la  région,  entre  autres  Guillaume  de 
Morlcmer,  Gilbert  de  Loudun,  Hugues  de  Doué,  Boreau  de  l'Ile, 
Uaoul  d'Argenton.  assistèrent  à  cet  acte  qui  dut  précéder  de  peu 
la  mort  de  l'évêque  de  Poitiers.  Celui-ci  avait  fait  le  voyage  de 
Terre-Sainte,  puis,  au  retour,  était  passé  par  Home  où,Ieomai, 
il  avait  obtenu  deux  bulU^s  du  pape  Calixte  II;  l'une  plaçait 
Tabbaye  de  la  Trinité  de  Mauléon  et  (ouïes  ses  possessions,  lon- 
guement énumérées  dans  l'acte,  sous  la  protection  immédiate  du 
Saint-Siège,  et  l'aulre  confirmait  les  dispositions  prises  par 
Tévèque  avant  son  dépari  en  faveur  du  chapitrede  sa  cathédrale, 
à  qui  il  avait  donné  Thénexay  et  cinq  autres  églises  pour  l'en- 
tretien du  luminaire  (l).  Un  jour  qu'il  s'était  rendu  à  Fonte- 
vrauit,  sa  résidence  de  prédilection  Jl  y  succomba,  le  4  août  1123, 
la  veille  des  nones,  el  fut  enterré  dans  l'église  du  monastère  (2). 
Le  comte  de  Poitou  ne  se  pressa  pas  de  lui  faire  donner  un 
successeur;  enfin  son  choix  se  fixa  sur  l'archidiacre  Guillaume 
Alleaume,  «  Adalelmus-i ,  qui  fui  sacré  le  r'juin  H2i  (3). 

Le  restant  de  la  vie  de  Guillaume  se  passa  dans  l'obscurité  el 
hien  rares  sont  les  faits  que  l'histoire  a  cru  devoir  recueillir.  On 
sait  cependant  que  Louis  le  Gros  réclama  son  contingent  féodal 
dans  la  guerre  qu'il  soutenait  contre  Henri  V,  empereur  d'Alle- 
magne, et  qu'il  se  préparait  à  rejoindre  le  roi  de  France,  de  con- 
cert avec  les  comtes  de  Bretagne  et  d'Anjou,  lorsque  la  retraite 
de  l'empereur,  qui  commença  le  14  août  1124,  dispensâtes  vas- 
saux du  roi  de  s'acquitter  de  leurs  engagements  (4). 

C'est  vers  ce  temps,  peut-être  un  peu  plus  tard,  que  le  comte  de 


(0  U.  Robert,  Ballaire  de  Calixte  II,  II,  pp.  38  el  4o;  Arch.  hist.  du  Poitou,  XX 
p.   17,  c:irl.  de   .Mauléon;  Arch.  de  la    VieoDe,  orîg.,  chapitre  calhédroL   i    bis  (vidi- 
nius  delauDce  1 323  qui  marque  h  lurt  la  bulle  du  pape  à  l'anuée  i  ia3  au  lieu  de  iizs; 

(a)  Be&ly,  Evesques  de  Poicliers,  p.  87  ;  Clypeaa  Fontebrald.,  Jl,  p.  2g. 

(3)  Marchei^ay,  Chrun.  deaéyl,  d'Anjou,  p.43i.  Sainl-VIaixeuL 

(4)  Suger,  Vie  de  Louis  U  Gros,  p.  io4. 


492  LES  COMTES  DE  POITOU 

Poitou  eut  de  nouvelles  diffîcuUés  avec  le  comte  d'Angoulême.  Un 
riche  seigneur  de  la  région,  Jourdain  Eschivat,  possesseur  des 
châteaux  deChabanais  et  de  Confolens,  étant  venu  à  mourir  sans 
hoirs  mâles  et  ne  laissantqu'une  fille,  cet  héritage  fut  ambitionné 
par  Aymar  delà  Rochefoucauld  qui  déclarait  y  avoir  certains  droits 
du  chef  de  sa  femme.  Les  prétentions  d'Aymar  étaient  soutenues 
par  le  duc  d'Aquitaine,  mais  Vulgrin,  secondé  par  Robert  le 
Bourguignon  qui  aspirait  à  la  main  de  la  fille  de  Jourdain  et  par 
Aimeri  de  Rançon,  prit  possession  des  châteaux  et  réussit  à  les 
garder  jusqu'au  jour  où  il  en  fut  dépossédé  par  le  duc,  grâce  à  la 
connivence  des  principaux  personnages  des  deux  seigneuries. 

Pour  ne  rien  omettre  d'essentiel,  autant  que  possible,  de  la  vie 
de  Guillaume,  il  y  a  lieu  de  rappeler  une  faveur  qu'il  accorda  à 
l'abbaye  de  Sainte-Croix  et  au  chapitre  de  Sainte-Radegonde  de 
Poitiers.  Ces  deux  établissements  possédaient  en  commun  le 
domaine  des  Fosses, sur  lequel  les  sergents  du  comte  avaient  éta- 
bli, depuis  la  mort  de  Guy-Geoffroy,  une  redevance  spéciale  à  leur 
profil,  celle  de  trois  sextiers  de  froment,  sur  lesquels  le  prévôt 
s'en  attribuait  deux,  et  les  forestiers,  un  seul.  Marc,  abbé  de 
Monlierneuf,  avec  lequel  Guillaume  avait  de  fréquents  rapports, 
se  mettant  aux  lieu  et  place  des  possesseurs  de  la  cour  des  Fosses, 
qui  n'avaient  peut-être  pu  jusque-là  faire  valoir  leurs  réclama- 
lions,  obtint  du  comte  qu'il  réprouvât  la  conduite  de  ses  agents 
et  qu'il  leur  interdît  toute  exaction  h  l'avenir.  Guillaume  et  son 
fils  signèrent  l'acte,  auquel  fut  au  surplus  apposé  le  sceau  du 
comte  (1). 

Le  peu  de  renseignements  que  l'on  possède  sur  les  dernières 
années  de  la  vie  de  Guillaume  le  Jeune  s'explique  surtout  par  ce 


(i)  D.  FoDteneau,  XXIV,  p.  4-'>.  Cet  ar.lc,  qui  n'est  pas  daté  et  doit  appartenir  aux 
dernières  années  de  la  vie  de  Guillaume  VII,  était,  dit  Besly  {/list.  des  Cointe^^,  preu- 
ves, p.  438),scellc  de  cire  blanche,  en  lacs  blancs  et  rougesde  cordons  de  lin, à  l'effi- 
gie du  duc  à  cheval,  l'cpée  nue  en  la  main  droite  et  le  bouclier  en  la  gauche.  Ln 
légende  devait  avoir  dès  le  temps  totalement  disparu. 

Bien  qu'elle  soit  un  peu  tardive,  nous  réparons  ici  une  omission,  faite  dans  le  cours 
du  récit  de  la  vie  du  comte  et  qui  doit  se  placer  après  son  retour  de  la  croisade.  Au 
temps  de  l'évéque  de  Saintes,  Renoul,  il  établit  l'aumôneric  de  Saint-Gilles  de  Surgè- 
res, ou  plutôt  la  transforma  en  hôpital;  afin  de  lui  permettre  de  satisfaire  à  ces  char- 
ges, il  déclara  affranchir  ses  domaines  de  toutes  prestations  ou  impôts  coutumiers  et 
lui  accorda  un  droit  d'usage  dans  la  forêt  de  Henon  (Arch.  hist,  de  la  Saintonffe, 
VI,  p.  .0). 


