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'7 K'fU^..'
HISTOIRE
DES
COMTES DE POITOU
778-1204
HISTOIRE
DES
COMTES DE POITOU
778-1204
PAU
ALFRED RICHARD
ARCHIVISTE D'E LA VIENNE
MEMBIIE NON nbSinANT DU COMITÉ DES TRAVAUX lIISTOniQUES
TOME PREMIEH
778-1126
>^f
PAIUS
ALPHONSE l'HlAUl) <& FILS, ÉDITEURS
82, nUE BONAPARTE, 82
1903
i/.i
AVANT-PROPOS
Lorsqu'au mois de dt'combrc 1887 j'inauçurai à la Faculté des
lettres de Poitiers les conférences d'histoire du Poitou que j'y ai pour-
suivies pendant neuf années, il n'entrait nullement dans mes intentions
d'en faire le point de départ d'une étude générale sur quelqu'une des
périodes de cette histoire.
, Ce n'était tout d'abord qu'un essai, dans lequel ceux qui l'avaient
inspiré et moi-même n'avions vu que l'occasion de faire participer les
personnes que ces questions pouvaient intéresser aux connaissances
spéciales que j'avais pu acquérir par une longue pratique , mais les
faits sont venus, comme il arrive souvent, donner un démenti aux
prévisions.
Quand, après avoir passé en revue l'histoire de la province, depuis
les temps les plus reculés jusqu'à la fin de l'ancien régime, il a fallu
reprendre avec plus de détails chacune des parties de cette vaste
esquisse, c'est alors (jue les lacunes qui pouvaient se dissimuler dans
un ensemble apparurent sans voiles.
Lors de ma première conférence, j'avais dit aux auditeurs qu'atti-
rait la nouveauté de cet enseignement que je passerais légèrement sur
ce (pie tout le monde devait savoir, mais que je m'étendrais aussi lon-
guement qu'il me serait possible sur ce que l'on ignorait généralement.
C'était de l'inédit que je promettais, et, sur ce point, j'ai tenu ma
parole; mais ce qu'il ne fut pas toujours facile de faire, c'était de sou-
der ensemble tous les faits ainsi exposés, et d'assurer que ceux-ci étaient
VI LES COMTES DE POITOU
bien mis à l'endroit qui leur convenait. A côlé de l'historien, ou plutùl
du narrateur, il y eut donc lieu d'assurer une large place au critique,
mais, des preuves ou des témoignages amassés par celui-ci, bien sou-
vent il n'est rien resté, du moment qu'ils n'avaient d'autre assise que
la parole lancée du haut de la chaire professorale. Pour convaincre, il
faut des textes.
Aussi n'eus-je pas trop lieu dem*étonner([uand, rendu à mes études
ordinaires, je vis attaquer certaines théories que j'avais exposées de
mon mieux, mais qui n'avaient pu amener à elles tous ceux devant qui
elles avaient été produites : la bataille de Vonillé, la question des Tai-
faleSj r atelier monétaire de Melle, les armoiries du comté de Poitou ^
m'amenèrent successivement à prendre la plume. D'autres polémiques
auraient pu se produire, ce que voyant, de bienveillants amis, que je
remercie de leur sollicitude et de leur sympathie, quelque fatigue qu'elles
m'aient imposée, me pressèrent de mettre au jour le résultat de mes
recherches sur l'histoire de notre province.
Je ne pouvais évidemment entreprendre ime histoire générale du
Poitou sur le plan tracé par D. Vaissele pour le Languedoc et si large-
ment retouché par ses nouveaux éditeurs; des œuvres semblables ne
peuvent être le fait d'un seul homme : au promoteur de l'entreprise il
est indispensable d'adjoindre le concours de plusieurs bonnes volontés.
J'étais seul, un sujet limité s'imposait donc; enfin, après avoir bien
hésité, je me suis décidé pour l'histoire des Comtes de Poitou.
Je dois pourtant dire (jue deux autres travaux m'avaient vivement
tenté : l'un était de faire la géographie historique du Poitou, l'autre
d'étudier la condition des personnes et des terres dans ce pays pendant
le gouvernement de ses Comtes. En m'arrêtant à ce dernier sujet, je ne
faisais que reprendre sur un plan plus étendu la thèse que j'avais soute-
nue à l'Ecole des Chartes et dont j'avais seulement tiré (quelques années
après un mémoire sur les CoUiberts, mais, en y réfléchissant bien, il
appîiraissait nettement qu'avant de traiter un point spécial de l'histoire
du Poitou au temps de son autonomie féodale, il fallait être très docu-
menté sur celle-ci dans son ensemble. Or, et j'avais été maintes fois à
même de le constater, le manque de notions certaines sur les Comtes
AVANT.PROPOS VII
était une occasion continue d'erreurs chez les écrivains qui ^e hasar-
daient à traiter un point d'histoire dans lequel leurs personnes ou leurs
actes devaient être rappelés.
Cette période de quatre siècles et plus, qui s'étend de la création
du comté de Poitou en 773 à sa disparition en tant que fief indépen-
dant par sa réunion à la couronne de Frai>ce en 1 2o4, est sans contre-
dit la plus obscure de nos annales, comme l'est du reste celle qui lui
correspond dans l'histoire de France. Les textes pourtant ne manquent
pas, et bien qu'ils présentent des lacunes dont la plupart ne seront
jamais comblées, leur ensemble permet toutefois d'établir une suite
de faits que l'on peut sans crainte qualifier d'histoire ; seulement leur
mise en œuvre offre des difficultés telles que, même avec la recherche
la plus minutieuse, le travail le plus patient, on n'est pas toujours
assuré de les surmonter.
Le plus grand écueil auquel se heurte le travailleur qui se livre à
l'étude de ces temps reculés, c'est le défaut de dates, d'où les erreurs
sans nombre sur la chronologie générale, sur la succession des faits ou
l'identité des personnes. Non seulement cette omission se rencontre
chez les historiens les plus accrédités, comme Adémar de Chabannes,
dont la chronique, qui s'étend du ix« au xi« siècle ne contient presque
pas de dates, ou comme Suger, qui n'en a mis aucune dans la vie de
Louis YI, mais elle existe aussi dans des documents dont la date devrait
être le principal élément, c'est-à-dire dans les actes authentiques. Et
encore arrive-t-il parfois que l'on est très embarrassé pour mettre à leur
place exacte les actes pourvus de l'indication de l'année, selon que leur
rédacteur a fait partir celle-ci de Noël, du i»' janvier, du 25 mars ou
de Pâques.
Si, à défaut de l'énoncé de l'année, on veut s'appuyer sur des syn-
chronismes, sur les années du règne d'un pape ou d'un roi, ce qui est
assez fréquent, on rencontre des cas où l'on reste fort perplexe, comme
par exemple celui du roi Charles le Simple, à qui on peut attribuer six
époques différentes pour le commencement de son règne.
En témoignage de cette pénurie de dates, on peut présenter le car-
lulairc de Saint-Cypricn de Poitiers, un des plus précieux recueils de
VIII LES COMTES DE POITOU
chartes qui nous ait été conservé, lequel, sur les SgS actes qu'il con-
tient, s'ëtcndanl de l'an 888 à 1 1 49> "'en compte que 43 qui portent
une indication précise d'année .
En réalité, pendant les xi" et xii« siècles, mettre une date à un récit,
à une charte, à une lettre surtout, était un fait exceptionnel. La règle
la plus suivie était qu'il n'y en eût pas; et de cela il n'y a pas trop lieu
de s'étonner. Aujourd'hui, combien n'est-il pas de personnes qui se
refusent volontairement à mettre en tète de leurs lettres toute autre
indication que celle du jour où elles les écrivent, si bien que celles de
ces missives qui surnageront présenteront aux historiens de l'avenir
des obscurités identiques à celles que l'on rencontre chez leurs devan-
cières.
Ces quelques remarques ont simplement pour objet de faire sentir
au lecteur une partie des difficultés de la lâche entreprise et de lui don-
ner l'explication de lacunes ou d'erreurs qu'il sera à même de relever.
Je ne parle pas du déchiffrement des actes originaux ou autres, ceci
est affaire de métier.
Ce qui rend particulièrement délicate l'histoire des Comtes de Poi-
tou, c'est qu'ils ne se sont pas exclusivement cantonnés dans leur
domaine primordial. De très bonne heure, ils sont devenus ducs
d'Aquitaine, puis de Gascogne, et enfin pendant un moment ils ont
été comtes de Toulouse. Le cadre à remplir était déjà vaste; il s'est
encore élargi avec Aliénor. La comtesse de Poitou, étant devenue
d'abord reine de France, puis reine d'Angleterre, il a fallu la suivre,
tout en ne tenant véritablement compte que des actes émanés d'elle
ou de ses maris, qui avaient rapport à ses états patrimoniaux ou qui
étaient nécessaires pour établir une suite régulière dans le récit de son
existence. Puis sont venus successivement son fils Richard, son petit-
fils Othon, et môme Jean-sans-Terrc qui, bien qu'ayant abandonné le
Poitou à sa mère, ne laissa pas de se mêler de son gouvernement.
Je ne saurais don:; dire que cette œuvre est complète ; dans les
questions d'histoire on ne peut jamais être sûr d'arriver à ce résultat ;
il en est pareillement de l'exactitude au sujet des dates ou des faits
rapportés, mais si je n'ai pas toujours rencontré la vérité, je puis du
AVANTPROPOS ix
inoins affirmer que je l'ai passionnément cherchée. Être vrai, être utile,
tel est le but vers lequel tendaient les auteurs de VArl de vérifier les
dates ; je nie suis proposé pour objet d'appliquer au Poitou les princi-
pes qui les avaient guidés dans leur conception de l'histoire générale,
l'avenir dira si j'ai réussi.
Outre les notes que l'on rencontrera au bas des pages et que certains
trouveront peut-être trop minutieuses, il a été joint au second volume
de cet ouvrage quelques appendices consacrés j\ l'étude de diverses
questions qui demandaient à être spécialement détaillées. Ce volume
sera terminé par la liste, non pas des ouvrages ou fonds d'archives
consultés, celle-ci aurait été infinie, mais seulement de ceux qui, cités
en abn'gé dans les notes, ont besoin d'être exactement connus, afin
que l'on puisse en toute sûreté recourir aux références indiquées. On
y trouvera aussi une table générale des noms de personnes et de lieux,
s'a{)pli(piant aux deux volumes de l'Histoire.
Comme il a été dit plus haut, cette œuvre est absolument person-
nelle, et je ne puis mieux faire que de la placer sous le patronage
de l'enseignement que j'ai reçu à l'Ecole des Chartes, il y a quarante
ans, enseignement dont je me suis toujours efforcé, dans mes divers
travaux, de mettre en pratique la sévère méthode.
Il me reste enfin à remercier le Conseil général de la Vienne, qui
a bien voulu, en m'accordant une précieuse subvention, reconnaître
les services qu'il m'a été donné de rendre au département depuis 1868,
année où j'ai été appelé i\ la direction de ses Archives.
Poitiers, 5 juin igo3.
LES
COMTES DE POITOU
La mort violente du duc Waïfre en 768, la défaite de son père
liunald en 771 avaient amené la soumission de l'Aquitaine entre
les mains des fils de Pépin le Bref. Charles, resté seul maître du
royaume franc par la mort de son frère Carloman, advenue le
4 décembre 771, dut se préoccuper de donner h la vaste région,
dont la conquête avait coûté aux siens tant d'etforts, une orga-
nisation qui y ramènerait le calme et la relèverait des ruines que
plusieurs années de ravages y avaient accumulées. Mais les luttes
qu'il eut à soutenir contre les Lombards et les Saxons, et quel-
ques autres entreprises qui réclamaient toute son activité, lui
firent pendant un temps négliger ses nouveaux domaines de
l'Ouest, où du reste la pacification s'opérait peu à peu. Il n'y
reparut qu'en 778, alors qu'il dirigeait une puissante expédition
contre les Sarrasins d'Espagne. Sa femme Hildegarde, qui l'ac-
compagnait, s'arrêta dans la villa royale de Chasseneuil, où le
roi avait célébré les fêtes de Pâques, et, dans le courant de l'été,
y mit au monde un fils qui fut appelé Louis. A son retour d'Es-
pagne, vers la fin de l'automne, Charles décora cet enfant du titre
de roi d'Aquitaine; le 15 avril 781, il confirma cet acte en faisant
donner au jeune prince l'onction sacrée; plus tard, en 796, il lui
3 LES COMTES DE POITOU
constitua une cour et lui assigna comme résidences d'hiver quatre
palais ou villas royales qu'il devait habiter tour àluur; deux
d'entre elles, Doué et Cliassoneuil, étaient situées en Poitou (1).
La création d'un état vassal, fortement organisé, qui couvrirait
ses frontières du côté des ennemis héréditaires du nom chrétien,
telle est la combinaison que le futur empereur des Francs avait
conçue et qu'il appliqua sans retard avec toute la précision qui
était l'essence de son génie. Or donc, à la fin de 778, il partagea
l'Aquitaine, devenue un royaume, entre neuf comtes qui furent
investis non seulement du pouvoir civil et judiciaire dont jouis-
saient les comtes mérovingiens, mais à qui il donna en outre l'au-
torité militaire, précédemment réservée aux ducs, avec la charge
spéciale d'assurer cette protection des frontières, objet dos pré-
occupations constantes dos rois francs; de plus, afin qu'ils se sen-
tissent plus portés h s'occuper avec /.èle de la mission qui leur
était confiée, la durée n'en fut pas limitée. C'étaient des hommes
de race franque, dévoués personnellement au roi et en qui, sur
toutes choses, il pouvait absolument compter. Pour le moment,
Charles ne toucha pas aux évoques, que leur caractère sacré dé-
fendait contre ses entreprises, mais il se réservait bien de leur
choisir, quand l'occasion s'en présenterait, des successeurs à son
gré; il se montra moins scrupuleux à l'égard des administrateurs
des abbayes, encore peu nombreuses, il est vrai, mais toutes rela-
tivement puissantes par l'étendue de leurs domaines. Il mit à leur
tête de nouveaux abbés, pris aussi parmi ses fidèles francs et qui,
dans la société religieuse, devaient contrebalancer l'influence
contraire que pouvaient exercer les évêques. C'est encore à des
hommes de sa race, que l'on appelait les vassaux du roi, qu'il
confia les situations les plus importantes du pays et l'administra-
tion des villas du fisc royal. Grâce à ces habiles mesures, toute
résistance efficace se trouva annihilée; les énergiques dévoue-
ments auxquels il était fait appel constituaient en effet les mailles
d'une sorte de puissant réseau qui recouvrait tout le pays, et le
jeune prince, sous la direction d'un habile tuteur, put, sans faire
(i) Les deux autres résidences royales officielles étaient Ângoac en Angoumois
et Ebreuil en Auvergne.
ABBON
appel aux armes de son père et durant toute la vie de celui-ci,
gouverner en paix son royaume d'Aquilaine (1).
I. -ABBON
(778-814?)
Le premier comte de Poitou s'appelait Abbon. Il avait pour
voisins Humbert à Bourges, Roger à Limoges, Wuilbod à Péri-
gueux et Seguin à Bordeaux ; son pouvoir s'étendait sur la cité de
Poitierset sur celle d'AngouIême qui, dans la nouvelle organisation,
ne fut pas pourvue d'un comte non plus que celle de Saintes, alors
que l'une et l'autre en avaient possédé sous les Mérovingiens:
Saintes fut raltaché à Bordeaux. L'importance et la multiplicité
des attributions qui furent conférées aux comtes aquitains ne
devaient pas leur permettre de fréquenter assidûment la cour
impériale et de prendre part aux grandes expéditions militaires
qui marquèrent le règne de Charlemagne. Aussi ne saurait-on
affirmer que le comte Abbon, qui peut-être resta à la tête du Poi-
tou pendant trente-cinq ans, soit le môme que le personnage de
ce nom qui, avec onze autres chefs francs, fut garant du traité que
l'empereur passa, en 811, avec le prince danois Hemming (2).
Abbon dut prendre assurément part aux nombreux faits de guerre
qui signalèrent la lutte presque continuelle entre les Francs et
les Sarrasins, mais il n'en est pas resté de trace. De ce silence
des textes il résulte que l'existence du premier comte carlovin-
gien du Poitou ne nous est guère connue que par sa nomination
et par quelques rares actes de son administration qui ont été
conservés.
En 780, il présida à Poitiers deux plaids où furent portées des
(i) Recueil des hi'st. de France, VI, p. 88, Vita Hludowici piiimp.; Pertz, Mon.
Germ., SS., Il, p. 608; Besly, Hist. des comtes de Poiclov, preuves, p. i48.
(2) Rec. des hist. de France, V, p. 60, Annales Francorum ; Besly, Hist. des
comtes, preuves, p. i48; PerU, Afon. Germ,, SS., I, p. 198, tinhardi annales. •
4 LES COMTES DE POITOU
affaires intéressant l'abbaye de Noaillé. Dans le premier, qui eut
lieu le dimanche 18 novembre, il fut reconnu que le domaine pré-
tendu par l'abbaye de Saint-liilaire à Lussac appartenait à Noail-
lé (1); au second, qui se tint entre deux églises le samedi l"décem-
bre, fut présenté un litige déjà ancien entre un certain Gratien qui
avait, au temps de Waïfre , usurpé Noailié et ses dépendances
sur l'abbaye de Saint-Hilaire et qui prétendait vouloir conserver
l'une d'elles, le domaine de Jassay; la cause ne paraissant pas
encore assez instruite aux prud'hommes, probi homines, appelés
à la juger, elle fut renvoyée à une assemblée ultérieure, soit de-
vant le comte, soit devant l'abbé de Saint-Hilaire, Jepron, lequel
siégea à côté du comte dans ces deux affaires (2).
Le nom d'Abbon se trouve encore au bas d'une sentence ren-
due à Saint-Hilaire de Poitiers par les missi dominici du roi Louis,
le 28 avril 791, dans une contestation advenue entre des parti-
culiers au sujet de la possession de l'alleu du Pin en Aunis (3),
et d'un diplôme de sauvegarde et d'immunité accordé au monas-
tère de Noaillé par le même roi, qui se tenait alors en Limousin,
dans son palais de Jogundiagu^ (Le Palais), du 3 août 794 (4).
Ces faits sont bien peu importants, mais il était néanmoins
nécessaire de les relever, car ils constituent tout ce que l'on sait
des actes du comte Abbon. On ignore même totalement quand
il cessa d'occuper ses hautes fonctions. Ce qu'il y a de certain,
c'est que, dès les premiers temps du règne de Louis le Débonnaire
comme empereur, on lui trouve un successeur (5).
(i) Mabille, Le royaume d'Aquitaine et ses marches, p. Sg ; D. Fontencau,
XXI, p. 3i.
(2) Besly, Hist. des comtes, preuves, p. 149; Mabille, Le royaume d'Aquitaine,
p. 39 ; D. FoDteneau, XXI, p. 35.
(3) Mabille, Le royaume d'Aquitaine, p. 39 ; D. Fonteneau, XXI, p.4'-
(4) Arch. de la Vienne, orig., Noailié, n° 2 ; Gallia christ., II, iostr., col. 346, où
cette pièce n été datée à tort de l'aDoée 793.
(5) Les auteurs de VArl de vérifier les dates, p. 710, égarés par Besly (Hist. des
comtes, p. 6), placent après Abbon un comte du nom de Ricuin. M. Mabille, dans
sa remarquable élude critique sur le royaume d'Aquitaine et ses marches, p. ^o, a
relevé celte erreur à juste titre. Il fait aussi justice d'un autre comte du nom de
Reuaul, placé par Besly après Ilicuin (Hisl. des comtes, p. 7, et preuves, p. 167).
Voy. Api'endice I.
BERNARD
II. - BERNARD
(8i5 82O?)
Lf^cnnilf» Bfirnarti pslcitéavec la qiinlino.alionfrhnmmt^illuslr»',
vif iflusler, dans la iTolîce d'un plaid Icnii à Poili»?r?î [o mevc.voûï
20 juin 8t5 par Godil, son rmsxu'i (i). au sujet de deux serfs
de Tabbayc de Noaillé qui furent convaincus d'avoir fail fabri-
quer de fausses cliarles d'affrancliissoment. (2). En ce monienl
ce n'était dt^j^i plus Louis le Débonnaire qui régnait en Aqui-
taine. Devenu empereur des Francs par la mort de son père,
en 811, il avait f^uivi los erremenls de ce dernier et l'Aquitaine,
maintenue dans sa semi-indi-pendance, reçut pour roi t^'^pin, le
second fils de Louis, Ce prince, élevé dans les sentiments d'une
piété exirôme, se montra pendant t(Uit son r^gne, quoiqu'avec
quelques défaillances, favorable aux én;lises, soil en leur accor-
dant des privilèges d'immunité, soit en leur restituant les domaines
dont, suivant les nécessités df> la jinlilique, elles avait^nl pu être
dépouillées pour être données en j^ralilictilion aux fidèles du
roi (3). C'est ainsi que le comte Bernard possédait l'imporlaut
domaine de Tizay, ancienne dépendance de t'abbaje de Saint-
Maixent; se disani poussé par des mol ifs pieux, le comle renonça
nn jour à la possession de ce bénéfice el^ s'adressant au roi, lui
demanda de faire aussi de son c<Mé l'abandon de tous ses droits
(1) La qualité de missfis paraissant îdeutifjue nvec celle ilc rirecomes (R. de Lns-
leyric, /."/«(V «•««/• Ira comtes cl les l'icomles de Limoges, p, 47'» Godil est le premier
vicomte de I*oilou dont le nom serait parvenu jusqu'à nous. Il n'est pas à croire quf
le misiitis Tnl tout d^abord chargé d'administrer un territoire particulier ; ce n'était
encore que le fondé de pouvoir du comle.
(a) Mjtbillc, Le roijtiume il'Afjiiilititie, p. /jo; Bcsly, ///.«/. des comfes, preuves,
p. 17C).
(3) Voy. le diplôme de ce prince du «er avril 82.') pour l'abbaye de Saiitle-Croix de
Poitiers, délivré en la foi et de M<nilirre (Ursl^*, fiot/n de Ginjrnney p. 21), ceux du
24 juin 827 et Hu a4 novembre 83/|, accordés A Saiot-llilaire-le-Cirtind (nédel. Docu-
ments pour l'histoire de Saint- //ildire, I, pp. 3 et 7I, celui du 11 janvier 8i'7 pour
SaintAlaixcnt, délivic dans le palais de Chas.^cntniil {\. Ricliard, Chartes de Saint-
Mni.rent, I, p. 5), celui du 18 mai 8a6, pour t'abbnye de Niùrmoutier {^Recueil
fies fiitt. de France, VI, p, 664).
6 LES COMTES DE POITOU
sur ce domaine ; Pépin accueillit favorablemenl celte demande
cl délivra, le 22 décembre 825, un diplôme qui rendait h Tabbaye
la pleine et incommutable possession de Tizay(l).
On ne connaît pas Torigine de Bernard (2). C'était assurément
un chef franc, mais on ne saurait, pas plus qu'on ne l'a fait pour
Abbon, l'identifier avec un des signataires du traité de 811 avec
Hemming, portant ce nom de Bernard et le litre de comte (3).
On ignore pareillement quand il cessa d'occuper ses fonctions,
soit par cas de mort, soit pour toute autre cause, mais l'évé-
nement se produisit sûrement de 826 à 828 et fut le point de
départ d'un nouvel état de choses danslacilé de Poitiers.
11 ne semblait pas que le comte, placé à la tête de celte région,
dût avoir jamais à lutter contre l'ennemi extérieur, cl, pourtant,
le cas se présenta sous l'administration de Bernard et se perpé-
tua sous ses successeurs. Les Normands, ces hardis marins que
bien des motifs poussaient à quitter leurs froides résidences pour
aller chercher au loin les aventures, avaient depuis plusieurs
années paru dans les eaux de la France, mais ils s'étaient jus-
qu'alors contentés d'écumer les mers. La mort de Charlemagne,
qui avait su préserver les côtes de son vaste empire par de sages
mesures, négligées sans nul doute par son successeur, les rendit
plus hardis; ils prirent l'habitude de relâcher dans l'île d'Her
(Noirmoutier), où ils se livraient à des actes de violence, particu-
lièrement à l'égard des colons du monastère de Sainl-Filbert,de
qui l'île dépendait.
Les religieux de Saint-Filbert, atîn de se mettre personnelle-
ment à l'abri de ces incursions pendant l'époque où elles se pro-
duisaient, c'est-à-dire pendant l'été, obtinrent de Louis le Débon-
naire l'autorisation de construire un nouveau monastère à Deas,
sur les bords du lac de Grand-Lieu ; le 16 mars 819, l'empereur
compléta sa concession en leur délivrant un diplôme qui leur
permettait de couper la roule royale pour amener l'eau de la
(i) A. Richard, Cliarles de Saint-Maixenl, I, p. 3.
'aj Voy. Apfendick I.
(3 Rec. des hist. de France, V, p. Oo, Aaaaics Fraocorum; Pertz, Mon. Gerin,
SS.^ I, p. i<)tt., ËÏDhardi aauales. 'm
BERNARD
rivière de la Boulogne à leur nouvelle résidence {\). Le choix de
celle-ci, silut-e seuli.'ineiîl à six lieues de la mer, porle en lui la
preuve qu'à celle époque on ne considérait pas les Normands
comuic un ennemi redoulable pour les territoires eu lerro Icruie ;
on ne voyait en eux que des pirates qui s'aballaienl sur les côLes,
el, semblables à Toiseau de proie, s'enfuyaient aussitôt qu'ils
s'étaient emparés del'objetde leur eonvoitise.Otuie s'explique pas
toutefois oomuienl le comte Bernard, dûment averti par les ap-
préhensions des moines de l'ili.' d'iler, n'ait pris aucune mesure
eCticace pour protéger le littoral du E^oitou, quidans cette région
est d'un abord si facile, contre le retour de ces redoutables
visiteurs.
En effet, en 820, deux filsdu vieux Piudrod, evpulsés de la Scan-
dinavie par leurs frères, s'étant dirigés vers l'Ouest avec treize
barques.conlournèreni les cMe^ de France sans pouvoir [irendre
terre, et enfin ari-ivèreut dans la Imiedc Boiirgneuf, qu'ils trou-
vèrent sans défense ; ils y abordèrent, e-nvahireul l'île do Bouin,
pillèrent le bourg et le détruisirent de fund f u comble {2), Bernard
était assurément occupé par ailleurs, iiétitiiuoitis le souverain
dut tirer de ces faits cat enseignement, que le territoire confié au
comte de Poitiers était trop vasie pour qu'il en pût surveiller
efficacement toutes les parlics. L>u vivant de BtM-nard, la situation
ne fut sans doute pas modifiée, mais à sa mort, croyons-nous,
la cité fut démembrée et on en détacha toule la portion occi-
dentale, qui d'ancienneté était désignée sous le nom de pays
d'Herbauge el forma un comté particulier (3) à la tète duquel fut
mis un personnage du nom de Rainaud (4). (ietle première atteinte
(i) Lex, Documents oriyinaaa: antérifitrt ù l'an mil, p. i ; Recueil ilfs hisl. //c
Fronei", VI, p. 5iO,
(i) Peilz, Afnn. Oer/ji., SS., F, p. 307, Eînhardi anaatt's; Mabille, Lfs invntions
nurmundes duiis la Loire, p. 20.
(3) Au leinp.s de Gr^sTuitc de Tours, le litloritl de l'Océau, de l'emboucLurc de lu
Loire à celle du Loy, était counu sous le iiûni àl'Arbatilirum, le pays d'Ilerbauge
(L.oo^noa, Géufjraiihie de lu Gaule au VJ" siècU-, p. Îi0/|). Il cstl possible que, dès
l'érection du couilë d'Ilcrbsiuec, u» <iit ctinipri;' Suus relie dciiouilnuliuu le (lays du ce
DOm el ceux de Tilîauge et de Maut»e ijui onl eu pendant deux sircles «u moius une
e.visleui'e coiuniune. (Voy. ma noiice ijititulée: Les 'J'aljnlts, in J'/ieifulie et le jniys
de Tiffanfft, parue acconipii^înce d'une Ciule d.ms le Dnlletin delà Soc. des Antif/.
t/e /'Ouf«/, 4* U 'nieslre de jHytii.
(4) Les chroDÎr{ues donnent à ce comlc lu nom de Haiiialdtis: il est loulefuia à
Vkicr qu'il est appelé Hainoldus daDs celle d'Adéniar de Gbabunucs, HetjiniilJuf
LES COMTES DE POITOl'
portée à l'œuvre de Chariemagne, bien qu'elle soit le fait de
Charles le Chauve, nous paraît avoir été conçue par Louis le Dé-
bonnaire s'iramisçant en sa qualité d'empereur et au nom de l'in-
térêt général dans les atTaires de l'Aquitaine (1).
III. — EMENON
(828-839)
Le mardi 9 juin 828 le roi Pépin se tenait dans son palais do
Chasseneuil, situé sur les bords du Clain, pour juger les causes
qui seraient portées devant lui. Il était assisté de vingt-quatre de
ses fidèles et de Jean, comte de son palais ; la notice de ce plaid
rapporte qu'en tête de ces fidèles se trouvait le comte llimmon,
présidant en quelque sorte la cour du roi dans le jugement d'un
litige, sous la haute direction de ce prince (2i. On ne sauraitdou-
ter, étant données les circonstances où nous le rencontrons, que
dans celle de Fontenellc (Perlz, Afon. Oerm.,SS., II, p. 3oa), et Reginardas dans la
vie de Louis le Débonnaire (Periz, Mon. Germ., SS., II, p. 645). La chronique de
Fontenclle et c«Ue de Saint-Serge (Marchegay, Chron. des égf. dWnjoa, p. 129) le
qualifient de daœ, aussi nous ranij^eons-nous à l'opinion des crudits qui voient en lui
le duc place à Ançoulêmc par Louis le Débonnaire en 8/40 lorsque ce prince divisa
l'Aquitaine en trois commandements militaires (Loup de Ferrières, lettre 28, Ree.
des hisl. de Fnnce, VII, p. 4^0. Levillain, dans la Bih!. de T fic^tle dea Chartes,
LXI, p. 508, établit que cette lettre est du 1 1 août 840). Enfin la chronique de Saint-
Serge nous rapporte que le conte d'II-îrbauge était de race Aquitanique, génère
Aquitanns, ce qui permettrait de le ratiacher à quelqu'une des grandes familles qui
se partageaient alors le pouvoir dans celte région.
(1) Les actes de Louis le Débonnaire en Aquitaine et particulièrement en Poitou se
manifestèrent surtout t\ l'égard des établissements religieux ; on connaît ceux qui
concernrnt les abbayes de Saint-lIilaire-Ic-Grand, de mai 8o8(Uédel, Documents pour
Saifit-Ifilaire, I, p. 3). de Charroux, flu i3 février 8i5 et du i3 août 83o (Hesly,
Ilist. des comtes, p. i64; Rec. des /list. de France, VI. pp. 474 et 566), de Saint-
Marxcnt,dn 18 juin 8i5 et du 10 octobre 827 (A. Richard, Charles de Saint-}/ai.renl,
I, pp. 1 et 6), de Sainte-Croix, de 822 et sans date précise (Baluze, Capital, reg .
Franc, I, col. 629, et Rec. des hist.de France, VI, p. 634), de Noirmoutier, du 3août
83o et (lu 27 novembre 83 ) {flec. des hisl. de France, VI, pp. 363 01628).
(2) Guér.ird, Poli/ptiqne d'irminnn, II, p.34'i. Cette pièce importante, qui n'a pas
été utilisée par nos devanciers, a un double intérêt, car, outre qu'elle signale à une
date certaine la présence k Poitiers du roi Pépin et de sa cour, elle précise en Poitou
l'emplacement de sa villa de Cisanngiliim. Il est possible que les rois Carlovingiens
aient possédé une autre résidence du même nom.aujnurJ'iniiCasseuil sur la Garonne.
(Voy. C. Jullian, Le pnhtis carolingien de Cassinogilnm, p. 89.) ^
EMENON 9
ce personnage ne soille successeur de Bernard, appelé par les
chroniques Emenon ou Iminon. Homme de race franqiie (1), ainsi
que l'indique la forme de son nom, il avait deux frères, Turpion
et Bernard, mais nous ne pouvons dire, malgré le nom porté par
ce dernier, que quelque lien les rattachait au comte précédent (2).
Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'Emenon était tout dévoué à Pépin et
hostile h Louis le Débonnaire et il ne serait pas impossible que
le point de départ de cette hostilité remontât au démembre-
ment du comté de Poitiers, dont le nouveau comte se trouvait en
partie privé de par la volonté impériale; il ne larda pas, du reste,
à manifester hautement ses sentiments.
Louisle Débonnaire, après la mort de sa femme Hermingarde,
s'était remarié avec Judith de Bavière. Le 15 juin 823, l'impc-
ralrice mit au monde un fils qui fut nommé Charles ; or, comme
l'empereur avaitdopuispliisieurs années partagé ses états entre ses
enfants du premier lit, le dernier venu se trouvait sans patrimoine.
Judith, femme intelligente et ambitieuse, se préoccupa prompte-
mènt de celte situation; elle voulait que son fils fût aussi roi,
et, pour arriver à son but, elle ne cessa d'exciter l'empereur contre
ses autres enfants, afin de faire attribuer à Charles la dépouille
de l'un d'eux.
Dès 829, à la diète de Worms, Louis enleva à son fils aine
Lothaire quelques provinces de la Germanie avec lesquelles il
constitua h Charles un royaume sous le nom d'Allemagne, mais
Lothaire et ses deux autres frères. Pépin d'Aquitaine et Louis
de Bavière, menacés comme lui^ se soulevèrent l'année suivante
contre leur père et le mirent dans l'impuissance de leur résister.
Judith, faite prisonnière à Laon, fut confiée à Pépin, qui l'em-
i) Les chroniques donnent en afénéral an comte de Poilou les noms d'E/nenus ou
Eini'no; onlroiive encore l/ninn dans la chroniqac d'Adon(/{ec. des hist. de France^
VII, p. 5')) cl dans celle de Flenry (A/., VII, p. 27^. enfin il est appelé Iinmo dans le
livre des nuracics de sainte Foy qui en fait postérieurement un comte de Périgord
(lier, des hisl. de France, VI, p. GôC)). L'identification, pour nous certaine, du comte
llirnmo avec Knienon nous a permis de faire remonter de deux ans avant la date gé-
néralement admise la prise de possession du comté de Poitou par ce pcrsonnaçe.
(2) Los historiens ont hasardé diverses suppositions sur l'orii^'inc du comte Emenon
M. Mabillc môme est porté à admettre qu'il pou^-rait être fils de Bernard [Le rot/anme
d'Ar/uitdine, p. /|i); mais toutes ces hypothèses sont «rratuiteset ne reposent sur au-
cun fondiMnent sérieux. Voy. Aphendick I.
lo LES COMTES DE POITOU
mena dans le monastère de Sainte-Croix, où on la contraignit de
prendre le voile (1).
Mais le calme ne fut pas de longue durée. L'empereur, ayant,
grâce à son fils Lolhaire, repris tout son pouvoir, tint à Aix-ia-
Chapelle, au mois de février 831, une diète où Judith, tirée de
Sainte-Croix, vint se disculper de l'accusation d'adultère portée
contre elle par ses beaux-fils; l'impératrice ressaisit toute son
influence et, à son tour, se vengea de ses ennemis. Tous ceux qui
avaient pris part à la conspiration contre l'empereur furent frap-
pés; les évoques, les abbés, les comtes et autres grands person-
nages furent dépouillés de leurs dignités, privés de leurs biens
et envoyés en exil dans les monastères. Mais Louis, par faiblesse
ou par bonté, ne donna pas suite aux décisions de la diète et par-
donna à presque tous les coupables, sauf toutefois à son cousin,
Wala, abbé de Corbie, qui fut envoyé à Her (2). L'internement
de ce personnage dans un coin du pays d'Herbauge témoigne que
la division du Poitou était déjà opérée, car l'empereur ne pou-
vait penser à confier au geôlier de Judith la surveillance du plus
violent adversaire de l'impératrice. Il est même possible que l'é-
rection du pays d'Herbauge en comté, sur laquelle nous ne som-
mes pas fixé, n'ait eu lieu qu'à cette époque et ait été la punition
infligée à Kmenon.
La lutte reprit ensuite avec des péripéties diverses entre Louis
le Débonnaire et ses fils; aussi les Normands, que leurs premiers
succès avaient enhardis, eurent-ils beau jeu pour renouveler leurs
incursions. Ils s'attaquaient particulièrement à l'île d'Her, dont
la situation forte, à proximité des côtes, leur offrait un solide
refuge. Dès 830, les religieux de Saint-Filbert avaient obtenu
des empereurs Louis le Débonnaire et Lolhaire (3) la permission
de fortifier leur demeure et le motif qu'ils exposèrent n'était que
trop valable, car, en 83i, les pirates reparurent, firent le siège
du monastère cl ne se retirèrent que devant la vigoureuse résis-
tance des religieux. Ils étaient arrivés dans l'île sur neuf gros
vaisseaux et avaient débarqué en toute sécurité sur une couche;
(i) Annales de Sainl-Bertin et de Sainl-Vausl, éd. Debaisues, p. 2 ; Pcrlz, Mon.
Germ., SS., p. 303, Vila llluduvvici inip.
(a) GuUiu Christ., X, col. 12G8.
{^) Recueil des hist. de J'rance, VI, p. 303.
EMENON 1 1
c'élail le 20 août, jour de la fête de saint Filbert; la lutte, enga-
gée à trois heures de l'après-midi, dura jusqu'à la nuit; elle se
termina par le départ des envahisseurs qui perdirent beaucoup
d'hommes et de chevaux (1). Toutefois, malgré ce succès, le péril
était grand et l'on devait s'attendre à un prompt retour offensif
car les Normands, ne pouvant tenir la mer pendant les gros
temps de l'hiver avec leurs bateaux légers, faisaient toujours leurs
expéditions au printemps et retournaient ensuite à l'automne
dans leur pays pour jouir du fruit de leurs rapines. En effet, l'an-
née suivante, ils reparurent pour tirer vengeance de leur précé-
dente défaite. Cette fois ils se heurtèrent au comte d'Herbauge,
Rainaud, qui engagea une lutte dont le résultat fut sans doute
indécis (2). Celte sanglante rencontre, qui eut lieu au mois de sep-
tembre 835, mit toutefois un temps d'arrêt dans le retour des
pirates qui, comme on le voit par la présence des chevaux signa-
lés dans l'affaire de 834, étaient dans l'intention d'étendre leurs
ravages dans l'intérieur des terres. C'est alors que l'abbé d'Her,
Hilbod, sentant qu'à un moment donné son monastère deviendrait
la proie de ses ennemis acharnés, résolut de profiter du répit qu'ils
ui laissaient pour mettre à exécution une grave détermination.
Au printemps de l'année 836, il se rendit à la diète que Pépin
tenait alors en Aquitaine. 11 exposa au roi que les Normands abor-
daient à tout moment dans l'île, et même qu'il leur était arrivé
d'y séjourner une partie de l'année; que, malgré les efforts des
religieux, le monastère était exposé à succomber quelque jour,
(ij Acla suncl. ord. saucti Denedicti, IV, p. 558, Emieutariiis, Histurin Iraiisla-
lionis sancti Filiberli.
(2) Les chroniqueurs sont loin d'être d'accord sur ces cvéneineDls. Adémar de Cha-
hauncs dans su chrouique, Ennentaire dans soq histoire de la trauslation de saiut
Filbert nous ont paru être les auteurs les plus dijs^aes de foi. Adémar (éd. Chavuoou,
p. i3i) raconte que Rninaud l'ut battu par ses adversaires ; M. Mabille, d'après deux
textes (Chronicon Aquitan., Fcrtz, Mon. Gerin., SS., 11, p. 202; Erinentarius, Acla
sancl. ord. sancti B<:ned.,\V, p. 558), avaacd que les Xormands furent mis en fuite
et dureut se rembarquer, mais que le comte Rainaud périt dans la mêlée {Les inva-
sions normandes, p. 21). Or ce dernier fait est absolument controuvé, Rainaud ayant
été tué à Blaiu eu 843, comme nous l'établissons plus loin; il y a plutôt lieu de croire
à un couibut sauglaiii, sans résultat efficace pour le moment, ce qui semble être con-
tirnië par l'abseuce des Noriiiauds l'auuée ;>uivaule. La clironi<iue d'Aquitaine publiée
par Pertz doit avoir coufuudu les deux expéditions oonuauJes, car elle assidue au
combat de RaiiiauJ avec les pirates la date du 20 août qui, d'après Ermealaire,est
celle Je la résisiaucj valeureuse des moines de Noirmoulier l'unoée précédente.
la LES COMTES DE POITOU
car, lorsque la mer était houleuse, il était impossible de recevoir
des secours du continent ; que pour ces motifs, il demandait qu'à
l'exemple de la plupart des habitants de l'île, qui Tavaient
déjà abandonnée, il lui fût permis de transporter les reliques de
saint Filbert, patron du monastère, à Deas, où, pour se mettre
en sûreté, ses religieux résidaient déjà une partie de Tété. Sa
requête fut favorablement accueillie ; le 7 juin, les relijîieux pro-
cédèrent à l'exhumation dos restes du saint et c'est ainsi que
commença cet exode auquel, pendant tant d'années, durent se
résigner la plupart des communautés du Poitou (1).
Mais si la tranquillité reparut quelque peu sur les côtes, elle
disparaissait au contraire dans l'intérieur du pays.
Pépin était venu mourir à Poitiers le 13 décembre 838 et avait
été enterré dans l'église de Sainle-Hadegonde. Ses dernières an-
nées s'étaient terminées dans le calme et il passait surtout sa vie
dans ses villas du Poitou, qu'il affectionnait particulièrement ; il
s'était mis en bons termes avec l'Église en restituant aux établis-
sements religieux les biens qu'il leur avait enlevés pour soutenir
la lutte contre son père et en construisant des monastères, tels
que Sainl-Cyprien aux portes de Poitiers et Saint-Jean-d'Angély,
dans sa villa royale de ce nom, sur la Boulonne (2).
Le roi d'Aquitaine étant au moment de sa mort totalement ré-
concilié avec l'empereur, il pouvait croire que son fils, nommé
comme lui Pépin, lui succéderait sans obstacle. Il n'en fut rien.
Judith n'avait nullement renoncé à l'espoir de trouver dans les
dépendances de l'Empire franc un royaume pour son fils Charles,
et elle avait rencontré en Poitou un agent habile, jouissant d'as-
sez d'autorité pour pouvoir faire prévaloir ses idées. La situation
de ce pays était en ce moment particulièrement tendue; comme
conséquence de la lutte interminable engagée entre Louis le Dé-
bonnaire et ses fils, deux partis s'y étaient formés: l'un, que
l'on pourrait appeler le parti aquitain, se composait de Poitevins
de vieille race, groupés autour du comte Emenon et qui, toujours
(i) Actasnnct. ord. sancti Bened., IV, p. 54o, Ermentnrius ; Periz, Mon. Germ.,
SS., M, p. 102, Chronicon AquitaDicum.
(a) Ann, de Sainl-Iiertin, p. 28 ; Chron. d'Adémar, p. i32.
EMENON i3
hostiles auxFrancs duNord,seresserraientautour du jeune Pépin,
lequel symbolisait pour eux une dynastie nationale; l'autre, formé
surtout des leudes francs et des hommes ambitieux ralliés à la
politique impériale, avait pour chef Ébroïn, évêque de Poitiers (t ) .
Ce dernier était un homme de haute naissance; cousin de Ror-
gon, comte du iMaine, il aspirait à jouer un rôle politique. Con-
naissant les idées secrètes de Louis et surtout celles de Judith,
il se rendit auprès de l'empereur et il eut l'art de lui présenter
l'installation du jeune Charles sur le tr6ne d'Aquitaine comme
étant l'expression du désir populaire ; puis, pour faire taire la
conscience de Louis, qui ne pouvait empêcher qu'elle lui reprochât
la spoliation de son petit-fils Pépin, il soutint et fit admettre cette
thèse que la couronne d'Aquitaine n'était pas héréditaire et que
l'e mpereur avait pleinement le droit d'en disposer . Les deux gen-
dres de Pépin I",Gérard, comte d'Auvergne, et Ralliier,qui devint
peu après comte de Limoges, par hosliUlé contre leur beau-frère,
se prononcèrent même en faveur des subtilités d'Ebroïn, qui
avait su pareillement amener à lui le comte d'Herbauge.
Sûr du résultat qui devait combler ses désirs, Louis convoqua
le 1" septembre 839, à Chalon-sur-Saône, une diète où furent
appelés tous les grands d'Aquitaine. Gagnés en grande majorité
à la cause du prince connu plus tard sous le nom de Charles le
Chauve, ils le proclamèrent leur roi. Pour appuyer ce vote,
l'empereur pénétra en Aquitaine avec son armée et se dirigea sur
le Poitou, qui était le centre de la résistance à ses desseins ;
Emenon, qui avait proclamé roi Pépin II, et de concert avec son
frère Bernard avait essayé d'organiser la résistance, se trouva in-
capable de soutenir la lutte, il fut même abandonné par son frère
Turpion. Aussi l'empereur, après avoir soumis quelques rébel-
lions isolées, put-il arriver à Poitiers au mois de novembre, et
y faire couronner Charles en qualité de roi d'Aquitaine. Puis,
afin d'assurer dans l'avenir l'autorité de son fils, il remplaça les
comtes qui lui étaient hostiles par des hommes dévoués à sa
cause. Il plaça Rathier à Limoges, Seguin à Bordeaux, Renoul à
Poitiers,Turpion à Angoulême, Landri à Saintes. Emenon et son
frère Bernard furent chassés de Poitiers ; Emenon se retira à
(») Feitz, Mon. Germ., 56'., II, p. 64», Vila Hludowici inij).
i4 LES COMTES DE POITOU
Angoulêrae auprès de Turpion, qui avait vu généreusement
récompenser sa fidélité, et Bernard fut rejoindre le comte
d'Herbauge (i).
Le démembrement des comtés de Bordeaux et de Poitiers par
rinstallation de comtes à Saintes et à Angoulème est un des faits
caractéristiques de la politique de Louis le Débonnaire; ce prince
se rendit parfaitement compte qu'il y avait plus d'avantage pour
le pouvoir royal à amoindrir celui des comtes, en augmentant
leur nombre, que de concentrer en quelques mains toutes les
forces du pays et, par ces actes capitaux qui consacraient la dis-
location de la grande circonscription confiée au comte Abbon par
Charlemagne, circonscription déjà entamée par la création du
comté d'Herbauge, il porta un coup sensible à la conception du
grand empereur. Les temps, il est vrai, étaient changés ; les com-
tes n'étaient plus de simples agents soumis aux volontés du chef
de l'Étal; ils essayaient déjà, au milieu de troubles sans cesse
renaissants, de manifester leur indépendance à l'égard du pouvoir
central et de faire reconnaître leurs droits à une succession hé-
réditaire de leurs bénéfices ou tout au moins de leurs charges.
Pour mieux marquer l'autonomie des cités de Saintes etd'Angou-
lême et affirmer leur séparation des comtés dont elles faisaient
partie depuis plus de soixante ans, l'empereur ordonna de frap-
per monnaie à son nom dans ces deux villes (2).
IV. — RENOUL I
(839-806)
Benoul.àquil'empereur avait donné le comlé de Poitiers, était
fils de Gérard, comte d'Auvergne, l'un de ses plus solides parli-
(i) Ann. de Saint-Berlin, p. 38 ; Chron. cCAdémar, p. i32, add.
(2) Chron. d'Adémar, p. i32, add. La mort de Louis le Débonnaire, advenue pen-
dant la soumission de l'Aquitaine, arrêta sans doute Pexécution des mesures qu'il
venait de prendre, car l'on ne connaît pas de pièces carlovinf^iennes sorties d'ateliers
ouverts à Saintes ou à Angoulémc.
sans; il ne paraît pas toutefois être issu de l'iinioa de Gérard avec
la filli' de Pf'piti 1" d'Aquilaine, ce qui le ferait entrer dans la
descendance de Charlemagne; on croit seulement qu'il est sorti
d'tm premier mariage du comte d'Auvergne (1). La suite prouva
l'excellence de ce choix; le nouveau coQile se montra toujours
le représentant attitré de la politique carlovingienne et son dt'»-
vouement à CliarN^s le Chauve, pendant la lutte di' ce prince contre
lY'pin II, ne se rlénientit jamais (2j. L'empereur passa l'hiver à
Poitiers, s'occupanl de pacifier le pays, et il n'en partit qu'au
printemps de 840 pour se rendre sur les frontières de Flilst et
cliAlierla r<>volte de son fils Louis; afin d'enlever aux factieux
tonte enseigne de ralliement il em:ii<"nail avec lui le jeune Pépin.
L'impératrice Judilh et son fils Charles restèrent à Poitiers, qui
prenait de plus en plus le caractère de capitale de l'Aquitaine et
où la sécurité de la famille impériale était garantie par la fidélité
du comte Renoul et de l'évêque Étiroïn. Ils s'y trouvaient encore
quand ils reçurent l'annonce de la mort de l'empereur, advenue
le 2rt juin dans une lie du Uhin (3). ConformémenI au jiarlage
fait par Louis à Worms, en 839, Charles fut pourvu de la cou-
ronne de France. Quant à Lothaire, devenu empereur, il cherclia
d'abord à ménager les droits de son neveu Pépin, mais celui-ci,
sans attendre les négociations qui allaient s'engager et profitant
du départ de Charles, vint mettre le siège devant Poitiers où ré-
sidait Judith (4). Le retour du roi le roniraignit à s'éloigner,
(t) Mabille, Lr rot/aitme (TAqatlaine, pp. 17, 19 el 43.
(2) Le nom de ce comte esl écrit en latin Uia^ôi Jiumn/il/ris (Adémar, p. t32 ;Rédel,
Documents pour Suinl'ffilairf, p. g), tantôt Rnnnnlfiis (Chronique de Saint-
Maijcent, orig',), Rannlfns (.\dt'tnar, p. i4a) ou lianiilphus ((^hrou. d'Adon, Perlz,
Mon. Gfr/n., .S.V. , II, p. Sa/i) et mt-me fitiijniif/nx (Chron. Norm.Tn., Perlz, Afon.
Germ., I, p. 534). ^'lanl à In forme française que les historiens lui ont donnée jus-
qu'ici, elle n'est que la reproduction textuelle, sauf ta finale, du mot latin ; .linsi
Ûoucbet {Annalea d''A<{ttilnine)i:cT'\\. Ranl'lfiib, Besty (Hixt. des comfpx de Poictou)
Ranul>e, Rcdet {Documrnts pour Soinl-//il<iire, I, p. fj) RAijrui-FE. Cette façon de
s'exprimer noua parait clinquante, et de même que les aoms à'Arnnlfas et de Hadiil-
fus^ si communs à l'époque où vivait lr comte /Vi/nnitljns, soal fort justement traduits
chez nos historiens par ceux d'Arnoul et de Raoul, bous croyons devoir, par analoa^ie,
attribuer au comte de Poitou relui de Renoul, lequel existe du rcst»': dans l'onomasti-
que française du Moyen-Age, el parliculièremenl en Poitou. En Limousin ftniinnlfiu
a donné Hannols et Radalfa*, Raols (Duplès-Agicr, Chron. de Saint- Atari inl de
Limoqes).
Aun. de Saint- Berlin,
13)
PP-
(4) Perlz, Aiuu. Gerin., SS,, II, p. 65G, Nitltardi bist.
i6 LES COMTES DE POITOU
mais pour continuer dans tous les coins de l'Aquitaine cette lutte
interminable qui ne devait finir qu'à sa mort et qui, au fond,
puisait sa force dansThoslilité de race existant entre hommes du
Nord et hommes du Midi; le Poitou, pays frontière, devenait for-
cément l'objet des premières convoitises des antagonistes.
Les intrigues de Lothaire ne tardèrent pas à amener une situa-
tion excessivement grave. S'appuyant sur Pépin, il engagea con-
tre ses deux frères, Louis et Charles, une lutte d'abord sourde,
qui finit par une prise d'armes formidable. Judith ayant amené à
son fils les contingents de l'Aquitaine du Nord, Pépin ayant avec
ses Méridionaux rejoint Lolhaire, les deux armées se rencontrè-
rent à Fontenoy [Fontanelum]^ le 2b juillet 841 ; ce fut la bataille
la plus meurtrière de ces luttes fratricides. La noblesse franque
y fut décimée, et parmi les chefs qui succombèrent se trouva
Ricuin, comte de Nantes. 11 y eut deux prétendants à sa succes-
sion : Hainaud, comte d'Herbauge, et Lambert, comte des Mar-
ches de Bretagne, qui, l'un et l'autre, avaient vaillamment com-
battu à Fontenoy. Charles donna la préférence à Rainaud ;
Lambert en conçut un profond ressentiment et se relira auprès
de Nominoé, le prince de Bretagne. C'était un acte de félonie,
car Nominoé était en lutte avec le roi de France. Celui-ci, débar-
rassé momentanément de Pépin, envoya contre les Bretons une
armée qu'il plaça sous les ordres du comte d'Herbauge. Rainaud
atteignit ses adversaires au passage de la Vilaine, à iVlissac, et
les mit en déroute. Il se reposait de son succès à Blain, lorsqu'à
son tour il fut surpris par son ennemi Lambert, le 23 juin 843,
et fut tué dans l'action (1).
Toutefois Lambert ne s'était pas borné à se mettre au service
de Nominoé ; il n'avait pas, en outre, hésité à recourir, pour
satisfaire son ambition, à l'aide d'auxiliaires que son devoir était
de combattre, et à leur livrer en proie le pays dont il n'avait pu
jusqu'alors être le maître. A la suite de leur défaite d'IIer, les
Normands étaient restés huit ans sans revenir dans ces régions,
mais, à l'appel de Lambert, une flotte de 67 navires, commandés
par Bjœrn Côlo-de-fer, apparut au mois de juin sur les côtes de
(i) Chron. de Nantes, éd. Merlet, p. 8; Marcbegay, Chrun. des églises d'Anjou
p. 1^9, Saim-Seige.
RENOUL I 17
Bretagne. Elle s'arrêta quelques jours au bourg de Batz, puis,
franchissant l'embouchure de la Loire, elle remonta jusqu'à
Nantes où elle parvint le 24 juin. La ville était complëlement
dégarnie de troupes; la veille, le comte Rainaud avait succombé;
les émissaires de Lambert favorisèrent la surprise des Normands,
qui pénétrèrent dans la cité à l'heure 'où l'évoque Gohard célé-
brait la messe en l'honneur de la fête de saint Jean-Baptiste.
L'évêque fut tué à l'autel; la foule qui se pressait dans la cathé-
drale fut en partie massacrée ; la ville fut atrocement pillée et sur
beaucoup de points incendiée. Dès la nuit suivante, les pirates
remontèrent sur leurs navires et redescendirent le fleuve, pour
aller s'installer dans l'île d'Her, qui devenait leur quartier géné-
ral. Outre le butin considérable qu'ils avaient recueilli, ils em-
menaient avec eux la plupart des hommes marquants afin de les
rançonner; mais, quand il fut question de procéder au partage,
l'accord cessa de régner entre les vainqueurs ; des luttes éclatè-
rent et enfin, un beau jour, le parti le plus faible, sans s'attarder
plus longtemps, remonta sur ses navires et s'en fut, pendant que
la saison était encore favorable, ravager les côtes de l'Aquitaine
du Sud; profitant de ces dissensions, une partie des prisonniers
faits à Nantes put s'évader et rentra dans cette ville le 30 septem-
bre (1).
Au mois d'août, Charles le Chauve avait fait avec ses frères un
nouveau partage de la monarchie franque ; l'Aquitaine et les
pays du Midi étant maintenus dans son lot, il reprit sans tarder
sa lutte contre Pépin. Au printemps de 844, il se dirigea sur Tou-
louse, où le fils du comte Bernard, qu'il avait récemment fait met-
tre à mort, s'était dôclaré pour son adversaire ; mais le siège traîna
en longueur et Charles, voyant qu'il ne pouvait venir, avec ses
seules forces, à bout de la résistance de la ville, donna l'ordre à
l'archi-chapelain de son palais, l'évêque de Poitiers Ébroïn, de
venir le rejoindre avec de puissants renforts. Pépin, avec cette
rapidité de décision dont il fit preuve dans beaucoup de circon-
stances, se porta devant l'armée de secours et la surprit aux envi-
(t) La chronique d'Adëmar doane à cette troupe de Normands le nom de c Wefal-
diDji;!». Chron. <rAdémar, p. i33; Marcbegay, Chrori. des égl. d^ Anjou, p. i3o,
Saint-Serge; Chron, de Nantes, p. i5.
i8 LES COMTES DE POITOU
rons d'Angoulême, le 7 juin. Un grand nombre depersonnagea de
marque périrent dans l'aclion, beaucoup furent faits prisonniers,
et entre autres Ébroïn (i).
La défaite de ses auxiliaires contraignit le roi de France à lever
le siège de Toulouse, mais ce fut pour se retourner contre son
autre ennemi, Nominoé.Leducde Bretagne avait toujours pour
allié Lambert, qui, grâce à son odieuse trahison, était en possession
du comté de Nantes. Ce dernier, poursuivant ses avantages, avait
tourne ses armes contre le fils de son prédécesseur, Hervé, qui
avait à tout le moins pu conserver jusque-là le comté d'Herbauge;
avec l'aide de Bernard, le frère de l'ancien comte de Poitiers (2),
qui n'avait cessé de résider dans ce pays, Hervé lutta vaillam-
ment, mais leurs troupes furent défaites et tous deux succom-
bèrent dans un combat, en cette année 844 (3).
(i) Ann. de Saint-Bertin, p. 58; Pertz, Mon. Germ., SS., II, p. 364, Fulden-
sea annales.
(a) La chronique d'Adémar (p. i33) l'appelle Cornes Piclavinns, mais cette der-
nière qualification doit s'cnlendre en ce sens qu'il était orig-inaire du Poitou ou appar-
tenait à la famille des précédents comtes de ce pays, et nullement signifier qu'il tenait
alors le comté de Poitou, lequel était entre les mains de Renoul 1.
(3) Chron. d'Adémar, p. i33 ; De Certain, Les miracles de saint Benoit, p. 71.
La chronique de Nantes passe ces faits sous silence et tout au contraire rapporte qu'a-
près la mort de Hainaud, qu'elle qualifie de duc d'Aquitaine, Charles le Chauve
confia la défense du pays à un autre duc nommé Bégun. Celui-ci aurait aussitôt
essayé de reprendre les anciennes possessions de Uuinaud sur des fidèles de I^ambert
entre qui ce dernier les aurait paitagées, à savoir le pays d'IIerLauge, qu'il aurait
attribué à Gunfroy, son neveu, celui de Mauge donné à Uainier et celui de TifFauge
à Girard. Bégun aurait été tué au moment où, après une expédition fructueuse, il
repassait les gués du Blaison et inhumé à Saint-Georges do Monluigu (iJtirenam).
L'éditeur decettc chronique, M.MerIct, place ces faits dans les derniers mois de l'année
843{C/jrort. de Nantes, p. 24), par suite, peu après la mort de Hainaud. Ce récit
du chroniqueur nous parait suspect et doit rapporter des faits postérieurs ou conlrou-
vés. Nulle part ailleurs il n'est question des quatre personnages qui y jouent un râlo
si important : Jîégon, Gunfroy, Hainier et Girard; de plus, si on acceptait ces dires,
ni Hervé ni Rainon, désignés comme comtes d'Herbauge en 844 et en 85:i par des
auteurs dignes de foi, n'auraient pu posséder ce comté. Nous croyons, pour notre
part, à une erreur occasionnée par un récit légendaire, recueilli sur place par l'auteur
de la chronique. La désignation du Blaison, ruisseau de huit kilomètres de parcours,
est bien précise pour avoir été imaginée par lui ; or, tout nous porte & croire que c'est
sur les bords de ce petit cours d'eau qu'Hervé et Bernard ont perdu la vie. En effet,
si nous rapprochons ce texte de celui des annales de Saint-Berlin, on voit que celles-ci
disent qu'en 844 Lambert, ami des Bretons, surprit certains marquis de Charles le
Chauve au pont de la Maine (Meduanœ) et que ces derniers périrent dans l'affaire
{Ann.de 5ain/-i5er/i7i, p. 58). On a toujours considéré que ce nom de .IM/«a/ia
s'appliquait à la Mayenne et l'on a cru que les adversaires de Lambert étaient des
marquis commandant les marches de Bretagne et d'Anjou. Or, le Blaison est un
allluent de la Maine (Mei/nuna), rivière du Bas- Poitou, autrement dit, du pays d'Her-
bauge el, près du confluent des deux cours d'eau, à un peu plus d'un kilomètre
RENOUL
»9
Ne pouvant venir par les arnifis à bout de Pépin, qui trouvait
loujours de nouvelles ressources dans les populations du Midi,
Charles se résolut à Iraiter avec lui aux meilleures conditions
possibles. Il avail d'aljord essayé de le faire comparaître à la
diète de Tliionville, où les trois fils de Louis le Débonnaire au-
raient pu régler les questions pendantes entre eux, mais Pépin s'y
rel'usa ; le roi de France se décida alors à s'aboucher directement
avec lui et lui assigna en 8i5un rendez-vous sur les limites de la
France et de TAquilaine, dans Tabbaye de Fleury, autrement
Saint- Hcnoît-sur-Loire. Comme ni Tun ni l'autre des contractants
n'avait la ferme intention de remplir ses engagements, ils se mon-
trèrent assez faciles sur les conditions de l'accorda élablirenlre
eux. Pùfiin senribla le plus favorisé, car Charles le reconnaissait
comme roi d'Aquitaine, mais, en retour, il se plaçait dans la
vassalité de son oncle, lui prèlail serment de fidélité et renonçait
en sa faveur à toutes prétentions sur les comtés de Poitou, de
Sainlonge et d'Angoumois(l]. Par le fait de celle réserve, Charles
le Chauve témoignait une fois de plus de sa prédilection justifiée
pour les contrées où ii avait vécu enfant et où il comptait de nom-
breux lidèles, prêts à lui donner tout leur appui en cas de nouvelles
guerres faciles à prévoir. 11 tenait aussi à ne pas se priver d'une
source considérable de ses revenus.
En Poitou se trouvait alors le principal atelier monétaire du
royaume, atelier qui s'alimentait sur place par le produit de la
seule mine d'argent qui fût peut-être ouverte en France. Les rois
mérovingiens et sans doute les Gallo-Komains avaient exploité les
(lions de plomb qui se rencontraient sur le territoire de Melle î
l'un de l'autre, udc ancieDoe voie traversait la Maine aur uo pont et le Blaison
à gué (jUDDd il avait de l'eau, car pendant l'été il est k sec. L'affaire où ont péri
les deux comtes peut donc infiiffcreniment porter le nom de la Moine ou du Ulaison,
mais le récit de.s annales de Saint-Berlin appartient h l'hintuire tandis que, dans la
chronique de Nantes, ce n'est qu'une légende.
(i) Ann. de Suint-Bertiii, p. 62. Rcginon, dans sa chronique [V^cr\z, Mon, Germ . ,
5.9. |I, p. 578), donne n Renoul, au niomcntde sa mort, Li qualité de duc d'Aquitaine,
dux Affuitamœ . Doni Vaissclc et les auteurs de Y Art de vérijîer les Ja/ei, partant
de ce dire, ont prétendu qu'un des effets du traité de Fleury-Hur-Loire avait été de
partager r.Xquitainc en deux duchés, celui de Toulouse et celui de Poitiers; M. Mabille
(Le royaume d'Aquitaine, p. /|2) déclare que rette opinion est erronée et que Renoul
n'a jamais exercé aucune autorité sur les cités de Saintes et d'An^ulême, qui avaient
pareillemeut, à cette époque, chacune uo comte à leur tète.
*o
LES «OJMTES DE POITOU
toutefois il ne semble pas que l'argent conlonu dans ce minerai
en ail été extrait avaiil Cliurlemagne. Les procédés nécessaires
pour arriver à ce résullal furent mis en œuvre par des ouvriers
habiles, amenés par l'empereur de l'ilalie oïl les Iradilions de
la science romaine avaient le mieux survécu (i).
Les pièces de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve
frappées à Melle porlaienl à leur revers le nom de leur lieu de
fabricalion, Metali.vm, nom qui devinl rupidi-ment célèbre, car,
par l'effet d*un jeu de mot bien naturel, il emportait avec lui une
signification précise, celle d'être la ville du métal, la ville de
Targent (2).
Pépin, qui, dans l'adversité, témoignait de qualités çuerrièrea
exceptionnelles, se montrait dans la prosprrilé d'une indolence
extrèmeel, livré aux plaisirs, négligeait complètement les alfaires
publiques. Il tenait du reste assez pende compte de la convention
passée avec Charles; il venait fréquemmenl jouir en IViitou don
agréments de la chasse et au mois de mars 8i8, se trouvant non
loin de Saint-Maixenl, il ne trouva rien mieux que d'aller passer
les fêtes de Pâques dans ce monastère où il fut traité en roi ;
aussi en retour confirma-t-il les immunités de rélahlissemeat (3).
Pour le commun de ses anciens sujets il était toujours le roi
légal; il circulait des pièces de monnaies frappées h Poitiers et à
Melle au nom de Pépin, roi des Aquitains, et les populations ne
voyaieut pas encore très bien ci>mmenl il pouvait avoir cessé
d'être leur chef. Elles restaient dans le doule et leur irrésolution
a été on ne peut mieux établie par un scribe de l'abbaye de Noaillé
qui, ayant h dater une charte du mois de décembre 848, s'expri-
mait ainsi: « Fait l'an neuf« après ta mort de l'empereur Louis n .De
Charles le Chauve et de Pépin, il n'est pas question (4). Charles,
de son côté, usait de la suprémaliequi lui avait été reconnue pour
agir en roi dans les états de son neveu. C'est ainsi que de Poitiers,
|i) Lecoinirc-Duponi, Essai snr les monnaies frapfièes en Poitou, pp. ïy^ et fi6 ;
A. HichanJ, Ohservaltont sur les mines iVanjent el l'alelier monélaire de Melle.
(2) Les textes primitifs delà chrooique de Saiot-Dcrlin donnentn celle locfllilè laalôl
le nom de MetuUtimy lanlût ccfui de Metollttm; ccuc dernière forme csl cell*; que l'on
rcDContre sur les bt:au.x deniers de Louis le Débonnaire el de Charles le Chauve.
(3) A. Richard, Chartes de Snint-Maijceid, I, (>. 8.
(4) « Dalfl iu anno viin in nieuse decèbr. poat obiluni doaiui Hiiidowici impr. »
Archive» de la Vienne, origin., NoailJè, no 6.
RENOUL I il
OÙ il résidait le 1^ mars 848, il s'était rendu à Limoges oti, dans
le courant du mois, il tint un plaid solennel durant lequelles cha-
noines de Saint-Martial obtinrent de lui l'autorisation de prendre
l'habit monacal (1).
D'autre part les Normands ne restaient pas inactifs et leurs
attaques soudaines ne cessaient d'entretenir la terreur dans le
pays. Cette môme année 848 une de leurs bandes remonta la
Sèvre Niortaise aussi loin que la rivière put porter leurs bateaux,
se lança à travers les terres sur Melle, dont le renom devait
hanter depuis longtemps leur imagination de pillards, et détruisit
son atelier (2). Le succès les enhardit et ils revinrent en 852 ;
le comle de Poitiers et Rainon, le nouveau comte d'Herbauge,qui
n'avaient pu empêcher leur débarquement, se mirent à leur pour-
suite et les atteignirent le 4 novembre au moment où ils arrivaient
à Brillac, lieu de stationnement de leurs bateaux. La lutte fut
très vive, mais il est à croire qu'elle resta indécise, les chroni-
queurs qui ont rapporté ce fait variant sur son issue (3). Ce qui in-
cite à penser que le combat de Brillac n'avait pas été trop défa-
vorable aux gens du Nord, c'est qu'au mois de mai 853 ils brû-
lèrent LuQon (4) et qu'en 855 ils tentèrent une nouvelle expédi-
tion qui les éloignait encore plus que la pointe sur Melle de
leur lieu de débarquement. Une marche rapide les ameua à Poi-
tiers qu'ils comptaient enlever par surprise, mais ils se heurtèrent
à une résistance inattendue ; ils y rencontrèrent Charles, fils de
Charles le Chauve, qui venait de se faire sacrer roi d'Aquitaine
à Limoges ; l'armée du prince arrêta les pirates à un mille de la
ville et leur infligea une défaite complète ; trois cents seulement
échappèrent au désastre (5).
Malheureusement pour eux la situation était pour le moment
changée en Aquitaine. La lutte entre Pépin et Charles le Chauve
avait recommencé promptement^ ainsi qu'il fallait s'y attendre,
(i) Chron. éCAdémar, p. 34.
(a) Ann. de Saint-Bertin,^. 68.
(3) Chron. d'Adémar, p. i35 ; Pertz, Mon. Germ., SS., II, p. a53, Cbron. Aquit.;
Chronicon Engolismense, éd. Castaigne, p. 6. La villa Briliacas doit être ideotifiép
soit avec Brillac sur la Vendée, soit avec le port de Breuillac sur la Sèvre,
(4) Perlz, Mon. Germ., SS., II, p. 253, Cbron. Aquit.
(5) Ann, de Saint-Bertin, p. 88.
u LES œMTES DE POITOU
dès 849 (1), et s'était continuée pendant quelques années avec des
péripéties diverses jusqu'au jour où l'épin, arrêté par son allié
le duc de Gascogne, Sanche, qu'il avait gravement ofîensé, fut
par lui livré au roi de France, en septembre 852, et renfermé
dans Tabbaye de Saint-Médard de Soissons (2).
Pendant les années qui précédèrent on constate fréquemment
la présence de Charles en Poitou, où il hivernait même généra-
lement pendant qu'il soutenait contre les Bretons une lutte qui
se termina à l'avantage de ces derniers. En 851, Erispoé, fils de
Nominoé, était venu à Angers où il avait reconnu la suzeraineté
du roi de France, mais en retour il s'était fait attribuer les pays
de Rennes, de Nantes et de Raiz, avec le droit de porter des in-
signes royaux. L'abandon du pays de Raiz est le premier dé-
membrement que le Poitou ait eu à subir.
Devenu maître de l'Aquitaine toute entière, Charles le Chauve
se montra très dur dans la répression, aussi les partisansde Pépin
aux abois se tournèrent-ils vers le roi de Bavière et lui demandè-
rent-ils pour roi son fils Louis. Celui-ci arriva de Germanie avec
des troupes qui se comportèrent plutôt en conquérantes qu'en
alliées. Charles le Chauve profita du peu de sympathie que ren-
contrait son neveu, pour obtenir du roi de Bavière qu'il rappelât
son fils, mais au même moment, en 85 i, Pépin s'échappait de sa
prison et retrouvait ses anciens partisans (3). Pour parer à cette
nouvelle difficulté et donner, au moins en apparence, satisfaction
aux sentiments d'indépendance des Aquitains qui, depuis qu'il
était devenu roi de France, semblaient n'être plus que des sujets de
ce royaume, il renonça au titre de roi d'Aquitaine, qu'il n'avait
cessé de porter jusqu'à ce jour et, dans une .diète spéciale, tenue
à Limoges au milieu d'octobre 855, il fit élire roi son fils Charles;
en outre, il reconstitua en sa faveur l'ancien royaume d'Aqui-
(i) Pertz, Mon, Germ., SS., II, p. 190, Annales Lobicases.
(2) Pertz,^o/i. Ge/'m.,55.,II,p. 253, Cbron. Aquit. ; Ann. de Sainl-nert(n,p. 79.
D'après un diplôme, dunt raulhenticiié est aujourd'hui contestée, Charles IcCliauvesc
serait trouvé, le 8 juin 849, au Vieux -Poitiers, où il aurait donné à l'abbaye de Sainl-
FIorent-le>Vieil les privilèges excessifs qui faisaient une sorte de petit diocèse du
territoire soumis à ce monastère. (Voy. Port, Dictionnaire de hfaine -et- Loire, Saint-
Florent-le-Vieïl, III, p. 366; Giry, Elude critique de quelques docuincnls anjevins
de l'époque carolingienne, dans Mém. de l'Acad. dex Inicript. el lielles-Lettres ^
XXXVI, a« part., pp. 232-243.
(3) Ann. de Saint-Berlin, pp. 84 et 85.
rtENOUL I
a3
laîno en lui rendanl les comlt's de Poiliers, d'AngoiilêiiK? el de
Saintes, qu'il en avait jadis détachés (I). C'fst en revenant de
Limoges, où il avait élé sacré roi, que le jeune prince, passant à
Poiliers, se trouva au moment propice pour infiltrer aux Nor-
mands la dure leçon à laquelle ils étaient loin de s'attendre.
Ceppndanl l'armée de Charles n'agissait pas autrement que cello
de Louis de Bavière : « Elle marquait son séjour par les dévas-
talions, les incendies, l'enlèvement de captifs; les églises, les
autels sacrés n'étaient même pas h l'abri de la cupidité el de l'au-
dace de celle tourbe (2). » Les années qui suivirent furent le
comhie du désarroi, les Aquitains se montrant dans toute leur
inconstance, appelant ou rejetant suivant leur fantaisie Charles
on l'épin, en unmotjComméledit énergiquement le chroniqueur,
les méprisant tour à lour(3). Des luttes intestines locales se pro-
duisirent en outre pendant ces temps si troublés et il est à croire
que c'est h l'occasion de Tune d'elles que, le 18 avi'il 858, Ébroïn,
l'évoque de Poitiers, fut lue dans sa ville épiscopale (i). L'année
précédente, celle-ci avait été dévastée par les pirates danois qui,
associés avec Pépin, avaient ravagé beaucoup de lieux en Aqui-
taine, lin 858, le jeune Charles el Pépin s'étant réconciliés, sans
doule par crainte de Louis le Germanique, furent au mois de
juillet trouver Cbarles le Chauve qui se tenait dans l'Ile d'Oissel,
à Tembouchure de la Seine ; le roi fil uno sorte de partage entre
son fils et son neveu et donna à ce dernier des comtés el des mo-
nastères en Aquitaine, mais ce don éventuel ne fut pas lenu, car,
en 859, Pépin, abandonné par les Aquitains, se relira auprès du
comte d'Anjou et des Bretons hostiles au roi de Prancc. Ce fut
pour pou de temps. Hobert le Fort et Salomon ayant successive-
ment fait leur paix avec Charles^ l'ex-roi d'Aquitaine rentra dans
(0 Ann.fie. Satnl- Berlin, p. 87; Perlz, Mon, Germ., SS., Il, p. aSi. Aonalea
Leraoviceoaes. Adémar do Chabannes(p. i36) dit à tort que c'esl Charles le Chauve
qui fut sacré roi à Limuges ea Hbît: ce fait se rapporte à son His nommé aussi Cbarles.
(j) Ann. de Suint-Bfitin, p. 8^.
(3).'l/m. de Saint-Berlin,^. 88.
(4) L'iascriplion tuinuloirc du puissant prclal, qui clait en rtityme lemps alibc de
Saiot-liiliiire de l'oiliers et de Saiot-Gerniain de Paris, dit expresscnienl 'qu'il! fui
victime des babilaols de Poiliers :
Triste vix unqiiam polerit dciKniope crimïn
Piftavic mngni prcsutis iotrntii.
(Moachci, l,e$ Annales d' Aqtiilaine,Vo\\\ers,\î)0'j , fol. 59 v»; ï\t&\y,Fve.iiiit(sde Poic-
^>rjr,pp.9l elss.La date de 858 est fournie par le continuateur d'AJmoiu i;l.v,cliap. 30),
a4 LES COMTES DE POITOU
ce pays pour y fomenter une guerre de partisans. Il alla même
plus loin : prenant exemple sur ce qu'avait fait Lambert de Nantes,
vingt ans auparavant, il s'adressa à des bandes normandes que le
duc de Bretagne avait prises pour auxiliaires et qui se trouvaient
alors sans emploi ; à leur tête ils'allaqua aux pays soumis à Charles,
et particulièrement au Poitou, où il n'avait jamais pu faire une
installation durable (1).
Au commencement d'octobre 863, les Normands se trouvaient
dans l'Angoumois. Le comte Turpion, qui voulut les arrêter, fut
blessé dans un sanglant combat le 4 de ce mois et mourut peu
après; il ne laissait pas d'enfants et son comté passa à son frère
Emenon^ l'ancien comte de Poitou dépossédé par Louis le Débon-
naire (2). Il importe d'insister sur ce fait qui témoigne que l'idée
de la perpétuité des charges et par suite de leur hérédité au sein
de quelques grandes familles entrait tout à fait dans les mœurs ;
les cas en deviendront par la suite de plus en plus fréquents.
De l'Angoumois, une petite armée se porta sur Poitiers ; les
faubourgs de la ville furent brûlés, les églises de Saint-Hilaire et
de Sainte-Radegonde furent réduites en cendres. Les défenseurs
de la cité, craignant de ne pouvoir longtemps résister, offrirent
de se racheter, ce qui fut accepté. Les Normands s'éloignèrent
pour continuer ailleurs leurs ravages et poussèrent même jus-
qu'en Auvergne où ils tuèrent le comte Etienne (3).
Les pirates avaient trouvé tant de facilité pourleurs expéditions
les années précédentes que leur retour ne pouvait se faire atten"
dre. En effet, ils reparurent en Poitou en 865. Ils venaient de rava-
ger lesbords de la Loire jusqu'à Orléans; prenant la voie de terre,
ils marchèrent sur Poitiers, surprirent la ville et l'incendièrent.
C'était alors la cité la plus opulente de l'Aquitaine (4) que ni
ses épais murs romains, ni les profonds fossés de son enceinte
ne purent sauver du désastre (5). Ce fut le dernier coup. Le pays
(i) Ann. de Saint-Berlin, pp. 90, gS, 99, 128,
{2)Chron. d'Adémar^ p. i36; Chron. Engolismense, p. 6.
(3) Ann. de Saint-Bertin, p. 127; Marcbegay, Chron, des éffl. d'Anjou, p. 867,
Saint-Màixent.
(4) Ann. de Saint-Berlin, p. 149; Pertz, Mon. Germ., SS., 1, 534, Chron. Normaan.
(5) « Pictavîs fœcuadissima quondam urbs Aquitaniie » (De Certain, Afiracles de
saint Benoit, p. 78); « Piclavis popalosa civilas » (Ermeatarius, Acta sanct, ord,
S. Bened., IV, p. 548).
RENOUL I 25
était totalement dévasté ; toutes les abbayes étaient en ruines ;
une seule subsistait, Saint-Savin, qui servait alors de refuge aux
religieux de plusieurs monastères, échappés de leurs demeures
avec les restes de leurs saints patrons et qui attendaient, sous
la protection de solides fortifîcations, le moment propice pour
se diriger vers des lieux où ils pourraient vivre en sécurité (1).
Pépin guidait dès lors les pirates normands et c'est assuré-
ment dans sa présence et dans celle des Aquitains qui suivaient
encore sa destinée, qu'ils trouvèrent la confiance nécessaire pour
se hasarder aussi loin de leurs navires, leurs vraies bases d'opé-
ration .
Le confite Renoul, voyant que par la force il ne pouvait venir
à bout d'un ennemi si persévérant^ eut recours à la ruse. Il pro-
posa à Pépin une entrevue ; celui-ci s'y étant rendu insuffisam-
ment accompagné, le comte s'empara de sa personne et s'em-
pressa de le remettre entre les mains do Charles le Chauve. Le
malheureux prince, amené au plaid de Pislres, qui se tint le
1" juillet 864, fut tonsuré et enfermé dans l'abbaye de SenUs, d'où
il ne devait plus sortir. Sa mort, arrivée le 29 septembre 866, dé-
livra bientôt le roi de France de son implacable adversaire (2).
Lors de la prise de Poitiers, Renoul ne se trouvait pas dans
celte ville. Les incursions des Normands étaient si soudaines que
lorsque les comtes, n'ayant pas de-milice permanente à leur dis-
position, avaient fini de rassembler leurs troupes pour aller à la
rencontre des envahisseurs, ceux-ci avaient déjà disparu. Le comte
de Poitiers ne redoutait pas de lutter contre eux, aussi, l'année
suivante, accueillit-il avec empressement la demande que lui
adressa Robert le Fort, comte d'Anjou et de Touraino, d'unir leurs
forces contre les pirates qui avaient formé le projet de ravager
à nouveau la région de la Loire.
Les deux corales étaient liés d'amitié. Deux ans auparavant ils
avaient échappé ensemble à un danger commun. Bernard, fils de
Dodane, comte d'Auvergne, avait assisté comme eux à la diète de
(i) Marchcgay, C/irort. des égl. d'Anjou, p. SyiiSaint-Maixent.
(2) Ann. de Saint- Berlin, p. iSy ; Perlz, Afon. Germ., SS., II, p. 82^, Chron.
Adonis coatiaualio ; Biluze, Capitularia, II, col. 8ao, Coosilium Iliacmari archU
ppiscopi de pqenitentia Pippini junioris.
36 LES COMTES DE POITOU
Pistres, ot bien qu'il eiM été récemment, de la part de Charles le
Chauve, l'objet de grandes faveurs, il ne songeait qu'à tirer ven-
geance de la mort de son père et de son frère, jadis ordonnées par
le roi; son but était, selon les uns, de tuer Charles, selon les
autres, de massacrer Hobert et Renouljes principaux conseillers
du prince et ennemis de sa famille. 11 s'était embusqué dans
une forêt sur leur passage, mais le roi, averti à temps, envoya
des troupes pour s'emparer du traître ef c'est seulement par
une fuite rapide que Bernard échappa à la peine qu'il avait en-
courue (1).
La troupe de Normands que les deux comtes avaient en vue
d'atteindre était peu nombreuse ; elle ne comptait que quatre cents
hommes, mais tous cavaliers, et elle avait à sa tôle Hastings, le
plus redoutable de leurs chefs. Il avait pénétré en Anjou, envahi
et pillé le Maine; il revenait en suivant les bords de la Sarthe,
quand il apprit que la retraite lui était coupée; incapable de résis-
ter en rase campagne à l'armée des confédérés, il s'enferma dans
l'église de Brissarthe qui, construite en pierre, faisait pour lui
l'office d'une véritable forteresse. La famine l'aurait sûrement
contraint de se rendre, une imprudence de Robert le sauva. Sur
le soir, les Normands ayant tenté une sortie, le comte d* Anjou
se laissa entraîner à les poursuivre, sans armes défensives, jus-
qu'au seuil de l'édifice qui leur servait d'asile. Il y fut tué et même
ils s'emparèrent de son corps. Kenoul,qui assistait de loin à l'af^
faire, fut presque au même instant frappé d'une flèche partie
d'une des fenêtres de l'église (2 juillet 866). Ces catastrophes suc-
cessives jetèrent un grand trouble dans les rangs des assiégeants
qui se retirèrent aussitôt; de leur côté, les Normands, se voyant
délivrés, se dirigèrent en loule hâle vers leurs bateaux ; Renoiil
succomba à sa blessure trois jours après (2).
En récompense des grands services qu'il avait rendus au roi
de France, spécialement en lui livrant Pépin, le comte de Poitou
s'était fait concéder de nombreux bénéfices cl particulièrement
(i) Ann.de Sainl-Bertin, p. i38,
(2) Ann. de Saint-Berlin, p. iSg; Periz, Mon. Germ., SS., I, p. 678, Reg^no-
pia chroD.
RENOUL 37
l'abbaye de Saint-Hilaire de Poitiers (1). Lorsqu'il succomba ^
Brissarihe, il était donc, comme disent les chroniqueurs, pourvu
de richesses et d'honneurs ; tel était pareillement le cas de
Robert ; aussi certains esprits, mus par des considérations parti-
culières, s'obstinèrent-ils à voir dans la mort si dramatique des
deux comtes un jugement de Dieu qui les punissait de s'être
approprié des biens d'église (2).
Renoul avait en outre accru sa puissance territoriale en ralta-
chantau Poitou le comté d'Herbauge qui en était distrait depuis
vingt-cinq ans environ. Après le combat de 852, le comte d'Her-
bauge, Rainon, qui devait avoir certains liens de parenté avec son
prédécesseur Hervé, mais qui était sûrement parent de Renoul,
disparaît de la scène politique ; son comté passa au comte de
Poitou, qui lui succéda en vertu de ce droit héréditaire à la pos-
session des bénéfices dont on a vu précédemment l'application
en Angoumois (3). Toutefois, il ne semble pas que le pays de
Raiz, que les Bretons avaient certainement occupé et que Charles
le Chauve leur avait abandonné par le traité d'Angers, ait fait
en même temps retour au Poitou dont il cessa désormais de faire
partie.
Renoul avait épousé vers 845 une fille de Rorgon, comte du
Maine (4). On peut croire que l'évêque de Poitiers, Ébroïn, qui
partageait avec Renoul la confiance du roi de France, ne fut pas
(i) M. Mabille a aUribué aussi à Renoul la possession de l'abbaye de Saint-Sau-
veur de Charroux et rapporte qu'après sa mort elle passa à Frolier, archevêque de
Bordeaux. Ma'çrc nos recherches nous n'avons pu découvrir le texte dans lequel cet
crudit a pris celle information, mais comme nous le savons très bien renseigné nous
croyons devoir citer son dire, bien qu'il ne nous ait pas élé possible de le contrôler ,
(2) Ann. de Saint-Berlin, p. iSg. Renoul dut être pourvu de Saint llilaire après
la mort de révé<|ue Ëbroîn, en HôS.En Ions cas, il en était possesseur en SOa.Le g mai
de cette année, Charles le Chauve confirma par un diplôme un échangede domaines
situés dans la vigueric de Civaux, passé entre Renoul, qualifié d'honmic illustre et
vénérable, « vir venerabilis RaninulFus comes, illuster cornes Ramnulfus » agissant
en qualité d'abbé de Saint-Hilaire, et Garnier, prêtre de l'église cathédrale de Poitiers
(Rédet, Doc. pour Sainl-IFilnire, I, p. g).
(3) Adémar, dans sa chronique (p. i3j), présente Rainon comme le cousin de
Renoul « coosanguincus suus » ; la chronique d'Aquitaine (Periz, Mon. Gerin.,
SS , II, 253) le désigne seulement comme son parent « propinquus ejus ». On ne sait
par suite de quelles circonstances il avait succédé à Hervé, ce dernier étant l'aîné de
plusieurs frères qui auraient dû posséder après lui le comté d'Herbauge (De Certain,
,\fir(icles de saint Benoit, p. 71 j.
(/|) Celle alliance ne peut guère être présentée que sous uqe forme dubitative. Elle
a pour elle un texte d'Abbon (Hec. des hist, de France, Vlll, p. 5, vers 68), où i|
28 LES COMTES DE POITOU
étranger à ce mariage; parent du comte du Maine, dont un des
fils, Gozlin, vint recevoir à Poitiers, en 845, l'ordre de prêtrise,
il devait avoir le désir naturel de resserrer les liens qu'avait fait
naître entre lui et le comte de Poitou la mission dont ils étaient
chargés (1). De celte union étaient issus trois fils : Renoul II, qui
fut comte de Poitou après son père, Gauzbert et Eble.
V— RENOUL n
(866-8go)
Au moment de la mort de Renoul 1 ses enfants étaient encore
jeunes, aussi Charles le Chauve, appliquant à leur égard les erre-
ments de sa politique habituelle, s'orapressa-t-il de mettre la main
sur les bénéfices dont jouissait leur père et d'en disposer en faveur
d'autres fidèles qui attendaient impatiemment que leur tour arri-
vât d'avoir part aux largesses royales. Dans cette distribution de
« bienfaits », le Poitou fui toutefois excepté et mis en quelque
sorte sous séquestre, soit que le prince s'en soil réservé les reve-
nus, soit qu'il les ait affectés k l'entretien du nouveau roi qu'il
venait de donner à l'Aquitaine.
Charles, le fils aîné du roi de France, qui portait cette qualifi-
cation royale lors de la mort de Hcnoul, ayant succombé peu
après à Buzançais, le 29 septembre 806, fui promptement rem-
placé, car il entrait dans les conceptions administratives de
Charles le Chauve d'avoir un roi à la tôle de l'Aquitaine, ne fût-
ce qu'à litre nominal. Dans ce but, il donna rendez-vous aux
est dit qu'EbIc, abbé de Saint-Denis, ctiiit le neveu de Gozlin, archevêque de Paris .
Or Gozlin était fils du comte du Maine et de sa seconde femme Bilechildc, dont les
enfants sont connus. La femme de RcnouI, dont le nom ne nous est pas parveau,
pourrait être une fille de Rotrudc, la première femme de Rorgon, à laquelle jusqu'a-
lors onn*a donné qu'un filsj I^ouis, abbé de Saint-Denis et chancelier de France, mort
en 867. (Voy. Appendice I, § 2).
(i) La parente de Rorgon et d'Ébroïo est formellement indiquée dans une charte
du i«rmars 83g du monastère de Glanfcuil, dont était abbé Gausbert, frère du comte
du Maine, et où ce dernier avait offert à Dieu son fils Gozlin (Marchegay, i4rcA.
d'Anjou,^. 379, cart. de Saint-Maur) .
RENOUL II ag
grands du royaume Aquitain sur les bords de la Loire, sans doute
à Pouilly, pour la mi-carême de Tannée 867 et là il leur présenta
son fils Louis pour régner sur eux; en outre, il constitua à ce
prince une cour, composée de familiers de son palais, wzmw^e-
riales^ lesquels devaient assurer dans tout le pays l'exécution de
ses volontés (1). C'est à ces agents que dut être confiée l'adminis-
tration du Poitou, dont les comtes ne sont mentionnés nulle part
pendant une période de douze années pour le moins. Il n'est pas
hors de propos à ce sujet de remarquer la similitude de la situa-
tion des enfants de Robert le Fort et de Renoul. Charles le Chauve
dépouilla les uns et les autres successivement de leurs domaines,
leur enlevant toute autorité sur ceux qu'il avait bien voulu leur
conserver ; par suite le silence se fait pendant toute la vie du roi
sur les comtés dont les héritiers des victimes de Brissarthe étaient
détenteurs et dont aucun acte ne nous révèle le sort, à savoir
sur ceux de Blois et de Nevers,qui faisaient partie de l'hérédité
de Robert, et sur celui de Poitou, patrimoine de Renoul (2;.
Les enfants de Renoul furent placés à la cour du roi d'Aqui-
taine où ils devaient être retenus dans une demi-captivité, ana-
logue à celle que Louis le Débonnaire avait voulu appliquer en
839 à son petit-fils, Pépin II, qu'il disait vouloir élever près de
Iui,«adnutriendum », écrit le chroniqueur (3); là ils partageaient
le sort de fils de personnages d'un rang élevé qui remplissaient
diverses fonctions dans le palais du roi. Parmi ces derniers se
trouvait Gailon, fils d'un comte du même nom, alors décédé. Du
consentement de sa mère Ililtrude, ce jeune homme entra dans
la communauté des moines de Saint-Filbert et leur fit don de
nombreux domaines en Poitou, particulièrement du monastère
de Saint-Fraigne, où les religieux, qui n'avaient pas alors de rési-
dence stable, auraient pu s'installer définitivement si la crainte
des Normands n'avait pas mis obstacle à ces projets. L'acte
consacrant la donation de Gailon fut dressé le 25 août 868 et il
le fit signer par ses compagnons, qualifiés, grâce à leur haute si-
(i) Atm. de Saint-Bertin, pp. iSg et i65.
(a) Voy. PerU, Mon. Germ., I, p. 678, Reginonis chron., an. 867; Favre, Eudes,
comte de Paris, pp. 6, 12, i3.
(3) Chron. d^Adémar, p. iSa, add.
3o LES COMTES DE POITOU
tuation, d'hommes vénérables, « viri vencrabiles » ; Ténumération
de ces témoins comprend quatre comtes : Hcnoul, Josbert, Hildrad
et Hainaud et un certain nombre de particuliers parmipesquels,
au premier rang, on en relève un du nom d'B'.ble. Les comtes
Renaud et Josbert et peut-être Eble sont assurément les enfants
de Henoul, attachés comme Gailon, qui bien que (ils de comte ne
portait pas ce titre, à la cour du roi d'Aquitaine (i).
La présence de ces jeunes gens auprès du roi explique com-
ment, à défaut d'autre cause. ils ne pouvaient participera l'admi-
nistration du comté de Poitou non plus qu'à sa défense, quand sa
sécurité était menacée. C'est ainsi qu'à la fin de celte année
868, les Normands ayant de nouveau pénétré en Poitou, les habi-
tants du pays les attaquèrent, en tuèrent un grand nombre et
mirent le reste en fuite; les vainqueurs firent à celte occasion don
à saint Hilaire, sous la protection de qui ils s'étaient placés, de
la dîme du butin dont ils s'étaient emparés (2).
Parmi les honneurs possédés par Renoul I et dont ses enfants
furent dépouillés, il s'en trouvait un dont on connaît parfaitement
le sort, c'est l'abbaye de Saint-Hilaire. Charles le Chauve en fit
cadeau à Acfred, ancien comte de Toulouse, qui lui avait prêté
un puissant concours dans sa lutte contre Pépin. Mais Acfred
était ambitieux; il obtint encore du roi le comté de Bourges, dont
était alors détenteur le comte Gérard, lequel ne voulut naturel-
lement pas se laisser dépouiller. Un lutte, promptement termi-
née, s'engagea entre les deux comtes; Acfred, ayant été presque
aussitôt le début des hostilités cerné par les hommes de Gérard,
s'enferma dans la ferté ou maison forte d'une villa où il s'était
retiré ; sur son refus d'en sortir, le feu fut mis à la maison ;
chassé par les flammes, le comte chercha à s'évader, mais il fut
saisi par ses ennemis qui lui tranchèrent la lôle et rejetèrent son
corps dans le brasier (3). C'est ainsi que, dans des actions sans
intérôl et restées pour la plupart du temps ignorées, périrent
tant d'hommes notables de cette époque que l'on voit tout à coup
(i) Maître, Cunauld, son prieuré et ses archives, p. 28.
(2) Ann. de Saint-Berlin, p. i83. L'omission du nom du chef des Poitenns, con-
trairement à l'habitude des chroniqueurs, indique clairement qu'ils n'avaient pas de
comte à leur tète, mais seulement des officiers d'un rang secondaire.
(3) Ann. de Saint-Berlin, p. 171.
RENOUL II 3i
disparaître sans laisser de traces ; leur cupidité, qui ne connais-
sait aucun frein, les entraînait souvent dans des entreprises insi-
gnifiantes où ils succombaient misérablement.
Pour venger la mort d'Acfred, arrivée au commencement de
l'année 868, Charles le Chauve ravagea le Berry, mais sans résul-
tais pratiques et en fîn décompte il se décida à rentrer en France.
Il se trouvait à Saint-Denis pour le début du carême (1), mais
pendant qu'il résidait sur les bords de la Loire, il avait eu le
temps de donner l'abbaye de Sainl-Hilaire, une seconde fois va-
vante en si peu de temps, à Frotier, archevêque de Bordeaux (2).
Ce n'est pas seulement du silence des textes au sujet des com-
tes du Poitou pendant une période de dix années que l'on peut
induire la main-mise de Charles le Chauve sur le comté, main-
mise qui rentrait parfaitement dans ses façons d'agir^ mais on
peut .encore tirer quelque enseignement de certains actes du
roi (3). C'est ainsi que le 18 mars 868 il restitua à l'église épisco-
pale do Paris la villa de Naintré sur le Clain, dont elle avait été
jadis dépouillée (4). Dans son diplôme il n'indique pas quels étaient
en ce moment les détenteurs du domaine de Naintré, mais on ne
saurait douter que c'étaient les comtes de Poitou aux droits de
qui Charles s'était suppléé et en vertu desquels il disposait régu-
lièrement de leurs bénéfices.
Quelque temps après, vers 872, on le voit régler, par l'inter-
médiaire de ses agents directs, lesmissi, les difficultés qu'avait
un monastère avec les hommes puissants qui l'avoisinaient. L'ab-
baye de Charroux se plaignait des empiétements qui étaient
commis sur ses biens; pour y mettre ordre^ le roi envoya un
(i) La fête de Pâqaes étant tombée le 18 avril co celle année 868, le carême com-
mença le 3 mars,
(a) Ann. de Saint- Berlin, p. 172.
(3) Besl; (Hist. des comtes, p. 21), après avoir constaté qu'en aucun livre qui
soit digne de fui il n'est fait mention des comtes de Poitou durant vinçt années (le
temps de celte obscurité ne dépasse pas réellement dix ou douze années), écrit que «par
avanture » Bernard d'Auvergne prit la tutelle des enfants de Renoul I, ses neveux.
Or, il est démontré que ce Bernard, confondu par Thistorien de nos comtes avec le
oeveude l'ancien comte de Poitou, Emenon, portant ce même nom de Bernard et dé-
signé communément sous l'appellation de Bernard fils de Bilcchildc, était le cousin
et non le frère de Renoul I cl qu'aucun texte ne permet de lui attribuer quelque in-
gérence dans les affaires du comté de Poitou (Voy. Appendice I).
(4) Baluze, Capital, reç/um Franc, II, append.,col. i485.
32 LES COMTES DE POITOU
comle de son palais, Emenon, assisté d'un subdélégué nommé
Hier, qui devaient juger les instances introduites par les moines
et empêcher les usurpations. Dans le même diplôme le roi dé-
clara que des avoués seraient chargés après le départ des missi
de défendre au nom de l'autorité royale les droits et les privilè-
ges de l'abbaye (1).
Enfin vers 875 il intervient directement dans les affaires de
l'abbaye de Sainte-Croix. Sa fille Rotrude avait pris le voile dans
ce monastère; or, l'abbesse étant venue à mourir, le choix de la
phipart des religieuses se porta sur la fille du roi, tandis que
quelques-unes se prononçaient en faveur de l'une d'entre elles,
Odile; le roi écrività Frotier, archevêque de Bordeaux, à Enge-
noul, évêque de Poitiers, et àl'évêque Erard, d'avoir à se rendre
dans l'abbaye, afin d'y présider à une élection régulière. L'arche-
vêque de Reims, Hincmar, adressa en même temps de sages
conseils aux religieuses. Le roi disait aux évêques que si toute
la communauté ou même seulement une partie, fût-ce même la
moindre, était d'accord pour choisir Rotrude, ils devraient l'ins-
taller en qualité d'abbesse ; si au contraire les religieuses por-
taient leur voix sur une autre, cello-ci prendrait la direction de
la maison jusqu'à ce que le roi eût statué sur le cas; enfin que si
Rotrude était élue, Odile retournerait dans le monastère d'où
elle était venue. Il est à croire que l'influence de la fille du roi
prévalut, car elle fut maintenue comme abbesse (2).
Ces quelques faits, auxquels on ne peut opposer de contre-par-
tie, paraissent bien fournir la preuve que jusqu'à sa mon Charles
le Chauve ne cessa de posséder le Poitou et de l'administrer
comme les autres dépendances du domaine royal proprement
dit. Il avait une politique centralisatrice et il s'efforça de l'appli-
quer le plus qu'il put, surtout en Aquitaine ; elle était en opposi-
tion avec les tendances indépendantes des grands seigneurs, aussi
quand il lui fallut recourir à eux fut-il fort embarrassé pour justi-
fier ses actes et les leur faire approuver. C'est pourquoi, à l'as-
semblée de Kiersy-sur-Oise de 877, où tant de questions avaient
(i)D. Fonteneau, rv, pp. 3i et 35.
(2) Mabillon, Annales ord. S. Benedicti,lU, p. 199; Pertz, Mon. Gerin.^ 1^.9., XIII,
p. "j48.
RENOUL II 33
élé posées par lui aux membres de la diète, ne fit-il qu'indiquer
qu'il y avait lieu de s'occuper de l'Aquitaine, sans proposer de
solution à intervenir (1).
Charles le Chauve mourut le 6 octobre 877 ; or, six mois étaient
à peine écoulés que l'on voit les enfants de Renoul I établis en
Poitou et y occuper la position k laquelle leur naissance aurait
dû, depuis longtemps, leur donner droit. Au mois d'avril 878 le
comte Josbert fait abandon à l'église de Saint-Hilaire de Poi-
tiers d'un mansc seigneurial situé près de Saintes, dans la villa
de Dorodonno, avec les serfs qui y demeuraient. Pour assurer
à cet acte toute sa valeur il y apposa sa signature et le fit
confirmer par les assistants ; en tôle de ceux-ci est le comte Re-
noul (2).
Uien qu'aucune qualification, selon le général usage de ce temps,
n'accompagne le nom des deux comtes, on peut dire que Renoul
signa l'acte en qualité de comte de Poitiers, titre qu'à partir de
cette époque lui donnent les historiens. Quant à Josbert, qui n'é-
tait pas plus que son frère un simple comte palatin, on peut se
demander s'il n'administrait pas spécialement la Sainlonge où,
depuis la mort du comte Landri, advenue eu 866, on ne signale
l'existence d'aucun comte, et qui, depuis ce jour, a constamment
suivi les destinées du Poitou.
L'avènement de Louis le Bègue marque donc un important
changement dans la destinée des enfants de Renoul I, dont la
situation, grâce à leur habileté, ne fit désormais que grandir ; ils
avaient su profiler des largesses que ce roi avait été contraint de
faire pour se recruter des partisans et réduire à néant les deux
(i) L'article 24 du capitulaire est ainsi codçu : De regno Aquitanico, et ces trois
mots, qui ont toute l'apparence d'un titre, ne sont suivis d'aucun texte. La situation
en Aquitaine était si tendue qu'au moment de partir pour Pexpédition dont il ne de-
vait pas revenir, le roi préféra laisser les choses en l'état plutôt que de risquer de
porter à son comble, par une solution hâtive, le mauvais vouloir de gens à qui il lui
bllait avoir en ce moment recours.
(3) Rédet, Doc. pour Saint-ffilaire, I, p. ii . Dans cet acte, le comte Josbert es
désigné par le mot latin Gauzbertus tandis que les annales de Saint- Vaast (p. 345)
l'appellent tantôt Gotbertas, tantôt Gozberlas; ces formes lalines ont été interprétées
généralement en français par celle de Gauzbert, mais la charte de Cunauld (Maître,
loc, cit., p. a8),en désignant le frère de Renoul sous le nom de Josbertus cornes, in-
dique que la lettre G, initiale du nom de Gauzbert, devait être prononcée dans une
tonalité adoucie qui donne Josbert eu français ; Besly {ffisl. des comtes, p. ao) l'ap-
pelle encore Gobert.
34
LES COMTES DE POITOU
parlis qui lui opposaient des concurrents au trône de France.
Du reste, on ne voit pas les lits de Roiioul I, préoccupés d'as-
surer leur auturilt^ dans leur comté, prendre pari aux mouve-
menls qui marquèrent le court règne de Louis le Bègue. Ce
prince paraît même ne s'être mêlé aux affaires du Poitou que
dans une seule circonstance, c'est pour reconnaître l'élection
d'une nouvelle ab!)esse de Sainlé-Croix, Ava, qui avait succédé
à Hoirude, et confirmer les immunités de ce monastère que la
présence des princesses de sang royal seml>lai( raUacher plus
inlimement à la couronne; le diplôme de Louis le Bègue est du
4 juillet H78(t).
La mort de ce prince, arrivée le 10 avril 879, ne nuisit en rien
au comte de Poitiers, et un esprit aussi avisé que le sien ne pou-
vait que tirer bon parti des difficultés qui se présentaient pour le
règlement de la succession à la couronne de France. Louis avait
contracté deux unions successives qui toutes deux se réclamaient
de la légalité. Vers 862, alors qu'il était en révolte contre son
père, il avait épousé Ansgarde, fille du comte llardouin; mais,
quand en SG7 Charles le Chauve pardonna à son fils et lui donna
le royaume d'Aquitaine, il y mil pour condition qu'il répudierait
Ansgarde et prendrait pour femme Adélaïde d'Angleterre; or, le
pape Jean VIll ne voulut jamais reconnaître la validité de ce se-
cond mariage, le premier n'ayant pas été dissous conformément
aux règles de l'Eglise. D' Ansgarde, Louis le Bègue avait eu deux
fils, Louis el Carlo.man,et il laissait /Vdélaïde enceinte; aussi, de
crainte d'un conflit qu'il prévoyait, au moment de sa mort, le
roi désigna-t-il pour son successeur son fds aîné Louis, el lui
envoya les ornements royaux. Mais un troisième parti se forma,
qui jugea qu'un enfant de quinze ans, tel qu'était Louis !II, n'é-
tait pas de laîlle à défendre le royaume contre ses ennemis inté-
ricurset extérieurs et appelaau trône Louis de Germanie. Devnnt
ce péril, les partisans du roi défunt se mirent d'accord, ils écar-
tèrent le nouveau compétiteur en lui abandonnant la Lorraine et
pour donner plus de force à la royauté légitime et faire disparaî-
tre tout ferment de discorde, ils décidèrent que les deux enfants
[i) GaH. Chrisl.f II» ioslr., col. 35S; D. Fuoleneau, V, p. Say.
RENOUL II 35
d'Ansgarde jouiraient à lilre égal de la royauté. Les jeunes prin-
ces furent sacrés par Anségisc, archevêque de Sens, au mois de
septembre 879 (i). L'aclion commune des deux jeunes rois se
porta donc sur toutes les parties du royaume et les Normands
ravageant en ce moment les contrées de la Loire, ils marchèrent
contre eux ; le 30 novembre ils les atteignirent sur les rives de la
Vienne, les taillèrent en pièces et beaucoup d'enlre eux en s'en-
fuyant périrent dans les eaux de la rivière (2).
Cette victoire délivrait pour quelque temps le Poitou de ces
éternels pillards et permettait à Henoul d'asseoir plus solidement
son autorité. On ne saurait dire auquel des deux jeunes rois il
s'était plus particulièrement attaché, mais le hasard le plaça
bientôt dans la dépendance immédiate de Carloman. En e(Tet, les
grands seigneurs trouvant sans doute des inconvénients personnels
dans cette possession ind ivise de la royauté partagèrent le royaume
entre les deux princes (3); l'Aquitaine tomba dans le lot de Car-
loman, dont la présence en Poitou n'a pas été constatée, mais
qui, dans ses déplacements fréquents^ apparaît plusieurs fois sur les
confins de ce pays, dont il fut à diverses reprises sollicité de s'oc-
cuper; ainsi, étant pour lors en Berry, on le voit délivrer le
5 juin 881 un diplôme en faveur des moines de Saint-Florent alors
chassés de leur monastère par les ^'ormands et dans lequel il est
dit « que leur pays, dont la vue était autrefois si belle, ne ressemble
<i plus qu'à une solitude; que ses anciens colons, aussi bien que
« les habitants des bords de la Loire qui ont été contraints d'aban-
« donner leurs demeures^ ont perdu tout espoir de retour sur
« cette terre, jadis si heureuse » (4). Le 14 juin 882, se trouvant
à Z,i/jciacw* en Anjou, il prend sous sa sauvegarde le monastère de
Beaulieu en Limousin (5), et enfm le 22 avril 884, étant au palais
de Ver, il confirme les immunités de l'abbaye de Sainte-Croix (6).
Non seulement Renoul s'empressa de reconnaître l'autorité du
(i) Ann. de Saint-Berlin, p. aSa.
(a) Ann. de Saint-Bertin, p. a83.
(3) ^nn. de Saint-Berlin, p. 284.
(4) Rec. des hist. de France, IX, p. 422.
(.î) Deloche, Cari, de Beaulieu, p. 20. C. Port, dans son Dictionnaire de Maine-
et-Loire, II, p. 5a3, propose d'identifier la localité de Lipciacus avec Lczc, commune
de Choazé, Indre-et-Loire.
(6) Besly, Rois de Guyenne, p. 4»; D. Fonteneau, V, p. 535,
36 LES COMTES DE POITOU
nouveau roi, mais encore il témoigna manifestement de ses sen-
timents en faisant frapper monnaie à son nom. Le monnayage du
Poitou, c'esl-à-dire l'atelier de Melle, se trouvait, en effet, en ce
moment entre les mains du comte; c'était un de ces bénéfices qu'il
avait su se faire octroyer, et non le moindre, en faisant appliquer à
son profil les usages qui prédominaientà la courdu roi de France
el qui marquent d'un cachet si particulier la fin du régime carlo-
vingien. Quelques années après, le roi Eudes disait encore dans le
préambule de l'un de ses diplômes : « Il appartient au roi et à sa
« toute puissance de favoriser ses fidèles et de les élever en dignités
K en leur donnant de grands biens; par ce moyen, ils sont plus
« portés à garder leur fidélité envers Dieu et envers le roi (1). »
Telle était en effet la règle. Charles le Chauve avait si bien
mis celte doctrine en pratique que les biens du domaine royal
étaient en beaucoup de lieux presque tous passés dans des mains
étrangères; ses successeurs continuèrent à agir de même, de
sorte qu'il arriva un jour où le roi, n'ayant plus suffisamment de
biens pour se consei'ver un revenu régulier ou pour faire des
largesses à ses fidèles, se trouva à la merci de ses grands vassaux
enrichis de ses dépouilles.
Pour s'assurer les services de Henoul II, Louis le Bègue ne .
manqua pas de lui donner quelques portions du fisc royal, et l'une
de ces grâces fut assurément l'abandon en faveur du comte de
Poitiers du monnayage royal établi à Melle. Cet acte dut suivre de
bien près l'élévation de Louis au trône, car il n'existe pas de
monnaies frappées à Melle au nom du roi Louis. On voit se con-
tinuer dans cet ateher le monnayage au type de Charles le Chauve
avec celte modification, toutefois, que les monnaies qui en
sortaient furent pourvues d'un signe caractéristique manifes-
tant aux yeux de tous qu'il n'était plus la propriété du roi, mais
qu'il était passé dans celle du comte (2). Ce signe est une petite
croix + qu' t^st intercalée dans la légende du revers des pièces au
nom du roi Carlonian et que l'on retrouve aussi sur celles posté-
rieures qui portent le nom de Charles.
(i) Rédel, Doc. pour Saint- ffilaire, p. i6.
(2) Voy. mes Observations sur les mines d'argent et l'atelier monétaire de Melle^
pp. 17 et ss.
RENOUL II
37
La reconnaissance du nouveau roi ainsi publiquement faite
avait d'autant plus de prix que Renoul Ha\l en quelque sorte le
dt^fenseur atlilrt'' des droits du fils d'Adélaïde d'Angleterre venu
au monde le Î7 septemiire 879, au moment même où ses deux
frères étaient mis conjointement en possession du royaume. Cet
enfant, nommé. Charles, et qui plus tard devint le roi Charles le
Simple, dut être confié dès son plus j<îune âge au comte de Poi-
tiers qui aurait été à la fois son défenseur et son geôlier (1). La
présence entre les mains de Renoul de ce jeune prince, avec ses
droits éventuels à la eouronne de France^ droits qui ne tardèrent
pas à devenir une réalité par la mort successive di» Louis I H et de
Carloman, en 882 et 884, ne put que grandir le rôle que le comte
de Poitiers se trouvait appelé à jouer. Après la mort de Carloman
des intrigues se nouèrent pour faire monter Charles sur le trône
cl Renoul n'y demeura vraisemblablement pas étranger, mais
elles échouèrent devanl les visées des Francs du Nord, parmi
lesquels il convient de citer l'oncle du comte de Poitiers. Gn/.liu,
qui, en 884, avait été pourvu de l'évêché de Paris, et son ancien
compagnon, Geilon (2), qui, devenu successivement abbé de Noir-
mootier, puis de Tournus» et enfin évoque de Langres, fut l'un
des premiers qui se rendirent auprès de Charles 111 dit le Gros,
empereur d'Allemagne, quand leschofs francs appelcreni celui-ci
à régner sur la France (3).
Renoul reconnut donc l'élection de Charles le Gros et pendant
toute la durée du règne de ce prince, dont Paulorité se fit si peu
sentir, il resta tranquille (4). Mais à la mort de l'empereur,
advenue h la fin de l'année 887, la question de la royauté s'élanl
présentée à nouveau, tout porte a croire que le comte de Poitit'rs
entrevit l'occasion déjouer un rôle actif et eut la velléité, sinon de
(i) Ann. deSai'nt'Vaast, pp. 3oi et 335.
(2) Celle orlho^mplip, qui psl cpIIc âcs hisloriena du lemps, témoigne que ].i leUrc
G, initiale du nom de (lailon, avait le son du J.
(3) Pour tous les faits lourhant 11 l'iiisioirc pcnérale de celle époque, nous ren-
ToyoDS à la remarquable élude de M. Edouard Fa^TC, Eudes, comte <le Paris.
(4) Ce fait est constate par deux chartes poitevines dont les indicnlions chronolo^i-
qucs sont ainsi con(;ues : Donoé au mois d'avril la seconde année du ri's:^p de Charles
empereur après la ninrt du roi Cartouian (Arch. de la Vieune, oritr-. N<»îiiliê, n° eo),
et : Donné au mois de septembre l'an second du rè^e de Charles empereur (Ar-
cbivea de la Vienne, oriç. , Noaillé, n' ti).
38 LES COMTES DE POITOU
se faire élire roi de France, du moins de restaurer à son profil
le tilre de roi d'Âquilaine (1). Il pouvait arguer que de sa part
ce n'était pas une usurpation, mais qu'il faisait tout simplement
valoir les droits qu'il tenait de sa mère, la petite-fille de Cliarle-
magne. Du reste, aussitôt après la déposition ou la mort de
Charles III, il témoigna publiquement de ses sentiments à l'égard
de la vacance du trône de France, en faisant frapper dans son
atelier de Mclle une monnaie sur laquelle le nom de la cité de
Poitiers remplace celui du roi. Il ne pouvait être question de
présenter aux chefs francs son pupille, le fils de Louis le Bègue,
pour prendre le pouvoir, le motif qui avait fait précédemment
écarter ce prince, sa jeunesse, subsistant toujours. Aussi dût- il,
sinon se prononcer pour l'un des deux grandspartis qui portaienldes
candidats au trône, du moins attendre que la majorité se fût dessinée
en faveur de l'un d'eux. Eudes, le fils de Robert le Fort, qui venait
de se signaler dans la défense de Paris contre les Normands et que
Charles avait fait duc des Francs, était mis en avant par un parti
puissanlquisongeaitavant tout à la sécurité du royaume; un autre,
qui reprochait à Eudes de s'être approprié, comme son père, des
biens ecclésiastiques, fixa son choix sur Guy de Spolète, le petit-fils
de Lambert, comte de Nantes, devenu un puissantprince italien, et
qui, croyant au triomphe de sa cause, vint en France et se fil même
sacrer roi à Langres par Geilon. Mais Eudes, non plus, ne per-
dait pas de temps ; il se fit couronner roi à Compiègne par l'ar-
chevêque de Sens, le 29 février 888, et Guy, sentant la lutte
insoutenable, se retira incontinent en Italie. Débarrassé de ce
côté, Eudes se retourna contre le roi de Germanie, Arnoul, que de
puissants adversaires lui opposaient, et reconnut sa suzeraineté
impériale. Cet acte de politique habile le laissa libre de s'occu-
per des affaires intérieures du royaume : il pacifia le nord de ses
états, et, enfin, mailrede ses actions, il se tourna vers l'Aquitaine.
Pendant que se passaient tous ces événements, c'est-à-dire pen-
dant l'année 888, Renoul était resté dans l'expectative ; sasitua-
(i) La chronique d'IIermana {Rec. des hist. de France, VllI, p. 247) cite parmi
les grands personnages qui usurpèrent le titre de roi en 888, Eudes, fils de Robert,
dans la Gaule jusqu'à la Loire, et Renoul, au delà, en Aquitaine; les annales de Fulde
disent aussi que Renoul se posa comme roi (Pertz, Mon. Germ., SS. I, p. 4u5).
RENOUL II
39
tion était grande et c'est ce qui ressort, de toute évidence, des
litres de conite et de duc de la plus grande partie de l'Aqui-
taine qui lui sont donnés par les chroniqueurs (1). Eudes avait
eu soin de se garantir, autant que possible, contre toute entreprise
hostile de sa pari en couvrant do bienfaits son propre frère Eble.
Dès sa prise de possession du pouvoir, ii lui avait donné l'impor-
tante charge de chancelier et il le tenait en même temps par
les importants bénéfices dont ii jouissail dans le nord du
royaume; en effet, Eble, déjà pourvu, en 881, de l'abbaye de
Sainl-Germain-des-Prés, que lui avait abandonnée son oncle
Gozlin, avait succédé à cehji-ci en 88G (2) dans la possession des
abbayes de Jumièges et de Saint-Denis, et c'est en celte dernière
qualité qu'à la tête de ses religieux il avait pris une part glorieuse
à la défense de Paris contre les Normands et que, parfois, il
suppléa le comte Eudes dans celle lutte périlleuse (3).
Celle confralernilé militaire, le propre soin de ses intérêts
assuraient au roi dr France la ndélité d'Eble el, pur suite, de-
vait-il l'espérer, celle de Renoul; aussi songea-t-il, quand le calme
fui rétabli dans le nord de ses états, h se faire reconnaître véri-
tablement roi par les Aquitains. Dans ce but, sans paraître se
soucier qu'en ce faisant il put courir quelque danger, il se
dirigea vers leur pays à la fin de l'année 888, accompagné seule-
ment d'une simple escorte. Il partit de l'abbaye de Saint-Vaasl
après les fêtes de Noél, mais il ne dut pas pénétrer bien loin en
Aquitaine; llenoul se porta au devant de lui avec ses principaux
adhérents et se lit particulièrement accompagner du jeune
Charles, dont la présence, dans ces circonstances spéciales, avait
bien sa signification ; il promit toutefois à Eudes qu'il ne cher-
(i) Afin, de Sainl-Vaast, p. 335; Mabille, La pancarte noire de Saint-Martin de
Tours, p. 1 tO.
(a) Gozlin mourut Je i6 avriJ 886.
(3) IjO rôle i|ue nous atlribuoas au frère de Renoul H est absoluiueiit eu désaccord
avec TopinioD de Mabille {Le royaume d'Ai/ailainc, p, i8), reprise postéricuremenl
par M. Kavre {Eudes, comfe de Paris, p. 33, note lo). Suivant ces érudils, il y
aurait lieu d'établir une dislioclion entre Eble, abbé de Suinl-Denis, et Eble, frère du
citnilc de Poilou, qui seraient deux personnages diffcrenis. Nuus faisons valoir par
ailleurs (Appendick I) les arguments tjui nous ont (jorté à accepter les dires de Rcgi-
non, admis comme e.\ac(s par les auteurs du Gallia Cltristiana, et remis en lumière
par M. Poupardirt dans sa k Note sur Ebles, abbé de Saint-Denis au letnps du roi
Eudes « {Bibl. de la Faculté des lettres de Paris, III, p. «j3).
4o
LES COMTES DE POITOU
cherait pas à se servir du jeune prince pour lui nuire et enfin il
lui prGla un serment de fid«^lilr'', peut-Mre un peu vague, mais
dont le roi du[ se contenter ; Eudes, niellant ensuite en avant
une nouvelle apparition des Normands, ne poussa pas plus loin
son voyage et rentra en France (1).
Celle rapide chevauchée n'avait mis le roi en rapport qu'avec
quelques chefs de l'Aquitaine ; maisc'i'^lail un premier pas dont il
ne voulut pas perdre les avantages et dès le mois de juin de
l'année 889 il était de retour à Orléans. Pendant le séjour qu'il fit
dans celte vilie, il chercha de nouveau à se concilier le comte do
Poitiers en lui accordant quoiqu'une de ces faveurs que celui-ci
semble avoir si fort prisées. L'aUbaye de Sainl-Martin de Tours
avait jadis reçu en don des rois de France l'alleu de Doussais en
Poitou (2), qui avait, à diverses reprises, élé usurpé par des parti-
culiers. Eudes contraignit le dernier délenlcur dece bien aie res-
tituer aux chanoines, mais en même leuips il leur imposal'obli-
gation de l'aliéner de nouveau en faveur de HenouLqui le recul
en précaire,ainsi quples alleusde Celliers et de Layré(3) dont ce-
lui-ci avait fait précédemment don au monaslcre ; grâce à celle
concession, le comte de Poitiers s'enrichissait d'un important
domaine el trouvait en même temps le moyen de revenir sur un
acte qu'il regrettait sansdoule (4J. Vers ce même temps, Frotier,
qui, de l'archevêché de Bordeaux, était passé à celui de Bourges,
vint à mourir, et Eudes, toujours préoccupé de s'attacher Henoul,
donna h son frère Eble la puissante abbaye de Saint-Hilaire{5)
(i) Ann. ilr Snint-Vans/, p. 335.
(a) On cor>n.îîl »n (rien<( mémvtni^^îen porlant ceUe léçende : DVFCIiVCO CV'RTE
SC[ MARTINI et le nom du mouétnire AVL1GISILVS, qui nllcsle que dps uno épo-
que reculée Doussni»» élait dans )» dépendance de Sainl-Marlin (A. Ilichard, A'ole
8111' denx monni^iies mérnuinfiif-nnrs, Poîljers, 1881).
(3) Rcnoul déclnre dans l'acle iju'il avait ncqnis le domaine de Cellier» d'an, de .<»e«
cousins porlani Ifl mèniR nom que lui ni l'on voit d-ins la reconnnisaancede la prèc-sire
obicnue par son fiU Kbie en 890 qu'il tenait Lsyrc d'.\llarJ, Ail'dnnlux^iW'i d'Kdon,
Ef/edo, Jeur parmi,
(4> Maliille, Ptirtntrfe noire, p. 68, n" xvii. el p. iiO.ni xcvu ; Bcsly, //ist. des
comtes, preuves, pp. iSo, 201 el 203; l'-ivre, K-ide.s, crjmte de Paria, pp. ijO et 127.
(j) Frolier mourut en SStj.poslérieuremenl au mois de juin {Gnllin fJÀri'ï/. jll.eol.
?3); d'après le diplùrne d'Euiles, du 3o dêecmhrr: de cette année, dool il viH <*lre parlé,
EMe, frérR de Henoul, étant abbé à celte date, il n'est pas possible, comme l'nnl fait
les auteurs du Gallin (II, col. 122JI, d'intercaler Ketioul entre Frotier et Eble; ils
ont mal inlfirprété un pîtssa^e de 3eslv {IJist. des comtes^ p. itj}, icfjuel se rapporte
êvHemment A Renoul I et non k Rennul II.
RENOUL II 4i
que possédait le prélat défunt ; peu après, le 30 décembre, de
Chartres, où il se trouvait alors, il confirma un portage des
terres de l'abbaye fait entre Eble et ses chanoines (1).
Tous ces actes témoignent du désir d'Eudes de vivre en bonne
intelligence avec le comte de Poitiers, mais ses contemporains
n'en jugeaient pas tous ainsi, et celle phrase d'un chroniqueur à
propos de Renoul laisse fort à penser : « Comme c'élait un guerrier
redoutable, il était entres grand honneur auprès du roi (2).» Le
mot est dit, Eudes le craignait; aussi, quand, dans le courant de
890,1e comte de Poitiers mourut inopinément à la cour du roi de
France où il s'était rendu sur sa pressante invitation, le bruit cou-
rut qu'il avait été empoisonné (3).
Ce n'était pas sans raison qu'Eudes redoutait Henonl qui pou-
vait toujours lever contre lui l'étendard de la révolte au nom de
Charles, le seul descendant direct des rois carlovingiens, mais
d'autre part le comte de Poitiers était tenu à des ménagements
envers le roi de France, car celui-ci s'était assuré le concours
d'un adversaire naturel de Renoul, d'un compétiteur à la posses-
sion de son comté, en un mol, d'Aymar, fils du comte Emenon,
dépossédé par Louis le Débonnaire en 839 ; on peut donc dire
que le roi et le comte étaient à deux doigts de jeu.
On se rappelle que, partisans dévoués des droits de Pépin 11 h
la couronne d'Aquitaine, Emenon el son frère Bernard avaient
été chassés de Poitiers, et tandis que Bernard, retiré auprès de
Rainaud, comte d'Herbauge, succombait avec lui en 844, Eme-
non avait été prendre asile auprès do son autre frère, Turpion,
qui, ne l'ayant pas suivi dans sa lutte contre le roi, en avait été
récompensé par le don du comté d'AngouIême. Pendfint plusieurs
années, il seconda Turpion dans l'administration el surtout dans
la défense de son comlé, mais celui-ci ayant perdu la vie le 4 oc-
tobre 863 dans une rencontre avec des Normands auprès de Saintes
où Turpion et Maur, le chef des pirates, s'eniretuèrent, Eme-
non lui succéda, sans opposition, semble-t-il, de Charles le Chauve.
(i) Rédet, Doc. pour Saml-I/ilairo, I, p. 12.
(2) Chron. d'Adémnr, pp. iSg et i^o. La chronique de Richard de Poitiers {/ier.
des hist. de France, IX, p. 22) rapporte les mêmes faits ({u'Adcmar.
" (3) Chron. d'Adémar.p. i4o.
4a LES COMTES DE POITOU
Mais l'ancien comte de Poilicrs, emporlô par son caractère aven-
tureux, ne se coiilenfa pas de lutter contre l'ennemi extérieur
qui ravageait le pays. Il eut, deux ans après, de vifs dt!m<*[6s
avec son voisin Landri, comte de Saintes, au sujet du château
de Bouleville. Le 14 juin 86G, les deux comtes en vinrent aux
mains, et Landri péril dans la lutte ; Emenon, blessé, succomba
huit jours après, le 22juin, à Hancogne, où il avait été transporté,
et fut inliumfi dans la basilique de Saint-Cybard, à Angoulôme.
11 laissait deux jeunes fils, Aymar et Alleaume, encore forl
jeunes; le roi, s'autorisanl du prétexte par lui invoqué dans plu-
sieurs cas identiques, déclara que l'âge de ces enfants ne leur per-
mettait pas de présider clTicacement à la défense du pays, mit la
main sur le comté et en fit don à Wulgrin, son parent, frère
d'Audouin^abbé de Sainl-Oenis, qu'il créa en mfime temps comte
de Périgueux (1).
Ce personnage était sans doute ce comte du palaiç qui avait
été à plusieurs reprises chargé de missions en Aquitaine pour y
rendre la justice avec les rachimbourgs (2). 11 aurait épousé, vers
860 (3), une sœur de Guillaume, comie de Toulouse, et, par suite
de ce mariage, serait devenu, h celte date, possesseur de la ville
d'Agen(4). Loin de prendre ombrage de la présence des enfants
d'Emenon,le nouveau comte, qui élait déjà âgé, les traita à Tégal
(i) Ckron, d'Adéinar, p. iSy ; Chron. Engolism., pp. 6 et 7 i Ifist. pont, et corn.
Engolism.^ p, 18.
(a) L'iaterpolateur d'Adémar commel uoe erreur manifeste quand il dit [Chron.,
i'à-]) que c'élaient Cnrluman cl Charlemagne t[uî avuionl chargé W'ulgria de ces
iiiissiuns ; Carloman êlaut mon ca 73i, Wulgrin, lars de sa nominaliou, eu 86G,
n'aurait pas cnni|>tc moins de cëqL aas.
{'i) Bealy donne à celle dnme le nom de Hos^elindc el la fail, par un 1agi>î.u3 de
rêdacllon, tille de (juilUumeet sœurde Uernard, tomte de Toulouse (///ïf. des comtes,
p. 3aj. M. Maliille {Le royaume tl'Aqiiilniite, p. 'M, note 3) ne veut pas admettre
que W'ulgrin ait conlraclé ultiaricc dans la faiiiille des comtes de Toulouse ; il con-
teste que le personnage dèsîi^né par Adéniar, qu'il identifie arec Guillaume, fils de
Dodane, ail jamais élê comte de Toulouse et il émel Tupinioa qu'Adctiiar cl son inter-
poîaleuT ont voulu probablemcol parler de Guillaume, corale de Bordeaux. Nous
rc[irûduisoDs l'opinion de M. ^îabiJle sans la discuter, les docuinenis faisant défaut
pnur constater l'existence aussi bien du comte de Toulouse que du comte de nordcaux
porttmt le nom de Guillaume.
14) La date de Stio, que nous mettons ea avaol pour le mariitijc de Wulgria et par
suite pour son entrée eu possession de l'Agcnais, nous et>l fournie par uti passag'e de
la clirouique d'AJctnar (aJd. p. i^o), où il est dît que Wulgrin posséda Agcn pen-
dant vingt-six ans, or, comme il est inorl en 886, celle date noua reporte forcément
à l'année 8lJo cnritgn pour cclk- rie son mariage.
RENOUL 43
des siens et des liens d'amilié 1res étroits se nouèrent entre les
deux jeunes gens et les fils de Wulgrin, Audouin, qui fut après
son père comte d'Angoulême, et Guillaume, qui devint comte de
Périgord. Ces liens se resserrèrent encore parle mariage d'Aymar
avecSanche, la fille de Guillaume (1). Le fils d'Emcnon, bien qu'il
fût ainsi richement établi, ne resta pas dans l'inaction et, comme
tous les enfants de grande famille de l'époque, il chercha dans
les aventures le moyen de se créer une position stable. Parent
d'Eudes, on ne sait à quel litre (2), il s'attacha pendant quelque
temps à sa fortune; en avril 886, il assista à la restitution solen-
nelle que le roi de France fit aux chanoines de Saint-Martin de
Tours de domaines que son père Robert le Fort leur avait enle-
vés (3); puis il vint au secours de Paris, assiégé de nouveau par
les Normands et, au mois de juillet 889, à la tête d'une troupe
peu nombreuse, mais aguerrie, il livra aux assaillants un combat
heureux (4).
Tel était l'adversaire jaloux que, dans les derniers temps de sa
vie, Kenoul eut à redouter et dont l'ambition non dissimulée dut
restreindre ses velléités d'indépendance et annihiler en partie la
force que lui donnait la possession de l'héritier légitime delà cou-
ronne de France (5). Henoul ne laissait qu'un fils naturel, Ëble,
né assurément (6) avant le mariage de son père et qui, élevé à
la courde celui-ci, se trouva, par suite du hasard des événements,
appelé à recueillir sa succession.
(i) Hi$t. pontif. el com. Engolism., p. 20 ; Chron. d'Adémar, p. iSy.
(a) Taraone, Le siège de Paris par les Normands, d'Abboa, 1. Il, vers SSy, 538,
541 ; Favre, Eudes, comte de Paris, p. 201 .
(3) Mabille, Pancarte noire, n» CIV, p. 120; Les inoasions normandes dans la
Loire, preuves, p . 53 .
(4) Taraone, Le siège de Paris par les Normands, d'Abboa, 1. II, vers 474» SSy,
538, 541 .
(5) Chron. d'Adémar, p. iSg.
(6) Un document que M. Léopold Delisle suppose élre un manuscrit origi-
nal d'Adémar de Chabannes {Notice sur les manuscrits originaux d'Adémar de
Chabannes, p. ga) et publié par M. ChavaDon en appendice de la chronique d'A-
démar, dit (p. ig8) que Henoul épousa Adeli/ia, fille de RoUon, duc de Norman-
die, et n'eut pas d'enrants. Or cette assertion est absolument erronée ; Renoul II n'a
jamais eu aucun rapport avec RoUnn dont l'apparition en France comme chef
de Normands ne date que de 885. x\dcmar, du reste, se donne à lui-même un démenti
en insérant dans sa chronii{ue (p. i/|3) qu'Ëble, le fils de Renoul, épousa Adèle, fille
de Rollon, duc de Normandie. Tout ce qu'Adémir a raconté dans le livre III de sa
chronique, au sujet des ^rapports de Renoul avec Rollon est de pure fantaisie. Il y
44 LES COMTES DE POITOU
VI. - EBLE MANZER
(890-892)
En laissant insérer dans l'acte de précaire de 889 que les do-
maines abandonnés par l'abbaye de Saint-Martin de Tours au
comie Renoul passeraient après son décès à son fils Eble et aux
héritiers de celui-ci, Eudes et son frère Robert, qu'il venait
de pourvoir de l'abbaye de Sainl-Martin, reconnaissaient virtuel-^
lemcnt le droit d'Eble à l'héritage de son père; aussi, lors de la
mort inopinée de Renoul, qu'elle eût été ou non le résultat d'un
crime, son fils lui succéda-t-il sans difficulté (1). Sa naissance
illégitime n'y apporta aucun obstacle et pourtant elle était tout-à-
fait basse, vu qu'il était issu de la liaison du comte avec une
courtisane, d'où le surnom de Manzer sous lequel il est connu
dans l'histoire (2). Bien que l'Ancien Testament, rappelé dans les
capitulaires des empereurs, ait voué celte naissance à l'opprobre
en disant que le Manzer n'entrerait pas dans la maison de Dieu (3),
que Louis le Bègue, dans un capitulaire de l'an 867, eut placé le
Manzer au rang des personnes viles et infâmes qui ne pouvaient
être reçues en témoignage ou même se montrer dans le palais (4),
a peut-être lieu de reconnaiire la femme de Renoul II dans la personne d'Ermengarde,
qui apposa sa signature dans la charte de Josbert de l'an 878, immédiatement après
celle des deux comtes et qui est assurément la femme de l'un d'eux (Rédet, Doc.
pour Saint-Hilatre,!, p. 12). Nous ajouterons que rien n'autorise à reconnaître en
la personne d'Adda, épouse de Renoul, conjanx Ramnalji, dont la plaque tumulaire
a été retrouvée à Saint-Hilaire de Poitiers, la femme d'un comte de Poitou, que ce
soit Renoul 1er ou Henoul II, plutôt que celle d'un particulier du temps portant le
même nom que ces comtes. (Voy. Ledain, Musée de la Société des Antiquaires de
l'Ouest, catalogue de la galerie lapidaire, 1884, n» 482, p. 4i . )
(1) La forme latine usuelle du nom du comte de Poitou est Ebolus, mais on ren-
contre aussi quelquefois Ebblo (Chartes orig. de Noaillé), Eblus (Adémar de Cha-
bannes). Ebahis (Dudon de Saint-Quentin) et enfin Enbalns (Husrues de Flavif^ny).
(2) Chron. d* Adémar, p. i43. A la même époque, on trouve le surnom de Manzer
appliqué h Jourdain, frère du seigneur de Chabannais, et il fut encore porté, au siècle
suivant, par Arnaud, fils adultérin de Guillaume Taillefer, comte d'Angoulème, et
son successeur.
(3) Deutéronome, XXIII, a; Baluze, Capitularia, l^co\. 981.
(4) Baluze, Capiïa/aria, II, col. 362.
EBLE MANZER
45
celle indignité d'Eble ne lui fui pas opposée. Il entrait dans les
mœurs du temps, mœurs contre lesquelles les inspirateurs des
capilulaires cherchaient à réagir» de donner h l'enfant naturel la
place et tous les droits de l'enfant légitime quand celui-ci taisait
défaut (1), et c'est ce qui fit qu'l:i^bie fui accueilli sans difficulté
d'autant plus que sa reconnaissance publique par son père sem-
blait faire de lui son héritier légal.
Quoiqu'il en soit, Ebleselrouvailjle 10 octobre 890, à Poitiers,
au milieu d'une nombreuse assistance, dans laqui-lle on distin-
guait le comleAiraud(2)ellevicomle Gamaufroy. Acetle réunion,
tenue peut-être peu de temps après la mort de Renoul, le jeune
comte, mû, semble-l-il, par des sentiments de piété qui le
faisaient se placer sous l'égide de saint Martin et lui demander
son intercession pour le salut de son âme, pour celle de son père
Renoul, pour celles de ses oncles Josbert el Eble et do tous ses
parents, fit un nouvel arrangement avec les chanoines de Sainl-
Martin de Tours; aussi soucieux que son père de ménager ses
intérêts particuliers, il imita son exempK; en donnant à l'abbaye le
domaine de Coorcome, mais en se te faisant aussilùl rétrocéder
en précaire, elen se faisant confirmer dans la possession de ceux
de Doussais, de Celliers et de Layré,dont son père lui avait assuré
la survivance. En outre, il eut la précaution de faire insérer
dans l'acte non seulement la réserve de ses droits, mais encore
de ceux des enfants qu'il pourrait avoir d'Arembiirge, avec qui il
était alors fiancé [3].
(i) Le eau le plus remarquable de Tapiilicalion de ca principes que l'on puisse cilcr
& l'époque qui nous occupe est celui d'Aruoul, filti iialurct de Cailomao, roi de Ba-
vière, qui, après avoir succédé à sou pore sans rfticoiilrer d'obstacles, fut élu roi de
Ucruiauie eu 888, eu su qualité de descendunl des ein)>i:reurs carlovlui^iens ; puis,
l'année suivaule, il préseula ses deux bAlards aux grands de son royaume el obliat
d'eux qu'ils les rccouuallraicnt cotnitie sa successeurs s'il uc lui naissait pas J'Iié-
ritier Ic^itiuie {Favre, Eudes, comte de Paris, p loï, noie /j), La sociclé rcUtçicuse
aenioulraplus sévère à l'égard descufauta illéiç^îlinics el c'est ainsi qu'au comiiieuce-
nienl du %\* siècle on voil les njoines do Fleury-sur-Loirc se rcl'user à acce[iler pour
abbé Goziiu, tîls naturel d'Hugues Cnpet : « Nuleutcs sibî priecsse tilium scorli. Eral
eaitn oobilissimi Francoruin ]*rincipis fiiiua munzcr » {Chron. d'Adéinar, p. i(h),
(a) Ce personnage, dèsit^ué dans la charte sous le aonx d'Ailruldus, el que nous ne
pouvons aulrcmcot rattacher au Poituu, pourrait bien être le mémo que le comte
Hildradag, qui, eu 868, élail le compagnou de Geilun et des comtes Hcuoul et Jos-
berU
(3) Mabille, Pancarte noire, u" xvu, p. tiS ; liesly, Ilist. de» comtes, preuves,
p. aog.
46
LES COMTES DE POITOU
Cependant un oraf^e menaçant se formait contre le nouveau
comte de Poitiers; il étail jeune, et l'occasion pour le di'pouillcr
de son bel héritage était par (rop tentante. Celui-ci était envié par
doux compélileurs à la fois, par Robert, le frère d'Eudes, et par
Aymar, le filsd'Kmenon. Du vivant de Renoiil, ce dernier n'avait
pas dissimulé ses appétits, mais il avait affaire à trop forte partie
et avait dû se résignera attendre, peut-èlremême fut-il retenu par
Eudes, qui ne voulait pas se brouiller ouvertement avec le comte
de Poitiers. Mais les circonstancesétaîent tout autres; le gardien
disparu, la cage s'élait ouverte, l'oiseau avait pris sa volée, Charles
s'était enfui du Poitou et avait été se réfugier auprès de
Foulques, archevêque de Heims, qui n^avait cessé d'ôlre hostile
au roi de France, considéré par lui comme un usurpateur. Ce der-
nier n'avait plus dès lors à garder déménagements, aussi laissa-t-
il faire. Pour le même motif, il dut se brouiller avec son chance-
lier, Eble, le frère de Renoul, dont la haute situation excitait
assurément bien des envies, Celui-ci, dontlaiidéîilé, comme celle
de beaucoup de grands dignitaires à Tégard d'Eudes, était toujours
précaire (1), se fit le champion des droits de son neveu, et, d'accord
avec son frère Josberl, il entama la lutte conlre Aymar à la fin
de l'année 891 ou au commencement de l'année 892. On en ignore
les péripéties, mais son caractère changea de face par l'entrée
d'Eudes en scène (2). Celui-ci, quiltant la Flandre, où il venait
d'échouer conlre le comle Baudouin, se trouvait à Tours le 13 juin
892 (3). Il entrait dans son caraclère d'employer les négociations
avant d'avoir recours aux armes, et il dut faire tous ses efforts
pour amener l'abbé Eble et son frère à abandonner la cause de
leur neveu. Sur leur refus, incité par Hobert, qui ambitionnait
secrètement le comté de Poitou, il marcha de l'avant et s'empara
(i) Voici le jugement que porte sur lui Abbon datiB sa relalion du siège de Paris:
0 c'élait un fameux guerrier, distinçué par ses conDaissancesdans les lellres et propre
à loul s'il n'eût élc Irop af^idc de richesses el tropabandotirii' iiux plaisirs de In volup-
té. » {Guixot, Coltecl. de Mémoires, Vl, p. 08; Recueil fies hist. de France, VIII,
p. a3.)
{2) Pcrlz, Mon. German., SS. T, p. 6oi^, chron. de Rrc;tnon. Cet auteur, ignoranl
la mort de Renoul, joint son nom h celui de Josljcrl el d'Eble lorsqu'il dit qu'en 832
Eudes se rendit en Aquitiurie pour réprimer le mauvais vouloir, insolenlium, de cer-
lains personnages qui refusaient d'oblenipérer à ses ordres.
(3) Gidlia christ., XIV, instr. , col. 53 ; Favre, Eudes, comte de Paris, pièces us-
lif.j, Qo V, p, 242.
EBLE MANZER 47
de Poitiers, après avoir privé Eble de sa dignité de chancelier,
dont il fit don à Anskerick, évêque de Paris (1).
Le jeune comte Eble ne semble pas avoir pris une part active
àtoutesces affaires du Poitou. Dèsqu'Aymar eut engagé les hos-
tilités, il s'était retiré auprès de Géraud, seigneur d'Aurillac, per-
sonnage qui jouissait alors d'une haute notoriété et qui, plus tard,
ayant abandonné le monde, fonda un monastère dans sa résidence
et fut enfin béatifié (2). Il se trouvait à la cour d'Eudes lors de
la mort du comte de Poitiers, dont il était l'ami; Renoul lui recom-
manda vivement son fils, qui ne pouvait trouver un plus sûr pro-
tecteur. Aymar, dont les capacités militaires sont hors de doute,
voulant s'assurer la possession définitive du Poitou par la cap-
ture de son compétiteur, poursuivit Eble dans sa retraite et,
après diverses tentatives, fit le siège d'Aurillac ; il y échoua. Son
frère Alleaume, Adaieimus, ayant réussi à pénétrer dans la ville
pendant que Géraud assistait à la messe, fut à son tour surpris
par les hommes du seigneur qui fermèrent derrière lui les portes
de la cité ; fait prisonnier, Alleaume mourut quatorze jours
après (3). Malgré son succès, Géraud, redoutant de ne pouvoir
résister aux attaques combinées d'Eudes cl d'Aymar, confia Eble
à son puissant voisin, Guillaume le Pieux, comte d'Auvergne,
qui avait avec le jeune comte de Poitiers des liens do parenté (4).
Guillaume était assez fort pour ne pas craindre d'entrer en lutte
avec le roi de France. Comte d'Auvergne et de Velay, marquis de
Gothie, il prenait aussi le litre de duc d'Aquitaine depuis la mort
de Renoul. 11 rassembla une armée et, quand Eudes se présenta
pour se faire livrer Eble, le roi trouva devant lui les troupes de
(i) Anskerick figure comme chancelier dans un diplôme d'Eudes du 3o septembre
8ga {Recaeil des hitt. de France, IX, p. 459). I^es hésitations d'Eudes ont été con-
si^ées par les annales de Saint- Vaast (p. 345), qui rapportent que le roi se de-
manda s'il se remettrait en bons termes avec les deux frères, s'il les chasserait du
royaume ou les.ferait mettre à mort. C'est à cette dernière alternative qu'il semble s'être
résolu.
(a) Chron. d'Adémar, p. i4o. Les Bollandistes ont relaté tous les faits relatifs
à Eble dans leur introduction à la vie de saint Géraud {Acta Sanct., oclobr., VI,
pp. 284 à 288), mais induits en erreur par D. Vaissète, ils donnent sur ces événe-
ments des détails inexacts.
(3) Bolland., Acla Sanctoram, octobr., VI, p. 3i2.
(4) D'après le tableau généalogique de la descendance de Gérard,comte d'Auvergne,
établi par M. Mabille (Le royaume et Aquitaine, p. 19), Eble aurait été parent de
Guillaume d'Auvergne au ix« degré.
48
LES COMTES DE POITOU
(iuillaiime. Un cours d'eau seul les séparait, mais au inomenl de
livrer bataille, les deux adversaires, se voyant à peu près d'égale
force et étant incertains du résultat, se contentèrent de s'obser-
ver (1). Ces faits devaient se passer vers le mois de septembre ou
d'octobre, avunt ou après le séjour d'Eudes à Cosne-sur-Loire, où
il se IrouvaiL le 30 septembre 892 {'2). Le seul acte d'aulorilé que
put accomplir Eudes fui de déclarer Guillaume dépourvu de tous
ses bénéfices et de les donner à Hugues, comte de Bourges, mais,
après le dépari du roi, Guillaume se jela sur ce nouvel adversaire
qu'il vainquit et tua de sa main (3j.
Pendant qu'Eudes était ainsi occupé en Auvergne, les hostilités
avaient continué en Poitou ; l'abbé Eble, s'étaul arrêté à faire le
siège d'un château établi dans une position dilTicile, y fut tué d'un
coup de pierre, le 2 octobre (4); quant à Josberl, qui attendit
l'arrivée des troupes royales, il fut assiégé dans un de ses châ-
teaux et péril dans l'attaque (5). Le roi n'avait pas dès lors quitté
le Berry où, sur ta demande des évêques et des grands seigneurs
du nord de la France, qui chaque année avaient eu à pourvoira
l'entretien de sa cour et de son armée, ilavuil tout d'abord résolu de
prendre ses quartiers d'hiver (6). C'est au milieu de ce repos qu'il
fut surpris par la nouvelle que Charles le Simple avait été cou-
ronné roi de France le 28 janvier 803 par Foulques, archevêque
de Reims, dans la basilique de Saitil-Hemi (7). Ce prélat, l'âme
de cette entreprise, s'était assuré des adhérents en Aquitaine, k
(i) Rec. des hist. Je tmnce, VIII, p. a5, Abboo.
(2) liée, des hisl, de France, IX, p. /JSy; dîplilme di'liudcs en fiiveur du iiioûas-
lére de MonlicrMiuey.
(ij Hec. des hisl. de France, VIII, p. u5, Abbuu.
(4) D'après Besly [I/isi. des comtes, p. 3i), le cbùleau devant hquel aurait auo-
coiiibc lible sérail ctlui de Brillai; en Poilou. Ili-jT»uoa fixe tl raDnée S<j3 la niorl de
l'abbc de Sainl-Dciiis {l'ccli. Mon. Germ., SS,, 1, [>. 0o5), mais 1» date précise du
3 oclobrc (le vi des nuacs d'ocLobre), inscrite dans le uccrc»Iuge de Tabbayc de Suiiit-
Geruiaiu dch-l'rés (Bcsiy, f/ist. des comtes, prcuvtjs, p. aui), rappniciiéedca circons-
lauccâ de la vie d'Eudes (jue nous avons relatées, ne penttet pus de s'tiirêler à cetle
dalf , et doit faire adupler celle de 892 fournie par les annales de S;*inl-V'aa8l. Les
IlollaudiMes, dans leur iulrodnction à lu vie Je bamt Géruud (Acta Stmct.f octobr.
VI, p, iiSO), supposent, sans plus de raison que 13esly, que le château devanl le<juel
périt l'abbi Kblc est Loudun, Luudnnense custrum. {Voy. aussi l'êlojje d'Eble dan»
ll/istoire des ministres d'État, par Charles d'Auleuil, Paris, iG4ï.)
(â) Ann. de Saint-V^aasi, p. 345; Pertz, Mon. Germ., SS., 1, pp. Co4 el 6o5,
cbron. de Koiyfinou.
(G) Ann. de Saint-Vaasl, p. 344-
(7) Hec. des hist. de France, IX, p. ^ùi.
EBLE MANZER 4g
savoir Guillaume d'Auvergne, Richard d'Autun et enfin Aymar,
qui, après Pâques, étaienl venus avec une armée considérable
rejoindre l'archevêque de Reims et le comte de Vermandois, le
tuteur de Charles (1).
Aymar avait été frustré dans ses espérances. Il avait pu croire,
lors de la prise de Poitiers par les troupes du roi, que celte
ville lui serait remise; il n'enfui rien. Eudes, sans tenir compte
des services que le fils d'Emenon lui avait précédemment rendus,
oubliant que c'était à sa sollicitation qu'il était venu en Poitou,
uniquement pour lui porter aide, jugea que ce qui avait été bon à
prendre était bon à garder et donna le comté à son frère Robert.
Mais Aymar n'était pas homme à se laisser ainsi dépouiller. Pen-
dant que l'attention d'Eudes était attirée sur ce qui se passait au
nord de ses états, il tenta une attaque de nuit contre les troupes
royales préposées à la défense de Poitiers, les surprit, en massa-
cra une partie et s'empara de la ville, oîiil s'installa en maître (2).
Ces événements durent surprendre Eudes et lui donner à réfléchir,
et il ne faut pas chercher ailleurs les motifs de son peu d'em-
pressement à répondre à la levée de boucliers de Charles le
Simple et de ses adhérents, et comment il se fit qu'il n'entreprit
une campagne contre lui que dans le milieu de l'été de 893,
c'est-à-dire six mois après son couronnement. Il ne pouvait laisser
derrière lui une Aquitaine hostile et, pour chasser ce péril immi-
nent, il fit appel à tous ses talents de négociateur : ils réussirent,
et, sans effusion de sang, il amena les confédérés aquitains à
retourner chez eux. La paix étant faite avec Aymar, il put ensuite
poursuivre sans inquiétude ses pérégrinations dans les contrées
qui étaient plus ou moins soumises à l'influence de ce comte. Il
se rendit d'abord en Limousin, puis dans l'Angoumois, qui était
en la possession d'Audouin, fils de Wulgrin, où il mit toutes choses
en ordre; enfin il gagna le Périgord, que tenait Guillaume, frère
d'Audouin et père de Sanche, la femme d'Aymar, et où, s'occu-
pant avec zèle des intérêts communs des nobles de la région, il
(i) Ann. de Saint- Vaasl, p. 346. En 898, la fête de Pâques tomba le 8 avril.
(2) Hec. des hîst. de France, VIII, pp. 24 et 25. Abboa, qui rapporte ce fait, dit
que la surprise de Poitiers eut lieu pendant le sommeil d'Eudes, mais on peut prendre
cette iadicatîoQ d'un poète au »ens figure.
4
t.o LES COMTES DE POITOU
régla avec équité les différends qui existaient entre eux(l). Eudes
quitta ensuite les pays d'Aquitaine; le 28 mai 893, il se trouvait
à Chalon-sur-Saône, où il avait dû se rendre pour ramener à
lui le comte d'Autun et d'où, à la requête de son frère Kobert,
qualifié de comte et de marquis, il donna à l'abbaye de Cormery,
enTouraine,laterre de Nueil-sous-Faye qui faisait partie de son
propre domaine (2).
VII.— AYMAR
(892-902)
Il ne semble pas qu'il soit possible de refuser à Aymar le titre de
comte de Poitou bien que l'on ne possède aucun acte qui lui attribue
cette qualité (3) ; il était de fait possesseur du comté ou, du moins, de
Poitiers et cela suflisait sans doute à son ambition. La lutte d'Eudes
contre Charles le Simple, commencée en 893, duratoutel'année 894,
elle roi ne put pendant ce temps s'occuper des affaires de l'Aqui-
taine ; enfin, dans le courant de l'été de 895, désireux de prendre
quelque repos, il se rendit à Tours, où il se trouvait le 17 juillet,
sans doute à la sollicitation de son frère Robert (4). C'est alors que
durent se régler définitivement les droits prétendus par ce der-
nier et par Aymar à la possession du comté de Poitou. Aymar
garda le comté, mais il lui fallut abandonner à son concurrent
d'importants domaines, précédemment possédés par le jeune Eble
( 1 ) Richer, Histoire, I, 1 2.
(2) Curtul. de Cormery, p. 67. Le dipli^nie d'Eudes est inexactement daté par l'é-
diteur de celte publication <}ui le place en 892 ; or, la date inscrite sur cet acte est
celte du 5 des calendes de juin de la sixième année du règne d'Eudes, ce qui répond
au 28 mai 898. Les renscigaemenls fournis par les chroniqueurs sur le séjour
d'Eudes en Aquitaine sont lelicmcnt confus qu'il est à peu près impossible d'en établir
la chronologie exacte. Toutefois, on peut assurer que les faits rapportés se sont passés
outre le 3o septembre 892 et le 28 mai 8j3,datcsccrta>ncs de la présence d'Eudes dans
ces régions, fournies par des diplômes royaux (/{ce. des hist. de France, IX, p. 46i)-
(3) Dans les textes anciens, il est désigné sous les noms A'Adamaras (Rcdcl, Doc.
pour Sairil-Hilaire, I, p. 16), d'//adumiirus {A/m. de Sainl-Vaasf, p. 34t3), d'Ade-
marus {Chron. d'Adémar, p. i4o); Besly l'appelle Aymar (//isl. des comtes, p. 3i).
(4) /iec. des Jtist. de France, IX, p. 464 ; diplôme d'Eudes.
AYMAR 5i
et particuiièremenl la lerre de Doussais, que Robert restitua
solennellement aux chanoines de Sainl-Martin de Tours, le
27 mars 897, jour de Pâques(l).Quantà l'abbaye deSaint-IIilaire,
le puissant bénéfice qui avait servi aux rois de France à diverses
reprises pour rémunérer de précieux services, elle se trouvait
sans titulaire depuis la mort de l'abbé Eble en 892 ; les deux
compétiteurs ie mirent d'accord pour proposer au roi de l'attri-
buer à Egfroijévêque de Poitiers, dont les bons offices avaient dû
amener le rapprochement qui s'était fait entre eux ; mais Eudes,
tout en acquiesçant à leur demande, laissa indécise la question
de possession du comté ; dans son diplôme, il ne donna à aucun
d'eux le titre de comte, il les appelle seulement ses fidèles et
des marquis dévoués (2). 11 est possible qu'Eudes ait, en outre,
laissé à Aymar la jouissance du comté de Limoges, soit qu'il ait
été enlevé par celui-ci aux comtes de Toulouse, qui le possédaient
encore en 887 (3), soit qu'Aymar l'ait échangé avec Eudes de
Toulouse contre l'Agenais qui, après la mort de Wulgrin, en 886,
était tombé dans le lot de Guillaume, beau-père d'Aymar (4). Quoi
qu'il en soit, ce dernier était reconnu dès 898 comme comte de
Limoges. Au mois de novembre de cette année, il se trouvait dans
l'abbaye de Beaulieu en Limousin, oîi il assista à la donation de
l'église de Condat, en Quercy, faite par un particuher à cette
abbaye ; le donateur, Godefroy, et sa femme Godilane imposèrent
dans l'acte, au bas duquel le comte Aymar apposa sa signature,
l'obligation pour les moines de prier pour eux et pour le comte (5).
Toutefois il est bien possible que ce dernier ne soit véritablement
(i) Mabille, Pancarte noire, a? lv, p. 94; Martène, Thés. nov. anecd., I, col. 56.
(3) Hédet, Doc. poar Sainl-Hilaire, l, p. 16; Arch. de la Vienne, orig., Saint-
Hilaire, n* g. La partie inférieure de ce diplôme ayant été mutilée, la date a disparu,
mais elle peut être établie approximativement par la meotion du chancelier Gautier,
archevêque de Sens, qui succéda à Anskerick, au commencement de l'année 894.
(3) La domination des comtes de Toulouse sur le Limousin est bien constatée de-
puis le milieu du ix* siècle jusqu'à l'annce 887 ; à partir de cette date, les chroniques
aussi bien que les cartulaires de la région ne font plus mention d'eux en celte qualité
de comtes de Limoges ; le dernier acte où leur nom apparaisse est la vente de la villa
du Saillant faite par le comte Eudes et sa femme Garsinde a Froticr, archevêque de
Bourges, lequel en fit cadeau à l'abbaye de Beaulieu, au mois d'août 887, en présence
d'Egfroî, évéque de Poitiers {Cari, de Beaulieu, éd. Deloche, p. 24).
(4) La possession de l'Agenais par Guillaume, comte de Périgurd, fils de Wulgrin,
est indiquée à diverses reprises par Adémar {fihron,, pp. 137, i38, 198).
(5) Cart, de Beaulieu, p. 61.
52 LES COMTES DE POITOU
entré en jouissance du pays qu'après la mort d^Eudes, qui avait pu
avoir l'intention de réunir le Limousin à ses domaines. Il est un fait
qui témoigne de cette mainmise absolue du roi sur le pays, bien
plus complète que sur le Poitou, c'est que l'atelier de Limoges, sur
l'ordre du roi de France, frappa monnaie en son nom, tandis qu'il
n'ya pas trace de ce nom d'Eudes sur les monnaies du Poitou (1 ).
En ce moment, Charles le Simple était monté sur le trône :
Aymar avait reconnu son autorité et il pouvait dès lors se consi-
dérer comme possesseur incontesté du Poitou ; mais flble n'avait
pas renoncé à l'héritage paternel. A l'exemple de ce qu'avait
fait son compétiteur, il agit par surprise : une nuit de l'année
902, profitant, sans nul doute, de l'absence d'Aymar, il pénétra
dans Poiliers et se rendit maître de la ville ; cet acte fut le prin-
cipal épisode de la lutte qui reprenait enlre eux. Vaincu, Aymar
dut se résignera rentrer dans la vie privée et se fixa en Périgord.
Bien que les chroniqueurs ne s'occupent plus de lui jusqu'au mo-
ment de sa mort, il est peu présumable qu'il soit resté étranger
aux événements qui se sont déroulés pendant cette époque si
troublée et dont les faits principaux sont seuls parvenus jusqu'à
nous. On doit même admettre qu'après la mort de son oncle
Audouin, le comte d'Angoulême, arrivée le 27 mars 916, lequel
ne laissait qu'un jeune enfant, Guillaume, surnommé plus tard
Taillefer, il a pris de gré ou de force l'administration de ce
comté (2). Ce qui pourrait faire croire que ce fut par violence,
c'est que, peu après, Lambert, vicomte de Marcillac, et son frère
Arnaud, vassaux du comte d'Angoulême, tentèrent d'assassiner
Sanche, la femme d'Aymar. Celle-ci échappa à leurs coups ; Ber-
nard, son frère, qui fut plus tard comte de Périgord, se chargea
de venger cette injure. Il poursuivit les coupables et, s'étant emparé
d'eux, il les fit mettre à mort, le 10 avril 91 S (3). Or, ceux-ci lais-
saient un autre frère, Odolric ou Horric à qui Guillaume Taillefer
(i) Eag^el el Serrure, Numismatique da moyen-âge, I, pp. 248 et a^O-
(2} Od peut tirer un indice de rimporlance du rôle joué par Aymar daas les affaires
de l'Angoumois de ce fuit que la date de sa mort a été notée par la chronique d'An-
goulême qui, en dehors des évêques, ne cite que les comtes de ce pays, et elle le fait
dans la même forme concise : « DCCCCXXX. Quarto nonas apriiis Adcmarus cornes
oblil » {Chron. Enr/olism., p. 8).
(3) Chron, Engrolism,, p. 8, et I/ist. pontif. et com. Engolism., p. ai; Chron.
d'Adémar, pp. i38, i45, 198 et 200.
AYMAR 53
rendit plus lard la vicomte de Marcillac. On peut se demander
si, en agissant ainsi, le comte d'Angoulême cédait à un sentiment
de pitié ou bien s'il prenait le contre-pied des actes d'Aymar et
de Sanche.
Aymar mourut le 2 avril 926 et fut enterré à Saint-IIilaire de
Poitiers, ce qui témoigne qu'à celte époque il était totalement
réconcilié avec Eble (1). Il ne laissa pas d'enfants. Sa femme,
qui mourut à Angoulême et fut inhumée dans l'église de Saint-
Cybard (2), était, comme lui, d'une piété extrême ; aussi les deux
époux purent-ils, sans craindre de voir contester leurs dernières
volontés, se montrer très généreux envers l'Église. Cinq grandes
abbayes reçurent d'eux d'importants domaines, tous situés sur
les confîns du Poitou, de la Saintonge et de l'Angoumois; ils
donnèrent Vouharte à Cliarroux, Mouton à Saint-Martial de
Limoges, Gourville à Saint-Cybard d'Angoulême, Néré à
Saint-Jean d'Angély et Courcôme à Saint -Hilaire de Poi-
tiers (3). La présence de ce dernier domaine entre les mains
d'Aymar vient à point pour attester, à défaut de tout autre témoi-
gnage, l'existence des bons rapports qui se sont établis, à un
moment donné, entre lui et Eble. On se rappelle que ce dernier
avait concédé en 890 l'alleu de Courcôme à Saint-Martin de
Tours, mais qu'il s'en était réservé la jouissance par un acte de
précaire; quand il fut évincé du Poitou, en 893, toutes ses posses-
sions passèrent naturellement entre les mains d'Aymar, qui les
perdit à son tour en 902 et qui, par suite, ne pouvait détenir Cour-
côme à sa mort que par un don particulier d'Eble (4).
(i) Chron. (TAdémar, pp. i45 et 201. Lîi chronique d'ADjjouIême fixe à l'année
gSo la mort d'Aymar, mais il paraît plus sur de s'en rapporter à la chronique d'Adé-
mar qui,- à deux reprises différentes, le fait succomber dix ans après le comte d'An-
goulême, Audouin, lequel mourut certainement en g 16.
(2) La chronique d'Adémar (p. i45),qui relate la mort de Sanche, dit qu'elle eut lieu
le 2 des nones d'avril (4 avril), sans indiquer l'année.
(3) Bien que le texte de la chroniqucd'Adén)ar qui rapporte ces donations dise qu'elles
furent le fait d'Aymar, et provenaient de son domaine privé, de jure proprio (pp.
i4i et igg), il nous parait rationnel d'y faire participer Sanche, ù qui Aymar avait dû
constituer un douaire sur ses propres biens.
(4) L'abbaye de Saint-Martin de Tours ne rentra jamais en possession de Courcôme ;
il n'est même pas sûr que l'abbaye de Saint-Iiilaire ait été appelée à jouir de la dona-
tion d'Aymar, car, au milieu du xe siècle, les comtes de Poitou étaient encore en pos-
session de cet alleu qui fut donné à Saint-Hilaire par Guillaume Fier-à-Bras (Rédet,
Doc. pour Saint-Hilaire, I, p. 44).
54 LES COMTES DE POITOU
Avec Aymar s'éleignil la descendance d'Emenon qui, pondant
quatre-vingts ans, fut une menace perpc'^luelle pour la dynastie
fondée par Renoul 1 et dont la disparition assurait à celle-ci la
possession incontestée du Poitou.
VI bis. — EBLE ponr la seconde fois
(902-935)
Le coup de main d'Eble ne devait pas lui susciter de difficultés
du côté du roi de France. Aymar avait perdu son plus fort appui
dans Eudes, décédé quatre ans auparavant, et Charles le Simple
ne pouvait voir qu'avec satisfaction un membre de cette famille
d'Auvergne, qui lui était si dévouée, administrer l'important
comté de Poitou. Reconnu par le roi, soutenu par son parent
Guillaume le Pieux, Eble porta tous ses soins à consolider son
autorité.
11 avait d'abord à récompenser les dévouements personnels
grâce auxquels il avait pu rentrer dans son héritage. Les béné-
fices laïques ou ecclésiastiques à sa disposition furent par lui dis-
tribués à SOS fidèles ; toutefois, comme, parmi ces derniers, il s'en
trouvait ci qui l'octroi de domaines ou de sommes d'argent ne
pouvait suffire, à ceux-là il conféra des dignités. Jusqu'alors le
Poitou n'avait compté qu'un seul vicomte, qui résidait h Thouars,
et dont la charge avait fini par devenir héréditaire (1). Eble
en créa doux autres : l'un, Maingaud, qui fut placé à Aunay ;
l'autre, Alton, à Molle (2). La situation d'Aunay était très impor-
(i) Le premier vicomte que Ton puisse aUribuer à Thouars est Geoffroy, qui assiotc
en ceUe qualité à une donation de biens faite en août 876 h l'abbaye de Saînt-Jouio-
de-Marnes (Grand maison, Carlnl. rie Sainf-Joiiin, p. 12); toutefois, on ne saurait af-
firmer qu'il se rattache directement à ses successeurs. On trouve après lui Savari, qui
est présent en juillet 90^ à une vente de biens faite près de Saint-Maixent (A. Richard,
Chartes de Saint -Muixent. I, p. 18), et qui, jusqu'ici, paraît ôlrc la tige de dépari
des vicomtes héréditaires de Thouars.
(2) Ces d"ax vicomtes assistent, le i4 mai 904, à un plaid* tenu par Eble, dans la
ville de Poitiers (De Lasleyrie, Etude sar les comtes de Limngex, p. 106) ; le nom
d'Alton est accompairac de la qualification de vicomte de Melie dans un autre plaid
EBLE >[ANZER ôfi
lante. Celle ancienne localilé romaine, posée sur la grande voie
de Poiliers à Saintes, à quelques pas de la frontière de la Sain-
longe, étail tout indiquée pour devenir un poste de surveillance.
Quant à Melle, c'était encore le centre monétaire du Poitou ;
les produits de seâ mines et de son atelier entraient pour une
large part dans les revenus du comte de Poiliers. à qui celte
ressource spéciale permettait de se livrer à ces dépenses pour
lesquelles l'argent immédiatement disponible est une nécessité.
Eble ne crut pas trop faire pour celui de ses (idMes qui avait la
garde et peut-être la gérance de ce précieux domaine. C'est dans
les siens queSavari, le vicomte de Thouars, fui principalement
récompensé ; son frère Aymar reçut l'abbaye de Sainl-Maixent
et son autre frère Aimeri l'avouerie de la même abbaye (1) ;
une seule famille possédait, par ce moyen, la plus grande partie
des revenus de ce puissant établissement. Undes fidèlps du comte,
Ebbon, fut pourvu de l'abbaye de Saint-Paul de Poiliers (2) et
d'autres largesses furent répandnessur tous ces grands du Poitou,
sur ces autres fidèles que l'on voit se presser autour du comte
lors de la tenue de ses plaids (3). Ses générosités furent sûrement
nombreuses, car ce n'élaient pas seulement des dévouements
d'un jour qu'il convenait de s'assurer. Jusqu'à ce qu'il fût bien
établi qu'Aymar n'était plus àredouter, on pouvait toujours crain-
dre de sa part un retour offensif. 11 ne semble pas s'être produit,
et pourtant le pécule qu'il avait abandonné était beau. En dehors
du Poitou, son domaine patrimonial, qu'Eble avait enlevé à son
adversaire, il l'avait encore dépouillé du Limousin, dont il est
d'Eble, d'avril 907 (Arch. de la Vienne, ori!r.,NoaiIlc, n* 20 : Hcslv. Ifist. des comtes,
preuves, p. 224) .
(i) A. J\ichard, Chartes ile Sainl-.Vni.renI, introd., I, p. lxiv. Aymar anrait, selon
la chronique de Saint-Maixent {p. '6-j'M, possédé l'abbaye dès «)o3.
(2) Voy . l'acle d'échansfc de biens passé au mois de m.irs y23 entre Ilolliard, abbé
de Noaillé, el Eble, comte de Poitou, ce dernier agissant pour le compte de l'abbaye de
Saint-Paul que possédait en bénéfice son vassal Ebbon (Arch. de la Vienne, orisc.,
Noaillé, n" 3o; llesly, Ilist. des vomies, preuves, p. 221).
(3) On connail l'existence de quatre plaids tenus par le comte Eble: en go/j, \!\ mai
[De L»sieyTte, Etude sur les comfes (if /^imo(/es, p. loG); en 907, avril (Arch. delà
Vienne, oritf., Noaillé, no 20; Hesly, Jiist. des co//i/ra,j)reuves, p. 22'|) : en f(25, 28 avril
(A. Richard, Chartes de Saint-Mai.retit. I.p.sS) ; en f)2G, 21 mai (l>rsly, Ilist. des
comtes, preuves, p. 218). On y constate la préseure, parmi les très nobles hommes,
vassaux du comte, des vicomtes de Thouars, de Melle, d'Aunay et de Limoges, de
jages, aaditores et arnannenses, et de vicaires ou vie^uiers.
56
LES COMTKS DE POITOU
reconnu comte dès 904, c'esl-à-dire deux ans seulemenl. après
la reprise du Poitou. Le 14 mai, Eble, enlouré des grands du
pays, parmi lesquels on remarquait les vicomtes Maingaud el
Alton, i'audileur Bi'gon, l'amuian ïîomaire, tenait un plaid à Poi-
tiers. Devant lui se pn^senta Galon, avocat du monastèro de
Nouaiilé, qui demanda justice contre Audebert, vicomte de
Limoj;es, lequel, par cupidité, avait enlevé aux moines la forèl
de Notre-Dame de Bouresse. Audeberl, qui élait présent, après
avoir entendu les dépositions des témoins, reconnut son tort et
rendit à l'abbaye son bien usurpé (1).
Pendant ie temps qu'Aymar avait possédé le Poitou, sa bra-
voure bien connue le rendant redoutable à ses adversaires, le
pays si fatigué avait pu respirer. L'occupation inopinée de Poiliers
par Eble ne changeait rien à la siluation. Néanmoins, le calme
n'existait pas dans le sens absolu du mot, les Normands restant
loujouis pour les populalions à l'étal de menace permanente. Kn
897, ils avaient encore commis de noiiibreuï^es déprédations dans
la région (2), mais en 90!1 leur ex|H'Mlition prîl presque le carac-
tère d'une invasion. Ilsremontèrenl la Loire els'empai'L'rcntencore
une fois des villes de Nantes el d'Angers ; puis ils se porlèrenl
sur Tours, où ils brûlèrent l'église et le monastère de Saint-
Martin; mais ne purent emporter la ville (3). La rive gauche du
llouve ne resia certainement pas indemne. Toulelbis, cet élat do
trouble n'existait qu'au nord du Poitou, la Iranquillité régnait
au centre. On en a la preuve par la détermination que prirent
{i)De Lasteyrie {Elude sur les comtes de Li/n'M/Px.p. loù). Dans ce savant ii)éinoire,
M. de Lasli-yrie déclari- (pp. 4o et 4i) qu'il rL-unucii à expliquer coinuieal il se fait
que le LiniDusici, possession cerlaioe des conilcs de Tmilouse 60887, se trouve, au
conmu'nceiiieiit du x^ siècle, aux tnaîiis d'un conite de l'oilou. Il hasarde toutefois
cette .supposition (|ue ce chao^^cmcal a pu se [moduire après l.t mort d'Eudes, comte
de Toulouse en g 18, et que le roi de Fran<:eaura dè(iu->i3édé le;» héritiers d'Eudes pour
donner le Lirnoasin à son fidèle le comte de Poitou. Cette sup[iosition est absolument
f^raluite el u'a pour elle que ce que Ton sait des façotis d'agir des rois de cette épo-
que. Nous ne s.ivonsi pour quel motif .M. de Lasteyrie ne nicntiooao pas la charte de
Beaulieu de 8y8 qui nous appreuil qu'à celle date Aymar était comte de Limog'cs; si
n ce fait l'on joial le plaid de 4joj, teau seulement six ans après, duquel il résulte
4ju'.\udebcrt, en venant se présealer devant le conile de l'oiliers comme son juslicca-
hlc, recoiioiill par ce fait sa suzeraitielc, il nous sernlil*; i[irii défaut de tout argumcnl
contraire on peut l'aire remonter aux dernières aunécs da j.x« siècle la prise de pos-
session du Limousin par les comtes de Poitou.
(2) Ann. de Saint-Berlin, p, 355, Saiut-V'aasl.
i'i) Chron, de Touruine, éd. Saliiiuu, pp. 107 et loS.
EBLE MANZER
5?
en 908 los moines de Chanoux de rapporter dans leur monas-
tère le bois de la Vraie Croix et les ornements précieux de leur
église, qu'à la fui du siècle précôdenl, par crainte des Normands,
ils avaient mis en sûreté à Angoiilème. Mais le comte Audouin
ne voulait pus se dessaisir du trésor dont il était détenteur ; il
lui avait inôuie assij^né une église de sa capitale pour lieu de
dépôt, celle de Saint-Sauveur. Cependant, une maladie de lan-
gueur étant venue Tatleindre et la famine ravageant ses états,
il crut voir dans ces faits une inlervenlion divine et, en 91 o, il
chargea son fils Guillaume de reslitu*M- aux moines de Charroux
le bois précieux qu'il avait fait placer dans une châsse dorée
enrichie de pierres [jrécieuses (1).
D'un autre côlé, en !)1 f (2), les moines de Saint-Maixent proje-
tèrent de faire revenir de Bretagne le corps de leur saint patron,
mais, quand lecorlègealleignitla Loire, ils apprirent (pie lesjiaïens
dévastaient le Poitou. La Bretagne, d'où ils venaient, était aussi
menacée ; dans celte alternative, il ne leur restait d'autre res-
source que de s'éloigur'r au plus vite. Us remontèrent le fleuve, cl
achetèrent l'église de Candé-sur-Beuvron, mais, le danger élanl
loujaurs imminent, ils ne purent se fixer en ce lieu, et, conlrainls
d'aller toujours de l'avant, ils gagnèrent l'Auxerrois, où le comte
de Bourgogne, Uichard, leur donna l'hospitalité (3)
C'était devant Hollon que s'enfuyaient ainsi les porteurs des
précieuses rfliqucÀ. Le grand chef des Normands dirigeait en ce
moment une des phis imporlanles entreprises qu'il uil tentées.
Après avoir ravagé le centre de ta France, il s'était replié sur
Chartres. L'évêque de cette ville, Gualeaume, s'adressa, pour
avoir des secours, aux d^'ux plus vaillants et plus puissants guer-
(i) Chron. d'Ailèmar, p. i41. l^e morceau du bois de la Vriiic Croix, dont la pns
session donna t:inl rie rolief <« l'abhaye de Charroii.v, avjiil été donné h Cliiirlcriiai^nu
par le palriarclio de Jérusulcni et déposé par ce prince dans l'étflise de Clj.irroux. que
til construire son fidèle, le cjnilc de Litiiaye<, Roçer. Celte Jibl);iye dut à coltc cir-
Cunsluncc la sarictiHc^lion de son nom, Sanctus Ctifrufits, ainsi <|uc nous l'apprcod
Adémar {C/iron., p. i6j.. add.), Icipicl dési^jnc çcocralcmenl celle locidîté avec ccUe
qualiScatiou pieuse.
(a) Ciirtiil. de lltilnn, éd. de Courson, pp. aaS-aSo,
(3) Le domaine où le roaile da Ri:>urs^Q<>;ao installa tes reli<riciiY de Hi'don. silii(i
sur les bords de l'Arniançon, s'appelail Ancy. C'est une commune du diîpartcment de
l'Yonne, pendant lon-^lcmps désitçaée sous le nom d'Ancy-le-Scrveux cl qui porte
aujourd'hui celui d'Aacy-te-Libre; son église a toujours saint Mnixenl pour patron.
58 I^ES COMTES DE POITOU
riers du royaume, Richard le Jusiicier, comte de Bourgogne, el
EbleManzer, comte de Poitou. A diverses reprises, ces deux comtes
avaient essayé de secouer Tapalhie des Francsqui conslil uaient l'en-
lourage de Charles le Simple, et s'étaient offerts, en cas de guerre
avec les païens, devenir directement en aide au roi. Ils répondirent
donc favorablement à la supplique de Guateaume, et, rassemblant
leurs troupes, ils se dirigèrent vers Chartres, où Robert, duc de
France, devait venir les rejoindre avec les contingents du Nord.
Rollon,qui assiégeait la ville, se vit h son tour menacé. La bataille
s'engagea le samedi 20 juillet 911. Afin de paralyser la tactique
habituelle des Normands, qui se déployaient en arc de cercle et,
par leurs pointes, cherchaient à pénétrer dans le gros de l'armée ad-
verse ou même h la prendre à dos, Richard divisa ses troupes en
trois corps : le premier comprenant les Aquitains, c'est-à-dire les
contingents d'Auvergne el de Berry commandés par l'auvergnat
nalmace(l), assistés d'une troupe de Neustricns d'élite ; le second
corps était composé de gens du Nord, et le troisième du gros des
Neustriens. Le centre de RoUon, qu'il avait dégarni pour ren-
forcer ses ailes, fut enfoncé, et quand celles-ci eurent fait leur
mouvement convergent elles se heurtèrent au second corps, à qui
le troisième vint en aide. A ce moment, les habitants de Chartres
firent une sortie sous la conduite de leur évêque ; Rollon, se
voyant cerné, culbuta les troupes qu'il avait en face et opéra sa
retraite. Les Aquitains firent alors volte-face et achevèrent de
décider la victoire. Mais si une partie des Normands put rejoindre
son chef, qui n'était pas inquiété dans sa marche, ceux qui com-
posaient l'aile séparée de lui par l'armée des comtes ne purent
le rejoindre et, combattant pas à pas, finirent par gagner la colline
de Lèves où, la nuit survenant, on cessa de les poursuivre. A cet
instant, Eble, qui avait été retardé dans sa marche, arriva avec
ses Poitevins. Il reprocha amèrement aux Francs el aux Bour-
guignons de ne pas l'avoir attendu, leur disant : « J'aimerais mieux
mourir avec tous mes compagnons plutôt que de ne pas me battre. »
Les confédérés lui montrèrent le parti qui occupait la colline de
(i) T^ vicomte Oalmacc fut témoin d'une donation faite au monaatèrc de Sauxillan-
ges, le II octobre gaô, par Acfrcd, comte d'Auvergne el duc d'Aquitaine {Cariai, de
Sauxillanges, kà. Doniol, p. 5o).
EBLE MANZER 59
Lèves et lui dirent de Texterminer afin de vensrerle san^ des leurs
qui avait été répandu dans cette tuile formidable. Eble monta à
l'assaut de la colline, mais les Normands, combattant avec le
courage du désespoir, réussirent à le repousser. Les Poitevins
apportèrent alors les fascines et aulrt^s objets dont les troupes de
RoUon s'étaient munies pour donner Tassaul h la ville ; ils comp-
taient s'en servir pour entourer la position des assiégés, mais
ceux-ci s'en emparèrent el formèrent une enceinle dans laquelle
ils se trouvaient à l'abri. Pendant celemps, les Francs restaient
paisibles spectateurs de la lulle. Eble, voyant qu'il ne pouvait
aboutir el que le succès élail incertain, fit demander aide à
Kicbard, qui avait installé son camp sur le champ de bataille ; avec
son secours on entoura la colline de façon qu'aucun Normand
ne pûl s'échapper (i). La situation de ces derniers devenait des
plus critiques; ils tinrent conseil, cl l'un d'eux, Frison de nation,
leur donna cet avis : « Pendant le silence delà nuit, qu'un certain
nombre d'entre nous descendent de la colline et se glissent sans
bruit, aussi loin que possible, au milieu des tentes; ils sonneront
alorsde la trompette. En entendant ce bruit, nos ennemis croiront
queRollon est revenu lesatlaquer et, remplis d'effroi, ils s'enfui-
ront de tous côtés. C'est alors que, profilant de leur désarroi, le
restant de notre troupe se précipitera sur le camp, et là, com-
battant avec acharnement, nous arriverons aie traverser. » Ce plan
s'exécuta. Les troupes de Richard, surprises dans leur premier
sommeil, se dispersèrent de toutes parts el livrèrent passage aux
assaillants qui se hâtèrent de gagner les bords de l'Eure, où ils se
retranchèrent sur une motte, dans un marais. Puis, pour arrêter
la poursuite des cavaliers qui composaient l'armée des comtes, ils
employèrent le procédé barbare de se former une enceinte avec
les cadavres dépecés el les chairs sanguinolentes d'animaux do-
mestiques. Quand, au matin, l'armée, revenue de sa panique, cons-
tata la fuite des assiégés, la poursuite recommença, mais les che-
(1) Le corps de saint Maixent s? trouvait encore, le 27novemltrc 910, dans sa rési-
dence bretonne de Maxcnt {Cnrlal. de iiednn, p. 22O"), où il avait été transporté vers
8G0; or, comme le comte Richard est mort en 921, et qu'il n"v a pas trace d'une im-
portante invasion normande dans ces réarious entre celle de Rolloa en 91 1 et celle de
RaçhcnoU en 928, il en résulte que l'exixle des moines de Saint-Maixent ne peut se
rapporter qu'à l'invasion de 911.
fto
LES COMTES DE POITOU
vaux reculèrenl devant robslaclerépufînanl qui leur était opposé,
et les Normands, laissés en paix, purent s'embarquer tranquille-
ment et rejoindre leur chef (1). L'émotion causée par leur attaque
soudaine pendant la nuit avait élé telle qu'Eble s'était enfui cotnme
lesaulresetrestacaché jusqu'au jour dans lamaison d'un foulun(2).
Si les bandes normandes n'avaient pas été anéanties, néanmoini*
un grand résultat avait été atteint. KoUon sentit que, désormais,
il ne lui stillirait plus de se précipiter sur une contrée pour voir
la population se dérober devant lui; il comprit que l'idée de la
résistance h outrance était néeel le fait que sa tactique ordinaire
avait été déjouée lui inspira des craintes pour l'avenir. Aussi
accepla-t~il peu après les avances que Charles le Simple lui fît
faire et, Tannée suivante, le traité de Saint-Clair-sur-Eple, en lui
donnant la Neuslrie occidentale et la tille du roi, hl-elle de lui
undéfenseur de celte société dontjjusqu'à ce jour, il n'avait cessé
d'être l'ennemi. Du reste, la frayeur inslincliveque les .\ormands
inspiraient de(»uis [dus d'un demi-siècle se dissipait peu à peu par
reifel do leur IVéquentatiun ; les connaissant mieux, on ne redouta
plus d'entrer en lutte avec eux, si bien que lorsque Hac;benold se
lança, en 923, sur la haule^Loire avec tous les aventuriers qu'il
put rassembler, il trouva devant lui les Aquitains, commandés
par Haymondj coiiile de Toulouse, et Guillaume, comte d'Auver-
gne, qui rarrèlérent cl lui tuèrent douze mille hommes f3).
Elile ne paraît pas avoir pris part à celle dernière allaire, d'au-
tant plus qu'il semble qu'à celle époque il n'avait rien à redouter
des pirates danois. Ceux-ci, depuis leur apparition sur les côtes
de Franco, n'avaient pour ainsi dire pas quitté l'embouchure de
la Loire qui fut le théAtre de leurs premières expéditions^ mais
(i) DudoQ de Sainl-Quenlîn, f)e ruoribiis lYormanniœ iiiitcnm, I. II, zl{ (éd. Lair,
p. 165); RicluT, flisloire, lîv. I, aS-Jo. Voy. aussi Lair : Lr. siè^e de Cliarlies p.ip
les NoriiLiiids, Cuiifjrés archèol. de France, L.WH* session, pp. lytielss.
(a) tieUe avenlurf. nipporlcc p.ir DudûJi cl iiiuplilk-c p;ir (îyill.'miiie de Jumicge!«
{ftr.c . (les hisi . de Fromc, VIII, p. îM}, fut pendant Jon;i^leiii(>s nialièrc à plais:iii-
leric pour les Normands. Elit' Hl iiii^iiie Tubjel d'une clioiison saliriijuc <ju'un trouvère,
parlant « d'Ebalus *|ucns d*.' l'ciliers >•, ruppcJJiit cnrorc au xii'' »ièfle cJaus le» vers
Buivauls:
Vers en Ureul e cslniboz (chaDsou)
Il ont assez de vitains nio/.
fBcnoît, C.hron. des ducs île Normandie, I, pp. afi*') et 288.)
(3) Rfc. des liist. de France, VIJI, pp, 17g ut 180, Fludoard.
EBLE MANZER
6i
aussi ils n'avaioni guère louché à la Bretagne proprement dite,
où dos chefs résolus avaient toujours su les tenir à distance. En
9!l,ils finirent par se jeter sur elle et enfin en 91 9, après plusieurs
années de luttes sangliinles. ils en avaient fait l'invasion métho-
dique. Ils s'étaient d'abord atlaqués à Nantis, qui tomba à nou-
veau en leur pouvoir el où ils s'ôtablirenl à demeure, à la suilc
de U cession du comté nantais que leur fit, en 921, Robert, frère
dEudes, qui, chargé de la défense des Marches, n'avail pas trouvé
d'aulre moyen de se débarrasser d'eux. Vis-à-vis de Nantes, de
l'autre côté de la Loire. s<^ trouvait le pays de Raiz, que Charles
le Chauve avait jadis cédé à Erispoé ; les chefs normands, étant
aux droits dos comtes do Nantes, s'y installèrent et, parlnntde là,
poussèrenttous lesjours plus loin leurs déprédations dans la partie
du Poitou qui confinait à leurs possessions; bientôt cette région ne
fut plus qu'une ruine. Désireux d'arrêter ce mouvement qui mena-
çait de gagner le centre de ses possessions, Eble, se conforinanl à
la polili(|ue de l'épotjiie, arrêta les pirates à prix d'argent; il olïrit
d'abord de leur abandonner les territoires dévastés et presque
déserts de l'ancien comté d'ilerbauge et de plus il s'engageait h
leur payer un tribut aimuel, moyennant quoi ils s'éloigneraient pour
toujours du Poitou. C'est ce qui eut lieu : les barques normandes
en cours d'expédition dans la Loire respectèrent désormais le
littoral poitevin el on ne voit pas que les bandes qu'elles portaient
aient, pendant les vingt annéesqu'elles occupèrenlle pays nantais,
manqué à leur parole. Telle nous paraît devoir être l'explication
d'un l'ail que certains hisloriens poitevinsonl nié par patriotisme
elqui, mieux compris, est lout à l'honneur d'Eble.
Ilnesemldepasquelecomb'dePoilousesoit lancé dans de gran-
des expéditions militaires et qu'il l'ùl un de ces hauts barons dont
l'état de guerre était la vie ordinaire ; il est hors de doute qu'il
eut des difficultés avec des voisins entreprenants, mais son carac-
tère conciliant dut amener proroptemenl la fin de ces contes-
tations, dont le souvenir n'a pas été conservé (t). Ce qui élait de
(») M. Desnoyera (Ann, de lu Soc. de r/iiifl. de France pour i855, p. i83) dit,
à l'arlide de Guillaume I*'', comte de Périçord, qu'EbIc, comte de Poiiiers, lui enleva
l'AgeDaîs ; nous ne nous arrêterons pas à discuter cette opinioa qui ne repose sur au-
cun rondement et qui a élé reproduite dans les mêmes termes par M. de Mas-Latrie
dans son Trésor de Chronologie, col. lôôg.
6s
LES COMTES DE POITOU
la prudence, voire môme do l'habilclé, devait passer aux yeux de
beaucoup pouf d(î la couardise, particulièreiuenl chez les Nor-
mands, dont les historiens ne larissenl pas sur les démérites des
Poitevins, identifiés par eux avec leurs chefs.
Poursuivant la politique de lîenuui, l^ble fut, en Aquitaine, i'uu
des principaux tenants de la dynastie carlovingienne, mais sa
déférence envers Charlf's le Simple, qui avait été le pupille de son
père et dont il avait été le compagnon pendant son enfance, ne
fut pas poussée jusqu'au point de faire de lui l'iiomnic du roi.
Bien au contraire, il se portait presque son égal, s'intitulant
K comte par la grâce de Dieu » aussitôt qu'il eut reconquis son
comté et témoignant par 1;\ que, s'il soutenait les intérêts de
Charles, c'était avec la toute plénitude de son indépendance (1).
Il avait du reste de nombreux motifs pour se montrer hostile à
Itobert, son ancien adversaire, quand celui-ci, qui avait succédé
à son frère Eudes comme duc de France, voulut, à son exemple,
monter sur le trône. 11 se GL élire roi le 22 juin 922, mais Eblc ne
reconnut jamais cet acte (2). Robert n'eut pas le temps do cher-
cher à réduire le Poitou; le 16 juin 913, il fut tué à la bataille de
Soissons; toutefois Charles le Simple ne jouit pas longtemps de ce
succès, car, en 924, Herbert, comtede Vermandois, l'ayant attiré
dans un piège, se saisit de lui et l'enferma dans le chiiteau de
Péronne (3). Herbert prit parti pour un nouvel adversaire du
( j ) Dc3 l'année 907, il se qualifiait ainsi : n Prevcnicnlc gratia Dci comileni » (Arch.
de la Vienne, orijj.» Noailié, ni^ au) ; en gS/j, ou relève aussi celte formule : a Ebolus,
nùsericordia OuJ^Picluvui'Uni umilis cornes » (Arcb.dc la Vtenue^ orig'.,Saint-Cyprien,
QO i).
(2} On trouve la preuve ccriaine de ce fait dans le eonlexle de la date apposée par
Adalberl, scribe du ch.ipiire de Saiut-llilaire de Poitiers, «u bus del'aclc qu'il venait
de dresser en avril 92^ pour des particuliers et qui porte la mention qu'it fut passé la
vingt-sixiôtiie année du règne de tlliarles le Simple ^Hédet, Doc. pour Sai/it-//ilaire,
l, p. 19).
(3) D'après rialerpol&teur d'Adémar de Chabamiea (cd, Cbavaiiou, p. i/p), Charles
sérail venu en Limousin chcrcbcr des secours et rarniée uvec ta(]ucllc il combattit à
SoissoQS aurait clé formée partie d'Ai|uilaius el partie d^\Ilemauds. Puis, après la vic-
toire, le roi aurait envoyé à Saint-Martial des li\Tes cl des orucmcuts jtrccieux, dé-
pouilles de la cbapelle doincsLi(|ue du roi Hubert. iM. Eckel, auteur d'un travail criti-
que sur Charles le Simple (i//i/. de VEtole des //aitles-Khidrs', jï/j" fascicule), ne
Bi|j;oale inèiiie pas ces faits qu'il a dû considérer comme de la pure Jéi^eiide, d'aulaul
plus ijue !e narrateur y fait intervcDir Othon, empereur d'AII''UKi|çne, qui u'est monté
sur le trône i]ue treize ans après la bataille de; Soissous. Il n'y a pas lieu d'accorder
plus d'autorité nu texte reproduit par le Gallia Chrisliaius, II, col. G56, à l'article
d'Elieune, al/bé de Saint- Martial, lequel rapporte que, sur l'ordre de Charles le
■
4
EBLE MANZER
G3
pauvre cari«r^'ingien,ci savoir.dc Raoul, duc de Bourgogne, qui, un
mois après la tnortde Hoberl.le 13 juillet 923, s'élait fait élire roi.
Taul que Charles avait pu lutter contre l'usurpateur, le comte
de Poitou lui avait gardé sa foi, et on en a la preuve par les for-
mules qu'il faisait insérer dans les actes émanés de lui ou dans
ceux que des particuliers de ses étals passaient entre eux. Mais
quand ce prince fut enfermé dans un lieu d'où il ne semblait plus
devoir sortir, qu'il ne possédait même plus l'ombre du pouvoir,
il fallut bien accepter les faits accomplis, toutefois, en y mettant
une restriction signiiicative : les actes poitevins furent donc datés
de l'année du règne de llauul, à laquelle on ajoutait cette men-
tion caractéristique que ces cboses se passaient pendant le temps
que Charles était détenu en prison (1). Kaoul ne sembla pas
d'abord prêter attention à ces indices de mauvais vouloir et il
chercha à se rapprocher d'Eble. Comme il était toujours en
compétition avec le comte d'Auvergne au sujet de la possession
du 13erry, il avait intérêt à se ménager le comte de Poitou,
dont on connaît les liens étroits avec les comtes d'Auvergne, à
qui il pouvait prêter, en cas de lutte, un puissant secours. Accor-
der des faveurs c'était se créer des amis et, parmi ces témoigna-
ges d'amitié que le roi de France prodigua à Ebie, on peut citer
l'acte par lequel il mil, à la fîu de 9â3, la puissante abbaye de
Tulle, en bas Limuusiii, sous la sujétion de celle de Saint-Savin en
Poitou. Bien qu'Eble fùldepuis vingt ans en possession du titre de
comte de Limoges, son autorité n'était pas aussi solidement éta-
blie dans ce pays que dans son domaine héréditaire, et le fait
d'avoir dans la partie la plus éloignée du comté un poste impor-
tant, occupé par un liotnme à sa dévotion, c'était une garantie de
Simple, Karolo J/Z/iorf, cet abbé aurail fortifié Lîmoçes pour s'opposer aux entrepri-
ses de Guilluume, cooile dcF'oilou; or, le roi de Fraticc mourul eu 92g, tandis que le
premier des comtes de Poitou du aoni de Guillaume n'arriva au pouvoir qu'en 935
{Voy. Duplès-Apier, Chron. du Suinl-A/i-trlial, y». 3, Coinmeuioratio abbaium).
(1) « Ouando Kurolus in cuslodia leiiebalur » (Rédel, Duc. pour Saùtt^I/iluire,
I, p, ao, doaalion datée de lu deuxième année du rc!;ne de Uaouï.aoûl 924). La même
formule se retrouve au bas de chartes de l'abbaye de Noaillé, avec quelques variau~
les: l'anno m r«giii RoduUi quatuto Karolus in custodia teaebatur», décembre925;
H auno un re<^iji Uodulfi rct^i Karolo iu custodia lenentcm •>» juin 9^7 (Arch. de la
Vienne, orig., Noaillc, n"» 3i et 32).Cepcada(i(, ù Saint•^faixeQt,au njois de marsga/j,
Raoul est désigné cuiuiuo roi sans aucune autre uicutiuu (A, Richard, Chartes Je
Saint Maijcetit, I, p, 22),
64 LES COMTES DE POITOU
plus pour l'exercice de. ses droits de suzeraineté sur les turbulents
seigneurs de celte r<^gion(l).
Satisfait, Eble se tint tranquille. Il reconnaît Raoul comme
roi de France, et à mesure que le temps s'avance il s'éloigne de
Charles dont il finit par approuver l'emprisonnement. Ainsi, le
8 avril 925, ayant tenu à Poitiers un plaid solennel auquel assis-
tèrent les personnages les plus importants de ses états, il se con-
tenta de faire constater par Adalhert, le notaire de Saint-llilairc
et peut-être le sien, que Charles était retenu en prison avec ses
infidèles, c'est-à-dire avecles gensqui suivaient sa cause etétaient
hostiles au roi de France, autrement dit à Raoul, bien que le nom
de ce dernier fût omis dans la formule de la date et que celle-ci
fût exprimée par le nombre des années du règne de Charles, la
Irenfième (2); mais Tannée suivante, au mois de janvier 926, ayant
assisté à une donation faite à l'église de Sainte- Radegonde, il
laissa Rainard écrire que l'acte était passé la troisième année du
règne du roi Raoul, « alors que Châties élait à bon droit retenu
en prison avec ses infidèles (3) » .
