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Full text of "Histoire des conciles d'après les documents originaux"

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HEFELE    #   HISTOIRE   DES   CONCILES 
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Boston  Library  Consortium  IVIember  Libraries 


Iittp://www.arcliive.org/details/liistoiredesconci10liefe 


HISTOIRE 

DES  CONCILES 

•  d'afeès 

LES  DOCUMENTS  ORIGINAUX 


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PARIS.  ~  IJIPEIÎIERIE  JULES  f^E  CLERE  ET  C'®,  RUE  CASSETIE,    29. 


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HISTOIRE  %?>S 


DES,  CONCILES 

d'après 

LES  DOCUMENTS  ORIGINAUX 


\  >ifek. 


r         / _£. 


M'^  CHARLES-JOSEPH  HBFELE 

ÉVÊQUE   DE   ROTTENBOURG 

TRADUITE   DE    L'ALLEMAND 

PAR   M.    L'ABBÉ   DELARG 


TOME    DIXIÈME 


PARIS  * 

LIBRAIRIE    ADRIEN    LE    GLERE 

HENRI  LE  CLERE,  REICHEL  ET  C'S  SUGC" 

ÉDITKURS     DE     N.    S.   P.   LE     PAPE     ET     DE     l'arCHEVÊCHÉ      DE    PARIS 

Rue  Cassette ,  29,  près  Saiiit-Snlpice. 

1874 


-H  5GI 


HISTOIRE 


DES  CONCILES 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME 

J  LE  GRAND  SCHISME  D'OCCIDENT 

iâ)EPUIS  L'ÉLECTION  D'URBAIN  VI  JUSQU'AU  CONCILE  DE  PISE 

^  (1378-1409) 

V9 


O  CHAPITRE  PREMIER 


#  HISTOIRE    DU    SCHISME 

6 

^'  .  §712. 

S  ÉLECTION  d'urbain  VI,    1378. 

â    Lorsque  Grégoire  XI  transporta  d'Avignon  à  Rome  le  siège  de 
5la  papauté,  une  grande  partie  des  fidèles,  et  surtout  le  peuple 
italien,  fit  éclater  sa  joie.  Le  pape,  au  contraire,  eut  le  pressenti- 
ment qu'il  ne  tarderait  pas  à  surgir  un  schisme.  La  prépondé- 
rance des  cardinaux  français  dans  le  sacré  collège  et,  d'un  autre 
^côté,  la  profonde  antipathie  des  Romains  pour  un  pape  non 
l~4talien  permettaient  de  prévoir  un  malheur  de  ce  genre;  en 
-^^éalité,  le  pape  Grégoire  n'a  été  que  trop  bon  prophète. 
'f^   Lorsqu'il  mourut  le  27  mars  1378,  seize  cardinaux  se  trou- 
vaient à  Rome  :  onze  français,  quatre  italiens  et  un  espagnol, 


2  ÉLECTION    d'urbain   VI,    1378. 

Pierre  de  Luna,  qui  devait  être  si  célèbre  dans  la  suite.  Quant 
aux  sept  autres  cardinaux  (on  en  comptait  en  tout  vingt-trois), 
six  étaient  restés  à  Avignon,  c'étaient  les  français  :  Angelicus 
Grimoard,  cardinal-évêque  d'Albano,  Aegidius  Aiscelin,  cardinal- 
évêque  de  Tusculum,  Jean  de  Blandiac,  cardinal-évêque  de 
Sainte-Sabine,  Pierre  de  Monteruc,  cardinal-prêtre  de  Sainte- 
Anastasie,  vice-chancelier  de  l'Église  romaine,  et  Guillaume  de 
Ghanac,  cardinal-prêtre  de  Saint- Vitalis,  eniîn  Hugo  de  Saint- 
Martial,  cardinal-diacre  de  Sainte-Marie  inporticu.  Un  septième, 
également  français,  Jean  de  la  Grange,  cardinal-prêtre  de  Saint- 
Marcel,  appelé  cardinal  d'xAmiens  (il  était  évêque  de  cette  ville), 
avait  été  envoyé  en  Toscane  par  Grégoire  XI,  afin  de  conclure 
avec  les  Florentins  la  paix  de  Sarcano.  Les  seize  cardinaux  pré- 
sents à  Rome  étaient  : 

1 .  Pierre  Gorsini,  cardinal-évêque  de  Porto,  appelé  cardinal  de 
Florence  (du  nom  de  son  pays  natal). 

2.  Jean  de  Gros,  Français,  cardinal-évêque  de  Preneste,  appelé 
cardinal  de  Limoges,  parent  du  feu  pape,  auparavant  évêque  de 
Limoges. 

3.  Guillaume  d'Aigrefeuille,  Français,  cardinal-prêtre  de  Saint- 
Étienne  sur  le  mont  Gelius  [Stefano  rotondd). 

4.  Bertrand  de  Lagery,  Français,  cardinal-prêtre  de  Sainte- 
Cécile,  appelé  cardinal  de  Glandève  (évêque  de  cette  ville). 

5.  François  Tebaldeschi,  Romain,  cardinal-prêtre  de  Sainte- 
Sabine,  archiprêtre  de  l'église  de  Saint-Pierre,  appelé  pour  cette 
raison  cardinal  de  Saint-Pierre. 

6.  Hugo  de  Montelegum  (Montelais,  Montrelaix),  cardinal- 
prêtre  des  SS.  quatuor  Corona^orwm,  appelé  cardinal  de  Bretagne 
(sa  patrie). 

7.  Robert  comte  de  Genève,  Français,  cardinal-prêtre  des 
douze  Apôtres. 

8.  Guido  de  Malesec,  Français,  cardinal -prêtre  de  Sainte-Croix 
à  Jérusalem,  appelé  cardinal  de  Poitiers  (il  était  éyèqwo,  de  cette 
ville). 

9.  Pierre  de  Sortenac,  Français,  cardinal-prêtre  de  S.  Lo- 
renzo  in  Lucina,  appelé  cardinal  de  Viviers  (il  était  évêque  de 
cette  ville). 

10.  Simon  de  Boursano,  Italien,  cardinal-prêtre  des  Saints  Jean 
et  Paul,  appelé  cardinal  de  Milan  (il  était  archevêque  de  cette 
ville). 


ÉLECTION  d'ubbain  VI,  1378.  3 

1 1 .  Gérard  du  Puy,  Français,  cardinal-prêtre  de  Saint-Clément, 
appelé  cardinal  Majoris  Monasterii,  c'est-à-dire  Marmoutier  près 
de  Tours  (il  était  abbé  de  ce  couvent  ;  on  écrit  souvent,  mais  à  tort, 
Montis  Majoris). 

12.  Jacobus  de  Ursinis  (Orsini),  Romain,  cardinal-diacre  de 
S.  Giorgio  in  Velabro  [vélum  aureum). 

13.  Pierre  Flandrin,  Français,  cardinal-diacre  de  Saint- 
Eustache. 

14.  Guillaume  Noellet,  Français,  cardinal-diacre  de  S.  Angelo 
in  Pescheria. 

15.  Pierre  de  Verruche,  ou  Vernyo,  ou  Alvernio,  Français,  car- 
dinal-diacre de  Santa  Maria  in  via  lata. 

16.  Pierre  deLuna,  Espagnol,  cardinal-diacre  de  Santa  Maria  in 
Gosmedin^ 

Quelques  jours  avant  de  mourir,  Grégoire  avait  permis  aux 
cardinaux  de  se  réunir  oii  bon  leur  semblerait  et  de  procéder  à 
l'élection,  sans  attendre  leurs  collègues  absents  '^.Néanmoins,  ils 
voulurent  se  conformer  à  l'ancienne  tradition,  qui  portait  de  tenir 
le  conclave  là  où  était  mort  le  pape,  et  le  7  avril  1378,  après 
toutes  les  cérémonies  des  funérailles  de  Grégoire  (elles  durèrent 
neuf  jours),  ils  se  réunirent  en  conclave  dans  le  palaisdu  Vatican. 
Dès  le  lendemain,  Barthélemi  de  Prignano,  archevêque  de  Bari 
dans  le  royaume  de  Naples,  fut  élu  pape  sous  le  nom  d'Urbain  VI, 
mais  l'élection  ne  fut  rendue  publique  que  le  9  avril.  Issu  d'une 
famille  assez  modeste  de  Naples  (selon  d'autres  de  Pise),  Barthé- 
lemi se  distingua  par  sa  science,  surtout  dans  le  droit  canon,  de 
même  que  parla  pureté  de  ses  mœurs;  il  était  pieux,  humble,  zélé 
pour  la  justice  et  la  réforme  des  mœurs,  ennemi  de  toute  capta- 
tion  et  de  toute  simonie;  mais  il  se  fiait  un  peu  trop  à  sa  propre 
sagesse  et  malheureusement  n'était  pas  insensible  à  la  flatterie. 
Tel  est  le  portrait  que  nous  a  laissé  d'Urbain  VIpietrich  deNiem, 
dans  son  ouvrage  de  Schismate,  lib.  I,  c.  1,  dont  nous  aurons  à 
parler  plus  loin.  Barthélemi  avait  occupé  diverses  charges  à  la 
cour  du  pape  à  Avignon  ;  il  était  devenu  ensuite  archevêque 
d'Achéruntia-,  et  plus  tard  de  Bari.  Gomme  le  chanceher  de 
l'Eglise  romaine,  le  cardinal  Pierre  de  Montéruc,  était  resté  en 
France,  l'archevêque  de  Bari  remphssait  provisoirement  cette 


(1)  Raynald,  1378,  73,  et  Giagoni,  Vitœ  Pontif.  t.  II,  p.  618  s/; 

(2)  Raynald,  1378,  2.  i  >  ^  i 


4  ÉLECTION   d'urbain   VI,    1378. 

place,  sans  toutefois  être  lui-même  cardinal.  (Dietrich  de  Niem, 
Le.) 

La  manière  dont  se  fit  l'élection  d'Urbain  VI  est  diversement 
racontée  par  les  contemporains,  et  appréciée  plus  diversement 
encore.  Les  adversaires  d'Urbain,  particulièrement  les  cardinaux 
qui  l'avaient  élu,  mais  qui  l'abandonnèrent  deux  mois  plus  tard, 
prétendirent  que  cette  élection  avait  été  faite  à  l'aide  d'une  sédi- 
tion et  d'une  révolte  du  peuple  romain,  par  conséquent  qu'elle 
était  de  nulle  valeur.  D'autres  contemporains  soutiennent,  au 
contraire,  que  l'élection  fut  complètement  libre  et  faite  suivant 
les  règles  du  droit  canon,  et  que  le  tumulte,  la  sédition  ne  se  pro- 
duisirent que  lorsque  Vélection  était  déjà  terminée.  Notre  devoir 
est  de  donner  la  parole  à  chacun  des  deux  partis,  mais  nous  nous 
hâtons  de  dire  qu'aucun  témoin  ne  nous  parait  absolument  im- 
partial. Par  la  force  des  choses,  chaque  contemporain  prenait 
parti  pour  l'un  des  deux  adversaires,  parce  qu'il  avait  à  recon- 
naître l'un  des  deux  pour  le  pape  véritable. 

Le  principal  document  défavorable  à  l'élection  d'Urbain  VI  est 
la  declaratio  des  onze  cardinaux  français  et  de  leur  collègue 
espagnol,  publiée  à  Anagni  le  2  août,  c'est-à-dire  quatre  mois 
après  l'élection  d'Urbaine  Voici  le  récit  de  la  declaratio  : 

«  Lorsque  Grégoire  XI  fut  mort,  les  autorités  municipales  de 
Rome  eurent  au  Gapitole  plusieurs  délibérations  pour  obtenir 
qu'un  Romain,  ou  tout  au  moins  un  Italien,  fût  nommé  pape  ;  ils 
étaient  persuadés  que,  dans  le  cas  contraire,  la  Curie  ne  resterait 
pas  à  Rome.  De  son  propre  aveu,  Barthélemi,  archevêque  de  Bari, 
assista  à  ces  délibérations,  mais  il  a  prétendu  avoir  recommandé 
de  n'exercer  aucune  pression  sur  les  cardinaux  ^.  Des  personnes 
dignes  de  foi  assurent  que,  même  avant  l'entrée  des  cardinaux  en 
conclave,  cet  archevêque  s'était  chaleureusement  recommandé 
dans  l'église  de  Santa  Maria  Nova  (maintenant  Sainte-Françoise 
Romaine)  aux  bandarenses  [banderesi,  romains  chefs  des  dis- 
tricts)^. Aussitôt  après  la  mort  de  Grégoire,  les  employés  de  la 


(1)  Dans  BuLÉE,  Hist.universitatis  Parisien,  t,  IV, p.  468  sqq. — Baluz.  Vitœ 
Paparum  Aven.  t.  III,  p.  821  sqq,  —  Christophe,  Hist.  de  la  Papauté  au  xiy° 
siècle,  t.  III,  p.  354  sqq.,  en  partie  dans  Raynald,  1378,  63  sqq. 

(2)  Urbain  a  répété  plusieurs  fois  cette  affirmation.  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1217. 

(3)  Les  adversaires  d'Urbain  prétendirent  que  l'argent  avait  joué  un  rôle 
dans  cette  affaire,  mais  le  caractère  ^du  pape,  tel  qu'il  est  dépeint  par 
Dietrich  de  Niem,  et  sa  prudence  bien  connue  ne  permettent  guère  de  le 
supposer.  Cf.  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1202. 


ÉLECTION   d'urbain  VI,    1378.  5 

Yille  s'emparèrent  de  toutes  les  portes  et  de  tous  les  ponts  de 
Eome,  qui  jusqu'alors  avaient  été  confiés  aux  serviteurs  du 
pape,  et  ils  firent  surveiller  soigneusement  toutes  les  issues,  afin 
que  les  cardinaux  ne  pussent  pas  quitter  la  ville  et  procéder 
librement  ailleurs  à  une  élection  * . 

«  Durant  les  dix  jours  qui  s'écoulèrent  entre  la  mort  de  Gré- 
goire et  le  commencement  du  conclave,  ces  mêmes  employés  de 
la  ville  prièrent,  à  plusieurs  reprises,  les  cardinaux  et  leur  de- 
mandèrent avec  insistance  d'élire  un  Komain,  ou  du  moins  un 
Italien,  et  de  le  déclarer  formellement  avant  d'entrer  dans  le  con- 
clave, pour  que  le  peuple,  qui  était  très -surexcité,  pût  se  calmer- 
Les  mêmes  représentations  furent  faites  à  chaque  cardinal  en 
particulier,  à  son  domicile,  et  en  même  temps  les  nobles  re- 
çurent ordre  de  quitter  la  ville,  afin  qu'ils  ne  pussent  pas  prendre 
parti  pour  les  cardinaux.  Ceux-ci  firent  déclarer  aux  chefs  de  la 
ville  que  de  pareilles  mesures  constituaient  une  menace  et  une 
oppression,  par  conséquent  qu'une  élection  faite  dans  de  telles 
conditions  était  nulle  ;  si  c'était  par  de  tels  moyens  qu'ils  vou- 
laient retenir  la  Curie  dans  Rome,  ils  ne  pouvaient  mieux  agir 
pour  qu'elle  s'en  allât.  Les  cardinaux  firent  en  même  temps  une 
double  demande  :  d'abord,  qu'on  renvoyât  dans  leurs  foyers  les 
nombreux  campagnards  réunis  à  Rome  ^,  et  qu'on  n'excitât  pas  le 
peuple;  de  plus,  qu'on  plaçât  ua  bon  capitaine,  avec  un  nombre 
suffisant  d'hommes  sûrs,  pour  garder  le  Borgo  (partie  de  la  ville) 
de  Saint-Pierre  et  les  ponts,  le  tout  aux  frais  des  cardinaux,  afin 
que  le  peuple  ne  pût  pas  arriver  jusqu'au  conclave  ^.  Les  em- 
ployés de  la  ville  promirent  de  faire  ce  que  demandaient  les  car- 
dinaux et  nommèrent  capitaine  un  bandarensem,  qui  s'adjoignit 
quatre  constables  ^.  Sans  compter  le  serment  que,  conformément 

(1)  C'est  ce  que  dit  aussi  la  Vita  J™»  Gregorii  XI,  très-hostile  à  Ur- 
bain VI,  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  444.  Les  urbanistes  ne  disent  rien  de  cette 
circonstance. 

(2)^  La  Vita  /■"«  Gregorii  X7 raconte  (1,  c.)  que  les  chefs  de  la  ville  avaient 
attiré  dans  Rome  un  nombre  très-considérable  de  montagnards  destinés  à 
épouvanter  les  cardinaux  par  leurs  cris  et  leurs  clameurs  ;  il  est  certain  que 
ces  montagnards  étaient  au  nombre  d'environ  six  mille.  Cf.  Martène,  Vet. 
Script,  t.  VII,  p.  426,  ainsi  que  Thomas  d'Acerno,  qui  tient  cependant' pour 
Urbain. —  Muratori,  Rerum  ital.  scriptores,  t.  III,  P.  2,  p.  7i8. 

_  (3)  Les  cardinaux  racontent  plus  haut  que,  dès  le  début,  les  chefs  de  la 
ville  avaient  fait  occuper  toutes  les  portes  et  les  ponts  ;  mais  alors  pourquoi 
demandent-ils  maintenant  qu'on  le  fasse? 

(4)^  Les  cardinaux  ne  disent  pas  que  le  sacré  collège  avait,  de  son  côté, 
place,  à  cause  du  conclave,  des  gardes  au  Vatican,  etc.  Sans  compter  les  ur- 


6  ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378. 

à  la  décrétaîe  Ubi  periculum  majus  (c.  3,  de  Electione,m  VI'",  1,6, 
dentique  au  c.  2  du  synode  de  Lyon  de  l'année  1274),  prêtèrent 
les  officiers  municipaux,  ils  promirent  de  plus  aux  cardinaux  de 
les  défendre  contre  toute  oppression  et  toute  vexation,  mais  ils  ne 
tinrent  en  aucune  façon  leurs  promesses.  Avant  même  que  les 
cardinaux  entrassent  en  conclave,  la  cour  de  Saint-Pierre  était 
déjà  si  remplie  d'hommes  pour  la  plupart  armés,  que  les  cardi- 
naux eurent  beaucoup  de  peine  à  pénétrer  dans  le  Vatican.  Avec 
eux  se  précipita  dans  l'intérieur  une  grande  multitude,  qui 
empêcha  de  fermer  les  portes  *.  Tous  les  alentours  du  palais 
étaient  également  encombrés  d'hommes  armés  ^,  si  bien  qu'on 
ne  pouvait  ni  entrer  ni  sortir.  Au  bout  de  quelques  instants,  lors- 
que tous,  à  l'exception  du  sénateur  et  d'un  petit  nombre  de  per- 
sonnes qui  parlaient  avec  les  cardinaux,  eurent  quitté  le  conclave 
et  que  la  porte  de  cette  assemblée  eut  été  fermée  ^,  arrivèrent  les 
directeurs  des  districts  de  la  ville  avec  de  nombreux  bourgeois; 
ils  demandèrent  à  être  introduits  dans  le  conclave.  On  leur  re- 
présenta que  cela  était  défendu;  mais  comme  ils  insistèrent,  les 
cardinaux  finirent  par  céder,  et  aussitôt  ces  députés  demandèrent 
que  les  membres  du  conclave  missent  immédiatement  à  exécu- 
tion la  promesse  qu'ils  avaient  faite,  ajoutant  que,  sans  cela, 
leurs  personnes  (celles  des  cardinaux)  couraient  de  grands  dan- 
gers *.  Déjà,  avant  d'entrer  dans  le  conclave,  les  cardinaux 
avaient  appris  de  bourgeois  dignes  de  foi  que  quelques  prélats, 
soit  Romains  soit  Italiens,  avaient  engagé  le  peuple  à  employer 
la  force,  et  que  chacun  d'eux  avait  promis  de  grandes  sommes 
aux  chefs  de  la  ville  s'il  venait  à  être  élu.  Des  seize  cardinaux  qui 


banistes,  c'est  ce  que  dit  aussi  l'antiurbaniste  Vita  IP'^  Gregor.  dans  Baluz. 
1. 1,  p.  456. 

(1)  On  accompagne  solennellement  les  cardinaux  jusqu'au  Vatican,  et, 
cela  fait,  tout  le  monde  sortit,  ainsi  que  les  cardinaux  le  disent  eux-mêmes 
un  peu  plus  loin. 

(2)  On  s'expliqua  très-bien  qu'une  grande  foule  se  fût  réunie  autour  du 
Vatican,  et,  quant  à  voir  des  bourgeois  armés,  quoi  de  plus  naturel  au  moyen 
âge? 

^3)  La  yUa  Ifi^  Gregor.  1.  c.  ajoute  que  l'évoque  de  Marseille,  qui  tenait 
la  place  du  chambellan  de  l'Eglise  romaine,  était  parvenu  à  faire  sortir  tout 
le  monde  du  palais,  à  l'exception  d'une  quarantaine  de  personnes,  mais  que 
ces  quarante  obstinés  avaient  parcouru  le  conclave  on  ci'iant  :  «  Nous  vou- 
lons voir  s'il  n'y  a  pas  d'hommes  armés  cachés,  et  s'il  y  a  quelque  issue  pour 
entrer  ou  sortir  secrètement.  » 

(4)  Cet  incident  est  également  raconté  par  la  Vita  /■"*  Gregor.  1.  c.  p.  445; 
la  VitalP'  1.  c.  p.  457  sq.  dit  quelque  chose  d'analogue.  Les  relations  urba- 
nistes se  taisent  au  contraire  sur  ce  point. 


ÉLECTION   d'uEBAIN   VI,    1378.  7 

se  trouvaient  à  Rome  à  la  mort  de  Grégoire,  douze  étaient  ultra- 
montains  (on  veut  dire  par  là  que  douze  étaient  français,  espa- 
gnols, etc.),  et  quatre  italiens.  Avant  leur  entrée  dans  le  conclave 
et  pendant  qu'il  se  tenait,  j  usqu'au  moment  où  l'on  exerça  sur  eux 
la  pression  dont  nous  allons  parler  plus  loin,  les  ultramontains 
étaient  décidés  à  élire  un  membre  du  sacré-collége  et  non  un 
étranger,  un  ultramontain  et  non  un  italien,  tandis  que  les  italiens 
voulaient  faire  arriver  l'un  d'eux  à  la  papauté.  Les  portes  du  con- 
clave auraient  dû,  suivant  la  coutume,  être  murées,  mais  les  ro- 
mains ne  le  voulurent  pas  permettre  et  ce  fut  avec  beaucoup  de 
peine  et  lorsque  les  cardinaux  étaient  déjà  coucbés  qu'on  parvint 
à  faire  fermer  les  portes  à  l'aide  de  poutres  en  bois  * .  Le  peuple  ne 
s'empara  pas  moins  du  palais  et  fit,  dans  la  partie  située  immédia- 
tement au-dessous  du  conclave,  un  grand  tapage,  les  armes  s'en- 
trechoquèrent ^  au  milieu  des  cris  :  Nous  voulons  un  Romain,  ou 
du  moins  un  Italien  !  Quelques-uns  auraient  même  crié  :  Morian- 
turî  Ces  vociférations  se  continuèrent  toute  la  nuit  (du  7  au  8  avril), 
si  bien  que  pas  un  des  cardinaux  ne  put  dormir  ^  Le  lendemain 
(8  avril)  le  tumulte,  qui  s'était  un  peu  apaisé  le  matin,  recom- 
mença,lorsque  les  cardinaux  entendaient  la  messe;  on  ne  pouvait 
ni  comprendre  ni  entendre  les  paroles  du  sacrifice.  Les  cardi- 
naux se  préparaient  à  procéder  à  l'élection,  lorsque  les  cloches  de 
Saint-Pierre  firent  entendre  le  tocsin,  et  le  cri  :  Romano  lo  volemo 
0  almanco  Italiano,  retentit  plus  furieux  et  plus  formidable  que 
jamais.  En  même  temps,  ceux  qui  gardaient  le  conclave  au  dehors, 
et  parmi  eux  se  trouvaient  quelques  ultramontains,  déclarèrent 
aux  cardinaux  qu'on  les  couperait  en  morceaux  s'ils  ne  nom- 
maient pape  un  Romain  ou  un  Italien.  Dans  cette  extrémité,  et, 
pour  échapper  à  la  mort,  les  ultramontains  consentirentà  l'élection 
d'un  Italien.  Dans  toute  autre  situation  ils  ne  l'auraient  pas  fait. 


(1)  Les  urbanistes  ne  disent  rien  à  ce  sujet;  mais  il  est  probable  qu'une 
grande  foule  de  peuple  étant  entrée  avec  les  cardinaux,  il  fut,  de  fait,  impos- 
sible de  refermer  les  portes  avant  que  cette  multitude  fût  écoulée. 

(2)  Ces  cliquetis  d'armes  provenaient  probablement  de  la  garde  du  palais 
établie  par  les  chefs  de  la  ville  ;  cette  garde  était  placée  dans  le  palais,  sous 
la  salle  d'élection;  le  peuple  n'entra  dans  le  palais  que  le  lendemain.  Cf. 
infra.  A  ce  moment-là  il  se  trouvait  autour  du  palais,  et  il  se  peut  que  ce 
bruit  provînt  de  lui.  On  dirait  que  les  cardinaux  ont  rapproché  avec  intention 
ces  cliquetis  d'armes  des  cris  poussés  par  le  peuple. 

(3)  La  Vita  /™*  Gregor.  prétend  que  le  peuple  traîna  des  fagots  pour  mettre 
le  feu  au  Vatican.  Mais  ce  bois,  n'était-il  pas  plutôt  destiné  à  la  garde  qui 
passait  la  nuit  au  Vatican?  Le  peuple,  en  effet,  resta  toute  la  nuit  devant 
le  palais. 


8  ÉLECTION  d'urbain  vi,  1378. 

Les  cardinaux  italiens  ayant  déclaré  en  même  temps  que  si  l'un 
d'eux  était  élu,  ils  n'accepteraient  pas  l'élection, à  cause  de  la  pres- 
sion évidente  qui  était  exercée,  on  choisit  en  toute  hâte,  et  sans 
plus  de  réflexion,  Barthélemi  archevêque  de  Bari,  parce  qu'on  le 
connaissait  et  qu'on  savait  qu'il  était  très-expert  en  affaires  * . 
Quelques-uns  ajoutent  que  leur  pensée  avait  bien  été  de  l'élire 
pape,  mais  à  ce  moment-là  ils  étaient  terrifiés  par  la  crainte  de  la 
mort^. 

Un  cardinal  italien,  un  Romain  (Orsini),  refusa  de  prendre  part 
à  l'élection,  parce  qu'il  n'était  pas  libre;  un  ultramontain  donna 
d'abord  sa  voix  à  un  cardinal  italien,  et  puis,  par  crainte  de  la 
mort,  la  reporta  sur  l'archevêque  de  Bari^;  un  autre  ultramon- 
tain choisit  il  est  vrai  l'archevêque,  mais  émit  en  même  temps 
une  protestation  pour  déclarer  que  l'élection  était  nulle,  parce 
qu'elle  était  extorquée^  ;  enfin,  antérieurement  déjà,  un  troisième 
ultramontain  avait  déclaré  solennellement  par-devant  un  notaire 
(et  des  témoins)  que  si  dans  le  conclave  il  chosissait  un  Italien, 
ce  ne  serait  que  par  crainte  de  la  mort^.  Quelques  cardinaux  dé- 
clarèrent, en  outre,  que  leur  intention  était,  ainsi  que  cela  avait 
eu  lieu  déjà  plusieurs  fois,  de  se  réunir  en  lieu  sûr  lorsqu'ils  au- 
raient recouvré  leur  liberté,  et  là  de  le  réélire  (eum,  c'est-à-dire 
l'archevêque  de  Bari)  ^.  Sur  ces  entrefaites  le  peuple  fît  irruption 
dans  le  conclave  et  montra  une  telle  exaspération  que  les  cardi- 
naux n'osèrent  pas  faire  connaître  l'élection  qui  venait  d'avoir 
lieu  (pourquoi  cette  crainte,  puisque  les  cardinaux,  a/în  déplaire 


(1)  Précisément  cette  dernière  remarque  (la  qualité  de  Télu)  prouve  que 
les  cardinaux  l'élisaient  sérieusement  pour  pape.  La  Vila  /™*  Gregor.  ajoute 
que  les  cardinaux  l'avaient  élu  dans  l'espoir  qu'il  n'accepterait  pas  l'élection. 
C'est  très-peu  probable;  les  cardinaux  eux-mêmes  n'en  disent  rien  dans 
leur  déclaration  contre  Urbain  YI. 

(2)  Aliqui  tune  dixemnt,  quod  eligehant  ipsum  animo  et  proposito,  quod  ipse 
esset  verus  papa,  timoré  tamen  mortis  m  eorum  animis  continue  perdurante.  Cf. 
Baluz.  1.  c.  1. 11,  p.  827  sq.  Dans  Bulée,  1.  c.  p.  471,  on  lit  au  contraire  :  quod 
ipse  NON  erat  verus  papa.  Cette  négation  ne  s'harmonise  pas  avec  le  contexte, 
par  exemple  avec  tamen  qui  suit.  De  plus,  le  cardinal  de  Limoges  déclarait, 
après  avoir  adandonné  Urbain,  qu'il  l'avait  élu  animo  et  proposito,  quod  esset 
papa,  timoré  tamen  mortis.  Cf.  Baluz.  1.  c.  t,  1,  p.  1003. 

(3)  D'après  Thomas  d'Acerno,  c'est  ce  que  fit  le  cardinal  de  Florence,  qui 
n'était  cependant  pas  ultramontain,  mais  bien  italien. 

(4)  11  s'agit  de  Noellet,  cardinal  de  S.  Angelo.  Cf.  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1114. 

(5)  Cette  protestation  du  cardinal  de  Glandève  se  trouve  dans  Baluz.  1.  c. 
t.  II,  p.  816,  et  dans  Christophe,  1.  c.  p.  346  sqq. 

(6)  Que  telle  ait  été  leur  intention,  c'est  ce  que  prouve  encore  VExpositio 
envoyée  par  ie  roi  de  France  au  comte  de  Flandre.  BuLÉE,J7i5^  Univers.  Pa- 
risien, t.  IV,  p.  520. 


''"  "^  ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378.  9 

ou  peuple,  avaient  choisi  un  Italien  ?).  Aussi  firent-ils  dire  à  la  mul- 
titude par  les  trois  premiers  membres  du  sacré-collége  *  que  le 
lendemain,  vers  la  troisième  heure,  elle  aurait  satisfaction  à 
l'égard  de  l'élection  à  la  papauté,  mais  qu'elle  n'avait  pour  le  mo- 
ment qu'à  se  retirer.  Il  n'y  eut  que  quelques  personnes  à  suivre 
ce  conseil,  les  autres  restèrent  et  empêchèrent  qu'on  apportât 
des  vivres  aux  cardinaux.  Ceux-ci  appelèrent  alors  plusieurs 
prélats  et  parmi  eux  l'archevêque  de  Bari.  Ce  prélat  ayant  eu 
vent  de  son  élection,  c'est  du  moins  ce  que  l'on  crut,  calma  le 
peuple,  de  telle  façon  que  les  cardinaux  purent  avoir  à  manger. 
Le  repas  terminé,  ils  se  rendirent  tous,  à  l'exception  de  trois 
ultramontains,  dans  la  chapelle  du  palais;  l'un  des  Italiens  émit 
alors  l'avis  que,  la  pression  ayant  cessé,  on  pouvait  procéder  à 
une  réélection  (de  l'archevêque  déjà  élu);  tel  ne  fut  pas  le  senti- 
ment d'un  ultramontain,  qui  soutint  que  le  danger  était  encore 
plus  menaçant  qu'auparavant.  Les  autres  n'en  commencèrent  pas 
moins,  sans  rien  faire  dire  aux  trois  absents,  de  procéder  à  la 
réélection,  mais  elle  n'était  pas  terminée  que  le  con{;lave  fut 
envahi  par  le  peuple.  Les  chefs  de  la  ville  et  beaucoup  d'hommes 
armés  se  précipitèrent  dans  l'intérieur.  Les  cardinaux  délibé- 
raient au  milieu  de  transes  mortelles  (pourquoi,  puisqu'ils  avaient 
fait  un  choix  conforme  au  désir  des  Romains  ?).  Ils  voulurent  se 
cacher  dans  une  chapelle  secrète,  mais  elle  ne  fut  pas  plus  res- 
pectée, et  ils  auraient  probablement  été  tous  massacrés,  parti- 
culièrement4es  ultramontains,  si  l'un  d'eux  n'avait  eu  l'idée  de 
crier  :  «  Le  cardinal  de  Saint-Pierre  est  élu,  mais  il  ne  veut  pas 
accepter  son  élection  ;  obtenez  de  lui  qu'il  l'accepte  !  »  Le  peuple 
se  précipita  aussitôt  sur  ce  cardinal,  s'empara  de  lui,  le  plaça  sur 
un  siège  et  lui  rendit  les  honneurs  accoutumés.  Les  cardinaux 
profitèrent  de  ce  moment  pour  quitter  le  conclave  et  rentrer  chez 
eux,  et  partirent  avec  ou  sans  manteau  et  à  pied  (c'est-à-dire 
dans  le  plus  grand  désordre).  Le  soir  venu,  quelques  cardinaux 
s'étant  déguisés  se  réfugièrent  dans  le  château  Saint-Ange  ; 
d'autres  quittèrent  la  ville  ;  enfin  d'autres  restèrent  dans  leur  do  - 
micile  2.  Le  lendemain  9  avril,  l'archevêque  de  Bari,  qui  se  trou- 


Ci)  C'étaient  le  premier  des  cardinaux-évêques  (celui  de  Porto),  le  premier 
des  cardinaux-prêtres  (d'Aigrefeuille)  et  le  premier  des  cardinaux- diacres 
(Orsini). 

(2)  Le  motif  des  angoisses  et  de  la  fuite  des  cardinaux  n'est  pas  indiqué  : 
il  est  bien  probable  que  c'est  à  dessein.  En  réalité,  les  cardinaux  avaient 


10  ÉLECTION  d'urbain  \ly   1378. 

vaifc  encore  au  Vatican,  et  qui  ne  voulait  pas  le  quitter  nonobstant 
les  exhortations  de  trois  cardinaux  en  fuite  ',  fît  dire  à  plusieurs 
reprises  aux  cardinaux  du  château  Saint-Ange  et  à  ceux  qui 
étaient  restés  chez  eux,  de  venir  le  rejoindre  pour  éviter  de  plus 
grands  dangers.  Les  six  cardinaux  restés  dans  leurs  maisons  se 
rendirent  à  cet  appel,  tandis  que  ceux  du  château  Saint- Ange 
s'obstinèrent  à  ne  pas  venir;  mais  ils  autorisèrent  par  écrit  leurs 
collègues  à  procéder  à  l'intronisation  du  nouvel  élu^.  L'arche- 
vêque de  Bari  insista  pour  qu'ils  vinssent  au  Vatican,  et  comme  le 
château  Saint-Ange  ne  renfermait  pas  de  provisions  suffisantes 
et  ne  donnait  pas  une  pleine  sécurité  ^  les  cardinaux  qui  y  avaient 
cherché  un  refuge  se  décidèrent  à  le  quitter  pour  prendre  part 
à  l'intronisation^;  enfin  les  cardinaux  qui  avaient  quitté  la  ville 
revinrent  sur  leurs  pas  et  assistèrent  aussi  au  couronnement,  pour 
ne  pas  avoir  l'air  de  protester  contre  l'élection,  ce  qui  aurait  pu 
ameuter  le  peuple  contre  leurs  serviteurs  et  leurs  maisons.  » 

Les  données  de  la  Vita  P  et  W  Gregorii  XI  dans  Baluz.  1.  c. 
t.  i,  p.  442  sqq.  et  p.  456  sqq.  coïncident  sur  les  points  prin- 
cipaux avec  cette  relation  des  cardinaux  ayant  abandonné  le  parti 
d'Urbain  VL  Ce  que  ces  données  ajoutent,  ou  bien  les  variantes 
qu'elles  contiennent,  a  été  mentionné  dans  les  notes  jointes  à 
l'exposé  des  cardinaux .  Parmi  les  documents  opposés  à  U rbain  YI, 
il  faut  encore  compter  le  court  récit  de  initia  Schismatis  prove- 
nant d'un  codex  de  Liège  (dans  Martène,  Vet.  Script,  t.  VII, 
p.  426  sqq.),  ainsi  que  plusieurs  dépositions  de  témoins  recueillies 
par  Baluz.  (1.  c.  p.  999-1230),  surtout  dans  le  but  de  faire  contre- 
poids aux  dépositions  recueillies  par  Raynald.  Nous  mettrons  à 

deux  choses  à  craindre  :  1)  que  le  nouvel  élu  déplût  aux  Romains,  parce  qu'il 
n'était  pas  Romain  ;  2)  que  le  peuple  ne  les  maltraitât  (les  cardinaux),  lors- 
qu'il apprendrait  la  duperie  jouée  à  l'aide  du  cardinal  de  Saint-Pierre. 

(1)  Cette  partie  du  récit  est  combinée  de  façon  à  tromper  le  lecteur.  Ici, 
par  exemple,  on  pourrait  croire  que  les  cardinaux  exhortent  l'archevêque 
de  Bari  parce  qu'ils  ne  le  regardent  pas  comme  élu,  'mais  il  n'en  est  rien  : 
ils  veulent  seulement  sauver  le  nouveau  pape,  le  décider  à  quitter  Rome 
avec  eux;  ils  craignent  donc  que  son  élection  ne  soit  désagréable  aux  Ro- 
mains. 

(2)  S'ils  ne  venaient  pas,  c'était  donc  parce  qu'ils  craignaient  le  peuple, 
et  non  parce  qu'ils  ne  reconnaissaient  pas  l'élection  d'Urbain. 

(3)  Cette  remarque  tend  à  prouver  que  la  participation  des  cardinaux  du 
château  Saint-Ange  à  l'intronisation  d'Urbain  ne  fut  pas  libre,  mais  nous 
ferons  remarquer  a)  que  ces  cardinaux  avaient  déjà  envoyé  leur  adhésion 
par  écrit,  h)  que  le  château  Saint-Ange  fut  en  état  de  tenir  encore  longtemps 
contre  Urbain  Yl,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin. 

(4)  Les  cardinaux  passent  rapidement  sur  cette  grave  circonstance;  un 
récit  détaillé  comme  celui  de  la  page  17  aurait  témoigné  contre  eux. 


ÉLECTION   d'urbain   VI,    1378,  11 

profit  ce  que  ces  dernières  pièces  renferment  de  nouveau  ou 
méritant  d'être  mentionné. 

L'exposé  le  plus  important  fait  par  le  parti  d'Urbain  se  trouve 
dans  le  factum  qu'Urbain  lui-même  envoya  aux  princes.  On  y  lit  : 

«  1 .  Avant  la  mort  de  Grégoire  XI,  mais  lorsqu'on  ne  conser- 
vait plus  d'espoir  de  le  sauver,  les  cardinaux,  à  l'exception  de 
leur  collègue  le  cardinal  de  Saint-Pierre,  qui  était  malade,  se 
réunirent  à  plusieurs  reprises,  soit  en  assemblée  générale,  soit 
en  divers  groupes,  pour  s'entendre  sur  le  choix  d'un  ultramon- 
tain  (c'est-à-dire  d'un  prélat  non  italien).  Afin  de  mettre  en  sû- 
reté, au  moment  de  la  mort  du  pape,  ce  qu'ils  possédaient,  les 
cardinaux,  et  surtout  les  ultramontains,  firent  porter  leur  argent, 
leurs  diamants,  leurs  livres,  etc.,  dans  le  château  Saint-Ange. 
Les  employés  de  la  ville,  notamment  le  sénateur  Guido  de  Proinis, 
gentilhomme  français,  les  conservateurs  et  les  bandarensesQic, 
ayant  appris  l'état  désespéré  où  se  trouvait  le  pape,  se  rendirent, 
en  compagnie  de  plusieurs  prêtres  et  de  bourgeois  de  distinction, 
dans  l'église  de 5.  Spirito  où  se  trouvaient  réunis  les  cardinaux; 
ils  leur  dirent  toute  la  part  qu'ils  prenaient  à  la  maladie  de  Gré- 
goire et  leur  promirent  que,  s'il  venait  à  mourir,  ils  se  conforme- 
raient complètement  à  leurs  désirs,  et  ils  leur  recommandèrent 
d'élire  un  homme  capable  de  gouverner  l'Église  romaine  dans  la 
situation  présente.  Les  cardinaux  répondirent  qu'ils  songeaient 
à  élire,  sans  esprit  de  parti,  celui  qui  leur  paraîtrait  apte  et  dont 
l'élection  leur  serait  comme  recommandée  par  Dieu.  Après  cette 
déclaration ,  les  cardinaux  demandèrent  aux  chefs  de  la  ville 
d'exercer  dans  Rome  une  active  surveillance,  pour  qu'il  ne  se 
passât  rien  d'illégal;  ceux-ci  le  promirent  et  tinrent  leur  pro- 
messe, car  ils  gardèrent  fidèlement  la  ville,  le  Borgo  de  Saint- 
Pierre  et  le  conclave,  et  empêchèrent  tout  désordre. 

2.  Après  la  mort  de  Grégoire  XI,  les  cardinaux  mandèrent 
auprès  d'eux  le  sénateur  et  les  autres  officiers  municipaux  et 
leur  demandèrent  de  prêter  serment  conformément  aux  dispo- 
sitions de  la  décrétale  Ubi  periculum  majus.  Le  serment  fut 
prêté  et  les  promesses  faites  antérieurement  furent  renouvelées. 

3.  L'un  des  jours  suivants,  comme  les  cardinaux  étaient  tous 
réunis  dans  l'église  Maria,  Nova,  où  Grégoire  avait  choisi  sa 
sépulture  (il  s'agissait  des  obsèques  qui  duraient  neuf  jours), 
le  sénateur  et  les  offlciales  vinrent  de  nouveau  les  trouver  et 
leur  demandèrent,  au  nom  du  peuple,  d'élire  un  homme  intel- 


12  ÉLECTION   d'urbain  VI,    1378. 

ligent,  Italien  de  nation,  et  cela  dans  l'intérêt  de  toute  la  chré- 
tienté. Ils  renouvelèrent  cette  prière  dans  cette  même  église 
plusieurs  jours  de  suite  (à  l'occasion  des  autres  cérémonies  des 
funérailles),  tout  en  développant  les  raisons  suivantes  qui  mo- 
tivaient leur  demande  :  la  longue  absence  des  papes  avait  causé 
de  grands  dommages  aussi  bien  à  l'Église  qu'à  la  ville  de  Rome  ; 
les  églises,  les  couvents,  les  palais  et  les  autres  monuments 
étaient  en  ruine,  les  biens  de  l'Église  étaient  dans  le  plus  grand 
désordre  et  l'on  ne  pouvait  espérer  de  réformes  que  si  le  pape 
établissait  définitivement  son  siège  à  Rome.  Or,  un  Romain  ou 
un  Italien  ferait  ce  changement  plus  spontanément  qu'un 
Français.  Beaucoup  de  villes,  de  bourgs,  de  villages  et  de  pays 
de  l'Italie  faisant  partie  du  patrimoine  de  l'Église  étaient  désolés 
par  la  guerre,  les  divisions  des  partis  et  les  vexations  de  toute 
espèce;  de  plus,  des  tyrans,  pour  la  plupart  français,  les  tenaient 
sous  le  joug,  de  telle  sorte  que  l'Église  romaine  ne  tirait  de  ses 
possessions  que  peu  ou  pas  de  revenus.  Les  trésors  qu'ils 
n'avaient  pu  réunir  qu'en  molestant  toutes  les  autres  églises, 
s'épuisaient  et  diminuaient  de  jour  en  jour,  parce  qu'il  fallait 
défendre  la  ville  et  tous  ces  pays.  Il  était  résulté  de  laque,  de 
l'aveu  de  tous,  l'Église  romaine  était  sans  ressources  et  sans 
autorité.  Pour  recouvrer  les  possessions  que  la  rébellion  leur 
avait  fait  perdre,  il  était  nécessaire  que  les  papes  se  fixassent  à 
Rome  d'une  manière  définitive.  Les  cardinaux  répondirent  que, 
sans  favoriser  aucune  nation  en  particulier,  ils  songeaient  uni- 
quement à  faire  un  choix  tout  à  fait  impartial;  ils  demandaient, 
•de  leur,  côté,  aux  chefs  de  la  ville  de  placer  des  capitaines  et  des 
gardes  pour  défendre  le  palais  (le  Vatican),  le  conclave,  le 
JBorgo  de  Saint-Pierre  et  les  ponts  qui  y  conduisaient.  Les  chefs 
de  la  ville  s'empressèrent  d'obtempérer  à  cette  demande  et 
îfîrent  choix  de  bandarenses  et  de  bourgeois  ayant  la  confiance 
des  cardinaux.  De  plus,  on  obligea  ces  gardes  à  prêter  serment. 
Les  cardinaux  firent  porter  alors  au  château  Saint-Ange  les 
objets  précieux  qui  leur  restaient,  ainsi  que  ceux  de  l'Église 
romaine,  et  le  chambellan  du  Saint-Siège  (Pierre  archevêque 
d'Arles)  occupa  le  château  avec  des  troupes  sûres  et  beaucoup 
de  provisions.  Conformément  au  désir  des  cardinaux,  ce 
chambellan  choisit  pour  lieutenant  l'évêque  de  Marseille  (Guil- 
laume de  la  Voûte),  avec  mission  de  protéger  le  palais  et  le 
conclave,  etc.  Les  cardinaux  lui  adjoignirent  encore  les  évêques 


ÉLECTION  d'urbain  VI,  1375.  J3 

de  Tivoli  et  de  Todi,  et  tant  que  les  cardinaux  furent  dans  le  con- 
clave et  que  dura  l'élection,  ils  furent  complètement  à  l'abri  de 
toute  oppression  et  de  tout  acte  de  violence  *. 

4.  Avant  d'entrer  dans  le  conclave,  les  cardinaux  avaient  déjà 
délibéré  entre  eux  au  sujet  de  l'élection,  mais  ils  ne  purent 
s'entendre;  cinq  d'entre  eux,  les  cardinaux  de  Limoges,  d'Ai- 
grefeuille,  de  Poitiers,  de  Marmoutier  et  Vernyo,  tous  Limousins, 
voulaient  faire  arriver  à  la  papauté  un  des  leurs,  le  cardinal  de 
Poitiers;  et  lorsqu'on  leur  déclara  que  cette  élection  était 
impossible,  ils  reportèrent  leurs  voix  sur  le  cardinal  de  Viviers, 
qui,  s'il  n'était  pas  Limousin,  était  du  moins  du  voisinage  (il 
était  de  Cahors),  et  faisait  cause  commune  avec  eux.  Cinq  autres 
cardinaux,  l'Aragonais  Pierre  de^Luca  et  les  quatre  Français 
proprement  dits,  de  Glandève,  de  Bretagne,  de  Genève  et 
de  Saint-Eustache,  avaient  un  autre  candidat,  et  le  cardinal 
Orsini  parait  avoir  été  avec  eux,  tandis  que  les  trois  Italiens, 
les  cardinaux  de  Florence,  de  Saint-Pierre  et  de  Milan,  faisaient 
bande  à  part.  Comme  les  Limousins  se  démenaient  beaucoup 
pour  gagner  leurs  collègues  au  cardinal  de  Poitiers,  ceux-ci 
leur  répondirent  que  le  monde  était  fatigué  d'avoir  des  papes 
limousins,  et  que,  bien  certainement,  aucun  d'eux  ne  serait 
élu  ^.  De  là  vint  la  désunion  parmi  les  cardinaux.  Les  Français 
proprement  dits  se  rapprochèrent  des  Italiens,  déclarant  qu'ils 
aimaient  mieux  élire  un  Italien  qu'un  Limousin,  et  quant  à  ces 
derniers,  ils  résolurent,  s'ils  ne  pouvaient  faire  élire  aucun 
d'eux,  non  plus  que  le  cardinal  de  Viviers,  de  donner  leurs 
voix  à  l'archevêque  de  Bari  ^,  espérant  que  tous  les  autres  car- 
dinaux, et  non  pas  seulement  les  Italiens,  ratifieraient  ce  choix, 
parce  que  tous  connaissaient  la  science  et  la  prudence  du 
candidat  très-versé  dans  toutes  les  affaires  de  la  Curie,  et  enfin 
qui  était  déjà  depuis  longtemps  familier  aux  cardinaux.  L'ar- 
chevêque de  Bari  était  de  plus  le  commensal  et  le  chapelain 
d'un  Limousin,  le  cardinal  de  Pampelune  Pierre  de  Monteruc, 
et  comme  ce  cardinal  était  resté  à  Avignon,  c'était  l'archevêque 

(1)  Le  cardinal  de  Poitiers  déclara  plus  tard  que  c'était  une  effronterie 
des  urbanistes  d'avoir  nié  que,  dès  le  début,  on  avait  exercé  une  pression 
sur  les  cardinaux.  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1148. 

(2)  Les  quatre  derniers  papes.  Clément  VI,  Innocent  VI,  Urbain  V  et  Gré- 
goire XI,  étaient  Limousins. 

(3)  Le  cardinal  de  Poitiers  nia  plus  tard  qu'on  eût,  à  ce  moment,  songé  à 
rarchevêque  de  Bari.  Baluz.  1.  c.  p.  1148. 


14  ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378. 

qui  le  suppléait  dans  la  charge  de  chancelier.  On  le  considé- 
rait comme  ultramontain,  parce  qu'il  avait  vécu  longtemps  à 
Avignon,  où  il  avait  pris  des  habitudes  françaises;  de  plus  il 
était  originaire  de  Naples,  par  conséquent  sujet  de  la  reine 
Jeanne,  qui  manifestait  le  plus  grand  attachement  pour  le  Saint- 
Siège.  Toute  la  ville  de  Rome  savait  qu'avant  même  d'entrer 
dans  le  conclave  les  Limousins  avaient  jeté  les  yeux  sur  l'ar- 
chevêque de  Bari. 

5.  Lorsque,  le  7  avril  1378,  les  seize  cardinaux  entrèrent  dans 
le  conclave,  beaucoup  de  Romains  entouraient  le  palais  et 
crièrent  à  haute  voix  et  à  plusieurs  reprises  :  Papa  Romano 
volcmo.  Le  conclave  fut  aussitôt  fermé  de  tous  les  côtés  ;  les 
cardinaux  d'Aigrefeuille  et  de  Poitiers  vinrent  trouver  (sans 
sortir  du  conclave)  leur  collègue  de  Saint-Pierre,  lui  dirent  que, 
si  les  circonstances  le  demandaient,  ils  éliraient  l'archevêque  de 
Bari,  et  ils  demandèrent  au  cardinal  de  Saint-Pierre  de  voter 
dans  le  même  sens.  Celui-ci  le  promit  ^ . 

6.  Le  lendemain  8  avril,  dans  la  matinée,  les  cardinaux  en- 
tendirent deux  messes  de  Spiritu  sancto  et  de  feria  et  se  ren- 
dirent ensuite  à  la  chapelle  du  palais,  qui  se  trouvait  à  l'intérieur 
du  conclave,  pour  y  procéder  à  l'élection.  Le  cardinal  de 
Poitiers  dit  alors  à  celui  de  Milan  et  aux  amis  de  ce  dernier  : 
«  N'êtes-vous  pas  d'avis  que  l'archevêque  de  Bari  a  ce  qu'il  faut 
pour  être  pape?  »  Le  cardinal  de  Milan  répondit  qu'il  le  croyait, 
et  les  Limousins,  ayant  délibéré  à  la  suite  de  cet  incident,  con- 
statèrent qu'ils  avaient  le  nombre  suffisant  de  voix.  Aussi  le 
cardinal  d'Aigrefeuille  dit  :  «  Nous  pouvons  maintenant  nous 
asseoir,  car  j'espère  que,  sans  plus  de  délai,  nous  allons  avoir 
un  pape.  »  Pour  faire  manquer  l'élection  de  l'archevêque  de 
Bari,  le  cardinal  Orsini  proposa  de  différer  le  vote,  et  il  ajouta  : 
«  Trompons  les  Romains,  nous  revêtirons  de  la  chape  et  de  la 
mitre  un*  franciscain  romain,  en  laissant  croire  qu'il  est  élu 
pape  et  nous  profiterons  de  cette  ruse  pour  nous  en  aller  et 
pour  choisir  ailleurs  un  autre  pape  2.  »  Le  cardinal  de  Limoges 
et  ses  amis  se  déclarèrent  très-ouvertement  contre  un  pareil 


(1)  On  voit  que,  dans  ces  documents,  il  n'est  pas  question  de  l'entrée  des 
chefs  de  district  dans  le  conclave,  non  plus  que  de  la  réitération  de  leur 
demande  aux  cardinaux;  il  n'est  rien  dit  non  plus  du  vacarme  qui  éclata 
dans  la  nuit  du  7  au  8  avril  et  dans  la  matinée  du  8  avril. 

(2)  Cette  proposition  suppose  que  les  cardinaux  ne  se  sentaient  pas  libres. 


ÉLECTION    d'uRBAIà'    M,  1378.  15 

subterfuge '.  Le  cardinal  de  Florence  proposa  ensuite  d'élire  le 
cardinal  de  Saint-Pierre,  mais  celui  de  Limoges  répondit  :  «  H 
est  vrai  que  ce  serait  faire  choix  d'un  bon  et  saint  homme, 
mais  il  est  vieux  et  infirme;  de  plus  c'est  un  Romain,  et  nous 
ne  devons  pas  élire  un  Romain,  parce  que  ce  serait  consentir  à 
ce  que  demande  le  peuple.  »  Se  tournant  ensuite  vers  le  cardinal 
de  Florence,  il  poursuivit  :  «  Vous  êtes  d'une  ville  qui  est 
l'ennemie  de  Rome,  aussi  nous  ne  vous  élirons  pas  et  il  en  sera 
de  même  du  cardinal  de  Milan;  quant  à  Orsini,  c'est  un  Romain, 
de  plus  il  est  partial  et  trop  jeune  encore.  »  Immédiatement 
après,  pendant  que  le  conclave  était  encore  fermé  et  que  tout 
était  calme  à  l'intérieur  comme  à  l'extérieur  du  palais,  le  car- 
dinal de  Limoges  dit  :  «  Je  choisis  librement  et  simplement 
Barthélemi  de  Bari,  avec  la  pensée  et  la  volonté  qu'il  soit  le  pape 
légitime  [et  animo  et  vohmtate  quod  sit  veriis  papa  ;  cette 
dernière  remarque  avait  été  faite  par  suite  de  la  ruse  proposée 
par  Orsini.  Le  cardinal  de  Limoges  voulait  dire  par  là  que  son 
choix  était  sérieux  et  définitif).  Les  autres  cardinaux  susnommés 
firent  aussi,  en  pleine  liberté,  la  même  élection,  qui  réunit  plus 
des  deux  tiers  des  voix  des  assistants;  le  cardinal  de  Florence 
se  rallia  même  à  cette  élection  ^. 

7,  L'élection  terminée,  les  cardinaux  délibérèrent  pour  savoir, 
s'il  était  opportun  de  la  rendre  immédiatement  publique,  et  ils 
se  décidèrent  pour  la  négative,  parce  que  l'élu  ne  se  trouvait 
pas  dans  le  palais  et  qu'il  pouvait  dans  ce  cas  avoir  à  souffrir 
quelque  mauvais  traitement  de  la  part  du  peuple  (ce  n'était  pas 
ui;i  Romain  qui  avait  été  élu,  ainsi  que  l'auraient  voulu  les 
Romains.)  De  plus,  on  aurait  voulu,  avant  de  faire  connaître 
l'élection,  mettre  en  lieu  sûr  les  objets  précieux  qui  se  trou- 
vaient dans  le  conclave. 

8.  Mais  le  bruit  s'était  répandu  que  l'élection  était  faite  et  le 
peuple  voulait  savoir  qui  était  élu  et  de  quelle  nation  il  était. 
L'évêque  de  Marseille,  qui  représentait  le  chambellan,  fit  alors 
crier  au  peuple  en  français  :  Allez  à  Saint-Pierre  (c'est-à-dire, 
on  vous  dira  là  ce  que  vous  voulez  savoir).  Quelques  personnes 


(1)  Le  cardinal  de  Saint- Eustache,  FJandrin,  qui  s'était  assis  à  côté  d'Or- 
sini,  déclara  plus  tard  qu'il  n'avait  jamais  entendu  émettre  une  pareille  pro  ■ 
position.  Baluz.  1.  c.  p.  1002. 

(2)  On  passe  sous  silence  le  refus  de  voter  d'Orsini,  de  même  que  la  pro- 
testation de  Glandève. 


16  ÉLECTION    d'urbain    VI,    13"/ 8. 

se  méprenant  crurent  que  c'était  le  cardinal  de  Saint-Pierre 
qui  était  élu  pape  ;  ils  se  hâtèrent  d'aller  chez  lui  et,  conformé- 
ment à  un  abus  déjà  ancien,  ils  s'empressèrent  de  piller  sa 
maison.  Une  partie  du  peuple  resta  dans  le  voisinage  du  palais, 
en  criant  joyeusement  :  «  Nous  voulons  un  Romain,  nous  avons 
un  Romain.  »  Les  cardinaux  prièrent  l'archevêque  de  Bari  et 
quelques  autres  prélats  de  venir  au  palais. 

9.  Après  le  repas  et  tandis  que  le  conclave  était  encore  fermé, 
les  cardinaux  se  rendirent  de  nouveau  dans  la  chapelle,  et,  pour 
plus  de  sûreté,  ils  élurent  encore  une  fois  l'archevêque  de  Bari, 
en  déclarant  expressément  que  cette  élection  étaîî  libre  et  faite 
avec  l'intention  d'avoir  Barthélemi  pour  pape  légitime*.  Gomme 
on  tardait  toujours  de  faire  connaître  l'élection,  quelques 
personnes  du  peuple  craignirent  qu'on  ne  les  eût  trompées,  et 
comme  le  palais  était  ouvert  d'un  côté,  pour  faire  sortir  les 
objets  précieux,  elles  en  profitèrent  afin  d'aller  voir  si  on  avait 
réellement  élu  dn  pape.  Les  cardinaux  ultramontains,  ayant 
remarqué  cette  invasion,  craignirent  que  le  peuple  ne  fût  mé- 
content parce  qu'on  n'avait  pas  élu  un  Romain,  et,  mettant  à 
profit  l'erreur  qui  avait  déjà  eu  lieu  à  l'égard  du  cardinal  de 
Saint-Pierre,  ils  le  décidèrent  à  se  revêtir  de  la  mitre  et  de  la 
chape  du  pape,  et  à  prendre  place  sur  le  trône.  La  porte  du 
conclave  fut  ouverte,  une  grande  foule  fit  irruption  et  témoigna 
au  faux  élu  le  respect  accoutumé,  pendant  que  les  cardinaux,  à 
l'exception  de  celui  de  Saint-Pierre,  se  sauvaient  et  gagnaient 
leurs  maisons,  en  étant  constamment  accompagnés  de  bourgeois 
romains  ^.  L'archevêque  de  Bari  resta  dans  le  palais  et  le  car- 
dinal de  Saint-Pierre  dit  aux  assistants  :  «  Je  ne  suis  pas  le  pape, 
un  meilleur  que  moi  a  été  élu,  c'est  l'archevêque  de  Bari.  » 

10.  Le  cardinal  de  Luna  accompagné  d'une  manière  hono- 
rifique par  beaucoup  de  Romains  ^  ayant  passé  devant  le  château 
Saint-Ange  pour  se  rendre  chez  lui,  ceux  qui  étaient  dans  la 


(1)  D'après  \a.declaratio  des  cardinaux  qui  abandonnèrent  le  parti  d'Urbain, 
trois  cardinaux  ultramontains  n'assistèrent  pas  à  cette  seconde  réunion,  et, 
ce  qui  est  plus  important,  cette  reeledio  n'aurait  pas  pu  être  terminée. 

(2)  D'après  les  données  du  parti  opposé  à  Urbain ,  les  cardinaux  se  se- 
raient enfuis  en  désordre  et  en  étant  suivis  par  le  peuple. 

{3)  D'après  d'autres  historiens,  le  cardinal  de  Luna  aurait  été  entouré  de 
Romains  qui  le  menaçaient  de  mort.  Cf.  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p,  1188.  La  Vi'to ii"^» 
Gregorii  XI,  quoique  provenant  du  parti  hostile  à  Urbain,  ne  dit  pas  que  les 
cardinaux  aient  couru  quelque  danger.  Ibid.  p.  463. 


ÉLECTION   d'urbain   VI,   1378.  17 

citadelle  crurent  qu'on  l'enmenait  prisonnier,  et  attaquèrent  le 
peuple  ;  ce  fut  pour  ce  motif  qu'on  sonna  les  cloches  de  Saint- 
Pierre  \  mais  le  combat  cessa  immédiatement,  dès  qu'on  se  fut 
aperçu  de  la  méprise. 

11.  Tandis  que  l'archevêque  de  Bari  était  dans  le  Vatican, 
il  apprit  que  des  gens  du  peuple  voulaient  le  massacrer,  parce 
qu'il  n'était  pas  Romain;  aussi  se  cacha-t-il  dans  le  palais. 
Quelques  cardinaux  étaient  aussi  remplis  d'effroi,  à  cause  de  la 
ruse  dont  le  cardinal  de  Saint-Pierre  avait  été  l'instrument,  et, 
pour  se  mettre  en  sûreté,  ils  se  réfugièrent  dans  le  château 
Saint-Ange.  C'est  ce  que  firent,  en  particulier,  les  cardinaux  de 
Limoges,  d'Aigrefeuille,  de  Poitiers,  de  Bretagne,  de  Viviers  et 
de  Vernyo;  d'autres,  comme  les  cardinaux  de  Genève,  Orsini  ^, 
de  Saint-Eustache^  de  S.Àngelo,  se  cachèrent  dans  des  châteaux 
forts  en  dehors  de  Rome  ;  enfin  il  y  en  eut  qui  aimèrent  mieux 
rester  en  ville  dans  leurs  demeures;  c'étaient  les  cardinaux  de 
Florence,  de  Marmoutier,  de  Milan,  de  Glandève  et  de  Luna,  et 
ils  ne  furent  pas  molestés. 

12.  Quelques-uns  des  cardinaux,  cachés  hors  de  Rome,  firent 
conseiller  au  nouvel  élu  de  se  retirer  en  un  lieu  sûr,  pour  qu'il 
ne  lui  arrivât  rien  de  désagréable  ;  mais,  sur  le  conseil  du  cardinal 
de  Saint-Pierre,  il  aima  mieux  rester  au  Vatican, 

13.  Le  lendemain  9  avril,  l'élection  de  l'archevêque  fut 
communiquée  aux  chefs  romains  de  la  ville;  ils  s'en  réjouirent, 
et  le  sénateur  Guido  de  Proinis,  ainsi  que  les  autres  o/Jîciales, 
vinrent  immédiatement  présenter  leurs  devoirs  au  nouvel  élu  ; 
mais  l'archevêque  les  en  empêcha  et  n'accepta  d'autre  titre  que 
celui  d'archevêque. 

14.  Dans  la  même  matinée,  les  cinq  cardinaux  restés  dans 
leurs  maisons  vinrent  trouver  l'élu,  lui  dirent  toutes  sortes 
de  bonnes  paroles,  et  le  prièrent  d'accepter  l'élection,  qui  s'était 
faite  d'une  manière  canonique  et  dans  un  esprit  de  concorde. 
Ils  lui  demandèrent  également  d'inviter  à  son  intronisation  les 
cardinaux  du  château  Saint-Ange.  Il  demanda  à  chacun  d'eux 
s'il  avait  été  réellement  élu  d'une  manière  libre  et  canonique  par 
tous  les  cardinaux;  tous  lui  répondirent  :  «  Oui;  »  quelques-uns 


(1)  D'après  la  declaratîo  des  adversaires  d'Urbain,  cette  sorte  de  tocsin 
aurait  précédé  l'élection. 

(2)  Cf.  BuL^us, Hist.  univers.  Parisien,  t.  IV,  p.  495.Dans  Raynald,  1378, 87; 
on  nomme  deux  fois,  par  erreur,  le  cardinal  d'Aigrefeuille. 

I.  X.    2 


18  ÉLECTION    d'urbain    VI,    1378. 

ajoutèrent  qu'il  commettrait  un  grand  péché  s'il  ne  s'inclinait 
pas  devant  l'élection. 

15.  Les  cardinaux  du  château  Saint-Ange  envoyèrent  alors 
(au  lieu  de  venir  eux-mêmes)  à  leurs  collègues  du  Yatican  une 
déclaration  écrite,  pour  dire  qu'ils  approuvaient  tout  ce  qui  serait 
fait  au  sujet  de  l'intronisation  de  l'élu. 

16.  Lorsque  le  sénateur  et  les  autres  officiâtes  apprirent  que 
les  cardinaux  du  château  Saint-Ange  hésitaient,  par  crainte  du 
peuple,  à  visiter  l'élu,  ils  vinrent  eux-mêmes  les  trouver  et 
protestèrent  que  le  peuple  serait  content  de  l'élection,  quoi- 
qu'elle n'eût  pas  favorisé  un  Romain  proprement  dit  ^  Les 
cardinaux  du  château  Saint-Ange  se  rendirent  devant  ces  as- 
surances, et,  après  le  repas,  ils  vinrent  au  Vatican;  réunis  à 
leurs  collègues ,  ils  allèrent  tous  ensemble  dans  la  chapelle, 
là,  ils  adhérèrent  à  l'élection  et  chargèrent  le  cardinal  d'Aigre- 
feuille  de  faire  venir  Félu  dans  la  chapelle.  Il  vint,  fut  reçu 
par  les  cardinaux  comme  étant  élu,  et  il  s'assit.  Le  cardinal  de 
Florence  lui  demanda,  comme  étant  le  premier  du  sacré-coUége 
et  au  nom  de  tous  les  autres  cardinaux,  s'il  acceptait  l'élection, 
et  comme  l'archevêque  de  Bari  hésitait,  le  cardinal  de  Florence 
le  pressa  très-vivement  de  dire  :  Oui  ;  l'archevêque  ayant  fini 
par  donner  son  consentement,  les  cardinaux  entonnèrent  joyeu- 
sement le  Te  Deum,  revêtirent  Barthélemi  des  ornements  pon- 
tificaux, récitèrent  les  oraisons  accoutumées  et  firent  toute  la 
cérémonie  de  l'intronisation.  A  la  demande  des  cardinaux,  le 
nouveau  pape  prit  le  nom  d'Urbain  YI.  Aussitôt  après,  le  car- 
dinal de  Yernyo  alla  à  la  fenêtre  et  cria  au  peuple  :  «  Je  vous 
annonce  une  grande  joie,  nous  avons  un  pape  :  Urbain  YI.   » 

17.  Le  même  jour,  les  cardinaux  de  Limoges,  d'Aigrefeuille 
et  de  Poitiers,  ayant  pris  à  part  le  pape,  lui  déclarèrent  qu'ils 
étaient  les  principaux  auteurs  de  son  élection,  et  ils  lui  de- 
m.andèrent  en  retour  de  faire  grâce  à  leurs  partisans  et  à  leurs 

amis. 

18.  Le  samedi  10  avril,  le  pape,  accompagné  des  deux  cardi- 
naux qui  l'avaient  intronisé  et  du  cardinal  Orsini  déjà  revenu  à 
Rome,  se  rendit  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  se  plaça  sur  le 


(1)  Les  adversaires  d'Urbain  prétendirent  plus  tard  qu'il  avait  dit  au  chef 
de  la  ville  :  «  Vous  n'avez  fait  que  la  moitié  de  votre  œuvre  si  vous  n'obli- 
gez pas  les  cardinaux  à  m'introniser.  »  Baluz  1.  c.  p.  1219. 


ÉLECTION    D'URDAIX    M,   137S.  igt- 

siège  du  pape,  devant  le  maître-autel,  et  reçut  les  hommages  des 
chanoines  de  Saint-Pierre.  A  la  fin  de  la  messe  basse,  il  donna 
la  bénédiction,  revint  ensuite  au  palais  avec  les  cardinaux,  et, 
selon  la  coutume,  il  prononça  devant  eux  un  discours.  Ceux-ci, 
se  conformant  aussi  à  ce  qui  se  faisait  après  l'intronisation  d'un 
pape,  demandèrent  une  indulgence  plénière  et  une  dispense 
pour  les  irrégularités  qui  pourraient  les  atteindre.  Le  dimanche 
des  Rameaux,  11  avril,  il  distribua  solennellement  les  palmes 
aux  cardinaux  et  aux  autres  personnes;  le  cardinal  de  Florence 
célébra  en  sa  présence  le  service  divin,  et  Urbain  fît  toutes  les 
cérémonies  qui,  en  cette  circonstance,  sont  réservées  au  pape. Les 
cardinaux  l'assistèrent  régulièrement,  en  particulier  le  jour  de 
la  Cœna  Domini,  lors  de  la  proclamation  de  la  bulle  d'excom- 
munication, et  le  vendredi  saint.  Le  samedi  saint  parurent  aussi 
à  Saint-Pierre  les  cardinaux  qui  avaient  quitté  Rome;  lesacré- 
collége  tout  entier  remit  alors  au  pape,  dans  les  formes  accou- 
tumées, l'anneau  et  le  pallium.  Ce  jour-là,  le  pape  célébra 
lui-même  la  messe  solennelle,  en  étant  assisté  de  tous  les  cardi- 
naux, et  les  cardinaux-diacres  communièrent  à  cette  messe. 
Enfin,  le  jour  de  Pâques,  le  pape  fut  couronné  avec  les  céré- 
monies traditionnelles  ;  ce  fut  le  cardinal  Orsini  qui  officia  dans 
cette  circonstance.  Gomme  il  n'y  avait  pas  de  cardinal  évêque 
d'Ostie,  les  fonctions  qu'il  remplissait  échurent  au  plus  ancien 
des  cardinaux-diacres.  Urbain  alla  ensuite  en  cavalcade  au  La- 
tran,  où  il  reçut  le  serment  de  vassalité  prêté  par  le  sénateur  et 
les  témoignages  de  respect  des  chanoines  de  Latran.  Presque  tous 
les  cardinaux  restèrent  à  Rome,  et  pendant  près  de  trois  mois 
rendirent  au  pape  les  honneurs  accoutumés,  le  traitèrent  comme 
pape  légitime,  lui  firent  présent  d'anneaux  et  autres  objets 
précieux,  l'appelèrent  pape  et  seigneur,  dirent  pour  lui  à  la 
messe  les  oraisons  dites  ordinairement  pour  le  pape,  et  conti- 
nuèrent, durant  un  certain  temps,  à  faire  de  même  à  Anagni,  où 
cependant  ils  jouissaient,  de  leur  propre  aveu,  d'une  liberté 
complète  ^ . 

Avec  cet  exposé  des  faits  coïncide  pleinement  un  second  mé- 
moire, également  appelé /(«c^wm.Bulée  l'a  inséré  dans  le  quatrième 
volume  de  son  Historia  Universitatis  Parisiensis,  p.  485  sqq., 


(1)  Raynald,  1378,  73-96  inclus.  Nous  reviendrons  plus  tard  sur  cette  der- 
nière partie  du  mémoire  favoralDle  à  Urbain  VI. 


20  ÉLECTION    d'urbain   VI,    J378. 

en  l'attribuant  à  Jacques  de  Sève,  gentilhomme  de  Provence  et 
avocat  de  la  curie  pontificale.  Ce  Jacques  de  Sève  fut  envoyé 
par  Urbain  VI  à  Charles  Y,  roi  de  France,  et  ce  fut  probablement 
alors  qu'il  donna  son  mémoire  à  l'université  de  Paris.  Plus  tard, 
il  prit,  il  ne  faudrait  certes  pas  dire  volontairement,  parti  pour 
l'antipape  et  finit  par  revenir  au  parti  d'Urbain  YI.  Toutefois, 
comme  en  1382,  au  moment  où  il  embrassait  la  cause  de  Clé- 
ment YII,  Jacques  de  Sève  déclara  par  serment  n'avoir  jamais 
composé  d'écrit  en  faveur  d'Urbain,  Baluze  (1.  c.  p.  1083)  a 
pensé  que  le  susdit  factum  n'est  pas  de  lui,  mais  bien  de  Jean 
de  Lignano,  célèbre  juriste  et  vicaire  général  de  Bologne,  et  que 
ce  travail  n'est  qu'une  partie  de  son  écrit  de  fletu  Ecdesiœ,  qui 
se  trouve  dans  le  codex  815  de  la  Bibliotheca  Colbertina.  Si 
Baluze  est  dans  le  vrai,  il  faut  dire  que  Jean  de  Lignano  a 
composé  trois  mémoires  pour  Urbain,  le  susdit  mémoire  de 
fletu  Ecclesiœ  et  les  deux  tractatus  qui  se  trouvent  (le  premier 
seulement  pour  le  fond)  dans  Raynal  (1378,30  sqq.,  et  dans  l'ap- 
pendice du  cinquième  volume  de  la  continuation  de  Baronius. 
Toutefois,  il  est  facile  de  constater  que  les  deux  tractatus  sont 
rédigés  de  tout  autre  façon  que  le  factum  dont  nous  nous  occu- 
pons. Ce  dernier  document  accuse  des  préoccupations  histo- 
riques, tandis  que  les  deux  premiers  sont  exclusivement  juri- 
diques. De  plus,  nous  trouvons  dans  le  même  Bulée  (Le. p.  482) 
un  troisième  factum  qui  aurait  été  envoyé  par  Jean  de  Lignano 
à  l'université  de  Paris  ;  mais  cette  pièce  n'est  autre  que  la  decla- 
ratio  un  peu  abrégée  des  cardinaux  opposés  au  parti  d'Urbain, 
et  elle  devait  former  la  première  partie  du  mémoire  de  Jean  de 
Lignano  destiné  à  la  réfuter  ■* . 

Thomas  d'Acerno,  juriste  évêque  de  Lucera,  se  prononce 
également  pour  la  validité  de  l'élection  d'Urbain  YI.  Lorsqu'elle 
eut  lieu,  ce  prélat  se  trouvait  à  Rome  chargé  d'affaires  de  la  reine 
de  Naples,  et  il  a  été  presque  toujours  témoin  oculaire  des 
faits  qu'il  raconte  et  qu'il  certifie  sous  la  foi  du  serment  ^. 

1.  De  même  que  le  factum  d'Urbain  (cf.  plus  haut  le  n°  3 
de  ce  document),  Thomas  raconte  qu'après  la  mort  de  Grégoire XI, 
les  chefs  de  la  ville  de  Rome  avaient  demandé  à  plusieurs  re- 


(1)  Peut-être  te  mémoire  est-il  le  même  que  celui  de  Raynald,  1378,  31 
sqq. 

(2)  Dans  Muratort,  Rerum  ital.  script,  t.  III,  P.  2,  p.  715  sqq. 


ÉLECTION   d'uKBAIN    VI,    1378.  21 

prises  aux  cardinaux,  soit  dans  l'église  de  Maria  Nova,  soit  dans 
celle  de  San  Spirito,  de  faire  choix  d'un  Romain  ou  tout  au 
moins  d'un  Italien.  Il  ajoute  que,  dans  des  conversations  intimes 
avec  des  amis^  et  des  familiers,  et  avec  Thomas  lui-même,  plu- 
sieurs cardinaux  avaient  trouvé  cette  demande  juste,  mais,  en 
revanche,  qu'il  était  facile  de  voir  combien  il  leur  déplaisait  de 
procéder  en  Italie  à  une  élection. 

2.  Ce  que  Thomas  raconte  touchant  les  délibérations  des  car- 
dinaux avant  leur  entrée  en  conclave  n'est  pas  très-intelligible. 
Il  dit  d'abord  qu'à  la  suite  des  demandes  qui  leur  avaient  été 
adressées  par  les  chefs  de  la  ville,  les  cardinaux  avaient  désigné 
plusieurs  prélats  italiens  et  romains  comme  leur  paraissant 
dignes  de  ceindre  la  tiare,  et  que  l'archevêque  de  Bari  étant  de 
ce  nombre,  le  cardinal  de  Glandève  s'était  servi  précisément 
de  Thomas  pour  mander  l'archevêque  auprès  de  lui  et  lui 
communiquer  une  nouvelle  si  flatteuse.  Quelques  lignes  plus 
loin,  on  voit  au  contraire  que  c'est  le  parti  limousin  qui  met 
en  avant  le  nom  de  l'archevêque  de  Bari.  Du  reste,  Tliomas  est 
aussi,  sur  ce  point,  d'accord  pour  le  fond  avec  le  factum  du 
pape  Urbain,  puisque  les  deux  documents  affirment  également 
que  le  nom  de  l'archevêque  de  Bari  avait  été  mis  en  avant 
lorsque  les  cardinaux  n'étaient  pas  encore  entrés  dans  le  con- 
clave. Ce  fait  a  été  néanmoins  nié  par  le  cardinal  de  Poitiers 
dans  la  note  de  la  page  13. 

3.  Thomas  affirme,  tout  comme  Urbain,  que  les  cardinaux 
avaient  eux-mêmes  demandé  aux  chefs  de  la  ville  de  placer  des 
gardes  tout  à  fait  sûrs  pour  le  Borgo  de  Saint-Pierre,  etc.  ;  mais 
il  ajoute,  ce  qu'Urbain  ne  dit  pas,  que  les  chefs  avaient  confié 
cette  mission  à  un  grand  nombre  d'hommes  armés,  qui  étaient 
soit  de  la  ville  soit  des  environs^  etc.  ;  ce  sont  là  les  six  mille 
rudes  montagnards  dont  parlent  les  adversaires  d'Urbain  * .  Mais 
Thomas  affirme  qu'ils  n'ont  rien  fait  contre  les  cardinaux. 

4.  A  l'exemple  d'Urbain,  Thomas  prétend  qu'aucune  pression 
n'a  été  exercée  sur  les  cardinaux;  à  leur  entrée  dans  le  conclave, 
on  a  seulement  crié  çà  et  là  :  Romano  lo  volemo  ^.  Il  ajoute,  ce 


(1)  Cf.  supra  et  aussi  la  Vita  /™»  Gregorii  XI,  dans  Baluz.  1. 1,  p.  444,  le 
rapport  dans  Martène,  Vet.  Script,  t.  Vil,  p.  426. 

(2)  Sainte  Catherine  de  Suède  avait  également  appris  de  plusieurs  cardi- 
naux que  l'élection  avait  été  entièrement  libre  et  sans  aucune  pression;  le 
tumulte  etc.  n'avait  eu  lieu  qu'après  l'élection.  Raynald,  1379,  2J. 


22  ÉLECTION    d'urbain    VI,    1378. 

dont  le  pape  Urbain  ne  dit  rien ,  qu'avec  les  cardinaux ,  un 
grand  nombre  de  Romains,  sous  prétexte  de  former  une  escorte 
d'honneur,  étaient  entrés  dans  le  Vatican  et  dans  le  conclave, 
mais  qu'ils  en  étaient  ensuite  sortis.  Les  adversaires  d'Urbain 
mentionnent  également  cet  incident,  lorsqu'ils  disent  que  cette 
masse  de  monde  n'avait  pas  permis  de  fermer  les  portes  du 
palais;  cela  ne  peut  évidemment  se  rapporter  au  moment  où  le 
Vatican  était  encombré,  car  après  le  départ  de  la  foule  on  put 
fermer  les  portes  du  conclave  à  l'aide  d'une  poutre.  On  se 
souvient  que  les  adversaires  d'Urbain  parlent  d'un  effroyable 
tumulte  qui  aurait  continué  toute  la  nuit  dans  les  environs  du 
Vatican  et  qui  aurait  eu  un  caractère  vraiment  menaçant. 
Thomas  réduit  cette  assertion  aux  proportions  suivantes.  «  Les 
Romains  passèrent  toute  la  nuit  à  chanter  gaiement  et  paci- 
fiquement dans  les  rues  et  dans  les  hôtelleries,  non  loin  de 
Saint-Pierre,  et  se  conduisirent  d'une  manière  fort  étrange. 
Urbain  laisse  lui-même  entrevoir  que  le  vin  joua  un  rôle  dans 
ces  scènes.  Il  y  eut  peut-être,  dit-il,  de  la  vinolentia,  mais  il  n'y 
eut  pas  de  violentia  (Baluze,  1.  c.  p.  999).  11  se  peut  aussi  que 
les  cardinaux  aient  été  effrayés  par  tous  ces  cris,  car  il  faut 
avouer  que^  durant  ces  événements  ils  n'ont  pas  montré  un  grand 
courage. 

5.  Pour  ce  qui  concerne  la  matinée  du  8  avril,  ni  Thomas, 
ni  le  factum  d'Urbain  ne  parlent  des  cris  effroyables  qui  auraient 
retenti  dans  le  voisinage  du  conclave,  Thomas' ne  dit  pas  non 
plus  que  le  cardinal  de  Poitiers  ait  recommandé  l'archevêque  de 
Bari  et  qu'Orsini  ait  conseillé  d'affubler  un  franciscain  des  habits 
du  pape.  Il  complète,  en  revanche,  les  récits  des  urbanistes, 
lorsqu'il  rapporte  qu'Orsini  n'avait  pas  adhéré  à  l'élection  d'Ur- 
bain, qu'il  s'était  obstiné  à  ne  pas  le  nommer,  et  que  le  cardinal 
de  Florence,  qui  donna  sa  voix  à  son  collègue  de  Saint-Pierre,  ne 
fit  la  proposition  d'élire  l'archevêque  de  Bari  que  dans  la  séance 
de  l'après  midi. 

6.  Le  factum  d'Urbain  se  tait  complètement  sur  la  partie  sui- 
vante du  récit  de  Thomas.  «  Après  l'élection,  les  cardinaux  se 
retirèrent  dans  leur  chambre,  récitèrent  leurs  heures  canoniales 
et  mangèrent.  Pendant  ce  temps,  les  Romains  groupés  non  loin 
du  palais  criaient  à  plusieurs  reprises  :  Papa  volemo,  et  aussi  :  Ro- 
mano  lo  volemo.  Ils  agissaient  sous  l'influence  du  cardinal  Orsini 
et  de  l'abbé  de  Monte-Casino,  qui  l'un  et  l'autre  étaient  Romains 


ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378.  23 

et  aspiraient  à  la  tiare.  Toutefois  les  Romains  se  contentaient  de 
crier  en  dehors  du  palais  et  ne  pouvaient  ni  ne  voulaient  y 
•entrer.  »  En  écrivant  ces  lignes,  Tiiomas  semble  vouloir  contre- 
dire les  cardinaux  qui  s'étaient  séparés  d'Urbain,  car  ceux-ci 
avaient  affirmé  que  «  le  peuple  prit  des  mesures  pour  envahir  le 
conclave  ;  »  en  revanche  il  mentionne  comme  il  suit  un  autre  scan- 
dale qui  se  produisit  à  peu  près  en  même  temps  :  «  Tandis  que  les 
cardinaux  différaient  de  faire  connaître  l'élection  et  mandaient 
au  palais  du  Vatican  l'élu,  conjointement  avec  d'autres  prélats, 
les  Romains  altérés  firent  invasion  dans  les  caves  du  pape,  burent 
en  grande  quantité  des  vins  de  Grèce  et  de  Malvoisie  et  se  mi- 
rent ensuite  à  crier  à.  tue-tête,  les  uns  «  Nous  voulons  un  pape  », 
les  autres  «  Nous  voulons  un  romain.  »  Est-ce  que  la  declaratio 
des  cardinaux  n'aurait  pas  métamorphosé  cette  invasion  des 
caves  pontificales  en  une  menace  contre  le  conclave? 

7.  Quant  au  malentendu  touchant  le  cardinal  de  Saint-Pierre, 
Thomas  s'exprime  comme  il  suit  :  «  Lorsque  les  cardinaux  en- 
tendirent le  vacarme  (après  l'invasion  des  caves],  le  cardinal 
Orsini  cria  au  peuple  par  une  fenêtre  de  la  chapelle  :  «  Tenez- 
vous  tranquilles,  vous  avez  un  pape.  »  A  la  question  :  «  Quel  est- 
il?  »  il  répondit  :  «  Allez  à  Saint-Pierre.  »  Ces  mots  firent  croire 
que  c'était  le  cardinal  de  Saint-Pierre  qui  était  élu.  On  voit  que 
Thomas  fait  jouer  à  Orsini  le  rôle  que  le  factum  d'Urbain  attribue 
à  l'évêque  de  Marseille;  de  plus,  Thomas  ne  rend  pas  ce  ma- 
lentendu explicable  en  racontant  que,  d'après  le  bruit  répandu,  on 
croyait  l'élection  déjà  faite. 

,  8.  Thomas  poursuit  :  «  Lorsque  les  cardinaux,  à  l'heure  des 
vêpres,  notifièrent  à  l'archevêque  de  Bari  son  élection,  l'évêque 
de  Marseille  annonça  au  sacré-collége  que  tout  le  monde  à 
Rome  croyait  le  cardinal  de  Saint-Pierre  élu  pape,  et  que,  pour 
lai  offrir  leurs  devoirs,  un  grand  nombre  de  Romains  étaient 
venus  au  Vatican,  si  bien  que  la  porte  allait  bientôt  céder  à  leurs 
efforts.  Les  cardinaux  craignirent  d'être  maltraités  par  le  peuple 
lorsqu'on  saurait  que  le  cardinal  de  Saint-Pierre  n'était  pas  élu 
pape;  aussi  demandèrent-ils  à  ce  prélat  de  ne  pas  détruire  l'er- 
reur, jusqu'à  ce  que  le  tumulte  fût  dissipé,  etc.  »  Thomas  dis- 
tingue ici  avec  raison,  de  même  que  le  factum  d'Urbain,  deux 
faits  différents. 

a)  Dans  la  matinée  du  8  avril,  un  malentendu  fit  croire  que  le 
cardinal  de  Saint- Pierre  était  élu  pape. 


24  ÉLECTION  d'uhbain  VI,   1378. 

b)  Dans  l'après-midi  les  cardinaux  profitèrent  de  ce  malen- 
tendu pour  induire  sciemment  le  peuple  en  erreur.  Les  anti- 
urbanistes, au  contraire,  ne  parlent  dans  leur  déclaration  que 
de  la  ruse  proprement  dite,  tout  en  se  taisant  sur  le  malentendu 
de  la  matinée. 

9.  Les  trois  sources  principales,  la  déclaration  des  cardinaux 
ayant  abandonné  Urbain,  le  factum  d'Urbain,  et  l'évêque  Thomas 
sont  unanimes  à  dire  que  ce  fut  la  crainte  du  peuple  faisant  in- 
vasion dans  le  Yatican  qui  détermina  les  cardinaux  à  profiter  du 
malentendu  concernant  le  cardinal  de  Saint-Pierre.  Mais  la  dé- 
claration des  cardinaux  ne  dit  pas  pourquoi  le  peuple  entra  dans 
le  Yatican  ni  pourquoi  les  cardinaux  étaient  effrayés,  tandis  que 
le  factum  d'Urbain  donne  comme  il  suit  les  raisons  de  ces  deux 
incidents  : 

«)  Le  peuple  était  entré  par  curiosité,  parce  que,  d'après  le 
bruit  qui  avait  couru,  l'élection  du  pape  était  déjà  faite  et  qu'il 
avait  hâte  de  savoir  le  nom  de  l'élu. 

A)  Les  cardinaux  n'étaient  pas  rassurés,  parce  que  l'élu  n'étant 
pas  romain,  le  peuple  pouvait  avoir  des  raisons  de  n'être  pas 
content.  Thomas  ne  dit  pas  tout  à  fait  la  même  chose  ;  d'après 
lui,  le  peuple  était  entré  d'une  façon  tumultueuse  pour  rendre 
ses  devoirs  au  cardinal  de  Saint-Pierre  qu'on  croyait  élu  pape,  et 
les  cardinaux  qui  avaient  fait  un  autre  choix  étaient  fort  embar- 
rassés vis-à-vis  de  cette  affluence. 

10.  Tout  comme  le  factum  d'Urbain,  Thomas  raconte  que  le 
cardinal  de  Saint-Pierre  dit  au  peuple  :  «  Je  ne  suis  pas  le 
pape;  »  mais  le  factum  lui  fait  dire  en  outre  :  «  Un  meilleur 
que  moi  a  été  choisi,  c'est  l'archevêque  de  Bari.  »  Dietrich  de 
Niem  a  cette  addition  (cf.  infra).  Thomas  explique  en  revanche 
pourquoi  ces  paroles  du  cardinal  ne  firent  pas  cesser  le  malen- 
lenda;  il  rapporte  en  effet  que  le  tumulte  était  si  grand  et  les 
cris  de  joie  si  bruyants,  que  bien  des  personnes  n'entendi- 
rent pas  le  cardinai,  et  les  autres  ne  virent  là  qu'une  parole  d'hu- 
milité. 

11.  Touchant  le  retour  des  cardinaux  à  leur  domicile,  Thomas 
poursuit  :  «  Rentrés  chez  eux,  les  cardinaux  déclarèrent  à  leurs 
intimes  que  l'archevêque  de  Bari  était  élu  ;  ils  dirent  cela  spécia- 
lement à  l'évêque  Thomas,  pour  qu'il  le  dît  à  sa  reine,  ce  qu'il 
s'empressa  de  faire.  » 

12.  D'accord  avec  le  factum  d'Urbain,  Thomas  rapporte  que 


ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378.  25 

beaucoup  de  cardinaux  s'étaient  enfuis  soit  dans  le  château  Saint- 
Ange,  soit  dans  les  châteaux  sis  en  dehors  de  la  ville.  Cette  pa- 
nique provenait  évidemment  de  ce  que  les  cardinaux  craignaient 
que  le  peuple  ne  fût  mécontent  de  l'élection  qui  avait  été  faite 
et  ne  cherchât  à  se  venger. 

13.  Sur  la  matinée  du  9  avril,  c'est-à-dire  sur  ce  qui  se  passa 
avant  que  l'élection  d'Urbain  fût  communiquée  aux  chefs  de  la 
ville,  Thomas  fournit  des  données  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  le 
factum;  les  voici  :  «  L'élu  me  chargea  de  voir  où  en  étaient  les 
cardinaux,  et  en  même  temps  ce  qui  se  passait  dans  la  ville.  Je 
constatai  que  les  Romains  allaient  tranquillement  à  leurs  affaires, 
avec  la  ferme  conviction  que  le  cardinal  de  Saint-Pierre  avait 
été  élu.  Je  fis  ensuite  visite  au  cardinal  de  Florence,  qui  m'em- 
brassa en  me  disant  :  «  L'archevêque  de  Bari  est  pape,  sait-on 
où  il  se  trouve?  «  Je  lui  répondis  :  Il  est  au  Vatican.  Il  voulut 
aussitôt  aller  le  trouver  '.  Mais,  après  en  avoir  délibéré  avec 
moi,  il  donna  audience  à  deux  chefs  de  la  ville  de  Rome,  et  il 
leur  déclara  qui  était  élu,  et  en  même  temps  que  presque  tous 
les  cardinaux  avaient  pris  la  fuite  par  crainte  du  peuple.  Les 
deux  chefs  informèrent  leur  collègue  de  ce  qu'on  venait  de  leur 
apprendre  et  revinrent  bientôt  en  disant  qu'on  obéirait  à  l'élu, 
bien  que  les  espérances  des  Romains  n'eussent  pas  été  toutes 
réalisées.  Le  cardinal  de  Florence  se  rendit  encore  au  Vatican,  où 
il  embrassa  l'archevêque  ^.  Peu  après,  vinrent  aussi  les  cardi- 
naux de  Glandève,  de  Milan,  de  Marmoutier  et  de  Luna,  sans 
avoir  été  convoqués  par  personne  et  de  leur  propre  mouvement; 
arrivés  au  Vatican,  ils  embrassèrent  l'archevêque.  Quelques  ins- 
tants après,  les  chefs  de  la  ville  se  présentèrent  aussi,  etc.  Con- 
tradictoirement  avec  ce  qui  précède,  les  adversaires  d'Urbain 
racontent  que  non-seulement  les  cardinaux  du  château  Saint- 
Ange,  mais  aussi  ceux  qui  se  trouvaient  en  ville,  ne  vinrent  au 
Vatican  qu'à  la  demande  d'Urbain. 

14.  Thomas  et  le  factum  disent  que  la  proposition  d'inviter  à 


(1)  Le  cardinal  de  Florence  prétendit  plus  tard  que  Thomas  avait  dit  beau- 
coup de  faussetés;  il  avouait  néanmoins  que  Thomas  était  venu  le  trouver, 
et  que  lui  (le  cardinal)  l'avait  reçu  d'une  manière  amicale,  et  en  lui  disant  : 
«<  Vous  êtes  très-content.  »  11  le  connaissait  en  effet  comme  un  partisan  dé- 
claré d'Urbain,  et  il  savait  que  la  pression  exercée  sur  les  cardinaux  était 
en  grande  partie  son  ouvrage.  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1044. 

(2)  Le  cardinal  de  Florence  avoue  avoir  été  au  Vatican,  mais  il  ajoute  que 
les  chefs  de  la  ville  l'y  avaient  amené.  Baluz.  l.  c.  p.  1044. 


26  ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378. 

l'intronisation  d'Urbain  les  cardinaux  du  château  Saint-Ange  pro- 
venait des  chefs  de  la  ville,  tandis  que  dans  leur  declaratio  les 
adversaires  d'Urbain  affirment  qu'elle  venait  directement  d'Ur- 
bain. Plus  loin  cependant  ils  ajoutent  ou  qu'il  envoya  lui-même 
les  messagers  ou  qu'il  se  contenta  de  laisser  agir  sur  ce  point  les 
chefs  de  la  ville. 

15.  A  l'égard  de  l'intronisation  et  du  couronnement  d'Urbain, 
l'harmonie  est  si  complète  entre  Thomas  et  le  factum  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  de  donner  de  plus  amples  détails.  Nous  nous  con- 
tenterons de  dire  que  Thomas  est  dans  l'erreur,  lorsqu'il  affirme 
qu'avant  le  couronnement  le  chambellan,  c'est-à-dire  l'arche- 
vêque d'Arles,  avait  livré  à  Urbain  tous  les  joyaux  qui  se  trou- 
vaient dans  le  château  Saint-Ange. 

A  tous  ces  témoignages  favorables  à  Urbain  nous  joindrons 
celui  d'un  savant  allemand  de  distinction,  qui  fat  aussi  témoin 
oculaire  des  faits  qu'il  rapporte;  ce  savant  est  Dietrich  de  Niem. 
Dans  la  petite  ville  deNeheim,  maintenant  prussienne,  apparte- 
nant autrefois  à  l'évêché  de  Paderborn,  Dietrich  embrassa  l'état 
ecclésiastique;  vers  l'an  1361,  il  obtint  une  prébende  de  Bonn, 
mais  quelque  temps  après,  le  chapitre  de  cette  ville  lui  ayant 
enlevé  ses  revenus,  il  vint  à  la  cour  du  pape  à  Avignon  ;  là  il 
obtint  la  charge  de  secrétaire  du  pape,  qui  l'emmena  avec  lui  à 
Rome,  et  il  fut  employé  dans  la  chancellerie  pontificale  comme 
protonotaire  et  abréviateur.  Lorsque  éclata  le  schisme,  Dietrich 
prit  parti  pour  Urbain  VI,  sans  se  laisser  aveugler  par  les  fautes 
de  ce  parti.  Plus  tard  il  obtint  de  Boniface  XI  l'évêché  de  Yerden 
dans  le  Hanovre,  mais  il  dut  céder  le  siège  au  candidat  de  l'anti- 
pape; il  ne  put  également  rester  en  possession  du  siège  de  Cam- 
brai, aussi  se  décida-t-il  à  séjourner  à  Borne,  à  la  cour  pontificale, 
jusqu'à  ce  qu'il  allât  au  concile  de  Constance  avec  Jean  XXIII.  Il 
mourut  pendant  la  célébration  de  ce  concile  en  1417.  Il  faisait  parti 
de  ceux  qui  désiraient  ardemment  des  réformes,  et  dans  ses  écrits 
il  se  montra  souvent  si  passionné  contre  Rome  que  ses  ouvrages 
furent  mis  à  l'index.  Concernant  le  point  historique  qui  nous 
occupe,  son  travail  le  plus  important  pour  nous  est  celui  des 
quatre  livres  de  Schismate;  au  commencement  du  onzième  cha- 
pitre du  premier  livre,  il  raconte  comme  il  suit  et  en  témoin 
oculaire  ce  qui  s'est  passé  lors  de  l'élection  d'Urbain  : 

0.  Lorsque  les  cardinaux  entrèrent  dans  le  conclave,  l'arche- 
vêque de  Bari  y  entra  avec  eux,  comme  représentant  du  chance- 


ÉLECTION   D'fEBAIN   Vî,   1378.  27 

lier.  Il  attendit  que  tous  les  autres  prélats  qui  avaient  accompagné 
les  cardinaux  fussent  sortis,  et  alors  il  s'entretint  confidentielle- 
ment avec  les  cardinaux  dans  leur  chambre,  leur  recomman- 
dant de  n'avoir  en  vue  que  Dieu  et  le  droit.  J'étais  présent 
lorsque  cet  entretien  eut  lieu  et  je  me  souviens  très-bien  d'avoir 
entendu  cela.  Les  cardinaux  l'ayant  à  l'unanimité  nommé  pape,  ils 
mandèrent  l'archevêque  auprès  d'eux,  le  vendredi  8  avril,  vers 
la  troisième  heure,  et  ils  demandèrent  en  même  temps  plusieurs 
autres  prélats.  L'archevêque  se  hâta  de  mettre  en  sûreté  ses  livres 
et  tous  ses  objets  précieux,  pour  qu'on  ne  les  lui  volât  pas,  dans 
le  cas  où  le  bruit  qui  s'était  déjà  répandu  qu'il  était  nommé 
pape  serait  vrai.  Les  prélats  étaient  à  peine  arrivés  au  Vatican 
que  le  peuple  commença  à  se  douter  que  l'élection  était  déjà 
faite.  Aussi  les  Romains  voulaient-ils  savoir  qui  avait  été  élu. 
Quelqu'un  cria  alors  du  palais  :  Barensis  est  electus  in  papam. 
Cette  parole  occasionna  une  violente  colère,  parmi  le  peuple,  à 
mon  avis  parce  que  beaucoup  de  Romains  avaient  demandé  à 
plusieurs  reprises  aux  cardinaux,  avant  leur  entrée  en  conclave, 
d'élire  un  Romain,  ou  du  moins  un  Italien.  J'entendis  moi-même, 
lors  de  l'entrée  des  cardinaux  dans  le  conclave,  que  tous  ceux 
qui  se  trouvaient  sur  les  degrés  de  Saint-Pierre  demandaient  un 
Romain.  Plusieurs  pensèrent  que"  le  cardinal  Jacques  (Orsini) 
était  le  promoteur  de  ces  demandes  pour  arriver  à  être  élu  lui- 
même  ;  mais  les  motifs  suivants  avaient  également  occasionné  ce 
tumulte  populaire.  Le  feu  pape  avait  pour  chambellan  un  li- 
mousin Jean  de  Barre,  homme  orgueilleux  et  de  mœurs  dépra- 
vées, qui  était  haï  non-seulement  des  Romains,  mais  aussi  de  la 
plupart  des  membres  de  la  curie;  or,  comme  on  croyait  que 
c'était  précisément  ce  Jean  de  Barre  qui  était  nommé  pape,  les 
Romains  étaient  très-irrités.  Ils  ne  songeaient  pas  du  tout  à  l'ar- 
chevêque de  Bari,  soit  qu'ils  ne  le  connussent  pas,  soit  qu'ils  l'es- 
timassent bien  médiocrement  à  cause  de  sa  pauvreté  K 


(1)  Cette  raison  donnée  pour  expliquer  le  tumulte  populaire  ne  se  retrouve 
ni  dans  le  factum  d'Urbain,  ni  dans  celui  de  Jacques  de  Sève,  ni  dans  celui 
de  Thomas  d'Acerno.  Par  contre,  plusieurs  témoignages  recueillis  et  cités 
par  Baluze  (1.  c.  1. 1,  p.  1215  sq.)  coïncident  avec  Dietricli  de  Niem,  ainsi  que 
le  cardinal  Pileus  de  Prata  (nommé  par  Urbain  VI),  dans  son  rapport  au 
comte  de  Flandres  (Bul^us,  1.  c.  p.  514).  Le  plus  probable,  c'est  que  plusieurs 
motifs  poussèrent  diverses  personnes  à  faire  du  vacarme,  et  que  quelques- 
unes  ont  pu  être  poussées  parce  qu'elles  craignaient  que  Jean  de  Barre  ne 
fût  nommé  pape.  C'est  aussi  là  ce  que  dit  Pileus  de  Prata. 


28  ÉLECTION  d'urbain   VI,    1378. 

Pour  calmer  l'effervescence  populaire,  les  cardinaux  firent 
répandre  le  bruit  que  le  cardinal  de  Saint-Pierre  avait  été  nommé 
pape,  aussi  ses  amis  se  précipitèrent-ils  vers  lui  pour  le  placer 
sur  le  maîtrê-autel  de  Saint-Pierre,  ou,  plus  exactement,  de  la 
chapelle  du  conclave,  quoiqu'il  déclarât  :  «  Ce  n'est  pas  moi, 
c'est  l'archevêque  de  Bari  qui  a  été  élu.  »  Il  fut  presque  étouffé 
dans  cette  circonstance.  Quelques  cardinaux  quittèrent  alors  la 
ville,  tandis  que  d'autres  se  réfugiaient  dans  le  château  Saint- 
Ange.  Le  lendemain,  les  cardinaux  de  Luna,  de  Marmoutier,  de 
Genève,  d'Aigrefeuille,  de  Viviers,  de  Glandève,  de  S.  Angelo 
(Vernyo),  de  Saint-Eustache  (Flandrin),  de  Bretagne  et  de  Poi- 
tiers, vinrent  trouver  l'élu  qui  était  au  Vatican  * . 

Lorsque  les  Romains  apprirent  que  le  chambellan  de  Barre 
n'avait  pas  été  élu,  ils  se  tinrent  tranquilles  et  ne  se  mêlèrent 
plus  de  l'élection,  de  telle  sorte  que  tous  les  cardinaux  réunis 
dans  le  palais,  le  soir  du  même  jour,  purent  procéder  immédia- 
tement à  l'intronisation  d'Urbain.  » 

Une  foule  d'autres  détails  sur  l'élection  d'Urbain  racontés  par 
les  contemporains,  et  à  l'avantage  de  celui-ci,  ont  été  mis  en 
relief  par  Raynald,  qui  les  a  puisés  dans  les  trente  volumes  que 
possèdent  sur  le  schism^e  les  archives  du  Vatican  ;  le  choix  fait 
par  Raynald  lui  a  valu,  et  non  sans  raison,  de  la  part  de  Baluze, 
le  reproche  de  partialité  2.  En  effet,  il  ne  donne  pas  suffisamment 
la  parole  aux  adversaires  de  sa  thèse.  Nous  devons  cependant 
être  reconnaissants  à  Raynald  de  nous  avoir  conservé  pour  le 
fond  les  deux  consultations  juridiques  sur  l'élection  d'Urbain  par 
Baldus  de  Perusium  et  Jean  -de  Lignano,  et  en  entier  les  deux 
mémoires  de  ce  dernier  auteur^. 

Après  avoir  ainsi  entendu  les  principaux  représentants  des 
deux  partis,  peut-être  pouvons-nous  maintenant,  en  tenant 
compte  de  toutes  ces  données  bien  contradictoires  cependant 
sur  certains  points,  indiquer  comment  les  choses  se  sont  réel- 
lement passées  lors  de  l'élection  d'Urbain;  on  nous  permettra 


(1)  On  a  remarqué  que  quelques  noms  sont  mal  orthopraphiés. 

(2)  BALuz.  1.  c.  1. 1,  p.  1007-1109. 

(3)  Les  premiers  documents  sont  dans  Raynald,  13^8,  36  sqq.  et  31  sqq. 
les  derniers  sont  dans  l'appendice  au  5^  vol.  de  sa  continuation  des  Annales 
de  Baronius,  édit.  de  Mansi,  t.  XXVI,  p.  613  sqq.  et  631  sqq  Au  sujet  de 
Baldus,  Mansi  remarque  du  reste  dans  ses  notes  sur  Raynald,  1378,  36, 
qu'il  avait  embrassé  ensuite  le  parti  de  l'antipape,  et  qu'il  avait  essayé 
d'expliquer  ses  ouvrages  antérieurs  en  disant  qu'il  était  alors  sujet  d'Urbain,- 


ELECTION  d'urbain  VI,    1378.  29 

cette  tentative  à  cause  de  l'importaDce  du  sujet,  car  il  ne  s'agit 
de  rien  moins  que  d'établir  le  principe  qui  nous  servira  ensuite 
pour  juger  la  grande  question  du  schisme.  Si  nos  conclusions  ne 
coïncident  pas  parfaitement  avec  celles  du  bollandiste  Papebroch 
dans  son  Conatus  chronico-historicus  ad  catalogum  Pontiftcum, 
cela  provient  uniquement  de  ce  que  cet  historien  n'a  ajouté  au- 
cune confiance  aux  récits  des  anti-urbanistes  et  n'en  a  tenu  aucun 
compte;  il  s'est  contenté  des  dépositions  de  la  partie  adverse. 
C'est  peut-être  là  une  méthode,  mais  à  coup  sûr  ce  n'est  pas  une 
méthode  historique  ^ 

1.  Tout  le  monde  est  d'accord  pour  dire  qu'avant  leur  entrée 
en  conclave,  les  cardinaux  avaient  été  sollicités  à  plusieurs  re- 
prises par  les  chefs  de  la  ville  de  Rome  de  nommer  pape  un  Ro- 
main, ou  du  moins  un  Italien.  Ces  prières  ont  pu  être  pressantes, 
très-accentuées  même,  et  on  a  pu  également  les  appuyer  en  disant 
que,  si  l'élection  n'avait  pas  lieu  dans  ce  sens,  on  pouvait  craindre 
des  troubles.  Rien  de  surprenant  si  plusieurs  des  cardinaux  ultra- 
montains  (c'est-à-dire  non  italiens),  qui  n'avaient  pas  l'intention 
d'élire  un  Italien,  ont  été  épouvantés  par  une  pareille  insistance. 
Cette  anxiété  a  pu  s'augmenter  par  suite  de  quelques  autres  inci- 
dents, comme  la  présence  des  montagnards  dans  Rome,  les  voci- 
férations de  la  populace  qui  était  devant  Saint -Pierre,  l'entrée  du 
chef  de  la  ville  dans  le  conclave  même;  mais  tout  cela  n'a  réel- 
lement pas  pu  faire  élire  Urbain,  ainsi  que  le  prétendent  expli- 
citement les  cardinaux  qui  abandonnèrent  son  parti.  Ils  disent 
en  effet  dans  leur  déclaration  :  «  Avant  même  leur  entrée  en  con- 
clave et  pendant  qu'ils  s'y  trouvaient,  les  ultramontains  ont  tou- 
jours été,  jusqu'au  moment  de  la  pression  qu'on  fit  peser  sur  eux, 
et  dont  nous  parlerons  plus  loin,  dans  l'intention  d'élire  un 
membre  du  sacré-collége,  et  non  pas  un  étranger;  un  ultramon- 
tain  et  non  pas  un  italien.  »  Ce  n'est  donc  pas  ce  qui  s'était  passé 
jusqu'à  ce  moment,  mais  seulement  ce  qui  se  passa  ensuite,  qui, 
d'après  les  anti-urbanistes,  aurait  porté  atteinte  à  la  liberté  d'élec- 
tion des  cardinaux.  Et  en  réalité  que  s'est-il  passé  ?  «)  Il  y  a  eu  le 
vacarme  du  peuple  dans  la  nuit  du  7  au  8  avril  avec  quelques  pa- 
roles de  menace,  b)  Ce  vacarme  a  recommencé  dans  la  matinée 
du  8  avril,  lorsque  les  cardinaux  voulaient  procéder  à  l'élection. 


(1)  Voyez  le  2evol.  des  Prœfationes,  tractatus,  etc.,  dans  l'édition  des  Bol- 
landistes,  p.  423  sqq. 


30  ÉLECTION   d'uEBAIN    VI,    1378. 

c)  Les  cloches  ont  été  sonnées  comme  pour  une  sédition,  d)  Les 
gardiens  du  conclave  ont  déclaré  aux  cardinajix  que  le  peuple  vou- 
lait les  couper  en  morceaux  s'ils  ne  nommaient  un  Romain  ou  un 
Italien. 

Les  partisans  d'Urbain  font  naître  des  soupçons  sur  leur  im- 
partialité lorsqu'on  les  voit  passer  sous  silence  tous  ces  incidents, 
qui  étaient  cependant  de  nature  à  exercer  quelque  influence  sur 
les  cardinaux.  Il  aurait  bien  mieux  valu  les  mentionner,  ne  fût-ce 
que  pour  réduire  à  ses  véritables  proportions  le  récit  évidem- 
ment exagéré  fait  par  les  adversaires.  Au  lieu  d'agir  de  cette 
façon,  les  urbanistes  se  contentent  de  cette  affirmation  générale  : 
«  Au  palais  et  dans  les  environs  régnait  un  calme  complet  au 
moment  de  l'élection  ;  »  ils  ne  disent  non  plus  absolument  rien 
de  ce  rapport  comminatoire  fait  aux  cardinaux  par  les  gardiens 
du  conclave  ;  et  quant  au  tocsin/ils  prétendent  qu'il  ne  fut  sonné 
qu'après  l'élection,  parce  qu'alors  il  perd  toute  sa  signification 
au  point  de  vue  de  la  liberté  des  suffrages.  On  ne  peut  cepen- 
dant pas  admettre  que  toutes  les  dépositions  des  cardinaux  sur 
ces  poinfe  soient  de  purs  mensonges;  il  y  a  évidemment  dans  ce 
qu'ils  disent  un  fond  de  vérité,  et  c'est  du  reste  ce  que  laissent 
entrevoir  certaines  allusions  du  récit  des  partisans  d'Urbain. 
Le  factum  d'Urbain  raconte,  en  effet,  que  le  cardinal  Orsini 
avait  proposé  d'habiller  un  franciscain  romain  avec  les  insignes 
pontificaux,  pour  faire  croire  qu'il  était  élu  pape;  ce  qui  devait 
permettre  aux  cardinaux  de  s'échapper  et  de  faire  ailleurs  une 
élection  sérieuse  ;  or,  ce  fait  prouve  que  quelques  cardinaux 
au  moins  ne  se  sentaient  pas  parfaitement  libres,  mais  au  con- 
traire qu'ils  se  sentaient  opprimés  par  les  'demandes  des 
Romains  ;  c'est  pour  ce  motif  qu'ils  choisissaient  précisément 
un  franciscain  romain.  C'était  parce  que  le  peuple  voulait  un 
pape  romain,  et  c'était  également  pour  cette  raison  qu'ils  vou- 
laient aller  ailleurs  faire  l'élection.  Urbain  lui-même  parle  de  la 
vmolentia,  il  mentionne  les  gens  ivres  et  leur  action,  et  enfin 
Thomas  d'Acerno  rapporte  que,  dans  la  nuit  du  7  au  8  avril,  les 
Romains  avaient  fait  de  copieuses  libations  aux  environs  du 
Yatican,  et  que  le  lendemain  matin,  au  moment  de  l'élection, 
ils  avaient  enfoncé  les  caves  du  pape.  Tout  cela  permet  de  sup- 
poser que,  dans  la  matinée  du  8  avril,  c'est-à-dire  au  moment 
où  tout  le  monde  savait  que  l'élection  avait  lieu,  cette  multi- 
tude ivre  n'a  pas  dû  rester  en  face  du  Vatican  dans  un  religieux 


ÉLECTION   d'uKBAIN    VÎ,   1378.  31 

silence.  Puisque,  étant  encore  à  jeun,  ces  gens-là  avaient  crié  : 
Romano  lo  volemo,  lorsque  les  cardinaux  étaient  entrés  en  con- 
clave, qu'auront-ils  dû  faire  après  avoir  longtemps  attendu  et 
s'être  enivrés?  Quoi  de  surprenant  si  les  cris  ont  alors  alterné 
avec  les  menaces?  On  s'explique  facilement  que  les  gardiens  offi- 
ciels du  palais  et  du  conclave  se  soient  vus  dans  la  nécessité  d'in- 
former les  cardinaux  de  ce  qui  se  passait,  et  qu'ils  leur  aient  dé- 
claré que  les  cris  de  morianturl  et  d'autres  analogues  étaient 
répétés  par  la  foule. Ce  fut  là  évidemment  ce  qui  permit  aux  car- 
dinaux de  faire  dans  leur  declaratio  l'exposé  que  Ton  connaît. 
Leur  intérêt  était  évidemment  d'exagérer  le  plus  possible  la 
pression  qu'on  avait  pu  exercer  sur  eux. 

2.  Les  antiurbanistes  prétendent  que  cette  pression  a  été  la 
cause  unique  qui  les  a  empêchés  d'élire  un  ultramontain  et  un 
membre  du  sacré-collége.  Ils  en  oublient  une  seconde,  qui  a  ce- 
pendant joué  un  rôle  important,  savoir  la  désunion  qui  régnait 
entre  eux.  Les  nltramontains  comptaient  douze  membres,  tandis 
que  les  italiens  n'en  avaient  que  quatre;  si  donc  les  uitramontains 
avaient  su  être  unis  entre  eux,  ils  avaient  d'avance  plus  des  deux 
tiers  des  voix  et  par  conséquent  ils  étaient  maîtres  de  l'élection. 
Qui  les  empêchait  aussi  de  faire,  s'ils  l'avaient  voulu,  usage  de 
la  permission  que  Grégoire  XI  leur  avait  donnée,  de  procédera 
l'élection  ailleurs  que  dans  Rome?  Grégoire  avait  même  tout  fait 
préparer  à  Anagni  pour  y  recevoir  la  curie.  Mais  les  divisions 
intestines  empêchèrent  les  uitramontains  d'agir  vigoureusement. 
Les  autres  français  étaient  très-opposés  aux  limousins  et  y  firent 
échouer  leur  plan  d'élever  à  la  papauté  le  cardinal  de  Poitiers  ou 
celui  de  Viviers.  Les  mémoires  favorables  à  Urbain  contien- 
nent évidemment  quelque  chose  de  vrai,  lorsqu'ils  parlent  de 
la  désunion  existant  entre  les  uitramontains;  sans  cela  les  anti- 
urbanistes auraient  certainement  réfuté  ces  assertions.  On  com- 
prend que  les  urbanistes  aient  passé  sous  silence  ce  qui  était 
défavorable  à  leur  cause,  mais  on  ne  peut  guère  supposer  qu'ils 
aient  inventé  des  faits  qui  chargeaient  d'une  manière  si  grave 
leurs  adversaires,  c'aurait  été  s'exposer  soi-même.  —  Cette  dé- 
sunion des  uitramontains  fut  la  seconde  cause  principale  qui 
amena  l'élection  d'Urbain.  Aucun  des  deux  partis  français  n'était 
assez  fort  pour  imposer  un  choix,  aussi  fallut-il  en  venir  à  une 
sorte  de  moyen  terme  et  accepter  un  homme  qui  n'appartenait  à 
aucun  de  ces  deux  partis.  N'oublions  pas,  en  outre,  que  les  cardi- 


32  ÉLECTION  d'urbain  VI,  137  8. 

naux  italiens  étaient  gagnés  à  ce  candidat  et  que  cette  élection  ne 
paraissait  pas  devoir  trop  indisposer  le  peuple  romain  ;  tout  cela 
était  évidemment  de  nature  à  favoriser  l'élection  de  Barthélemi 
de  Bari,  qui  du  reste  était  aimé  et  estimé  de  tous  les  cardinaux, 
qui  était  au  courant  des  affaires  de  la  chancellerie,  et  enfin  qui, 
tout  en  étant  Italien,  avait  longtemps  vécu  à  Avignon  et  y  avait 
pris  des  coutumes  françaises.  Il  fut  donc  élu,  sur  la  proposition 
du  cardinal  de  Limoges,  il  eut  la  majorité  nécessaire  et  ne  compta 
contre  lui  que  quatre  cardinaux,  et  plus  tard  trois.  Orsini  refusa 
de  voter  tant  qu'il  ne  serait  pas  libre  (d'après  d'autres  témoi- 
gnages, il  aspirait  lui-même  à  la  tiare)  ;  un  second  (le  cardinal  de 
Florence)  donna  sa  voix  au  cardinal  de  Saint-Pierre,  mais  dans 
la  séance  de  l'après-midi  il  embrassa  le  parti  d'Urbain;  deux 
autres  cardinaux,  et  l'un  des  deux  était  le  cardinal  de  Glandève, 
protestèrent  soit  de  vive  voix,  soit  par  écrit,  pour  déclarer  que 
l'élection  n'était  pas  libre.  Les  autres  membres  du  sacré-collége 
élurent  l'archevêque,  avec  l'intention  explicite  de  faire  une  élec- 
tion valide,  de  telle  sorte  que  l'élu  fût  le  pape  légitime.  Les  cardi- 
naux qui  abandonnèrent  plus  tard  la  cause  d'Urbain  avouent  ce 
dernier  point  d'une  manière  catégorique,  et  que  leur  vote  ait  été 
sérieux,  c'est  ce  qui  résulte  également  des  motifs  qu'ils  donnent 
pour  l'expliquer.  «  Ils  l'élurent  parce  qu'ils  le  connaissaient  et  le 
tenaient  pour  très-expert  dans  les  affaires;  »  de  plus  ils  chargèrent 
Thomas,  évêque  d'Acerno,  de  faire  connaître  cette  élection  à  la 
reine,  et  le  cardinal  de  Limoges,  en  particulier,  avoue  même,  après 
avoir  abandonné  Urbain,  qu'il  l'avait  élu  animo  et  proposito  quod 
esset  papa.  Ce  cardinal  s'était  donc  réfuté  d'avance  lorsque  plus 
tard  il  affirmait  avoir  élu  l'archevêque  avec  la  conviction  que  ce 
prélat  était  assez  consciencieux  pour  ne  pas  accepter  d'être  élu. 
3.  Les  cardinaux  considéraient-ils  auparavant  déjà  l'arche- 
vêque de  Bari  comme  un  candidat  sérieux  et  avaient-ils  délibéré 
sur  ce  point,  c'est  ce  qu'il  n'est  plus  possible  de  dire  avec  certi- 
tude. Les  urbanistes  l'affirment,  les  autres  le  nient,  et  du  reste, 
pour  la  question  qui  nous  occupe  par-dessus  tout,  cela  importe 
peu.  Néanmoins  je  serais  porté  à  croire  qu'à  la  suite  des  prières 
réitérées  de  la  part  des  chefs  de  la  ville  de  Rome,  les  cardinaux,  et 
surtout  les  ultramoDtains,  se  sont  posé  cette  question  :  quel  est 
l'Italien  qui  pourrait  monter  sur  le  siège  de  Saint-Pierre;  en 
d'autres  termes,  ils  ont  dû.  chercher  quel  était  l'Italien  qui  leur 
était  le  moins  désagréable.  Cette  préoccupation  s'imposait  à  eux, 


ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378.  33 

elle  était  inévitable.  S'ils  ont  agité  entre  eux  cette  question,  ils 
auront  certainement  nommé  l'archevêque,  et  plusieurs  des  car- 
dinaux ultramontains  se  seront  alors  dit  en  eux-mêmes:  «  Si  mon 
candidat  est  évincé,  j'élirai  plutôt  l'archevêque  de  Bari  que  le 
candidat  d'un  autre  parti.  »  Il  se  peut  également  que  d'autres 
cardinaux  n'aient  pas  du  tout  pensé  à  l'archevêque,  ou  qu'ils 
n'aient  voulu  prendre  aucune  résolution  à  son  endroit  avant 
d'entrer  dans  le  conclave  ;  cela  expliquerait  comment  quelques- 
uns  ont  déclaré  que  cetfe  élection  n'était  nullement  projetée  avant 
le  conclave.  Il  n'y  eut  certainement  avant  celte  époque  aucun 
plan  déterminé. 

4.  Que  les  cardinaux,  du  moins  un  certain  nombre  d'entre 
eux,  n'aient  pas  regardé  l'élection  d'Urbain  comme  satisfaisante 
et  parfaitement  légale,  c'est  ce  qui  résulte  de  la  proposition 
qui  fut  faite  de  procéder  à  une  reelectio  et  d'y  nommer  une 
fois  de  plus  l'archevêque.  C'est  là  ce  que  rapportent  les  adver- 
saires d'Urbain,  et  ils  ajoutent  que  dans  l'après-midi  du  même 
jour  on  procéda  à  cette  reelectio,  sans  attendre  qu'on  se  fût  trans- 
porté en  un  autre  lieu.  Le  même  fait  est  affirmé  par  les  urbanistes. 
«  Après  le  repas,  les  cardinaux  se  rendirent  de  nouveau  dans  la 
chapelle,  et  pour  plus  grande  sûreté  ils  élurent  de  nouveau  le 
susdit  archevêque.  Ils  avouent  par  là  même  que  la  première  élec- 
tion n'était  pas  absolument  inattaquable,  et  dans  le  fait  ils  étaient 
dans  le  vrai,  elle  n'avait  pas  été  exempte  d'une  certaine  pression 
illégale.  ^■> 

5.  Lors  de  cette  reelectio,  au  témoignage  des  antiurbanistes, 
trois  cardinaux  ultramontains  ne  votèrent  pas,  par  la  bonne  raison 
qu'ils  étaient  absents.  Un  quatrième  protesta  que  la  pression 
existait  toujours  et  que  l'élection  ne  pouvait  être  libre.  Les  douze 
autres  votèrent  la  reelectio.  On  ne  peut  guère  reprocher  aux  car- 
dinaux d'avoir  sciemment  négligé  d'inviter  aux  élections  leurs 
collègues  absents.  Celui  qui  reste  dans  la  chambre  et  ne  se  rend 
pas  dans  la  chapelle  au  moment  de  l'élection  renonce  par  cela 
même  à  donner  sa  voix.  Cette  abstention  ne  peut  évidemment 
annuler  l'élection,  sans  cela  le  pouvoir  électif  se  trouverait  aux 
mains  de  quelques-uns,  voire  même  d'un  seul. 

6.  Au  rapport  des  urbanistes,  la  ree/ec^^o  fat  faite  en  entier, 
tandis  que  les  cardinaux  de  l'autre  parti  prétendirent  «  qu'elle 
n'était  pas  encore  finie  lorsque  le  conclave  fut  violé  par  l'arrivée 
du  chef  de  la  ville.  »  Cette  phrase  ne  nie  pas  positivement  que 

1  T.   X.      3 


34  ÉLECTION  d'urbain  VI,  1378. 

les  douze  voix  aient  été  données,  elle  dit  seulement  que  toute  la 
cérémonie  ne  fut  pas  faite.  Si  la  reelectio  proprement  dite  avait 
été  interrompue,  les  adversaires  d'Urbain  n'auraient  pas  manqué 
de  tirer  un  grand  parti  de  ce  fait;  or  ils  ne  l'ont  jamais  fait  *. 
Quant  à  nous,  nous  devons  attacher  une  importance  exception- 
nelle au  fait  de  cette  seconde  élection,  car,  même  en  supposant 
que  dans  la  matinée  du  8  avril  les  cardinaux  aient  élu  l'arche- 
vêque de  Bari  sous  l'influence  de  la  crainte  que  leur  causait  la 
populace,  la  reelectio  n'a  pu  être  le  résultat  de  cette  même  crainte, 
elle  prouva  plutôt  que  leur  grande  préoccupation  en  ce  moment 
était  que  la  validité  de  l'élection  du  matin  fût  mise  en  doute.  S'ils 
n'avaient  pas  voulu  élire  l'archevêque  de  Bari  d'une  manière 
sérieuse  et  s'ils  n'avaient  pas  craint  qu'on  leur  dît  que  l'élection 
du  matin  était  tout  à  fait  irrégulière,  ils  n'auraient  pas  procédé  à 
cette  réélection,  personne  ne  les  y  obligeait. 

7.  Mais  lors  de  cette  élection  du  matin,  dans  quelle  mesure  les 
cardinaux  se  sont-ils  laissé  influencer  par  les  prières  et  par  le  va- 
carme des  Romains?  Il  est  vrai  qu'ils  n'ont  pas  élu  de  Français.  Ils 
n'étaient  pas  assez  d'accord  entre  eux  pour  pouvoir  le  faire;  mais 
ils  n'ont  pas  non  plus  élu  de  Romain  ;  ils  ont  élu  un  Italien  qui 
était  à  demi  Français,  et  ils  espéraient  même  que  ce  nouveau 
pape  ramènerait  à  Avignon  la  cour  pontificale.  Ils  crurent  trouver 
en  lui  un  candidat  dont  l'élection,  tout  en  paraissant  une  satis- 
faction donnée  aux  Romains,  ne  correspondait  en  réalité  qu'aux 
vues  du  sacré-collège.  Aussi  les  cardinaux  avaient-ils  quelques 
motifs  de  craindre  que  leur  choix  ne  pût  satisfaire  le  peuple. 
Ce  dernier  point  est  à  mes  yeux  d'une  grande  valeur.  Le  peuple 
demande  d'une  manière  un  peu  séditieuse  un  Romain  ou  du  moins 
un  Italien.  Or  les  cardinaux,  qui  ont  élu  un  Italien,  n'osent  seule- 
ment pas  faire  connaître  au  peuple  son  nom.  Les  deux  partis  sont 
d'accord  pour  parler  de  cette  crainte  ;  elle  fut  si  vive  qu'elle  sug- 
géra aux  membres  du  sacré-collège  les  expédients  les  plus  con- 
damnables, par  exemple,  de  simuler  que  le  cardinal  de  Saint- 
Pierre  avait  été  élu  pape.  Cette  supercherie  dont  ils  redoutaient 
les  suites  ne  fit  qu'augmenter  leur  anxiété;  aussi  cherchèrent-ils 


(1)  Pierre  de  Barreria, carrfïna/ts  Eduensis,  qui  fut  promu  plus  tard  à  cette 
dignité  par  l'antipape,  se  contente  de  dire  que  la  reeleciio  ne  produisit  aucun 
résultat,  par  la  raison  que  Veleclio  avait  été  nulle  et  sans  valeur. Ce  qui  dans 
son  principe  est  frappé  de  nullité  ne  saurait  être  validé.  Aussi,  d'après  lui, 
la  situation  resta-t-elle  la  même.  Bul/Eus,  1.  c.  t.  IV,  p.  543  sq. 


RECONNAISSANCE  ET  ABANDON   d'lBBAIN   VI  ,    ETC.  35 

leur  salut  dans  la  fuite,  jusqu'à  ce  que  les  chefs  de  la  ville  leur 
protestèrent  que  l'élection  d'Urbain  serait  agréable  au  peuple. 
Tout  cela  prouve  combien  peu  on  est  autorisé  à  dire  que  le  peuple 
romain  a  été  la  véritable  cause  de  l'élection  d'Urbaiu . 

8.  Si,  nonobstant  la  reelectio,  l'élection  d'Urbain  pouvait  pa- 
raître encore  n'avoir  pas  été  absolument  libre,  la  conduite  des 
cardinaux  que  nous  avons  maintenant  à  raconter  fera  disparaître 
toute  objection. 

§713. 

RECONNAISSANCE   ET   ABANDON    d'uRBAIN   VI.    ÉLECTION   DE   l'aNTIPAPE 

CLÉMENT   VII, 

Urbain  Vf  fît  connaître  sans  perdre  de  temps  son  élévation 
aux  évêques  et  aux  princes,  et  tous  les  cardinaux  présents  à  Rome 
le  reconnurent  de  fait  comme  pape  dans  un  nombre  infini  de  do- 
cuments *■ .  Nous  avons  dit  dans  le  paragraphe  précédent  qu'ils 
assistèrent  au  couronnement  d'Urbain,  qu'ils  célébrèrent  avec  lui 
des  cérémonies  ecclésiastiques,  assistèrent  à  ses  consistoires,  re- 
çurent de  sa  main  la  sainte  communion,  lui  firent  des  présents, 
lui  demandèrent  des  grâces,  etc.  Les  membres  du  sacré-collége 
se  hâtèrent  en  outre  de  faire  connaître  ce  qui  venait  de  se  passer 
à  leurs  six  collègues  restés  à  Avignon  et  aux  autres  amis  ainsi 
qu'aux  princes.  Ils  leur  disaient  que,  le  7  avril,  ils  étaient  entrés 
en  conclave,  et  que,  dès  le  lendemain,  à  l'heure  où  le  Saint-Esprit 
était  descendu  sur  les  apôtres  le  jour  de  la  Pentecôte,  ils  avaient, 
certainement  sous  l'influence  du  même  Esprit,  librement  élu 
à  l'unanimité  l'archevêque  de  Bari,  homme  de  grand  talent  et  de 
grande  vertu  ^  Cette  lettre  fut  signée  par  les  seize  cardinaux  pré- 
sents à  Rome,  sans  en  excepter  Robert  de  Genève  qui  fut  plus  tard 
antipape,  du  moins  le  codex  dont  s'est  servi  Raynald  porte  son 
nom,  et  s'il  ne  se  trouve  pas  dans  un  autre,  ce  n'est  que  par 
erreur  ' .  Le  ton  tout  à  fait  laconique  de  cette  lettre  des  cardinaux 
pouvait  paraître  étrange  ;  néanmoins  leurs  collègues  d'Avignon 
ne  se  doutèrent  de  rien,  ils  s'empressèrent  de  reconnaître  le 

(1)  Raynald,  1378,  16  et  92-100.  —  Bul^us,  Bist.  univers.  Parisien,  t.  IV, 
p.  497-506. 

(2)  Raynald,  1378,  17-19.  —  Bul^us,  1.  c.  p.  463-465. 

(3)  Dans  Giaconius,  Vitœ  Ponti/.  t.  Il,  p.  626  sq. 


36  RECONNAISSANCE    ET   ABANDON   D  UEBAIN   VI. 

nouveau  pape  et  ordonnèrent  au  commandant  du  château  Saint- 
Ange  de  remettre  à  Urbain  cette  forteresse  ^  Enfin,  ils  écrivirent 
à  Urbain  VI  une  lettre  pleine  de  soumission  et  ils  firent  placer  ses 
armes  dans  Avignon  ^. 

Les  cardinaux  restés  à  Rome  cherchèrent  plus  tard  à  expliquer 
tous  ces  témoignages  de  respect  donnés  à  Urbain  en  disant  que 
la  crainte  de  la  mort  les  leur  avait  arrachés.  Quelques-uns  allè- 
rent même  jusqu'à  prétendre  que  les  lettres  dans  lesquelles  ils 
faisaient  l'éloge  d'Urbain  étaient  apocryphes  et  avaient  été  fabri- 
quées par  ce  dernier  ^.  Mais,  en  vérité,  n'est-ce  pas  là  de  la  haute 
comédie  ?  A  l'époque  de  l'élection,  les  cardinaux  sont  saisis  d'une 
peur  épouvantable  quand  il  s'agit  de  faire  connaître  au  peuple 
le  nopii  d'Urbain|;  aussitôt  après,  c'est  Urbain  lui-même  qui  leur 
inspire  une  frayeur  tout  aussi  grande  :  ils  font  tout  ce  qu'il  veut, 
écrivent  ce  qu'il  leur  prescrit  d'écrire  et  ils  mentent  suivant  les 
ordres  qu'il  leur  donne.  Comment  exphquent-ils  cette  métamor- 
phose? Ils  n'en  disent  rien;  mais  ce  qui  prouve  que  leurs  alléga- 
tions ne  sont  pas  admissibles,  c'est  qu'ils  ont  fait  pour  Urbain 
beaucoup  plus  que  la  crainte  ne  pouvait  leur  suggérer  de  faire. 
Qui  les  obligeait,  par  exemple,  à  écrire  dans  leurs  lettres  à  leurs 
collègues  d'Avignon  que  l'élection  d'Urbain  avait  été  une  inspi- 
ration divine?  Qui  obligeait  le  cardinal  d'Aigrefeuille  à  donner  à 
l'élu,  in  signum  specialis  amoris,  un  anneau  de  grand  prix  qu'il 
tenait  de  sa  mère?  Urbain  en  reçut  un  autre  de  celui  qui  fut  plus 
tard  l'antipape.  D'autres  cardinaux  le  fatiguèrent  par  leurs  de- 
mandes de  prébendes  et  de  grâces,  soit  pour  eux,  soit  pour  leurs 
cousins.  Le  cardinal  de  Glandève  accepta  du  pape  l'évêché 
d'Ostie,  et  le  cardinal  d'Amiens,  qui  n'avait  pas  pris  part  au  con- 
clave, se  hâta,  lorsque  sa  mission  à  Florence  fut  terminée,  de 
venir  à  Rome  pour  saluer  le  nouveau  pape  *. 