GLILLAUME  LE  JEUNE 


493 


fail  que  la  tendance  générale  des  esprits  les  portail  à  séparer  de 
plus  en  plus  les  choses  religieuses  de  celles  de  la  vie  civile.  Les 
papes,  soit  directement,  soil  par  renlreiiiise  de  leurs  légats  dans 
les  circonscriptions  auxquelles  ils  les  avaient  spéciali-menl  alTec- 
tés,  les  évèqucs  dans  les  diocèses,  s'arrogeaient  le  droit  de  régler 
leaquestions  ecclésiasliques  el  tout  cequ'ils pouvaient  yratlaclier, 
sans  le  concours  des  comles  ou  des  puissanis  seigneurs  féodaux  ; 
d'autre  part,  ces  derniers,  enlraînés  par  le  mouvemenl  violent  el 
souvent  irraisonné  qui  les  puussail  vers  les  choses  extérieures  et 
spécialement  vers  l'Orient  où  ils  furent  établir  les  royaumes  el  les 
principautés  franques  de  l'Asie-Mineiire,  trouvaient  de  ce  côté 
un  dérivatif  à  leur  activité  ;  ils  ne  restaient  plus  confinés  dans  leurs 
domaines,  où  les  moindres  questions  de  la  vie  religieuse,  qui  lou- 
chait par  tant  de  côtés  à  la  vie  civile,  les  avaient  si  longtemps  inté- 
ressés et,  sous  l'inlluence  de  ces  préoccupations  nouvelles  bien 
étrangères  à  celles  de  leur  vie  passée,  ils  laiss*'!rent  se  produire 
cette  usurpation  contre  laquelle  la  royauté  seule  vint  bien  plus 
tard  réagir,  (luillaume  était  de  son  temps,  el,  de  plus,  son 
tempérament  le  portail  à  se  désintéresser  autant  que  possible 
de  ce  qui  ne  le  touchait  pas  directement,  aussi  celte  abstention 
voulue  nous  prive-t-e!le  de  ces  renseignements  de  toutes  natures 
qu'ont  fournis  pour  ses  prédécesseurs  les  archives  des  étaijlis- 
sements  religieux,  source  d'informations  la  plusgrande  et  la  plus 
sûre  dans  ces  temps  reculés. 

C'est  donc  dans  des  débats  obscurs  sur  lesquels  nous  n'avons 
presque  aucune  donnée,  tels  que  la  prise  du  chiiteau  de  Rlaye  sur 
les  Angoumoisins  {!],  que  Guillaume  acheva  ses  jours.  H  mourut 
le  10  février  11 2t),  à  l'âge  de  54  ans, et  si»n  corps  fut  mis  en  sépul- 
ture dans  le  chapitre  de  l'abbaye  de  Monlierneuf.  En  raison  des 
largesses  qu'il  leur  avait  faites  et  surtout  en  mémoire  de  son 
père,  le  fondateur  de  leur  maison,  les  moines  décidèrent  que  cha- 
que année  il  serait  célébré  en  son  honneur  un  service  solennel, 
dont  ils  réglèrent  minutieusement  les  dispositions  (2). 


(1)  Hist.  pontif.  et  com.  EngoUsm..  p.  47- 

(2)  Mari'îie^'ay,  Chnm.  tlet  éijl.  d'Anjou  :  Suinl-Florenl,  p.  190,  Satul-Maixcnl, 
p.  4y«  ;  Arcb.  de  la  Vifimc,  reg.  n"  2o5,  fo  lû^,  caleaJriei'  de  Mcnlterueuf  ;  Uesly, 
//(«/.  (tes  fomles,  pr-uijs,  p.  iiÔ2,  oLituaIre  de  Saitil-II  liirc  de  la  CcMc  ;  Lcruux, 


494  LES  COMTES  DE  POITOU 

De  son  union  avec  Philippie  de  Toulouse,  Guillaume  eut  sept 
enfants,  deux  garçons  et  cinq  filles  :  1°  Guillaume,  qui  fui  son 
successeur;  2*  Raymond,  qui  devint  prince  d'Antioche  en  H 35 
par  son  mariage  avec  Constance,  la  fille  de  Bocmond,  et  fut  la 
lige  des  comtes  de  Tripoli,  rois  de  Jérusalem,  de  Chypre  et  d'Ar- 
ménie (1);  3*  Agnès,  qui  épousa  en  premières  noces,  avant  H17, 


Molioier  et  Thomas,  Doc.  hist.  concernant  la  Marche  et  le  Limousin,  I,  p.  70.  La 
chronique  de  Saint-Florent  n'indique  que  l'année,  celle  de  Saînl-Maixcnt  donne  l'an- 
née et  le  jour,  les  trois  autres  textes  fixent  seulement  le  jour  de  la  mort  de  Guil- 
laume Vil.  La  plupart  des  historiens  et  pour  ne  citer  que  quelques-uns  d'entre  eux  : 
L'art  de  vérifier  les  dates,  Periz,  Monnmenta,  G.  VI,  p.  4,  Desnoyers,  Ann.  de  la 
Soc.  de  VHist.  de  France,  i855, p.  161,  D.  Vaissete,  Hist.  de  Langaedoc,  nouv.  éd., 
III,  p.  664,  placent  la  mort  du  comte  en  1127  et  non  en  1136.  Pour  la  retarder  ainsi 
d'une  année  ils  se  conforment  à  l'usage  généralement  suivi,  qui  reporte  les  premiers 
mois  d'une  année  (avant  Pâques  ou  le  26  mars)  du  moyen-âge,  au  compte  de  l'année 
suivante  :  par  suite  le  10  février  1126  serait  réellement  le  10  février  1127.  Mais  cette 
règle  comporte  des  exceptions  ;  c'est  ainsi  qu'il  est  des  calendriers  de  cette  époque 
qui  font  commencer  l'année  à  Noël  ou  à  la  Circoncision,  comme  dans  le  cas  présent. 
Ce  qui  le  prouve,  c'est  une  charte  de  l'abbaye  de  Montierneuf,  datée  de  l'an  de  l'In- 
carnation 1126,  indiction  iv,  qui  rapporte  que,  Guillaume  VIII  étant  absent  lors  de  la 
mort  de  son  père,  il  vint  visiter  sa  sépulture  aussitôt  son  arrivée  à  Poitiers  (Arch.  de 
la  Vienne,  orig.,  Montierneuf,  n"  43^  Besly,  qui,  avant  de  connaître  ce  texte,  s'était 
(irononcé  dans  un  sens  contraire  {Hist.  des  comtes,  preuves,  p.  452),  est  revenu  sur 
Ml  première  appréciation  dans  le  texte  même  de  son  Histoire  des  comtes  (p.  128)  et 
dans  le  tableau  généalogique  des  comtes  de  Poitou  qui  se  trouve  en  tête;  il  a  été  suivi 
par  D.  Fonteneau,  qui  déclare  nettement  dans  la  reproduction  qu'il  donne  delà  charte 
de  Montierneuf  (XIX,  pp.  i85  et  igi],  que  l'indication  du  chiCTre  iv  pour  l'indiction 
ne  permet  pas  de  s'arrêter  à  une  autre  date  qu'à  l'année  1 126,  et  par  Rédet,  dans  ses 
divers  travaux.  Nous  adoptons  la  manière  de  voir  de  nos  devanciers  en  ajoutant  qu'à 
la  fin  du  xio  siècle  les  moines  de  Saint-Florent  faisaient  partir  le  commencement  de 
l'année  de  Noël  ou  du  i*r  janvier,ce  qui  est  corroboré  par  une  charte  de  cette  abbaye 
de  l'année  1092,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut  (page  898,  note  i),  que  les  historiens 
ont  placée  |)ar  erreur  en  1098. 

(i)  Marchegay,  Chron.  des  égl.  d* Anjou,  p.  419,  Saint-Maixent.  Besly,  dans  son 
Histoire  des  comtes,  p.  127,  donne  à  Guillaume  VII  un  troisième  fils,  qu'il  appelle 
Uenry  et  qui  aurait  été  prieur  de  Cluny.  Celte  abbaye  posséda  bien  un  prieur  de  ce 
nom,  mais  il  vivait  vers  l'an  1000,  et  dès  le  5  janvier  iiu5  il  était  remplacé  par  Ber- 
nard (Bruel,  Charles  de  Cluny,  V,  pp.  99,  178,  i83);  il  devint,  comme  nous  le 
croyons,  abbé  de  Saint-Jean  d'Angély.  Neveu  de  la  comtesse  Audéarde,  il  était  cousin 
et  non  fils  de  Guillaume  V^II.  L'erreur  de  Besly  doit  avoir  pour  cause  un  passage  de 
Guillaume  de  Tyr  où  il  est  question  d'un  personnage  du  nom  d'Henri,  qui  nous  parait 
tout  à  fait  imaginaire.  L'historien  des  Croisades  raconte  qu'après  que  les  barons  d'An- 
tioche eurent  jeté  les  yeux  sur  Raymond  de  Poitiers  pour  épouser  la  jeune  Constance, 
fille  du  comte  Boemond,  et  succéder  à  celui-ci  dans  la  principauté,  le  patriarche  eut  à 
s'inquiéter  des  visées  d'Alix,  la  veuve  de  Boemond,  qui  voulait  garder  la  succession 
pour  elle-même;  afin  d'empêcher  qu'elle  s'opposât  à  la  venue  de  Ixaytnondà  Antioche,il 
lui  fit  accroire  que  celui-ci  venuitpour  l'épouser;  ayant  ensuite  démasqué  ses  batteries, 
il  lui  annonça  que  cet  épouseur  serait  Henri,  le  frère  de  Raymond,  et  qu'on  lui  don- 
nerait pour  domaine  deux  villes  situées  sur  les  bords  de  la  mer.Déçueune  fois  de  plus, 
car  le  prétendu  ne  parut  pas,  Alix,  après  le  mariage  de  sa  fille,  quitta  Antioche  et  se 
joignit  aux  ennemis  de  son  gendre.  Nulle  part  ailleurs  il  n'est  question  de  cet  Henri, 
dans  lequel  Be!>ly    a  cru  recuaaailre  bien  à  tort    le  prieur  de    Cluny.  La  liste  des 


(iUll.l.AUME  Ll^  JKUNE 


49B 


Àinaerî  V,  vicomte  de  Tliouars,  <.'t  qui,  devenue  veuve  en  if27, 

par  l'assassinai  de  ce  dernier,  se  remaria  en  11 35 avec  Hamire  II 
dil  le  Moine,  roi  d'Aragon  ;  4°,  rj<»,  0"  et  7°,  quaire  Hllns  dont  on 
ignore  le  sorl(l),  La  descendance  illégitime  de  Guillaume  VII 
n'est  pas  plus  connue  que  celle  de  ses  prédécesseurs  (2). 