Ayant donc réussi à détacher le comte de Poitou du groupe de
ses ennemis et étant à tout le moins sûr de sa neutralité, Raoul
(i) De Lasteyrie, Etude sur les comtes de Limoges, p. 4'» d'après Baluze, Ilist.
Tiitet., app., col. SaS.
(2) « Anno XXX, quando fuit Karolus deteatus cum suis infidelibus i> (A. Ri-
chard, Charles de Saint-Maixent, I, p. 24, d'après l'oris^inal). Ce dernier acte est
daté du jeudi 4 des calendes de mai (28 avril) de la trcnticnic année du règne de
Charles le Simple. D. Fonlencau (t. XV, p. 98) a rapporté cette indication à l'année
928, D. Col et M. de Lasteyrie à l'année 927 (De Lasteyrie, Etude sur les comtes
de Limoges, p. 1 14), mais il appartient réellement à l'année gzf), où le 28 avril tombe
un jeudi. Il semble toutefois A première vue qu'il y a contradiction entre cette année
925 et la trentième annécdu rè^ne de Charles leSimpicqui, selon le comput ordinaire,
lequel fait partir le règne de ce prince du i<t janvier 898, date de la mort du roi
Eudes, correspondrait à l'année 928; mais ce mode de compter comportait des excep-
tions et certains dataient le commencement du rcgpc de Charles le Simple du jour
où Eudes lui attribua officiellemeat une partie du royaume de France, c'est-à-dire
du 4 avril 896, ce qui fait correspondre la trentième année du règne de Charles à
l'année 926. Tel est le système qui a clé suivi,dans le cas présent, par le notaire Adai-
bert. Il n'est pas hors de propos, à ce sujet, de faire remarquer que nous avons suivi
la règle commune pour fixer la date des actes de celte époque lorsqu'elle est sim«
plement fournie par l'énoncé des années du règne de Charles le Simple, et en consé-
quence il pourrait arriver, si le notaire rédacteur d'un acte s'est conformé au système
d'Adalbert, qu'il y ait lieu de vieillir ce document de deux ou trois ans.
(3) Anno III regni Kodulfi régi, Karolo cum suis infidelibus mérite captus (Bîbl.
Nat., ull'-s acq., latin, no 2806, fo 2, orig.; Besly, Hist. des comtes, preuvcs,p. 2a5).
EBLE M.VNZEK
r.r>
se tourna vers TAuvergnc, oh toutes sos tentatives avalent éclioiiô.
Dans le courant de l'année 924, il s'attaqua au comlo (îuillaumc
le Jennej qui se refusait ouverlemonl à le reconnaîlre pour roi.
Au cours de sa marche, il se trouvait arrêté sur les bords de la
Loire, dans TAulunois, lorque le comte riuillaiinie parul de l'autre
cùté du lleuve. Avant d'en venir aux mains, des pourparlers s'en-
gagèrent entre les deux parties; enfin, presse par les siens, le
comte se décida ti passer le fleuve el à venir faire sa soumission
au roi qui l'attend ail h cheval ; malgré l'accolade qu'ils éclian-
gèrenl, l'accord ne se fil pas de suite et c'est seulement aprt'stiu il
jours de négociations que Raoul, trouvanl sans douLe son intérêt à
céder aux demandes du comte d'Auvergne Jui reslilua le Berry(l).
Comme on peut le croire, celte réconciliation n'était pas bien
sincère, et, en 926, les hostilités recommencèrent ; le roi, repre-
nant sa primitive entreprise, attaqua Nevers, qui était défendu
par Acfred, frère de Guillaume, et se fit livrer par lui des otages en
garantie de sa soumission, puis il poursuivit le comte jusque dans
l'Auvergne et allait sans nul doute l'atteindre, quand une inva-
sion des Hongrois le contraignit à se retirer. Guillaume survécut
peu à ces revers successifs et mourut le 16 décembre 92G (2).
Il eut pour successeur Acfred, qui professait les mûmes senti-
ments que lui à l'égard du roi de France el qui les a exprimés de
la façon la plus énergique dans l'acte defondalion du monastère
de Sauxillanges que, par son ordre, le prêtre Raginbert data ainsi :
M Fait le 5 des ides d'octobre (It octobre 027), la cinquième
année à parlir du jour où les Francs, manquant à leur serment
de fidélité, «in/ideJes.n envers leur roi Charles, le dégradèrent,
« inAonestaverunt », el se clioisirent Raoul pour chef (3). » Acfred
mourut peu après, à la fin de celte même année i>27, ne laissant
pas d'enfants et sa succession, comprenant tes comtés d'Auvergne
el de Velay el le titre ducal d'Aquitaine, passa àFble, son parent
(i) Rec. des hiti. de France, \'\U, p. i8r, Flodoard; RJcher, Hlsloire, I. I, 48;
Ckron. de Touraine, p. iio.
(a) Rec. des hisL de France, VMI, p. i8/|, Flodoard.
(3) Cariai, de Sauxillanges, a" xiii, p. 5i. Dans le cariulaire de Suint-Julieo de
I3rioude,oa relève remploi de formutes aussi énergiques lant du vivant de Guillaume
le Jeune que de son successeur dans des acles des i(i février, 1 1 octobre el 8 décem-
bre 926 cl 1 1 octobre 927, (Voy. Brucl, Essai sur lu chronologie da carlul, dc
Brioude.)
Ofi
LES COMTf;S DE POITOU
ùloigrir, qu'il avait pu du reslo désigner commo son successeur,
el qui 6Lail, à celle époque, le seul descendant direct de leur
ancêtre commun (1).
Comme Charles le Simple jouîssaitalors de quelque liberté, son
geôlier, le comlcdeVermandoiSirayanl momonlanémenl lire de
sa prison, El)U; ol>linl de lui d'i^lre coiillrmé dans la possession de
l'important liérilagc qui venait de lui échoir (2). Mais la restau-
ration de Charles n*eul qu'une durée éphémère; le malheureuv
prince fut enfermé de nouveau dans la lour de Péronne, où il
ne larda pas à succomber, le Toctobre 929, el sa mort remit bien
des choses en suspens.
Eble, malgré quelques défiiitlances, ne s'était pas contenté de
lémoîgner liaulement de sa fidélité fi la racccarlovingienjie, dette
do reconnaissance que son père lui avait léguée et dont son édu-
cation s'était ressentie; il airiinia un jour ces sentiments par un
lénioignage palpable qui est parvenu jusqu'à nous. Bien qu'Eudes
eut. par l'expulsion du fils de Uenoul II el par la reconnaissance
d'Aymar, mis fin aux volléilés d'indépendance des comtes de
l'oilou, il ne paraît pas toutefois avoir exercé sur le pays une
aulorité assez directe pour y faire prévaloir le monnayage à
son nom qu'il avait imposé à Bourges, à Limoges et à Toulouse.
{i) Voici, d'après les ruchcrches de M. Mabillc (Lr royaume d'Aquildirte, p. 19), le
Inlilfjiu de la (ilialiou des camlcs d'Auvergne et de Poitou, établissanlqii'Eblc cl Acfred
èlaicnl pnrcats au dixiùmc degré:
Gérard, comlc d"x\uvergQe
I _
RcuolJ Ilt, cûmle de Puiloa
I
Guillaume, frëre deGérard, qui Fui comte
d'Auvergne après lui.
Bernard I, comte d'Auvcry;De.
RcDouI II, comte de Ptiilou
Eble, comte de Poitou
Bernard 11 Plantcvcluc, comte d'Auver-
guo.
Guillaume le Adaliude, mariée à Acfred,
Pieux, ct« comte de Carcassonnc.
d'Auver-
gne.
Guillaume le Jeuuc, AcTred, comte du
comLcd'Auvcr^ne Géviiudan , puis
d'Auveriçne.
(2) Chron. d'Adè/nar, p. i^'i. AJéuiar commet une erreur en disant qu'Eblc suc-
céda dircclemcnl à Guillaume le Jeune. H n*a pas eu coonaLsanoce d'Acfred, qui no
fui, il est vrai, ijiie pendanl quflttiu's mois en possession de rbérilaye de son frère.
EBLE MANZKR
67
Aymar conliiitia à émeUi'o ou Poitou des aïonnaios au nom cl au
monogramme de Charles io Chauve, accompagnas do la croiseltc
comlale, ainsi que l'avaicnl fait ses prédiicesstHirs. Eblo s'affran-
chit de celle routine, el fil preuve dans celle malièrc d'un espril
d'initiative que l'on relrouve dans beaucoup de ses actes. Les
monnaies poilcvines frappL'Os jusqu'à ce jour porlaicnl d'un côlô
une pelite croi.v avec le nom du roi, carlvs ou c.vrlem.vnvs
REX, et de l'aulrc celui de Talelicr de xMelte, metvllo, encadrant
le monogramme royal II ne loucha point h la marque essenlielto,
celle qui s'appliquait au roi, mais, sur le revers, reprenanl un
lype des monnaies de Charles le Chauve, il plaça le nom de Melio
sur deux lignes, seulement on lui appliqua l'orlhographcdu Icmps
et MRTALLVM deviut MKTALO. Du coup, lo monogrammc du roi
disparut, el comme ces pièces n'avaient pas leurs similaires dans
le monnayage royal, Eble supprima la croisctte qui permellail
jusqu'alors de distinguer la iahricalion du comte de Poitou de
celle du roi de France (1).
La drsparilion de son compélileur ayant enlevé à Haoul loulc
crainte au sujet de la fidélité des grands seigneurs du royaume,
il reprit ses projets de domination directe sur l'Aquitaine. La
maison d'Auvergne disparue, ce fut à celle de Poitou qui la rem-
plaçait qu'il s'attaqua, et il le fil sans larder. Bien qu'Ehle, quand
il lui fut acquis que la restauration de l'ht^ritier des Carlovingiens
élait impossible, eut l'cconnu à tout lo moins dans les protocoles
de ses actes la royauté de Raoul que, pendant deux ou trois an?,
il avait feint d'ignorer, co dernier ne fut pas dupe de celle
manifoslalion platonique, attestée par ce qui se passa dans les
élahlisscmonls i-eligîeux de la région où l'on voil, de 92-ï à 927,
certains d'entre eux, tels que Saint-Hiluire, Sainle-Hadegonde,
Saint-Maixenl, inscrire dans leurs formulaires le nom de llaoul,
tandis que d'aulres, tels que Saint-Cyprien, ne connaissaient que
Charles le Simple (2).
Tout d'abord, dès 030, sous prétexte d'aller comballre un parti
de Normands qui avaient fait irruption dans l'Aquitaine, il péné-
tra dans ce pays et rencontra les envahisseurs dans le Limousin,
(1) Voy. Appendice VMI.
(a) Cart. de Saint-Cyprien, pp. iSi'i, i55 et iSS,
68
Li:S COMTKS DE PDITOL'
OÙ il les di^fil coniplèlcinoiil ( t ). Ce sl1cc^s lui accjuiL hoaunmp do
r^iMilalioii auprès dos Aquilairis oA les disposa en sa ravpur; mais,
rappelé en France par lagiieirc que se faisaient Hugues le Gi-and
elle comte de Vermandois, il ne poussa pas plus loin son enlro-
prise; toutefois, eL ce fui un premier acle de méfiance à l'égard
d'Eble, ildétivia l'abbaye de Tulle de la sujétion envers l'abbaye de
Sainl-Savin qui lui avait été imposée sepl ans auparavant el alTai-
blil d'autant l'autorité dti comte de Poitou dans cette partie reculée
desesélals. Il esl possible que celle mesure de Raoul ail concordé
avec la mort d'Adémar, seigneur des Echelles, abbé laïque de
Tulle. Ce dernier, qui n'avait pas d'enfants légitimes, (il vers celle
époque son lestamonL en présence du comte de Poitou, de son fils
Guillaume, des comtes Odolric et Cauzberl, Il abandonnait aux
moines de Tulle les grands biens qu'il possédait dans les comtés
de Limoges el de Cahors el ne demandait en relour que des
prières pour le salut de son âme, pour sa femme Gauzla, pour
le roi Haoul et pour son seigneur le comte Eblc, qui avail donné
son consenlemenl à cette générosité {'!). C'esl à la même époque
que, pour couper courl à loutes les prélenlions qu'Eble pouvait
faire valoir sur le Berry en sa qualité d'hérilier des comles
d'Auvergne, Raoul déclara que ce pays ferait désormais parlie
inlégranle du domaine royal el no posséderait plus do comle(3).
Durant Tannée !)JI, le roi vint de nouveau en Aquitaine sous
ombre de réconcilier certains scigiieui's du pays qui se faisaieul
la guerre (i), mais des dissensions ayanl éclaté dans le nord
de la France, il dut encore repartir el, pi^r là, fut cuipcché de
donner suile h des projets qu'il poursuivit résotumenl l'année
suivante (932). Toutefois, avant d'agir, Raoul prit soin de s'assu-
rer la neutralité el peut-Être l'aide des grands seigneurs du
Midi. Il leur donna rendez-vous h la limile de ses possessions,
sur les bords de la Loire; là on vil se rendre Raimond-Pons,
comle de Toulouse, el Ermcngaud, comte de Rodez, qui placèrent
leurs mains dans celles du roi et lui jurèrent fidélité suivant la
(i) Rîcher, Histoire, 1. I, 07; Hec.des hisl. de France, VIII, p. i80^ Flodoard.
(a) Gtttlia Christ., Il, instr., col, aoS.
(â) De Lastcyrie, Elude sur les vomies de Limoges, p. 40/ d'après Baluze, Hist.
Talel., app., col. Ï25.
(4) Flodoard dil ausi<i 4]ue Raoul fut visiter le tombeau de saîol Martin (/{ec. des
hist. de Fratu'.e, VIII, pp. 186 et 187).
EBLE iMANZEK 69
formule que celui-ci leur imposa. Quant à Loup Acinaire, comle
des (lascons, il fui encore plus loin ; il remit son bi^néfice à
liaoul qui le lui rendit et lui concéda do le tenir désormais dii'ec-
lemenl du roi de Fiance (I).
Cesacles tHaicnl évidemment dirigés contre l'Ible, à qui on en-
levait les droits de suzeraineté qui lui appartenaient en sa qualité
de duc d'Aquitaine, mais Raoul ne s'en tint pas là. Quand il eut
ainsi délaclié du coml»^ de Poitou ceux-là qui pouvaient lui parler
secours, il i^'atlaqua direclement à lui. Il ne semble pas qu'lible
ait voulu tenter le sort des armes ; il préféra se soumettre aux
dures conditions que lui posa son adversaire. Afin de rattacher à
sa cause le comte de Toulouse, Raoul avait dû lui faire des pro-
messes dont la dépouille d'Eble était le gage; en sa qualité d'hé-
ritier pour partie du Guillaume le Pieux, dans la succession de
qui il avait recueilli le marquisat de Golhie, Raimond-Pons re-
vendiquait le lilre de duc d'Aquitaine et, par surcroît, le comté
d'Auvergne : Raoul lui donna l'un et l'autre (2).
Bien qu'à première vue le sacrifice consenli par Eble paraisse
considérable, il diminue d'importance quand on l'examine de
près, et l'on en arrive à constater que sa soumission spontanée
aux volontés de son ennemi fui un acte d'babiteté politique. Isolé
comme il l'était, il se sentail incapable de résister aux forces dont
le roi de France pouvait disposer ; vaincu, il était menacé de
perdre ses étals el peut-être la vie; il préféra transiger et s'assu-
rer la possession tranquille de son patrimoine en abandonnant
ce qui faisait l'objet do la convoitise de ses adversaires, d'autant
plus que, n'élanl pourvu que depuis peu de temps de Thériiage
(1) Richer, Histoire, I. I, 64; Rec. des hi$t. de France, VJII, p. tSS, F'iadoard.
(2) D.Vaisselc, //<»/. </(?Z.anyrtf*/ot\n"* éd., III, p. 1 1 1. LcabaoûlgStiiftaiiuond-Pons,
prcDADlle lilre de duc des Aquilaius, assiste daus l'é^'lisi- de Saiul* Julien de Brioude,
en compagnie de Godciscac, ëvcque du Puy, des vicomtes Dalniace el Robert, à uoe
donation faite en faveur de ce innuuslcrc (Doûiûl, Curlul . de Jiriuiide, JUèiii. de l'A-
cadémie de Clcraiool-l'errand, XWIV, p. i*)"]). Les (luclualions diverses auxquelles
a élé soumise l'Aquilaine cl particulicrcmcnl l'Auvergne à cette épO(|uc sont aellemeut
indiquées parles iudiculions ihronologiques des cliarlcs du cartulaire de UrÎDudc; on
y voit que jus(ju'au mois d'octobre (j'iO celles-ci sonl fourniespar le nombre des années
da règne de Raoul, roi des Fiiakcs ; puis, de novembre 92IJ à bùùI lyjfjf c'est R&oul,
roi des AotitAiNs; de celte date ù novembre yay on voit reparaître le roi des Kmanos
sans autre dcsi^ialion et enfin, h [)nrlir de décembreij^g jusqu'au 2 octobre fj33, Raoul
esl pourvu de la double qualité de roi des Fhancs el des A^uitAt.-<â (Voy. Urucl;
Ktsai sur la chrouulotjie du carlulaire de Briuude).
70
Les co.MTns i>e poitou
d'Acfied, il ne lui avait pas encore él6 possible de bien asseoir sa
doniinalion en Auvergne ou Je faire valoir loul ce que pouvait
comporler le lilrc de duc d'Aquilaine.
Nous sommes loin de connaître tous les actes accomplis par
Haoul à celle époque el qui avaient pour objet d'amoindrir la
puissance du comte de Poitou. L'un d'eux dut être la reconnais-
sance efTcctive d'une situation ambiguë douties premières mani-
festations remontaient sans doute fort loin. Il existait entre le
Poitou et le Limousin une bande de territoire fort étendue, em-
pruntée presque en entier au diocl'se de Limoges el qui portait
le nom de Marche ; sa possession, comme celle de toutes les mar-
ches réparties sur plusieurs poiuts du royaume, avait dû rester
contestée entre les comtes des pays limilroplies à la suite des
t^ucrrcs privées advenues entre eux; l'éloignement des comtes de
Toulouse, possesseurs du Limousin, n'avait pu que favoriser les
empiétements des comtes de Poitou, mais quand ceux-ci eurent
réuni li leur domaine le comté de Limoj^cs, la .Marche aurait dû
di^parallre.U n'en fut rien ; il y avait des situations acquises à
ménager cl il semble que ce territoire, en tout ou en partie, avait
été inféodé aux seigneurs de Charroux. Raoul fit de ces sei-
gneurs^ toujours prêts à guerroyer, le pivol de sa politique à
l'égard d'Eble, et, sous le nom de marquis ou de comtes, leur
donna un rang égal à celui des comtes de Poitou (1).
Celle grosse question de la suzeraineté effective du roi de
Trance sur le Poitou étant définitivement réglée, Eble put con-
sacrer les derniers jours de sa vie à l'administration paisible des
importants domaines qu'il avait conservés. C'était un bon justi-
cier, et ce que nous savons de lui, en dehors des faits militaires,
nous a été surtout conservé par les notices dos plaids qu'il a tenus
cl où on le voit exercer avec zcle celle attribution, la plus im-
portante dont aient joui les comtes, celle de rendi-c la justice.
Ce n'esl pas seulement à Poitiers, dans sou palais, qu'il tenait ses
(i) Le premier comte de la Marche esl Bosoq le Vieux, qui cal dL-sÎL,»né diinsun acte
du mois (I'uoi"il t)5i> avec la qualilicfllion de marquis, floso mnnfu'o, et ailleurs sans
mnniue de dignité, Duso Vclattts de Murcu {Galiia Christ., H, inslr., col. lO'j; de
Lasieyrie, Kfiitle sur les comtes de Limoges, p. 08 ; L'/imn. dWdémar, p. i5ij). Il
êtall lils de Sulpice et pelil-GIs de Geoffroy, cumte de Charroux (NfiircUej;ay, Chrun.
deségl. d^ Anjou, p. âytl, Saint-Maixenlj.
r
KBLE MANZlcn
assises judiciaires ; il n'hésiUil pas à se Iransporler sur les divers
points du comlé où son devoir l'appelait. C'esl ainsi que, dans
une même aiïaire» une poursuite intentée par les chanoines de
Sainl-.Marlin de Tuurs eunlre Savari, vicomle de Thotiars, qui
leur avait enlevé les domaines de Curi;ay el d'Antoigné et les dé-
lenail depuis six ans, il recul leurs plaintes à son plaid de Poitiers,
en avril ou mai 92(5, puis il les accueillit de nouveau àCoulombiers
el enfin à Avrigny, où, le 29 mai, il ratifia l'accord intervenu à
Thouars entre les parties le 22 du m<'^me mois el le fil attester
par ses fidèles (I). Dans une autre atfaire, où un diacre appelé
Launon élail poursuivi pai- un nommé Vsarn en restitution de
son bien qu'il avait injustement usurpé, on voil Ysarn, après une
première sentence rendue par Eble et les très nobles personnes
ses vassaux, poursuivre sa réclamation pendant deux ans à tous
les plaids publics, et comme personne ne s'y présenta pour con-
tredire ii la première sentence, lible ordonna enfin l'exécution de
celle-ci à un plaid tenu au mois d'aviil 907, auquel assisluieut
trois vicomtes, un auditeur ou homme de loi, deux viguiers et
quinze particuliers désignés spécialement comme témoins (2).
Toutefois, si, comme justicier, il se montra disposé à défendre
les droits des établissements religieux, toujours menacés par des
voisins trop avides, il ne paraît pas avoir fait preuve à leur égard
de la générosité à laquelle les rois de France ou d'Aquitaine
avaient été si enclins. Ainsi, lorsqu'en 924 les moines de Redon
vinrent négocier devant lui, avec les religieux de Saini-Maixent,
le retour de Bourgogne des reliques de leur saint patron, qu'il
accepla que les engagements pris de Tune et de l'autre part
fussent placés sous sa sauvegarde el présida à la réception de
leur serment relij^ioux dans l'église de Notre-Dame de Poitiers,
enfin que, le lendeuiaiti, il regut d'eux un nouveau serment dans
son palais, il se contenta, pour tout témoignage do sympathie,
de défrayer les parties de leurs dépenses pendant qu'i.dles séjour-
nèrent à Poitiers (3). A vrai dire, on ne connaît de lui, en dehors
(i) Mabille, Pancarte noire, n« cxvi, p. taS; Bcsly, Hîsl. des comtes, preuves,
p. si8.
(a) Arcb. de la Vienne, orig., Nooillé, n« ao.
(;^) Cariai, de /iaion, p. 238,
72 LES COMTES DE POITOU
des aulorisalioiis qu'il donna à quelques-uns de ses vassaux de
disposer do portions de leurs b6n6llces, aucune donation faite
par lui h des (['[ablisseraenls religieux; on ne peut, on effet, con-
sidt-rer réellement comme lelle Tuljandon qu'il Hl à l'ubbaye de
Noftillu.cn U32,d'un droil du rivage situé dans le pays de Thouars,
dépundauL de son bénéfice particulier, et sur lequel il retint deux
deniers que les religieux devaient lui payer annuellement {!).
Comme les abbayes étaient pour la plupart en la possession de
SCS fidèles, el c'était le cas pour Tabbayc de Sainl-Maixenl, qui
appartenait aux vicomtes de Thouars, il préféra sans nul doute
faire dircclemenl à ceux-ci des largesses qui les allachaienl plus
élroilemenl à sa personne plu loi que de les leur faire arriver par
une voie détournée qui ne pouvait alteindre le but qu'il se pro-
posait. Cette allitude réservée, il la garda aussi à l'égard du pou-
voir épiscopal et môme, vers la fin de sa vie, s'étanl brouillé, on
ne sait pourquoi, avec Frolier II, évoque de Poitiers, il le dé-
pouilla de ?ou évéclié (2).
Quand Eblc mourut, dans le courant de l'année 93o (3), àTâge
d'environ soixanle-cinq ans, son pouvoir (4) était bien quelque
peu amoindri ; néanmoins, il était encore un des plus puissants
soigneurs de France. Il possédait le Poitou el sans doute le pays
d'Aunis à litre héréditaire, le Limousin par conquête, el élevait
(i) Arch, delà Vienne, oriç^., Noaillé, do ag.
fa] Cart. de Saint-Cijpt'ien, p. go. Au mois dedéccrnbre f)34, Frolier remplissait
encore les fonctions cpiscopales, car on le voil se désister en faveur tics religieux de
Noaillé ilu droit de e;îie qu'il réclniunil d'eux A cause de l'église de Moalvinard (Arclu
de la Vienne, oriy., Noaillé, n° ï/| ; Gtttl. Christ., Il, col. i iGo).
(3J Besly (fJ/st . des comtes, p, 3(j) adopte pour la mort d'ChIe ta date de 5)35 in-
dii|iiée par llouchct dans les Anuales d'A(|uit;iinc (éd. de iC/i/j» p. 117), mais M. Des-
ijujers el M. Kfdcl, qui ï:i suivi, se rallaelieulù lu date de f)3i!, au plus lard, fournie
par lu charte du cailulaire de ISainl-f yprien [j>. yo). citée plus liaul. Nous noua ran-
geons à l'opinion de nesly, qui nous parail jusliHcc par une charle originale des
archives de la Vicuuc (Sainl-Cyprico, n<* i), datée du mois de janvier, l'an xi du
rè^ne de Raoul, c'est-à-dire du mois de janvier <j34, el par laquelle Eltlt concède
aux moines de Sainl-Cypricn une aire de marais salants situes prés d'Ançoulioa.
Il nous parail naturel d'accorder bieu plus de confiance à une pièce aulbenlit[ue qu'à
une IrauscriptioD du carlulaîre, lelle c[ue su prcseule celle dcg3a, el bien que nous ne
connaissions pas d'autre aclc émané d'Eble pendaal les années r)32 à ^33, ipie celui de
janvier ^S.J, nous inclinons à le faire vivre jus<pi'en y^fj, d'aulanl plus que le premier
acte certain que l'on puisse attribuer ù son successeur n'est que du mois de décem-
bre de celle année ij3j,
(4] Eble élant iiaacé en %o alors que, d'après les textes, il était encore jeune, il est
nalurel de lui aUribucr ù cetle date environ ving:t an?, ce qui placerait sa Daissaocc
vers l'année 870.
EBLE MiVNZEIl
73
des prélenlions sur la Saintonge proprement dile, que se dispii-
Itiîenl les comtes d'Angoulêmc, de Périgueux et de Bordeaux,
et où les évoques de Saintes, à l'exemple de nombreux prùlals
de celle époque, cherchaient à se constituer un grand domaine
féodal (1) ; enfin, il laissait cà se.s héritiers des droits k faire
valoir sur le comté d'Auvergne et le duché.d'Aquilaine, dont il
avait joui pendant quelques années et qui faisaient vérilablemenl
partie de son héritage.
Tel élaiL le résultat auquel était arrivé ce personnage qui,
parti d'une situation équivoque, réduit pendant plusieurs années
à ses propres ressources, avait su, au milieu des difflcullés de
l'époque si troublée où il avait vécu, créer d'abord sa position,
la mainlenir, puis l'accroître et lui donner le j,'rand développe-
ment que nous constatons. Ce n'était assurément pas un homme
de mince valeur ; il possédailloulesles qualités qui fonlun chef de
dynastie, et il avait eu plus de trente ansdevant lui pour en établir
solidement les bases ; prâce à sa ténacité, la race du duc Gérard
d'Auvergne, le noble et fidèle compagnon de l'empereur Louis le
Débonnaire, présida pendant près de trois siècles aux destinées
du comté de Poitou.
Eblo s'était marié deux fois: sa première femme fui Aremburge,
avec qui il était fiancé h l'époque de la mort de son père {2} ;
la seconde, EMii.LAWE.qui, de concert avec lui, acheta en 91 1 l'alleu
de Baidon (3). 11 est à présumer que c'est de sa seconde femme
qu'il eut les deux enfants qui héritèrent de lui : Guillaume, qui
fut comte de Poitou, clEble, qui entra dans l'Eglise (4).
(1) La suprêrnalie du Poîfou ssur !a Saiiilong-o s'était établie dans le cours du ixe
siècle, après la mort dti comte I^aaJri. M»is tiiridis ijuc la cégioQ siluéc au sud de la
Charente était deveaue un champ de compétitiuu entre les comtes voisins de tlordeaux,
de Pcrijîueux cl d'AnifOuléinc, deslicas très étroits avaieot directciiicnl ratlaclié l'Au-
ais au Poitou, cl raulorilé d'EbIc daos ce pays est incontestée ; elle est en particulier
constatée par la coucesaion qu'il fit, ea janvier 984 > aux luoiues de Saiat-l'.ypricn, à la
demande »ie son vassal ftoger, de portion du bénétice que celui-ci possédait eu Aunis,
pour y établir des salines (Cnrtiit. de Stiint-Cypriert , pp. 3i8 el3i(j).
[■2) Mubillc, l'une irle noire, n" xvid, p. G8 ; licily, fliit, des comtes, pretives,
P- 309.
(3) A. Richard, Chartes de Saint-Maixent, I, p. 19.
(^1) Adéuiar, i|ui dans sa chpooiijue (p. r/iti, Joanc les noms des deux enfanta d'Eble,
leur attribue pour mère Adèle, fille de Hjllan, duc de Normandie; Uesly {llist. des
comtes, p. 3»;)) combat celte opinion, mais fait de celte princesse, par inlerprélatioa
d'un lexte de Guillaume de Mahacsbary, la lillc d'EJouard, roi d'Angleterre, Nous
74
LES COMTES DE POITOU
VIII. — GUILLAUME TÊTE D'ÈTOUPE
I*' Comte — III» Duc
Le fils olné d'Eble Manzcr portail le nom de Gnillauino, Il fui
le premier de celle brillante lignée de comtes, d(''signés tous par
celleappellalionde(iiiil!aume/iui se succédèrent àlati^ledu Poitou
pendant deux sièiio?. Selon Titsa^e du temps, il fui pourvu d'un
sobriquet qui servait à le dislinp;uer d'autres comtes, ses bomo-
nymos, et qui fut emprunté à la nature et à la couleur de ses
cbevcux, celui de Tête d'Eloupe, eapul stupe (1). Ce surnom fui
aussi donné postérieurement à Uaimond Bérenger,comle de IJar-
celone, au xi* siècle, « à cause de sa perruque espoisse, blonde et
déliée qui ne sert pas de petit ornement à un prince », dit Besly,
mais cet historien, qui admet bien celte interprétation rationnelle
pour le comte de Barcelone, la rejette quand il s'agit du comte
de l^oilou et ne veul y voir qu'une allusion à une qualité morale;
pour lui, le sobriquet de caput slnpp. est l'équivalent du raol
umpicns, a c'est-à-dire bébélé, et qui n'a pas plus de sentiment
que do l'estouppe, imprudent et malavisé », qu'il applique aussi
bien à Charles le Simple qu'au comte de Poitou (2). Celte
établissons dans uae étude apéciale (appendice II), qu'il y a eu chez les bîsloricna
confusion entre la femme d'Eble el cclJc de sou tils Guillaume Tèle d'Ediupe. Ce i]ui
nous porte surloul à atlrihuer ù KniilLuie les deux fds d'Ivble Manzcr, ccsl t^iie l'on
voit eu janvier iiG") ou t)6G te frère de Guillaume Tète d'Eloupe, Kble, alors aljbê de
Saiiit-Mnixcnl, donner à ce monaslcre Tulleu de Baidonj qu'il déclare lui ap|>îirlenir à
tilre lièrcJilJnre, ce qui ne peut être exact que s'il est le tils dEmiltaue, <jui avait
acquis ce domaine en »jî i et dans la succcsbiou de i[ui il l'aurait trouvé (A. Hicliard,
Chartes de Saiiit-Muij'eni^ I, p- 4^)- I^uliu Guy Allard, hislorit-D du Diiupbïnc, ailrl-
bue à Eble un fds nommé Gcilon, qui serait devenu la tifçe des comtes de Valcn-
linois du nom de Poitiers ', c'est uq de cea ooiubreux systèmes imag'inés pour expliquer
ie nom de Poitiers porté par ces couilcs (\'oy. J. Clievalier, Mémoires pour servir à
t histoire des comtés de Valenlinois el de Diois, I, p, 137, note 1).
[t)Chron. d'Adérnar, p. if\f\; A. Richard, Chorli-s de Siiirtt-Mai.venl, l, pp. 3-j
cl 73. La chronique de Nantes (éd. Meilel, p. «jD) l'appelle Cnpitt desttipia,
(2) L'opinion de Besly a fait son chemin el est passée dans l'histoire avec toutes ses
conséquences ; clic n'est pourtant fondée, comme uuus le disons, que sur une erreur
GUILLALME TETE D'ÉTOLFE ,5
apprôcialion de l'homrae, fondée sur une erreur malérielle de
lecture que l'on a essayé de corroborer par la mise en vedelle de
deux fails raal inlerprélés, doit êlre rejelée sans liésilalion.
Guillaume Tèle d'Éloupc no fut pas inférieur au rôle qu'il élail
appelé àjouer; il succéda îi son père dans des circonslances diffi-
ciles et, lanl par sou habilelé que par son énergie, il arriva non
seulement à réparer les revers de fortune qui avaient marquetés
dernières années de la vie d'Eble, mais encore à grandir consi-
dérablement sa silualion devenue fort brillance quand il aban-
donna volonlair^mcnl le pouvoir.
Au momenl do sa prise de possession du comté de Poitou,
Guillaume devait avoir une vingtaine d'années [\); aussi son pre-
mier soin fut-il de chercher à conlracler une union qui lui fût
profitable. Dans ce bul, il se rendit à la cour du roi de France,
où du reste l'appelait son devoir de vassal, désireux de se faire
maintenir dans la possession de ses bénéfices. Là, il trouva
Hugues le Grand, duc de France, qui, dit un historien, avait été
le gran<l ami de son père et reporta cette afleclion sur le fils (2).
Mais cette amitié, comme on le verra par la suite, a bien des
rapports avec celle que professe le rapace pour Toiselel qu'il
se prépare à enserrer. Sur les conseils d'Hugues, qui complail
retirer quelques avantages de l'afTaire si elle tournait à bien,
Guillaume rechercha Adèle, sœur de Guillaume Longue-Epée,
duc de Normandie. Celte princesse, que lïoUon avait eue de son
union avec Poppa, la fille du comte de Bayeux, épousée par lui
tnatcriello Je cet vcrivaio. Ayant trouve ilaaa une cbronii]ue manuscrite, qu'il dé-
8i:;ne par \c nom de 30q possesseur, M. Pctau, la phrase suivante: « LuJovious
ille, hlius Karoli Insipienlis, dédit Wuillclmo Caput Stupn? civitatem Arvcrtiis c(
Valesiœus (Ilisloire des comtes, preuves, p, 2/|4), il appliqua, sans y prendre carde,
au comte de Poitou {/Itst. des comtes, pp. 4' et^l^i). " surnom d'insîpiens qui avait
été donné au roi de France par l'intcrpoiateur d'Adémar de Chabannes (p. i38), au
lieu de celui de simplejc, employé par Riclicr {f/ist., 1. I, i4). Dans le mémoire de
AI. Eckel sur Charles Ik Simple, on rencontre un appendice, pa^e 1/40, ainsi intitule :
Dusumom 'Me Simple" attribué à Charles III ;le texte recueilli par Besly, qui est sans
doute postérieur à Adémar, n'y est pas cite. Geoffroy du N'içeois ^Labbe, A'ova bibl,
man., I, p. 3o4) dit que Rnlmond, vicomte de Cariai, portail le surnom de Télé
d'Eluupe pour cause des multiples cicatrices dont son crâne était couvert.
(1) Guillaume Tète dTloupc, ayant contracté mariai^e en gJj, ne pouvait a voir à cette
date moins de ving;t ans, par suite sa naissance doit èlre reportée à l'année gi5 au
|)lus lard.
(1] « Suum specîalcm amicum. p Mabille, Pancarte noire, ao cxvr, p. 128, charte
du ai mai 920 ; Bcsiy, ///*/. des comtes, preuves, p. iig.
76
LES COMTES DE POITOU
à la mode danoise, du Icmps qu'il n'était encore qu'un chef de
bandes, avait primitivement porté le nom de Gerioc et n'avait
reçu celui d'Adèîe que lors de son baptême (1). Hugues cl Iléri-
bcrl, comte de Verniandois, qui étaient momenlan^-menl alliés,
se rendirent avec Guillaume atiprfcs du duc de Normandie sous le
prétexte d'assister à de brilianles chasses au cerf qu'il préparait
dans la forêt de Lions- La réception du duc fui splcndide. Or, un
jour, le comte de Poitou l'aborda en lui disant : u Seigneur duc,
savez-vous pourquoi mes compagnons et moi nous sommes ici ?
— Jel'ignore, répondit le duc. — Eli bien, luidit le comle, voici
le motif de notre venue. J'ai le désir que vous nie donniez voire
sœur en mariage, et, ne trouvant pas assez digne devons défaire
faire cette demande par de simples envoyés, je me suis résolu à
venir vous l'adresser moi-même; cesera le gage indissoluble d'une
alliance que nous conlracterons ensemble. » Le duc, feignant de
ne pas prendre la chose au sérieux, lui répondit : « Les Poitevins
ont de tout temps été timides et froids souslesarmcs; de plus, ils
sont avares ; il ne convient pas qu'ils aient une jeune fille douée
des qualités que possède ma soeur, » Le comle de Poitiers, qui
ne paraît pas avoir entendu fiieilement la plaisanterie, se montra
1res irrité de ces paroles, mais le duc de Normandie, continuant
sa phrase, le calma en lui disant : « Ne vous emportez pas; de-
main je vous rendrai réponse sur l'une et l'autre de vos demandes
après avoir pris conseil de mes fidèles. » En effet, le lendemain,
lïugues et lléribert, continuant toujours leurs bons offices en
faveur de Guillaume elles fidèles du duc s'élant prononcés dans
le môme sens, le mariage du comte de Poitou cl de la princesse
normande fut arrêté et promptemenl célébré, car il eut lieu
avant la On de celle année 93a (2). Guillaume Longue Epée se
(r) Guillaume de Jumièges (Rec. tles hi.it, ite France, VIII, p.aCo) lui donne le
nom de Gcrioc ; quaat à celui d'Klborc, que Ton rcncoalre dans le Hamnn de Rou,
vers 233 1 (éd. Pluquet, I, p. 1 17), il est éviderimieut le produit d'une déformation lin-
guistique, tnadia <]uc celui de Gerbot, lQdi<[ué dans une note de l'éditeur du Roman de
Kou (p. 117, note yl, ti'est que le résultat d'une mauvaise lecture. Tous les chroni-
(jueurs de France aussi bien que les chartes désignent la femme de Tèle d'Etoupr sous
le nom J'Adcle, .1 (te/a, dont fa forme gc-aitive était Adivlane (Arch. de la Vienne,
orig., Noaillc, u" /|o).On trouve encore la forme Alftina (Cart. dcSaint-fJi/pn'en,
p. 28).
(2) La date du niaria^e du comle de Poitou est précisée par un acte du caitulaire
de Saint Cyprico, passé uu temps du roi Haoul (Icqurl moutul le i4 janvier (jZi')),
*
r.lIILLAI'.MK TJvTK D'I^TuUPE
77
monira généreux à Téganl de sa sœur : il lui fil de 1res riches
prést^nis, qui consislaienl principalemeiil en cavales aux harnais
ornés de phalères, en nombreux esclaves de l'un el de l'aulre
sexe, en bijoux d'or et d'argenl finemenl Iravaillés, en une grande
quantité de coiïres remplis de vêlements de soie, lissés d'or el
chargés d'ornements (I). Ilériberl de Vermandois, non content
d'avoir favorisé l'union du comle de Poitou avec la sœur du duc
de Normandie, donna à ce dernier sa tille Leudegarde en ma-
riage (2).
Des liens du sang s'établissaient ainsi entre les premières
familles féodales de France, et Guillaume, grâce à l'alliance qu'il
venait de contracter, se trouvait entrer dans le concert des grands
seigneurs qui réglaient alors les destinées du pays. Mais si la con-
duite d'Iléribert ne fut inspirée dans la circonstance que par le
désir de se mettre en bons termes avec le duc de Normandie et
Je comte de Poitou, il en fut autrement de la part d'Hugues le
Grand. Ce personnage était d'une avidité extrême, et il entrait
certainement dans ses calculs de tirer quelque profit de son rôle
d'cnlremelteur. Il dut en demander le prix au comte de Poitou,
qui se monira peu disposé à accueillir de semblables ouvertures;
aussi Hugues, déçu de ce côté, chercha-l-il un autre moyen d'arri-
ver à ses lins.
Le roi de France, llaoul, était mort le 14 ou le 15 janvier 936
et le trône resta quelque temps vacant. Le fds de Charles le
Simple, Louis, vivait retiré auprès du roi Athelstan, frère de sa
mère Edgive. A la soUicitalion de ce prince, Hugues fil revenir
le jeune Louis en France et le fitsacrer roi à Laon le 19 juin 936.
Ce service méritait récompense, et Hugues la trouva enjetantson
dévolu sur le Poitou. H est possible que Tête d'Étoupe ait eu le
pressentiment des événements qui allaient se produire, etqu'ilait
cherché à y parer par une mesure qu'on lui voit prendre dans
le courant de cette même année 930. Son père, Kble, avait ins-
tallé deux vicomtes au sud du Poitou, à une époque où le danger
<iù Toa voit la femme d« Guillaume assister à une donation de biens faite à co mo-
nastère {Cart. de SainlCi/prien, p. a8),
(0 Oudnn de Sainl-(Jiientin, f/ist. Normann.) éd. Lair, pp. tga-ig3.
{•à) fifr. »/<?« /n'tt. de France, VIII, p. aGu, Guillaume de Jumii^i^cs.
78
LES COMTliS DK POITOI
venait de ce côl6, mais au moment aii lo nouveau comte avait
pris le pouvoir^ la sitiialiuii nV'lait plus la mômei c'était au Nnrd
et h. l'iîst qu'il fallait rej^arder, vers la Touraiiie et le Berry, où le
duc de France était lout-puissanl. Pour prolégcr ses frontières
et assurer d'une fa^oa permanente la SL'curil(5 de sa capitale,
(luiilaume cri-a deux nouveaux vicomtes: ceux de ClullellerauU cl
de Brosse; le donjon du premier vicomte, Airaud, commandait
le passage de la Vienne, sur la voie de Tours à Poitiers (1) ; celui
du second, Raoul, surveillait les voies venant de Bourges et de
Clermonl (2), mais ces prudentes mesures n'arrêtèrent pas les
projets de Hugues, et on le trouve^, un beau jour, partageant
avec Guillaume Tùte d'Élotipe l'autorilô sur le coml6 de Poitou.
Quels procéd(5s erapIoya-t.-il pour arrivera ses fins ? On l'ignore;
peul-ôlre fit-il valoir auprès du jeune roi que ce comté avait él6
autrefois donné par le roi Eudes à son frère Hubert, et, en celle
qualité, en revendiquait-il sinon la possession absolue, tout au
moins la copropriété, lin elVet, on le voit, à la Un de 936 ou dans
les premiers mois de D37, assister en celte qualité de comte, avec
son fils nommé aussi Hugues, à une importante donation faite
par Sénégonde, vicomtesse d'Aunay, à l'abbaye de Saint-Cyprien
de Poitiers, Son seing vient immédiatement après celui de Tôle
(i) Le personnage du nom d'Airaud, qui fui élevé par Tétc d'Ëtoupe à ta dignité tic
viconile, iloit être sùrenicn( iiienlific avec celui qui assislc, au mois de janvier 93O, en
qualité de témoin, aux côtés du comte, à la consccratiuo de la nouvelle éçliâc de Sainl-
Cyprieu [Cai't. de Sutitt-Ci/priai^ p. G). Comme à celte date il uo portait pas encore le
titre de vicomte et qu'il en était pourvu à la fia de lu itiKine année, il csL par suite
bien établi que lu crcytion de la vicûaitc de HliAtetlerautt se produisit daus le courant
de celle année yïtj, Nous avoQS dcmontir, dans uotrc étude sur les armoiries du comté
de l'oilou {Mé/ii. de la Soc. des Antiq. de i'Ouesl, a' série, l, XVII. pp. /|13 etauiv.),
que l'un ne doit attacher aucune créance à l'as.scrlion d'un FeuJiste du xv siècle qui
faisait sortir la vicuuité de CliàtclierauU d'un partii!»^e IVêral du comté de Poitou.
(3) Brosse, la réaidcace de Raoul, aujourd'hui cluitcaii en ruines, siscumniuac de
Chaillac (ludrej, iiUih situé eu iJerry, sur les conlius du l'uituu cl du Liaiousîn (pays
dans lesquels te nouveau vicomle devait posséder d'importants domaiucs). L'annexion
du cliàlcau de Urosse au Poitou, dont il ne cessa depuis celte époque de faire partie,
doit cire attribuée à Eblc ou peut-ûtiô sculemeut à Tétc d'Elotipe, el clic s'explique
racilemeut par ce fait que l'anarchie réçnait eu quclijue sorte en lierry où le tilre de
comte avait clé supprimé par le roi Raoul en yHo. Les hlslorieus, à défaut de texte
certain, out évité de se prononcer sur la date de l'érectian de cette vicomte {voy , de
Lasieyric, Elude sur les comtes de Limofjei, p. «17); toutefois il est établi que Géraud,
qui fut vicomte de Limoges vers ^70, avait épousé Rolliildc, dllc et unique héritière
d'un vicomte de Brosse, dont le oora est resté inconnu, el que l'un des enfants issus
de celte union devînt la (ige d'une nouvelle maison de Brosse. Or, tout porte à croire,
en faiîiûut un simple rap[irocheirient de dates, que Kothilde est la fille du preaiicr
vicomte de Brosse, sans doute de Riioul.
nUILLAl'MIÎ Tl'Tt: D'ÉTOfin-: 79
d'Éloupe qui, entouré de ses vicomtes, au llienliqua par sa pié-
sence la généreuse concession do la vicomtesse (i). Puis encore
l'année suivante, au mois d'avril 938, Hugues prend le titre de
comte de Poitou dans le procès-verbal de consécration do l'é-
glise de la l^ésurrociion de Poitiers, faite par l'ôvêque Auboin (2).
Toutefois, la silualion qui est révélée par ces actes ne tarda
pas à se modifier. En ramenant Louis d'Angleterre, Hugues
avait compté profiler de la jeunesse et, par suite, deFinexpéricnce
du roi (il n'avait que seize ans), pour agir à son égard en véri-
table maire du [>alnis, faisant servir sa haute situation à la satis-
faction de ses intérêts personnels. Mais ses calculs furent di^joiiés
par rintetligence de Louis, qui voulut gouvornor lui-même, En
tout cas, si, au début de son règne, le roi avait gratifié le duc de
France du comté de Poitou, il sut, à un moment donné, lui
reprendre ce don, Guillaume, qui devait supporter avec peine le
partage d'aulorité et sans doute de revenu qui lui avait élé imposé,
et que ses traditions de famille portaient à s'allacher à la race de
(i) Cari, de Sainl-Cijprti'n, p. JaS. Quatre vicomlcs assislent à celle donalion ;
on reconnaît facilcnjcnt trois d'entre eux, Ctiâlon, Airaad, Savari, vicomtes d'Au-
nay, de CliàlcllcrajiU et de Tbouars ; quant au (]u.itrièmc, qui porte le nom de Raoul,
ce ne peut iilre qu'un vicorulc (■trjin^cr uu Poitou ou celui de L5ru5se,opîniiui à laijuelle
oous nous rangeons. U ne saurait, en ciTel, être quesliftn dans ce personnage d'un
vicomte de Melle, cet office ajaat àCi être stippriiiic après la mort d'Alton, dont il
n'est plus question après 930 et comme, d'autre pnrt, on a la certitude ifc l*cxislenc«
d'un vicomte de lîrosse en 97(», il y a toute probabilité pour que le vicomte Raoul de
937 soit Je premier seigneur pourvu de cette dignité.
(a) C'arl. de Sainl-C.ijjtrien, p. Gi, Les deux textes que Dous venons de citeront,
quelque concises que soient les indications qu'ils fournissent, une valeur de premier
ordre ; eu nous apprenant qu^IIuçues le Grand fut pendant quel([uc temps eu posses-
sion du Poitou, conjoinlcmoiitavcc Guillaume, ils nous donnent ta clé de In lutte qui
s'est poursuivie entre le comte de l'oilou'et le duc de France pendant toute leur exis-
tence. Or, plusieurs historiens, s'inspiranl de Uouchcl, dans ses Aunales d'Aquitaine
(éd. de 16^^, p. 117), se sont refusés à recouaaitrc les causes de cet anUi^unisœe et
rcjeltent l'immixtion d'Huçucs le Grand dans les nifnircs du f'oitou. Pour eux, les
noms de Guillaume et d'Hug^ues, apposés au bas des chartes de 937 et de gltS, s^ap-
pliquenl à un seul personnag^e qui se serait appelé Giiillaume-Hugues. £n particu-
lier, MM. de la Fontenelle et Uufour, dans leur Histoire des rois et des ducs d'A'
qnitdine, \, pp. 4^i et 470, ont prétendu que Guillaume Télc d'I^loupc ovatt d'abord
porté le nom d'Huçues, que celui de Guillaume .ivait ensuite été pris par lui en mé-
moire de son parent, le comte d'Auvergne, et aussi pour complaire (!) à son beau- frère
Guillaume de \ormandie. M. Rédel, dans une note du Carlulairc de Saint-Cyprien, a
fait justice de ces allégations ; il fait ressortir à juste titre que si la st^ature d Hugues,
Hugo cornes Pictavomin, se trouve seule énoncée dans l'acte de ç)38, par contre, le
comte Guillaume, le comte Hugues et un autre Hugues qui est évidemment le fils de
ce dernier, depuis Hugues Capct signent ensemble l'acte de 987, u S. Willelmi l'onti-
lis. Ilnfjuni comitis./dem Ifiiffoni », c« qui Irancbe complélemcul la queslioa {Carf.
de Sainl-Ci/prien, pp 61 et3a5).
8o
LES COMTES DE POITOr
Charlemagne, se tourna du côLé du roi ; lorsque ce dernier etilrc-
pril, en 930, d'enlever la Lorraine à Ollion le Grand, le pacte
conclu lors du mariage de Tôle d'Eloupe 6lail rompu ; dans
renloiiragc du puissant duc de France, allié d'Oliion, on voit
bien le duc de Normandie, les comles de Flandre et de Verman-
dois, mais celui de Poitou n'y ligure pas.
Guillaume ne se contenta pas de se retirer de celle ligue; bien
plus, il mit ses actes d'accord avec ses sentiments. Au mois de
juin 9i0, Hugues le Grand, Héribert cl Guillaume Longue Epéo,
toujours unis, s'élaieni emparés do Heims,que défendait l'arche-
vêque Artaud, partisan du roi, puis ils avaient marché sur Laon,
dont ils firent le siège. Louis d'OuIrcmer était alors en Bourgogne:
il accourut au secours de sa capitale, accompagné de Guillaume
Tète d'Éloupe cl de Hugues le Noir, duc de Bourgogne. Les assié-
geants ne l'attendirent pas, et le roi, après avoir ravitaillé la ville,
retourna dans son séjour favori {!).
Cette vigoureuse intervonlion de Tête d'Éloupe en faveur du
roi de France estle premier acte qui révèle son antagonisme avec
Hugues le Grand. Celui-ci, du reste, n'a pas dû jouir pondanl
plus de deux ans des droits qu'il s'était lait attribuer sur le Poitou,
car du momenl où il fut retenu dans le Nord par les intrigues que
lui et ses alliés ourdissaient contre Louis d'Outremer, c'est-à-
dire à partir de 939, Guillaume, assuré de l'appui de ce prince,
n'eut pas de peine h se débarrasser de toute immixtion étrangère
dans ses affaires (2). Toute la vie du comte sera employée à assu-
rer à sa race la possession du Poitou, qu'Hugues et ses enfants
ne cessèrent de lui disputer.
H est il croire que c'est pendant la période de calme qui sui-
vit l'évincenient du duc de France que Tête d'Éloupe régla la
question de ses frontières de l'Ouest avec Alain Barbe Torle,
comte de Nantes. Lorsque ce personnage reconquit, en 937, sa
capitale sur les Normands, qui la détenaient depuis seize années,
*
(i) Hec. clesbisf. de France, Vlil, pp. i(j3 el 194. FloJoard.
(2) LapossessioD efTective par Hugues d'iiue|>arl d'aulorilédanslo Poîlou est forcé-
ment comprise entre le ig juin gSti, date du cnuronnenicDl du Louis d'Outremer, et
l'aonée qSçj, durant laquelle le duc de France ne put (|uittcr la région du Nord,cVsl-
à-dire pendant les années ij'S-j et i)o8, ce i]ui s'accurdc pnrfaiteineni avec les textes
poitevins que nous avons cités prccédcmincut.
fJLILLAUMl-: TÈTt: IVliTOirE
8i
il occupa na{urt?llemcnl les teniloircs qui se h'oiivaienl sons
leur domiiialion- Ceux-ci l'avaicnl ôlendiic sur les pays d'fler-
haugo, (le Maugc el de TilTaiigc, alors à peu près déserls h la
suite des dévaslalions que, depuiâ un sifcclo, les piralcs du Nord
n'avaient cessé d'y commellre. Essayer de reprendre ces régions
au comle do Nantes viclorieux, c'était s'engager dans une guerre
assurément longue et qui pouvait devenir désastreuse, eu égard h
rinimilié d'IIogues le Grand qui, en s'alliant avec Alain, aurait
pu assaillir le comte de I^îlou do deux côtés h la foià ; celui-ci
crut plus expédient de traiter avec le comte breton, el, tout en
lui faisant reconnaître te principe de sa souveraineté sur ces
territoires, il lui en abandonna la jouissance sa vie durant. D*iin
commun accord, des limites furent tracées pour délimiter les pays
qui passaient ainsi sous Taulorilé du comte de Nanle^, dont, par
cet acte d'habileté politique cl véritablement peu onéreux pour
lui, Guillaume achetait ta neutralité et pcut-ôtre l'alliance (t).
En tout cas, l'accord était conclu avant l'année 942, où l'on vit
les Bretons se joindre aux Poitevins pour porter secours à Louis
d'Outremer (2).
Le roi, pendant ce temps, continuait avec succès la lutte enga-
gée contre Hugues, Iléribert et Olhon, et il déployait la plus
grande activité pour se créer des amitiés. Celle du comle de
Poitou lui avait été assurée dès le premier jour, aussi ne pouvait-
il manquer de renrécompenscrlargemenl. Ala fiuderannée 941,
il entreprit une grande tournée dans ses états el particulièrement
en Bourgogne, où ilrésidait commea son ordinaire; ilserenditd'a-
bord au mois de novembre àïournus, où il délivra un diplôme con-
firmant les biens et les privilèges de celle abbaye (3). De là, il
fut à Vienne, où un grand nombre de seigneurs d'Aquitaine vinrent
lui prêter leurs serments de fidélité ou les lui renouveler (i) ;
(i) C/tron. (le A'unlcs, p. 9G. La ligne de démarc.ilion parluil Je la Loire, à l'em-
bouchure du LnyoD, suivait, ea le remonlant, le cours Je ceUe rivîV're jusqu'à son con-
fluent avec rilirômc, prennit ensuite celle-ci jusfju'à sa source, passail à Pierrelilc,
à Ciriaciis, et enfin gag^aait le Lay pour JcsecnJrt: avec lui jusqu'à iOcéan {Voy. la
carie qui occompaçnc ma public^ilion portanl pour litre : Les Taifules, la TheiJ'alic
et le pays de Tilfauges) .
(2) Rec. des /tisl- de France, VllI, p. irjO, KloJoarJ.
(3) /tec. des liist. de France, [X, p. 5y3, Dipluraala.
(4) Rec. des hisi, de France, Vllj, p. iq5, FioJoard.
S2
LES COMTliS DU POITOr
enfin il gagna lo Poilon. Lo 5 janvier 042 îi se Imiivait à Pniliers
où, à la rt'qiièle de Guillanmo, de son frère l*Jjlt> pA d\\n ccr-
lain comle Roger, à qui le roi venait de donner le comlé de Laon
el qui se IrouvaiL (.Ujk dans sa compagnie à Tournus, il confirma
le diplôme du 30 décembre 889, par lequel le roi Eudes avait fait
le parlage des biens du monastère de Sainl-IIilaire entre Tabbô
ol les chanoines (1). Cet ado é\a.\i le conipléraenl d'une autre
faveur que le roi venail d'accorder au camlo de Poitou. Depuis
la mort de révèque Egfroi, advenye en l'an 000, la charge d'abbà
de Sainl-llilairo clait resiée vacaulo, et l'établissement religieux
était dirigé par le Irésoricr, Ce dernier étail en ce moment Eble,
le propre frère du comle, qui avait succédé en celle qualité à
Auboin, devenu en 937 évèque de Poiliers (2). Le roi fit don de
l'abbaye an comte de Poitou; aussi à partir de ce mois de janvier
942, voit-on (luillaumc joindre à son litre de comte celui d'abbé
de Saiiit-llilaire, avoir la haute direction des affaires du monas-
tère, concéder à des particuliers par des litres précaires de natu-
res diverses des biens faisant partie du domaine de Tabbaye (3).
Le surlendemain, 7 janvier, se trouvant encore à Poitiers, à la
sollicitation de ce même Eble el du comle Roger, le roi mil
Marlin, le serviteur de Dieu, h la lète de Tabbaye de Sainl-Jean-
d'Angély,pour y faire revivre la vie monastique sous la règle de
(i) I\é(l(*t, D')!'. pour Safnt-f/ilairc, 1, p, 33,
(3) On trouve Eble en possession ilc celle cliarçc âc trésorier de Sninl-IIilairc dès le
mois d'avril i)'|0 cl dini^^cnut en celte r[u,ilité les délibéralioas des chanaincs (Rcdet,
IJor. pour Sdint-Hilaire, p, ail.
[3) RcJct, Dùc. p<jur Suinl-Ilituire, pp. 25, 27, 2j) el 3û. La possession de ToU-
Ijnyc de Sainl-IIilaire par le coinicdc l'oitou ne fut pas Hmilcc à Tclc d'Kioupc ; après
sa morl, Jes comlcs ses successeurs couliuuctrnl à jouir, tout au nioius, du litre
d'ablji", cl celte pcrpéluiii dans In délenlion par des Uiï pics d'un béncficc ccclcsios-
liijiie esl un des laiis les plus curieux de notre fii^toire féodale. La diifoilé d'abbé do
Sainl-IIilaire lit di-sorniais pai-iie du piilriaioinc des comtes de Poitou, cl elle passa par
la suile aux rois de France, leurs licriliers par droit de cnnfjuiîle. Il clail d'usag'c que,
rorsi]u'un roi venait pour la première fois à Poitiers, il se rendît à Saint-llilairc, cl
lA, rcvèlant des vêlemenls ecclcsinsliqucs, il prononçait un sermenl dool le texte nous
n élé conservé. Il est niiisi coniju : « Juriitucnltim qiiod facerc cL prcstare lenelur
Uex, abbas ccclc.vîe bcatissimi llilarlt niaîoris Ptcia/'e/iif's quamprîmu/n personaîiter
aA ea/ndem acccsseril. Rs^o N. abbas ccclcsic bcalissimi llilarii juro et promitlo
fiilelilatcrti ecclcsie prediclc cl pcrsotiis ciusdein me ol)-;crvaiurum. Item observabo
el dcfcndii//! i*jra et lil)er!ale<» ccolesie. Ilcin non occupabo pcr nie ncc per aSiu/» bona
ccdesie prcdicte aucloritatc propria {Arcb. de la Vienne, orig., parcb. du xv« siècle,
G2>}. Le dernier rolquiac suit astreint fi cette rormalitc est Lotiia XIII, en i6r4-
Gi;iLLAr.vii': tkii-: Dicrori^i':
83
sainl Benoît (1). Louis d'Oulromer ne s en linl pas à cgs simples
marques de bienveillance à IV^^^ird de son précieux- allié ; il lui
conféra aussi le lilre de comte palatin ou du palais, conies jmktlii.
D'ordinaire, ce litre élait porlé par un personnage de la cour
du roi, à qui celui-ci déléguait ses attributions judiciaires; aussi
ne sail-on au jusle quelle autorité plus grande il pouvait appor-
ter au comlo de Poitou ; mais en lout cas il fui favorablement
accueilli par celui-ci^ qui s'en'para aussitôt (2).
Après s'être ainsi assuré TAquilaino, Louis rentra dans sa
résidence ordinaire, puis, dans le courant de l'été, il se rendit
auprès de Guillaume de Normandie, beau-frère de Télé d'Éloupc,
afin dû l'altacher aussi à sa cause. Le duc, selon ses habitudes,
reçut le rui h. IJouen avec un grand faste. Pendant son séjour
arrivèrent le comte de Poitou et celui de Bretagne, dont les con-
lingonts grossirent considérablement l'armée royale. Celle-ci fut
camper sur les bords de TOisc ; Hugues le Grand et les siens
avaient délruit les ponls, enlevé les bateaux et fait lellement le
vide que le passage de la rivière par leurs adversaires devint
impossible. Pcndanl que les deux armées se lenaient ainsi en
face l'une de Pautre, des négociations s'engagèrent cl on finit
par conclure une trêve de deux mois, allant de la mi-scptcmbrc
à la mi-novembre (3).
Le but que poursuivait Guillaume en venant porter aide au roi
de France n'en était pas moins atlcinl : il contraignait Hugues à
réserver toutes ses forces pour la lulte qui se soutenait dans le
nord de la France^ et, par là, il éloignait du Poitou le Iléau de la
guerre qui depuis six ans le menaçait. Dès sa prise do possession
du pouvoir, il y avait ramené le calme intérieur, troublé par Tex-
pulsion de Frotierll ; soit qu'il ail sacrifié à cette tendance qu'ont
les nouveaux délenleurs de Pautorité à prendre le conlrepied de
leurs prédécesseurs, soit pour toute autre cause, il avait rétabli
(i) GnUla ChrîsL, TI, iaslr,, col. 4^4; Musset, Cai't. de Saint -Jean d'Angély, I,
p. 10,
(?) Rëdcl, Doc. poiw Snint-lliluîre, I, p. 25, cliartc de janvier r)'|2 ; il csl encore
à nutcr que, (tuns le diplôme royal du â de ce nidtiic mois, (iuillauiiit; est dc&igné sous
le lilrc de comlc cl de marquis, tiLiis celte dernière appcllalion ne nous paraît être
qu'ua litre de chaoccllcric que TcHc d'Kloupc ne pril dans uucuu des actes émanes
de lui.
(3) Rcc. des hist. de France, VIlI, p. iq6, FloJoard ; Rîcbcp, ffistoîre, 1. Il, p. aS.
85
LI-:S COMTES DR l'OlTOr
l'évêriiie fie Poitiers dans tous les honneurs <Iont son père l'avail
privé (1). Il est du rcsic possible que Frolieruit acliel6 son par-
don par un acle de ^[(Vntrosili'! oxceplionnclle. Guillaume se mon-
Ira loule sa vie on ne peul mieux disposé pour l'abbaye de Saint-
Cyprien, qui 6tail alors dirigée par un homme de grande science
et d'une grande piélé, l'abbé Martin ; il est possible que ce person-
nage ou quelqu'un des rclrpieux du monaslôre ail él6 réducalcur
du jeune comlo, toujours est-il que l'un vil révèquc de Poitiers
faire don h l'abbaye de Saint-Cyprien de tous ses biens hérédi-
laires, du consentement du roi Haoul, du comle (iuillaume, de
ses parents, des clercs de son église, de l'archidiacre du diocèse et
des principaux seigneurs du pays (2). La déclaration en fut faile
publiqucmenljdans le courant du mois de janvier de Tannée 936,
par Tarchcvèque de Tours, Téotelon, qui, prenant la place de Fro-
tier, vint procéder àla dédicace de lanouvelle église du monastère
en présence du comle do Poitiers, du vicomte Savariel d'une nom-
breuse assislance (3). On est en droit de se demander si, vu Vûb-
sence bien constatée de l'évêque, la donation fut bien spontanée.
Le nouveau sanctuaire, jusqu'alors mis sous l'invocation do Notre
Dame et qui fut placé désormais sous celle de saint Cyprien,
dont les reliques y avaient été déposées par Frolier, reçut îi celte
occasion, dans le courant de cette année 936, les libérables de plu-
sieurs particuliers (4), Guillaume autorisa spécialemonl le vicomte
de Tliouars, Savari, cl le clerc Ftoborl h altandonnor au monas-
lêre quelques porlionsdclûursbénéncGs(5), elenlln lui-môme céda
à l'enlraînemenl général en donnant aux religieux Fimportanl
domaine de Colombiers, avec soncrtv/rw/n et son église, mais loule-
fois avec une certaine réserve, car il en retenait l'usufruit on
payant cinq sous de cens annuel et môme avec la faculté de rache-
ter son don, s'il lui convenait (6).
Quoi qu'il en soit, il ne saurait y avoir de doute sur les senti-
(i) Cari, de Saînt-Ci/prie/h p. go.
la) Cart. de Saint-Cyprien, pp. l\, 87, 117.
(3) Citrt. de Sainl-Cyprie/t, p, 6. Cet acle portant la date de gSC el, d'ualre pari,
l'iiidiailion que Raoul était encore n'gnanl, il ne saurait èlre placé que dans les pre-
miers jours de janvier, le roi tHant mort le i/j ou le 1 5 janvier gSC.
(4) Ciirt. (le Sciinl-V.ijprien, pp. 28, i5o, 190, 195, aSi, 234, *77> ^25, 33a, !\\!\.
(5) Cart. de Saint-Cijprien, p. 323.
(<i; Cart. de Saint-Cyprien, p. 7G.
^lau.me tête U'ÉTOUPÏ
85
racnls religieux de Têle d'Eloupe,senlimenls qui, par la suite,
furent stimulés par sa femme Adèle. La fille du duc de Nor-
mandie, vraisemblablement païenne au début de sa vie, dé-
ploya, comme tous l**s néophytes, un zèle ardent, et dans ces
matières son influence s'exerça aussi bien sur son frère que sur
son mari. En Normandie, elle ne futpas étrangère aux projets de
reconstruction de l'abbaye de Jumièges par Guillaume Longue-
Epée, et elle le seconda vivement en lui envoyant, pour procéder
à la réforme religieuse du monastère, un abbé poitevin qui
jouissait alors d'une liaule réputation. Celait .Marlio qui, dè.s933,
était à la tète du monastère de Saint- Cyprien de Poitiers, et,
vers 936, avait été contraint de se donner un coadjuleur pour se
consacrer à la réforme d'élablissements religieux où par suite des
maux occasionnés par les guerres et les désastres du siècle pré-
cédent, la discipline s'étail fort relâcbée. C'est ainsi qu'il avait
été appelé à Sainl-Auguslin de Limoges, d'où Adèle semble
l'avoir tiré pour l'envoyer en Normandie ; le désir de la com-
tesse était presque un ordre et, en 940, Martin se rendit à Ju-
mièges accompagné de douze religieux enlevés de Sainl-Cyprien
avec lesquels il constitua le noyau du nouvel établissement (1).
Maïs raclivilé de Louis d'Outremer ne se démentait pas. Con-
linttanl la politique, qui lui avait si bien réussi, de s'appuyer sur
l'Aquitaine pour contrebalancer l'intluence d'Hugues et de ses
adhérents, on le voit presque chaque année se montrer aux
peuples de ce pays avec un certain apparat mililairej se faire
prêter par les grands soigneurs aquitains de nouveaux serments
de fidélité et régler les dilîércnds qui surgissaient enlrc eux; il
usait même souvent à leur égard de certains droits de préroga-
tive suprême, privilège de l'autorité royale dont il aurait été sans
doule fort embarrassé de faire exécuter les décisions si elles
n'avaient pas été d'accord avec les sentiments de ceux qui venaient
s'y soumettre. Ainsi, en 04i, se trouvant à Nevers avec la reine
Gerberge, il y reçut lîaimond-Pons , comte do Toulouse, qui
^l) Martin mourut .ablié de Juih'k'ïîcs en 9^3 ; les hisloricas normands placenl son
arrivée dans cette .ibbuye en (j4o (Voy, Du<lon de Sainl-Quenlin, cd. Lair, p. tou,
note), sans loutcfois que ses liens avec Je l'oiiou aicnl clé brisés, car on a vu qu'oo
g4» Louis d*Uu(renicr le commit Ain direction de l'^bbayc de Saint-Jean d'Ançcly.
R6
LES COMTKS DL; l'OlTOU
ôlail loujoiirs pourvu du litro tlo duc d'Aqiiilaino qu'Eudos lui
avail ocLroyô après l'avoir enlevé à Eble Manzer (1). La défôrcnce
de ce puissant personnage iniptiquail la reconnaissance par le roi
de la dignité dont il élail pourvu, quelque désir que pùl avoir le
comle do Poilou de la voir rentrer dans sa maison, mais il ne
larda pas à se produire un événemenl nouveau qui devait per-
mettre au roi de France de donner satisfaction aux aspirations
de son vassal. liaîmond mourut en £).>0 ou au comraencemenl de
Uai, et Louis^ qui n'avait pas de ménagements k garder avec
Guillaume ïaittefer, son jeune successeur, lui enleva l'Auvergne
qu'il rendit à Tôte d'Eloupo. En agissant ainsi, il restait dans les
traditions de la royauté carlovingienne, qui manifesta toujours la
prétention de ne voir dans les possessions des grands feudalaires
que des bénéfices dont elle pouvait disposer à la mort du titu-
laire (2). La preuve du relief que Louis d'Outremer sut donner
à sa personne royale dans l'Aquitaine est attestée par les
monnaies portant son nom qui furent frappées à Angouléme,
h Périgueux et à Saintes (3).
Pour l'aire exécuter ses volontés, Louis rassembla une armée
on Bourgogne. L'évéquc de Clermont, Etienne II, vint aussitôt
le trouver à Miicon pour l'assurer de sa soumission et môme se
fit accompagner do riches présents en témoignage do son bon
vouloir. Le roi se préparait néanmoins à entrer en Auvergne en
compagnie du comle de Poilou, qui était venu au devant de lui,
quand il tomba malade ; aprl's sa gnérison il ne poussa pas plus
(i) Le lilrc de prince ou de duc des Aquitains a clé pris par Raimùnd-Pons ou
Juin élé donné dans plusieurs actes dates dti rcyne de Louis d'Oulrciner, tels qucl.i
rmiJation du rnonaslt'rc de Cliamleu^'e, du 28 a'iiil g3t> (D. Vaiissclc, f/iat, de Lan-
ijiivdtjt\ nouv. éd., III, p. 117), cl lu coiifirmalian de cet acte par le roî de France,
du mois de novembre 941 (/f/., III3 p. 1^7)1 ï' posscdnil ca môme temps l'Auverg'nc
el le Vclay (/J., IV, uule XV'L pp. 73 cl 8j).
(2) Les Uisluricns qui ont pris nu sérieux les assenions d'Adémar de Chabannca
{Chron.f p. i^O) el de Tauleur de la chronique de S.iinl-Mai.venl (p. 37O), disant
qu'après Lt nioft d'Kble son fils Ciuillaume Télé d'Etoupe Fui pourvu des comtés
d'Auvergne, de Velay, de Liinousîn et de Poilou et prit le lilre Je dtic d'Aquilaioe,
onl commis una grosse erreur. Adém,nr, donl la clironiqac de Saint-.Mnixcnt est la
copie Icxluelle, ne fournil sur Tépoque «]ui nous occupe que dos indications Ires som-
maires, souvent même erronées, t-l il ne Taul voir dans la phrase quelque peu ambiçuë
de sa chrouiquc autre chose qtt'une indication i^éncrale des litres portés par Tétc
d'Klnirpc, sans précision aucune de l'époque où il a pu les prendre.
(S) N'oy. Killon, Çottsii/èralio/ix sur [es monnitits de France, p. ita, et Monnaies
féodnhs françaises^ coll. Je.Tn Hotisseau, pp. ilr. Ha.
GUILLAUME TI-TE D'ÉTOUPF.
»7
loin ses projets cl retourna en France (1). Quî^nl à Ciuillaume,
afin de maintenir le pays, il y plaça de fartes garnisons i^i). Du
reste, l'évoque de Clermont, que l'on a vu prendre les devants el
se mettre à la disposition du roi, était manirestemcnl un zélé
partisan du comte de Poitou. Il se remua beaucoup pour lui con-
cilier les seigneurs auvergnats opposants, el le succès couronna
ses efforts, car l'année suivante, au mois de juin 952, Guillaume
tenant un plaid à l-^nizincua avec l'évèque, un grand nombre
d'entre eux vinrent le trouver et se recommandèrent à lui. Parmi
lesassistantsjon remarquait deux vicomtes :nobert,Yicomle d'Au-
vergne, cl Dalmace, vicomte de nrioude(3). Une ()araîl pas du resle
qu'il y ait eu quelque teiUative de résistance à la décision royale
de la part du nouveau comte de Toulouse, mais on verra par la
suite que si dans ce moment il ne se senlil pas en état de lutter
contre les forces combinées du roi el du comte de Poitou, il no
renonça pas à ses droits sur un pays où sa race s'élait acquis de
vives sympathies.
Les historiens s'accordent pour dire qu'au môme temps où
Guillaume prit possession de l'Auvergne il fut pourvu du lilre
de duc d'Aquitaine ; le fait est possible, mais rien ne vient abso-
lument le conlirmer. Il est seulement établi que le roi étendit à
toute l'Aquitaine la délégation qu'il avait déjà donnée au comte
pour le Poitou en lui conférant le litre de comte palatin ; celui-
ci suppléait au titre de duc que Guillaume ne parait pas avoir
jamais porté car, en juillet •j:i9, il se qiialilie simplement de
comte de loul le duché d'Aquitaine, el, dans unaulre, qui (lutte
entre 9ol et 9îi3, de comte palatin d'Aquitaine (4).
Jusqu'à la mort de Louis d'Outremer, la silualion si favorisée
du comle de Poitou ne se modifia pas ; mais quand ce prince suc-
comba inopinément, le 10 septembre 9b i, sa veuve Gerberge dut
se préoccuper d'assurer le trône à son jeune fils Lolhaire. A
(i) Rec. des hist. de France, VHI, p. 207, Flodoord ; Richcr, //istoirc, 1. II, 98, 93 ;
D. Vaisscle, I/isl. de Lan j ne. toc, nouv. 6J., III, pp. il\i à i^4-
(2)lUcher, Histoire, 1. 111,4,
(3) Brucl, Charles de Cltinij, I, p. 781.
(4) A. Richard, Chartes de Sainl-Maixenl, I, pp. 32, 4*- CcUe CODSlntatloo ÎDfirmc
ralléguliati de D, Vaisscle (Hist. de LanyieJac, nouv. cdiliuo, III, p. 2;)8), qui dit
qu'il De paniU pas que les comlcsde P'.iitiuri, ducs d'Aquiluiue, se buiuiitjiiiuais dunné
eax-mtïnics. ce titre Je comte palalin dans leurs nc'.cs,
HES COMTES DE POT
dt'faiil d'appui qu'elle ne Irouvail pas dans safamille, elle fui con-
lraiii[cde s'adresser h lîii^ucâle Grand, que le roi défunt avail
su mainlonir à l'écarl, clqui, par suile de ces circonslances spé-
ciales, se trouvaiL devenir pour la (roisième fois l'arbitre des
destinées de !a dynaslie carlovingiennc.li se mil à la disposition
de la reine, maïs celle fois encore bien résolu à se faire payer
ses services. Il commença par faire sacrer à Iteims, le 12 novem-
bre 954, le jeune roi qui n'avail que treize ans, et cnrelourilse
(il pourvoir par lui do la suzeraineté sur les deux grands fiefsuîi
Louis d'Oulrenier avail trouvé ses plus fermes appuis, la Bour-
gogntîcl le Poitou (1). Une fois m&îlre de ces deux pays, la royauté,
devenue absolument sans force, ne pouvait plus être qu'un jouet
cnlre ses mains. Un des premiers actes par lesquels se manifes-
tûrenl les sentiments d'Hugues à l'égard du comte de Poitou fut
la délivrance faite par le roi à Laon, le 8 mars 955, d'un di-
plôme ayant pour oljjet de confirmer les privilèges de l'église du
Puy en Velay. Lolliairc disait en substance dans le préambule
qu'il agissait ainsi sur la demande qui lui avait été faite par
l'évêquc Golescalc cl par HaUiide, la femme de Hugues j or
comme le Velay faisait partie des territoires soumis au comte de
Poitou, cet acte était une véritable déclaration de guerre à l'égard
de Tcled'Eloupe dont les droits étaient absolument méconnus (2),
Mais ce n'étaient que les préliminaires de la hille qui allait
s'engager. Sans manifester ouvertement ses sentiments hostiles,
Hugues rassembla une armée, el, accompagné du jeune roi el desa
ûièrc, il partit au mois de juin pour l'Aquitaine. Tout d'abord il
les promena dans ses domaines de la Neuslrie et dans ceux deses
(i) Rec. des lu'st. de France, VIII, p. 209, Flodoard. Rlcher [Histoire, 1. III, i)
prétend que les princes dcBourgog'nc, d'Aijuilalue cl de Golhlc concoururcnL à l'élec-
tiot» lie Lothaire cl assistcrcnl à son couronnement, (jui eut lieu le 12 novembre gS:].
M. Lot {Les derniers Carolirtf/iens, p. 9, noie) Jil, à propus de la présence dea
^randâ de Lurraiae It celle CLTcmonic, (juc « c'est là une de ses ex.iu^érations habi*
tuelles fde Richerl, el donl il use pour rehausser le prestige des Caroliujjiens ». Celte
observiilion peut iHrc étendue, ce nous semble, aux ducs de Bourgogne et de Poitou,
donl ks possessions èlaienl le gage donné par la reine Gerberge à Hugues le Grand
«fin d'oLtenir son appui pour le jeune roi, et qui ne priuvaienl venir ac jeter ainsi dans
la gueule du loup. IHi reste, Flodoard se conicule de dire que le sacre de Lothaire à
Ileiins se lit avec rassenlitncaC d'èvSqucs et de ^^rands personna^^cs de l'Vancc, de
Bùurgofïnc et d'Aquitaine ; il n'emploie pas le mot princi/jes, qui avail ua sens déter-
miné et reslreinl.
(2) liée, des hist. de France, IX, p, O18.
ClILLAUME TÊTE DÉTOLTE
89
alliés, allant successivemenl à Pari?, à Orléans, à Chartres, h
Blois el enfin à Tours. De celle ville, il ftil envoyé des messagers à
Guillaume pour l'inviler ;i venir Irouver le roi, mais celui-ci re-
fusa. Hugues, qui s'allendail h celle réponse, se dirigea aussitôt
sur Poitiers, 011 il pensait que le comte s'était renfermé et dont il
espérait venir promploraent à bout. On était au mois d'août; l'ar-
mée royale essaya de s'emparer d'emblée de la ville, mais elle
fut arrêtée par les hautes el solides murailles delà vieille enceinte
romaine qu'elle ne put forcer. Bien que son armée fûl surtout
composée de cntvaliers et qu'il fiU dépourvu d'un matériel de
siège, Hugues s'acharna contre la cité, mais la garnison se défen-
dit vaillamment el résista à toutes les attaques. Renaud, comle do
Roucy, beau-frère du roi, réussit seulement fi s'emparer du bourg
fortifié de Sainte- Radegonde, accolé aux murailles de la ville, et
l'incendia. C'est à ce moment seulement que le duc apprit que
Guillaume ne se trouvait pas dans Poitiers. L'attaque qu'il pour-
suivait furieiisemenl n'ayant plus sa raison d'être, il se résolut à
lever le sii'ge. Son départ fui du reste hâté par un événemcnl
fortuit el dont il sut tirer parti. Un jour, pendant un grand orage,
il s'éleva un violent tourbillon de vent qui renversa sa tente sens
des^îus dessous. Ce fait frappa vivement l'imagination de ses
troupes, déjà fatiguées par deux mois de siège etquiétaienl forte-
ment éprouvées par le manque de vivres ; on eut soin d'y faire voir
un signe manifeste de l'intervention desainlllilaire, le protecteur
el le défenseur de la cité, el comme, d'autre pari. Hugues pouvait
craindre de se voir pris entre l'armée que Guillaume rassemblait
el les défenseurs de Poitiers, il n'y avait donc qu'à partir (1).
Ce que le duc de France redoutait se serait en effet réalisé. Le
comte de Poitou, aussitôt qu'il eut eu connaissance de la marche
en avant de ses ennemis, s'était rendu en Auvergne y chercher
de l'aide (2). Il ramassa les garnisons des places fortes et, ayant
{t]Rec.des hist, de France, WU, f>. 210, Flodoard; /rf.,p. 323, Aon. NiverneDscs
/rf. ,Vin, p. SaS, Musqués de Fleuri ; Pevu, Montimentaf SS., I, p.i02,Aaa. Saacta;
Colambae ScDODeasis ; Richer, Histoire, I. 111, 3.
(a) Hiolier, //isloire, I. III, 4- Guillaume se trouvaît en Auverçnc dès !e mois de
juin (Voy. Baluze, f/isl. jénéal. de lu maison d'Attoerr/ne, H, p. 2). Ayant publié co
188C l'analyse informe d'une charte de l'abbaye de Saint-Maixcnt, datée d'avril g!î5,
noua avions cru, d'après son texte (Chartes de Saint-Mniocenl, I, p. 3i), qu'IIutjaca
était venu faire le siège de Poitiers à cette dr«t«j erreur <iuc la découverte Je la pièce
LES CO.MTl'S DK POITOU
réiiiiî une arraée îniporlanlc, il m^ircha au secours de sa cftpilale.
L'armtic royale élail di'jà parlie, il n'y «vail donc plus qu'à la
laisser conlitiuer sa relraile, mais Guillaume, au lieu de mellre
on pratique le proverbe populaire, cité par Besly (1), que l'on
doit faire un pont d'or à son ennemi fuyant, se confiant dans le
nombre de ses soldats et désireux de tirer vengeance du mal qui
lui avail 616 causé, se lança à la poursuite de ses ennemis. Hugues
se retourna contre lui et, après une lullc acharnt';e dans laquelle
sa cavalerie jotia un grand rôle, il rôussil à metlre l'armée poi-
tevine en déroule. Elle perdit un grand nombre d'Iiommes ; beau-
coup furent fails prisonniers, le comle môme, à peine entouré de
quelques fidèles, put se sauver difficilement.
Hugues, salisfail d'avoir assuré sa relraile, ne poussa pas plus
loin SCS avantages et, dans le courant d'oclobre, il avait rejoint la
France (2). Le roi relourna à Laon (3), le duc rentra à Paris 11
n'enlrail sûrement pas dans ses desseins de s'arrêter sur le demi-
succès qu'il venait de remporter, el il projetail de revenir en
Poitou l'année suivante, mais il tomba malade el mourut au mois
dejuin cette année DiiC (4j.
oriijiDate, disparue il y a ua demi-siùcle, expliquera peut-tîlre. Il csl tout simple-
ment pussibLc i|ue le rédacteur de l'acte ait écrit «. aprilis n au Ueud' « au|^usti ».
(i) Besly, l/isl. des rornlcs, p. ^li.
(a) La version de Uiclicr sur les suilesdc la victoire de l'armée royale s'ccarlant no-
tablcmcDt de celle de Flodoard, il nous paraît boa de les mettre l'une et l'autre en pré-
sence. Uiclicr prélcad qu'IIuqucs, cnliardi [»ar son succès, fit marcher do nouveau son
armée sur Poitiers ; que les IiaLîtaDls, tcrrîtiès par la déPailc de Guillaume, se sou-
mirent à lui, dcmandatil pour seule grùce que l'on qinrj^oàt leur cilc, dont les soldais
réclamaient le pillni^^e pour s'indemniser des peines qu'ils avaient éprouvées. Hugues
les aurait ajiaisés t:l se si'rail cuntcrilé d'e.viçer des habitants un j^rand nombre d'o-
lajçtfs [/Jistuire, Hv. lit, S). Ce récit nous parait suspccl ; si, comme le dit Riclier Uii-
niémo, le comte de Poitou n'avait pti s'cc!i:<ppur a]nis I:i bataille que s^nlcc au vtnsi-
nage des montagnes, ec tiiti placerait le chatnp de la lutte sur les fronlicres du Lî-
moustn oa miîmc de la Iluurg^ognc, car il ne faut pas oublier (pi*un fort coatiot^col de
Bourguignons faisait partie de l'armée royale (Voy. Loi, Les derniers Carûfingiens,
p. i5, Qole 1, cl SCS références), ccitc armcc élall âc]h forl loin de Poitiers et il n'est
pas à présumer qu'à la saison déjà avancée oi"i l'on se trouvait Hugues soit revenu sur
ses pas. Kn oulre, si les habitants de Poitiers s'élaicat mis à sa disposition, il ne se
serait ccrlainement pas contenté, pour lou( bénélice, de se faire livrer des otatfes, et
il aurait obleaudu roi la dêpossession de Gtiillaume, ce ipiî était le but certain qu'il
poursuivait. Pour ces motifs, nous nous en tenons au récit de Flodoard, moins enclin
que llichcr n disïiimulcr ce qui pouvait nuire au relief de la maison de France.
(3) Lh roi était de retour à Laon le nj ou le 20 octobre q55 (Bruel, Churles de
aiimj, II, p. 77),
{!\] Voy. Loi, Les derniers Caro!inr/ieni,p. iC, noie (J, pour la délcrmination pré-
cise de la mort d'Huacues le (îr^md.
GUILLAUMt: TÈTE D'CTOUPK
9»
La disparilton de son irréconciliabln ennemi donna quelque
répil à Guillaume^ niais ce ne fut pas pour longtemps. Les lils du
duc de France poursuivirent la poliLique de leur père el clier-
chèrenl à enlrainer Lolhaire à seconder leurs visées. A la fin de
l'année 958^ le roi partit pour la Bourgogne, où la situation élail
troublée par suite de la morl du duc Gilbert, avec sa mîjre Ger-
berge, et le 1 1 novembre, à l'insligalion d'Hugues Capel, qui sY.-
tail fait accompagner par sa mère llatuide, sœur de Gerberge, il
lintà Marzy, près de îNevers, un plaid où Tul décidée une nouvelle
campagne contrôle couite^de Poitiers. Mais cette démonslralion,
peul-èlre préparée par les deux princesses, resta sans effet ; des
seigneurs bourguignons qui ne voulaient pas reconnaître l'auto-
rité d'Othon, lequel, comme gendre de Gilbert, prétendait à la
possession absolue du ducbé, vinrent se placer dans la suzerai-
neté directe du roi de France ; Lolhiiire accepta, ce qui le
brouilla avec ses cousins (I).
Celle nouvelle alfairc détourna complètement Hugues de ses
projets ; comme conséquence de riiostililé déclarée de Lolbaîre,
sa situation militaire avait notablement diminué, et, ne pouvant
compter sur l'aide de son frère, dont toute rallenlion se portait du
côté de la Bourgogne, il ne se trouva pas assez fort pour entre-
prendre seul une nouvelle marche sur Poitiers. Kn ÎJ.'>9, les parties
belligérantes se contentèrent de guerroyer sur les limites de leurs
possessions, et le Borryfiil le théâtre principal de ces luttes ;
deux épisodes nous en sont connus. Des seigneurs du Poilou
avaient construit un château fort près du monastère de Saint-
Cyran et menaçaient le pays. Le possesseur d'un t^hiVlcau situé
h l'est de Saint-Genou d'l']strée, redoulanl l'attaque des Poi-
tevins, fut demander secours non pas au roi, son seigneur
(i) Rec. des hiHt. (le France^ VIII, p. an» Flodoard, M. Lot {Les dfrnt'ers CarO'
li/ifjiens, p. 2.'')) prétend, eu inlcrprélant ta dalo d'uac charle de Cluny, que douze
jours scuIcmcHl après le plaid de Marzy Lolliairiî su serait emparé de Dijon, ce qui
nurait été le véritable molif de sa mcsinlclli|^cacc nvcc ses cousiaa. Or, cet ode, qui
est du 23 novcmlire (lïrucl, Chartes de Clunij, II, p. 162), porte deux dates qui ne
sont pas d'necord ; l'une est cctle de la cinquictnc année du règ'Qe de Lolhaire, ce qui
correspond à tannée f)5ij, l'autre de la sixième indiclion qui tontbo en y'îo. M. Loi
déoionlre que la priae de Dijon ne peut avoir eu lieu en rjîji>, nuis qu'elle est possi-
ble en fjOo (/f7.,p. 3i, note 1); toulcfois, comme la date de <j58 se rallachc mieux à
la suite de son récit il s'arrête à elle sans autre motif ; nous ne le suivons pas dans
ceUe voie el tenons pour bonne l'année gOo, qui du reste cadre bien avec les faits.
^
LliS COMTES DE POITOU
direct, mais au duc Je France. IlLigucs accourut avec plusieurs
milliers d'hommes et vint me lire le siège devant le château enne-
mi qui résista. Tout d'abord, ses troupes s'abstinrent de piller le
pays qu'elles traversaient, afin d'cmpÈcher les babilanls de s'enfuir
avec leurs biens. Mais, dès le lendemain de leur arrivée devant
la petite forteresse, ils les rançonneront sous le prétexte de s'ap-
provisionner pour le siège qu'ils allaient entreprendre. Les reli-
gieux de Saint-Genou ainsi que le seigneur berrichon qui avaient
appelé Tarraée neustrienne ne purent que se repentir de leur con-
Oance et ils se hâtèrent de recourir à l'intervention de leur sainl
palron, qui ne leur fit pas défaut, dit la légende (l).Un autre éta-
blissement religieux, l'abbaye de Massay, eut aussi à souITrir de
ces luîtes, el elle fut emportée de nuil par les Poitevins (2). Le
pays était du reste hérissé de ces forteresses qui offraient un
obstacle conlinuet à la marche en avant de petites troupes; une
armée seule pouvait en venir k boni, et encore on verra bien sou-
vent celle-ci s'épuiser dans des luttes acharnées conlre des
repaires qui, défendus par une troupe d'hommes déterminés,
étaient, grâce à leur situation, presque imprenables avec les
moyens d'attaque de l'époque.
L'année 960 ne vint apporter aucune amélioralion à cette
situation; au contraire, elle s'aggrava. Brunon, l'archovôque de
Cologne, oncle commun du roi et des ducs de France et qui rem-
plissait en quelque sorte les fondions de régent du royaume,
amena ses neveux à une réconciliation, mais le Poitou el la Bour-
gogne en furent encore le gage. Hugues Capet et Olhon vinrent,
dans le courant de novembre ou de décembre, trouver Lolhaire
à Dijon et lui prêtèrent serment de fidélité ; en retour, le roi con-
firma Hugues dans son litre de duc de France et lui concéda en
outre le Poilou; Olhon recul pareillement la Bourgogne. Mais
autre chose était de recevoir le don d'un comté que d'en avoir
la possession. Hugues en fit l'expérience, car Tôle d'Eloupe n'é-
tant rien moins que disposé à subir cette spoliation, il fut con-
traint d'altendre des temps plus propices pour profiter delà géné-
(j) MalnIlon,yl c/a Sanctortim, IV, pari. H, [>. a3o, Translatio sancli Genuiti; Tîrc.
des ht si. de France, IX, p. 144-
(2) Pertz, Afonamenta, SS. 111, p. iGg, Annales iMasciacenses.
GIJILI-AL'ME TKTE D'ETOITE
î»3
rosilé du princo. Lollmire avai(,pîir son aclivilé_, par son (Snergio,
relevé la puissance royale el rejelf^ au second ran^ celle des
dues de France, aussi de plusieurs poinis du royaume lui arri-
vaicnlde nombreuses adhésions. Il devint v^3rilahleraenl l'arbitre
de ses vassaux, ainsi que le comporlail sa qualité de roi. Aussi,
le comte de Poilou, suivant l'impulsion commune, prit-il le parti
de s'adresser direclement à lui pour régler son ditTérend avec
Hugues Capel. Au mois d'octoljre 961, des évêques el de grands
personnages d'Aquilaine se rendirent auprès du roi qui venait
prendre ses quartiers d'hiver en Bourgogne ; parmi eux se trou-
vaient certainement des émissaires chargés de négocier la récon-
ciliation de Ti^te d'Ktoupc avec Lolhaire. Ce dernier n'avait
pas de molils particuliers pour en vouloir k son puissant vassal ;
tout enfant, il n'avait tait que suivre les inspirations d'Hugues
le Grand el depuis, en prenant parti pour ses cousins, il s'était
conformé aux volontés de son oncle Brunon, qui avait toujours
considéré comme plus profitable au roi le maintien de ses bons
rapports avec la maison des ducs de France plutùt qu'avec le
comte de Poitou {!.).
Les négocialions furent sans doute assez, longues, mais elles
finirent néanmoins par aboutir ; du reste de nouveaux désaccords
avaient éclaté entre Hugues Capet et Lolhaire, et celui-ci fat
heureux de pouvoir opposer comme contrepoids h Thostitité de
son cousin la fidélité de Tête d'I^loupe. Le comte de l'oitou vint
même, en 962, lrou\er le nÀ h sa villa de Vitry en Pertliois et se
mettre à sa disposition. Comme témoignage de bon vouloir à son
égard, le roi fit délivrer par son chancelier Adalric, à la date du
14 octobre de celle année 9G2, un diplôme autorisantia comtesse
Adèle à disposer comme il lui conviendrait d'un vaste domaine
sis aux environs de Poitiers, la Cour do Faye,que Robert, fils du
comte Maingaud, lui avait donné en bien propre (2),
(i) Rec. tics hisl, de France, Vltl, pp. 210 el 2J2, Flodoord.
(2) Besly, f/ist. iles comtes^ preuves, p. 258; Gallia Christ. ^ W, iastr., col. 3Co.
C'esl dans le recueil de D. FoDlcncau, XXVII, p. ^'\, que I'od trouve la meilleure
tmoscripltOQ de ce texte faile d'après l'original aujourd'hui perdu. Uq autre diplôme
de même d.ite se rapportant à la fondation de fabliityc de la Trinité, publié dans le
Rmieit des historiens de l'rnnce, IX, p. 05r, el dans ]eG'd(in,\\. instr., col. 36i,
est d'une insigne fausseté (Voy. Appendigr II).
<A
LlvS i:(>.MTIi:S DIÎ POITOI
En mellanl par son adhûsion sincère In roi do France dans ses
inlrrèls, le comlc de Poilou avait lroiiv<; le vérilablo obslacloà
opposer aux tenlalivos de ses ennemis. 11 [iiit d&s lors se croire
à l'abri des inlrigues do la famille d'IIuiJ^ues le Grand et de la
haine que, depuis vingt-cinq ans, celle-ci luiavait vouée. Aussi le
momenl lui somblu-1-il propice pour mellre iicxécuUon unprojcl
qui semble avoir été longuemcnl prémédilé chez hii. Il élait,
avons-nous dil, profondément religieux et, par surcroll, il subis-
sail en ces matières l'ascendant de sa femme. L'acquisition de
Faye par la comtesse de Poitou n'avait pas eu réellement pour
objet d'augmenter sa fortune personnelle ; elle destinait ce do-
maine à devenir la principale dotation d'un tdablissemenl reli-
gieux qu'elle avait le desseinde fonder. Les règles qui régissaient
rabbîiyc de SainLc-Croix ne satisfaisaient sans doute pas ses
aspiralions religieuses; de plus.clle ressentait celte attraction du
pouvoir qui porte les personnes ayant exercé quelque aulorilé à
vouloir transporter cette ingérence dans les œuvres auxquelles
elles se trouvent mêlées ; elle voulait fonder un monoslère dont
elle dirigerait les destinées. Celle résolution^ qui devait recevoir
son exécution peu après l'acquisition de Fayc, inllua sur la con-
duite de TClo d'Eloupe ; à l'exemple de sa femme, il se décida à
abandonner le monde et san.-^ plus tarder il entra dans le monastère
de Saint-Cyprien de Poitiers, pour lequel il avait toujours témoi-
gné un attachement particulier cl où il mourut, le 3 avril963, après
y avoir fait seulement un court séjour (t).
(i) Adcmar de Cbabannes et la clironiquc de Saliil-Maixcnl sonl en désaccord sur
le lieu où serait morl Télc d'Etoujie. AJéiiiar (p. i5o} rapporte que le comte rc4;til
la sêpallurc dans l'iibbaye de SaÎDt-Cyprica, landia que l'auleur de In elironiquc lui
fait au contraire abandonner celle abbaye et terminer ses jours dans celle de Saint-
MaixenI (i)p,38o-38i). Nous n'hésitons pasik rejeter celle dernière iiitlicalion qui nous
puraîl t>lre le résultat d'une erreur de l'annaliste. Il n confuntlu fc |ièic et le lils,
ISuilIaumc Tête d'F4oupc cl Guillnume Ficr-à-lir.ia. Ce dernier s'est en cITet relire,
sur la lin de sa vie, à SainlMaixent, oii il niourul. (Chron.d'AJihnir, p. ijO). Or, la
cliroûiquc de Sainl-Maixcnt passe complètement soua silence la mort de Fier-à-Dras,
et ceci se conçoit, l'auteur ayant aniatj^ann- les deux faits qu'il a eihpruulûs à Adémar
cl les ayant condensés en un scid qu'il applique à Tète d'Etoupe.Ou peul de plus,
pour 8'éclaircr,lirer une indication prcciscd'un te\le des archives de l'abbayedcSaint-
Maixenl, ainsi couru : » Les dévolions que l'on doit faire le saint temps de car«yme-..
Pour le mois d'avril, le trois, la déposilioa du comte (juillaume, lequel ne gial (Mis
céans » (A. Richard, Churfes de Saini-Moixe/il, 11, p. 3i.^(). On connaît cxaclcnient
la date de la mori des divers comtes de Poitou du nom de CiuiUaumc, sauf de celle
des deux premiers, Télc d'Eloupe et Fier-à-Bras, et comme ce dernier fut enterre à
4
t.UILLAI MK TKTE D'ÉTOLPi: gS
Nous ne sfidrions allribiicr à la seule influence d'Adèle la viva-
cil6 des sonlimcnls religieux de Tète d'Eloupe, vivacilé qui vint
aboulir à celle î:,'rande déleruiination de se retirer du monde,
alors qu'il élall encore dans la force de l'âge ; pour le maintenir
dans cette voie, il possédait encore dans son entourage un
modèle et peul-ôlre un conseiller, son frère Kble. Ce second fils
du Manzer, qui avait 616 destiné à l'ii^glise, avait élé gt^néreuso-
mcnl pourvu par le comte do Poitou de riches Ijénéfices ecclé-
siastiques, mais sa conduile trancha avec celle de ces chefs de
diocèses ou d'abbayes qui ne vivaient guère aulremcnl que comme
des seigneurs séculiers, et il mérita cet éloge que font de lui les
chroniqueurs, qu'il fut un bon pasteur, bomis pastor erdesie. Dès
936, il recul l'investiture delà puissante abbaye de Sainl-Maixcnl
à qui, à diverses reprises, il fit dos dons imporlants, prélevés
sur les domaines qu'il avait reçus pour sa part dans l'héri-
lagc paternel (1). En 937, xVuboin, trésorier de Sainl-Hilaire, ce
qui élail la principale di^'uilé après celle d'abbé qui n'élait pas
alors occupée mais que Tête d'Eloupe complaît bien se faire
octroyer quelque jour, passa évêque de Poitiers. Eble, déjà
doyen, pril sa place comme trésorier et organisa le régime de
vie des chanoines qui avaient remplacé les moines ii la suile
des désordres survenus dans l'abbaye par TelTel dos invasions nor-
mandes ; il fit confirmer les règles de cet établissement le 5 jan-
vier 942 par le roi Louis d'Outremer (2) ; en 944, il devint
évèquc de Limoges, et enfin il fui aussi pourvu de l'abbaye de
Sainl-Michel en Lherm (3). Comme il ne pouvait sulfire seul à
Saînt-MaixcDt, la mcntinD ci-dessus ne pcul donc s'appliquer qu'à Trtc d'Cinupc.
Noua ferons cnlîo remarquer que ccUc date du .3 avril qG3, si rapprochée de celle du
i/| oclobregGa.où I'od constate la présence du comte à Vilry.esl encore un arj^'umciit
h fournir à l'appui de notre manière de voir, car il serait bien cloûDant qtic, dans Ee
court espace de six mois de temps, compris cotre ces deux dates, le comte de Poitou
ait pu prendre In résolution de se retirer du monde, d'entrer dans un monastère, de
Tabandonncr, cl enfin de passer dans un autre où il serait venu mourir,
(i) A. Richard, Chartes de Sainl-Mai.TenI, l, pp. 3-j et /[S.
(2) Uédct, Doc. pour Sainl-llilaire, I, p. 23.
(3) La chronique d'Adémar (pp. \!\(i cl 201) et celle de Saint-Maixcnt, qui, dans ce
passaiçc, comme dans beaucoup d'autres, en est la copie (extucllc, semblent dire qu'Eble
fut pourvu des bénéfices qu*il a possédée, dès la mort de son père. Il y a lieu de ftire
ù ce sujet la même réserve <|ue pour Tête d'iiloupc cl de reconnaître quc,coiimi£* lui.il
ne les a eus que successivement; ainsi, il ne put devenir cvèquedc Limoge» qu'après la
mort de Turpion.dont le décès est rapporté au aâ juillel qVi (Ca//.C/ir/»/.,n,col,5o9).
\fi
LES CO.MTI'^S UE POITUlI
remplir son rôle èpiscopal et h veiller à la direction des monas-
tères qui lui (l'iuient suumis, il se reposa de ce soin sur des per-
sonnes éprouvées, particulit'rcmenl k Sainl-Maixent où, dès9i2,
on lui voit uneoadjuleur portant comme lui le litre d'abbé (1); à
Limoges, il eut un cliorévêque(2). 11 lit, disent encore les chroni-
queurs, beaucoup de choses dignes de louanges ; c'est ainsi que,
profitant du séjour de Louis d'Oulrmier ti Poitiers et du désir
qu'avait ce prince de s'attacher élroitemenl le comte de Poitou,
il obtint de lui cet autre diplôme du 7 janvier 042, par lequel
le roi, à sa requête, réforma l'abhaye de Saint-Jean d'Angély et
la contia à Martin, l'abbé de Saint-Cyprien (;i). Mais ce qui
signale particulièrement Eble à notre allcntion, c'est sa préoccu-
pai ion de fortifier le siège de chacune de ses possessions, soit
que par ces mesures il voulût opposer un ûhslacle h de nouvelles
invasions normandes dont la mémoire était toujours vivace, soit
qu'à l'imitation de ce qui se passait par tout le pays dont le sol se
couvrait de forteresses^ il ait cru prudent de mettre les édifices
sacrés h l'abri des tentatives de pillage de voisins peu scrupuleux;
k Limoges, il termina renceinte commencée par son prédéces-
seur Turpion, qui renfermait la calhédrale de Saint-Elicnne,
et il créa ainsi la ville épiscopale, la cité, en face de celle, dite le
chAleaii, que commençaient à constituer les abbés de Saint-Mar-
tial (i), à Saint-llilaire, où l'abbaye primitive ne fut pas recons-
truite, les chanoines habitant des demeures particulières, il
fit entourer le bourg do murailles qui étaient terminées en
942 (5); à^Saint-Maixenl, il agit de même sorte, mais il se con-
tenta do faire de l'abbaye, qu'il avait relevée de ses ruines, un
chàLeau-fort placé au milieu do l'aggloméralion qui s'était for-
mée autour d'elle (6) ; à Saint-Michel, qui était un poste fortilié
avancé, placé enire l'enibouchure de la Sèvre et celle du Lay
dans l'Océan, et qui surveillait on même temps les Bretons du
(i) A. Bichard, Chartes de Saini-Maixent, io(rod.,p. lxvii.
(2) C/irnn. (l'A(lémfir.p.}/i-j\Da[i\L'&'A!r\eT,Chron.<ieSaint-Afariîal,Commemoriii\o.
(ï) Gallia Christ. , II, iostrun)., col. /(04.
(^) Chron. ifAdémar, p. 201.
[F») Chron. d'AUérnar, p. 201 ; le châlcau, caafnim, de Saial-Hilaire csl mentionne
pour la première fois dans une charte de Guillaume Tète d'Kloupc, de juin 9^1 ou g^i
(lléJet, iJoc. pour Sitiiit-Ililaire, 1, p. 2 a).
(6) Chron. d'Adémar, p. 202.
GUILLAUME TÊTE D'ÉTOUPE
97
comli' d'Iïerbauge, il releva Fabbaye qui avail été ruinée (1) ;
enfin, en 961 , il créa un aulre poste défensif, au point où la Sèvre
cesse d'ôlre praticable à la navigation, en Iransformaniréglise de
Noire- Dame du Porl-Dieu, que l'abbaye de Sainl-Maixent avait
reçue rOeemmenL en don des vicomtes deThouars, en une nouvelle
abbaye à laquelle il donna le nom de Saint-Ligaire et qu'il plaça
du resle dans la dépendance de Saint-Maixent (2). De Limoges à
la mer,Eble avait donc établi une série de forteresses qui, outre
la sécurité qu'elles apportaient h ses possessions territoriales,
servaient à assurer Tautorilé du comte de Poitou et garantissaient
la tranquillité du pays. Cette tranquillité relative nous paraît
indéniable au temps de la dominaliou de T^te d'Étoupe; elle est
surtout attestée par les concessions nombreuses, faites par te
comte, par son Frère ou par d'autres personnes, de terrains si-
tués sur les côtes de i'Aunis afin d'y établir des salines (3). Le sel,
ce condiment si précieux pour la santé de l'homme, devait faire
souvent défaut aiix'malhcureuses populations de ces temps trou-
blés ; grâce à l'inlelligente impulsion du comte de Poitou, secon-
dée par les tendances des établissements monastiques à mettre
en rapport leurs nombreuses possessions, une révolution dut se
produire à celle époque dans les conditions de l'existence, et c'est
ainsi que l'on doit s'expliquer l'importance du mouvemenl que
tant d'actes nous signalent en faveur de l'extension de cette
industrie de la fabrication du sel ; celle-ci du resle ne tarda pas
à transformer un pays jusqu'alors presque désert et à y amener
la richesse.
Le nom de Tête d'Étoupe se trouve donc accolé à celui d'Eble
(i ) C/iron. d'Adémnr, p. t^y. La charte de reslauralion de l'abbaye de SainUMichel
par l'abbé Kbl<?, qui a été publiée parle Gallia Christ., II, inslr.,cnl./|o8, est de toute
fnusselc; ellfi sorl de Tofficme nionlée an xvi' siècle pour la ^loritlcnlioD de la ramilleij
de Sanzar et à laifuellu ou doit entre autres les Mémoires de la Gaulle Acqai/aniqntl
de Jean de lallayc (Voy.ma A'o/« sur quatre abbés poilerins du nom deliilly, 1886),
(2) A. Richard, Chartes deSainl-A/aixcnt,l,p. 72; Marcheyay, Chron.des éyliset
d'Anjou y p. 38o, Sainl-Maixcot.
(3) Voy., dans lu collection de D, FoDleneau^ les chnrles de Noaîllc : I. XXI, pp.
260 el 285, et t. XXVII tef\ p. 33, de Sainl-Cyprica : t. VI, pp. gS, 109, i3i, 149,
173 et iBfj, el t. XXVn his, pp. 73, 75, 77, 79, 81, 83, 85, 87, 89 et 91, de Saint-
Maixcnt : L XV, pp. 101 cl io5, et I. XXVII ôi's, pp. fiQi cl 5g3. Ces cbarles, outre
l'intérêt qu'offre leur objet s[ ccini, permettent encore d'affirmer que rA«Qi.s litnit dans
la [lossession directe de^ comtes de Poitou, possessioa déjà établie,com[ue nous l'avoQS
vu, au temps du cunile VMv.
7
98
LES COMTES Dli POITOU
dons CCS acles comme dans bien d'aiilrcs qui lémoignenl de la
persislaiice da rapporls inltmes qui exislaieiil eiitro les deux
frèresj aussi est-ce sans surprise que Ton voit Kble, au momenl où
Têted'Etoupe se relire du monde, abandonner lui aussi un de ses
principaux bénéfices, l'abbaye de Saint-Maixenl, préludant par ce
renoncement à celui plus complet qui marquera la fin de sa vie(l).
L'ère des fondations religieuses, celle qui, selon l'expression
d'un chroniqueur, vil recouvrir de blanches toisons le sol de la
France, n'était pas encore arrivée; on était trop près des ravages
des Normands et il fallait de longues périodes de calme pour que
la fortune publique s'accroissant permît de faire face aux dépenses
considérables qu'entraînaient ces constructions d'églises et de
monastères. Malgré la piété dont il a donné des preuves, on n'a
donc aucun témoignage établissant que Guillaume Tôled'Ktoupe
ait, en dehors de ses acles comme abbé de Saint-Hilaire, consis-
tant surtout en mainfermes, c'est-à-dire en concessions tempo-
raires à cens, personnelles ou avec faculté de transmission, de terres
faisant partie du domaine canonial (2), fondé quelque établisse-
ment religieux ; ses générosités à Tégard de ceux qui existaient
furent même très bornées et Ton ne trouve véritablement
à citer que la donation qu'il fil, en 936 ou 937, à l'abbaye de
Saint-Cyprien de Poitiers, récemment restaurée par l'évoque
Frolier, du domaine de Colombiers (3). On le voit aussi mêlé
aux affaires de l'abbaye de Saint-Maixenl, que possédait son frère
Kble, mais c'est surtout pour donner en niainfermc des domaines
qui en dépendaient; une fois même, ayant concédé en bénéfice
l'église de Saint-Geimier 'i un de ses fidèles nommé Bégon, el
contraint par la suite de l'enlever à ce dernier qui abusait de la
situation de celte église au milieu des bois de l'abbaye qui l'en-
touraient de toutes parts pour causer à ceux-ci de graves dom-
mages, il ne la donna aux moines de Saint-Maixenl qu'à la charge
de payera Bégon un cens annuel de cinq sous. Le comte prit
celte décision, qu'on ne saurait qualifier de don, dans un plaid où
se trouvaient les trois vicomtes de Thouars, de Châtelleraull
el d'Aunay el le viguier lUinaud. La faveur accordée à Saint-
(i) A, Richard, Charles de Siiini-Afai\i:ent, inirod., p. lxvi.
(a) Hcdel, Doc. pour Sainl-IIi taire, I, p]). aa, a/i» '-tlt ag, 3o.
(3) Cariai, de Saint-Cyprien, p. 76; voj. plus haut p, 84.
GUÎLI.AUME FIER-A-BRAS
99
Maixenl était assez minime el ne dut être prise qu'à la sollici-
talion de i'abb6 Kble, qui assista à la décision du comte (i).
C'est à ces seuls actes que se réduit ce que nous savons sur les
rapports de Guillaume Tête d'Étoupe avec les établissements reli-
gieux de son comté; c'est peu de chose (2).
De son mariage avec Adèle de Normandie, fluillaume Tête
d'Étoupe laissa deux enfants: un fils nommé aussi Guillaume, qui
lui succéda, et une fille, Adélaïde, qui devint la femme d'Hugues
Cape t.
IX. - GUILLAUME FIEHA-BRAS
II" COMTE — IV* DUC
(963-993)
Le successeur de Guillaume Tête d'Étoupe est connu sous le
nom de Kier-à-Bras, Fera Brac/iia{2)y qui lui fut donné à raison
(i) A. Richard, Charles de Saint-Maiœent, I, pp. 39, 82, ^2.
(2) Nous omettons à deasein, parmi tes actes émanés de Guillaume Têle d'Etoupe,
celui que les Bénédictins ont inséré dans le Gallia Chrittiana, II, instr. , col. 4o8, et
griicc auii|uel Ils ont intercalé un personnage, Dommé DioQ.dans la série desabbdsde
Saint -Michcl-ea-Lherm. D. Fonteneau, qui a eu connaissaocc du prétendu origioat,
une simple feuille de pareliemin d'une écriture du xv" siècle (il aurail dû dire du xvi*
siècle) qui se trouvait dans les archives du chapitre de Saint-llitaire-Je-Grand de Poi-
tiers et qui malheureusement ne nous est pas parvenue, en n Taltia critique minutieuse
au point de vue diplomntique el a conclu à sa fausseté; quant h nous, la présence d'ua
seigneur de Sanzay parmi les lénnoins nous édifie sur la provenance de la pièce qui
rentre dntts la série des nombreux documents Fabriqués par cette ramillc de Sanzay
et fourrés par elle dons les papiers des monastères ou éq'lises de la région afin de
servir de preuves aux Mémoires et recherches de France et de Iti Gaulle AcquHani-
qne du sietir Jean de In Haije (Voy, mon introduction aux Chartes de l'abbaye de
Suint-Mnixent, I, p. lxxi).
Il y a lieu de faire \a même observatioD au sujet d'un acte du cartuleirc de Satol-
Jean d' Anc^ély, relatant de nombreux dons faits à celte abbaye par des comtes de Poi-
tou du nom de Guillaume, dans lesquels D. Foolencau (XlIIt p. ^7) voil Tète d'Etoupe
et son fils Ficr-à-Bras; la pcrsunnalilc de Tête d'Etoupe doit être complètement écar*
léo (Voy. Musset, Cart, de Saint-Jean d\lnfféli/, p. 12, note a.)
(3) Marchegay, Cbron. des églises d' An j on, p.38t , Sainl-Maixent. Beslj a, par inad*
vertance, commis une erreur fj^ravedans son ffisloire descomtes f/<"/*oiWoH,ch.xv,pp«
46 et ss., au sujet du tils de Tête d'Etoupe; il ne lui donne pas de surnom et réserve
celui de Fier-à-Bras pour le successeur de ce dernier, qui est au contraire connu sous
le nom de Guillaume le Grand. Cependant, ou doit noter que cette erreur de notre
lOO
LES COMTES DE POITOU
de sa force peu commune et peut-èLre aussi parce qu'à cet avan-
tage physique se joii,'nail uno qualit»!^ guerrière, car c'est à ce
dernier titre que le normand (iiiillau me, frère de Robert Tiuiscard,
fut décoré du surnom k peu près idenlique de Ferrebrachia {\}.
Il nous apparaît comme un liomme violent, mais de peu de ju-
gement, qui peut être rangé dans la catégorie de ces gens chez
qui le développement de l'intelligence n'a pas suivi celui de la
vigueur corporelle. Quant à la forme française de ce sobriquet de
Fier-à-Bras, elle se retrouve dans les anciens textes, et même
elle était appliquée au diable (2).
En donnant i\ son fils aîné le nom de Guillaume, Tôle d'Étoupe
avait certainement eu rarrière-pensée d'en faire une qualification
dynastique. S'étant vu disputer le titre de duc d'Aquitaine porté
par son père, il ne négligea rien pour affirmer les droits que sa
race avait à s'en parer et le fait de la transmission d'un nom
prédispose à accepter favorablement celui d'un litre. Lors-
qu'Eble appela son fiisfîuîllaume, ilne pouvait assurément avoir
eu la pensée qui germa dans l'esprit de ce dernier; il agissait
ainsi en mémoire do ses parents, les comles d'Auvergne de ce
nom, et en particulier de celui qui avait été le prolecleur de sa
jeunesse, mais il ne pouvait prévoir, lors de la naissance de cet
enfant jque les trois derniers possesseurs de ce pays d'Auvergne
décéderaient sans hoirs et que leur héritage, spécialement le
duché d'Aquitaine, lui reviendrait; il en était autrement de
Tête d'Étoupe. Le hasard des événements avait voulu qu'à un
moment donné il recouvrât ce duché d'Aquitaine, dont il avait
été momentanément dépouillé, et dont le litre avait été succes-
sivement porté si brillamment par deux ducs du nom de lluiU
1
historien se trouve corrigée dans le lableau çéacalogique intitulé : Comles de Poiciiers
et ducs de GuyentiCj placé en tôle du volume et auquel il y a toujours lieu de se tenir
de préférence.
(i) Du Caoçe, Glossarium, au mol Ferrebrachia, d'a|>rês Guillaume de Fouille,
De gestis Norman . :
Is quia fortis erat, et Fcrrea diclus linbere
Brachia, nam validas vires animumque gercbat.
(a) Du (iaoge, Giossariti/ity d'après les Miracles de Notre-Dame :
Ficrabras
Ccsl anemis qui maint mal brace.
M. Lot (Les derniers Ciirotiftifietts, p. 210) désigne le comte de Poitou sotia le
Bumom de Fierebrace ; douk ne saurions dire à quel ancien texte il a euiprunté cetle
traduclioa du mot Ferabrachia.
GUILLAUME FIER-A-BRAS
lOI
laume. Il élail le Iroisième Guillaume qui en fût pourvu et il eut
alors celle inspiration géniale que ce nom et celle qualité demeu-
rassent inséparables l'un de l'aulre, c'est-à-dire que les comtes
de Poitou fussent ù toujours des Guillaume d'Aquitaine; celle
idée fut si bien comprise par les intéressés que désormais le nom
de Guillaume fut toujours attribué par les comtes de Poitou à
leur premier né jusqu'à rexlinclion de leur race; môme si, par
un cas fortuit, il arrivait qu'un putné passât au premier rang,
celui-ci s'empressait d'abandonner le nom qu'il avait reçu au
baptême et de prendre la dénomination patronymique sous
laquelle avaient été désignés ses prédécesseurs, tel fut le cas pour
Pierre et pour (iuy-Geoffroi, les fils de Guillaume le Grand (1).
Deux faits d'ordre général attirent tout d'abord l'altention
dans l'histoire de Fier-à-Rras : l'un, c'est que dans tous ses actes
il s'intitule duc d'Aquitaine, puis, que, dés son avènement, les
hostilités cessent entre les comtes de Poitou et la maison ducale
de France, faits qui peuvent avoir entre eux une certaine corré-
lation.
Ce titre de duc, que son père n'a pas osé prendre, Fier-à-Bras
s'en pare aussitôt et dans le préambule d'une charte datée du mois
de mars 967, par laquelle il concède à un particulier, en qualité
d'abbé deSaint-Hilairc. la possession censuelledecertainesterres,
il se qualifie de duc des Aquitains par la grâce divi(ie(2). Ce protocole
était de régie dans les actes importants, mais quand il agissait
simplement comme abbé de Suint-Hilaire, dignité qui, avons-
nous dit, ne cessa, depuis Tête d'Etoupe, d'être unie à celle de
comte de Poitou, il n'était en général désigné que sous le titre
(i) Olte uniformilé de nom, allant du père au fils et à leurs desceDdants, avait des
iDconvénienls ; il était ioévitabte qu'il devait se produire des confusions, tant dans la
litpiée des comtes (jue dans les faits attribués à chacun d'eux, surtout à une époque
où la mémoire des événements n'était guère conservée que parla tradition orale. Cet
embarras a clé en partie évité par suite dQ l'habitude de distîn^uer les s;;rns par un
sobriquet, coutume remontant à la plus haute antiquité et qui fut très appliquée
â l'époque dont nous nous occupons ; nous nous en sommes tenu à cet usage, et si
nous avons soin de donner eo tète des chapitres consacrés à chacun de nos comtes
leur numéro d'ordre dans la série des comtes de Poitou et ceux qui leur reviennent
dans la suite des (îcillaume, considérés tant comme comtes de Poitou que comme
ducs d'Aquitaine ; nous ne faisons pas étal de ces numéros dans notre récit et nooa
les désiirnons uniquement par leurs surnoms.
(a) « Guillelmus, divina ordioante cterocntia, AquitaDcostom dux > (Rédet, Dçc.
oour Saînt-f/i'laire, I, p. 36).
loa
LES COMTES DE POITOU
de comte et abbé (i). Dans d'autres circonstances, il se fait appe-
ler comte et duc. mais, à l'opposé de son pÎTe, il ne joint pas à
celle qualification de comte la dtisignalion des divers comtés sur
lesquels il dominait ; cet(o dénomination de duc d^Aquitaine, qu'il
portait seule, est insuflisante pour nous permetlre desavoir sur
quelles portions du duché il exerçait son autorité imniédiale cl
elle dissimule sûrement à nos yeux un amoindrissement, qui fut
la perle de l'Auvergne et du Velay (2).
Guillaume, qui avait environ vingt-six ans lors de la mort de
son père,n'étail pas alors marié; il ne semble pas, du reste, avoir
été pressé de changer sa situation, car c'est seulement dans le cou-
rant de l'année 9G8 qu'il épousa l']mma ou Emmeline, fille de Thi-
bault le Tricheur, comte de Chartres, de Blois et de Tours, le plus
puissant vassal du duc de France (3). Il constitua à sa femme un
douaire importani, désigné un jour par lui sous le nom de main-
ferme, principalemenl dans celteporliondu Bas-Poitou qui s'étend
entre les marais de la Sèvrc et le Lay, tandis que le comte de Blois
donnait en dot à sa fille le château de Chinon et son territoire (4).
Celle alliance, préparée par l'évêque de Limoges, qui nous appa-
raît comme le continuateur de la politique de Tête d'Étotipe
et l'administrateur du Poitou sous le nom de son neveu, avait
(i) nédct, Doc. pour Siiint-Ifilaire, charios de (^67 à 991, pp. 37 à 63,
(2)D. \'aisséle, dans sod Hisloire de Languedoc, el ses nouveaux éditeurs n'ont pu
percer le voile quicacho ravêiieinent de la dynastie des comtes nationaux de l'Auver-
ffoc ; oa conalale seulement que Guy, fils de Roberl, vicomte de Clcrmont, qui, dans le
cartulaire de Sauxîllaiia;es (pp. toO, a84 et 278} est d'abord qualifié, au lemps do
Lothairc, de vicomte, puis do comle, titre dans lequel il semble succéder à Guillaume
Taillcfcr, comle de TotiInu<ïe, Ce dernier avait dû faire un accord au aujel de l'Au-
verjijnc avec rbértticr de Tcte d'Eloupc qui lui aurait abandonné ce pays eu écbanjje
de ce titre de duc d'Aquitaine, por>c précédemmenl par Taillefer, et demi ni celui-ci ni
ses successeurs ne se sont parés à partir de l'avènemenL de Fier-à-Bras {V'oy. /h'st.
de Umtjuedoc, nli« éd., UI, p, 180 ; IV, p. 88, notes xvj et xviii). Le conmle de
Toulouse, après avoir essaye vainement d'asseoir sa domination sur ce pays d'Au-
vergne, dut y renoncer de j^rè ou de Force lorsque Lolbairc vint installer son tils
Louis à Brioude en qualité de roi d'Aquitaine ; il est même possible que le litre de
comte fut octroyé par le roi au vicomte Guy pour l'attacher plus étroitement au jeune
prince.
(3) Ladate précisede ce mariag-e estinconnue, mais elle esta peu prèa fixée par l'il^e
qu'avait Guillaume le Grand, fils de Fier-à-Bras et d'Emma, lors de son décès advenu
le 3o janvier io3o ; il avait alors 61 ans, ce qui porte sa naissance à l'année loBij
environ. La nouvelle comtesse aurait été forl jeune, car» si l'on s'en rapporte à Pierre
de Maillezais (Labbe, AVjya 6/6/, /«««., II, p. 228), elle aurait eu quarante et un ans en
QQJi, ce qui lui donnerait quinze ans lors de son mariage.
(4) Besly, Hîst. des comtes, preuves, pp. 280 el 288.
GUILLAUME FIER-A-BRAS
lo3
assurément un caraclère politique ; grâce à elle, la frontière du
nord du Potlou se lrouvaitd<?sormais prol<5gée parle châlcau-fort
de (lliinon. el, d'autre pari, elle devait forcL'nienl amener une
détente dans les rapports entre le comte de Poitou et le duc de
Franoe, suzerain du père de la nouvelle comtesse. La situation
d'HuguesCapelétaUIoin d'être aussi brillante que celle desonpère
ïlugues le tîrand. 11 n'avait pas trouvé dans Lolhaire le prince
facile à mener qu'avaient été ses prédécesseurs ; celui-ci s'était
aiïranclii du rôle secondaire que leur faisaient jouer les ducs de
France : il avait voulu être roi, et il Fêtait. La vie dllugues se
passait à se brouiller et à se réconcilier avec le roi son cousin, et
l'avenir ne lui paraissait peul-être pas absolument sûr. 8a poli-
tique, dont l'babileté devait le faire arriver un jour au pouvoir
suprême, lui conseillait d'abandonner contre le duc d'Aquitaine
une lutte dont, avec ses seules forces, il paraissait peu probable
qu'il piH venir à bout, et, d'autre part, celle-ci se trouvait être
d'accord avec les sentiments qui régnaient à Poitiers. De là un
rapprochement qui finit par une alliance dont le gage fut le
mariage dllugues avec Adélaïde, sœur de Fier-ii-Bras(l). De ce
jour une paix que rien ne paraît avoir troublé régna entre les
ducs de France et d'Aquitaine.
La première manifestation qui nous soil parvenue delà person-
nalité de Fier-à-Bras comme comte de Poitou ne remonte qu'au
mois de janvier 965 ou 9C6 ; il assistait alors à une importante
donation que fil son oncle Eble à Fabbaye de Sainl-Maixonl et
dans laquelle il est expressément mentionné, car l'évêque de
Limoges, au moment où il faisait à ses moines ce riche abandon
de son domaine privé, avait déclaré qu'en agissant ainsi il avait
(0 On n'est pas plus renseigné sor la dal« du œariaj^ da duc de France avec
Adélaïde que sur celle de l'union du comte de Poitou avec Emma ; bien plus, on a'esl
demandé lone^temps quelle élail la maison à laquelle appartenait celle princesse.
M. Lot {Les derniers Carolingiens, appendice IX, pp. 358 à 36i) la rattache à la
maison d'Aquitaine et établit très judicieusement que la parenté qui existait entre les
comtes de Poitou cl les rois de France de la race capétienne provenait de ce mariat^e.
Telle était aussi ropinioo de .Mabillon (.Inn. Jiened., III, pp. 655 et 650), que nous
adoptons pleinement. M. Ptister, qui s'est consacréspécialemenlaurè^^ne du roi Robert,
augure (t'tudes sur le règne de Robert le Piea,T, p. a) que la naissance de ce prince
eut lieu vers 970,dale qui permettrait de placer le manage d'Hugues Clapet dans l'année
96Q au plus lard, c'csl-i-dire très préa de l'époque où Tcte d'Etoupe dul contracter
le sien.
LES COMTES DE POITOU
en vue le salut de son âme, le pardon de l'âme de son frère le
comlc Guillaume et la consalation de son neveu, qui portail le
le même nom. Le comte de Poitou ôtail accompagné des trois
vicomtes d'Aunay, de tUiâlelleraull el de. Thouars, dont la pré-
sence avait pour objet de donner toute garantie à l'exécution de
l'acte, car, bien qu'Eble déclarât disposer de sou bien hérédi-
taire, il n'était rien moins que sûr que ses volontés fussent un
jour exécutées, l'abbaye ne devant entrer en possession des biens
qui lui étaient ainsi attribués qu'après la mort du donateur {!).
Vers la même époque, un événement^ qui aux yeux de tous ses
contemporains avait une importance capitale, se produisit à Poi-
tiers- Aussitôt après que ïôle d'Ètoupe se fut retiré du monde,
Adèle de Normandie mil à exécution son projet de se consacrer
à Dieu. Elle avait acheté im vaste emplacement contigu aux mu-
railles de la ville, touchant à la poterne de Saint-lïilaire de la
Celle, et situé non loin de l'abbaye de Sainte-Croix dont il semblait
être la continuation, afin d'y construire un monastère en l'honneur
de la Sainte Trinité, Mais l'autorisation royale était nécessaire
pour amener la réalisation de ce dessein et assurer la perpétuité
de l'élablisseraent. Guillaume, sollicité par sa mère, s'adressa à
Lolbatre ; conformément à leur désir, le roi autorisa rétablisse-
ment qu'Adèle avait en vue et lui concéda la faculté de jouir en
toute franchise des biens qui lui étaient donnés dans le présent
et de ceux qu'il pourrait acquérir à l'avenir; dans son diplùme il
mentionnait môme ceux qui devaient constituer la première dota-
lion de l'abbaye, à savoir, celle cour de Faye, acquise antérieu-
rement par Adèle du comte Koborl, dans laquelle se trouvaient les
églises de Saint-Julien l'Ars et de Sainl-Gcrvaisde Nieuil-l'Espoir
et, de pluSj la cour de Secondigné, près Cbizé, avec son église de
Saint-Pierre et les alleux du Vert et de Sari (2).
Il ne parait pas que Fier-à-Bras ait contribué personnellement
à la fondation de sa mère, et même ses générosités à l'égard des
(i) A. Richard, Chartfs de Sninl-Maîxenl, I, p. 48-
(a)[lealy, llist. ifei comtes, prsuves, p. 3j(j ; D. Foalenenu, XXVII, p. 27, d'a-
près l'oritîinal aujntirtî'liui perdu, Cet acle n'est pas dalé, mais comme il a été
dressé par le uolnire Gpiiorj h la requi^le de l'archevêque de Reims, Odolric, çrand-
chancelier, il doit être compris cnlro les années f>63 et^fj!];, dales de ta mort de Téle-
d'Etoupo et de ceîlo d'OJoIric '^Voy. Appenuicb II).
GUILLAUME FIER-A-BRAS
to5
établiàseaienls rcîligieux nous paraissent dans ces premiers temps
assez reslrei nies. Diri^çé parEble, il nedissipail pas son domaine
personnel, et c'est évidemment uniquement pour être agréable
à son oncle qu'il donna à SainL-Marlial de Limoges le domaine
d'Asnais en Sainlonge(l) et qu'il restitua C.aui'cnme à Saint-
llilaire de l'oiliers.Ce dernier alleu avait été d'ancienneté lt')gué
à celle abbaye par le coiiile Aymar, mais, après la mort de ce
dernier, le comte Eble avait jugé bon de le réunir h son domaine.
Pier-à-Bras mil toutefois une restriction à son acte d'abandon;
il déclara que les chanoines de S:unl-llilaire auraient, à partir
de ce jour, la jouissance del'j^glise de Notre-Dame de r.ourcôme,
mais qu'ils n'entreraient en possession du domaine qu'après son
décès, et enfin, pour bien marquer leur droit de propriêlé, il
s'engageait à leur payer chaque année, le 1*' novembre, jour de la
fêle de sainl Hilaire, une redevance de o sous (2).
On le voit encore assister, en 966 ou 967, avec le docteur de la
loi Amel, à la donation que le vicomte d'Aunay Chaton, sa femme
Arsende et son frère Eblc firent à l'abbaye de Siini-Cyprien de
l'alleu et de l'église de Homazîères,dans le pays de Uriou {'A).
C'est à ces quelques faits isolés que se réduit ta connaissance
que l'on a des premières années du gouvernement de Fier-ù-Bras.
Assurément il n'était pas marié lors de la fondation de la Trinité,
car son nom Hgure seul dans les actes qui accompagnèrent l'exé-
cution dt'S désirs d'Adèle, aussi bien que dans tous ceux émanant
de son autorité souveraine^ soit comme comte, soit comme abbé
de Saint-llilaire qui précédèrent l'année 968; mais à partir de
son mariage la situation se modifia. Le comte, Ger de sa jeune
(i) Duplcs-Agier, Chron. de Saint-Martial de Limoges, p. /|").
(a) Hcdrl, Doc. pour Saint-Hilaire, I, p. 44* CeUe pièce, comme il arrive sou-
veol à ceUc époque, n'csl p.is datée. Besl^' {Ilist. de<t co/ntes 'preuves^ p. aO."») l'at-
tribue à l'année gyô ; D. FoiUeneau(X, p. 171) el Rédel la rajeunissent el la placent en
çyo. II nous parait que celle date n'csl pas encore assez reculceet quelle doit être anté-
rieure au niarjaije deFicr-à-tiras,pour ce motif qu'après cet événement le comteasso-
cia constamment sj f^mme et son fils h ses actes; dans le cas présent, les cîianoines
n'auraient pas manqué de faire inlcrveuir la femme et le iî\s du comte de Poitou pour
se garantir contre toute revendication ultérieure. D'autre part, Guillaume impose
aux chanoines l'obliçpalion de faire dans l'avenir mémoire de lui etde te rappeler dans
leurs prières, ufin d'oblcuir le pardon de ses fautes cl ne parle nullement de sa fa-
mille. Ce sont autant de prêsnmptions (ju'il n'était pas encore marié et par suite que la
charte doit être placée entre les années cfùZ et gCâ.
(3) Cart. de Suint-Cyprien, p. a8G.
LES COMTES DE POITOU
femme, la fait assister aux grandes réunions plénières où il la
pri'senle à ses vassaux ; c est ainsi qu'en îHjO on la voil à ses cùt<^s
dans une assemblée où se Irouvaient les vicomtes d'Aunay, de
ChAlellerault et de Thouars, ce dernier accompagin'' de sa
femme Audéurde, et dans laquelle toute authcnlicilù fui donnée
à l'acte de fondation du prieuré de tUiâleau-Larcher, faite par
Ebbon, par sa femme Ode el teur filsAchard(l). Puis, celte môme
année, un enfant lui étant né, il agit pareillement i\ son égard et
fait porter au nombre des témoins d'une concession de marais
faite à l'abbaye deSaint-Cyprien, non seulement sa femme Emma,
mais encore son fils (juillaume (i).
La présence de la vicomtesse Audéardeà Poiliersavail eu une
conséquence pratique qu'il n'est pas bors de propos de signaler.
Elle avait pu s'entretenir avec la veuve de Tête d'Éloupe dans la
retraite que celle-ci s'élail préparée el voirie fonctionnement de
son œuvre. Pénétrée de l'idée qui avait présidé à la fondation du
monastère de la Trinité, elle résolut d'installer sans tarder, mais
dans de moins grandes proportions que la comtesse de Poitiers,
une maison qui servirait, sous la forme monaslique, de refuge
aux jeunes filles de ses vastes domaines. Elle l'établit dans une
vallée, aux portes du chilteau de Tbouars, el la plaça sous l'invo-
caLion de la Sainte Vierge^ de sainl André el de saint Jean-Bap-
tiste (3). Puis, pour assurer la perpéluilé de sa création, elle
s'adressa au comte d'Anjou, son voisin, et obtint de lui qu'il lui
abandonnât, pour toute la durée de sa vie aussi bien que de celle
do son mari, le vicomte Arberl, la jouissance des églises de Saint-
Ililaire de Faye, de Saint-Pierre de Misse et de Saint-Saturnin
de Chavagné avec leur territoire que ce comte avait précédem-
ment donnés en bénéfice au vicomte Aimeri, l'oncle et le prédé-
cesseur d'Arberl : c'était en un mot la transmission d'une main-
ferme. Ces domaines devaient, après la mort des bénéficiaires,
passer à la nouvelle abbaye, qui, sans nul doute, dut jouir de
leur revenu dès son établissement. Le duc d'Aquitaine, en sa
(i) Caj'l. de Saint-Ci/prieftj p. 25/|.
(aj Cart. de Saint-Ctjprien, p. 3 16. Cel acte est compris entre le 12 novembre gtiS el
le la novembre yO^.
(3) Ce nioaastère, qui resla dnns l'absolue dé|)endance des vicomics de Thouars,
fut par la sulle conuu sous le aoai de Saint-Jean de Bonnevul.
GUILLAUME FFER-A-BRAS
toy
qualité de suzeraîn, donna son consenlement à cette aliénation et
mônioil s'enlremit poiirohlenir du roi son autorisation suprême ;
Lotliaire se rendit à t'oitiers, où le comte d'Anjou vint lui pré-
senter sa requête, le fO janvier 973, et là le roi fiL délivrer un
diplôme par lequel il donnait gracieusement son assentiment à
toutes les conventions conclues entre les parties (t).
Il semble que Fier-à-Bras ail été destiné à subir toute sa vie
la pressante influence de son entourage. Jeune homme, c'était
son oncle J->l>le qui gouvernait en son lieu; plus Lard, ce fut sa
femme qui faisait exécuter par lui les décisions qu'elle avait pri-
ses. Les premiers actes auxquels il ait attaché son nom sont des
témoignages de bon vouloir k l'égard de particuliers ou des géné-
rosités envers des élablissemenls religieux ; ils consistent en gé-
néral dans des concessions en main ferme, faites h des personnes
qui lui sont spécialement recommandées^ de domaines dépendants
de quelqu'une des abbayes de la région à charge de leur payer,
en signe de sujétion, quelques sous de cens, généralement cinq ;
de 967 a 975, on en relève presque chaque année dans les cartu-
laires(2).
De toulcsces libéralités la plusimportante est celle par laquelle
Guillaume^ prenant dans l'acte le titre de duc de toute la monar-
chie des Aquitains, fit don à son fidèle Bérnerroi, à la femme de
celui-ci et à deux de leurs successeurs, après leur décès, de la
chapelle de Saint-Denis de Jaunay avec toutes ses dépendances,
à charge de lui payer une redevance annuelle de cinq sous h la
Toussaint, Non seulement le duc ordonna à Boson, chef des scri-
bes du chapitre calhédral de Saint-I'ierre, de rédiger celte main-
ferme, mais encore il apposa lui-même sa croix au bas de l'acte
(i) Gallia Christ., II, cot. 306, iM. Lot, qui coafoad l'abbaye de Saint-Jeaa de
lk>OQeval avec celle de Bunncvaux, près Poiliers, dil que l'aclc de fondalion de Bon-
pcva! est bien su?pcct {Lfs tlettn'ers Carolingiens, p. 7O). Peut-élre a-t-il élé quel-
que peu retouché, mats on n'ea doit pas moius considérer les clauses comme exactes
el il contient des iadic.tttûns diplomuttques qu'ua faussaire postérieur n'aurait pu
iiuagincr, telles que la meûtion de la présence de (jibouin, évéque de Ghâlons-sur-
Marne, qui accompagnait ordloaircrnenl Lolhaire dans ses voyag^es (Voy. Lot, pp. 36,
59 el 9a.)
\2) Voy. Rédel, Doc. pour Saint-llilaire, I, pp. 30, 4o, 4a. 4i». 46 et 48 (actes de
967, qOij, 970, 974. v-ers 974 et 97a); A. Richard, Chartes de Saint-Maixent, I, p,
53 (acte de 968); D. Funlencau, XIH, p. 92 {acte de janvier 97/1 pour Snint-Jeaa
d'Angcly).
LES COMTES DE POITOU
et le fit reconnaître par la nombreuse assistance qui l'entourait;
à la suite du seing du comte soûl en eiïet mentionnés C(?iix de la
comtesse Emma, de leui- liis Guillaume, encore tout enfant, de
Gilbert, évèquo de Poitiers, de Savari, trésorier do Sainl-liilaire,
de Frogier, abb6 de Saifit-Michel en Lherm, de I5oson et de Main-
gaud, archidiacres, de Seguin, abbé de Notre-Dame-la-Grande,
de Constantin, abbé de Saint-Lîgaire,d'Isembert de Gliâlelaillon et
de son fils du même nom, de Manassé, son frère, dWrnoul, abbé
de Saint-Jouin-de-Marnes, d'Airaud, vicomte de Châlellerault,
d'Aimeri, vicomte de Thouars, d'un autre Aimeri, peut-être son
fils, dont le nom vient immédiatement après celui du jeune («uil-
laume et qui élait vraisemblablement son compagnon de jeux,
de (Jhâlon, vicomte d'Aunay, de Heuaud, le viguier, et de Gerore,
le veneur. Cet acte, qui donne une idée de raffiaence de person-
nages importants qui se rendaient auprî^s du comte de Poitou
lors de la tenue de ses plaids, est du mois de juin 974 ou 975 (1).
Eble, le pieux et sage conseiller de Fier-à-Bras, n'assistait pas
(1 celte assemblée, un grave événement venant à ce moment même
de troubler sa vie. Possesseur des abbayes de Saint-Maixenl et
de Saint-Michel en Uierm en Poitou, de celle de Soligiiac en Li-
mousin, de l'évèché de Limogeseldela trésorerie de Sainl-llilaire
de Poitiers, il aurait pu, comme tant de hauts dignitaires ecclé-
siastiques de l'époque, vivre en grand seigneur terrien, plus
occ;^pé des choses mondaines que de celles du ciel, ainsi que s'ex-
(i) Uesty, ItfsL des comfe.s, preuves, p. 2()0 ; Ciirl. de Bourg'ucil, p. ^3. Les ren-
vois fails au cartulaire Je Bourifueil se rapportenl au vnlumc appelé par Salmrm le
carluJairc Je D. Fouquct el <)tïi ea ]8(J8 était en possession de M. l'ablié Goupil Je
Boinllé à Uouryueil. Ccl acte est ainsi daté dans lo carlulairc: nnna XL régnante
rege Lolharùi. Il y « une erreur manileslc Jniis le nombre ci-dessus indiqué des
années du rèi^ac de Loihaire ; ce prince jjayant succédé à son père le lo septembre i)54
et é(aul mon le 2 mars 98C, n'eut «pic IreiHc-deuv ans de règue. Bcsly, supposant
ipic le second cliiiïrc de îa date de la cliiirtcdc lîouri^ucil devait être uo X, transfor-
mée en L ywr le copiste du cartulaire, pliti;a ccl nclc en 97') ; en le faisant il cunmiet-
lait une léiyëre erreur, car le mois de juin de t'aunée y7!> correspond à la xxi* année
du règne de Lolliaire. C'tst puurlant cette (î:ile <|uc nous adoplonH et nous ne noua
charg-eoDS pas d'explî([uer coriuneol le sciibe du cartulaire a pu écrire XL au lieu de
XXI, mais le fait ne nous en paraît pas moins rcrtain. Tous les synchronisnics que
fournissent les nombreux témoins de l'acte conviennent à celte année, et particuliè-
rement celui tiré de In présence de l'évi^qiie Gilbert qui, selon la chronique de Sainl-
Maixeul (p. 38iK succéda à Pierre, évéque de Poilicrs, dans celte année 975; nous
rejetons donc sans hésiler les années r)8u,r)83 clmi^me (jt^j.tjue l'on a succcssiv^ement
attribuées à cel acte, el contre chacune desquelles il y a lieu de présenter de graves
objectioos.
GnLLAUME FIER-A-BRAS
log
prîmaienl ces mômes personnages, alors qu'ils élaienl touchés de
la grâce ou qu'ils succombaient sous le poids des remords causés
par les trop nombreux actes de violence ou de rapine qu'ils étaient
sujets à commetlre, mais il était pourvu de sentiments véritable-
ment chrétiens, et il mil sa conduite en rapport avec eux; dès
lors, commonçail à se produire ce mouvement religieux qui se
dessina plus vivement par la suite et qui tendait à la réforme des
établissements où la discipline s'était relâchée par TefTel des
invasions normandes et d'un état de guerre permanent. Eble
sentit qu'il ne lui était pas possible de remplir avec exactitude
les devoirs qui lui incombaient h l'égard des diverses charges
dont il était pourvu ; il abandonna la plupart de ses dignités et ne
conserva véritablement que l'administration de Saint-llilaire,
dont l'exercice lui était facilité par suite de l'obligation où il se
trouvait de faire de fréquents séjours à Poitiers pour assister
aux conseils du comte; ailleurs, il s'était ctioisi des coadjuleurs;
on en connaît un pour Saint-Maixent dès 942, on en trouve à
Saint-Michel en 97i et enfin, à Limoges, il avait fait nommer,
assurément par le duc d'Aquitaine, un chorévêque du nom de
Benoit, élevé par lui dès Tenfance, et qui, par TefTelde ce choix,
devenait, ainsi qu'il le désirait, son successeur désigné (1). Au
mois de juin 974, Benoît se trouvait aux côtés d'Kbte à Saint-
Hilaire de Poitiers en compagnie des deux abbés sulTraganls de
celui-ci, Guiberl et Frogier. Or, il advint qu'une guerre éclata
entre Géraud, vicomte de Limoges, el Boson dit le Vieux, comte
de la iMarche. Ce dernier se préparant à faire le siège du chfkteau
de Brosse, une des principales forteresses du vicomte de Limoges,
qui lui était advenue par son mariage avec Holhilde, héritière
du vicomte de Brosse, envoya son fils Hélie, comte de Périgueux,
auprès du duc Guiilaume pour le décidera faire campagne avec
lui, mais malgré les présents dont il avait accompagné sa requête,
llélie échoua dans sa négociation. On peut croire qu'Eble ne fut
pas étranger à cette détermination et qu'il prit parti pour son
suppléant au siège de Limoges, le chorévêque Benoît, qui favorisait
(i) A. Richard, Charte* de Sainl-Mai.cent, iolrod., I, p. ucvl; Chron. d'Adémar,
p. 147; Chron. de Saint-Martial de Limoges, p. i45) Rédel, Doc. poar Sainl-
JJiluire, I, p. ^Q.
LES COMTES DE POITOU
le vicamlc. Les Iroupes de Géraud commandées par son fiis Guy,
secondées par les gens d'Argenton, cnlrèrent en lulle avec les
Marcliois,qiii ravageaient le pays de Saint-lienoîl-du-SauU,el les
repoussèrent (I). Ilélie, furieux de son insuccès, s'en vengea sur
l'évêque ïîenoît; celui-ci se trouvait à Poitiers au mois de mars
97() et y avait assisté à l'acte solennel de raiïranchissement d'un
serf du domaine d'Hl)le, fait par ce dernier sur la requête des
chanoines de Saint-Milaire (2). Il s'en retournait, sans doute ù
Limofîes, quand il fui pris par llétie, qui lui fil crever les yeux;
Benoît ne put résister à ce cruel supplice et succomba a ses souf-
frances (3). Eble, profondément affligé de ce malheur auquel il
avait peut-être inconsciemment contribué en détournant son ne-
veu de s'allier avec le comte de la Marche, tomba dans une mala-
die de langueur dont il iiiouruL le 26 février 977 dans t'abbaye
de Saint-Michel eu Lherra où il s'était retiré (4).
Le chûtiment des coupables ne s'était pas fait attendre jusque-
là. Fier à-Bras, justement indigné de leur conduite atroce, unit
ses forces à celles du vicomte de Limoges qu'il chargea spéciale-
ment de tirer vengeance de l'atleulat commis sur l'ami et l'auxi-
liaire de son oncle. Dans un premier engagement Ilélie fut vain-
queur, mais lors d'une seconde rencontre Guy, le fils du vicomte
de Limoges, triompha de lui et le fit prisonnier avec son frtre
Audebert. Ilélie fut enfermé dans le châleau de Monlignac el
devail',en punition de son crime, avoir les yeux crevés; il réussit
à s'échapper, mais, s'élant rendu en pèlerinage à Home pour
(i) De Certain, Miracles de saint Benoit, p. i nj.
(2) Hédel, Doc. pour Sainl-l/ii(tire, I, p. fit.
(3) Chroit. tl'Adéinar, p. 147. l-.e citrouiqueur ne dit pas quel fui le motif qui
poussa le comlc de IVrigueux à faire subir A Bcnoîl ce cruel supplice. M. de Las(ey-
vm [Etude sttr les vomies de Limoges, p. Si) émet la supposilioD qu'IIéJie voulait
pcut-élrc réserver !e sièjçe de Limo^-es, après la dispnrilioo d'Eble, h. son jeune frère
Maclin, qui fut plus lard évi' [ue de r*ériiîueu.v; ce calcul est possible, maïs aussi
bieu, il n'y a pcut-élre pas lieu d'en chercher si loniç et ne doit-on voir dans l'acte
d'Fléltc que ta Pcroce manifestation d'uu caractère barbare,
{'1) Chron, iVAdi'iiiar, pp. i/|7-i;)0. J/obituûirc de l'abbaye de Sainl-Maixent (A,
flichard, C/iarli's 'de Saiui-Maixeiif, II, p. 3i5) indique au 2G février la déposition
(la mort) de l'évêque Eble; la date de J'aniice est inconnue, mais noua établissons plus
loin (page ni, noie 2) qu'elle répond A l'année 577 au plus tôt. N'ayant pas eu à *
noire disposition, en 188O, les élémcnls d'information que nous possédons aujoor.
d'bui, nous avions alors commis une lè«;èrc erreur {Charles de Sainl-Mnixeuf^
iutrod., j), i.xvi) en assig-nanl la mort d'Eble j» l'année 976, d'après un documeal dont
nous leuoQs aujourd'hui l'ÏDdication pour inexacte.
*
4
GUILLAUME FIER-A-BRAS
soUiciler son pardon auprès du pape, il mouruL en roulft, Quanl
à Audebert. il fui lon^lemps retenu dans la lour do la cilé de
Limoges, dont il ne sorlil que pour épouser Auinodi^ la sccur
du vicomte fiuv. Il restait encore un troisième IVère, Josherl,
sans doute le plus criminel, (auteur direct de la mort de lîenoll ;
H s'était réfugié auprès de Renoiil, frère de Guillaume Taittefer,
ilèi
alors
comte d'An^uuieme, qui coniesiaii alors a son neveu Arnau*
Manzer, fils naturel de Taillel'er, la possession du coraLé. Josbert
fut fait prisonnier par Arnaud, qui, te considérant comme l'etmc-
mi personnel du comte de Poitou, le lui livra. .losbert fut donc
transféré à Poitiers et Fier-ù-Bras, par application de la loi du
talion, lui fil crever les yeux (1), Ces actes de barbarie semblent
tout naturels aux gens de l'époque; il n'y a pas dans les chroni-
queurs de cris d'indignation contre de semblables procédés qui
témoignent de la sauvagerie dont faisaient preuve dans leurs
guerres privées tous les seigneurs que la passion du lucre ou les
motifs les plus futiles jetaient à chaque instant les uns contre les
autres ; nous ne pouvons dire qu'une chose pour excuser le
comte de F'oitou (2), c'est qu'il était de son temps.
11 ne prit pas personnellement part à la guerre avec les comtes
de la Marche ; il était plus occupé de ses plaisirs,, laissant à son
(i) Chron. (TAJéitiar, pp. 1-^8, i5o.
^2) Aucun des évriiemciils ipic nous veuona de rapporter n'est daté, sauf toutefois
ht mort du comle Hcnoul, sur tni)uellc ou va revenir. Pour plao«r les fnils dans
leur ardre vi-rilatilc, il n l'allii recourir à des syachroiiisines. L'cvèi]ue ISenoîl
était vivant la \ingt-deuxièiue année du rèi^.je de LoUiaire (entre le loseplcn^bre
975 et le 10 seplembre 9761, ce qui est ctalili par une charte du carlulaire de Sainl-
Cyprien, où 00 le voit vendre à celte abbaye, pour la somme de 200 sous, l'alleu
de Moolpalais, sis dans le pays de Thouars (Hédcl, Cait. dr S<iinl-Cijprifn, p. lu).
A cet acte assistent te^ vicomtes Arberl, Chàlun et Ralnaud, donL la présence
implique à Poiiiers une rcuuion qui ne peut être qu'un plaid du comte; or, au mois de
mars, sous le rès;ne de Lolhaire, llcnoil se trouve dans cette ville et est présent à
l'afTraachissenirnt Fait par Ehie du serf Duraud, auquel assiste aussi Gilbert, évèquc de
Poitiers iRcdel, Dec. pour Sainl-Hilatre, I, p. 50 ; comme Gilbert uc fut élcvêau pon-
tificat qu'en 975 (Çhron.ite Saint-A/iiijcent,p. 38 1), il en résulte que cetlccbnrlcd'afï'raQ-
cbissement doit être placée au mois de mars 976, époque où l'on a la cerlîtude de
l'existence de Benoit. Le supplice et la mort de celui-ci sont donc postérieurs ù ce mois
de mars 976, mais ne scmbleul pas pouvoir dépasser le mois de juillet de celte année
si l'on s'en rapporte à la chronique d'AngouIcmc.Ce document apprenti, en cfTcr,
que Renoul, comte d'Anijoutéme, l'un des complices derallental connais sur lieaoit,
fut tué le G des calendes d'août (27 juillet) 973 [Citron. Engolixmense, p. 9). Evi-
demment, cette date, rappruchéc des faits énumérés plus haut, est inexacte, mais Ter-
reur qu'elle renferme peut être Fuicilcinenl corrigée cl doit simplement consister dans
l'omiasion d'un chiffre à la lia de la aunaéralion, ce i]ui fait qu'un doit lire dccccuucvi
au lieu de dccccucxt.
lia LES COMTES DE POITOU
oncle le soin d'adminislrer son comié de Poitou eises possessions
direoles. La chasse avait pour lui aulremeiil d'allraits, et, ne se
contentant pas des vastes forêts qui envîromiaienl Poitiers et qui
lui fonl encore une ceinture allrayante, il avait été chercher un
autre théâtre pour se livrer à son divertissennenl favori. Son
choix, qui atteste la tranquillité dont jouissait alors le Poitou,
s'était particulièrement fixk sur un point éloigné de sa résidence
ordinaire, l'Ile de Maillezais, perdue dans les marais de la Sèvre
et de l'Aulise. Celle île, couverle de bois, était, de par sa silualion,
ahondanimenl pourvue de toutes sortes de gibiers; il y avait été
construit unchâteau-fort, qui protégeait celle région isolée contre
les incursions de pirates ou de bandils, mais qui fut surtout uti-
lisé par (Guillaume comme rendez-vous de chasse. IJn jour, pen-
dant une partie qu'y faisait te comte avec ses fidèles, l'un d'eux,
(iaucelme, poursuivant une laie, la trouva réfugiée dans les ruines
d'une église, sans doute détruite par les Normands qui avaient à
diverses reprises établi leurs repaires dans ces lieux sauvages et
presque inhabités. Ou n'y voyait alors qu'une peuplade compo-
sée de gens II moitié libres, des colliberts, anciens colons romains
établis dans cette région, et qui, par suite de leur isolement et
des maux qu'ils avaient soufterls, étaient retombés dans la bar-
barie ; en particulier, leur dévotion envers la pluie, la bienfai-
trice de leur pays, attestait la disparition de toutes croyanceschré-
liennes et peut-être un retour vers celles qui auraient été prati-
quées par leurs ancêtres. Cette situation e\|iliquait l'abaiulou
de l'édifice religieux rencontré par Caucelme ; la comtesse, qui
accompagnait son mari dans ses déplacements, fut vivement frap-
pée des circonstances qui avaient amené cette découverte et elle
décida Fier-à-Bras non seulement ;i relever les murailles de l'é-
glise, mais encore à établir en ce lieu un monastère dont les
hôtes célébreraient le service divin pendant le séjour des comtes
dans ces parages. Les travaux commencèrent bientôt, mais alors
qu'ilsétaient eu train il survint un grave événement qui en arrêta
pour quelque temps l'exécution (0.
(j) Lahhc, Noua bibLman., II, p. 224« Ces faitselceux qui vont suivre aonlrapporléa
dans un ialércssuul liistorlquc de l'abbaye de Maïllezais, ijuc rédigea l'un des reli-
GUILLAUME FIER-A-BR\S
ii3
La mort d'Rhte auieiia un {j^rand changement dans les liabilu-
des du comte; it lui faltut gouverner ses étais, les parcourir en
tous sens pour y maintenir la tranquillité et prendre part lui-
même à des expéditions guerrières donl jusque-là il avait pu lais-
ser la direclion h son oncle, comme le l'ut la campagne contre les
comtes de la Marche. Après la mort d'Alain Barbe-Torle les rap-
ports s'étaient lendusenlre les comtes de Poitou et ceux de Xanles
et Fier-à-Bras avait à veiller sur ses frontières de Bretagne ; or,
un jour qu'il revenait d'une expédition dans ces régions, il accepla
l'hospitalité du vicomle de Thouars, qui le reçut grandement;
durant les fêtes, le comte s'éprit d'une jeune femme de la famille
vicomtale et noua avec elle des relations adultères (1). Emma n'a-
vait point, en ces matières, la lolérance que l'on constate maintes
fois à celte époque et (pic l'on pourrait même dire avoir été dans les
mœurs courantes; elle reprocha vivement à son mari la conduite
qu'il tenait; celui-ci nen lînl compic et continua sa liaison avec
la vicomtesse, qu'il garda môme auprès de lui. Emma jura de se
venger. Un soir qu'elle voyageait dans le pays de Talmond, elle
rencontra sa rivale sur la roule ; se précipitant sur elle avec rage,
elle la renversa de cheval et l'abreuva d'outrages, puis elle l'a-
bandonna aux gens de sa suite qui, pendani toute la nuit, abusè-
rent d'elle. Mais quand le calme fut revenu dans ses esprits, la
comtesse envisagea les conséquences de son acte de folie et elle
comprit qu'elle avait tout à redouter de la colère de son mari
qu'elle connaissait bien. Profitant de la nuit, elle partit avec une
pelite escorte de gens dévoués et finit par gagner son cliclleau de
Chinon, où elle savait trouver un abri sur. Fier-à-Dras, furieux,
gteo3c de ce monîisière, nommé Pierre, vers to6o,el qui a élé public par Liibl>e (tYonu
hibl. mun.. Il, pp. 222 h a.lS). Bcsiy, i|tii nvnil Recouvert le manuscril oriçriiial dr CH
écrit dans la bibliolbèiiuc de Mnillczais, en tîl de lari^es extraits qu'il itisém dann les
preuves de son Histoire de» eofiites de Poitou, mnis il n'utilisa pas, dans le cours de
»on œuvre, ce qui .^c rapportait à Fier-à-Uras, le trouvant sans doute peu honorable
pour 1.1 lurmoirc de ce comte; nous ne part^srcons pas son scrupule et, comme le récit
de Pierre de .Mailleziiis se trouve géncralentcol d'accord avec la chroooloijie fournie
parles textes authentiques que nous poisédons, noua lui avons emprunté, après avoir
collatîonaé avec soin son texte sur rorig'inal(Bibl. Nat., niss. latin, a" 4^0-)« tout ee
qui peut écbirer l'histoire de nos comtes en nous tenant touteFois en gnrdc contre
les c5cagératioas ou les ijuclques erreurs que l'auteur a pu commettre dans la relation
de r^tilK remonl.int .1 prôs d'un si»-cle.
(1) Voj. ArrE."«i>ioj III.
8
n4
LES COMTKS DE POITOU
ne pouvant se venger sur sa femme qui lui échappait par sa fuite
et par l'assistance qu'elle recevait de son frère, le comte de Blois,
s'en prit à l'objet de ses afieetions : il ordonna d'anôanlir tous les
travaux entrepris à Maillezais, tant sur son ordre que sur celui
delà comtesse; un chevalier de grand renom, Foulques, frère
d'Hugues, comte du Mans, se chargea de cette besogne et en fut
richement récompensé. 11 reçut entre autres la vaste terre, située
h six milles de Fontenay, comprenant trois églises, celles de
Saint-Pierre de Marsay, de Sainle-Hadegonde-la-Vineuse et de
Saint-Martin de Fontaines avec quinze villas, qui provenait du
douaire constitué h Emma(l), puis d'autres domaines, sis aux
portes de Poitiers, que Fier-à-Bras enleva aux chanoines deSainl-
llîlaire, et en parliciilier la moitié de la cour de Vouzaille.
11 estasse/, difficile de préciser l'époque où se produisit la sépa-
ration violente entre le comte de Poitou et sa femme; toutefois,
elle paraît avoir suivi de près la mort d'Eble. A l'appui de cette
opinion on peut tirer un indice de ce fait que, de 975 à 985, on
ne trouve dans les chartes poitevines, et particulièrement dans
celles de Sainl-Ililaire, ofi jusqu'alors le nom de Fier-à-Bras se
retrouve presque tous les ans, aucune trace du comte qui devait
se tenir éloigné de Poitiers. Sa présence au don de marais salants
qu'un diacre du nom deBoson fil en avril 081 à l'abbaye de Sainl-
Jean-d'Angély, où il apparaît entouré du comte d'Anjou, des
vicomtes d'Aunay et de ChâLelleraull, ne peut que corroborer
celte manière de voir (2).
Ce n'est pas en qualité de simple visiteur que Gooiïroi Grise-
gonelle, comle d'Anjou, se trouvait k cette époque auprès du
comlede Poitiers. Il était venu faire son service de plaid, service
qui devait avoir lieu à des intervalles réguliers et auquel étaient
tenus les grands vassaux du comte. Les chroniqueurs ne nous ont
pas appris à quelle époque s'étaient établis ces liens étroits de
dépendance; toutefois on peut assurer qu'ils sont antérieurs àl'an-
(i) Labbe, A'ona hihl . inan., U, p. 225. Pierre de Maillezais ne donne pas le nom
de l'exécuteur de la vengeance de Fier-à-Bras, muis celui-ci ressort de toute évi-
dence de deux actes qui moiitrenl Fouti]ucs en possession do partie du douaire
d'Emma (A. Uîcliard, Charles de Saint- Mauvent, 1, p. 77 ; Besly, IIisl. des comtes,
preuves, p. 27^^
(u')D, Fouleneiiu, XI]I, p. 92.
GUILLAUME FIER-A-imAS
ttS
née 975 (1). Les possesseurs du coinlé d'Anjou ne s'étaient pas
conlenlés de jouir du mince lorriloire qui, d'ancienneté, faisait
partie de leur domaine sur la rive gauche de la Loire, ils avaient
de bonne heure cherché à étendre de ce calé leur aulorilé au
détriment du Poitou ou de la Bretagne qui, depuis Barhe-Torle,
dominait dans les Mauges. Foulques le Bon, père de Grisegonelle,
y était déjà possessionné, car il avait enlevé aux moines de Saint-
Aubin d'Angers le domaine ou cour de Méron, situé en Poitou,
qui leur avait été donné par Pépin le Bref ; pour pouvoir agir
ainsi, il fallait que la région où se trouvait Méron fût sous son
absolue domination et il en était pareillement au temps de son
successeur, qui, en 966, restitua ce domaine aux moines de
Saint-Aubin (2). Mais, soit que Grisegonelle ne se soit pas con-
tenté de jouir des usurpations commises par son père, soit que
Fier-k-Bras, poussé par son oncle, ait essayé de rentrer en pos-
session des territoires qui lui avaient été enlevés, une guerre avait
éclaté entre les deux comtes. Selon les chroniques angevines, Grise-
gonelle aurait envahi le Poitou, pris le château de Loudun, défait
les troupes du comte au lieu dit les Roches, et les aurait poursui-
vies jusqu'à Mirebeau (3), tandis que les chroniqueurs poitevins,
au contraire, rapporlent que Fier-à-Bras vint promptement à
bout de son adversaire (4). Les deux récits ont la môme conclu-
sion, îi savoir : que le comte de Poilou donna en bénéfice à celui
d'Anjou, Loudun et plusieurs autres localités dont Mirebeau fut
sans doute une des principales, mais si pourles Angevins cet acte
apparaît comme la conséquence de la défaite du comte de Poitou,
il a pour les Poitevins le caractère d'un acte dépure bienveillance.
Quoi qu'il en semble au premier abord, cette dernière version
est la plus vraisemblable. Si le comte d'Anjou avait acquis par
droit de conquête des territoires aussi rapprochés de Poitiers
que l'est le Mirebalais, leur possession aurait été l'occasion de
(i) l^ fnil de la détenlion par le comte d'Anjou des ég'Iises de Foye, de Misse et
de Chava^né en Poilou, doot il s'était dessaisi en faveur du vicomte de Thouars
avant 973, en est un téraoiçnaçc certain. (Voy. plus haut, pa^c iu6.)
(3) Mibille. Inlrod. aiu: rhron. d' Anjou, p, lxvui, note i,
(3 iMarchegay, Chron. (VAnjoUy p. 376, hist, de Foulque Ucchin.
(4j Marcliegay, Chron. des églises d^ Anjou, p. 384, Sainl-Maixcnl ; Chron. d'A-
dimar, p. iSa.
LES COMTRS DE POITOU
lulles conlinuclles outre In Poiloii el r.Vnjotj, landis qu'à parlir
de ce moment, et pi*nd.inl d»* longues années, la paix ré^ma entre
les deux pays; d'ai(tr<' pari, l'acle volonlairc de Fier-ii-Bras élail
loulà fait dans les pratiques de l'époque, pratiques si détestables
au point de vue politique, qui semblent établir que l'iniportance
d'un grand seigneur f»^.odaldevail sejuger à la puissance deses vas-
saux. Assurément, si ceux-ci avaient toujours rempli h l'égard de
leur suzerain les obligations auxquelles les astreignait leur vassa-
lité, la situation déco dernier n'aurait pu que grandir, mais quand
le seigneur n'était pas personnellement assez puissant pour con-
traindre ses lioaimcs liges à s'acquitter de leurs devoirs envers
lui, ils les n6gligeai''nt ou s'en airranchissaienl ; telle élait la
situation du roi de France par rapport à ses grands vassaux, telle
devint celte du duc d'Aquitaine vis-fi-vis des siens. Mais tout d'a-
bord ces graves inconvf'inients ne sautaient pas aux yeux, les con-
séquences néfastes de ces inféodalions m sr; pro luisaient qu'à la
suite des temps, el pour le moment le comte de Poilou, en faisant
enirer dans saligenco directe le comte d'Anjou, n'envisagea itqu o
l'éclat qu'allait donner à ses plaids la comparution obligée de re
puissant personnage el le secours qu'il pourrait en attendre pour
ses expéditions miiilatres.
La présence de Grisegonelle est constatée à Poitiers à une
époque où Pierre, qui mourut en l'année 975, élait encore évêque
de celle ville. Très liabile à profiter des occasions qui pouvaient
servir ses intérêts, le comte se rendit auprès de l'abbesse de
f^ainte-Croix, Hermengarde, et demanda qu'on lui confiât le soin
de défendre devant lescours de justice les possessions de l'abbaye
sises dans le territoire soumis à son autorité, autrement dit
d'être son avoué ; mats cette mission n'était pas gratuite, cl pour
en désintéresser le comte d'Anjou l'abbesse lui offrit de lui aban-
donner les cours de Prouilly et des Arcis en Loudunais. De plus,
elle lui concédait pour la garde spéciale des domaines de Sainte-
Croix dans celte dernière région, un droit sur les fourrages, une
redevance sur les porcs cl un bian de quinze jours établis sur ces
domaines, qu'il tiendrait d'elle en fief. Le comte acceptn ces con-
ditions et, se rendant à l'abbaye, il baisa, en présence de Févôque
Pierre, le bois delà Vraie Croix, puis, posant la main sur cet insi-
GUILLAUME FIER-A-BRAS
»'7
gno trésor du monaslère, il jura deromplir fidèlement sescngage-
oienls (1 1. Nous lu reliouvonsencorcà l'oiliers au mois d'avril 970
en nombreuse compagnie; ii avait parlieulièn'nienl au|in>s de lui
son Gis Geoffroi, l'évoque d'Angers Hainaud, le vicomte de Thouars
Aimeri, un autre vicomte du nom de Hainaud et divers person-
nages de marque; en leur présence il reslilua à TablH^ Arnoul
et au\ moines de Sainl-Jouin-de-Marnes, qui étaient venus lui
adresser leurs instantes réclamations. ré.i,'lise de «^ Lusedus « en
Anjou, que son aïeul et que son père, profitanl de ce que les Nor-
mands a\aient détruit cotte église, la leur avait^nt autrefois enle-
vée (2). Ces divers actes, s'échelonnant sur plu*ieurs années, éta-
blissent^ à n'en pas douter, que Grisegonelle, pénéreusemcnl
pourvu par le comte de Poitou d'importants l)énélices, venait
auprès de lui en vassal fidèle et non en conquérant; cette der-
nière situation aurait été pour lui trop pleine de périls.
Si la haute situation faite dans le l'oitou aux comtes d'Anjou
fut un danger pour l'avenir, elle eut, il faut l'avouer, quelques
conséquences heureuses lorsque fut conclu l'accord qui l'avait
établie; Fier-à-Bras l'utilisa particulièrement contre les comtes
de Nantes. Le traité de Ïl4i avait, suivant ce que nous en savons,
investi Alain Barbe-Tortc du pays d'llcrbau.;;e. sa vie durant,
mais il est aussi possible que la concession qui lui était faite ne
s'arrêtait pas là et qu'elle eiU le caractère des actes si pratiqués
h celle époque, celui des mainferraes, comportant un droit de
jouissance pour un ou deux héritiers désignés; or, Barbe-Torle
mourut en 952 cl ont pour successeurs, d'abord, son fils légitime
Drogon. qui décéda l'année suivante, puis successivement ses deux
nis naturels, lloël, tué vers l'an 981, et (^luérech. Il dit possible,
dans l'hypothèse d'une mainferme, que Fier-à-Bras se soit con-
sidéré comme dégagé des conditions imposées à son père, par
suite du caractère illégal de la possession du comté de Nantes par
les deux derniers comtes, tandis que ceux-ci, n'admettant pas
que leur droit fût contesté, entendaient revendiquer à leur profit
toute la valeur des clauses du traité de 942. Toujours est-il que le
>i) Malitllon, Afin, Bened.^ III, p. OôC; Arch. de la Vicane, orig-., Suiole-Croix,
copie du xi« siècle, n" i .
(a] Cauvia. Qéoq. ane. tlu diocèse da Afftns, iaslr., p. 67
ii8
LES COMTES DE POITOU
comle de Poilou eiivuliiL de lri!s bonne heure les territoires contestés
et mit la main, entre autres, sur le pays de Talmond, ce qu'atleste
ravenlure d'I^mma et la rencontre qu'elle lit de sa rivale dans
cette région. Les comtes de Nantes restaient d'autre part les maî-
tres du pays d'au delà la Loire qui les avoisinail; mais entre eux
et le comte de Poitou l'étal de guerre resta permanent, A la suite
de luîtes obscures, et auxquelles se rallachenl peut-être celles
que Grisegonelle soutint, comme Ton sait, contre les Bretons, un
traité de paix Fut conclu entre (luérecliet Fier-à-Uras. Ce traité
semble avoir été établi en application du principe de ïiiti possi-
ifeih\ chacun des comtes restant en possession du terri loire qu'il
détenait réellement, Guillaume repoussant parsuite la frontière de
ses états vers le Nord et laissant sans doute indécise la question
d'en fixer les points précis; c'est censément à celle é}>oque et
aux conséquences de cet accord qu'il faut faire remonter la créa-
lion des marches séparantes de Bretagne et de Poilou (1).
On ne saurait dire quelle part prit Fier-à-Bras à une avenlure
advenue pendant son isolement et a laquelle il ne dut pas rester
totalement étranger. Le royaume d'Aquitaine existait toujours
nominalement et les rois de France prédécesseurs de Lolhairc,
aussi bien que lui-même, s'intitulaient rois des Francs et des
Aquitains. Mais, en somme, l'action du pouvoir royal ne se mani-
festait dans ces contrées qu'à de rares intervalles et l'indépen-
dance du payss'accenluait dejour en jour. Lolhaire,qui déployait
une activité extrême pour reconslituer l'empire Carlovingien,
crut pouvoir mettre un terme ù cette situation en plaçant un roi
(i) Chron. de Nantes, p. 120. Si l'on s'en rapportait au texte de la chronique four-
ni par l'éflilion de M. Mcriet, on pourrait croire qu'il n'y eut rien de chanjçé dans la
situation crct'c par le Irnilé ttc 94^» mais il n'eu fut pas tiiosi. On en trouve la preuve
dans la chronique elle-même; son aulcur^après avoir annoncé r(ueGuérech fit sa paix
avec Kicr-jt- liras et lrai;a d'accord avec lui les limites du pays nnntais d'outre-Loire,
déeiare qu'il n'y a pas Jieu de s'élendre à ce sujet, mitiime est sile/itlnm. Ces mois
laissent percer le mccotilealcinent d'un arrau^enienl dont !e narrateur connaissait les
termes, mais qu'il ne ju4,^eait pas bon de révéler. Même en cet endroit s'arrêtait son
texte, comme nous l'apprend une note de M. Merict, édileur Je la chronique (p. 120).
Cet érudit a cru devoir ajoutera ce récit un passage explicatif tiré d'une autre source
et le fondre par suite avec lui.maisilcn csl réellement dislincl et est évidcmmenl l'œuvre
d'un interpolateur, lequel n'était pas mieux renseigné que nous sur les clause^ du
"traité et qui, pour éclairer le texte de son devancier, jugea bon de reproduire sim-
plement celles du traité de «j^a, auxijuelles celui passé entre Guérech cl Ficr-à-Bras
avait dil apporter une profonde inodificatioD .
^
GUfLLAU.HE FIER A BRAS
i'9
eiïeclif à la 161e de 1' Vqnilaine. ïïdnA ce bul, il pourvut son fils
Louis de ce titre royal et le maria avec Adélaïde, veuve du comle
de (jévaudan et sœur du comte (icollVoi dWrijou. Mais le rôvo
du roi de France s'évanouit bientôt devanl l'incapacité de son fils;
il dut, deux ans aprivs l'avènement de celui-ci, aller lui-même le
chercher en Auvergne où il l'avait inslallé. A son retour, en 982
ou 9H3. il passa sur des territoires placés sous la suzeraineté de
Fier-à-Brasel s'arrêta particulièrement à Limoges, où il permît à
Guigues, abbé de Saint-Martial, de compléter l'enceinte du clu'i-
leau vis-à-vis la cité épi^copale (1).
Mais les années se passaient; le comte vieillissait, sa conduite
depuis le départ d'Emma avait été celle d'un homme abandonné
à lui-même et se laissant aller au gré de ses passions, aussi cette
vie de désordre avait contribué plus que loute autre cause à afTai-
blir sa sanlé. Il s'était mis entre les mains des médecins et il
avait particulièrement accordé sa confiance à un Italien du
nom de Madelme, qui s'était largement fait récompenser do ses
soins (2). Guillaume lui avait donné un grand domaine, situé
auprès de Fonlenay,qui avait été précédemment l'objet de ses lar-
gesses et dont il avait gratifié Foulques du Mans, l'instrument de
sa vengeance à l'égard d'Emma, mais Foulques était mort, puis
Madelme et, sans doute aussi, bien d'autres compagnons de plai-
sirs du comte; quant à lui, il était malade, et, dansson isolement,
ses pensées prirent un autre cours. On le pressent du reste en
bulle à des sollicitalions auxquelles il ne savait pas résister, et
l'on ne s'étonne pas de le voir disposer, en faveur de gens attentifs
à profiter de la situation, de biens distraits, soit de son domaine
particulier, soit d'établissemenls religieux. C'est ainsi que, vers la
fin de Tannée 980 ou au commencement de 987,Airaud, fidèledu
comte, et sa femme Emma se font donner en mainferme, sous la
(i)Lol, Lfs derniers Carolingiens, pp. 127-139, d'après la chronique de Saiat-
Maixent, la comméinoralion dc3 abbcs de Saint-Martial d'Adémar de Chal»aoaes,
l'Histoire de Ricbcr, etc.
(a) Pierre de Maillezais s'étend loo^uemeot {Labbe, Nooa bibl. man., II, p. 226)
sur le* mérites du médecin it.ilirn qui soi^^Dail Fier-à-Bras, et à qui ou dut lu fonda-
lion de réfi:lise de Lié dans les murais de Muillczais; aussi parall-il nalurct de l'iden-
lifier avec Je médecin Mndclmc, qui fut l'objet de si grandes liliéralitéB de la part du
comle dans celle même n'-uion. (Voy. A. Richard, C/uirlus île Saînl-.\fiii.ient, I,
p. 7«)-
130
LRS COMTKS DE POlTcH'
modique redevance d'un sou, le domaine d'Ansoulesse, que le
comte enleva, pour le Icnr donner, k l'abbaye de Satnl-Denis;
auprès de lui se Irouvatenl le vicomle de CliâlellerauU Kgfroi
el son frère Boson, le vicomte d'Aunay Châlon, le viguier Hai-
naud. mais pas un membre nolable du clergé (1). Celle cons-
lalalion n'a pas lieu de nous surprendre, elle est le dernier ter
moignîif;e d'une silualion qui a dû se perpéUier pendant les
dix années duruiiL Icsfjnclii's ou ne renconlre, dans les cliar-
triers religieux, aucun acte de Kier-à-Bras, ol donl la cause doit
provenir de son existence irrégulière. Mais quand le comte fut
fermement résolu à modifier son genre de vie, son enlourage
changea; le 6 mars 987, il assista, mais celle lois sans l'accom-
paj^nemenl do ses liiimiliers ordinaires, à l'abandon en main-forme
du moulin de Comporté que Bernard, abbé de Sainl-Maixenl,fjt à
un clerc de Sainl-llilaire, lequel avait sans nul doute secondé les
efforts que lui-même el d'autres hommes dereligion faisaient pour
amener Ficr-à-Bras à résipiscence (2); il en fut pareillement
lorsque le chanoine de la cathédrale Aubouin donna aux moines
de tSainl-Cyprien son alleu de Surin, le vicomte d'Aunay celui de
Saleigiies, le prêtre Constant sa villa de Vintrui, Arsendeson alleu
de iNachamps (3). Les nouveaux conseillers du comte sentirent
que pour éviter un retour vers le passé il fallait ramener la paix
dans celte union depuis si longtemps troublée el ils employèrent
tous leurs efforts à préparer un rapprochement entre Guillaume
el sa femme, mais Inut d'abord ils rencontrèrent de laparlde cette
dernière une vive résistance. Emma ne voulait pas reprendre la
vie commune, et tes négociations, qui (inalemenl devaient aboutir,
furent très longues (4).
Pendant ce temps, un fait d'une importance capitale s'était
produit en France, La race carlovingienne avait élé définilive-
(i) Cart. de Satnl-Cyprien, p. 192. Parnti les siîrnataires de l'acle od rencontre
un personnage du nom de Giroire (jui peut rtrc ulcntifié hvcc l'un dv ceux du tuùine
noni qui furent léiaoins en uiai 985 tl'uuc concessiou eu ni»iii-rernie fuite par Fier-à-
Bras à Uadfroi.rlfirc dfl Saiiil-llilaire, qufl l'on peut supposer uvoir été l'un des fami-
liers du ccvmle (Uédel. Dnc. pour Saint- ftihttre, 1, p. 53).
(2) A. Ricliard, Chartes de Saint -Muixent^ I, p. 71.
(3) Cart. df. Saint-Ctjprien, p(K. -j'S, 28G, 297 et 3i2.
(4j Labbe, Noifa hibl. mun.. Il, ji. 225^ Pierre de .^faillezais.
GLILLAUirE FIER-A-BR.VS
menl écark^e du Irdne après la morl de Louis le Fainéant. Le
du<: de France Hugues, élu le 1" juin 987, sacré le 3 juillet
suivant^ le remplaçait et nianifeslait son intention de devenir le
chef d'une nouvelle dynastie en associant à son pouvoir son lils
Robert, dont le couronnement devait avoir lieu le jour de No6l de
la même année. Bien que (îuillaume ne semble pas avoir pris une
part directe à l'élection d'Hugues et aux événements qui l'onl
suivie, on ne saurait douter toutefois qu'il les accueillit avec une
grande satisfaction; l'élévalion de son beau-frère au Ironc de
France lui faisait justement prévoir que la paix avec ses voisins,
qu'il ne semble pas avoir jamais ckerclié lui-même à troubler,
serait encore plus solidement assurée par ce fait que ceux-ci étaient
les vassaux directs d'Hugues, dont Tautorilé setrouvaitnalurelle-
monlaccrue par sa nouvelle situation et, d'autre part, que ce der-
nier se sentait très fortifié par son alliance personnelle avec leduc
d'Aquitaine, qui lui garantissait la sécurité de ses frontières du
Sud cl lui laissait par suite la libre disposition de ses forces pour
lutter contre les derniers partisans du régime déchu. Aussi n'y
a-l-il pas lieudes'étonner devoir le nouveau roi de France, après
avoir assuré la tranquillité dans le nord de ses étals, les aban-
donner pour aller rendre visite à Fier-à-Bras et s'entendre avec
lui pour régler d'un commun accord leurs rapports futurs. Au
mois d'août 987 il quitta l'aris; le 25, il se trouvait à Orléans, où
il délivrait un diplôme en faveur de l'abbaye de Saint-Mesmin(l),
et de là il pénétrait en Aquitaine accompagné de l'archevêque de
Bourges et des évôqups d'Orléans et d'Angers.
Son séjour auprès de Guillaume qui, pour faire honneur à son
hôte, le roi des Francs et des Aquitains, avait sans nul doute
convoqué ses principaux feudalaires, fut marqué par un de ces
faits de la vie religieuse qui ont tant contribué au développe-
ment social des populations arriérées de l'époque. Boson, comte
de la Marche, se présenta un jour devant ceséminonts personna-
ges et leur demanda de vouloir bien donner, par rallestalion de
leur présence, plus d'autorité au projet qu'il leur soumit d'établir
un chapitre de chanoines dans sa ville du Dorât. L'évêque dePoi-
(i) Loi, Let derniers Caroljngien*, preuves, p. 4o5.
"^
LES COMTES l>E PÛITOI]
liers, qui <'4endail son aulorid' fcclésinstiqn** sur ce leniloire
bien qu'il fùl en pays Limousin, y (Jonnail son ronsenleiiienl;
aussi le roi, lu duc cl les noaibreux prélats qui les enlouraienl
s'empressèrenl-ils, ainsi qu'ils en avaienlété priés, de confirmer
toutes les disposilions prises par le fondateur du nouvel élablis-
seraent(l). Ces faits sulliraienl pour fournir la preuve des bons
rapports qui existaient enlre le roi de France elle duc d'Aquilaine,
mais ils sonl de plus corroborés [tar un témoignage qui ne sau-
rait ôtre suspect, à savoir les indications chronologiques qui se
lisent au bas des actes passés en Poitou à partir de 987 el qui
toutes se réfèrent aux années du règne des rois ttugues et Ro-
bert(2). Du reste, Hugues ne paraît pas avoir cherché à s'ingérer
dans les affaires du l'oitou ; son avrnemenl irrégulieràla couronne
encourageait les grandsi vassaux à suivre son exemple el à s'ap-
proprier des droits régaliens, usurpation contre laquelle il aurait
été mal venu à prolester. t*our le moment, il se préoccupait surtout
de consolider sa situation nouvelle par l'adhésion éclatante de
l'Aquitaine, cl, de plus, on peut le croire, il agit en particulier
pour amener le rapprochement tant désiré entre l''ier-i'i-Bras et
sa femme, dont la famille comptait parmi les plus dévouées au
(i) Aubugeois delà Ville du Bost, J/ist, du Dorai, preuves, p. igg; D. Fooleneau,
XXIV, p. 359.
(2) Les actes daléa des preraicres années du rcijnc des roîs Hugues el Roberl sont
nonibreti.K dans les charlrîers poilevtns et il est superflu d'en faire ]'éuu(iicr;tlioa;
leur accord unauirac lémoigne que la recon naissance de ces princes avail élé imnié-
diiil&, aussi convient-il de rejeter sans hésilatiun, ainsi i[ug l'a déjit fait M. Loi (Ars
(trrniers Canilini/ieits, p. 210, n" a), ud passade de lu chronique d'Adcmar de
Cliabanncs (]ui jusqu'ici avait clé accepté sans conlnMe par tous les bisluricns.
Adémar rapporte (p. i5i) et à sa suite la Iranslalinn de saiut Genou (Rec. des
fitul. de France, X, p. 36i) el la chroni(|ue de Sainl-Maixent (p. 281), que,
Guillaume ayant reFusé de reconnaître lltisçues Capcl pour roi. co prince serait venu
assiéi^er Poitiers, mais en vain; que, l'orcé de lever le siège, il aurait clé rcjoinl sur
les bords de la Loire par le comte de Poitou; que ce dernier aurait élé complètement
défait dans une grande bataille et que les troupes royales seraient ensuite rentrées en
France. Ce récit n'est autre que celui de la caiiipasçne d'Huii^ues le Grand contre Tétc-
d'Etoupe, dont Adcmar uc parle pas en son lien, et ([ui a été transpusc dans son récit,
comme la plupart des événemeuls de la fia du x* siècle. On doit cependant admettre
(|u'il y avait en Aquitaine des partisans de la dynastie carluviui^ientie qui lui con>
aervèreut leur foi tant qu'elle compta un représentant attitré : Boluze en cite un
exemple {Hist. de Ttille, p. 1^84), et nous-nièiiic avons relevé dans les cliartricrs du
Poîlou deux cas où les rédacleura des actes ont fait partir le reçue de Robert, soit
de rcmprisiinacment de Charles de Lorraine, du 3o mars ijgi, soit de sa mort, au
\ 23 juin oga (Rédct, Doc. pour iui/d-Bilaire, l, p. 52 ; Cart. de Sainf-Ci/prien,
' p. 3jo).
GUILLAUME FfER-A-BRAS
nouveau régime. Qne ce soit grâce à TacUon personnelle du roi
ou par l'effel d'autres influences, Emma finil par se laisser con-
vaincre et, pour débuter, elle envoya à son mari le jeune Guil-
laume qu'elle avait jusque-là gardé près d'elle ; à la fin du mois
de mai de l'année 988,1e jeune comte élait à Poitiers et il assista
aux côtés de Fier-à-Bras, au don qu'une dame, du nom d'OlhoI-
garde, faisait à l'abbaye deSainl-Cyprien; ce jour-là, en outre des
personnages laïques, assistants ordinaires des plaids. u savoir : le
vicomte d'Aunay, le vicomte de Thouars, le vicomte de Ctiâtelle-
raull et son frère, on constate la présence de l'élément religieux
représenté par l'évêque de Poitiers, le doyen et l'archidiacre de
la cathédrale, et l'abbé Frogier(l).
Emma se décida enfin à suivre son fils; toutefois, en femme
de tête qu'elle était, elle posa ses conditions ; elles furent toutes
acceptées ctlacomtesse rentra en Poitou dans le courant de cette
année 988. Fier-à-Bras en témoigna une joie exubérante; il
oubliait le passé, ou, du moins, il voulait se le faire pardonner;
aussi, quand dans un acte il lui arrive de parler d'Emma, c'est
sa femme bien aimée^dileclissima^ei quand il lui fait un don, il ne
manque pas d'ajouter que c'est en témoignage du grand amour
qu'il a pour elle (2). Son affection pour son fils est aussi très
vive (3), et l'effet de leur retour est tel qu'il voit disparaître la
maladie dont il était atteint (4).
En un mol tout est à la joie à la cour du comte du Poitou et le
comte de Blois, le frère d'Emma, vient lui-même à Poitiers pour
sceller par saprésence la réconciliation des deux époux. 11 assiste en
cette qualité à la donation que Fier-à-Bras fit à labbaye de Saint-
Cyprien.sous les réserves ordinaires en vue d'une aliénation tem-
poraire, de l'égUse de Saint-Pierre de Vouneuil, avec tous les
domaines qui en dépendaient; outre le comte de Blois se trou-
(i) Cari, de Saint-Cyprien, p. a83. Cel acte fui passé la première aonée du rèîçne
d'Hugues Capel, c'est-à-dire entre le i*' juia 987 et le i^r juin 988, mais sa dale doit
être rapportée au mois de mai 988, Aimeri, vicomte de Thouars, signalaire de l'aclei
D'ayaal succédé à soa père Arbert qu'au commeucemcot de ce mois.
(2) Eicsly, flitt. des comtes, preuves, pp. 278 cl 27.^; Cari, de Bourgucil, pp. 33
el 4i.
(3) Besly. liiat. dex conitfs, preuves, p. a68; Cart, de Bourg^ucil, p. 33.
(4) Labbe, Mouu tiU, man., II, p. -au-], l'ierre de Maillezais.
LKS COMTES DE POITOU
vuiiHil présents h cet acio Fier-îi-Uras el sa femmojeiir fils Guil-
laume, révoque do Poitiers, le ilojen Uerriuii, le vicomle Kj^frui,
Tabbé Seguin el autres (!). Vers la luèmc époque, le couite, sa
femme et son (Ils aulhenliquèrenl .par leur présence d'autres
dons imporlanls faits à l'abbaye de Saint-Cyprien (2).
Les senlimonls de la duchesse étant d'accord avec ceux des
personnages qui avaient facilité sou relour à Poitiers, il est très
naturel qu'elle ait Inut d'abord usé de l'inlluence qu'elle avait
ressaisie pour amener Fier-à-Uras à réparer les actes de violence
ou d'injustice qu'il avait pu commettre à l'égard des établisse-
ments roligiotix dont les biens excitaient toujours la convoitise
des détenteurs du pouvoir. Comme de juste, sa sollicitude se porta
sur Maillemis; le comte n'avait sans doute pas allendu les exlior-
lations de sa femme pour reprendre les travaux interrompus,
sachant bien qu'il ne pouvail rien faire qui lui l'iU plus agréable;
aussi dans le courant de l'année *J8i)^les liAlimenls se trouvèrent-
ils en élal de recevoir des hôtes. Kmma y plaça son cousin Jos-
liert, qui vint s'y établir avec treize religieux; pour subvenir à
l'existence de celle communauté, elle lui fit don du domaine do
Puy-Lctard qui faisait [larlie de son douaire ci ntiquclello ajoula
les serfs qu'elle-même avait amenés de son pays pour le culti-
ver (3).
Selon les ri!igles juridiques alors en vigueur, la comtesse n'au-
rait dil pouvoir disposer que temporairement d'un domaine fai-
sant parlie de sa dotation, de sa mainferme, comme disent les
textes (4), mais, dans le cas présent, en procédant à une aliénation
sans réserve, elle agissait dans la plénitude do ses droits, Kn
eiïet en reprenant son rang, elle était rentrée en possession des
biens qui lui avaient été attribués lors de son mariage elque,à la
suite de leur séparation, Fier-ii-lîraslui avait enlevés, faisant pas-
ser les uns dans son domaine privé et disposant des autres en fa-
veurde particuliers. Ceux-ci durent, lorsdu retour de la comtesse,
(i) Cart. lie Sainl-Cyprien, p. 5i,
(■•) Cnrt . de Saint-'^'tjprien, pp, i i!i, aïo.
(3) Labbe, Novn htiit. man.. Il, p. aaO, F^ierre de Maillezais. Josbert venail d'élre
pourvu de l'abbaye de Saint-Juîiea de Tours après la mort d'Ebrard (Galti'a Christ.,
XIV, col. a4')
(4) Bealy, Hisl , des comtes^ preuves, p. a8o.
^
GUILLAUME FiER-A-BR.\$
renoncer plus ou moins volonliers aux concessions qui leur
avaient élt» fiiles-, néanmoins il fallut que le comle, par un acte
public, noiiliài h tous celle nouvelle mutation. En cons^'iquence
on le voit, dans les premiers mois de l'année 989, faire dres^
ser un acte par lequel il donne en une seule fois à sa femme
la moitié de la cour el de Téglise de Chasseignes. l'église de
Vouzaille el la moitié de sa cour, l'église de Notre-Dame de
M Jazeneas >», les domaines deSigon surl'Auzance, de Vayres sur
le Clain,el de Valençay sur la Vienne, tous biensqui avaienl fait
partie du bénéflce de Foulques du Mans, les églises de Mignéelde
Marsay près Poitiers, l'église de Sainl-Clémenl dans le pays de
Niort el celle de Coulon sur la Sèvre, les villas d'Oulmes. de
Nanleuil. d'Auriac el de Drenon, celles de Toorlron, de Traie
sur l'Aulise el de Pdy-Lelard, les églises de Chassenon el de
Sainl-Maurice des Loges, el enfin celle de Monlreuil. Celle longue
liste de domaines, el en particulier de biens ecclésiastiques, est
intéressante à relever, tout d'abord parce qu'elle nous fixe sur
l'importance du douaire que le comle avait primitivement cons-
titué à sa femme el dont ces biens faisaient assurément partie, et
d'autre part parce qu'elle renseigne sur la nature el la position du
domaine privé des comtes de F*oiiou ; on voit que leurs posses-
sions directes s'élendaicnl plus particulièrement en Bas-Poitou,
dans le pays compris entre la Sèvre et la Vendée, qu'elles ne
dépassaient pas sur ce point, et comoae ni dans cette importante
énuméralion^ ni dans lei concessions diverses émanées de Fier-
à-Bras il n'est question de domaines situés au delà du Lay supé-
rieur, on doit en conclure que celte région était encore au pou-
voir des comtes de Nantes.
Le comle ne se contentait pas d'assigner ces biens à sa femme ,
sa vie durant, il l'autorisiit, en outre, à en disposer selon sa
convenance, soit en fnveur d'établissements religieux, soit de
particuliers, en un mot, il en abandonnait complètement la pro-
priété. Au roomenl oîi il allait remellre k Emmi la charte qui
monumenlait ces dispositions, Fier-à-Bras ajouta à ses libéralités
l'églis»? de Cezais, dont il se réservait toutefois la jouissance
(i) Ucâlj, /fisi. des eoinlet, preuves, p. 173; Arcb. d'ioiire-el -Luire, orig., 11, :t4 >
izG
LES COMTES DE POITOU
pendant sa vie. On voit encore la comtesse se faire donner^ au mois
de janvier 9i)0, Té^lise de Saint-Denis de Jaunay,que quinze ans
auparavant Berncfroi avait reçue du comte en mainferme {!).
Les travaux de Maillezais étaient assurément encore en train
quand Emma profila d'une occasion qui se présentait pour
assurer l'existence du nouvel élablissemenl et le garantir autant
que possible contre de nouvelles violences de son mari. Elle en
ffl faire la consécration solennelle par l'archevêque de Bordeaux
et les évoques qui venaient d'assister au concile de Charroux.
Une réunion, ayant un caractère tout à fait régional, c'est-à-
dire aquitain, s'était en elîel tenue, le l"" juin 989, dans l'abbaye
de Charroux, sous la présidence de Gombaud, archevêque de Bor-
deaux, assisté des évoques de Poitiers, de Périgucux, de Saintes
et d'Angoulême, ses sutïraganis, et de Limoges, suffragant de
l'archevêque de Bourges. On ne connaît pas les décisions qui furent
prises dans cette assemblée à l'égard des personnes ou des éta-
blissements, mais on a conservé les trois canons qui y furent
édictés portant anathème contre les ravisseurs des églises, les
dissipateurs des biens des pauvres et les persécuteurs des clercs.