Mais  on  objectera  peut-être  que  les  cardinaux  présents  à 
Rome  étaient  dans  l'impossibilité  de  faire  connaître  à  leurs  col- 
lègues d'Avignon  ainsi  qu'au  cardinal  d'Amiens  le  véritable  état 


(1)  Le  feu  pape  avait  défendu  au  commandant  du  château  Saint-Ange 
de  livrer  les  clefs  de  la  forteresse  sans  l'assentiment  des  cardinaux  restés  à 
Avignon, 

(2)  i-^AYNALD,  1378,  20-24.  —  Baluz.  Vita  Pap.  Ave7i.  t.  II,  p.  813-816.  — 
Bulyeus,  1.  c.  p.  523. 

(3)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1036,  1046,  1106. 

(4)  Baluz,  1.  c.  1. 1,  p.  1005,  1079,  1148,  1157.  —  Bul.eus,  1.  c.  p.  497-505. 
—  Raynald,  1378,  97,  98.  —  Martène,  Rer.  ital.  script,  t.  III,  P.  2,  p.  723. 


ÉLECTION   DE   L  ANTIPAPE    CLEMENT   VII.  37 

des  choses;  c'est  en  effet  ce  que  prétendirent  plus  tard  quelques 
adversaires  d'Urbain.  On  ajouta  même  qu'un  cardinal  écrivit  au 
roi  de  France  pour  l'avertir  de  n'ajouter  aucune  confiance  aux 
lettres  des  cardinaux  et  aux  siennes  propres  tant  qu'ils  seraient  à 
Rome  *.  Mais  si  cette  prétendue  lettre  a  pu  être  envoyée  en 
France,  on  pouvait  bien  en  expédier  d'autres  également  hostiles  à 
Urbain  .De  plus  une  lettre  du  commandant  du  château  Saint-Ange, 
un  chevalier  français,  renverse  tout  cet  échafaudage  de  fictions. 
Nous  le  voyons  écrire  aux  cardinaux  d'Avignon  pour  savoir  s'il 
doit  livrer  la  citadelle  à  Urbain,  et  dans  cette  lettre  absolument 
rien  n'indique  que  le  commandant  regarde  l'élection  d'Urbain 
comme  faite  sans  liberté  et  par  conséquent  comme  nulle  *. 
Cette  lettre  parvint  à  son  adresse,  et,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà 
dit,  les  cardinaux  y  répondirent  d'une  manière  favorable  à 
Urbain.  Pourquoi  les  cardinaux  n'auraient-ils  pu  écrire  tout 
aussi  librement  que  ce  commandant?  pourquoi  n'auraient-ils  pu 
se  servir  de  son  intermédiaire  pour  informer  leurs  collègues 
d'Avignon  du  véritable  état  des  choses?  Oui,  c'était  en  toute 
liberté  qu'ils  écrivaient,  et  ce  fut  en  toute  liberté  qu'ils  écrivirent 
en  faveur  d'Urbain,  qu'ils  reconnaissaient  alors  d'une  manière 
absolue. 

Ce  fut  au  château  Saint- Ange  que  commença  l'opposition  contre 
Urbain  YI.  Nonobstant  l'ordre  précis  des  cardinaux  d'Avignon, 
le  commandant  refusa  de  se  soumettre  à  Urbain  et  de  livrer  la 
citadelle;  le  chambellan  de  l'Église  romaine,  Pierre,  archevêque 
d'Arles,  qui  au  moment  de  l'élection  s'était  retiré  au  château 
Saint-Ange  avec  le  trésor  pontifical,  contesta  aussi  avec  beau- 
coup de  ténacité  la  validité  de  l'élection  d'Urbain,  quoique  son 
propre  frère  le  cardinal  de  Limoges  le  blâmât  en  disant  :  Tace, 
quia  verus  est  papa  ^ .  Plus  tard  le  cardinal  tint  un  autre  langage. 
Mais  comment  a-t-il  pu  se  faire  que  cette  opposition  contre  Ur- 
bain partie  du  château  Saint-Ange  ait  pris  des  dimensions  tou- 
jours plus  considérables  et  détaché  peu  à  peu  du  pape  tous  les 
cardinaux,  les  ait  amenés  à  une  rupture  complète?  c'est  ce  qu'il 
n'est  pas  possible  d'expliquer  avec  une  entière  certitude,  à  moins 
qu'on  ne  découvre  de  nouveaux  documents.  Ce  nouvel  état  de 


J)  Baluz.  1.  c.  p.  1006.  —  BuLiEus,  1.  c.  o.  463. 

(2)  Baluz.  1.  c.  t.  II,  p.  813. 

(3)  Baluz.  I.  c.p.  1066,  1211. 


38  iliiCONi\AISSAi\CE   EL-   ABANDOA'    d'uRBAIN    VI. 

choses  a  dû  résulter  de  diverses  causes  dont  quelques-unes  nous 
sont  tout  à  fait  inconnues.  Voici,  du  reste,  les  quelques  supposi- 
tions que  les  documents  originaux  nous  permettent  de  faire. 

a)  On  se  souvient  que,  lors  de  la  première  élection  d'Urbain,  les 
cardinaux  Orsini,  Glandève  et  un  troisième  émirent  une  pro- 
testation, et  que,  lors  de  la  reekctio,  trois  cardinaux  ultramon- 
tains  s'abstinrent  de  voter.  Tant  que  leur  opposition  n'amena  pas 
de  résultat,  ils  se  soumirent  au  nouveau  pape,  parce  que  c'était 
là  pour  eux  une  dura  nécessitas;  mais  ils  durent  saluer  avec 
bonheur  l'opposition  du  château  Saint-Ange,  et  bien  probable- 
ment ils  cherchèrent  à  faire  naître  dans  l'esprit  de  leurs  collègues 
des  doutes  et  des  objections  contre  la  validité  de  l'élection. 
Ainsi  nous  savons  que,  même  après  l'intronisation  du  pape  Ur- 
bain à  laquelle  il  avait  assisté,  le  cardinal  de  Glandève  disait  à 
son  collègue  d'Aigrefeuille:  «  Barthélemi  de  Bari  n'est  pas  réelle- 
ment pape.  '•  Le  cardinal  Noëllet  de  Saint-Angelo  s'exprimait  de  la 
même  manière;  il  disait  que  l'élection  n'avait  pas  été  libre,  à 
cause  de  la  pression  manifeste  qui  avait  été  exercée  ;  qu'il  y  avait 
adhéré  laiùer  qualiier,  mais  qu'il  la  tenait  pour  nulle.  Le  car- 
dinal de  Bretagne  assura  qu'il  n'avait  pas  donné  sa  voix  à  l'ar- 
chevêque parce  qu'il  le  connaissait  comme  homo  furiosus  ^ 

b)  Les  cardinaux  opposants  ayant  ainsi  fait  naître  des  difiB- 
cultés  et  formulé  quelque  semblant  de  raison  contre  la  validité 
de  l'élection,  il  dut  en  résulter  un  malaise  auquel  on  eut  hâte  de 
mettre  fm  et  ce  fut  pour  ce  motif  que,  même  dans  le  conclave, 
quelques  cardinaux  parlèrent  de  procéder  à  une  nouvelle  reelectio 
en  dehors  de  Rome.  Ce  fut  précisément  le  souvenir  de,  la  ree- 
lectio faite  dans  l'après-midi  du  8  avril  qui  dut  suggérer  aux  car- 
dinaux de  faire  une  seconde  reelectio  à  Anagni.  Leur  pensée 
était  alors  de  renommer  Urbain,  car  ils  ne  songeaient  pas  encore 
à  créer  un  antipape.  Cette  disposition  des  cardinaux,  à  ce  mo- 
ment, se  retrouve  dans  cette  phrase  du  cardinal  de  Glandève  : 
«  Omnes  cardinales  intendebant  ad  evitandum  scandalum,  si 
fuisset  aptus^  quando  fuissent  iîi  Anagnia,  ipsum  eligere  ^.  Ce 
qui  revient  à  dire  :  «  Comme  l'élection  d'Urbain  était  contestée 
de  divers  côtés,  les  cardinaux  résolurent  de  se  rendre  à  Anagni 
pour  y  procéder  à  une  nouvelle  élection  d'Urbain,  et  pour  couper 


(1)  Baluz.  l.c.  1. 1,  p.  1003,  1114,  1143. 

(2)  Baluz.  L  c.  1. 1,  p.  1080. 


ÉLECTION  DE  l'aJNTIPAPE   CLEMENT  VII.  39 

court  par  là  même  à  toute  difficulté;  mais  Urbain  ne  fut  pas  à 
la  hauteur  nécessaire  pour  occuper  le  Saint-Siège.  »  Il  est  bien 
probable  que  ce  fut  le  cardinal  de  Glande ve,  lequel  avait  déjà 
protesté  formellement  par-devant  un  notaire  contre  l'élection 
d'Urbain,  qui  mit  en  avant  ce  projet  d'electio  à  Anagni;  aussi  est-il 
digne  de  remarque  que,  nonobstant  sa  première  opposition  contre 
Urbain,  ce  même  cardinal  eût  été  d'accord  avec  ses  collègues 
pour  le  renomm^er.  Les  cardinaux  communiquèrent  au  pape  ce 
projet  d'une  reelectio  à  Anagni,  et  celui-ci  leur  répondit  :  «  Si 
vous  voulez  m'élire  une  fois  de  plus,  c'est  très-bien,  mais  si  vous 
ne  voulez  pas,  ce  qui  a  été  fait  me  suffit  ^ .  » 

c)  L'opinion  publique,  qui  jusqu'alors  avait  été  favorable  à 
Urbain,  commença  à  se  tourner  contre  lui,  qu'il  y  eût  ou  qu'il  n'y 
eût  pas  de  sa  faute.  Les  cardinaux  furent  déçus  dans  les  espé- 
rances qu'ils  avaient  fondées  sur  lui  et  ne  tardèrent  pas  à  le 
regarder  comme  inhabile  à  remphr  ces  hautes  fonctions.  Si 
fuisset  aptus,  dit  le  cardinal  de  Glandève  dans  le  passage  que 
nous  avons  cité,  et  puis  il  continue,  habebant  ipswn  tanquam  fa- 
tuum,  quia  jam  cognoscebant  qualis  erat,  et  nullo  modo  erat 
aptus  ad  gubernandam  Ecclesiam.  Un  autre  cardinal  lui  donne 
l'épithète  de  furiosus  '  et  Dietrich  de  Niem  dit,  de  son  côté,  eum 
delirum  communiter  ipsi  cardinales  habebant.  Ce  même  Alle- 
mand, qui  était  témoin  oculaire  et  qui  tenait  l'élection  d'Urbain 
comme  tout  à  fait  régulière,  avoue  que  cette  subite  élévation  avait 
tourné  la  tête  à  Barthélemi, 

d)  Urbain  fît,  en  effet,  preuve  d'une  rudesse  et  d'une  grossiè- 
reté qui  dénaturait  ses  meilleurs  plans  et  ses  démarches  et  qui 
indisposait  gravement  les  esprits.  Dès  le  lendemain  de  son  cou- 
ronnement, le  lundi  de  Pâques,  il  blessa  les  nombreux  évêques 
et  les  prélats  qui  habitaient  Rome,  soit  pour  leurs  affaires,  soit 
sans  motifs.  Lorsque,  après  les  vêpres,  ils  vinrent  lui  présenter 
leurs  hommages  dans  la  grande  chapelle  du  Vatican,  il  les  traita 
de  parjures  parce  qu'ils  avaient  quitté  leurs  églises.  Ils  furent 
atterrés  ;  mais  l'un  d'eux  Martin,  évêque  de  Pampelune,  répondit 
courageusement  que  ce  reproche  ne  pouvait  s'adresser  à  lui, 
parce  que  s'il  était  à  la  curie,  c'était,  non  pas  pour  son  intérêt 


(1)  Ba-ltjz.  l.c.  1. 1,  p.  1120. 
{l)  Bâluz.  1-  c.  1. 1,  p.  1143. 
(3)  Theod.  a  Niem,  de  Schism.  I,  7. 


40  RECONNAISSANCE   ET   ABANDON   d'uEBAIN  "VI. 

privé,  mais  dans  un  intérêt  public.  Il  était,  en  effet,  référen- 
daire pontifical  et  de  plus  excellent  juriste  ^  Quinze  jours  plus 
tard  Urbain  tint  un  consistoire  public,  auquel,  sans  compter 
les  cardinaux,  assistèrent  un  grand  nombre  de  prélats  et  de  cu- 
rialistes.  Il  prêcha  sur  ce  texte  :  «  Je  suis  le  bon  pasteur,  »  et  il 
dénonça  d'une  façon  si  violente  et  si  imprudente  les  mœurs  des 
cardinaux  et  des  prélats,  que  ceux-ci  en  furent  irrités  au  dernier 
point  ^.  Une  autre  fois  le  collector  fructuum  camerœ  apostolicœ 
nommé  par  le  feu  pape  étant  venu  le  trouver  pour  lui  remettre 
l'argent  qu'il  avait  rassemblé,  il  le  reçut  en  lui  disant  :  «  Sois 
maudit,  toi  et  ton  argent.  »  Dietrich  de  Niem,  1.  c,  dit  qu'il 
avait  tous  les  jours  des  scènes  pareilles,  ce  qui  lui  valut  peu  à 
peu  la  haine  de  tous  les  cardinaux  et  des  prélats.  Il  leur  défendit 
d'avoir  plus  d'un  service  dans  leurs  repas  ;  il  leur  interdit  expres- 
sément de  recevoir  des  présents;  il  les  accusa  de  simonie,  blâma 
leur  luxe;  aux  uns  il  imposait  rudement  silence,  aux  autres  il 
criait  :  «  Vous  bavardez  d'une  façon  insensée.  »  Il  traita  de  sot  le 
cardinal  Orsini  et  compromit  les  revenus  des  cardinaux  en  leur 
déclarant  que  chacuD  d'eux  devait  rebâtir  l'église  dont  il  portait  le 
titre  ^.  Il  indisposa  le  cardinal  de  Limoges  par  les  mesures  de  ri- 
gueur dont  il  menaça,  avec  raison  cette  fois,  son  frère  le  cham- 
bellan pontifical,  qui  se  montrait  toujours  opiniâtre.  D'autres  se 
fâchèrent  parce  qu'il  ne  voulut  pas  les  indemniser  pour  les  pertes 
que  le  peuple  leur  avait  fait  subir  pendant  le  conclave.  Mais 
Urbain  réussit  surtout  à  se  faire  du  cardinal  d'Amiens  un  ennemi 
irréconciliable.  Lorsque,  après  sa  mission  en  Toscane,  celui-ci 
revint  à  Rome  le  25  avril,  il  assura,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà 
raconté,  le  nouveau  pape  de  sa  respectueuse  obéissance,  et  de 
son  côté  Urbain  le  reçut  d'une  manière  très-bienveillante  dans 
un  consistoire  public.  Mais,  au  bout  de  quelque  temps,  il  accusa 
le  cardinal  de  n'avoir  pas  soutenu  les  intérêts  de  l'Église  vis-à-vis 
des  Florentins  et  des  Milanais,  et  il  le  traita  de  traître.  Le  car- 
dinal répondit  :  «  Gomme  vous  êtes  maintenant  pape,  je  ne  puis 
pas  répondre,  mais  si  vous  n'étiez  encore  qu'archevêque  de  Bari, 
je  vous  dirais  que  vous  en  avez  menti  par  la  gorge.  »  A  parlir 


(1)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib.  I,  4. 

(2)  Ibid.  c.  5.  Sainte  Catherine  de  Sienne  dit  également  :  Movisse  cardinales 
reheUionem,  cum  ipso  sordescere  vitiis  non  paterelur.  Raynald,  1378,  25. 

(3)  Raynald,  1378.  25. —  Dans  Muratori,  1.  c.  p.  724  sq.  —  Baluz.  1.  et.  I, 
p.  998, 1005. 


ÉLECTION   DE  L'aNTIPAPE    CLEMENT   VU.  41 

de  ce  moment,  le  cardinal  devint  adversaire  déclaré  d'Urbain 
et  s'employa  très-activement  à  lui  rendre  ses  collègues  et  le  roi 
de  France  défavorables .  Urbain  lui-même  constate  qu'il  fut  le 
principal  promoteur  du  schisme  ^ .  Comme  preuve  de  l'insuppor- 
table orgueil  du  pape,  Dietrich  de  Niem  (1.  c.  I,  7)  cite  ce  fait 
que  Otto,  duc  de  Braunschweig  et  époux  de  la  reine  de  Naples, 
étant  venu  à  Rome  avec  de  riches  présents  offerts  par  sa  femme, 
et  ayant  rempli  à  la  table  du  pape  le  rôle  d'échanson,  Urbain  le 
laissa  longtemps  à  genoux  avant  de  prendre  la  coupe  de  vin  qu'il 
lui  présentait.  Il  blessa  aussi  la  reine  Jeanne  en  repoussant  de 
la  manière  la  plus  expresse  la  demande  qu'elle  lui  fit  de  ne 
payer  que  dans  deux  mois  la  redevance  de  vassalité  (pour  Naples) 
et  en  critiquant  sa  manière  de  gouverner.  Il  menaça  même  de  la 
faire  entrer  dans  un  couvent  et  de  donner  son  royaume  à  un  fils 
du  roi  de  France  ^.  Il  refusa  de  restituer  au  comte  de  Fondi 
20,000  florins  que  ce  dernier  avait  prêtés  au  feu  pape  (il  donna 
pour  raison  que  cet  argent  n'avait  pas  été  employé  pour  les  in- 
térêts de  l'Église)  et,  en  outre,  il  lui  enleva  la  charge  de  cornes, 
c'est-à-dire  d'administrateur  pontifical  pour  la  Gampanie  ^,;  c'est 
ainsi  que,  même  lorsqu'il  avait  de  bonnes  intentions  et  que  le 
droit  était  pour  lui,  il  ne  parvenait  souvent  qu'à  se  faire  des 
ennemis. 

é)  Une  autre  espérance  que  les  cardinaux  français  avaient 
fondée  sur  l'élévation  d'Urbain  fut  également  frustrée.  L'ancien 
«  pauvre  et  petit  évêque  »  n'était  pas  du  tout  disposé  à  se  laisser 
gouverner  par  ceux  qui  avaient  été  jusque-là  ses  promoteurs,  le 
demi-Français  ne  manifestait  guère  l'intention  de  régner  selon 
les  vues  du  parti  français.  Son  refus  catégorique  de  revenir 
à  Avignon  dut  lui  aliéner  encore  certains  esprits  *..  Il  avait 
pleinement  raison  sur  ce  dernier  point,  mais  il  était  imprudent 
et  provoquant  lorsqu'il   ajoutait    qu'il  élèverait  un    si  grand 


(1)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1066,  1149,  1158,  1160. 

(2)  iiuL^us,  1,  c.  p.  521.  —  Baluz.  1.  c.  t.  I,  p.  1124  sq.  —  Baynald,  1378, 
47.  Ce  dernier  historien  se  trompe  lorsqu'il  explique  les  causes  du  mécon- 
tentement de  la  reine  Jeanne  contre  Urbain.  Cf.  Baluz.  1.  c.  Il  résulte,  du 
reste,  d'une  lettre  de  Marcilius  de  Inghem,  qui  se  trouvait  avec  Urbain  à  Ti- 
voli au  mois  de  juillet  1378,  qu'à  cette  époque  la  reine  Jeanne  soutenait  en- 
core Urbain.  Bul^eus,  1,  c.  p.  406  sqq. 

(3)  MuRATORi,  1.  c.  p.  726.  Dans  son  mémoire  au  comte  de  Flandre,  le  roi 
de  France  donne  d'autres  exemples  de  l'orgueil  et  de  la  folie  d'Urbain.  Bu- 
LiEus,  1.  c.  p.  520  sq 

(4)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1222.  —  Baynald,  1378,  25. 


42  RECONNAISSANCE   ET  ABANDON   d'iRBAI.^   VI. 

nombre  de  Romains  et  d'Italiens  au  cardinalat  qu'ils  uniraient 
par  l'emporter  sur  les  ultramontains  * .  Ce  langage  ne  laissait  aux 
cardinaux  que  l'alternative  ou  de  renverser  celui-là  même  qu'ils 
avaient  élevé,  ou  de  laisser  tomber  à  tout  jamais  ce  dominium 
que  la  France  avait  sur  le  Saint-Siège  depuis  soixante-dix  ans.  A 
mon  avis,  ce  fut  à  partir  de  ce  moment  que  le  projet  de  déposer 
le  pape  commença  à  se  faire  jour  dans  certains  esprits. 

/)  Mais  ce  projet  ne  pouvait  être  encore  que  bien  vague  lors- 
qu'au commencement  du  mois  de  mai,  les  deux  cardinaux  d'Ai- 
grefeuille  et  de  Poitiers  se  rendirent  à  Anagni  avec  la  permission 
d'Urbain,  sous  prétexte  d'y  respirer  l'air  des  montagnes  au  lieu 
de  rester  à  Rome  par  une  chaleur  épouvantable.  Ils  furent  suivis 
peu  à  peu  dans  cette  retraite  par  les  autres  cardinaux  ultramon- 
tains qui  s'éloignèrent  de  Rome  avec  ou  sans  la  permission  du 
pape,  et  il  n'y  eut  que  les  Italiens  à  rester  avec  Urbain  ^.  Celui-ci 
ne  défendit  pas  cette  émigration,  il  espérait  que  les  difficultés  exis- 
tant entre  lui  et  les  cardinaux  pourraient  s'aplanir  d'une  manière 
légale  et  que;  si  une  reelectio  avait  lieu,  elle  ne  pouvait  que  lui 
être  favorable.  Quant  à  supposer  que  le  schisme  serait  le  dernier 
mot  de  cette  situation,  nul  n'y  songeait.  Le  pape  était  entretenu 
dans  sa  sécurité  par  la  conduite  des  cardinaux  qui,  à  Anagni, 
continuaient  à  dire  la  messe  pour  lui,  le  traitaient  de  pape  dans 
leurs  lettres,  lui  demandaient  des  grâces  et  des  emplois,  et  da- 
taient tous  leurs  documents  de  l'année  de  son  pontificat  ^. 

g)  Mais  dès  le  mois  de  juin,  les  cardinaux  d'Anagni  commencè- 
rent à  avoir,  vis-à-vis  d'Urbain,  une  attitude  hostile.  L'éloigne- 
ment  les  avait  rendus  plus  hardis,  et  les  menées  souterraines  de 
quelques-uns  d'entre  eux,  en  particulier  des  cardinaux  d'A- 
miens, de  Marmoutier  et  du  cardinal  Flandrin,  n'étaient  pas 
restés  sans  résultats.  Le  projet  bien  connu  d'Urbain,  de  créer 
dans  le  sacré-collège  une  majorité  italienne  devait  aussi  exciter 
les  cardinaux  français,  et  peut-être  enfin  qu'un  souffle  de  dis- 
corde arrivait  déjà  du  côté  de  la  France,  qui  devait  avoir  un  in- 
térêt majeur  à  renverser  le  pape  Urbain.  Les  propres  aveux  du 
roi  de  France  (dans  Bulseus,  1.  c.  p.  523  sq.),  prouvent  qu'il  y 


(i)  MuRATom,  1.  c.  p.  725. 

(2)  BuwEus,  1.  c.  p.  527.  —  Baluz.  1.  c.  t.  I,  p.  1008,  10G7,  1081,  1191.  — 
Theod.  a  Niem,  1.  c.  I.  7. 

(3)  BuLyEus,  1.  c.  p.  509.  —  Baluz.  1.  c.  p.  1067,  1191.  — Raynald,  1738,  27, 
28. 


I 


élection;    Dii   L  ANTIPAPE   CLÉAIENT   Tll.  43 

eut  dès  cette  époque  des  négociations  secrètes  et  qu'on  s'envoya 
de  part  et  d'autre  des  messagers  de  confiance.  Le  sucesseur  du 
pape  Urbain,  le  pape  Boniface  IX,  dit  ouvertement  que  les  cardi- 
naux n'osèrent  pas  procéder  à  l'élection  d'un  antipape  avant  d'a- 
voir Yassensum  j^estiferum  des  principes  Galliœ  (c'est-à-dire  du 
roi  et  de  ses  frères).  Cet  assentiment  ne  fut,  du  reste,  obtenu  par 
les  cardinaux  que  grâce  à  des  lettres  pleines  de  faussetés,  comme 
lorsque  les  cardinaux  prétendirent  que  le  pape  Urbain  voulait 
enlever  le  pays  d'Arles  à  la  maison  de  France  ^ . 

Lorsque  les  choses  furent  arrivées  à  ce  point,  les  cardinaux 
refusèrent  de  restituer  au  pape  la  tiare  et  les  autres  insignes  de 
la  papauté  que  Pierre  d'Arles  avait  apportés  à  Anagni.  Ils  défen- 
dirent aussi  qu'on  livrât  le  château  Saint-Ange  et,  après  s'être 
mis  en  relations  intimes  avec  le  comte  de  Fondi  et  avec  Vico, 
préfet  de  Viterbe  et  très-hostile  à  l'Église,  ils  engagèrent  à  leur 
service  et  firent  venir  à  Anagni  les  derniers  restes  de  ces  bandes 
bretonnes  que  Grégoire  XI  avait  utilisées  * .  Toutes  ces  mesures 
trahissaient  quelque  plan  perfiide.  Aussi,  au  mois  de  juin  1378, 
Urbain  chargea  trois  des  quatre  cardinaux  restés  à  Rome  auprès 
de  lui,  les  cardinaux  de  Florence,  de  Milan  et  Orsini  (le  cardinal 
de  Saint-Pierre  était  uialade,  et  mourut  peu  de  temps  après),  de 
se  rendre  à  Anagni  et  d'expliquer  à  leur  collègues  qu'ils  n'a- 
vaient rien  à  craindre,  pas  plus  du  côté  du  pape  que  du  côté  des 
Romains,  et  par  conséquent  que  ces  soldats  n'étaient  d'aucune 
nécessité,  et  enfin  qu'il  ferait  preuve  vis-à-vis  d'eux  de  plus  de 
bienveillance  qu'aucun  autre  pape.  Il  les  priait  de  venir  le 
trouver  à  Tivoli  où  il  avait  lui-même  l'intention  de  se  rendre. 
Les  cardinaux  feignirent  d'être  très-étonnés  et  très-blessés  de  ce 
qu'on  fît  courir  de  pareils  bruits  et  de  ce  que  le  pape  y  attachât 
foi.  Ils  firent  solennellement  cette  déclaration  dans  la  cathédrale. 
L'après-midi,  ils  n'en  tinrent  pas  moins  une  conférence  avec  les 
trois  Italiens  chez  le  cardinal  de  Genève,  dans  laquelle  ils  discu- 
tèrent la  validité  de  l'élection  d'Urbain  et  jurèrent  sur  l'ÉvaDgile 
que  la  crainte  de  la  mort  les  avait  seule  décidés  à  prendre  part 
à  l'élection  et  à  tout  ce  qui  s'était  fait  depuis.  En  terminant,  ils 
engagèrent  les  trois  Italiens  à  rester  avec  eux  et  à  pourvoir  à  la 


(1)  AcHERY,  Spicileg.  t.  1,  p.  767  (nouvelle  édit). 

(1)  BuL^us,  1.  c.  p.  507  sq.  — Baluz.  1.  c.  t.  1,  p.  464  sq.  et  1212.—  Mura- 
TORi,  1.  c.  p.  7<'6.  ~  Theod.  a  Niem,  1.  c.  I,  7. 


44  RECONNAISSANCE  ET  ABANDON   d'uRBAIN  VI. 

vacance  du  Siège  \  Il  ne  faut  pas  croire  cependant  que  tous  les 
cardinaux  présents  à  Anagni  fussent  d'accord  sur  les  mesures  à 
prendre  contre  Urbain. 

Divers  sentiments  se  firent  jour.  Les  uns  voulaient  obtenir 
qu'il  résignât  sa  charge,  d'autres  déclaraient  qu'ils  se  tiendraient 
pour  satisfaits  si  Urbain  acceptait  un  coadjuteur  ^.  Enfin,  il  y  en 
avait,  les  cardinaux  de  Glande ve  et  de  Luna  par  exemple,  qui 
manifestaient  le  désir  de  revenir  trouver  Urbain  et  de  se  récon-  , 
ciller  avec  lui.  Mais  ils  en  furent  empêchés  par  leurs  collègues '.^ 
Le  cardinal  de  Yernyo  avait  imaginé  un  plan  pour  applanir  les 
difficultés  et  assurer  au  pape  la  tiare,  mais  il  n'osa  pas  à  cause  de 
ses  collègues  communiquer  avec  le  pape  \ 

Les  cardinaux  italiens  n'acceptant  pas,  pour  cette  fois,  l'invi- 
tation des  insurgés  d'Anagni,  vinrent  à  Tivoh,  où  s'était  aussi 
rendu  le  pape  peu  de  temps  avant  la  fête  de  S.  Pierre  et  de 
S.  Paul  ^.  Urbain  fut  très-affecté  du  récit  que  lui  firent  les  car- 
dinaux, quoiqu'il  feignit  de  croire  que  tout  irait  bien.  Les  quatre 
laïques  nobles  qui  avaient  sur  lui  une  influence  exceptionnelle 
lui  recommandèrent,  ainsi  que  les  cardinaux,  d'agir  avec  la  plus 
grande  prudence  et  de  prendre  les  mesures  exigées  par  la  situa- 
tion; mais  il  n'en  voulut  rien  faire.  Les  cardinaux  italiens  lui 
remirent  ensuite  par  écrit  l'exposé  de  ce  qu'ils  avaient  fait  à 
Anagni,  afin  qu'il  réfléchît  plus  facilement  sur  cette  a3"aire,  et 
et  ils  prétendirent  plus  tard  qu'ils  avaient  fait  auprès  du  pape, 
par  des  démarches  privées,  tout  ce  qu'il  était  possible  de  faire 
pour  amener  un  heureux  dénoùment  ^.  1 

Vers  cette  époque  Ste  Catherine  de  Sienne  engagea  le  pape  à 
prêcher  une  croisade  afin  que  les  deux  partis  se  réconciliassent 
et  tournassent  leurs  armes  contre  les  infidèles;  de  plus  Otto  de 
Braunschweig,  époux  de  la  reine  de  Naples  \  vint  à  Tivoli  pour 
ménager  un  accommodement  entre  le  pape  et  les  cardinaux  et 


(1)  Tel  est  le  récit  fait  par  les  cardinaux  italiens  eux-mêmes  clans  leur 
encyclique  aux  princes,  Bul.eus,  1.  c.  p.  527.  Nous  verrons  plus  , tard  que 
ces  Italiens  ne  furent  pas  non  plus  très-fidèles  à  Urbain. 

(2)  MURATORI,  I.  c.  p.  126. 

(3)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  lOSl  et  1191,  met  en  doute  l'exactitude  de  ce  der- 
nier point. 

(4)  Baluz.  1.  c.  p.  1119  sq. 

(5)  BuL^us,  1,  c.  p,  527  et  508. —  Theod.  a  Niem,  î.  c  I,  8. —  Muratori,  1.  c. 
p.  726. 

(6)  BuL^-us,  1.  c.  p.  528, 

(7)  IUynali),  1378,  44. 


ELECTION    DK   L  ANTIPAPE   CLEMENT   VU.  45 

aussi  pour  obtenir  quelques  concessions  touchant  la  succession 
de  la  Sicile  ou  île  de  Trinacrie  *  ;  mais  il  échoua  également 
dans  ces  deux  tentatives.  Le  pape  projetait  de  donner  l'ile  de 
Sicile  à  son  neveu  François  Prignano,  quoique  ce  personnage  ne 
méritât  guère  de  faveurs.  Ce  plan  lui  valut  l'inimitié  de  Naples 
et  de  l'Aragon,  et  Otto  de  Braunschvv^eig  résumait  ses  impressions 
en  disant  que  le  pape  n'aurait  pas  dû  s'appeler  Urbanus  ^,  mais 
Turhanus,  parce  qu'il  mettait  le  trouble  partout.  Le  grand  ju- 
risconsulte Baldus,  professeur  à  Pérouse,  rendit  deux  consulta- 
tions, toutes  les  deux  favorables  à  Otto  de  Braunschweig  ;  mais 
on  devine  le  cas  qu'en  fît  le  pape,  aussi  la  crise  ne  tarda-t-elle 
pas  à  devenir  violente. 

Peu  de  temps  avant  la  fête  de  S.  Jacques,  le  20  juillet,  les  car- 
dinaux italiens  restés  auprès  d'Urbain  furent  formellement  in- 
vités par  leurs  collègues  à  se  rendre  à  Anagni  pour  délibérer 
sur  les  moyens  de  venir  en  aide  à  l'Eglise  romaine  et  catholique. 
La  lettre  était  signée  par  treize  cardinaux  ^  et  elle  fut  commu- 
niquée au  cardinal  de  Saint-Pierre,  qui  était  toujours  malade  et, 
sur  le  conseil  de  ce  dernier,  au  pape  lui-même.  Celui-ci  réunit 
un  conseil,  auquel  prirent  aussi  part  ses  conseillers  laïques  et, 
lorsqu'il  fut  terminé,  les  cardinaux  de  Florence  et  de  Milan  ainsi 
que  le  cardinal  Orsini  gagnèrent  Vicovaro,  d'où  ils  ne  revinrent 
plus  trouver  le  pape .  Ceci  se  passait  le  lundi  après  la  Saint- Jacques 
(26  juillet  1378)  ^  L'abbé  Christophe  a  présumé  que  ces  cardinaux 
ne  s'étaient  éloignés  qu'avec  l'assentiment  d'Urbain  et  afin  de 
pouvoir  s'entremettre  d'une  manière  impartiale  entre  le  pape  et 
leurs  collègues  %  et  nous  voyons,  en  effet,  qu'ils  s'efforcèrent 
alors  d'arriver  à  un  accommodement. 

Les  treize  cardinaux  envoyèrent  alors  d' Anagni  à  Urbain, 
une  lettre  dans  laquelle  ils  lui  donnaient  le  titre  de  olim  epis- 
copus  Barensis,  lui  souhaitaient  le  spiritus  consilii  sanioris,  et 
déclaraient  le   Saint-Siège  vacant.  Ils  protestaient,  en  même 

(1)  Naples  et  la  Sicile  formaient  alors  deux  royaumes  séparés  ;  néanmoins 
le  royaume  de  Naples  garda  le  titre  de  royaume  des  Deux-Siciles;  l'île 
proprement  dite  s'appela  Trinacrie.  Marie,  fille  de  Frédéric  IV,  de  la 
maison  d'Aragon,  était  héritière  de  la  Trinacrie;  c'est  cette  princesse  qui 
devait  épouser  un  cousin  d'Otto  duc  de  Braunschweig. 

(2)  Theodor.  a  NiEM,  1.  c.  I,  8. 

(3)  Raynald,  1378,  40.  —  Bul^us,  1.  c.  p.  528.  —  Le  cardinal  d'Amiens 
était  alors  à  Anagni. 

(4)  BuL^us,  1.  c.  p.  528. 

(5)  Christophe,  Éist.  de  la  papauté  au  xiy"  siècle,  t.  111,  p.  20  sq. 


■16  HECONN/iISSANCE    ET    ABANDON    d'uRBAIN    VI. 

temps,  que  la  force  seule  avait  pu  les  décider  à  l'élire  pape  d'une 
manière  si  rapide  et  qu'ils  l'avaient  fait  avec  la  conviction  qu'il 
serait  assez  consciencieux  pour  ne  pas  accepter  une  pareille 
élection  ;  mais  il  n'avait  pas  eu  cette  abnégation,  et  il  avait  été 
intronisé  et  couronné  grâce  à  la  terreur  qui  continuait  de  ré- 
gner. Il  était  donc  apostat  et  frappé  d'anathème,  et  il  n'obtien- 
drait la  miséricorde  de  Dieu  et  les  éloges  des  hommes  que  s'il 
abdiquait  * . 

Ce  document  fut  suivi,  le  2  août,  de  la  declaratio  des  cardinaux 
d'Anagni  sur  l'élection  d'Urbain;  nous  avons  rendu  compte  de 
cette  pièce  au  commencement  du  présent  livre  ^.  En  terminant, 
les  cardinaux  répétaient  qu'ils  ne  s'étaient  jamais  sentis  libres  à 
Rome;  aussi  qu'ils  n'avaient  jamais  pu  parler  avec  sincérité 
quand  ils  y  étaient.  Nonobstant  leurs  prières,  Urbain  n'avait 
jamais  voulu  se  rendre  avec  eux  en  un  autre  lieu. 

Trois  jours  plus  tard,  le  5  août,  les  trois  cardinaux  italiens 
eurent  à  Palestrina  une  entrevue  avec  une  députation  d'Anagni 
composée  des  cardinaux  de  Genève,  de  Poitiers  et  de  Saint- 
Eustache,  et  ils  proposèrent,  au  nom  du  pape,  de  faire  vider  le 
conflit  par  un  concile  général;  comme  les  députés  d'Anagni 
n'avaient  pas  d'instructions  sur  ce  point  et  qu'ils  devaient,  avant 
tout,  en  référer  à  leurs  commettants,  les  Italiens  se  rendirent 
dans  le  castrum  Genazani  pour  attendre  la  réponse.  Elle  fut 
négative.  Les  cardinaux  ultramontains ne  voulurent  pas  entendre 
parler  de  concile  ^  et,  le  9  août,  ils  publièrent  au  contraire  plu- 
sieurs décrets  contre  Urbain.  Dans  le  premier,  adressé  à  tous  les 
fidèles,  les  cardinaux  disent  :  «  Nous  tous,  cardinaux  réunis  à 
Anagni  au  nombre  de  treize,  nous  formons  plus  des  deux  tiers  de 
ceux  qui  étaient  présents  à  Rome  lors  de  la  mort  de  Grégoire  XI. 
En  l'absence  de  nos  collègues  (les  quatre  Italiens)  que  du  reste 
nous  avons  convoqués,  nous  saluons  tous  les  fidèles  à  l'occasion 
de  la  vacance  du  Saint-Siège.  »  Ils  racontent  ensuite  ce  qui  s'est 


(1)  BuL^us,  1.  c.  p.  467. 

(2)  Le  nom  du  cardinal  d'Amiens  ne  se  trouve  pas  au  bas  de  ce  document 
parce  que  ce  cardinal,  n'ayant  pas  assisté  à  l'élection,  n'avait  pas  de  témoi- 
gnage à  rendre. 

(3)  IUynald,  1378,  43.  —  Baluze  prétend  (1.  et.  I,  p.  1109)  qu'Urbain 
ne  voulait  pas  non  plus  de  concile  ;  mais  les  preuves  données  par  lui  dé- 
montrent simplement  que  plus  tard,  et  lorsque  Clément  VII  résidait  déjà  à 
Avignon,  Urbain  VI  déclina  la  proposition  d'un  concile,  et  cela  par  la  raison 
que  Clément  VII  n'en  voulait  pas. 


ÉLECTION    DE    l'aNTIPAPE    CLÉMENT   YII.  47 

passé  lors  de  l'élection  d'Urbain,  en  ajoutant  qu'ils  avaient  espéré 
qu'il  n'aurait  pas  accepté  une  pareille  élection,  etc..  *■ 

Une  seconde  lettre,  datée  du  même  jour  et  également  adressée 
à  tous  les  fidèles,  commence  de  la  même  manière  que  la  précé- 
dente, mais  continue  comme  il  suit  :  «  Nonobstant  toutes  les 
admonestations,  Urbain  s'est  obstiné  dans  son  occupation  tyran- 
nique  du  Saint-Siège,  aussi  le  déclarons-nous  intrus  et  nous 
engageons  la  chrétienté  à  ne  pas  obéir  à  ce  sacrilège  ^.  »  Six  jours 
plus  tard,  ils  envoyèrent  ces  documents  à  Louis,  duc  d'Anjou 
(frère  de  Charles  V,  roi  de  France),  et  à  l'Université  de  Paris,  et 
ils  députèrent  en  France  comme  ambassadeur  le  célèbre  Jean 
de  Barre 3;  leurs  lettres  sont  datées  d'Ânagni  et  du  15  août  1378. 
Aussi  faut-il  corriger  le  renseignement  fourni  par  les  cardinaux 
italiens  portant  que  la  proclamation  avait  eu  lieu  à  Anagni  le  8 
{le  9)  août  et  que  le  lendemain  les  cardinaux  avaient  gagné 
Fondi  *.  Le  départ  des  cardinaux  pour  Fondi  (sur  la  limite  des 
États  de  l'Église,  du  côté  de  Naples)  eut  lieu  le  27  août;  ils 
allèrent  ainsi  plus  loin,  afin  d'être  plus  en  sûreté  pour  prendre 
les  mesures  extrêmes  auxquelles  ils  étaient  maintenant  décidés. 
Ce  furent  surtout  le  cardinal  d'Amiens,  Louis,  duc  d'Anjou,  et 
Nicolas  Spinelli,  chargé  d'affaires  pour  le  pays  de  Naples  et  ennemi 
personnel  d'Urbain,  qui  poussèrent  à  cette  rupture  complète  ^ 

L'empereur  Charles  IV  regarda  comme  son  devoir  d'exhorter 
les  cardinaux  de  la  manière  la  plus  pressante  à  se  réconcilier 
avec  Urbain.  Il  leur  rappela  que  plusieurs  d'entre  eux,  dans 
diverses  lettres  adressées  à  l'Empereur  avaient  regardé  l'élec- 
tion d'Urbain  comme  légitime.  Charles  lY  écrivit  dans  le  même 
sens  à  Jeanne,  reine  de  Naples,  et  il  lui  demanda  de  donner  les 
ordres  convenables  à  son  vassal  le  comte  de  Fondi,  sur  le  ter-  - 
ritoire  duquel  se  trouvaient  les  cardinaux  ^. 

Après  des  instances  renouvelées,  les  cardinaux  italiens  s'étaient 
décidés  à  venir  à  Fondi,  à  l'exception  du  cardinal  de  Saint-Pierre, 
qui  mourut  le  7  septembre  de  la  même  année.  Le  cardinal  de 
Glandève  assure  que  son  collègue  le  cardinal  de  Vernyo  et  lui 

(1)  BuL^us,  1.  c.  p.  474. 

(2)  BuLiEus,  1.  c.  p.  476.  —  Raynald,  1378,  48-50  incl. 

(3)  BuL^uS;,  1.  c.  p.  478  sq. 

(4)  BuLiEus,  1.  c.  p.  528. 

(5)  Raynald,  1378,  45,  46.  —  Theod.  a  Niem.I.  c.  I,  8. 

(6)  Pelzel,  Kaiser  Cari.  IV.  Bd.  II,  Urkund.  S.  389.  —  Palacky,  Gesch. 
von  Bohmen,  Bd.  III,  1,  S.  6,  7. 


48  HISTOIRE    DU    SCHISME 

avaient  proposé,  pour  occuper  le  Siège  pontifical  qu'ils  regardaient 
comme  vacant,  le  cardinal  de  Florence,  mais  que  celui-ci,  crai- 
gnant  l'opposition  des  Italiens,avait  décliné  cet  honneur  ^Dietrich 
de  Niem,  raconte  au  contraire  (I,  9)  que  lorsque  les  Italiens  se 
trouvaient  encore  à  Sezza  non  loin  de  Fondi,  mais  dans  les  États 
de  rÉ"'lise,  on  leur  avait  déclaré  confidentiellement  que  l'on 
songeait  à  élire  l'un  d'eux,  et  c'est  de  cette  façon  qu'ils  avaient 
été  attirés  à  Fondi  tous  les  trois  ^.  Ils  entrèrent  en  conclave  avec 
leurs  collègues  dans  le  palais  d'Honorat,  comte  de  Fondi,  et  dès 
le  premier  tour  de  scrutin,  le  20  septembre  1378,  le  cardinal 
de  Genève  fat  élu  pape  sous  le  nom  de  Clément  VII. 

Ses  collègues  l'avaient  choisi  parce  qu'il  n'avait  que  trente-six 
ans,  était  plein  d'énergie,  allié  à  presque  toutes  les  grandes 
familles  de  l'Europe,  et  parce  que,  s'il  n'était  pas  Français,  il 
n'était  pas  non  plus  Italien  ^  Dietrich  de  Niem  dépeint  le 
cardinal  de  Genève  comme  un  ambitieux,  un  prodigue,  d'une 
conscience  large  (1,  c.  I.  10,  et  II,  1-4).  Les  cardinaux  italiens, 
quoique  présents,  n'avaient  pas  coopéré  à  l'élection,  mais  ils  la 
reconnurent  comme  canonique  *.  Deux  jours  avant  l'élection  de 
l'antipape,  Urbain  revint  à  Rome  et,  se  voyant  abandonné  de  tous 
les  cardinaux,  il  en  créa  vingt-neuf  nouveaux,  ce  qui  acheva 
d'exaspérer  les  rebelles  ^. 

§  714. 

HISTOIRE   DU    SCHISME   JUSQU'A   LA   MORT    D  URBAIN   VI, 
15    OCTOBRE    1389. 

Lorsque  Urbain  apprit  ce  qui  venait  de  se  passer  à  Fondi,  il 
pleura  amèrement,  reconnut  qu'il  avait  commis  bien  des  fautes 
et  essaya  des  moyens  de  douceur  pour  améliorer  la  situation. 
C'est  pour  cela  qu'il  ne  se  hâta  pas  d'excommunier  Clément  et 
ses  partisans  :  il  conserva  l'espoir  de  mettre  fin  au  schisme 
d'une  manière  pacifique,  d'autant  mieux  que  la  majorité  du 
monde   catholique  semblait  vouloir  rester  fidèle  à  son  obé- 


(\)  BuL/Eus,  l.  c.  p.  5-.  8.  —  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1049. 

(2)  Baluz.  1.  c.  t  I,  p.  1050-etll39. 

(3)  Le  comté  de  Genève  appartenait  à  l'Empire. 

(4)  Bul^us,  1.  c.  p.  5-28.  —  Baluz.  1.  c.  t.  1,  p.  1050,  1098. 

(5)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1240.  —  Muratori,  1.  c.  p.  728. 


jusqu'à  la  mort  d'uRBAL-V  VI,  15  OCTOBRE  1?8P.        49 

dience'.D'un  autre  côté,  ce  n'était  pas  sans  opposition  el  sur- 
tout sans  anxiété,  que  Clément  débutait  dans  son  rôle  d'antipape^ 
et  les  cardinaux  eux-mêmes  n'avaient  été  poussés  aux  moyens 
extrêmes  que  par  quelques-uns  de  leurs  collègues.  Urbain  se 
dit  que  s'il  modifiait  sa  façon  d'agir,  particulièrement  à  l'égard 
des  cardinaux,  ceux-ci  pourraient  revenir  sur  leurs  pas  et 
quitter  la  position  dangereuse  qu'ils  avaient  prise  vis-à-vis  de 
lui,  d'autant  mieux  que  le  monde  chrétien  les  jugeait  d'une  ma- 
nière très-défavorable  et  que  l'on  pouvait  compter  sur  les  exhor- 
tations des  princes  chrétiens  pour  engager  les  membres  du 
sacré-collége  à  céder.  Ces  exhortations  ne  manquèrent  pas,  en 
effet.  Urbain,  qui  avait  la  plus  grande  confiance  dans  l'empereur 
Charles  IV,  se  préoccupa  de  le  gagner  entièrement  à  sa  cause. 
Aussi  dès  le  26  juillet  reconnut-il  spontanément  comme  roi 
romain  le  fils  de  Charles  IV,  Venceslas,  qui  avait  été  déjà  élu  par 
les  princes  allemands,  mais  dont  l'élection  n'avait  pas  été  ratifiée 
par  le  prédécesseur  d'Urbain  ^.  L'Empereur,  qui  déjà  avant  le 
schisme,  et  pour  prévenir  ce  grand  malheur,  avait  écrit  aux 
cardinaux  et  à  Jeanne  de  Naples,  adressa  alors,  conjointement 
avec  Louis  roi  de  Hongrie,  une  lettre  à  Clément  VII  pour  l'en- 
gager à  se  désister.  Il  engagea  également  plusieurs  princes  de 
l'Occident  à  reconnaître  publiquement  le  pape  Urbain  comme 
pape  légitime  *.  Après  sa  mort,  survenue  le  29  novembre  1378, 
son  fils  et  successeur  Venceslas  resta  fidèle  à  la  cause  d'Urbain 
et  s'employa  activement  à  la  faire  reconnaître,  non-seulement  en 
Bohème,  mais  partout  dans  l'Empire  ^ .  Urbain  députa  à  Venceslas 
Pileus,  comte  de  Prato,  qu'ilavait  nommé  dernièrement  cardinal. 


(1)  Theod.  aNiem,  de  Schism.  I,  12.  — Baluz.  Vitœ  pap.  Aven.  1. 1,  p.  4?8. 
{'2)  BuL^us,  Hist.  univers.  Parisien.,  t.  IV,  p.  522. 

(3)  Theod.  a.  Niem,  1.  c.  1, 15.  —  Bql^us,  1.  c.  p.  466.  —  Baynald,  1388,  41. 

(4)  PELZEL,ir.  Carliy.  Bd.  II.  Urkund.  S.  940  f.—  Palvgky,  Gesch.  von  Boh- 
men,  Bd.  Il,  2,  S.  402  ;  Bd.  III,  1,  S.  8.  —  Raynald,  1379,  40  sqq. 

(5)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  1, 16, 17.—  Raynald,  1379,  36-40.—  Baluz.  I.  c.  1. 1, 
p.  491 .  Des  grands  vassaux  de  rEmpire,  il  n'y  en  eut  que  quatre  à  embrasser 
le  parti  de  l'antipape  :  son  propre  jfrère,  le  comte  de  Genève,  son  cousin,  le 
duc  de  Savoie  et  les  ducs  de  Lorraine  et  de  Bar  ;  quelques  petits  comtes, 
seigneurs  ou  des  villes  de  peu  d'importance,  embrassèrent  aussi  sa  cause. 
Baluze  (1.  c.  1. 1,  p.  1264)  et  d'autres  historiens  prétendent  que  Venceslas 
avait  demandé  à  Clément  VII  de  confirmer  son  élection,  et,  pour  le 
prouver,  il  cite  une  lettre  de  ce  dernier  dans  Bzovius,  ad  ann.  1377,  4.  Mais 
il  résulte  de  cette  lettre  que  l'antipape  voulait  seulement  faire  preuve  de 
sentiments  d'atîection  vis-à-vis  du  roi  romain,  mais  on  n'en  saurait  conclure 
que  celui-ci  eût  fait  une  demande  à  l'antipape.  Clément  ne  fait  aucune  allu- 
sion à  une  prière  qui  lui  aurait  été  faite  par  Venceslas. 


50  HISTOIRE    DU   SCHISME 

et  il  éleva  aussi  à  la  dignité  de  cardinal  Ocko,  vieil  archevêque 
de  Prague  et  premier  conseiller  du  roi;  en  retour  Urbain  fut 
solennellement  reconnu  dans  la  diète  de  Francfort  au  mois  de 
février  1379.  Les  légats  de  l'antipape  ne  purent  même  pas 
obtenir  une  audience,  et  on  déclara  aux  ambassadeurs  français 
que  ce  n'était  pas  leur  maître,  mais  bien  le  roi  romain  'et  le  futur 
•empereur  qui  était  le  protecteur  naturel  et  légitime  de  l'Église  ^ 

Au  début,  l'Angleterre  s'exprima  très  -  vigoureusement  et 
même  avec  des  expressions  fort  sévères  contre  les  cardinaux 
rebelles,  tandis  que  dans  toute  l'Italie  Ste  Catherine  de  Sienne 
€mployait  sa  grande  autorité  à  défendre  la  cause  d'Urbain  '^. 
Aussi  le  schisme  aurait-il  péri  dans  son  berceau  s'il  n'avait 
trouvé  un  protecteur  dans  Charles  V,  roi  de  France.  Ce  prince 
était  pour  Urbain  un  dangereux  adversaire;  mais  quant  à  la 
reine  de  Naples,  également  patronne  du  schisme,  sa  puissance 
n'était  heureusement  pas  aussi  grande  que  ses  intentions  étaient 
perverses,  aussi  était-elle  bien  moins  à  craindre. 

Avant  même  d'envoyer  ses  légats  à  la  cour  du  roi  très-chré- 
tien (ils  n'y  vinrent  que  pour  la  nouvelle  année  1379),  l'antipape 
écrivit  au  roi  de  France  pour  lui  faire  connaître  son  élection,  et 
celui-ci  réunit  aussitôt  dans  la  bois  de  Vincennes,  c'est-à-dire 
dans  le  château  où  il  habitait  souvent,  les  grands  et  les  prélats 
qui  se  trouvaient  à  Paris,  et  il  délibéra  avec  eux.  On  savait  quel 
était  le  sentiment  du  roi,  aussi  les  membres  de  l'assemblée 
votèrent-ils  dans  c©  sens,  et  le  16  novembre  1378  Charles  V  se 
•déclara  solennellement  pour  Clément.  Les  six  cardinaux  restés 
è  Avignon  en  avaient  déjà  fait  autant.  Au  début,  l'Université  de 
Paris  partageait  si  peu  ce  sentiment  qu'elle  députa  à  Urbain  VI, 
pour  lui  présenter  ses  hommages,  trois  de  ses  membres,  parmi 
lesquels  le  célèbre  théologien  Henri  de  Langenstein,  Hessois 
d'origine,  et  Urbain  YI  répondit  par  une  lettre  bienveillante  pour 
les  engager  à  persévérer  dans  cette  voie  ^. 

Ce  fut  seulement  lorsque  la  conduite  du  roi  de  France  eut 
fait  disparaître  tout  espoir  de  conciliation  qu'Urbain  lança 
contre  Clément  une   bulle   d'excommunication  à    la  date  du 


(1)  Palacky,  a.  a.  0.  Bd.  III,  1,  S.  14-26. 

(2)  Râynald,  1378,  59,  62,  1379,  21,  42.  —  Bul^us,  1.  c.  p.  518.  —  Baluz. 

(3)  i3uL/Kus,  ].c.  p.524.  — Baluz.  1.  et.  I,  p.  549.— Raynald,  1378,  61.— 
AscHBACH,  Gesch.  der  Univers.  Wien,  S.  372  f. 


jusqu'à   la    mort   d'urbain   VI,    i5    OCTOBRE   1389.  51 

29  novembre  1378.  Elle  ne  frappait  pas  ^oms  les  amis  de  l'anti- 
pape, pas  même  tous  les  cardinaux  qui  l'avaient  élu,  mais  seule- 
ment les  principaux  fauteurs  du  schisme.  On  voulait  ménager 
à  tous  les  autres  une  réconciliation  avec  le  pape  Urbain.  La 
bulle  expose  dans  le  début  que  les  alumni  iniquitatis  et  perdi- 
tionis,  c'est-à-dire  les  anciens  cardinaux  :  Robert  de  Genève, 
Jean  d'Amiens  ^  Gérard  de  Saint-Clément,  appelé  de  Marmou- 
tier,  Pierre  Flandrin  de  Saint-Eustache,  s'étaient  révoltés  contre 
Urbain,  avaient  entraîné  leurs  collègues,  occupé  Anagni  au  mépris 
de  tous  les  droits,  fait  venir  auprès  d'eux  les  sauvages  Bretons  et 
occasionné  beaucoup  de  scandales  et  de  meurtres  ^.  Après  n'avoir 
tenu  aucun  compte  des  exhortations  réitérées  du  pape,  les 
cardinaux  avaient  élu  pour  antipape,  dans  la  maison  d'Honorat 
comte  de  Fondi,  Robert  de  Genève.  Le  chambellan  Pierre 
d'Arles,  Jacques  patriarche  (latin)  de  Gonstantinople  ^  Nicolas 
archevêque  de  Cosenza,  les  comtes  Honorât  de  Fondi,  Antonius 
de  Caserte,  François  préfet  de  Vico,  Nicolas  SpineUi,  etc.,  étaient, 
avec  les  personnages  indiqués  plus  haut,  les  principaux  partisans 
de  l'antipape  et  les  fauteurs  du  schisme.  Viterbe,  Anagni  et  d'au- 
tres places  du  pape  étaient  en  leur  pouvoir .  Quoique  leur  sacrilège, 
poursuit  le  pape,  fût  notoire,  il  avait,  pour  plus  de  sûreté,  fait 
faire  une  enquête,  et  d'après  les  résultats  qu'elle  avait  donnés, 
les  susnommés  avaient  été  reconnus  schismatiques,  apostats, 
parjures,  hérétiques,  coupables  de  lèse-majesté;  aussi  pronon- 
çait-il contre  eux,  l'excommunication,  l'anathème,  la  déposition 
et  toutes  les  autres  peines  indiquées  dans  le  droit  canon  pour  de 
pareils  forfaits,  notamment  la  confiscation  des  biens.  Ils  ne  de- 
vaient pas  être  enterrés  avec  les  cérémonies  de  l'Église;  nul, 
pas  même  un  prince,  ne  devait  leur  donner  l'hospitalité,  mais 
quiconque  pouvait  s'emparer  d'eux  devait  le  faire  et  les  envoyer 
au  pape.  Quicouque  prendrait  part  à  une  croisade  contre  eux 
aurait  les  mêmes  grâces  qu'un  croisé  pour  la  terre  sainte.  Tous 
ceux  qui  acceptaient  de  l'antipape  des  lettres  ou  une  mission 


(1)  Dans  le  texte  de  Ryynald,  1378, 103,  les  mots  :  Joannem  olim  Ut.  S.  Mar- 
telli,  ne  sont  pas  à  l'endroit  voulu;  il  y  a  là  une  faute  de  copiste;  ces  mots 
doivent  être  devant  Ambianensem. 

(2)  II  y  avait  eu  plusieurs  rixes  entre  les  Bretons  et  les  Romains. 

(3)  Il  était  issu  de  la  famille  italienne  de  Itro.  Le  9  août,  lorsque  les  car- 
dmaux  publièrent  à  Anagni  une  déclaration  contre  Urbain,  il  célébra  une 
messe  du  Saint-Esprit  et  prêcha.  Baluze,  1.  c.  1. 1,  p.  465. 


52  HISTOIRE   DU   SCHISME 

devaient  être  appréhendés  au  corps.  Les  inférieurs  de  ceux 
qui  le  protégeaient  étaient  déliés  du  serment  de  fidélité,  fussent- 
ils  rois,  évêques,  etc.  \ 

Ce  document  est  daté  apud  Sanctam  Mariam  in  Transtevere. 
Urbain  s'était  fixé  dans  ce  quartier  au  sud  de  la  cité  Léonine,  tant 
que  le  château  Saint-Ange  resterait  aux  mains  de  ses  ennemis. 

Au  mois  de  décembre  1378,  Clément  chercha  de  son  côté  à 
fortifier  son  parti  en  nommant  neuf  cardinaux,  et  il  se  hâta 
d'envoyer  des  légats  de  distinction  aux  rois  et  aux  princes  de 
l'Occident.  Le  cardinal  de  Limoges  fut  envoyé  en  France,  celui 
d'Aigrefeuille  en  Allemagne  et  en  Bohême,  celui  de  Poitiers  en 
Angleterre  et  en  Flandre,  etc.;  enfin  Pierre  de  Luna  eut  pour 
son  lot  la  Castille,  l'Aragon,  la  Navarre  et  le  Portugal.  Le  mieux 
partagé  était  incontestablement  le  cardinal  de  Limoges.  Après 
ùon  arrivée,  Charles  V,  roi  de  France,  excité  par  son  conseiller 
intime,  l'abbé  de  Saint-Yedast,  se  donna  beaucoup  de  peine  pour 
gagner  à  la  cause  de  l'antipape  l'Université  de  Paris,  et  en  effet, 
au  mois  de  mai  1379,  une  partie  des  professeurs  se  déclara 
pour  Clément  '. 

Charles  V  envoya  en  outre  des  lettres  et  des  ambassadeurs  aux 
différents  princes  pour  les  persuader  du  bon  droit  du  nouveau 
pape;  nous  possédons  encore  deux  de  ces  lettres  adressées  au 
comte  de  Flandres  ^.  Mais,  quoique  le  comte  Louis  111,  fût  vassal 
de  la  France  et  eût  besoin  de  son  secours  pour  lutter  contre 
ses  sujets  rebelles,  il  regarda  comme  inadmissible  que  ce  même 
Robert  de  Genève  qui,  peu  de  temps  auparavant,  lui  avait  notifié 
l'élection  d'Urbain,  se  déclarât  maintenant  antipape  •*.  Pour 
gagner  l'Angleterre,  le  roi  de  France  avait,  dans  une  des  lettres 
mentionnées  plus  haut,  rappelé  la  façon  sévère  et, hautaine  dont 
Urbain  avait  repoussé  les  prétentions  de  la  couronne  d'Angle- 
terre pour  les  collations  des  bénéfices  ecclésiastiques.  Mais  cette 
ruse  n'aboutit  à  aucun  résultat,  et  le  cardinal  de  Poitiers  ne  put 
parvenir  à  débarquer  sur  la  côte  anglaise,  pas  plus  qu'il  n'avait 
été  reçu  dans  les  Flandres  ^. 


(1)  Raynald,  1378,  103  sqq. 

(2)  Raynald,  1378,  112.  —  Rul^us,  1.  c.  p.  481,  565  sqq.—  Raluz.  1.  c.  1. 1, 
490-492,  1008  sq.  1068,  1149,  1192.  —  Asghbach,  a.  a.  0.  S.  3V3. 

(3)  Raynald,  1378,  62.  — Rul^us,  1.  c.  p.  520,  523. 

4)  Raluz.  I.  c.  t.  I,  p.  551.  —  Martène,  Vet.  Script,  t.  Vil.  Praef.  p.  xvn, 
(5)  RuL/rJus,  1.  c.  p.  520  —Raluz.  1.  c.  p.  495  et  1010. 


jusqu'à  la   mort  d'urbain   VI  ,    15    OCTOBRE   1389.  53 

Les  efforts  de  la  France  eurent  plus  de  succès  auprès  du  roi 
d'Ecosse,  et  en  même  temps  les  amis  de  l'antipape  répandirent 
le  bruit  que  le  roi  Venceslas,  ce  chef  temporel  de  la  chrétienté, 
s'était  prononcé  pour  Clément.  Le  roi  romain  protesta  dans  un 
mémoire  adressé  à  son  beau-frère  d'Angleterre.  Ce  document 
renferme  aussi  une  théorie  de  la  dignité  impériale  qui  mérite 
d'être  remarquée.  C'était  au  roi  romain  ou  à  l'empereur,  disait 
Venceslas,  qu'avait  été  accordé  par  Dieu  Vimperium  universœ  rei- 
publicœ  temporalis,et  de  même  que  Fécorce  couvrait  extérieure- 
ment l'arbre  et  le  protégeait,  de  même  lui,  cum  gladio  temporali 
in  superficie  Ecclesiœ  suppositus,  devait,  si  cela  était  nécessaire, 
défendre  cette  Église  de  son  sang  * . 

Les  royaumes  espagnols  cherchèrent  à  prendre  une  position 
intermédiaire.  Clément  leur  avait  envoyé  Pierre  de  Luna  et  Ur- 
bain YI,  l'évêque  de  Cordoue,  Menendo  Cordula  ;  ce  dernier  fut 
fait  prisonnier  par  les  clémentins,  qui  l'amenèrent  à  Fondi  ^. 
Quoiqu'il  n'eût  plus  à  lutter  contre  son  adversaire,  Pierre  de  Luna 
ne  put  cependant  pas  gagner  l'Espagne  à  son  parti  :  Henri  Trans- 
tamare  de  Castille  et  Pierre  IV  d'Aragon  aimèrent  mieux  rester 
neutres,  déclarant  qu'un  synode  général  pouvait  seul  résoudre  la 
difficulté;  leurs  successeurs  seulement  prirent  parti  pour  l'anti- 
pape, et  leur  exemple  entraîna  les  rois  de  Navarre  et  de  Portugal  ^. 

Cette  position  intermédiaire  fut  également  prise  parles  cardi- 
naux italiens  de  Florence,  de  Milan  et  le  cardinal  Orsini  ;  ils  conti- 
nuèrent ce  système  équivoque  de  tergiversation.  De  Fondi  ils 
regagnèrent  Sezza  et  de  là  Tagliacozzo.  Ils  refusèrent  de  se  récon- 
cilier avec  Urbain,  nonobstant  les  instances  de  celui-ci,  et,  tout 
en  continuant  à  le  traiter  de  saint-père,  ils  prétendaient  que 
c'était  à  un  concile  général  de  décider  quel  était  le  pape  légi- 
time. Nous  avons  déjà  dit  que  les  clémentins  ne  voulaient  pas 
entendre  parler  de  concile,  tandis  qu'Urbain  n'avait  pas  fait 
d'opposition  à  cette  pensée*.  Sur  son  lit  de  mort  le  cardinal 
Orsini  (f  15  août  1379)  exprima  encore  le  désir  qu'on  réunit  un 
concile  général^.  L'année  suivante  ses  deux  collègues  se  virent 

(1)  Raynald,  1378,60;  1379,  40  sq. 

(2)  Raynald,  1379,  43,  44.  Il  résulte  de  ce  dernier  passage  qu'il  n'était  pas 
seulement  destiné  pour  l'Aragon,  comme  on.  le  croit  généralement,  mais 
aussi  pour  la  Castille,  etc. 

(3)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  493,  502,  503,  517, 1265.  —  Raynald.  1379,  5,  45,  47. 

(4)  Raynald,  1379,  2,  3,  4,  5. 

(5)  Voyez  sa  déclaration  solennelle  dans  Raynald,  1379,  3.  D'après  ce  do- 


54  HISTOIRE   DU   SCHISME 

peu  à  peu  amenés  à  renoncer  à  leur  neutralité  pour  embrasser 
le  parti  de  Clément  * . 

Celui-ci  comptait  beaucoup  plus,  pour  faire  triompher  sa  cause, 
sur  les  soldats  bretons  que  sur  un  concile.  La  ville  de  Rome  était 
restée  fidèle  à  Urbain  ;  aussi  avait-elle  beaucoup  à  souffrir  du 
côté  du  château  Saint-Ange.  Toutes  les  maisons  situées  non  loin 
de  la  forteresse  furent  détruites  et  brûlées.  En  outre  Honorât, 
comte  de  Fondi,  et  d'autres  amis  de  l'antipape,  attaquèrent  la 
ville  à  diverses  reprises  de  divers  côtés,  bloquèrent  leurs  portes, 
s'emparèrent  du  bétail  des  Romains,  les  empêchèrent  de  cultiver 
leurs  terres,  etc.  Quoi  de  surprenant  si,  dans  une  situation  aussi 
tendue,  les  Romains  ont  attaqué  quelques  Français,  et  parfois 
aussi  quelques  Espagnols  et  quelques  Allemands  qui  passaient 
pour  des  partisans  de  l'antipape 2?  Désireux  d'en  venir  aune 
bataille  générale,  Clément  fit,  au  mois  d'avril  1379,  marcher 
contre  Rome  ses  Bretons  commandés  par  de  la  Salle  et  par  son 
propre  neveu  Montjoie.  Le  plan  était  de  s'emparer  de  Rome, 
de  faire  Urbain  prisonnier  ou  du  moins  de  l'expulser.  Ces  troupes 
vinrent  camper  à  Marinum  sur  les  hauteurs  entre  Frascati  et 
Albano.  Mais  Urbain  avait  aussi  pris  ses  mesures  et,  selon  la  cou- 
tume du  temps,  il  engagea  à  son  service  les  condottières  de  Saint- 
Georges  commandés  par  Albéric  comte  de  Barbino.  Le  29  avril 
la  bataille  s'engagea.  Albéric  remporta  une  victoire  complète, 
Montjoie  fut  fait  prisonnier.  De  la  Salle  et  beaucoup  d'autres  (on 
alla  jusqu'à  dire  cinq  mille  hommes)  furent  tués  ^  Le  château 
Saint-Ange  capitula  le  même  jour.  Le  peuple,  prenant  sa  revanche 
de  tous  les  torts  que  lui  avait  occasionnés  la  citadelle,  détruisit 
autant  que  possible  le  colosse  de  pierre;  qui  ne  fut  remis  en  état 
que  sous  le  pape  suivant,  Boniface  IX.  Urbain  résida  de  nouveau 
à  Saint-Pierre  du  Vatican,  tandis  que  Clément,  ne  se  sentant  plus 
en  sûreté  à  Fondi,  gagna  Splonata  et  ensuite  Naples.  La  reine 


cument  Orsini  serait  mort  en  gardant  la  neutralité.  Néanmoins  on  a  affirmé 
plus  tard  qu'il  s'était  déclaré  pour  Urbain,  Cf.  Raynald,  1.  c.  Voyez  par  contre 
Baluz.  1.  c.  p.  1035  sqq. 

(1)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  1048.  —  Raynald,  1380,  20. 

(2)  Theod.  a  NrEM,  1.  c.  I,  14. 

(3)  Raynald,  1379,  24.  —  Christophe  (a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  36  f.)  se  trompe 
lorsqu'il  place  au  moment  où  nous  sommes  arrivés,  c'est-à-dire  au  mois 
d'avril  1379,  la  bataille  et  la  défaite  des  Romains  à  Ponte- Salaro  dont  parle 
Dietrich  de  Niem  (,1.  cl,  13),  tandis  qu'en  réalité  cette  défaite  a  eu  lieu  le 
16  juillet  1378,  ainsi  que  l'a  prouvé  Papencordt  {Gesch.  dcr  Stadt.  Rom.  1857, 
S,  445. 


jusqu'à   la   mort   d'urbain   VI,     15    OCTOBRE    1389.  5& 

Jeanne  avait,  dès  le  début,  embrassé  le  parti  de  Clément,  nonobs- 
tant les  exhortations  de  Ste  Catherine  de  Sienne.  Aussi  reçut- 
elle  l'antipape  avec  toutes  sortes  d'honneurs,  et  elle  lui  assigna 
pour  résidence  le  château  de  l'Uovo,  situé  en  mer  et  où  elle  habi- 
tait elle-même.  En  agissant  ainsi,  elle  se  mettait  en  opposition 
avec  les  sentiments  de  son  peuple;  aussi  une  rébellion  finit-elle 
par  éclater,  et  l'antipape  fut  menacé  publiquement  de  mort  jusque 
dans  les  rues  de  Naples.  C'était  précisément  le  moment  on 
Urbain  prêchait  une  croisade  contre  Clément  (18  mai);  aussi 
l'antipape  jugea-t-il  prudent,  au  bout  de  quelque  temps,  d'aban- 
donner Naples.  Il  partit  grâce  à  la  protection  de  la  France,  dé- 
barqua à  Marseille  le  10  juin,  et  se  hâta  d'arriver  à  Avignon,  où 
il  se  fixa  d'une  manière  définitive  *. 

A  la  suite  de  ce  départ,  Jeanne,  reine  de  Naples,  demanda  à 
Urbain  à  se  réconcilier  avec  lui  ;  mais  ensuite  elle  abandonna  ce 
projet.  Aussi  le  pape  la  déclara-t-il  dépouillée  de  son  royaume^ 
de  toutes  ses  dignités,  biens,  fiefs,  principautés.  Des  sentences 
analogues  furent  prononcées  par  Urbain  contre  d'autres  de  ses 
adversaires  ;  mais  les  événements  qui  survinrent  à  Rome  et  à 
Bologne  empêchèrent  de  les  mettre  à  exécution  ^. 

Louis,  roi  de  Hongrie,  devait  être  l'instrument  pour  renverser 
la  reine  de  Naples.  Ste  Catherine  de  Sienne  avait  exhorté  vive- 
ment ce  prince  à  accepter  cette  mission  contre  les  schismatiques. 
Il  est  vrai  que  Louis  s'était  déjà  ligué  avec  Gênes  et  avec  d'auLres 
puissances  pour  faire  la  guerre  à  Venise,  mais  il  prêta  d'autant 
plus  facilement  l'oreille  aux  exhortations  d'Urbain,  que  son  frère 
André,  premier  mari  de  Jeanne,  avait  été,  d'après  l'opinion 
générale,  assassiné  avec  le  consentement  de  sa  femme  au  châ- 
teau d'Aversa,  le  16  septembre  1345.  Le  roi  de  Hongrie  n'avait 
cependant  pas  l'intention  de  prendre  lui-même  Naples  ou  d'agir 
à  son  profit.  Dans  son  intention,  la  campagne  était  destinée  à  fa- 
voriser plutôt  son  cousin  Charles  duc  de  Durazzo,  parent  de 
Jeanne  et  descendant  du  premier  d'Anjou;  c'était  ce  dernier 
prince  qui  devait  conduire  l'expédition,  et  Louis  lui  promettait 
de  l'appuyer  vigoureusement  si,  de  son  côté,  il  s'engageait  à  ne 
pas  disputer  la  couronne  de  Hongrie  aux  deux  filles  du  roi.  Le 


(1)  Raynald,  1379,  23-30.  —  Theod.  a  Niem,  1.  c.  I,  20. 

(2)  Raynald,  1379.  34  ;  1380,  1,  2.  —Theod.  a  Niem,  1.  c.  I,  19.  —  Papen- 
CORDT,  a.  a.  0.  S.  446. 


56  HISTOIRE  DU   SCHISME 

pape  Urbain  et  Ste  Catherine  de  Sienne  adressèrent  à  Charles  de 
pressantes  exhortations.  En  même  temps,  Urbain  délia  du  ser- 
ment de  fidélité  les  sujets  de  Jeanne  et  les  engagea  à  s'attacher 
à  Charles  et  à  sa  femme  Marguerite,  qui,  par  prudence,  s'était 
échappée  de  Naples  ^ .  La  guerre  avec  Venise,  qui  jusqu'alors  avait 
été  conduite  par  Charles  de  Durazzo,  fut  rapidement  terminée 
à  l'aide  d'un  compromis  et,  au  mois  d'août  1380,  le  duc  Charles, 
se  faisant  suivre  par  l'armée  qui  était  déjà  dans  la  Haute-Italie, 
vint  à  Rome  après  avoir  traversé  Bologne,  Sienne  et  Florence. 
A  Rome,  une  bulle  datée  du  l"juin  1381  lui  conféra  le  fief  du 
royaume  des  Deux-Siciles  au  delà  du  Faro,  à  l'exception  de 
Bénévent,  et,  le  même  jour,  il  fut  couronné  roi  et  nommé  séna- 
teur de  Rome.  On  lui  accorda  également  de  pouvoir  disposer  par 
héritage  du  royaume  des  Deux-Siciles.  Afin  de  soutenir  le  nou- 
veau roi,  le  pape  Urbain  alla  jusqu'à  vendre  des  calices  d'or  et 
d'argent,  des  croix  et  d'autres  ornements  du  culte.  iJe  son  côté 
Charles,  maintenant  Charles  III,  promit  au  neveu  du  pape,  Fran- 
çois Prignano  (Butyllus),  les  duchés  de  Capoue,  d'Amalfl,  etc.  2. 

Pour  parer  au  danger  qui  la  menaçait,  Jeanne  de  Naples,  étant 
sans  enfants,  adopta,  le  29  juin  1380,  Louis,  duc  d'Anjou,  et  le 
déclara  son  héritier  pour  toutes  ses  possessions  tant  en  France 
qu'en  Italie.  Clément  YIl,  qui  sur  ces  entrefaites  avait  publié 
d'Avignon  de  violents  manifestes  contre  Urbain,  approuva  la  dé- 
cision de  Jeanne.  Mais  alors  Charles  V,  roi  de  France,  vint  à 
mourir  le  16  septembre  1380,  et  le  duc  d'Anjou  ayant  été  nommé 
tuteur  de  Charles  VI  encore  mineur,  il  fut  impossible  à  ce  prince 
de  répondre  à  l'invitation  de  Jeanne  en  se  rendant  sans  délai  en 
Italie.  Mais  la  cour  de  France  n'en  fut  que  plus  zélée  à  faire 
reconnaître  l'antipape  et,  dans  ce  but,  elle  persécuta  et  pour- 
suivit avec  ardeur  les  membres  de  l'Université  de  Paris  qui 
n'étaient  pas  pour  Clément  ^. 

Charles  III  marcha  sur  Naples  et,  quoiqu'il  eût  pour  adversaire 
l'habile  capitaine  de  Braunschweig,  il  s'empara  presque  sans 
coup  férir  de  la  capitale,  grâceaux  sympathies  que  le  peuple  avait 
pour  lui.  Le  château  dell'Uovo,  où  la  reine  s'était  enfermée  avec 


(1)  Raynald,  1380,  4-5.  —  Theod.  a  Niem,  1.  c.  I,  11. 

(2)  Raynalb,  1381,  1-24.  —  Theod.  a  Nieh,  1.  c.  I,  21.  22.  —  GnnisxoPHE, 
a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  4i. 

(S)  Baluz.  1.  et.  I,  p.  496. 


JUSQUA  LA  MORT   d'uEBAIN   VI ,    15   OCTOBRE   1389.  57 

quelques-uns  de  ses  partisans,  opposa  seul  de  la  résistance  ;  mais 
Otto  de  Braunschweig  ayant  été  battu  et  fait  prisonnier,  le 
24  août  1381,  dans  une  tentative  qu'il  fit  pour  dégager  la  rési- 
dence de  Jeanne,  la  forteresse  dut  se  rendre  à  Charles.  Celui-ci, 
toujours  roué  et  traître,  fit  à  sa  tante  Jeanne  les  plus  belles  pro- 
messes, mais  ne  la  garda  pas  moins  en  prison,  et  il  la  fit  mourir 
le  22  mai  de  Tannée  suivante  ' . 

Vers  cette  époque,  Louis,  duc  d'Anjou,  se  décida  enfin  à  se 
mettre  en  mouvement  pour  s'emparer  de  l'héritage  que  Jacques 
lui  avait  légué.  Il  avait  longtemps  hésité  à  entamer  une  si  grande 
entreprise;  mais  l'antipape  l'excita  de  toutes  façons  et  lui  donna 
même  la  plus  grande  partie  des  États  de  l'Église,  sous  le  titre 
de  royaume  de  l'Adriatique,  à  la  seule  condition  qu'il  chasserait 
Urbain  ^.  Le  pape  ne  devait  conserver  que  la  ville  de  Rome  avec 
la  campagne  Romaine,  le  Patrimonium  et  la  Sabine  ^ .  La  passion 
entraîna  donc  Clément  jusqu'à  livrer  les  biens  de  l'Église;  mais 
heureusement  ses  honteux  calculs  ne  furent  pas  couronnés  de 
succès. 

Grâce  aux  sommes  énormes  que  Clément  lui  permit  de  pré- 
lever, Louis  d'Anjou  réunit  une  armée  très-considérable  pour 
l'époque,  car  elle  comptait  plus  de  soixante  mille  hommes  et  de 
trente  mille  chevaux  ^;  au  mois  de  février  1382,  Louis  arriva 
à  Avignon,  où  Clément  et  ses  cardinaux  le  reçurent  de  la  ma- 
nière la  plus  amicale.  Il  fut  couronné  roi  de  Sicile  et  de  Jéru- 
salem et  nommé  capitaine  de  l'Église  romaine.  La  ville  d'Avi- 
gnon rivalisa  avec  le  pape  pour  le  combler  d'honneurs.  En  re- 
vanche, la  Provence,  qui  faisait  également  partie  de  l'héritage 
de  Jeanne,  refusa  de  reconnaître  le  nouveau  roi  de  Sicile,  et, 
après  avoir  essayé  durant  trois  mois  d'obtenir  par  la  force 
cette  reconnaissance,  Louis  d'Anjou  n'aboutit  qu'à  un  résultat 
mesquin.  Remettant  à  une  autre  époque  le  soin  de  terminer 
cette  affaire,  Louis  quitta  Avignon  le  31  mai  1382,  en  se  faisant 


(1)  Baluz.  1.  et.  I,  p.  495  sqq.  500.  —  Raynald,  1380,  11,  12;  1381,  24; 
1382,  1.  —  Theou.  a  Niem,  1.  c.  I,  23-25. 

(2)  Voyez  le  traité  entre  Louis  d'Anjou  et  Clément  dans  Le  Laboureur, 
Hist.  de  Charles  VI,  p,  51,  et  Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  51  et  360  ff. 

(3)  BuLLARiuM,  Luxemb.  1730.  t.  IX,  p,  209  sqq.  —  Muratori,  A7i?iali  d'ita- 
lia,  a.  1382.  Dans  Christophe,  a.  a.  0.  S.  51  ff.  et  Leibnit,  Codex  Jur.  Gentt. 
diplom.  V.  I,  n.  106.  p.  239  sqq.  Dans  Schrceckh,  KG.  Bd.  31,  S.  266. 

(4)  Dietrich  de  Niem  (I,  27)  dit  que  l'armée  française  était  en  effet  très- 
considérable,  mais  en  ajoutant  qu'elle  était  dehilis  et  imbellis. 


58  HISTOIRE   DU   SCHISME 

accompagner  d'Amédée  VI  comte  de  Savoie,  du  comte  de  Genève, 
frère  de  l'antipape,  et  de  plusieurs  autres  seigneurs.  Ses  troupes 
traversèrent  la  Savoie  et  le  Piémont  et  arrivèrent  à  Milan,  où  le 
vieux  et  rusé  Bernabo,  faisant  contre  fortune  bon  cœur,  donna 
une  somme  de  40,000  florins.  Rome  et  le  pape  Urbain  étaient 
perdus  si  l'armée  française  avait  suivi  la  voie  si  simple  et  si 
naturelle  de  la  Toscaue  et  du  Patrimonium  pour  se  rendre  à 
Naples.  Urbain,  voyant  le  terrible  orage  qui  se  formait  à  l'bo- 
rizon,  appela  au  mois  d'août  tous  les  fldèles  à  son  secours,  en 
leur  promettant  les  mêmes  grâces  que  pour  une  croisade  ;  mais 
Louis  évita  Rome  avec  intention  et  pour  des  motifs  que  nous  ne 
connaissons  pas  ;  il  prit  une  toute  autre  direction  et  se  dirigea 
d'abord  vers  l'est,  c'est-à-dire  vers  Ravenne  et  la  mer  Adria- 
tique, tandis  qu'une  flotte  française  attaquait  les  côtes  du  côté 
de  Naples,  mais  sans  grand  succès.  De  Ravenne,  Louis  d'Anjou 
se  dirigea,  durant  l'été,  vers  le  sud,  traversa  Ancône  et  Aquilée, 
et  alla  jusqu'à  Nola  et  Maddalone,  où,  le  8  octobre,  il  établit 
son  camp.  Il  ne  trouva  de  résistance  presque  nulle  part,  et  les 
barons  napolitains  accouraient  à  l'envi  pour  lui  présenter  leurs 
hommages.  Presque  tout  le  pays  sembla  être  tombé  en  son  pou- 
voir sans  coup  férir.  Mais  le  prince  d'Anjou  était  plus  vaillant 
chevalier  qu'habile  capitaine.  Ses  combinaisons  manquaient 
d'esprit  de  suite;  ainsi  les  opérations  de  la  flotte  et  de  l'armée  ne 
se  prêtaient  pas  un  mutuel  secours,  et  ce  qui  par-dessus  tout 
faisait  défaut,  c'était  la  rapidité.  Charles  de  Durazzo  utilisa,  au 
contraire,  ces  divers  délais  pour  enrôler  de  nombreux  condot- 
tières  et  en  former  peu  à  peu  une  armée  importante,  qui,  sans 
lui  permettre  de  tenir  campagne  ouverte,  lui  était  d'une  grande 
utilité  pour  harceler  l'ennemi  de  diverses  façons. 

Charles  s'employa  aussi  à  réunir  des  provisions  dans  ses  for- 
teresses et  à  ravager  ensuite  tout  le  pays  pour  qu'il  ne  put  sub- 
venir à  l'entretien  des  Français  et  de  leurs  chevaux.  La  famine  et 
la  peste  ne  tardèrent  pas  à  se  montrer  dans  leurs  rangs,  il  fallut 
abandonner  la  forte  position  prise  près  de  Naples;  l'armée  di- 
minua de  jour  en  jour,  eut  à  lutter  constamment  contre  l'ennemi 
et  manqua  de  provisions.  La  guerre  dura  ainsi  sans  incidents 
bien  remarquables  jusqu'au  30  septembre  1384  ,  où  Louis, 
consumé  par  le  chagrin,  mourut  à  Bari.  Ce  qui  restait  de  son 
armée  se  dispersa  et  Enguerrand  de  Couci,  qui  venait  au  se- 
cours du  duc  d'Anjou  avec  quinze  mille  hommes  de  nouvelles 


jusqu'à    la   mort   d'uBBAIN   VI  ,    15    OCTOBRE    1889.  59 

troupes,  repassa  les  Alpes  à  la  nouvelle  de  la  mort  de  Louis  ^ 
Avant  que  la  situation  de  Louis  se  fût  aggravée,  le  pape 
Urbain  s'était  résolu  à  se  rendre  à  Naples  en  personne  ;  on  ne 
s'explique  pas  bien  quel  était  son  but  en  prenant  ce  parti.  Peut- 
être  voulait-il  mettre  à  profit  la  présence  de  Charles  de  Durazzo 
pour  obtenir  qu'on  lui  livrât  les  villes  et  les  châteaux  qui  de- 
vaient former  la  principauté  de  Capoue  promise  à  son  neveu 
François;  peut-être  voulait-il  aussi  pousser  Charles  à  prendre 
contre  ses  adversaires  des  mesures  plus  énergiques.  Six  de  ses 
cardinaux  lui  firent  de  sérieuses  observations,  mais  il  ne  voulut 
voir  dans  ces  cardinaux  que  des  ennemis  et  des  insensés.  Au 
mois  de  mai  1383  il  gagna  Tivoli  et  puis  Ferentino,  où  il  fit 
venir  les  six  cardinaux  et,  le  dernier  jour  d'octobre  (d'après 
d'autres,  le  4  octobre),  il  fit  son  entrée  à  Aversa  (entre  Capoue 
et  Naples),  où  Charles  de  Durazzo  le  reçut  solennellement,  mais 
en  réalité  le  tint  prisonnier.  Quelques  jours  plus  tard  il  fut  amené 
à  Naples.  Les  bourgeois  de  cette  ville  voulaient  recevoir  le  pape 
d'une  manière  solennelle;  mais  les  employés  royaux  ne  le  per- 
mirent pas,  ainsi  que  le  raconte  Dietrich  de  Niem  qui  accompa- 
gnait le  pape. 'A  Naples,  Urbain  fut  consigné  dans  le  Castello 
Nuovo  (auparavant  résidence  de  Charles  d'Anjou)  et  surveillé  de 
près.  Toutefois,  pour  sauver  les  apparences,  il  dut  donner  des 
audiences.  En  agissant  ainsi,  le  but  de  Charles  était  d'obtenir  des 
concessions,  surtout  à  l'égard  de  la  dotation  des  neveux  du  pape 
et  il  réussit,  en  effet,  grâce  à  l'entremise  des  cardinaux,  à  obtenir 
un  compromis.  Le  roi  Charles  fit  au  pape  toutes  sortes  d'excuses 
sur  sa  conduite  antérieure,  lui  assigna  une  autre  demeure  non 
loin  de  la  cathédrale  et,  dans  cette  nouvelle  habitation,  lui  fît 
avec  sa  femme  Marguerite  des  visites  très-empressées.  Il  arriva 
peu  de  temps  après  que  le  neveu  du  pape  séduisit  une  religieuse 
noble  du  couvent  de  Sainte -Claire;  ce  neveu  était,  du  reste,  un 
vrai  débauché  qui  avait  dans  le  pape  un  oncle  plus  que  complai- 
sant, car  Urbain  excusait  toujours  son  neveu,  en  disant  Juvenis 
est,  quoique  celui-ci  eût  déjà  quarante  ans.  Cette  nouvelle  in- 
cartade causa  à  Naples  un  scandale  épouvantable,  et  Charles 
chercha  à  profiter  de  cette  occasion  pour  se  débarrasser  de  ce 
neveu  du  pape  qui  l'ennuyait  fort.  Feignant  de  partager  l'indi- 

(\)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  503-506.  —  R^^ynald,  1382,  3,  4,  7-10;  1383,  1,  4; 
1384,  1,  2.  —  Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  52  ff. 


60  HISTOIRE   DU   SCHISME 

gnation  générale,  il  le  condamna  à  mort;  mais  Francis  se  ré- 
fugia auprès  de  son  oncle  Urbain,  et  celui-ci  déclara  qu'il  était 
suzerain  du  royaume  et  qu'en  sa  présence  le  roi  n'avait  pas 
le  droit  de  condamner  un  magnat  du  royaume.  En  même  temps 
il  fortifia  sa  maison  et  le  roi  Charles  crut  plus  prudent  de  ne  pas 
rompre  ouvertement  avec  Urbain,  car  l'ennemi,  commandé  par 
Louis  d'Anjou,  était  encore  dans  le  pays;  il  aima  mieux  abroger 
la  sentence  et  se  réconcilier  avec  François.  Celui-ci  fut  marié 
avec  la  fille  du  grand  justicier;  il  obtint  le  château  et  le  village 
de  Nocéra  entre  Naples  et  Salerne,  et  on  lui  promit  des  indem- 
nités considérables  jusqu'à  ce  que  le  départ  du  duc  d'Anjou 
permît  de  lui  remettre  les  principautés  qu'on  lui  avait  promises  ^ 

Tandis  que  Charles  III,  roi  de  Naples,  continuait  la  guerre 
contre  Louis  d'Anjou,  Urbain,  suivi  de  son  neveu  et  de  toute  la 
curie  romaine,  se  rendit  de  Naples  à  Nocéra  au  mois  de 
mai  1384.  Gomme  il  voulait  se  mêler  du  gouvernement  en  sa 
qualité  de  suzerain  supérieur,  et  prétendait  réduire  les  impôts 
énormes  qu'on  prélevait  dans  le  royaume,  la  reine  Marguerite, 
régente  pendant  l'absence  de  son  mari,  se  vengea  du  pape  en 
défendant  sous  peine  de  mort  de  vendre  des  vivres  ailleurs  que 
dans  la  capitale.  Cette  mesure  eut  pour  effet  d'affamer  les  habi- 
tants de  Nocéra  et,  de  plus,  les  cardinaux  et  les  employés  de  la 
curie  qui  demeuraient  dans  le  village  et  non  pas  dans  le  château, 
craignirent  pour  leur  sûreté  et  le  7  août  1384  ils  se  réfugièrent 
à  Naples.  11  n'y  eut  que  le  cardinal  de  Pise,  autre  neveu  du  pape, 
à  rester  avec  lui.  Dietrich  de  Niem  rencontra  les  fuyards  et  fit 
connaître  au  pape  les  motifs  de  leur  départ;  il  obtint  que  les 
cardinaux  revinssent  auprès  d'Urbain,  à  l'exception  de  celui  de 
Rieti  K 

Après  la  défaite  et  la  mort  de  Louis  d'Anjou,  le  mécontente- 
ment augmenta  entre  Urbain  VI  et  Charles  de  Durazzo,  et  le  car- 
dinal de  Rieti,  qui  avait  été  déposé,  combina  avec  le  roi  un  plan 
pour  renverser  le  pape.  Des  cardinaux  de  Nocéra  étaient  aussi 
impliqués  dans  cette  conjuration.  On  voulait  parvenir  à  imposer 
à  Urbain  pour  cause  d'incapacité  et  d'opiniâtreté,  plusieurs  cura- 
teurs choisis  par  le  sacré-collége  et  qui  seraient  chargés  désor- 


(1)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  I,  28-3i  inclus.  —  IUynald,  1383,  3,  4.  —  Chris- 
tophe, a.  a.  0.  S.  58  ff. 

(2)  Theod.  a  Niem,  l.  c.  I,  36,  37. 


jusqu'à   la    mort    d'uBB^IN   VIj    15    OCTOBRE    1389.  6  1 

mais  de  toute  la  conduite  des  affaires.  Le  13  janvier  1385  était 
choisi  pour  mettre  le  plan  à  exécution;  mais  Urbain  fut  averti 
par  le  cardinal  de  Manupello  de  la  maison  d'Orsini;  aussi  le  pape 
tint-il,  le  12  janvier,  un  consistoire  en  affectant  le  plus  grand 
calme;  mais  à  l'issue  de  la  séance  il  fit  saisir  subitement  six  car- 
dinaux, confisqua  leurs  biens  et  les  enferma  dans  une  citerne. 
C'étaient  les  cardinaux  Gentilis  de  Sangro,  ISapolitain,  Barthé- 
lemi  de  Cucurno,  appelé  cardinal  de  Gènes,  Louis  Donato,  car- 
dinal de  Venise,  Jean,  cardinal  de  Saint-Eusèbe,  Adam  Aston, 
cardinal  d'Angleterre,  et  Marin,  cardinal  de  Tarante.  En  même 
temps,  Urbain,  prêtant  l'oreille  à  de  perfides  conseils,  crut  qu'il 
parviendrait  à  déposer  Charles  III  et  à  la  même  époque  il  créa 
toute  une  série  de  cardinaux  soit  allemands  soit  napolitains.  Les 
premiers  n'acceptèrent  pas  cet  honneur,  et  les  seconds,  qui  étaient 
tous  des  débauchés,  firent  grand  tort  à  la  cause  du  pape  ^. 

Urbain  institua  ensuite  une  commission  pour  interroger  les 
cardinaux  prisonniers,  et  Dietrich  de  Niem  en  fit  partie.  Ils  trou- 
vèrent le  cardinal  de  Sangro  dans  une  si  petite  cellule  qu'il  ne 
pouvait  écarter  les  pieds  et,  de  plus,  il  était  enchaîné  comme 
l'étaient  les  autres  cardinaux.  L'interrogatoire  n'ayant  pas  dé- 
montré la  culpabilité  de  l'accusé,  Dietrich  de  Niem  fit  son  rapport 
au  pape,  en  ajoutant  que  la  situation  de  la  curie  romaine  lui  pa- 
raissait si  grave  qu'à  ses  yeux  le  mieux  pour  le  pape  était  de 
pardonner  aux  cardinaux  et  de  se  les  attacher  par  des  faveurs. 
Urbain  rougit  de  colère  en  entendant  ces  paroles  et,  sous  pré- 
texte d'instruire  Dietrich,  il  lui  fit  lire  les  aveux  de  l'évêque  d'A- 
quilée.  Sous  l'action  de  la  torture,  cet  évêque,  qui  avait  été  empri- 
sonné en  même  temps  que  les  cardinaux,  avait  avoué  l'existence 
d'une  conjuration  et  déclaré  que  les  cardinaux  y  avaient  pris 
part.  Ce  fut  en  vain  que  Dietrich  essaya  de  démontrer  au  pape 
que  des  aveux  ainsi  extorqués  ne  pouvaient  avoir  de  force  pro- 
bante (lib.  I,  45). 

Au  bout  de  quelque  temps,  Urbain  fit  subir  aux  cardinaux  un 
nouvel  interrogatoire.  Comme  ils  persistèrent  à  ne  pas  faire  d'a- 
veux, on  leur  appliqua  la  torture,  au  grand  désespoir  de  Dietrich 
de  Niem,  qui  ne  tarda  pas  à  s'enfuir  à  Naples  avec  plusieurs 
autres  membres  de  la  curie.  Son  attachement  à  Urbain  avait  fort 


(1)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  I,  41-44  inclus.  — Raynald,  i384,  4;  1B85,  1,  3.  — 
Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  63  ff.  —  Giagonius,  Vitœ  Pontif.  t.  II,  p.  638. 


62  HISTOIEE   DU   SCHISME 

diminué  et  le  manque  de  vivres  et  le  peu  de  sécurité  qu'on 
avait  dans  Nocéra  rendaient  ce  séjour  insupportable.  Lui  et  ses 
compagnons  furent  de  plus  pillés  par  les  voleurs  en  se  rendant 
à  Naples,  et  enfin,  dans  cette  dernière  ville,  le  roi  Charles  III  les 
reçut  très-mal  ^ . 

Avec  le  carême  de  1385  commença  enfin  le  siège  de  Nocéra. 
Charles  avait  confié  le  commandement  de  cette  expédition  à 
l'abbé  du  [Mont-Cassin,  ennemi  déclaré  d'Urbain.  Peu  de  temps 
auparavant,  le  neveu  du  pape,  principal  auteur  de  tous  ces 
troubles,  avait  été  fait  prisonnier  par  les  Napolitains  dans  le  châ- 
teau de  Scifato,  près  de  Nocéra.  Le  bourg  de  Nocéra  tomba  lui- 
même  très-rapidement  aux  mains  de  Charles  ;  mais  pendant  six 
mois  le  pape  Urbain  défendit  la  forteresse  avec  un  courage  in- 
domptable, et  trois  ou  quatre  fois  par  jour  il  se  montrait  à  une 
fenêtre  du  château  pour  prononcer,  au  son  des  cloches  et  les 
cierges  allumés,  l'excommunication  contre  le  roi  Charles,  contre 
son  épouse  et  son  armée.  Raymond,  comte  de  Nola  et  partisan  de 
l'antipape  et  de  Louis  d'Anjou,  fut  le  sauveur  inespéré  d'Urbain; 
il  le  déhvra,  grâce  aux  débris  de  celte  armée  française  qui  était 
venue  précisément  pour  renverser  le  pape.  Lorsque  dix  galères 
génoises,  qui  avaient  été  démandées  par  Urbain,  parurent  devant 
Naples,  le  comte  Raymond  attaqua  subitement  le  camp  des  assié- 
geants devant  Nocéra,  délivra  le  pape  et  l'amena  heureusement 
à  Salerne.  Mais  de  nouveaux  dangers  commencèrent  bientôt  pour 
Urbain,  lorsque  les  soldats  français  menacèrent  de  le  vendre  à 
l'antipape  d'Avignon,  s'il  ne  leur  accordait  de  très-fortes  sommes 
d'argent.  Heureusement  le  comte  Raymond  lui  procura  le 
moyen  de  satisfaire  à  ces  exigences,  et  les  Français  finirent  par  se 
contenter  de  1 1,000  florins  d'or,  avec  la  promesse  d'en  avoir  plus 
tard  26,000  autres.  Urbain  gagna  alors  Gênes  et  emmena  avec 
lui  les  cardinaux  prisonniers.  L'évêque  d'Aquilée  ayant,  sur  ces 
entrefaites,  essayé  de  lui  échapper,  il  le  fit  exécuter  sans  autre 
forme  de  procès.  A  Gênes,  le  cardinal  Aston  fut  retiré  du  cachot 
à  la  demande  de  l'Angleterre,  et  les  cinq  autres  y  restèrent  sous 
bonne  garde,  et,  à  partir  de  ce  moment,  on  perd  tout  à  fait  leurs 


(1)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib.  I,  46,  47,  49,  50-53.  Il  est  assez  étrange  que  le 
nouveau  BuUaire  de  François  Gaude  (Turin,  1859,  t.  IV,  p.  588-597)  donne  des 
lettres  d'Urbain  datées  de  Rome  ou  de  Monteûascone  (ann.  1383-1385),  tan- 
dis qu'à  celte  époque  Urbain  se  trouvait  dans  un  autre  pays,  dans  celui  de 
Naples^  ou  en  route  pour  s'y  rendre. 


jusqu'à    la    mort   d'uRBAIX   VI,    15    OCTOBRE    13S9.  G3 

traces.  On  crut  généralement  que  le  pape  Urbain  les  avait  fait 
périr,  peut-être  en  les  faisant  jeter  à  la  mer.  Aussi  deux  autres 
des  cardinaux  d'Urbain,  Pileus  de  Prato  et  Galeottus  de  Petra- 
mala,  se  réfugièrent-ils  auprès  de  l'antipape  * . 

Pendant  qu'Urbain  résidait  à  Gênes,  Charles  de  Durazzo  était,  à 
la  suite  d'une  révolution,  devenu  roi  de  Hongrie  (décembre  1 385). 
Tous  les  grands  du  royaume  lui  prêtèrent  volontairement  ser- 
ment, mais  une  sévérité  intempestive  le  rendit  bientôt  odieux,  et 
au  bout  de  quelques  mois  il  fut  massacré.  Sa  mort  engagea  les 
partisans  de  la  maison  d'Anjou,  dans  le  pays  de  Naples,  à  faire 
une  nouvelle  levée  de  boucliers.  Otto  de  Braunschweig,  veuf  de 
la  reine  Jeanne  qui  avait  été  assassinée,  était  venu  à  Avignon, 
mais  il  se  hâta,  à  cette  nouvelle,  de  regagner  l'Italie  méridionale 
et  il  se  mit  avec  Thomas,  comte  de  San  Severino,  à  la  tête  des 
insurgés.  La  veuve  de  Charles,  qui  voulait  conserver  le  royaume 
à  son  fils  Ladislas,  fit  au  contraire  cause  commune  avec  Urbain, 
rendit  la  liberté  au  neveu  de  celui-ci  et  l'envoya  à  Gênes;  mais 
le  pape  fut  irréconciliable.  Peu  de  temps  après  il  alla  résider 
à  Lucques,  et  il  était  encore  dans  cette  ville  lorsque  Otto  de 
Braunschv^^eig  et  le  comte  de  San  Severino  s'emparèrent  de 
Naples  (juin  1387)  et  enrôlèrent  les  bourgeois  pour  le  compte  de 
Louis  II,  fils  du  défunt  duc  d'Anjou.  Urbain  fut  mécontent  de  cette 
affaire  et  de  quelques  autres,  gagna  Pérouse  et  voulut,  de  là, 
marcher  sur  Naples  avec  une  armée  ;  mais  il  n'eut  pas  assez  d'ar- 
gent pour  la  former,  et  de  plus  il  se  blessa  par  une  chute  de 
cheval.  Revenu  à  Rome  au  mois  d'octobre  1388,  il  fut  bientôt 
en  tel  désaccord  avec  les  bourgeois  que  sa  vie  fut  en  danger. 
Pour  apaiser  les  esprits,  il  déclara  qu'il  y  aurait  désormais 
un  jubilé  tous  les  trente-trois  ans  et  que  le  premier  commen- 
cerait aux  prochaines  fêtes  de  Noël;  mais  il  mourut  avant  celte 
époque,  le  15  octobre  1389,  empoisonné  par  les  Romains,  au 
dire  de  bien  des  personnes  2.  Quoique, au  débutde  son  pontifical, 
il  eût  par  ses  procédés  éloigné  de  lui  tous  ses  amis  et  contribué 
à  la  catastrophe  de  Fondi,  il  persista  dans  la  même  ligne  de  con- 
duite pendant  les  dix  années  de  son  règne.  Les  cardinaux  qui 


Cl)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib  I,  54,  56,  57,  60,  6L—  RaYnald,  13S5,  4,  7,  8  ; 
1386,  10,  11.  —Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  69  f. 

(2)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib.  I,  p.  58-60,  62-65,  68,  69.  —  Raynald,  1386, 1, 
12;  1387,  1,  2,  7,  12;  1388,  5,  85  1389,  1,  10.  —  Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III, 
S.  71-83. 


f54  HISTOIRE   DU    SCHISME 

l'avaient  élu  ne  furent  pas  les  seuls  qui  l'abandonnèrent,  ceux 
qu'il  créa  plus  tard  le  quittèrent  également,  et  si  le  schisme  n'a- 
vait pas  déjà  existé,  il  aurait  certainement  éclaté  en  1385,  pen- 
dant le  séjour  à  Nocéra. 

Pendant  que  se  passaient  tous  ces  événements,  l'antipape 
Clément  YII  gagnait  toujours  du  terrain.  Sans  compter  la  France 
et  l'Ecosse,  il  ne  tarda  pas  à  avoir  pour  lui  la  grande  et  puissante 
Gastille,  oii,  après  la  mort  d'Henri  de  Transtamare,  qui  était  resté 
neutre  entre  les  deux  prétendants,  son  fils  Jean  1"  se  déclara 
solennellement  pour  Clément  le  19  mai  1381  \  La  bulle  d'ex- 
communication qu'Urbain  lança  alors  contre  ce  prince  n'eut  pas 
plus  de  résultat  que  ses  accès  de  colère  contre  la  France.  La  croi- 
sade organisée  en  1383  contre  Avignon  et  contre  la  France  par 
l'évêque  de  Norwich.  ne  fut  pas  dirigée  contre  ces  ennemis  d'Ur- 
bain, mais  bien  contre  la  Flandre  alliée  du  pape,  et  tous  les  efforts 
tentés  en  1382  et  1386  pour  organiser  une  croisade  contre  la 
Gastille  ne  donnèrent  pas  de  résultat  plus  appréciable  ^.  En  re- 
vanche, Clément  fortifia  son  parti  en  nommant  de  nouveaux  car- 
dinaux, qui  pour  la  plupart  étaient  des  hommes  distingués.  Ainsi, 
au  mois  de  décembre  1383,  il  accorda  la  pourpre  à  Pierre,  arche- 
vêque d'Arles,  qui,  en  qualité  de  chambellan  de  l'Église  romaine, 
avait  dès  le  début  fait  de  l'opposition  à  Urbain  ;  mais  Clément 
eut  la  main  particuhèrement  heureuse  lorsqu'il  fît  entrer  dans  le 
sacré-collége  le  jeune  prince  Pierre  de  Luxembourg.  Le  nou- 
veau cardinal  mourut  il  est  vrai  quelque  mois  après,  en  1387,  à 
l'âge  de  dix- huit  ans,  mais  les  miracles  qui  s'opérèrent  à  son 
tombeau  furent  regardés  comme  une  preuve  de  la  légitimité  du 
pape,  au  parti  duquel  le  défunt  avait  appartenu^. 

Nous  avons  déjà  dit  que,  dans  cette  même  année  1387,  le 
royaume  de  Naples  retomba  au  pouvoir  du  parti  français  et  passa 
par  conséquent  à  l'obédience  de  l'antipape;  à  la  suite  du  change- 
ment de  souverains,  l' Aragon  et  la  Navarre  passèrent  également 
au  parti  de  Clément  "^ . 

L'affaire  du  dominicain  Jean  de  Montson  fut  également  favo- 


ri) Raynald,  1380,  18;  1381,  29  sqq.  —  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  502. 

(2)  Raynald,  1382,  12  sq.  ;  1383,  6-9  ;  1386,  14.  —  Baluz.  1.  c.  p.  519.  — 
Pauli,  Gesch.  v.  Engl.  Bd.  IV,  S.  559  ff. 

C3)  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  509,  512,  515,  1308  sqq.  1333.  —  Raynald,  1387,  1 1 . 
—  Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  79  ff. 

(4)  Raynald,  1387,  10;  1390,  20.  —Baluz.  1.  c.  p.  518,  525. 


jusqu'à  la   mort   d'urbain   VI,    15   OCTOBRE    1389.  65 

rable  à  Clément,  car  elle  lui  fit  prendre  l'attitude  d'un  défenseur 
de  l'orthodoxie.  A  un  moment  où  Urbain  était  plus  que  jamais 
absorbé  par  les  soins  de  la  politique,  Jean  de  Montson,  docteur 
en  théologie  à  Paris,  avait  émis  quatorze  propositions  qui  produi- 
sirent une  grande  sensation.  Plusieurs  de  ces  propositions  décla- 
raient hérétique  la  doctrine  de  l'immaculée  conception  de  la 
sainte  Vierge.  Une  autre  soutenait  que  l'union  hypostatique  des 
deux  natures  dans  la  personne  du  Christ  était  plus  grande  que 
l'union  des  trois  personnes  dans  la  divinité.  Enfin  une  troisième 
proposition  soutenait  qu'une  creatura  pura  pouvait  m  puris  na- 
turalibus  (c'est-à-dire  sans  la  grâce)  acquérir  autant  de  mérites 
que  l'âme  du  Christ,  concurrente  gratia.  A  la  demande  de  la  fa- 
culté de  théologie,  l'évêque  de  Paris  défendit  en  1387  de  sou- 
tenir ou  d'enseigner  ces  propositions.  Mais  Jean  de  Monlson  en 
appela  au  pape  et  alla  à  Avignon.  L'Université  de  Paris  envoya 
aussi  des  députés  en  cette  ville;  c'étaient  Gerson,  Pierre  d'Ailly  et 
d'autres.  L'enquête  se  continua  jusqu'en  1389  et  se  termina  par 
Texcommunication  de  Montson,  qui  se  hâta  de  fuir  en  Aragon  et 
de  prendre  parti  pour  Urbain.  L'affaire  de  Montson  fit  planer  des 
soupçons  sur  tout  l'ordre  des  dominicains,  qui  eut  à  supporter 
en  France  plusieurs  persécutions  et  fut  complètement  exclu  de 
l'Université  de  Paris  '. 

Ce  fut  à  cette  époque  que  Clément  proposa  de  faire  décider  par 
un  concile  général  quel  était  le  pape  légitime;  il  ajoutait  que,  si 
l'assemblée  décidait  en  sa  faveur,  Urbain  serait  son  premier  car- 
dinal, et  dans  le  cas  contraire  il  promettait  de  se  soumettre  sans 
condition  au  pape  légitime.  Cette  marque  de  bonne  volonté  lui 
valut  encore  d'autres  amis^. 

Toutefois  Clément  VII  nuisit  à  sa  propre  cause  en  frappant 
toutes  sortes  d'impôts,  surtout  sur  le  clergé  français.  Cet  argent 
lui  était  nécessaire  pour  entretenir  à  Avignon  sa  nombreuse  cour, 
qui  comprenait  trente-six  cardinaux  et  un  grand  nombre  d'autres 
employés  de  la  curie,  et  pour  soutenir  ses  alliés,  en  particulier 
Louis  !«'■  et  Louis  II  d'Anjou,  dans  leurs  guerres  contre  Naples  et 
contre  le  pape.  Voici  ce  que  dit,  dans  la  Chronique  de  Charles  VI, 


(1)  BuL^DS,  1.  c.  t.  IV,  p.  618-634.— Baluz.  1.  c.  p.  521.— Raynald,  1387, 
14;  1389,  15  sqq.  1391,  '24  sqq.  — Schwab,  Jean  Gerson,  p.  90-94. 

(2)  BuL^us,  1.  c.  p.  618.  —  S.  Antonini  Summa  historialis,  t.  III,  tit.  22, 
c.  2,  §  14. 

T.    X.       5 


66  HISTOIRE   DU    SCHISME 

le  moine  de  Saint-Denis,  qui,  étant  à  portée  de  connaître  la  cour 
de  France,  était  bien  informé  et  tout  à  fait  impartial  : 

...  libéra  sponsa  Ghristi,  sic  cogeretur  sub  ambobus  miserabiliter  ancillari, 
quisque  tamen  partem  obediencie  sue  {sic)  non  uniformiter  regebat.  Nam. 
immunis  sub  Urbano  a  decimis  manens,  in  promocionibus  majorum  digni- 
tatum  titulo  de  electione  libère  utebatur,  et  ad  diocesanos  et  ecclesiarum 
patronos  devolvebatur  coUacio,  quociens  bénéficia  et  dignitates  vacare  con- 
tingebat  :  cujus  rei  sub  Clémente  fiebat  contrarium,  et  rêvera  in  infinitorum 
prejudicium  et  gravamen.  Equidem  permissu  Francie  régis  et  procerum, 
velud  libertatis  et  ecclesarium  regni  vehemens  impugnator,  earum  patrimo- 
nia  crebris  decimis  et  usque  ad  supremam  exinanicionem  statuit  atterere, 
ut,  sic  ère  alieno  loca  venerabilia  gravata  supra  suarum  vices  obvencionum,. 
papalis  caméra  opum  coacervatis  cumulis  ditaretur. 

Eadem  occasione  sd  sacri  GoUegii  triginta  sex  cardinalium  procuratores, 
buUis  apostolicis  muniti,  insidiancium  more,  ubique  siscitabantur  si  cathe- 
dralibus  vel  collegiatis  ecclesiis  aliqua  bénéficia  pinguia,  si  in  abbaciis  prio- 
ratus  conventuales,  officia  claustralia,  vel  alicubi  domus  hospitales  essent 
ingentis  valoris,  que  vacarent,  ut  mox  dominorum  nomine  acceptarent,  id 
solummodo  inquirentes  quantis  valebant  in  portatis.  Utque  via  ad  id  dare- 
tur  amplior,  ipse  papa,  contemptis  sanctorum  Patrum  generalibus  decretis, 
vel  saltem  non  observatis,  omnes  ecclesiasticas  dignitates  quascumque  post 
episcopalem  majores  indiferenter  sue  disposicioni  reservabat,  non  attendons 
quod  ejus  potestas  ad  pasturam  corporalem  et  spiritualem  gregis  dominici 
et  conservacionem  status  ac  ierarchie  mistice  corporis  Ecclesie  erat  princi- 
paliter  ordinata,  nec  sibi  competebat  nec  licebat  ad  suorum  vel  suorum  cardi- 
nalium traliere  commodum,  que  propter  publicam  utilitatem  sunt  ad  bonum 
commune  préfixa.  Sic  longe  lateque  per  regnum  domini  cardinales  inesti- 
mabilis  valoris  bénéficia  possidentes,  uno  mortuo,  alter  alteri  succedebat; 
gue  et  ut  in  minori  numéro  viderentur,  ad  pensionem  annuam  et  fréquenter 
valorem  proventuum  excedentem  alicui  conferri  procurabant  :  unde  sepius 
sequebatur  quod  idem  firmarii,  victus  necessitate  coacti,  divinum  servicium 
cum  beneficio  deserebant.  Quociens  ab  bac  luce  episcopos  Francie  migrare 
contingebat,  mox  ex  papali  caméra  collectores  et  subcollectores  procede- 
bant,  qai  mobilia  per  suam  industriam  acquisita,  que  ad  heredes  aut  exequ- 
tores  testamentorum  dinoscebantur  pertinere,  et  unde  edificia  episcopatuum 
potuissent  reparari  nemine  contradicente,  rapiebant  ;  et  qui,  pretextu  arre- 
ragiorum  ex  decimis  et  serviciis  nundum  intègre  [persolutis  proveniencium 
tanta  dampna  inferebant.  Simili  rationc,  nec  post  abbates  defunctos  tempo- 
ralitati  monasteriorum  parcebant  ;  unde  succedentes  bonis  omnibus  spoliati 
non  habebant  unde  sibi  et  commonachis  suis  victualia  ac  caetera  necessaria 
ministrarent  ;  et  sepius  sequebatur  utjocalia  ad  decorem  ecclesiarum  col- 
lata,  ne  mendicarent,  venderentur  aut  viliter  impignorarentur.  Memorati 
iterum  collectores  redditus  et  proventus  primi  anni  omnium  et  singulorum 
beneficiorum  ecclesiasticorum  in  toto  regno  Francie,  per  resignacionem 
permutacionem  aut  alias  quovismodo  vacancium,  percipiebant,  eciamsi  régi 
in  regalia  vel  alteri  domino  temporali  velud  patrono  proprio  competere  mi- 
nime ignoraient. 

Ex  hiis  sane  novitatibus  adinventis  inconveniencia  plurima  sequebantur., 
Nam  mens  et  intencio  regum  ac  ceterorum  ecclesiarum  fondatorum  frustra- 
batur;  ubique  negligenter  Deo  serviebatur  ;  minuebatur  fidelium  devocio^. 
vacuabatur  regnum  peccuniis  ;  multi  viri  ecclesiastici  per  mundum  vagan-- 


■"jusqu'à    la   mort   d'uKBAIN  VI,    15   OCTOBRE    1389.  67 

ter,  penuria  maxima  premebantur;  [regni  eciam  studia,  que  quondam  -viris 
scientificis  copiose  floruerant^  per  quos  hucusque  regnum  consueverat  gu- 
bernari,  annullabantur  penitus.  Omnium  liberalium  arcium  Parisiensis  Uni- 
versitas  altrix  dulciflua  lacté  sciencie  enutritorum  filiorum  orbatam  se 
dolebat,  quoniam  sinu  materno  relicto,  ad  exteros  transmigrabant,  cum  pa- 
ter  spiritualis  deessût  qui  penuriis  eorum  subveniret  ^. 

Un  autre  Français  et  contemporain,  Nicolas  de'Glémanges  (nous 
reviendrons  plus  tard  sur  ce  personnage),  s'exprime  de  la  même 
manière  sur  le  triste  gouvernement  de  Clément  VII,  quoiqu'il  eût 
embrassé  son  parti  :  «  Se  peut-il  imaginer  un  sort  plus  triste  que 
celui  de  Clément?  Ce  pape  a  été  en  réalité  le  serviteur  de  tous  les 
serviteurs  des  princes  et  seigneurs  français.  Il  a  dû  supporter 
toutes  sortes  de  mauvais  procédés  de  la  part  de  ses  courtisans.  Il 
donnait,  suivant  leurs  désirs,  des  évêchés  et  des  préiatures  à  des 
personnes  qui  souvent  étaient  beaucoup  trop  jeunes  et  tout  à  fait 
indignes.  Il  se  laissa  entraîner  à  des  frais  énormes  pour  garder 
ou  pour  conserver  les  bonnes  grâces  des  puissants.  Il  autorisa 
toutes  les  redevanees  dont  ces  seigneurs  voulaient  surcharger  le 
clergé;  il  alla  même  jusqu'à  leur  proposer  d'en  établir ,  et  c'est  ainsi 
qu'il  rendit  le  clergé  absolument  dépendant  des  seigneurs,  qui 
tous  paraissaient  bien  plutôt  que  lui  exercer  les  fonctions  de  pape. 
Ce  fat  dans  un  tel  esclavage  qu'il  passa  plus  de  quinze  ans  ^ .  » 

En  1381 ,  l'Université  de  Paris  osa,  dans  une  audience  du  roi, 
se  faire  l'écho  du  mécontentement  universel  soulevé  par  le 
schisme  et  recommander  la  réunion  d'un  concile  général  pour 
mettre  fin  à  une  pareille  situation.  L'Université  avait  choisi  pour 
son  orateur  le  docteur  en  théologie  Jean  Ronce,  et  celui-ci  s'ac- 
quitta de  sa  mission  avec  un  tel  courage,  que  le  duc  d'Anjou,  qui 
était  régent  (le  roi  son  neveu  n'avait  encore  que  treize  ans),  le  fit 
appréhender  au  corps  et  jeter  dans  un  cachot.  L'Université 
demanda  sa  mise  en  liberté  avec  tant  d'instance  que  le  duc  dut 
céder,  mais  les  conditions  toutes  favorables  à  Clément  qu'il  émit 
avant  de  satisfaire  à  la  demande  de  l'Université,  n'ont  certaine- 
ment pas  été  utiles  au  prétendant.  Il  exigeait  que  l'Université 
restât  fidèle  à  Clément  et  ne  parlât  plus  de  concile  général.  Il 

(1)  Chronic.  Caroli  Vl  [Chronique  du,  religieux  de  Saint^Denis),  par  un 
moine  de  Saint-Denis,  lib.ll,  c.  2  ;  publié  pour  la  première  fois  dans  le  texte 
latin  original  et  avec  une  traduction  française  en  1839,  dans  la.  Collection  de 
Documents  inédits  sur  l'histoire  de  France,  publiés  par  l'ordre  du  roi.  P«  série. 

(2)  De  ruina  Ecclesiœ,  c.  27  dans  van  dbb  Harqt,  Concil.  Const.  t,  I,  P.  III, 
p.  46;  et  aussi  dans  Martène,  Vet.  Script.  L  Yll,  p.  xxxviii. 


68  HISTOIRE   DU   SCHISME   JUSQU'a   LA   MORT   d'uKBAIN   VI,   ETC. 

s'ensuivit  que  Jean  Ronce  et  plusieurs  autres  docteurs  et  clercs  de 
distinction  quittèrent  Paris  et  embrassèrent  la  cause  d'Urbain  * . 

La  même  année,  HenrideLangensteinde  Hesse,  vice-chancelier 
de  l'Université  de  Paris,  écrivit  son  livre  Consilium  pacis  pour 
démontrer  qu'un  concile  œcuménique  pouvait  seul  mettre  fin  au 
schisme,  qui  autrement  menaçait  de  se  perpétuer,  puisqu'on  ne 
savait  quel  était  le  pape  légitime.  Il  démontrait  que  toutes  les 
raisons  alléguées  contre  la  célébration  du  concile  étaient  inad- 
missibles ^. 

Quatre  ans  plus  tard,  en  1385,  l'Université  de  Paris  fit  une  ten- 
tative pour  défendre  le  clergé  et  se  défendre  elle-même  contre 
les  demandes  d'argent  qui  venaient  d'Avignon.  Clément  avait 
chargé  l'abbé  de  Saint-Nicaise  à  Reims  de  voyager  dans  toute  la 
France  pour  extorquer  de  nouvelles  sommes  aux  clercs  sub  ti- 
tulo  inopiœ  papalis  camerœ,  et  il  lui  avait  donné  pleins  pouvoirs 
pour  dépouiller  de  leurs  bénéfices  les  récalcitrants.  La  Bretagne 
et  la  Normandie  avaient  été  déjà  pressurées  de  cette  façon;  mais 
lorsque  l'abbé  voulut  aller  plus  loin,  l'Université  demanda  au  roi 
de  mettre  un  terme  à  cet  abus.  La  demande  fut  favorablement 
accueiUie  et  le  collecteur  chassé  du  pays  ;  de  plus,  un  décret  fut 
publié  au  mois  d'octobre  1385  pour  protéger  le  clergé  contre 
l'abus  des  redevances  imposées  par  Avignon.  Lorsque  Clément 
eut  connaissance  de  ce  décret,  il  déclara  qu'il  s'y  conformerait, 
et  il  renonça  à  son  projet  de  nouveaux  prélèvements  d'argent  ^. 
Mais  en  réalité  les  choses  restèrent  à  peu  près  ce  qu'elles  étaient 
auparavant,  d'autant  mieux  que  le  duc  de  Berri,  qui  de  tous  les 
princes  français  était  le  plus  favorable  à  l'antipape  ^,  prit  après 
la  mort  du  duc  d'Anjou  la  direction  des  affaires.  En  outre,  les 
préoccupations  de  la  politique  étaient  si  graves  à  ce  moment  que 
l'attention  se  détournait  des  affaires  ecclésiastiques.  Les  rapports 
entre  le  jeune  roi  Charles  \I  et  l'antipape  devinrent  même  si 
intimes  que,  dans  les  derniers  jours  du  mois  d'octobre  1389, 
Charles  VI  se  rendit  à  Avignon  pour  présenter  ses  hommages  à 
Clément.  En  retour,  l'antipape  couronna  solennellement  roi  de 


(1)  Chron.  Caroli  YT,  1.  c.  lib.  II,  c.  2,  p.  88,  et  Bul.eus,  I.  c.  p.  582  sq. 

(2)  Ce  livre  a  été  imprimé  dans  l'édition  des  œuvres  de  Gcrson  par  Dupin, 
t.  il,  p.  809  jusqu'à  840;  Schwab  en  donne  un  extrait  dans  son  ouvrage  sur 
Gerson,  S.  121  fV.  Vgl.  Asghbach,  GcscJi.  der  Wiener  Universii.al ,  1865,  S.  374. 

(31  GHnoNicoR.  Caroli  YI,  1.  c.  lib.  VI,  c.  12,  p.  398  sqq. 
(4)  Ghrowcor.  Caroli  YI,  lib.  XIII,  c.  14,  p.  52,  t.  II. 


CONTIKrATîON   DU   SCHISME.  6  9 

Naples  et  de  Jérusalem  Louis  II  d'Anjou,  cousin  du  roi  Gliarles  '. 
Ce  fut  sur  ces  entrefaites  que  mourut  le  pape  Urbain  VI,  et  à 
Avicrnon  on  fut  persuadé  que  les  cardinaux  italiens  n'éliraient 
pas  un  nouveau  pape,  mais  se  contenteraient  de  reconnaître  Clé- 
ment. Aussi  la  cour  d'Avignon  sollicita-t-elle  Charles  VI  de  s'en- 
tendre avec  l'empereur  Wenceslas  et  d'autres  princes  pour  faire 
des  démarches  en  commun,  afin  que  cette  occasion  de  rendre  la 
paix  et  l'union  à  la  chrétienté  ne  fût  pas  perdue.  Clément  et  ses 
cardinaux  adressèrent  des  lettres  analogues  au  duc  de  Bourgogne, 
oncle  du  roi  ^.  Mais  avant  qu'on  eût  eu  le  temps  de  se  concerter, 
le  2  novembre  1389,  Pierre  Thomacelli  fut  élu  pape  à  Rome  sous 
le  nom  de  Boniface  IX. 

§  715. 

CONTINUATION   DU   SCHISME  JUSQu'a   LA   MORT    DE   L^INTIPAPE 
CLÉMENT    VII,    EN    1394. 

Boniface  IX  était  napolitain,  de  même  que  son  prédécesseur 
Urbain  VI.  Issu  d'une  famille  noble  et  très-pauvre,  il  avait  été 
nommé  cardinal  par  son  prédécesseur  ;  c'était  un  grand  et  bel 
homme,  de  mœurs  irréprochables,  d'un  caractère  gai,  ce  qui  ne 
l'empêchait  pas  d'être  circonspect,  mais  il  lui  manquait  la  science 
et  aussi  la  pratique  des  affaires.  Boniface  IX  avait,  environ  quarante 
ans  lorsqu'il  fut  nommé  pape  ^.  Le  nouveau  pape  comprit  qu'il 
fallait  avant  tout  relever  la  puissance  pontificale  dans  les  États  de 
l'Église.  Car,  à  l'exemple  de  la  ville  de  Rome,  d'autres  villes  et 
diverses  dynasties  s'étaient  rendues  à  peu  près  indépendantes. 
On  était  arrivé  à  une  de  ces  époques  assez  nombreuses  dans 
l'histoire  de  l'Église  où  les  papes  n'ont  plus  qu'une  ombre  de 
pouvoir  temporel.  Boniface  IX  consacra  toute  sa  vie  à  améliorer 
cette  situation;  il  gouverna  d'une  main  ferme  et  comme  un 
rigidus  imperator ,  dit  Gobelin  Persona,  entretint  une  sorte 
d'armée  permanente,  ramena  la  ville  de  Rome  à  l'obéissance, 
releva  le  château  Saint-Ange  et  fortifia  le  Vatican  et  le  Capitole 


(1)  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  IX,  c.  13  et  lib.  X,  8,  9.  —  Baluz.  1.  c.  t.  I, 
p.  523.  — Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  84. 

(2)  Froissard  dans  Fleury,  H.  e.  liv.  98,  n.  50. 

(3)  Theod.  a  Niem,  De  Schism.  lib.  II,  6.  —  Baluz.  Yitœ  Paparum  Aven. 
t.  I,  p.  524.  —  Christophe,  Eist.  de  la  Papauté  au  xiv"  siècle,  t.  III,  S.  86. 


70  CONTINUATION  DU   SCHISME 

pour  prévenir  toute  tentative  de  révolte.  11  fut  aussi  heureux 
dans  d'autres  villes  et  dans  d'autres  con  trées  des  États  de  l'Église^ 
Mais  les  graves  embarras  que  lui  créa  la  guerre  napolitaine, 
contre  la  dynastie  d'Anjou,  l'obligèrent  à  ménager  plusieurs 
dynasties.  Il  autorisa  certains  représentants  de  ces  dynasties  à  con- 
server encore  pendant  un  certain  temps,  sous  le  titre  de  vicaires  du 
pape,  ce  qu'ils  possédaient  auparavant  sans  restriction,  et  de  plus  il 
obligea  ces  vicaires  à  payer  un  tribut.  Boniface  chercha  en  outre, 
à  l'aide  de  grâces  et  de  présents  de  toutes  sortes,  à  gagner  à  sa 
cause  et  à  ses  projets  un  grand  nombre  de  personnes.  11  réintégra 
les  cardinaux  déposés  par  Urbain  ^,  se  réconcilia  avec  plusieurs 
de  ceux  que  les  procédés  de  ses  prédécesseurs  avaient  éloignés, 
notamment  avec  Marguerite  et  Ladislas  de  Naples.  On  se  souvient 
qu'Urbain  avait  frappé  d'excommunication  son  ancien  favori, 
Charles  de  Durazzo,  ce  qui  avait  favorisé  le  réveil  et  la  victoire 
du  parti  d'Anjou.  La  ville  de  Naples  et  la  plus  grande  partie  du 
royaume  étaient  tombées  de  nouveau  aux  mains  des  Français,  et 
par  là  même  sous  l'obéissance  de  l'antipape.  Boniface  était  à  peine 
monté  sur  le  trône  pontifical  que  Louis  II.  le  jeune  roi  d'Anjou 
et  Clément  VII  réunirent  une  armée  considérable  et  une  flotte 
importante  pour  s'emparer  du  royaume  de  Naples  tout  entier  et 
attaquer  ensuite  Rome.  Si  ce  plan  avait  réussi,  c'en  aurait  été  fait 
de  la  cause  de  Boniface.  Celui-ci  se  rendit  compte  de  l'orage  qui 
se  formait  à  l'horizon  ;  il  fit  la  paix  avec  la  famille  de  Charles  de 
Durazzo,  la  releva  de  la  sentence  d'excommunication,  fît  solen- 
nellement et  par  l'intermédiaire  d'un  cardinal  couronner  Ladislas 
à  Gaëte  roi  de  Naples  et  de  Jérusalem  (mai  1390),  et  le  soutint 
si  bien  dans  sa  guerre  contre  le  parti  d'Anjou  que  Ladislas  finit  par 
avoir  la  victoire,  et  par  conséquent  le  royaume  fut  ramené  à 
l'obéissance  du  pape  légitime  ^.  Cette  lutte  ainsi  que  diverses 
constructions  et  les  affaires  des  États  de  l'Église  coûtaient  à 
Boniface  des  sommes  considérables,  et  comme,  pour  lui  person- 
nellement, il  ne  demandait  rien  (à  sa  mort  il  ne  laissa  pour  toute 
succession  qu'un  pauvre  florin),  il  ne  fut  pas  assez  délicat  sur  les 
moyens  dont  il  se  servit  pour  entretenir  ses  finances.  Des  rede- 
vances écrasantes  sur  les  églises,  sur  le  clergé  et  sur  les  laïques, 

{{)   Theod.  a  Niem.  1.  c.  II,  13,  14.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  88-90. 
(2  Raynald,  1389,  13;  1390,  18. 

(3)  Raynald,  1390,  10-18.  —  Theod.  a  Niem,  1.  c.  II,  14.  —  Baluz.  1,  c. 
t.  I,  p.  525.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  87  f. 


1 


jusqu'à   la    mort   de   l'antipape    clément  VII,    EN    1394.  71 

lies  ventes  ou  des  aliénations  des  biens  et  des  possessions  de 
l'Église,  etc. ,  des  promesses  de  donations  de  places  (obtenues  à 
prix  d'argent)  et  d'autres  faits  entachés  de  simonie  reviennent 
trop  souvent  sous  son  règne.  On  peut  en  attribuer  un  certain 
nombre  à  ses  frères  et  à  ses  amis,  à  l'égard  desquels  il  se  trouvait 
beaucoup  trop  faible  ;  mais,  même  après  ces  restrictions,  il  en 
reste  encore  qui  sont  imputables  au  pape  lui-même  ^ .  Le  jubilé 
de  l'année  1390  fut  exploité  à  Rome  comme  une  mine  d'argent; 
non-seulement  on  préleva  de  nombreuses  redevances  sur  les 
pèlerins  qui  vinrent  en  foule  à  Rome,  mais  on  envoya  des  quê- 
teurs jusque  dans  les  provinces  les  plus  éloignées  pour  recueillir 
les  aumônes  de  ceux  qui,  sans  venir  à  Rome,  désiraient  gagner 
l'indulgence.  Cologne  et  Magdebourg  etc.  furent  gratifiées  de  ju- 
bilés particuliers.  Ajoutons  toutefois,  pour  être  justes,  que  le  pape 
menaça  de  peines  sévères,  et  même  de  mort,  le  quêteur,  soit  vrai 
soit  faux,  qui  recourrait  à  des  moyens  condamnables  pour  obtenir 
de  l'argent,  qui  vendrait  les  indulgences,  etc.^. 