Comme  eux,  il  fut  de  son  vivant  pourvu  d'un  surnom.  L'iiahi- 
tude  qui  avait  été  conlraclée  do  l'appeler  le  jeune,  <»  junior  », 
vu  l'âge  peu  avancé  où  il  avait  pris  le  pouvoir,  se  crntinua  pen- 
dant toute  sa  vie;  loutcfois,  si  Ton  en  croit  le  chroniqueur 
Kaoul  de  Dicel,  une  qualification  spéciale  aurait  été  ajonlée  à  son 
nom,  celle    de  «  facetus  ».   Ce  mol  a  donné    en  vieux  français 


prieurs  de  eeUe  obh.iye,  fournie  par  le  (lalliu  Christ.,  l\',  col.  i  i6(i,  ne  contienl 
pas  «J'aulrc  prieur  du  nom  iJ'HiMirî,  ati  xii"  siècle,  que  le  neveu  d'Atiddnrde,  L'histo» 
rif*n  des  coiniesde  l'oitou  rornmel  du  reste  une  seconde  erreur  dans  te  tableau  de  Ia 
dr<ice[ii!ancc  de  (■uillziuriie  VII.  Comme,  dans  plusieum  textes,  il  avait  rcnciialré  un 
Ourle  <rAlicnor  d'Aijuilntne,  nommé  Raoul  de  Fnvc.il  en  avait  inféré  que  cette  parenté 
provenait  de  l'union  de  ce  persontiaj'e  avec  une  lillc  de  Guillaume  le  Jciioe,  Inudia 
cjii'hu  citnlrairo  ce  lUiuul  (Mail  le  frère  de  la  nièied'Alii'nL^r.vu  (|u'il  était  conunc  ccUr- 
ci  issu  de  Mauher^eoune,  la  vicomtesse  de  ChûlelliTuiill,  ain^i  qu'il  sera  éuahli  plus 
loin. 

(t)  L'rtbbesse  de  Noire-Dame  de  Saintes,  Agnès  de  Barbezicux,  qu'Aliénor  recon- 
naît en  ii^i  pour  sa  tante,  est  prolwhicment  une  des  filles  de  Guillaume  Vil,  car  il 
ai*  nous  senihle  pns  que  celle  aliLesse,  qut  fui  à  la  lùte  du  monaslcre  de  Saintes  de 
ii34  à  tfjf\  nu  moiu»,  puisse  ôlrc  iili'oliliée  nvec  Ij»  rolii^ieuse  du  même  nom  que  le 
duc, vers  1 1  la.  nppelait  aussi  sa  tante  {CarLde  Nulre-lJame lie  Saintes,  pp  fn  et85). 
(2)  Hicliard  de  Poiuers(/îec.  des/iist.  de  France,  XII,  p,  ^iS)  lui  atiribue  la  pater- 
nité de  l'enfant  phénomène  dont  la  chroniquo  de  Saint-Maixent  rapporte  la  naii^sance 
à  Bordeaux  en  1117  et  qui  fut  ai^pelc  Itrixe  (p.  /ta7);  ruais  le  dire  de  l'historien  du 
XII*  siècle  semble  n'avoir  aucun  fondenicnt  cl  ne  peut  en  tout  cas»  sappuyer  sur 
le  texte  du  chroni<|ucur  de  Saiol-Maixcnl,  coolemporainde  Cet  événement,  lequel  n'en 
sou  file  mol. 

Une  opinion  qui  a  pris  corps  au  xvi«  siècle,  et  qui  est  celle  de  D.  Vaissete  {Hisl, 
de  Langnednc,  miuv.  cil.,  Kl,  p  800),  présente  comme  (lia  naturel  deGuillatiine  l.\, 
duc  d'Aquitaine,  un  personnaj^o  nommé  Ouillaurne  de  PoJiicrs,  qui  aurait  épousé  au 
milieu  du  xii'  siècle  la  comtesse  de  Die,  et  de  ijui  seraient  descendus  le»  comtes  de 
Valenlinols.  D.  Vaissete  ajoute  mt'mc  qu'H  serait  né  à  Toulouse  vers  iiiT».  mais  sans 
lournir  aucune  preuve  à  l'appui  de  sa  parole;  il  semble  que  Ibislorren  du  Lan<j;iicdoc 
a  simplement  voulu, eti  açissanl  ainsi,  donner  un  corps  à  des  IctçciiJes  foriièes  p;«r  les 
anciens  historiens  du  Dauphiné  qui, fort  enobarasics  pour  fournir  une  expliraliou  sur  le 
nom  de  Poitiers  porte  par  les  couilCiide  Valenliuuis,  ont  idciitilîé  Irur  comte  (luillnuiue 
de  Poitiers  avec  un  personnage  du  même  nom  qui,  de  11^3  à  i  if>A,  est  frécpiemuienl 
mentionne  dans  les  litres  du  Languedoc.  (Voy.  J.  Chevalier,  Méinnires  pour  servir 
à  l'histoire  de^  comtés  de  Valentinois  et  de  Dinis,  pp.   ifi8-i8i.) 

Il  y  a  encore  lieu  de  mentioaaer  le  propos  d'un  auteur  arménien,  Grésfoire  le  Prê- 
tre, qui  prétend  que  Baudouin,  comte  de  Mares  ou  Marascb,  aurait  été  le  frère  de 
Raymond  de  Poitiers.  Celui-ci  se  serait  mèaïc  assez  mal  comporté  ù  l'éj^ard  de  son 
frère  naturel,  si  l'on  en  croit  l'auteur  de  i'oraison  funèbre  de  Baudouin,  qui  lui  fait 
dire  :  «  Mon  père  et  ma  mère  m'ont  abandonné,  mon  frèrt;  u  oublié  In  tendresse 
«  (pi'il  avait  pour  moi  et  que  je  lui  rendais  avec  tonte  la  cordialité  donl  j'étais  caps- 
•  ble  ».  (Hist.  arménient  des  CroisadeSy  I,  pp.  1^7  el  ai5.) 


496  LES  COMTES  DE  POITOU 

«  facet  »,  qui  a  pour  signification:  gracieux,  plaisant,  courtois, 
élégant,  ou  même  simplement  facétieux  (1).  Mais  ce  surnom  n'a 
pas  été  adopté  par  l'histoire,  et  il  y  a  lieu  de  s'en  tenir  à  celui  que 
lui  donnent  les  textes  anciens,  cl  do  le  désigner  sous  le  nom  de 
Guillaume  le  Jeune,  sans  s'arrêter  aux  appellations  dont  certains 
auteurs  modernes  ont  cru  devoir  le  gratifier,  et  qui  n'ont  d'autre 
fondement  que  leur  façon  de  le  juger  (2), 

La  vie  de  Guillaume  offre  de  tels  contrastes  qu'il  est  naturel 
que  les  appréciations  varient  beaucoup  sur  sa  personne.  Les 
seules  dont  il  y  ait  lieu  de  tenir  compte  sont  celles  qui  émanent 
de  ses  contemporains;  aussi,  afin  d'être  en  mesure  de  se  former 
une  opinion  sur  lui, est-il  bon  de  les  exposer  en  entier,  après  avoir 
pris  toutefois  connaissance  de  ses  actes,  comme  nous  l'avons  fait. 