Fier-à-Bras ne fut certainement pas indifférent à la tenue du con-
cile, si mémo il n'y assista pas ; ce qui le prouve, c'est que, pour
se conformer à l'usage qui voulait que, pour donner plus d'auto-
rité aux décisions qui y seraient prises, rassemblée se plaçât sous
le patronage d'un saint vénéré dont les précieux restes étaient
apportés en grande pompe au lieu de la réunion, on y délibéra
sous l'égide de saint Junieu, le fondateur de l'abbaye de Noaillé,
établissement qui, nous le savons, était alors sous la dépendance
absolue du comte de Poitou dont le consentement dut être néces-
saire pour faire le déplacement de ces reliques (2).
(1) Cari, de Bourçueil, p. 4'- Cet acte a'est pas daté, mais il est évidemraenl pos-
téneur bu précédeot i[iii se place dans le couraol de l'anaéc {)Sg et ae peut, comme
on le verra plua loin, dépasser l'année 990.
(2) Labbe, Concilia, IX, coL 733. Les historiens ecclésiastiques ne sont pas d'accord
sur la date qu'il con\nentd'altribuerau coDclle de Charroux ; les uns le placent en 989,
les autres eu 990. La première de ces dates est seule admissible. Kn elTel, Audi^ier,
cvèquo (le Limoges, assista sûrement nu concile; or, celui-ci «"étant ouvert le i^f juin,
le prélat ne pouvait ètreeuierré le to du même mois à Saint-Denîs, près Paris. Les
deux événements s'éclairent l'un par l'autre et ne peuvent, appartenir à la même
année *, le concile eut lieu en 989 et Audigier est mort en 990.
1
1
^
GUILLAUME FIER-A-BRAS
ia7
Or donc, les prélatss^élanl rendusàf*oiliers,àlacour du comle,
celui ci, sur la soUicilalion expresse de sa femme, leur demanda de
vouloir bien faire la dédicace du monastère de Matlloïiais. Us y
consentirent voionliers el, quelques jours après, ils consacrèrent
solennellemenl féglise de la nouvelle abbaye qui venait à peine
de recevoir ses hôtes. Après la c6rémonie,Ie comte repartit pour
Poitiers ainsi que rarchevôq^ue el les évoques qui ravaient accom-
pagné, à l'exception de l'évoque de Poitiers, qui demeura à
Maîllezaîs avec la comtesse pour donner par sa présence plus
de poids aux dispositions qu'elle avait encore envie de prendre.
C'est ainsi qu'elle fit placer dans le côté gauche de l'église des
reliques de saints qu'elle avait recueiUies en divers lieux et
abandonna solennellemenl aux moines le domaine de Puy-Le-
lard dont il a été parlé plus haut. <Juanl à Guillaume, rentré à
Poitiers, il fil procéder par les prélats à la dédicace de l'église
de Sainl-Hilaire (1).
Les idées du comte de Poitou avaient en effet totalement changé
de direction et Emma ne s'était pas contentée d'en profiter pour
la satisfaction de ses intérêts ou de ses affections personnelles ;
elle avait, sous l'impulsion de ceux qui l'inspiraient ou la secon-
daient, attiré la sollicitude du comte sur tous les établissements
religieux de la région ; Noaillé fut l'un des premiers à s'en
ressentir. Celte abbaye, violemment détachée de Saint-Hilaire,
administrée par les agents du comte, était menacée de deve-
nir, comme l'abbaye de Saint-Paul de Poitiers, un simple béné-
fice,destiné à récompenser les services de quelque fidèle, Emma
saisit l'occasion d'un grand plaid qui se tint au mois de jan-
vier 989 (2) pour donner une plus grande publicité au courant
nouveau qui se manifeslait dans les jagissemenls de son mari ; à
cette assemblée, où se trouvaient les vicomtes de Thouars,d*Aunay
(i) Labbe, Xora hihL mm.. Il, p. 226. Le Icxle de Pierre de Maitlezaia porte que
l'caflisc de Sairvl-Hilaire, dont il e*i ici ((uestioti, était constralle devant le palais du
comte, « corara îpsius nuhi principis conslilulani ». Il D^exiale pas Irace qu'une église
de Saint-Hilaire fut placée eu ce lieu, el il semble que ce passade doive s'appliquera
la basili(]ue de Saint-lIilaire-le-Grand, doul, selon [es consiaiations archéologiques
les plus sûres, le clocher à tout te moins appartient au x» siède.
(a) L'acte est daté de l'an II du rôgue du roi Robert, le point de départ étant le
couroaaementde ce prince eftectué le 3o décembre 987 ou le i^' janvier 9Ô8.
LES COMTKS DE POITOU
et de ChAtfllpraiill, Boson, le fn-re de ce dernif^r, un aulre vî-
coinlodii nom de Main ard et son filsCombaiid, i'évèqtjedei'oiliers
cl son (ri'Vi^ Manassé, Tabbé Frogier, K^ trésorier el le doyen de
Saint-Hilaire, le comle, sa femme el son (îls firent don à Fabbaye
de Noaillô de l'alleu seigneurial de Ligoure en Aunis, avec son
église de Saint-Sauveur, Tôglise de Hioux el des moulins (1),
Soit à Tune des séances de ce plaid, soit à celui qui put se
tenir dans le même mois l'année suivante (990) (2) e( dont l'assis-
tance était des plusbrillanles.car on y voyait Guillaume Taillefcr,
comte d'Angoulême, Guy, vicomte de Limoges, el son fils Aymar,
Egfroi, vicomte de Châtelleraull, Gilbert, évêque de Poitiers,
Audigier, évêque de Limoges, et eniin Savari, trésorier de Sainl-
Hilaire, la comtesse amena son mari h consentir à l'acte qui fait
peut-être le plus d'honneur û sa mémoire, car c'osl une œuvre de
charité qui se détache avec une auréole particulière de la sombre
nuit de cette fin du x' siècle. Devant celle assistance inaccoulu-
mée le comte, assisté de sa femme el de son fils, déclara qu'il
avait décidé de fonder, près deféglise de Saint-llilaire de Poi-
tiers, un hôpital ou refuge pour les pauvres ; il dotait celle mai-
son de plusieurs terres situées à Chilvert, à Vouneuil et aulres
lieux, et plaçait à sa tôle, pour sa vie durant,un nommé SieborL
avec défense à ce gardien et h ceux qui lui succéderaient par
la suite défaire d'autre service que celui des pauvres, auquel îls
devraient absolument se consacrer (3). Bien que ce soit le comte
qui parle seul dans cet acle, on sent dans les dispositions qu'il
renferme la main délicate d'une femme qui, faisan t/|)reuve d'un
(i) Arch. de la Vienne, orig., Noaillé, n»5g.
(a) D. Fnnleitnnu {X, p. 323} place judicieusement ce plaîd, qui ne porte pas d'in-
diciitlon d^Tonéi", en rjKg on en 090. En cflet> si l'on ne retrouve pns dans l'nrte de
Noailk' cl dajis celui de Salut-Hilairc les inArncs «ssisUialg, ce i|i]i pourrait faire
supposer l'existence de deux plnirlu lenus h ua an d'intervalle, il y a lieu de Icnir
compte que Pun et l'autre aunl du mois de janvier cl que loua les lîeux porleul la
mention insolite du rè^ne du mi Rolicrt, ce qui lendrail ji faire croire (ju'ils son!
l'œuvre du même scribe qui aurait omis le chiffre des anoéca du règne dans Factc de
SaiDl-llilaire. Hédet {Doc. //oar Saînt-Hiluirc, I, p. 54) a adoplê la dalc de gSg
sans en indiquer les molifs.
(3)Ccl établissement hospilalier disparul de boane lieurc, à moins (ju'il ne se soit
fondu avec celui qui cxislail eu yOy cl pcul-^lre dra le temps d'Alcuin.dans le bourg
de Suint-Hilaire sou3 le nom de Sanrfns Petrus e.r I/itspilafe (Snitil-Pierre l'Hous-
teau). V'oy. Largeaull, Inscripliuai mélriqtios composées par Alcuin Mém, île la
Soc. iles .ititiif . ilf l'Oavitf ac série, 1. VII, p. 2/1^).
1
f.ClLLAUME FIER -A-BRAS
lao
sonlimenl assez rare à l'i-poqu*^ et mellanl en action le prt^ceplr»
ilii Christ rappelé dans le prf'iambiile âo la fondation : Date ele^
mosinmn et erce omn'm tnitnda xiint co/y/.v, croyait devoir associer
les d6sh6rif6s de la terre à iévi'Miement heureux qui la ramenait
après une si longue absence à la place qui lui était due.
Mais ces salisfacJions d'un ordre gtfincral ne suffisaient pas
à Emma ; elle voulait en obtenir de plus personnelles et ce ne
fut assurément pas sans difllcultés qu'elle put amener Fier-à-
Bras à se montrer généreux pour une œuvre qui avait tout le
caractère d'une protestation contre ses actions. Empêchée, par
sa brusque séparation d'avec le comte, de poursuivre la cons-
truction de Maillcxais, elle avait essayé, pendant sa retraite h
Chinon, de donner suite à ses aspirations et elle avait onlr-epris
de fonder un monastère sur ses domaines. Mais ses ressources
étaient insuflisanles et l'établissement édifié sur sa cour de
Bourgucil ne pouvait être que fort modeste, aussi voulut-elle
profiler de sa réconciliation avec son mari pour donner à ses
projets loule l'extension possible. Elle appela Josberl à Bour-
gueil; celui-ci dut quitter Maillerais, où il élail à peine installé
et où, selon toute apparence, il eut un suppléant, portant le litre
de prieur, car il conserva la haute direction du monastère. Puis,
sans tenir compte de la permission expresse que Fier-à-Bras lui
avait donnée quand il reconstitua son douaire, elle commença,
pour plus de sûreté, par lui faire abandonner directement à la
nouvelle abliayo les églises de Scillé, de <( Jazenas « et de Vou-
zaille en partie, tandis que, de son côté, elle renonçail à la pro-
priété de ces domaines et ajoulait au don de son mari Mij^Mie,
Sigon et rnlleu de Charruyau. Cnfin, non contente de l'assen-
linient de Fier-à-Bras, de son lits, et de tous les intéressés, et
voulant assurer d'une manière immuable la perpétuité de sa fon-
dation, elle s'adressa au pape Jean V, qui y donna son approba-
tion et attesta la léj^'ilimilé des dons qui avaient été faits par la
comtesse, provenant tant de son domaine particulier de Bour-
gueil que de tous ceux qui lui étaient advenus en Poitou (I).
(i) Cari. d(' lîûurmjcil, p. 17: Arch. (i'Irjdrc-cl-Loirr, oriii^., H. a'i. l.e ftulliii
CJtritil., l. Xl\', col. 050, cousidêrf ccl aci^i comme le tilrc fie limJali'm de Pabbaye*
lie Buui'g'ucil, iiui «li's lors ne dalcrail rjucdeVaD 990, mais celle apprccialion ne peut
9
]3o
LES COAfTES DE POITOU
D'autre part, comme le domaine de Vouzaille avait primilive-
menl fait partie des possessions du chapitre de Saint-Hilaire de
I*oiliers et que ses détenteurs temporaires, car il avait *^Lé aliéné
en mainferme, étaient tenus, en signe de sujétion, de payer aux
clianoines, lors de la fêle de saint Hilaire du 1" novembre, un
cens annuel de cinq sous, ceux-ci ne cessèrent de réclamer contre
l'usurpation commise par les moines de Bourgueil; la contes-
tation dura plus d'un siècle, et ne fut terminée que par deux
jugements rendus au concile d'Issoudun de 1181 et à celui de
Saintes de H83, qui déclarèrent que la Cour de Vouzaille serait
divisée par moitié entre les deux parties (i).
Malgré qu'elle eût obtenu beaucoup de son mari pour son
œuvre de prédilection, la satisfaction de la comtesse n'était pas
complète; elle voulait plus encore. Comme Fier-à-Bras était
reniré en possession, on ne sait comment^ de la cour seigneu-
riale de Poussais et de son église de Saint-Hilaire, qu'un nommé
Augier, Otyenus, avait tenue de lui en bénéfice, elle le porta à
on faire la session directe à l'abbaye de Bourgueil, moyennant le
prix de IbOO sous d'argent (2). Cette dernière clause ne fut sans
doute pas exécutée, et comme la somme convenue entre les par-
ties était sîirement destinée à désintéresser le possesseur béné-
ficiaire du domaine, celui-ci dut un jour réclamer l'exécution
du contrat; toujours est-il que l'on voit postérieurement le comte
faire aux moines de Bourgueil la vente de six jougs de vigne, dont
cinq situés dans la villa de Lorberie et le sixième dans celle de
Fonlenay, contigus^ dit-il, à la mainferme dont il avait doté sa
femme; en retour l'abbé Josbert lui versa 1200 sous d'argent,
non pas seulement comme paiement de ces vignes, dit ingénue-
ment le lexte de l'acte, mais pour la cour de Poussais et son
église de Saint-llilaire. Cette somme de 1200 sous venait-elle en
supplémentde celle de 1 500 sous à laquelle avait été primitivement
être prise dans un sens absolu, car le monasière cxiâtaLl déjà artial qu'il résulle des
paroles mômes d'Emma : « nolum fierî cupio mcum quocldam monaslcrium in mea
curte Burfïolio cotrslruxissc in honore vidclicet Sancle Trinitatis n el il ne faul voir
dans l'flcle de géoerosilc de la comtesse de Poitou et de son mari qu'une dotation des-
liiu-e ;> assurer la vilalîtë cl rindépcndaace dti nouvel êtablissemenl.
(r) Kcdet, Une. pinir Sainl-f/ilaire, 1, p. 1 13.
(2) Cari, de Uuurgucil, p. 33.
GUILLAUME FIFR-A-BrUS
i.lt
ixé le prix de vente de Foussais, ou étail-elle une réduction du
prix convenu? nous ne saurions le dire (!). Le comte Audeberl
de la Marche et l'évèque de Poitiers assistèrent à la rédaction de
l'acle, qui se fil le 9 du mois de mars 091, peu après la donation
de Jaunay, à laquelle Tun et l'autre étaient aussi présents (2).
Tous ces actes sont compris entre l'année 987, où l'on voit le
fils de Fier-à-Bras revenir prendre sa place aux côtés de son
père, et Tannée 99U, où celui-ci se montra si disposé à subir les
volontés de sa femme; mais, soit que les exigences d'Emma
fussent devenues de plus en plus pressantes et qu'elle ait froissé,
en les faisanl dépouiller de leurs bénéfices, les gens de l'entou-
rage immédiat de son mari qui, pour ce motif, l'auraient à nouveau
excité contre elle, soit pour toute autre cause, le tempérament
irascible du duc reprît le dessus et sa femme eut encore à souffrir
de sévices qu'il exerça contre elle. Elle s'y déroba par la fuite,
mais elle ne partit pas seule: elle entraîna son fils ou même le fit
enlever par des gens dévoués (3), en tout cas, leur présence auprès
du comte n'est pas constatée pendant l'année 991. Toutefois,
le départ des siens n'apporta aucun changement dans la façon
d'agir de Fier-ci-Bras et il persévéra dans la voie qu'il suivait
depuis quelques années : Maillerais seul eut à souffrir de son res-
sentiment; l'édifice consacré ne fut pas détruit, mais la commu-
nauté perdit son indépendance et fut soumise a Saint-Cyprien, qui
avait toujours eu les préférences du comte.
Dans sa jeunesse, celui-ci avait été associé par son père et sa
mère à la restauration, voire même à la reconstruction de Tab-
baye de Saint-Jean-d'Angély et à diverses reprises il lui avait
donné des marques de sa bienveillance, particulièrement au
moment où la sollicitude d'Emma et des directeurs de ses actes
(i) B«!ily, Hist. diin comtes, preuves, p. a8o ; C.nrl. dn Bourg-ueil, p. 3/(. Cette
pièce porte dans Besly la datp de l'an X du rêçae de llui^ues Capel, et dans le cartu-
lalre de Bour^ueil celle de t'ao IX, ce qui correapoad aux années 997 ou 996; or,
ni Tuae ni l'autre de ces années ne peut élre admise, l'une puur ce niotir qu'Hu-
gties Capet était mort avant le mois dentars 997, date de l'acte, scloa Besly, cl l'nutre,
parce que, comme on le verra plus loin, Audebert de la Marche, un de aca «ignntairefl,
était en révolte contre le cornlc de Poitou en 99O. Kn I.-1 plaidant à la fin de l'année tjfjo,
ainsi qu'il semble résulter de son conleou, nous croyons être dans le vrai.
(2) Voy. plus haut, paçe i25.
(3) Labbe, Nova bibl. mon . , U, p. 337.
LKS ):OMTi:S Mv l'OITOU
s'étendait sur tous les iHahlissomenls religieux de la région;' au
mois d'aoùl, en 990, semble-l-il, il avait donné à SainlJean les
églises de Saint-Pierre et de Saint- Itévérend de Benon, des pêclu:-
ries et plusieurs domaines, en particulier l'important alleu de
Muron en Aunis f^l, en retour, il avait imposé aux moines l'obli-
gation de célébrer chaque jour le saint sacrifice delà messe, non
seulement afin d'obtenirdu Seigneurie pardon desesfanles, mais
encore pour le saint de son Ame et de celles de son ancêtre Eble,
de son père (luillaume, de sa mère Adèle, de sa femme Emma,
de son fils Guillaume et des autres enfants, fils et filles, issus de
son mariage (1). Au mois de janvier 091, il compléta ces libéralités
en donnant à Sainl-.lean la forél d'Essouvert en Aunis, mais celle
fois il n'imposait aux religieux, en fait de charge pieuse, que des
prières pour son âme et pour celles de son père et de sa mère (2).
L'omission de sa femme et de son fils est significative, surtout
quand on conrûdère combien cet acte et le précédent sont rap-
prochés. L'impression qui se dégage de ce texte est accentuée
par celle que produit la lecture d'un autre document, encore plus
important, et qui est daté du 20 avril, lors de la tenue du plaid où
assistaient le comte d'AngouIémc Guillaume Taillefer, le comte
Audeberl de la Marche, le vicomte Guy de Limoges, celui de
CliAtellerault et son IVère lioson, le vicomte Géraud de Brosse et
l'abbé de Sainl-MaixonI, Bernard. Dans celle assemblée, Fier-à-
Bras, complétant lesdisposilioris généreuses dont il avait fait preuve
(i) Bcaly, flisl.dea comtes^ preuves^ p. 26^; Cari. de Snint-Jean-ttWngéUj, p. 26.
(2] (larl. de Sninf-Jfand' Anfjélij,\y p. 27; Uesly, ifhf. des rflw/t's, preuves, p. 27g.
CeUn ilonalinn a élc IrHD'^crile par ÏK l*"onlcnpati> XIII, p. 111, sur l'orij^inal dont
l'aullienticilé cUU ÏDiliâCulable.auâsi csl-il parti de là pour arg-uer de faux, avec rai-
son, un Jiplijme d'Hugues Capel, de juillet (jSij {firctu'il dex fii'xt. de Fnince, X,
p. BfjO ; Uesly, Ifist. lies la'/ife.i, preuves, p. 37K; Cart. de Sfiint-Je<tn-irAn(/éli/,l,
p. 2ï), eu vertu duquel le roi accordait, sur Ja demande du duc dl'A«[ui(aine, à un
rrlit^ipax nomme Audoiiin, la direction de l'abbaye de Saint-Jcon-d'Angély, où
reposait le chef de aainl Jean, el rnuinlcnail les moines dons la possession de h forêt
d'iissuuvert-, or celte confirnialitin serait antérieure de deux années A la donniion, ce
qui est inadmissible. Du reste, pour établir la fausseté de ce diplôme, on peut encore
faire ressortir que le chef de samt Jean-Bnpliste ne fut découvt*rt qu'en loio par cet
abbé Aiirlitiiîn ipii, selon toute vriiisemblance, ne fut nommé abbé rjue vers celle
époqtje, Robert et Aimeri ayant si^retnenl piiiivemc l'abbaye nti temps d'Iiuii^ues
Ciipct. Par tous ers molifs, ce document, déjA suspei;té par les Bunédictins au pi.>inl
de vui; diplomn tique, doi( élrc rcjelé sans hésiter et ne peut en aucune l'nçoii l'ire
invoqué, comme l'ont fait M. Lucliairc [llisi, dex ifts!ifations sous les premiert
<:ript'ttens, 11, p. aor) et M. Lot (Les derniers Ciirolinijtens, p. 210, note 2), pour
afiirmcr les bons rapports d'Hugues Capel et de Fier-à-Ura».
GUILT^l^E RER-A-BRAS
i33
h l'égard de Fabbaye de Noaillé, lui reslitua la libre disposition
d'elie-même dont elle avait élé privée par ses prédécesseurs el,
faisant revivre les stipulations des dipl<^ines de Louis le Débon-
naire, de mai 808, el de Pépin I d'Aquitaine, du 24 juin 827 (I),
il déclara qu'à Taveair la sujétion des religieux de Noaillé à
l'égard du chapilre de Saint-Hilaire se réduirait au paiement
d'un cens annuel de 20 sous^ el qu'ils pourraient choisir libre-
ment leurs abbés à la seule condition de faire approuver
celte élection par les chanoines; enfin il exemplail l'abbaye de
toutes charges et de tous services temporels s'appliquant tant à
sa personne qu'à celles de ses successeurs el de leurs agents (2).
Dans cet acte, d'une si réelle importance pour la société reli-
gieuse de l'époque et auquel Fier-à-Bras avait voulu donner la
plus grande solennité, il n'est nullement question de la comtesse
ou de son fils, enfin leur absence de Poitiers esl encore constatée
par un acte de décembre 991, alors que le comte, atin de bien
marquer son intérêt pour Noaillé, assista seul en qualité de
témoin à la donation d'une saline dans le marais de Voutron, que
cet abbaye reçut d'un nommé (.londen (3).
.Mais Guillaume, dans un sentiment de justice bien naturel,
n'entendait pas que les faveurs qu'il accordait à Noaillé portas-
sent préjudice à Saint-Hilaire, dont il était l'abbé el dont, par
suite, il devait sauvegarder les intérêts. Alors qu'il avait encore
auprès de lui sa femme et son fils, il avait donné à l'abbaye sa
terre seigneuriale de Rox dans le pays d'Aunis el la villa d'« Eco-
lonii» dans le pays de Mervenl(4);mai3 quelle que fiU l'importance
de ces domaines, ils ne pouvaient entrer en ligne de compte avec
ceux dont il l'avait dépouillée par le passé ou qu'il lui enlevait
dans le présent. Cédant donc, ainsi qu'il le dit, aux angoisses
qui l'étreigoaienl dans la pensée de la vie future, et surtout aux
sollicitations des chanoines, il déclara un jour qu'il leur donnait
en toute propriété la cour de Courcôme et son église, que, bien
(i) Rédet, Doc. pour Saint' Hilnire, I, pp. 3 el 5.
(a) Rcdcl, Doc. pour Sainl-tlilaire, I, p. O2.
(3) Arch. de la Vienne, orig., Noaillé, n" 6ï,
(4) Be«ly, Uist. des comtet, preuves, pp. aG6 el 292; Rédet, Doc. pour Saint-
fiilaire, I, p. Sy.
i34
LES COMTES DE POITOU
des années auparavanl, il avait annoncé devoir lour abandon-
ner, mais dont il s'était réservé la jouissance sa vie durant,
et l'église de Saint-Hilaire-sur-rAulise, puis il leur fit la remise
d'un cellier dont il s'était aussi emparé et qu'il avait ap|>ro-
prié à son usage; connaissant par expérience les prévarications
qui se commettaient dans l'exercice de ce droit de ccllerage, il
leur imposa l'obligalion de surveiller avec soin les agissements
du préposé qu'ils y placeraient, et particulièrement d'empêcher
qu'il ne prélevât à son profit le produit du balayage du cellier,
qu'il ne se servît de fausses mesures ou ne délivrât un blé pour
un autre; enfui il rappelait dans sa charte toutes les dispositions
de celle du 20 avril 91H, relatives à Noaillé {!).
Vers le même temps, il usa, peut-être pour la première fois,
de ce droit régalien si important, dont l'exercice par les grands
seigneurs féodaux fut une des conséquences de l'usurpation
d'Hugues Capet et en vertu duquel ils s'attribuèrent une part
importante dans le choix des évoques et des abbés des grands
monastères, au sujet de qui on violait constamment les règles
canoniques. L'évêque de Limoges, Audigier, s'était rendu en
France au printemps de 990, peut-être dans le but d'assister, au
nom du duc d'Aquitaine, au concile de Senlis, où Hugues Capel
avait assigné Arnout, archevêque de Reims, pour régler avec lui
les questions qui les divisaient et particulièrement le détacher de
son alliance avec Charles de Lorraine, son compétiteur. Audi-
gier avait emporté, afin de paraître avec plus d'éclat à cette
assemblée, les ornements les plus précieux de l'abbaye de Saint-
iMartial, mais il tomba malade et mourut le 10 juin, Il demanda
à recevoir sa sépulture dans l'église de Saint-Denis, à laquelle
il légua pour cet objet, tout comme s'ils lui appartenaient, les
ornements de Saint-Martial (2). Aussitôt que Fier-à-Bras fut avisé
(i) Rcdel, Doc. pour Sainf-IIilaire, I, p. Sg. Cet acte n'est pas daté, mais it a dû
suivre de près celui de raETranchiB^ienieut de IS'uaillé, si rnémc il na. pas été rédigé
en môme temps, aussi convient-il de l'attribuer, comme ce dernier, h l'année tffjii.
(3) La date de la morld'Audig^ier est fouraic parl'obituairc deSatut-Martiul (Leroux,
£k>c. hist. concernant ta Marche el le Litnuusin, \, p, 73) ; quant îï Audouin, il
était en possession de révèché de Limoges dès ie a3 août 990 {De, Lasleyrie, Eludes
ttir tes comtes de LimQfjes\ p, 84), d'après lecartulaire de Saint-Elienne de Limoges.
Voy. aussi la cliron. de Richard de Poitiers, dans D. Marlène, Ampl, cmlleciio, V,
co!. 11G8, el la cliroa. d'Adémar, p. ib-j.
Gl [LLAUMF-: FIER-A-BKAS
i3!i
de ce décès, usant de ses nouvellns prérogalivf's, il poiirvul <]<i\
t'évêché de Limoges, Audouin, frère de Tévèque dériinl el du
vicomte Guy; c'rlait une récompense de la fidélité que les uns
et les autres, enfants du vicomte Géraud, n'avaient cessé de
garder au comte de Poitou. Audouin fui sacré à Angoulême
par Gombaud, archevêque de Bordeaux, assisté des évoques
d'Angoulême, de Péripueux et de Saintes, c'est-à-dire unique-
ment de prélats appai tenant à sa province ecclésiastique (1). H
semble que l'on doive rapprocher ce fait de la présence d'Audi-
gier au concile provincial de Charroux, l'année précédente, el
reconnaître, dans ces cas simultanés, une propension bien avérée
vers la séparation de l'évéclié de Limof,'es de sa métropole, qui
était Bourges, pour le rattacher à celle de Bordeaux, la véritable
capitale religieuse des étals du duc d'Aquitaine,
Le nouvel isolement de Fier-h-Bras parait avoir duré deux
années et il dul trouver bien lourd le fardeau de l'administration
de ses étals dont il avait compté se décharpier sur son (ils (2).
Aussi, à un moment donné, ses sentiments se trouvant d'accord
avec les suggestions instantes auxquelles il était en butte, il fut
pris par des idées de retraite. Comme, malgré toutes les preuves
de bonne volonté qu'il avait données à sa femme, celle-ci ne lui
avait pas pardonné le passé et que sur certains points elle n'avait
pas transigé et avait continué de lui rester étrangère, il sentil
qu'une reprise de la vie commune était impossible. Malade, il ne
songea qu'au repos, et celui-ci il ne pouvait le trouver sûrement
que dans un cloître. Il se retira donc à Sainl-Cyprien, d'où avail
dû partir l'inspiration à laquelle il obéissait et, y prenant l'IinbJI
monacal (3), laissa la place à son fils. Emma s'installa prés du
(i) Chron. iTAdémarf p. 157.
(2) Il ne OOU9 parait pas hors de propos de Taîre remarquer en cet endroit en quoi
notre récit diffère de celui de Pierre de Maillezats. Selon lui. un rapprochement
serait intervenu entre les deux époux après une sép.iration de deux ans, puix serait
survenue une aouvetle brouille, qui aurait duré cinq ans, à la suite de quoi Ficr-à-
Bris aurait rappelé sa femme et sou fils et leur aurait abandonné le pouvoir. De
notre côté» en nous appuyant sur les textes authentiques, nous croyons pouvoir dire
que la première séparation entre les deux époux aurait été la plus longue et aurait
duré dix ans et non cinq aus,et, d'autre part, que la plus courte aurait été de deux ans,
comme l'a écrit l'anoaliste qui aurait simplement ialerverli Tordre des faits au sujet
des rapporta d'Emma et de sou mari .
(3) Labbe, Nopa ùtfit. rnan.. Il, p. 227, Pierre de Maillczais,
i36
LES COMTES DE POITOIT
jeune comte, prêle h le seconder dans les fliJlîculli'îs qui ne pou-
vaient manquer de surgir lors de celle niodificalion dans Texer-
cice du pouvoir.
Le séjour de Fier-à-Bras à Saint-Cyprien fut de courte durée,
soit qu'il n'ail pu s'entendre avec le nouvel abbé, Girau, soil, et
ceci est plus probable, qu'il ait trouvé que sa femme et lui étaient
trop près l'un de l'autre ; il se chercha donc une aulre rési-
dence el c'est sur Sainl-Maixent qu'il s'arrêta, l'abbé de ce mo-
nastère, Uernard, dont on constate fréqueraraont la présence
dans les conseils du comte, n'ayanl sans doute pas été étranger à
ce choix. Mais, pour recevoir dans l'abbaye l'accueil qu'il désirait,
il lui fallait bien disposer- les moines en sa faveur et par suite leur
faire des lar^'esses. C'est ce qu'il fil dans une grande assemblée
qui se tint à Sainl-Hilaire au mois de décembre 0D2. On y remar-
quait, outre Guillaumej sa femme el son fils, Gilbert, évêque de
Poitiers, el Audouin, évoque de Limoges, Audeberl, comte de la
Marche, les vicomtes Egfroi, Chcllon el Aimeri el de nombreux
personnages lanl de l'entourage du comte que du clergé. En leur
présence, Guillaume vendit d'abord aux religieux de Sainl-
Maixent l'important bénéfice qu'avaient successivement possédé,
aux environs de Fontenay, Foulques du Mans et le médecin
Madeime, puis il ajouta à cette cession, qui n'était aulre qu'une
donation déguisée, mais à laquelle on donnait ce caraclère afin
d'éviter à l'avenir toute revendication, l'abandon des églises de
Saint-Martin de Fraigneau et de Saint-Élienne de Brillouel,
bénéfices qui étaient conligus au lerritoire qui faisait l'objel de
la vente el enfin la villa d*Arty (1).
De ce jour, c'est-à-dire du commencemenl de l'année 993,
Guillaume le Jeune commença à régner sur le Poitou (2}, tandis
que Fier-à-Bras restait confiné dans le monastère de Sainl-Mai-
xent, d'où il sortait parfois pour comparaître dans quelque acle
où sa présence était requise afin de lui donner plus de garantie;
c'est ainsi qu'en aoùl 99i il réunit à l'abbaye de Saint-Florent
(i) A. Richard, Chartes de Saint~Maixent,l, p. 77.
(ai Ûd ne saiirail affirmer que Fier-îl-Uras, lors de sa retraite, renouça à loutcs aeii
préroçiitivea «iucales, l'acte de f}vp, dont il va être parlé, lui dounanl cxpi-essérneot
le tiire de duc, taudis qu'Hiiuna pjclc sitnpleaieul celai de comtesse.
GITTIX-\UMK FIF.R-A-BRAS |S^
deSaurour. la celle ou pelil cotivenl «Je Saiiil-tMichcl en FHorm,
qu'il avail anlérieuremenl donné en bénéfice à Aimeri, vicomte do
ThouarSjCt que ce dernier consentail à abandonner à Robert, abbé
de Sainl-Florcnt, à la charge d'y envoyer des religieux pour l'ha-
biter; le ressentiment du comle à l'égard de sa femme éclate
encore dans cet acte, car il ne demande de prières aux religieux
que pour son père et sa mère, pour lui-même et son fils, pour le
vicomte Aimeri et safemmeElvis, et, de plus, il ne fait confirmer
l'acte que par son filsel par ses fidèles (l). Enfin, au mois de mai
995, il se hoiivail à Poilii'rs, où il fut témoin en même temps que
son fils Guillaume, Tévèque de Poitiers, les Irois vicomtes d'Aunay,
de Thouars et de Chàk Hérault et même Emma, à la donation
qu'un nommé Achard fil de quelques salines à l'abbaye de Sainl-
l'yprien (2). L'acte qui a conservé trace de ce fait semble en
même lemps porter un nouveau témoignage de l'aversion que la
comlesse professait pour son mari, car son nom, au lieu de se
trouver, comme il est d'usage, en tôle des signatures, a été ins-
crit le dernier et comme par surcroît. Toujours malade de l'aban-
(i) Gallia c/irisL, I!, inslr., col. 4'o; Marchegay, Car/, du BaS'Pitihnt, p. 35i.
(a) Cart. de Saint-Ojpi'ien, p. 3t5. Ccl acte scnihte devoir (inncher la qiicslion,
restée toujours indécise, de rrpo<{iie où l'on doit placer la murt de Fier-à-Bras. Sa
date (mai de ta buitiètnc anuéc du l'èguc du roi lAoLcrl) currc^{)aad, suivant la nié-
tiiode de coniput ordiiiairi", à l'aDuôc <.>!,>.'>, c'esl-A-dire qu'elle csl [lustiVricure de deux
uutlc:ià celle «fue l'on allribue ordiiialrcnicnt uu décès du Conile de Poitou, llesïly, qui
a clé universellement suivi, la tixc au 'i février iji^S ; il se l'oiidait sur un texte Je
Raoul Glaber portant que le comte décéda en <)i)3 {liuonl (llnher, éd, F^rnu, p. ^i/,
et (|ui était corroboré par le passade de la chronique de i'icrre de Mailteziiis où
il est dit (Labbc> .\<>ua bibl. tnan,, II, p. 2^57) que Guillaume le Cirand mourut en
io3o après trente-sept ans de rèijfrie, ce qui ic()orte nalHrflleuierit son jnêneuveot à
l'unnce «jrjî. Or la charte de Saint-t'yprieo, dt»nl l'ori^înal existe aux Archives de la
V'icnue (Saial-CyprJeo uo ti> et qui est d'une aullicnticilù indiscutable, nous apprend
que Cniillaunie existait au mois de mai (jigri ; de plus, d'après ta chronique de Pierre
de Maillezais, Fïcr-à-fJraa vivait encore lors des enlrcprises du comte de la Marche
sur Poitiers; or connue ces faits ne se soûl ])assés tpi'aprcs In mort d'Eudes de lilois,
advenue en gyS, il eu résulte que celle du comte de Poitou est forcément postérieure
à cette date. Ou comprend l'crreiu- de Kuoul Gluber qui, ijçnorunt que le comle
de Poitou aurait vécu [«eudanl quelques années enseveli dons un cloilre, crut it sa
mort lorsqu'il lui c-onnulun successeur et ou s'explique Texacliludc de l'iudicaltutï du
chroniqueur de Maille/ais du moment qu'elle peut se rapporter à l'abdication de Fier-
à Liras et non à son décès. Nous no saurions dire quel est le lexle sur lequel Besly
s'est appuyé {Hist. des comtes, p. 4ll) pour fixer au 3 février le jour de la mort du
comte de Poitou, mais cette indication est inexacte, et ce qui le prouve, c'est que
le livre des anniversaires de l'abbaye de Saint-Maixent, consacré aux mois de février,
mars el avril, ne porte aucune mculioa à ctUe date du 3 février cl qu'il ne si^uule
d'autre décès de comte do Poitou que celui do Tète d'Eloupe, adveuu le 3 avril
A. Richard, Chartes de Satat-MuiJce.tl, II, p. 3iO).
■ 38
LES COMTES DE POITOU
don dans laquelle laissait sa ^mmr (I), le comie finit par suc-
comber à la fin de Tannée 99b ou dans le courant de l'anncSe 990
et mourut dans l'abbaye deSainl-Maixenl, où le lendemain de son
décès son corps titl mis en sépulture dans le latéral fjauche do
l'église (2).
FicT-à-Bras élail-il lettré? Nous ne saurions ralïirmer à défaut
de loute indication précise à ce sujet ; il n'est même pas sûr qu'il
sût écrire, car on ne peut lui attribuer aucune des signalures que
l'on renconlre dans les nombreux actes où il apparaît soit comme
auteur principal, soit en qualité de témoin, ïl y a lieu cependant
de signaler certains signes caractéristiques, tous autographes, qui
accompagnent sa signature sur certaines piî*ces et qui lémoignenl
d'im goûl pour le dessin ou à loul le moins pour l'écriture qui se
rencontre rarement cliez les contemporains du comte, lesquels
laissaient généralementaux scribes officiels le soin d'inscrire leur
nom au bas des actes. Celui du comte de Poitou se présente, à
diverses époques, précédé de signes qui afTeclent quatre formes
différentes : en 970, c'est une rose à huit pétales s'étalanl autour
d'un point central; en 974 et 975, c^est une croix» soit simple, soit
redoublée, placée dans une rose formée de quatre demi-cercles
alternant avec quatre pointes; en 985, les huit bras de la croix
redoublée se terminent par des points, chacun d'eux étant sur-
monté d'un demi-cercle; enfin, en 991, c'est unu' croix simple
dont les quatre extrémités sont barrées et entre chacun des qua-
tre bras se trouve un signe en forme de fiamme (3).
De tous les enfants, tant fils que filles, dont Fier-à-Bras a parlé
dans une charte de l'abbaye de Sainl-Jean-d'Angély, toutefois
sans désignation expresse, on n'en connaît que deux, l'aîné appelé
comme lui (îuillaume, qui lui succéda, et un second fils, désigné
sous le nom d'Eble, qui n'apparaît qu^une fois dans un acte du
temps du roi Hoberl (4).
(i) o Ob facious amÎBsa: uxoris. »
(a) Labbe, NovabibL man., II, p, 327, Pierre de Maillezais; Chron. (TAdémar,
p. «■^»0.
(3) Arch. d« la Vieime, où^., Sainl-Hilairc, n"» ii, 33, 37, /|i. Un de ces signes
se remarque d<>vuDl Ih siKD.iliire du Iréaorier Savari dans une charte de SainuHiJaire
(Arch. de lu \'ienDe, orig. , n*^ 4'î). '!"' *e place entre 988 cl 996.
(/l^lesly, Hisl, des comtes, preuves, p. 2O4; Carl. de Sainl-Jean-d'Ancjélyy
p. a3a; €arL de Sainl-Cyprien, p. a56.
TLLAUME LE GRAND
r39
X. — GUILLAUME LE GRAND
III" Comte — V*; Duc
Le fils de Guillaume Fior-ci-Bras a reçu de la poslérili'j le sur-
nom de Grand (1 1. Ce n'est pas à des vicinires si;^nal«''e8, à des
conquêtes qu'il est redevable de celle brillante qualificalion, il la
doit à ses niérites d'homme privé et public, à ses qualités d'ad-
minislraleur et d'homme politique, au rôle important que sa
sagesse et sa modéi-ation lui onl fait jouer au milieu d'une société
extrêmement troublée, où la salisfaclion immédiate et irréHérliie
des appélils de chacun tenait trop souvent lieu de règle de con-
duite.
Bien que nous fassions partir de l'année 993 la domination de
Guillaume le Grand sur le F'oitou, il est possible qu'il n'ait été
considéré par son père que comme pourvu d'une délégation spé-
ciale et qu'il ne fi'il en quebjue sorte que son lieul<'nant-t,'énérul,
le régent du comté pendant la retraite volontaire de Fii;r-à-Bras
à Sainl-Maixcnt ; le seul document à date ccriaine, racle de mai
995 (2), où on les rencontre ensemble, tendrait à faire croire
que telle pourrait avoir été la situation; en outre, In distinction
absolument anormale que font les rédacteurs des chartes entre
le père et le fiis, en donnant à Fier-fi-Bras la qualification de
vieux, senior, témoignent que le Poitou avait alors à sa tôle deux
personnes portant ce même nom de Guillaume, le jeune et le
vieux (3). En réalité, c'est Guillaume le jeune qui gouvernait et
c'est à lui que doivent élre attribués les actes qui correspondent
(i) Desly, dans son Histoire des comtes, p. 5i, donne à Guillaume III le surnom
de Fier-à-Bras, mais cette erreur est corrigé* dans son tableau chronolopiiiue dea
comtes, où il est appelé à juste litre Guillaume le Grand. Cette qualification ressort
de» termes mêmes du portrait qu'Adémara tracé de ce comte (p. iWj, où il le qualifie
de très t^loricux et très puissant, gloriosissimut et poientistimut,
(a) Voy. plus baut, page iSy.
(3) Gall. Christ. f II, iost., col. 4ii.
i4o
LES COMTES DE POITitU
h l'i^poqijo rlf sa prise do possession du pouvoir. Il n'ôlait du rpsle
pas seul à l'exercer, sa mère Emma, femme de 161e el d'énergie
comme il s'en est beaucoup rencontré h cette époque, le secon-
dait, el mellait à sa disposition la connaissance des affaires qu'elle
avait acquise pendant son long; séjour à Chinon.
Bien qu'elle eût, tant avec ses propres ressources que grâce
aux générosités de son mari, largement doté son monastère de
Bourgueii, elle ne se tenait pas pour satisfaite; conmie son do-
maine de Cliinon devait après sa mort faire retour à la Touraine,
elle pouvait craindre que les possesseurs de ce comté, arguant du
dôfaiil d'autorisalion de leur part, ne voulussent reprendre les
biens détachés du bénéfice comlal qui constituaient la dotation
principale du monastère. Klle se tourna donc vers son frère, el,
accompagnée de son cousin Josberl, Tabbé de Sainl-Julien de
Tours, elle se rendit, le 12 février 99o, auprès d'Kudes. qui assié-
geait alors le cbàleau de Langeais, possession du comte d'Anjou.
Le puissant frère de la comtesse de Poitou accueillit favorable-
ment leur demande et déclara, par un acte solennel dans lequel
comparurent les comtes el principaux personnages de son armée»
reconnaître la validité de la fondation de l'abbaye de lîourgueil
etdesdonations qui avaieul été faites aux religieuxqui habitaienl
le monastère (I). Mais Emma ne s'en tint pas là; Eudes étant
nnu'l peu après (2), elle s'adressa à sa belle-sœur IJertlie pour
que celle-ci, en qualité de douairière et au nom de ses enfants
mineurs, obtint des rois de France la confirmation de l'acte du
comie de Touraine. L'abbé Josbert servit encore d'intermédiaire
dans la circonstance, et il obtint sans peine le diplôme solli-
cité qui fut délivré à Paris dans le palais des rois, par les soins
du chancelier Roger, après le 4 juillet 995 (3); puis ce fut au tour
de Rerllie elle-même qui, sur la demande précise d'Emma,
inquiète de donnera son œuvre toutes les garanties possibles,
reconnut l'année suivante, se trouvant à Blois avec ses fils, l'a-
{i} Cari, de Bourpueil, p. 2r ; Besly, //isl. des comtes, preuves, p. 288. Cet
hislnrien critique à ton la date de 99L1 consigoée dans cet acte qui est exacie.
(2) Eiilre te 12 lévrier et le 4 juillet rj<j5 i^Pfisler, Etniies sur ie rè'jnt de Robert^
p. 48, noie a).
(;j) IJcsIy, Ifisl. des comtes, preuves, p. 277; Cart. de Hourgueil, p. 2/1 ; Arch,
d'Indrc-el-Loire, oritf., "• ^h-
GUILLAUME LE GRAND
t4t
handon que son mari avait fail du domaine do Bourgueil pour éta>
1*1 il- un monaslèrc (1).
La mort d'Kudes s'était produite dans des circonstances assez
pénibles. Depuis plusieurs années, il était en lutte avec son voisin
Foulques Ncrra,qui avait succédé à Grisegonelte dans le comté
d'Anjou; leurs domaines étaient absolument enchevêtrés, et tan-
dis que Foulques possédait en Touraine d'importants territoires,
entre autres Loches, Eudes dominait à Sauraur par un de ses
vassaux. Le comte d'Anjou, qui est resté le type le plus accentué
de ces féroces batailleurs du haut moyen-àge, avait pour objec-
tif de souder l'une à l'autre ses possessions el, pour ce faire, il
profilait des tUnicultés que l'auibition suscitait à Eudes; celui-ci,
après avoir eflicacement soutenu les rois Capétiens, se les était
aliénés en embrassant le parti de l'empereur (Itlon lll, tellement
que, dans la dernière cauipngne, Hugues Capet s'était avancé en
armes jusqu'à la Loire, pour favoriser les prétentions du comte
d'Anjou. Il ne s'était retiré que sur les instantes protestations de
fidélité du comte de Touraine, dont la situation restait toujours
très précaire (2).
Elle le fut bien plus après sa mort, advenue presque subite-
ment à Châteaudun; profilant du désarroi dans lequel se trouvait
la comtesse Berthe, restée veuve avec deux jeunes garçons.
Foulques résolut de frapper un grand coup. Toutefois, craignant
de ne pouvoir avec ses seules forces triompher des obstacles qu'il
prévoyait, il s'adressa à un turbulent seigneur, Audebert, comte
du Périgord et d'une partie de la Marche. Ce personnage était
fils de Boson le Vieux, comte de la .Marche; il avait été fait pri-
sonnier avec son frère llèlie à la suite de rallenlat de ce dernier
contre l'évéque Benoll, Bemis en liberté après son mariage avec
la fille de (iéraud^ vicomte de Limoges, son geôlier, il avait sans
doute, grâce à l'influence que ce dernier possédait auprès du duc
d'Aquitaine, olilenu de celui-ci le don du comté de Périgord,
resté sans maître depuis la mort d'Ilélie. En cette qualité,
il lit plusieurs fois le service de plaid auprès de Fier-à-Bras
(i) CNr(. lie Bourtnic)'. P- 33.
(a) Hicbcr, Histoire, I. IV, S 9^ " v4>
i4a
LES COMTES DE POITOU'
particulièremenl en 9î>i (1). Mais il 6tatt pourvu d'une ambition
extrême et celle-ci était aiguillonnée par une visée toute [>arti-
ciilière. Après la mort de la fille du comte de Limoges, il s'était
remarié avec Aumode, Adaimod'ts^ fille d'Adélaïde, comtesse de
Provence; cette jeune princesse qui, selon les dires d'un chroni-
queur, s'occupait d'œuvres de magie» avait prédit qu'elle serait
un jour comtesse de Poitiers; or, Audeberl, qui ne pensait pas
que sa femme put occuper cette situation autrement que si lui-
même était pourvu de celle de comte, était décidé à saisir avec
empressement toute occasion pouvant amener la réalisation de
ses rêves qui se présenterait à lui (2). 11 prôta donc facilement
l'oreille aux avances du comte d'Anjou dont il était du reste
le cousin-germain par alliance, Adélaïde, ta mère d'Aumode,
étant sœur de GeolTroi Grisegonellc, père de Foulques. Il ras-
sembla donc une troupe considérable et, sans se préoccuper de
son suzerain, le comte de Poitou, dont il devait traverser le terri-
toire pour rejoindre le comte d'Anjou, il se dirigea vers la Tou-
raine. Assurément, dans sa marche, il aurait pu éviter Poitiers,
mais les mobiles secrels qui dirigeaient ses actes le poussèrent
à tenter une entreprise qui, si elle eût réussi, aurait pu ouvrir à
son ambition les horizons les plus étendus. Arrivé à deux milles
de la capitale du Poitou, il s'arrêta pour attendre les contingenls
que lui amenait un de ses vassaux, Hugues de Gargilesse. Les
habitants de Poitiers, peu rassurés sur ses intentions et dédai-
gnant d'attendre les secours qui devaient leur être fournis,
attaquèrent son camp à l'improviste, mais ils furent repoussés
avec perte d'un grand nombre d'entre eux; de son côté, Audeberl
fil de nuit une lentativepour s'emparer delà ville, maisil ne réussit
pas (3). Il sentit que ses projets étaient éventés et il ne lui res-
(<) Voy. plus haut, page i3a. La BiluatioQ du comte de la Marchf par rapport au
comte de Poitou est nettement caractérisée par Pierre de Maillezais, qui dit expres-
sément que c'est grâce au doa et aux secours eu arg^eut et en hommes de ce
dernier prince qu'il avait été pourvu de soa comté : « Cujus dono, ope cl auxilio ad
comilalum provectus erat » {Labbe, Nova fnbl. mon,, II, p. 217). Toutefois, nous
devons faire remarquer que, dans ce texte, il est qtieslioa de Boson, qui, comme nous
ie diflODS plus loin, a été coofoodu par le moine de iMaillezaiii avec sou frère Audeberl.
(a) Labbe, A'ot'a bibt. man.. Il, p, 238, Pierre de Mailleiais.
flî) Chron. (T Adémar, p. j56; De Certain, ,\firacles de saint Benott, p, if^'j',
Labbe, Nova hibi. man., Il, p. ua8, Pierre de Maillezais.
GUILLAUME LE GRAND
•43
tail qu'à poursuivre sa roule, ce qu'il fil. Sans attendre Foulques,
qui devail aussi venir le rejoindre sous les murs de Poitiers, il
pénétra en Touraine et s'empara de Tours par surprise. La veuve
d'Eudes, la comtesse Berllie, ne se trouvait pas dans cette ville ;
peut-être élail-elle déjà à Paris, car ce moment concorde
avec celui où elle se mit, elle et ses fils Thibaud et Eudes, sous
la protection spéciale de Robert, le fils du roi de France ; tou-
jours est-il qu'Hugues Capet, prenant fait et cause pour les jeunes
comtes de Touraine. intima au comte de Péri^ord l'ordre d'avoir
à cesser ses entreprises sur leurs domaines ; c'est à cette occa-
sion qu'il lui fit poser cette question célèbre: «Qui l'a fait comte? »
à quoi Audeberl répondit hardiment : « Qui l'a fait roi? u (t).
Toutefois, le roi de France, occupé par ailleurs, ne prit pas
dès ce moment l'olTensive contre le comte de Périgord qui, après
avoir remis sa conquête entre les mains du comte d'Anjou, re>
tourna dans ses états, mais le fruit de sa victoire ne tarda pas à
être perdu, car Foul<{ues n'ayant pas tardé, par ses actes de
violence, à indisposer les habitants de Tours, ceux-ci, sous la
direction de leur vicomte, surent, par une ruse habile, se débar-
rasser des Angevins et remirent leur ville entre les mai ns de Berthe
et de son fils Eudes (2).
Sur ces entrefaites, Fier-à-Bras vint à mourir. Aussitôt après
ses obsèques^ son fils convoqua à Poitiers les hommes nobles et
puissants du comté afin d'aviser aux moyens de tirer vengeance
de l'affront que les vassaux du duc défunt lui avaient fait su-
bir, et de ramener la concorde parmi les éléments divisés du
pays ; l'assemblée se montra favorable aux idées exprimées
par le nouveau comte et affirma par serment sa fidélité envers
lui (3). Désormais rassuré surlasolidité de son pouvoir, Guillaume
n'hésita pas à engager la lutte contre les comtes de la Marche ;
Audebert n'était pas, en effet, son seul adversaire. Si celui-ci,
(i) Chron. d'Adémar, p. i56. M. Pfister {Eludes sar le règne de fiobert, p. a85,
aole 4) révo({ue en doute la phrase célèbre que l'interpolateur dWdëmnr a cuasii^èe
en cpl endroic. Rico n'autorise à faire celle supposition; les propos prèles au cc»nite
aussi bien qu'au roi étaient absolument dnns l'esprit du temps et ce que l'on connaît
du caractère d'Audcbert rend cette arrogance de sa pari parroitement adiuissible.
(a) Chron. d'Adémar, p. i56; Salmoo, Chrnn. de Toaraine, p. ai6.
(3) Labbe, Nova bibl. mon., II, p. 227, Pierre de Maillezais.
i44
LES COMTES DE POITOU
oublianl qu'il ne possédait son comté de Périgord.que grâce au don
el à Tassislance mililaire du comte de Poitou, avait levé publi-
quement i'élendard de la révolte et dévoilé par là ses visées
ambitieuses, Boson, son frère, qui possédai! l'autre parlie de la
Marche, avait par de sourdes menées cherché à détacher du comte
ses principaux vassaux et prêtait à Aiideberl nn vigoureux appui.
Ce dernier s'était tout d'abord emparé du château de fiençais,
un des importants domaines du comte de Poitou, la citadelle
avec taquelle il menaçait Charroux, la capitale do la Marche,
située seulement à six lieues de distance et qu'il avait démantelé.
Guillaume commença sa campagnepar remettre la main sur Gen-
cais et, après l'avoir de nouveau forlifié, il y plaça une forte gar-
nison. Audebert, sentant toute l'importance de celle place, revint
l'attaquer aussitôt que le comte de Poitou se fut éloigné et en
peu de lemps mit ses défenseurs aux abois. Ils étaient sur le
point de se rendre quand une imprudence d'Audeberl les sauva :
un jour que le comte de la iMarche, se considérant déjà comme
matlrc du château, en faisait le lour sans être recouvert par son
armure, une flèche, lancée par les assiégés, vinl l'atteindre el le
blessa morlellemenL Transporté à Charroux, il y succomba quel-
ques jours après et fut enterré dans le monastère (1).
Sa femme Aumode t'avait accompagné el se tenait dans le
château de Rochemeaux, la citadelle de Charroux (2). Le comte
de Poitou, qui avait élé chercher de l'aide auprès du comte
d'Angouléme, s'avançait en ce moment avec lui au secours de
Gençais ; profilant delà circonstance heureuse qui l'avait délivré
d*Audebert, il mil aussilùt le siège devanl le château de Roche-
meaux, que la veuve du comte de Périgord n'avait encore pu
quitter ; Boson tenta avec une troupe d'élite de l'aire une trouée
parmi les assaillants, mais ilfutrepoussé (3). Rochemeaux fut pris
(i) Chron. (TAdémar, p. t56.
(2) Le c!iâteau-fort tfe Rochemeaux, qui fut délruit pcoilanl tes guerres des An-
g^laisj élail situé A mille métrés switemenl de l'enceiule de Charroux.
(3) L'appeudicc à la clironiquc d'Adémar (éd. tlliavanon, p, aoS) rapporte «juc
BfiBoti fut fait prisonnier duos sa tenlalive [lonr faire U'vpr le sii'ije de Hnchcme-aux,
el emuienc à Poiliers; ce rdcil nous paraîi controuvé, ainsi qu'il rcssnrl des fait» de
guerre qui suivent et où l'on voit Gtiillanme contraint de faire appel au roi de France
jHxir venir h lioitl rie son vassal révolté. Du reste, ret appendice, ainsi que l'a njni,'is-
lialeiucul démontré M, Lcupold L>elisle [iVottce sur les ;nanascrits originntijc d'Acié-
GUILLAUME LE GRAND
i45
de vive force et Aumode louibaenlrelesmainsdes vainqueurs {!}.
tîurllaume prolégva la veuve de son ennemi contre les entreprises
de ses gens el se la fil livrer ; celle dernière, peu soucieuse de con-
server la fidélilé qu'elle devait à la mémoire de son mari, essaya
de séduire le jeune comle, mais celui-ci résista à ses avances et,
la confiant à des chevaliers dévoués, il la renvoya à sa mère (2).
Malgré ces événements heureux pour la cause de Guillaume,
la guerre n'était pas terminée. Boson étail, aussi bien que son
frère, un guerrier redoulable et pour le dompter le comle de
Poitou fil appel au roi de France, à Robert qui, aussilôl aprîjs
la mort d'ilujïuos Capet, avait épousé r>erlhe, la veuve du comle
Eudes, et par ce fait se trouvait amené à prendre une part di-
recte dans les affaires de l'Aquitaine (3). Robert vinl rejoindre
Guillaume à la lôle d'une brillante Iroupe el de concert ils furent
attaquer DeiUic, forleresse que Boson le Vieux, père d'Audeberl et
de Boson le jeune, avait édifiée dans une position formidable et
dont ilavail fait la capitale de son petit étal à la place de Cliurroux
qui élail par trop exposé. L'entreprise des confédérés fut vaine;
Bellac, vaillamment défendu par un guerrier nommé Albert de
Droux, résista à tousles assauts (4). Bobert, rappelé en France, dut
se retirer ; resléseul, Guillaume, voyant l'inutilité de ses efforts,
jugea plus opportun de s'entendre avec Boson plutôt que de con-
tinuer une lulle désastreuse pour l'un el pour l'aulre et mil en
œuvre pour la première fois cette diplomatie^ que certain de ses
contemporains, plus guerrier que politique, a qualifiée de ruse,
el qui lui assura par la suite de nombreux succès. Audebert avait
mar de Chabannes, pp. ga et ss.) est une ppcmièrc rédaclioD d'Adémar de Chabao-
ncs, qu'il a corrigée dans les rcmonicmcnls poslcrieurs de sa citronique. C'est ainsi
quc.daus le luéiiic paragraphe, il allribue la fonJalioa du Bourgueil à Adèle de Nor-
mandie, dont il fait la nièrc de Guillaume le Grand,
(i) Chron. d'Adémar, p. i65.
(2) Labbc, Nova bibl. man., \\, p. 228, Pierre de Maillozais.
(3) Non seulcmeDl Robert était, de par sa mère, cousia du comle de Poiilcrs, mais
par son mariage avec la veuve de l'oncle de ce dernier, il était considéré comme ayant
la même qualité que celui-ci, ninsi qu'il est constaté par le passo^çc de Aiclier (noies
de la tin de son Hisluire) où il l'ait allusion au 8ic<;e de Kochcmcaux.
('\) Chrun. d'Adémar, pp. i50 el 167. Ucsiy, frappé par le surnom que portiit le
défenseur de Bellac, .4 660 Drulun, s'injtçcnia à en découvrir la signification ; il trouva
qu'en allemand, eu lau^ag;c Thiuis, comme il dit, le mot Drul avait le sens d'ami
fidèle el loyal (//(£/. (/cf comtes, [\. (yo); nans cLcrchcr aussi loin nous raltacbona
simplement ce nom à celui d'une localité du pays, Droux, voisine de Bellac, dont
AbboQ étitit ou devint le possesseur.
LKS COMTKS HK l'OlTOi:
laissé, de son premier marinj^c avcr la fille (îu comle de Limcj^es,
dâ
un Iiis nomme uernaru el c esl a ce jeune homme qu aurait
revenir Fun des comlés de la Marche eL celui de Périgord ; mais
Boson 6lail ambitieux el nYMail pas ftèné par les scrupules. 11 mil
m main sur les deux comtés, soit de sa propre initiative, soil à
la suggestion de Guillaume, et ce dernîerj agissant en quali(6 de
suzerain, confirma l'usurpation. Au surplus, la paix était faite à la
fin de cette année 997, car Ton voit à cette date Doson s'intituler
seul comte de la Marche dans l'acte par lequel il mit l'abbaye
d'Abun dans la dépendance do celle d'Uzerche (I), el faire depuis
ce jour son service régulier de plaid auprès du duc d'Aqui-
taine (2).
Guillaume avait du reste en ce momenl des motifs particuliers
pour se tenir en paix avec ses voisins ou ses vassaux ; il songeait
à se marier. Les charmes de la comtesse de Périgord avaient,
si peu qu'avait durésacaplivité, fîiil impression surlcjeunc comte
el, quand il eut assuré la tranquillité de ses étals, il lit demander
Aumode en mariage. Celle-ci s'élait alors retirée auprès de sa
mère, la comtesse de Provence, qui n'eut garde de refuser un si
brillant parti, et c'est ainsi que l'horoscope que la femme d'Au-
deberl avait tiré pour ellc-môme s'accomplit point par point,
mais avec un antre mari que celui qui s'élait cru un instant des-
tiné à le réaliser. On ne saurait dire si l'exemple de Hoberl, qui
avait épousé l'année précédente Berlhe, la veuve du comle de
Touraine, la tante par alliance de Guillaume, iullua sur les déci-
sions de ce dernier, mais n'est-il pas intéressant de signaler ce
fait, que les deux [trinces les plus puissants de la France, jeunes
encore, de mœurs austères, d'une grande piélé, s'allièrent l'un
et l'autre à des veuves plus âgées qu'eux. L'union qu'allait con-
tracter Guillaume pouvait avoir des conséquences politiques
importantes, aussi l'on conçoit que la comtesse Emma, qui paraît
avoir conservé toute sa vie sur son fils une grande autorité, ail
(j) Gdllia C/ifisl., II, iastr ,coI. 190. Ccl .iclc cou lient aussi la preuve qu'Aude-
berl clnîl rnorl à celle dote, car, parmi les uWi^^.ilions (jue liosou imposa aux rt'lif;;icux
d'U/.erclie ca écliang'e de la fuveur «ju'il k'uraccorJail, on relève celle de prier pour
Tâme de son ffêre Audd>crl, fldi-berti fvalris.
(2) Oo retrouve Boson à la cour du comle vn ioo3 {Cari, de Saint-Cypricn,
pp. 3io-3j 1).
GUILLAUME LK GRAND
1^7
\§fii e]lo-nii>mc les démarches pour mener celle enlrcprise à
bonne fin. Lorsque lesi^ensde ('«uillaiimo ramenèrent Anmode à
sa mère, celle-ci, «[iii passail, comme sn lltle, pour nécronifin-
cienne, avail prédil quVn reconnaissance du service que le comle
de Poilou venail de lui rendre elle ferait étendre ses élals jus-
qu'au Rhône ; Emma lui fil rappeler celle promesse en chargeant
ses envoyés de nombreux présents (I], L'accord fut conclu : Au-
mode devint comtesse de Poilou el duchesse d'Aquitaine (2), et,
quelqu'incroyablc que la chose paraisse de prime abord, la
comtesse de Provence tint sa parole ; quelques mots sur sa per-
sonne permellronl d'éclaircir ce myslère.
Adélaïde, plus connue sous le surnom de lilanciic, Candula^
élail fille de Foulques le Bon, comte d'Anjou. Elle épousa en
premières noces Etienne, coralc de Gévaudan, dont elle eut plu-
sieurs fils, enlre autres Pons, qui succéda à son p^re, et une fille,
Aumode (:}). ir^on mari étant morl^ elle fui recherchée en mariage
par le jeune Louis, fils du roi Lolhairc. Leur union fut célébrée
au Vieux-Iirioude en 980 et Adélaïde y fut couronnée reine d'A-
quilaîne ; mais l'accord cnlrc les deux époux fut de peu de durée,
et, moins de deux ans après, Lolhairc venait chercher son fils.
Adélaïde, « qui ne pouvait se résoudre à rester veuve, » se ren-
dit aussitôt auprès de Guillaume d'Arles, comte de Provence, el,
ayant lait rompre plus ou moins canoniquemonl son union avec le
mari qui venail do la quitter, épousa son protecteur (i). Il esl
probable que, lors du mariage d'Aumodc avec Audebert de la
Marche, la jeune comtesse ne reçut en dut que de riches vêle-
ments el des bijoux, selon l'usage général du temps, mais son
union avec (juillaume avait un caractère politique qui comporlaît
d'autres erremctils ; Emma ne se serait pas contentée de donner
(i) Lalibe, Nova bihl. mun., If, p. 228, Pierre Je Maillezais.
(a) Chron. iTAdérnar, p. i5G. L'union d'AunioJc el de Guillaume fut sans doule
coulractéc à la fin do l'aonéc ggy ou au commencement de 998. Le duc n'était pas
encore marié au mois d'octobre 997, car on le trouve srs^nanl seul à cette date uue
cborlc de Saint*IIiIaire de Poitiers (Rédct, Doc. pour Saint-Hilnire, I, p. 70).
[31 Pierre de Maillezais est le seul bistoricn ancien qui dise qu'Aiimode est la Hlle
de Candida (Labbc, Xooa bibl. man., 11, p. 228), mais il n'y a pas lieu de douter que
celte princesse ne soit la même personne qu'Adélaïde, la femme d'iviienne Je Gévau-
dan, qui, selon l'usage du temps, était connue aussi bien par son nom que par son
sarooni .
14) Richcr, //(■«/., I. Ilf, 95.
i48
LES COMTES DE POITOU
une fcmmo k son fils, cUp voulait accroître sa siluation. C'osl le
même raolif qui avait, dans le temps poussé Lotliairc à faire con-
tracter le mariage de son fils Louis avec AdtHaïdc, malgré la dif-
férence d'humeur cl de goûts entre lesdcux époux. 11 n'avait eu en
vue que de rattacher à la couronne les importantes possessions
du comte de Gôvaudan qui lui ouvraient une porte sur le midi.
En ciïet, celles-ci comprenaient, outre le comté de Gévaudan
propromenl dit, une parlic de l'Auvergne avec Brioude comme
capitale et le pays de Forez; de plus, ce comte étendait sa domi-
nalion sur une parlie du Velay (1), dont le surplus avait accepté
la suzeraineté de l'évoque du i*uy. Le comte Etienne, n'ayant
laissé que des enfants mineurs, le mari de sa veuve devenait jus-
qu'à leur majorilù le véritahie maître de ces vastes domaines.
Tel était le calcul qu'avait lait Lolhaire el que l'incapacité de son
fils ne permit pas de réaliser. Le roi de France avait déjà un pied
dans le pays, car lorsqu'il avait rendu à Tôle d'Eloupe le litre de
duc d'Aquitaine avec la suprématie qui s'attacha il à cette dignité
sur l'Auvergne el le Velay, il avait eu soin de maintenir son droit
dans le choix des évoques de Puy, mais Adélaïde avait su faire
tourner cette prérogative à l'avantage des siens en faisant pour-
voir de l'évêché du Puy successivement son frère Guy d'Anjou,
ancien abbé de Cormery et de Saint- Aubin d'Angers, puis Dreux
d'Anjou el enfin Etienne, de la maison même des comtes de
Gôvaudan (2). L'inlluencc d'Adélaïde se fil enfin sentir sur son
fils Pons, el elle l'amena, lors du mariage d'Aumode, à reconnaî-
tre la suzeraineté du duc d'Aquitaine sur toutes ses possessions,
en étendant à celles-ci en général ce qui n'était réellement spécial
qu'au Velay; par la suite, on voit en elTel le comte de Gévaudan
se soumettre aux exigences que comportait sa vassalité el faire le
service de plaid à la cour du duc d'Aquitaine (3). Or, bien que le
Forez, possession de Pons, fût réellement dans la mouvance du
duc de Bourgogne, on pouvait dire, sans exagération aucune, que
le pays soumis à la domination du duc d'Aquitaine s'étendait de
(i) Voy. Pfisler, Etudes sur le rèffne Je Robert^ pp. 280-281.
(2) GiiUia Christ., II, col. G^jS-Ogy.
(iJ) La présence de Pons aux plaids ducomlc Je Poitou e3t aîgnalcc en ioo3 et vers
lui a (C'ff. lie S'iint-Cijprierifpp. 3io-3ii cl i()5).
GUlLLiVUMG LK GIlAND
"iu
l'Océan au iUiône, conforméuienL ù la prùdicUoii de la comlesse
de Provence.
L'union de Guillaume avec Aumode lui gagna aussi ramilié de
Foulques Narra, le comte d'Anjou. Celui-ci, lors de ravènemenl
du comLo de l'oilou, lui avait lômoignô de riiosliliié en s'alliant
avec le comle de Périgord, mais après que sa cousine fut deve-
nue duchesse d'Aquitaine, ses sentimenls changèrent. Du reste,
Guillaume ne négligea rien pour allirer ti lui son redoutable voi-
sin. II lui confirma la possession de Loudun et de Mirebeau, que
Fier-ù-Bras avait précédemment donnés en bénélice à GeollVoy
Grisegonelle el où le comle d'Anjou fit élever d'importantes for-
teresses (1), puis plus tard il lui abandonna au même litre
Saintes el plusieurs châteaux en Saiiilonge (2).
Ses générosités no s'arrêtèrent sans doute pas là ; d'autres faits
permettent de soupçonner qu'elles furent bien plus étendues, aussi
Foulques ne trahil-iljamais la foi qu'il avait donnée à son suzerain,
le comle de I*oitou. Il faisait régulièrement auprès de lui le ser-
vice de plaid (3) et on le voit même se charger pour lui de négo-
ciations délicates, agissant^ disait-il lui-même, au nom de son maî-
tre (4). Il est vrai qu'en retour Guillaume garda la neutralité la
plusabsoluedatis les querelles qui surgissaient constamment entre
Foulques et Eudes de Champagne, comle de Tours et de lîlois,
son autre cousin, le fils de Oerlhe, Néanmoins il ne cessa de vivre
(i) La coDslruetioii du chûlenu de Mirebrau se place eolre 1002 el lOuG, ainsi qu'il
rêsuUc d'un acle du roi Robcrl de celle dalc, qui coatinnait la promesse faiîe [jar
Foulques Nerra aux religieux de Cormery que les cbi\le<iu\ de MonJbazon el de Mire-
beau, cdiliéa par lui, no porleiuicol aucuu préjudice aux biens de l'abbaye (Cart. de
Connenj, p. 62; Plistcr, Etudes sur le rr<jue île Habert, p. lxviii).
(a) C/iro/i. d Aflèinar, p. i(>4. Le texle du chroniqueur esl formel el 8*ac«ordc avec
les cuscigneuieuls fuuruis par les cliurlca. Fouliiuc^, pas plus que ses bériticrs, ne
fut |)ourvu du cuinté de Saiuloujçe ; la ville de Saiutcs et *iuflqucs places furies,
Saittanas cum qnibiisdatn casttillis, lui furcal concédées par iîuilitiurne le (irand,
ainsi que l'a 1res bien reconau iM. Faye dans son élude iniilulcc : De la d<i/ftî/iatioit
des comtes d'Anjou sur la Sainion(je, où il fail juslicc des erreurs accumulées par
les aacienshisloricQsde l'Anjou pour rehausser rimportaacc de leurs comtes. .\ux lénioi-
goages que cet écrîvuiu a fournis nous eu ajouterous uu nouveau qu'il n'a pas connu
el qui apporte la preuve que les couiles de Poitou avaient non seulement conservé
leurs droits de suzeraineté sur la Saintoa^c, mais aussi des domaines considérables
dans cti pays : c'est la concession faite en io/|0 à la Trinité de VcadOnic par h co;ulc
Uuillaumo le Gros dont il sera parlé en son lieu.
(;j) Voy. cbarlcs de 1002, ioo3, 1019, ioa3(Bruel, Cartiil. deClnny, 111, pp. 789-
74»; Ucsiy, Ilist. des comtes, preuves, pp. 807 et 354).
(4) Mignc, Pati'oloijie lai,, CXLI, col. gSU, ilobcrli régis epislolee.
i.io LES œMTES DE POITOU
en bonslermes avec ce dernier, môme son fimilié pour lui ne paraît
pas sY'lre jamais démenlie ; ainsi, en i027, lorsque le roi Hobeii
fit flssocier son fi[s ii la couronne, liuillaiime écrivit àFulberl de
Charlres : « Pour le choix d'un roi, je suis de l'avis de mon frAre
le comte Eudes. Soyez persuadé que celui qu'il élira, moi je le
choisirai aussi (1) » , Pour aider à rinlelligenco de ces paroles,
il ne faut pas oublier que (iuillaume fut élevé en Touraine, en
pariie par les soins de son oncle Eudes P',et qu'outre les lions
d 'alTeclion que celle vie commune avait fait naîlrc il considérait
comme un devoir de reporter sur le fils la reconnaissance qu'il
devait au père .
AyanI ainsi assuré par d'habiles concessions cl par une recli-
tude de conduite absolue la tranquillité de sa frontière du nord,
Guillaume se préoccupa de proléger la fronliére du sud de ses
étals palrimoniauv conlre louto agression, 11 ne pouvait guère
compter sur les lurbulenls comtes de la Marctie ou vicomtes de
Limoges, mais plus à l'ouest il rencontra dans Guillaume Taillc-
fcr 11, comte d'Angouléme, l'allié fidèle qu'il désirait. Guillaume
Taillefor avait succédé à son père Arnaud iMan/er, lequel s'était
relire dans l'abbaye de Sainl-.Viiiand de Boixe pour y finir ses
jours et ce à peu près au temps où le comte de Poitou remplaçait
son père Fier-à-Bras. Presque aussitôt il était venu en aide à
son suzerain dans sa lutte conlre Audcberl cl Boson, et de ce
moment les deux comtes se lièrent d'une étroite amitié qui per-
sista louto leur vie. Dans tous les actes importants du gouver-
iicraent du duc d'Aquilainc, on voit apparaître un homme de
bon conseil, le comte d'Angouléme, aussi Adémar de Chabannes
a-l-il pu dire que ces deux a personnages avaient l'un pour l'au-
tre une telle affection qu'ils ne possédaient pour ainsi dire qu'une
seule ûme »> (2).
Un accroissement considérable de puissance fut pour le comte
d'Angouléme le bénéfice immédiat de celle situation particulière.
Guillaume ne se déparlil pas à son égard de cette prodigalité dont
profilaient largement tous ceux qui lui rendaient service, bien au
contraire. Il lui fit don successivement des vicomtes de Mette, d'Au-
(i) Mi^^iie, Patrolojie lai., CXL!, col. 83i, Guillclmi duels cpistolœ.
(a) Chron, d' Adémar, p. i6j.
GL1LU\L'MK LS GRAND 191
nayeldeRocbecliouarlfdes seigneuries de Chabanais, de Coofulon^
el de liurTec, de la tiilc de Blaye,de domaines en Aunis el d'autres
biens encore (1). En outre, afin de rapprocher l'un de l'aulre ses
deux plus puissants obligés el de s\issurer un moyen d'aclion de
plus sur le comte d'Anjou dont la fidélité ne lui était pas autant
assurée que celle du comte d'Angouléme,il amena Foulques N'erra
ù donner sa sccur Girberge en mariage ;\ Guillaume Taillefer il.
Le comte de Poitou mit aussi à couvert sa rronliëre de l'est par
de semblables pratiques; là dominait Eudes de Déols, personnage
très batailleur, qui avait notablement arrondi ses domaines au
détriment de ses voisins, el possédait la partie du Uerry s'étendanl
du Cher à la Garlempe et à l'Anglin. Il avait enlevé CiiÂteauneuf
au vicomte de Bourges et Argenlon au vicomte Guy de Limoges,
elne redoutait pas non plus des'ullaquer au roi de France ; bien
que celui-ci eût sous sa protection directe l'abbaye de Massai en
Berry, Eudes, afin de pouvoir mellre la main sur le monastère el
diriger ses destinées, avait conslruil,en 102G,un cbâteau-rorl en
ce lieu, lloberl, appelé par les moines, accourut avec une armée,
mais c'est en vain qu'il fil le siège du cliAleau el il dul se roli-
rer (3). Tel esl l'homme que le comte serallacba par ses bienfaits
et par la concession de certains domaines qui le mellaienl en quel-
que sorte dans sa vassalité. Aussi Eudi^s se monlra-l-il désormais
très dévoué à sa personne, tellement qu'lléribert, engageant Ful-
bert de Chartres, l'ami do Guillaume, à passer par le Berry pour
venir en Poitou, put lui dire que la fidélité d'Eudes envers son
seigneur serait pour lui le gage d'une sauvegarde absolue (i).
(i) Bien qu'à l'époque qui nou3 occupe Adémar de Cliohann» ail cic conlemporaia
des rvénemcDis qu'il raconte dans sa cltroniquc^ on oc saurait accorder à ses dires la
rigueur absolue )|u'ila dcvraieol coiiiporlcr au sujet des accroisscmenls territoriaux
qu'aurait reçus le comte d Aogoulérne. La vicomié d'Aunay, par exemple, n'entra
jamais dans son domaine particulier. ChAloo III, vicomte d'Aur.ay, succéda à son
père Châlon II vers l'an looj et était encore en possession de la vicomte en io3o; dans
ce long intervalle de temps, il n'y a aucune place pour riuillnume Taillefer. Pour con-
cilier CCS faits certains avec le récit d'Adcmar, on peut admet! re que Guillaume le
Grand ait dclaciic, à un moment donné, Aunay de sa mouvance directe et Tait placé
sous la suzeraineté du comte d'Angouléme, Tnit qui aurait aussi pu se produire pour
certains autres (grands ficfs compris dans réaumcrotiun d Adcmar.
(a) Chron. JAtlèmiir, p. i03.
(3) LhIiIm;, Nova bilA. mm.. M, 787, Chron. de Vierzon; Chron, d'Adémar,
p. «37-
(4) Atipoe, Patrologie lai., CXLI, col. 27a, S. Fulberli cpiscopî episloJtt?.
i5a
LES COMTES DE POITOU
Ayant ainsi assuré la sécurité de son domaine palrimonial, le
Poilou, base de sa puissance, et s'étanl munagô par ce fait loute
liberté d'action, Guillaume put uiellre k exécution les projets
qii*il méditait. Sa grande ambition, le but qu'il a toujours pour-
suivi, fut d'être véritablement duc d'Aquitaine, de jouir de toutes
les prérogatives que ce titre pouvait comporter, de lui donner on
un mot le corps qui lui manquait alors. Les limites de l'Aqui-
taine étaient indécises, aussi bien que la nature du territoire qui
portait ce nom; tout d'abord c'avait élé un royaume habité par un
peuple distinct des Francs qui l'avaient conquis, puis il avait été mis
au rang de simple duché, c'est-à-dire réduit à n'être phis qu'une
simple division de lamonarcliie lranqae;de là un double caractî?re
qui prenait, suivant les cas, plus ou moins d'importance selon la va-
leur personnelle ou les tendances des liommes qui se trouvaient à
la tèle de ce pouvoir ; en général, ils se considéraient plus comme
les chefs d'unpeuple que comme les dominateurs d'une région dé-
terminée, et il y avait au sud du royaume les ducs des Aquitains,
tout comme au nord les ducs des Francs. Cette ambiguïté entre-
tenait l'orgueil et l'ambition de tous ceux qui poilaienl ce titre,
mais, malgré lous leurs efforts, ils ne parvenaient pas à elTacer
le stigmate du primitif caractère des ducs vis-à-vis de la royauté.
Les ducs avaient été tout d'abord des chefs militaires qui grou-
paient, en cas de nécessité, sous leur autorité, les contingents qui
leur étaient fournis par plusieurs comtes. De temporaires, ces
fonctions étaient devenues peu h peu permanentes, mais les rois
carlovingiens n'avaient cessé déconsidérer leurs titulaires comme
des agents à leur discrétion et l'histoire du duché d'Aquitaine
pendant un sii-clo, passantsuccessivcmeni de la maison d'Auvergne
à celles de Poilou et de Toulouse, pour revenir enfin à la famille
des comtes de Poilou, fournit la preuve des efforts conslantsdes
rois de Franco pour faire prévaloir cette doctrine. Il leur 'était
en effet bien plus facile de disposer d'un duché que d'un comté ;
le duché ne répondait pas d'abord à une division IcrriLoriale,
devenue, par la suite des temps, patrimoniale, il n'était qu'une
réunion de coralés mis sous l'aulorilé d'un chef, sans qu'il y eût
un territoire spécial sur lequt.d ce chef, le duc, put exercer un
pouvoir direct, administratif ou judiciaire. Le duc était en môme
GUILLAUME LL GRAND
i53
temps un comie, possesseur parfois de plusieurs comlés dans
lesquels il élail arrivé à joitir de tous les droits régaliens ; il
sembla naturel à un esprit ouvert comme Guillaume le Grand,
que dans son duché il no pouvait posséder une moindre aulorilé
que dans son comté et, h défaut de territoire, ce fut sur les per-
sonnes qu'il chercha à l'exercer, c'est-à-dire sur les comtes et
les grands dignitaires ecclésiastiques à l'égard desquels il su-
brogea complèlcmonl sa personne à celle du roi.
Donc, à un momentj considérant l'Aquitaine comme une cir-
conscription géographique telle qu'elle avait été dans les temps
anciens^ il lui arriva de laisser de ctMé la formule qui se trouvait
en lôtc de ses actes et de ceux de ses prédécesseurs, de « duc
des Aquitains » et de la remplacer parcelle autrement expressive
de « duc d'Aquitaine » (i).
Si, à rencontre de ses devanciers, il avait succédé sans difïi-
cullé aux honneurs de son père, c'est qu'une grande révolution
s'était accomplie. Les ducs de France, qui avaient été les pre-
miers champions de l'hérédité des bénéfices, ne pouvaient, en
montant sur le trône, faire prévaloir une autre doctrine que celle
qu'ils avaient toujours pratiquée cl à laquelle ils devaient d'être
arrivés au sommet de la hiérarchie sociale; ils ne l'essayèrent
môme pas, ou du moins, s'ils le tcnlèrent,'le mol d'Audeberl, si
vrai que l'on doit croire qu'il a été prononcé, les rappela brus-
quement à la réalité. Comme ducs de France, ils pouvaient agir
suivant des règles que l'usage ancien consacrait; comme rois on
ne leur reconnaissait que le droit de succéder au titre, mais non
aux prérogatives autoritaires des Carlovingicns, qui semblaient
enfouies dans la tombe avec eux.
Guillaume était donc duc d'Aquitaine, c'est-à-dire qu'il jouis-
sait d'un droit de suzeraineté sur tous les territoires formant la
partie centrale du royaume de France et comprenant le Poitou,
la Saintodge, rAngoumois, le Périgord, le Limousin, le Bas-
Uerry, la Haute et Dasse Auvergne, le Velay et le Gévaudau (2).
(i) M Cornes Piclavensium et dux Aequiianiae » (Arch. de la Vienne, ori g., chap.
cathedra!, a* i, vers losô); « Piclavurutn eûmes et dux Aquitauife » (A. Richard ^
Chartes de Sainl-Maixent, I, p. 99, cnlrc 1011 et Jûa3)
(a) Voy. Appbnoice IV.
i54
LES COMTES DB POItOU
11 y a liou da remarquer que. dans les actes iiilérossaiil le l^oi-
loti, Guillaume se fuil plus parliculièremcnl inliluler comle des
Poilevins, cornes Pktavonim, mais dans ceux émanés de chan-
celleries sises en dehors du lerriloii-e soumis direclcmenl à son
aulorilô, il esl le duc et le prince dos Aquitains (I); ce lîlre se
renconlre aussi dans les charles poilevines et même l'une d'elles,
en 1010, indique par la qualiftcalion qu'elle donne au comte de
(1 dominateur de tuule rAquila(ne»>,/o/i;/.¥ /m«c Ipm/torlv A'/ttiffinias
fuonarr/it/.f, que le but poursuivi par fluillaume était atteint sans
conteste, qu'il était en quelque sorte un roi auquel il ne manquait
que le litre (2). La prééminence du comle de Poitou sur TAqni-
laine était telle que l'on voit les moines de Cluny donner par
analogie à Tévêque de Poilicrs, Iscmljcrl, le litre d'évêque des
Aquitains 3).
11 esl toutefois un point qui distingua plus particulièrement Guil-
laume des princes vérilablcnicnl souverains, c'est qu'il ne fil jamais
frapper de monnaie à son nom. 11 tenait de ses ancêtres le droit
de monnayage, il en usait, mais il ne s'aiïranchit pas de celle
tradition qu'ils lui avaient aussi léguée, qui consislail à employer
un type uniforme, cara«-lérislique de la monnaie poitevine, laquelle
portait d'un cùté le nom du roi Chartes et de l'autre celui de
râtelier de Melle. Lues comles de Poitou se sont si peu préoccu-
pés de particulariser leur monnayage qu'il est à peu près impos-
sible de déterminer à quel personnage appartiennent ces pièces
si nombreuses, que Ton rencontre avec les légendes plus ou moins
déformées de carlvs rex fr au droit cl de Metalo au revers (4).
Dans les pi'olocoles des actes les formules de sublimité ont dis-
paru avec l'élolgnement du régime carlovingien, mais, comme
son père, Guillaume s'inlilule comle par la clémence divine ou
par la grûce de Kieu. « Il assujeltit toute l'Aquitaine à son pou-
voir, dit Adémar de Cliabannes, de lelle sorleque personne n'o-
sait lever la main contre lui, et les grands seigneurs Aquitains,
(i) lirucl, Charles Je Clnntj, III, pp. 782, 739, 766; IV, p. 21.
(2) A. Richard» Chartes tic Sainl-Maixent, I, p. 91; Cart. de Saint-Cypnen,
p. 'iii.
(3) Bruel. Charles de Clumj, IV, p. 20.
(4) \'oy. Lecoltilre-DupoQl, Essai sur les monnaits frappées en Poitou, pp. ji et
suiv.; Eug^fl el Serrure, fruité de nnmismatique dn Moyen-Age, II, p. ^i%.
GUILLAUME LE GRAND
t55
qoi essayèrent de secouer lejoug de son autorité, furent tous
domptés ou renversés » (f). Les divers éléments qui cnlraienl
dans la composition du duché manquaient de cohésion ; cer-
taines parties s*en étaient plus ou moins détachées, les ras-
sembler et en former un tout, une unité qui donnerait à son
possesseur, non seulement dans le royaume mais encore hors
des frontières de France, la grandeur morale à laquelle Télen-
due des territoires qui lui seraient soumis lui permettrait de
prétendre, telle est la mission que se donna (Juitiaume (â). Il
voulut être m^tllre chez lui, voire même maître absolu, tantôt en
faisant emploi de la force, tantôt en agissant avec une grande
habileté politique laquelle, selon les dires de son vassal Hugues
de Lusignan, ne fut pas toujours très loyale, mais qui était bien
appropriée aux mœurs du temps et aux instincts brutaux, aux
convoitises toujours en éveil, aux actes souvent irraisonnés
et de première impulsion des gens à qui elle s'adressait (3).
Maintenir la paix dans son duché fut un de ses principaux soucis
et afin de pouvoir remplir fructueusement ce rôle de policier, il
a>ait soin, lorsqu'éclatail quelque guerre privée, de joindre ses
forces à celles des belligérants dont il croyaitavoir le plus h espé-
rer pour le rétablissement de tordre. Toutefois, ses débuts ne
furent pas trî;s heureux. On a vu que, malgré le secours que le
roi de France lui apporta contre Boson, il échoua devant Oellac;
quelque temps ap^s, bien que soutenu par ce même Boson,
avec qui il avait, comme nous l'avons dit, jugé plus expédient
de traiter, iléprouva un nouvel insuccès. Guy, vicomte de Limo-
(0 Ckron. d'Adémar, p. 166.
(a) Les prèt^Diioas de Guillaume le Graod k une domioaiion absoloAthas le ducbo
d'Aquitaine ue le portèrent [»as ccpcodanl jusqu'à singer le roi de France en 8c faisant
cauronoer ftolcnuellemeal, ainsi que l'a avancé M. Pfislor {£"/«</« ««r le r^gne ite
Robert, p. 2S21. Aucun hislorien du Icmps, aucun annalislc ne relate un fait aussi
important ci qui assuréaicnl n'aurait pu passer inaperçu. Bcstjr {/fisl. des comtes,
preuves, p. i83) a bien publié un curieux document inlilulc : Ordo ad benedicendum
ducem Aqaitant'œ , loulcfois ce n'est pas à Gaillaum: le Grand qu'il l'applique tout
d'abord, mais bien à Rcnoul I, qui, s'il cul quelques veiléilés ambilieuses de ce gear«,
ne les mit assarêment pas » exécution. Nous nous rani^ns pleinement à l'opinion de
M. de Lasleyrie qui, dans son Etade tnr les comtes de Limoijes,^. 36, établit que cet
écrit, dû à Ilélie, prècbantre de Limos^cs en iai8, relate le^ cérémonies observées
lors du couronnement de Kicbard Cœur de Lion dans celte ville en 1 1G7.
(3) Labbe, \oua Liblioth. msn.. Il, pp. i33 et suiv., Coavcntio iulcr Guiilelmum
ducem Aquitaniac et tlugonem Chiiiarchum.
i56
LES COMTES DE POITOU
ges, avail de nombrGux enfatils. L'un d'eux, Adèoiar, voulant
se tailler un patrimoine, mit la main sur le château de Brosse,
dont sa mère, Uothilde, possédait une moitié, tandis que Tautre
appartenait à Hugues de Gargitcsse. Le duc, sans doute appelé
par ce dernier, vint avec Boson, qui était déjà en possession du
Périgord, mettre le siège devant le châleau en discussion. Pen-
dant quinze jours Adéraar résista à toutes leurs attaques et les
assaillants furent contraints de se retirer (1).
C'est le moment où Guillaume, dans sa sollicitude inquiète
d'asseoir et de faire adopter sans conteste son autorité, se mêla le
plus activement aux atTaires de ses vassaux. Ainsi le comte d'An-
goulôme, celui qui devait être son fidèle ami, ayant entrepris le
siège de Blaye, il lui vient en aide, et, s'élant emparé de la ville
de vive force, il la lui donne en bénéfice. Puis, il va prêter
assistance à Audouin, évêque de Limoges, pour la construction
du château de Beaujeu, sur la route de Saint-Junien à Brigueil,
atin d'arrêter les attaques de Jourdain, seigneur de Chabanais,
mais, ne poussant pas l'afTaire à fond, il laisse ensuite les deux
parties continuer entre elles une lutte sanglante (2). Enfin il s'en-
gage dans les démêlés que Gcottroy, abbé de Sainl-xMarlial de
Limoges, a avec certains seigneurs do la Marche. Ceux-ci s'étaient
emparés du monastère de Sainl-Vaury, dépendance de l'abbaye;
pour les punir, l'abbé Geoffroy, secondé par une forte troupe
armée que le comte Boson 11 avait mis à sa disposition procéda à
Tenlèvement du corps de saint Vaury, qui fut tiré de l'église où il
reposait et qui lui devait son nom, et apporté à Saint-Martial. 11
y fut gardé jusqu'à ce que les seigneurs pillards qui avaient usurpé
les domaines de l'abbaye les eussent restitués. Ce que voyant
(i) Chron. d'Adêrnar, p. i56. Ces faits sont aussi rapportés avec force détails par
Aimoici [Afiracks de satrtl lîenoil, publ. par de Ccriain, p. i3tï), dotil le récit permet
de rectifier un passage de rintcrpoluleur d'Addniar de Cbabanacs (CVi/'on., p. i56),
qui coofond le premier sicje de Ùrûssc fait par Boson le Vieux et sou fils Hclie au
temps de Fier-â-Bras, avec It* second, culrepria par le duc Guillaume le G rond el
BûsûD II. Cet écrit, reproduisant l'erreur cooienue dans le texte primitif d'Adémar
(p. aoâ), dit que celte forlercsao fui victorieusement défendue par Guy, vicomte de
Lïinog-es, coulre les cin*! comicsqui rossicg-cnicnt, à savoir: le duc (juilluume, Arnaud
(comte d'Aag:ou!6aie), lléïie (comte de Périyord), Audebcrt cl Boson (Jes deux comtes
de la iMarclic) ; or, deux de ces personnoges, llélie et Audcbert, ue vivaient plus à
l'époque où ce récit place le second siège de Brosse,
(a) Chron. d'Adémar f p. iGû.
Gî'ILLAlNfE LE GRAND
l'abhé ramena en grande pompe les reliques du saint dans son
premier séjour, où, en présence de Guillaume, il rétabli! la disci-
pline monastique (1). Kn 1021, le comle de Poilou se joint à celui
dWngoulème poui- punir iîuillaume, vicomte de Marcillac, el son
frère Odolric qui, ayant eu un grave différend avec leur frère
Audouin au sujet de la propriété du cbàleau de Ruffec, lui avaient
coupé la langue et crevé les yeux. Marcillac fut pris el'brûlé, les
coupables curent grâce de la vie, et Ruffec fut donné à Audouin
qui avait survécu à ses blessures (2).
Ces faits isolés suffiraient presque à témoigner des dilTicultés
que rencontra Guillaume dans le gouvernement de ses états, mais
il y a mieux. Pour bien se pénétrer du rôle qu*il dut jouer pour
mener à bonne fin la tâche qu'il s'était imposée, rien n'est plus
instructif que de le suivre dans ses rapports avec Hugues le Brun,
seigneur de Lustgnan (3). Ce personnage était fils d'Hugues le
Blanc, et pelit-flls d'Hugues le Bien-Aimé, qui construisit le cbà-
leau de Lusignaii el paraît avoir élé le véritable fondateur de
cette dynastie glorieuse (4). Toujours prêt à se battre, le Drun ne
négligeait aucune occasion pour s'approprier un domaine à sa
convenance, mais, en homme politique, il savait aussi se retirer à
temps quand l'entreprise devenait trop périlleuse pour lui. Ar-
guant de sa fidélité envers le comle de Poilou, il se faisait payer
clièrement ses services, demandant constamment, ne se rebu-
tant pas des refus, et finissant toujours, aprfes être revenu plu-
(i) Chron, cTAdémar, p. i66.
(a) Chron. d'Adèinar, |>p. i8G el 207.
(3) C'est la cliruuiquc de .SaiDt-M»ixcnt qui donne à Ilaj^cs de Lusignan, le fila
(l'IIu^ucs le Blaoc, le surnom d'IIuirucs le Brun. La convention Joui on va lire le
résumé rap])elie flui^iiea le Chiliarque. Le sens précis de ce mot correspond à celui
de chef de 1000 liùiiimes, loulefoîs nous ne pensons pas «ju'il faille y voir un iodice
de la puissance territoriale d'Hu«^uesde Lusii^oan ; t! nous paraît simplctncnl rnppelcr
le rôle, assez peu déHoi dans les acles où il e^t question de lui, que le sire de Luai-
gnan était appelé à jouer auprès du comle de Poitou, duc d'Aquiluiue. Il suit ce der-
nier dans ses expéditions, il raccompagne k Blaye, nial|;ré que d'imporlautes afluircs
personnelles auraient dû le rcleair ta Poitou» co un tnol il apparaît, à l'éf^ard du
comte, dans une certaine sujétion qui nous porterait b voir en lui le comriiaiidaiil
supérieur de ses troupes, ce qui correspondrait parfaitcmeol h. ce surnom de
Chiliarque.
(4) Cette filiation desLusi^nanest donnée parla chronique de Saint-Maixeot (CAron.
des égl. d'Anjou, p. 38(i,), ijui dit en outre (jue le chef de celte famille eut neuf fils.
Le tableau jïénéalo^(|ue inliiulc Lezignem, placé 4 la suite de l'Histoire des comtes
du Poitou, indique uq dcg^rc de plus; il débute par Hugues te Veaeur, qui, seloû
iS8
LES COMTES DE POITOU
gieurs fois à la charge, par ohlt.'iiir sinon l'objtît principal'de ses
di'sirs, mais à tout k' nioins il'iinpnrlanles compensalions. Kn
voyant ses agissemoiils,on ne pcul s'onipèclior d'élablir un rap-
prochemenl avec ce qui dut se passer dans l'entourage des rois
carlovingiens ; ces princes étaient ti cliaque instant contraints de
lâcher quelques lambeaux de leurs domaines et ils finirent par se
trouver entièrement dépouillés, n'élanL plus en possession que
d'un titre nu sans avoir les moyens de le faire respecter. Or,
(iuillauaie, qui fit de ses concessions bénéficiaires, ou plutôt
féodales, une sorte de règle de gouvernement, entama si large-
ment le patrimoine des comtes de Poitou que ses successeurs
immédiats ne purent trouver dans leurs propres domaines des
ressources sufïisanles pour résister aux tentatives de vassaux de-
venus réellcmi^nl plus puissants qu'eux.
Or donc Savari, vicomte de Thouars, avait enlevé h Hugues de
Ijusignan une terre que celui-ci tenait en fiefdu comte (juillaume.
Savari étant mort (vers 1010) (t), le comte promit à Hugues,
dans une assemblée puitlique, de ne faire ni traité ni paix avec
Itaoul, frère de Savari et son successeur, tant que la terre dont
il avait été dépouillé ne lui serait pas rendue^ mais poslérietii'c-
ment il donna secj'èlement ii llaoul la terre dont il était ques-
tion. Le sire de Lusignan, outré du procédé, se rapprocha alors
du vicomte de Thouars et lui dit que s'il voulait lui donner sa
fille on mariage il lui laisserait cette terre et môme une autre
encoi'c plus importante. Quand le comte fui infoi'mé de ces pour-
parlers, il en fut evtrèmement irrité ; it se rendit en toute hille
Besly, aurait éli l'un des quatre çraads veneurs înslilu<S3 par Cbarlcmagne en 758,
Nous ne saunons dire où l'bistorica a relevé ta nieulion de ce iiersonoage abso-
lument hypolhéliquc, du moins à ccKc date en ce qui louche les Lusignan, mais il
est de toute impossibilité (]u'il ait pu étie, comme il le dit, le père d'Hugues
le Cher ou le Hien-Aimé, qui a dû naître vrrs l'-in f|no. Nous ne rclîendrons
de rcxpos« de Uesly que le surnom de ^'cncu^ donné p.ir lui au premier des Lusi-
goao; celte quaSiBcalioa peut avoir pour oritfiuc une tradition pcrsistoutc, très
vraisemblable, auquel cas ce personihage aurait clé un veneur des conatcs de Poitou
voire même le prand vcoeur, lequel aurait, ainsi que le fait s'est si aouveat produit nu
x" siècle, transforme son ofticc eu seigneurie et son domaioe béucHciairc en propriété
héréditaire.
(1) M. Iniberl {Notice sur les otcomles de Thouars, p. r5) fixe à l'année ioo4 la
mort du vicomte Savari; cette date, ainsi qu'il résulte du texte que nous analysons,
doit tïtrc reportée à raiirtèe luio au plus tôt, et suivre Je près celle du décès d'Hugues
le Ulaac qui succomba de 1010 à 101 a.
GLILLALWŒ LE GRAND
1S9
auprès de Hugues el lui dit 1res fainilièreinenl: « Abslieiis-toi d'é-
pouser la fille de Raoul ; je le donnerai loul ce que lu me de-
manderas el je l'aui-ai en alTeclion plus que loule autre personne
après mon fils. » [fugues ût ce que le comle lui ordonna.
Mais il arriva, sur ces ealreraites (vers 1012), que Jousselin,
seigneur de Parlhenay, vinl à mourir, Hugues prétend qu'il n'a-
dressa au sujet de cel événement aucune sollicilalion au comte,
tant pour lui que pour quelque aulre personne et que ce fut le
comle lui-même qui, spontanément, lui proposa le fief de Jousse-
lin et sa veuve. On ne saurait assurer que les choses se passèrent
bien ainsi; quoi qu'il en soil,lIugues,après avoir mûrement réfié-
clii,dit au corale :<« .le ferai loul ce que vous me demanderez.» Guil-
laume se mit alors d'accûrdsurcotle atTaircavec Foulques, comte
d'Anjou, qui avait des droits de su/orainelé sur les fiefs possédés
par le seigneur de Parlhenay, el lui promit de lui donner sur ses
propres bénéfices l'équivalent de ce que celui-ci abandonnerai! à
Hugues. Puis il (il appeler le vicomte Raoul el lui dit : « Hugues
ne tiendra pas les engagements qu'il a pris avec loi, parce que je le
lui défends, mais nous sommes convenus. Foulques et moi. de lui
donner les biens et la femme de .lousselin, voulant que cela serve
à ta confusion el le punisse de tes infidélités ù mon égard. » Raoul
fut très conlrislé de ce discours el répondit au comte : « Pour
Dieu, je vous en conjure, ne faites pas cela. » Alors le comte lui
répliqua : «Promets-moi de ne point donner la fille à Hugues et
de ne point observer le traité que tu as lait avec lui, en revanche
je ferai en sorte qu'il n'ait ni le lief ni la femme de Jousselin. »
C'esî ce qui eut lieu, mais Raoul, qui avait feint, uniquement par
politique, de consentir ù la proposition du corale, se rendit quel-
que temps après au château de Montreuil-Bonnin. situé non loin
de Lusignan, et où résidait alors Guillaume, afin de pouvoir s'a-
boucher avec Hugues sans éveiller des soupçons. Dans celle entre-
vue, il chercha à entraîner ce dernier dans une action commune
contre le comte ; pour amener Hugues à lui il s'engageait à tenir
fidèlement lous les engagements précédemment conclus entre eux ,
el à lui prêter secours en toute circonstance. Hugues déclare que,
par attachement pour Guillaume, il repoussa toutes les avances
qui lui furent faites, ce dont il eut parliculièrcmenl à souffrir à
LES COMTES DE POITOU
l'occasion des déprédations que le vicomlc de Tliouars commil
alors sur Iti (erre du comle,
llaûul iHaiil venu à mourir en iOl i ou HH5, Hugues revint à
la charge auprès de Guillaume pour se Taire rendre la terre que
le vicomte lui avait enlevée. Guillaume lui fil encore de belles
promesses, s'engageanl à ne pas faire la paix avec les Thouarsais
avanl que satisfaction lui filt donnée. Mais il ne se préoccupa
guère de tenir sa parole, car Geoffroy, neveu et successeur de
Raoul, pour se venj^er du mal qu'Hugues lui avait fait alors qu'il
bataillait pour le corate, incendia son château de Mouzouil, prit
ses cavaliers el, chose atroce, leur fîtcouper les mains. Du coup,
Hugues se trouvait perdre une des terres qu'il tenait du comte,
mais, la guerre continuant, il eut à son tour sa revanche el s'em-
para de quarante-trois des meilleurs cavaliers du vicomte de
Thouars. H aurait pu, pour leur rendre la liberté, se faire donner
au moins 40.000 sous (le chitTrenous paraît un peu exagéré), et
obtenir la reslilulion de sa lerre, mais à ce moment le comte
intervint et demanda à Hugues de lui livrer ses prisonniers.
Celui-ci voulut résister, mais Guillaume réitéra son exigence en
lui disant: «Ce que j'en fais ce n'est pas pour te causer du tort,
mais tu es mon vassal et, comme tel, obligé de te souraetlre h
mes volontés, llemels-moi ces hommes ; je le les rendrai si lu
ne rentres pas en possession de ta terre el si lu n'es pas indem-
nisé pour les maux qui t'ont élé fails «*. Hugues s'exécuta cette
fois encore, mais les otages ne lui furent pas remis el il ne recou-
vra pas sa terre. Toutefois, l'auteur du faclum qui relate ces
fails a soin d'omettre que peu apriîs, Hugues épousa Audéarde,
fille de son ancien adversaire Raoul, elque celte union mit fin
aux hoslililés entre Thouarset Lusignan (I).
L'ardeur inquiète d'Hugues, après avoir altiré le comte à sa
suite au nord du Poitou, l'amena à intervenir dans de nouveaux
débats au sud du pays. Un puissant seigneur, triàumis^ nommé
Aimeri (i), s'était emparé de Civray au préjudice de Bernard,
{i)M. Poule de Puybautîel, (|iii a souleoti f.p iSrjG h l'Ecule des Chartes uDe ihèse
sur les sires de Lusignau, rcatt-e jusqu'à ce jour inétjile, incl eu doute dans ses posi-
lioDs (jue ta femme d'Hujjfues le Brun ail élé la lillc de Uauul de Tdouars ou du moin»
déclare que rien ne l'inditjuc; uous suivons ropiniiin de BcsSy.
(2) M. de Puybaudel assituite ce pcrsoanas^c à Aimeri I de Rançon.
r.UrLLAUME LE GRAND
lOi
comle de la Marche, son suzerain. Or, Hugues disail tenir de
son père des droils sur cette localité. Mil par des rcssenlimenls
parliculiers qu'il enlretenail contre Aimeri, Guillaume engagea
Hugues à (aire hommage à Bernard pour la porlion de Civray qui
avait appartenu à son père afin que de celte sorte ils fussent
deux à avoir débat avec Aimeri, Mais il répugnait au seigneur
de Lusignan de se reconnaître vassal du cooilo do la Marche, et
pendant une année il résista aux sollicitations de Guillaume, pji-
fin, celui-ci, irrité de ne pouvoir vaincre sa résistance, vint le
trouver et lui dit : « Pourquoi ne Irailes-tu pas avec Bernard? Tu
n'es quelque chose que par moi et si je te disais de faire d'un
vilain un homme noble tu devrais m'obéir. » Hugues finit par se
laisser convaincre et se constitua vassal de Bernard pour le quart
de Civray. En retour, celui-ci donna le comte de Poitou à Hugues
pour garant et remit entre les mains de Guillaume quatre otages
qui devaient être livrés à Hugues si Bernard no remplissait pas
exactement ses engagements à son égard. Dès lors Lusignan ne
fut pas longtemps en paix avec Aimeri. 11 eut avec ce dernier, au
sujet de son droit de co-propriété, des contestations dont, comme
d'ordinaire, les vassaux des belligérants eurent h souffrir. Pour
tenir tète à Aimeri, le comte entreprit avec Hugues la conslruc-
Lion d'un château à Couhé, mais il ne l'acheva pas, même il finit
par s'aboucher avec Aimeri, et lui abandonna le château sans
qu'Hugues ait reçu de lui aucune compensation.
Mais l'adversaire du sire de Lusignan, qui paraît avoir eu un
caractère aussi entreprenant que le sien, mécontenta de nouveau
le comte de Poitou en s'emparant du château de Chîzé. Guillaume
et Hugues unirent leurs forces et furent ensemble assiéger le
château de Malval, propriété d'Aimerî, qu'ils prirent et détrui-
sirent. Avant de s'en retourner, le comle promit à Hugues, ainsi
que devait le faire tout suzerain à l'égard de son vassal, do ne
point conclure de traité de paix ou d'association avec leur ennemi
sans qu'il fût appelé à y participer. Néanmoins il fit un traité avec
Aimeri et lui permit de réédifier son château sans le consen-
tement d'Hugues. Tant qu'Aimeri vécut, les choses restèrent en
cet état, mais, après sa mort, de violentes discussions éclatèrent
entre son fils Aimeri 11 el Hugues au sujet du droit de propriété
jOz
LES COMTES DE POITOU
de ce dernier sur le quari deCivray et dosa préLenliond'y vouloir
édifier un chûleaii. Sur le conseil de Bernard et malgré. l'oppo-
silion du comte, il en acheva la conslruction,mais les hommes de
Civray, pour qui il se montrait un maîlre fort dur, se soulevèrent
el livrèrent la place à Bernard. Celui-ci la garda el, pour plus de
sécurilô, s'allia avec Aimeri II conlre llugues.i'e dernier, selon son
habitude, s'en fui porler ses doléances à Guillaume qui, au lieu
d'en tenir compte, rendit à Bernard les otages que ce dernier lui
avait précédemment livrés. Voyant alors qu'il ne pouvait espérer
aucun secours de son seigneur, Hugues se tourna vers l'évoque de
Limoges, Géraud. Celui-ci accueillit ses avances, et d'un commun
accord ils envahirent la Marclie, où ils construisirenl une forte-
resse (t). Mais le comte, qui soutenait Bernard, son beau-fils,
enleva le château de vive force et le livra aux flammes ; de plus,
de concert avec son fils aîné, qui, dès lors, semble avoir part
au gouvernement, il défendit à tous ses vassaux, sous peine de
raorl, de prêter aide à Hugues. La lutte entre les deux compéti-
teurs :i la possession de Civray devenait chaude ; toutefois, par
la médiation du comte, ils convinrent entre eux d'une trêve de
quinze jours. Afin d'ôler ù lluf^ues la tentation de recommen-
cer aussitôt les hostilités, le comte l'emmena faire un ost contre
le château d'Aspremont qui fut promptement réduit, el de là à
Blaye, où il devait avoir une conférence avec le comte Sanche.
Mais pendant la tenue de cctleconférence Bernard était entré en
campagne. Il se dirigea sur Confolensj s'empara du bourg et de
ses faubourgs qu'il brûla, fit de nombreux prisonniers et enfin
mit le siège devant le vieux château où se tenait alors la femme
d'Hugues. Ce derniervenait de rentrera Lusignan quand un mes-
sager lui apporta ces nouvelles; il se rendit aussitôt auprès du
comte, mais ne put décider celui-ci à lui venir en aide. Néan-
moins Bernard ne l'allendit pas; à son approche il leva le siège
de Confolens après avoir causé au domaine de Lusignan plus de
50.000 sous de dommage.
Toutefois la lutte n'était pas terminée. Peu de temps après,
(i) Ces faits ae passèrent ea to23 au plus tard, Tévéque Géraud ëlani mort le
Il novembre de celle anaée (Voy.Duplès-Ajrier, C'/ii-on. de Limoijes, p, 40; B, Itier,
Bull, (le lu Soc. des Antif/. fie ffJiies/, |f« série, VI, p. ii3}.
GIJILLAL'.ME LE GRAND
■ 63
Hugues alla nicllrc le fini au cliiltcau de Geiiçay, possession do
son ennemi Aimcri 11^ fil prisonniers des hommes cl des femmes
el enleva luut ce qu'il Irouva h sa convenance. Puis il s'en fui
Irouver le comte cl lui demanda la permission de reconstruire
le châleau ; (luillaurae lui fil celle objeclion qu'éLanl pour ce
domaine dans la \assalil6 de Foulques, comle d'Anjou, il ne
pourrail se dispenser de le lui remellre si celui-ci le lui deman-
dail. A quoi Hugues répondil que lorsqu'il Oia'd devenu le vassal
de Foulques il lui avait dil que si ses hommes lui faisaienl des
dommages 11 se réservait la faculté de leur enlever une portion
de leurs biens, el que s'il ne lui reconnaissait pas le droit d'agir
ainsi il ne se soumellrail pas à sa fidélité; ce à quoi Foulques
aurait répondu : « Prends aux aulres ce que lu voudras, mais
ne touche pas à ce qui m'appartient. » Après avoir enlendu ces
paroles, le comle laissa Hugues libre d'agir, el lui dit : « Si je
puis acheter la part de Foulques, nous posséderons chacun, toi
el moi, une part du château >).Hitand il fut construit, Foulques,
comme on pouvait s'y attendre, réclama ses droits. Hugues lui
répondit que, suivant leurs conventions anciennes, il i|;îardait pour
lui le chàloau qu'il avait pris sur ses ennemis, el qu'il consentait
seulement à le tenir de lui en vassalité, ajoutant qu'autrefois il
avait appartenu à ses parents el qu'il y avait plus de droits de pro-
priété que ceux qui le détenaient.
Foulques lui posa alors celte question spécieuse : «Comment
pourrais-tu tenij- de moi contre mon gré, ce que je ne l'aurais
pas donné ? » Hugues se retourna alors vers le comle de Poitou
el lui demanda conseil. « Si le comle d'Anjou, lui répondit Guil-
laume, veut le donner la garantie que tes ennemis ne rentreront
pas en possession du château, tu ne peux le garder ; autrement,
ne l'en dessaisis pas, on n'aura aucun reproche à l'adresser. »
Huguess'informa alors des otages que pourrail lui donner le comle
d'Anjou ; mais celui-ci refusa absolument de s'engager de celle
sorte el lui dit : « Je m*entendrai avec le comte de Poilou, je
lui fournirai des otages, il t'en donnera à son tour et c'est ainsi
que se fera l'accord. » Foulques réclama alors au comte le châ-
teau d'Hugues. «Je ne te te rendrai jamais, dit celui-ci, sans avoir
des gages. » Ft il dit à son tour à Hugues : « Je suis disposé à
iH
LES COMTKS DE POITOU
t'en donner, lesquels ^feux-lu ? •> A quoi ccluî-ci répondit : « Ac-
cepte ce que lu voudras du comte Foulques et donne-moi ce
que je requiers. Je demande l'homme qui garde la tour de Mette,
de sorte que si Aimeri a la forteresse sans mon gré et qu'il pût
de cela ra'advenir du dommage, le gardien de la tour la remettra
entre mes mains.» — «Cela je ne puis le faire, dit le comte (^). »
Alors ïlugues voulut Chîzé ; le comte refusa encore, prélexlant
qu'il n'ulait pas en son pouvoir d'en disposer ainsi. Ce que voyant,
Hugues, irrité, se relira à Gençay qu'il fortifia) et munît de tout
ce qui était nécessaire pour soutenir un long siège s'il fallait en
arriver à une guerre ouverte.
Le comte revint à la rescousse el, pour attirer la confiance
d'Hugues, lui donna rendez-vous hors de la cilé, lui faisant dire
par le comte d'Angoulême de venir se meltre à sa merci, car il
ne pouvait se faire qu'il ne prôlûl pas aide au comte d'Anjou et
d'autre part il ne voulait pas se risquera perdre l'amitié et d'flu-
gués et de Foulques. Le sire de Lusignan se rendit à l'invitation du
comte, el lui dit : «Je mets toute maconfîance en loi, maisprends
bien garde de ne pas la fausser, car alors je cesserai d'être Ion
fidèle ; pour plus de garantie, si lu neveux pas me donner d'autres
cautionsje te demanderai de prendre rengagement que mon fief
soit considéré comme un otage que tu m'aurais donné, de sorte que
si lu ne tenais pas les promesses donl il serait le garant, je ne res-
terais plus jamais à Ion service cl je serais délié de tous les ser-
raentsquejct'auraisfaits.» — «Qu'il en soit ainsi,répondil le comte.»
Hugues remit alors le châteati de Gençay à Guillaume, malgré
l'opposition de ses hommes ; toutefois, avec celte clause restrictive
(i) Oa remarquera que le comte de Poitou déclare ne poarolr disposer de la tour
de Melte, c'est-à-Jire de la forteresse nui prolêgcait celte localilé. Il esl h croire qu'il
en avait déjn fuit dun à GuiURumcd'Aii^oulcme,ctdccerail semble découler une con-
séquence qui n'avait pas échappé ù la saijacilê de M. Lecoiulrc-Duponl {Essai sur
les monnaies frappées en Poitou, i84o, p. 82). Ce savant avait conclu de rnbandoo
de Mellc par le comte de Poitou que les mines de plomb argentifère de cette région
étatcnl épuisées et que l'atelier monétaire de Mellc était fermé. On ne comprendrait
pas que le comte aurait, par un acte de géncrusité excessive, abandonné la source
d'un de ses plus importaats revenus ; aussi, n'ayant b utiliser, comme matière pre-
mière, que du mêlai déjà employé qui était refondu ù nouveau, il transféra ailleurs
lo centre de sa fabrication monétaire, sans toutefois apporter de modification au type
si caoDu de ses monnaies : on coulinuadonc de frapper des <c mailJiîS » dans de nou-
veaux ateliers qui furent Poitiers, Niort et Sainl-Jcan d'ADgély.
GUIIXAUVIK LE <;ilAND
t65
qu'il ne serait pas rendu à Aimeri sans sonconsentemenl et qu'il
ne lui en ad viendrait aucun dommage. Mais,peu après, le comle,
sans se soucier d'Hugues, ci5da le château à Aimeri et recul en
retour une terre seigneuriale et de l'argent. Comme Hugues ne
tarda pas *i 6 Ire moloslô lanl dans ses biens que dans ceux de
ses vassaux, par reiïelde celte opéralionjl reclama une compcn-
salion.Le comte lui Ht réponse que, quand bien même le monde
entier lui apparlicndrail, il ne lui en abandonnerait pas de la
grandeur d'un doigt. Furieux, Hugues se rendit h la cour du
comle et renia la foi qu'il lui devait pour toutes choses, excepta
pour sa personne et son domaine de Lusignan. Puis il se mil en
campagne et alla assiéger Chizé, dont il s'empara et en chassa
Pétrone, qui avait le commandement de la tour. Pour excuser son
action, il mettait en avant que ce domaine avait appartenu à son
père ou à quelque autre de ses parents. Guillaume, tenant à ren-
trer] en possession de la lour de Chi/é et voyant qu'il ne pouvait
venir à bout des incessantes réclamations d'Huguos au sujet de
ses droits successoraux plus ou moins réels sur une foule de
domaines, se décida à lui donner satisfaction sur un point. Il lui
fit offrir de lui abandonner le fief de Jousselin, l'oncle d'Hugues,
avec le château, la tour et toutes ses dépendances, moyennant
quoi, de son côté, celui-ci déclarerait renoncer à toutes les
prétentions qu'il avait émises ou pourrait vouloir produire au
nom de son père ou de ses autres parents. Des pourparlers
s'engagèrent, on lutta de finesse de côté et d'autre, et, en
somme, Hugues arriva à ses fins, car cet héritage de son oncle
Jousselin n'élail autre que la terre de Vivonne, voisine du châ-
teau de Lusignan et dont la possession augmentait considéra-
blemenU'élendue de son domaine patrimonial. Guillaume le fil
revenir à sa merci, lui fit jurer fidélité, à lui et à son fils, se fil
rendre Cliizé et lui livra enfin le fief de Jousselin. Par \h furent
assoupies toutes contestations entre le comte et Hugues, qui
mourut un an après (1).
(i) Hugues dut mourir dans le coiiranl de l'année loaS ou 1026, peu après qu'il
eut obtenu du pape Jean X!X, par l'eulrcriiisc de révèque do l'oitlers, uoe butio
d'exeniplioQ el le privilén;e unissant son prieuré de Noire-Dame à l'abbaye de Noaillé
(Arcbiv. de la Vienne, orig., Nooillé, no 83).
iOt>
LES COMTES DE POITOU
11 aurait 616 difficile, à défaut de dates précises, de scinder en
plusieurs parties ce récit imagé des rapports qui ont existé
entre Guillaume le Tirand et Hugues de Liisignan, el dont l'ins-
pirateur n'est autre que ce dernier ; il aurait perdu de son in-
lérêl et nous n'aurions pu en tirer l'enseignement qui ressort
-de ce spectacle donné par un ambitieux avide qui élale sans
voiles ses grossiers appétits, et qui nous apprend combien le lien
do vassalité, si élroJt enlre l'homme et son seigneur dans le
monde féodal, élait alors imparfaitement établi. L*altache
n'était encore que personnelle et, par suite, pouvait se modi-
fier suivant les circonstances; il lui faudra devenir réelle pour
rester immuable (f).
La satisfaction qu'Hugues de Lusignan obtint du comte de
Poitou par l'abandon du Oefde Vivonne doit remonter à l'année
102i, et précéder de peu rechange de terres qu'il lit avec le cha-
pitre de Sainl-Hilaire de Poitiers pour la fondation du prieuré
de ivoire-Dame de Lusignan, échange qui ne pouvait se faire que
du consentement exprès ducomle, en sa qualité d'abbé de Saint-
llilairo. L'acte qui permit h Hugues de donner suite h ses projets
est du G mars 1025, et il fut passé en présence du comte et do
toute sa cour. Parmi les assistants, on remarque Egfroi, vicomte
de Chàtellerault, et l'on doit conclure de ce fait qu'Hugues avait,
en recevant \1vonne, renoncé à se prévaloir des promesses qu'il
prétendait lui avoir été faites. Il avait en effet soutenu que le
jour oii Uohon, évoque d'Angoulème, avait baisé le bras de
Guillaume, c'est-à-dire s'était reconnu son fidèle vassal, le comte
s'était engagé, devant Févêque, à lui donner, après la mort
du vicomte Boson, la jouissance Lénéficiaire de la vicomte de
(i) Le texte de cette relation, écrite dans uq lalia barbare, fait partie d'uo manus-
crit de la lîibliolhèque Nnlionalo {n* Sçjay du fonds lalio}. Il a été publié par Ucsly,
dans les preuves de son Histoire d«acomlcsdu Poitou (pp. a88 ùis el suivantes) et par
Labbe, dans hi A'ùi'a bihliolktca maniiscripfofiim, II, pp. i85 Cl BS. Commi; la plu-
part des documents de cette époque, il ac porte pas de dnlc, d'où nombre d'erreurs
dont il a été bi cause. Il est sûrement postérieur à l'élévalion de Rolion à révôchc
d'Angoulcnic, <|ui cul lieu vers 1020, et anlcrieur à la fondation du prieure de Notre-
Dame de Lusignan, c'est-à-dire au 0 mars joiS. Nous ne serions pas éloiyaé de croire
que c'est lors des pourparlers qu'llutjues enjfapeait avec le duc Guillaume pour obte-
nir la cession Je territoires qu'il ambiliouniiit auprès de son cîiAleau que, de» conces-
sions ayant été faites de part el d'autre, le sire de Lusignan présenta au duc le méniO'irc
de ses revendicaiions qui nous est bcureusemcot parvenu.
(il.'lLLAUMF: LE GRAND
167
ChAlelierault. Lttsignan n'en fui pas pourvu, la présence d'Eg-
froi, fils de Boson à l'acle de 925, suflil pour l'allesler (1).
Celle saisine ou main-mise sur les biens, voire môme sur la
femme de son vassal décédé que nous avons vu le comte de Poitou
meltre en pratique après la niorl des seigneurs de Parlhenay el
de Vivonne, eu verlu de ses droils de suzeraineté, il l'appliqua
aussi sur une plusgrande écbelle onsaqualilô de ducd'Aquilaine.
Boson, le comte de la Marche el de Périgord, qui semble, depuis
son accord avec le duc, avoir toujours vécu en bonne intelligence
avec lui, mourut à Périgueux en 1006, empoisonné par sa femme,
disent les liisloriens (2). Guillaume, à cette nouvelle, se hâta de
mettre la main sur ses états, el s'adjugea la tutelle de ses enfants
mineurs et de son neveu, le fils d'Audel>erl. Pendant plusieurs
années les deux comtés furent administrés parle duc d'Aquitaine,
qui, lorsque ses pupilles furent arrivés à leur majorité, leur parta-
gea l'héritage de leur grand-piire Boson !, que le défunt avait,
comme nous l'avons dit, entièrement usurpé. 11 donna Périgueux
il Hélie, le fils de Boson 11, el rendit la Marche a Bernard, le fils
d'Audebert, auprès de qui il plaça comme conseils etpoul-ctre
comme surveillants deux hommes dévoués, Pierre, abbé du Dorai,
et llumbcrt de Droux, fils d'Abbon, l'ancien défenseur de Bellac.
-Mais après la mort de ce dernier, Pierre, resté seul au pouvoir,
en abusa el le duc, forcé de défendre le comte de la Marche
contre les menées 'de son tuteur, dut chasser celui-ci de vive
force (3).
Vers ce temps, Guillaume perdit sa mère. Depuis Tavènement
de son fils, Emma n'avait cessé de prendre part au gouvernement
du comté de Poitou et, par son habileté, en lui faisant épouser
Aumode, elle avait beaucoup contribué à assurer sa domination
(1) Le récit de l'entfagemeal pris par le comte au sujet de la vicomte de QjiUcl-
Jerautt se trouvant ea tète du mémoire d'IIug'ucs de Lusig'D.in et prccédual des évé-
nements <|ui se sotit passés vers iui2, les historieDS ont cru de\t)ir placer à celle épo-
que Ja mort du vicomte Boson, mais ils ont fait erreur, car Rohonj appelé en témoi-
gnage par Hugtj;es,no fut nommé évéque qu'en 1120; la mort de Uoson est donc pos-
térieure à celte date, ce qui cal d'accord avec ce que l'on sait de son successeur Egfroi
qui n'est désigné pour la preiniiTe fois en tiualilé de vicomte que vers t'an lo/'i ou
1024 dans une donalion *juc fit le comte de Poitou aux chanoines de sa calhcdrnle
(Arch. de la Vienne, orii;., chapitre calhédral de l'uiliers, u" 1).
(a) Chrun, tlAtlàiidr, p. 1G7.
(3) Chrun, d'Adétiiur, p. 1O8.
i6S
LES COMTES DE POITOU
comme duc d'Aquilaine. il lui avait du resle laissé une part im-
porlanle d'aylorilé(l); elle disposait î\ son gré de son douaire et
c'est ainsi qu'elle donna à Tôvôque de Poîliers le domaine de
Sainl-Paul-en-G;\line et qu'elle établit sur les habitants de la ville
de Saint-Maixent, pour tenir lieu du service militaire auquel ils
auraient pu être astreints, le lourd iuipùl connu sous le nom
d'ariban (2)» Elle possédait, on ne sait h quel litre, les domaines
de Coudres el de Longueville, dans le diocèse d'Évreux; elle en
fit don à Tabbaye de Bourgueil et, au mois de septembre 1001,
elle se rendit à Blois, où se tenait la reine Berllie qui, sur sa
demande, confirma celte donation (3). D'autre part, elle obtint de
son fils de nombreuses faveurs tant pour le monastère de Bour-
gueil que pour celui de Maillezais, ses deux [œuvres de prédilec-
tion; mais elle ne fut pas exclusive et il esl facile de constater,
quand on la voit assister à de nombreux contrats passés au profit
d'abbayes poitevines et leur donner plus d*aulorité par sa présence,
qu'elte s'intéressait à toutes les œuvres pies, méritant par là la
qualification de chérie de Dieu, ama/ji!is Deo^ qui lui est donnée
par ses contemporains (4). Le dernier acte à date certaine auquel
elle assiste est la donation de Bretignotle faite par son fils à l'ab-
baye de Bourgueil, du 27 décembre 1003, mais ctlc étail en-
core de ce monde lors de la naissance de son petit-fils Guillaume,
événement qui esl forcément postérieur de quelques mois à cette
date (5). Avant de mourir, elle disposa par testament des domai-
(i) Eq 996, elle est même qunliHîe de comtesse des Poilevlas (Cart.de Rourg-ueil,
p. 23).
(a) Bruel, Charles de Cliintj^ III, p. 789; A. Richard, Charles de Sainl^Matxent,
p. lO/j.
(3) Cari, de Dourg-ueil, p. 4g<
(/|) Cart. de Bourg-ueil, p. aS, On la vnil faire planter en vigne, pour l'usage des
religieux de Saint- Cypricn, le domaine des Hordes, (jui venait de leur cire donne
{Cttrl. de Saini-('yprtetif pas^c 127, note i),
(5) Besly, f/isi. des comtes^ preuves, p. 353; Cart. de Bourg'ueil, p. aï, Pierre
de Maillczais (Labbe, IVoim bihLmun., H, p. 228) rapporte, sans loulcfois s'en porter
garant, 1 ut aiunl, b dit-il, qu'Emma serait morte à r;\ije de f|uarante cl un an, la
deuxième année du règne de son fils; or l'erreur du chroniqueur est manifeste, car
Emma assista avec le comte Guillaume, sa femme Aumodc cl leur fils Guillaume à la
donation de l'église de Saint-.Maxire h Pabbayo de Sainl-Cyprien [Cari, de Saint-
Cypn'en, p, 33o). Comme le jeuoe comte n'était pas né le 27 décembre*iot)3, aiusi
qu'il résulte de» termes de la cbaric de lli>urgiietl,sa naissance n'a pu avoir lieu qu'eu
ioo4 au plus lût, et précéda la mon de sa j^ranj'-raère. Cî!le-ci, lors de son décès,
ne pouvait avoir moins de c5iii|iiantr-qualre ans.
GUILLAUME LE GR.\ND ifty
nés qui lui restaient après les nombreuses générosités qu'elle
avait faites, et, en particulier, elle partagea en trois parties sa
terre de Frouzille dont elle attribua un tiers <à Sainl-Hilaire-le-
Grand, un tiers à Sainle-Croix et l'autre tiers à son parent Eble
de Châlelaillon (I).
Après Emma, Aumode succomba à son tour. Elle était restée
plusieurs années sans donner d'enfants i\ son mari; c'est ce que
le comte nous apprend lui-même dans Tacle précité où, après
l'énoncé de ses générosités aux moines de Rourgueil, il leur
demande des prières, pour lui, pour sa mère, pour sa femme, et
pour ses fils, s'il plaît h Dieu do lui en donner. Ces paroles d'es-
poir furent exaucées, car il lui vint un fils, sans doute l'année
suivante, et peu après Aumode disparut de ce monde ou du moins
il n'est plus fait nulle part mention de sa personne (2).
Guillaume, devenu veur,songea à se remarier et toujours poli-
tique il chercha à contracter une alliance qui lui fût encore pro-
fitable. 11 fixa son choix sur Brisqiie, sœur de Sanche-Guillaume,
duc de Gascogne, son puissant voisin (3). Cette union, outre ses
conséquences immédiates, en produisit dans l'avenir que le comte
de Poitou lui-même ne pouvait prévoir: il arriva en effet que, la
descendance masculine de Sanche-Guilhiunie étant venue à dis-
paraître, le fils de Brisque devint de droit duc de Gascogne et
réunit ce litre à celui de duc d'Aquitaine (4).
(Quelque temps après, en Tannée 1014, il se produisit dans les
(i) Arch.hiat, da Poitou^ i, p. 3o. Cart. de Saicit-Nîcolas de Poilîers.
(2) La (laie précise de la mort d'Aumode n'est pas coDoue ; son Dom se relrouve
dans les chartes poiteviocs de Wu looo à ioo5(Voy. Car/, de Saint-fltjprien, pp. 33o,
3io-3ii ; Besly, Hisl. des comtes, preuves, p. 354); Chron, d'Adémar, p. 167;
Marchegay, Chron. des égl. cC Anjou, p. 388, SaÎDl-Maixenl.
(3) La chronique de Saint-Maixenl, après avoir annoaeé (p. 387) le mariage de
Guillaume le Grand avec Brisque de Gascog'nc, /?r<>ca, mentionne bien plus loin la
mort de celte comtesse (p. 3S8), mais alors elle lui donne le [nom de Sancie, Sanci'a^
(4) L'union de Brisque avec Guillaume le Grand se fit au commencement de l'année
ion, son frcrc Sancbe, qui la maria, n'étant devenu duc de Gascos;Tie quo par la
mort de son père, Dernard Guillaume, advenue le jour de Noiii loio. En outre, ce
mariage est antérieur au 10 mars de l'année 101 1, car, dans une charte de l'abbaye
de Saiul-Maixcnt portant cette date, il est question de la femme et du fils du comte
(A. (licbard, 6Viar/e9 r/e Saint Maixent,\, p. 91), Ce fils était Guillaume, rcnfant
d'Aumode, Eudes, le fils aine de Brisque n'étant pas encore né, autrement son pcre
n'aurait pas manqué de le faire nommer dans l'acte. Il est question de Brisque dans
quelques chartes poitevines comprises entre celte date de ion et 1018 (Voy. Cari,
de Saint-Ci/prien, pp. 5o, 194 et Î28),
I70 LES COMTES DE POITOU
étals de Guillaume un évfnenienl qui oui i
menl(l). Audouin, abb6 de Sainl-Jean d'Angtiy, m loul â coup
répandre le broit qiio, dans les ruines de l'ancienne église du
monaslcrc, on avait rclrouvé la lôle de saint Jean-Baplisie, encluls-
s6e dans une boîte de pierre ayant la forme d'une pyramide. Celte
précieuse relique était disparue depuis les invasions normandes
et c'est avec des transports d'enthousiasme que le montle cliré-
lien devait apprendre sa réapparition. Guillaume, qui était allé
en pèlerinage à Home où il avait passé les fêtes de Pâques, ordonna
aussitôt son retour de montrer aux populations cet insigne trésor
religieux qu'il lit placer dans un reliquaire en argent massif sur
lequel on grava ces mois : Hïc reqmescU capul precursorls Domi-
ni. Là repose la tête du précurseur. Cette ostension fut le signal
de grandes fêtes religieuses auxquelles prit part une multitude
de peuple venue d'Aquitaine, de France, d'Espagne et d'Ilalie,
et parliculièrement de grands personnages, tels que le roi de
France Robert et sa femme Constance, le roi de Navarre Sanclie,
le duc de Gascogne Sanche-Guillaume, Eudes comte de Cham-
pagne, Isembert de Cliâlelaiiloti ; des comtes, des évêqucs^ des
abbés, une foule immense, aflluèrent dans le monastère. Parmi
ces visilcurs, nous cilerons Géraud,évéque de Limoges, qui, au
mois d'octobre, se mit en route avec l'abbé de Sainl-Martial et son
clergé en emportant les reliques de saint Martial et celles de sa
cathédrale dans un coiïrel recouvert d'or el de pierres précieuses.
Les Limousins passèrent parCbarroux et arrivèrent à Saint-Jean
où Géraud, après avoir célébré sa messe d'arrivée, bénit les
pèlerins qui l'accompagnaient avec la tôte du Précurseur. Ils en
repartirent cinq jours avant la fôte de la Toussaint (2).
Malgré la foi profonde dans le merveilleux qui caractérise par-
ticulièrement cette époque, les circonstances de la découverte du
chef de saint Jean-Baptiste furent si extraordinaires qu'elles sou-
levèrent quelques doutes (3). Aussi le comte de Poitou, soucieux
I
(i) Voy. Appendice V.
(a) (Ihron.d'Aihknar, p. l'^çy,
(3j Aciémar se fait quelque peu l'écho Je ces bruits quaad il dit ; oq rapporte que le
criine découvert à Stiinl-Jean d'Aoçély émit le propre chef du Prccurseur : « quod
saDctum caput dicunt esse propriuni Uaplislii; Johannis u {Chron., p, 170), mais ils
8onl clairement cAprisnés dans une vie de saint Léonard, que Besly rcnconlra dans
GUÎTXAUME LE GRAND
»7«
de s*éclairer, ordonna-t-îl aux évêques de la province de Bor-
deaux el à ceux qui y élaienl étrangers, mais qui se Irouvaienl
sous sa domination, de se rassembler à Sainl-Jean d'Angély, afin
d'examiner si le chef que l'on présentait au peuple était bien
celui du Précurseur. L'opinion des prélats fut favorable et les
oslcnsions se renouvelèrent sans cesse (1).
Dans le nombre des personnages qui y prirent part se Irouvail
Théodelin, abbé de Maillezais, qui, par une pieuse tromperie,
chercha à dérober une des dents du chef sacré ; selon l'auteur du
récit il en fui miraculeusement puni, ce qui ne put que contribuer
à accroître la confiance populaire dans la vénérable relique (2^.
Aussi les offrandes de toutes sortes alTluaient-elles au monas-
tère de Saint-Jean. Le roi Robert, entre autres, lui donna une
conque en or pur, pesant 30 livres, ainsi que de précieuses étoffes
pour faire des ornements d'église. Celle abondance de biens et
le désordre que produisait forcément dans l'abbaye l'inlroduction
constante d'éléments étrangers y amena un profond relâchement
et Guillaume, imitant à moins d'un siècle de distance ce qu'avait
fait son aïeul Tète d'Éloupe, fut contraint d'intervenir afin de
rétablir la discipline régulière. Il chargea de ce soin Odilon, le
célèbre abbé de Cluny, qui plaça successivement à la tète de
l'abbaye deux de ses disciples, llaymond el Aimeri.
xMais cette réforme ne fut pas du goùL de tout le monde, et par-
ticulièrement de ceux qui profilaient de l'existence luxueuse que
leur procurait la générosité des fidèles. Un jour, les hommes des
religieux se soulevèrent contre les agents que le comte entretenait
à Saint-Jean, blessèrent morlellemenl son prévôt et mirent à bas
sa résidence, celle dans laquelle il avait si faslueusement reçu
les pèlerins de haute marque. On était dans le temps de carême.
lea archives du clupitre de Saiol-IIilaîre-le-Grand de Poilicrs, où il est dit qu'il parut
douteux A un grand nomlirc de personnes que la lète du Précurseur se trouvûl à
Soinl-Jcan d'Anq^ély : u ut plurimis vtderetur dubium ulrum S. Johannis capul liabc*
retur apud Ang^cliacum » ^Bcsly, ///*/. des comtes, preuves, p.SaS). OuCan;^ éloLlil,
dans son Traité hislorif/ue du chej de S. Jenn-Daptisle (Paris, i605, 10-4", chap. V
et VI). que si celle relique avait été conservée elle devail se lrouv«r à .Amiens el que
le crûne possédé par le mouaatère de Saial-Jean oe pouvait élre que celui de saint
Jean d'Edesse.
(i) Hesly, Hi$t. <ieg comtes, preuves, p. 3x5: Boll., Acla Sanctoram, t. IVjunii,
p. 755.
(a) Labbe, Xoim biOl. man., II, p. 284, Pierre de Maillezais.
17s
ÎS COMTES DE POITOU
L'entourage de Guillaume, et partieulièremonl Foulques Nerra,
qui faisait alors à Poiliers son service de plaid el qui élail
toujours partisan des résolutions extrêmes, lui conseilla de
détruire le bourg de Saint-Jean, de chasser les moines de l'ab-
baye et de les remplacer par des chanoines. Bien que le comle
fût profondément outré de l'injure qui lui avait été faite, il ne
se laissa pas entraîner par des conseils intéressés, et, avec la
sagesse el la prudence qu'il mellait en toutes choses, il préféra
calmer la sédition plutôt que de recourir à l'emploi de la
force (1). Puis, voyant avec justesse quelle était la cause initiale
de tous ces désordres, il ordonna de cesser les oslensions du
chef du Précurseur, le fit replacer dans la pyramide qui le
contenait primitivement et au devant de laquelle un encensoir
d'argenl fut suspendu par de petites chaînes (2).
Vers celte époque» on put craindre un retour offensif des enne^
mis du nom chrélien. Malgré rétablissement de Rollon en Neus-
Irie et la conversion au christianisme des populations du nord,
il y avait toujours chez elles des hommes d'aventures que tour-
mentait le souvenir des fructueuses expéditions du passé. De
temps en temps une bande quittait les fîords du Danemark el de
la Norwège et se lançait sur l'Océan à la recherche de l'im-
prévu.Le littoral du Poitou, d'un accès si facile, avait pour eux une
attirance particulière. Uujour, une troupe de Normands aborda
non loin de l'abbaye de Saint-Michel-en-Lherm, cherchanl l'oc-
casion de faire un bon coup. Or Emma, femme de Guy, vicomte
de Limoges, se rendait en ce moment à l'abbaye en pèlerinage.
Elle voyageait de nuit en loute sécurité, lorsque, le 30 juin, jour
de la fêle de saint Martial, elle fut prise par les forbans qui rem-
menèrent en captivité et la retinrent pendant trois ans au delà
de la mer. Des propositions de rachat leur furent faites, mais ils
mirent longtemps à les accepter ; enfin, on sortit du trésor de
Saint-Martial une grande quantité de matières précieuses et en
particulier une statue de saint Michel, en or, ainsi que de nom-
breux ornements qui leur furent remis. Mais les Normands n'é-
taient plus des guerriers, comme par le passé; c'étaient des
(1) Chron. d'Adémar, p. i8i.
(2) Chron. d'Adémar, p. i84.
GUILLAITME LE GRiVND
.73
pirates pour qui la foi jurée ne cotnptail pas; ils reçurent la
rançon, mais ne rendirent pas la vicomlcsse, qui ne dut sa déli-
vrancequ'aux bonsonicesde Uicbard, duc de Normandie, lequtil,
grâce aux attaches que les siens avaient toujours conservées avec
leur pays d'origine, finit par obtenir qu'Emma fùl rendue à la
liberté (1).
Le succès de ce coup de main devait forcément amener de
nouvelles tentatives de déprédations. Aussi, un jour, une véri-
table armée d'invasion se dirigea vers l'Aquitaine et, au mois
d'août, aborda sur les frontières du Poitou. A cette nouvelle,
Guillaume, se conformant à la pratique qu'il suivait toujours dans
les circonstances solennelles^ ordonna aux évêqucsde recomman-
der aux peuples de lui attirer le secours divin en observant ie
jeûne et en chantant les litanies, puis, à la tête d'une troupe d'6-
lile, il marcha contre les envahisseurs. Le comte, arrivé le soir
auprès d'eux, attendit jusqu'au lendemain pour commencer l'at-
taque, mais les Normands, qui étaient inférieurs en nombre,
appelèrent celle fois encore à leur aide les ressources de leur
génie rusé. Pendant la nuit ils creusèrent autour de leur camp do
nombreuses petites fosses qu'ils recouvrirent de gazon. Ce qu'ils
espéraient ne manqua pas d'arriver. Dès le malin, les Aquitains,
avec l'imprévoyance dont ils donnèrent si souvent des preuves,
ayant Guillaume àleurlête, se lancèrent àtoute bride contre leurs
ennemis, mais leur course fut arrêtée par l'obstacle caché : les
chevaux, tombant dans les trous, se renversaient, et les Normands
se précipitant sur les cavaliers pesamment armés et qui avaient
peine à se relever, les faisaient prisonniers. A la vue de ce dé-
sastre, ceux qui suivaient s'écartèrent prudemment des obstacles
dont ils pouvaient redouter en tout lieu Texistence, et renon-
cèrent à poursuivre leur attaque; le comte lui-même faillit être
pris, mais, ne perdant pas son sang-froid, il réussit, grûco h
son habileté de cavalier et à un elFort violent de son cheval, à
franchir la fosse contre laquelle celui-ci avait butté et il put, sain
et sauf rejoindre les siens. Toutefois, de crainte de voir les Nor-
(1] Chron. d'Atfémar, p. iGG. A défaul de doIps cbronolo^iqucs fourutes par le
chroniqueur, oa peu( supposer, d'apréij la place que ce fatl occupe daas la suite de soo
tt, qu'il se passa vers l'année loio.
'7'^
LES COMTES DE POITOU
mands mellre leurs prisonniers à morl, il ne recommença pas
combat; les deux parlis passèrent la journi'Oà s'observer, cl enfin
ia nuil suivanlo, an momcnl de la pleine mer, les pirates remon-
tèrenl surleurs navires avecleurs prisonniers cl gagnèronlle large.
Tous les capliTs étant des personnagi^s de marque el de Tenlou-
raj;c du comlej celui-ci ne pouvait les abandonner ; pour les ra-
cheter il futconlrainl de faire de grands sacrifices et ne put arri-
vera ses fins qu'au poids de ror.Toutefois les envahisseurs s'étaient
vus si près de leur perle qu'ils sentirent que l'époque des vicloires
faciles étail passée et ils ne reparurent plus sur les côtes de
TAquitaine (I).
Les deux incursions successives des Normands, les actes de
piraterie qu'ils avaient pu commettre impunément, cl qui avaient
été sur le point d'avoir une terminaison si néfaste, donnèrent à
réllécliir à Guillaume. Le sens gouvernemental du duc était trop
ouvert pour qu'il ne se soit pas dès lors aperçu du danger per-
manent qui résultait pour ses états de la facilité d'une descente
sur les côtes désertes du Bas-Poilou. Depuis un siècle, rien n'a-
vait été tenté pour remédier à Tétat désolé de cette région,
absoluraient dépeuplée par les invasions. Les forêts s'étaient
développées, le pays s'était recouvert de bruyères et il était
devenu pour les comtes, ses possesseurs directs, un de leurs
plus beaux domaines de chasse. Un viguicr, dominant les molles
de Brera et de Talmont, des agents forestiers étaient les repré-
sentants de leur autorité; au nord, au sud, les vicomtes de
Tliouars etsous eux les seigneurs de Farlhenay possédaient bien
de vastes territoires, mais ces puissants seigneurs se contentaient
d'en tirer les maigres revenus qu'ils pouvaient donner (2).
Ce n'est pas à eux que le comte s'adressa. Il conçut l'idée de
(ij Chron. d'Adémur, p. ijC. Comme daoa le paragraplie précédent le clironî-
queur a parlé du pape lienoîl VI II, qui rétjna de 1012 à 1024, el de Geoffroy, qui fut
abbé de Saint-Martial de Limoges de 1008 ù 1020, il ne semble p.'is que révénement
dont il est ici questioa puisse être mis après l'année 1020; nous inclinerions ptul^it
à placer l'épisode de ta vicomtesse de Linioi^cs cl celui du comte de Poitiers sous le
régne de Suénou I, roi de Danemark, qui, de lOoS à roi3, ne cessa de faire des expc-
dilioas marilirues contre l'Any^letcrre, auxquelles celles dirigées coatre l'Aquitaine
peuvent bien se rattacher.
(a) Curl. de Suitit-Ctjprten, pp. SSS-SSg. Les possessions des seigneurs de Par-
ihenay et de Thouars le long des côtes de rOcéao, cl qui rcmonlaienl au moins jus*
qu'à la rivière de Vie, proveuaicnl sans util doute de concessions qui leur avaient clé
faites par Guillaume Fier-à -Bras après soa accord avec le comte de Nantes.
I
GLILLAOIE LE GRAND
«75
redonner la vie au pays en y appelant une populalion nombreuse
qui, groupée autour de ses chefs naturels, sudirait pour arrêter
toute entreprise hostile venant de la mer. Mais il ne pouvait
entrer dans ses vues de donner à ces contrées renouvelées une
organisation autre que celle qui régissait alors la société» c'est-à-
dire une organisation féodale ; il ne pensa peul-élre même pas
à faire administrer ce territoire par ses agents, il était trop certain
que, vu la tendance à inféoder toute_charge personnelle, à créer ces
liens rallachanl l'homme l'un à l'autre à tous les degrés de l'échelle
sociale, et qui seuls semblaient conslituer une force dans une
société si troublée, il chercha dans son entourage un personnage
doué des qualités qui lui permellraienl de réaliser le projet qu'il
avait en vue. Son choix se fixa sur un guerrier du nom de Guillau-
me, que le surnom de Chauve dislingue de ses successeurs. Il
devait être de haute race, afin de n'avoir pas à rencontrer
dans les compagnons qu'il était appelé à dominer des émules
ou des rivaux, et nous ne serions pas surpris que ce fût un des
enfants que Guillaume Fier-à-Bras laissa de ses nombreuses
liaisons. Le comlelui donnale pays de Talmond, comprenant loule
la région sise cuire la Jaunay, TYon, le Lay et l'Océan, avec
l'île d'Yeu,et lui fil épouser AmeHne,sœur de Guillaume de Par-
thenay, qui lui abandonna une partie de ce qu'il possédait dans
celle région (l),le tout formant une grande seigneurie. Guillaume
le Chauve s'intitula dès lors prince et seigneur du château de
Talmond (2), amena aveclui du Ilaut-Poilou des guerriers nobles
ou non nobles qui devinrent ses barons, à qui il donna des terri-
toires en fief, avec l'obligation d'y construire des églises, cl il fut
suivi d'une masse de population qu'enlralnail l'appcU de ce bien
qui a toujours été le plus envié, la liberté. En vertu de contrats
(i) Marchftgay, Cart, da Bas-Poîtoa, pp. 82,92, 98, prieuré de FonUioes.
(3) Cart. de Talmond, p. 6.5. La qualificatioa insolite de prince, pr inceps, prise par
Guillauniele Chauve est une attestation certaine de la haute situation que le comte de
Poitou lui avait faite ; il n'est, pour son chilleBu de Taltnond, dans la dépendance d'au-
cua autre seijÇ^eur que le comte, cl se considère comme l'ég'Bl des vicomtes, jouissant
des mêmes droits qu'eux et dcsignanl comme eux ses vassaux par le titre de barons,
baroncs. On pourrait peut-être aussi voir dans ce titre de prince lindice , d'un rôle
militaire el tout spécial qui aurait été conhé au seigneur de Talmond, la qualitica-
tion de prince s'accolant à celle de seigneur et étant absolument indépendante d'elle
• Talemonlis castri princcps et dominus «.
}'}i)
LES COMTES DE POITOU
librement consentis, les vilains, possesseurs de terres où ils édi-
fièrent leurs demeures, furent absolument libres de leurs per-
sonnes, et n'étaient obligés envers leurs seigneurs qu'aux charges
et redevances imposées sur leurs tenues, suivantl'usage féodal (I).
Serfs ou coUiberts ne se rencontrent pas dans le ïalmondais et
l'effet de cette situation privilégiée, dont nous faisons honneur
à Guillaume le Grand, se fit sentir dans les régions avoisinanles;
elle y amena la disparition de l'clatde servage qui, pour des motifs
à peu près semblables, ne s'implanta pas dans ce centre impor-
tant qui s'éleva bientôt de l'autre côté du golfe delà Sèvre, à la
ilochelle.
En ce temps, à une époque indécise qui se place enlre lOlO et
1020, un grand désastre vint alïliger la capitale du Poitou. Un
immense incendie la ravagea et réduisit en cendres la calhédrale,
plusieurs églises et le palais du comte. Guillaume sut pourvoir à
la tâche considérable qui lui incombait : il reconstruisit son palais
et vint en aide aux établissements religieux dont les ressources
s'épuisaient à relever les édifices ruinés; ceux-ci furent rétablis
avec plus de splendeur qu'ils n'en avaient auparavant, et Ton
doit croire que les églises, enlre autres améliorations, virent
remplacer par des voûtes en pierres, dont l'usage se généralisait,
les plafonds de bois qui prôlaient à Tincendic des aliments si
dangereux (2). La calhédrale de Saint-Pierre fut l'objet des
soins particuliers du comte, el les travaux marchèrent assez, rapi-
dement pour qu'en 1024 on fût en état d'en faire la dédicace.
Guillaume fit de nombreuses invitations pour cette cérémonie qui
devait avoir lieu le 17 octobre ; parmi les prélats dont il comptait
(t) La Boulelicre, Cari, de Taîmond, introd,, p. /\à; Mnrchegay, Cari, dit Bat-
Poitoti, p. y7, prieuré de Fonlaines.
(2) Chron. ifAdémar, p. i8is. Le chroniqueur place ccl événemenl ù la suite des
faits se rapporlaut à la découverte du chef de saial Jean-Uapfistc. Il y a peut-élre lieu
de le rapprocher d'ua autre fait que le retcotisscmeul donaé à cet évëaemeat
mémorable a fuit laisser dans l'ombre, mais dont le souvenir noiisa été conservé par
une inscription. Dans les derniers jours du mois di? février de rannt'C ioi2j. v. s.,
c'esl-ii-dire en ioi3, l'abbesse de Saiote-Croix de Poiiiers, Hcliardc, en faisant faire
dca travaux dans t'cglise de Salnte-Hadeg'ondc, découvrit le tombeau de la saiatc qui
était, depuis les invasions normandes, resté caché à tous les regards. 11 est possible,
voire même probable, que cette recherche se ratlachait à la reslauralioa de l'église,
consumée à une époque dont l'inscriptioD relalaot cette découverte nous aurait à peu
près conserve la date (Voy.deux oolîccs de M.rahbn Auber et le fac-similé dcsinscrip'
lions dans les Bulletins de la Soc, des Anliq. de rOnesl, 1847-18/(9, pp. 36i el 537).
GUILLAUME LE GRAND
'77
faire ses hôtes, se Irouvaienl son ami Fulbert, Tévêque de Char-
tres, el l'archevêque de Bordeaux, qui, pour des motifs divers,
ne se rendirent pas à Poitiers (1).
Atin déviter « un plus grand mal»», selon tes termes qu'emploie
Richer à propos du mariage du roi Robert avec Bcrthe, il ne
put se résoudre à rester veuf après la mort de Brisque et il
épousa, en 10i9, Agnès, fille d'Otto-Guillaume, le puissant comte
de Bourgogne (2). Celle union était disproportionnée, Guillaume
ayant atteint la cinquantaine, et sa femme étant toute jeune ;
mais cette fois encore il sut mettre la politique d'accord avec ses
(i) Les hUloriens ne sont pas d'nrcord au sujet de la date qu'il coovîeat de dooDcrâ
la dédicace de la calhédrale de i'uilierj» que l'abbé Auber (//ist.de la catkédruU de
Poitiert, I, p. 36) el Lcdain [Hist. sommaire de Poiliert, p. Sa) placeat, sans motifs
plaasiblcs, au i!> octobre ioai.G;lte date oous semble devoir èlre rapprochée de queU
ques anités, el il nous paraît qu'il y a seulemeol lieu d'hésiter entre les «oDées ioa4
el loaS. La première de ces dates « pour elle les inductions que l'on peut lirer d'une
lettre de Fulbert h Guillaume le Graad dans laquelle i'évéque de Chartres lui marque
toute sa bonne volonté pour amener un rapprochement entre le roi et l'archevêque
de Bourges d'uD côté el le comte de l'autre (Mii^ne, Pii/ro/o^^ie lai., CXLI.col. 236);
or rel accord s'opéra dans le courant de l'année ioa4, après le coocticde Faris,qui se
tint lorsdes fêtes de la Pentecôte decettc année,et comme Fulbert déclar*; ilans la même
lettre que, pressé de terminer avant l'hiver les grands travaux de sa propre cathédrale
Cl d'en couvrir les crypies, il ne pourra se rendre à l'inviiatioa que le comle lui «
envoyée pour assister à la dédicace de la cathédrale de Poitiers, il s'en suivrait que
cette dernière cérémonie eut lieu postérieuremenl au aa mai ioa4i juur de la Penie-
cole cl anlcrieuremeat â l'hiver de celte même année. Comme corollaire de la lettre
de Fulbert on rencontre une lettre d'Iaemberl, évéque de Poitiers, à l'archevêque de
Bordeaux, lequel aj'ant réclamé une escorte pour se rendre à Poitiers, I'évéque lui
répondit (iAif^ae, Putroloyie /u/.,CXLI, col. 37i)qu'il était empêché de le faire par suite
de l'absence du duc, parti en expédition et qui ue devait rentrer que le 17 des calendes
de novembre (16 octobre), veille de la fêle de la dédicace >< cum sequenti die simus
dedicaiuri ecclesiam nostram ». Celle-ci aurail donc eu lieu le 17 octobre loa^. Mais
ici surfait une difficulté : les canons des conciles ordonnaient que les consécrations
des églises ne se Gsscnt qu'un dimanche ; or, en ioa4. le 17 octobre tombant un
samedi, il y aurait lieu par suite d^admettre que I'évéque de Poitiers ait déféré à une
invitation pressante de Guillaume, fixant la fête au lendemain de son retour ou mieux
encore que les cérémonies de la consécratiou d'une éiz^lise comportaient un vigile et
duraient deux jours. Toutefois, nous devons faire remarquer que les anciens bréviai-
res de Poitiers indiquent au 17 octobre la fêle de la dédicace de la calhédrale, et
qu'eu ioa5 ce jour tomba un dimanche.
(a) La chronique de Saiot-.Mai.vcol (p. 38^) rapporte le mariag'e de Guillaume
et d'Agnès à l'année loaS, mais cette date est contredite par une charte du carlulaire
de Cluny (III, p. 789, éd. Bruel), qui est datée du mois de mars 1018, v. s. . et dans
laquelle on voit A|(rnc.s assister à ladonalion que son mari fait à l'abbaye de Cluny de
l'église de Saiat-Paul-en-Gâline. Cet acte étant le seul de ceux, assez nombreux, du
chartrier de Cluny où parait Agnès, qui porte uue date, nous ne pouvons faire autre-
loent que d'adopter l'indicalioa chronologique qu'il fournit en mettant l'erreur de la
chronique de Saini-Maixcnl sur l" compte d'une faute de lecture assez compréhen-
sible, le chiffre V de la date MWlll ayant pu être pris pour un \ cl donuer par
suite .\L\X111.
17»
LKS COMTES DE POITOU
senlimenls : Agnès élaiL de raco illuslre, son père élanl fils d'A-
ilalberl, qui. pendatil quelque temps, avait porlé le titre de roi
d'Ualie, el sa mère, Ermeiilrude, élanl petile-lille du roi Louis
d'Oulremer (1).
Pendant les années qui suivirent, Guillaume semble ^"ètre
exclusivemeiil, consacré à sa nouvelle épouse el à la recons-
Iruclion des édifices publics de sa capitale, mais en 1022 il se
lança dans une alTaire qui ne lui pas sans lui causer d'assez vifs
ennuis.
Il avait toujours pris une part prépondérante dans la nomina-
tion des évêques des cités qui étaient dans sa sujétion directe en
lanl que comte, à savoir : Poitiers, Limoges el Saintes, el avait
lail élire à ces sièges des prêtais à sa dévotion. A Limoges, les
vicomtes avaient bien cherché à usurper ce précieux privilège de
choisir l'évêque, mais Guillaume se montra toujours très ferme
dans le maintien de ses droits. C'est ainsi que, l'évêque Audouiti
élanl venu à mourir le 23 juin 1014, son neveu Géraud, fils de
Guy, vicomte de Limoges, fui aussitôt choisi pour lui succé-
der (2). Comme l'évêché de Limoges dépendait de la province
ecclésiastique de Bourges el quu Gauzlin, qui avait été nommé
archevêque par le l'oi liobert, n'avait |jas encore pu prendre posses-
sion de son siège par suite de l'opposition du vicomte el doshabi-
lauls de Bourges qui ne voulaient pas d'un bûlard pour archevê-
que,fût-il de sang royal (Gauzlin était fils naturel d'Hugues Capel),
Guillaume décida que le sacre de Géraud serait fait à Poitiers
par Parchevêque de Bordeaux, Seguin. Ce prélat el ses suffra-
gants, Arnaud, évèquedePérigueux, islon, évèquede Sainles, Gri-
moard, évêque d'Angoulême, el Gislebert,évêque de Poitiers, se
réunirent donc pour accomplir la formalité dePéleclion de Pévè-
que par ses pairs, mais plutôt en somme pour ratifier le choix
du comte. Ils ne se montrèrent rélVactaires qu'à l'occasion de la
cérémonie religieuse. Quand Guillaume porta son choix sur lui,
Géraud était encore laïque ; les évèqucs déclarèrent unanime-
ment que, d'après l'autorité des Pères de TÉglise et les règles
canoniques, on ne pouvait conférer simullanémenltous les ordres
(n Voy. Plister, Etudes sur le règne dt Jioùeri, pp. ^52 et 260.
(a) Arbellol^ Chron, de Aluleu, p. '61.
GLTILLAUME LE GRAND
'7',»
ecclésiastiques depuis le grade de portier jusqu'à la prêtrise,
que pendant les quatre-teoips de Tannée et cerlains jours du
temps de carême (I) jusqu'aux Hameaux ; durant quinze jours ils
refusèrent de faire la cérémonie du sacre, mais Guillaume ne
tint aucun compte de leurs scrupules et, sur son ordre, Gisleberl
conféra le même jour à Géraud tous les grades ecclésiastiques,
après quoi Seguin consacra le nouvel évêque dans l'église de
Saint-Hilaire (2).
Bien que Gauzlin se filt fait représenter au sacre de Géraud par
deux moines de son abbaye de Saint-Benoil-sur-Loire, le duc
d'Aquitaine et les évèques de la province de Bordeaux, s'aulori-
sant de ce précédent, voulurent, lors de la nomination d'un nou-
vel évéque de Limoges, le soustraire encore à la juridiction de son
ordinaire. Géraud, que le duc Guillaume parait avoir afreclionné
particulièrement età qui il avait donné, outre sonévêché, la charge
importante de trésorier de Saint-Hilaire de Poitiers, mourut pré-
maturémeut à Charrou\,le 1 i novembre 1022, après quinze jours
de maladie, en se rendant à Poitiers pour assister aux fêtes de la
Toussaint (3).
C'était le troisième personnage de la famille des vicomtes de
Limoges qui occupait le siège épiscopal de cette ville; aussi les
compétitions parmi ses parents furent-elles nombreuses, et c'est
à prix d'argent que ceux qui aspiraient à cette dignité cherchèrent
à l'obtenir. Le comte était vivement sollicité dans ce sens, mais
des influences religieuses, auxquelles se joignit celle particulière'
ment puissante de Guillaume, comte d'Angoulême, agirent sur lui
et à la fin de janvier 1023, pour se dégager, il tint un plaid ù
Saint-Junien, où il convoqua le vicomte Guy et les principaux per-
sonnages du Limousin. Dans cette assemblée, on procéda à une
(i) 11 oe Dûus « pas été possible de spécifier «{uel^ élaicDl les jours du lempd de
carême où il était permis de faire des ordioalioas; le sens de Texpressiou « dies alba*
torum II, empluyée par Adémar, n'a été déterminé par aucun glossaire de dates.
(s) Chron. d' Adémar, p. 173, et add., p. 173. La prise de possession de rérècbé
de Limoges ou iotroaisatiua de l'evèque eut lieu le mardi 9 novembre ioi4,jourde la
fêle de saint Tbéodure.
^3) Citron, d' Adémar, p. 174. V07. le récit, par M. Faye, de la découverte de la
sépulture de Géraud daus les ruines de l'église abbatiale de Cbarruos eo i85o {Dnll.
de lu Soc. des Antiq. (/e TOrief/,!'* série, VI,pp. 109 elss.,el Didroo,Anruil.<trchéol.,
\?' m)'
LES COMTES DE POITOU
élection d'où sortit le nom de Jourdain de Laron, prévôt de l'ab-
baye de Saiiit-Junien, homme d'une grande nobles&e d'âme el
d'une grande simplicité d'allures, mais qui loiilefois élail laïque
et comptailsans nul doute parmi les fidèles du comte, car ou Ire Té vê-
ché dont Guillaume disposa en sa faveur, illuidonnaà tenir en alleu
le fief de Courlfages (1); le lendemain malin, le comte, accompagné
des évoques Islon et Isembertel d'un grand nombre des assistants
au plaid, se rendit à Limoges où il fut reçu en grande pompe par
les moines de Saint-Martial. Le jour suivant, il fit tondre la barbe
du nouvel évoque, l'emmena dans la cathédrale de Saint-Etienne
où il le Hi ass^^oir sur le trône épiscopal et Finveslit de sa di-
gnité par la remue du bâton pastoral. Puis, s'en allant à Kome
pour y passer, suivant son habitude, le temps du carême, il ordonna à
son fils (juillaume de faire procéder avanl son relouràl'ordinalion
de l'évoque. Le jeune comte convoqua l'assemblée des prélats à
Saint-Jean d'Anj^ély ; le samedi de la mi-carôme, 24 mars 1023,
Jourdain reçut 1r diaconat ella prêtrise et le lendemain diman-
che, il fut consacré devant le chef du Précurseur par l'évêque de
SainieSj Islon, qui remplissait alors la charge d'archevêque de
Bordeaux, et qu'assistèrent Rohon, évêque d'Angoulôme, Arnaud,
évêque de Périgueux, et Isembert, évêque de Poitiers, qui
venait récemment de remplacer son oncle Gisleberl ; le comte
d'Angoulême et l'évoque de Périgueux accompagnèrent Jourdain
à Limoges et concoururent à son installation. Mais l'archevêque
df Bourges ne voulut pas reconnaître la consécration du prélat
faite en dehors de sa parlicipatiou el au mépris de ses droits tant
spirituels que temporels, car l'archevêque recevait une importiinte
rétribution pour la cérémonie de Timposition des mains.il frappa
tout le diocèsede Limogesd'excommunication àTexception del'ab-
bayedeSainl-Martial,qui était dansiadépendance directe du Saint-
."5iège,et interdit à l'évêque d'exercer toute fonction épiscopale.
Guillaume, qui avait tant contribué à l'éleclion de Jourdain, dont
la consécration n'avait eu lieu que par ses ordres, prit nalurelle-
(j ) Besly, ffist. des comtes, preuves, p. 3o4 6is, d'après une charte de Sainl-Elienoe
de Limogea; cet acte ne porle p«9 de date ni de désig'nation expresse de conite de
Puitou, mais oous (l'hêsitons pas à recotinaUro dans cette donHtion la main de Guil-
Inume le Hrand.
GUILLAUME LE GRAND
i8i
menl failel cause pourltii, tandis que le roi de France soutint Gaiiz-
lin ; delà grande querelle entre les deux princes, aussi Roljerl,
pourymettrefin, convoquii-t-ilà Paris, pour !a Pentecôte de 1024,
un grand concile auquel assistèrent une foule de personnages de
marque. La sentence d'excommunication fut conGrmée ; Jour-
dain,soutenu par Guillaume, essaya bien de résister ; il eut même
la velléité de porter l'affaire à Rome, mais, en fin de compte, sur
le conseil d'hommes sages, et particulièrement de Fulbert de
Chartres, qui s'entremit pour lui, il se décida à se soumettre. En
conséquence il se rendit en procession à Bourges, nu-pieds,
accompagné de cent clercs ou moines,égalemenl nii-pieds,et vint
en cet état implorer le pardon de son supérieur ; celui-ci. satisfait
de cet acte d'humilité, fut au-devant de son sufTragant et le reçut
avec tous les honneurs ordinaires en le relevant par ce fait de la
peine portée contre lui. peine qui frappait en même temps son
diocèse (1).
Des motifs particuliers empêchèrent peut-être Guillaume de
poursuivre sa résistance contre Tomnipotence que le roi s'attri-
buait en la circonstance, car, en somme, c'était lui qui se trouvait
derrière Gauzlin, qu'il avait imposé à l'archevêché de Bourges.
de même que Jourdain ne s'était soustrait ù la juridiction de son
ordinaire que sur l'ordre de Guillaume. II pouvait avoir à souf-
frir de la brouille qui, depuis deux ans, existait entre le roi et
lui^ et il préféra sacrifier une satisfaction d'amour-propre (car
en somme il était dans son tort) à des intérêts autrement graves.
Henri II, l'empereur d'Allemagne, venait de mourir en Saxe,
le 13 juillet 102-i.Ilne laissait pas d'enfants. Les grands seigneurs
d'Italie crurent l'occasion favorable pour secouer le joug de
l'Empire germanique et ils se cherchèrent un roi. Ils offrirent
d'abord la couronne fiu roi do France ou, à son défaut, à son fils
atné ïïugues; Robert déclina leurs avances. Les envoyés italiens
se lournèrenl alors vers le duc d'Aquitaine, qu'ils connaissaient
de longue date, ses fréquents voyages à Rome l'ayant mis en
rapport non seulement avec les papes, mais encore avec toute la
haute noblesse italienne. L'habileté et la sagosfe dont il avait fait
(i) Chrtin. ifAtiémar. pp. i8» et ss.
i8a
LES COMTES DE POlTOr
preuve dans le gouvernoment de son duché en ni«^ine lemps que
la puissance dont il jouissait le mellalcnl au premier rang des
princes de son temps. Sa générosité élait l}ien connue el,de plus,
sa femme Agnès était la pelile-fille d'Adalbert, le dernier n/i de
race nationale qu'eût possédé lltalie. C'eût été à tous les points
de vue un concurrent redoutable pour le nouvel empereur d'Al-
lemagne.
Guillaume refusa la couronne pour lui-même, mais ceux qui la
lui ofTraient ne s'élanl pas rebutés et lui ayant demandé son fils,
il sollicita quelque délai avant de faire connaître sa décision. Jl
se méfiait des Italiens dont il connaissait la duplicité; aussi, avant
de pousser raffaire à boul, rt'clama-l-il aux envoyés un engage-
ment qui serailpris par tous les marquis, les évèques el les grands
du royaume conslalanl [ju'ilsélaienl d'accord pour conférer h son
fils le royaume d'Italie el l'empire Romain. Les envoyés firent
sermenl qu'il aurait IouIp satisfaction, autant, dirent-ils, qu'il
serait en leur pouvoir (1),
Guillaume senlif toute l'imporlance de cette reslriction;aussi,
sans se liàler, avec sa prudence habituelle, chercha-t-il, avant
d'agir, à s'assurer tous les éléments du succès. D'abord il se pré-
occupa de se ménager l'appui du roi de France el lui fil deman-
der par Foulques Nerra d'empêcher les seigneurs de la Lorraine
de se joindre au nouvel empereur d'Allemagne, Conrad II; ilpro-
mellail au roi, pour ce bon olFice, une somme de 1000 livres et
cent vêlements précieux; la reine Constance devait en outre rece-
voir un don particulier de 500 livres. De plus, il s'entendit avec
son cousin Eudes de lilois, qui aspirait à la possession du royaume
de Bourgogne sur lequel les empereurs d'Allemagne cherchaient
aussi à mettre la main (2). Les promessesetlesdons cfTeclifs ne fu_
rent assurément pas ménagés aux personnages lesplus marquants
(]ui pouvaient contribuer au succès de l'alTaire et Tévùque de
Turin reçutenlre autres, poursacalhédrale, la mâchoire de saint
Jean,délachée du chef conservé à Sainl-.Iean dWngély (3).
(i) Cfiron. d'Adèmir, p. i88; Mig^ne, Patrologie lai., CXLI, col. 272, lellrc d"IIé-
ribtTl n Fulbert, évoque de Charlres.
(a) jMignic, Patrohjjie lat., UXLI, col. qSS, leUrc de Fouhjues au roi Ituberl.
(3) IJu Cauçe, Traité his(. ilu c'ief tle saint Jenn-Uapliste, p, i5a.
GUILLALTME LE GRAND ^^ ,g3
D'un autre côté, atîn de s'assurer les ressources nécessaires
pour pousser l'affaire à bout, Guillaume tin! à Poiliers,le G mars
1025, un plaid solennel où assisl^^enl sa femme Agnès, ses fils
Gaillaume et Eudes, Guillaume, comte d'Angoulème, et son fils
Audouin.révêque de Saintes, coadjuteur de l'archevêque de Bor-
deaux, les évêquesde Poitiers, d'Angoulême, de Périgueux et de
Limoges, les abbés des monastères du diocèse de Poiliers, les
chanoines de Sainl-llilaire. et de .çrands personnages du Poi-
tou (I i.fsembert,évêque de Poitiers, Islon.évêque de Saintes, et
Hohon.évêque d'Angoulême, furent chargés par le comte de s'oc-
cuper des préparatifs de toutes sortes que comportait une pareille
entreprise, et sans doute aussi de veiller à l'adminislralion du
duché pondant une absence qui pouvait beaucoup se prolonger (2).
Puis Guillaume se rendit à Tours, où Eudes lui avait ménagé
une entrevue avec le roi de France, et où furent réglées les con-
ditions d'une action commune ainsi que la part qui devait revenir
à chacun d'eux en prévision d'un succès futur (3).
L'hiver ayant été ainsi employé à toutes ces négociations,
le comie attendit la réponse que les Ilaliens devaient faire aux'
conditions qu'il avait posées pour son acceptation. Celle-ci ne
venant pas, il jugea prudent de s'assurer par lui-même de la
situation et accompagné de son fidèle conseiller, le comte d'An-
goulème, il se rendit en Lombardie afin de se mettre en rapport
avec les grands seigneurs du pays. Il ne tarda pas à s'apercevoir
du sort qui était ménagéau futur roi d'Italie. La pluparl des évè-
ques devaient leurs sièges au dernier empereur d'Allemagne,
l'archevêque de Ravenne,Arnoul, était même son frère; ils étaient
(i) A cette assemblée,Hui;ues de LusisToan fit approuver l'acte d'échange iotervena
CDtre loi et le cbapilm de Saint-Hilaire-le-Grand qui lui cêJfiil «ne pièce de terre sise
eu face de son cliAteau où il projetait de construire une l'çlise en l'honneur de Notre
Dame (Arcb. de la Vienne, oriç., Noaillé. n» 79 ; Mém. litf la Soc. des Antiq. de
rOaett, I" série, XI, p. 337).
(a) Mi^e, Palroloyie int,, CXLI, col, 270; lettre d'Isembert.ivéque de Poiliers, à
révéque d'ADc»ers, par laquelle il a'exeuse de ne pouvoir aller assialer à la dédicace
de sa cathédrale.
(3j Hugues de Lusi^an avait accompagné Guillaume à Tours où, sur son instance:,
le roi délivra un diplt^mir conKrmaat la foodatiou du prieuré de Nolre-Uame et assu-
rant aux rrlif^ieux qui le desserviraient la propriété f>erpéturlle des biens qui leur au-
raient été donnés nu de ceux qu'ils pourraient acquérir dans l'avenir (Arcb. de la
Vienne, orig.. Noatllé, n« 81 ; .W/n. de In Soc. des Antiq. de rOaest^ x^* série, XI,
p. 398 ; Migne, Palrotogie lai., Icllre de Fulbert au roi Itolierl ).
LES COMTES DE POITOU
donc partisans de la domination de l'Empire. Les grands sei-
gnoiirs, désireux de s'assurer la possession de ces riches évèchés,
voulaient que le nouveau roi en chassât les lilulaires et les rem-
plaçât par des hommes à leur dévotion. C'était mettre entre leurs
mains tout le pouvoir spirituel et temporel du pays, dans lequel
le roi, ne possédant aucun bien et sans autorité personnelle, se
serait trouvé absolument isolé, et aurait été en quelque sorte le
prisonnier des barons, qui, sous l'ombre de son nom, auraient fait
toutes leurs volontés.
Celle situation était Irop en opposition avec les sentiments de
Guillaume pour qu'elle pûl lui agréer. Il avait toujours été le
maître dans ses étals, et il n'entendait pas que son fifs abdiquât
ainsi son autorité. De plus, 11 lui répugnait prufondémenl d'user
de violence àFégard de cesévéques, de ces memhres de Tépisco-
pat pour qui il avait toujours témoigné le plus grand respect et
de rompre ainsi avec son passé et ses traditions de famille ii).
Enfin il sentait qu'il n'existait pas chez les Italiens celle utiaiiimité
de sentiments (jui devait faire la plus grande force du roi qu'ils
auraient élu, et qui aurait été un grand facteur dans la lutte
qu'il ne pouvait tarder ri entreprendre contre l'empereur d'Alle-
magne.
Il chercha bien à constituer et à rattacher plus spécialement à
son fils un parti dans leeiuel seraient entrés lesév^ques qu'il aurait
détachés de rattache impériale et les barons qui n'auraient pas
été les adversaires de l'épiscopat. Il s'ouvrit dans ce sens h l'un
de ses chauds partisans, Mainfroi, marquis de Suze : u 11 ne me
paraît pas, hii disait-it, que l'entreprise commencée au sujet de
mon (ils puisse aboutir utilement et honnêtement. Comme votre
nation ne garde pas les serments qu'elle a donnés, de grandes
embûches seront dressées contre nous. Si nous ne pouvons ni y
écha[)per ni les surmonter, le sceptre qui nous est oU'ert ne sera
qu'un vain hochet, et nous aurons perdu toute la bonne renom-
mée que nous pouvons avoir. »> Il le priait ensuite de s'entendre
secrètement avec l'archevêque de M ilan et l'évoque de Verceil, pour
(i) Miçne, Pfttrologie lai., CXIJ, col. Sag, leUre du duc Guillaume i^ Léoo,
évèquc de Vcrceil.
GUlLLAinVfE LE GRAND
i85
voir si celle façon d'agir avait quelque chance de réussite (1).
Mais il ne tarda pas à s'apercevoir que ses efforts seraient vains,
et il prit le parti de s'en aller sans bruit, abandonnant les Maliens
à eux-mêmes; moinsde deux ans après ils étaient retombés sous
le joug de l'Allemagne.
Un de ses confidenls.Léon, évêque de Verceil, lui écrivit, alors
qu'il était déjà en roule pour revenir en Poitou, une lettre énig-
raalique où semble dominer, avec des sentiments d'amitié qui
paraissent réels si l'on en juge d'après les lettres de Guillaume,
un ton de persiflage qui devait être alors, et qui a été longtemps
depuis, la caractéristique des Italiens à l'égard des gens d'au delà
les monts. «Ne t'ai triste pas. mon cher ami, lui écrivail-il,si tu as
élé trompé par les Lombards. Si tu veux m'en croire.je te don-
nerai ù ce propos un bon conseil. Ne le laisse pas abattre; n'aie
cure du passé, et prends garde à l'avenir. Si lu veux me mander
par un homme très sûr ce que tu coçnples faire, je te donnerai un
trbs bon conseil. En attendant, envoie-moi la mule merveilleuse,
le frein précieux et le nuignirupic lapis que je l'ai demandés
depuis six ans. Je t'en remercie d'avance ; ton bienfait ne sera
pas perdu et je t'accorderai lout ce que tu désireras (2). »
Dans ces derniers mots Léon faisait allusion à des promesses que
Guillaume lui avail faites au début des négociations en cas de
réussite; le comte se lira avec habileté de l impasse où on l'accu-
lait et répondit sur le même Ion qu'il n'avait pu trouver en Poi-
tou de mule merveilleuse ayant des cornes, trois queues el cinq
paltes, mais qu'il lui en choisirait une très bonne parmi les
meilleures, avec un frein comme il le demandait. Que, pour ce
qui était du lapis,il avait oublié quelle largeur et quelle longueur
il devait avoir, et lo priait de le lui ronr.émorer, ra.>suiaiit qu'au
cas où il ne pourrait en trouver de tout fiit il lui en ferait tisser
un suivant la finjon du pays, li^nfin il dit à l'évèquc qu'il le lient
quille de son offre généreuse, car il sait qu'il ne peu! lui |>ro-
curer ce qu'il désire, et pour toute récompense il lui réclame
(i) Mierne, Patrologie /a^,G.\LT, col. 827, lettre du dac Guillaume au marquis
Mainfroi et à sa femme B.
(a) Miffne. Palrologie lat:, CXLI, col. 82g, lettre de Léon, évéque de Verceil, au
duc Guillaume.
■ 86
LES COMTES DR POITOU
seulpmenl un souvenir dans sos [U'ie'Tcs. Mais Guillaume, aprts
avoir ainsi répondu à son corrospondant sur le Ion que celui-ci
avail omployé, profila de l'occasion pour lui exposer ses senti-
ments h l'égard de ses compatriotes :« J'aurais <^lé roi d'Halie.lui
dit-il, si j'avais voulu souscrire à des exigences honteuses et cri-
minelles; mon fils et moi nous avons préféré noiiR relirer (i). «
L'échec que venait de subir le duc d'A(iuilaine n'avait en
somme rien que d'honorable, aussi sa situation n'en fut-elle pas
amoindrie. Dès son retour d'Italie, lequel s'eiïectua au milieu de
Tannée 1025 (2), il ne manqua pas une occasion qui se présentait
pour afTirmor ses droits de suzeraineté. Guy, vicomte de Limoges,
élait mi.irl, ftM'l ûjié, pendant son absence ; Guillaume avait eu
souvent h se plaindre de ce vassal turbulent, qui, père d'une nom-
breuse famille, avait réussi à donner à tous ses enfants des situa-
tions importantes. Adémar, l'aîné, s'était surtout signalé par des
aclesde violence qui avaient assurément indisposéle comte contre
lui, car il ne semble pas avoir succédé à son père sans diilicullé;
le comte d'Angoulôme, ce saf^e conseiller de (juillaume, intervint
encore dans la'circonstance, et, à sa prière, Adémar fui pourvu de
la vicomte de Limoges (3). (.In voitencore le comte, continuanlsnn
rôle d(| grand-prévôt, venir se joindre à tiuillaume d'Angoulême
pour punir Guillaume, vicomte de Marcillac,et son frère Odotric
qui, pour s'assurer de la possession de l{utrec,que leur dispulait
]f»ur frère Audouin, sVMaienl emparés de celui-ci par trahison et
lui avaient fait couper^la langue et crever les yeux. Le duc, après
la prise du cliAteau de Marcillac, n'appliqua pas aux coupables
la peine du talion, mais les priva do tous leurs biens, qui furent
(i) Mipne, Palrologie. Int., CXLI, col. 829 et 83o, IcUiea <Ju duc Guillaume à
l't'v<\([ue de Vercpil.
(2) Diin» la seconde lellre de l'évéque de Verccil, Guillaume lui dil qu'il espère
rccc'Noir de se» nouvelles pour la fêle de Noirc-Darne proehainc; or, ét.iiU donné que
le duc se rendil en Jinlic au printemps, celte fêle de NoIre-iJanje ne peut »'trc aulre
que celle de l'Assomption [jït iioùij ou de la Naiivilé (8 septembre), ce qui pcimcl de
placer le retour du duc aux mois de juia ou de juillel ,
(3) Chron. d'Atlé/iiar, p. i8î<. Ce fail, qui est d'une imporlnnce majeure pour éta-
blir les rapport» des vicomtes de Limou;es avec les comtes de l-'oiîou, a êlé traveatî
par M. Marvaud dans son //inloire des lucomle.s de Li/noyes, ainsi que tous ceux qui
clablisseDi la sujétion de cen vicomtes à t'éii^ard des comtes de l'nitnii ; aussi ne tien-
drons-Dous aucuD compte des dire» de c«t écrivain, qu'il faudrait relever à chaque
infitaol.
GUILLAUME LE GRAND 187
attribués à Aiidouin, lequel avait survécu k sa mutilation (1).
Malgré l'habitude qu'avait (luillaume de s'ingérer dans los
aaires de ses vassaux, il ne semble pas qu'il ait gêné Foulques,
comte d'Anjou, dans l'accomplissement d'un de ces coups de per-
fidie qui lui étaient assez familiers (2). Ce dernier, rêvant tou-
jours d'augmenter ses étals, tenla vers ces temps de meltre la
main sur le Maine. Profilant, on peut le dire, de la simplicité du
comte Hubert Eveille-Chien, il l'attira à Sainles, sous le prétexte
fallacieux de lui sous-inféoder colle ville et les domaines de Sain-
tonge qu'il tenait de la générosilé du comte de Poitou. Le comte
Herbert, qui ne vit dans celle offre que le bénéfice qu'il pouvait en
retirer, et qui d'ailleurs avait rendu à Foulques assez de services
pour ne pas avoir à s'inquiéler de sa duplicité bien connue, se
rendit à son invitation. L'entrevue avait élé fixée au deuxième
jour de la première semaine de carême(3),dansle capitole, autre-
ment dit le château de la ville. A peine Herbert y eut-il péné-
tré qu'il fut immédiatement fait prisonnier. Afin de s'emparer
plus facilement de ses possessions, Foulques avait résolu de le
faire mettre à mort, mais le plan qu'il avail conçu ne réussit
qu'en partie. Sa femme Audéarde, sa digne compagne, qui,
dans la circonstance, juslifinil|sarépulalion de peu aimable, ;«a^«
Manda, devait, le jour oti s'accomplirait le guet-apens de Sainles,
mcllre la main sur la comtesse du Maine, mais le trop d'em-
pressement qu'elle y mil fil échouer sa tentative. La comtesse et
les grands seigneurs manceaux, mis sur leur garde, résistèrent à
toutes les attaques de Foulques qui, craignant de terribles repré-
sailles, n'osa meltre son prisonnier à mort. 11 le garda deux ans
{\)Chron. (VAdémnr, p. 186.
(2) Les fa(;oDs d'af^ir de Foulques élaieol si noioircs que nul, nmi ou ennemi, ne
voulait s'exposer à se trouver en sa puissance. Ainsi llildcj^aire, l'écoL^lre de Poitiers,
ayant demandé h son maître et ami, Fulbert de Chartres, de venir le trouver pendant
le séjour de Guillaume en Italie, il commença par le rassurer au sujet du comte
d'Anjou : « Notre comte Guillaume, lui écril-il, a fait venir Foulques et a obtenu de
lui l en^-açement formel qu'il ne vous tendrait aucune embûche pendant votre voyage
et non seulement celui-ci lui en a fait le serment, mais encore il a manifesté le désir
d'être informé de votre passaçe dans ses états afin de vous couvrir lui-même de sa
protection » (Migne, Patroloyic lut,, CXLI, col. 272).
(3j Cet attentat dut avoir lieu le 7 mars 1020; Foulques paraît avoir choisi inten-
tionnellement ce moment pour le perpétrer, car l'évêque de Saintes, qui aurait pu
le gêner, de/ait se trouver ce jo jr-l<\ à Poitiers, à la grande asseinblce ù laquelle il
se dispensa lui-même d'assister. (Voy. plus haut page i83.)
i88
LES COMTES DE POITOU
et ne le relâcha que sons de bonnes cautions (1). Mnh celle
affaire devait lourner mal pour Foulques, car Alain, duc de Breta-
gne, allié d'Herbert, s'étant empan'^ du Lude dans le courant
de l'année 1027, le comte d'Anjou Tut contraint de relâcher toutes
les cautions qu'Herbert lui avait données (2).
Comme on Fa vu, Guillaume ne manquait aucune occasion pour
cherchiT à faire prévaloir sa pers(Minalité ducale. Celle tendance
se manifesta particulièrement vers celle année 1027, lors de l'élec-
tion d'un archevêque de Bordeaux. Les évoques du duché d'A-
quitaine dépendaient, avons-nous dit, de deux métropolitains: les
arclievêquesde Bourges et de Bordeaux: mais, par un fait anor"
mal, les deux métropoles n'étaient pas sous raulorité du duc
d'Aquitaine : Bourges dépendait du roi, Bordeaux appartenait au
duc de Gascogne, riuillaume n'avait pas cherché à s'immiscer dans
l'élection des archevêques de Bourges, et même on a vu que ses
elTorts pourenleverl'évêché de Limoges à leur suprématie avaient
eu un assez piteux résultat,maisiln'en était pas ainsi de Bordeaux.
L'histoire de cet archevêché est pour celte période assez obscure ;
après Seguin, dont on n'a plus trace au delà de 101*>,on trouve
un Arnaud ou Acius,qui aurait siégé vers 1022, puis, en 1025,
on rencontre le nom d'Islon^évêque de Maintes, qui administrait
Tarclievêché du vivant d'Arnaud, atteint de paralysie, et qui par
suite se qualifiait d'archevêque de Bordeaux (3). Après la mort
C^'
f
\i>^
{t) Chron. (fAdémar, p. 189.
|a) Marcbeçay, Chron. des éf/l. d'Anjou, p. 166, l'Evicre.
(3) Chron. d'Adémar, p. ig^'. Gallin Christ., II, col. 800. Islon prend le litre
d'archevêque rie Uordciiuv daDS l'iiclc (|iie l'on considère Iiabiltiellcmenl comme celui
de la fondation du prieure de Notcp-LKime d« Lnsiijjnan, lequel es( du 9 innrs iiiafi,
bien qu'il porte la da<e de to24,à Irtijutlle lu jilupurl dfs hïslorieus s« sont tenus dpn»
ri^aorancc où ils étaient <jue, des lors, l'année en Poitou fouiinençnit au 2") mars.
Certains lufme de ce» écrivains, non scuIcmeuL conimellenl cette erreur de date, mois
ils se trompent jtussi sur la localilé qui fait l'objcl de l'acte, et le considèrent
ainsi que l'a fait Du Temps [Le clergé de France, II. p. irjfi), comme se rapportaot
à l'abbaye de Noire-Dame de Celles. Il y a \h une double erreur que nous avon»
jugé â propos de relever. Adcmar de CbabanneH, dans la succession des archevêques
de Bordeaux, ne menlionnopas Islon, à juste tilro, celui-ci n'ayant jamais été que le
coadjuteur d'Acius, ainsi qu'il est expressémeni itinrquc dans une variante de sa
chronique où il est dil (ju'lslon, après avoir administré rarchevèché de Bordeaux du
vivant d'Acius et sur la deoiande expresse de ce prélat, renonça spontanêmenl, après
«a morl, coaformément aux réj^les canoniques, à la mission qu'il tenait de lui(CAron.
dCAdémar, p. ig^).
ILLAUME LE GRAND iSg
d'Arnaud, Islon se relira el il fui procédé à l'élection d'un nou-
veau prêtai. Or, Guillaume pril une pari ituportante à ce choix
qui se fil d'un commuu accord eulre lui el Sunche, duc de Gas-
cogne, son beau-frère- Ils se réunirenl à Blaye, ville en quelque
sorle neutre, car, quoique fkisunt parlie de ta Gascogne, elle
élail possédée depuis de longues années par le comle d'Angoti-
tême, tidèle vassal du duc d'Aquilaine. Celui-ci fui l'hôte des
deux ducs qui fixèrent leur choix sur un ecclésiaslique de
mœurs irréprochables, nommé GeolTroy, lequel fui aussitôt con-
sacré,à savoir le 8 septembre 1028, dans Téglise de Sainl-Komain
de Blaye, par les évoques, ses suflraganls, convoqués à cet effet :
Isembert de Poitiers^Arnaud de Périgueux et Islon de Saintes (I).
Ce Geoffroy était de nation française, ce qui semble indiquer
que, dans la circonstance, Guillaume avait réussi à imposer son
candidat. Du reste, son inlhience paraît avoir prédominé dans les
élections précédenies, et si on n'ose l'aîrirmer pour Tarclievéque
Arnaud, le fait est absolument certain pour fslon, qu'il chargea,
lors de son départ pour ritalie, de veiller conjointement avec
deux aulres évèquesau maintien du bon ordre dans le duché (2).
Durant toute sa vie, Guillaume s'était toujours, par caraclère,
beaucoup préoccupé des questions religieuses, et en ce moment
il en était deux qui attiraient particulièrement son attention,
l'une, l'extension de l'hérésie des .Manichéens dans ses états,
l'autre, la reconnaissance de l'apostolat de saint .Marlial, question
qui partageait en deux camps le clergé du Limousin et même ce-
lui d'une parlie de la France et était arrivée à un état aigu.
Comme il arrive généralement aux époques de foi vive, certains
esprits, surexcités par l'étude des questions ardues que compor-
tent les mystères de la religion chrétienne, ne se contentaient
pas des solutions approuvées par l'Église, et allaient chercher
au delà ce qu'ils pensaient être la vérité. C'est ainsi qu'au com-
mencement du XI'' siècle naquit l'hérésie des Manichéens. Ktle
apparut d'abord dans les écoles, puis, malgré la répression vio-
(i) L, Detisle, Notice tur les mnnascriis orij. J'Adèinnr, p. 77.
(a) Oa[>eul rapprocher de ce récil ce fait que, vers loaa, Guillaume cul encore une
ImporlaDle eotrcvue & Blaye avec le duc de Gascog'ne et que celle-ci pouvait bien ne
pasèlre étrangère à la situation faite à l'archevêché de Bordeaux par la maladie d'Ar-
naud (Voy. plus haut, page t6o, et Labbe, Nooa bibl, mon., U, p. 174).
igo
LES COMTES DE POITOU
lente dont elle fut Tobjel, elle se propagea rapidement. D'Or-
léans, son centre, elle gaj^na l'Aquitaine el trouva divus le Limou-
sin, dont les peuples ont toujours témoigné des Icndauces dévo-
lieuses, voire même superstitieuses, un terrain prupiee pour faire
fructifier sa semence. Les Manicliéens n'uUai|uaienl pas seulement
les dogmes de rÉ^iise catholique par la croyance à deux princi-
pes opposés, Dieu, principe du bien, le diable, principe du mal,
ils rejt'taienl le baplôme, la présence réelle, le culte de lu Vierge
Marie el des Saints, et ne condamnaient pas seulement la hiérar-
chie ecclésiastique, les temples religieux el les cérémonies de
rÉglise, mais encore ils sapaient la société elle-même dans sa
base, en se prononçant contre l'union de l'homme el de la femme '
qu'ils toléraient seulement.
A l'abri de ces doctrines professées par des hommes instruits
etd'uu cai'actère jflus particulièremenlspéculalif,desabus s'intro-
duisirent dansia pratique populaire, et Adémar de Chabannes, qui
vit de près les Manichéens à Limoges, déclare qu'ils adoraient le
diable d'abord sous la figure d'un nègre, puis sous celle de l'ange
de la lumière qui devait leur apporter chaque jour beaucoup
d'argent, enfhi que si, en public, ils praliquaieul l'abstinence
comme les moines et prêchaient la chasteté, dans des réunions
mystérieuses ils commellaienl toutes les abominations de la
luxure. Ils attirèrent beaucoup de peuple à leurs croyances sub-
versives, aussi Guillaume fut-il amené à sévir contre eux. A. Limo-
ges, ils apparurent du temps de l'évêque Géraud, mais il ne sem-
ble pas que Ton ail recouru contre eux au supplice du feu, inau-
guré par le roi Ilobcrt à Orléans; seulement, vers 10ii7, le duc
fit tenir àCharroux un concile, où se trouvèrent presque lous les
grands seigneurs de l'Aquitaine et oh furent arrêtées des mesu-
res pour obvier à la propagation de l'hérésie (1).
Bien qu'Adémar ait écrit que les Manichéens étaient les véri-
tables fliessagers de rAntc-Christ,il ne semble pas qu'il ait donné
à ces mots leur sens litléral et qu'il ait cru que leur apparition
présageait la fin du monde. Les prédictions de l'Apocalypse ont
de tu ut temps frappé des intelligences maladives qui ont vu dans
(i) Chron. <f Adémar, pp. 173, 184, i^<
GUILLAUME LE GRAND
191
les grandes calasLrophes qui se reproduisent périodiquement les
averlisseuienls d'un prochain cataclysme. Cette préoccupation u
pu se faire jour dans certains milieux auK approches de celle
date de l'an mil à laquelle on pouvait attribuer un caractère lali-
dique, mais elle ne se fait iiultemenl sentir dans les actes de nos
ducs d'Aquitaine. Guillaume Fier-à-lîras a agi sans plus de façon
que ses prédécesseurs el, quant àson fils, sous qui a sonné Theure
prétendue lalale, sa conduite est celle d'un homme qui songe à
préparer l'avenir en vue de sa propre salisfaclion. S'il assure son
pouvoir, c'est pour en jouir; s'il se montre généreux à l'égard
des élabli&sèuients religieux, c'est parce qu'il esl un homme
pieux, et même il n'esl pas aussi large à leur égard que cer-
tains de ses devanciers ou de ses successeurs, car son esprit
sage et pondéré l'éloigné de ces entraînements qui ont poussé
les uns et h;s autres, tour à tour, dans des voies exlrêmes. Il est
certain que dans le siècle qui a précédé l'an mit et môme d'assez
bonne heure on trouve fréquemment, dans les préambules de char-
tes du Poitou contenant des donations de biens aux églises^
celle formule k peu près invariable : <i La fin du monde étant
proche, sa ruine s'accroît de jour en jour, ainsi qu'en témoignent
des présages certains (t)." Elle élatl consignée dans le célèbre re-
cueil de formules rédigé par Marculfe dans la seconde moitié du
va* siècle, el quijusqu'à l'apparition des légistes^a été usité dans
les chancelleries et fut le guide des notaires (2). Ceux-ci possédaient
des extraits de ce recueil, de peliles cûmpihilions dans lesquelles
les parties choisissaient les textes qui étaient le plus en rapport
avec les sentiments qui les guidaient dans leurs actes et c'est
ainsi que s'explique la dissemblance que Ton constate dans la
pratique quand on veut étudier la chose de près. Ainsi, il semble
qu'il a existé en Poitou deux écoles ou plutôt deux formulaires,
employés chacun dans une portion du pays. A Poitiers, où sié-
geait la chancellerie du comte de Poitou, où l'enseignement le
plus élevé se donnait dans les écoles de Saint-llilaire et de la
(i) u Mundi leriuiuo appropiuiiuanle ruiaisque cjua crebreacisutibuâ jam cerla sigaa
inaDifestHndir. w
(a) De Huzière, Recueil général des formules usitées dans l'e/npire des Francs
du V* au xe siècle, l, p. 224 i BaJuze, Capilularia, II, col. 4o3.
iga
LES COMTES DE POrTOU
Calhédrale, les formulai res n'ont jamais donné place à la croyance
de la lin du monde prochaine, qui pouvait sembler une hérésie;
dans les charles de Sainl-Hilaire-le-Grand et de Saint-Cyprien,
on n'en rencontre aucune trace tandis qu'elle apparuH dans la
plupart des autres char tri ers du Poitou : à SaiuL-Maixent, de
«73 à la fui du siècle; à Noaillé, de 971 h 1020 (1) ; à Saint-
.louin-de-Marnes, où, de 9(»4 fi 1038, on emploie celte formule
précise : « à mesure que ce siècle s'écoule la fin du monde appro-
che (2); » enfin à Sainl-Jean d'Angély.où l'on trouve non seule-
ment l'emploi de la formule ordinaire vers 971, mais encore celui
d'une autre fort alambiquée où il est l'ail allusion aux iniquités des
nations (3).