Boniface  se  hâta  de  retourner  contre  Clément  la  sentence 
d'excommunication  que  celui-ci  avait  formulée  contre  son  adver- 
saire après  son  élection  ^  et  le  schisme  parut  devoir  durer  indéfi- 
niment. Le  principe  d'où  il  partit  dans  sa  lettre  n'était  pas  de 
faire  décider  par  un  concile  œcuménique  quel  était  le  pape  légi- 
time (par  son  encyclique  du  1"  mars  1391,  il  déclara  même  ce 
projet  coupable),  *  mais  il  déclara  tout  d'abord  que  son  droit 
était  indiscutable.  La  soumission  de  son  adversaire  était  pour  lui 
le  seul  moyen  de  finir  le  schisme.  Boniface  IX  chercha  à  enlever 
à  l'obédience  de  Clément  le  royaume  de  Gastille  (1390),  mais 
l'archevêque  de  Tolède  l'empêcha  de  réussir-^;  en  revanche,  le 
roi  romain Vinceslas  fit  concevoir  alors  de  fort  belles  espérances. 
Gomme  protecteur  souverain  de  l'Église,  le  devoir  de  ce  prince 
était  de  s'employer  énergiquement  à  l'extinction  du  schisme; 
dans  ce  but  un  voyage  à  Rome  fait  à  la  façon  des  anciens  empe- 
reurs, c'est-à-dire  en  donnant  des  preuves  de  puissance,  aurait 
été  d'un  grand  secours  pour  le  pape  reconnu  par  l'empereur. 

Tant  que  vécut  Urbain  VI,  on  ne  songea  pas  à  un  pareil  voyage, 


(1)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  iib.  II,  c.  7-13.  —  Raynald,  1390,  17,  18. 

(2)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  Iib.  I,  68.— Raynald,  1390,  1,  2.— Gobelin,  c.  86. 

(3)  Baluz.  1.  c.  t.  I,  p.  525.  —  Raynald,  1389,  14. 

(4|  Dans  Aghery,  Spicileg.  t.  I,  p.  767  (nouvelle  édition). 
|5)  Martène,  Vet.  Script,  t.  VII,  Prsef.  p.  xxxix  sq. 


72  CONTINUATION  DU  SCHISME 

peut-être  parce  que  Vinceslas  ne  voulait  pas  voir  de  trop  près 
le  raide  et  autoritaire  Urbain  * ,  mais,  dès  le  21  novembre  1390, 
Vinceslas  députa  à  Boniface  deux  de  ses  conseillers  ecclésias- 
tiques pour  lui  faire  part  de  ses  plans  de  voyage  et  pour  lui  de- 
mander plusieurs  grâces. 

Pour  couvrir  les  dépenses  du  voyage  à  Rome,  Vinceslas  deman- 
dait que  le  pape  lui  accordât,  pour  un  an,  la  dîme  de  tous  les 
biens  et  revenus  ecclésiastiques  de  la  Bohême  comme  de  l'Alle- 
magne ;  de  plus  le  pape  devait  accorder  un  jubilé  particulier  à  la 
Bohême  (pour  l'année  1393),  afin  que  le  roi  et  le  peuple,  qui  n'a- 
vaient pu  venir  à  Rome  en  1390,  eussent  part,  sans  sorlir  de  leur 
pays,  à  toutes  les  grâces  d'un  jubilé.  Le  pape  accéda  à  cette 
double  demande  et  proposa  à  Vinceslas  la  couronne  impériale,  à 
la  condition  qu'il  s'emploierait  à  l'extinction  du  schisme  ^.  Le  roi 
différa  son  voyage  jusqu'après  le  jubilé  de  Prague;  mais,  pendant 
la  célébration  de  ce  jubilé,  il  s'éleva  un  conflit  entre  lui  et  l'ar- 
chevêque de  Prague,  Jean  de  Jenstein,  pour  des  questions  de  ju- 
ridiction, et  le  conflit  s'envenima  tellement  que  le  roi  fit  torturer 
cruellement  et  ensuite  jeter  dans  la  Moldave,  le  20  mars  1393,  le 
vicaire  général  de  l'archevêque,  Jean  dePomuk  (S,  Jean  Népomu- 
cène).  Vinceslas  avait  diverses  raisons  de  haïr  Jean  de  Pomuk, 
car  ce  saint  avait  refusé  de  lui  faire  connaître  le  secret  d'une  con- 
fession. Ajoutons  ici  par  parenthèse  que,  dans  les  actes  de  la  ca- 
nonisation de  S.  Jean  Népomucène,  on  a,  par  erreur,  donné 
l'année  1383  au  lieu  de  i  393  comme  celle  de  sa  mort  ^  Il  est  vrai 
que  plus  tard  le  roi  et  l'archevêque  se  réconcihèrent,  et  le  pape 
pardonna  au  prince  repentant  ;  mais  le  voyage  à  Rome  fut  em- 
pêché par  les  troubles  incessanls  de  la  Bohême,  qui  étaient  la  con- 
séquence du  mauvais  gouvernement  de  Vinceslas.  Au  moment 
où  la  France  tentait,  pour  procurer  l'union,  les  efforts  les  plus 


(1)  Palagky,  Gesch.  von  Bœhmen  [Hist.  de  la  Bohême),  Bd.  III,  1,  S.  57. 

(2)  Raynald,  1390,  3-5.  —  Palagky,  a.  a.  0.  S.  57  f. 

(3)  Vgl.  GiNZEL,  Im  Kirchen-Lex,  von  Wetzer  u.  Welte,  Bd,  V.  S.  725  ff.— 
Palagky,  a.  a.  0.  S.  58-62,  et  P.-A.  Frind,  directeur  du  Gymnase  impérial  et 
royal  de  Eger,  Hist.  de  S.  Jean  Népomucène,  Eger,  1861.  Le  14  mars  1393, 
Jean  Népomucène  signa  comme  Vicarius  Reverendissimi  Archiepiscopi  Prag, 
in  spiritualihus  generalis,  trois  documents  que  François  -  Antoine  Tingl  a 
extraits  il  y  a  quelques  années  des  Archives  de  Prague  pour  les  insérer  dans 
le  livre  qui  porte  en  titre  :  Libri  quinti  conjirmationum  ad  benefici-a  ecclesias- 
ticaper  archidiœc.  Pragenam  nunc prima  vice  in  vulgus  prolati  annus  1390,  1391 
et  1392.  Pragœ,  1865.  Gomment  peut-on,  après  ces  faits,  mettre  encore  en 
doute  l'existence  historique  de  S.  Jean  Népomucène? 


jusqu'à  la  mort  de  l'antipape  clément  viî,  en  1394.        73 

louables,  et  où  la  mort  de  l'antipape  permettait  d'espérer  que  ces 
efforts  seraient  couronnés  de  succès,  Yinceslas  se  trouvait  ^lus 
que  jamais  aux  prises  avec  ses  barons,  et  pendant  quelque  temps 
il  fut  même  leur  prisonnier  * . 

Boniface  IX  devait  attacher  le  plus  grand  prix  à  rattacher  la 
France  à  son  obédience.  S'il  pouvait  y  parvenir,  il  ruinait  par  le 
fait  même  les  prétentions  de  l'antipape.  On  pouvait  concevoir 
quelque  espoir,  car  l'enthousiasme  de  la  France  pour  Clément 
s'était,  avec  les  années,  notablement  refroidi,  pour  faire  place  à 
un  désir  de  plus  en  plus  ardent  de  voir  la  fin  du  schisme.  Les 
premières  tentatives  de  l'Université  de  Paris  pour  l'extinction  de 
ce  schisme  n'avaient  pas  donné,  il  est  vrai,  de  résultat  satisfai- 
sant; mais  cette  illustre  corporation  de  l'Université  de  Paris,  qui 
était  en  si  haute  estime  dans  le  monde  entier,  n'abandonna  cepen- 
dant pas  cette  louable  préoccupation,  et  quoique  quelques-uns  de 
ses  membres  aient  pu  agir  dans  cette  affaire  sous  l'influence  de 
motifs  moins  purs,  le  corps  n'en  mérite  pas  moins  la  plus  vive 
reconnaissance^.  Mettant  à  profit  cet  état  de  l'opinion,  Boniface 
chargea  Etienne,  duc  de  Bavière  et  beau-père  de  Charles  YI  roi 
de  France,  de  négocier  en  son  nom  avec  son  gendre  et  avec  Clé- 
ment d'Avignon.  Le  pape  avait  connu  le  duc  à  Rome  quelque 
temps  auparavant,  et  ce  fut  par  une  lettre  du  6  novembre  1390 
qu'il  lui  confia  ce  rôle  important  d'intermédiaire,  en  le  priant  de 
faire  les  voyages  nécessaires  et  de  communiquer  à  l'antipape 
ses  conditions.  S'il  se  soumettait,  l'antipape  devait  avoir  la  pre- 
mière place  parmi  les  cardinaux  et  de  plus  être  vicaire  aposto- 
hque,  c'est-à-dire  le  souverain  de  fait  pour  toutes  les  terres  de 
son  ancienne  obédience  en  dehors  de  l'Italie  ^. 

Presque  à  la  même  époque,  c'est-à-dire  le  jour  de  la  fête  de 
l'Epiphanie  1391,  JeanGerson,  une  des  illustrations  de  l'Univer- 
sité de  Paris,  prêcha  en  présence  du  roi  et  saisit  cette  occasion 
pour  le  supplier,  lui  et  ses  oncles,  au  nom  de  leurs  magnanimes 
aïeux  si  dévoués  à  l'Église,  de  prêter  l'oreille  à  l'Université  et  de 
s'employer  pour  l'extinction  du  schisme.  Chacun  devait,  en  at- 
tendant, jeûner  et  implorer  la  grâce  de  Dieu  pour  que  la  paix  pût 


(i)  Palacky,  a.  a.  0.  S.  63-87. 

(2)  Schwab,  Jean  Gerson,  Wurzbourg,  1858,  S.  121: 

(3)  Raynald,  1390,  6-8. 


74  CONTINUATION   DU   SCHISME 

être  rétablie  '.  Nonobstant  ces  exhortations,  une  nouvelle  dépu?- 
tation  de  l'Université  fut  fort  mal  reçue  par  le  roi,  et  on  si-- 
gnifla  aux  professeurs  qu'ils  n'eussent  plus  à  s'occuper  de  cette 
affaire'^. 

L'année  suivante,  la  situation  parut  meilleure,  car  le  roi, 
guéri  de  la  première  attaque  de  folie  qu'il  avait  eue  au  mois 
d'août  1392,  était  animé  de  sentiments  très-religieux  ^.  Aussitôt 
après  la  guérison  de  ce  prince,  Bernard  Allamand,  évêque  de 
Gondom,  lui  envoya  un  traité  sur  le  schisme  conjointement  avec 
une  lettre  du  18  novembre  1392,  pour  le  prier  de  s'employer  au  i 
rétablissement  de  l'union  ecclésiastique^.  Immédiatement  après 
arrivèrent  en  France  deux  chartreux  italiens,  qui  répandirent 
une  bonne  semence  sur  ce  terrain  déjà  travaillé.  Dès  le  com- 
mencement de  l'année  1392,  Pierre,  prieur  des  chartreux  à  Asti 
dans  le  Piémont,  qui  était  en  odeur  de  sainteté,  se  sentit  parti- 
culièrement poussé  à  s'occuper  de  l'union  ecclésiastique  ;  un  car- 
dinal le  recommanda  au  pape  Boniface,  et  le  religieux  fit  sur  ce 
dernier  une  telle  impression  que  le  pape  lui  confia  une  lettre 
pour  le  roi  de  France.  Dans  cette  lettre,  Boniface  appelait 
Charles  VI  son  très-cher  fils,  déplorait  que  si  peu  de  personnes 
eussent  souci  de  procurer  à  l'Église  la  paix  dont  elle  avait  besoin, 
mais  espérait  que  le  roi  de  France  n'imiterait  pas  cette  négli- 
gence et  serait,  comme  ses  illustres  aïeux,  plein  de  zèle  pour  la 
cause  de  l'Eglise.  Il  avait  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  cela. 
xAussi  le  priait-il  et  l'adjurait-il,  au  nom  du  salut  de  sa  propre 
âme,  à  ne  pas  différer  plus  longtemps  de  s'occuper  des  intérêts  de 
Dieu.  Jusqu'à  cette  époque,  la  jeunesse  du  roi  avait  été  une  excuse 
pour  lui,  mais  on  ne  pouvait  plus  maintenant  alléguer  ce  motif. 
Aussi,!  le  pape  lui  demandait-il  de  lui  répondre  le  plus  prompte- 
ment  possible  et,  dès  qu'il  aurait  fait  connaître  sa  bonne  volonté, 
il  (le  pape  Boniface)  s'empresserait  de  joindre  ses  efforts  à  ceux 
du  roi  ^.  Boniface  voulut  faire  accompagner  ce  chartreux  par  un 


(1)  JoANN.  Gerson,  0pp.  éd.  Du  Pin,  1706,  t.  III,  p.  980  sqq.—  Schwab,  a.  a. 
0.  S.  126  f. 
.{2|  Chronicor.  Caroli  VT,  lib.  XI,  9. 
(3>  Chronicor.  1.  c.  lib.  XIII,  5  et  6. 

(4)  BuL^us,  1.  c.  p.  680.  —  Lenfant,  1.  c.  p.  72.  Clément  VII  fut,  pour  ce 
motif,  très-mécontent  de  l'évêque  de  Condom;  mais  celui-ci  se  défendit  cou- 
rageusement et  n'hésita  pas  à  faire  à  Clément  lui-môme  de  sérieuses  obser- 
vations. BuL/EUS,  1.  c. 

(5)  Chronicor.  Caroli  \I,  1.  c.  lib.  XIII,  c.  14;  et  dans  Aghery,  Spicileg. 
(nouv.  édit.)  1. 1,  p.  768.  Dans  ce-dernier  auteur,  la  lettre  porte  la  date  iViVo/i. 


jusqu'à   la   mort   de   l''ANTIPAPE   clément   VII,   EN    1394.  75 

homme  de  talent  et  d'expérience;  mais  le  religieux  déclara  que, 
pour  une  mission  de  cette  nature,  il  fallait  non  pas  de  l'éloquence 
et  de  la  dialectique  mais  de  l'humilité  et  de  la  confiance  en  Dieu. 
Il  se  mit  en  route,  accompagné  seulement  d'un  autre  chartreux, 
Earlhélemi,  prieur  de  l'île  de  Gorgona.  Les  deux  moines  se  ren- 
dirent d'abord,  nous  ne  savons  pourquoi,  à  Avignon,  où  le  duc  de 
Berri  et  l'antipape  se  hâtèrent  de  les  faire  mettre  en  prison; 
nonobstant  cela,  ils  refusèrent  très-énergiquement  de  livrer  la 
lettre  que  le  pape  leur  avait  confiée.  Dès  que  l'Université  de 
Paris  eut  connaissance  de  cette  arrestation,  elle  représenta  au  roi 
que  c'était  une  violation  du  droit  des  gens  et  finit  par  obtenir  que 
les  deux  chartreux  fussent  remis  en  liberté.  Clément,  se  ravisant, 
jugea  alors  que  le  mieux  était  de  les  envoyer  à  Paris,  et  il  leur 
déclara,  à  leur  départ,  qu'il  était  lui  aussi  animé  du  plus  vif  désir 
de  rétablir  l'union,  et  que,  pour  la  procurer,  il  était  prêta  sacrifier 
non-seulement  sa  cappa^  mais  même  son  caput.  Cette  belle  décla- 
ration n'empêcha  pas  Clément  d'envoyer  à  Paris,  pour  combattre 
ce  que  diraient  les  chartreux,  un  jurisconsulte  très-expert  et  au- 
quel on  avait  donné  le  surnom  de  sacciis  legum,  sac  de  lois.  Les 
chartreux  furent  reçus  par  le  roi  d'une  façon  fort  bienveillante. 
C'était  vers  la  Noël  de  1392;  mais  les  conseillers  royaux  persua- 
dèrent à  Charles  VI  qu'il  ne  fallait  pas  répondre  à  Boniface  une 
lettre  sur  le  ton  de  la  fdialis  reverentia,  afin  qu'on  n'y  vît  pas  une 
reconnaissance  de  Boniface.  Mais  les  chartreux  devaient  déclarer 
de  vive  voix  à  leur  seigneur  que  le  roi  avait  accepté  avec  reconnais- 
sance ses  exhortations  et  ferait  tout  ce  qu'il  pourrait  pour  rétablir 
la  paix  de  l'Église.  Tel  est  le  récit  du  moine  de  Saint-Denis  \  qui 
ajoute  quelques  lignes  plus  bas  (p.  106)  :  Quamvis  rexlitteras  res- 
ponsivas  non  scripserit.  Il  faut  cependant  que  les  choses  ne  se 
soient  pas  passées  de  cette  façon,  car  dans  Achery  [Spicileg.  t.  î, 
p.  785)  nous  trouvons  une  lettre  du  roi  de  France  à  Clément  YII 
dans  laquelle  Charles  VI  donne  copie  de  la  réponse  écrite  qu'il  a 
faite  à  Boniface.  De  plus,  dans  une  seconde  lettre  à  Charles  VI, 
Boniface  écrit  :  «  Ex  memorialibus  regiis  que  les  chartreux  ont 
apportés,  nous  voyons,  etc.  2.  »  On  voit  par  ce  qui  suit  que  ces 
memorialia  regia  difi'èrent  des  communications  verbales  faites 

April.  Pontif.  nostri  anno  III  (2  avril  1392),  tandis  que  dans  la  Ghronigue 
du  moine  de  Saint-Denis,  il  n'y  a  pas  de  date. 

(1)  Ghronicoh.  Caroli  YI,  lib.  XIII,  c.  14,  t.  II,  p.  &4  sqq. 

/2)  Voyez  plus  loin  Chronigor.  1.  c.  lib.  XIV,  12,  p.  106. 


76  CONTINUATION   DU   SCHISME 

par  les  chartreux;  il  en  résulte  donc  d'une  manière  incontestable 
qu'il  a  dû  y  avoir  un  document  écrit.  C'est  précisément  ce  docu- 
ment que  nous  trouvons  dans  Achery  (1.  c);  ce  n'est  pas  une 
lettre  filialis  reverentiœ^  mais  une  simple  déclaration  écrite, 
adressée  Sedenti  in  Roma,  par  laquelle  le  roi  proteste  qu'il  n'a  pas 
été  jusqu'à  cette  époque  négligent  pour  procurer  l'extinction  du 
schisme.  Charles  VI  continue  en  disant  que  Boniface  lui-même 
est  la  principale  cause  de  division  et  qu'il  devrait  faire  concorder 
sa  conduite  avec  ses  paroles  de  paix.  En  terminant,  le  roi  rap- 
pelle à  Boniface  l'exemple  du  pape  romain  Clément  1",  qui  avait 
volontairement  résigné  sa  charge  pour  éviter  toutes  difficultés^. 
Le  projet  d'être  aussi  peu  poli  que  possible  à  l'égard  de  Boniface 
avait  été  si  exactement  réalisé  que  l'on  dut  recommander  aux 
chartreux  de  faire  de  vive  voix  au  pape  des  communications 
plus  agréables. 

Charles  VI  invita  en  outre  tous  les  princes  de  la  haute  Italie  à 
collaborer  avec  lui  à  l'œuvre  de  la  paix  de  l'Église,  et  tous  les 
princes  de  la  maison  royale  de  France  étaient  à  cet  égard 
du  même  sentiment,  à  l'exception  du  duc  de  Berri.  Le  clergé  de 
France,  plein  de  joie  et  d'espérance,  ordonna  des  processions  et 
des  services  solennels  qui  se  firent  avec  un  très-grand  concours 
de  peuple  ;  l'Université  de  Paris  fit  en  particulier  un  pèlerinage 
solennel  à  Saint-Martin-des-Champs ,  le  second  dimanche  de 
janvier  1393  ^.  L'évêque  de  Paris  ordonna  à  son  tour  une  pro- 
cession pour  le  dimanche  suivant  à  l'abbaye  bénédictine  de 
Saint-Germain-des-Prés,  et  le  roi  la  suivit  avec  les  grands  de  sa 
cour.  Toutes  ces  cérémonies  produisirent,  on  le  devine,  une 
fâcheuse  impression  à  Avignon,  et  Clément  se  permit  de  traiter 
de  mérita  frivolum  la  lettre  du  pape  que  le  roi  lui  avait  commu- 
niquée, parce  que  dans  cette  lettre  il  prenait  le  titre  de  summus 
pontifex.  Toutefois,  comme  le  roi  Charles  l'exhortait  vivement 
à  s'employer  pour  l'union,  l'antipape  ordonna  des  processions 
et  fit  composer  une  messe  pro  pace,  qui  fut  célébrée  partout. 
Clément  envoya  à  Paris,  au  mois  de  février  1393,  un  exem- 
plaire de  cette  messe,  et  promit  à  tous  ceux  qui  la  diraient  ou 


(1)  Voyez  les  notes  au  c.  54  de  VEpistola  I  Clem.  Rom.  dans  l'éd.  des  Patree 
apost.  éd.  IV,  p.  126  de  Mgr  Héfelé. 

(2)  A  la  place  de  cette  abbaye  de  bénédictins  se  trouve  maintenant  le  Con- 
servatoire des  arts  et  métiers,  dans  la  rue  Saint-Martin  et  près  de  la  porte 
du  même  nom. 


jusqu'à    la   mort   de   l'antipape   clément  VII,    EN    1394.  77 

l'entendraient  dire  de  nombreuses  indulgences.  L'Université  de 
Paris  ayant  déclaré  dans  ce  même  mois  que  l'unité  ne  pouvait 
être  rétablie  que  si  les  deux  papes  abdiquaient;  Clément  donna 
mission  à  Jean  Goulain,  professeur  de  théologie,  de  combattre  ce 
sentiment,  ce  qu'il  fit  dans  plusieurs  de  ses  sermons  au  grand 
scandale  de  l'Université  * . 

On  voit  quelle  était  la  valeur  des  déclarations  de  Clément 
offrant  de  sacrifier  sa  cappa  et  son  caput  pour  la  cause  de  l'Église  : 
les  deux  papes  qui  étaient  si  opposés  l'un  à  l'autre  se  trouvaient 
être  absolument  du  même  avis  quand  il  s'agissait,  pour  le  bien, 
d'abdiquer  leur  dignité  et  leurs  prétentions. 

Quelques  semaines  plus  tard,  dans  les  mois  d'avril  et  de 
mai  1393,  les  ambassadeurs  français  et  anglais  eurent  des  con- 
férences dans  une  chapelle  entre  Calais  et  Boulogne,  et  le  car- 
dinal Pierre  de  Luna  y  prit  part,  pour  tâcher  de  gagner  l'Angle- 
terre à  la  cause  de  l'antipape.  Le  moment  était  heureusement 
choisi,  car  l'Angleterre  avait  alors  avec  le  pape  Boniface  des  rap- 
ports assez  tendus  à  cause  de  la  collation  des  bénéfices;  néan- 
moins, le  duc  deGand  et  de  Lancastre,  oncle  du  roi  Richard  et  chef 
de  l'ambassade  anglaise,  fit  une  réponse  peu  favorable  au  parti 
d'Avignon.  Aussitôt  après  ces  conférences,  c'est-à-dire  au  mois 
de  juin  de  cette  même  année,  le  roi  de  France  fut  repris  d'un  accès 
de  folie  qui  dura  jusqu'au  mois  de  janvier  de  l'année  suivante  ^. 
Peu  de  temps  avant  ce  malheur,  Boniface,  se  fondant  sur  la 
réponse  des  chartreux,  avait  adressé  au  roi  Charles  VI  une  nou- 
velle lettre,  dans  laquelle  il  déclarait  explicitement  que  la  con- 
dition sine  qua  non  du  rétablissement  de  l'union  était  l'abdication 
de  Robert  (c'est-à-dire  de  l'antipape);  il  émettait  ensuite  l'espoir 
que  Dieu  éclairerait  le  noble  roi  de  France,  pour  qu'il  reconnût 
la  légitimité  d'Urbain  et  de  son  successeur,  et  pour  qu'après 
avoir  constaté  le  bon  droit,  il  le  protégeât  vigoureusement.  Le 
roi  de  France  était  malade  quand  arriva  cette  lettre  ;  elle  tomba 
entre  les  mains  des  ducs  de  Berri  et  de  Bourgogne ,  qui  n'y 
répondirent  même  pas,  parce  que  le  pape  portait  comme  seule 
condition  l'abdication  de  son  adversaire  ^. 


(!)  Chronicor.  Caroli  YI,  lib.  XIII,  c.  14.— Bul.bus,  1.  c.  p.  673.  — Baluz. 
i.  c.  t.  I,  p.  532. 

(2    Chroxnicor.  Caroli  VI,  lib.  XIV,  c.  2,  3,  5,  6,  7.—  Raynald,  1391,  14  sqq. 

(3)  Ghronicor.  CaroliVI,  lib.  XlV,  12.— Bul^us,  1.  c.  p.  683  sq.— Achery, 
Spicileg.  t.  I,  p.  769 


73  CONTINUATION   DU   SCHISME 

Après  sa  seconde  guérison,  Charles  YI  fit  un  pèlerinage  au 
couvent  de  Saint-Michel  m  periculo  maris  (maintenant  le  mont 
Saint-Michel  près  d'Avranches),  et  l'Université  de  Paris  profita  i 
des  sentiments  religieux  dont  le  roi  faisait  de  nouveau  preuve, 
pour  essayer  une  nouvelle  tentative  auprès  de  sa  conscience. . 
Lorsqu'il  fat  arrivé  à  Saint-Germain-en-Laye,  à  quelques  lieues  i 
à  l'ouest  de  Paris,  il  fat  abordé  par  une  députation  de  l'Univer- 
sité, et  l'orateur,  un  théologien,  lui  fit  un  beau  discours  pour  ' 
démontrer  combien  il  fallait  remercier  Dieu  de  la  guérison  du 
roi,  et,  de  plus,  que  Charles  devait  s'employer  sans  délai  à  dé- 
truire le  schisme,  s'il  ne  voulait  avoir  à  répondre  un  jour  d'avoir 
mal  soutenu  le  titre  de  roi  très-chrétien.  Comme  le  duc  de  Berri 
était  présent  et  qu'il  fat  chargé  de  transmettre  à  la  députation 
la  réponse  du  roi,  on  avait  peu  d'espoir  sur  la  réussite  de  cette 
démarche;  aussi  la  joie  fat-elle  très-grande  lorsque  le  duc  ré- 
pondit :  «  Ce  schisme  effroyable  n'a  déjà  que  trop  duré  pour  le 
déshonneur  du  roi  et  de  sa  maison.  Aussi,  si  vous  connaissez 
un  bon  moyen  de  le  faire  cesser,  il  sera  sans  hésitation  mis  en 
pratique.  »  L'Université  ordonna  alors  une  nouvelle  procession 
solennelle  à  Saint-Marlin-des-Champspour  le  jour  de  la  Conver- 
sion de  S.  Paul,  25  janvier  1394,  et  il  fat  annoncé  publique- 
ment que  celui  qui  aurait  un  conseil  à  donner  touchant  l'affaire 
du  schisme  pouvait  le  faire  connaître  par  écrit  et  déposer  ce 
papier  dans  un  tronc  installé  pour  cela  dans  le  couvent  des 
Mathurins.  Une  commission  fut  chargée  de  classer  les  propo- 
sitions qui  seraient  faites,  et  il  en  résulta  que  la  grande  majorité 
des  mémoires  pour  le  rétablissement  de  l'unité  de  l'Église  se 
résumait  dans  ces  trois  pensé&s,  via  cessionis,  compromissi,  ou 
stjnodi.  Nicolas  de  Clémanges  fut  ensuite  chargé,  à  cause  de  sa 
Tulliana  facundia,  pour  parler  comme  le  moine  de  Saint-Denis, 
d'adresser  au  roi  un  écrit  expliquant  et  recommandant  les  trois 


vias 


Dès  que  Clément  comprit  le  danger  qui  le  menaçait,  il  chercha 
son  salut  dans  l'intrigue.  Sous  prétexte  qu'il  avait  besoin  d'eux 
pour  le  gouvernement  de  l'Église,  il  appela  à  Avignon  plusieurs 
professeurs  de  l'Université  de  Paris,  précisément  ceux  qui  se 


(1)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XIV,  9  et  10.  —  Bul^us,  1.  c.  p.  683.  Les  deux 
rapports  placent  naturellement  ces  incidents  en  1393,  car  en  France  la  nou- 
velle année  ne  commençait  qu'à  Pâques. 


jusqu'à  la  mort  de  i/antipape  clément  viî,  en  1394.         79 

remuaient  le  plus  pour  l'extinction  du  schisme,  comme  Pierre 
d'Âilly  et  Gilles  Deschamps  ;  il  espérait  arriver  par  ce  moyen  à 
paralyser  tout  ce  mouvement,  qui  lui  déplaisait  fort;  mais  les 
professeurs  ne  répondirent  pas  à  cet  appel.  Le  chapelain  de 
Clément,  l'évêque  de  Tarse,  qu'il  envoya  à  Paris  avec  de  grandes 
sommes  d'argent  pour  amener  des  courtisans  et  des  employés 
à  faire  de  l'opposition  contre  l'Université,  fut  plus  heureux  dans 
ses  démarches.  Le  cardinal  de  Luna  se  donna  aussi  beaucoup 
de  mal  dans  le  même  but.  L'Université  ne  se  laissa  pas  effrayer 
par  toutes  ces  manœuvres  (précisément  le  jour  de  Pâques  1394, 
Gerson  prononça  contre  le  schisme  un  nouveau  sermon  très- 
hardi  et  très-courageux),  et  elle  voulut  remettre  au  roi  l'écrit 
composé  par  Nicolas  de  démanges;  mais  le  duc  de  Berri  refusa 
d'une  façon  très-dure  de  laisser  approcher  du  souverain,  et 
menaça  de  faire  jeter  à  l'eau  les  principaux  agitateurs,  s'ils  ne 
se  tenaient  tranquilles.  Grâce  au  duc  de  Bourgogne,  l'Université 
finit  par  obtenir  une  audience  du  roi  le  30  juin  1394.  Le  recteur 
commença  par  adresser  au  roi  quelques  paroles  pour  le  saluer, 
et  puis  le  docteur  en  théologie  Guillaume  Barrault,  grand  prieur 
de  Saint-Denis  et  désigné  par  l'Université  pour  porter  la  parole, 
développa  de  vive  voix  au  roi  le  contenu  d'un  mémoire  dont  il 
lui  remit  ensuite  le  texte.  Voici  le  résumé  de  ce  document,  daté 
du  8  juin^.  Depuis  seize  ans,  disait  l'Université,  elle  n'avait 
cessé  de  s'employer  pour  procurer  le  rétablissement  de  l'u- 
nité ecclésiastique;  mais  elle  s'était  heurtée  à  plusieurs  obs- 
tacles, notamment  à  la  jeunesse  du  roi;  maintenant  que  le 
roi  était  devenu  homme,  il  avait  été  le  premier  à  engager  l'Uni- 
versité à  lui  faire  des  propositions;  pour  se  conformer  à  ses 
désirs,  l'Université  avait  voulu  entrer  en  délibération  sur  ce 
point  avec  le  conseil  royal ,  mais  celui-ci  avait  refusé  ;  aussi 
l'Université  ne  pouvait-elle  présenter  que  ses  propres  idées  pour 
rendre  la  paix  à  l'Église.  Ces  idées  se  résumaient  dans  les  trois 
moyens  suivants.  Le  plus  simple  et  le  meilleur  de  tous  était  la 
via  cessionis;  il  consistait  en  ce  que  les  deux  prétendants  dépo- 
sassent la  tiare,  renonçassent  à  leurs  droits  réels  ou  fictifs,  et 
qu'un  nouveau  pape  fût  ensuite  élu,  soit  par  les  anciens  cardi- 
naux, c'est-à-dire  par  ceux  qui  avaient  déjà  la  pourpre  avant 


(1)  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  2.  —  Bul^eus,  L  c,  p,  686.  --  Schwab, 
Gerson,  S.  129  f. 


80  CONTINUATION   DU    SCHISME 

rapparition  du  schisme,  ou  mieux  encore  par  les  cardinaux  des 
deux  obédiences.  Si  l'on  ne  voulait  pas  accepter  ce  premier 
moyen,  on  pouvait  recourir  à  la  via  compromissi.  Un  tribunal 
arbitral,  un  petit  concile  qui  serait  établi  par  les  deux  prétendants 
ou  qui  le  serait  d'une  manière  canonique,  déciderait  quel  est 
le  pape  légitime,  ou,  si  cela  était  nécessaire,  en  élirait  un  autre, 
après  y  avoir  été  autorisé  par  ceux  ayant  droit;  si  cette  combi- 
naison était  également  rejetée,  il  restait  enfin  la  via  synodi; 
ce  serait  alors  un  concile  général  qui  déciderait,  et  dans  ce 
concile,  ou  bien  on  n'admettrait  que  des  prélats  ou  un  égal 
nombre  de  docteurs  et  de  prélats,  parce  que  ceux-ci  sont  souvent 
entachés  d'ignorance  et  de  partialité.  Cette  dernière  solution 
présentait  plus  de  difficultés  que  les  deux  premières,  parce 
qu'elle  pouvait  donner  lieu  à  plus  de  contestations.  Toutefois 
l'affaire  était  assez  importante  pour  qu'elle  valût  la  peine  de 
convoquer  un  concile  général  et  de  résoudre  toutes  les  difficul- 
tés qui  s'opposaient  à  cette  convocation.  Si  l'un  des  deux  papes 
refusait  d'accepter  l'une  de  ces  trois  solutions,  sans  qu'il  en 
indiquât  quelque  autre  analogue,  on  devait  le  traiter  comme 
schismatique  opiniâtre,  voire  même  comme  hérétique,  et  le 
punir  très-sévèrement.  On  ne  devait  plus  le  tolérer  sur  terre, 
mais  bien  le  traiter  comme  avaient  été  traités  Dathan  et  Abiron 
(IV  Moïse,  16-33).  Le  roi  devait  s'employer  de  toutes  ses  forces  à 
cette  œuvre  de  la  pacification  de  l'Eglise  et  ne  pas  porter  en  vain 
ce  titre  de  rex  christiànissimus .  Toute  la  chrétienté  attendait  de 
lui  le  remède  au  mal,  et  s'il  pouvait  le  procurer,  il  se  couvrirait  de 
gloire.  Avant  le  schisme,  l'Église  avait  été  florissante  et  pleine 
de  magnificence;  (exagération  oratoire)  maintenant,  au  contraire, 
elle  était  pauvre  et  malheureuse.  D'où  venait  cela?  de  ce  que  des 
hommes  indignes  et  impies  avaient  été  et  étaient  presque  tous 
les  jours  encore  établis  pour  gouverner  l'Éghse,  des  hommes 
qui,  au  lieu  de  se  préoccuper  de  devenir  des  saints,  songeaient 
uniquement  à  piller  les  églises  et  les  couvents,  à  imposer  des 
charges  intolérables  aux  pauvres  desservants  des  églises,  qui 
chargeaient  les  derniers  des  hommes  de  l'office  de  collecteur,  qui 
réduisaient  les  clercs  à  la  mendicité,  les  forçaient  de  vendre 
leurs  calices,  leurs  croix  et  tout  ce  qui  avait  quelque  valeur. 
C'était  la  simonie  qui  dans  l'Église  tenait  le  haut  du  pavé;  les 
plus  indignes  étaient  ceux  qui  parvenaient  le  plus  vite  aux 
honneurs;  plus  un  clerc  était  savant,  plus  il  était  haï.  Si  les 


jusqu'à  la  mort  de  l'ai\tipape  cléme?;t  vu,  en  J3:)4.         81 

anciens  revenaient,  ils  ne  reconnaîtraient  plus  l'Église,  cette 
Église  n'étant  plus  qu'un  objet  de  dérision.  La  situation  empirait 
tous  les  jours;  car  tous  les  jours  on  créait  de  nouvelles  diffi- 
cultés pour  empêcher  l'union,  et  on  avait  même  osé  desservir 
l'Université  auprès  du  roi.  On  voulait  l'empêcher  de  donner 
audience,  pour  qu'il  ne  connût  pas  le  véritable  état  des  choses; 
en  un  mot,  on  ne  voulait  pas  la  clarté  pour  mieux  pêcher  en 
eau  trouble.  On  reprochait  à  l'Université  de  vouloir  tout  régen- 
ter; c'était  là  une  calomnie  ;  mais  on  ne  pouvait  pas  demander 
à  l'Université  de  garder  le  silence,  quand  les  pierres  elles- 
mêmes  devaient  élever  la  voix  * . 

Le  roi  reçut  le  mémoire  d'une  manière  bienveillante,  ordonna 
qu'on  le  traduisît  en  français  et  indiqua  à  l'Université  l'époque 
où  il  lui  rendrait  réponse.  Mais  l'espoir  que  cet  accueil  avait  fait 
naître  fut  déçu,  car  le  cardinal  de  Luna  et  d'autres  personnages 
se  hâtèrent  de  semer  la  division;  aussi,  au  jour  fixé,  le  chance- 
lier royal  déclara-t-il  que  son  maître  ne  voulait  plus  s'occuper 
de  cette  affaire,  et  que  l'Université  devait  également  cesser  de 
s'y  intéresser  et  même  ne  plus  écrire  de  lettres  à  ce  sujet.  Les 
iustances  réitérés  pour  faire  revenir  sur  cette  décision  n'ame- 
nèrent aucun  résultat;  aussi  l'Université  finit-elle  par  menacer 
d'interrompre  ses  cours  et  ses  prédications  ^.  De  plus,  elle  écrivit 
à  Clément  VII  et  à  ses  cardinaux.  Elle  raconte  ce  qu'elle  a  fait 
pour  la  sainte  cause  depuis  plusieurs  années  et  comment  l'ennemi 
pervers,  Pierre  de  Luna,  a  contrecarré  toutes  ces  démarches; 
aussi  le  pape  devait-il  le  punir  et  s'employer  lui-même  pour 
rétablir  l'union.  Lorsque  Clément,  entouré  de  ses  cardinaux,  lut 
la  lettre  de  l'Université,  il  s'écria  :  Tout  cela  est  rempli  de  poison 
et  de  calomnie,  et  il  fit  au  député  de  l'Université  de  tels  yeux 
et  lui  adressa  des  paroles  telles  que  celui-ci  s'empressa  de  fuir 
secrètement.  L'antipape  resta  très-courroucé  pendant  plusieurs 
jours  et  ne  voulut  voir  personne;  mais  les  cardinaux  se  réunirent 
sans  sa  permission,  ce  qui  augmenta  son  mécontentement.  Il  les 


(1)  Ghro.nicor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  c.  3,  t.  II,  p.  136-182.  —  Bul^us,  1.  c. 
p.  687  sqq.  —  Aghery,  Spicileg.  t.  I,  p.  776  sqq. —  Raynald  (1394,  3),  donne 
seulement  le  passage  qui  dépeint  les  tristes  résultats  du  schisme. 

(2)  C'est  à  cette  époque  que  Bulaeus  (1.  c.  p.  696  sqq.)  place  le  courageux 
et  bel  écrit  de  Nicolas  de  démanges  au  roi.  Mais,  comme  il  est  dit  dans  cet 
écrit  que  le  roi  est  excusable  de  n'avoir  rien  fait  pour  l'union  à  cause  de  sa 
jeunesse,  cette  remarque  ne  s'expliquerait  guère  en  Tannée  1394,  où  le  roi 
avait  déjà  vingt-cinq  ans. 


I58STS 


82  TENTATIVES   d'uNION    FAITES   DE    1394   A  1398. 

appela  autour  de  lui  et  leur  fit  des  reproches.  Mais  ceux-ci,  sans 
se  laisser  effrayer,  lui  conseillèrent  de  choisir  l'un  des  trois 
moyens  conseillés  par  l'Université.  Cette  hardiesse  le  troubla  au 
point  qu'il  commença  à  tomber  malade,  et  le  16  septembre  1394 
il  mourut  d'une  attaque  d'apoplexie,  dans  la  cinquante-deuxième 
année  de  son  âge  et  îa  seizième  de  son  pontificat  ^.  Une  nouvelle 
lettre  de  l'Université  de  Paris,  destinée  à  calmer  le  pape,  à  réfuter 
l'accusation  de  doctrines  empoisonnées,  etc.,  arriva  lorsque 
Clément  était  déjà  mort  ^.  Vers  la  même  époque,  l'Université 
fut  encouragée  à  persévérer  dans  la  voie  oii  elle  était  entrée  par 
des  lettres  d'autres  universités,  par  exemple  de  Cologne,  et  plus 
tard  de  Vienne,  ainsi  que  du  roi  d'Aragon  et  d'autres  personnes 
de  marque  ^ 

TENTATIVES  d'uNION  FAITES   DE    1394   A    1398. 

Dès  le  22  septembre  1394,  Charles  VI,  roi  de  France,  eut  con- 
naissance  de  la  mort  du  pape  d'Avignon.  Ce  même  jour  il  devait 
y  avoir  une  grande  séance  du  conseil  du  roi,  pour  délibérer  sur 
le  conflit  survenu  entre  le  roi  de  France  et  l'archevêque  de 
Lyon  à  l'égard  des  droits  de  suzeraineté  sur  cette  ville.  Mais  à 
la  nouvelle  qui  venait  d'arriver,  cette  affaire  fut  remise  à  un  autre 
moment  et  le  roi  réunit  ses  cousins  et  ses  conseillers  les  plus 
intimes  pour  délibérer  sur  la  mort  du  pape.  Le  patriarche 
d'Alexandrie,  Simon  de  Cramaud,  administrateur  de  l'évêché  de 
Carcassonne  et  alors  le  prélat  le  plus  distingué  de  France,  était 
d'avis  qu'on  devait  exhorter  les  cardinaux  à  ne  pas  procéder  à 
une  autre  élection,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  envoyé  à  Avignon  des 
messagers  porteurs  d'instructions  sur  cette  affaire.  Tous  les 
assistants,  à  l'exception  d'un  seul,  partagèrent  ce  sentiment  ; 
aussi  le  roi  écrivit-il  immédiatement  dans  ce  sens  à  tous  les  car- 


(1)  Chronicor.  Caroli  VJ,  lib.  XV,  4,  5.  — Achery,  Spicileg.  t.  I,  p.  784  sq. 
—  BuLiEus,  1.  c.  p.  696  et  699-701.  —  Baluz.  1.  c.  1. 1,  p.  535  sq.  et  p.  1397. 

(2)  BuL^us,  1.  c.  p.  701. 

(3)  HvLJEvs,  1.  c.  p.  705  sqq.  — Achery,  Spicileg.  1. 1,  p.  782.  — Schwab, 
Gerson,  S.  133. 


TENTATIVES   d'uNION  FAITES   DE    1394  A  1398.  83 

dinaux  K  Le  lendemain,  une  députation  de  l'Université  présenta 
au  roi  les  quatre  vœux  suivants  : 

1.  Il  fallait  que  le  roi  engageât  les  cardinaux  à  différer  l'élec- 
tion d'un  nouveau  pape  jusqu'à  ce  qu'on  eût  le  temps  de  se 
concerter  touchant  le  rétablissement  de  l'unité  et  le  meilleur 
moyen  de  la  procurer. 

2.  Le  roi  était  prié  de  réunir  les  prélats  et  les  barons,  ainsi  que 
les  membres  les  plus  distingués  de  l'Université  et  d'autres  per- 
sonnes de  marque,  pour  délibérer  sur  la  manière  dont  il  fallait  se 
conduire  dans  une  si  sainte  et  si  importante  affaire. 

3.  Le  roi  devait  également  écrire  à  l'intrus  (Boniface  IX)  et  à 
ses  partisans  et  ordonner  dans  son  royaume  des  prières  et  des 
processions  pour  la  restauration  de  la  paix  de  l'Église. 

4.  On  devait  permettre  à  l'Université  de  correspondre  égale- 
ment, touchant  cette  affaire,  avec  les  autres  universités. 

Le  roi  se  montra  excessivement  bienveillant  à  l'égard  de  ces 
demandes,  et,  sur  le  désir  qu'il  en  exprima,  l'Université  reprit 
ses  cours  et  ses  sermons  qui  avaient  été  interrompus  pendant 
quelque  temps.  Le  même  jour,  le  roi  délibéra  avec  ses  cousins 
et  ses  conseillers  sur  les  propositions  de  l'Université,  et  il  forma 
le  projet  d'envoyer  à  Avignon  le  patriarche  d'Alexandrie  et 
Pierre  d'Ailly,  son  aumônier.  Mais  le  duc  de  Berri  pensa  qu'il 
vaudrait  mieux  choisir  pour  cela  des  laïques,  d'autant  mieux 
que  d'Ailly  n'était  guère  aimé  des  cardinaux,  parce  qu'il  avait 
été  le  promoteur  de  toutes  les  démarches  de  l'Université.  Ce  fut 
donc  Renaud  de  Roye  qui  fut  envoyé  à  Avignon  ;  mais  aupara- 
vant on  fit  partir  un  courrier  à  cheval  avec  une  courte  lettre  du 
roi  aux  cardinaux  pour  qu'ils  ne  procédassent  à  aucune  élection  ^. 
L'Université  adressa  en  même  temps  une  lettre  très-pressante 
aux  cardinaux,  et,  en  dehors  de  la  France,  les  princes  et  les 
évêques  firent  également  des  efforts  pour  que  cette  bonne  occa- 
sion d'en  finir  avec  le  schisme  ne  fût  pas  perdue^.  Lenfantet 
Christophe  racontent  que  Boniface  IX  avait,  lui  aussi,  envoyé  des 
ambassadeurs  à  Paris  et  à  Avignon  pour  empêcher  une  nouvelle 


(1)  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  6.  —  Achery,  Spicileg.  t.  I,  p.  770  et 
Martène  et  Durand,  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  436  et  479. 

(2)  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  7. —  Achery,  1.  c.  p.  770  sq. —  Martène 
et  Durand,  1.  c.  p.  481  sq. 

(3)  BuL^us,  Eist.  univers.  Parisiens,  t.  IV,  p.  707-709  et  711-71.3.  —  Agheby, 
1.  c.  p.  786.  —  Martène,  T/ies.,  t.  II,  p.  1 132  sq. 


84  TENTATIVES   d'l'NION   FAITES   DE    1394   A   1398. 

élection,  mais  les  lettres  de  plein  pouvoir  auxquelles  font  allu- 
sion ces  deux  historiens,  sont  du  17  et  du  20  octobre  S  elles  ont 
dû  par  conséquent  être  écrites  à  une  époque  où  Boniface  IX  con- 
naissait l'élection  de  Pierre  de  Luna. 

Mais  les  cardinaux  d'Avignon  trompèrent  les  espérances  de 
la  chrétienté  par  la  célérité  avec  laquelle  ils  procédèrent  à  une 
nouvelle  élection.  Sur  les  vingt  et  un  cardinaux  présents,  quel- 
ques-uns étaient  d'avis  d'élire  l'intrus  et  par  là  même  de  finir  le 
schisme;  d'autres  voulaient  différer  l'élection;  mais  la  majorité 
ne  partagea  pas  ce  sentiment  et  ne  tint  aucun  compte  de  la  lettre 
du  roi,  qui  arriva  sur  ces  entrefaites  ;  elle  ne  fut  même  pas  lue 
avant  l'élection  pour  que  les  cardinaux  gardassent  bien  toute 
leur  liberté.  Toutefois,  pour  faire  preuve  de  bonne  volonté, 
dix-huit  cardinaux  jurèrent,  en  entrant  au  conclave,  de  s'em- 
ployer de  toutes  leurs  forces  au  rétablissement  de  l'unité  de 
l'Éghse,  et  d'aider,  dans  ce  but,  le  nouveau  pape  soit  par  leurs 
conseils,  soit  par  leurs  actes.  Chacun  d'eux  s'engagea  également, 
pour  le  cas  où  il  serait  élu  pape,  à  abdiquer  dans  l'intérêt  de 
l'union,  si  la  majorité  des  cardinaux  croyait  ce  sacrifice  néces- 
saire ;  il  n'y  eut  que  les  cardinaux  de  Florence,  d'Aigrefeuille  et 
de  Saint-Martial,  qui  étaient  scrutateurs,  à  ne  pas  prendre  cet 
engagement.  Les  voix  ayant  d'abord  paru  se  porter  sur  un  car- 
dinal dont  nous  ne  connaissons  pas  le  nom,  ce  cardinal  s'écria  : 
•r  Je  suis  faible  et  peut-être  je  ne  pourrais  pas  abdiquer,  j'aime 
mieux  ne  pas  être  exposé  à  la  tentation.  »  Le  cardinal  de  Luna 
saisit  cette  occasion  pour  dire  :  «  Ego  si  eligerer^  statim  ea  celeri- 
tate  et  facilitate  papatum  abdicarem  qua  cappam  exuere  jjossem. 
Ce  même  Pierre  de  T^una  détourna  les  cardinaux  de  nommer  le 
procureur  de  la  Grande-Chartreurse,  en  leur  disant  :  «  Ces  soli- 
taires sont,  pour  la  plupart  du  temps,  têtus  ;  aussi  ne  serait-il 
pas  facile  d'amener  un  pareil  pape  à  abdiquer.  »  Cette  réflexion 
et  aussi  le  souvenir  des  instances  que  Pierre  de  Luna  avait  faites 
au  pape  Clément  VII  pour  provoquer  sa  cession,  firent  regarder 
le  cardinal  comme  très-favorable  à  l'union;  aussi  fut-il  élu  à 
l'unanimité  le  28  septembre  1394,  sous  le  nom  de  Benoît  XIIL 
Comme  il  n'était  que  diacre  [de  Santa  Maria  in  Cosmedin),  il  se  fît 
ordonner  prêtre  le  lendemain,  et  le  11  octobre  il  fut  sacré  évêque 
par    le  cardinal  d'Ostie   et  solennellement  couronné    par    le 


(1)  Raynald,  1394,  15-17  inclui. 


TENTATIVES   d'uNION   FAITES   DE    1394  A   1398.  85 

premier  cardinal  diacre  K  Pierre  de  Luna,  issu  d'une  famille 
noble  de  l'Aragon,  avait  fait  ses  études  en  France;  il  s'était  dis- 
tingué à  Montpellier  comme  professeur  de  droit  canon  et  en  1375 
avait  été  nommé  cardinal  par  le  pape  Grégoire  IX.  On  se  sou- 
vient qu'au  début  du  schisme,  il  s'employa  à  gagner  l'Espagne 
à  la  cause  de  l'antipape.  Pierre  de  Luna  était  petit  de  taille,  mais 
de  grand  talent  et  de  grande  éloquence  ;  de  plus,  c'était  un 
bomme  rempli  de  sagacité,  d'un  esprit  inventif;  son  éducation 
avait  été  très-soignée  et  sa  conduite  était  irréprochable  '^.  Aus- 
sitôt après  son  intronisation,  Benoît  XIII  réitéra  le  serment 
prêté  en  conclave  avec  les  autres  cardinaux,  il  déclara  qu'il  se 
sentait  tout  disposé  pour  la  via  cessionis,  si  bien  que  les  cardi- 
naux eurent  à  le  retenir  plutôt  qu'à  l'exhorter  ^.  Il  envoya 
aussitôt  des  lettres  et  des  messagers  aux  princes  chrétiens  pour 
leur  faire  part  de  son  élection  et  leur  faire  connaître  son  vif 
désir  de  procurer  l'union.  Il  pria  en  particulier  le  roi  de  France 
d'envoyer  à  Avignon  des  ambassadeurs  avec  des  pouvoirs  illi- 
mités pour  qu'il  pût  avec  eux  prendre  des  décisions  définitives 
à  l'égard  du  rétablissement  de  la  paix.  Ses  nonces,  l'évéque 
d'Avignon  et  le  magister  Pierre  de  Blaie  (Blavus)  arrivèrent  le 
9  octobre  à  Saint-Denis,  où  Charles  VI  célébrait  le  patrocinium, 
et  ils  déclarèrent  que  les  prières  des  cardinaux  avaient  seules 
décidé  Benoît  XIII  à  accepter  la  papauté,  et  qu'il  avait  assuré 
qu'il  aimerait  mieux  passer  toute  sa  vie  dans  un  désert  que 
d'occasionner  une  prolongation  du  schisme  * . 

Ce  langage  plut  au  roi  et  à  l'Université.  Le  roi  promit  d'en- 
voyer, sans  les  faire  attendre,  les  ambassadeurs  qu'on  demandait, 
et  provisoirement  il  chargea  Pierre  d'Ailly  de  se  rendre  à  Avignon 
avec  une  mission  secrète.  De  son  côté,  l'Université  écrivit  au 
nouveau  pape  une  très-longue  lettre,  afin  de  le  fortifier  dans  ses 
bons  sentiments  pour  l'union  ^.  L'Université  envoya  aussi  aux 


(1)  Chronicor.  Caroli  YI,  lib.  XV,  8.  —  Achery,  1.  c.  p.  771  sq.  —  Martène 
et  Durand.  Vet.  Script,  t.  VII,  Praef.  xlii.  —  Baluz.  Vitœ  pap.  Ave7i.  t.  I,  p.  566 
sqq.  1410;  t.  II,  p.  1108.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  313.  —Christophe,  Histoire 
de  la  Papauté  au  xiy^  siècle,  t.  III,  p.  109,  364,  etc. 

(2)  Theod.  a  Niem,  De  Schism.  lib.  II,  c.  33,  dans  Muratori,  Rer.  ital.  Script. 
t.  m,  2,  p.  832. 

(8)  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1178. 

(4)  Martène  et  Durand.  \et.  Script,  t.  VIL  PrsBf.  p.  xLiii  et  p.  437,  458,  483 
«qq.  —  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  9. 

(5)  Martène  et  Durand,  1.  c.  t.  VII,  p.  438.  —  Ghronigor.  1.  c  lib.  XV,  10. — 


86  TENTATIVES   D'uNION   FAITES    DE    1394  A   1393. 

cardinaux  cette  lettre  \  Benoît,  qui,  dès  le  11  octobre  1394» 
avait  fait  connaître  à  l'Université  de  Paris  la  nouvelle  de  son 
élévation  ainsi  que  son  désir  de  procurer  l'union,  lui  envoya 
une  seconde  lettre  à  la  date  du  12  novembre  pour  louer  son  zèle 
à  l'égard  de  la  cause  sainte  et  pour  attester  une  seconde  fois 
qu'il  était  très-désireux  de  voir  la  paix  de  l'Église  ^.  L'évéque 
d'Avignon  remit  cette  nouvelle  lettre  du  pape  et  exhorta  le  roi 
à  prendre  conseil  de  son  clergé  et  de  l'Université  de  Paris  pour 
travailler  à  la  pacification  de  l'Église  et  pour  indiquer  au  pape 
le  meilleur  moyen  à  suivre  pour  y  arriver.  A  la  suite  de  cette 
lettre,  Charles  YI  demanda  aux  chartreux,  aux  célestins  et  à 
d'autres  personnes  leur  avis  sur  les  voies  et  moyens  de  rétablir 
l'unité  ecclésiastique.  Le  roi  avait  fait  particulièrement  cette 
demande  au  célèbre  Jean  de  Varenne,  auparavant  chapelain  du 
roi  Charles  YI  et  qui  maintenant  vivait  comme  un  ermite  près 
de  Reims;  cette  démarche  du  roi  fut  l'occasion  d'une  fort  inté- 
ressante correspondance  échangée  entre  Benoît  XIII  et  l'ermite, 
et  par  laquelle  celui-ci  s'efforçait  d'amener  le  pape  à  abdiquer  '. 
Au  mois  de  janvier  1395,  Charles  VI  envoya  un  nouveau 
messager  à  Avignon  pour  demander  une  copie  du  document 
que  les  cardinaux  avaient  signé  lors  de  leur  entrée  dans  le  con- 
clave. On  voulait  évidemment  s'en  servir  pour  exercer,  si 
cela  était  nécessaire,  une  pression  sur  Benoît  et  l'amener  à 
abdiquer.  Le  roi  faisait  connaître  en  même  temps  à  l'antipape 
le  texte  de  ce  document  tel  qu'on  l'avait  répandu  en  France. 
Benoît  fit  d'abord  attendre  quinze  jours  avant  de  faire  connaître 
sa  réponse  au  messager  du  roi,  et  enfin,  le  3  février,  il  écrivit 
au  roi  que  le  texte  qui  avait  cours  en  France  était  faux,  et  que  si 
les  ambassadeurs  royaux  venaient  à  Avignon,  il  leur  montrerait 
l'original.  C'était  une  manière  détournée  de  refuser  la  copie 
demandée*. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  de  France  invita  cent  cinquante  prélats 
et  savants,  prêtres  et  laïques,  théologiens  et  jurisconsultes,  à  se 


BuL/EUS,  Le.  p.  713  sqq. — Achery,  SpicilegA,  c.  p.  77':?.  En  partie  aussi  dans 
Raynald,  1394,  7,  sous  le  faux  titre  d'une  lettre  aux  cardinaux. 

(1)  BuLJsus,  1.  c.  p.  715  sq.  —  Achery,  1.  c,  p.  788. 

(2)  BOL.EUS,  1.  c.  p.  723,  724  sq.  —  Achery,  1.  c.p.  787,  788  sq. 

(3)  Ghroniuor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  10,  p.  218  et  XV,  12,  p.  236.— Martène  et 
Durand,  1.  c.  t.  VII,  p.  462  et  474,  559-591.  Vgl.  Sch\Yab,  J.  Gerson,  etc.  S.  672» 

(4)  BuL/EUS,  1.  c.  p.  729.  —Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  447,  472. 


TENTATIVES   D'uNION   FAITES   DE    1394  A  1398.  67 

réunir  dans  son  palais  à  Paris,  pour  le  2  février  1395,  afin  de 
délibérer  sur  les  moyens  de  terminer  le  schisme.  Peu  de  temps 
avant  cette  réunion,  Tévêque  d'Avignon  et  le  magister  Pierre 
de  Blaie  arrivèrent  pour  la  seconde  fois  à  Paris  avec  Tévêque  de 
Tarascon,  et  ils  prièrent  le  roi  de  se  hâter  d'envoyer  à  Avignon 
la  haute  ambassade  déjà  promise,  parce  que  le  pape  avait  ima- 
giné un  nouveau  moyen  de  procurer  l'union  et  qu'il  était  im- 
patient de  le  faire  connaître  * .  Pierre  d'Ailly  revint  alors  d'Avi- 
gnon et  il  rendit  compte  dans  une  audience  secrète  de  la  mission 
également  secrète  dont  il  avait  été  chargé.  Toutefois,  à  la  demande 
de  l'Université,  Pierre  d'Ailly  prononça  le  1"  février  un  discours 
au  roi  pour  lui  recommander  instamment  la  via  cessionis. 

Plusieurs  des  prélats  et  des  savants  convoqués  pour  le  2  fé- 
vrier ne  purent  se  rendre  pour  cause  de  vieillesse  ou  de  maladie, 
et  quelques-uns  pour  cause  de  pauvreté.  Néanmoins  il  y  en  eut 
plus  de  cent  à  répondre  à  l'appel,  c'étaient  tous  des  hommes  de 
mérite  et  dignes  d'estime.  Le  moine  de  Saint-Denis  les  nomme 
tous  sans  exception  ;  à  la  tête  de  l'assemblée  se  trouvaient  les 
deux  patriarches  latins  d'Alexandrie  et  de  Jérusalem  (ce  dernier 
était  administrateur  de  l'évêché  de  Saint-Pons  de  Thomières),  avec 
les  archevêques  de  Lyon,  de  Sens,  de  Reims,  de  Rouen,  de  Tours, 
de  Bourges  et  de  Besançon.  11  y  avait  de  plus  quarante-sept 
évoques  de  onze  provinces  ecclésiastiques  françaises,  seize  abbés 
et  prieurs  et  trente-sept  magistri,  députés  de  l'Université  de 
Paris  2,  d'Orléans,  de  Toulouse  et  d'Angers  ;  des  moines  des  dif- 
férents ordres  ;  des  conseillers  des  parlements,  des  avocats,  des 
vicaires  généraux,  etc.  On  devine  que  des  conseillers  du  roi 
prirent  aussi  part  à  la  délibération,  et  surtout  le  chancelier  Arnaud 
de  Gorbier.  Le  patriarche  d'Alexandrie,  Simon  de  Gramaud,  fut 
nommé  président  de  la  réunion.  Après  une  messe  solennelle  c?e 
Spiritu  sancto  célébrée  dans  la  chapelle  du  palais  royal  le  2  fé- 
vrier, le  président  engagea  tous  les  assistants  à  faire  connaître 
les  moyens  qu'ils  conseillaient  pour  rétablir  l'union,  et  il  leur 
rappela  le  serment  qu'ils  avaient  prêté.  Quatre-vingt-sept  votants 
se  déclarèrent  aussitôt  pour  la  via  cesseoms  ;  mais  les  délibéra- 
tions se  poursuivirent  jusqu'au  18  février,  afin  de  fournir  au  roi 
dans  un  mémoire  les  matériaux  nécessaires  pour  une  instruction 


(1)  Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  438. 

(2)  Les  instructions  que  l'Université  de  Paris  donna  à  ces  députes  se 
trouvent  dans  Bul^eus,  1.  c.  p.  737-739. 


88  TENTATIVES   d'uniON   FAITES   DE    1394   A  i3D3. 

à  ses  ambassadeurs  ^  Ga  mémoire  nous  a  été  conservé  en  entier 
dans  la  Chronique  du  moine  de  Saint-Denis  (lib.  XV,  12),  tandis 
que  Martin  et  Durand  n'en  ont  donné  que  des  fragments  (1.  c. 
p.  452,  sqq.).  Voici  le  résumé  de  cet  écrit  : 

1 .  Le  premier  moyen  pour  rétablir  l'unité,  la  via  facti  (il  con- 
sistait à  obliger  par  la  force  l'intrus  et  sa  suite  à  se  soumettre  à 
Benoît  XIII),  n'était  guère  admissible,  parce  qu'il  entraînerait  à 
des  guerres  nombreuses  et  ardentes. 

2.  La  via  reductionis  intimsi  (gagner  par  des  moyens  pacifiques 
le  pape  de  Rome)  était  impraticable,  à  cause  de  l'obstination 
acharnée  de  la  partie  adverse;  elle  était  telle  que,  si  l'intrus  lui- 
même  venait  à  abdiquer,  ses  partisans  ne  reconnaîtraient  pas  pour 
cela  le  pape  Benoît. 

3.  Deux  des  trois  moyens  proposés  par  l'Université  de  Paris, 
les  vice  concilii  et  compromissi,  offraient  de  graves  difficultés 
(preuves). 

4.  Quelques-uns  sont  d'avis  qu'on  doit  différer  de  faire  une 
déclaration  jusqu'à  ce  que  le  pape  ait  fait  connaître  aux  ambas- 
sadeurs du  roi  le  moyen  qu'il  prétend  avoir  découvert  ;  mais 
cette  communication  du  pape  ne  saurait  empêcher  l'assemblée 
de  donner  au  roi  un  bon  avis  pour  que  celui-ci  le  donne  ensuite 
au  pape.  Si  la  via  proposée  par  le  roi  s'accorde  avec  la  viaq\iQ 
le  pape  dit  avoir  trouvée,  tout  sera  pour  le  mieux  ;  mais  si  la 
proposition  du  pape  n'est  pas  aussi  bonne,  il  est  très-utile  qu'au- 
paravant on  en  suggère  au  roi  une  meilleure.  Du  reste,  ce  conseil 
ainsi  donné  au  pape  ne  saurait  le  troubler  d'une  manière 
fâcheuse  pour  les  résolutions  qu'il  a  prises. 

5.  En  tenant  compte  du  sentiment  de  l'Université  de  Paris,  de 
ceux  des  Chartreux,  des  Célestins,  etc.,  l'avis  et  le  conseil  de 
l'assemblée  était  qu'il  n'y  avait  pas  de  moyen  plus  simple  et 
plus  rapide  de  procurer  l'union  de  l'Église  que  d'obtenir  l'abdi- 
cation des  deux  papes. 

6.  Si  le  roi  est  d'accord  avec  ce  qui  vient  d'être  dit,  voici, 
d'une  manière  détaillée,  comment  cette  affaire  pourrait  être 
conduite.  Dans  un  consistoire  public,  les  ambassadeurs  royaux 
remercient  le  pape  et  les  cardinaux  pour  les  bonnes  dispositions 
dont  ils  font  preuve  et  leur  donnent  l'assurance  que  le  roi  se 
félicite  aussi  beaucoup  de  constater  ces  sentiments.  Ils  peuvent 

(1)  Ghronicor.  CaroUYI,  lib.  XV,  11.—  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  461  sqq. 


TENTATIVES    d'uNION   FAITES   DE    1394  A  1398.  69 

entretenir  le  pape  plus  longuement,  et  ensuite  ils  lui  demande- 
ront s'il  aime  mieux  faire  connaître  d'abord  la  solution  trouvée 
par  lui  ou  bien  entendre  celle  que  le  roi  lui  conseille.  Si  le 
moyen  indiqué  par  le  pape  paraît  contestable,  les  ambassadeurs 
peuvent  le  combattre  ;  s'il  est  tout  à  fait  nouveau,  ils  en  réfé- 
reront au  roi. 

7.  Quelques-uns  sont  d'avis  qu'avant  de  conseiller  au  pape 
une  solution,  le  roi  doit  entrer  d'abord  en  communication  avec 
les  princes  des  deux  obédiences  ;  mais  il  faut  remarquer  ce- 
pendant que  le  roi  ne  peut  rien  écrire  d'une  façon  certaine  avant 
de  connaître  les  intentions  du  pape. 

8.  Si  le  pape  accepte  la  via  cessioms,  on  agira  comme  il  suit. 
Le  pape  et  le  roi  informent  de  ce  fait  les  princes  de  leur  parti  et 
les  princes  de  la  partie  adverse  ne  seront  informés  que  par  le  roi. 
Enfin,  un  peu  plus  tard,  on  donnera  également  avis  à  l'intrus 
de  ce  qui  se  passe.  Les  princes  de  l'obédience  de  l'intrus  l'en- 
gageront bien  certainement  à  accepter  la  via  cessionis  ;  s'il  s'y 
refuse,  il  faudra  conseiller  à  ces  princes  de  l'y  obliger  par  la  force. 
Les  princes  des  deux  obédiences  étant  unis  de  cette  façon  et 
l'intrus  ainsi  que  ses  cardinaux  ayant  été  amenés  à  la  via  cessionis, 
quelques  seigneurs  puissants,  pris  dans  les  deux  partis  et  soutenus 
par  des  prélats  et  des  savants,  se  réuniront  pour  se  concerter  tou- 
chant les  absolutions,  dispenses,  révocations  de  procès  devenues 
nécessaires  par  suite  du  changement  de  la  situation,  la  nouvelle 
élection  de  cardinaux,  prélats,  etc.,  et  d'une  manière  générale 
touchant  les  divers  moyens  d'amener  la  paci  fication. 

9.  On  devra,  avant  l'abdication  des  deux  papes,  régler  la  façon 
dont  le  nouveau  pape  sera  élu  ;  le  mieux  serait  que  Benoît  et  l'in- 
trus nommassent,  avec  l'assentiment  de  leurs  cardinaux,  chacun 
d'eux  sept  ou  bien  neuf  personnes  prises  en  dehors  du  sacré 
collège;  ces  eompromissarii  nommeraient  ensuite  le  nouveau 
pape,  en  le  choisissant  soit  parmi  les  cardinaux,  soit  ailleurs, 
et  cette  fois,  par  exception,  à  la  simple  majorité  des  voix.  Si 
cette  proposition  n'est  pas  admise,  on  devra  faire  nommer  le 
futur  pape  par  les  cardinaux  des  deux  obédiences  que  l'on  enfer- 
mera dans  un  conclave;  dans  ce  cas  encore,  il  suffira  de  la 
simple  majorité'. 

(1)  Ghronicor.  Caroli  VI,  lib.  XV,  12.  —  Achery,  Spiciîeg.  1. 1,  p.  774  sqq. 
-  BuL.'EUS,  1.  c.  p.  732  sqq.  ;  en  partie  aussi  dans  Martène  et  Durand  ,  1.  c. 
p.  462  sq.  Le  document  qui  se  trouve  dans  ce  dernier  auteur,  et  qui  a  dû 


90  TENTATIVES   d'uNION  FAITES   DE    1394  A  1398. 

Yingt-deux  membres  de  l'assemblée,  l'évêque  de  Saintes  à 
leur  tête,  s'opposèrent  aux  conclusions  de  la  majorité.  D'après 
eux,  les  ambassadeurs  ne  devaient  pas  proposer  tout  d'abord 
au  pape  la  via  cessionis,  mais  lui  demander  quelle  était  la 
solution  qu'il  voulait  lui-même  indiquer.  Si  cette  solution  était 
d'accord  avec  la  via  conseillée  par  le  roi,  il  fallait  mettre  sans 
délai  la  main  à  l'œuvre  et  réaliser  la  pensée  du  roi  et  du  pape. 
Si  le  pape  ne  communiquait  pas  son  plan,  ou  si  ce  plan  paraissait 
irréalisable,  les  ambassadeurs  devaient  faire  connaître  ce  qui 
s'était  passé  dans  l'assemblée  de  Paris  et  recommander  au  pape 
la  via  acceptée  par  la  majorité  de  l'Assemblée.  Si  le  pape  restait 
sourd  à  cette  proposition,  les  ambassadeurs  royaux  devaient, 
mais  sans  exercer  d'autre  pression,  lui  exposer  les  raisons  qui 
pouvaient  modifier  son  sentiment,  en  ayant  soin  d'ajouter  que 
le  roi  avait  hâte  d'en  finir  avec  le  schisme.  Si,  contre  toute 
attente,  ces  représentations  restaient  sans  résultat,  les  ambassa- 
deurs devaient  revenir  auprès  du  roi,  qui  convoquerait  alors 
de  nouveau  le  concile  (l'assemblée  des  prélats)  pour  aviser  à  ce 
qu'il  aurait  à  faire.  Enfin,  si  la  solution  proposée  par  le  pape  était 
assez  plausible  par  elle-même,  quoique  différente  de  celle  du  roi, 
les  ambassadeurs  devaient  alors  obtenir  avant  tout  le  consente- 
ment du  roi  ^ 

Le  vendredi  21  mai  1395,  les  ambassadeurs  du  roi  de  France, 
c'est-à-dire  ses  oncles  les  ducs  de  Berri  et  de  Bourgogne,  son 
frère  le  duc  d'Orléans,  l'évêque  de  Senlis,  le  rnagister  Gilles  Des- 
champs (JEgidius  de  Campis^  professeur  de  Gerson),  et  d'autres 
savants  arrivèrent  à  Villeneuve,  petite  ville  française  non  loin 
d'Avignon.  Les  instructions  que  le  roi  leur  avait  données  n'étaient 
en  grande  partie  que  la  traduction  du  vote  de  la  majorité  dans 
l'assemblée  dont  nous  venons  de  parler.  Benoît  XllI,  tout  honoré 
de  l'arrivée  de  si  hauts  princes ,  les  fit  le  lendemain  accom- 
pagner solennellement  jusqu'à  son  palais  à  Avignon  par  de 
nombreux  cardinaux  et  par  les  officiers  les  plus  élevés  de  sa  cour  ; 
après  le  baiser  accoutumé  et  donné  comme  preuve  de  respect, 
les  ambassadeurs,  à  genoux  devant  le  pape,  remirent  leurs  lettres 
de  créance.  Ils  donnèrent  aussi  aux  cardinaux  d'autres  lettres  du 


être  rédigé  par  un  notaire-secrétaire,  contient  le  discours  que  le  patriarche 
d'Alexandrie  tint  au  roi  le  18  février,  pour  lui  faire  connaître  d'une  manière 
abrégée  la  décision,  sans  oublier  d'exposer  aussi  le  sentiment  de  la  minorité» 
(1)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  463  sq. 


TENTATIVES   d'uNION  f  AITES   DE    1394   A  1398.  91 

roi.  On  déclara  aux  ambassadeurs  que  le  jour  de  l'audience  leur 
serait  indiqué  plus  tard.  La  même  réponse  fuL  faite  aux  députés 
de  l'Université  de  Paris,  qui  s'étaient  joints  aux  ambassadeurs 
royaux  et  qui  remirent  une  fort  longue  lettre  pour  exposer  les 
avantages  de  la  via  cessionis  ^ . 

Les  ambassadeurs  royaux  chargèrent  Gilles  Deschamps  de 
prononcer  un  discours  lors  de  l'audience  qui  allait  avoir  lieu  ; 
mais  comme  l'affaire  était  très-importante,  il  fat  décidé  que  tout 
ce  qu'il  dirait  serait  connu  et  approuvé  des  autres  ambassadeurs. 
Ceux-ci  lui   recommandèrent  de  ne  rien  avancer  qui  ne  fût 
pleinement  établi,  comme  par  exemple   lorsqu'il   prétendait 
qu'autrefois  la  couronne  impérale  était  toujours  unie  à  la  cou- 
ronne de  France.  Le  dimanche  23  mai,  les  ducs  français  sou- 
pèrent  chez  le  pape,  et  ils  furent  ensuite  invités  au  consistoire 
qui  devait  se  tenir  le  lendemain  lundi.  Gilles  Deschamps  y 
prononça  devant  le  pape,  les  cardinaux  et  plusieurs  autres  audi- 
teurs>  un  discours  brillant  et  verbeux  pour  célébrer  l'unité  de 
l'Église  et  pour  louer  le  roi  de  France  et  le  pape  qui  s'employaient 
d'une  façon  si  active  pour  procurer  cette  unité.  En  terminant, 
l'orateur  demanda  au  pape  une  audience  secrète,  par  la  raison 
qu'il  n'était  pas  convenable  de  divulguer  les  pensées  du  roi. 
Benoît  répondit  à  ce  discours  d'une  manière  qui  fut  aussi  très- 
remarquée,  car  il  avait  à  un  haut  degré  le  don  de  l'éloquence. 
Il  remercia  le  roi  et  ses  illustres  ambassadeurs,  protesta  qu'il 
était  prêt  à  offrir  sa  vie  pour  l'union,  et  décida  que  l'audience 
secrète  aurait  lieu  le  lendemain.  Dans  cette  audience,  l'évêque 
de  Sentis,  parlant  au  nom  de  l'ambassade,  demanda  au  pape  de 
communiquer  tous  les  documents  faits  par  lui  ou  par  les  cardi- 
naux, soit  avant,  soit  après  l'élection.  Benoît  chercha  des  faux- 
fuyants;  mais,  contraint   de  céder,  il  fît  apporter  les  pièces 
demandées .  Ce  ne  fut  également  qu'après  une  longue  résistance 
qu'il  autorisa   les  ambassadeurs  à  prendre  des  copies  de  ces 
pièces.  Le  vendredi  28  mai,  le  pape  fit  connaître,  en  présence 
des  cardinaux,  aux  ambassadeurs  français  la  solution  qu'il  pro- 
posait ;  d'après  lui,  les  deux  prétendants  devaient  se  réunir  en 
un  lieu  avoisinant  la  frontière  française  et,  dans  cette  entrevue 
qui  aurait  lieu  sous  la  protection  du  roi  de  France,  ils  délibère- 

(1)  BuL^us,  1.  c.  p.  740-747.  —  Chronicoh.  Caroli  W,  lib.XYI,  1.  —  Mar- 
TÈNE  et  Durand,  1.  c.  p.  487  sq. 


92  TENTATIVES   d'uNION   FAITES   DE    1394   A  1398. 

raient  sur  les  moyens  de  ramener  la  paix  et  échangeraient  leurs 
idées  sur  ce  point.  Il  fallait  se  préoccuper  avant  tout  d'obtenir 
une  entrevue  des  deux  parties.  En  effet,  si  l'on  suivait  cette  voie, 
les  deux  parties  ne  se  sépareraient  certainement  pas  sans  s'être 
mis  d'accord,  tandis  qu'en  essayant  d'une  autre  solution,  il 
pouvait  arriver  que  pendant  les  négociations,  l'un  des  deux 
prétendants  vînt  à  mourir,  ce  qui  remettrait  tout  en  question. 

Le  1"  juin,  les  ambassadeurs  français  reparurent  devant  le 
pape,  et  Gilles  Deschamps  démontra  que  la  via  cessionis  pouvait 
seule  conduire  au  but,  tandis  que  la  proposition  du  pape  sou- 
lèverait bien  des  difficultés  et  ne  pourrait  conduire  à  aucun  bon 
résultat  à  cause  de  l'obstination  bien  connue  de  la  partie  adverse. 
Le  duc  de  Berri  confirma  cette  réponse  et  déclara  que  telle  était 
aussi  la  pensée  du  roi.  Le  pape  protesta  alors,  une  fois  de  plus, 
qu'il  était  prêt  à  sacrifier  pour  l'union  jusqu'à  sa  propre  vie; 
c'est  pour  cela,  continua-t-il,  qu'il  avait  demandé  au  roi  de  faire 
connaître  son  sentiment.  Mais  il  fit  remarquer  qu'il  avait  de- 
mandé des  conseils  et  non  des  ordres  ;  et  puis  il  exposa  son 
propre  plan  avec  une  habileté  qui  dépassait  celle  des  plus  fameux 
docteurs.  En  terminant,  Benoît  XIII  demanda  qu'on  lui  remît  par 
écrit  la  via  proposée  par  le  roi.  Les  ambassadeurs  déclarèrent 
que  rien  absolument  dans  ce  qu'ils  avaient  dit  ne  présentait  le 
caractère  d'un  ordre,  et  quant  à  rédiger  par  écrit  la  via  proposée 
par  le  roi,  c'était  bien  inutile,  puisqji'elle  se  résumait  en  deux 
syllabes  :  cessio.  Le  pape  prit  cela  très-mal  et  fit  entendre  des 
reproches  de  ce  que,  dans  une  affaire  aussi  importante,  on  ne 
voulait  pas  se  donner  le  temps  de  la  réflexion.  Il  protesta  qu'il 
n'était  tenu  d'obéir  qu'au  Christ,  mais  à  personne  autre.  Enfin, 
quant  au  bruit  prétendant  qu'il  ne  voulait  pas  sincèrement 
l'union,  il  le  dénonçait  comme  une  calomnie. 

Les  ambassadeurs  français  se  retirèrent  alors  dans  l'habitation 
du  duc  de  Bourgogne  ;  ils  invitèrent  les  cardinaux  à  s'y  rendre 
également,  et  ils  leur  demandèrent  ensuite  avec  instance  de  faire 
connaître  chacun  à  leur  tour,  et  sans  caractère  officiel,  quel 
était,  selon  eux,  le  meilleur  moyen  d'arriver  à  l'union.  Les  car- 
dinaux firent  d'abord  des  difîicultés  pour  répondre,  mais  les 
ducs  insistèrent,  et  alors  le  cardinal  de  Florence  déclara,  le 
premier  parce  qu'il  était  le  plus  âgé,  que  la  via  cessionis  avait 
toutes  ses  préférences.  Tous  les  autres  cardinaux  émirent  le 
même  avis,  à  l'exception  des  cardinaux  de  Pampelune  etd'Auch. 


TENTATIVES   d'union  FAITES   DK    1391  A  1398.  93 

Quoique  nous  n'ayons  pas  le  texte  même  de  ces  deux  derniers 
votes,  nous  savons  que  le  cardinal  de  Pampelune  protesta  har- 
diment contre  la  pression  tout  à  fait  illégale  qu'on  voulait  exer- 
cer sur  le  collège  des  cardinaux  et  contre  les  allures  par  trop 
dictatoriales  de  la  cour  de  France  ^ 

Le  8  juin,  le  pape  invita  les  ambassadeurs  français  à  un  entre- 
tien secret;  mais  ceux-ci  répondirent  qu'il  fallait  traiter  à  ciel 
ouvert  une  affaire  intéressant  la  chrétienté  tout  entière.  Toute- 
fois, pour  faire  plaisir  au  pape,  les  ambassadeurs  assistèrent  aux 
vêpres  du  lendemain  {Vigilia  Corporis  Christi),  qui  furent  cé- 
lébrées par  Benoît  XIII  lui-même.  Le  vendredi  après  la  fête,  le 
pape  réunit  de  nouveau  les  ambassadeurs  auprès  de  lui,  pour 
|eur  recommander  la  via  dont  il  était  l'auteur.  Il  se  plaignit 
de  la  façon  sévère  dont  la  France  agissait  à  son  égard,  peut-être 
parce  qu'il  n'était  pas  Français  et  n'était  pas  pour  ce  motif  aussi 
aimé  que  son  prédécesseur.  On  parlait  déjà  de  son  expulsion. 
La  France  devait  cependant  rester  fidèle  à  son  obédience  ;  on 
devait  aussi  lui  remettre  par  écrit  les  raisons  qu'avait  la  France 
pour  recommander  la  via  cessionis,  afin  qu'il  pût  les  examiner 
avec  les  clercs  de  l'université  d'Avignon,  qui  étaient  les  plus 
savants  de  l'univers.  En  terminant,  Benoit  demanda  que  toute 
l'affaire  fût  traitée  secrètement,  et  il  ajouta  que  précisément 
l'un  des  cardinaux  les  plus  dévoués  à  la  France  lui  avait  con- 
seillé de  rester  ferme  et  de  ne  pas  laisser  échapper  ce  qu'il 
tenait;  il  se  refusa  à  dire  le  nom  de  ce  cardinal.  Le  duc  de 
Bourgogne  prononça  ensuite  un  beau  discours,  dans  lequel  il 
rappela  au  pape  les  espérances  que  son  élection  avait  fait  naître. 
Il  rappela  aussi  à  Benoît  XIII  que  lorsque,  du  vivant  du  feu 
pape,  il  était  encore  à  Paris  en  qualité  de  légat,  lui,  le  duc  de 
Bourgogne,  avait  eu  un  entretien  avec  lui  et  que  le  légat  lui  avait 
assuré  dans  cette  circonstance  que  la  via  cessionis  était  la  seule 
possible;  le  légal  avait  même  ajouté  que,  si  Clément  YII  n'ac- 
ceptait pas  cette  via^  la  France  se  retirerait  de  son  obédience. 
Benoît  avait  donc  tort  de  prétendre  qu'on  le  traitait  plus  sévère- 
ment parce  qu'il  était  étranger  :  on  agissait  à  son  égard  comme 
on  avait  agi  à  l'égard  de  son  prédécesseur,  le  mieux  pour  lui 


(1)  Le  texte  le  plus  correct  se  trouve  dans  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  466- 
472;  le  texte  est  moins  exact  dans  Ghronicor.  Caroli  YI,  lib.  XVI,  4,  et 
AcHERY,  Spicileg.  1. 1,  p.  792. 


94  TENTATIVES  d'uNION   FAITES   DE    1394  A   1393. 

était  d'accepter  la  via  cessionis;  car  ce  serait  un  très-grave 
échec  pour  sa  cause  si  l'intrus  acceptait  cette  via  avant  lui 
et  s'il  était  obligé  de  l'accepter  après  son  compétiteur.  Tous  ces 
raisonnements  ne  triomphèrent  pas  de  l'obstination  du  pape. 
Il  se  contenta  de  déclarer  une  fois  de  plus  qu'il  était  prêt  à  tous 
les  sacrifices  pour  la  cause  de  l'union. 

Le  jeudi  suivant,  17  juin,  le  pape  voulait,  conformément  à  sa 
promesse,  communiquer  par  écrit  aux  ambassadeurs  français 
sa  manière  de  voir  pour  le  rétablissement  de  l'union;  mais  il 
exigeait  qu'il  n'y  eût  que  quelques  personnes  à  assister  à  cette 
séance.  Les  ducs  français  voulaient,  au  contraire,  que  tous  les 
cardinaux  et  tous  les  députés  de  l'Université  de  Paris  y  assis- 
tassent. Benoît  XIII,  mécontent  de  cette  prétention,  déclara  aux 
ambassadeurs  français  qu'il  les  convoquerait  une  autre  fois,  et  il 
donna  pour  raison  qu'il  avait  à  s'occuper  de  l'affaire  du  domini- 
cain anglais  Hacon  (Hayton).  Ce  célèbre  professeur  de  théologie 
et  pénitentiaire  du  pape  avait  publié  contre  la  France  huit  thèses 
qu'il  s'offrait  de  prouver  contre  tout  venant. 

Voici  ces  thèses  : 

1.  Il  est  hérétique  de  nier  que  le  Christ  ait  donné  le  'pouvoir 
des  clefs  aussi  bien  à  un  qu'à  l'unité. 

2.  L'opinion  soutenant  que  quiconque  empêche  ou  diffère 
l'union  ecclésiastique  est  par  cela  même  schismatique,  et  doit 
être  frappée  d'anathème,  est  fausse  et  tout  à  fait  condamnable. 

3.  La  corporation  (c'est-à-dire  l'Université  de  Paris)  qui,  dans 
la  lettre  au  roi  de  France,  a  soutenu  que  la  simonie  avait  le  haut 
du  pavé  dans  l'Église,  a  parlé  comme  une  fille  de  Satan^et  comme 
une  calomniatrice  du  pape. 

4.  Le  pape  ne  doit  pas  être  mis  dans  l'obligation  d'abdiquer 
et  ne  doit  pas  être  tenu  pour  schismatique  s'il  se  refuse  à  le 
faire. 

5.  Celui  qui  émet  une  pareille  proposition  rend  par  là  même 
cette  via  cessionis  impossible  et  fortifie  le  schisme. 

6.  Celui  qui  soutient  que  le  pape  qui  ne  veut  pas  céder  doit 
être  déclaré  hérétique  et  poursuivi  comme  tel  par  les  princes 
séculiers,  mérite  qu'on  le  traite  lui-même  de  cette  façon  et  doit 
être  dépouillé  de  tous  ses  honneurs  et  dignités. 

7.  Un  prince  séculier  qui  embrasse  de  pareilles  erreurs  doit 
être  dépouillé  de  ses  États,  ou  plutôt  il  en  est  déjà  dépouillé  ipso 
jure. 


TENTATIVES   d'UiMON   FAITES   DE    1394   A    1398.  95 

8.  Dans  la  question  :  Quel  est  le  moyen  qu'il  faut  suivre  pour 
parvenir  à  l'union  ?  le  pape  n'a  à  consulter  que  Dieu,  sa  conscience 
et  son  confesseur.  Celui  qui  ne  partage  pas  ce  sentiment  est  héré- 
tique. 

Les  ambassadeurs  français  délibérèrent  entre  eux  touchant  ces 
propositions  et,  le  16  juin,  ils  obtinrent  que  le  pape  fit  appré- 
hender au  corps  le  dominicain  Hacon.  L'ordre  des  dominicains 
déclara  de  son  côté  qu'il  n'approuvait  pas  les  thèses  * . 

Le  20  juin,  les  ducs  français  et  les  conseillers  royaux  vinrent 
trouver  le  pape  à  la  suite  d'une  invitation  qui  leur  avait  été  faite, 
et  en  leur  présence,  ainsi  qu'en  présence  de  quelques  cardinaux 
et  de  quelques  évêques,  on  lut  la  bulle  suivante  : 

ft  A  la  suite  d'une  délibération  avec  les  cardinaux,  le  pape  a 
jugé  qu'il  fallait  avant  tout  qu'il  eût  une  entrevue  avec  l'intrus, 
et  que  les  cardinaux  des  deux  partis  pussent  également  se  voir 
et  se  concerter.  Cette  entrevue,  qui  aurait  lieu  sous  la  protection 
du  roi  de  France,  permettrait  de  délibérer  sur  la  meilleure  ma- 
nière de  procurer  l'union.  Les  ambassadeurs  français  ont  pré- 
tendu, au  contraire,  qu'il  n'y  avait  d'autre  via  possible  que  la 
via  cessionis.  Ce  procédé  est  nouveau  dans  l'Église  et  dans  l'his- 
toire des  papes,  il  rappelle  même  des  souvenirs  fâcheux  (la  cessio 
de  Célestin  V).  Ce  moyen  pourrait  aussi  nuire  à  l'Église,  et  notam- 
ment aux  prélats,  aux  princes,  etc.,  de  l'obédience  de  Benoît; 
de  plus,  il  rendrait  l'intrus  plus  opiniâtre  encore  et  pourrait  faire 
croire  que  le  pape  doute  de  son  bon  droit.  Il  faut  ajouter  que  les 
ambassadeurs  français  se  sont  refusés  à  faire  connaître  les  voies 
et  moyens  qu'il  faudrait  employer  pour  mettre  cette  via  à  exécu- 
tion; par  conséquent  le  pape  ne  saurait  l'approuver.  En  revanche, 
il  fait  la  proposition  suivante  :  Sil'entrevue  avec  l'intrus  ne  donne 
pas  de  résultat,  les  deux  prétendants  choisiront  un  tribunal  arbi- 
tral et  les  membres  qui  en  feront  partie  promettront  par  serment 
de  n'avoir  en  vue  que  Dieu  et  les  intérêts  de  l'Église.  Ce  tribunal 
devra  examiner  dans  un  délai  fixé  les  raisons  et  les  prétentions 
des  deux  parties  et  décider  quel  est  le  pape  légitime.  Ce  que  l'u- 
nanimité ou  les  deux  tiers  des  voix  de  ce  tribunal  décidera,  sera 
exécuté  par  les  deux  parties.  Enfin,  si  ce  moyen  ne  donne  pas  les 
résultats  qu'on  en  attend,  le  pape  est  prêt  à  accepter  toute  autre 


(1)  G^RONiGOR.  Caroli  VI,  lib.XVI,  5,  6,  8.— Martène  et  Durand,  1,  c.  p.  494 
sqq.  et%01  sqq. 


96  TENTATIVEa   d'uNION   FAITES   DE    1394  A    1393. 

solution,  pourvu  qu'elle  soit  sensée,  permise  et  qu'elle  ne  puisse 
causer  quelque  tort  à  l'Église  *.  » 

Rien  de  surprenant  si  les  ambassadeurs  français  ne  reçurent 
pas  cette  déclaration  d'une  manière  amicale;  car  cette  seule 
stipulation  que  les  deux  tiers  des  voix  du  futur  tribunal  arbitral 
devaient  voter  dans  le  même  sens  rendait  tout  le  projet  abso- 
lument illusoire.  Lorsque  les  ducs  sortirent  de  la  maison,  ils 
furent  accompagnés  par  les  deux  cardinaux  d'Albano  et  de  Pam- 
pelune.  Chemin  faisant,  le  cardinal  d'Albano  accusa  son  collègue 
de  Pampelune  d'avoir  rédigé  cette  bulle,  et  en  général  de  vouloir 
tout  gouverner.  Le  cardinal|de  Pampelune  le  nia  et  prétendit,  au 
contraire,  que  c'était  le  cardinal  d'Albano  qui  était  cause  de  tous 
les  démêlés;  celui-ci,  tout  hors  de  lui,  cria  trois  fois  à  son 
collègue  :  «  Tu  en  as  menti  par  la  gorge  !  »  Ce  qui  n'était  guère'de 
nature  à  augmenter  le  respect  des  ducs  pour  la  cour  d'Avignon. 
La  nuit  suivante,  le  pont  qui  reliait  à  Avignon  le  village  de  Ville- 
neuve où  habitaient  les  ducs  fut  brûlé,  avec  l'intention  probable 
d'empêcher  les  ambassadeurs  français  de  communiquer  aussi 
facilement  avec  le  pape.  Plusieurs  pensèrent  que  Benoît  XIII 
avait  lui-même  ordonné  cet  incendie,  mais  il  protesta  sous  la  foi 
du  serment  qu'il  était  innocent  et  il  fit  aussitôt  rétablir  les  com- , 
munications  à  l'aide  d'un  pont  de  bateaux  ^.  ^ 

Quatre  jours,  plus  tard,  lors  de  la  fête  de  S.  Jean-Baptiste,  les 
ambassadeurs  français  eurent  une  entrevue  avec  les  cardinaux 
dans  le  couvent  des  franciscains,  à  Avignon.  Trois  des  cardinaux 
seulement  étaient  absents,  celui  de  Saint-Martial  et  celui  de  Vergy, 
pour  cause  de  maladie  ;  quant  au  cardinal  de  Pampelune,  il  ne 
fut  pas  invité.  En  sa  quahté  de  chancelier  du  duc  de  Bourgogne, 
l'évêque  d'Arras  lut  la  précédente  bulle  du  pape  et  émit  ensuite 
de  nouvelles  objections  contre  cette  bulle  ;  de  leur  côté,  les  cardi- 
naux se  déclarèrent  à  l'unanimité  et  à  plusieurs  reprises  pour  la 
via  cessionis,  et,  à  partir  de  ce  moment,  ils  sollicitèrent  le  pape 
d'accepter  aussi  cette  solution.  Il  les  calma,  en  leur  disant  que, 
dans  très-peu  de  temps  il  leur  donnerait  une  réponse  satisfaisante. 
Le  lendemain  et  les  jours  suivants  eurent  lieu  de  nouvelles  déli- 
bérations dans  ce  même  couvent  des  franciscains,  et  cette  fois, 


(1)  Ghronioor.  1.  c.  XVI,  6.  —  Bul/Eus,  1.  c.  t.  IV,  p.  748.  — Achehy,  Spici- 
leg.  t.  I,  p.  789.  —  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1138. 

(2)  Chronicor.  1.  c.  XVI,  6,  7.  —  MAnTÈNE  et  DauAND.  Yitœ  Script,  t.  VII, 

p.  504. 


TfiNTATIVES    d'cNION    I-.AITKS    DE    1394  A  1338.  !,7 

tous  les  cardinaux  y  assistèrent,  à  l'exception  des  cardinaux  de 
Pampelune  et  de  Saint-Martial.  Enfin,  le  28  juin,  après  une  invita- 
tion, les  ducs  revinrent  une  fois  de  plus  dans  le  palais  du  pape 
pour  recevoir  la  nouvelle  déclaration  qu'on  leur  avait  promise. 
11  la  leur  fit  lire  et  le  lendemain  il  leur  en  fit  remettre  une 
copie;  elle  était  ainsi  conçue  : 

«  Quoique  nous  ayons  dernièrement  fait  aux  ducs  de  Berri,  de 
Bourgogne  et  d'Orléans,  une  déclaralion  sur  les  voies  et  moyens 
qui  nous  paraissent  les  meilleurs  pour  arrivera  l'union,  nous 
ajoutons  maintenant,  pour  rendre  notre  pensée  plus  claire,  que 
nous  entrons  résolument  dans  la  susdite  voie  ;  que  nous  ferons 
tout  ce  qu'elle  demande,  ainsi  que  nous  y  obligent  notre  devoir 
et  la  promesse  que  nous  avons  faite  en  entrant  au  conclave.  Le 
roi  et  les  ducs  doivent  donc  accepter  la  solution  présentée  par 
nous,  l'adopter  à  l'exclusion  de  toute  autre,  et  chercher  énergi- 
quement  avec  nous  à  la  réaliser  ^ .  » 

Les  ambassadeurs  français  délibérèrent  de  nouveau  avec  les 
cardinaux  après  cet  incident,  et  il  fat  décidé  qu'on  ferait  signer  à 
ces  derniers  une  déclaration  en  faveur  de  \d,viacessiunis.  Comme 
ils  hésitaient  à  mettre  leurs  noms  au  bas  de  la  formule  qu'on  leur 
présenta,  le  duc  de  Berri  leur  ditque  ces  tergiversations  n'avaient 
pas  de  raison  d'être,  puisque  le  document  ne  renfermait  rien 
que  les  cardinaux  n'eussent  dit  à  plusieurs  reprises.  Toutefois  il 
leur  remit,  sur  leur  demande,  une  copie  de  la  pièce,  pour  qu'ils 
pussent  délibérer  en  connaissance  de  cause,  et,  de  leur  côté,  ils 
avouèrent  que  les  deux  dernières  déclarations  du  pape  étaient 
captieuses  et  insuffisantes;  de  plus,  les  fondés  de  pouvoirs  de 
l'Université  de  Paris  annoncèrent  que  le  pape  leur  refusait  une 
audience  publique  et  ne  voulait  les  entendre  qu'en  présence  de 
quelques  personnes  ^. 

Le  1^""  juillet,  tous  les  cardinaux,  à  l'exception  de  celui  de  Pam- 
pelune, se  rendirent  auprès  du  pape  et  le  supplièrent  même  avec 
larmes  d'accepter  la  solution  proposée  par  le  roi  de  France.  Benoit 
répondit  en  leur  ordonnant  de  lui  remettre  le  document  que  les 
ambassadeurs  français  voulaient  leur  faire  signer,  et  il  les  menaça, 
pour  le  cas  où  ils  ne  le  lui  remettraient  pas.  Après  avoir  lu  le  docu- 


(1)  AciiERY,  Spicileg.  1. 1,  p.  790  sq,  —  BoLacus,.!.  c.  p.  749  sq. 

(2)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XVI,  10,  11.—  îJartè.ne  et  Durand,  1.  c.  p.  512-516. 
-  Aghery,  1.  c,  p.  191  a.  —  Bul.eus,  1.  c.  p.  750. 

T.   X.      7 


98  TENTATIVES    d'uNIOA'   FAITES    DE    1394  A   1398. 

ment,  Benoît  le  remit  aux  cardinaux  en  leur  défendant  de  le 
sio-ner.  Le  pape  refusa  en  outre  d'éloigner  ses  conseillers  extra- 
ordinaires, qu'il  aimait  mieux  consulter  que  de  consulter  ses 
cardinaux.  Il  montra  un  nouvel  écrit  dirigé  contre  la  France, 
et  enfin  il  promit  de  donner  au  roi  de  France  tous  [les  Etats  du 
pape  en  Italie,  si  le  roi  consentait  à  être  de  son  avis.  Il  n'y  avait 
à  cette  promesse  qu'une  difficulté,  c'est  que  le  pape  ne  possédait 
pas  du  tout  ces  Etats  ^ . 

Les  trois  jours  suivants  (2-4  juillet)  furent  consacrés  à  délibé- 
rer sur  divers  sujets,  notamment  sur  la  manière  dont  on  pourrait 
protéger  les  cardinaux  vis-à-vis  du  pape  ;  le  jeudi  5  juillet,  celui- 
ci  écrivit  une  lettre  au  duc  de  Bourgogne,  pour  protester  contre 
le  bruit  qu'on  avait  répandu  et  d'après  lequel  il  aurait  nié  avoir 
contracté  des  obligations  lors  de  son  entrée  au  conclave.  Le  duc 
répondit  avec  beaucoup  de  raison  qu'après  tout  ce  point  était 
de  peu  d'importance,  si  bien  que  le  pape  crut  nécessaire  d'envoyer 
quelques  modifications  à  sa  lettre^  Comme  au  fond  le  pape  visait 
uniquement  à  faire  traîner  l'affaire  en  longueur,  et  d'un  autre 
côté,  comme  le  roi  de  France  pressait  les  ambassadeurs  de  reve- 
nir, ceux-ci  demandèrent  avec  instance  qu'on  leur  donnât  une 
décision  définitive.  Ils  obtinrent,  le  8  juillet,  une  nouvelle  au- 
dience, dans  laquelle  ils  demandèrent  au  pape  de  vouloir  bien 
recevoir  l'avis  des  cardinaux  touchant  les  moyens  d'arriver  à 
l'union.  Benoît  répondit  que  la  tradition  ne  permettait  pas  aux 
cardinaux  de  donner  publiquement  des  conseils  au  pape;  il  finit 
cependant  par  accéder  à  la  demande  qui  lui  était  faite,  mais  à  la 
condition  que  les  cardinaux  n'émettraient  pas  de  nouvelles  solu- 
tions et  se  contenteraient  de  répéter  ce  qu'ils  avaient  déjà  dit  plu- 
sieurs fois.  Au  nom  de  ses  collègues,  le  cardinal  de  Florence  ra- 
conta alors  ce  que  les  cardinaux  avaient  fait,  depuis  la  mort  do 
GlémentVII,pour  le  rétablissement  de  l'unité  de  l'Église;  comment 
ils  s'étaient  prononcés  en  grande  majorité  pour  la  via  cessionis,  et 
comment  ils  n'avaient  adhéré  à  la  proposition  du  pape  d'avoir  une 
entrevue  avec  l'intrus  que  si  la  Fance  acceptait  également  cette 
proposition.  Depuis  l'arrivée  des  ambassadeurs  français,  la  solu- 
tion présentée  par  le  pape  avait  été  trouvée  inadmissible,  et  déjà, 


(1)  Chronicor.  1.  c.  XVI,  12.  —  BuLa^us,  1.  c.  p.  731.  —  AcuMnv,  1.  c.  p.  7'J4. 
^—  iMaktènk  et  Durand,  1.  c.  p.  516-518. 
{1)  IIatîtknic  Gt  DunAND,  1.  C.  p.  51S-5''23  et  p.  5.s0.  —  LtuL.Kus,  1.  c.  p.  750. 


TENTATIVES  d'uNION  FAITES   DE    1394  A   1398.  99 

au  l^' juin,  les  cardinaux  s'étaient  prononcés  privatim,  niais  non 
pas  en  corps,  pour  la  via  cessionis.  A  l'exception  d'un  seul,  ils 
étaient  tous  encore  du  même  sentiment;  aussi  demandaient-ils  au 
pape  de  le  partager,  etc.  Les  ducs  français  firent  à  genoux  les 
mêmes  instances  au  pape;  mais  celui-ci  persista  à  ne  faire  aux 
uns  comme  aux  autres  qu'une  réponse  évasive.  Aussi  les  am- 
bassadeurs français  se  décidèrent-ils  à  prendre,  sans  plus  at- 
tendre, congé  de  lui  et  à  quitter  Avignon  *. 

On  trouve  dans  Marténe  [Vet.  Script,  t.  VII,  p.  528  sq.)  une 
lettre  écrite  par  les  ambassadeurs  français  peu  de  temps  avant 
leur  départ  d'Avignon  et  adressée  à  un  puissant  prince  ou  roi 
(mais  non  pas  au  roi  de  France),  pour  lui  rendre  compte  de  tous 
les  incidents  qui  venaient  de  se  passer  et  pour  lui  recommander 
de  ne  pas  ajouter  foi  aux  bruits  qui  circulaient.  A  mon  avis,  cette 
lettre  était  pour  la  Gastille.  Les  ambassadeurs  savaient  certaine- 
ment qu'on  avait  été  mécontent  dans  ce  pays  des  procédés  de  la 
France  au  sujet  de  cette  affaire;  aussi  songèrent-ils  à  écrire  pour 
calmer  les  Castillans  ;  mais  la  lettre  arriva  trop  tard,  ou  ne  pro- 
duisit pas  d'effet,  car,  dès  le  30  juillet,  le  gouvernement  d'Henri  III 
exprima  très-vertement  son  mécontentement  dans  une  lettre  aux 
cardinaux  ^. 

Lorsque  les  ambassadeurs  français  furent  de  retour  à  Paris,  le 
roi  convoqua  une  seconde  fois  ses  prélats,  etc.,  pour  que,  sous 
la  présidence  de  son  frère  le  duc  d'Orléans,  ils  délibérassent  sur 
la  conduite  à  tenir.  La  majorité  fut  d'avis  qu'on  devait  essayer 
encore  une  fois  de  fléchir  le  pape,  tandis  que  la  minorité  voulait 
que,  sans  plus  attendre,  on  cessât  d'obéir  à  Benoit  XIII.  Le  roi 
se  décida  dans  le  sens  de  la  maj  orité  et  chercha  à  gagner  les  princes 
à  cette  résolution  ^.  Il  députa  l'abbé  de  Saint-Eloi  de  Noyon  et 
le  magister  Gilles  Deschamps  aux  archevêques  de  Trêves  et  de 
Cologne,  ainsi  qu'aux  ducs  de  Bavière  et  d'Autriche  etc.,  en  An- 
gleterre le  cardinal  Jean  de  Vienne  et  le  patriarche  d'Alexan- 
drie, en  Aragon  et  ailleurs  d'autres  personnages.  De  son  côté, 
l'Université  de  Paris  entra  en  relations  avec  les  écoles  supérieures 
d'Oxford,  de  Vienne,  etc.,  et  le  dernier  jour  du  mois  d'août  1395, 
elle  demanda  au  roi  de  priver  le  schisme  de  tout  moyen  de  se 


(1)  Chronicor.  1.  c.  XVI,  12,  i3.  —  Mautèxe  et  Durakd,  1.  c,  p.  523-528, 

(2)  Martènb,  Thesaur.  t.  II,  p.  1136  sq. 

(3)  BuL^us,  Lc.p.  849et859. 


J  CO  TLiXTATlVES    d'v^-HùN   FAITES   DE    13i-)4  A   1398, 

perpétuer,  en  défendant  aux  collecteurs  pontificaux  toute  espèce 
de  quête,  et  en  ne  payant  plus  les  collations  de  bénéfices  et  les 
expeclances  pour  la  France  ^ 

Dès  que  Benoît  XIII  eut  connaissance  de  ce  qui  se  passait,  il 
chercha  à  apaiser  le  roi,  en  lui  accordant  spontanément  la  dîme 
sur  tous  les  biens  ecclésiastiques  de  France  ;  mais  le  roi  ne  se 
laissa  pas  gagner,  et  il  travailla,  au  contraire,  à  maintenir  les  car- 
dinaux dans  leurs  sentiments  touchant  la  via  cessionis.  Plusieurs 
lettres  de  ces  derniers  prouvent  qu'il  y  réussit  ^. 

Richard  II,  roi  d'Angleterre,  accueillit  les  ambassadeurs  français 
d'une  manière  très-gracieuse  et  leur  promit  de  s'employer  pour 
l'œuvre  de  l'union;  mais  il  leur  conseilladenepas  entrer  en  rela- 
tion avec  l'Université  d'Oxford,  parce  qu'elle  tenait  parti  pour  le 
pape  italien.  De  plus,  comme  il  était  veuf,  il  demanda  la  main 
d'Isabelle,  fille  de  Charles  YI  roi  de  France,  et  il  prolongea  le  temps 
de  l'armistice  conclu  entre  les  deux  nations.  Les  fiançailles  par 
procuration  eurent  lieu  le  dimanche  de  Lœtare  1396  à  Paris,  et,  le 
4  novembre  de  cette  même  année,  Isabelle  fut  solennellement 
remise  à  son  mari  dans  la  ville  de  Calais;  ce  fat  l'archevêque  de 
Cantorbéry  qui  donna  la  bénédiction  nuptiale  ^ .  Les  ambassadeurs 
français  en  Allemagne  ne  furent  pas  aussi  heureux.  L'archevêque 
de  Cologne  fut  seul  à  se  décider  avec  quelque  énergie.  Les  autres 
princes  demandèrent  avant  tout  à  en  délibérer  dans  une  diète  ^ . 

Pendant  ce  temps  Benoît  XIII  avait  fait  de  grands  efforts  pour 
faire  échouer  le  plan  de  la  France,  il  avait  notamment  cherché  à 
exciter  la  jalousie  nationale  et  l'orgueil  des  Espagnols,  ses  compa- 
triotes. C'était  dans  ce  but  qu'au  mois  d'octobre  de  l'année  précé- 
dente, il  avait  écrit  au  roi  d'Aragon  ^  Nous  avons  déjà  dit  que  ces 
démarches  furent  couronnées  de  succès.  En  même  temps  Be- 
noît XIII  fit  répandre  partout  le  bruit  que  la  France  voulait  le 
forcer  à  abdiquer,  pour  faire  monter  un  Français  sur  le  Siège  de 
Saint-Pierre,  et  il  alla  jusqu'à  faire  dire  àBoniface  IX de  ne  pas  se 
prêter  à  la  via  cessionis  ^ . 


(1)  OiiuoNrcon.  Caroli  VI,  lib.XYI,  14.  — BuLyT:us,  l.c.  p.751  sq.  — Mar- 
TÈNE,  Thés.  t.  II,  p.  1135. — Ascwbacu,  Bisl.  de  l' Univers.  OeYienne,  S.  156et382i 

(2)  Martène  et  Durand,  Yet.  Script,  t.  VII,  p.  530-548. 

(3)  Chronicor.  1.  c.  lib.XVI,14, 15,  16,  22;  lib.  XVII,18.— Bul.kus,I.  c.  p.  755b 
—772. 

(4)  GiiRO.MCOR.  lib.  XVI,  14.  — Bul/eus,  1.  c.  p.  751  b. 

(5)  Martène,  T/iesuur.  t.  II,  p.  1134. 

(G)  Martène  et  Durand,  Vef„  Script,  t.  Vil,  [>.  l  e'.  G07.~Bul.'Eu.':;,  I.  c.  p.  S59. 


TRNTATIVES   DUNION   FAITES    DE    1394  A    1303.  101 

Udg  lettre  de  TUniversité  aux  cardinaux,  datée  du  28  dé- 
cembre 1395,  prouve  que  Benoît  XIII  avait  des  partisans  en 
France  et  même  dans  le  sein  de  l'Université  de  Paris .  Cette  lettre 
déplore  que,  sur  le  conseil  de  l'évêque  de  Bazas,  quelques-uns  de 
ses  membres  aient  demandé  au  pape  toutes  sortes  de  grâces,  ce 
que  l'Université  défendit  du  reste  de  la  manière  la  plus  expresse 
dans  son  assemblée  générale  du  22  février  1396.  Dans  cette  même 
séance,  elle  émit  neuf  propositions  pour  forcer  le  pape  à  abdiquer. 
Ce  n'étaient,  il  est  vrai,  que  des  questions,  mais  chacun  devinait 
facilement  dans  quel  sens  l'Université  les  résolvait. 

Yoici  ces  questions  : 

1 .  Le  pape  est-il  obligé,  sous  peine  de  péché  mortel,  d'accepter 
la  via  cessionis  ? 

2.  Peut-il  être  excusé  pour  cause  d'ignorance  ? 

3.  Se  rend-il  coupable  de  parjure  en  n'acceptant  pas  la  via 
cessionis^  nonobstant  le  document  qu'il  a  signé  dans  le  con- 
clave ? 

4.  Ne  peut-on  pas  le  soupçonner  d'être  schismatique? 

5.  Les  cardinaux  doivent-ils  lui  obéir? 

6.  Peut-on  le  forcer  à  abdiquer,  et  par  quels  moyens?... 

7.  Tous  les  catholiques,  ou  seulement  les  princes,  ont-ils  le 
devoir  de  l'y  obliger  ? 

8.  S'il  ne  veut  pas  accepter  la  via  cessionis,  peut- il  être  déposé 
par  un  concile  général  de  son  obédience  ? 

9.  Les  sentences  qu'il  décrète  contre  ceux  qui  s'occupent  de 
cette  affaire  ont-elles  force  de  loi  ^  ? 

Si  Gerson,  qui  était  cependant  un  esprit  hardi,  prouve  que  l'U- 
niversité est  allée  trop  loin  en  posant  ces  questions,  rien  de  sur- 
prenant si  d'autres  les  ont  jugées  d'une  manière  plus  sévère  et 
leur  ont  opposé  des  thèses  contraires  qui  furent  envoyées  à 
Benoît. 

L'Université  de  Paris  apprit  en  même  temps  que  la  haute  école 
de  Toulouse  avait  pris  ouvertement  le  parti  du  pape;  aussi;  crai- 
gnant la  vengeance  de  Benoît  XIII,  elle  se  hâta  d'en  appeler  au 
futur,  unique  et  véritable  pape  de  toutes  les  censures  que  Benoît 
pourrait  prononcer  contre  elle.  Le  30  mai  1396,  le  pape  déclara 
qu'en  appeler  ainsi  du  Saint-Siège  était  sans  valeur. L'Université 
rétorqua  que  le  pape  aurait  raison  s'il  s'agissait  d'un  procès  ordi- 


(1)  BuL^us,  1.  c,  ]}.  752,  753,  7ô5. 


102  TENTATIVES   D'UMO>^^   FAITES    DE    1394   A  ISSP. 

iiaire  et  dépendant  de  la  curie,  parce  qu'il  fallait  alors  mettre  lin  à 
une  procédure  qui  sans  cela  serait  interminable,  mais  que,  lors- 
qu'il s'agissait  d'un  schisme  ou  d'opinion  soupçonnée  d'hérésie, 
tout  pape  avait  son  juge;  pour  le  pape  vivant  ce  juge  était  un  con- 
cile œcuménique,  et  pour  le  pape  défunt  ce  juge  était  son  succes- 
seur. 

Sur  le  conseil  de  l'Université  de  Paris*, le  roi  Charles  VI  en- 
voya de  nouveau,  dans  l'intérêt  de  l'union,  lors  de  la  Pâque  de 
1396,  des  ambassadeurs  aux  rois  et  princes  de  la  chrétienté,  et 
en  même  temps  il  se  chargea  des  frais  pour  les  députations  que 
l'Université  envoya  aussi  de  son  côté.  Vinceslas,  roi  de  Bohême, 
n'accorda  même  pas  une  audience  à  ces  derniers  ambassadeurs, 
et  ne  reçut  que  par  politesse  les  ambassadeurs  du  roi.  Son  frère 
Sigismond,  roi  de  Hongrie,  se  montra  plus  bienveillant,  et  les  ar- 
chevêques de  Trêves  et  de  Cologne,  ainsi  que  les  ducs  d'Autriche 
et  de  Bavière,  acceptèrent  de  recommander  la  via  cessionis  à  leurs 
voisins.  Les  rois  de  Hongrie,  d'Aragon  et  de  Castille  étaient  assez 
disposés  à  suivre  la  France,  c'est-à-dire  à  permettre  des  réunions 
de  leur  clergé.  L'Église  d'Angleterre  préférait  un  concile  général 
à  la  via  cessionis.  L'Université  d'Oxford  publia  en  particulier  un 
mémoire  dans  lequel  elle  critiquait  de  la  façon  la  plus  acerbe  la 
via  cessionis,  et  déclarait  que  Boniface  IX  était  le  seul  pape  légi- 
time. Tels  n'étaient  pas,  il  est  vrai,  les  sentiments  du  roi  Ri- 
chard IL  II  écrivit  aux  deux  prétendants  pour  les  engager  à  abdi- 
quer, et  il  chercha  à  décider  le  roi  romain-allemand  Vinceslas  à 
suivre  la  même  ligne  de  conduite.  Il  fallait  qu'à  la  Saint-Michel 
1397  l'Église  n'eût  plus  qu'un  seul  pasteur  ^. 

Le  patriarche  d'Alexandrie  et  le  cheveher  Colart  de  Calleville, 
qui  faisaient  partie  de  l'ambassade  française  envoyée  en  Espagne, 
restèrent  en  Castille  jusqu'à  l'automne  1396,  parce  qu'avant  de 
donner  une  déclaration  définitive,  le  roi  Henri  III  voulait  prendre 
conseil  de  ses  grands,  soit  prélats,  soit  seigneurs  temporels.  Il 
les  convoqua  à  Ségovie,  et  l'assemblée  décida  que  le  mieux  était 
de  chercher  à  combiner  ensemble  les  deux  propositions  faites  par 
la  France  et  par  le  pape  ;  ainsi  les  deux  prétendants  et  leurs  car- 
dinaux se  réuniraient  en  un  endroit  désigné  et  déhbéreraient  sur 


(1)  BuL.EUs ,  1.  c.  p.  753  sqq.  et  803-826.  —  Schwah,  Jean  Gerson,  et.c, 
S.  140  ir. 

(2)  Chiîonicor.  1.  c.  lib.  XVII,1,  5,  11,18.  —  Bul.eus,  1.  c.  p.  773sqq.77Gsqif. 
—  IUynald,  1396,  2. 


m 

I»  TENTATIVES    d'uNION    FAITES    DE    1394  A    1398.  103 

les  voies  et  moyens  pour  rétablir  l'unilé.  On  leur  donnerait  un 
délai  de  trente  jours  pour  faire  ces  délibérations.  Ce  temps  écoulé, 
si  l'unité  n'était  pas  rétablie,  les  deux  prétendants  devraient 
abdiquer,  et  on  élirait  un  nouveau  pape. On  détermina  également 
avec  assez  de  précision  la  manière  dont  on  devait  agir,  c'est-à- 
dire  le  modus  praclicandL  Le  roi  Henri  accepta  ces  conclusions  ; 
mais  une  remarque  qu'il  fit  plus  tard  laisse  voir  qu'à  Ségovie  on 
prit  une  seconde  résolution;  en  effet,  ce  qui  se  passa  dans  la  suite 
et  le  récit  du  moine  de  Saint-Denis  prouve  que  le  roi  Henri  se 
déclara,  au  moins  secundo  loco,  tout  à  fait  d'accord  avec  la  France, 
c'est-à-dire  qu'il  acceptait  la  via  cessionis  K 

Lorsque,  au  commencement  de  l'année  1397,  les  ambassa- 
deurs de  la  Castille  arrivèrent  à  Paris  pour  faire  connaître  la  dé- 
cision définitive  de  leur  roi,  ils  ne  dirent  pas,  d'après  l'opinion 
générale,  parce  qu'ils  avaient  été  gagnés  par  Benoît  XIII, 
que  leur  maître  avait  fini  par  adhérer  au  plan  de  la  France;  aussi 
le  patriarche  d'Alexandrie  fut-il  soupçonné  de  n'avoir  pas  dit  la 
vérité.  Mais  il  put  se  défendre  en  montrant  un  document  scellé 
du  propre  sceau  d'Henri  III,  et  c'est  ainsi  que  la  France  put  réa- 
liser ce  projet  caressé  pendant  si  longtemps  d'envoyer  la  même 
députation  aux  deux  prétendants.  La  France,  l'Angleterre  et 
la  Castille  envoyèrent  donc  des  ambassadeurs  à  Avignon  et  à 
Rome  pour  demander  à  Boniface  et  à  Benoît  de  résigner  leur 
charge.  Les  ambassadeurs  français  et  anglais  arrivèrent  à  Ville- 
neuve, le  lundi  de  la  Pentecôte,  11  juin  1397.  Les  Gaslîllans 
étaient  déjà  arrivés  depuis  dix  jours.  Le  samedi  16  juin,  ils  eu- 
rent tous  ensemble  une  audience  du  pape,  et  Gilles  Deschamps, 
accompagné  de  Jean  GourtecQÎsse  qui  était  également  ambassa- 
deur de  France,  prononça  un  long  discours  pour  expliquer  le  but 
de  cette  ambassade  commune.  Benoît  XIII  répondit  que,  «  dans 
une  affaire  aussi  impoi'tante,  il  lui  fallait  prendre  d'abord  l'avis 
de  ses  cardinaux.  »  Mais,  en  réalité,  il  ne  s'entretint  avec  aucun 
d'eux  jusqu'au  5  juillet,  si  ce  n'est  avec  le  cardinal  de  Pampelune; 
il  employa  ce  temps  à  faire  recommander,  sans  grand  succès 
il  est  vrai,  sa  via  aux  ambassadeurs.  Lorsque  enfin,  les  5  et  6  juil- 
let, il  réunit  autour  de  lui  les  cardinaux,  ils  furent  presque  una- 
nimes à  lui  recommander  la  via  cessionis,  et,  malgré  cela,  le 


(1)  Martène  et  Durand,  Vci!.  Script,  t.  VII,  p.  553  sqq,  6113,  619.— Chroni- 
coR.  1.  c.  XYII,  31. 


104  TE^.TATIVK.s  d'union  faites  de  1394  A  1393. 

7  juillet,  Benoît  XIII  répondit  aux  ambassadeurs  que  l'affaire 
n'avait  pas  été  encore  suffisamment  examinée  et  qu'il  avait  be- 
soin de  négocier  encore  sur  ce  point  avec  les  princes.  Les  ambas- 
sadeurs français  ne  cachèrent  pas  au  pape  le  mécontentement 
que  leur  causait  cette  remise  de  l'affaire,  et  ils  déclarèrent  en 
même  temps  que  si,  à  la  Chandeleur,  l'Église  n'était  pas  de  nou- 
veau régie  par  un  seul  pasteur,  le  roi  de  France  s'occuperait 
avec  ses  amis  de  faire  enfln  cesser  le  schisme.  Les  ambassadeurs 
anglais  et  castillans  firent,  au  nom  de  leurs  souverains,  une  dé- 
claration analogue;  celle  des  Castillans  était  conforme  à  ce  qui 
avait  été  décidé  à  Ségovie.  (Voyez  p.  103.) 

Après  que  les  ambassadeurs  des  trois  royaumes  eurent 
reçu  de  la  part  des  cardinaux  une  nouvelle  assurance  de  leur 
attachement  à  la  via  cessionis,  ils  quittèrent  Avignon  le  10  juil- 
let 1397  ^ 

Boniface  IX  répondit  aux  ambassadeurs  du  roi  dans  le  même 
sens  que  Benoît  XIII  :  «  Il  ne  pouvait  en  si  peu  de  temps  prendre 
une  résolution  pour  une  affaire  de  cette  importance,  mais  il 
se  concerterait  avec  ses  cardinaux  et  quelques  princes,  dès  que 
cela  serait  possible,  et  alors  il  ferait  connaître  aux  rois  sa  réso- 
lution ^.  » 

Presque  à  la  même  époque,  nous  trouvons  à  Rome  comme  à 
Avignon  un  autre  ambassadeur  des  rois  de  France  et  d'Angle- 
terre, un  homm.e  d'un  rang  bien  peu  élevé,  mais  qui  rappelle 
le  père  Joseph  du  cardinal  de  Richelieu  ;  c'était  l'ermite  Robert. 
Il  avait  des  lettres  des  deux  rois  à  remettre  aux  deux  préten- 
dants et  arriva  à  Avignon  avant  la  grande  ambassade  officielle. 
Benoît  XIJI  se  servit  aussitôt  de  lui  pour  entamer  des  négocia- 
tions avec  Martin,  roi  d'Aragon,  qui,  conjointement  avec  le  comte 
de  Fondi,  l'évêque  d'Assise  et  d'autres  personnages,  voulait 
obliger  le  pape  Benoit  IX  à  abdiquer. 

Pour  mener  ce  plan  à  bonne  fin,  Benoît  devait  paraître  avec 
une  ffotte  sur  les  côtes  romaines,  et  Jean  de  Vico  n'attendrait  que 
ce  moment  pour  lui  livrer  la  ville  et  le  port  de  Civila-Vecchia. 
Benoit  avait  dépensé  d'immenses  sommes  pour  avoir  en  Italie 
des  partisans;  mais  ces  mêmes  partisans  s'étaient  laissé  gagner  à 


(1)  (IiiRONinoR.  1.  c.  li]).  XVJI ,  33.  —  Martknk  et  Dur.ANn,  1.  c.  p.  556  sqq. 
et  p.  010  S([.  —  BuL.EUî,  ].  c.  p.  847,  849. 
(',')  CimoNicon.  1.  c.  —  Bul/kus,  i.  c.  p.  849,  SGO. 


TENTATIVES   d'unION   FAiTES    DE    1394    A    1398.  105 

prix  d'argent  par  le  pape  de  Rome,  et  ils  s'occupaient  activement 
à  tromper  également  les  deux  prétendants.  Sur  ces  entrefaites, 
l'ermite  Robert  quitta  Avignon,  après  avoir  obtenu  de  Renoît 
une  schedula,  qu'il  remit  à  Roniface  IX,  avec  les  lettres  des  rois 
de  France  et  d'Angleterre. 

Le  pape  romain  fat  mécontent  de  ce  que  le  roi  de  France  ne 
lui  donnât  que  le  titre  de  cardinal  ;  mais  il  se  calma  lorsqu'il 
sut  que  le  roi  d'Angleterre  en  avait  fait  autant  à  l'égard  de  son 
compétiteur  Renoît  XIIL  L'ermite  donna  aux  deux  prétendants 
le  conseil  de  s'entendre  pour  rendre  la  paix  à  l'Église,  leur  di- 
sant que,  dans  le  cas  contraire,  les  rois  finiraient  par  se  soustraire 
à  leur  obédience.  Roniface  IX  réunit  aussitôt  ses  parents  et  ses 
cardinaux,  et,  après  une  délibération  qui  ne  dura  pas  moins  de 
cinq  jours,  on  prit  la  résolution  suivante:  «  Le  roi  de  France,  ses 
ducs,  l'Université  de  Paris  et  même  les  cardinaux  d'Avignon 
sont  actuellement  mal  disposés  àl'endroit  de  Renoît  et  étaient  sur 
le  point  de  le  remplacer  par  un  autre.  Aussi  le  véritable  pape 
pouvait-il  se  rapprocher  d'eux  et  leur  demander  une  entrevue.  » 

Roniface  approuva  cette  solution  et  promit  de  s'y  conformer. 
Mais  deux  jours  plus  tard  les  parents  de  Renoît  IX  lui  avaient 
inspiré  d'autres  sentiments,  et  lorsque  l'ermite  Robert  sollicita 
une  audience  avant  de  partir,  il  répondit  «  qu'il  n'avait  autre 
chose  à  dire  que  ce  qu'il  avait  déclaré  aux  ambassadeurs  des 
rois  (des  trois  rois;  ils  étaient  donc  déjà  arrivés)  et,  en  outre, 
qu'il  enverrait  des  nonces  particuliers  à  ces  princes.  »  L'ermite 
lui  proposa  en  dernier  lieu,  au  nom  des  rois,  un  revenu  annuel 
de  100,000  ducats,  s'il  consentait  à  abdiquer,  et  comme  cette  pro- 
position n'amena  aucun  résultat,  Robert  se  décida  à  revenir  à 
Avignon.  Là  il  raconta  les  différents  incidents  de  sa  mission,  et 
il  conseilla  à  Renoît  d'adopter  pour  lui  le  moyen  que  les  cardi- 
naux italiens  avaient  recommandé  à  leur  pape  (celui  d'une 
réunion  des  princes),  lui  disant  que  si  Roniface  IX  avait  adopté 
cette  ligne  de  conduite,  il  en  serait  résulté  pour  Renoît  un  dan- 
ger considérable. 

Renoît  XIII  accepta  le  conseil  que  lui  donnait  l'ermite,  et  il 
le  chargea  de  faire  connaître  le  plus  rapidement  possible  son  ac- 
ceptation aux  rois  de  France  et  d'Angleterre,  ainsi  qu'au  roi 
romain  et  à  celui  de  Gastille  ■*. 

(l)  JiARTÈNE  et  Durand,  Ye^  Script,  t.  VII,  p.  591,  597.-~PiAYNALn,  1397,  6. 


106  TENTATIVES    u'uNION   FAITES   DE    1394   A    1398. 

Toutes  les  lettres  qu'on  écrivit  à  cette  époque  à  Beocît  pour 
l'engager  à  accepter  la  via  cessionis^  en  particulier  les  lettres  de 
l'Espagne,  ne  produisirent  aucun  résultat  *. 

Sur  ces  entrefaites,  Charles  VI,  roi  de  France,  s'était  adressé 
au  roi  romain  Vinceslas  pour  que  la  via  cessio7iis  pût  enfin  être 
mise  en  pratique  ;  il  était  nécessaire  avant  tout  de  la  faire  ac- 
cepter par  le  premier  prince  de  la  chrétienté  et  par  le  protecteur 
supérieur  de  l'Église.  Jusqu'à  cette  époque,  Yinceslas  était  resté 
imperturbablement  fidèle  au  pape  italien,  et  n'avait  donné  aucune 
réponse  favorable  aux  ambassadeurs  français  en  1396.  Mais  le 
roi  et  l'Université  de  Paris  ayant  envoyé  de  nouveaux  ambassa- 
deurs à  la  diète  de  Francfort,  durant  le  printemps  de  1397,  ils 
parvinrent  à  gagner  plusieurs  princes  allemands  à  leur  projet^. 
Comme  le  roi  Yinceslas  n'assistait  pas  à  la  diète,  Charles  YI  lui 
exposa  sa  demande  dans  une  belle  lettre  certainement  composée 
par  un  théologien,  et  l'invita  à  avoir  une  entrevue  avec  lui  ^.  Le 
prince  électeur  du  Palatinat,  Ruprecht  II,  père  de  l'empereur 
qui  succéda  à  Yinceslas,  avertit  à  cette  occasion  ce  même  Yin- 
ceslas d'une  manière  assez  brusque  et  assez  pressante  :  «  Tes 
sujets  diront  :  si  toi-même  tu  n'obéis  pas  à  celui  qui  t'a  confirmé 
dans  ta  royauté  (c'est-à-dire  au  pape  romain),  nous  ne  voulons 
pas  nous  non  plus  t'obéir  ^  » 

L'Université  de  Prague  tint  un  tout  autre  langage  et  décida 
Yinceslas  à  se  rendre  à  Reims  pour  le  mois  de  mars  1398. 
Charles  YI  députa  à  la  frontière  son  frère  le  duc  d'Orléans  ;  lui- 
même  alla,  pendant  l'espace  de';  deux  milles  au-devant  du  sou- 
verain allemand  et  l'amena  solennellement  à  Reims  le  23  mars. 
Pour  témoigner  sa  joie,  Charles  YI  fit  à  Yinceslas  de  magnifiques 
présents  et  lui  donna  de  somptueux  festins;  mais,  au  désespoir 
des  Français, Yinceslas  ne  put  assister  à  un  grand  repas  de  cour, 
parce  que,  déjà  avant  le  repas,  il  avait  tellement  bu  qu'il  s'était 
endormi. 

La  veille,  Charles  avait  eu  un  entretien  secret  avec  lui,  et 
Yinceslas  lui  aurait  alors  promis  d'autoriser,  dans  l'intérêt  de 


(1)  Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  G17-619.  Prœf.  p.  lu. 

(2)  BuLyEus,  Bist.  univers  Parùi,  t.  IV,  p.  827. —  ïheod.  a  NiEjr,  De  Sc/iism. 
lib.  II,  33.—  IIoFLER,  Ruprecht  von  der  Pfah,  1861,  S.  128.  La  lettre  do 
Charles  VI  à  la  diète  de  Francfort  a  été  éditée  pour  la  première  fois  par 
Janssen,  Franck f urter  Reichscorrespondenz,  Fribourg,  1863.  Ikl.  I,  S.  -M. 

(3)  i\lARTÈNE  et  Durand,  1.  c.  p.  622.  —  Schwab,  Jean  Gcrson,  etc.  S.  143  i. 

(4)  Martène,  T/ies.  t.  II,  p.  1172  sqq. 


ABANDON   DE   l'obÉDIENCE   DE   BENOÎT   XIII,    DE    1398    A    1403.     107 

l'union,  des  assemblées  de  son  clergé  et  d'écrire  au  pape  Boni- 
face  pour  lui  demander  d'abdiquer.  Il  fut  également  question  de 
marier  le  fils  du  duc  d'Orléans  avec  une  nièce  de  Vinceslas;  les 
ambassadeurs  français  qu'on  enverrait  en  Allemagne  devaient 
mener  à  bonne  fin  cette  dernière  affaire  ^ . 

Le  roi  Vinceslas  envoya  aussitôt  en  mission  auprès  de  Benoit  à 
Avignon  son  secrétaire  intime,  Nicolas  de  Jewicka;  conjointement 
avec  Pierre  d'Ailly,  maintenant  évêque  de  Cambrai,  ils  devaient 
recommander  la  via  cessionis,  en  ajoutant  que  la  même  démarche 
était  faite  auprès  de  Boniface  ;  mais  Benoît  se  prononça  d'une 
manière  très-énergique  dans  un  consistoire  contre  cette  via, 
ajoutant  que  l'accepter  serait  une  faute  mortelle;  tandis  que 
Benoît  IX  offrit  au  contraire  d'abdiquer  si  son  compétiteur  en 
faisait  autant.  Mais  pour  voir  qu'en  parlant  ainsi  Boniface  IX 
n'agissait  pas  sérieusement,  il  suffit  de  remarquer  la  façon  dont  il 
consola  les  Romains  qui  craignaient  de  perdre  la  cour  pontificale. ^ 

Le  pape  d'Avignon  voulut  alors  envoyer  à  Paris  deux  cardi- 
naux qui  avaient  toute  sa  confiance;  mais  Charles  VI  récusa  l'un 
de  ces  cardinaux,  celui  de  Pampelune  ;  ce  qui  lui  valut  deux  lettres 
fort  animées  de  Benoît,  l'une  adressée  au  roi,  l'autre  au  duc  de 
Berri,  dans  lesquelles  Benoît  se  plaignait  surtout  du  patriarche 
d'Alexandrie  et  de  Pierre,  abbé  de  Saint-Michel,  qui  aurait  der- 
nièrement injurié  le  pape  iîi  publico  et  generali  consilio  régis. 
Il  s'agissait  de  ce  troisième  concile  français  touchant  le  rétablis- 
sement de  l'union,  c'est-à-dire  de  cette  assemblée  qui  eut  de  si 
importantes  conséquences  ^. 

§  717. 

ABANDON   DE   l'OBÉDIENGE   DE   BENOÎT   XIII,    DE    1398   A    1403. 

Sur  la  convocation  du  roi,  les  archevêques,  évêques  et  abbés 


(1)  Ghronicor.  Caroli  Yl.  lib.  XVIII,  10.— Martèse  et  Durand,  Ve<.  Script. 
t.  VIT,  p.  431.  —  Palagky,  Gesch.  von  Bohmen,  Bd.  III,  1.  S.  111-115.  Le  con- 
trat de  mariage  entre  la  nièce  de  Vinceslas  et  le  fils  du  duc  d'Orléans  a  été 
publié  pour  la  première  fois  dans  le  Choix  de  pièces  inédites  relatives  au  règne 
de  Charles  VI  par  Douet  d'Argq,  Paris,  1863,  1. 1,  p.  140  sqq. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1198  sq.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  59  sq.  —  Christophe, 
Hist.  de  la  Papauté  au  xiv^  siècle  (lexte  allemand  de  Ritter),  t.  III,  S.  128  sq, 
—  Palagky,  a.  a.  0.  S.  113. 