La  première  en  date  est  due  à  Orderic  Vital,  qui  s'exprime  en 
ces  termes  :  Le  comte  de  Poitou  était  brave  et  loyal,  mais  excessi- 
vement ami  du  plaisir,  et,  dans  les  jeux  d'esprit,  il  surpassait  tous 
les  gens  qui  font  métier  d'amuser  les  autres  (3).  Guillaume  de 
Malmesburi,  qui  vivait  peu  après,  dit  de  lui  que  c'était  un  bouffon 
et  un  homme  tellement  enclin  au  mal  qu'avant  son  retour  de 
Jérusalem  il  se  vautrait  dans  toutes  sortes  de  vices,  ne  reconnais- 
sant pas  l'action  de  la  Providence  dans  tous  les  malheurs  qui  lui 
étaient  arrivés  et  mettant  tout  sur  le  compte  du  hasard  des  cir- 
constances. Ne  prenant  rien  au  sérieux,  il  tournait  toutes  choses 
en  plaisanteries  et  amenait  forcément  le  rire  sur  les  lèvres  de  ses 
auditeurs  (4).  L'historien  anglais  ne  se  contente  pas  de  cette 
appréciation  sévère,  il  va  plus  loin  et  cite  des  faits.  11  rapporte  que 
dans  un  château,c'est-à-dire  une  locaHté  fortifiée,  appelé  Niort  (5), 
il  construisit  une  maison  ayant  l'apparence  d'un  petit  monastère 


(i)  Raoul  de  Dicel,  Abbrevialtones  chronicaram,  I,  p.  240. 

{f)  L'Art  de  vérifier  les  dates,  pp.  717  el  742,  l'appelle  Guillaume  le  Vieux  ;  Pa- 
lustre a  iiitiluié  son  étude  inachevée  sur  notre  comte:  Histoire  de  Guillaume  IX,  dit 
le  Troubadour,  duc  d'Aquitaine.  (Voy.  plus  haut,  paj?e  3S4.  note  4-)  Ce  surnom  de 
Troubadour  appliqué  au  comte  Guillaume  VII  est  assez  récent;  il  ne  se  rencontre 
que  dans  les  écrivains  du  xix«  siècle  inspirés  par  les  travaux  de  Raynouard. 

(3)  Orderic  Vital,  Hisi.  ecclés.,  IV,  p.  118. 

(4)  Migne,  Patrol.  lat.,  CLXXIX.  col.  i384,  Guill.  de  Malmesburi. 

(5j  Niort  a  dû  être  une  des  résidences  préférées  de  Guillaume  VII  ;  c'est  ce  qui  pa- 
rait résulter  des  paroles  du  troubadour  .Marcabrun,  qui,  écrivant  entre  1128  et  1 138, 
termine  un  de  ses  poèmes  en  demandant  à  Dieu  le  repos  pour  l'àme  du  comte  et  sa 
protection  pour  lePuituu  etpuur  Niort(/îomon<a,VI,p.  i23, Marcabrun  parM.Mcyer). 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


4ô7 


OÙ  il  projetait  d'établir  une  abbaye  peupléede  femmes  de  débauche 
ayant  à  leur  tôle  les  plus  expertes,  lesquelles,  à  rimitalioti  de  ce 
qui  se  passait  dans  les  élablissemenfs  religieux,  auraient  été  pour- 
vues des  litres  d'abbesse,  de  prieure  et  autres  dignités  (1). 

D'autres  écrivains,  un  peu  postérieurs,  ne  le  cèdent  en  rien  aux 
premiers.  Ainsi  Geoffroy  du  Vigeois  dit  qu'il  avait  trop  l'amour 
de  la  femme  et  que  ce  défaut  lui  fut  nuisible  pourlaréussite  de  ses 
enlreprise6(2);  quant  àl'auleur  de  la  vie  de  Bernard  de  Tiron,  il 
déclare  que  Guillaume  était  l'ennemi  de  toute  chasteté  et  de  toute 
vertu  féminine  {3).  On  s'accorde  enfin  à  reconnaître  dans  sa  per- 
sonne le  héros  d'une  léîifende  du  Moyen-Age  qui  rapportait  qu'un 
comte  de  Poitou,  ayant  voulu  se  renseigner  sur  le  genre  de  vie  et 
la  profession  qui  pouvaient  rendre  les  hommes  les  plus  heureux 
sur  cette  terre,  el  leur  procurer  le  plus  de  délices,  avait  conclu, 
après  avoir  essayé  diverses  transformations,  en  faveur  des  mar- 
chands courant  les  foires,  qui,  entrant  dans  une  taverne,  y  trou- 
vaient immédiatement  toutes  les  jouissances  qu'ils  pouvaient 
désirer  et  n'avaient  qu'une  seule  préoccupation,  celle  d'avoir  à 
payer  en  sortant  la  dépense  qu'ils  avalent  faite  (4).  Cette  conclu- 
sion est  la  pure  glorification  du  matérialisme. 

Au  xin*  siècle,  une  idée  courante  s'était  formée  sur  la  per- 
sonne de  Guillaume  Vll^  provenant  en  partie  de  faits  réels,  en 
partie  d'opinions  issues  de  l'interprétation  de  ses  poésies  et  des 
sujets  qu'il  y  avait  traités,et  on,  la  plupart  du  temps,  il  s'attribue 
un  rôle  actif  dans  des  aventures  amoureuses.  Voici  ce  que  dit  de 
lui  le  plus  ancien  historien  des  troubadours,  qui  vivait  h  celle  épo- 
que :  Le  comte  de  Poitou  fut  assurément  un  des  hommes  les  plus 
courtois  qu'il  y  eût  aiJ  monde  et  it  fut  en  môme  temps  un  des  plus 


(i)  Dans  ces  derniers  temps,  un  écrivain  a  entrepris,  dans  un  article  intitulé  :  La 
Badia  de  Niort  (Romania,  VI,  p.  249^  de  démontrer  que  le  passage  de  l'historien  an- 
glais avait  été  mal  compris  ot  que  la  création  attribuée  au  comte  de  Poitou  n'avait 
jamais  eu  lieu.  Selon  lut,  on  aurait  aftaire  à  une  tanlaisic  de  poêle,  faisant  Tobjet 
d'une  chanson  qui  ne  nous  scriiil  pas  pjirvenue.  Les  arguments  de  M,  Pio  Hnjna  ne 
anu<i  ont  pas  convaincu  et  il  nous  paraU  certain  qu'un  établissement,  tel  que  le  décrit 
G.  de  Afalmcsburi,a  existe  ;  nous  n'hcsilons  que  sur  le  point  de  savoir  si  le  comte,  en 
le  l'ondiinl,  satisfaisait  à  ses  goùls  de  débauche,  ou  s'il  n'a  point  agi,  au  contraire,  dans 
une  pensée  de  police  qui   lui  aurait  été  suggérée  par  ce  qu'il  avait  pu  voir  en  Orient. 

(2)  Labbc,  Nooa  bibl.  man,,  II,  p.  2<)7. 

(3)  Rec.  des  hisl.  de  France,  XW,  p.  169. 

(4)  D.  Vaissele,  Hist.  de  Languedoc,  aouv.  éd.,  X,  p.  21 5,  d'après  Etienne  de 
Bourbon, 

Ha 


498  LES  COMTES  DE  POITOU 

grands  enjôleurs  de  femmes  ;  il  était  un  bon  chevalier  d'armes, 
maisilelaitau3siloujourspretufaireramour.il  sut  bien  trouver  et 
chanter,  c'est-à-dire  composer  des  poésies  gracieuses  et  les  réciter, 
et  il  courut  longtemps  par  le  monde  pour  tromper  les  dames  (1  ). 

Les  auteurs  de  ces  appréciations  n'envisagent  guère,  on  le  voil , 
qu'un  des  côtés  de  la  personnalité  du  comte,  celle  que  lui-même 
avait  surtout  mise  en  évidence  par  ses  poésies, et  s'ils  lui  sont  peu 
favorables,  c'est  qu'ils  appartiennent  presque  tous  à  la  société 
monastique.  Or  on  ne  peut  nier  que  Guillaume  s'est  tenu  très  en 
dehors  du  grand  mouvement  religieux  qui  fut  la  contrepartie  du 
relâchement  des  mœurs,  occasionné  surtout  par  l'état  de  guerre 
permanent  qui  régnait  alors;  ce  mouvement,  qui  se  manifesta  si 
intense  pendant  le  premier  quart  du  xii"  siècle,  est  spécialement 
caractérisé  dans  les  étals  du  duc  d'Aquitaine  par  quatre  noms  : 
Pierre  de  l'Etoile,  fondateur  de  Fontgombaud,  mort  en  1114, 
Robert  d'Arbrissel,  fondateur  de  Fontevrault,  mort  en  1117, 
Giraud  de  Salles  à  qui  l'on  doit  tant  de  monastères  en  Guyenne, 
Périgord  et  Poitou,  mort  en  11 20,  et  enfin  Etienne  de  Muret,  fon- 
dateur de  Grandmonl,  qui  finit  ses  jours  en  1124.  On  pourrait 
même  avancer  que  si  le  comte  de  Poitou  a  pris  la  croix  et  fondé 
une  abbaye,  il  n'a  été  poussé  vers  ces  actes  que  par  des  considéra- 
tions particulières,  dans  lesquelles  l'idée  religieuse,  sauf  peut-être 
pendant  un  court  espace  de  temps,  n'a  qu'une  bien  petite  part  à 
revendiquer. 