Il ne semble pas que riuillaume ait pris des mesures spéciales
contre les Juifs qui étaient à celle époque répandus un peu par-
tout, mais dos inanift^sliitions pnrliriilières d'un zèle excossif se
produisaient de temps en temps. Ainsi, en 1010, l'évêque de
Limoges, Audouin, ayant résolu de faire disparaître tous les Juifs
de son diocèse, leur donna un mois pour se faire baptiser ou quit-
ter lepays.ll ne voulut pas employer la force, mais agir par la per-
suasion et des docteurs chrétiens furent chargés de les évangé-
liser et de discourir avec eux, mais ci' fut en pure perle, car trois
ou quatre seulement consentirmt à se faire baptiser, les autres,
avec femmes et enfanls, préférèrent s'exiler et se répandirent
dans les villes voisines (4). Il ne faut pas oublier que, vers le
même temps, un acte qui causa un grand bruit fat encore le
fait d'un Limousin. A Toulouse, pour les fêles de Pâques, il
était d'usage que, dans la cathédrale, un Juif vînt recevoir un
soulUeten représailles de celui donné au Christ dans sa passion.
(i) A. Richard, Charles de Sainl-Afttixent, I, pp. 03, 67, 7^, 86, 88, ya, 9/1, 98;
Arcb.de la Vienne, orig^., Noaîllé, no» 8, ai, /|0, Tjj, 61,62, O7, 68, 70, 70, 87.
(2) Cart, de Saint'Joain-tie-A/arnes, pjK 1, ii, «7; « L)um seculum transit Hnia
muodi tippropiu4]uat. u
(3) Cari, de Saint'Jean d'Angély, de 971 à 102O, 1, pp. 74, 75, a>7, a3o, aSi :
u Jam muodi Icrmino appropiaquantc cl ecclcsk Dli *juo in divcrsitatem ç^cntium a
Domino disposilc longue laleque a Jîdelitjus cjusconblructe fuerant fessf jaccbanl quod
ut Domiuua dicît îniquitascotûdiaDa malitic incrcnipatasumït,preserlim ciim sit |H)sita
inter scorpiones et serpentes more liominurn viventcs. »
(4) Chron. irAilénmr, p. 163. Il y a lieu cfe rn(iprDcher de ce faîl le trailé com-
posé par Fulbert de CLarlres contre les Juifs (Aligne, Patroloyie {ut,, GXLI,
col.3o5).
r.UILLAUMlî LE GRAND
193
Or le viconilo Aimeri de Uochechotiarl so Irauvail au lonips des
fêles à Toulouse, et, par déférence pour lui, on chargea son cha-
pelain d'infliger au Juif la flélrissure habituelle- Mais celui-ci,
subissant encore la vive impression des scènes de la Passion qu'il
venait d'entendre rappeler^ frappa si violemmenl le malheureux
que, faisant jaillir de sa tête la cervelle cl les yeux, il le tua du
coup, ce qui, croyons-nous, dul forlement surprendre les assis-
tants habitués à des pratiques plus douces (IJ.
Ce fait de brutalité était sùremenl dû à une vivo surexcitation
du sentiment religieux, surexcitation qui était dans les tendances
de l'époque el qui se manifestait à tout propos, ne fût-ce que par
des actes de pénitence cxccssive^succédanl à des actes do violence
inouïs et souvent en précédant de nouveaux. Guillaume parait
à ce sujet presque une exception dans la société du temps, mais
si son caractère répugnait aux excès, il le portait à se mêler aux
discussions religieuses, dans lesquelles il soutint avec âpreté sa
manière de voir. Tel fut-il entre autres dans la question de l'apos-
lolal de saint Martial, qui, pendant quelques années, agita profon-
dément ses ôlats.
Il ne s'agissait pas, comme do nos jours Font cherché les his-
toriens, de savoir si saint Martial vint dès le premier siècle évan-
géliser l'Aquitaine, ce fait n'était pas alors révoqué en doute.
On admettait que saint Martial était l'un des soixante-douze apô-
tres du Christ et qu'il avait été envoyé do Itome dans les Gaules
par saint Pierre lui-même ; mais les moines de Saint-Martial do
Limoges avaient été plus loin : ils revendiquaient pour leur patron
la qualité d'apùire. Jourdain, l'évéque de Limoges, dont la cathé-
drale était placée sous rinvocution de saint Etienne, proto-mar-
tyr, vit dans cette prétention des moines une menace pour la
suprématie de son église el même pour l'autorité épiscopale dont
ils tendaient à s'all'ranchir en se faisant rattacher directement
au Saint-Siège. L'utl'uiie fut portée à un concile qui se tint à
Poitiers le 13 janvier 1024. Il n'y fut pris aucune décision (2),
(1) Chron. d'Atléma?', p. 175.
(a) L'Art île oéi-ijier les dates, p. 202, ïndi<(ae, d'après Pogi.lttlcnue de ce coocilo
en 1023. Mais, clanl doonée sa dale du i3 janvier, il se pourrait, aetoa le mide de
comput quia pu élrc employé, que ceUo assemblée n'ai( eu lieu qu'eu 1024*, cq tout cas,
elle eât .lutérieureù celle de Paris de celle même auuce io-'/|, coalmlremeot h l'opinioa
i3
^^
LBS COMTi:s rtE POÎTOT'
Kllfi vint ensuite au concile ile l^iiis du 24 mai de la mGme
année, où se jugeait l*"? dilléreiid on Ire Jourdain et son mélropoli-
lilain^ Oauziin, oLoù l'ivêquc fui excommunif^i malf;ré les eiïorts
du duc d'AtiuUaine; Hoberl el Gauzlin se montrèr-onl favorables
aux prélenlions dos religieux de Sainl-Marlial el firenl reconnaî-
tre leur palron comme apôlrc. Jourdain s'inclina devant la déci-
sion du concile en ce qui le Louchait personnellement, mais il avait
h sauvegarder des inlorèts et il dut pousser l'afTaire de l'aposlolal
de saint Martial dans ses dernières 11 miles. S'étanl réconcilié avrc
l'arclieviique de tioui-gcs, il (onil)a d'accord avec lui clses autres
contradicteurs pour soiimetlre la question au pape Benoît VIH.
Sur ces cnlrefallcs, celui-ci mourut (le i\ juin 102i), et ce fut
son successeur Jean XIX qui rc-pondil à l'évoque de Limoges, hc
pape tourna habilemonL ladînTicullé en donnant une grande exten-
sion au mol d'apùlre, dont le sens lui identifié avec celui d'envoyé
de Dieu. Jourdain se conLenla de celte demi-satisfaction, el dans
les premiers jours du mois d'août 1029 se tint à Limoges un con-
cile où assistèrent rarchevèque de Bourges avec ses suffragants
d'Albi, de Caliors el de Limoges et les évoques d'Angoulèmc» de
Périgueux et de Poitiersqtii dépendaientde rarchevôché de Bor-
deaux. A celle assemblée solennelle il fut arrêté qu'îl l'avenir
l'odice de saint Martial serait célébré comme celui d'un apùlre el
on déclara que ceux qui enfreindraient celle décision seraient
excommuniés. Guillaume prit une part importante h cette résolu-
tion el entraîna les assislanls en leur présenlanL un livre fort an-
cii^n, écrit en lettres d'or, dont Canul, roi d'Angleterre, lui avait
fait présent avec bien d'autres objets précieux, et dans lequel on
lisait quesainL Martial était un apùlre au môme litre que Paul et
Barnabe, qui ne furent pas au nombre des douze disciples du
Chrisl (1). Mais les controverses avaient été si vives qu'elles se
continuèrent encore quelque temps el elles ne furent closes qu'a-
près que les deux conciles de Bourges et de Limoges, tenus coup
sur coupon novembre 103t, eurcnlmaintenu, contre lousceux qui
émise par M. Pfislcr {Etudes sur te rèffne de Rohert, p. 3^3), qui nUribuc aussi à
tort à celte dernière réunion un fait tjui se passa à Limoijes.
(i) Mignc, Palrologie /a/.,G.\LI, col. 87-1 12, Adcin.ari epislola de aposlolalu sancli
Mnrtiaiia j //f«i, col. iri-112, Fragmenlum Bermonia Ademarî; //«•/«, coi, ii5-ia4,
Sermoncs 1res Adcmari ; Item, coi. iij8, Epistola JorJani.
GUILL.VUME LK GRAND
iy5
s'obslincraienl à regarder saint Martial comine un simple confes-
seur, la peino de l'excûmmunicalton (I).
La parlicipalion du comte de Poitou à cette grande querelle
religieuse osl le dernier acte de sa vie publique que nous con-
naissions. Peu après, ?l l'ioailationde son père et de son aïeut, il
prit la détermination de se retirer dans un monastère. 11 ne nous
paraît pas qu'en agissant ainsi il ait simplement obéi à l'impul-
sion de ses sentiments religieux; nous inclinons plutôt à croire
que des raisons politiques le poussèrent à prendre celte grave
décision. Guillaume était beaucoup plus dgé que sa femme Agnès
et celle-ci se trouvait maldecellc union disproportionnée ;d'aulrc
part, elle était ambitieuse. Elle voyait avec inquiétude arriver le
moment oii, par suite de la mort de son époux, elle perdrait le
haut rang dont elle jouissait et serait contrainte de s'incliner
devant une nouvelle ducbes.se. La succession ducale devait enelîel
revenir h Guillaume, le fils d'Aumodc, quij, déj;\ âgé, ne man-
querait pas de se marier aiissitôl qu'il serait arrivé au pouvoir.
Aussi, se modelant sur Conslance, la reine de France, qui avait
fait tousses efforts pour enlever le trône aux enfants du premier
mariage du roi, elle entreprit une lutte sourde contrôle lils de la
première femme de son mari et cbercha h attirer ses préférences
sur l'aîné de ceux qui étaient issus de leur union et à qui elle
faisait porterdèsce moment le nom dynastique de <iuillaume(2).
Mais le cûmle,avec celte fermeté dont il donna tant de preuves, ne
se prétapas àces manœuvres; son fiisaîné,donl il n'avait pu faire
un roi, devait lui succéder dans son ducbé. Toutefois, craignant
h juslc titre qu'Agnès, dont il connaissait le caractère violent, ne
vînt à profiler du moment de [rouble qui suivrait sa mort pour
usurper le pouvoir, il ne trouva d'autre moyen pour empêcher
ses machinations d'aboulir que de mettre, lui vivant, son fils
(i) LaLbc, Conriliii, IX, p. 803; Art de vêrijtcr les tîntes, p. ao2.
(2) La chronique de Saiol-Maixcnl ropporle (pp. 388 et 3y'i) que le fila otoé d'A-
gnès porluil le iiotu de Pierre ; par la sui(e, il fut appelé (iutlbumc, ainsi que ses
prédécesseurs, mais il esl avéré que sa mèro lui faisait prcnJre tout cnfanl ce nom
de GuiHauoie, réservé aux nlués des comtes de Poitou ; il él.iit bien l'ainé des enfants
d'Agnès, oiais, dans l;i série des entants de Guillaume, il n'avait que le troisiétno
rang. Ce fait est coustnlc par une charte de Noaillé (Arch. de la Vienne, oritf., u»> 80),
postérieure au mois d'aoùl 1029 cl dans laquelle se trouvent les souscriptions du duc
el de sa famille dans l'oi-drc suivant; S. Willehni cornitia. S. Atjnetis sutpujcoris,
S. WilletmiJiUi sut, S. Udoni Jilii sui. S. Iterum Willelmi Jilii sut.
.96
LES CONfTES DE POITOU
aîné pn possession de l'aiiLorilé. Il ne put ou ne voulut, comme
l'avail l'ail le roi, associer son fils à soniilre ainsi qu'àson pouvoir,
et, pour arriver à ses fins, il renonça à l'un el à l'aulre. 11 se
retira dans la splendide abbaye de Maillezais, où il mourut peu de
temps après, le 31 janvier 1030, âgé de soixante et un ans, el fut
inhumé dans le cloître de l'abbaye (i).
La vie de Guillaume le Grand serait imparfaitement connue si
l'on s'en tenait aux faits principaux de son histoire que nous venons
de rai)peler ; on peut heureusement, î^ràce h son contemporain,
voire môme son panégyriste, Adémar de Chabannes, avoir une
idée plus complète du rùlequ'il joua dans la société de son époque.
Le tj'ès glorieux étirés puissant comte de Poitou, duc des Aqui-
tains, se montra, dit-il, au-dessus des princes de son temps par
son alTabililé exlrôme ; ses conceptions étaient aussi élevées que
sa sagesse élail grande, salibéraliléélail excessive, et s'il était vé-
ritablemenl le défenseur des pauvres, on pouvait encore Tappeler
le père des moines, le constructeur el le défenseur des églises,
enfin toute sa vie il ht preuve du plus grand dévouement envers
le Saint-Siège; dès sa jeunesse, il prit l'habilude d'aller tous les
ans à Rome, généralement à l'époque du carême, et si, pour un
motif quelconque, il ne faisait pas ce voyage, il le remplaçait par
un pieux pèlerinage à Saint-Jacques-de-Composlelle (2).
Les dates de ces visites au célèbre sanctuaire galicien ne nous
sontpasconnuos, mais on peut croire que l'une d'elles se fil pendant
la rcconslruction de la cathédrale de Poitiers, el que le comte
dut à la générosité d'Alphonse V, roi de Léon, son ami, quelque
portion des reliques de sainl Aciscleel de saint Némèse qui furent
(r) Celte date de loîo esl fournie par k chronique de Saint-Meixenl (p.^ijo) cl par
Pierre (le Mattlczaîs (Labbc, A'opa bibl. inan,, II, p. 257), mais ces deux textes ne
sont pas d'accord sur Idtfc qu'avait Guillaume le tirand nu moment de sa mort;
tandis que la clironiquu do Sainl-.Maixent indique soixante et onze ans, Pierre de
Maillcziiis ne parle que de soixante et un aus. Besly, dont nous avons du reste adopté
la manière de voir, l'ail reinanjucr à juste tïtrc [llist, des fom/as, preuves, p- 278 ùis)
ijiie ai l'on cuucédaJt au cumte l":|sjc de soîxanlc et onze ans lors de son décès, il fau-
drait faire remoaler sa naissance à l'anoêe 'jjy, ce qui ue peut se concilier avec Vi\ge
que devait alors avoirs» mère: le mariage de celte dernière^ ainsi «pie nous l'avons dit
plus haut (pai^c loa, note 3), n'a pu avoir lieu ({u'en ç^^S.
(a) Chro/t. <l'A(lém'-ir,p. itiS.Le comte sclrouvaîl ii Home en ioi2,avec Audouin,
évèquedcLinioîjes(C'Aro«, (/\-lt/émar, p. 171), elen 101 3, lors de ia découverte du chef
de sainl Jean-Baptiste (//ewi, p. 17'J); le 2 mai 1017, il était à Pavic, revenant de
Ituiuc avec ses deux fils (Brucl, Charles de Clnnij, III, p. 73î).
GITILI.AUME LE GRAND
'y?
enlermôed avec des parcelles de celles de saint lîasyplie dans une
ampoule ou reliqnaire en plomb, que l'on plaça dans le massif
de Taulel de la cliapelle de Sainl-Xisle h la calhédrale{l).
ïûulefois, malgré sa piélé, ritiillaurae ne se rondil jamais aux
Lieux SaiiUs. Le voyage t'Iait trop long, on'pourrail mùmc dire
trop périlleux, pour un chef d'étal, et il dut se contenter d'encou-
rager de ses conseils, et sans doute aussi de ses deniers» les gens
de son entourage qu'un zèle ardent ou parfois un sentiment de
vaine gloriole poussaient à celle entreprise. L'Aquitaine fournit
à cette époque un fort contingent de pèlerins appartenant à toutes
les classes de la société, tant pauvres que riclies, au nombre des-
([uels on remarque les deux plus fidèles vassaux du duc d'Aqui-
taine, (juillaume Taillefer, comte d'Angoulème, el Foulques
Narra. Ce .dernier, qui avait tant de méfaits sur la conscience,
fit même trois fois le voyage de Jérusalem (il succomba dans le
cours du dernier, en lOiO); quant à (îuillaume Taillefer, il fil
partie d'une troupe de près de sept cents personnes, venues de
tous les points de la France, qui gagna la Palestine, par terre, au
prix des plus grandes fatigues. Lecomted'Angoulêrae parait avoir
été le personnage le plus signalé de ce pèlerinage, dans lequel
il fut accompagné par l'abbé de Sainl-Cybard, qui mourut
en roule, el où l'on remarquait aussi Eudes, comte de Cliâleau-
roux, qui avait pour principal compagnon lliicliard, abbé de
Déols (2). Parmi les autres pèlerins notables de l'Aquitaine à celle
époque, on trouve Guy, vicomte deLimoges,el son frère Audouin,
évoque de cette ville (3), Jourdain de Laron, successeur de ce
(i) Otte ampoule a été découverte en 1891, lors des rcpuralions faile!» à la chapelle
de Sainl-Xiate et remise en place le 25 iiuvembic 189/1. Elle portallsur son couvercle
une inscription curieuse en quatre lignes ainsi con<;uc : a Scputcrum Khuscpi, No-
œenstii, Aciscii (ou AciscLii). )>
-{■ SEPVLC II RUESEPIV || NOMEMSTtI || ACISGLl.
Aciscle elNcnicsc sont des marlyrs de Cordouc dont les reliques furent transférées
h Saint-Jacques de Couipustclle au xi« siècle et Hasyphe fut niarlyrisé à I\omc, d'où
Guillaume le Grand put rapporter quelques parcelles de ses os. Voy, notre article :
L'/ftscri/ition du reltqtiaire deSar/tt-AisU à lu cathédrale de Poitiers [Courrier de
la \ tenue, no du 5 décembre i8^)/|; Lu Semaine reliffietise du diocèse de PnilirrSf
no» des i el ij décembre i8<j/|); Bolland., Acta sancl. jnnit, VU, pp. aj5 el 238 b;
Item, juin, V, p. 387.
(a) C/irun. dWdt'niary pp. r08, 17 ij 189; PÛster, Etudes sur le règne de Robert,
pp. 345-350.
(3) Chron^d'Adémnr,p, i(i8.
igg
I.ES COMTES m: POITOTT
dernier (1), Raymond, seigneur du Limousin, oncle du chroni-
quourAdi''mar de Clialjanncs{2), llaoul, t'vêqiie dePérigueux (3),
Isemlierl, L'vôque dePoiliers (4), Josbcrl, seigneur de Malemorl,
qui, fail prisonnier par le"vicomle de Comborn, fui délivré par les
habilanls de ses domaines el uiourul en odeur de sainlclé en
allant à Jérusalem (5).
Un voyage pénililc el forcômcnt accompagné de privations ne
pouvait aussi entrer dans les goùls de Guillaume, qui mettait du
fivsie on (ouïes choses. Dans les localités qu'il traversait, dans les
assemblées publiques auxquelles il assislail, il élail, dil encore
Adémar, considéré plut<M comme un roi que comme un duc, tanl
sa personne abondait en noblesse el on grandeur. Aussi il s'alla-
cha tellement Alfonse, roi de Léon, Sanche, roi de Navarrei Ca-
nut, roi de Danemark cl d'Angleterre, que, chaque année^ ces
princes lui faisaient porter de riclies présents par des envoyés
spéciaux, qui, à leur retour, en emportaient de plus précieux
encore. 11 se lia aussi d'une grande amitié avec l'empereur Henri
et l'un et Fautre se faisaient un honneur d'échanger réciproque-
ment des cadeaux ; parmi ceux si nombreux que fit Guillaume
à l'empereur, on remarqua surtout une magnillque épée, toute
en or, sur laquelle étaient gravés ces mois : Ihft/inrm fm/teralor
Ce.yrt;-A*///*w/^/A'.l']nlin les pontifes romains l'accueillaient à chacun
de ses voyages avec autant de déférence que s'il eiH été le
chef du Saint-Empire el le Sénat de nome l'acclamail du nom
de père (6).
AdiVmar dit aussi qu'il possédait toute l'affection du roi de
France. Sur ce point il y a une certaine" réserve à faire, et on
I)Ourrait peut-être appliquer aux sentiments de Ruberl à l'égard
de Guillaume ce qu\\(Iéniar dit de ceux que témoignait Eudes à
{i) Cfiron. iVAilémar, p. \ç)f\.
(a) Cfiron. d' Adémar, p. i6.S.
(3) Chrtm . d'Ailémar, p. jji. Il n'y a pas lieu d'accorder la moindre crénace aa
récit âr (ifolTroy du Nigeois (\A\hhe, Xor>/i lu'/jl , inan., ll,p.297},qui fail mourir Raoul
en l'alcsliric, au cours d'une cxpddilJon militaire avec le comte de Poitou ; il a
pareiilenienl ronfoadu Guillaume \c drand avec Guiilaume lo Jeune; quant à Baoul,
il esl mnrl ù Péripjueu.t.d'oprca Adcmar.
(4) Cfiron. d'Adrrnnr, p. 171.
(f}) Cfiron. d'Adânar, p. ifj'j.
(C) Cfiron. d' Adémar, p. i03.
GriLT.AUMR LE GRAND
»1>0
Renoul II : « Il l'ainiuil parcu qu'il le redoiitail. » Toiil d'abord
los rapports des deux princes durent être inlimes. Pur suite du
dlli
Ad<''laïd(
de F
k-Ui
h
mariage a iiugues (..apei avec Adéiaiac, sœu
élaieiil cousins goruiatiiis (I); puis Itoliert ayant L'prtusé, malgré tous
les obstacles, Berlhe de Blois, la tanle de iiuillaunie, it reporta
sur la famille de celle-ci tous les sentiments d'atTeclion qu'il pou-
vait avoir pour elle, môme ilen fitlamanifeslation éclatante cpmnd
il porta aide au duc d'Aquitaine pour venir h bout des comtes
de la iMarche et de Périgord, Mais ledivorcc de Borlliediiljeler
un IVoid sur ces relations; du plus, bien que OuilUuimc fût devenu
pour un temps le beau-friM-e du roi de France par le mariage de
ce dernier avec Constance, sœur d'Auraodc» les luîtes conlinuel-
les de Robert avec Eudes de Bluis, le cousin de Guillaume et
que celui-ci regardait comme un frère, obligèrent ce dernier h
une grande réserve afin de n'ôtre pas obligé de prendre parti
pour l'un ou l'autre des bolJigéranls : on peut même se demander
si le comle de Poitou, à l'imilalion de son ancêtre Itenoul, ne se
ménagea pas un otage contre les entreprises que le roi de France
aurait pu méditer contre lui. 11 eut en elTel pendant quelque temps
parmi ses lauiiliers le jeune Louis, l'un des fds de Charles de
Lorraine, le compélileur malheureux des Capétiens, pelil-fils par
suite de Louis d'Outremer et dont il reconnaissait publiquement
laqualitéprincière(2). On voit bien Robert etsa femme Constance
se rendre à Saint-Jean d'Angély pour prendre part aux fêtes de
la découverte du chef du Précurseur, puis (îuillaume assister, le
Ûjuin 1017, à Compiègne, au sacre de Hugues, le fils aîné du roi,
(i) Une charle de Bourgueil (Besly, //isl. des romles, preuves, p. 305) dcraa 1028
ou I03Q se Icrniicic ainsi : « reg^Duale rege Rolbcrto iu Fraacia cl cjua consobrîno
Guillelmo iu Aquilauia ».
(2) Ce fait, qui n'a pas encore clé relevé, ressort en toute évidence d'une cliailc du
cartulaire de Bour^ucii (p. 80), par ln<|uclle le comte de Poitou, à la prière de l'abbé
BernoD, donnait à ce inonaslére des s.-iliDes dnns les marais de Charron. Elle 11c porle
pas de date, néanmoins elle doil être circouscrite culi'c le» aiinccs lOùî» et iai2,tcrnic!i
extrêmes de l'abbatial do Bcrnon, cl placée à une cpoque où Emma, mère du comle
Guillaume, devait encore exister, car ce dernier sip^nc en effet l'acle, avec celle dési-
gnalion expresse de tils d'Flmma; on y relève aussi la signature de son (ils Guillauiiio
et enfin celle de Louis, fils du roi Charles, a S. Lodotci tilii Ivaroli régis, » tjui suit
imiucdiaiemcnl en place bonorable celle du comle. Celte mention est à rapprocher de
celle fournie par .Mabillon [Ann. Benedict.,lV, p. 43), qui cale uue charte de l'abbaye
d'Uzercbe en Limousin^ ainsi datée : u Addo ab Tncarnalionc M IX rcj^naule Uolbrrlo
et Ludvico et Karlonio i>. Il est avéré, par ce dernier acte, qu'eu looy lu Icgitiniilé du
pouvoir de Robert n'était pas admise par tous dans les étals de Guillaume le Grand.
LES COMTES DE POITOU
en lê(e des seigneurs laïques (1), mais ces rapports assez peu ?r^
quents n'avaieiil pas le môme caraclère qiïe ceux qui avaient mar-
qué les débuis du règne des deux princes. Guillaume voulait,
comme tout rétablit, êlre maître chez lui et était peu disposé à
souiïrir l'ingérence du roi ; il le monlra bien lors du vif dissenli-
menl qui éclata entre eux lors de rélectton de Jourdain au siège
épiscopal de Limoges et qui dura deux ans au moins, Robert
étant dissimulé derrière Farchevêque de Bourges, riuillaume
derrière l'évéque deLimoji^os. Finalomenl le conflit s'était terminé
par la défaite du duc d'Aquitaine à la suite de la décision du con-
cile solennel que le roi de France avait convoqué à Paris en 1021.
Si, peu après, Guillaume réclama l'appui du roi pour la réali-
sation de ses projets sur l'Italie, il n'a^'il pas directement et
dut recourir ii l'eivlremise de Foulques Nerra, l'allié naturel du
roi de France contre Eudes de Blois, et ce fui le comte d'Anjou
qui régla les conditions de l'accord.
Il s'abstint aussi en 1026 d'assister à la réunion provoquée par
Robert pour le jour de la renlccôtcarin de désigner le futur héri-
tier de la couronne, et chercha même à détourner Fulbert de
Chartres de s'y trouver. « Quanta moi,liii écrivait-il,je ne me ren-
drai pas à la cour du roi, sachant bien que l'on m'en voudra moins
de mon absence que si, présent, je me prononçais pour le roi ou
pour lareine ; duresteje ne feraisrionpour le choix d'un roi sans
m'ôlremisd'accordavecmon frère Eudcs,et soyez assuré que celui
qu'il choisira, je le prendrai aussi (2). » Guillaume partageait
sans doute la jalousie et la méfiauce des grands seigneurs contre
les agissements de Robert, et particulièrement contre les précau-
tions que prenait le roi de France pour assurer la couronne dans
sa famille; aussi quand Hildogaire écrit (de Poitiers) à Fulbert de
Chartres que, tant que le père est vivant, il ne doit pas être créé
d'autre roi à côté de lui, Fécùltltre de Saint-llilaire n'est à n'en
pas douter que le porte-parole du duc d'Aquitaine (3). Fulbert n'i-
mita pas la réserve de Guillaume ; il n'osa résister à l'invitation
de RoberljCt môme il contribua beaucoup à faire désigncrle jeune
(i) Rec. (les ht'sL </e France, X, p. 599,
(2) Miçne, Pairolujie lai., CXLl, col. 83o, S. Guillclnn ducis cpiatolo:.
(3) Mijçne, Palroloffie lai. y C.VLI, col. aSS, S, Fufberli epislolœ.
GL'JLLAl'ME LK GRAND
SOT
Henri pour lui succéder. Une lois i'afTaire décidée, Guillaume
ne bouda plus el, en f 027, il se trouvait à Reims, le jour de la
Pentecôte, parmi les témoins du sacre du nouveau roi (1). Du
reste, le duc d'Aquitaine, qui, dans ses états, tenait ferracmcinl la
main h ce que ses vassaux s'ncquiltassenl envers lui des obtif:;ations
auxquelles ils étaient tenus, ne pouvait s'atTrancbir de celles qui lu i
incombaient envers le roi de France, du moment qu'il n'était
pas en lutte ouverte avec lui ; aussi, au début de Tannée 1028, le
voil-on encore se rendre à Paris et assister au mariage d'Adèle,
iille de Robert, avec Baudouin, llls du comte de Flandre (2).
Ces actes de déférence publique de la part de Guillaume main-
tenaient son bon accord avec le roi et lui permettaient en même
temps d'exiger des comtes et autres grands seigneurs dépendant
du duché d'Aquitaine la m(:me soumission à son égard. C'est ce
que l'on peut induire du texte d'Adémar,qui lait remarquer qu'il
avait assujelti tout le pays à son pouvoir, de telle sorte que per-
sonne n'osait se mesurer avec lui (3). Comme le fut plus tard
Louis XIV, il avait été élevé à une rude école, et les misères de
la lin du règne de son père el du commencement du sien l'avaient
instruit ; avec la ferme volonté d'Être le maître le jour où la
chose lui serait possible, il se Irara le plan de conduite dont on
peut suivre facilement l'exécution. Une Ibis que l'ordre, troublé
par l'ambition des comles de la M arche et des vicomtes de Limo-
ges, fut rétabli, il se préoccupa de prévenir les soulèvements
qui pourraient se produire contre son autorité el en conséquence
il s'appliqua à mettre en pratique le planque nous avons dévoilé,
plan qui consistait h s'attacher ces turbulents personnages par un
lien plus étroit de vassalité el par des bienfaits donl il était libre
de leur retirer les témoignages, plutôt que d'employer la force des
armes, qui n'avait souvent d'autre conséquence que de laisser der-
rière soi, même en cas de succès, un ennemi ulcéré, toujours sou-
cieux de prendre sa revanche. Il ne redouta pas d'augmenter la
puissance de certains de ses vassaux, assuré qu'il était de leur
fidélité par la concession d'imporlanlsbénéliccs, et aussi, il faut
(i) liée, des hist. de France, X, p. 61 4.
(3) Rec, des hist. de France, X, p. ùi-,
(3) Chron. d'Adémar, p. i03,
LES CO.MTKS DE l'OFTOU
bien Tajouler, par ses qualilés personiK^les qui lui allirèrenl de
nomlireuses amiUés. Ciràccàscs générosités à l'égard de Guillaume
d'Angoulôme, de Foulques Nerra, uil'uhi de Doson, sou ancien
adversaire, qu'il laissa sans dilïicullé s'emparer du Périgord ou
qu'il en pourvut directement, il les louait dans sa main et se ser-
vait d'eux pour maintenir dans robéissance ses vassaux de moin-
dre importance.
Fur son habile politique, par la menace de sa toute-puissance,
il arrêta donc tout soulèvemenL contre son autorité, mais ce
résultat ne lui parut pas suffisant; il était dans son caractère de
vouloir que l'ordre régnât partout, et rien n'y était plus contraire
que ces guerres privées, de seigneur à seigneur, qui souvent dégé-
néraient en atrocités (1), cl qui parfois étaient les débuts d'un
incendie souvent dillicile à éteindre. En oppdsjtiun avec les usa-
ges barbares de l'époque où les barons, toujours en campagne
tes uns contrôles autres, n'avaient trouvé de meitleurmoyenpour
all'aiblir leurs adversaires que de mettre à mort ou de mutiler
grièvement les prisonniers qu'iis faisaient, Guillaume inaugura
des façons d'agir plus douces; il fit toujours grâce de la vie aux
captifs, et quand il y avait lien de leur rendre la liberté^il les
rolcUdiail sains et saufs (2). Mais ces procédés, malgré la contagion
de l'exemple qui pouvait en sortir, n'avaient qu'une action assez
limitée, et la magnanimité du duc d'Aquitaine avait surtout pour
clTt't d'augmenter son prestige et d'accroître le dévouement dont
il était l'objet. Aussi seconda-l-il de tous ses efforts les tentatives
que fit le clergé pour arrêter ces luttes barbares et cii restrein-
dre les clfets. C'est an concile de Cliarroux, en 988 ou 989, que
se dessina pour la première fois ce mouvement contre les acles
de violence des seigneurs, qui ne respectaiu'nl ni les prêtres ni
les faibles (3). Peu après, vers 990, il se tint au Puy une réunion
d'évêqucs du Midi, qui proclama la paix de Dieu et dont les
décisions nous font connaîtie le mal profond dont souffrait alors
la société.
(]} U sulfil Je rappeler les mcfuits des vicomtes dcThounrs etdca sîrea de Ltisî^ç^nan
i|Liv Duus avuns racoutcii [ilus tiaul; ces crimes abondent du realc duna Icscbrouiijues
du ICTiips.
(2) C/iron. d'Adéinar, p. 208.
(3J Labbe, Concilia, IX, col. 733.
comin
ardents causait à Limoges de grands ravagipis, le duc conseilla à
l'abhé de Sainl-Marlial el à l'évoque Audouin d'invîler le peuple
à lu uiorlilicalion,el les prélals.se conronnanlà celle invilation,
ordonnërcnl un triiluum de jeune. Puis, tous les évèques de l'Aqui-
taine se réunirent dans celle ville de Limoges où de toules parts
on apporta des reliques de saints, particutièrement celles de saint
Benoît, qui furent extraites du monastère de Saint-Benott-du-
Sau]l(2), et le corps de saint Marlial qui fut lire de son tombeau el
exposé à la vénération des lidùles au Monl-Jovy. A celle assemblée
à laquelle assistaient les archevêques de Bourj^es el de Bordeaux,
les évéques de Clermonl, du Puy, de Limoges^ de Saintes, de
Périgueux et d'Angoubime, fut proclamée la paix de Dieu h la-
quelle adhérèrent le duc d'Aquitaine el successivement tous les
grands personnages du duché.
Les décrois dn concib:^ qui frappaîenl de peines ecclésiastiques
ceux qui les violeraient lurent approuvés par le pape (3). Mais,
malgré cette pression de l'esprit public, le but poursuivi élait
loin d'êlre alteint ; aussi, afin d'arriver à ce résultat tant souhaité,
de nouvelles assemblées se linrenl en Aquitaine. Vers l'an 1000,
le 13 janvier, jour de la fête de saint llilaire, rarchevêque de
Bordeaux présida, à Poitiers, une réunion oîi se trouvèrent, outre
sessulfragants de Poitiers, d'AngouIôme et de Saintes, l'évêque
de Limoges et douze abbés ; il y fut décidé entre autres que toute
querelle survenue au sujet de biens usurpés ne devrait pas se
régler par les armes, mais être portée devant la justice (i).
Un autre concile se tint dons la môme ville, le 10 mars 1011,
mais on nen connaît ni l'objet ni les assistants ; toutefois on doit
présumer qu'il y fui encore question de celte paix de Dieu qui
rencontrait toujours des esprits récalcitrants ; on sait seulement
que Févéque de Poitiers, Gilbert, avait ordonné aux moines de
Saint-Maixenl d'y apporter le corps de leur saint patron qui
(i) D. Vaissete, ffisl.de Lanrfutfdoc, nouv. éd., V, p. i5.
(a) De Cerlain, Miracles de suint Henoil, p. 1 16.
(3) C/iroit. d'Adémar, p, :58 ; M'ts^uc, Palrolofjie /a/ ,CXLI, col. 117-iao, Sermo-
Qes 1res Ademari.
(.'1) fiec. des hitt . de France, X, p. 536; Labbe, Concilia, IX, col. ^80.
204
LES COMTES ÙE POITOU
reçut la visili? du duc, d'abord ti Samt-llilaire^ puis à Saint-
Grégoire (1),
Le nord de la France, le véritable royaume, ne suivit que tar-
divement le mouvement du sud, car c'est vers l'année JOIO-IOH
seulement que le roi Robert fil tenir pour la première fois une
assemblée dans le dessein d'y proclamer la paix de Dieu ; Ton
pourrait croire que riuillaume n'y fut pas étranger, car Fulbert
de Chartres, son ami, joua un rôle marqué dans celle réunion
dont il célébra les résultats par un chant lyrique enlhou-
siasle (2).
Guillaume avait, aulanl que possible, fait observer dans ses
étals les prescriptions des conciles, mais il ne négligea pas à 1*00-
casion de les faire renouveler. Dans les derniers lemps de sa vie,
à rassemblée de Charroux, qu'il avait fait tenir en 1028 ou 1029
dans le but déterminé de faire condamner Fhérésie des Mani-
chéens, il fut ordonné, à son instigation , à tous les grands de
l'Aquitaine qu'il y avait convoqués, de garder la paix de Dieu et
de vénérer l'Église catholique (3).
Le rôle joué par Guillaume le Grand dans cette magnifique
inslilulion de la paix de Dieu est des plus important, sinon même
prépondérant, caries nombreux conciles tenus en Aquitaine, où
celle paix fut proclamée, furent convoqués par ses ordres ; les
textes sont formels sur ce point. 11 voulait dominer dans les
clioses religieuses comme il chercha à le faire dans la société
civile ; heureusement qu'il avait un esprit sage et politique et qu'il
tourna vers le bien les qualités de volonlô et d'esprit de suite dans
lesalTiiircs dont il ôlait doué. Ce fut un grand prince ; il aurait
pu être un tyran.
(i) Marclieffny, C/iron. ries éfjh (T Anjou, p. 387, Saînl-Maiscnl. La date de loio,
inditjuëe pnr ce dociiiiieal, doit dire leporléc à l'auuée 101 1, ainsi qu'il rêsullc J'une
cbartft du cfiriulaire de Saint-Mnixecl (A. Richard, Charles de Soint-MnixeiU, f,
p. 01), où il est dit que le concile s'ouvrit le 10 mars; or, la présence k cet acte de la
comlessc Bris(|ue,qui épousn Guillnumc dans les deux premiers mois de l'arjuéc ion,
place forcement à cette époijue la Icuue de ceUe assemblée, ce qui eVsI nullement
eu conlradiclion avec le texte Je la clironiquc, dont Tautcur, suivant l'usag-e com-
mun en Poitou, commcDeail raaaée au 35 mars.
(2) Rec. des hist.de France, X, p. ^54; Mi^e, Patrologie lat., CXL[, col. 3/|f),
S. Fulberli hymni.
(3) Chron. d'Adémar, p. 19^.
raiiXAiME u: (irand
ies évêques, membres de ces conciles, étaienl pour la plupart
les obligés du duc d'Aquilaine; on a vu la part imporlanle qu'il
prit à l'élection do l'arclievèque de Bordeaux, Goolïroi II, des évê-
ques de LimoiJios (léraud cl Jourdain ; les évoques de Poitiers,
Isember l, el de Saintes, Islon, lui dovaionl aussi leurs sièges ( 1 1^ et
le fait qu'Arnaud de Villebois, successeur de Itaoul, évoque de Péri-
gueux, fut sacré en 1010 à Xaiiteuil-eii- Vallée, abbaye poitevine,
par Seguin, archevêque de Bordeaux, semble bien témoigner de
l'ingérence du duc d'Aquitaine dans celte nominolion (i) ; pour ce
qui esl des évoques d' A ngouléme, étant donnés ses rapports inli mes
avec le comle Guillaume Taillefer,on peut croire que les prélals
furent choisisd'un commun accord enlre le duc et son vassal. En
tout cas, Hohon,run d'eux, qui devint évoque vers 1020, était un
Pûilevin, originaire de Monlaigu , cl sans doute membre de la famille
qui possédait ce lief; de plus, on le voil faire acte de vassalité à
l'égard de Guillaume, assurémenL pour des domaines qu'il tenait
de sa générosité (3). Quanl h lui, dit Adémar, il élail rare qu'on le
rencontrât sans qu'il fût dans la compagnie de quelque évoque, et
d'autre pari il tenail en grand honneur les moines et les abbés
canoniquemenl élus, dont il prenait volonliers les conseils. Aussi
veillait- il avec soin h la régularilé de la vie monasUque, et quand
il s'apercevait que le bon ordre étail troublé dans un couveni, il
employait toute son autorité pour le rétablir; sa vigilance s'ap-
pliqua à presque toutes les abbayes du Poitou.
Saint-Cyprien de Poitiers, qui avail élé pendant si longtemps
un modèle de vie religieuse, avait dégénéré et les moines s'élaienl
alTranchis de presque toutes leurs obligations monastiques. Pour
remédier à cet élat le comte s'adre3sa:iAbbon,abbéde Reury, qui
mainlenaildans son monastère une ferme discipline el, tant par ses
(i) Quand Ciuillaujtic le Grawd arriva âa (vouvi>ir,Gislebert, le cunlUenldesa mère,
occupait rcv<^c!ié Je l*ailtcra depuis viaçl aua cnviroa; il mourut à la fin de l'année
loaa et fut enterre :V Maillczais, où il s*élait saas doute retiré depuis dôj:\ *]ucli|ue
temps; le diocèse était adjninislré, en qualité d'archidiacre, par son neveu li^i^nditirl,
qui lui succéda sans dirticuUé. Islim était frère de (rrlmoarJ, évéquc d'Atij^foutèniu
et parviul à I cvèché de Saitile» à la Bu du x* siècle ; il fut u«i des j>lus fidèles conijta-
gDons du duc Guillaume, qui le fit charger d'admipislrer peadant uo cerlaiu temps
l'archevèchc de Bordeaux.
(2| Chron. cf Adémar, p. 170.
(3) Historin poniijic. et comiUi/n Engolism., p. 27; Bosly, iJisl, des comletf
preuves, p. 288 Ois.
LES COMTDS DE POITOU
conseils que par ses reraonlraticcs, exerçait une grande influence
sur les centres religieux où le di^sordrc, quand ils tombaietil sous
i'aulorilô de chefs laïques, ne lardait guère à pénétrer. En iÛOi,
le savanl abbé Ht coup sur coup deux voyages en Gascogne pour
établirla paix dansle prieuré de la Réole, que Guillaume Sanciie,
duc de Gascogne, avait jadis donné à l'abbaye do Fleury. Au der-
nier de ces voyages, il se rendit aupri^^s du comte de Poilou, à qui il
avait fait demander audience, et implora son appui au sujel d'une
possession de son monastère nommée Salx. Au même lemps, se
termina heureuseraenl une affaire concernant son cousin Gilbert,
abbé de Saint-Cyprien, contre qui avail été portée une fausse accti-
salion criminelle. Il écrivit de Poitiers à ce sujet à Odilon, abbé de
Cluny, snus l'aulorilé de qui le comte avait placé Sainl-Cyprien,
en lui disant qu'il s'était mis en son lieu en vcrUi de cet adage
qui porte que nous devons considérer les biens de nos amis
comme nos propres biens et par suite les favoriser de notre mieux,
puis, après avoir célébré les fêtes de la Toussaint, il traversa
Charroux, Nanlcuil, Angoulème et arriva à la Réole, où il trouva
la mort dans une rixe, le 13 novembre (t).
A Saint-Maixent, postérieurement à 1010, Guillaume envoya
comme abbé, après la mort de Bernard, un moine nommé lîainaud
que sa science avail fait surnommer le IMaton do son époque (2)*
11 chassa ensuite de l'abbaye de Charroux, vers 1014, un per-
sonnage puissant nommé Pierre, qui s'élait fait nommer par des
manœuvres simoniaqucs et administrait l'abbaye comme un bien
séculier. Celle dernière et son église de Saint-Sauveur venaient
d'ôlre délruiles par un incendie que les contemporains rappro-
chèrent de l'apparition d'une comète qui se montra sous la forme
d'une épée au septentrion pendant plusieurs nuits d'été. Le comte
recourut à Ariberl, abbé de Saint-Savin, qui avait maintenu le
bon ordre dans celte abbaye, et lui demanda de lui procu-
rer dix religieux qui fussent do fervents observateurs de la règle
de saint Benoît. Sous la direction de Gombaiid, l'un d'entre eux,
(i) Mi'ïnc?, Patrologie iat.f CXXXIX, col. 887; /îcc. des fitxt. de Frann\ X,
p. !\fn\ Mabillon, Acta sanct. ord. S. Beiiedicli, vj* s., I, pp. 5k et ^S; l'hhoa,
Codex canonam, |), 4 '5.
{2) Chi'on, d'Adémar, p. iC4; A, llîcharJ, Chartes de Sm'nl'Maixenl, I,
p. LXXItt.
GurLLAi ^f
aù'j
que Gtiillaumc leur donna pour chcf.ils vinrent s'installer h Char-
rotix qni rocoinuiença bientùl h jnslifier la qnalillcalion do sainl
qui rlnil communômenl donnée h co rnonaslèrOi^l qu'il devait pri-
milivcmonl à la possession, alors bien jalous(''Oj d'un important
morceau du bois de la Vraie Croix (I).
Le comlc do Poitou fil aussi appel au zi^le du grand abbé do
Cluny, Odilon,pour ramener dansje devoir les hôtesde plusieurs
monastères ctiez qui le relâchement, à peine inlroduil, prenait
rapidement les plusgrandes proportions. Le 2 mai 1017, se trou-
vant ïi l'avie avec ses deux lils aînés, Guillaume el lùides, lors du
retour d'un de ses voyages à Rome, il donna à Labbaye de Cluny
la moitié du cens des poissons dû par les pêcheurs de File de Ré.
Les rapports du comte avec Odilon dataient de loin el l'abbô de
Cluny vint à diverses reprises en Poitou, pour visiler les mo-
naslères qni furent plarés sous sa haute direction, comme ce fut
le cas pour Saint-Cyprien de Poitiers; c'est lors d'un de ces
voyages qu'il ôlablil à Saint-Jean d'Angély une réforme qui ne
fut pas afçréée par tous ceux qui devaient y être soumis (2).
Les choix faits par Guillaume témoignaient non seulement de
ses sentiments de piété el de son désir de voir fleurir dansles éta-
blissements religieux les principes élevés qui formenl Tessonce
des règles monasliques, mais ils étaient encore inspirés par une
juste appréciation failo par lui-momc do la valeur intellectuelle
des hommes qu'il appelait à occuper ces hautes positions d'abbés.
Emma avait profilé de sa retraite à Chinon pour faire donner
h son fils une instruclion aussi développée qu'il était possible
à l'époque, et c'est sans doute parmi les chanoines do Saint-
Martin de Tours ou les moines de Marraoulier qu'il faut cher-
cher les éducateurs du jeune comte. Leur enseignement tomba
sur un terrain propice; aussi, pendant loule sa vie, Guillaume
montra-lil une grande déférence pour les hommes de science.
« S'il apprenail, dit Adémar, qu'un clerc était pourvu de savoir,
(i) Cfiron. (fWdétiutr, pp. lO?. el iS^; Mitrnc, Pnlrologie lai., CXLI, col. 83i,
Guîlleltni ilucis l'jiîsIoI.t; GulUn Christ., Il, coL i^iSo et 1287. Adcrnar désigne
toujours Cli.irrauv sous Je nom de Sanclns Carroftis,
(a) Ciirou. (f'Afté/itar, p. tG^i ; Brucl, Charles f/«> Clumj, p, ySs {yo^. pliis liaut,
p. 171).
ao8
LKS COMTES m'. POITOU
il rhonorait grandement (1).» H avait parlîcuIièremeDl la plus
{grande estime pour Fiilbcrl, lo savant évêque de Cliartres^ qu'il
chercha vainement à attirer en Poitou, el à qui il conféra, en
1022, ne pouvant l'aire plus^ l'importante dignité de trésorier du
chapitre de Saint-llilaire-lc-Grand, après la mort de Gérand,
évêquc de Limoges (2).
Toutefois Fulbert, absorbé par l'administration de son impor-
tant diocèse et se trouvant par suite dans rimposâibilité de rem-
plir les devoirs de sa charge de trésorier, ne tarda pas à vouloir
renoncer à celle-ci. Le comte se donna beaucoup do peine pour
triompher de ces scrupules et entre autres il fit valoir celle con-
sidération, qui lui vint beaucoup en aide, que l'évèque de Chartres
trouverait dans les importants revenus de sa charge des ressour-
ces précieuses pour la réédification de sa cathédrale, ressources
accrues notablement par les dons fréquents qu'il tenait de lagônéro-
si té de Guillaume lui-même. Fulbert se laissa convaincre, cl jusqu'à
sa morl, arrivée le l0avriHO28 (3),it resta trésorier de Sainl-lli-
taire. Ses séjours à Poitiers furent cependant très rares, comme il
le prévoyait, mais, ne voulant pas priver la ville du bien que le comte
espérait de sa présence, il y laissa son disciple le plus cher, IHlde-
gaireou llildier, qui géra en son nom la trésorerie de Sainl-llilaire
eldirigea en outre l'école du chapitre tant au spirituel qu'au tem-
porel(4.). Sous la directiond'un telmaître,etavecrappui du comte,
Pécule de Sainl-llilaire acquit un grand renom ; c'était un des très
rares établissements de ce genre qui eussent été créés au sud delà
Loire, tandis que les écoles monastiques elépiscopales abondaient
alors dans le nord de la France. Mais aussi à chaque difliculté la
main ferme el prudente de Fulbert apparaissail ; Hildegaire le
(i) Cfiron. d'Adémar, p. 1G4. ,
(2) Ciiron. d'Afléniar, p, 16.^. Les mérites, de Fulbert sont rappelés dans une
înscripliuQ ([ui acconiput^ue &on porlrait en pied peint à Trcsque au xui* aiùcle dans
l'une des arcades inférieures du clocher de Sainl-llilaire [Bnil. de la Soc. des Antiq.
de rOitcsly !''« séiie, XllI, p. ii^y, note de M. de Looguemar).
(3) Plistcr, Etudes sur le rèr/iic de /iul/crt, p. xvi.v.
(4) Uildcg^aire est tjduéralcnieat désigné avec la qualilè d'écoliUre de !a catiiédralc
de Poitiers; il nous pai'ajl plutùl, d'après sa cotTcapondance avec Fulbert, qu'il était
ccolîltre du chapitre de Siiint-llilaire. Douze lettres de ce pcraonnag-e se sont rcncoQ-
Irées dons la correspondance de Falherl[M\i!;ne, Pulrûlorji'e Int., CXLI.cot. 2(jti-277,
tcUrca tiG-iig, 125-128, 1 32, i34, r35, l'Srj). \'oy. /lisl. lill.de Iti France, V[\,
pp. îût el ss.
GUILLAUME LE GRAND 109
consultait sur toutes choses, ol les sages conseils du maître no se fai-
saient pas attendre ; un jour même il dit à son disciple : <» Veille
à ce que les élèves ne souffrent ni de la faim ni du manque de
vêtements, »> paroles qui nous éclairent sur la qualité sociale de
la plupart des jeunes gens qui suivaient l'enseignemenl élevé de
l'écolàtre de Chartres; enfin, arrivaient souvent des Uvres qui
grossissaient la bibliolhèque de l'abbaye (I).
Guillaume, considérant Fulbert comme son matlreel un guide
sûr, recourait à ses lumières dans toutes les circonstances déli-
cates de son existence, et lui posait aussi des questions qui devaient
éclairer son jugement. Ainsi un Jour il lui demanda en quoi con-
sistait le devoir de fidélité qu'un vassal devait à son seigneui', et
Fulbert, avec une concision toute laline, lui indiqua, en yajoulant
un léger commentaire, les six caracléres que devait comporter
cet engagement (2).
Le comte de Poitou entretenait une nombreuse correspondance
tant avec ses amis qu'avec des hommes de science, mais de toutes
ces lettres il n'en a survécu que sept qui furent comprises dans
les recueils que l'on fil de bonne heure des lettres de Fulbert;
elles sont adressées à MainIVoi, marquis de Su/e,el à sa reiiunc
lierthe, à Léon, évéque de Verceil, à Fulbert, à Aribert, abbô do
Saint-Savin, et à Hildegaire (3). On a aussi connaissance d'une
lettre où il faisait au roi Robert la description d'une pluie de sang
tombée en Aquitaine el d'une autre adressée à Azelin, archevê-
que de Paris, au sujet de la politique royale (i).Ces lettres, très
remarquables de pensées, sont écrites dans un style élégant, qui
confirme pleinement les éloges qui ont été décernés h (îuillaume
de son vivant sur l'étendue de son savoir. Le désir de s'instruire
s'alliait chez lui au goût pour les livres. Il cul une bibliothèque
dans son palais, et, pour l'acroltre, il se livra lui-mômo à la trans-
cription des manuscrits. Il avait l'habitude de se mcltre h la
(i) Migne, Patrologie tal.y CXLl, col. 232, leUre 23; l'fialer, Etudes sar te régna
de Robert, p. i4,note i.
(2} Migne, Patrologie lat., CXLl, col. aSi-sCo, IcUres de Fulbert A Ilildegnirc,
no» 60, 63-06, III el 1 i3;//e/n, col. 229 237, leUrea do Fulbert tiu duc Guillaume,
no» 58, 5g, 71-73.
(3) M'igae, Patrologie Int., CXLl, col, 827-832, Guillclmi ducis cpistolœ ; llist,
littéraire de la France, VII, pp. 284 el ss.
(4) L, Delisle, Vie de Gaaslin, p. 60, lettre de Robert à Gauzlin, Mk Jo l'icury.
SIO
LKS C0MT1':S DE POITOU
loclure aussil<Vl qu'il se Imuvail seul, ou Inon encore il passait une
longue imrlio de sos iiuils ii lire jusqu'à ce qu'il fiU vaiiiru par le
sommeil (1), aussi esl-ce avec une grande joie qu'il recul du roi
Canul le livre sacré, si riclieinonl d6cor6, qu'il présentaau concile
de Limoges (2); de son côl6, il envoyait aussi en don à ses cor-
respondanls des ouvrages qu'il avait fait Iranscrire ('J).
Au XI" siècle, la grande inslruclion s'alliait généralement avec
une grande piétù, el celle-ci se oianifestail plus particulièrement
par des actes de générosité en faveur des couvents. Guillaume
était de son temps, el la liste de ses bienfaits que l'on connaît est
longue, mais s'il enrichit plusieurs abbayes_, il n'en établit
aucune elen cela il se distingua non seulement de ses ancêlres ou
de ses successeurs, mais encore des grands personnages de son
époque. Kn général, presque toujours môme, ces fondations
furent la conséquence d'une exaltation religieuse souvent momen-
tanée qui avait pour point de départ un sentiment de crainte dans
l'avenir causé par les excfcs de la vie présente : Foulques Nerra,
le terrible comte d'Anjou, fonda les abbayes de Beaulieu el de
Saint-Nicolas d'Augerselfut trois fois en pèlerinage à .lôrusalem.
Guillaume n'a à son acquit ni voyages sensationnels ni brillantes
fondations religieuses; ayant toujours évité de fairelemal, il n'a-
vait pas à rechercher de grands pardons.
Ou a pu constater par ses actes la profonde alTection qu'il avait
pour sa mère, savér-ilable éducalrice; aussi, dans celte voie de
la bienfaisance à l'égard d-\s élablissemeuls religieux, suivit-il
tout d'abord celle que sa mère lui avait tracée, el les principales
œuvres qu'il ail accomplies en ce sens furent le complément de
cellesqu'Emmaavail ébauchées, h. savoir: Bourgueilet Maillezais.
A Bourgueil, cette œuvre de l'exil, à iaquollc il avait pris une
part Icllemenl signalée que souvent elle l'ut considérée comme lui
élatit personnelle, il fil en l'an 1000, fila sollicitation desa mère,
deux dons importants : le 28 avril, ce fut Talleu de Colombiers
avec son église de Nolre-Lïame, et, le 7 octobre, Auzay et Longè-
ves, avec leurs églises, sept autres villas situées non loin de Fon-
(i) Chron, iTAdémar, p. 176.
(2) Labbe, Concilia, IX, col. 882 (Voy, plus liaul, p. igj^i),
(3) Mignc, Pidrulogie taf., C.XLI, cul. fii, S. Fulbcrii epîstolse.
GUILLAUMfc: LE liRAND
lonaVi eti en oiilrtî, les églises fie Sainl-Nazairo ol d'Angoiilins en
Aiinis (1). Puis endn, le 27 décembre 1003, subissant toujours la
même pression, il abanilonnail aii\ religieux de Bourgueil les
localilés (le CrolignoUe cl de Faymoreau avec leurs églises (2).
Les abbés du monastère ne se montrèrent pas moins soucieux
d'obtenir directement des faveurs du comte; c'est ainsi que Bcrnon
se fit donner des salines dans le marais de Charron (3), puis
reçut le conscntemoni du môme pour un échange qu'il fil avec
Hoberl, abbé de Jumièges, du domaine de Longueville en Norman-
die, cadeau de la comtesse Emma, contre celui do Tourlenay,
près Thouars, que la comtesse Adèle, femme de Tête-d'Ktoupo,
avait autrefois donné à l'abbaye normande (i); d'autre part, il
semble que la donation de l'église de Sainl-Nazairo d'Angoulins,
malgré les termes précis de la charte qui la contient, n'avait pas
été complète, car un chevalier du nom de ioscelin, vraisembla-
blement le seigneur de Parlhenay, demanda un jour au comte,
qui y consentit, de concéder celle église aux moines de Bour-
gneil, et, pour plus de silrelé, Tabbé Toudon, qui continuait les
Iradilions de ses prédécesseurs, donna h Joscelin vingt-cinq livres
d'argenl, somme considérable qui témoigne que Ton est plulùten
présence d'une vente que d'une donalion (5).
Emma avait d'abord usé de son inlluence sur son fils pour
allirer ses grâces sur le monastère qui était son œuvre favorite,
celui qu'elle avait établi dans son domaine particulier et à qui
elle n'avait cessé d'apporter des embellissements. Mais quand il
fut pourvu, elle se retourna vers celle création des premiers
jours forcément abandonnée par elle ctqui demandait d'autre se-
cours que Bourgueil déjà parvenutisonplcinépanouîssement. C'é-
taient ces lieux où son fils avait passé sa promit^re jeunesse, cette
île de Maillezais, placée au centre de ces contrées du Bas-Poitou cl
de l'Aunis, dans lesquelles les comlespratiqii aient incessamment de
{i)htslj, Hitt. des co/n/w, preuves, pp. 355, 3ô0; Cari, de Dourgucîl, pp. 3Ii,
45 et 46.
(a) Besly, ffisl. des comtes, preuves, p. 353 ; Cart do Uourgpcil, p. 55.
(3) Cart. de Bourgneîl, p. 8G. Beraoa fuC abbé entre ioo5 et loia.
(4) Cart. de Rourgucil, p. 73.
{5) Cart. de Bourgueil, p. 85. La présence, à cet acte, de Boson, vicomte de Cli.4-
tcllcraull. f|UL inuiirut en 1012, iailii|uâ (ju'tl lioU cire placé celle même auuéc <jui iul
celte du début de l'abbatial de Teudun.
212 LRS COMTES DK POITOU
larges (rouées pour salisfaire ies appL'lils personnels de leur
entourage el les besoins conslamment renaissants des élablisse-
menls religieux.
Le chtlleau de Maillezais élail toujours le rendez-vous de
chasse aimé du comte, el h côté subsistait paisiblement le monas-
ière décliu, devenu un simple prieuré, avec son église de Saint-
Pierre réunie à rabbayc de Saint-Gyprien. Dans le courant de
Tannée 1003, sur la sollicitation de sa mère et en présence de
personnages émiuents tels que sa femme, les comtes de k Marche
el du Gôvaudan, les vicomtes d'Aunay el de Thouars, Tévôque de
Poitiers, le trésorier de Saiut-Hilaire, l'abbé de Saiul-Cyprlen et
aulreSj il délacha Maille/ais de Saïnt-Cyprien et le remit dans sa
primitive autonomie (t). Mais il ne sutllsait pas de décréter que
le titre et le rang d'abbaye étaient rendus au monastère, il était
urgent do le doler sufïisanimenl pour qu'il pût porter le fardeau
que ces qualités lui imposaient; or donc, au mois de juillet de la
même année, le duc lui fit abandon de biens considérables, parmi
lesquels nous citerons loute l'île de Maillezais, l'église de rilcr-
menauU et de nombreuses villas en Poitou, des péages et une tle
avec son église en Aunis (2) ; la charte monumentanl celle royale
concession fut passée à Poitiers en présence de la comtesse Au-
mode, de l'archevêque de Bordeaux, des évêques de Poiliers, de
Limoges et de Saintes, des comtes d'Angoulême et de la Marche,
des vicomtes de Limoges, d'Aunay et de Thouars, qui en garan-
tissaient l'exécution. Le duc ne tarda pas à vouloir se rendre
compte par lui-même de la situation nouvelle faite aux moines de
Maillezais, el au mois de décembre de la même année il vint pren-
dre gîte dans l'abbaye avec une brillante suite qui comprenait
encoresa femme el sa mère, avec les comtes d'Anjou et de la Mar-
che, les vicomtes de Thouars, de Châtellerauïtcl d'Aunay, l'évo-
que de Saintes et bien d'autres grands personnages; c'est de cette
résidenceque, le 27, il fit à Bourgueil la donation de Fayraoreau.
(i) Cari, (le Saint-Cyprien, p. 3io.
{a} Arcèrc, llis(. de la liucheUe, II, p, 663. Le Gallia, II, inslr., col. 879, public un
dîpUlme du comte 'îuillaunicconlcnnn lies principales disposilîoDB de celui édité par Arcère
cl qu'il pluce.à lorl sejable-l-il, vers l'au 1000; il doit èlre reporté à l'aonèe tûo3, après
lu inorldc la coiiiicsse Etiuua qui n'est tncntionnéeni daas l'titic ni dans l'autre pièce.
GUILLAUME LE CiRA.ND
En 1004,1a charte de dolalioii de l'abbaye l'uL confirmée par le
pape, et lors d'un voyaE^c à Homo, an lomps du pape Serge IV,
l'abbéThéodclin, qui, selon ses conlemporams,élai[ d'une habileté
consommée, réussit, avec l'appui du comté, h faire distraire son
abbaye du pouvoir épiscopal et à la placer dans la dépendance im-
médiate de la Cour pontincolc. Théodelin abandonna Fancienno
résidence monachale, qui prit dès lors le nom de Saint-Pierre-lc-
Vieux, et sur remplacement du château des comtes de Poitou,
que Guillaume lui abandonna, il fit édifier un superbe monastère
dont la construclion dura quatre ans; il fut inauguré en iÛlO (1).
Mais les plaisirs de la chasse attiraient toujours le comte dans ces
parages, aussi, désormais privé de sa résidence ordinaire, en fit-il
construire une aulre, le chAloau deVouvent,sur les bords de la
forêt, dans une forte position. Ce fut pour lui Toccasion de faire de
nouvelles générosités à Maillezais, qui s'était du reste beaucoup
cnriclii depuis sa reconstruction et, vers 1023, à la soUicilalion
de l'abbé Théodelin, qui semble avoir toujours joui d'une grande
influence auprès deGuillaume, celui-ci, dans uneassemblée oùTon
remarque son cnlourage ordinaire decomtes et de vicomtes, donna
à Tabbayc l'important bénéfice do Bernard Tallupesà Fontenay ;
ce personnage, n'ayant pasd*enfantSj faisait volontairement l'aban-
don de son bien, et le comte ajoutait à celle libéralité plusieurs
églises sises aux environs et en parlicuher colle de Mcrvenl,
l'ancienne métropole du pays, ainsi qu'un terrain distrait de la
forôt de Vouvcnl sur lequel les moines devaient construire une
église h côté du nouveau chAleau (2).
Guillaume ne pouvait oublier Sainl-Cy|n-ion où, du vivant de son
père, ilavait assisté à tant d'actes iuiportanls; quand il fut arrivé
au pouvoir ilmaintint cette tradition et il se rendait fréquemment
au monastère sur l'invitation des religieux pour y assister comme
témoin aux nombreuses donations que recevait l'abbaye; toute-
fois, dans tous ces actes, lors même qu'ils semblent émanés
de lui, on ne voit guère de concessions qu'il ail faites direc-
(i) Labbe, Novabibt. man., II, pp. aSi et 233, Pierre de Maillezais; Marchcgay,
Chron. des égl. il'AnJou, p, 387, Saint-Maixcnl.
(a) Bcsiy, Hist. des comtes, preuves, p. 307; Arcère, llisl. de la JiocheUef H,
p. 665.
2tfi
LES COMTES (»E POITOU
Icment. C'est ainsi que, lorsqu'il délacha Rolennellp.ment Mait-
Iczais de Saint- Cyprien, il sentit bien qu'il devait une com-
pensalion à celle dernière abbaye, mais, en somme, l'acte qu'il
accomplit à celle occasion aplulùt le caraclère d'une reslilulion
ou d'une confirmation de liljéralilt'S antérieures ; il lui donna les
coiilumes imposées sur la lerro de Deuil en Sainlonge, avec le
terri loire allant de cel alleu à la forêt, lui concéda la terre de
(îermond pour y conslruirc une liabilalion de moines, la fran-
chise du Iransporl du sel lanl pour les besoins des religieux de
l'abbaye que ceux des prieurs de Deuil, el enfin l'alleu de Na-
cbaraps. Or, ce dernier alleu avait 6lé donné antérieurement aux
moines par Arsende el son fils (îuillaurae avec d'autres domaines,
en présence du comlo, de l'évêque de Poitiers el de deux
vicomtes ; quant à Fallcn de Deuil, les moines l'avaient reçu
d'Acbard, fils d'Ebbon, au temps de Pier-à-Bras.
Parmi les actes intéressant Saint-Gyprien, auxquels Guiflaumc
prit plus ou moins pari, on peulciter celui par lequel, à la requête
de Gisleberl, évêque de Poitiers, il confirma les priviR'gos de
franchise dont jouissait le bourg formé autour du monastère de
Saint-Cyprien ; il abolit aussi en sa faveur les péages imposés sur
les unes tant à Poitiers qu'à Pont-Ueau et à Masscuil ; il assista,
avec sa mère, sa femme Aumodcel son fils Guillaume, au don,
fait aux moines par Raoul el sa femme Bélucie, de l'église de
Saint-Maxire el, plus fard, avec sa seconde femme Brisque, ses
fils Guillaume et Eudes et de nombreux personnages, parmi les-
quels on remarque le comte Pons de Gévaudan, la vicomtesse
Audéarde accompagnée du « vir clarissimus » Hubert» peut-
élre son petit-fils, TévCque de Poitiers, Béliarde, abbesse de
Sainte-Croix, à la donation d'Ansoulesse par Thebaull el sa
femme Gisla, enfin il approuva les concessions faites à la
même abbaye d'un domaine en Aunis par Egfroi, vicomle de
GhcUeîleraull, de terres à Périgné par le chevalier Aymar,
d'une forêt à Mezeaux par Hugues de Lusignan (l).
(i) Cnrfitl, fie Saînt-Ci/prien, pp. 3io, 3ii, 2ï, 23, 829, 19'i, 3i3, 283 el /jg.
Aucun de CCS acles n'est dalé dîius le carlulaire clj Je plus, leur analyse y est sou-
vent déFeclueuse, aussi^ à dt-faul de synclirooisnica précis, y a-t-ii lieu d'être trèa
réservé quant à l'épot^ue où ils oal élé passés.
r.UILLAUMK LK CHAND
Une autre abbaye du PoKoii, Sainl-Maixenf, eut aussi grando-
meiil à se louer de Guillaume ; il lui donna lY'glise de Damvix,
dans le Bas-l'oilou, avec la forêt qui l'cnlourait, et ce, semble-l-
il, en reconnaissance de ce que les religieux avaient laissé Irans-
porler à Poitiers le corps de leur saint patron, le iOmars lOH,
h roccasion de la tenue d'un concile dans IV'glise de Saint- 11 i-
laire. Quand il eut placé lïainaud à la tète de la communaulé,
afin de bien disposer les moines en faveur de cet àtrangei', il leur
abandonna le droit de vinage qu'il percevait sur les vignes du lieu
de Sainl-Maixcnl; puis, à la requête du môme abbé, il déchargea
la ville à tout jamais du paiement de l'impôt de l'ariban, c'est-
à-dire de la corvée spéciale qui y avait été établie par sa mère
Emma el dont celle-ci avait fait don à un chevalier, nommé
Hugues, à qui fut en retour assurée une rente annuelle de cin-
quante sous; enfin, en mai 1029, il ratifia, de concert avec
GeoITroy, vicomte de Thouars, des dons de colliberts faits à la
même abbaye par Rainaud, chevalier du vicomte (1).
Avant même que la découverte de la tête du Précurseur eiU
attiré sa générosité sur Saint-Jean d'Angély, il avait fait cadeau
à celle abbaye du bois d'Argenson, près de Saint-Féli\ en Aunis,
cl par la suite il assista avec ses fils à de nombreuses donations
faites à cet élablissenTcnl (2).
Lorsque l'évêque de Poitiers el les chanoines de ta cathédrale
eurent à faire de grands sacrifices pour la reconstruction de cet
édifice, il leur abandonna, pour les indemniser, un domaine con-
tenant cent cinquante arpenls de superlicie, sis à Biard, auprès de
Poitiers, conligu 'aux terres ^des ^'chanoines de Saint-Ititaire,
el dont l'évêque Isembert devait jouir sa vie duranl(3). lldonna
aussi au chapitre, comme on Ta vu, des reliques insignes el fit
faire un coflVet d'or, recouvert de pierres précieuses el orné au
sommet d*un saphir de la grpsseur d'une noix, dans lequel il Ht
(i) A. RicbarcJ, Chartes de Saini-Maixent, I, pp. 91, go, 10/4, loO,.
(2) D. Fonlencau, XIIl, p. i2t ; Item^ pp. 5i(), J25, 537, 5/|i.
(3) Arch. de la Vienne, orîç., clsnpitrcde la calhédrnlc, n»i; H.Fonleneau,!!, p. 11.
Cet acte doit avoir suiii de près l'élcvalioa d'Isemberl à l'L'piscopat.car Guillaume n'y
appareil qu'avec ses deux fils Guillaume el Eudes, sa femme Apm's et les vicomtes
GcofTroy, Egfroi et Cbdloo. SI Ag-nès avait, avaut ce moincul, donné un nouveau filiï
À soD inarij ccl enfant eût été sûrement mcatioaQé dans cet acte important.
aïO
LKS Co.M liiS DE POITOU
nietlre des poils de la barbe de sainl Pierre, relique qui, selon
la iradilion, avait ulù donnée à saiiil Uilaiie lorsqu'il passa à
lïomo, en relournanl de son exil,el sur laquelle devaient jurer
l'évoque et les clianoines lors de leur prise de possession (1).
Nous ne rappellerons que pour mémoire la g6n6rosil6 de (Guil-
laume envers Fulbert et les sommes considérables qu'il lui adres-
sa pour la reconstruction de Notre-Dame de Chartres, mais sa
bonne volonlô était iittîriio à l'égard des personnes éminenlcs qu'il
avait pu approcher. Ayant recouru au zèle d'Odilon, le célèbre
abbé de Cluny^pour amener les religieux de plusieurs monaslères
de ses étals à mener une exislence plus régulière, il lui en
témoigna sa reconnaissance par des acles de munifirence que
nous ne connaissons assurémenl pas tous. Dès 1017, il lui
concéda la moitié du cens des pêcheries de l'île de Hé, puis, au
mois de mars 1018, v. s», il lut donna Féglise de Saint-Paul en
(lAtine, dans la viguerie de Mervent, que la comtesse Emmaavail
autrefois possédée en douaire, dont elle avait gratifié Gislebert,
évêquc de Poiliers,el auquel celui-ci renonçait en faveur de Pab-
baye (2). Quelque temps après, vers 1023, le comte ratifia gracicu-
semeiil le don do l'église de Mougon avec ses dépendances, que
ni à Odilon Guillaume, vicomte d'.'\unay, et sa mère Amélie ; l'abbé
de Cluny fit le voyage de Poitou pour assurer définilivemeni h
son monastère celle importante possession, aussi bien que le
domaine de Triou,que Cliâlon, père du vicomte Guillaume, et
sa femme avaient antérieurement donné à Mougon; il obtint en
outre de l'évèque Isembert que désormais celle église serait
pour toujours àl'avcnir affrancliie de loule domination laïque et
dépendrait uniquement de Pévéquo de i^oiliers et des moines de
Cluny, qui vinrent y élablir un florissant prieuré (3). H y a
encore lieu d'ajouter aux revenus considérables que les moines
tiraient de ces fondations, celui de la monnaie de Niort, dont le
comte leur (il un jour cadeau (4).
{t) D, Fontenciu, LIV, p. 62. Ce reliquaire disparut lors du pillage de i562.
(2) Bruet, l.hai'tcs ilv Cinni/, III, pp. 782 et ySg,
(3) llruel, C/ifii-tcs dt; Clnnij. Ill, p. 7O7 ; Kein, IV, p, iq. La présence de l'évèque
Isembert !Ï l'ai'le d'uniou de iMouifon à Cluny ne permet pas de placer celui-ci avant
1023, conlraircmcDt à l'opinian de son savant cijilcur, qui le date de laao environ.
(4) BrucI, Charles de Clrmi/, III, p. 761 ; Mêm.dela Suc. tles A/tltr/. de l'Ouest,
GUILLAUMt: LK GRAND
»»T
L'abbaye de Saint-Hilaire tHait assea riche pour n'avoir pas à
réclamer sa pari daos les largesses du comte, mais elle ne se res-
senlil pas moins de sa sollicitude. En sa qualité d'abbé, il se môla
des alTaires intérieures de rétablissement, et on le voit détermi-
ner, d'accord avec le doyen du chapitre, l'emploi d'une somme de
35 livres qu'Hildegaire avait rcmiscsà ce dernier avanl son départ
pour Chartres (1). 11 concéda h dos particuliers en mainferme,
suivant les usages du temps, des domaines qui, après la mort du
bénéficiaire ou môme après celle d'un ou deux de ses héritiers
désignés par lui, devaient faire retour à la mense commune (2).
Toutefois, il ne se dissimula pas le vice de ces actes qui ne lendailâ
rien moins qu'à diminuer peu à peu le domaine lerrilorial de l'ab-
baye; d'un autre côté, les chanoines, se considérant comme pos-
sesseurs privés du palrimoine commun, ne se faisaient pas faule
soil de l'aliéner, soit d'en détourner certaines portions dont ils
allribuaienl la propriété lant à eux-mêmes qu'à leurs familles. Le
comte-abbé prit des mesures pour obvier à celle dilapidation,
mais ce fut sans grand succès, l'usage contre lequel il voulait
réagir étant trop ancré dans les mœurs et ne devant céder que
plus larda d'autres influences. Ltii-môme avait du reste sacrifié
à la coutume, car il se fit abandonner par les chanoines de
Saint-llilaire des terres à la Vacherie, près de Poitiers, alla d'y
faire planter des vignes {3}.
Conlentons-nous enfin de signaler la curieuse lenlalive qu'il fit
pour arrcler l'absorption des terres rurales par des personnes qui,
par leur condition sociale, y étaient étrangères; nous imposons,
dil-ilun jour, auvraans des paysans et des suburbains celte obli-
gation étroite que, lorsque leur détenteur viendra à succomber,
seul le paysan puisse succéder à une terre de paysan et le bour-
geois à une terre de bourgeois. Il y a là une de ces conception
qui ont vu lejour dans tous les temps, aussi bien anciens que moder-
nes,et donlla réalisation s'est toujours montrée impossible, tant
ir« série, XII, p. fij, Cet acte csl lotalement dépourvu d'indications cbrouologiques ;
laulefuis, à cause de ta présence d'Aiçni-s, ilne pcul étfe placé avanl l'année loiçy, clne
doit â(rc çuèrc poslérieurà ceUcda(c,carf(nti*ymcnlionnc piisd'enfaatsde la comicssc.
(i) Miçne, Pntrologie lat ., CXLI, col. 2/4. '^» l'ulberli epistula:,
(a) Arch. hist.itn Poitou, l, p, a5,Cart. de Sainl-Nicolas,
(3) Rèdel, Duc. pour Saint-Hiiuirs, I, pp. 08, 70-72,75.
2l8
LES COMTES DE POITOU
elle eslonopposilionavec lesfigissemenls delà nalureluiraaine(l).
11 rrnmivela à Sainl-Marlifil de Limoges le don de l'église
d'Anais en Saiiilonge que son père avait fail préciidemmenl à celle
abbaye (2), enfin il fit cadeau à piasieurs autres monastères, tant
de Bourgogne que d'Aquitaine, dont les noms ne nous sont pas
parvenus^ tle domaines siltiés plus parliculi»>remenl en Aunis,
sur les bords de lu mer, dont les revenus spéciaux devaient être
atTectés h ralinionlation des religieux {3). Sa main large ne s'ou-
vrait pas seulement pour les élablisseraents de ses états ou du
royaume de France, il se montra tout aussi généreux à l'égard des
étrangers. C'est ainsi que, dans le cours de ses voyages en llalie,
il eut occasion de passer par le monastère de Saint-Michel de
FEcluse, en Piénionl, et peut-être d'y recevoir l'hospitalité ;
celle-c fut payée par l'abandon d'une terre en Bas-i*oitou où
les religieux de l'Ecluse élevèrent l'imporlant prieuré de Mou-
liers-les-iVl aux faits (4).
Du reste rien de ce qui touchait aux choses religieuses ne lui
était indinV'rent ; ainsi un pèlerin du Limousin, fait prisonnier en
allantti Sainte-Foi, avait été, disait-on. délivré par l'inlercession
de la sainte. Guillaume, averti do ce fait, manda ce pèlerin à sa
cour et celui-ci y porta témoignage de sa libération miraculeuse
en présence de Béalrico^sœur de itichard, duc de Normandie, et
femme d'Eble, vicomte de Turenne, qui était sans doute venu
faire son service de plaid auprès du comte (5).
Très bienveillant, mais en même temps très autoritaire, il n'ad-
mettait pas que l'on manquât, ;i son égard, aux procédés dont
il usait dans ses relations habituelles; l'abbaye de Saint-Florent
de Saumur en fit l'expérience à son détriment. Depuis une quin-
(i) Rcdel, Doc, ponr Saint- Hilaire, I, pp. 78-80.
(2) Chron. (TAilémar, p. 1O4.
(3) Ln ripntnlion de çénërosîlé <îe tîaillaumc ie Grnnd élail si bien t'tablic rfue les
chauoincs de Sainte-Croix de Bordeaux fahriquiTcnt une charte, i]u'iis datèrent de
rnnnce 1027, el par laquelle le duc leur concéd.iii la villa de Sainl-Macaire avec plu-
sieurs autres domaÏDCs. Ce qu*il y a de sinj^ulicr, c'est qu'Henri III," roi d'Anglelcrre,
lûcn qu'ayant reconnu laTaussctc de ce document, crut devoir le confirmer et maintenir
les dispositions qu'il contenait par acte du 28 août 12/12 {Gallia Christ., Il, înstr.,
col. aûS; Mitrnc, Ptitrologie lat., CXLl, col. 83i-83/j).
(4) Cfiron. d'Afièniar, p. i64.L*alibayc de Saint-Miclicl de l'Ecluse fil abnûdon de
ce prieure à rcvôchc de Lu<;on en i(*|jt (IV. Fonlencau, XIV, p. 3ïfj).
(">} JJouillct, Liher mirtiftil. snnrhr Fii/is, |>. 111.
GUILLAUME LE GRAND
«19
zaïne d'années ello Ll6tenait,par la grâce du vicomle de Thouars
cl de Guillaunie Fier-à-Bras^ ranciennc abliaye de Saiiil-Michol
en Lherm, qu'elle avail réduite au rang d'une simple prévoie ; un
jour, le comte, passanl à proximité de ce lieu, envoya demander
au prévôl-moiiie une assiettée de mulels, sorle de poisson qui
abondait dans ces parages. Le prévôl,craignanlsansdouLede nuire
aux intérêts de son monastère eL de créer un précédent qui pour-
rail devenir undroil par la suite, refusa ; Guillaume, oulré decellc
laron d'agir, fit supporter le poids de sa eoièro aux religieux de
Sainl-Florenl, et leur enleva Sainl-Mictiel, à qui il rendit son
autonomie et qui reprit son rang d'abhaye (1).
Tels sont les principaux faits que présente riiislolro de rjuillau-
me le Grand dans ses rapports avec la société religieuse, et leur
cnnnaissance donne une éclatante eonfirmalion aux paroles du
chroniqueur disant qu'il fui un grand ami de l'Eglise. Il est loulo-
fois un acle qui parait être en conlradiclion avec les liabiludes de
toute sa vie : il se rapporte à Noaillé. 11 semble que celle abbaye,
malgré les actes solennels qui avaient reconnu son indépendance
absolue, sauf une sujétion, pliilut honorifique, envers l'abbaye de
Sainl-llilaire, n'ait cessé d'être considérée par les comtes comme
une dépendance de leur (ief seigneurial, Guillaume l'aflribua à
son fils aîné, qui la posséda on ne sait en quelle qualité, mais
qui, à tout le moins, en percevait les revenus pour sa subsis-
tance. Le jeune comle, louché par les sollicitations des moines,
qui ne cessaient de lui représenter l'élat de pauvreté auquel ils
étaient réduits, leur rendit la jouissance absolue de l'abbaye dont
ils devraient êlre considérés à l'avenir comme les seuls proprié-
taires; puis, le 30 septembre 1028, leur délivra une cUarle, dans
laquelle il s'adressait son père, h son frère Eudes et aux autres
grands personnages du comlé, pour qu'ils eussent à ratirier les
dispositions qu'il avait prises, et que, do concert avec lui, ils fis-
sent disparaître loutes les mauvaises coutumes, « semblables,
disait-il, à une plante mortifère (2)».
(1) Marchegay, Chrun. des ègl. d' An/on, p. aGg, Saint-Florent de Saumur. Ces
faits arrivèrcnl dans les derniers tc;n|i3 île la vie de l'abbé llobert, qui mourut ea
JOl I.
(3) Arch, de la Vienne, oi-iç., Noaillé, o» 86.
230 LES COMTES DE POITOU
Mais ce fiùl cl celui d'avoir dc^laoliti Sainl-Micliel en rilerm de
l'nbbaye de Sainl-Florentne sauraicnlcn rien modifier le carac-
lèrc général de la conduile du comlc de Poiloiij si dévoué aux
œuvres pies, elle témoignage le plus éclalanl de ses senlimerils
futpeul-etresa relraile volonlaîre dans un monaslèrc, alors qu'il
élail à Tapogéc de sa puissance. Du rcsie on peut croire que l'inac-
lion dans laquelle il se confina, si opposée à l'exislcnce active
qu'il avait menée jusqu'à ce jour, amena sa fin prématurée (1).
Des trois femmes qu'il availsuccessivemcnt épousées, Guillaume
eut au moins six enfants: d'Aumode, rriiillaume; de Brisque,
Eudes et Tliibault, ce dernier niorl jeune; d'Agnès, Pierre, Guy
et Ala. Les quatre garçons qu'il laissa à son décès se sont, le
fait mérite d'être signalé, succédé l'un après l'autre à la lête du
comté de Poitou (2).
XI. - GUILLAUME LE GROS
IVo Comte — VI* Duc
( in3u-io38)
La sagesse, l'habileté politique de Guillaume le Grand avaient
fait du duc d'Aquitaine le plus puissant feudataire du royaume
(i) Bien que b chronique de Saint-Mnîxcnt l'aFfirnip, ît n'est pas probable que Guil-
laume se sait faîl nmiuc : cet acte serait en conlradiclion avec celle Fa(;on d'a«;ir qui
Fui )a rt-^lc de sa vie : il c'Lait le puissaat duc, et il le resta dan» «a retraite. S'il
avait rcvùtu l'habit rclij^ieux, Pieire de Maîllczaîa n'aurait pas manqué de relever
un fait <{ui aurait tant liODorc sa communauté; or, il n'y fait aucune allusion cl se
coDlcntc de dire que le duc, en se retirant daus l'iibbayc de Maillezuis, laissa le
pouvoir 0 ses tils. Il ne Faut donc voir dans le récit de la chronique i|u'uac de ces
ampltBca lions du texte de Pierre de Maillezais dont nous avon» relevé par ailleurs
d'autres témoignages; on rencontre du renie dans le manuscril original de cet auteur
une interpolation faite au xv^ siècle, qui reproduit les énonciations erronées de la
chronique tant au sujet de l'âge de Guillaume que de son entrée parmi les religieux
de l'abliaye, et qui eoBn place sa sépulture dans le chœur de l'église et non dans le
cloître, ainsi quo le porte le texte original.
[i) Marchegny, Vhron. des éf/L d'Anjou, pp, 387 ei 388, Saînl-Maixcnl. En
dehors de la chronique, le seul texte qui mentionne Thibault est une chuile de l'abLaye
de Saint'Maixcnt, qui doit être placée après la mort de Urisquc et avaat le nouveau
mariage de Guillaume avec Agnès, le comte seul, avec ses (rois fils, étant désigné à
deux reprises dans l'acte (.\. Richard, CftaHes de Sfiint-Mai.xenl, 1, p. gg).
r.lKLLAIIME LE flKOS
de France. Celle silualion, si lïrniljlomeiU acquise, fui compro-
mise presque aussilùl après la niorl de (jiiillaumc par les intri-
gues de sa veuve Agnès qui, pendant de nonabreuses années, devait
jouer un rôle néfaslo dans les affaires du Poiloii.
Guillaume le Gros (l), le nouveaa duc, élailfilsde Guillaume
le Grand et de sa première femme, Aumode de Gévaudan ; il
avait environ vingt-six ans lorsqu'il succéda k son père (2). Ce-
lui-ci ne s'était pas contenté de le faire assister, ainsi que son
frère Eudes, à de nombreux plaids oîi ils se trouvaient avec les prin-
cipaux vassaux du comte pour traiter d'affaires aussi bien publi-
ques que privées, il l'avait, en plus, réellement associé à divers
actes de son administration. Lorsque Guillaume eut renoncé pour
lui-môme à l'offre que les Lombards lui faisaient de la couronne
d'Italie, ceux-ci s'élaienl rejetéssurson fils ; les chefs du parti qui
appelait les princes Aquitains au delà des monts espéraient bien
régner sous le nom du jeune GuillaumCj mais le duc, dont la
clairvoyance, cette fois encore, ne se trouva pas en défaut,dôjoua,
on l'a vu, toutes ces combinaisons en refusanf, en 10:25, pour son
fils, un trône où, suivant ses propres paroles, celui-ci ne pouvait
trouver que le déshonneur et la honte (3) .
11 no nous paraît pas que Guillaume le Gros ait cherché à
contrecarrer les idées de son père; sa situation était assez
belle pour qu'il n'en ambilionnAt pas une autre. 11 jouissait, au
point de vue pécuniaire, d'une indépendance réelle, car le comte
lui avait constitué des revenus personnels, représenlant peut-
être les droits réservés d'Aumode et, en particulier, il lui avait
donné l'abbaye de Noaillé. Nous avons vu que, le 30 septem-
bre 1028, le jeune Guillaume se dessaisit de cet établissement
(i) Beàly donne ijiJilTcrciiiniciil ù Ciiillaumo IV les surnoms de Guillaume le Gros
ou Guillaume le Gra^. Ces ternies souL la Iraduclion de l'expression pin(/uis par la-
ijuclle la chrooique de SaÏDl-Muixcnt (CAron, des étjt . d'Anjou^ p. Sgi) caractérise
le ftla. de Guillaume le Grand.
(2) La naissance de Guillaume IV a dtl avoir lieu en l'année ino/).On a vu quc,daBS
la donation de Krelignolle que El Guillaume le Grand à l'abbaye do Uaurgueit, le 37
décembre ioo3, il cxprimail ses regrets de n'avoir pas encore de fils ; on peut croire
que SCS soubails fureut exaucés dès l'année suivante, bien <]uc nous ne possédions pas
d'actes à date cerlnlnc où il soit question du jeune Guillaume du vivant de sa mère.
(3 1 Ouod Cfcpturu est de filto mco non videlur mibi rnlum fore, oec utile, nec
<( bonesluui, Si eas (iosidias) cjiverc vel auperarc non posaumus, . . .fama uoslra péri-
« clitabitur » (Miyne. Putrohijie lat., CXLI,col. 827).
2»t
LES COMTES DE POITOU
en faveur de l'abbé el des religieux qui on reprenaient la pro-
priété absofue; il esl possible qu'ilail cédéiiiMie cerlainepressiûn
exercée par son père, mais celui-ci ne manqua assurément pas
de lui donner des compensations el, en particulier, de l'associer
plus intimement à son gouvernement, association qui finit
par se résoudre dans l'abdication de Guillaume le Grand. Cette
qualité d'héritier désigné apparaît du reste d'assez bonne heure,
car nous savons que le jeune comte prit une pari efl'ective aux
pourparlers qui eurent lieu entre son père et Hugues de Liisignan
et qui se terminèrent, vers 1025, par l'abandon «du fief de Jous-
selin de Vivonne à ce dernier. Guillaume aurait, en effet, dit à
Hugues: H Jure-moi fidélité à moi et à mon fils et je le don-
nerai lo fief de ton oncle ou son équivalent, » ce à quoi te sire
de Lusignan avait répondu, la main sur le crucifix, qu'il le ferait
si le comte et son fils ne devaient pas garder de mauvaises
pensées à son égard, et ceux-ci ayant protesté do leurs bonnes
intentions, tant pour le présent que pour l'avenir, il se rendit à
eux, leur fil hommage et leur jura fidélité (1).
L'acte d'affranchissement de Noaillé a cela de remarquable
qu'il n'y est fait aucune mention de la comtesse Agnès el de ses
enfants qui, par l'effet de la renonciation expresse de Guillaume
à la possession de l'abbaye, pouvaient^ selon la jurisprudence du
temps, se considérer comme lésés, leur frère faisant le total
abandon d*un bénéfice qui aurait diï être compris dans l'héritage
paternel. La comtesse vivait peut-être déjà éloignée de son mari
ou ÙL tout le moins ne dissimulait pas son hostilité à l'égard de
ses beaux-fds qui, du reste, devaient le lui rendre.
La mort de Guillaume le Grand ne fit qu'aggraver une situation
déjà si tendue. A peine le nouveau comte fut-il libre de ses actions
qu'il songea au mariage. Son union avec Euslachie est sûrement
antérieure à la mort du roi ilobort et doit appartenir à l'année
1030 ou aux premiers mois de 1031, car on voit le comte el sa
femme assister, Robert étant encore roi, h un plaid important oii
Retrouvaient Bernard, comte de la Marche, Adalbcrt,comle de
Périgord, et son frère, Tévêque de Poitiers et son frère et autres
[i) Bealy, f/isl. des comtes, preuves, p. ag/j.
GUILLAUME LE IIROS
grands personnages (!). On ne sail aa juslo dans quelle maison
Guillaunio le Gros pril sa femme; il ne sérail pas impossible
qu^ellc fùl d'un rang secondaire par rapport à lui, ce qui ne pou-
vait que contribuer h blesser la comtesse douairière qui, non seu-
lement perdail, par celle union, loul espoir de réussir dans ses
desseins, dont le moindre ôlail assurément le partage du duché
enlre les enfants issus des trois unions que Guillaume le Grand
avait successivement contractées, mais encore était contrainte
d'abandonner à la cour ducale ce premier rang, celte immixtion
dans le gouvernement, que son caractère allier et ambitieux ne
cessa de rechercher (2).
Pen^lant tout son règne, Guillaume le Gros lU de fréquents
séjours à Saint-Jean d'Angély, qu'il semblait afTectionner loul
parliculièrement; il y résidait au mois de juin 1031 et il y tint
un plaid dont nous ne, connaissons malheureusement pas l'objet,
mais où il dut se traiter des affaires d'une haute gravilé si Ton
en juge par les noms des personnages éminents que l'on y voit
rassemblés : Eudes, le frère du comte, les évoques de Saintes,
de Poitiers et de Périgueux, le comte d'Angoulème cl le vicomte
d'Aunay (3).
Dans la môme année il se produisit dans les esprits un grand
apaisement auquel Guillaume ne fut sans doule pas étranger. Les
questions religieuses passionnaient, nous l'avons vu, aussi bien
les laïques que le clergé et le comle n'avait pu resler indifférent
h celle grande polémiquede l'apostolat de saint Martial à laquelle
(i) L'acte n'eiit pas daté, maia comme on indique qu'il fut paasc sous le reçue du
roi Robert, il scplace entre te 3i jam'ier iu3n,clatc de la mort de Guillaume [c Grand,
et le v-O juillet loit, date de la murt de lluLierl [Cn/i. île Saiiit-Ci/piien, p. 171^'.
(a Ueslj' {Uist. des comtes, p. 81) avance;, sous liiutcs réserves, ear îl ne ciie pas
de textes à l'apjiui de son dire, que queli[Ufs auteur», dont il tait aussi les nomâ, oat
fait d'Euslacbte iaiille de Ucriai, seii^neur de Mualreuil, et de sa femme Grécic, niaia
cetlc asacrlioa, admise comme assurée par certaius historiens, tombe d'elle-même par
ce fait que Grécic, devenue veuve, se remaria, jeune encore, avec Geoffroy Martel,
vers io\i\; elle ne saurait donc titre la mère d'iiustacliie, mariée vers io3o.
^3) La plupnrl des reuaeigneiucnts certains cjue l'un possède sur Guillaume te Gros
sont fournis par le cartulaire de Saint-Jean d'Ançcly, qui noua a conservé le souve-
nir de trois plaids Icuua par le comte dans cette localité aux dates suivuules ; io3i,
juin (I). Fuateneau, Xlll, p. i^j); loSy, mxraj après le ^5 \//., Xlll, pp. 141 et
i/jg); io38, 0 seplciubrc \[t., XIII, p. i53j. Les carlulaires du llaut-l^ultou sont pur
contre fort peu ducumcnléa pour la période qui s'étend entre to3o et luao, el aotta
cilcrons parliculièrement le riclio charlrier de Saint- Ililaire, qui ne contient aucun
acte où l'uu voie intervenir te cumlc Guillaume et son frère Eudes,
LES COMTES DE I^OITOU
son père avait é\6. mêlé ;si nous n'avons pas irace de sa présence
au conrilo de lloiirges, il assistait loulerols h cclni do Limugos,
tenu, comme le précédent, au mois de novuml>re 1U3I, et où la
question reçut enfin une solution quijlesarguuienls étant épuisés
de part et d'autre, devint enfin définitive (1),
Parmi les autres affaires qui furent traitées à celle assem-
blée de Limoges, il en est une à laquelle on voit Guillaume lo Gros
prendre pari personnellement.
Les comtes de Toulouse s'étaient, au siècle précédent, mis
en possession du monastère de Beaulieu, el, sans doute, ne pou-
vant le f:;arder en leur pouvoir, l'avaient concédé en bénéfice au
comte de Périgord. Celui-ci l'avait donné en arriére-fief au
vicomte de Comborn, qui s'élail attribué la qualité d'abbé sous le
prétexte que son oncle Bernard, qui fut ensuite évéque de Cahors,
avait possédé cette dignité. Les religieux avaient eu grandement
à se plaindre de se trouver sous une pareille domination et ils
avaientporlé leurs doléances au concile de Limoges. A la séance
du 18 novembre 1031, le duc d'Aquitaine et les membres du con-
cile donnèrent mission h Jourdain, évequo de Limoges, de placer
avant Noël un abbé régulier à la lélo du monastère de lleaulieu
souspeine d'excommunication à l'égard des opposants ou des con-
tradicteurs. Ce même Jourdain prononça devant l'assemblée un
éloquent discours en faveur de la paix de Dieu, à la suite duquel
une solennelle malédiction fut prononcée contre les grands
seigneurs et autres assistants qui refuseraient d'accéder aux
décisions pacifiques du concile (2).
On trouve ensuite le comte à Saint-Maixenl, le 5 décembre
suivant, en compagnie de sa femme Eustachie, de sa sœur Ala,
de Tévêque de Poitiers, Isembert, el du vicomte de Çhâlellerault,
de qui les moines obtinrent l'affranchissement de deux serfs qui
passèrent au service de l'abbaye (3).
Peu après, au milieu de la tranquillité qui semblait devoir
(i) Pfislcr, Etudes sur le rênnt de Robert, p. 3^4; ArbcUoI, Dissertation sur
fapostolat de saint Marital, p. 55 j Labbe, Concilia, IX, col, gG5.
(2] Labbe, Concilia, JX, col. 8q8; Migne, Patroloyie lat., CXLII, col. 1378.
(3) A. Richard, Chartes de Sainl-Muixent, I, p. 112. Les faits cuiinus de la vie
de Guillaume te Gros pcrmcUenl de préciser la dalc de cet acle,quc dous avions placé
du leslc, dans rouvTaj»'e précilc, entre io3i et io33.
GITILLAUME LE GROS
..s5
marquer le gnuvernemeni <lii (Ils de Guillaume le drand éclata
commiMin coup de foudre l'annonce du mariage d'Agnes, la veuve
du vieux dur, avec (icolTroy Marlcl, Ois de Foulques Nerra,
comlc d'Anjou, Bien que lu duchesse fîïL encore jeune par rap-
port au mari qu'elle venait de perdre, elle élail plus âgée que
rieoiïroy, qui n'avait que vingt-six ans. Violent, ambitieux, d'une
bravoure extrême, peu gêné par les scrupules, le comte angevin
avait déjà fait ses preuves; aussi est-ce sur lui qu'Agnès jeta
les yeux pour reconquérir sa situation perdue. L'opinion publi-
que se prononça contre elle; on voyait avec peine la veuve du
puissant duc d'Aquitaine oublier l'union qui lui avait fait tant
d'honneur, ne tenir aucun compte des trois enlanls qu'elle
avait eus de lui el qui semblaient être un reproche vivant de
Taclo qu'elle commellail, et enfin prendre pour mari un jeune
homme, qui était assui'émcnl destiné à devenir comte d'Anjou,
mais qui pour le monifnl n'avail d'autre bien que le Saumurois,
que son père lui avait donné pour sa subsistance et auquel, l'an-
née précédente, il avait frauduleusement joint le Vendômois.
D'autre part Agnès violait ouvertement les lois religieuses;
des liens de parenté la rattachaient à Geoffroy el son mariage
fut par l'église qualifié d'incestueux (1). Mais chez celle femme
(i) I^ canon XVII des aclea du concile de Bourges, qui veaail de se (cnir ca
novembre iû3t, avait fnrmclienienl intwnilt le niariaçc entre parents jusqu'au sixième
degré. A notre point de vue îicluel, la |iatcnl!' tiVxistail pas entre Gcoflrojr et Agnes,
mais l'Eglise rccunnaîssoit nlurs la parenté par allianct; etduillaume le GrHnd, suivant
la méthode de compter alors en u.9a;^c, était cousin de Geoffroy au (jualriènic dcyré.
flesly [Hist. (les coml^s^p. Hi) expose plusieurs sysièmes pour établir cette parcnttî ;
nous nous ratlaclions au dernier, aiu sujet duquel ii dit : « Si nous ne touchons ù lu
vérité, nous n'en sommes p.ia trop cstoiguez. » Eq voici l'ccoaomic :
Ilerberl, comte de Vcrmandois.
I ,
Lefgjirdc, malice i Thibault le Tricheur, Albert I, conile de VermaQdoig, mariée
comte de Bluis, en ij42. Gerbcrge.
Emma, femme de Guillaume Ftcr-à-Bras, Adèle, mariée h Gcolfroy Grisegonelle,
comte de l'uitou. comte d'Anjou, vers 970-
I I
Guillaume le Grand, comte de Porlou, Foulques Nerra, comte d'Anjou, marié h
marié â Agnès de Rour^njrnc. llildegarde.
Geoffroy Martel.
Voy. Arl (le vérifier lus dates, \>. OJ! ; Mabille, Introdaclion aav chroniques
i5
S26
LES COMTES DE POITOU
prôvalail un impérieux besoin de domination. Si, forl jeune, elle
avait accepté une alliance avec Guillaume, déjà Agé, c'était afin
de devenir duchesse d'Aquitaine; devenue mère, elle espéra
amener son vieil époux à lui assurer le pouvoir en dépouillant les
cnfanls des premiers lits au profil des siens ; mais, comme on l'a
vu, elle échoua el son ambition déçue la jeta dans la résolution
extrême d'arriver par d'autres voies au bul qu'elle poursuivait
désespérément.
Son mariage fui célébré le premier janvier 1032, pendant l'ab-
sence de Foulques Nerra, dont on pouvait redouter l'opposition
cerlaine, mais le comte d'Anjou prenait alors part, aux environs
de Paris, à la lutte engagée entre la reine Constance el le roi
Henri; du moment qu'Eudes de Champagne, son irréconciliable
ennemi, s'était rangé sous la bannière delà reine, il ne pouvait
faire autrement que de venir apporter son appui au roi. Devant
le fait accompli il ne put que s'incliner, mais ses sentiments in-
times furent vivement froissés et ce ne fut assurément pas l'un
des moindres griefs qu'il amassa contre son fils el qui amenèrent
les lutles des années qui suivirent, luttes que le caractère vio-
lent des deux adversaires rendait sans merci. Il ne pouvait ou-
blier tous les bienfaits dont Guillaume le Grand l'avail comblé,
Tamilié que ce prince lui avait constamment témoignée et il lui
semblait que l'action commise par GeoHVoy était une sorte de
manquement à la foi jurée par le vassal à son seigneur; puis,
quoique par ses actes de violence il s'attirât souvent les foudres
de l'Eglise, il ne se mettait pas de gaieté de cœur en opposition
avec elle. G'élail pour lui un cas de conscience que de voir son
IjIs commeltre un acte qu'elle qualiliait de crime {!}.
Quoi qu'il en soit, l'année 1032 s'écoula sans qu'il se fût produit
de graves événements. Le duc d'Aquitaine n'avait alors d'aulre
préoccupation que l'administration de ses élats et même, à la fin
■
des comtes d^ Anjou, p. lxx. Noua ne pouvons adrueure, oomnie cet auteur, que Lel-
gorde et Adèle auraient été sœurs; le rapprochera en t des dalca indique 8i\remenl
qu'il saute un detçré cl Adèle ne peut être autre qu'une de ces filles d'Albert 1,
dont l'Art de rérijter les dates ue donue pas les uoma. L'abbé Mêlais, Cartul .
saint, ile la Trinité de Vendôme, iutrod., p. 0, suit sans ta discuter l'upiniou de
M. Mabille.
(i) Voy. Marcfiepav, Chron.des ègl. d'Anjou, {i. l'S, Suint-Aubiu d'Angers; Item,
p. 1 35, Saint-Serge d'Augcrs.
GUILLAUME LE GIIOS ^27
de celle année, il assiblaà un imporlanl concile, lenu à Poitiers,
auquel se Irouvèrenl Irois évêques, Isemberl de Poiliors, Jour-
dain de Limoges et Arnaud d'i Périgueux, ainsi qu'un grand
nombre d'abbd'-s, de moines el de laïques, luitie autres décisions
qui furent prises dans celle assemblée, il y fut dilque si quel-
que parliculier possédait des biens de l'Église par fraude ou par
violence, ou avail mis la main sur eux sans y avoir droit, il élail
lenu de les resliluer immédiatemenl (1).
Quelque temps après, le comle, se rendant sans doule à Saint-
Jean d'Angély, passa par iMelle, les religieux de Sainl-.VIaixenl
vinrent l'y Irouver et lui exposèrent les nombreux griefs qu'ils
avaient contre ses agents. Guillaume, entouré de ses juges, de ses
prévtMa et d'un grand nombre de nobles, présida le plaid ; il
interrogea lui-même les lémoins et, s'élant rendu compte de la
justesse des réclamations des moines de Sainl-Maixent, il rendit
le 10 décembre 1032 une sentence forl intéressante, réglant le
partage des droits de justice dans leurs possessions respecti-
ves (2).
Une autre Ibis, se trouvant sans doule dans le pays de Gbâlel-
lerault, il assista à la donation qu'une dame nommé Gerbcrge fit
à l'abbaye de Noaillé de l'église de Sainl-Maurice de Puymille-
roux; l'évoque de Poitiers, l'abbé de Noaillé el le vicomte de
Chàlellerault sont seuls cilés comme se Irouvanl auprès de lui (3).
Mais c'est de SainL-Jean d'Angély qu'il s'occupait surtout et,
vers la même époque, il donna un éclatant témoignage de Finlé-
rél qu'il portait à celte abbaye, tl s'adressa au pape Jean XIX,
qu'il avail connu personnellemeni lorsqu'il accompagnait son
père en Ilalie, et obtint de lui qu'il mil l'abbaye sous la protec-
lion spéciale du Saint-Siège; le pape souscrivit de grand cœur à
la demande du comle; le i" mai 1033 il notifia sa décision aux
grands seigneurs de l'Aquitaine qui avaient des rapports avec l'ab-
(0 A. Richard, Charles tle Saiiti-Maixent, \, p. 109; Marclic^ay, ('hruriAies éyt.
d'Anjou, p. 3gi , Saiol-Maivent ; M. PHstcr, Eludes sur le rèijne de Itoherl, place à
lort ce concile dans l'année 1026, la charle de S;iint-Maixcin établissant irune faroa
irrérutnbliMjiie le comte Ciuillaumu t]iii y prit part éutil tiuillaunie le Grus.
(2) A. Hichanl, Charles de Sfiint-Maixent, 1, p. 110,
(3) Arch. (le la Vienne, ori^., Noaillé, u« 88. Cet acte, nui t'st siftiplemeul iliilé du
régna du roi Henri, ne peut se placer qu'entre le ai juillel iwJi, avènement d'tteuri,
el le 2Q septembre io33, diile de la captivité du cumie de E'uitou.
aafi
LES COMTES tIE POITOU
hîiye (le SaiiU-Jean et 1ns cliar^ea de vcilliT ;"i ce qu'il n'y fi'il
apport»'' aucun trouble; c'étaionl lo 1res rolif^MOux Guillaume duc
des Aquitains, rjeoiïroy» enraie d" A ni,'nu!»>me, Ilélie^ comte doPéri-
gord, les fds d 'Hugues de Lusignan, (luillaunie de Partlienfiy,
Guillaume de Talmond, Guillaume fils de Cbàlon,vicomle d'Aunay,
Aimeri de Taillebourg, Guillaume de Surgères et Aubouin (1).
Mais celte tranquillilé ne faisait pas le comple d'Agnès. Lors-
que, du vivant de son mari, elle poursuivait le but vers lequel elle
tendait encore, elle avait eu soin de s'assurer des parlisans, chose
facile à une époque où pour les raisons les plus futiles des jalou-
sies violentes ou même des haines éclalaienl journeilemenL et il
n'esl pas impossible qu'elle en ait en outre recruté quelques-uns
parmi certains grands vassaux qui, par suile du mariage de Guil-
laume avec Euslachie et de la faveur qui en découla surla fimille ou
les amis de la jeune comlosse. avaient cessé de tenir la première
place dans les conseils du comte; on remarquera en effet que,
parmi les personnages assistant aux plaids tenus par Guillaume
le Gros, on trouve bien les vicomtes d'Aunay et de ChâtellerauU,
mais on ne rencontre jamais les vicomles de Tliouars non plus
que les seigneurs du Bas-Poitou qui gravitaient dans leur orbite.
Knfin le jour arriva où Geoffroy Martel, entrant hanliment dans
les vues de sa femme, entama la lutte contre le comie de l^oilou.
On ne sait quel mntif il mit en avant pour déclarer la guerre
à son suxerain; son peu d'imporlaucc ne l'a pas fait relever par
les historiens; peut-être n'en donna-1-il pas, peut-être encore
Agnès réclama-l-elle sa filte Alaà son bcau-fils qui aurait refusé
de la lui rendre, La jeune comtesse Ala se trouvait en effet entre
les mains de Guillaume le Gros; on la voit suivre la comtesse
(i) Le ftallia chri.it., II, col, .'\CfCt, place la lettre du papo Jfan XIX vers io3o;
Besly, flisl. des comten, preuves, \\. ayt) bis, \a met en io3oou iû3t; Miiftic, Patro-
togie fat,, CXLI, col. ii'i/i, ne lui assig^nc niicune dote précise entre ifn/| cl io33.
D'après nos calculs elle ne pi!ul appartenir qu'aux années m'Ai ou io33 cl plus vrai-
8cml>!ablcmenl: à cette dernière. ICncfFel, on trau%'c, parmi les grands seig-neurs aqui-
tains nnramés par le pape, tîeofTroy, comle d'Ani^oul^nic, qui stiecéda à son frère Au-
douin dans le courant de l'année loix^ffirit . pontif. ci co/n. EnrfHlisin., p. 35). Comme
il est avéïé qu'Audouia gouverna l'Antçoiiraftis pendant quatre ans après la mort de
8on père Guillaume advenue le fi ou le S avril 1028, el,d'a«(rc]i<irl,<iue lîpoiïrriY dut
mettre quelque (eraps pour s'emparer du pouvoir et en dépouiller son neveu Guillaume
Clianssard,fil9 d'Audouin, tout concorde pour faire reporter au i""" mai to33 la lettre
de Jean XIX, r|ui décéda lui-iuciiie vers la fin de ce mots.
GflLLAUMK LE GROS
aafj
Euslaebie dans ses déplacemeiils el au bas des actes où leur pr6-
seucG e^t iiK'ntioiiiiL'c, leurs deux uoinssoul bnijours placés l'un
hcàl'i de raulre(1)-0uoi qu'il ensuit, loul le monde esl d'accord
pour dire que lieoflVuy fut t'insUgaleur de la guerre. Quand il
fut prùl, il partit en liAle du Saumuroisel se dirigea sur Huiliers;
Guillaume, bien que surpris» marcha rapideliieut à sa rencontre
et put même iVauchir avant lui les marais de la Dive, ce passage
dangL'fcux qui a tant marqué dans lUiistoire de la province.
La troupe du comte de Poitou avait à peine débouché sur le
plateau de Sainl-Jouin-de-iMarnes qu'elle se heurta contre les
Angevins; la rencontre eut lieu, le 20 septembre 1033, au pied
d'une éminonce, isolée dans la plaine, comme la configuration du
sol en présente assez souvcjit dans cette région, et connue sous
le nom de Mont-Coucr. La lulle fut acharnée, mais ta trahison
préparée par Agnès fit son œuvre elle duc ftil fait prisonnier (2).
H tie semble pas que, satisfait de ccl immense succès, Geofi'roy
eût pousse sa marche jusqu'à Poitiers. Il dut se lu\ter de mettre
(r) A. IlicharJ, C/mrha ^/t- Stiinl-.if<ii,ri>nt,]. j^p. ii3-n^. Nous avions dans cfl
ouvra:£î<; assitfiic les diilcs cxtrr'inos du loLl i «t du (lûd'inbre tù'H à lu cliaric cliinslatjuclle
oo voJl Guillîiuiiie le tîros, Kusiachic et Alii assisler ù l;« d<iiialtiiii faite par Eoi^elbert
à l'abbnyc de Sairil-Miii\enl. mais il nuiia paraît rtsutter d'une étude plus altcnlïvc de
cet acte i|ue sa date véritable dtiii iMrc partëoau 5 déccml>re lo'-U. Il doit, en effet, être
aulrricur au ni<iri.i|u^c d'Atones, qui eut lieu au mois de janvier io32, cl surtout à la
bataillf de MuiU-CIoucr, du 20 scptPiiibre lo'.VS.
(■j) Les cliiuiùipies di> Saiut-Aubin d'Aoïjers cl de Sainl-Finrcnl Je Saumur dt'si-
pnent e.vpri'sst'meiil l'aiitiêc io33 coniinc ètanl celle de la braille; la clir<>i)ii|iie do
Snint-ScriTi" d'Anjuer» la pLu-.c on 11128, mais cclLc indication provient assiircmcat
d'une faute de Iculure, MX.VVIH nu lieu dc'^ MXXXIII, la lettre X aj-aat êlé prise
pour la lettre V ; quant a la cl)rnni(|uc de !::aint-Maixent, clic fournil deux Jules:
l'une, de MXXXV, qui se Iruuve dans uu passai^e du mnnusrril oriifinal omis par
MM. Marchrrjay el Maliillc dans leur cdilinii, et celle de Ja fjualriènio année après la
niurl de (îuillaumc le tiraiid, « quarlo anno posl murtein patris D.Cecuiiiteélanl décé-
dé le 01 janvier kkÎu, les ijuali-eans rêvuhis après sa mort répondent au 3(i janvier
lo'Sft, niais ou reiicontrc twnt d'erreurs de dates dans cet etnIroil de la chronique que
noua n'Iiésiloiis pas à acreplcr celle ipii est fournie (larlcs clirouiques d'Anjou, beau-
coup plus sûres. L. l'aluslrCj dans sou i/t'sloire de (iniltauftie IX, p. /fi, 11. 3, a
cru devoir ndopicr celle aiuiêc (r»34, mais il commet une erreur certaine en fixant le
jour de In balaille au () septrrnbre, rjui ne réfionii eu aucune farou au vu des ciilen-
des d'octobre, fourni par tous les textes (Marchcjjay, Chronii/nes des éijL d'An-
iWM, pp. 23, i3j, 188, 3iji I. La cbroniipue de Saint-Maixent seule désigne cxpressé-
mcnl le lieu de la rcotonlrc : <i juxla inonasleriuiii snncti Jin'ini ad nionlrai Coe-
rium (p. 3i)L!). » La célébrité acijuisc dc|mis \mv celle lucalité de Mnncuntour et sa
proximité de l'abbave de Saint-Jouiu l'ont pendant lunî^lcmps fait rcîçarder comme
clanl le lieu de la i-cnconlre de iii33, mais M, H. Irnbcrt, dans son Ifixlnirf de
Thfniuf'.'i, p. /)2, :t jnslemcnl reconnu le Afuiis ('tnviiis clans le Muut-tloucr, lieu-dit de
[a coiiimuuu de Taii!,é (Deux-Scvrcs), sis à 8 kilumèlres de Saiul-Jouiii.
a3o
LES COMTES DE POITOU
sa riclio proie on sûrfrl<'\ Ksl-ce Sanmiir, osl-ro VemiAmo, qui
devinl le lieu de capliviti'! de Guillaume le Gros? On nn lo sait
el il ne serait pns «donnant que GenfTroy, pour éviter loule lenla-
tivc de délivrance de son prisonnier, 'ait laissé ignorer la forte-
resse dans laquelle il l'avail renfermé. Tout d'abord il avail à se
prémunir contre les Toilevins, qui^ en réunissant loules les
forces du duché d'Aquilaine, auraient pu lui arracher sa prise
el d'aulre part il fallait qu'il se tint en garde contre son père qui,
possédanl encore les bénéfices don! Guillaume le Grand l'avait
j^ralillé, élail vassal du duc, et ne pouvait, sans commellre un
acte de félonie, s'associer à ta conduite de son fils. Foulques Nerra
ne savait ^Mière résister ;"i sos passions, ji ses emporlements, mais
il entendait l'honneur i^ sa façon et son premier mouvement fut
de lenler quelque entreprise contre Geoiïroy ; mais il s'arrêta
liienlôt et mênne au commencement de Tannée 1035 il parlit une
Iroisième fois pour la Terre Sainle; il est h présumer que sa
conscience était troublée par ce fail d'avoir toléré depuis plus
d'un an que son (ils restât le {geôlier de son seigneur. Mais si h ce
sujet il put avoir certains accommodements de conscience il agit
tout autrement quand ses intérêts directs se trouvèrent en jeu ;
lorsqu'il revint d'Orient, dans le courant de cette même année
103o,il conslala que Geoffroy s'était emparé de quelque portion
de ses domaines et alors éclata entre eux celle guerre qur les his-
toriens du temps ont qualifiée d'exécrable et qui couvrit l'Anjou
de misères et de ruines.
Cette lutte acharnée se prolongea avec des fortunes diverses,
mais elle eut toutefois pour conséquence d'amener la délivrance
de Guillaumele Gros. Soit, comme l'ont écrit certains historiens,
que Foulques ait réussi h dompler son fils, soit que ce dernier
ait fini par manquer d'argent pour continuer la lutte contre son
père, il accepta un jour la rançon que lui offrait la duchesse
d'Aquitaine.
Après la capture de Guillaume h la bataille de Mont-Couer,
l'évoque d^ Poilicrs, Isemberl. qui, comme archidiacre au lemps
de son oncletJisleberl et depuis comme évéque en titre, avail pris
sous Guillaume le Grand une part importante à l'administration
du comté de Poitou, en devinl en quelque sorte le régent. On
GUILLAUME LC GROS ^.i,
floit croire qu'il pourvut d'abord à la défense des éliits du mal-
heureux prince et comme les ressources qu'offrait le duchi'î n'a-
vaient pu être épuisées par une Iiitle de si peu de durée, il dut
se trouver proraplement en état d'opposer une barrière sérieuse
aux nouvelles entreprises de Geoffroy Martel. Au fond, cetui-ci
devait être assez embarrassé desa capture dont la gardeevigeait
une surveillance rainulieitse,et sur ce point ses intérêts, qui pri-
rent toujours le premier ranp;dansses décisions, ne s'alliaientque
difficilement avec les calculs de sa femme. Du moment que pour
conquérir le Poitou il fallait s'engaf^er dans une guerre longue et
dispendieuse, sans avantage cerlain pour lui-même, il n'hésita pas
et jugea qu'il valait mieux tirer le plus grand profit possible de
l'olagequ'unechnncc inespérée avait mis entre sesmains.Du reste,
l'évèque Isembert était partisan de la paix, et dans une grande
assemblée qu'il fit teniràPoitiers el où assistèrent les feudalaires
du duc il fit décider qu'au lieu de poursuivre par les armes une
vengeance contre le mari d'Agnès on Irailerail avec lui. Celui-ci,
forcé de se. contenter d'une rançon, finit par aulorîser son pri-
sonnier à s'entendre avec ceux (pii s'occupaient de sa délivrance.
i*ar les ordres du duc, la duchesse Eustachie et l'évèque Isem-
bert, qui gouvernaient simultanément le duché, se mirent en
mesure de ramasser la grosse somme exigée par Geoffroy, et s'a-
dressèrent aux monastères, qui, do gré ou deforcejeur livrèrent
une partie de leurs richesses en or el en argent (l). Tout en cédant,
(luelques-uns eurent rhabitcté de se faire donner une compensa-
lion et tel fiil le cas pour l'abbaye de Sainl-Maixent, qui se fit
abandonner par Eustachie une partie de la forêt d'Argenson (2).
Enfin, après trois années de caplivité, le jour de la délivrance
(i) Marchea^ay, Chron. dcsvgl. d'Anjon, p. ;<«)2, Saînl-Maîxenl.
(2) A. Richard, Chartes de Saift(-Mai.vnt, p. i j3. La sit'ur du comir, AJii, dési-
\rnct elle-mi*me avec la rjualilicalion de; cornlesse, assista à la «liinalion et y dlonoa sou
consenliMTipnt en (ant que cela pouvait lui toucher. Ce fait csl parlirulièrcmenlà signa-
ler, car lE donne la preuve, en le rapprochant de l'indicatlou fournie par l."J charic du
5 décembre mit tnenlionncc pln.s haut (V'oy. page aaçf, noie i), que la fille d'A^^nè? ne
cessa de vivre aux ciUcs de la comtesse Euslochie, e( d'autre pari que. jus«prà ce que
Goiliatimc fût sorti de prison, les succès de GeolFroy se bornèrent à la capture de ce
coniliî. Il est possible que la remise de la jeuac comtesse Ala à sa niëre ail été une
des clausfs de la convcniion intervenue entre le comle de Poitou et son gctMier lors
de la coDclusioD de la paix.
23:1
LES COMTES DE POITOU
arriva (1) ; à la lin de l'année 1036, riuilhiume le Gros, moyen-
nanl une ran<;on énarme, peul-ôire bien d'un million (2), fut
mis en liberté sans avoir eu loulefois à l'aire à son geôlior aucune
cession de territoire (3).
Dans le courant du mois de mars 1037, il lin! ii Saint-Jean
(J'Aniîély, qui était décidément sa demeure favorite, un grand
plaid où assistèrent son frère Hudes, alors en possession du
comlé de Gascogne, l'archevêque de lîordeaux Geofl'roy, les
évèques Iscmbert de Poitiers, Girard d'Angoulôme, Arnaud de
Villebois de Pérîgueux, Jourdain de Limoges^ les comtes
Bernard de la Marche et GeolTroy d'Angoulûuie et le vicomte
Guillaume d'Aunay (4), Sauf ce fait on ne sait rien de la vie
(i) I\aoul Cilatjcr {/It'sloires, éd. Prou, p. ii3). rVicliard de Cluny {Hec, des hist.
(le FrniicffW, [i. aSû) avance que Guillaume resta cinq années eu caplivilc; sur ce
point il f^iil erreur, car il esl prouvé par les Icxlcs nuthcnliqucs que nous citons que
celle-ci ne dura que trois ans et quehities mois. Le miîme chroniqueur, asscs ioexac-
leinenl loaseij^ué sur les niïatrcs du Paitou, dit aussi que Gutlluunu- mourut le qua-
Irième jour après sa mise en liberté; dus textes prouvcDt encore que celte assertion
esl inexacte.
{a) Tous les liistoricns sout iraccord [lour dire que le montant delà raoron de tluil-
iauuic (ut 1res élevé; flichard de Cduny seul a fixé un chitFre; il rapporte que <icof-
froy Martel ne relâcha le duc d'Aquit;iiiiie que moycûoaQl. une rançon «ie aùo.ooo sous
[Itec, /les hist. île France, XI, p. aSô). Hîen ne prouve IVxiictitud»! de celle indi-
cation, mais elle n'a pas lieu de nous surpreiKÎre. Hicu qu'il soit assez difficile
d'évaluer la valeur de Tarifent à celte époque, il nous parait cependant que, par com-
paraison,on peut arriver à un ri'sulUit a|)proxim.itil'. En ell'et, daus uua charte de l'ah-
baye de Saint-Jean d'AuijfcIj de la lin du xj^ siècle, il est parlé d'uac mute a laquelle
est doaaée une cstimatiou de loo sous; or, en portant à Tioo francs le prix uiojcn de
la mule, noua arrivons (^ attribuer au sou la valeur de 5 francs, ce qui, pour aoo.ooo
sQuSj correspond au chilïrc d'un million (Voy. Lccointrc-Duponl, Essai sur les mon-
naifsfntpfièet en Poitou, pp. 78 et iSa).
(3) Nous nous trouvons sur ce (loint en désaccord avec les vieux historiens ange-
vins (|ui prélendent que, pour ohtctiir sn liberté, (îuillauuie dut cùder la Saintonf^c à
son heureux rival . Ils avaucent juème que le molif de la çoerre dcclarcc p;ir ticofVroy
au comte do Poitou fut la revendication de ce utème pays de Saintonu^e qui aurait
apparletiu dans le passé à un ancélrc des comtes d'Anjou. Tout ce qu'ils disciil n'est
que fables et particulièremcnl leur créiitinn d'un Aimeri, comte de Saintes, qui n'a
jamais existé et dont ils fout l'aïeul de licofFroy Martel. Ce dernier n'avait ù adresser
au comte de Poitou aticunc rcclamalioii sur Saintes, (|ue possédait son [lère, Foulques
Ncrra.eti vertu de hi concession i>cnéiiciairâ tjui lui en avait clé faite par (ïuillaumclc
Grand et dont il avait toute chance d'hériter après la mort de celui-ci. M. Kaye a fait
)uatlcede ces taia>^iualioas dans son intcrcssautc élude intitulée : De la il ont i nation
des comtes d' Anjou sur la i'^iVi/o^^e, sur laquelle nous aurons à revenir parla suite.
(^1) Lors de la tenue de ce plaid, l'ahhaye de Saint-Jean d'Ang;ély reçut deux dons
inqiortants. Foucaud de V'alans lui al)andonna l'éi5;!ise de Sainl-Uévércnd de Ooix-
Comlesse et le ilii-valier Itaiuaud l'église de Bemencui! (Ti. Fonleneau, XIII, pp. i/)i
et i/|'j). Ces deux actes sont fort importants pour l'hi^-loire de <iuillaume; ils fixent
d'abord sur la date de sa sortie de prisiiti et d'autre part, ils donnent les noms
des personnaj^f-; qui lui étaient restés lidéles. Hesly {//isi. des com(i;s, preuves,
p. 3u2 bis) n'a lait que citer la douattou deRenicncuil et lui allrihuc ^aus raison la date
(îUILLAIJMIv LK tlKOS
233
publique (Iti comle tlo Poitou après sa sortie de prison; il ne
semble pas avoir pris part n la lutte qui ?e poursiiivail futre Foul-
ques Nerra cl son lit!?, dans laquelle au resle il n'avait rien à gagiun*
elses efforts durenl plutôt se porter vers le sud du duché alin de
consolider lu silualion de son frère en Gascogne {\), Il mourut
sans laisser d'enfanls, le 15 décembre 1038, et fut enterré aupri-s
de son père dans Tabbaye de Maillezais (2). Quant à sa femme
de loSg; mais D. Foalcncau.qui a r« produit hilêgralpoicnt lea deux lexlcs,les met
avec justesse en to'17. Nous njmiler<»rïs que Iticn (iti'un seul, celui île Uetneneuil,
porte la nieiitioti du mois de mars, ils furenl l'un cl t'aulre passés (icndanl la Icnuir
du iin^iiie plaid, \u f[iu', l'on y rcncoiilrc les m<^(<u:s nssislaiits, cilos comme lemuiua
des actes, De plus, ils (>orlenl l'uti et l'autre la mention qu'ils l'uieiU faits la dixième
année du ri^nc du roi Henri. Or, comme on est d'accord pour reeoun;iilre nue ce
prince commeoija à régner le i4 mai 1027, le mois de mais de lu dixième antieii
de son rèjaroc représente le mois de mars loSy, Ce qui lémuii^nc que l'ou ne saurait
reporter ces aeles à une date postérieure, c'est (|ue, parmi leurs sii?tinlaircs, on
rencoQlrc le nom d'Arnaud, évèqnc de Pcrigucux, lequel décédu le i/| juillet (2 des ides)
de l'année 10J7 {Gitllia clirisliuttat II, col. i/p;)), Nous tirerons encore un autre
cnscisînciiicnl de ces Icxles, c'est ((ue Je nioilc de CDmput nsilc à cette époque a
Saiol-Jean d'Anijéiv ne faisait pas conimcticer l'année au 25 mars, suivant l'usage
poitevin, ni h Pj\qucs. suivant le» liahiludis du rtord de ïa l"'rance,
(j) D'îi|jrcs les liisluricas du midi et /M/7 de vên/ier Icx Untes fp. 729), Sancbe-
Giiillnuioe, tiiic de Ga.sfo<;ne, mourut le 4 ocloln-e to3y, sans postérité miMe. Le duclié
aurait alors clé orcnpé par Uércniîcr, que l'un cruil (ils d'Audouin, comle d'Ant^oulème,
et d'Alatisic, Hlle da Sanclic-Cinillaiinie. Te dernier sérail à son tour décédé sans
cofanls vers l'an jo3G et il auiaiteu pour successeur lludos, le cousîii i^crmain de sa
mère. Les cvéoemoiils ipii se passèrent en (iascot^-iH- après Ut inorl irEudcs laissent
supposer (jue Ceîui-ci ne rectieîllil pas sans diincciUës l'Iiérilaiçc de lîércutçer. D'après
une cbarle de Sainl-Seuriti de Bordeaux, ou peut aussi croire que l'autorité de Bércni;cr
n'avait pas élc parloul rccoimue, cl (pie, s'il avail occupe la (u-iscoçiic, Kudea, de miii
ctJlé, aurait pria directement possessiou de Uordeaux dés la mort de sou oncle
Sanche (Cari, de Saiiil-Sciirin, |i. lo).
(i) La chronique de Saiot-Maixcit semble assii^ricr les années loIiS ou 10^7 à la
mort de fiuillaume le tiros (|i. '.\\yî), mais cette indécision allcslc combien son auteui*
était peu renseiiijné sur re puiul <le cbronolo^'tc ; prireiUenicnl les éditeurs de IWrl t/e
vèri/lerles </(//<.'.v,chcrcbant à concilicrces vagues indications. ont placé, à loulltasard,
cet événement au conjnicncemcnl de l'année 10^7 (p. 7JÔ). Quant à Haoul lilafysr,
i/Iistoires, éd. l'rou. p, ii.'î), il fi.vc le décès du conil* en itt.Uy, car il rapporic que
l'année où mourut Conrad, roi des Horiiains (événement qui eul lieu le /( juin ro!{()). le
comle des l'utievins, liuillaurnc, fut délivré, ifn'tce à beaucoup d'arjjeul, de la prison
où Geollroy Martel l'avait dclenu trois ans, et iju^it mourut la niémeatmée; en disant
ceci l'bislorien a fait assiirémeiit utie coiifusinn cnlre la mort de (.«uillaunie et celle de
son frère luidcs, advenue en celte année toSij. Comme preuve que le comte n'est pas
mort ausailtît sa sortie de prison ou peu de jours après, comme tous les historiens le
répèlent à la suite de la chronique de Saint-.Nfai.veut, on peut produire : 1" les deux
chartes de mars 1037 ([ue notts avons citées [dus haut [Voy. pajce aSa); zf l'acte de
vente consentie le li seplembre io38 par le prêtre Uainioud et stm tils à l'abba^-e de
Saint-Jean d'AIl^:ély de terrains sis dans la clianoinie de Siiinl-l'ierrcle-Hoellier à
Poi(iers et à laquelle assistèrent tiuillaiime, sa femme lîuslaclïic, révéquc de Poitiers
Isemberl, et Ermenifurdc, abiicssc delà Trinité, qui reçut 100 so»s pour l'amortisse-
ment des droits que .son abbaye avait sur ces Iciraina {D. Fonleiieau, XIII, p. iri3;
iSt'^ly, //i$l, des comles, preuves, p. ;{ui bisj. .Nous nous trouvons du reste d'accord
î31
LES CO\tTES DE POITOU
Eiistarhic, qui lui nvail donnô lanl de liVmoignap^os de son aiïec-
lion, eWv ne lui survt^ciil (\\io peu do lemps el elle recul la s<''pul-
lurc dans rt'-glise de IVo Ire- Dame de Poiliers (1).
XII. - EUDES
( io38. to3())
Les Poitevins se trouvèreni en j^rand d(''sarroi nprès la morl
inopinée de Guillaume le (iros. Le conile ne laissait pas d'en-
fanls el. selon les règles du droil féodal, sa stiecession devait
revenir à son frère cadel, Eudes (2), le fils de Gnillaume le Grand
et de Brisque de Gascogne; mais chacun sonïail que la Irans-
mission régulière du pouvoir ne se ferail pas sans difflcullé. 11
semblait à lous bien difficile qti'Aj;iiés eût renoncé pour toujours
à la salisfacLion de ses désirs et qu'elle ne proHlrll pas de la chance
qui s'olTrail pour faire adjuger à ses enfants à tout le moins une
portion du comié de Poilou, Toulefois, le sentiment du devoir
l'emporta sur l'hésilation des intérêts el Eudes fut appelé par ses
princii>aux vassaux à venir prendre possession du comté.
nvec l'Itislorîen des comles du l'oilou |iniir (i.\cr à to3S la dnlc de la morl de Giiil-
latimf le (îros (//f>/. , jiûk(? ^'j) '• i">iishv<hi9 lie pliia^pour délcrmîner I*' jour précis du
drcns, une indîcaliori Irturnic pNr rnliitiiaire de Hiblmyedc laTrinilc de Poiliprs[Bib!.
de Poiliers, ninn. ti" ^^o.f'ifiy) où il est marque que le xvrinlesfalcndes de janvier :
« Ohiit Guillermus rouies ».Couimc nn esl renseiRué sur le jour du drrès de (nus les
comtes de l'oiiou du noiu de iiuillaume, sauf pour (juillaume le Gros, nous D'hésilons
pfts à altrihuer reite menlirm de IVibiluairoi"! la personne de ce comle. Ce dernier devait
avoir des altaclies parUculiiVes avec l'abbnvc de la Trinité, car le manuscrit en qucs-
iJon indique aussi la date de lu morl d'Eudes, le fri^rc de Guillaume, cl peul-^tre aussi
celle de sa feumie lîuslacfiie.
(i) Marchcu^ay, Chrun. des èfj! . ffAnJoti, p. Sq^, Sainl-Maixeni. Il est possible
qu'ICuHlacliir, resiée suris !i(>pui après ht mort de sou beau-frère liudes, se soil retirée
à l'nldj.i yc de la Trinité, dnnl l'ahliessc, ErmeDejai'de, venait de recevoir des lémoi-
^ns\f!;v» de la bienveillance du duc. Sur ce calendrier delà Trinité, où. en fait de com-
tes de l'tiilou, on ne relève (]ue les noms de Guillnunielc (îrns el de sou frère EudV>s,
on rencontre celle mention ,tiix ides dv septembre (i3 srplenibre) : « Ohiil Euslacliia
tnonaclia. »
(a) fîesly appelle ce comte indilTéremmcnt Olton ou Eudes, C'est ce dernier nom
qui >pul lui convient conuue éiant Ifi traduction frarirnisc de \n forme latine Odo que
l'on rencontre dans les textes (\'oy. Chrrm. des égl.d'AiiJoti, p.^ya, Sainl-MaixenlJ.
EUDES
235
Lo noiivt^aii comle i!'lail en nom fort jeune ; il ne flcvtiit pris
avoir plus de vinji;l-six ans et avait passé on Poitou la plus fjrande
partie de su vie. ((n le voit assisler, du vivant de son père (iuil-
laume le (Iraiid, auv ri'innions où celtii-ci se présenlail entouré
de ses deux fils aînés qu'il semtdait par ce fait associer h ses
actes d'adminisiralion ; d'aulre part, jusqu'en 1032, Hudes avait
résidé ronstamment à la cour de son frère, ainsi que nous rap-
prennent les actes auxquels il prit part et où leurs noms sont tou-
jours associés. A celte époque, il se rendit dans le midi pour
essayer de recueillir la succession de son oncle Sanclie, comte de
Gascogne et de Bordeaux, qui venait de mourir; aussi est-il pro-
batjle qu'il n'assisla pas à la liataille de Monl-Couer, la soudaineté
de Fatlaque ne lui ayant pas permis d'arriver à lempspour pren-
dre part à la lulle. Mais après que Guillaume fui sorti de prison,
Eudes reparaît i\ côté de lui en Poitou avec son litre d)^ comle
des dascons (i). Le pays où il avait passé sa jeunesse rallirail
beaucoup plus que celui dont il vcnail d'hériter, aussi s'empres-
sa-l-il de répondre à l'appel des Poilevins ; mnis quelque lulle
qu'il y apporlàl la trahison l'avait devancé.
La soumission des seigneurs qui avaient favorisé les projets am-
bllieux d'Agnès et amené le désastre de Monl-Couerne fui jamais
bien sincère, aussi la comtesse n'eul-elle pas beaucoup de peine
?i les décider fi prendre les armes conireleur nouveau suzerain ;
on pourrait même induire d'une simple menlion relevée au bas
d'une charte qu'elle donna à ses partisans le semblant de pré-
texte dont ils avaient besoin pour juslilicr leur félonie eu faisant
prendre à son fils aîné le lilre de comle do Poilou aussilol la
mort de Guillaume le Gros (2). La rançon payée par ce dernier
(i) Chartes de Sainl-Jcnn d'Aûgély de l'année lo^-j (D. l'Vinlcneau, XIH, pp. i/ji et
(a) Au moîs âe janvier. Van sppl ffu résine du roi Iltori, le vicomlti de Tbnunra
approuva le don du [n-icuré fie Snint-ildcqijp.s de Munlaubc-iii fnilpjir son vassal Dodelin
à l'abbaye dr SRinl-Jouin-de-Miiriies ; eu dehors de liiidicnliou chronoloiftque priu-
cipalc il esl dit dans In eliiirlc i|iren ce leni|)s la comlesse Agaês lenait avec son HIs
Guillaume le comté de l'oilou, « (Joniiits'ia At{ne cum \\'illclmo lîlio comiluluni Pic-
lavenscm leuenlc •). Or, biea que D, Fonleupau (t. Xlll, p. 27<ji ait donné à ceu«
pièce la dnto de ioI{7-io3><, que M. de CirandniaisoD, qui Ta publiée dans les ;l/^-
moii'et de la Soc. de Slalis/ique des lJeuj:-Sévres, t. X\'U, i" série, i854, p. i
[Chartalurinm Sancii Joiûni), l'ail daice de janvier lo.îS, nous n'Iiésilnns [i«s fï la
reportera TaQuéc 10^9. Eu elTel, celle formule «. Dalaîu uieutic januanuanuo sepliaio
936
LES COMTES DE l'OITOU
devait du resic singulièromcnl l'iicililer les négocialions, Une
Ujjue s'éluil donc formce cuutre Eudes ; avi'C une décision (j»fi
t'iiil honneur ;i son caraclèrCj celui-ci chercha iinmédialeuient
à la rompre. Maigre quo l'on fût au coiur de Thiver, il parlil
de Gascogne avec une pelile armée, el, sans passer par Poitiers,
il se dirigea vers le centre de la révollo; malheureusement il
se heurta presque aiissilùt à un obslacle dont il no soupçonnait
pas rexislence. A rcxtrémitô sud de la Gâtine, sur le bord même
de Tancien ciieiniu qui de Tiiouars descendait aux gués de la
Sèvre el niotiail au pays des salines, se trouvait un ancien oppidum
gaulois. Il occupait l'extrémité d'un étroit promontoire, au point
do jonction de deux vdllées fortement cnraissées ; aussi Guillaume
do l'arlhenay, prévoyant t'attaque d'Iiiidcs, l'avail-il, avec l'aide
dos AngevinSj rajiidemetit fortilié. On l'appelait le château de
Germoiid, du nom du bourg qui s'élevait en face(l). Tous les
elîorts d'Eudes pour s'emparer do cette colline escarpée furent
infructueux ; d'autre part, le froid danscelle région sauvage devait
être vivement senti par les hommes du midi qui composaient sa
troupe, aussi fut il contraint de se relirei'. Il revint donc sur ses
pas, mais là encore il rencontra un antagoniste. Soit que son
premier insuccès ait encouraj:;é les défections, soit qu'à son ré-
cent passage il ail négligé cet adversaire, Guillaume le lîùlard,
seigneur de Mauzé, lui ferma les portes de son château. Celait
un nouvel allront que le comte de Poitou ne pouvait supporter
sans tomber dans une déconsidération extrême. Il attaqua donc
vigoureusement Mauzé, qui, situé au milieu des marais, en pays
«
rcj^nanlc Hrnrico rci^e r> peut parfaitement se coraprcndie aiosi : Donai'e au moi» de
janvier, le roi Henri rcifUiint depui.s 7 aas; or, le roi Uoberl cl.iul mort le 20 juillet
m'.ii, à ceUe date de l';trjnce iujS lleuri repliait depuis 7 ans, et îl n'eut huil ans de
ri-^uc tju'au 20 juillet inlli). Il nous partît (loue nii[ur<'l <le [>lacc'r au mois de j.'iuvier
dt; ccltt' auut't; m'.Uj la doiiation de IJijdevIiu, d'autant [dus iju'en iu3S Guilliiuiue le
Gnis ctait cncnrc coiule de Poitou, cl qu'Agnès, .aussi bien que son (ils, ne pouvait,
aprt'3 la paix si^^née entre le comte d'Anjou et celui de Poitou, avoir aucune prélen-
lion sur ce dernier coinlt^,
(1) Marclic;jay, C/iroit, dtts é<jt, d'Anjou, p. 3ij2, Sainl-Maixent. Le château dcsi-
(çnè sous le uoin de Cicrmond par la chronique a porte jusqu'à nos jours celui de
château dcH Mottes. Cette appellalion lui venait do deuv molles en Icne, élevées à
chacune des exIrJiuités du l'cnceinto forlifirjc; celle-ci était pluliM un camp reclao-
g(j|,iirc qij'un cIi.'ilejiH, avec la sfçnification que nous lui donuous aujourd'liui, car il
ne sr;iuhL' pits que sers retranchements uiçnl étr* jamais couverts de murailles, pcul-
élre proteij;caicul-il3 siuipicmeat un donjon de boia.
=3?
découvorl, élîiit d'une approcha plus ("acilo que (Jormond ; il
«'•lait sur lo poinl d'emporler la place, quand il succomba dans la
lultn, le 10 mars 103U(1). Le corps d'Eudes fui Iransporlt^à Mail-
lezais et inhumé i\ cùlé de ceux de sou père el de son frère (2),
11 ne paraît pas avoir éié mariù ; en loul cas. il ne laissa pas de
poslérilé. LochampsG trouvait donc déj^agéel Agnts, ne trouvant
plus d'obstacle devant elle, put revenir triomphalement dans te
Pûilou doul elle allait ôtre maîtresse sous le nom de ses fils.
XIII. - GUILLAUME AIGRET
V'-' Comte — VJI-' Du:
( io3f)-[o58)
Par suite delà fin lamentable du comte Eudes, sou fi'ère lûé-
rin, Pierre, le fils atm'i d'Agnes, se trouva nahirellemenl appelé
à lui succéder à la tèle du comté de Foilou et du duché d'Aqui-
taine. Toutes les loyaulés qui s'étaient adirniées pour soutenir les
droits de ses prédécesseurs s'étalent en vain produites ; elles tom-
baient îi néant devant ce fait brutal que les deux jeunes princes,
issus des premiers uiaria;;es de tuiillaume le (îrand, ne laissaient
pa? de |)Oslérilé dtrecle. Le nouveau comte avait droit à loute
soumission de la part des fidèles vassaux de ses frères, elle ne lui
fit pis défaut, mais si les anciens griefs parurent oubliés, on vil
une modification profonde se produire dans Tentouraj^e du comle
oii prédominèrent désormais les vicomlcs deThouars el les sires
de Lusignan el surtout les barons batailleurs qui s'étalent atta-
chés à la forlune d'Agnès, tels que Guillaume de î*arlhenay, \i-
meri <le Hancon, Gilberl Bcrlais, ainsi que quelques clievaliers
moins haut cotés, comme Constantin de Mette, Guillaune Cha-
(i) Cette dale csl rnrirnle jiar le précieux calendrier de la Triiiilc de Poilicrs qui,
au Tj dcsûles de jnnrs ( ir} mars), l'oiHieiil CfUc Kienlîon ; « (ïliitus Odoiiis coruiiis m
(liibl. de Poiliers, maii. n" ^.'io, fol. '.A-j).
(a) MarclieiÇiiy, f'.hmn. tins é'jl . d'AnJim, (>. iiyiî, Siiinl-Muixeal.
x38
LKS COMTES DK POITOU
bal, Henoiil Haiole, Simon de Verruye, Adémar Mnle Capse, Hilde-
berl de Hocheiïieaux (1 1.
Du reslt', le pouvoir n'éiail pas à proprcmcnl parler dans les
mains du jeune comte, mais bien dans celles de sa mère. Pierre
élait minaur ; il devait avoir enviruii seize ans en HJ^U et jusqu'à
sa majoril6 ce fui Agnès qui gouverna rùellemenl le Poitou, Ce
fait ressort de tous les actes de l'époque, du témoignante de tous
ses contemporains. En 1041, l'un d'eux écrit que le comte Guil-
laume et son frère Geoffroy possùdaienl le Poitou, mais que leur
mère Agnès adminislrail avec une grande sagesse le pays des Gau-
les (2). Ce dernier mol doit èlre interprété dans le sens de ducbe
d'Aquitaine, mais ii n'en est pas moins typique pour allirmer la
grande autorité de la comtesse. Il ne semble pas non plus qu'elle
ait tenu à faire partager son pouvoir à son mari ; Geoiïroy Mar-
tel n'apparaît guère aux côtés de sa femme, sauf dans des actes
mémorables, tels que des fondations religieuses, et il paraît hors
de doute que lui aussi, à tout le moins pendant les premières an-
nées de son mariage, subit l'ascendant de cette femme supérieure.
Dans plusieurs des actes oii ils comparaissent ensemble, passés en
Anjou et où parsuite Geoffroy parle le premier, il ladésigne comme
sa très chère, 1res noble et très sage épouse (3). Il n'agissait pas
autrement que les rédacteurs des chartes des abbayes, qui,
rompant ;tvec leurs habitudes de ne donner aucuns qualilicatifs
aux comles ou aux grands seigneurs donl ils avaient à ciler les
noms, n'épargnent rien pour témoigner leurs senlimenlsà l'é-
gard d'Agnès : c'est la très vénérable et très sage comlessc, qui
en toutes circonstances témoigne de ses sentiments pieuv en
vérilable amante du Seigneur ; c'est la comtesse que Dieu a dotée
de nombreux dons et pourvue par lui de ses bienfaits autant que
ses mérites peuvent l'en rendre digne {4). Ces louanges exces-
sives sont plutôt un elîel de la crainte que de l'alTeclion; il valait
mieux être de ses amis que de ses ennemis. Certains même la
{i) Voy. les chartes des obbayes Je Sainl-Maixeut, de Saiut-Jcan d'Aopély, de
Saiule-Croix de Talmond, et Bcsiy, ///*/. des comtes, preuves, pp. 3 1 4-328 bis.
(2) A. Richard, Charles de Saittt-Maixent^ 1, p. 1 15.
(3) MiirchejrBy, Archives irAfiJon, p 377, Cnrl. de SaiQl-Maiir.
[!i) A. ilicliiirJ, Chiirli-s f/f Sainl-Miii.rent, 1, p. ii>j; Alurc[iei;iiy , Chaiifs poil,
de Sairil-Floreat, Arch. hist. du Puitoa, 11, p. 8;^.
GUILLAUME AIGRKT
a 39
mellaîent sur le mêmie pied que son mari, tel que ce moine de
Sainl-Florenl,qui écrivait, vers 1040, que le comte GeolTroy et la
comtesse A^^nès gotiveriiaienL les comlùs de Poitou, d'Anjou et de
Touraine(l),
Il semble que,peiidanl loule la minorité de son tils aîné, Agnès
ail évité de se prononcer sur la part qui reviendrait à celui-ci
dans la succession de ses frères. Dans les préambules des actes
il est bien désigné le premier, mais le nom de son frère Guy
suit immédialemenl el ces premières lignes d'une charte de l'ab-
baye de Sairit-Maixent, du 21 août lÛ4i, nous paraissent indiquer
d'une fa<;.un précise quelle était en ce momenl, c'est-à-»iire de-
puis 1039, ta vérilaLle situation politique du Poilou. «< En ce temps,
est-il dit, Guillaume, (Ils du duc (iuillaume, et son frère nommé
Guy, ainsi que leur mère la comtesse Agnès possédaient le pays
de Poitou, et avec l'aide de GcutTroy, beau-père des jeunes comtes,
le gouvernaient avec une vigueur et un zèle extrêmes (2) >. ; il
arrive même IVéqtiemmenL que le comte d'Anjou n'est pas indiqué
et qu'Agnès apparaît seule en possession du pouvoir, comme dans
ce cas où Ton voit le rédacteur d'un acte dire que ces choses se
sont passées : « Au temps où la comtesse Agnès était à la tèle du
pays de Poilou avec ses fils (juillaurae et GeolTroy et administrait
vigoureusement le duché, autant qu'il était en son pouvoir (3) h,
ou bien encore plus simplement : « Alors que régnaient en Poi-
tou le comte Guillaume, son frère Guy et la vénérable comtesse
Agnès, leur mère (4) ».
Il est probable qu'en laissant dans le doute la part qui reviendrait
a chacun de ses enfants, .Agnès voulait éviter toute déperdition des
forces du pouvoir sou%'erain, bien plus puissant si elles convergeaient
vers une seule main, c'est-à-dire vers la sienne. Celte habitude
survécut au partage qui se lit en 1044 et l'on voit, vers 1040,
Geoffroy Martel désigner les deux enfants de sa femme sous laqua-
lilicalion commune de comtes de Poilou, comités Pidaoenses (5).
(1) Arch. hist. du Poitoiiy II, p. 44, Chartes poil- de Saint-Flûrenl.
(2) A IlicharJ, Chartes de Saint' Maixent, I, p. iSa.
(îi) A, Richard, Charte» de Saint-Maixent, I, p. laS, et encore pp. ia6, 149,
(4) A, Kichard, Charles de Saint-Mai.vent, I, [). 12O.
{ il Arch. h1.1t. du Poitou, I, p. ii, Cart. de Sainl-Njculas.
Ou puul eucure citer ce pasisu^c de lu cUurte de daiiuiiuu Je Fiiuire du mois de
Il y a loulefois lion ili' remarquer (ju'tîlle fil prendre à son (ils
fMc'rrc, dans les actes officiels, le nom de Gtiillaume. Ce nom
<''lail devenu en quelque sorlo palronymique ol s'appliqii.iil à la
flynaslie des comtes de l'oilou, dont il indiquait la st-rie ininler-
rompiie. Eudesne le porla pas et sembla par suite devoir être lenu
en dehors de la suite directe dos comtes, c'esl-à-dire ôlre con-
sidéré comme un usurpateur, justifiant par là la lutte engagée
contre lui par Agnès. Il n'est pas impossible du reste que bien
avant rette époque elle n'ait eu rinlcnlion do désigner son fiîsaîné
comme le successeur évenluol de Guillaume le Grand et n'ait
clierclié h lui faire porterie nom de Guillaume, de préférence à
cetui de Pierre, sous lequel le jeune prince ne cessa pas, du resle,
d'être communémenl désigné (I).
Néanmoins ses contemporains lui donn^rent un surnom que
lliisloire a conservé, celui d'Aigrct, qui doit cire prison bonne
part, emportant la signification de vif, de t^rave et dont la forme
latine était Acer (2).
Le premier actedanslequelonvoiejntervenirle nouveau comleesl
du maisde juillet 1039, quatre mois seulement aju'èsla mort d'Eu-
juitlel io3r}, où Guîll.iunic àe Parthenay parle de la coinlesse Agnès et de sesdctis
lils, «nos deux coiiilcs, n dil-il (lîesly^ //ist. des comtes, preuves, p. 3i6 bis).
(i) C'est ce (lui paraît ressorlir du relevé des sûuscri[>li(}ns qui se trouvent au l>a9
iîe In donnlion de l\t)leu de Hrêjcuille, Brfiijeli<if sur la Dive, t'aite vers loa'i, par
Adelinc et son Gla Uuri^on à Hugues de Lusignan, dont il a et»'- parle plus haut,
]i. ![)(>, nule 2
(2) La cliruniijuc de SaiuL-Mnixenl (paç. 388) désii-nc aîusi le comte de Poilou :
u Fclrum cotînomine Acerrimum », cl ailleurs (page 4<'o} : « Willclcnus qui et Pelrus
ciii^^nomenlo Acer »; d'aulie part, uue charte du rarlulairc de Sainl-CvpricQ de l'oi-
ti»Ts, que Ion peut dater de l'aun/c io/|0, porte ceUc souscription :« S. Willelmi Ai-
çret cûniitis » {Aicli. iiisl. tiii /'uiV'yw, II, p. 2()t). On ne saiiraît douter que de son
viviinl l'ierre-tiuillaumc n'ait porte ce surnom ; il lut est oFficicItemetit donné daus
la cliarlc par laquelle Açaès concède vers io5o à l'abbaye de Saint-Jean d'Ans^cly les
coulumes dudil lieu eldaushiquclle elle indique cxpresséraent qu'elle est venue àSaiul-
Jcan avec le coin te de Poilou, (luilLtume, qui csl surnnmmc Aigrel, « qui cof^ominalus
C8l Ali^rcl » I llcsly, f/isf . des comtes, preuves, p. ^28 bis';. Agnès, abbesse de N.-D.
de Saintes, ayant vers rt.îo à rappeler les dons faits par des comtes de Poitou à son
monastère. cite Icauoms des fils d'Açuès, Guillaume Aigret et Guy {Cart.de N. -D.de
Sni/ifes, p. l'i'Sj. Dans Vlh'stoirr des comtes de /*o/c/oh, Pïcrrc-Guillaumc est appelé
le Hardy (p, fj/j ; celte dénonuuation est moderne, elle futetnpruutée par Besly à Viuct
qui crut devoir interprt^ter de celte Façou le mol Ai^^rel, dont le sens ne lui piiraissaîl
pas très clair. Ce surnom d'.\!çret n'est pas particulier à Guillaume V; on le ren-
contre à diverses dates dans les toxt<'s poitevins et nous cilcrniis en partirufier, au
xw siècle, (I Grtulcrius Aigrct, » arciiiprclre de Parcds [Arch. hist. du Puituii, I,
p. 62).
GUILLAUME AlGRET
»4'
dos. C'esl le début do la politique d'Agnès, qui, pour as^surer la
(ranqiiillilédu pays où elle venait de revenir en souveraine, chetcha
promplemenlà s'allirerde nouveaux adhérents. Dansce but, elle
s'allacha à gagner les élablissemenls religieux que Guilhiuuie le
Gros avait particulièrement favorisés et spécialement Sfiinl-Joan
d'Angély,qui avait été >ori séjour de prédilection. Nott seulement
L'Ile fit faire parle comte une doualion iuiporlanle à celle abbaye,
mais encore elle obliiil d'un de ses fidèles, Guillaume de Par-
Ihenay, que celui-ci lui abandonnai des droits qu'il possédait dans
la localité de Priaire, et qu'il tenait de la comtesse Adèle (1). Il
est à remarquer que, dans cet acte, rédigé sous l'inspiration
d'Agnès, elle fil donner à son fils la qualification de Guillaume le
Jeune, par opposition à celle de Vieux, portée par Guillaume le
Grand, dont elle tenait à le présenter comme l'héritier direct et
immédiat (2).
Elle rail aussi la main sur l'abbaye de Saint-Mai\eut, en y
faisant élire abbé le fils d'un de ces seigneurs de Gàtine qui lui
avaient prèle une aide si efficace, Archembaud, dont elle ÉH quel-
ques années après un archevêque de Bordeaux, et qui fut toute
sa vie un de ses conseillers préférés (3). En retour, celui-ci
lui abandonna quelques portions des domaines de l'abbaye
qui lui servirent à récompenser ses partisans. C'est ainsi qu'un
chevalier, nommé Hainaud Berclio, assurément encore un fiâti-
neau (4), obltnt d'elle l'alleu de Thorignô ; c'était uu domaine
fertileet dont ledonatairelinlîi s'assurer la possession. Dans ce but
Bercho, qui nous apparaît comme un habile homme, afin de se
pj D. Foatencau, Xdl, p. lOi ; Ucsiy, iiislnirc dfs comtes, preuves, p. Si') Lis.
|ï) Le même suraoïn de Jeuue usL donné au comte de Poitou dans une cbarte Je
l'abbnye de Boursfueil (Cari, mun., p. .iti) publiée par Besly {//ist.des com/M, preu"
▼es, p. 3/ji 1ns),
(3/ Plusieurs historiens ont avaacé qu'Archembaud appartenait à la famille de
Paribeany et que c'est ù la suite de son élévation à rarchcvéché de Bordeaux que les
seigneurs de l'arlhenay ont pris le surooni, ttevetm par la suite bcrédilaire chez eux,
de Larchev(^que. fila cela ils se trompent: l'ai>bc de SaiDi-Maixent cliiit le HIs de Hai-
naud, et le Frère de Uernard Tircuil, de Tbeliuiit et de Kulnnud, jiussessionnés eu
Gillinc el qui ont assurément douné leur nom au bouru; de la Cbapclle-Tireuil (Voy,
A. Richard, Charles de Saint-Mai.venl, !, pp. lxxiv, lxxvJ. L'archevêque de Bor-
deaux, à qui les seigneurs de Partbeuay out eniprualé leur suraoui, est Joscelia,
successeur d Archembaud.
(4) Il nous semble présuniablc que le domaioe de la Bercholière, commune do lu
Boissicre-en-GAline, a tiré son nom de celui de la familte Bercho ou Bercboz.
i6
a^a
LES COMTES DE POITOU
DicUreen fcarde coiilre uniMeveiidicalian possible, le coniraire de
ce qui venait de se passer pouvant bien se présenter dans l'avenir,
vint déclarer aux moines qu'il ne se considôrail que comme un
possesseur viager de Thoriû[né et par le moyen de celte condes-
cendance il oblinl d'eux la confirmation du don d'Agnès, auquel
acquiesça aussi le frère d'AelVed de Bri/ay,qui avait précédem-
ment donné ce domaine à l'abbaye et pouvait le revendiquerai ).
Ce fait n'est pas isolé, car on sait par l'histoire de sa vie qu'Agnès
était généreuse envers ceux qui la servaient bien, mais aussi que
souvent ses largesses se produisaient au détriment d'autres per-
sonnes ; c'est ainsi que l'abbaye de Saint-Maixeni lui dut encore
la perle de ses droits do coutume à Monlamisé (2).
Elle aimait aussi à faire des libératîlés aux établissements reli-
gieux, car, dit le chroniqueur, elle avait beaucoup à se faire par-
donner (cl), mais, tout en y contribuant grandement de ses de-
niers, elle savait amener, de gré ou de force, ses proches ou des
gens de son entourage à Fimiler. C'est ce qui apparaît lorsque,
peu après son mariagn avec (îeolTroy Martel, afin d'obtenir que
TKglise oubliât ce que les chroniqueurs appellent son inceslejclle
fonda, à Vendôme, une abbaye sous le vocable de la Trinité.
La dédicace de ce monastère se fil avec la plus grande pompe le
31 mai 1040, en présence du roi de F'rance, du duc d'Aquitaine,
et d'une nombreuse assistance dans laquelle on remarquait encore
jiius declievalierspoitcvinsqued'ant;(!vins; aux côlés de Guillaume
Aigrel se tenaient Guillaume-Audouin, le comle dépossédé d'An-
goulôme, Guillaume de Parlhcnay avec ses (Jàlineaux, Manassès,
lefrèrederévéque de Poitiers, en un mot, lousceuxque la comtesse
avait attachés élroilement à sa forlune. Aj^ni^s et son mari cons-
tituèrent à rélaldi-^sement qu'ilscréaient une dotation importante,
composée de domaines situés non seulement dans l'Anjou, mais
encore en Poitou et surtout en Saintonge, Parmi ces derniers
il devait s'en trouver qui faisaient partie du douaire qu'Agnès
n'avait pu manquer de se faire reconnaître par GeonVoy Martel
(i) A. Uicliard, Chartes de Soi'nl-Mni.rfni, 1, p. ia8.
(a) A. Ilicliard, Chartes de Saini-Maijcenl, I, p, i^o.
(3) <> Ouc domlaa, si ia multis Dnmioum oiFeodil, itcrum ia niultis eum plaça-
vil u (Marche^ay, Chron. des éji. d'Anjou, p. 3r)7, Soinl-Mni.xeul).
GUILLAUME AIGRFT
a43
dès qu'il ftil en possession de ce dernier pays.OiiIre ces donations
communes aux deux époux, il en élait de parliculières k chacun
d'eux; lel ôkiil le cas de r<?glise et du domaine de Puyravault
et de ce qui pouvait appartenir h la comtesse dans l'écluse du
pont de Saintes, pour lesquels il fallut que le comte de Poitou
donnât son aulorisalion spéciale (t).
Le clergé ne fit pas défaut à cotte solennilé, mais on constate
que l'action d'Afjnès s'était liien plus énergiquemeni exercée à
l'égard des dignitaires ecclésiastiques du Poitou qui se rendirent
en foule ù la convocation, que sur les Angevins, bien moins
nombreux qu'eux. On y trouve en effet les évoques de Poitiers,
de Sainles, d'Angouléme et d'Albi, les principaux membres des
chapitres calhédraux de Poitiers, dWngoutème et de Saintes,
le clmntre de Suinl-liilaire-le-Grand de Foiliers et les abbés de
Charroux, de Saint-Jean d'Angély, de Nanteuil-cn-Vallée, de
Saint-Savin, de Saint-Michel-cn-Lherm, do Saint-Maixent, de
Luçon, de Quinçay et de Saint-Martial de I^imoges, qui tous
furent témoins des concessions de privilèges faites à la nouvelle
abbaye par l'archevêque de Tours et l'évêque de flharlres (2).
Du reste, peu aprës la délivrance de ces actes, Agnès fit de
nouvelles démarches auprès de son fils pour obtenir de lui qu'il
confirmât Pensemble de la donation des biens sur lesquels il
avait droit de su/erainelé.Ils consistaient dans l'église de Saint-
Georges d'Ole ron, les boîs de Sainl-Aignan el de Coulorobiers,
la moitié des lorrains mis en culture dans la Ibrôl de Marennes
et les églises construites dans celle furet, la moitié des cens de
sèches en Saintonge et l'église de Puyravault avec ses dépen-
dances, tous domaines compris dans Pacte primitif- Guillaume
y ajouta l'église de Notre-Dame de Surgères el le bois de Fié.
Tous ces biens étaient situés en Saitïtonge; quant à ceux du Poi-
tou faisant partie des donations de sa mère, h savoir l'église
d'Availlesprès(-hi£é el la moitié de l'église d'Olonne avec ses dîmes
et ses salines, il en confirma en même temps l'ahandon. Il n'est
toutefois pas question dans ce! acte du domaine de la Peyre de
Jaunay, de deux maisons sur le marché de Poitiers et d'une autre
(i) Teulet, Lni/ettes dn Trésor des Chartes, I, p. i8.
(2) Mêlais, Cort. de la Trinité de Vendômf, I, pp. 8.'»-f)o.
LKS COMTES DE POITOL'
maison dans le fauboiiriî dft la ville. ('Minncés daur^la charle de fon-
dation de laTrinilii el qui dans l'inlervalio avaient sans doule été
échangés pour d'autres domaines. Kn cemomrnt Guillaume Aigret
était assurément de retour à Poitiers; sa mère n'était pas à côté
de lui, mais on y trouve deux vicomtes du Poitou, Egfroi de Chà-
telleraull el Guillaume d'Aunay, ainsi que la plupart des assis-
tanlsdes fêles de Vendnme, tels que le comte Guillaume-Audouin
Manassï'S, Aimeride Uancon. Guillaume de Partlienayet aulres(i).
Puis ce fut au tour de l'ubliuve deSainl-Rorent de Saumur de
se ressentir des générosilés d'Agnès. En 104-3, elle lui donna le
domaine des Fosses, primitivement nommé Beltron, situé entre
Niorl el Chixé, et que de gré ou de force elle s'élait fait aban-
donner par les religieuses de Sainte-Croix. Dans ce but, elle
s'éluil rendue au mois do juin à Poitiers pour y lenir sa cour,
accompagnée de son mari, du vicomte de ChAfelIeraull el de tous
les seigneurs de son entourage ordinaire ; li's évoques de Poitiers
et d'Angoulôme, lesabhés de Maillezais, de SainI Cyprien el de
Noaillé, consacrèrenl par l'aulorité de leur présence le renonce-
ment de Pélrnnille, abbesse de Sainte-Croix, el de ses religieuses;
celles-ci du reste ne tViisaienl que ratifier une usurpation ancienne,
car la comtesse jouissait de ce domaine depuis longlemps par
suite de l'abandon que lui en avaient fail les abbesses précé-
dentes. Elle obtint en mémo lemps que le vigiiier de Melle renon-
çât aux droits inbéi-ents h ses fonctions qu'il possédait sur ce
domaine des I"'osses (2).
Agnès ulilidl encore le couîsentement de l'abbessc Pélmnille
pour faire don, à la même altbaye de Sainl-Florenl, de l'église de
Sainte- Hadegonde de Villeneuve d'Argenson, qui avail été usurpée
sur Sainte-Croix par quelques seigneurs el qu'elle leur enleva à
son tour (3). Enfin il est à croire que c'est pour lui ôlre agréable
(i) Mctais, Carliil, saint, de. la Trinité de VendAme, p. 43. Cet écrivnin pince
ccUe chnric entre les nnnécs io/|2 et io58, mais elle ne peut être postérieure k
l'onoéc io4ti, tliilc de In mort d'E'jjfroi, vicomte de Cliàlclleraiilt, el elle est probable-
ment de l'nnnt'e io/(o, comme In clinrle primilivc « laquelle elle venait donner loule
consfcrtilion iN'oy. niisii, pour le relevé des domaiuesdc Saîoloo'îft donnés par Ag^nès
)'i la Trinité, les pièces reproduites nux paçes 33, 34, 3'), 4/| cl 4^ du même recueil,
dont nous avons corriçc (juclqucs atlributfons çéoçrapbiques. )
(a) Arcli. hiit. dn Poilni?, il, pp. S.'i, 87, 89, 90, Charles poil, de Sainl-Florcnt.
(3j Arch. hisl. du Hoihiti, II, p. 84, Cliart. poit. de Saiut^Floreal.
GUILLAUMR AIGRRT
245
qiio Guinaume voulut bien, en ce qui le concernait, reconnallre
à l'iibijayc de Saint-Maur-sur-Loirc la possession de l'é^lis** de
Coiicourson,que lenaiLdolui en bénéfice le vicomte de Thouarsel
que celui-ci avait inféodée à un particulier qui en avait fait don
au monastère (1).
Deux faits importants dans la vie d'Agnès signalèrent Tannée
suivante : le mariage de son fils Guillaume Aigret et la procla-
mation do sa majarilé. Comme il était h su|)]>oser que par ce der-
nier acte il écliapperail quelque peu à l'influence que sa mère
exerçait sur lui, celle-ci lui cljcrclia une femme et nous pouvons
être assuré qu'en politique avisée elle fixa son choix sur une per-
sonne qui ne pouvait, soit par elle, soit par les siens, lui inspirer
aucune crainte; la jeune comlesse s'appelait llermensende, el
n'estconnue que par l'affcclion profonde qu'elle voua à son mari;
d'autre part elle devait appartenir à une famille qui élait alors
assez peu en évidence pour qu'aucun texte ne nous ail fourni la
moindre indication sur son origine (2). Guillaume devait donc
atteindre ses vingt et un ans en lOil, et la comtesse sentait
que la situation qu'elle avait établie et qu'elle maintenait depuis
cinq ans ne pouvait se perpétuer. Son rùle de régenle allait ces-
ser el il élait bien délicat de laisser le pouvoir indivis entre ses
deux fils; c'est alors que, continuant les traditions de toute sa
vie, elle songea, sans avoir à démembrer le duché d'Aquitaine, à
donner satisfaction à chacun d'eux. Elle fit tenir k Poitiers un
grand plaid où furent appelés tous les vassaux du duché, et là,
assistée do son mari, elle fil reconnaître Guillaume en qualité de
comte de Poitou el de duc d'Aquitaine, tandis que l'on attribua
le comté de Gascogne à GeolVroy qui, Jrgalcmenl, n'y avait aucun
droit. Dans son ambition excessive, elle ne craignit pas de poser
(i) Marchegay. Archives d'Anjou, p. 3Cf), Cart. de Sainl-Maur.
(2) Lu cbrouique Je i'Dviérc, suivie ea ccl» parcellecle SaiQl-Maixenl,qui l'a copiée,
place cet événcmeal en io5i (Marchegay, Chron. des égt. d'Anjou, pp. 1O7 cl 398),
mais creUe aUés^ation tombe devant Je texte formel de la charte de SaiiU'Maixcnt,doDt
l'original nous a été conservé (A. Richard, Chartes de Saint-Mai jrent, I, pp. i34-
i36), qui dit iorrnelleincDl que GuiliiMime était marié en io/|j. Cette charte donne à la
comtesse les uouts d' n Hernicnsemlia «et d' " Ermcosendis »; on relève aussi celui
d' « Ërmcnfteidiis i> dans In Chmii. de Suint-Afaixent, p. 898, d' « lieriiiisindis »
dans Besly, Comtes de Poitou, preuves^ p. 333 bis, d'après Pierre Uaniieu, cl d' c Er-
mesendis » dans le cartulaire de Taimond, p. 77.
r.ES COMTES DE POITOU
son fils comme liériUcr du malheureux Eudes, s'emparanl ainsi
sans vergo^'ne des dépouilles de sa viclime (ï).
lin des premiers acles d'Ai^'ni's qui suivirenl ce grand événe-
ment fui sans doule ladonalion qu'elle fil à laTriniléde Vendôme
de la moilié de l'église de Villerable, dans laquelle, outre elle et
son luari, on voil apparaître Guillaume, duc des Aquitains, Guy-
Geoffroy, pourvu du litre de comte, et Robert le bourguignon,
neveu d'Agnès, fils de sa sœur Maliaull et de Landri, comte de
Nevers{2).
Bien que de droit il fiU émancipé, (îuillaume resta de fait de
sous la tutelle de sa mère ; c'est ce que nous apprend naïvement
un simple rédacteur de chartes. Vers celte époque, en 1044 ou
1045, un chevalier, Hélie de Vouvarit, queTon voil en juin 10t3aux
cùlésdu comte lors des donationstiu'iifit à l'ahbaye de Vendôme,
eul des diflicultés avec son suzerain. Or, dans Tacle qui rapporte
ce fait, il est dit que ce fui Agnès qui lit marcher contre lui ses
troupes, et, « selon son habitude », s'empara de Vouvcnl (3);
elle en chassa llélie et confia la garde du château au fils d'un
chevalier nommé Uaimond,qui en avait été autrefois le détenteur.
Celui-ci abusa de sa situation pour vouloir imposer certains droits
sur les domaines que l'abbaye de Saiiit-Maiveat possédait dans
celle région; l'abbé Archembaud s'adressa au comte el, profi-
tant de ce qu'il se trouvait à Sainl-Maixent cinq jours avant Noël
avec sa femme el sa mère, il lui fil consentir l'ahandon de tous
ses droits en faveur de l'abbaye et obtint même le cadeau d'autres
domaines importants. Il est intéressant de remarquer que l'abbé,
pour assurer plus etficacemeal la perpétuité de ce don, chercha
à lui allribuer le caractère d'une venle en faisant à son tour cadeau
au comte d'une somme de 300 sous en argent el d'un cheval valant
500 sous, et, d'autre part, que le scribe, qui se conlenlede signaler
la présence d'Hermensende aux côtés de son mari, rapporte que le
duc Guillaume et sa mère Agnès gouvernaient alorsrAquilaine(l).
(i) Marche^ay, Chron, des tgl. d'Anjou, p. 3y'i, SainlMaixcnt. Le chroniqueur,
en relatant ces (ails, ajoute que les deux princes tirenl )*uii et l'autre Jci^ranJes choses.
(a) Metals, Curtiil. de ta Trinité de Vendôme, I, p. 127.
(3i Bruel, Charles de Clunij, IV, p. 54.
(4) A. Richard, Chartes //<■ Sinnt~Muij:enti I, p. i3G. Si l'oa rccoimnil au sou
d'arji^eDl à cette éporpie la valeur de cinq francs de uulrc iiiounaie actuelle, un vijili|uc
le cheval douiiè par les moines de Saiat-Maixcat au comte élail apprécié 2.5oo fraDCii.
GUILLAUME AIGRET
24?
Cetaccord ne fui pas ratifié par Gtiy-GeofTroy, pour lors abseiil, et,
malgré la précaulion prise par Archeuibaud, ce dernier comle ne
se gêna pas plus Lard pour donner à l'acle le caraclère d'une
concession gracieuse et pour enlever aux moines de Sainl-Maixcnt
les domaines el les prérogatives qui en faisaient l'objet (!).
La plupart des documents de celte époque ne portant pas de
signes chronologiques, il est bien difïicile d'assigner une date
précise à des faits relativement importants s'ils n'ont pas été
relevés par les chroniqueurs. Ceux-ci nous apprennent bien qu'en
1042 régna une grande famine ; qu'il en surgit une nouvelle en
10 44, qui fut encore plus terrible, et nous savons par un acte au-
thenlique que la pénurie du blé dut ûtre bien grande puisque l'on
voit des meuniers, poussés par la faim, se trouver dans la néces-
sité de se défaire de leurs moulins. Nous apprenons déplus par ce
dernier documenl que le roi de Krance, Henri I.se trouvait alors en
Poitou elque la cessiund'un de ces moulins se fil en sa présence, ci
Sainl-Ma«xenl,où il se trouvait avec le comte de Poitou, sa mère
et son frère (2). C'est tout ce que l'on sait du voyage d'Ilenri-
nous ignorons pareillement à quel moment Agnès, pour défendre
Poitiers, qui du côté du plateau avait depuis longtemps débordé
en dehors de Tenceinle romaine, fit établir un élang au-dessous
de celui de Saint-Ililaire, transformant ainsi en une vaste nappe
d'eau le vallon de Ja Boivre (3).
C'est encore vers celte époque que, pour libérer le comte de
Poitou de l'obligalion de fournir des sèches aux moines de Cluny,
la comtesse Ot abandonner par ses enfants h celte abbaye leur
droit de monnayage à Saint-Jean d'Angély cl les coutumes qu'ils
percevaient à Mougon (4),
(i) A. Richard, C/iarlesde Saint-MaLvenI, I. p. 153.
(al A. Richard, Charles de Sainl-Muij^cnt^ 1, p. t38. D'après les iodications coD-
Icnucs dans la charte, on voit que ccllocî doîl iMrc placée après la prise de possession
de Tarchevéché de Bordeuux par ralitiê ArchemLaiid, « qui nuûc est urclùepiscopus
efTectus », laquelle eut lieu en \»!\h ou io/)0.
(3) Ccl élauj^ fut donné plus tard par Guy-Geoffroy à Monlierueuf, tors de la fon-
dalion de celle althaye, doul îJ prit le nom. I>a gare de Poitiers el ses dépendances en
occupcnl aujuurd hui l'eriiplncciiienL [V'oy. Arch. Itist . du Poitou, XXIX. p. 83.)
,/|i Bruel, Chartes de Ctanij, IV, p. 5/j; Lecointre-Duponi, NnUce sur deux dé-
niera de Saoari/ deMaiiléun et sur râtelier monétaire de Aiorl ati.r XJ'fl A'//«*ie-
cles, L'acle par lequel Agnès et ses deux fils Guillaume et Geoffroy doonèreut à Cluny
la monnaie de Sninl'Jcan d'Angély el au bas duquel se trouve la prccicusc aanolatioa
24H
LES COMTES DE POITOU
A peine Agnè.'î avail-elle remis le pouvoir à son fils que celui-
ci fui appelé à se prononcer dans une question où son autorité
souveraine était en jeu. La part qne prenaient les comtes dans
le choix des évèques de TAquitaine élail grande ; cIIl: n'était
môme pas conlcslée, étant donné le double caractère de ces
prélats, qui n'étaient pas seulement des pasteurs religieux, mais
aussi et surtout de grands seigneurs terriens qui, en vertu des
principes du droit féodal, devaient tenir du comte, le chef su-
prême du pouvoir dans le diocèse, l'investilure de leurs domaines.
En cela les comtes avaient succédé aux droils régaliens des
empereurs francs, et, comme eux, ils opéraient une confusion
entre l'autorité religieuse et la puissance féodale dont les évoques
étaient pourvus. De plus, la simonie régnait en maîtresse dans
ces questions et on la comprend chez des hommes qui, souvent,
étaient des clercs de fraîche date, quand ramliilion leur élait
venue d'aspirer h l'épiscopat. A Limoges, l'évêque n'avait pas
afïaire h un comte dunt le pouvoir se sérail plus ou moins étendu
sur tout le territoire du diocèse ; il n'avait en face de lui qu'un
vicomle, puissant parce qu'il possédait une partie de la ville siège
de l'évêché, mais qui devait reconnaître plusieurs égaux en di-
gnité dans l'ancien comté de Limoges. Au-dessus d'eux se Irouviul
le comte de Poitou, duc d'Aquitaine ; c'est lui qui, ayant depuis
un siècle pris la place des comtes de Limoges, choisissait les évo-
ques en se mettant d'accord avec le clergé et le peuple du diocèse,
et qui, coDime suzerain, donnait l'investiture aux vicomtes (1).
Jourdain de Laron avait été élu évoque en 10:23 à Saint-Ju-
relataotla prise de Vouvanl par At^cs, a ut Fecit »ua consucludo n, a été mise par
D. Botiqucl [fieriun Gallicurnm scriplorex, X, p. 2(jC>) en ioo5, par M. de la Fiuilenelle
de X'aiidnré (ftenae Anijlo'Française, 1, p. at5, noie i) en io2ri,par ftf. Rruel en
io3i, el par M. Lecoinlre-Diiponl entre les années io3o el loSg; or, la présciicc d*A-
llfut'î* el de SCS (kuix fîls, ji^issnnt cniimie possesseurs siniullanés du cuinté de Poitou,
doil forcémeni faire reporter leur donatiou à une «nnée postérieure à loSg, date de
la niorL de Cîiiilliiuuic le Gros, de plus le rapprociienienl decel acte avec celui du car-
tulnire de Solol-Maixeut, cilé plus haut (page a4&i ^o^^ >)i '''* ^ssigDe la dnle ap>
proxiinatîvc (te iol\l\ ou iO(45.
(i) Pjrmi les olilifçalians ausquelles le vicomle de Limoijes élait tenu à l'ég-ard du
comte de Poitou se trouvait le druît lie^Jte; qunnd le vicotnlc Adéniar livra eu 1062
Saint-Martial aux CUmistes, il leur iniipûsa la cbarçe de recevoir une fois seufernenl
ea son lieu, et quand i! les en requerrait, le comte de Poitou lorsqu'il viendrait k
Limoges el de le défrayer de paia et de vin. [Oallta Christ,, II, iRslr.,col. 180 ,
GUILLAUME AIGRET
nien par l'influence du duc Guillaume le Grand, mais après un
long exercice du pouvoir t^piscopal, voyanl autour de lui les scan-
dales qui se commoLliiienl dans rélection des évoques, scandales
que seule la main aulorilaire de Grégoire Vil el de ses légats
devait parvenir à refréner, lise montra hoslile aux abus dont il
avait profilé ; il chercha à y mettre un terme, à tout le moins en
ce qui concernait Limoges, el dans ce but il essaya de lier les
mains du comte de Poitou.
En 10i5, ïe 3 des nones d'août (3 aoill), il amena Guillaume
Aigret à Limoges et là, en présence des nobles, du clergé et du
peuple de la ville, il lui lit conclure un accord avec le chapitre
catliédral; il fut convenu que, lorsque le siège épiscopal devien-
drait vacanl, le comie de Poitou no ferait pas de nomination
sans qu'il lïïl procédé;» une élection et sans l'assentiment des cha-
noines de la cathédrale el des [)Ossesseurs des tours de Nieuil
et de Noblat. De pkis, pour empêcher que, pendant la vacance
du siège, les comtes ne vinssent à disposer à leur gré des biens
de l'évêclié, il fut décidé que ni Guillaume ni ses successeurs n'u-
seraient de celle prérogative, et qu'enfin, en tout étal de cause,
ils prendraient les membres du chapitre sous leur protection
spéciale. Pour assurer l'exécution de ces clauses, les chanoines
prirent des précautions minutieuses; par exemple, pour garantir
leur sécurité, le comte leur donna deux cautions : Aimeri de
Hancon el Auberl de Chauibon, el 11 s'engageait à en nommer
deux autres aussitôt après la raorl de ceux-ci, quand le cas se
présenterait; de plus, le comte désigna six chevaliers qui se-
raient garants des conventions établies pour l'élection de l'évo-
que, à savoir : Guillaume de la Hoche, Guillaume des Cartes, Hu-
gues de la Celle, Géraud de Vouvant, le fils de Uaimond de lîri-
diers et Pierre de Niort, à chacun desquels, en cas de mort, il
devrait donner un remplaçant dans les quinzejours ; de leur côté,
les chanoines désignèrent cinq d'entre eux qui se portèrent cau-
tions de l'exécution des engagements que la communauté avait
pris envers le comte (i).
C'est sans doute à cette occasion que le comte de Poitou fit don
(i) Gattia Chrixt.t ÎI, iuatr., col. 172.
LRS rOMTKS DE POITOU
à Jourdain de Laron, mais en spécifiant que c'était le parlicu
lier eL non l'évèque e|u'il en f^raliliait, dos cours de Carsates,
que Jourdain litindrail en fief'de lui. Jourdain donna plus lard ce
domaine aux chanoines de sa calbédrale qui de ce fait se Irouvèrent
sous la suzeraineté directe du comle (l).
L*nml>ition d'Agnès ne s'étail pas resfreinle à ses fils ; loul en
gouvernant l'Aquitaine sons leur nom vl en se faisant la r<^pula-
lion d'une femme supérieure, << inclila «jOlle cherchait poursalille
Ala une brillante alliance. Quand celle-ci fut en û^^i^e d'être ma-
riée, elle fixa son choix sur le prince le plus en vue de la chré-
tienté, et cette fois encore elle réussit dans son entreprise. Henri
le Noir, empereur d'Allemagne, élait, depuis le 18 juillet HI38,
veuf de Marjïuerite, fille de Canut, roi d'Angleterre, dont il n'a-
vait pas d'enfants raàles. Selon les liabiludos de l'époque une nou-
velle union s'imposait presque; aussi Agnès mit-elle tout en œu-
vre pour amener l'empereur à la réaliser. Ala, dont l'éducation
avait été très soignée, était belle et intelligente et faite pour
plaire ; comme on ne la voit pas intervenir dans les actes passés
par sa mère et ses frères de lOiO à 1043, on peiil croire qu'Agnès
l'envoya en liourgogne, auprès de son oncle, le comle Henaud,
que là, l'empereur la vit et s'en éprit. Le mariage fut célébré à
Besuni,^onle21 octobre 1043 (à).
C'est à son retour qu'Agnès régla ta situation de ses deux fils, et
qu'elle acheva de pacifier le Poitou. De son côté, son mari Geof-
froy Marlel avait en Anjou triomphé de tous ses adversaires et
même, te 21 août lOii, il avait fait prisonnier le principal d'entre
eux, Thibault III, comte de Tours et de Blois. lîien ne pouvait
faire obstacle aux projets que mûrissait alors Agnès. L'Allema-
gne l'attirait ; elle y voyait un vaste champ où elle pourrait déve-
[i) Gallid (Jhrisl. , II, iimlr., co\. 171.
(2) Marcliciîoy, Chrnn. dff é<j! . d' Anjoa : Saint-Aubiu d'Aaçers, p. 24; Saiol-
Scrgetl'Aniîcrs, p. i30. \yA cIironu[ue de Saiiil-Maixeot (p. StjSj semble assii^uer ;m
niariajîe d'Alji la dalc de loijy, mais si l'on y regarde di* pré* on voit qii'tiilc jndii]ue
H l'iituiée suiviitilelu Jute cxade tic lii naissance de sou fîU Henri; i»r, comme le chro-
niqueur n'nvail pas riKirqui; à fa djie le inariiii^e d'Alu cl de l'empereur d'AlIimia;;ne,
il se lira d'à flaire l-o employant pour le mp[ielcr rexpresàion vajjue, « i)er hec leuipora ».
(|uo l\>n n eu torl d'.ipjilir[ucr â l'annéu in/Jy. Raoul Ciliiber [flistoints, p. 1271 noie le
mariage en in/i."*, mais la concordance des dalcs Iburuies par ks cln'unii[Lieiiri nni^e-
viu» avec celles des liiatoncns allemand.i (Voy. Be->!y. llisi. lifs vninlts, preuves,
p. 336 biai, ne pertuclpas d'élever uu doulc sur L'exactiludc de la dalc de io/|3.
GUILLAUME AlGRliT
aSi
lopper les talenls dont elle était douée et elle songea à jouer près
de l'empereur le rôle de la belle-mère qui, pfir les mains de sa
fille, dirige les aiïaires de son gendre.
l'allé se dt^sintéressa loul d'abord du gouverncaienl du Poitou,
ainsi que le spécifie le chroniqueur (1), et se relira on Anjou, inaia
pour peu de iemps,carentratnant avec elle Geoffroy Marlelj à qui
rinaetion devait peser, elle [)arlit pour rAlloraagne avec une
nombreuse suite de Poitevins et d'Angevins. Elle était h Gozlarle
25 décembre 10 'i5, et l'on peut croire qu'elle ne fut pas étrangère
à la décision que pril l'empereur, l'année suivante, d'aller rétablir
Tordre en Italie. Le 20 décembre iOiO, elle assistait au concile de
Sutri qui condamna les prétentions de Grégoire VI et donna laliare
à Clément ll.Le jourde Noël, le nouveau pape déposa la couronne
impériale sur la tèle de l'empereur el de sa femme. Agnès dut
amplement jouir du triomphe de sa (Ttle qui était aussi le sien,
car, dans les fêles qui furent célébrées à celte occasion, la mère
de r impératrice se trouvait mise au premier rang. Mais ne pou-
vant rester dans une oisiveté contraire à son caraclère,elle se fit,
h défaut d'Ala, la compagne des entreprises de l'empereur.
Elle se rendit avec lui au monl Gargan où, sans doute sur se
conseils, il t ru i la avec les chefs .Normands qui détenaient la Pouille,
mais son ingérence dans les affaires du pays ne fut pas goiitéo
par tous, aussi quand elle revint à Bénévenl, la population l'insulla
et, en tin de compte, se souleva. L'empereur, pressé de revenir en
Allemagne, ne jugea pas à propos de réduire la ville et rentra
à Kome où il avait laissé sa femme; dans le cours du voyage, l'im-
péralrice mit une lille au monde sur le territoire de Kavenne, el
enfin Tons'arrèlaà Mantoue pour célébrer les fêles de Pâques (2).
Nous ne saurions dire si Agnès suivit plus longtemps le couple
impérial el si de ce point d'arrêt elle revint directement en Anjou;
entoutcas soti séjour en Allemagne fut très limité, car celte même
année elle accomplissait un des actes les plus notables de son exis-
tence. Les seiitimeuls religieux qui souvenlsommeillaient en elle,
mais qui parfois se réveillaient avec éclul, s'étaient développés
durant ses promenades en Italie» elello en donna la manifestalion
\t) Mjtcli.r^iy, f.Urott. tle^ éjl. il'A/ijoi, p. 3^5, S,ùul->rji\ciil.
(:<) Ucttij , ftiit. lies comtes, preuves, pp 31'4 ^'l ^33.
LKS COMTES DF POITOU
presque aussllôl son retour. Le comLu d'Anjou possédait une grande
partie de la Saintonge et en parliculier Saintes, qui, en dehors de
sonévêché,n'avail réellement pas d'élablissemenls religieux. Elle
résolut de combler celle lacune el elle amena son maria fonder dans
cette ville, conjoinlemenl avec elle, un couvent de religieuses. La
préoccupation d'Agnès d'assurer une retraite aux jeunes filles
nobles, laissées sans soutien dans une société aussi troublée, se
manifeste ouvertement dans cet acte qui mérite une sérieuse atten-
tion, car, accompli sous la même inspiration que celle à qui l'on
devait Sainte-Croix et la Trinité de Poitiers el Saint- Jean de Bon-
neval, il est en désaccord avecles façons de penser el de faire de
l'époque où l'on ne voyait généralement que riiomme se con-
sacrer à la vie religieuse, landis que la femme, maintenue dans
une situation subalterne et à demi servante, ne semblait avoir
guère d'autre rôle que celui que la nalureluî a départi, de four-
nir des citoyens a l'Elat. La dédicace de l'abbaye de Notre-Dame
de Saintes se fil avec la plus grande pompe, le 2 novembre 1047.
Agnès tint à y paraître entourée d'un cortège de hauts dignitai-
res de l'Eglise ; on y comptait Irois archevêques, ceux de Bor-
deaux, de Besançon el de Bourges, six évoques, ceux de Sainles,
de Nevers, d'Angoulème,de l*érigueux, de Nantes el de Limoges,
huit abbés, l'évèque désigné de Poitiers el un nombreux clergé.
D'autre pari on voyait dans l'assistance le comte d'Anjou, le duc
d'Aquitaine, lecomle Geoffroy, son frère, le comte Geoffroy d'An-
goulème el une foule de chevaliers rangés autour de leurs suze-
rains. Pour faire vivre son institut, Agnès le dota richement el lui
fil abandonner par le comte d'Anjou une partie de ses posses-
sions directes delà Sainionge, déjà ébréchécs par la dotation de
la Trinité de Vendôme; en outre, elle le fil pourvoir de privilèges
spéciaux par l'imposante assemblée du clergé qui se trouvait réu-
nie à Sainles, el enlîn,en 1049, elle obtint du pape Léon L\ un
privilège apostolique qui mit l'abbaye sous la protection directe
du Saint-Siège (1).
Comme il était dans ses traditions de s'emparer sans scrupule
des domaines à sa convenance qu'elle attribuait à ses nouvelles
(i) Cari, de Notre-Dame de Saintes, pp. i, 6, 8.
GUILLAUME AIGRET
a53
(puvres nu mèrno de dt'^pouiUfr pour cet objcl d'atilres i^la-
blisst^meiils religieux, elle Uni à faire conslaler que la fondalioti
(le i\olro-I)arae de Saintes avait été exemple de toutes manœu-
vres dolosives; elle déclara formellement et h diverses reprises
que l'abbaye avait été construite à ses frais el à ceux de son
mari el qu'elle avait payé de son argent les domaines dont elle
lui avait fait don. ("est ainsi qu'elle acliela de Guillaume de
Parthenay l'île de Vix, dans les marais de la Sevré, moyennant
une somme de 1500 sous, et comme celle-ci pouvait paraître peu
élevée, elle précisa que ce prix d'achat élail un complément des
services qu'elle avait autrefois rendus à son vendeur (I). On la voit
même, redoutant qu'un domaine donné par son mari ne fût venu
à celui-ci par l'eiïel d'une spoliation, s'adresser à l'ancien pos-
sesseur de ce domaine pour que celui-ci on fil un abandon
personnel à l'abbaye (2).
. Les soucis que pouvait causer à Agnès sa nouvelle création ne
lui faisaient pas négliger les anciennes. Au mois de mars lOiS, peu
après la mort d'Hubert de Vendôme, évèque d'Angers, on la re-
trouve dans cellevilleoù elle assiste avec son mari à un acte passé
en faveur de l'abbaye du Ronceray (3), puis celle mèmeannéeelle
fait beaucoup d'acliats de biens destinés à l'abbaye de la Trinité ;
elle mît le comble à ces acles de générosité en donnant à ce"
monastère, de concert avec son mari, l'église de la Toussaint
d'Angers. L'acte fut passé le 6 janvier i0i9; Agnès avait
encore auprès d'elle en ce moment ses deux fils, Guillaume el
GeolTroy, el sa suite habituelle, Aimei'i de Rochechouarl, Aimeri
de Haucon, Gautier Tizon, (iuillaijuie de l^arthenay et son fils du
môme nom (4). Du reste, vers celte époque et peut-être un peu
antérieurement, elle fit de véritables sacrifices pour accroître ses
fondations précédentes ; ainsi elle acheta de Pierre de Didonne,
(t) Cari, (le JVotre-Darne de Sninles^ p. i4''. On pourrait encore se demiDder
SI la donation de l'abbaye de SuiaC-l'al^ns, Faite au même établisscmenl iors de sa
fondation par Guillaume, vicomte d'Aunay, qui pour ce faire l'enleva à sou vassal
Constantin de Mellc, fut bien un arte spontané, et si une certaine pression ne fut
pns en ce sens exercée sur le vicomte par la comtesse et par son mari (Item, p. 55).
(a) Ctirl. de Notre-Dame de Sninlrs, p. 91.
(3) Mctais, Cart. de la Trinité de Vendôme, I, p. i3i, noie 1.
(4) Mêlais, Cart. de la Trinité de Vendôme ,1, p. 1O7.
354
LES COMTES DIS POITOU
jiJoyonnanL GOOO sous eL quelques autres ("ddeaiix, la moïlié de la
forôl de Maronnes pour en gralifior la Trinité de Vendôme à qui
elle avait prôcéderaraont fait don de l'aulre moitié; elle acheta
aussi de Dodon de Brou, pour le môme objet, l'église de Saint-
Jusl dans la même forêt, et enfin elle se lit céder par Geoffroy
Martel, pour IHO livres, les églises de Chevtré et de .Menelil en
Anjouafm que Nolre-Damc de Saintes pût échanger ces domaines
avec la Trinité, contre celui de Marennes, ce qui était à la con-
vcnancedes deux abbayes (1).
Le mouvement religieux, qui est une des caraclérisliques du
xi« siècle, était alors dunslo.ulc son intensité ; une architecture
nouvelle^ plus ri(!he, |)lus solide que la précédente, venait de
naître et on démolissait des édifices à peine élevés pour en
édilier de neufs suivant lesnouvelles méthodes de construction et
les nouveaux styles de décoration ; aussi à chaque page les chro-
niques remémorenl-elles des dédicaces d'églises auxquelles les
principaux personnages du pays ne manquaient pas d'assister.
On a vu Guillaume Aigrel se rendre, en lon, à Saintes pour par-
ticiper à l'inauguration du monastère de Notre-Dame; la même
année, le 16 juin 1047, il n'avait pas dû manquer de se Irouver
à Charroux où se fil la dédicace de Fabbayo; l'aiTluence de monde
à cette dernière cérémonie fut telle que, quarante ans après, les
vieux barons la cilaienl encore comme élant celle où ils avaient
vu l'assislance lapins considérable (2). Knfin, toujours à la même
époqur,eul lieu la consécration du monastère de Sainl-.Micliel-en-
Lherm, mais on ne sait si nos comtes y assistèrent (3).
En 1049, c'est à Poitiers qu'on relève une semblable solennité.
Le i" novembre se fit la dédicace de la nouvelle église de Sainl-
llilaire. Depuis plusieurs années celle construction était en clian-
lier. Elle avait été entreprise par Emma, reine d'Angleterre,
femme de Canut le Grand. Celle princesse avait avec Agnès plu-
sieurs points de ressemblance : comme elle, dévote sans scru-
pules, douée aussi d'une intelligence supérieure, elle avait,
(i; Mêlais, Curt. saint, de la Trinité de Vendime, p, Sg.
(2) Marchegay, Cliron. des ê'jl. d'Anjou: Sainl-Adbia, p. a/J ; Saiot-Serge, p. i36;
La Cliaise-Ie-Vicomic, p. 3/|o; Saint^Maixeot, p. 3j)0.