(3)  Le  premier  concile  avait  été  tenu  en  février  1395,  le  second  dans  les 
derniers  jours  de  l'automne  de  la  même  année. 


108     ABANDON   DE   l/oBEDILilNCH   DE   BE\OÎT   XIII^    Dlî    IS98   A    140;^. 

de  France,  ainsi  que  les  députés  de  l'Université,  se  réunirent  le 
22  mai  1398  dans  la  petite  aula  du  palais.  Le  roi  ne  pouvant 
prendre  part  à  la  séance  parce  qu'il  était  malade,  ce  furent  les 
ducs  de  Berri,  de  Bourgogne  et  d'Orléans  qui  présidèrent  ;  le  roi 
Charles  de  Navarre  et  le  duc  de  Bourbon  étaient  également  pré- 
sents. A  la  tête  des  prélats  se  trouvait  Simon  de  Gramaud,  pa- 
triarche d'Alexandrie,  et  l'on  no  comptait  pas  moins  de  onze 
archevêques,  soixante  évêques,  trente  abbés,  beaucoup  de  prélats 
inférieurs,  des  représentants  des  chapitres  ;  de  plus,  le  recteur 
et  les  doyens  de  l'Université  de  Paris,  les  députés  des  Univer- 
sités d'Orléans,  d'Angers,  de  Magalone  et  de  Toulouse,  avec 
beaucoup  de  docteurs  en  théologie  et  in  utroque  jure. 

Le  patriarche  d'Alexandrie  prononça  en  français  le  discours 
d'ouverture;  du  reste,  tout  se  fît  en  français  dans  l'assemblée, 
parce  que  les  princes  de  la  famille  royale  ne  comprenaient  pas  le 
latin.  Le  patriarche  d'Alexandrie  fit  d'abord  un  exposé  historique 
de  tous  les  efforts  faits  depuis  la  mort  du  pape  Clément  YII  pour 
aboutir  à  l'union;  il  déclara  ensuite  que  le  roi  persistait  dans  la 
via  cessionis;  que  c'était  toujours  pour  lui  le  véritable  moyen 
d'arriver  à  l'union;  mais  que  la  question  était  de  savoir  si 
l'emploi  de  ce  moyen  exigeait  qu'on  s'affranchît  complètement 
de  toute  obéissance  vis-à-vis  de  Benoît  XIII,  ou  s'il  suffisait 
d'une  particularis  suhstractio  obedientiœ,  c'est-à-dire  de  retenir 
tous  les  revenus  pour  les  collations  des  bénéfices,  etc. 

A  la  prière  de  l'évêque  de  Mâcon,  qui  demandait  qu'on  voulût 
bien  entendre  encore  une  fois  l'exposé  de  la  défense  du  pape, 
les  princes  décidèrent  que  six  membres  seraient  chargés  de  dire 
tout  ce  qui  pouvait  être  en  faveur  de  Boniface;  tandis  que  six 
autres  seraient  chargés  de  combattre  leurs  arguments.  Furent 
élus  membres  de  la  première  commission,  l'archevêque  deTours, 
les  évêques  de  Notre-Dame  du  Puy  [Anicium]  et  de  Saint-Pons, 
l'abbé  de  Saint-Saturnin  à  Toulouse,  le  dominicain  Petrus  Euii- 
larius,  professeur  de  théologie,  et  Jean  de  Costa,  docteur  en  droit 
à  Toulouse.  On  leur  opposa  le  patriarche  d'Alexandrie,  l'évêque 
d'Arras ,  Pierre  abbé  de  Saint-Michel  et  les  magistri  Gilles 
Deschamps,  Jean  Courtecuisse  et  Pierre  Plaoul;  on  décida  en 
même  temps  qu'il  n'y  aurait  à  parler  que  trois  orateurs  de  chaque 
côté.  Dans  la  seconde  session  générale  tenue  les  29  et  30  mai, 
les  trois  députés  Pévêque  de  Saint-Pons,  le  dominicain  Emilarius 
et  le  jurisconsulte  Jean  de  Costa  cherchèrent  à  prouver  qu'un 


ABANDON    DE   l'obÉDIEIn'CE    DK    BHKOÎT   XIII,    DE    1398   A    1403.     109 

abandon,  soit  total  soit  partiel,  de  l'obédience  de  Benoît  XIII  était 
inadmissible. 

Les  30  et  31  mai  et  le  !"■•  juin,  le  patriarche  d'Alexandrie, 
l'abbé  de  Saint-Michel  et  Gilles  Deschamps  leur  répondirent  et 
demandèrent  qu'on  abandonnât  tout  à  fait  l'obédience.  L'abbé 
de  Saint-Michel  ayant  dit  pendant  le  débat  que  Benoît  avait  dé- 
claré à  plusieurs  reprises  être  décidé  à  ne  jamais  abdiquer,  le 
chevalier  Louis  de  Thignonville  déposa,  le  l"juin,  en  qualité  de 
témoin,  que  Benoît  XIII  lui  avait  dit  à  lui-même  :  «  Le  roi  veut 
que  j'abdique,  mais  je  ne  le  ferai  certainement  pas;  j'aime  mieux 
qu'on  me  coupe  la  tête  plutôt  que  de  céder.  » 

Vinrent  ensuite  des  premières  et  des  secondes  répliques  de  la 
part  de  l'évêque  de  Saint-Pons  et  de  l'abbé  de  Saint-Michel; 
enfin,  le  7  juin,  l'Université  de  Paris  demanda  à  être  entendue, 
et  son  orateur  prononça  un  long  discours  pour  recommander 
l'abandon  de  l'obédience  ^  Le  chancelier  royal  fit  ensuite,  le 
11  juin,  les  déclarations  suivantes  : 

1.  Le  roi  veut  que  chacun  fasse  connaître  son  sentiment  en 
s'inspirant  uniquement  de  sa  conscience. 

2.  Si,  d'après  les  conseils  du  concile,  le  roi  se  prononce  pour 
l'abandon  de  l'obédience,  on  ne  sera  plus  libre  de  se  conformer, 
ou  non  à  cette  décision. 

3.  On  a  tort  de  faire  courir  le  bruit  que,  dans  le  cas  où  l'a- 
bandon de  l'obédience  se  produirait,  ce  serait   aux  seigneurs 

■  temporels  que  reviendrait  la  collation  des  bénéfices,  donnée  au- 
paravant par  le  pape. 

4.  Il  est  également  faux  que  le  roi  veuille  s'approprier  les  re- 
revenus des  églises,  les  annales,  etc.  ^. 

Les  fondés  de  pouvoirs  du  roi  et  le  concile  demandèrent  donc 
que  tous  les  membres  émissent  leur  vote,  soit  écrit,  soit  de  vive 
voix,  avec  la  même  solennité  que  pour  les  témoignages  asser- 
mentés. Or,  sur  les  trois  cents  votants,  il  y  en  eut  deux  cents 
quarante-sept  pour  l'abandon  complet  de  l'obédience,  jusqu'à  ce 
que  Benoît  eût  accepté  la  via  cessionis  et  eût  fait  faire  quelques 
progrès  réels  à  la  question  de  l'unité  ecclésiastique.  Environ  une 


(1)  BuL/Eus,  1.  c.  p.  829  sqcf.  833  sqq.  835,  836  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVI, 
p.  839-842,  842-855,  855-88;i  et  895-905.  —  Chronigor.  1.  c,  lib.  XIX,  2. 
C2j  BuLOEOs,  1.  c.  p.  843  tq.  ^  Ma>:sî,  1.  c  p.  905  sq. 


110     ABANDON    DE    l'obÉDIENCE   DE   BENOIT   XIII,    DE    1398    A    1403. 

vingtaine  de  votants  se  prononcèrent,  il  est  vrai,  pour  l'abandon 
complet  de  l'obédience,  mais  voulaient  qu'avant  de  prendre  ce 
parti,  on  fît  une  dernière  tentative  auprès  du  pape  ;  enfin  seize 
membres  furent  d'avis  que,  même  dans  le  cas  où.  cette  nouvelle 
démarche  resterait  infructueuse,  il  ne  fallait  pas^  aussitôt  après, 
décréter  l'abandon  de  l'obédience,  mais  réunir  les  députés  de 
tous  les  pays  qui  tenaient  pour  le  pape  d'Avignon  et  régler  ce 
qu'il  y  avait  à  faire  ^ .  Les  votes  des  ducs  de  Bourbon,  d'Orléans, 
de  Bourgogne  et  de  Berri,  ont  été  publiés  il  y  a  quelques  an- 
nées ^.  Le  duc  de  Bourbon  craignait  que  si  l'on  se  décidait  à  l'a- 
bandon de  l'obédience,  le  pape  ne  fulminât  l'excommunication. 
Mais  la  réponse  du  chancelier  royal  dissipa  ses  appréhen- 
sions. 

Le  duc  d'Orléans,  toujours  favorable  à  Benoît,  ne  voulait  pas 
que  l'abandon  eût  lieu  immédiatement,  et  demandait  qu'aupara- 
vant on  fît  au  pape  une  sommation.  Les  ducs  de  Bourgogne  et 
de  Berri  ne  furent  pas  de  cet  avis  et  votèrent  pour  l'abandon 
coQiplet  de  l'obédience,  par  la  raison  que  le  pape  était  parjure  et 
sans  honneur. 

Le  roi  qui,  vers  la  fin  du  mois  de  juillet  1398,  eut  quelques 
jours  lucides,  se  fit  exposer  avec  détail  l'état  de  la  question  et  se 
prononça  pour  l'abandon  complet  et  immédiat  de  l'obédience;  le 
28  juillet,  l'assemblée  fut  informée  de  l'intention  du  roi.  Les 
ambassadeurs  de  la  Castille  et  le  roi  de  Navarre,  qui  assistaient 
également  à  l'assemblée,  se  déclarèrent  du  même  avis.  En  même 
temps,  on  assura  à  tous  les  membres  de  l'assemblée  qu'ils  au- 
raient la  protection  du  roi  contre  tous  les  désagréments  que 
pourrait  leur  causer  l'abandon  de  l'obédience.  On  promit  de  con- 
server intactes  les  libertés  de  l'Église  gallicane  et  on  menaça  de 
peines  sévères  quiconque  n'accepterait  pas  la  décision  prise  par 
l'assemblée.  L'abandon  solennel  de  l'obédience  fut  fixé  au  jeudi 
suivant  ^.  Les  deux  décrets  royaux  sur  ce  point  portent  la  date 
du  28  juillet  1398.  Un  troisième  décret  du  8  août  déclare  nulles 
toutes  les  collations  faites  par  Benoît  ;  un  quatrième  du  22  août 


(i)  Mansi,  1.  c.  p.  906  sqq.  —  Bul.eus,  1.  c.  p.  844  sqq. 

(2)  Dans  le  Choix  de  pièces  inédites,  etc.,  par  Louet  d'Arcq,  1863,  1. 1,  p.  142- 

148. 

(3)  BuL.EUS,  1.  c.  p.  847-851.  ~  Mansï,  1.  c,  p.  910-914.  —  Chronicor,  1.  c. 
lib.XIX,  2. 


ABANDON    DE   l'oBÉDIENCE   DE   BENOÎT   XIII,    DE    1398   A    1403.      IIJ 

dicicle  que,  pendant  l'abandon  de  l'obédience,  on  remplacera  la 
formule  atmo  pontificatus  par  :  ab  electione  Domini  Benedicti  ^ . 

Avant  que  l'on  procédât  pratiquement  et  de  force  à  l'abandon 
de  l'obédience,  d'Ailly  fut  envoyé  une  fois  de  plus  auprès  de 
Benoît  XIII  pour  l'engager  une  dernière  fois  à  accepter  la  via 
cessionis.  Il  lui  fit  remarquer  qu'il  ne  pourrait  tenir  tête  aux  ef- 
forts combinés  du  roi  de  France  et  du  roi  romain  d'Allemagne. 
Les  cardinaux  l'engageaient  aussi  à  céder.  Mais  Benoît  renvoya 
l'ambassadeur,  en  lui  disant  :  «  Tu  diras  à  notre  fils  le  roi  de 
France  que  jusqu'ici  nous  l'avons  tenu  pour  un  bon  catholique  ; 
si  maintenant,  cédant  à  de  mauvaises  suggestions,  il  s'obstine 
dans  des  erreurs,  un  temps  viendra  où  il  en  aura  regret.  » 
D'Ailly  se  rendit  ensuite  dans  le  voisinage  où  le  maréchal  de 
Boucicaut  attendait  la  réponse  du  pape  pour  employer  les  armes 
si  cela  était  nécessaire  ^. 

Quelques  jours  après  le  départ  de  d'Ailly  arrivèqent  à  Ville- 
neuve, le  l''  septembre,  deux  conseillers  royaux,  Robert  Gor- 
delier  et  Tristan  du  Bosc,  pour  afficher  les  décrets  du  roi  aux 
portes  de  la  ville  d'Avignon  et  pour  les  communiquer  aux  car- 
dinaux. Il  résulta  de  là  que  le  17  septembre  dix-huit  cardinaux, 
c'est-à-dire  presque  tous,  abandonnèrent  eux  aussi  l'obédience 
de  Benoît  et  vinrent  à  Villeneuve  se  mettre  sous  la  protection 
de  la  France.  C'est  ce  que  firent  également  les  sujets  du  roi  de 
France  qui  occupaient  quelques  charges  à  la  cour,  et  il  n'y 
eut  pas  jusqu'aux  bourgeois  d'Avignon  et  du  Gomtat  venaissin 
qui  n'abandonnassent  Benoit  XIII  à  la  suite  du  départ  des  car- 
dinaux. 

Lorsque  le  maréchal  de  Boucicaut  parut  devant  Avignon  avec 
une  armée  considérable  et  déclara  la  guerre  au  pape,  les  bour- 
geois d'Avignon  protestèrent  qu'ils  ne  pouvaient  ni  ne  voulaient 
soutenir  une  guerre  contre  la  France.  Le  pape  répondit  :  «  La 
ville  est  forte  et  bien  approvisionnée,  j'obtiendrai  du  secours  soit 
de  r Aragon, soit  d'ailleurs.  Défendez  votre  ville;  je  me  charge  de 
défendre  mon  palais.  »  Benoît  XIII  s'occupa  en  effet  de  munir 
soit  de  vivres,  soit  de  matériel  de  guerre,  soit  de  soldats,  son 
château,  qui  était  construit  à  peu  près  comme  une  forteresse.  La 


(1)  Martèxi-,  Thesaur.  t.  II,  p.  1153,  1154  sq. 

(2)  Marïène  et  Durand,  VeL  Script,  i  VII^  Pi'a}f.  p.  lv.  — Chuî.'tophe,  HUt, 
de  la  Papauté  au  xiv®  siècle,  Bd.  III,  S.  133  ff. 


ii2    ABANDON    DE   L'oBÉLUiiNCE   DH   BENOIT   XIII,    DE    1398    A    1403. 

ville  n'en  ouvrit  pas  moins  ses  portes  au  maréchal,  sur  le  conseil 
des  cardinaux,  et,  de  plus,  elle  promit  de|donner  son  concours  à 
l'armée  française  pour  assiéger  le  château  du  pape.  Ce  fut  le  car- 
dinal de  Neufchâtel  qui,  au  nom  de  ses  collègues,  commanda  la 
ville,  et  il  prit  part,  en  personne,  à  plusieurs  assauts  contre  le 
palais  du  pape.  Benoît  XIII  fut  blessé  le  29  septembre  dans  un 
de  ces  combats,  et  lorsque,  quelques  jours  après,  ce  cardinal  de 
Neufchâtel  perdit  la  vie,  beaucoup  voulurent  voir  là  une  punition 
du  ciel. 

Le  24  octobre  Benoît  parut  disposé  à  négocier;  les  trois  cardi- 
naux qui  se  trouvaient  auprès  de  lui  s'abouchèrent  avec  trois 
autres  cardinaux  du  parti  français  pour  arriver  à  un  accommode- 
ment. Mais  ils  ne  purent  s'entendre,  et  le  maréchal  garda  pri- 
sonniers les  trois  cardinaux  de  Benoît  XIII  et  recommença  à 
bloquer  le  château.  Quelques  amis  et  quelques  parents  du  pape 
cherchèrent  à  lui  venir  en  aide,  en  suivant  le  fleuve  du  Rhône  ; 
mais  les  eaux  étaient  si  basses  que  l'entreprise  ne  put  réussir, 
et  Benoît  fut  bientôt  dans  la  plus  profonde  détresse.  Plusieurs 
des  siens  tombèrent  malades  et  moururent.  Le  palais  n'était  pas 
encore  terminé,  et,  de  plus,  toute  la  provision  de  bois  avait  été 
brûlée  par  les  ennemis,  de  telle  sorte  qu'on  ne  pouvait  plus  faire 
cuire  les  aliments.  Déjà  depuis  longtemps  on  manquait  de 
vivres  frais.  Plusieurs  des  ennemis  les  plus  acharnés  de  Be- 
noît XIII  finirent  par  être  touchés  de  cette  situation,  et  lorsque, 
au  commencement  de  l'année  1399,  trois  des  cardinaux  qui 
avaient  abandonné  le  pape  arrivèrent  à  Paris,  pour  s'occuper  de 
la  convocation  d'un  concile  général  et  pour  faire  déposer,  voire 
même  pour  faire  emprisonner  Benoît  et,  un  peu  aussi,  pour  s'oc- 
cuper de  leurs  prébendes  et  cie  leurs  revenus,  ils  reçurent  un 
accueil  plus  que  froid  de  la  part  des  grands,  comme  de  la  part 
du  peuple.  Le  20  février,  une  assemblée  du  clergé  français  con- 
damna leurs  propositions,  et  le  roi  ordonna  au  maréchal  de  Bou- 
cicaut  de  ne  plus  se  permettre  d'attaquer  le  château,  mais  de  se 
contenter  de  le  faire  entourer  de  sentinelles  pour  rendre  toute 
évasion  impossible.  De  plus,  on  devait  permettre  de  laisser 
entrer  des  vivres,  etc.  ^  On  croit  généralement  que  ce  fut  une 


(1)  BuL^:us,  1.  c.  p.  863  sq.  —  Baluz.  ViUv  pap.  Aven.  t.  II,  p.  1122-1125, 
1129. —  Chronigor.  CaruliVI,  lib.  XIX,  8,  12  et  XX,  5. —  Mautknk  et  Uuiîanu, 
Vet.  Script,  t.  VII.  Vnvl  p.  iak.  —  Chuistophe,  a.  a.  0.  S.  135  ff. 


ABANDON   DE  l'OBÉDIENCE  DE   BENOÎT  XIII,    DE    1398  A    1403.       113 

lettre  de  Benoît  XIII  à  Charles  VI  qui  valut  au  pape  ces  adoucis- 
sements à  sa  situation;  mais  cette  lettre  est  une  fiction  de  Gerson, 
elle  n'est  pas  plus  authentique  qu'une  autre  prétendue  lettre  du 
roi  au  pape  ^ 

S'inspirant  de  l'exemple  de  la  France,  d'autres  princes,  ainsi 
que  d'autres  villes  et  d'autres  églises,  abandonnèrent  l'obédience 
de  Benoît  XIII  :  ainsi  Besançon  le  30  octobre  1398;  la  reine 
Marie  de  Naples,  qui  était  en  même  temps  princesse  de  Provence 
(pour  le  compte  de  son  fils  Louis  II),  le  dernier  jour  de  novembre; 
le  clergé  et  les  chefs  de  la  ville  de  Cambrai,  les  2  et  7  décembre; 
le  royaume  de  Castille  le  12  décembre;  Charles  roi  de  Navarre, 
le  14  janvier  1399  '^.  En  revanche,  Martin,  roi  d'Aragon,  chercha  à 
porter  secours  au  pape  dans  sa  détresse,  et  dans  ce  but  il  envoya 
des  ambassadeurs  à  Paris  au  commencement  de  l'année  1399.  Il 
en  résulta  de  nouvelles  négociations  avec  Benoît,  soit  par  l'inter- 
médiaire d'ambassadeurs  français,  soit  à  l'aide  d'ambassadeurs 
aragonais,  et  le  pape  se  déclara  prêt,  les  4  et  10  avril  1399,  à 
accepter  les  conditions  suivantes  :  «  Si  son  adversaire  abdiquait, 
ou  venait  à  mourir,  ou  était  chassé,  il  consentait,  lui  aussi,  à 
abdiquer, afin  qu'un  nouveau  pape  fût  élu.  Il  consentait  également 
à  renvoyer  ses  troupes  et  à  ne  rien  faire  ou  ne  rien  permettre  qui 
fût  opposé  à  l'union.  Si  un  couvent,  dans  l'intérêt  de  l'union, 
venait  à  se  réunir,  il  consentait  à  s'y  rendre;  mais  en  retour  le  roi 
de  France  le  prendrait  sous  sa  protection,  lui  et  cent  des  siens, et 
veillerait  à  ce  qu'il  fût  traité  d'une  manière  digne  de  son  rang 
dans  son  habitation,  que  du  reste  il  ne  pourrait  quitter  sans 
l'assentiment  des  deux  rois  et  des  cardinaux,  etc.  »  Cette  propo- 
sition de  Benoît  XIII  fut  acceptée,  et  c'est  ainsi  qu'il  devint  prison- 
nier dans  son  propre  palais,  dont  la  garde,  sur  sa  demande,  fut 
confiée  à  son  ami  le  duc  d'Orléans,  frère  du  roi  de  France  ^. 

Cette  captivité  dura  près  de  quatre  ans  sans  que  la  question  du 
rétablissement  de  l'unité  de  l'Église  fît  un  seul  pas;  l'orage  qui 
se  formait  à  l'est  de  l'Europe  et  qui  menaçait  d'éclater  sur  l'Occi- 
dent chrétien  ne  put  même  pas  décider  les  partis  à  se  réconcilier. 


(1)  JoANN.  Gerson,  0pp.  éd.  Dupin,  Antv.  1706,  t.  II,  p.  66  sqq.  et  p.  89  sqq. 
■ —  Schwab,  Jean  Gerson,  S.  165. 

(2)  Martène  et  Durand,  I.  c.  p.  601-622  et  629;  en  partie  dans  Raynald  , 
1398,  25  sq. 

(3)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  633-669.  —  Raynald,  1399,  9-11.  —  Baluz. 
I.  c.  p.  1126  sqq.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  139  f.  —  Douet  d'Argq,  Choix  de 
pièces  inédites,  etc.  1. 1,  p.  203  et  227. 

T.    X.      8 


114  LE  PAPE   ROMAIN   BONIFACE  IX 

En,  1400  Manuel  II, empereur  de  Gonstantinople,  se  rendit  dans 
les  cours  de  l'Occident,  et  en  particulier  à  Paris,  pour  implorer 
du  secours  contre  le  terrible  Tamerlan.  Il  fut  reçu  avec  des  hon- 
neurs extraordinaires  et  renvoyé  avec  de  belles  promesses  ;  mais, 
pour  fournir  un  secours  réel  et  efficace,  l'Occident  aurait  eu  besoin 
d'être  uni  ^ . 

§  r\8. 

LE  PAPE  BOMAIN  BONIFACE  IX 
ET  LE  ROI  ROMAIN  RUPRECHT  DU  PALATINAT,  DE  1398  A  1403. 

Pendant  que  se  déroulaient  les  événements  survenus  à  Avi- 
gnon, un  double  changement,  défavorable  d'abord  et  plus  heu- 
reux ensuite,  se  produisit  dans  la  situation  du  pape  itahen  Boni- 
face  IX.  Au  début  du  schisme,  la  grande  majorité  de  la  chrétienté 
suivait  son  obédience,  mais  vers  la  fin  du  siècle  cette  obédience 
avait  grandement  diminué.  La  Sicile,  la  Ligurie  (Gênes),  l'aban- 
donnèrent; mais  ce  qui  fut  encore  plus  sensible  au  pape,  ce  fut  de 
voir  l'Angleterre  adopter  le  parti  du  roi  de  France  dans  les 
questions  pendantes  et   de   constater  encore  la  défection  de 
Vinceslas,  roi  d'Allemagne  et  de  Bohême,  qui  passa  dans  le  camp 
dé  ses  adversaires   et  le  sollicita   d'accepter  la  via  cessionis. 
Boniface  IX  écrivit  à  Vinceslas  une  lettre  très-amicale  et  lui  pro- 
posa, pour  le  gagner,  la  couronne  impériale  (4  septembre  1398)^. 
Ces  avances  restèrent  sans  résultat  ;  mais  alors  commença  à  se 
former  contre  Vinceslas  cet  orage  qui  devait  amener  sa  chute  et 
l'élévation  de  Ruprecht  du  Palatinat,  ce  qui  était  pour  Boni- 
face  IX  un  heureux  événement.  Los  princes  électeurs  des  bords 
du  Rhin,  Jean  de  Mayence,  Frédéric  de  Cologne  et  Piuprecht 
du    Palatinat,  qui  étaient  fort  mécontents  de  Vinceslas,  for- 
mèrent à  Marbourg,  le  1 1  avril  et  le  2juin  1399,  une  ligue  avec 
leur  collègue  de  Saxo,  Rodolphe,  pour  agir  de  concert  dans  toutes 
les  affaires  intéressant  l'Église,  le  Saint-Siège  et  l'empire.  Cette 
ligue  fut  renouvelée  à  Mayence  au  mois  de  septembre  de  cette 
même  année;  d'autres  princes  y  prirent  part,  et  l'on  agita  déjà  la 

(1)  CnuoMGOR.  I.  c.  lih.  XXI,  1.  —  Raynald,  1400,  8. 

(2)  Raynalu,  139G,  3-7.  —  Urstisius,  Germaidœ  hislorici,  t.  II,  p.  180.  — 
Pelzel,  Urkundmbuch,  n°^  152,  154.  —  Palagky,  Gesch.  v.  Bœhmen,  Rd.  III, 
1,  S.  114  f.  —  HoFLER,  Raprechl  v.  d.  Pfalz,  S.  136  f. 


ET  LE  ROI  ROMAIN  RUPRECHT  DU  PALATINAT,  DE  13Ô8  A  1403.  115 

question  de  l'éleclion  d'un  autre  roi  romain.  Le  1"  février  1400, 
on  fit  un  autre  pas  en  avant,  car  on  désigna  les  maisons  qui  de- 
vaient fournir  le  futur  roi.  La  maison  de  Luxembourg  devait  être 
exclue.  Les  membres  de  la  ligue  espéraient  gagner  à  leur  projet 
le  pape  Boniface.  Lui-même  disait  plus  tard  qu'ils  lui  avaient 
envoyé  des  députés  parce  qu'ils  savaient  que  lui  seul  avait  au- 
torité pour  déposer  un  roi  romain,  et  il  ajoutait  que  c'était  en 
s'appuyant  sur  cette  autorité  pontificale  qu'ils  avaient  procédé 
à  la  déposition  de  Vinceslas  [authoritate  nostra  suffultï)  * .  Mais 
comment  expliquer  ce  fait  avec  une  lettre  écrite  par  Boni- 
face  au  roi  Yinceslas,  le  26  août  1400,  c'est-à-dire  à  l'époque  où 
Wenzel  fut  déposé,  et  par  laquelle  le  pape  Boniface  proteste  de 
sa  très-vive  amitié  à  l'égard  de  Vinceslas  et  lui  déclare  qu'il  est 
même  prêt  à  répandre  son  sang  pour  lui^  ?  Rien  de  surprenant 
donc  si  le  pape  a  été  accusé  de  jouer  un  double  jeu,  et  s'il  a  été 
regardé  comme  s'étant  entendu  avec  les  princes  électeurs. 
Hœfler  a  voulu  dernièrement  s'inscrire  en  faux  contre  ce  senti- 
ment (a.  a.  0.  S.  156 f.  i60f.200,  230,  267,  294  f).  Maisiln'apu 
produire  en  faveur  de  sa  thèse  que  ce  fait,  savoir,  que  Boniface  a 
différé  pendant  trois  ans  de  reconnaître  l'élection  de  Bupreclit, 
et  même  a  déclaré  implicitement  que  cette  élection  n'était  pas 
légitime.  (Yoy.  plus  loin.)  Hœfler  est  allé  incontestablement 
trop  loin  lorsqu'il  s'appuie  sur  ces  faits  pour  déclarer  que  Boni- 
face  avait  embrassé  alors  plus  que  jamais  la  cause  de  Vinceslas, 
et  de  plus  il  lui  faut  recourir  à  une  argumentation  sophistique 
pour  expliquer  ces  mots  du  pape  authoritate  nostra  suffulti,  qui 
protestent  contre  son  sentiment.  D'après  Hœfler,  cette  phrase 
signifie  uniquement  ceci  :  «  Les  princes  électeurs  espéraient  que 
le  pape  confirmerait  ce  qui  avait  été  déjà  fait.  «  (S.  200  et  295). 
A.  mon  avis,  on  ne  peut  pas  torturer  les  paroles  du  pape  de  façon 
à  leur  faire  présenter  ce  sens,  et  je  crois  qu'il  faut  distinguer 
comme  il  suit  :  a)  La  déposition  de  Vinceslas  a  eu  lieu  avec 
l'assentiment  du  pape,  non  pas  un  assentiment  par  écrit  ou  très- 
explicite,  mais  un  assentissement  donné  de  vive  voix  aux  am- 
bassadeurs des  princes  électeurs,  et  qui,  du  reste,  a  dû  être  tenu 
secret,  b)  L'élection  de  Ruprecht  a  dû,  au  contraire,  se  faire  sans 


(n  Raynald,  1403,  4.  —  Palacky,  a.  a.  0.  S.  119  f.  —  Hôfleu,  a.  a.  0. 
S,  148  f. 

(2)  Pelxel,  UrJcundenbuch,  n»  170.  —  Palacky,  a.  a.  0.  S.  123. 


116  LE    PAPE  ROMAIN  BONIFACE  IX 

aucune  participation  du  pape  ;  aussi,  tout  en  approuvant  la  déposi- 
tion de  Yinceslas,  Bonifacea-t-ilpu  regarder  cette  élection  comme 
tout  à  fait  irrégulière  ;  les  détails  que  nous  allons  bientôt  donner 
sur  cette  élection  expliqueraient  du  reste  un  pareil  sentiment. 

Ce  fut  en  vain  que  Yinceslas  convoqua  successivement  deux 
diètes  à  Nurenberg.  Ces  diètes  ne  purent  par  se  réunir,  et  les 
exhortations  adressées  par  Yinceslas  à  quelques  princes  restèrent 
sans  résultat.  Le  roi  forma  alors  le  projet  de  venir  en  Allemagne 
avec  une  armée  et  d'étouffer  les  germes  de  sédition  ;  mais  la  di' 
vision  qui  régnait  parmi  ses  propres  parents  l'empêcha  de  réa- 
liser ce  projet.  Au  lieu  de  lui  venir  en  aide,  ils  commencèrent 
entre  eux,  pendant  l'été  de  1400,  une  guerre  d'extermination 
(Sigismond  et  son  cousin  Jost  de  Moravie  contre  le  frère  de  ce 
dernier,  Procope,  margrave  de  Moravie).  Lorsque  les  princes 
allemands  se  réunirent  à  Francfort  du  26  mai  au  5  juin  1400  dans 
la  diète  où  se  rendirent  également  les  ambassadeurs  des  rois  de 
France  et  d'Angleterre  et  de  l'Université  de  Paris  \  Yinceslas 
chercha  à  ramener  les  esprits,en  protestant  qu'il  voulait  pan  séries 
blessures  de  l'empire  et  qu'il  résoudrait  la  question  religieuse  à 
l'aide  d'une  ligue  de  rois.  Les  princes  électeurs  des  bords  du  Rhin 
insistaient  pour  qu'on  prît  une  décision;  toutefois  on  ne  procéda 
pas  à  l'élection  d'un  autre  roi,  probablement  parce  que  le  prince 
Rodolphe,  électeur  de  Saxe,  fît  de  l'opposition  ;  mais,  le  4  juillet, 
la  majorité  décida  que  le  14  août  le  roi  Yinceslas  devrait  se 
rendre  à  Oberlahnstein,  près  de  Goblentz,  pour  y  délibérer  avec 
les  princes  électeurs  sur  la  triste  situation  de  l'empire.  S'il  ne 
venait  pas,  les  princes  se  regarderaient  comme  déliés  de  tout  ser- 
ment vis-à-vis  de  lui .  Le  prince  électeur  de  Saxe  n'avait  pas  voulu 
accepter  ces  résolutions,  et  il  avait  quitté  Francfort  de  fort  mau- 
vaise humeur  avec  son  gendre  Frédéric  de  Braunschweig.  Mais 
ils  furent  l'un  et  l'autre  arrêtés  à  Fritzlar  par  les  parents  et  les 
domestiques  de  l'archevêque  de  Mayence  ;  Frédéric  de  Braun- 
schweig et  d'autres  personnes  furent  massacrés,  le  prince  élec- 
teur de  Saxe  et  l'évêque  de  Yerden  etc.  furent  faits  prisonniers. 
Nonobstant  toutes  ses  dénégations,  l'archevêque  de  Mayence  fut 
toujours  accusé  d'avoir  commis  cet  attentat. 

Gomme  on  le  devine  bien,  Yinceslas  ne  se  rendit  pas  à  Ober- 
lahnstein; aussi  les  quatre  princes  électeurs,  l'archevêque  de 

(1)  Janssen,  Frank  flirts  Reichscorrespondenz,  Bd.  I,  56. 


ET  LE  ROI  ROMALV  RUPRECHT  DU  PALATINAT ,  DE  1398  A  1403.  117 

Mayence,  Jean  comte  de  Nassau,  l'arclievêque  de  "Cologne,  Fré- 
déric comte  de  Saarwerden,  l'archevêque  de  Trêves,  Werner  de 
Falkenstein  et  Ruprecht,  électeur  du  Palatinat,  auxquels  se  joi- 
gnirent quelques  autres  princes  et  seigneurs,  procédèrent  à  sa 
condamnation.  Quant  aux  trois  autres  princes  électeurs,  ceux  de 
Saxe  et  de  Brandebourg  (Jost  de  Moravie)  avaient  été  invités  et 
ne  vinrent  pas,  et  le  septième,  l'électeur  de  Bohême,  n'était  autre 
que  Vinceslas  lui-même.  Ce  fut  donc  ainsi  qu'une  faible  majorité 
osa  faire  un  acte  desplus  graves  et  desplas  importants.  Ils  se  réu- 
nirent dans  une  petite  chapelle  qui  existe  encore  et  est  située  à  la 
campagne  à  une  petite  distance  d'Oberlahnstein.  Vinceslas  fut 
accusé  de  n'avoir  pas  aidé  à  procurer  la  paix  de  l'Église  (pouvait-il 
le  faire  ?),  d'avoir  nui  à  l'empire,  de  l'avoir  amoindri,  d'avoir  élevé 
Visconti  à  la  charge  de  duc  de  Milan,  d'avoir  enrichi  d'autres 
personnes  aux  dépens  de  l'empire,  d'avoir  commis  un  grand 
nombre  de  cruautés,  de  n'avoir  pas  veillé  au  maintien  de  la  paix 
et  de  la  sécurité.  Â.ussi  les  princes  électeurs  tombèrent-ils  d'ac- 
cord pour  le  déposer  comme  étant  «  un  inutile,  inintelligent, 
inconsistant  et  indigne  possesseur  du  Saint-Empire  romain.  » 
L'archevêque  de  Mayence  lut  cette  sentence  le  20  août  1400  de- 
vant les  portes  d'Oberlahnstein,  en  présence  d'une  grande  foule 
de  peuple  ^ . 

Le  lendemain  les  quatre  princes  électeurs  du  Rhin  se  rendirent 
à  Kœnigstuhl  près  de  Rhense  et  ils  choisirenL  comme  successeur 
au  roi  romain  d'Allemagne  l'un  d'eux,  Ruprecht,  prince  électeur 
du  Palatinat,  qui  depuis  plusieurs  années  était  l'âme  de  l'oppo- 
sition contre  Vinceslas.  Dès  le  début  de  l'élection,  Ruprecht 
avait  donné  sa  voix  au  prince  électeur  de  Mayence,  et  ce  fut  grâce 
à  cette  ruse  qu'il  put  obtenir  pour  lui  les  quatre  voix  indispen- 
sables. En  réahté,  il  s'est  élu  lui-même  ^.  Le  nouvel  élu  était, 


(1)  Janssen,  a.  a.  0.  S.  ÔIS-SÎS,  u.  S.  64.  En  ce  qui  concerne  ce  dernier 
passage,  Janssen  rectifie  la  donnée  de  plusieurs  historiens  prétendant  que 
l'archevêque  de  Mayence  avait  traité  le  roi  Vinceslas  d'  «  affreuse  et  inhu- 
maine charogne  {Lucler)  »  et  de  «  gueux  ».  Dans  l'acte  de  déposition  il  n'y 
a  pas  «  Luder  »  mais  «  ludet  »,  ce  qui  veut  dire  «  lautet  »,  et  le  mot  alle- 
mand «  lautet  »  veut  dire  «  quod  sonat  ».  De  même, il  n'y  a  pas  dans  le  texte 
original  «  Gelumpt,ggueux  »,  mais  bien  «  wider...  glymph  »,  ce  qui  signifie 
«  contra  sequitatem  ». 

(2)  Les  actes  allemands  originaux  concernant  la  déposition  de  Vinceslas  et 
le  gouvernement  de  Ruprecht  ont  été  publiés  pour  la  première  fois  par  Jans- 
sen, a.  a.  0.  S.  487-804.  Aupai^avant  on  n'avait  pour  beaucc^ip  de  ces  actes 
que  l'ancienne  traduction  latine  et  souvent  défectueuFe  qui  se  trouvait  dans 
Martène  et  DuuAND,  Vet.  Script,  t.  IV,  p.  7  sqq.  Du  reste,  dans  son  livi'e  sur 


118  LE   PAPE   ROMAIN   BONIFACE   IX 

comme  adresse  et  comme  caractère,  bien  supérieur  àViDceslas; 
mais  on  ne  saurait  mettre  en  question  l'illégalité  et  l'injustice 
dont  lui  et  ses  électeurs  s'étaient  rendus  coupables  lorsqu'il  était 
monté  sur  le  trône.  Les  contemporains  ont,  il  est  vrai,  bien  peu 
constaté  et  dénoncé  cette  injustice  ;  mais  la  postérité  s'est 
montrée  avec  raison  plus  sévère,  et  les  dernières  tentatives  de 
Lœher  pour  légitimer  la  conduite  des  princes  électeurs  à  l'égard 
de  Vinceslas  pourront  bien  difficilement  modifier  le  jugement 
des  historiens  ^ 

Dès  que  l'élection  fut  terminée,  les  princes  électeurs  amis 
exhortèrent  tous  leurs  partisans  dans  l'empire  à  obéir  au  nou- 
veau roi  et,  dans  ce  même  but,  Ruprecht  envoya  des  lettres  et 
des  messagers  dans  tous  les  pays.  Il  s'adressa  aussi  à  plusieurs 
reprises  à  Boniface  IX  pour  que  son  élection  fût  confirmée,  et  ses 
électeurs  appuyèrent  sa  demande  avec  beaucoup  d'instances  ^. 
Mais  Boniface  ne  voulut  faire  aucune  déclaration  formelle  tant 
que  Ruprecht  ne  fît  pas  de  progrès,  soit  en  Allemagne,  soit  dans 
la  partie  de  l'Italie  qui  appartenait  à  l'empire  ;  avant  cette  épo- 
que, il  n'était  en  quelque  sorte  que  le  roi  ecclésiastique  de  la 
vallée  du  Rhin  ;  le  reste  de  l'Allemagne  était  ou  neutre  ou  pour 
Vinceslas.  Ce  dernier  avait  juré  d'anéantir  ses  adversaires,  et  le 
margrave  Jost  faisait  aussi  entendre  d'épouvantables  menaces. 
Mais l'égoïsme  de  Sigismond,  frère  de  Vinceslas,  fit  échouer  ces 
projets,  etily  eut  toujours  un  plus  grand  nombre  de  princes  et  de 
villes  à  se  soumettre  à  Ruprecht.  Le  roi  de  France,  dont  le  se- 
cours avait  été  réclamé  par  les  deux  partis,  par  Vinceslas  et  par 
ses  adversaires,  envoya  à  la  fin  de  l'année  1400  une  ambassade 
chargée  de  s'entremettre.  Cette  ambassade  demanda  en  même 
temps  que  si  Boniface  IX  n'acceptait  pas  la  via  cessionis,  l'Alle- 
magne se  retirât  de  son  obédience  ;  mais  Ruprecht  n'accepta  pas 
cette  proposition  et  se  hâta  de  se  faire  couronner.  La  ville  d'Aix- 
la-Chapelle  n'aj^ant  jamais  voulu  ouvrir  ses  portes  et  la  force 
comme  les  promesses  ayant  échoué,  le  couronnement  du  roi  ne 
put  se  faire  au  tombeau  de  Charlemagne  :  il  eut  lieu  auprès  des 


Ruprecht  du  Palatinat,  Ilôfler  a  mis  à  profit  les  actes  originaux  allemands, 
quoiqu'ils  ne  fussent  pas  encore  imprimés  à  cette  époque. 

(1)  LôMER,  Dm  Reclitsverfaliren  hei  K.  Wenzels  Abselzimg,  dans  YAiinuaire 
historique  de  Munich,  18G5,  S,  3  fi'. 

(2)  Janssen,  a.  a.  O.S.  526-533  et  542,  546.  —  R.yynald,  140!,  0-9.  —  IIo- 
FLER,  a.  a.  0.  S.  199  f. 


ET  LE  ROI  ROMAIN  RUPRECHT  DU  PALATINAT,  DE  1398  A  1403.   119 

reliques  des  trois  rois  Mages  Ile  6  janvier  1401.  On  se  servit  à 
cette  occasion  d'une  couronne  neuve,  parce  que  les  joyaux  de  la 
couronne  étaient  encore  entre  les  mains  de  Vinceslas  * . 

Pour  fortifier  son  parti,  Ruprecht  confirma  les  privilèges  de 
beaucoup  de  princes  et  de  villes,  distribua  des  faveurs,  accorda 
des  investitures,  supprima  des  impôts  onéreux  et  fit  toutes  sortes 
de  promesses.  Mais  pour  assurer  sa  royauté  il  avait  deux  choses 
à  faire  :  obliger  son  adversaire  à  abdiquer  et  à  aller  sans  perdre 
de  temps  à  Rome  pour  y  recevoir  la  couronne  impériale.  Du 
reste,  Vinceslas,  par  sa  conduite  insensée  et  son  détestable  gou- 
vernement dans  son  royaume  héréditaire,  semblait  s'être  chargé 
de  faciliter  la  réalisation  de  la  première  partie  de  ce  programme. 
Il  avait  fini  par  indisposer  contre  lui  toutes  les  classes  de  ses  sujets, 
ainsi  que  ses  anciens  partisans  ;  aussi  y  avait-il  tous  les  jours  de 
nouvelles  défections,  et  les  margraves  Jost  et  Procope  unirent,  eux 
aussi,  par  se  déclarer  pour  Ruprecht.  Ces  margraves  se  trouvaient 
déjà  devant  Prague  avec  une  armée,  lorsque  Ruprecht,  proba- 
blement parce  qu'il  manquait  d'argent,  consentit  à  entrer  en 
négociations  avec  Vinceslas,  et  les  députés  des  deux  partis  se 
réunirent  le  23  juin  1401  à  Waldmûnchen  sur  les  limites  de  la 
Bohême. Ruprecht  demanda  que  Vinceslas  renonçât  en  sa  faveur 
à  l'empire,  lui  rendît  les  joyaux  de  la  couronne  ainsi  que  les  reli- 
ques et  les  archives  et  qu'il  accordât  la  main  de  sa  nièce  Elisabeth 
à  l'un  de  ses  flls.  Quoique  dans  la  plus  grande  détresse,  Vinceslas 
ne  voulut  pas  accepter  la  proposition  principale,  et  ses  députés 
demandèrent  à  leur  tour  commic  contre-proposition  que  Vinceslas 
fût  empereur,  tandis  que  Ruprecht  resterait  roi  romain  d'Alle- 
magne. Celui-ci  refusa  à  son  tour,  et  c'est  ainsi  que  se  rompirent 
les  négociations  sans  que  Ruprecht  recommençât  d'une  manière 
énergique  la  guerre  contre  Vinceslas^. 

Pendant  que  se  déroulaient  ces  événements,  les  Florentins, 
très-préoccupés  de  renverser  leur  dangereux  voisin  de  Milan, 
invitèrent  le  roi  Ruprecht  à  tenter  une  expédition  en  Italie,  et 
promirent  de  lui  venir  en  aide, en  lui  donnant  de  grandes  sommes 
d'argent.  D'autres  dynasties  ainsi  que  d'autres  villes  d'Italie 
s'étaient  également  déclarées  pour  lui  dès  le  début,  tandis  que 

(1)  Janssen,  a.  a.  0.  S.  540,  543  f.  548,  ^53.—  Hôfler,  a.  a.  0.  S.  185,  202  f. 
220.  —  Palagky,  a.  a.  0.  S.  126  f.  —  Ghronicor.  l.  c.  lib.  XXI.  3,  4.! 

(2)  Hôfler,  a.  a.  0.  S.  205-222  et  S.  225.  ■;—  Palagicy,  a.  a.  0.  S.  128  ff.  — 
Janssen,  a.  a.  0.  S.  590  ff. 


1-20  LE  PAPE  ROMAII^f   BONIFACE   IX 

d'autres,  à  la  nouvelle  de  son  élection, étaient  restées  hésitantes 
ou  même  hostiles.  Comme  le  voyage  à  Rome  entrait  aussi 
dans  le  plan  de  Ruprecht,  il  finit  par  s'entendre  avec  les  Floren- 
tins, et  les  subsides  à  fournir  furent  fixés  à  200,000  ducats  en 
argent,  accompagnés  d'autres  secours  ;  mais  quand  il  fallut 
payer,  beaucoup  de  mauvaise  volonté  et  beaucoup  de  tiraille- 
ments se  manifestèrent,  parce  que  les  marchands  allemands  ne 
voulaient  pas  avancer  d'argent  à  leur  propre  roi*;  déplus,  la 
conduite  de  Boniface  ne  correspondit  pas  aux  désirs  et  aux  espé- 
rances de  Ruprecht.  L'évêque  de  Verden  et  les  autres  ambassa- 
deurs allemands  étaient  revenus  de  Rome  au  printemps  de  1401, 
sans  rapporter  la  confirmation  du  pape.  Ils  ramenaient  avec  eux 
le  docteur  Antonio  de  Montécatino,  nonce  du  pape,  lequel  était 
chargé  d'exposer  à  Ruprecht  que  son  élection,  telle  qu'elle  pa- 
raissait avoir  eu  lieu  et  telle  qu'elle  était  appréciée  généralement, 
n'était  pas  tout  à  fait  légitime,  et  que  s'il  la  confirmait,  le  pape 
s'exposerait  à  de  grands  dangers  :  il  rendrait  ennemis  de  l'Église 
les  rois  de  Bohême,  de  Hongrie  et  de  Pologne,  et  en  général  tous 
les  adversaires  de  Ruprecht.  Le  nonce  devait  s'informer  en 
outre  quand  et  avec  quelle  armée  le  roi  songeait  à  venir  en 
Italie,  et  déclarer  à  Ruprecht  qu'avant  d'obtenir  la  confirmation 
du  pape,  Boniface  exigeait  qu'il  prêtât  le  serment  usité  pour  le 
couronnement  avec  les  additions  suivantes  : 

a)  Il  devait  promettre  de  ne  jamais  conclure  une  ligue  ou  un 
traité  avec  le  roi  de  France  ou  avec  un  prince  schismatique,  et 
surtout  avec  Pierre  de  Luna  et  ses  pseudo-cardinaux. 

b)  Il  ne  se  mêlerait  pas  sans  une  mission  du  pape  et  des 
cardinaux  aux  diverses  tentatives  faites  pour  mettre  fin  au 
schisme. 

c)  Il  ferait  tout  ce  qui  dépendrait  de  lui  pour  réconcilier  avec 
l'Église  le  roi  de  France,  les  autres  princes  schismatiques  et 
Pierre  de  Luna  lui-même^. 

On  ne  sait  quelle  réponse  fit  Ruprecht  au  nonce  du  pape 
lorsque  celui-ci  partit  quelque  temps  après  ;  mais  nous  savons 
qu'il  était  absolument  décidé  à  ne  pas  accepter  les  additions 
faites  au  serment  du  couronnement.  Il  aurait  préféré  soutenir 
avec  la  France  la  via  cessionis  et  l'abandon  de  l'obédience  ^.  Le 

(1)  HÔFLER,  a.  a.  0.  S.  181,  198,  209,  224  ff.  —  Janssen,  a.  a.  0.  S.  618. 

(2)  RvYNAT,!),  1401.  1-5.  -  HôFLER,  a.  a.  0.  S.  201,  228,  230. 

(3)  lIôFLicn,  a.  a.  0.  S.  230,  232. 


ET  LE  ROI  ROMAIN  RUPRECHT  DU  PALATINAT,  DE  1398  A  1403.  l2l 

roi  Ruprecht  députa  au  pape  un  autre  messager,  le  maghter 
Albert,  avec  une  lettre  datée  du  20  juillet,  par  laquelle  il  lui 
annonce  que,  pour  délivrer  l'Italie  d'une  tyrannie  insupportable 
(celle  de  Galeazzo  à  Milan),  il  se  proposait  de  se  rendre  dans  ce 
paysan  mois  de  septembre  suivant  et.  qu'il  comptait  sur  un  se- 
cours efficace  de  la  part  du  pape.  Il  raconte  ensuite  avec  vantar- 
dise qu'il  est  déjà  reconnu  partout  et  que  l'abdication  ou  la  chute 
complète  de  Yinceslas  allait  incessamment  arrivera  II  écrivait 
cette  prédiction  précisément  à  l'époque  des  négociations  de 
Schwabmunchen . 

Ruprecht  avait  formé  le  projet  d'aller  en  Italie  avec  vingt  mille 
cavaliers,  et  il  avait  désigné  Augsbourg  pour  le  lieu  de  la  réunion 
de  l'armée.  Le  jour  de  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge,  8  septembre 
1401,  tous  devaient  se  trouver  à  Augsbourg,  et  lui-même  s'y  ren- 
dit à  cette  époque  en  venant  de  Ratisbonne,  qui  s'était  soumise 
très-peu  de  temps  auparavant.  Malheureusement  les  Florentins 
n'avaient  pas  apporté  à  Augsbourg  l'argent  promis;  aussi  fallut-il 
licencier  une  partie  de  l'armée  et  l'expédition  ne  put  se  mettre 
en  marche  que  le  16  septembre.  Ruprecht  gagna  Trente,  en  tra- 
versant le  Lechfeld,  Fûssen,  Inspruck  et  Bozen.  Là  il  apprit  que 
Galeazzo  avait  occupé  militairement  les  routes  qui  conduisaient 
à  Milan  et  qu'il  avait  posté  dans  les  meilleures  positions  une 
armée  avec  laquelle  celle  de  Ruprecht  pouvait  difficilement  se 
mesurer.  Après  de  longues  délibérations,  on  résolut  de  traver- 
ser les  Alpes  dans  la  direction  de  Brescia.  Mais  la  bataille  mal- 
heureuse qui  se  livra  près  de  cette  ville  (21  octobre  1401)  obligea 
Ruprecht  à  regagner  Trente  et  à  licencier  son  armée.  Une  cam- 
pagne d'hiver  lui  parut  aussi  impossible  que  de  continuer  de 
payer  son  armée^.  Une  voulut  cependant  pas  revenir  en  Alle- 
magne, mais  il  chercha  si  en  Italie  même  il  ne  pourrait  pas 
trouver  les  ressources  pour  une  nouvelle  attaque  contre  Galeazzo 
et  préparer  ainsi  son  voyagea  Rome.  Comme  Galeazzo  faisait 
surveiller  la  route  qni  conduisait  de  Trente  en  Italie,  Ruprecht  se 
dirigea  avec  sa  famille  et  une  nombreuse  escorte  vers  le  Frioul, 
et,  après  avoir  traversé  le  pays  de  Yenise,  il  gagna  Padoue,  où 
gouvernait  François  de  Garrara  en  qualité  de  vassal  et  de  vicaire 
de  l'empire.  Il  fut  reçu  à  Padoue  ainsi  qu'à  Venise  avec  toutes 
sortes  d'honneurs  ;  les  ambassades  arrivèrent  de  tous  côtés  pour 

(1)  HôFLER,  a   a.  0.  s.  228  f.  —  Janssen.  a.  a.  0.  S.  601  ff. 

(2)  HôFLER,  a.  a.  0.  S.  239-245. 


122  LE   PAPE  EOMAm  BONIFACE  IX 

le  féliciter,  on  lo  traita  d'empereur  et  on  le  combla  de  belles 
paroles  ;  malheureusement  les  actes  ne  répondaient  pas  aux  pa- 
roles. A  Home  également,  les  choses  n'allaient  pas  au  gré  de 
Ruprecht.Déjàjavant  la  bataille  deBrescia,  Ruprecht  avait  envoyé 
pour  la  seconde  fois  à  Rome  l'évêque  de  Verden,  et  plus  tard  il 
lui  avait  adjoint  Philippe,  comte  de  Falkenstein,  et  son  secrétaire 
Buman,  auxquels  il  avait  donné  des  pouvoirs  très  étendus. 
Les  négocia';.ions  traînèrent  en  longueur,  et  le  19  mars  1402 
Boniface  IX  imposa  de  nouvelles  conditions  ;  aussi  Ruprecht,  qui 
s'était  criblé  de  dettes  dans  son  voyage  d'Italie,  repassa  les  Alpes 
au  mois  d'avril  1 402  ^ . 

En  Allemagne,  une  double  affaire  attira  l'attention  de  Ru- 
precht :  c'étaient  les  événements  de  Bohême  et  les  négociations 
avec  les  princes  électeurs  touchant  les  conditions  formulées  par 
le  pape  Boniface.  Pour  traiter  ce  second  point,  il  convoqua  les 
princes  électeurs  à  Maïence  pour  le  dimanche  après  l'octave  de  la 
Fête-Dieu  1402;  les  négociations  que  Ruprecht  entama  quelque 
temps  après  avec  le  roi  d'Angleterre,  prouvent  que  dans  cette  as- 
semblée les  princes  électeurs  approuvèrent  le  roi  d'Allemagne 
de  n'avoir  pas  accepté  les  clauses  ajoutées  au  serment  du  cou- 
ronnement, ils  lui  exprimèrent  la  confiance  où  ils  étaient  qu'il 
s'emploierait  de  toutes  ses  forces  au  rétablissement  de  l'unité  de 
l'Église.  A  la  suite  de  cette  conférence,  Ruprecht  entra  en  négo- 
ciations plus  fréquentes  avec  les  rois  de  France  et  d'Angleterre, 
c'est-à-dire  inclina  plus  qu'auparavant  vers  le  projet  de  forcer 
les  deux  prétendants  à  accepter  la  via  cessionis'^ .  Il  s'était  passé 
à  la  même  époque  en  Bohême  quelques  événements  qui  appor- 
tèrent des  modifications  à  la  situation  de  Ruprecht.  L'alliance 
dernièrement  conclue  entre  les  quatre  princes  de  Luxembourg, 
et  qui  aurait  pu  être  si  dangereuse  pour  lui,  ne  fut  que  de 
courte  durée  :  Yinceslas  avait  confié  à  son  frère  Sigismond  l'ad- 
ministration du  royaume  de  Bohème,  mais  il  y  eut  bientôt  entre 
eux  une  telle  brouille  que  le  6  mars  1402  Yinceslas  fut  saisi  dans 
la  vieille  ville  de  Prague  et  enfermé  dans  le  Hradschin.  Comme  le 
margrave  Procope  et  d'autres  seigneurs  étaient  mécontents  de 
cette  manière  d'agir,  Ruprecht  entra  en  relation  avec  eux,  après 

(1)  Janssen,  a.  a.  0.  S,  634-636,  ô-'iO  648  ff,  651-658,  661,  672-684.—  Hofler, 
a.  a.  0.  S.  254-273.  —AscrmAGii,  Gesch.  K.  Siçjisvmnds,  Tlil.  I,  S.  430. 

(2^  Janssen,  a.  a,  0.  S.  685,  688,  693  f,  703  1",  712-716.  ™.  IIofleh,  a.  a,  0, 
S.  282,  285  f. 


ET  LE  ROI  ROMAIN  RUPBECHT  DU  PALATINAT ,  DE  1398  A  1403.   123 

son  retour  d'Italie,  et  leur  promit  de  les  aider  contre  Sigismond, 
si,  de  leur  côté,  ils  voulaient  obliger  Vinceslas  à  abdiquer.  Pro- 
cope  et  les  autres  seigneurs  acceptèrent;  mais  Sigismond,  préve- 
nant leur  projet,s'empara  de  Procope à  l'aide  d'une  ruse^  et, pour 
effrayer  Ruprecht,  il  le  menaça  de  conduire  à  Milan  Vinceslas  qui 
était  toujours  son  prisonnier  et  qui  resta  sous  sa  garde  jusqu'au 
11  novembre  1403,  et,  avec  le  secours  de  Galeazzo,  de  le  faire 
couronner   empereur.  En  même  temps  il  conclut  une  alliance 
avec  les  ducs  de  Habsbourg  pour  renverser  Ruprecht.  Mais  cet 
orage,  qui  aurait  pu  être  également  si  dangereux  pour  Ruprecht, 
se  dissipa  de  lui-même,  car  Galeazzo  mourut  le  3  septembre 
1402,  et  quelque  temps  après  une  révolte  qui  éclata  en  Hongrie 
obligea  Sigismond  à  regagner  ce  pays  au  mois  de  juillet  1403. 
En  effet,  le  pape  Boniface  avait  reconnu  comme  roi  de  Hongrie  et 
de  Croatie  Ladislas  de  Naples,  qui  jusqu'alors  n'avait  été  que 
prétendant;  le  5  août  1403,  Ladislas  fut  couronné  à  Jara,  roi  de 
Croatie.  Sigismond  répondit  à  cette  mesure  du  pape  en  aban- 
donnant son  obédience.  Comme  Boniface  n'avait  plus  alors  de 
ménagements  à  garder  envers  Sigismond  et  envers  Vinceslas,  et 
que,  d'un  autre  côté, il  pouvait  craindre  que  Ruprecht  s'unît  com- 
plètement à  la  France  et  à  l'Angleterre  pour  renverser  les  deux 
papes,  il  jugea  prudent  de  confirmer,  le  l"octobre  1403,  l'élection 
de  Ruprecht,  sans  aucune  clause  et  addition.  Boniface  raconte 
d'abord  que  Vinceslas  n'a  tenu  aucun  compte  des  invitations  que 
le  pape  lui  a  prodiguées  pour  qu'il  vînt  en  Itahe,  qu'il  y  reçût  la 
couronne  impériale,  qu'il  y  luttât  contre  Galeazzo  et  contre  l'in- 
fluence française,  etc.  Un  grand  dommage  en  était  résulté  pour 
l'Église  et  pour  le  royaume,  et  les  princes  électeurs  lui  avaient 
envoyé  un  messager  pour  lui  faire   connaître  l'intention  où  ils 
éaient  de  déposer  Vinceslas.  Gomme  une  pareille  déposition  ne 
pouvait  être  faite  que  par  le  pape,  les  princes  électeurs, s'appuyant 
sur  l'autorité  pontificale  [authoritate  nostra  suffulti),di\[dÂQTii  pro- 
cédé à  cette  déposition  et  élu  Ruprecht.  Celui-ci  avait  accepté 
l'élection  et  demandé  au  pape  de  la  confirmer.  Le  pape,  informé 
de  la  concorde  qui  avait  présidé  à  l'élection  de  Ruprecht  et  des 
quahtés  du  nouvel  élu,avait  confirmé,  après  avoir  pris  conseil  des 
cardinaux,  la  déposition  de  Vinceslas  et  l'élection  de  Ruprecht.  H 


(1)  Au  mois  de  juin  1402,  Procope  mourut  en  prison  à  Presbourg  en  1405. 
On  croit  qu''on  le  laissa  mourir  de  faim. 


124  LA   FRANCE   REVIENT  A   L  OBEDIENCE   DE   BENOIT   Xllf. 

avait  promis  de  couronner  ce  dernier,  lorsque  le  moment  oppor- 
tun serait  venu,  et  de  faire  disparaître  tout  ce  qu'il  pourrait  y  avoir 
eu  de  défectueux  dans  son  élection.  D'un  autre  côté,  les  ambas- 
sadeurs de  Ruprecht,  Raban,  évêque  de  Spire,  et  Mathieu  de 
Cracovie,  son  chancelier  et  professeur,  prêtèrent,  au  nom  de  leur 
maître,  le  serment  accoutumé  et  portant  que,  si  Ruprecht  venait 
àR,ome,  il  emploierait  toutes  ses  forces  à  l'exaltation  de  l'Église 
romaine  et  du  pape,  qu'il  ne  se  permettrait  pas  d'exercer  dans 
Rome  un  pouvoir  judiciaire  quelconque,  et  qu'il  aiderait,  au 
contraire,  l'Église  romaine  à  recouvrer  toutes  ses  possessions  ^ 
Le  résultat  de  cette  reconnaissance  de  Ruprecht  par  le  pape 
fut,  on  le  devine,  que  Ruprecht  se  crut  tenu,  soit  par  devoir,  soit 
par  intérêt,  à  reconnaître  Boniface  comme  seul  pape  légitime  et  à 
s'employer  partout  dans  ce  sens.  C'était  évidemment  la  conti- 
nuation et  l'affermissement  du  schisme  ;  mais  Boniface  ne  pou- 
vait agir  autrement  :  tous  ses  efforts  devaient  tendre  à  se  rat- 
tacher plus  étroitement  le  roi  romain  d'Allemagne  et  le  futur  em- 
pereur, car  le  retour  de  la  France  à  l'obédience  de  son  adver- 
saire, 28  mai  1403,  avait  rendu  celui-ci  beaucoup  plus  puissant. 

§  719. 

LA   FRANGE   REVIENT   A   l'oBÉDIENCE   DE  BENOÎT   XIII. 
TENTATIVE   d'uNION   SOUS   INNOCENT   VII. 

L'abandon  de  l'obédience  du  pape  était  en  soi  un  fait  si  anor- 
mal, si  extraordinaire  et  de  nature  à  blesser  si  facilement  le 
sentiment  chrétien,  qu'une  réaction  était  inévitable,  et  la  vue  des 
souffrances  endurées  par  Benoît  XIII,  lequel  avait  joui  jusqu'a- 
lors de  la  vénération  publique  et  sur  la  moralité  duquel  aucun 
soupçon  n'avait  plané,  était  de  nature  à  rendre  cette  réaction  plus 
redoutable.  A  ce  double  sentimentsi  honorable  par  lui-même,  vint 
se  joindre  un  troisième  motif  moins  noble,  mais  non  moins  puis- 
sant, le  souci  de  ses  intérêts.  En  proclamant  l'abandon  de  l'obé- 
dience, Charles  YI  avait  bien  déclaré  que  les  libertés  de  l'Église 
gallicane  seraient  sauvegardées;  mais,  en  réalité,  le  gouverne- 
ment français  mit  à  profit  ce  temps  d'interrègne  pour  surcharger 
le  clergé  de  redevances  aussi  lourdes  qu'extraordinaires.  Avant 


(1)  Raynald,  1403,  1-5  et  8.  —  Janssen,  a.  a.  Oc  S.  728  ff,  et  741, 


w 


TENTATIVE  D  UNION   SOUS  INNOCENT  "VU,  125 

la  Pâque  de  1399,  le  roi  avait  déjà  déclaré  dans  une  réunion  des 
grands,  soitprélats,  soit  barons,  que  l'affaire  de  l'union  de  l'Église 
avait  déjà  coûté  beaucoup  au  trésor  royal,  sans  compter  les  dé- 
penses qu'il  y  avait  encore  à  faire  pour  les  ambassades,  etc.,  et 
qu'il  était  bien  juste  que  le  clergé  supportât  tous  les  frais.  Les 
ecclésiastiques  furent  mécontents  de  ce  langage  et  quittèrent 
l'assemblée  de  fort  mauvaise  humeur;  mais  chacun  d'eux  n'en 
fut  pas  moins  imposé  pour  un  dixième  de  son  révenu  annuel. 
Beaucoup  se  dirent  alors  :  «  Yoilà  le  premier  fruit  de  l'abandon 
de  l'obédience,  voilà  ce  que  nous  a  valu  le  patriarche  Simon 
Gramaud,  qui  a  conseillé  cet  abandon  et  qui  s'est  enrichi,  lui  et  les 
siens,  en  se  faisant  confier  de  continuelles  ambassades,  etc.  »  ^. 
L'Université  de  Paris  commença  elle-même  à  laisser  refroidir  son 
zèle  pour  l'abandon  de  l'obédience  lorsqu'elle  remarqua  que  les 
évêques  qui  s'étaient  mis  à  donner  les  bénéfices  dont  la  collation 
avait  été  jusque-là  réservée  au  pape,  ne  favorisaient  guère  ceux 
qui  appartenaient  à  l'Université  et  suivaient  surtout  leurs  caprices. 
Aussi  la  docte  corporation  suspendit-elle  ses  leçons  et  ses  ser- 
mons durant  le  carême  de  1400,  et  beaucoup  de  ses  scholares 
quittèrent  la  ville  jusqu'à  ce  que  le  roi  promit  de  remédier  à 
cette  situation^.  La  majorité  des  membres  de  l'Université  con- 
tinua à  soutenir  la  doctrine  de  l'abandon  de  l'obédience  ^  ;  mais 
l'ancienne  unanimité  aval  t  disparu,  et  quelques  professeurs,  même 
des  plus  célèbres,  comme  Nicolas  de  Clemanges  et  Gerson,  pu- 
blièrent des  écrits  et  des  lettres  que  le  public  lut  avec  avidité  et 
dans  lesquels  ils  déclaraient  illégal  l'abandon  de  l'obédience  de 
Benoît  XIII  et  demandaient  qu'on  en  revint  à  l'obédience''*.  On 
pouvait  alléguer  que  Nicolas  de  Clemanges  avait  été  pendant 
quelques  années  secrétaire  de  Benoît,  et  par  conséquent  que  son 
jugement  n'était  pas  impartial,  mais  rien  de  semblable  ne  pou- 
vait être  allégué  contre  Gerson  pour  atténuer  la  grande  impres- 
sion produite  par  ses  écrits.  L'évêque  de  Saint-Pons,  également 
membre  de  l'Université,  doit  être  compté  aussi  au  nombre  de 
principaux  adversaires  de  l'abandon  de  l'obédience  ;  il  combattit 
également  le  projet  de  réunir  un  synode  général  de  l'ancienne 


(1)  Ghronicor.  Caroli  VI,  lib.  XX.  2. 

(2)  Chronicor.  Caroli   Vi,  lib.   XX,  20.  —  Bul^us  ,  Hist.  iiniv.  Parisien., 
t.  IV,  p.  884. 

(3)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXIII,  1. 

(4)  BuL^us,  1.  c.  p.  871.  —  Schwab,  Jean  Gerson,  etc.  S.  152-160. 


128  LA  FRANCE  REVIENT  A   l'obÉDIENCE  DE  BENOÎT  XIII. 

obédience  de  Benoît  pour  trancher  la  question  religieuse.  On' 
publia  de  longs  mémoires  pro  et  contra .  ^ 

A  l'exemple  de  la  France,  la  cour  était  aussi,  touchant  cette 
affaire, -divisée  en  deux  partis,  et  la  question  religieuse  s'était 
compliquée  d'une  question  politique.  Les  oncles'du  roi,  les  ducs 
de  Berri  et  de  Bourgogne,  étaient  avec  obstination  pour  le  parti 
de  l'abandon  de  l'obédience,  tandis  qu'à  chaque  occasion  le  duc 
d'Orléans,  frère  de  Charles  VI,  se  prononçait  en  faveur  de 
Benoit  XIII  et  s'efforçait  d'éloigner  du  gouvernement  ses  deux 
oncles  (pendant  les  nombreuses  crises  du  roi)  ^.  Les  ducs  se 
prirent  souvent  de  querelle  à  ce  sujet,  même  dans  des  assemblées 
solennelles,  et  dans  un  de  ces  conflits  le  duc  d'Orléans  s'écria  : 
«  N'est-ce  pas  un  scandale  que  de  retenir  le  pape  prisonnier?] 'irai 
sous  peu  à  Avignon  etjele  délivrerai.  »  Le  duc  de  Berri  répondit 
par  des  paroles  ironiques,  et  l'on  en  vint  de  part  et  d'autre  aux 
gros  mots.  Une  autre  fois,  comme  des  députés  de  l'Université 
avaient  une  audience  du  roi,  l'un  d'eux  dit  que  «  celui  qui  atta- 
quait l'abandon  de  l'obédience  était  un  fauteur  du  schisir^e  ;  » 
paroles  qui  blessèrent  tellement  le  duc  d'Orléans  qu'il  exigea  une 
punition  contre  l'orateur.  Un  autre  jour  le  magister  Gourtecuisse 
prononça  contre  Benoît XIII  un  discours  solennel^;  mais,  par  un 
décret  du  L'  août  1401,  le  roi  n'en  confia  pas  moins  à  son  frère 
le  duc  d'Orléans  la  garde  du  pape, et  il  chargea  la  reine  de  récon- 
cilier les  ducs  entre  eux  *. 

Aussitôt  après  la  Pâque  de  1402,  Gliarles  VI  donna  une  audience 
solennelle  aux  ambassadeurs  du  roi  de  Castille  et  à  ceux  de  l'uni- 
versité de  Toulouse.  Beaucoup  de  princes  qui  avaient  accepté, 
au  début,  l'abandon  de  l'obédience,  avaient  été  ensuite  mécon- 
tents des  procédés  de  la  France;  ainsi  la  Castille  fit  déclarer 
explicitement,  dans  cette  audience  solennelle,  que  l'emprison- 
nement du  pape  était  une  chose  injuste  et  qu'il  ne  pouvait  être 
dépouillé  de  sa  charge  sans  une  décision  légale  (par  un  concile 
général).  Les  députés  de  l'université  de  Toulouse  parlèrent 
encore  avec  plus  d'énergie  et  ils  mécontentèrent  si  fort  le  duc  de 
Berri,  qui  avait  Toulouse  dans  son  gouvernement,  qu'il  les  fît 


(1)  BuLyEus,  1.  c.  p.  871,  874  sqq. 

(2)  CnnoNiGOu.  l.  c.  lib.  XXII,  4;  XXIII,  2. 

(3)  Chronigor.  1.  c.  lib.  XXIII,  1. 

(4)  DouET  d'Argq,   Choix  de  pièces  inédites  relatives  un  rc(/ne  de  Charles  VI. 
Paris,  1863,  t.  I,  p.  203,  227. 


TENTATIVE   d'union   SOUS  INNOCENT   VH.  l,-? 

mettre  tous  en  prison.  L'évêque  de  Saint-Pons,  de  son  côté,  osa 
faire  en  face,  aux  trois  cardinaux  présents  à  Paris,  la  déclaration 
suivante  :  «  Si  le  pape  vient  à  mourir,  vous  et  vos  collègues,  vous 
ne  devez  pas  prendre  part  à  la  nouvelle  élection,  car  vous  avez 
emprisonné  votre  maître,  c'est-à-dire,  vous  avez  commis  crimen 
lesœ  majestatis  ^ .  » 

A  Avignon  et  parmi  lescardinaux,il  s'était  également  produit, 
en  1402,  un  changement  en  faveur  de  Benoit  XIII.  Tous  les 
cardinaux,  presque  sans  exception,  commencèrent  à  condamner 
l'abandon  de  l'obédience,  et  à  renouer  avec  le  pape  des  rela- 
tions amicales.  Les  choses  en  étaient  là  lorsque,  le  15  mai  1403, 
Charles  VI  convoqua  une  nouvelle  et  grande  assemblée  de  ces 
prélats,  barons,  etc. ^.  Mais,  avant  même  qu'elle  se  réunît, 
Benoît  XIII  parvint  à  s'échapper  le  12  mars  1403,  et  à  gagner 
Château-Renard,  non  loin  d'Avignon.  Plusieurs  Français  lui 
avaient  conseillé  cette  fuite  et  la  lui  avaient  facilitée;  plus  de 
quatre  cents  hommes  armés  s'étaient  trouvés  à  sa  disposition. 
Toute  la  ville  d'Avignon  fut  dans  l'étonnement  et  chacun  redouta 
la  vengeance  du  pape.  Aussi  ce  ne  furent  pas  seulement  les  amis 
du  pape,  comme  les  cardinaux  de  Pampelune  et  de  Tarragone, 
qui  vinrent  le  trouver  :  les  cardinaux  qui  lui  avaient  fait  le  plus 
d'opposition  vinrent  également,  ainsi  que  les  magistrats  de  la 
ville  d'Avignon.  Chacun  accourut  à  Château-Pienardpour  obtenir 
son  pardon.  Benoît  XIII  se  montra  magnanime  et  consentit  à 
oublier  le  passé  ;  il  écrivit  de  sa  nouvelle  résidence  au  roi  de 
France,  en  lui  disant  qu'il  espérait,  avec  le  secours  de  la  France, 
faire  plus  à  Château-Renard  pour  l'unité  ecclésiastique  qu'il 
n'avait  pu  faire  auparavant  ^.  Il  envoya  en  même  temps  à  Paiis 
les  cardinaux  de  Poitiers  et  de  Saluées,  et  dans  l'audience  du 
25  mars  le  premier  de  ces  deux  prélats  s'exprima  très-énergi- 
quement  sur  les  torts  causés  par  l'abandon  de  l'obédience.  Ce  fut 
à  cette  même  époque  que  se  réunirent  les  prélats  barons  et  savants 
convoqués  par  Charles  VI.  Les  députés  des  universités  d'Orléans, 
d'Angers,  de  Montpellier  et  de  Toulouse  appuyèrent  le  cardinal 
de  Poitiers,  tandis  que  l'Université  de  Paris  ne  se  montra  pas 
) ___^ 

(1)  Ghronigor.  1,  c.  lib.  XXIII,  1.  — Bul^eus,  I.  c,  t.  V,  p.  4-54. —  Schwab 
Jean  Gerson,  etc.  S.  153  f. 

(2)  Ghronigor.  S.  c.  lib.  XXIII,  13. 

(3)  Ghronigor.  K  c.  lib.  XXIII,  16  et  lib.  XXIV,  4.  —  Ghristophe  ,  JïisÉ.  de 
la  Papauté  au  xiv«  siècle,  l.  III,  p.  143  ff. 


128  LA  FRANCE  REVIENT  A  L  OBEDIENCE  DE  BENOIT  XIII. 

d'accord  avec  elle-même.  En  revanche  le  cardinal  de  Thury,  le 
patriarche  Simon  Gramaud^  les  ducs  de  Berri  et  de  Bourgogne  et 
d'autres  personnages  soutinrent  l'abandon  de  l'obédience.  On 
aurait  discutéjlongtemps  encore  et  sans  aucune  utilité  si  le  duc 
d'Orléans  n'avait  mis  hn  aux  débats.  Avec  la  permission  du  roi 
il  chargea  les  métropolitains  de  recueillir  secrètement  et  par 
écrit  les  votes  de  leurs  suflFragants  et  des  autres  membres.  11 
réunit  ensuite  les  prélats  le  28  mai  dans  le  château  de  Saint-Paul. 
Lorsqu'il  apprit  combien  était  grand  le  nombre  de  ceux  qui  de- 
mandaient le  rétablissement  de  l'obédience,  il  se  rendit  accom- 
pagné de  plusieurs  archevêques  et  évêques  auprès  du  roi,  lui 
annonça  ce  qui  venait  de  se  passer  et  lui  remit  les  votes  par  écrit. 
Après  avoir  vu  ce  document,  le  roi  GharlesVI  se  prononça  immé- 
diatement et  avec  joie  pour  Benoit  XIII,  et  il  déclara  sur  la  croix 
dans  un  acte  solennel  :  «  Je  restitue  de  la  manière  la  plus  com- 
plète l'obédience  à  mon  seigneur  le  pape  Benoît.  »  Lorsque  les 
ducs  de  Berri  et  de  Bourgogne  eurent  connaissance  de  ce  qui 
venait  de  se  passer,  ils  en  conçurent  un  grand  mécontentement; 
mais  ils  finirent  par  se  laisser  gagner  par  le  roi,  et  dans  le  sein 
même  de  l'Université  de  Paris,  deux  nations,  les  Français  et  les 
Picards,  se  prononcèrent  en  faveur  de  l'obédience,  tandis  que  les 
Allemands  votèrent  pour  la  neutralité  et  les  Normands  pour  la 
continuation  de  l'abandon  de  l'obédience  ^ .  Le  lendemain  d'Ailly 
prêcha  à  Notre-Dame  pour  le  rétablissement  de  l'union.  A  la  fin 
de  son  discours,  il  lut  les  assurances  données  par  le  pape  au  duc 
d'Orléans  : 

1.  Il  acceptait  la  via  cessioms  dans  les  trois  cas  suivants  :  si 
son  adversaire  venait  à  abdiquer,  à  mourir,  ou  à  être  déposé. 

2.  Il  rétractait  toutes  les  démarches  qu'il  avait  faites  ou  laissé 
faire  touchant  l'abandon  de  l'obédience. 

3.  Dans  le  futur  concile  général,  il  ne  serait  pas  question  de  cet 
abandon  de  l'obédience  (pour  ménager  la  France). 

4.  Que  tous  les  désagréments  et  tous  les  torts  causés  par  cet 
abandon  de  l'obédience  seraient  pardonnes  et  oubliés. 

5.  Que  le;  ducs  français  pourraient  demander  au  pape  de  dimi- 
nuer les  charges  qui  pesaient  sur  l'Éghse  de  France  et  de  recon- 
naître les  collations  de  bénéfices  faites  pendantl'abandon  de  l'obé- 
dience. 

(1)  GimoNiGOR.  1.  c.  lib,  XXIV,  5. 


TENTATIVES   D  UNION   SOUS   INNOCENT   VII.  129 

6.  Au  plus  tard  dans  le  délai  d'un  an,  le  pape  convoquerait  un 
concile  général  de  son  obédience,  pour  délibérer  sur  l'unité  à 
rendre  à  l'Église,  sur  ses  réformes  et  sur  ses  libertés,  et  sur  les 
revenus  que  le  pape  pouvait  prélever  en  France.  —  A  la  suite  de 
ces  déclarations  le  cardinal  de  Thury  se  déclara  prêt  à  rentrer 
dans  l'obédience  de  Benoît  XIII,  et  trois  jours  après  toute  l'uni- 
versité de  Paris  le  suivit  dans  cette  voie  * . 

Au  mois  d'octobre  1403,  le  duc  d'Orléans  vint  en  personne 
trouver  Benoît  XIII  pour  lui  rappeler  les  promesses  qu'il  avait 
faites.  L'université  de  Paris  envoya  en  même  temps  une  ambas- 
sade, et  le  9  novembre  Gerson,  qui  en  faisait  partie,  prononça  à 
Marseille  devant  le  pape  un  très-beau  discours,  mais  Benoît  XIII  ne 
tarda  pas  à  montrer  combien  peu  sérieuses  étaient  ses  promesses. 
Ainsi  il  refusa  de  reconnaître  les  collations  de  bénéfices  faites 
pendant  l'abandon  de  l'obédience,  et  il  envoya  dans  divers  pays 
de  France  des  collecteurs,  sous  prétexte  de  faire  payer  au  clergé 
des  arriérés  d'impôts,  qui  remontaient  à  quarante  ans  environ. 
Aussi  Charles  YI,  se  vit-il  dans  la  nécessité  de  publier,  lors  de  la 
nouvelle  année  de  1404,  un  décret  par  lequel  il  promettait  de 
défendre  ses  sujets  contre  de  pareilles  prétentions.  A  la  même 
époque,  c'est-à-dire  pour  la  fête  de  la  nouvelle  année  1404, 
Gerson  prononça  à  Tarascon,  en  présence  du  pape,  un  discours 
très-hardi.  Aussi,  pour  faire  au  moins  quelque  chose,  Benoît  XIII 
publia,  le  8  janvier  1404,  quelques  bulles  par  lesquelles  il  abro- 
geait toutes  les  censures  décrétées  contre  les  Français  à  la  suite 
de  l'abandon  de  l'obédience,  promettait  de  convoquer  un  concile 
général,  se  reconnaissait  encore  lié  par  les  promesses  qu'il  avait 
faites  dans  le  conclave  et  se  déclarait  prêt  à  faire  tout  ce  qui  serait 
nécessaire  pour  parvenir  à  l'union.  On  ne  pouvait  guère  songer 
à  obtenir  de  Benoît  plus  que  ces  vagues  assurances  ^. 

Au  mois  de  juin  suivant,  Benoît  envoya  à  son  rival  Boniface  IX 
plusieurs  ambassadeurs  ayant  à  leur  tête  l'évêque  de  Saint-Pons. 
Ils  furent  reçus  en  audience  au  Vatican  les  22  et  29  septembre, 
et  ils  émirent  la  proposition  suivante,  déjà  rejetée  depuis  long- 
temps par  la  France. 

Les  deux  prétendants  devaient  se  réunir  en  un  endroit  offrant 


(1)  Ghronicor.  l.  c.  lib.  XXIV,  6-8.—  Mansi,  t.  XXIV,  p.  1200.— Hardouin, 
t.  VIII,  p.  61. 

(2)  Ghronicor.  lib.  XXIV,  16. — Martène  et  Durand,  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  681- 
685,  —  Raynald,  1404,  3-5.  —  Schwab,  Jean  Gerson,  etc.  S.  169-179. 

T.  X.     9 


130  LA  FRANCE  REVIENT  A   l'obÉDIENCE   DE  BENOÎT  XIII. 

toute  sécurité  pour  se  concerter  sur  les  moyens  de  procurer  la 
paix.  Si  l'on  ne  pouvait  parla  atteindre  le  but  qu'on  se  proposait, 
les  deux  prétendants  nommeraient  en  commun  des  arbitres,  les- 
quels auraient  ensuite  à  décider  quel  était  le  pape  légitime.  Pour 
démontrer  son  grand  désir  de  procurer  la  paix,  Benoît  XIII  ne 
demandait  pas  que  Boniface  vînt  le  trouver,  il  s'offrait  au  con- 
traire à  se  rendre  en  Italie,  sur  un  territoire  neutre.  De  plus  il 
s'offrait  à  défendre  à  ses  cardinaux  de  lui  donner  un  successeur 
s'il  venait  à  mourir,  mais  il  demandait  que  Boniface  IX  en  fît  au- 
tant; celui-ci  repoussa  ces  propositions  et  déclara  que  Benoît  XIII 
n'était  qu'un  antipape,  ce  à  quoi  l'évéque  de  Saint-Pons  répondit 
par  de  dures  paroles.  Boniface  s'anima  tellement  dans  la  discus- 
sion que  son  état  déjà  maladif  empira,  et  il  mourut  deux  jours 
après,  le  1"  octobre  1404  ». 

Les  ambassadeurs  français  furent  regardés  comme  ayant  causé 
la  mort  du  pape,  et  le  commandant  du  cbâteau  Saint-Ange  les 
fit  mettre  en  prison.  Nonobstant  l'intervention  des  cardinaux, 
ils  ne  purent  racheter  leur  liberté  qu'en  faisant  un  présent 
de  5000  ducats  ^.  Aussitôt  après,  ils  prièrent  instamment,  au 
nom  de  leur  maître,  les  cardinaux  de  ne  pas  procéder  à  une 
nouvelle  élection.  On  leur  promit  une  réponse,  et  ils  l'atten- 
dirent à  Soriano  et  à  Florence,  parce  qu'ils  ne  se  croyaient 
plus  en  sûreté  à  Rome.  Mais  la  réponse,  fut  la  nouvelle  de 
l'élection  d'un  nouveau  pape  (Innocent  YII  ;  elle  avait  eu  lieu 
à  Rome  le  17  octobre);  et  le  cardinal  d'Aquilée  invita,  au  nom 
du  nouveau  pape,  les  ambassadeurs  à  revenir  à  Rome  !pour  y 
traiter  de  nouveau  la  question  de  l'unité  de  l'Église  ;  on  leur 
promettait  tous  les  saufs-conduits  nécessaires  pour  cela.  Mais 
lorsque  les  ambassadeurs  envoyèrent  à  Rome  pour  avoir  un 
sauf-conduit  écrit,  Innocent  VII  déclara  que,  s'ils  n'avaient  pas 
de  meilleures  propositions  à  lui  faire  que  les  précédentes,  il 
était  bien  inutile  qu'ils  vinssent  et  qu'on  pourvût  à  leur  sû- 
reté. Les  ambassadeurs  apprirent  en  même  temps  qu'Inno- 
cent VII  avait  convoqué  un  synode  pour  la  Toussaint  de  1405 
(il  n'eut  pas  lieu),  et  ils  en  conclurent  qu'avant  l'ouverture  de 
cette    assemblée  il   n'entamerait   aucune   négociation.  Aussi 


(1)  Martène  et  Durand,  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  lxiii  et  686  sqq.  —  Chroni- 
coR.  Caro/i  77, 1  c.  lib.  XXV,  22.  —  Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III.  S.  150  f. 

(2)  Ghronigor.  1.  c.  et  Martène,  1.  c.  p.  690. 


TENTATIVES   D'UNION   SOUS   INNOCENT  VII.  131 

regagnèrent -ils  la  France  et,  la  veille  du  dimanche  des  Rameaux 
[Pascha  floî'idum)  1 1  avril  1405,  ils  firent  leur  rapport  par-devant 
Benoit  XIII  et  son  consistoire  * .  Tel  est  le  récit  que  fait  Benoît  XIII 
lui-même  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  quelque  temps  après  à 
Charles  VI.  Nous  allons  voir  comment  ces  assertions  ont  été 
réfutées  par  le  pape  romain. 

Innocent  VII,  auparavant  GosimoMigliorati  ouGosmasMeliorati, 
descendait  d'une  modeste  famille  de  Sulmona  dans  les  Abruzzes  ; 
Urbain  VI  l'avait  nommé  archevêque  de  Ravenne  et  de  Bologne, 
et  Boniface  IX,  cardinal-prêtre  de  S.  Groce  in  Jérusalem;  mais 
on  l'appelait  ordinairement  le  cardinal  de  Bologne.  Il  avait  la  ré- 
putation d'un  homme  savant  et  vertueux.  Il  était  en  effet  de 
mœurs  irréprochables,  ennemi  du  luxe  et  de  la  simonie  et  sans 
âpreté  pour  le  gain.  De  même  que  tous  ses  collègues,  il  avait 
promis  par  serment,  en  entrant  au  conclave,  que,  s'il  était  élu,  il 
ferait  sans  hésitation  tout  ce  qui  serait  nécessaire  pour  rétablir  la 
paix  de  l'Église  et  qu'il  consentirait  même  pour  cela  à  résigner 
sa  charge^;  aussitôt  après  son  entrée  au  pouvoir,  il  annonça  un 
concile  général  de  son  obédience,  pour  chercher  les  moyens  d'a- 
méliorer sa  situation  '.  Le  roi  romain  d'Allemagne  Buprecht  avait 
fortement  engagé  Innocent  VII  à  agir  de  cette  manière.  A  la  pre- 
mière nouvelle  de  la  mort  du  pape  Boniface  IX,  ce  prince  avait 
ordonné  à  son  ambassadeur  à  Rome,  Ulrich  d'Albeck,  de  repré- 
senter au  collège  des  cardinaux  combien  il  serait  nécessaire  de 
convoquer  une  assemblée  de  ce  genre,  et  il  renouvela  cette  de- 
mande dans  les  premières  communications  qu'il  fit  au  pape  au 
mois  de  mars  1405*.  Mais  malheureusement  le  pape  Innocent  ne 
tarda  pas  à  tomber  sous  la  dépendance  de  Ladislas  roi  de  Naples, 
fils  et  successeur  de  Gharles  de  Durazzo.  En  effet,  comme  l'élec- 
tion du  nouveau  pape  avait  excité  une  grande  émotion  dans  Rome, 
une  partie  du  peuple  rêva  de  reconquérir  sa  liberté  et  voulut 
anéantir  le  pouvoir  temporel  du  pape,  mais  le  roi  Ladislas  vint 
au  secours  d'Innocent  VII  et  étouffa  la  révolte^.  Il  demanda  qu'eu 
retour  Innocent  lui  promît  de  ne  rien  conclure  touchant  It'S 


(1)  Çhronicor.  Caroli  YI,  1.  c.  lib.  XXV,  22.—  Martène,  etc.,  t.  VII,  p.  6S0 

sqq. 

(2)  Le  serment  se  trouve  dans  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1274. 

(3)  Raynald,  1404,  12. 

(4)  Janssen,  Frankfurts  Reichscorrespondenz,  1863,  Bd.  I,  S.  755  ff.  et  767  ff. 

(5)  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1277. 


132  LA   FRANCE  EEVIEKT   A   l'obÉDIENCE   DE   BENOÎT   XIII. 

affaires  de  l'Église  sans  que  ses  droits  (ceux  de  Ladislas)  fussent 
garantis.  Il  craignait  que  le  pape  l'abandonnât  lui  et  ses  droits 
douteux  pour  gagner  l'appui  de  la  France.  De  plus,  il  cherclia 
activement  à  augmenter  son  pouvoir  dans  Rome  et  dans  les  États 
de  l'Église,  et  ce  fut  grâce  à  lui  que  Tannée  suivante  le  parti 
gibelin  se  révolta,  de  telle  sorte  que  le  pape  fut  obligé  de  s'enfuir 
à  Yiterbe^ 

Sur  ces  entrefaites,  Benoît  XIII  déclara  publiquement  qu'il 
voulait  aller  à  Rome  négocier  personnellement  avec  son  adver- 
saire. L'un  des  princes  français  devait  l'accompagner,  et  ce  fut  le 
duc  de  Bourbon  qui  fut  désigné  pour  cela.  Mais  comme  le  roi  ne 
pouvait  se  passer  de  lui,  Louis  d'Anjou,  l'ex-roi  de  Naples,  se 
présenta  pour  le  remplacer,  et  pendant  ce  temps  Benoît  gagna 
Nice,  c'est-à-dire  la  frontière  de  l'Italie.  Aussitôt  après  la  Pâque 
de  1405,  il  poursuivit  son  voyagej  usqu'à  Gênes,  en  se  faisant 
suivre  par  de  nombreuses  troupes,  et  ce  fut  de  cette  ville 
que,  le  27  juin  1405,  il  écrivit  à  Charles  YI  la  lettre  dont  nous 
nous  sommes  servi  plus  haut;  il  espérait  qu'en  retour  le  roi  de 
France  lui  ferait  connaître  les  derniers  événements  survenus  à 
Rome  et  qui  concernaient  Innocent  VII.  Pour  couvrir  les  frais 
de  son  voyage,  il  avait  imposé  de  nouveau  le  clergé  français,  ce 
qui  avait  causé  un  grand  mécontentement  2.  Ce  mécontente- 
ment augmenta  encore  lorsque,  au  mois  d'avril  1405,  on  fit 
courir  une  lettre  du  pape  Innocent  YIl  à  l'université  de  Paris, 
laquelle  était  très-peu  flatteuse  pour  Benoît  ;  c'était  une  réponse 
aux  deux  lettres  envoyées  par  V  Université  les  9  et  26  novembre 
de  l'année  précédente  et  qui  avaient  été  apportées  à  Rome  par 
Pierre  de  Bruxelles  pour  qu'elles  servissent  à  la  cause  de  l'uniLé 
de  l'Église.  Innocent  loue  le  zèle  de  l'Université,  proteste  qu'il  le 
partage  et  parle  ensuite  de  l'ambassadeque,  Benoit  XIII  aenvoyée 
à  son  prédécesseur  quelque  temps  avant  la  mort  de  celui-ci. 
lanocent  VII  s'efforce  de  prouver  que  si  ces  négociations  n'ont 
pas  abouti,  c'est  au  parti  d'Avignon  qu'on  le  doit,  et  cela  pour 
les  raisons  suivantes  : 

a)  Dans  l'audience  que  leur  accorda  Boniface  IX,  les  ambassa- 
deurs de  Benoît  XIII  proposèrent  une  entrevue  des  deux  préten- 


(1)  Raynald,  1404,  14,  16  et  1405,  7-10.  —  Theod.  a  Nifm,  De  Schismate, 
lib.  II,  c.  34-37.  — Papencobdt,  Gescli.  d.  SUtdt  Rom.  1857,  S.  45^  ff. 

(2)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XX.VI,  1,  6,  24. 


TENTATIVES   d'uNION   SOUS  INNOCENT  VII.  133 

dants,  et  ajoutèrent  que  lorsqu'on  leur  aurait  rendu  réponse,  ils 
feraient  connaître  les  détails  de  cette  entrevue,  lesquels  étaient 
tout  à  fait  favorables  à  Boniface.  Celui-ci  avait  répondu  que  la 
maladie  l'empêchait  d'accepter  cette  proposition,  et  il  demanda 
avec  insistance,  mais  inutilement,  qu'on  lui  fît  connaître  les  dé- 
tails en  question. 

b)  Après  la  mort  du  pape  Boniface,  les  cardinaux  demandèrent, 
avant  leur  entrée  en  conclave,  si  les  ambassadeurs  d'Avignon 
avaient  des  instructions  spéciales  pour  le  cas  qui  se  présentait, 
car  à  Rome  on  était  tout  à  fait  décidé  à  ne  pas  procéder  à  une 
nouvelle  élection,,  si  (à  ce  moment  oii  le  Siège  de  Rome  était 
vacant)  l'autre  prétendant  consentait  à  abdiquer  ;  c'était  incon- 
testablement le  moyen  le  plus  simple  de  rétablir  l'union 
Les  ambassadeurs  avignonnais  étant  sans  instructions  et  sans 
pleins  pouvoirs  sur  ce  point,  on  les  pria  d'envoyer  l'un  d'entre 
eux  à  leur  maître  pour  obtenir  ces  pouvoirs  et  ces  instructions; 
mais  ils  répondirent  que  Benoît  XIII  n'accepterait  certainement 
pas  la  via  cessionis,  parce  qu'elle  était  rejetée  par  le  roi  et  par 
la  justice. 

c)  S'ils  furent  appréhendés  au  corps  par  le  commandant  du 
château  Saint-Ange,  ce  fut  tout  à  fait  leur  faute.  Les  cardinaux 
leur  avaient  conseillé  de  se  tenir  tranquilles  pendant  l'émotion 
populaire  causée  par  la  mort  du  pape  Boniface  et  de  rester  sous  la 
protection  du  sacré-collége  ;  eux,  au  contraire,  voulurent  s'en 
aller,  et  ils  tombèrent  ainsi  entre  les  mains  de  cet  officier  sur  le- 
quel les  cardinaux  n'avaient  aucune  autorité  pendant  la  vacance 
du  Saint-Siège  ^ 

La  lettre  du  pape  fut  lue  dans  une  réunion  générale  de  l'uni- 
versité de  Paris,  le  21  avril  1405  2,  et  comme  on  connaissait  déjà 
l'exposé  contraire  des  ambassadeurs  d'Avignon,  beaucoup  accu- 
sèrent de  mensonge  le  pape  Innocent.  Le  duc  de  Berri,  soucieux 
de  connaître  exactement  ce  qui  s'était  passé,  envoya  des  députés 
à  Rome,  et  il  leur  donna  pour  Innocent  une  lettre  dans  laquelle 
il  faisait  appel  à  sa  connaissance  de  l'Écriture  sainte  et  à  celle  des 
auteurs  profanes  pour  dépeindre  les  torts  que  causait  le  schisme 
à  tous  les  États  et  poup  démontrer  au  pape  que  son  devoir  était 
de  faire  des  sacrifices  pour  que  ce  triste  état  de  choses  prît  fin. 


(1)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVI,  2.  —  Christophe,  a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  151  f. 

(2)  BuL^us,  1.  c.  t.V,  p.  114. 


134  LA  FRANCE  REVIENT  A   l'oBÉDIENCE   DE   BENOÎT  XIII, 

La  lettre  se  termine  par  quelques  lignes  d'une  jactance  toute 
française.  Cette  lettre  nous  apprend,  entre  autres  choses 'que,  dans 
le  corps  de  l'Église,  le  pape  est  la  tête,  le  prélat  les  yeux,  le 
clergé  les  oreilles,  les  moines  le  nez,  les  princes  temporels  les 
mains,  le  peuple  les  pieds,  et  que  c'est  un  cardinal  Nicolas  qui  a 
créé  la  secte  des  mahométans.  Le  duc  de  Berri  dit  en  outre  que 
Benoît  Xin  avait  fait  connaître  à  ses  ambassadeurs  à  Rome  qu'il 
était  tout  prêt  à  abdiquer,  tandis  que  son  adversaire  avait  fait  la 
sourde  oreille  à  une  proposition  de  ce  genre  * . 

Dans  sa  réponse,  le  pape  Innocent  loue  le  zèle  du  duc  pour 
l'unité  de  l'Église,  mais  il  ajoute  que  la  France  aurait  dû  faire 
preuve  d'un  zèle  analogue  lorsque  avait  eu  lieu  à  Fondi  l'élection 
d'un  antipape  (Clément  VII).  Il  était  tout  à  fait  faux  que  les  am- 
bassadeurs de  Benoît  XIII  eussent  fait  connaître  l'intention  d'ab- 
diquer qu'aurait  eue  leur  maître  :  ils  s'étaient  bornés  à  inviter 
Boniface  IX  à  une  entrevue  ;  mais  celui-ci  n'avait  pu  accepter 
cette  proposition,  parce  qu'il  était  malade.  Après  la  mort  du  pape, 
on  n'aurait  pas  procédé  à  Rome  à  une  nouvelle  élection  si  les 
ambassadeurs  avaient  eu  pleins  pouvoirs  pour  déclarer  que,  dans 
un  cas  de  cette  nature,  leur  maître  était  prêt  à  résigner  sa  charge. 
Innocent  dit,  en  terminant,  que,  quoique  le  droit  soit  de  son  côté, 
il  ne  serait  jamais  un  obstacle  au  rétablissement  de  l'union  2. 
Après  l'arrivée  de  ces  lettres  en  France,  le  clergé  et  la  noblesse 
furent  généralement  d'avis  que  les  ambassadeurs  de  Benoît 
n'avaient  pas  dit  la  vérité,  et  au  mois  de  septembre  1405  l'uni- 
versité de  Paris  envoya  des  députés  à  Rome  pour  négocier  avec 
Innocent  sur  la  paix.  Le  duc  de  Berri  écrivit  de  son  côté  une  fois 
de  plus  à  Innocent  et  aux  cardinaux^  pour  prier  ces  derniers  de 
ne  procéder  à  aucune  nouvelle  élection  si  le  pape  venait  à  mourir, 
leur  protestant  que  dans  le  camp  opposé  on  agirait  de  la  même 
façon  ^. 

Tandis  que  l'autorité  de  Benoît  XIII  semblait  ainsi  diminuer 


(1)  Martène  et  Durand,  Vet.  Script,  t.  VII  p.  695  sqq.  —  Chronicor,  lib. 
XXVI,  3.  —  BuL^us,  1.  c.  t.  V,  p.  118. 

(2)  Martène,  etc.,  t.  VII,  p.  702.—  Chronicor.  1.  c.  La  Chronique  dit  que 
cette  lettre  du  pape  Innocent  est  datée  du  9  Cal.  Mail,  c'est-à-dire  du  23  avril; 
mais  cela  est  impossible,  car  cette  lettre  du  pape  Innocent  à  l'université  de 
Paris,  lettre  qui  donna  lieu  à  une  correspondance  ,'entre  le  duc  de  Berri  et 
le  pape  Innocent,  fut  remise  le  21  avril. 

(3)  Chronicor.  1.  c.  XXVI ,  3  et  27.  —  Bul^us,  1.  c.  t.  V,  p.  119.  —  Mar- 
tène, etc.,  t.  VII,  p.  712. 


TENTATIVES  d'UNION  SOUS  INNOCENT  VII.  135 

en  France, elle  grandissait  en  Italie:  Gènes,  Pise  et  d'autres  villes 
acceptèrent  son  obédience,  et  beaucoup  regardèrent  comme 
une  preuve  des  excellentes  intentions  de  ce  pape,  la  demande 
qu'il  adressa  de  Gènes  à  son  compétiteur  d'accorder  un  sauf- 
conduit  aux  ambassadeurs  qu'il  voulait  lui  envoyer. 

Innocent,  n'ayant  pas  voulu  accepter  cette  proposition,  fut 
dépeint  comme  un  brouillon  par  tout  le  parti  d'Avignon  et,  de 
plus,  plusieurs  des  cardinaux  et  des  employés  d'Innocent  VII 
furent  excessivement  irrités  lorsque  le  pape  déclara  que  les 
promesses  par  lui  faites  avant  son  élection  ne  le  liaient  plus. 

Depuis  que  la  révolte  des  Gibelins  l'avait  obligé,  le  6  août  1405, 
à  s'enfuir  de  Rome  à  Viterbe,  Innocent  ne  semble  plus  avoir  eu 
les  mêmes  sentiments  à  l'égard  de  l'union  :  les  démarches  et  les 
intrigues  politiques  de  Benoît  XIII  firent  naître  en  lui  une 
grande  défiance,  et  ce  fut  là  la  raison  qui  l'empêcha  de  donner  un 
sauf-conduit  aux  ambassadeurs  de  son  adversaire*. 

Pour  se  rendre  la  France  plus  favorable,  Benoît  XIII  envoya  à 
Paris,  au  commencement  de  l'année  1406,  le  cardinal-diacre 
Ghalant.  Il  avait  pour  mission  de  gagner  les  ducs  ;  mais  il  fut 
mal  reçu  et  on  le  remit  à  la  Pâque  pour  lui  donner  audience. 
Il  voulut  employer  ce  délai  à  intriguer  auprès  du  duc  de  Berri, 
qui  était  le  plus  ardent  pour  la  via  cessionis,  et  il  chercha  à  lui 
représenter  l'Université  comme  «  un  nid  de  brouillons  »  qui 
avait  bien  moins  souci  de  l'union  de  l'Église  que  de  réaliser  leurs 
théories.  Mais  le  duc  de  Berri  lui  répondit  d'une  façon  très-acerbe, 
lui  disant  que  son  plus  grand  souci, àlui  et  aux  autres  cardinaux, 
était  de  continuer  à  prélever  leur  argent  de  France  2.  L'opinion 
était  à  ce  moment-là  très-peu  favorable  à  Benoît  XIII.  On  pré- 
tendait qu'à  Gênes  il  avait  déclaré  plusieurs  fois  qu'il  préfére- 
rait n'être  qu'un  pauvre  chapelain  plutôt  que  d'accepter  la  via 
cessionis^. 

L'avant-dernier  jour  d'avril,  le  cardinal  Ghalant  prononça  enfin 
son  discours  officiel  dans  le  palais  du  roi  ;  il  s'étendit  en  un  latin 
très-prolixe  sur  le  schisme  et  ses  tristes  suites;  il  loua  le  pape 
Benoît  au  delà  de  toute  mesure  et  eut  des  passages  très-mordants 
contre  tous  ceux  qui  accusaient  Benoît  de  négligence.  Lorsqu'il 


(1)  Raynald,  i405,  14-17.--  Chronigor.  1.  c.  lib.  XXVI,  6.— Theod.  a  Niem, 
1.  c.  lib.  II,  c.  38. 

(2)  Chronigor.  1.  c.  lib.  XXVI,27. 

(â)  Martènb,  2Vies.  t.  II,  p.  1344,  n"  xxxv. 


136        LA  FRANCE   REVIENT  A   l'oBÉDIENCE  DE  BENOÎT  XIII,    ETC. 

eut  fini,  maître  Jean  Petit  demanda  que  l'Université  de  Paris 
fût  également  entendue;  on  le  lui  accorda,  et  on  fixa  au  17  mai  1 406 
le  jour  de  la  réponse.  Maître  Jean  Petit  développa  ce  jour-là  les 
trois  points  suivants  : 

a)  On  doit  en  revenir  à  l'abandon  de  l'obédience,  parce  que  Be- 
noît XllI  n'a  pas  rempli  les  conditions  auxquelles  il  s'était  engagé. 

b)  Le  mémoire  de  l'université  de  Toulouse  contre  l'abandon 
de  l'obédience  doit  être  condamné. 

c)  L'Église  gallicane  doit  être  protégée  contre  les  extorsions 
d'argent  etc.  ordonnées  par  les  papes. 

Comme  beaucoup  de  personnes  furent  mécontentes  de  ce 
discours,  les  ducs  pensèrent  que  le  mieux  était  de  déférer  l'affaire 
au  parlement,  et  cette  assemblée  indiqua  à  l'Université  le  7  juin 
comme  jour  de  débats.  Le  professeur  Plaoul  (Plaon)  parla  sur  le 
mémoire  toulousain;  Jean  Petit  développâtes  deux  autres  propo- 
sitions qui  accompagnaient  celles  de  la  condamnation  du  mémoire 
de  Toulouse,  et  le  lendemain  l'avocat  du  roi,  Jean  Juvénal  des 
Ursins,  homme  de  grande  science,  rendit  sa  décision  juridique.  Il 
montra  : 

a)  Que  le  mémoire  de  Toulouse  portait  atteinte  à  l'honneur  du 
roi;  que,  par  conséquent,  il  fallait  brûler  ce  document  et  punir 
son  auteur  comme  criminel. 

b)  Benoît  n'avait  pas  rempli  les  conditions  acceptées  par  lui, 
lors  du  retour  à  son  obédience;  aussi  le  roi  avait-il  le  droit  de 
remettre  en  vigueur  cet  abandon  de  l'obédience. 

c)  Il  était  également  dans  son  droit  en  s'opposant  aux  de- 
mandes exagérées  d'argent  faites  par  le  pape. 

Les  amis  de  Benoît  XIII  demandèrent  un  plus  long  délai  pour 
se  mieux  concerter,  et  le  Parlement  différa,  en  effet,  de  rendre 
une  décision  jusqu'à  ce  que  le  roi  demandât  qu'on  en  fînîL 

Yoici  quelle  fut  la  décision  prononcée  vers  la  fin  du  mois  de 
juillet  :  le  manuscrit  original  de  Toulouse  devait  être  brûlé  de- 
vant les  portes  mêmes  de  la  ville  de  Toulouse,  et  des  copies  de  ce 
manuscrit  être  également  brûlées  devant  les  portes  d'Avignon, 
de  Montpellier  et  de  Lyon .  Quiconque  en  garderait  une  copie 
encourrait  une  amende  de  1000  marcs  d'argent.  L'auteur  et  le 
propagateur  de  cet  écrit  seraient  punis  comme  criminels. 

Le  cardinal  Ghalant  s'éloigna  alors  de  Paris,  et  l'Univer- 
sité demanda  qu'on  donnât  également  suite  aux  deux  autres 
propositions  émises  par  elle,  et  en  effet,  le  11  septembre,  le  Par- 


CONCILE   GÉNÉRAL  FRAINÇAIS   TENU  EN    1406.     DEMI-MESUBES.      137 

lement  décréta  et  le  roi  confirma  ce  décret,  que  l'Église  gallicane 
ne  pourrait  être  molestée  par  suite  de  nouvelles  redevances 
demandées  par  le  pape.  Quant  à  la  dernière  des  trois  proposi- 
tions universitaires,  c'est-à-dire  à  la  réitération  de  l'abandon 
de  l'obédience,  il  fut  réglé  qu'elle  serait  examinée  dans  un 
concile  général  de  la  nation  française  tenu  le  jour  de  la  Tous- 
saint * . 

§  720. 

CONCILE   GÉNÉRAL  FRANÇAIS   TENU  EN    1406.    DEMI-MESURES. 

Sur  ces  entrefaites,  le  pape  Innocent  YII  était  mort  le  6  no- 
vembre 1406,  à  Rome,  oii  il  était  revenu  au  mois  de  mars,  sur 
l'invitation  des  Romains.  Le  concile  général  français  s'ouvrit  le 
18  novembre  1406,  sans  qu'il  eût  connaissance  de  cette  mort. 
On  compta  dans  l'assemblée  soixante-quatre  évêques,  environ 
cent  quarante  abbés  et  un  très -grand  nombre  de  docteurs  et 
de  licenciés  de  toutes  les  universités.  Après  un  service  so- 
lennel, les  membres  de  l'Assemblée  se  rendirent  en  proces- 
sion dans  la  petite  aida  du  palais  royal  situé  sur  les  bords 
de  la  Seine.  Le  patriarche  d'Alexandrie  et  le  recteur  de  l'uni- 
versité de  Paris  occupèrent  les  places  d'honneur  ;  dans  les 
solennités  publiques  le  recteur  avait,  du  reste,  le  pas  sur 
l'évêque  de  Paris  ^.  En  l'absence  du  roi,  ce  furent  les  ducs  de 
Guienne  et  de  Paris  et  Louis  roi  de  Naples  qui  présidèrent 
l'assemblée.  Le  premier  jour,  le  franciscain  et  docteur  Pierre 
aux  Bœufs  [ad  Boves)  parla  pour  l'abandon  de  l'obédience. 
Les  trois  jours  suivants,  Jean  Petit  parla  dans  le  même  sens. 
Les  amis  de  Benoit  demandèrent  alors  qu'on  désignât  aussi 
des  défenseurs  du  pape.  L'Université  combattit  cette  pro- 
position avec  quelque  partialité.  Néanmoins  Pierre  d'Aiily, 
évêque  de  Cambrai,  Guillaume  Pilastre,  doyen  de  Reims  (plus 
tard   cardinal  Benoît),  et  Amélie   du  Breuil,   archevêque  de 


(t)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVII,  1,  2,  3.  —  BoraGEOis  dh  Ghastenet,  Nou- 
velle Histoire  du  concile  de  Constance,  1726.  Preuves',  p.  234-240.  —  BuLiEUS, 
1.  c.  t.  V,  p.  120, 127-132.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  166  ff.—  Schwab,  a.  a. 
0.  S.  184  f. 

(2)  BuL^us,  Hist.  univers.  Parisien,  t.  IV,  p.  585.  —  Chronicor.  Caroli  VI, 
Ub.  XXVII,  17. 


138      CONCILE   GÉNÉRAL  FRANÇAIS  TENU   EN    1406.    DEMI-MESURES. 

Tours,   furent  avec  d'autres  chargés  de  la  défense  de  Benoît. 

Une  autre  commission,  comprenant  également  six  personnes 
et  présidée  par  le  patriarche  d'Alexandrie,  fut  chargée  de  défendre 
l'opinion  adverse.  Le  samedi  avant  le  premier  dimanche  de 
l'Avent  (27  novembre),  le  patriarche  d'Alexandrie  parla  contre 
Benoît  et  en  faveur  delà  proposition  de  l'université  de  Paris;  il 
combla  d'éloges  cette  corporation.  Jules-César,  dit-il,  qui  trans- 
porta de  Paris àRomel'Université,  et  Gharlemagne,  qui  la  ramena 
à  Paris,  écoutaient  volontiers  les  conseils  qu'elle  leur  donnait.  La 
harangue  terminée,  le  chancelier  du  roi  dit  aux  défenseurs  de 
Benoît  XIII  de  se  tenir  prêts  à  parler  pour  le  lundi  suivant,  29  no- 
vembre. Ils  demandèrent  un  mois  de  délai;  mais  ils  ne  purent 
obtenir  qu'une  remise  jusqu'au  1"  décembre. 

Ce  fut  d'abord  le  doyen  de  Reims  qui  prit  la  parole  ;  il  défendit 
Benoît  XIII,  s'efforça  de  mettre  en  relief  son  zèle  pour  l'unité  de 
l'Eglise,  et  conseilla  de  ne  pas  abandonner  son  obédience.  Gomme, 
dans  la  suite  de  son  discours,  il  avait,  pour  mieux  exalter  la 
papauté,  attribué  au  pape  le  droit  d'accorder  des  couronnes,  il 
fut  obligé  de  se  rétracter  publiquement  le  samedi  4  décembre. 
Après  lui,  parlèrent  contre  l'abandon  de  l'obédience  et  en  faveur 
de  Benoît  XIII,  l'archevêque  de  Tours,  et,  le  11  décembre, 
l'évêque  d'Ailly.  Celui-ci  blâma  le  ton  assez  inconvenant  dont 
s'étaient  servis  plusieurs  membres  de  l'Université  en  parlant  du 
pape  (par  exemple,  qu'il  était  hérétique),  regretta  que  l'Université 
tout  entière,  et  non  pas  seulement  la  faculté  de  théologie,  se  fût 
mêlée  de  cette  affaire,  et  conseilla  aux  prélats  de  ne  pas  prendre 
de  décision  définitive  et  de  se  contenter  de  donner  leur  avis; 
de  plus,  d'éviter  tout  conflit  avec  l'Université,  parce  que  cela 
serait  encore  plus  triste  que  le  schisme.  En  terminant,  d'Ailly 
assura  que  Gerson  et  vingt-cinq  autres  magistri  de  la  faculté 
de  théologie  croyaient,  comme  lui,  que  l'abandon  de  l'obé- 
dience était  anticanonique.  L'Université  fut  si  mécontente  de 
ce  discours  qu'elle  ne  voulut  plus  reconnaître  d'Ailly  comme 
membre  universitaire.  Jean  Petit  s'acharna  particulièrement 
après  lui  ;  mais  il  en  appela  au  roi  et,  à  la  suite  d'explications 
réciproques,  on  finit  par  s'entendre. 

Les  14  et  15  décembre,  Pierre  Leroy,  abbé  du  Mont-Saint- 
Michel,  et  le  professeur  Pierre  Plaoul,  se  nrononcèrent  énergique- 
ment  pour  l'abandon  de  l'obédience.  Le  doyen  de  Reims  et 
l'archevêque  de  Tours  leur  répondirent,  et  Jean  Petit  répliqua 


CONCILE  GÉNÉEAL  FRANÇAIS  TENU  EN  1406.  DEMI-MESURES.   139 

ensuite;  enfin,  le. 20  décembre,  l'avocat  du  roi,  Jean  Juvénal  des 
Ursins,  prit  la  parole.  Il  défendit  le  droit  qu'avait  le  roi  de  con- 
voquer le  concile,  recommanda  aux  prélats  de  prendre  des 
mesures  contre  les  demandes  exagérées  d'argent  faites  par  les 
papes  et  contre  les  empiétements  de  ces  mêmes  papes  sur  la 
juridiction  des  évêques,  et  il  termina  par  cette  déclaration,  qui 
calma  les  inquiétudes  de  beaucoup  de  personnes,  savoir,  que 
l'assemblée  ne  porterait  pas  un  jugement  définitif  sur  le 
pape,  mais  se  contenterait  de  veiller  aux  intérêts  de  l'Église  de 
France  ^ . 

Après  ce  discours,  le  cbancelier  du  roi  engagea  les  membres 
de  l'assemblée  à  rédiger  par  écrit  leurs  conclusions  finales,  et, 
pour  plus  de  facilité,  à  remettre  leurs  votes  à  l'un  d'entre  eux 
qu'il  choisirait  pour  cela.  Le  patriarche  d'Alexandrie  se  hâta  de 
prendre  pour  lui  C6  poste  d'honneur,  quoique  beaucoup  se  plai- 
gnissent de  son  sans-gêne.  On  vota  sur  deux  points.  Tout  le 
monde  fut  d'accord  sur  le  premier,  savoir,  qu'il  fallait  réunir  un 
conseil  général  des  deux  obédiences  pour  terminer  le  schisme. 
Mais  à  l'égard  de  la  seconde  question,  c'est-à-dire  à  l'égard  de 
la  remise  en  vigueur  de  l'abandon  de  l'obédience,  les  avis 
furent  très-partages.  Les  uns  voulaient  qu'on  cherchât  par 
d'humbles  prières  à  gagner  le  pape  à  la  cause  de  l'union  de 
l'Église;  d'autres  se  déclaraient  franchement  et  sans  condition 
pour  l'abandon  de  l'obédience;  enfin  d'autres  votants  avaient 
adopté  un  moyen  terme.  D'après  eux,  on  devait  conserver  l'obé- 
dience quant  au  spirituel;  mais  quant  à  la  collation,  des  béné- 
fices, etc.,  le  roi  devait,  au  contraire,  disposer  les  choses  de 
telle  façon  que  l'Église  gallicane  recouvrât  ses  libertés  et  que 
le  pape  n'eût  plus  la  collation  de  bénéfices,  prélatures  et  dignités 
de  France,  et  cela  non-seulement  pendant  le  schisme,  mais  à 
tout  jamais,  à  moins  qu'un  concile  général  n'en  décidât  autre- 
ment. Le  pape  n'aurait  plus  que  la  collation  des  bénéfices  qui 
viendraient  à  vaquer  dans  sa  curie.  Ce  moyen  terme  réunit  une 
grande  majorité,  et  dans  la  séance  publique  du  4  janvier  1407, 

(1)  Ces  discours  etc.  se  trouvent  tout  au  long  dans  la  Nouvelle  Histoire 
du  concile  de  Constance,  de  Bourgeois  de  Chastenet,  Preuves,  p.  95-234;  par 
extraits  seulement  dans  Lenfant,  Eist.  du  concile  de  Pise,  1724,  t.  I,  p.  137 
sqq.  ;  plus  abrégés  encore  dans  Bul^us,  Eist.  univers.  Paris,  t.  V,  p.  132  sqq. 

—  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVII,  17.—  Gersoniana,  p.  xix  (dans  le  t.  I  de  l'édi- 
tion des  œuvres  de  Gerson  par  Elle  Dupin,  et  dans  Schwab,  a.  a.  0.  S.  185  ff. 

—  Christophe,  a.  a.  0.  S.  169  ff. 


110      CONCILE   GÉNÉRAL  FRANÇAIS  TENU   EN    1406.    DEMI-MESURES. 

le  patriarche  le  donna  comme  étant  l'opinion,  de  l'assemblée  ^ 
La  veille  (3  janvier  1407),  l'université  de  Paris  avait  publié 
un  mémoire  pour  engager  le  roi  à  remettre  en  vigueur  l'abandon 
de  l'obédience  et  pourluirecommandersix  propositions  destinées 
à  prouver  que  Benoît  XllI  était  tenu  d'accepter  la  via  cessionis, 
et  que  son  opiniâtreté  le  rendait  tout  à  fait  hérétique  et,  par 
conséquent,  que  l'abandon  de  l'obédience  était  pleinement  légi- 
time. En  même  temps,  l'Université  en  appelait  d'avance  de  tout 
ce  que  le  pape  Benoît  XIII  pourrait  faire  contre  elle  '^.  Cette  dé- 
claration de  l'université  de  Paris  fut  remise  au  concile,  qui,  le 
7  janvier  1407,  engagea  le  roi  à  interdire  delà  manière  la  plus 
sévère  tout  blâme  contre  la  via  cessionis  et  l'abandon  de  l'obé- 
dience ;  de  plus,  à  soutenir  et  à  protéger  tout  ce  qui  s'élait  fait 
durant  le  temps  de  l'abandon  de  l'obédience.  Le  roi  donna 
satisfaction  à  cette  demande  par  un  décret  du  14  janvier  1 407,  et 
menaça  de  peines  sévères  tous  ceux  qui  y  contreviendraient^. 

Quelques  jours  auparavant,  c'est-à-dire  le  12  janvier,  le 
concile  avait  modifié  un  peu  la  forme  du  décret  sur  la  collation 
des  bénéfices,  parce  que  certains  membres  s'étaient  scandalisés 
de  la  formule  adoptée  ;  toutefois  ces  modifications  n'atteignaient 
en  rien  le  fond  même  du  décret  *  ;'et,  par  un  décret  du  18  février, 
le  roi  défendit  à  son  tour  toute  collation  de  bénéfice  par  le  pape 
ainsi  que  les  annates,  etc.  ^ 

Mais,  par  suite  des  intrigues  du  duc  d'Orléans  et  de  l'arche- 
vêque de  Reims,  ce  décret  du  18  février,  ainsi  que  le  décret 
antérieur,  ne  furent  guère  mis  en  pratique®;  il  est  vrai  que 
l'élection  de  Grégoire  XII  faite  à  Rome  avait  notablement  modifié 
la  situation. 


(1)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVII,  17.  —  Bul.^us,  t.  V,  p.  134.  —  Martène, 
Thés.  t.  Il,  p.  1307-1310.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  172  f. 

(2)  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1295.  —  Bul^us,  1.  c.  t.  V,  p.  134-137. 

(3)  BuLyEus,  1.  c.  t.  V,  p.  137-141. 

(4)  Martène,  Thés.  t.  II.  p.  1310. 

(5)  Ghronicor.  I.  c.  lib.  XXVII,  18.  —  Bul^us,  1.  c.  p.  143. 

(6)  Ghronicor.  1.  c;  dans  Bul^eus,  1.  c.  p.  141. 


i 


l'élection  de  GRÉGOIRE  XII  FAIT  ESPÉRER  LE  RÉTABLISSEMENT,  ETC.    141 

§  "721. 

L  ÉLECTION   DE   GRÉGOIRE   XII   FAIT    ESPÉRER   LE   RÉTABLISSEMENT   DE 
l'union.    TRAITÉ    DE    MARSEILLE   EN    1407. 

Lorsque  Innocent  YII  mourut,  le  6  novembre  1406,  les  car- 
dinaux furent  d'abord  d'avis  de  ne  pas  procéder  immédiate- 
ment à  une  nouvelle  élection,  mais  d'entrer  en  relation  avec  le 
roi  de  France  pour  ne  pas  perdre  une  si  bonne  occasion  de 
rétablir  l'union  dans  l'Église.  Lorsque  Charles  VI  eut  connais- 
sance  de  ces  dispositions  du  sacré-collége,  il  écrivit,  le  23  dé- 
cembre 1406,  une  lettre  aux  cardinaux  de  Rome,  leur  adressa 
des  éloges  sur  leur  belle  conduite,  leur  promit  d'envoyer  sans 
perdre  de  temps  des  messagers,  protesta  que  Benoît  XIII  n'au- 
rait plus  aucune  raison  pour  rejeter  la  via  cessionis,  et  raconta  aux 
cardinaux  que  dans  ce  moment  même  un  concile  était  assemblé 
à  Paris  pour  s'occuper  de  l'union  de  l'Église  ^ .  La  république 
de  Florence  envoya  également  à  Rome  un  très-éloquent  et  très- 
vénéré  dominicain,  pour  empêcher  la  nouvelle  élection.   Mais 
lorsqu'il  arriva  à  Rome,  les  cardinaux  avaient  déjà  changé  d'avis 
et  étaient  entrés  en  conclave.  La  lettre  du  roi  de  France  arriva 
encore  beaucoup  plus  tard,  car  trois  semaines  avant  qu'elle  fût 
rédigée,  le  30  novembre  1406,  Angelo  Gorrario,  Vénitien  de 
famille  noble,  cardinal-prètre  de   Saint-Marc  et  patriarche  de 
Constantinople,  fut  élu  pape  sous  le  nom  de  Grégoire  XH  ^.  La 
crainte  de  voir  les  Romains  se  révolter  si  on  ne  nommait  un  pape 
dans  un  bref  délai  semble  avoir  déterminé  les  cardinaux  à  agir 
avec  tant  de  précipitation  ^.  Les  quatorze  cardinaux  présents  à 
Rome  ne  furent  cependant  pas  unanimes  à  vouloir  hâter  ainsi 
l'élection.  Ainsi  le  cardinal  d'Aquilée  demanda  qu'on  attendît 
plus  longtemps    encore  ^  Mais,  en  revanche,  ils  furent  tous 
d'accord  pour  faire,  dans  l'intérêt  de  l'union,  une  élection  dont 


(1)  Bourgeois  de  Chastenet,  Nouvelle  Rist.  du  concile  de  Constance,  1726, 
Preuves,  p.  501.  —  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Pise,  1724 ,  t.  I,  p.  160.  — 
Christophe,  Hist.  de  la  Papauté  au  xiv*  siècle,  t.  III,  p.  176. 

(2)  Antonin,  Summa  historial.  tit.  xxii,  c.  5,  au  commencement.  Lenfant, 
1.  c.  p.  161.— Theod.  a  Niem,  De  Schism.  lib.  III,  1,  2.  —  Raynald.  1406, 13. 

(3)  Theod.  a  Nieji,  1.  c.  lib.  III,  cl,  et  Antonin,  I.  c.  —  Lenfant,  1.  c. 
p.  161.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  176. 

(4)  Martène  et  Durand,  Vet.  Script,  t.  VU,  p.  724. 


142   l'ÉLECT.  de  GRÉGOIRE  XII  FAIT  ESPÉRER  LE  RÉTABLISSES!.  DE  l'uNION, 

les  conditions  seraient  plus  précises  et  plus  obligatoires  qu'elles 
ne  l'auraient  jamais  été.  Lorsque,  le  23  novembre,  les  cardinaux 
entrèrent  en  conclave  dans  le  Vatican,  ils  rédigèrent  dans  la 
chapelle  de  ce  palais  un  document  solennel  par  lequel  chacun 
d'eux  s'obligeait^  sous  la  foi  du  serment,  à  abdiquer  volontaire- 
ment et  sans  restriction,  s'il  venait  à  être  élu  et  si  l'antipape  en 
faisait  autant  ou  venait  à  mourir;  on  ajoutait,  comme  condition 
unique,  que  les  cardinaux  de  la  partie  adverse  consentiraient  à 
se  joindre  à  leurs  collègues  de  Rome  pour  élire  canoniquement 
un  pape  unique  et  légitime.  Si  un  cardinal  absent  ou  un  étranger 
venait  à  être  élu,  il  devait  accepter  les  mêmes  conditions. 
Dans  le  mois  qui  suivrait  son  intronisation,  le  nouvel  élu  écrirait 
au  roi  romain,  à  l'antipape  et  à  son  collège  de  cardinaux,  au  roi 
de  France  et  aux  autres  rois,  princes,  ainsi  qu'aux  prélats,  etc., 
pour  leur  faire  connaître  ce  qui  venait  de  se  passer  et  pour  leur 
déclarer  qu'il  était  prêt  à  accepter  la  via  cessionis  ainsi  que  tout 
autre  moyen  de  terminer  le  schisme.  De  plus,  Il  enverrait,  dans  le 
délai  de  trois  mois,  des  nonces  munis  de  pleins  pouvoirs  'pour 
régler  définitivement  avec  le  parti  adverse  en  quel  endroit  aurait 
lieu  l'entrevue  personnelle.  Le  nouveau  pape  devrait  promettre 
également  de  ne  nommer  aucun  cardinal  tant  que  dureraient 
les  négociations  pour  la  via  cessionis,  à  moins  qu'il  ne  fût  né- 
cessaire de  rendre  son  collège  aussi  fort  que  celui  de  la  partie 
adverse.  Si,  par  la  faute  de  l'antipape,  l'unité  ne  pouvait  se  réta- 
blir dans  l'espace  d'un  an  et  trois  mois,  ces  obligations  cesse- 
raient de  lier  le  pape.  Enfin,  avant  même  la  publication  de  son 
élection,  le  nouveau  pape  devrait  confirmer  tous  ces  points  et 
les  signer  de  sa  main.  Il  ne  s'en  dispenserait  jamais  et  ne  se  ferait 
absoudre  de  rien  ^ . 

Avec  ces  conditions,  le  nouvel  élu,  dit  l'abbé  Christophe, 
était  moins  un  pape  qu'un  procureur  installé  sur  le  Siège  de 
Pierre  avec  l'obligation  strict  d'abdiquer  ^. 

L'élection  de  Grégoire  XII  avait  eu  lieu  à  l'unanimité,  et  c'é- 
tait précisément  le  grand  désir  qu'on  avait  [du  rétabhssement 


(1)  Ghronigor.  1.  c.  lib.  XXVII,  19.  —  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib.  III,  c.  3,  et 
dans  le  Nemus  unionis  de  ce  dernier  (IV^  livre  ou  appendice  de  son  livre 
De  Schismate),  Tract,  l,  c.  1.  — Raynald,  1407,  11.  — Christophe,  a.  a.  0. 
S.  366  ff.  (dans  ce  dernier  auteur,  à  la  p.  367,  au  lieu  de  sine  omnibus  il  faut 
lire  super  omnibus.) 

(2)  Christophe,  a.  a.  0.  S.  176. 


TEAITÉ  DE  MARSEILLE,   EN   1407.  143 

de  l'union  qui  l'avait  désigné  au  choix  de  ses  collègues.  Le  nou- 
veau pape  était  un  vieillard  de  soixante-dix  ans  au  moins  ^  ;  il 
avait  la  parole  facile,  était  de  mœurs  irréprochables,  et  son 
zèle  pour  procurer  l'union  était  connu  de  tous  ;  aussi  n'avait- 
on  qu'une  crainte,  c'était  qu'il  vînt  à  mourir  avant  que  la 
grande  œuvre  fût  terminée.  Ainsi  qu'il  l'avait  promis,  il  confirma, 
et  renouvela  aussitôt  après  son  élection,  les  promesses  faites 
antérieurement;  il  recommanda  aux  cardinaux  et  à  tous  les  em- 
ployés romains  de  travailler  sans  relâche  avec  lui  au  rétablisse- 
ment de  la  paix  de  l'Église,  et  il  exprima  son  profond  désir  de 
se  rencontrer  personnellement  avec  son  adversaire,  par  ces 
paroles  :  «  J'irai,  dussé-je  faire  la  route  à  pied,  ou  m'embarquer 
sur  une  simple  nacelle  ^.  » 

Déjà  avant  son  couronnement,  célébré  le  19  décembre  1406, 
Grégoire  XII  écrivit,  le  11  de  ce  mois,  unefort  belle  lettre  rédigée 
par  Léonardo  d'Arezzo  et  adressée  à  Pierre  de  Luna,  «  que  quelques 
peuples,  pendant  ce  schisme  malheureux,  appellent  Benoît XIII.  » 
Il  est  vrai  que  dans  cette  lettre  Grégoire  affirme  qu'il  est  le  pape 
légitime;  toutefois  il  ajoute  aussitôt  après  qu'il  ne  fallait  plus  dis- 
cuter sur  le  droit,  mais  imiter  cette  femme  de  l'Ancien  Testament 
qui  a  préféré  renoncer  au  droit  qu'elle  avait  sur  son  enfant 
plutôt  que  de  le  laisser  couper  en  deux.  Il  se  déclarait  donc  prêt 
à  céder,  et  il  invita  Benoît  à  faire  de  même.  Pour  arriver  à  des 
conclusions  pratiques,  Grégoire  annonçait  le  départ  d'ambassa- 
deurs chargés  de  décider  avec  Pierre  de  Luna  le  lieu  qui  serait 
le  plus  apte  pour  ces  délibérations.  Enfin  il  lui  faisait  connaître 
ce  qu'il  avait  promis  avant  son  élection  et  ce  qu'il  avait  confirmé 
ensuite^. 

Grégoire  et  ses  cardinaux  adressèrent  des  lettres  analogues 
aux  cardinaux  de  l'antipape,  au  roi  romain  Buprecht,  au  roi  de 
France,  etc.,  aux  universités  de  Paris,  de  Vienne,  etc.,  aux 
évêques  et  à  toute  la  chrétienté  ^ . 


(1)  Cf.  CiACONius,  Yitœ  Pontif.  t.  II,  p.  750. 
2)  Raynald,  1406,  13. 

(3)  Raynald,  1406,  14,  15.  —  Theod.  a  Niem  ,  1.  c.  lib.  III,  c.  4,  et  Neinus 
unionis,  Tract.  1,  c.  2.  —  Ghronigor.  1.  c.  lib.  XXVII,  20.  Dans  la  date  qui  se 
trouve  dans  ce  dernier  auteur  il  faut  effacer  le  mot  Calendas,  car  la  lettre  ne 
peut  avoir  été  écrite  avant  le  20  novembre.  En  effet  Grégoire  n'était  pas  pape 
avant  cette  époque. 

(4)  Raynald,  1406,  16.  —  Martène  et  Durand.  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  719, 


144  l'ÉLECT.  de  GRÉGOIRE  XII  FAIT  ESPÉRER  LE  RÉTABLISSEM.  DE  l'uNION. 