Mais,  comme  contre-partie  de  ces  appréciations  malséantes  dont 
la  justesse,  sinon  la  sincérité,  peut  être  contestée,  il  se  rencontre 
des  témoignages  qui  s'accordent  à  présenter  Guillaume  sous  un 
tout  autre  aspect.  Il  s'éleva  par  ses  talents  militaires,  dit  le  chro- 
niqueur de  Saint-Maixent»  au-dessus  de  tous  les  princes  de  son 
temps  (2).  Un  religieux  de  Talmond,  le  mettant  dans  un   style 


(i)  D,  Vaissele,  Ilist.  de  Languedoc,  nouv.  éd.,  X,  p.  2i3;  Raynouard,  Choix 
des  poésies  des  troubadours,  V,  p.  ii5;  Hist.  litt.  de  la  France^  XI,  p.  87.  Le 
troubadour,  auteur  de  cette  courte  bio^aphie, était  du  reste  assez  mal  renseigné  sur 
les  choses  du  comté  de  Poitou,  car  il  fait  épouser  la  duchesse  de  Normandie  au 
fils  de  Guillaume  VII,  et,  selon  lui,  de  ce  mariage  serait  issue  la  femme  du  roi  Henri 
d'Angleterre;  c'était  expliquer  à  sa  façon  comment  il  se  faisait  qu'Ai iénor  portât  ce 
titre  de  duchesse  de  Normandie,  qu'il  ne  comprenait  pas,  et  il  trouve  très  naturel 
qu'elle  le  tint  de  sa  mère. 

(2)  Marchegay,  Chron.  des  égl.  d'Anjou,  p.  43i,  Saint-Maixent. 


GurLi.M'MF:  LE  ji:l*ne 

liyperboliqiio  sur  le  môme  rang  qu'Alexantlre,  que  Philippe  ou  que 
Pompt'e,  lui  ilrrcrno  lo  nom  de  grand,  dérlaranl  que  jamais  il 
ne  s'esl  mis  injusLeuienl  en  colère  conlre  qui  que  ce  soit,  que 
jamais  il  n'a  manqué  d'être  compatissant  aux  malheureux  (1). 
Mais  ce  qui  a  surtout  conli'ihué  à  dérouter  l'opinion  sur  le  compte 
de  Guillauaic  VU,  ce  sont  les  louanges  qu'a  faites  de  lui  un  des 
personnages  les  plus  violents  de  l'époque,  Geoffroy  de  Vendôme, 
à  qui  l'on  doit  les  accusations  portées  conlre  Hobert  d'Arbrissel 
et  bien  d'autres  hommes  d'église  de  son  temps,  et  donl  les  dires 
ont  été  généralement  acceptés  sans  contrôle,  tant  lui-même  pa- 
raissait impeccable.  Sa  correspondance  est  à  ce  sujet  éminem- 
ment inslructive,  et  il  est  essentiel  d'en  avoir  connaissance  pour 
estimer  la  valeur  que  Ton  doit  allribuer  à  ses  paroles  ou  à  ses 
jugements,  parlicuiièremcnt  à  l'égard  de  Guillaume  VIL 

Après  son  retour  de  la  croisade  le  comte  de  Poitou  avait  de- 
niamlé  à  l'abbé  de  Vendôme  de  restituer  à  Ftainaud  Quartaud 
Tobédience  dont  il  l'avait  privé.  Le  comte  avait  beaucoup  insisté, 
en  disant  particulièrement  que  ce  personnage  lui  était  d'une 
grande  utilité,  et  qu'il  était  en  même  temps  très  nécessaire  à 
Vendôme,  ce  dont  ne  disconvenait  pas  OeotTroy,  mais  tout  en  don- 
nant au  comte  le  titre  de  très  illustre,  il  ajoutait  linemenl  qu'il 
n'était  pas  urgent  que  Guillaume  s'inquiétât  des  personnes  dont  la 
charge  ne  lui  était  pas  confiée,  et  qu'il  aimait  mieux  voir  périr 
le  bien  temporel  son  abbaye  plutôt  que  de  consentir  à  laisser  per- 
dre Tàme  de  l'un  de  ses  frères  (2). 

En  qualifiant  le  comte  de  «  clarisslmus  »>,  Tabbé  de  Vendôme 
avait  voulu  faire  passer  plus  facilement  la  fin  de  non-recevoir 
qu'il  donnait  à  sa  réclamation,  mais  le  moyen  ne  lui  réussit  guère, 
car, à  son  tour,  il  échoua  auprès  de  Guillaume  dans  une  affaire  qu'il 
avait  à  cœur.  Il  lui  avait  demandé  une  entrevue  afin  de  lui  faire 
connaître  les  griefs  qu'il  avait  contre  ses  prévôts,  Guillaume  et 
son  frère  Aimcri,  qui  mellaicnt  selon  lui  la  main  sur  le  patrimoine 
de  l'abbaye  ;  le  comte  la  lui  accorda,  mais  il  oublia  (intentionnel- 
lement) de  dire  à  son  messager  où  ils  pourraient  se  rencontrer. 
Geoffroy  lui   adressa  alors  un  moine  afin  d'obtenir  ce   rensei- 


(i)  Cart,  de  Tal/nond^p.  226. 

(2)  Migne,  Patrol.  lat.,  CLVII,  col.  aoo  ;  Besly,  ffiat.  des  comtes,  preuves,  p.  4^0, 


5oo  LES  COMTES  DE  POITOU 

gnement,  mais  Tenvoyé  attendit  vainement  une  audience  pen* 
dant  douze  jours, et  c'est  alors  seulement  qu'il  apprit  que  le  comte 
était  parti  pour  Glermont.  Geoffroy  n'eut  pas  l'air  de  se  forma- 
liser de  cette  façon  d'agir;  il  écrivit  à  Guillaume,  lui  disant  en 
commençant  qu'il  est  un  incomparable  guerrier,  chéri  du  Sei- 
gneur, et  que  sa  vie  est  digne  de  toute  louange!  puis  il  finit  par 
s'excuser  de  ne  pas  être  venu  au  rendez-vous  pour  ce  motif 
qu'il  lui  était  impossible  de  le  faire  du  moment  qu'il  ne  connais- 
sait pas  le  lieu  désigné.  On  ne  pouvait  pas  mieux  cacher  sa  décon- 
venue, mais  il  n'en  ressort  pas  moins  de  cette  lettre  que  l'abbé  de 
Vendôme  tenait  beaucoup  plus  à  voir  le  comte  que  celui-ci  n'avait 
envie  de  le  rencontrer  (1). 

Revenant  une  autre  fois  sur  un  sujet  qu'il  savait  devoir  plaire  à 
Guillaume,  il  lui  dit  en  face  qu'il  mène  une  vie  que  l'on  ne  saurait 
trop  donner  en  exemple,  et  il  ajoute,  en  paraphrasant  les  paroles 
du  Psalmisle,  que  Dieu  a  placé  le  comte  de  Poitou  au-dessus  de 
tous  les  hommes  tant  par  la  beauté  de  sa  personne  que  par  l'élé- 
vation de  ses  sentiments.  Enfin  il  terminesalettrepar  le  souhait  de 
lui  voir  occuper  la  même  place  dans  le  ciel.  Il  faut  espérer, 
pour  le  bon  renom  de  Geoffroy  de  Vendôme,  que  cette  lettre  est 
antérieure  à  l'année  Ht 4,  dans  le  courant  de  laquelle  Guillaume 
fut  excommunié  à  l'occasion  de  ses  violences  contre  l'évêque 
de  Poitiers.  Geoffroy  avait  alors  des  difficultés  avec  l'abbé  de 
Saint-Jean  d'Angély;  le  comte  l'avait  contraint  d'accepter  pour 
arbitre  l'évêque  de  Saintes,  mais  la  décision  de  l'évêque  ne  donna 
pas  satisfaction  à  toutes  les  prétentions  de  l'abbé  de  Vendôme, 
qui  fit  appel  devant  le  comte,  et  le  flattait  afin  de  le  gagner  à  sa 
cause.  11  terminait  môme  sa  missive  par  ces  mots  :  «  C'est  votre 
humble  ami,  ou  plutôt  votre  esclave,  qui  vous  écrit,  des  douleurs 
de  reins  l'ayant  empêché  de  se  rendre  auprès  de  votre  per- 
sonne (2).  » 

Ces  flagorneries  se  retrouvent  dans  toutes  les  lettres  de  Geof- 
froy; même  il  va  jusqu'à  dire  dans  l'une  d'elles  qu'il  demande  au 
comte  une  réponse  de  sa  grandeur  à  sa  petitesse. Toutes  lesfoisque 
l'abbé  de  Vendôme  parlait  de  cette  sorte,  il  avait  quelque  faveur 

(i)  Mijçne,  Patrol.  lai ,  CLVII,  col.  2o3  ;  Bcsly,  Hisl.  des  comtes,  preuves,  p.  /j22. 
(a)  Migne,  Patrol.  lut.,  CLVII,  col.  201;  Besly,  Hist.des  comtes^  preuves,  p.  4ai. 