{A) Marchegay, Cfiron. de* érjl. d'Anjou, pp. lU/t el 397. Sainl-Mftixeal.
GUILLAUME AIGRET
9&5
sous le nom de ses deux fils, gouverné vérilablemenl leurs /-lais ;
les deux princesses élaienl du reste proches parentes, Emma
6lanl fille de Richard I*' de Normandie, oncle de Guillaume le
Grand. Il esl à croire que la reine d'Angleterre fil à un momenl
donné un voyage en Poitou et qu'elle en rapporta une dévotion
spéciale pour saint Hilaire ; toujours esl-il qu'elle chargea un
arcliilecle de sa nation, Gautier Coorland, de dresser les
plans d'une nouvelle église de Saint-llilaire et qu'elle pourvut
il loules les dépenses de la construction. iMais en 1044 elle fui
privée du pouvoir, et, dépouillée de ses richesses, elle ne put
conlinuer l'entreprise. Celle-ci allait être suspendue el peut-être
abandonnée quand elle fut reprise par Agnès, qui poussa le comte
de Poitou, à qui incombait véritablement ce soin en sa qualité
d'abbé de Sainl-llilaire, à terminer rédirice(t). Le jour môme
de la cérémonie, Guillaume reslilua aux chanoines l'église de
Saint-Sauveur et de Notre-Dame (sans doute l'église de Noire-
Dame de la Chandelière),qui leuravail été enlevée parles comtes,
ses prédécesseurs. Sa mère Agnès parait seule à c(Mé de lui dans
l'acte dressé à cet eiïet, où il esl en outre relaté que c'est lui
el sa mère qui ont élevé la basilique avec une grande magnifi-
cence. Mais l'opinion publique ne s'y trompa pas et le chroni-
queur de Saint-Maixcnt a pu dire en toute justice que celle
reconstruction fut l'œuvre d'Acnés, qui aurail elle-même ordonné
que Ton procédât à la dédicace de l'église (2).
Vers la même époque elle donna un nouveau témoignage de sa
(i) Ces faits, du moins tels {]uf nous venons de les raconler, sont restés inconnus
des hîslorlens qui aims oui 'précédés, lesquels, iiilerpréliiul dans uu sens erroné le
(pxtcdo la cIironii|uc de Suinl-Maixpnt, faisaient vivre dautier Coorland nu corntncn-
cotnenl du x* siècle, et rcconnaissaîenl on lui l'arcliiteclc d'une Adèle d'Ausfletcrrc,
di^nl 11 a Ole démonlré jilus haut la non-cxislencc. Pour plus de détails, on peut se re-
purler à la lettre adressée par nous à M. de la llouralière,le sa juin iSyt.el qu'il a in-
scrcc sous celle rubrique: <t A quelle époi]ue vivait Gaulier Coorlaud? », à la suite do
la seconde édition de sa Notice Itisturiqat el arcMologiqnii xiir l tUjlise de Saint"
flilaire-le-(irantl de /'o/N'rrï.pp. 3i-Sii. Il n'y n pas aussi lieu de s'élonner des géné-
rosités d'Emma h l'ci^-ard d'ua édifice relisjieux situé en dcliors de ses étals, la reine
d'AnsfIeterre ne faisait que suivre en cela les traditions de son mari qui envoya à Ful-
bert de Chartres une somme d'artfenl considérabte pour aider à la reconstruction de
sa cathédrale incendiée en 1020 (Mig-ne, Patroloffie lat., CXLI, col. 233).
(2) iNfarchegaj. Chron. des égl d'Anjou,^. 3{)7, Saint-Maixent ; Rédet, Documenta
pour Sainl-J/ilaire,lr p. 86; Marléoe, Thésaurus, III, col. ma, Cliron. de Mon-
licrncuf.
256
LES COMTES DE POITOU
ferveur religieuse en élablissanl à Poiliiiis une collégiale, com-
posée do treize chanoines vivant sous la règle <le saint Augustin,
à qui incombait le devoir de prier pour leurs fondateurs et en
particulier pour le comlc Guil!aume. son premier mari. L'église
delà collégiale, placée sous l'invocation de saint Nicolas, fut cons-
truite en dehors des murs de la ville, près du Grand Marché,
sans doute par la main des mêmes ouvriers qui venaient de réé-
difier Sainl-Hilaire, LtiQ large doLalion fut assurée aux chanoines
pour leur subsistance, et comme certains des domaines qui leur
furent atlribués étaient situés dans la féodalité du comte d'Anjou,
celui-ci, à la sollicitation de sa femme, les prit sous sa prolec-
lion (1). Dans l'acle «le fondation Agnès, comme à son ordinaire,
fait intervenir ses deux (lis ; elle les associa aussi k une œuvre
charitable, qu'il serait injuste de ne pas mettre en relief, celle
de rétablissement d'une aumônerie, qui fut placée surledrand
Marché, non loin de Sainl-Nicolas; la piété d'Agnès ne doit pas
être seule mise en cause en celte occurrence, elle s'inspira aussi de
la verlu decharilé, qui ne trouvait sans doute plus suffisamment son
compte dans les obligations imposées aux églises ou aux monas-
tères, lesquels ne voulaient ou ne pouvaient sans doute y satisfaire.
Ce n'est pas seulement en sa qualité de comte de Poitou que
Guillaume Aigrel intervint dans la dotation de Saint-Nicolas ; il
y coopéra personnellement en attribuant aux chanoines, après
sa mort, deux péages que sa femme possédait en Aunis, l'un à
Angoulins, l'autre à Voulron (2).
L'année suivante, en lOoO, les évêques de Saintes, d'Angou-
lême et d'Angers procédèrent à la bénédiction de l'église de
Saint-Jean d'Angély dont le chevet venait d'être achevé. Agnès
y tint la première place avec ses deux fils ; placés devant l'autel
(i) Arck. hisl. du PoUnu, I, pp. i, i5, aS, 32, Cari. He S»int-Nîc<il»s; .Marchc-
gay, Chron, des égl. d'Anjou, p. 3y8, Saint-Mai.xenl. L'abside de SaÎDl-NicoIas el
sa crypte subsistiiieut encore à peu près intacts en iKgi. A rcUe dalc, ce qui en res-
tait fut dénaturé et englobe dans des maisons qui en cacliaient désormais la vue. De-
puis ce jour, l'édilice a élé peu à peu démoli cl il a clé dé6nitivcinenl rasé en 190a;
quelques chapiteaux et autres niorreaux de sculpture ont été transportés au Musée
de la Société des Aotiquairca do l'Ouest (Voy, B. Ledain, L'église de Saint-Nicolas
de Poitiers).
{2) Arch. hist, du Foilou-, I. pp, 7 et 11, Cari, de Saint-Nicolas. Les péages en
question faisaient sans nul doute partie du douaire d'Hcrmeaseode.
ÎRRT
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dé saint .lean sur leqiiol ils Crenl brûler chacun un grain d'en-
cens» en guise d'oiïrande au Seigneur» la comtesse el ses fils firent
abandon au monasU'Tc de toulle bour,:^' avec les églises qu'il ren-
fermait el les dépendances territoriales que les rois de France
elles ducs d'Aquitaine avaient autrefois données aux religieux,
mais qui leur avaienlété ravies, particulièremont par Agnèselle-
mêuie ; en guise d'indemnité elle ajouta de nombreux privilèges h
ceux qu'elle venait de reconnaUre el y joignit des francliises pour
les habitants du bourg (1). Le comte d'Anjou ne prit aucune part
effective à cet acte, mais son nom se rencontre parmi ceux des
assistants avec le comte d'AngoulAme et le vicomt^de Thouars{2).
Cette même ann^e, Agnès, en compagnie des jeunes comtes
se rendit dans ses domaines du Talmondais. et là, sans doute
sous sa pression, Guillaume le Jeune. seigneur de Talmond, fit don
à l'abbaye de IVÎarmoutior des domaines de Fontaines et d'An-
gles, dont il avait liérité de sa mère et oîi l'abbé Auberl et ses
religieux établirent aussitôt un prieuré. Celle fondation était faite
en violation des intentions formelles de Guillaume le Vieux,
fondateur de la dynastie des seigneurs de Talmond, qui, voulant
assurer une véritable dotation spirituelle à l'abbaye de Sainte-
Croix, qu'il venait d'établir sur son domaine, avait défendu h ses
successeurs de disposer de terres du Taîmondais en faveur d'autres
établissements religieux. Pour donner à l'acte toute sa valeur,
la comtesse et ses fils y apposèrent leur signature, c'est-à-dire
tracèrent leur croix sur le parchemin (3).
La sauvegarde accordée par le comte d'Anjou aux domaines
de Saint-Nicolas el son assistance à la bénédiction de Saint-Jean
(i) Agnès devait jouir â Sainl-Jean de droits élendus. car elle y possédait un prévûl
qui jcxcrçait ses ntiributioDS lant pour son complique pour celui du comle de Poitou
(D. [•"onleneau, XII!, p. 169).
(a) Bealy ou ses éditeurs {flist. des comtes, preuves, pp. 3aS-33i bi») donnent à
celle chorlc la date Je iii4'^; la chronique de Saint-Maixeol (p. 898) place b dédi-
cace de Saint-Jean en io5o el y fiiil assister I»etnl>erl, évi^que de Poitiers, Lien (|u'il
ne soit pas désiçoé daas l'acte. Celui-ci étant dépourvu d'indtcalions chronoloçi-
ques, on peut rester dama le doute, loulefois il semble plus expêdicot d'adopter ta date
fournie par la chronique de Saiol-Maixent.
(3) .Marclieçny, Cnr(. du Bas-Poitou, p. 87, prieuré de Fontaines. Cet acte ne peut
être placé qu'entre les années lo/ig-ioôy, pendant lesquelles riuillaunie le Jeune pos-
séda la seigneurie de Talmond, aussi la date de loJocQviroDquc lui a attribue M. Âlar-
chegay paratl devoir être conservëc.
'7
s5S
LES COMTBS DK POITOU
furent sans doule une des dernières faveurs qu'Agnès oblint
de son mari. GoofTroy Marlcl avait semblé pendant longtemps
la fei
ilail
vivre en bonne inlelligence avec ia lemme qui seiaii en quel-
que sorte donnée à lui, mais, parvenu au comble de son ambi-
tion, jouissant d'une autorité et d'un prestige inconlost{»s, il
sentit qu'il lui manquait quelque chose. Son union avec la
veuve de Guillaume le firand ùtait restée siérile; il n'avait pas
d'enfants, de descendants issus de sa chair, à qui il pùl laisser ses
magnifiques domaines. Des regrets qu'il en ressenltt à l'idée d'un
divorce il n'y avait qu'un pas ; il le franchit, et un beau jour il
répudia sa femme. A celte époque les prétextes ne manquaient
pas pour rompre une union ; on invoquait la raison de parenté et
dans les grandes familles qui conLraclaienl ensemble de fréquentes
alliances, les cas de dissolution d'un mariage n'étaient pas difTi-
ciles H trouver. Du reste, l'union d'Agnrs avait, comme on l'a
vu, été qualifiée d'illégitime d<''s qu'elle s'était produite cl Geof-
froy ne l'ignorait pas. Il pril pour femme Grécie, veuve de Reriais,
son vassal, seigneur de Monlreuil, puissant baron cité dans de
nombreux actes de l'époque ; ce mariage eut lieu entre les années
lOoOet 1052 (1).
Agnès ainsi délaissée ne manquait pas de lieux de refuge: elle
avait d'abord les domaines qu'elle avait reçus en douaire, puis son
abbaye de Notre-Dame de b'aintes, mats Poitiers raltirail princi-
palement ; là elle était sûre de pouvoir continuer à jouer un rôle
(i) C. Porl dans son Dictionnaire historique ffe Maine-chljiire, I. II, p. 298,
HTarticlc de <jrcc!r, plate le nouveau mariag^c deG<?uffpoj Marlel vcra jû55 ou lOJy;
mais il esl établi par le charlricr de Jb Trînilc de Vendôme que le 6 janvier lo/jç)
A^ès élail encore femme de (JeoJTroy Muriel qui déclare, dans le préambule de Tacle
de dnnaiion de la Toiissaint d'Anîfers à l'obbayo de la Trinilé, qu'Ag'ncs est son
épouse hicn-aimée, l'objet de son unique amour (Mélais.Car/. de ta Trinité de Ven-
di'ime, I, p. i(>5), rt qu'à cet acte, qui se passa à Angers, la comtesse était présente,
ayant dans aa coinpajjnie ses deux fils, et ses cLevaliers poilevins Aimeri de iloche-
cliouart, Aimeri de Hancon, Gautier Tison, Adémar Malti Cnpsf^ Guillaume de Par-
llienay et son fila. La participation de Geoffroy Martel aux faveurs accordées par sa
femme à Saint-Ntcolas de Poitiers cl » Salnl-Jcan d'Angély pendant Tannée lo^f». ne
permet pas de placer la séparation des deux époux avant l'année toDo, mais elle
était effecluée dans le cours de celte année, ce que semble prouver le don du comté
de Vendôme fait par le comte d'Anjou. sans la participalion de sa Femme, à son neveu
Foulques; à cet acte imporlanl on ne voit paraître aucun chevalier poitevin {Cart .
de la Trinité de l'emlume, I, p. 171)- ^^^ resle Grécie esl désii^née avec son litre
de comtesse dans une cliarlc du 26 mars io53 [Hem^ p. 176), et parait encore comme
femme du comte d'Aujou dans une cbarto non datée du cariuluirc de Sainl-Maur-sur»
Loire (Marchegay, Archives d'Anjon, p. 38i).
GUILLAUME-: AIGEIET
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impotiaiil, Guillaume reslani toujours soumis aux volonlés de sa
mère(l). Du reste, malgré le partage de l'hùrilage d'Eudes interve-
nu en lOii entre les deux fils d'Agnès,it ne semble pas qu'aux yeux
de leurs contemporains la dislinclion entre les domaines qui leur
avaient éié dévolus ait 616 nellcmeni établie, et quand Agnos fut
revenue dominer àla cour du comte, on put croire que rien n'était
changé dans la situation constatée dix ans auparavant; tel était le
sentiment du rédacteur d'une charte de l'abbaye deSaint-Muixent
qui dit en 1051 que le duc Guillaume» son frère Geoll'roy et leur
mère la comtesse Agnùs continuaient â gouverner le Fuilou (2).
Nous ne savons rien des actes de Guillaume Aigret pendant cette
année i051, mais dans le courant de l'année lOo^l'ùvèque de Limo-
ges, Jourdain de Laron, étant venu à mourir le chapitre calhédral
de Saint-Iitienne lui écrivit aussitôt pour lui demander qu en vertu
de Faccord de 1 Û4o il ne donnai pasi evôcLé à prix d'argent. Aprbs
lui avoir dépeint le triste état dans lequel se trouvait le diocèse
et le clergé, les chanoines ajoutaient : « Qu'est-ce qui te manque ?
L'Aquitaine tout entière l'appartient... nous réclamons de loi un
évoque et non un loup rapace, un homme qui soit le directeur des
âmes el non un professeur de déprédation, qui viendrait prêcher
que le bien est la chose mauvaise et que c'est le mal qui est le
bien. . . qu'il devienne le maître de tout ce qu'a possédé son pré-
décesseur. . . tout ce que nous avons est à toi ; tu es le gardien
de notre bien, envoie- nous un berger pour prendre soin du
troupeau, et non un homme qui eu lasse sa proie,. . Adieu, sois
le défenseur de saint Etienne ['^). »
Guillaume semble avoir déféré à l'appel instant des chanoines.
Il se tint à Limoges une grande assemblée d'évêquesdont le choix
se porta sur Hier Chabot, un liouinie de race noble, qui veuf ne
s'était pas remarié et que ses mérites signalèrent à leur attention.
Dans l'acte dressé pour constater la décision de l'assemblée il fut
{1) On peut, grâce à 1 énoncé des donations faites par Agnès, se rendre compte de
rimport.iace des biens qui lui avaient été donnés en douaire et de leur situation; ils
ne Igrmaicnt pas un cn.Henible compact» mais ila cLaieut dissi^minés sur plusieurs
points du Poitou, à Poitiers et aux environs, à Saint-Maixcnt, à Maillezais, à Talmond
el aussi en Sainlonge.
(2) A. Richard, Charles de Saint-Maixent, I, p. i4i.
(3) Gallia Christ., JI, instr., col. 173.
>6o
LRS COMTES HE POITOU
expressément porié que réieclion s'élail faite de la volonlé el du
consentement du comte de Poitou, du vicomte Adi'imar, des
barons, des nobles, du clergé et du cliapîire cathédral (1 ),
Versie mômelemps Iccomle, de concerlavec sauirre etson Frère,
confirma les dons qui avaient éléfaîlsà l'église Notre-Dame du Piiy
en Yelay alors qu'il était en bas-âge, par son père Guillaume, sa
mère Agnès et ses frères Guillaume et I^ludes, lesquels consislaient
en la moitié de l'île de Hé, des étangs, des écluses, deux villages
elle bois de Sainl-Ouen, vulgairement appelé le Breuil (2).
l'ar suite de la répudiation d'Agnès, la situation était extrême-
ment tendue entre Geoffroy Martel et ses beuux-fils, à tout le moins
avec Guillaume, qui subissait toujours l'ascendant de sa mère.
Excités par elle, ils se préparèrent à tirer vengeance de l'alTronl
qui lui avait été fait, mais le comte d'Anjou, avec la rapidité de
décision qui était un des trails saillants de son caractère, les
devanra : il leva en 1053 une armée considérable et marcba sur
Poitiers. Le comte de Poitou n'était pas prêt j son frère ne l'avait
sans doute pas encore rejoint avec les forces qu'il pouvait lui
amener de son comté de Gascogne, et devant l'impossibilité où il
se trouvait de lutter conire son beau-père, il s'empressa de faire sa
paix avec lui (3j. r*eut-être est-ce à cette époque qu'il convient
de placer un voyage que til Agnès, accompagnée de son conseiller
l'archevêque Arctiembaud, nbbé de Sainl-Maixent, auprès de
(i) Kabbe, Conciita,\X,co\. 1060. Bifri qu'il n'y ail à rclenir, au sujet de ccl évêque,
que le nom qu'il portail, il semble loutcfoi» qu'il (hmiI <Hre raUaché à la famille de
GuillauNie Chabot, i'iiiidea familiers du coinle de l'oilou.
(a) En attribuant cet acte à (liiillaurne Aiijrcl, nous nous raog'CODS à l'opinion do
Bcsly qui a démontré (///*/. f/w cowi/es, preuve», pp. ad i-2(J3) que bien que i'/fisinire
tic A'otre-D<tnie tlu Pny, c. nj, I. 2, p. 28^, lui donne la date de l'an 1000, il ne
jHuI êlre placé qu'enirc les années 1047 el io58. (Voy. aussi D. Yaissele, fiitt, de
LarigiieildC, n. éd., IV, p. 8f)).
(i) Dom Houssoau, Livre noir de Saint-Floreut de Snumur, t. Il, n» S^o. Besljr
(//isl. tles conttc.1, preuves» p. .'^27 bis) a piililié les formules finnles de cet nele qui,
dans 800 icxlc, porte la date de io43. H y a b'i une erreur luanifcsle, rcsuhnt d'uua
foule d'impression, que n'a pas reproduite Mnrcheçay, lequel dans ses Arr/i. d'An-
jou.p. 371, donne à la pièce sa date véritable de iojJ. Mais Tindication inexacte de
y/Zisl. des comtes de Poitou n'en a pas moins clé adoptée par certains bi.Htoricris,
(|ui n'ont pas réllcchi qu'en 10:^3 (àoolîfoy ^Martel clait, de par sa femme Açucs, le
véritable (lussosseur du comte de Poitou cl ne pouvaiten toute justice partir eu guerre
contre îui-inèfoe. Nous ne croyons [)asnon plus qu'il faille prendre à la lettre le texie
de la rbarlc de Saint-Florent, que Mnrcliescny [dace par erreur avant 1054 cl qui dit
que tienlTroy déclara la guerre uu comte de Poitou; le contraire nous (varalt bien plus
vraisemblable.
iult, comle de Champagne. Enlrait-il dans ses inlenlions
d'amener ce comle à reprendre ses lutles anciennes contre Geof-
froy Martel qui lui avait enlevé la Touraine, nous ne saurions le
dire, le molif de ce voyage ne nous ayant pas élé révélé (1).
Le 12 mai I0j4,jourde l'Ascension, Guillaume se trouvait à
Poitiers. Les religieux de Saint-Florent de Saumur n'avaient pu
jouir paisiblement du domaine des Fosses qu'Agnt'-sleuravail donné
en 1043, Les agents du comle exigeaient d'eux certains droits cou-
tumiers qui les lésaient grandement; sur leur requôle Guillaume
les exempta de tous ces devoirs, défendit de les molester à l'ïivenir
et pour le surplus confirma les disposilions do la charte primitive
de donation. Uien qu'il déclare agir en la circonstance du ctin.sen-
temenl de son frère Geolfroyel de sa mère Agnès, ni l'un iiiTaulre
ne comparaissent parmi les témoins de l'acte oii l'on rencontre
l'archevêque de Bordeaux, les évêques d'AngouIéme et de Limoges,
le comte de la Marche Audebert, le vicomte Savarî de Thouars,
Guillaume de Parlhenay et autres compagnons ordinaires du
comle (2).
Agnès n'assista donc pas li la libération de la terre des Fosses,
et même après celte date on ne la rencontre plus opérant en per-
sonne aux côtés de son lils. II est possible que Geoffroy Martel
ail imposé au comte de Poitou l'éloignement de sa mi-rc el que cel-
le-ci ait été chercher un refuge auprès de son fils Guy dont l'auto-
rité s'affirmait alors en Gascogne ; elle a encore |)u, dès cette épo-
que, aller demander au monastère de Notre-Dame de Saintes l'asile
où nous la retrouverons plus tard. Nous ne serions pas étonné
qu'il faille placer à cette date un fait que nous apprend une charte
(i) A. KicharJ, Charles de Saint-Maixenî, I, p. i/(o. Peodanl ce voyaf^e, l'Abbé
d<: SaÎMi-Maixeiiit cuiiseniil à ce que l;i corutesse dihpoïsAl du Jomaiue de Sivrcc, au-
tremeot dit le Puy Sainl-Maixenl tlaos la paroisse de Moulaïuîsé, <jui apparteiiuit à
Bon abbtiyc.
(2) Arc/i. fiist. (lu Poitou, II, p. gS, Charles poil, de Saîiil-Florcnt. Le cbarlrier
de Saiul-Florcnl cuulenait ua autre acte de conHrziiation delà possejisiaa dea Fosses
par celle abbaye (/i!e/«,p.fjoi. Mais cet acte, idenliquoau précédcnlel dépourvu de date,
n'eal qu'un proj,et relrouvé duus le chartritT de l'abbaye t't auquel le rédaclcur du car-
lulairc en rincurpuraiit dans stni recueil, a nialadroile^nunl «]uulc des uoxns de Icinuins
empruuléa à l'acle df iDÛ/t, sauf qu'où y trouve tu plua Guillaume, èvèque de Pcii-
gueiix, el GetifFroy Martel. Or, c'est en loCo seulement qu'un cvê(|UP du uom de
Guillaume moula sur îe siège de Përigcux et nous savons qu'en «oii/j Je conile
d'Anjou êiuit tolalement séparé de sa fcmine el ne pouvait venir à cûlë d'elle couipn-
raltre dans ua aclc à Poitiers.
a02
LES COMTKS DE POITOU
de Bourgueil. Celle abbaye possédait depuis la fin du siècle
précédent des domaines en Bas-Poilou; le comle, croyanl sans
doute avoir des droits sur ces territoires et n'étant plus retenu
par les scrupules de sa mère, ne se gêna pas pour imposer aux re-
ligieux de Bourgueil la charge de recevoir chaque année dans
leurs pacages du Busseau,de ï'oussais el d'Auzais et sur chacun
de ces Irois domaines deux hommes et trois chevaux qui y séjour-
neraient le lemps qu'il lui plairait. Ce procédé était ingénieux el
en le généralisant le comité aurait pu faire élever et entretenir
à peu de frais les chevaux nécessaires au service de sa maison.
Celle façon d'agir, allant à l'cncontre de l'œuvre privilégiée
d'Agnès, vienl déjà témoigner que la comtesse ne jouissait plus
auprès de son fils de celle influence sans limites dont on a tant de
preuves. Son amoindrissement^esl encore alleslé par ce qui se
passa dans le Taluiondaîs.
Pour récompenser Guillaume le Chauve, le fondateur de la dy-
nastie des sires de Talmond, de l'aide qu'il hji avait priMée contre
les fils aînés de son mari, la comtesse lui avait concédé cerlains
droils et en parliculier la moitié du produit des églises d'OIonne.
Après la morl de Guillaume, advenue vers 1049, Agnès reprit
ce qu'elle avait donné, mais comme le sire de Talmond avait dis-
posé de ces biens en faveur de l'abbaye de Sainte-Croix qu'il avait
fondée, ce furent en fin de comple les moines qui se trouvèrent
lésés. Tant qu'Agnès dominaen Poitou, ceux-ci ne purent faire que
de timides réclamations, mais quand la silualion de la coinlesse
se trouva diminuée, en ce moment leur voix s'éleva. Guillaume
le Jeune, fils et successeur de Guillaume le Chauve, s'était résolu
en 1056 à partir en pèlerinage pour Borne, mais avant d'enlre-
prendrece voyage,sachant,disail-îl,qu'ily a danger pour ceux qui
le font et qu'il ignore les accidents du cliemin, il régla ses alTaires
el en parliculier reconnut le droit des moines de Sainte-Croix sur
les églises d'OIonne. Il ne revint pas et eut pour successeur son
frère Pépin qui, à son tour, ne larda pas h succomber, ne laissant
pour héritières que sa sœur Asceline et sa mère Ameline. Mais
le comlc de Poitou, soit en vertu du droit de rachat à merci,
droit féodal ([ui était peut-être déjà eu vigueur et qui le rendait
usufruitier de la seigneurie jusqu'à ce que son possesseur eût
GUILLAUME AIGKET
adi
acquitté des droits considérables pour rentrer enjouissancedc son
Lien, soit que l'acte de la concession l'aile par Guillaume le Grand
au premier sire de Talmond eût spécifié que celte importanle
seigneurie reviendrait au domaine comlal dans le cas où la des-
cendance mâle de ses possesseurs serait interrompue, toujours
est-il que GuillaumeAigret mit la main sur le domaine de Talmond
et qu'il vint s'y installer avec une nombreuse suite, au commence-
ment de l'anni'e 1058, pour se livrer aux plaisirs de la chasse.
Dans sa compagnie se trouvaient sa femme llermensende, Guil-
laume, évêqued'Angoulème, Savari, vicomte deTliûuars et autres
grands personnages. L'abbé de Sainte-Croix, Vital, profita de
l'occasion et vint directement se plaindre ù lui du lorl que lui avait
causé A{^'iil's en s'empuranlde la moitié de la dîmeeldes oiïertes
d'Olonne. Le comte fil porter l'aiïaire à un plaid qu'il tint à Tal-
mond et où assistèrent les gens de sa suite et les principaux per-
sonnages du pays. Dans celle assemblée, où les droits d'Agnès
furent sans doute défendus par Renoul de Saint-Michel, le prévôt
qui administrait ses domaines du Tulmonduis, il fut déclaré que
la comtesse avait injuslemenl mis la main sur les possessions de
Sainte-Croix, et Guillaume, ratilianl celte décision, ordonna que
l'abbaye rentrerait pour toujours en possession de ce qui lui avait
été enlevé; de plus, soit pour raison de dévotion, soit pour indem-
niser les moines du tort qui leur avait été causé depuis plusieurs
années, il leur fit don du droit de pânage pour tes porcs de l'at>-
baye dans la forêt deJard qui faisait partie du domaine comlal (1),
A la fin de cette même année, les comtes de Poilou et d'Anjou
élaienl en guerre. Geoffroy Martel, aprèsja répudiation d'Agnès,
(i) fjart. de Tulmorid, pp. 76-77. I-^ seigneurie de Tnimonri était eocote entre les
maÎD» du conilc de Ptiitou quand arrive la mort de Guillaume Aiiçrel; c'est ce quff
l'ou doii inférer de deux ucics du cartuiaire de Sainte-Croix, non datés il est vrai,
mais (fans l'un desquels il est dit qu'aussili^l après le décès du comte Guillnume son
frère GeolTroy-tjuy, confirma aux rnûines de Talmoud lu eoncessioti que sou prédé-
cesseur venait de leur faire {^.^«r/. iie Tftl/nond, pp. 77 et i»7). La constataiion de
ce fait doit faire renvoyer ù 1 anuée loSS la prise de possession de la sciarneuri» de
Talmond par Cliàlon, mari d'Asceline, que les historiens plii<;aient en l'anui-c loây en-
viron (//., p.^ Gi). Une autre preuve que Geoffroy déliol pendunl quelque temps la aei-
gaeurie de Tulmond est fournie par le carhtlnire de Sainlc-CroiTc i|ui noua uppreud
{II., p. I iq) que BosoQ ^ de Davio n exenjpla les navires de l'abbaye du droit que lui
payaieni ceux qui faisaieni le ininsit avec la Ittclagne, el ceci du conseolement
d'abord de Geoffroy et ensuite de Châlon, ses seigneurs.
a64
LES COMTES DR POITOU
n'avait pas rencontré lasafisfaction qu'il chi.'t'clmil ; il remplaça
bienlùl Grécie par Adèle, la fille du comte Kudes, puis il revint à
Grécie el enfin, après un nouveau renvoi, il s'allachaà Adélaïde la
Teutonne (i). Celle dernière mil promplemenl à proiit l'ascen-
dant qu'elle prit sur le vieux comte, et se Ut aUribuer par lui
un mag;nifique douaire qui comprenait le Sauuiurois el d'autres
domaines que les héritiers de Geoffroy durent plustard racheter.
En agissant ainsi, le comie d'Anjou brisail les derniers liens qui
pouvaient le rai tacher encore à Agnès ; il disposait du douaire
qu'il lui avait constitué bien des années auparavant et l'on peut
croire que la comtesse n'élait pas d'humeur à se laisser impuné-
nienl dépouiller de ses revenus. Elle sortit de sa retraite el eut
encore assez d'au loi- ilé sur son fils pour le décider a faire valoir
Ses droits les armes à la main. Cette fois le comte de Poitou prit
ses précautions el ce fut son adversaire qui, hors de doute, fut
surpris. Geoffroy essaya bien de résister h colle attaque inopinée,
mais les premières rencontres ne lui furent pas favorables et il
se laissa enfermer dans le château de Saumur dont Guillaume
vint faire le siège en règle. La situation du comte d'Anjou était
des plus critiques, quand il fut sauvé par un de ces coups de
chance dont son histoire abonde. Le comte de Poitou tomba
malade de la dysenterie el fut contraint de se retirer; peu
après il succomba à la maladie, âgé seulement de trente-cinq
ans (2). Ses entrailles furent portées dans l'église do Saint-Nico-
las de Poitiers (3).
(i) Celle iiiiunvéralioti Jcs femmes de GeolTroy Martel «c rencontre, dans une cbarle
de l'abbiiye du Hooccray i[ui les qualitie toutes, saua disliiictîon, du iJlre de eoncu-
liinea OJarchetç-iy. Citron, des é<jl, d'Anjoit^^, 293, Dole i). M.l'abbd Mêlais, s^ap-
puyaiit sur la cliarte n" CV de la Triaiiê de V^eadiiiue et la ctiartc de la fondai ion du
[irieuré du Flessis, dépendant de l'abbaye de Bourg'ueil, avance qu'Agnès fut reprise
par SUD mari en io56 pour être répudiée à nauveau biealilt après [Cari, saint, de la
Trinité, p. fi, noie t). Mais celte a^serlian ne repose que sur un acte dalé de io56
(C'iri. de ia Trinité de Vendt^me, I, p. 78) où ou ra[ip«lle les fondations de la Tri-
nité cl de rt-vière, faites la première avant la iiiurl de Foulque» Nerra advenue
le ar juin 10^0, l'aulre peu après son décès; cet ade n'est <|u'une iiolîce rappelant des
faila anténeurs à sa rédaction et no piNil en aucune laron élrc appliqué à A;;'nés,
Le prieuré de l'Evière, selon C. Port {Dict. de Mai ne-el- Loire, Ij p. .%) a été fondé
à deux fois, en io4o et en 1047,
(21 Marcfiei^ay, Chron. des ér/i, d'Anjou, p. /|,oo. Sainl-Maix<*nl ; IJcsIy, //'*/. des
comtes, preuves, p. 327 bis; Mêlais, Curt. de lu Trinité de Vendôme, I, pp. 120
et lai.
(3} Arch, hisl. du Poilou,]l, p. i3. Cari, de Saial-Nicolaa.
GUILLAUME AIGRET
365
r
k
Il ne laissait pas d'enfanlset son frère Guy-GeofTroy fut appelé
ri lui succéder lant comme duc d'Aquitaine que comme comte de
Poitou. Sa femme, tlermensende, donl il éluj't lendremenl aimé,
se relira du monde el, dit le chroniqueur, se voua à un veuvage
sévère. Kllefil même plus, elle embrassa la vie religieuse et fina-
lement se relira à Home auprès de sa belle-sœur Ala, qui, après
avoir gouverné l'empire d'Allemagne en qualité de régente de
1056 à 1061, el renversée du pouvoir, s'en fut chercher au loin
ie repos du cloître (1).
Les chroniques fournissent relativement peu de détails sur
la vie de Guillaume V, mais son surnom d'Aigrel, Arerrimus,
et le passage de la chronique de Saint-Maixent, où il est dit que
pareillement à son frère Geoffroy il réalisa de grandes entreprises
« ulrique magna el forli agesserunt », nous laissent à penser qu'il
gouverna vigoureusement le duché d'Aquitaine el qu'il sut répa-
rer les maux causés par la captivité de Guillaume le Gros el par
son arrivée au pouvoir à la suite d'une guerre civile.
Il est le premier de nos comtes dont on connaisse un sceau.
11 en usait rarement el il ne parait pas qu'il ail eu un chancelier ;
il est possible qu'il ail recouru lï celui du chapitre de Sainl-liilaire
donl il pouvait requérir les services en sa qualité d'abbé de cet
établissement. Une empreinte de ce sceau, aujourd'hui perdue,
élail apposée à la charte de confirmation des dons faits par Agnès
à la Trinité de Vendôme de l'année 1040 environ; elle élait sur
cire blanche et était suspendue au parchemin par un double lacs
de cuir; on y voyait un guerrier à cheval, armé, tenant une épée
d'une main et un bouclier de l'aulre. Une légende entourait celte
figure et devait porter l'indication de Guillaume, comte des Poi-
tevins et duc des Aquitains (2).
(i) Resly, //tsi. des contins, preuves, p. 333 bis, d'après deux lettres du cardinal
d'Osiie, Pierre Darnien, à l'impcralrice A;fnc«; voy. aussi aux pages iJa^» 3^7 el
3;<8 bis.
(2) Mêlais, Cart. saint, de la Trinité de Vend/'ime, p.45. La descriplioa de ce sceau,
qui appartient au type que l'on est convenu d'appeler le type équestre, se trouve dans
un oifiimiis, daté de 1527.de la cbarte de Guillaume Ai)jrel : la lét^ende avait presque
tolnleineat disparu el l'on n'y lisait plus alors ([ue la iia du dernier mol : anoiwm
{.[i/uilanoru/rtf.
9«6
LES COMTES DE POITUU
XIV - GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
VI" Comte. — Vil h Dlc.
(io58-to86)
Le successeur de (juillaume Aif^rel porte trois noms dans
rhisloire : Guy, Geoffroy et Guillaume. Lors de son baplême il
recul celui de Guy, Wido (1). Mais de 1res bonne heure et con-
ctirrenmienl avec lui ap|>araît celui de Geoirroy,G*7;///w/w^- (2). Il
n'y a pas lieu d'hésiter à reconnaître dans ce fait l'œuvre d'Agnès
qui, de même qu'elle faisait prendre à Pierre, son fils aîné, le
nom de Guillaume, bien avant qu'il fùl monté sur te trône ducal,
avait aussi pu rêver de faire passer le comté d'Anjou sur la tête
de son lits cadet. Elant femme à savoir ce qu'il fallait espérer de
l'issue de son mariage avec Geoffroy Martel et calculant les clian-
ces d'une union stérile, il avait dû entrer dans ses plans ambi-
tieux de substituer son fils aux deux neveux de Geoffroy, Lors du
mariage de sa mère, Guy avait environ six ans, et, comme il
arrive souvent, Geoffroy, n'ayant pas d'enfants, reporla toute son
alTeclionsurle dernier-né de sa femme. Celui-ci, du reste, conserva
toute sa vie un souvenir ému des soins dont le comte d'Anjou
avait entouré sa jeunesse et c'est à lui-même que l'on en doit le
témoignage quand on le voit, dix-sept ans après la mort de Geof-
froy Martel, l'appeler publiquement son seijçneur et quasi son
(i) « Guido d'ictus ia l/a^jtisino, GulHeimus cagnomiae » (Ctrol tle lu Ville, //ist.
de la Grantle-Sautre, preuve», I, p. 49^)-
(2) Lu charte de Saint-Hiîuire dalcc de novembre io58. où l'on trouve pour la prc-
nùcrc fois le nom de Guy dans un litre nullienlifpie, indit|ut; ex[)ressènieat que celui
de Geoffroy est un surnom ; « S. ^Viilnnis, quem GausFridum cognomiaBbamus,
alibnlift «lustri » {ÏKédcl, Duc. pour Saiiit-/Iiiaire,l,p. 89). Ce uoni de Geoffroy est du
ri'ste donné ù notre rorntc liicn anlcrieurenicnl à sa prise de possession du conilé de
Hoitou. Ainsi, en \o/\\, on lit dans uue ehutie de l'aLbaye de Sainl-Maixenl *A. Ri-
chard, Charles de Sairit'Mni\r<'nf, I, p. nf)) celle menlion spéciale : a Willelnio
comité cum tuo gerin.-tno Goslredo »; de noiubrcu-x exemples de cette appellation
se renconlrcDl dès celte époque dans les litres des ctablisscmenls religieux de la
ré^ioa. Enfin la clirouique de Saint-Maixent lorsqu'elle cnreifîstrcla naissance du comte
s'exprime ainsi : « G:uifrednm qui cl Wido vocalus est r> el lors de sa mort elledil:
« Obiil Guido qui cl GoB'redus ». (Marcbegay, Chron. des égt. d'Anjvu, pp. i588
et 4o3).
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
«67
père (l).De celle habitude prise de bonne heure il est résulté que
c'est sous ce nom de Geoffroy que notre conile de Poitou est le
plus fréquemment désigné et que lui-même aimait à s'entendre
appeler. On ne connaît qu'un seul de ses trois noms reproduit
sous une forme monogrammatique et c'est celui de Geoffroy (2).
C'est seulement après sa prise de possession du couilé de Poitou
qu'il se fil donner dans les actes le nom dynastique de Guil-
laume (3). [*ûur plus de précision certains documents ont désigné
ce comte sous deux de ses noms (4) : à leur exemple nous l'appel-
lerons Guy-Geoffroy, comme le fait la chronique de Sainl-Maixent
quand elle relate son décès et qui est le nom le plus particulière-
ment consacré par rhistoire(5).Ilavailpour habitude de s'intituler
dans les actes authentiques, tout à la fois comte des Poitevins,
t:omesPiclavenutim,iil duc des Aquitains, é/wj- A(/uitanon/m, iipàr
la grâce de Dieu «, mais il prenait aussi ces titres isolément sui-
(1)11 DomiDUi^ et taaquam paler meus Gosl'ridus cornes >, â3 mai 1078 (Mêlais,
Cm/7, saint, de la Trinité de Venddme^ p. 6a),
(2) Les chartes ori-jinales du cliapilredeS»inl-Hil»lrc de Poiticra nous oDl conservé
deux représenlatious de ce mono;jrannne, TuDri de l'aDDée 1067, l'autre du ^ fé-
vrier io83 (Arcli. de la Vienne, ori?.^ Saiut-Hilairc, do« 65 el 7a) ; on irourrra ces
rnoDOi^rammes sur uue planche spéciale ainsi que les croix aulograpLes ijue le comte
Irarail souvenl au bas (îes actes à la suite de son nom,
(3) Nous n'avons rencontré dans le niiitutieux dêpouillenn^nl des pièces oïli ii est
fait rncnlion du cotnlc de Poitou, nui|uel nous nous sommes livre, aucune indicatioD
précise soil sur le temps suit sur les lieux où l'un des triais noms sous lequel il était
connu fui spécialentcnt employé. Pendant assez lonsflemps, dans les chartes de Poi-
tou, il est |>lus particuiicreincnt appelé Guy, mais à partir de 107') euviron le nom de
Geoirroy,tjui se trouve surlouL dausiesilocumentsde la Sainton«îc ou de la région An-
li;cviuc, leitd k prédominer; quant à celui de Gtiillauine, il lui est surtout donné dans
le Bordelais, la Gascogne, le Limousin et dans les documents cmanë.<« de pcrsonnai^es
éfranefcrsau Poitou, tels que le roi, le pape, les chrooïqueurs. Le premier emploi de
ce nom de Guillaume que nous ayons relevé jusquMci se trouve dans une charte de
la collégiale de Sainl-.Scurin de Bordeaux de l'an io6o(Besly, Hist.des comtes, preu-
ves, p, 345 bis; Bruiails. Cnrt. de Saint-Seurin, p. i3).
(.'1) Outre les exemples tirés de la chrunîque de Sainl-Maixcnl et du cliarlrier de
Saiot-Ililaire cités à la pa^e précédente, on relève cucore quelques variantes du nom
du comte dans les cartulaires, tels que u Gofridus Guydo (Talmond, infjS}, \\'ido
coçnûmioalus Gofrcdus [Sainl-Jean d'Anjçély, 107G), NVido conjes arj;nomeoto Jof-
ridus (Sainl-Maixent, loG/j), Guido qui el aiio nominc Goiïredus vocabatur (Saiul-
Mnixent, 1078) », Le nom de Geoffroy n'a été accolé que fort rarement k celui de
Guillaume ; on le trouve seulement dans son inscription tumuluirc: 1 Gulltelmus qui
Gaufridus », et dans une chronique de la cathédrale d'Ang-outème, <t Willclmus Geo-
fredus «, ce qui ne peut infirmer les lémoignaiçes fournis par des documents authen-
tiques appartenant aux diverses anuées de la vie du comte.
(5) Bcsiy, //ist. des comifs, p. 96: Guy-GKormoY-GuiLLAUME VII; le P. Anselme,
Hiitt.gènénl. de ta maison de France, 11, p. 5i8: Go-Geoffroy dit Glillaumc VIII;
L'Art de oérijter les dates, 1770, p, 710: Gut-GËornor, Guillaume VL
sft8
Li:s COMTES DE POITOU
vaut les circonslances et, lorsqu'il s'agissait d'actes intéressanl
seulement le Poitou, il est jj'énéralemetil désigné dans les sous-
criptions avec la simple qualité de comte des Poitevins ; cepen-
dant, à la fin de sa carrière, son titre de duc seml>la préva-
loir (1).
Lorsque Guy-GeofTroy devint, par la mort de son frîîre, comle
de Poitou et duc d'Aquitaine, il était déjà depuis plusieurs années
en possession du liordelais et de l'Amenais. Eudes, sonderai-frère,
avait hérité, vers 1036, du chef de sa mère, Brisque,du duché de
Gascogne, mais il n'en avait joui que peu d'années, ayant été lue
en 1039 au siège de Mauzé, A sa mort, Agnès put mettre sans
dilliculté la main sur le Poitou, qui revenait du reste naturellement
à ses enfants, mais on ne saurait dire au juste si elle réussit à
garder Bordeaux. Il semble que Tarcbevôque de celte ville,
Geoffroy, profitant des circonslances, ail visé, comme le tentèrent
d'autres prélats à cette époque, à s'octroyer une semi-indépen-
dance. Bien qu'il eût été nommé par le comle Sancho en 1027,
ce n'était pas un homme du Midi ; il appartenait h la race franque,
et Guillaume le Grand, avons-nous dit, ne fut pas étranger à
son choix. Quel rôle joua-l-il pendant les cinq années qui sépa-
rent la morl d'Eudes dujouroù Agnès, dans la grande assemblée
des barons poitevins, fit reconnaître son fils comme comte de
Gascogne? Les textes sont muets à ce sujet. Il est seulement un
lait certain c'est que les comtes de Périgord avaient pris pied dans
le pays, soit pour leur propre comple, c'esl-à-dire en faisant va-
loir certains droits à Fhérilaged'Eudes, soitque l'archevêque, in-
capable de lutter avec SOS propres forces contre les puissants com-
pélileurs à la possession de sa ville archiépiscopale, ait fait avec
eux un partage du pouvoir. Toujours est-il qu'en 1043 une cer-
taine comtesse Aina,en donnant à l'abbaye do Notre-Dame de Sou-
^t) Voici le relevé de ces diverses sppclEa lions : Duc des Aquitains a dnx Aquita-
norum», « ou Aquitanis »; vvc u'Ai^vitaive « dus Aquilauia; », ou encore « dux in
Aquitaaia », ou ot dux Ai|uiliinicus » {Curt. de N.-D. de Stiinles, io58); piu.><:b uks
AQUITAINS tt princeps AquitaDorum » (C/iarl . de ;V<j/7/crtf/.ï, 1060) ; comte uk Poitou
« conies Pictaveasis « ou « Picluvia u, comte des Poitevins u conie» Piclavorum », duc
DUS Gascons a dux .-Vquîtauoruni scu Guasconum >* {Char(. de Cliini/, 1070); i'hincb
DK Gascogne « priticeps Vasconie » (Churt.de la /iêoie, jo8/(); coûte Dts BonDU^Ais
X cornes liurdei^aleasiuni o {Cart.de Vaujc^vers 1074), <:t euiiu utc osa Gaulois «dux
Gallorum » (Chart. de Suint- Mai jcent, loCo ou io(ii).
GUY-GEO FFROY-GL'!LLALMK
36g
lac des domaines situés sur In Dordoçne, s'inlitulail à la fois com-
tesse de Bordeaux et de Périgueiix (I). Qu'était celle comtesse
Aïna? Simplomenl la veuve d'Aiideberl H, comte de Périgord,
qui dut décéder à peu près h celte époque, laissant plusieurs
jeunes enfanls : Hélie, Audeberl, et une fille dont on ignore
le nom (2).
Agnès, après la mort d'Eudes, n'avait pas renoncé à faire valoir
les droits que pouvaient avoir ses enfants à une pari dans l'héri-
lage de leur frère consanguin, mais elle avait dû se résigner à
alLendre que celui â qui elle la destinail fut en élal de pouvoir
soutenir on personne sesprétentions. l^Ln lOii.Ciuy-GeolTroy avait
près de vingl ans ; c'est alors qu'Agnès, en femme avisée, entra
en pourparlers avec la comtesse Ama, qui devait avoir fort à faire
pour soulenir la lulle contre les prétendants au duché de Gas-
cogne ; elle lui demanda pour son fils la main de la fille d'Aude-
berl, à qui fiirenl abandonnés en dol tous les droits et toutes les
prétentions des comtes de Périgord sur le Bordelais (3).
(1] « Aona coniilissa Burdc(^1ensis seu Peitafçoticœ patriae » [Gallia Christ,, II,
inslr. , col. a6«j}. Le icxterlu Galliu porle <t Aoua », mais le nom réel de la comlesse,
d'après le r;irlulairr de Nolrc-Diitnc de Suinles, paraît l'Ire a Aîoa i>.
(2) L'//i.t(, cfironolti^it/iie de la Maison de France, VA ri de vérifier les dates,
la lisle chronoiotfiiiue des granda FeuJalaires de Y Atirtttnire de lu Société de l'Ilis-
tiiire lie France^ pour ne citer que ceux-là onl accumulé erreurs sur erreurs dans la
chriinolûçic des comtea d'AnjçouIcme, les confoadnotavec Irjj comles de (a Marche et
dénalurant leur Hliation. M. de Mas-Lalrie, dans son Trésor de Clironnloyie,» ajouté
de nouveauTi élénienls de confusion â ceux de ses devanciers, et L. l'aluslre, brochanl
sur le loul, ne fail qu'un seul personnajçc des Irois comles du nom d'AudcberL donl
deux du Péfii^ord cl l'un delà Mnrche,(]ui vivaieut au temps de Guy-GcolFroy. L'élude
alleotive des textes publiés par le Galliu el [larle carlulaire de Notre-Dame de Saintes
nous a permis de redresser res multiples contradiclious. Ilélie, comte de Pérîfçord
par la jjrâce de Guillnume le Grand(\'(>y. plus haul p. 167), eut pour successeur vers
loiii Audeberl a Cadeneranus » ; celui-ci épousa Aïoa, sans doute fille de Girard de
Montagnac, tjui possédait par droit licrédilaire les domaines situés sur les bords de
la Dordog^nc qu'elle donna à l'abbaye de SouIpc. Audeberl ne g-ouvcrna le comlô que
peu de Itinpa {Gai L iJhrist, II, col. l'i^çj), et mourut assurémcnl avant io4-^, date à
laquelle sa femme fit la donation préciiée ù Notrc-Dauic de Soulac. Il laissa plusieurs
enfants : Hélie, qui lui succéda, Audebert el une fille, à tout le moins. Hélte et Au-
deberl, aiçissaal sous l'aulorîté de leur mère Aïna, doDuèrcul Aidrulel au prieuré de
Sninl-Silviiin {Cart. de JVotre- Daine de SninleSj y. 1 i«j), puis Hélie seul Ht don,
vers lo'io, de ce même prieuré de Sainl-Silvain à l'abbaye de Saintes {Ctirt.de Noire-
Dame de Saintes, p. 28). il cul pour successeur son frère Audeberl 111, qui mourut
vers 1107 ou 1117, seliin les historiens susnommés.
(3) Marchegay, Cltrûn. des égl, d'Anjou, pp. Sgîi, ^00, Sainl-Maixcnt. Voici com-
naeut s'exprime la chronique au auj^t de l'accession de Guy-Geoffroy au conilé de
Gascojrae : « Allerum in Gasconîa transroissum cl comilem facium .... habuilque
Gaufridus itluc uxorem suam AuJeberti comilia Pctrai^orica: fitiam ». Dans ctiie.
870
LES COMTES DE POITOU
fldt'vfiit y avoir cnlre les doux ^'poux une grande dispropor-
tion d'âge, mais l'essenliel (''lail, pour une femme ambitieuse
comme Agnès, d'avoir assuré h son fils des droits à revendiquer
et des ressources pour les faire valoir. Socimdi; par les contin-
gents angevins ot poitevins que sa m^'-remil à sa disposition, Guy-
GeoITroy entama la lullc contre les deux grands seigneurs du
midi : Centule III, vicomte de Béarn, et Bernard 11 Tumapalcr,
comte d'Armagnac, qui prétendaient l'un et l'autre à l'héritage
des ducs de Gascogne.
11 ne larda pas à trouver un puissant auxiliaire dans la personne
d'un nouvel archevêque de Bordeaux. Geoffroy étant mort le
10 juillet de cette année 1044 ou de l'année t045, Agnès fit élire à
sa place une de ses créatures qui fut toute sa vie un de ses plus
actifs agents. Arcliembaud, abbé de Saint-Maixent, qui, sorti
d'une petite famille de la Gâtine du Poitou, arriva rapidement
à ces hautes dignités (t).
Aussi habile négociateur que guerrier redoutable, Guy-
Geoffroy arriva à conclure avec ses adversaires un accord du-
rable : ils lui reconnurent la possession du Bordelais et l'Agenais,
mais il ne prit que le titre de comie de ces régions, abandonnant
aux deux compélileurscelui de duc de Gascogne qui emportait
la suprématie sur toutes les seigneuries s'étendant de la Garonne
aux Pyrénées (2), Ceux-ci s,e disputèrent longtemps ce gros mor-
phra<ie qui rapporte si brièvement ce qu'il DOua a t'allu dètnillcr co plusieurs lîgoes,
l'emploi du mol " illuc » est siguitjcalif; il veut cvidemmenl dire que c'est eu vue de
la possessi<>ii du comté de (îaHCOsjne qu'eut lieu le mariage de Geoffroy tivec In title
d'Audeiitert. Nous ajouterons que la tîliatioii que nous avons précédeniment dounée
permet de délcrnûuer la valeur exacte de deux nasertions qui, au premier abord,
fienaLlcQt contradictoires. La clirunique de Saiot-Maixcril, p. 'Sij'i, dît que Guv-Gcof-
froy épousa In lille d'Atidelicrl, comte de Périçord, taudis qui" IScsIy. dans son His-
toire des comleSf p. y^, rapporte au cootraire, seuible-t-il, que la fcaime du comte de
Poitou était sœtir d'Audebert. En se reportant au tableau qui suit, on peut se coa-
vniucre que les deux, écrivains oat l'un et l'autre raison, leurs textes se rapportant à
des pcraonaagcs différeuta:
Hélie II, Gis de Oosoo, comte de la Marche
. I
Audcl>erl II, marié à Aîna
_. J ____^
llélie III, Audeberl III, la femme de Guy.
morl sans postérité qui continue la Hlintion Geoffroy.
(i) A, nichard, Chartes de Saint-Maixenl, I, p. uxxiv.
(a) Marchegay, C/iron, des égl. d'Anjou, pp. SgS, 4oo, Saint-Maixenl. « Qui
nUY-GEOFFROY-GlJTLLAUME
%^l
ceau, et ce n'os[ que tardivement qu'ils fiiiirenl par s'entendre à
son sujet : le litre ducal fut altribué à Tumapaler, mais sa sœur
Adélaïs, sans doute richement dotée, épousa Gaston, fils aînr^ du
vicomte de B<'*ani.
Quant à Ciuy-Geoiïroy, bien que devenu possesseur incontesté
des deux comtés qui constituaient son lot, il ne semble pas s'être
contenté de cette situation. Ses ressources devaient êlre assez
bornées ; l'aide qu'il avait reçue n'avait pns été gratuite, et pour
désintéresser ses auxiliairea il dut fortement entamer le domaine
privé qui avait pu lui être dévolu avec son litre de comte.
Ce domaine privé avait réellement peu d'importance, ayant été
gaspillé par les précédents possesseurs du Bordelais, toutefois
le nouveau comte ne négligea pas d'aflirmer ses droits souverains
et fit frapper monnaie en son nom. En agissant ainsi, il se
posait en héritier direct des anciens comtes nationaux du pays
dont le dernier, Sanchc-Guillaume, avait émis des deniers portant
ces doublesdésignalions de Guillaume, /'ï«?//e//«i'/A\ et de Bordeaux,
Durdefialn. Mais il ne continua pas le type de ces monnaies qui
portaient le monogramme carolin et il le remplaça par celui qui
avait été adopté depuis quelques années par les comtes de Pé-
rigord, lequel dérivait du type d'Angoulôme, que Geoffroy
Martel avait à peu près à la même époque introduit à Sain-
tes. Ce type était caractérisé par le nom d'un roi carlovingien,
Loi>oiGvs, mis au droit de la pièce et au revers par (rois croisel-
les. Guy-Geoffroy remplaça le nom du roi par le sien et fit modi-
fier quelque peu les détails du revers du denier (1),
Du reste, pendant les dernières années de la vie de Guillaume
Aigrel, il parut peu â la cour de son frère, fi qui sa récente union
pouvait faire espérer des héritiers, et comme il avait toute quié-
tude du côté de la Gascogne il put donner carrière à ses goûts
guerriers ou même chercher les occasions de satisfaire à ses be-
soins d'argent. U s'attacha donc à la fortune du comte d'Anjou
et à ce litre se mêla aux querelles dans lesquelles l'ambilioii et
(Wido) jam Gasconiam acquisicrat armis et induslria i>\ Besly, ///*/, des comtes,
preuves, p. 342 bis, d'après Ilichard de Poitiers: « Hii duo fraires sibi V'asconiam
Bubju^aruDt ».
(i) Voy, Appkndick t.
rOMTES DE POITOU
le caractère boiiiilanl de ce dernier l'engageaient conslammenl.
Le roi de Franer llpnri I avait pris parti dans la tulle engagée
enlre fîuillaunie le ItAlard, duc de Normandie, el le comte d'Ar-
qués. Geotîroy Marlel, qui venait de mellre la main sur le Maine,
objet constant de la convoitise des comtes d'Anjou el des ducs de
Normandie, envoya des contingents au roi de Franco et ce fut
Guy-Geoffroy qui les commanda. Le roi lui confia la garde du
cliâleau de Moulins et îl s'y défendit viclorieusemenl jusqu'au
jour où k reddition d'Arqués par la famine le conlraignil, en
iOo3,à remettre sa forteresse au duc de Normandie (l). Malgré
l'échec qu'il éprouva dans cette circonstance, son allachement
pour le comle d'Anjou le porta quelques années plus tard à
s'armer en sa faveur pour une noiiveilo lulLe contre l^uillaume le
BAtard. Le 1" mars 1058, le roi de France élail venu h Angers,
pour lancer encore une fois Gooiïroy Marlel contre son élernel
rival. Celui-ci se laissa faire et alli assi<''ger le cliïlleau d'Ambriè-
res que le duc de Normandie avait édifié dans une forte position
sur les frontières du Maine.Guy-Geoffroy se Irouvail dans l'armée
angevine qui dut se retirer après avoir vu repousser toutes ses
aliaques (2).
C'est pendant cette campagne, qui éloignait les troupes du
comle d'Anjou des frontières du Poitou, que Guillaume Aigret
envahil le Saumurois. Sa mort rapide mit fin à la lutte et Guy-
Geoffroy passa ainsi subitement du rôle secondaire d'auxiliaire
du comle d'Anjou k la haute situation de duc d'Aquitaine. Il
était de taille à bien remplir celle-ci el à venir h bout des dilfi-
cuJlés qui ne pouvaient manquer de surgir. Une poliliqiie nouvelle
s'imposait en eiïel ; le nouveau duc ne pouvait s'associer à celle
qui avait depuis plusieurs années dirigé les aclions de son prédé-
cesseur el forcément le rôle d'Agnès allait finir.
Un de ses premiers acles fut de rompre le mariage que'danssa
jeunesse sa mère lui avait fait contracter. Celle union était restée
slérile, aussi quand il se fut fait reconnaître comme possesseur
(i) Besly, ///*/. (les comtes, preuves, pp. 3/|0 bis et 34 1 bis; Afig^ne, Palrolofjie
lai., CIAXIX, p. laiO; fiec. des hisl. de France, XI, p. 82, Guiliaurne de
Poitiers.
(a) Besly, ffist. des comtes, preuves, p. 37O; Mabille, Chron. des comtes d'An-
jou, iDtrod.,p.Lxxxiii.
GUY-GEO FFRÛY-(;LILL AU ME
273
légal du duché d'Aquilainc et que d'aulreparl iU'lail évidenl que
le
)tifs
iL
i'
la fille (Il
mène sa mer<
conile de [-"cu-igord n avaient plus l'intérêt puissantqu ils présen-
taient quatorze ans auparavant, il invoqua des raisons de consan-
guinité pour répudier sa femme. Quels étaient les degrés de pa-
renté qui existaient entre eux? Nous l'ignorons au juste; peut-être
mil-on tout simplement en avant l'alliance contractée par IJuil-
laume le Grand, père de Guy-Geoffroy avec Aumode, veuve d'Au-
debert, comte de la Marclie, apparenléaux comtes deFérigord(1 ).
Cet événement dut se produire à la ïm de cette même année
1038. Nous avons connaissance à cette date d'une grande réunion,
tant religieuse que civile, qui se tint à Foiliers. L'acte qui la fait
connaître est d'une importance minime. Il s'agissait de la conces-
sion, faite par les chanoines de Saint-Iïilaire de Poitiers à un de
leurs confrères, de rusufruit d'un moulin situé sur lalioivre; les
dignitaires de la collégiale, et en particulier le comte GuilJaume
Ajgret, en sa qualité d'abbé de Sainl-Hilaire, s'étaient montrés
favorables à cet arrangement, mais évidemment il n'avait pu Être
minuté avant la mort de Guillaume, aussi lé premier soin des
parties dut-il ôtre, quand ce fut chose possible, de faire rédiger
un acte, qu'elles apportèrent dans la salle du chapitre oii se
trouvait leur comte, entouré de ses grands^ « oblimatibus ».
Ceux-ci furent les témoins de la convention et apposèrent leur
croix au bas de la charte ; c'étaient, outre le comte Guy, que les
chanoines déclarenlconnaltre sous son surnom de Geoffroy, Agnès,
éamère, lsembcrt,évéquo de Poitiers, Guillaume, évoque d'Angou-
léme, Audebert, comte du la Marche, Uarthélemy, archevêque
de Tours, Archembaud, archevêque de Bordeaux^ Arnoul,évêque
de Saintes, Hugues, vicomte de ChAlellerauU, Adémar l'avocat,
Haymond, abbé de Bourgueil, Pétrone, abbé deNoaillé,Joscclin,
trésorier de Saint-lïilaire, assisté de tous les membres du cliapi-
(1) Marclicgay, Chron. deségl. d'Anjou, p, 4oo, Saînt-Moixenl. Les cliroaîqueurs,
pas plus du reste qu'aucun acte aulheatique.ne dous oqI coaiicrvé le nom do lu pre-
mière femme du comte de Poitou. Il oc serait peut-èlre pas impossible qu'il fciill«
l'idcntitier avec une certaiue relij^ieusc de Notre-Dame de Saintes, nommée Garsende,
et déooûimée dans uu acte de iiû4 « Garseoda de Feireguis » (Cari, de JYotre-
Dame de Sai/iteSf p. io3); sa présence parmi les religieuses de Saintes donnerait la
clé deâ douatioas imporlaalcs que la comlesso de Périgord cl ses lits tirent à co uio«
oastère.
18
«74
LES COMTES DE POITOU
Ire. Il n'esl fail, dans les lexles, aucune allusion à la cause qui avait
pu moliver la réunion à Sainl-Iiilaire d'un si grand nombre de
hauts dignitaires eccli'^siasliques. Mais la présence de l'avocat
Adémar, noté immédiateraenl après le vicomte de Châlelleraull,
semble indiquer qu'une aiïaire litigieuse importante était portée
devant cet aréopage. Nous pensons qu'on y débattit celle de la
rupture du mariage du comte, le clergé étant forcément appelé
à se prononcer sur les questions de parenté invoquées par les
parties en pareille circonstance (1).
Cet acle est du mois de novembre iOîiS et le mariage de Guy-
Geoffroy dut le suivre de près. Sa nouvelle épouse s'appelait
Mathilde, ou autrement, selon le parler poitevin, Mathéode,
Mateoda (2). L'histoire, qui n'a pas conservé le nom de la pre-
mière femme de Guy-GeoITroy,nous apareillement laissé ignorer
à quelle famille appartenait la seconde (3).
A la réunion de Poitiers furent aussi sans doute articulés des
griefs conlre Archembaud, l'archevêque de Bordeaux. C'était,
nous l'avons vu, un homme politique, le confident de la comtesse
Agnès ; il ne pouvait manquer d'avoir sur la conscience, comme
tant de prélats du temps, bien des actes répréhcnsibles, que l'on
ne manquait pas de relever quand lesdélenteurs du pouvoir sou-
verain les abandonnaient, pour les faire descendre de leur trône
épiscopaU Tel fut le cas pour Archembaud. Le duc d'Aquitaine
devait tenir à ce qu'à la tète de l'archevôcliéde Bordeaux, la senti-
nelle avancée et puissante de ses élats héréditaires vis-à-vis les
turbulents seigneurs du Midi, se trouvât un homme qui fut entiè-
(i) Rédet, Doc. pour Saint- Hilaire^ I^ p. 88.
(2) Marcbcg-ay, Chron. des égt. d'AnJoa, p. ^oo, Saint-Maixeot, On rencontre
encore ce nom aous d'aulres formes laliues : « Maleldis» (Car/, de N.-D.de Saintes,
p. 2G) el« Malbilda » (Rédet, Doc. pour Saint-/Iilaire,l, p, 91, et Besly, Hitt. des
comtes, p. 341 bis, d'après k' cari, de Bourgueil),
(3) DieQ qu'il soil luujours un peu périlleux de se laisser guider par de simples
indices il semble que, durant le Icaips de l'uuioa du cûuile avec Matbéode, ou rencon-
tre frcqucrimicnl dans son entourage les vicomtes de Thouars et les acigneurs de
cette région qui disparaissent ensuite. Y a-l-il plus qu'une coïncidence dans celte
conslBlaliou? Uesly [f/ist. des comtes, p. 99) dit que Matbéode était fille d'Aude-
bert I ou 11, comte de la Marche, sans toutefois iudiqucr la source où il a pris ce ren-
seignement; noua ne pouvons doue que mentionner son dire sans le contrôler, mais
d'orea et déjà il nous parait avoir fiiit une confusion entre Matliëodo et la première
femme tanommée de Guy-Geoffroy qui, selon la chronique de Saiol-XTaixent (p. SqS),
était iillc d'Audcbcrt, comte de l\'rigard.
r.UV-r.EOFFftOY-GUlLLAUME 376
remenl à lui; il le rencontra dans la personne de Joscoliti, le tré-
sorier de Saint-lIilaire-Ie-Grand (1). Ce chef du puissanl chapitre
était le (ils de Guillaume de Parlhenay, rentreprenaiil allié du
comte d'Anjou ; dès 10i7, Agnès l'avait fait pourvoir de la trésorerie
de Saint-Hilaire, et de plus, depuis quatre ans, iJ avait hérité de
son père de la seigneurie de ParUienay. Ace double litre, il comp-
tait parmi les plus importants personnages du Poitou; de plus il était
ambitieux et, pour arriveràses fins, il jugea bon de se tourner vers
le nouveau comte et de lui donner tout son appui pour amener la
rupture de son union avec la fille du comte de Périgord, Guy-Geof-
froy le récompensa de ses services aussitôt qu'il lui fut possible
en faisant déposer Arcbembaud el en lui donnant sa place (2).
La présence avérée de Parchevôque de Tours à Poitiers au
mois de novembre IO08 invite h placer à peu près à la mémo
date le premier acte d'administration de Guy-GeoiTroy dont nous
ayons connaissance. Dés sa prise de possession du Poitou, il
avait eu à récompenser des services intéressés et, comme il
arrivait généralement, ces largesses se faisaient au détriment
des établissements religieux, un comte leur reprenant ce que son
prédécesseur leur avait donné. Le nouveau comte avait donc
gratiûé un de ses chevaliers, nommé IJaoul, de Pile de Vix que
(i) Nuus employons à desscia la furme Joscelia pour rendre ca Français le nom de
l'archevêque de Uordeaux. Leâ textes laltos t'appelleul gènèratenienl « Goscelious 9,
mais OH trouve aussi 1. Joacelinua » (Bruel, Charles de Citinr/, IV, p. Oio; U. Foaie-
oeau, XIX, p. 4^)> d'où l'on peut iuduire ()ue la lettre g dotitiait devant la voyelle o
une prononcialion adoucie, rcprêsculco en t'rai>i;ai.s pur la syllabe ge, comme duus le
nom de GeoflVuy, écrit eu latlu u. Gosfredus ou GuQ'ridus u el i[ue!i|ucfuis « JoitTredua ».
La forme " Gauijrredus » doit être particulurc aux. st-ribt'6 de ccrtaiucs régions où le
parler était plus dur. Il eu est pareillciucnl du ouaj 1 Guusberlus u qui, dans les textes,
est t'réquemment écrit u Josbcrlus u.
(i) Le Gallîa C/tristiuiKi, II, col. Boa, marque que Josccliu fut clu archevêtiue de
Bordeaux dés loSg, mais il place un archevêque du nom d'Audron entre Arcbembaud
el Josceliii; or, ce persouuni^e, qui e^l auïi:>i uieutiouué daus uue cliurte du c»r-
lulaire de Safnt-Scuria (p. i<.j), n'a pu occuper le biègc arcbicpJscupai <|uc durant quel-
ques mois seulement, car, selon Je tnéinc Gulliu, il mourut le i"" novembre d'une année
iudélermioce.qui ne peut étreévideuimeal que io5i). La coiislatation de ce fait n'enlève
rien à nos coujecturea sur le rôle de Guy-Geollioy dans l'élecliou de Joscelin,qui a du
avoir lieu à la tiu de tannée lojg, Archembaud, d'après une charte du c-arlulaire
de Saint-Maixent dont il va être parlé, ne portant déjà plus au niuis d'avril lojy que
le litre d'arcbevéque sans spéciHcalion de siétje. Joscelin, selon une charte do Saim-
Seurio, citée plus loin, qui parall appartenir à la fin de l'année loOu, était archevêque
à celte date; les termes qu'elle emploie, tt Josceliuu arcbiepiscopo pupulutu aibi
commiaaum calbolice doccolCi « semblent bien indiquer que la prise de pusscssiua de
l'arcbevècbé par Joscelia était alors toute récente.
376
LES COMTES DE POITOU
Guillaume de Parlhenày avait, à la sollicilalion d'Agnès el peul-
êlre pour facililer ravènciiicnl do son fils à la Irt^sorerie de Saint-
lïilatre, donné, en 1047, à l'abbaye de Nolrc-Dame de Sainles.
Joscelin, gardien des volontés de son père, adressa iminùdiale-
menldes réclamations au comlc cl oblinl que Vix fùl reslilué aux
nonnains de Sainles (1). Peul-êire aussi est-ce à celte assemblée
que Guy-GeofTi'oy confirma le don que son frère avait fail k l'ab-
baye de Talmond quelques mois plustùt pour indemniser celle-ci
du lorl qu'Agnès lui avait précédemment causé (2).
Iln'enlrait pas dans la règle de gouvernement que s'imposa le
nouveau duc d'Aquitaine de mener une vie sédentaire. Nous
devons la connaissance de la plupart des faits de son existence
aux déplacements incessants qu'il était contraint de faire soit
pour se livrer aux plaisirs de la chasse, soi! pour s'occuper de
l'administration de ses domaines, exercer la souveraine justice ou
surveiller les agissements de ses vassaux.
Au mois d'avril 1059, Guy-Geoffroy se trouvait à Sainl-Maixent
oîi peut-être était-il venu célébrer les fêles de Pâques qui tombè-
renl celte année le 4 avril ; il n'était accompagné que del'évêque
de Poitiers, de Foulques, comte d'Angoulême,et de quelques-uns
de ses chevaliers. Archembaudy qui résidait en ce moment
dans son abbaye, profila de la présence du duc pour obtenir de
lui une petite portion de la forêl deVouvant,arm qu'il pûl y faire
construire une église. Le cas était assez curieux. Un trembleraenl
déterre s'était fait violemment ressenlirquelque temps auparavant
dans la localité de Sainle-l{a{logondc, dépendance du monastère;
leshabilanls^elTrayés, s'étaient réfugiés dans la forêt de Vouvant
et ne voulaient pas relourner dans leurs anciennes demeures;
ils étaient absolument dénués de tous secours spirituels, et c'est
afin de pouvoir y subvenir que l'abbé de Sainl-Maixent sollicitait la
(1) Cart. de Noire-Dame de Saintes^ p. i^S. Cel accord est postérieur à l'avèoe-
menl de Guy-GeofTi'oy au comté de Poitou dans le coups de l'clé de 1060 el.d'aulre part,
ntiléricur ft I eléviilion de Josceliri â l'archevêché de Bordeaux ea lojy, puisque ce
dernier y est simplement désigné avec sa qualité de trésorier de Sainl-IIilaîre. Outre
le nom de l'nrclicvèquc de Tours nous relevons daus cel ticle ceux d'iluçjcs, vicomle
de Cltfllellerau1l,(le Jean de Cliiaon, de Guy do Preuilly, de Gtiiliiiufne Uisljrd et de
Bouchnrd de MorU£;ne, qui avaieat assisté en io:i7 à la primitive doaatiou dû Vix à
Noire-Dame de Saintes.
(a) Cart. de Talmond, pp. 77 el 1 27. Cel acte non daté ne peul s'écarter dea années
lo5y ou io5g.
GUY-GEOFFROY-fiflI.LAUME
«77
générosilô de Giiy-Geoiïroy. Celui-ci ne seoiblapas s*ôlre fail trop
prier et posa lui-même sur l'aulelabbalial lacharle qui consacrait
le don qui ôlait réclamé de lui (1). Après la conslructïon de Vé-
glise, un centre dépopulation se forma autour d'elle et reçut le
nom de Bourneau, Burgm noviu.
Peu de lemps après, considérant son pouvoir comme parfaite-
ment assura, il put quitter ses états pour répondre à Tappel du
roi Henri qui, fidèle aux traditions des premiers Capétiens, allait
de son vivant faire sacrer roi de France par l'archevêque de
Reims» son fils Philippe. La cérémonie eut lieu le 29 mai
10;j9, jour de la Pentecôte. Le duc d'Aquitaine y tint le pre-
mier rang, marchant en tôle des vassaux laïques de la couronne,
immédiatement après les légats du pape et les membres du haut
clergé. Son brillant entourage dépassait de beaucoup ceux des
autres vassaux du roi et venait adirmer sa puisance à tous
les yeux; on y comptait trois comtes el un vicomte qui allait
de pair avec eux, Guillaume, comte d'Auvergne, Audebert,
comte de la Marche, Foulques, comte d'AngouIème, Adémar,
vicomte de Limoges, et en outre trois évoques : Arnoul, évêque
de Saintes, Guillaume, évoque d'Angoulème, et Hier, évoque de
Limoges (2).
L'avènement de Guy-GeoITroy au duché d'Aquitaine, inaugu-
rant une politiqucnouvelle, ne s'était assurément pas accompli sans
causerde froissements; les familiers du duc précédent se trouvaient
éloignés de la cour tandis que de nouveaux venus prenaient leur
place. 11 n*y a donc pas lieu de s'étonner de voir éclater des
mouvements parmi les seigneurs du pays que la rude main d'A-
gnès avait matés et qui n'étaient pas fâchés de prendre leur re-
vanche. Ils trouvèrent un auxiliaire précieux dans un adversaire-
né du duc d'Aquitaine, qui, dans l'enivrement du premier exer-
cice du pouvoir souverain, accueillit leurs ouvertures avec faveur
el se jeta tôle baissée dans une entreprise aventureuse.
C'était Guillaume IV, comte de Toulouse, qui venait à l'âge de
vingt ans, de succéder à son père Pons. Sans que rien ail pu don-
(i) A. Richard, Chartfit de Saint-Afatj:ent, I, p, i44-
(2) Rec. des hist. de France, XI, p. 3a, aOrdo qualiter Philippus I in regem con-
secratus «st * ; Coll. Guizol, VTI, pp. go-91 .
378
LES COMTES DE POITOU
ner l'éveil sur ses inlenlions, ce que le chroniqueur qualifie
d'acte de Irahison, il se jela sur l'Aquilaine el surprit aux portes
de Bordeaux lin corps de Iroupes qui y élail rassemblé ; une
cenliiine environ des clieviiliers qui en faisaienl parlîe fui mas-
sacrée. Il ne semble pas que Taii^resseur ail poussé plus loin ses
avanlages ou du moins Guy-Geo(Troy ne lui laissa pas le lemps
d'en profiler. Ayanl fail appel à ses barons, il marcha direcle-
menl sur Toulouse. Inaugurant une tactique dont nous le verrons
user constamment parla suite, il commença par ravager impi-
toyablement les abords delà ville elj'ayant parce moyen réduite ?i
la dernière extrémité, il s'en empara et l'incendia (1). En môme
lemps une autre lovée de boucliers se produisait en Poitou. Hu-
gues dit le Pieux, seigneur de Lusignan, prit aussi les armes
contre son seigneur, mais le comte ayant dévasté tout le pays, le
força h se renfermer dans sa forteresse. iManquant d'approvi-
sionnements, Hugues se trouva coniraint défaire des sorties pour
se nivilailler; dans Tune d'elles il fut surpris par les chevaliers du
comte el tué à la porte mûoae de son chûtcau, le 8 octobre (8 des
ides) de l'année 1060 (2).
Il est impossible de ne pas établir un rapprochement entre
ces deux faits qui, malgré l'absence de date pour le premier,
nous semblent s'ôlre passés simulLanément, et témoignent ainsi
d'une entente contre l'autorité de Guy-GeolTroy (3). Un lien unis-
(i) Marchegay, Chron. des égl. d" Anjou, p. .^oi, Sainl-Mnixenl.
{2) Marchctçay, Chron. des égl. d'Anjou, p. /joi» Saint-Maixenl. Bien que les sei-
fjoeiirs de Lusijçûan fussent très lurbulcois, nous ne croyons paatju'il faille prendre à
la IcUre le texte d'un nccord intervenu entre Hugues le Diable, le fils d'Husfues le
Pieux, el l'ijbbayc de Sainl-,Mnixen( du lo mars lol'ir) (A. Hicbnrd, Chartes de Sainl-
Mdi.ifnt, 1, p. iM, el dans lequel Muv^ues déclare restituer à cette abbaye les éjflitc»
qu'il lui avait enlevées au temps où il clail en f^ucrrc avec le comte de Poitou ; îj
nous paraît probable que le sire de Lusignan fail allusion aux cvénemeals de lo&u
auxquels il était en l'ige de prendre part sou3 la dircclion Je son père.
(3j L'auteur de la chrf»aiquc de Snint-Maixenl, le seul qui fournisse quelques détails
sur l'açression dont se rendit cmipabk* lecomle de Toulouse, ne nous dil pas au juste!
h quelle époijuc clic eut lieu, mais celle-ci csl cerlaiiietneni antérieure à rannêe 10C7,
Haie n laquelle une charle du cartulairc de Nolre-namc de Saintes, doai il sera parlé
plus loin, rapporte cet évéucmcnt. Cette attaque inopiocc ducnuitc de Toulouse parait
être l'aclc de présomption vaniteuse d'un jeune homme {il n'avoil que vinfçt ans) et le
dé»;*' de se signaler au début de sa prise de possession du pouvoir. On ne connaît pas
la date précise de la mort du comte Pons, mais il est ecrluin que (îuillaume lui suc-
cêdii la fin de ranoci loOo, car Pons clailencore vivant Itjra Je ravèncment de Phîlip-
pcl'Tà la couronne de Kraoccle 29 août loGn, d'après une charte du carlulaire de l'ab-
baye de Lc/iil, publiée par D. Vaissetc [Uisl. de Languedoc, nouv. éd., V, col. Soa).
GUY-r,EOFFROY.GUILL.\UME
*7Ô
sait le sîrc de Lusignan et le comte de Totilouse, c'i^lait la
célèbre Almodts, dont la siluation hkarre d'avoir complô trois
maris vivants en même temps, a vivemenl frappé rimaginalîoii des
clironiqueurs. Fille de Bernard V\ comte de la Marche, elle fut
d'abord mnriée au sire de Luaignan dont il est ici question (1).
Hugues en eut deux fils, puis il la répudia pour cause de parenté
et lapassaàPons V, comle de Toulouse, qu'cllfi épousa entre lOiO
et 10io(2). Elle eutde ce dernier quatre otifants, entre autres fiuil-
lauine, l'adversaire de Guy-Geoirroy,et lîaymondde Saint-riilk'S,
qui furent successivement comles de Toulouse, mais dans le cou-
ranldel'année 1053 Pousse sépara à son tour desa femme etelle
conclutaussitôt une nouvelle union avec Haymond-Béranger, comte
de Barcelone (3). Il ne semble pas que les deux époux se soient
quittés en mauvais termes, car Almodts continua à jouir de l'évô-
chéd'Albi et de l'abbaye de Saint-Gilles que son mari luiavail don-
nés en douaire, tandis que le comte de Barcelone la gratifiait
pour môme cause de l'évêclié de Girone (4). Femme astucieuse
et très habile, elle exerça toute sa vie une grande influence sur
On peut admeUre que le souléveraenl fomeuté par Hugues de Lusi^aa ayant eu
lieu eu octobre loOo, la divcrsioa opérée par Guillaume de Toulouse fui absolumcat
inallendue, ce qui donnerait l'explication des muts n per traditioneni », employée
par le chroniqueur h t'occasîou du massacre des chcvalici-s du duc d'Aquttaioe, qui
aurait eu lieu vers la niêine épuquci c'est-à-dire à la tin de celte auDée lotio.
(i) Marche^'ay, Chroii. des éf/l. d'Anjon, p. l\ni, Saint-Maixcnl. Audcbert û'élani
devenu comte de la Marche qu'eu 1047, on ne saurait, admettre, comme l'a écrit D.
Vaisselc (III, p. 299), par une fausse interprétation de ce te\le, que ce fut lui qui
maria sa sœur à lluji^ues de Lusignan par qui cite avait été répudiée avanl io44
{Voy. aussi D. Vaissele, IV, note xxxiij.
(2) La chronique de Saint-Maixent.en employant la phrase c dedil in uxorem x,
pour marquer le passa|c;e successif d'Almodis des hras d'Hugues de Lusignan dans
ceux de l*ojis de Toulouse, puis de Ka\ra<>od-Béran^er de BarceJoue, témoijjne bien
qu'il y eut entre Almodis et ses maris des sëparolioas amiables.
(3) Marcbeçay, Chron. des égl. d' An/ou, p. 4ot, Saiut-Maixent.
(4) Comme le fit plus lard Guy-Geoffroy, Almodis se montra généreuse envers l'ab-
baye de Gluny. Sur ses instances, l'ons transféra le ay juin loîi'S l'abbaye de Moissac
à celle de Cluny (D. Vaissetc, /It'st. de Lanijnedoc, nouv. éd., V, col. 544). Le 1 5 dé-
cembre lotJO, se trouvant à Nimes, elle unit, d'accord avec son fils Raymond de Saiut-
Gillc8,pour les<iulaj^*nient lie l'Ame du L'uiiile Pons,«pro domui Pooiii comitisremcdio »,
l'abbaye de .Saiul-Gillcs au miunistère bourçuignou (U. Vaissele, V, col. 5/(2; lîruci,
Chartes de Cluny, IV, p. Siy), enfin peu de temps après elle donna à Moissac Talleu
de Saiol-Pierrc de Cuisines (L). Vaissele, V, col. 544)* t^es deux abbayes de .Moissac
et de Saint-Gilles avaient fait partie du dounire do .Majore, première femme de Pons,
et étaient ensuite passées pour la même cause daus les mains d'Almodis (D. Vaisscte,
III, pp. 387, 33^). Ces faits suffisent pour fournir In preuve de 1 întluence d'Aimo-
dis et de son maintien dans la possession de son douaire après qu'elle se fut sépa-
rée du comte Pous,
aSo
LES COMTES DE POITOU
son enlourage. Or nous ne serions pas surpris que ce soil à ses
ïnlrigiies que fui dû ce soulevemenl contre Faolorilé du comle,
dont lous les adhérenls ne sont certainement pas connus/mais
dont les deux principaux lui ioucliaienl de si près {\). It est en
elTel à remarquer qu'au mois de juin 1053, c'esl-h-dire quelques
mois seulement avant qu'elle se séparai d'avec Pons, celui-ci ma-
nifesta pour la prcmitTC fois, dans un acte authentique, certaine
tendance à revenir vers un passé déjà lointain. Lorsqu'il réunit
le monastère de Moissac à l'abbaye de Cluny.il déclara qu'il agis-
sait en conséquence du conseil avisé et unanime de sa femme,
la comtesse Adalmodis et des grands de TAquilaine qui lui étaient
soumis (2). Or, de tous ces grands, un seul est énoncé dans t'acle,
à savoir Bernard, évêque de Cahors, dans la sujétion ecclésiasti-
que de qui se trouvait Moissac et qui, selon les usages du temps,
(i) D. Vaissclc (///«<. de Langaedûc, nouv* éd., III, p. 4i8) iocliDe h placer ce«
évéïicmenls vers l'aDDec 1079. A celle époque, comme nous le verrons en leur lieu,
Guillaume IV, comte de Toulouse, maoifesla des prclenlions au lilre de duc d'Aqui-
taine el D. Vaissete en inféra que ce comlc ne s'en était pas tenu à des protocoles,
qu'il les avait appuyés par des acles. Lce raisons alléguées par le savant bcucdictin
sont ioa;cnicu8cs et ont pour elles toutes les apparences de la >Tnisemblance, mais
elles ûfi sauroietit tenir contre un texte fonnel ipii ne permet pas de placer la cara*
pa<;ne de Toulouse après l'annce 1067. A cette date, Joscclin, archidiacre de Saintes,
rcdiî^ea la charte fiar lafjiicUc f^uy-Geoffroy confirma les dons faits par Geoffroy
Martel el A^nés à l'abbaye de Notre-Dame de Satnles. Or, Joscelin, admirateur
enthousiaste du comte de Poitou, ne put s'empècber de rappeler les hauts
faits qui avaient illustré son nom et dont le souvenir était encore tout récent, (^ savoir
riacendie de Toulnuso cl la prise de Barbaslro : a présente Açnele, maire comitis
Piclavensium Willelmi, qui Tolosain inceadit el Barhastram Sarracenis abstulit »,
{Cari, lie Xulre-Damc du Suintes, pp. 22-a3). Ce texte formel, que D. Vaissete n'a
pas connu, arrête toute discussion au sujet de celle date de 1079 ou loSo qu'il pré-
conise, et de plus il a l'avantaiçe de nous permettre de mettre en valeur un passade
d'une charte de l'année loOo auquel oa n'avait jusqu'ici prôtc nulle attention. .\ cette
d.ilc llier, scii^neur de Barbezieux, restitua aux chanoines de Saint-Seurin de iJor-
deaux une ë{|flisc, que son pil're Audouin avait fondée sur son domaine el qu'il avait
pritnitivcmcol duuûéeà l'éifliseJe Bordeaux, muis qu'il lui avait ensuite enlevée pour
en gratifier Cluny en se faisant moine dans ce monastère. Or, celle pièce est ainsi
dalée: « Hec aulem carlula composita fuit ab lucarnatione Domini anno nnllesimo
sexapesimoj Philippo regc rcgnaotc, cl Guillelmo, Aquitania* duce, rebelles triuni-
phanlc et Goscelino nrchiepiscopo populum sibi coinmissum calbolice doceole >
(lîrutails, Car/, de SainlSedrin, p. i3; Bcs\y,//ist.des comtes, preuves, p. 3^4 bis).
Le mol « rebelles «, employé par le rédacleur de lu charte bordelaise, se rapporte évi-
demmcnl n des faits qui s étaient passés dans cette région, et sous cette dcnominalion
t;éuérale nous inclinons i\ voir le comte de Toulouse qui n*aurait pas tardé à recevoir
la punition de sa Ira lire use agression. La charte de Sainl-Scuria doit titre de la fia
de l'année 1060.
(3) a Commun) et snlubri coosilio uxoris meœ Adalmodis comilissœ ac principum
Aquitanorum mihi subditoruni ». (D. Vaissete, //('.</. de Lftngitedoc, nouv, éd., V,
col 470: Bruel, Charte» de Cluny, IV, p. 8:20).
GUY-GKOFFROY-r.l ILLAUME
2S1
venail par sa présence donner (i PacLc civil du comle la confir-
mation spirituelle qui y semblait nécessaire. Dans ce! appel aux
seigneurs d'Aquitaine que rien ne vienl justifier, car le Quercy
n'avait cessé d'appartenir aux comtes de Toulouse depuis le jour
où ils s'étaient constitués en possesseurs héréditaires de leurs
bénéfices, il semble que l'on voit poindre des prétentions à la su-
prématie de TAquilaine dontnoiisn'hésitons pasà faire remonter
l'inspiration à Almodis ; son fils, avec la fougue irréHâchie de la
jeunesse, n'aurait fait qu'essayer de rendre efTectifs les rêves dont
sa jeunesse aurait été bercée.
Mais avant que ces événements se fussent déroulés, une sorte
de révolution de palais s'était produite h la cour du comle de
Poitou. Sa mère Agnès s'était retirée dans l'al>baye de Notre-
Dame de Saintes où elle prit assurément le voile, mais sans pro-
noncer les vœux qui auraient fait d'elle une véritable roligieusp,
soumise à une discipline et à une règle que son tempérament aurait
dilTicilemenl pu supporter. C'est ainsi, nous paratl-il,que l'on doit
entendre l'expression de sandimomalis employée en {OQi à l'é-
gard de la comtesse par le rédacleur d'une charte de l'abbaye
de Saint-Maixent (1). Cette retraite concorde du reste avec le sort
fait à Archembaud, qui perdait en ce moment à la fois l'arche-
vêché de Bordeaux et Tabbaye de Saint-Maîxent (2). Le dernier
acte de la procédure suivie contre le confident d'Agnès se passa-t-il k
l'assemblée deMaille/.aisàlaquelle assistèrent,avec Guy-Georfroy,
l'évêquede Poitiers Isembert, Arnoul, évêque de Saintes, Guil-
laume, évêque d'Angoulémo, ainsi que les abbés de Saint-Jean
d'Angélyelde Luçon et 011, sous la présidence d'Hugues, abbé de
Cluny, Goderan, un pieux religieux de ce monastère, fut élu abbé
de Maillezais (3) ? Nous ne saurions hasarder à ce sujet que des
conjectures, bien que cette réunion aît dû avoir lieu au commen-
cement de l'année 1060,
Celle élection de Goderan est particulièrement à noter. Le
^ comte de Poitou d'un cùté, les grands dignitaires ecclésiastiques
^^H (i) « s, AjB^nelia comilisse et snDetimoQialiSfgenitricia ejusdcm dacîs » (A.Richard,
^^^ Chartes de Sainf-iWat.i'enl, I, p. i^O).
^ (2) Voy. A. Richard, Chartes de Sainl-Maij'ent, I, p. cxxv.
^^^ (3) Lacurie, Hist. de .Ifailtetait, preuves, p. 20g.
98a
LES COMTES DE POITOU
de l'autre, donnèrent, en y prenant part, un essor actif aux len
dances qu'avaient les réfornialeurs de Cltiny à amener les cou-
vents de rAqyitaine à s'aflllier à leur règle. La nomination de
l'abbé Eudes à Saint-Jean d'AngV'ly cette même anni-e, celle d'A-
démar à Saint-Martial de Limoges en 1064, celle de Benoît h
Saint-Maixent en 1069, semblent donner raison à l'assertion du
pani^gyrislc de Guy-GeofTroy quand il déclare que le duc rétablit
la discipline ecclésiastique dans les monastères où elle était par
trop relâchée (1).
Dans le courant de celte même année lOGO, Agnès reçut dans
son monastère la visite de sa belle-fille Mathéode. Celle-ci est
citée en tête des témoins de l'acte contenant la donation d'un fief
de vigne que l'abbé de Saint-Jean d'Angély abandonna aux reli-
gieuses de Saintes sur la prière d'Agnès, en reconnaissance des
bienfaits dont elle avait comblé son abbaye {2}.
Mais avant do prendre sa retraite la vieille comtesse avait eu
soin d'obtenir de son fils des faveurs pour une de ses œuvres de
prédilection. Il s'agit d'une redevance bizarre et par le fait 'assez
dilTicile à percevoir par ceux qui en étaient gratifiés. Sur sa requête,
le comte ordonna que la dîme du pain et duvinaffeclés à son usage
et conservés dans tous ses celliers du Poitou serait prélevée tous
les ans le jour de la fcle de saint Michel, qu'on lèverait aussi la
dîme delà chair le jour de la saint André, et que le produit de
ces dîmes serait réparti par tiers entre les églises de Saint-Nico-
las et de Sainle-Radegonde de Poitiers et les pauvres; déplus
il donnait à ces deux églises de Poitiers, quatre laies, à savoir,
(i) Arch. de la VieDoe, chron. du moiae Martin : a Quoi monasleria rcgalarï
ordioe deiilituU reroruiavil d. Le nioiati .Martiu, religieux de Mûolieroeuf, a écrit
celte chrojii([ue en Fao i lofi et !a dédia :'■ ua autre religieux du nom de Robert. Elle
débute aiusi dîirjs le seul maouscril (]ue l'on connaisse: n lucipil pruloi^us de coqsUu»
cioDe Monasterii Novi l'ictavis ». Ce muDuscril ne date i|u<: du coininrncemeal du
xiye siècle et le texte de la cbrooiqueu été transcrit à la suite du carlulaire de Saint-
IStctilaa de l'tii iers, autre copie de même date cùascrvée aux archives départementa-
les de Ici Viirim, fdnds de Moolicrncuf, liasse 71. Celle chronique a clé publiée en
majeure partie par D.D. Martcne el Durand dans le Thésaurus noviit anecdotnrmn,
111, col. 1209-1220, et le surplus par M. de Cberçé à la suite de son mémoire sur
Moniierncuf (.Vé/n. de la Soc. dus Anliq. de l'Ouest, 1" série, XI, pp. a58-a6i).
M. l'abbé Auber se trojn[»e étranjemenl {Etude sur tes historiens du Puitoa, p. 70)
quand il li.xc la. date de celle chronique à l'année iiyGet qu'il intercale h celte époque
le persunnage du nom de Hubert, à ijui elle est dédiée, parmi les abbés de Mûolicr»
neuf.
{2) Cart. de Notre-Dame de Sainte», p. a6.
GUT.GE0FTR0T.CUILLAU3klE ilî
deux lors delà fête de leurs saînls patrons, une à NoêlelTaulre à
Piques (I). La comtesse, de son côté, ajoutait aux dons spéciaux
quVUe arail faits à 5aint-NicoIas,celuidu droit de rente du sel sur
le marché de Poitiers, droit qui devait faire partie de son douaire,
mais il ne semble pas que Guy-Geoffroy, bien qu*il ait donné à ce
legs son assentiment formel.en ait laissé l'objet à la disposition des
chanoines, car quelques années plus tard nous le IrouTons en pos-
session d'un seigneur nommé Auberl de Chambon ii).
Peu après éclala une véritable guerre entre le Poitou et l'An-
jou. GeoOroY Martel était mort le 14 novembre 1060, laissant
ses états à ses deux neveux, issus de sa sœur Ermengarde et de
Ferréol, comte de Gâlinais ; à l'ainé, Geoffroy le Barbu, étaient
échus les comtés d'Anjou et de Touraine, et Foulques le Réchin,
le plus jeune, avait eu les domaines deSaintonge avec le Gâtinais
et quelques fiefs du Poitou . Guy-Geolîroy n'avait pas beaucoup de
sympathie pour les héritiers de Geoffroy Martel que, croyons-nous,
il avait pu croire un instant devoir supplanter. Aussi, étant donnée
la jeunesse des deux jeunes comtes, cnil-il l'occasion favorable
pour satisfaire une ambition légitime de sa part, à savoir de
remettre la main sur la Saintonge dont son père s'était impru-
demment dépouillé ; la présence de sa mère dans Tabhaye de
Notre-Dame de Saintes, la certitude qu'il pouvait avoir du con-
cours zélé de Tévëque Arnoul,qui, unissant à celte qualité celle de
doyen du chapitre de Saint-Pierre de Poitiers, était encore
plus dans sa dépendance, tout le poussa à marcher de Tavant .
La mort de Geoffroy Martel l'avait surpris dans le cours de
ses opérations contre le comte de Toulouse et il est à présumer
qu'il passa l'hiver à Bordeaux pour achever la pacification du
pays où son adversaire n'avait pas été sans se ménager des intel-
ligences. Mais au printemps, dégagé de ces préoccupations, il
crut l'occasion bonne, en revenant, à la tête de ses chevaliers.à
sa résidence ordinaire, de tenter un coup de main sur Saintes.
Celui-ci ne réussit pas, la ville lui offrit une résistance inattendue
et fil demander des secours k son seigneur. Foulques le Béchio,
(i) Arch. hùt. da Pvitoa, I, p. az, cart. de Sainl-Nicolas de Poilier».
(aj Arth. Mit. da Poitoa, I, pp. 7 cl 4», cari, de Saiul-Nicolas d« Poîtiera.
s84 LKS COMTES DE POITOU
qui n'avait encore que dix-huit ans, réclama l'aide de son frère
Geoffroy et tous les deux, à la tête d'une armée rapidement ras-
semblée,envahirent le Poitou. Fuy-Geofrroy,arrôlé dans son entre-
prise, se hâta de revenir à Poitiers, mais il ne put éviter la rencon-
tre de ses adversaires. Le choc eul lieu dans une plaine, près des
sources de la Boulonne, le2ll mars 1061 (1). Les Poitevins, sans
doute inférieursen nombre à leurs adversaires, lurent mis en pleine
déroule. Le triomphe des Angevins fui dû à une habile tactique:
les deux comtes el les autres porteurs de bannières, se groupant
en forme de coin, se lancèrenl au milieu des Poitevins et enfon-
cèrent leurs rangs. Ceux-ci, se voyant ainsi tronçonnés, cédèrent,
et, renonçant au combat, prirent la fuite; le nomttre des tués et
des blessés et surtout des prisonniers fui considérable, mais Guy-
Geoiïroy put s'échapper, évitant ainsi le désastre qui, vingt-cinq
ans auparavant, avail si cruellement frappé le Poitou (2). Les
(r) Marcheg'oy, Chron, des égl . W Anjou, p. /io2, Saint-Maixcnl. L'emplaccmeat
de la balallle est déleraiiné par le nom ([ue porle encore aujourd'hui un pelU chef-
lieu de commune, La Ualaille, situe à /[ kilomètres au sud-ouetil de la source de la,
Boulonno.
(2) Les chroniques ecclcsiasliques dWnjou ne relaient pas cet événemeal cl les chro-
niques laïques !e confandeiit avec la halailie dcMont-Coucr à laquelle elles douncnl le
nom de baiaillc de Clief-Boulonne (Marchcgay et Salmon, C/iront'q/ies d\4njoa, I,
pp. i/7-i3o, Chroriica de gcslis cousulum Andegavoruni ; Ifcm, I, pp. 3!Ja-333, His-
Iciiia ahbreviala consulum Andegavorum). La chroniiiue de Saiol-Maixcnt seule con-
sacre qucifjues détails h cet évéacmecil; dans (]ualre vers elle endooue le résume ainsi
(juc la date. Celle-ci prêle h certaines difficultés qu'il coavieDl d'élucider. Elle dit que
la bolnillc eut lieu en io(>i, un mardi.jour de la fêle de sainl Bcnnlt,« îuquedïe uiar-
tis fuît el sancti Bencdicli v. Deux fèlea de saiut Benoit étaieul alors célébrées :
celle de sa mort le 21 mars, celle de sa iranslntion le tt juillet; à laquelle des deux
se rapporte te texte de la chronique? En général les historiens ont adopte la date du
21 mars pour celle de la bataille ; néanmoins M. Port, dans son Dtclionrtaire hiito-
riqne de Maine-et-Loire, ne se proaonce pas, car, à l'arlicle de Foulques le Récliin
(II, p. t <j'.e),il place la Lulaille leao niiiira,et dans celui de GeofFroy le Barbu (11, p- 353),
il assigne A ce iiiAmc fait ta date du [i juillet. Le inèine auteur est parcillcmeut indé-
cis sur le jour du combat ; ta chronique dil un mardi ; or, en lotîi, les deux fêtes d*-
saiut Benoit lombeol ua iDcrcredi et non un mardi. Ou peut expliquer ce fait par une
erreur de comput de la part du chronjqueur,erretirque nous retrouverons en d'autres
circonstances, mais, quoi qu'il en soit, la difficulté reste entière ; est-ce le jour de In
saint Benoit d'hiver ou de la saint Benoît d'été qu'eut lieu la bataille?Bicn que l'usage
se fût introduit de donner uae plus grande solennité à la sainl Benoit d'été, vu que la
fêle du saiut ea hiver lombail toujours en carême, nous inclinons néanmoins k croire
que la rencontre des deux troupes eut lieu le 21 mars. Geoffroy Martel étant mon,
nous l'avoosdit.te i4 novembre ioQo,Guy-GL'oflrroy dut donner carrière leplustôt pos-
sible à SCS appétits el entreprendre uae chevauchée pour meUrc,eo quelque sorte par
surprise, la main sur l'objet de sa convoitise. En outre, bien que les faits généraux
du récit de la bataille de Mont-Couer,dilc de Chef-Boutonnc dans l'histoire des comtes
d'Anjou, se rapportent au premier de ces événcmeolB, il est certains d'entre eux qu'il
conTienl de retenir dans te mélange qui a élé fait par l'historien. Il y eal dit en effet
GUY.GEOFFK0Y-GU1LLAUME
a85
comtes angevins ne poursuivirent pas leur succès; leur corps de
troupe, rassemblé il la hûle, devail ùlre peu considérable ot ils
n'avaient eu aiïaire en quelque sorte qu'à l'entourage du duc;
aussi, craignant un retour ofTensif auquel ils n'auraient pu opposer
une résistance efficace et voulant d'autre part mettre en silreté leurs
prisonniers, le fruit le plus sérieux de leur victoire, ils rentrèrent
dan» leur pays, où le partage du butin fut sans doute entre les
deux frères le point de départ de ditricullés qui, par la suite,
devinrent si graves (t ),
U est dona hors de doute qu'ils se retirèrent précipitamment et
que Guy-Geoffroy put préparer sa revanche en toute sécurité.
Il ne tarda guère. Le 13 mai suivant, c'est-à-dire deux mois
apn^s, il se trouvait à Saint-Maixent, où il se rencontra avec sa
mère Agnès et Isembert.évêque de i'oiticrs; l'on peut croire que
dans cette entrevue fut étudiée la possibilité de reprendre l'afTaire
qui venait de si mal tourner (2). Ce n'était plus par surprise que
le comte pouvait agir, il fallait faire la véritable conquête du
pays.
Dans ce but, au commencement de Tannée suivante, il rassem-
bla une puissante armée avec laquelle il se dirigea sur Saintes.
Arrivé devant la ville, il fit Iracer autour d'elle une ligne de cir-
convallation formée par de petits cliàlolels qui, se prêtant
que les Aogerin.s, pour se mettre à Tabri du froid piquant qui refait ta ce moment,
s'instaltèreut dans les tentes des vainqueurs cl firent avec les corps des vaincus une
barrière contre Je vent du nord. Or, si ce fait se comprend pour un cvénenicnt arrivé
lest mars, il ne peut en aucune fai,on êlrc admis pt>ur te i [ juillcl, pas plus que pour
le 20 septembre, jour où se livra la bataille de Moul-Coucr: ce dclad trat^lque appar-
tient donc à la bataille de Clief- Bouton ne et ea place la date ù la tin de l'hiver.
(i)A défaut du silence des chroniqueurs ang-evlns, nous croyons avoir retrouvé un
souvenir de cet évéïiemeul dans le cartulaire de ta Trinilê de Vendùiue (liesly, fiist.
des comles, preuves. p ^'i^fj bis). Il est dit dans une charte du mois d'août 1074 que le
comte Foulques s'é'aut trouvé contraint d'engager une tulle avec le comte de Poitou,
celui-ci l'avait mis en position ou deconibatlrc corps â corps ou de fuir avec lionie.Dans
cet inimincQl péril» se souvenant des torts doulil s était rendu coupable envers la Trinité,
Foulques avait fait un vœu et eu présence de plusieurs de ses chevaliers s'était écrié
tout haut que si le Seigneur lui accordiiit celle fois la victoire sur ses ennemis il res-
tituerait aux moines de Vendôme ce qu'il leur avait injustemeul ravi. Aprèi avoir pro-
noncé ces paroles il fut au combat et,vaiuqueur,fit prisonniers plusieurs lo!>Ic3 guer-
riers; puis il retourna avec allégresse dans ses domaines. Pas plus que nous M. Port
{^Dictionnaire de Maine-et-Loire, 11, v Foulques le Réchiu) n'a été tenté de ratta-
cher ce récit à une guerre entre les comtes d'Anjou et de Poitou en 1074» Jo"l 'l
n'existerait d'autre trace que ce texte, et il nous paraît juste de le rapporter à la cam-
pagne de loGi.
(a) A. Richard, Chartes de Saint- Maixenl, 1, p. 14^*'
i80
LES COMTES DE POITOU
muluallemenl assislance, empôchaieul la garnison de sortir de
ses murs ; en sûreté de ce côté, il put ravager impunément le
pays, ce qui eut pour résultai d'affamer les habitants, Les secours
n'arrivant pas, la garnison angevine fut contrainte de capituler,
et les bourgeois, à son exemple, durent se livrer, corps et biens,
au vainqueur (I). H y a tout lieu de croire que Guy-GeolTroy
n'abusa pas de sa victoire; la présence d'Agnès et de l'évêque
Arnoul devait protéger leur résidence et si la prise de Saintes
avait été signalée par les atrocités qui signalèrent plus tard celles
de Saumur et de Luçon, le chroniqueur, qui s'est étendu com-
plaisammenl sur celles-ci, n'aurait pas manqué de les relater (2).
Lorsqu'il reprit possession du domaine comtal que son père avait
jadis aliéné en faveur de Foulques Ncrra, Guy-Geoffroy ne rati-
fia certainement pas toutes les aliénations que les comtes d'An-
jou avaient pu faire depuis un demi-siècle environ; plus d'un éta-
blissement religieux fut contraint de se dessaisir de quelques
droits ou privilèges spéciaux et en particulier l'abbaye de Noire-
Dame de Saintes dut renoncer à ce privilège exclusif d'émettre
des monnaies en Saintonge, qui faisait partie de la magnifique
dotation qui lui avait été constituée par Agnès et Geoffroy
Martel en 1047 {3).
Les comtes de Poitou possédaient d'ancienneté nn atelier mo-
nétaire à Saintes ; il avait été aliéné, sans doute par Guillaume le
Grand dans un de ses accès de générosité, et en 1034 il était tenu
indivisément en fief par deux chevaliers, l'rancon, possesseur du
capi tôle de Sain tes, et Mascelin de ïonnay. Après la conquête delà
(i) Eq voyant Guy-GeoITroy, six scinaioea après sa dcfailc, veair à Sainl-Maixent
apposer sa yi^nalure au bas d'un simple acle de donitlion faile à celle abbaye, nous
«rions d^aburd pensé que featrcvue certaine du comlc et de sa mère avait eu pour
objet de préparer J'iovasion de la Saintonge et que celle-ci avail eu lieu au mois de
juin ou au commeucement de juillet, mais nous venons de donner pJusbaut les raisons
qui aùu<> ont tait pencher pour une autre suEulioii. D'autre part, on voit par la liste
des témoins que le comte était là sans l'cntuaragc laïque de ses grands vassaux ou
de ses lidètes; on y comptaîl sculeuieut son prévOl, Celle coirevue entre lanière cl
le fi\s, venus l'une de Saiiiles et l'autre de Poitiers, a donc toul le caractère d'un con-
cdiabule secret, tenu dans un lieu uù les indiscrélioas ue pouvaient être commises.
(a) Marchegay, Lhron. des éjt. d'Anjoti, p. 4o3, Saml-Maixenl.
(3) Désonnais on voit en ellét Guy-GeolTroy disposer de douiaines en Saintonge, et
en gratifier ses tidèles; ainsi it donna en lie}, » tiscaliter », à Pierre de llridier, son
8énécbal,dcs métayers dans l'Ile d'ÛJérun, dont celui-ci ae dépouilla plus lard en faveur
du niunaslèrc de Saint-Nicolas de F'oiticrs {Arck. hisl, du Poitou, l, p. 43, cari, de
hiatnt-Nicolas}.
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
•87
Saintongepar Geoffroy Martel, l'atelier resta pendanl dix ans sans
telle
la
04-
l1
d'Aï
fonctionner
jou,se trouvant à Saintes, voulut y remédier et ordonna aux che-
valiers de reprendre la frappe do la monnaie, leur déclaranl que
s'ils ne se conformaient pas à son invitation il leur enlèverait
ce fief et le raltaclierail à son domaine. Il leur assigna, pour ce
faire, un délai de trois ans, mats pour des raisons que nous
ignorons, peut-être une première mise de frais dans laquelle les
co-possesseurs de la monnaie ne voulaient pas s'engager, celle-ci
resta dans le môme abandon. Lors d'un voyage à Saintes, que le
comte fit vers 1047, il s'aperçut que ses ordres n'avaient pas été
exécutés ; mettant alors sa menace à exécution, il reprit le fief,
ainsi qu'il l'avait dit, et envoya demander des monnayeurs à An-
goulême. Ceux-ci rouvrirent l'atelier et fabriquèrent des pièces
sur le type de celles de leur lieu d'origine {I}.
C'est peu après que le comte d'Anjou fil don à l'abbaye de
Notre-Dame, qu'il fondait d'accord avec sa femme Agnès, de la
monnaie, du monnayage et du change de tout l'évéchôde Saintes.
Il avait obtenu de Francon que celui-ci renonçât bénévolement
aux droits qu'il pouvait avoir sur l'objet de cette donation, et
Agnès, plus scrupuleuse, acquit de Mascelin sa part dans ces
droits moyennant une somme de 3000 sous et deux chevaux de
prix (2). Les deux époux tirent venir les monnayeurs qui tra-
vaillaient sur divers points du territoire de l'évècbé et leur firent
prêter serment à Constance, la première abbesse du monastère ;
comme complément de leur don, ils y ajoutèrent une maison
contiguë à l'arche du ponl de Saintes, à droite en sortant de la
ville, où sérail installé ratehor de la frappe de la monnaie (3).
(i) Voy. Benj. Fillon, Considérations sur les monnaies de France, p. iia, et Col-
lection Jean /ioussean, pp. Sa et 34-
(a) Gallia Christ., II, instr., col. /(So- Lelexle donné par l'abbë Grasilier {Cari, de
Notre-Dame de Sat/tfes,p. 3) porte que le prix d'achal de la porlion de iMiiscelîn fut
de 1000 sous < mîUiuni solidorum •'. Le lexle de D, Fonlcncaiu (XXV\ p. 33[>) étant
en concordance avec celui du (Jallia, nous adoptons de préférence la leçon daunéc
par ces deux recueils.
(3) Cart. de Notre-Dame de Saintes, pp. 3 et 70. L'expression « cpiscopatus Xan^
lonensÎ!) n employée par Geoffroy Martel ne saurait s'appliquer à SaiiU-Jeau d'Augély,
dont la monnaie appartenait à Cluny depuis dix ans au moins et qui ne cessa d'èlre
la propriété de ce monastère. I^ sens du mot « episcopatus » doit dire restreint aux
possessions du comte d'Anjou dans l'éviicljé de Saintes,
988
LES COMTES DE POITOU
L'abbesse Conslance, incapable d'user par elle-mônie du privi-
lège qui lui élail concédé, donna en fief à Guiîiauuie Aubert le
change, la brisure de la monnaie qui avait lieu lors du retrait des
anciennes pi^ces et qu'en retour il en était donné de nouvelles, le
sol conligu au pont, la levée de 4 deniers à percevoir sur chaque
lot de 20 sousde monnaie fabriquée etenfinla faculté d'avoir une
place dans la maison de la monnaie lors delà fabrication de celle-
ci afin d'en faciliterla surveillance. Telle était lasitualion lorsque
Guy-Geoiïroy rentra en possession de Saintes. Il fil reconnaître
son droit souverain dans l'émission de la monnaie et les ateliers
de Saintongo rentrèrent dans le rang des autres établissements
situés sur le territoire du comté de Poitou ; ils frappèrent des piè-
ces au type immobilisé du carlvs hk\ fr portant au revers me-
TALO,qui était universellement connu sous le nom de monnaiepoi-
levine,si bien que nulle part, même dans les chartes locales de la
Sain longe, il n'est parlé de deniers au nom de ce pays, mais seu-
lement de deniers poitevins (I). La seule difficulté que le comte
de Poitou semble avoir rencontrée dans la reprise deses droits, dont
la surveillance était spécialement confiée à son prévôt, lequel pour
cet objet percevait quelques redevances spéciales, provint de Fran-
con; celui-ci n'avait peut-être pas renoncé aussi gracieusement que
le disait Geoffroy d'Anjou à ses droits de change el de monnaie,
ou du moins il ne l'avait pas laissé paraître, et s'était unjour em-
paré des matières d'or, d'argent, do bronze et de plomb qu'un pau-
vre diable avait recueillies en tamisant le sable el les vases de la
Charente avec t'assenliment du prévôt du comte, Seniorel de Saint-
Jean ; Guy-Geoffroy contraignit Francon à restituer au prévôt et
au passeur de sable ce dont ils'élail indûment emparé (2).
Il y aurait lieu de s'étonner de l'inertie du comte d*Anjou qui
ne tenta aucun eiïorl pour essayer de disputer au comte de Poitou
ce riche domaine de Saintonge, surtout après le succès qui avait
(i) Les BtipulRtions de paiemeots ou de redevances dansTévéché de Sainles, même
de la pari des religieuses de Notre-Dame, sont loujoura énoncées en monnaie poite-
vine {Cart. de Noire-Dame de Saintes, p. Gg; D. Fonteucau, LXIil, p. Sug). L'é-
mission des deniers poitevins fui toujours très abondante, si bien que, lors delà conquéle
de Jérusalem, c'était la monnaie dont les Croises êlaient pourvus en la plus grande
quantité (//i'.t/. occ. des Cmisades, JII, p. Ï78, Raimond d'Aifuilcrs).
(a) Cari, de iXolre-Dame de Saintes, p, 52.
GUY-GEOFFaOV-GL'IIJ.AUMK
iH
marqué son inlervcnlion l'année précédente, si l'on ne connaissail
l'anlipalhic qui exislail entre les deux neveux deOeolTroy Marlcl,
la lutte sourde qui avait dès lors éclaté entre eux. La Sainlonge
rormail une part importante du lot attribué h Foulques le Uéchin,
loL qu'il tenait en vassalité de son frère : en 1001 , au début de la
prise de possession de leurs héritages, Geoffroy le Barbu, r-oyale-
ment pourvu des conilés d'Anjou et de Touraiuc, n'avait pas
hésité à prendre parti pour son fVère et c'étaient ses Iroupos
qui avaient été véritablement victorieuses, mais, en 1062, il
resta neutre, et le Héchin, réduit à ses seules forces, ne ténia
même pas d'opposer quelque résistance à l'armée du duc d'Aqui-
taine.
(7étail en elTi'l une véritable armée que Guy-GeofVroy avait
rassemblée a(iu de s'assurer une réussite certaine; elle ne conte-
nait pas seulement des conlingenls fournis par les nombreux vas-
saux de son duché, il avait encore soudoyé des troupes étrangères
et lointaines, et surtout des gens venus du nord de la France, du
Vermandois, En ce moment, la sage adminisiration du royaume
de France par Baudouin, comte de Flandre, oncle et tuteur
du roi Philippe, laissait inoccupés les chevaliers qui avaient pris
part aux nombreuses luttes des années précédentes (1). Ils vin-
rent avec ardeur se ranger sous la bannière du comte de Poi^
lou,mais, après la prise de Saintes, Guy-Geoffroy se trouva em-
barrassé do ces auxiliaires et alors il se lança dans une de ces
aventureuses expéditions qui furent pendant deux siècles le pro-
pre de la chevalerie : les inlidèles devinrent à un moment donné
l'objectif des guerriers chrétiens désireux de batailler et k qui
les luttes de voisinage, les actes de rapine et de brigandage ne
savaient plus suffire.
Le comte de Barcelone, Raymand-Béronger, enquête d'assis-
(i) Marcheg'ay, Chron. des égl. d'Anjou^ p. 4o3, Saint-Maixenl. Plusieurs histo-
riens el eu parliculier Tabbc Delarc {Saint Gréfjuire VU, II, p. 3ijo), adoplciitJa cor-
reclioa iailc »u Icxlc de la chronique de Sainl-Maixcot pur les cdilcura du Recueil
des hist. de France qui rtiiiiplacèreut par le mol « Nurmaauia a celui de « Verman-
nis i> cpii ne leur disait rien. M. Dclnix admet même une faute de copie de la pari
de .MM. .Marchcfjay el Mabille, éditeurs du tachrjni<|ue. En cela iJ se trompe, car noua
avons pu constater sur le uianuscril oriçinal qu'il porte bien <t Vermanni» », aussi
conserverons Qous ce mot dont aotn avons donné la sii^uilkaliou, aussi biea que la
date ûxée par ce document à la prise de liarbastro,
19
ago
LES COMTFS DK fOilOU
lance contre les Maures, fil dpmander an duc d'Aqiiilaine de
vouloir bien venir à son aide. Dans celle avance il iaul encore
rcconnîiîlre la main d'Almodis de la Marche, qui, grâce h son
inlelligence, jouait un rôle prépondéranl dans les conseils de son
Iroisicme mari. Lalssanl de côlé ses prévenlions, elle ne voyait
de son œil de femme politique que le succès continu qui accom-
pajznail les cnlrepriscs de Guy-tieoiïroy ; il était puissant, la for-
tune le favorisait_, aussi n'hésila-t-elle pas à s'adresser à lui. Tou-
tefois on doit se demander si le duc d'Aquitaine fit d'emblée
celle grande chevauchée du Poitou en Espagne et s'il ne se
trouvait point à proximité de ce dernier pays lorsque les sei-
gneurs des Pyr<''n6e3 lui deniandèreiil de venir à leur aide pour
r<;duire l'imporlante forteresse de ilarbastrot
Nous savons que, du duché de Gascogne qui lui avait été attri-
bué en 1044, Guy-(îeo(Troy ne possédait réellement que le Borde-
lais et peut-être rAgcnais. Un accord lacile ou même une con-
voniion écrite avaient été passés cnlre lui et Bernard Tumapalor,
comlc d'Armagnac, qui s'était h la suite arrogé le litre de duc de
Gascogne. Mais les raisons pour rompre de telles conventions
n'étaient pas dilficilesi'i rencontrer quand l'une des parties croyait
y trouver son intérêt, et tel était le cas pour Ouy-GoolTroy.
Pour joindre les cols du Bigorre ou du Comminges qui lui per-
mettaient de descendre de l'autre côté des monts et de se join-
dre aux confédérés chrétiens, il lui fallait traverser la Gascogne
et mf'me les possessions directes de Bernard Tumapaler, c'esl-à-
dirc rArmagnac. Le comte voulut-il arrêter le duc d'Aquitaine,
ou des diflicultés s'élcvùrcnt-elles entre eux à l'occasion de ce
passage, on no saurait le dire, mais il est un fait certain, c'est
que le 7 mai Î063 une bataille s'engagea non loin de l'abbaye de
Saint-Jean de la Caslelle, située entre l'Adour et le Midou (1).
Les Gascons n'étaient pas en étal de résistera leurs adversaires,
aussi Bernard vaincu s'empressa-1-il de solliciter la paix; moyen-
nant une somme de lîi.OOO sous, il renonça en faveur de son
vainqueur h. toutes ses prétentions sur le duché de Gascogne (2).
(i) Crue localité n'est plus oujourd'hui connue qoe sous le nom de Saiol-Jean et
fall parue du cnrilna de Grenade, département des Landes.
(2) Fragmenldii carlulaire de Sainl-Sever, publié par de Marca, ///'«/. île Béarn,
ÎIJY^EOFFROY-GUILLAUME
»9«
Aucun obslacle ne devait plus arrêter le duc d'Aquitaine. Il
put Iraversor sans dinicullé les Pyréni'es et descendre dans la
plaine de Harbaslro (I). La garnison maure résista vaillamment
el succomba tout entière, en sorte que la ville, peut-on dire,
fut prise faute de défenseurs. Les chevaliers français qui étaient
venus se mettre sous les ordres de (aiy-GeolTroy, lo plus puissant
des chefs qui prirent part à celte campagne, eu tircrenl, un
grand profil. Barbaslro était une ville opulente et aprôs sa prise
ils ravagèrent par le fer el le feu la plus grande partie de la
région, se chargèrent de riches dépouilles et emmenèrent de
nombreux esclaves. Les chefs Sarrazins ne trouvèrent d'autre
lacliqun pour arrêter les vainqueurs que do dévaster, le pays
devant eux, si bien que l'armée, réduite à des privations tant par
p. 279, el par le GalUa Chrittiana, I, col. 1181. Dans ces deux oavrai^sja dale ia>
diqucc pour la bitt^itlc est l'année 10/3, mois il nous p.nraU de loule <5vidcocc que l'on
ne saurait s'arrèlrr à ceUe énonci.ilion,qui es( uac faute du cartul.iirc ou de la copie de
de Mnrca, et qu'il faut lire lOtiS.fcln effet, (c dernier acte public qui fasse mention du
duc Bernard Tumapalcr esl le procè^-verlial de la dédicace de l'cgltie de Nngaro on
1063, et l'on sait qu'il se retira dans no monastère avant ^ou^°crlu^o du concile de
J.icca en io63. I/enlrécen religion du duc de (îascogiie suivit donc de près sa défaite.
Ceci est dans l'ordre naturel et nous sommes sur ce point absolu nical d'accord avec
Palustre (///«/. de Guillfinme IX, p. 64tnoto i). En 1073, l'autoritc du duc d'Aqui-
taine sur la Gascoi^ne était, d'après tous les textes, depuis long'temps établie, fait qui
a échappé aux auteurs do l'Art de vérijîerles dates, p. 729, et de Vllixtoire yénéu-
logi'fiic de la maison de France, III, p. ^ii * de plu3, ils assig^ncnt à celte bataille
la dale de 1070, en renvoyant pour l'étiiblir A Vllistoire de Béorn de Marca. Mais,
nous venons de dire comment il parali prcsomobic que cet historien a cora-
rais dans la circonstance une erreur do date, cl nous ferons en outre retnarquer
que ce n'est pas l'aiinco 1070 qu'il indique, d'a[/rcs le cartuLiire de Sainl-Sevcr, mais
bien 1073.
L'abbé Manlczun(^ts/.r/e/a Gascogne,\\^ p. 87) place le fait d'amies ea io6a saos
donner les motifs qui lui font rejeter celles de 1070 ou de 1073, fournies par les au-
teurs qui viennent d'être cités et qui sont les seuls auxquels il se réfère. Ou doit croire
({u'il a admis, comme nous le faisons, que la soumissiou de la Gascogne a été lice à la
campagne de Uarbasiroel qu'il a simplement emprunte cette date de 10C2 aux extraits
de la cbrooiquc de Saiot-.Maixeol publiés par Desly {llist. des comtes, preuves,
p,344 bis).On peut encore citer, tant il a été émis d'opinions différentes sur ta bataille
de la Casiclle, celle de l'aulcur de la Chronologie des ducs de Gascogne, parue dans
Y Annuaire de ia Société de l'Uist. de France, i855, p. 89, qui dit que Bernard ven-
dit en loOa la Gascogne à Guy-Geoffroy. U ne nous a pas éié possible de retrouver
le point de départ de cette nouvelle indication et nous en sommes réduit â penser
qu'elle n'est qu'une faute d'impression et qu'il faut lire 1062.
(i) Nous ne suivrons pas l'alttstre [llist. de Guillaume /X, p. 74) dans les évolu-
tions qu'il fait faire au duc d'Aquitaine, lui faisant traverser avec son armée, sans
aucun motif, les comtés de Toulouse, de Carcassonnc, de Uoussillon, pour arriver à
Géronc en Catalogne, dont il fait le rendez-vous des confédérés, tandis que, comme
il esl naturel et comme il a dû se passer, le duc pouvait, en sortant de la Gascogne
par les cols des Pyrér.ée8,enlrer directemcol dans la vallée de la Cinça, à la sortie de
laquelle se trouve Barbastro.
aga
LES COMTES DK POITOU
ses propres excès que par l'habilelô de ses adversaires, se vil,
sans doute aux approches de l'hiver qui vienl silôl dans ces
régions monlajT^neuses, conlrainie de se relirer, sans que la
prise de Barbaslro ail amenft les résulLals elDcaces que pou-
vaient en attendre les chrétiens (i).
Mais Guy-Geoffroy en avail assez. La conquête de celle ville, où
ses troupes se couvrirent de gloire et dont la prise lui fut unani -
memenl allribiiée, lui suffisait. Il vil que dans celle lutte conti-
nue entre les rois espagnols et les princes maures il ne saurait y
(i) Marcheçay, Chron, îles églistts tTAi
/|o3, Saint-MaixcDl; Besly, ///«/.
laixeot
France
Ruberl h la mort du roi Fhilippe; Rec. des hist. de France, XII, p. -jtfi, Hugues de
Flcury, La dale de la prise de Barbaslro n'est pas unilormémenl rapportée par les
hïsloricns. Noua avons admis celle de loù'i pour deux motifs: d'abord parce qu'elle
nous puratt se lier iatimcmcnl à l'aiFaire de ta Casicllc, placée au 7 mai, c'csl-à-dire
au nioitienl où Tarmce du duc d'Aquitaioe devait nonnalemeiil se diriger vers les
Pyrénées pour les traverser après la fonte des netges; puis, d'autre part, parce que le
chroniqueur de Saiut-Maixcut ni.^ met aucune iulerruption dans son récit entre la
prise de Saintes et celle de Barbaslro . II relie ces deux événements qu'ît marque tous
les deux à l'année 10O2, par le mol c indé ». De là, dit-il, c'est-à-dire de Saintes, le
duc se rendit en Espagne. Or, la campatf ne qui se termina par îa prise de Saintes fut
assez longue, si Ton en juge par les détails que fournil li* cbronique sur la
construction de chàteau.\,!e ravage du pays, etc., cl il est peu probaLIc que ces faits
se soicut passés assez tût pour avoir pu permettre à Gtiy-Geoflroy de se trouver
à la Castelle le 7 mai loCi^. Il est du reste certain, d'après la charte de Satnl-Maixcnt
préGédemiiieul citée, que, le i3 niai mûi, il se Icnail en Poitou. L'expédition de
Guy-Geoffroy dans le Midi se trouve par suite forcément reportée à Tannée suivante,
et c'est ce que l'on doit naturullenienl déduire du mol « indè » employé par le chro-
niqueur de Snint-MnLxent, qui ne mentionne aucun lait sous la date de Tannée ioC3,
ce mol « indè h lui nyanl sans doule parusuflisammenl explicite. Du reste, il serait
bien difrïcilc d'admettre i|uc quelque assuré qu'il fût de la non-iulervcnlion des An-
gevins, Guy Gfoffroy aurait précipitamment quitté le territoire (ju'il venait de con-
quérir cl couru de nouvelles aventures sans avoir solidement assis son autorité sur
les lieux dont il venait de s'em|)arcr.
Un historien espagnol, Zurita {Anales de Aragon, I, p, a4, éd. dc^iôio), cité par
Palustre [Ifist. de Gfiiilamne /A', p. 74. noie 1} donne à la prise de Barbaslro la
dule de loOii. Palustre se rangea la manière devoir de Thistorien espagnol; nous ne
saurions le suivre dans la voie où il s'est engagé, nous contenlaal de renvoyer à
l'argumentation à laquelle nous venons de nous livrer et disant avec Besly: a Qui vou-
« droit s'amuser aux cottes et calcul des historiens Espagnole se jclleroil dans un
« labirinlhe d"où tous les filets d'Ariadne ne le sçauroicnt tirer {ilisL des comtes,
p. loâ). DeJarc {llisi . de saint Grégoire V//, p. 388 et ss.) qui donne d'iiiléressiints
dclails sur la prise de Barbaslro empruntés h VVsfoiredç IJ Nomiant et aux écrivains
arabes ado[ile aussi la dale de iolJ3,maîs nouspar.iît amoindrir par trop le riilcduduc
d'.\quil:iine. Un argument plus sérieux pourrait ôlrc tiré d'une iudicationchronologique
fournie par une charte du carlulaire de Notre-Dame de Saintes du it\ août ioG5,où
il est dit qu'elle fut p.Tsséc au temps du comte Guillaume qui enleva la ville de Bar-
baslro aux Sarrazins, a tempore Willelmi comilis qui Barhastam civiutem Sarracenia
abstulil > (p. i5o). .Mais nous ne voyons dans cette énonciation, dont on rencontre du
reste d'uulres exemples, que le rappel du fait le plus éclatant de la vicmihtaire du duc.
guy-geoffroy-gi;illai;mk "^^ 293
avoir pour lui aucun avaiilage, el en homme avisé qu'il élail, il
songea à se relirer. Il avail mis la main sur la Tiascognc, ce qui
élait resseiilit'l, il n'avait plus qu'à rentrer en Poitou (1).
La soumission de ces régions au duc d'Aquitaine fil du reste
si peu de bruit que les chroniques n'y font aucune allusion ; elles
furent autrement frappées de la prise de Barbastro, qu'elles célé-
brèrent il l'envi (2). Les historiens du midi, qui, sous rinlluence
d'un patriotisme local exagéré, ont déploré ce qu'ils ont appelé
l'asscrvissemenl de leur pays, ne se sont pas rendu un comple
exactde la situation. En devenant duc de Gascogne, Guy-Geoffroy
entrait simplement en possession d'un titre nu; aucune dépen-
dance territoriale ne l'accompagnait, et le lien féodal était si
relâché dans ces régions que la vassalité de ces comtes gascons
envers leur supérieur était h peu prt'.'S illusoire; en somoie, ils
étaienlparfaitement indépendants el, comme nous l'apprend This-
to ire, leur sujétion se réduisit à bien peu de chose,
Un témoignage de ce fait est fourni par les annales ecclé-
siastiques. Afin d'assurer le maintien de leurs privilèges ou des
donations qui leur étaient faites^ les établissements religieux
avaient grand soin de faire reconnaître ces actes par tous les
personnages qui, à un titre quelconque, pouvaient revendiquer
(1) Bcsly a publié (I/isl, des comtes, preuves, p>38i) ua passage tiré d'un ren^islre
de la c.itbéctrale d'Anc;oul^me, où il esl dit que le frère du comte d'AngoutOtnc, Adé-
mar, qui élait sans doulc laïque ù ccUc époque et qui, devenu clerc, succéda en 1076
i son autre frère Guillaume dons révêché de cette ville, accompagna en 1080 Guy-
Gcoiïroy dans son cxpcdilioo contre les Sarraziiis; mnlgré ce texte, il oe nous en
coule pas d'afUrmerque Guj-Gcoffroyue Gtpasd'autre campaiftie eu Espasfne que celle
de io63, el noua n'hésitoos pas à rcfçardcr cette date de 1080 cfimiuc une adjonclion
erronée, d'autant plus qu'elle ne se retrouve pns dans \'l/înloria pontijlcam. et coini-
titm Engotismensium, qui {p. Sc)) mentionne le fait, mais sans lui nllribuer aucune
date précise.
{2) Ce silence deschroniques,an)èrcmeal relevé par l'abbc iMonlezun {llisl. de la Gas-
coyneJl,p. 37), est un lémoignaq'e de plus en faveur de notre opinion que la bataille de
la Caslcllc ne fut qu'un épisode de îa. campagne de Barbaslro devant laquelle il s'efTaçait.
Cettebatatllc ne fut du reste peul-être qu'un cugag^ement de peu d'importance et qui ne
devint i^rand que par les conséciuencca qui en découlL-rcnt. Une charte du cartulaira
de Saint-Cyprien est ainsi datée: <t Acia sunl hec temporc quo cornes l'ictavîensiscepit
Barbasiam y>{Carl. de Sainl'Cijprien,^. 333). Nous avons déjà cité plus haut celledu
cartulairedc Notre-Dame de Saintesdu i4 aoùl loGii p. iôo);enfin (c mémo carlulaire
fournit un autre témoignage de l'importance que prit cet événement aux yeux du
vulgaire: Joscelin, archidiacre de Saintes, qui dicta, en 1067, les termes de la charte
de donation de Saint-Julien de l'Escap à t'abbayc de Notre-Dame, dit que ce fut fait
en présence d'Agnès, mère du comte de Poitou, «jui brûla Toulouse et enleva Barbas-
lro aux Sarrazins, a qui Tolosam incendit et Bnrbasinm Snrracenis abstulit » (p. 23).
«9'«
LES COMTES DE POITOU
sur lacliose on qupsiion quelque parcelle d'autorité; or, on peut
tirer cette conclusion de l'examen des chartes des abbayes de la
Gascogne, que c'est un fait exceptionnel de voir l'une d'elles
s'adresser à l'auloriiô suprême du duc, donl le nom n'est même
pas rappelé parmi les ôlémenls de date de ces actes. Un dos
rares exemples que nous en ayons recueilli est conlemporain
de la campagne de liarbaslro. Soi! avanl son départ pour ri")spa-
}Tne, soil après sou retour, tfuy-(!eofFroy reçut la jdainle de
Raymond, l'ancien évêque de Lescar, sur ce que la veuve et le
lits de Garsie-Guillem de Salies ne lui restituaient pas l'église
de Caresse, que Cenlulle, vicomie de Itéarn, avait jadis donnée
sans droit à ce dernier. Le duc chargea Garste-Arnaud, vicomte
de Dax, de tenir on son nom le plaid où le diiïérend serait appelé.
L'aiïaire ne fut qu'assoupie par le jugement de l'assemblée et
reprit quelques années après par le fait de Bernard de Bas, le
nouvel évoque de Lescar, qui s'adressa encore au duc, mais celui-ci
délégua de nouveau ses pouvoirs aux seigneurs qui devaient tenir
les plaids de Gascogne (1).
De retour dans ses états patrimoniaux Guy-Geotîroy se préoc-
cupa surtout de consolider son autorité et de faire sentira ses
vassaux qu'ils avaient un maître contre lequel toute tentative
de révolte serait un acte de félonie promptement et sévèrement
réprimé. D'autre part, il se montra généreux envers ceux'h\ qui
l'avaient bien servi dans ses entrepises et leur fit de nombreuses
largesses. Il est vrai que souvent l'objet de celles-ci était fourni
par des établissements religieux auxquels le duc venait ainsi ravir
les possessions qu'ils tenaient de la générosité de ses prédéces-
seurs. Pour mettre sa conscience à couvert il faisait valoir qu'il
n*avait pas donné son consentement aux actes de ces derniers
ou qu'en prenant le pouvoir il ne les avait pas garantis. Mais ce
n'étaitqu'un prétexte spécieux et au fond sa façon d'agir était bel
et bien une spoliation. L'abbaye de Saint- .Maixent eut particuliè-
rement à se plaindre de lui; non seulement il lui relira des biens
dont elle était redevable à son frère et à sa mère, mais encore il fit
dans le monastère de nombreux séjours, imposant par là aux roli-
(i) Callia Christ. ,1, col. 1288; MonlezuD, ///*/. de la Gascogne, H, pp. 37-89 .
GUy.GEOFFnOY-Gl'ILL.VUME
gieuxd'iiicessanlesd6[)enses dunlilnolcs désinlôressait pas.lllciir
enleva entre autres la moitié du péage do la ville do Sainl-Maixcnl,
les lorrains mis en ciilliirc provenant des défricliemoots do la
forèl de la Sèvre, le gros bois de celte forùt nécessaire à leurs
besoins ot les coutumes de la FonL-de-Lay, toutes possessions
dont ils s'éluienL enrichis pondant le gouvorncmenl de Talibô
Arcliembaud. Aimeri, le successeur d'Arclieniband, vinl trouver
Guy-Geollroy vers colle époque, cl oblinl de lui. on lui faisant
cadeau de 300 sous, une charte qui mainh^nail l'abliaye dans la
possession des redevances de la Font-de-Lay ; quant au surplus,
il vit toules ses réclamalions rejelées (1).
Dien qu'ayant pris l'habit monaslique dans l'abbaye de Notre-
Dame de Saintes, Agnès n'y vivait pas en recluse et elle en sortait
souvent, soit dans un but politique, comme nous a paru tïvc son
entrevue avec son fds à Saiiil-Maixent ea 1001, soit pour obtenir
de lui des concessions en faveur de ses fondations religiousos.
Elle aimait aussi ù s'adresser à la cour de BoniR, dont elle avait
apprécié la puissance et auprès de laquelle elle avait pour inter-
médiaire sa fille, lancienne impératrice d'Allemagne, qui, à son
exemple, joua pendant toute sa vie un rôle dans les affaires
publiques. C'est ainsi que pour assureràson abbaye delà Trinité
de Vendôme les riches possessions dont elle l'avait fail doter,
elle recourut successivement aux papes Nicolas 11 et Alexan-
dre Il et oblinl d'eux des bulles spéciales de confirmation
en date du 27 avril 1001 et du 8 mai 1063 (2) ; de plus, Nicolas 11
lui accorda la même faveur pour Noire-Dame de Saintes, par
une bulle datée du mémejour que celle qui privilégiait la Trinité
de Vendôme (3). Il est probable que c'est aussi dans la journée
où il délivrait la bulle en faveur de Vendôme qu'Alexandre H con-
céda ù Agnès une faveur particulière pour sa fondation de Saint-
Nicolas de Poitiers qu'elle sentait peut-être menacée. 11 mit celle
église avec toules ses dépendances sous la proleclion du Saint-
Siège, en imposant aux chanoines l'obligation de vivre conven-
luellement dans leur collégiale. Si Fon envisage la grandeaulurité
(i) A. Richard, Charles de Sainl-Mai,Tent, I, pp. i53 el 19G.
(a) Mêlais, Cart. saint, df lu Trinité de Vend'hne, pp. /|(j et r»o,
(3) Cart. de Notre-Dame de Saintes, p. 8.
998
LES COMTES DE POFfOU
dontjûuîrenl à celle époque certaines princesses, on ne sera pas
étonné de voir dans cet acte le pape ajouter, dans les anallièmes
lanc<5s par lui contre les puissants qui violeraienl sa constitu-
tion apostolique, la personne des comtesses à celle des rois, des
ducs et des comtes, que l'on y rencontre liabituellemenl. En
outre, il paraît évident que la cour de Rome avait acceplô sans
difllcullô la répudiation d'Agnès que GeolTroy Martel avail fait
admettre en se rtf'cl amant des règles canoniques, car dans l'acte
de Saint-Nicolas il n'esl pas parlé de l'union de la comtesse avec
le comle d'Anjou, le pape la désignant simplement comme la veuve
du très noble duc d'Aquitaine (I).
Guy-Geofîroy se montra dans la circonslance le fidèle exécu-
teur des volontés de sa mt'Te. D'après sondire,ce sérail lui-môme
qui aurait demandé au Saint-Siège de prendre le monastère de
Sainl-IS'icolas sous sa sauvegarde ; mais même en a^^issant ainsi
il prenait ses précaulions pour que la cour romaine ne vînt pas
s'immiscer dans la direction intérieure de rétablissement ou en
disposât à son gré, et il élablit que les chanoines de Saint-Pierre
de Home ne pourraient exiger d'autre marque de sujétion de la
pari de ceux de Saint-Nicolas de Poitiers que le paiement d'un
cens annuel de 10 sous. Kn confirmant aux chanoines de Saint-
Nicolas la possession des biens qui leur avaient été donnés, tant
par sa mère que par son frère, et en leur conférant certains pri-
vilèges, il avait aussi eu soin de se réserver le bénéfice des ser-
vices religieux et en particulier il leur imposait de chanter pour
lui une messe desauvegarde^ <« satus populi^ » le second dimanche
de chaque mois; en même lemps il leur enjoignait charitable-
ment d'avoir à nourrir un pauvre cliaquejour.Lepape,dans sa bulle
de privilège, n'attribue pas au comle de Poitou un rôle aussi im-
^
(i) a QuoDdam Artjtiilanorum ducis usori nobilissime » {Arch. hist, tla Potloa,
I, pp. 10 cl 12). Ces dc'u.x [)ioces ne sutii jtas dalûos, mais Tiisaife de la cour de Rome
étant de délivrer lo iiicinp jour les actes inlcrcssanl une mi?me rètpoa ou une même
personue, aiusi que nous l'avons constaté plusieurs fois dans le cours de nos recher-
ches, nous u'hésilons pas à placer la bulle d'A!c,\andrc H au 8 mai ioG3, Jalede l'acle
obtenu par Ajçncs en faveur de la Trinité de VendAme. Les Ana/ecta Jriris pnrtlijicii
qui oui publié ccdc bulle en i8r>8, 87' tt^■r.^ison, Itii attribuent \a date de io03 environ;
Q0U9 nccroignons pas d'clrc plus prceia. Pareillcmenl, celte précieuse publication, qui a
reproduit la charte de Guy-^ivoiïroy dans la même livrajsou, ta place en loùi envi-
ron, mais DOua pensons qu'elle n'a pas précédé aussi longtemps ta bulle puQlitîcale
et que, l'une et l'autre, doivent appartenir à l'année iot>3.
îirV'-GEOFFROY-GUrLLAUME
'9J
porlani que celui qu'il pe donne ; il se conlente de signaler les
dons qu'il fit au nouvel élablissement, el déclare express<5ment
que la faveur qu'il vient d'accorder lui a 616 demand6e par la
ducliessed'Aquitaineelsurloulparrinip6ralrice de Rome, Agnès,
fille charnelle de la duchesse, el que lui-même considère comme
sa fille spirituelle.
Dans le courant de l'année 1064, nous retrouvons le duc par-
courant encore ses 6lals. Il est d'abord à Sainl-Maixent, où il
appose sa sij2;naturc au bas d'une charte avec sa mère Agfnès et
l'évèque Isembert (l);de là il passe sans nul doute en Bas-Poitou,
on ildélivre certains domaines dépendants de l'abbaye de Bourgueil
des charges que leur avait imposées son frère GuiIlaumeAigret.il
les convertit en des obligations charitables ou de dévotion, parti-
culièrement celles de nourrir et de vôlir chaque jour sept pauvres et
de faire pareillement chaque jour la commémoralion de sa personne
dans le sacrifice de la messe. Il était là en compagnie de sa mère,
de sa femme Alalhéodc, de Tévôque de Poitiers, de l'archevêque
de Bordeaux et de son frère Simon de Parthenay, des abbés de
Maillezais et de Saint-Maixent, du vicomlc de Thouars accompa-
gné de ses trois frères et d'autres grands personnages (2). La
même année, ayant dans sa compagnie l'éveque d'Angoulème,ii fit
don de divers biens sis dans la villa de Bouzet au monastère de
Satnt-Lomer de Mainsal en Auvergne (3).
Les chroniques, les chartes, sont à peu près muettes sur Tan-
née 1065, mais plusieurs faits sur lesquels nous sommes incom-
plètement renseignés signalent l'année 1066. Un motif, que rien
(i) A. Richard, Chrirfcs de Saint-. yai.rent, I, p. iT)!.
(2) lieslvi nui a publié celle charte {f/ist. des comtes, preuves, p. Zf\ï Ims), ne lui
donne pas de dale.Réikt, dans sa table manuscrite du cari, de Bourg'ueil, Uii assigne
celle de io63 environ. Pouf nous, qui savons que Guy-Geoffroy faisait, en io63, son
e.xpédilioa de Gascotjne el de Barbaslro, et qu'en loG/j il se trouvait uvec Agnès à
Saint-Maixeot, noua inclinons à placer cette charte à celle même date. Eu effet,
Açaês est présente h t'acte avec un j^rand nombre de hauts persoonanftg:cs, jinrmi
lesquels on remarque Aiiiieri, vicomte de Thouars, (|ue l'on sait cire sorti de prison
en 106O, C'est donc en loC^ ou io65 au plus lard que doit être placée la charte de
Bourgueil.
(3) LeGallia Christtana, qui nous apprend ce fait (II, col. 993), ne nous indique
pasàquellc source il l'a cm[iruulé, Peut-être, dans ccdon, faut-il reconnuîtreractiondu
comte de La Marche, Audcl>erl,qui, dés celle époque, fréquenloil assidùnicnl la cour
éw comte de Poitou.
îqS
LES COMTES DE POITOU
ne nous a révélé entraîna celle année Guy-Geoffroy à Rome. Sa
sœur Agnès, qui jouail un rôle iniportant dans les afl'aires de la
pfipaulé, l'appela-l-eile auprfis d'elle pour la réalisation de quel-
que dessein inconnu qui flallail rambiliondu duc d'Aquitaine, le
fail est possible, car nous ne voyons rien dans la vie inlime de
Guy-Geoffroy qui puisse nioliver de sa part un semblable voyage.
Il devuil en ce momont se sentir bien assuré de la tranquillité
de ses é(a(s et pourtant une brtîve mention au bas d'une charle
nous apprend que celle uiôme anuro le puissant vicomte de
Thouars, Aimeri IV, sorlil de sa prison (1). La situation des do-
maines de ce vicomte le metlant en rapports aussi fréquents avec
son voisin le comte dWnjou qu'avec son suzerain le comte de
Poilou, il est diflicile de savoir quel esL celui des deux com-
tes qui. dans une lutte heureuse avec le vicomte de Thouars,
avait réussi à mettre la main sur lui. Ou peut être sur que, sui-
vant les habitudes de l'époque, le prisonnier dut, pour sortir de
caplivilé, verser une grosse somme de deniers et que sasilualion
pécuniaire s'en trouva fort embarrassée, aussi, pour se remettre
à Ilot, Aimeri s'engagea dans une entreprise qui, étant donnés son
caractère entreprenant et ses qualités militaires, devait lui rap-
porter honneur et prolit.
11 répondit à l'uppel de (Juillaume le Bâtard, duc de Norman-
die, et, accompagné d'un grand nombre de ses vassaux, il vint, au
mois de septembre I06G, le rejoindre à Saint-Pierre-sur-Dive, pour
de lu marcher à la conquête de l'Aniçlelerro. Mis à la tôle d'un
des trois corps qui composaient Tarmée d'invasion, il contribua
puissamment au succès de la bataille d'Ilaslinj^ïs et au couronne-
ment de Guillaume, comme roi d'Angleterre ; parmi les seigneurs
poitevins qui l'accompagnèrent, il faut citer particulièremenl
(i) A. Rîcbnrd, Charles de Sainl-Afai.ienl, I, p. i5o. Ce documcnl a échappé â
Palustre tjui, duns son Histoire île (jinllanme IX, ne fail nucunc allusïoa aux failfl
qu'il rapporle.
(2) A. Rkliiird, Chartes tle Saint- M<iix(fnl, I, p. ifjo. L'original de c«Uc charle
existe à la Libliothètjue de Niorl cl rauUicniicité des fuila qu'elle signale ne saurait
être suspectée. M. Imberl, dans sa notice sur les vicomtes de Tliouars [Miin. de la
Soc, des Antiq. de COttest, iro série, XXIX, p. 348j, sentbie révoquer en doute la
caplivilé d'Ainieri en loGG ; il n'avnil eu du reste connaissance de ce fait que par une
aotcdcD. Fonleaeau (X\'UI,p. 33),où le savant bénédictia se réfère au texte de la
charte précitée.
Si
«UY-GEnFFROY-GUILLAUMR
onay, qui revint, comme lui, coiu
do Par tu
mon, vidame no l'arinonay, qui revini, comme lui, comblé de
riches di^poiiilles (I i.
\,e duc d'At}uilaine s'élall co m plein ment désintéressé de celte
entreprise, aussi bien que ses voisins les comtes d'Anjou, entre
qui la lutte avait pris un caractère de plus en plus violent. La
division entre Geoflroy le Barbu el Foulques le Réchin,qui avait
permis à Guy-Geoffroy de prendre si rapidement sa revanche de
rL'chee de Chef-Bou tonne, n'avait fait que s'accentuer. Geoffroy
le Barbu s'était aliéné le clergé de ses élals el, d'aulre part, des
molifs dedissentimenl,donl le mobile ne nous apparaît pas, avaient
éloigné de lui plusieurs de ses plus puissants feudalaires; depuis
10621a guerre n'avait pas cessé entre les deux frères. Au commen-
cement de l'année 1067, Foulques prit Saumur et marcha sur An-
gers. Du môme coup il s'empara de la ville elde son frère que la
trahison de ses serviteurs lui livra, Geoffroy fui jeté en prison. Il
en sortit peu de temps après à lasollicilalion dulégal, le cardinal
Etienne, mais ce fut pour reprendre la lulle tant contre son frère
que contre le clergé. Le légal, mal récompensé de son entremise,
excommunia Geoffroy ellui enleva par la même sentence le comté
d'Anjou qu'il allribuaà Foulques.Celui-ci accourut au secours de
la place de Brissac,que Geoffroy était venu assiéger, le battit, lui
lua un millier d'hommes et enlln mit à nouveau lamatnsur lui. Le
comle, enferme dans un solide cachot, y resta jusqu'à sa mort,
advenue seulement trente ans après (2).
On ne connaît pas la date exaclc de la bataille de Brissac, mais
celle-ci parait s'élre livrée dans le courant de l'année 106H,à peu
pr^s au moment où le comte de Poitou marchait avec toutes ses
forces au secours de Geoflroy le Barbu. Pendant que celui-ci se
portait sur Brissac, Guy-Geoffroy entreprenait le siège de Sau-
mur, une des plus importantes forteresses du Réchin et qui, en
(i) La Fontenclle de VauJoré, dans un article de ta Revue A ng h- Française, I,
pp. 30-.'>o, a résumé tout ce que les tiîstorieas nous oa( appris sur la coopération des
Poilevius à la comiut^le de IWnglelerre (Voy. aussi Inibert, //istoire de Thoaars,
daus les .\/ém. de la Soc. de Statislitjue des Deux Sèvres, a* série, X, pp. 4^48 ;
Palustre, flist. de Guillaume I.\\ pp. 80-81 ; Ledatn, la Gàline, ï« éd., p. 44)-
(2) Porl, Dictionnaire de Maine -el-Loire^ tome II, dans les articles consacrés à
Geoffroy le Rarbu et à Foulques Héchio renvoie h tous les textes qui se rapportent
à la vie des deux comtes. Voy. aussi Delarc, Saint Grégoire VII, 11, pp. 817 cl ss.
3oo
LES COMTES DE POITOU
cas de guerre avec les Poitevins, futtoujours l'objectif de l'entrée
en campagne de ces derniers.
La marche de Geoffroy dut ôlre exlrêmemenlrapide. Cettefa-
çon d'agir semble avoir été un de ses principaux moyens de succès ;
pour opérer ainsi, il ne pouvait évidemment mettre en mouvement
que des forces médiocres, les cbevaliers de son entourage immé-
diat, maïs si la réussite couronfiaiL sa première entreprise il
démoralisait par là-ûiôrae le vaincu, etc'est seulement dans des cas
bien rares que les événements se tournèrent contre lui, comme
il advint de sa première campagne de Sainlonge. Il se trouvait
en effet à ï*oiliers dans le courant de mai 1068, quand il apprit
la prise d'armes de Geoffroy le Barbu ; on le voit à celte date
assister à la donation du monastère de Sainl-Porcliaire de Poitiers,
faite par rarchevèqtie Joscelin, toujours en sa qualité de trésorier
de Saint-Hilaire, à l'abbaye de ïiourgueil. Aux côtés du comlc,
on ne voit que sa femme Maihéode, l^ludes, frère du comte de la
Marche, Savari et Raoul, frères d'Aimeri, vicomte de Thouars,
et Isembert, évfique de Poitiers (1). Aucun autre de ses grands
vassaux ne dut évidemment raccompagner dans sa campagne de
Saumur ; autrement nous les retrouverions près de lui à Poitiers.
La résistance des assiégés fut énergique, mais ils ne purent
résister à l'impétuosité del^allaque des troupes de Guy, Le ci des
calendes de juin (28 mai) î 068, il s'empara de la forteresse, qui fut
livrée aux flammes; il n'en subsista rien; les habitations situées
dans son enceinte ainsi que celles du dehors el l'église de Saint-
Florent furent incendiées (2).
Cet acte de sauvage vigueur devait se renouveler bientôt. Le
succès du Réchinà Bnssac, la prise de Geoffroy, qui mettait fin
à la guerre à laquelle le comte de Poitou ne venait de prendre
part qu'en qualité d'auxiliaire, durent arrêter celui-ci dans son
entreprise. Les deux comtes étaient tous les deux de fins politi-
ques et, n'jiyant aucun motif personnel pour continuer la lutte
entre eux, ils ne devaient pas tarder k s'entendre. On ne sait
moyennant quelles conditions Guy-Geoffroy remit Saumur au
4
(t) Rédel, Doc. poar Saint-ffilaire^ I, p. 91 ; Besly, f/isf. des comtes, preares,
p. 35 1 bis,
(al Mfircheiçay, Chron. desêffl. d'Anjou, p. /)o4, SninUMaixcnt.
GUY-GEOFFIIOY-CUILLAUME
Sol
comte d* Anjou, mais il semble n'avoir rîen gardé de sa conquête;
des raisons particulières durent aussi le pousser à ne pas se mon-
trer trop exigeant à l'égard de son adversaire.
Une prise d'armes s'était en effet produite à l'autre extrémité de
ses domaines. Par qui fut-elle fomentée, on l'ignore, mais étant
donné le Heu qui fut le centre de ce mouvement, on doit croire que
laiamitte deTliouarsn'yfutpasélrangère.Lesvicomlesde Thouars
étendaient leur suzeraineté ou leurs domaines particuliers jus-
qu'à l'Océan, et tes cadets, en attendant leur venue possible à
la possession de la vicomte par l'efTet du droit de viage, étaient
pourvus par leurs aînés de sortes d'apanages qui leur permettaient
de vivre. Un des frères du vicomte Aimeri IV aurait-il écouté les
avances du Réchin pour créer des embarras au comte de Poitou
sur ses derrières, serait-ce Aimeri lui-même qui aurait trempé
dans l'entreprise, toujours est-il que Guy-Geo!Troy, s'étanl mis
d'accord avec le comte d'Anjou, se porta en toute hâte sur Luçon
où la révolte avait éclaté. Les troupes, qui avaient été implaca-
bles à Sauraiir,continurrent à se montrer telles ; le château, c'est-
à-dire la ville alors fortifiée, fut pris et livré aux llammes, le
monastère de Noire-Dame fut anéanti élit périt dans le désastre
un grand nombre d'habitants, tant hommes que femmes (1).
H est possible que celte môme année le comte de Poitou ait fait
sentir le poids de son autorité au vicomte de Limoges, Adémar,
qui était conslamment en conflit avec ses voisins et avec le clergé
du diocèse. Il avait, en i007, incendié une partie de la ville épis-
copale, massacré de nombreux habitants et commis bien d'autres
(i) MarcLe^ay, C/iro/i. des égt. d'Anjou, p, 4o4» Salnl-MaixcDt. Nous ne saurions
suivre Palustre dans les conséquences qu'il donne n l'ullairc de Lu^on. I] dit [Hist.
de Guillaume IX, p, ag} que Guy-Geoffroy prit easuile possession du chàleau de
Fonienny, possédé par le vicomte de Thouars, cl !e réunit au domaine dtical. Nous
n'avons trouvé nulle part menliou de ce fait qui serait aussi resté isçnoré de Fîllon,
lequel n'aurait pas mani^uë de le signaler tant dans ses Recherches hislorit/ues sur
Foniena y- Vendée que dans Poitou et Vendée. Du reste, ce n'est pas Aimeri qui dé-
tenait alors Foatenay, mais bien soo frère Savari , lequel en était eucorc possesseur en
io83, aiusj qu'il résulte d'uue charte de Saint-Florent de Saumur, citée par Filloa
[Recherches historiqnes, I,p. \(>, noies i cl 2) et publiée par Marchegny (/l''c/«. hist,
de la Sainiotuje et de l'Annis, IV, p. Jq), C'est aussi ce même Savari, qui, dans les
listes de chevaliers poitevins qui coopérèrent à la conquéle de l'Angleterre, esl dési-
gné simplement aoua la qualité de sire de F'ontenay, que La Fonlenelle Je Vaudoré,
convaincu que Fontcnay était alors la propriété du comte Je Poitou, inlerpréla à tort
par sire de Frontenay i^Revue anglo-française^ I, p. 3g).
3oi
LES COMTES DE POITOU
méfails, En guise de i-t'-paralion lecomle le corjlrai<;nil à abandon-
ner Tabbaye de Sainl-Aiidré au chapitre calhrdral de Sainl-
Etienne ; de plus, el en cela nous reconnaissons lo caractère pru-
dent el avisé de Guy-GeofTroy, il le força û faire rédiger un acte
qui conserverait la mémoire de cette donation (1).
Mais avant de parler des deux grands événements qui, cette
même année 1068, marquî-rent dans la vie de Guy-Gooffroy, la
mort de sa mère et son troisième mariage, il nous faut revenir
un peu en arrière et jeter un coup d'œil sur les derniers temps de
l'existence d'Agnès. Bien qu'elle se fût retirée au monastère de
Notre-Dame de Saintes, la comtesse n'y faisait pas une résidence
continue. Ainsi, en tOG^j, elle se trouvait â Poitiers où, le jour de
saint Clément (4 décembre), elle versa à Michel le Monnayer le
prix d'un moulin qu'elle lui avait jadis acheté et dont elle avait fait
don à Vendôme lors de son divorce avec Geoffroy (2). En outre elle
n'avait pas cessé, comme nous l'avons vu, d'avoir avec son fils des
rapports fréquents. Alors que dans le courant de 1067 le comte
se trouvait à Saintes^ sa mère vint le trouver dans sa demeure et
lui demanda de confirmer tous les dons qw'elle et le i-omle Geof-
froy d'Anfj^ers avaient faits à l'abbaye de Notre-Dame et de s'en
porter le défenseur; par amour filial, le comte accéda h cette
prière, el non seuiemenl il apposa sa croix sur la charte qui
devait conserver le souvenir de ce fait, mais encore il la fit
approuver par ses barons (3).
A la même époque l'un de ces derniers, Ostence, seigneur de
Taillebourg, fil don à l'abbaye de Noire-Dame de Saintes de l'église
de SainL-Julien de l'Escap, avec toutes ses dépendances. Mais
cette église était en la puissance de deux chevaliersqui la tenaient
en fief: Guy de Limoges, neveu du vicomte d'Aunay, et Hélie,
fils d'Achard de Dorn. Oslence s'entendit avec lo premier pour
qu'il fit à Notre-Dame la concession Cju'il désirait et à laquelle
assistèrent le comlcde Poitou, l'archevêque de lîordeaux, le comte
(i) Gallia Christ., lî, insir., cul. 173. Bien que l'iiclc qui énonce ce faîl et qui
est daté de lO-jZ ne dise pas que la donolion de Snint-.Aadré, Imposée par Je comia
au vicomle Adémar, ail eu Heu à la suite des évêneiiieals de 10Û7, il nous paratlre»-
sortir des dispasilions qu'il renferme qu'elle en fui la conséquence nalurelle,
(a) Mêlais, Cart. de la Trinité de VendAine, \, p. Soy.
(3j Cari, de Noire-Darne de Saintes, p. ar,
GlJY-GEOFFrvOY.GUILLAUME
Audebert delà Marche, Si "fion de Pari
3o3
Parlhenay cl la comlesse Agnès.
La ni?gocialiûn avec lléliedo Rorn se fil ensiiKe el elle eul pour
principaux témoins l'évêque d'Angoulôme, Guillaume de Mares-
lais el le vicomte d'Aunay; Joscelin, archidiacre de Saintes, pe
chargea de dicler la charle qui fut rédigée avec siraplicilé afin
qu'elle fût comprise de tous. Enfin celle-ci recul Tapprobalion
de Joscetin, archevôque de Bordeaux, d'Isembert, évèque de
Poiliers, de Guillaume, évoque d'Angoulôme, cl d'Arnoul, évoque
de Saintes (1).
Un grave motif avait amené ces grands dignitaires ccclésiasli-
ques dans celle ville de Saintes, en même temps que le comte de
Poitou. Le pape Alexandre II avait ordonné la déposition de l'é-
vêque Arnoul, convaincu de simonie, et il fallait procéder à Vè-
leclion d'un nouveau prélat. Arnoul conserva son titre jusqu'à la
nomination de son successeur qui fut Goderan, abbé de Maille/ais,
et ancien moine de l'abbaye de Cluny, dont la prépondérance
monacale s'alFirmait de plus en plus dans les étals du duc d'Aqui-
taine (2).
Après la réunion du synode el sans doule après le départ de la
plupart des assistants, Goderan fut à son tour invité à donner son
approbation à l'aclequi authentiquait la donation du seigneur de
Taillebourg. f'c fui le troisième jour après son ordination que le
nouvel évCque y apposa sa croix. Le premier jour, c'était l'évoque
d'Angoulêmcqui S'était acquitté de celle formalité ; lesecond jour
ce fut Arnaud, frère de cel évoque, accompagné de nombreux che-
valiers delà région. Quand Goderan signa h son lour il avait h côté
de lui Eudes, abbé de Saint-Jean d'Angély. Agnès, la mère du
comte, était aussi présente et elle avait autour d'elle les gens de
sa compagnie ordinaire : maître Alon, chanoine de Saint-Nicolas
de Poitiers, Geoffroy dit Léger, chanoine de Sainl-llilaire, le
médecin Astopapio, le chevalier Lisois, Isembert, prévôt de la
Trinité, el d'autres servi leurs moins notables. On voit par ce relevé
que la comlesse ne vivait pas en recluse à ^olre-Dame de Saintes
(i) Curt. Je Notre-Dame de Saintes, p. aa.
(a) Gailia Christ., II, col. lo'jo, note a, d'après les leUres d'Alexandre II, publiées
dans les Concilia de Labbe, II, col. iiSa.
3o4
LES COMTKS DE POITOU
et qu'elle avait auprès d'elle un entourage mondain, voire môme
une petite cour (1).
Au sortir de Saintes, Geoiïroy s'était rendu au château de Pons
où on le retrouve avec l'évoque (îoderan, l'6vôque et le comte
d'Angoulème; le vicomte d'Aunay, à qui ce château appartenait,
donna en pr<:?senee du comte ù l'abbaye de Saint-Floront de Sau-
mur l'égliae de Saint-Martin de t^ons et la chapelle dcNolre-Dame
hors des murs du château avec toutes leurs dépendances (5i).
Soit en allant ù Saintes, soit à son retour, le comte fut entraîné
à lîle d'Aix par l'abhé de Cluny, qui allait y recevoir pour son
abbaye une importante donation. En eiïet, Isembert, le puissant
seigneur de Châtelaillon, se dépouillait en sa faveur et, motivant
sa générosité par son désir de participer aux bénéfices spirituels
de l'abbaye de Cluny, « dont l'éclat brillait au-dessus de tous les
autres monastères)), il lui abandonnait l'île d'Aix en toute propriété,
ainsi que d'autres domaines en l'îled'Oléron et surla terre-ferme.
C'est Guy-Geoffroy lui-même qui, en donnant son approbation
à l'aclc, fit la remise de ces biens entre les mains de l'abbé
Hugues, concéda ce qui pouvait lui compéter, et enfin confirma
spécialement tout ce qui avait pu être fait à celte occasion (3).
Nous ne pensons pas que le comte ait assisté l'année suivante
au synode que le légal Etienne avait convoqué à Bordeaux et qui
s'y ouvrit le T' avril 1068. Guy-Geofîroy devait être absorbé
par les affaires d'Anjou, que le légat avait déchaînées et aux-
quelles il s'était dérobé en se rendant à Bordeaux, où l'on cons-
tate la présence, outre l'archevêque, de sept évêques des archi-
diocfeses de Tours et de Bordeaux (4).
(i) Cart. de Notre-Dame de Saintes, pp. 22-23.
(2) Arch. hist. de la Satnlonge^ IV, p. 35, cliarles saint. tic Saml-Florent de Sau-
mur, La charte de Saial-Florenl, dalëe de rannée 1067, permet de fixer d'une façua
ccrlaiiie rclection do Goderan à J'êvôcbé de Saintes, au sujet de laquelle le Gui lia
reste perplexe et qu'il place dubilativemeot à l'aonée 1068 (II, col. 1062), et de pré-
ciser CQ même temps la date des deux chartes du cartulaire de >folre-Dame de Saintes
que noua venons de citer, qui dc porlfticnt pas diodicationa chronologiques et que Too
ne pouvait plarer qu'approximaliveiucnt dans l'année 10G7.
(3) Arcère, //isi . de la RochvUe, II, p.C3ti. Bien que cet acte porte la date de 1077,
on ne saurait douter que le scribe qui t'a écrit a commia une erreur dc dix ans; le pape
Alexandre, qu'il îndiquecommc occupant le triJnepputifical, étant mort le 2a avril loyS.
Celle opinion est aussi celle do M. Bruel {Charles de Çlumj, IV, p. 622).
(4) ^Iabillon, Ann. Beriedici.f \, p. 12.
GUY-GEOI'FROY-GIJILLAUME
3o5
Le duc d'Aquilaiiio ôlail ù peiue de retour de son expédilioii
que, le ^2 juin 106S, h la sollicitalion de sa mère el sur la
demande de rarchevèiiue Joscelin, il consenlil au don. que firenl
les clianoinea de Sainl-llilaire ù ceux de Satnl-Nicolas du do-
maine de la Vacherie, sis aux portes de I*ûiliers(l); c'élait en
quelque sorte la rt^gularisation d'allribulions plus ou moins
légales que la comtesse avait faites à son œuvre préférée lors
de sa fondation. Agnès, senlant venir la fin de ses jours, met-
tait ordre aux acles que sa conscience pouvait avoir k lui repro-
cher ; les apparences furent sauvées par rengagement que pri-
rent les chanoines de Saint-Nicolas de payer à ceux de Saint-
Hilarre un cens annuel de dix sous, puis, peu après, ils liront une
convention identique avec les religieux de Maillezais, au sujet
du domaine d'Agressay el qu'accepta au nom de ces derniers
leur ahbé, Goderan, évoque de Saintes, le i'^ août 1008.
Ce fut le dernier acte public de la vie d'Agnès dont nous ayons
connaissance. Comme nous savons que dans les derniers temps
de sa vie elle prit ThabiL religieux (2), il paraît nalurcl fpie pour
peu qu'elle se soit conformée aux prescriptiuns de la rt*gle de
l'établissement où elle s'élail retirée, elle dut y finir ses jouis.
Cet événement serait donc arrivé à Notre-Dame de Saintes. On
peut croire que, malade» elle appela son fils auprès d'elle pour
lui faire ses dernières recommandations, car nous trouvons Ouy-
Geoiïroy, le dimanche 2G octobre, au chûleau do Surgères. 11 avait
auprès de lui le coiilident d'Aj^nès, Archembaud, l'ancien arche-
vêque de Bordeaux, et un puissant seigneur du pays, GeoiVroy de
Rochefort, qu'il chargea de satisfaire à la demande que lui lit
Oderic, abbé de Vendôme, el ses moines de faire disparaître les
mauvaises coutumes que le prévôt du comte avait imposées sur
(i) Ai'ch. hi'st, du Poitou, I, p. a4, cartui. Je SaiuUNicoIas Je Puiliers.
(a) « Aguete veru cumilist>a adhuc viveale sed jum ve&te luulala, a ioC8. Métaia
{Cari, sain/, de ta Trinité de Vendàme, p. j3 ; Uesly, //iat. des comtes, preu-
ves, p. 348 bis). L'enirce d'Agnès ea religion sembli; aussi résulter des Icrmcs em-
ployés j>ar le caleudrier de Nolre-Uanic de Vendùiue i|uaDJ il inscrit sou obit : Aprèa
avoir coulracté uq mariage séculier, dil-il,c]le seclioisil uu meilleur époux en prci-aDl
ie Seii^neur pour uiari ; elle vivait dans le moude, mais elle était mûrie pour lui afîu
de vivre avec une plus graude félicite après sa murt, a puïl sa^cularciu aiuriluia Deo
marilo meliori copulata, viveus muaJo, morlua poat morlcm felicius victura «.(Besly,
ffist. des comtes, preuves, p. 34y bis).
3)q6
LES COMTES DE POITOU
leur terre de Sainl-Ai^nan (I). Quelques jours après, le 9 no-
vembre 1068 (le cinquième jour des ides), mourut la comtesse,
celle femme qui pendant Irente-huil années avail jou6 un rôle si
important dans riiisloire du Poitou et de l'Anjou et dont les actes
avaient contribué à placer au premier rang les ducs d'Aquitaine
issus d'elle. Son corps fui transporté dans l'église de Saînt-Mico-
las de Poitiers, qu'elle avait désignée elle-même pour être le lieu
de sa sépulture (2).
On ne saurait dire que la mort d'Agnès était attendue par son
fils, mais h peine la comtesse était-elle disparue qu'il mit j'i exé-
cution un projet auquel il avait d\\ s'arrêter depuis déjà quelque
temps. De son premier mariage avec la fille du comte de Périgord
il n'élait pas issu d'enfant; de son union avec xMalhéode il n'avait
eu qu'une fille et l'on peut croire qu'avec le caractère froid et
positif que ses actes nous dévoilent, il devait f>nvisager avec amer-
tume lasituation dans laquelle il se trouvait el quin'élail pas sans
rapport avec celle de l'homme qui avait été son guide, de celui qu'il
appelait son second père, en un mot de Geoffroy .Martel, Après lui
le pouvoir serait forcément passé aux mains d'une femme et celle
perspective lui paraissait grosse de menaces pour l'œuvreù laquelle
il consacrait ses facultés entières. Donner à son titre de duc d'A-
quitaine sa valeur absolue et le perpétuer dans sa race, telle était
son ambition ; mais, pour la réaliser, il lui fallait avoir une des-
cendance masculine et aprL's dix années d'union avec Mathéode il
lui sembla qu'il ne fallait plus caresser cette espérance. Contrac-
ter un nouveau mariage lui parut le seul remède à la situation.
Nul doute qu'il n'eût rencontré dans sa mère une vive opposition à
ce dessein î dans sa jeunesse, à l'âge oh la passion et l'ambition
(i) Mêlais, Cart. saint, de la Trinité de Vendi'me, p. 5o.
(a) it V idus novenibris. Deposilio domine AgDclis comitissc Piclaveasis. Hee
jacet apud Sanclum Nicbolaurn. i> (Arch. de la X'ienoe, reg. n» 2o5, fol. i80, obt-
tuitjrc de MoDlierncuf.) Les obiluaircs vcndiïmols placcat la morl de la comtesse au
10 novembre, le iv des ides, la veille de la fêle de saint Marlin. Celle date a clé ac-
ceptée jusqu'à ce jour gr.1ce à la publicatioo faite par Besly de l'obituairedc Notre-
Dame de Vendâme {llist , des comtes, p. 3^9 bis), mais il nous scn»l>1e plus sûr d'a-
dopter celle qu'iiidifiue l'obiluairo de Moalîerneuf, documcat du jcv* siècle, il est
vrai, niais t|ui n'esl <jue la reproduction d'un texte plus ancien et qui fournil seul le
détail précis du lieu de rinhurrialioQ de la comtesse. Les extraits des obituaires ven-
dômuis ont été publiés par M. l'abbé Mêlais (Cart. saint, de la Trinité de Ven-
dôme, pp. /| el 5, noie i).
GIJY-GEOFFROY-(il[IJ,ArMI-:
307
N
du pouvoir cliri£;f^aicnt ses aciions, celle-ri avail pu ouvertement
braver los foudres de l'Église, mais avec le temps elle s'élait assa-
gie^eldo fond du cloîlreoîi elle s'était relirée elleaurait éléleplus
redoutable adversaire que le comte aurait pu rencontrer, (^clui-
C! ne s'exposa pas à cette lutte, mais quand il se sentit libre
de toute entrave, il se hâta de se débarrasser de Malhéode, en
invoquant pour cela nous no savons quel prétexte facile et il
demanda en mariage Audéarde, fille de Robert le Vieux, duc de
Bourgogne (1).
La jeune princesse avait vingt ans, Guy-Geoffroy devait compter
environ quarante-cinq années. Non seulement celte union était
disproportionnée, mais de plus elle était réellement entachée
d'illégalité. La plupart du temps, quand les grands personnages
avaient le désir de faire rompre un mariage qui leur pesait,
ils le faisaient dissoudre pour ce motif que les conjoints étaient
parents à un degré prohibé. Or, comme à celte époque l'Église
poussait la consanguinitéii l'infini et qu'elle faisait môme entrer cer-
taines alliances dans ses calculs de parenté, il était rare qu'en cher-
chant bien on ne trouvât quelque raison de nullité. Mais toi n'é-
tait pas le cas. On pouvait assurer d'avance que l'union qui
allait se contracter était précaire, car les deux conjoints étaient
parents ; Audéarde descendait, au quatrième degré» de Guillaume
Tête d'Étoupe, comte de Poitou, dont Guy-GeotTroy était Tarrière-
petit-fils (2).
Ces faits se passèrent en 1069 (3), et la même année, le roi de
(1) Marciiegay, Chron. des égl. d'Anjou, p. 4o4» Saint-Maixenf. Celle clironique
(lonoe à la femme de Guy-dcoiïroy le Dom d" « Aldcardis »; dans le carlulaire sain-
lonifeais de la Triailé de Ventlùnie, pp. 5C et 70, on trouve les formes <( Hildiardis »
cl « Ilildegardis «; on rencoulre encore « Aldiardis » (licsly, //tst, des cornles,
preuves, p. 3çjï) et même «. Alderardiss {Arch. hist . du Poitou, XXIX, p. 84).
(a) Guillaume Tèle d'Etoupe
Adélaïde, mariée à Hugues Capel
Robert, roi de France
Robert, duc de Bourgogne
Hildegarde, aliàs Audéarde.
{Z) Chron. des égl. d'Anjou, p. 4o4, Saint-Maixcnt. Malhéode comparatl encore
avec son titre de comicsse dans un acte de mai 1 ,CS (Rédct,^Jor./j'j.7/> Suint/Jil(ure,l,
3f>8 LES COMTES DE POITOU
L6on, Alforisc le Vaillanl, lit domandor en maringc In fillo que le
comledcPoifou avnilcuo deMalliéodccI qui 6lail nomin^>e Agnès,
comme son aïeule. Celle imion prémnlurôe, car la jeune reine ne
pouvail avoir que neuf ans au [dus, se termina mal, comme la plu-
jjarlde celles decclemps,raaisj enla conlraclant, le roi de Léon,
ii'avail assurément d'aulre but que de se concilier Tamilié et
l'aide en cas de besoin du puissant duc d'Aquilaine (1). C'est
aussi à celle (époque qu'un annaliste place un des faits importants
de la vie de Guy'<;eofTroy, celui qui a surtout contribué, par des
souvenirs palpables, h conserver sa mémoire à travers les siècles.
Kn 1009, dil-il, sur Tordre du comte Guillaume, Monlicrneuf fut
commencé h Poitiers (2). Par Finiportance de sa dotation, par les
largesses que le comte ne cessa de lui prodiguer, cet établisse-
ment ne larda pas à prendre rang parmi les plus notables du
Poitou. Or, quand on étudie Guy-Geoffroy dans ses actes» on ne
trouve pas que son caractère ait pu le porter naturellement à de
semblables générosités.llomme babi le, voire môme retors, prorapt
h faire des promesses, mais aussi h les éluder quand il lui était
possible de le fdire sans rien compromellre, il ne se démentit
jamais à l'égard do Monlicrneuf.
Malgré ces événements, qui marquèrent si grandement celle
année !069dansla viedeGuy-GeofTroyJecomte n'interrompit pas
p. gi). Nous ferons remarquer, sans aulremenl iosisler, qu'elle n'a jamais pris U
qualité de ducliessc, tandis que son mari, particuli^cment dans cet acte où leursdeux
signatures se suivent, est qualifié de duc des Aquitains.
(i) C/irori. dcsèfjl. (l'AtiJoii, p. ^o^j Sainl-Maixent. Alfonse nyanl ajouté à sa
couronne celle de Caslille, par suite de la mort de son Frère Sjnche adicnue le G oc-
lolire 1071, c'est sous ce titre de reine de Castille e« de Léon ipie l'on relève la pre-
mière menlioQ cJ'Aguês ; comme l'acle où elle coiiiparall en celte qualité est du
16 juin 107.^,00 eut en droit de conclure que c'est seulement daoa le courant del'aDDée
1073 ou eu celle nicnie année 107^ que la (îlle du comte de l'oitou, alors ûgîe de qua-
torze ans envifOD, vint rcj">indre son époux. Ne lui ayanl pas donne d'cufanls, elle
fut répudiée on ne sait pour quel molif, sous celui de parenté selon quelques-uns,
et elle éiaJt rciuplaccc dès 107^1 par Cooslance de Uourgofïne, veuve du comlc Hiia^ucs
de ChAlou et su^ur de la dernière femme de (juyGejfFroy ; Alfonse, après avoir clé
le (jfcndre de ce dcruicr, devint ainsi son beau-frère. Quant ù Ag^ucs, rendue libre à
l'à^e de vingt ans à peine, on ig^nore son sort postérieur (Roiney, llisl. d'Espagne,
V, p. 3O9: Alt de vérijier tis dates, p. 801)).
(2) Chron. des cjl. d'Anjou, p. /So4. Sainl-Maixent. Celle dale de ioG() a été reje-
tée par M. de Chergé dans son Mémoire liis torique sur l'abbaye de Monlicrneuf de
l'oiticrs {Afdm.de I2 Soc. des Aritiq. de l'O.iest, f série, XI, l^^, pp. i54-«6S),
equel fait parùr la fondation de celle abbaye de raûDce 107J bculemcul. Nous com-
battons plus loin celte opinion qui, depuis celle publicalioa, urait clé adoptée par loua
nos bistoriens locaux.
GUY-GEOFFROY-GUILLAUAfE
3oO
le spérôgrinalions qu'il élail dans ses habitudes de faire au Iravers
de ses étais. Sa présence raiïcrmissail les dôvoiiemcnls et empo-
chait les rébellions de se produire , devant lui venaient aussi so
Irai ter les affaires importantes que ses délégués n'avaient pu
résoudre. Aussi pour bien saisir le caractère de ses actions cl
par suite pour bien faire son liistoire est-il indispensable de le
suivre chaque année dans ces voyages, qui n'avaient pas pour
objet de répondre à des besoins de locomotion, mais qui étaient
œuvre de politique.
Dans le courant de l'année, étant donc à Saint-Jean il'Angély
en compagnie de l'évoque d*Angoulèmo,du prévôt et de l'archi-
diacre de Saintes, et autres, il donna son consentement au don,
que fil à l'abbaycOstende de Bezenac, do la moitié de ses droits
dans les offrandes et les sépultures de l'église de Pérignac,
qui, du fisc du comte, étaient passés aux ancêtres de sa femme
Eufémie (1).
Le ;i mai 1070, il se Irouvait en Gascogne, dans le monastère do
ia Castelle,qui avait été le théâtre de l'un de ses premiers exploits;
ce jour-là, il confirnia les donations faites à l'église de Sainl-
Seurîn de Bordeaux par Guillaume-Sanclie et Bernard-Guillaume,
ses prédécesseurs (i).
L'année suivante ^071), se tenant à Saintes dans le dortoir du
chapitre de Saint-l*ierreoù il avait sans doute pris son gtteen com-
pagnie de Boson, comte de la Marche, Pons, le sacristain deCIuny,
qui se trouvait en ce lieu, oblint de lui qu'il fit abandon de tout
droit de coutume sur les choses qui pouvaient élre envoyées à
(i) D. Fonleneau, XIII, p. 173,
(2) La meotion de ce Foilcst fourme par un extrait du cartulairc do Sa'int-Scurin,
donné par Besly {/Jisl.des cunites, preuves, p. 355 bis). Ce texte, qui ne so trouve pas
dti reste dans Icdilion du Cartulairc de Saiat-Scurin donnée par M. Itrutaifs, a ouvert
la porte à ecrlaines apprécialJoiia qui ntius paraissent erronées. Il dit en effet nue le
comte avec une armée nombreuse, a iunumerabili, vreniporlail dnus ce lieu delà Cas-
telle» eu 1070, une triomphante victoire sur aes coneinis, a triunipkabal insii^ni Vic-
toria », Or ceUe indication est eo désaccord avec le passade d'une autre charic de
Saint-Seurin, de celle même année 1070,011 il est rapporlC(]iie Guy-Geoffroy gouvernait
alors en paix ses étals, « |>ace ac justicia cluentc v (BrulailSj Cart. de Sainl-Seurin,
p. 1^; Ucsly, HtsI. des comtes, preuves, p. 3â4 l>ïs). Les cïironii<[aeura ne signalaal
aucun fait de guerre pendant celle année 1070,1! noua parait hoTA de doute ijuc Dc^ly
a d(i commettre une légère erreur delrunscription en écrivant a iriumpbabat d au lieu
de 't iriumphaverat w, expression qui pouvait rappeler la victoire de io03. Nous reje-
tons par suite touie intcrprélalioa de ce mot qui tendrait à repousser à l'année 1070
U soumission de la Gascogae advenue sept ans auparavant .
3ro
LES COMTES DE POITOU
Cluny, soit pour la nourriture, soil pour la vêlure des religieux;
à son exeniple, et on peut ajouter sous sa conlrainle, le gouver-
neur raililaire de Saintes, Francon, renonça à tous les profits
qu'il aurait pu rclircr de celle redevance coutumière (1).
Celle même année, le 22 octobre (xt des calendes de novembre
1071), lui naquit un fils qu'il appela Guillaume, pour se confor-
mer à la tradilion de famille qui alLribuaii ce nom aux fils aînés
des comtes, présumés leurs héritiers direcls (2). A partir de ce
jour on constate un changement significatif dans les façons d'agir
de Guy-Geoffroy. Jusque-là, il n'a guère manifesté h. l'égard de
l'Église que des sentiments assez lièdes ; du moment où il lui est
né un fils, il devient tout autre. Pour consacrer la légitimité de son
enfant il lui fallait faire reconnaître l'union contre laquelle la cour
de Home, à défauld'un évèque trop soumis, s'était élevée dèsqu'elle
fut contractée. Il cherche dès lors les occasions de faire des gé-
nérosités aux églises et elles ne manquaient pas, car bien que
nous en connaissions beaucoup elles ne sont assurément pas
venues toutes jusqu'il nous. 11 s'humilie mème^ tout en restant le
puissant duc : « GaufFredus peccalor quidem, sed gralia Dei
dux Aquilanorum (3). »
Nous ne savons au juste rien de ses actions pendant l'année
1072, mais en 1073 l'abbé de Cluny, qui voyageait pour lors en
Poitou, obtint de lui des dons importants en faveur de l'abbaye
de Saint-Jean d'Angély que dirigeait Eudes, un des plus actifs
agents de la réforme de Cluny dans la région et que nous verrons
plus lard spécialement attaché à la direction spirituelle de Guy-
GeolTroy. Le comte, se trou vaut avec eux dans ce monastère de Saint-
Jean, abandonna aux religieux l'église et k villa de Loulai avec
toutes leurs dépendances ainsi que les dîmes de la Jarrie (4). Ce
{]) Bruel, Chnrtet de Cluny, IV, p. 555.
(2} Mnrchesfay, Chran. des églises dTAnjoa, p. l\o!\, Salnl-Maixeat. Paluslre, dans
son Histoire, de Guillatime IX, p. ii3, note 2, ajoute h ce fail cet autre que le jeune
comte fut ba[itis«5 le jour de P;l<iu<is de l'anai'îB 1072; mais non n'est moins cerlain,
car, s'il clail d'usiiçe qu'à celte époque on ne biiplisait ijue pour les fctesde Pâques el
de Pcnlccôle, les grands seigneurs féodaux, sur ce point comme sur bien d'autres,
savaient s'alTraucdir des rèçleraeals ecclésittslif|ues.
(3) Arch, !ii.tt. de lu Girondn, III. p, f^\, d'aprci une tpanscription faite sur les
reg^istrcs du Biire.*iu des finances.
(/|) D. Fonteneau, XIII, p. i8r.
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
3i
fui vers celle époque, peut-êlre môme dans ce voyage qu'il donnu
au môme monastère une mélairie en Aunispour le luminaire de
l'autel de saini Jean. H lui concéda aussi touLes les coutumes
qui avaient été mises sur le domaine de l'abbaye depuis la mort
de son père et le pasquier quise trouvait dans le faubourg (1), Nous
ne saurions dire si tous ces biensapparlenaienl régulièrement au
comte, mais il est certain qu'un beau jour une réclamation s'éleva
au sujet de la dîme de Loulai. Gautier Muschel ou Muscat la reven-
diqua comme étant son bien propre el, pour obtenir son désiste-
ment, l'abbaye dut consentir à inscrire dans son marlyrologo le
nom d'Oda, femme de Gautier, et donna 100 sous à son lîls (1).
Celle même année Guy-GeolTroy eul encore à s'occuper du Li-
mousin, et ce fut assurément sous sa conlrainle qu'Adémar, qui
n'avait pas rempli son engagement au sujet de l'abandon
de Sainl-André au chapitre de Suint-Élienne pour l'indemniser
des dévasialions qu'il avail commises sur les domaines de l'évè-
ché, s'humilia et, pieds nus, en costume de pénitent, se rendît à la
cathédrale où, assisté de ses deux (ils, il renouvela le don de
Sainl-André el renonça en outre en faveur du chapitre à son alleu
de Massiac (3).
La puissance duduc était loutefois dès lors si bien reconnue de
tous que l'on voit l'empereur d'Allemagne, Henri l\\ qui du reste
élailson cousin germain, lui demander des secours en 1074 pour
comballro les Saxons. Guy, pleinement édifié sur le peu de profil
qu'il y avail à retirer pour lui d'expéditions lointaines, répondit à
l'empereur qu'avant d'arriver jusqu'àlui il lui faudrait vaincre la
résistance de tant de Francs, de Normands et même d'Aquitains,
qui les séparaient, que l'exécution de ce projet était tout à fait
impraticable (4).
(i) D. Fonteneau, LXlI,4i. 587 ; Bcsij, fïisl. (tes comtes., preuves, p. 386.
(2) D. Fonleaeau, LXIIl.p. 23, charte noa datée du cartulatre. de Saint-Jeao.Palus-
Ire [Ifîst. de Guillaume IX, pp. i ir>-i 17) place en 1078 une expédition de <-!uy-Geof-
frny contre Foulques, comte d'Angouléiiie, entreprise à fa sollicitation de Guillaume
Taillefer, évéque d'Angoulêtoe et frère de Foulques. Ce dernier, après un premier
échec, aurait lutté contre le comte de Poitou sous Cognac et aurait délivré MorUgne
qui était près de capituler. C'est à ces faits que se serait boruc cette prise d'armes
qui n'a pour g-araat que Yllisloria pontijîcum et coiniliim Enrjulismensiam et qui
peut aussi bien se r^ipporter à Guillaume Aigret qu'à Guy-GcoiTroy.
(3) Gullia Christ., II, iustr., col. 173.
(4) Besly, //ts/. des cnmies, preuves, p. 336 bis, d'après Brunon, f/ist . Je bello
Saxunico.
I»
LB!
ÎMtES DE POITOU
La grande préocciipalion de Guy-fifoffroy étail, nous l'avons
dil, d'assurer sa siico.ession au fr!sd'Aiid6arde ; plie éclate dans
un grand nombre de ses anles. Ne pouvant, comme le roi de
France, faire sacrer son fils par aniicipalion, il prenait la pré-
caulion de le faire comparaître à côté de lui dans des actes
publics, afin qu'il fût bien reconnu par tous comme son liéritier
et futur successeur. Le jeune riuillaume avait h peine deux ans
quand le comte le fait intervenir, te 3 mars t074 (v des nones),
dans la reslitulion qu'il fil à l'abbaye de Maillezais de la terre de
Xanton dont sonfrère Guillaume Aigret l'avait dépouillée. Ce der-
nier, bien qu'il eût été témoin avec (iuy-Geoffroy de la donation que,
dans leur enfance, leur père Guillaume le Grand el Agnès avaient
faite de cette terre ri l'abbaye, la lui avait enlevée pour en gratifier
Tliibaut Cbabol, lequel, pour ce mol if, resta excommunié toute sa
vie. Le comte se tenait dans une chambre de son chftteau de
Mervenl quand il fit cotte largesse aux moines de Maillezais, et
comme un certain Gaultier l^'uliil pouvait revendiquer quelques
droits sur l'objet de la donation, il le désintéressa en lui donnant
2000 sous en présence de témoins. Mais l'acte ne fut rédigé que
quelques jours après ; le 7 avril (le vu des ides), se Irouvant
encore dans le pays et ayant pris glle dans la maison d'Airaud
de Forges, il chargea le moine Audebert d'écrire la charte, que
souscrivirent à sa demande toutes les personnes de sa cour, « ses
hommes et ses amis,); qui, outre son fils/'taicnllsembcrt, évoque
de Poitiers, Boson, comle de la Marche, Hugues de Lusignan,
Ebbon de Parlhenay et autres grands personnages (1).
Le 17 octobre, il se rendit à Noaillé à la requête de Geoffroy,
fils d'Hugues de Saint-Maixent,qui voulaitassurertoulesgaranties
à l'abandon qu'il fil ce jour à cette abbaye de l'église de Fouras
en Aonis et de ses dépendances qu'il tenait en fief du comle;
celui-ci était accompagné des évèques de Poitiers et de Saintes
qui reconnurent la validité de la donation (2).
Audéarde n'a pas paru dans cet acte d'un intérêt relativement
secondaire, mais lorsque Guy-GcoCfroy concéda gratuitement el
(i) Lacurie, f/isl. Je MaiUt'^ais, preuves, p. 21O. Le jeuDC comle comparait ainsi :
« E^i> -f- Guilldtnuii couceio lionum pulrîs iiici. »
(2) I>. Konlencaii, XW, p. /[Sy; Fiiye, Noies sur quelques chartes de Foaras {Dali,
de la Soc. des Anl. de l'Ouesl, i" série, V, p. 3 28).
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
3r3
sans aucune récompense le lieu de Sainle-Gemuiii ou Saiiiloiigc
à Durand, abbé de la Chaise-Dieu, pour y établir trois religieux,
la comtesse fui présente à cet acte ainsi que son fils el y donna
son assentiment formel; deux grands seif^nours saintongeois,
Arnaud de Montausier el Guillaume Frecland, se trouvaient sur les
lieux ainsi que Foulques, comle d'Anjou, qui à ce moment était
évidemment tolalemenl réconcilié avec le comte de Poitou (1).
On constate encore la présence d'Audéarde à Saintes, l'an-
née suivante (1075), pendant la tenue du synode général qu'y
présida Tarchevôque de Bordeaux assisté des évèqucs d'Anfj;ou-
lêmo, de Saintes et de Périgueux et de nombreux abbés. Aux
côtés du comle de Poitou se trouvaient Audeberl, comle de la
Marche, Hugues de Lusignan, Géraud de Rançon el plusieurs
chevaliers de ce pays.
Lors d'une des réunions du synode le comte et les prélats recon-
nurent la fondation de l'abbaye de Sainl-Éticnne de Vaux par
Arnaud, fils de Gamnion. Depuis ûéjh quelque temps celle œuvre
était en chantier; l'idée première en était due à Pierre, frère
d'Arnaud, mais il élail mort el ce dernier en avait poursuivi scru-
puleusement l'accomplissement. Il avait oblenu tout d'abord l'as-
sentiment du duc d'Aquitaine, de Tévôque de Saintes, Goderan, et
des grands seigneurs de la Sainlonge ; puis il conslruisit les billi-
menls claustraux dans lesquels vinrent s'installer des religieux
que Goderan détacha de son abimye de Maillezais, sous la direc-
tion de l'un d'eux, nommé Martin. Quoique celui-ci fût décoré
du litre d'abbé, le nouveau monastère fui mis toutefois dans la
dépendance de Maillezais (2).
(i) Besly, Hiit.des comtes, preuves, p. 879 bis.
la) Grasilier, Cart. inétUts de fn Saintunfji', p. /|i,Vaux. GoJerAQ mounil le viu
des ides d'août (6 août) 1078 (Arnauld, Hist. de Maillerais, p. 8i), el eut Hos.iri
pour successeur (Murchegay, Chron, des égt, d'Anjou, p. ^a^y, Saint-Maixcal ; Tau-
leur de la chroaiquc a placé ce fait sous l'aiioée 1074» mais celle date doit être
reclifîée par suilc du sjDchrooismc de ravèaement de Grégoire VII au Irôue pontifi-
cal qu'il indique dans la même anuée et qui eut lieu eu 1073). Le Gallia et les hista-
rieas qui ont dcrit d'après lui oui commis de nombreuses erreurs au sujet de révéquc
Boaon; ils en font le compétiteur de Goderan cl suppoicQt qu'il aurait pu êlrc 1 clti du
chapitre de Saintes. Pour élayer leurs dires, ils s'iippuyenl sur une charte du cap-
lulaîre de Saint-Amaal de Uoixe de iol56 et sur uoe atilre du cartulaire de N.-l). de
Saintes de 1071, qui ont été iacxacteineut dal^'ca. Il en est parciltcmi^nt de l'opinioa
de certains écrivains qui, ayant rencontré une charte du cartulaire de Notre-lJame
de SatQles de l'ao 1080 (p. 43)1 où il est queslioa de Goderan^ te font vivre jusqu'à
3i4
LES COMTES DE POITOU
En prôsence du comte, l'abbesse de Notre-Dame de Sain les
donna ÎÛO sous à H61ie de Born pour niellre fin aux récla-
mations incessantes de ce dernier qui prétendait n'avoir con-
senti à la donation de 1067 que contraint et forc<^ par Oslonce
de Taillebourg (I). Enfin, continuant son voyage avec Audéarde
et se trouvant avec elle k Monlierneuf, monastère que venaient
d'ôdifier les religieux de la Trinité de Vendôme, il leur donna
ce qui lui appaiionail dans lelireuil do Saini-Forlunalet posa lui-
même la cliarle sur l'autel avecle livre des collectes en disant aux
moines : « J'avoue que lecadeau queje vous (atsprésenlement est
de peu de valeur, mais si Dieu prolonge ma vie, sachez que vous
en recevrez de plus consid<5rables. » Il retourna en effet dans ce
lieu quelque temps après et augmenta sa donation première (2).
Comme on le voit, le comte de Poitou donnait de fréquentes
preuves de son bon vouloir à l'égard des églises, mais quels que fus-
sent ses elTorls ils restaient impuissants et ne pouvaient arriver à
désarmer le pape, qui, plus grand était le coupable, se montrait
d'autant plus sévère dans la répression. Ce pape était alors Hilde-
brand, le rigide Grégoire VU, quivcnaild'èlrcôiu le 22 avril 1073.
Le pontife étendait sur loulela cliréliontéson regard inquisiteur et
s'enbr(;aitde réprimer les abus qui menaçaient de toutes parts l'É-
glise et la Société. Il s'atlaquait aussi bien au clergé qu'aux grands
seigneurs séculiers et sa main vigoureuse ne reculait devant rien.
A Poitiers, la situation était depuis longtemps tendue. L'évéque
Isemberl II appartenait à une grande famille féodale, qui, en fai-
sant monter successivement quatre de ses membres sur le trône
épiscopal qu'ils occupaient depuis un siècle, en était venue à con-
sidérer l'évêché comme un tîef familial, fief puissant parPétendue
de ses domaines lerriloriaux.