Les  prélats  français  étaient  encore  réunis  à  Paris  lorsqu'ils 
apprirent  ces  nouvelles,  qui  les  réjouirent  si  fort  que,  le  21  jan- 
vier 1407,  ils  firent  une  déclaration  solennelle  portant  qu'il 
fallait  remercier  Dieu  et  la  sainte  Vierge  pour  les  bonnes  dispo- 
sitions dont  faisaient  preuve  les  cardinaux  romains  et  leur  chef. 
Ils  ajoutèrent  que  Benoît  n'aurait  plus  le  droit  de  formuler  des 
objections  contre  la  cession;  s'il  en  formulait  encore,  les  prélats 
étaient  disposés  à  le  regarder  comme  un  membre  gâté,  à  le 
soupçonner  d'être  schismatique  et  hérétique,  et  à  se  retirer  de 
son  obédience.  Ses  cardinaux  seraient  alors  dans  l'obligation  de 
s'unir  immédiatement  avec  ceux  delà  partie  adverse  pour  pro- 
céder à  une  nouvelle  élection.  Si  au  contraire  ils  s'obstinaient 
à  rester  avec  Benoît,  on  leur  enlèverait  toutes  leurs  prébendes  et 
des  députés  de  toute  l'obédience  (ou  de  la  France  seule  si  les 
autres  États  refusaient)  les  remplaceraient  pour  procéder  à  la 
nouvelle  élection  avec  les  cardinaux  de  la  partie  adverse  ^ 

Le  31  janvier  1407,  Benoît  XIII  répondit  de  Marseille,  où  il  était 
venu  après  avoir  quitté  Gênes  dans  l'automne  de  1406,  à  la 
lettre  de  Grégoire  XII,  qui  a  été  analysée  plus  haut  et  qu'il  avait 
reçue  le  15  de  ce  mois.  Benoît  XIII  donne  à  Grégoire  XII  les 
mêmes  titres  que  celui-ci  lui  avait  donnés  dans  sa  lettre;  il  re* 
mercie  Dieu  de  lui  avoir  fait  rencontrer  un  homme  qui  semblait 
aussi  zélé  que  lui-même  pour  les  intérêts  de  l'Église.  Il  se 
plaint  des  deux  prédécesseurs  de  Grégoire,  proteste  qu'il  ne 
redoute  en  aucune  façon  la  via  justitiœ,  c'est-à-dire  une  enquête 
sur  la  valeur  de  ses  droits,  quoique  Grégoire  ait  l'air  de  supposer 
le  contraire,  et  il  déclare  qu'il  est  tout  disposé,  lui  et  ses  cardi- 
naux, à  se  rencontrer  en  un  endroit  propice  avec  son  adversaire 
et  les  cardinaux  de  celui-ci;  de  plus,  qu'il  consentait  à  résigner 
sa  dignité  de  pape,  si  Grégoire  voulait  en  faire  autant  ou  venait  à 
mourir;  à  la  condition  toutefois  que  les  cardinaux  de  Grégoire 
consentiraient  à  s'unir  aux  siens  pour  s'entendre  sur  l'élection 
d'un  pape  unique.  Il  promettait  de  recevoir  avec  bienveillance 
les  nonces  que  Grégoire  lui  annonçait  et  de  leur  donner  un 
sauf-conduit.  Enfin  il  s'engageait  à  observer  aussi  la  clause  de 
la  non-création  de  cardinaux.  Il  terminait  en  disant  que,  puisque 


721,  723,  726,  727,  728,  733.  —  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1280,  1286,  1288, 
1291.  —  AscHBACH,  Gesch.  der  Wiener  Universitœt.  1865,  S.  244. 
(1)  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1312. 


TRAITÉ  DE  MARSEILLE,  EN  1407.  145 

la  vie  était  si   courte,  il  priait  Grégoire  de  se  hâter  le  plus 
possible^. 

Le  même  jour  (31  janvier  1407)  Benoît  Xliï  envoya  au  roi  de 
France  et  au  duc  d'Orléans  des  copies  soit  de  la  lettre  de  Gré- 
goire XII,  soit  de  la  réponse  qu'il  y  avait  faite,  et  il  expédia  cette 
dernière  réponse  aux  cardinaux  de  Rome.  Les  cardinaux  de 
Benoît  XllI  écrivirent  en  même  temps  des  lettras  très-amicales 
au  pape  Grégoire  et  à  ses  cardinaux^. 

La  lettre  de  Benoît  XIII  à  Grégoire  XII  causa  à  Paris  une 
grande  joie  à  beaucoup  de  personnes  ;  toutefois,  comme  plusieurs 
membres  de  l'Université  ne  la  trouvaient  pas  assez  bien  et  crai- 
gnaient qu'elle  ne  dissimulât  quelque  arrière-pensée,  le  roi  décida 
le  18  février  1407  d'envoyer  aux  deux  papes  une  importante 
ambassade  pour  scruter  leurs  intentions,  et  afin  de  rendre  le  dé- 
noùment  plus  facile,  les  ambassadeurs  devaient  proposer  aux 
deux  papes  d'émettre  leur  abdication  par  procureurs,  etc.,  et 
sans  être  astreints  à  une  entrevue  personnelle  ^. 
■  L'ambassade  se  composait  de  sept  archevêques  ou  évêques, 
d'abbés  les  plus  considérables,  de  plusieurs  membres  de  la  haute 
noblesse  et  d'un  grand  nombre  de  docteurs  et  de  licenciés  de 
toutes  les  facultés.  A  leur  tête  se  trouvaient  le  patriarche 
d'Alexandrie  et  l'archevêque  de  Tours.  Au  nombre  des  évêques 
on  remarquait  d'Ailly,  évêque  de  Cambrai,  et,  parmi  les  savants, 
Deschamps,  Gerson ,  Pierre  Plaoul,  Jean  Petit,  Guillaume 
Filastre,  le  doyen  de  Reims,  etc.  Pierre  Gauchon,  qui  depuis  a 
joué  comme  évêque  de  Beauvais  un  si  triste  rôle  dans  le  procès 
de  Jeanne  d'Arc,  faisait  également  partie  de  cette  ambassade. 
Elle  reçut  ses  instructions  le  13  mars  et  se  rendit  peu  de  temps 
après  à  Marseille,  où  résidait  toujours  Benoît  XIII  *. 

Sur  ces  entrefaites,  Grégoire  XII  avait  envoyé  ses  nonces  à 
Benoît  XIII.  Dès  que  Malatesta  de  Pesaro,  frère  du  célèbre 
Charles  Malatesta,  eut  eu  connaissance  des  bonnes  dispositions  de 
Grégoire,  il  se  proposa  pour  aller,  à  ses  propres  frais,  à  Avignon 


(1)  Chronicor.  CaroliVl,   lib.  XXVII,  21.  — Theod.  a  Niem,  de  Schism. 
lib.  III,  5,  et  Nemus,  I.  c.  c.  4;  incomplet  dans  Raynald,  1407,  1,  2. 

(2)  Martène,  etc.,  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  733-736.—  Theod,  a  Niem,  Nemus, 
1,  c.  c.  5  et  6. 

(3)  BuL.EUs,  Hist.  univers.  Parisien,  t.  V,  p.  141  sqq.  —  Chronicor.  1.  c. 
lib.  XXVII,  22.  —  Theod.  a  Niem,  Nemus,  I.  c.  c.  7. 

(4)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVII,  22,  et  XXVIII,  i.  —  Marïène,  Thesaur.  t.  II 
p.  1357-1366. 

T.  X.      10 


146   l'ÉLECT.  de  GKÉGOIRE  XII  FAIT  ESPERER  LE  RÉTABLISSEM.  DE  l'uNION. 

comme  ambassadeur;  mais,  à  ce  moment-là  même,  les  neveux 
de  Grégoire  XII,  Antoine  de  Corrario,  évêque  de  Modon,  et  Paul 
Gorrario,  commencèrent  à  exercer  sur  l'esprit  de  leur  oncle  une 
pression  très-défavorable  à  l'union  ;  aussi,  au  lieu  d'envoyer  à 
Avignon  Malatesta  que  lui  recommandaient  les  cardinaux,  Gré- 
goire XII  aima  mieux  envoyer  ce  même  neveu  Antoine,  auquel 
il  adjoignit  pour  la  forme  l'évêque  de  Todi  et  le  docteur  en  droit 
Butrio  de  Bologne  ;  mais  ceux-ci  ne  savaient  pas  plus  que  les 
cardinaux  quelles  étaient  les  véritables  instructions  d'Antoine  ^ 
Benoît  XIII  reçut  les  nonces  d'une  manière  très-amicale;  mais 
durant  les  négociations,  les  froissements  et  les  paroles  amères 
ne  manquèrent  pas  de  part  et  d'autre  ;  c'est  ainsi  qu'on  ne  put 
se  mettre  d'accord  sur  le  lieu  où  les  deux  papes  se  rencon- 
treraient. Les  ambassadeurs  de  Grégoire  XII  proposaient  Rome, 
Viterbe,  Sienne,  Todi,  Florence  ou  Lucques  ;  Benoît  XIII,  au 
contraire  ne  voulait  entendre  parler  que  de  Marseille,  de  Nice, 
de  Fréjus,  de  Gênes  et  de  Savone,  et  les  débats  sur  cette  ques- 
tion devinrent  si  animés  que  les  Romains  voulaient  repartir. 
Benoit  les  retint  par  sa  bienveillance,  et  le  20  avril  1407  on  finit 
par  accepter  de  part  et  d'autre  la  ville  de  Savone,  qui  se  trouvait 
sous  la  domination  française.  Antoine  Gorrario  accepta  aussi  cette 
conclusion  et  montra  une  lettre  de  son  oncle,  dans  laquelle 
celui-ci  disait  que  «  dans  l'intérêt  de  la  paix  il  irait  même  à 
Avignon,  s'il  le  fallait.  »  Voici  quelles  furent  les  conditions  de  ce 
compromis  : 

1.  Benoît  renouvela  la  déclaration  qu'il  avait  faite  le  31  jan- 
vier 1407. 

2.  Les  ambassadeurs  romains  assurèrent,  de  leur  côté,  que 
leur  maître  confirmerait  le  traité,  au  plus  tard,  dans  le  mois  de 
juillet  suivant. 

3.  Les  deux  papes  et  leurs  cardinaux  s'engagèrent  à  se  trouver 
en  personne  à  Savone  pour  la  Saint-Michel  ou, au  plus  tard,  pour 
la  Toussaint,  et  chacun  d'eux  n'aurait  pour  cette  entrevue  que 
huit  galères  armées,  deux  cents  soldats,  cent  arbalétriers,  cent 
domestiques,  etc. 

4.  Les  deux  papes  s'engageaient  par  serment  à  ne  rien  tenter 
l'un  contre  l'autre  et  les  cardinaux  prêtaient  un  serment  analogue. 

5.  Le  roi  de  France  et  le  gouvernement  de  Gênes  s'enga- 


(1)  Manst,  t.  XXVI,  p.  1202  sq.  —  IfAnnouiN,  t.  VIII,  p.  03  sq. 


TRAITÉ   DE   MARSEILLE,    EN    1407.  147 

geaient,  de  leur  côté,  à  laisser  la  ville  de  Savone  et  ses  environs 
sous  la  puissance  des  deux  papes  tant  que  durerait  l'entrevue. 
Aussi  les  deux  papes  se  concerteraient  pour  nommer  un  capi- 
taine pour  la  mer  et  un  autre  pour  la  ville. 

6.  Aucun  des  deux  prétendants  ne  serait  traité  d'antipape  pen- 
dant le  temps  des  négociations. 

7.  Si,  au  jugement  des  deux  partis,  le  séjour  de  Savone  deve- 
nait impossible  à  cause  de  la  peste  ou  pour  d'autres  raisons 
analogues,  on  se  rendrait  dans  l'une  des  villes  déjà  désignées  par 
les  nonces  romains  * . 

Peu  de  temps  après,  les  ambassadeurs  français  arrivèrent 
aussi  auprès  de  Benoît  XIII  ;  le  30  avril,  ils  étaient  à  Villeneuve 
près  d'Avignon,  et  là  ils  se  concertèrent  sur  la  manière  dont  ils 
pourraient  accomplir  leur  mission,  et  ils  décidèrent  d'adjoindre 
au  patriarche  Simon  Cramaud  un  conseil  intime  composé  de 
quatre  hommes  de  distinction.  En  outre,  ils  députèrent  deux 
d'entre  eux  à  Marseille,  au  cardinal  Thury  et  à  la  municipalité 
de  Marseille  pour  régler  différents  détails  ;  le  cardinal  Thury 
et  les  nonces  romains  vinrent  au-devant  d'eux  jusqu'à  Aix.  On 
s'embrassa  de  part  et  d'autre,  et  puis  eurent  lieu  de  fréquentes 
délibérations,  dans  lesquelles  les  ambassadeurs  français  expri- 
mèrent le  désir  qu'Antoine  Gorrario  se  rendît  sans    délai  à 
Rome  pour  faire  confirmer  le  traité  de  Marseille.  Antoine  pré- 
tendit que  cela  n'était  pas  nécessaire,  par  la  raison  que  Gré- 
goire XII  lui  avait  dit  à  lui-m.ême  :  «  C'est  la  charité  bien  plutôt 
que  mon  serment  qui  me  pousse  à  abdiquer.  Tous  les  jours 
grandit  en  moi  le  désir  de  procurer  la  paix  à  l'Église;  quand 
verrai-je  le  jour  où  je  pourrai  la  lui  donner!  »  Antoine  Gorrario 
conseilla  également  aux  ambassadeurs  français  de  ne  procéder 
qu'avec  beaucoup  de  douceur  à  l'égard  de  Benoît,  parce  qu'il 
n'y  avait  plus  que  très-peu  à  obtenir.  Il  le  disait  sans  esprit  de 
partialité;  car,  dans  l'intérêt  de  son  oncle,  il  aurait  valu  beau- 
coup mieux  qu'il  existât  une  nouvelle  brouille  entre  Benoît  XIII  et 
la  France.  D'Aix,  les  ambassadeurs  français  envoyèrent  en  Italie 


(1)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVIl  23,  et  XXVIII,  1  u.  2.  —  Theod.  a  Niem, 
Nemus,  etc.,  Tract.  I,  c.  8-10. —  Martène  et  Durand.  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  745, 
746,  750.  —  Martè^-e,  T/ies.  t.  II,  p.  1314.  Dans  les  Ghronicor.  (1,  c.  p.  524) 
il  faut  lire  VIII Idus  Martii  (8  mars),  au  lieu  de  Idus  Martii;  celte  addition 
corrige  la  contradiction  qui  existe  entre  la  date  de  cette  lettre  et  celle  des 
cardinaux.  IbitL  p.  526. 


148    l'ÉLECT.  de  GRilGOIRE  XII  FAIT  ESPÉRER  LE  EÉTABLISSEM.  DE  l'uNION. 

l'ermite  Robert,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  lui  donnèrent 
pour  mission  d'annoncer  aux  villes  italiennes  leur  arrivée 
prochaine  * . 

Le  9  mai  1407,  les  ambassadeurs  français  arrivèrent  à  Mar- 
seille, et  Benoit  les  reçut  fort  bien,  quoiqu'il  sût  que  beaucoup 
d'entre  eux  se  fussent  dernièrement  encore  emportés  contre  lui 
et  l'eussent  injurié.  Il  envoya  au-devant  d'eux  ses  chambellans 
et  les  fonctionnaires  du  palais,  et  il  les  admit  à  lui  présenter  leurs 
hommages  dans  l'église  de  Saint-Victor;  tous  lui  baisèrent  avec 
le  plus  grand  respect  la  main  et  le  pied.  Le  lendemain  ils  furent 
reçus  en  audience  et  le  patriarche  porta  la  parole.  Benoît  y  ré- 
pondit par  une  fort  belle  improvisation  en  trois  parties. 

Le  patriarche  avait  dit,  entre  autres  choses,  que  la  papauté 
était  surtout  une  garantie  de  la  paix  et  de  l'unité  de  l'Eglise. 
Gomme  on  aurait  pu  conclure  de  ces  paroles  la  supériorité 
de  l'Église  sur  le  pape,  Benoît  XIII  insista  pour  dire  que 
le  pape  était  le  chef  de  l'Église  (c'est-à-dire  étriit  au  dessus 
d'elle),  mais,  du  reste,  que  cette  haute  situation  l'obligeait  d'au- 
tant plus  à  veiller  sur  son  troupeau.  11  assura  en  même  temps 
qu'il  était  tout  disposé  à  accepter  la  via  cessionis,  et  que,  s'il  ne 
l'avait  pas  déclaré  plus  tôt,  cela  provenait  de  ce  que  ses  adver- 
saires n'avaient  montré  aucune  disposition  pour  en  faire  autant; 
mais  maintenant,  puisque  le  Seigneur  lui  avait  donné  un  homme 
selon  son  cœur,  le  moment  était  venu  de  faire  preuve  de  cette 
disposition  pour  la  via  cessionis.  Il  était  vieux  et  près  de  mourir; 
aussi  cette  cession  ne  lui  coûtait-elle  pas;  ce  qui,  du  reste, 
attestait  encore  ces  dispositions,  c'est  qu'il  n'avait  accepté  la 
papauté  qu'après  une  longue  résistance  ^. 

Le  lendemain  11  mai,  l'archevêque  de  Tours  fit,  au  nom  de 
l'ambassade  française,  une  double  demande  à  Benoît.  Il  le  pria, 
en  effet,  de  répéter  dans  une  bulle,  selon  les  formes,  ce  qu'il 
avait  dit  la  veille  de  vive  voix,  c'est-à-dire  : 

a)  Qu'il  était  décidé  à  venir  en  aide  à  l'Église  par  la  via  ces- 
siotiis  et  à  l'exclusion  de  tout  autre  moyen. 

b)  Que  si  lui  ou  son  adversaire  venait  à  mourir,  il  ne  voulait 
pas  qu'on  choisît  de  successeur,  mais  que  les  cardinaux  des 
deux  collèges  se  réuniraient  pour  élire  un  pape  unique.  Be- 


fl\  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  3-5.  —  Christophe,  a.  a.  0.  S.  185-488. 
(2)  Chuonigor.  I.  c.  lib.  XXVIII,  6  et  7. 


TRAITÉ   DE  MARSEILLE,    EN    1407.  149 

noît  XIII  accepta  le  premier  point  sans  hésiter,  et  quant  au 
second,  il  prononça  un  discours  fort  long,  très-adroit  pour  dé- 
montrer qu'il  était  inutile,  qu'il  ferait  perdre  un  temps  précieux 
et  qu'il  était  une  marque  de  défiance.  On  voit  qu'il  ne  voulait  pas 
s'engager  d'une  manière  irrévocable  dans  la  voie  de  la  cession. 
Il  rappela  ensuite  qu'on  lui  avait  fait  beaucoup  de  tort  à  Paris, 
qu'on  l'y  avait  traité  d'hérétique,  etc.,  et  il  parla  avec  tant  d'é- 
loquence que  le  patriarche,  qui  se  sentait  coupable  plus  que  les 
autres,  se  jeta  aux  pieds  du  pape  pour  lui  demander  pardon. 
Ses  collègues  de  l'ambassade  en  firent  de  même,  et  la  douceur 
ainsi  que  la  bonté  avec  laquelle  Benoît  leur  pardonna  lui  gagna 
tous  les  cœurs.  En  terminant,  il  leur  donna  sa  bénédiction  et 
les  invita  à  sa  table  pour  le  jour  de  la  Pentecôte,  15  mai;  tous 
furent  fidèles  à  ce  rendez-vous,  à  l'exception  du  patriarche,  qui 
se  fit  excuser  pour  cause  de  maladie.  Le  mardi  après  la  Pente- 
côte, 17  mai,  les  ambassadeurs  français  négocièrent  avec  les 
cardinaux;  ils  voulaient  leur  persuader  de  décider  le  pape  à 
faire  la  déclaration  qu'on  lui  demandait  concernant  la  via  ces- 
sionis  et  à  prendre  des  mesures  pour  que,  si  un  décès  venait  à 
arriver,  les  cardinaux  des  deux  collèges  pussent  faire  en  com- 
mun une  élection.  L'affaire  ne  comportait  pas  de  retard,  parce 
que,  d'après  leurs  instructions,  ils  ne  pouvaient  rester  à  Mar- 
seille que  dix  jours  et  qu'ils  devaient  aussitôt  après  se  mettre 
en  route  pour  Rome.  Les  cardinaux  promirent  de  s'employer 
auprès  du  pape  touchant  le  premier  point  ;  mais  ils  ne  cachè- 
rent pas  qu'une  réunion  des  cardinaux  des  deux  collèges  leur 
paraissait  soulever  des  difficultés,  parce  que  les  cardinaux  ro- 
mains ne  voulaient  pas  les  reconnaître  (ceux  d'Avignon)  comme 
légitimes  * . 

Gomme  le  duc  d'Orléans  avait  également  envoyé  des  députés 
à  Marseille,  quelques  membres  de  l'ambassade  royale  crai- 
gnirent que  le  duc  voulût  contre-balancer  leur  influence  sur 
l'esprit  de  Benoît  XIII.  Toutefois  ses  députés  affirmèrent  le 
contraire  ;  ils  déclarèrent  qu'ils  avaient,  eux  aussi,  sollicité 
le  pape  pour  qu'il  publiât  la  bulle  demandée.  Mais  il  avait 
refusé,  pour  les  deux  raisons  suivantes,  d'accéder  à  cette 
demande  : 

a)  Parce  que  l'on  pouvait  s'en  rapporter  aussi  bien  à  une 

(l)  Ghronicoh.  1.  c.  lib,  XXVIII,  c.  8  et  9. 


150    L  ELECT.  DE  GREGOIRlî  XII  FAIT  ESl^ÉRER  LE  RÉTABLISSEM.  DE  l'uNION. 

parole  de  lui  (et  cette  parole,  il  l'avait  déjà  donnée)  qu'à  un 
écrit. 

à)  Parce  que  l'on  voulait,  à  l'aide  de  menaces  (touchant  l'aban- 
don de  l'obédience),  lui  arracher  cette  bulle.  Benoît  XIII  fit  à 
peu  près  la  même  réponse  à  Pierre  d'Ailly  et  à  deux  autres 
membres  de  l'ambassade  royale  qui  lui  firent  visite  dans  la 
soirée  du  17  mai;  il  fit  surtout  ressortir  qu'aux  yeux  de  beau- 
coup de  monde  de  pareilles  bulles  seraient  regardées  comme 
extorquées,  ce  qui  pourrait  compromettre  gravement  tout 
l'édifice  de  la  restauration  de  la  paix  ecclésiastique  basée  sur 
ces  bulles  ^  Enfin  le  18  mai,  Benoit  XIII  fit  à  l'ambassade  réunie 
la  déclaration  définitive  suivante  : 

«  On  lui  avait  adressé  deux  demandes;  quanta  la  première,  il 
y  avait  simplement  et  clairement  déjà  accédé  par  écrit  dans  sa 
lettre  à  son  adversaire,  qui  se  faisait  appeler  Grégoire  ;  et  il  avait 
renouvelé  de  vive  voix  son  adhésion  à  la  via  cessionis  dans  la 
première  audience  donnée  aux  ambassadeurs  ;  surabondamment, 
il  réitérait  de  vive  voix  dans  le  moment  présent  cette  adhésion 
déjà  donnée.  Mais  sa  conscience  se  refusait  à  exclure  d'une  ma- 
nière absolue  tous  les  autres  moyens  d'arriver  à  l'union,  quoi- 
qu'il préférât  la  via  cessionis  aux  autres.  Il  avait  déjà  expliqué 
en  détail   à    quelques  membres   de  l'ambassade  pourquoi  il 
ne  publiait  pas  la  bulle  qu'on  lui  demandait.  Enfin,  à  l'égard 
du  second  point,  son  avis  et  celui  des  cardinaux  étaient  que,  si  un 
décès  avait  lieu,  il  fallait  en  finir  avec  le  schisme;  les  cardinaux 
avaient  déjà  délibéré  sur  cette  question .  Le  patriache  remercia,  au 
nom  de  l'ambassade,  Benoît  XIII  pour  cette  déclaration  ;  mais 
il  renouvela  sa  demande  touchant  la  bulle;  le  pape  répondit  avec 
aigreur  :  «  Tout  chrétien  doit  être  content  de  cette  déclaration  et 
le  roi  de  France  comme  les  autres;  celui  qu'elle  ne  satisferait 
pas,  n'aime  pas  l'union  de  l'Église.  »  Le  patriarche  demanda 
ensuite  une  décision  définitive  touchant  le  second  point,  pour 
pouvoir  apporter  à  Rome  cette  solution.  Mais  Benoît  XIII  ré- 
pondit qu'une  afi'aire  aussi  importante  ne  pouvait  pas  se  traiter 
avec  autant  de  précipitation,  et  les  ambassadeurs  se  retirèrent, 
après  avoir  de  nouveau  baisé  le  pied  et  la  main  du  pape  ^ 
Arrivés   à  Aix,  les  ambassadeurs  français   délibérèrent,  le 


(1)  Chronigob.  1.  c.  lib.  XXVIII,  10,  11. 

(2)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  12. 


TRAITÉ   DE   MARSEir.LE,    EN    1407.  151 

21  mai,  sur  l'importante  question  de  savoir  si,  d'après  leurs 
instructions,  il  fallait  proclamer  de  nouveau  l'abandon  de  l'obé- 
dience, et  plusieurs  se  prononcèrent  énergiquement  dans  ce 
sens,  parce  que  le  pape  ne  voulait  pas  publier  les  bulles  qu'on 
lui  demandait,  parce  qu'il  ne  voulait  pas  exclure  d'une 
manière  absolue  les  moyens  autres  que  la  via  cessionis,  et 
enfin  parce  qu'il  ne  songeait  pas  sérieusement  à  procurer  la 
paix  à  l'Église.  Il  trahissait  cette  dernière  disposition  en  faisant 
fortifier  de  nouveau  son  palais  d'Avignon,  en  ne  se  montrant 
jamais  qu'en  compagnie  d'hommes  armés,  même  lorsqu'il  avait 
à  remplir  des  fonctions  ecclésiastiques;  enfin  il  n'avait  pas  autant 
que  son  adversaire  loué  et  accepté  sous  la  foi  du  serment  la  via 
cessionis;  il  s'était  contenté  de  dire  qu'il  penchait  vers  ce  moyen. 
Toutefois,  le  dernier  résultat  des  délibérations  fut  qu'il  ne  fallait 
pas  proclamer  immédiatement  l'abandon  de  l'obédience  et  sur- 
tout pour  ne  pas  compromettre  l'œuvre  si  importante  du  réta- 
blissement de  la  paix  * .  Les  ambassadeurs  résolurent  ensuite  de 
se  diviser  en  trois  groupes.  Le  plus  considérable  ayant  le  pa- 
triarche en  tête  se  rendrait  à  Rome;  le  second,  avec  l'archevêque 
de  Tours,  resterait  à  Marseille  pour  maintenir  le  pape  dans  ses 
bonnes  dispositions.  Enfin  l'abbé  de  Saint-Denis  se  rendrait  à 
Paris  avec  le  troisième  groupe  pour  y  rendre  compte  de  ce  qui 
s'était  passé. 

Le  roi  et  sa  cour  furent  très-mécontents  du  rapport  des  am- 
bassadeurs, et  quelques  membres  de  l'Université  de  Paris,  plus 
exaltés  que  les  autres,  allèrent  jusqu'à  traiter  ces  ambassadeurs 
de  parjures,  parce  que,  au  mépris  de  leurs  instructions,  ils 
n'avaient  pas  proclamé  l'abandon  de  Tobédience,  et  ils  deman- 
dèrent au  roi  de  publier  le  décret  retirant  à  Benoît  XIII  la 
collation  de  tous  les  bénéfices  de  France.  On  eut  toutes  les 
peines  du  monde  à  gagner  du  temps.  Aussitôt  après,  c'est-à-dire 
le  10  juin  1407,  arrivèrent  de  Marseille  à  Paris  deux  nonces  de 
Grégoire  XII,  tandis  que  le  troisième,  Antoine  Gorrario,  prit  la 
route  de  Rom.e.  Les  deux  ambassadeurs  romains  furent  reçus 


(1)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  13.  Les  raisons  de  cVAilly  et  de  Gerson 
contre  l'abandon  immédiat  de  l'obédience  se  trouvent  dans  Martène,  Thés. 
t.  II,  p.  1329.  A  la  nouvelle  qu'on  songeait  à  renouveler  l'abandon  de  l'obé- 
dience, Benoît  XIII  composa  le  19  mai  une  bulle  très-énergique  contre  les 
prétendus  sacrilèges  ;  mais  il  jugea  plus  prudent  de  ne  pas  publier  immé- 
diatement cette  bulle.  Cf.  Bul^eus,  t.  V,  p.  143-146. 


152      CHANGfEMENT    DANS   LES  DISPOSITIONS   DE   GRÉGOIRE  XII.     1407. 

avec  les  plus  grands  honneurs  et  hébergés  aux  frais  du  roi,  après 
qu'ils  eurent  fait  connaître  les  intentions  de  leur  maître  et  ce 
qu'il  avait  déjà  fait  pour  l'union  ;  on  leur  donna  de  riches  pré- 
sents et  ils  furent  renvoyés  avec  une  lettre  excessivement  amicale 
du  roi  pour  le  pape  Grégoire  XII  ^ 

§  722. 

CHANGEMENT   DANS   LES   DISPOSITIONS   DE   GRÉGOIRE    XII,    1407. 

Antoine  Gorrario  avait  déclaré  à  Marseille  que  son  oncle  serait 
certainement  disposé  à  se  trouver  à  Savone  avant  le  délai  pres- 
crit, s'il  avait  trouvé  à  Gênes  ou  ailleurs  les  navires  nécessaires 
pour  cela.  Aussi  trois  des  ambassadeurs  français,  devançant 
leurs  collègues,  se  rendirent  immédiatement  à  Gênes  et  obtinrent 
du  gouverneur  Jean  Lemaingre,  maréchal  de  Boucicaut,  et  des 
anciens,  c'est-à-dire  des  sénateurs,  la  promesse  formelle  de  cinq 
galères.  Mais  alors,  contre  toute  attente,  Grégoire  XII  éleva  des 
objections  contre  Savone  et  contre  Gênes  ^. 

Dès  le  commencement  du  mois  de  juin,  Grégoire  déclara  aux 
cardinaux  et  aux  membres  de  la  curie  qu'il  ne  pouvait  aller  à 
Savone  si  Venise  ne  lui  donnait  les  navires  nécessaires  pour 
faire  le  voyage,  parce  qu'il  ne  pouvait  se  fier  aux  galères  gé- 
noises^. Et  quant  à  aller  à  Savone  par  terre,  il  n'avait  pas  l'argent 
nécessaire  au  voyage.  Aussi  on  forma  une  commission  pour  exa- 
miner si,  dans  une  pareille  situation,  il  était  encore  tenu  par  le 
traité  de  Marseille.  Les  vingt-quatre  savants  qui  la  composèrent 
déclarèrent  presque  à  l'unanimité  que  le  pape  devait  se  trouver 
à  Savone  à  l'époque  indiquée,  mais  cette  décision  resta  sans 
effet  sur  l'esprit  de  Grégoire  *. 


jl)  Chronigor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  14.  —  Bol^us,  1.  c.  t.  V,  p.  146.  La  Chro- 
nique du  moine  de  Saint-Denis  l'ait  (I.  c.  p.  638),  prononcer  à  Antoine  Gorrario 
un  discours  à  Paris;  mais  à  la  p.  636  la  même  chronique  dit  que  Gorrario 
s'était  hâté  de  revenir  à  Rome,  et  c'est  ce  que  contirment  Dietrigh  de  Nieji 
(De  Schism.  III,  13),  et  Marte x e,  T/ics.  t.  II,  p.  1347  sq. 

(2)  Martène,  Thés.  t.  II,  p  1322,  i348.  —  Ghronigou.  1.  c.  lib.  XXVIII,  15. 
—  Martène  et  Durand,  Yet.  Script,  t.  VII,  p.  7;j4.  —  Raynald,  1407,  5,  6. — 
Theod.  a  Niem,  de  Schism.  lib.  III,  13,  14,  15.  A  partir  de  ce  moment  Die- 
trich  de  Niem  appelle  presque  toujours  le  pape  Greyorius  le  pape  Enorius. 

(3)  Gênes  se  trouvait  alors  au  pouvoir  de  la  France  et  dans  Tobédience 
de  Benoît  XIII. 

(4)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib.  III,  17. 


CHANGEMENT    DANS  LES   DISPOSITIONS  DE  GRÉGOIRE   XII.     1407.       163 

Il  est  facile  de  constater  que  les  parents  de  Grégoire  XII,  vis- 
à-vis  desquels  il  se  montra  aussi  faible  que  généreux,  furent  la 
cause  principale  du  changement  survenu  dans  ses  dispositions. 
Ses  parents  comprirent,  avec  raison  du  reste,  que  c'en  était  fait 
de  leur  avancement,  si  leur  oncle  venait  à  abdiquer.  Il  ne  pourrait 
plus  leur  donner  des  évêchés  ou  des  seigneuries.  Ce  fut  surtout 
Antoine  Gorrario,  dont  Grégoire  avait  fait  en  très-peu  de  temps 
un  chambellan  apostolique  et  un  évêque  de  Bologne,  qui  s'efforça 
secrètement  d'empêcher  le  voyage  à  Savone,  quoiqu'il  conseillât 
extérieurement  d'exécuter  le  traité  de  Marseille  ^.  En  outre, 
Grégoire  reçut  de  Paris  et  de  Venise  diverses  communications 
qui  le  rendirent  assez  défiant  vis-à-vis  de  la  France,  d'autant 
mieux  que  la  conduite  assez  raide  des  ambassadeurs  français 
à  l'égard  de  Benoît  XIII  était  pour  lui  un  pronostic  assez  défavo- 
rable^. Enfin  Ladislas  roi  de  Naples,  qui,  depuis  le  13  août  1406, 
était  réconcilié  avec  le  pape,  eut  aussi  une  influence  assez  consi- 
dérable sur  le  changement  qui  se  fît  remarquer  dans  les  dispo- 
sitions de  Grégoire  XII,  parce  que  ce  prince  craignait  qu'une 
réconciliation  du  pape  romain  et  de  la  France  ne  nuisît  au 
droit  qu'il  prétendait  posséder  sur  le  royaume  de  Naples.  Pour 
mieux  agir  sur  l'esprit  de  Grégoire  XII,  Ladislas  avait  envoyé  à 
Rome  un  moine  très-rusé,  qu'il  disait  être  son  confesseur  et  qui 
accompagnait  le  vieux  pape  comme  son  ombre,  le  suivant  abso- 
lument partout  où  il  allait.  Dietrich  de  Niem  prétend  même  que 
l'attaque  subite  faite  sur  Rome  par  Ladislas  le  17  juin  1407  pour 
s'emparer  de  la  ville  avec  le  secours  des  Colonna  et  d'autres 
conjurés,  avait  eu  lieu  avec  l'assentiment  de  Grégoire,  qui  voulait 
par  là  se  ménager  une  raison  plausible  de  ne  pas  faire  le  voyage 
de  Savone  ;  Léonardo  d' Arrezzo,  tout  en  déchargeant  le  pape  d'une 
complicité  de  ce  genre,  la  reporte  sur  les  parents  mêmes  de  Gré- 
goire. Quoi  qu'il  en  soit,  l'attaque  sur  Rome  échoua  grâce  à  l'é- 
nergie de  Paul  Orsini,  commandant  des  troupes  pontificales,  et 
les  Colonna  furent  frappés  de  peines  sévères  ^  Tout  le  mois  de 
juillet  1407  s'écoula  en  efforts  pour  faire  reconnaître  et  exécuter 
par  Grégoire  le  traité  de  Marseille.  Le  8  juillet,  le  pape  romain 


(1)  Theod,  a  Niem,  1.  c.  lib.  III,  c.  13,   15,  16.  —  Martène,  Thés.  t.  II, 
p.  1349. 

(2)  Chronigor.  I.  c.  lib.  XXVIII,  c.  15. 

(3)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  lib.  III,  15,  18.  —  Papengordt,  Gesch.  cler  Stadt 
Rom.  p.  457. 


154       CHANGEMENT    DAMS    LES    DISPOSITIONS   DR    GREGOIRE  XII.     1407. 

déclara  aux  nonces  de  Benoît  XIII  qu'il  lui  était  fort  difficile  de 
se  rendre  à  Savone,  qu'il  n'avait  pas  assez  d'argent  pour  armer 
huit  galères,  que  Venise  ne  les  lui  envoyait  pas  et  qu'il  ne 
pouvait  se  confier  à  des  galères  génoises.  Sa  pauvreté  était  si 
grande  qu'il  ne  pouvait  même  pas  envoyer  à  Venise  comme 
messager,  un  simple  piéton.  D'un  autre  côté,  il  ne  pouvait  pas 
abandonner  les  États  de  l'Église,  parce  qu'ils  étaient  menacés  par 
Ladislas  de  Naples.  Quelques  jours  après,  Grégoire  XII  écrivit  à 
Benoît  XIII  lui-même,  pour  lui  expliquer  qu'il  ne  pourrait  pro- 
bablement pas  être  exact  au  rendez-vous  pour  le  moment  fixé, 
parce  qu'il  manquait  de  navires  et  de  plus  parce  que  Savone  lui 
paraissait  un  endroit  fort  mal  choisi,  offrant  peu  de  sécurité  et 
peu  digne  d'une  pareille  entrevue  ' . 

Vers  la  même  époque,  arrivèrent  également  à  Rome  les  ambas- 
sadeurs français  et,  dans  une  audience  solennelle  qui  eut  lieu  le 
18  juillet,  le  patriarche  d'Alexandrie  prononça  un  discours  dans 
lequel  il  loua  la  via  cessionis,  ainsi  que  le  traité  de  Marseille,  et 
déclara  calomnieux  le  bruit  qui  prétendait  que  le  roi  de  France 
voulait  transporter  la  curie  de  Rome  à  Avignon.  Si  cela  était  né- 
cessaire pour  rassurer  Grégoire ,  les  ambassadeurs  français 
étaient  prêts  à  se  livrer  comme  otages,  et  le  gouverneur  de  Gênes 
voulait  de  même  livrer  ses  neveux.  Sur  le  désir  d'Antoine  Gorrario, 
ce  même  gouverneur  avait  armé  des  galères  suffisantes  pour  deux 
mille  personnes,  et  enfin  les  ambassadeurs  ajoutaient  que  le  roi 
de  France  pourvoirait  au  sort  de  Grégoire  (après  la  session).  Le 
professeur  Plaoul  parla  ensuite  au  nom  de  l'Université  de  Paris, 
et  le  pape  répondit  «  qu'il  était  pour  la  via  cessionis,  non  pas 
qu'elle  fût  juste  en  elle-même,  mais  parce  que,  dans  les  cir- 
constances présentes,  c'était  ce  qu'il  y  avait  de  mieux.  Il  s'ap- 
pliqua ensuite  à  prouver  avec  force  explications  qu'il  ne  pouvait 
pas  tenir  sa  promesse  concernant  Savone  ^. 

Le  même  jour,  les  ambassadeurs  français  eurent  une  confé- 
rence avec  les  cardinaux,  et  le  19  juillet  ils  rendirent  de  nouveau 
visite  au  pape  pour  résoudre  ses  objections  touchant  les  navires. 
Le  patriarche  lui  proposa,  au  nom  du  roi  de  France,  six  galères 
complètement  armées  et  que  le  pape  pourrait,  pour  plus  de 


(1)  Raynald,  1407,  8.— Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  16.—  Martène,  Tkcs. 
t.  II,  p.  1349. 

(2)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  17. 


CHANGEMENT  DANS   LES   DISPOSITIONS   DE   GRÉGOIRE  XII.    1407.       155 

sûreté,  confier  en  partie  à  des  équipages  choisis  par  lui.  Le  capi- 
taine de  ces  galères,  Jean  d'Outremer,  lui  prêterait  serment  de 
fidélité  et  lui  livrerait  comme  otages  ses  enfants  et  sa  femme  ;  de 
plus  cent  bourgeois  de  marque  de  la  ville  de  Gênes  et  cinquante 
de  Savone  seraient  également  livrés  comme  otages.  Grégoire, 
fort  embarrassé,  chercha  toute  sorte  de  faux-fuyants,  prélendit 
qu'il  était  nécessaire  de  faire  un  nouveau  traité  et  accusa  ses 
neveux  d'avoir  fait  (à  Marseille)  des  concessions  que  sa  pauvreté 
l'empêchait  de  ratifier.  Le  soir,  les  ambassadeurs  français  firent 
une  nouvelle  tentative  pour  déterminer  le  pape  à  accepter  les 
galères  génoises  (c'est-à-dire  françaises).  On  lui  répéta  que  le 
capitaine  de  ces  galères  était  un  très-digne  homme,  qu'il  avait 
été  choisi  sur  le  désir  même  des  neveux  du  pape;  que  les 
ordres  pour  l'armement  des  galères  étaient  déjà  donnés;  du 
reste,  que  Grégoire  XII  ne  pouvait  pas  espérer  d'en  obtenir 
d'autres  et  qu'après  tout  il  était  assez  surprenant  qu'il  ne  voulût 
pas  venir  à  Savone,  après  avoir  écrit  à  son  neveu  que,  dans 
l'intérêt  de  l'union,  il  irait  même  jusqu'à  Avignon  s'il  le  fallait. 
Tous  ces  raisonnements  furent  inutiles  ^ 

Le  20  -juillet,  Jean  Petit  fit,  au  nom  de  l'ambassade  fran- 
çaise, un  discours  aux  sénateurs,  aux  conservateurs  et  aux  autres 
chefs  de  la  ville  de  Rome,  pour  protester  que  le  roi  de  France 
désirait  uniquement  le  rétablissement  de  l'unité  de  l'Église  et 
en  aucune  façon  la  translation  du  Saint-Siège  dans  la  ville 
d'Avignon.  Jean  Petit  termina  en  demandant  que  les  Romains 
engagassent  le  pape  à  faire  le  voyage  de  Savone.  Dans  sa  réponse, 
l'orateur  des  Romains  ne  fit  que  des  promesses  vagues,  tout  en 
accordant  beaucoup  de  louanges  aux  propositions  françaises  ^ 

Le  lendemain,  les  nonces  de  Benoît  XIII  se  plaignirent  de  ce 
que,  nonobstant  six  demandes  faites  successivement  et  après 
vingt-deux  jours  d'attente,  Grégoire  XII  n'eût  pas  encore  déclaré 
s'il  acceptait,  oui  on  non,  le  traité  de  Marseille.  Enfin  le  22  juillet 
Grégoire  leur  fit  la  déclaration  suivante  : 

«  A  cause  des  dangers  qu'un  voyage  à  Savone  pourrait  faire 
courir  à  l'Église  romaine,  à  la  ville  de  Rome  et  aux  États  de 
l'Éghse,  il  lui  semblait  bien  préférable  de  choisir  un  autre  heu, 
et  dans  ce  cas  Benoît  {Dominus  Âvinioneiisis)  ferait  bien  de  dé- 


(1)  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  18,  19. 

(2)  Ibid.  c.  20. 


156      CHANGEMENT   DANS   LES   DISPOSITIONS   DE   GHEGOIRE   XII.     1407. 

signer  une  ville  d'Italie  dans  l'obédience  de  Grégoire  el  offrant 
toute  sécurité.  S'il  s'y  refusait,  il  devrait  au  moins  venir  à 
Savone':;dans  les  mêmes  conditions  que  Grégoire,  c'est-à-dire  par 
voie  de  terre  et  sans  aucune  galère.  Pendant  le  temps  des  négo- 
ciations, le  gouverneur  de  Gênes  devrait  revenir  en  France,  et 
Grégoire  le  remplacerait  comme  gouverneur  intérimaire  par 
un  prélat  de  l'ambassade  française  '.  »  Pendant  les  négociations, 
qui  se  poursuivirent  les  jours  suivants,  le  patriarche  proposa  à 
Grégoire  que,  dans  le  cas  où  il  se  refuserait  à  aller  en  personne 
à  Savone,  il  y  envoyât  au  moins  des  chargés  de  pouvoirs  auto- 
risés à  faire  pour  lui  la  déclaration  touchant  la  cession,  et  les 
cardinaux  appuyèrent  cette  proposition  ^.  Grégoire  XII  fit  venir 
auprès  de  lui,  le  28  juillet,  les  évêques  de  Beauvais  et  de 
Cambrai  (d'Ailly),  le  chancelier  Gerson  et  deux  autres  membres 
de  l'ambassade  française  ;  il  leur  déclara  qu'il  avait  en  eux  une 
confiance  toute  particulière,  que  son  zèle  pour  l'union  ne  s'était 
en  aucune  façon  refroidi,  qu'il  avait  grandi  au  contraire;  mais  qu'il 
lui  était  impossible  d'aller  à  Savone.  Il  ne  pouvait  s'y  rendre  par 
mer,  parce  qu'il  manquait  de  navires  auxquels  il  pût  se  confier, 
et  quant  aux  deux  voies  de  terre,  l'une  était  ravagée  par  la 
guerre  et  l'autre  très-difFicile  et  peu  sûre.  Il  voulait  néanmoins 
se  rapprocher  de  son  adversaire;  aussi  était-il  décidé  à  se  rendre 
à  Pietra  Santa  (au  nord  de  Pise  et  non  loin  de  la  mer)  ou  en  un 
autre  endroit  voisin  de  l'autre  obédience.  Gomme  dans  sa  ré- 
ponse d'Ailly  avait  dit  au  pape,  entre  autres  choses,  qu'il  avait 
tort  de  ne  pas  continuer  à  avoir  confiance  dans  le  roi  de  France, 
Grégoire  XII  avoua  que  les  procédés  sévères  et  les  menaces  dont 
la  France  avait  usé  à  l'égard  de  Benoît  XIII  lui  avaient  fait  faire 
ce  raisonnement  :  «  Si  l'on  se  conduit  de  cette  manière  à  l'égard 
de  son  propre  pape,  comment  sera  donc  traité  l'autre  pape?» 
Il  était  également  bien  regrettable  que,  dans  les  premières  ins- 
tructions données  à  ses  ambassadeurs  (celles  du  18  février  1407) 
le  roi  eût  déclaré  que  les  deux  papes  devaient  abdiquer  sine 
tràctatu  prœparationum.  N'était-ce  pas  là  vouloir  empêcher 
tous  les  préliminaires  indispensables?  D'Ailly  répondit  que  le 
pape  avait  été  induit  en  erreur  par  une  faute  de  copiste,  parce 
que   le   texte  véritable  portait  :  Sine  tractu  prœparationwn, 


(1)  Ghronicop.  1.  c.  ]ib.  XXVIII,  c.  21  et  22. 

(2)  Ihid.  c.  23. 


CHANGEMENT   DANS   LES   DISPOSITIONS   DE   GRÉGOIRE  XII,     1407.       157 

c'est-à-dire,  sans  qu'on  laissât  trop  traîner  les  préliminaires; 
quant  à  la  prétendue  rigueur  contre  Benoît,  elle  provenait  de  ce 
que  l'on  avait  fait  courir  le  bruit  que  Benoît  XIII  ne  voulait  pas 
abdiquer,  quand  même  Grégoire  XII  se  serait  décidé  à  le  faire. 
Après  que  d'Ailly  eut  dissipé  quelques  autres  doutes  émis  par 
le  pape,  celui-ci  se  mit  à  pleurer  amèrement  et  dit  :  «  Je  vous 
donnerai  la  paix,  soyez-en  sûrs,  je  vais  faire  ce  qui  est  agréable 
au  roi  de  France  et  à  son  royaume.  Mais,  je  vous  en  prie,  ne 
m'adandonnez  pas  et  permettez  que  quelques-uns  d'entre  vous 
m'accompagnent  à  Pietra  Santa  * .  » 

Les  nonces  de  Benoît  XIII,  mécontents  de  la  réponse  que  Gré- 
goire XII  leur  avait  faite,  étaient  partis  et  avaient  déjà  gagné 
Ostie;  mais,  sur  le  désir  de  Grégoire,  ils  revinrent,  grâce  surtout 
à  l'entremise  des  ambassadeurs  français,  et,  le  31  juillet,  ils 
reçurent  une  nouvelle  réponse,  par  laquelle  Grégoire  se  pronon- 
çait il  est  vrai  contre  Savone,  à  laquelle,  disait-il,  il  aurait  préféré 
Rome;  tou-tefois  il  ajoutait  que  si  Benoît  XIII  s'obstinait  pour 
Savone,  il  consentirait  à  confirmer,  sauf  quelques  modifications, 
le  traité  de  Marseille.  Dans  le  cas  où  la  France  procurerait  les 
galères  et  donnerait  toutes  les  garanties  nécessaires,  il  pourrait 
se  trouver  à  Savone  au  plus  tard  le  1"  novembre;  mais  alors 
chaque  parti  désarmerait  ses  navires;  aussitôt  après  son  arrivée, 
le  gouverneur  de  Gênes  serait  renvoyé  en  France  pour  tout  le 
temps  des  négociations  et  Grégoire  le  remplacerait  par  un  autre 
gouverneur  pris  parmi  les  membres  de  l'ambassade  française. 
Dans  le  cas  oîi  Grégoire  ne  pourrait  venir  en  personne,  il  pro- 
mettait d'envoyer  à  Savone  aux  époques  fixées,  un  procureur, 
lequel  aurait  des  pouvoirs  illimités  pour  faire  en  son  nom  tout  ce 
à  quoi  il  s'était  engagé  dans  le  conclave  ^. 

Les  nonces  de  Benoît  Xill  quittèrent  Home  immédiatement 
après  avoir  reçu  cette  déclaration;  les  ambassadeurs  français,  au 
contraire,  restèrent  quelques  jours  encore,  et  le  3  août  ils  ap- 
prirent de  Grégoire  XII  qu'il  voulait  aller  à  Pietra  Santa  et  y 
rester  jusqu'à  la  mi-septembre;  s'il  ne  pouvait  parvenir  à 
s'entendre  avec  Benoît  XIII  pour  la  désignation  d'un  autre  lieu, 
il  se  conduirait  ensuite  conformément  à  sa  déclaration  du 
31  juillet.  Mais  le  lendemain  déjà,  Grégoire  XII  ne  voulait  plus 


(1)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVIII,  c.  U, 

(2)  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1354  et  i  366-1374.  —  Raynald.  1407,  6. 


158       CHANGEMENT   DANS  LES    DISPOSITIONS   DE    GRÉGOIRE   XII.    1407. 

aller  à  Pietra  Santa.  Il  parlait  de  Plse,  ou  de  Florence,  ou  de 
Sienne;  mais  les  cardinaux  assurèrent  aux  ambassadeurs  fran- 
çais que  pour  eux,  en  tout  état  de  cause,  ils  iraient  à  Savone  et 
qu'ils  empêcheraient  là  l'élection  de  tout  successeur  de  Gré- 
goire XII,  si  celui-ci  venait  à  mourir.  Les  ambassadeurs  fran- 
çais quittèrent  alors  Rome,  se  rendant,  les  uns  directement  à 
Paris,  les  autres  auprès  de  Benoît  XIII  ;  l'évêque  de  Todi,  qui 
avait  pris  part  à  la  conclusion  du  traité  de  Marseille  en  qualité 
de  nonce  de  Grégoire,  assura  que  deux  Vénitiens  avaient  fini  par 
persuader  à  son  maître  que  s'il  allait  à  Savone,  on  le  retiendrait 
prisonnier,  et  il  ajouta  que  son  neveu  Antoine  Gorrario  avait 
bien  réellement  demandé  les  navires  génois,  quoiqu'il  le  niât 
dans  le  moment  présent  * . 

De  Gènes  les  ambassadeurs  français  écrivirent  une  fois  encore 
à  Grégoire,  à  la  date  du  21  août  1407,  pour  réfuter  une  fois  de 
plus  ses  objections  contre  Savone  et  pour  le  supplier  de  ne  pas 
accorder  trop  de  créance  à  ses  neveux  et  à  ses  parents  lesquels, 
au  grand  détriment  de  la  chrétienté,  ne  cherchaient  que  leurs 
intérêts  ^. 

Les  ambassadeurs  français  trouvèrent  Benoit  XIII  dans  l'île  de 
Saint-Honoré  (Lérins),  oii  il  s'était  réfugié  parce  que  la  peste  sé- 
vissait dans  les  environs  de  Marseille.  Il  regretta  beaucoup  que 
les  dispositions  de  Grégoire  eussent  changé  ;  il  promit,  quant  à 
lui,  de  sejendre  à  Savone  et,  dès  le  lundi  suivant,  il  voulait  partir 
pour  Nice.  Mais  lorsque  le  patriache  Simon  Gramaud,  chef  de 
l'ambassade  française,  eut  fait  connaître  à  Benoît  XIII  la  demande 
de  Grégoire,  portant  que  les  galères  devaient  être  désarmées 
aussitôt  après  leur  arrivée,  etc.  Benoît  déclara,  à  la  stupéfaction 
générale,  qu'il  n'acceptait  pas  ces  conditions  ^  Évidemment  la 
grande  crainte  de  chacun  des  deux  papes  était  d'être  trompé  ou 
d'être  fait  prisonnier  par  l'autre. 


(1)  Ghronicor.  CaroliVl,  lib.  XXVIIl  25.—  Martène,  Ihes.  t.  Il,  p.  1385  sff., 
1348,  n"  VI. 

(2)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXVIIl  26. 

(3)  Martène,  TIm.  t.  Il,  p.  1378-1381.  —  Chronigor.  I.  c.  c.  27. 


LES  DEUX  PAPES  SE  KAPPBOCHEJNT  l'uN  DE  l'aTJTKE,  ETC.    159 

§  723. 

LES   DEUX   PAPES   SE   RAPPROCHENT   l'uN   DE   l' AUTRE, 
.  MAIS    SANS    SE   RENCONTRER. 

Sur  ces  entrefaites  Grégoire  XII  avait  quitté  Rome  le  9  août  1407 
pour  SG  rapprocher  de  son  adversaire,  à  la  grande  joie  du  peuple, 
qui  espérait  voir  bientôt  renaître  l'union.  Au  bout  de  quelques 
jours,  il  vint  avec  la  curie  à  Viterbe,  où  il  passa  vingt  jours,  pen- 
dant lesquels  les  cardinaux  et  d'autres  personnes  l'invitèrent  à 
plusieurs  reprises  à  se  rendre  àSavone  '.Le  17  août,  Grégoire 
écrivit  au  roi  de  France  pour  lui  exposer  les  motifs  qui  l'empê- 
ciiaient  d'aller  à  Savone  et  pour  se  plaindre  de  l'orgueil  des 
ambassadeurs  français,  et  en  particulier  du  patriarche.  Il  écrivit 
aussi  dans  le  même  sens  deux  lettres  à  Benoît,  et  il  négocia  en 
même  temps  avec  Théodore,  marquis  de  Montferrat,  pour  le  cas 
où,  par  crainte  des  navires  génois,  il  suivrait,  en  allant  à 
Savone,  la  route  de  Lombardie.  Le  marquis,  dont  le  terri- 
toire était  voisin  de  Savone,  devait  occuper  militairement,  au 
nom  du  pape,  la  partie  de  cette  ville  que  le  traité  de  Marseille 
attribuait  à  Grégoire  et  faire  prêter  aux  habitants  serment  de 
fidélité  ^.  Le  pape  gagna  ensuite  Sienne  pour  être  à  portée  d'aller 
soit  à  Savone,  soit  à  Pise,  dont  il  demandait  qu'on  fît  choix.  Il 
resta  à  Sienne  jusqu'au  mois  de  janvier  1408,  et  il  écrivit  de 
nouveau  au  roi  de  France  ainsi  qu'aux  ducs  de  Bourgogne  et  de 
Berri,  à  l'Université  de  Paris,  à  Benoît  XIII  et  même  à  ce  gou- 
verneur de  Gênes  qu'il  haïssait  tant,  pour  les  convaincre  de 
l'impossibilité  de  faire  le  voyage  de  Savone.  Il  s'adressa  égale- 
ment dans  le  même  but  à  Ladislas,  roi  de  Naples,  qui  était  fort 
irrité  contre  Savone  et  qui,  pour  empêcher  que  l'entrevue  eût 
lieu,  attaqua  sur  ces  entrefaites  la  marche  d'Ancône  ^. 

Lorsque  le  premier  terme  désigné  pour  l'entrevue  de  Savone 


(1)  Theod.  a  Niem,  de  Schism.  lib.  III,  19. 

(2)  Raynald,  1^1 07,  12. 

(3)  Theod.  a  Niiîm,  de  Schism.  lib.  III,  20,  21,  et  Nemus  unionis,  Tract.  IV,  1. 
—  Mariène,  Thés.  t.  Il,  p.  1339;  Yel.  Script,  t.  VII,  p.  761  et  767.  La  lettre 
qui  se  trouve  dans  ce  dernier  auteur  est  étrangement  rédigée. Au  début,  c'est 
Grégoire  lui-même  qui  parle,  et  puis  il  est  question  de  lui  à  la  troisième 
personne.  Martène  a  eu  tort  de  croire  que  cette  seconde  partie  provenait 
des  cardinaux.  Cf.  Schwab,  Jean  Gerson,  etc.  S,  206,  note  5. 


160      LES  DEUX  PAPES  SE  RAPPROCHENT  l'uN  DE  l'auTRE, 

(la  Saint-Michel  de,i407)fut  arrivée,  Benoît  XIII,  accompagné  de 
sa  cour  et  porté  sur  des  galères  bien  armées,  se  rendit  dans  cette 
ville,  et  les  cardinaux  de  Grégoire  lui  demandèrent  d'en  faire 
autant.  Grégoire  fit  une  contre-proposition,  et  alors,  sur  le  con- 
seil des  ambassadeurs  de  Florence,  etc.,  Benoît  XllI  se  déclara 
prêt  à  se  rendre  à  Porto  Venere  (près  de  Spezzia),  si  de  son  côté 
Grégoire  voulait  se  rendre  sans  délai  à  Pietra  Santa.  Ces  deux 
villes,  situées  au  bord  de  la  mer,  ne  sont  éloignées  l'une  de  l'autre 
que  de  dix  heures;  mais  la  première  faisait  partie  du  territoire 
de  Gênes  et  la  seconde  appartenait  à  Lucques,  dont  le  seigneur, 
Paul  Guinisius,  avait  promis  à  Grégoire  pleine  sécurité  ^ 

Pendant  ces  négociations,  le  second  terme  fixé  pour  l'entrevue 
de  Savone  était  arrivé,  et  Grégoire  fit  publier  alors  un  mémoire 
détaillé  pour  expliquer  son  absence  ;  d'un  autre  côté,  afin  de  bien 
témoigner  de  ses  sentiments  pour  l'union,  il  fît  faire  de  solen- 
nelles processions  pour  la  paix,  et  il  désigna  les  évêchés  et  pré- 
bendes qu'il  demandait  pour  lui  quand  il  aurait  abdiqué,  ainsi 
que  les  compensations  qui  seraient  accordées  à  ses  neveux  ^ . 

A  Savone,  Benoît  XIII  montra  bien  peu  d'ardeur  pour  la,  via 
cessionis  et  pour  la  convocation  d'un  concile  général,  lorsqu'il 
donna  audience  aux  ambassadeurs  castillans,  qui,  dans  l'intérêt 
de  la  paix,  lui  firent  visite  ainsi  qu'à  Grégoire  XIP.  Néanmoins  il 
alla  à  Porto  Venere,  et  de  son  côté  Grégoire  gagna  Lucques  au 
mois  de  janvier  1408,  et  les  négociations  se  poursuivirent  pour 
savoir  où  se  rencontreraient  les  deux  papes.  Les  fondés  de  pou- 
voir à  cet  effet  furent  soutenus  activement  par  les  ambassadeurs 
de  Florence,  de  Bologne  et  d'autres  villes  ou  États''.  Mais  des 
deux  côtés  on  fit  preuve  de  tant  de  mauvaise  volonté  que  les  con- 
temporains finirent  par  croire  que  les  deux  prétendants  s'enten- 
daient secrètement  pour  jouer  la  chrétienté.  On  disait  ironique- 
ment en  parlant  d'eux  :  «  L'un  est  un  animal  des  mers,  il  ne 
veut  pas  aller  sur  terre  (c'était  le  pape  Benoît  XIII);  l'autre,  au 
contraire,  est  un  animal  terrestre  (Grégoire  XII),  et  il  ne  veut  pas 


(1)  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1354-1357,  1384,  1386  sqq.  —  Martène  et  Da- 
RAND.  Vet.  Script,  t  VII,  p.  762-766.  —  Theûd.  a  Niem,  de  Schis7n.  lib.  IIL 
23.—  Raynald,  1407,  20-22. 

(2)  Theod.  a  Niem,  Nemiis,  Tract.  IV,  7  ;  de  Schism.  lib.  III,  23.—  Raynald, 
1407,  23,  28.  —  Martène,  Thcs.  t.  II,  p.  1382  sqq. 

(3)  Martène,  T/ies.  t.  II,  p.  1389  sq. 

(4)  Theou.  a  Niejj,  de  Schism.  lib.  111,  23. 


MAIS   SANS   SE   RENCONTRER.  161 

aller  sur  mer  »  ^  La  brouille  entre  Grégoire  et  ses  cartlinaux 
devint  de  plus  en  plus  grande  à  la  suite  de  tous  ces  incidents,  et 
ses  neveux  eurent  tous  les  jours  plus  d'influence  sur  lui;  ce  fut 
sur  leur  conseil  qu'il  fit  espérer  à  Ladislas,  roi  de  Naples,  de 
devenir  vicaire  pour  les  États  de  l'Église.  De  même,  nonobstant 
la  promesse  faite  lorsqu'il  avait  été  élu  pape,  il  voulut,  vers 
la  mi-carême  1408,  créer  de  nouveaux  cardinaux,  parmi  les- 
quels ses  neveux,  et  le  sacré-collége  ne  l'empêcha  qu'avec 
peine  de  donner  suite  à  cette  idée  ^.  Quelque  temps  après , 
Grégoire  XII  proposa  à  son  adversaire  Lucques,  Pise  et  Livourne 
comme  lieux  de  réunion.  Benoît  XIII  se  contenta,  au  contraire, 
de  faire  peser  sur  Grégoire  la  responsabilité  de  tous  ces  retards, 
disant  qu'il  n'observait  aucun  traité  et  qu'il  avait  décliné  jusqu'à 
une  proposition  faite  dernièrement  par  ses  compatriotes  les  Véni- 
tiens et  par  les  Français,  etc.,  pour  que  Benoît  XIII  se  rendît  à 
Bensa  (Lavenza)  et  Grégoire  XII  à  Carrare.  De  son  côté,  Grégoire 
se  plaignit  de  ce  que  Benoît  voulait  l'attirer  dans  un  piège,  puis- 
qu'il ne  lui  proposait  que  des  endroits  suspects,  et  il  ne  voulut 
entendre  parler  que  de  Lucques  ou  de  quelque  autre  ville  sur  le 
territoire  de  Florence  ou  de  Sienne  ^ . 

Vers  cette  époque,  c'est-à-dire  le  23  avril  1408,  le  roi  Ladislas 
occupa  la  ville  de  Rome,  quePaoli  Orsini,  commandant  pontifical, 
lui  livra  sans  coup  férir,  après  s'être  laissé  gagner  par  Fargent  et 
par  les  promesses.  Ladislas  fut  reçu  avec  joie  par  le  peuple,  sou- 
mit les  autres  villes  et  s'arrogea  le  titre  de  «  roi  romain  » .  Grégoire 
s'exprima  sur  ce  qui  venait  de  se  passer  et  sur  «  son  très-cher  fils 
le  roi  Ladislas  «  de  telle  façon  que  Dietrich  de  Niem  a  pu  insinuer 
avec  raison  que  le  pape  se  réjouissait  de  ces  événements.  Gré- 
goire XII  accusa  en  même  temps  Fantipape  et  le  gouverneur 
de  Gênes  d'avoir  armé  en  ce  même  moment  un  nombre  con- 
sidérable de  vaisseaux  pour  tenter  une  attaque  contre  Rome, 
Sans  les  vents  contraires,  cette  attaque  aurait  certainement  eu 
lieu. 

Grégoire  devint  de  plus  en  plus  défiant,  et  il  ne  voulut  plus 


(1)  Léon.  Ahkt.  dans  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Pise,  t.  I^  p.  193. —  Mar- 
TÈNE  et  Ddrand.  Yet.  Script,  t.  VII,  p.  768  sq.  —  Theod.  a  Niem,  Nemus, 
Tract.  Yl,  12. 

(2)  Theod.  A  Niem,  de  Schism.  lib.  III,  23-25. 

(3)  Theod.  a  Niem,  de  Schism.  lib.  III,  c.27  et  28,  et  Nemus,  Tract.  VI,  3,  4, 
5.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1181. 

T.   X.      11 


162  GRÉGOIRE   XII  EST  ABANDONNE   DE   SES   CARDINAUX. 

entendre  parler  de  Pise,  quoique  T^adislas  recommandât  très- 
vivement  cette  ville  * , 

§  '724. 

GRÉGOIRE   XII   EST   ABANDONNÉ   DE   SES   CARDINAUX. 

Grégoire  XII  revint  à  l'idée  de  créer  de  nouveaux  cardinaux 
pou  rfaire  contre-poids  aux  anciens,  qui  lui  étaient  peu  soumis.  Il 
convoqua  ces  derniers  le  4  mai  1408  dans  son  palais  qui  était 
rempli  d'hommes  armés.  Les  cardinaux  affirmèrent  dans  la  suite 
qu'ils  avaient  cru  leur  vie  en  danger  ^ .  Après  les  avoir  regardés 
d'un  œil  courroucé,  le  pape  leur  ordonna  de  s'asseoir,  avec  défense 
de  se  lever  sans  sa  permission  expresse.  Il  voulait  par  là  les  em- 
pêcher d'émettre  quelque  protestation;  mais  les  plus  hardis  se 
levèrent  aussitôt  et  protestèrent  sans  délai,  entraînant  ainsi  avec 
eux  leurs  collègues  plus  timides;  après  une  violente  sortie  contre 
eux,  Grégoire  leva  la  séance  et  renvoya  les  cardinaux.  Après  les 
avoir  menacés  des  peines  les  plus  sévères,  il  leur  défendit  de 
quitter  Lucques  et  de  se  réunir  entre  eux  sans  sa  permis- 
sion, etc.  ^  Quelque  temps  après,  il  crut  avoir  rendu  les  cardinaux 
plus  traitables  par  suite  des  négociations  qu'il  avait  eues  avec  eux 
et  il  les  convoqua  pour  le  12  mai,  afin  de  leur  communiquer  les 
promotions  de  leurs  nouveaux  collègues;  m.ais  plusieurs  d'entre 
eux  se  firent  excuser  pour  cause  de  maladie,  etc.;  le  cardinal  de 
Liège  (il  était  prévôt  de  cette  ville  et  cardinal  de  Saint-Gôme  et 
de  Saint-Damien)  prit  la  fuite  en  toute  hâte  dans  la  matinée  de 
ce  jour.  Antoine  Gorrario  ht  en  vain  courir  après  lui  des  hommes 
armés;  six  autres  cardinaux  suivirent  cet  exemple  et  gagnèrent 
Pise,  ainsi  que  le  cardinal  de  Liège;  ils  espéraient  se  réunir  dans 
cette  ville  à  leurs  collègues  d'Avignon  pour  continuer  l'œuvre  de 
l'union.  Ces  six  cardinaux  étaient  Angélus  Florentinus  d'Ostie, 
Antonius  dePalestrina  (auparavant  patriarche  d'Aquilée),  Conrad 
Carracciolo  de  Saint-Ghrysogone,  évêque  de  Malte,  appelé  pour 
ce  motif  Melitensis ,  Jordan  Orsini   de  Saint-Martin  in  Monte, 


(1)  Theod.  a  NiiiM,  de  Schism.  lib.  III,  28,  29;  Nemus,  Traci.  VI,  7.  —  Ray- 
NALD,  1408,  5,  10,  17. 

(2)  Voyez  pour  le  contraire  Raynald,  1408,  15. 

(3)  Raynald,  1403,  7,  8,  13.™  TniiOD.  a  Nieai,  Nemus,  Tract.  VI,  10,  11.— 
Martènk,  Thés.  t.  II,  p.  1394  sqq. 


GREGOIRE   XII  EST   ABANDONNÉ  DE   SES    CARDINAUX.  163 

Rainald  de  Brancatiis  de  Saint- Vitus  et  Odo  Golonna  de  Saint- 
Georges  ad  Vélum  Aureum  (plus  tard,  Martin  V).  Il  n'y  eut 
que  trois  des  anciens  cardinaux,  Henri  de  Tusculum  [Neapoli- 
tanus,  parce  qu'il  était  originaire  de  Naples),  Angélus  Laudensis 
(non  pas  évêque  de  Lodi,  mais  de  Laus  Pompeia  et  issu  de  Lodi 
Vecchio)  et  Antoine  de  Sainte-Praxède  (évêque  de  Todi),  à  rester 
quelque  temps  avec  Grégoire.  D'autres,  comme  Balthasar  Cessa 
et  Pierre  Philargi,  étaient  absents  pour  des  affaires.  Grégoire  créa 
ce  même  jour,  12  mai,  quatre  nouveaux  cardinaux,  ses  neveux 
Antoine  Corrario  et  Gabriel  Condolmero,  plus  tard"Eu§êne  IV, 
le  protonotaire  Jacques  d'Udine  et  Jean  Dominique,  archevêque 
de  Raguse,  ennemi  déclaré  de  la  cession  ^ 

Un  document  italien  publié  par  Mansi  (t.  XXYII,  p.  495  sqq.) 
prouve  que  déjà  vers  la  fin  du  mois  d'avril  1408  les  Florentins 
avaient  proposé  aux  cardinaux,  pour  le  cas  où  ils  quitteraient 
Lucques,  de  choisir  pour  y  résider  la  ville  de  leur  territoire  qui 
leur  conviendrait,  et  ils  agitèrent  déjà  avec  eux  le  projet  d'une 
déclaration  de  neutralité. 

De  Pise,  les  sept  cardinaux  envoyèrent  deux  mémoires,  l'un  à 
Grégoire  XII,  l'autre  aux  princes  chrétiens.  Dans  le  premier,  ils 
protestaient  contre  les  ordres  que  Grégoire  leur  avait  donnés  pour 
le  4  mai,  et  ils  en  appelèrent  non-seulement  ad  Papam  melius 
informandum,  mais  aussi  du  vicaire  de  Jésus-Christ,  au  Christ 
lui-même,  à  un  concile  général  et  au  futur  pape.  Ils  parlèrent 
ensuite  des  dangers  que  leur  vie  avait  courus  à  Lucques,  des 
chausses-trapes  et  des  chaînes  qui  avaient  été  préparées  pour  eux 
dans  le  palais  du  pape.  Ils  terminèrent  en  disant  que  le  serment 
qu'ils  avaient  prêté,  lors  de  l'élection  de  Grégoire  XII,  leur  faisait 
un  devoir  de  se  réunir  et  de  négocier  avec  les  cardinaux  de  la  par- 
tie adverse,  et  que  s'ils  étaient  alors  allés  à  Pise  c'était  uniquement 
parce  que  Grégoire  s'était  déclaré  tout  d'abord  pour  cette  ville '^. 

Dans  le  second  document,  daté  en  partie  du  12  et  en  partie 
du  14  mai,  les  cardinaux  rappellent  les  obligations  contrac- 


(1)  Raynald,  1408,  13-16.—  Theod.  a  Niem,  de  Schism.  lib.  III,  31,  32;  iVe- 
mus  Tract.  Yl,  c.  10,  11,  33,  et  Tract.  IN,  8,  et  V,  1.  —  Martène,  Thesaur. 
t.  Il,  p.  1395. 

(2)  Martèni^,  T/ies.  t.  II,  p.  1394  (la  date  est  fausse  dans  ce  passage  :  on  a 
mis  le  30  au  lien  du  î  3  mai,  sans  réiléchir  qu'en  i  408  le  30  mai  n'était  pas  un 
dimanche,  mais  bien  un  mercredi).  —  Raynald,  1408,  9.  —  Theod.  a  Niem, 
Nemus,  Tract.  Yl,  10.  —  Mansj,  t.  XXYII,  p.  33  sqq,  et  139  (incomplet).  — 
Hahdouin,  t.  VIII,  p.  140  sqq. 


164  GRÉGOIEE   Xir   EST   ABANDONNÉ   DE   SES    CARDINAUX. 

tées  par  Grégoire  lors  de  son  élection  et  comment  iil  n'en  a  pas 
tenu  compte,  nonobstant  toutes  leurs  observations.  Ils  racontent 
ce  qui  s'est  passé  le  4  mai  et  les  jours  suivants  et  annoncent  ensuite 
que,  pour  préserver  l'Église  d'un  danger  plus  grand  et  pour  rendre 
l'union  possible,ils  ont,  après  y  avoir  mûrementréfléchi,  mis  à  pro- 
fit une  occasion  que  Dieu  leur  a  miraculeusement  offerte,  et  qu'ils 
ont  gagné  Pise.  Ils  espèrent  que  les  princes  chrétiens  viendront 
énergiquement  à  leur  aide  dans  leurs  tentatives  pour  rétablir  l'u- 
nion ^ .  Toutefois,  ils  continuaient  à  regarder  Grégoire  XII  comme 
pape  légitime,  et  ils  protestaient  de  leur  respect  pour  lui.  Les  ten- 
tatives qui  furent  faites  pour  ramener  à  l'aide  de  promesses  ou  de 
menaces  les  cardinaux  à  l'obéissance  restèrent  sans  résultat  ^. 

Le  12  juin  1408,  Grégoire  fît  paraître  une  réfutation  ofiiciello 
du  mémoire  des  cardinaux.  Depuis  longtemps,  dit  le  pape,  les 
cardinaux  penchaient  pour  le  parti  français;  ils  s'efforçaient  d'af- 
faiblir la  cause  du  pape  Grégoire  et  de  diviser  ses  partisans;  ils 
ourdissaient  contre  lui  des  projets  schismatiques  et  hérétiques, 
et,  dans  ce  but,  ils  avaient  décrié  le  pape  et  l'avaient  présenté 
comme  l'ennemi  de  l'union.  Si  le  pape  avait  un  reproche  à  se 
faire,  c'était  d'avoir  supporté  trop  longtemps  les  intrigues  sacri- 
lèges des  cardinaux.  Leurs  données  et  leurs  mémoires  étaient 
tout  à  fait  faux.  Ils  n'avaient  jamais  couru  de  dangers,  personne 
n'avait  songeâtes  jeter  dans  les  fers,  etc.  Ils  n'avaient  pas  le 
droit  de  tenir  des  réunions  entre  eux  et  de  poursuivre  des  négo- 
ciations avec  le  collège  de  l'antipape.  Il  était  faux  qu'il  se  fût 
antérieurement  décidé  pour  Pise.  Les  négociations  n'avaient  pas 
encore  amené  de  résultats  positifs,  lorsque  l'attaque  préméditée 
de  l'antipape  sur  Rome  avait  montré  la  nécessité  de  réfléchir  à 
cette  affaire  avec  plus  de  maturité  ^ . 


{{)  Theod.  a  Niem,  Nemus,  Tract.  VI,  H. —  Raynald,"1408,  8.  —  Hardouin, 
t.  VIII,  p.  138  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1188,  et  t.  XXVII,  p.  29  sqq.,  dans 
ce  dernier  auteur  avec  une  addition  signée  par  les  deux  cardinaux. 

(2)  Theod.  a  Niem,  de  Schism.  lib.  III,  33,  34;  Nemus,  Tract.  VI,  18,  20,  21. 

(3)  Raynald,  1408,  9-19.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  36  sqq.—  Hardouin,  1.  c. 
p.  143  sqq.  Ce  que  Mansi  (I.  c.  à  partir  de  la  p.  44)  donne  comme  numéro  4, 
et  Hardouin  (1  c.  p.  150  sq.),  n'appartient  pas  au  concile  de  Pise,  mais  est  de 
l'année  1395;  Benoît  XIII  défend,  par  ce  passage,  aux  cardinaux  de  livrer 
aux  ducs  français  les  documents  que  ceux-ci  leur  demandaienL. 


LA  FRANCE   ET   d'aUTRES   PAYS   SE   DÉCLARENT,    ETC.  165 

§    725. 

LA  FRANGE    ET    d' AUTRES   PAYS   SE   DÉCLARENT,    EN    1408, 
POUR  LA   NEUTRALITÉ. 

L'assassinat  du  duc  d'Orléans,  qui  eut  lieu  le  23  novembre  1407 , 
avait  sur  ces  entrefaites  enlevé  au  pape  Benoit  XIII  son  prin- 
cipal appui  en  France,  et,  en  outre,  la  conviction  que  les  deux 
prétendants  ne  songeaient  pas  sérieusement  à  l'union,  gagna  de 
plus  en  plus  de  terrain.  Aussi,  dans  deux  édits  du  12  janvier  1408, 
le  roi  menaça  une  fois  de  plus  d'en  revenir  à  l'abandon  de  l'obé- 
dience ;  mais  on  différa  encore  de  prendre  publiquement  cette 
mesure  et  de  lancer  officiellement  ces  deux  édits  ;  on  se  contenta 
d'en  donner  connaissance  aux  deux  prétendants  * .  Benoît  XIII 
répondit  par  deux  bulles  qui  menaçaient  de  l'excommunication 
et  des  peines  ecclésiastiques  tous  ceux  qui  refusaient  d'obéir  au 
pape  ^.  L'Université  de  Paris  demanda  aussitôt  après  que  les  pro- 
pagateurs et  les  détenteurs  de  ces  bulles  ainsi  que  tous  ceux  qui 
s'en  occupaient  fussent  déclarés  coupables  de  haute  trahison.  Le 
21  mai  on  tint,  dans  le  palais  du  roi,  un  grand  conseil  à  l'égard 
de  ces  bulles,  et  maître  Gourtecuisse  y  prononça  un  discours  vio- 
lent contre  Benoît  XIII  ;  il  l'accusa  d'être  schismatique,  hérétique, 
et  d'être  la  principale  cause  de  la  prolongation  du  schisme. 
Pendant  son  pontificat,  deux  papes  de  la  partie  adverse  étaient 
déjà  morts,  et  il  n'avait  jamais  voulu  saisir  cette  occasion  pour 
rendre  la  paix  à  l'Église.  Depuis  trois  mois,  il  était  dans  le  voisi- 
nage de  son  adversaire  et  il  lui  envoyait  des  ambassades  certes 
fort  inutiles,  non  pas  pour  traiter  l'affaire,  mais  pour  arrêter  cette 
question  préliminaire  du  lieu  de  leur  entrevue.  Le  roi  et  les 
princes  approuvèrent  ce  discours,  et  les  bulles  de  Benoît  XIII 
furent  déchirées.  Aussitôt  après,  à  la  demande  d'un  magister 
membre  de  l'Université,  le  doyen  de  Saint-Germain  l'Auxerrois 
fut  appréhendé  au  corps  par  les  domestiques  du  roi,  parce  qu'il 
passait  pour  partisan  de  Benoît.  Lorsque  la  séance  fut  levée. 


(1)  Ghronicor.  Caroli  YI,  lib.  XXIX,  2  et  6.  —  Bul^eus,  Hist.  univers.  Pari- 
siens, t.  V,  p.  147,  151.  — Gerson,  0pp.  éd.  Dupin,  t.  II,  p.  103.  — MARTÈNEet 
Durand.  Yet.  Script,  t.  VII,  p.  770.  —  Achery,  Spicil.  t.  i,  p.  803. 

(2)  Ghronicor.  1.  c.  lib.  XXIX,  2  et  4.—  Bul^us,  1.  c.  p.  443,  152. —  Achery, 
1.  c,  p.  803  sqq. 


166       LA  FRANCE  ET  D  AUTRES  PAYS  SE  DECLARENT,  ETC. 

on  fît  subir  ie  mênio  sort  à  l'évêque  de  Gap,  à  l'abbé  de  Saint- 
Denis  et  à  plusieurs  autres  personnages  de  marque;  l'archevêque 
de  Reims  et  l'évêquo  d'Ailly  évitèrent  le  cachot,  parce  qu'ils 
n'avaient  pas  répondu  à  l'invitation  qui  leur  avait  été  faite.  Les 
prisonniers  furent  traités  d'une  façon  brutale  et  accusés  du  crime 
de  lèse-majesté,  parce  que,  ayant  eu  connaissance  des  bulles  de 
Benoît,  ils  n'en  avaient  pas  informé  le  roi.  Ce  fut  en  vain  que  les 
deux  messagers  du  pape  qui  avaient  apporté  les  bulles,  et  qui, 
pour  ce  motif,  avaient  été  fort  maltraités,  protestèrent  de  la  com- 
plète innocence  de  ces  prélats;  ils  ne  furent  pas  renvoyés 
nonobstant  ce  témoignage;  au  contraire,  grâce  aux  efforts  de 
l'Université  qui,  dans  toute  cette  affaire,  se  montra  très-pas- 
sionnée, les  accusés  furent  enlevés  à  leurs  juges  naturels  et  cités 
par-devant  un  tribunal  extraordinaire,  dont  la  moitié  des 
membres  faisait  partie  de  l'Université.  Celle-ci  était  donc  à  la 
fois  juge  et  partie.  A  cette  même  époque,  le  maréchal  Boucicaut 
fut  chargé  d'appréhender  au  corps  Pierre  de  Luna,  c'est-à-dire 
Benoît  XIII  <. 

Gomme  Nicolas  de  Glémanges  était  depuis  quelque  temps  se- 
crétaire de  Benoît  XIII,  on  l'accusa  tout  particulièrement  d'avoir 
composé  les  lettres  du  pape  qui  déplaisaient  si  fort;  il  chercha  à 
se  disculper  dans  un  mémoire  détaillé  adressé  à  l'Université  dont 
il  était  membre,  mais  il  n'en  fut  pas  moins  regardé  comme  cou- 
pable, et  plus  tard,  lorsqu'il  revint  en  France,  il  fut  poursuivi 
avec  tant  d'acharnement  qu'il  dut  se  cacher  jusqu'à  sa  mort  dans 
une  maison  de  chartreux  tout  à  fait  isolée  (Valfond ,  près  de 
Sens)^ 

Le  22  mai,  le  roi  de  France  informa  les  cardinaux  des  deux 
obédiences  des  décisions  qui  avaient  été  prises,  et  il  les  pria 
de  se  réunir  les  uns  aux  autres  pour  mettre  fin  au  schisme.  Le 
patriarche  Simon  Gramaud  et  les  autres  ambassadeurs  français 
en  Italie  étaient  spécialement  chargés  de  négocier  cette  affaire 
avec  les  cardinaux  de  Grégoire  XII.  L'Université  de  Paris  écrivit 
dans  le  même  sens  aux  cardinaux  italiens,  en  leur  disant  que 
leurs  collègues  d'Avignon  étaient  tout  à  fait  disposés  à  s'unir  à 
eux.  Deux  jours  plus  tard,  les  25  et  27  mai  1408,  les  décrets  du 


(1)  GiiRONicoR.  1.  c'.  lib.  XXIX,  4,  5,  12.  —  Bul^tius,  ].  c.  p.  158  sqrj, 

(2)  BuL/Eus,  1.  c.  p.  154  et  908.  -~  Christophe,  Histoire  de  la  PamuUè  au 
XI v«  siècle,  t.  III,  S.  209. 


LES   CARDINAUX   DES   DEUX,  OBÉDIENCES   SE  REUNISSENT,    ETC.       167 

roi,  déjà  prêts  et  datés  du  12 janvier,  furent  solennellement  pu- 
bliés et  des  ambassadeurs  furent  envoyés  à  tous  les  princes  pour 
leur  persuader  que  le  meilleur  moyen  d'arriver  à  l'union  était  une 
déclaration  de  neutralité.  Trois  mois  après,  on  sut  que  les  rois 
d'Allemagne  (Vinceslas),  de  Hongrie  (Sigismond),  et  de  Bohême 
(le  même  Vinceslas)  avaient  accepté  la  neutralité.  La  Navarre  flt 
de  même  ' .  En  France,  il  se  tint,  du  11  août  au  5  novembre  1408, 
un  grand  synode  national,  afin  de  prendre  en  faveur  de  l'Église 
de  France  les  mesures  exceptionnelles  devenues  nécessaires  pour 
le  temps  de  la  neutralité.  Ainsi,  pendant  ce  temps,  les  cas  ré- 
servés au  pape  devaient  être  déférés,  pour  en  recevoir  l'absolu- 
tion, au  pénitentiaire  apostolique,  et,  si  cela  n'était  pas  possible, 
on  devait  s'adresser  à  l'évêque  ^. 


726. 


LES   CARDINAUX   DES   DEUX   OBEDIENCFS   SE  REUNISSENT   A   LIVOURNÈ 
ET    SE  PRONONCENT   POUR  LA   VIA    SYNODI. 

Dès  que  les  cardinaux  italiens  qui  avaient  quitté  Grégoire 
furent  arrivés  à  Pise,  ils  prièrent  instamment  Benoît  XIII  de  se 
rendre  sans  délai  à  Livourne,  ainsi  qu'il  l'avait  promis  ;  mais, 
comme  Benoît  n'avait  pas  de  sauf-conduit,  pas  plus  du  côté  de 
Florence  que  du  côté  de  Lucques,  il  envoya  à  sa  place  à  Livourne 
les  trois  cardinaux  de  Palestrina,  Thury,  et  de  S.  Angelo, 
lesquels,  conjointement  avec  les  nonces  de  Benoît  déjà  arrivés  à 
Livourne,  c'est-à-dire  avec  le  cardinal  Gbalant  et  les  arche^' 
vêques  de  Rouen,  de  Toulouse  et  de  Tarragone,  et  le  général  des 
dominicains  ^  devaient  entamer  les  négociations  nécessaires. 
Les  cardinaux  de  Grégoire  choisirent,  de  leur  côté,  quatre  d'entre 
eux  et  les  envoyèrent  à  Livourne,  où  ils  ne  tardèrent  pas  à  se 
mettre  pleinement  d'accord  avec  leurs  collègues  pour  juger  que, 
dans  les  circonstances  où  l'on  se  trouvait,  le  mieux  était  de  réunir 
un  concile  général  des  deux  partis  dans  n'importe  quel  endroit 


(1)  BuLvEus,  1.  c.  p.  162  sqq.,  165. —  Chronicor.  1.  c.  liu.  XXIX,  6. —  Theod. 
A  NiEM,  Nemus,  Tract.  VI,  14,  15.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  205. 

(2)  Chronicor,  I.  c.  lib.  XXIX,  8-10. 

(3)  Benoît  XIII  les  avait  quelque  temps  auparavant  envoyés  à  Livourne 
pour  qu'ils  fissent  les  préparatifs  nécessaires,  car  il  comptait  les  suivre  sous 
peu  dans  cette  ville. 


168    LES   CARDINAUX   DES   DEUX   OBÉDIENCES   SE  RÉUNISSENT  A  LIVOURNE. 

de  l'Italie;  Grégoire  XII  et  Benoît  XIII  seraient  mis  dans  l'obli- 
gation d'abdiquer  dans  ce  concile,  et  s'ils  s'y  refusaient,  on  pren- 
drait d'autres  moyens  conformes  aux  lois  divines  et  aux  saints 
canons  et  de  nature  à  rendre  la  paix  à  l'Église.  Les  députés  d'Avi- 
gnon affirmèrent  que  ce  projet  avait  été  confirmé  par  Benoît  XIII 
et  que,  lorsqu'ils  avaient  quitté  Porto  Venere,  le  pape  leur  avait  fait 
recommander  par  le  sacristain  de  Magalona  de  s'employer  active- 
ment à  faire  accepter  la  via  concilii  ''.  Benoît  XIII  protesta  de  la 
manière  la  plus  expresse  contre  cette  allégation.  Il  déclara  que 
ses  députés  n'avaient  reçu  aucune  instruction  dans  ce  sens,  pour 
la  via  concilii',  que  le  sacristain  de  Magalona,  ainsi  que  lui-même 
le  déclarait  explicitement ,  n'avait  jamais  donné  de  pareils 
ordres;  enfin  que  Simon,  le  messager  des  cardinaux,  celui  qu'ils 
avaient  envoyé  à  Porto  Venere,  n'avait  non  plus  rien  dit  d'ana- 
logue ^. 

Pour  mieux  s'opposer  à  la  réunion  du  synode  proposé  par 
les  cardinaux,  Benoît  XIII  convoqua  dès  le  15  juin  tous  les 
évèques  etc.  de  son  obédience  à  un  concile  qui  se  tiendrait  le 
jour  de  la  Toussaint  à  Perpignan  en  Aragon,  et  il  se  mit  aussitôt 
en  route  pour  cette  ville,  parce  qu'à  Porto  Venere  il  n'était  pas 
à  l'abri  du  maréchal  de  Boucicaut.  Deux  jours  auparavant,  il  avait 
écrit  à  Grégoire  pour  rejeter  sur  lui  toute  la  responsabilité  de  la 
prolongation  du  schisme  et  pour  lui  dire  que,  quoiqu'il  se  vît 
dans  l'obligation  de  faire  un  voyage,  il  n'en  continuerait  pas 
moins  à  diriger  tous  ses  efforts  pour  le  rétablissement  de  l'union. 
Il  avait  voulu  renvoyer  à  Grégoire  des  nonces  avec  des  pouvoirs 
illimités;  mais  ces  nonces  n'avaient  pu  obtenir  de  sauf-conduits 
de  la  part  des  ambassadeurs  français.  Il  comptait  faire  connaître 
sous  peu  à  tous  les  chrétiens  ce  qu'il  se  disposait  à  faire  dans  de 
pareilles  circonstances.  En  terminant,  il  conjure  son  adversaire, 
s'il  lui  reste  une  étincelle  de  miséricorde  pour  le  salut  des  âmes, 
de  renoncer  à  son  népotisme,  et  il  prend  Dieu  à  témoin  de  la 
pureté  de  ses  intentions  ^. . 

Le  projet  des  cardinaux  détermina  Grégoire,  ainsi  que  l'assu- 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1175, 1176, 1180-1182.—  Hardouin,  t.  VIII,  p,  38,  42- 
44. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  1182  sq.  —  Hardouin,  1.  c.  p.  43  sq. 

(3)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1103-1109;  t.  XXVII,  p.  143,  158.  —  Martène  et  Du- 
rand, Vet.  Script,  t.  VII,  p  780,  781.  —  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1473.  — 
Theod.  a  Niem.  de  Schism.  lib.  III,  35;  Ncmus,  Tract.  VI,  25. 


ET  SE  PRONONCENT  POUR  LA  VIA  SYNODI.  169 

rèrent  ces  mêmes  cardinaux,  à  réunir  un  concile  ;  aussi  déclara- 
t-il  à  Lucques,  par  un  décret  du  6  juillet  1408,  qu'il  tiendrait  un 
synode,  lors  delà  Pentecôte  de  l'année  suivante,  soit  dans  l'exar- 
chat de  Ravenne,  soit  dans  le  patriarcat  d'Aquilée*.  Il  sollicita 
en  même  temps  ses  compatriotes  les  Yénitiens  pour  qu'ils  lui 
assignassent  une  ville  de  leur  territoire  se  prêtant  à  une  réunion 
de  ce  genre ^.  Déjà  le  26  juin,  Grégoire  XII  avait  répondu  par  une 
encyclique  aux  reproches  que  Benoit  XIII  lui  avait  adressés. 
Peu  de  temps  après,  vers  la  mi-juillet,  Grégoire  s'enfuit  à  Sienne 
accompagné  d'un  seul  cardinal  et  de  quelques  autres  personnes. 
Dans  cette  ville  oii  il  passa  trois  mois,  il  créa  dix  nouveaux  cardi- 
naux (19  septembre)  et  il  vint  ensuite  à  Rimini  pour  se  mettre  sous 
la  protection  du  seigneur  de  Malatesta  ^. 

A  Livourne,  les  cardinaux  avignonais  qui,  après  le  départ  de 
Benoît  XIII,  s'étaient  augmentés  de  trois  nouveaux  collègues  (d'Al- 
bano,  de  Tusculum  et  de  Saluzzo),  poursuivirent  leurs  pour- 
parlers avec  les  collègues  de  la  partie  adverse.  Dès  le  22  juin,  ils 
étaient  arrivés  à  se  mettre  d'accord  et,  le  29  du  même  mois,  ils 
signèrent  et  promirent,  sous  la  foi  du  serment,  d'observer  un  do- 
cument déclarant  que  la  négligence  des  prétendants  leur  faisait 
un  devoir  de  convoquer  un  concile  général  des  deux  partis, 
afin  de  pouvoir  rendre  la  paix  à  l'Église.  Ils  s'imposèrent  en  outre 
une  ligne  de  conduite  à  suivre  pour  le  cas  oii  l'un  ou  l'autre  des 
papes  viendrait  à  mourir.  Ce  document  fut  signé  par  six  cardi- 
naux d'Avignon  et  par  sept  cardinaux  italiens,  et  en  outre  par  le 
chevalier  Nicolas  de  Robertis,  en  qualité  de  représentant  des 
deux  cardinaux  absents,  Pierre  Philargi  et  Balthasar  Gossa*. 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  55  et  158.  —  Raynald,  1408,  21.  —  Theod.  a  Niem, 
de  Schism.  lib.  III,  36  (il  y  a  ici  une  date  fausse,» il  faut  6  juillet  au  lieu  de 
6  juin),  Nemus,  Tract.  VI,  42.  Dans  cette  lettre,  Grégoire  conteste  le  droit  que 
veulent  s'arroger  les  cardinaux  de  convoquer  un  concile  général;  il  était 
donc,  par  conséquent,  informé  de  leur  projet. 

(2    Mansi,  t.  XXVIl  p.  153. 

(3)  Theod.  a  Niem,  de  Schism.  lib.  111,  36.  (Cet  historien  se  trompe  en  fai- 
sant quitter  la  ville  de  Lucques  par  Grégoire  dans  le  mois  de  juin.)  Giaconius, 
Vitœ  Pontif.  t.  II,  p.  766. 

(4)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1167, 1180;  t.  XXVII,  p.  143.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  30, 
42.  —  Martène  et  Durand.  Ve/.  Script,  t.  VII,  p.  798-808.  Deux  cardinaux  ita- 
liens, ceux  de  Liège  et  d'Ostie,  étaient  morts  sur  ces  entrefaites  à  Pise  dans 
les  mois  de  juin  et  de  juillet  1408.  Cf.  Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  826,  not.  b. 
Mansi  (t.  XXVII,  p.  43  et  136)  a  prétendu  que  cet  accord  des  cardinaux  était 
antérieur  à  l' avant-dernier  jour  du  mois  de  juin,  qu'il  remontait  à  l'avant- 
dernier  jour  du  mois  de  mai,  et  qu'il  fallait  modifier  dans  ce  sens  la  date  du 
document.  Mais  cette  hypothèse  n'est  pas  fondée,  et,  de  plus,  elle  est  abso- 


170   LES   CARDINAUX   DES   DEUX   OBÉDIENCES   SE  REUNISSENT   A   LIVOURNE 

Les  cardinaux  faisant  partie  de  l'union  écrivirent  en  mémo 
temps  aux  deux  prétendants,  et  nous  avons  encore  la  lettre  que 
ceux  d'Avignon  envoyèrent  à  Benoît  XIII.  Ils  lui  demandent 
d'une  façon  sommaire  de  confirmer  les  vingt-deux  points  sur 
lesquels  ils  sont  tombés  d'accord  avec  leurs  collègues  italiens. 
Les  plus  importants  de  ces  vingt-deux  points  sont  les  suivants  : 

2.  Etant  donné  le  désaccord  manifeste  des  deux  prétendants, 
les  collèges  des  cardinaux  ont  le  devoir  de  veiller  à  la  paix  de 
l'Église,  et  chacun  d'eux  doit  convoquer  à  un  synode  les  prélats 
de  son  obédience. 

3.  Ces  deux  synodes  s'ouvriront  le  jour  de  la  Chandeleur  de 
l'année  suivante  et,  si  cela  est  possible,  en  un  seul  et  même 
endroit,  ou  bien  en  deux  endroits  voisins  l'un  de  l'autre,  afin  que 
les  rapports  puissent  être  facilement  établis. 

6.  On  informera  de  la  réunion  de  cette  assemblée  les  rois  et 
les  princes,  et  l'on  demandera  leur  concours  afin  qu'ils  envoient 
les  prélats,  qu'ils  veillent  à  leur  sécurité  et  qu'ils  ne  permettent 
pas  que  l'un  des  deux  prétendants  mette  obstacle  à  la  tenue  du 
synode. 

7.  Chaque  collège  de  cardinaux  devra  solliciter  le  pape  de  son 
obédience  de  se  rendre  en  personne  au  synode. 

8.  11  s'emploiera  pour  que  le  pape  abdique  dans  ce  synode,  et 
s'il  ne  le  veut  pas,  il  sera  déposé. 

9.  Après  l'abdication  ou  la  déposition  des  prétendants,  les 
deux  collèges  de  cardinaux  s'uniront  en  nombre  égal  pour 
former  un  seul  collège,  qui  sera  chargé  de  choisir  un  seul  et 
unique  pasteur. 

10.  A  partir  de  ce  moment,  les  deux  synodes  n'en  formeront 
plus  qu'un  seul  ^ 


lument  inutile.  Elle  n'est  pas  fondée,  parce  que,  en  d'autres  passages,  les 
cardinaux  parlent  explicitement  de  l'avant-dernier  jour  du  mois  de  juin 
(Mansi,  t.  XXVII,  p.  163,  et  Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  803);  elle  est  inutile, 
parce  que  les  dates  coïncident  très-bien  ensemble  sans  cette  prétendue  cor- 
rection; une  seule  fait  exception,  nous  en  reparlerons  plus  tard;  mais  disons 
dès  maintenant  que  Mansi  lui-même  déclare  qu'elle  est  fausse  (t.  XXVII, 
p.  43). 

(1)  Martène  et  Durand.  Yet.  Script,  t.  VII,  p.  775  et  795.  —  Mansi,  t.  XXVII, 
p.  140.  Il  existe  une  autre  lettre  envoyée  de  Pise  à  Benoit  XIII  par  les  cardi- 
naux d'Avignon.  Si  elle  a  été  réellement  envoyée,  et  si  elle  n'est  pas  restée 
à  l'état  de  simple  éljauche,  elle  a  dû  précéder  la  lettre  que  nous  venons  d'a- 
nalyser, car,  dans  la  lettre  datée  de  Pise,  les  cardinaux  d'Avignon  s'excusent 
de  n'avoir  encore  donné  au  pape  aucune  communication  sur  leurs  négocia- 
tions avec  la  partie  adverse.  (Martène,  1.  c.  p.  818,  et  Mansi,  1.  c.  p.  IGl.) 


ET  SE   PRONONCENT   POUR  LA   VIA   SYNODl.  171 

Dès  le  30  juin,  les  cardinaux  unis  informèrent  le  roi  de  France 
et  l'Université  de  Paris  de  ce  qu'ils  avaient  fait.  Ils  ne  donnèrent, 
du  reste,  que  des  renseignements  généraux,  parce  que  le  reste 
devait  être  raconté  par  les  patriarches  et  par  les  autres  ambassa- 
deurs français  qui  allaient  enfin  rentrer  chez  eux.  Le  lendemain, 
c'est-à-dire  le  1"  juillet,  les  cardinaux  de  Grégoire  demandèrent 
aux  fidèles  de  leur  obédience  de  se  soustraire,  comme  eux- 
mêmes  l'avaient  déjà  fait,  à  l'obéissance  du  pape  et  de  lui  refuser 
toute  redevance,  pour  le  rendre  plus  accommodant.  Antoine 
Corrario,  après  avoir  pris  de  vive  voix  les  ordres  de  son  oncle, 
déclara  que  les  cardinaux  avaient  perdu  tous  leurs  bénéfices  et 
dignités.  Mais  ils  s'effrayèrent  d'autant  moins  de  cette  mesure 
que,  le  12  juillet,  Grégoire  XII  leur  envoya  une  nouvelle  invita- 
tion pour  essayer  de  les  gagner  * . 

Dans  les  lettres  précédentes,  les  cardinaux  n'avaient  pas 
désigné  le  lieu  (ils  ne  parlent  plus  désormais  que  d'un  seul 
synode)  oii  devait  se  réunir  le  synode,  probablement  parce 
que  les  négociations  avec  les  Florentins  touchant  la  ville  de 
Pise  n'avaient  pas  encore  abouti.  Le  4  août  1408  seulement, 
on  accorda  à  Florence  aux  cardinaux  des  deux  obédiences 
un  pouvoir  illimité  pour  que  leurs  collèges  pussent  se  réu- 
nir sur  le  territoire  de  cet  État,  tandis  qu'auparavant  le  sauf- 
conduit  du  21  juillet  contenait  encore  bien  des  restrictions. 
Néanmoins  vers  la  mi-juillet  les  cardinaux  devaient  être  déjà 
à  peu  près  sûrs  d'obtenir  ce  qu'ils  désiraient ,  car  dès  le 
14  juillet  ils  lancèrent  une  invitation  formelle  pour  un  concile  de 
Pise  qui  devait  se  réunir  le  jour  de  l'Annonciation,  25  mars  1409. 
A  cette  même  date  du  14  juillet,  les  cardinaux  réunis  à  Livourne 
écrivirent  encore  touchant  le  concile  de  Pise,  plusieurs  autres 
lettres  et  exhortations  adressées  aux  prélats  de  leur  obédience,  à 
Benoît  XIII,  à  de  nombreux  rois  et  princes  et  aux  universités 2. 

Deux  jours  plus  tard,  le  16  juillet,  les  cardinaux  italiens  éçri- 

Ces  excuses  prouvent  que  cette  lettre  est  la  première  envoyée  à  Benoît  XIII 
après  sa  fuite  par  les  cardinaux  d'Avignon.  Dans  cette  même  missive,  ils  for- 
mulent les  objections  que  leur  suggère  la  pensée  de  convoquer  un  synode  à 
Perpignan. 

(1)  BuLiEus^  Hist.unw.  Parisiens,  t.  V,  p.  168. —  Achery,  SpiciL  1. 1,  p.  806. 
—  Mansi,  t.  XXVIl,  p.  45,  46,  49.  —  Hard.  t.  VllI,  p.  151,  152,  154  sqq.  — 
Theod.  a  Niem,  Nemus,  Tract.  VI,  13,  IS.  —  Baynald,  1408,  41. 

(2)  Maxsi,  t.  XXVI,  p.  1131,  1161;  t.  XXVII,  p.  106,  109, 112,113,144, 146, 
147,  150,  152,  160,  189,  445.  ~  Hard.  t.  VIII,  p.  1  sqq.  et  p.  23  sqq.—  Mar- 
TÈNE  et  Durand.  Yet.  Script,  t.  VII,  p.  788-795,  819,  820-826. 


172      LES   CARDINAUX   DES   DEUX   OBÉDlEiNrCES   SE   REUNISSENT,    ETC. 

virent  à  Grégoire  XII  pour  l'inviter  à  se  rendre  au  synode  de 
Pise,  en  lui  développant  les  raisons  qu'ils  avaient  eues  d'aban- 
donner son  obédience.  Ils  lui  prouvèrent  en  même  temps  que  les 
circonstances  présentes  imposaient  aux  cardinaux  l'obligation 
de  convoquer  un  synode  général,  et  que  les  synodes  particuliers 
projetés  par  les  deux  prétendants  seraient  non-seulement  sans 
utilité,  mais  même  nuisibles  à  la  cause  de  l'Église.  Du  reste,  Gré- 
goire XII  n'avait  conçu  le  plan  de  ce  synode  que  lorsqu'il  avait 
eu  connaissance  du  projet  des  cardinaux  de  convoquer  un  con- 
cile *.  Ce  fut  probablement  à  cette  même  date,  du  16  juillet,  que 
les  cardinaux  italiens  annoncèrent  à  toute  leur  obédience  la  con- 
vocation du  synode  de  Pise  ^.  Cette  encyclique  porte  comme  date 
vicesima  quarta  mensis  junii,  mais  cette  date  est  évidemment 
fausse,  car  dans  toutes  les  autres  lettres  du  moisdejuin  Pise  n'est 
nulle  part  désignée  comme  devant  être  le  lieu  de  la  réunion.  Com- 
ment, du  reste,  les  cardinaux  auraient-ils,  dès  le  24  juin,  annoncé 
ce  concile,  puisqu'ils  ne  se  sont  mis  d'accord  entre  eux  que  le 
29  juin?  Il  n'est  guère  probable,  en  outre,  que  la  lettre  de  convo- 
cation eût  été  envoyée  par  un  parti,  trois  semaines  entières  avant 
que  l'autre  parti  envoyât  cette  même  lettre  (24  juin  et  14  juillet). 
Enfin  il  est  tout  à  fait  invraisemblable  que  les  cardinaux  italiens 
aient  informé,  dès  le  24  juin,  le  monde  entier  de  la  convention 
du  concile  de  Pise,  tandis  qu'ils  auraient  attendu  jusqu'au 
16  juillet  pour  en  informer  leur  pape.  Aussi  est-on  porté  à  croire 
que  les  deux  lettres,  celle  au  pape  et  l'encyclique,  ont  la  même 
date  (16  juillet).  Dans  une  troisième  lettre  également  datée  du 
16  juillet  1408,  les  cardinaux  engageaient  vivement  l'Université 
de  Vienne  à  envoyer  au  concile  quelques  magistri  et  docteurs 
savants  et  pieux  et  à  s'employer  pour  que  les  princes  autricbiens 
et  les  prélats  s'y  rendissent  également  ^ . 

Dans  l'appendice  qui  suivait  l'encyclique  et  dans  l'encyclique 
elle-même,  les  cardinaux  de  Grégoire  XII  disaient  que  les  deux 
prétendants  n'avaient  annoncé  leur  synode  que  lorsqu'ils  avaient 
eu  connaissance  du  projet  des  cardinaux.  Raynald  a  compris  ces 
passages  comme  si  les  cardinaux  prétendaient  que  Grégoire  XII 
avait  envoyé  les  lettres  de  convocation  pour  son  synode  après  la 


1)  Raynald,  1408.  33.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  50.  —  Iîard.  I.  c.  p.  156. 

2)  Raynald,  1408,  21-30.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1167.  —  IIaud.  1.  c.  p.  30. 
(3)  AsGHBACH,  Gesch.  der  Univers.  Wîe}i,&.ikb, 


LES  CARDINAUX  SE  RENDENT  A  PISE  ET  PREPARENT  LE  CONCILE.  173 

publication  de  l'encyclique  des  cardinaux,  et  il  s'empresse  d'ac- 
cuser ceux-ci  de  mensonge  et  de  fausseté.  Afin  de  prétendre  à 
la  priorité,  les  cardinaux,  ditRaynald,  avaient  faussement  daté 
leur  encyclique  du  24  juin  ^  Mais  si  les  cardinaux  avaient  fait  un 
pareil  calcul,  ils  auraient  dû  dater  ciu  24  juin  non  pas  seulement 
cette  encyclique,  mais  aussi  la  lettre  qu'ils  écrivirent  à  Grégoire 
à  la  date  du  16  juillet.  Les  cardinaux  ne  disent  pas,  du  reste,  que 
leur  encyclique  a  paru  avant  la  lettre  de  convocation  de  Gré- 
goire, ils  disent  seulement  que  Grégoire  XII  a  conçu  le  projet 
d'un  synode  après  avoir  eu  connaissance  de  leur  plan  (et  avant 
que  ce  plan  fût  connu  de  tous),  et  cela  est  parfaitement  exact, 
puisque  dans  sa  lettre  de  convocation,  datée  du  6  juillet,  le  pape 
Grégoire  combat  déjà  le  plan  des  cardinaux.  Il  ne  faut  pas  mé- 
connaître, du  reste,  que  les  cardinaux  italiens  tiennent  à  l'égard 
de  Grégoire  XII  un  langage  bien  plus  sévère  que  les  cardinaux 
d'Avignon  à  l'égard  de  Benoît  XIII  et  qu'ils  dépassèrent  bien 
certainement  la  mesure  lorsque,  le  29  août  1408,  ils  nommèrent 
le  cardinal  Philargi  administrateur  de  la  marche  d'Ancône  et  du 
duché  de  Spolète^;  en  revanche,  ils  furent  étrangers  aux  injures 
qui  alors,  soit  en  vers,  soit  en  prose,  furent  prodiguées  à  Gré- 
goire XIP. 

§  727. 

LES    CARDINAUX   SE   RENDENT   A   PISE   ET   PRÉPARENT   LE   CONCILE. 

Le  30  août  ainsi  que  le  14  septembre  et  les  5  et  11  octobre 
1408,  sept  autres  cardinaux,  c'est-à-dire  six  cardinaux  italiens  et 
un  cardinal  d'Avignon,  adhérèrent,  à  Pise,  aux  décisions  de  leur 
collègues  qui,  sur  ces  entrefaites,  s'étaient  rendus  de  Livourne  à 
Pise.  Les  sept  adhérents  étaient  Angélus  Laudensis,  Pierre  Phi- 
largi, Jean  de  Sainte-Croix,  Balthasar  Gossa,  Henri  de  Tusculum 
(appelé  aussi  de  Naples),  Landulphe  de  Saint-Nicolas  in  Carcere 
Tulliano  (appelé  aussi  de  Bari,  parce  qu'il  était  archevêque  de 
cette  ville),  et  Jean  d'Ostie  ;  ce  dernier  était  du  parti  de  Benoît  XIII*. 

(1)  Raynald,  1408,  21  et  30,  et  la  note  de  Mansi  sur  ce  passage. 

(2)  Mansi,  t.  XXVIl,  p.  167.  —  Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  858. 

(3)  Theod.  aNiem,  Nemus,  Tract.  YI,  19,  28,  41. —  Martène  et  Durand,  l.c. 
p.  826-840. 

(4)  Martène  et  Durand.  L  c.  p.  803-808.—  Mansi,  1.  c.  p.  101-106  et  163  sqq. 
deux  fois  par  conséquent.) 


174  LES  CARDINAUX  SE  RENDENT  A  PISÉ  ET  PREPARENT  LE  CONCILE. 

Les  cardinaux  envoyèrent  alors  de  nouvelles  et  plus  amples  invi- 
tations pour  le  concile  de  Pise  et  ils  expédièrent  partout  des  dé- 
putés, dans  le  même  but.  Pierre  Philargi  et  le  cardinal  de  Pales- 
trina  se  rendirent  à  Sienne  auprès  de  Grégoire  pour  faire,  mais  en 
vain,  une  dernière  tentative.  Ils  ne  parvinrent  qu'à  faire  afficher 
publiquement  sur  les  places  de  Sienne  l'invitation  adressée  à 
Grégoire  pour  se  rendre  au  concile  de  Pise*.  A  cette  même 
époque,  les  cardinaux  envoyèrent  à  l'Université  de  Vienne  celte 
lettre  qui  arriva  au  mois  d'octobre  1408,  par  laquelle  on  deman- 
dait à  l'Université  d'abandonner  publiquement  l'obédience  de  Gré- 
goire XII,  et  de  soutenir  les  cardinaux  réunis  à  Pise  en  concile. 
Des  lettres  analogues  furent  certainement  adressés  aux  autres 
Universités;  à  Vienne,  après  des  délibérations  avec  l'archevêque 
de  Salzbourg  et  l'évêque  de  Passau,  on  fit  choix  de  deux  docteurs 
pour  les  envoyer  au  concile  comme  fondés  de  pouvoir  de  l'Uni- 
versité et  du  duc  Ernest^. 

Le  1 1  octobre  les  cardinaux  engagèrent  les  prélats,  employés  et 
serviteurs  de  toutes  sortes  qui  se  trouvaient  encore  auprès  de 
Grégoire  XII  à  l'abandonner  lui  et  sa  curie .  Ils  pro  testèrent  à  cette 
occasion  que  toutes  leurs  démarches  pour  le  rétablissement  de 
l'unité  de  l'Église  leur  avaient  été  inspirées  par  Dieu  et  qu'ils 
pouvaient  par  conséquent  leur  demander  au  nom  du  Saint-Esprit 
de  vouloir  bien  se  joindre  à  eux.  Quiconque  resterait  auprès  de 
Grégoire  XII  serait  dépouillé  de  tous  ses  bénéfices,  charges  et 
dignités,  et  encourrait  encore  d'autres  punitions  ^ 

Gomme  les  cardinaux  d'Avignon  n'avaient  pas  reçu  de  réponse 
à  la  lettre  envoyée  à  Benoît  XIÎI  (nous  dirons  plus  tard  pour 
quelle  raison),  ils  lui  écrivirent  de  nouveau,  de  Pise,  à  la  date  du 
24  septembre,  et  ils  firent  porter  ces  litterœ  clausœ  par  Guiard, 
archiprêtre  de  Poitiers.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  vu,  les  cardi- 
naux prétendaient  dans  cette  dernière  lettre  que  Benoît  lui-même 
avait  envoyé  quelques-uns  d'entre  eux  à  Livourne  pour  Légoc;'.  r 
avec  la  partie  adverse,  qu'il  avait  accepté  le  projet  de  convoquer 
un  concile  général  dans  lequel  les  deux  papes  abdiqueraient,  et 
qu'il  avait  envoyé  des  ordres  dans  ce  sens  par  le  sacristain  de 


(1)  Mansi,  ].  c.  p.  15G  sq.,  168,  170^  172.—  Mautènk  et  Duuakd.  ].  cp.  SGO, 
862,  871,  886. 

(2)  AscHBACH,  Gesch.  der  Univers.  Wim,  S.  2'i5  ir. 

(3)  Uaynald,  1408,  53.  —  Mansi,  1.  c.  p.  57  sqq.  —  ILvuu.  1.  c.  p.  162  sqq. 


LES   CARDINAUX   SE   RENDENT   A   PISE    ET  PREPARENT  LE   CONCILE.     175 

Magalona.  Après  de  longues  négociations,  les  deux  partis  étaient 
tombés  d'accord  pour  que  Benoît  XIII  et  Grégoire  XII  tinssent, 
à  Pise,  un  concile  des  deux  obédiences  le  jour  de  l'Annonciation 
et  pour  que  les  deux  collèges  de  cardinaux  convoquassent  à 
cette  assemblée  ceux  de  leur  obédience.  Les  cardinaux  deman- 
daient donc  à  Benoît  XIII  de  vouloir  bien  accorder  à  ce  synode 
son  assentiment  et  son  concours,  et  de  vouloir  bien,  pour  pré- 
venir tous  scrupules,  convoquer  également  cette  assemblée.  On 
devait  agir  de  la  même  manière  dans  l'autre  parti.  Lorsque  deux 
hommes  se  disputent  la  papauté,  il  est  nécessaire  de  convoquer 
un  concile  général;  or  cela  ne  peut  avoir  lieu  que  par  les  deux 
collèges  des  cardinaux,  parce  qu'aucun  des  deux  papes  n'est  obéi 
par  la  chrétienté  tout  entière.  Le  but  de  ce  concile  était  que  les 
deux  papes  se  retirassent  et  abdiquassent  suivant  les  promesses 
faites  sous  la  foi  du  serment,  et  que  l'Église  obtînt  un  seul  et 
unique  pasteur.  On  ne  songeait  en  aucune  façon  à  élever  quelque 
plainte  contre  l'un  des  deux  papes;  on  voulait,  au  contraire,  leur 
témoigner  toutes  sortes  de  respect  et  veiller  à  leur  liberté  et  à  leur 
sûreté.  Si  les  deux  papes  ne  se  rendaient  pas  au  concile,  cette 
assemblée  se  conduirait  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  d'a- 
près les  règles  canoniques  et  les  avis  des  hommes  savants,  de 
telle  sorte  que  le  schisme  cessât  d'exister. 

En  terminant,  les  cardmaux  recommandent  à  Benoît  XIII  de  ne 
pas  s'obstiner  ;  ils  lui  représentent  que  déjà  les  deux  tiers  de  son 
obédience  ont  accepté  la  neutralité  et  renoncent  au  synode  de 
Perpignan,  lequel,  dans  de  pareilles  circonstances,  ne  pourrait 
compter  qu'un  nombre  très-restreint  de  membres  et  ne  serait 
qu'un  obstacle  à  l'unité  de  l'Église^ . 

Guiard  raconte  avoir  apporté  d'autres  lettres  ;  mais  ces  lettres 
étaient  simplement  adressées  aux  cardinaux  qui  se  trouvaient  au- 
près de  Benoît  XIII  pour  les  inviter  à  se  rendre  au  concile  de 
Pise^ 

Guiard  arriva  le  22  octobre  à  Perpignan  (qu'il  appelle  dans  son 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1175-1180.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  37-42. 

(2)  Martène,  Thés.  t.  II,  p.l'i28.  Quatre  cardinaux  se  trouvaient  à  Perpi- 
gnan auprès  de  Benoît,  c'étaient  :  1)  Fieschi  [de  Flisco,  qui  avait  passé  du 
parti  d'Innocent  VII  à  celui  de  Benoît  XIII),  2)  Ghalant,  3)  Jean  Flandrin, 
cardinal  évêque  de  Sabine^  appelé  le  cardinal  d'Auch,  parce  qu'il  était  arche- 
vêque de  cette  ville,  4)  et  Béranger,  évêque  de  Girone.  Ce  dernier  mourut  à 
cette  même  époque.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1184.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  46.  — 
CiAcoNius,  Vitœ  Po7itif.  t.  II,  p.  688. 


176     LES   CARDINAUX  SE  RENDENT  A   PISE  ET   PREPARENT  LE   CONCILE. 

rapport  Asperiman)  précisément  le  jour  ou  la  veille  du  jour  où, 
dans.un  consistoire,  on  avait  décidé  d'inviter  à  comparaître  l'Uni- 
versité de  Paris,  le  patriarche  Simon  Gramaud,  Tévêque  de 
Meaux,  le  magister  Jean  Petit,  Plaoul  et  plusieurs  autres  person- 
nao-es  également  accusés  d'hérésie  * .  Mais  les  Français  furent  si 
peu  effra,yés  de  cette  citation  que,  le  6  novembre,  ils  n'en  nom- 
mèrent pas  moins  leurs  députés  au  concile  de  Pise^ 

Le  7  novembre,  Benoît  répondit  à  ses  cardinaux  à  Livourne.  Il 
déclare  qu'ils  sont  tout  à  fait  dans  le  faux  lorsqu'ils  prétendent 
avoir  été  autorisés  par  lui  à  négocier  la  réunion  d'un  concile.  Il 
blâme  leur  conduite  et  il  ajoute  que,  du  reste,  il  n'est  pas  opposé 
à  l'idée  d'un  concile  et  que,  pour  ce  motif,  il  en  a  même  convoqué 
un  à  Perpignan.  Beaucoup  de  prélats  et  de  personnages  de  l'Es- 
pagne, de  la  France,  de  la  Provence  et  de  la  Gascogne  étaient 
déjà  arrivés  pour  prendre  part  à  ce  concile,  auquel  les  cardinaux 
devaient  également  assistera 

Benoît  XIII  avait  déjà  donné  cette  réponse,  lorsque  arrivèrent 
enfin  à  Perpignan  les  premières  lettres  des  cardinaux  réunis  à 
Livourne  (leurs  litterœ  patentes  par  opposition  à  leurs  litterœ 
clausœ).  On  ne  sait  pas  la  raison  de  ce  retard  ;  Guiard  croit  que, 
par  crainte,  le  messager  avait  différé  de  les  remettre.  Comme, 
pour  le  fond,  elles  ne  contenaient  rien  autre  que  les  litterœ 
clausœ,  Benoît  ne  voulut  pas  y  répondre  ^  Plus  s'approchait 
Tëpoque  de  la  réunion  du  concile  de  Pise,  plus  les  négociations 
entamées  à  Tégard  de  ce  concile  devenaient  actives,  et  plus  aussi 
s'accentuaient  les  jugements  portés  sur  la  conduite  des  deux 
collèges  des  cardinaux.  Les  uns  prétendaient  que  les  cardi- 
naux s'étaient  mis'  en  contradiction  manifeste  avec  le  droit,  et 
cela  pour  les  quatre  motifs  suivants  : 

a)  On  prétendait  que,  d'après  le  passage  hinc  etiam  de  la  dix- 
septième  distinction  de  Gratien  (il  s'agit  du  Dictum  de  Gratien 
après  c.  6,  Dist.  xvii),  les  cardinaux  ne  pouvaient,  sans  le  pape, 
convoquer  un  synode. 


(1)  Martênb,  Thés.  t.  II,  p.  1426.  —  Mabtêne  et  Durand.  Vet.  Script,  t.  VII, 
p.  867. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1079  sqq.  —  Martène  et  Duranh.  I.  c.  p.  883. 

(3)  ManSi,  t.  XXVi,  p.  1180.  —  Uar».  1.  c.  p.  42.  Guiard  dit  qu'on  réalité  il 
n'y  avait  que  très-peu  de  membres  du  synode  présents  à  Perpignan.  Martènb, 
r/ie5.t.II,  p.1427. 

(i)  Mansi,  I.  c.  p.  1184.  ~  IIard.  1.  c.  p.  46.—  Martènb,  Thés.  t.  II,  p.  1428. 


LES   CARDINAUX   SE   RENDENT   A  PISE  ET  PREPARENT  LE   CONCILE.     177 

.b)  On  ajoutait  qu'on  devait,  avant  que  le  pape  parût  au  synode, 
lui  faire  restitution  complète,  c'est-à-dire  abroger  la  déclara- 
tion touchant  la  neutralité,  et  on  s'appuyait  pour  cela  sur  Item 
Symmachus  in  causa  11  quœst.  7  (la  citation  est  inexacte  ;  le  pas- 
sage Iteyn  Symmachus  appartient  au  c.  6.  Dist.  XVII,  c'est-à-dire 
au  numéro  antérieur;  mais  pour  ce  second  argurnent  on  peut 
citer  causa  II,  q,  2,  et  c.  III,  q.  1). 

c)  En  s'appuyant  encore  sur  le  passage  hinc  etiam,  on  se  de-, 
mandait  si  tous  ceux  qui  avaient  abandonné  l'obédience  du  pape 
n'étaient  pas,  par  le  fait  même,  exclus  de  tout  vote  dans  le  concile. 

d)  Enfin,  tout  en  avouant  qu'un  pape  avait  été  condamné  et 
chassé  pour  cause  d'hérésie,  on  objectait  que  jamais  l'un  d'eux 
n'avait  été  déposé  pour  d'autres  fautes,  d'après  c.  6,  Dist.  XL^ 

Ces  raisonnements  contre  la  conduite  des  cardinaux  et  d'autres 
analogues  puisés  dans  l'étude  du  droit  canon  furent  réunis  et  con- 
densés dans  l'écrit  d'un  anonyme ,^  et,  de  même,!les  deux  papes 
protestèrent  dans  toutes  les  lettres  qu'ils  écrivirent  (du  moins 
dans  toutes  celles  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous)  que,  sans 
leur  assentiment,  la  conduite  des  cardinaux  était  tout  à  fait  illé- 
gale et  qu'ils  ne  pouvaient  convoquer  un  concile  général. 

Mais  le  nombre  de  ceux  qui  approuvèrent  les  cardinaux  et 
leur  conduite  fut  infiniment  plus  considérable;  la  très-grande 
majorité  des  fidèles  était  poui:  eux,  et  à  cause  du  malheur  des 
temps,  par  suite  du  vif  désir  qu'on  avait  de  voir  finir  le  schisme, 
on  passait  par-dessus  les  scrupules  de  quelques  canonistes.  Des 
universités  entières  et  beaucoup  de,  savants  en  particulier  se 
prononcèrent  dans  ce  sens,  et  déjà  dans  leurs  lettres  du  16  juillet 
(24  juin)  les  cardinaux  s'appuyèrent  sur  les  sentiments  des 
universités  de  Paris  et  de  Bologne.  Nous  ne  connaissons  pas,  il 
est  vrai,  de  vote  émis  à  cette  époque  par  l'université  de  Bologne; 
mais,  en  revanche,  nous  possédons  celui  que,  à  la  demande  du 
cardinal  Balthasar  Cossa,  trois  facultés  de  cette  université,  les 
facultés  -de  théologie/  de  droit  canon  et  de  droit,  émirent  du  20 
décembre  1408  au  1"  janvier  1409 3.  Sans  se  préoccuper  des 
passages  du  droit  canon  allégués  par  les  adversaires  des  cardi- 


(1)  Martène  et  Durand,  t.  VII,  p.  777,  797.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  141  sq.  e 
p.  100.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  202. 

(2)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  692.  —  Mansi,  1.  c.  p.  223. 

(3]  Theod.  a  Niem.  Nemus,  etc.,  Tract.Yl,  c.  16.—  Martène,  etc.,  1.  c.  t.  Vil, 
p,  894.  *-  Mansi,  t.  XXVII,  p.  219  sqq. 

T.  X.     12 


I 


178    LES   CARDINAUX   SE  RENDENT  A  PISE   ET  PREPARENT   LE   CONCILE. 

naux,  les  savants  de  Bologne  s'appuyèrent  sur  deux  passages  de 
Gratien  (par  exemple  c.  26,  causa  XXIV,  q.  3)  pour  prouver 
qu'un  schisme  qui  durait  trop  longtemps  pouvait  se  changer  en 
hérésie,  et  qu'un  pape  pouvait  être  puni  si,  contrairement  à  ses 
serments,  il  était  nutritor  schismatis  (par  conséquent  de  l'hé- 
résie), et  cela  d'après  la  causa  XXIV,  q.  1  et  3  ;  il  ne  fallait  pas  allé- 
guer d'après  c.  6,  c«w5a  VII,  q.  1,  et  d'après  d'autres  passages, 
que,  du  vivant  des  papes  actuels,  on  ne  pouvait  en  élire  aucun 
autre;  car  aucun  des  papes  existant  n'était  incontestablement 
légitime.  L'Université  veut  ensuite  prouver  que  même  un  pape 
légitime  peut  être  cité  par  un  concile  provincial  pour  rendre  la 
paix  à  l'Église  par  les  procédés  que  ce  pape  a  lui-même  juré 
d'employer.  S'il  ne  se  rend  pas  àl'appel  de  ce  concile  provincial, 
on  pouvait  abandonner  son  obédience;  continueràlui  obéir  serait 
même  une  faute. 

Gerson  et  d'Ailly  parlèrent  dans  le  même  'sens,  c'est-à-dire 
se  prononcèrent  pour  le  droit  des  cardinaux,  dans  leurs  proposi- 
tions, traités  et  discours*,  tandis  que  d'autres  songeaient  surtout 
à  mettre  en  relief  le  fait  du  parjure  de  Grégoire  XII  et  la  nécessité 
de  réunir  un  concile  général"^. 

Entre  les  deux  partis  que  nous  venons  d'analyser,  il  s'en  trou- 
vait un  troisième:  qui  était  considérable  et  qui  s'efforçait  de  ré- 
concilier Grégoire  XII  avec  ses  cardinaux.  Les  Florentins,  les 
A'énitiens  et  les  Siennois,  ainsi  que  Sigismond  roi  de  Hongrie 
et  Charles  Malatesta,  de  Rimini,  s'employaient  particulière- 
ment dans  ce  sens  ;  leur  plan  était  qu'au  lieu  des  deux  sy- 
nodes convoqués,  Grégoire  XII  et  ses  cardinaux  en  tinssent  un 
autre  en  un  autre  endroit.  Toute  la  seconde  moitié  de  l'année 
1408  fut  employée  parles  députés  de  Florence  et  de  Venise  à 
faire  prévaloir  ce  projet,  mais  ils  ne  furent  pas  plus  écoutés  à 

(1)  Gerson  s'est  déclaré  pour  les  cardinaux  dans  ses  YIII  Condusiones  [Opp . 
t.  II,  p.  110. —  Schwab,  Joli.  Gerson^  S.  220, 223).  Ces  Condusiones  se  trouvent 
également  dans  Martène  et  Durand,  t.  VII,  p.  892,  et  dans  Mansi,  t.  XXVII, 
{).  218;  mais  dans  ces  auteurs  elles  sont  regardées  comme  étant  l'œuvre 
d'un  anonyme.  Gerson  s'est  également  prononcé  en  plusieurs  endroits,  par 
exemple  dans  son  traité  de  UniiateEcdesiœ,  et  dans  le  discours  qu'il  prononça 
à  Paris  en  présence  des  ambassadeurs  anglais  qui  se  rendaient  à  Pise.  [0pp. 
t.  II,  p.  112-130;  en  partie  aussi  dans  Mansi,  1.  c.  p.  172-183.)  Quant  à  d'Ailly, 
nous  possédons  encore  deux  séries  de  propositions  faites  par  lui  au  mois  de 
janvier  1409  et  qu'il  adressa  soit  à  la  cour  de  Benoît  XIII,  soil  aux  cardinaux 
à  Pise.  Martène  et  Durand.  1.  c.  p.  909,  912^  916.—  Schwab,  Joh,  Gerson,  etc. 

S.  221  f..     ..  .  :  ,  ■ 

^2)'  Martène,  27ies.  t. II,  p.  1428,  et  Mansi,  I.c.  p. 215. 


'^i.,-  jf  ''^^ 


\ 


LES    CARDINAUX   SE   RENDENT   A   PISE   ET   PREPARENT   LE   CONCILE.     1T9 

Pise  qu'à  Sienne  (où  Grégoire  habitait)  ^  Les  efforts  des  habi- 
tants de  Sienne  n'eurent  pas  plus  de  succès  :  les  cardinaux  leur 
répondirent  que,  pour  arriver  à  la  paix,  iln'y  avait  que  le  moyen 
indiqué  :  Grégoire  XII  et  Benoit  XllI  devaient  se  rendre  en  per- 
sonne au  synode  de  Pise  ou  s'y  faire  représenter  par  des  fondéfe 
de  pouvoirs  et  abdiquer  ensuite  leur  charge.  Grégoire  XII  pré- 
tendait à  tort  que  le  serment  qu'il  avait  prêté  lors  de  son  élection 
ne  l'obligeait  pas  à  abdiquer,  même  dans  le  cas  où  son  adver- 
saire serait  déposé  (en  prenant  les  choses  à  la  lettre,  cela  ne  se 
trouve  pas,  il  est  vrai,  dans  le  serment  prêté  par  Grégoire),  et 
comme  évidemment  il  tenait  son  droit  mieux  fondé  in  radice 
que  celui  de  son  adversaire,  Grégoire  comptait  sur  cette  dé- 
position de  Benoit  XIII .  De  là  venait  peut-être  l'éloignement  de 
Grégoire  pour  la  via  cessionis.  Les  cardinaux  prétendaient,  au 
contraire,  que,  «  dans  ces  mots  du  document  de  l'élection  : 
ad  omnem  aliam  viam  rationabilem,  per  quam  schisma  tol- 
latur,  »  on  comprenait  également  l'éventualité  de  la  déposition 
de  l'autre  pape^. 

Vers  la  fin  de  l'année  1408  Grégoire  XII  se  rendit  à  Bimini,  et  là 
Charles  Malatesta,  qui  était  célèbre  comme  capitaine  et  homme 
d'Etat  et  qui  était  également  estimé  des  deux  partis,  parvint  à  le 
déterminer  à  renoncer  à  son  synode  particulier  et  à  s'unir  aux  car- 
dinaux pour  convoquer  en  commun  un  concile.  Malatesta  pro- 
posa comme  lieu  de  réunion  du  concile  Bologne,  Porli,  Mantoue 
et  Bimini  ^,  ou  bien,  comme  le  proposait  Grégoire  XII,  on  devait 
former,  avec  des  membres  des  deux  partis,  un  tribunal  arbitral 
qui  choisirait  ensuite  le  lieu  de  réunion^.  Charles  Malatesta  in- 
forma les  cardinaux,  par  l'intermédiaire  de  son  frère  Malatesta  de 
Pensaurum  (Pesaro),  des  nouvelles  dispositions  du  pape  %  et 
Rodolphe,  secrétaire  de  Malatesta  de  Pensaurum,  développa  en 
huit  articles  la  communication  faite  par  son  maître  aux  cardi- 
naux. Mais  ceux-ci  ne  voulurent  pas  entendre  parler  de  ces  pro- 

(1)  Martène  et  Durand,  Yet.  Script,  t.  VII ,  p.  886.  —  Martène,  Thés.  L  II, 
p.  1411.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  73,  153-160  et  172. 

(2)  Raynald,  1408,  45  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  62  sqq.  —  PIard.  t.  VIU, 
p. 167  sqq. 

(3)  Martène  et  Durand,  Vet.  Script,  t.  vil,  p.  969,  971.  —  Mansi,  t.  XXVII 
p.  228,  230.  Mansi  et  Martène  prétendent  que  ce  document  est  une  epistola 
anonymi;  c'est  une  erreur.  Cette  lettre  est  un  mémoire  de  Charles  Malatesta 
aux  cardinaux;  il  suffit  de  la  lire  pour  s'en  convaincre. 