GUILLAUME  r.E  JEITNE 


Soi 


à  réclamer  du  comle,  mais  lorsque  celui-ci  avait  besoin  de  son 
concours  il  lui  arrivait  de  le  traiter  presque  d'égal  à  égal.  C'est 
ainsi  qu'ayant  un  jour  appris  que  Ginllaume  avait  l'inlenlion  de 
l'envoyer  à  Home  plaider  sa  cause  auprès  du  pape,  il  s'empressa 
de  venir  se  mettre  h  sa  disposition  pour  faire  ce  voyage  avec 
l'assistance  d'un  ou  de  deux  des  clercs  du  comle,  mars,  avant  de 
partir,  il  réclama  une  rémunération  dont  il  posait  les  conditions: 
celle-ci  devait  consister  dans  le  retrait  que  ferait  Guillaume  de 
toutes  les  coutumes  ou  charges  que  ses  prévôts  avaient  imposées 
par  force  sur  les  terres  de  l'abbaye  de  Vendôme,  avec  garantie 
que  ces  failsne  se  renouvelleraienl  pas  (l).Nous  ne  saurionsdire 
si  sur  ce  point  il  oblint  salisfaclion,  mais  c'est  chose  probabl<\ 

Dans  ses  actions,  Geoffroy  ne  voyait  que  le  but  h.  atleindro,  les 
moyens  lui  iniporlaient  peu;  c'est  ce  qu'il  déclare  cri'Jmenl  dans 
la  lellre  qu'il  écrivit  un  jour  au  pape  Pascal  II  pour  défendre  sa 
conduile.  Par  son  caraclère  allier,  par  son  liabiludo  de  se  poser 
en  gardien  de  la  régularilé  ecclr'siaslique,  il  s'élail  allirô  de  nom- 
breux ennemis.  Certains  le  dénoncèrent  au  pape  comme  s'élanl 
associé  avec  les  persécuteurs  de  l'Eglise  et  en  particulier  avec  le 
comle  de  Poitou,  avec  qui  il  n'aurail  cessé  d'avoir  des  rapporis 
intimes,  bien  que  ce  dcrfiier  eût  élé  frappé  d'excommuniralion. 
I.e  pape  le  cita  en  1  HO  devant  le  concile  de  Lalran  pour  répon- 
dre à  ces  accusations.  L'abbé  doVeudùme  commoni^apar  se  dis- 
penser d'assister  au  concile,  puis  il  écrivit  au  pape  pour  lui  exposer 
les  motifs  de  son  abslenlion  ;  il  donnait  pour  prétexte  qu'il  n'avait 
eu  connaissance  des  lettres  de  convocation  que  trente-cinq  jours 
avant  l'ouverture  de  l'assemblée  et  que_,  par  suite,  il  n'aurail  pas 
eu  le  temps  matériel  pour  s'y  rendre.  Il   déclarail  ensuite  que 
jamais  il  ne  s'était  allié  à  quelque  personnequi  persécutAt  l'Eglise; 
que,  cependant,  s'il  avait   communiqué  avec  le  comte  de  Poi- 
tou, ce  qu'il  no  niait  pas,  bien  que  celui-ci   fût  excommunié,  il 
ne  l'avait  fait  que  dans  l'intérêt  de  son  monastère.  Les  meilleurs 
domaines  que  celui-ci  possède,  disait-il,  et  dont  il  lire  presque 
toute  sa   subsistance,  sont  situés   dans  le  comté  de  Poitou  ;  or, 
comme  on  ne  saurait  faire  l'échange  de  ces  biens, l'abbé  se  trouve 


(i)  Migae,  Pairol.  lat.,  CLVII,  col.  20a;  Uesly,  ffUt.  des  comtes,  preuveî»,  p.  4*o. 

3a. 


5n9 


iMTIîS  Dli:  POITOU 


conlrainl,  tout  en  faisant  à  ce  sujel  ses  réserves  intimes,  d'avoir 
des  rappurls  directs  avec  le  possesseur  du  comté.  Son  pré- 
décesseur, l'abhé  Bernon,  en  agissant  autrement  que  lui  dans  des 
circonstances  idenliques,  s'élail  allirélu  coli're  du  comte,  lequel 
lui  enleva  certaine  obédience  que  lui,  Geoffroy,  n'avait  pu  ra- 
cheler  qu'au  prix  do  12.500  sous.  Il  concluait  en  conséquence 
qu'il  ne  devait  pas  être  excommunié  parce  qu'il  avait  communi- 
qué avec  Guillaume  de  Poitiers  et  qu'il  ne  .saurait  l'ôtrc  tant  que 
celui-ci  reslerail   en  dehors  de  l'Egiisc  (1). 

Celle  correspondance  de  l'abbé  de  Vendôme  est  éminemment 
suggestive,  et  nous  parait  donner  l'explication  des  colères  exces- 
sives auxquelles  Guillaume  VII  fui  parfois  en  proie,  et  du  manque 
de  conduite  d'une  partie  de  son  existence  ;  quand  on  voit  l'homme 
supérieur  qu'était  Geoffroy  donner  l'exemple  d'un  abaissement 
si  absolu  devant  le  conile  de  Poitou,  on  ne  peut  s'empêcher  d'é- 
labtir  uu  rapprochement  entre  celui-ci  et  lo  souverain  le  plus 
remarquable  des  temps  modernes, Louis  XIV,  doué  comme  Guil- 
laume de  qualités  éminenles  qui  le  [daçaienl  au  premier  rang, 
mais  que  la  complaisance  de  tous  et  une  basse  flatterie  firent 
tristement  déchoir. 

Le  troubadour  qui,  un  siècle  après  la  mort  de  Guillaume  VII, 
enlreprit  de  faire  la  biographie  des  poètes  qui  ravaienl  précédé, 
commença  son  recueil  par  celle  du  comte  de  PoUiers  (i),  qui, 
dit-il,  sut  bien  trouver  elchanler,  c'est-à-dire  composer  des  poé- 
sies sur  le  mode  adopté  par  les  poètes  du  midi  de  la  France,  et  les 
réciter.  Cet  éloge  élail  mérité,  mais  il  y  avait  quelque  chose  à  y 
ajouter,  c'est  que  si  Guitlaume  esl,  par  ran";  d'ancienneté,  le  pre- 
mier des  troubadours  dont  les  poésies  ont  élé  conservées,  il  est 
aussi  le  premier  d'entre  ceux  qui  ait  su  assouplir  ses  inspirations  à 
des  règles  précises  et  faire  que  ses  œuvres  servissent  de  modèle  à 
ses  successeurs.  Evidemment,  avant  lui,  il  avait  été  composé  des 
chansons  en  langage  roman  (nous  employons  ce  mot  pour  dési- 
gner ce  qui  [mr  ailleurs  est  appelé  la  langue  provençale),  mais  il 


(i)  Mlgne,  PatroL  lai.,  CLVII,  col.  /jS;  Iksiy, //à^  des  vomies,  preuves,  p.  433. 