D'autre part, la trésorerie de Saint-Hilaire, dignité qui faisait
de son titulaire le chef de ce riche établissement, situé aux pories
du Poitiers gallo-romain dans lequel il ne devait pas larder à être
cette date; l'auteur du carlulaipe, qui a transcrit cet acte, atlù commettre une erreur
de nom et inlerpréter sans nu! duulc la leitre îniliale du nom do rûvêquo de Saiotes
qui devait être un B par la lettre <ï, tjui lui a fourni le nom de Goderau.
(i) CffN, lie Noh'e-Otime de Saintes, p. a4. Cet acte n'est pas date, mais il se
place forccmeat à celle tfpoquc ,
(a) Métais, Cari, saint, de la Trinité de Vendôme, p. 55.
CLTY-GEOFFRO Y-GUILLAUME
3i5
compris, était occupée par Joscelin, à la fois seigneur deParlhe-
nay el arcUevôquc do Bordeaux, qui, mêlé inliaiemenl, en vertu
de sa qualité, aux aiïaircsde l'évèché de Poitiers, soutenait contre
son chefunc lutte qui devenait de plus en plusilpre.Isemberl sym-
palUisail ouvertement avec BérangerJ'archidiacre d'Angers, dont
les doctrines hérétiques sur la présencoréelle soulevaient dans le
clergé d'ardentes discussions. Joscelin, qui avait été Tami du ré-
formateur et avait d'abord incliné vers lui, s'était retourné et était
devenu le champion in(raital>le de la foi catholique romaine.
Celte conversion s'était produite h la suite d'un voyage à Rome
que Joscelin avait dû faire pour répondre à une invitation dti pape.
Bien que l'archevêque de Bordeaux ne semble pas avoir adopté
sur le fond les erreurs de Déranger, il n'en professait pas moins
certaines opinions hétérodoxes. C'est ainsi qu'il avait voulu pros-
crire dans son diocèse les croix et les crucifix ; Alexandre II lui
écrivit h ce sujet en 1073 et lui inliraa,sous peine d'excommunica-
tion,d'avoir à changer de sentiment el de venir se justifier devant
lui(ij.
Chacun des deux prélats avait ses partisans ; au premier rang
se trouvaient les chapitres dont ils étaient les chefs et entre qui
la lutte prit un caractère d'une vivacilé extrême. Afin de ratta-
cher la cour de Homo à sa cause, Joscelin poussa les chanoines de
Sainl-Hilaire à demander la protection du Sainl-vSiêge et le pape
leur accorda cette faveur par une bulle du 22 avril 1074(2). Mais
(i) Analecta juris ponltficii, X, p. 407.
(3) CeUebuite porte riridicatioii du \ ij&<i calcudes de mai, indtcliun xr, c'est-à-dire
du aaavrit, l*an premier du ponlitiral de fîréjjoire VII.D. FaiiteDcau {X, p. 35[)acru
devoir interpréter ces nicotions numérales en attribuant h. cet acte la date de loyS ;
coiiimo llildebrand fui élu pape lo 22 nvril 1073, il eonsidtirc que la bulle fut délivrée
ce jour même, qui tombe bica dans In première unuêcdu ponliKcal du pope, et de plus
qu'il répond à l'indiclion xi qui est le chiflre do cette année 1073. Rcdet, qui a publié
cet acte dans ses Documents pour V histoire de l'é'jlist de Saint-Hilaire de Poitiers
(î, p. 93), le met à l'année 1074, mais sans indiquer les motifs qui l'ont gruidé ; nous par-
tageons sa manière de voir pour lc3 raisons suivante» : (jréi,niirc\'n,ëlu le 22 avril f073,
ne fut sacré que le 3o juin suivanl et, jusqu'au jour de sa cousécratiun, la auscription
de ses bulles est ainsi conçue: « Greiforîus in ilomanum poulificcmi electua, salutem
in Domino J, -G. »; pûslérieureraenl,il reprend b formule ordinaire des papes : « Epis-
copus servus scrvorum Dei. » Or comme njtre bulle porte cetledernicrcsuscriptionellc
se place évidemment après le 3o juin 1073; d'autre part, cjmine tîrcçoirc VII faisait
partir le cbiiTre de l'indiclion du i*' sepicmbre de chaque année, il résulte de ta coos-
lalatioii L|uo nous venons de faire plus haut que, pour sa cbancellerie, l'indiclion xi
parlait du !•«■ septembre in-j^ et ijuc, par suite, le 22 avril de l'indiclion xi et de la
première année du pualiJical de Grégoire Vil lonibail le 2î avril de l'unuée 1074.
3i6 LES COMTES DE POITOU
cel acle n'arrêta pas les entreprises d'Iseinbert el d'autre pari
lesclianoines des deux établissements rivaux continuèrenl à se
porter de mutuels préjudices. Aussi au printemps de Tannée
t07o Joscelin se rendil-il de nouveau à Rome et exposa la situa-
tion au pape. Celui-ci envoya aux parties coup sur coup deux
lettres qui nous font connaître certains épisodes de celte rivalité.
Dans la première, en date du l.'i mars 107;j (1), adressée aux cha-
noines de Sainl-Hiiairc, Grégoire VII leur ordonnait de laisser
le chapitre de l'église calliédrale en possession des usages qu'il
praliquail le jour de la double fête de saint llitairo et de la Tous-
saint, alors qu'il se rendait en procession dans leur église; dans la
seconde, datée du 12 avril 1075 (2), le pape enjoignait à Tévôque
de Poiliers de se présenter devant son métropolitain au concile
des év&ques de sa province et d'y répondre aux plaintes portées
conlrc lui par les chanoines de Saint-Hilaire qui t'accusaient de
détenir injuslemenl l'abbaye de iNoaillé, laquelle élait de leur dépen-
dance,d'avoir commis des dévastations dans leur terre de Cliam-
pagné-Saint-Uilaire, et d'avoirélé l'instigateur du refus qu'avaient
fail les chanoines de Saint-Pierre de laisser entrer ceux deSainl-
Hilaire dans la cathédrale le jour des Rogations. Enfin, prô-
(i) Lablie, Concilia^ X, col. 4?; llardouin. Coll. concil.,\l, i'» parlie, col. ia38.
Rédet, qiii,dnns ses Docii/itents pour Satnl-ffilnire, I, p. qS, ne publie pas cette pièce,
mais renvoie aux auteurs précilcs elluî donne la date du i3 mars iofli^ a commis ea
ce FaisaiU une erreur qui a é\é cause de la confusion 4]ue l'on rencoutre dans loua nos
historiens au sujet de ces événements. Celle lettre doit être mise k l'anaée io;5. En
efr<?t clic est ain»i datée: a Data Bomn^ in sjnodo, decimo octavo kalenda» aprili.s,
indîctione duodecima. » Op, comme nous l'avoua établi dans la note précédente, l'in-
diction xii, commençant au premier septembre loy/j, et se terminant à la même dalc
de raauéc lojô, le .wui des calendes d'avril (t5 mars) de cette iudictioa tombe for-
cément dans l'anaée 1075.
(a) Cette lettre a été imprimce parle P. Labbe, Concilia, X, col. 58, par le P.
HardouÎD, Coll. concii., VI, !»■« parlie, col. i25o, et par le Gallia Christ., Il, col.
iiOÔ, qui la place en 1073 ou en 107/). Rcdet i Documents pour Saint-Hilaire, I, p.
g3) adopte la d.ite de 107^}, mais pour les motifs que nous avons exposés dans les
notes préccdcalestloou.'i parait que l'on doit mettre à l'Année 1075 celle lettre qui estainsî
datée ; il Data Romaî secundo nixia aprilia (12 avril) indiclione duodecima. ■» Rédet
nous parait avoir aussi commis une erreur dans l'analyse qu'il donne de cette pièce
eu disant qu'Iacmbert devait se présenter devant son métropolitain, « au concile alors
assemblé à Poitiers »; iln'c-st lîullemenl question dans la lettre du pape d'une réunion
synodale se tenant en ce moment à Poitiers, celle-ci aurait du reste cessé depuis long-
temps de fonctionner quand la lettre pontiCcalc serait arrivée dans cette ville. 11 y
est simplement dit qu'lscmbert devra se rendre au synode des évêques, sans spécifi-
cation de J.ite ni de lieu : « Prœcipimus ul te reprvpscntcs in concilio cpiscoporura
provinciîe vestne metropolitano luo. ■ Ce synode devait èlrc celui de SaiD(-.Mai-\ent,
({ui se tint au mois de juin suivant.
GUY4".E0FFR0Y^UILLAUME
3i7
voyniîil le cas où il négligerait de se rendre au synode provincial,
il l'ajournail à venir auprès de lui dans lafi^lode la Toussainl pro-
chaine pour y dèballrecontradit^loirement avec quelques chanoines
de t-'ainl-llilaire les questions restées lilii;ieuses entre eux. Isem-
berlse garda bien de se présenter devant l'assemblée présidée par
son adversaire. DéjJt, le i:{ janvier de celte année 1075 (le jour
des ides), il s'était tenu dans sa ville épiscopale un concile présidé
par le légal Giraud, dans lequel on discuta si vivement les opi-
nions de Béranger qu'une lutte s'étanl engagée entre les deux
partis l'hérésiarque manqua d'y être tué (1).
L'assemblée devant laquelle aurait dû comparallro ïsemherl
se réunilà Saint-Maixenl le M et le 25 juin de cette même année
(viî et Viii des calendes de juillet). Celle-ci ne devait passe con-
tenter de se prononcer sur le cas d'Isembert et des chapitres ; elle
avait une mission aulremenl importante^ qui était d'exami-
ner la situation maritale du comte de Poitou et de décider s'il y
avait lieu de prononcer la nullité de son mariage avec Audéarde.
Guy-GeolTroy devait s'attendre à celle extrémité et nous ne pen-
sons pas beaucoup nous avancer en disant que ses générosités à
l'égard des églises n'avaienl pas d'autre but que de la relarder ;
mais il avait déplus fail des promesses au pape et il les avait élu-
dées. En elTct, le 7 avril 1073 (vu des ides), Grégoire Vil lui
écrivit pour savoir ce qui l'avait empôcliô de lui envoyer
les chevaliers qu'il lui avait prorais pour soutenir les intérêts de
Saint-Pierre en Sardaigne ; le temps propice pour agir étant pas-
sé, il ne lui réclamait plus rien h ce sujet, mais il lui demandait
de rester toujours inébranlable dans saUdélité au Saint-Siège [ij.
(i) Marchcgnj, Chron. des égt. d'Anj'oittp. 4o6. Sainl-M.iîxenl. L'.-lr/ de vérijier
tes dates, p. 206, place co concile en 107/^, disant que le P. Paçi s'est trompe en
lui donaaal la date de 1070, vu que le légal Uiraud était revenu à Home en 1074- L.c
P. Pagi élADt d'accord avec la chronique de Saial-Maixeat^ nous mainlennos la date
que celle-ci noua fouruit et que la raisou doaaée p&rVArt de vérifier les dates n'in-
firme DuUeuieat. En cfTet, on possède une lettre de Grcg'oire ^'II à l'arclievi^quc de
Bordeaux, ea date du >5 novembre 1076, dans laquelle il lui dit qu'lsemberl a été
interdit de ses fonctions ecclésiastiques par sou lé^at Giraud, évoque d'Ostie ; or, ce
fait n'a pu se produire qu'après que le pape eut pris connaissance des difKcultés cuire
Isembert et Joscelio, c'est-à-dire dans le.'courant de l'année 1073. A cette époque, le
légat ue se trouvait donc pas à Rome, mais cerlaincmeut en France^ où il présidait
quelque assemblée s^odalc.
(î) Labbe, Concilia^ X, col. 58.
3i8
LES COMTES DE POITOU
D'aulre pari, devant riiiaiiilé des engagements pris par le conile
de Foilnu le pape jugea opporlnn d'agir, ei il le fil vigotireiise-
menl, selon sûnhabiliide,en ordonnant à son légatde porter devanl
une assemblée ecclésiastique la queslion de la légalité du ma-
riage du comte. Le synode provincial se tint donc à Sainl-Maixenl
au mois de juin 1075, sous la présidence de l'archevêque de Bor-
deaux, assisté d'Ame, évèque d'OIoron, légal du pape, de Guil-
laume, évêqued'Angoulôme, et de nombreux membres du clergé.
Le métropolitain avait fait choix de Saint-Maixenlpourlatenuede
l'assemblée afin que ses membres fussent moins exposés aux ten-
tatives de suggestion des partisans du comte aussi bien qu'aux
actes de violence qu'ils pourraient essayerde commettre. Maisleur
éloignement de l'oiliers ne les en préserva pas. Isemberl envoya
à Saint -.Maixent une troupe de ses chevaliers qui rompirent les
portes du monastère, insultèrent gravement le légal el l'archevêque
el accablèrent les autres membres du synode de menaces, d'injures
et de sévices graves. A la suite de ce coup de force l'assemblée fut
dissoute, mais toutefois elle ne se sépara pas avant d'avoir pronon-
cé contre Isembert l'interdiction de ses Ibnclions épiscûpales(I).
Au su de cesnouvelles, le pape, vivement irrité contre l^évôque
de Poitiers, lui écrivit une longue lettre le 10 septembre ; après
avoir relaté tous les actes réprébensibles dont il était le fauteur,
il l'ajourna devant lui à la prochaine fêle de saint André (30 no-
vembre). 11 lui annonçait en môme temps que s'il se dérobait
à cette invitation, à moins que ce ne fût pour un motif irréfra-
{i) Marcli<»!fay, Chron, des égl. d^Anj'oii, Saint-Maisçnl ; Gallia Chrtsl., II, col.
iiC5-nût) ; lîesly, Hîst. des comtes, preuves,)). iiOô bis. La chroaiquc de Saial-Mai-
xeol s'ctaal liûrnée à êouncer la date du sjuodc tenu Aaas ceUc ahbaye et à citer
les noms de quelijues-uns des assistaola, on était indécis Rur la question de savoir
quels étaient les objets qui y avaient été traités. Nous y plarons les çraves événe-
meats que nous venons de rapporter. Palustre el les autres historiens de notre temps
dooneoL l'éi^lise de Siiint-lliluiro de Poitiers pour iht'Atre des désordres qui se com-
mirent. Cette attribution aous parait être déineulie par les termes de la lettre <]uc le
pape écrivit à Isembert le lo septembre 1076 (Voy. plus bas), el dans laquelle il
reprochait à révcque de Poitiers les troubles apportés par lui à la tenue d'ua concile
prébidé par Josceliu el réuni dans un monastère, « mouaslerium ». Celte expression
doit l'aire rejeter absolument l'attribution à Saint-IIilaire, qui était une collégiale et
qui, dans les lettres du pape aussi bien que dans les textes du temps, est désigné par le
mol <c ecelesia »; pour le même motif, il ne saurait être question de l'cj^flise cathédrale
de Poitiers, et comme nous savons par la chronique qu'il se tiinl un concile à Saiat-
MaJxcut au mois de juin, on est absolument fondé à placer dans Ce monaalére l'as-
semblée rappelée dans la lettre du pape du 10 septembre suivant.
GUY-GROFFROY-GiriLLAUME
a m
gable, il le privcrail dores cL df''jfi du droit d'exercer loul ofTine
sacerdolal el de parlicipalioii à la sainte communion. Il frappail
de la m6mo pénalilé lous ceux qui s'élaiont fails les exécuteurs
de rallenlal que l'évêquc avait perp^'l ri' conire les membres du
synode, jusqu'à ce qu'ayant donné satisfaction aux injonctions du
pape^ celui-ci les relevât delà peine qu'ils avaient encourue (1). F^e
même jour Grégoire écrivit au comte de Poitou. Celui-ci, tout en
acquiesçant à ce que son cas fût porté devant une assemblée reli-
gieuse, ainsi qu'il avait été fait, s'était servi de sa sœur Agnl»s,
l'ancienne impératrice d'Allemagne, qui résidait à llomc, pour
obtenir qu'il lui fût permis de garder sa femme auprès de lui jiis-
qii';i ce que le synode qui devait spécialement en connaître se fiU
prononcé. Le pape, bien qu'il déclarât avoir la plus grande défé-
rence pour rimpéralrice, qu'il considérait comme sa mère, n'ac-
ceptaitpasce compromis, llsemétiait, disail-il, desimpulsionsdia-
boliques etenjoignait au contraire au comte d'éloigner Audéarde
de lui afin que la réforme de sa conduite el sa déférence envers
les préceptes divins servissent d'exemple à lous (12).
On le voit, Grégoire Vil ne semblait pas rendre G uy-GeonVoy res-
ponsable des actes de violence qui avaienlélé commis îlSaint-Mai-
xent ; il est même possible qu'il y soit resté étranger en fait, mais
de ce qu'il ne les prévint pas, on peut dire qu'il leur donna une
approbation tacite. Du reste, pour Ûéchir le pontife, il lui avait
otTert de se mettre au service de Saint-Pierre pour comfialtre les
infidèles, mais le pape sentait sans doule que le moment n'était
pas encore venu et il se contentait, tout en remerciant le comte
de ses bonnes dispositions, de lui dire que le bruit courait que les
chrétiens avaient repoussé les ennemis de la Croix et qu'il con-
(i) I^bbe, Concilia, X, coL Orj; Besly, flist. des corn/nx, preuves, p. 3tîô Lis.
Celle leitre porle celle date; « Data Til>uri, quarto idus seplembris, itidiclionc iiic!-
piente dccimu tcrlia. i D'après les calcula auxquels nous nous sommes précédeniciicDl
livré la dale ci-dessus correspond au lo septembre 1076 cl il ncsaumtty avoir désor-
mais aucun duule sur la faron dunt la ctianceUcrie papale coinjttail tes indiclions» ces
njols « indictione incipicnte décima lerlia jj, témoignant bien qu'il faul friirc partir
celle iudiclion xin du premier septembre prccédenl. Besly place cette lellrc et les
suivantes dans l'annce 1071»; Palustre [llixt. de Guillaume IX, p. 127) lui attribue
celle de 1074; nous cspérous avoir démoDlré que la date de 1075 est la seule qui lui
convietuie.
(2) Labbe, Concilia, X, col. 70. Les auteurs du Gallia Christiana, qui reprodui-
sent cet acte (II, col. 11 06), a'ont pas cherché à loi assigner une date exacte; dous
reclifioos celte omissioo.
3ao
LES COMTKS DE POITOU
venait d'allcndre les événemeDis avant de prendre à co sujcL une
ferme décision.
EnQn, le môme jour, il adressait aussi une lellreàrarchevèque
de Bordeaux lui demandant de venir lui-même à Home ou d'en-
voyer une personne auloriséo afin d'entendre ses dires sur les
aHaires de Saint-Hilaireconlradictoirement avec ceux d'isembert,
cité pour cet objet à la Toussaint. Toutefois, comme il n'avait
qu'une minime confiance dans la déférence de l'évêque de Poi-
tiers à ses injonctions, il chargeait Joscelin de l'excommunier(l),
pour le cas où Isembert se dispenserait de s'y conformer.
Le terme indiqué se passa en eiïcl sans que l'évoque de Poi-
tiers se fût mis en mesure de répondre à l'invitation du pape,
aussi, sans attendre le 30 novembre, date du second ajournement
qu'il avait lancé contre lui, Grégoire écrivit le 16 de ce mois une
lettre commune à l'archevêque de Bordeaux et au comte de Poi-
tou ; il ordonnait à l'archevêque de mettre à exécution l'interdit
prononcé contre Isembert par le légat Giraud, évoque d'Ostie; il
lui confiait le soin des choses ecclésiasiiquesdu diocèse avec mis-
sion d'avertir le peuple qu'il était délié de toute obéissance à
l'égard de son évoque et il chargeait le comte de s'occuper des
atTaires temporelles de Févôché ; enfin, il mettait entre leurs
mains la défense des intérêts du chapitre de Sainl-Hilaire (2). Le
môme jour, le pape notifiait sa décision à Isombertj en l'ajour-
nant au synode pontifical qu'il devait tenir dans la première
semainedu carême prochain. Illui annonçait en outre qu'il confir-
mait l'interdit jeté sur lui par le légat et que s'il ne se rendait pas
à sa convocation à la date prescrite, il serait déposé (3).
Trois jours avant, le i3 novembre, jour des ides, le pape avait
écrit spécialement à Guy-Gcofiroy pour le charger d'une mission
déhcate. Le roi de France, Philippe 1"', se laissait aller, tant dans
sa vie privée que dans sa conduite publique, k tous les excès aux-
quels le portail sa fougue de jeunesse. Pour se procurer des
ressources^ il n'avait pas craint de se faire en quelque sorte
(0 Labbc; Concilia, X, col, 71.
(2) Labbc, Concilia^ X, coL bO. La letlre porte pour date: a Djluin Ronw'.Jcci-
nio acAlo kal, dccembris, iDdiclionc dccinia terlia. « D'après nos iudicaliotis précé-
dcQtea CCS uotions répondent au 16 novembre 1075.
(:i) Labbc, Concilia, X, col. 80; Besly, //isl. des comles, preuves, p. 30i bis.
GUY.GEOFFROY (JUILLALMI::
3a 1
détrousseur de grands chcmitis et en parliculier il avail dépouilli^
de leurs Ijiens des niarchands itulietis ({ui cHaienl venus traliquer
en France. Ceux-ci avaient porl<^ leurs plaintes au pape qui char-
gea le comle de l'oilou de faire h ce sujet des représentulions h
Philippe, de l'inviter à changer de conduite à l'égard de l'É-
glise, à amender ses mœurs et surtontà resliluer aux marchands
italiens ce qu'il leur avait enlevé', le tout sous peine d'excommu-
nication (1). ^ous croyons assez connaître (juy-Geoffroy pour
pouvoir aflirmer que la commission lui fui peu agréable elqu'il la
laissa traîner en longueur, dans l'espoir qu'ilen serait comme de
sa séparation avec Audéarde au sujet de laquelle aucune décision
formelle n*avait encore été réellement prise. Il avait déjîi donné
une demi-satisfaclion aux scnlimenls de la cour de Home en con-
sentant à laisser porter l'affaire devant un synode, mais il sentait
bien que la situation emljarrassée dans laquelle il se trouvait ne
pouvait durer et l'on peut croire que la décision énergique du
pape à l'égard d'Isembert lui donna à rélléchir. Si l'évêque de
F^oiliers venait à être déposé, son successeur s'inféoderait imman-
quablement à la politique du Saint-Siège et il entrevoyait toutes
les conséquences que pourrait avoir le déchaînement des foudres
de l'Eglise sur lui et sur les siens.
Il fallait à tout prix éviter cette dure extrémité et, pour y parer,
il résolut, au commencement de Tannée 1076, de se rendre lui-
môme à Oorae (2), Là, il fit, sans nul doute, valoir la raison d'état
aux yeux du Pontife, pour établir un modus vivendi ijui donne-
rait à la fuis salisfaction h ses désirs secrets et îi la vindicte pu-
blique: la déclaration de la nullité de son mariage avec Audéarde
entraînerait forcément pour les enfanta issus de leur union la
(i) Labbe, Concilia, X, col. 83: FJcsIy, lli&L des comtes, preuves, p. 30 1 bis.
Cette lettre est aiosi Jatce : k Data I\omii>,tiiibu8 Davcmbiis,iDdLCliaae deciraa Icrlia, »
ce qui répond nu i3 novembre lojj.
(a) Ch. de Chergé, dans son Mémoire fitslarir/us sur l'abhoye de Moniierneaf de
Puttiers, p. i.^<j, a |)lacû le voyngc de Guy-Geoffroy ù Rome à la fia de l'année loyAï
Palustre (ffisl. de Guillaume IX, p. 127, note a) lui aâsifj^ae les premiers mois de
l'anDée 1075; Ledaia {Histoire sommaire de lu ville de Poitiers, p. 5G) accepte
aussi cette date. Nous croyons avoir dèmoalré, en metlaul à leur vcrilablc place les
événements qui se sont succédé pendant l'aDDcu loyâ et que nos devanciers ont pla-
cés partie en 1074, parlie en loyj. ce qui a été pour eux une cause d'erreurs conti-
nuelles, que le voyage de Guy-Geoffroy à Rome n'a pu se faire qu'au commencement
de l'année 107O,
21
3aa LES T.OMTKS DR POITOU
qualité d'illi^gilinie ; le jeune Guilliuimo, devenant un bâtard, pour-
rait se voir disputer la possession du duché d'Aquitaine; en ce
qui le regardait personnellement, il ne consentirait pas à contrac-
ter une quatrième union; il n'avait pas de frères, et ne laissant
pas d'héritiers directs, entre les mains de qui donc tomberait le
duché? Que de compétitions viendraient à se produire et par suite
de guerres qui pourraient causer à rÉglise dans ces régions des
désastres incalculables !
Grégoire VU était un trop grand politique pour ne pas saisir la
gravité de la situation et, dans celte occurrence, préférant le bien
général au redressement d'une illégalité privée, il donna dans le
fond salisfaction h la requête du duc, tout en y restant opposé
dans la forme. Son union avec Audéarde prit le caractère de ce
que nous appelons aujourd'hui un mariage morganatique; peut-
être alla-l-il jusqu'à interdire aux deux époux la cohabitation
permanenle sous un même loit. Toujours est-il qu'à partir de celle
date et même avant, depuis le jour où l'union du duc fut oîTiciel-
lement contestée, la duchesse disparaîl. Il n'est fait nulle men-
tion d'elle dans les nombreux lexles qui nous sont parvenus jus-
qu'à la mort de Guy-GeoITroy, son fils Guillaume comparaît soûl
dans les acles auprès du duc ; on aurait par suite pu la croire
morle, si, après Tavènemenl de ce fils, dont elle ne se sépara car-
iai nemenl pas pendant les années de son enfance, elle ne repa-
raissait dans les chartes à côté de lui. Il n'est pas besoin d'autre
preuve pour établir la nature de l'accord înlervenu entre le pape
et le duc d'Aquitaine, accord auquel Timpératrice Agnès dut
prendre une part importante.
Nous pensons donc que le voyage du duc eut lieu au comment
cernent de l'année 1076 et que, parmi ses compagnons, se trouvait
l'évêque Isemberl qui, cité par le pape au synode pontifical de la
première semaine du carême (qui s'ouvrit celte année le 10 fé-
vrier\ se décida enfin h répondre h cotte sommation. Son acte
d'obéissance eut les meilleurs résultats ; Grégoire VII régla une
fois pour toutes les difficultés pendantes entre les deux prélats,
car à partir de ce jour on n'en trouve plus aucune mention dans
les acles poitevins et d'autre part Isemberl dut faire toutes les
soumissions que l'on exigea de lui ; le pape satisfait le releva de
r.lJY-GEOFFnOY.Gl"ILI.A(;.VlE
3i3
loiiles les peines qu'il availencourues, el il rcnlra si Lien en p;râce
que, trois ans après, le 13 avril 1079, Grégoire le chargea de
prendre en raain les inlérêls d'Hugues de Couhé qu'Hugues de
Lusignan voulait dépouiller de ses biens et l'autorisa à excom-
munier ce dernier dans le cas où il se refuserait à donner la salis-
faclion qui lui élait demandée (1). Toulefois, aux yeux de cer-
lains esprils rigorisles, la soumission d'isemborl, ne parut que
superficielle el l'on dut croire gént^ralement qu'il continuait à
partager la doctrine de l'hérésiarque Bérenger. C'est ce qui res-
sort d'un fait qui se passa lors de la consécration solennelle de
Montierneuf par le pape Urbain II en i09G; t'autel des saints
Apôtres, qu'lsemberl avait bénit en 1082, fut misa bas pour ce
motif que le consécrateur, en ce temps-là, n'était pas calholi-
quCj et l'on enédifia un nouveau qui fut bénit par Guillaume, arcli£-
véque de Giesi. Aux yeux du pape Urbain II et de son entourage,
Isembert avait évidemment versé dans l'hérésie (2).
Le voyage de Guy-GeolTroy avait donc doublement réussi ; il
avait assuré la transmission naturelle du pouvoir après sa mort
en faisant reconnaître la légilimilé de la naissance de son fils
aîné et d'autre pari il avait ramené la paix dans ses états on met-
tant (in à la mésinlelligoncc entre TévÈque de ï'ailiers et l'ar-
chevêque de Bordeaux. Mais ces résultais n'avaient pas été obte-
nus sans de lourds sacrifices, ainsi que le comte se décida un jour
à l'avouer {3).
Parmi les « pénitences >) qui lui furent imposées par Grégoire VII,
il en était une qui consistait spécialement dans la fondation
d'un élablissemenl religieux à laquelle le pape s'associerait par
la délivrance d'une bulle spéciale lui concédant les privilèges
ecclésiastiques et que le comte doterait richement, tant à l'aide
de ses propres biens qu'avec les fiefs que ses barons tenaient de
lui el qu'ils abandonneraient gracieusement pour celte œuvre.
(i) Labbe, Concilia, X, col. 219 ; Beslj, Hist. des comtes, p. 35? bis. I.a IcUre csl
ainsi datée: <c Idibus aprltis, indict. lu. t>
(2) « <Juia adeo noQ eral catiiolicus. u Arch. de la Vienne, cbroa. du moine Martin,
<t- iJescriptio allariorum; » de Chcrs^é, Afém. sur Montiernenf, p. aCo.
(3) Voy. dans D. Fonteneau, XlX, p, 77, la charte de launce 108O, donl il sera
ci-aprés queslion; elle a élè publiée par M. de Cliergé, Mémoire sur Montierneuf',
p. a49-
Si4
LES COMTES DE POITOU
LecomlehésUa quelque temps sur le Hpu oii il lui serait loisible
de salislaircà son cngageinoiil. Son choix se Hxa succe«.sivement
sur un emplacomenl sis près du cliùteau de Niorl,sur le bourg
de Benon el sur l'île d'Oléron. M lis aucune de ces localités ne lui
convenailcl ii se rabattit alors sur une maison qui était déjà éta-
blie, mais assurément dans des proportions autrement moindres
que celles que réclamait le pape(l).En 1009, Guy-GeofTroy avait
enlrepris dans sa capitale la construction do réalise de Sainl-Jean
FÉvangélislc, mais selon loule apparence elle ne devait être dans
sa pensée que le noyau d'un élablissemenl de second ordre, du
genre du chapitre de Saint-Nicolas, h la fondation duquel la
comtesse Agnès l'avait associé dans son enfance. Comme Saint-
Nicolas, l'église nouvelle s'élevait en dehors de Fenceintede Poi-
lijjrs; la première était placée au sud de la ville sur le plateau, la
seconde fui édifiée au nord dans un lieu appelé les Chasseigncs,
au pied de la colline que couvrait la cité, près du conihient de la
BoivrG el du Clain et à proximité de la voie romaine de Tours à
Poiliersqui, non loin de là, traversait d'ancienneté le Clain par
tin gué pavé (2). Le premier soin du comte avait été de faire
remplacer ce gué par un pont, qui, peut-être dès 1077, est appelé
le Ponl-Neuf et en môme temps une population assez considé-
rable, attirée parles travaux qui s'exécutaient sur ce point, vint
se grouper autour des terrains que le comte avait délimités pour
rédiPicalton de rétablissement qu'il avait en vue et y construisit
assez d'habilalions pour qu'au conimenceiucnt de l'année 1077
celle agglomération pût être considérée comme un bourg, le
bourg de Monlierneuf(3}.
Ce nom de Montierneuf est caractér'istique. Il ne s'agit plus
(i) Arch. de la Vienne, chron. du moine Marlin : a Quoi inoûaslcria regulafi
ordmc lieslitula rcforniavil ».
(a) Ce gué a été recoonu en i8i)7 c( i8,)S lors de In rcconslruclion du pont da
I\ochcrcuil; la base des piles de ce pont éluil appuyée contre les fondallons dti gué
placées en aval, lcsi|uelles consislaient en d'énormes blocs de rochers surnaonlés d'un
pavage en larpes dallea.
(3) Dana l'acle de conErmalion des prlvîlèsi'es de l'abbaye de MonlicrneuT émané de
Guillaume Vil on lit ces mois: « Concedo pedagium ponlis uovi (oluni, sicut lenipore
palris mei habucrunl » {Arch. hist . du Poitou, XKIX, p.yS.Trésor des Charles), On
pjul croire cjuc la conslruclion du pool concorda h lout le moins avec l'élablîssemeat
du monastère, s'il ne lui csl pas aotéricur el si Guy-GeofTroj u'avail p.is eu l'iaten-
lion première, en procédant à ccUe entreprise, de faciliter les accès de la ville de
Poitiers.
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
3î5
de l'église de Stiint-Jcan rEvaii^éliste qui, selon loule vraisem-
blance, ne devait ôlre qu'un eliajjilre, « ecclesia, » mais bien d'un
monaslùre qui eut l'iniporlance de ceux donl l'origine se per Juit
dans la nuil des temps, tels que Sainle-Croix ou Sainl-Maixenl,ou
richeinentdol(^s comme Sainl-Cyprien, el qui rappelai la dernière
création en ce genre des comtes de Poitou, celle do Maillezais, qui
avait près d'un sircle d'existence. Le pape l'avait ainsi voulu et le
comte s'exécuta. Aussi ne lut-il désigné que sous celte appellation
générale de Moutier, « monaslerium, " î\ laquelle lut adjoint le
qualificatif de nouveau, « novum, » pour lo distinguer de ceux
qui existaient déjà à Poitiers; enfin, selon le parler poitevin, ce
fut le iMûnlierneuf(l).
Pendant que lesouvriers travaillaient avec activité, cl sans doute
sur de nouveaux plans, à la construction du monastère dans lequel
devait être englobée l'église de Saint-Jean rÉvangélisle, le comte
reprit ses pérégrinations ordinaires. Dans le courant de l'année
1076 il se trouvait à Vouvanl, entouré d'une nombreuse compa-
gnie dans laquelle on remarquait Aimeri et Savari, vicomtes de
Thouars, et là, dans la maison d'Airaud Gaissedenier, l'un de
ses (idèbjs. il confirma la fondation de l'abbaye de Nieuil-sur-
l'Aulise faite par ce dernier en I06U. Il crut même devoir ajouter
quelque largesse ù la dotalion d'Airaud; il concéda aux moines
un droit d'usage dans la forêt de Mervent et autorisa ses fidèles
à leur abandonner cetfu'il leur conviendrait dans les fiefs qu*ils
tenaient de lui (2).
(i) Ce nom typique de Montierneuf, pris dans son seas absolu et oaomaslique, se
rencontre pour la prcmicrB fois dans les souscriptions de la charte de io86 déjà citée
(p. 323, uole i' : « Claufredo Novi Moaasierii fundatore, »
(2) Arnauld, Hisl. de l'abbaye de Nieuil-sur-rAulisc [Mém, de tu Soc. de stnlîsti'
que des Deii.r-SVvrex, a" série, II, p. 3G8) ; Uesly, //isi. des comtes^ preuves, p. SjS;
Gallia Christ., Il, instr., col. 365. Lu rédaction quei(|uc peu ambij^ui' de la chrooi-
que de Saial-Maixeut a porte certains historicas â attribuer à Guy-GeofTroy la fonda-
tion des abbayes de Nicuit et de Saint-Séverio quVltc rapporte à l'année ioGq, ù la
Huite de celle de Montierncur. MM. Marchegay et Mnbille, dans leur édilioo de ta
Chronique (p, l\of\], ont donné corps à cette manière de voir en inlcrcalact arbitrat-
rcmenl le mol <i quoque » daos son texte à la suite de l'indication de la foudalioa de
Mouiierocuf. Nous croyous qu'ils se seraient èv^ilé cette erreur si, sans tenir compte
des opinions erronées émises avant eux, ils avaient examiné atten ivemenl le texte
qu'ils publiaient. Ils y auraient vu que l'auteur de la chronique rappelle dans ce pa-
rai^raphe la foadalioii de quatre nionusléres: la Charité, Monlierueuf, Sainl-Scverin
et^ieuil; que documenté seulement pour les deux premiers il nous fait connaître les
noms de leurs fondateurs el que n'ayant rien à dire pour les deux derniers, il en
SaC LKS COMTliS DE POITOU
Avant ou après ce voyage, raaîs dans 1VH6, Guy-Geoffroy se
rendil à Angoulême pour visiter son fidèle conseiller l'évêque
tiuillaume, que la maladie relenail doué au lil dans sa ville épis-
copale. L'évoque avait sans doute bien des peccadilles sur la
conscience, aussi, l'un dos compagnons du duc, Eudes, abbé de
Saint-Jean d'Angély, lui ayant rappelé que, pour avoir rémission
de ses péchés, il n'était œuvre plus profitable que de l'aire des
largesses aux éf?lises, obtint-il de lui qu'il fît don ;i son monastère
de la portion qu'il prélevait sur les revenus de l'autel du Précur-
seur à Sainl-Jean d'Angély, droits qui étaient d'un quart et dont
les moines possédaient déjà la moitié. Comme l'évfique tenait ce
revenu en bénéfice du comte de Poitou, celui-ci renonça séance
tenante à tous ses droits de seigneurie el en lit Tabandon figu-
ré à lùides par la remise d'un livre ; toutefois, il mit une condi-
tion à sa générosité, c'est que l'abbé recevrait au nombre de ses
moines un pauvre clerc, qui prierai! Dieu pour l'Ame du duc
et celle de l'évêque ; celui-ci mourut peu après, le 20 septem-
bre iû7« (1).
Le duc était de retour à Poitiers quand, au commencement
d'oclobre, le roi de France. Pbiliiipe P% arriva inopinément dans
cette ville (2). H était accompagné de son frère Hugues le Grand,
de Foulques, évéque non consacré d'Amiens, de Goderan de
Sentis, son cbambrier, de Guy, comie de Nevers, el autres. Le
roi venait demander secours au comte de Poitou contre Guillaume
le Bâtard, roi d'Angleterre, qui, le mois précédent, avait mis lo
donne aimplemenl le oom en sous-entcnJanl les mois « iaclioata » ou « incepta »
qu'il a employés pour les deux premiers. Fuluslrc, qui savait comme dous le nom
du fondateur de Nieitil, n'ii pa» su prcadre rrunchcmcot parti; il a cru devoir conci-
lier le texte de la cliroiii^jue uvec uos aouveUes coaouissuaces bisloriques et rejeter ce
qui concerunil Nieuii tout va coaservanl ce qui avait rapport A Soiol-Séverin dont il
aUribue ]a foadatlou A Guy-GeofFroy (I/is(. de GiiilUiiime IX, p, loi). Rien ne
Tautorisait à agir ainsi, bien au coatraire, car l'on peut assurer que si la foQdAlioo
de Saint-Séveria eût été l'œuvre d'un comte de Poitou, ce n'est pas un seul acte de
celui-ci que nous aurions à enregistrer, mais un grand nombre, comme dous pouvons
le prouver pour toutes leurs autres foodaltons. Celle de Saiul-Séveria est due à un
riche sciçneur de la repion où l'abbaye est située, peut-titre à un vicomte d'Aunay.
(i) D. FoQieucau, LXII, p. Clii. Parmi les témoins de cet acte se trouvent Uoson,
évèque de Saintes, et le comte Foulques d'Aogoulômc, frère de levèque, ce qui témoi-
gne que les deux frères vivaient aiurs en bonne intelligence. (Voy. Hitt. pontif. et
comit.Eiigolism,, p. 38.)
(a) .Marchegay, Cfu^on. deségl. cC Anjou, p. 4oft» Saiol-Malxent.
siège devant la ville de Uol en Urelagne (Ij . La présence du roi
est conslulée h Poitiers le 9 et le M octobre. Le 9, il apposa sa
croix au bas de la charte portant alTraiichissemcnt d'un coUibert
fail par les chanoines do Saint-llilaire, après celles de *iuy-Geoffroy
et de rarclievêque Joscelin (2), el, le !4 octobre^ il délivra un
diplôme en vertu duquel il autorisait loule personne, homme ou
femme, tenant quelque fief du domaine de la couronne, d'en
faire don au nouveau monaslère, à Monlierneuf. Une réserve fui
toutefois insérée dans celle concession ; ^elle concernait les
domaines de la trésorerie de Saint-.Marlin deTours et fut évidem-
ment prise à l'insligalion du trésorier de Saint-Martin, Kegnaud,
qui faisait partie delà suite du roi (3).
(i) Marclicgay, Chron. des étjl, (VAniou: chroo.de Raînoud, archidiacre d'Angers,
p, 11 dp. i3, aole i ; chron. deSaint-Aubia d'Angers, p. aG; cliroD. de Saiut-Sergc
d'Aogcrs, p. i38.
(a) lU-del {Documents poar Saint'ffilairej l, p. 96) donne à cet acte la date de
1077. Nous ne saurions en aucune façon acce(>ler celle atiribulion, qui esl démentie
aussi bien par le texte de la chronique de Sainl-.Maixcnl, qui place en 1071) la venue
du roi de France ili Poitiers, que par les divers lërnoijçnatç^es de l'histoire qui élublis-
aenl qu'en 1076 cul lieu ht CHinpatçnc de Phihppe coulre les Normands, retalée dans
la charle doni il est ici quesliun. Celle-ci, duut l'orig-inal existe aux Archives de la
Vienne (Sainl-llilaire, orii;^., n" G81, csl fort cudonimai^éc par rhutuidiié; on y peut
lire la mentiou du mois et de son (luanliême (le 7 des ides d'oclobrcl, mais celle de
l'année a disparu. L'indication de réjiaclc a survécu el elle es! marquée par le chiFIVe
xxm ; or, comme cette épaclo correspond à Tannée 1077, Rçdet en a conclu, sons
s'occuper des synchronismes, ([ue celle date étail celle qii'd cimvcaaild'accepler; mais
il y a lieu de faire remarquer que, selon le calcul dos épactes égyptiennes, employées
quelqueroi!<, le chiffre de l'cpactc pour les quatre derniers mois de l'année 1076 serait
xAin, nous prcfcrons nous rattacher à ce comput qui se trouve d'accord avec la date
véritaiile de la charle plulôl que de croire à une erreur du scribe.
(3) Besly, Hist. des comtes, preuves, p. 365 bis. La publication de celte pièce a
été faite avec assez peu de soin, comme on peut s'en convaincre en comparant son
texte avec celui de l'oriifinal (Arch. de la Vienne, Monlierneuf, l) : Besly a particu-
lièrement omis dan» la date le mot <f pridie » avant « idarura >>,ce qui fiiit qued'aprcs lui
oa a g-énéraleracnt daté ce diplôme du iS octobre, tandis qu'il csl réellement du iq.
M. de Chert^é a consacré plusieurs paçes de son Mémoire sur l'aUjoye de Afontier-
neaj (pp. 160 h 168) à une dëmonstralion contre lafiuclle nous nous inscrivons en
faux, il a voulu établir que le dipUjmc de Philippe l« n*esl pas de Tannée I07t5, mais
bien de 1073. Par suite, îl avance d'une auuée la venue do roi à Poitiers. 11 ne
lient aucun compte ni de la date bien certaine inscrite sur l'acte orii^inal, ai des indi-
cations positives fournies par les chroniques poileviDes, angevines ou ang-laises, dont
l'une nous apprend que le sicçe de Dol dura quarante jours. La vérité se trouve pour
lui dans deux liisloriens anglais qui, sans tenir compte des textes orij^înaux, placent
en i07ri le retour de Guillaume en Normandie et ses tentatives sur la Hretaji^ne. Celle
erreur, que l'on pourrait presque appeler x'oulue, s'est produite par suite de la uéces-
sîté où se trouvait M. de Chcrçé de juslîHer ses théories premières qui pla(;aienl en
1075 le second voyascede Guy-Geoffroy à Rome et, par suite, la construction de l'ab-
baye. Palustre a cru devoir ac ranger à Topinion de M. de Chergé (p. iïq, note 1),
mais son témoignage perd bien de sa valeur qaand ou constate qu'il s'est simplement
Sit
LliS COMTES DE l'OITOU
Le dtic d*Ar|iiila[ne fui assurément surpri s par la venue de son
suzerain (1) et nous iuî savons s'il [irolila de l'occasion pour lui
faire les adnioneslalions dont le pape l'avait précédemment chargé.
Il est fort possible qu'il n'en ail rien él*'! et qu'il ail cru plus oppor-
tun de se laire alln d'obtenir du roi celte charte précieuse qui
donnaitdesuite un grand relief fi sa nouvelle création, avant inôme
qu'elle eiU reçu de lui sa consécration dernière. Le séjour de
Pliilippe fut du reste très court; après avoir reçu du duc Faide
qu'il atlendail de lu[, il repai'til aussitôt et, secondéaussi par les
Angevins, il réussit à contraindre le roi d'Angleterre de lever le
siège de Dot (2). Toujours est-il que Guy-GeotTroy, par la confir-
mation anticipée qu'il avait obtenue pour la dotation du monastère
qu'il conslruisail, donnai! pour la première fuis un corps certain
aux engagements qu'il avait pris avec le pape. Le diplôme du roi de
France fut lepoinldedépart de loulcuncséried'actesqui devaient
concourir à la cunslilulion définitive du nouvel établissement.
laissé égAV6r par les subiililés de aon devancier sans avoir pris la peine de conlrâler
ses dires sur les actes eux-mêmes. Ainsi il écrit {/Jist. t!e Gaillartme IX, p. i33) que
« le roi revclil de son sccini ruyal l'aclc de fond.ilion de la riche obbayc projelée Jc-
« puis queUjues mois ». Or Pliilippe, dans l'acle précilt; ((]ui n'est uullcmcaL celui de
la fondalion du monustèrc), dccl.ire expressément que, ne pouvant lairc apposer soQ
sceau nu bas de l'acle aLlcnilu iju'il iie l'a pas apporta avec lui, it y trace sa croix de
sa propre main, « crticc t'acta in iiircriuri mar^inc bujus carie propriia manibus Hr-
maviinus ». Eu effet, au ba<i de Tactoet prccudant la date, se trouve ta croix autogra-
phe du roi ainsi désignées llt'c crti.v y sifjniim Pfiifi/u régis. Celle curieuse indica-
tion a lilé omise dans la copie de Besly, Nous ajouterons que cet acle e'inaae de In
chuni;cllcrie du chapitre de Saiol-Hil.rire, ainsi que le léraoi^'nc l'idcutilé de son
écrilurc avec celle de la charte dj eut établissement dont il a ixé. parlé plus haut et
qui porte elle aussi la croix aulograpfie de Philippe.
(i) C'est à bon estent que nous avons employé plus haut le root inopiaément pour
exp imer le caractère de la venue de Philippe à Poitiers; il est la traduction lillérale
de l'expression « forte >■ qui se trouve dans ta chronique de Saiol*Maixenl et qui peint
parfailcnicnl la silualiou. Le roi de France arriva à Poitiers avec due troupe peu nom-
breuse de compaynons; vcuaal simplement de Tours, eu solliciteur, auprès du comte
de Poitou, il ne pensait pas qu'il aurait, pendniit le court séjour iju'il avait en vue,
à délivrer un acte authentique et c'esl pourquoi il oe s'élail pas lait acconipas^ucr de
son chancelier, porteur du sceau royal ; du reste lui-même dit dans Tacte, pour justi-
fier celle incorrection, qu'il esl venu en toute h;lle vers le duc et sans cérémonie:
a Cum mag^ua fcstinatione el minus privale. u
(ï) Nous n'insisterons pas plus ([u'il ne laut sur celte assertion risquée de Palustre
(p i!i3), que la première pierre du monastère fut peut-être posée à l'occasion de la
délivrance du diplùma de Philippe. Nous nous contenterons de renvoyer au diplôme
lui-miiQS où le roi dit que le duc lui u demande d'accorder la faveur qu'il précise au
monastère qu'il faisait élever dans te faubjjrjj de Poitiers, » quod ipse iclilicarô
fncil «. Du momeot que l'édifice était en construcUon, la première pierre était donc
depuis longtemps pisée.
d'Y-GEOFFIlOY-GUILLAUMI']
D'abord le duc commença par en faire don à Cliiny on lui
octroyant en mêoîc temps tous les privilèges d'immunité, c'osl-
à-dire des franchises dont il pouvait disposer, en se modelant
pour ce faire sur ceux qu'accordaient aulrefois les rois car-
lovingiens aux monastères qu'ils voulaient pourvoir de faveurs
spéciales (i). Cet abandon pur et simple fait à la grande abbaye
de Bourgogne était une des premières condilions imposées
par le pape au duc; Cluny, depuis sa réforme, avait peu à peu
établi sa prépondératico sur plusieurs monastères de l'Aquilaine
el particulièrement du Poitou, qui se résignaient à vivre sous sa
règle. !1 mettait à leur lêle des religieux pris dans son sein el
d'aulre part se faisait attribuer, par les comtes ou de grands sei-
gneurs, d'importants domaines où il établissait dos obédiences.
iMonlicrneuf devait être la plus puissante do toutes el rumplir en
quelque sorte dans ces régions le rôle <le succursale de la maison-
mère. Tel est le but que poursuivait IIugues_, le célèbre abbé qui
présidait avec une activité infatigable h ce grand mouvement.
Il n'attendit pas que la consiruclion du monastère, trop lente
sans doute à son gré, filt achevée pour se le faire abandonner.
Il le reçut dans l'état où il se trouvait, avec les travaux en chan-
"lier, travaux que le comte ne pouvait terminer sur l'Iieurc, mais
qu'avec le temps il s'engageait à parfaire en se conformant au plan
primitivement établi. Il avait voulu faire grand el avait chargé un
moine, Ponce, sorti sans doule de Cluny, d'être l'interprète de
ses aspirations ; mais ses ressources pécuniaires étaient assuré-
ment insuffisantes pour subvenir aux frais de l'énorme chanlier
qu'il avait entrepris, d'autant plus qu'il voulait y pourvoir avec
ses revenus ordinaires et qu'il ne chercha pas a se procurer de
l'argent par l'aliénation de q uelque portion de son domaine,
(i) Le loxte de la longue formule J'immunîlc coasisçoéc daa3 cctacle a clé purement
et simplement cmprunlé ù un recueil spécial, celui île Marculfc. Kllc csl la même
que cells einploycie par Louis le DébooDairc dans le diplôme qu'il accorda ea 8i5 à
l'abbaye de Saint-.Maixeul (Voy. A. Richard, Chartes de Vahbaije de Saint-Maixent,
I, p. 3), et l'on n'a pas pris soin d'ealcver à celle-ci ce qui n'était plus ea rapport
avec l'étal de la société, alors qu'elle faisuit une distinction entre les hommes libres
«i inçenuus v el les serfs « servos )i. Le mol d'immunilc est du reste relaté dans
l'acte quand le comte dit que l'abbé de Cluny possédera les biens du monastère en
paix sous la garantie de l'immuntlé qu'il lui a accordée: <t sub cmunitatis nostro de-
feosione quietu ordine possidere v(Bruel, Chartes de Clumj, IVtP> 611).
33o
LES COMTES DE POITOU
domaine nolablemont diminua du reste par les gén4iosil6s de ses
prùdécosseyrs, coiilre lesquelles nous l'avûiis vu, au contraire,
souvent réagir.
Lorsque les lieux seraientsuffisamnient raisenôtal.de (elle série
qu'une comniunaulé piU y vivre en paix et y pratiquer sa règle,
Hugues devait y envoyer une troupe de moines, dirigés par un
abbé, pour les occuper et prier pour le salut de l'âine du fonda-
four, de ses parents et de tous les fidèles chrétiens. Quand Guy-
(IcofTroy fil rédiger la charte relatant toutes ces dispositions se
trouvaient à ses côtés Tarchevôque de Bordeaux, les évêques de
Saintes et de Poitiers, Aimeri et Savari, vicomtes de Thouars,
ïsembert de Chàtelaillon el de nombreux seigneurs du Poitou (1).
Pourvu de cet acte imporkml qui assurait sa suprématie surle
nouveau monastère de Poitiers, l'abbé deCluny le transmît aus-
sitôt au pape qui, par une bulle du 0 décembre 107C,le confirma
sans tarder(2)..Muiscen'ctail pas tout. Lediplùme du roi de France,
la donation du comte à Cluny, la bulle du pape pouvaient rester
presque sans elTet s'il plaisait à Guy-Geolïroy de ne pas donner
suite h son entreprise ou s'il venait à mourir avant qu'il eût mo-
nunienté les inlentionsqu'ilavail manifestées à plusieurs reprises.
De fait le nouveau monastère n'existait pas. Celle façon d'agir,
contraire â tout ce qui se passait d'ordinaire, nous dévoile l'état
d'esprit du comte, llélail tiraillé entre la nécessité où il se trouvait
de satisfaire aux engagements qu'il avait solennellement pris et
le déchirement que lui causait l'abandon de tant de biens. Il lui
fallut pourtant s'exécuter, et le 28 janvier 1077 fut délivrée la
charte qui donnait véritablement la vie à Monlierneuf en lui assu-
rant une dotation splendide. Le comte, renouvelant sa donation à
Cluny el ptaçaul le monastère sous la direction d'Hugues et de
ses successeurs, déclara qu'il l'avait construit sur son propre
alleu el qu'en conséquence il serait à toujours franc et quitte de
(i) Bruel, Chartes lie Cluny, IV, p. Cio, CcUc charte, dont l'ongioal se trouve è la
liibliolbt'ijuc Nalionnle,ae porle pas d'ûutretiidicatiaQ dedalequeccllc de Tannée 1076.
Elle esl postérieure au passaçc du roi de France à Poiliers puisque le diplôme de Hii-
lippe ne tnenlionoe pas ceUe donation de Muntierneuf à Cluuy el d'aulre part qu'elle-
niiWne était arrivée à lloaieJtvant le 9 décembre, date de sa coofcirmation par Grégoire VII.
Ùa dait doue In placer à la liu d'octobre ou au commeocemciil de novembre 1076.
(2) Druel, Charles de Clunij, IV, p. 612. L'original de celle bulle csl au Musée
briuinniquc à Londres.
lui donna en plus l'eaudu Clain et r^langqui lui étaient conligus
avec tous droits de pêcheries ainsi que le moulin silué sur ces
eaux, puis le bourg de Sainl-Salurnin de Poiliers avec ses tan-
neurs, les villas d'Agressay el de Meulière el plusieurs autres
domaines situés lant enPoilou qu'en Saintonge et en Bordelais.
Depuis que le Bas- Poitou, ce réservoir où s'alimenlèrenl si long-
temps tes comtes de Poitou pour faire leurs générosilés, était
épuisé, c'est lu SainLonge qui leur tburnissait généralement les
éléments de leurs largesses. Guy-GeolTroy autorisait enfin ses che-
valiers et les hommes qui étaient placés dans sa sujétion à dispo-
ser de leurs fiefs en faveur de sa nouvelle création.
L'abbé de Cluny ne se trouvait pas en ce moment auprès du
comte, il était remplacé par Eudes, abbé de Saint-Jean d*An-
gély, l'actif représentant de son ordre en Aquitaine, qui reçut cet
acte, auquel assistèrent seulement trois chevaliers, à savoir :
Hugues de Lusignan, Boreau de Montrcuil et Girbert de Saint-
Jean. La présence de ces trois témoins n'était pas fortuite; en
effet, parmi les domaines dont le comte faisait l'abandon à Cluny,
il en est qui ne lui appartenaient pas et étaient réellement la
propriété de ces trois chevaliers. Ceux-ci en avaient été ingé-
nieusement dépouillés. Voici ce qui s'était passé: dans un blanc,
que le rédacteur de la charte d'octobre ou de novembre précé-
dent avait laissé entre le corps de l'acte et les signatures, Guy-
Geoffroy avait fait insérer un nouveau don de sa part, consistant
dans ces domaines, sans que leurs détenteurs y eussent donné
leur assentiment; c'est seulement dans cette journée du 28 jan-
vier qu'ils vinrent le reconnaître crf comparaissant comme
témoins. Comme dans l'acte précédent, un blanc fut laissé dans
celui-ci à la suite de l'énuméralion des biens composant la dota-
tion de Tabbaye pour y placer les témoignages de nouvelles géné-
rosilés, mais la place est restée vide et ne sert qu'à nous édifier
sur les procédés suivis par le comte deH^oilou pour amener ses
sujets laïques ou religieuxà faire à son œuvre des libéralités qui,
la plupart du temps, n'étaient rien moins que sponlanées (1).
(i) Rruel, Chartes dt Cluny, Vf, p. 630, d'après l'orig^ioal. Cet érudit iadiqae eo
note que celle pièce a été imprimée par Bealy, //ijr/. des comtes, p. 360 bis, el d'à-
■iSt
LES COMTES DE POITOU
Quand l'abbé de Cliiny put se convaincre que loutes los condi-
tions nécessaires pour assurer la vilalil6 de la nouvelle maison
avaient été remplies, il lui donna la dernière consécralion en
mellanl un abbé à sa tête. Son choix se fixa sur Guy, prieur de
son abbaye de Cluny, mais comme, par suite du manque de bûli-
menls claustraux, la communauté ne pouvait encore se constituer,
Guy resta à (iluny et ne vint s'établir à iMontierneuf qu'en 1082 ;
durant ce laps de temps on ne conslate sa présence en Poitou
qu'une seule fois, au mois de janvier lOTlJ (t).
Telle est véritablement Ihisloire des origines de Monlierneuf.
mais ce n'eslpassur les pièces qui nous ont servi à l'établir qtiejus-
qu'icielle aétéécrile. L'abbaye lésa toujours dissimulées et elle ne
produisait aux yeux de ceux qui avaient droit ou intérêt à les voir que
des actes qui, tout en conservant le caractère généra! de la fonda-
tion, la modifiaient cependant dans ses détails. Celui dont elle
revendiquait toutes les clauses porte lui aussi la date du 28 janvier
1 077 . La d ilTérence qu'il présen te avec le texte conservé dans le tré-
sor de Cluny, et celle-ci est majeure, c'est qu'il passe sous silence
lasujétion de Montierneufà l'abbaye de Bourgogne ; les privilèges
de liberléel de IVanchise attribués tant au monastère qu'à scjj dé-
pendances ou à ses sujets y sont détaillés loul au leng et semblent
même dépasser les intentions du fondateur, tel ce paragraphe où
le comle, assimilant le bourg de Montierneufà une église, décla-
rait que ce bourg jouirait du droit absolu d'asile en faveur de toute
personne ayant commis un méfait ou passible de sa justice, jus-
qu'à ce que son aflaire ait été jugée ou que l'inculpé l'iVt laissé en
paix (2). Que Montierneufait jouiou tenté de jouir de touslesbiens
et privilèges énumérés dans ce dernier acte, nous n'en doutons
prés Jui par le (iallia Chrisitanu, II, itistr., col. 3r>2,toul en faisaot remanjuer que
le texte qu'il publie est moins dcveloppô que le leur. Ce dernier a élc cniprunlé au
carlulaire de Muiilicrneur et s'il purlc lu mciue date (|ue l'orig^iaal de Cluny, il eu
diffère sur plusieurs points essenùcls. Nous nous expliquerons plus loin ù sou sujet,
(i) Rcdei, Docnmeitls pour Saint-IIilnirCt I, p. «j8.
(a) Bcsly. Util. îles coinles, preuves, p. 306 bis, chiffrée 35o; Gallia Christ., Il,
instr., col.Soi ; l>. FuDlecicau, XIX, p. 33; Arch. de la Vieniie, copie nolarice du i8 dé-
cembre i43t),.Moalienicuf, 1. 13, etcartuluirc de Mnnticrocuf, fo5; Tculcl, Lai/ettes du
Trésor tles C'fiarleJt,l, p. 23, d'après un rouleau de la fùn du xin» siècle rjui fournil
le texte le plus pur de cet acte. M. Gucriu, qui l'a aussi publié d'après les rcg^islrcs
du Trésor des Charles (Arc/i. hisL ilu /-"vitoii, XXIX^ p, 7:^), a couimis une Icf^re
erreur (p. 7O, note 2) en proposant de remplacer le nom du signataire « Oddo, abba»
Sancti Johannis »> par celui de « Guïdo » ; il a cru que l'abbé désigné était celui de
^
Gi:y-{ÎEOFFf\OY-Gi:iLLAUMR
33.S
nullement, maisnous nousrefiisons à adraetirc que le duc d'Aqni-
laine,lo jour même or.ilanrail fail la remisoà Cluiiydcli'IaLlisso-
menl qu'il venail de fi)iidor cl de lous les biens qu'il y avail al lâ-
chés, ail été, par une duplicité dont le but même nous échappe,
signer un autre acte qui, par son silence sur cet objet principal,
aurait eu pour objet d'ôter au premier toute sa valeur. Pour
nous ce second acte csl plus que suspect (1).
Si, pour une cause quelconque, peul-Olre la rigueur de la lem-
péralure, Tabbé deCIuny ne s'élail pas trouvée l'oJliers lorsque
(iuy-Geofîroy se décida à assurer l'existence de Monlicrneuf, il ne
tarda assurément pas à venir jouir de son triomphe. Mais son
action ne s'arrêta pas là et il prolila des bonnes dispositions du
comte pour les faire converger vers les maisons que son ordre
possédait en Poitou. L'une d'elles, Maillczais, déjfi bien riche, tut
[jUis particulièrement favorisée, Son alibé, Droon, était un fervent
disciple de l'abbé Hugues, lellonienl qu'en 1082 il quitta son
abbaye pour rentrer à Cluny sous sadircclion. Pour le moment,
il éluit son porte-parole auprès de Guy-Geoffroy, mais celui-ci
n'ayant pas à sadis|msition lesélémenlsderexlrémolibéralitéque
Ton sollicitait de lui fut contraint de les aller chercher dans une
autre partie desos états. S'élanl donc rendu à Bordeaux il y assura
au monastère de Maillezais une situation dos plus enviable. 11 lui
donna la basilique de Saint-Martin, sise dans la partie centrale de
la ville, à qui fut attribuée la dîme du blé, du vin, de la chair et
de toutes autres choses dues au duc d'Aqiiiluinc dans la ville de
Bordeaux, la chapelle de son palais, le mont Judaïque, une l'orél
près de la cité el d'autres biens, ainsi que le droit pour les moines
de Maillezais d'envoyer chaque année un navire k Bordeaux en
toute franchise. Le comte-duc authentiqua l'acte de donation en y
apposant sa croix de sa propre main, en présence de l'archevé-
que Joscelin,qui avait dû consentir àk spoliation cachée derrière
ces générosités, du [)révôl Raoul, d'IIui^ues de Lusignan, el du
vicomU' de Uax, qui était son principal agent dans le Midi (i).
Saint-Jeaa Je Muntierncuf qui s'ap{j«tail Guy, tandis qu'il s'agissatt d'Eudua, ablii' do
Saial-Jeaa d'Angcly.
(i) Vu cbapilrc spécial (Appendice VMIjscra consttcrt* A l'examcu de» cliorlo» prîaiî-
livea de Tabbaye de Moiiticrneur et des sia^ularltés qu'elles prcsciitcui.
(a) Lacuric, Hist. de Maillesait, p, ai8 ; Archioet kist. de la Gironde, III,
334
LKS COMTES DE POnOU
D'autre pari, soil à Falier, soil au retour, it passa par Saint-
Jean d'AngtMy où il se roncantra avf^c Tabbé de Ciuny ; celui-ci
lui présenta l'acte de la donation que faisait à Saint-Jean un sei-
gneur, Bertrand de Varaise, qui se préparait à y entrer comme
religieux ; elle consistait dans l'église de Varaise et les alleux du
Breuil-Morin, d'Asnières et autres. Ilélie, l'oncle de Bernard, se
rendit auprès du duc et, dans sa main» donna son consentement
au don de son neveu (i).
Giiy-GeuiTroy,s'occupant avec un zèle extrême de l'administra-
tion de ses états et de la surveillance de ses vassaux, était tenu de
voyager constamment, aussi était-il facile à ton te personne qui avai l
des réclamations à lui adresser de pouvoir rapprocher. Au mois
de mai 1078, il se trouva, pour cette cause, facilement en butte aux
sullicitalioni des religieux de la Trinité de Vendôme auxquelles il
tenta vainemeiil d'échapper. En vertu de son droit de gîte, il prenait
son logement, quand il le pouvait, dans un établissement religieux.
Étant donc venu en Saintonge il s'installa, avec son chapelain
Déranger et plusieurs des barons qui composaient sa suite, dans
le monastère de Montîerneur, dépendant de la Trinité. Quand il
eut pris son repas, aûn de goûter quoique repos, il ordonna de lui
dresser un lit qui fut préparé dans le cliauffoir. Après son som-
meil, les moines se présentèrent devant lui et lui demandèrent de
supprimer les mauvaises coutumes que ses agents percevaientl
injustement dans leurs terres de Saintonge. Le duc leur répondit
bénignement : «Ne m'importunez-pas en ce moment, j'ai de nom-
breuses occupations et je m'en vais à l'ile d'Aix; je reviendrai
aussitôt qu'il me sera possible et j'amènerai avec moi mon prévùl
ainsi que tous ceux qui ont pu commettre quelque entreprise blâ-
mable à votre égard. Puis après que vous m'en aurez fourni les preu-
ves, je vous restituerai tout ce qui aura pu vous êlre enlevé des
p. 44i d'après une copie du xvii« siècle, qui lui doDoe la dnlc de 1072. Il n'y a pas lieu
de s'arrêter à cetlc date, évidernmeal erronée, el on doit s'en tenir 11 celle de 1077,
que fournit la copie de D, Fonteneau (XXV, p. icj), faite sur l'original et qui offre
toutes garaoties d'exaciitudc.
{1) D. Fonteneau, XIII, p. iStj; Baaly, Hisl. des comleXf preuves, p. 870 (par
extrait). Pcul-èire faulil placera la même date la concession faite par le comte d'un
jardin à Saiul-Jean d'Angély (D, Fonteneau, LXIl, p. 59i)et surtout son assistance
au don ([uc 3eaa Ammiial fit aux moines du moulin de l'Ile qu'il tenait d'eux en fief
(D. Fonteneau, LXII, p. 601).
GrY-r.nOFFUOY-GUlU.Al'MK
3:î5
hiens que possédait le comto Geoffroy d'Anjou rt qu'il vous aurait
doniiéi!. H Le duc parlil, mais de l'île il'Aix il s'en fui à l'île d'Ole-
ronelde là au châleau de Broue. Pendant deux jours, les moines
allendirenlsa venue, enfin le troisième ils se décidèrent à alleràsa
rencontre et dépèclièrenl deux d'entre eux qui furent le rejoindre
à Broue et lui rappelèrent ses paroles de Montierneuf. Guy
leur répondît en les invilanl h se rendre le lendemain, 23 mai,
à Marennes, vu qu'il n'avail auprès de lui ni son prévôt ni les
autres personnes à qui il avait donné rendez-vous pour le rensei-
gner sur le fait des coutumes contestées. Les moines arrivèrent à
Marennes avant qu'il fît jour. Ils altondirent longtemps. Enfin à
six heures du malin le duc se leva de sa couche et ordonna que l'on
préparât sa mule. Mais ceux qui le j;uetlaienl,elqui s'étaient tenus
dissimulés jusqu'à ce moment, se présentèrent inopinément de-
vant lui alors qu'il allait monter sur sa selle.A leur vue Guy-GeolTroy
prit par la main son prévôt, qui devait l'emmener voir le bois d'En-
cras, et se relira avec lui dans un lieu secret, puis dans l'église
de Sainl-Sornin. Là, il assista à tous les offices, de prime à no-
nes, et enfin il sortit de l'église, toujours accompagné du prévôt,
avec un petit nombre de personnes, tant clercs que laïques. A cet
instant les religieux de Montierneuf se représentèrent à nouveau
en sollicitant une réponse à leur demande. Alors, le comte, con-
traint de s'arrêter, leur avoua que c'était lui-même qui, pressé
par la nécessité, au lieu de respecter la liberté des terres que sa
mère Agnès et son second pèreGeoITi'oy leur avaient données, avait
imposé sur elles de mauvaises coutumes. Bevenant sur sa faute, il
déchargea de loules ces charges les domaines donnés à l'abbaye
de la Trinité, puis, se penchant, il ramassa uo brin de jonc vert,
caria maison avait été récemment jonchée, ainsi, dit le rédacteur
de l'acte, qu'il était d'habitude de faire quand on recevait quelque
personnage puissani, soit son seigneur, soit un ami. Il remit alors
ce jonc aux deux moines, non comme un symbole de donation,
mais comme la marque d'une rcslilution. Les religieux s'étaiit
prosternés à ses pieds en témoignage de reconnaissance, il les
releva avec bonté, lesassuranl que des faits semblables ne se renou-
velleraient plus, elleur demanda do prier pour lui. Voyant dans
quelles bonnes dispositions le duc se trouvait en ce moment, son
336 LES COMTES DE POITOU
prévôl Seniorel, qui l'avail suivi dans loules ses pén^grinalions,
lui demanda les mêmes faveurs pour les religieuses do Sainles,
ce qu'il lui concéda volontiers (1).
Celle page de l'existence du ducd'Aquilaine, que nous avons tenu
à reproduire en son enlier, est caraclérislique dans sa simplicilé .
On y prend rhorame sur le vif et elle nous fait voir un Guy-Geoffroy
lout aulroque celui que ses pan^-gyrisles ont à l'envi dépeint.
A son retour de Saintonge, il se rendit dans le Talmondais,
oii des difficultés sans cesse renaissantes attiraient sa vigilante
atlenlion, A lu mort de Châlon, seigneur de Talmond, arrivée vers
1074, une lutte ardente s'étail engagée entre les divers compôli-
leurs à la possession de ce grand fief. ClKilon en avait Hé pourvu
en vertu du droit de viage qui. après la mort de Guillaume le
Jeune, advenue vers 1057, le lui avail fait éclioir on sa qualité de
mari d'Asccîine, sœur de Guillaume. Jiien qu'à la raorl de Châlon
sa femme fiVt encore vivante, Normand de Montrevault, époux
d'Amoline, fille de Guillaume le Jeune, revendiqua Talmond du
chef de sa femme, en invoquant ce même droit de viage (2). Ses
prétentions, qui étaient fort problématiques du moment qu'Asce-
line vivait encore, furent i-epoussées par les deux lits de celleci,
Guillaume el Pépin. Les deux partis se firent une guerre achar-
(i) Mêlais, Cart. saint, de la Trinité de Venddme.p. 60. l.e texte de Bcsiy {f/ist.
des comtes, preuves, p. 377] porle, par nne erreur de copie, fa date de 1079.
(a) La Boutclière s'csl Irompé quand, dans son éJilion du carlul.tirc de Talmond, il
donne A ce persotmaqe le nom de Normand de Mourene!. I.a charte xlv du c«rtu-
lairc {[pî'rï*^ i2ÎJ) porte liieu « Normannus de Mourcnel », mais il y a 1» une erreur de
iranscriptioD, commise sans doute par le copiste du cavtulaire de liJ^a dont le volume
imprimé est In reproduction. Il faut lire <t Normannus de Monrevel », ainsi qu'iJ
résulte d'une cbarte du cartuiaire delà Trinitéde Vendôme où ce personnage csl appelé
« Normandus de Monte ReLcllo ». Nous n'hésitons pas à reconnaître en lui un des
Gis de Foulques Normand, sei|çneur de Montrevaull en Anjou, et de la veuve d'Horl,
comicde Nantes; privé de l'héritajfc paternel en vertu du droit de viaçe qui fit passer
Montrevault â Payen, l'un des frères de Foulqut's, it vint en Poitou et se maria avec
la tille de riuillaumede Talinund. 11 semble, d'après ce que les textes nous apprennent
fiurlui, qu'il aurait voulu invo<jiier à son proHl ce même drnil de viaf^e après la mort
de Chûloo, oncle de sa femme. Son orig^tnc ani^fcvioe suffit |)our expliquer les préfé-
rences de Guy-Geoffroy à son épard. Norniaud fut reconnu, sans nul doute avec l'ajv
pur du comte, comme héritier de Châlon et eut la jouissance du Talmondais jusqu'à
sa niorl; Pépin, iils de ChâloD, lui succéda. (Marclieg'ay, Cari, du Bas-Poitou, pp.
91 el 93, prieuré de Fontaines ; Cart. de 7'a!//ii)/id, pp. 128, i3i! ) L'auteur récenl
A'Essais historiques sur le Talmondais, M. Loquet, amplifiant sur l'erreur de La
Bouletiére, désigne le seiçncur de Talmond sous le nom de Normand de Moureneau
[Ann. de ia Soc. d'Emulation de la Vendée, iSqGj p. 144),
GUY-GEOFFROY-GLlLLAbME
337
riée ; le pays, ravagé par rincenJie. fui lotaleaionl dévasté (I). Le
comte, qui jouissait encore d'importantes possessions dans leTal-
moiidais, semble avoir profité de ces compétitions pour garder
entre ses mains le fief de Talmond après l'expiration de l'année
pendant laquelle il en avait eu la jouissance en vertu du droit de
radial, et il plaf^adeut chevaliers, Airautt des Forges et Pierre,
fils de Mainard.à la têle du pays, comme gardiens, « cusiodes » (2).
Dans ces contrées, cette situalionlroublée n'était pas restreinte
à lasociété féodale, elle refînait aussi dans le monde religieux. Les
moines de Sainte-Croix de Talmond disputaient à ceux de. la Tri-
nilé de Vendôme la possession des revenusdes églises d'Orbestier et
d'Olonne, arguant les uns et les autres qu'ils les tenaient di; la
comtesse Agnès, qui les avail distraits de son douaire. Les deux
gardiens, sur Tordre du comte, réglèrent une première difficulté
au sujet de l'église de Saînt-Ililaire d'Orbestier. Celle-ci fut attri-
buée en entier à Sainte-Croix de Talmond, mais les offrandes des
marins entrant dans le port d'Olonne et celles des paroissiens de
Noire-Dame d'Olonne furent partagées par moitié entre l'abbé de
Talmond el Robert, moine do l'abbaye de Vendôme et gardien de
ses domaines dans le Talmondais. Afin de faciliter la perceplion
de ces droits, lîobert demanda ensuite à l'abbé de Talmond,
Evrard, l'aulorisation de se construire une demeure dans le bourg;
celui-ci refusa, lloburt en appela au comte, disant que l'abbé lui
avait injustenienl enlevé la propriété de la moitié du bourg d'Olon-
ne, Ciuy-GeofTroy se rendit dans le cliAteau-fort de Cur/.on el là,
ayant pris sa demeure dans la maison de Thebaut Rede, il invita
l'abbé de Talmond à venir le trouver et à se dessaisir de cette moi-
tié du bourg. L'abbé, mis en cause, représenta que les moines de
Vendôme invoquaient h tort, pour soutenir leur prétendu droit,
une donation de la comtesse Agnès, celle-ci n'ayant jamais été en
possession de coul unies ou autres droits dans le bourg d'Olonne.
La cour du comte, composée de Pierre de Niort, de Josbert le
Franc, d'Adémar Mala Capsa le Jeune el de Normand, lui donna
raison .
Mais le moine de Vendôme, battu sur ce point, se rejeta
(1) Marchegay, Cart, du lias-Poitoa, p. gg, prîeurû de Fonlalnes.
(a) Cari, de Talmond, p. laS.
11
338 LES COMTES DE POITOU
sur un aiilre el demanda au comle de reconnaître les droits de
son monastère à la possession do lu moitié du revenu des églises
d'Olonne, qu'il avait reçu jadis en cadeau de la comtesse Agnès.
Guy-GeofTroy y consentit volontiers, mais pour éviter toute diffi-
culté dans l'avenir, il voulut que le fils de CliAlon, qui soutenait
évidemment les prétentions de l'abbé de Talmond, joignit son
apprubation ri la sienne el à celle qu'avait impliciteaient ou for-
mellometit donnée Normaad de iMontrevault, qui vivait dans
l'intimité du comte. Pour cet objet, il envoya donc vers lui Ai-
rault Gaisscdenier , qui avait assisté au jugement de la cour ol
Josbert le Franc (t).Maisra(îaire ne se termina pas si facilement.
L'abbé Evrard prélendit qu'il tenait celte moitié des revenus des
églises d'Olonne, de Guillaume le Chauve, fondateur de son mo-
iiaslère. Un nouveau jugement s'imposait donc.
Les parties furent citées h Poiliers,et, le 4 septembre 1078, il
se tint une grande réunion dans la maison ronde de l'évoque.
C'est le comte-duc lui-même qui dirigea les débals en pré-
cisant leur objet el en demandant à l'abbé Evrard s'il pouvait
produire des témoins ou une cbarte pour appuyer ses dires.
L'abbé n'ayant pu fournir les preuves exigées, robjet du litige fut
attribué 'i la Trinilé, mais Guy-Geoiïroy, pour éviter le retour de
toute conlestation sur ce sujet, ordonna de rédiger immédiale-
ment un acte relatant la décision de l'assemblée. Dans celle-ci
siégeaient à côté de lui son fils Guillaume, l'archevêque de Bor-
deaux, l'évêque de Poiliers, l'abbé de Noaillé, des clercs el des
laïques en grand nombre (2).
Ce n'est pas seulement entre eux que les établissements reli-
gieux avaient à batailler pour s'assurer la possession de domai-
nes dont les primitifs propriétaires disposaient souvent plusieurs
fois, sans tenir compte de leurs premiers engagements el au gré
(i) Cart. de Talmond, p. ia8; Méiaxs , Cari , saint . de la Trinité de Ven»
dôme, p. 53, Dans ceUc dernière publicauon, la pièce que noua citons porte la date
de vers ioû8;clle doit être rajeunie de dix ans; il q'^ a qu'A la rapproctier des autres
lcx(câ (|uc nous arons cités pour se convaincre qu'elle est de mèmï' date, c'esl-à-djre
de 1078. Kn outre t'cditeur de cette charte n'ea a pas compris lastgniiicalioa et il fait
d'Airauh Guîssedenier le donateur de la moitié des églises d'Olonne, taudis qu'il s'agit
d'une maintenue de possession par Guy-GeulTroy en faveur de la Trinité de Veudôiuc.
(a) Mêlais, (^uH. saint, de la Trinité de Vendôme^ ?• 58; Besly, Hist. des com-
tes, preuves, p. 3 59 bis.
GUY-GEOFF!\OY-GUILLAUME
339
de leurs fantaisies ou de leurs passions du momenljls avaient sur-
tout à lutter contre les em|ji<''Lenionts des seigneurs leurs voisins,
et surtout contre les actes d'omnipotence des comtes reprenant
d'une main ce qu'ils avaient donné de l'autre ou revenant pour sa-
tisfaire leurs intérêts sur les actes de leurs prédécesseurs. Aussi,
quand ils se croyaient lésés, et cela arrivait souvent, ne cessaient-
t-ils de faire entendre leurs réclamations; du reste, il arrivait
fréquemment que leur voix était entendue, grâce au concours de
circonstances spéciales. C'est ainsi queFtmlquosle Normand tenait
en fief du comte l'église de Saint-Pliilippe, et Saint-Jacques de Tal-
lent, ancienne possession <^e l'abbaye de Saint-Maixent. Dans un
de ses voyages, Guy-GeolTroy passa près de ce lieu où résidait en-
core un moine du monastère dépossédé ; il était accompagné de
Simon, qui futdepuis évèque d'Agen,de l'abbé de Saint-Gyprien et
de son sénéchal Pierre de Bndier,et fut prendre son repasdansla
maison du religieux à qui, sur son humble requête, il restitua le
domaine usurpé en remettant symboliquement entre ses mains
le couteau dont il se servait (I).
Ceci se passait en 1078. Peut-être est-ce à la même époque qu'il
rendit aux chanoines de Saiiit-llilaire Péglise de Ouinçay,dont
les comtes ses prédécesseurs s'étaient injustement emparés et
que possédaient en fief Giraud et Guillaume de la Trômoïlle ;
pour donner plus d'authenticité à l'acte dans lequel il fit du
reste comparaître son fils, il y traça lui-même sa croix (2),
Peu après, le 15 janvier 1079, s'ouvrit à Poitiers une des plus
importantes assemblées religieuses que l'on ait vu s'y réunir (3).
(1) A. Richard, Chartes de Saint-Maixent, I, p. 169.
(a) lAédet, /Jociirnenls poar Saint' f/ilaire, I, p. gg,
(3) Les historicas ne sont pas d'accord sur la daie qu'il convient de donner k ce
coDcile. La chronique de Sainl-Aubind'AQger3(M3rchegay, (Jiron. des éjl. d'AaJuii,
p. a6) le place en 1077, '*• fn^me année (|iie la chevauchée contre la Flèche. Maiâ
d'autre part la petite chroaîi|ue de Saint-Florent de Sauinur (Marchesçay, Çhron. des
éjl. d'Anjou, p. 18g) indique celle expédition cq 107b. Cette afl'airedela Flèthedura
(jualrc aaa, de 1077 à 1081, et il n'y a donc pas lieu de tirer parti pour la dclcrmiua-
lion de la date du concile des iudicalions Fouraies par les chroniques anircvines. La chro-
nique de Saint-Maixent place le concile en loyij (Marcheway, Chron. des é'jl. d' An-
fou, p. 4o6). Les auteurs du Gallia Christiana (II, col. iiljO) aupposeui qu'il s'est
lenu deux conciles à Poiliers, l'un en 1078, l'autre en 1079. Telle câl aussi l'opinion
de Rcdet, qui déduit d'une charle du carlulairc de Saini-Cyprien (.-l/v'i. hist. du
Poitou, m, pp, 34a et 343, noie a) qu'une seconde réunion eut lieu à Poitiers après
le concile de Bordeaux tenu au mois d'octobre loycj. De l'exitiuen attentif de ce docu-
Uo
LKS COMTKS DM l'OITOU
Le léf^at du pape^ Hugues de Die, la présida. La leniie de ce con-
cile emprunlail une imporlance parliculière à ce l'ail que le roi
de France avail vivement cherché à y perler enlrave. Philippe
avait écrîl au comte de Poitiers pour que celui-ci se prêtât h ses
manœuvres el, d'autre pari il avail déclaré aux évêques du do-
maine roya! qu'il les considérerait comme félons s'ils assistaient à
des assemblées dans lesquelles les légats du pape auraient cher-
ché à ternir son pouvoir el celui des grands du royaume, qu'il
voulait habilement amener à faire cause commune avec lui. Mal-
gré les efforts du roi, le concile eut lieu à la date indiquée, mais
tous ses membres étaient loin d'être dans les mêmes senlimenls.
Le légal arrivait avec des instructions précises ayant pour objet
la réforme de quelques-uns dos nombreux abus dont souffrait
l'Eglise, mais ces réformes atteignaient certains membres du con-
cile qui se sentirent toucliés. Celaient entre autres l'archevêque
de Tours el ses sulTraganls, les évêques de Uennes, du Mans et
d'Angers qui cherchèrenl à s'opposer par la violence à l'accep-
tcifion des [jroposilions que les évêques et autres membres du
clergé du sud de la Loire, depuis longtemps travaillés par les
légats et par les représentants autorisés de Cluny, accueillaient
au contraire avec faveur.
Le concile se réunit dans la cathédrale de Saint-Pierre. A un
moment donné le désordre devint effrayant ; l'archevêque de
Tours fil enfoncer à coups de haches par ses albdés les portes de
l'église el la quitta avec ses partisans. I/agenl du pape, le frère
Teuzo, avait été menacé d^» mort, aussi le légal, ne se sentant plus
en sûreté, fixa une seconde réunion à Saint-llilaire sous la pro-
lection immédiate du trésorier Joscelin, l'archevêque de Bordeaux,
tnpnl noiia avons formi? noire conviclion qnf celte tilIéçBlîon ne repose que sur une
erri'iir «Je jionctualion d;ins le le.Me du rarluliiire. Il s'agissait de dilficullés existant
entre It-a refiyieiix de Mnrmoutier cl ceux de Saint-Hycrien au «ujel de la possession
de l'île d'Ycu. Or, seton nous, voici ce que dit le pHssapc mal inicrprélc : Que l'nf-
fairc de l île d'Yeu fui appelée devatil le cfmciJe de Bordeaux, qu'elle avait dtîjà été
soumise à l'évèque de Poiliers, (mis au coucilelenu dans celle ville, et qu'à Bordeaux
un archevêque, un évèquc el trois abbés s'occupèrent d'elle cl la renvoyèrent à l'évè»
que de Poiliers; que devant celle juritliclion, cpii, 8cule,devaii en connaître, les lieux
coolestés élont de stin obédience, il y eut encore des eniraves apportées par l'une des
parlîfs cl qu'enliii 1 a (Fa ire fui juçée par le lëi^at Arné (jui ne voulut pas laisser vaine
l\puvre de deux coaciles. Bien ponctué, le texte nous apparaît donc très clair cl ne
laisse pas de place pour rcxislcncc d'un second concile de Poitiers à cette époque.
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
3/i,
qui faisait ainsi oublier les dissonlimLvnts qui avaient précédem-
raenl exislé entrt^ eux (f).
L'archevêque de Tours se ptV'senla ri*>remonl daus la nouvelle
assemblée el insullalliigues deDiequi le suspendit immédialemont
de ses fonctions sacerdotales et infligea le même eliâtiment à ses
sufTrajj^anlselàunabhé qui s'étailjoinl âeuv.Nonobstautrabsencc
de cesévÊqueselladéfeclionde quelques autres, parmilesquels on
doit compter l'évêquedePoiliers, contre lesquels le légat demanda
au pape de prononcer des peines disin'plinaires, la réunion put
se terminer en paix el promulga dix imporlaiils canons de disci-
pline ecclésiastique (2). Nous ne saurions dire si la situalion irré-
giilière de i'hilif»pe fut l'objet des délibérations de l'assemblée,
mais elle a'uccupa à tout le moins d'une affaire qui le touchait
de près : le mariage de Foulques le Héchin, comte d'Anjou,
avec sa parente, Ernu-nj^ai-de de lîourbon, dont la solution défi-
nitive fut renvoyée au jugement du pape (3).
(i) Le légat Huçucs lîe Die.sc conrormant servilement aux ms(ruclions prérises de
Grétjûîre VII, mi>nlr<i une çrandc cnerçic duns la n-prcssion des nbus qui désolaieul
r<"^-lisc de France. Mais, trop pi'ncln' des droits de rnutorilc souveraine qui lui »vail
été départie, il lui arriva pnrfuis de dépasser Ui niesutc La convocation pur irnp fré-
quenle des grands dif^niliiires eceIéAiiis(i>(ucs aux réunions ouverICH pnr le léi^.it sur
Inus les poinls de la France dilt sj^énur plus d'un d'ealre eux; ainsi Joî>celin ne s'était
pas rendu au concile de CU-rmont (enu le 7 aoi'it royi, el n'avait mt^me pas fait pré-
senter ses excuses: Hui;^ues le suspendit de ses fonclious é[>iscopjdes ; le 10 septem-
bre «077, s'ouvrit le concile d'Auliin : Joscelin ne s'y présenta pas, et le ié^^nt celte
fois le suspendit de toutes fonctions sact'rtlntales, mais le pape ne ronfuina pas la
décision de son représenlant, cl Joscdin, sans nvoir interrr(m|Jti son ministère, vint
tran(]uilIciTienl en i07<) n^^isler au concile de Coiliersifter. </e,v historiftix île France^
WX , p.tii^; Miçnp, Pnlrtilnrjie lut., f-XLN'llI, col. 74'|). Le pape, au synode <le fé-
vrier in78, av;iit pareitlemcnl levé l'interdit l.incé par le Ic^'al ati concile d'Aulini con-
tre rnrchevcque de Tours, el nous croyotts ipic c'est cet acte de cooduscctidance Ac, la
part du souverain poiilile qui rendit ce personnaiçe si arro^çnnl au concile de l'uitiera.
Nous admettons, comme l'ont écrit certains l)i5toricDS,4ju*lluiï(jcs de Die se trouva au
synode de 1078 où il défendit ses arles, mais, en 107*), il se coulcuta de cliarcjer le
clerc Teuzci de la lettre où il tneltail le. pape au courant des faits jjraves qui s'étaient
passés au concile; on se (is^ureraJt difticilemcnt que, sans autres inforniiilions, le
pape eilt absous l'auteur de ces violences rpiarante jours seulement après les événe-
ments (|ui viennent d'être rapportés. Nous ne saurions par suite jutopler Ira conclu-
sions de l'abbé Delarc {S tint Gréfjoirc Y(l, III, p. 4o8) q«i plwce pour ce seul motif
te roncifc de l'oiticrs en 107S, c'est, il nous semble, un ar^-ument conlraire.
(2} Lnbbe, Concilia, X, col. 3O7 II est question de ce concile dans une lettre du pape
du 25 novembre 1073, relative aux difliculiés pendantes entre les seififueurs de Saint-
Paul el les clercs de Notre-Dame cl de Sainl-Oiner qui s'éinient récemment présentés
au concile de Poitiers devant Hugues de Die, et dans une autre lettre du a8 juin
1080, par laquelle te pape confirme l'exconimuDication prononcée contre (tosou, au
concile de Poitiers, par Hugues de Die iLabbe, Concilia, X, col. 225).
{%) Lnbhc, Cnnrilia, X. col. 3Gfi, 3(58, lettre du léf^at Ilujfues de Die au pape.
D'uprès la chronique de Verdun, c*clflit le cinquième concile que prcsidail ce lè^at.
LES COMTES DE POITOU
Sans atlendre que les décisions diiconctlo fiisspnf promulguées
par Grégoire VII, Juscelin sollicila If comte tlePoilou,en5aqijalil6
d'abbé deSainl-IIilaire, d'appliquer son vin* canon k cet élablisse-
meiil.Se rendanl à son désir, le comle-abbé défcndil d'admettre
parmi les chanoines aucun fils de prêlre, de diacre, de sous-dia-
cre ou de clerc, non plus qu'un bâtard, el fixa le nombre des
chanoines à soixante. Il associa son fils Guillaume à cet acte qui
tendait àréprimer un des grands abus deTéiioqne, alors que les
membres du clerfîé réijulier clierchaient à ("aire de leurs dignités
une possession personnelle qu'ils trouvaient souvent moyen de trans-
mettre à leurs descendants (1). L'assemblée devait à ce moment
être à peine dissoute; Hugjues de Die, qui l'avait présidée, ainsi
que le dil expressément le comte, était sans doute parti avec la
plupart des assistants, mais un certain nombre d'entre eux se
trouvaient encore à l'oiliers elparmi eux on constate la présence,
outre l'archevêque de Bordeaux et l'évéque de Poitiers, du légal
Amé, assesseur d'Hugues de Die, du trésorier do Saint-Martin de
Tours, des abbés de Monlierneuf, de Sainl-Martial de Limoges,
de Saint-Jean d'Angély, de Sainl-Savin el de JNoaillé, du prieur de
Saint-.^içolas et d'un grand nombre de seigneurs.
Parmi les membres du concile nous croyons aussi pouvoir
compter Richard, archevêque de Hourges, qui dut contribuer à
faire conclure entre les chanoines de Sainl-Ursin de sa ville
archiépiscopale el ceux de Sainl-llilaire un acte de confralernilé
en vertu duquel ces derniers accordaient aux chanoines de Sainl-
Ursin, qui leur avaient fait cadeau d'une croix d'or pour le grand
aulel de leur église, une prébende dans leur chapitre à laquelle
était allaché le revenu de deux églises du]diocèse de Bourges. Ces
conventions furent passées à Poitiers le 13 janvier 1079, deux
jours avanl l'ouverture du concile, et sont signées de Guy-Geof-
froy el de son iils Guillaume (2)^
(i) Hédet {Doc. pour Saint-IIilaire, I, p, g8) a douné A ccl acte, (]ui ne porte pas
de ciale, celle indécise de 1078 ou 1079. Le Gadia (II, instr., col. 271) penche pour
l'année 1078 ; il en serait de mémo de Eicdel iiuî place le concile de Poitiers au 15 jan-
vier 1078. D. Fonteneau (X, p. 363) ne se [ironunce pas entre les deux dates ; quant
à nous, avant formellement adopte celle de 1073 pour la tenue du concile, nous som-
mea furcémcnl amené à placer durant la même année le «liplAuic Je Guy-GeolTroy.
(2) Rédet, Doc. pour Sainl-Hiluire, I, p. loo. Cet acte nous paniil .ipporler un
nouvel ars;umeDl eu faveur de ratlribulion de la date de 1079 au cuttcile de Poitiers.
Gin'-GKOFFROY-GLILLAUME
Toutes les questions que le pape avait à cœur de voir régler
n'avaient pas rcru leurs solutions h l'assemblée de Poitiers, aussi,
pour les hàler,fîl-il convoquer celte même année 1079 un nouveau
concile à Bordeaux. Celui-ci s'ouvrit dans cette ville le 14 octo-
bre, sous la présidence d'Ame, évoque d'OIoron,qui avait rempli
à Poitiers le rôle d'assesseur auprès d'Hugues de Die, lequel rclln
fois passait au second rang ; au nombre des assistants, on trouve
Aymar, le nouvel évêque d'Angoulème^ frère du précédent évo-
que, Boson, évéque de Saintes, Uaymond, évèque de Bazas,
Pierre, évêque d'Aire, et l'abbé de Saint-Jean d'Angély. Le duc
se présenta devant l'assemblée, sollicitant de ses membres leur
assistance dans ses défaillances et les priant de lui indiquer quel-
que bonne œuvre à faire pour racbeler ses fautes. Boson saisit cette
ouverture et lui demanda de vouloir bien établir des religieux ù
Saint-Iiutrope, église de sa ville épiscopalequi était tombée entre
des mainslaïques et se trouvait dans la féodalité de Cbàlon, vicomte
d'Aunay. Ce dernier, qui avait accompagné Guy-Geoffroy, donna
sans retard son assentiment à la fondation qui devait se faire aus-
sitôt et le duc déclara que des moines, qui auraient charge de prier
Dieu pour lui elles siens,viendraien( s'installera Sain t-Eutrope (1).
Malgré la mission spéciale donnée aux membres du concile
d'avoir à régler les dil'licullés pendantes entre les établissements
religieux ou leurs rapports avec des particuliers, il y eut plusieurs
aiïaires auxquelles l'assemblée ne donna pas de solution et qui
lurent renvoyées ;i la décision du légat tVmé, en particulier celle
relative à ta possession de l'île d'Yeu qui divisait les religieux de
Marmoulier et ceux de Saint-Cyprien de Poitiers (2), et la con-
testation entre Géraud de Corbie elles moines de Maillezais.
Pour l'intelligence de celle dernière il nous faut revenir quelque
peu en arrière.
Un jour, Guy-Geoffroy rentrait dans la ville de Poitiers par
(i) Bfsly, ///«/. (les comtes, preuves, p. 38o. Une (tharJe du cnrlulaire de Saint-
Seurin (p. i4) HÏt^^nale deux conciles qui auraient été tcuus successivement à Poitiers
et à Bordeaux, ce dcruier présidé par le léçal Amé. Cet acte porte la date de 1070,
mais il y a lieu do suppléer Je cliifFre 9 omis parle fait d'une erreur inalérieile; Tan-
néeioyt) est du reste indiquée par l'énoticc du chiffre II pour lindicliou, lequel est celui
de l'iDdiction correspoDd."int à l'onuéc ii>79.
(a) Cart. de Sainl-Cijprien, pp. 34* cl 343.
m
LES COMTES DE POITOU
une porle lorsqu'y p(^nétraienl par une aulro neuf religieux con-
duits par un d'enlre eux, alors âgé d'environ soixante ans. Les
deux groupes se renconlrèrenl; le comte, à la vue de ces étran-
gers, s'informa qui ils étaient. Leur chef, Géraud de Corbie, lui
apprit qu'ils sortaient du monastère de Sainl-Méclard de Soissons
dont il èlail at)l)é, et que, désireux de fuir le bruit du monde, ils
cherchaicrU un endroit solilaire où ils pussent vivre en paix. Le
comte leur demanda dese fixer dansses étais. Kn cet insjfint inter-
vint le prévôt de Eîordeaux, Haoul, qui dit à Guy qu'il connais-
sait un lieu propice pour cet objet; tieureux de voir son désir
exaucé, le comte confia les voyageurs à son prévôt, déclarant
qu'il leur concéderail le domaine indiqué si celui-ci élait à leur
convenance. Le pri^vèt les emmena au lieu dit le llaul-Villiers,sis
dans l'Enlre-deux-mers.elieur montra une pelileégliseconslruite,
non en pierre mais en terre, autour de laquelle les ronces et le
fouillis de bois s'élaienl tellement accrus qu'il était impossible
d'en a[iprocher sans employer le fer. Le lieu philà l'abbé et à ses
compagnons et ils résolurent do s'y fixer (1).
Ceci se passait à la fin de l'année 1077. iMais le domaine
n'était pas aussi abandonné qu'il y paraissait. Un certain Auger
de Rions, qui s'en disait alors possesseur, le leur abandonna
volontiers, mais cet acte souleva promplement une énergique
proleslation. Auger ne jouissait que de la moilié de l'alleu de
liaut-Villiers ; l'aulre moitié élait divisée enlre plusieurs person-
n('s, parmi Icsqijellcs se trouvait une dame de (Juîlres, nommée
Hermengarde. Crlle-ci avait concL'dé sa porlion à un religieux de
At.'iillezais, qui voulait y vivre on solilaire et y avait construit la
petite église qui existait encore sur les lieux, â'élant déplu dans
sa résidence, il l'avait momentanément abandonnée, maïs quand
il vil qu'Ilernit^ngarde, aussi bien que les autres possesseurs de
lalleu, l'avaient donné sans réserve à Géraud, il s'en fui porter
plainte à son abbé. Celui-ci, s'élanl rendu au concile de Bordeaux,
revendiqua pour son monastère la concession d'Hermengardo.
Le nouveau délenteur se tourna vers le légiil et surtout vers le
duc d'Aquitaine qui l'avait amené en ce lieu, afin que ceux-ci
(i) Butland., Acla sancL aprilis, 1, pp. 4i9 e^ ^^'
Ginr-GEOFFROY-GUILLAUME
obtinssent de l'abbé de Maillezais l'abandon des biens contestés.
Ce dernier ne voulut pas prendre sur lui de décider de l'alTaire,
et se retrancha derrière ses religieux dont il désirait avoir l'avis ;
après le concile,, le légal dut se rendre à Maillezais, où, sur ses
instances, les moines firent l'abandon de leurs droits. C'est sur ce
domaine que Géraud éleva son monastère de la Grande-Sauve (1).
Au rclour de Bordeaux, Guy-Geoffroy passa par Saintes avec une
nombreuse suite dans laquelle se trouvaient Améleléf^atel Hugues
le vicaire du pape,Joscelin, archevêque de Bordeaux, fîoson, évoque
de Saillies, le viconilo Chàlon et autres. Aléard de Morlagne, qui
était pour Tinslant délenteur de Sainl-Eulrope,en ft l'abandon au
comte en présence de ses compagnons et de plusieurs nolabies
habitants de la ville(2).
L'abbesse de Notre-Dame de Saintes ne pouvait négliger de
profiter de la présence du conile-duc et de ses bonnes dis-
positions ; elle se fit accorder par tut plusieurs privilèges, con-
cernant des colons ou des collibertsde sa dépendance et elle lui
tu déclarer en particulier qu'il ne pourrait exiger de ces hommes
aucun service militaire en dehors de la Saînlonge, à moins qu'il ne
fill en danger de perdre quelques territoires (3). 1! se peut que; ce soit
à la même époqueque Guy-Geoiïroy ail concédé àla même abbaye
un certain terrain confinant à l'église de Saint Sulpice (4) et
(r) l^carh, /fisl. de Maillesnis, preuves, p. 222; GaUia Christ., instr., col.3i4<
Les nuleurs du Gnllia ne soiil pas fixés sur la Fondation de la Sauve qu'ils placent
en 1077 ou en 1080; la prciiiicTc dala ust fonrain par la chronique de Siiinl-Maixcot
\[t, /(iij) et nous la leuons pour cvacle. En effet la prcniièrc pierre tlu tiiûnîisltîrc ayaiil
clé posée le M niRi 1080 cL Taulcur de la vicdesainl (léraud, (|uL riipporle ce fait,
ayant dit qu'il eul lieu deux ans après l'arrivéD du saint et de ses conipaijiions à la
Sauve, on ne saurait admetlie levaclilude d'un nuire passage de la nièrne vie où il
est raconté que celle aiTivée eul lien le ay orloltre 1079 II y a «iarm cet énonce une con-
fusion de date très nalurflle, cl il u'yannlfe léniérilé « aiimeUro «jiie les négociations
quVniania saint Géraud pour se faire abandonner le territoire de llfiiit-Villiers et ses
Cùnlealnlions arec les reliq'icux de Miiilleziiis aient duré deux années au bout des-
quelles il fil construire son monastère. Nos conclusions au sujet de la Fnndalion de
l'ablKiye de la Sauve sont rn «lésaccord avec les opinions de l'ulustrc {llisl,de Gnil-
ianme IX, p. i5o) el de Tal/bc Ciiot de la Ville (flist. de la Grundu-Saiwe. 18^71
I, pp. 242, 269) qui placent rcntrevue de Géraud avec !c comlc de Poitou et son arri-
vée à la Sauve à la Hn de l'iitince (079; les documents dont nous avons fixe les dûtes
nous paraissent établir que ces faits se sont passés deux anuces plus l()l.
(a) Besly, /fisf. des rondes, preuves, p. 38i.
(3) Ciirt . df. lYolre-Duine de Sainlea, p. 54-
(4; Cart. de Notre-ÙMne de Saintes, p. 90 ; cet acte oe peut se placer qu'entre 1079
el 108 t.
S4«
LES COMTES DE POITOU
quVil ail ordonné à Guillaume de Fors, son prévôl de Saintes, de
restiluer aux religieuses la dime dont elles jouissaient jadis sur
le moulin du gué de Beis(l).
Mais le comte n'était pas au bout de ses concessions. L'évêque
de Saintes voulut en avoir sa part et s'ingénia pour faire rentrer
dans le domaine religieux un bien qui en avait été autrefois
détaché. Des chevaliers étaient en possession d'une église de sa
ville épiscopale, Sainl-Serènc;il l'a leur fil enlever par Guy-Geof-
froy, lequel en lit don au chapitre de Saint-Vivien de Saintes que
Boson favorisait parliculièremenl. Le comle confirma tous les dons
que l'évoque avait précédemment faits à ces chanoines, et yajoula
la dîme de ses moulins établis auprès du ponl, avec un terrain
pour en établir un, s'il le leur c-onvenail, ainsi que toutes les cou-
tumes el ce qui pouvait dépendre de son droit seigneurial sur le
monl de Saint-Vivien el de Saint-Serène (2).
On retrouve lecomle-duc à Bordeaux le 20 juin 1080(3); les
travaux de construction du monaslère de la Grande-Sauve venaient
de commencer, et tout annonçait que la création de Oéraud de Cor-
bio, définitivemenl consliluée, allait pouvoir prendre place parmi
les établissements similaires derAquitaine ; Guy-Geoffroy nepou-
vait rester indilTérenl à la croissance decelle œuvre ù la naissance
de laquelle il avait présidé, aussi, dans ce jour du 20 juin, en
présence del'archevêque Joscetin, de Cenlulle, vicomte de Béarn,
du vicomte Aimeri, de son neveu Eudes, de Baudouin de Dun el
aulres,afrranchil-il le monaslère de la Grande-Sauve de louto domi-
nation temporelle qui pourrait être prétendue par qui que ce soit
sur ses domaines, lui donna la cour de Brajac pour couvrir la dé-
pense du luminaire de l'église, el de plus, sur aaprière, il décida
Guiltaumede Blanqueforlel Guillaume Hélie,viguicr de Bordeaux,
à lui faire des dons imporlanls.
Il n'est pas probable que le duc ail résidé à Bordeaux jusqu'à
l'ouverture d'un nouveau concile qui se linl comme l'année pré-
cédente au mois d'octobre ; il est à croire qu'il rentra dans l'in-
tervalle àPoiliers elque c'est alorsqu'ilsigna,ensa qualité d'abbé
(t) Ciirl. lie iVolre-Dame de Saintes, p. 98.
(a) Besly, Ilisl. des co/ntes, preuves, p. /167.
(3) Galtia C/irial., II, instr.. col. 27^.
GUY-GEOFFROY-GUILL AUME
347
de Sainl-IIilaire, la concession du domaine de Longrels en Bour-
gogne, faite par le chapitre à des cbanoines réguliers (J).
La rf^imion de Bordeaux fui extrêmement nombreuse et il n'est
pasindifTérenl de relever les noms des principaux assistants: c'é-
taient Am6 et Hugues, légats du Saint-Siùge, Joseelin,arrliGvAque
de Bordeaux, Haoul, archevêque deTours, Guillaume, archevêque
d'Auch, Boson, évêque de Saintes, Aymar, (5vêque d'Angoulômc,
Guillaume, évêque de Périgueux, Raymond, évêque de Bazas,
Huj^'ues, évêque de Higorre, Donald, évêque d'Agcn, Pierre, évo-
que d'Aire et de nombreux abbés,entre autre ceux de Sainl-Jean
d'Angély, de Maiilezais, de Saint-Cyprien de Poiliers, de Saint-
Julien de Tours, de Nanleuil et de Charroux. Celle imposante réu-
nion de dignitaires ecclésiastiques élait motivée par limporlance
d'une question que les légats avaient portée devant elle; il devait
y être pour la dernière fois parlé deBérenger,au suji^l de qui l'a-
paisement se faisait peu à peu dans le duché d'Aquitaine. L'archi-
diacre d*Angers, régulièrement cilé,se présenta devant le concile,
reconnut publiquement ses erreurs et se réconcilia dérmilivemenl
avec TEglise (2).
A la même assemblée fui déposé Hugues, abbé de Sainl-Li-
guaire(3), et enfin il y fut discuté quelques questions Iiligieusos,en
particulier la réclamation faite par les moines de Charroux contre
la donation de l'église de Varaise, qu'Arnaud, seigneur de ce lieu,
avait précédemment transmise à l'abbaye de Saint-Jean d'Angély.
L'abbé de Saint-Jean, confiant danssa bonne cause, se présentaseul,
n'ayant que ses moines avec lui; Fulcrand, abbé de Chn.r-
roux, étail accompagné de son frère l'archevêque de Tours, d'Eu-
des, frère d'Audebert comte de la Marche, et autres ; malgré
l'appui de ce brillant entourage, il perditson procès, et Varaise fui
adjugé à Sainl-Jean (4). Quant à Guy-Geoffroy, il confirma solen-
nellement le 6 octobre l'acle de franchise et de liberté qu'il avail
accordé à la Grande-Sauve le 20 juin précédent et après y avoir
apposé sa croix il réclama la môme faveur des membres du con-
(i) Rédcl, Doc. poar Saint-Hilaire, I, p. loa.
(2) Marclie^ay, C/tron. des èyl. d'Anjou, p. 407. Saîût-Maixcnl; Labbc, Conci-
lia, X, col. 38 1.
(3) Marcbegaj, (lliron. des égl. d'Anjou, p. t\o-j^ Saiol-Maixent.
(4) D. Fonleueau, I.XII, p. G69.
348
LES COMTES DE POITOU
c'\\e. (1). En reconnaissance de sos bienfaits, l'abbé el les moines
dt'^cidèronl qu'à l'avenir il y aiirail loujours mémoire du duc dans
leurs prières, que chaque semaine il sérail chanl»^ pour lui une
messe spéciale, el qu'en souveîiir de sa cliarilt* une prébende
monacale sérail quoli«liennemenl délivrée aux pauvres, le toul à
porpéluilé. Pour donner loute garantie a leur décision les moines
eti (îrenL Iranscrirole lexlo sur deux feuilles de parchemin dont
Tune, destinée au duc, fui sansdoule remise à son cousin Hoberl
le Bourguignon qui ussisla à la délibération des religieux de la
Sauve (2).
Le 0 décembre, le duc élail à Saint-.Maixenl,soil qu'il rentrât
» Poiliers, soil, au contraire, qu'nprùs avoir fail un courl séjour
dans sa principale résidence il s'aiheminâlvers Saintes, où devait
se Icnîr un nouveau concile. lluy-dcotTroy, nous l'avons vu, ne
se gênail pas pour disposer de domaines qui ne lui appartenaient
pas.loul aussi bien qu'il mellail volontiers la main sur ceux qu'il
pouvait s'approprier sous des prélexles plus ou moins plausibles.
Il semble qu'à une certaine époque il ait marqué de l'aigreur à
l'égard de l'abbaye de Sainl-Maixeul. On ne saurait en effel dire
s'il y a eu autre chose qu'une simple coïncidence entre son avène-
ment en I0;)8 au comté de ï*uHou et le renoncement vers la même
ilate par Archenibaud âsasilualion d'abbé ; nous inclinonsâ croire
qu'il avait peu de sympathie pour le confident de sa mère et c*esl
l'abbaye qu'il dirigeait qui dul porter la peine de sa rancune.
Après la mort d'Agni-s it avait, entre nulres acles, enlevé aux
moines la moitié du péage de la vîllo de Sainl-Maixeul qui leur
avait été concédé vers 1045 par Giiiltaumi* Aigret cl Agnès, moyen-
uanl le don d'un cheval valant oOOsous el d'une somme de 300 sous
(i) Cirol de In ViUe, i/tsl. de la Grande-Sanve, I, pp. !\^'\, ^g5.
(2) Gallia Christ., Il, in^lr., col. 274. Cel arlp ne pcrinel p.ia de douter de la le-
nue d'un concile h Itonlcanx en 1080, dnie indicpicc du reste par Ia chroni(|(ie de
Sainl-Miùxenl ; quant à l'assemblée de 1079, rejnlér par divers historiens que niellait
iD défianre l'indicilioii dti tiiuis d'dclfjbre.jKnir l'une et l'aulre de ces réunions, elle
rsl élnblie, non seulrinent |>ur les textes t|iie iiodh nvons publiés, niiÛH encore par ce
fail ))u'un iicle édité diins le» Arch, liixl. tlf la (îirunde, XV', p. aS, iniiiqiie cx~
(Tesst'tnenl ipjc l'cvéïpH! »]e Uazas.Rrtyrnond II, <pii assisl.i avec ses clercs à la libéra-
tion de Saiiit-Kutro[ie du joiitf laïque, se Irotivrtil im concile de lîordeniix île l'an 1079;
lie plus poui' lyw: saint Ticraud ait ;>ii j'oscr au ut')is de mai loSo la première pierre
de la firandc-Siiuvc, il fiillait h tonte force ipie la p )sscssioQ du terraiu où devait s'é-
lever le monastère lui ait été reconnue, ce qui se fît en vertu de la décision du con-
cile de 1079.
GLnf'-GEOFFROY-GL'FLLAUME
en argenl. Pour juslider sa brutale façon d'agir, il avait argué
de ce qu'il n'avait pas donné son consenleinenL à ce âon ; puis, en
1078, il fut chargé ou se cliargea lui-même de rélablir l'ordre
dans le monaslère où Fabbé do Saini-Iiiguaire voulait faire pro-
céder à l'élection frauduleuse d'un abbé. A cet elTet, il imposa
au choix des religieux un moine de Marmoutier, Anségise, qui
loutefuis ne fut ordonné abbé que le 21) septembre 1080. Pour
amener les moines à condescendre à ses désirs, il leur promit de
revenir sur sa spoliation et de leur restituer tout ce qui avait fait
partie delà donation de son frère, mais quand arriva le momentde
s'exécuter il s'y refusa absolument. Sur ces entrefaites, un nommé
Foulques, qui tenait le péage de la ville, élant venu à mourir, le
comte manifesta l'intention de disposer de celui-ci à nouveau sans
tenir compte des droits des religieux. Dans celte extrémité, ceux-
ci jugèrent plus expédient de s'imposer un sacrilice et, pour «éviter
toute avanie à l'avenir, ils versèrent k Guy pour s'assurer ce |)éage
2200 sous et plus. Toutefois, instruits par l'exemple du passé,
ils pi'irent celle fois toutes leurs précautions ; Guy-Geoffj'oy
apposa sa croix au bas de l'acte de restitution et le déposa lui-
même sur l'autel de saint Maixenl d'oii deux religieux l'enlevèrent.
Enfin le 0 février suivant (I081\les moines se rendirent à Poitiers
et firent confirmer la charte par le jeune Guillaume, fils du
comte, lequel, lui aussi, y apposa sa croix (i).
De Saint-Maixent, Guy avait poursuivi son voyage vers Saintes.
Dès son arrivée les religieuses de Notre-Dame le sollicitèrent de
donner son assentiment à la restitution que leur faisait Francon,
ancien gardien du capitole de la ville, dont à ce titre il s'était
dit le seigneur et avait voulu agir comme tel, de biens qui leur
avaient été jadis concédés par le comte Geoffroy d'Anjou et que
Francon s'était fait remettre, sous prétexte qu'ils avaient fait par-
tie de son propre héritage. Son dôsintércssemenl avait pour cause
l'enlrée de sa lille Abeline dans la communauté, aussi le comte en-
Ira-L-il pleinement dans ses vues et, non content de lui donner son
approbation, il lui permit, en outre, de disposer en faveur des re-
ligieuses d'un moulin sur la Charente qu'il tenait de lui en fief (2).
(i) A. Richard, Charles de Saint-Mai xent, I, p. 75.
(3) Cari, de Notre-Dume de Saintes, p. ^2. Au bas Je la charte de doaalioa, aprèi
35o
LES COMTES DE POITOU
Le concile de Saintes ne sembifi pas avoir pu au sujel des alTaires
de ri''glise en général l'imporlancede celui de Poitiers et ne pro-
mulgua pas de canons, mais ses membres eurent à s'occuper de
f,'raves queslions de discipline ecclésiastique, inléressanl non seu-
lement le pays aquitanique,mais encore des régions qui en étaient
fort éloignées. Nous pouvons d'après des documents qui y ont trait
y constater la présence des archevêques de Vienne, de Bourges,
de Tours et de Bordeaux, des évêques de Langres, de Bazas et
d'Angoulèrae, ainsi que de nombreux abbés. Il était présidé par le
légal Amé, assisté d'Hugues de Die, ainsi que cela s'était passé à
Bordeaux (I).
(iuy-GeolTroy vint donc dans celle solennelle assemblée et à la
sollicitation des légats il compléta l'œuvre qu'il avait ébauchée
en 1079. 11 avait bien alors retiré des mains laïques l'église de
Sainl-l^ulrope oh reposaient les reliques de l'apôtre des Santons,
toutefois il ne semble pas que, malgré sa promesse d'en faire le
centre d'un établissement religieux, la situation se fût au fond
beaucoup modifiée : le détenteur précédent était bien dépossédé,
mais l'église était restée entre les mains du comte. Or, en même
temps que Guy-Geolfroy, se trouvait à Saintes Hugues, l'abbé de
Cluny, qui avait déjà obtenu tant de faveurs de lui. Il en sollicita
une nouvelle et se fil donner l'église de Sainl-Eutrope en toute
propriété à la seule charge d'avoir à payer i\ l'église mère, c'est-
à-dire àja cathédrale, un cens annuel de cinq sous pour bien
marquer la sujétion de celte église envers l'évoque et les cha-
noines de Saintes qui avaient donné leur assentiment k la donation.
L'acte fut confirmé par les deux légals avec toute l'autorité qu'ils
tenaient de leurcaractèreaposlolique; de sonc5téChâlon, le vicomte
d'Aunay, vint à son tour renouveler son précédent abandon. Puis
la croLx du comte Guy, se trouve celle d'un (ëmoia du Doiti de Richard, qui sembla
être désigné comme 8on frère: « Sîg^num Ricardi -f- fralris ejus. ?> r.'csl ainsi que l'a
compris l'nbhé Grasiiier {/l., p. 223J, mais cette nolioQ est absolunienl fausse, Guj-
Geoiïroy étant le dernîei" vivant des cnfauls de Guillaume le Graad, dont aucun n'.i
porté te nom de Richard. Dans celle menlioa insolile il n'y a lieu de voir que la fa-
çon défectueuse dont l'auteur du cartulairc a transcrit les noms qui se trouvaient au
bas de la charte originale ; il a placé le nom de Rîchiinl après celui du comte Guy,
taudis qu'il aurait dû véritablement venir après celui du donateur Francoo, qui a été
maieDCoatreuaeiDent mis le dernier.
(i) Arch. hisl. de la Gironde, V, p. lot, d'après le cartul, de la Réulc, acte du
8 iauvier io8i,
GUY-GEOFFROY-GUI LI.AUME
35 1
•
le H janvier Î081, pendant la lenue du concile, le comte se
trouvant dans une chambre dépendant de l'église de Saint-
Kulrope, remtl lui-même à l'abbé de Cluiiy la charte qui monu-
menlait la donation (1).
Il esl probable que de Saintes le duc se dirigea vers le midi.
Il ne se trouvait assurément pas à Poitiers le 6 février, jour où
le jeune Guillaume» son fils, apposa sa croix au bas de l'acte que
lui présentèrent les moines de Saint-Maixent et où l'on ne voit
guèresà côlé du jeune prince que deux fidèles de son père, Aude-
berl, comte de la Marche, et Huguos,prévôt de Poitiers, qui étaient
assurément préposés à sa garde (2). Mais on constate dans le cou-
rant de l'année sa présenceà Bordeaux, on un grand seigneur gas-
con, Olto de Montai, s'était rendu pour assister à une assemblée
que le duc y avait convoquée et qui y mourut (3), Cet appel fait
par le duc aux barons du midi n'avait pas seulement pour objet de
régler les affaires qui pouvaient être portées devant eux, il voulait
de plus s'assurer leur concours pour mener à bonne fin une entre-
prise destinée à accroître encore son prestige. Sanche, roi d'Ara-
gon, avait demandé en mariage pour son fils Pierre, Agnès, fitle
de (luy-GoolTroy et d'Audéarde. La jeune princesse avait alors
neuf ans et le mariage ne pouvait devenir effcclifquc plusieurs an-
nées après sa conclusion (4) ; pour parer à toute éventualité et
empêcher â'ilétait possible ce qui étaitadvenu de l'union delà fille
de Malhéode avec Alfonse de Caslille qui avait répudié sa femme
enl077jle duc voulut entourer celle-ci delà plus grande solennité;
il fil, en conséquence, choix de douze barons pris dans l'assem-
blée et les envoya en ambassade auprès du roi d'Aragon, avec
l'inlenlion évidente de donner par leur présence plus d'autorité
(i] Bruel, Chartes de Clnny^ IV, p. 715. L'acte ne porte pas de dale d'année, mais
SCulcrueDt le chifTrc de l'iodiclioa qui esl marquée iv et qui se rapporte rêellerneot à
l'anuée to8i. Labbe, dans ses Concilia (X, col. 397), dit (joe le syuode de Suiules fui
célébré en luSu, luaiii cette aaserliuû esl déuiuutie tunt par cette indication spéciale
de l'indlctioii qui se lilduns la charte de l^tiioy t|uc par liicle publié dans les Arch.
Itist . delà Gironde, cilé à la paye prccétieate nule 1, qui est du 8 janvier 1081.
(a) A. Hichard, Chartes de Saint-Maixent, I, p. lyS.
(3) Brulail», Cari, de Sainl-Seurin, p. j8; Bcsiy, /Jist. des comtes, preuves,
p. 385.
(4) Guillaume, le Bis ataé de Guy-GeofFroy, étant ué le as octobre 1071, sa sœur ne
put veuir au monde qu'à lu fin de l'année 107a; en 1081, elle devait donc avoir au plus
neuf ans.
LES COMTES DE POITOU
au pacte qui allait être conclu ; h mariage dfi Pierre e( d'Ag:nès
ayant eu lieu, nous devutis en conclure que la mission des barons
eut un plein succès (1).
Le s<''jour de Guy-Geoffroy dans le midi nous paratt avoir
aussi eu pour résultai darrèler le cotnlo de Toulouse, Guillau-
me IV, dans la voie dangereuse pourluioù il semblait vouloir s'en-
gager de nouveau. Bien que son père Pons I" fût mort en 1000,
c'eslseuleraent vers l'an 1079 qu'il fit avec son frère, Itaymood de
Saint-Gilles, le partage définitif de leur magnifique succession.
Jusqu'alors il n'avait porlé, comme ses prédécesseurs, que le litre
decomle de Toulouse, ou encore celui de comle palatin que Pons
s'altribua en I0o3 dans la charte qui confirmail l'union de l'ab-
baye de Moissac à celle de Cluny (2).
Uès qu'il se vit réellemenl à la lête de l'importante portion des
domaines patrimoniaux qui lui avait élé dévolue, il manifesta
d'aulres visées. Le 15 mai de l'année 107D ou 1080, il délivra
à Tabbaye de Sainl-Pons de Thomières une charte qui avait pour
objet de la mainlenir dans toutes ses possessions et il rappela à
ce propos que ce monastère fut fondé par «l'ancien duc et comte
des Aquitains nommé Pons (3) ». Dans cet acte, il s'inlitulail
•comte et duc. par la grâce de Dieu, du Toulousain, de l\41bigeois,
du ^Jue^ci,du Lodévois et du Carcass&s. De plus, il confirmait les
moines de Saint-Pons dans la possession de tous les domaines
qu'ils avaient pu acquérir dans le Péri gord, dans l'Agenais et dans
l'Aslarac (4). Agir ainsi c'élail faire acte de suzerain à l'égard de
ces trois derniers comtés qui dépcndaicntnoloiremenlde l'Aqui-
taine. Du reste il ne tarda pas à alîicher hautement des préten-
(i) Marcheg-ay, Chron. des églises d'Anjou, p. 4o5, Saint-Maixent; Bcsty, Hisi,
des comtes, preuves, p. 386, d'après une cliarlc non datée de l'évêché de !)ax. De
Marca [tlist. de Béaru, p.3i8] dil que celle charte ne peut apparieoir qu'aux aonces
loHi ou 1082; nous inclinoos pour la première de ces dates, qui csl eu parfait accord
avec les événcnicuts de ta vie de Guy-Geuffroy que nous connaissons. ïiesly, daas lu
noie où il parle de ce mariage, avance (ju'Ag-nès était fille de Guy-Geoffroy et de Ma-
tbéode et s'en référé pour cela à la chronique de Saiiit-Maixcnl; sur ce point il s'esl
trompé, la chronique disant expres»énienl (p. ^ob) qu'Agnès était fille d'Audéarde.
(2) D. Vaîssetc, Hisl. de Lani/uedoc, nouv. éd., V, col. 523,
(3) a Anliquo duce et comité Aquitauensium Domine Pontio ». Il s'agfil de Raymond-
Pons qui fonda Saiol-Poos de Tliomièrcs en giù [D. V'aissete, I/isl, de Langaedoe,
nouv. éd,, III, p. 1 18).
(4) D. Vaissete, ///*/. de Languedoc, nouv. éd., V, col. 648.
GUY-GEOFFROY-GLILLAUME
353
lions en ce sens» Le 15 juin 1080 il renouvela la concession qu'il
venail récemment de faire aux moines de Sainl-Ponsel ce, disait-
il, en mémoire de son ancôtre l'ons, « duc ou grand prince sou-
verain d'Aquitaine (t) »; celle lois, l'énuméralion de ses lilres
eal complète : « Guillaume, par la grâce de Dieu, comle et duc
des Toulousains, des Albigeois, des Quercinois, des Lodévais,
desrérigourdins,des Carcassinois,des Agenois etdes Aslaracois, »
disail lacliarle.Or^aucun acle, aucun autre lexle ne peuventnous
luire supposer que les Irois comlés de Périgord, d'Agenais et
d'A&larac aient été à quelque époque que co soit de la vie de Guil-
laume IV dans la dépendance du comlé de Toulouse; il semble
seulement que, n'osant prendre ouvertement le titre de duc d'A-
quitaine, qui drpuis piusd'un siècle n'élait plus dans safymille(2),
il se soit seuloiiienl contenté de prétendre à la suzeraineté des
comtés qui conlinaienl i ses domaines 3).
C'élail encore Irop. Ces prétentions ne durent pas manquer de
venir i\ la connaissance de Guj-GeolTroy et ctdui-ci, peut-être à
celle assemblée de liordeuuxde 1 08 1, se pronon(,'a-l-il de telle façon
que la lentalive du comle de Toulouse n'eut pas de suile.En ell'et,
on conslule rjuc dans une cUarlc du pays louluttsuin, dalée du
18 mai 1081, Guillaume est simplement désigné par sa qualité de
comle, que dans aucun autre acte de ces régions ni lui ni ses suc-
cesseurs ne se sont jamais parés de ce titre de duc, enfin qu'en
1093 le pape Urbain H, luiécrivanl,ne le qualillail que de comle
de Toulouse tout comme ses prédécesseurs (4j. L'babilelé poli-
tique de Guy-GeotVruy dut amener ce résultat sans clliision de
sang et l'un peut cunslaler à suri hunneiir qu'il lui arriva bien ra-
rement, du jour où il fut véritablement duc d'Aquitaine, d'avoir à
(i) a A proavo vidclicet tncol'ontiu Ai|uilanoruiu duce vel principe > ^D. Vuisscle,
JJist, de Languedoc, douv. éd., V, col. 04yJ.
(a) Voy. plus hûul, pp. 87 cl 100.
\S) Nuus ne savoaa quel caracière il convient d'aUribuer à la présence du comte de
Toulouse, au mois d'avril 107IJ, à la renusc «le l'abhaye de Beuulieu aux religieux de
Cluoy, que til Hugues de Caatclnau, abtxj ladjue de ce monaslcre.du conscnieinenl de
Guy,évc<iuede Litnoges.du vicomte ArchambauddeOoiiiburu ctdcses lils,eLde l'rouiu,
abljc de Tulle (Bmcl, Chartes de Vliini/, IV, p. Goi;. Guillaume de iouiouse se
Irouvait-il alors forluilenieol à Ueauiieu ou bien y vint-il pour assister à l'acte et
afûrmer certaines prcleutious de suzeraiaelé provenant de ses aocèires? Eo tout cas
Celles-ci ne sont pas expresséiuenl indiquées,
(4) U. V'aissele, /fitl. Je La/iyaeduv, nuuv. éd., V, col- GÛ8, 708 et 73oi
354
LES COMTES IlE POITOU
Il SOI- (le Ici puissance de sesarines{l). Au milicnt <]e l'armée nous le
reli oiivons à Poiliers.
La leiilalive du comle de Toulouse avait du rcsle peu de chance
d'uboulir. (îuy-Geod'roy se rendant fiicilement comple de l'ina-
possibililô d'exercer une action efficace par lui-raêtne sur les
turbulents seigneurs delà Gascogne, avait pris le soin de s'y créer
des partisans, intéressés usa fortune el qui y exerceraienlen son
lieu le rôle de survoîllanls. ^ous avons vu qu'il avail chargé le
vicomle de Dax, Uayniond, qui ne cessa d'être son agent actif, de
le représenter dans la présidence des plaids ordinaires de la Gas-
cogne ; d'autre part, pour annihiler autant que possiljle l'autorité
des comtes d'Armagnac, les descendants de son adversaire Ber-
nard Tumajmler, il avail élevé à cnlé d'eux la situation du vicomte
do lîéarn. L'Armagnac prétendait à la vassalité du Béarn, il n'en
fut plus question; en oulre, il s'assura le dévoucmenldu vicomte
Ccnlulle, le propre neveu de Tuniapaler, en lui abandonnant la
Soute, le chûlcau de Caresse, la seigneurie de Salies, qu'à des
litres divers, faisaient parlie du domaine ducal et, de plus, il lui
rt-*connul une sorte de suprématie sur les pays pyrénéens en lui
accurdanL la jouissance de don/*; gîtes dans lesquels le duc d'A-
quilaine avail le droit de s'installer lorsqu'il venait dans ces con-
trées. Par suite de la rareté de ses visites dans ces régions cel
abandon coulait peu à (juy-Geotfroy, mais il était précieux à Cen-
lulle qui était en situation den user fréquemment. Aussi le vi-
cùmle de Béarn, dont la puissance s'était doublée par son mariage
avec liéatrix, héritière du comté de IJigorre, déclara-t-ilon loule
circonstance qu'il était le vassal fidèle de Guy-Geoffroy et de son
fds Guillaume et [jarliculièrement dans l'acte oii il prêta sermenl
au roi Sancbe d'Aragon pour la vallée de la Tena qu*il possédait
dans ses états (2).
(viD. VnUsele {ffist. de Linjnedtic, aaav. cJ., II, p. ^i8j et les hisLoricns qui
l'ont ttuivi oDi pcDdé aulreiiieal que a<>u>>. lU mllachcut à la (eulalive avorlée de Guil-
laume IV pour faire revivre claa» sa m lisoa le lilrc de duc il'A<}uilaine, la chevau-
chée qu'il avaiC eulrcprise el qui eul pjuf co icluiioa lo massacre d'uue centaine de
chevaliers deGuy-GiofJVoy auprès de B icd.;auï,cxpêJilioa (jue cious avons rapportée
ârannée 1060 (Voy. plus haut, page s?'*}.
(a) Moolezuo, fîfiat de in Gascogne, II, pp. G8, 73. Besly [ffitt. des co/n/M, preu-
ves, p. 'i'Kj bis) pbcc avec raiain, aous semble l-il, en 1070. ^"^^^^ actes où Cenlulle
tcmoii^nc de ses scntiiiieuls à 1 égard di duc d'Aqailaiue et qui, diiiis les textes des
hisloricaa auxquels il lea & empruntés, portent la date de iû77>
GLTV'-GEOFFHOY-GUILLAUME
355
Cependant, dcpuisie jour on le comle avait pris envers l'abbô de
Cluny rengageai enl de construire Moniierneuf» les travaux avaient
murclié et, à la lin de l'annôe 1081, les lieux claustraux i^e trou-
vaient en élut de recevoir leurs listes. Il envoya en Bourgogne
une mission pourvue des chevaux nécessaires pour amener à
Poitiers la nouvelle communauté. Dix-huit moines, sous la direc-
tion de leur abbé Guy, précédemment prieur de Cluny, parLirenl
avec leurs serviteurs et tout ce qui était nécessaire à leur instal-
lation, etenfin le 22 janvier 1082 eut lieu la cérémonie solennelle
dans laquelle l'abbé l'ut inironisé et béni (1). l/ai'rivée des reli-
gieux dut assurément concorder avec rachiivement d'une por lion
de l'église suffisante pour que le service divin pût être célébré
par la conimunauté. Évidemment c'était le chevet de rédilice et
dans celui-ci la partie de droite qui élail conligué aux bàlimenls
du inonaslère. Là fut placé un autel consacré à saint Pierre,
saint l*aulj sainl Jacques et autres apôtreset ipii fut bénit par ré-
voque de Poitiers Isembert, A parlir de ce jour, el à mesure de
l'avancement de l'édifice, tous les autres autels furent successi-
vement consacrés lors de leur mise en place (2).
Les années qui s'étaient écoulées avaient vu s'augmenter la
dotation primitive du monastère, insuffisante sans doute au gré
de ceux qui élaienl appelés à en jouir. Des moines de Ctuny rési-
daient à Poitiers, en particulier Ponce, rarchilecte qui dirigeait
les constructions de l'abbaye, et ils ne négligeaient aucune occa-
sion pour obtenir du duc, directement ou par son itjfiuence, de
nouvelles générosités (3).
Ce sont des terres à Moulière que Guillaume Robert aban<lonne
avec le consentemenldu duc (i), le domaine de Prémury que Guy-
Geoffroy disait avoir acheté de rurchevèijue de Bordeaux, mais
que revendiquait le chevalier Arraut de Spal, qui avait même
voulu intenter une action à ce sujet et qui dut y renoncer devant
la pression exercée parle duc sur lui, latil directement que par
(i ) Arch. de la Vienne, chnin. du raoiae Mirtia: « Dj priai) abbilti dicli [i>ci •,
{2) De Cliergé, Afé/n. sur Mjnlisnteu/,i>. 2jj; Aroh.dj l^i Vicaad, chroa. du maioe
Martin : u Uescripliû alUriofurn ».
(.i) Le nioiac l'oace, s'iniilutaui s s&Jificalor maojiateru », a:>slâic 4 la doaalîoa de
Guiltuume IVoberl doal il va élre parlé.
(/l) Arch. de la Vienne, orig., MoutierneuF, u* 4-
356
LES COMTES DE POT
Fintprmi^fîiaire du vicomt<^ <ic CliAli'HjM'fiuIt dans la d«''pendance
de qui se trouvai! le chevalier (1), la villa de la Jarrie el le bonr^
de Lotilai en Sainton^i^, domaines sur lesquels devait pouvoir
compler l'aUbaye deSainl-Jean d'Anj;ély àquile duc avnil donné
en 1073 Tt^jiflisede Loti lai et les dîmes de la Jarrie (2), des vignes
et les maisons qu'elles enlouraient sises an clos Guérin, qu'il
avait acquises, moyennant 30 sous, de Pierre Alarl, lequel élail à
cause d'elles en compétilinn avec Geoffroy Bernard (3). Maisrim-
porlance de ces donalions est effacée par d'autres encore plus
considérables.
Parmi les grands vassaux du comi*''! de Poilou, Guy-Geoffroy
semble s'être plus spécialement attaqué au vicomte d'Aunay qui
jouissait de nombreux fiefs conc(!'dé5 par les comtes, soit à lui soit à
ses ancèlres.en ri^munrralion îles services qu'ils leur avaient ren-
dus.Parmi ces fiefs se trouvait l'abbaye de Saint-I*aul de Poitiers.
Ce bi^^néfice ecclésiastique avait élé primiliveuient dans la dépen-
dance de l'évèché à qui les comtes l'avaient enlevé pour en gra-
tifier les vicomtesd'Aunay. Guy-Geoffroy jetason dévolu sur celle
abbaye el fit savoir h lévêque Isembert qu'il l'avait retirée au
vicomle Châlon; il lui demandait en niAmc temps do vouloir bien,
ainsi que le chapitre de sa cnlhédrale, renoncer aux droits qu'ils
pouvaient faire vnloîr sur cet ancien domaine épiscopal. Sous
celle conlrainle Tévèque n'eut qu'à ))lier; il fit plus encore, ce
fut lui qui, parlant en son propre nom, déclara publiquement
qu'il abandonnait SainUPaul aux religieux de Mouiierneuf. Pour
étoiiiïer toute opposition de la part des chanoines le comte leur
abandonna les droits de vente que ses sergents percevaient le
jour de la Cène de jeudi saint) sur les parliculiers qui venaient
ce jour-là débiter leur marchandise devant le porlail de la cathé-
drale de Sainl-Pierre, sous son arcade el dans le pourtour de
l'église; les chanoines ne se firent pas prier longtemps, car, en
(i) Arch. de la Vienne, orijj-., Monlierneuf, no 0; D. FoDleneau, XIX, p. 45.
(a) Bruel, Chartes de Ctunij, iV, p. fi3i. (Voy, plus haul, pasçe 3io).
(3) Arch. de la Viptinc, oriif., MualicrneuF. no 7; D. Fonteneau, XI.\, p. f^-j. Le»
quatre acleg 4jui prccèdeal ne sont pas datés, mais comme tous porlcnl qu'ils nol
clé passes prntbnl le temps que (Juy-Ocoiïroy faisait cooslrtiirc MonlierDeuf < coq$*
fruere Facil ■> el qac iraulrc [inrl iJn'y est paa question suit de l'abbë soit de» moines
qui vinrent s'installer dans l'abbaye au commencement de 1082, nous croyons devoir
les placer entre 1077 et 1081 .
GUY-GEOKFROY GUILLAUME
3S7
échange de pareilles compoiisalions, ils n'auraienl certainement
pas hésili^ à abandonner lous leurs droits nominaux sur les domai-
nes, nombreux dans le diocèse, qui élaienl sortis de la sujétion
directe de l'évêché. En conséquence le chancelier de l'évoque ré-
digea, le 10 juillel 1081, une magnifique charle de donation sur
laquelle le duc et son fils Giiilluume apposèrent leur croix à la
suile de celle de révêquelsfmbert; le^doycn, les membres du cha-
pitre et l'abbé de Saiiit-Cyprien furent témoins de l'acte ainsi
que les familiers du duc parmi lesquels on comple Robert le
Bourguignon, Maingot de Mulle el ses frères, Pierre de Bridier,le
prévôt Hugues cl le comte Audeberl de la Marche. A celle longue
énuméralion d'assistants il ne manque qu'un nom, celui du prin-
cipal intéressé, le vicomte d'Aumiy (1).
Parmi les faveurs dont Guy-Geo!îroy ne cessait de combler
Monlierneuf se Irouvail le droit de prendre dans la forêt de la
Sèvre le gros bois qui était nécessaire à ses besoin;*. Agissant avec
ses procédés ordinaires il avait enlevé la possession de cet usage
à des chevaliers à qui il l'avait dorme vingt ans auparavant ; mais
ce droit d'usage appartenaii primitivement à l'abbaye de Saint-
Maixent qui le tenait', ainsi qiiu le péage delà ville el d'autres pri-
vilèges,de la générosité de (iuillauuie Aigrel. nuand,eu i08U,ces
religieux furent reutrés^moyennantlinance, en possession du péage
de la ville, ils purunt croire que par ce sacrifice toute la donation
de Guillaume Aigret allait leur être restituée. Il n'enfui rien ;
l'abbé Anségise,à qui évidemment despromessesavaientété faites,
recourut à des voies judiciaires pour en obtenir la réalisation. Il
s'adressa d'abord à la justice du comte el se présenta à une assem-
blée dans laquelle se Irouvaienl plus de deux cents assistants ; il
ne put rien obtenir. 11 se tourna alors vers les juges religieux el
soumit sa réclamation à un synode de Poitiers ; il ne fut pas plus
heureux. Enfin il porta l'affaire devant un concile qui se tint à
Charrotix dans celte année 1082, mais ce fut sans plus de succès ;
l'infiuence de Cluny paralysa tous ses efforts (2).
La tenue de l'assemblée de Charroux,qui était présidée par le
légal Amé, fut accompagnée de la consécration d'un autel dans
t
(i) Areh. de la Vienne, urijç., Monlierneuf n» 9; D. Fonicneau, XIX, p. 55.
(a) A. Hicbard, Charte* de Saint- Alaixentf I, p. i<jC.
358
LES COMTES DE POITOU
l'ô^Iiso alibalialo cl de l'oslension des nombreuses el précieuses
reliques du monastère (1). On y prononça la d(''position de Bo-
son, révoque de Saintes, dont le nom ne se renconlre pas parmi
ceux des prélats qui astiislèrent au concile tenu en 1080 dans sa
ville «''piscopale et dont il se tenait peut-être drjà éloigné (il).
Nous ne «aurions dire si Guy-Geoifroy prit pari aux fêles de
Charroux.On pourrait le croire, élanl données ses habitudes, mais
il se peut aussi que la réunion du concile ail coïncidé avec d'im-
porlanLes opérations militaires qui eurent aussi lieu cnllo année.
Le vicomte de Limoges ou les habitants de la ville, on ne sait au
juste, étaient en guerre avec le duc d'Aquitaine. Celui-ci, suivant
ses procédés ordinaires, ravagea impilnyaldement les abords de la
cité et môme brûla les églises qui se trouvaient en dehors de l'en-
ceinte, en particulier celle de Saint-Géraud. Celle façon d'agir
énergique dut amener promplement la lin de la rébellion dont ne
connaît ni le point de départ ni l'issue (3).
Bien que Ton possède peu do renseignements sur les diflicullés
que Guy-tleatrroy ne put manquer d'avoir avec ses vassaux, et que
do rares laits précis, tel que celui de Limoges, soient seulement
parvenus jusqu'à nous, riiabilude des guerres privées, des agres-
sions soudaines, était tellement ancrée dans les mœurs que le dur
d'Aquitaine, malgré la vigueur de ses répressions cl l'habileté de
sa politique, ne dut pnséchap[ier à la loi commune h une époque
où pour les régions mémo on il dominait l'Eglise diit,alln de mel-
(i) Marcheçay, Chron. des érfl. trAnjoii, p. 4^7, Saint-Maixenl.
{7) Gttilia (./irrsL, 11, col. iaG/(.
(!i) rtesly, //ii'l. tirs cf.mtes, |ireiive«, p. ^.'id bis, d'après le cariul, de Salul-Etienne
de Lim"a;-(;s,et p. 380, d'cprcs une chrûui([ue nianuscrile de Limoçea, doûl les textes
sonl idenliqucs. La chronique." de GeolTruy du Vigeois (Labhc, Nova hilA.,\\, p. aSy)
place ces fnils en inSo, <"l l'édileur dece clironiqueur Jes jne(, par auile d'une corrcc-
lion, en l'nnnéc 1087. Paluslre [t!ix{. de Giitllaiime IX, p. iW[ et ss.) allrihue Taf-
l'aire de Lîriiu^es à un soulùvemeul des Ixibitants corilrc leur vicomte, lequel aurail eu
pour ohjrt d't-lal»lir une commune dan» la ville. Marvauil (IHst. îles vicomtes et de la
vicomte de Limuf/es, 1873, I, p, i^O cl ss.J rattache ces fai(s à la chevauchée de Guil-
laume, comte de Toulouse, placée par H. Vaissete à peu près à cette époque (nous
avons étahli (pi'ellc doit upparlenir n l'unnêe 10117) *"' '"'-'i'' '1"*^ '^ vicomte Adémar ait
pris parti pour lui. Il mêle aussi à celte aflaire ufi Guillaume Taillefer, comte it'An-
jfoulème.qui aurait cotitianil Guy-iieoiVroy à lever le sièt^c de Limoifes; or GuîJInunic
Taillefer ne sncccda à son prrc Foulques qu'en 1087, ce qui le met hors de cause,
et de plus Marvaud s'appuie pour faire ces récits sur l'iiislorien auiçoumoisin Corlieu
lequel n'en louche pas un mot.(Voj. le Heciieil en forme d'hiftoire de Cnrlieu, publié
parJ. H. Michoii, iS^t», p. ai, à hi suite de V/fisloirn de l'Angoamois de Vigier de
la Pile).
GUY-GEOFFROY-GUILLAUME
359
Ire un obstacle à ces maux, faire admellre la Trùve de Dieu. Il se
peut donc qu'il ail eu aussi maille k partir avec Foulques Taille-
fer, comle d'Angoulêrae, qite les chroniques représentent comme
un violent batailleur. Celui-ci fui pendant une partie de sa vie en
lutte avec son frère Guillaume qui, pendant près de trente ans,
posséda l'évôché de cette ville. L'évêque était un des familiers du
comte de Potion et on le renconlre souvent dans les assemblt»es
présidées par (iiiy-Geoiïroy, tandis que la présence de son frère
y est rarement constatée. Tout d'abord l'"oiilques aurait repoussé
une agression des Poitevins qui auraient envahi sa terre pour la
dévaster et prenant audacieusemcnl rotlensiveil les aurait repous-
sés jusqu'à Cognac en Saintonge, après leur avoir fait un grand
nombre de prisonniers. Kn outre, dans le môme pays de Saintonge,
il aurait, avec une troupe considérable, marché au secours de
Mortagne, qui, assiégé par le duc d'Aquitaine, était sur le point
de se rendre et il aurait contraint les assaillants fi se retirer (!).
Quoiqu'il en soit, l'année 1082 nous paraît avoir été une des
plus troublées de l'existence de fiuv-GeolTroy, mais les préoccu-
pations extérieures ne le détournaient pasde s'oncuperdes affaires
intérieures de ses états. Dans le courant de l'année, sans doute
avant le concile de Charroux, il se tint h Poitiers un important
synode auquel le comte assista; on s'y occupa, entre autres, de
choisir un abbé pour le monastère de Maille/.ais que Droon venait
de quitter. Avec le consentement du eomlc et de l'évéque de
(i) Historia poidif. et comil. Engolismensiiim, p.3G_ Le chroniqueur qui r.ipportp
ces failH dit qucTévcque Giiillnumc était un des familit^rs du duc li'AquîlaÎQC nuillim-
me, lequel lui aurait donné entre autres la trésorerie de Sainl-fUiairc et les offran-
des de l'autel de Snint-Jcsn d'Ançêly. Hcsly \IIisl. df.s comtes, p. 106') rt le Gallifi
Christ, (fl, ciil. oyii) i«)enlifient ce tiuillaunie, duc d'Aquitaine, nvec Guy-Geoffroy.
Or il est établi par de nombreux <locumeDts que Joscelin de Parthi*niiy fui trésorier
de .Safnt-Hibire depuis Mr'57 au moinn jusqu'A sa mort, arrivi'-e en 1080. Dans
col intervalle, qui comprend fout le temps que Guy-GenfFroy çnuverno le duché
d'Ai|iiilaine, il n'v a p,-»» de [dnce pour l'évèque d'Ançouténic à la tcle de la trésorerie.
Il pu! au ccDlraire succédi-r d.ius celle rharjje h Fulbert de Chartres, mort en 1079,
et s'en démettre lors de son .ivénemenl à l'évéché d'AnsjouIême vers io/j3.P»r suite.
le duc Guillaume dont parlent tes auteurs sérail ou GuilL-iume le Gros ou Guillaume
Aiiïret, et les faits de tfuerre relates par l'hiRlorieu de» évéques d'Ançouléme se rap-
porteraient A l'un de ces deux princes cl non à Guy-Geoffroy. Le seul motif qiji pourrait
faire atlrihuer le siè«?e de Morla^nc à ce dernier, cVsl que le clironiiiueur rapporte
(jue le comte ovail dévasté les abord» du chdtenu. ce qui était dans ses habitudes. On
peut par contre ofiposer n ce dire que, selon le Gntlin (II, col. ri'.i'*)f l'évcquc d'.Vu-
jçoulérre, S)>rês avoir été pendant les preniicrcs années de fson cpiscnpnt en lullc nvec
son frcre, se réconcilia avec lui et qu'ils vécurent m suite en pjd.\.
3Go
LES CO.MTlîS DK POITOU
Poiliors, fieolTroy, moinft de Sainl-Micliel de rEcInse, fut élu, et
Ton fil cnsuile ratifier cet acte, pour la forme, par les religieux
de l'abbaye (i).
Poitiers étail du resle toujours la principale résidence du com-
le-duo. Le 4 février 1083 il ne dédaif^na pas d'assisler, ensaqua-
lilé d'abbé de Saint-llilaire, au contrat de mariage de deux par-
ticiilîi^rs qui résidaient dans le bourg du cbapitre (2), mais sa
principale préoccupaliou éluif loujours Munlicrneuf. Selon un
écrit fonlemporaiu, lorsqu'il faisait son séjour dans sa capitale,
Guy-Geoffroy ne laissait pas passer une journée sans descendre
au monastère, et s'il venait du dehors il n'entrait pas dans son
palais sans avoir auparavant rendu visite aux religieux qu'il appe-
lait ses sei|:;neurs; il se rendait lui-même à la cuisine et demandait
au ccllerier do quoi se composerai! le refias du jour cl s'il appre-
nait qu'il devait comprendre seulemenldesœufsjdu fromage ou de
petits poissons, il ordonnai! aussitôt h sou trésorier de verser une
somme convenable pour ramélioration de cet ordinaire (3).
Dans ce tableau il y p. sans doute quelque exagéralion, l'auleur
abusant souven! du lyrisme dans ses récils, mais les lif^nes géné-
rales doivent être exactes. Il y avait déjà deux ans que Monlierneuf
aurait dû prendre possession de l'abliaye de Saint-Paul quand le
comte sentit la nécessité d'en finir avec la résistance du vicomle
d'Aunay, Celui-ci, subissanl la contrainte de procédés sur lesquels
nous n'avons pas de détails, fut amené à ratifier la donation de i081
h laquelle il n'avait pas personnellement pris part ainsi quel'aban-
don généra! fiiil par l'évoque et le cbapilre de Poitiers ; dans
l'acle auquel il souscrivit le 8 juin 1083 el qui émane comme le
précédent de Tévôque Isembert, il esl non seulement question
de la cession de l'abbaye de Saint-Paul, mais encore des églises
de Notre-Dame du Palais el de Saint-Germain de Poitiers el de
celle de Migné, prés de celte ville, qui étaient dans la dépen-
dance de celte abbaye. Le viconile dut môme ajouter à la
principale donation, laquelle comprenait ce qu'il tenait féodale-
(ly Lacurie. f/ist. de Afm'llfsais, p. 587; D. Fonteoeaa, XXV, p. 157.
(a) Hédel. Doc. pour Sitint-Hilnire, I, p. loû.
{3)1 Arch. rJe la Vicoac, cUroa. du moine Martin, « De devociooe quam er^
monacboB hsbcbat.
fiin-GEOFFROY-GlJlLLAUME
3Gt
menl de l'évèque, divers biens qui lui apparlenaienl en propre, lels
que la maison el le verper qu'il possédait dans les dépendances de
Sainl-Paul, ainsi que tout ce que lui ou les clercs desservanll'ab-
baye pouvaient tenir d'elle en bénéfice, soil qualre petits fiefs (1).
La vive pression exercée par Guy-Geofl'roy sur son vassal ne
saurai! 6tre révoquée en doub\ Vin^lans après ces événeuienls, le
comte el ie vicomte étant morts, Guillaume, le fils de ce dernier,
prolesta contre l'exlorfiion dont son père avait été victime elqu'il
attribuait hautement au comte lui-môme. Les moines de Monlier-
neuf, peu sûrs de la justesse de leur droits, et ne se sentant plus
soutenus par la main puissante à qui ils devaient tout, se mirent
d'accord avec le vicomte d'Aunay et obtinrent de lui la confir-
mation de cet acte dont l'objet constituait un de leurs prin-
cipaux domaines (âj.
Il est à présumer que l'on profila de la situation où se trouvait
le vicomte Chàlon pour l'amener à reconnaître un autre don fait à
Monlierneur et même à y participer. 11 aurait, on ne sait quand,
concédé à Hugues, abbé de Gluny, plusieurs églises, entre autres
Javarzay; Hugues, faisant en quelque sorte un cadeau de bien-
venue à l'élablissement qui devait, dans sa penséo, être le centre
d'action de son ordre en l'oitou, fît abandon dt* toutes ces églises
à Montierneuf. Le vicomte donna son consenlement à cet acte,
en renonçant complètement k ses droits de suzeraineté ; de plus,
auxbiensdont il s'était déjà dépouillé, il joignitsun pàquier d'Au-
bignéet autorisa pour l'avenir les moines de Montierncuf à acqué-
rir sans entraves tout domaine possédé par quelqu'un de ses
feudalaires. Cette l'ois il ne se déroba pas à la manifestation de
son engagement; il fit apposer son nom au bas de la cbarie, dont
la rédaction eut aussi pour témoins le comte et quehjues-uns de
ses familiers tels que iMaingol de Mette et Béraud de Dun (3).
La présence de ce dernier personnage, que l'on rencontre assez
(.) Art'h. de la Vicone, orti?,, Moalieracuf, n" lo; HcsIv {//<s7, des comtes, preu-
ves, p. 387) douue la lct;on încorrecle de « julii >■ au lieu de » juiiii ^.
(a) Arch. de la Vienne, orig., acte daté de i iifijMonlierneuf ,n« 24; l^* Fonteoeau,
XIX, p. 139; Besly, //ist des comtes, preuves, p. 388.
(3) D. Fonteae'iu (XIX, p. 67) s'est tronipê eu atlribuanl celle donation i l'abbé
de ^fontierneuf; à cette dutc, l'ubbû s'appelait Guy cl uon Hugues, cl ce dernier nom
était celui de l'abbé de Cluoy.
363
LES COMTES DE POITOU
rarpnwnl à cM\(* Opoque, nous porte h penser qu'à la inènn; dale
fui passé un aiilre acte, bien imporlanU concernant Monlierneuf.
Les deux chartes par lesquelles Guy-GeorTroy avait placé l'abbaye
sous la domination de Cluny énonçaient bien en gros que le fonds
sur lequel elle se conslruisail et ses dépendances jouiraienl de
de Ions droils de franchise el de liberté, mais elles n'étaienl
entrées à ce sujol dans aucune spécification spéciale. Ce silence
aulorisail lous les empiétements oi les moines no manquèrent pas
de donner aux termes employés par le comte toute l'amplitude
qu'il leur fui possible. Cependant, un jour, le prévôl Hugues
trouva qu'ils en abusaient, parliculièremenlsur ce fail que Tabbé
étendait son aulorilô sur des particuliers qui devaient être dans
la ligence du comte el qu'il lui en enlevait la directe, c'est-à-dire
tous les profits qu'il était susceptible d'en retirer.
11 porta donc plainte à Guy-Geoffroy qui assembla son conseil
et, avec l'assentiment des partiesen cause, l'abbé el le prévùt. régla
leurs droits respectifs. Il commença par déclarer que c'était lui-
même qui avait construit Monlierneuf et qu'il avait disposé en
faveur de ce monastère d'uneportion considérable de ses revenus
ainsi que pouvaient l'attester les chartes de privilt'ges qu'il lui avait
délivrées ; il ajoutait que, les choses ainsi concédées, l'abbaye
devait les posséder franches et quittes de toutes charges. sans que
ses successeurs pussent jamais venir k l'enconlre. Cette donation
s'appliquait au bourg au milieu duquel était édifié le monastère, à
celui qui existait au drlàde ta rivière du Clain, au bourgde Saint-
Saturnin et aux terrains que les moines pouvaient acquérir jus-
qu'aux murs de la cité el dans lesquels il n'avait retenu aucun
droil. Il avait abandonnée l'abbaye lous les hommes coiilumiers
(|uî poiivaienl habiter ses bourgs jusqu'au jour on la charte de
donation fut passée, mais il lui avait interdit de recevoir à l'ave-
nir aucun homme tenu à quelque devoir envers lui. Pour satis-
faire à la réclamation du préviM, il spécifia que les marcliands
ambulants demeuranl à Poitiers acquitteraient aux moines la cou-
tume habiluelle quand ils viendraient débiter des marchandises
dans leur bourg, mais que lorsqu'ils reinonleraienl en ville ils
paieriiient an prt'vùl la même coutume, sans tuulefois qu'il fût
exercé de contrainte sur eux ; «enibliiblemenl les moines devaieril
GUY-GËOFFROY-GniLLAUME
363
toucher dos droils cou I limiers de Ions marchands passîinisqiii ven-
draienUlans leur U^rriloire. Sur laquoslion do franchise du bourg
propreDienlditdeMonliernfMifiîIadéchirail complète, delellesorle
que si unparlicuMer ayanl commis quelque forfait oti élant pour-
suivi par la justice du comte se réfugiait dans ce bourg, il lui serait
loisible d'y vivre en toute quirlude jusquati jour du rL'glemenl
de son affaire ; pareilleiiienl les habilauls du bouffï ou ceuv-l:i qui
y auraient apporté leurshiens posirraicnl on jouir' on loule liberté
ety vivre en repos, sansqu'ils pussent f^lreeii butte à aucuns sévi-
ces ou subir aucun dommage dp la part dos hommes du comle.
Telles étaient en un mot les principales clauses de la rhailo do
francb ise don iraiy-Geoffroy dot ai Isa nouvelle création el qui venait
placer la ville de Poitiers enlre Irois liourgs francs, !?aint-lliluire,
Sainte- lîadegonde et Monliorneirf. Pour lui donner loul<» sa
valeur il plaça l'aclc entre tes mains de son fils et de l'abbé Guy
et le fit approuver par les assistants, parmi lesquels on est éton-
né de ne pas trouver le préviM Hugues, mais seulement son frère
liudos qui, dans la circonslance, est aussi qualifié de prévôt (1).
Par analogie, nous plaçons h la même époque une autre dona-
tion ["aile à Monlierncuf et qui ne nous puruil pas plus volontaire
que les précédentes. L'abbaye de Sainl-Cyprien avait re(,'u en
cadeau d'Airaud de Montoiron, quand ilentra comme moine dans
la communauté, l'important domaine de lîeilefonds avec l'église de
Liniers elde nombreuses dépendances {i).Le comle avait assisté à
l'acte qui avail été dressé à cette occasion, semblant par sa pré-
sence devoir lui donner loule sa valeur, tandis qu'au contraire il
ne se trouvait là que pour donner satisfaction h ses secrets désirs.
Ilinvitadonc les moines de Saint-Cyprion,en faisant preuve d'une
grande tiumilité et d'une grande dévotion envers lour maison et
son patron, à disposer d'une parlie de ce qu'ils venaient ainsi d'ac-
quérir en faveur de l'abbaye de Montiernouf; leurabtié Kavnaud
(i) Arch. de \a \"tcaai^, cart. de Monlîerneuf, rc<*. no sot'i, fui. w"; l). Fon(c-
nfHu, XIX, fi. 71; Champollion-FiiîMc, fJoc. hist. inèditt^ pari. 2, p. j, d'nprès un
irvti* recueilli fiar Beslyqui dilT^rc ûolalilemeut de celui du carhil.«irc. Ucratiil de Dun,
don! Ib présence dans ces divers ncies nous a servi pour le« dater, chI cnrore cité co
qunlité de membre de la conr de justice du dmr tlao-* une ebarle de Murmiiiilier
relative au prieure de Foolnines (Mnrehearnv, Cari . dit lins-Poitm,^. g't).
(al Cari, de Suitit-Ci/prien, p. i/|.'{.
m
LES COMTES DE POITOU
dul s'exéculcr, mais SEichanl à qui il avait affaire il prit ses pr6-
caulioiis el en faisatiL constalt'r Jans l'acLe que lui el son couvenl
faisaient grahiitemenl l'abandon à .Monlierneuf de la muiliù de
l'église de Liniers, de la dlme de la paroisse el de toul ce qui
dépendait de cette église, ils firenl reconnaître par Guy-GeofFroy
leur droit léi^ilime à la propriété de la donation d'Airaud de Aion-
loiron el lui lirenl prendre rengagement de la déleudre envers
el conlre lous (1).
L'aulre moiliô de l'église de Liniers appartenait h Boson, vi-
comte de Chàtelleraull . (^elui-ci n'échappa pas non plus à la pres-
sion du duc. Il avail assisté en qualité de suzerain, avec sa femme
el ses Gis, à la donation d'Airaud ; il dul ainsi que sa femme
renoncer à leur droit supérieur de propriété en faveur de Mon-
lierneuf. Il est à présumer que ce fait se passa lors d'une visite
que le vicomte faisait aux travaux de l'abbaye, car cet abandon
se fit dans la main de l'archilecte, le moine Ponce, en présence
de Guy-Geoffroy et de son entourage ordinaire (2).
Il nousparuîi aussi plausible d'admellre que, profilant de l'occa-
sion et cherchant à se rattraper par autre part, les moines dcSainl-
Cyprien aient conclu en ce moment avec le comte deux accords im-
portants. Tarie premier, il leur reconnaissait le droit d'avuir, pour
l'usage du munaslère, quatre hommes de métier, francs el quittes
de toutes charges envers lui, à la condition que ces hommes ne
seraient pas pris parmi ses coutnmiers, c'est-à-dire parmi ceux
qui étaient chargés de redevances personnelles envers lui, mais
qu'ils les feraient venir du dehors; dans l'autre, il déclarait que
les eaux du Clain, devant le couvent, appartenaient aux religieux,
que personne n'avait le droit d'y pêcher, même ses enfants, mais
que néanmoins il se réservait la faculté, quand lui ou son lils se
trouveraient à Poitiers, d'envoyer son sergent, accompagné par
celui des moines, pêcher en ce lieu pour leur lable (3).
(i) Cnrt. de Sainl-Ci/priert, pp. i43, i^6, Daoa ces documeûla ces actes acporlcnl
pas de dates. Kédet a placé le premier enlrc io7Ïct i loa (vera 1080) el le second entre
1073 et io83 (vers io8û); noya [«nsoos qu'jt convient de les rapproclier un peu plus
l'un de rautre el de (es fuirc feutrer dans la série des mesures trénérHles que prenait
iilorH Guv-Gcoffrov en faveur de Monlierfieut". L'acte portant danaliun de Liniers à
Montîerneuf se trouve aussi aux archives de la ^'ieQne, oriç., Montierneur, n" 5.
(a) D. i'^uDleneaii. XIX, p. 4g, d'après un viJimua du 8 juillet lA?^) Arcb. de la
Vienne, cartul. de Montieroeuf, retç. a» aoli.
(3) Cart. de Hainl-Cyprten, pp. aa et ai.
GUY-GEOFFROY-GIÏÏLLAUMB
Noannioins louks les flilTicnllés qui avaient pu surgir enlre le
comte f{ \os religieux de Saint-Cyprion no s'arrangèretU pus à Ta-
rn inblei^omme dans If s cas pr<''c»^dpiils.Lpsd(''ponsesmutliplesau\-
qiieilfs Giiy-riPolTroy avail h pourvoir, t^lparliculiorêmenl la rons-
Iniction do. Monliorneuf, l'obligeaient constanimenl à se meUre
en qiiùle de nouvelles ressources el ses agents, assurés qu'ils
liaient d'ôlre soutenus par lui, ne ménageaient pas à ce sujet les
revendications qu'iU croyaienl pouvoir faire valoir, ou cherdiaienl
k percevoir dos droits plus ou moins fondés, ce que les rédacteurs
des chartes religieuses appelaient des mauvaises coutumes, « pra-
vas » ou « malascoslumas '>. C*est ainsi qu'ils prétendaient exiger
<les moines de Sainl-Cyprien les mêmes redevances sur les terres
incultes, froustes, « frosla, » de leur domaine d'Ansoulesse que
sur les terres cuUivées. Les moines se regimbèrent et portèrent
l'alTaire dcvanl la cour du comte. Celle-ci était composée d'Aude-
berl, comte de la Marche, de Hobert le Bourguignon, de Pierre
de Bridier et du prévôt Hugues. Us soutinrent que la terre qui
avait cessé d'être cultivée, et qui pour ce motif était rentrée dans
leur domaine, devait y revenir libre et quille de toute charge.
Les juges leur donnèrent raison et le convie, qui était présent
à l'audience, déclara acce[tter celle décision (I).
Vers ce temps il dut assister, bien que nuus n'en ayons pas
la preuve, à un synode qui se tint à Saintes dans le courant de
Tannée 1083. Il ne pouvait en eiïel rester étranger aux nomina-
tions épiscopales qui furent arrêtées dans cette assemblée : Si-
mon, chanoine de Saint-llilaire le Grand, que Ton rencontre fré-
quemoaent parmi les compagnons du comle dans ses pérégrina-
tions, fut élu évèque d'Agen,et Kcnoul,de la famille des seigneurs
de Harbezieux, évèque de Saintes en remplacement de Boson
déposé l'année précédente au concile de (iharroux (2).
(t) Cart. lie Sainl-Cyprien, p. aoi.Cel acte n'est pns plua daté «pie les précédcntH,
mais on peut ioJuire du nom des juges ((ui y comparaissent qu'iJ dc saurait |^ère
élrc placé iju'entre io>So cl 108G; nous adoptons comme moyen terme la date de io83.
Nous mentionneroDs encore ici pour mémoire les autorisations accordées parle comte
à une date iDdélcrmiot-e :\ GHusberl le Français pour donner à l'abbaye, quand il j
entra comme moine, le four du carrois de Saint-i'aul à Poitiers et à André Poupeau
de lui abandonner tous ses biens sis entre Poitiers et Fontaine-le-Comte {Cart. de
Sainl-Cypricn, pp. 3i et 23),
(a) Marchegay, Chron. desègl. d'Anjou, p. 4o8» Sainl-Maixenl.
366
LES COMTES DE FOITOl'
A ce voyage doit se rallacher le fait suivant : un vendredi du
mois de juin UJ83, Guy se rendait de Mafllezais à Fonlenay, châ-
teau du vicomte Savari de Thouars, en eoinpa^Miie de ce dernier,
de Kaoul, son frère, d'Htij^ues de Surgères et de plusieurs clercs
parmi lesquels se trouvaient son chapelain Bt'renger, Ansegise,
abbé de Saint-Maixenl, et Guillaume, abb6 de Saint-Florent de
Saumur. Ces derniers le pressa>enl de sollicilalions et i! finit par
consentir à donner à l'abbaye de Saint-Florent la chapelle de
Saint-Sauveur du château de Pons. Celle chapelle avait fait par-
lie d'ancienneté du domaine particulier du comlu de Poitou,
môme lorsque le camle d'Anjou, fieotîroyMarlel, était possesseur
de ce château. Comme il élail d'usage de sanctionner l'accord
passé par un signe matériel, il prit en pleine roule le peigne de
l'abbé Ansegise el ic remit à l'abbé de Sainl-Florenl, qui l'envoya
par la suile à son monastère (1).
C'est peul-êlre au cours de ces pérégrinations que l'abbé Guil-
laume obtint encore d'autres faveurs des seigneurs du pays. Un
chevalier de Pons, Conslanlin le Gros ou le Roux, lui donna le
domaine de Tesson, sur lequel il avait construit une église et qui
devint une des obédiences de Sainl-Florenl en Saintonge. L'acte
fut passé en présenceel du consentement du comte Guy-Geoffroy,
de son fils le comte Guillaume, jeune homme de grande espérance
dit l'acte, aux côtés de qui se trouvaient Henoul, évoque de Sain-
tes, Uoson de la Marche, Itobert le Bourguignon, Béraud de Dun,
le prévôt de Poitiers et autres (2).
De Fonlenay, il est possible que le comte ail gagné le Tahnon-
dais où le soin de ses intérêts et de constantes dilTicullés nécessi-
taient sa présence, on peut le dire, chaque année. Après la mort
de Normand de Monlrevaull, ce ne fut pas son fils, nommé aussi
Normand, qui lui succéda dans le fief de Talmond, mais Pépin,
le fils d'Asceline. Celui-ci eut des diflicultés avec ses vassaux, el
(i) Arch. hist. de la Saintofi'je, IV, pp, 3(j el ^o, chartes de Saint-Floreal.
(2) Arch. hist. de la Sainlonje, ÏV, p. Cli. Uans celle publicalioa, ccl acte a élé
placé en rannce 1080 cavirou. Il doit ôtrd rtsculê d"aj moioi Irois ao», Kenoul qui
y comparait comme évéque de Saitites n'iiyjoi clc élu qu'eu loSÎ. Oq peut déplus
lirer celte iaJuclion de la prcscorc à ceit-* do lalioa du comle Gaitlaumi, du prcvél
de Pulticra el d'autres pcrsonoaçes que l'oa Irouvc Eiabiluellemeut auprès du jeune
comte, que l'acle fut rédigé à Poitiers au retour da voyage de Saintes au cours du-
quel Heiioul lui élu.
GUY-GEOFFROY-GIJILLAUME
367
l'un d'eux, Marin, fils de Kroo;ier, le. conlraignil môme à se ren-
dre à Poilit'rs devant lacoiirdu comte où il l'avail cil,6. La cour
donna en partie raison à Pt'piii, mais son adversaire, peu satisfait
de celle décision, demanda que l'alVaire reslàl en instance jus-
qu'au jour où le comte viendrail dans le Tulmondais et qu'alors
elle sérail porlôe dlreclemenl devant lui. Guy, empêché sans
doute de s'arrêter longlcnips dans son voyage et ne pouvant se
mellre ainsi h l'enli<>re disposition des parties, dék'gua ses pou-
voirs à un chevalier, Guillaume Acliard, qui prononça définitive-
ment sur le litige (I). Telle élait l'exislence que le comte menait
dans ses constants déplaceraenls, ce qui n'a rien du caractère
d'ûisivelé et de plaisir que Ton serait trop porl6 à lui allri-
buer.
Dans une de ces tournées qu'il fit en Saintonge, accompaj,'né
sim|)lement par ses prévôts, il eut sans doute quelque affaire avec
un riche parlicuiier de ce pays, Guillaume rreeland. Le comlcle
dépouilla d'une forêl située entre I*onl l'Abbé et Itomelte et en fit
don à l'abbaye de Monlierneuf pour la défricher. Freeland dut
souscrire à l'acte, en déclarant que la donation du comte compre-
nait tout ce qui lui était venu en ce lieu de ses ancêtres et qu'il
en faisait spontanément l'abandon à son seigneur. Hugues, le
prévôt de Poitiers, et son frère Eudes, Arnaud, prévôt de Surgè-
resj Seniorel, prévôt de Saintes, et un certain Foulques Nor-
mand, que Ton trouve souvent dans la compagnie du comte sans
désignation sjtéciale, assistèrent à la rédaction de l'acte, au bas
duquel Guy-Geoiïroy et Freeland tracèrent leurs croix de leurs
propres mains (2).
(1) Ma^che^•ay, Car/, dit Bax-Poiiou, p. f)!<, prieuré do Fontaines. A défaut de
date OD peut placer comme uous le faisons les fail8 énoncés dans cet acte en l'année
J082, où l'oa voil le comte se rendre en UaS'Poitou. Marchegay leur attribue la date
de 1080 enviroa.
(2) Arcb. de la Vienne, oriiç., Munlicroeiif, u« i3. D. Fonleneaii (pii a Iraoscrit
CKtle pièce d'après Tmiginal (XIX, p. 81), l'attribue au duc Guillaume IX et la place
vcr-à l'anaée 1088. Nous ne saunou<» partager »a manière de voir; cet acte émane de
Guy-Geoffroy et par suite est aulérteur k l'année 1087. Il est évident qu'il a été passé
en Saiulonçi où le clj nie da Poitou se trouvait seil avfc ses prévtMs; celle fa^-on
d'agir est celle que l'on coaslale daas les dernières années de la vie de Guy-Geoffroy et
OQ ne .saurait l'appliquer a son filf qui. en 10S8, n'avait g'uère que dix-sept ans et ne
voyageait qu'entouré de ses coa leillers ou de ses défenseurs. De plus l'ucle original ne
parte pas en toutes lettres le aoin du comte, mais seulemcat lulellrc G., qui esiriuitiule
du mol Giiffi-edas, c'est-i-Jii'e Gjoffro/, tandis qie lora^iue le comte éiail désigne
368
LES COMTES DE POITOU
L'année 1083 se Icrminamal. Le 18 octobre, un grand Irem-
blemenL de terre se lUressenlir à Poillors el d(jlcrmina dans celle
ville un incendie considérable. L'église de Sainte-Uadcgondc fut
délruile par le feu et il semble rùsulter du loxle qui nous a con-
servé le souvenir de cet évônomenl que la partie de la ville qui
aurait élé mise en cendres serait le liourg élevé aulour de celle
église en debors de la cilé, dont les murs auraient d:ins la circon-
stance opposé au fléau une barrière presque infrancbissable. L'ha-
bilude de construire en bois la plupart des maisons et môme de
plus imporlanls élablissemenls faisait prendre aux incendies des
proportions considérables, aussi les chroniques du temps conlien-
neul-elles l'réqucmment la mention de grandes conflagrations :
c'eslainsi que, Tannée précédente (1082), le feu avait, dans laville
de Saint-Maixenl, détruit mille maisons el tous les édifices reli-
gieux ; à Maillezais le monastère, pour la même cause, avait été
pareillement détruit (1).
L'année suivante (1084) nous retrouvons le comte-duc à Dax où
il avait convoqué les principaux personnages, tant religieux que
laïques, de la région ; on y remarquait enlrc autres l'archevêque
d'AucU et ses sutl'ragants,révéquede liuzas el d'Aire, les vicomtes
de Tarlas el de Labalut qui, devanl lui^ jugèrent diverses contes-
talions qui avaient été portées à ce tribunal supérieur (2).
Guy-GcoH'roy maintenait un tel ordre dans ses étals que, dans.
cette époque si troublée, c'est à peine si de temps en temps on
relève un fait d'ordre public el que l'bistoireait daigné noter.
Elle eslparticuliàreuient complètemenL muelle pour Tannée 1 U8a;
cependant, c'est peut-être au commencement de cette année ou de
la suivante qu'il se passa un lait sur lequel nous ne sommes pas
complètement édifié» Eble, seigneur de Cliàlelaillon, avait enlevé
aux moines de Saint-Maixent les marais de la Font-de-Lay dont
ils jouissaient do toute antiquité. Ceux-ci portèrent plainte au
comle qui ordonna à Eble de les leur restituer. Ce dernier refusa,
Guy-Geollroy s'empara des biens en litige et les remit aux moines.
Ê
par son autre nom de Guillaume, lF(7/('/ffi«s,la letlre iailiale de ce nom était indiquée
jjar le W.
(i) Marchcgay, fjhi-un. des égl. d'Anjou, pp. /joS cl 4*>9, Sainl-Maixcnl.
[2] Besly, //«*■(. des comtes, preuves, j>. ibg; Arc/i.hisi. de lu Gironde, V, p. 170,
il'aprêa le cartulaîre de la Hëule.
«UY-GEOFI'HOY-GLILLAUAIE
Srtv,
Mais il est possible que (Juy-Oeoiïroy ne se borna pas à mcllro la
main sur Icîs marais de la l'onl-tlo-Lay, el (iirrlaiil nbli»:;^ d'em-
ployer la force il se soit laissé aller à ses praliques habituelles h
l'égard de ses vassaux récalcilranls. Du resle, ce n'était pas la
première fois qu'il avait maille h partir avec les seigneurs deCbà-
telaillon; quelque temps auparavant il avait enlevé à Isemberl,
père d'Kble, les marais de Mouillepié^ avait dévasté son chûleau
el sa terre, et enfin il avait récompensé les services d'un chevalier
du nom de Fierrc Airaud, en lui Hiisant don de ces marais (I)-
Il aurait peuL-ÔIre bien voulu agir de même façon à l'égard du
marais de la Font-dc-Lay, car, après s'en ôtrc emparé, il fiil,ditla
charte qui nous a rapporté ces faits, pris d'un scrupule, et il dit
aux religieux de Sainl-Maixent d'avoir àjuslifîer de leursdroilsde
propriété et de Paire la délimilalion du domaine, «porcalearent ».
II semble naturel que ces actes auraient diï précéder le coup d'au-
torilédu coûile, mais pour nous, habitués à ses façons d'agir, nous
ne voyons en eux que des préoccupations trahissant une arrière-
pensée qui ne devait pas aboutir. I^>n lîiret, tesmoines furent appelés
par deux fois k établir leur bon droit en justice sans qu'il y fût
donné suilc; enfin Guy-GeolVroy se décida h convoquer les
parties devant lui à Surgères. Les gens de Sainl-Maivent avaient
des titres qu'ils se tinrent prêts à monlrer et de plus, pour tes
appuyer, ils appelèrent on duel le sire de Cliàtelaillon. tlelui-ci,
peu sùï de la bonlé de sa cause, ne voulut pas se soumettre à ce
jugement de Dieu cl les choses restèrent pour le moment en
l'étal, mais aussitôt après la mort du comte, lible remil la main
sur le domaine contesté; les moines, sans tarder, portèrent leur
plainte à son successeur (2).
L'affaire que Guy-Geo(Troy nous semble avoir préméditée n'ayant
pas réussi au gré de ses souhails, ou restant peut-ôtre en suspens
par suite du soin qu'avait pris Kble de se dérobera toute déci-
sion définitive, le comte se tourna d'un autre cùlé. Le grand
mobile des actions qui marquèrent les dernières années de sa vie
fut, nous le répétons, l'accroissement de la dotation de Montier-
neuf. Kn agissant ainsi cédait-il aux mouvements de sa conscience
(i) A. Richard, Chartet de Sainl-Mairml, I, p. 284.
(a) A. Richard, Chartes de Saint-Mai jceid, I, p. 197, d'uprès qd aclc de 108O.
»4
370
LKS COMTliS DE POITOU
OU obéissait-il à une pression corislaule, nous ne saurions le dire,
c'est un secret que nous n'avons pu pcnélror. Toujours esl-il que
peu après l'afTaire de la Font-dc-Lay il frappa un grand coup en
supprimant à Poiliers Tune des fondations de sa mère et en l'in-
corporant k la sienne.
Ainsi qu'il arrivait Irop souvent à celle époque, le désordre
n'avait pas lardé à pénéirer dans le prieuré de Saint-Nicolas,
desservi par treize clianotnos qui suivaient la rèfi^le de saint Au-
gustin. Après la mort d'Agnès, ils se seraient, suivant les dires de
Guy-Geoffroy, relâchés de l'observance à laquelle ils étaient tenus ;
le comte les aurait invités à diverses reprises h se conformer h leur
règle et leur aurait mfime imposé un ctianoine de Limoges comme
prieur, mais les chanoines do Saint-Nicolas n'auraient lenu aucun
compte de ses observations. Il aurait alors recouru à l'autorité
ecclésiastique et fait approuver par l'évêque, le clergé du diocèse et
môme des laïques ses itératives injonctions auxquelles ceux h qui
elles s'adressaient ne prirent pas autrement garde. C'est alors que
Guy-deorTroy, ayant ainsi préparé habilement le terrain, convoqua
à Poitiers une assemblée où se trouvèrent l'archevêque de Bor-
deaux, Tévèque de Limoges, les abbés de Saint-Cyprien et de
Noaillé, les deuxarchidiacresdu diocèse, les chanoinesdelacalhé-
draleel les clercs de la cité, L'évêque de Poitiers n'assista pasà la
réunion qui se Uni à Saint-Pierre et cette abstcnlion, qui paratt
volontaire de la part du chef spirituel du diocèse qui avait per-
sonnellement coopéré à la fondation du prieuré et s'en était fait
le proLecteur, laisse beaucoup à penser. Le comte remontra à l'as-
semblée que les chanoines n'avaient de révérence ni pour Dieu
ni pour les hommes (il n'osait dire pour son autorité) et fit
entendre que le seul remède à apporter à ces abus était d'enlever
à ceux qui les commettaient l'indépendance dont ils mésusaienl;
finalement il proposa de mettre le prieuré de Saint-Nicolas sous
Tautorité de Monlierneuf, c'est-à-dire de Cluny. L'assemblée se
rangea unanimement à cette manière de voir et Guy-Geoffroy en-
voyasa délibération à l'évêque de Poitiers, qui, ayant grâce à elle
fait taire les scrupules qu'il pouvait éprouver, lui donna sa pleine el
entière approbation et se mit en mesure de la faire exécuter (1).
(1) Arch. hisl. da Poitou, I, pp. i4 cl 17, oart. de Saint-Nicolas. La présence à
GUY-GKOFKKUY-GIJILI.AI Ml':
371
L'évèqiie IsemberL n'ôlait pas, comme on l'a vu, h l'abri des
en l reprises du comleetil lui fallut plus d'une fois, bon grc oial gré,
ralilier les décisions qu'il avait prises. C'est ainsi que celle année
1085 sa docilité fut encore mise k l'épreuve. Quand, entouré du
chapitre de sa cathédrale, il avait fail en 1081 l'abandon de l'ab-
baye de Sainl-Taul à Monlierneuf, il n'avail été fait aucune men-
tion des dépendances de cet établissement. Or, en 108H,le dessai-
sissement du vicomte Cbâlon comprenait, outre Sainl-l'anl, les
églises qui étaient sujettes à cette petite abbaye et particulière-
ment celte de Migné ; l'ôvêque avait cette fois encore donné son
approbation à l'acte. Mais Montierncuf ne s'était pas tenu pour
satisfait. La donation comprenait l'éj^lise de Migné cl son ter-
ritoire ; or, certains droits afférenls à celui-ci avaient été aliénés,
tels que la dîme de la paroisse que Guy-GeoïTroy avait autre-
fois donnée en lief h Etienne de Migné et que celui-ci, dans un
pressant besoin, avait engagée pour 700 sous au prévôt Hugues. Le
comte trouva l'occasion bonne pour mettre à peu de frais la main
sur cet important revenu ; il désintéressa Hugues, fil cadeau de
la dinieà Monlierneuf et obligea Etienne, sa femme et ses enfants
à renoncer à sa possession. Le curé de Migné, qui devait avoir
sa part dans le produit de la dîme^dul aussi intervenir ùraclcpoiir
y donner son approbation formelle. Toutes ces choses se passèrent
en 1086, en présence du comte-duc, de son fils Guillaume, des
évoques d'Angoulôme et de Poitiers, du vicomte de Thouars, d' Hu-
gues de Lusignan, du moine l'once et d'autres personnages nota-
bles (1). On pourrait croire, à la lecture de la charte qui relate
ces faits que la donation d'Etienne fut volontaire. Il n'en est rien.
Nous sommes celle fois encore en présence d'une spoliation et ce
qui le prouve, c'est que, vingl ansaprès^en l tO(j,ce même Etienne
fit à Monlierneuf l'abandon formel de la dime de .Migné et reçut
en retour de Tubbaye 1000 sous limousins, ce qui, avec les 700 sous
que le comte de Poitou déclara avoir versés au prévôt Hugues,
doit représenter le minimum de la valeur delà propriété (2).
ceUc assemblée de l'archevêque de Bordeaux, Joscelin, <jui mourut le ifjjuia 1086, en
ptflce la tenue daas les premiers mois de ceUe année io8<>.
(1) Arcb. de la Vienne, orig., Montieroeuf. n» 1 1 : D. Fonlcncau, XIX, p. 77; J/tf/n,
de lu Suc. tie* Anliq. de l'Ouest^ \" série, XI, p. aSo.
(1) Arcb. de la Vicane, cariai, de Montlerocur, reg. n* ao6, fox.
37a
LES COMTES DE POITOU
Celle mémo année 1 08f>, dans le coiiranl du mois d'aoûl, les cha-
noines de Sainle-Uadegnnde, qiiiavaitMil à se plaindre des agisse-
monts des sergents dn comte, vinrent le trouver el luideniandèrenl
de les affranchir de toutes les coutumes qu'il percevait sur leur
domaine de Veuille. Guy-Geofîroy y consenlil, mais se fit payer;
les chanoinesluiabandonnèrenlun tiers de leur lbr(M,ct,en retour,
le comte s'engagea à veiller à la sécurité do la forôl tout entière
moyennant certaine redevance qui serait payée par eux à ses ser-
gents; déplus illeur concédail sa villa de Neuillet.contiguëà leur
terre. Au bas de l'acte le comte apposa sa croix; son fils le fit
poreillement et à la suite de nombreux personnages se firent
porter comme témoins. C'étaient entre autres Renaud, abbé de
Saint-Cypricn , Gcrvais, abbé de Suin(-?avin, Simon, évoque
d'Agen, Hugues de Lusiguan et Guillaume l'^recland. On y
voit aussi comparaître Guillaume de Parthenay, trésorier de
Sainl-IIilaire, qui venait de succéder dans cette liaute dignité à
son oncle Joscelin, archevêque de Bordeaux, décédé le ly juin
précédent (1),
Cet acte est le dernier delà vie de Guy-Geolfroy que nous con-
naissions.Il mourut te vendredi 25 septembre 1086,dans le château
dcChizé,où il se Irouvait sans doute en déplacement de cha-sse(2).
11 fut assisté à son lit de mort par Eudes, abbé de Saint-Jean d'An-
gély,qui lui donna les derniers sacrements et le même jour son
corps fut transporté h Poitiers. La nef de l'église de Montierneuf
où devait être établie sa sépulture n'étant pas encore en état de le
recevoir, il fut, après avoir été embaumé, enseveli dans la salle
capilulaire de l'abbaye. L'œuvre que le comte avait entreprise était
loin d'être terminée, elle ne le fut môme jamais; le mur d'enceinte
du monastère, qui devait être garni de tourellcsdans tout son pour-
(j) D. Fonlencau» XX1\\ p. 35. Cet acto, à qui D. Foatcncau assîçuc l'année 1096
CDvirciri, csl ccrtnimcmcnl anléneur à celle date, lise compose en eiïcl de deux parties
bien distinctes : la prcntlérc, qui est l'acte Itii-mtfme, dans l.nquellc on voil comparai*
tre GuHIaumc, duc ôes Aquiiaiiis, et son fils qui y aj»poseDl leurs croix et qui n'est
pas datL^e ; la seconde, qui n'est qu'une confirmaliou de ce qui précède et mï on signale
seulement la présence de Ouillaume,tilsdu due [irécédemniefit nommé, et d'Audénrde,
la femme de celui-ci. Celte seconde partie faisan; ircatton d'I'rbain II peut être
placée durant le mois d'oclobrc de l'une des années du pontificat d.' ce pape (1088-
1098), mais CD aucun cas l'ncle primitif ne saurait âlre nltribué à Guillaume VU doot
le [Ils naquit seulement durant Tannée io()ii^.
(3) Arch.dela Vjecnc, chroa. du moine Martiu : « De obiluejasn.Le moine ^f art io,
OUY-GÉOFFRO Y-GUILLAUME 873
lour, resta inachevé el pareillement on n"a pas construit les deux
rlocliers, qui, sur le [tlan qu'il avait adopté, devaienl flanquer la
l'açadc de l'église. Une Iroisicmo leur, qui s'élève sur ly chœur,
était encore en chantier, aussi est-ce seulement l'année suivante
que, cette parlie de l'édifice élant achevée, on fit avec une grande
pompe la translation du corps du comte-duc à la place qu'il s'étail
sans doute réservée dans la nef, en face le crucifix. 11 fui misdans
un épais sarcophage en pierre, de plus de deux mètres de lon-
gueur, dont le couvercle, taillé en bâtitTo, était simplement
décoré d'une croix en fort relief occupant le sommet du triangle
dans toute sa longueur [î).
Au-dessus du solfut élevé un tombeau somptueux ; on y voyait
la statue du duc, un gisant, ayant les pieds appuyés sur un chien (2).
La tablette était supportée par des colonnes de marbre et sur le
massif du monument avaient été gravées des inscriptions; Tune
qui, dans sa relalioQ dittiyrambi(|uc Je la uiorl du duc, mvilo les filles de Jértisalcm h
verser des brmes sur le sorl de Guv-Ocoffroy, leur bienfaiteur, indique le viir des
calendes d'oclobrc (24 sejilcmbi'e) comme le jour du décca, L'obiluairc de Monlier-
oeuf (Arcb. de In Vienne, reij. no 2o5, f<» 180) le mnrquc nu vu des calctides
(35 septembre); c'est le cUilTrc que noua ailnplons, non seulement pour ce motif que
l'inscription du décès dans l'obiluaire de Tabbayc avait'pour objet de rappeler que c'é-
lail en ce jour que dcvaical t^trc célébrées les cérémonies couirnémoralives do cet
cvcneincnl, mais encore parce que, dans un nutrc |>nssaçe,lc moine Martin rapporte
que la mort du duc cul lieu le jour de la cinquième fcne, c'est- à -dire un vendredi, or,
en H18G, le vu des calendes d'octobre tombe un vendredi. Le cbifTre var est évidem-
ment le fiiil d'une erreur de copiste. Ucsiy {fftst. îles comtes, preuves, p. ^87) a
public le Icxlc de l'obituaire c( celui du cartulaire de iMonlierneuf, qui indiquent lo
jour du décès du comte, el les textes des chroniques de Sainl-Maixent el de Vézclay
([ui le placent ajuste litre dans l'année loHti.
(1) La sépulture de Guy-f>eo[Troy, placée à rleujc pieds (o,G5 c.j de profondeur au-
dessous du sot de l'êçlise de Monlierneuf et restée jusque-là inviolée, fui ouverte le
S juillet 1822 en présence d'une commission prcsidce par révèque de Poitiers. On y
constata (|uc le duc, dont lu (aille était do i m. 83 c. (cinq pieds cinq pouces el demi),
avait été enseveli dans un vêtement de laiae noire desceadanl, jusqu'au.x chevilles et
que par- dessus celui-ci était uu autre vêlement s^urrèlanl aux genoux, avec capuchon
enveloppant la télé, i|ui parut fort grosse. Les mains étaient recouvertes de panis cl
les piei* chaussés de broJcijuins pointus, à forts lalons, en cuir rouge, montant
au-dessus de la cheville el lacés sur le cou-de-picd avec des lacets en soie rouçc
ornes de pièces de cuir découpées en forme de roseUc»; les mains étaient repliées en
croix sur la pi^itrinc; au-dessous d'elles se trouvaient dcu.\ croix superposées, l'une
en cuir, de forme ancrée, l'autre placée au-dessus clail en étoile brodée. (Rapport do
l'abbé Gibnull conservé aux archives de la Vienne, T 7 ^, et inséré en partie dans le
Recueil ifes nrles administrai ifs du département de la Vienne ^ année 1822, n" 48,
p. 4-53 ; de Chcrgé,flist.de Montierneuf, p. 240, d'après les doicï deM^' de Beaure-
gard.)
(•j) Ce tombeau, respecté, semble-t-il, par les prolcstanls. fut détruit le 8 janvier
1O43 par la chute des voûtes de rcijll3e(Thibaudcau,il6re'yc de i'/iisi, du Poitvu,l\,
p. Jo; Arck, hist. du Poitou, XV, p. 35i).
374
l,F>S COMTES PK POITOU
consislail dans les dix versiatins qui suivent, dus ii la composilion
de 1 annaliste de l'abbaye, le moine Martin (1) :
Ad Domini cidtum veniens memoraro seputlum,
El memoranda capis quom togiL isle lapis,
Gaufredi r^uondam que suhdomuere tirannos,
Pulvis ot ossa Ducis pondère [ii'essa jacenl.
Gloria sublitnis et sic tumulatur in iinis,
Dum raoriendo ruit, gloria nuUa fuit.
Ilic Pictava tuum decus impériale &ub aiilro
Flebilis abscoudis quo. moriente mis
Poâl raodicum teinpus, jam deiiuo vivificaiidus,
lïubes lioscitiores, pigiitis araicitie(;J).
Non contents de rappeler le souvenir de leur bienfaiteur par
l'érection d'un monument aussi luxueux qu'il leur fui possible,
les religieux deMonlierneuf, pour honorer sa mémoire, fondèrent
d'importants services religieux. Entre autres, il élail chanté à son
(i) Nous DC reproduisons pas le texte du manuscrit de la chronique, qai nous parait
conlcnlr certaines fautes du transcription, maïs liicn celui qui se rcoconlre dans Besljr
(///»•/. (/'"S i.'0/H/e5, preuves, p, 3f)3). dont l'Histoire parut quatre années seulement
après la rleslructiou du monument et qui a dà relever sur place les inscriptioDS qu'il
rapporte. Voici ces variantes : Vers 2 : tnemorando su lieu de memoranda , tcfjat au
lieu de teijit; vers 3 : vi domuefT au lieu de suhdomuere ; vers 5 : que au lieu de et ;
vers 7 : hoc au lieu de hic; vers gioiuijicandos nu lieu de mvijicnndns ; vers 10 : hos
habeas au lieu de habes hos.
{3) Ces vers, d'après Besly, étaient i^ravés sur trois plaques, placées aux o^tës sud,
est et Dord du mausolée; sur la face de l'occident s« trouvait une autre plaque dont
il oe cite que ces lii:;;nes :
Hic jaccl Guillclmus qui
Gaufredus cornes Piciavorum
., ^. o Domini
Enfin il ajoute qu'un léopard était coucliô aux pieds du duc.
Le texte de rbisturien Tliibaudeau est trop amliis^ci pour que l'on puisse Be per-
mettre d'affirmer i]iic les plar|uca existaient encore de son temps, mais il nous fournit
celte indication précieuse {Abréffé, fi, pp. 10 et 11), qu'après la destruction du mau-
solée,en iO/|3,un n'en reliia que quelques colonnes de marbre ([ui, lorsqu'il écrivait
(i783),orunicnt Taulcl du fond de l'éiïii'jo. Les moincsavaient fait rétablir le tombeau,
mais il n'était que de pierre et on le voyait en 1657 du côté gauche de la porte du
chiuur, li où se trouvait Ir précédent. On y lisait six vers latins el une petite inscrip-
tion que Heslv {f/mt. dea comfes, p. 108) traduil ainsi : •> Cy y^isl Monsieur GeoflFroy,
ti autrement Guillaume, comte de Poitiers el duc de Guyenne. » Thli)aadeau ajoute:
a Ce mausolée a depuis été rcFail et placé au milieu de la oef de l'église ; c'est une
c masse de pierre de trois pieds de fiaulcur surmontée d'une tombe sur laquelle est
« sculptée la représcolalion de Guillaume, ayant un iéopardà ses pieds, avec cette ins-
a criplion; Hic j a '.cl Gaillelinns T//, qni et Gatt/redus, dux Aquilnniœ ft Picta-
« oortirn cornes, hnj'us Monaslerii îVovi Jiindator, obiit anno 1086 ». Allard de la
Resaiére {Errata de l'Abrégé de l'histoire du Poilon, II, pp. (3c et tSa) a fait au
texte des inscriptions données par Thibaudcau quelques petites corrcclioas dont il a
été tenu compte.
Ce mausolée fut à son tour renversé pendant la Révolution et remplacé en 1822 par
un monument qui avait la prétentio:i de reproduire servilement le précédent et qui lui
GUY-GKOFFftO Y-GUILLAUME
inlcntioncliaqiiojoiir une messe paiiifulière et chaque semaiao une
messe cominiiiie; dans le courani de loules les heures, on disait
entre les psaumes un De profundh- pour le repos de son îlme. Par
une délicate allenlion, les moines rappelaient en outre sa pré-
sence fréquente au réfectoire en mettant à chaque repas sur leur
table sa mesure de vin k justicia » et son couvert. Eufin Tannî-
versaire de sa mort était surtout célébré avec la pompe la plus
solennelle (1).
La personnalité de Guy-Geoffroy se détache vivement de celles
des comtes de Poitou qui l'ont précédé ou t'ont suivi. Moins l>rit-
lanl que son père et que son fils, il a consolidé l'œuvre entreprise
par le premier et préparé la situation du second. Dernier-né de
quatre garçons,ilnesemblail pas qu'il dût être jamais appelé à gou-
verner le duché d'Aquitaine. Son en fan cose passa dans une situation
assez secondaii'e à la cour du comte d'Anjou ; môme lorsque sa
mère eut réussi ?i te faire pourvoir d'une portion du duché de Gas-
cogne, le domaine patrimonial qu'il avait ainsi acquis était si mé-
diocre et si insuffisant pour ses besoins qu'il préféra continuer à
mener sa vîe semi-avenlureuse et batailler au loin pour le compte
des autres. Mais son existence changea du tout au tout quand la
mort successive de ses frères l'amena h prendre leur place à la
tête du comté de Poitou. Dès lors, il se consacra entièrement à
l'administration de ses états et, trouvant dans son passé des
leçons bonnes à méditer, il fut prudent, nous dirons même plus,
politique, et en général il ne s'engagea dans une affaire que quand il
se vit assuré de l'emporter. Sa défaite à Chef- Boutonne, au début de
sa prise du pouvoir, lui fut plusavantageuseque préjudiciable, car
elle lui apprit qu'avant d'entreprendre une action militaire il
fallait l'avoir soigneusement préparée ; au lieu de chevauchées hâti-
vement lancéesen avant, il mil en mouvement de véritables armées»
et lorsqu'il lui fallait recourir au siège d'un lieu fortitié il usait
d'une lactique qu'il avait imaginée et qui lui réussit toujours (2).
a tout au inoias eraprunlé ses aoachroDismes de coslume qui senleal furîeusemeol
leur xvu» siècle. (Voy. La Liboriîère, Vif irv souvenirs du Poitiers d'avant iyS<),p. 76).