(4)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  83  en  haut. 

(5)  Martène  et  Durand,  t.  VII,  p.  970.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  229. 


180    LES   CARDINAUX   SE   RENDENT   A   PISE   ET   PREPARENT    LE    CONCILE. 

positions'.  Charles  Malatesta  s'adressa  alors  directement  aux 
cardinaux  sans  aucun  intermédiaire,  et  leur  envoya  le  mémoire 
détaillé  Mandatum  est...  honora  matrem  tuam,  dont  nous  avons 
déjà  parlé  dans  une  note  de  la  page  précédente,  et  le  Jour  même 
où  ses  messagers  apportèrent  à  Pise  ces  documents,  Malatesta 
arriva  dans  cette  ville ^,  c'est-à-dire,  peu  de  temps  après  la 
Pâque  de  1409 ^  par  conséquent  après  l'ouverture  du  synode 
de  Pise  :  aussi  aurons-nous  occasion  de  revenir  sur  l'activité  dé- 
ployée par  Malatesta  durant  la  tenue  de  ce  synode)*. 

Un  troisième  parti  se  manifestait  parmi  les  personnages  les 
plus  influents  de  cette  époque.  Il  tendait  à  gagner  le  plus  possible 
des  villes,  des  États,  des  princes,  etc.  à  la  cause  de  l'abandon  de 
l'obédience  et  de  la  déclaration  de  neutralité,  et  à  amener,  soit 
parla  persuasion,  soit  par  la  force,  les  deux  papes  à  abdiquer; 
dans  ce  parti  se  faisaient  remarquer  les  rois  de  France  et  d'An- 
gleterre, le  duc  de  Bourgogne  et  plus  tard  les  Florentins,  etc.  ;  ^ 
mais  ils  avaient  à  lutter  contre  les  deux  prétendants  et  leurs 
rares  fidèles  qui  cherchaient  à  gagner  l'opinion  publique  et  à 
la  tourner  contre  les  cardinaux.  Nous  n'aurons  que  trop  souvent 
dans  la  suite  de  ce  récit  à  donner  des  exemples  de  ces  efforts 
en  sens  contraire  tentés  par  les  divers  partis.  Au  mois  de  no- 
vembre 1408,  Henri  IV,  roi  d'Angleterre  (le  premier  Lan- 
castre)  ayant  été  sollicité  par  Pierre  Philargi  pour  qu'il  abandonnât 
l'obédience®,  écrivit  à  Grégoire  Xllet  à  ses  cardinaux,  ainsi  qu'au 
roi  romain  d'Allemagne  Ruprecht,  afin  que  Grégoire  XII  se  dé- 
cidât enfin  à  abdiquer.  Il  ne  dissimule  pas  au  pape  qu'il  penche, 
de  même  que  les  autres  princes,  pour  le  parti  des  cardinaux  ;  il 
l'adjure  d'aller  à  Pise  et  de  remplir  à  l'endroit  de  la  via  cessionis 
les  promesses  qu'il  a  faites  sous  la  foi  du  serment;  il  lui  annonce 


(1)  Martène,  1.  c.  p.  988-996.  —  Mansi,  1.  c.  p.  239-245;  en  partie  aussi 
ibid.  p.  96  sqq.  et  Hard.  t.  VIII ,  p.  199  sqq.  La  dernière  partie  de  cette  dé- 
claration des  cardinaux  (dans  Mansi,!.  c.  p.  245)  est  une  addition  de  Malatesta. 

(2)  Martène,  I.  c.  p.  996.  —  Mansi,  1.  c.  p.  245. 

(3)  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Pise,  1. 1,  p.  280. 

(4)  Ses  négociations  avec  les  commissaires  du  synode  se  trouvent  dans 
Martène,  t.  VU,  p.  996-1060,  et  Mansi,  t.  XXVII,  p.  245-298;  ce  qui  suit 
(dans  Martène,  p.  1061-1078,  et  Mansi,  p.  298-313)  n'est  autre  que  le  récit 
des  négociations  du  même  Malatesta  avec  Grégoire  XII;  Mansi  avait  déjà  fait 
imprimer  (p.  91  sqq.)  une  partie  du  rapport  sur  ces  négociations.  C'est  ce 
même  fragment  qui  se  retrouve  dans  H.'.r).  t.  Viil,  p.  194  sqq. 

(51  Mvrtène  et  Durand,  t.  VU,  p.  89J,  913,  92i,  925,  930,  947.  —  Mansi, 
t.  XXVII,  p.  191,  200,  204,  207,  212,  213. 
(6)  M\RTÈNE  et  Durand,  t.  VII,  p.  815,  817. 


LES  CARDINAUX  SE  RENDENT  A  PISE  ET  PREPARENT  LE  CONCILE,   l&l 

que  les  prélats  anglais  ainsi  que  ses  propres  ambassadeurs  se 
rendront  au  synode  de  Pise.  Le  schisme,  continue  le  roi  d'An- 
gleterre, avait  coûté  la  vie  à  plus  de  deux  cent  mille  personnes, 
par  suite  des  guerres  qu'il  avait  suscitées,  le  seul  conflit  touchant 
le  siège  épiscopal  de  Liège  (où  chacun  des  deux  papes  voulait 
établir  un  évêque  de  son  choix)  avait  fait  plus  de  trente  mille 
victimes.  En  terminant,  Henri  IV  dit  que  Grégoire  a  étonné 
beaucoup  de  monde  en  nommant  de  nouveaux  cardinaux,  au 
mépris  de  toutes  ses  promesses,  et  qu'il  a,  par  là,  fait  douter  de 
la  sincérité  de  ses  sentiments  pour  le  rétablissement  de  l'union 
ecclésiastique  *.  Le  roi  d'Angleterre  communiqua  égalem^ent 
cette  lettre  au  roi  romain  d'Allemagne,  en  lui  disant  que,  comme 
héritier  de  VImperium,  il  était  plus  spécialement  obligé  de  veiller 
à  l'unité  de  l'Église^. 

On  se  souvient  que  l'Allemagne  n'avait  pas  seulement  à  souf- 
frir d'un  schisme  ecclésiastique,  mais  qu'elle  était  également 
tourmentée  par  un  schisme  politique,  depuis  que  Venceslas  avait 
été  déposé  et  que  Huprecht  du  Palatinat  avait  été  élu  à  sa  place 
en  1400.  Ce  dernier  avait  promis  de  faire  cesser  le  schisme  ecclé- 
siastique; mais  en  réalité  il  ne  fit  absolument  rien  dans  ce  but  ; 
1  fut  même  si  inhabile  à  consolider  sa  situation  dans  l'empire 
que  Ladislas  de  Naples,  qui  étaittoujours  maitre[de  Rome,  put  se 
porter  comme  troisième  prétendant  à  la  couronne  impériale^. 
Dans  un  tel  état  de  choses,  Yenceslas,  quoique  déposé,  pouvait  tou- 
jours espérer  que  ses  affaires  prendraient  une  meilleure  tournure 
s'il  parvenait  à  gagner  le  pape  à  son  parti.  Le  1"  octobre  1403, 
Boniface  IX  avait  confirmé  l'élection  de  Ruprecht  ;  mais,  Venceslas 
ainsi  que  son  frère  Sigismond,  roi  de  Hongrie,  pressèrent  vive- 
ment Grégoire  XII  d'annuler  cet  acte  de  son  prédécesseur  *.  Gré- 
goire n'ayant  pas  accédé  à  cette  demande,  Venceslas,  sollicité  du 
côté  de  Pise  et  du  côté  de  la  France,  passa  au  parti  des  cardinaux 
et,  le  24  novembre  1408,  promit  d'envoyer  des  ambassadeurs  à 
leur  concile,  à  la  condition  que  ces  députés  seraient  reçus  comme 
ambassadeurs  du  roi  romain  ^.  Avec  la  lettre  qui  contenait  ces 

.  (1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  108  sqq.  et  p.  111. 
h)  Mârtèise  et  Durand,  t.  VII,  p.  887.  —  Mansi,  1.  c.  p.  186. 

(3)  Theod.  a  Niem,  Nemus,  etc.  Tract.  VI,  c.  32. 

(4)  HÔFLER,  Ruprecht  von  der  Pfah,  S.  419  f. 

(5)  Martène  et  Durand,  t.  VII,  p.  813,  814,  891.  —  Manst,  t.  XXVII,  p.  189 
(et  moins  bien,  Ibid.  p.  112).  —  Hôfler,  Maître  Jean  Hus  et  le  départ  de  Prague 
des  professeurs  et  des  étudiants,  1864,  S.  208,  210. 


182     LES   CARDINAUX   SE   RENDENT   A   PISE   ET   PREPARENT   LE   CONCILE. 

dispositions,  Yenceslas  envoya  à  Pise  le  magister  Joannes  cardi- 
nalis  de  Reyuscam* ,c'esi-h-dire  le  professeur  de  Prague  Jean  car- 
dinal deReinstein,  que  Palacky  (III,  1.  S.  225)  désigne  également 
comme  ayant  été  ambassadeur  du  roi.  Conjointement  avec  lui, 
Palacky  désigne  encore  comme  ambassadeurs  trois  autres  pro- 
fesseurs de  Prague,  en  particulier  Stanislas  de  Snaim  et  Etienne 
de  Palec  ;  ces  partisans  de  Grégoire  XII  ne  voulurent  pas  pro- 
bablement aller  à  Pise,  mais  bien  aller  trouver  Grégoire  ;  car  ils 
furent  mis  en  prison  à  Bologne  par  le  grand  ennemi  de  Grégoire, 
le  cardinal  Balthasar  Gossa  ^.  L'ambassadeur  du  roi  romain  sut, 
au  contraire,  tenir  à  Pise  aux  cardinaux  un  langage  très-fm,  dont 
voici  le  résumé  :  «  Le  scbisme  religieux  avait  eu  comme  consé- 
quence le  schisme  politique;  fomenter  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux 
schismes  c'était  résister  à  Dieu.  Le  pouvoir  du  roi  romain  était  la 
source  et  le  couronnement  de  toutes  les  autres  puissances,  qui 
n'étaient  que  les  parties  d'un  seul  tout.  Yenceslas  était  tranquille- 
ment en  possession  de  ce  pouvoir  suprême  avant  même  qu'éclatât 
le  schisme  ecclésiastique;  mais  celui-ci  fut  bientôt  suivi  du 
schisme  politique  causé  par  quatre  électeurs.  Yenceslas  n'a- 
vait pas,  pour  cela,  perdu  son  trône,  quoique Boniface IX,  trompé 
par  de  faux  rapports  et,  de  plus,  obéissante  des  préoccupations 
simoniaques,  eût  prononcé  contre  lui  une  sorte  de  déposition, 
de  même  qu'il  arrive  quelquefois  à  un  juge  ecclésiastique  de  pro- 
noncer une  excommunication  sacrilège.  Mais  que  cette  sentence 
de  Boniface  IX  ait  été  nulle,  c'est  ce  que  prouve  l'obéissance  per- 
sistante de  nombreux  princes  et  de  nombreux  pays  vis-à-vis  de 
Yenceslas,  sans  que  jamais  un  pape  ait  cherché  à  entraver  l'ex- 
pression de  cette  vieille  fidélité.  Puisque  ce  prince  était  in- 
contestablement roi  légitime  des  Romains  et  de  l'Allemagne, 
il  était  autorisé  à  demander  qu'on  s'occupât,  avant  de  détruire 
le  grand  schisme,  d'extirper  le  schisme  qui  était  moins  considé- 
rable (c'est-à-dire  le  schisme  allemand);  toutefois  l'ambassadeur 
ajoutait  que  la  grande  préoccupation  de  Yenceslas  était  le  salut  de 
l'Église;  aussi  songeait-il  à  soutenir  de  toutes  ses  forces  les  dé- 
marches des  collèges  des  cardinaux  pour  donner  à  la  chrétienté 
un  pape  unique  et  légitime.  Il  condamnait  et  délestait  toutes  les 
erreurs  contre  la  foi;  quelques-uns  avaient  calomnié  son  gouver- 


1)  Mabtène,  1.  c.  p.  892. 

2)  HôFLER,  a.  a.  0.  S.  208. 


» 


LES   CARDINAUX  SE   RENDENT  A  PISE  ET  PRÉPARENT  LE  CONCILE.     163 

nement  et  soutenaient  qu'il  y  avait  en  Bohême  des  hérétiques,  les- 
quels croyaient  qu'après  la  consécration,  il  restait  encore  un  pain 
matériel  daus  le  sacrement  de  l'autel  (Wiclefites),  et  Ton  avait 
ajouté  qu'il  les  protégeait  ;  mais  c'était  là  une  calomnie  provenant 
de  chiens  enragés  (il  s'agit  de  la  nation  allemande  dans  l'Univer- 
sité de  Prague).  Il  se  déclarait  prêt,  au  contraire,  à  faire  brûler 

tous  ceux  qui  seraient  coupables  d'hérésie Les  cardinaux 

pouvaient  compter  sur  lui  comme  sur  le  premier  et  le  sincère 
protecteur  de  l'Église  romaine  et  du  Saint-Siège,  et  lui  commu- 
niquer leurs  démarches  ultérieures  :  il  s'emploierait,  avec  les 
princes  et  avec  les  pays  qui  lui  étaient  soumis,  à  rétablir  l'unité 
de  l'Église,  et,  cette  unité  une  fois  rétablie  sous  l'autorité  d'un 
pape  unique,  la  seconde  unité  ne  tarderait  pas  à  être  rétablie  aussi 
sous  l'autorité  d'un  seul  empereur  ^  » . 

En  même  temps  Venceslas  prit  des  mesures  pour  gagner, 
comme  cela  avait  eu  lieu  en  France,  le  clergé  de  Bohême  et  l'Uni- 
versité de  Prague  à  la  cause  de  l'abandon  de  l'obédience  de  Gré- 
goire XII.  Mais  il  trouva  de  la  résistance  aussi  bien  auprès  de  l'ar- 
chevêque qu'auprès  de  l'Université;  des  quatre  Dations  de  l'Uni- 
versité (tchèque,  bavaroise,  polonaise,  saxonne),  il  n'y  eut  que  la 
nation  tchèque,  c'est-à-dire  Jean  Hus  et  ses  partisans  wiclefites, 
à  se  montrer  favorable  à  ce  plan,  d'autant  mieux  que  c'était  pour 
eux  une  occasion  d'opprimer  les  Allemands  qui  étaient  cordiale- 
ment haïs  et  de  dominer  l'Université  tout  entière.  En  outre,  on 
espérait  par  là  pouvoir  paralyser  l'archevêque,  qui  était  un 
danger  pour  les  Wiclefites,  on  comptait  le  brouiller  tout  à  fait 
avec  le  roi.  Par  haine  contre  les  Allemands,  des  magistrats  tchè- 
ques qui  avaient  des  sentiments  tout  à  fait  orthodoxes  firent  cause 
commune  avec  les  Wiclefites.  Nicolas  de  Lobkowic,  l'un  des.per^ 
sonnages  les  plus  influents  de  la  cour,  se  laissa  gagner  par 
Jean  Hus. 

On  représenta  au  roi  que,  s'il  voulait  mener  à  bonne  fin  son 
projet  touchant  l'abandon  de  l'obédience  de  Grégoire  XII  et  la  re- 
connaissance du  concile  de  Pise,  il  fallait  enlever  aux  Allemands 


(1)  HoFLER,  a,  a.  0.  S.  209  ff.  ;  de  même  dans  son  écrit  Ruprecht  von  der 
Pfah,  1861,  S.  421  f.  —  Palacky,  Gesch.  von  Bœhmeixs,  Bd.  III,  1,  S.  '?25  et 
240.  Hôfler  regrette  profondément  (dans  son  écrit  Maître  Jean  Hus,  S.  210) 
que  ce  document  n'ait  pas  de  date,  mais,  quant  à  moi,  je  serais  porté  à  croire 
que  ce  document  doit  avoir  la  même  date  que  la  lettre  adressée  par  Vences- 
las aux  cardinaux,  c'est-à-dire  le  24  novembre  1408.  V.  plus  haut,  S.  181, 


%.  . 


184    LES   CARDINAUX  SE   RENDENT  A  PISE  ET  PREPARENT  LE   CONCILE. 

la  prépondérance  qu'ils  avaient  eue  jusqu'alors  clans  l'Université. 
En  réalité,  disait-on  à  Venceslas,  il  n'y  avait  à  Prague  que  deux 
nations,  la  nation  tchèque  et  la  nation  allemande,  parce  que  les 
Bavarois,  les  Saxons  et  les  Polonais  étaient  tous  des  Allemands. 
Il  résultait  de  là  que,  dans  toutes  les  questions  universitaires,  les 
Allemands  avaient  trois  voix  et  les  Tchèques  une  seule.  Cela  était 
injuste  (ils  ne  disent  pas  que  le  nombre  des  étudiants  allemands 
présents  à  l'Université  était  dix  fois  plus  grand  que  celui  des 
Tchèques),  et  il  fallait  procéder  à  une  réforme;  car,  à  Paris 
comme  à  Bologne,  la  nation  du  pays  avait  toujours  trois  voix 
(c'était  faux).  Jean  Hus  et  ses  amis,  comptant  sur  les  anciennes 
rancunes  de  Venceslas  contrôles  Allemands  (depuis  qu'il  avait  été 
déposé  en  1400),  se  rendirent  au  camp  royal  de  Kuttenberg  pour 
activer  l'affaire.  Us  y  trouvèrent,  pour  les  appuyer,  les  ambassa- 
deurs du  roi  de  France  et  ceux  de  l'Université  de  Paris  ,  car  tout 
le  monde  désirait  gagner  à  la  cause  du  concile  de  Pise  la  Bohême 
et  son  Université.  Il  résulta  de  tous  ces  efforts  que,  le  18  janvier 
1409,  Venceslas  pubha,  de  Kuttenberg,  l'édit  suivant  rédigé  dans 
un  style  boursouflé  :  •<  Gomme  tout  intérêt  bien  entendu  com- 
mence par  l'intérêt  personnel,  il  est  messéantque  la  nation  alle- 
mande, qui  n'a  en  aucune  façon  le  droit  d'habiter  la  Bohême, 
se  soit  approprié  trois  voix  dans  lesdifférents  actes  universitaires, 
tandis  que  la  nation  bohémienne,  héritière  légitime  du  royaume, 
ne  jouit  que  d'une  seule  voix.  Il  faut  que  désormais,  dans  toutes 
les  délibérations  ainsi  que  dans  tous  les  jugements,  examens  et 
choix  etc.  de  l'Université,  trois  voix  soient  assurées  à  la  nation 
bohémienne,  de  même  que,  dans  les  Universités  de  Paris  et  d'Ita- 
lie, la  nation  du  pays  a  également  l'avantage  de  trois  voix  * .  »  Cet 
édit  constatait  un  double  résultat  :  le  plan  moitié  religieux  et 
moitié  politique  du  roi  Venceslas  d'abandonner  l'obédience  de 
Grégoire XII,  nonobstant  l'opposition  des  évêques,  était  assuré; 
mais  en  même  temps,  on  ouvrait  la  porte  aux  partisans  de 
Wiclef,  à  Jean  Hus  et  à  ses  amis,  conséquence  dont  Venceslas  ne 
se  douta  en  aucune  façon;  quelques  jours  plus  tard,  le  22 
janvier  1409,  Venceslas  défendit  à  tous  ses  sujets,  soit  ecclésias- 
tiques soit  laïques,  d'obéir,  de  quelque  façon  que  ce  fût,  à  Gré- 
goire XII,  et  enfin,  le  17  février,  le  roi  de  Bohême  conclut  avec 


(1)  HÔPLER,  Maître  Jean  Mus,  etc.,  S.  216-251;  du  même  auteur,  Ruprecht 
von  der  Pfah,  S.  423  f.  —  Palacky,  a.  a.  0.  S.  227,  230-232. 


r 


—  —  M'- 

LES   CARDINAUX   SE  RENDENT  A   PISE"  ET  PRÉP/BENT   LE  CONCILE.  *185 

l'ambassadeur  des  Pisans,  Landulphe,  cardinal  de  Bari,  un  traité 
dont  nous  allons  bientôt  parler  *. 

Le  décret  royal  qui  bouleversait  ainsi  l'Université  de  Prague 
eut,  comme  on  le  devine  bien,  un  défenseur  zélé  et  sophistique 
dans  Jean  Hus  ;  tous  les  appels  et  tous  les  efforts  des  trois  nations 
lésées  restèrent  stériles  ;  aussi,  durant  l'été  de  1409,  plus  de  vingt 
mille  professeurs  et  étudiants  quittèrent  Prague  et  allèrent  fonder 
l'Université  de  Leipzig,  et  grossirent  celles  d'Erfurt,  Ingolstadt, 
Rostock  et  Cracovie,  tandis  que  Prague  commença  à  décliner^. 

Plus  Venceslas  se  rapprochait  des  Pisans,  plus,  on  l'a  déjà  de- 
viné, Ruprecht  se  sentait  incliner  vers  Grégoire  XII  ;  mais,  toujours 
semblable  à  lui-même,  il  ne  sut  pas  procéder  avec  quelque  éner- 
gie et,  tandis  que  la  France  se  laissait  passionner  par  la  question 
religieuse  et  envoyait  de  tous  côtés  un  nombre  infini  de  lettres  et 
d'ambassadeurs,  Ruprecht,  qui  par  sa  charge  avait  la  mission  de 
protéger  l'Église,  lui  le  protecteur  choisi  par  Dieu,  continuait  à 
rester  inactif.  Il  aurait  dû  notamment  ménager  enfin  une  entrevue 
entre  les  deux  papes,  qui  s'étaient  avancés  l'un  vers  l'autre  et  n'a- 
vaient plus  que  quelques  heures  de  chemin  à  faire;  mais  nous  ne 
trouvons  nulle  part  qu'il  ait  envoyé  en  Italie  une  lettre  ou  un 
messager;  puisqu'il  était  persuadé  que,  si  la  France  déployait 
toute  son  énergie  dans  la  question  religieuse,  c'était  pour  arriver 
à  l'emporter  sur  l'Allemagne  ^  il  aurait  dû  s'occuper  de  cette 
affaire  et,  autant  que  possible,  faire  sentir  son  influence . 

Il  est  vrai  que  cette  mission  était  bien  difficile  avec  une  Alle- 
magne aussi  divisée  :  car,  à  ce  point  de  vue  également,  l'Allemagne 
offrait  le  triste  spectacle  de  divisions  intestines  ;  le  schisme  qui 
désolait  l'Église  y  avait  divisé  entre  eux  les  districts,  les  villes,  les 
évéchés  et  les  abbayes;  le  poison  s'était  ghssé  partout,  partout 
avaient  lieu  des  conflits  de  paroles  amères  et  des  luttes  sanglantes . 

On  projeta  de  résoudre  le  difficile  problème  de  la  question  reli- 
gieuse dans  la  diète  de  Nuremberg,  au  mois  d'octobre  1408;  mais 
quand  l'assemblée  fut  réunie,  il  n'en  fut  même  pas  question; 
enfin  on  remit  cette  affaire  à  la  grande  diète  ecclésiastique  et 
laïque  qui  devait  se  tenir  à  Francfort  le  dimanche  après  l'Epipha- 
nie 1409  (13  janvier).  Prévoyant  l'importance  qu'aurait  cette  as- 

(1)  Martène,  etc.,  t.  VII,  p.  923.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  206.—  Hôfler,  Maître 
Jean  Sus,  etc.,  S.  216. 

(2)  Hôfler,  3Iaître  Jean  Hus,  etc.,  S.  229,  234  f.  244,  247. 

(3)  Hôfler,  a.  a.  0.  S.  422  f. 


186   LES  CARDINAUX   SE  RENDENT  A  PISE   ET   PRÉPARENT   LE   CONCILE. 

semblée,  Grégoire  et  les  cardinaux  envoyèrent  des  ambassadeurs 
à  Francfort  ;  le  pape  fit  choix  de  ce  neveu  dont  nous  avons  déjà  eu 
l'occasion  de  parler  plusieurs  fois,  c'est-à-dire  d'Antoine  Gorrario, 
et  les  cardinaux  choisirent  leur  collègue  Landulphe  de  Bari.  Ils 
écrivirent  en  même  temps  au  roi  et  à  la  reine  de  France  pour  leur 
demander  d'envoyer  également  des  députés  à  la  diète  de  Franc- 
fort ^  Nous  possédons  encore  le  rapport  que  fit  à  ses  commettants 
le  cardinal  de  Bari.  Il  quitta  Pise  le  5  novembre  ou  décem- 
bre 1408,  et  alla  successivement  à  Trente,  à  Brixen,  àinspruck, 
Constance,  Schaffouse,  Baie  et  Fribourg  en  Brisgau.  Partout  il 
trouva  un  accueil  bienveillant  et  un  très- vif  désir  de  voir  le  réta- 
blissement de  la  paix  et  de  l'unité  dans  l'Église  comme  dans  l'État* 
A  Fribourg,  il  parvint  à  gagner  le  duc  d'Autriche  au  parti  des 
cardinaux  et  du  concile  de  Pise.  Il  continua  sa  route  par  Golmar, 
et  arriva  le  28  décembre  à  Strasbourg,  où  il  apprit  que  Jean  II, 
archevêque  de  Mayence  et  comte  de  Nassau,  voulait  tenir  un 
synode  le  8  janvier  1409  pour  délibérer  sur  ce  qu'il  conviendrait 
de  faire  à  la  diète  de  Francfort.  Le  cardinal  termine  en  disant 
que,  le  lendemain,  il  compte  se  rendre  à  Spire  et  que  là  il  déci- 
dera s'il  doit  aller  à  Mayence,  ou  bien  à  Heidelberg  oii  se  trouve 
le  roi  romain  ^. 

Nous  ne  savons  pas  à  quel  parti  il  s'arrêta  et  si  la  réunion  pro- 
jetée à  Mayence  a  jamais  eu  lieu;  mais,  quoi  qu'il  en  soit,  le  cardi- 
nal Landulphe  assista  à  l'époque  fixée  à  la  diète  de  Francfort,  à  la- 
quelle prirent  part  également  le  roi  Ruprecht,  les  archevêques 
de  Mayence  et  de  Gologne,  Henri  duc  de  Braunsvweig,  Hermann 
landgrave  de  Hesse,  Frédéric  margrave  de  Meissen,  Frédéric  bur- 
gravedeNuremberg,  ainsi  qu'ungrandnombred'évêques,  d'abbés, 
de  comtes  et  les  ambassadeurs  de  France  et  d'Angleterre^.  Bien 
certainement  du  consentement  du  prince  électeur  de  Mayence, 
Robert  de  Franzola,  docteur  en  droit  et  avocat  du  consistoire  de 
Mayence,  prononça  un  discours  dans  lequel  il  s'appliquait  à  jus- 
tifier la  conduite  des  cardinaux  réunis  à  Pise  *.  Six  jours  après 


fil  Mârtène  et  Durand,  t.  Vil,  p.  888  sq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  187  sa. 
2)  Martène  et  DuKAND,  t.  VII,  p.  899-909.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  192-200. 

(8)  Theod.  a  Nœm,  de  Schismate,  lib.III,  39.  Une  lettre  du  roi  de  France 
aux  cardinaux,  dans  Mansi,  1.  c.  p.  113  sq.,  nous  apprend  qu'il  avait  envoyé 
à  Francfort  le  patriarche  d'Alexandrie  avec  deux  docteurs  de  l'Université  de 
Paris. 

(4)  HôFLER,  Ruprecht  von  der  Pfah,  S.  415.  —  H.eberlin,  Hist.  gén.  Bd.  IV, 
S.  506.  L'historien  Lenfant  a  donné  un  extrait  du  discours  de  Franzola, 


LES   CARDINAUX    SE  RENDENT  A  PISE   ET  PRÉPARENT   LE   CONCILE.     187 

l'ouverture  des  opérations  de  l'assemblée,  arriva  aussi  Antoine 
Gorrario,  neveu|et|ambassadeur  de  Grégoire  XII  ;  il  était  muni  de 
pouvoirs  étendus  *  et,  dès  la  session  suivante,  il  prononça  un  dis- 
cours qui,  au  rapport  de  Dietrich  de  Niem,  était  très-offensant 
pour  les  cardinaux  et  en  particulier  pour  Landuîphe  de  Bari; 
aussi  produisit-il  généralement  une  mauvaise  impression.  Nous 
savons  par  d'autres  sources  que  Grégoire  fit  déclarer  par  Antoine 
Gorrario,  qu'il  avait,  il  est  vrai,  déjà  convoqué  un  synode  à  Udine 
(Wyden),  dans  le  Frioul  ^,  mais  qu'il  laissait  néanmoins  au  roi  ro- 
main le  soin  de  décider  où  et  quand  se  tiendrait  ce  synode  :  car 
c'était  surtout  à  lui  et  non  pas  aux  cardinaux  à  jouer  le  rôle  d'inter- 
médiaire dans  un  conflit  pour  la  possession  de  la  tiare.  Le  concile, 
qui  serait  convoqué  de  cette  manière,  déciderait  si  Grégoire  avait 
oui  ou  non  fait  assez  pour  tenir  ses  promesses  et  ses  serments.  Si 
l'assemblée  déclarait  que  non,  il  abdiquerait  immédiatement  ;  si, 
au  contraire,  elle  déclarait  que  sa  conduite  ne  méritait  pas  de 
reproches,  «  il  conseillerait  et  s'emploierait  à  mettre  en  œuvre 
des  moyens  devant  amener  l'union  de  l'Église  ^.  »  Le  cardinal 
Landuîphe  déclara  alors  qu'il  n'avait  pas  de  pouvoirs  pour  aban- 
donner Pise  et  transférer  le  synode  en  un  autre  lieu  ;  grâce  aux 
efforts  de  l'archevêque  de  Mayence,  la  grande  majorité  de  l'assem- 
blée décida  de  garder  la  neutralité  entre  les  deux  prétendants; 
mais  le  roi  Ruprecht  aima  mieux  se  retirer  à  Heidelberg  avec  le 
légat  de  Grégoire,  deux  jours  après  l'arrivée  de  ce  légat  ^.  Ru- 
precht fit  aussi  connaître  à  cette  même  époque  aux  États  de  l'em- 
pire ses  sentiments  sur  la  question  ecclésiastique  par  une  belle 
lettre,  dans  laquelle  il  faisait  d'abord  l'historique  de  l'assemblée 
de  Francfort  et  développait  ensuite  les  deux  pensées  suivantes  : 
1)  Il  n'existait  aucune  raison  suffisante  pour  abandonner 
l'obédience  de  Grégoire;  au  contraire,  cette  mesure  et  toute 
l'affaire  concernant  le  synode  de  Pise,  avaient  été  imaginées  par  la 
la  France  pour  des  raisons  exclusivement  personnelles,  et  «  à  la 
grande  honte  ainsi  qu'au  grand  préjudice  »  de  l'empire ^ 

d'après  un  codex  du  sénateur  Uffenbach,  de  Franctort-sur-ie-Mein.  Lenfant» 
ffist.  du  concile  de  Pise,  1824,  1. 1,  p.  330  sqq. 

(1)  Raynald,  1408,  60. 

(2]  Raynald,  1408,  67. 

(3)  HôFLER.  a.  a.  0.  S.  415. —  Wencker,  Apparatus  et  instructus  Archivorum, 
i713,  p.  295  sq. 

f4)  HÔPLER,  Ruprecht  von  der  Pfalz,  S.  415  ff. 

(5)  Janssen,  Frankfurter  Reichscorrespondenz ,  1863,  Bd,  I,  S.  139  ff.  ;  n'est 
pas  tout  à  fait  complet  dans  Wencker,  1.  c.  p.  294  sqq. 


188    LES   CARDINAUX  SE  RENDENT  A  PISE  ET  PREPARENT  LE   CONCILE. 

2)  Quant  à  la  voie  proposée  par  les  cardinaux,  il  était  persuadé 
qu'il  en  résulterait  pour  la  chrétienté  «  un  dommage  et  un  conflit 
plus  considérables  encore  que  ceux  qui  existaient  malheureuse- 
ment depuis  si  longtemps  déjà  »  ^ 

Sur  ces  entrefaites,  Grégoire  XII  avait,  de  Rimini,  le  14  dé- 
cembre 1408,  proposé  aux  cardinaux  rebelles  de  leur  accorder 
leur  grâce  et  leur  pardon,  et  de  les  réintégrer  dans  leurs  charges, 
s'ils  voulaient  revenir  à  lui  dans  le  délai  de  30  jours  (il  accordait 
trois  mois  à  ceux  d'entre  eux  qui  seraient  en  mission).  A  cette 
occasion,  Grégoire  XII  exposa  en  détail  toute  la  conduite  tenue 
par  les  cardinaux,  il  se  plaignait  en  particuher  de  Balthasar  Gossa, 
cet  iniquitatis  alumnus  et  perditionis  filins,  qui,  abusant  de  sa 
situation  comme  légat  de  Bologne,  avait  longtemps  avant  la  dé- 
fection des  autres  cardinaux  traité  le  pape  de  parjure  et  de  schis- 
matique,  avait  répandu  contre  lui  toutes  sortes  de  mauvais 
bruits  et  avait  entraîné  les  autres  cardinaux,  ainsi  qu'un  grand 
nombre  de  prélats,  de  villes  et  de  particuliers.  Il  avait  notam- 
ment par  ses  mensonges,  ses  présents  et  ses  promesses,  gagné  le 
cardinal  Pierre  Philargi  ;  à  l'aide  de  menaces,  il  avait  également 
entraîné  le  cardinal  de  S.  Groce,  il  avait  fait  enlever  les  armes  du 
pape,  avait  fait  emprisonner  ses  courriers  et  enfin  avait  empêché 
qu'on  lui  envoyât  de  l'argent.  En  dernier  lieu,  les  cardinaux 
Henri  de  Tusculum,  Angélus  de  Sainte-Pudentienne  et  Landulfe 
de  Saint-Nicolas,  qui  étaient  restés  bien  plus  longtemps  que  les 
autres  cardinaux  auprès  du  pape  à  Lucques  et  qui  avaient  ap- 
prouvé la  convocation  d'un  concile  général,  avaient  fini,  eux  aussi, 
par  embrasser  le  parti  des  rebelles  ^. 

Les  cardinaux  n'ayant  pas  répondu  à  l'invitation  de  Grégoire, 
celui-ci,  à  la  date  du  14  janvier  1409,  les  déclara  apostats,  schis- 
matiques,  calomniateurs,  parjures,  conspirateurs,  les  frappa 
comme  tels  des  peines  de  l'excommunication  et  de  la  déposition, 
les  dépouilla  de  toutes  leurs  dignités  et  bénéfices,  etc., 
et  interdit  aux  fidèles  tout  rapport  avec  eux  ^ .  Partout  où  Gré- 
goire XII  était  encore  obéi,  cette  sentence  reçut  son  exécution. 
Ainsi,  le  cardinal  Pierre  Philargi  perdit  l'archevêché  de  Milan 


(1)  IIûFLER,  Maître  Jean  Eus,  etc.,  S.  213;  du  même  auteur,  Ruprecht  von 
ier  Pfalz,  S.  435.  —  Palagky,  a.  a.  0.  S.  225. 

(2)  Raynald,  1408,  61  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  67-73.  —  Hard.  t.  VIII, 
p. 171  sqq. 

(3)  Raynald,  1409,  1.  —  Mansi,  1.  c.  p.  73-77.  —  IIard.  I.  c.  p.  177  sqq. 


LES  CARDINAUX  SE  RENDENT  A  PISE  ET  PREPARENT  LE  CONCILE.  189 

ainsi  que  quelques  autres  bénéfices;  certains  cardinaux  furent 
même  emprisonnés.  Ils  n'en  furent  que  plus  animés  contre 
Grégoire  XII,  et  Pierre  Philargi  se  donna,  en  particulier,  toutes 
sortes  de  peines  pour  gagner  les  princes  et  les  villes  au  parti 
de  l'abandon  de  l'obédience.  Le  roi  de  France  travaillait  dan» 
le  même  sens  et  les  Véntiens  eux-mêmes,  quoique  compa- 
triotes de  Grégoire  XII,  l'abandonnèrent  également  après  lui 
avoir  été  longtemps  fidèles,  parce  que  Grégoire  ne  voulut  pas 
élever  à  l'épiscopat  un  neveu  du  doge  Michel  Sténo  K  Quant  aux 
Florentins,  ils  étaient  déjà  allés  si  loin,  au  début  de  l'année  1409, 
que,  le  13  janvier,  ils  engagèrent  avec  instance  le  pape  d'Avignon, 
quoiqu'ils  n'appartinssent  pas  à  son  obédience,  à  se  rendre  à 
Pise,  et,  le  26  du  même  mois,  ils  déclarèrent  solennellement 
qu'ils  se  retireraient  de  l'obédience  de  Grégoire  XII,  si,  le  26  mars, 
ce  pape  ne  comparaissait  en  personne  à  Pise.  En  même  temps,  les 
Florentins  cherchèrent  à  réconcilier  les  cardinaux  avec  Ladislas 
roi  de  Naples;  car  ils  avaient  compris  que  Ladislas  pouvait  être 
le  plus  dangereux  ennemi  du  concile  de  Pise  ^.  Tous  les  efforts 
de  Grégoire  XII  pour  regagner  les  Florentins  restèrent  stériles. 
La  lettre  que  ce  pape  écrivit  de  Rimini,  le  12  mars  1409,  con- 
tient plusieurs  points  qu'il  est  important  de  noter  pour  l'his- 
toire du  schisme.  On  y  voit  que  les  Florentins  avaient  répondu 
négativement  à  Grégoire,  lorsque  celui-ci,  se  dirigeant  vers  Sienne, 
après  avoir  quitté  les  États  de  l'Église,  demanda  aux  Florentins 
de  le  recevoir  dans  une  ville  de  leur  territoire.  Les  Florentins 
ayant  prétendu  que  quelques  hommes  savants  et  craignant  Dieu 
leur  avaient  assuré  que  la  convocation  d'un  concile  revenait  aux 
cardinaux,  Grégoire  répond  que  ces  hommes  craignant  Dieu 
n'étaient  autres  que  des  filii  perditionis,  c'est-à-dire  les  cardi- 
naux rebelles  d'Aquilée,  Thuri  et  Balthasar  Cessa;  c'était  ce  der- 
nier qui  avait  gagné  à  ce  sentiment  quelques  savants,  il  était  le 
caput  mali.  Les  cardinaux  feignaient  d'avoir  convoqué  leur 
concile  dès  le  15  mai  (?),  tandis  qu'en  réalité  on  ne  leur  avait 
accordé  la  ville  de  Pise  que  dans  les  derniers  jours  du  mois 
d'août.  Lui,  le  pape,  ne  s'obstinait  pas  d'une  façon  opiniâtre  à 
soutenir  son  synode  ;  mais  il  avait,  au  contraire,  fait  proposer  aux 


(1)  Martène  et  Durand.  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  864,  869-883,  899,  902.   — 
Mansi  t.  XXVII,  p.  191,  204.  —  Hôfler,  Ruprecht  von  der  Pfalz,  S.  433. 

(2)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  931,  937,  946,  948.—  Mansi,  1.  c.  p.  213,  425, 
430,  433,  492.  —  Antonini,  Summa  historialis,  P.  III,  tit.  22,  c.  v,  §  2. 


190    LES   CARDINAUX   SE  RENDENT   A   PISE   ET   PREPARENT   LE    CONCILE. 

cardinaux  par  le  roi  de  Hongrie,  par  le  doge  de  Venise  et,  plus  tard, 
par  Charles  Malatesta  de  tenir  le  concile  en  commun,  et  il  renou- 
velait présentement  celte  proposition.  Un  tribunal  arbitral  choisi 
par  les  deux  partis  serait  chargé  de  fixer  le  lieu  de  la  réunion  du 
concile,  etc.  *. 

Quelques  jours  auparavant,  Benoît  XIII  avait  définitivement 
rompu  avec  ses  cardinaux.  Le  25  janvier,  ceux-ci  lui  avaient  en- 
voyé de  Pise  une  longue  lettre  dans  laquelle  ils  maintenaient  ce 
qu'ils  avaient  dit  auparavant,  à  savoir  que  Benoit  les  avait  auto- 
risés à  préparer  un  synode,  et  ils  prièrent  instamment  Benoît  XIII 
de  venir  à  Pise.  Quant  à  Grégoire  qui,  ajoutaient-ils,  n'avait  presque 
plus  où  reposer  sa  tête  (?),  on  allait  prendre  des  mesures  pour  que 
son  obstination  ne  pût  nuire  à  l'unité  de  l'Église  ^.  Benoît  XIII 
répondit  aux  cardinaux  par  sa  lettre  du  5  mars  1409.  Il  cita  les 
décisions  du  synode  de  Perpignan  qu'il  avait  déjà  publiées,  et  il 
parla  également  des  lettres  que  des  ambassadeurs  déjà  désignés 
devaient  porter  en  Italie,  dès  qu'ils  auraient  reçu  les  sauf-conduits 
indispensables.  Benoît  terminait  en  exhortant  de  la  manière  la 
plus  sérieuse  à  ne  pas  procéder  à  une  nouvelle  élection  pontifi- 
cale ^;  mais  les  décisions  de  toutes  les  universités  et  d'un  grand 
nombre  de  savants,  les  lettres  envoyées  par  les  rois,  l'arrivée  de 
nombreux  ambassadeurs  et  de  nombreux  prélats,  encouragèrent 
si  bien  les  cardinaux  des  deux  obédiences  que,  au  jour  fixé,  c'est- 
à-dire  le  25  mars  1409,  ils  ouvrirent  le  synode  de  Pise,  quoique, 
dans  son  propre  intérêt  et  dans  celui  de  Grégoire,  Ladislas  roi  de 
Naples  eût  cherché  à  empêcher  la  réunion  de  l'assemblée  en  fai- 
sant une  invasion  sur  le  territoire  de  Florence  "* . 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  77-83,  435  sq.  —  Hard.  t.  YIII,  p.  180  sqq.—  Martène  et 
Durand,  1.  c.  p.  950  sqq. 

(2)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  925  sqq.  —  Mansi,  1.  c.  p.  207  sqq» 

(3)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  981  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1119  sq. 

(4)  Martène  et  Durand,  1.  c.  p.  985.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  214,  —  Chris- 
tophe, a.  a.  0.  Bd.  III,  S.  228  ff. 


■r 


CREMIERS  SYNODES  SOUS  UKBAIN  VI,  DE  1378  A  1381.      19l 


CHAPITRE  II 

SYNODES  DE  CETTE  ÉPOQUE, 
DU  COMMENCEMENT  DU  GRAND  SCHISME  (1378)  AU  CONCILE  DE  PISE  (1409) 

§   728. 
PREMIERS   SYNODES    SOUS   URBAIN  VI,    DE    1378   A    1381. 

A  l'époque  où  le  mécontentement  soulevé  par  le  pape  Urbain  VI 
menaçait  de  tourner  au  schisme,  Hugo  II,  archevêque  de  Bénévent, 
réunit  le  24  août  1378,  un  concile  important  qui  fut  tout  à  la  fois 
provincial  et  diocésain  et  qui  promulgua  soixante-douze  capitula 
comprenant  d'anciennes  et  de  nouvelles  ordonnances. 

Le  n°  1  forme  une  sorte  d'introduction. 

Le  n°  2  frappe  d'excommunication  et  de  la  confiscation  des 
biens  tous  les  hérétiques,  en  particulier  les  patares,  les  cathares, 
les  pauvres  de  Lyon,  les  passagiens,  les  césalpins,  les  mani- 
chéens, les  amadéistes,  les  spénonestes  (spéronistes). 

3.  Le  blasphème  contre  Dieu  et  contre  les  saints  est  sévère- 
ment interdit, 

4 .  Nul  ne  doit  exposer  une  image  de  saint,  si  la  personne  re- 
présentée n'a  été  canonisée  par  le  Saint-Siège,  et  de  même  si  son 
culte  n'a  pas  été  approuvé  par  la  même  autorité.  Celui  qui  vole 
dans  une  église  est  excomtaunié. 

5.  Il  est  expressément  défendu  de  se  faire  tirer  la  bonne  aven- 
ture, etc. 

6.  Le  chrême  et  l'huile  sainte,  ainsi  que  les  autres  sacramenta 
seu  liquoresj  doivent  être  soigneusement  tenus  sous  clef,  afin  que 
l'on  ne  puisse  en  abuser.  Les  vases  renfermant  l'huile  sainte 
doivent  être  en  métal  et  non  en  verre. 

7.  Celui  qui  pénètre  avec  effraction  dans  une  église  ou  dans  un 
couvent,  ou  bien  qui  les  démolit  (il  faut  en  effet  lire  demolitores), 
qui  y  met  le  feu,  qui  falsifie  des  documents  pontificaux  ou  épis- 
copaux,  qui  se  montre  traître  à  l'égard  du  Saint-Siège  ou  à  l'égard 
de  son  évêque,  sera  excommunié. 


:# 


192      PREMIERS  SYNODES  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1378  A  1381» 

8.  Sera  également  excommunié  celui  qui  pratique  l'usure. 

9.  Nul  ne  doit  recevoir  un  usurier  dans  sa  maison. 

10.  Nul  ne  doit  accepter  d'être  témoin  pour  un  usurier  qui 
veut  faire  son  testament. 

11.  Sous  peine  de  l'excommunication,  tout  fidèle  doit,  dans 
l'espace  de  dix  jours,  dénoncer  à  l'évêque  les  usuriers  qu'il  con- 
naît, afin  que  cette  effroyable  peste  (bien  répandue  alors,  paraît-il) 
soit  étouffée. 

12.  Celui  qui  prête  faux  témoignage  ou  qui  en  fait  prêter  par 
d'autres  sera  sévèrement  puni . 

13.  Contrôla  simonie. 

14.  Il  arrive  souvent  que,  grâce  à  l'intervention  ou  à  la  re- 
commandation d'un  puissant  qu'on  n'ose  pas  éconduire,  quel- 
qu'un obtient  un  bénéfice  ecclésiastique  :  celui  qui  agira  de  cette 
façon  sera  excommunié  et  perdra  son  bénéfice. 

15.  Si  un  testament  n'est  pas  exécuté  dans  le  délai  d'un  an 
après  la  mort  du  testateur,  ce  sera  à  Tévêque  à  être  exécuteur 
testamentaire. 

16.  Nul  ne  doit  empêcher  l'exécution  de  la  précédente  ordon- 
nance. 

17.  Celui  qui  a  rédigé  un  testament  pour  une  personne  doit, 
dans  le  délai  d'un  mois  après  la  mort  du  testateur,  donner  connais- 
sance de  ce  fait  à  l'évêque  ou  à  son  vicaire. 

18.  Nul  ne  doit  engager  celui  qui  fait  un  testament  à  y  insérer 
une  clause,  etc.,  privant  l'évêque  ou  sa  curie  de  la  portio  cano- 
nica,  etc. 

19.  Aucun  ecclésiastique  ne  doit  procéder  à  l'exécution  d'un 
testament  avant  d'avoir  donné  à  l'évêque  des  garanties  suffisantes 
d'une  gestion  irréprochable,  afin  que  l'héritage  laissé  par  le  dé- 
funt ne  soit  pas  employé  à  satisfaire  quelque  cupidité  person- 
nelle. 

20.  C'est  à  l'évêque  et  non  pas  à  l'exécuteur  testamentaire  de 
disposer  d'un  bien  qui  a  été  mal  acquis  sans  qu'on  puisse  savoir 
à  qui  le  restituer;  le  testateur  n'a  pas  de  stipulation  à  faire  sur  ce 
point. 

21 .  Les  exécuteurs  testamentaires  et  les  héritiers  doivent,  dans 
le  délai  d'un  an,  payer  à  l'évêque  ou  à  l'église  Id.  portio  canonica, 
c'est-à-dire  le  quart. 

22.  Celui  qui  garde  un  legs  destiné  à  l'évêque  ou  à  une  église 
ou  à  un  clerc  sera  excommunié  jusqu'à  ce  qu'il  restitue. 


J4 


PREMIER  SYNODE  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1378  A  1^81.      193 

23.  Il  en  sera  de  même  de  celui  qui  garde  un  bien,  une  pos- 
session quelconque  appartenant  à  l'Église  ou  qui  ne  paye  pas  à 
l'Église  le  cens  obligatoire. 

24.  La  même  peine  frappera  celui  qui  trouble  une  église  dans 
la  possession  de  ses  droits,  revenus,  etc. 

25.  Il  en  sera  de  même  de  celui  qui  impose  à  des  personnes 
de  l'Église  des  charges  et  des  revenus,  qui  veut  attenter  à  leur 
liberté,  qui  toucbe  aux  biens  ecclésiastiques  mis  en  dépôt. 

26.  Seront  également  excommuniés  ceux  qui  défendent  de 
vendre  sur  leur  territoire  du  pain,  etc.,  à  des  ecclésiastiques. 

27.  Celui  qui  vole  des  documents,  etc.,  dans  une  curie  épisco- 
pal    est  excommunié  ipso  facto. 

28.  Nul  ne  doit  donner  un  conseil  ou  prêter  un  concours  quel- 
conque tendant  à  restreindre  la  juridiction  de  l'Église. 

29.  Nul  ne  doit,  au  préjudice  de  l'évêque  et  de  ses  suffragants, 
conférer  des  bénéfices  ou  décider  touchant  des  affaires  ecclésias- 
tiques. 

30.  Nul  ne  doit,  sans  institution  canonique,  posséder  une  di- 
gnité, un  personnel ,  un  bénéfice  ou  des  revenus  ecclésiasti- 
ques, etc.,  ou  bien  se  mêler  de  l'administration  des  abbayes,  s'il 
n'a  l'autorisation  des  supérieurs  ecclésiastiques  pouvant  la  donner 
et  même  s'il  n'a  reçu  d'eux  une  mission  expresse  pour  cela. 

31.  Celui  qui  a  déjà  un  bénéfice  entraînant  charge  d'âmes  ne 
doit  pas  en  posséder  un  second  sans  une  dispense  légale. 

32.  Celui  qui  possède  un  doyenné,  ou  une  abbaye,  ou  un  prieuré, 
ou  un  personnel,  ou  une  dignité  entraînant  charge  d'âmes,  ou  une 
église  paroissiale,  doit  dans  le  délai  d'un  mois  recevoir  l'ordina- 
tion correspondante  à  sa  dignité;  nul  ne  doit  recevoir  une  charge 
de  ce  genre,  s'il  n'est  entré  dans  sa  vingt-cinquième  année,  s'il 
n'est  enfant  légitime  et  enfin  s'il  n'est  de  bonnes  vie  et  mçpurs. 

33.  Celui  qui  a  une  église  paroissiale  ou  une  autre  place  entraî- 
nant charge  d'âmes  doit  personnellement  desservir  cette  paroisse; 
il  n'y  a  d'exception  que  pour  les  clercs  des  églises  cathédrales  qui 
se  font  remplacer  par  un  vicaire  dans  l'église  paroissiale.  Encore 
ne  pourront-ils  le  faire  qu'avec  l'approbation  de  l'évêque. 

34.  Toutes  les  dispenses  du  devoir  de  la  résidence  accordées 
antérieurement  sont  retirées  (à  part  quelques  rares  exceptions). 

35.  Tous  les  chanoines  des  églises  épiscopales  et  tous  les 
prêtres  ayant  charge  d'âmes  doivent  prendre  part  en  surplis  aux 

X.  X.    13 


194      PREMIER  SYNODE  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1378  A  1381. 

rogations  solennelles,  aux  litanies  et  aux  processions,  le  tout  sous 
peine  d'une  amende  de  trois  carolini. 

36  et  37.  Un  clerc  ne  doit  pas  aliéner  les  biens  de  son  église  ou 
les  affermer  pour  sa  vie  durant  ou  les  aliéner  par  contrat  emphy- 
téotique, etc. 

38.  Un  étranger  ne  doit  pas,  sans  la  permission  de  l'évêque  ou 
de  son  vicaire,  dire  la  messe,  etc.,  dans  la  province. 

39  et  40.  Il  arrive  souvent  que  des  chanoines  des  églises  cathé- 
drales, surtout  à  Bénévent,  ont  des  bénéfices  si  nombreux  qu'ils 
sont  tenus  de  dire  plus  de  sept  messes  par  semaine  :  aussi  font- 
ils  acquitter  par  d'autres  les  messes  qu'ils  ne  peuvent  pas  dire. 
Il  ne  doit  plus  en  être  ainsi  à  l'avenir.  On  devra  rendre  à  l'évêque 
les  bénéfices  donnant  plus  que  ces  sept  messes. 

41.  Lorsque  par  un  testament  on  lègue  pour  faire  dire  des 
messes  des  biens  et  des  maisons,  on  devra  donner  au  clerc  qui 
dit  les  messes  ces  biens  en  nature  et  non  pas  seulement  une  com- 
pensation en  argent. 

42.  Enumération  des  cas  réservés;  aucun  moine  ne  doit  con- 
fesser sans  la  permission  de  l'évêque. 

43  et  44.  Les  dîmes  doivent  être  scrupuleusement  payées. 

45.  Les  abbés,  archiprêtres,  recteurs  d'églises  et  chapelains 
doivent,  au  mois  de  novembre,  avoir  payé  à  l'évêque  les  rede- 
vances auxquelles  il  a  droit. 

46.  Les  clercs  qui  jouent  aux  dés  ou  qui  portent  des  armes  se- 
ront punis  d'une  amende;  aucun  ne  doit  porter  de  capuchon 
orné  de  boutons. 

47.  Prescription  sur  le  vêtement  des  clercs. 

48.  Un  clerc  ne  doit  pas  aller  dans  les  hôtelleries  à  moins  qu'il 
ne  soit  en  voyage;  s'il  y  va,  il  sera  puni  d'une  amende  d'un  florin 
d'or. 

49.  Celui  qui  se  fait  ordonner  par  un  évêque  autre  que  le  sien 
est  excommunié,  il  en  sera  de  même  s'il  demande  les  saintes 
huiles  à  un  évêque  autre  que  le  sien. 

50.  Aucun  clerc  ne  doit  tenir  auberge  ou  une  boutique  quel- 
conque. 

51  et  52.  Dans  les  temps  de  pénitence  on  ne  doit  pas  célébrer 
de  mariage. 

53.  Aucun  évêque  de  la  province  ne  doit,  comme  cela  arrive 
trop  souvent,  empiéter  sur  les  droits  d'un  collègue  ou  du  métro- 


PREMIER  SYNODE  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1378  A  1381.      195 

politain,  confirmer  ordonner  des  personnes  étrangères  à  son  dio- 
cèse. 

54.  A  l'avenir,  on  ne  devra  plus  refuser  d'enterrer  des  per- 
sonnes à  l'église  sous  prétexte  qu'elles  sont  trop  pauvres. 

55.  Aucun  clerc  ne  doit  avoir  de  concubine. 

56.  Toutes  les  personnes  suspectes  doivent  être  éloignées  des 
maisons  des  clercs. 

57.  Celui  qui  est  marié  ne  doit  pas  avoir  de  concubines. 

58.  L'entrée  des  couvents  de  femmes  est  défendue. 

59.  Il  est  défendu  aux  religieuses  de  diner  en  dehors  de  leur 
couvent  ou  d'inviter  des  personnes  à  leur  table. 

60.  Les  fonctions  de  parrain  et  de  marraine  donnent  souvent 
l'occasion  de  commettre  des  fautes  charnelles,  surtout  aux  clercs; 
il  arrive  même  que  plusieurs  n'acceptent  ces  fonctions  que  pour 
pouvoir  se  réunir  plus  facilement  ;  aussi,  à  l'avenir,  les  clercs  ne 
pourront  servir  de  parrains  que  pour  de  proches  parents.  Le 
nombre  des  parrains  et  marraines  doit  aussi  être  dmiinué,  parce 
qu'il  en  résulte  de  trop  nombreux  empêchements  pour  le  ma- 
riage. 

61.  Les  mariages  clandestins  sont  défendus. 

62.  Les  recteurs  des  paroisses  et  les  chapelains  doivent,  tous 
les  dimanches,  dire  la  messe  dans  l'église  qu'ils  desservent. 

63.  Énumération  des  jours  de  fêtes. 

64.  Celui  qui  reste  quinze  jours  sous  le  coup  de  l'excommuni- 
cation ne  doit  pas  être  absous,  à  moins  qu'il  n'y  ait  danger  de 
mort,  avant  d'avoir  donné  des  garanties  suffisantes  pour  prouver 
qu'il  accomplira  sa  pénitence.  S'il  reste  quinze  jours  sous  le 
coup  de  l'excommunication,  il  payera  un  florin  d'amende,  deux  flo- 
rins s'il  reste  un  mois,  etc. 

65.  Nul  ne  doit  introduire  une  nouvelle  règle,  une  nouvelle 
congrégation  ou  une  nouvelle  observance. 

66.  Les  clercs  de  paroisse  doivent  recommander  aux  fidèles 
de  se  confesser  au  moins  une  fois  l'an  et  de  recevoir  à  Pâques  la 
sainte  Eucharistie. 

67.  On  dressera  des  listes  de  ceux  qui  ont  satisfait  à  ce  devoir 
et  elles  seront  présentées  à  l'évêque. 

68.  Tous  les  jours  de  dimanche  et  de  fête,  les  fidèles  doivent 
aller  à  l'église,  et  surtout  dans  leur  église  paroissiale,  pas  dans 
une  église  étrangère.  Pour  obtenir  ce  résultat,  tout  prêtre  devra, 
avant  de  commencer  la  messe  dans  sa  propre  église,  les  diman- 


196      PREMIER  SYNODE  SOUS  URBAIN  Vî,  DE  13  78  A  1381. 

ches  et  jours  de  fête,  demander  s'il  n'y  a  aucun  étranger  dans 
l'assemblée  ;  s'il  y  en  a  un,  on  doit  le  faire  sortir,  et  on  ne  com- 
mencera pas  le  service  divin  avant  qu'il  soit  parti  ;  s'il  refuse  de 
s'en  aller,  on  le  dénoncera  à  l'évéque. 

69.  Tout  prêtre  de  paroisse  doit  avoir  dans  son  église  une  liste 
des  excommuniés  de  sa  paroisse,  et  il  aura  soin  de  la  lire  tous 
les  dimanches  en  la  faisant  précéder  de  cette  formule  :  «  Sont 
excommuniés  tous  les  hérétiques  et  leurs  protecteurs,  tous  ceux 
qui,  sciemment,  retiennent  des  dîmes  appartenant  à  l'Église, 
tous  les  concubinaires  et  usuriers  notoires.  » 

70.  Tous  les  ans,  on  tiendra  un  synode  (provincial)  ici  (à  Béné- 
vent)  le  jour  de  la  Saint-Barthélemi. 

71.  Le  métropolitain,  etc.,  a  le  droit  d'expliquer  les  canons 
synodaux  et  de  les  modifier. 

72.  Chaque  évêque  et  chaque  recteur  d'une  église  paroissiale 
doit  dans  le  délai  d'un  mois  faire  faire  une  copie  authentique  des 
présentes  constitutions  et  la  présenter  lors  du  prochain  synode  ^ 

La  même  année,  c'est-à-dire  en  1378,  le  16  novembre,  Simon 
de  Sudbury,  archevêque  de  Gantorbéry,  chercha  dans  un  synode 
provincial  tenu  à  Glocester,  à  mettre  fin  à  un  abus  existant  déjà 
depuis  longtemps.  Afin  de  se  ménager  une  vie  de  luxe,  plusieurs 
membres  du  clergé  inférieur  d'Angleterre,  avaient  imposé  aux 
fidèles  des  redevances  tout  à  fait  injustes.  Aussi  le  synode 
prescrivit-il  que  les  clercs  célébrant  des  annuels  [capellani 
annualia  célébrantes)  devaient  se  contenter  de  gagner  par  an  sept 
marcs  ou  bien  la  nourriture  et  trois  marcs;  les  clercs  ayant 
charge  d'âmes,  huit  marcs  ou  bien  la  nourriture  et  quatre  marcs 
sterlings,  à  moins  que  l'évéque  du  diocèse  n'en  ordonnât  autre- 
ment. Celui  qui  demandait  davantage  encourait  par  cela  même 
l'excommunication  ^. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'au  début  du  schisme,  les  royaumes 
espagnols  étaient  indécis  pour  savoir  quel  parti  ils  embrasse- 
raient; quatre  synodes  se  réunirent  en  1379  pour  étudier  cette 
question,  mais  ne  purent  aboutir  à  aucun  résultat.  A  Alcala  et 
à  Tolède  on  ne  décida  absolument  rien  ;  à  Illascas  et  à  Burgos 
la  Castille  pencha  du  côté  d'Urbain  ^  L'année  suivante  1380, 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  619-656. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  617  sqq.  —  Haud.  t.  VII,  p.  1888. 

(3)  Mansi,  1.  c.  p.  656  sqq. 


PREMIER  SYNODE  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1378  A  1381.      197 

après  la  mort  du  roi  Henri  de  Transtamare,  son  fils  Jean  I"  roi  de 
Castille  passa  solennellement  avec  les  grands  de  son  royaume 
au  parti  de  l'antipape.  Ce  fut  la  le  résultat  du  convent  de  Médina 
del  Campo,  dans  l'évêché  de  Salamanque.  Lorsque  le  roi  Jean 
fat  couronné  à  Burgos,  il  agita  déjà  la  question  de  la  papauté 
dans  une  réunion  des  grands  et  des  prélats  de  son  royaume. 
Les  sentiments  furent  très-partages  :  aussi  le  roi  se  décida-t-il  à 
envoyer  des  ambassadeurs  à  Rome  et  à  Avignon  pour  obtenir 
des  deux  prétendants  de  nouvelles  explications  et  les  preuves 
de  leur  légitimité  et  aussi  pour  demander  à  d'autres  personnes, 
soit  clercs,  soit  laïques,  des  renseignements  nombreux  et  sûrs 
sur  la  façon  dont  l'élection  d'Urbain  avait  eu  lieu.  Après  que  les 
ambassadeurs  royaux  eurent  rempli  leur  mission  et  donné  bien 
des  renseignements  inutiles,  les  deux  prétendants  envoyèrent 
de  leur  côté  en  Castille  des  hommes  sûrs  pour  y  soutenir  leur 
cause.  Urbain  y  envoya  les  deux  savants  jurisconsultes  François 
d'Urbino,  évêque  de  Faenza,  et  François  de  Siclenis,  de  Pavie,  et 
Clément  VII  se  fit  représenter  par  le  cardinal  Pierre  de  Luna. 
Gomme  les  cardinaux  de  Milan  et  de  Florence  prétendaient 
garder  la  neutralité  entre  les  deux  papes,  refusaient  d'aller  soit 
à  Avignon  soit  à  Rome,  mais  s'étaient  rendus  à  Nice,  le  roi  Jean 
leur  députa  l'évêque  de  Zamora  avec  quelques  galères  pour  les 
déterminer  à  se  rendre  en  Castille. Néanmoins  les  deux  cardinaux 
se  contentèrent  de  faire  connaître  aux  ambassadeurs  du  roi 
leurs  sentiments  sur  la  question  de  la  papauté.  Après  ces  préli- 
minaires,le  roi  ouvrit  le  23  novembre  1380,  le  convent  de  Médina 
del  Campo;  mais  il  n'assista  pas  en  personne  aux  séances  ae  cette 
assemblée  à  laquelle  il  avait  convoqué,  sans  compter  les  arche- 
vêques Pierre  de  Tolède  et  Pierre  de  Séville, un  grand  nombre  d'é- 
vêques,  de  nobles  et  de  savants.  Le  même  jour,  Pierre  de  Luna 
prononça  un  long  discours  espagnol  pour  prouver  que  l'élection 
d'Urbain  n'avait  pas  été  libre  et  que  le  bon  droit  se  trouvait  du 
côté  del'antipape.  Deuxjours  plus  tard,le  dimanche25  novembre, 
l'évêque  de  Faenza  prononça  en  faveur  d'Urbain  un  discours  qui 
fut  aussi  fort  long;  ce  discours,  qui  contient  dix-sept  veritates  ou 
faits  incontestables  touchant  l'élection  et  la  reconnaissance  du 
pape  Urbain,  est  parvenu  jusqu'à  nous  ' .  Le  lendemain,  les  ambas- 
sadeurs du  roi  qui  s'étaient  rendus  à  Rome  et  à  Avignon  remirent 

[\)  Dans  xMansi,  t.  XXVI,  p.  670  sqq.—  Mabt.  Thés.  Anecd.  t.  lî,  p.  i033  sqq. 


198      PREMIER  SYNODE  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1378  A  1381. 

une  bulle  qu'Urbain  leur  avait  donnée  après  l'avoir  scellée  de  son 
sceau  ;  elle  contenait  le  mémoire  détaillé  et  appelé  factum  que 
nous  avons  analysé  au  comm-encement  de  ce  volume.  Le  but  de 
ce  document  était  de  prouver  que  le  bon  droit  était  du  côté 
d'Urbain.  De  son  côté,  Pierre  de  Luna  présenta,  le  27  novembre, 
quelques  écrits  en  faveur  de  son  maître  et  une  lettre  écrite  au 
roi  par  l'antipape  le  26  mai  1380%  et  enfin  il  lut  ce  mémoire 
daté  du  2  août  1378  et  fait  par  les  cardinaux  qui  avaient  aban- 
donné Urbain.  Le  4  décembre,  les  ambassadeurs  que  le  roi  avait 
envoyés  à  Rome  et  à  Avignon  firent  part  des  nombreux  témoi- 
gnages qu'ils  avaient  recueillis  de  personnes  de  tout  rang,  et  le 
6  décembre,  dans  une  séance  solennelle,  on  fit  connaître  la  for- 
mule du  serment  qu'avaient  dû  prêter  les  personnes  dont  les 
dépositions  venaient  d'être  communiquées;  puis  on  notifia  la 
nouvelle  formule  du  serment  qui  devait  être  prêté  par  ceux  qui, 
après  avoir  entendu  les  dépositions  des  témoins,  auraient  à 
décider  quel  est  le  pape  légitime.  Vingt-quatre  personnes  étaient 
chargées  de  rendre  cette  décision,  et  parmi  elles  se  trouvaient 
les  archevêques  de  Tolède  et  de  Séville  avec  d'autres  évoques, 
des  chanoines,  des  supérieurs  d'ordres,  des  archidiacres  et  des 
savants.  Une  seconde  commission,  composée  en  partie  des  mêmes 
personnes,  fut  chargée  de  rédiger  les  dépositions  inédites  des 
témoins  suivant  l'ordre  des  questions  et  les  difficultés  à  résoudre; 
elle  reçut  également  la  mission  de  faire  prêter  serment  aux  té- 
moins qu'il  restait  encore  à  entendre.  Ce  double  travail  pour 
recueillir  des  témoignages  se  continua  du  28  décembre  1380 
jusqu'au  mois  de  mai  de  l'année  suivante,  et  on  obtint  de  cette 
manière  plusieurs  dépositions  de  cardinaux  ainsi  que  d'ecclé- 
siastiques et  de  laïques  de  distinction,  notamment  de  Rome,  Les 
commissaires  ayant  ensuite  déclaré,  après  tous  ces  travaux, 
qu'ils  se  prononceraient  pour  Clément,  celui-ci  fut,  dans  la  dé- 
claration royale  du  19  mai  1381  (datée  de  Salamanque)  déclaré 
pape  légitime  et  représentant  du  Christ,  et  toute  la  Gastille  fut 
tenue  de  lui  obéir  ^. 

Le  30  avril  de  cette  même  année  1381 ,  Jean  II  (Jenstein)  arche- 
vêque de  Prague  réunit  un  synode  provincial,  et,  conjointement 
avec  cette  assemblée,  il  publia  un  décret  par  lequel  il  voulait 


(1)  Dans  Mansi,  !.  c.  p,  688  sq.  et  Baluz.  Vitœ  Paparum  Aven.  t.  II,  p.  853  sq, 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  659-690. 


WICLIF  (wICLEF)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.   199 

obliger  le  clergé  des  diocèses  de  Bamberg,  de  Ratisbonne  et  de 
Meissen,  sur  lesquels  il  avait  des  droits  de  juridiction  comme  légat 
du  pape  et  comme  vicaire  du  Siège  apostolique,  à  observer  les 
statuts  de  son  prédécesseur  Arnest.  Il  faisait  allusion  à  la  collec- 
tion commençant  par  ces  mots  :  Rex  magni ficus,  qui  provenait 
du  synode  provincial  de  Prague  de  Tannée  1349  (et  non  pas  de 
l'année  1355);  nous  l'avons  analysée  plus  haut.  A  ces  statuts 
l'archevêque  ajouta  les  sept  prescriptions  suivantes  qui  devaient 
être  obligatoires  pour  les  trois  diocèses. 

1.  Le  jour  de  la  mort  de  S.  Wenceslas  doit  être  célébré  tous 
les  ans  dans  les  trois  diocèses  le  28  septembre  comme  festum 
duplex  ;  il  sera  fêté  religieusement  et  civilement. 

"1.  Les  évêques  de  ces  trois  diocèses  doivent  se  montrer  plus 
zélés  qu'auparavant  dans  la  recherche  des  hérétiques,  devenus 
chez  eux  assez  nombreux,  notamment  des  sarraboytes^  et  des 
paysans  vaudois;  ils  ne  devront  plus  désormais,  pour  des  rai- 
sons d'économie,  s'abstenir  d'instituer  des  inquisiteurs. 

3.  Ils  s'empareront  de  tous  ceux  qui  dans  leur  district  s'em- 
ploient pour  l'antipape  Clément. 

4.  On  ne  doit  ni  fonder  ni  doter  des  bénéfices  ecclésiastiques 
avec  de  l'argent  qui  proviendrait  de  l'usure,  par  exemple  qui 
proviendrait  d'intérêts. 

5.  On  ne  doit  accorder  à  aucun  moine  une  église  paroissiale, 
à  l'exception  des  chanoines  réguliers  et  des  bénédictins. 

6.  Les  moines  ne  doivent  pas  s'occuper  d'affaires  temporelles. 

7.  Les  supérieurs  ecclésiastiques  doivent  surveiller  leurs  in- 
férieurs, avoir  soin  en  particulier  que  les  clercs  ne  vivent  pas 
avec  des  concubines  et  qu'ils  instruisent  les  laïques  dans  la 
connaissance  du  Notre  Père  et  du  Symbole  ^. 

§  729. 

WICLIF   (wICLEF)   et   LES   SYNODES    TENUS   A   SON   OCCASION   EN    1382. 

Deux  synodes  anglais  se  tinrent  en  1382,  à  l'occasion  des 
discussions  soulevées  par  Wiclif  ^ 

(1)  Dans  l'antiquité  chrétienne,  on  donnait  déjà  ce  nom  aux  moines  vaga- 
bonds; probablement  l'avait-on  donné  de  nouveau  aux  fraticelles  et  aux 
flagellants,  qui  allaient  de  droite  et  de  gauche. 

(2)  Mansi,  I.  c.  p.  690  sqq.  —  IIarzeedi,  Concil.  Germ.  t.  IV,  p.  524  sqq.  — 
HÔFLER,  Concilia  Pragensia,  1862,  p.  25  sqq. 

(3)  Voici  les  principaux  ouvrages  touchant  les  questions  se  rattachant  à 


200      WICLIF  (vICLEF)  et  les  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382. 

Jean  Wiclif  estné  en  1324  dans  le  village  de  Wiclif  près  d'York 
(de  là  son  nom).  Il  étudia  avec  succès  à  Oxford  la  philosophie  et 
la  théologie  et,  dès  l'année  1356,  on  raconte  qu'il  publia  un  écrit 
«  sur  les  derniers  temps  de  l'Église  »  [the  last  ageofthe  Church). 
Il  s'y  rallia  aux  idées  de  Joachim  de  Flore  et  y  dénonça  avec 
une  grande  ardeur  des  abus  soit  réels,  soit  imaginaires.  Quoique 
l'authenticité  de  ce  travail  (il  a  été  imprimé  à  Dublin  en  1841) 
ait  été  mise  en  question,  on  peut  dire,  sans  hésiter,  que  Wiclif  a 
fait  partie  de  ces  hommes  qui,  navrés  à  la  vue  des  côtés  faibles  de 
leur  époque,  aspirent  avec  les  meilleures  intentions  du  monde 
à  une  réforme  de  l'Éghse,  mais  ne  suivent  pas  la  voie  qu'il  faut 
suivre  pour  y  parvenir.  Mécontent  de  voir  que  l'esprit  mondain 
avait  envahi  rÉglise,ilvoulut,sans  tenir  compte  des  modifications 
que  le  temps  avait  nécessairement  introduites  et  sans  avoir  égard 
aux  circonstances,  revenir  à  la  pauvreté  apostolique  et  interdire 
aux  différents  degrés  delà  hiérarchie  ecclésiastique  la  possession 
de  biens  terrestres.  D'après  lui,  la  pauvreté  devait  être  la  loi  indis- 


Wiclif  :  1)  Walsingham,  Thomas  (bénédictin  à  Saint- Alban,  au  xv«  siècle) 
Bistoria  anglicana,  éd.  Henry  Thomas  liiley,  London,  1863,  2  vol.  (dans  la 
collection  Rerum  britannicarum  medii  œvi  Scriptores).  2)  Knygthon  Henricus 
(chanoine  à  Leicester,  contemporain  de  Wichf),  De  eventibm  Àngliœ    etc 
dans  TwiSDEN,  Script,  hist.  Anglic.  t.  II,  p.  2644  sqq.  3)  Fasciculi  zizanorimn 
Magistn  Johanms  Wyclif  cum  tritico,àom-iés  comme  étant  de  Thomas  Neiter 
OF  Walden,  provincial  des  Carmes  en  Angleterre  et  conlessem-  d'Henri  V  et 
édités  en  185-,  par  Shirley,dans  celte  même  collection,  Rerum  hritannic.   etc 
(Ce  recueil  renferme  plusieurs  petits  écrits  de  Wichf  et  de  ses  adversaires' 
ainsi  que  plusieurs  noticeshistoriques;aussipeut-ons'enservir  pour  combler 
plusieurs  lacunes  existant  jusqu'ici  dans  la  vie  de  Wiclif.)  4)   The  life  and 
opinions  of  John  de  Wicliffe  (ce  travail  met  à  profit  plusieurs  manuscrits  etc 
de  Wichf,  encore  inédits),  par  Robert  Vaughan,  2«  édit.  Londres   1831  ''>  vo- 
lumes in-8°,  avec  le  portrait  de  Wichf  et  un  appendice  de  pièces  iustifica- 
tives.  5)  Gronemann,  Diatribe  in  J.  W.  reformalionis  prodromi  vitam   i7iqenium 
^&!'-J,''^"^^''^\\^'V •  ^)  Lewald,  Dr.  Ernst.  Anion,  die  Iheoloq.  Doct'nn.  Johann, 
Wich/fes,  m  Niedners  Zeitschr.  f.  hislor.  Theol    1846  et  1847    7)   Lechler 
AViclif  und  die  Lollarden  in  Niedners  Zietschr.  1853  et  1854   8)  Jâger  Oskar' 
Joh.  Wychffe  und  seine  Bedeutung  fur  die  Reformation,  Halle  18o4  (ouvragé 
couronné  par  la  faculté  de  théologie  protestante  de  Tubingue)  "■)]  Lechler 
Wichf  als  Vorlaùier  der  Reformation.  Antrittsvorlesung.  Leipzi"-  1858   Les 
nombreux  écrits  de  Wichf  n'ont  jamais  été  réunis  et  surtout  n^ont  iamais 
été  complètement  imprimés.  Son  principal  ouvrage  Trialogus  a  paru  en 
1525  a  Raie  (probablement)  et  en  1753  à  Francfort  et  à  Leipzio-  le  Wicket 
(petite  porte,  allusion  au  texte  (étroite  est  la  porte  etc  ),  à  Nurember"-  en 
1546,  cà  Oxford  en  1612,  d'autres  ouvrages  ailleurs.  Le    Traclatm  de  officio 
paslorah  a  ete  publie  par  Lecnler  d'après  un  Codex  de  Vienne  Lip'sitD  1863 
Sr  J.iio^era  dans  Vaughan  1,  c   T  II.  p.  3^0-3-^2.  une  liste'des  écrits  de 

w-  1  ;  w°  1  P°^wPr%  ''''°"'  de  1  hérésiarque  varie,  on  trouve  tour  à  tour 
Wichf,  Wyclif,  Wichffe. 


WICLIF  (vICLEF)  et  les  SYNODES  TtîNUS  A  SON  OCCASION  EN  1882.      201 

pensable  de  tous  les  clercs  de  tous  les  temps,  et  sur  ce  point  il 
était  d'accord  avec  les  ordres  mendiants,  qu'il  haïssait  cependant 
de  toute  son  âme.  11  était  dans  le  vrai  lorsqu'il  se  plaignait  de 
ce  que  la  vie  religieuse  était  devenue  une  question  de  forme 
extérieure  et  lorsqu'il  insistait  sur  la  nécessité  de  la  piété  inté- 
rieure, de  la  foi,  de  l'humilité,  du  baptême  et  de  la  circoncision 
de  l'àme,  etc.;  mais  en  poursuivant  cet  idéal  d'une  transfor- 
mation inlerne,  il  céda  trop  à  un  subjeclivisme  plein  de  dangers 
qui  minait  l'autorité  ecclésiastique  et  mettait  en  péril  l'ordre 
ecclésiastique  et  social. 

"Wiclif  se  fît  remarquer  à  partir  de  1360,  comme  membre  de 
l'université  d'Oxford,  dans  sa  lutte  contre  les  moines  mendiants; 
il  se  plaignit  amèrement  des  empiétements  de  ces  moines  dans 
l'université.  Peu  de  temps  après  Islep,  archevêque  de  Cantor- 
béry,  nomma  Wiclif  supérieur  du  collège  de  Gantorbéry  Hall 
qu'il  venait  de  fonder  à  Oxford.  Mais  Islep  étant  venu  à  mourir 
en  1365,  son  successeur  réintégra  les  moines  dans  le  collège  où 
ils  étaient  auparavant.  Wiclif  perdit  sa  place  et  intenta  aussitôt 
un  procès  aux  moines  par-devant  la  curie  d'Avignon. 

Après  de  longs  débats  il  perdit  son  procès  en  1370. Déjà,  avant 
cette  époque,  Wiclif  avait  commencé  une  polémique  contre  la 
papauté,  en  s'appuyant  sur  les  idées  nationales  anglaises.  Depuis 
trente-trois  ans,  le  tribut  de  mille  marcs  d'argent  que  l'Angle- 
terre payait  à  Rome  par  suite  de  la  convention  conclue  par  Jean- 
sans-Terre,  n'avait  pas  été  prélevé.  Urbain  V  le  redemanda  en 
1 365  au  roi  Edouard  Ilî,  et  menaça  d'intenter  unprocès  pour  faire 
payer  rarriéré;  mais  le  parlement  déclara,  au  mois  de  mai  1366, 
que  Jean-sans-Terre  n'avait  pas  eu  de  pouvoir  pour  accepter 
une  pareille  convention  sans  l'assentiment  des  États,  et  il  ajouta 
que  le  roi  actuel  manquerait  à  son  serment  et  compromettrait 
l'indépendance  de  l'État,  s'il  s'inclinait  devant  une  telle  récla- 
mation. Wiclif  défendit  avec  une  grande  énergie  cette  décision 
du  parlement  contre  un  moine  mendiant,  et  à  cette  occasion  il 
émit  pour  la  première  fois,  mais  non  sans  une  certaine  hésitation, 
sa  thèse  favorite,  que  le  pouvoir  civil  avait  le  droit  d'enlever  au 
clergé  ses  biens  temporels  lorsque  celui-ci  en  abusait.  Il  fut 
nommé  alors  chapelain  du  roi  et,  en  1372,  docteur  en  théologie  et 
professeur  de  cette  science. 

En  1374,  nous  le  retrouvons  membre  de  cette  ambassade 
royale  qui  s'aboucha  à  Bruges  avec  les  nonces  de  Grégoire  XI, 


202     wicLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

pour  empêcher  la  cour  pontificale  de  donner  des  bénéfices  an- 
glais (on  les  donnait  même  à  des  Italiens  ou  à  des  absents). 
Wiclif  fut,  à  cette  époque,  félicité  par  le  pape  pour  ses  mérites 
et  ses  mœurs  irréprochables;  à  la  même  époque,  Jean,  duc  de 
Gent-Lancaster  et  fils  d'Edouard  III,  commença  à  s'occuper  de 
Wiclif,  l'engagea  à  pousser  plus  loin  dans  la  voie  où  il  s'enga- 
geait et  lui  procura,  outre  sa  charge  de  professeur,  la  productive 
paroisse  de  Lutterv/orth,  dans  le  comté  de  Leicester  (1375). 
A  partir  de  ce  moment,  "Wiclif  utilisa  les  chaires  de  professeur  et 
de  curé  pour  attaquer  avec  violence  les  demandes  d'argent 
faites  par  les  papes,  ainsi  que  les  biens  temporels  et  terrestres 
de  l'Église.  Il  n'épargna  ni  les  ordres  mendiants  ni  le  clergé 
séculier,  et  il  opposa  à  ce  dernier  «  ces  pauvres  prêtres  »  sorte 
de  prédicateurs  ambulants  qui,  revêtus  de  soutanes  d'une  étoffe 
d'un  rouge  brun  et  grossières,  couraient  les  campagnes  et  ré- 
pandaient dans  le  peuple  les  idées  de  Wiclif,  on  les  appela  plus 
tard  les  Lollhards. 

A  la  requête  de  l'énergique  évêque  de  Londres,  Guillaume  de 
Gourtnay,  fils  du  comte  de  Devonshire,  Wiclif  fut  mandé  à 
comparaître,  le  19  février  1377,  par-devant  le  tribunal  ecclésias- 
tique. Le  duc  de  Gent-Lancaster  et  le  grand  maréchal  Henry 
Percy  accompagnèrent  l'accusé  à  la  séance.  Ce  fut  en  vain  que 
l'évêque  de  Londres  protesta  contre  cette  intervention  illégale 
du  maréchal,  qui  voulait  tout  régler  dans  la  séance  comme  s'il 
s'agissait  d'une  fête  de  la  cour,  et  qui,  au  mépris  de  toute  tradi- 
tion, présenta  un  siège  à  l'accusé.  Lorsque  l'évêque  de  Londres 
fît  ces  observations,  le  duc  de  Gent-Lancaster  lui  cria  d'un  ton 
menaçantqu'ille  traînerait  par  les  cheveux  hors  de  l'église  s'il  ne 
cédait.  Quoique  partageant  sur  divers  points  les  opinions  de 
Wichfjles  bourgeois  de  Londres  qui  haïssaient  le  duc,  éclatèrent 
alors  en  violent  tumulte  et  l'auraient  massacré  si  l'évêque  ne 
s'était  entremis.  On  ne  décida  rien  sur  Wiclif  et  le  faible  arche- 
vêque de  Gantorbéry  Simon  de  Sudbury  se  contenta  de  lui 
imposer  silence,  ainsi  qu'à  tous  les  autres,  touchant  les  points 
controversés  *.  Gomme  toujours,  ce  silence  ne  fut  pas  gardé  et 
les  ennemis  de  Wiclif  envoyèrent  au  pape  dix-neuf  propositions 
extraites  de  ses  leçons,  de  ses  écrits  et  de  ses  sermons.  En  re- 
tour, Grégoire  XI  expédia  le  22  mai  1377  de  Rome  où  il  était 


(1)  Walsingham,  1.  c.  1. 1,  p.  325.  —  Pauli,  Gesch.  v.  Engl.  M.  IV,  S.  497. 


wicLiF  (yiclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382.     203 

revenu  au  mois  de  janvier  1377,  plusieurs  bulles  adressées  au 
roi  d'Angleterre,  à  l'université  d'Oxford,  aux  évêques'de  Gan- 
torbéry  et  de  Londres  ;  ce  dernier  reçut  même  trois  lettres 
portant  la  même  date  *.  L'une  de  ces  lettres  contenait  en  apen- 
dice  une  copie  des  dix-neuf  articles  incriminés.  Voici  les  plus 
importants  de  ces  articles. 

1.  L'humanité  tout  entière,  le  Christ  excepté,  n'a  pas  le 
pouvoir  de  prescrire  que  Pierre  et  sa  famille  possèdent  à  tout 
jamais  un  pouvoir  temporel  ^. 

2.  Dieu  lui-même  ne  peut  donner  à  tout  jamais  une  princi- 
pauté temporelle  à  un  homme  et  à  ses  descendants. 

4.  Celui  qui  reste  fidèle  à  la  grâce  possède,  non-seulement  de 
droit,  mais  de  fait  tous  les  dons  de  Dieu  (c'est-à-dire  que  toute 
puissance  temporelle,  tous  les  biens,  tous  les  droits  dépendent 
de  l'état  de  grâce  et  de  vertu  où  l'on  se  trouve). 

6.  S'il  est  un  Dieu,  les  seigneurs  temporels  de  l'Église  ont 
le  droit  d'enlever  à  cette  Église  les  biens  temporels,  si  elle  vient 
à  pécher,  et  cette  confiscation  est  même  méritoire. 

7.  C'est  aux  princes  temporels  à  décider  si  l'Église  a  péché  de 
façon  à  autoriser  cette  confiscation. 

11 .  La  malédiction  et  l'excommunication  ne  peuvent  atteindre 
que  si  elles  sont  prononcées  contre  un  ennemi  du  Christ. 

13.  Les  disciples  du  Christ  n'ont  pas  le  pouvoir  d'employer 
les  peines  spirituelles  à  obtenir  des  biens  temporels. 

14.  Lorsque  le  pape  ou  un  autre  croit  lier  ou  délier,  il  ne  s'en 
suit  pas  que  cela  soit  vrai  et  que  la  personne  soit  liée  ou  déliée. 

15.  En  effet,  pour  lier  ou  pour  délier  il  faut  avant  tout  se 
conformer  à  la  loi  de  Dieu. 

16.  Tout  prêtre  légitimement  ordonné  a  le  pouvoir  d'admi- 
nistrer tous  les  sacrements,  par  conséquent  d'absoudre  toute 
personne  ayant  des  sentiments  de  contrition. 

19.  Tout  supérieur  ecclésiastique,  sans  excepter  le  pape,  peut 
être  légitimement  blâmé  et  mis  en  accusation  par  son  inférieur, 
voir  même  par  des  laïques  ^. 


(1)  Walsingham,  1.  c.  p.  346-353.  —  Raynald,  1377,  4.  —  Mansi,  t.  XXVI, 
p.  562-566.  —  Haed.  t.  VII,  p.  1867-1871.—  Vaughan,  Tlie  life  and  opinions  of 
John  de  Widiff'e,  1. 1  ;  Append.  Nr.  xr-xv  incl. 

(2)  Dans  quelques  copies  on  ne  trouve  pas  le  mot  in  perpetuum,  mais  Wi- 
clif  attacha  alors  de  l'importance  à  ce  mot. 

(3)  Walsingham,  1.  c.  p.  353  sqq. —  Argentré,  Collectio  judiciorum,  1. 1,  P.  II, 
p.  3.  —  Mansi,  1.  c.  p.  565.  — •  Hard.  1.  c.  p.  1870  sq. 


204    wiCLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

Dans  ces  mêmes  lettres,  le  pape  blâme  la  négligence  des  évo- 
ques anglais  qui  n'avaient  pas  étouffé  l'hérésie  dans  son  berceau. 
Certaines  propositions  de  Wiclif  étaient  erronées  et  fausses,  de 
plus  dangereuses  pour  l'état  de  l'Église;  elles  n'étaient  en  partie 
que  la  répétition  des  erreurs  de  Marsile  de  Padoue  et  de  Jean 
Janduno,  déjà  condamnées  par  le  pape  Jean  XXII.  Ils  (c'est  à- 
dire  les  évêques  de  Cantorbéry  et  de  Londres)  devaient  s'empa- 
rer de  Wiclif,  l'interroger  sur  le  sens  qu'il  donnait  à  ses  propo- 
sitions, envoyer  à  Rome  ses  explications  et  le  retenir  en  prison 
jusqu'à  ce  que  fussent  arrivées  de  nouvelles  instructions  du 
pape.  Si  cela  était  nécessaire,  ils  devaient  appeler  à  leur  secours 
le  bras  séculier  et  casser  toutes  les  appellations  ainsi  que  toutes 
les  autres  fins  de  non-recevoir  qui  pourraient  être  imaginées  par 
Wiclif.  S'il  n'était  pas  possible  de  l'appréhender  au  corps,  on 
devait  le  citer  publiquement  à  comparaître  par-devant  le  pape 
dans  le  délai  de  trois  mois  et  représenter  au  roi  et  à  toute  la 
cour  que  les  propositions  de  Wiclif  mettaient  aussi  en  péril 
l'ordre  civil. 

Le  roi  Edouard  III  mourut  le  21  juin  1377,  précisément  au 
moment  où  les  bulles  arrivèrent  en  Angleterre,  Ce  fut  un 
excellent  prince;  mais  malheureusement  dans  les  dernières 
années  de  sa  vie  Alice  Perrers,  qui  le  domina  absolument,  se 
permit  toutes  sortes  d'empiétements  sur  le  gouvernement  et  ne 
laissa  même  pas  son  amant  penser  à  la  mort.  On  raconte  que 
lorsque  le  prince  fut  sur  le  point  de  rendre  le  dernier  soupir, 
Alice  lui  arracha  les  bagues  qu'il  avait  aux  doigts  et  s'enfuit 
emportant  tous  ses  bij  oux  ;  toutefois  un  prêtre  eut  encore  le  temps 
de  faire  baiser  la  croix  au  mourant  et  de  lui  donner  l'absolution  ^ . 
La  couronne  revint  à  Richard  II,  le  fils  encore  mineur  de  ce 
Prince  Noir  qui  était  mort  le  8  juin  1376;  aussi  le  pouvoir  tomba- 
t-il  entre  les  mains  du  duc  de  Gent-Lancaster,  oncle  de  Richard. 
Rien  de  surprenant  donc  si  Wiclif  ne  fut  pas  emprisonné.  Nous 
voyons  au  contraire  qu'on  lui  demande,  au  nom  du  roi  et  du 
parlement,  une  consultation  pour  savoir  s'il  était  permis  de 
défendre  l'exportation  de  l'argent  hors  du  royaume ,  même 
dans  le  cas  où  le  pape  menace  d'employer  les  censures  ecclésias- 
tiques. Cette  consultation  se  trouve  dans  l'ouvrage  déjà  cité 
Fasciculi  Zizanioriim,^.  258-271,  etle  titre  qu'elle  porte  Qiiœsi- 

(1)  Walsingiiam,  I.  c.  p.  327. 


WICLIF  (vICLEf)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      205 

tumper  regem  Ricardum...anno  regni  sui  primo,  montre  combien 
Lechler  avait  lort  en  plaçant  cette  consultation  sous  le  règne 
d'Edouard  III  ^  Wiclif  prouva  par  la  raison,  par  la  Bible  et  par 
la  conscience  que  le  gouvernement  anglais  était  tenu  à  une 
pareille  défense,  et  qu'il  n'avait  pas  à  s'occuper  des  censures  du 
pape,  que  Wiclif  appelle  à  cette  occasion  le  disciple  de  l'Anté- 
christ, Antichristi  discipulus.  Wiclif  chercha  en  même  temps  à 
gagner  à  ses  idées  les  théologiens,  en  défendant  sous  le  voile  de 
l'anonyme  ses  dix-neuf  propositions  ^,et  les  évêquesde  Cantor- 
béry  et  de  Londres  se  contentèrent  de  charger,  le  18  dé- 
cembre 1377,  le  chancelier  de  l'université  d'Oxford  de  prendre 
l'avis  des  plus  savants  docteurs  de  l'Université  touchant  les 
propositions  de  Wiclif,  et  d'annoncer  à  ce  dernier  qu'il  eût  dans 
le  délai  de  trente  jours  à  comparaître  dans  l'église  de  Saint-Paul 
de  Londres,  par-devant  les  deux  évêques  ou  leurs  représen- 
tants^. 

La  comparution  eut  lieu,  en  effet,  au  commencement  de 
l'année  1878,  non  pas  dans  l'église  Saint-Paul  de  Londres,  mais 
dans  la  chapelle  de  Lambeth,  maison  de  campagne  de  l'arche- 
vêque, située  non  loin  de  Londres.  Le  duc  de  Gent-Lancaster  et 
le  grand  maréchal  ne  vinrent  pas,  cette  fois,  en  personne,  pour 
défendre  Wiclif;  mais  en  revanche  le  chevalier  Louis  Glifford, 
de  la  cour  de  la  princesse  Jeanne  mère  du  jeune  roi,  osa  dé- 
fendre aux  évêques  de  procéder  contre  Wiclif;  il  parlait  pro- 
bablement au  nom  de  sa  maîtresse,  qui  aimait  les  nouveautés. 
D'un  autre  côté,  comme  beaucoup  de  bourgeois  de  Londres  qui 
s'étaient  introduits  dans  la  chapelle  manifestèrent  hautement 
leurs  sympathies  pour  Wiclif,  les  prélats  se  contentèrent  d'exiger 
de  Wiclif  une  explication  à  peu  près  sufEsante  sur  ses  propo- 
sitions, et  ils  le  renvoyèrent  en  lui  recommandant  d'éviter  à 
l'avenir  les  expressions  pouvant  induire  en  erreur  les  igno- 
rants ^.  Cette  explication  de  Wiclif  est  parvenue  jusqu'à  nous 
dans  deux  textes  différents  l'un  de  l'autre  ^  ;  elle  est  un  peu  plus 


(1)  Leghler,  Wiclif  als  Yorlœufer,  1858,  S.  11. 

(2)  Fasciculi  zizaniorum,  etc.,  p.  481-492. 

(3)  Mansi,  1.  c.  p.  566  sqq.  —  îIard.  1.  c.  p.  1871  sq. 
(4J  Walsingham,  I.  c.  p.  356.  —  Pauli,  a.  a.  0.  S.  513. 

(5)  Le  texte  le  plus  long  se  trouve  dans  Walsingham,  1.  c.  p.  357;  le  plus 
court  dans  les  Fasciculi  maniorum,  1.  c.  p.  245  sqq.  et  dans  Vaughan,  1.  c. 
Append.  Nr.  xyi. 


206     wicLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

ancienne  que  le  violent  écrit  contre  le  mixtim  theologus  ^  et 
commence  par  la  protestation  que  fait  Wiclif  qu'il  est,  qu'il 
restera  toujours  un  vrai  chrétien,  et  qu'il  rétracte  humblement 
ce  qu'il  aurait  pu  avancer  d'erroné.  Son  unique  but  était  d'expli- 
quer les  propositions  qu'on  lui  avait  reprochées  et  il  était  prêt 
du  reste  à  les  rétracter  si  elles  étaient  erronées. 

Touchant  les  n°*  i  et  2  il  dit  :  Tout  pouvoir  civil  est  par 
sa  nature  même  temporaire,  et  doit  cesser  lors  du  retour 
du  Christ;  aussi  Dieu  n'a  pas  plus  que  l'homme  le  pouvoir  de 
confier  à  tout  jamais  un  pouvoir  temporel.  Raisonnement  sophis- 
tique. A  l'égard  du  n°  4,  Wiclif  veut  s'appuyer  sur  cette  parole 
du  Christ  dans  S.  Matth.,  24,  47  :  super  omnia  bona  sua  constitues 
ewm;  commentaire  sans  valeur.  On  peut  en  dire  autant  de  l'expli- 
cation touchant  le  n°  6  :  si  Dieu  est,  il  est  tout-puissant  ;  s'il 
est  tout -puissant,  il  peut  prescrire  aux  princes  temporels  de 
prendre  à  TÉgiise  ses  biens,  et  s'il  l'a  prescrit,  les  princes  sont 
dans  le  droit  en  le  faisant.  Il  ajoutait  encore  que  sa  pensée 
n'était  pas  du  tout  que  les  princes  pussent  agir  de  cette 
façon,  suivant  leur  bon  plaisir,  et  qu'il  suffise  de  leur  propre 
autorité  pour  piller  l'Église.  Cela  ne  pouvait  se  faire  que  in 
casibus  et  forma  limitatis  a  jure.  Il  passa  sous  silence  le  délicat 
n°  7  :  aussi  sa  déclaration  n'a-t-elle  que  18  n°';  ce  qu'il  dit  tou- 
chant les  n°'  11,  13,  14  et  15  est  plus  sensé;  concernant  le  n°  16,  1 
il  avoue  que  le  pouvoir  des  clercs  inférieurs  a  été  limité  avec 
raison,  mais  il  ajoute  qu'il  n'y  a  pas  d'ordre  supérieur  à  celui  de 
la  prêtrise.  Enfin,  touchant  le  n°  19  Wiclif  prétend  que  le  pape 
peut  commettre  des  péchés,  à  l'exception  toutefois  des  péchés 
contre  le  Saint-Esprit^.  Aussi  est-il  soumis  à  la  loi  delà cor- 
reptio  fraterna,  et  si  ce  droit  n'est  pas  mis  à  exécution  par  le 
clergé,  il  passe  au  reste  du  corps  de  l'Église,  c'est-à-dire  aux 
laïques.  Dès  que  Wiclif  se  vit  de  nouveau  en  liberté,  il  continua 
à  répandre  ses  principes  en  les  accentuant  le  plus  possible,  et  il 
combattit  notamment  dans  une  série  de  thèses  les  possessions  de 
l'Église  ^  Le  schisme  qui  venait  précisément  de  naître  lui  fournit 
l'occasion  d'attaquer  la  papauté,  ce  qu'il  fit  dans  son  écrit  de 
papa  romano  ou  schisma  papœ.  «  Voici  le  temps  propice,  s'écrie- 


1)  LiiNGARD,  Histoire  cV Angleterre,  t.  IV,  p.  220.  —  Pauli,  a.  a.  0.  S.  514. 

2)  Cette  ackUtion  ne  se  trouve  que  dans  le  texte  le  plus  long. 
(3)  Walsinguam,  1.  c.  p.  363  sq. 


WICLEP  (vICLEF)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.   207 

t-il;  comptez  sur  le  secours  du  Christ,  qui  a  déjà  partagé  en  deux 
la  tète  de  l'Antéchrist  et  qui  a  amené  ces  deux  parties  à  se  com- 
battre par  les  armes  ^  »  Alors  parurent  les  traductions  anglaises 
de  la  Bible  par  Wiclif  (1380).  Elles  furent  faites  d'après  la  Vulgate 
et  avec  le  secours  des  commentaires  de  S.  Jérôme,  de  Nicolas 
de  Lira  et  d'autres  auteurs;  mais  Wiclif  laissa  de  côté  non-seule- 
ment les  livres  apocryphes,  mais  aussi  les  livres  deutéro-cano- 
niques  *.  Wiclif  soutint  en  même  temps  que  la  BilDle  était  l'unique 
source  de  l'enseignement  chrétien,  et  que  tout  au  moins  le 
Nouveau  Testament  était  intelligible  pour  chaque  personne.  Ces 
théories  tout  à  fait  protestantes  causèrent,  on  le  devine,  une 
grande  émotion,  et  l'on  regarda  comme  dangereux  de  mettre 
entre  les  mains  de  tout  le  monde  et  surtout  des  ignorants  la 
Bible  entière,  sans  aucune  note  explicative.  Il  se  peut  que  les 
autres  ecclésiastiques  anglais  de  cette  époque  n'aient  pas  rendu 
les  laïques  assez  familiers  avec  la  Bible,  mais  Wiclif  tombait 
dans  un  autre  extrême  en  demandant  une  connaissance  absolue 
et  sans  ménagement,  dangereuse  par  conséquent,  de  toute  la 
Bible,  et  il  alla  jusqu'à  soutenir  qu'au  point  de  vue  des  connais- 
sances logiques  et  des  connaissances  grammaticales  la  Bible  en 
enseignait  plus  que  tout  autre  livre  ^. 

Wiclif  fit,  l'année  suivante,  c'est-à-dire  en  1381,  un  nouveau 
pas  bien  considérable  encore  dans  sa  carrière  d'hérétique  :  il 
attaqua  alors  dans  ses  leçons  la  doctrine  de  l'Église  sur  l'Eucha- 
ristie et  développa  des  thèses  contre  cette  doctrine.  D'après 
lui,  le  changement  d'une  substance  en  une  autre,  et  la  persis- 
tance des  accidents  lorsque  le  sujet  n'existait  plus,  étaient 
de  pures  impossibilités,  des  propositions  hérétiques  et  des 
inventions  tout  à  fait  sataniques.  Il  ajoutait  que  si,  comme  le 
prétendaient  les  moines,  Innocent  IK  avait  soutenu  cela,  on 
devait  en  conclure  qu'il  était  insensé.  Aussi  Wiclif  ne  cesse-t- 
il  de  répéter  sur  tous  les  tons  que  la  substance  du  pain  et  du 
vin  existe  encore  après  la  consécration,  et  que  cette   consécra- 


fl)  Vaughan,  t.  II,  p.  5. 

(2)  Wiclif  ne  plaça  dans  le  premier  canon  que  les  vingt-deux  livres  déjà 
énumérés  par  S.  Jérôme.  Cf.  Vaughan,  1.  c.  t.  II,  p,  50.  Le  Nouveau  Testament 
de  cette  traduction  de  Wiclif  a  été  imprimé  à  Londres  en  1731,  1810,  1841, 
1848;  la  Bible  tout  entière  l'a  été  en  1850,  à  Oxford,  en  4  volumes  in-4°. 
Voyez  la  notice  qui  vient  après  les  Fascic.  zizan.  1.  c.  p.  530. 

(3)  Nkander,  kg.  Bd.  VI,  Thl.  XI,  S.  197. 


203   WICLIF  (VICLEF)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382. 

tion  n'est  pas  l'anéantissement,  mais  seulement  la  sanctifica- 
tion de  la  substance.  Wiclif  s'exprime  parfois,  à  cette  occasion, 
comme  s'il  admettait,  ainsi  que  Luther,  une  impanation,  mais 
en  réalité  il  ne  partage  pas  ce  sentiment  et  ne  veut  voir  dans  le 
pain  et  dans  le  vin  qu'un  symbole  du  corps  et  du  sang  du  Christ. 
De  même,  dit-il,  que  Jean-Baptiste  a  été  appelé  Élie  dans  un 
sens  figuré, de  même  le  pain  et  le  vin  sont  figurativement  appelés 
le  corps  et  le  sang  du  Christ.  Le  pain  et  le  vin  ne  sont  pas 
simplement  des  signes  figuratifs;  ce  sont  des  signes  réels,  dans 
ce  sens  qu'ils  unissent  réellement  avec  le  Christ  le  chrétien 
animé  de  piété,  et  par  conséquent  ils  sont  réellement  jusqu'à 
un  certain  point  ce  qu'ils  représentent,  Wichf  reconnut  qu'il 
marchait  sur  les  traces  de  Béranger;  aussi  osa-t-il  déclarer  que 
la  doctrine  de  celui-ci  était  tout  à  fait  identique  à  celle  de 
l'Église  primitive. 

Tout  en  se  montrant  très-ferme  dans  sa  négation  de  la  trans- 
substantiation, c'est-à-dire  dans  la  partie  négative  de  sa  doctrine, 
Wiclif  était  très-indécis  lorsqu'il  s'agissait  d'émettre  une  doc- 
trine positive,  c'est-à-dire  de  définir  le  rapport  existant  entre 
le  pain  et  le  vin  consacrés  et  le  corps  et  le  sang  du  Christ.  Il  ne 
veut  pas  rejeter  la  proposition  usitée  par  l'Église  :  «  la  sainte 
hostie  est  le  corps  du  Christ;  »  il  emploie  même  cette  formule; 
mais  il  ajoute  qu'on  ne  devait  pas  s'imaginer  que  le  corps  du 
Christ  descendait  du  ciel  sur  l'hostie,  on  devait  croire  qu'il  restait 
dans  le  ciel.  Toutefois  il  était  dans  l'hostie  d'une  certaine  ma- 
nière [habitudinaliter],  il  remplissait  chaque  point  de  l'hostie;  il 
était  donc  à  proprement  parler  l'hostie  elle-même  et  cela  de 
trois  façons  :  virtualiter^  spiritualiter  et  sacranientaliter^  tandis 
qu'il  était  àdJi?>\Q  c\q\  substantialitei\  corporaliter et  dimentiona- 
liter  ' . 

Le  chancelier  de  l'université  d'Oxford,  Guillaume  Berton,  se 
hâta  de  dénoncer  comme  hérétiques  les  propositions  de  Wiclif 
touchant  la  sainte  Eucharistie  et  il  défendit  sous  des  peines 
sévères  qu'on  les  enseignât  dans  les  écoles.  Son  décret  fut 
contre-signe  par  douze  professeurs  et  magistri  d'Oxford,  parmi 
lesquels  se  trouvaient  huit  moines'^.  Cette  décision  fut  commu- 

(1)  Voyez  les  passages  cités  clans  Gieseler,  KG.  Bd.  II,  Abth.  3,  S.  297 
1.  Aufl.)  —  Neanuer,  a.  a.  0.  S.  197  ff. 

(2)  Fascic.  zizan  1.  c.  p.  110-113.  —  Aroenïré,  1.  c.  p.  11-14.  —  Wansi,  L  c. 
p.  718  sqq.  Parmi  les  professeurs  clercs  séculiers  qui  contre-signèrent  l'édit 


w 


WICLIF  (vICLEF)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      209 

niquée  à  Wiclif  pendant  qu'il  était  en  chaire  ;  il  déclara  aussitôt 
que  l'acte  du  chancelier  était  de  nulle  valeur,  et  il  en  appela  non 
pas  au  pape  ou  à  l'évêque,  mais  au  roi  Richard,  et  il  ne  tint  pas 
compte  des  admonestations  du  duc  de  Gent-Lancaster,  qui  lui 
prescrivit  de  se  taire  sur  ce  point  *.  Le  duc  avait  vu  avec  plaisir 
Wiclif  défendre  contre  le  pape  les  droits  de  la  couronne,  'mais 
il  ne  voulait  pas  tolérer  une  attaque  contre  le  dogme.  Wiclif 
publia  alors,  le  10  mai  1381 ,  pour  se  défendre,  cette  profession  de 
foi  rédigée  en  latin  ^  que  l'on  croyait  jusqu'ici  avoir  été  publiée 
seulement  lors  du  synode  d'Oxford  du  mois  de  novembre  1382. 
Mais  la  date  du  10  mai  1881  se  trouve  très-hsiblement  dans  un 
manuscrit  delà  Bodleyenne^.  A  la  même  époque,  Wiclif  com- 
posa son  ouvrage  anglais,  Wicket  (petite  porte),  dans  lequel  il 
s'efforça  de  faire  accepter  par  le  peuple  sa  doctrine  sur  l'eucha- 
ristie ^.  Mais  alors  aussi  parurent  contre  Wiclif  plusieurs  écrits 
rédigés  avec  talent  et  destinés  à  défendre  la  doctrine  de  l'Église 
sur  le  sacrement  de  l'autel  ^ 

Dans  l'été  de  1381,  éclata  dans  plusieurs  provinces  de  l'Angle- 
terre une  violente  guerre  de  paysans,  une  révolte  de  tous  les 
pauvres  et  de  tous  les  inférieurs  contre  les  seigneurs  et  contre 
tous  les  riches  et  les  puissants.  Notre  tâche  n'est  pas  d'examiner 
quelles  furent  les  charges  intolérables  et  les  corvées  qui  occasion- 
nèrent ces  séditions  et,  d'un  autre  côté,  il  est  difficile  de  dire  jus- 
qu'à quel  point  les  idées  de  Wiclif  ont  pu  pousser  le  peuple  à  la 
révolte  ^Mais,  il  est  assez  curieux  que  les  prédications  de  Wiclif, 
comme  plus  tard  celles  de  Luther,  aient  été  suivies  d'une  révolte 
des  paysans  et  que,  dans  les  deux  cas,  quelques  clercs  aient  vive- 
ment engagé  le  peuple  à  la  révolte.  Dans  la  jacquerie  anglaise  de 
1381,  on  remarqua  surtout  les  prêtres  vagabonds  Jack  Straw  et 
John  Bail  ;  mais  les  relations  de  ces  agitateurs  avec  Wiclif  sont  bien 
moins  établies  que  celles  du  célèbre  Christophe  Schappeler  avec 


du  chancelier,  se  trouvait  Robert  Rigge,  qui  fut  plus  tard  chancelier  de 
l'Université,  et,  parmi  les  moines,  on  voit  les  noms  d'Henri  Grompe,  dont 
nous  aurons  à  parler  plus  loin.  L'éditeur  des  Fascic.  zizan.  a  lu  à  tort,  à  la 
p.  113,  ahhas  monachus,  an  lieu  de  albas  monachus,  c'est-à-dire  cistercien, 

(1)  Fascic.  ziz.  l.c.  p.  113  sa- 

(2)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  115-132. 

(3)  Farcie,  ziz.  1.  c.  p.  115,  note  1.  Cfr.  Ibid.  Introd.  p.  lxxx. 

(4)  Vaughan,  1.  c.  t.  II,  p.  64  sqq. 

(5)  Fascic.  ziz.  p.  133-180  et  p.  181-238. 

(6)  Vgl.  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  272  sqq. 

T.  X.      14 


210      V/ICLIF  (VICLEP)  ET  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382. 

Luther.  En  outre,  Wat  Tyler  (le  maître  tuilier  Walter)  joua  un 
rôle  important  parmi  les  rebelles  des  environs  de  Londres. 
John  Bail  enflammait  les  esprits  par  ses  prédications  commu- 
nistes sur  la  liberté  et  sur  l'égalité,  et  il  prenait  habituellement 
ce  texte  :  «  Lorsque  Adam  travaillait  et  lorsque  Eve  filait,  où  donc 
était  le  gentilhomme?  »  Les  séditieux  voulurent  le  nommer  ar- 
chevêque et  chancelier  dès  qu'ils  auraient  tué  les  traîtres.  La 
révolte  se  propagea  dans  le  Nord  comme  une  traînée  de  poudre 
(janv.  1381)  ;  partout  les  châteaux  et  les  maisons  des  nobles  et  du 
haut  clergé  furent  pillées  et  ravagées,  on  ouvrit  les  prisons,  tous 
les  malfaiteurs  furent  reçus  comme  des  frères  et  l'on  commit  des 
abominations  de  toute  espèce.  Le  jeune  roi,  sa  famille  et  ses 
conseillers  se  retirèrent  dans  la  Tour  de  Londres  ;  mais  quelque 
temps  après,  le  roi  étant  sorti  pour  essayer  de  calmer  par  les 
concessions  un  peuple  en  fureur,  la  Tour  fut  envahie,  la  mère 
du  roi  fut  maltraitée,  l'archevêque  de  Gantorbéry  massacré  ainsi 
que  d'autres  conseillers  du  roi  et  des  marchands  étrangers  ; 
les  magnificences  du  palais  furent  détruites,  les  archives  brûlées, 
les  vases  d'or  et  d'argent  brisés  et  les  diamants  et  les  pierres 
])récieuses  piles.  Il  en  fut  de  même  dans  d'autres  châteaux,  dans 
beaucoup  de  couvents.  Ce  fut  seulement  après  la  mort  de  Wat 
Tyler,  exécuté  par  l'ordre  du  lord-maire  de  Londres  pour  avoir 
])orté  la  main  sur  le  roi,  qu'il  fut  possible  de  se  rendre  peu  à  peu 
maître  de  la  révolte,  grâce  surtout  à  l'énergie  et  au  talent  d'Henri 
Spenser,  le  jeune  évêque  de  Norwich  ^ . 

Pour  remplacer  Simon  de  Sudbury,rarchevêque  de  Gantorbéry 
massacré  par  la  jacquerie,  on  fit  monter  sur  le  trône  primatial 
de  l'Angleterre  l'évêque  de  Londres  Guillaume  de  Gourtnay  et 
les  wiclifites  purent  bientôt  s'apercevoir  que  :1e  nouvel  arche- 
vêque serait  autrement  énergique  que  son  prédécesseur.  Il  avait 
à  peine  recule  pallium  qu'il  convoqua  pour  le  17  mai  1382  ses 
suffragants  et  un  nombre  considérable  de  théologiens  et  de 
canonistes  du  clergé  séculier  et  régulier  à  un  synode  provincial 
dans  le  couvent  des  dominicains  à  Londres  ^,  et  il  soumit  à  cette 
assemblée,   pour  qu'elle  les  examinât,  deux    séries   de  pro- 


fil Walsingham,  1.  c.  1. 1,  p.  453  jusqu'à  la  fin,  et  t.  Il,  p.  1-/jO.  —  Pauli, 
a.  a.  0.  S.  526-534.  —  Linoard,  a.  a.  0.  S.  203-213. 

(2)  Les  membres  do  ce  synode  sont  indiqués  dans  les  Fasciculi  zizan.  1,  c. 
p.  28f>  sqq.  o,t  498  sqq.,  et  aussi  dans  Mansi,  t.  XXVI,  p.  697  sq.—  HAnu.  t.  Vil, 
p'.  1892. 


V/ICLIF  (vICLEF)  et  LES  SYNODES  TENtJS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      211 

positions  de  Wiclif.  Un  document  qui  se  trouve  dans  Mansi 
(1.  c.,p.  721  sq.)  permet  de  conjecturer  que  ces  propositions 
avaient  été  extraites  des  écrits  de  Wiclif  et  envoyées  au  synode 
par  douze  magistri d' Oxford.  Après  des  délibérations  qui  durèrent 
plusieurs  jours,  le  synode  déclara,  le  21  mai  1382,  que  les  dix 
propositions  de  la  première  série  étaient  hérétiques  et  que 
quatorze  de  la  seconde  étaient  erronées;  enfin  que  les  premières 
comme  les  secondes  étaient  opposées  à  l'enseignement  de  l'É- 
glise ^.  Yoici  les  propositions  de  la  première  série  : 

1.  La  substance  du  pain  et  du  vin  reste  après  la  consécration. 

2.  Les  accidents  ne  sauraient  exister  sans  un  sujet. 

3.  Le  Christ  n'est  pas  identice,  vere  et  realiter  in  propria  prœ- 
sentia  dans  le  sacrement  de  l'autel  (comme  dans  le  ciel). 

4.  Si  un  prêtre  ou  un  évêque  se  trouve  en  état  de  péché  mortel, 
il  ne  consacre  pas,  ne  baptise  pas,  etc. 

5.  Si  l'homme  est  véritablement  contrit,  la  confession  exté- 
rieure est  inutile. 

6.  Il  n'est  pas  prouvé  par  l'Écriture  sainte  que  le  Christ  ait 
institué  la  messe. 

7.  Dieu  est  obligé  d'obéir  au  démon. 

8.  Si  le  pape  est  un  imposteur  ou  un  mauvais  homme,  c'est-à- 
dire  s'il  est  un  membre  du  démon,  il  ne  saurait  avoir  de  puis- 
sance sur  les  chrétiens,  ou  du  moins  il  ne  peut  avoir  que  celle 
qui  lui  est  accordée  par  l'empereur. 

9.  Après  Urbain  YI,  il  ne  faut  plus  reconnaître  de  pape  (pen- 
dant le  schisme);  mais  il  faut  vivre,  comme  les  Grecs,  d'après  ses 
propres  lois. 

10.  Il  est  contraire  à  la  sainte  Écriture  que  les  ecclésiastiques 
aient  des  possessions  terrestres. 

La  seconde  série  comprend  les  propositions  suivantes  : 

1.  Un  prélat  ne  doit  pas  excommunier  quelqu'un  avant  de 
s'être  assuré  que  ce  quelqu'un  est  aussi  excommunié  par  Dieu. 

2.  Celui  qui  excommunie  sans  avoir  cette  certitude  est  lui- 
même  hérétique  et  excommunié. 

3.  Si  un  prélat  excommunie  un  clerc  qui  en  a  appelé  au  roi  ou 


(1)  D'après  les  Fasciculi  zizan.  (1.  c.  p.  272),  la  censure  du  synode  sur  ces 
articles  aurait  eu  lieu  le  19  mai  (daté  de  la  fête  de  S.  Dunstan);  mais  les 
autres  documents,  et  même  les  Fasciculi  zizan.  aux  p.  288  et  488,  donnent  la 
date  du  21  mai. 


212      WICLIF  (vICLEF)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382. 

au  conseil  du  roi,  il  se  rend  coupable  du  crime  de  trahison  envers 
l'État. 

4.  Celui  qui,  à  cause  d'une  excommunication  humaine,  cesse 
de  prêcher  ou  d'entendre  la  parole  de  Dieu  dans  le  sermon,  est 
excommunié  par  le  fait  même,  et,  lors  du  jugement  dernier,  Dieu 
le  déclarera  traître. 

5.  Un  diacre  ou  un  prélat  doit  prêcher  la  parole  de  Dieu  sans 
la  permission  du  Saint-Siège  ou  de  l'évêque. 

6.  Nul  ne  saurait  être  supérieur,  soit  temporel,  soit  spirituel, 
s'il  se  trouve  en  état  de  péché  mortel. 

7.  Les  seigneurs  temporels  doivent,  suivant  qu'ils  le  jugeront 
à  propos,  enlever  aux  ecclésiastiques  leurs  biens  temporels,  si 
les  clercs  s'obstinent  dans  le  péché  ;  et,  de  même,  le  peuple  a  le 
droit  de  châtier  ses  chefs  temporels,  si  ces  chefs  sont  des 
pécheurs. 

8.  Les  dîmes  sont  de  pures  aumônes  que  les  paroissiens 
peuvent  refuser  à  leurs  clercs,  à  cause  des  péchés  de  ceux-ci,  et 
qu'ils  peuvent  donner  à  d'autres. 

9.  Les  prières  spéciales  pour  une  personne  déterminée  ne 
peuvent  lui  être  plus  utiles  que  les  prières  générales  (pour  tous 
à  la  fois). 

10.  Celui  qui  entre  dans  un  ordre  religieux  devient,  par  le 
fait  même,  moins  apte  à  observer  les  commandements  de  Dieu. 

11.  Les  saints  qui  ont  fondé  des  ordres  religieux  ont  péché, 
parce  qu'ils  ont  eu  plus  ou  moins  d'amour-propre. 

12.  Celui  qui  vit  dans  une  communauté  particulière  ne  fait 
plus  partie  de  la  grande  communauté  chrétienne. 

13.  On  doit  vivre  de  son  travail  et  non  pas  de  mendicité. 

14.  Celui  qui  donne  une  aumône  à  un  moine  ou  à  un  prédi- 
cateur est  excommunié,  lui  et  celui  qui  la  reçoit  *. 

Ce  synode  porte  dans  l'histoire  le  nom  de  «concile  du  tremble- 
ment de  terre,»  parce  que  au  jour  même  où  il  fut  célébré, Londres 
et  les  environs  furent  ébranlés  par  un  tremblement  de  terre  ^. 
Ce  serait,  paraît-il,  Wiclif  lui-même  qui  aurait  donné  ce  titre  à  ce 


(1)  Ces  articles  se  trouvent  dans  Walsingham,  1.  c.  t.  II,  p  58  sqq.  — 
Fascic.ziz.  1.  c.  p.  277  sqq. —  Knyghton,  1.  c.  p.  2648. —  Mansi,  1.  c.  p.  695  sqq. 
—  Hard.  1.  c.  p.  1889  sqq. —  Argentré,  I.  c.  p.  14  sqq. 

(2)  D'après  les  Fascic.  ziz.  (l.  c.  p.  272)  le  tremblement  de  terre  eut  lieu  le 
19  mai,  mais  Walsingham  (t.  II,  p.  67)  le  place  au  21  mai. 


WICLIF  (vICLEf)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      213 

concile  ^  et  il  ajoutait  que  la  terre  avait  tremblé  parce  qu'on 
avait  accusé  d'hérésie  le  Christ  et  les  saints  et  que  Dieu  avait 
parlé  parce  qu'on  ne  pouvait  pas  entendre  les  hommes.  L'arche- 
vêque de  Gantorbéry  prétendit,  au  contraire,  que  le  tremblement 
de  terre  signifiait  que  le  royaume  se  débarrassait  des  hérétiques, 
de  même  que,  par  ces  tremblements,  la  terre  avait  rejeté  les 
vapeurs  pernicieuses  qu'elle  contenait^. 

Aussitôt  après  la  condamnation  de  ces  propositions,  l'arche- 
vêque fit  proclamer  partout  avec  beaucoup  de  solennité  la  sen- 
tence synodale,  et  pour  Oxford  il  confia  ce  soin,  ainsi  que  celui 
d'extirper  l'hérésie,  au  carme  et  professeur  Pierre  Stokes^.  Le 
30  mai  1382,  le  même  archevêque  écrivit  à  Robert  Rigge  [sacrœ 
paginœ  prof  essor  et  secularis),  le  nouveau  chancelier  de  l'univer- 
sité d'Oxford,  pour  lui  recommander  de  soutenir  Pierre  Stokes; 
il  lui  fit  connaître  en  outre  son  profond  étonnement  de  ce  qu'il 
eût  choisi  comme  prédicateur  de  l'université  Nicolas  Hereford, 
qui  était  soupçonné  d'hérésie*.  Le  même  jour,  l'archevêque 
publia  une  défense  énergique  contre  les  prédicateurs  non  ap- 
prouvés (les  pauvres  prêtres  de  Wiclif),  et  il  détermina  le  roi,  ainsi 
que  la  chambre  haute,  mais  non  pas  la  chambre  des  communes, 
à  publier  contre  eux  des  édits  (12  juillet  1382).  Les  employés 
civils  devaient  prêter  secours  aux  hommes  de  l'évêque  pour 
s'emparer  de  ces  prédicateurs  hérétiques  ^  Dans  un  décret  daté 
du  13  juillet,  le  roi  chargea,  de  son  côté,  le  chanceher  et  les 
procureurs  de  l'université  d'Oxford  d'expulser  de  cette  ville 
WicHf,  Hereford,  Rapyngdon  et  Ashton  (jusqu'à  ce  qu'ils  se 
fussent  disculpés  par-devant  l'archevêque),  et  de  confisquer  les 
écrits  des  deux  derniers  auteurs  ®. 

Sur  ces  entrefaites  Stokes  avait  remis,  le  4  juin,  au  chancelier 
d'Oxford  la  lettre  de  l'archevêque;  mais  il  avait  été  mal  reçu 
par  lui  et  il  ne  put  obtenir  une  réponse  ''.  Le  chancelier 
permit  même  que  le  lendemain,  qui  tombait  le  jour  de  la  Fête- 


(1)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p  283  sq. 

(2J  Fascic.  ziz.  \.  c.  p.  272,  283  sqq.  —  Knyghton,  1.  c.  p.  2650. 

(3)  Voyez  son  mandat  dans  les  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  275  sqq. 

(4)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p,  298.  Rigge,  n'étant  encore  que  professeur,  s'était, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  prononcé  contre  Wiclif,  mais  maintenant  il  sou- 
tenait assez  énergiquement  sa  cause. 

(5)  Mansi,  1.  c.  p.  704  sq,  —  Hard.  1.  c.  p.  1898  sq.—  Pauli,  a.  a.  0.  S.  549. 
—  Neander,  a.  a.  0.  S.  212  f. 

(6)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  312  sqq. 

(7)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  300  sq. 


214    wicLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

Dieu,  le  sermon  fùL  fait  par  Philippe  Rapyngdon,  chanoine 
de  Leicester  et  l'un  des  partisans  les  plus  décidés  de  Wiclif  :  le 
prédicateur  attaqua  audacieusement  la  doctrine  de  l'Église  sur  la 
sainte  Eucharistie  ^  Le  6  juin,  Pierre  Stokes  présenta  pour  la  se- 
conde fois  la  lettre  de  l'archevêque  au  chancelier,  et  celui-ci 
promit  alors  d'aider  Stokes  à  publier  cette  lettre,  si  l'Université 
n'y  voyait  pas  d'obstacle  ;  mais  l'Université  vit  dans  la  demande 
de  l'archevêque  un  empiétement  sur  ses  droits  et.  libertés  et  elle 
manifesta  un  tel  mécontentement  que  le  même  jour,  c'est-à-dire 
le  6  juin,  Stokes  demanda  à  l'archevêque  de  vouloir  bien  le  rap- 
peler 2.  Le  mardi  de  la  semaine  suivante,  10  juin,  Stokes,  eut  avec 
Rapyngdon  une  argumentation  touchant  le  droit  des  clercs  à 
posséder  des  biens  terrestres  ;  mais  tant  d'hommes  armés  arri- 
vèrent dans  le  local  où  l'on  disputait  que  Stokes  crut  sa  vie  en 
danger  (ibid.  p.  302).  Heureusement  qu'arriva  alors  la  lettre  de 
l'archevêque  qui  rappelait  Stokes,  conformément  à  la  demande 
qu'il  avait  émise.  Le  carme  se  hâta  de  quitter  Oxford  dès  le  len- 
demain matin  11  juin,  et  le  jour  suivant,  de  bonne  heure,  il  arriva 
à  Lambeth  chez  l'archevêque  ^.  Déjà  quelques  jours  auparavant, 
c'est-à-dire  vers  le  8  ou  9  juin,  le  chancelier  d'Oxford  et  le  magis- 
ter  Thomas  Brythwell  avaient  comparu  par-devant  l'archevêque, 
qui  les  reçut  avec  mécontement  et  leur  ordonna  de  comparaître  i 
lors  de  la  prochaine  (c'est-à-dire  de  la  seconde)  session  du 
synode,  le  jeudi  12  juin*.  Us  y  vinrent  et,  après  quelques  hésita- 
tions, ils  déclarèrent  qu'eux  aussi  ils  regardaient  comme  héré~ 
tiques  ou  comme  erronées  les  deux  séries  de  propositions.  La 
même  déclaration  fut  faite  par  un  bachelier  dont  le  nom  n'est  pas 
indiqué,et,  cela  fait,  l'archevêque  remit  lemême  jour  au  chancelier 
deux  décrets. Dans  le  premier,  il  lui  prescrivait  de  faire  annoncer 
publiquement  dans  l'église  de  Sainte-Marie  et  dans  les  écoles 
d'Oxford  la  sentence  synodale  sur  ces  propositions  et  de  veiller  à 
ce  qu'elles  ne  fussent  plus  émises  ou  défendues.  Il  ne  devait  plus 
admettre  à  prêcher  ou  à  professer  Jean  Wiclif,  Nicolas  Hereford, 
Philippe  Rapyngdon,  Jean  Ashton  et  Laurent  Bedeman,  qui  notoi- 


(1)  Walsingham,  1.  c.  t.  IL  p.  60. 

(2)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  299-301. 

(3)  Fascic.  ziz,  1.  c,  p.  304. 

(4)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  288,  304  et  308. 

(5)  Mansi,  1.  c.  p.  707  sq.  Dans  les  Fascic.  ziz,  p.  311,  ces  faits  sonL  seule- 
ment indiqués,  mais  non  racontés.  ^- 


WICLIF  (vICLEf)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      215 

rement  étaient  très-fort  soupçonnés  d'hérésie,  et  cette  interdiction 
devait  durer  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  prouvé  leur  innocence  par- 
devant  l'arclievêque.  Le  chancelier  devait  déclarer,' en  outre,  que 
tous  ces  prêtres  étaient  interdits,  et  il  devait  rechercher  avec 
grand  soin  leurs  partisans  pour  les  forcer,  à  l'aide  des  censures 
ecclésiastiques,  à  faire  leur  abjuration.  Dans  le  second  décret 
également  du  12  juin,  comme  le  chanceher  est  lui-même 
soupçonné  de  pencher  vers  l'hérésie  \  l'archevêque  lui  défendait 
expressément  de  molester  de  quelque  manière  que  ce  fut,  soit 
directement,  soit  indirectement,  les  clercs  que  l'archevêque  avait 
pris  comme  conseillers  dans  le  présent  synode  (et  qui  s'étaient 
prononcés  contre  Wiclif)  et,  de  plus,  d'exclure  totalement,  de 
la  chaire  de  prédicateur  ou  de  professeur,  Wiclif  ainsi  que 
ses  amis  susnommés,  et  en  général  tous  les  suspects^.  Revenu 
à  Oxford,  le  chancelier  exécuta  le  15  juin  l'ordre  qui  lui  avait 
été  intimé  et  il  suspendit  notamment  Philippe  Rapyngdon  et 
Nicolas  Hereford.  A  la  suite  de  cette  mesure,  il  s'éleva  dans  le 
sein  de  l'Université  un  très-vif  conflit  entre  les  membres  du 
clergé  régulier  et  ceux  du  clergé  séculier.  Les  premiers  défen- 
dirent la  sentence  du  synode  et  les  autres  leur  reprochèrent,  au 
contraire,  de  vouloir  la  ruine  de  l'université.  Parmi  les  moines 
on  distingua  surtout  Henri  Crompe.  Il  traita  les  Lollhards  (les 
pauvres  prêtres  de  Wiclif)  d'hérétiques  et  fut  pour  celte  raison 
suspendu  (par  le  chancelier)  ;  Crompe  alla  alors  à  Londres  pour 
se  plaindre  auprès  de  l'archevêque  et  du  chancelier  royaP.  Un 
décret  du  roi  daté  du  14  juillet  réintégra  Crompe  dans  tous  ses 
droits  à  l'université  et  défendit  de  molester,  soit  ce  moine,  soit 
toute  autre  personne,  pour  avoir  attaqué  la  doctrine  de  Wiclif*. 
Sur  ces  entrefaites,  Philippe  Rapyngdon  et  Nicolas  Hereford 
étaient  allés  à  Londres  aussitôt  après  avoir  été  suspendus,  et  ils 
cherchèrent  un  appui  auprès  du  duc  de  Gent-Lancaster.  Ilslui 
représentèrent  que  la  condamnation  des  vingt-quatre  articles  par 
le  synode  était  une  atteinte  à  l'État;  mais  d'autres  docteurs  s'ap- 
pliquèrent à  les  réfuter,  et  lorsque  le  duc  se  fut  convaincu  que 
les  docteurs  incriminés  attaquaient  le  dogme  de  la  sainte  Eucha- 


(1)  Voyez  dans  les  Fascic.  ziz.  (1.  c.  p.  304  sqq.)  les  motifs  de  soupçonner 
la  foi  du  chancelier  et  du  procureur  de  l'université  d'Oxford, 
l2)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  309  sq. 

(3)  Ibid.^y.Ui,  312,318. 

(4)  Ibid.  p.  314  sqq. 


216     wicLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

ristie,  il  ne  voulut  plus  les  protéger  el  il  leur  prescrivit  de  se  pré- 
senter par-devant  l'archevêque  * .  Ils  comparurent  en  effet,  con- 
jointement avecJohnAshton, le  18juin,lorsde  la  troisième  session 
du  synode  ^,  et  ils  durent  prêter  serment  de  faire  connaître  très- 
exactement  leur  sentiment  sur  les  propositions  condamnées. 
Philippe  Rapyngdon  et  Nicolas  Hereford  demandèrent  du  temps 
pour  réfléchir;  mais  pour  Ashton,  il  fit  immédiatement  une 
déclaration  qui  mécontenta  si  fort  l'archevêque,  que  celui-ci  le 
tint  aussitôt  pour  très-suspect  et  l'invita  de  nouveau  à  compa- 
raître pour  le  20  juin,  afin  de  présenter  ses  excuses  et  des  expli- 
cations plus  satisfaisantes.  S'il  ne  les  donnait  pas,  il  serait 
excommunié,  parce  que,  nonobstant  la  défense  de  l'archevêque, 
à  la  date  du  30  mai,  il  avait  continué  à  prêcher  et,  de  plus,  il 
serait,  dans  toute  la  province,  déclaré  hérétique.  Hereford  et 
Rapyngdon  furent  aussi  mandés  à  comparaître  pour  le  même 
jour  ^.  Ils  remirent  dans  la  quatrième  session,  tenue  le  vendredi 
20  juin*,  une  déclaration  écrite  sur  les  propositions  en  ques- 
tion et  les  reconnurent  toutes  comme  hérétiques  et  erronées; 
mais  ils  ajoutèrent  que  quelques-unes  d'entre  elles,  les  trois  pre- 
mières par  exemple,  ne  l'étaient  que  dans  un  certain  sens  ^. 
Ils  avouèrent  que  la  proposition  :  «  le  pain  et  le  vin  existent 
dans  le  sacrement  de  l'autel,  même  après  la  consécration,  »  était 
hérétique,  si  on  l'entendait  dans  un  sens  opposé  à  la  décrétale 
Firmiter  credimus  (c.  1 . X. de  summa  Trinitate,!.  1) .11  s'agitdu pre- 
mier canon  du  douzième  concile  œcuménique  tenu  sous  Innocentll 
et  en  particulier  de  la  partie  de  ce  décret  concernant  la  transsub- 
stantiation [una  vero  est  fidelium,  etc.),  et  il  est  bien  évident  que 
les  wiclifites  ne  pouvaient  qu'à  l'aide  d'explications  sophistique, 
faire  harmoniser  le  sens  de  cette  décrétale  avec  leur  doctrine. 
L'archevêque,   se  rendant  très-bien  compte  de  ce  point,  leur 


(1)  Fnscic.  zi%.  1.  c.  p.  318. 