(s)  (I  Lo  coma  de  Peîlieus  ».  Il  esl  à  remarquer  que  ce  n'csl  pas  par  sa  qua]i(ê  de 
duc  d'Aquilaioe  que  Guiltaume  était  conimuaémeal  désigné,  niais  biea  par  celle  de 
rnmic  de  Puilou  ;  Guitlaiinie  de  Miitiucsburi  emploie  aussi  la  même  qualilicalion: 
«  Willielinu?,  conifs  Ptcfavorum  i. 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


Sof 


est  h  croire  qu'elles  élaienl  l'œuvre  de  gens  de  condilion  infime 

el  qu'elles  ne  furenljamais  rtîcueillifs  par  écrit,  cel  honneur  élanl 
réservé  surloul  au  lalin,  qui  élail  la  langue  savanle,  ou  à  la  langue 
vulgaire  lorsque  celle-ci  élail  employée  pour  Iruilcr  des  sujels 
d'un  ordre  élevé.  Les  peLiles  gens  auteurs  des  chansons  amoureuses 
qui  consliluaienl  surloul  l(?ur  bagage  littéraire,  devaient  igno- 
rer la  plupart  des  règles  de  la  composition  poélique,  ainsi  qu'il 
enaélé  de  tout  lemps  dans  le  peuple,  même  de  nos  jours,  mais 
Ciuiilaume  sorlil  ce  geure  de  poésie  de  l'ornière  dans  laquelle  il 
avait  traîné  jusque-là,  il  l'ennoblil,  et  il  Ot  plus,  lui  donna  des 
règles;  à  l'inspiration  lyl-ique  il  joignit  la  science  du  vers  {{). 

Guillaume,  doué  d*un  tempérament  ardent,  fut  dans  sa  jeunesse 
ce  que  l'on  appelle  un  coureur  d'aveiilures,  mais  ce  n'est  pas, 
semble-l-il,  Poitiers  ou  le  Poitou  qui  furent  le  Lhétllre  de  ses 
exploits  en  ce  genre,  c'est  le  Limousin,  où  il  rencontra  assurément 
les  premiers  objets  de  ses  passions.  L'elTel  sur  lui  en  fut  si  vif  que, 
s'étanl  familiarisé  avec  le  langage  de  cette  portion  de  ses  états, 
il  employa  pour  célébrer  ses  bonnes  fortunes  le  parler  de  celles 
qui  en  furent  les  héroïnes. 

C'est  dans  le  Bas-Limousin,  vers  l'Auvergne,  que  résidaient 
deux  dames  dont  il  eut  particulièrement  à  se  louer,  Agnès  el 
Ermessende,  et  celles-ci,  dès  le  début  de  la  pièce  où  il  est  ques- 
tion d'elles,  nous  révèlent  leur  nationalité  en  accueillant  le  voya- 
geur parle  salut  qui  était  d'un  usage  couranldansleurs  quartiers  : 
K  Par  saint  Léonard  {"i).  »  Parlant  ailleurs  d'Agnès  etd'Arsende, 
qui  ne  sont  peut-être  pas  les  mômes  personnes  que  les  précédentes, 
il  dit  que  l'une  était  de  la  Montagne, du  château  de  Jumel,  et  que 
l'autre  résidait  auprès  de  Confolens  (3).  Knfin,  quand  il  s'exclame, 
c'est  en  disant  :  «.  Que  Dieu  soit  loué  el  saint  Julien  (i),  »  ou  encore 


(i)  Voy.  Dîez,  Dt'e  Poetie  dtr  Troubadours,  qui,  k  l'oide  des  œuvres  du  comte  de 
Poiliers,  a  tracé  les  règle»  de  la  métrique  dos  poésies  des  troubadours,  cl  Fauricl, 
Histûire  de  la  poésie  provençale,  qui  n  éludié  le  t'orul  même  de  ces  poésies. 

(2}  u  Saluderon  me  t'rancamcQ  Pcr  sont  Launart  »  (En  Alveivmie  paht  Lksiozi). 
U  s'agit  de  saint  Lùoaard,  ermite  limousin  du  vi*  siècle,  qui  a  donoé  son  nom  à  Saial- 
L<.'anard  de  Noblat  (Ilaule-Vicnne). 

{^)  «  L'uQ  Ib  dcls  Montanhiers. . .  L'autre  fa  Dorrilz  sa  jos  près  Cofolcn. . .  De  Gu- 
melai  le  castel...  VA  pcr  Niol  faux  orgueill...>  (Coupanho  farai  in  venn  coviNEN).Ces 
Irois  localités  :  Jumcl  (Corrcze)  dans  la  Monla.çne,  Nicuil  illautc-V'iennc),  Confolens 
{Charente),  faisaieal  partie  du  diocèse  de  Limoij!;es,là  où  ctoit  usité  le  parler  limousin . 

(4)  0  iJJex  en  laus  e  sanb  Julia  w  (Ben  vuelii  oub  bai'chon  h  i>i.i;so»).  Saiot  Julien, 


5o4 


LES  COMTES  DE  POITOU 


il  faii  serment  par  lechef  de  sainl  Grégoire  (1)  ou  par  sainl  Mar- 
tial (2),  loulcs  façons  de  parlor  éminemment  limousines. 

C'esl  même  celte  région  montagneuse  qui  confine  h  l'Auvergne 
et  an  Prrigord  que  Guillaume  semble  vouloir  reconnaîlrc  comme 
ôlanl  ceUe  tle  sa  naissance  quand  il  dit,  après  avoir  fait  un  por- 
trait de  sa  personne  et  pour  expliquer  les  inconséquences  que 
Ton  peut  relever  dans  ses  actes,  que  s'il  est  lel,  c'est  qu'une  nuit 
il  fut  ainsi  doué  par  les  fées  siégeant  sur  un  puy  (3). 

L'ol)jel  de  ses  pensées,  à  qui  est  adressée  la  pièce  de  vers  dans 
laquelle  ils'exprime'ainsi,  et  dont  le  caractère  un  peu  mélancolique 
se  détache  de  l'enseralile,  ne  vivait  pas  e'h  Limousin;  le  message 
est  envoyé  vers  l'Anjou,  peul-élie  h  Maubnrgeonno,  qui  était 
angevine  de  naissance,  et  la  composition  delà  pièce  pourrait  par 
suite  remonter  aux  débuis  de  la  passion  du  comte  pour  la  vicom- 
tesse de  CliAk'llcrault  (4).  l'allé  serait  en  conséquence  posiérieure 
à  son  retour  delà  croisade,  époque  qui  Iranche  nellemenl  dans 
son  existence  (li).  Jusque-là»  livré  à  la  fougue  de  ses  passions, 
malgré  son  mariage  avec  Philippie,  il  courait  le  monde  en  quête 
de  bonnes  forlnnes  et,  sans  aucune  discrétion,  il  relatait  celles- 
ci  dans  des  récils  qui  sauvent  sont  trop  imagés.  Puis,  quand  il 
se  fut  décidé^  pour  aller  en  Terre  Sainte,  à  abandonner  ses  étals 

morlyr,  dont  le  lomhenu  exislail  à  Brioudc  en  Auverpoe,  clail  très  populaire  dans  le 
Bas-LiniousiD  où  plusieurs  paroisses  l'avaient  pour  palron. 

(i)  n  Pel  cap  sanh  tjrcfçori  »  (Farai  cransonett*  nueva).  Il  ne  nous  a  pas  éié  pos- 
sible de  retrouver  le  sflinl  (iré^^oire  qui  avait  a!tns  Rsser.  i\e  noloriclé  en  Limousio 
pour  que  l'on  jiirAl  par  sa  ItHe,  nussî  nous  sommes-nous  demande  si  la  leçon  est 
bien  exacte  cl  s'il  ne  faut  pas  lire  «  snnli  Junia  »  au  lieu  de  et  sanh  (îrcifori  v.  Sainl 
ilunicn,  qui  a  donné  son  iiniu  à  une  ville  du  Limousin  (llau(c-Vienoe), y  fui  toujours 
en  très  prandc  vcnéralion  ;  Rnvnaud,  évoque  de  Vévip:neux,  qiii  mourut  A  la  première 
croisade,  en  octobre  i  loi,  lui  éleva  un  mai,'nifiquo  lonibcau  qui  existe  encore,  et,  en 
outre,  <^ta  le  chef  du  eaint  de  la  châsse  en  Lois  peiut  où  ses  ossements  étaient  j<is- 
qu'nlors  rcnfermi's  et  le  plai;n  dans  deux  coupes  de  bois  doré  (Arbellot,  A'olîce  sur  le 
tombeau  dt  saint  Junien). 

(a)  «  Pcr  sanb  IVIarsau  •>  (Fahai  un  v^ns  de  dret  nien).  Saint  Nfartiol,  le  célèbre 
ap'itrc  et  patron  du  Kiniousin. 