(1) Arch. de la Vienne, chroii. du moioc Martin : « Bona spiri ualia que fiunt pro
60 in moaaslerio [>rediclo » .
(3) Les quaittca Joui élail pourvu Guy-Geoffroy ont clé signalées par ses contcm-
poraîas el nous cileroos eu lémoi^nugc l'historien aogevia qui, à pru|H)s de la prise
ayfi
LES COMTES DE POITOH
L'inslilulion suranm^e des vigiiiers aviinl éU". complMemenl
faiiss^o par rapplicaliun du régime^dominaiiL aux x" el xC sR-clcs
qui avait converti les agents du conile en seigneurs fi''odaux, il leur
opposa des prévôts qui restèrent placés sous sa dépendance immé-
diate el furent à la fois les adminislraleurs de ses domaines, dont
ils retinrent quelque porlion des revenus pour rémunérer leurs
services, el les agents secondaires de sa jusîicc. Au-dessus d'eux
était placée la cour du comte et enlln, comme lril)unal suprême,
il y avait le conile lui-niOmesiégeaiU dans les grandes assemblées
oîiélaienl convoqués ses vassaux, lanl laïques qu'ecclésiastiques, el
qu'il présidai! en personne ou par des délégués, comme le fulle
vicom le de Dax dans le Midi. (îuy- Geoffroy senlilquo'pour empêcher
les prév(Ms de suivre l'exemple des viguiers. ce à quoi leurs ten-
dances ne pouvaient manquer de les porter, il lui fallait faire sou-
vent sentir son autorité à ces agents, et c'est en partie dans ce but
que, tous les ans, il parcourait ses états, assisié dans chaque
région du prév<M il qui la garde en était confiée. Il arrêtait ainsi
leurs empiôlcments sur son domaine aussi bien que leurs entre-
prises à l'égard de ses sujets qui pouvaient par suite venir facile-
ment porter auprès dosa personne leurs plaintes et leurs reven-
dications.
Ces courses annuelles, les plaids tenus dans ces occasions, rame-
naienl ainsi périodiquement auprès du duc les grands seigneurs
de cliaquc parlie de ses étais, qui, perdant leur individualité sou-
veraine dans ces grandes réunions, avaient fini par sentir qu'ils
avaient un maître ; l'etTel te plus remarquable de cette politique
fut assurément le calme que Guy-Georfroy sut donner aux régions
du Midi, ordinairement si troublées. C'était un prince redouté cl
redoutable; il n'était pas dans son caractère d'agir avec brutalité,
mais s'il n'employait pas la force il n'en arrivail pas moins à son
de Sa:Dlc9,dilquc le comlc de Poitou clait un guerrier qur,jii l'avantage de la jeunesse,
joif;aait la bravoure, riiabilelé cl l'activité, n miles nccrrimus, juvenis» astulus el
JrtLoriosu» » (Marchegay, C/iron. d'Anjou, p. i3f), De c^-pslis coosulum); la chroni-
([ue de Sninl-Miiixcnl lui reconaaîi les mêmes (jualiuls en disant qu'il c-on(]ull la Gas>
coçnu tant par force <|ue par Itnbilctc, « qui Gasconiaiu iic<]uisicrat nrmis et indus-
Iria » (Marelici»;iiy, Cfir-on. des é'jt. d'Anjou, p. /|t)o), lmiIîq A l'appui de tu justesse
de son jijçemcnl, nous citerons l'opinioD ([uc lui nUribiic ssir Ruhcrl ("luiscnrd l'au-
leur de la vie de l'aventurier Norin;md. Le comte Cîuy, dil-ii, le prenait pour modèle,
nyaot pour tiabiluilc de dire que nu^ homme uc lui paraissait pouvoir mieux rcveD-
diipier Ij qualité de preux que Robert Guiscard qui, sorti de gens ïdl'oqdus et pauvres,
GUY-OEOFFROY-GUILLA UM E
377
Iml par des moyens di^tournés. II se mAlapeu aux querelles incos-
sanles de loules ces peliles puissances qui se parlageaienl le sol
du dttch<'\niais quand son aulorilé souveraine /ilail mise en jeu, il
devenait impitoyable, el le souvenir des répressions sanglantes de
Sauuaur cl de Luçon devail être présenl à Fespril de tous ; aussi, à
la fin du siiicle,lo porte-parole de l'évoque de Saintes pouvait- il à
juste titre le qualifier de grand-duc des Poitevins (1).
La fermeté du duc à l'égard des personnalités laïques ne se
serait pas démentie dans les afîaires relip:ieuses s'il n'avait pas eu
les mains liées en nombre de cas par son ardent désir de conser-
ver sajeune femme, désirqui fut exploité parle pape Grégoire VII
et surtout par Hugues, l'habile abbé de Cluny. Du reste, dans
ces agissements la politique trouvait encore son compte, car il
fut par ainsi amené h seconder activement les actes des légats du
pape qui avaient pour mission de pacifier l'Aquitaine, tant an point
de vue moral que social. En résumé, il était avare de ses deniers,
se souvenant que dans sa jeunesse il avait été souvent dans une
position dilficile, et il n'hésita pas n faire rentrer dans son domaine
des biens donnés par ses prédécesseurs à des abbayes ou même
simplement à les leur enlever pour en gratifier des gens dont il
lui fallait rémunérer les services. Ses f(énérosités immenses h
l'égard dcMonticrneuf, oldonlles liistorienshiiontfail tant d'hon-
neur, n'étaient faites la plupart du temps qu'au détriment des dé-
tenteurs plus ou moins légitimes des biens dont il disposait ainsi.
La puissance du duc d'Aquitaine était si bien reconnue cl sem-
blait reposer sur dos bases si solides qu'elle était considéi'ée à
l'égal de celle du roi, cl on voit ses contemporains dater des
actes par les années de son règne (2). Comme le roi, il avait un
avail nccomi>li «les icuvrcs p!us grandes «juc qucUjuc lioinmc que ce fui (Bcsiy, f/isl.
des comtes, |>rcuvc9, p. 343 bis).
(i) Mêlais, Cart, saint, de la Trinité de Vendôme, p. yS.
(a) Arch, hist. du Poitou, \, p. i8, cort. de Saiat-Nicolas; Acdcl» Doc. pour
Saint-flilaire, I. p. 90. Ces deux aclcs appartiennent aux années 1067 el 10O8,
c'esl-à dire à celles où la forlune de Guy-Geoffroy cUiil A son aprij^ce. I'"aul-il croire
que, prisé par ses succès, le comlc ail rêve de faire revivre .'i sun profil le lilrc de roi
d'Aquitaine. On devrait l'adracllre si l'on sVn rapporle au rare dcnicp d'argent sur
sur lequel son nom est accompai^nc de celle qualité: -j- gofiiedvs co. Croix. — rv/
A<^»viT*ME, el daus le chnuip: rex, cq Iriiinylc. Mais celle pièce a une telle idcnlité de
fabrJcalion avec celle dont il sera parlé ci-après cl que frappa le roi Louis le Jeune,
que nous hésitons à y rcconnollre un produit du xi* siècle el à croire qu'il y a eu au
raoias soixaulo-dix ans de diataacc cotre rémission de ces deux pièces. (Voy. I*ocy
37»
LES COMTES DE POITOU
sceau dont, au reste, il n'usa p^uère (1) et pareillement à lui il
employa la signature en forme de monogramme dont les lettres
avaient cette signification : « Signum Gofredi (2) ». Il estencore à
remarquer que, dans les actes auxquels il prenait part, il ne se
contentait pas de faire porter son nom, il y ajoutait sa croix
autographe el môme il lui arrivait de faire signaler spécialement
celle particularité (3). Cette précaution s'alliait bien avec ses habi-
tudes de prudence, lui si habile et si méfiant.
Ayant un sceau, il fallait bien au duc un chancelier. On lui en
trouve deux : Thebaul,maitredesôcolesde Sainl-Hilaire.qui occu-
pait cette situation de i 067 à 1076, et Guillaume en 10^1 (4).iNous
ne lui connaissons pas d'autres grands officiers qu'un sénéchal,
<( dapifer » ,'bien qu'il ait pu pousser plus loin son imitation du roi de
France. Le seul sénéchal dont on relève le nom est Pierre de Dri-
dier, qui paraît dans des actes de i075 environ à 1083. Ce person-
nage semble être venu de la Marche ainsi que semble l'indiquer,
oulre son nom, un acte curieux du carlulaire de Saint-Nicolas
que nous rappellerons en quelques mots car, outre son intérêt par-
ticuUer, il nous initie à une des sources des revenus du comte.
Un chevalier appelé Ainon de « Vel?.a •> promit 2000 sous à Giiy-
Geoffroy, s'il lui donnait pour femme la fille d'Auberlde Cliam-
hon et son fief. Pierre de Uridier se poria garant du paiement
des 2000 sous et Ainon lui donna comme otages Giraud de Gouzon,
FrancondeLairel.lienoul deCoronelArnoul Jornal. Ainon, après
d'iiv!tat,Monnaies féodaleSfll, p. 76, pi. lix, no 8; F'Mon,Collec[ion Jean Roasteau,
p, 35, pi. II, E" 8).
(i) Un seul des actes émanes de luiy-GcolTroy porte l'indicalion qu'il a été scellé;
i) nppartîcDl à raanée 1079. Ce sceau est perdu, inaisj. il a laissé sur le pai-cticmia ait
il a été apposé une Irace trèa visible. Il devait être eu cire blanclic et avait été plaqué
sur l'acte où l'on avait réservé sa place au milieu des souacriplions i|ui rencndrenl ;
il y n fail une tache jaunâtre de neuf ccatimètrcs de diamètre cl l'ou voit qu'il était
atlacliépar uu tac ou courroie qui passait hnrizonlalementdaos Jo parchemin à travers
huit fentes verticales. (Arcli. de la Vienne, ori>^., chap. de Saint-IIilairc-lc-Grand,
n" 69; Rt'det, Doc. pour Saint-fliftiire, I, p. 98).
(2) A.rch, delà Vienne, oriç., chap, de Saint-Hilaire-le-Graml, nos 65 et 72.
(3) Rcdet, Doc. pour Sainl-Hilaire, I, p, gg : « eam(|uo [chartam] proprie manus
impressione conaigoo »; Arcb. de la Vienne, ori|iç., chap. de Sainl-Hilaire-le-Graad,
n" 65, 68, 69,
{f\) I\cdel, Doc. ponr Sainl-ffilaire, I, pp. ijr, gti; A. Richard, Chartes de Saint-
Mnixenl, I, p. 17O; Thibaudcau^ Abréyé, I, p. 3G9, Le chancelier Guillaume est
peut-être le niâ me personnage que Guillaume, sous-doyen do Saiot-dilairc en 1076,
qui aurait rempli ea même temps la charge de chancelier de l'ahbaye.
r^îEOFFROY-GUILLAUMR
son mariage, paya au comte la plus grande partie de la somme
convenue, moins 8 livres d'argenl que Pierre de Bridier dut
acquiller et pour lesquelles le seigneur de Velza lui abandonna le
droil de venle sur le sel dans le marché de Poitiers, qui faisait
partie de l'avoir de sa femme (0-
II semble que c'est Guy-Geotfroy qui arôgulièroment constitué
la cour judiciaire qui jugeait les affaires dont les prévôts ne con-
naissaient pas ou qui venaient devant elle en appel. Elle se com-
posait ordinairement de cinq membres, parmi lesquels nous
remarquerons, outre le s6nt5clial Pierre de liridier et Hugues,
prévôt de Poitiers, Audebert, comie de la Marche, Robert le
lîourguignon et Béraud de Dun. Audebert semble avoir, on ne
sait pour quelle cause, abandonné son comté de bonne heure, car,
dès 1071 , Boson, son fils, prend le titre de comte de la Marche (3),
et s'ôlre retiré auprès du comte de Poitou, dont il était le com-
pagnon le plus dévoué et qui lui confiait son jeune fils pendant
ses fréquentes absences (2), A côlé de lui, on trouve Bobert le
Bourguignon ou de Bourgogne ; celui-ci était un des fils de
Bobert le Bourguignon, fils lui-môme de Benaud de Nevers et
d'Adélaïde, fille de Bobert, roi de France, Il était cousin d'Au-
déarde, la femme de flu y-Geoffroy, et cherchait à se créer à la
cour du comte de Poitou une situation analogue à celle que son
père avait trouvée auprès de Geoffroy Martel, comte d'Anjou, qui
l'avait marié avec Avoise de Sablé et lui avait donné Craon (4).
Quant à Béraud de Dun, ce devait être un Marchois, comme
Pierre de Bridier, amené en Poitou par Audebert, ii qui le comle
donna des bénéfices et qu'il maria avec une Poitevine nommée
Aïna la Louve (5).
11 est enfin à noter que dans les dernières années de sa vie Guy-
Geoffroy a dans son entourage plutôt des personnes d'une qualité
secondaire, sauf quelques rares exceptions motivées par des
relations intimes, que les grands seigneurs de ses étals. Il semble,
[i)Arch. hist, du PoUon, I, p. 4a> ca.-l. de Sjlnl-N îcolas.
(a^ Voy. plus haut page 35 t.
(3) Brucl, Charles de Clanij, IV, p. 555.
(4) MélalSf C ir/, saint.de la Trinité de Vend'ine, p. 6o; Bcriraad de BroussUlon,
ia Maison de Craon, I. pp. 20-24,
(5) D, FoQleneau, LXI[I, p. 43.
38o
LUS COMTES DE l'OITOU
en Poitou du moins, que les plaids auxquels venaient assister
les vicoml>^s et les hauts ijarous aicul cessé de se lonir ; peut-être la
situation fausse d'Audôarde ne l'ul-eiie pas «Hrangèreà celte façon
d'agir qui jure avec celle dos prédécesseurs de notre comte el
avec la sienne au début de son gouvernemenl, et qui put êlre la
cause qu'à partir de sa séparation olficielle d'avec la comtesse les
fêles, accompagnement obligé de la lenue de grands plaids, dis-
parurent lolalemènL
Ou y-GeofTroy, avait contracté trois mariages : V avec Garsende
de Pt'rjgord(?),dontil se sépara pour raison de parenté; 2* avec
Malhéode, qu'il renvoya el dont il eut une fille, Agnès, qui épousa
en 1(169 Alphonse, roi de Léon, et fui répudiée vers 1077 ;
3° avec Audéarde de Bourgogne. De celte dernière il eut trois
enfants : \" Guillaume, qui lui succéda ; 2° Agn(:'s, qui fut mariée
enlOSi à Pierre 1, roi d'Aragon, el qui, devenue veuve en i 101, se
remaria en 11 09 avec Hélie, comte du Maine (i); 3' Hugues. Bien
que Grégoire VU eût imposé au comte de Poitou l'obligation de
se séparer d'Audéarde, toutefois l'union entre les deux époux ne
fut pas brisée, mais, comme nous l'avons dil, elle cessa seulement
d'être publique. A partir du jour oh le paele fut conclu entre le
comle elle pape, Audéarde ne fut plus reconnue comme comtesse
de Poitou ; elle ne comparaît plus dans les actes à coté de son
époux, on ne trouve ra{^mc jamais son nom dans les nombreuses
chartes de cette époque que nous possédons encore. Il semblerait
à première vue que Guy-Geoffroy soit alors devenu veuf, car on
ne trouve plus à ses cAtés que son jeune fils Guillaume, Celui-ci
était né le 22 octobre 1071, cl, de trl'sbonne heure, le comte fait
constater sa présence aupiès de lui dans tou les les circonstances
notables (2); or, on ne saurait mettre en doute que, durant sa
première enfance, le jeune comte n'ait été entouré des soins de
sa mère, ce qui implique la présence de celle-ci dans le palais
comial (3).
(i) Les deux filles de Guy-Geoffroy nyani éiè, pourvues du même prénom, il s'en
csl suivi une confusion cuire elles que l'on retrouve cbcz lous les hislorîens et, parli-
culiùrenienl dans ï'Arl de vérijier les dates qui (p. Soij) marie le comte du Maine
avec lîi fille de Malliêode.
(a) Le premier cas (|ue nous ayons relevé csl du 7 avril 1074; le jeune Guillaume
avait niors deux nns el demi.
(3) Besly, Hist, des comtes, preuves, p. 3^^, d'après le cari, de Monticrneuf el noo
Gm-GEOFFROY-GllU.AL'MK
38 1
En {^ITel, après la nioit de Ciuy-Geoiïroy, comme il n'y avait plus
cin mollis poiirganlor [ipsim''na/:;<'meii(snvpt' riv^liso,Aiidéardo re-
pritsasiLualioii première. Elle rpparul dans k'sactes publics oùolle
signa à la fois comme comtesse des Poilevins et mère du comte.
Ce sont les qualificalions qui lui sonl données en 1090, quand cite
assista à la reslitutiou de Tiie d'Oléron h l'abbaye de la Trinilô
de Vendùme (!) ; en J lOII, quand elle fil don à MonJierneuC, pour
en jouir après sa mort, de tontes les métairies qu'elle possédait
à Jarl, en Bas-l^ûitou,et que son mari GeoITroy, duc des Aquitains,
lui avait donnécs,disait-elle,pour cadeau de noces; en H 04, quand
elle assista à un accord que son fils, le comte Guillaume, fil avec
les moines de Saîiil-Jcan d'Angély (2). A partir de cette dernière
date nous ne trouvons plus Irace d'elle; il est à croire qu'elle
mourut vers cette époque.
Quant cl Hugues, le plusjeune (ils de Guy-GeotTroy, il n'est lait
aucune mention de lui du vivant de son père (3), ce qui nous porte
à croire que sa naissance est postérieure à la séparation officielle
de ses parents. Son nom est prononcé pour la première fois en
1 090, alors que, se trouvant à Bordeaux avec son fri-re le duc Guil-
laume et la duchesse sa mère, il assiste à la conOrmalion du don
de Soulac fait h l'abbaye de Saiute-C'roix de Bordeaux (4). Il est
ainsi désigné parmi les témoins de Tacte : Hugues, frère du comte,
« Hugo fraler Gaillelmi comilis » et c'est là l'unique qualité qui
lui soit allribuée dans les actes du vivant de tJuiltaume VII (!>]. Il
d'après celui de Sainl-Jean d'An^çély, comme il a été imprimé à tort; D. FoDleneau,
XIX, p. iri; Gall. Christ., Il, iaslr., col. 355.
(i) Slclais, Cari, saint, de la Trinité de Vendôme, p. 70; Besly, //itl. des co/zi-
les, preuves, p. /ji2.
(a) Besly, Hist. des comtes, preuves, p. 3{)2.
(3) On ne cunnait (ju^ua seul docurneul, aulériour au décès de Guy-Geoiïroy, qui
puisse l'aire supposer dès ce temps l'existence de son lils Hui^tics. C'est l'accord inter-
venu entre te couile et les ntoiues de Sainl-Cypricn au sujet de ta pcclie du Clain que
nous avons relaté plus haut (Voy. p. 36/}) où il est dit que, parmi les personnes «ux-
quetles il est interdit de pécher, se trouvent les fils du comte, u fdiî mci », mais il est
fort possible que celle caonciation ait eu simplement uu caractère do géDcralisalion
auquel on uc saurait réellcmenl s'arrêter. Ce qui paraît absotuincnt corroborer notre
manière de voir c'est le silence observé au sujet d'HuiÇues par la chronique de Saint-
Maixcat qui (p. 4o5) mentionne la naissance de Guillaume cl d'Agnes et nullement
la sienne; par suite, nous ne saurions admettre l'opinion de Palustre (f/ist. de
Gnitlanme AV, p. 123, note i), qui place la naissance d'Hugues avant celle d'A^ès.
(4) Bcsiy, ///'*/. des comtes ^ preuves, p. ^06.
(5) Bealy, Uist, des comtes, preuves, p. 4^5 (année iio3), p, 39a (aooée iio4) et
p. 436 (année 1 1 ig); D. Footeueau, XXIV, p. 4^ (année 1 126).
38a LES COMTES DE POITOU
survécut à celui-ci, et, au temps de Guillaume VIII, on l'appelle
simplement l'oncle du duc, « avunculus » (I). Il ne parait pas
qu'il II gués ai télé jamais pourvu d'une pari quelconque de l'autorité
ni m&me qu'il lui ait élé constitué dans l'héritage paternel un
patrimoine dont il eût pu disposer. Il portait la peine de la position
non officielle qui était le sorl de sa mère au moment de sa nais-
sance el il vivait à la cour comtale dans une situation, semble-l-il,
assez indécise, car, dans les souscriptions de témoins apposées au
bas des actes, il n'occupe poinl généralement la place d'honneur
à laquelle sa naissance aurait dû lui donner droit, el il vient in-
différemment au milieu de personnages d'un rang plus ou moin^
relevé (2).
XV. ' GUILLAUME LE JEUNE
Vile Comte. — IX* Duc
(io8G-( raG)
Quand Guy-Geoffroy s'éteignit inopinément dans le château de
Chizéj le 25 septembre 1086, il n'avait assurément pris aucune
disposition en vue de sa succession future. GuillauraCt son fils
aîné, était encore mineur et il aurait dû être placé sous une
tutelle qui légalement devait être celle de sa mère, malgré la
situation irrégulière dans laquelle celle-ci se Irouvail. Pendant
cinq ou six^années, le gouvernement du Poitou et du duché
d'Aquitaine allait donc tomber aux mains d'une femme : une
(i) Ucsiy, Hist, des comtes, preuves, p. 4^3 (ojircs 1 126).
(2) Dans une charle de Sainl-Jean d'Angély, qu'il csl maliieureusemeot à peu près
imjMJSsihIe de diilcr, il est question dl-udesjucveu du comte, qui assiste h l'octc: « Odo
nepoa GolTridia Piclavcnais comilis » {D. Fonteneau, LXIII, p. 53). De5ly,qui rccon-
n;iU dans ce neveu du comte un ai'clicvêqiie de Tours, a été rhcrcber bien loin
l'origine de celle parente; il rapporte que par une cbarte Guy appelle Eudes son ne-
veu, parce qu'il avait i-pousé la sœur d'Audcbert 11, comte de Péritrord, cousin ger-
main d'Eudes {/list. des comtes, p. 97). Or il n'y a jflmais eu d'arcLevtique de Tours
du nom d'Eudes, et le personoa^'c désifçné dans la cbarle do Saint-Jean d'Aogély
n'esl autre (|ue le fils d'Henri de Hourgognc, frère d'Audëardc, c'esl-à-dirc le propre
neveu de la cuintcsse du Poitou.
GllLLAUME LE JIîlTNE
383
Agnès aurait pu tenir ce rôle, mais Audéarde n'était [.vas de
taille, aussi les familiers du duc défunt, tant pour é\ilor celle
extrémité que pour conserver leur situalion, durcnl-ils violer le
principe qui avait été appliqué quarante ans auparavant dans des
circonstances identiques, et au lieu d'attendre pour proclamer la
mfijorité du jeune comte qu'il eûl alleini l'âge de vingt et un ans,
comme cela s'élait passé pour son oncle Guillaume Aigrel, ils le
mirent aussitôt en possession de tousses droits^ conformément
à la pratique de certaines contrées de la France, et en particu-
lier de la Bourgogne, d'où la comtesse était venue; lii, l'enfant de
race noble i5lait majeur à l'âge de quinze ans et Guillaume allait
les atteindre dans quelques jours, étant né le 22 octobre 1071 (1).
Les circonstances au milieu desquelles le nouveau comte prenait
le pouvoir étaient assez critiques. Joscelin, le grand archevêque de
Bordeaux, n'était plus là pour diriger ses actes et les soutenir de
toute l'autorité de sa puissance épiscopale aussi bien que de celle
que lui donnait dans le monde féodal sa situation de baron de
Partlienay. Il élaitdécédé le 19 juin 1086 et Guy-Geoffroy n'avait
pas encore eu le loisir de lui faire donner un successeur à son
gré. De vives compétilions s'étaient produites pour occuper le
siège archiépiscopal, et, si le duc d'Aquitaine avait pu charger
de l'adminislralion du diocèse un des prélats qui lui furent le
plus dévoués, Simon, évêque d'Agen, celui-ci n'avait pas eu
assez d'influence ou d'habileté pour se faire admettre à la
place de Joscelin et par suite pour appuyer efficacement les
premiers actes du jeune Guillaume. D'aulre pari, Isembert,
l'évoque de Poitiers si mêlé aux affaires du duc défunt, était
mort à peu près en même temps que lui (2). Les deux plus im-
portants sièges épiscopaux du duché d'Aquitaine ne possédaient
donc plus de titulaires à la fin de l'année 1086, aussi l'élément laïque
se Irouva-t-il sans contrepoids et aussi sans appui dans les con-
seils du comte. Audéarde était sans énergie et elle !se contentait
de reprendre dans les actes publics son titre de comtesse (3) ; ni
(Il Viollet, Etablissements de saint Louis, I, p. i58; III, pp. i6i, i66 et lOy.
(a) Marcheaçay, C.hron. des égl. d'Anjou, p. /|o8, Saint-Maixent.
(3) Le premier documenl à date certaine où l'on reoconlrc le Ulre de* coruidssa »
accompagnant le nom d'Audéardeeslde logG (A. Richard, ^/iaWtfj de Saint-Afai.Teidf
I, p. 220], Duals au le rcicvc aussi dans plusieurs autres actes non datés de celle épo-
384 I.KS CU.MTES DK POITOU
elle ni ses conseillers n'avaient individuellcmonl assez d'uulorilc
pour faire prévaloir les tlroils du pouvoir souverain qui ne larda
pas à être ballu en brèche. Guy-Geoffroy, dans bien des cas, avait
élé un véritable despote; tout trcuablail devant lui ; les plus tur-
bulents seigneurs avaient élé contraints de s'incliner devant ses
volontés, qu'elles fussent ou non guidées par Tesprit de justice. A
sa mort, un soupir de soula^'ement s'échappa de la poitrine de
nombre de gens, qui cherchèrent à récupérer ce qu'ils avaient
perdu ou à s'approprier ce qui était à leur convenance, convaincus
qu'ils étaient d'avoir à redouter peu de chose de la part d'un
enfîint. Le nouveau comte élail en eiïel un cnfanl, « puer «, et ce
qu'il y avait de plus grave, comme le lui fait dire ingénument un
scribe du temps, cela se savait (l). L'habitude était si bien prise
de le considérer comme tel que, deux ans après son avènement,
en 1088, bien qu'il eût atteint Tûge de dix-sept ans, il est encore
appelé « infans »(2).iMus lard, cette dénominalion fil place à celle
de «junior »,le jeune, qui persista toute sa vie et devint pour lui un
véritable surnom, comme il arriva au roi de France, Louis ¥11(3),
car on la Irouvo accolée à son nom en 111 i, alors qu'il était âgé
de quarante-deux ans : le comte Guillaume le .(eune régnant en
Aquitaine, « régnante Guillelmo juniore comité in Aquilania (4)» .
que, que l'on peut faire rcraonler à io88 ou io8<j. [Cari, de Saint-Cijprien, p. aoi;
U. l'onlencau, XIX, p. m).
(i) Mêlais, Car/, suint, de ta Trinité de Vendôme, p. 06; Bcsiy, llitt. des comtes,
preuve», p. 4i^: « Cuni itaque patcr meus ex hoc muado migrasse!, salis puer, ul
plurimi DOfunl, ej^o rcmausi. » Voy. nussiA. Riefiard, Charles de Sainl-Maixenl^\,
p. ij)7; Cnrl. de Noire-Dame de Suintes, p. Sj.
(2) A. Ricliard, Chartes de Saint-Mai.rent, l, \>, 202.
(3) Arch. de la Vienne, orifj., MonlîerncuF, no 12; A. Richard, Chartes de
Sainl'Maiuuentt I, p. 21 G.
(4) A. YWchnvd, Chartes de Saint-Afaixent,\.^. a83. Les auteurs de Y Art de
vérijier les dates, dnns leur préoccupaliun de douuer un Burnum aux deux derniers
Guillaume d'Aquilaine, ont été amenés à commeltrc une double erreur. Ayant trouvé
dans la chronique d'An^oulème {flist. pontif. et corn. Enffol., pp. 45-4?), 'es qua-
liScations de u prior « et de « senior h appliquées à Guillaume VU, ils ont cru
qu'elles représeutaient ce surnom el l'oui appelé tiuillaume le Vieux, en nn^me temps
qu'ils ont désigné sous le nom de Jeune, « junior w, son (ils Guillaume VHI, que la
chronique nonniiait aiusi [lour le distinjuucr de son père, Umôia que l'emploi de ces
deux adjecdfs n'avait été fait pur te chroniqueur que pour dislinjjucr le père el te
fils dont il avait à parler en même temps. Uoiume ses prédécesseurs, Guillaume VJI
porlc les quaiiticalions de duc des Aquilai/is et de comte des Poitevins; dans le
Midi, on trouve ces variantes de duc d' Aquitaine et conUc de Gascogne (Uesly,
//isl, des comtes, p. 4'o) ou encore do comte des Poitevins gouvernant \a Gascogne
{Arch. hist. de lu Gironde, V, p. 121^, La Héolc).
GUILLAUME LE .FEl XE
385
Les rares qualités dont étail doué le jeune Guillaume no pou-
vaient encore produire leur elTcl; il leur nianquail l'appuinl de
la force (l).L'n venl d'indépendance soulTladonc parmi les barons
el il aurait pu avoir pour le pouvoir dujoune comleles plus graves
conséquences si, parmi ces révoltés, ne s'étaient point trouvés des
lionimes politiques qui, trouvant plirs d'avantage àresler fidèles
au comte qu'à s'insurger conire sa personne, se vendirent à lui,
agissant à son égard comme le tirent cinq cents ans plus tard les
Ligueurs avec le roi de l""rance Henri IV. Le plus haljîle de tous
fut assurément Eble de CluUelainon, un des plus liauts l)arons de
la Saintonge, dont la sœur Aurengarde avait été pendant un temps
(107()-1 081) la femme de Foulques le lîécliin, comle d'Anjmi. Il
étail d'abord entré dans le parti des raécontenis el s'était empressé
de reprendre aux moines de Saint-Maixenl le marais de Mouille-
pié que quelques années auparavantGuy-GeolTroy l'avait contraint
de leur rosliluer (2), puis, sans aucune vergogne, il fil un jour
proposer à Ciuillaume un marché léonin que ce dernier, dans
la nécessité où il se trouvait, l'ut contraint d'accepter. Il lui fit
donc savoir qu'à rexemple d'autres l>arons il se retirerait de lui,
et même prêterait aide ;i ses adversaires autant qu'il serait en son
pouvoir, s'il ne satisfaisait pas à sa demande. Or celle-ci ne ten-
dait à rien moins qu'à lui abandonner l'église de Saint-Georges
d'Oléron et la moitié de celle île. Celait une riche proie sur la-
quelle, du haut de sa forteresse, le seigneur de Clifilelaillon devait
jeter tous les jours des regards envieux. Mais ce domaine n'était
pas en la possession directe du comte , il avait fait partie de la
dotation primitive de la Trinité de Vendôme constituée par Geof-
(i) « Puer tiiagne ÏDcIolis » (Arch. hisl. de la Saintonge, IV, p. 67, cbarles de
Saint-Flureat, vers io85). Nous tie saurions, comme le fait Paliisirc (Hist.de Guil-
laume IX, p. tg5), compter au nombre des éléments de force du aouvcau comte sou
couronnement en qualité de duc d'Aijuitiiiuc dans l't-|f;li.sc cntliétirale de Saint-Eticnor
à Limoges. Il place cet événement au mois d'octobre loSO, aussîitU après la mort de
Guy-Geolî'roy, el donne tous les détails de la cérémonie d'après l'Orc/o ad benedicen^
dam ducem Atjuitaniip, publié par iJesly (f/ist. des comtes, preuves, p. i83). Il a
été parlé plus baut de ce document <]ui, selon toute vraisemblance, a été rédigé à la
suite du couronnement de Ricbnrd Cu.'ur-de-Lion h Limoges en 11O7; rien n'autorise
à rnppliiiucr à Guillaume VII, aussi renouvelons-nous ici pleinement notre adhésion aux
conclusions négatives que M. de Lastejric ii exposées dans sa savante Elude sur les
comtes et vicomtes de Limo'jes, p. 36.
(a) A. Richard, Chartes de Sairit-Mai.vent, l, p. 107.
386
LES COMTE'^ DE POITOU
froy Miirlel ol par Agnùs ; Pierre de Didonrie, qui avait fôodale-
monl dos droits sur ces lerritoires, avait dû y renoncer ainsi que
sa famille qui ne réclamail rien. Rblese mit en leur lieu et place
et pour pallier son extorsion il avait soin de déclarer que ces biens
avaient 616 anlrelbis en la possession de ses ancêtres, mais cette
assertion 6lai!, à ce qu'il semble, d'une justification difficile, et
ce qu'il y avait de sûr c'est que les moines de laTrinilé jouissaient
d'Oléron sans conlcslalion depuis quarante ans. Quoi qu'il en
soit (iuillaume s'empressa de déférer au désir de son redoutable
\assal et il donna son assenliment à la spoliation qu'ftiWe s'em-
pressa d'opérer sans s'inqui6ler des foudres ecclésiastiques qui
ne Itirdèrent pas à te frappcr'(l).
L'exemple donné par le seigneur deChâlelaillon dut porter ses
fruits, cl, soit en abandonnant quelque portion du domaÎQCCom-
lal, soit plus particulièrement en donnant leur assentiment h des
revendications ou à des usurpations sur les possessions des éta-
blissenienlsrt'lîgieux, Guillaume ou du moins ses conseillers assu-
rèrent la Iranquillilé dans le pays en l'achetant de ceux qui
auraient pu la troubler. Il ne faut pas croire en olTet que le cas
d'bJ>lede Cliàteiaitlon soit resté isolé. Sur une moindre échelle
on voit les mêmes faits se reproduire dans des circonstances
identiques. Ainsi, après la mort du vicomte Aimeri de Thouars,
son tifs ller-berl enleva aux moines de Saint-Florent la dime de
plusieurs localités ; il donna ifaint-Micliel en I^herm à son oncle
Haoul, des mélairies dans ta paroisse de Sainte-Cécile à Aimeri
du Teil et laissa Guillaume Affroy les dépouiller de la dîme la
Sainle-Pexine et Foulques de Mauléon de celle l'Fpaux (2).
Le premier soin des conseils du comte fui de pourvoir aux
sièges épiscopaux vacants. Bordeaux était ambitionné par Aimé,
l'ôvêque d'OIorun, mais ce prélat avait froissé tant de gens dans
l'exercice implacable de ses fonctions de légat du Saint-Siège que
sa candidature rencontra une formidable opposition ; dans l'im-
possibilité où l'on se trouvait d'entrevoir une solution prochaine
de cesdifficullés, t'évéque d'Agen continua temporairement d'ad-
(i) Mêlais, Cari, saint.de la Trinité de Vendôme, p. 06; Bcsiy, //isl, des comteSp
preuves, p. ^12.
(a) Marchpgay, Cart. du Bat-^Poitoa, p. 19, La Chaise-lc-Vicomle.
GUrLLAUME LE JEUNE
387
minîplrcr le diocèse (1). En ce qui foncerne l'Ovôché do Poilier?,
le choix des grands seigneurs, d'accord avec celui dn chapitre
calht'îdral, se fixa sur Pierre, arcliidiacre de Thouars, homme
que recommandait une piiMé éclairée el qui fui sacré le S des
calendes de mars (22 février) 1087, peu après son élection.
Dans rnssislance nombreuse réunie à Poitiers à l'ocrasion de
réleclion do Tévèque se trouvaient, parmi les dignitaires ecclé-
siastiques, Aimé, le légat du Sainl-Siège. Guillaume, archevêque
d'Auch, \*i doyen delà cathédrale, le prieur de Sainle-Hadegondo,
l'abbé de Sainl-Cyprien; auLourdu jeune comte on voyait Uoson,
comte de la Mfirche. Aimeri, vicomte de Thouars, Boson, vicomte
de Chili ellfrault, (ielduin et Kblion, seigneurs de Parlhenay,
lîoberl le Bourguignon, Maingol deMelleelaulrcs. Les chanoines
de Saint-Nicolas, qui supportaient avec peine le joug que la vo-
lonté de Guy-GeolTroyleiir avait imposé, jugèrent l'occasion bonne
pour revendiquer leuralTranchisseraenl. A peine le comte de Poi-
tou était-il décédé qu'ils avaient formulé leurs plaintes; mais
l'influence de Cluny continua à être prépondérant*^ el l'assemblée
consultée déclara qu'il y avait lieu de maintenir ce qui avait été
précédemment établi, c'est-à-dire l'union du chapitre de Saint-
Nicolas à l'abbaye de Monlierneuf (2).
Ces chanoines n'avaient pas été seuls à protester contre les
actes de Guy-GeotTroy, Dans le temps le comte avait imposé aux
religieux de Saint-Maixent un moine de Marmoutier, Anségise,
en qualité d'abbé, s'engageanl en retour h leur restituer les Itiens
qu'il leur avait précédemment enlevés. Mais ces promesses
étaient vaines et ne furent pas suivies d'effet, aussi, après la mort
de son protecteur, Anségise, sentant que la position était intena-
ble, retourna à Marmoulier ; les moines lui donnèrent aussilAl
un successeur dont l'élection eut lieu le 2!) février 1087, jtiste
cinq mois après la disparition du tout-puissant comte (3).
Vers celte époque le comte et l'évêque de Poitiers se rendirent
à Lusignan. lis cédaient aux sûllicitalîons d'Hugues le Diable,
(i) Il élail encore en fonctions le 3 décembre 1088 {Ctirt . de Suint-Searin, p. 28).
(a) Arc/i. hist. du Poitou^ [, p. >8, cari, de Saint-Micolas; Marchegay, Chron.deit
égl. d'Anjait, p. /joi), Sainl-Maixrnl,
(3) A. rtichard, Charles de Saint-Mai jcent, J, p. u.xxvii.
388
LES COMTES DE POITOU
qui,voulanl mellre en repos sa conscience chargée des trop noni-
breux méfaiLsqui lui avaient méril6 son surnom, di'^sirail donner
la plus grande solennilc h un acle pipux qu'il tenait à accomplir
avant de partir pour la guerre h laquelle il allail prendre pari.
Pendant que Tévèque se tenait devant Taulel de Notre-Dame
en présence du comte, d'un nombreux clerg(^ et de chevaliers de
Lusignan, il fit don aux moines qui desservaient cet autel du
domaine de Faiduncin, autrement dit Saint-Amanl (1).
Le sire de Lusignan voulait en effet répondre k l'ardent appel
qui avait éié adressé aux barons français par Alfonse VI, roi de
(lastille. Ce prince, l'ancien mari d'Agnès de Poitou, dont la puis-
sance s'était considérablement accrue par la prise de Tolède,
avait vu sa fortune ébranlée par l'arrivée des Atmoravides du
Maroc que les rois maures d'Espagne, craignant d'être Tnn après
l'autre subjugués par lui, avaient appelés ù leur aide. Leur
espoir ne fut pas déçu; le roi de Caslitle, forcé d'abandonner le
siège de Sarragosse, fut complèlomenl défait à Zahacal.
La situation changea aussitôt après l'arrivée des cheva-
liers français accourus de toute part en Espagne; ceux-ci s'em-
parèrent tout d'abord de la ville d'iistclla, mais ils usèrenl leur
force au siège de Tudèle. Les Almora vides s'élant alors retirés
sans poursuivre leurs premiers avantages, Alfonse fil la paix avec
les rois maures et vil sans peine l'insuccès à peu près complet des
auxiliaires auxquels il avait demandé un si chaud concours. Par-
mi les Poitevins qui participèrent à celle campagne» laquelle
ne dura guère que quatre mois, nous trouvons à citer, outre
Hugues le Diable, un certain Pierre Abrulil, à qui les moines de
JNoaillé donnèrent par charité 150 sous au moment où il se mettait
enroule avec d'autres chrétiens (2), et l'auteur de la chronique
(i) D. Fonlcneau, XXI, p. Hai .
(2^ La charte de Noaillé (Arch. de la Vienne, orig-., n» 128; D, Kooleoeaa,
XXI, p. 507), qui U0U8 apprend le départ de Pierre Abrtilil |Hiwr lu jçuerrc d'Es-
pagae, à l'occasion de quoi il fil don à l'abliayi' d'un doinnlne appelé les Cartes, sou-
lève une petite difticulté de chronoioffic. Elle est datée de l'imnéc 10S7, le roi Phi-
lippe réi^nanl, le duc Groflroy tjouvcrnant rAijuilaine, Pierre dirifjfeaiM rri^lise de
Poitiers, l'an où les Snrrazins envahirent l'Bspng'ne contre les chrétiens; toutes ces
notions se rapportent à l'année 1087, sauf celle relative au duc Geofl'roj, mort en
1086. Nous estimons qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à cette difficullé el que le scribe
de Noaillé a écrit par erreur le nom de Geoffroy au lieu de celui de Guillaume.
GUILLAUME LE JEUNE
389
de Saint-Maixent, qui nous dit avoir vu le chef de Texpôdition,
nommé Guillaume le Normand (1).
Dans le Bordelais, se produisirent des faits identiques à ceux
qui se passèrenl en Poitou. Lhi piirticmlier, Guillaume Ferran, avait
jadis enlevé aux chanoines de Sainl-Seurin un cens de G deniers
que son père et sa mère leur avaient primitivement donné. Les
chanoines avaient alors porté plainte devant la cour du comte et
celle-ci, où se trouvaient le duc Guy-Geoffroy, l'archevêque Jos-
celin, et R., vicomte de Dax, leur avait donné gain de cause. Aus-
sitôt aprt's la mort de l'archevêque et du duc, Ferran. qui ne s'é-
tait soumis quepar crainte do ce dernier, s'empressa de remettre
la main sur l'objet en litige. Le pouvoir civil, que représentait le
vicomte de Dax, se trouvant par suite du nouveau régime dans
l'impossibilité d'exercer une action elTicace sur les sujets du duc,
Ferran aurait pu jouir sans trouble du bien qu'il avait usurpé
s'il n'avait rencontré sur ses pas l'auloritô ecclésiastique. H fut
excommunié. Les conséquences de cet acte lui furent si pénibles
qu'il revint à résipiscence et le 3 décembre 1088 il renonça entre
les mains de FévÔque d'Agen, cette fois défmitiveuicnl, àses pré-
tentions (2).
Peut-être avant de s'amender ainsi Ferran avait-il été aupara-
vant l'objet d'une condamnation parFautorilé civile. F^es conseil-
lers du jeune comte des Gascons, duc d'Aquitaine (3). n'avaient
assurément pas manqué de le faire voir aux populations du Midi.
Dès l'année 1087 il s'élail rendu à Bordeaux et l'un des premiers
personnages qui se présenta devant hii fui Géraud.rabbé delà
Grande-Sauve. Le saint personnage obtint du duc la confirmalion
de tous les dons qui lui avaient été personnellement faits par Guy-
GeofTroy lors de la fondation de son abbaye (4).
Le jeune Guillaiime avait alors autour de lui Guillaume Free-
land de Biaye, Hugues de Lusîgnan et Boson de la Marctic. Ces
mêmes conseillers se retrouvent dans sa compagnie quand, en
(i) Marchcgoy, Chron. fies égf. (TAnJoti, p. 409, Saint-Mâixenl.
(1) Cort, de Saint-Setirin, p. 28 ; Hesly, IlisL des comtes, preuves, p. 4o6.
(3) Ce sonl les ïilres <juc Ciuillaiime prenait à Bordeaux [Arch. hisl de ta Gironde,
V, p. 127).
(4) Bibl. comni. de IJorde.iux, petit cari, de la Sauve, pp. 5 et 58 ;fgrand carlul.
pp. 1 1 et tûf).
ho
LES COMTES DE POITOU
i089, ]\ fil une nouvelle visite h ses domaines de Gascogne; on y
reiuarque en plus un Poilevin, Aimer! de Thouars, cl les grands
seigneurs de la région, Ct'iilulle.couile de Bigorre. Pierre, vicomle
de Gabarrel, el Guillaume Amanieu de Benatigcs. Leduc arrivait
de la Grande-Sauve où il avail reçu riiospilalilé el avuil reconnu
dans le chapitre, en présence de l'abbi'' Géraud et de ses moines,
lous les privilèges que son père avail concédés à l'ubbaye et dont
il avail accru Timpurlance ; puis, à Bordeaux, devant lous les
grands personnages de son entourage, il renouvela les mêmes
concessions {\). C'est peul-èlre en cette circonstance qu'il con-
lirnia l'abandon qu'avait fait le vicomte de Gabarrel à l'abbé
Géraud, du raonaslère du Sainl-Sépulcre que ce vicomle avait
commencé à construire sur son lerriloire de Gubarrel, el qu'il
accorda à cel établissement toutes les prérogatives de lasauvelé(2).
A défaut d'indications plus précises, c'est lors de l'une de ces
visites à Bordeaux qu'il convient de placer le don important que
fit le duc au chapitre métropolitain, lîeconnaissantque la cathé-
drale de Saint-André avail été dépouilléedesgrands biens quelui
avaient attribués les comles Sancheel Guy-Geoiïroy, il lui aban-
donna le tiers des impôts qu'il percevait dans la ville, ainsi que de
la monnaie et du lonlieu ; il y ajouta encore d'autres privilèges
pécuniaires qui constituèrent la plus importante dotation du
chapitre. Uanscel acte, qui doit concorder avec l'une des premiè-
res visites du jeune duc à Bordeaux et donl l'initiative doit
remonter à ses conseillers, désireux de Itii concilier la bienveil-
lance du clergé de la région, Guillaume s'intitulait duc el sei-
gneur, par la volonté de Dieu, de loule l'Aquitaine, agissant
en vertu du droit héréditaire qu'il tenait de sun père et de ses
ancêtres, et c'esl lui-même qui posa sur l'autel de saint André
la charte énuméranl ces larges concessions (3).
Aucommencemenlderannéet088étaitmort Audebert, le comte
(OBibl. cumtn. de Bordeaux, pulit carL. de la Sauve» p. 7; grand cnri., ])p. i4
et i5.
{•à] Galtnt Chri.st., Il, iustr., cûI. Sig.
(3) Bcsiy, //tsl. des cûtitts, preuves, p. 43f). Ccl ucle n'est pas d«lé, maïs comme
il cuoncc que lo conile a rei;u le baiser de paix de Piecre, le doyen du cisapilre, el de
t'urchidiarrc Ascclio, el ijiiM a'csl utiliemcul fait menlioa de retrclicvé<|uc, il y a lieu
(Ik croire qu'il fut pubâé pendant la vacance du r>ièL^c, c'est-à-dire av«ut lo inois de
uovembre 1088 od luSij. Palustre {//ist. de Guillaume /A", \>. 2o4) uviioce que le
GUILLAUME LE JEUNK
391
de la Miirchp, le (idèlo auxiliaire de Guy-GeolTroy, qui dut diri-
ger les premiers acles de la vie potilique de son fils; l'année
précédente s'était aussi éteint Foulriucs, comte dWngoutème (1).
Ainsi en peu de temps disparurent les hommes qui avaient joué
un rôle prépondérant sous le précédent comte, laissant la place
à de nouveaux venus dont les conseils ou rcxempic excrcùioiit .
une inf uence plutôt mauvaise sur l'esprit du jeune Guillaume.
C'étaient Boson, comte de la Marche, successeur d'Audehert,
Guillaume Taillcfer, comte d'Angoulême, successeur de Foulques,
Hugues de Lusignan, quidevint particulièrement un de ses fami-
liers ; tous se trouvaient à ses côtés à Saint-Micliel-l*vClou,
obédience de l'abbave de Muillezais, où l'abbé Geoirrov leur don-
nait riiospitulilé à la fin de 1088, et où Guillaume conliruia
le don qu'Knjoubert de Lusignan avait fait à la même abbaye de
la moitié d'un domaine sur lequel pourrait être consiruile une
église, pourvue d'un cimetière et autres dépendances (2).
Cependant, pour le momenl, le jeune comte suivait volontiers
la direction de l'évèquc Pierre qui se trouvait avec lui à Satnl-
Michel ; il prenait aussi conseil d'un religieux érainent qui vivait
alors à Poiliers, lîaynaud, abbé de Sainl-Cyprien. C'est à l'in-
fluence qu'avaient prise sur lui ces deux hommes de foi que Ton
doit attribuer les générosités dont il fil prouve dans ces temps à
l'égard de plusieurs établissements religieux; Suint-Gyprien était
jKiliirellement le plus favorisé. Ainsi il alTranchit deux possessions
de cette abbaye, Deuilet Gcrraond,de touteredevancecoulumière,
suufde l'obligation du service militaire lorsqu'il y avait lieu d'aller
en guerre ou de faire le siège de placesfortes(^). Il abandonna aussi
a l'abbaye toutes les coutumes qu'il possédait «lans son obédience
d'Ansoulesse dans te but d'indemniser les religieux des excès que
ses agents et en particulier son prévôt, Ilugues-Aimeri, avaient
commis dans le bourg de Saint-Cyprien, à Deuil, à Youiieuil, à
vnyage du jeune comte à Bordeaux avait pour objet non iaveslilure solennelle daoA
lu basilique de SaiiU-Sciiriii ; celle assertion, que rien no vient étaler, ne nous puralt
|ias avoir plus de iuadenient que le prétendu couronnement de Guillaume dana ré4j:lise
de Saint-Etienne de Lirnot^cs.
(i) //ist. ponlif. ei cu/n. Enffol., p. 37.
(s) Lacurie, J/iit. de Maillesais, preuves, p. 22O.
(3) Cart. de Saint-Çi/fjrieiit p. Sog.
393
LES COMTES DE POITOU
Ansoulesse et aulres lieux ; coininc! témoignage de leur gratitude
les moines lui donnèrent 100 sous et un bon cheval et institue-
ront même un service pour l'dme de son pure. Ce jour, dansFen-
tou rage du comie, se trouvaient, outre les prévois de Poitiers, Hu-
gues et Eudes, la comtesse Audéarde, sa inère, le comte de la
.Marche, Boson, qui accompagnait son oncle le comte Eudes, et
enfin Hugues de Lusignan (I).
Vers la même époque, les mêmes personnages prenaient part
avec d'autres seigneurs poitevins, Ebbou et Gelduin de Parlhe-
nay, Engelohïie de Mortemer, Joscelin de Le/ai, Hugues de la
Celle, Gcoflroy de Taunay, Pierre de Civray et autres, l'évèque
de Poitiers, les abbés de Sainl-Gyprien et de Saint-.Maixent, à
un jugement qui restitua aux moines de Noaillô les moulins de
Chasse igné (2).
Dans le courant del'année 1088 ou au commencement de 1089
le comte, se trouvant en Saintonge et ayant toujours l'évèque de
Poitiers dans sa compagnie, assisia à la donali«tnque Constantin le
Gros fil aux moines de Sainl-Gyprien de l'église de Saint-Léger
prés Pons, en présence de l'évoque de Saintes et de plusieurs sei-
gneurs de la région (3).
Sur ces entrefaites, le 4 novembre 1088 ou 1089, un concile
s'ouvrit à Saintes sous la présidence de révéque d'Oloron (i). Le
légat du pape étant venu à bout de toutes les résistances et en
particulier de celle de la cour du comte qui favorisait sans nul
doute un autre compéliteur, peut-être TévÔque d'Agcn,se fit élire
archevêque de Bordeaux par l'assemblée des prélats{5). A peine
en possession de celte haute dignité^ il formula en plein concile,
(i) Cart, de Saint-Ci/pnen, p. 200.
(a) Arch. de la Vienne, Nuailîô, oriç., n* i3i); D. Fùnteneait, I.XX, p. |8|.
(3) Cart. (le Snint-Cijprien, p. 2Hj.Cet acte, |>liicé par Rédclenlre 1087 cl H07, esl
sùrcmcot antérieur au concile de Saintes de 1088 ou toSg, ainsi qu'il résulte d'actes
du n>éme cartulaire de Saint-Cyprien, pp. 288 et 289.
(^) Biea que la chroniiine de Saint-Mai.vent assigne au concile de Saintes lu date
de novembre loSg (iMarchuçay, Chron. det èfjl. d'Anjou, p. Vm) qui a été içéncra-
lernenl adoptée, il y a lieu de remarquer que deux cliarlcs de la Trinilé de Vendi^me
(Mclaia, Carf. de la Trinilé lie Vendôme, H, pp. ^47 cl Vj) placent celte assemblée en
1088: il asnijus a pas été possible de trouver uu texte quelconi[ue qui permette de
Irarcher celle difficulté.
(")) Marchegiiy, Cftron.des éffl.d Anjou, p. 4o9i S.ninl-Maixenl ; Richard, CAar/0v
de Satnl-Maijcent, l, p.'aoC.
GUlLLAUiME LE JEUNE
393
concurremment avec Kenoul,6vèque de Saintes, une excommuni-
cation contre le seigneur de Châlelailtonelcontre sa femme Yvette,
qui paraît avoir été l'Ame des entreprises de son mari contre
les moines de Vendôme. Il semble que jusque-là on n'ait pas cru
devoir faire remonter la responsabilité de ces afjissements au
comte de Poitou ; le seigneur de Gbilcluillon ùtait seul en cause,
mais il se souciait assez peu des foudres épiscopales el il con-
tinua de jouir de l'île d'OIéron en toute sécurité (J).
A celte assemblée de Saintes vint aussi une discussion entre les
moines de Charroux et ceux de Vcndùme, t\ qui les premiers
reprocliaient de leur avoir enlevé l'église de Saint-Salurnin-sur-
Loire (2). EnRn, le lé^al y avait encore appelé les moines de
Saint-Aubin d'Angers afin de régler le dilFérend qu'ils avaient
avec ceux de la Trinité au sujet de réglisc de Saint-Clément de
Craon. Mais le comte d'Anjou, prenant parti pour les moines de
Vendôme, défendit, sous les plus graves menaces, à l'abbé de
Saint-Aubin de se rendre à Saintes et manda à Aimé de venir, en
toute confiance, tenir une réunion à Mirebeau ou à Loudun, où
il serait assisté de l'archevêque de Tours et de t'évoque d'Angers
qui, à cause de l'embarras des chemins, ne pouvaient se rendre à
Saintes. Mais le légat, arguant des mt^mes motifs que les prélals,
ne voulut pas déférer à Tinvilatton du Héchin et convoqua les
parties à Bordeaux. L'abbé do Saint-Aubin, quoique gravemeni
malade et ne tenant aucun compte de la défense du comte d'An-
jou, se mil en loule, mais^ arrivé à Sainl-Jean-d'Angély» il fut
arrêté par lloberl, prévôt du comte de Poitou, el contraint de
revenir sur ses pas, après avoir été l'objet de sévices, et qu'on
lui eut extorqué son argent. 11 prît gîle dans une obédience de
l'aLbiiye du Bourg-Dieu et obtint enfin du prévôt du comte d'être
autorisé à envoyer le prévôt de son abbaye, Girard, et un aulre
moine, vers le comte de Poitou qui se trouvait alors à Sainl-
Maixent. Les envoyés de l'abbaye, non contents de protester
auprt-s du comte conire les mauvais trailements qu'ils avaient ou
;isul>ir de la part de son prévôl, lui rappelèrent qu'alors qu'il
(1) Mêlais, Cari, saint, de la Trinité de Vcnd'hne, p. G6; Besly, Hist. des com-
tes, preuves, p. 4 12.
(2) Mêlais, Cari, de la Trinité de Vendôme, II, pp. 47-49'
i<A
LES COMTES DE POITOU
se lenail a Poitiers en compaj^nie d'Elie, comle du Mans,
d'HeiLerl, vicomle de Thouars, el d'llii;^'ues de Lusignan, il
avail accordt!! à leur abbé l'aulorisalion de traverser ses étals.
riuillaume ne lit aucun cas de leurs réclamations t4 leur ordonna
de retourner sans retard dans leur résidence ordinaire. Mais
l'îibbé de Sainl-.Vubin, tout en déférant personnelleraenl à l'invi-
lalion du comle de i'oitou, trouva le moyen de faire parlir
(lualre de ses moines qui, passant par des chemins délournés el
a travers les bois, iiiiirenll par arriver à Bordeaux (î).
Peu après l'intronisation d'Aimé, le comle de Poilou se rendit
lui aussi h Bordeaux el assista peut-êlre à la remise de pouvoirs
faite par son fidèle Simon, l'évoque d'Agen, au nouvel arche-
\èque. Les chanoines de SaiuL-André jugèrent le moment
opportun pour (aire confirmer en présence du prélat les
privilèges importants que, sans doute grûce à rinfluence de
Simon, ils avaient antérieurement obtenus. Celui-ci assista à cet
acte solennel à côté de rurclievèque, du doyen Pierre, et de
l'archidiacre Achelme qui donnèrent à nouveau le baiser de paix
au comte en présence de Forton, comte de Fezensac, et de Guil-
laume-EIie, le viguier, qui apposèrent leurs croix sur la charte à
côlé de celles du comle el de l'évêque. Dans la foule des clercs
et des laïques on remarquait encore Hugues de Doué, Pierre Mai-
nada, Guillaume Vendier, (jullard le prévôl, et enlin Bérengcr,
chapelain du comte, qui, après avoir posé la charte de conces-
sion des privilèges sur l'autel de sainl André, y apposa le sceau
de son seigneur (2).
On pourrait s'étonner de ne pas avoir vu le comle d'Anjou, con-
formément aux traditions de sa maison, profiter des embarras de
>on voisin le comte de Poitou pour accroître son patrimoine féodal.
Heureusement pour Guillaume que Foulques le Hécliin se préoc-
cupait autrement de ses plaisirs que de ses intérêts, et il venait
d'épouser dans le courant de l'année 1088 la belle Berlrade de
Montforl. Tout entier à sa passion il accueillit favorablement les
(i) Mêlais, Cari, de la Trinité de Vendôme, II, p. 78.
(7) Ardi. hisi. de la Gironde, XXX, p. a. Cet acic u'esl pas dalc, mais il est 6Ûrc-
iiieiil tiHléricur à ruiiDce ior(0, où l'on Unuvc cjualiliés du lilrc d'archidiacre, Pierre,
ledovcu du chupilrc, el Kble {GulliuC/irtst., U, irislr., col. 3ii).
GUILLAUME LE JEUNE
39&
avances que lui fircnl les conseillers du jeune comte-duc, dési-
reux par-dessus loul d'assurer la Ipanquillilé de ses frontières, et
il consentit à lui donner en mariaj^e la fille issue de sa précédente
union avec Hildegarde ou Audéarde de Heaugency.
Quoique jeune encore, étant née vers 1067, la nouvelle coai-
lesse, qui s'appelait lù'inengarde, élail encore de trois ou quatre
ans plus Agée que son mari; elle était belle, savante, gracieuse,
mais, par contre, en vraie filîe du Récliin, elle élail pourvue d'un
caractère dillicile et surtout d'une grande inconstance d'humeur
qui tantôt la poussa dans le cloître et tantôt la fit reparaître dans
le monde plus séduisante que jamais.
Il n'est [tas dilïiciie de croire que les instincts despotiques dont
elle donna tant de preuves dans le cours de son existence éloi-
gnèrent d'elle son jeune mari ; aussi, quand celui-ci eut atteint ses
vini,'t ans, s'empressa-t-il d'éloigner de lui la femme que des raisons
politiques seules lui avaient donnée. 11 ne nous a du reste été con-
servé aucun acte qui signale Ermengarde agissant à côté de son
époux et leur union, que l'on peut placer en 1U8Î>, lut assurément
de courte durée. Quels motifs Guillaume lit-il valoir pour rompre
ces liens?Onnesait. L'Kglise n'y fit aucune opposition et accueillit
favorablement la demande du duc qui fut molivée, soit par le dé~
faut de consentement de sa part, soit par des raisons de paren-
té (1). On ne connaît exactement ni la date du mariage, ni colle
de sa dissolulion, mais il est à présumer que celle dernière doit
être rapportée à l'année 1091, car, en 10!)2, Ermengarde était
remariée à Alain Fergent, duc de Bretagne (2).
Bien que le Béchin fût assez peu chalouilleux sur les ques-
tions d'honneur, il ne supporta sans doute pas sans murmurer
quelque peu le renvoi injurieux de sa lillo qui venait le trou-
bler au milieu de ses amours. Ce serait alors qu'il conviendrait
(i) Palustre {Hisi. de Gaiilanine IX, p. iih, noie 3) suppose que, pour oblenir le
divorce, on mil en avant la question ilc parenté, fondée sur le maria£;;e d'HiliJe^ardc,
sœur de Guillautnc le (iriind, uvcc Foulipics Nerra, bUaïeul du Hécliiu. Ce nioiiT
ne jinurait être udniia: Hildc^'urde éluat selon tes uns sœur de GiMuiu do Doue, se-
lon d'autres de race royale, ou enSa orit^iniiire de Lorraine, et en tout cas ne se ral-
tnriiant nnlienieul à la famille des comtes de Poitou. (Porl, Dicl. de Matne-et- Loire,
11, p. .H."ir)),
(a) Pori, Dict. lU Mitinr-ct-Lolrc, II, p. i lO, d'aprr.s le carlulaîre du Roncerajrj
l\ec. des Util, de France, XII, p ûi8, Guillaume de T^r.
3g«
LES COMTES DE POITOU
de placer une prise d'armes, dont les détails ne nous sont pas con-
nus, survenue entre les comtes d'Anjou et do Poitou, ce dernier
ayant comme auxiliaires Geoin-oy lIp Preuilly, l'un des plus puis-
sants vassaux du comte d'Anjou, et plusieurs autres seigneurs de
la réf,MOn lourangelle. Les lioslililésne furent marquées par aucun
fait saillant et la paix se fUbientùt, le Iléchin ayant eu à la fois tous
les malheurs, celui d'être excommunié à cause de son alliance in-
ceslueuse avec Bertrade el celui de se voir abandonné peu après
par la belle comtesse qui, le 15 mai 1092, s'enfuit à Orléans
rejoindre le roi de France Philippe l"' (IJ.
Cette campagne militaire, à laquelle les personnages au nom de
qui elle se faisait ne semblent avoir pris aucune part, ne parait
pas en tout cas avoir détourné le comte de Poitou de ses occupa-
tions ordinaires. Un témoignafi;e de la faiblesse caractérisliquede
son gouvernement et qu'on ne peut s'empêcher de relever, c'est le
grand nombre de guerres privées que l'on voit se produire dans
ses étals patrimoniaux quijouissaient généralement d'un si grand
calme sous Guy-Geoffroy. Un des faitsles plus nolablesde ces luttes
intestines fut la mort de Boson, le comte de la Marche. Une que-
relle, née on ne sait comment, le mit aux prises avec Guillaume
Tailtefer, comte d'Anguulème. Il prit l'initiative et alla uiettre le
siège devanl tlonfolens, une des places fortes de son adversaire.
It y périt (1091) et sa succession, vivement disputée, fut pendant
de longues années une cause permanente de troubles dans toute
celte région (2).
L'héritière légitime du comté de la Marche était Aumode, sœur
de IJoson et pour lors femme de Uogor de Montgoramery, comte
do Lancaslre(3), dit le Poitevin. Lors de la mort imprévue de
son beau frère, Uoger occupait une liaule situation auprès de son
parent le roi d'Angleterre et il lui était assez dilficile de venir
(i) Mnrchejçay, Chron. d'Anjou, T, p. i84, çesU Ambaziensiura domtnoruni ;
PorI, Dici, de Maine-el'Lot're^ I, p. 33J; It, p. igî,
(a) Marcl)egay, Chron. des tgl. d'AnJon, p. 4io, Sainl-Maixciil. l-'n obiluairc de
Saîril-Marliol de Limoges rapporte omx des calendes de mars (21 février) la mnrl d'un
comte Boson, mais ù déraut d'indication plus complète on dc saurait dire s il s'ajjrit du
fils dWudeberl. (Leroux, Doctimenin hisloriijnes toncfrnant la Marche cl le Unions
«iVi, I, p. 68).
(3) « Boso, cornes de Marchia, occisus est... Huic succedil Aumodis, soror sua >.
(Marchcgsy, Chron. des égl. d'Anjou,^. l\\o, SaiutoMaixenl).
^
*
*
GUILLAUME LE JEUNE
5»7
prendre possession du patrimoine nalurellemeiiL dévolu à sa
femme, pour peu qu'il y rencontrât quelque opposition. Celle-ci se
présenta dans la personne d'Eudes, frère cadel d'Audeberl le
précédent comte de la Marche et par suite oncle de Boson cl
d'Aumode; il revendiquait pour lui-môme le comté. en vertu d'une
donation m e^rlrenth que lui aurait faite lîoson (lu'il accompa-
gnatl sans doute devant Confolt^ns (1). Aumode se trouvant dans
l'impossibilité de faire valoir utilement ses droits et surtout de
les maintenir, trouva plus expédient de traiter avec son oncle qui
resta, pour l'instant, à la tête du comté, moyennant sans nul
doute un partage de ses revenus (2). Eudes s'empressa de faire
la paix avec le comte d'Angoulêmc et, bien plus, s'associa avec
lui pour s'opposer aux entreprises d'un autre concurreni qui con-
testait à Eudes la légalité de son droit et voulait à tout le moins
avoir une part du gâteau. C'était Hugues de Lusignan, qui, fils de
lasœuratnée d'Eudes, revendiquaitriiérilage au nom de celle-ci;
sa mère et ail en cITet la célèbre Aumode, «A Imodis», successivement
femme d'Hugues le Débonnaire, sire do Lusignan, de Pons, comte
de Toulouse, et de Uaymond Bérenger. comte de Barcelone. Il
chercha ù mettre la main sur Charroux, la sentinelle avancée de
la Marche du crMé du Poitou, et lutta sans trêve pour conquérir
ce qu'il considérait comme son propre bien, tant contre Eudes
que contre le comte d'AngouIéme (3). Le comte de Poitou fui
(i) « Qui in ullimo vilse positus omacm comîlaluni suum ei dedil > {Rec. des hisl.
de France, XIV, p. 1 89, note c, d'après une charle d'Uzcrche antérieure à loyô).
(a) Deux doruiiients absoluinenl sûrs, la chronique de Saint >Mai\ea( cl le carlulairc
d'Uzercbc, seniLlenl au [ireiuicr abord fournir des reoscignemcnl» contradictoirea au
sujet de la succession de Hoson ; il nous paraît avoir démontré que les deux textes
«oui parfaitcnieot conciliablea, la propriété de seigneuries en commun étant à cette
époiiue un cas excessivement rrcijucnt. Ou reste, on voit Aumode. dans uu acte du
12 novembre 1058, confirmer les dons t]ue son père Audeberl avail faits à l'Ealcrp
[wur indemniser J'abbaye de l'avoir incendiée au tem[>s du pape Benoit (entre io38 el
1048). Aumode s'inlilule comtesse delà Marche cl elle esl enlourée do barons du pays :
Itierde Breuil, Hugues de la Vilale, Gérsud Fouchier^ ce qui lémoiçnc qu'elle devait
se trouver à ce momenl dans la partie de la Marche voisine de l'Esterp cl peul-élre
même dans celte abbaye. (P. Fonteneau, XXJV, p. 379, d'après Robert du Dorai),
(iï Palustre, qui, après avoir pris connaissance delà cbarlc du CHrlulaire irUzerchc,
avait cru devoir biliivcment taxer d'erreur la chronique de Sainl-Maixent, a commis,
dans la noie où il expose sa théorie (//;«/. de GiiiÙaume IX, p. 23o, note 3), une
laule grave qu'il esl indispensable de rectifier. Pour appuyer ses dires il fait d'Alnio-
dis, femme de Roger de .Montgommery, la sœur d'.'Vudebert et d'l£udcs, tandis qu'elle
est fille d'Audeberl cl nièce d'Eudes, el la donne comme mère d'Hugues de Lusignoo*
dont elle n'est que la cousine, confondant ainsi en une seule personne lu tante el la
nièce.
SflS
LES COMTES DE POITOU
par la siiîle entraîné à prendre une pari nrlive dans ces dr'-bals.
Au mois de jnnvifM' 1092, Giiillaumo se Iroiivail h Poiliors ; il
y l(*nail sa cour où se Irouvaiert eu fait de prélats l'archevêque
de Rord*»aii\ el les t»v6ques Plerro de Poilit^rs, llrnoiil de Saintes
et Simon d'Aj^en ; les laïques étaient fort nombreux, el Ton v comp-
lûllparliculièrenienl Aimeri, vicomte de Thoiiars, entouré denom-
breux nobles de sa région, ainsi que les compa^^nons ordinaires
dii comte, Hobert le Bourguignon, Hugues de Lusignan, Hugues
de Doué, Maingot de Melle, Guillaume Freeland el autres. Aimeri
présenta le 15 janvier à Tassislance une charte dtj 1.1 décembre
1088 par laquelle il avait attribué aux moines de Saint-Florenl
de Saumur l'église et le petit monastère qu'il avait fail construire
dans son château de la Chaise. Toutes les personnes présentes
ratiHèrenl l'acte dont les clauses altribuaienldes biens importants
à rétablissement pour subvenir à sa subsistance (1). '
Parmi les signataires de cet acte se trouvait Ebbon de Par-
Ihenay, qui, h lasollicitalion du vicomte, avait, le 15 janvier Ï090,
concédé à la nouvelle conimunaulé certaine terre qu'il possé-
dait auprès de la Cliaise, en reconnaissance de quoi les moines lui
avaient fait cadeau d'un gobelet d'argent et s'étaient engagés k
l'inscrire dans leur martyrologe ainsi que ses parents et ses
enfants (2). C'était un important personnage que cet Ebbon, qui,
de force ou par hatiili^té, avait su arriver à une situation à la-
quelle de par son simple droit de naissance il n'aurait pu pré-
tendre. La convention qui avait reconnu à Eudos l'autorité
principale dans le comté de la Marche avait été une déroga-
tion à l'usage général du Poitou qui attribuait au fils aîné la
succession principale du père de famille el il s'était fail appli-
quer celui qui, sous le nom de droit de viage ou de retour,
(i) Marchcg-ay, Cari, du Bas-Potlon, p. i5, La Chnisp-Ic-Vicomle. Cet «ctc étant
dalé du t8 des calendes de février et de la 5* férié de l'nnnée loga, iodications chro-
noltiçii|Hes qui corrfspoodent exactcirenl au jeudi if» janvier 1091, il convient de
niaifilenir le chiffre de celte dernière année cl de ne pa^ renvoyer cet acte h l'année
iof)3, l'usnçe de commencer l'année à FAqucs n'étant pas régulièrement pratiqué en
Poilou. En adoptant la date de ioy3, AL Marchepay, cdilear de cet acte, a induit en
erreur les liistorieos de Thoiiurs et en çénéral Ions ceux qui ont eu à parler de la
fondation de la Chaise-le-Vicomte.
(2) Marche^y, Cart. du Das-Poitou, p. ta, La Chaise-le-Vicomte. Il y a Heu
d'appliquer à la date de cet acte la même observation que celle qui a fait l'objal de la
note précédenle.
f.iiLLAUMK f,R ji:i;ne
339
prédominait dans la partie du Poilon soumise surloiil h l'aulo-
ri(i''du vicomte de Thouars et s'ôlendanldu Tliouel et ûp la Dive,
son alVIiionl, à lamor. CVîlait le partage de fn-re h fr<ire, en vorlu
duquel tous !os enfants mâles se succédaient dans l'héritage dti
pi-re de famille à l'exclusion ^les enfants issus de chacun d'eux et
en jouissaient viagèremenl jusqu'au jour où, le dernier frère ayant
disparu. l'Iu^Titaj^e revenait au fils aînù du frère aîné pour suivre
encore dans cette nouvelle lignée le môme mode de succession.
Ce sysiéme avait été évidemment imafr-iné pour que le domaine
familial ne lombAl pas entre les mains de mineurs incapables de
le défendre contre les appétits de gens ne connaissant guère que
le droit de la force. Mais, par contre, il arrivait souvent que des
gens 1res pressés n'attendaient pas que leur lournalurel arrivai
pour user des droits que la coutume leur conférait, ils revendi-
quaient aussitôt qu'ils en voyaient la possibilité non pas tant b'
partagedu domaine que celui du pouvoir seigneurial. C'est co qui
se passait en ce moment dans le pays de Câliné, (ielduin, frère
de l'arclievêque de Bordeaux, .loscelin, lui avait succédé en t08(i
en qualiléde seigneurde Parllienay ; leur plusjeune frère, Kbbon,
trouvant insuIfisanLela position de cadet dans laquelle il se trou-
vait confiné, contraignit Celduin à l'admettre au môme rang que
lui et le rôle qu'il s'allribua fut tel qu'il ne tarda pas à éclipser
presque complètement son atné. C'est ainsi qu'il paraît seul dans
la donation de leurs biens patrimoniaux faile à la Chaise el.dans
cet acie, énonce simplement qu'il fut passé dans le logement,
<• caméra », qu'Ebbon possédait à Poitiers et qui auparavant
appartenait à l'archevêque de Bordeaux : de Gelduin il n'est nul-
lement fait mention.
On ne s'étonnera donc pasqu'Ebbon dut être vivement atteint
dans son orgueil quand il villes suffrages qui accueillaient l'acte
d'Aimeri delliounrs, et qu'il voulut élrelui aussi le fondateur d'un
monastère. Mais ses ressources personnelles n'auraient pu sulfire
à cet objet, aussi, de gré ou de force, associa-l-il h son œuvre son
frère Celduin et un de leurs principaux feudataires, Ceoffroy do
Champdenier ; ils abandonnèrent en commun à Seguin, abbé
de la Chaise-Dieu, l'église de l*arthenay-le-Vieux à la charge d'y
établir une obédience et ils ajoutèrent à ce don le territoire
4 00
LES COMTES DE POITOU
nécessaire pour y conslruire un bourgqu'ils pourvurent par avance
de nombreuses iiiiniunîk''S. Ils conlraignirenl los possesseurs de
lerres qui élaienl à la convenance du nouvel établissement à
les lui abandonner cl Kbbon oblint du comte de Poitou qu'il se
rendît à Pnrllunay pour ratifier par sa présence Pacle contenant
toutes ces dispositions; c'est dans ces circonstances solennelles
que se fil, le 1" août, jour de la fêle de saint Pierre-ès-liens,
patron de l'église de Parlhenay-le-Vieux, la remise de la charte
conlenant cette riche dotation nux moines de la Chaise-Dieu (1),
Bien qu'il semble d'après l'actede fondation que le prieuré de
ParIhenay-le-Yieux fiU l'œuvre desdeux seigneurs de Parlhenay et
de celui de Champdenier, l'opinion publique ne s'y trompa pasel
ne reconnut qu'un seul fondateur, Ebbon. Du reste, celui-ci, s'ins-
piranl des procédés de Guy-GeofTroy, agit semblablement à lui à
l'éfïard de ses vassaux. C'est ainsi que l'un d'eux, Guy de Vau-
couleurs, qui, du consentement de Gelduin et avec rassentimenl
de révoque de Poitiers, avait donné aux moines de Saint-Florent
l'église de Fenioux qu'il tenait en fief des seigneurs del^arlbcnay,
reçut d'Kbbon Tordre, en vertu de son droit seigneurial émînenl,
de la reprendre et d'en faire cadeau à la Chaise-Dieu; il le me-
naçait, dans le cas où il se refuserait à exécuter ses volontés»
de le dépouiller de son patrimoine; d'autre part, le moine, qui,
dans lûulos ces négociations, représentait l'abbaye de la Chaise,
assurait Guy de Vaucouleurs, afin de faire taire ses scrupules,
qu'aucun concile ne mettrait opposition à la permutation que l'on
exigeait de lui. Celle-ci eut donc lieu elTacle fui approuvé par Gel-
duin, par son fils Raoul, parGuillaume et Simon enfants de Simon,
l'ancien vidanie de Parthcray,qui, en vertu du droit de retour,
n'avaient sur la seigneurie que des litres usufrucluaîres qu'ils ne
furent du reste jamais en position de ftiire valoir (2).
Tous ces faits tendent à établir qu'Ebbon était tout-puissant à
Parlhenay et que Gelduin, par faiblesse d'esprit ou pour toute autre
cause, était sous la dominalion absolue de son frère. A un nio-
(i) Besty, Hisl. des comlet^ preuves, p. 3i)6, Ledain {ta Oàtine historiqae, i* éd.,
p. 40) pince par inadveiiance cel iWénement a la date du 3o ao^x le texte de la
charte porte exprcsscineal qu'il eut lieu le jour dc8 caleudes d'auùl ; eo la fêle de
saint Pierre.
(a) Ardt. ln'st. du Poitou, II, p. 83, cLart. poilcvioca de Saiat-FlorcDL
4
GUILLAUME L!
4o«
menl donné il chercha à secouer ce joug ; évidemment, pour agir
ainsi, il dut subir quelque influence, peul-èlre raèmo y Burail-il
lieu d'élabiir une certaine corrélation entre la brouille qui se
produisit entre les deux frères et le meurtre d'Aimeri, vicomte
de Thouars, commis par deux chevaliers, lequel advint en 1093
el sur les causes duquel tous les annalistes se sont tus (1).
Toujours esl-il que Gelduîn,dans le cours de cette année 1093,
implora l'aide du comte de Poitou, el que celui-ci envahit inopiné-
ment le pays de Parlhenay. Ebbon s enfuit ou peut-être se réfu-
gia-t-il siniplement dans son château dont le comte ne tenta pas le
siî'ge. Mais, pour tenir en bride ce vassal remuant el qui pouvait à
l'occasion devenir dangereux. Guillaumejugea opportun d'établir
surson territoire un poste d'observation qui deviendrait la basedes
opérations nouvelles qu'il pourrait être amené à entreprendre
contre lui. Il fixa son choix sur Germond, cette forteresse qui
commandait à l'extrémité delà GAtinc le grand chemin d'Anjou
en Saintonge et dont, soixante ans auparavant, le comte Eudes
n'avait pu s'emparer. Il la fil réparer et agrandir el la livra à
Gelduin, qui devait en faire sa place d'armes et le centre de sa
résistance contre Ebbon dont un retour offensif était toujours
à craindre (2).
Il ne semble pas que le comte ait assisté au concile qui se tint
à Bordeaux en 1093 sous la présidence du légat Aimé et où
furent surtout traitées des questions de discipline ecclésiastique
ou réglées des compétitions entre communautés ; du reste, les
évoques de Poitiers et de Saintes ne s'y rendirent pas (3). .Mais
on trouve Guillaume à Poitiers où, entouré di^ ses compagnons
ordinaires, Hugues de Lusignan, Hugues de la Celle, Hugues de*
Doué, Guillaume de Parlhenay, Hélie de Chauvigny, Jean Mes-
chin et son juge Pierre de Vendre il fut témoin de lu donation
que l'évèque Pierre fit à l'abbaye de Sainl-Cyprien du domaine
de Chanvrolle (4). Bien que l'on puisse attribuer cet acte à la
générosité naturelle de l'évèque de Poitiers, qui combla de dons
(i) Mnrchegay, C/iron. Je» ifffl, tTAnjoa, p. 189, Saint-Fiorenl.
(2) Marclipgny, Chron. des égl . trAnjoa, p. ^to, S«inl-MaisenU
(3] Galtia Christ., JI, col. 807.
(4) Cari, de Saint-Ctfprieity p. 84,
aO
/|03
LES COMTES DE POITOU
les moaaslèrcs de son diocùse, il l'uni [leuL-èlrc y rcoûiinaîlre
aussi un oiobile moins désinléressô et nous ne serions pas èlonaé
qu'il ail voulu rémunérer les services que l'abbc' deSainl-Cyprien,
Rainaud, élail en mesure de lui rendre en ce moment.
Celui-ci s'en élail allé à Uonie pour les affaires du diocèse et là
avail mis loutc sa bonne volonté et ses remarquables apliludesk la
dis[)Osition du pape. Urbain II était presque sans ressources pour
canliauer la luILe qu'il souleaaiL contre Tanli-pape Clément tll :
il lui fallait s'adresser à la charité des fidèles, Hainaud s'oiïril
pour celle mission ; le pape accepta avec empressement et, le
2 novembre, il notifia à tous les évêqueset abbés d'Aquitaine, de
Gascoi^Jieel de la Basse-Bourgofçne, la mission qu^il avail confiée à
l'abbé deSuint-Cyprien et à Gervais, abbé de Sainl-Savia, chargé
de le seconder dans sa lâiiie; ils devaienl faire des collectes, pour
venir en aide à la papauté, auprès des évoques, des grands sei-
gneurs et de tous les chrétiens en général ; en outre, ils avaient
aussi mission d'exiger un tribut spécial des monastères qui rele-
vaient spécialement de robédienco papale (I). Quelques jours
avant le 1 7 novembre, sur la requête spéciale de Rainaud, le pape
avail confirmé les immunités accordées à Monlierneuf et parti-
culièrement lui avait attribué la possession de Saint-Nicolas con-
formément aux jugements que le légat Aimé avait rendus quel-
ques années auparavant (2),
Dans cette bulle, le pape, en parlant du comie de Poitou, dont
jusque-la il n'avait entendu dire que du bien, Tappelait son fils,
mais su bonne opinion ne tarda pas à se modifier sous Tinfluence
d'un autre courant d'idées qu'allait faire naître un personnage
bruyant qui entra en scène à cette époque. Le 21 août <093, Geof-
froy, un des plus jeunes religieux de la Trinité de Vendôme, fut
élu abbé de ce monastère. Peu après, il se rendit à Home pour
rendre ses devoirs au pape, son supérieur immédiat, ainsi qu'il était
établi par l'acte de fondation de l'abbaye. Doué d'une grande
ambition, il vil le parli qu'il y avait à tirer des diflicultés dans
lesquelles se débattait L'rbain 11; il lui apporta douze ou treize
mille sous, somme considérable, grâce à laquelle le pape put
(i) Cart, de Saint'Ci/prien, p. i5.
(a) Arch, lu'sl. du i'uitou, I. p. 20, cari. Je Sjial-.Nicolas.
GUILLAUME LE JEITNK
êoa
rétablir 5a fortune el occuper Itome. Geoffroy fut en récompense
pourvu du cardinalat au litre de Saint-Prisque el devinl rapide-
ment loul-pui^sant à la cour papale. Il commença par user de sou
influence en faveur de son monastère; le li mars IÔ94, Urbain,
en verlu de son autorité apostolique, chargea ler^ comtes d'Anjou,
de Poitou el de Vendômois de se porter défenseurs et protec-
teurs perpétuels de l'abbaye de la Trinité (l).Cet acte était habile,
car la protection de l'abbaye impliquait celle de ses biens et, en
Poitou, où la plus grande partie était située, il traînait depuis plu-
sieurs années une affaire d'une importance capitale pour elle,
celle de la main-mise par Eble de Cbâlelaillon sur ses domaines
de nie d'Oléron.
Mais Geoffroy ne trouva sans doute pas suffisante cette inter-
vention du pape; il voulait atteindre directement le comte de
Poitou et le contraindre à se déclarer ouvertement pour l'abbaye
de Vendôme. Soit pour ce motif, soit qu'il ait reçu à ce moment
des nouvelles défavorables aux intérêts de sa maison, il sollicita le
pape d'agir directementsurGuillaume.Enconséquence le 31 mar.«,
quelques jours seulement après la promulgation de la bulle,
Urbain II, donnant carrière ù son caractère impérieux modelé
sur celui de Grégoire VU, écrivit au comte de Poitou une lettre
comminatoire dans laquelle il lui disait qu'il avait souvent fait
appel à ses bons senlimenls pour qu'il imitât la sagesse et la
piété du grand prince son père, qui avait montré une si grande
dévotion pour les églises, dotant les unes richement ou même
en construisant d'autres en leur entier. Le pape s'étonne que
Guillaume, qui fait preuve de tant de vertus guerrières, qui pos-
sède un esprit si cultivé, s'éloigne autant des qualités de ^on père
en venant mettre le trouble dans les églises et en dépouillant de
leurs biens celles qu'il a fondées; il vient d'apprendre en particu-
lier qu'il a enlevé l'église de Saint-Georges d'Olérou aux reli-
(i) Mêlais, Cari, de la Trinité Je Vendôme, p. 74. Bien que celle bulle porte ta
date de ick^S, elle apparlieul réelleairal à l'année ioq^i ^ cfaaDCcllerie poutiiicale
faisaol partir du 25 mars le coma)exiccni<rQl de rauDce. CcUe alirlbulioa esl curru-
borée p.ir les aalres iodicalioDs cfarooulo^ques que fournit l'acte, à savoir l'oti va
du poDlilical du pape, qui commeace au la mars 109^. cl l'indiclioii ru, qui est le
chiffre de cette même année io<j4- Voy. aussi Migne, falrol. lai., CLVil, col, kl
et 53, IcUres de Geoffroy de Vendante.
4o4 LES COMTES DE l^OITOU
gieiix de la Trinité do Vendôinft et l'admonesle pour qu'il la leur
resliluc. Mais le pape ne secoiUenle pas do lui faire à ce sujet
des reprcsenlalions amicales, il passe aux menaces et déclare
au comle que, si dans le délai de trente jours il n'a pas donné
satisfaction à sa réclamation, il encourra son courroux et sera
frappé sans miséricorde desanallièmes apostoliques(l).
On voit que grAce à Thabileté ilé|doyée par iieofTroyh sîlualion
s'était modirîée; ce n'est plus seulement le délenteur des biens
de l'abbaye, Kble de CliAlelaillon, qui est mis en cause, mais c'est
avant loul son suzerain dont la connivence apparaît certaine
derrière les subtilités de langage de la lettre papale. On ne sait
où celle-ci atteignit le comte de Poitou ni en quel lieu il avait
passé les fêtes de Pûques de 1094 ; peut-être avait-il déjà gagné le
Midi où de graves événements attirèrent ù celle date son atten-
tion. Les opérations contre les Alraoravides avaient repris en
Kspagne et éliient marquées par les succès des chrétiens;
or, le roi d'Aragon, Snncbe-Ramire, succomba tout h coup au
milieu de ses triomphes et fut frappé à mort au siège d'iïuesca,
le 6 juillet 1094. Ce prince avait épousé, déjà ûgé, en 1080, lafille
de Guillaume IV, comte de Toulouse, et d'Kmme de Morlain,
Philippie, qui, lors de la morl de son mari, n'avait guère que vingt
à vingt-deux ans (2).
(») Métais, Cart. saint, delà Trinité de Vênd'nie, p. 0"»; Lahhe.Cnncilia, X.c.il.
4G2 ; liesly, //i',f/. des comtes, preuves, p. I\i^. Ce dernier juilciir pince celle IcUrc,
ijui n'est pas daléc, cniocf-j; en cela il fait erreur, Guillaume disaDl lui-mêtne formclle-
incnl (Inns une ciinrle du 10 dêccinbrc inr)0,di>nt, il sera parlé plus ]oia,qtie le pnpe lui
écrivit de Uoriic avant de venir en France cl qn'il le menaça de l'excommunier s'il
ne contraîçuail pas Khle à restituer à la Trinilc de VcndtVme ce qu'il lui avait enlevé.
(a) La Kllc de (juillanme de TjuIùusc e«l i^cncr.iJempnt désis^née dans les textes
sous le nom de « l'hilippa », qui en français donne Philippe, mais celle forme n'est
qu'une corruption de son vét'it.ihle nom qui élnil « E^hilippia x>, ainsi ([ue l'atteste une
charle orijçinale de Saint-Sernin de Toulouse de Tan loijS, pulilire par D. \'aiss(Me
[Hisl. de Lingaedoc, aour. éd., V, col. 7j4*7^>7)> d'où la forme l'Iiilippie que nous
avons adoptée el qui coavient plus parliculicremenl à un nom de femme, celui de
Philippe restant exclusivement masculin. (Voy. aussi D. Vaissele, col, 767, et D.
Fonlcjieau, XXV,p. f\\.] Mais, ronrormémenl au bizarre usasse du temps, la jeune fille
portail aussi un autre nom, et dès son mariage, dans la région bordelaise, clic est cons-
lammcDl appelée Mahaul, « Malhiîdis ». (D. Vnissetc, llisl. de I. aiif/urdoc, nowv . éd.,
III, pretives, p. 741; U. Konleneau, XIII, p. 207; Mêlais, C.nrttil. sititit. de la Trinité
de Vendôme, p. 70; finilia (?/i/'/s^. Il, inslr., col. 3ii; .Miçne, Patrol. Int., CLVII,
col. 204, lettre de Geoffroy de N'endôme. Kn Poitou, les deux noms sont indifférem-
ment employés; « Mathildis» est celui que portait la première femme de Guillaume de
Toulouse, père de Pbilippîe; serait-ce en mémoire d'elle, comme l'iDsinue D. Vaissetc
(in, p. 4^9), que la jeune comtesse aurait été ainsi dé.sijei'née?
GUILLAUME
Celle union, vu le jeune âge de la princesse, avait eu un carac-
lère absolument polilique, car Fliilippie devail ôlre, évenluelle-
meni, riicrilière du coraléde Toulouse. Guillaume, son pèro, qui
avait précédeinmenl perdu les deux (Ils qu'il avail eus de deux
mariages successifs, s'élant dégoOlé du pouvoir, avail abandonné
son comlé et ses autres domaines à son frère Haymnndde ÎSainl-
Gilles qui, dès 1088, se qualifiait de comle de Toulouse; débar-
rassé de lous liens il était ensuite parti pour ta Terre-Sainle.
Quel était le caractère de la cession que Guillaume avait con-
sentie à llaymond ? On ne le sait au juste, l'acte n'ayant jamais été
produit. Etait-ce une vente ferme ou une mise en gage pour un
temps limité, ou encore une substitution ayant pour objet de
conserver au Toulousain sa dynastie nationale et d'éviter son in-
corporation dans les royaumes d'Araj;on et de Navarre, ce qui
était la conséquence du mariaj^'e de IMiilippie, on l'ignore, mais
grâce au manque de publicité de l'acte intervenu entre les deux
frères, on put, pendant la durée delà vie de Guillaume, considérer
Hayraond comme un simple administrateur du comlé. En consé-
quence les droits dcPhilippie demeurèrent intacts, et quand Guil-
laume mourut en Palestine, pense-l-on, dans le courant de l'année
1003, il ne dépendait que d'elle, ou plutôt de son époux, de les
faire valoir. Mais en ce moment Sanclie-Hamire était engagé avec
les Maures dans la lutte où il devait perdre la vie, et il ne put
agir avec la vigueur que comportait la situation; des mouve-
ments s'élaient en elîet produits un peu partout en sa faveur et
Hayraond dut faire appel à des secours spirituels, voire môme sur-
naturels, pour appuyer son usurpation. 11 s'élait rendu h Tabbaye
de la Cbaise-Dieu, et là, à l'issue d'une messe solennelle, il avait
déclaré qu'ilne tiendraille comté deToulouse que de saint Moberl,
le fondateur de l'abbaye, si Dieu lui faisait la grâce de l'obtenir
par son intercession. Sanche-Ramirc avail en effet, au mois de
mai 1093, affirmé ses droits, présents ou évj-nluels, au comté de
Toulouse, certain jour qu'il s'élait rendu à l'abbaye de Saint-Pons
de Tliomières, dans laquelle il avait fuit enirer comme moine son
fils ïlamire, et d'où, sous prétexte de rendre grâces à Dieu du suc-
cès de ses armes, il pouvait surveiller de près les menées de
Haymond.La mort de Sanche-Ikmire délivra pour le moment ce
^dO
I.rCS COMTl-.S DE POITOU
(lornior tlo loiil i:f)mj>«''lilcur sf'Ticiix. cl si l'hilippic (il cnlondre
des plainics ollos ne furcnl pas écoulées (1).
La jeune reine ne pouvait songer à se fixer en Espagne, où
l'élal de guerre clnil permanent el auprès de beaux-fils plus âfiés
qu'elle ; d'autre part, elti* ne pouvait penser à revenir dans le
comlé de Toulouse où son oncle n'aurail sans doule pas lolérô
sa jjrésence ; il ne lui reslail d'autre allernalive que dcnirer
dans un moiiaslrie ou de se remarier. On peut supposer que.
vu le.s droits magnifiques qu'elle avait à faire valoir, les prtHen-
danls à sa main ne mnnquiTent pas, mais le duc dAquitaine devait
les supplanter tous; jeune, beau, s<^dtiisant, il avait personnel-
lement tout ce qu'il fiillait pour conquérir le cœur de la jinme
femme, el, d'aulre part, il lut assurait une situationau moins aussi
brillante que celte <]ont eltc avait joui sur le tnVne d'Aragon. On
ne sait nu juste à quel moment le mariage eut lieu, mais loni
porte à croire que Guillaume ne laissa pas Iraîner raffaire, puis-
qu'avanl la fin de l'année 1094 il était Tépoux de IMiitippic (2).
C'est à la préparalion et à la conclusion de son union que
Gnillaume consacra Télé el l'automne de 1094, car l'on peut
croire que, pour écartor les compélileurs qu'il diil rencontrer
sur son chemin, il ne négligea pas de recourir aux séductions de
sa personne; il n'avait encore que vingt-deux ans. Il resta donc
pendant assez longtemps éloigné du Poitou, laissant par suite le
champ libre aux passions qui ne demandaient qu'à déborder. Il
n'avait pas eu le soin, comme son père, el il n'usa du reste jamais
de celle précaution, d'allacher à sa forlune un homme qui fut
d'une grande habileté el en possession d'une réelle autorité per-
sonnelle pour le suppléer pendant ses fréquentes absences. Ebbon
de Parthenay, parliculiércment, en profila. Sûr de ne pas Être
inquiété par le comte, il rassembla rapidement une troupe redou-
table el courut assiéger Gelduîn dans le château de Germond.
Soit que la forteresse, incomplt'lement édifiée, n'ait pu opposer
(i) Pouf louH ces faîU, Vî^y. D. Va'msetC, ///>(. fie Lfinr/aeJoc, nnuv.vi]., III,
pp. /pa-4ô3, fiiîT)-ffiri,.
(t) Marrhcçay, Chron. dt9 éjL fVAnjon, p. /|ii. S.Vinl-Maitcal. On remorquera
qu'il y avait à peine qu'^lq'ies iiioii que l'iiilipjiie clait vcove lorsqu'elle pril un
Prtovel cpiux; les p\rni|ile4 do celte f^jon d'.iifir snni nijnilircus, l'usug-c n'imposnnl
aucun délai à la femnii; %'euve pour se reinarior.
GLILLAUME LE
«ne défense elTicace, soit que Gelduin, surpris, n'ail pu W'unir
qu'un nombre de puerriers insuffisants pour r^'sislcr à la brusque
irruplion do son frère. Je cbâleau fui emporlé de vive force, et.
à partir de ce jour, il n'est plus question de Gelduin. Il est à
croire qu'il péril danslaiutle. La forteresse de Germond entre
les mains d'un bomme puissant élail un danger permanent pour
les seigneurs de Parlbenay; afin d'ôler ce point d'appui à des
adversaires possibles, le vainqueur la fit raser de fond en comble
et depuis ce jour elle ne s'est pas relevée de sa ruine. La félonie
d'Kbbon demeura impunie et il resta seul et unique possesseur
de l'importante seigneurie de Parlbenay. Les fêtes et les plaisirs
de toute sorle qui durent être l'accompagnement du mariage do
riuillaume étaient trop dans ses goûts pour qu'il ait cru devoir
les interrompre afin de cbilier un vassal turbulent ; il trouva
plus commode d'accepter le fait accompli qui ne pouvait du reste
en rien modifier la transmission du fief. Kbbon étant, de par la
coutume, l'béritier direct de Gelduin (1).
L'histoire n'a enregistré pendant l'année 1095 aucun geste du
duc d'Aquitaine et il ne paraît pas qu'il ait adressé à Ravmond de
Saint-Gilles aucune revendication fondée sur les droits de sa fem-
me, du reste, ses étals et toute la chrétienté étaient alors violem-
ment secoués par un mouvement puissant qui révolutionnait les
masses ; le libre accès du tombeau du Christ était entravé, bii-
môme semblait en péril, sa délivrance était la seule solulion qui
se présentât aux esprits pour remédier à cette grave situation. La
domination arabe, très tolérante, et qui ne portait aucun obsta-
cle aux pèlerinages alors si fréquents vers les Lieux-Saints, mal-
gré les difficultés de toutes sortes qu'ils présentaient, avait été
remplacée par celle des Turcs Seljoucides, barbares et fana-
tiques, qui abreuvaient les pèlerins d'outrages quand ils ne les
traînaient pas en esclavage. Pierre l'Krmile se fit l'écho ardent de
ces misères et il parcourut en apùtre l'Italie, l'Allemagne et par-
ticulièrement la France, Le pape l'rbain If. subissant l'entraî-
nement de ces paroles enflammées, se mil à la tèlo du mouvement
qui se dessinait partout et, afin de lui donner plus de corps et
(l) Mflrcliegajr, Chron.det égl. tTAnjon, i>, /|ii, SalnL'.Mnixrnt.
4o8
LES COMTES DE POITOU
d'ainfncr les chefs des peupN^s k y parlîcipcr, il se résolut à quil-
ler rilalieet à se reiidre en France pour y frapper un grand coup.
Un concile fui convoqué à Clermonl en Auvergne. 11 s'ouvrit le
18 novembre 1095; le clergé de l'Aquilaine y était représenlé par
l'archevêque de Bordeaux, les évêques de Poitiers, de Limoges,
de Saintes, de Périgueux ut d'AnguuIôme, les abbi^ de Charroux,
de Sriinl-Savin, de Sainl-Clyprien el sans doiile bien d'autres
encore dont les noms sont perdus; la guerre sainte fut décidée
par acclamalion el, pour favoriser le mouvement, de grandes
faveurs furent concédées aux gens de toute condition qui pren-
draient la croix.
L'cnlhousiasmc qui régnait à Clcrmonl ftil immense, mais dans
celte assemblée, où Ton élait accouru de tous les points de la
France, les grands seigneurs lerriloriuiix faisaient défaut; le
comte de Poitou s'y Irouvail presque seul. Sa présence, en dehors
de ioule autre cause, était motivée par ce fait que l'Auvergne
était sous sa suzeraineté el, bien que les liens de vassalité entre
ce dernier pays et l'Aquitaine fussent assez relâchés, il lui sembla
qu'il ne saurait trouver une meilleure occasion pour les afïir-
mer. Ce fut donc Guillaume qui reçut le pape el qui l'engagea
à diriger ses pas vers les pays qui étaient sous sa dominalion
directe. Si Ton suit en elTel l'itinéraire d'Urbain II, on constate
que c'est à peine s'il a fait une courte incursion en deliors de
l'Aquitaine ; il semble par suite hors de doute que te pape
croyait en ce momenl pouvoir compter sur l'adhésion absolue du
duc, dont la répulalion élait encore intacte et à qui les hautes
qualités dont il donnait journellement la preuvcavaienl attiré un
grand renom (1).
De Clcrmonl, Urbain se rendit ?i Limoges, où il arriva le
23 décembre ; il y célébra les fêles de Noël, assisté, ouiro les pré-
lats italiens de sa suite, des archevêques de Lyon, dr Bourges,
de Bordeaux el de Pise, des évêques de Poitiers, de Saillies, de
Périgueux el de Hodez.el y consacra les églises do Saint- Élienne
et de Saiui-Sauveur. En outre, le pape, à la requête d'Adémar,
fr) Les moines de M«rnir»ijlier ([iiiiUfinient h cctic épfniiie Guillaume Vil de s^aaii
homme, « magnus vjr » (Marclic-jay, Cai't. du lias-Poitou, p. ao4, Sigaurnav).
GUILLAUME LE JEUNE
4oo
abbé de Sainl-Marlial, déposa l'évêque Utnbaiild, pour avoir^
quelques années auparavant, falsifié des lellres ponlificales (1).
Après un arrêt de quinze jours à Limoges, Urbaiu reprit sa
route; il passa par Char roux oiî il procéda, le 8 janvier 10i)G, à
ta consécraliori du grand autel et eufin arriva à Poitiers pour
célébrer la fête de saint Ililaire, le 13 janvier (2). Guillaume, qui
l'avait vraisemblablement précédé dans la capitale de ses élats,lu!
fit une réce[ition spleudide. Quelles furent les questions agitées
entre le vieux pape cl le jeune duc pendant les vingt-cinq jours
qu'ils passèrent ensemble, Tun emporté par la fougue de sa pas-
sion religieuse, l'autre par les violents appétits de la jeunesse, on
ne saurait le dire. Il n'est pas à supposer que Guillaume se soil
abstenu de laisser pressentir au pape ses intentions sur Toulouse
et même qu'il n'ait pas essayé de l'amener à reconnaître la vali-
dité des droits de IMiilippie, mais il est aussi croyable qu'ils ne
purent se mettre d'accord au sujet de l'exécution et que c'est à ce
[vrincipat motif qu'est dû le recul du duc d'Aquitaine et sa non-
participation à la première croisade.
Une cérémonie grandiose, la consécration soli^nnelle de .Mon-
lierncuf, marqua du reste le séjour du pape à Poitiers. Guillaume.
tout en maintenant ses sympathies à l'œuvre de son père, ne lui
avait loutefois pas accordé le concours pécuniaire absolu dont
celui-ci, dans les derniers temps de sa vie, faisait sa principale
préoccupation et vers qui tendaient tous les mobiles de ses
actions. Les parties del'église qui étaient en cours de construction
furent achevées, mais l'exécution totale du plan primitif fut aban-
donnée, et elle ne fut môme jamais reprise. Le 22 janvier, le
pape, assisté des archevêques de Pise, de Lyon et de Bordeaux,
des cardinaux-évèques de Segni et d'Albano et de l'évêque de
Poitiers, se transporta à Montierneuf, el, après les cérémonies de
la dédicace, y bénit spécialement un autel que l'on avait édifié à
nouveau pour cet objet, h. la place de celui affecté ^i la messe du
(il Marcheîjay, Chron. des igl. tV Anjou, p f\tt, Sainl-Maixeul; Dupli*-Aiper,
Chron. de Suint-Martial de Liinojet, p 5o, Bernard Uier,et p. 180, varia; Bealjr,
//»«/. des comtes, preuves, p. /109.
(2) .Marchcjçay, '"Jiron. des égl. (F Anjou, p. ^12, Saiot-Maixent; Mig^ne, Palrulogie
Int., CLI, p. i-ji, Noiilîa de conaecratione domiuîci allarta Carroreasis.
4(o
LKS COMTKS DE PdfTnil
malin qu'avall aiilrefois cmisacré Simon, ôvêqne d'Aç^on (I).
J)e Poilicrs, 1** pape se rendit à Aîij^ers oii il bf'iiil le monas-
tère de Sfiinl-rvicolas, fui à Vendôme remercier par celte visite
l'aiihé Geoffroy de l'aide puissante qu'il avait reçue de lui, passa
à Tours où on le voit faire don de la rose d'or à Foulques le lié-
chin, Lh il pri'-sida un nouveau concile où il renouvela les excom-
munications fulminées contre Eble de Cliâlelaillon pour les
usurpalions par lui commises, tant sur les biens dos religieux do
Vendôme que sur ceux de l'abbaye de Saint-Maixenl.Le 30 mars
il était de retour à Poitiers où il promulgua une bulle réglant la
question de siijélion de l'alibaye de Cormeri à l'égard de Sainl-
Miirtin de Tours ; dans ce jour, autour du pape, l'assistance des
prélats était encore plus nombreuse que précédemment et au
bas de l'acle do Cormeri on relève après sa signature celle des
arcbevèques de Lyon, de Tours, de Vienne, de Bourges et de
Bordeaux, des évèques de Chartres, d'Angers, du Mans, de Van-
nes, de Nantes, de Clermonl, de Bonnes et de Segni. et enfin de
quatre cardinaux (2).
Bopronanl ensuile sa marche, Urbain, au sortir de Poitiers, se
rendit ù Saintes, où il arriva pour célébrer la fôtc do PAques qui,
celte année, tombait le 13 avril. Hn roule il s'arr^^ta à Saint-Jean
d'Angély où, se trouvant à portée des domaines du sire de CliA-
telailIon,il renouvela roxcommunicalion prononcée conlre lui à
Clermonl ol h Tours et enfin l'assigna à comparaître à rassem-
blée pléniére ou concile qu'il devait tenir à Saintes. Eble no dif-
féra pas de répondre à celle sommation et il se présenta devant
la réunion des prélats ; là il eut à supporter la violente revendi-
cation de Geoffroy do Vendômo qui avait accompagné le pape
dans ses pérégrinations; il i-o défendit vigoureusement, mais
Crlmin, après l'audition des parties en cause, prononça une sen-
tence (oulc en faveur des prétentions de l'abbé de Vendôme.
Eble, qui avait tout d'abord promis d'accepter la décision à inter-
venir, refusa d'y souscrire quand il vil qu'elle lui était défavo-
(i) Arch, de la Vîenne, cliron. du iroiaeMnrlin : »i De consecralione allaris mali-
lonjilis t>. L'inscription qui relaie ce (ail pxisic encore nujnyrd'liui dans réffiisc de
Monliernpiir (Vny. Aft'fK tin In Soc. des Antùi.de VOttef^t, iSVi, p. 87 cl pi. vi.)
{2) CnrI, t}c f'iinntri,\>. Rg.
GUILLAUME LE JEUNE
'asseml
in
rtiblc; aussi, quand il se relira de l'assemblée, ful-ii de nouveau
frappt'; d'an al lit' me (1).
Guillaume ne se trouvait pas à la réunion de Sainlosnon plus
qu'à toutes celles où l'on avail condamné les agisseraenis dKhle
de Châlelaillon, el,par ricochet, sa conduite personnelle. Lorsque
le pape quitta Poitiers pour se diriger vers l'Anjou, il avail de son
cûlé abandonné celle ville pour se rendre à Bordeaux où il se
Irouvail le 22 mars. Se tenant ce jourdansla lour <• ArbalnsU'vre >,
il avait confirmé l'abbaye de Sainle-Croix, sur la demande de labbé
Toulques, dans la possession de Soulac que Guy-Genlîroy. son
père, avait précédenimenl allribué à celte abbaye à la suile
d'nn jugement des prélats du pays. Le 2o,s'étant rendu dans l'é-
glise de Sainte-Croix et se trouvant devant l'aulel de saint André,
il avail renouvelé cotte concession et de plus pris l'abbaye et son
domaine de Saint-Macaire suus sa proleclion >;[)éciale. Dans Pas-
sislance qui rcnlouraiton roniarquaii la ducliesse, sa femme, que
l'on y désignait sous le nom de Maiiaut « iMalbildis», son frère
Hugues, Arnaud de Blanqiiefori, le prévôt Guillaume, de nom-
breux clieviiliers et des membres du clergé parmi lesquels se
trouvait Pierre, le doyen du chapitre calliédral, fireliidiacre du
diocèse, à qui le duc ordonna de ("nirc réfliger immédiatement
la décision qu'il venait de prendre et d'y faire apposer stin
sceau (2).
On pont croire qu'il al lendit dans sa seconde capitale le pas-
sage du pape qui y arriva vers la fin d'avril après un assez
long séjour à Saintes où il avait consacré la basiliqtie d<' Sainl-
Eiilrope, mais Urbain s'arréla peu, car le 7 mai il élail à Tou-
lotiso d'où il conliniia sa marche triomphale à travers le !\lidi.
Le pape et le duc se quittèrent sans avoir pu s'entendre ; Guil-
laume élait un esprit lin et délié, cl l'annonce solennelle que
Uaymond de Sainl-Gilles avait faite à Clermont de son acquiesce-
ment à la croisade avail dû peser sur ses déterminations on lui
faisant entrevoir l'occasion attendue par lui depuis son mariage.
Et pourtant le pontife n'avait pas ménagé ses clîorts ; partout où
il élait passé « il avait recommandé aux hommes de prendre la
(i)iVfélai«, Cart. saint, de la Trinité de VendAme, p. C7.
(a) Besly, Ilisl. des comtes, preuves, p. 4'o; Gallia Christ., II, instr., col. 3iL
4l3
LES COMTES DE POITOU
<i croix, de marcher sur Jérusalem et de délivrer lacilé sainledes
« Turcs et autres Gentils . Aussi une grande muUtliidc de nobles
« et de non nobles, de riches el de pauvres de tous pays, n'ayant
M qu'un même vouloir, se mirent à Qiarcher dans la voie du Saint-
« Sépulcre, après avoir fait l'abandon de leurs biens (!)•». Guil-
laume ne fut pas de ce nombre, son inlérèl privé paralysait le»
élans vers lesquels devait le pousser sa nature généreuse.
Le séjour du duc à Bordeaux ne se prolongea pas outre mesure.
Le 22 mai suivant il se trouvait à Poitiers; ce jour, toute sa cour, cl
particulièrement sa femme l^hilipitie, sa mère Audéarde, Hugues
de Lusignan, Amel de Cliambon, assislèrenl avec lui à l'éreclion
solennelle en paroisse de Téglise de Saint-llilaîre-enlre-Eglises,
faite par Geoffroy, chantre du chapitre cathédral; l'évêque de
Poitiers avait déjà» lui aussi, renoncé à suivre le pape el était,
avec de nombreux membres du clergé, présent à cet acte auquel
il donna son approbation (2).
Durant le cours de l'année une affaire grave rappela le duc dans
le Midi. Dans une des stipulations de la charte qu'il avait concédée
aux chanoines de Sainle-Croix il avait pris sous saproleclion spé-
ciale l'église de Saint-Macaire, dépendance du chapitre. Or^on ne
sait pour quelle cause, les habitants de cette région se soulevè-
rent; est-ce con Ire l'autorité lemporelle des chanoines, ou contre
celle du comte d'Angoulôme, leur seigneur, qui avait épousé la
fiile d'Amanieu, seigneur de Benauge et de Saint-Macaire? peut-
étroconlre les deux. Toujours est-il que l'insuncclion dut être vio-
lente^ car la répression fullerrible. Leduc assiégea à lafuis la ville
et le château de Sainl-.Macaire et s'en empara; il massacra les
liabilanlsde la ville, qu'il incendia; quant au chclleau,qui était très
forlifié, il le rerail peut-être simplement entre les mains de Guil-
laume Taillefer, le comlc d'Angoulême. Pendant ce temps, ce
dernier faisait rentrer sous son aulorilé le château de Benauge,
ce qui indique un soulèvement de tout l'hérilage d'Amanieu (3).
(i) Marchegûy, Chron . des égl. (T Anjou, pp. /pi el 4 '2, S«ml-Miiixenl.
(■2) D. Fuiitmeau, XIII, p. 207, L'ry:li!fe de Saial-IIilaire-nirrc-Eglises élail siluée
entre la cathédrale cl le trnipic Saint-Jean; clic a été récdifii'c W y a quel(|iic8 an-
oées.
(3} D. FoDtencau. XIII, p. 211; //ist. fiont. et comit. Engolis/n., p. 4'- Ce
i^raipr documcDt, (|ui acsl qu'un paoégjrrique, allribue au comte d'Augoulème sfu\
GUILLAUME LE JEUNE 4i3
Enfin celle môme annôe 109G vil so terminer la mémorable
fin de non-recevotr opposée par Fb!e do Ghûtetaillon à loules les
sommations de raulorilé eccl(''siasli(iuQ. Malgré le dédain avec
lequel il avail accueilli la malédiclton du p.ipe, les eiïeU de ce
solennel anallième, lancé à un momenl où les populations élaienl
impressionnées par les paroles de ce vieillard qui poussai! les
hommes à abandonner les choses terrestres pour conquérir le
royaume du ciel, so firent sentir à la longue. De guerre lasso, le
pape s'élait décidé à recourir au pouvoir temporel et il avait mis
le coiiile de Poitou en cause. Après le scandale de Saintes il avait
dépêché vers Guillaume qui, on l'a vu, s'élait prudemment dispensé
d'assister au concile, son légal Aimé, l'archevêque de Bordeaux,
avec mission d'exiger que le comle fît mettre à exécution la senlence
de restilulion <les biens usurpés sur Tabbaye do Vendôme, faute
de quoi non seulement lui-même mais tous ses états seraient frap-
pés dinterdît. Redoutant les complications qui pouvaient sorlir de
celte fâcheuse situation, Guillaume pesa de loule son autorité sur
les décisions de son vassal el, pour mener cette aiïaire à bonne
fin. il en chargea llenoul de Sainles, l'évêque diocésain d'Eble,
homme sage el prudent, assez peu disposé à se prêter aux violen-
ces de Tabbé de Vendôme, et qui, quatre ans à peine après Tusur-
palion commise par le sire de Cliâlelaillon, s'élait montré dis-
posé à l'absoudre. La négociation réussit cl elle se termina par
une transaction en vertu de laquelle Eble, sa femme Yvette, qui
avail été la plus obslinée dans la résistance aux réclamations de
Geoffroy de Vendôme, leur fils Guillaume et leur fille Marguerite,
consenlirenl à abandonner l'Ile d'Oléron cl reçurent en relourdes
religieux de Vendôme cenl cinquante livres de monnaie poilevine.
L'évêque, pour arriver ù ces fins, s'était, avec les principaux
membres de son clergé, rendu à Châlelaillon, oii le seigneur le
reçut,enlouré des membres de sa famille elde plusieurschevaliers
de sa dépendance, convoqués pour donner plus de solennité à
l'accord à intervenir.
la soumission dei châteaux de Oenaugc et de Saînl-Maeaire; mais cette assertion rsl
infirmée en ce i{ui louche Sainl-Macnire par une fnoniioo précise qui fait partie des
élémcnls de dale d'une charte du carlulaire de Saint-Jean d'Angély de ceUe aonce
109Ô.
LES COMTES DE POITOU
Aussitôt que lo légat eut élu informé do sa conclusion, arrivée
le 18 septembre, il y avait joint, selon l'usage, su propre conlir-
uiatioti aliii de maintenir ses droits de liautc juridiction ecclé-
siastique, et en avait fait pari à Geoffroy,
11 ne manquait plus à cet acteimporlaivt, pour qu'il acquit loule
sa valeur, que de recevoir Tapprobalion du comte de Poitou,
agissant en qualité de seigneur suzerain, cl prenant une fois de
plus les moines de Vendôme et leurs biens sous sa protection
spéciale. Il se trouvait alors au château de lienon, qu'il avait fait
récemment reconstruire au milieu des grandes forêts de l'Aunis,
et qui élait à la fois un rende/. -vous de chasse et un poste militaire
d'où il lui était facile de surveiller les seigneurs de CliAlelaillon
qui t**naieut presque tout le pays sous leur domination. C'est
seulement le 10 décemlire qu'il se prononça. Sa compagnie était
biillante, car on relève auprès de lui la présence de nombreu-
ses personnes notables, telles que sa femme, sa mère, Geof-
froy de Preuilly, comte de Vendôme, qui avait été amené par
l'abbé de la Trinité, les abbés de Saint-Maixent et de Maiilezais,
Hugues de Lusignan, Airaeri de Hancon, Guillaume de Mauzé,
sénéchal du comte, Hugues de Doué et (icolFroy de Taunay (l)»
Le dernier mot sur cette alTasre fut dit au concile de Saintes
tenu au mois de mars 1097 ; l'assemblée, présidée par Tarche-
vOque de Bordeaux et où se trouvaient les archevêques d'Auch
et de Dol et quarante et un autres évêques e l abbés, confirma
solennellement la charte du duc d'Aquitaine (2).
Il se peut que Guillaume ait assisté à celte réunion, bien
qu'en général il se suit tenu assez à l'écart de ces grandes mani-
festations religieuses et qu'il ailchcrché autant que possible à ne
pas se mêler des affaires conlenlieuses qui surgissaient chaque
(i)Métai8, Cari, saint, de la Trinité de Vendôme, pp. 50, 71 et 72; Mifi^nc,
Patroi. lai., CLVIl, col. 3/j et iSa.
(2) Métnis, Çart. saint, de la Trinité de Vendiime, p. 70. Le P. LaLbe a com-
mis une erreur {Concilia, X, col. Gù4) ea maiûtenanl à ce concile la Jale de logfl,
que lui avait fournie lu dccisioa susdite, relatée dans la chai-lc de l'abbaye de Vendôme
r[ui la fi.xe au 2 mars (vi des nooes), que par tiae cbarle de Saial-Jean d'Angély (D.
Fonicneau, XIII, p. 2o3), qui place la IcDue du concile au dimanche où Ton chanic
Lœlare, lequel correspond va 1097 au 10 mars (vi des tdes). Les deu.Y scribes ont
suivi l'usage (jui Jjiisnil partir de IViquca le commencement de l'année, car ils sont
d'accord sur le chiffre de l'indiclion, qui est iv et se rapporte à l'année 1097, el s'ils
difTèreut sur la date conciliaire, ce doit être le résullul d'une erreur du scribe de
\'ciidùiiie H|ui aurjil tctil le vi des noues au lieu du vj des ides.
OL'ILLAUME LE JEUNE
4iî
jour cntro les églises ou les monastères, mais il ne lui élail pas
loujours facile d'échapper à leurs sollicitations, parliculièremonl
lorsque, dans ses voya^^es, il venail prendre gîle dans quelque éla-
blisseiivenl.C'esl ainsi qu'en 1007^ peul-ôtre à son relour de Sjin-
les, se trouvant à Sainl-Maixenl avec Eudes, son sénécliai, qui
venait de succéder k Guillaume de Mauzi^el Hugues de Doué, son
fidèle compagnon, ilassista ùunuccord en vertu duquollîugues de
Hocliefort, pour désintéresser les religieux du tort qu'il leur avait
causé en luanl deux de leurs serviteurs alors qu'ils percevaieni sur
le marché de la ville les droits qui leur étaient dus et des dôpré-
dalionsquc ses gens avaient commises à celle occasion, renont;aen
leur faveur àlasommede 200sou3 qu'ils lui donnaient lorsqu'il fai-
sait hommage à l'abbé doses biens patrimoniaux (1). Peul-êlre
est-ce à ce voyage que le conile, sollicité par les moines de Sainl-
Maixent, se rendit b. leur chapitre et leur abandonna toutes les
coulumesqu'ilétailen droit de posséder sur leur terre de Homans.
Hugues de Doué y était présent ainsi qu'Hugues le veneur, agent
du comte pour la forêt de la Sèvre, qui dépendait en partie de
lu paroisse de Romans (2). A partir de ce moment, et pendant
tout le reslanl de l'année tÛ'JT, la présence de Guillaume n'est
plusconstalée en Poitou; des préoccupations fort graves le rete-
naient par ailleurs (3).
Lors de la tenue du concile de Clermonl, au mois de novembre
1095, Raymond de Saint-Gilles avait fait savoir au pape qu'il
avait déjà pris la croix pour la délivrance de la Terre-Sainte.
La plus grande partie de l'année 1096 se passa en préparatifs,
puis, tout étant prêt, il partit à la lin d'octobre à la tète du troi-
(t) A. Ricbar<], Chartes de Sainl-MaLrent, I, p. 2a6.
(a) A. Richard, Charles de Sainl-Muijceul, I, p. ajO.
(3 La cbroiiiquc do SiMnl-.Maixeul i .MiinliCfïay, Chron. îles éol. d'Anjon, p. 4'3)
rapporte dans uu passoire assez obscur que, durant celle année 1097, après Pâques,
r.irchevèquc de bordeaux aurait clc Tnit prisonnier par le comte de Poitou. D'après
elle, Aimé aurait clc d'abord eu Eapa^iic rétablir le culte chrétien dmis lluescn, dont
Pierre, roi d'Ar^p^oo, se serait emparé, et, le jour de Pdquea, il aurail consacré pour
cel objet le temple dea infidèles. Mais elle assif^c à ce jour la date des ides d'avril
(r3 avril), qui fut celle de la féic en 1096, tandis qu'eu 1097 elle tomba le jour des
DODCS 3 avril). Il nous paraît à peu près ccrlain que le chruuiqucur ou sou copiste
aura écrit par erreur u idibus » au lieu de « noois », car Aime se trouvait à Saintes
le jour de Pâques iog<i avec le pape Urbain II cl Iluesca ne fut pris que le 25 no-
vembre suivant; enfin, d'autre part, si l'incarcération du légal du pape a eu réellement
lieUi clic DV pourrait que se rallachcr aux faits dont il va être parlé.
/)i6
LES COMTES DE POITOU
sième corps des Crois<!'s. Il eromenail avec lui Elvire de Caslille,
sa Iroisiètne femme, et son jeune fils, lequel devait succomber
dans Icvoynge. Avnnl de quitter sos 6lals, il fil la déclaration
solennelle qu'il n'y reviendrait plus jamais, voulant passer le
restant de son existence en Orient au service de la cause qu'il
avait embrassée.
La plupart des historiens ont allribu6 h l'ardeur tle la foi du
comte de Toulouse nne délermination aussi extraordinaire ;
pour noire pari, nous inclinons à y voir aulre chose, et en parti-
culier un acte do celle politique ondoyante dont il donna plus
tard de nombreux témoignages. Dans son for intérieur, il ne
devait se faire aucune illusion sur les droits de sa nièce ; celle-
ci était bel et bien l'héritière du comlé de Toulouse et il n'était
rien moins que sur qu'il pût résister aux forces du duc d'Aqui-
taine, accrues par les intelligences que celui-ci n'avait pas man-
qué depuis deux ans de se ménager dans le pnys. D'autre pari, il
avait dû remettre h son fils aîné, lîerlrand, Je comté de Sainl-
(jillesel toutes les seigneuries de Provence qu'il tenait de la mère
de ce dernier, sa première épouse, ce qui lui avait constitué
une situation presque égale à celle que la possession du comté
patrimonial de Toulouse donnait son frère Guillaunic. En cas
d'échec dans une lutte qui ne pouvait tardera se produire, Ray-
mond se serait trouvé complèlemeni dépouillé,et avec lui sa jeune
femme et l'enfant de son ûge nu1r. 11 résolut donc, pendant qu'il
jotiissail encore d*une grande situation, d'essayer, comme il
y réussit du reste, de leur assurer une position équivalente en
Orient. Il passa tous ses droits sur le Toulousain à son fils Ber-
trand qui, grftce à l'importance des domaines dont il était déj^i
pourvu, élait bien plus que lui en mesure de résister aux atta-
ques du duc d'Aquitaine. Il le fortifia aussi de toute la sympathie
morale qu'il avait acquise en se déclarant pour la croisade dès
les premiers jours de sa prédication, sympathies qui se mani-
festaient surtout dans le clergé et que son conseil et compa-
gnon, Aymar, l'évèqtie du l'uy, n'avait pas peu contribué h déve-
lopper. KnOn, et ce fut toujours le point délicat de toules les
grandes expéditions militaires, lîaymond ne pouvait manquer
d'avoir do grands besoins d'argent; il dut faire appel au trésor
GUILLAUME LE JEUNE
^.'7
de son fils, entre les uiuins de qui le comlé de Toulouse devint le
gage ou la rémunération dos avances qu'il avait fuites.
Bernard s'6lait donc mis en possession anticipée de rhéritage de
son père dès la fin de Tannée 1090, mais il ne larda pas à s'aper-
cevoir qu'il lui serait promplemenl contesté. A la fin de l'année
1097 ou au printeini>s de 1008, Guillaume.ayanl terminé ses pré-
paratifs^ se jeta inopinément sur le territoire du comte de Tou-
louse. Une marche rapide l'amena sous les murs de la cité dont
il s'empara presque sans coup férir. La résistance semble s'être
concentrée dans le bourg de Saint-Sernin» contigu à l'enceinte de
la ville, qui fui ruiné et dont la magnifique église eut à subir
de grands dommages (1).
On ne saurait dire jusqu'où le duc d'Aquitaine poussa ses
avaQlages,maîs il est à présumer qu'il se maintint dans la limite
de son droit et qu'il restreignit son occupation au patrimoine de
l'hilippie, sans chercher à s'étendre à l'Est aux dépens de Ber-
trand; en agissant de cette sorte son entreprise ne prenait pas le
caractère d'une conquête, elle était simplemenl la conséquence
d'une juste revendication. C est ainsi, du reste, qu'elle fut consi-
dérée par les grands seigneurs laïques, vassaux du comte de Tou-
louse, qui reconnurent aussitôt son autorité, mais il en fui autre-
ment de certains dignitaires ecclésiastiques, évoques ou abbés,
qui mirent au soutien de la cause de Bertrand toute leur ardeur
religieuse. Tel fut Géraud,évèquc de Cahors, qui, dans le courant
de cette année 10U8, concéda à certains chevaliers des portions
du domaine épiscopai afin de les porter à résister aux préten-
tions du duc d'Aquilaine. Pour lui, le domaine envahi est celui
de Baymond de Saint-Gilles qui, dil-il, est allé sur l'ordre du
pape délivrer Jérusalem et le Saint-Sépulcre du joug des barba-
res inlidèles (2).
(i)D. Vuissete, ///*/. de Languedoc, nouv, éd., III, p. 507, et V, coi. 754.
(a) D. Vaissele, IUtt. de Languedoc, nouv. éd., III, p. Sog, cl V, col. 703. Les
bitiloricos du Lua(;ucdoc ool pris aciv de cette iipposilion et de celles qui He produi-
sirent par la suite (sans reuiarqucr qu'elles ctaicut la cooséquence de seDlimcnls c|u
ne furent pas pariioulie» à celle époque, à savoir l'Iioatililc des g^ns du Midi cuulre
ceux du .\ard;,pour prulester coiilrc la Ic^aliié des prélentioos de Guillaume VII açis-
Maul au nom de su fcmiue. \\a ont prélcndu appliijuer aux réqioaB du Midi le priaci(>fl
dit Je la toi >aUrpic,ipic lÎL valuir au xivo sicclu la inaisoa royale de Franre,c'e9l-à-dire
l'exdu^iiua des fcuiuic^ à l'Ucrila^o d'uu liuf de dignité. Uieu que li. Vaiitsete, reprc-
4i8
LES COM TES DE POITOU
11 ressort de ces paroli?s que Tévôque de Caliors regardait
comme fictive la renonciation de Itayraond au comté de Toulouse
et qu'à se? yeux Guillaume de Poitiers n'était qu'un usurpateur
et un violateur dos privilèges solennellement reconnus aux croi-
sés. Suivant leursconviclions ou leurs iiilérètsles pelils seigneurs
des diverses parties du comLé prirent parti pour ou contre le duc
d'Aquitaine et sa femme. Arm de s'attirer des adliércnls dans le
clergé ceux-ci se montrèrent généreux à l'égard de Sainl-Sernin
de Toulouse, le plus important établissement de la région. Pour
l'indemniser des perlescotisidérablos qu'il avait subies lors de la
prise de la villfjlslui reconnurent la liberté complèle que le pape
Urbain II avait, avec rassenlimcnl de liaymond de Sainl«Gtlles,
solennellement conférée au chapitre le 24 mai 109G, jour de la
consécration de la nouvelle église; ils confirmèrent aussi toutes les
donations que leurs prédécesseurs avaient précédemment faites
aux chanoines, leur en firent de nouvelles, et particulièremenl
leur accordèrent le droit de prélever une jointôe de grain sur cha-
que seller qui serait apporté par des étrangers pour être vendu
dans la ville ou dans son faubourg. On ne saurait toutefois dire
scnlant du patriollsme local, pcnchill vers celte manière de voir, il ne put s'empéchcr,
à diverses reprises, de consUUer l'existeace de faits r>nlraircs à cette théorie que ses
retiierclies dans l'histoire de la province lui faisaieat journellement rencontrer. Ainsi
il dit (tunie Itl, paçc 4o')- « ^^-^ filles siiccêdèreal non seulement nux fiefs ordinai-
« res diiraal le xr siècle et le suivaat, mais encore à ceax de dijjnitè: In province
« cti foiiruil divers exemples, autre autres ceux de IJerlhe, comtesse de llouerpue cl
^^ (iiarijuise de (iolhie, de Garseinde de Bézicrs et d'Ermenifnrde de Carcassonnc. »
Un pourrait ajouter ù ces exemples celui de la fille du comte de Provence, mère de
I Jertraiid, et su rtoulceluid'Aliéuord" Aquitaine, la pelile-Glle de Guillauuic.I). VaiRsetCi
pjur trouver une explication plausible h l'occupation du comté de Toulouse par Ray-
mond de Saint-tiilles, en est réduit à sufipjser u une substitution énoncée dans le tcs-
« lament de l'oas (père de Guillautne I\' et de Raymond) que nous n'avons pas (IV,
« p. ly^i)».!! trouve celle-ci toute naturelle! et il conclut ainsi: « il paraît indiscu-
« table que celte successioo lui était dévolue (à Raymond de Saint-Gilles) ^l'exclusion
« de l*bilippie,SEi nièce; cette «leratère J'en laissa en efFel paisible possesseur après la
« mort du comte sou père, sans qu'il paraisse qu'elle ail fait la moindre démarche
a pour faire valoir ses prélentiou» jusqucs h ce que Haimond étant absent et occupé
« aux g-ucrrcs «i Oiilre-.Vler, elle ou !c comte de Poitiers, son mari, lirenl une Icntn-
« itve sur le comté de Toulouse (lit, p. 4^7)' » U- Vaisscle, en écrivant ces lignes,
oubliait qu'au moriicnt de la mort de son père Pbilipijie était la femme de Sancbe
d'.-Vragou, qui semble au contraire avoir eu l'intention de revendiquer l'héritasse de sa
fenmie, cpie celle-ci restée veuve n'avait aucun moyeu d'action pour arriver h celle
lin, et que, si Guillaume se tint coi pendant deux ans, on peut attribuer son inaction
aussi bien à des dcinarches personnelles de Raymond qu'à une pensée politique chez
le duc d'Aquitaine qui voulait ne rien brusquer et n'agir que quand il sérail sûr du
résultat.
GUILLAUME Llî JEUNE
4<9
que ces concessions furent gralniles, car les chanoines lirèronl de
leur Irésor qnalre livres et demie d'or et 800 sous lonlonsains
dont ils firent cadeau au duc. Os conventions, si pr<5cieuses pour
Sainl-Sernin, furent passives au mois de juillet !098, en présence
d'Adémar, vicomte de Toulouse, et de Bernard, vicomte de
Béziers. puissants foudntaires du comté et qui s'associaient ainsi
aux actes de leur nouveau suzerain (\).
Il est à croire que Guillaume avait dû afTecter l'un et l'autre à
la défense de ses nouvollos possessions, car. assuré que sa con-
quête serait bien gardée, il put, dès le printemps, revenir dans
SOS étals patrimoniaux. Le 16 mai 1098 nous le retrouvons dans
le Talmondais, Par suite de la mort de Pépin, ce grand (ief était
tombé en rachat et le comte de Poitou y jouissait personnelle-
ment de tous les droits. En sa double qualité de seigneur direct
et de suzerain, il approuva un legs que Pépin avait fait à l'abbaye
de Sainte-Croix de Talmond, et en même temps confirma toutes
les dispositions que les prédécesseurs de Pépin avaient pu prendre
en faveur de l'abbaye. Mais en roi ou r il ne négligea pas de s'assurer
II* bénéfice des prières des religieux qui lui accordèrent le privi-
lège de la société ou de l'association avec eux, en vertu de quoi
ils devaient, durant tout le temps de son existence, chanter chaque
semaine une messe pour la prospérité de ses entreprises et de
plus célébrer un service annuel pour l'âme de son père. De sa
propre main il traça une croix sur la charte qui stipulait ces obli-
gations et les concj^ssions qui leur avaient donné naissance (2),
La présence de Guillaume dans ce pays était toute fortuite, et
ce qui le prouve c'est qu'on ne relève dans son entourage aucun
nom de personnage notable, il n'y a que des barons ou des che-
valiers de la région. Lors de ce voyage, une autre affaire fut aussi
portée devant lui ; c'était une contestation entre religieux. Pépin
avait légué aux moines de Sainte-Croix une portion de marais
(i) D. Vaissele, f/ist. de Langnedor, nouv. fd., V, col, 754. Palustre, qui ne
nous paraît pas avoir judicifuscmenl inlerprclé les lermrs de la charte de juillet
1098 {llist. de Guillaume /.V, pp. 280-282 el a83, note 2), fait succomber, dans Is
lutte qui eut Saiul-Sernin pour théâtre, Pierre d'Andouque, évêque de Pampelune
(qu'il nomme Pierre de Rota); or ce prélat assista en 11 10 à une donation qui est
insérée dans le cartulaire de Conques (éd. Desjardins, p. 35o) et Fui tué seulement
eo Tii4 dans une sédition dont il sera parlé plus loin.
(a) Cari, de Talmond , p. aoa.
4x0
LES COMTES DE POITOU
qu'il avaiL enlevée à ceux de Maruiùuliiir, lesquels la revciidi-
quuietit. Mais Guillaume, que ces derniers s'ùluieiiL rendus favo-
rable en lui faisant des cadeaux, se dégagea d'eux el délégua
ses pouvoirs h Eudes de la Hoche, qui, vu la diflicullé de décider
enlre les parties, ordonna qu'il serait procédé à un duel dont
l'issue donnerait raison au vainquiiur (1).
Le comte, qui ne pouvait luire qu'un court séjour dans le pays,
n'assista pas à celte lutte cl, ses alVaires terminées, il reparlil; en
passant pur Saint-Michel en Lherm, il pril à sa suite l'abbé Gué-
rin, et arriva à Saintes, où il trouva Aimé, Tarchevôque de
Bordeaux, el Simon, Tôvêque d'Agen; ces prélats assistèrent
avec lui à un accord qui se fil enlre les religieuses de Noire-Dame
de Saintes et son Udèle Geoffroy de Taunay, à qui elles donnèrent
10.000 sous pour l'abandon de ses droits sur le domaine de
Balenzac (2).
L'époque du passage du comte à Saintes est fixée par celle du
séjour qu'il lit à Sainte-Gemme; c'était à la fin de juin ou au
commencement de juillel, alors que la prise d'Anlioche par les
croisés, advenue le 8 juin, élyil déjà parvenue en Occident. A
celle date, il lit don au prieuré de Sainle-Geuime, où il avait assu-
rément pris gîle, de divers biens el entre autres de relais de mer
sur les bords delà Seudre, entre leGuù et le Chapus. Les seules
personnes nolables que Ton voie assister à cet acle sont Uobert, le
prévôt de Saintes, el Guillaume de Mauzé ; évidemmeuLle comte
retournait hâtivement dans le Midi avec une su i le toute militaire {3).
On a vu que, dans ce mois de juillet 1 0U8, il se trouvait à Tou-
louse, mais il n'y fit pas un long séjour. La soif des aventures le
tenait el, au mois de septembre, on le rencontre dans l'armée de
(i) Morcl»c«;ay, Cari, du Uus-Poitoii, p. loi, prieure de FoolaÎDCS. Le même édi-
teur a donné uuc Iraduclioii fruuçaisc de cet ucte dans la Revue des provinces de
l'Ouest (ve auuce, 18Ô7, p. afiy), rcimprjince dans ses .Yotices el pièces hisloriqaes
sur i'Anjuu el le Paituu, 1872, p. 173. Celle Iraducliou ent précédée d'une relation
détaillée du duel, quelque pou l'anlaiiiiâlc, car il y est dit que les chaa)pion.<i, protCifC9
par un bouclier, lullèrcDl aveu des bdluiis, taudi» que le texte de la cliuric précise qu'ils
eujnbaUirenl à C(ju])S de poinj^s: u Al uLi puj^ilcs cualru ne ad puçnani vcneaint ».
(a) Curl. de Nolre-Dainc de Saintes, p, 84- *^cl acte n'es»! pas daté, mais il est du
lenijis d'Urbain II, c'esl-ù-dire unlcricur à ior)ij, et la (jualiticnliou de ^'loricux, « ^lo-
riosus u, qui y est dounéc à Guiliuuine, duil se rapporter à l'époque où il fut à l'apo-
gée de sa Foriuoe, c'csl-à-dire après la conquête de Toulouse.
(3) Ucsiy, f/ist. des comtcx, jircuvcs, j). 411,
GUILLAUME LE JEUNE
4*1
Oiiillaiime le Roux, roi fl'AnpiIelerro, sr» mManl h la qnoroîle de
rf* princo avnc If» roi di^ Franco. Dans sa compaf:^!!^, il assista
aux sièfijes infrurlueux di> MonlTort FAmaury et d'Epernon, et
quand rfiiiilaiimc io Houx, dôpilé par ces écliPCs, prétexta dos
afTairoiS nrf^enles pnur conclure nnc tri^ve avec ses adversaires et
rnlournor en Angleterre, le comte de Poitou se trouva conlrainl
d'ajjandonnor aussi la partie. On ne sait k quoi atlribuer cette
fugue. Avait-il des motifs particuliers d'inîmîtii'i contre le roi
Philippe, ou bien, du cbof de sa femme, fiUe d'Edme de Mor-
tain,lui (Mail-il advenu en Normandiedesinlfirèls particuliers qui
se trouvaient menacés? Les liislorîens du temps ne nous ont là-
dessus rien laissé entrevoir (1).
S'éloigner de ses états, ainsi que le faisait Guillaume, sans t[re
couvert par l'immunité spéciale des croisés, aurait été fort péril-
leux, s'il ne s'était senti garanti en Toulousain par la présence de
sa femme, en .Aquilaine par quelque fidèle, jouant h son égard
le rôle du comte de la Marche auprès de tîuy-GeolTroy ; peut-
Èlre avait-il chargé de ce soin (iuillaume Taillefer, comte
d'Angoul<;me,àqui, au commencement de l'année 1099, en témoi-
gnage dps sentiments d'aiïeclion qu'il avait pour lui, il fil cadeau
de la villa de Chasseneuitelile la rue qui Iravrrsait le pont .Joubert
de Poitiers. Le comte d'Angoulème Iransmtl aussilAt ce don à
l'abbaye de Saint -Amant de noixe,qui obtint de l'évt'^que de Poi-
tiers et de son cbapiire cRJbédral qu'ils complélassent cet acte
par l'abandon de l'église de Saint-Clément de (^hasseneuil (2).
La présence continue delà comtesse à Toulouse produisait de
(r) Orcîerîc Vilal, ffi»{. ecclén., IV, p, aS.
(a) Uesly, £i'esqiie.t </f Poicltem, jip. 71-76. La cliarle da <luc d'Aquîlaîoé n'a pas
il'irKlicatiuns chronolns(i<jucs, mais ccHc de rt-vèiiuc, «pii lui est de peu poslcrieurc,
porte la tliilc du 2 des faltodes d'uvril to<48 {'il macs iu()<|). Cel ncle ofFre cet iulcrci
lout particulier qu'il dcniontre <|u'i\ ccUe époque il étoil d'iisa>çc dans la cliaiicclierie
de Icvfque de F^oilier» de faire commencer l'an n<ïe à l'âques. Il 8cmlil<îi«it,8i l'on s'eu
Ucnl seiitcmenl aux indicntiiins cliri>D<)losfif|ucs ntimc-rales, qu'il a|>f)arlic«U s«ns con-
lesle .i l'urtDPc loyS, Pâques élanl (orobè celle nonée-là le a8 mars, niais à la suite se
i'f»uvc !c chift'rc vu pour l'indiclion, lequel correspond ii l'aunce loiiçj. Or, eu creuKaut
]n quesiion de pins pics, on s'nfif n.fiil (pie ranuéc ior>8, vieux style, a compté deux
calendes d'avril; en cflel, en i<i<|(), nouveau slyle, Pàquts tomba le 11 avril, si bien
que c'est à cette daie KPulenient »pic se icrmina l'année 1098, vieux style, commencée
le aS mars de l'année prrccdenic; lechillie derindiclionscid|inuvait diredans laquelle
dea deux années se trouvait le 2 des calendes d'avril de notre charte, et comme oechiflre,
qui est vu, correspond à l'année iDf)r), il s'en suit que noire jour du 2 des calendes d'avril
diiit être placé dans cette année 1099.
422 LES COMTES DE POITOU
son côté les plus heureux effets ; elle y régnait absolument en
souveraine el, comme telle, elle disposait à son gré du domaine
de ses ancêtres. C'est ainsi que par dévotion pour saint Satur-
nin el assurément aussi pour attacher encore plus étroitement
à sa personne les chanoines de sa collégiale, elle accrut le don
qu'elle et son mari leur avaient précédemment fait, el particuliè-
rement elle augmentâtes droits de franchise dont ils jouissaient
dans le bourg de Saint-Sernin. Ses inspirateurs, ceux dont elle
avait pris conseil, étaient Munion, le prévôt de Saint-Sernin, el
Hobert d'Arbrissel, qui débutait dans la grande voie de propa-
gande de ses doctrines et s'était créé dans Munion un adepte
zélé (i). La comtesse disposa encore, pour répondre à d'autres
sollicitations, de l'alleu et de l'église de Sainl-Médard de Fe-
nouillet en faveur de l'abbé de Maillezais (2).
Dans ce môme temps, c'est-à-dire durant l'année 1099, Philip-
pie mit au monde un fils, à qui, conformément à l'usage suivi
dans la famille comlale poitevine, fut donné le nom de Guil-
laume. Par une coïncidence heureuse ce nom se trouvait être
celui de son aïeul, le précédent comte de Toulouse, et, par ce fait,
les destinées des deux races semblaient venir se confondre natu-
rellement sur la môme tête (3).
Malgré la violence des termes employés par l'évêque de
(i) D. Vaisselp, llist. de fjinffiiedoc, nouv,, éd., V, col. 706.
(2) Lacurie, ///s/, dn Maillesais, preuves, p. 246. Dans cel acle Guillaume prend
le titre de comte des Poitevins et des Toulousains. Le nom Je Pabbé de Maillezais est
omis dans la cliartc, bien que celle-ci énonce que la donation fut faite dans sa main ;
or, c'est vers cette éf)0(jue que Pierre, un personnas^e très lettré, qui faisait ses délices
de la lecture de Cicéron,fut élu abbé de Maillezais, et par sui^c n'y aurait-il point lieu
de le rattacher plus ou moins étroitement au particulier désigné sous le nom de
Pierre de Muret, qui vient en tète des témoins de l'acte, immédiatement avant Foucber,
le prieur de Maillezais.
(3) Marcbe,!j;ay, Chron. des égl. d'Anjou, p. 419. Sainl-Maixent.En ne parlant que
de la seule naissance de Guillaume pendant l'année 10^)9, nous nous heurtons Hl'opinioD
univcrsellcrnenl admise qui veut que Philippie ait, dans le courant de cetleannée log^),
donné le jour à deux i^arrons, Guillaume et Kaymond.Le fait n'est pas douteux pour
Guillaume, mais il en est tout aulremeut par rapport i\ son frère ou, du moins, c'est ce
qui nous paraît résulter du texte même de la chronique qui est ainsi conçu : t logg.
(c Willelmo comili nalus est filius, equivorc Guillclmus vocatus. Ex supradicta cun-
(( ju<rc habuit quoqucquinque filias Nnvissimcçenuil apud Tbolosam utcrinuin,
« videlicet Raimundum Selon nous Raymond a dû naître vers 1 1 14. Trente ans
après, dans une charte de S:iint-Jpao d'-Vuifcly (liesly, Hist. des comtes, preuves,
p. 4(>3), Guillaume VIII rappelait avec insistance qu'il était issu d'une mère toulou-
saine, ce qui pouvait prêter à beaucoup de sous-eotendus de sa part.
GUILLAUME LE JliUNE
4«î
:
Cahors pour caractériser la conduiledii comledePoilou à l'égard
de son cousin Borlrand, il ne paraît pas que Guillaume ail été
frappé des censures ecclésiasli(|ues et particulièrement de la
peine de l'excommunication dont l'autorité épiscopale,el en par-
ticulier le (iiipe Urbain H, l'iaionl alors si prodif^uies. Toutefois le
clergé loulousain dissident dut faire des lentalivcs auprès du
pape pour arriver à cerésuUal, et nous ne serions pas élonné que
c*est à la préoccupation d'arrêter ces menées que sont dus le
voyage à Home de Pierre, l'évèquede Poiliers, au commencement
de l'année i(iOl), et le long séjour qu'il y fit. Il s'y trouvait lors
du concile que le pape tint dans celte ville le 29 avril et il n'était
pas de retour au siège de son évêclié le 29 juin, lors du synode
qu'y présida Aimé, l'archevêque de Bordeaux; on ne conslule sa
présence en Poitou qu'à l'époque de la saint Luc (1). Chargé de
traiter auprès de la cour pontificale toutes les affaires de la
région, c'est lui, sans nul doute, qui obtint le 27 avril une bulle
par laquelle le pape conllruiait tous les privilèges accordés par
les comtes de Poilou, ducs d'Aquitaine, à l'église de Sainle-Croix
de Bordeaux (2).
Le retour de l'évcque de Poitiers concorda peut-être avec le
grand événement qui marqua cette année d'une date ineiïaçable.
Le 15 juillet 1099, Jérusalem était tombée aux mains des Croi-
sés. La nouvelle do ce résultai, si anxieusement atlendu, de tant
de prodigieux eiïorls, arriva en Occident, grossie par les récits
merveilleux qui accompagnenl loule expédition loinluine el celle-
ci, par son caractère spécial, agissait plus que toute autre sur
l'imagination populaire. Aussi, bien des seigneurs qui avaient
résisté au premier entraînement, à l'excitation des paroles
d'Urbain lî cl de ses ardents disciples, se scntirenl-i!s émus el à
leur tour se résolurent-ils à j>arlir. Beaucoup marcliuienl pous-
sés par l'impulsion intime de leur foi religieuse, si vivace au mi-
lieu des débordements de l'époque, mais d'autres étaient entral-
(j) Marclicyay, Corl. dti Bna-Poilott, [>, 71, prieuré cl'Ai7.coay. Lcm gynod» de
révoque de l'oilÙTS se tcnaicnl deux fois l'an, le jeudi, jour de In fétc do l'AHcenNion,
el le jeudi après l<i icic de sainl Luc qui se célèbre le 18 octobre. (Arcd. do \a Vieutie,
Ci. 10).
{2) Archioes hiit. de la Gironde, \\, p. 100.
ht\
LES œMTES DE POITOU
nés par des motifs moins noblfs ; ceux-lft cYlairnl les coureurs
d'avenlurps, de braves p^uerriers qui cborchaipnl dans un incon-
nu plein de périls l'occasion de nouvelles jouissances : parmi ces
derniers il convient de placer le duc d'Aqiiilaine. Mais pour tenir
un ran^ diji^ne de lui dans l'expédition qui se prépara aussitôt
pour renforcer les rangs des vainqueurs» il ne convenait pas que
le duc partît avec une simple escorte, il lui fallait une arm<^e
qu'il pût diriger et dont il serait le seul et véritable cbef. Pour
arriver h ces fins il était contraint de s'adresser fi ses vassaux et
par suite de profiter de toutes les circonshinces où il pourrait se
mellre en rapport avec le plus grand nombre d'entre eux. C'est
dans ce but intéressé que, laissant encore une foisPbilippie seule
à Toulouse, il se rendit en Bas-Poitou pour assister h la béné-
diction solennelle de l'église delà Chaise.
Le vicomie de Thouars, llerberl, continuant l'œuvre de son
père, avait comblé de dons ce petit monastère et de plus avait fait
poursuivre activement les constructions de l'église qui s'édifiait
sous la direction d'un moine nommé Jean. La dédicace en avait
été fixée au 7 décembre 1099 et devait Ôlre faite par l'évoque de
Poitiers, ce qui s'exécuta de point en point. La plus grande
partie des barons et des vassaux du vicomte de Thouars et les
nombreux officiers de sa maison assistèrent à la cérémonie qui
dura deux jours, le Cet le 7 décembre; l'affluence de monde fui
telle que les vieux barons disaient ne pas en avoir vu de sembla-
ble depuis la dédicace de l'abbaye de Charroux, en 10G7. L'oc-
casion qui s'olTrait était trop favorable pour que le duc d'Aquitaine
la mauipiAl; il se Irouvadoncà celle solennité en compagnie de sa
mère Audéarde qui conlinuailà résider en Poilou, et il y a tout
lieu de croire qu'entre le duc elle vicomt<îde Thouars furent arrê-
tées les bases de la convention qui devait les mener Tannée sui-
vante, l'un eU'autre, sur le chemin de Jérusalem (I)-
Toutefois, ciimmennusl'avons dit, ce n'est pas en simple p?îlerin
que Guillaume couiptait partir pour les Lieux-Saints, mais bien
en prince, presque en roi, accompagné de fidèles compagnons
(i) Marchegay, Cart. da Bas-Poitou, pp. 0, 20 et. ?>\i, \a Chfiîse-le- Vicomte ;
Chi'on. des éjl. d'Anjou, p. Hg, La Chaise-le-Vicomlc.
GUILLAUME LE JEL^NE
435
farmos; nfin do répondre nux exif^oncos dn cotto siluatior» ot de
plus pour sfilisfiirG iï ses goiVls d«^ liixp, il lui fallaiL de TarfîPnl,
bpaucoiip d'argonl. Pour s'on procurer, il se Lourna vers le roi
d'Angleterre, Guillaumo le Houx. Lors de la campagne qu'ils
avaieril faite ensemble, l'annin:? prt^cédenle, il avait pu se rensei-
gner sur les ressources de ce prince; il savait pcrlinemmenl
qu'il avait donné 10,000 marcs d'argent à son frfcre Robert
Coinie-lleusc lorsque, quatre ans auparavant, celui-ci était
parti pour la Terre-Sainte. Celte somme, qui représentai t plus
de Irois millions de francs de noire monnaie, Uoberl l'avai!
obtenue en engageant h son frère son duch6 de Normandie pour
cinq ans. Guillaume, s'inspîrant de ce précédent, fil des démar-
ches auprès du roi d'Angleterre qui fut ébloui par l'horizon que
lui ouvraient ces avances. Au fond du cœur il était résolu, ain!*i
que l'événement le prouva, à no pas restituer la Normandie ;\
Uoberl Courte-lieuse ; aussi, dul-il augurer qu'il pourrait agir
de pareille sorte à l'égard du duc d'Aquilaine et qu'il lui serait
possible de réunir ses magnifiques étals à ceux que sa déci-
sion bien arrêtée de reconstituer à son profil tout l'Iiéritage
de Guillaume le Conquérant allait raellre entre ses mains. Par
suite, il accueillit avec faveur les propositions de Guillaume,
pendant que celui-ci, déclarant qu'il voulait venir en aide au roi
de Jérusalem dont le trône était chaque jour menacé pnr les
Infidfîles, faisait proclamer la guerre aainle dans son duché.
Dans le courant de l'elé, le roi d'Angleterre réunit donc une
grande flotte et, d'autre part, il rassembla une armée formidable
dans le double but d'empéclier son frère, qui revenait alors de
rOrienl, de rentrer dansses domaines, et de s'assurer les places
principales de l'Aquitaine aussitôt qu'il aurait versé entre les
mains du duc le subside convenu enln; eux. Il se croyait telle-
menl sûr de son fait et si près d'arriver au but qu'il poursui-
vait qu'un de ses familiers lui ayant demandé, alors qtfd fai-
sait ces préparatifs, où il complail célébrer ctUte année la fêle
de iXoél, il répondit: \ Po)liers(t).
Mais l'événement trompa toutes les prévisions : le 2 août de celle
(i) Orderic Vilal, Hi$t. eccléM,, éd. Le Prévost, IV, p. 8o et note t.
426 LES COMTES DE POITOU
année HOO, quelques jours avant son départ annoncé de l'Angle-
terre, Guillaume le Roux élantà la chasse, un personnage de sa sui-
te, Gautier Tirel, seigneur de Poix, le tua par accident (1). Ce coup
de théâtre dérangea toutes les combinaisons du duc d'Aquitaine,
mais il était trop avancé pour reculer; du reste, pour se ména-
ger de plus grandes ressources, il venait de commettre un acte
impolitique qui fut plus tard pour lui la source de grands ennuis et
l'occasion de luîtes ardentes. En même temps qu'il négociait avec
le roi d'Angleterre, il avait traité avec Bertrand de Saint-Gilles
et lui avait abandonné le comté de Toulouse. Nous ne saurions
dire quelle est la nature de l'accord qui fut conclu entre les deux
comtes, rien n'a transpiré à ce sujet, mais l'on doit croire que la
somme versée par Bertrand fut considérable, car il ne paraît pas
que Guillaume ait par trop pressuré ses sujets et particulièrement
les établissements religieux, comme il élait d'usage en pareilles
circonstances.
Nier cette convention à défaut d'en connaître les termes serait
aller, ce nous semble, contre toule vérité historique. Guillaume
ne put effectuer son départ sans avoir de grosses sommes à sa
disposition, or, pour s'en procurer, la seule ressource à la-
quelle il put recourir, celle qui fut alors universellement prati-
quée, aussi bien par les hauts barons que parles chevaliers ou
même les simples particuliers, ce fut de vendre ses biens ou de
les mettre en gage (2). C'est à la première combinaison qu'il
s'arrêta et il apparaît par tous les textes que le seul domaine
dont le duc d'Aquitaine se soit alors dessaisi, c'est de son comté
deToulouse. On ne saurait dire que celui-ci passa aux mains de
Bertrand de Saint-Gilles par l'effet d'une conquête. S'il y avait eu
une guerre, celle-ci n'aurait pu avoir lieu que dans le courant de
l'année 1099 ; or, d'un coup de force advenu à cette époque, il
n'y a aucune trace, tandis qu'il est tout à fait probable qu'un
accord intervint entre Guillaume de Poitiers et Bertrand à a
fin de cette année.
(i) Orderic Vital, Ilist. ecclès., IV, p 80.
(2) C'est .linsi (juc l'on voit Hiciiard Forhandit, voulant aller à Jérusalem, faire
échaiii^c en 1 1 12 avec l'abbé de Monticrneuf et lut donner un bon mas de terre sis ji
Ctiiré contre une niule. (Arch. de la Vienne, orig., Monlierneuf, no 20}.
GUILLAUME LE JKUNE
f^^■^
Quand ce dernier eul élé remis en possession ducomlé de Tou-
louse, il s'empressa de rcconnaîlre ki validilé des acies émanés
de Guillaume et de sa feoime, sans examiner, diL-il, s'ils élaiejil.
légalemenl ou non, « juslè vel injuslè. », les possesseurs du
conilé. Berlrand avail eu soin, tout d'abord, de s'assurer la
bit^nveillance des chanoines de Saiut-Sernin, comblés de faveurs
par le comle et la comlesse de Poitou el donl le bourg élail en
quelque sorle le centre religieux de sa capilale ; c'est pourquoi,
dès le mois de décembre, en présence de Jourdain, comte de Cer-
dagne, qui joua peul-èlre le r(>lG do médialeur outre les deux
jtrélendanls an comté de Tuiilouse, conlirma-l-il les dons Tails par
(juillaume el l'hilip[)ieù Sainl-Sernin ainsi que loules les frau-
chises donl ils avaient dolé le bourg, et enfin, dès le mois de
février HOO, il renouvela el augmenta ces concessions (i).
On ne saurait soutenir non plus que Guillaume ait abandonné
le Toulousain peur un motif pieux el sous Ij coup des menaces de
l'Eglise. Celte-ci, pour encourager Icsdévouemenlsqiii auraient pu
être arrêtés parla crainte de voirie patrimoine du chef de fauiille
devenir pendant son absence la proie de voisins avides, avait
fait reconnaître au concile de Clermont cl admellre par tous que
les domaines des croisés élaienl mis sous la prolcclion spéciale
de l'Eglise el que loules les personnes qui, sous quelque priîlexte
que ce fût, se saisiraient de leurs biens, encourraieuL l'excum
municalion majeure. C'est en 1097 que Guillaume, s'aulorisanl
des droits de Philippie, s'était emparé du Toulousain sur Ber-
trand de Saint-Gilles, lequel n'avait aucune raison h. faire valoir
(i) Ces deux pièces ne poricut pns d'iodicalion d'année, mais on ne saurait douler
(ju'oUes n[)|iiirïiotineiit nux mois de décembre lo.jij cl février iiuu. C'est ce ijui résulie
du rnpproelieinent de deux autres actes, l'un de juiu i loo (D. Vaissetc, /fîst. de Lan-
ffiiedoc, V, col. 7<iî), en vcriu duquel, Isara élant é%'i^qiie de Toidouse et Bertrand
passédaul le coiiiïé, Ain.ilvis de Sentas donne la dline de ce lieu à l'tiLbayc du
Loznl, et l'autre, <|ui est daté d'un jeudi de féviicr l'oa que le coiule Bertrand re-
couvra Toulouse el qui est cité par D. Vaissete {III, p. 54/|), d'après Catcl (i/tsl. des
comtes d'. 7'oitloiise, p. i5/|). Cet événement, ainsi qu'il résulte de larlc préccilent,
est antérieur au niuis de juin itoo, or si la prise do possession de Toulouse n'avait eu
lieu qu'en celte anaéo i loo, le mois de février, suivant Tancien mode de compnt,
répondrait à février iioi, el repousserait par suite à cette année iioi la cession de
Toulouse à Bprlrand, ce qui ne peut être, vu f]u'il po'iscilail cette ville dés l'an i uio;
le mois de février de l'année où le comte Bertrand recouvra Ttiulousc ne peut donc èirc
ideotiiié qu'avec le mois de février i roo, qui, selon l'ancien co^nput appartenait à
l'auDCc 1099, laquelle s'éleudait du 10 avril uxjg uu 3i mars iiou, vcilte de l'àijuçs.
LES COMTES DE POFTOU
pour exciper des privilèges atlribuc^s nnx croisés ; par suilc, lo
ducd'Aqiiilainn n'nyanlpii Cire exronimiinii'i pour co fait, il sérail
pin?ril de pensor que deux ou trois ans aprôs cet ('•vi'înement une.
crainte réirospoclive ou un remords tardif lui aurait fait abandon-
ner ce qu'il avait de justes motifs pour considérer comme Olanl
rhéritape de sa femme (1).
On peut donc dire que c'est à la suite de nfpocialions înterve-
nues, peiil-cire directemeni, entre Bertrand et Guillaume que ce
dernier se trouva en possession de l'arf^enl qui lui était nécessaire
tant pour s'équiper que pour entreprendre son voyaf^c. Désireux
d'accroître ces ressources, il parcourut aussi ses états en deman-
deur et durant le cours de l'été il était à Manzé ; là, sollicité par
Thomas, son ancien chamhrier, qui s'élail fait moine à Saint-Jean
d'Angély, il donna à celle abbaye une femme, de basse condition,
une vilaine, qui serait désormais lenuo de payor aux moines les
redevances qu'elle lui devait en qualité de métayère. Ceci se
pas?a devant l'aumônerio du lieu, et le comie, voulant marqiu^r
l'atTection qu'il portail à son ancien servileur, l'embrassa publi-
quement. Ce peitt fail, relevé avec soin par le rédacteur de la
charte, est tout à Tbonneur de riuillaume; il iémoipne de la
simplicité familière qu'il apportait dans ses relalioris avec ses
sujets et explique les sympalhies dont il était l'otijet (1).
On ne sait s'il assisla. le 31 oclobre llOO, à la consécration de
l'église abbatiale d'Airvault, mais il se Irouvail sûrement k Poi-
tiers quand, le 19 novembre, conformément aux ordres du papo
Pascal H, s'ouvrit un concile dans la cathédrale de Saint-Pierre,
sous la présidence des cardinaux J«"'an et lienoîi (3). C'était une
(t I D. Vaissrlp,qin s'est faille (léfpnscur cfca pn'^lcndds drnils de ncrIrnnJ de Sainl-
Gillca en »j)plii.jUHiit au Laïu^iiedoc le pririci|ic de la lui saliijue qui n y i'iuil aullonieol
eu vi|E!;iieur, i-ùiiiiiic nouH l'uvon.s dénioiiUé, n mis en avanl li's motifs ijue nous venons
d'cx|ii)Sfr nûur tafiriiicr la cruvance coniimiae (|ue Ucrlrand ne dcvinl possesseur du
iToriilé de Toulouse qu'en vcrin d'un en^fHfjcnient (!cs arpuiiienls ue sont vériialdenicnt
qu'une couceshion aux aeuiinieiils 4'x|inines iinlour de lui par kcs corileiii(niriuns, el
cela csl si vrai qiie le tincle liénrilictin, après nvoir [dnidé la cause fie la reslilnlioti
\oluiitaire ou de l:i conquôle, ajonle, pinissé par sa cunscience d'Iiistorieii: « Nou«nc
n voudrï(in.>t pas cejteiidnnl uier que Guillaume, au uniii de Pliiiippe,sa femme, n'ait
« reçu alors quelque somme de llaimond de Snini-Gilles, ou plutôt de nerlrand,iion
a fils, pour ses piétcnlions sur le cnmté de Toulouse », (///y/.rfp Lnn^iifdni', nouv.
éd., III, p. 54.-\).
(a) Ocsly, ///s/, dex comffs, preuves, p. 4 «6; D. Fonfenrau. LXIH, p. ^qS.
î'i) Le ifxle publie par MarchegBjr (Chron, des égL d'Anjou, p. /|ao. Saint-
GIHLLAUME LE JEUNE
4ï'j
imposante assemblée, complanl, selon les uns, cenlquaraiiile mem-
bres, selon (i'aulreSjCenlqualre-vingls, auxquels furent soumises
de nombreuses questions de discipline ecclésiastique. Elle promul-
gua dix-sept canons sur ces matières; nous n'en retiendrons qu'un
seul, celui qui reconnaissait aux églises la faculté de racheter les
privilèges ou les fiefs qu'elles auraient perdus en y employant
l'argent qu'elles possédaient. Jusque-là leurs trésors se grossis-
saient d'objets i)récieux offerts par de généreux donateurs; à la
suite de cette décision ils en sortirent, car, alors comme aujour-
d'hui, beaucoup étaient tombés entre les mains de gens qui
ne savaient pas apprécier leur valeur. Mais à côté de ces ques-
tions spéciales d'ordre religieux, le pape avait chargé ses légats
d'eu soulever une autre qui devait avoir un extrême retentis-
sement. 11 s'agissait du roi de France, Philippe 1", et de ses rap-
ports adulliires avec Herlrade de Moulfort; une première fois
excommunié, le roi avait promis de se séparer de la comtesse
d'Anjou, mais cet engagement n'avait pus été suivi d'exécution et
le pape réclamait une nouvelle senleuce. Quand l'afTaire fut sou-
mise à l'assemblée, le comte de Poitou se leva et pria instamment
les membres du concile ne pas donner suite à la demande qui
leur était faile el surtout de ne pas renouveler l'excommunicaliou
dont le roi son seigneur avait été déjà frappé ; des évèques se joi-
gnirent à lui, mais ils ne purent rien obtenir des légals. Alors le
comte, rem[ilut,.unl les prières par des menaces, quitta la cathé-
drale, suivi de quelques évèques, de beaucoup de clercs et d'une
grande quantité de laïques. .Malgré le trouble qu'occasionna celle
violente sortie, le concile, se considérant comme étant encore suf-
lisumment en nombre, vota la formule d'excommunication contre
Philippe et Berlrade. L'n homme du peuple qui se trouvait sur
les galeries de l'église, embrassant avec ardeur la cause du comte
de Puilou, lança une pierre dans la direction des cardinaux; un
clerc qui se trouvait près d'eux fut alteitit à la tôte cl jeté à
terre; à la vue du sang répandu le tumulte devint exlrème, mais
les Pères du concile s'étanl découverts, offrant ainsi leur front
aux coups dont ils pouvaient être menacés, surent garder leur
Mjtixeat) porte par erreur ■ xii" kalcnJos uovcoibrîs » au lieu de > tereîo decimo,
qui se lil eu toutes IclUca daus le manuscrit orij^uutl.
f^3n
LES COMTES DE POITOU
sang-froid et, se randolanl sur Bernard do Tiron el Roberl d'Ar-
brissel, qui faisaient partie de l'assislance, ils reslèrenl tranquilles
à leur place; leur courageuse alliludc en imposa à celle foule
surexcil<''p; les coniles el tous ceux qui les avaient suivis dans
leur retraite vinrent s'humilier devant eux et implorer leur
pardon (1).
Il Gsl à croire que Guillaume, avant de recourir à la violence,
avait essayé de peser de loule son autorité sur les membres de
l'assemblée pris en parliculior, et la jjrésence d'évôques parmi
la foule qui 1 avait suivi prouve que ses démarches n'avaient pas
été toutes suivies d'insuccès. Il s'était même adressé à l'un des
li'gals; la chronique de Saint-.Maixent rapporte en effet que la
veille de ce jour mémorable saint Ililaire apparut au légal Jean
et lui dit en roncourageanldanssespremièresdispositions: «Jean
ne crains rien, agis avec fermeté, demain je serai avec toi (2). >»
Bien que Ton ne puisse lenir grand compte des sentiments
exprimés par Guillaume dans ses poésies, cependant on ne peut
absolument négliger le témoignage qu'il fournit lui-même pour
Texplicalion de sa conduite el son dévouement h la cause de Ber-
Irade; dans la pièce de vers qu'il avait composée lors de son dé-
part pour la Terre-Sainte, il déclare en effet, après avoir dit adieu
au Limousin, au l'oitou, aux vanités du monde, aux plaisirs
et aux fêles, vouloir confier ses états et son fils à son parent,
le comte d'Anjou, et au roi, de peur que ses ennemis, voyant
le jeune Age el la faiblesse de son fils, ne vinssent pendant son
absence envahir son domaine (3).
Les événements qui s'étaient passés au concile, et qui témoi-
gnent de la singulière disposition d'esprit du duc d'Aquitaine
pour se préparer à la croisade, avaient vivement tendu les rap-
ports entre lui el rév{^que de Poitiers. Aussi témoigna-t-il son
mauvais vouloir au prélat en ne recevant pas de ses mains la croix
qui était le témoignage du vœu qu'il avait prononcé. 11 se rendit
pour cet effet à Limoges, dont l'évoque, Pierre Viroald, ancien
doyen de Bordeaux, qui venait de succéder à Guillaume d'Uricl,
(i) LaLbc, ConcrVi'o, X, col. 720-720.
(2) Warcbegay, Chron. des égl. tV Anjou, p. 420, Sainl-Maîxciit.
(;<) Alloscrra, fteram Aqiiiianic. libri quinçue, p. 490-
GLILLAUME LE JEUNE 43i
s'élaît sans doute joint à lui pour protester contre les actes de
l'assemblée. C'est donc dan<% celle ville de Limoges qu'il donna
rendez-vous aux croisés de ses états et qu'il en partit pour sa
grande expédition.
Considérable fut le nombre de Poitevins qui prirent la croix.
L'enthousiasme populaire avait été excité dès le commencement
de Tannée 1100 par l'arrivée de pèlerins qui faisaient de leur
voyage des récils merveilleux; d'autre part, bi?aucoup d'entre
eux, échappés aux misères de la croisade, avaient rapporté de nom-
breuses reliques qui émerveillaient les populations : l'abbaye de
Sainl-Maixent, entre autres, en reçut plusieurs d'un nommé Pierre
Fasin. Puis, des cérémonies religieuses d'un grand éclat avaient
aussi enflammé les esprits ; presque en même temps que l'église
delà Chaise-le-Yicomle,le i" novembre 1099. avait été consacrée
celle de Sainte-Radegonde de Poitiers et enfin, un an après, le
31 octobre H 00, lévêque de Poitiers avait été bénir celle de
Saint-Pierre d'Airvault. Des corps de saints personnages, dont
la sépulture était tombée dans l'oubli, avaient été remis au jour
et donnaient l'essor à des dévotions nouvelles ; telles furent on
1098 la découverte des cendres de sainte Pezenne auprès de Niort,
et en 1099, de celles de saint Agapit ù Sainl-Maixent (1).
Les croisés du Poitou se rassemblèrent à Poitiers pendant la
seconde semaine de carême, du 10 au 17 mars de l'an HOl.
L'évêque, Pierre 11, y distribua la croix bénite à tous ceux qui
partaient; le lieu de concentration était le Pré-le-Roi, cette vaste
prairie, située au-dessous des murailles de la ville, enclose de
toutes parts par la rivière du Clain et à laquelle on accédait par
le pont Sainl-Cypricn. Ils se trouvèrent là, au nombre do trente
mille, et furent ensuite se placer sous les ordres de leur comto.
Parmi eux se trouvaient Herberl, vicomte do Thouars. et son frère
Geoffroy, qui, pénétrés des sentiments qui agilaient beaucoup
de croisés, modelèrent sur eux leur conduite, bien différents on
cela de leur seigneur avec qui on peut les mettre en opposition.
Au moment où il allait quitter Thouars, Herbert rassembla ses
(i) Marcbegar, Chron. des égl. d'Anjou, pp. 4i6. A'O <^' 42i'». Saiat-Maitrnl.
L'hislorîen de la Croisade, Pierre Tudebode, était ini^-no do Oivrav ^//;'.</. (>.•■»./..
t. III;.
43a
LES COMTES DE POITOU
barons el, devanl eux, confirma luus les dons qu'il avait faiU
à Saint-Nicolas de la Chaise, celle créaliuii do son père; il
déclara en même lemps qu'il désirait avoir sa sépullure dans ce
monastère, auquel, pour tel uLjel, il donnait la rauitié de ses
biens meubles.
Arrivé à Poiliers, il requit pieusement l'évèque de vouloir bien
déclarer que les bénélices spirituels qu'il pourrait retirer de son
pèlerinage profileraient aussi bien à son père, Aimeri, mort assas-
siné, qu'à lui-même. Enfin, au moment où il allait sortir du Pré-
le-ïloi. il cul à subir les sollicitations d'un moine de Sainl-Aulïin
d'Angers qui venait lui demander de remettre aux religieux une
cliappe qu'ils lui avaient précédemment engagée pour la somme
de JUO sous ; il refusa d'abord de la leur rendre, mais ensuite,
se remémorant les mobiles de son départ et le but élevé qu'il
s'était assignéj il fil sans retour, par TelTel d'un grand délaclie-
menl des choses terrestres, dit le scribe, abandon à l'abbaye de la
chappc réclamée (1 ).
Les divers groupes de croisés, venant tant de l'Aquitaine que
de la Gascogne, s'élani enfin concentrés en un seul corps, Guil-
laume, le plus noble et le plus puissant de tous (2), en eut le com-
mandement; il se dirigea vers le lUiin, prit en route Hugues,
comte de Vermandois, frère du roi Philippe, el se joignit en Alle-
magne à Guelfe, duc de Bavière, et à Ida, margrave d'Autriche.
Leur troupe comptait lCO-000 personnes de l'un et de l'aulre
sexe quand elle arriva sous les murs de Constanlinople (3). Elle
y avait été précédée par les Lombards sous la conduite de l'ar-
chevêque de Milan, par les Allemands commandés par Conrad,
connétable de rempereur Henri, et enfin par une armée de Francs
dirigés par les comtes de Blois et de Bourgogne. Malgré des dis-
(i) Marchepay, Chrun. des éf/l. irAnjua, pp. 3,^0-341. La Chaisc-le- Vicomte.
(a) litfc. des liisl. des Croisades, I, pp. 4i'Ji 4't>, CiuilJaume de Tyr.
(J) Unleric V'ilal (f/isl. ecclifs., IV, ji. 118) ealiiue à 3oo.ooo le nombre des pi'le-
rius, lant Atiuîtaiiis que Gaacuns, qui parlircnt avec Guillaiiiue; il y a dans ce chifl'rc
uuc exiigcralion maiiifcsle el pcul-êli'e y a-t-il lieu do croire cju'Ordcric Vital, au
lieu de u U'eceola uiiliia w, claii daus l'iuicDliou d'ccrirc a Iri^Lula utillia u.Ce chifl'ru
de So.ooo, que dous ad met tous, ne |iuuiTuil du rcâlc s'uppliqucr qu'.iux combatiknls.
spécitiès dans le texte de riiisturifin par le iticit u armalurum v, el i'oa ac saurail y
cuiiipreudre les Iciumc» cl ha gCDS de luulea sortes qui iici:^uiiNjj,^aaieal les guer-
riers.
GUILLAUME LE JRUNK
433
sentiments passagers et certains actes de \iolonce imputables
siirlout aux Lombards, l'empereur Alexis Comnène accueillil
forll>ien les chefs croisés, mais il s'empressa de faire passer leurs
bandes de l'aiilre ccMé du détroit où elles furent camper dans
les plaines de Nicomédie.
Le corps des Aquitains, arrivé le dernier, serait resté cinq se-
maines sous les murs dn Conslanttnople. Il est possible que, pen-
dantce séjour forcé, l'empereur ait cherché à pesersur leurschefs
et à obtenir d'eux qu'ils reconnussent sa suzeraineté pour toutes
les conquêlesqu ilsespéraientfaire,maissi ces avances, qui avaient
précédemment réussi auprès de certains personnages et en parti-
culier auprès de Haymond de Satnl-Gilles, rancien comte de Tou-
louse, qui, fixé tonl- à fait en Orient, était devenu un des familiers
de ta cour byzantine, elles furent accueillies avec une souveraine
hauteur par Guillaume, qui, se considérant comme l'égal d'un roi,
ne voulait accordera Alexis que le titre d'éparche et non celui
d'empereur. Uaymond. outre sa situation privilégiée à la cour de
lîyzance, était en nirme temps possesseur d'un palladium re-
nommé, lu lanco qui aurait percé le cùlé du Christ et qui, à la
suite de circonslances merveilleuses, avait été, lors de la pre-
mière croisade, trouvée à Antioche. Les chefs croisés tenaient à
s'assurer ce gage de succès et d'autre part ils n'avaient qu'une
médiocre confiance dans les protestations et les témoignages d'a-
mitié de l'Empereur, qui semblait agir beaucoup plus sous la pres-
sion de la crainte qu'avec le désir d'appuyer leurs entreprises.
Ils lui demandèrent donc de leur donner Haymond pour guide.
Celui-ci refusa, mettant en avant son âge, les fatigues qu'il avait
éprouvées lors de la prise de Jérusalem et les infirmités qui en
étaient résultées. Celle réponse dilatoire mécontenta vivement
les croisés et Guillaume les aurai! alors incités à obtenir par
force ce que l'on ne voulait pas leur accorder de bonne volonté.
Ses Aquitains et ses Gascons, se mettant à la tôle du mouvement,
auraient aussitôt attaqué la triple enceinte de Constantinopleet,
après être venus sans peine à bout des premiers obstacles, parmi
lesquels nous ne comptons pas les lions et les léopards qui,
selon certains dires, auraient été lâchés pour la défense de la
ville, ils se préparaient à forcer la dernière enceinte quand Alexis.
a8
/j.Vj LEÎ5 COMTES DE POITOU
effrayé, décida Hayoïond k se rendre à une demande accompa-
gnée d'un tel emploi de la force.
Mais l'armée des croisés, désormais réunln en une seule
masse que l'on a évaluée it 300.000 personnes, ne suivit pas
comme sa devancière la roule plus lonijue, mais plus sûre, qui
longeait la mer ; divisée en trois corps, elle s'enfja^'oa dans les
terres. L'un, composé des Lombards, des Allemands et des
Francs du Nord, se dirigea vers l'Est, un second, sous les ordres
du comte de Nevers, suivait plulnl la voie de l'Ouesl, ol entre
les deux marchaient les Aquîlains, mais Raymond de Sainl-
Gilles ne so trouvait pas avec eux, Bl^n (pi'un liislorien ait cru
devoir allribucr à Guillaumo le fait d'avoir demandé l'aide de
Raymond, cette démarche paraît peu probable et l'événement
semble en démontrer la fausseté- Ilesl hors de doute que le comte
de Saint-Gilles devait être peu flalté d'avoir k favoriser les entre-
prises du spoliateur de son fils, et il ne devait guère se dissimu-
lerquc, si Guillaume revenait triomphant en Or'cidt^nfJI nelarde-
rait pas à remetlre la main sur le comté de Toulouse. De là son
refus d'accéder aux premières demandes qui lui furent faites et
quand enfin, pressé par Alexis, il dut prendre lu conduite de
l'expédilinn, il ne se joignit pas au corps commandé par son neveu.
Nous n'avons pas à raconter comment la portion de l'armée
que liaymond dirigea ftit anéantie, comment, le soir du second
jour ofi le camp fut attaqué |>ar les Turcs, il s'enfuit avec l'escorte
qui lui avait été flonnéepar l'empereur grec, plutiM pour sa défense
que pour lutter contre les infidèles, et comment lui el la plupart
des chefs qui l'accompagnaient rentrèrent sains et saufs àCons-
tantinople parla Mer Noire; une accusation de trahison, dont ses
panégyristes n'ont pu le laver, lui fut aussilAt jetée à la face el
elle nous paraît assez justifiée ; mais là où des agissements de
traîtres paraissent bien avérés c'est dans les désastres successifs
qui marquèrent la marche du corps commandé par le duc
d'Aquitaine.
« Après leur départ de Constantinople,ditune relation due sans
« nul doute k un témoin oculaire, les croisés poursuivirent leur
« roule par des contrées arides dont leurs devanciers s'étaient
« écartés et où il» étaient conduits par la perversité de l'empereur
GUILLAU.MK LE JEUNK 435
« Alfxis. Elanl arrivi's dans la vallt't'' des Flambeaux, ofi les
i< payons se tenaiont on rmljiiscnde, conx-ci sp précipili-ronl
« sur eux an mnoienl où ils (Maienl, aussi bien qiie leurs b{^los
« do somme, excessivement affaiblis par la laim cl lascif; alta-
« qués de flanc, ils prirent la fuite el de plus de cent mille per-
ce sonnes donl se composait l'arnu^'O, il en péril la plus jurande
« parlie, lanl parle fer que par la soif et par la denl dos bibles
'< fauves ; c'esl à peine si quelques-uns, ayant perdu lotit ce
« qu'ils possédaient, purent sV'cbapper (1). »
L'armée, en offel, conduite par des Grecs ou des Turcs à la
solde de l'Empereur, avait traversé le détroit de Sainl-Geor^^es
au temps de la moisson et. après s'être arrêtée h Nicomédie, élail
passée h Stancou, à Phiniminium et élail parvenue à Salamire,
qu'elle détruisit. Enga^^éo dans dos monla^'ncs arides, manquant
d'eau, ou ne trouvanl, selon quelques récifs, que des sources
contaminées avec l'aide de substances blancbûlres ressemblant à
de la chaux, ellearrivaau bord d'un torrent, où bomraes etbôtes
pouvaient élancher leur soif. C'est ce momenl qu'avaient choisi
les émirs Turcs pour tomber sur elle. Sa dispersion favorisait
leur attfique.car il est bors dedoute que les assaillanlsélaicnl bien
inférieurs en nombre aux croisés. La panique s'empara de celle
multitude, qui s'enfuil de loules paris; le duc Guelfe, après avoir
abandonné sa cuirasse, se sauva à travers les montagnes; l'évft-
que de Clermont put s'échapjier aussi à grand'peine; quant à la
marj^rnve Ida elle disparut sans qu'on ait jamais pu savoir ce qu'elle
élail devenue. Les femmes, en eiïet, étaient une proie facile el
recherchée par les vainqueurs qui les emmenaient en esclavage.
<• Le comie de Poitiers_, dit un chroniqueur, placé sur unemon-
« tagnevoisine donl les infidèles entouraient la base, contemplait
" lu dé(\iile des siens. A la vue des soldais massacrés, le prince
« franc pleura amèrement . Les infidèles ayant redoublé d'cfforls
« contre lui, le comte, acculé sur tous les points, prit la fuite
« avec quatre cents cavaliers. » Ils n'étaient plus que six ou môme
deux lorsqu'il arriva à Longinade, près de Tarse en Cilicie, où
Bernard l'EIranger l'accueillit avec empressement et lui fournil
(i) Marchega;, Chron. detégl. d'Anjou, p. 3/(i, La Chaise-lc-Vicomte.
436 LES COMTES DE POITOU
loul ce donlil avait besoin. Quelque temps après, Tancrède, qui
commandait à Anlioche pondant la captivité de Boemond, reçut
magnifiquement le malheureux comte dans cette ville et l'y
garda quelque temps. Hugues de Lusignan parvint aussi à gagner
Tarse sain et sauf ainsi que le comte de Vcrmandois qui, blessé
grièvement, vint mourir en celte ville que les fuyards semblent
avoir choisie comme lieu de ralliement.
La défaite des trois fractions de l'armée croisée s'échelonne
entre le 20 juillet et la première quinzaine d'août; ce fut le
corps du duc d'Aquitaine qui fut le dernier assailli. Dans le dé-
nuement absolu ofi se trouvaient les gens qui avaient échappé
au désastre, il leur était impossible de poursuivre leur roule ; il
fallait faire venir d'Occident de nouveaux subsides; aussi, dans
celte attente, les pèlerins séjournèrent-ils dans les lieux où ils
avaient trouvé un premier asile. Quant ù Raymond il passa l'hiver
à Constantinople et au printemps il chercha à rejoindre sa femme
devant Tripoli ; mais, assailli par la tempête, il fut contraint de
relâcher à Tarse où Bernard l'Etranger se saisit de lui. Tancrède,
qui était son ennemi personnel, se le fil livrer, s'empara de ses
trésors et l'enferma dans une étroite prison sous le prétexte qu'il
était cause de la défaite des Croisés.
Ceux qui avaient survécu à ces catastrophes successives se
montrèrent moins sévères et surtout moins clairvoyants que le
prince d'Anlioche ; les comtes de Blois et de Bourgogne, les ducs
d'Aquitaine et de Bavière, le connétable Conrad, l'évoque de Bar-
celone, qui séjournaient alors dans Anlioche, intercédèrent pour
Raymond et obtinrent sa délivrance. Celui-ci ne fut pas plutôt libre
qu'il songea à profiter des bonnes dispositions qui lui étaient ainsi
témoignéesel emmena tous ces guerriers désœuvrés faire le siège
de Tortose, dont il s'empara, mais quand ils lui demandèrent en
retour de ce service de les conduire à Jérusalem, il refusa, sous
ce prétexte qu'il voulait se donner tout entier au siège de Tri-
poli. Celte conduite cauteleuse ne contribua pas fi le relever dans
l'opinion do ses contemporains. Toujours est-il que, les routes
étant devenues assez sûres, les pèlerins se mirent en marche vers
la ville sainte; le roi Baudouin vint au devant eux, les reçut avec
honneur, et ils célébrèrent ensemble les Pâques de l'an 1102.
GUILLAUME LE JEUNE
45?
Après les fêtes, Guillaume et qiielquos-uns des princes s'embur-
(HUTutiL à Jop|>G (jour retourner en Llurope, mais ils l'urenl sur-
pris par une violente lem[)êle el conlrainls de rentrer à Antioclie.
Plusieurs» prirent part le 27 niui à lu funeste ijutuilte de Hama,où
fut fait prisonnier Hugues de Lusignan et qui am*Mia la mort
d'Herbert de Tliouars.Huanl à (luillaume, il véeul dans la société
de Tancrède et retourna avec lui à .)<!'rusaletii au mois de septembre
suivant; tîaudûuin partait alors pour faire le siège d'Ascalon, ils
1 accompagnèrent el le résultat infructueux de cette entreprise
finil par dégoùlor le duc d'Aquitaine de cette iullcjouriialii're et
sans gloire qui se résolvait dans l'attaque ou ladéfensede la mul-
titude déplaces fortes qui couvraient le pays. Il se rembarqua
donc, celte fois délinitivcmeiil, et rentra dans ses étals dans le
courant de raulomne. de Tannée 1 102, après une absence dedix-
buil mois [t) ; le 29 octobre il se trouvait à Poitiers (2).
Avant de partir pour l'Orient, Guillaume avait confié le soin de
ses états à sa femme IMiilippie; elle avait aii[<rès d'elle Hugues,
le frère du cornte, déjà en âge, el su mère Audéarde, mais on ne
connaît pas les véritables conseillers ou défenseurs qu'il lui donna.
Cependant on peut signaler dans l'enlourage de lacomtesse la pré-
sence du sénéchal de l'oilou, Eudes de Mauzé, et d'Hugues de
Doué. L'un el Taulrc se trouvaient avec clleù Saint-Maixent, lors-
qu'une difllculté s'élevaau sujet des prestations ipie ce monastère
pouvait devoir à ses hutes ; le sénéchal reconnut publiquement qu'il
n'avait pas le droit de requérir des sèches ou des oignons lorsqu'il
descendait chez lesmoineselqu'ilsen devaient seulement cent pour
la maison du comte et cinquante pour celle de la comtesse (3).
(i) Nous ne citerons aucune référcDcc pour ce résume Je la fuueslc cainpajci'ne du
comle de Poitou eu Orient; ou les Irouvcnt loules daus la relalion de ces cvéaonienl«i
due l'i K Mflbille, le savant anuoiateiu' de U. V'nissclc {//ist. de Languedoc, nouv.
éd., III, p. 556, note a), que nous avons gènëralcment suivie. l^'Essai sur le règne
d'Ate.ris l Comnéne, que vieot de publier .M. CLalandun, n'apporte aucune moditica-
tioa essentielle à ce récit.
(a) Rcdel, Duc. pour Suinl-Hilnire, I, p. 118,
(3) A. Richard, Charles de Suint-Muixent, I, p. ai8. Sur la foi de D. Fonlencau
nous uvioos, danslapuldicatiou précitée, place cette pii^ceeulrc ior^3et loijô, mais l'étude
de nouveaux documents nous amèoc h la nieiire après l'année 1096, où GulllauuiQ
de Mauzé est encore scncchal, et pendunt une absence du comte, itidi(|uée par la pr*'-
sencc des doux fidèles conipag^nous de ce dernier auprès de la comtesse; celle-ci
voyageait avec toute sa mnisca, ce qui ressort de la rvucoutre, parmi les témoins de
l'acte, d'Aroaud Miniarut, le très vieux cuisiaicr du comte.
438 LES COMTES DE POITOU
Ce qu'il y a de certain, c'osl que, grâce h radminislration vigilante
des conseillers de Philippic aussi bien qu'à la sauvegarde spéciale
que les privilèges des Croisés conféraient au duc d'Aquitaine, ses
étals jouirent pendant son absence d'une tranquillité absolue,
telle que c'est à peine si l'historien peut relever pendant ce laps
de temps quelques faits d'une importance secondaire. La duchesse
ne fit pas une résidence continue en quelque lieu particulier;
comme son mari, elle voyageait fréquemment et on la retrouve
un jour, non loin de Saintes, à Champagne, où, pour obtenir que
le Seigneur daignât accorder au duc un heureux voyage, tant à
l'aller qu'au retour, elle fit don à Garnier, prieur de Sainte-
Gemme, de la dîme de la terre que le viguier, Robert, avait
donnée à essarter dans la forêt de Baconais et la dîme de l'essart
de Ricou ; en ce moment, elle n'avait auprès d'elle que des per-
sonnages d'un rang inférieur, bien que le rédacteur de la charte
les qualifie de barons, tels que Foucaud, Hugues Airaud, Aleard
de Ciré et Robert le viguier (1).
11 est toutefois un point hors de doute, c'est que, pendant l'ab-
sence de son mari, la comtesse se laissa entraîner vers les ques-
tions religieuses, si passionnantes à celte époque, el,en particulier,
qu'elle subit l'influence de Robert d'Arbrissel, dont les prédica-
tions commençaient à remuer les populations de l'Ouest. Elle
avait admis dans son intimité un moine, nommé Robert Quar-
taud, qui avait quitté son monastère et se faisait auprès d'elle
l'interprète de doctrines que nous pensons être celles du fonda-
teur de Fonlevrault. Robert était précédemment à la tête d'une
obédience de l'abbaye de Vendôme, située non loin de l'Océan,
qui, grâce à cette situation, alimentait le monastère en poisson;
par suite de son départ, les moines se trouvaient privés de ces
ressources. L'abbé Geoffroy ne pouvait se résoudre à tolérer cette
situation, aussi écrivit-il à la comtesse de Poitou une lettre
comminatoire dans laquelle il lui disait que sa conduite, en sou-
tenant Renaud, était dangereuse pour le salul de son âme et con-
traire à celui de son mari; si elle voulait que Dieu fit revenir
celui-ci en bonne santé et lui donnâlle triomphe sur ses ennemis,
(i) Ucsly, ///*/. des comles, preuves, p. ^i(i.
GUILLAUME LE JEUNE
439
elle Jevail éloigner d'elle ce roligieux qui, selon lui, travail
conservé de sa profession que la tonsure et le vèleiin'nt et ne
reconnaissait pour règle que sa voloiUé. (îfofFroy lui déclarait en
outre que si ce moine révollô conlinuail à re.-ler en dehors do
Tubéissance qu'il devait à son supérieur il sérail excommunié,
tant par lui que par le pape, aussi bien que toutes personnes qui
partageraient ses idées.
Malgré qu'elle fût personnellemenl visée, la comtesse ne semble
pas s'être vivement préoccupée des menaces de l'abbé de Ven-
dôme, qui était d'ailleurs en aussi mauvais termes avec ses autres
prieurs du Poitou ou de la Saintonge, tels que Geolïroy de Sur-
gères, Jean de Puyraveau, Hervé d'Olonne, qu'avec Itoberl Quar-
laud. L'éluignement de Philippie pour Geoffroy était du reste
antérieur au dé[>arl du comte pour la croisade. 11 se plaint en
etfet, au début de la lellre qu'il lui écrivit, de ce que, bien qu'il
fût l'ami du comte, il ne put, lorsque celui-ci parlil pour Jéru-
salem, voir la comlesie et qu'il duL, contre son gré, s'éloigner et
rentrer dans son abbaye (1).
En dehors do ces menus fails il n'y a véritablement à signaler,
pendant l'absence du duc d'Aquitaine, que la mort d'Aimé, l'ar-
chevôquede Bordeaux; le prélal, ensa qualité delégaldu pape,
exerçait depuis de longuesaunées une action prépondérante dans
les asseud>Iées conciliaires de la région et sa disparition était un
événement considérable. 11 décéda le 22 mai !HOi et la duchesse
ne prit pas sur elle de désigner un nouveaucandidal pour leposle
qu'il occupai! depuis treize ans. Pendant toute Tannée H02 le
siège de Bordeaux resta vacanl ; on altendait évidemment le retour
du duc. Cehii-ci fil élire en 1103 à cette haute situation Arnaud
Géraud de Cabunac, donl on ne connaît pas les antécédents, mais
qui était pourvu des ordres sacrés et pourrait bien avoir été l'un
dos compagnons de Guillaume en Orient (2).
(1) MifÇDe, Palrol. /a/., CL VII, col. ao^i et aussi col. 178 et 17Ô; Desly, JJisLdet
comtes, preuves, p. '\iij.
(y.) Marcbegoy, Chtott. des égl. d'Anjou, p. 421, Suint-MaijicnJ ; Arch. de lu
Vienne, aécroli/^e de Monlierncuf, ri'p. n» aofi, loi. itiû v; Dcblj, Util, des comtes,
preuves, p. 4^^- ()'> i>t^ cunoiilt les ooiiis que d'un trca petit nombre de croises poi.
lev(Os,auâsi y u-l il Ik-u de relever ici celui de l'écrivain religieux Raoul Ardent, arclii-
diacrede Puiiicrt>.i|ui,en qualitède prédicaleur, aurait accompagné le coinle de Poitou
en Uriepl (//m/, litt. de la France, IX, p. 254 \ Lcdain, Uist. de Uressaire, p. tio).
44o LES COMTES DE POITOU
La vie publique, qui semble avoir sommeillé pendant Tabsence
du comte, reprit promptement de l'activilé après son retour. A la
fin de l'année H 02, il se rendit à plusieurs assemblées du chapi-
tre de Saint-IIilaireel, au commencement de l'année H 03, il pro-
voqua une réunion spéciale des chanoines dans laquelle il leur
demanda d'accorder une prébende h un nommé Arbaud ; des
ecclésiastiques, tels que l'archevêque de Bourges et l'évêque de
Poitiers, et des laïques en grand nombre, parmi lesquels se
trouvaient des barons qui ne sont pas nominativement dési-
gnés, se pressaient autour du comte; on n'y signale expressé-
ment comme présents qu'Arnaud le Jeune, Pierre de ïorçay
et Pierre Savari, parents ou amis d'Arbaud, qui se portèrent
garants des engagements pris par lui à l'égard du cha-
pitre (1).
Bien que la comtesse, lorsqu'elle lit don au prieuré de Sainte-
Gemme de la dîme de l'essart de la forêt de Baconais, eût agi en
vertu de sa plénicre autorité, néanmoins elle avait conseillé au
prieur Garnier d'aller trouver le comte à son retour de la croi-
sade et de le prier de reconnaître cette concession ; se rendant
à ce sage avis, Garnier vint à Poitiers et amena dans la chambre
de Guillaume les particuliers qui avaient été témoins de la dona-
tion ; après les avoir entendus, le comte, « pour l'amour de la
comtesse », confirma ce qu'elle avait fait. Quelque temps après,
passant par la Saintonge, il s'arrêta à Sainte-Gemme où il renou-
vela en faveur de Baymond, le nouveau prieur,' les libéralités
précédentes (2).
Le comte avait en effet, au printemps de 1103, recommencé ses
pérégrinations. Il avait oublié dans quelques mois de repos les
misères de son expédition et, son caractère léger reprenant le
dessus, il retraça en vers les péripéties de sa campagne, en leur
donnant une tournure plutôt gaie ; il se faisait particulièrement
un plaisir de réciter cette poésie dans les réunions de ses vassaux
(i) Rédel, Doc. pour Snint-Hilaire, I, p. ii4. I^ien que datée de iioa, celte
charte, d'après les iadicalions fournies par les épactcs cl l'indiclioa, appartient aux
Irois premiers mois de l'année iio3. D'autres litres du chapitre de Saint-Hilairc et
particiilicrcmcnt un acte du 29 octobre 1102 rnlutent la présence du comte à Poitiers
durant cette année 1102 (FléJel, Doc. pour Saint-/Iilaire,l, pp. ii5, 116, 118).
(2) IJcsIy, //ist. des comtes, preuves, p. 4>^-
GUILLAUME LE JEUNE^
44.
OU lorsqu'il se trouvait en compagnie de personnes notables (1).