(2)  Ibid.  p.  289.  A  la  ligne  3,  en  partant  d'en  bas,  il  faut  lire  au  lieu  de 
mV  Cal.  Junii,  XIV  Julii.  Cette  troisième  session  eut  lieu,  en  effet,  le 
18  juin,  ainsi  qu'il  résulte  de  Mansi,  1.  c.  p.  710.  La  correction  irarginale  de 
l'éditeur  des  Fascic.  ziz.  est  erronée  :  il  prétend  qu''il  faut  effacer  le  mot  Cal. 
et  lire  par  conséquent  14  Janii. 

(3)  Mansi,  i.  c.  p-  710  sq.  —  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  289  sq. 

(4)  Les  Fascic.  ziz.  (1.  c.  p.  318)  indiquent,  il  est  vrai,  cette  session,  mais 
omettent  la  troisième;  en  revanche,  aux  p.  289  et  290,  ils  les  distinguent 
exactement  toutes  les  deux. 

(5)  Leur  déclaration  se  trouve  dans  les  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  319  sqq. —  Mansi, 
1.  c.  p.  698.  —  Hard.  1.  c.  p.  1893. 


WICLIF  (vICLEf)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      217 

demanda  comment  ils  entendaient  ces  décrétales,  et  en  particu- 
lier comment  ils  comprenaient  que  le  pain  restât  après  la 
consécration  ;  mais  ils  refusèrent  de  répondre  et  se  contentèrent 
de  s'en  rapporter  à  leur  déposition  écrite.  Ils  firent  de  même 
lorsque  l'archevêque  les  sollicita  de  s'expliquer  sur  le  sens  qu'ils 
donnaient  aux  décrétales  Cum  Martha  (d'Innocent  III,  in  c.  6,  X, 
de  célébrât  miss.  III,  41)  et  Si  Dominum  (de  Clément  V  pour  l'ins- 
titution de  la  Fête-Dieu,  dans  le  livre  III,  titulus  16  des  Clémen- 
tines)^ car  ils  avaient  déclaré  ne  condamner  comme  hérétiques 
les  propositions  2  et  3  que  si  elles  étaient  en  opposition  avec 
ces  décrétales.  Sur  ce  point  encore  ils  refusèrent  de  s'expli- 
quer. Concernant  la  sixième  proposition,  portant  que  Dieu  était 
obligé  d'obéir  au  démon,  ils  dirent  que  cette  proposition  était 
vraie,  s'il  s'agissait  d'une  obedientia  caritatis,  parce  que  Dieu  aime 
le  démon  et  le  punit.  Tous  les  membres  du  synode  déclarèrent 
que  ces  réponses  étaient  insuffisantes  :  aussi  l'archevêque, 
lorsque  les  accusés  eurent  refusé  d'en  donner  d'autres,  les  assi- 
gna-t-il  à  comparaître  de  nouveau  le  27  juin  pour  entendre 
leur  condamnation  ^  De  plus  Ashton  fut  invité  à  donner  les 
explications  qu'il  pouvait  produire  pour  sa  justification,  sans 
oublier  de  se  prononcer  sur  les  propositions  incriminées.  Comme 
un  grand  nombre  de  laïques  s'étaient  introduits  dans  la  salle 
après  en  avoir  forcé  les  portes  ^,  l'archevêque  demanda  à  cet 
homme  de  parler  latin;  mais  celui-ci,  au  contraire,  s'obstina  à 
parler  anglais,  et  sur  un  ton  plaisant,  de  façon  à  gagner  les  sym- 
pathies du  peuple.  Atoutes  les  questions  qu'on  lui  fît  il  ne  répondit 
du  reste  que  par  des  faux-fuyants. C'est  ainsi  qu'il  répéta  souvent  la 
phrase  suivante,  comme  s'il  n'était  qu'un  simple  laïque  inhabile 
aux  discussions  théologiques  :  «  Toutes  ces  subtilités  sont  au- 
dessus  de  mon  intelligence,  il  me  suffit  de  croire  ce  qu'enseigne 
la  sainte  Écriture.  »  L'archevêque  lui  ayant  demandé  si,  après  la 
consécration,  il  restait  encore  un  panis  materialis,  il  répondit  en 
se  moquant  :  «  Ce  materialis  là,  tu  peux  le  mettre  dans  ta  poche, 
si  tu  l'as.  »  Aussi,  d'accord  avec  tous  les  membres  du  synode, 
l'archevêque  déclara  Ashton  hérétique^.  Mais  de  son  côté  Ashton 


(1)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  326-329,  —  Mansi,  1.  c.  p.  701  sq.  —  Hardouin,  1.  c. 
p.  1895  sq. 

(2)  Walsingham,  1.  c.  t.  II,  p.  66. 

(3)  Mansi,  1.  c.  p.  703.  —  Hard.  1.  c.  p.  1897.  —  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  290,  329, 
331. 


218    wiCLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

publia  la  déclaration  qu'il  avait  faite  à  l'archevêque  dans  cette 
session,  et  il  en  distribua  des  exemplaires  dans  le  peuple  '. 

Enfin,  dans  cette  même  quatrième  session,  Thomas  Hilman,  qui 
partageait  jusqu'à  un  certain  point  les  opinions  d'Ahston,fut  cité 
à  comparaître  le  27  juin,  afin  de  s'expliquer  sur  les  propositions, 
mais  ensuite  on  remit  au  1"  juillet  le  terme  de  la  comparution, 
ainsi  que  pour  Hereford  et  Rapyngdon  ^. 

Il  n'y  eut  que  Hilman  à  comparaître  au  jour  indiqué,  c'est-à- 
dire  lors  de  la  cinquième  session,  et  il  reconnut  les  propositions 
comme  hérétiques  et  erronées.  Quant  à  Hereford  et  Rapyngdon, 
ils  furent  excommuniés  comme  contumaces,  parce  qu'ils  n'avaient 
pas  comparu,  et  leur  appellation  au  pape  fut  déclarée  nulle  ^. 
Comme  le  roi  soutint  l'archevêque  et  prit  des  mesures  contre  les 
excommuniés,  Rapyngdon  et  Ashton  crurent  prudent  de  se 
soumettre  et  ils  déclarèrent  que  les  propositions  en  question 
étaient  erronées  :  aussi  l'archevêque  les  réintégra-t-il  dans  leur 
charge  *. 

Le  18  novembre  de  cette  même  année  1382,  l'archevêque  de 
Cantorbéry  célébra  un  second  synode  sur  cette  affaire  à  Oxford, 
en  présence  des  évêques  de  Lincoln,  Norwich,  Worcester 
(Vigornia),  Londres,  Salisbury  et  Hereford,  du  chancelier  d'Oxford 
et  d'un  grand  nombre  de  docteurs  et  de  clercs.  C'est  ce  que  nous 
apprend  le  contemporain  Henri  Knyghon  ^,  tandis  que  Walsin- 
gham  et  les  Fasciculi  zizaniorum  n'en  disent  rien.  Wiclif  en 
aurait  appelé  de  nouveau  au  roi  et  au  parlement,  mais  n'aurait 
trouvé  d'écho  que  dans  la  chambre  des  communes;  néanmoins 
cette  chambre  obtint  l'abrogation  de  l'édit  qui  avait  été  publié  par 
le  roi  seulement  (au  mois  de  juillet)  ^  Vaughan(II,  114),  et  après 
lui  plusieurs  autres  historiens  ont  prétendu  que  Wiclif  avaitpublié 
alors  et  remis  au  synode  deux  professions  de  foi,  une  en  latin  et 
une  en  anglais.  Mais  celte  susdite  profession  de  foi  en  latin  remonte 
à  1381,  ainsi  que  nous  l'avons  démontré,  et  quant  à  la  courte  pro- 


(1)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  329  sq.  Le  texte  de  cette  '-con/essio  s'harmonise  com- 
plètement avec  la  déclaration  d'Astlion  à  l'archevêque,  le  20  juin;  aussi,  à 
la  dernière  ligne,  faut-il  lire  XX  au  lieu  de  ATX 

(2)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p,  290.  —  Mansi,  1.  c.  p.  704.  —  IIabd.  1.  c.  p.  1898. 

(3)  Fascic.  ziz.  l.  c.  p.  2'10.  —  Mansi,  1.  c.  p.  711-714. 

(4)  Fascic.  ziz.  1.  c.  p.  331-333.— Mansi,  1.  c.  p.  715.—  Pauli,  a.  a.  0.  S.  551. 

(5)  Dans  son  écrit  De  evcntibas  Anijliœ,  dans  Tnyisdkn,  Script,  hisl.  Amilic, 
t.  Il,  p.  2649. 

(6)  Pauli,  a.  a.  0.  S.  552. 


WICLIF  (vICLEF)  et  les  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.      219 

fession  de  foi  anglaise  qui  a  été  publiée  par  Knygton  et  Yaughan 
(II,  433  sqq.),elle  contient  les  principales  propositions  suivantes: 

«  Le  sacrement  de  l'autel  est  véritablement  un  corps  divin 
sous  la  forme  du  pain...  C'est  le  corps  véritable  de  Dieu,  et  c'est 
aussi  du  pain  véritable...  de  même  qu'il  est  hérétique  de  croire 
que  le  Christ  n'est  qu'un  esprit  et  n'a  pas  de  corps,  de  même  il 
est  hérétique  d'enseigner  que  le  sacrement  de  l'autel  renferme 
uniquement  le  corps  du  Seigneur  et  non  pas  du  pain  (on  voit  que 
Wiclif  dénonce  comme  hérétique  la  doctrine  sur  la  transsubstan- 
tiation). Enseigner  que  le  sacrement  n'est  qu'un  accident  sans 
substance  (sans  sujet),  c'est  enseigner  la  plus  grande  hérésie  que 
Dieu  ait  jamais  permis  de  se  produire  dans  son  Église.Le  Christ  dit 
dans  S.  Jean  :  Ce  pain  est  mon  corps...  Quelle  grande  différence 
entre  nous  qui  enseignons  que  ce  sacrement  est  véritablement, 
et  par  sa  nature,  du  pain,  et  les  hérétiques  qui  soutiennent  que 
ce  sacrement  est  un  accident  sans  sujet!...  Ce  synode  (du  mois  de 
mai  1382)  a  fait  hérétique  le  Christ  et  ses  saints  (parce  qu'ils 
n'avaient  aucune  doctrine  sur  la  transsubstantiation),  et  en  même 
temps  a  eu  lieu  le  tremblement  de  terre.  « 

On  ne  s'explique  pas  comment  Knyghton  a  pu  citer  cette  pro- 
fession de  foi  anglaise  pour  soutenir  que  Wiclif  avait  rétracté  ses 
erreurs.  Plusieurs  historiens  ont  répété  cette  affirmation  de 
Knyghton  :  il  est  cependant  incontestable  que,  dans  ce  document 
anglais,  "Wiclif  attaque  d'une  façon  très-vive  et  très-ardente  la 
doctrine  de  l'Église  sur  la  sainte  Eucharistie. 

La  conclusion  fut  que  Wiclif  perdit  sa  charge  de  professeur 
et  fut  renvoyé  de  l'université.  On  ne  prit  pas  d'autre  mesure 
contre  lui  et,  quant  à  la  citation  à  Rome,  il  n'y  donna  pas  de 
suite  * . 

Dans  le  même  synode  tenu  le  24  novembre  1382,  Rapyngdon 
et  Ashton  abjurèrent  solennellement  leurs  erreurs;  les  Wiclifltes 
avaient  aussi,  de  leur  côté,  dénoncé  au  synode  quelques-uns  de 
leurs  adversaires,  notamment  Stokes  et  Crompe  :  aussi  ceux-ci 
furent-ils  entendus  le  25  novembre.  Stokes  et  un  franciscain 
déclarèrent  qu'ils  n'avaient  pas  soutenu  sérieusement  les  thèses 
qu'on  leur  reprochait  et  qu'ils  ne  l'avaient  fait  que  exercitii  causa. 


(1)  Vaughan,  1.  c.  t.  II,  p.  120  sqq.  —  Pauli,  a.  a.  0.  S.  55'?.  La  lettre  de 
Wicliff  contre  la  citation  pontificale  se  trouve  dans  l'original  latin  des  Faac. 
zù.  1.  c.  p.  341  ;  en  anglais,  dans  Vaughan,  1.  c.  Append.  Nr.  yiii. 


220    wiCLiF  (viclef)  et  les  synodes  tenus  a  son  occasion  en  1382. 

Crompe  promit  de  rejeter  les  propositions  incriminées  dans  la 
mesure  où  elles  avaient  été  condamnées  par  Urbain  V  * .  On  ne 
donne  pas  d'autres  détails  sur  ce  point;  mais  il  est  probable  que, 
dans  l'ardeur  de  la  polémique  contre  les  Aviclifites,  Slokes  et  le 
franciscain  avaient  émis  des  propositions  hasardées.  L'affaire  ne 
paraît  pas  avoir  été  la  même  pour  Crompe.  Ce  cistercien  irlandais 
avait  contresigné  en  1381  la  censure  du  chancelier  d'Oxford 
Berton  contre  Wiclif,  il  était  ensuite  devenu  membre  du  synode 
de  Londres  dans  les  mois  de  mai  et  de  juin  i382;  le  nouveau 
chancelier  d'Oxford,  Rigge,  l'avait  suspendu  à  cause  de  son  zèle 
contre  Wiclif  ;  mais,  le  14  juillet  1382,  il  avait  été  réintégré  par 
le  roi  dans  sa  charge  de  professeur.  Nous  le  voyons  maintenant 
dans  l'obligation  de  rétracter  une  proposition  condamnée  par 
Urbain  V. 

Pour  avoir  l'explication  de  ce  dernier  fait,  il  faut  consulter  les 
Fasciculi  ziz.  p.  350-356  :  on  y  voit  qu'au  mois  de  mars  1385, 
Guillaume  évêque  de  Meath  dans  le  comté  d'Irlande  condamna 
Henri  Crompe  comme  hérétique,  pour  avoir  prêché  dans  son 
diocèse  diverses  propositions  erronées. 

Ainsi  a)  tout  chrétien  doit  confesser  de  nouveau  à  son  propre 
curé  les  péchés  qu'il  a  confessés  à  un  moine  (à  cause  du 
décret  omnis  utriusque  sexus  fidelis.  h)  Dans  le  sacrement  de 
l'autel,  le  corps  du  Christ  est  le  miroir  du  corps  du  Christ 
qui  se  trouve  dans  le  ciel.  Crompe  soutint  plus  tard  que  Ri- 
chard archevêque  d'Armagh  avait,  à  l'égard  de  la  confession, 
enseigné  la  même  doctrine  que  lui  (1.  c.  p.  355),  et  on  voit 
par  Raynald,  1358,  qu'il  était  dans  le  vrai.  Le  fait  de  cet  ar- 
chevêque se  produisit  sous  Innocent  VI  prédécesseur  d'Ur- 
bain V,  et,  quoique  Raynald  ait  su,  par  un  manuscrit  du  Va- 
tican, qu'aucune  sentence  n'avait  été  pubhée  contre  le  saint 
archevêque  Richard,  il  se  peut  cependant  que  le  pape  Urbain  V 
se  soit  opposé  à  l'erreur  qui  gagnait  du  terrain  en  Irlande,  et 
c'est  à  ce  dernier  fait  que  notre  synode  fait  allusion.  Nous  verrons 
plus  loin  ce  qu'il  arriva  ensuite  à  Crompe.  Le  synode  se 
réunit  peu  de  temps  après  à  Londres  dans  le  couvent  des  domini- 
cains; il  accorda  au  roi,  le  13  janvier  1383,  sans  compter  les 
dîmes  consenties  dans  la  première  session  (à  Oxford),  une  demi- 
dîme  sur  tous  les  bénéficesecclésiastiques  pour  organiser  contre 


(1)  Mansi,  l.c.  p.  717  sq. 


WICLIF  (vICLEF)  et  LES  SYNODES  TENUS  A  SON  OCCASION  EN  1382.  221 

la  France  et  contre  l'antipape  la  croisade  prescrite  par  Urbain  VP . 
A  l'issue  du  synode  d'Oxford  du  mois  de  novembre  1382, 
Wiclif  se  retira  dans  sa  paroisse  de  Lutterworth,  oiiil  prêcha  fré- 
quemment et  où  il  composa  son  principal  ouvrage,  c'est-à-dire 
son  Trialogus  en  quatre  livres,  ainsi  appelé  parce  que  VAlêtheia, 
IdiPseudis  et  la  Phronésis  (la  Vérité,  le  Mensonge  et  la  Prudence) 
conversaient  entre  elles  :  il  y  développe  l'ensemble  de  ses 
théories.  Les  trois  premiers  livres  ont  un  cachet  plus  spécu- 
latif, le  quatrième  est  au  contraire  plus  pratique.  Wiclif  expose 
dans  ses  premiers  livres  ses  vues  sur  Dieu  et  sur  la  créature  ; 
elles  se  réduisent  en  une  doctrine  sur  la  prédestination  qui 
constitue  un  grave  danger  pour  la  liberté;  aussi  a-t-on  souvent 
reproché  à  Wiclif  d'être  fataliste.  «  Tout  ce  qui  arrive  doit  arriver 
par  une  nécessité  absolue,  il  ne  saurait  être  question  de  liberté. 
Les  uns  sont  prœdestinati^  c'est-à-dire  destinés  de  tout  temps  au 
bonheur  éternel  ;  les  autres  sont  les  prœsciti^  c'est-à-dire  les 
damnés,  et  la  raison  de  cette  différence  ne  provient  pas  de  la 
conduite  dissemblable  des  uns  et  des  autres  pendant  cette  vie 
mortelle,  cette  raison  est  dans  Dieu;  car,  s'il  arrive  que,  durant 
cette  vie,  le  prœscitus  se  trouve  en  état  de  grâce,  il  n'a  cependant 
pas  le  donum  perseverantiœ,  et  en  revanche,  si  le  prœdestinatus 
vient  à  pécher  mortellement,  il  se  convertira  certainement  et 
mourra  en  état  de  grâce.  Mais  si  tout  arrive  nécessairement,  le 
péché  aussi?  dira-t-on.  On  peut  répondre  :  Oui,  à  un  certain  point 
de  vue.  Le  péché  est  quelque  chose  de  négatif  et,  comme  tel,  il  est 
étranger  à  Dieu;  mais  le  péché  lui-même  sert  à  la  réalisation  du 
plan  de  Dieu  sur  le  monde  et,  à  ce  point  de  vue,  on  peut  dire  que 
Dieu  veut  le  péché.  »  C'est  sur  cette  théorie  de  la  prédestination 
que,  dans  lequatrième  livre,  Wiclif  fonde  sa  conception  de  l'Éghse: 
elle  est  l'ensemble  des  prédestinés;  aussi  ne  peut-il  yavoirni 
excommunication  ni  canonisation  sans  une  révélation  spéciale 
de  Dieu.  Dans  ce  même  quatrième  livre,  Wiclif  développe  en- 
suite sa  théorie  sur  les  sacrements, et,  en  particulier,  sur  la  sainte 
Eucharistie  ;  le  sacrement  de  l'ordre  lui  fournit  l'occasion  de  déve- 
lopper ses  vues  sur  le  clergé.  Wiclif,  restant  fidèle  à  ses  préfé- 
rences sur  tout  ce  qui  est  antérieur,  ne  regarde  pas  le  clergé 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  718.— Walsingham,  1.  c.  p.  84.  Ce  que  Mansi  (p.  718-722) 
ajoute  au  présent  synode,  remonte  à  une  époque  antérieure,  et  a  ,déjà  été 
utilisé  par  nous  au  commencement  de  ce  paragraphe. 


222   DERNIERS  SYNODES  TENUS  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1386  A  1389. 

comme  étant  l'intermédiaire  de  la  grâce  et  le  considère  presque 
exclusivement  comme  ministre  de  la  parole.  Mais,  en  revanche, 
le  sermon  a  pour  Wiclif  une  importance  tout  à  fait  excep- 
tionnelle; aussi  conclut-il  qu'on  ne  peut  pas  interdire  un  prêtre 
touchant  le  sermon. 

Le  28  novembre  1384,  pendant  la  célébration  de  la  messe  que 
disait  son  ami  Jean  Purneye  qui  partageait  les  mêmes  senti- 
ments que  lui,  Wiclif  fut  frappé  d'une  attaque  d'apoplexie  et 
mourut  quelques  jours  après,  le  1"  décembre  1384  ^ 

§  730. 

DERNIERS   SYNODES   TENUS   SOUS   URBAIN   VI,    DE    1386   A    1389. 

Dans  les  premières  années  du  schisme  d'Occident,  il  s'est  tenu 
quelques  autres  synodes.  Nous  nous  contenterons  de  mentionner 
les  suivants.  Au  mois  de  janvier  1386,  il  s'est  tenu  à  Salzbourg 
un  synode  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Pilgrim  II  de 
Puchheim.  Cette  assemblée  promulgua  les  dix-sept  canons  réfor- 
mateurs suivants. 

1 .  Tous  les  clercs  séculiers  doivent  se  conformer  à  ce  qui  se  fait 
à  la  cathédrale  pour  ce  qui  concerne  la  manière  de  psalmodier  et 
le  divinum  offîcium. 

2.  Dans  les  cas  réservés,  nul  ne  doit  absoudre  sans  permis- 
sion. 

3.  Celui  qui,  ayant  reçu  cette  permission,  en  abuse,  la  perd. 

h.  Dans  les  cas  douteux,  ceux  qui  ont  charge  d'âmes  doivent 
s'adresser  à  leurs  supérieurs. 

5.  Aucun  clerc  ne  doit  paraître  dans  l'Église  et  en  général  en 
public,  sans  un  capuchon,  ou  une  barrette,  ou  un  bonnet  fermé 
[capello  seu  pileo  cooperato.) 

6.  Il  n'y  aura  à  porter  des  fourrures  de  diverses  couleurs  que 
des  clercs  ayant  des  dignités,  qui  sont  chanoines  des  églises  cathé- 
drales, ou  bien  magistri. 

7.  Les  mobiliers  des  églises,  les  habits  sacrés,  etc.,  doivent 
être  propres  et  tenus  avec  soin. 

8.  Il  arrive  assez  souvent  que  des  moines,  surtout  des  moines 
mendiants,  vaguent  de  droite  et  de  gauche  et,  semblables  à  des 

(1)  Walsinoham,  1.  c.  t.  II,  p.  119  sq.  —  Knygton,  1.  c,  p.  2660. 


DERNIERS  SYNODES  TENUS  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1386  A  1389.   223 

faux  prophètes,  touchent  les  cœurs  par  des  sermons  remplis  de 
fables.  Aussi,  à  l'avenir,  ne  devra-t-on  plus  les  laisser  prêcher, 
s'ils  n'y  sont  invités  par  les  recteurs  des  églises,  et  ces  derniers 
n'admettront  que  des  moines  ayant  de  leurs  supérieurs  la  permis- 
sion de  prêcher  et  pouvant  montrer  cette  permission, 

9.  Sont  menacées  de  l'excommunication  et  del'interdit  les  vio- 
lations des  immunités  ecclésiastiques  et  les  attaques  contre  les 
biens  de  l'Église. 

10.  Celui  qui  méprise  les  peines  ecclésiastiques  et  qui  meurt 
dans  ces  sentiments  encourt  la  damnation  éternelle. 

11 .  L'ordonnance  du  pape  Boniface  VIII  portant  que  tous  ceux- 
là  sont  excommuniés  qui  exigent  un  droit  de  péage  de  la  part 
des  clercs  lorsque  ceux-ci  transportent  leurs  biens  sans  aucune 
idée  de  trafic,  doit  être  publiée. 

12.  Les  évêques  et  les  autres  prélats  qui  s'approprient  les 
revenus  des  dignités  et  des  éghses  vacantes,  doivent  être  exclus 
de  l'Église,  jusqa'à  ce  qu'ils  aient  donné  satisfaction. 

13.  Contre  les  usuriers. 

14.  Aucun  clerc  ne  doit  être  cité  par-devant  un  tribunal  civil. 

15.  Les  prêtres  étrangers  ne  doivent  pas  être  admis  à  exercer 
des  fonctions. 

16.  Celui  qui  n'est  pas  reconnu  par  l'évêque  ne  doit  pas 
exercer  les  fonctions  de  notaire. 

17.  Tous  les  évêques  etc.  doivent  avoir  des  collections  de 
constitutions  ^ 

Le  4  octobre  1388,  Pierre  de  Luna,  qui  avait  été  envoyé  comme 
légat  en  Espagne  par  l'antipape  Clément  YII,  publia  dans  un 
synode  tenu  à  Palencia,  en  Castille,  les  décrets  réformateurs 
suivants  : 

1.  Les  évêques  et  autres  supérieurs  ecclésiastiques  doivent 
surveiller  de  très-près  la  conduite  des  clercs  et  punir  leurs 
fautes. 

2.  Tous  les  clercs  doivent,  dans  le  délai  de  deux  mois,  renvoyer 
leurs  concubines  ;  s'ils  ne  le  font  pas,  ils  seront  inhabiles  à  obtenir 
de  nouveaux  bénéfices  et  ils  ne  pourront  pas  faire  usage  des 
ordres  qu'ils  auront  reçus.  Quant  aux  bénéfices  qu'ils  ont  déjà, 

(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  723  sqq.  —  Hard.  t.  VTI,  p.  1900  sq,  —  FIarzheim, 
t.  IV,  p.  530  sqq.  —  Binterim,  deutsche  Concilient  Bd.  VI,  S.  168  et  457  ff. 
Dans  Mansi  et  dans  Hardouin  les  renvois  à  d'anciens  conciles  de  Saizbourg 
sont  pour  la  plupart  erronés. 


224   DERNIERS  SYNODES  TENUS  SOUS  URBAIN  VI,  DE  1386  A  1389. 

ils  perdront  d'abord  un  tiers  des  revenus  ;  au  bout  de  deux  nou- 
veaux mois  d'obstination,  ils  perdront  les  deux  tiers;  enfin, 
après  quatre  mois  ils  perdront  le  tout  et  seront  dépouillés  de 
leurs  bénéfices  aussi  longtemps  qu'ils  garderont  les  concubines. 
Ils  ne  pourront  faire  testament,  et  tous  leurs  biens,  soit  meubles, 
soit  iuimeubles,  devront  être  confisqués  dès  qu'ils  seront  publi- 
quement reconnus  comme  concubinaires.  Un  tiers  de  ces  biens 
reviendra  à  la  fabrique  de  l'église  où  était  situé  le  bénéfice  appar- 
tenant à  ce  clerc,  le  second  tiers  reviendra  à  l'évêque  et  le  troi- 
sième sera  employé  au  rachat  des  prisonniers  et  des  frères  de 
Sancta  Maria  demercede,  ou  des  Trinitaires. 

3.  Les  clercs  mariés  (c'est-à-dire  n'ayant  reçu  que  les  ordres 
mineurs)  jouissent  du  privilegiitm  s'ils  ne  se  sont  mariés  qu'une 
fois  et  avec  une  vierge  et  s'ils  portent  l'habit  ecclésiastique  et  la 
tonsure.  La  grandeur  de  la  tonsure  est  très-exactement  déter- 
minée. 

4.  Les  biens  de  l'Église  ne  doivent  pas  être  aliénés. 

5.  Dans  les  villes  qu'ils  habitent,  les  juifs  et  les  sarrasins  doivent 
avoir  des  quartiers  à  part. 

6.  Les  jours  de  fête  chrétienne,  ils  s'abstiendront  de  tout  com- 
merce et  de  toute  œuvre  servile. 

7.  Tout  homme  qui  prend  une  concubine  et  aussi  tout  homme 
non  marié  qui  prend  une  concubine  infidèle  est  excommunié  eo 
ipso  * . 

Le  10  novembre  de  la  même  année  1388,  Louis  archevêque  de 
Palerme  présida  dans  son  palais  un  synode  provincial  qui  pro- 
mulgua trente  canons  pour  l'amélioration  de  la  discipline  ecclé- 
siastique; ils  traitent  du  devoir  qui  oblige  tous  les  clercs  d'assister 
aux  heures  canoniales,  des  distributions  quotidianœ,  du  concu- 
binage, de  la  fréquentation  des  auberges,  du  port  d'armes  par 
les  clercs,  de  la  tonsure  et  de  la  coupe  des  cheveux  des  clercs.  On 
leur  défend  de  s'occuper  d'affaires  temporelles,  de  vendre  du  vin 
en  détail,  de  faire  d'autre  commerce,  etc.'^ . 

Jean  Roger,  archevêque  de  Narbjnne,  convoqua  pour  le 
26  juin  1389  et  les  jours  suivants  un  synode  provincial  à  Saint- 
Tiberi  dans  le  diocèse  d'Agde  ;  ce  synode  offre  ce  trait  particulier 
que,  s'il  n'y  eut  à  y  assister  ni  l'archevêque,  ni  aucun  de  ses  suf- 


(1)  Mansi,  Le.  p.  735  sqq. —  Hard.  1.  c.  p.  1905  sqq. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  746  sqq. 


SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  J389  A  1404.         225 

fragants,  ni  aucun  abbé  de  la  province,  tous  se  contentèrent  d'y 
envoyer  des  députés,  à  la  tête  desquels  était  Jean  Picorlati, 
licencié  en  droit  canon  et  vicaire  général  de  l'archevêque.  Ce 
synode,  si  on  peut  lui  donner  ce  nom,  se  mit  d'accord  sur  dix- 
sept  points. 

1  et  2 .  Gomment  on  doit  recevoir  le  roi  dans  sa  prochaine  visite 
dans  la  province. 

3.  On  enverra  une  députation  au  pape  pour  le  prier  de  ne  pas 
imposer  d'autres  charges  aux  clercs  de  la  province.  On  remettra 
également  au  pape  (il  s'agit  de  l'antipape  Clément  VII)  une  liste 
(nous  l'avons  encore)  des  griefs  du  clergé  contrôles  employés  du 
roi,  afin  que  le  pape  puisse  en  parler  au  roi. 

4.  Quelques  privilèges  accordés  à  la  noblesse  et  au  clergé  par 
les  rois  Louis  (X)  et  Philippe  (de  Yalois)  à  la  condition  que  iSOfr. 
qui  étaient  réclamés  par  le  vicomte  de  Narbonne  fussent  déposés 
chez  le  chevalier  Raymond  Gombauld  de  Béziers,  doivent  être 
maintenant  accordés  sans  condition. 

5.  On  devra  dresser  dans  chaque  diocèse  une  liste  de  tout  ce 
que  les  employés  du  roi  ou  les  laïques  font  contre  les  ecclésias- 
tiques. 

6-8.  On  imposera  le  clergé  pour  recueillir  l'argent  nécessaire 
à  toutes  ces  dépenses. 

12.  Il  y  aura  à  Paris  un  avocat  et  un  procureur  chargés  de  * 
soutenir  les  intérêts  de  la  province. 

Les  autres  points  sont  moins  importants  * . 

§  731. 

SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404. 

Le  15  octobre  1389  mourut  Urbain  VI,  dont  l'élection  avait 
causé  ce  malheureux  schisme,  et,  pendant  que  son  adversaire 
Clément  VII  continuait  de  pontifier  à  Avignon  jusqu'à  sa  mort 
survenue  le  16  septembre  1394,  Boniface  IX  monta  sur  le  siège 
de  Rome  le  2  novembre  1389  et  occupa  ce  siège  jusqu'au  l'''  oc- 
tobre 1404,  époque  de  sa  mort.  Sous  son  pontificat,  se  tint  ce 
synode  provincial  de  Magdebourg  dont  nous  avons  parlé  dans  le 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  754-762. 

T.    X.       15 


226         SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404. 

tome  IX  à  la  fm  du  §  71 1  et  dans  lequel  l'archevêque  Albrecht  III 
(1383-1403)  publia  sa  collection  de  statuts.  Il  remit  en  vigueur 
d'anciens  canons,  soit  en  les  laissant  tels  quels,  soit  en  les  mo- 
difiant. Il  ajouta  de  nouvelles  prescriptions  à  ces  canons,  ou  en 
fit  disparaître  ce  qui  n'avait  plus  d'utilité.  Enfin  il  donna  au  tout 
un  ordre  qui  s'harmonisait  avec  les  constitutions  romaines, 
(c'est-à-dire  avec  les  décrétales  de  Grégoire  IX,  etc.);  ne  devaient 
avoir  force  de  lois  que  les  prescriptions  contenues  dans  cette  col- 
lection; tout  ce  qui  était  en  dehors  était  abrogé.  Binterim  croit 
que  l'archevêque  Albrecht  fit  cette  collection  dans  les  premiers 
temps  de  son  épiscopat,  vers  l'an  1386  ;  mais  il  n'a  pas  remarqué 
que  le  n°  35  (d'après  notre  manière  de  compter)  parle  des  actes 
synodaux  du  pape  Urbain  VI  comme  si  ce  pape  était  déjà  mort. 
Il  résulte  donc  de  là  que  la  collection  n'a  pu  être  faite  qu'a- 
près 1389: 

1.  De  même  que  dans  les  décrétales  du  Corpus  juris  canonici 
le  tit.  1  du  1"  hvre  est  consacré  à  un  exposé  de  la  foi,  de  même 
la  première  rubrique  du  synode  de  Magdebourg  traite  de  fide;  elle 
renferme  les  canons  1  et  2  du  concile  de  Mayence  de  l'année  1310 
(Gf.T.  IX,  §699). 

,2.  La  seconde  rubrique  de  constitutione  (correspondant  au  ti- 
tulus  2)  ajoute  aux  canons  3  et  4  de  Mayence  un  nouveau  décret, 
pour  que  les  statuts  des  défunts  empereurs  Frédéric  et  Charles  IV 
gardent  force  de  loi  et  soient  publiés  quatre  fois  l'an. 

3.  De  rescriptis.  Identique  pour  le  fond  aux  can.  4  et  5  de 
Mayence,  contre  l'abus  des  judices  delegati. 

i.De  electione.  Diverses  personnes  qui  n'ont  pas  encore  reçu 
les  ordres  se  font  donner  les  églises  paroissiales  pour  s'approprier 
une  partie  des  biens  de  ces  éghses,pour  percevoir  tous  les  revenus 
de  la  première  année,  et,  ce  temps  écoulé,  ils  rendent  l'éghse 
ainsi  dépouillée,  en  disant  qu'ils  ne  veulent  pas  se  faire  ordonner . 
Cet  abus  doit  cesser,  celui  qui  quitte  une  église  doit  léguer  à  sou 
successeur  tous  les  biens  de  cette  éghse  sans  y  avoir  touché. 

5.  De  scrutinio.  Correspond  au  c.  10  de  Mayence  sur  l'examen 
de  ceux  qui  veulent  être  ordonnés. 

6.  De  renuntiaiione.  Correspond  pour  le  fond  au  c.  11  de 
Mayence.  Nul  ne  doit  abdiquer  un  bénéfice  sans  l'assentiment  de 
l'évoque. 

7.  De  temporiùus  ordinationum.  Identique  pour  le  fond  au  c.  12 
de  Mayence. 


étNÔDES"  SOUS   BONIFACE  ÏX,    DE   1389  A   1404.  ^2f 

8.  De  dericis  j)eregrinis.  Correspond  en  partie  au  c.  15  de 
Mayence.  Les  clercs  étrangers  ne  doivent  pas,  même  lorsqu'ils 
ont  des  litterœ  formatœ,  être  admis  à  célébrer,  s'ils  n'ont  des 
lettres  de  l'évêque  ou  de  son  vicaire. 

9.  De  offlcio  Ordinarii.Houi  évêque  doit  prêcher  dans  sa  cathé- 
drale au  moins  aux  principales  fêtes;  ou  bien  il  fera  prêcher  en 
sa  présence  un  clerc  habile  à  porter  la  parole,  mais  l'évêque  dira 
lui-même  la  messe  et  donnera  l'indulgence.  L'évêque  aura  tou- 
jours une  prison  particulière  pour  les  clercs,  où  ceux-ci  seraient 
enfermés  sans  être  eu  contact  avec  les  autres  criminels. 

10.  De  offlcio  Delegati.  Il  arrive  que  des  clercs  et  des  moines 
n'ont  pas  assez  d'énergie  pour  défendre  leurs  droits;  aussi,  dans 
chaque  diocèse,  étabhra-t-on  des  procureurs  fiscaux  qui  rési- 
deront dans  des  lieux  où  ils  n'ont  pas  à  craindre  le  pouvoir  des 
tyrans,  et  ces  procureurs  fiscaux  seront  chargés  de  traiter  les 
procès  en  question.  S'il  s'agit  de  prêtres  pauvres,  l'évêque 
supportera  les  frais.  Viennent  ensuite  quatre  anciennes  ordon- 
nances de  l'archevêque  Burchard  ex  concilio  Hallensi  qui  ne  se 
trouvent  pas  dans  les  actes  (incomplets)  du  synode  de  Halle  de 
l'année  1320. 

ii.  De  majoritate  (prééminence)  e^  obedientia.  Correspond  au 
0.  25  du  synode  de  Mayence.  Aucun  chapelain  de  château  ne  doit 
célébrer  etc.  sans  la  permission  de  l'évêque  ou  du  doyen. 

12.  De  his  quœvi  etmetus  causa  fîunt.  Beaucoup  de  curés,  etc., 
n'accomplissent  pas  les  ordres  de  leur  évêque  (par  crainte 
de  leurs  seigneurs  temporels).  Il  ne  doit  plus  en  être  ainsi  à 
l'avenir,  mais  ils  doivent  tout  souffrir  plutôt  que  de  se  montrer 
désobéissants.  Cf.  c.  31  de  Mayence. 

13-16.  Identiques  aux  ce.  33,  34,  35,  41,  44  et  49  de  Mayence. 

il  .De  cohabitatione  clericorum.  Les  clercs  ne  doivent  pas  aller 
dans  les  chambres  ordinaires  de  bains,  où  se  trouvent  toutes 
sortes  de  personnes  suspectes.  Ils  iront  dans  les  salles  de  bains 
dépendantes  de  leur  église,  ou  qui  se  trouvent  dans  leur  propre 
maison.  II  y  aura  une  salle  de  bains  pour  chaque  église  cathé- 
drale ou  collégiale  et  il  en  sera  de  même  pour  les  couvents. 

18.  De  concuhinariis .  Conforme  aux  canons  51  et  53  de 
Mayence. 

19.  De  institutionibus .  De  l'installation  des  clercs;  identique 
aux  ce.  57  et  138  de  Mayence,  avec  une  nouvelle  clause  insérée 
au  milieu  pour  dire  que  les  templiers  et  les  chevaliers  de  l'Hô- 


228         SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404. 

pital,  etc.,  qui  plaçaient  des  clercs  séculiers  dans  des  églises  à 
eux  appartenant  devaient  leur  fournir  ce  qui  était  nécessaire  pour 
leur  entretien. 

20.  De  sede  vacante.  Identique  à  62  et  63  de  Mayence. 

21.  De  rébus  ecclesiœ  non  alienandis.  Identique  à  64,  68,  69, 
70,71,  65,  67,  de  Mayence. 

22.  De  emptioneet  venditione.  Conforme  au  c.  73  de  Mayence. 

23.  De  ingnoribus.  Il  est  défendu  de  faire  des  saisies  pour 
forcer  les  clercs  à  comparaître  par-devant  les  tribunaux  civils; 
conforme  au  G,  6  du  synode  de  Magdebourg  de  l'année  1322 
(§  705).  Yiennent  ensuite  deux  autres  décrets  d'un  synode  de 
Halle  sous  Burchard  qui  forment  une  seule  rubrique;  ils  rappel- 
lent, en  effet,  le  c.  5  de  Halle  et  défendent  d'imposer  un  autre 
seigneur  à  une  localité  (?). 

24.  De  testamentis .  Identique  aux  canons  75,  76,  79,  80  de 
Mayence. 

25.  De  sepultvris .  Identique  au  canon  81  de  Mayence,  avec  une 
grande  addition  contre  les  empiétements  des  laïques  qui  pré- 
tendent donner  des  ordres  pour  les  églises  et  les  ornements  ecclé- 
siastiques lorsqu'il  s'agit  des  enterrements  et  des  mariages;  qui, 
dans  ces  occasions,  ne  tiennent  pas  compte  des  interdits  et  qui 
s'obstinent  à  commander  ce  qui  a  trait  à  la  procession  des  funé- 
railles et  aux  messes  de  mort. 

26.  De  parochiis  et  alienis  parochianis.  Provient  du  c.  6  du 
synode  de  Halle  de  l'année  1320,  et  s'inspire  aussi  du  c.  83  de 
Mayence,  et  du  c.  23  du  synode  de  Magdebourg  de  l'année  1315. 

27.  De  imaginibus.  Provient  du  c.  22  de  Magdebourg,  de 
l'année  1315. 

28.  De  statu  monachorum.  Rappelle  en  partie  les  canons  84, 85, 
90,  91,  92  de  Mayence. 

29.  De  capellis  monachorum.  Se  rapporte  au  c.  95  de  Mayence 
avec  une  addition. 

30.  De  jure  patronatus.  Se  rapporte,  on  partie,  au  c.  97  do 
Mayence. 

31.  De  consecratione  ecclesiœ  vel  altaris.  Se  rapporte  au  c.  99 
de  Mayence. 

32.  De  celebratione  missarum.  Contre  l'babitudc  de  faire  des 
banquets  lors  des  prémices.  Conforme  au  c.  102  de  Mayence. 

33.  De  baptisino.  Conforme  au  c.  103  de  Mayence. 


SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404,         229 

34.  De  sacra  unctiojie.  On  doit  prononcer  distinctement  les  pa- 
roles du  formulaire. 

35.  De  custodia  eucharistiœ.  Conforme  au  o.  104  de  Mayence, 
avec  quatre  additions,  a)  Les  clercs  et  les  sonneurs  qui  servent  le 
prêtre  à  l'autel  et  dans  ses  autres  fonctions  doivent,  s'ils  sont 
prêtres,  porter  le  surplis.  Quant  aux  sonneurs  ils  auront  une  ca- 
misia  alha  et  ces  habits  seront  achetés  par  la  fabrique,  h]  Déjà  le 
pape  Urbain  VI,  d'heureuse  mémoire,  avait  défendu  aux  moines 
mendiants  d'exposer  le  corps  du  Christ  (pour  le  faire  vénérer 
pendant  le  temps  de  l'interdit).  On  doit  observer  fidèlement 
cette  règle,  c)  Aucun  clerc  ne  doit  dire  la  messe  sans  un  servant. 
d)  Manière  d'apporter  l'eucharistie  aux  malades. 

36.  De  observatione  jejunii.  Se  rapporte  au  canon  105  de 
Mayence  avec  cette  addition  :  le  confesseur  doit  détourner  les 
fidèles  des  jeûnes  superstitieux. 

37.  De  ecclesiis  œdificandis.  Conforme  aux  ce.  106  et  108  de 
Mayence. 

38.  De  immuiiitate  ecclesiarum.  Se  rapporte  aux  ce.  109-115  de 
Mayence. 

39.  De  sponsalibus  et  matrimonio .  Se  rapporte  au  c.  116  de 
Mayence,  avec  une  addition  portant  qu'aucun  laïque  ne  doit 
donner  la  bénédiction  nuptiale. 

40.  Si  les  chapitres  des  églises  cathédrales  et  collégiales,  les 
abbés  etc.,  négUgent  d'envoyer  des  personnes  continuer  leurs 
études,  ils  n'en  devront  pas  moins  payer  à  l'évêque  la  somme 
destinée  aux  étudiants.  Les  prévôts  de  campagne  (doyens),  les 
plebani  et  les  curés  qui  peuvent  consacrer  trente  florins  aux 
études  doivent,  pendant  trois  ans,  étudier  la  théologie  ou  le  droit 
canon  dans  une  école  privilégiée, s'ils  ne  l'ont  déjàfait  auparavan  f, 
ou  bien  ils  payeront  à  l'évêque  cette  somme  de  trente  florins. 
Aucun  chanoine  ne  peut  avoir  une  place  ou  bien  voix  au  chapitre, 
s'il  n'a  étudié  deux  années  entières  (se  rapporte  à  la  fin  de  la  ru- 
brique de  magistris) . 

41 .  De  cognatione  spirituali.  On  ne  permet  que  deux  parrains. 

42  De  magistris.  Gomme  le  besoin  de  clercs  instruits  se  fait  gé- 
néralement sentir,  il  faudra  qu'un  membre  du  chapitre  de  l'église 
métropolitaine  étudie  la  théologie,  un  autre  le  droit  canon,  un 
troisième  le  droit  civil  ;  dans  les  autres  cathédrales,  deux  mem- 
bres étudieront  l'un  la  théologie,  l'autre  le  droit  canon  et  le  droit 
civil,  enfin  dans  les  églises  collégiales  et  dans  les  couvents,  il  y 


230         SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404. 

en  aura  au  moins  un  à  étudier  la  théologie  ouïe  droit  canon.  Pour 
qu'ils  puissent  le  faire,  ils  jouiront,  trois  ans  durant,  des  revenus 
jnctacts  de  leur  prébende  et  dans  le  cas  de  nécessité  ils  seront 
soutenus,  si  cela  est  nécessaire,  par  le  doyen  et  le  chapitre;  les 
couvents  pourvoiront  d'eux-mêmes  aux  frais  nécessaires  pour 
qu'un  homme  du  couvent  puisse  étudier.  Les  prévôts  de  cam- 
pagne, les  plebanÎQi  les  curés  qui  peuvent  employer  tous  les  ans 
au  moins  trente  florins  pour  l'étude  doivent  étudier,  trois  ans 
durant,  le  droit  canon  ou  la  théologie.  S'ils  veulent  rester  plus 
longtemps  dans  les  écoles  et  obtenir  le  doctorat  ou  le  magiste- 
rium,  l'évêque  le  leur  permettra  si  l'on  a  pourvu  à  leur  rempla- 
cement. Quant  aux  chanoines  qui  veulent  obtenir  un  grade,  on 
leur  accordera  le  double  des  revenus  de  leurs  prébendes. 

43.  De  Judœis.  Se  rapporte  aux  ce.  122  et  123  de  Mayence. 

44.  De  hœreticis  (et  schismaticis).  On  devra  invoquer  le  bras 
séculier  pour  les  détruire. 

45.  De  maleficiis  (et  non  pas  schismaticis ^  comme  on  l'a  écrit 
bien  à  tort).  Peines  sévères  contre  les  sorciers,  etc. 

46.  De  apostatis.  Des  clercs  excommuniés  passent  dans  des 
diocèses  étrangers  et  y  exercent  des  fonctions;  on  devra  veiller 
à  ce  que  ces  faits  ne  se  renouvellent  plus.  Piappelle  le  137  du 
synode  de  Mayence. 

47.  De  raptoribus.  Punition  de  ceux  qui  font  un  clerc  prison- 
nier, qui  le  maltraitent,  qui  le  tuent,  etc.  Rappelle  en  grande 
partie  les  canons  127-130  de  Mayence  avec  des  additions. 

48.  De  usuris.  Se  rapporte  aux  ce.  133  et  134  de  Mayence. 

49.  Decrimine  falsi.  Se  rapporte  au  c.  135  de  Mayence  . 

hQ.Desortilegiis.  Se  rapporte  au  c.  136  de  Mayence  (vient  en- 
suite une  défense  pour  que  le  clerc  excommunié  ne  puisse  celé' 
brer).  Provient  du  c.  137  de  Mayence,  mais  conviendrait  mieux 
à  la  rubrique  46  de  apostatis. 

^i.Deprivilegiiset  excessihus privilegiatorum.  Se  rapporte  aux 
ce.  138  et  139  de  Mayence. 

52.  De  pœnis.  à)  Punition  de  ceux  qui  emprisonnent  une  per- 
sonne de  l'église  ou  les  domestiques  de  cette  personne  ou  qui 
s'emparent  de  ses  biens,  b)  Punition  des  moines  mendiants,  parti- 
culièrement des  terminarii  (destinés  à  aider  dans  la  pratique  du 
ministère  les  prêtres  de  tel  district),  qui,  avec  ou  sans  les  habits 
de  leur  ordre,  vaguent  de  droite  et  de  gauche  et  deviennent  une 
charge  pour  les  ecclésiastiques  qui  vivent  avec  de  mauvaises 


SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404.         231 

femmes  nommées  Marthœ,  qni  cherchent  à  gagner  leur  vie 
comme  médecins  ou  comme  artistes,  qui  vont  dans  des  bains 
communs,  c)  Punitions  de  ceux  qui  attaquent  un  évêque  avec  des 
sentiments  hostiles,  qui  Temprisonnent,  etc.  Conforme  au  c.  140 
de  Mayence  avec  une  addition,  cl)  Punition  de  ceux  qui  maltrai- 
tent, qui  emprisonnent  la  domestique  ou  laparente  d'un  clerc,  ou 
qui  abusent  d'elle,  é)  Contre  les  injustes  prises  de  possession  de 
biens  (ne  doit  pas  faire  partie  de  la  présente  rubrique,  mais  bien 
de  celle  de  pignoribus.  En  effet  on  trouve  les  mêmes  mots  à  la 
flnde  cette  rubrique  de  pignoribus), 

53.  De  confessionibus  et  pœnitentia.  Identique  aux  ce.  141- 
144,  147  dernière  phrase  et  148-150  de  Mayence. 

54.  De excommunicatione .  Identique  au  c.  153  de  Mayence. 

55.  De  verborum  significatione:  Sur  l'exécution  des  présents 
statuts  et  sur  le  sens  de  quelques  expressions  usitées  dans  les 
décrets  épiscopaux.  Les  rubriques  se  terminent  par  quelques 
regulœ  juris,  comme  dans  le  c.  157  de  Mayence  ^ 

En  1391,  Guillaume  Gourtney,  ce  même  archevêque  de  Cantor- 
béry  que  nous  avons  vu  ennemi  déclaré  de  Wiclif,  renouvela, 
dans  un  synode  de  Londres  "^^  l'ordonnance  de  l'un  de  ses  prédé- 
cesseurs Robert  de  Winchelsea  rendue  en  1305;  cette  ordon- 
nance portait  que  les  prêtres  de  paroisse  ne  devraient  pas  être 
molestés  par  les  autres  prêtres  au  sujet  des  droits  d'élole,  etc. 

Un  autre  synode  anglais  tenu  à  Stanford,  en  mai  1392,  s'occupa 
de  nouveau  de  l'affaire  d'Henri  Crompe,  professeur  à  l'univer- 
sité d'Oxford  et  membre  de  l'ordre  des  cisterciens  ^ 

Guillaume,  évêque  de  Meath,  avait  communiqué  à  l'université 
d'Oxford  la  sentence  portée  contre  Crompe,  afin  que  cette  uni- 
versité sût  à  quoi  s'en  tenir  touchant  cet  hérétique.  Nous  ne  sa- 
vons pas  ce  qui  se  passa  immédiatement  après  cet  incident,  mais 
nous  voyons  en  1392  Crompe  comparaître  par-devant  le  synode 
de  Stanford  ;  on  lui  reproche  dix  propositions  publiées  contre  les 
moines   mendiants  et  contre   les  confessions   reçues  par  ces 


(1)  Haezheim,  t.  V,  Supplém.  p.  676-722;  moins  complet^  Ibid.  t.  IV,  p.  411- 
427,  et  Mansi,  t.  XXVI,  p.  567-589  ;  en  allemand,  dans  Binterim,  Deutsche  con- 
cilien,  Bd.  VI,  S.  466-524  (avec  une  autre  manière  de  compter  les  ru])riqucs). 
Vgl.  Ibid.  S.  189  ff. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  767.  —  Hard.  1.  c.  p.  i913. 

(3)  Nous  ne  connaissons  ce  synode  que  par  les  Fascis.  zù.  1.  c.  p.  343  sqq. 
et  p.  356  sq. 


232  SYNODES    SOUS   BONIFACE   IX,    DE    1389    A    J404, 

moines  ^  Grompe  rejeta  les  dix  propositions  comme  n'étant  pas 
les  siennes  et  il  exposa  son  sentiment  dans  neuf  autres  thèses 
dont  nous  possédons  encore  les  dernières.  On  s'appuya  sur  ce 
dernier  travail  de  Grompe  pour  lui  interdire  toute  fonction  dans 
l'université  jusqu'à  ce  que  l'archevêque  lui  eût  donné  de  nou- 
velles autorisations  spéciales.  Le  roi  Richard  porta  une  sentence 
analogue  le  20  mars  1393  ^. 

Mansi  (p.  770  sqq.)  désigne  comme  un  concile  d'Utrecht  tenu 
en  1392  une  assemblée  qui  ne  fut  cependant  pas  un  synode  pro- 
prement dit,  mais  plutôt  un  tribunal  composé  de  Florentins,  ar- 
chevêque d'Utrecht,  et  de  ses  suffragants  ;  ces  évêques  s'étaient 
réunis  pour  juger  un  moine  qui  s'était  fait  passer  faussement 
pour  évêque  et  avait  exercé  des  fonctions  épiscopales  dans  les 
diocèses  de  Trêves,  de  Mayence  et  de  Strasbourg  ;  il  fut  dégradé  et 
livré  au  bras  séculier,  c'est-à-dire  au  maire  et  aux  échevins  d'U- 
treclit,  qui  le  condamnèrent  à  mort.  On  commença  par  le  brûler  à 
moitié,  et  puis  on  consentit  à  commuer  sa  peine  en  la  décapi- 
tation. 

Sous  le  tit,  de  Concilium  parisiense  du  2  février  1394,  Mansi 
(p.  774)  sqq.  etHardouin  (p.  1916)  donnent  les  deux  capitula  de  la 
Chronique  du  moine  de  Saint-Denis  [Histoire  de  Charles  VI)  qui 
furent  promulgués  par  cette  réunion  mi-partie  ecclésiastique  et 
mi-partie  laïque,  prescrite  par  Gharles  VI  à  Paris  le  2  février  1395. 
Nous  avons  déjà  parlé  plus  haut  de  ces  deux  décrets,  qui  avaient 
pour  but  d'aider  à  l'extirpation  du  schisme  ;  nous  avons  égale- 
ment fait  mention  de  la  lettre  et  des  ambassadeurs  que  BenoîtXIII 
(Pierre  de  Luna)  envoya  au  roi  de  France  dès  qu'il  fut  nommé 
antipape  dans  les  derniers  mois  de  1394.  Mansi  (1.  c.  p.  1381)  a 
cru  bien  à  tort  que  ces  documents  étaient  un  appendice  au  pré- 
tendu synode  de  Paris  du  2  février  1394.  On  ne  s'explique  pas 
non  plus  pourquoi  Mansi  a  emprunté  à  Martène  (  Vet.  Script. 
t.'  VII,  p.  459  sqq.)  la  liste  des  prélats  présents  à  cette  autre 
réunion  de  Paris  qui  eut  heu  au  mois  de  février  1395  (p.  781 


(1)  L'éditeur  anglais  des  FasczV?.  ziz.  a,  surceijoint,  fait  deux  fautes  gros- 
sières dans  ses  notes.  A  la  p.  344,  note  1,  il  aurait  dû  citer  Exlrav.  cotnm. 
lib.  V,  tit.  3,  C.2  dti  hœreticis,  au  lieu  de  lib.  III,  tit.  de  censibus;  de  même  à 
la  p.  346,  note  1,  il  aurait  dû  citer  Clémentinar.,  lib.  III,  tit.  7,  c.  "2,  au  lieu 
de  Décret,  pars  IL  causa  XIX,  q.  1  ;  enfin,  à  la  p.  344,  note  1,  il  aurait'dû  citer 
Raynald,  1321,  20-37  incU,  où  cette  atïaire  est  traitée  avec  beaucoup  de 
suite. 

C?)  Tn^ric.  ziz.  1.  c.  p.  358  sq. 


I 


SYNODES   SOUS   BONIFACE   IX,    DE    1389    A    1404.  233 

sqq.),  puisqu'il  avait  déjà  donné  cette  liste  p.  773  sqq.,  enla  pre- 
nant dans  la  Chronique  du  moine  de  Saint-Denis.  Ce  qui  vient 
dans  Mansi  p.  783-785  après  cette  susdite  liste  est  un  document 
notarié  encore  emprunté  à  Martène  et  contenant  le  rapport  que  le 
patriarche  d'Alexandrie  Simon  de  Cramaud,  président  de  cette 
réunion  tenue  à  Paris,  fit  au  roi  le  1 8  février  1395,  et  dans  lequel 
il  fit  connaître  les  décisions  de  l'assemblée  des  prélats, sans  oublier 
d'indiquer  la  manière  de  voir  delà  minorité.  Conformément  aux 
décisions  prises  par  l'assemblée  deParis,  Charles  VI envoya  alors 
à  Avignon  une  très-haute  ambassade  pour  traiter  avec  Benoît  XIII 
du  rétablissement  de  l'unité  ecclésiastique.  A  la  tête  de  cette  am- 
bassade se  trouvaient  les  oncles  du  roi,  les  ducs  de  Berry  et  de 
Bourgogne,  ainsi  que  son  frère  le  duc  d'Orléans,  et  les  instructions 
détaillées  données  à  ces  ambassadeurs  par  le  roi  ont  été  insérées 
par  Mansi  p.  787-808,  qui  les  a  empruntées  à  Martène.  Au  fond,  ces 
notes  ne  sont  qu'une  traduction  française  et  un  remaniement  du 
vote  de  la  majorité  dans  l'assemblée  de  Paris  du  2  février  1395. 

Une  seconde  réunion,  ou,  si  l'on  veut,  un  second  synode 
touchant  la  pacification  de  l'Eglise  eut  lieu  à  Paris  dans  l'au- 
tomne de  cette  même  année  1395. 

Le  synode  ou  convocation  qui  eut  lieu  dans  l'église  de  Saint- 
Paul  de  Londres,  au  mois  de  février  1396,  sous  la  présidence  de 
Thomas  Arundel  archevêque  de  Cantorbéry,  accorda  au  roi  une 
demi-dîme  sur  les  biens  ecclésiastiques,  vida  des  conflits  sur- 
venus entre  les  membres  de  l'université  d'Oxford,  car  plusieurs 
de  ces  membres  prétendaient,  au  mépris  du  droit  canon, être  tout 
à  fait  exempts  de  la  juridiction  épiscopale,et  censura  dix-huit  pro- 
positions extraites  des  ouvrages  de  Wiclif. 

Voici  ces  propositions  : 

1.  La  substance  du  pain  reste  après  la  consécration. 

2.  De  même  que  Jean-Baptiste  a  été  appelé  Éhe  d'une  manière 
figurée,  de  même  le  pain  n'est  appelé  le  corps  du  Christ  que  d'une 
manière  figurée  et  non  pas  natur aliter . 

3.  La  curie  romaine  a  déclaré  elle-même  dans  le  chapitre  Ego 
Berengarius  (c'est-à-dire  dans  la  profession  de  foi  que  Berenger 
dut  émettre  à  Rome  en  1059,  c.  42,  dist.  II,  de  consecr.),  que  le 
sacrement  de  l'Eucharistie  était  naturaliter  un  pain  véritable 
(Wiclif  veut  tirer  cette  conclusion  de  ces  expressions  :  manibiis 
sacerdotum  tractari  vel  frangi)^  etc. 


234         SYNODES  sous  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  i404. 

4.  On  ne  peut  pas  soutenir  que  des  enfants  qui  meurent  sans 
baptême  ne  puissent  être  heureux. 

5.  Les  évêques  n'ont  pas  exclusivement  le  pouvoir  de  donner 
la  confirmation . 

6.  Au  temps  des  apôtres,  il  n'y  avait  que  des  prêtres  et  des 
diacres,  et  non  pas  des  papes,  des  patriarches,  des  archevêques; 
c'est  la  vanité  des  empereurs  qui  a  introduit  tous  ces  grades. 

7.  Les  personnes  âgées  qui  ne  peuvent  plus  espérer  d'avoir 
d'enfants  ne  doivent  pas  se  marier. 

8.  Il  est  injuste  de  casser  des  mariages  pour  des  raisons  de 
parenté  ou  d'affinité. 

9.  On  doit  préférer  ces  mots  Accipiam  te  in  uxoremk  ceux-ci 
Ego  accipio  te  in  uxorem  (mais  les  premiers  n'indiquent  qu'un 
contrat  de  futuro) . 

10.  Il  existe  dix  procureurs  de  l'Antéchrist  :  les  papes,  les  car- 
dinaux, les  patriarches,  les  évêques,  les  archidiacres,  les  offî-' 
ciales,  les  doyens,  les  moines  et  les  canonici  bifurcati  (ayant des 
barrettes  à  deux  pointes). 

11.  Dans  l'Ancien  Testament,  les  prêtres  et  les  lévites  n'ob- 
tinrent pas  une  partie  du  territoire  ;  on  leur  assigna  uniquement 
les  dîmes  et  les  dons  volontaires. 

12.  Un  hérétique  et  l'Antéchrist  ne  sont  pas  pires  que  le 
clerc  qui  prétend  que  les  prêtres  et  les  lévites  de  la  nouvelle  loi 
peuvent  posséder  des  biens  temporels. 

13.  Les  seigneurs  temporels  non-seulement  peuvent,  mais 
même  doivent  enlever  les  biens  temporels  aux  églises  qui  ont 
des  fautes  à  se  reprocher. 

14.  Si  l'extrême-onction  était  un  sacrement,  le  Christ  et  les 
apôtres  en  auraient  parlé. 

15.  Dans  l'Éghse,  le  plus  humble  est  le  plus  élevé  en  dignité, 
c'est  celui-là  qui  est  le  véritable  vicaire  du  Christ. 

16.  Celui  qui  se  trouve  en  état  de  péché  mortel  n'est  pas  do- 
minus  alicujus  rei, 

17.  Tout  ce  qui  arrive  arrive  nécessairement. 

18.  On  ne  doit  croire  que  ce  que  le  pape  et  les  cardinaux  dé- 
duisent expressément  de  la  Bible  ;  tout  ce  qu'ils  pensent  en  de- 
hors de  cela  est  hérétique  ^ . 

Le  dimanche  de  Lœtare,  12  mars  de  cette  même  année  1396, 


;i)  Mansi,  1.  c.p.  811  sq. 


SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404.         235 

un  synode  suédois  tenu  à  Arboga  sous  la  présidence  d'Henri, 
archevêque  d'Ypsala,  porta  les  ordonnances  suivantes  : 

1 .  Si  un  prêtre  bénit  un  mariage  pendant  le  temps  défendu,  il 
perdra  sa  place. 

2.  A  l'avenir,  les  laïques  ne  devront  pas  venir  à  l'église,  faire 
bénir  leur  mariage  très-peu  de  jours  avant  le  temps  défendu, afin 
de  pouvoir  jouir  ensuite  de  la  copiila  carnis  pendant  le  temps 
défendu;  durant  ces  temps, en  effet, on  doit  s'abstenir  des  plaisirs 
charnels  et  des  jouissances  mondaines. 

3.  Désormais  on  devra  célébrer  la  fête  de  S.  Mathias  le  25  fé- 
vrier au  lieu  du  24. 

4.  Celui  qui  commet  un  homicide  le  dimanche  devra,  pour  le 
reste  de  sa  vie,  s'abstenir  de  manger  de  la  viande  le  dimanche  ; 
si  le  crime  a  été  commis  le  vendredi,  le  coupable  ne  pourra  pas 
manger  de  poisson  le  vendredi;  enfin,  si  c'est  le  samedi,  le  cou- 
pable ne  pourra  pas  manger  de  laitage  et  aucun  évêque  ne  pourra 
accorder  de  dispense. 

5.  Les  voleurs,  les  pirates,  les  incendiaires,  etc.,  ne  devront 
pas  être  enterrés  avec  les  cérémonies  de  l'Église,  s'ils  ne  res- 
tituent. 

6.  La  fête  de  Ste  Brigitte  sera  célébrée  solennellement  le 
7  octobre. 

7.  Les  clercs  étrangers  ne  doivent  pas  être  admis  aux  fonctions 
ecclésiastiques. 

8.  Un  évêque  ne  doit  pas  confier  sa  juridiction  à  un  laïque, 
c'est-à-dire  prendre  un  laïque  pour  vicaire  général. 

9.  Les  statuts  du  cardinal  de  Sabine  doivent  être  répandus 
partout  dans  des  copies  et  être  lus  tous  les  ans  dans  les  synodes 
diocésains. 

10.  Toute  église  cathédrale  doit  avoir  un  registre  des  docu- 
ments qui  établissent  ses  privilèges  ^ . 

Au  mois  de  janvier  de  l'année  1397  ou  1398^  eut  lieu  à  Avi- 
gnon un  conseil  de  plusieurs  cardinaux  ou  évêques  du  parti  de 
Benoît  XIII.  Ils  étudièrent  à  difi'érents  points  de  vue  la  question 
de  savoir  lequel  du  pape  d'Avignon  ou  de  celui  de  Rome  était  le 
pape  légitime  et  ils  se  décidèrent  en  faveur  du  premier  ^ .  C'était 
précisément  l'époque  où  la  France  commençait  à  parler  de  l'a- 


[\)  Mansi,  1.  c.  p.  807  sqq. 
(2)  Mansi,  1.  c.  p.  819  sqq. 


236         SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404. 

bandon  de  l'obédience,  et  le  but  de  cette  délibération  était  certai- 
nement de  rendre  le  roi  de  France  attentif  à  ce  qui  militait  en 
faveur  de  Benoît.  Mais  le  roi  Charles  VI  n'en  continua  pas  moins 
à  marcher  dans  la  voie  où  il  s'était  engagé,  et  il  réunit  dans  le 
mois  de  mai  1398  le  troisième  concile  touchant  l'affaire  de  la 
pacification  de  l'Eglise.  Nous  avons  raconté  plus  haut  comment 
le  dernier  résultat  de  cette  assemblée  fat  une  déclaration  solen- 
nelle de  l'abandon  de  l'obédience. 

Quelques  semaines  auparavant,  au  mois  de  mars  139(S,  avait 
eu  lieu  une  réunion  des«évêques  anglais  dans  la  cathédrale  de 
Londres,  pour  célébrer  une  fête  nationale,  c'est-à-dire  les  fêtes 
des  saints  évêques  David,  Gedda  et  Thomas  Becket,  ainsi  que  de 
la  vierge  Ste  Wenefrida  ^ . 

Richard  II  roi  d'Angleterre  étant,  par  suite  de  diverses  circons- 
tances, devenu  plus  puissant,  notamment  par  suite  de  son  ma- 
riage avec  Isabelle  de  France,  fille  du  roi  Charles  VI  (1397), 
commença  à  se  venger  de  ses  anciens  adversaires;  il  les  fit  ac- 
cuser du  crime  de  haute  trahison,  particulièrement  son  oncle  le 
duc  de  Glocester,  Thomas  Arundel,  archevêque  de  Cantorbéry, 
et  le  frère  de  ce  dernier,  Richard  comte  d'Arundel,  ainsi  que 
d'autres  personnes,  dans  l'été  de  1397.  Ils  furent  appréhendés 
au  corps,  jugés  et  déclarés  coupables  ;  Richard  Arundel  fut  dé- 
capité; le  duc  fut,  d'après  la  rumeur  publique,  massacré  dans  sa 
prison,  et  enfin  l'archevêque  et  d'autres  personnes  furent  exilés 
à  perpétuité  ^.  Pendant  que  l'archevêque  vivait  à  Cologne  dans 
l'exil,  le  prieur  et  le  chapitre  de  Cantorbéry  convoquèrent  un 
synode  ^.  Mais  cette  assemblée  n'eut  lieu  qu'après  une  révolu- 
tion qui  se  fit  sur  le  trône.  Le  roi  Richard  avait  également  banni 
son  cousin  Henri  duc  d'Hereford  (fils  de  Jean,  duc  de  Gand-Lan- 
caster).  Ce  duc  forma  une  ligue  avec  l'archevêque  exilé  et 
d'autres  personnages  pour  revenir  en  Angleterre  et  s'emparer 
du  roi.  Ils  choisirent  pour  exécuter  leurs  projets  le  moment  où 
le  roi  Richard  était  en  Irlande  ;  ils  débarquèrent  sur  la  côte  an- 
glaise le  4  juillet  1399,  et  ils  réussirent  si  bien  que  Richard  fut 
fait  prisonnier  et  forcé  d'abdiquer  ;  aussi  le  duc  Henri,  qui 
depuis  la  mort  de  son  père  portait  le  titre  de  duc  de  Lancastre 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  914. 

(2)  Pauli,  Gesck.  von  Erujland,  Bd.  IV,  S.  G03-611.  —  Lingarq,  Bd.  IV, 
S.  274-286. 

(3)  Man=i,  1.  c.  p.9i8. 


SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX,  DE  1389  A  1404.         237 

au  lieu  de  duc  d'Hereford,  monta  sur  le  trône  d'Angleterre  le 
30  septembre  1399,  quoiqu'il  existât  un  héritier  plus  direct  dans 
la  maison  de  Clarence  ;  de  là  naquit  cette  terrible  guerre  de  la 
Rose  blanche  et  de  la  Eose  rouge  qui  dura  trente  ans  ^. 

Le  nouveau  roi  Henri  IV  fut  couronné  le  13  octobre  1399  par 
l'archevêque  Thomas  Arundel.  A  la  même  époque  eut  lieu  à  Lon- 
dres, un  synode, et  le  roi  y  envoya,  avant  même  son  couronnement, 
quelques  membres  de  la  haute  noblesse  pour  déclarer  qu'il  ne 
voulait  pas,  comme  ses  prédécesseurs,  surcharger  ses  clercs  de 
redevances,  qu'il  se  contenterait  de  leur  demander  des  subsides 
dans  les  cas  d'extrême  nécessité,  du  reste  qu'il  se  proposait  de 
protéger  les  libertés  de  l'Église  et  de  combattre  de  toutes  ses 
forces  les  hérésies.  L'archevêque  fît  ensuite  dresser  une  liste  de 
tous  les  abus  dont  l'Église  avait  eu  particulièrement  à  se  plaindre, 
et  comme  il  y  avait  aussi  des  réclamations  contre  le  pape  (à 
cause  des  demandes  d'argent), le  collecteur  pontifical  qui  se  trou- 
vait précisément  à  Londres  fut  invité  à  se  rendre  à  l'une  des  ses- 
sions suivantes.  Il  promit  de  réaliser  dans  la  mesure  de  ses  forces 
les  vœux  de  l'épiscopat  anglais.  Après  le  couronnement  qui  eut 
lieu  le  16  octobre,  on  lut  enfin  cette  liste  des  griefs  qui  avait  été 
faite  dans  l'intervalle  et  ne  comprenait  pas  moins  de  soixante- 
trois  numéros.  Elle  contenait  un  grand  nombre  de  points  que 
l'épiscopat  anglais  pouvait  lui-même  améliorer,  tandis  que,  pour 
d'autres,  l'amélioration  ne  pouvait  venir  que  du  roi  ou  du  pape. 
Alors  aussi  fut  prescrite  pour  toute  l'Angleterre  la  fête  de 
S.  Georges  *. 

Un  autre  synode  de  Londres,  tenu  au  commencement  de 
l'année  1401,  s'occupa  des  wiclifites;  il  s'ouvrit  le  29  janvier  de 
cette  année  et  le  roi  y  envoya  une  commission  pour  engager  les 
prélats  à  prendre  des  mesures  contre  l'hérésie.  Les  affaires  du 

(1)  Le  roi  Edouard  III  eut  sept  fils;  deux  étaient  morts  encore  enfants  ; 
vinrent  ensuite  :  1)  le  prince  Noir,  2)  Lionel,  duc  de  Clarence,  3)  Jean,  duc 
de  Grand,  4)  Edmond,  duc  d'York,  et  5)  Thomas,  duc  de  Glocester.  Le  prince 
Noir  étant  mort  avant  son  père,  ce  fut  son  fils  Richard  II  qui  succéda  au 
roi  Edouard  III.  Richard  ayant  abdiqué,  la  couronne  devait  revenir  à  Ed- 
mond Mortimer,  petit-fils  de  Lionel  duc  de  Clarence.  La  fille  unique  de 
Lionel,  Philippe,  avait  épousé  Edmond,  comte  de  Mortimer  :  de  ce  mariage 
naquit  Roger  Mortimer,  qui  mourut  dès  l'année  1386,  mais  en  laissant  des 
enfants  dont  l'aîné,  Edmond,  âgé  de  sept  ans,  avait  droit  à  la  couronne 
d'Angletei-re.  Cet  Edmond,  ainsi  que  ses  frère  et  sœur,  mourut  sans  enfants, 
à  l'exception  d'Anna,  qui  épousa  Richard,  de  la  maison  d'York,  et  qui  fonda 
ainsi  les  prétentions  du  parti  de  la  Rose  blanche. 

(2)  Mansi,  l.c.  p.  918-936. 


238         SYNODES  SOUS  BONIFACE  IX ,  DE  1389  A  1404. 

parlement  obligèrent  de  remettre  ce  synode  au  12  février.  A 
cette  date,  on  obligea  à  comparaître  le  chapelain  Guillaume  Gha- 
trys,  surnommé  Sautre,  qui,  après  avoir  abjuré  ses  erreurs  en 
1399,  les  avait  embrassées  de  nouveau.  On  lui  présenta  huit 
fausses  propositions  qui  provenaient  de  lui. 

1.  Il  ne  voulait  pas  adorer  la  croix,  mais  seulement  le  Christ 
(on  emploie  dans  l'Église  l'expression  crucem  adorare,  parce 
qu'on  rapporte  à  la  croix  Vadoratio  qui  n'est  due  à  proprement 
parler  qu'au  crucifié.  Cette  métaphore  avait,  paraît-il,  scandalisé 
Sautre). 

2.  Il  disait  qu'il  préférait  adorer  un  roi  de  la  terre  qu'une  croix 
de  bois. 

3.  Ou  plutôt  encore  les  rehques  des  saints. 

4.  Oa  plutôt  encore  un  homme  qui  s'est  confessé  avec  des  sen- 
timents de  contrition. 

5.  Il  préférait  adorer  un  homme  prédestiné  qu'un  ange. 

6.  Si  quelqu'un  a  promis  de  faire  un  pèlerinage  à  Rome  ou  au 
tombeau  de  S.  Thomas  Becket,  etc.,  il  n'est  pas  obligé  de  remplir 
sa  promesse;  il  suffit  qu'il  donne  aux  pauvres  le  prix  de  cevoyage. 

7.  Un  prêtre  et  un  diacre  sont  beaucoap  plus  tenus  à  prêcher 
qu'à  dire  les  heures  canoniales. 

8 .  Le  pain  reste  après  la  consécration. 

Sautre  fut  interrogé  lesjours  suivants  surces  propositions,  elle 
19  février  il  fut  déclaré  hérétique.  Le  25  février,^ on  le  dégrada 
solennellement. 

Le  28  février,  un  autre  prêtre  le  chapelain  Jean  Purney  com- 
parut par-devant  le  synode  et  rétracta  ses  erreurs,  les  5  et  6  mars. 
Le  prêtre  Robert  Boweland,  recteur  de  l'église  de  Saint- Antoine  à 
Londres,  avoua,  les  8  et  13  mars, s'être  oublié  plusieurs  fois  avec 
une  religieuse  Alice  Wodelowe  du  prieuré  de  Nunneton.  Le 
11  mars,  le  synode  accorda  au  roi  une  dîme  et  demie  ^ 

Quelque  temps  après,  deux  synodes  tenus  à  Saint-Tiberi  dans 
la  province  de  Narbonne  (1402)  et  à  Avignon  (1403)  votèrent  des 
subsides  en  argent  pour  le  roi  de  France  2. 


(1)  Mansi,  I.  c.  p.  937-y5G. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  835  sqq.  et  957-098. 


SYNODES  TENUS  SOUS  GREGOIRE  XII,  ETC.  '2SQ 

§  732. 

SYNODES   TÉNUS   SOUS   GRÉGOIIIE   XII    JUSQU'a   l'oUVERTURE    DU    CONCILE 
DE   PISE,   DE    1406   A    1409. 

Les  autres  synodes  qui  ont  précédé  le  concile  de  Pise  appar- 
tiennent au  pontificat  de  Grégoire  XII,  qui  fut  élu  pape  par  les 
cardinaux  italiens  le  30  novembre  1406. 

La  chronique  d'Hermann  Corner,  dominicain  de  Lubeck,  nous 
fournit  quelques  renseignements  sur  un  concile  provincial  tenu  à 
Hambourg  en  1406;  elle  raconte  que  le  frère  mineur  Arnould 
de  Villa  Prcodii  dans  le  diocèse  de  Yercelli  avait  soutenu  que  qui- 
conque portait  l'habit  des  franciscains  ne  pouvait  être  damné, 
parce  que  S.  François  descendait  tous  les  ans  du  ciel  dans  le  pur- 
gatoire et  délivrait  tous  ceux  qui,  morts  dans  le  courant  de 
l'année,  avaient  porté  l'habit  de  son  ordre.  Ces  erreurs,  con- 
tinue Corner,  s'étaient  répandues  et,  quelque  temps  aupara- 
vant, elles  avaient  été  condamnées  en  sa  présence  par  un  synode 
provincial  tenu  à  Hambourg  sous  la  présidence  de  Jean  de  Sla- 
mestorp,  archevêque  de  Brème;  on  avait  reproché  aux  frères 
mineurs  de  prêcher  ces  erreurs  à  Lubeck  ^ . 

Afin  de  remédier  aux  nombreux  abus  qui  s'étaient  enracinés 
dans  l'Église  de  France  pendant  le  schisme,  Guido  de  Koye, 
archevêque  de  Reims,  convoqua  un  synode  provincial  pour  le 
21  juin  1407.  Comme  il  ne  put  se  réunir,  il  en  prorogea  le  délai 
jusqu'à  l'octave  de  la  Toussaint;  mais,  cette  fois  encore,  bien  peu 
de  prélats  répondirent  à  son  appel;  aussi  envoya-t-il  une  nou- 
velle lettre  d'invitation  pour  le  28  avril  1408  ^.  Le  célèbre  Gerson 
prononça,  dans  l'assemblée  qui  se  réunit  à  cette  dernière  date>: 
un  discours  sur  ce  texte  :  «  Le  bon  Pasteur  donne  sa  vie 
pour  ses  brebis,  »  et  il  exposa  jusque  dans  les  détails  quels 
étaient  les  devoirs  de  ceux  qui  avaient  charge  d'âmes.  Ce  dis- 
cours forma  naturellement  une  sorte  d'introduction  au  décret 
du  synode  qui  s'étendait  beaucoup  sur  l'article  des  visites  pas- 
torales. Le  visiteur  devait  s'informer  quels  étaient  les  vête- 
ments, la  tonsure  et  la  conduite  des  clercs,  quels  étaient  les 
revenus  et  l'état  des  bâtiments,  s'il  y  avait  une  annexe  sur  la 

(1)  MANbi,  t.  XXVI;  p.  1018.  —  BixTERiM,  DeuLiche  conciLM.  VII,  S.  61. 

(2)  Dans  Gousset,  Les  Actes,  etc.,  de  la  prov,  eccl,  de  Reims,  t.  II,  p.  639.    • 


240  SYNODES    TENUS   SOL'S    GREGOIRE   XII 

paroisse  et  si  elle  mettait  le  curé  dans  l'obligation  de  dire  deux 
messes  à  certains  jours,  si  le  curé  administrait  bien  les  sacre- 
ments, comment  il  se  conduisait  à  l'égard  des  malades,  s'il  célé- 
brait toujours  à  jeun,  s'il  ne  montrait  pas  l'hostie  au  peuple 
avant  la  consécration,  ce  qui  ne  convient  pas,  s'il  n'a  pas  célébré 
étant  suspendu,  s'il  a  toujours  dit  prime  avant  la  messe,  com- 
ment il  confesse,  s'il  tient  l'église  en  état  de  propreté,  s'il  a  des 
mœurs  irréprochables  ou  s'il  est  concubinaire,  s'il  est  joueur  ou 
buveur,  etc.  ;  si  à  la  Pâque  il  invite  quelques  confrères  pour 
l'aider  à  confesser;  si,  par  sa  faute,  quelqu'un  est  mort  sans 
sacrements;  si,  à  la  Pâque,  il  adonné  une  absolution  générale. 
Le  visiteur  doit  aussi  s'enquérir  de  l'état  des  paroissiens,  de 
l'état  des  couvents  et  des  hôpitaux.  Il  confessera  assidûment,  il 
absoudra  dans  les  cas  réservés;  si  cela  est  utile,  il  donnera  au 
curé  la  permission  d'absoudre  lui-même  dans  certains  cas  ré- 
servés et  qui  se  présentent  fréquemment.  Si  le  curé  ne  paraît 
pas  assez  intelligent,  on  nommera  comme  pénitencier  un  autre 
clerc  du  voisinage.  Les  anciennes  ordonnances  sur  les  cas  ré- 
servés sont  remises  envigueur.  Les  prélats  feront  des  visites  ana- 
logues dans  leur  propre  curie  pour  faire  disparaître  les  abus  qui 
pourraient  y  exister.  Mansi  (p.  1077  sq.),  publie  comme  dernier 
décret  une  ordonnance  pour  restreindre  les  cas  réservés,  parce 
que,  lorsque  ces  cas  étaient  trop  nombreux,  il  en  résultait  qu'on 
ne  se  confessait  pas  ;  mais  nous  ferons  remarquer  contre  Mansi 
que  cette  ordonnance  ne  se  trouve  pas  dans  Gousset,  et  de  plus 
qu'elle  n'a  pas  la  forme  d'un  décret  synodal  ^ . 

Un  synode  anglais  tenu  à  Oxford  en  1408,  sous  l'archevêque 
Thomas  Arundel,  s'occupa  de  nouveau  des  v^icliûtes  et  publia 
contre  eux  treize  décrets  que  l'archevêque  renouvela  au  prin- 
temps de  1409  dans  un  synode  de  Londres.  Aussi  sont-ils 
appelés  canons  tantôt  du  synode  de  Londres  et  tantôt  du  sy- 
node d'Oxford.  Voici  ces  canons  : 

1 .  Un  clerc  sécuher  ou  régulier  ne  doit  être  admis  à  prêcher 
qu'avec  la  permission  de  l'évêque  du  diocèse. 

2.  Il  doit  prouver  d'une  manière  certaine  qu'il  a  cette  autori- 
sation. 

3.  Il  prêchera  à  chaque  état  suivant  les  devoirs  de  cet  état; 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  1050, 1078.—  Gousset,  1.  c.  j).  638  666.  Sur  Gersoii  comme 
prédicateur,  voyez  Schwab,  Jean  Gerson,  etc.,  S.  376-405. 


jusqu'à   l'ouverture   du   concile  de   PISE,   DE    1406   A    1409.     241 

ainsi  aux  clercs  sur  les  fautes  du  clergé,  aux  laïques  sur  les  fautes 
des  laïques  et  non  pas  en  sens  contraire. 

4.  A  l'égard  des  sacrements,  il  devra  se  conformer  à  la  doc- 
trine de  l'Église. 

5.  Les  magistri  en  grammaire  et  en  arts  libéraux  ne  doivent 
pas  instruire  les  enfants  touchant  la  foi  autrement  que  d'après  la 
doctrine  de  l'Église, et  ils  ne  les  laisseront  pas  disputer  sur  ce  point. 

6.  Aucun  livre  de  Wiclif  ne  doit  être  lu  dans  les  écoles  ou 
ailleurs,  s'il  n'est  approuvé. 

7.  La  Bible  ne  doit  plus  paraître  dans  latra^ction  anglaise,  la 
traduction  de  Wiclif  ne  sera  plus  autorisée. 

8.  Dans  les  écoles,  nul  ne  doit  soutenir  d'une  manière  opi- 
niâtre une  proposition  en  contradiction  avec  l'enseignement  de 
l'Église. 

9.  Nul  ne  doit  continuer  à  discuter  sur  des  propositions  qui 
ont  déjà  été  l'objet  d'un  jugement  de  l'Église. 

10.  Aucun  chapelain  ne  doit  être  admis  à  célébrer  dans  n'im- 
porte quelle  église  de  la  province,  s'il  n'a  des  lettres  de  recom- 
mandation de  son  propre  évêque  diocésain. 

11.  Les  supérieurs  de  l'université  d'Oxford  doivent  faire  tous 
les  mois  une  enquête  sur  les  mœurs  et  sur  la  foi  de  leurs 
scholares. 

12.  Punitions  réservées  à  ceux  qui  n'observent  pas  nos  ordon- 
nances et  en  particulier  ces  dernières. 

13.  On  pourra  procéder  d'une  manière  sommaire  contre  tous 
ceux  qui  sont  atteints  de  l'infamie  de  l'hérésie. 

A  ces  canons  se  trouve  joint  un  sévère  décret  du  roi  contre  les 
w^iclifites  et  les  lollhards,  mais  on  ne  sait  quel  est  le  rapport  de 
ce  décret  avec  notre  synode,  notamment  si  ce  synode  en  a  été 
oui  ou  non  l'inspirateur  ^ , 

Il  se  tint  à  Paris  du  1*'  août  au  6  novembre  1408,  un  grand 
synode  qui  a  une  importance  exceptionnelle  ^. 

(1)  Mansi.  1.  c.  p.  1031-1048.  —  Hard.  1.  c.  p.  19364948. 

(2)  a]  Mansi  (t.  XXVI,  p.  999-1002)  donne  comme  décret  du  synode  de  Pa- 
ris de  l'année  1404  une  ordonnance  qui^  en  réalité,  appartient  au  synode 
de  1408  (c'est  l'ordonnance  sur  les  couvents);  nous  en  parlerons  à  la 
page  suivante;  aussitôt  après,  nous  parlerons  de  ce  qui  se  trouve  dans  Mansi, 
p.  1001-1010.  h)  Ce  même  Mansi  a  inséré,  de  la  p.  1019  à  1021,  un  document  : 
Sequitur  additio  seu  declaralio,  qui  n'est  autre,  en  réalité,  que  cette  décision 
de  l'assemblée  ou  du  synode  de  Paris  du  4  janvier  1407;  nous  l'avons  ana- 
lysée dans  le  g  720.  Dans  ce  même  paragraphe,  nous  avons  également  fait 
connaître  Vadditio  seu  declaratio  du  12  janvier  1407,  qui  se  trouve  également 

T.   X.      16 


242  SYNODES   TENUS   SOUS    GREGOIRE   XH 

Après  que  la  France  eutjau  printemps  de  1408, abandonné  pour 
la  seconde  fois  l'obédience  du  pape  Benoît  XIII  et  publié  une 
déclaration  de  neutralité,  on  songea  naturellement  à  prendre  des 
mesures  pour  le  temps  de  l'interrègne,  et  en  particulier  à  régler 
ce  qu'il  y  avait  à  faire  pour  les  cas  dont  le  pape  avait  coutume 
d'indiquer  la  solution.  Dans  ce  but,  le  roi  Gbarles  YI  convoqua 
les  prélats  de  son  empire,  pour  le  1"'  août  1408  \  en  une  sorte 
de  synode  national  qui  dura  jusqu'au  5  (6)  novembre  et  qui  tint 
ses  sessions  dans  la  chapelle  du  palais  royal  sur  les  bords  de 
la  Seine,  à  Paris.  Le  président  fut  Jean  de  Montaigu,  archevêque 
de  Sens,  jusqu'à  l'arrivée  du  patriarche  d'Alexandrie,  Simon 
Gramaud,  qui  était  allé  en  Italie  en  qualité  d'ambassadeur  ^.  Dans 
quelques  documents,  Arnauld  de  Corbie,  chancelier  du  roi,  est 
aussi  appelé  président  ^ 

Les  décisions  prises  par  cette  assemblée,  à  différentes  dates  et 
en  différents  lieux,  ne  pouvaient  avoir,  on  le  devine,  force  de 
loi  que  pour  un  temps.  Deux  décrets  des  13  et  20  octobre  sont 
dirigés  contre  les  partisans  de  Benoît,  notamment  contre  ses  car- 
dinaux. On  les  déclare  dépouillés  de  toutes  leurs  dignités  et  de  tous 
leurs  bénéfices  ^  Les  1"",  9,  16  et  19  octobre,  on  pubha  des  dé- 
crets en  faveur  des  savants,  et  une  commission  fut  instituée  pour 
leur  donner  des  bénéfices  pendant  le  temps  de  la  neutralité  ^. 
Un  autre  décret  des  15  et  21  octobre  s'occupa  des  fondations  et 
des  couvents  exempts,  et  une  commission  composée  de  quatre 
abbés  et  doyens  fut  choisie  pour  remplacer  le  pape  dans  les 
affaires  à  résoudre  touchant  ces  fondations  ^. 

Tiennent  ensuite  les  quatre  décrets  du  22  octobre  et  des  jours 
suivants. 

dans  Mansi.  Nous  pouvons  en  dire  autant  de  la  Dedaratio  et  conclusio  qui  se 
trouve  dans  Mansi,  p.  1023  sq.  Ce  document  n'est  autre  que  la  déclaration 
des  prélats  français  du  21  janvier  1407,  cf.  supra  §  721  ;  la  lettre  française 
qui  vient  ensuite,  et  qui  est  du  roi  Charles  VI,  est  du  4  mars  1408,  et  renferme 
la  suspension  temporelle  du  décret  du  18  février  1407.  Cf.  supra,  ^  721.  c)  En- 
fin^ ce  qui  se  trouve  dans  Mansi,  p.  1030-1032  et  p.  1079-1086,  n'est  qu'une 
petite  partie  des  actes  d'un  autre  synode  des  derniers  mois  de  1408. 

(1)  Mansi,  t.  XXVI.  p.  1079,  et  Bul/eus,  Hist.  universit.  Paris,  t.  V,  p.  182 
et  185  ;  d'après  les  Chronigorum  Caroli  V],  lib.  XXIX,  c.  8,  le  11  août. 
'    Ghronigor.  Caroli  VI,  lib.  XXIX,  c.  8. 


(3)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1079.  -  Hard.  t.  VII,  p.  1934. 

(4)  BuL/Eus,  Hist.  univ.  Paris,  t.  V,  p.  184  sqq 


(4  BuL/Eus,  Hist.  univ.  Paris,  t.  V,  p.  184  sqq.  —  Mansi,  1.  c.  p.  1029.  — 
Hard.  1.  c.  p.  1933.  —  GimoNicoR.  lib.  XXIX,  10,  p.  50. 

(5)  BuLyEus,  1.  C.  p.  182  sqq. 

(6)  Manst,  1.  c.  p.  999  sq.  —  Hard.  1.  c.  p.  1927.  —  Acinonv,  Spidlaj.iA, 
p.  800;  tous  ces  auteurs  placenta  tort  ces  décisions  en  140i.  OL  la  Pnnno- 
nitio  de  Mansi,  1.  c.  p.  1002. 


jusqu'à   L-'oUVERTUIÎE   du   concile   de   PISE5    DE    1406   A    1409.     243 

1.  Dans  les  cas  où  auparavant  on  aurait  demandé  l'absolution 
au  pape,  on  devra  la  demander  au  pénitencier  du  Siège  aposlo- 
tolique,  et,  si  cela  n'est  pas  possible,  à  son  propre  évêque. 

2.  On  agira  de  la  même  manière  pour  toutes  sortes  de  dispenses, 
par  exemple  pour  le  defectus  œtatis  ou  le  defectus  natalium,  ou 
pour  l'irrégularité;  s'il  s'agit  d'empêchements  matrimoniaux,  ce 
sera  le  concile  provincial  qui  décidera  à  la  place  du  pape,  de 
même  si  celui  qui  est  promu  à  l'épiscopat  n'a  pas  l'âge  requis. 
Un  article  additionnel  du  25  octobre  décide  que  les  dispenses 
accordées  par  Pierre  de  Luna  avant  la  déclaration  de  neutralité 
sont  valables,  si  elles  ne  vont  pas  contre  l'abandon  de  l'obé- 
dience. 

3.  Pour  que  la  justice  soit  exactement  exercée,  on  tiendra  régu- 
lièrement des  synodes  provinciaux  de  chapitres,  de  bénédictins 
et  de  chanoines  réguliers  ^  Les  appellations  vont  de  l'archi- 
diacre à  l'évêque,  de  celui-ci  à  l'archevêque,  de  l'archevêque  au 
primat  et,  si  cela  est  possible,  du  primat  au  synode  provincial; 
on  peut  donc  en  appeler  du  primat  au  synode  provincial  de  sa 
province  [détails).  Nul  ne  doit  dans  une  affaire  du  ressort  de 
l'Église  chercher  une  décision  auprès  des  tribunaux  civils.  11 
suffit  de  demander  le  secours  du  bras  séculier  pour  faire  exé- 
cuter une  sentence  de  l'Église.  Les  sentences  rendues  par  le 
pape,  avant  que  l'on  connût  la  déclaration  de  neutralité  touchant 
des  procès  entamés  antérieurement,  sont  déclarés  valables  par 
le  présent  concile.  Les  abbés  de  couvents  exempts  qui  seront 
élus  pendant  la  neutralité  devront  obtenir  de  l'évêque  diocé- 
sain la  confirmation  et  la  bénédiction  sans  préjudice  des  droits 
d'exemption. 

4.  Prescriptions  détaillées  sur  la  manière  dont  doit  avoir  lieu 
la  collation  des  bénéfices  pendant  la  neutralité  ^. 

Le  moine  de  Saint-Denis  raconte  encore  ce  qui  suit  dans  sa 
Chronique  du  roi  Charles  VI  :  Vers  la  fin  de  septembre,  Louis 
d'Harcourt,  qui  était  de  race  royale  et  que  le  chapitre  de  Houen 
avait  choisi  pour  archevêque  de  cette  ville,  fut  confirmé  dans 
cette  dignité  par  le  synode.  En  revanche  cette  même  assemblée 


(1)  Ici  ne  commence  pas,  comme  on  le  fait  d'ordinaire,  un  nouveau  nu- 
méro, mais  ce  qui  suit  appartient  également  à  la  rubrique  de  ministratione 

TUStitlΠ, 

(2)  Mansi,  t.XXVï,  p.  lOÛl-lOlO.  —  Martène,  Thés.  t.  Il,  p.  1398-1407.  — 
Chronicor.  1.  c.  lib.  XaIX,  c.  9  et  10. 


244  SYNODES   TENUS   SOUS   GREGOIRE  XII 

déclara  dépouillé  de  sa  dignité  Jean  bâtard  d'Armagnac,  que 
Benoît  XIII  avait  nommé  à  rarchevêclié  d'Auch  et  qu'il  avait 
élevé  à  la  dignité  de  cardinal  quelque  temps  après  la  déclaration 
de  neutralité.  Plusieurs  avaient  été  mécontents  de  ces  décisions 
du  synode,  et  notamment  l'archevêque  de  Reims,  Guy  de  Rose, 
qui  écrivit  au  synode  pour  déclarer  qu'à  ses  yeux  la  neutralité 
était  nulle  et  non  avenue,  que  les  décrets  de  ce  synode  étaient  sans 
valeur,  et  enfin  pour  inviter  les  membres  qui  le  composaient  à 
se  rendre  au  concile  de  Perpignan  prescrit  par  Benoît  XIII.  A  la 
requête  de  l'université  de  Paris,  l'archevêque  de  Reims  fat  cité 
à  comparaître,  mais  il  refusa  de  se  rendre  au  synode,  par  la 
raison  qu'il  était  pair  de  France  et  doyen  des  pairs  ecclésias- 
tiques, et  que,  pour  ce  motif,  il  ne  pouvait  se  présenter  que 
devant  le  roi.  Comme  d'Ailly  penchait  pour  Benoît  XIII,  l'univer- 
sité obtint  également  que  le  comte  de  Saint-Pol  s'emparât  de  lui 
et  l'amenât  à  Paris.  Mais  comme  il  avait  du  roi  une  lettre  de 
sauf-conduit,  on  dut  déférer  au  parlement  tout  ce  qu'on  avait 
contre  lui  ^ .  Enfin  on  choisit  dans  ce  même  concile  national  pari- 
sien, le  6  novembre,  les  évêques,  les  abbés  et  les  autres  députés 
qui  devaient  se  rendre  au  concile  de  Pise,  et  on  leur  donna  les 
pouvoirs  nécessaires  ^. 

A  l'époque  où  se  terminait  ce  synode  de  Paris,  s'ouvrit  le  synode 
convoqué  à  Perpignan  par  le  pape  Benoît  XIII.  On  pourrait  con- 
clure de  la  lettre  écrite  par  Benoît  XIII  à  ses  cardinaux  le  7  no- 
vembre 1408,  qu'à  cette  date  le  synode  de  Perpignan  n'était  pas 
encore  ouvert,  mais  en  réalité  il  avait  déjà  commencé,  depuis 
le  1"  de  ce  mois,  dans  l'église  du  château  appelée  Beatœ  Mariœ 
regalis  [de  regali).  Benoît  XIII  pontifia  en  personne  à  l'ouverture 
de  l'assemblée,  et  le  sermon  fut  prêché  par  Alphonse  Exea,  pa- 
triarche de  Constantinople  et  administrateur  de  Séville.  Pour 
avoir  une  grande  cour,  Benoît  XIII  ainsi  que  son  compétiteur 
Grégoire  avait  créé  des  patriarches  de  Constantinople, d'Antioche 
de  Jérusalem  et  d'Alexandrie  (au  lieu  de  Simon  Cramaud)  ^ 
Sans  compter  quatre  patriarches  et  ses  neuf  cardinaux  (deux  de 
ceux-ci  moururent  pendant  le  synode),  il  y  eut  encore  à  prendre 


(1)  CiiRONicoR.  1.  c.  lib.  XXIX,  c.  10,  vers  la  fin. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  1079-108(3  ;  en  pailie  aussi  dans  Mabtène,  etc.  Vet.  Script. 
t.VlI,  p.883sqq. 

(3)  Ma^'si,  t.  XXVI,  p.  109  et  11009,  et  Martkne,  Thés.  t.  II,  p.  1427,  au 
bas. 


JUSQUA   L  OUVERTURE   DU   CONCILE   DE   PISE,    DE    1406   A    1409.     245 

part  au  concile,  les  trois  archevêques  de  Tolède,  de  Saragosse  et 
de  Tarragone  et  un  très-grand  nombre  de  prélats  de  la  Castille, 
de  l'Aragon  et  de  la  Navarre,  ainsi  que  de  la  Gascogne  (comtés 
de  Foix^et  d'Armagnac),  de  la  Savoie  et  de  la  Lorraine,  en  tout 
cent  vingt  évêques  environ.  On  remarquait  de  plus  dans  l'as- 
semblée des  ambassadeurs  de  différents  rois  et  princes.  Boniface 
Ferrier,  frère  de  S.  Vincent  Ferrier  et  prieur  de  la  grande 
Charteuse  à  Sarragosse,  assure  qu'il  serait  venu  de  France  un 
nombre  d'évêques  beaucoup  plus  considérable,  si  une  défense 
sévère  ne  les  en  avait  empêchés,  et  que  plusieurs  de  ceux  qui 
étaient  venus  avaient  dû  se  déguiser  pour  échapper  aux  senti- 
nelles françaises  *.  Le  principal  protecteur  du  concile  fut  Martin, 
roi  d'Aragon,  qui  en  cette  qualité  possédait  Perpignan  ;  c'était 
le  même  qui  avait  d'une  façon  assez  verte  refusé  de  se  rendre  à 
Pise  ^.  Gomme  beaucoup  de  membres  manquaient  à  la  première 
session,  la  seconde  ne  se  tint  que  le  1.5  (17)  novembre,  et,  de 
même  que  les  suivantes,  elle  se  composa  de  cérémonies,  d'une 
professio  fidei  et  de  la  lecture  d'un  exposé  historique  des  ten- 
tatives faites  pour  la  pacification  de  l'Église.  Benoit  XIII  de- 
manda dans  la  session  du  5  décembre  que  le  synode  voulût  bien 
le  conseiller  sur  ce  qu'il  lui  restait  à  faire  dans  l'intérêt  de  l'u- 
nion; la  réponse  devait  être  rendue  pour  le  mercredi  12  dé- 
cembre. Toutefois,  comme  l'affaire  était  très-difficile,  Benoît 
consentit  à  attendre  la  réponse  jusqu'au  vendredi  1"  février  1409. 
Mais  ce  conseil  à  donner  souleva  les  discussions  les  plus  vio- 
lentes :  les  uns  voulaient  que  Benoît  abdiquât  sans  plus  attendre, 
les  autres  s'y  opposaient  énergiquement  ^.  Pour  arriver  à  un 
résultat,  on  nomma  une  commission  de  soixante  personnes,  qui 
fut  ensuite  réduite  à  trente  et  plus  tard  à  dix.  C'étaient  les  cardi- 
naux de  Toulouse  et  de  Châlons,  le  patriarche  d'Antioche  (admi- 
nistrateur d'Asti),  les  archevêques  de  Saragosse  et  de  Tarra- 
gone, le  chancelier  du  roi  de  Castille,  les  évêques  de  Vaiencia, 
de  Mende  et  de  Condom  et  le  général  des  dominicains  ^.  La  désu- 
nion fut  telle  que  la  plupart  des  membres  quittèrent  Perpignan  ; 


(1)  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1474  et  I48I  (c.  66  du  traité  de  Boniface  Ferrier, 
Pro  defensione  BmedicLi  XIIT).  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1100. 

(2)  Martène,  etc.  Vet.  Script,  t.  VII,  p.  890.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  189. 

(3)  Man.i,  t.  XXVII,  p.  1100-1102. 

(4    Martène,  t.  VII,  p.  915.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1109  sq. 


246  SYNODES  TENUS    SOUS    GRÉGOIRE   XII 

il  n'y  en  eut  que  dix-huit  à  rester  ^  et,  en  leur  nom,  le  patriarche 
de  Constantinople  présenta  au  pape,  le  1"  février,  les  conseils 
qu'il  avait  demandés  ;  ils  se  résumaient  en  ce  qui  suit  : 

1 .  Il  devait  ne  pas  se  lasser  de  s'employer  pour  l'union  de  l'É- 
glise via  renuntiationis ,  sans  exclure  tout  autre  moyen  qui  pour- 
rait conduire  au  même  but. 

2.  On  lui  demandait  de  se  préparer  à  abdiquer,  même  dans  le 
cas  où  son  adversaire  viendrait  à  être  déposé. 

3.  Il  devait  députer  des  nonces  intelligents  à  Grégoire,  aux 
cardinaux  réunis  à  Pise  et  à  tous  ceux  qui  pouvaient  travailler  à 
l'œuvre  de  l'union;  ces  nonces  devaient  avoir  des  pouvoirs  illi- 
mités pour  faire  ce  que  demandait  la  paix  de  l'Église;  le  pape 
devait  en  personne  exécuter  les  résolutions  qui  seraient  prises 
par  ces  nonces  ou  les  faire  exécuter  par  un  procureur  chargé  de 
faire  une  déclaration  de  renonciation. 

4.  Le  pape  devait  prendre  des  mesures  pour  que,  s'il  venait  à 
mourir  avant,  la  pacification  de  l'Église,  cette  œuvre  ne  pût  pas 
en  souffrir^. 

Benoît  XIII  se  déclara  prêt  à  envoyer  des  ambassadeurs  munis 
de  pareils  pouvoirs,  et  à  conformer  sa  conduite  à  ces  conseils; 
aussi  l'assemblée  le  remercia  solennellement  le  12  février  et 
adressa  à  Dieu  des  actions  des  grâces  ^.  Dans  la  session  du 
1 4  mars  et  dans  la  dernière  qui  eut  lieu  le  26  mars,  on  nomma 
les  sept  nonces  qui  devaient  se  rendre  à  Pise,  mais  les  pleins 
pouvoirs  qu'on  leur  donna  n'étaient  pas  en  harmonie  avec  les 
conseils  donnés  par  le  synode,  et,  plus  tard  à  Pise,  on  les  trouva 
tout  à  fait  insuffisants  *. 

Pierre  Zagariga,  archevêque  de  Tarragone,  les  évêques  de 
Siquenza,  de  Monde  et  de  Sénez  ^  et  Boniface  Ferrier,  prieur  de 
la  grande  Chartreuse  à  Saragosse,  furent  désignés  en  particulier 
pour  faire  partie  de  cette  députation.  Comme  pendant  long- 
temps ils  ne  purent  obtenir  de  France  un  sauf-conduit,  ils  arri- 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  liOO.  —  Hard.  t.  VII.  p.  1957. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1097,  cfr.  p.  1102.  —  Hard.  I.  c.  p.  19r)5  et  19G0,  en 
haut. 

(3^  Mansi,  1.  c.  p.  1102  sqq.  —  Hard.  1.  c.  p.  1960. 

(4)  Boniface  Ferrier  (lit  qu'ils  avaient  p/e?î?'i'smia?n  jOototaiem.  —  Martène, 
Thés.  t.  II,  p.  1476. 

(5)  Et  non  pas  episc.  Senensis,  comme  l'écrit  Mansi  (t.  XXVI,  p.  1100),  mais 
Suniciensis  ou  Senescensis,  Senez,  dans  le  sud  de  la  France.  Cf.  Martène, 
Le.  p.  1526. 


jusqu'à   l'oUVERTURR    Dij    CONCILE    DE   PISE,    DE    1406   A    1409.     247 

vèrent  trop  tard  à  Pise.  Ainsi  ils  furent  retenus  à  Nîmes  et  on 
leur  enleva  leurs  dépêches,  ce  qui  affaiblit  encore  le  peu  de  pen- 
chant de  Benoît  XIII  pour  la  paix  ^ 

(1)  Martène,  1.  c.  p.  1476.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  IIQO  sq.  —  Hard.  1.  c. 
p.  1958.  Ce  que  Mansi,  à  partir  de  la  p.  1103,  insère  des  actes  du  concile  do 
Perpignan,  a  été  déjà  mis  à  profit  par  nous,  par  exemple  la  lettre  de  con- 
vocation et  la  bulle  du  5  mars  ;  ce  qui  vient  après  la  p.  1111  jusqu'à  1119 
n'appartient  pas  au  présent  synode,  mais  à  celui  de  Constance. 


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LIVRE   QUARANTE  -  QUATRIÈME 

LE  CONCILE  DE  PISE  ET  GRÉGOIRE  XII. 
CONTRE  -  SYNODE     DE     CIVIDALE     EN    1409. 


§  733, 

LES   TROIS   PREMIÈRES   SESSIONS   DU   CONCILE   DE   PISE. 

Après  tant  de  préliminaires,  le  synode  de  Pise,  désiré  depuis 
si  longtemps,  s'ouvrit  enfin  le  25  mars  1409.  Nos  ressources  prin- 
cipales pour  savoir  ce  qui  s'est  passé  dans  cette  assemblée  sont 
quatre  anciennes  collections  de  documents  et  de  notes  qui  se 
trouvent  dans  diverses  archives  allemandes,  belges  et  françaises 
et  qui  maintenant  sont  imprimées.  La  première  de  ces  collections 
provenant  d'un  codex  de  Paris  passa  au  commencement  du 
XVII'  siècle  dans  toutes  les  collections  des  conciles  '' .  D'Achery  in- 
séra la  seconde  dans  son  Spicilegium;  il  l'avait  trouvée  dans  trois 
manuscrits  de  l'abbaye  de  Jumiéges  '^ .  Van  der  Hardt  copia  la 
troisième  collection  sur  un  manuscrit  de  Vienne;  ce  même  savant 
trouva  dans  un  manuscrit  de  Wolfenbullen  un  autre  exemplaire 
de  la  première  collection  fournie  par  un  manuscrit  de  Paris  ^. 
Enfin  la  quatrième  parut  en  1733  dans  le  septième  volume  de 
Veterum  scriptorum  amplissima  Collectio  (p.  1078  sqq.),elle  pro- 
venait d'un  codex  de  Saint-Laurent  à  Liège  *.  Vient  ensuite  le 


(1)  Dans  Hard.  t.  VIII,  p.  5  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1136  sqq. 

(2)  Imprimée  dans  Mansi,  1.  c.  p   H84  sqq.  —  Hard.  1.  c.  p.  46  sqq. 

(3)  Imprimée  dans  l'ouvrage  de  Van  der  Hardt,  Magnum  et  œcumenicum 
Constantiense  concilium,  t.  II,  p.  90  sqq.;  de  là  elle  passa  dans  Mansi,  t.  XXVII, 
p.  115  sqq. 

(4)  Dans  Mansi,  t.  XXVII,  p.  358  sqq. 


250  LES   TROIS   PREMIERES   SESSIONS   DU    CONCILE   DE   PISE. 

récitcertes  très-important  du  moine  de  Saint-Denis  dans  sa  chro- 
nique déjà  si  souvent  citée  du  roi  Charles  VI,  liv.  XXX,  chap.  2-4  \ 
Mais  i]  manque  dans  cette  relation  la  conclusion  du  synode,  pro- 
bablement parce  que,  après  l'élection  d'Alexandre,  l'auteur  avait 
quitté  Pise  ^.  A  ces  sources  principales  viennent  encore  se  joindre 
divers  documents  et  diverses  notices  qui  étaient  disséminés  çà 
et  là,  et  que  Mansi  a  collectionnés  avec  beaucoup  de  soin;  mal- 
heureusement il  ne  les  a  pas  assez  bien  disposés  pour  l'impres- 
sion. 

Dans  la  matinée  du  25  mars,  les  cardinaux  et  les  prélats  déjà 
arrivés  à  Pise,  se  réunirent  dans  l'église  de  Saint-Michel  et,  de  là, 
ils  se  rendirent  en  procession  solennelle  à  la  magnifique  église 
cathédrale,  dans  la  grande  nef  de  laquelle  se  tinrent  toutes  les 
sessions  du  concile.  Les  premières  places  près  du  chœur  furent 
occupées  par  les  cardinaux  ;  vinrent  ensuite  les  ambassadeurs  des 
rois,  si  ces  ambassadeurs  étaient  prélats,  puis  les  archevêques, 
évêques  et  abbés;  un  peu  plus  bas  étaient  aussi  les  membres  de 
l'assemblée  qui  n'étaient  pas  de  la  prélature.  Il  y  eut  en  tout,  à 
l'époque  où  le  concile  compta  le  plus  de  membres,  vingt-deux 
ou  vingt-quatre  cardinaux,  quatre  patriarches  %  quatre-vingts 


(1)  Et  aussi  dans  Mansi,  1.  c.p.  1-10,  et  clans  IIard.  1.  c.  p.  115-120. 

h)  Cf.  Achery,  Spicileg.  1. 1,  p.  828. 

(3)  Les  manuscrits  de  Jumiéges  (dans  Aghery,  Spicileg.  1. 1,  p.  853,  dans 
Mansi,  t.  XXVI,  p.  1239)  donnent  les  noms  des  vingt-deux  cardinaux  suivants  : 
1)  Guy  de  Maillesec,  cardinal  évêque  de  Palestrina  (du  parti  de  Benoît  XIII), 
appelé  cardinal  de  Poitiers  ;  2)  Henri  Minutoli,  cardinal  évêque  de  Frascati 
ou  Tusculum,  appelé  cardinal  de  Naples  (grégorien)  ;  3)  Nicolas  Brancacio, 
cardinal  évêque  d'Albano  (du  parti  de  Benoît XIII)  ;  4)  Jean  de  Brogni,  car- 
dinal évêque  d'Ostie,  appelé  cardinal  de  Viviers  (du  parti  de  Benoît  XllI); 
5)  Antoine  Cajetan,  cardinal  évêque  de  Palestrina  (grégorien),  appelé  cardi- 
nal d'Aquilée  parce  qu'il  avait  été  patriarche  de  cette  ville;  6j  Pierre  Girard 
du  Puy  {de  Podio),  cardinal  évêque  de  Frascati  (du  côté  de  Benoît  XIII); 

7)  Pierre  de  Thury,  cardinal  prêtre  de  Sainte-Suzanne  (du  côté  de  Benoît  XIll). 

8)  Angélus  Neapolitanus,  cardinal  prêtre  de  Sainte-Pudentienne,  et  appelé 
Laudensis  (grégorien)  ;  9)  Pierre  Ferdinand  de  Frias,  cardinal  prêtre  de  Sainte- 
Praxède,  appelé  cardinal  d'Espagne  (du  parti  de  Benoît  XIII);  10)  Conrad  Ca- 
racciolo,  cardinal  prêtre  de  Saint-Ghrysogone,  appelé  cardinal  de  Malte  (du 
parti  de  Grégoire);  il)  François  Hugoccionus  d'Ùrlnn,  cardinal  prêtre  Quatuor- 
Coronalorum,  appelé  le  cardinal  de  Bordeaux,  archevêque  de  cette  ville  et  gré- 
gorien; 12)  Jordan  des  Ursins,  cardinal  prêtre  de  Saint- Martin  in  monte 
(grégorien);  13)  Jean  Meliorato,  cardinal  prêtre  de  S.  Croce  in  G.,  appelé 
cardinal  de  Ravenne,  archevêque  de  cette  ville  et  grégorien;  14)  Pierre  Phi- 
largi,  cardinal  prêtre  des  Douze-Apôtres,  appelé  cardinal  de  Milan  (grégorien); 
15)  Amédée  de  Saluciis,  Lombard,  cardinal  diacre  de  Santa  Maria  Nova  (du 
côté  de  Benoît  XllI);  16)  Rainald  de  Brancatiis,  cardinal  diacre  de  Saini- 
Yitus  (grégorien);  17)  Landulf  de  Maramaur ,  Napolitain,  cardinal  diacre 
de  Saint-Nicolas  i)i  carcere  Tulliano,  appelé  cardinal  de  Bari  (grégorien) , 
18)  Balthasar  Gossa,  cardinal  diacre  de  Saint-Eustache;  19)  Otto  ou  Odo  Go- 


-u^' 


LES   TROIS  PREMIÈRES   SESSIONS   DU   CONCILE   DE  PISE.  251 

évêques,  les  procureurs  de  cent  deux  évêques  absents,  quatre- 
vingt-sept  abbés,  les  procureurs  de  deux  cents  abbés  absents, 
quarante  et  un  prieurs  et  les  généraux  des  dominicains,  des  frères 
mineurs,  des  carmes  et  des  augustins.  On  remarquait  encore  dans 
l'assemblée  le  grand  maître  de  Rhodes  avec  seize  commandeurs, 
le  prieur  général  des  chevaliers  du  Saint -Sépulcre,  le  procureur 
général  de  Tordre  teutonique,  les  députés  des  universités  de  Paris* 
de  Toulouse,  d'Orléans,  d'Angers,  de  Montpellier,  do  Bologne,  de 
Florence,  de  Cracovie,  de  Vienne,  de  Prague,  de  Cologne,  d'Oxford 
et  de  Cambridge,  des  fondés  de  pouvoirs  de  plus  de  cent  chapitres 
de  cathédrales,  enfin  plus  de  trois  cents  docteurs  en  théologie  et  en 
droit  canon  et  les  ambassadeurs  de  presque  tous  les  rois,  princes 
et  républiques  de  l'Occident  ^ 

Lors  de  la  solennité  d'ouverture,  le  25  mars,  le  cardinal  de 
Thury  chanta  la  messe  (d'après  le  moine  de  Saint-Denis,  ce  fut 
le  cardinal  de  Palestrina)  ;  le  sermon  fut  prêché  par  le  domini- 
cain Léonard  de  Florence  :  il  déclara  que,  par  égard  pour  la  fête 
du  jour,  la  première  session  n'aurait  lieu  que  le  lendemain  ^.  Le 
lendemain  mercredi  26  mars,  le  cardinal  d'Ostie  célébra  la  messe 
de  Spiritu  sancto  ^.  Le  cardinal  de  Milan  (Philargi)  prêcha  sur  un 

lonna,  cardinal  diacre  de  Saint-Georges  ad  vélum  aureum  (devenu  plus  tard 
pape  sous  le  nom  de  Martin  V,  grégorien)  ;  20)  Louis  de  Bar,  fils  du  duc  de 
Bar,  cardinal  diacre  de  Sainte-Agathe  (du  parti  de  Benoît);  21)  Pierre  Anni- 
bal  Stephaneski,  cardinal  diacre  de  Saint-Angelo  (grégorien)  ;  22)  Pierre  Blavi, 
cardinal  diacre  de  Santo-Angelo  (du  parti  de  Benoît).  Lors  de  l'élection  d'A- 
lexandre V,  les  gardiens  du  conclave  parlent  non  pas  de  vingt-deux,  mais 
de  vingt-quatre  cardinaux  présents,  parce  que,  au  dernier  moment,  Antoine, 
cardinal  de  Todi,  avait  abandonné  le  pape  Grégoire,  [et  le  cardinal  Chalant 
le  pape  Benoît,  pour  se  rendre  l'un  et  l'autre  à  Pise.  Mansi,  t.  XXVII,  p.  406. 
Les  quatre  patriarches  étaient  :  1)  Simon  de  Cramaud,  patriarche  d'Alexan- 
drie; 2)  Wenceslas  Kralik,  de  Bohême,  patriarche  d'Antioche;  3)  Hugo  de 
Rohertis,  patriarche  de  Jérusalem;  4)  François  Laudo,  patriarche  de  Grado. 

(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1239  sqq.  et  t.  XXVII,  p.  330  sqq.  —  Lenfant,  Hisî. 
du  concile  de  Pise,  1724, 1. 1,  p.  350.  Sur  la  suite  des  affaires.  Tordre  dans 
lequel  on  a  siégé,  la  manière  de  voter,  etc.,  Baumer,  Eistor.  Taschenbuch, 
Manuel  histor.  {neue  folge],  Bd.  X,  S.  29-32,  a  réuni  les  renseignements  qui  se 
trouvent  en  divers  documents. 

(2)  MANsr,t.XXVI,  p.ll36,1184;t.XXYII,p.ll5,  358.— HARD.t.VIII,p.  5, 
46.  Le  Codex  de  Paris  est  le  seul  à  placer  la  première  session  au  25  mars. 
Par  suite  d'une  erreur  de  copiste,  le  moine  de  Saint-Denis  iplace  l'ouverture 
du  concile  au  20  mars  au  lieu  du  25  ;  mais,  en  revanche,  la  première  session 
est  exactement  indiquée  au  26. 

(3)  Le  Codex  de  Vienne,  c'est-à-dire  la  troisième  source  (Mansi,  t.  XXVII, 
p.  116  sqq.;,  dit  expressément  que  le  cardinal  d'Ostie,  Jean  de  Brogni,  appelé 
le  cardinal  de  Viviers,  chanta  la  messe,  et  que  le  cardinal  évêque  de  Pales- 
trina, Guy  de  Maillesec,  appelé  cardinal  de  Poitiers,  présida.  Avec  ces 
données  coïncident  celles  de  la  seconde  collection  extraite  des  manuscrits 
de  Jumiéges  (Mansi,  t.  XXVI,  p.  1185).  Dans  les  deux  autres  collections  on 


252  LES  TROIS   PREMIERES   SESSIONS   DU    CONCILE    DE   PISE. 

texte  du  livre  des  Juges,  xx,  7  :  «  Vous  tous  fils  d'Israël,  qui  êtes 
ici  réunis,  décidez  ce  qu'il  y  a  à  faire.  »  Le  texte  choisi  faisait  pré- 
sager des  décisions  assez  énergiques,  car  ces  paroles  sont  celles 
que  prononce  le  lévite  pour  demander  à  Israël  de  le  venger  des 
benjamites  qui  ont  fait  mourir  sa  femme  après  en  avoir  abusé. 
Dans  ce  même  discours,  la  fesponsabilité'et  la  culpabilité  des  deux 
papes  furent  mises  en  relief  avec  fort  peu  de  ménagements,  et  l'o- 
rateur s'appuya  ensuite  sur  ces  considérations  pour  en  déduire 
la  nécessité  de  la  convocation  d'un  concile  général  ^ .  On  chanta 
ensuite  quelques  antiennes,  litanies  et  oraisons,  et  le  Veni  Creator; 
puis  Pierre  Alaman,  archevêque  de  Pise,  monta  en  chaire  et  lut  : 

1.  Le  décret  dogmatique  de  Grégoire  X  et  du  quatoraième 
synode  œcuménique  ; 

2.  Le  décret  du  synode  de  Tolède  de  l'année  675  concernant 
le  calme  et  l'ordre  qui  doivent  régner  dans  un  synode; 

3.  La  déclaration  portant  que  le  présent  concile  croyait  et  en- 
seignait tout  ce  que  l'Église  avait  jusqu'alors  cru  et  enseigné. 
Un  notaire  proclama  que  l'ordre  de  préséance  suivi  dans  la 
présente  session  ne  pourrait  constituer  un  précédent  préju- 
diciable à  qui  que  ce  fût.  Le  cardinal  de  Palestrina  ou  de 
Poitiers,  qui,  en  sa  qualité  de  plus  ancien  cardinal-évêque, 
présidait  le  synode,  prononça  une  courte  allocution  aux  prélats 
assemblés  et  les  invita  à  choisir  les  employés  synodaux.  On  élut 
six  notaires,  quatre  procureurs  et  deux  avocats,  avec  mission  de 
préparer,  de  faire  et  de  demander  ce  qui  paraîtrait  nécessaire  à 
l'Eglise  et  à  sa  pacification.  Les  nouveaux  élus  prêtèrent  serment 
entre  les  mains  du  cardinal  de  Palestrina,  et  l'un  des  deux  avocats, 
Simon  de  Pérouse,  prononça  ensuite  un  beau  discours  à  la  fin  du- 
quel il  demanda  la  lecture  de  toutes  les  lettres  de  convocation  au 
concile  envoyées  par  les  cardinaux  des  deux  obédiences,  avec  la 
lecture  des  documents  se  rattachant  à  cette  convocation.  Cette 
motion  fut  acceptée  et  exécutée.  A  la  demande  d'un  autre 
procureur,le  président  du  concile  envoya  deux  cardinaux-diacres, 
deux  archevêques  et  deux  évêques  avec  deux  notaires  etc.  pour 
demander  à  haute  et  intelligible  voix  si  Pierre  de  Luna  et  An- 


lit,  en  revanche,  des  assertions  contraires.  Lenfant  (1.  c.  p.  '214  sq.)  se  trompe 
complètement  sur  ce  point,  car  Maillesec  n'était  pas  cardinal  évèque  d'Ostie, 
mais  bien  de  Palestrina,  et  il  n'appartenait  pas  à  l'obédience  de  Grégoire, 
mais  à  celle  de  Benoît. 
(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  118. 


LES  TROIS  PREMIÈRES   SESSIONS   DU   CONCILE  DE  PISE.  253 

gelo  Gorrario  avec  leurs  cardinaux  étaient  présents  en  personne, 
ou  avaient  envoyé  des  fondés  de  pouvoirs.  Après  qu'ils  furent 
rentrés  dans  l'église  sans  avoir  obtenu  de  réponse,  les  procu- 
reurs du  synode  demandèrent  que  Pierre  de  Luna  et  Angelo  Gor- 
rario fussent,  eux  et  leurs  cardinaux,  déclarés  opiniâtres.  Le  pré- 
sident approuva  cette  demande;  mais,  pour  faire  preuve  de  plus 
d'égards,  il  demanda  qu'elle  ne  fût  mise  à  exécution  que  dans 
la  deuxième  session  K  Gette  session  eut  lieu  le  lendemain 
27  mars  1409.  On  envoya  une  nouvelle  députation  devant  les 
portes  de  l'Église,  afin  d'appeler,  une  fois  de  plus,  les  deux  pré- 
tendants. Toutefois  la  déclaration  de  contumace  ne  fut  prononcée 
contre  eux  que  dans  la  troisième  session,  le  30  mars  ;  à  cette  der- 
nière date,  on  accorda  un  nouveau  délai,  jusqu'à  la  prochaine 
session  fixée  au  15  avril,  aux  quelques  cardinaux  d'anciennes 
promotions  qui  étaient  restés  fidèles  à  leur  paperespectif,c'est-à- 
dire  au  cardinal  de  Todi  du  parti  de  Grégoire,  au  cardinal  de 
Ghalant  (de  Santa  Maria  in  via  lata],  au  cardinal  de  Fiesco  (de 
Saint-Adrien)  et  à  Jean  Flandrin,  cardinal- évêque  de  Sabine,  ap- 
pelé le  cardinal  d'Auch  (ces  trois  derniers  étaient  du  parti  de  Be- 
noîtXIII)  2.  Quant  aux  cardinaux  créés  dernièrement  par  les  deux 
prétendants,  il  n'en  fut  pas  question  dans  le  concile,  parce  que 
leur  promotion  fut  regardée  comme  non  avenue. 

Au  milieu  de  ces  travaux,  le  concile  de  Pise  célébra  les  fêtes  de 
Pâques  (7  avril  1409).  Le  jour  de  la  Cœna  Domini,  le  sermon  fut 
prêché  par  un  évêque  de  l'ordre  des  frères  mineurs  ;  le  vendredi 
saint,  par  un  magister  anglais  du  nom  de  Richard;  le  di- 
manche de  Pâques,  par  un  autre  frère  mineur  du  nomde  Vitalis. 
Tous  prêchèrent  dans  l'église  spacieuse  de  Saint-Martin  au  delà 
de  l'Arno  ^.  A  cette  époque,  arrivaient  un  grand  nombre  de  nou- 
veaux membres  pour  le  synode.  Ainsi,  Mansi,  quia  copié  sur  un 
Codex  de  Turin  la  liste  de  ces  nouveaux  arrivants,  n'y  consacre 
pas  moins  de  quatre  pages  ^.  C'étaient  pour  la  plupart  des  doc- 
teurs ou  des  magistri,  par  exemple,  des  députés  de  l'université 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1136,  1185;  t.  XXYII.  p.  115  sqq.  —  Hard.  1.  c.  p.  5 
et  47.  La  collection  du  Codex  de  Paris  (Maxsi,  t  XXVI,  p.  1137,  358  sq,  et 
Hard.  1.  c.  p.  6)  coïncide,  à  partir  de  ce  point,  avec  les  trois  autres  manus- 
crits pour  ce  qui  concerne  l'énumération  des  sessions. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1137,  1186  sq.  ;  t.  XXVII,  p.  120  sg.  359  sq.~  Hard. 
I.c.p.6et48. 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  114. 

(4)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  338-342. 


254  LES  AMBASSADEURS   ALLEMANDS   A   PISE. 

de  Paris,  des  procureurs  des  chapitres  des  cathédrales  ;  on  trouve 
cependant  parmi  eux  plusieurs  archevêques,  évêqueset  abhés  et 
même  trois  cardinaux  :  de  Malte,  de  Ravenne  et  de  Bari.  L'en- 
fant (1.  c.  p.  247  sq.)  fournit  encore  deux  autres  preuves  démon- 
trant que  le  synode  de  Pise  comptait,  dès  cette  époque,  un  très- 
grand  nombre  de  membres,  llemarquons  que  quelques-uns  des 
derniers  arrivés  prennent  ce  titre  assez  étrange  de  episcopi  in 
universali  Ecclesia,  L'un  d'eux  ajoute  que  le  pape  l'a  promu 
ad  ecclesiam  Saltonensem.  C'étaient  certainement  là  des  évêques 
coadjuteurs.  Ainsi  l'un  d'eux  est  explicitement  désigné  comme 
député  du  patriarche  d'Aquilée  ^ . 


734. 


LES   AMBASSADEURS    ALLEMANDS   A   PISE  ,    QUATRIÈME   SESSION , 
LE    15   AVRIL    1409. 


Dans  la  quatrième  session  tenue  le  15  avril  1409,  les  ambassa- 
deurs du  roi  romain  allemand  Ruprecht  du  Palatinat,  c'est-à- 
dire  Jean  archevêque  de  Riga  et  les  évêques  Mathieu  de  Worms 
et  Ulrich  de  Yerden  eurent  une  audience  solennelle  dans  laquelle 
l'archevêque  Jean  émit  les  vingt-trois  objections  suivantes  contre 
la  conduite  des  cardinaux  et  celle  du  synode. 

1.  D'abord,  dit-il,  il  y  a  contradiction  dans  la  conduite  des 
cardinaux.  Dans  leur  lettre  du  1"  juillet  1408,  il  est  dit  qu'ils 
avaient  dès  le  11  mai  complètement  adandonné  l'odédience  du 
pape  Grégoire,  et  cependant,  deux  jours  après,  dans  le  document 
de  leur  appellation,  ils  le  reconnaissent  de  nouveau  pour  pape; 
de  même,  dans  une  lettre  adressée  au  roi  à  la  date  du  12  (14)  mai, 
les  cardinaux  protestent  qu'ils  sont  disposés  à  témoigner  à  Gré- 
goire l'obéissance  et  le  respect  qui  lui  sont  dus  ^.  Dans  le  Codex 
de  Turin,  à  la  marge  de  cette  première  objection,  on  lit  la  re- 
marque suivante  :  l'abandon  de  l'obédience  a  été  déclaré  le  1 1  mai, 
mais  n'a  pas  été  aussitôt  après  mis  en  pratique. 

2.  A  la  date  du  1 1  mai,  les  cardinaux  semblent  avoir  aban- 


■■1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  338  ;  cf.  t.  XXVI,  p.  1242. 

\l)  Ces  sentiments  ont  dû  être  exprimés  dans  quelque  appendice  de  la 
lettre  adressée  à  Ruprecht,  car  on  non  trouve  pas  trace  dans  la  lettre  elle- 
même  telle  que  nous  la  possédons  (Mansi,  t.  XXVll,  p.  29  sq.. 


QUATRIÈME   SESSION,    LE    15   AVRIL    1409.  255 

donné  l'obédience  de  Grégoire  sans  mettre  aucune  forme  à  cet 
acte  :  Grégoire  n'avait  été  auparavant  ni  exhorté  ni  averti.  Les 
cardinaux  ont  également  manqué  à  leurs  devoirs  en  ne  consul- 
teant  pas,  dans  cette  circonstance,  le  roi  romain,  tandis  que  les 
cardinaux  de  Benoit  XIII,  agissant  d'une  manière  plus  loyale,  n'a- 
vaient abandonné  l'obédience  de  leur  pape  que  de  concert  avec 
le  roi  de  France.  Tout  en  accordant  à  Hôfler  ^  que  le  roi  romain 
allemand  était  dans  son  droit  en  parlant  ainsi,  nous  ne  saurions 
admettre  avec  lui  que  les  cardinaux  fussent  dans  l'impossibilité 
absolue  de  répondre  à  ces  reproches.  En  effet,  les  remarques  du 
Codex  de  Turin  que  Hôfler  à  eues  sous  les  yeux  et  auxquelles  il 
fait  allusion  ne  sont  pas,  il  est  vrai.péremptoires  pour  le  point  dont 
il  s'agit,  mais  elles  ne  proviennent  pas  des  cardinaux,  elles  sont 
l'œuvre  d'un  anonyme. 

3.  On  se  demande  si  les  cardinaux  avaient  le  droit  de  défendre 
aux  fidèles,  par  leur  lettre  du  1"  juillet  1408,  d'obéir  au  pape 
Grégoire . 

4 .  On  se  demande  si  Grégoire  n'est  pas  encore  pape  ;  s'il  l'est, 
on  doit  lui  obéir.  Dans  le  cas  où  l'on  nierait  qu'il  fût  encore  pape, 
nous  demanderions  quand  il  a  cessé  de  l'être,  car  il  n'a  pas  abdi- 
qué, i]  n'a  pas  été  condamné  par  l'Église  universelle,  il  n'a  pas 
été  convaincu  d'hérésie,  etc.  L'annotateur  anonyme  répond  :  Par 
ses  actions, Grégoire  avait  prouvé  qu'il  était  schismatique  et  héré- 
tique, aussi  avait-il  cessé  d'être  pape.  Avant  que  la  sentence  (de 
déposition)  fût  prononcée,  on  ne  pouvait  pas,  il  est  vrai,  éhre  un 
autre  pape;  mais  on  pouvait  se  soustraire  à  son  obédience. 

5.  On  se  demande  si,  pour  coopérer  à  l'œuvre  de  l'union,  il 
était  nécessaire  d'abandonner  l'obédience,  car  on  ne  doit  pas  faire 
le  mal  pour  faire  arriver  le  bien. 

6.  On  se  demande  s'il  fallait  abandonner  l'obédience  comme 
on  l'a  fait  avant  que  la  sentence  fût  rendue,  voire  même  avant 
que  l'enquête  fût  commencée.  L'anonyme  répond  touchant  aux 
n°*  5  et  6  que,  dans  les  circonstances  actuelles,  il  avait  été  im- 
possible d'agir  autrement,  et  que  l'abandon  de  l'obédience  n'était 
pas  en  soi  quelque  chose  de  mauvais. 