(3|  .(Qu'en  aissi  fui  de  noilz  fadatz  sobr'un  pucg  au  »  (Farai  vs  vers  de  ontT 
nien).  L'expression  latine  «  podium  »  sii^nifiant  émincncc,  hauteur  isolée,  n  donné 
n  pucfif  >>  en  lançasçc  limousin  et  «  poy  »  en  poitevin,  ce  qui  exclut  toute  parlicipaliou 
de  ce  dernier  [larler  aux  poésies  du  comte  Guillaume, 

('))  <*  Lai  vers  Anjau  •>  (Fahai  un  vers  i>e  divf.t  men), 

(fj)  Il  convient  pcut-iHre  de  joindre  à  celle  pièce  celle  qui  commence  par  le  vcn» 
«  Pus  VEZEM  DE  NOVELit  KLOftin  V  ct  dont  Tauteur  fait  l'envoi  i«  Narbonne  ;  il  dit  qu'il 
ne  va  plus  jamais  dans  ce  pays,  où  sans  nul  doute  il  avait  noué  quelque  intrijîue.et  par 
suite,  si  celle  poésie  csl  l'œuvTC  de  Guillaume,  elle  doit  étro  placée  entre  son  abandon 
du  Toulousain  en  109Q.  ct  la  nouvelle  occupation  du  cunité  en  iii3. 


GUILLAUME  LE  JEUNE 


M^ 


eî  son  jeune  fils  (il  ne  parle  pas  de  sa  femme)  qu'il  voit  en  bulle 
aux  attaques  des  fùlons  gascons  ou  angevins,  à  dire  adieu  à  lous 
îes  plaisirs  qu'il  a  pris  en  Poîlou  et  en  Limousin  (les  seuls  pays 
qu'il  quille  à  regret), il  dil  lout  ceci  dans  des  termes  qui  respirent 
un  sentiment  vrai  et,  par  suile,  ont  dû  se  graver  vivement  dans  la 
mémoire  de  ses  contemporains  (1), 

A  son  retour  de  l'Orienl,  il  avait  alors  trente  et  un  ans,  il  se 
remit  à  composer  des  poi^-sies,  et  fit  en  vers  le  récit  des  misères 
qu'il  avait  éprouvées,  mais  le  sentiment  qui  avait  dicté  ceux  de 
la  pièce,  Pu.i  de  chantar  mes  pus  valens,  avait  disparu,  et  il  entre- 
mêla son  récit  d'aventures  plaisantes  qui  prêtaient  à  rire  (2), 
Comme  ce  dernier  poèaie  n'est  pas  venu  jusqu'à  nous  on  ne 
saurait  rien  en  dire,  mais  lout  porte  à  croire  que  l'inspiration 
lyrique  des  premières  chansons  ne  s'y  faisait  pas  sentir  et  que  le 
décousu  de  cette  œuvre,  peul-êlrc  aussi  sa  longueur,  empêcha 
qu'elle  fiU  aussi  bien  retenue  par  ses  auditeurs  que  les  précé- 
dentes. Toutefois  l'impulsion  que  l'art  do  trohar  reçut  du  comte 
ne  se  ralentit  pas;  sa  cour  fut  le  centre  aimé  des  troubadours 
qui  venaient  y  prendre  des  leçons  el  y  trouvaient,  quand  ils 
étaient  nécessiteux,  toutes  les  jouissances  d'une  vie  facile. 

Les  liaisons  qu'il  forma  en  Limousin  guscilèrenl  des  vocations 
el  c'est  de  celle  contrée  que  sortirent  les  premiers  troubadours, 
tels  qu'Kblesde  Venladour,  et  bien  d'autres(3);  Béchade,  Ccrca- 
mont,  Marcabrun,  JaulVe  rUidel,pour  ne  citer  que  ceux-là,  furent 
des  disciples  directs  de  Guillaume  Vil  ou,  à  tout  le  moins,  ont 
reçu  des  leçons  de  son  entourage.  Du  reste,  c'est  dans  le  duché 
d'Aquitaine  que,  pendant  le  Ireizième  siècle,  l'art  de  bien  dire 
fut  surtout  cultivé;  la  preuve  en  est  fournie  par  l'historien  des 
troubadours  qui,  sur  les  cent  onze  biographies  que  contient  son 
recueil,  en  consacre  cinquante-trois,  c'est-à-dire  prés  de  la  moitié, 
à  des  poètes  originaires  de  l'Aquitaine  (qui  comprenait  aussi 
l'Auvergne  el  le  Velay),  el  cinquante-huit  au  restant  des  pays  de 


(1)  Pus  DK  CH\.^TAn  m'kS  PRRS   TALINS  . 

(2)  Orderic  Vilal,  Hist.  ecclés.,  IV,  p.  i3a. 

(3)  GeofTroy  du  Vigeoiii  rapporte  uoe  anecdote  qui  est  bien  dans  les  mœurs  du 
tetnp$  et  Icnaoigne  du  faste  cl  de  l'ingéniosité  du  vicomte  de  Veutiidour;  elle  a  pour 
objet  de  prouver  que,  dans  la  circoDstancc,  le  comte  de  Poitou  trouva  son  maître 
(Labbe,  Nova  bibl.  man.,  II,  p.  'Ai»), 


5o6  LES  COMTES  DE  POITOU 

langue  provençale:  Languedoc,  Provence  et  Viennois,  Catalogne 
etRoussillon,  et  enfin  Italie  (1). 

Cet  essor,  donné  à  une  littérature  qui  a  produit  des  œuvres  de 
réelle  valeur  et  d'un  caractère  si  particulier,  est  en  grande  partie 
dû  à  Guillaume  le  Jeune  et  ce  sera  toujours  son  principal  tilre 
d'honneur  auprès  de  la  postérité  (2). 


(i)  Voy.  Cbabaneau,  Biographies  des  troabadoars,  note  38  de  la  nouvelle  édition 
de  O.  Vaissete,  Ilist.  de  Languedoc,  X,  pp.  209-409;  celle  note  est  une  excellente 
biblioiçraphie  historique  de  ce  sujet. Barlsch  iGrandriss  sur  Gaschichte  der  proven- 
zalischen  Lileratar,  1872,0°  i83,  pp.  i5,  35)  attribue  douze  poésies  à  Guillaume, 
mais  M.  Cbabaneau,  diaprés  une  étude  critique  récente,  en  réduit  le  nombre  à  onze 
et  supprime  le  no  9  du  Grandriss . 

(a)  Les  œuvres  de  Guillaume  VII  qui  nous  sont  parvenues  n'ont  pas  été  jusqu'ici 
l'objet  d'une  publication  spéciale  ;  cela  tient  sans  doute  au  caractère  licencieux  de  la 
plupart  d'entre  elles,  qui  auraient  demandé  des  commentaires  scabreux  ;  on  les  trouve 
isolément  dans  divers  recueils  imprimés  et  dans  des  manuscrits,  mélangées  avec  des 
poésies  d'autres  troubadours. 


TABLE  DES  MATIERES 


AvANT-PnOPOS V 

Création  du  royaume  d'Aquitaine  et  de  ses  neuf  comtés  par  Ciiarle- 

magne  en  778 i 


LES  COMTES  DE  POITOU 

I.  —  Abbon  (778-814?) 3 

II.  —  Bernard  (8i5-826?) 5 

III .  —  Emknon  (829-889) 8 

IV.  —  Renoul  I  (889-866) 14 

V.   —  Renoul  II  (8G6-890) 28 

VI .    —  Eble  Manzer  (890-892) 44 

VU .   —  Aymar  (892-902) 5o 

VI  bis.  —  Eble,  pour  la  seconde  fois  (908-985) 54 

VIII.   —  Guillaume  Tête-d'étoupe,  I""  comte  de  Poitou,  III«  duc  d'Aqui- 
taine (985-968) 74 

IX.  —  Guillaume  Fier-a-Bras,  II*  comte  de  Poitou,  IV"  duc  d'Aqui- 
taine (968-998) 90 

X.   —  Guillaume  le  Grand,  III" comte  de  Poitou, V'duc  d'Aquitaine 

(998-1080) 189 

XI.   —  Guillaume  le  Gros,  IV"  comte  de  Poitou,  VI'  duc  d'Aquitaine 

(1080-1088) , 320 

XII.  —  Eudes  (1088-1089) a34 

XIII.  —  Guillaume  AiGUET,V<' comte  de  Poitou,  VII*  duc  d'Aquitaine 

(1089-1058) 287 

XIV.  —  Guy-Geoffroy-Guillaume,   VI«    comte  de  Poitou,  VIII*    duc 

d'Aquitaine  (io58-io86) 266 

XV.   —  Guillaume  le  Jeune,  VII*  comte  de  Poitou,  IX«  duc  d'Aqui- 
taine (1086-1126) 882 


Poitierg.  —  Imp.  Biais  et  Roy,  7,  rue  Victor-HuKO,  7.