On relaie d'abord sa présence à Sainl-Maixent, où, se leniinl
dans sa chambre avec son agent forestier du pays, Hcnaud le
veneur, et, cédant aux instances de l'abbé et des moines, il donna
la viguerie de lîomans à un nommé Gilbert (2), De là il s'en fut à
Saint-Jean d'Angély, où il contribua à régler une grosse difticullé
pendante entre les moines de Tabbaye et ceux de CUiny. Ces der-
niers, se fondant sur ce qu'au lemps de l'abbé Kudes l'abbaye de
Saint-Jean aurait été mise sous leur sujélion, l'cvcndiqnatenl le
droiLde placer à la tèledu nionusliîre un abbé à leur convenance,
tandis que les moines de Sainl-Jean prétendaient au contraire en
choisir un à leur gré. Alln d'arriver à un accord, Renoiil, évo-
que de Saintes, Arnaud, archevêque élu mais non consacré de
liordeaux, le comte Guillaume, son frère Hugues et Hugues de
Lusignan, le fidèle compagnon de ses pérégrinations en Orient,
qui,coui!iie hii, avilit pu revenir de laf'uncàle expéiiilion, se réuni-
renlàSainl-.Iean d'Angély(3). L'évéque de Saintes et le comte, qui
représentaient les intérêts de Chiny, demandèrent aux moines
d'élire un personnage d'un piélô insigne et de haute noblesse,
nommé fleuri^ mais en mC-uie temps ils pren;iient cel engagement
que^ pDur éviter te retour des graves abus qui s'étaient précédera-
UR-nl commis, il ne serait disposé des prieurés ou obédiences de
Saint-Jean qu'en faveur des religieux du monastère ; en outre,
qu'aprtis la mort d'Henri chacune des parties reprendrait la
liberté de faire valoir ses droits. Ainsi fut fait (4).
Le comte, continuant ensuite son voyage, arrivai Saintes où
les chanoines de Sainl-Uibien, mettant à profit les bonnes dis-
positions dans lesquelles il se trouvait, obtinrent de lui qu'il les
(i) Orderic Vilal, Hi$t. ecclés., IV, p. ija.
(a) A Richard, C/i«r/(?s de Sainl-Muixent, 1, p. 217.
(3) De uonibreux ccrivaius.s'appuvanl sur l';(ulurilc do la chrooîqiic intitulée: Gesla
Frnnrorum exjmgnunliuin Iherusalem {fifc. îles /lisl.des Croisuiies, III, p. 534),
fant mourir Hugues de Lusii^nan ù la bataille de Knin:i; nuiis ce fait est dcnieati par
ptusic'iirs ch.-irtespoitevitics, d<.'si|uellrs il rcsullo i|u'Hiit;fuejs, <|ui prit à son retour de
la Croisade le surnom de Iiierosolomilain, vi'cut jtisqu'co 11 10, (V'o^. Mém. de la
Son. lies Anliq . de l'Ouest, 1" séri?, XI, pp 3iG-3:<i.)
(4) Uc'ily, /fist. des rnmlrs, preuves, p. ^jz5 ; D. Fantcneau, XIII, p. asr. Î/C
per^oana^e de (^rauJe rumillc, dont le duc prit si chaudement les intcri^ts et fil
pourvoir de l'abbaye de Siiinl-Jt'an d'Aiiirclv d'une fa^-on si anormale, a'élail autre
que suit pareul Hcuri, [irieur de Ciuujr, dout il u été précédciiiiiient purlé.
44s LES COMTES DE POITOU
confirmât dans la possession de l'église de Sainle-Serène que
son père leur avait autrefois donnée; à cela il ne fil aucune
objection et ajouta même à cette primitive concession la dtme
d'un moulin construit de son temps sur la Charente (1). 11 se
rendit enfin dans le Bordelais où sa présence, après une si longue
absence, était fort utile. Raymond, prieur de la Réole, lui
avait adressé une plainte contre Bernard, vicomte de Benauge,
qui avait cru devoir établir en 1102 un péage ou tonlieu dans
le bourg de la Réole; il accueillit favorablement ses doléances e^
envoya immédiatement des messagers au vicomte Bernai'd pour
qu'il rendit satisfaction au prieur, tant pour ce fait que pour
d'autres actes qu'il avait commis à son encontre; de plus, il lui
donna assignation pour comparaître devant lui au fort de Tuizan
où il devait tenir un plaid et où il avait convoqué les grands
seigneurs de Gascogne. Parmi ceux qui répondirent à son
appel et vinrent lui présenter leurs hommages, on relève les
noms d'Astanove, comte de Fezensac, de Bernard, comte d'Ar-
magnac, de Gaston, vicomte de Béarn, de Loupaner, vicomte de
Lomagne, de Pierre, seigneur de Gabarret, de Giraud, évêque
d'Agen, et d'Etienne, évoque de Bazas. Le vicomte de Benauge,
après décision de la cour de Gascogne, s'engagea à donner satis-
faction au demandeur et à ne plus lever l'impôt qu'il avait établi ;
pour plus de sûreté, il désigna, comme cautions de sa parole, le
vicomie de Béarn et le seigneur de Gabarret (2).
Guillaume était trop bien doué pour n'avoir pas profité de son
voyage en Orient et ne s'être pas pénétré de cette civilisation by-
zantine qui avait tant do dissemblance avec celle plutôt grossière des
Francs. Mais l'influence qu'elle exerça sur lui fut plutôt délétère
et produisit cet effet que l'on constate journellement chez les peu-
plades barbares lorsqu'elles sont mises en contact avec les Euro-
péens, à qui elles n'empruntent guère que leurs vices. Son trésor
ducal était vide ; en d'autres temps, pour le combler, il aurait
(i)Bcsly, Hist. des comtes, preuves, p. 467.
(2) Arclu hist. de la Gironde, V, p. 129. Nous ne nous chargeons pas de faire
accorder ces faits absolument certains avec le passage de la chronique des comtes
d'Augoulcnie cite plus haut (page 4>2, note 3), qui attribue au comte d'Angouléme la
possession inconlesléc de Benauge après la dure répression de 1096; il dut, seloo
toute évidence, repiettre à Bernard tout ou partie de 1» vicomte,
GUILLAUME LE JEUNE
443
entrepris une guerre de rapines, frappéses sujets de contributions
ou pressuré les élablissemcnts religieux, lesijuels ne se seraient
pas iaisst^ tondre sans réclamer avec ardeur. Il préf(''raeDiplayer
un procédé moins périlleux qui, dans son esprit, devait lui pro-
■ curer tout autant de bénéfice; en 1 103, il fil frapper de la mon-
H naie d'argent, à laquelle il donna une valeur bien supérieure à
H celle qui était attribuée à la pièce similaire en billon du moyen-
" nage courant (t.). Celle pièce était robole, pour laquelle on fil
revivre un type ancien remonlanl ;ï Cliarleniaiîne et h Louis le
I Débonnaire, portant d'un cùlé en deux lignes le nom royal usité
sur les monnaies du Poitou et qui fut ortbogruphié Carlas au
lieu de Carlvs, puis de l'autre c<Mé le nom de Molle, Mjïtvlo,
entre deux grènetis entourant une croix (2).
' Il est probable que c'est à Saintes que fut tentée celle opé-
ralion cl que la monnaie qui en issul doit être identifiée avec
' celle, dite de Goilart, qui fut fabriquée au temps de Foucaud Ai-
^ raud, prévôt du comte en celte ville. D'autres émissions eurent
lieu postérieurement au temps du prévôt ItoberL de Gémozac,
Wk successeur de Fuucaud. On voit par ces faits que Guillaume ne
négligea pas de tirer prolit de son droit de monnayage à Saintes ;
il le fil reconnallre parles religieuses de Notre-Dame qui furenl
contraintes de déclarer (pie la monnaie de la cité élriit la pro-
priété du comte et que, si quelque personne se refusait à la rece-
■ voir, le comle avait le droit de la poursuivre. Lorsqu'il fit frapper
de nouvelles pièces on plai;a deux troncs dans la ville de Saintes,
l'un au Puy-Sainl-Eulra|H', l'autre sur la place Suinl-Pierre-des-
Bancs, où la uioniiaie rompue était recueillie au nom du comte
pour être employée aux besoins de son uflîcine (3).
Par suite de la longue absence de Guillaume son entourage
(ij Marclicçay, Chroit. des tjl . dWnjoii, p. l\2\, Saint-.Maixeut.
(z) Ea aUribuaut ces piocea à GuilUuine le Jeune. ouiis ne l'aisoQs que suivre l'opi-
nioa émise il y a Hoixaute ansi par M. LccoÎMlre-Djpont, noire mallrc el notre ami
[Essai sur tirs iiiQiincuei frappées en Poitou, p. S4}, tomcfois nous nous cloiirQons
de lui ea adribuuul au retour à [n mouuaie d'urireal lu première partie de la phrase
du cbruni<{ueur <|ui cnouce ce fuit et qui e:îlaia'>i conçue : u Aqqo Mt>in rua:;aii fuit
tribula(ii) el uummi ariçculei pro œrciâ tautali el facli sudI. p CeXlc opératioa. conriie
danc un but de tà^dliic excessive, ne put qu'apporter uu grand (rouble daosles (raa-
Baclioas et c'est h cette bitualiuu que, selua aous, s'applique le mot u tnbuialio s.
(3)Curt. de Notre-UÀin: de Saintes, p. 53. Cette qu^iliftcation de Goiîari doQuéft
à la monnaie frappée à Saiulci uu comiueucemeut du xti" siècle, e^il ideuli(|ue à
444 LES COMTES DE POITOU
s'était nécessairement modifié cl il est naturel qu'il se soit par-
ticulièrement attaché à ses compagnons d'infortune, à ceux qui
avaient échappé avec lui aux misères de cet Orient où tant d'entre
eux avaient terminé leur existence. De retour à Poitiers, il
donna la charge de prôvôl de cette ville à l'un d'eux, nommé
Guillaume, fils de Thibault le grammairien. Celui-ci, assuré de
la faveur constante du comte, se montra, comme il arrive trop
souvent aux parvenus, agressif h l'égard de ceux qui étaient
élevés en dignité et oppressif envers les faibles ou ses inférieurs.
Une se gêna pas, entre autres, pour enlever aux religieux de
Noaillé les moulins de Chasseigne à Poitiers. Les moines se
retournèrent vers leur défenseur naturel, Hugues de Lusignan,
leur avoué . Celui-ci harcela le comte et fil agir auprès de lui
les personnes qui l'approchaient afin que les moines rentrassent
dans leurs biens, mais Guillaume, évitant do se prononcer et do
blesser par une décision quelconque l'un de ses deux fidèles,
déclara s'en remettre à l'épreuve du duel. Une île du Clain était
le champ clos où se vidaient les affaires de cette sorte, sous les
yeux du peuple, posté de chaque côté de la rivière. Les deux
parties envoyèrent donc leurs champions au lieu désigné; celui
des moines s'appelait Daniel Quatre Os. Ses poings eurent raison
de ceux de sonadversaire.à la grande joie des religieux, qui célé-
brèrent sa victoire avec enthousiasme.
Sur le terrain avaient pris place, outre les combattants, huit
personnes, qui faisaient l'office de témoins; l'une d'elles était le
viguier de Poitiers, et l'on y voyait aussi le jeune Guillaume, fils
du comte, avec son pédagogue. De l'autre côté de l'eau se trou-
vaient Hugues de Lusignan et une quantité considérable de Poi-
tevins, curieux d'assister à cette mémorable scène de pugilat (1).
Ceci se passait le lundi 13 juin 1104; Guillaume n'était pas
celles de Goliard que l'on relève en Auvergne el de Goillarde employée en Forez (Du
Canrj^e, Glossariiim), tous iiiuts qui sont à rapprocher de l'expression « Goliardia >
qui siçnitiait fnussctc. tromperie, friponnerie. Il est encore bon de faire remarquer,
et ceci n'infirme en rien notre iulerprélaliun, bien au contraire, que l'on rencontre
vers celte époque, dans les chartes de Nolrc-Duinc de Saintes, un particulier nommé
(îiraud, surnoninic Guallard et fils de Giraud Apurult [Cari, de Noire-Dame de
Sain/ es, p. 120).
(i) Arch. de la Vienne, orii^., Noaillé, no ijo; D.Fonleneau, XI, p. 669 ; Guérard,
Pohjfjtiijae d'Jrmition, app. a" 33 .
GUILLAUME LE JEUNE 445
alors h Poitiers, des affaires d'une réelle gravité attirant alors
son attention par ailleurs. Foulquesle lléchin, malgré l'abandon
de Bertrade, avait conservé la plus vive affection pour sa volage
épouse; elle lui avait laissé le fils qu'elle avait eu de leur union
passagère et le comte d'Anjou, reportant sur l'enfant les senti-
ments qu'il ressentait pour la mère, ne dissimulait pas ses inten-
tions à son égard : il voulait en faire son principal héritier et le
pourvoir de son comté au détriment de son Hlsalné, Geoffroy dit
Martel le Jeune, qu'il avait eu d'Ermengarde de Bourbon. Mais
celui-ci n'était pas d'humeur à se laisser dépouiller. Déjà il avait
témoigné de la décision de son caractère en donnant une liberté
relative à son vieil oncle, Geoffroy le Barbu, dont il avait la garde;
en reconnaissance, ce dernier lui avait, disait-on, abandonné tous
ses droits sur le comté d'Anjou que lui avait enlevé Foulques
trente ans auparavant. Fort de cette investiture, Geoffroy,
qui redoutait tout de son père, répondit par des actes aux
sourdes menées de celui-ci. Il attacha à sa cause le comte Hélie
du Mans et, grâce à son appui, il s'empara sans coup férir du châ-
teau de Mazon qu'il incendia. Ce fut ensuite le tour de l'impor-
tante forteresse de Briolay, dont le seigneur tenait pour le comte
d'Anjou. Celui-ci, effrayé et même chassé de sa capitale, se tourna
vers le comte de Poitou dont il était vassal pour ses fiefs du Lou-
dunais et lui demanda aide. Mais pendant que Guillaume se
préparait à aller à son secours, Geoffroy, poursuivant ses avanta-
ges, s'empara du château de « Carceris » et se porta enfin sur
Thouarsqui tomba entre ses mains le dimanche 28 août 1104, à
9 heures du malin, et qu'il incendia. Les textes, en précisant
comme il est dit l'heure exacte de l'entrée du jeune comte dans la
ville un jour férié, semblent bien indiquer que ce fait so produisit
par surprise.. Maîtres de cette place forte, les Angevins, coupant
en deux, suivant leur habitude, les possessions du comte de Poi>
tou, descendirent vers la Saintongc et s'emparèrent successive-
ment de Niort et de Beauvoir, où ils mirent le feu.
Mais Guillaume avait pu rassembler des forces suffisantes pour
tenir tête à sonjeune et habile adversaire, et, quand il fut prêt, il
marcha à sa rencontre. Geoffroy, menacé d'être séparé de sa
base d'opération, dut retourner sur ses pas; les deux armées se
4^6 LES COMTES DE POITOIJ
Irouvaionl tri pri'vsence auprès de Parlhenay cl allaient en venir
aux mains lorsqu'éciala une tempête de pluie effroyable qui dura
deux jours cl deux nuits. Des hommes d'c'glise, qui accompagnaient
les belligérants, mirent k profit leur inaction forcée pour s'inter-
poser entre eux et réussirent si bien que, sans combattre, lesdeiix
armées se retireront (1). Foulques, abandonné par son allié, dut
se mettre à la discrétion de son fils qui désormais partagea le
pouvoir avec lui (2).
Les succès de Geoffroy Martel avaient donné à réfléchir au
comte de Poitou; son adversaire, qui avait pénétré sans grandes
difficultés jusqu'au cœur de ses états, pouvait bien prendre quel-
que jour sa capitale même pour objectif; pour se mettre en garde
contre une pareille éventualité, il fortifia l'ancien mur de l'en-
ceinte romaine, au delà de laquelle la ville de Poitiers avait
débordé, par deux tours imporlantes qu'il fit construire, l'une à
l'entrée de la ville, l'autre auprès de son palais (3),
A la suite de ces événements une tranquillité relative régna
dans les étals du duc d'Aquilaine, mais si les guerres et leurs
conséquences néfastes étaient pour le moment assoupies, un grand
trouble continuait ù agiter les esprits, en particulier dans les clas-
(i) Mnrch<;g'ay, C/iron.'drs égl. d'Anjou ; Sainl-Aiihîn, p. 3o, La Chaise, p. 34/j,
Sftinl-Maixenl, p. 422. La chronique de Sainl-M^ixeol rapporte ce fail nu vides nones
de novemhrc de l'an 1 lofi- H y a dans mile énonriatîon une erreur évidente ; nu
mois de novemhrc les nones ne cuinplaient qtrc quali'e jours et c'est en octobre qu'il y
en avait six; mais comme il est bien plus naturel d^ndin et Ire que le acrilie s'est trompé
sur les ehilFres en écrivant vi au lieu de iv ptulôt que sur le nom du mois, nous
adoptons la date du iv des nones, c'cst-à-«!ire du 5 novcmlire. ce qui concorde avec la
période ordinaire de grandes pluies que l'on appelle en Poitou les enux de laToussaint.
(2) Nous avons cru devoir rapporter tous ces faîls à l'année \ 10^, bien qtie la chro-
nique de Saint-Aubin d'Angers place en 1 io3 ta rencontre du comte de Poitou et de
Geoffroy Martel et en 1 io4 In prise de Tîiouars. Nous avons pour jjarani la chroni-
que de Saint-Mnixent dont Fauteur était contemporain de ces événements, et d'autre
part 11 parait bien anormal que riuillaunie, après avoir fail la paix avec son adversaire,
ai( abandonné à sa vindicte le Hdèle vassal qui avait partnpc avec lui les épreuves de
la croisade. Il est nu contraire toul naturel que la prise de Thouars ait précédé la
rencontre de Parlhenay, Le texte de. ta chronique de Sainl-Maixent nous parait du
reste corroboré par celui d'une charte du chapitre de Saint-Hilaire-lc-Grand. de l'an-
née I to/J, où il est dit que Guillaume, dans la Élcur de sa jeunesse, commandait alors
une expédition militaire {J\édet, /Joe. pour ^aint-Itilnirey I, p. n(>).
(3) Marcheg-ay, Citron. d'Anjoity I, p. i^a. La tour élevée dan» les dépendances
du palais des comlca doit être la tour Mauberçcnn, qui occupa remplacement
réservé aux plaids de justice, le « mallohcrçium » ; quant à l'autre, qui se trouvait à
l'entrée de la ville, elle devait coniiiiander la roule de l'Anjou et par suite on peut
croire qu'elle fut le point de départ du château que Jean de Berrj construisît plus
tard au conlluent de la Botrre et du Clain.
GUILLAUME LC JEUNE
h
447
ses supérietiriîs. Celle inquiétude se manifesla surtout par le
mouvement qui enl raina les populations vers une nouvelle con-
ception sociale, celle as rémancipation de la femme, et comme
il arrive dans toutes les r<''formes, le but fut lout d'abord dépassé.
On ne se contenta pas do la considérer comme l'éj^ale de l'homme,
cerlains esprits voulurent qu'elle lui fût suptVieiire. L'apôtre de
cette théorie risquée, Hobert d'Arbrissel, ne cessait, par sa parole
chaude, ses agissements hardis, de remuer la sociélé, et de Fon-
tevrault, devenu depuis 1099, sa résidence ordinaire, parlaient
journellement des bandes de disciples; on se demande si Guil-
leume, avec les sentiments de curiosité raffinée qui étaient l'es-
sence de sa nature, ne prenait point un n^el intérêt à suivre les
développements de celle œuvre, dans laquelle la femme, î^ l'é-
gard de qui il professait des sentiments moins purs et surtout
moins élevés que ne le prêchait le réformateur, jouait le princi-
pal rôle. Cet appui secret semble se dé«;ager du développement
que l'on voit prendre à l'œuvre de Robert d'Arbrissel dans le
pays d'Aquitaine, et de son peu d'extension hors do celte
ri'-jiîion. Dans celle-ci. deux prélats en particulier la secondèrent
de tout leur pouvoir : Tun élait le chef du diocèse, Tévéque de
Poitiers, Pierre M, qui couvrait de son autorité épiscopale les
entreprises les plus osées du réformateur et qui se rendît spé-
cialement à Rome pour obtenir du pape l'approbation des règles
qu'il avait établies dans son inslitui, l'autre était Léger, Farclie-
véquede Rourges, à qui Robert disait dans un de ses élans de re-
connaissance: (^ Père très chéri, tu es à la fois mon archevêque,
mon primat et mon palriarche. Je t'ai aimé par dessus toutes choses
et j'ai toujours été à Ion égard d'une soumission absolue (1). »
On les trouve tousles trois réunis auprèsdeCiuillaume unjour de
l'année 1 105, alors que celuî-ci décida avec les gens de son conseil
d'arrêter les entreprises d'Hugues de Lusignan, dit le Vieux, con-
tre les moines de Sainl-Maixent; le sénéchal du comte, Gilbert,
son fidèle, Hugues de Doué, se trouvaient là avec plusieurs abbés
de la région, Marc de Monlierneuf, Garnier de Notre-Dame,
Henri de Saint-Jean d'Angély, Baudride Bourgueil,que l'on peut
448 LKS COMTES DE POITOU
regarder comme les principaux adhérents du fondaleur de Fon-
tevraull et que sa présence avait attirés à la cour du comte (1).
Celle même année 1105, celui-ci se rendit ù Saint-Jean, où il
régla une affaire litigieuse entre lui et les religieux ; ceux-ci récla-
maient pour Ipurs obédiences la liberté du pasquier de leurs
porcs et de leurs brebis dans les bois du comte et, de plus, ils dé-
niaient à ce dernier le droit decharnagedans ces mêmes obédien-
ces. Guillaume, qui était accompagné de sa mère Audéarde et de
son frère Hugues, conclut facilement un accord avec l'abbé Henri ;
il souscrivit aux demandes des religieux de Saint-Jean et reçut en
retour un cadeau de 500 sous ; toutefois, il fit spécifier dans l'acte
que 300 de ces sous seraient en vieux poitevins et 200 en pièces
de moindre taille, c'est-à-dire en oboles, de très bonne monnaie.
Celte dernière était évidemment celle dont il venait d'ordonner
récemment la frappe (2).
Dans le même temps, il confirma les accords que Thomas, le
prieur d'Esnandes, avait passés avec les seigneurs des terrains qu'il
avait acquis pour l'accroissement de son obédience; la comtesse
elle-même, sans doute pendant l'absence de son mari, avait, en
présence d'Hugues Claret et de Giraud de Passavant, donné son
assentiment à ces transactions et renoncé à ses droits de sei-
gneuriage ; il chargea en outre ses prévôts de l'Aunis de veillera
ce que les moines de Saint-Jean, dont Esnandes dépendait,pussent
désormais jouir en paix de ces domaines, et l'abbé, afin de mieux
fixer cet acte dans la mémoire du comte, lui fit don d'un cheval.
La comtesse Audéarde était au nombre des témoins, ainsi que
Raoul du Doignon, Hugues de Doué, Hugues Bastard et Fouchier
le sénéchal (3).
On ne sait rien de plus sur les actes de Guillaume pendant l'an-
née ilOo, mais autrement agitée devait être l'année 1106. Boe-
mond, prince d'Antioche, autant pour satisfaire sa haine contre
Alexis Comnène, l'empereur de Constantinople,que pour venir en
aide au roi de Jérusalem, avait entrepris une tournée en Occi-
dent ; il se rendit d'abord à Rome,oi\ il s'entendit avec le pape et
(i) A. Richard, Chartes de Sainf-3faLrent, I, p. 2f\o.
U) D. FoDtcneau, XXVII bis, p. 325.
(3) I). Fonteneau, XXVII bis, p. 333.
GUILLAUME LE JEUNE 449
se dirigea ensuite vers l'Aquitaine. Le motif public de son voyage
était d'accomplir le vœu qu'il avait formé, pendant qu'il était
prisonnier de l'émir de Mélitène, d'aller déposer sur le tombeau
de saint Léonard de Noblat, en Limousin^ des chaînes d'argent
du poids de celles qu'il avait portées pendant ses deux années de
captivité. Mais à Rome il trouva l'évêque de Poitiers, Pierre II,
qui, le 25 avril, avait obtenu du pape Pascal II une bulle spéciale,
par laquelle le souverain pontife prenait sous sa protection
l'établissement des religieuses de Fontevrault et le confirmait
dans ses possessions présentes et futures (1). L'évoque mit
sa ville épiscopale à la disposition du prince d'Anlioche, à qui
le pape avait adjoint pour compagnon Bruno, évoque de Scgni,
et ce dernier, en vertu de ses pouvoirs, convoqua un concile
à Poitiers pour le 26 juin 1106. A cette assemblée, oil assista
Suger, alors jeune, et qui venait de terminer ses études, on
régla des affaires locales, telles que des contestations surve-
nues entre les abbés de Saint-Jean d'Angély et de Vendôme au
sujet de l'île de Fleix, mais la question de la croisade, soulevée
par Boemond, dont la présence était pour les guerriers et les
prélats aquitains un grand attrait de curiosité et un objet de
vive sympathie,primatout,et un nouveau mouvement versl'Orient
fut décidé (2).
Fort de cet appui solennel, Boemond partit pour l'Anjou afin de
recruter de nouveaux adhérents; peut-être aurait-il pu arriver à
entraîner Geoffroy Martel, dont le caractère pouvait s'accommoder
des aventures que faisait miroiter le prince d'Antioche, mais dans
ce pays la situation venait de se modifier complètement par suite
de la mort inopinée du jeune comte. Geoffroy, après sa réconci-
liation avec son père, avait pris le premier rang dans le gouver-
nement du comté, et, entraîné par son caractère batailleur, il ne
cessait de guerroyer à droite et à gauche. On ne sait pour quel
motif il fut amené h faire le siège de Candô, sans doute simple
(t) Clypetis Fonlebrnld., II. p. io-î. Pierre II, de rcl<mr à Poiiiors, scimiii la liiill(>
papale au chapitre de sa c.uhéilralo, et, du conscnteinniil des clianoiiu's, di>iiiia à la
fondation de Fonlcvraull son approbation déliiiilive ((%;«,•//.< Funle/jr.ilii., Il, p. nj;
Gallin Christ., instr., Il, col. .{."i.'»).
(2)Labbe, Concilia, X, ol. 7^,0 ; Wétais, Cari, sditil. de. lu Triniti- dit Vendo/tw,
p. 90 ; Suger, Vie de Lo-iis le Gros, éd. .Moliuier, p. 2'i.
45o LES COMTES DE POITOU
question de difficultés avec un vassal turbulent ; or, le 19 mai,
pendant une entrevue avec les assiégés, il fut tué en traîtrise d'un
coup de flèche (Ij.
Berlrade, dont cette mort servait les intérêts, fut soupçonnée
de n'avoir pas été étrangère à cet événement qui, par ricochet, dé-
livrait aussi le duc d'Aquitaine d'un voisin dangereux,avec qui il
avait été contraint de faire une paix, peut-être peu honorable. La
reine de France profita donc aussitôt de la circonstance pour faire
attribuer à l'enfant, issu de son union avec le Kéchin,lasituation dont
avait joui son beau-fils. Foulques avait de seize à dix-sept ans,
et il remplissait auprès du roi l'office de bouteiller. Bertrade le
renvoya en Anjou et le confia aux bons soins de Guillaume de Poi-
tiers, qui se trouvait pour le moment à la cour du roi de France.
Mais le duc, qui avait eu, dans le passé, tant à se plaindre de la
maison d'Anjou, jugea bon de profiter de l'occasion pour corriger
les mauvais effets produits parlapolitique de ses ancêtres et même
par la sienne. H accepta donc la mission que lui donnait la reine,
mais avec la pensée de se dégager à un moment voulu de la
parole donnée ; lorsqu'il fut arrivé à la limite de ses étals, c'est-à-
dire vers Fontevrault, il cessa son rôle de protecteur pour prendre
celui de geôlier, se saisit de Foulques et le fit enfermer dans
une de ses forteresses. II ne consentait à lui rendre la liberté que
contre la remise des châteaux que le Réchin et le jeune Martel
possédaient en fief, de droit héréditaire, sur les frontières du Poi-
tou, c'est-à-dire, ceux du Mirebalais, qui, par suite de leur voisi-
nage de Poitiers, ne cessaient d'être inquiétants pour la sûreté de
cette ville.
Le Réchin, excité par Bertrade, menaça Guillaume d'une prise
d'armes, mais son apathie naturelle le retenait d'agir, aussi la
reine fut-elle contrainte de tourner ses efforts d'autre part et elle
pressa le roi de France d'intervenir. Philippe, toujours captivé
par les charmes de son épouse illégitime, se laissa convaincre ;
il partit pour l'Anjou, et c'est alors que l'on put voir publiquement
ce que l'on a appelé depuis le ménage à trois, Bertrade trônant
aux côtés du roi Philippe, tandis que le comte d'Anjou, son pre-
(i) Marchegay, Chron. des égl. d'Anjou, p. 3o, Saint'-Âubiti d'Angertf.
GUIU-AIME IJ-: JlitINE
45 1
rtiîer el vérilable mari, se lenail i'i ses pied?, assis sur un escabeau,
dans une humble posilion. Un leurs pourparlers, il r<!'sulla colle
conviction qu'un accord serait plus avantageux qu'une guerre
que personne ne désirait ; on abandonna au conile de Poitou les
places fortes qu'il ambilionnail,uioyennanl. quoi le jeune Foulques
fui di'-livré de sa prison (1).
Ces Faits se seraient passés dans les premiers mois de l'année
H07,si,commeil a élé dil,le fils de ilerlrade resta en captivilé pen-
dant une année environ (2). Vers ce temps, Robert d'Arljrissel se
Irouvailencore à Poitiers où il prenait part aune imporlanle déci-
sion ecclésiastique. L'évêque Pierre tl avait fait don en 1096, aux
religieux de Saint-Florent de Saumur, de l'éf^lise abbatiale de
Sainl'Laon de Thouars, dépendance du chapitre calhédral ; il
trouvait que tes chanoines de Saint-Laon ne menaient pas la vie
qu'en vertu de leur profession religieuse ils s'étaient engagés à
suivre, et il avait voulu, par leur union à Saint-Florent, lés astrein-
dre à plus de régularité ; mais les chanoines s'insurgèrent contre
la suprématie qui leur était imposée, et portèrent leur revendi-
cation devant le tribunal de l'évêque. Celui-ci no se crut pas en
droit de maintenir seul sa primitive décision et il renvoya l'af-
faire devant un tribunal arbitral où siégea Hohert d'Arbrissi;l en
compagnie de ses fervents adhérnnis, rarchcvôque de Bourges,
les abbés de Monlierncuf, de Saiul-Cyprien, de Sainl-Maixenl,
de Saint-Jean d'Angély, de Notre-Daïue, et enlhi le Irésorier de
Sainl-flihiire. La cnuse entendue, les arbitres se prononcèrent en
(i) Besly, ffist. des <?o/M/e*, preuvea, p. ^i^ ; Orderic Vila!, Uitt. ecclés., IV,
p. 218.N0US avous suivi le texte d'Urtlcric N'itnl pliildt que celui de Guilliiiimc de Tyr,
reproduit par Ucsly [Recaeil (/<*.« /ii's/, <trs Ooisudes, llist. oci-uIrnIaiLX, I, p. (to-j).
Ce dernier chrooiriueur présente Foulipu's ouinaie^ le buutcillcr du cofile de l'uitou, co
quiscmit bien extraordinaire, c^r, s'il eût occupé celle po» il i< iu.il lui aurait à\é bien
facile de rentrer en Anjou sans escorte, tes divnjttinc» ik- *on |ière coiiuiien^'aal à
quel(|ueâ lieues seulement de PuiiirrH ; il semble bien plu» ndmiiisible de se lier au
récit de l'histonen normand, qui ndus montre le jeune liU de lUrtrade. it^Miijnt
auprès d'elle à la cour du roi de France; la reine, cvuilînnle dans \f\ belles paroles
de Guillaume dePoiliers.qui n'avait pu nianquer d'iMro un de *c» ad>tnitenni, à Uiul le
moins platonique, a dû naturel tcmenl lui conâcr Koulipic^ Miis iiou}>^v>nncr une dé-
loyauté possible.
11} bien que le le.vie d'Ordcric Vital soil formel, la duré** q«*<l •«•ugiM À IVmprU
soDoeoicul de Foul>]ucs nous semble cxccMive, d'autant quo le >oyMil« d<« Hortrade à
Angers eut lieu su mois d'octobre iioti, cl qu'il e»t peu cn>y«Mc quVUtc ail laiué
durer plus de six mois les négocinlionH qui a'fn^aj^rcnt au aujel dn U délîvnknco de
»oa fils.
45a LES COMTES DE POITOU
faveur des chanoines, el l'évêque, fidèle exécuteur de leur déci-
sion, reconnut Tindépendance de l'abbaye de Saint-Laon et la
confirma dans ses possessions le 18 avril 1107 (1).
Guillaume n'assistait pas à cette réunion ; il ne prenait pas
plaisir, comme son père, à se trouver au milieu de prélats et à
s'immiscer dans les affaires relig^ieuses ; il vivait en dehors, sauf
à revendiquer ses prérogatives lorsqu'il voulait faire prévaloir
ses volontés. Mais, quelque léger que fût [son caractère, il n'a-
vait pu vivre côte à côle avec Robert d'Arbrissel sans que les en-
tretiens privés échangés entre lui et le réformateur, ou ses audi-
tions publiques^aionteu quelque prise sur lui. Il est des moments
dans la vie, surtout dans celle des hommes aux passions vives,
chez qui les sensations produites par une cause latente se trouvent
parfois portées à l'exlrême, oh l'on se laisse aller à prendre des
déterminations qui semblent être en désaccord avec la conduite
ordinaire que l'on mène.
Ce fut assurément le cas pour le comte de Poitou, alors qu'au
mois de juillet 1107 il se délassait dans ses domaines du Talmon-
dais, entouré seulemenf de quelques fidèles, tels que Joscelin
de Lezay, qui partageait avec lui la propriété de ce pays,Gilbert
de Veluire, Guillaume d'Apremont et le prévôt Girard d'Abiré.
Avec eux se trouvait un certain Fouchier, peut-être un ancien
compagnon de chasse et de plaisir du comte, mais qui était alors
un disciple fervent de Robert d'Arbrissel et qui, afin de mettre en
pratique l'enseignement du maître, cherchait un lieu désert pour
s'y réfugier contre les périls et les tentations du monde. Il le
trouva sur un point de la côte de l'Océan, confinant à une vaste
forêt, qui portaient l'un et l'autre le nom d'Orbestier. Le comte lui fit
la concession perpétuelle de ce territoire, à la charge d'y construire
un lieu de prières, et ce dans le but d'obtenir, par l'intercession des
hommes pieux qui résideraient en ce lieu, l'absolu tion de ses fautes,
de celles de ses parents et de ses fidèles, ainsi que la paix dans ses
états, lasanlé elle salut à venir pour son fils; à la terre inculte et
déserte d'Orbestier, il joignit plusieurs domaines de rapport,
accorda aux futurs religieux de nombreux droits d'usage dans
{i) Iriibcrt, Cari, de Saint-Laon de Thouars, pp. 4 cl 6,
GUILLAUME LE JEUNE 453
la forêt, et déclara que tous les hommes qui seraient dans leur
dépendance jouiraient d'un droit de franchise absolu ; enfin, pour
donner plus de poidsà ses libéralités et garanlirautant que possi>
ble leur perpétualité, il mit la fondation sous la sauvegarde du
roi de France et de l'évêque de Poitiers.
Joscelin de Lezay, bon gré, mal gré, fil en même temps que le
comte abandon de tous ses droits de propriété sur les domaines
qui constituaient la dotation de la nouvelle abbaye (1). Il était
dans- la dépendance absolue de Guillaume et ne pouvait refuser
de se rendre à des désirs qui étaient pour lui des ordres. C'est
ainsi que l'année précédente il n'avait pu se dispenser de rem-
plir l'engagement, qu'il avait pris au temps de Guy-Geoffroy, de
céder à Montierneuf tout ce qu'il possédait à Benêt, ce que, jus-
qu'à ce jour, il s'était dispensé d'exécuter (2). Celte même année
1106, Guillaume avait encore autorisé un de ses vassaux, Rlienne
de M igné, à donner à Montierneuf la dîme de Cillais (3).
Le comte de Poitou était assurément à cette époque dans une
disposition d'esprit particulière; on le voit en elVet fonder une
abbaye, fait unique dans son existence, et, d'autre part, favoriser
autant qu'il était en son pouvoir l'éclosion d'un élablissement,
auquel il n'a peut-être manqué qu'une bonne direction au début
et des statuts nettement définis pour devenir une association de
premier ordre, telle que l'ordre du Temple ou celui de Saint-
Jean de Jérusalem (4). Au retour de la première croisade, un
chevalier poitevin, Robert, seigneur du Puy, près de Persac, eut
l'idée d'ouvrir une maison d'oii partiraient des guerriers pour
aller lutter contre les infidèles, qui servirait en même temps d'a-
sileaux pèlerins se rendant en Terre-Sainte et oti l'on ferait l'au-
mône aux pauvres de la région. 11 l'installa à Monlmorillon et
lui donna le nom de Maison-Dieu. Le caractère guerrier de cet
établissement, dont la création répondait à la préoccupation
(i) Cart. d'Orbeslier, I, p. i ; Cart. de Talinond, p. a/jg.
(a) Arch. de la Vienne, orifç., MonlierneuF, n* i8. Dans le préambule de cel uc!e
Juscelin déclare qu'il ag^ît du consentement et par la volonté de Gailluuni^, duc dos
Aquitains, de la comtesse, sa femme, et de leur fils Guillaume.
(3) ChampoUion-Fiçeac, Doc. histor., II, p. 3.
(4) L'ordre de Saint- Lazare, auquel on voulut plus tard rattacher la Maisun-Dieu
de Monlmorillon, fut fondé en 1112, celui de Saint-Jean do Jérusalem en iii3, celui du
Temple en 11 18.
454 LES COMTES DE POITOU
générale des esprits à celle époque, lui allira en quelques années
une dotation considérable, et Guillaume, qui comptait cerlaine-
ment des compagnons d'armes parmi les initiateurs de l'œuvre,
ne put rester en dehors de l'entrainement général. Il prit sous
sa protection spéciale la Maison-Dieu, ses hommes et ses biens,
cl concéda à Robert, qui en fut le premier directeur, les droits
de ventes et de péages et toutes les coutumes qui pouvaient
lui appartenir sur les biens qui lui avaient été donnés. Il associa,
ce qui est encore bien rare dans son existence, son Gis Guillaume
à cet acte généreux, auquel assistèrent en outre Aimeri, doyen
du chapitre calhédral, Guillaume, mallre des écoles, Renoul,
abbé du Dorât, Renaud, abbé de Noire-Dame, et autres (i).
Vers le même temps, en exécution des engagements pris par
son père, il accorda à Montierneuf une faveur spéciale. Par cer-
taine clause de la charte constitutive du monastère^Guy-Geoffroy
s'élail engagé à laisser prendre aux religieux dans les forêts de
son domaine tout le bois de chauffage ou de construction néces-
saire aux besoins de leur existence; or^ ils avaient établi, dans la
forêt d'Argenson, autrement dite de Benon, l'obédience de Saint-
Saturnin-du-Bois^ mais les hôtes de ce lieu n'étaient pas assurés
de pouvoir jouir du privilège concédé à la maison-mère. Ils s'a-
dressèrent au comte qui, non seulement leur accorda ce qu'ils
désiraient, mais encore leur reconnut un droit d'usage dans
les bois auxquels ils confluaient, ainsi que la licence de faire
pacager leurs animaux dans toute l'étendue de la forêt et
l'affranchissement de toutes redevances tant pour leurs terres
que pour toutes autres de leurs possessions comprises dans ses
limites. L'acte fut passé à Niort, dans le courant de 11 07; à.part
(i) Arch. de la VienDe, carlul.de la Maisoo-Dieu, extrait du xtii* s., fol. 3;
D. Fonterirau, XXIV, p. 899. Cet acte n'est pas daté, mais comme dan4 le cartulaire
il venait immédiatement après l'approbation donnée par l'évéque de Poitiers aux st«-
tuls de la Maison-Dieu, en iio7,àla suite du concile de Troyes, ily a tout lieu de croire
que la charte de sauvegarde du comte Guillaume est de même date. Les obédiences
dépendant de la Maison-Dieu portaient le nom caractéristique de commaDderies ;
elles étaient au nombre de f\o, réparties dans les diocèses de Poitiers, de Bourges, do
Limosfes et de Saintes ; la seule qu'elle possédAt dans ce dernier diocèse portait le nom
de Bethléem et était située à I^ FVocheile,le grand port du Poitou.afiu que l'Ordre dis-
posât d*unc issue sur la mer, comme en eurent dans la même ville les chevaliers du
Temple et ceux de Saînl-Jean de Jérusalem. Les frères de la Maison-Dieu étaient
désignés par le vulgaire sous le nom de >< Picaulz ». (Arch. de la Yienne,G. i6go).
GUILLAUME LE JEUNE 455
Hugues, frère du comte, les témoins qui y assistèrent sont de pe-
tites gens, tels qu'AIIiaume le sergent, et Frogier le cuisinier (1).
On n'y voit aucun membre du clergé; il est possible que leur
absence ait été motivée par la tenue du concile qui s'ouvrit à
Troyes vers la fin de mai , à l'époque de l'Ascension, et auquel assis-
tèrent entre autres les évêqucs de Poitiers, de Limoges et d'An-
goulème, et l'archevêque de Bourges. L'assemblée fut présidée
par le pape Pascal 11, que l'empereur d'Allemagne, Henri V,
avait contraint de quitter Rome. Le pape avait été de Cluny à lu
Charité-sur-Loire, de là à Saint-Martin-de -Tours et, par Chartres,
avait gagné Paris et Troyes, sans entrer dans les états du duc
d'Aquitaine qui s'était bien gardé de l'inviter à lui rendre visite.
Le pontife prêchait en tous lieux une nouvelle croisade et ce fut
sur celle-cique roulèrent principalementlçsdélibéralionsdu con-
cile; l'assemblée s'occupa beaucoup aussi des guerres privées,
et vota de nouvelles dispositions applicables h la trêve de Dieu;
celle qui frappa le plus les esprits fut la défense intimée aux belli-
gérants d'incendier les maisons ou de dérober les brebis et leurs
agneaux (2). A cette môme réunion, le pape confirma la fonda-
tion de la Maison-Dieu de Monlniorillon et prit enfin une décision
qui ne pouvait qu'avoir une importante répercussion sur les
affaires de l'Aquitaine. Depuis la mort d'Aimé, l'archevêque de
Bordeaux, il n'y avait pas eu de légat en titre du Saint-Siège dans
ces régions; Pascal 11, lors de la tenue du concile, conféra celte
qualité à l'évoque d'Angoulôme, Girard, puis, quelque temps
après, il détermina nettement la dnléj^jatiou qu'il lui conférait en
déclarant, par une bulle du 14 avril 1108, que les pouvoirs «lu
légat s'étendraient aux archevêchés do Bourges, de Bordeaux,
d'Auch et de Bretagne (3).
(i) Arch. do la Vienne, orisf,, Monlierneuf, sceaiix,n* 12.'». A col aiMr p«*t npprnilti.
par deux lcmQis(|uc.s de cdir hianc, un sceau de forme ronde, dont la bordure est vn
partie disparue, mais qui a encoreo.oOjm.de diamètre; il est en cire hlanclie.A laquelle
le temps a donné une teinte vcrdAlre et [)ortc la représentation du diic, tenant de la
main droite une épcc cl de la gauche la bride de son cheval lancé au upalop. l'.Vst un
spécimen de ce genre si connu sous le nom de type équestre; il est Hnemeni grave,
avec peu de relief, et comp'>riait une légende dont il ne reste plus que les trois
lettres oiiv qui faisaient partie du mot AçnT.vxoiivM (Voy. appendice x),
(a) .Marchegay, Chrnn, des égl. d'Anj'un, p. /|x3, Saint-.Maixent,
(3) Labbe, Concilia, X, col. OOo; D. Fonlcucau, XXIV, p. 387.
456 LES COMTES DE POITOU
Non seulement Guillaume ne vivait pas comme son père dans
la société des évêques, mais encore il se tenait à l'écart d'eux, et,
sans doute peu satisfait des sentiments qu'ils lui témoignaient, il
ne se gênait pas pour agir à leur égard avec une rigueur exces-
sive quand l'occasion lui en était fournie. C'est ainsi qu'ayant des
des difticultés avec Eustorge, évêque de Limoges, il se saisit de
lui et le retint en prison; mais cet évêque était un grand prolec-
teur de l'abbaye d'Uzerche, aussi l'abbé de ce monastère, Gaus-
bert Malafoyda, désireux de venir en aide à son évêque , se donna-
l-ilà lâche de le réconcilier avec le comle de Poitou ; il y réussit,
et il se trouvait encore à Limoges lorsqu'il y mourut, le 28 sep-
tembre 1108, succombant sans doute aux fatigues qu'il avait
éprouvées dans ces négociations (1).
On ne connaît pas les causes de l'inimitié de Guillaume envers
l'évoque de Limoges, et on est aussi peu renseigné sur la haine
qu'il professait à l'égard de Pierre de Soubise, évêque de Saintes;
peut-être étaient-ce les mêmes motifs, qui, à la même époque,
l'avaient indisposé contre ces deux prélats? Toujours est-il qu'à
Saintes, comme à Limoges,la réconciUation entre le comle et l'ô-
vêque se fit par l'entremise d'un abbé. Geofl'roy, abbé d'Ebreuil
en Auvergne, qui possédait en Sainlonge plusieurs obédiences, fil
rencontrer les deux adversaires dans son prieuré d'Ebreuil près
de Cognac, et là, l'évêque s'étanl jeté aux genoux de Guillaume,
obtint son pardon et vécut à parlir de ce jour en bons termes
avec lui (2).
En ce moment le comte de Poitou était en négociations avec le
roi de France, et cherchait à tirer un bon parti des embarras au
milieu desquels ce prince se débattait. Philippe I" était mort à
Melun le 29 juillet 1108 et dès le dimanche suivant, 2 août, son
fils Louis s'était fait sacrer à Orléans. Celle précipitation que
mettait le nouveau roi à affirmer sa qualité avait pour but de
déjouer les machinations qui se préparaient contre lui à l'insti-
gation de Bertrade, la veuve de son père. Il réclama en outre
à ses grands vassaux l'hommage auquel ils lui étaient tenus, mais
(i) Gallia Christ., II, col. 689.
(a) Gallia Christ., II, col. 869 et 1067.
GUILLAUME LE JEUNE 457
plusieurs d'entre eux, et non les moindres, s'y refusèrent; Guil-
laume fut de ceux-là, II ne semble pas que de réelles hostilités
aient éclaté entre le duc d'Aquitaine et Louis le Gros, ainsi qu'il
advint entre ce prince et le roi d'Angleterre, duc de Normandie,
mais le mauvais vouloir du duc était évident, et c'est seulement
en échange d'onéreuses concessions qu'il se décida à reconnaître
l'autorité du nouveau roi (I).
Toujours est-il qu'un accord fut conclu entre eux pendant les
jours qui précédèrent le carême de l'an 1109. Dans l'intervalle,
Guillaume s'était rendu à Bordeaux avec quelques seigneurs du
Poitou, lluguesde Lusignan, Guillaume de Fors, et autres;le 30
novembre 1 1 08 Pierre d'Andouque, évêque de Pampelune,et Gau-
tier, moine de Sainte-Foy de Conques, étaient venus le trouver
et lui avaient demandé de confirmer le don du lieu de Mansirot
qu'un nommé Gaucclme, d'accord avec ses frères, venait de faire
à celte dernière abbaye pour y construire un monastère et une
sauveté qui prendraient le nom de Marestang. Le duc accueillit
favorablement leur requête et donna en surplus à la sauveté tous
les droils d'une terre franche (2).
Guillaume, bien qu'occupé surtout de ses plaisirs, était en même
temps plein de viséesambitieuses qui n'attendaient qu'une occasion
pouréclore,mais au fond il négligeait l'administration de ses étals
et était loin d'y apporter le soin de son père qui,toutesa vie,employa
son énergie à les maintenir dans le calme. De son temps, les guer-
res privées furent nombreuses et,d'autreparl, il se préoccupa fort
peu d'empêcher ses fidèles de s'enrichir aux dépens des établis-
sements religieux. Un des plus ûpres à cette curée fut assurément
Hugues le Diable,seigneur de Lusignan. Bien qu'en souvenir de la
croisade ce seigneur se fit appeler Hugues le Hiérosolomilain,
il se dispensait de pratiquer les devoirs que ce titre aurait dû lui
imposer, Les domaines des monastères ou des églises étaient pour
^ui un appât irrésistible, et il manifesta particulièrement ses appé-
tits à l'égard de l'abbaye de Saint-Maixenl, son opulente voisine,
dont il était pourtant l'avoué et par suite le défenseur légal.
{i)Hec. deshist. de France, XII, p. ^Si.chroQ. de Saint- Pierre de Sens; Orderic
Vital, Ilist. ecclés., IV, p. 284.
(2) Deajardins, Cari, de Conques, p. 348.
458 LES COMTES DE POITOU
Celle-ci avait alors à sa têle l'abbé Geoffroy, lequel, voyant qu'il
ne pouvait espérer aucun secours temporel pour défendre son mo-
nastère contre les entreprises auxquelles il était journellement en
butte, se tourna versle pouvoir spirituel le plus élevé, vers le pape.
H se rendità Rome et obtint de Pascal II, heureux d'affirmer ses
prérogatives, toute l'aide qu il désirait. Hugues de Lusignan,Isem-
bert de Chàlelaillon, Jean d'Angoumois,pourne citer que les plus
notables, furent invités par le pape à restituer à l'abbaye de Saint-
Maixent les domaines, voire môme les églises, qu'ils avaient usurpés
sur elle ; Pascal Ilcompléla ces dispositions en prenant l'abbaye,
la ville qui lui était contiguê et ses autres possessions, sous sa
protection spéciale. Afin que désormais il n'y eût pas matière à
contestation, soit avec des seigneurs laïques, soit avec d'autres
établissements religieux pourvus par des donateurs peu scrupu-
leux de biens enlevés à ce monastère, il fit, dans une bulle datée
du 27 avril 1110, l'énumération de toutes les églises que possé-
dait alors l'abbaye de Saint-Maixent, plaça tout cet ensemble, tant
le corps principal que ses dépendances, sous sa sauvegarde, et,
pour bien affirmer que ce monastère était dans sa sujétion immé-
diate, il lui imposa l'obligation d'avoir à payer chaque année au
Saint-Siège une redevance de 5 sous poitevins (I).
Lorsque l'abbé Geoffroy revint d'Italie pourvu de commissions
spéciales adressées aux évoques de Poitiers et de Saintes, il s'em-
pressa de les notifier à ces prélats qui, naturellement, recouru-
rent au bras séculier pour en assurer l'exécution. Sur l'invitation
de l'évêque de Poitiers, le comte se rendit en sa compagnie à
Saint-Maixent et là Joscelin de Lezay, continuant la série des
actes de réparation dont il avait déjà donné quelques témoigna-
ges, restitua à l'abbaye l'église de Prahec et reconnut qu'il avait
frauduleusement vendu à l'abbaye de Saint-Séverin les églises de
Lezay que son père avait jadis données à Saint-Maixent (2).
Le comte avait avec lui son sénéchal Gilbert, Guillaume de
Rochefort et un groupe nombreux de chevaliers, mais dans son
entourage on ne rencontre pas le nom d'Hugues de Lusignan, le
(i) A. Hicliai'il, Chuiic.i de S(iiiit-Mui;renl, I, pp. 250, 2O0 cl 2G1.
(2) A. Hicbuid, Chartes de bainl-Maixent, I, p-. 268
GUILLAUME Li: JEUNK
439
principal usurpateur dos domaines de l'abbaye deSainUMaixcnl;
il était malade ou venait de mourir (i). Son fils, Hugues le Brun,
lui succéda. Ce dernier n'était pas, comme son père, lié d'une
amitié spéciale avec le comte, qui gardait un bon souvenir des
épreuves communes subies en Orient. Aussi vit-on une {guerre
violente éclater entre eux dans le courant de celle année 1110.
Les chroniqueurs n'en font^pas connaître le motif, el il ne parait
pas supposable que les réclamalions de l'abhé (iecjfTroy.appnyées
par Guillaume, en aient été la véritable cause. On doit plutôt
chercher celle-ci dans la tension forcée qui dut se produire dans
les rapports du comte avec son vassal à l'occasion de l'investiture
de la seigneurie.
Il y avait cinquante ans qu'il ne s'était ouvert de vacance dans
l'hérédité des seigneurs de Lusi^'nan; or, durant ce long espace
de temps, la jurisprudence qui réglait les successions féodales
s'était peu à peu établie, sans toutefois comporter encore des
rîiglos bien précises. Deux principaux usages étaient suivis en
Poitou : Fun, le rachat à merci, dans lequel avait lieu la main-
mise absolue du seigneur dominant sur les possessions de son
vassal, mettant ce dernier dans son entière discrétion, et qui ré-
gnait de la Dive du Nord à l'Océan, c'est-ù-dire dans toute la par-
lie occidentale du Poitou ; l'autre, le rachat simple ou abonné,
usité dans le restant du comté, el qui comportait le paiement par
le nouveau feudalaire d'une somme fixe el établie d'avance,
laquelle équivalait généralement au produit de la seigneurie pen-
dant une année. Le sire de Lusignan avait des possessions dans
les diverses réj^ions du Poitou, et il est à présumer que le comie,
qui avait toujours de grands besoins d'argent, ne laissa pas
échapper l'occasion qui se présentait sans essayer de tirer de
son riche vassal tout ce qu'il était susceptible de donner. Mais
Hugues le Brun, qui ne parait pas avoir continué à occuper auprès
du comte de Poitou la position subalterne de son aïeul à l'égard
do Guillaume le Grand, n'entendit pas se laisser pressurer comme
(1) Lh cbroai'^uc Je Saint-Maixcnt, p. /p^, pince en 1 110 la mort d'iluçucs de Lu-
aiçDaa: elle dul arriver vers !c niilieu de l'clé, cnr l'abhé dcSaint-Maixeot n'a pu reve-
nir de Rome que vers le mais de jiiin,cl c'est |>eu iijirés son re'our (lu'cut lieu la réu-
nion à luiiueile Hugues a'asi<islA pus, bien qu'il y lût griiudement inlcrcssé.
46o LES COMTES DE POITOU
les seigneurs de Talmond, voisins de certains de ses domaines.
Il résista aux prétentions de Guillaume, et la guerre éclata. Elle
fut atroce, étant donnée la proximité de la résidence du comte de
celle de son vassal rebelle, et c'est entre Poitiers et Lusignan que
ces excès se produisirent surtout ; beaucoup de lieux sans dé-
fense,et en particulier le domaine du Plessis, situé auprès de Mon-
treuil-Bonnin, forteresse des Lusignan, furent incendiés et dé-
truits (J). Une des pires conséquences de cette lutte sans merci
fut la famine, suivie naturellement d'une grande mortalité ; en
outre, comme nul ne se hasardait sur les chemins, le sel, bien
que l'on ne fût pas éloigné des salines de l'Aunis, devint des plus
rare et fut hors de prix (2).
C'est que la guerre, une fois engagée, s'était étendue dans tout
le pays. Hugues le Brun s'était cherché des alliés et il ne lui fui
pas difficile d'en trouver parmi ses parents, les seigneurs dé
Parthenay. Dans ce dernier fief la situation se trouvait être la
même qu'à Lusignan. Ebbon, qui l'administrait depuis 1086, vint
lui aussi à mourir en 1110. Ce fut son frère cadet, Guillaume,
qui lui succéda, conformément à la coutume des pays d'entre Se-
vré et Dive, là où régnait le rachat à merci, mais Guillaume de
Parthenay était d'église et avait été pourvu dès 1086 de la tréso-
rerie de Saint-Hilaire de Poitiers. Il prit en quahté de vidame
son plus jeune frère, Simon H, à qui appartint véritablement le
gouvernement de la seigneurie, et qui était, de son côté, peu dési-
reux de souscrire aux exigences du comte de Poitou (3).
A ces deux adversaires résolus, Guillaume en vit bientôt s'ad-
joindre un troisième. Les sires de Parthenay s'étaient toujours
montrés depuis un demi-siècle les alliés fidèles des comtes d'An-
jou, auxquels les attachaient sans nul doute quelque lien de vassa-
lité, contre les comtes de Poitou. Ils se tournèrent vers Foulques
le Jeune, qui avait succédé l'année précédente au Réchin, décédé
dans le courant d'avril 1109. Le comte d'Anjou ne pouvait avoir
oublié l'acte de félonie de Guillaume à son égard, aussi s'em-
pressa-t-il d'apporter aux confédérés le secours de ses armes ;
(t) A. Richard, Chartes de Saint-Maixenl, I, p. 265.
(2) Marchcçay, Chron. des égl. d'Anjou, p. 424» Sainl-Maixent.
(3) A. Richard, Chartes de Sainl-Maixent, I, pp. 242, 272 et 276.
GUILLAUME LE JEUNE 46>
peut-être, en ce faisant, songeait-il à la Saintonge où ses ancêtres
avaient exercé pendant de longues années une domination dont
le souvenir ne pouvait être clîacé. Ce qui permet de le supposer.
c'esl qu'on le voit venir mettre avec ses alliés le siège devant le
château de Champdenier qui, situé un peu au nord deGermond.
sur la même vallée et par suite sur la même voie, avait remplacé
celui-ci et jouait un rôle analogue au sien pour la défense du
grand chemin de laSainlonge qu'ils barraient l'un et l'autre: on
ne sait si les défenseurs de Champdenier purent résister à l'atta-
que des Angevins (1). Le principal théâtre de la guerre se trouva
par suite transporté dans celte région accidentée du sud de la Gâ-
tine, hérissée de postes fortifiés, que chacun des partis avait à ré-
duire,suivant les attaches de leurs défenseurs; c'est ainsi que Guil-
laume dut faire en personne le siège de Ternant, simple tour sise
sur une motte, dans un fond de vallée, entre Parlhenay et Champ-
denier, et, mettant en pratique le déplorable usage que n'avaient pu
faire abolir les décisions des conciles, il incendia les maisons qui
étaient dans le voisinage immédiat de la petite forteresse (2).
Pour subvenir aux dépenses que lui occasionna cette guerre,
le comte recourut une fois encore aux détestables procédés dont
il avait déjà usé ; il altéra les monnaies à un degré extrême, voire
même il créa une sorte de monnaie fiduciaire (8), aussi trouve-t-on
fréquemment dans les actes de cette époque des stipulations spé-
ciales, portant que le payement en argent devrait être fait en mon-
naie ancienne (4). Mais quoi que fil Guillaume, la valeur de ses adver-
saires et lesmultiples moyens de défense dont ils disposaient étaient
(i)Marche<çay, Chron. dei éjl. iI'Aujdii, p. /laT», Siiinl-Miiixniil.
(2) A. Richard, Chartes de Sainl-Affti.renl, I, p. 37 a.
(3) Marchegay, Chron, des éyl. d'Anjou, p. /laf», Siiint-M.ii\iMit. Trllc cMt In xitifni-
ficalioo que nous croyons pouvoir donner au trxlo do la cliiMnii|ui' <pii,(li«n!4 nii hriô-
Teté,a fait beaucoup disserler. Il est ainsi con<;u : <• Ilrruni nnninti inuliili numI v\ otun
granis alii Facti sunt». Quel sens convient-il d'nltril>uor au mot •> i^rniiiN »V iM, l/»-
cointre-DupoDt (Essai sur les monnaies /rafi/u'fs en /'tiitmi, p. K\) oonnid^rt» i|u'il
s'applique à un alliage; ne s'agirait-il point plutôt d<< polilM di'hnM dr piAri*;* di« nion«
naîe ou de grains d'argent d'un poids dcIcrrnim'MiUMpicU le coiulo nurnil uttrilui(^uni<
valeur monétaire précise.
(4) Arch. de la Vienne, orig., Monticrncur, n" y». l,v* oxproMsiont •< nd nion««laui
velerem », employées par le rédaclcur de la rhiirlr, uimh piirnisM<iil doiil<loiiii«iit viifiù.
ficatives, en ce sens que non Hculcnionl elirn rnppcllool un («n'iiililissoiiioiii do In mon-
naie, mais encore qu'elles inditpicnl (pic rappnrc«n«-i< ovloiiiMiio di"< piôcoi* fut modi-
fiée, autrement, il aurait été bien diflirile, dium In pnitiipu* jourmilii'ro, do pouvoir
distinguer les jeunes et les vieux diinicrs.
462 LES COMTES DE POITOU
tels qu'il ne put venir à boni de leur résistance el dut conclure
une trêve avec eux. Outre la lassitude que devait lui occasionner
une lutte incessante, le comte de Poitou avait des motifs parti-
culiers de désirer la paix avec ses vassaux; le premier dut être
une blessure qu'il reçut à la cuisse devant Taillebourg, et le se-
cond l'attention qu'il ne pouvait s'empêcher de prêter aux événe-
ments qui se passaient dans le Midi, vers lequel il n'avait jamais
cessé de porter ses regards.
Pendant qu'il gisait à Saint-Jean d'Angély, dans la demeure
d'un particulier nommé Hélie où on l'avait transporté blessé,
il reçut, le 21 août (de l'année i\{\ ou H 12), la visite de plu-
sieurs religieuses de Saintes, conduites par leur abbesse Sibille.
Celte dernière était la fille de Robert, comte de Mortain, frère
utérin de Guillaume le Conquérant, et la sœur d'Emma de Mor-
tain, seconde femme de Guillaume de Toulouse; c'était donc la
lante par alliance du duc d'Aquitaine. Elle avait amené avec elle
une autre des tantes du duc, nommée Agnès, et enfin la comtesse
de Toulouse, qu'accompagnait son chapelain Bernard. Guillaume
ne pouvait reconnaître cette gracieuseté autrement que par des
largesses, aussi, sur la demande de l'abbesse, donna-t-il à Notre-
Dame de Saintes les églises de Saint-Julien de l'Escap el de Notre-
Dame de la Clie, avec les dîmes qui en dépendaient. Au fond,
cette donation n'était qu'une reslilution,reconnue par le donateur
lui-même, car en la faisant il réclama aux religieuses des prières
pour l'âme de son père, de sa mère, et de ses parents, qui avaient
autrefois pourvu Notre-Dame de ces biens ; enfin, pour donner
toute authenticité à l'acte qui contenait ces dispositions, au bas,
à la suite de son nom, iltraça lui-même une croix (l).L'évêque de
Saintes, Pierre de Soubise,se Irouvaiten cemomenf près du comte
et s'y tenait encore lors d'une seconde visite que lui firenlles reli-
gieuses. Cette fois l'abbesse venait traiter directement une affaire
avec son neveu et lui acheter la dîme de tout le pays com-
(î) Cart. de Noire-Dame de Saintes, p. i38. Dans ceUe comtesse de Touloase, on
ne peut voir qu'Emma de Mortain, la sœur de l'abbesse Sibille; toutefois, ce n'est pas
la grand'mère du duc, comme le dit l'acte, mais seulement sa belle-mère ; quant à
Agnès, la tante du duc, il faut sans doute l'identifier avec la fille de Guy-Geoffroy,
qui venait de perdre son second mari, le comte du Maine.
GUILLAUME LE JEUNE 463
pris entre Champagne el Ponl-l'Abbé ; en retour de cet
abandon, sa communauté donna 1000 sous au comte et 400
sous à la comtesse, et cette somme considérable, ainsi que d'au-
tres destinées à désintéresser les propriétaires de certaines dîmes
établies sur des terrains compris dans les limites du territoire
cédé par le comte, fut versée par une religieuse du nom de
Benoîte (1).
Ce n'était pas la première fois que le comte de Poitou recevait
de l'argent des religieuses de Saintes ; on peut dire, au contraire,
que ce fait était passé en habitude. Quelques années auparavant,
le jour où l'abbesse Florence reçut, au nombre de ses moniales,
Sibille, la tante du comte, qui devait un jour lui succéder dans sa
dignité abbatiale^ Guillaume restitua au monastère une terre que
Bernard Badelh possédait injustement. Pour attester que telle
était sa ferme volonté, il manifesta celle-ci à haute voix pendant
qu'il déposait sur l'autel de Notre-Dame la courroie à laquelle
était suspendu son couteau. Les religieuses lui firent don de 300
souset, cequi estencore pluscurieux, elles gratifièrent de 30 sous
un certain Guillaume Cofîn qui, par son adresse, leur avait fait
obtenir cette concession (2).
La présence des parentes du comte dans l'abbaye de Saintes
attira à cette communauté de nombreux dons, tant de la part de
Guillaume et de sa femme, que de personnes qui cédèrent à leurs
sollicitations. Ainsi Hugues de Doué, sur leur injonction, aban-
donna à l'abbaye, moyennant 250 sous, la dîme de Marennes, un
bois et un marais que lui et ses hommes revendiquaient en jus-
tice (3). On voit aussi Ilélie de Ricou donner à Notre-Dame la dîme
de Saurespine, et faire serment dans la main du comte qu'il ne
contesterait jamais la validité de cet acte (4).
La blessure de Guillaume avait sans doute une certaine gra-
vité, pour qu'il ait été contraint de faire un assez long séjour à
(i) Cart. de Notre-Dame de Saintes, p. 85. Ces deux actes ne sont pas datés,
mais comme il nous paraît difficile de placer l'aiTaire de Taiilebourg autre part que
pendant la guerre du comte de Poitou avec les Parllienay el les Lusignao, les visites
que l'abbesse de Saintes Ht au comte ne nous semblent pas pouvoir être placées à une
autre date que iiii ou 1112.
(2) Cart. de Notre-Dame de Saintes, p. 69.
(3) Cart. de Notre-Dame de Saintes, p. i58.
(4) Cart. de Notre-Dame de Saintes, p. 170.
464 LES COMTES DE POITOU
Saint-Jean d'Angély. Ce qui tendrait à le faire croire, c'est le chan-
gement que l'on constate à cette époque dans son entourage; au
lieu des petites gens de sa compagnie ordinaire, on y voitl'évêque
de Saintes, les religieuses de Notre-Dame, et la comtesse elle-
même (1). Le regain de bons sentiments que Guillaume témoignaà
sa femme à celte occasion est attesté par la mention de ces
sommes d'argent qu'il lui fait attribuer dans les actes à côté de
celles qu'il se faisait donner à lui-même. Cette situation persista
pendant quelque temps, et c'est en ce moment, pendantraccalmie
qui suivit la cessation des hostilités entre le comte de Poitou et
ses adversaires, qu'il convient de placer une tournée qu'il fit avec
Philippie dans le Talmondais.
La comtesse, qui voyageait avec sa maison et en particulier
avec Girard, son chapelain, signala son passage en fondant dans
l'abbaye de Talmond un trentain de messes pour l'âme de son père
et de sa mère et pour celles du père et de la mère de son mari ;
désireux de s'associer personnellement aux sentiments qui inspi-
raient cet acte, les moines, qui étaient tenus de fournir pendant
tout le carême un mandat à trois pauvres, c'est-à-dire une nour-
riture journalière et déterminée, décidèrent de faire le même
service à un quatrième misérable. Pour leur tenir compte des
charges qu'ils s'imposaient ainsi, la comtesse leur donna un ter-
rage et plusieurs deniers de rente qu'elle percevait sur des héri-
tages sis dans l'étendue de la seigneurie. Cette libéralité avait été
faite solennellement dans l'église de Saint-Pierre, mais les moines
ne se contentèrent pas de cette publicité, ils désiraient, pour
plus de sûreté, que le comte ratifiât les concessions faites par sa
femme. C'est à quoi ils réussirent bientôt. Guillaume, s'étant
rendu à la Garnache, n'y avait sans doute pas trouvé d'installa-
tion convenable; dans celle occurrence, il pria les moines, qui pos-
(i) L'évêque nommé Pierrc,donl il esl ici qiiestion,ne peut être Pierre de Confolens»,
qui ne fut sacré qu'en m-] (C/irori, des égl . c/'^nyoti, p. 426, Saint-MaixenI), et
on ne peut y voir que Pierre de Soubise tpii, selon la môme chroni(iue (p. k^ft),
mourut en un. Il esl avéré toutefois, d'après une charte originale de l'abbaye
de Monlierneuf (Arch, de la Vienne, orig., Montierncnf, n» 20), de l'an 11 12, qu'à
celte date il existait un évi^quc de Saintes du nom de Pierre, cité dans la donation
que Richard Furbaudil Ht à cette abbaye de l'église de Cliirc en Poitou et d'une
pêcherie à Saintes sur la Charente, ce qui permettrait de faire remonter à celte date
l'abbatiat dcSibille.
GUILI.Ar.MK LE JEUNE
s<^daien{ une obédionceen ce lieu, de lui permellrn d'aller proiidro
srs repas dans leur dcmourt' ; ils y conseuLir('nl,iiiais [lendant (lu'il
élailii lable, Giraiid,le prévôl-moinc, se présenta devant lui avec
deux compaj^nons, et lui demanda de donner son consenlemenl
à la donalion de la conilcsse, ce à quoi il se rendit, volontiers
en présence de Gilbert de Veluirc et d'autres témoins en grand
nombre (1).
Les moines de Talmond surent, du reste, tirer plusieurs avan-
In^^es de la présence du comle de Poitou, et dans une autre cir-
constance ils profilèrent liabilemenl d'une occasion que Guil-
laume lui-mèmo avait fait naître. Un jour i! requit l'abbé Ab'-
xandrc de lui c6der un palefroi dont l'aspect l'avail llaltô ;
l'abbé se {^arda bien de refuser, mais il réclama en même
temps le paiement de Tanimal. Le comte, qui n'avait sans doute
pas d'argent à sa disposition, répondit qu'il rénéchirail sur ce
qu'il pourrait donner aux moines en échange de Tobjel de son
désir. Ceux-ci, redoutant que cette promesse ne fût pas tenue,
revinrent bientôt à la charge et demandèrent à Guillaume de
leur abandonner le tiers qu*il possédait dans le domaine de
« Scolis », dont Pépin, seigneur de Talmond, leur avait autrefois
cédé une partie; il y consentit, alteslanl sa volonté par la remise
symbolique d'un brin de jonc (2).
C'est sans doute pendanl ce raôme voyage que la comtesse fil
cadeau aux moines de Bois-(îrolland,pour le salut de son ûme et
de celle de ses parents, de tout ce qu'elle avait et pouvait posséder
dans la maison de Vérins ; elle se trouvait en ce moment devant
l'église de Notre-Dame de Jard, en compagnie du curé de cette
paroisse, de son pannelier et de quelques autres personnages
de minime importance (3).
Dans le même ordre d'idées se place l'autorisation que Guillau-
me, de concert avec sa femme et son fils, donna en î Ml à un de
ses chevaliers, nommé Ilalbier le Jeune, de restituer à l'abbaye
de Saint-Maixent le domaine de Chàteau-Tizon,quc le comle avait
précédemment distrait de la forêt de la Sèvre, propriété de
(i) Cart. de Talmond,^. sya.
(a) Curt. de Talmond, p. aaS.
(3) Marcbcgay, Cart. du Bas-Poitou, p. aSa, prieuré de BoîS'Grollaad .
3o
466 LES COMTES DE POITOU
Tabbaye ; il en avait ensuite fait cadeau à Ralhier pour rémunérer
ses services, malgré Topposition des moines, qui déclarèrent
ingénument qu'il ne leur avait pas été possible de s'opposer à la
volonté dateur prince (l).Versle même temps, Hugues Camarleng
reçut aussi la permission de donner à Montierneuf toute la terre
qu'il possédait entre l'Auzance et Poitiers lorsque son fils entra
comme moine dans cette abbaye. Il est à noter que l'auteur de
cette concession déclare la faire pour le salut de ses seigneurs, le
comte Guillaume, la comtesse, et leur fils nommé aussi Guillaume,
et qu'elle eut lieu en présence de Rainaud, sous-chantre de
Saint-Pierre, et précepteur, « didascalus », du fils du comte (2).
La lassitude, avons-nous dit, ne fut seule la cause de la sus-
pension d'armes intervenue entre le comte de Poitou et ses
vassaux révoltés. La trêve qu'il conclut avec eux, peut-être taci-
tement, car en somme c'est lui qui était l'agresseur, se prolongea
pendant plusieurs années. La situation, dans le Midi, s'étant
totalement transformée, il était de toute nécessité que Guillaume,
en cas de besoin, eût ses coudées franches.
Raymond de Saint-Gilles, son ancien adversaire, était mort le
28 février H05 dans son château du Mont-Pèlerin, près de Tri-
poli, sa principale résidence; jugeant son héritier incapable de
défendre ses possessions de Syrie contre les ennemis qui les
assaillaient de toutes parts, Raymond en avait disposé en faveur
de son compagnon d'armes, le comte de Cerdagne. Cet héritier
était un jeune enfant, Alfonse-Jourdain, né sur cette terre d'O-
rient en 1103; il n'avait donc que deux ans. Sa mère, Elvire de
Castille, le ramena en Europe et fut trouver Bertrand de Tou-
louse, le fils aîné de Raymond, qui assigna le comté de Rouergue
en subsistance à son jeune frère. Mais Bertrand fut à son tour pris
de cette fièvre qui avait entraîné son père et son oncle vers l'O-
rient, et, à leur exemple, il abandonna ses états pour aller se
tailler une principauté en Syrie. Au mois de mars H 09, il partit,
et son comté, dont la sécurité était garantie par les immunités
dont jouissaient les croisés, fut tranquillement administré par
les agents à qui il l'avait confié.
(i) A. Richard, Chartes de Saint-Maixent, I, p. 274.
(2) Arch. de la Vienne, orig., Montierneuf, n» 22.
GUILLAUME LE JEUNE ^
Devenu bientM comte de Tripoli, il continua Tcxislence batail-
leuse de ses prédécesseurs et, comme eux^ il ne tarda pas à suc-
comberje 21 avril 1 1 12. Sa succession s'ouvrit naturellement en
faveur de son demi-frère, Alfonse-Jonrdain, dont les évèques et les
grands seigneurs du Toulousain reconnurent Tautorité, mais le
pouvoir entre les mains de cet enfant ne comptait pas ; il appar-
tenait évidemmentaux conseilIersdesamère,qui,commeil arrive
d'habitude, ne tardèrent sans doute pas à mécontenter leurs égaux
ou même leurs supérieurs en dignité. Ceux-ci, subissant avec
peine cette prééminence, cherchèrent le moyen d'occuper eux-
mêmes ce premier rang dans le pays ; ils crurent le trouver en
s'ad ressaut au comte de Poitou, duc d'Aquitaine, qui, par suite
de son éloignement et de la multiple surveillance que réclamaient
ses vastes possessions territoriales, devait laisser aux seigneurs
du Midi une plus grande liberté d'allures. Leurs avances furent
d'autant plus favornblemcnt accueillies par Guillaume qu'en y
répondant il ne violait pas les engagements qu'il avait assurément
pris avec Bernard lorsqu'il lui avait rétrocédé le comté do Tou-
louse, et, d'autre part, il ne pouvait être relonu par la crainte do la
violation du privilège de croisé que ne pouvait invoquer Alfonse-
Jourdaiii. Il rassembla donc un corps d'armée, et, dans le courant
de l'année 1113, il se mil en possession du comlé do Toulouse,
peut-être sans combat. Il ne revondi([uait au reste que les domai-
nes auxquels Philippie pouvait prétendre au titre horéditairo,
à savoir le Toulousain , l'Albigeois, le Querci et le diocèse do
Lodève, à quoi il convient d'ajoulor la sn/.oraiut»lé du oouilé do
de Carcassonne, et le retour, dans la ligouoo dirorlo d«> l'Aqui-
taine, du Périgord, de l'Agenais et do l'AsIarac, oonh'slôo oniro
les deux grands comtes; Aironso-Jourdain oonsorvail h' Huin>r-
gue et continuait à jouir du oonilé do Sainl-(îill«'s, do la Pi(tvou<'«»
et des contrées médilorranèonncs, propriôlos parlioulièros do
Kaymond de Sainl-Gillos, sur los(|iH'llos (îuillauino do Poiti^M's
n'avait aucun droil à fair(> valoir au upin \W sa l'oinint* 1 1^.
Cette occupalion du Midi no pouvail Mianqur>i- d'èlit« curtlcuso;
l'élan des seigneurs du rf>mlè do 'j'onhui'^i" voi'» le «lur d'A(|ui-
(i) D. Vaissete, Hist. de Lanffitfiloi\ «ouv, ('(i., III, pp. .I'|M. /(l'I »*• •>''»; IV,
note L, n« 4 •
468 LES COMTES DE POITOU
taine ne fut pas toujours spontané, et il est à croire qu'il dut y
aider par de nombreuses générosités. On sait qu'il n'était pas
économe, et, comme conséquence de toutes ces dépenses, des
besoins d'argent ne purent larder à se faire sentir. C'est assu-
rément pour y porter remède qu'on le voit revenir en Poitou
au commencement de l'hiver de 1113, plutôt que pour surveiller
les agissements des Lusignan et de leurs alliés, aussi épuisés
que lui. Quelles furent les mesures qu'il employa pour se procu-
rer de l'argent? On ne le sait, mais tout porte à croire qu'il cher-
cha ces ressources en mettant la main sur quelque domaine reli-
gieux ou plutôt en frappant de contributions les biens d'église.
C'est alors qu'il rencontra sur son chemin l'évêque de Poitiers.
Pierre II était d'une piété extrême, d'une très grande gé-
nérosité envers les pauvres et les églises, mais aussi, à l'exem-
ple du pape Pascal II, il ne pouvait supporter que le pouvoir
laïque portât atteinte aux privilèges ecclésiastiques. Sans nul
doute, il avail déjà eu plusieurs fois à s'opposer aux prétentions
du comte de Poitou, mais cette fois les agissements de ce der-
nier devaient être beaucoup plus graves, car il le menaça de la
suprême peine religieuse, de l'excommunication. Guillaume
n'en tint nul compte; l'évêque persisla dans sa résolution cl
il avait commencé, dans sa cathédrale, à prononcer les formules
sacrées de l'analhème, lorsque le comte apparut. A la vue du
prélat il fut pris d'une fureur violente, le saisit par les cheveux,
et, dirigeant vers lui la pointe de son épée, il s'écria : « Tu vas
mourir à l'instant si tu ne me donnes pas l'absolution. >> L'évêque,
feignant d'être terrorisé par cette menace, demanda un peu de
répit, puis, avec assurance, il acheva la phrase terrible en vertu
de laquelle le comte était rejeté de la communauté des fidèles
chrétiens, tellement qu'il ne pouvait prendre son repas ou
s'entretenir avec qui que ce soit. Après avoir ainsi accompli
ce qu'il considérait comme son devoir absolu , Pierre, ayant
fait le sacrifice de sa vie, tendit son cou au comte en lui disant:
« Frappe, frappe donc. » Mais Guillaume, faisant un violent
retour sur lui-même et reprenant ses façons de parler ordinaires,
lui répondit. «Il est certain que je le hais profondément, mais ma
haine ne va pas jusqu'à ce point de te faire entrer en Paradis
GUILLAUME LE JEUNE 4«y
pour lui donner satisfaction (I). » Toutefois il ne désarma pas; il
s'empara du prélat, le fit jeter en prison, et enfin IVxila dans son
château épiscopal de Chauvigny d'où il lui fut interdit de sortir.
Pierre y mourut peu après, le 4 avril 1115, en oJeurde sainteté,
el son corps fut transporté à Sainl-Cyprien de Poitiers; sur son
tombeau on grava une épitaphe en vers latins, qui rappelait ses
mérites et ses dernières tribulations (2).
Pendant que ces événements se passaient en Poitou, d'autres
de grande importance se produisaient à Toulouse. Los grands
seigneurs du pays venaient l'un après l'autre reconnaître pour
leur suzeraine la comtesse Philippie et lui prêter serment de fidé-
lité. La plus importante de ces adhésions fut assurément celle
de Bernard-Aton, vicomte de Béziers. Ce puissant personnage
dominait directement ou indirectement sur le tiers du comté de
Toulouse et particulièrement sur les six vicomtes de Carcassonne,
de Razès, de Béziers, d 'A Ibi, d'Agde et de Ntmes. 11 ne se con-
tenta pas de venir remplir ses devoirs de vassal, il réclama de la
part de la comtesse un engagement réciproque dont il fut dressé
acte. Le vicomte disait: « Moi, Bernard-Aton, fils d'Ermengarde,
je te déclare à toi, Philippie, fille d'Emma, qu'à partir de ce
jour je le serai perpétuellement fidèle, à ta vie, aux membres
qui composent la personne, à ta seigneurie, h celle qu'hommes
ou femmes tiennent de toi, et telle que l'a possédée ton père Guil-
(i) Migne, Patrol, lat., CLXXIX, col. i385, G. de Malmesburi, Gesta regiim
Anglorum, Les historieas moderoes se sont préoccupés de chercher les motifs qui
avaient porté l'évi^quc de Poitiers à lancer contre le comte une excommunication publi-
que; nous avons fait connaître à ce sujet notre sentiment, nous n'y reviendrons pas.
Mais on ne saurait passer sous silence l'opinion d'ilaule-Serre {/ieriim Aqnitanir.,
1. X, c. i3), et celle du P. de la Main ferme (Cli/peiis Fonlebrald., II, p, 197), qui
déclarent que le comte fut puni pour avoir répudié sa femme, mais celte assertion tombe
d'elle-même, des textes certains établissant (|ue l'union des deux époux n'avait pas
cessé d'exister à celte date, et celles de Baillet ( Vie des Suints, lo février, p. i43) et
de Gervaise {Vie de Siif/er,l. VI, p. 10), qui prétendent cjuc le comte, ayant enlevé la
femme de son frère, fut excommunié par Girard, évéque d'Anpouléme ; la présence
de ce dernier à Toulouse auprès du comte, à cette époque, fait tomber cette alléga-
tion & néant, ct,d'aulrc part,il ne paraît pas qu'Hugues se soit jamais marié.
(2) Ces faits durent se passer à la (In de l'anuce 1 1 14. Pierre II se trouvait à Sully-
8ur-Loirc,le 20 septembre de celte annéc,cn compaii;nie de IVaoul, archevêque de Tours,
et de Girard, évèi|uc d'Aoïçoulèine, légat du pape. Ces prélats s'étaient réunis en ce
lieu pour le rcujlcniciit de dinicullcs survenues entre celle abbaye et Fonlevrault ;
Robert d'Arbrissel y vint aussi pour défendre les intérêts de sa maison, dont il fit
triompher la cause (la Vie dit bienhenreu.i: Robert d'Arbrissel,]yrc{ivca,p. Cog;Mar.
chegay, Chron. des égL d^ Anjou, pp. l\'i'y et 42O, Saint-Maixcnt),
470 LES COMTES DE POITOU
hume, comle do Toulouse » , à quoi la comtesse répondait : « Moi,
Philippie, fille d'Emma, je te serai fidèle à toi Bernard-Alon,
de même façon que tu l'es envers moi. » Le jour où eut lieu
celle imposante cérémonie l'assislance la plus brillante se pres-
sait à la cour de la comtesse; on y voyait, outre le vicomte do
Béziers, CentuUe, comte de Bigorre, Pons, vicomte de Caussade
en Ouerci, Arnoul de Monlgommeri, Pons de Monlpezat, Guil-
laume d'Haulerive elautres,et parmi les gens d'église se trouvait
Robert d'Arbrissel et son inséparable compagnon Léger, l'arche-:-
vêque de Bourges, puis Giraud, évoque d'Angoulême, Bertrand^
évêque de Bazas, assistés les uns et les autres de personnages
ayant un rang élevé dans le clergé do leurs diocèses (1).
Cet acte de foi mutuelle n'est pas daté, mais il ne saurait être
éloigné du jouroù le fondateur de Fonlevrault, mettant àprofitla
faveur dont il jouissail auprès de la comtesse, arriva à établir une
maison de son ordre dans le Toulousain.Philippie ne possédait pas
dans le pays de domaines à titre personnel dont elle pût disposer h
son gré, aussi s'adressa-t-elle à Amel, évêque de Toulouse, et le
contraignit à faire à Robert une cession de territoire; de concert
avec les prévôts de Saint-Ktienne et de Sainl-Sernin, il lui aban-
donna la forêt de l'Espinasse et les jarriges adjacentes, sur les-
quelles s'éleva un prieuré dont le domaine comprit aussi des
bois et des terres que de puissants personnages, tels que Pons
Raymond, Pons Bérenger, et autres avaient ajouté à la conces-
sion épiscopale, le 12 mars 1114, jour où elle se fit dans le
cloître de Sainl-Elienne (2).
C'est vers ce temps, probablement en 1114, alors que la com-
tesse faisait à Toulouse sa résidence ordinaire, qu'elle mit au
monde un fils qui fut appelé Raymond. Ce" nom avait chez les
comtes de Toulouse le même caractère traditionnel que celui de
Guillaume pour les comtes de Poitou, et, dans le cas présent, il
avait pour objet de désigner à tous le jeune enfant comme
devant être le futur possesseur du comté (3).
(i) D. Vaissele, f/isl. de Lanjudioc, nouv. éJ,, V, preuves, col. 845.
{•i) Clypeus Fontebrald., I, p. 147.
(3) La chroni({U3 de Sjiiil-Mai\eiit[p.4i9)<ivail(léclaréquclanais3aace de Raymoad
était bien postérieure à celle de soa frère ataé, u novis-iirne », maïs elle ne fournis-
sait aucua clémeDt pour eu préciser l'époijuc; ou en rencontre un dans Guillaume de
GUILLAUME LE JEUNE 471
Bien que la prise de possession du Toulousain par le comte de
Poitou semble s'êlre produite pacifiquement, néanmoins, des
troubles locaux, motivés par diverses causes, no manquèrent
pas de se produire; telle fut la sédition qui éclata à Toulouse
même et durant laquelle Pierre d'Andouque, évêque de Pampe-
lune, qui était descendu dans la rue pour apaiser le tumulte, fut
blessé d'un coup de pierre, dont il mourut quelques jours après,
le jeudi 15 octobre 1114(1).
Nous ne serions pas éloigné de croire, si l'on recherchait les
causes cette sédition, que l'on y retrouvât la main du clergé local ou
du moins de ses membres les plus ardents, que l'excommunication
encourue par Guillaume détournait de sa personne; aussi le comte,
en habile politique, crut-il devoir donner un témoignage public
de ce que sessentiments chrétiens n'avaient été nullement altérés
parla sentence rendue contre lui par l'évêque de Poitiers.
Sur son invitation, l'évoque Amel indiqua, pour le premier
novembre suivant, la tenue d'une procession solennelle à laquelle
devaient prendre part tous les membres du clergé paroissial de son
diocèse, lesquels devraient se faire accompagner des reliques pos-
sédées par les églises; Arael invita en outre à assister à celle fête
les évoques qui dépendaient comme lui de la province ecclésiasti-
que de Narbonne, ainsi que les abbés et les principaux personnages
de la région. L'affluence du peuple fut telle que l'on se vit obligé
d'établir des tentes hors de la ville pour en loger une partie, et
Guillaume put croire que le résultat qu'il avait cherché était
obtenu (2). Aussi se montra-l-il généreux à l'égard de certaines
maisons religieuses qui avaient particulièrement répondu à l'appel
Tyr (flist. </<»« Cro/sarfM, 1,9.6^7), lequel rapporte que, lorsque, vers ti3C,les barons
d'AQtiochc fixèrent leur choix sur Raynnond pour devenir l'époux de la jeune héri-
tière de la principauté, celui-ci n'était qu'un adolescent, ayant à peine quelques
poils de barbe, a adolcscens vix prima inalas vcslitus lanui^ine ".et qu'il venait d'être
fait chevalier par le roi d'Anijlcterre ; or, comme il était de règle que cette qualité ne
fût conférée au noble que lorsqu'il atteignait sa majoritéet que celle-ci était fixée en
Poitou à l'àçe de viujjt et un ans, l'adolescent qui venait d'obtenir cette faveur ne
pouvait être né qu'en iii/| ou iii3 au plus tard.
(1) D. Vaissetc, ///«/. Je Langiiedoc, nouv. éd., III, p. C22. Palustre, qui donne à
l'évêque de Parnpelune le nom de Pierre de i\ola {I/ist. de Grtilldinne /X, p. 288),
le fait mourir bien à tort lors de la prise deToulouse en 1(1(17 ; nombreuxsont les actes
du carlulaire de Conques (jui attestent son existence jusiiu'cn 1 1 1,\.
(2) I). Yaissele, IJisl. de LuiKjiitdoc, nouv. éd., III, p. i::f>, et V, preuves, col.
847 et 848.
47» LES COMTES DE POITOU
de leurs évêqueset contribué à donner un grand éclat à celle réu-
nion extraordinaire. Les moines du Lézal, possesseurs des reli-
ques de saint Antoine, les avaienlapporlécsà Toulouse, el il s'était
produit plusieursmiracles dus à l'intercession du saint : le comte,
reconnaissant, leur fit de nombreuses générosités et particulière-
ment il leur donna en août 1 1 1 5, de concert avec sa femme et son
fils Guillaume, un terrain situé dans le faubourg de la ville, en
face la porte du château Narbonnais, avec exemption de toute
sujétion et la propriété du droit de justicesur toute personne qui
viendrait habiter le territoire concédé (i).
Cet acte est le dernier où l'on rencontre le nom de Philippie. 11
est certain que personnellement Guillaume ne paraît pas avoir
été très gêné par sa situation d'excommunié, mais celle-ci fut
vivement ressentie par diverses personnes de son intimité^ au
premier rang desquelles on doit placer sa femme. La comtesse
subissait la très grande influence de Kobcrl d'Arbrissel qui ne
semble pas avoir rien fait pour la détourner d'obéir aux pres-
criptions de l'église, c'est-à-dire de se séparer de son mari.
D'autre part, des raisons, d'ordre plus intime, durent à celte
époque peser sur les décisions de Philippie. Pendant qu'elle
séjournait à Toulouse, Guillaume, sous prétexte de maintenir le
pays dans son obéissance, voyageait, et particulièrement faisait de
longs séjours en Poitou. C'est pendant une de ces absences qu'il
noua des relations avec Dangereuse, femme d'Aimeri I, vicomte
de Chàlelleraull (2). Celle-ci, à l'imitation de la reine Berlrade,
abandonna son mari et fut vivre avec le comte qui l'installa à côté
de son palais, dans celle lourqu'ilavailrécemmenlconstruile pour
en augmenter les défenses, aussi le peuple, dans sa familiarité
expressive, ne tarda-t-il pas à donner à la compagne du souverain
(i)D. Vaissele, llist. de Languedoc, nouv. édil., preuves, V, col. 847.
(2) Miîfnc, Pdtrol. lut., CLXXIX, col. i384, Guill. deMalmesburi. Dangereuse
ét<iit en iiog la femme du vicomte Aimeri de Châtellcrault, et il ne semble pas que
ce personnage, qui a vécu jusqu'en i i5i, so soit marie deux fois. Elle donna à cette
date de iiog son consentement à la concession de certaines franchises que fît son mari
à réfçlise de Saint-Denis en Vaux (.4/'c7j. hist. du Poitou, VU, p. 346). Son origine
n'a point été établie jusqu'ici; toutefois, il nous paraît très plausible de ridcntitier
avec une jeune personne (|ue nous avons rcncoalréc dans un chartricr de la rés^ion, à
la fin du xi'' siècle, laquelle portait ce nom caractéristique de « Dangerosa » et était
fille de Barthélémy, seigneur de l'Ile- IJûuchj ni, et de Girberge (Cari, de Noyers,
p. 172).
GUILLAUME LE JEUNE 473
un sobriquet qui caractérisait sa situation auprès de lui, il l'ap-
pela Maubergeonne (l).Du reste, Guillaume ne dissimulait nulle-
ment ses sentiments k l'égard delà vicomtesse et les rapports qui
existaient entre eux; il avait fait graver son portrait sur son bou-
clier et disait à ce propos qu'il agissait à la guerre à son égard
de la même façon qu'elle se comportait avec lui pendant la paix.
Mais Philippie rencontra des défenseurs dans l'entourage du
comte el particulièrement dans les rangs du clergé. Le légat
Girard, qui, à cause de sa situation politique, n'avait pas cessé de
continuer ses rapports avec le comte, lui fil d'abord des repré-
sentations sur sa conduite, puis enfin, poussé ù bout, il renouvela
la sentence d'excommunication prononcée contre luipar Pierre II.
Dans cet acte si grave, Guillaume, suivant son habitude, trouva
seulement matière à plaisanterie : « Le peigne, dil-il au légat, fri-
sera les cheveux de ton front avant quoje ne m'éloigne delà vicom-
tes8e(2).» Or, Girard était chauve; la séparation intime du comte
et de sa femme était donc irrémédiable, lui-môme le disait.
Fontevrault était un refuge naturel pour de telles infortunes,el
Philippie dut s'y retirer à la fin de l'année 1 1 15 ou au commence-
ment de 1116. Là elle trouva Ermengarde, femme d'Alain, duc de
Bretagne, qui avait été, avant elle, la femme de Guillaume; la ren-
contre entre les deux duchesses dut être piquante, mais tandis que
la vie d'Ermengarde se prolongea longtemps encoreavecdes vicissi-
tudes de retraites pieuses et de mondanité, celle de Philippie n'eut
qu'une assez courte durée; la duchesse d'Aquitaine ne se contenta
pasde vivreen quelque sorte comme pensionnaire dans le monas-
tère de Fontevrault, elle fil, peut-être après la mort de Pierre
(i) Il n'y a pas lieu de s'arrêter au récit d'aveulures connu sous le nom de JouiTrois,
qui (éd. Iloffmann, pajçe 127, vers /(orjS) fait d* « Amauberjon » aliàs « Aniauber-
jain ), la fille d'un comte de Toulouse du nom d'AIlbnsc et la donne pour femme à
Jouifrois. Le romanrier a confondu divers traits de la vie des deux comtes de l'oitou,
Guy-GeofFroy et Guillaume VII, mais il y a à retenir le nom qu'il donne à la femme de
son héros. Ce nom.iladiï l'empruntera Ordcric Vilal, qui, dans son Ilistoireecclcsias-
lique (éd. Le Prévost, IV^ p. 078) rajtporle que la concubine du comte de Poitou
s'appellailMalbcrgion. On peut citer con)me contraire à l'opinicm que nousavons émise sur
l'origine du surnom deI)an<,'creuse.cellcdeM.(^li;d)aneau(/to'He des l(in;/uc.t romanes,
XIX. p. 88), qui a rencontré la vicrifc « Anjalbera^a » dans le Ilecucil des Ilisturicns
de France (XIV, p. 19).
(2) « Perinde diclitans se iilam velle f«rrc in pnelio, sicut illa porlabat eum iu
iriclioio. » xMigoe, Patrol. lat., CLXXIX, col. i384, Guill. de Malmesburi.
474 LES COMTES DE POITOU
d'Arbrissel, arrivée le 25 février iH7, profession absolue de la vie
monacale, et mourut le 28 novembre de l'année H 17 ou 1148(1).
Tout le monde, heureusement pour le comte de Poitou, n'avait
pas en matière religieuse les idées absolues qui dirigèrent les
actions de sa femme; nombreux furent ceux-là, même dans le
sein du clergé, qui pratiquèrent à son égard cette conduite facile,
dont le rigoriste Geoffroy de Vendôme donna un jourlui-rmême l'ex^
plication ingénue au pape Pascal II (2). L'abbé de la Sauve, Geof-
froy, partageait cette manière de voir, et le 2 juin 1116, il vint
trouver le comte et obtint de lui, en s'engageant à prier pour le
salut de son âme etdecellesdesesancôtres,rabandon de tous ses
droits seigneuriaux sur l'église de Bougueset ses dépendances (3).
A cet acte assistaient l'abbé de Sainte-Sévère et les deux archi-
diacres de Poitiers, Hervé et Guillaume Gilbert,
La présence de ces deux personnages est significative; l'église
(i) Le séjour de la duchesse d'Aquitaine :i Fonlevrault se place entre le mois d'août
iii5, époque elle agit encore de concert avec aon marî,el le 28 novembre 11 18 au plus
tard,datede son décès, (jui est ainsi indiqué dansTobituaire du prieuré de Fontaines en
Bas-Poitou: « 4 kal. decembris, Pbilippa monacha, Pictaviensia comitissa » {Chjpens
Forilebrald . , I, p. 53). Celle mention ue j)récise pas l'année de la mort de la duchesse,
mais comme il est certain qu'elle n'existait plus lors de la tenue du concile dcReims,
au mois d'octobre iiiq, la dcruicre date que l'on puisse assigner à son décès est celle
du 4 des calendes de décembre de l'an 1 118. 11 n'est pas à présumer que cet événe-
ment puisse être reporté à l'année 11 16, car on doit tenir compte du grand sens poli-
tique dont Robert d'Arbrissel était doué, comme tous les grands réformateurs d'ordre
religieux, qui l'aurait empêché d'accueillir la duchesse au nombre de ses moniales;
après sa mort, arrivée le 25 février 1 1 17, les mômes motifs ne pouvaient retenir son
successeur ; Philippie, en conséquence de ce qui vient d'être établi, ne put mourir
qu'en novembre II 17 ou 11 18.
Un texte, dont nous n'avons trouvé trace que dans le Gallia, semble indiquer
que la vie de Philippe se serait prolongée bien au delà de la date que nous lui assi-
gnons. Il rapporte (II, col. 1266) que la comtesse Philippie,élant venue à Montierneuf,
fléchit les genoux devant l'abbé Hugues et les religieux du monastère, et qu'afin d*ob-
lenir la rémission de ses péchés, elle leur abandonna les marais de Jard, dont elle
s'était emparée sous le prétexte que ces marais faisaient partie de son domaine.
Comme, d'après le Gallia, Hugues serait uu des successeurs de l'abbé Marc,
qui vivait encore en 1 126, la mort de la comtesse aurait été postérieure à celle de son
mari. Nous ne chercherons pas à élucider le problème de l'abbatial de l'abbé Hugues,
mais nous dirons que si le texte du Gallia est exact, il faut reconnaître dans l'abbé
Hugues dont il parle, non pas un abbé de Montierneuf, mais l'abbé de Cluny, saint
Hugues, qui mourut en 1108 ou i lOij, et à l'égard de qui peut se comprendre l'acte
de pieuse déférence de la comlesse de Poitou.
(2) Migoe, Palrol. lai., CLVII, col. 49.
(3) Arch. hist. de la Gironde, XII, p. 317. Le rédacteur de cet acte qualifie Guil-
laume VII de comte palatin ; bien que ce titre, attribue au duc d'Aquilaine,ne puisse
avoir qu'un caractère purement honorifique, il ne nous semble pas qu'il doive appar-
tenir à Guillaume VII qui ne s'en est paré dans aucun autre de ses actes.
GUILLAUME LE JEUNE 475
de Poitiers était toujours sans pasteur (1), et Ton peut croire que
les deux grands dignitaires du diocèse, bravant pour eux-mêmes les
conséquences de l'excommunication dont le comte portail le poids.
se tenaient auprès de lui pour qu'il consentît à apporter un re-
mède à la situation pénible qui était faite à ses sujets, car^ses étals
étant dans l'interdit, la sépulture religieuse ne pouvait même être
accordée aux défunts (2). Les efforts qu'ils tentèrent ne devaient
pas encore aboutir; le comte posait assurément ses conditions,
qui durent se heurter contre l'inflexibilité du pape Pascal II, et
il fallut toute l'habileté du légat, l'évêque d'Angoulôme, pour
amener une transaction. Elle se conclut ainsi : Guillaume serait
relevé de son excommunication et, en retour, il consentirait à ce
qu'il fût pourvu aux vacances des évêchés, particulièrement à celle
de l'évêché de Poitiers (3). Cet accord date de la fin de l'année
1117, car il n'était pas encore fait lorsque se tint dans la salle du
chapitre de la cathédrale d'Angoulême, sous la présidence du
légat, une assamblée non conciliaire, où se trouvaient Baudri,
archevêque de Dol, Audeberl, évoque du iMans, Hainaud, évoque
d'Angers, ainsi que les abbés de Maillezais, deTalmond, de Noaillé,
et de Sainl-Cybard d'Angoulême; on y régla entre autres un dif-
férend entre un abbé de Limoges et celui de Vaux (4), mais il est
aussi hors de doute que la question de la vacance des évêchés de
Poitiers et d'Agen y fut agitée.
La solution, en ce qui concerne Poitiers, ne ressort d'actes
authentiques que l'année suivante ; on trouve, en effet, que, le
11 avril 1118, l'évoque de F*oitiers approuva un accord entre l'ab-
baye de Noaillé et celle de Talmond à qui la première avait cédé
ses droits sur l'église d'Avrillé (b). Cet évoque était l'archidiacre
Guillaume Gilbert, que l'on rencontre encore colle même année
1118 au concile d'Angoulême, importante assemblée où se trou-
(1) Cart. de Saml-Ci/prien, p. 2o5 ; « Piclavensi sede orbata prcsule ».
(2) Cart. de Nnyers, p. 5o5. L'abbé Chevalier, éditeur de ce texte, lui a donné à
tort la date de ii3i ; il ne peut être place que vers i'anacc iitô (D. Charnard, Chru-
nol. des vicomtes de Cht)tetleraiilt, p. ?.(), n' ■'<).
(3) Marcheçay, Chron. des é'jl. d'Anjou, p. 42O, S.iiat-Maixeat.
(l\) Urasiiier, Cari, i/iéd. de tu Suintonje, p. 10, Vaux.
(5) Arch. de la Vieune, ori'j^., Noaillc, n» i5(); la souscription de révéïjue,* ainsi
coQ<;ue : a Kgo Wi Piclav eps subscripsi », est aulu|ijraphe.
476 LES COMTES DE POITOU
vèrent, sous la présidence du légat Girard, les archevêques de
Tours et d'Auch, les évoques de Bigorre et de Périgueux, et où
furent confirmées les élections de l'archevêque de Tours et de
deux autres évêques, au nombre desquelles était celle d'Aude-
bert, évoque d'Agen (1).
Bien que, pour des raisons politiques, Guillaume eût été re-
levé de son excommunication, le légat n'était pas homme à sup-
porter, sans en tirer vengeance, l'insulte qui lui avait été faite. Il
poussa Vulgrin, fils de Guillaume Taillefer, comte d'Angoulême,
à porter secours à Adémar d'Archiac, que Bardon de Cognac et
Audouin de Barbezieux avaient, d'accord avec le duc d'Aquitaine,
dépouillé de son château d'Archiac; malgré l'opposition du duc,
Vulgrin s'empara du château, puis, poursuivant ses succès, il remit
de vive force la main sur la baronnie de Matha, que son père, au
temps où il avait été fait prisonnier, avait dû abandonner pour
obtenir sa liberté. Girard n'avait pas seulement aidé Vulgrin de
ses conseils, il lui avait aussi apporté un concours effectif et il se
mit campagne pour le réconcilier avec Adémar de la Rochefou-
cauld, contre qui il marchait à la tête d'un corps de mille
hommes; il y réussit si bien que Vulgrin, étant devenu peu après
comte d'Angoulême par suite de la mort de son frère advenue en
Allemagne en 1120, alors qu'il revenait de la Terre-Sainte,
donna à Adémar, pour l'attacher à sa fortune, le château de
Chabanais et Confolens avec leurs dépendances féodales (2).
Tout entier à sa passion pour le métier des armes, le comte de
Poitou s'engageait ainsi dans une foule d'affaires où ses intérêts
directs n'étaient nullement en jeu, et, comme on le voit, les avan-
tages n'étaient pas toujours de son côté. Il avait un entourage,
on ne saurait dire une cour, formé de compagnons d'armes, pour-
vus d'un esprit batailleur et aventureux comme le sien, et qui ne
(i) Arch.hisl, du Poitou, II, p. aS, chart. poit. de Saint-Florent. Cette assemblée
dut se tenir au mois de Février ou de mars : c'est ce qui semble résulter d'un passante
de la chronique de Saint-Maixent, où il est dit (p. 4^7) que, le 3 mars. Robert, évêque
de Quimper, procéda à la consécration de l'église de Satnt-Symphorien de Romans, et
que, le njmars, Etienne, évéque de Clermont, bénit l'autel de saint Etienne dans l'église
de l'abbajre ; la présence simultanée de ces deux évoques à Saint-Maixent nous paraît
indiquer qu'ils se rendaient au concile ou qu'ils en revenaient.
(2) Hist. pontif. et coin. Engolism,, p. 4».
GUILLAUME LZ JEL^NE 477
Irouraienl noUement repréhensible «on union publique avec Mau-
bergeoninF. Mais, par contre, Guillaume «e déàintéressait des
affaires publiques el en particulier des cho?«?9 religieuses qui
tenaient toujours en éveil les esprits cuUiré> de l'époque, ceux-là
dont l'action avait généralement le plus d'intluenco sur les masses.
On ne le rencontre nulle part et en particulier au\ grandes assem-
blées conciliaires, même à celles on étaient traitées des questions
qui entraient dans ses goùls. .\insi. au mois de février 1118. il ne
se rendit pas au concile de Toulouse où fut décidée une croisade
contre les infidèles d'Espagne. Les .Vlmoravides. battus par Al-
fonsele Batailleur, avaient repris rigoureusement l'offensive et
cherchaient à délivrer Saragosse que menaçaient les troupes du roi
d'Aragon. Celui-ci fit appel à l'esprit d'aventure des cheraliers
français, qui. du reste. trouvaient toujours un profit à retirer de la
conquête des riches cités maures. .\ défaut du comte de Toulouse.
plusieurs de ses vassaux prirent la croix, et en particulier Ber-
nard-Aton, le vicomte de Béziers. qui, le 7 mai 1 H S. fit son tes-
tament avant de partir pour la campagne qui se termina au mois
de décembre suivant par la prise de Saragosse il '.
Néanmoins, le comte dut se réveiller de son apathie pour s'oc-
cuper de ce qui le touchait de près. Soit que la trêve qu'il avait
conclue avec le sire de Lusignanet ses adhérents fût expirée, soit
plutôt qu'il ait été contraint de mettre fin aune hostilité latente et
dangereuse, il reprit la lutte contre ses anciens adversaires ; le
9 août il les battit el fit prisonnier Simon de Parlhenay avec
nombre d'autres guerriers f'2>
Par suite de ces dissensions, le pays était dans un état de trou-
ble extrême. On voit par exemple Geoffroy d»* Vendôme déclarer
à l'évêque d'Angoulême, qui avait réclamé sa visil»*, qu'il n'ose, à
l'occasion des guerres qui désolent le Poitou, ?e rendre auprès
de lui ou visiter les obédiences dépendant de son abijaye, tant
les routes sont peu sûres. C'est ainsi qu'il s'était entendu avec
Tévêquede Poitiers qui devait, lors de la fête de l'Assomption,
se rencontrer avec lui à Fonlevrault et lui apporter un sauf-
conduit, mais l'évêque ne vnl pas au rendez-vous, el Geof-
(1, Fj. Vaiiselc. //<>/• 'It L'm'jn'.lf^., n ouv. «J., III. pp. 'VîS-Ojj.
1) Marcbeçay. Ckron. det ijl. lï Anjou, p. 427, Saiot-Maiienl.
47» LES COMTES DE POITOU
froy dut retourner (ïans son monastère de Vendôme sans avoir
pu donner suite à ses projets de voyage. Il racontait môme à son
correspondant qu'il avait des raisons personnelles de redouter
de mauvaises rencontres ; quelque temps auparavant, Pierre de
Moncontour avait surpris des religieux de ses obédiences du
Poitou, qui revenaient de lui rendre visite dans son abbaye; il s'é-
tait emparé de leurs chevaux, de leurs bagages et de leurs per-
sonnes. Geoffroy ayant invoqué la protection du comte Foulques
le Jeune, suzerain du sire de Moncontour, avait bien pu se faire
restituer une partie du butin, mais le surplus était toujours
détenu par les ravisseurs. Du reste, il déclarait en terminant qu'il
avait à se mettre en garde contre les embûches d'une femme,
et, bien qu'il ne nomme pas celle-ci, on ne saurait douter
qu'il s'agissait de Maubergeonne, dont la faveur devait être alors
à son apogée (I). Quant au comte, après les émotions et les fati-
gues de la guerre, il se délassait par celles de la chasse.
Au printemps de 1 1 19 il se trouvait dans ses domaines du Tal-
mondais en compagnie de son fils, le jeune Guillaume, et de son
frère Hugues(2). Là il rencontra Marc, abbé de Monlierneuf, qui,
assisté de Durand, prieur de Sainl-Nicolas de Poitiers, élait venu
visiter le monastère de Jard que l'abbaye avait fondé dans cette
région, et dont le patrimoine avait été constitué par des donations
de Guy-Geoffroy et de sa femme Audéarde. Celle-ci, bien après la
mort de son mari, vers H03, se trouvant dans l'oratoire de Mon-
lierneuf, avait, en présence de son neveu Henri, prieur de Cluny,
concédé aux moines toutes les métairies qu'elle possédait à Jard
et que son mari lui avait abandonnées pour son douaire (c'était
(i) Migne, Patrof.lat.y CLVII, col. 65-G9.
(2) La présence certaine du fils de Guillaume le Jeune auprès rie son père en iiig
permet de réduire k néant les assertions de l'historien anglais, Raoul de Dicet,
qui raconte {Rec. des hist. de France^ XIII, p. 729) que le jeune prince, à l'âge de
dix-sept ans, outré de l'injure que le duc faisait à sa mère par sa liaison publique avec
Maubergeonne, «. Amalbcrgcon »,sc serait révolté contre lui et qu'une lutte, qui aurait
duré sept années, se serait engagée, au grand dommage de l'Aquitaine, entre le père
et le fils, et ne se serait terminée que par la capture de ce dernier. La révolte du jeune
Guillaumeauraitdonc eu lieu en 1 1 12 ; or, à cette date,il ne comptait que treize ans et
Philippic n'était pas encore séparée de son mari. D'autre part, si l'on compte les sept
années de guerre à partir des dix-sept ans du jeune Guillaume, qui ne les atteignit
qu'en 1 1 16, la charte de 1 1 ig dont il va être parlé et d'autres documents postérieurs
infligent un démenti formel à Raoul de Dicet.
GUILLAUME LE JEUNE 479
toujours le Talmondais et les domaines du Bas-Poitou qui rece-
vaient celle affectation), et, dès l'instant, elle les avait investis
des dîmes de toute nature qui se percevaient sur ces terres ;
Guillaume, sur les instances de Tabbé, renouvela la donation du
domaine avec son église de Saint-Nicolas, ainsi que celle des dî-
mes qui avaient été concédées à part (1).
Pendant que le comte de Poitou se livrait aux plaisirs de la
chasse avec ses compagnons ordinaires, il se passait dans le
Midi, que Guillaume négligeait totalement depuis le départ de
Philippie, des événements qui eurent sur l'avenir une répercus-
sion défavorable à ses intérêts. Après la mort du pape Gélase H,
successeur de Pascal H, les cardinaux avaient élu pape, le 2 février
1119, Guy de Bourgogne, archevêque de Vienne. Celui-ci, qui
prit le nom de Calixte H, se trouvait alors à Cluny ; au lieu de se
rendre aussitôt à Bome, il résolut de faire un voyage en France
afin d'y fortifier la prépondérance du Saint-Siège et d'y trouver
des soutiens contre les empereurs d' Allemagne, les ennemis per-
pétuels de la papauté.
De Vienne, où il se rendit d'abord, il passa en Auvergne et
arriva à Saint-Gilles, où il est à croire qu'il eut une entrevue
avec Alfonse, le comte dépossédé de Toulouse ; de là il se di-
rigea sur Béziers où il put voir Bernard-Aton, et enfin vers Tou-
louse où, le 8 juillet, il présida un concile dans lequel il an-
nonça pour le 20 octobre suivant la tenue d'une assemblée extra-
ordinaire à Beims. ïl fit dans celte ville un assez long séjour, puis
se rendit à Périgueux, à Angoulême, où il se rencontra avec
l'évêque Girard, qui avait d'abord hésité à reconnaître son élec-
tion apostolique, mais à qui, après celte entrevue, il conserva ses
pouvoirs de légat. De là il vint à Poitiers, qu'il avait déjà visité en
1096, dans la suite du pape Urbain II,alors qu'il était déjà archevê-
que de Vienne. 11 y reçut les plaintes des établissements religieux
de la région opprimés par leurs voisins séculiers, et en particulier
cellesdu chapitre de Saint-Hilaire (2), il confirma l'abbaye de Notre-
Dame de Saintes et celle de la Trinité de Poitiers dans leurs pos-
(i) Besly, Hist. des comtes, preuves, p. 430; D. Fonteneau, XIX, pp. m et 149.
(2) Rédet, Doc. poar Saînt-Hilaire, I, p. laC.
48o LES COMTES DE POITOU
sessions (1) et même apposa sa croix au bas de l'acte par lequel
Hervé de Fors donnait aux moines de Montierneuf les moulins
de Souslan et la terre des Pins, en déclarant que si Pierre, fils
d'Hervé, ne ratifiait pas l'acte de son père, il serait excommunié (2).
Le séjour du pape à Poitiers fut 1res court; on y constate sa
présence le 27 et le 28 août, et le 30 on le trouve à Loudun. Use
dirigeait sur Fontevrault, à la demande expresse de l'évêque de
Poitiers qui était, on le sait, l'un des plus fervents adeptes duréfor-
mateur.Calixte déposa dans l'autel de l'abbaye, dont il fitlui-même
la consécration, les reliques de cinq martyrs renfermées dans son
trésor et qu'il transportait avec lui pour donner plus d'autorité,
selon l'usage, aux assemblées religieuses qu'il pouvait avoir à tenir.
C'était le 31 août ; le lendemain, il approuva, dans l'assemblée des
religieuxeldes religieuses qui composaient l'ensemble du monas-
tère, les règles que leur fondateur leur avait données (3).
Le duc d'Aquitaine laissa sortir le pape de ses étuis sans être
venu le saluer, bien qu'il y eût entre eux des liens de parenté
fort proches, car ils étaient cousins germains, descendant l'un et
l'autre d'Othon-Guiilaume, comte de Bourgogne, et de sa femme
Ermenlrude. Si Guillaume ne fit rien pour s'approcher de Calixte,
il est à croire que celui-ci ne tenta aucune démarche pour se ren-
contrer avec son cousin. La liaison publique de celui-ci avec la
vicomtesse de Châtellerault rendait la situation par trop délicate,
et, d'autre part, le pape avait dû recevoir dans le Midi des confi-
dences ou à tout le moins apercevoir certains signes précurseurs
d'événements graves, sur lesquels il pouvait désirer ne pas avoir
h s'entretenir avec le duc d'Aquitaine. Il est possible que ce der-
nier se soit tenu pendant ce temps à Bordeaux, que le pape avait
évité, en choisissant pour se rendre à Poitiers la route de Péri-
gueux et Angoulême.
En quittant le Poitou, le pape s'était dirigé sur Angers, Tours,
Orléans et Paris, et enfin arriva le 18 octobre à Reims pour la
tenue du concile, qui s'ouvrit le surlendemain. A cette réunion
solennelle se trouvaient quinze archevêques, plus de deux cents
(i) Cart. de Notre-Dame de Saintes, p. ii; D. Fonteneau, XXVII, p. 67.
(2) Arch. de la Vienne, orig., Montierneuf, n» 3o.
(3) U. Kobert, Ilist. de Caliœle II, p. 58; Catalogue des actes, pp. 2ta et aaS.
*
GUIIXAUMK I,K JEUNE
évoques el un ooinbro immense d'abbés et do clercs. A peine
Louis le Gros, qui assislail au concile avec ses barons, eut-il fini,
le jour de l'ouverture, de faire connaître ses jifriefs contre Henri,
roid'Angletierre,que se pr<^>senla une femme, qui, accompagnée de
ses suivantes, s'avança au milieu de l'assemblée. Là, d'une voix
haute el clairn, et avec une reniarquablo éloquence, elle exposa
sa plainte, que tous écoulèrent avec la plus grande attention. Klle
déclara qu'elle, Audéarde^ u llildej^'ardis », comtesse de Poitou,
avait été abandonnée par son mari, que celui-ci avait donné place
dans sa couche à Maubergeonne, vicomtesse de Chàlellerault, el
elle réclamait juslice. Le pa[)e, «'adressant alors à l'assistance,
demanda si le comle de Poitou, qu'il avait spécialement convoqué
pour répoudre à cette accusaliijn,se trouvait présent; Guillaume,
l'éloquent évoque de Poitiers, se leva aussitôt ainsi que plusieurs
autres évoques et abbés de l',\quilaino; ils présentèrent les excuses
de leur duc, aflirmant qu'il s'élail rais en chemin pour venir au
concile, mais que, tombé malade, il avait dû s'arrêter en route.
Le pape ncciioillil ces l'aisons et il assigna au duc un délai pour
se rendre à la cour pontificale, en suile de quoi il devrait reprendre
sa femme légitime ou serait excommunié pour l'avoir répudiée
sans molif(l).
Il n'est peul-èlre pas hasardeux d'avancer que celte scène
solennelle ne fut réellement qu'une comédie, dont personne n'é-
tait dupe : (aiillaume ne se rendit jamais à Rome, il ne changea
pas son genre de vie el ne fut pas de nouveau excommunié. Quels
étaient donc les dessous de cotte affaire ? Ils consisteraient sim-
plement dans ce fait que la comtesse Andéarde ne pouvait à au-
cun titre faire des réclamations contre laliaison illicite du comte
de Puitim; la mort de Philippio avait rendu celui-ci libre de ses
actions et il n'était pas remarié. Or. c'est en qualité de femme de
Guillaume que son accusatrice s'était présentée devant l'assem-
blée et qu'elle avait dénoncé sa conduite ; pour que les pères du
concile l'aient écoutée avec déférence, il fallait qu'elle put. en ap-
parence du moins, poiler légalement le titre de comtesse de Poi-
tou, puis qu'elle fiil d'un rang élevé, el non pas une personne de
483 LES COMTES DE POITOU
basse extraction, comme quelques hisloriensronlsuppose.il n'exis-
tait à cette époque qu'une seule femme qui pût remplir cette
double condition : c'était Ermengarde, l'épouse d'Alain Fergenl,
duc de Bretagne, depuis longtemps séparé d'elle et qui, quelques
jours avanlTouverturedu concile, s'était éteint dans un couvent;
ce nous semble être un nouveau chapitre à ajouter à sa vie si aven-
tureuse. Confidente de Philippie à Fonlevrault, elle- dut rêver de
reprendre la place de duchesse d'Aquitaine que près de trente
ans auparavant elle n'avait assurément pas quittée de son plein gré,
et, en se présentant en cette qualité devant l'assemblée de Reims,
elle venait hardiment soutenir que les unions,contractées par elle
et par le comte de Poitou depuis leur séparation, étaient illicites.
On ne saurait s'étonner outre mesure de cette prétention, étant
donné le relâchement des liens du mariage à cette époque, mais
il appartenait aussi au pape de ne pas y donner suite^ et c'est ce
qu'il fil. Du reste, l'empressement que mirent Tévêque de Poitiers
et les prélats de l'Aquitaine à faire valoir les excuse^ peu justifiées
de leur duc témoigne plus que toute chose qu'ils étaient les uns
et les autres peu jaloux de passer sous le joug de la fille altière
de Foulques le Réchin et d'Audéarde de Baugency (1).
Quel que soit le dédain que Guillaume ait affiché à l'égard des
revendications de sa première femme, l'affaire fit néanmoins
beaucoup de bruit ; aussi, pour opérer une diversion et se mettre
en garde contre les conséquences qu'elle pourrait avoir, re-
vint-il sur la détermination qu'il avait prise de s'abstenir dans la
guerre engagée par la chrétienté contre les Maures d'Espagne.
Il se croisa donc, et, à la fin de l'année, il s'en fut à la tête de 600
chevaliers se mettre à la disposition d'Alfonse le Batailleur, roi
d'Aragon; au printemps de i 120 l'armée des confédérés continua
la série de ses précédents succès qui furent couronnés le
18 mai par la victoire deCutanda, dans laquelle les Musulmans,
(i) On Desaurait objecter contre l'assiniilation d'Ermenj^arde avec Audéarde ladiffc*
rence qui existe entre ces deux noms ; on sait qu'il était d'un usage fréquent à celte
époque que les femmes fussent désignées par plusieurs noms et particulièrement par
celui de leur mère ; or, Ermengarde était fille d'Audéarde, « Hildegardis », de Bau-
gency, et la femme de Guillaume VII etd'xMain Fergent devait assurément porter ces
deux noms, comme l'avait fait un siècle auparavant la deuxième femme de Foulques
rs'erra (Voy. Port, Dict. de Maine-el-Loife, II, p. Sôg).
GUILLAUME LE JEUNE
^
\
commandés par cinq ou sepl rois, firent une perle énorme (1).
Notons h ce sujet les bons rapports du comte avec Guillaume
Gilberl, évèque de Poitiers à celle époque. Le jour de son dé-
part pour rEspiigtie il se Irouvail dans le palais de l'évêque.où
sans nul douleil était asïiaiiii de solliciteurs; l'un d'eux, nommé
Mon Papol, moine de Monlierneuf, obtint pour son monastère
l'abandon de toutes les coulâmes que le comte possédait à Migné,
à Paclié et dans tout le fief d'Etienne de Migné. Cet acte était le
complément de l'autorisalion que Guillaume, en qualité de sei-
gneur suzerain. avait donné, celle même année, à Ponce, religieuse
de Sainle-rroix, lille d'Etienne de Migné, alors décédé, de vendre
il Marc, abbé de Montierneuf, la moitié des revenus des terres de
Migné et de Paché, qu'elle avait reçue en dot lorsqu'elle était
enirée en religion et qui était tenue en fief du comte (2). Mais
Guillaume, étant sur son dépari, n'avait pas le temps de délivrer la
charte constatant cette concession ; il laissa ce soin à son fils, qui
évidemment resta en Poitou, et l'acte que celui-ci fit rédiger
nous apprend qu'auprès du comte se trouvaient alors Guillaume,
son cbapelain,le chevalier Simon de Taunay; llaoulde Crèvecœur,
Marin, prévôt de Poitiers, et Foulques Martin (3).
A son retour il s'arrêta à Bayonne. Le vicomte de Labourd,
Garcie-Sanche, qui l'avail accompagné dans sa campagne, possé-
dait une moitié de la cité ; l'autre avait été abandonnée par le vi-
comte Fortin-Sanche à révèqueBeinardd'Aslarac. Pour doaaer
(i) Besly, f/îtt. des comie*, preuves, pp. 4^4 *t437; Marchriçay, Chron. des
éffl. d'Anjou, p. ^ïî^i Siiinl-Maixenl ; /iec. </t's hisl. de France, XII, pp. 119 el
4t3. Selon la chroQÛjae de Saial-IVInixent les chrétferis auraieal lue aux rnusulnians
15,000 hommes, auraieal fail une quaolité innombrable de captifs, pris 2,000 cha-
meaux ainsi qu'uu très s^rand nornbrf: d'itutres animaux, et enlin :ie seraient emparés
de plusieurs places ferles.
{2) Arch. do la Vienne, orig., Moallcrneuf, u" 3a bis. D. Fonlsneau donne (XIX,
p. i03) une cote inexacte à celle pièce quand il y voit une donation faite par Etienne de
Miçné. L'acquisition du domaine de Mi^^né fut pendant lonçlemps une des préoccupa-
tions des relii^ieux de Monliemeuf. Il leur avait été contesté parles moiucs de Bour»
g^ueil, et l'alTaJre a«ail été portée au concile de Reims, qui reconnut les droits de .Mon-
liemeuf; 1.1 sentence rendue ù celle occasion avait été successivement confirmée par
les Ici^ats, Pierre de Léon, carilinal-prêtre,el Gré^çoire de Saint Aope, cardinal -diacre
(Arch. de la Vienne, oriç. , Monticrneuf, n-" 36), par Girard, évèque d'Angoulénie,
aussi en sa qualité de léi^nt (Arch. de la Vienne, oriç., Montierneuf, n' Sy), el enfin
par i'évèque de Poitiers, qui donna aux relig'ieux l'invcsiilure de l'éif^lisc de Miçnë
(Arch. de la Vienne, orig., Monliemeuf, n" 38; D. Fonleneau, XL\, p. 1O7).
(3) Arch. de la Vienne, ori'ç., Montiçrneuf, n- 35.
484
LES COMTKS DE POITOU
plus de valeur à la possession du vicomte, Goîllaume créa sur son
territoire, au confluent de la Nive et de rAdour,un lieu de refuge
qui fut relié par un pont à l'ancienne ville ; puis, afin d'y attirer
des habitants, il déclara que les gens qui viendraient résider dans
ce bourg neuf y jouiraient d'une liberté pléiiière. Celte largesse
transforma rapidement ce refuge de pêcheurs et y opéra cette
métamorphose que l'on verra se produire quelques années plus
lard dans la bourgade de la Rochelle (1).
La grande faveur accordée par le duc au vicomle de Labourd
ne fut pas isolée, elle devait avoir son pendant. L'évèque de
Uayonne, Raymond de .Marires, réclama tout d'abord la conlir-
matiun de l'accord intervenu entre son prédécesseur et celui du
vicomte; Guillaume leralKiaet renonça en même temps, aussi bien
pour hii que pour ses successeurs, à toutes prétentions sur l'église
de Rayonne. Il fit en outre abandon, aux sujets de l'évèque, du
padouan uu droil de vaine pâlure sur les terres cultivées ou in-
cultes sises en dehors desmursjes autorisa à construiredesgran-
ges en ces lieux ou à mettre les terres en culture, et pareille-
ment à établir sans aucun empêchement des pêcheries dans la mer
ou dans les eaux douces et à édifier des moulins. Cette large
concession fut édictée pendant un arrêt que le duc fit à Saint-
Sever, en présence de nombreux barons du pays et de quelques
Poitevins ou Saititongeais, tels que Hugues Tireuii, Geoffroy de
Rocheforl, Aymar d'Archiac et Bardon de Cognac; pour garanlie
de l'acte, Guillaume toucha l'évèque avec son gant (2).
Mais pendant que Guillaume guerroyait en Espagne et augmen-
tait sa renommée de vaillant el habile guerrier, des mouvements
latents agitaient ses états du Midi. Alfonse-Jourdain y avait con-
servé de nombreux partisans, spécialement dans les rangs du
clergé, toutefois, tant que vécut IMiilippieJa descendante el l'héri-
lière légale des anciens comtes, à qui ta pluparl desseigneurs et des
évoques avaient donné leur foi, les uns et les autres se conformèrent
à leurs engagements. La situation changea après sa mort ; beaucoup
ne se crurent plus tenus à la même liilétité envers le duc d'Aqui-
(i) Giry, Etabliaeinents de linueii, I, pp. io3 el ss. ; Balasque et Dulaur^ns,
Etinics hisl. sur la ville (U /iiii/onni:, l, p. f\tS.
[2) Monlezuo, //ist. de ta Gascogne, preuves, VI, j). 3tji.
GUILLAUME LE JEUNE 485
taine ou son fils, et les plus ardents se mirent dès lors en mouve-
ment. Le plus habile, sinon le plusénergiquede leurs adversaires,
fut Arnaud de Levezon, évoque de Béziers. Ce prélat comprit qu'au
lieu d'attaquer directement le comte dans le centre de son autorité,
c'est-à-dire à Toulouse, où ne manqueraient pas d'accourir aussi-
tôt les seigneurs qui lui seraient restés fidèles, il fallait créer à
ceux-ci des difficultés de façon que, préoccupés de leurs propres
affaires, ils se trouvassent fort gênés pour porter aide h leur
suzerain. Dans ce but, il souleva contre Bernard-Aton, avec qui
du reste il vivait en mauvais termes, les habitants de Carcassonne;
ceux-ci, qui ne dépendaient du vicomte de Béziers que depuis
1083, chassèrent de leur ville, dans un mouvement populaire, le
24 août 1120, la garnison qu'il y avait mise, et à partir de ce
jour se gouvernèrent eux-mêmes en communauté indépen-
dante (1).
Toutefois ces embarras ne pouvaient être suffisants pour empê-
cher Bernard-Alon de secourir le comte de Poitou, aussi deux
autres partisans d'Alfonse, Amel,évêque de Toulouse, et Bernard,
évêque d'Albi, furent-ils plus hardis qu'Arnaud de Levezon et,
employant des moyens que la situation de ce dernier à l'égard
de Bernard-Aton ne pouvait lui permettire, négocièrent-ils un
accord entre Alfonse et le vicomte de Béziers. Ce dernier pouvait
redouter que le comte de Barcelone, à qui quarante ans aupa-
ravant il avait enlevé Carcassonne, ne cherchât à reprendre cette
ville, aussi avait-il tout intérêt à s'assurer un appui contre cet
adversaire possible ; c'est ce que lui offrirent les deux négocia-
teurs. Le comte et le vicomte s'abouchèrent donc un beau jour
et, sans que Bernard-Aton ait pris d'autre engagement à l'égard
d'Alfonse que sa reconnaissance implicite comme comte de
Toulouse, ce dernier, employant à l'égard du vicomte de Béziers
les paroles de sauvegarde de la comtesse Philippie, déclara que
jamais il ne lui ferait aucun tort, lui promettant de ne pas mettre
la main sur Carcassonne ou sur toute autre place qu'il possé-
dait, et s'engageant à lui venir en aide, le cas échéant, contre
les comtes de Poitou et de Barcelone et leurs enfants (2).
(i) D. Vaissele, //ist. de Languedoc, nouv. éd., IV, col. 220.
(2) D. Vaissele, Hist. de Lanyuedoc, nouv. éd., V, preuves, col. 907.
486 LES COMTES DK POITOU
Cette défeclion rendait 1res critique la position de Guillaume;
il possédait bien dans Toulouse même le château Narbonnais,
la citadelle de la ville, occupée par une forte garnison sous le
commandement d'un vaillant guerrier du Périgord, Guillaume de
Montmoreau, mais la cité, à l'exemple de son évêque, recon-
naissait l'autorité d'Alfonse-Jourdain(l).llest constant que dès le
premier jour le clergé] toulousain tourna le dosau comte de Poitou,
aussi dut-il chercher à opposer à ses adversaires des armes de
même nature que les leurs. Il s'attaqua d'abord aux suiïragants
de l'archevêque de Narbonne, mais ceux-ci ne se laissèrent pas
entamer et le comle dut se rabattre sur les prélats qui, placés sur
ses frontières, pouvaient lui apporter une aide encore assez effi-
cace. Tel était le cas pour l'évêque d'Agen, dont le territoire s'é-
tendait jusqu'au confluent du Tarn et de la Garonne, à moins de
vingt lieues de Toulouse. Son. père et lui-même avaient donné à
l'évêque Simon, en récompense de ses services, toute l'autorité à
laquelle ils avaient droit en qualité de comtes du pays. Il renou-
vela cet abandon en faveur d'Audebert, le successeur de Simon,
et, dans l'acte qui le monumentait, s'adressant aux peuples de la
contrée, il les adjurait de se maintenir fidèles vassaux de l'évêque
et de s'opposer à toute tentative qui serait faite contre son auto-
rité ; il insistait même spécialement sur la transmission qu'il
faisait à l'évêque des droits de souveraine justice, qui sont l'apa-
nage des comtes, et de la fabrication de la monnaie que le pré-
lat pourrait émettre quand et comme il lui conviendrait (2).
Mais ces mesures, qui avaient aussi pour objet d'arrêter toutes
les prétentions des comtes de Toulouse sur rAgenais,ne pouvaient
suffire, il fallait une action virile, et on se demande comment
Guillaume put laisser s'étendre comme une tache d'huile la dé-
safiection des populations du Midi à son égard ? Bien que son
expédition d'Espagne eût dû lui rapporter des sommes considé-
rables provenant des dépouilles des vaincus, il ne s'était guère
enrichi et, ce qui le prouve, c'est qu'à peine de retour, au mois de
novembre, il procéda à une nouvelle altération des monnaies ;
mais ce procédé, renouvelé à des intervalles si rapprochés, finis-
(i) D. Vaissete, Hist. de Languedoc, nouv. éd., IV, col. 220.
(2) Gallia Christ., Il, instr., col. 4^9.
GUILLAUME LE JEUNE 487
sait par perdre de son efficacilô, et il amena un décri absolu de
la monnaie poitevine. On en trouve la preuve dans les transac-
tions de l'époque où l'on voit apparaître, et devenir de jour en
jour plus fréquente, la stipulation de paiements en monnaie
angevine ; tout d'abord, comme dans la vente de Migné à Mon-
tierneuf de cette année 1120, il est spécifié que les paiements
se feront par égale portion en monnaie poitevine et en monnaie
angevine, mais peu à peu celte dernière, qui avait conservé sa
valeur réelle, finit par prévaloir, si bien que dans les contrats
il n'est bientôt plus question que de sous angevins (1).
Le résultat cherché n'ayant assurément pas répondu à l'espoir
de Guillaume, celui-ci dut s'inquiéter de trouver par ailleurs de
nouvelles ressources. Il tenait toujours Simon de Parlhenay en
prison; moyennant une grosse rançon il lui rendit la liberté (2).
Il aurai! peut-être alors pu tenter contre les Toulousains une expé-
dition sérieuse lorsque, dans le courantde l'année il 21 , il fut arrêté
par une affaire imprévue qui mettait en péril l'exercice de ses droits
souverains. L'évêque de Clermont,Aimeri, ancien abbé de la Chaise-
Dieu, chassé de sa ville épiscopale par le comte Guillaume d'Au-
vergne^ au lieu de s'adresser au duc d'Aquitaine, suzerain de ce
dernier, avait porté ses doléances au roi de France. Louis le Gros,
heureux de pouvoir affirmer la suprématie de l'autorité royale,
somma le comte d'Auvergne de cesser ses agissements; celui-ci
n'ayant pas obtempéré à cet ordre, Louis réunit à Bourges une
nombreuse armée,danslaquelleon comptait entre autres les comtes
d'Anjou, de Bretagne et de Nevers. Pont-du-Château, une des
principales forteresses du comte d'Auvergne, se rendit aux trou-
pes royales et lui-même, laissé sans secours, dut restituer à l'é-
vêque de Clermont sa cité épiscopale et donner des otages en ga-
rantie de l'exécution de l'accord qui intervint entre eux (3). C'était
au duc d'Aquitaine qu'appartenait dans la circonstance le rôle de
(i) C'est le contraire de ce que l'on cooslate au commeacement du siècle, après la
mort de Guillaume le Grand. La monnaie poitevine était alors si considérée que, dans
de nombreux actes passés en Anjou, concernant l'abbaye de la Trinité de Vendôme,
les transactions sont stipulées en livres ou en sous poitevins. (Métais, Cart. de la Tri-
nité de Vendôme, I, pp. 22 et i36.)
(2) .Marchegay, Chron. desérjl. d'Anjou^ pp. 429 et 43o, Saint-Maixeot.
(3) Suger, Vie de Louis le Gros, p, 106.
488 LES COMTES DE POITOU
justicier que le roi avait usurpé el il esl évident qu'il se trouva dans
rimpossibilité de s'y opposer.
C'est encore durant cette année 1 121 que Guillaume fit épouser
à son fils aîné la propre fille de Maubergeonne, dont l'ascendant
sur lui persistait toujours ; de cette union naquit l'année sui-
vante la célèbre Aliéner (1). 11 est possible que ce mariage ne
se soit pas accompli sans difficullé et que cette afTaire, aussi bien
que celle d'Auvergne, ait détourné le comte de Poitou de s'oc-
cuper énergiquement de la révolte des seigneurs du Midi contre
son autorité. Pendant ce temps, celle-ci s'accentua et prit plus de
consistance. Bien que le pape Calixte ne donnât, au 22 avril 1 122,
d'autre qualité à Alfonse-Jourdain que celle de comte de Saint-
Gilles (2), des grands seigneurs du pays, tels que le vicomte de Foix,
le reconnaissaient publiquement comme comte de Toulouse (3).
Au même moment Guillaume se dirigeait vers le pays soulevé par
le Bas-Limousin et l'évêché de Cahors. Le 31 mars, il se trou-
vait au Puy-d'Arnac, près de Beaulieu, el y confirma l'abbé de
la Chaise-Dieu dans la possession de l'église de Sainle-Livrade
sur le Lot que ce dernier avait reçue d'Audeberl, évêque d'Agen.
Parmi les personnages notables qui ce jour entouraient le comte
on remarque Euslorge, évêque de Limoges, B§ioul, abbé de Noaillé,
el Aimeri, évêque de Clermont. La présence de ce dernier esl assez
énigmatique et tendrait à faire supposer qu'après avoir obtenu du
roi de France le secours qu'il aurait sollicité il serait venu faire sa
paix avec le comte de Poitou (4).
(i) C'est seulement par la connaissance de l'âge qu'avait Aliéner à son décès que
l'on a pu établir l'époque de sa naissance et incidemment celle du mariage de ses
parents, dont il n'est pas question dans les chroniqueurs; comme en 1204 elle avait
quatre-vingt-deux ans, elle était par suite née en 1122.
(2) D. Vaissete, Hist. de Languedoc, nouv. éd., V, preuves, col. 901.
(3} On connaît deux chartes de Ro^er II, comte de Foix, en faveur de l'abbaye du
Lézat, datées l'une et l'autre du mois de mars iiai, que D. Vaissete [Hist. de Lan-
guedoc, nouv. éd. , V, col. 890-897), nous parait avoir justement rapportées à l'année
1 122 ; Pierre Amel de .Moressac reconnaît aussi.au mois de novembre 1 122, l'autorité du
comte Alfonse [Item., col. 90G), enfin dans un acte de cette année 1122, par lequel
Aimeri, prieur de Bragairac au diocèse de Toulouse, déclare se soumettre à l'autorité
de Pélronille, abbessedeFontevraulIjil est dit qu'en ce temps Louis était roi de France,
Guillaume, duc d'Aquitaine, et Alfonse, comte de Toulouse {Gall. Christ., I, p. 682;
D, Vaissete, Hist. de Languedoc, nouv. éd., III, p. 654).
(4) Gallia Christ., II, iostr., col. 429; dans le même volume (instr., col. 176) se
trouve un abrégé de cet acte qui porte la date du 22 mars 1 122 au lieu du 3i. Il résulte
de celte différence dans l'indication du jour que, sijie rédacteur de l'acte faisait com-
GUILLAUME LK JRINE
I) est probablo que Guillaume! se dirigerait de façon h joindre
ses forces à colles de deux alliés qu'il avait fini par reernler h l'est
du Toulousain. L'un éluil le comte de Barcelone, qui, ainsi que
le redoutait tiernard-Aton. s'était mis en campagne pour repren-
dre Carcassonne, et Tautre t'iail Aimeri, le vicomte de Nar-
bonne, frère utérin du comte de Barcelone. Ce vicomte avait en
particulier à lulter contre le l'nuj^ueux partisan d'Alfonse, Arnaud
de Lcvezon,qui avait su en 1 121 se faire pourvoir de rarchevêché
de Narbonne et avait, comme à Uéziers, engagé une lutte violente
avec le seigneur laïque de sa résidence épiscopalc (1). La campa-
gne s'acheva sans amener aucun résultat notable; les belligérants
se tirent nalurellement le plus de mal possible, mais tout se borna
au ravage du plat-pays, à la prise de quelques châteaux-forts.
Devant cet insuccès les adversaires du comte de Poitou redoublè-
rent leurs cflbrls,qui aboutirent enfin aune opération décisive,
la prise du chAtcau Narbonnais-
Ce résultat fut une des conséquences du danger imminent que
courut Alfonse-Jourdain. Le prétendant n'était encore ûgé que
de vingt ans, et il ne semble pas que ses conseillers, ceux-là qui
dirigeaient ses actions, l'oient amené à Toulouse, dont le'séjour,
par suite de l'occupation de sa forteresse par les Poitevins, était
toujours périlleux. Il avait continué à résider à Saint-Gilles ou
dans les châteaux de la région. Dans le courant de Tannée 1 123,
le comte de Barcelone et le vicomte de Narbonne, las de guer-
royer sans résultat, avaient fait une pointe hardie du côté de la
Provence eltenaienl Atfouse-.loiirdain assiégé dans Orange. Peul-
êlre Ouitlaume de Munlmoceau avail-il diminué l'efTectifdc la
garnison qu'il commandait pour ajouter quelques forces à celles
des deux adversaires d'Alfonse; mal lui en aurait pris, car^ pro-
fitant de l'occasion, les Toulousains nuraientobligé le gouverneur
du château Narbonnais fi capituler. Après ce succès, libres de
leurs mouvements, ils se dirigèrent en toute hàle vers Orange,
mencer l'anoée à Piiquea, celle fêle clanl Inmlido le afi mars en i ii'z el le i5 avril en
II23, il sVn suivrait que le 3i mars peul aussi l>icn apparlcnir ù l'année 1122 qu'.^
l'anoée iii'3, tandis que le 22 mars serait srtrenient de l'année ti23. Il se pourrait
donc que la campat^ne du comlc d<» Poilnu ne se serait faite qu'en relie année i n3.
(j) l>. Vaissele, //ist. de Lnnjnetioc, nouv. éd. ,111, p. Oô^jCl V, preuves.col. goj).
490 LES COMTES DE POITOU
contraignireni le comte de Barcelone à se retirer et ramenè-
rent en triomphe leur jeune comte dans sa capitale (1).
L'héritage de Philippie était perdu pour les siens et l'on ne
signale plus de retour offensif de Guillaume vers ces régions où
ses alliés continuèrent encore la lutte pendant quelque temps ;
celle-ci se termina, le 16 septembre 11 25, par un accord intervenu
entre Raymond de Barcelone et Douce, sa femme, d'une part,
et Alfonse de Toulouse, alors marié avec Faydide d'Uzès, d'autre
part, en vertu duquel ils se partagèrent la Provence, principale
cause de leurs dissentiments : la partie située au nord de la Du-
rance fut attribuée au comte de Toulouse, la partie sud devint la
propriété du comte de Barcelone (2).
L'effort qu'avait tenté Guillaume en 1122n'avait paseudesuite,
peut être même son insuccès avait-il eu pour cause l'insufiisance
des ressources armées dont le comte avait pu disposer. Il avait dû
laisser en Poitou ses meilleurs chevaliers pour lutter contre
certains de ses vassaux dont le rôle normal consistait à êlre tou-
jours en état de rébellion. La mort de Simon de Parlhenay,
arrivée subitement dans le courant de l'année 1121, avait ouvert
une nouvelle succession; tout porte à croire qu'après qu'il eût
obtenu sa libération, moyennant le versement d'une forte rançon,
son trésor était avide et que ses héritiers se trouvèrent difficile-
ment en état de payer h. leur tour au comte de Poitou le rachat
qu'il dut exiger d'eux. Aussi Guillaume, le fils de Simon, se
résolut-il à tenter le sort des armes, mais moins heureux que
son père, qui, en semblable occurrence, avait contraint le comte
de Poitou à signer une longue trêve, sa forteresse de Parlhenay
tomba. le 30 mars 11 22^ entre les mains des guerriers du comte;
quant à lui et à sa mère Impéria ils purent s'échapper à temps
et furent prendre asile, d'abord auprès de Geoffroy de Rançon à
Vouvant, puis de Jean de Beaumont h Bressuire(3).
(i) D. Vjiissele, //t.v/. de Languedoc, nonv. éd., III, p. 654, et IV, p. *2o; Gallia
Christ., I, instr., col. i32. La réductioo de Toulouse et sa prise de possessioo
par Altbiise sont formcllemeat indiquées dans la relation d'un plaid tenu eu 1 123 (D.
Vaissele, ffist. de Languedoc, nouv. éd., V, col. 906).
(2) D. Vaissele, f/ist. de Languedoc, nouv. éd., V, preuves, col. gSS.
(3) Marchegay, Chron. des égl. d'Anjou, p. 43o, Saint-Maixent ; Arcli. de Maioe-
el-Loire, s^rand cartul.dc Fonlcvrault, chartes nos 779-780; Mém. de la Soc. de tta-
tittique des Deux-Sèures, 2* série, XIV, pp. 285-286.
GUILLAUME LR JEUNR
49*
Peut-êlre est-ce le fils du comle qui se chargea de celte expé-
dition; il est certain qu'il n'avait pas accompagné son père dans
le Midi. Dans le courant de l'été 1122 il se trouvait à Fonle-
vrault où il assista à la donation que Cholard de Mortagne fit, à cette
abbaye, de ceiiaiiies dîmes assises sur ses domaines. L'évêque
de Poitiers, Guillaume Gilbert, rarchidiacre de Ttiouars, Etienne,
ri plusieurs seif^'ni'urs de la région, entre autres Guillaume de
Morlcmer, Gilbert de Loudun, Hugues de Doué, Boreau de l'Ile,
Uaoul d'Argenton. assistèrent à cet acte qui dut précéder de peu
la mort de l'évêque de Poitiers. Celui-ci avait fait le voyage de
Terre-Sainte, puis, au retour, était passé par Home où,Ieomai,
il avait obtenu deux bulU^s du pape Calixte II; l'une plaçait
Tabbaye de la Trinité de Mauléon et (ouïes ses possessions, lon-
guement énumérées dans l'acte, sous la protection immédiate du
Saint-Siège, et l'aulre confirmait les dispositions prises par
Tévèque avant son dépari en faveur du chapitrede sa cathédrale,
à qui il avait donné Thénexay et cinq autres églises pour l'en-
tretien du luminaire (l). Un jour qu'il s'était rendu à Fonte-
vrauit, sa résidence de prédilection Jl y succomba, le 4 août 1123,
la veille des nones, el fut enterré dans l'église du monastère (2).
Le comte de Poitou ne se pressa pas de lui faire donner un
successeur; enfin son choix se fixa sur l'archidiacre Guillaume
Alleaume, « Adalelmus-i , qui fui sacré le r'juin H2i (3).
Le restant de la vie de Guillaume se passa dans l'obscurité el
hien rares sont les faits que l'histoire a cru devoir recueillir. On
sait cependant que Louis le Gros réclama son contingent féodal
dans la guerre qu'il soutenait contre Henri V, empereur d'Alle-
magne, et qu'il se préparait à rejoindre le roi de France, de con-
cert avec les comtes de Bretagne et d'Anjou, lorsque la retraite
de l'empereur, qui commença le 14 août 1124, dispensâtes vas-
saux du roi de s'acquitter de leurs engagements (4).
C'est vers ce temps, peut-être un peu plus tard, que le comte de
(0 U. Robert, Ballaire de Calixte II, II, pp. 38 el 4o; Arch. hist. du Poitou, XX
p. 17, c:irl. de .Mauléon; Arch. de la VieoDe, orîg., chapitre calhédroL i bis (vidi-
nius delauDce 1 323 qui marque h lurt la bulle du pape à l'anuée i ia3 au lieu de iizs;
(a) Be&ly, Evesques de Poicliers, p. 87 ; Clypeaa Fontebrald., Jl, p. 2g.
(3) Marchei^ay, Chrun. deaéyl, d'Anjou, p.43i. Sainl-VIaixeuL
(4) Suger, Vie de Louis U Gros, p. io4.
492 LES COMTES DE POITOU
Poitou eut de nouvelles diffîcuUés avec le comte d'Angoulême. Un
riche seigneur de la région, Jourdain Eschivat, possesseur des
châteaux deChabanais et de Confolens, étant venu à mourir sans
hoirs mâles et ne laissantqu'une fille, cet héritage fut ambitionné
par Aymar delà Rochefoucauld qui déclarait y avoir certains droits
du chef de sa femme. Les prétentions d'Aymar étaient soutenues
par le duc d'Aquitaine, mais Vulgrin, secondé par Robert le
Bourguignon qui aspirait à la main de la fille de Jourdain et par
Aimeri de Rançon, prit possession des châteaux et réussit à les
garder jusqu'au jour où il en fut dépossédé par le duc, grâce à la
connivence des principaux personnages des deux seigneuries.
Pour ne rien omettre d'essentiel, autant que possible, de la vie
de Guillaume, il y a lieu de rappeler une faveur qu'il accorda à
l'abbaye de Sainte-Croix et au chapitre de Sainte-Radegonde de
Poitiers. Ces deux établissements possédaient en commun le
domaine des Fosses, sur lequel les sergents du comte avaient éta-
bli, depuis la mort de Guy-Geoffroy, une redevance spéciale à leur
profil, celle de trois sextiers de froment, sur lesquels le prévôt
s'en attribuait deux, et les forestiers, un seul. Marc, abbé de
Monlierneuf, avec lequel Guillaume avait de fréquents rapports,
se mettant aux lieu et place des possesseurs de la cour des Fosses,
qui n'avaient peut-être pu jusque-là faire valoir leurs réclama-
lions, obtint du comte qu'il réprouvât la conduite de ses agents
et qu'il leur interdît toute exaction h l'avenir. Guillaume et son
fils signèrent l'acte, auquel fut au surplus apposé le sceau du
comte (1).
Le peu de renseignements que l'on possède sur les dernières
années de la vie de Guillaume le Jeune s'explique surtout par ce
(i) D. FoDteneau, XXIV, p. 4-'>. Cet ar.lc, qui n'est pas daté et doit appartenir aux
dernières années de la vie de Guillaume VII, était, dit Besly {/list. des Cointe^^, preu-
ves, p. 438),scellc de cire blanche, en lacs blancs et rougesde cordons de lin, à l'effi-
gie du duc à cheval, l'cpée nue en la main droite et le bouclier en la gauche. Ln
légende devait avoir dès le temps totalement disparu.
Bien qu'elle soit un peu tardive, nous réparons ici une omission, faite dans le cours
du récit de la vie du comte et qui doit se placer après son retour de la croisade. Au
temps de l'évéque de Saintes, Renoul, il établit l'aumôneric de Saint-Gilles de Surgè-
res, ou plutôt la transforma en hôpital; afin de lui permettre de satisfaire à ces char-
ges, il déclara affranchir ses domaines de toutes prestations ou impôts coutumiers et
lui accorda un droit d'usage dans la forêt de Henon (Arch. hist, de la Saintonffe,
VI, p. .0).
GLILLAUME LE JEUNE
493
fail que la tendance générale des esprits les portail à séparer de
plus en plus les choses religieuses de celles de la vie civile. Les
papes, soit directement, soil par renlreiiiise de leurs légats dans
les circonscriptions auxquelles ils les avaient spéciali-menl alTec-
tés, les évèqucs dans les diocèses, s'arrogeaient le droit de régler
leaquestions ecclésiasliques el tout cequ'ils pouvaient yratlaclier,
sans le concours des comles ou des puissanis seigneurs féodaux ;
d'autre part, ces derniers, enlraînés par le mouvemenl violent el
souvent irraisonné qui les puussail vers les choses extérieures et
spécialement vers l'Orient où ils furent établir les royaumes el les
principautés franques de l'Asie-Mineiire, trouvaient de ce côté
un dérivatif à leur activité ; ils ne restaient plus confinés dans leurs
domaines, où les moindres questions de la vie religieuse, qui lou-
chait par tant de côtés à la vie civile, les avaient si longtemps inté-
ressés et, sous l'inlluence de ces préoccupations nouvelles bien
étrangères à celles de leur vie passée, ils laiss*'!rent se produire
cette usurpation contre laquelle la royauté seule vint bien plus
tard réagir, (luillaume était de son temps, el, de plus, son
tempérament le portail à se désintéresser autant que possible
de ce qui ne le touchait pas directement, aussi celte abstention
voulue nous prive-t-e!le de ces renseignements de toutes natures
qu'ont fournis pour ses prédécesseurs les archives des étaijlis-
sements religieux, source d'informations la plusgrande et la plus
sûre dans ces temps reculés.
C'est donc dans des débats obscurs sur lesquels nous n'avons
presque aucune donnée, tels que la prise du chiiteau de Rlaye sur
les Angoumoisins {!], que Guillaume acheva ses jours. H mourut
le 10 février 11 2t), à l'âge de 54 ans, et si»n corps fut mis en sépul-
ture dans le chapitre de l'abbaye de Monlierneuf. En raison des
largesses qu'il leur avait faites et surtout en mémoire de son
père, le fondateur de leur maison, les moines décidèrent que cha-
que année il serait célébré en son honneur un service solennel,
dont ils réglèrent minutieusement les dispositions (2).
(1) Hist. pontif. et com. EngoUsm.. p. 47-
(2) Mari'îie^'ay, Chnm. tlet éijl. d'Anjou : Suinl-Florenl, p. 190, Satul-Maixcnl,
p. 4y« ; Arcb. de la Vifimc, reg. n" 2o5, fo lû^, caleaJriei' de Mcnlterueuf ; Uesly,
//(«/. (tes fomles, pr-uijs, p. iiÔ2, oLituaIre de Saitil-II liirc de la CcMc ; Lcruux,
494 LES COMTES DE POITOU
De son union avec Philippie de Toulouse, Guillaume eut sept
enfants, deux garçons et cinq filles : 1° Guillaume, qui fui son
successeur; 2* Raymond, qui devint prince d'Antioche en H 35
par son mariage avec Constance, la fille de Bocmond, et fut la
lige des comtes de Tripoli, rois de Jérusalem, de Chypre et d'Ar-
ménie (1); 3* Agnès, qui épousa en premières noces, avant H17,
Molioier et Thomas, Doc. hist. concernant la Marche et le Limousin, I, p. 70. La
chronique de Saint-Florent n'indique que l'année, celle de Saînl-Maixcnt donne l'an-
née et le jour, les trois autres textes fixent seulement le jour de la mort de Guil-
laume Vil. La plupart des historiens et pour ne citer que quelques-uns d'entre eux :
L'art de vérifier les dates, Periz, Monnmenta, G. VI, p. 4, Desnoyers, Ann. de la
Soc. de VHist. de France, i855, p. 161, D. Vaissete, Hist. de Langaedoc, nouv. éd.,
III, p. 664, placent la mort du comte en 1127 et non en 1136. Pour la retarder ainsi
d'une année ils se conforment à l'usage généralement suivi, qui reporte les premiers
mois d'une année (avant Pâques ou le 26 mars) du moyen-âge, au compte de l'année
suivante : par suite le 10 février 1126 serait réellement le 10 février 1127. Mais cette
règle comporte des exceptions ; c'est ainsi qu'il est des calendriers de cette époque
qui font commencer l'année à Noël ou à la Circoncision, comme dans le cas présent.
Ce qui le prouve, c'est une charte de l'abbaye de Montierneuf, datée de l'an de l'In-
carnation 1126, indiction iv, qui rapporte que, Guillaume VIII étant absent lors de la
mort de son père, il vint visiter sa sépulture aussitôt son arrivée à Poitiers (Arch. de
la Vienne, orig., Montierneuf, n" 43^ Besly, qui, avant de connaître ce texte, s'était
(irononcé dans un sens contraire {Hist. des comtes, preuves, p. 452), est revenu sur
Ml première appréciation dans le texte même de son Histoire des comtes (p. 128) et
dans le tableau généalogique des comtes de Poitou qui se trouve en tête; il a été suivi
par D. Fonteneau, qui déclare nettement dans la reproduction qu'il donne delà charte
de Montierneuf (XIX, pp. i85 et igi], que l'indication du chiCTre iv pour l'indiction
ne permet pas de s'arrêter à une autre date qu'à l'année 1 126, et par Rédet, dans ses
divers travaux. Nous adoptons la manière de voir de nos devanciers en ajoutant qu'à
la fin du xio siècle les moines de Saint-Florent faisaient partir le commencement de
l'année de Noël ou du i*r janvier,ce qui est corroboré par une charte de cette abbaye
de l'année 1092, dont il a été parlé plus haut (page 898, note i), que les historiens
ont placée |)ar erreur en 1098.
(i) Marchegay, Chron. des égl. d* Anjou, p. 419, Saint-Maixent. Besly, dans son
Histoire des comtes, p. 127, donne à Guillaume VII un troisième fils, qu'il appelle
Uenry et qui aurait été prieur de Cluny. Celte abbaye posséda bien un prieur de ce
nom, mais il vivait vers l'an 1000, et dès le 5 janvier iiu5 il était remplacé par Ber-
nard (Bruel, Charles de Cluny, V, pp. 99, 178, i83); il devint, comme nous le
croyons, abbé de Saint-Jean d'Angély. Neveu de la comtesse Audéarde, il était cousin
et non fils de Guillaume V^II. L'erreur de Besly doit avoir pour cause un passage de
Guillaume de Tyr où il est question d'un personnage du nom d'Henri, qui nous parait
tout à fait imaginaire. L'historien des Croisades raconte qu'après que les barons d'An-
tioche eurent jeté les yeux sur Raymond de Poitiers pour épouser la jeune Constance,
fille du comte Boemond, et succéder à celui-ci dans la principauté, le patriarche eut à
s'inquiéter des visées d'Alix, la veuve de Boemond, qui voulait garder la succession
pour elle-même; afin d'empêcher qu'elle s'opposât à la venue de Ixaytnondà Antioche,il
lui fit accroire que celui-ci venuitpour l'épouser; ayant ensuite démasqué ses batteries,
il lui annonça que cet épouseur serait Henri, le frère de Raymond, et qu'on lui don-
nerait pour domaine deux villes situées sur les bords de la mer.Déçueune fois de plus,
car le prétendu ne parut pas, Alix, après le mariage de sa fille, quitta Antioche et se
joignit aux ennemis de son gendre. Nulle part ailleurs il n'est question de cet Henri,
dans lequel Be!>ly a cru recuaaailre bien à tort le prieur de Cluny. La liste des
(iUll.l.AUME Ll^ JKUNE
49B
Àinaerî V, vicomte de Tliouars, <.'t qui, devenue veuve en if27,
par l'assassinai de ce dernier, se remaria en 11 35 avec Hamire II
dil le Moine, roi d'Aragon ; 4°, rj<», 0" et 7°, quaire Hllns dont on
ignore le sorl(l), La descendance illégitime de Guillaume VII
n'est pas plus connue que celle de ses prédécesseurs (2).
Comme eux, il fut de son vivant pourvu d'un surnom. L'iiahi-
tude qui avait été conlraclée do l'appeler le jeune, <» junior »,
vu l'âge peu avancé où il avait pris le pouvoir, se crntinua pen-
dant toute sa vie; loutcfois, si Ton en croit le chroniqueur
Kaoul de Dicel, une qualification spéciale aurait été ajonlée à son
nom, celle de « facetus ». Ce mol a donné en vieux français
prieurs de eeUe obh.iye, fournie par le (lalliu Christ., l\', col. i i6(i, ne contienl
pas «J'aulrc prieur du nom iJ'HiMirî, ati xii" siècle, que le neveu d'Atiddnrde, L'histo»
rif*n des coiniesde l'oitou rornmel du reste une seconde erreur dans te tableau de Ia
dr<ice[ii!ancc de (■uillziuriie VII. Comme, dans plusieum textes, il avait rcnciialré un
Ourle <rAlicnor d'Aijuilntne, nommé Raoul de Fnvc.il en avait inféré que cette parenté
provenait de l'union de ce persontiaj'e avec une lillc de Guillaume le Jciioe, Inudia
cjii'hu citnlrairo ce lUiuul (Mail le frère de la nièied'Alii'nL^r.vu (|u'il était conunc ccUr-
ci issu de Mauher^eoune, la vicomtesse de ChûlelliTuiill, ain^i qu'il sera éuahli plus
loin.
(t) L'rtbbesse de Noire-Dame de Saintes, Agnès de Barbezicux, qu'Aliénor recon-
naît en ii^i pour sa tante, est prolwhicment une des filles de Guillaume Vil, car il
ai* nous senihle pns que celle aliLesse, qut fui à la lùte du monaslcre de Saintes de
ii34 à tfjf\ nu moiu», puisse ôlrc iili'oliliée nvec Ij» rolii^ieuse du même nom que le
duc, vers 1 1 la. nppelait aussi sa tante {CarLde Nulre-lJame lie Saintes, pp fn et85).
(2) Hicliard de Poiuers(/îec. des/iist. de France, XII, p, ^iS) lui atiribue la pater-
nité de l'enfant phénomène dont la chroniquo de Saint-Maixent rapporte la naii^sance
à Bordeaux en 1117 et qui fut ai^pelc Itrixe (p. /ta7); ruais le dire de l'historien du
XII* siècle semble n'avoir aucun fondenicnt cl ne peut en tout cas» sappuyer sur
le texte du chroni<|ucur de Saiol-Maixcnl, coolemporainde Cet événement, lequel n'en
sou file mol.
Une opinion qui a pris corps au xvi« siècle, et qui est celle de D. Vaissete {Hisl,
de Langnednc, miuv. cil., Kl, p 800), présente comme (lia naturel deGuillatiine l.\,
duc d'Aquitaine, un personnaj^o nommé Ouillaurne de PoJiicrs, qui aurait épousé au
milieu du xii' siècle la comtesse de Die, et de ijui seraient descendus le» comtes de
Valenlinols. D. Vaissete ajoute mt'mc qu'H serait né à Toulouse vers iiiT». mais sans
lournir aucune preuve à l'appui de sa parole; il semble que Ibislorren du Lan<j;iicdoc
a simplement voulu, eti açissanl ainsi, donner un corps à des IctçciiJes foriièes p;«r les
anciens historiens du Dauphiné qui, fort enobarasics pour fournir une expliraliou sur le
nom de Poitiers porte par les couilCiide Valenliuuis, ont idciitilîé Irur comte (luillnuiue
de Poitiers avec un personnage du même nom qui, de 11^3 à i if>A, est frécpiemuienl
mentionne dans les litres du Languedoc. (Voy. J. Chevalier, Méinnires pour servir
à l'histoire de^ comtés de Valentinois et de Dinis, pp. ifi8-i8i.)
Il y a encore lieu de mentioaaer le propos d'un auteur arménien, Grésfoire le Prê-
tre, qui prétend que Baudouin, comte de Mares ou Marascb, aurait été le frère de
Raymond de Poitiers. Celui-ci se serait mèaïc assez mal comporté ù l'éj^ard de son
frère naturel, si l'on en croit l'auteur de i'oraison funèbre de Baudouin, qui lui fait
dire : « Mon père et ma mère m'ont abandonné, mon frèrt; u oublié In tendresse
« (pi'il avait pour moi et que je lui rendais avec tonte la cordialité donl j'étais caps-
• ble ». (Hist. arménient des CroisadeSy I, pp. 1^7 el ai5.)
496 LES COMTES DE POITOU
« facet », qui a pour signification: gracieux, plaisant, courtois,
élégant, ou même simplement facétieux (1). Mais ce surnom n'a
pas été adopté par l'histoire, et il y a lieu de s'en tenir à celui que
lui donnent les textes anciens, cl do le désigner sous le nom de
Guillaume le Jeune, sans s'arrêter aux appellations dont certains
auteurs modernes ont cru devoir le gratifier, et qui n'ont d'autre
fondement que leur façon de le juger (2),
La vie de Guillaume offre de tels contrastes qu'il est naturel
que les appréciations varient beaucoup sur sa personne. Les
seules dont il y ait lieu de tenir compte sont celles qui émanent
de ses contemporains; aussi, afin d'être en mesure de se former
une opinion sur lui, est-il bon de les exposer en entier, après avoir
pris toutefois connaissance de ses actes, comme nous l'avons fait.
La première en date est due à Orderic Vital, qui s'exprime en
ces termes : Le comte de Poitou était brave et loyal, mais excessi-
vement ami du plaisir, et, dans les jeux d'esprit, il surpassait tous
les gens qui font métier d'amuser les autres (3). Guillaume de
Malmesburi, qui vivait peu après, dit de lui que c'était un bouffon
et un homme tellement enclin au mal qu'avant son retour de
Jérusalem il se vautrait dans toutes sortes de vices, ne reconnais-
sant pas l'action de la Providence dans tous les malheurs qui lui
étaient arrivés et mettant tout sur le compte du hasard des cir-
constances. Ne prenant rien au sérieux, il tournait toutes choses
en plaisanteries et amenait forcément le rire sur les lèvres de ses
auditeurs (4). L'historien anglais ne se contente pas de cette
appréciation sévère, il va plus loin et cite des faits. 11 rapporte que
dans un château,c'est-à-dire une locaHté fortifiée, appelé Niort (5),
il construisit une maison ayant l'apparence d'un petit monastère
(i) Raoul de Dicel, Abbrevialtones chronicaram, I, p. 240.
{f) L'Art de vérifier les dates, pp. 717 el 742, l'appelle Guillaume le Vieux ; Pa-
lustre a iiitiluié son étude inachevée sur notre comte: Histoire de Guillaume IX, dit
le Troubadour, duc d'Aquitaine. (Voy. plus haut, paj?e 3S4. note 4-) Ce surnom de
Troubadour appliqué au comte Guillaume VII est assez récent; il ne se rencontre
que dans les écrivains du xix« siècle inspirés par les travaux de Raynouard.
(3) Orderic Vital, Hisi. ecclés., IV, p. 118.
(4) Migne, Patrol. lat., CLXXIX. col. i384, Guill. de Malmesburi.
(5j Niort a dû être une des résidences préférées de Guillaume VII ; c'est ce qui pa-
rait résulter des paroles du troubadour .Marcabrun, qui, écrivant entre 1128 et 1 138,
termine un de ses poèmes en demandant à Dieu le repos pour l'àme du comte et sa
protection pour lePuituu etpuur Niort(/îomon<a,VI,p. i23, Marcabrun parM.Mcyer).
GUILLAUME LE JEUNE
4ô7
OÙ il projetait d'établir une abbaye peupléede femmes de débauche
ayant à leur tôle les plus expertes, lesquelles, à rimitalioti de ce
qui se passait dans les élablissemenfs religieux, auraient été pour-
vues des litres d'abbesse, de prieure et autres dignités (1).
D'autres écrivains, un peu postérieurs, ne le cèdent en rien aux
premiers. Ainsi Geoffroy du Vigeois dit qu'il avait trop l'amour
de la femme et que ce défaut lui fut nuisible pourlaréussite de ses
enlreprise6(2); quant àl'auleur de la vie de Bernard de Tiron, il
déclare que Guillaume était l'ennemi de toute chasteté et de toute
vertu féminine {3). On s'accorde enfin à reconnaître dans sa per-
sonne le héros d'une léîifende du Moyen-Age qui rapportait qu'un
comte de Poitou, ayant voulu se renseigner sur le genre de vie et
la profession qui pouvaient rendre les hommes les plus heureux
sur cette terre, el leur procurer le plus de délices, avait conclu,
après avoir essayé diverses transformations, en faveur des mar-
chands courant les foires, qui, entrant dans une taverne, y trou-
vaient immédiatement toutes les jouissances qu'ils pouvaient
désirer et n'avaient qu'une seule préoccupation, celle d'avoir à
payer en sortant la dépense qu'ils avalent faite (4). Cette conclu-
sion est la pure glorification du matérialisme.
Au xin* siècle, une idée courante s'était formée sur la per-
sonne de Guillaume Vll^ provenant en partie de faits réels, en
partie d'opinions issues de l'interprétation de ses poésies et des
sujets qu'il y avait traités,et on, la plupart du temps, il s'attribue
un rôle actif dans des aventures amoureuses. Voici ce que dit de
lui le plus ancien historien des troubadours, qui vivait h celle épo-
que : Le comte de Poitou fut assurément un des hommes les plus
courtois qu'il y eût aiJ monde et it fut en môme temps un des plus
(i) Dans ces derniers temps, un écrivain a entrepris, dans un article intitulé : La
Badia de Niort (Romania, VI, p. 249^ de démontrer que le passage de l'historien an-
glais avait été mal compris ot que la création attribuée au comte de Poitou n'avait
jamais eu lieu. Selon lut, on aurait aftaire à une tanlaisic de poêle, faisant Tobjet
d'une chanson qui ne nous scriiil pas pjirvenue. Les arguments de M, Pio Hnjna ne
anu<i ont pas convaincu et il nous paraU certain qu'un établissement, tel que le décrit
G. de Afalmcsburi,a existe ; nous n'hcsilons que sur le point de savoir si le comte, en
le l'ondiinl, satisfaisait à ses goùls de débauche, ou s'il n'a point agi, au contraire, dans
une pensée de police qui lui aurait été suggérée par ce qu'il avait pu voir en Orient.
(2) Labbc, Nooa bibl. man,, II, p. 2<)7.
(3) Rec. des hisl. de France, XW, p. 169.
(4) D. Vaissele, Hist. de Languedoc, aouv. éd., X, p. 21 5, d'après Etienne de
Bourbon,
Ha
498 LES COMTES DE POITOU
grands enjôleurs de femmes ; il était un bon chevalier d'armes,
maisilelaitau3siloujourspretufaireramour.il sut bien trouver et
chanter, c'est-à-dire composer des poésies gracieuses et les réciter,
et il courut longtemps par le monde pour tromper les dames (1 ).
Les auteurs de ces appréciations n'envisagent guère, on le voil ,
qu'un des côtés de la personnalité du comte, celle que lui-même
avait surtout mise en évidence par ses poésies, et s'ils lui sont peu
favorables, c'est qu'ils appartiennent presque tous à la société
monastique. Or on ne peut nier que Guillaume s'est tenu très en
dehors du grand mouvement religieux qui fut la contrepartie du
relâchement des mœurs, occasionné surtout par l'état de guerre
permanent qui régnait alors; ce mouvement, qui se manifesta si
intense pendant le premier quart du xii" siècle, est spécialement
caractérisé dans les étals du duc d'Aquitaine par quatre noms :
Pierre de l'Etoile, fondateur de Fontgombaud, mort en 1114,
Robert d'Arbrissel, fondateur de Fontevrault, mort en 1117,
Giraud de Salles à qui l'on doit tant de monastères en Guyenne,
Périgord et Poitou, mort en 11 20, et enfin Etienne de Muret, fon-
dateur de Grandmonl, qui finit ses jours en 1124. On pourrait
même avancer que si le comte de Poitou a pris la croix et fondé
une abbaye, il n'a été poussé vers ces actes que par des considéra-
tions particulières, dans lesquelles l'idée religieuse, sauf peut-être
pendant un court espace de temps, n'a qu'une bien petite part à
revendiquer.
Mais, comme contre-partie de ces appréciations malséantes dont
la justesse, sinon la sincérité, peut être contestée, il se rencontre
des témoignages qui s'accordent à présenter Guillaume sous un
tout autre aspect. Il s'éleva par ses talents militaires, dit le chro-
niqueur de Saint-Maixent» au-dessus de tous les princes de son
temps (2). Un religieux de Talmond, le mettant dans un style
(i) D, Vaissele, Ilist. de Languedoc, nouv. éd., X, p. 2i3; Raynouard, Choix
des poésies des troubadours, V, p. ii5; Hist. litt. de la France^ XI, p. 87. Le
troubadour, auteur de cette courte bio^aphie, était du reste assez mal renseigné sur
les choses du comté de Poitou, car il fait épouser la duchesse de Normandie au
fils de Guillaume VII, et, selon lui, de ce mariage serait issue la femme du roi Henri
d'Angleterre; c'était expliquer à sa façon comment il se faisait qu'Ai iénor portât ce
titre de duchesse de Normandie, qu'il ne comprenait pas, et il trouve très naturel
qu'elle le tint de sa mère.
(2) Marchegay, Chron. des égl. d'Anjou, p. 43i, Saint-Maixent.
GurLi.M'MF: LE ji:l*ne
liyperboliqiio sur le môme rang qu'Alexantlre, que Philippe ou que
Pompt'e, lui ilrrcrno lo nom de grand, dérlaranl que jamais il
ne s'esl mis injusLeuienl en colère conlre qui que ce soit, que
jamais il n'a manqué d'être compatissant aux malheureux (1).
Mais ce qui a surtout conli'ihué à dérouter l'opinion sur le compte
de Guillauaic VU, ce sont les louanges qu'a faites de lui un des
personnages les plus violents de l'époque, Geoffroy de Vendôme,
à qui l'on doit les accusations portées conlre Hobert d'Arbrissel
et bien d'autres hommes d'église de son temps, et donl les dires
ont été généralement acceptés sans contrôle, tant lui-même pa-
raissait impeccable. Sa correspondance est à ce sujet éminem-
ment inslructive, et il est essentiel d'en avoir connaissance pour
estimer la valeur que Ton doit allribuer à ses paroles ou à ses
jugements, parlicuiièremcnt à l'égard de Guillaume VIL
Après son retour de la croisade le comte de Poitou avait de-
niamlé à l'abbé de Vendôme de restituer à Ftainaud Quartaud
Tobédience dont il l'avait privé. Le comte avait beaucoup insisté,
en disant particulièrement que ce personnage lui était d'une
grande utilité, et qu'il était en même temps très nécessaire à
Vendôme, ce dont ne disconvenait pas OeotTroy, mais tout en don-
nant au comte le titre de très illustre, il ajoutait linemenl qu'il
n'était pas urgent que Guillaume s'inquiétât des personnes dont la
charge ne lui était pas confiée, et qu'il aimait mieux voir périr
le bien temporel son abbaye plutôt que de consentir à laisser per-
dre Tàme de l'un de ses frères (2).
En qualifiant le comte de « clarisslmus »>, Tabbé de Vendôme
avait voulu faire passer plus facilement la fin de non-recevoir
qu'il donnait à sa réclamation, mais le moyen ne lui réussit guère,
car, à son tour, il échoua auprès de Guillaume dans une affaire qu'il
avait à cœur. Il lui avait demandé une entrevue afin de lui faire
connaître les griefs qu'il avait contre ses prévôts, Guillaume et
son frère Aimcri, qui mellaicnt selon lui la main sur le patrimoine
de l'abbaye ; le comte la lui accorda, mais il oublia (intentionnel-
lement) de dire à son messager où ils pourraient se rencontrer.
Geoffroy lui adressa alors un moine afin d'obtenir ce rensei-
(i) Cart, de Tal/nond^p. 226.
(2) Migne, Patrol. lat., CLVII, col. aoo ; Besly, ffiat. des comtes, preuves, p. 4^0,
5oo LES COMTES DE POITOU
gnement, mais Tenvoyé attendit vainement une audience pen*
dant douze jours, et c'est alors seulement qu'il apprit que le comte
était parti pour Glermont. Geoffroy n'eut pas l'air de se forma-
liser de cette façon d'agir; il écrivit à Guillaume, lui disant en
commençant qu'il est un incomparable guerrier, chéri du Sei-
gneur, et que sa vie est digne de toute louange! puis il finit par
s'excuser de ne pas être venu au rendez-vous pour ce motif
qu'il lui était impossible de le faire du moment qu'il ne connais-
sait pas le lieu désigné. On ne pouvait pas mieux cacher sa décon-
venue, mais il n'en ressort pas moins de cette lettre que l'abbé de
Vendôme tenait beaucoup plus à voir le comte que celui-ci n'avait
envie de le rencontrer (1).
Revenant une autre fois sur un sujet qu'il savait devoir plaire à
Guillaume, il lui dit en face qu'il mène une vie que l'on ne saurait
trop donner en exemple, et il ajoute, en paraphrasant les paroles
du Psalmisle, que Dieu a placé le comte de Poitou au-dessus de
tous les hommes tant par la beauté de sa personne que par l'élé-
vation de ses sentiments. Enfin il terminesalettrepar le souhait de
lui voir occuper la même place dans le ciel. Il faut espérer,
pour le bon renom de Geoffroy de Vendôme, que cette lettre est
antérieure à l'année Ht 4, dans le courant de laquelle Guillaume
fut excommunié à l'occasion de ses violences contre l'évêque
de Poitiers. Geoffroy avait alors des difficultés avec l'abbé de
Saint-Jean d'Angély; le comte l'avait contraint d'accepter pour
arbitre l'évêque de Saintes, mais la décision de l'évêque ne donna
pas satisfaction à toutes les prétentions de l'abbé de Vendôme,
qui fit appel devant le comte, et le flattait afin de le gagner à sa
cause. 11 terminait môme sa missive par ces mots : « C'est votre
humble ami, ou plutôt votre esclave, qui vous écrit, des douleurs
de reins l'ayant empêché de se rendre auprès de votre per-
sonne (2). »
Ces flagorneries se retrouvent dans toutes les lettres de Geof-
froy; même il va jusqu'à dire dans l'une d'elles qu'il demande au
comte une réponse de sa grandeur à sa petitesse. Toutes lesfoisque
l'abbé de Vendôme parlait de cette sorte, il avait quelque faveur
(i) Mijçne, Patrol. lai , CLVII, col. 2o3 ; Bcsly, Hisl. des comtes, preuves, p. /j22.
(a) Migne, Patrol. lut., CLVII, col. 201; Besly, Hist.des comtes^ preuves, p. 4ai.
GUILLAUME r.E JEITNE
Soi
à réclamer du comle, mais lorsque celui-ci avait besoin de son
concours il lui arrivait de le traiter presque d'égal à égal. C'est
ainsi qu'ayant un jour appris que Ginllaume avait l'inlenlion de
l'envoyer à Home plaider sa cause auprès du pape, il s'empressa
de venir se mettre h sa disposition pour faire ce voyage avec
l'assistance d'un ou de deux des clercs du comle, mars, avant de
partir, il réclama une rémunération dont il posait les conditions:
celle-ci devait consister dans le retrait que ferait Guillaume de
toutes les coutumes ou charges que ses prévôts avaient imposées
par force sur les terres de l'abbaye de Vendôme, avec garantie
que ces failsne se renouvelleraienl pas (l).Nous ne saurionsdire
si sur ce point il oblint salisfaclion, mais c'est chose probabl<\
Dans ses actions, Geoffroy ne voyait que le but h. atleindro, les
moyens lui iniporlaient peu; c'est ce qu'il déclare cri'Jmenl dans
la lellre qu'il écrivit un jour au pape Pascal II pour défendre sa
conduile. Par son caraclère allier, par son liabiludo de se poser
en gardien de la régularilé ecclr'siaslique, il s'élail allirô de nom-
breux ennemis. Certains le dénoncèrent au pape comme s'élanl
associé avec les persécuteurs de l'Eglise et en particulier avec le
comle de Poitou, avec qui il n'aurail cessé d'avoir des rapporis
intimes, bien que ce dcrfiier eût élé frappé d'excommuniralion.
I.e pape le cita en 1 HO devant le concile de Lalran pour répon-
dre à ces accusations. L'abbé doVeudùme commoni^apar se dis-
penser d'assister au concile, puis il écrivit au pape pour lui exposer
les motifs de son abslenlion ; il donnait pour prétexte qu'il n'avait
eu connaissance des lettres de convocation que trente-cinq jours
avant l'ouverture de l'assemblée et que_, par suite, il n'aurail pas
eu le temps matériel pour s'y rendre. Il déclarail ensuite que
jamais il ne s'était allié à quelque personnequi persécutAt l'Eglise;
que, cependant, s'il avait communiqué avec le comte de Poi-
tou, ce qu'il no niait pas, bien que celui-ci fût excommunié, il
ne l'avait fait que dans l'intérêt de son monastère. Les meilleurs
domaines que celui-ci possède, disait-il, et dont il lire presque
toute sa subsistance, sont situés dans le comté de Poitou ; or,
comme on ne saurait faire l'échange de ces biens, l'abbé se trouve
(i) Migae, Pairol. lat., CLVII, col. 20a; Uesly, ffUt. des comtes, preuveî», p. 4*o.
3a.
5n9
iMTIîS Dli: POITOU
conlrainl, tout en faisant à ce sujel ses réserves intimes, d'avoir
des rappurls directs avec le possesseur du comté. Son pré-
décesseur, l'abhé Bernon, en agissant autrement que lui dans des
circonstances idenliques, s'élail allirélu coli're du comte, lequel
lui enleva certaine obédience que lui, Geoffroy, n'avait pu ra-
cheler qu'au prix do 12.500 sous. Il concluait en conséquence
qu'il ne devait pas être excommunié parce qu'il avait communi-
qué avec Guillaume de Poitiers et qu'il ne .saurait l'ôtrc tant que
celui-ci reslerail en dehors de l'Egiisc (1).
Celle correspondance de l'abbé de Vendôme est éminemment
suggestive, et nous parait donner l'explication des colères exces-
sives auxquelles Guillaume VII fui parfois en proie, et du manque
de conduite d'une partie de son existence ; quand on voit l'homme
supérieur qu'était Geoffroy donner l'exemple d'un abaissement
si absolu devant le conile de Poitou, on ne peut s'empêcher d'é-
labtir uu rapprochement entre celui-ci et lo souverain le plus
remarquable des temps modernes, Louis XIV, doué comme Guil-
laume de qualités éminenles qui le [daçaienl au premier rang,
mais que la complaisance de tous et une basse flatterie firent
tristement déchoir.
Le troubadour qui, un siècle après la mort de Guillaume VII,
enlreprit de faire la biographie des poètes qui ravaienl précédé,
commença son recueil par celle du comte de PoUiers (i), qui,
dit-il, sut bien trouver elchanler, c'est-à-dire composer des poé-
sies sur le mode adopté par les poètes du midi de la France, et les
réciter. Cet éloge élail mérité, mais il y avait quelque chose à y
ajouter, c'est que si Guitlaume esl, par ran"; d'ancienneté, le pre-
mier des troubadours dont les poésies ont élé conservées, il est
aussi le premier d'entre ceux qui ait su assouplir ses inspirations à
des règles précises et faire que ses œuvres servissent de modèle à
ses successeurs. Evidemment, avant lui, il avait été composé des
chansons en langage roman (nous employons ce mot pour dési-
gner ce qui [mr ailleurs est appelé la langue provençale), mais il
(i) Mlgne, PatroL lai., CLVII, col. /jS; Iksiy, //à^ des vomies, preuves, p. 433.
(s) (I Lo coma de Peîlieus ». Il esl à remarquer que ce n'csl pas par sa qua]i(ê de
duc d'Aquilaioe que Guiltaume était conimuaémeal désigné, niais biea par celle de
rnmic de Puilou ; Guitlaiinie de Miitiucsburi emploie aussi la même qualilicalion:
« Willielinu?, conifs Ptcfavorum i.
GUILLAUME LE JEUNE
Sof
est h croire qu'elles élaienl l'œuvre de gens de condilion infime
el qu'elles ne furenljamais rtîcueillifs par écrit, cel honneur élanl
réservé surloul au lalin, qui élail la langue savanle, ou à la langue
vulgaire lorsque celle-ci élail employée pour Iruilcr des sujels
d'un ordre élevé. Les peLiles gens auteurs des chansons amoureuses
qui consliluaienl surloul l(?ur bagage littéraire, devaient igno-
rer la plupart des règles de la composition poélique, ainsi qu'il
enaélé de tout lemps dans le peuple, même de nos jours, mais
Ciuiilaume sorlil ce geure de poésie de l'ornière dans laquelle il
avait traîné jusque-là, il l'ennoblil, et il Ot plus, lui donna des
règles; à l'inspiration lyl-ique il joignit la science du vers {{).
Guillaume, doué d*un tempérament ardent, fut dans sa jeunesse
ce que l'on appelle un coureur d'aveiilures, mais ce n'est pas,
semble-l-il, Poitiers ou le Poitou qui furent le Lhétllre de ses
exploits en ce genre, c'est le Limousin, où il rencontra assurément
les premiers objets de ses passions. L'elTel sur lui en fut si vif que,
s'étanl familiarisé avec le langage de cette portion de ses états,
il employa pour célébrer ses bonnes fortunes le parler de celles
qui en furent les héroïnes.
C'est dans le Bas-Limousin, vers l'Auvergne, que résidaient
deux dames dont il eut particulièrement à se louer, Agnès el
Ermessende, et celles-ci, dès le début de la pièce où il est ques-
tion d'elles, nous révèlent leur nationalité en accueillant le voya-
geur parle salut qui était d'un usage couranldansleurs quartiers :
K Par saint Léonard {"i). » Parlant ailleurs d'Agnès etd'Arsende,
qui ne sont peut-être pas les mômes personnes que les précédentes,
il dit que l'une était de la Montagne, du château de Jumel, et que
l'autre résidait auprès de Confolens (3). Knfin, quand il s'exclame,
c'est en disant : «. Que Dieu soit loué el saint Julien (i), » ou encore
(i) Voy. Dîez, Dt'e Poetie dtr Troubadours, qui, k l'oide des œuvres du comte de
Poiliers, a tracé les règle» de la métrique dos poésies des troubadours, cl Fauricl,
Histûire de la poésie provençale, qui n éludié le t'orul même de ces poésies.
(2} u Saluderon me t'rancamcQ Pcr sont Launart » (En Alveivmie paht Lksiozi).
U s'agit de saint Lùoaard, ermite limousin du vi* siècle, qui a donoé son nom à Saial-
L<.'anard de Noblat (Ilaule-Vicnne).
{^) « L'uQ Ib dcls Montanhiers. . . L'autre fa Dorrilz sa jos près Cofolcn. . . De Gu-
melai le castel... VA pcr Niol faux orgueill...> (Coupanho farai in venn coviNEN).Ces
Irois localités : Jumcl (Corrcze) dans la Monla.çne, Nicuil illautc-V'iennc), Confolens
{Charente), faisaieal partie du diocèse de Limoij!;es,là où ctoit usité le parler limousin .
(4) 0 iJJex en laus e sanb Julia w (Ben vuelii oub bai'chon h i>i.i;so»). Saiot Julien,
5o4
LES COMTES DE POITOU
il faii serment par lechef de sainl Grégoire (1) ou par sainl Mar-
tial (2), loulcs façons de parlor éminemment limousines.
C'esl même celte région montagneuse qui confine h l'Auvergne
et an Prrigord que Guillaume semble vouloir reconnaîlrc comme
ôlanl ceUe tle sa naissance quand il dit, après avoir fait un por-
trait de sa personne et pour expliquer les inconséquences que
Ton peut relever dans ses actes, que s'il est lel, c'est qu'une nuit
il fut ainsi doué par les fées siégeant sur un puy (3).
L'ol)jel de ses pensées, à qui est adressée la pièce de vers dans
laquelle ils'exprime'ainsi, et dont le caractère un peu mélancolique
se détache de l'enseralile, ne vivait pas e'h Limousin; le message
est envoyé vers l'Anjou, peul-élie h Maubnrgeonno, qui était
angevine de naissance, et la composition delà pièce pourrait par
suite remonter aux débuis de la passion du comte pour la vicom-
tesse de CliAk'llcrault (4). l'allé serait en conséquence posiérieure
à son retour delà croisade, époque qui Iranche nellemenl dans
son existence (li). Jusque-là» livré à la fougue de ses passions,
malgré son mariage avec Philippie, il courait le monde en quête
de bonnes forlnnes et, sans aucune discrétion, il relatait celles-
ci dans des récils qui sauvent sont trop imagés. Puis, quand il
se fut décidé^ pour aller en Terre Sainte, à abandonner ses étals
morlyr, dont le lomhenu exislail à Brioudc en Auverpoe, clail très populaire dans le
Bas-LiniousiD où plusieurs paroisses l'avaient pour palron.
(i) n Pel cap sanh tjrcfçori » (Farai cransonett* nueva). Il ne nous a pas éié pos-
sible de retrouver le sflinl (iré^^oire qui avait a!tns Rsser. i\e noloriclé en Limousio
pour que l'on jiirAl par sa ItHe, nussî nous sommes-nous demande si la leçon est
bien exacte cl s'il ne faut pas lire « snnli Junia » au lieu de et sanh (îrcifori v. Sainl
ilunicn, qui a donné son iiniu à une ville du Limousin (llau(c-Vienoe), y fui toujours
en très prandc vcnéralion ; Rnvnaud, évoque de Vévip:neux, qiii mourut A la première
croisade, en octobre i loi, lui éleva un mai,'nifiquo lonibcau qui existe encore, et, en
outre, <^ta le chef du eaint de la châsse en Lois peiut où ses ossements étaient j<is-
qu'nlors rcnfermi's et le plai;n dans deux coupes de bois doré (Arbellot, A'olîce sur le
tombeau dt saint Junien).
(a) « Pcr sanb IVIarsau •> (Fahai un v^ns de dret nien). Saint Nfartiol, le célèbre
ap'itrc et patron du Kiniousin.
(3| .(Qu'en aissi fui de noilz fadatz sobr'un pucg au » (Farai vs vers de ontT
nien). L'expression latine « podium » sii^nifiant émincncc, hauteur isolée, n donné
n pucfif >> en lançasçc limousin et « poy » en poitevin, ce qui exclut toute parlicipaliou
de ce dernier [larler aux poésies du comte Guillaume,
(')) <* Lai vers Anjau •> (Fahai un vers i>e divf.t men),
(fj) Il convient pcut-iHre de joindre à celle pièce celle qui commence par le vcn»
« Pus VEZEM DE NOVELit KLOftin V ct dont Tauteur fait l'envoi i« Narbonne ; il dit qu'il
ne va plus jamais dans ce pays, où sans nul doute il avait noué quelque intrijîue.et par
suite, si celle poésie csl l'œuvTC de Guillaume, elle doit étro placée entre son abandon
du Toulousain en 109Q. ct la nouvelle occupation du cunité en iii3.
GUILLAUME LE JEUNE
M^
eî son jeune fils (il ne parle pas de sa femme) qu'il voit en bulle
aux attaques des fùlons gascons ou angevins, à dire adieu à lous
îes plaisirs qu'il a pris en Poîlou et en Limousin (les seuls pays
qu'il quille à regret), il dil lout ceci dans des termes qui respirent
un sentiment vrai et, par suile, ont dû se graver vivement dans la
mémoire de ses contemporains (1),
A son retour de l'Orienl, il avait alors trente et un ans, il se
remit à composer des poi^-sies, et fit en vers le récit des misères
qu'il avait éprouvées, mais le sentiment qui avait dicté ceux de
la pièce, Pu.i de chantar mes pus valens, avait disparu, et il entre-
mêla son récit d'aventures plaisantes qui prêtaient à rire (2),
Comme ce dernier poèaie n'est pas venu jusqu'à nous on ne
saurait rien en dire, mais lout porte à croire que l'inspiration
lyrique des premières chansons ne s'y faisait pas sentir et que le
décousu de cette œuvre, peul-êlrc aussi sa longueur, empêcha
qu'elle fiU aussi bien retenue par ses auditeurs que les précé-
dentes. Toutefois l'impulsion que l'art do trohar reçut du comte
ne se ralentit pas; sa cour fut le centre aimé des troubadours
qui venaient y prendre des leçons el y trouvaient, quand ils
étaient nécessiteux, toutes les jouissances d'une vie facile.
Les liaisons qu'il forma en Limousin guscilèrenl des vocations
el c'est de celle contrée que sortirent les premiers troubadours,
tels qu'Kblesde Venladour, et bien d'autres(3); Béchade, Ccrca-
mont, Marcabrun, JaulVe rUidel,pour ne citer que ceux-là, furent
des disciples directs de Guillaume Vil ou, à tout le moins, ont
reçu des leçons de son entourage. Du reste, c'est dans le duché
d'Aquitaine que, pendant le Ireizième siècle, l'art de bien dire
fut surtout cultivé; la preuve en est fournie par l'historien des
troubadours qui, sur les cent onze biographies que contient son
recueil, en consacre cinquante-trois, c'est-à-dire prés de la moitié,
à des poètes originaires de l'Aquitaine (qui comprenait aussi
l'Auvergne el le Velay), el cinquante-huit au restant des pays de
(1) Pus DK CH\.^TAn m'kS PRRS TALINS .
(2) Orderic Vilal, Hist. ecclés., IV, p. i3a.
(3) GeofTroy du Vigeoiii rapporte uoe anecdote qui est bien dans les mœurs du
tetnp$ et Icnaoigne du faste cl de l'ingéniosité du vicomte de Veutiidour; elle a pour
objet de prouver que, dans la circoDstancc, le comte de Poitou trouva son maître
(Labbe, Nova bibl. man., II, p. 'Ai»),
5o6 LES COMTES DE POITOU
langue provençale: Languedoc, Provence et Viennois, Catalogne
etRoussillon, et enfin Italie (1).
Cet essor, donné à une littérature qui a produit des œuvres de
réelle valeur et d'un caractère si particulier, est en grande partie
dû à Guillaume le Jeune et ce sera toujours son principal tilre
d'honneur auprès de la postérité (2).
(i) Voy. Cbabaneau, Biographies des troabadoars, note 38 de la nouvelle édition
de O. Vaissete, Ilist. de Languedoc, X, pp. 209-409; celle note est une excellente
biblioiçraphie historique de ce sujet. Barlsch iGrandriss sur Gaschichte der proven-
zalischen Lileratar, 1872,0° i83, pp. i5, 35) attribue douze poésies à Guillaume,
mais M. Cbabaneau, diaprés une étude critique récente, en réduit le nombre à onze
et supprime le no 9 du Grandriss .
(a) Les œuvres de Guillaume VII qui nous sont parvenues n'ont pas été jusqu'ici
l'objet d'une publication spéciale ; cela tient sans doute au caractère licencieux de la
plupart d'entre elles, qui auraient demandé des commentaires scabreux ; on les trouve
isolément dans divers recueils imprimés et dans des manuscrits, mélangées avec des
poésies d'autres troubadours.
TABLE DES MATIERES
AvANT-PnOPOS V
Création du royaume d'Aquitaine et de ses neuf comtés par Ciiarle-
magne en 778 i
LES COMTES DE POITOU
I. — Abbon (778-814?) 3
II. — Bernard (8i5-826?) 5
III . — Emknon (829-889) 8
IV. — Renoul I (889-866) 14
V. — Renoul II (8G6-890) 28
VI . — Eble Manzer (890-892) 44
VU . — Aymar (892-902) 5o
VI bis. — Eble, pour la seconde fois (908-985) 54
VIII. — Guillaume Tête-d'étoupe, I"" comte de Poitou, III« duc d'Aqui-
taine (985-968) 74
IX. — Guillaume Fier-a-Bras, II* comte de Poitou, IV" duc d'Aqui-
taine (968-998) 90
X. — Guillaume le Grand, III" comte de Poitou, V'duc d'Aquitaine
(998-1080) 189
XI. — Guillaume le Gros, IV" comte de Poitou, VI' duc d'Aquitaine
(1080-1088) , 320
XII. — Eudes (1088-1089) a34
XIII. — Guillaume AiGUET,V<' comte de Poitou, VII* duc d'Aquitaine
(1089-1058) 287
XIV. — Guy-Geoffroy-Guillaume, VI« comte de Poitou, VIII* duc
d'Aquitaine (io58-io86) 266
XV. — Guillaume le Jeune, VII* comte de Poitou, IX« duc d'Aqui-
taine (1086-1126) 882
Poitierg. — Imp. Biais et Roy, 7, rue Victor-HuKO, 7.