7.  Pour  amener  les  autres  à  l'union,  on  ne  doit  pas  soi-même 
en  sortir. 

8.  Il  est  faux  de  prétendre  que  ceux  qui  sont  restés  fidèles  à 

(1)  Hôfler,  Ruprecht  von  der  Pfah,  1861,  S.  436. 


256  LES  AMBASSADEURS   ALLEMANDS  A   PISE. 

Grégoire  soient  les  protecteurs  du  schisme.  (Les  cardinaux  avaient 
prétendu  cela  dans  leur  lettre  du  1"  juillet  1408.) 

9.  Il  est  surprenant  que  déjà,  dans  une  lettre  du  24  juin,  les 
cardinaux  aient  convoqué  le  synode  à  Pise,  tandis  que,  dans  les 
mois  de  juillet  et  d'août,  ils  ne  savaient  pas  si  ce  synode  pourrait 
avoir  lieu  dans  cette  ville  de  Pise.  Nous  avons  déjà  fait  remarquer 
plus  haut  que  cette  date  du  24  juin  est  évidemment  erronée  :  ce 
que  l'anonyme  dit  sur  ce  point  est  sans  valeur. 

10  et  11.  Si  les  cardinaux  ont  convoqué  le  synode  dès  le 
24  juin,  comment  se  fait-il  que  cette  convocation  ne  soit  arrivée 
dans  les  pays  du  Rhin  qu'au  mois  d'octobre,  c'est-à-dire  deux 
mois  après  que  Grégoire  a  envoyé  les  invitations  pour  son  sy- 
node? 

12.  On  prétend  que,  dès  le  24  juin,  les  collèges  de  cardinaux 
déjà  d'accord  entre  eux  avaient  convoqué  le  synode  de  Pise,  et 
cependant  cet  accord  des  cardinaux  n'a  eu  lieu  que  le  29  juin. 
L'anonyme  ne  sait  que  répondre  à  ce  reproche,  parce  qu'il  re- 
garde la  date  du  24  juin  comme  authentique. 

1 3 .  C'est  au  pape  de  convoquer  un  concile,  et  Grégoire  en  a,  en 
effet,  convoqué  un . 

14.  Si  les  cardinaux  doutent  que  Grégoire  soit  le  pape  véri- 
table, comment  seront-ils  sûrs  qu'ils  soient  eux-mêmes  cardi- 
naux ? 

15.  lisseront  même  amenés  à  se  demander  si  Innocent  VII, 
Boniface  IX  et  Urbain  VI  ont  été  des  papes  légitimes,  c'est-à-dire 
qu'ils  se  placeront  au  point  de  vue  de  leurs  adversaires. 

16.  Il  n'est  pas  certain  que  Grégoire  doive  comparaître  par- 
devant  l'assemblée  de  Pise.  En  effet,  le  plus  grand  nombre  des 
membres  de  cette  assemblée  vient  du  parti  de  l'antipape,  et  les 
autres  ne  sont  guère  moins  les  ennemis  de  Grégoire,  puisqu'ils 
l'ont  déjà  abandonné.  Or,  les  ennemis  ne  peuvent  être  juges. 
L'anonyme  prétend  sur  ce  point  que  les  meilleurs  juges  sont 
précisément  ces  neutres  qui  ont  abandonné  l'obédience. 

17.  La  convocation  du  synode  de  Pise  et  l'ouverture  de  cette 
assemblée  ont  eu  lieu  à  des  jours  de  fête  :  la  convocation,  lejour 
de  Saint-Jean  Baptiste  (d'après  la  fausse  date  du  24  juin)  ;  l'ouver- 
ture, le  jour  de  l'A.nnonciation,  mais  les  citations  faites  les  jours  de 
fêtes  sont  nulles.  L'anonyme  dit  à  ce  sujet  :  Le  jour  de  fête, 
il  n'y  eut  aucune  session  proprement  dite,  mais  seulement  une 
cérémonie  ecclésiastique. 


QUATRIÈME  SESSION,    LE    15    AVRIL    1409.  257 

18.  Il  ne  paraît  pas  que  les  cardinaux  aient  le  droit  de  convo- 
quer un  concile.  Ils  n'ont  pour  cela  ni  une potestas  ordinaria  ni 
une  delegata  potestas. 

19.  L'assemblée  de  Pise  ne  semble  pas  avoir  droit  au  titre  de 
concile  :  on  a  indiqué  d'avance  ce  que  l'on  doit  y  décréter  (élimi- 
nation des  papes)  ;  par  conséquent,  ce  serait  fixer  au  Saint-Esprit 
ce  qu'il  y  a  à  faire . 

20.  Si  Grégoire  venait  à  Pise  et  si  Benoît  n'y  venait  pas,  Gré- 
goire ne  devrait  cependant  pas  abdiquer,  parce  que,  dans  ce  cas, 
il  n'y  aurait  plus  pour  seul  pape  que  le  pape  illégitime.  L'ano- 
nyme remarque  avec  raison  que  l'on  a  demandé  également  aux 
deux  prétendants  d'abdiquer. 

21 .  Si  Benoît  XIII  refuse  d'abdiquer,  Grégoire  n'est  pas  tenu  de 
le  faire. 

22.  Le  délai  fixé  pour  se  rendre  à  Pise  est  trop  court,  car  beau- 
coup de  fidèles  de  l'obédience  de  Grégoire  sont  fort  éloignés. 

23.  Comment  les  cardinaux  des  deux  collèges  pourront-ils  se 
mettre  d'accord,  puisqu'il  n'y  a  de  légitimes  que  les  cardinaux 
d'un  parti  et  que  les  autres  ne  le  sont  pas? 

En  terminant,  les  ambassadeurs  allemands  proposèrent,  au  nom 
de  leur  roi,  que  les  Pisans  se  rendissent  avec  Grégoire  en  un  lieu 
accepté  par  les  deux  partis,  et  là  Grégoire  ferait  ce  qu'il  avait  pro- 
mis de  faire  lors  de  son  élection.  S'il  s'y  refusait,  le  roi  romain 
d'Allemagne  soutiendrait  de  toutes  ses  forces  les  cardinaux  pour 
qu'ils  nommassent  un  seul  et  unique  pape  ^ . 

Le  synode  ayant  émis  le  désir  que,  pour  servir  aux  délibéra- 
tions ultérieures,  les  objections  des  ambassadeurs  allemands 
fussent  rédigées  par  écrit,  ceux-ci  firent  composer  ce  document 
par  le  ma^z^ifer  Conrad  de  Soest  (5w5a?wm),  professeur  de  tbéologie 
et  chanoine  de  Spire,  et  il  fut  remis  dès  le  lendemain.  La 
session  s'occupa  encore  de  citer  les  deux  prétendants  et  leurs 
cardinaux.  La  déclaration  de  contumace  fut  ensuite  renouvelée 
contre  eux;  mais,  en  revanche,  on  prorogea  le  délai  accordé  aux 
cardinaux,  et  la  future  session  fut  fixée  au  24  avril;  on  décida 
qu'on  y  répondrait  aux  objections  des  ambassadeurs  allemands^. 

(1)  Manst,  t.  XXVI,  p.  1188-1195.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  49-56.  —  Raynald, 
409,  13-18.  —  Vgl.  HôPLER,  a.  a.  0.  S.  436  f.  La  relation  du  Codex  de  Vienne 
caractérise  les  objections  des  ambassadeurs  allemands  comme  hœresim 
sapientes  et  contra  jus  et  fidem  (Mansi,  t.  XXVII,  p.  123).  C'est  évidemment 
inexact  et  très-malveillant. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1138,  1187-1195;  t.  XXVII,  p.  122  sq.  361  sqq.  — 

T.  X.      17 


258  LES   AMBASSADEUES   ALLEMANDS   A   PISE,   ETC. 

Nous  avouerons  volontiers  que  les  objections  formulées  à  Pise 
par  les  ambassadeurs  du  roi  romain  allemand  Ruprecht  de- 
vaient produire  un  très-mauvais  effet,et  qu'on  aurait  dû  leur  don- 
ner une  tournure  moins  accentuée.  Ces  mêmes  ambassadeurs 
allemands  avaient  encore  tort  en  ne  prenant  pas  part  au  synode 
avec  les  ambassadeurs  ecclésiastiques  des  autres  princes,  et  en 
ne  s'y  rendant  pas  en  habits  ecclésiastiques ^  Mais,  d'un  autre 
côté,  il  faut  reconnaître  que  ces  ambassadeurs  et  leur  maître  le 
roi  Ruprecht  avaient  été  provoqués  par  les  cardinaux.  Ainsi  le 
cardinal  de  Bari,  sur  l'ordre  de  ses  collègues,  avait  conclu  un 
traité  peu  de  temps  auparavant  avec  Yinceslas  roi  de  Bohême  et 
avait  promis  qu'on  le  reconnaîtrait  comme  seul  roi  légitime 
d'Allemagne.  Rien  de  surprenant  si,  les  choses  étant  ainsi,  les 
ambassadeurs  de  Ruprecht  quittèrent  Pise  dès  le  21  avril,  sans 
attendre  la  réponse  du  synode  et  sans  prendre  congé  '^  ;  ils  se  con- 
tentèrent de  laisser  un  document  composé  de  nouveau  par  Conrad 
de  Soest,  dans  lequel  ils  critiquaient  toute  la  conduite  des  car- 
dinaux, comme  ils  Pavaient  déjà  fait  dans  les  vingt-trois  objec- 
tions, mais  d'une  manière  bien  plus  violente.  Ils  protestèrent 
contre  leurs  décisions  et  celles  de  l'assemblée,  et  ils  en  appe- 
lèrent à  un  concile  général  ^ . 

Lenfant  croit  (Le.  p.  258)  que  ce  départ  secret  des  ambassa- 
deurs allemands  occasionna,  le  21  avril,  la  tenue  d'une  réunion 
particulière  dont  personne  ne  parle,  à  Pexception  du  moine  de 
Saint-Denis.  Mais  celui-ci  ne  parle  pas  non  plus  d'une  congréga- 
tion ou  d'une  session  spéciale;  il  mentionne  seulement  la  célébra- 
tion du  service  divin  qui  se  tint  le  21  avril,  IP  dimanche  après 
Pâques, et  dans  lequel  l'évêque  de  Digne, de  l'ordre  des  frères  mi- 
neurs,déclara  que  les  deux  papes  étaient  des  mercenaires  qui  de- 
vraient être  chassés,  et  attaqua  vigoureusement  les  points  incri- 


Hahd.  p.  7  et  48  (ce  dernier  auteur  n'a  que  deux  récits,  tandis  que  Mansi  en 
a  quatre).  Le  moine  de  Saint-Denis  prétend  [Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XXX, 
c.  3)  que  deux  autres  cardinaux  nouvelleaaent  arrivés  avaient  assisté  à  cette 
session  :  le  cardinal  de  Milan  et  le  cardinal  de  Bari;  mais  au  lieu  de  Medio- 
lanus,  qui  est  une  faute  de  copiste,  on  aurait  dû  écrire  Melitemis  (c'est-à-dire 
le  cardinal  de  Malte). 

(1)  Chronicor.  Caroli  VI  (par  le  moine  de  Saint-Denis),  lib.  XXX,  c.  3.  Ce 
mécontentement  des  Pisans  contre  les  ambassadeurs  allemands  se  trouve 
jusque  dans  les  expressions  de  Dietiugu  de  'Niem,  de  Schismaie,hh.  111,  c. 39. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1138.—  Haud.  1.  c.  p.  7.  —  Chronicor.  CaroliVl,  1,  c. 

(3)  Dans  Raynald,  1409,  19-33.  —  Mansi,  t.  XXVll,  p.  10  sqq.  N^\.  Hoflep, 
a.  a.  O.S.  438. 


ft 


CHARLES     MALATESTA  A  PISE.  259 

minées  par  les  ambassadeurs  allemands.  On  ne  trouve  nulle  part 
dans  le  moine  de  Saint-Denis  que  ce  sermon  ait  eu  lieu  après  le 
départ  des  ambassadeurs  allemands.  Peut-être  même  est-ce  ce 
sermon  qui  les  aura  décidés  à  hâter  leur  départ. 

§  735. 

CHARLES     MALATESTA   A   PISE. 

Peu  de  temps  auparavant,  Charles  Malatesta,  prince  de  Rimini, 
était  venu  à  Pise  pour  servir  les  intérêts  de  son  ami  Grégoire  XII  et 
pour  essayer  une  réconciliation  entre  lui  et  le  synode.  Les  cardi- 
naux unis  chargèrent  quatre  de  leurs  collègues,d'Albano,  d'Aqui- 
lée,  de  Thury  et  de  Milan,  de  traiter  avec  lui,  et  ceux-ci  lui  déve- 
loppèrent quarante  raisons  pour  lui  démontrer  qu'ils  ne  pou- 
vaient se  rendre  à  ses  propositions  et  qu'ils  devaient  restera  Pise. 
Voici  le  fond  de  ces  raisonnements  :  les  deux  papes  n'avaient 
tenu  ni  leurs  serments  ni  leurs  promesses  ;  ils  s'étaient  joués  de 
la  chrétienté  et  avaient  entravé  l'œuvre  de  l'union  de  toutes  sorles 
de  manières.  Aussi,  les  cardinaux  avaient-ils  été  obligés  de  con- 
voquer un  concile  général  à  Pise,  ville  qui  se  prêtait  le  mieux 
à  une  pareille  réunion.  Les  deux  prétendants  avaient  eux-mêmes 
recommandé  auparavant  cette  ville  (Theod.  a  Niem,  de  Schism. 
III,  26.)  Sa  situation  est  très-favorable,  les  membres  des  deux 
partis  peuvent  s'y  rendre  facilement  et  y  jouir  d'une  sécurité 
complète.  Du  reste,  le  concile  général  était  déjà  ouvert  à  Pise  et, 
comme  ce  concile  était  au-dessus  des  cardinaux  et  même  au- 
dessus  du  pape,  les  cardinaux  n'avaient  plus  le  droit  de  changer 
de  lieu.  On  ne  le  pouvait  pas  faire  non  plus,  ne  fût-ce  que  par 
égard  pour  les  membres  nombreux  déjà  arrivés  à  Pise  ou  qui 
allaient  y  arriver,  et  aussi  par  égard  pour  Pierre  de  Luna  et 
son  parti.  Une  pareille  mesure  serait  un  obstacle  insurmontable 
pour  arriver  à  l'union.  Malatesta  peut  et  doit  donner  la  paix  à 
l'Église  :  car  il  a  Grégoire  en  son  pouvoir;  aussi  peut-il  le  déter- 
miner (par  la  force)  à  se  rendre  à  Pise,  à  remplir  sa  promesse  et 
à  abdiquer.  Malatesta  a  lui-même  déclaré  antérieurement  au  car- 
dinal Philargi  que  la  convocation  d'un  concile  général  par  les 
cardinaux  était  une  nécessité  ^ . 

(1)  Martène,  etc.,ye^  Script,  t.  VII,  p.  99Ô-1005.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  245- 

252. 


260  CHARLES     MALATESTA   A   PISE. 

Malatesta  répondit  :  Benoît  XIII  n'a  donné  son  assentiment 
touchant  la  ville  de  Pise  qu'à  des  conditions  qui  n'ont  pas  été 
remplies,  et  quant  à  Grégoire  XII,  ses  rapports  avec  Florence  ont 
tellement  changé  qu'une  ville  florentine  doit  nécessairement 
lui  paraître  suspecte.  Je  ne  veux  pas  examiner  si  l'assemblée 
qui  siège  actuellement  à  Pise  est  oui  ou  non  un  concile  œcu- 
ménique; mais  je  crois  que  tous  les  membres  de  cette  assem- 
blée consentiraient  à  changer  de  ville,  si  les  cardinaux  le 
demandaient.  Le  principal  n'était  pas  telle  ou  telle  ville,  le  prin- 
cipal est  la  pacification  de  l'Église  ;  la  chambre  apostolique  vien- 
drait au  secours  de  ceux  qui  seraient  trop  pauvres  pour  faire  le 
voyage.  Je  prierai  humblement  et  avec  instance  Grégoire  de  faire 
tout  ce  que  son  devoir  lui  commande  ;  mais  j'espère  que,  de  leur 
côté,  les  cardinaux  réfléchiront  encore  sur  cette  affaire  et  met- 
tront de  côté  tout  esprit  de  dispute.  Grégoire  XII  est  décidé  à  faire 
plus  qu'il  n'a  promis  ;  aussi  les  cardinaux,  et  en  particulier  Phi-, 
largi,  ne  doivent-ils  pas,  par  haine  ou  par  vengeance,  poursuivre 
le  Christ  dans  son  représentant  et  dans  l'homme  qu'ils  ont  eux- 
mêmes  choisi  pour  successeur  deS.Pierre.La  voie  suivie  par  les 
cardinaux  peut,  il  est  vrai,  conduire  rapidement  au  but;  mais,  au 
lieu  d'être  l'unité,  ce  but  ne  sera  qu'une  douloureuse  trinité  *. 

Les  cardinaux  répondirent  en  posant  l'alternative  suivante  : 
ou  Grégoire  viendra  à  Pise  ou  il  abdiquera  à  Rimini  en  présence 
d'une  députation  du  concile.  Afin  de  gagner  Malatesta  pour  le 
choix  de  Rimini,  les  cardinaux  ajoutèrent  qu'il  advieudrait  de  là 
un  grand  honneur  pour  cette  ville,  dont  Malatesta  était  seigneur, 
parce  que  la  loi  voulait  que  l'élection  du  nouveau  pape  eût  lieu 
là  oii  l'ancien  était  mort  :  or  l'abdication  produisait  le  même  effet 
que  la  mort.  Malatesta  répondit  qu'il  ne  cherchait  pas  plus  sa 
gloire  que  celle  de  sa  ville  de  Rimini,  mais  qu'il  voulait  unique- 
ment le  bien  de  l'Église. 

Après  plusieurs  pourparlers  sans  résultat  entre  Malatesta  et  les 
quatre  cardinaux,  on  chercha  à  gagner  Malatesta  par  un  autre 
moyen  ^.  L'archevêque  de  Pise,  l'évêque  d'Ailly  et  deux  autres 
personnages  se  rendirent  chez  lui  en  qualité  de  députés  des  na- 
tions présentes  au  concile,  et  chacun  d'eux  lui  tint  un  discours  ; 
d'Ailly  notamment  voulut  lui  prouver  qu'il  était  obligé  de  con- 


(1)  Martène,  1.  c.  p.  1005-1022.  —  Mansi,  1.  c.  p.  252-266. 

(2)  Martènb,  1.  c.  p.  1022-1026.  —  Mansi,  1.  c.  p.  266-270. 


CHARLES     MALATESTA   A  PISE.  261 

seiller  à  Grégoire  XII  de  céder  ou  même  de  l'y  amener  de  force  ; 
de  plus,  que  sa  proposition  de  changer  de  lieu  n'était  pas  fondée 
en  droit  et  ne  pouvait  que  nuire  à  la  cause  de  l'union.  Malatesta 
répondit  d'une  manière  détaillée  et  pertinente.  Il  déclara,  selon 
la  demande  qui  lui  en  fut  faite,  que  si  le  synode  venait  à  se  tenir 
en  un  autre  lieu,  Grégoire  XII  remplirait  certainement  toutes  ses 
promesses  et  qu'il  abdiquerait  même,  si  Benoît  XIII  en  faisait  au- 
tant. Malatesta  eut  ensuite  une  nouvelle  et  assez  vive  entrevue 
avec  les  quatre  cardinaux  et  les  quatre  députés  des  nations,  et, 
entre  autres  choses,  le  cardinal  Philargi  le  pria  de  dire  au  pape 
Grégoire  :  «  Tous  les  deux  nous  avons  été  autrefois  commensaux 
et  excellents  amis,  mais  nous  voici  devenus  vieux  :  aussi  devons- 
nous  penser  au  salut  de  notre  âme  et,  pour  ce  faire,  nous  dépose- 
rons toute  dignité  et  nous  servirons  le  Seigneur  à  Saint-Nicolas 
de  littore (iXlÀào),  à  Venise.  »  Malatesta  répondit  avec  beaucoup 
de  présence  d'esprit  :  «  Puisque  vous  faites  dire  au  pape  Grégoire 
que  vous  voulez  le  suivre  jusqu'au  couvent,  à  plus  forte  raison 
devriez-vous  le  suivre  dans  une  ville  qui  offre  à  tous  pleine 
sécurité  et  où  il  abdiquera  sa  dignité,  tandis  que  vous  garderez  la 
vôtre.  »  Philargi  répondit  :  «  Grégoire  n'abdiquera  pas,  il  a  trop 
de  plaisir  à  régner.  »  Malatesta  repartit  ironiquement  :  «  Puis- 
qu'il est  des  gens  si  désireux  de  régner  qu'ils  n'hésitent  pas  à 
bouleverser  le  peuple  de  Dieu  pour  se  placer  eux-mêmes  sur  le 
trône  dans  un  bref  délai,  quoi  d'étonnant  si  Grégoire  se  fait  quel- 
que peu  prier  pour  abdiquer?  Du  reste,  il  faut  encore  attendre 
pour  voir  s'il  ne  le  fera  pas.  S'il  le  fait,  les  cardinaux  verront 
leurs  désirs  accomplis;  s'il  ne  le  fait  pas,  on  pourra  démontrer  sa 
mauvaise  volonté.»  Philargi  répondit  qu'il  ne  se  sentait  pas  atteint 
par  les  paroles  que  Malatesta  venait  de  prononcer,  parce  que, grâce 
à  Dieu,  il  n'aspirait  pas  à  devenir  pape.  Mais  Malatesta  n'en  ajouta 
pas  moins,  au  milieu  des  rires  approbateurs  de  l'assemblée, 
qu'il  (Philargi)  n'aurait  cependant  pas  une  si  grande  répugnance 
à  monter  sur  la  chaire  de  S.  Pierre^  La  conférence  se  termina 
par  là.  Dans  celles  qui  suivirent,  on  discuta,  entre  autres  choses, 
les  compensations  qui  seraient  accordées  à  Grégoire  et  à  ses 
parents,  pour  le  cas  où  il  viendrait  à  abdiquer.  De  plus,  une 
assemblée  générale  des  cardinaux  déclara  qu'ils  accepteraient 
une  entrevue  avec  Grégoire  en  dehors  de  Pise,  à  une  distance 

(1)  Martène,  etc.,  1.  c.  p.  1026-1044.  —  Mansi,  1.  c.  p.  270-285. 


262  CINQUIÈME  SESSION  A   PISE,    LE  ,24  AVRIL    1409. 

maxima  de  30  mille  italiens  de  cette  dernière  ville,  à  Pistoie 
ou  à  San  Miniato  (près  de  Florence).  Malatesta  répondit  que 
Grégoire  se  défierait  probablement  d'une  ville  florentine  ;  toute- 
fois, il  lui  recommanderait  Pistoie,  si  cette  ville  offrait  les  garan- 
ties désirables.  En  terminant,  on  agita  encore  la  question  s'il  ne 
fallait  pas  envoyer  immédiatement  des  députés  du  synode  à 
Grégoire,  à  Rimini;  comme  on  ne  put  se  mettre  d'accord  sur  ce 
point,  la  proposition  ne  fut  pas  votée  et  on  se  contenta  de  la  pro- 
messe de  Malatesta,  qui  s'engagea  à  faire  connaître  le  plus  rapi- 
dement possible  au  synode  la  suite  de  ses  négociations  avec  Gré- 
goire XII  K 

Le  26  avril,  Malatesta  rentra  à  Rimini,  eL  le  lendemain  matin 
rendit  compte  de  sa  mision  au  pape  en  présence  de  ses  cardinaux  ; 
le  soir  il  eut  un  entretien  secret  avec  Grégoire  XII  ;  Antonio  et 
Paul  Gorrario  assistèrent  à  cette  entrevue.  Le  pape  pleura,  accusa 
les  cardinaux  réunis  à  Pise  d'aspirer  à  la  papauté  et  manifesta 
l'intention  d'ouvrir  son  synode  le  plus  tôt  possible.  Malatesta  ne 
fut  pas  de  cet  avis,  et  énuméra  devant  Grégoire  plusieurs  raisons 
afin  de  le  décider  en  faveur  de  Pistoie.  Le  pape  répondit  qu'il  était 
très-surpris  du  changement  survenu  dans  Malatesta,  et  il  ajouta 
qu'il  était  décidé  à  ne  pas  se  sacrifier  lui,  ses  parents,  ses  amis  et 
les  rois  Ruprecht  et  Ladislas.  Malatesta  ne  cacha  pas  au  pape  que 
tous  ses  discours  lui  semblaient  des  faux-fuyants  ;  mais  Grégoire 
prit  très-mal  cette  remarque  et  protesta  qu'il  abdiquerait,  mais 
d'une  façon  qui  ne  troublerait  pas  l'Église  et  ne  serait  pas  nui- 
sible pour  ses  amis.  En  terminant,  il  déclara  d'une  manière  très- 
expresse  qu'il  ne  se  rendrait  en  aucun  endroit  dépendant  de 
Florence  ^. 

§  736. 

CINQUIÈME    SESSION   A   PISE,   LE   24  AVRIL    1409. 
MÉMOIRE   SUR   l'ORIGINE   ET    SUR   l'hISTOIRE    DU    SCmSME. 

Avant  que  Malatesta  fût  rentré  à  Rimini,  la  cinquième  session 
générale  se  tint  le  24  avril.  On  y  cita  de  nouveau  les  deux  pré- 


Ci)  Martènk,  1.  c.  p.  1044-10r39.  —  Mansi,  ].  c.  p.  285-298. 
(2)  Martkne,  1.  c.p.  1061-1078.  —  Mansi,  1.  c.  p.  298-313.  Mansi  ne  s'pst 
pas  aperçu  qu'il  avait  déjà  fait  imprimer,  p.  91  sqq.  les  documents  qui  vont 


MÉMOIRS    SUR    L*ORIGINE   ET   SÛR  l'hISTOIRE   DU    SCHISME.  263 

tendants, et  de  nouveau  aussi  on  les  déclara  contumaces;  enfin  on 
accorda  un  nouveau  délai  jusqu'à  la  prochaine  session  aux  car- 
dinaux des  deux  papes.  L'un  des  secrétaires  lut  ensuite,  avec 
l'agrément  du  synode,  un  mémoire  dirigé  contre  les  deux  papes 
et  racontant  l'origine  et  l'histoire  du  schisme.  Ce  document 
devait  servir  d'introduction  au  procès  des  deux  papes;  il  com- 
prend les  trente-huit  numéros  suivants  : 

1 .  Après  la  mort  de  Grégoire  XI  en  1378,  les  cardinaux  élurent 
d'abord  Urbain  VI  et  plus  tard  Clément  VII,  parce  qu'ils  regar- 
daient la  première  élection  comme  forcée  et,  par  conséquent, 
comme  nulle.  Après  la  mort  de  Clément  VII,  Benoît  XIII  fut  élu 
par  ses  partisans,  à  la  condition  expresse  qu'il  ferait  tout  pour  le 
rétablissement  de  l'union,  qu'il  abdiquerait  même  si  la  majorité 
des  cardinaux  le.  déclarait  nécessaire.  Il  fit  plusieurs  fois  ces 
promesses  sous  la  foi  du  serment,  et  l'univers  entier  a  été  témoin 
de  ses  engagements;  mais,  au  bout  de  quelques  jours,  il  avait 
changé  d'avis  et  ne  voulait  plus  entendre  parler  de  la  via  ces- 
sionis  ;  il  est  même  allé  jusqu'à  haïr  tous  ceux  qui  la  lui  rappe- 
laient. 

2.  Plusieurs  cardinaux  de  Benoît  ayant  parlé  de  la  via  cessionis 
ont  couru  de  grands  dangers,  ont  été  faits  prisonniers  et  jetés 
dans  des  cachots  ;  aussi  quelques-uns  se  sont  tus  par  crainte  et 
d'autres  ont  quitté  Avignon. 

3.  Sur  le  désir  de  Benoît  XIII  lui-même,  Charles  VI,  roi  de 
France,  envoya,  en  1395,  ses  deux  oncles  et  son  frère,  les  ducs 
de  Berri,  de  Bourgogne  et  d'Orléans,  en  ambassade  à  Avignon, 
afin  de  se  concerter  avec  le  pape  sur  les  moyens  d'extirper  le 
schisme  ;  ces  ambassadeurs  et  les  cardinaux  recommandèrent 
instamment  à  Benoît  la  via  cessionis  et  les  cardinaux  rédigèrent 
un  document  dans  ce  but;  mais  Benoît  resta  sourd  à  tout  ce  qu'on 
put  lui  dire.  11  prétendit  qu'une  entrevue  des  deux  papes,  ou, 
(si  cette  entrevue  ne  réussissait  pas)  une  solution  amenée  par  un 
compromis  pouvait  seule  dénouer  la  difficulté ,  quoique  anté- 
rieurement, lorsqu'il  était  encore  légat  de  son  prédécesseur,  il 
eût  déclaré  à  quelques-uns  de  ces  ducs  et  à  d'autres  personnages 
de  distinction  que  la  via  mutuœ  cessio?iis  pouvait  seule  donner 
un  bon  résultat. 


de  la  p.  301  :  Ait,  Sanctitatem  suam  facere  posse,  etc.;  ils  se^ trouvent  aussi 
dans  Hard.  t.  VIII,  p.  194  sqq. 


284  CINQUIÈME   SESSION   A   PISE,   LE   24  AVRIL    1409. 

4.  En  1397,  les  rois  de  France,  d'Angleterre  et  de  Gastille 
avaient  envoyé  de  concert  des  ambassadeurs  aux  deux  papes,  à 
Avignon  et  à  Rome,  afin  de  les  déterminer  à  la  via  cessionis.  Mais 
Benoît  XIII  répondit  d'une  manière  évasive,  ou  plutôt  d'une 
manière  négative,  et  il  envoya  en  même  temps  des  messagers 
secrets  à  son  adversaire  à  Rome,  pour  que  celui-ci  fît  une  décla- 
ration dans  le  même  sens.  Il  y  eut  donc  une  entente  évidente 
entre  les  deux  prétendants. 

5.  Un  peu  plus  tard,  le  roi  romain  et  de  Bohême  Vinceslas 
envoya  des  ambassadeurs  à  Benoît  à  Avignon.  A  leur  tête,  se 
trouvait  Pierre  d'Ailly,  évêque  de  Cambrai,  et  ils  recomman- 
dèrent une  fois  de  plus  la  via  cessionis.  Benoît  protesta  qu'il  n'en 
voulait  en  aucune  façon,  il  prétendit  que  l'accepter  serait  même 
un  péché  mortel. 

6.  Plus  tard,  il  se  déclara  de  nouveau  avec  la  même  énergie 
contre  lama  cessionis  ^  ajoutant  que  les  promesses  faites  par  lui 
étaient  nulles  et  ne  pouvaient  l'obliger. 

7.  La  menace  de  l'abandon  de  l'obédience  ne  le  fit  pas 
changer,  S.  Pierre  non  plus,  disait-il,  n'avait  pas  eu  la  France 
dans  son  obédience;  et  lorsqu'on  essaya  de  le  forcer  d'abdiquer, 
il  voulut  jeter  l'Église  dans  un  tel  désarroi  qu'une  restauration 
ne  fût  plus  possible  pour  de  longues  années.  Après  que  la  France 
eut  abandonné  son  obédience,  et  lorsque  d'autres  royaumes  me- 
nacèrent de  faire  de  même,  il  resta  opiniâtre  et  fit  déclarer 
chez  les  dominicains  à  AvigQon,  par  son  confesseur  magister 
Vincent  (Ferrier),  qu'il  aimerait  mieux  mourir  que  d'accepter 
la  via  cessionis. 

8.  Cette  via  cessionis ^qpHl  avait  dénoncée  comme  un  péché,  il 
l'avait  acceptée  plus  tard,  pour  qu'on  revînt  sur  l'abandon  de 
l'obédience,  et  avait  promis,  dans  l'intérêt  de  la  pacification  de 
l'Église,  de  réunir  un  concile  de  son  obédience.  Mais  il  était  si 
peu  sincère  dans  ses  promesses  qu'il  força  le  notaire  à  omettre 
dans  les  documents  le  point  concernant  le  concile. 

9.  Au  bout  de  quelque  temps.  Benoît  XIII  envoya  des  ambas- 
sadeurs à  Rome  à  Boniface,  pour  lui  demander  une  entrevue. 
Boniface  refusa;  mais  il  mourut  au  bout  de  quelques  jours,  et  ses 
cardinaux  se  déclarèrent  alors  disposés  à  ne  procéder  à  aucune 
nouvelle  élection  si  les  ambassadeurs  d'Avignon  avaient  pleins 
pouvoirs  pour  annoncer  dans  ce  cas  l'abdication  de  leur  maître, 
ou  du  moins  s'ils  voulaient  demander  ses  pleins  pouvoirs;  mais 


MÉMOIRE   SUR  l' ORIGINE   ET   SUR  l'hISTOIRE    DU    SCHISME.  265 

les  ambassadeurs  ne  les  avaient  pas  et  ne  voulurent  pas  les 
demander. 

10.  Déjà,  lors  de  l'élection  du  pape  Innocent  VII,  et  plus  tard, 
après  sa  mort,  les  cardinaux  ne  firent  que  des  élections  condi- 
tionnelles, afin  d'obliger  le  nouveau  pape  à  accepter  la  via  ces- 
sionis.  Grégoire  XII  accepta, sous  la  foi  du  serment, ces  conditions, 
soit  avant  soit  après  son  élection,  et  il  montra  au  début  un  si 
grand  désintéressement  qu'on  le  vénérait  partout  comme  un 
ange. 

11.  Il  se  hâta  de  faire  connaître  ses  sentiments  à  Benoît  XIII; 
mais  celui-ci  se  montra  peu  disposé  à  les  partager,  il  n'adhéra 
qu'en  paroles  et  non  pas  sérieusement  à  la  via  cessioîiis. 

12.  Lorsque  Malatesta  de  Pesaro  connut  les  bonnes  disposi- 
tions de  Grégoire  XII,  il  s'offrit  pour  aller  à  ses  propres  frais  et 
comme  son  ambassadeur  à  Avignon.  Mais  Grégoire  se  laissa 
dominer  par  ses  neveux  Antoine  et  Paul  Gorrario;  ils  lui  firent 
manquer  à  ses  promesses  ;  aussi,  au  lieu  d'envoyer  Malatesta, 
que  les  cardinaux  recommandaient,  il  envoya  à  Avignon  son 
neveu  Antoine,  auquel  il  adjoignit  pour  la  forme  l'évêque  de  Todi 
et  le  docteur  Butrio,  qui  ne  connaissaient  rien  des  instructions 
données  à  Antoine  Gorrario.  Les  cardinaux  étaient,  du  reste, 
dans  la  même  ignorance.  Savone  fut  choisie  comme  lieu  de 
réunion. 

13.  Tout  d'abord  Grégoire  parut  très-content  du  choix  de 
Savone;  mais  au  bout  de  quelque  temps  il  éleva  toute  sorte 
d'objections  frivoles  contre  ce  choix.  Ainsi  il  déclara  aux  am- 
bassadeurs français  qu'il  ne  pourrait  venir  à  Savone,  s'il  n'a- 
vait les  navires  nécessaires  pour  cela.  Gênes  lui  ayant  proposé 
ces  navires,  il  les  refusa  et  ne  voulut  pas  non  plus  y  aller  par 
terre,  nonobstant  les  promesses  faites  antérieurement.  Il  donna 
à  ses  neveux  l'argent  amassé  par  le  clergé  pour  le  voyage  de 
Savone,  et  ne  voulut  nommer  aucun  procureur  pour  se  rendre 
à  sa  place  dans  cette  ville  et  y  notifier  son  abdication  ;  néan- 
moins il  avait  promis  par  écrit  de  le  faire. 

14.  Lorsque,  sur  les  instances  des  cardinaux,  Grégoire  fut  allé 
à  Sienne,  il  déclara  qu'il  n'irait  à  Savone  qu'en  passant  par 
la  Lombardie  et  par  le  territoire  du  marquis  de  Montferrat.  Or, 
cette  route  était  impraticable  à  cause  de  l'hiver  et  à  cause  de  la 
guerre  ;  c'était,  du  reste,  ce  que  savait  très-bien  Grégoire.  Il 
défendit  également  à  ses  cardinaux  de  se  rendre  à  Savone 


266  CINQUIÈME   SESSION   A   PISE,    LE    24  AVRIL    1409. 

Ceux-ci  proposèrent  alors  Pietra  Santa  sur  le  territoire  de 
Lucques,  et  le  seigneur  de  cette  dernière  ville  promit  pleine 
sécurité.  Grégoire  ne  trouva  cependant  pas  que  Pietra  Santa 
offrît  des  garanties  suffisantes.  Et,  néanmoins,  par  une  inconsé- 
quence flagrante,  il  vint  à  Lucques  sans  demander  de  garanties. 

15.  A  Lucques,  Grégoire  XII  voulut  tyranniser  les  cardinaux; 
sur  ces  entrefaites,  Benoit  XIII  était  arrivé  à  Porto  Yenere,  et  les 
deux  papes  négocièrent  secrètement  entre  eux,  à  l'insu  de  leurs 
cardinaux.  Ils  s'entendirent  pour  ne  pas  consentir  à  abdiquer. 

16.  Chacun  d'eux  conseilla  aux  partisans  de  l'autre  de  ne  pas 
abandonner  son  obédience.  Preuves  détaillées  de  cette  entente 
secrète. 

17.  Tandis  que  Grégoire  était  à  Lucques  et  Benoît  XIII  à  Porto 
Venere,  Livourne  fut  choisie  comme  lieu  de  l'entrevue.  Au 
début,  Grégoire  promit  d'y  envoyer  une  députation  pour  voir  si 
ce  choix  était  acceptable  ;  puis  il  changea  d'avis  sans  aucune 
enquête  préliminaire,  et  il  rejeta  de  même,  sans  aucun  motif,  la 
proposition  que  lui  firent  ses  compatriotes,  les  Yénitiens,  de  se 
rendre  à  Carrare,  tandis  que  Benoît  XIII  viendrait  à  Vensa 
(Lavenza).  Ils  seraient  de  cette  façon  aussi  près  que  possible 
l'un  de  l'autre. 

18.  A  Porto  Fewere,  les  cardinaux  de  Benoît  lui  conseillèrent 
de  restreindre  le  nombre  de  ses  navires,  et  de  choisir  pour  l'en- 
trevue une  ville  éloignée  de  la  mer,  parce  que  Grégoire  ne 
voulait  pas  entendre  parler  d,e  villes  maritimes  ;  mais  Benoît 
refusa  et  dépensa  beaucoup  de  biens  appartenant  à  l'Église  pour 
augmenter  sa  flotte. 

19.  Grégoire  fut  également  prodigue  du  bien  des  églises  pour 
enrichir  ses  parents. 

20.  Il  poursuivit  de  sa  haine  tous  ceux  qui  lui  rappelaient  ses 
devoirs  et  lui  proposaient  d'abdiquer. 

21.  Les  cardinaux  de  Benoît  lui  conseillèrent  de  choisir  la 
ville  de  Pise  pour  y  mettre  en  pratique  la  mutiia  cessio.  Grégoire 
ne  pouvait  s'inscrire  contre  ce  choix,  puisqu'il  l'avait  lui-même 
proposé.  Benoît  rejeta  néanmoins  cette  proposition. 

22.  Les  cardinaux  conseillèrent  alors  à  Benoît  d'abdiquer  par 
l'intermédiaire  d'un  procureur;  mais  ils  n'obtinrent  pas  de 
réponse,  Grégoire  ne  voulant  pas  non  plus  entendre  parler 
d'abdication  par  procureur.  L'un  et  l'autre  [continuèrent  un  jeu 


MÉMOIRE   SUR  l'origine   ET   SUR  l'HISTOIRE  DU  SCHISME.  267 

évidemment  concerté  d'avance;  ils  correspondirent  entre  eux 
constamment  à  Taide  de  messagers  secrets. 

23.  Lorsque  Grégoire  était  encore  à  Lucques,  il  recommanda 
Pise  comme  le  lieu  le  plus  apte  à  l'entrevue.  La  ville  semblait 
être  faite  exprès  pour  cette  réunion.  Elle  était  partagée  en  deux 
par  la  rivière  (l'Arno)  :  aussi  l'un  des  deux  papes  pourrait  occuper 
une  rive  et  l'autre  pape  l'autre  rive. Nonobstant  cela,  il  ne  voulut 
pas  un  peu  plus  tard  se  rendre  à  Pise. 

24.  A  Lucques  également,  Grégoire  XII  refusa  aux  ambassa- 
deurs de  Benoit  et  du  roi  de  France  de  leur  accorder  un  sauf- 
conduit  ;  il  parla  plusieurs  fois  de  la  via  cessionis  d'une  façon 
injurieuse,  disant  qu'elle  était  injuste  et  diabolique.  En  cela,  du 
reste,  il  parlait  comme  Benoît. 

25.  Pour  empêcher  l'union,  Grégoire  nomma  quatre  nouveaux 
cardinaux.  De  plus  il  défendit  aux  cardinaux,  sous  peine  d'être 
déposés,  de  quitter  Lucques,  de  négocier  avec  les  ambassadeurs 
de  Benoît  ou  avec  ceux  du  roi  de  France,  ou  même  de  se  réunir 
entre  eux.  Il  voulut  faire  emprisonner  quelques  cardinaux, 
les  faire  jeter  dans  les  cachots,  les  traiter  plus  sévèrement 
encore  et,  dans  ce  but,  il  avait  réuni  dans  son  palais  un  grand 
nombre  d'hommes  armés  ;  mais  le  seigneur  de  Lucques  l'em- 
pêcha de  réaliser  ses  projets. 

26.  Pour  ce  motif,  les  cardinaux  s'enfuirent  à  Pise  (il  n'y  en 
eut  qu'un  à  rester  avec  Grégoire),  afin  de  s'unir  aux  cardinaux  de 
Benoît. 

27.  Grégoire,  très-irrité  de  ce  départ,  ordonna  de  saisir 
mort  ou  vif  le  cardinal  de  Liège,  qui  avait  également  pris  la 
fuite.  Ce  cardinal  parvint  à  s'échapper,  mais  sa  maison  à  Lucques 
fut  pillée. 

28.  Arrivés  à  Pise,  les  cardinaux  de  Grégoire  lui  rappelèrent 
ses  obligations  et  lui  demandèrent  de  se  rendre  à  Pise  ou  d'abdi- 
quer par  l'intermédiaire  d'un  procureur.  Mais  tout  cela  fut 
inutile. 

29.  Quatre  cardinaux  du  pape  Grégoire  entrèrent  en  pour- 
parlers avec  quatre  cardinaux  du  parti  de  Benoît  et,  du  consen- 
tement de  ce  dernier,  ces  négociations  eurent  lieu  à  Livourne. 
Gomme  Benoît  XIII  ne  se  fiait  pas  absolument  à  trois  des  quatre 
cardinaux  qui  représentaient  son  parti,  il  leur  adjoignit  encore 
quatre  autres  prélats,  les  archevêques  de  Rouen,  de  Toulouse  et 


268      CINQUIÈME  SESSION   A   PISE,    LE   24    AVRIL    1409.    MÉMOIRE,    ETC. 

de  Tarragone  avec  le  général  des  dominicains,  et  tous  furent 
unanimes  à  dire  qu'il  fallait  convoquer  un  concile  général  dans 
une  ville  d'Italie,  pour  recevoir  l'abdication  des  deux  papes,  ou, 
s'ils  refusaient  de  la  donner,  pour  agir  dans  l'intérêt  de  l'Église 
suivant  les  règles  divines  et  celles  du  droit  canon.  Benoît  déclara 
(par  le  sacristain  de  Magalona)  qu'il  acceptait  ces  propositions, 
et  il  chargea  ses  cardinaux  de  Palestrina,  Thury  et  S.  Angelo  de 
marcher  dans  cette  voie. 

30.  Lorsqu'on  se  fut  mis  d'accord  sur  ]a  convocation  d'un 
synode  général,  le  cardinal  Ghaîant  et  les  trois  archevêques  avec 
le  général  des  dominicains  quittèrent  la  ville  de  Livourne  et 
vinrent  à  Porto  Venere  auprès  de  Benoît  ;  mais  celui-ci  changea 
alors  de  sentiment  et  prescrivit  un  synode  à  Perpignan,  où  il  se 
rendit  lui-même.  De  son  côté  Grégoire  ordonna  la  réunion  d'un 
synode. 

31.  Pour  rendre  l'union  plas  difficile  encore,  Benoît  nomma 
cinq  nouveaux  cardinaux  et  Grégoire  neuf. 

32.  Benoît  nomma,  en  outre,  trois  nouveaux  patriarches  et 
ouvrit  ensuite  son  concile  particulier,auquel  prirent  part  environ 
quarante  prélats,  y  compris  les  abbés.  Ce  synode  particulier  dé- 
clara que  Benoît  était  le  pape  légitime,  et  qu'il  avait  fait  pour 
l'union  tout  ce  qu'il  pouvait  faire  et  tout  ce  à  quoi  il  était  tenu. 
Lui-même  protesta  dans  ce  synode  contre  la  célébration  du 
concile  de  Pise,  disant  que  c'était  à  lui  seul  à  convoquer  un 
concile  général.  Il  voulait  qu'on  empêchât  les  prélats  de  l' Aragon 
et  de  la  Gastille  de  se  rendre  à  ce  concile  de  Pise . 

33.  Tout  le  monde  sait  et,  du  reste,  les  documents  ont  prouvé 
que  les  deux  papes  avaient  entre  eux  des  rapports  secrets, 
qu'ils  s'étaient  entendus  pour  rejeter  la  via  cessionis,  pour  se 
réserver  à  eux  seuls, et  à  l'exclusion  des  cardinaux  et  des  princes, 
des  négociations  touchant  la  pacification  de  l'Église,  et  pour 
disposer  toutes  choses  afin  que,  leur  vie  durant,  ils  restassent 
l'un  et  l'autre  papes,  et  afin  qu'après  la  mort  de  l'un  ce  fût  le 
survivant  qui  fût  reconnu  de  tous. 

34.  Benoît  XIII  étant  allé  vers  l'ouest,  Grégoire  se  hâta  d'aller 
vers  l'est  ;  mais  les  cardinaux  des  deax  partis  se  réunirent  à 
Livourne  le  25  mars;  ils  convoquèrent  un  synode  qui  devait  se 
tenir  à  Pise  et  ils  y  invitèrent  les  deux  prétendants  et  tous  les 
ayants  droit. 


SIXIEME,  SEPTIEME  ET    HUITIEME  SESSIONS  A  PISE.    APOLOGIE,  ETC.      269 

35.  Grégoire  chercha  à  empêcher  ce  synode,  mais  les  cardi- 
naux restèrent  inébranlables. 

36.  Grégoire  et  Benoît  prononcèrent  contre  les  cardinaux,  etc., 
des  sentences  de  déposition  et  d'excommunication.  De  plus, 
Benoit  cita  l'université  de  Paris  à  comparaître  au  concile  de 
Perpignan,  tout  cela  pour  empêcher  le  concile  général  et  pour 
maintenir  le  schisme. 

37.  L'un  et  l'autre  pape  ont  combattu  le  concile,  dans  leurs 
discours  et  dans  leurs  écrits. 

38.  Aussi  demandait-on  au  concile  de  déclarer:  a)  que  la  réu- 
nion des  deux  collèges  des  cardinaux  était  légale  et  canonique, 
b)  que  les  cardinaux  des  deux  collèges  avaient  réuni  rite  et  débite 
le  synode  dePise  en  temps  opportun,  en  un  endroit  sûr  et  conve- 
nable; que  ce  concile  représentait  l'Église  universelle  ;  que  c'était 
à  lui,  par  conséquent,  de  décider  dans  le  cas  présent;  c)  le  concile 
devait  déclarer,  en  outre,  que  toutes  les  données  émises  dans  le 
présent  mémoire  étaient  exactes,  que  les  deux  prétendants  étaient 
des  schismatiques  notoires,  des  hérétiques  opiniâtres,  etc.,  qu'ils 
s'étaient  rendus  indignes  de  la  papauté...  qu'on  ne  devait  plus 
leur  obéir  ou  bien  les  soutenir  ou  les  défendre,  d)  Enfin  on  de- 
mandait au  synode  de  déclarer  nuls  et  sans  valeur  les  procès  et 
les  sentences  provenant  des  deux  papes  et  dirigés  contre  les 
cardinaux  et  leurs  partisans,  d'annuler  également  leurs  nomina- 
tions de  cardinaux  et,  en  général,  tout  ce  qu'ils  feraient  contre 
l'union  * . 

La  lecture  de  ce  mémoire  dura  une  heure  et  demie  ;  on  nomma 
ensuite  une  commission  pour  entendre  les  deux  prétendants. 
La  session  suivante  fut  fixée  au  30  avril  ^. 

§  737. 

SIXIÈME,    SEPTIÈME   ET   HUITIÈME   SESSIONS   A   PISE. 
APOLOGIE  DU    SYNODE   PAR   LUI-MÊME. 

Fendant  que  se  déroulaient  ces  divers  incidents,  le  nombre 
des  membres  du  synode  s'était  notablement  augmenté;  presque 

(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1195-1219;  t.  XXVII,  p.  22  sqq.  —  IIardouin,  t.  VIII, 
p.  57-79.  —  Raynald,  1409,  47  sqq. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1139,  1195  ;  t.  XXVII,  p.  12H,  363.  —  Hard.  t.  VIII, 
p.  7  et  56. 


270  SIXIEME j    SEPTIEME   ET    HUITIEME   SESSIONS   A   PISE. 

tous  les  jours  c'étaient  de  nouveaux  arrivants;  ainsi,  le  26  avril, 
arriva  Simon  Gramaud,  patriarche  d'Alexandrie,  le  chef  de  l'am- 
bassade française;  avec  lui  vinrent  également  OEgidius  Deschamps 
et  d'autres  personnages.  Un  peu  plus  tard,  ce  fut  le  tour  des 
ambassadeurs  d'Angleterre,  ainsi  que  des  ducs  de  Brabant,  de 
Clèves,  de  Bavière,  de  Lorraine,  etc.  ■*.  Ils  furent  introduits  dans 
le  synode  le  30  avril,  lors  de  la  sixième  session  2,  et  l'évêque  de 
Salisbury  prononça  un  discours  assez  long,  mais  fort  beau, 'disent 
les  auteurs  contemporains,  sur  ce  passage  du  psaume  88,  15. 
«  La  justice  et  le  jugement  composent  ton  siège.  »  11  s'appliqua 
à  mettre  en  relief  le  vif  désir  qu'avait  son  roi  de  voir  rétablir 
l'unité  de  l'Église.  Son  discours  dura  si  longtemps,  que  l'on  ne 
put  traiter  dans  cette  session  les  affaires  qu'on  devait  examiner, 
d'autant  mieux  qu'on  voulait  élire  quelques  commissaires  anglais 
et  allemands  pour  qu'ils  entendissent  avec  ceux  déjà  nommés  les 
témoignages  contre  les  deux  prétendants.  La  session  suivante 
fut  donc  fixée  au  4  mai,  et  on  désigna  le  docteur  Pierre  de  An- 
corano,  professeur  de  droit  canon  et  de  droit  civil  à  Bologne,  pour 
résoudre  les  objections  émises  par  les  ambassadeurs  du  roi  ro- 
main d'Allemagne  Ruprecht.  L'avocat  du  fisc  (employé  du  concile) 
fitremarquer,àcesujet,qae  l'argumentation  de  l'évêque  deYerdun 
et  des  autres  ambassadeurs  de  Ruprecht  était  à  bien  des  points 
de  vue  fausse  et  injurieuse,  qu'elle  ne  répondait  certainement 
pas  aux  intentions  de  leur  maître  et  qu'eux-mêmes,  ens'étant  ainsi 
éloignés  du  concile,  de  leur  propre  autorité,  s'étaient  rendus 
passibles  des  peines  canoniques.  Deux  codices^  ceux  de  Vienne 
et  de  Liège,  ajoutent  que,  pendant  les  sessions,  le  patriarche 
Simon  Gramaud  fut  placé  immédiatement  après  le  plus  ancien 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  342  sqq.,  surtout  p.  345.  D'après  la  p.  348,  Robert 
Alam,  évêque  de  Salisbury  et  chef  de  l'ambassade  anglaise,  ne  serait  arrivé 
que  le  7  mai  ;  mais  c'est  une  erreur  :  car  nous  le  voyons  prononcer  un  dis- 
cours le  30  avril  dans  la  sixième  session  générale.  Vgl.  Chronicor.  Caroli  VI, 
lib.  XXX,  c.  3,  et  Lenfant,  Concile  de  Pise,  1. 1,  p.  269. 

(2)  Les  ambassadeurs  anglais,  se  fondant  sur  une  tradition  de  leur  pays, 
d'après  laquelle  Joseph  d'Arimathie  aurait  fondé  le  christianisme  en  Angle- 
terre et  serait,  en  outre,  le  fondateur  de  Glastonbury  (dans  le  Somerset), 
alors  si  célèbre,  demandèrent  à  Pise,  et  plus  tard  à  Constance,  à  avoir  le  pas 
sur  les  ambassadeurs  français.  Mais  la  France  prétendit,  ot  prétend  encore, 
dans  une  certaine  mesure,  que  Ste  Madeleine,  Ste  Marthe  et  S.  Lazare  avaient 
prêché  le  christianisme  en  Provence.  Fauxon  (directeur  de  Saint-Sulpice), 
Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  Ste  Marie-Madeleine  en  Provence,  Paris 
1848,  et  MoNTALEMBERT,  Lcs  Moines  d'Occident,  186(3,  1. 111,  p.  27. 


APOLOGIE  DU  SYNODE  PAR  LUI-MÊME.  271 

cardinal,  tandis  que  pendant  la  messe  il  se  tenait  après  les  prélats, 
immédiatement  après  le  chambellan  pontifical  * . 

Dans  l'intervalle  entre  la  sixième  et  la  septième  session, le  j  eudi 
2  mai,  le  docteur  de  Paris  Guillaume  Parvi  et  un  ambassadeur 
de  l'archevêque  de  Mayence  prêchèrent,  à  l'heure  de  vêpres, 
dans  l'église  Saint-Martin,  en  présence  des  cardinaux,  des  prélats 
et  de  tous  ceux  qui  voulurent  les  entendre  ;  ils  le  firent  avec  un 
grand  talent,  le  premier  au  nom  de  l'université  de  Paris,  le 
second  au  nom  de  l'ambassade  de  Mayence;  mais  nous  ne  con- 
naissons de  ces  sermons  que  le  texte  emprunté  par  Parvi  au 
psaume  46,  10  :  «  Les  princes  des  peuples  se  sont  réunis  autour 
du  Dieu  d'Abraham  ^.  « 

Dans  la  septième  session  tenue  le  4  mai,  Pierre  de  Ancorano 
réfuta  les  fameuses  objections  faites  par  les  ambassadeurs  de 
Ruprecht.  «  Quelque  nombreuses  qu'elles  soient,  dit-il,  ces 
objections  peuvent  [se  résumer  dans  les  quatre  points  suivants  : 

1 .  L'abandon  de  l'obédience; 

2.  La  convocation  du  présent  concile; 

3.  L'invitation  de  Grégoire  à  ce  concile; 

4.  L'union  des  deux  collèges  des  cardinaux.  D'après  nos 
adversaires,  tous  ces  actes  sont  nuls  et  sans  valeur.  Avant  tout, 
il  ne  faut  pas  oublier  qu'un  laïque,  fùt-il  empereur,  n'a  pas  à 
décider  dans  une  question  de  foi,  et  évidemment  la  question  de 
savoir  quel  est  le  véritable  pape  est  une  question  de  foi.  C'est 
à  un  saint  concile  à  décider  sur  ce  point  (preuves  prises  dans  le 
droit  canon  et  dans  l'histoire).  Le  présent  synode  a  pour  but  de 
faire  disparaître  cette  monstruosité  de  deux  têtes  et  de  rendre  à 
l'Église  un  seul  pasteur  accepté  de  tous.  Gela  n'est  pas  seulement 
utile,  c'est  indispensable.  Presque  tous  les  prélats  et  princes 
allemands  sont  d'accord  sur  ce  point.  En  agissant  ainsi,  Ruprecht 
s'oppose  donc  à  un  but  louable  et,  de  plus,  il  se  met  en  opposi- 
tion avec  la  majorité,  ce  qui  est  une  double  injustice.  Élever  des 
objections  comme  les  siennes,  c'est  au  fond  soutenir  le  schisme, 
parce  que  sans  le  présent  synode  le  schisme  durerait  longtemps 
encore.  Les  ambassadeurs  de  Ruprecht  ne  parlent  que  de  Gré- 
goire; ils  se   taisent   complètement  touchant  Benoît  XIII,   et 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1139,  1219  ;  t.  XXVII,  p.  125,  363,--  Hardouin,  t.  VIII, 
p.  8,  79. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  il4  sq. 


272  SIXIÈME,    SEPTIÈME   ET   HUITIÈME   SESSIONS   A   PISE. 

cependant  il  faut  bien  s'occuper  aussi  de  ce  dernier.  Si  l'assem- 
blée se  préoccupait  uniquement  de  s'entendre  avec  Grégoire,ainsi 
que  les  ambassadeurs  le  conseillent  au  concile,  évidemment  ce 
ne  serait  pas  là  le  moyen  d'arriver  à  l'unité  :  ce  serait  simplement 
une  perte  de  temps.  Tous  les  autres  princes,  peuples  et  docteurs 
sont  pour  les  cardinaux  et  pour  le  synode.  Ruprecht  seul  veut 
faire  exception  et  se  prétend  plus  sage  que  tous.  La  division  qui 
partage  actuellement  l'Église  est  un  véritable  schisme  et  même 
le  plus  grand  qui  ait  jamais  existé  (preuves)  :  ce  n'est  pas  seu- 
lement la  tête  qui  est  divisée  en  deux;  les  membres,  c'est-à-dire 
beaucoup  d'églises,  ont  aussi  deux  évoques.  La  responsabilité 
de  cet  état  de  choses  retombe  sur  les  deux  prétendants.  Aussi 
sont-ils  schism-atiques,  ils  entretiennent  un  schisme  déjà  ancien  : 
par  conséquent  ils  sont  hérétiques,  ainsi  que  les  universités  de 
Bologne  et  de  Paris  l'ont  déclaré.  Ils  veulent  partager  l'Église, 
mettant  ainsi  de  côté  le  principal  article  de  la  foi,  «  une  Église 
sainte;  »  ce  sont  eux  qui  ravagent  l'Église  :  or  il  y  a  toute  une 
série  d'anciens  canons  qui  prononcent  des  peines  contre  ceux 
qui  se  rendent  coupables  de  cette  manière.  Pour  ce  qui  concerne 
les  quatre  propositions  des  ambassadeurs  de  Ruprecht,et  d'abord 
pour  la  première  portant  que  l'abandon  de  l'obédience  de  Gré- 
goire par  les  cardinaux  est  de  nulle  valeur,  nous  ferons  remar- 
quer tout  d'abord  que  celui  qui  tombe  dans  le  schisme  et  dans 
l'hérésie  cesse  évidemment  d'être  pape;  du  moins,  il  ne  peut  faire 
usage  de  sa  charge  pastorale.  Cette  peine  atteindrait  Grégoire, 
même  s'il  était  le  pape  [reconnu  de  tous.  Car,  quand  il  s'agit  du 
crime  d'hérésie,  chacun  perd  ipso  jure  sa  prélature,  et  lui  (Gré- 
goire) ne  peut  demander  d'être  réintégré,  car  un  hérétique  perd 
tout  droit  à  la  possession  (d'un  bien  de  l'Église).  Si  une  personne 
perd  sa  prélature  pour  un  crimen  lœsœ  majestatis  à  l'égard  du 
pape,ou  d'un  cardinal,ou  de  l'empereur,  à  plus  forte  raison  doit- 
on  perdre  sa  prélature  quand  il  s'agit  d'un  crime  contre  l'Église 
tout  entière.  De  plus,  Grégoire  a  encore  perdu  sa  prélature  en 
ne  tenant  pas  le  serment  qu'il  avait  fait  à  Dieu  et  à  son  Église.  Il 
n'a  pas  tenu  la  promesse  à  laquelle  son  élévation  était  attachée... 
Pour  toutes  ces  raisons,  les  cardinaux  ont  le  droit  de  se  sous- 
traire à  son  obédience  et  d'engager  les  autres  à  faire  de  même 
(preuves).  On  peut  même  dire  que  celui  qui  soutient  encore  les 
deux  prétendants  empêche  l'unité  de  l'Éghse  et  perd  ipso  jure 
ses  biens  et  ses  dignités.  Les  princes  civils  ne  sont  pas  seulement 


APOLOGIE  DU   SYNODE   PAR  LUI-MÊME.  273 

tenus  d'abandonner  l'obédience  des  deux  prétendants,  ils  doivent 
même  les  obliger  l'un  et  l'autre  par  la  force  à  abdiquer  ;  et  ce 
n'est  pas  à  eux  de  décider  quel  est  le  pape  légitime.  Il  est  bien 
vrai ,  d'une  manière  générale,  qu'on  ne  peut  se  soustraire  à 
l'obédience  d'un  prélat  incriminé  avant  que  la  seDtence  soit 
rendue  (sixième  objection  des  ambassadeurs  allemands);  mais 
cela  n'est  vrai  que  lorsque  le  délit  reste  douteux.  Dans  le  présent, 
la  preuve  est  surabondamment  faite.  Les  deux  prétendants  sont 
déjà  condamnés  par  les  anciens  canons  :  il  n'est  donc  pas  néces- 
saire de  prononcer  contre  eux  une  nouvelle  sentence  (preuves). 
Que,  après  l'abandon  de  l'obédience,  les  cardinaux  aient  encore 
donné  à  Grégoire  le  titre  de  pape  (N°  1  des  Allemands),  cela  ne 
pourrait  constituer  une  objection  :  car  de  pareils  titres  de 
politesse  ne  signifient  rien.  En  effet,  les  canons  ayant  condamné 
Grégoire  comme  nutritor  schismatis ,  il  n'était  évidemment  plus 
au  pouvoir  des  cardinaux  de  le  reconnaître  comme  pape. 

En  second  lieu  ,  les  ambassadeurs  de  Ruprecht  prétendent 
que  la  convocation  du  concile  par  les  cardinaux  était  nulle  et 
sans  valeur,  et  ils  en  donnent  diverses  raisons.  En  parlant  ainsi 
ils  prouvent  qu'ils  ne  sont  pas  venus ,  ainsi  qu'ils  le  préten- 
dent, pour  servir  d'intermédiaires,  mais  bien  comme  des  par- 
tisans obstinés  de  Grégoire,  qui  veulent  semer  l'ivraie  à  travers 
le  bon  grain.  En  disant  que  Grégoire  doit  rejeter,  comme  lui 
étant  suspect,  le  concile  général,  ils  affirment  par  le  fait  même 
que  l'Église  universelle  peut  se  tromper.  Ce  langage  est  donc 
bien  près  d'être  hérétique,  il  tend  à  faire  durer  indéfiniment  le 
schisme.  L'appellation  qu'ils  ont  affichée  aux  portes  des  églises 
lorsqu'ils  sont  partis  en  fugitifs, prouve  qu'ils  sont  venus  unique- 
ment pour  troubler  le  concile.  Par  conséquent,  à  leurs  affirnia- 
tions  j'oppose  les  affirmations  suivantes  : 

a)  Grégoire  et  Benoît  ont  perdu  toute  juridiction,  parce  qu'ils 
ont  alimenté  le  schisme;  leur  pouvoir  a  passé  aux  cardinaux, ainsi 
que  cela  eut  lieu  dans  d'autres  cas  urgents  (preuves)  ;  les  cardi- 
naux peuvent  donc  convoquer  le  concile. 

6)  Par  le  fait  du  schisme,  le  siège  pontifical  est  devenu 
vacant  :  or,  pendant  la  vacance  du  siège,  c'est  aux  cardinaux  à 
pourvoir  aux  intérêts  de  l'Église.  Quand  même  le  Saint-Siège  ne 
serait  pas  vacant,  les  cardinaux  auraient  encore  le  droit  de  con- 
voquer un  synode,  par  exemple  si  le  pape  ne  voulait  pas  le  faire 
quoiqu'il  s'agît  d'une   question  dogmatique,  si  le  pape  était 

T.  X.     18 


274  SIXIÈME,   SEPTIÈME  ET   HUITIÈME   SESSIONS   A   PISE, 

devenu  fou,  s'il  avait  été  fait  prisonnier  par  les  infidèles,  s'il  était 
soupçonné  d'hérésie  et  s'il  ne  voulait  pas,  pour  cette  raison, 
convoquer  un  concile  général.  Le  cas  serait  encore  le  même  si 
le  pape  ne  voulait  pas  convoquer  de  concile  parce  qu'une  partie 
de  l'Église  lui  obéit,  tandis  qu'une  autre  partie  obéit  à  un  autre 
chef. 

c)  Quand  il  s'agit  de  papes  illégitimes,  on  doit  même,  d'après 
le  droit  canon,  invoquer  le  bras  sécuHer  et  les  chasser. 

d)  Aucun  des  deux  prétendants  ne  peut  convoquer  un  concile 
général  :  ils  ne  réuniront  que  des  conciliabules  qui  seront  im- 
puissants à  rendre  l'unité  à  l'Église. 

Et,  du  reste,  le  présent  synode  est  convoqué  de  par  l'autorité 
de  Grégoire  et  de  Benoît  :  car,  lors  de  leur  élection, ils  ont  promis 
(du  moins  implicite)  de  le  convoquer.  Dans  les  temps  de  trouble, 
tout  évêque  ou  tout  clerc  aurait  le  droit  de  réunir  l'Église  :  il  n'y 
a  que  le  droit  positif  à  prétendre  que  la  convocation  d'un  concile 
doit  se  faire  sous  l'autorité  du  pape.  Dans  les  anciens  temps,  les 
empereurs  ont  réuni  des  conciles  généraux,  parce  que  l'Église 
était  alors  trop  faible  pour  le  faire;  mais  maintenant  elle  est 
plus  faible  qu'elle  ne  l'a  jamais  été,puisque  personne  ne  sait  quel 
est  le  pape  légitime.  Les  cardinaux  ont  donc  eu  pleinement 
raison  en  convoquant  le  concile.  Mais  est-ce  que  les  cardinaux 
ont  une  juridiction  sur  le  concile?  Non  évidemment,  lorsque  le 
concile  est  réuni.  Mais  ils  ont  le  droit  de  le  réunir  et  d'y  citer 
toutes  sortes  de  personnes,  sans  en  excepter  les  deux  préten- 
dants. 

Les  Allemands  se  trompent  lorsqu'ils  prétendent  que, si  Benoît 
n'abdique  pas,  Grégoire  XII  ne  saurait  être  obligé  à  résigner, 
en  vertu  des  conditions  acceptées  par  lui,  lorsqu'il  a  été  élu 
(preuves). 

Les  ambassadeurs  de  Ruprecht  ont  prétendu  en  troisième  lieu 
que  les  cardinaux  n'avaient  aucun  droit  de  citer  Grégoire;  mais 
si  les  cardinaux  avaient,  comme  il  a  été  du  reste  démontré  plus 
haut,  le  droit  de  convoquer  un  concile  général  pour  juger  l'affaire 
des  deux  prétendants,  ces  mêmes  cardinaux  doivent  aussi  avoir 
le  droit  de  citer  ces  deux  prétendants;  car  lorsque  l'on  accorde  à 
quelqu'un  le  pouvoir  de  faire  quelque  chose,  il  faut  bien  aussi 
ui  permettre  de  prendre  les  moyens  nécessaires  pour  arriver  au 
but  proposé.  S'ils  avaient  le  droit  de  convoquer  le  tribunal,  ils 
ont  aussi  celui  do  citer  les  inculpés  par-devantce  tribunnl.Siune 


à 


APOLOGIE   DU   SYJVODP:  PAR   LUI-MÊME.  275 

pareille  citation  n'avait  pas  été  faite,  le  synode  pourrait  encore 
sans  autre  forme  de  procès  déposer  les  deux  prétendants,  parce 
que,  si  l'on  ne  prend  pas  cette  mesure,  il  est  impossible  de 
ramener  l'Église  à  l'unité  aussi  bien  de  facto  (parce  qu'aucun 
des  deux  prétendants  ne  veut  céder)  que  de  jure  (parce  que 
personne  ne  sait  quel  est  le  véritable  pape).  Cette  déposition  doit 
donc  avoir  lieu ,  qu'ils  soient  présents  ou  absents .  On  n'améme  pas 
besoin  de  les  citer,  parce  que  l'on  n'a  pas  besoin  de  les  entendre. 
En  effet,  d'après  le  droit  canon,  les  schismatiques  et  les  héré- 
tiques n'ont  aucun  droit  à  être  entendus;  et  puis  leur  culpabilité 
n'a  plus  besoin  d'être  établie,  etc.  »  Quant  à  la  réfutation  de  la 
quatrième  objection  des  Allemands,  elle  me  paraît  un  peu 
forcée  et  moins  heureuse  que  les  précédentes;  on  se  souvient 
que,  d'après  cette  objection,  la  réunion  des  deux  collèges  de 
cardinaux  était  dénoncée  comme  nulle.  Il  est  bien  vrai,  est-il 
répondu,  que  les  cardinaux  d'un  collège  sont  les  véritables, 
tandis  que  les  autres  ne  le  sont  pas  ;  mais  on  ne  peut  dire  d'une 
façon  indubitable  où  sont  ces  vrais  et  ces  faux  cardinaux.  Quand 
il  s'agit  de  défendre  la  foi,  les  grands  peuvent,  du  reste,  s'unir 
aux  petits  ;  on  peut  même,  dans  ces  cas,  s'unir  à  des  païens 
pour  favoriser  les  intérêts  de  la  foi  ;  il  est  licite  d'appeler  à  son 
aide  les  excommuniés  et  les  tyrans.  Grégoire  XII  s'est  engagé 
par  serment  à  faire  tout  ce  qui  était  nécessaire  et  utile  pour 
l'union: par  conséquent, il  a  permis  cette  union  des  deux  collèges 
des  cardinaux  parce  qu'elle  est  une  nécessité.  Aucun  collège  de 
cardinaux  n'aurait  pu,  s'il  avait  été  seul,  opérer  la  réunion  d'un 
concile  général.  Quant  à  Benoît  XIII,  il  a  approuvé  la  promesse 
faite  par  Grégoire  :  par  le  fait  même,  il  a  consenti,  du  moins 
implicite,  à  l'union  des  deux  collèges  de  cardinaux  ^. 

Ce  discours  donna  beaucoup  d'énergie  aux  membres  du 
synode  ^,  et  lorsqu'il  fut  fini,  les  cardinaux  rompirent  complète- 
ment avec  «  Ruprecht  duc  de  Bavière»  ;  en  revanche,  les  ambas- 
sadeurs de  Yenceslas  furent  reçus  comme  étant  ceux  du  véritable 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  367-394.  L'historien  Lenfant  (1.  c.  p.  335  sq.)  a  dé- 
couvert dans  la  bibliothèque  du  sénateur  Uffenbach,  à  Francfort-sur-le-Mein, 
une  réfutation  de  ce  discours  faite  par  un  partisan  de  Ruprecht,  c'est-à-dire 
par  l'un  des  ambassadeurs,  et  il  en  a  cité  le  principal  dans  son  travail.  Tou- 
tefois, comme  cette  réfutation  est  sans  portée  et  n'a  certainement  pas  été 
connue  du  synode  de  Pise,  nous  n'en  parlerons  pas  plus  amplement. 

(2)  Lenfant,  l.c.  p.  271. 


276  SIXIÈME,    SEPTIÈME   ET   HUITIÈME   SESSIONS   A  PISE. 

roi  romain,  et  ils  eurent  le  pas  sur  tous  les  députés  des  autres 
princes^. 

Dans  la  septième  session  on  proclama  les  noms  des  commis- 
saires nommés  pour  entendre  les  dépositions  des  témoins  qui  se 
présenteraient  contre  les  deux  prétendants.  La  France  comptait 
parmi  ces  commissaires  l'évêque  de  Lisieux  et  trois  docteurs, 
tandis  que  l'Angleterre  n'était  représentée  que  par  un  seul 
membre  et  l'Allemagne  par  deux.  Les  cardinaux  avaient  égale- 
ment envoyé  deux  de  leurs  plus  anciens  collègues,  un  du  parti 
de  Benoît ,  c'était  le  cardinal  de  Lodi-Vecchio  (appelé  aussi 
Neapolitanus,  parce  qu'il  était  natif  de  Naples)  et  le  cardinal  de 
S.  Angelo,  Pierre  Blavi  ^. 

Comme  Ladislas,  roi  de  Naples,  assiégeait  la  ville  de  Sienne, 
qui  n'est  pas  fort  éloignée  de  Pise  ^  et  troublait  par  conséquent  le 
concile,  on  décida  de  lui  envoyer  des  ambassadeurs,  afin  qu'il 
cessât  les  hostilités.  Mais  il  n'y  voulut  pas  consentir  :  car  il  avait 
déclaré  la  guerre  à  Florence,  qui  avait  pouvoir  sur  Sienne,  de 
concert  avec  Grégoire  et  surtout  dans  le  but  d'empêcher  le  synode. 
Grégoire,  pour  augmenter  les  ressources  de  Ladislas,  lui  avait 
permis  de  prélever  des  impôts  jusque  dans  PÉtat  de  PÉglise  *. 
A  cette  septième  session  n'assistèrent  pas  les  ambassadeurs 
des  archevêques  de  Cologne  et  de  Mayence,  parce  qu'une  discus- 
sion s'était  élevée  entre  eux  au  sujet  de  la  préséance;  elle  fut 
résolue  en  faisant  placer  ces  envoyés,  non  pas  à  la  suite  les  uns 
des  autres,  mais  pêle-mêle  :  ce  fut  de  cette  manière  qu'ils  assis- 
tèrent à  la  congrégation  (ce  n'était  pas  une  session)  qui  se  tint 
le  8  mai,  jour  de  VApparitio  sancti  Michaelis,  et  dans  l'église 
de    Saint-Michel.   Le   patriarche  d'Alexandrie  y  prononça  un 
long  discours  pour  réfuter  les  objections  des  ambassadeurs  de 
Ruprecht.  Le  même  jour,  dans  l'après-midi,  le  cardinal  dePa- 
lestrina  proposa  de  choisir  dans  le  synode  une  commission  qui 
assisterait  à  toutes  les  délibérations  des  cardinaux,  parce  que 
ceux-ci  ne  voulaient  rien  faire  sans  l'assentiment  du  concile  et 
qu'ils  ne  pouvaient  cependant  pas  délibérer  à  tout  instant  avec 


(1)  Palagicy,  Gesch.  von  Bœhmen,  Bel.  III,  1,  S.  241  f.  Voyez  fia  liste  des 
membres  du  synode  dans  Manst,  t.  XXVI,  p.  1240.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  98. 

(2)  Mansf,  t.  XXVII,  p.  126.  —  Chronicor.  Caroli  VJ.  lib.  XXX,  c.  3,  p.  224. 

(3)  Et  non  pas  Savone,  comme  !e  prétend  le  moine  de  Saint-Denis. 

(4)  Manbi,  t.  XXVI,  p.  1139,  1219  sq.;  t.  XXVII,  p.  126,  365.—  Hard.I.  VIII, 
p,  8  et  79.  —  Lenfant,  1.  c.  p.  271  sq. 


i 


APOLOGIE  DU  SYNODE  PAR  LUI-MÊME.  277 

tous  les  membres  de  l'assemblée.  Le  patriarche  d'Alexandrie 
déclara  alors  que  la  nation  française  avait  déjà  nommé  une 
commission  de  ce  genre;  elle  comprenait  les  archevêques  et  lui 
(le  patriarche).  Si  l'un  des  archevêques  venait  à  être  empêché, 
il  était  remplacé  par  un  évêque  de  sa  province.  On  régla  que  les 
autres  nations  en  feraient  autant. 

Le  cardinal  d'Albano  (du  parti  de  Benoît)  demanda  ensuite 
comment  il  fallait  recevoir  et  traiter  les  ambassadeurs  de  Benoît, 
qui  étaient  attendus  d'un  moment  à  l'autre.  Le  lendemain  9  mai, 
un  débat  s'engagea  sur  ce  point  entre  le  patriarche  d'Alexan- 
drie et  l'évêque  de  Sahsbury.  On  s'arrêta  à  cette  conclusion, 
qu'il  ne  fallait  témoigner  à  ces  ambassadeurs  aucune  espèce 
d'honneur,  parce  qu'ils  n'avaient  pas  abandonné  l'obédience 
de  Benoît.  L'évêque  de  Gracovie,  qui  était  nonce  du  roi  de  Po- 
logne, et  les  députés  de  Cologne  et  de  Mayence  ne  furent 
pas  tout  à  fait  de  cet  avis,  non  plus  que  quelques  cardinaux 
qui  n'avaient  pas  encore  abandonné  d'une  manière  formelle 
l'obédience  de  Benoît  XIII.  L'évêque  de  Salisbury  fut  très-scan- 
dahsé  de  ce  qu'on  émît  de  pareils  sentiments  \  et  les  discussions 
se  poursuivirent  jusque  dans  la  huitième  session,  qui  se  tint  le 
10  mai.  L'avocat  fiscal  Siméon  émit  alors  les  quatre  propositions 
suivantes  : 

1.  Le  synode  doit  déclarer  que  la  réunion  des  deux  collèges 
de  cardinaux  est  tout  à  fait  légitime  et  conforme  au  droit  canon; 

2.  Qu'il  en  est  de  même  de  la  convocation  du  concile  par  des 
cardinaux  des  deux  collèges. 

3.  Le  synode  doit  se  déclarer  lui-même  concile  général  repré- 
sentant l'ÉgHse  universelle;  il  doit  affirmer  que  la  décision  à 
prendre  louchant  les  deux  prétendants  lui  revient  de  droit, 
comme  étant  le  juge  le  plus  élevé  qui  soit  sur  terre. 

4.  L'avocat  fiscal  demandait  enfin  que  le  délai  pour  l'audition 
des  témoins  fût  prolongé,  parce  qu'il  était  beaucoup  trop  court 
et  que  les  deux  fêtes  Smicti  Joannis  antè  portam  latinam  (6  mai) 
et  Apparitio  sancti  Michaelis  (8  mai)  abrégeaient  encore  ce  délai . 
Lorsque  l'orateur  demanda  au  synode  s'il  acceptait  cette  propo- 
sition, beaucoup  de  voix  répondirent  aussitôt  par  l'affirmative. 
Les  évêques  de  Sahsbury  et  d'Évreux  dirent  alors  que  l'union 
des  deux  collèges  des  cardinaux  ne  serait  réelle  et  complète  que 

(1)  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XXX,  c.  3,  p.  226-230. 


278      SIXIÈME,  SEPTIÈME   ET   HUITIEME  SESSIONS  A  PISE.    APOLOGIE,  ETC. 

lorsque  les  cardinaux  de  Benoît  auraient  renoncé  explicitement 
à  son  obédience.  Après  avoir  longuement  discuté  pour  et  contre, 
le  procureur  lut  comme  compromis  la  proposition  suivante  : 

Que  le  synode  veuille  bien  déclarer  qu'à  partir  du  moment 
où  l'on  a  pu  constater  la  mauvaise  volonté  des  deux  prétendants 
pour  s'employer,  ainsi  qu'ils';  l'avaient  juré,  au  rétablissement 
de  l'union,  chacun  a  le  droit  et  le  devoir  d'abandonner  leur 
obédience  et  que  nul  ne  doit  désormais  leur  obéir.  De  cette 
manière,  l'obédience  serait  abolie  de  fait  et  d'une  manière  gé- 
nérale, et  tout  le  reste  deviendrait  inutile.  Cette  proposition  eut 
l'assentiment  universel  ;  toutefois  les  cardinaux  de  Palestrina  et 
d'Albano,  ainsi  qu'un  évêque  anglais  et  un  évêque  allemand, 
émirent  quelques  objections;  si  nous  ne  nous  trompons,  ce  fut 
cette  phrase  :  «  chacun  a  le  devoir  d'abandonner  l'obédience  de 
Benoît,  »  qui  leur  parut  renfermer  un  reproche  contre  eux  et 
contre  leurs  amis.  Aussi,  on  décida  que,  dans  la  session  suivante, 
on  changerait  cette  formule  pour  en  prendre  une  autre.  Mais 
dans  cette  session  le  patriarche  d'Alexandrie  accompagné  de 
l'évêque  de  Salisbury  monta  à  la  tribune,  et  proclama  le  décret 
correspondant  aux  propositions  de  l'avocat  fiscal  i 

«  Après  mûres  réflexions  le  saint  synode  déclare  : 

«  1 .  Que  l'union  des  deux  collèges  des  cardinaux  est  conforme 
au  droit  et  tout  à  fait  canonique,  et  il  confirme  cette  union. 

«  2.  Il  déclare  également  que  le  présent  synode  a  été  convoqué 
d'une  manière  légale,  canonique,  en  temps  opportun  et  en  un 
endroit  propice,  par  les  cardinaux  des  deux  collèges,  qui  s'étaient 
réunis  dans  un  but  si  louable; 

«  3.  Que  ce  même  synode  est  un  concile  général  représentant 
l'Église  catholique  tout  entière;  qu'à  lui  revient,  comme  au  juge 
le  plus  élevé  qui  soit  sur  terre,  le  droit  de  décider  sur  les  deux 
prétendants  et  sur  ce  qui  ce  rattache  à  cette  question. 

c(  4.  Enfin  le  synode  proroge  de  huit  jours, c'est-à-dire  jusqu'au 
17  mai,  le  délai  pour  l'audition  des  témoins;  à  cette  même  date, 
17  mai,  aura  lieu  la  session  suivante  ^ .  » 

(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1139  sq.  1220  sq.;  t.  XXVII,  p.  126  sqq.  et  365  sq.— 
Hard.  t.  VIII,  p.  8  et  80.  —  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XXX,  c.  3,  p.  230  sq.  Le 
Codex  de  Liège  (dans  Mansi,  t.  XXVII,  p.  364)  raconte  que  cette  session  fut 
présidée  par  le  patriarche  d'Alexandrie  ;  mais  les  trois  autres  relations  n"en 
disent  rien,  non  plus  que  le  moine  de  Saint-Denis  (Chron.  Caroli  VI).  Le  pa- 
triarche était  seulement  président  de  la  commission  nommée  par  les  nations 
(cf.  Mansi,  t.  XXVII,  p.  394). 


PROCÈS  ET  DÉPOSITION  DES  DEUX  PAPIS,  ETC.         279 

§  738. 

PROCÈS   ET   DÉPOSITION    DES    DEUX   PAPES,    DE    LA   NEUVIÈME 
A  LA   QUINZIÈME   SESSION   DU   CONCILE   DE   PISE. 

Il  se  tint  ensuite  deux  congrégations  composées  des  cardinaux 
et  de  la  commission  nommée  par  le  concile.  Dans  la  première 
congrégation,  on  chargea  plusieurs  évêques  et  docteurs  de  ré- 
diger pour  la  session  suivante  le  projet  d'une  déclaration  géné- 
rale concernant  l'abandon  des  deux  obédiences  ;  dans  la  seconde 
congrégation,  le  cardinal  de  Palestrina  déclara  que  lui  et  ses 
collègues  du  côté  de  Benoit  acceptaient  cette  formule.  Le  moine 
de  Saint-Denis,  qui  nous  donne  tous  ces  détails  (1.  c.  p.  232), 
appelle  cette  seconde  séance  un  concilium  générale,  c'est-à-dire 
une  réunion  générale  des  cardinaux  et  des  députés  de  toutes  les 
nations. 

Dans  la  neuvième  session,  tenue  le  vendredi  17  mai  1409,  on 
déclara  une  fois  de  plus  que  l'ordre  suivi  pour  les  places  dans 
l'assemblée  ne  pourrait  former  aucun  précédent  préjudiciable, 
soit  à  une  église,  soit  à  un  prince,  soit  à  un  prélat.  Sur  l'ordre 
du  synode,  le  patriarche  d'Alexandrie  lut  ensuite  le  décret  sui- 
vant : 

«  Le  saint-synode,  réuni  au  nom  du  Christ,  déclare  et  décrète 
pour  des  raisons  justes  et  légitimes  ce  qui  suit  : 

«  1.  Chacun  doit  quitter  d'une  manière  libre  et  légale  l'obé- 
dience de  Pierre  de  Luna,  qui  se  fait  appeler  Benoît  XIII,  et 
d'Angelo  Corrario,  qui  se  fait  appeler  Grégoire  XII,  à  partir  du 
moment  où  l'un  et  l'autre  ont  refusé  de  s'engager  dans  la  voie 
de  la  cession  et  d'accepter  ce  moyen,  quoiqu'ils  eussent  promis, 
sous  la  foi  du  serment,  de  le  faire, 

a  2.  Les  deux  prétendants, ayant  été  convoqués  canoniquement 
dans  cette  affaire  d'un  schisme  qui  intéresse  la  foi,  doivent  être 
légalement  déclarés  opiniâtres.  Tous  les  fidèles  doivent  aban- 
donner leur  obédience,  s'ils  ne  l'ont  déjà  fait. 

«  3.  Toutes  les  sentences,  condamnations, etc.,  prononcées  par 
l'un  des  deux  prétendants  contre  l'autre,  ou  bien  contre  ceux 
qui  ont  abandonné  ou  qui  abandonnent  leur  obédience,  sont 
nulles  et  sans  valeur. 


280  PROCÈS  ET  DÉPOSITION  DES  DEUX  PAPES, 

«  4.  Toute  personne  et  aussi  tout  cardinal,  quoiqu'il  soit  juge 
dans  le  concile  pour  la  présente  affaire,  peut  déposer  en  qualité 
de  témoin  (contre  les  deux  prétendants). 

«  5.  Les  commissaires  chargés  de  l'audition  des  témoins  ne 
doivent  pas  s'en  tenir  absolument  à  la  lettre  des  articles  (trente- 
huit  de  ces  articles  furent  émis  dans  la  cinquième  session);  ils  peu- 
vent en  mettre  quelques-uns  de  côté  ou  en  ajouter  d'autres,  etc., 
et  ils  auront  pour  faire  ces  interrogations  jusqu'au  22  mai.  »  Tous 
les  membres  du  synode  signèrent  ce  décret,  à  l'exception  d'un 
Anglais  qui  était  partisan  de  Grégoire,  mais  qui  n'avait  aucun 
droit  d'assister  au  synode;  il  fut  immédiatement  chassé  avec 
des  injures  et  puis  on  le  mit  en  prison  \ 

L'audition  des  témoins  se  termina  enfin,  et  le^rapport  fut  fait 
au  synode  dans  la  dizième  session,  le  22  mai.  Avant  de  lire  ce 
rapport,  une  députation  du  concile  se  présenta  encore  aux  portes 
de  l'église  pour  demander  si  les  deux  prétendants  étaient 
présents  ou  s'ils  avaient  envoyé  des  fondés  de  pouvoirs,  afin 
d'entendre  les  accusations  formulées  contre  eux  par  les  témoins. 
Personne  ne  s'étant  présenté,  le  patriarche  d'Alexandrie  déclara 
une  fois  de  plus,  au  nom  du  concile,  que  les  deux  prétendants 
étaient  opiniâtres.  L'archevêque  de  Pise,  membre  de  la  commis- 
sion instituée  pour  l'audition  des  témoins,  raconta  ensuite  qu'on 
avait  entendu  un  très-grand  nombre  de  témoins,  lesquels 
avaient  déposé  contre  les  deux  prétendants;  aussi  tous  les  chefs 
d'accusation,  surtout  les  plus  graves,  avaient-ils  été  complète- 
ment prouvés.  Il  donna  ensuite  la  parole  au  notaire  Pierre 
Carnerii  pour  lire  ces  chefs  d'accusation,  se  réservant  de  dire  à 
la  fin  de  chaque  article  le  nombre  des  témoins  qui  avaient 
déposé  sur  ce  point  et  quelle  était  la  qualité  de  ces  témoins.  On 
suivit  cet  ordre  et,  dans  cette  même  session,  on  lut  les  vingt 
premiers  chefs  d'accusation. 

Les  autres  furent  lus  le  lendemain  dans  la  dixième  session,  et 
on  ajouta  encore  cinq  articles  qui  furent  acceptés  par  les  com- 
missaires en  vertu  des  pleins  pouvoirs  qu'ils  avaient  reçus  *. 

La  lecture  faite,  un  avocat  demanda,  au  nom  du  promoteur 
nommé  par  le  concile,  que  ces  chefs  d'accusation  fussent  solen- 


(1)  MANSi,t.XXVI,  p.  1140  sqq.  1221  sqq.  ;  t.XXVII,  p.  128,  394  sq.—  Hard. 
t.  VIII,  p.  y  et  SI.  —  Chrnnicor.  Caroli  Vf,  I.  c.  p.  232-236. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  22  sqq.  —  Raynald,  1409,  47  sqq. 


DE  LA  NEUVIÈME  A  LA   QUINZIEME  SESSION   DU  CONCILE   DE    PISE.      281 

nellement  déclarés  vrais  et  notoires  par  rassemblée,  et  que  l'on 
procédât  contre  les  deux  prétendants.  La  décision  à  prendre  sur 
ce  point  fut  remise  à  la  session  suivante.  Mais  dans  l'intervalle 
et  dès  l'après-midi  du  23  mai,  la  commission  nommée  par 
l'assemblée  commença  à  délibérer  dans  l'église  de  Saint-Martin; 
on  y  dressa  une  ébauche  de  la  sentence  qui  devait  être  ensuite 
remise  aux  nations  ad  monendum  et  corrigendum. 

A  la  fin  de  cette  conférence,  on  remit  aux  cardinaux  plusieurs 
bulles  closes  de  Benoît  XIII.  Ses  anciens  partisans  refusèrent 
de  les  ouvrir;  mais  sur  le  conseil  du  patriarche  d'Alexandrie,  le 
cardinal  de  Milan  Philargi  se  décida  à  rompre  les  cachets.  Ces 
bulles  renfermaient  la  défense  d'élire  un  autre  pape,  et  elles 
permirent  de  constater  —  on  le  fit  avec  plaisir  —  que  Benoît  XIII 
avait  reçu  l'invitation  de  se  rendre  à  Pise,  mais  qu'il  s'obstinait 
à  ne  pas  venir,  par  conséquent  qu'il  serait  inutile  de  l'attendre 
plus  longtemps  ^ . 

Dans  la  douzième  session,  qui  se  tint  le  25  mai  (samedi  avant 
la  Pentecôte),  le  patriarche.d' Alexandrie  lut  au  nom  du  synode  le 
décret  suivant  : 

«  Considérant  que  les  crimes,  les  sacrilèges  et  les  excès  des 
deux  prétendants  sont  notoires,  on  doit  prendre  contre  eux  de 
nouvelles  mesures,  car  il  s'agit  d'une  affaire  où  le  scandale  et  le 
danger  sont  imminents.  » 

En  même  temps  on  accorda  aux  cardinaux  le  droit  d'envoyer, 
selon  qu'ils  le  jugeraient  à  propos,  au  nom  du  concile  et  sans 
attendre  d'autres  délibérations  des  congrégations,  des  ambassa- 
deurs à  Lucques  et  à  Sienne,  afin  de  recueillir  d'autres  renseigne- 
ments pour  le  procès  contre  Grégoire  XII,  qui  avait  habité  peu 
de  temps  auparavant  ces  deux  villes.  Ce  qui  précède  s'harmonise 
très-bien  avec  la  dernière  décision  prise  dans  cette  même 
douzième  séance  :  elle  autorise  la  commission  chargée  d'entendre 
les  témoins  à  continuer  ses  travaux  jusqu'à  ce  qu'une  sentence 
définitive  soit  rendue  et  à  réunir  de  nouvelles  preuves  ^. 

Dans  la  treizième  session,  tenue  le  29  mai  1409,  le  magister 
Pierre  Plaoul  prononça  un  discours  sur  ce  texte  d'Osée,  i,  11  : 
«  Les  fils  de  Judas  et  d'Israël  se  réunirent  pour  se  donner  un 

(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1142  sq.  1222  sq.  ;  t.  XXVII,  p.  128  sqq.  395  sqq.  — 
Habd.  t.VIII,  p.  10  sq.  82  sq. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1144, 1223;  t.  XXVII,  p.  130,  398.  (Le  Codex  àQ  Vienne 
n'a  pas  les  sessions  12  à  20  inclus.).  —  Hard.  1.  c.  p.  12,  83. 


282  PROCÈS  ET  DÉPOSITION  DES  DEUX  PAPES, 

chef.  »  Il  commença  d'abord  par  chercher  à  prouver  de  diverses 
manières  que  l'Éghse  était  au-dessus  du  pape  (aussi  bien  ex  parte 
formœ,quœ  est  Spiritus  sanctus^que  ex  parte  causœ  efficientis  qnœ 
est  ipse  Christus,  et  que  ex  parte  finis  qui  est  ipse  Deus  in  ecclesia 
triumphante) .  Il  ajouta  que, d'après  le  sentiment  très-catégorique 
de  l'université  de  Paris,  Pierre  de  Lima  (Benoît  XIII)  était  schis- 
matique  et  hérétique,  ce  dernier  mot  étant  pris  dans  son  sens 
strict  et  proprement  dit;  par  conséquent,  que  Pierre  de  Luna  était 
retranché  eo  ipso  de  l'Église  de  Dieu,  et  qu'il  avait  perdu  tout  droit 
à  la  papauté.  Les  universités  d'Angers,  d'Orléans  et  de  Toulouse 
partageaient  ce  sentiment.  L'évêque  de  Novare  lut  ensuite  le 
procès-verbal  d'une  réunion  tenue  la  veille»  28  mai,  dans  la 
sacristie  de  l'église  des  Frères  Mineurs  et  qui  s'était  composée 
exclusivement  de  docteurs,  de  licenciés  et  de  magistri  formati 
en  théologie.  Le  cardinal  Philargi  les  avait  convoqués  d'après 
les  ordres  de  ses  collègues  et  il  se  trouva  dans  cette  réunion 
des  membres  ayant  différents  titres  :  des  évêques,  des  abbés, 
des  généraux  d'ordres,  des  prêtres  séculiers  et  des  moines.  On 
leur  posa  les  deux  questions  suivantes. 

1.  Pierre  de  Luna  appelé  Benoît  XIII  et  Angelo  Gorrario 
appelé  Grégoire  XII  sont-ils  schismatiques  et  hérétiques  ? 

2.  Doivent-ils  être  exclus  de  l'Église  et  de  l'exercice  de  la 
papauté  sub  titulo  hœresis? 

Après  de  longues  délibérations,  l'assemblée  répondit  à  l'una- 
nimité d'une  manière  affirmative  à  ces  deux  questions.  Cette 
réunion  comptait  cent  trois  ou  cent  cinq  membres  :  parmi  eux 
vingt-trois  magistri  de  l'université  de  Paris  ;  les  autres  ap- 
partenaient à  d'autres  universités,  Cambridge,  Toulouse,  etc. 
On  y  compta  également  un  très-grand  nombre  de  moines,  frères 
mineurs,  dominicains,  carmes,  servîtes.  —  Le  même  évêque 
de  Novare  dit  que  les  universités  de  Bologne  et  de  Florence 
étaient  du  même  avis  et  que,  dans  cette  dernière  ville,  il  n'y 
avait  pas  eu  moins  de  cent  vingt  magistri  à  se  prononcer  par 
écrit  en  ce  s'ens.  A  la  fin  de  la  séance  ,  on  annonça  que  la 
sentence  contre  les  deux  prétendants  serait  rendue  et  publiée  le 
5  juin,  et  que  la  pubhcation  se  ferait  par  l'affichage  aux  portes 
des  éghses.  Avant  cette  date,  c'est-à-dire  le  l'' juin,  on  tint  une 
quatorzième  session  pour  entendre  de  nouveaux  témoignages 
et  de  nouvelles  preuves  contre  les  deux  prétendants.  Au  début, 
l'archevêque  de  Pise  voulait  faire  son  rapport  d'une  manière 


DE  LA  NEUVIÈME   A   LA   QUINZIEME   SESSION  DU   CONCILE   DE   PISE.      283 

sommaire;  mais,  sur  les  réclamations  de  plusieurs  membres,  il  dut 
procéder  comme  dans  la  dixième  et  la  onzième  session,  c'est-à- 
dire,  faire  lire  d'abord  le  chef  d'accusation  et  puis  indiquer  le 
nombre  et  la  qualité  des  témoins  qui  avaient  déposé  sur  ce  point. 
Les  actes  complets  avec  les  dépositions  détaillées  de  chaque 
témoin  furent  ensuite  déposés  dans  le  couvent  des  carmes,  et 
chaque  membre  fut  autorisé  à  en  prendre  connaissance  dans  les 
jours  qui  suivirent  ^ . 

Vers  la  môme  époque,  29  mai^,  les  fondés  de  pouvoirs  de  l'uni- 
versité de  Paris  envoyèrent  à  leurs  commettants  un  rapport  sur 
ce  qui  s'était  passé  dans  le  synode.  Nous  y  voyons  que  Gré- 
goire XII  écrivit  une  lettre  particulière  aux  prélats  anglais  pour 
les  prier  d'appuyer  les  efforts  et  les  plans  duroiromainRuprecht, 
pour  que  le  synode  allât  dans  une  autre  ville;  mais  les  Anglais 
restèrent  sourds  à  ces  excitations  et,  d'un  autre  côté,  les  menaces 
de  Benoit  XIII  ne  produisirent  aucun  effet  sur  ses  anciens  car- 
dinaux ^. 

Après  tous  ces  préliminaires,  la  sentence  fut  enfin  rendue 
dans  la  quinzième  session,  le  5  juin  1409,  l'avant-veille  de  la 
Fête-Dieu.  Lorsque  les  cérémonies  de  l'église  eurent  été  ter- 
minées, le  cardinal  Odo  Golonna  et  le  plus  jeune  cardinal  do 
S.  Angelo  (Stephaneski,  nommé  cardinal  par  le  pape  Innocent 
en  1405,  tandis  que  Pierre  Blavi  avait  été  nommé  cardinal  de 
S.  Angelo  par  Benoît  XIII  dès  l'année  1396),  accompagnés  de  deux 
archevêques  et  de  beaucoup  de  docteurs  et  de  notaires,  se  rendi- 
rent aux  portes  de  l'église  et  demandèrent  à  deux  ou  trois  re- 
prises, à  haute  et  intelligible  voix,  si  Pierre  de  Luna  et  Angelo 
Corrario  étaient  présents  ou  s'ils  avaient  des  représentants.  Per- 
sonne n'ayant  répondu,  ils  revinrent  dans  l'assemblée  et  alors, 
sur  l'ordre  du  concile,  le  patriarche  d'Alexandrie, assisté  des  deux 
patriarches  d'Antioche  et  de  Jérusalem,  prononça  la  sentence 
suivante,  les  portes  de  l'église  étant  ouvertes  et  devant  une  im- 
mense multitude  :  «  Pierre  de  Luna  et  Angelo  Corrario  appelés 
auparavant  Benoît  XIII  et  Grégoire  XII  sont  des  schismatiques 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1144  sq.  1224  sq.  ;  t.  XXVII,  p.  399-402.—  Hardodin, 
t.  VIII,  p.  12  sq.  83  sq.  Dans  les  actes  de  ia  collection  de  Jumiéges.la  quator- 
zième session  n'est  indiquée  que  comme  une  congrégation  ;  aussi,  à  partir 
de  cet  endroit,  les  numéros  des  sessions  ne  sont-ils  plus  les  mêmes  dans  la 
collection  de  Jumiéges  que  dans  les  trois  autres  relations. 

(2)  BuL.'Eus,  Hist.  iiniv.  Paris,  t.  V,  p.  192.  —  Liînfanï,  1.  c.  1. 1,  p.  279. 


284  PROCÈS  ET   DÉPOSITION   DES  DEUX   PAPES,   ETC. 

notoires;  ils  nourrissent  et  fomentent  ce  schisme  déjà  ancien.  Ce 
sont  des  hérétiques  notoires  et  opiniâtres  :  ils  se  sont  rendus 
notoirement  coupables  du  crime  épouvantable  de  parjure  et  de 
violation  de  leurs  vœux;  ils  ont  scandalisé  l'Église,  et  sont  no- 
toirement incorrigibles;  ils  se  sont  rendus  indignes  de  tout 
honneur  et  de  tout  emploi  et,  à  cause  de  leurs  méfaits,  de  leurs 
crimes  et  de  leurs  excès,  ils  sont  déjà  ipso  facto  rejetés  par  Dieu 
et  par  les  saints  canons  et  exclus  de  l'Église.  De  plus,  le  synode 
prononce  contre  eux  une  sentence  définitive  de  destitution,  de 
déposition  et  d'exclusion,  et  leur  défend  d'exercer  désormais  les 
fonctions  de  pape.  L'Église  romaine  est  donc  vacante.  Tous  les 
fidèles,  y  compris  l'empereur  et  les  rois,  sont  à  tous  jamais  déliés 
de  tout  serment  et  de  toute  obligation  vis-à-vis  d'eux;  et  il  est 
expressément  défendu  à  tout  chrétien  d'obéir  à  ces  deux  pré- 
tendants ou  à  l'un  d'eux,  ou  bien  de  l'aider  de  ses  conseils  ou  de 
toute  autre  manière,  ou  enfin  de  le  recevoir.  Tous  les  procès 
et  toutes  les  sentences  pénales  de  Pierre  de  Luna  et  d'Angelo 
Gorrario  contre  les  cardinaux  sont  nuls  et  sans  valeur.  Il  en  sera 
de  même  des  nominations  de  cardinaux  faites  par  Angelo  à  partir  ' 
du  3  mai  et  par  Pierre  de  Luna  à  partir  du  15  juin  de  l'année  l 
précédente.  Enfin,  quant  aux  procès  et  aux  sentences  de  Pierre  j 
de  Luna  et  d'Angelo  Gorrario  contre  les  rois,  princes,  pa-  1 
triarches,  évêques,  prélats,  universités,  communautés  et  per-  ' 
sonnes  privées,  et  aussi  quant  aux  demandes  faites  par  les 
susdits  Pierre  de  Luna  et  Angelo  Gorrario,  il  sera  pris  une  déci- 
sion dans  la  prochaine  session  qui  aura  lieu  lundi  prochain.  » 
Après  cette  lecture,  on  chanta  le  Te  Deum,  et  une  procession 
fut  indiquée  pour  le  lendemain,  jour  de  la  Fête-Dieu;  on  ordonna, 
en  outre,  que  personne  ne  quittât  le  synode  sans  en  avoir  obtenu 
la  permission  et  avant  d'avoir  signé  le  décret  de  déposition .  La 
garde  des  portes  de  la  ville  fut  confiée  au  patriarche  d'Alexandrie, 
qui  paraît  avoir  joué  un  rôle  capital  dans  le  concile  de  Pise  '. 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1146  sqq.  1225  sqq.  ;  t.  XXVII,  p.  27  sqq.  402  sqq.— 
Hard.  t.  VIII,  p.  14  sqq.  84  tfqq. —  Martène,  T/ies.  7iov.  Anecdot.  1. 11,  p.  1478. 
Voici  le  texte  même  de  la  sentence  de  déposition  des  deux  papes  :  Chrisii 
nomint  invocato,  sancta  et  imiversalis  synudus,  universalem  ccclesiam  reprœsen- 
tans,  et  ad  quam  cogjiitio  et  decisio  huj us  causœ  7ioscitur  perlinere,  Spirilus  sancli 
gratia  in  hac  majori  ecclesia  Pisana  co?igregala,  ibique  pro  tribunali  sedens,  visis 
et  diligenter  inspectis  omnibus  et  singulis  produclis,  probatis  et  agitatis  inprœscnti 
causa  unionis  ecclesiœ,  fidei  et  schismatis  contra  Petrwn  de  Luna,  Benedictum  XIII, 
cl  Angelum  de  Corario,  Gregorium  XII,  olim  nuncupalos,  quœ  in  prœscnti proccssu 


SEIZIÈME  ET  DIX-SEPT.  SESS.  A  PISE,  LES  10  ET  13  JUIN  1409,ETC.      285 

§    739. 

SEIZIÈME   ET   DIX- SEPTIÈME   SESSIONS  A  PISE,  LES  10   ET  13   JUIN    1409. 
PRÏPARATIFS   POUR   l'ÉLECTION   d'uN   NOUTEAU   PAPE. 

A  la  seizième  session  qui  se  tint  le  10  juin,  assista  le  cardinal 
de  Ghalant,qui  jusqu'alors  était  resté  fidèle  à  Benoît XIII  et  avait 
été  mis  en  accusation  dès  la  quatrième  session  pour  ne  s'être  pas 
rendu  au  concile.  Le  cardinal  d'Albano  défendit  son  confrère 
dans  cette  même  seizième  session.  Il  déclara  que  si  Ghalant  était 
resté  si  longtemps  auprès  de  Benoît  XIII,  c'était  uniquement 
pour  l'amener  à  céder,  et  qu'il  l'avait  abandonné  lorsqu'il  avait 
constaté  l'inutilité  de  ses  efforts.  Le  synode  reçut  en  silence  ces 
explications  et  Ghalant  prit  place  après  les  cardinaux.  L'arche- 
vêque de  Pise  lut  ensuite  un  document  ainsi  conçu  et  qui  avait 


hujus  causœ  plenius  continentur,  ac  quibuscunque  aliis  ipsam  sanclam  synodum 
ad  infrascriptam  diffinitionem  moventibus  et  inducentibus ,  habita prius  inter  seip- 
sos,  et  demum  cum  copiosa  multitudine  magisirorum  in  sacra  theologia  ac  utrisque 
juris  doclorum  plwies  et  pluries  diligenti  collatione  et  tandem  deliberatione  ma- 
tura,  omnesque  pariter  in  hanc  sententiam  reperiens  unanimiter  concordare,  omni 
modo,  via  et  jure,  quibus  magis  et  melius  potest,  in  prœdiclorum  contendentiuvi 
seu  verius  colludentiiim  de  papatu,  et  cujusque  eorum  contumaciam,  in  his  scriptis 
pronuntiat,  decernit,dif finit  et  déclarât,  omnia  et  singula  crimina,  excessus  et  alia 
cuncta  necessaria  ad  infrascriptam  decisionem  prœsentis  causœ  deducta  per  pro- 
vidos  viros  Henricum  de  Monteleone,  Joannem  de  Scriba7iis  et  Bertholdum  de 
Wildi}ighen,promotores,  instigatores  et  sollicitatores  seu  procuratores  deputatos  ad 
prosequendum  prœsentem  causam,  pro  hujus  detestandi  et  inveterati  schismatis 
exstirpatione,  et  unione  atque  rediniegratione  sanctœ  matris  ecclesiœ  contra  et  ad- 
versus  prœlibatos  Petrum  de  Luna,  Benedictum  XIII,  et  Angelum  de  Corario, 
Gregorium  XII  {de  papatu  damnabiiiter  contendentes)  ab  aliquibus  nuncupatos, 
in  petitione  coram  ipsa  sacra  et  universali  stjnodo  prœsentata  et  exhibita,  fuisse 
vera  etesse, atque  notoria,ipsosque  Angelum  Corario  etPeirurn  deLuna,de  papatu, 
ut  prœfertur ,  contendentes  et  eorum  utrumque  fuisse  et  esse  notorios  schismaticos , 
et  aniiqui  schismatis  nutritores,  defensores,  approbatores ,  manutentores  pertinaces, 
nec  non  notorios  hœreticos  et  a  fide  devios,  notoriisque  criminibus  enormibus  per- 
jurii  et  violationis  voti  irretitos,  universalem  ecclesiam  sanctam  Bei  notorie  scan- 
dalisantes, cum  incorrigibilitate,  contum.acia  et  pertinacia  noioriis,  evidentibus  et 
manifestis;  et  ex  his  et  aliis  se  reddidisse  omni  honore  et  dignitate,  etiam  papali, 
indignas,  ipsosque  et  eorum  utrumque  propter  prœmissas  iniquitates,  crimina  et 
excessus,  ne  régnent  vel  imperent  aut  prœsint,  a  Beo  et  sac7'is  canonibus  fore  ipso 
facto  abjectos  et  privatos,  ac  etiam  ab  ecclesia  prœcisos;    et  nihilominus   ipsos 
Petrum  et  Angelum  et  eorum  utrumque  per  hanc  sententiatji  difjinitivam  in  his 
scriptis  privât ,  abjicit, prœscindit;  inhibendo  eisdem,  ne  eorum  aliquis  pro  summo 
Pontifice  gerere  se  prœsumat,  ecclesiamque  vacare  Romanam  ad  cautelam  decer- 
nendo.  Et  insuper  omnes  et  quoscumque  Christicolas ,  etiam  si  imperiali,  regali, 
vel  alia  qualibet  prœfulgeant  dignitate ,  déclarât  ab  eorum  et  cujuslibet  eorum 
obedientia  {7ion  obstante  quocumque  fidelitatis  juramento  aut  alio  quocumque  vin- 
culo,  quo  illis  vel  eorum  alteri  tenerentur  adstricti)  fore  nerpetuo  absolûtes;  inhi- 


286      SEIZIÈME  ET  DIX-SEPT.  SESS.  A  PISE,  LES  10  Eï  13  JUIN  1409,  ETC. 

été  contresigné  par  tous  les  cardinaux  :  «  Si  l'un  de  nous  vient  à 
être  élu  pape,  il  est  dans  la  disposition  de  continuer  le  présent 
concile,  et  autant  qu'il  lui  sera  possible,  de  ne  pas  le  dissoudre, 
mais  de  se  servir  de  ses  conseils  pour  opérer  la  nécessaire,  juste 
et  raisonnable  réforme  de  l'Église,  dans  son  chef  et  dans  ses 
membres.  Si  un  cardinal  absent  ou  une  personne  ne  faisant  pas 
partie  du  sacré-collége  venait  à  être  élu  pape,  les  cardinaux  lui 
feront  accepter  les  mêmes  conditions  avant  de  lui  faire  connaître 
l'élection  dont  il  serait  l'objet.  »  Ils  étaient  pleinement  d'accord  à 
l'endroit  de  la  déposition  des  deux  papes,  et  aussi  pour  que  le 
concile  continuât  sede  vacante  et  prit  des  résolutions  touchant  la 
réforme  de  l'Église.  L'avocat  du  fisc  demanda  alors  qu'on 
nommât  des  commissaires  pour  pubher  dans  tous  les  pays  la 
sentence  contre  les  deux  prétendants;  on  devait  également  faire 
connaître  aux  fidèles  du  patriarcat  d'Aquilée,  qu'Antoine  de 
Portugruario,  qui  adhérait  au  synode,  était  leur  véritable  et  légi- 


hendo  iisdeiyi  Chrisli  fidelihus ,  ne  prœdic'is  de  papatu  contendentihus  seu  eorwn 
alteri  quomodohbet  obediant,  pareant  vel  intendant,  aut  consilium,  auxilium  vel 
favorem  ipsis prœstent,  aut  eos  recipiant  vel  receptent,  sub  pœnis  excommunicationis 
et  aliis  a  sanctis  patribus  et  sacris  canonibus  inflictis,  promulgatis  et  ordinatis. 
Quodque  si  parère  contempserint  huic  ordinationi  et  sententiœ ,  ipsos  et  eorum 
fautores,  defensores,  adhœr entes  et  sequaces,  etiam  per  sœculares  potestates  fore 
compescendos,  et  compesci  debere  juxta prœcepta  divina  et  sacrorum  canonum  dis- 
positiones,  eadem  sancta  synodiis pronunfiat,  decernit  et  diffinit.  Ac  imuper  omnes 
et  singulos  processus  et  senientias  excommunicationis,  inhabilitaiis  vel  alterius  cen- 
sura; et  pœnœ ,  privationes  quoque  ordinum  et  dignitatum,  etiam  cardinalalus, 
henefficiorum  et  ofjiciorum  ac  graduum  quorumcumque ,  qualiacumque  sint,  et 
quomodocumque  nuncupentur  seu  nomiiientur,  contra  dominos  cardinales  per  di- 
ctos  Petrum  de  Luna  et  Angelum  Corario  factos,  actes  et  fulminatos,  fuisse  et  esse 
nullos,  cassos  et  irritos,  nullas,  cassas  et  irritas,  ac  nullius  roboris,  efficaciœ  vel 
momenti,  et  quatenus  de  facto  processerunt,  ealenus  annullandos,  cassandos  et  ir- 
rita7idos,  cmnullandas,  cassandas  et  irritandas,  sicque  etiam  ad  cautelam,  quatenus 
expédiât,  omni  modo  et  jure  quo  melius  potest,  annulât,  cassât  et  irritât.  Et  insu- 
per promotiones,  immo  verius  profanationes  quorumcumque  ad  cardinalatum  per 
dictas  contendentes  de  papatu  et  eorum  utrumque  aitentatas,  videlicet  j)er  dictum 
Angelum  a  die  tertia  Maji,  et  per  Petrum  antedictum  a  die  décima  quinta  Junii 
anni  proxime  prceteriti  millesimi  qucidringenlesimi  octavi,  fuisse  et  esse  nullas, 
cassas,  irritas  et  inanes,  et  quatenus  de  facto  processerunt,  annullandas,  cassandas 
et  irritandas,  et  sic  etiam  ad  cautelam,  quatenus  expédiât,  omni  modo  et  jure 
quibus  melius  potest,  prœfata  sancta  synodus  per  hanc  sententiam  diffinitivam 
cassât,  irritât  et  annullat.  Ad  providendum  aulem  adversus  processus,  constitutio- 
nes  et  senientias  in  prœjudicium  unionis  et  alias  per  Petrum  de  Luna  et  Angelum 
Corario,  olim  contendentes  de  papatu  seu  colludentes  prœfatos,  fadas  et  latas  con- 
tra rcges,  principes,  patriarchas  quoque,  archiepiscopos,  episcopos  ac  alios  ecclesiœ 
prœlatos,  universitates  studiorum,  communitates,  ac  singulares personas,  ecclcsias- 
ticas  et  sœculares,  et  circa  promotiones  olim  per  ipsos  conterulentes  factas  ad  digni' 
talcs  quascumque,  et  ullerius  ad  procedendum  super  aliis  bonum  universalis  eccle- 
siœ tangentibus,  sancta  synodus  statuit  diem  Lunœ  proximampro  sessione  futura, 
Quœ  erit  décima  mensis  prœsentis  Junii. 


PRKPARATIFS    POUR   L^ÉLECTION   d'uN    NOUVEAU   PAPE.  287 

time  patriarche  et  qu'il  ne  fallait  pas  obéir  à  Angelo  Gorrario,  qui 
voulait  établir  son  siège  à  Aquilée  et  déposer  le  patriarche.  Le 
synode  accepta  ces  deux  propositions;  mais,  en  revanche,  remit  à 
une  autre  session  la  décision  à  prendre  touchant  les  sentences 
et  les  demandes  formulées  par  les  deux  prétendants.  Dans  l'après- 
midi  du  même  jour,  les  Français  délibérèrent  sur  la  manière  dont 
ils  devaient  se  conduire  touchant  la  prochaine  élection  à  la  pa- 
pauté. Gomme  tous  les  cardinaux,  à  l'exception  de  Guy  de  Mail- 
lesec,  président  de  l'assemblée,  avaient  été  nommés  pendant  le 
schisme,  plusieurs  pensaient  que,  pour  cette  fois,  le  pape  ne 
devait  pas  être  élu  par  les  cardinaux,  mais  par  tout  le  synode, 
parce  que  sans  cela  on  pourrait  mettre  en  doute  la  légitimité  de 
l'élection.  Le  patriarche  d'Alexandrie  soutint,  au  contraire,  qu'on 
devait  laisser  l'élection  aux  cardinaux,  mais  que,  pour  cette  fois, 
et  afin  de  couper  court  à  quelque  difficulté,  les  cardinaux  pour- 
raient, si  cela  était  nécessaire,  réclamer  l'autorité  du  concile  gé- 
néral. De  plus,  il  fallait  que  les  voix  des  deux  tiers  au  moins  des 
deux  collèges  des  cardinaux  se  réunissent  sur  un  seul  candidat 
ou  que  l'élection  se  fit  par  compromis.  Les  députés  de  l'uni- 
versité de  Paris  appuyèrent  ces  propositions  et  firent  remarquer 
que,  si  elles  n'étaient  pas  acceptées,  un  conflit  ne  tarderait  pas  à 
se  produire  et  que  l'élection  échouerait;  de  plus,  les  autres  na- 
tions prétendraient,  ainsi  qu'elles  avaient  déjà  commencé  à  le 
faire,  qu'en  faisant  faire  l'élection  par  le  synode,  les  Français 
visaient  principalement  à  faire  arriver  l'un  d'eux  à  la  papauté. 
Nonobstant  ces  observations,  la  proposition  du  patriarche  ne  fut 
pas  acceptée  tout  d'abord  :  il  fut  décidé  qu'il  y  aurait  une  autre 
déhbération  et  qu'une  communication  sur  ce  point  serait  faite 
aux  autres  nations.  Nous  verrons  plus  loin,  dans  la  session  sui- 
vante, quel  fut  le  dernier  résultat  de  ces  pourparlers  ^ 

Pendant  le  service  divin  qui  commença  la  dix-huitième  ses- 
sion, 13  juin  1409,  les  cardinaux  prêtèrent  serment  derrière 
l'autel  d'élire  exclusivement  celui  qui  aurait  l'unanimité,  ou  les 
deux  tiers  des  voix  de  chaque  collège  des  cardinaux.  Le  podestat, 
le  capitaine  el  le  vicaire  de  Pise  prêtèrent  ensuite,  au  nom  de  la 
république  d3  Florence,  le  serment  prescrit  par  le  quatorzième 
concile  œcum'!  ique  et  concernant  les  garanties  pour  une  élec- 


(l)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1148  sq.  1228  sq.;  t.  XXVII,  p.  404  sqq.  —  Hard 
t.  VIII,  p.  16  sq.  87  sq. 


288  ARRIVÉE   DES  AMBASSADEURS   DE  BENOÎT  XIII  ET  DU   ROI  d'aRAGON. 

tion  pontificale.  On  prescrivit  aussi  que,  le  lendemain,  aurait 
lieu  une  procession  solennelle  de  l'église  Saint-Martin  à  la  cathé- 
drale pour  invoquer  le  secours  de  Dieu  sur  l'élection  du  pape» 
Le  patriarche  d'Alexandrie,  assisté  des  patriarches  d'Antioche  et 
de  Jérusalem,  lut  ensuite  le  décret  synodal  suivant  :  «  Pendant 
ce  schisme  pernicieux,  plusieurs  cardinaux  ont  été  nommés  par 
les  prétendants  qui  continuaient  à  lutter  l'un  contre  l'autre  (aussi 
l'autorité  de  ces  cardinaux  est-elle  un  peu  contestahle)  ;  mais 
comme  il  s'agit  maintenant  de  nommer  un  seul  et  incontestable 
pape,  le  synode  représentant  l'Église  universelle  veut  et  pres- 
crit que  les  cardinaux  procèdent  à  la  présente  élection  quoiqu'ils 
aient  été  nommés  par  divers  prétendants;  pour  cette  fois,  ils 
procéderont  à  cette  élection  en  jvertu  de  l'autorité  du  concile,  si 
cela  est  nécessaire,  de  telle  sorte  cependant  que  le  droit  (exclusif) 
des  cardinaux  à  faire  l'élection  du  pape  ne  souffre  aucun  préju- 
dice. Puissent  les  cardinaux  être  tellement  unanimes,  eu  faisant 
cette  élection,  qu'il  n'existe  plus  une  seule  étincelle  de  discorde.» 
Tous  les  Français  ne  furent  pas  satisfaits  de  ce  décret;  mais  il  fut 
accepté  par  la  majorité,  ainsi  qu'un  second  et  un  troisième  qui 
déclaraient  nuls  et  sans  valeur  tous  les  procès,  sentences  et 
bulles  des  deux  prétendants  contre  tous  ceux  qui  avaient  tra- 
vaillé à  l'œuvre  de  l'union  ' . 

§  "740. 

ARRIVÉE   DES  AMBASSADEURS   DE   BENOÎT   XIII   ET  DU   ROI   d'aRAGON. 
dix-huitième    SESSION   A   PISE,    LE    14   JUIN    1409. 

A  l'issue  de  la  procession  qui  avait  été  annoncée,  eut  lieu,  le 
14  juin,  une  nouvelle  session  générale  dans  l'église  cathédrale. 
Le  codex  de  Paris  la  désigne  avec  raison  comme  la  dix-huitième, 
tandis  que  les  autres  relations  ne  la  donnent  pas  comme  une 
session  proprement  dite.  Alors  vinrent  dans  l'assemblée  les 
ambassadeurs  du  roi  d'Aragon  et  Tun  d'eux,  le  chancelier  royal, 
demanda  la  permission  de  faire  connaître  dans  une  séance  pu- 
blique les  sentiments  de  son  maître.  L'assemblée  accéda  à  cette 
demande,  mais  exigea  que  les  ambassadeurs  montrassent  les 


Cl)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1149, 1229  sqq.  ;  t.  XXVII,  p.  407  sqq.—  Hard.  t.  VIII, 
p.  17,  88  sqq. 


DIX-HUITIÈME   SESSION   A    PISE,    LE   1 4   JUIN    1409.  289 

documents  qui  établissaient  leur  mission,  ils  durent  rentrer  chez 
eux  pour  les  prendre.  Gela  fait,  le  chancelier  royal  protesta  du 
zèle  de  son  maître  pour  le  rétablissement  de  l'unité  de  l'Église; 
il  demanda  ensuite  à  connaître  ce  que  l'assemblée  [congregatio, 
il  évita'  le  mot  de  concilium)  avait  fait  jusqu'à  ce  moment,  et  il 
déclara  en  troisième  lieu  que  les  ambassadeurs  du  pape  Benoît 
étaient  arrivés  à  Pise  et  qu'on  devait  leur  accorder  également 
une  audience  publique  (nous  avons  dit  plus  haut  quels  étaient 
ces  ambassadeurs  de  Benoît).  En  terminant  l'orateur  demanda 
que  sa  présence  dans  l'assemblée  ne  fût  pas  regardée  comme 
une  adhésion  aux  décisions  prises  par  les  vénérables  Pères.  A 
l'issue  d'une  délibération  qui  s'engagea  immédiatement  après, 
le  synode  fit  répondre  par  l'avocat  du  fisc  aux  ambassadeurs 
aragonais  qu'avant  tout,  ils  remerciassent  le  roi  pour  les  bonnes 
intentions  dont  il  faisait  preuve;  que  l'assemblée  était  disposée 
à  nommer  une  commission  pour  entendre  les  ambassadeurs  ara- 
gonais et  qu'elle  désignerait  également  des  commissaires  pour 
examiner  le  mandat  des  fondés  de  pouvoirs  de  Pierre  de  Luna 
et  pour  leur  donner  audience  après  cette  constatation.  Un  docu- 
ment ajoute  que  le  chancelier  d'Aragon  souleva  le  rire  de  l'as- 
semblée, lorsqu'il  donna  à  Pierre  de  Luna  le  titre  de  pape;  par 
égard  pour  le  roi,  on  accorda  une  audience  partielle  aux  ambas- 
sadeurs du  prétendant  (il  n'y  eut  qu'une  commission  pour  les 
recevoir);  car  au  point  de  vue  du  droit  un  hérétique  déjà  con- 
damné n'avait  plus  le  droit  d'être  entendu. 

Dans  l'après-midi  de  ce  même  14  juin,  les  ambassadeurs  ara- 
gonais et  les  députés  de  Benoît  se  rendirent  dans  l'église  de 
Saint-Martin.  Au  dehors,  le  peuple  les  accompagna  de  ses  injures 
de  ses  menaces  et  dans  l'église  même  ils  ne  furent  guère  mieux 
traités.  On  leur  lut  la  sentence  déjà  rendue  et  trois  cardinaux 
furent  chargés  de  les  entendre.  L'un  des  ambassadeurs  de  Be- 
noît, l'archevêque  de  Tarragone,  voulut  prononcer  un  discours 
et  commença  par  ces  mots  :  «  Nous  sommes  les  nonces  du  véné- 
rable pape  Benoit  Xlll;  »  mais  aussitôt  il  s'éleva  un  tumulte 
épouvantable  et  l'on  cria  à  l'archevêque  :  «  Tu  es  le  nonce  d'un 
hérétique  et  d'un  schismatique.  »  Lorsque  le  silence  se  fut 
rétabli,  l'évêque  de  Mende,  également  ambassadeur  de  Benoît, 
demanda  à  être  entendu.  Un  bourgeois  de  Florence,  qui  possé- 
dait des  biens  en  Aragon,  fit  alors  remarquer  qu'il  existait  un 
contrat  entre  les  cardinaux  et  le  gouvernement  de  Florence,  en 

T.  X.      19 


290  ARRIVÉE   DES  AMBASSADEURS  DE  BENOIT  XIII,    ETC. 

vertu  duquel  nul  n'avait  le  droit  d'attaquer  et  de  blâmer  les 
résolutions  du  concile.  L'évêque  demanda  si,  nonobstant  cette 
défense,  il  pouvait  parler  librement.  Le  capitaine  de  la  ville  de 
Pise,  qui  se  trouvait  précisément  dans  l'assemblée,  répondit  en 
rappelant  que,  d'après  le  serment  prêté  par  lui  et  par  les  autres 
employés,  il  ne  pouvait  rien  permettre  qui  pût  nuire  à  l'élec- 
tion du  pape,  et  le  cardinal  d'Aquilée  ajouta  que  tous  les  cardi- 
naux ensemble  ne  pourraient  pas  relever  d'un  pareil  serment. 
Après  avoir  entendu  ces  réponses,  les  ambassadeurs  du  roi  et  de 
Benoît  demandèrent  une  journée  pour  réfléchir  et  ils  voulurent 
aussitôt  revenir  dans  leur  auberge;  mais  les  cardinaux  et  le 
maréchal  de  la  curie  leur  déclarèrent  que  leur  vie  ne  serait  pas 
en  sûreté  s'ils  voulaient  sortir,  et  ils  durent  attendre  que  les 
plus  exaltés  de  la  foule  se  fussent  un  peu  dispersés.  Le  fils  du 
capitaine  de  la  ville  et  quelques  bourgeois  de  marque  les  accom- 
pagnèrent chez  eux  en  faisant  le  moins  de  bruit  possible,  et  Boni- 
face  Ferrier  se  plaignit  de  ce  que  les  cardinaux  et  les  prélats 
qui  auparavant  avaient  suivi  l'obédience  de  Benoit  XIII,  s'étaient 
si  peu  préoccupés  du  danger.  Les  choses  étant  ainsi,  et  surtout 
par  suite  de  la  crainte  que  leur  inspirait  ce  traité  des  cardinaux 
avec  le  gouvernement  de  Florence,  les  nonces  de  Benoît  n'osè- 
rent pas  pousser  plus  loin  leurs  négociations.  Ils  voyaient,  du 
reste,  que  tout  était  préparé  pour  la  prochaine  élection  du  pape 
et,  lorsque  le  conclave  commença,  ils  quittèrent  secrètement  Pise 
non  sans  de  grandes  transes,  parce  que  le  patriarche  d'Alexandrie 
avait  fait  occuper  toutes  les  portes.  Ils  étaient,  ainsi  qu'ils  le 
déclarèrent,  munis  des  pouvoirs  les  plus  amples  et  fermement 
résolus  à  ne  revenir  auprès  de  leur  maître  que  lorsque  l'unité 
de  l'Église  serait  rétablie.  De  Pise  ils  voulurent  se  rendre  auprès 
de  Grégoire  XII  pour  traiter  avec  lui  de  l'union  de  l'Éghse  ;  aussi 
firent-ils  demander  un  sauf-conduit  à  Balthazar  Cessa,  alors 
gouverneur  de  Bologne.  Balthazar  leur  fit  répondre  «  qu'ils  pou- 
vaient venir  avec  ou  sans  sauf-conduit,  mais  qu'il  les  ferait 
brûler  vifs  dès  qu'ils  les  tiendrait  K  » 

Nous  nous  sommes  plusieurs  fois  servis  des  données  fournies 
par  Boniface  Ferrier,  qui  faisait  lui-même  partie  de  l'ambassade 
de  Benoît  et  qui  prétend  avoir  eu,  ainsi  que  ses  collègues,  les 

(1)  Martène,  2Vies.t.  II,  p.  1476-1479.  —  Mansi,  t.  XXVI,  p.  UiO,  1230; 
t.  XXVII,  p.  400.  —  Haru.  t.  VIII,  p.  17,  89.  Vgl.  MARïÈNEjVd.  Schpl.  t.  VII, 
p.  Iil2sci. 


DIX-NEUVIÈME  SESSION   A  PISE.   ÉLECTION   d'ALEXANDRE  V.         291 

intentions  les  plus  droites  et  les  plus  pures.  Dietrich  de  Niem 
prétend,  au  contraire,  que  ces  nonces  n'étaient  que  des  espions 
et  qu'ils  avaient  d'aussi  mauvaises  intentions  que  leur  maître, 
qui,  à  cette  même  époque,  nomma  douze  autres  cardinaux  pour 
donner  au  schisme  de  nouvelles  forces  ^ . 

§  741. 

DIX-NEUVIÈME  SESSION   A  PISE.    ÉLECTION  d'aLEXANDRE  V. 

Comme  le  quatorzième  concile  œcuménique  avait  prescrit  de 
ne  commencer  les  conclaves  que  le  dixième  jour  après  la  mort 
du  pape,  les  cardinaux  voulurent  attendre  ce  délai  et,  le  dixième 
jour  après  la  déposition  des  deux  prétendants,  à  l'issue  d'une 
cérémonie  religieuse  qui  eut  lieu  lors  de  la  dix-neuvième  ses- 
sion, dans  la  matinée  du  15  juin  et  après  un  sermon  sur  la  pro- 
chaine élection  du  pape,  les  cardinaux  entrèrent  en  conclave 
dans  le  palais  archiépiscopal  à  Pise.  Ils  étaient  au  nombre  de 
vingt-trois  et,  le  soir  du  même  jour,  le  cardinal  de  Todi  vint  se 
joindre  à  eux;  on  comptait  quatorze  cardinaux  du  parti  de  Gré- 
goire et  dix  du  parti  de  Benoît.  Avant  même  l'ouverture  du  con- 
clave, on  discuta  dans  le  concile  pour  savoir  si  l'on  devait  mettre 
en  pratique  la  sévère  ordonnance  du  synode  de  Lyon,  d'après 
laquelle,  après  huit  jours  de  conclave,  on  ne  devait  plus  servir 
aux  cardinaux  que  du  pain  et  de  Teau;  on  bien  si  l'on  devait 
accepter  les  adoucissements  introduits  par  Clément  YI.  Ce  fut 
ce  dernier  sentiment  qui  l'emporta.  Ensuite  s'engagea  un  autre 
débat,  pour  savoir  si  l'on  devait  assigner  aux  cardinaux  un  délai 
à  l'expiration  duquel  le  synode  ferait  lui-même  l'élection  s'ils 
ne  l'avaient  pas  faite  eux-mêmes,  et  il  fut  décidé  qu'on  ne  fixe- 
rait pas  de  délai  de  ce  genre  ^. 

Pendant  la  durée  du  conclave,  arriva  d'Aquilée  la  nouvelle 
que  le  patriarche  Antoine  recommandé  par  le  synode  était 
reconnu  universellement.  Gomme  les  cardinaux  étaient  en- 
fermés, les  custodes  du  conclave,  c'est-à-dire  trois  évêques  et  trois 
laïques  de  distinction,  leur  annoncèrent  cette  bonne  nouvelle  ^ 


(1)  Theod.  a  Niem,  De  Schismale,  lib.  III,  c.  45, 

(2)  Martènb,  etc.,  Ve^.  Script,  t.  VII,  p.  1114, 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  406  sq.  et  t.  XXVI,  p,  1093  sqq.,  où  se  trouve  le  pro- 


292         DIX-NEUVIÈME  SESSION   A   PISE.   ÉLECTION   DALEXANDRE  V. 

A  cette  même  époque  les  ambassadeurs  du  roi  d'Aragon  remi- 
rent au  patriarche  d'Alexandrie  un  document  qui  les  autorisait 
à  annoncer  l'abdication  de  Benoît,  même  pour  le  cas  où  Gré- 
goire ne  voudrait  pas  faire  de  même  (par  conséquent  sans  condi- 
tion). C'était  trop  tard,  le  conclave  continua  à  siéger.  Il  touchait 
à  sa  fin,  26  juin  1409,  lorsque  arriva  un  ambassadeur  du  roi  de 
Gastille  avec  des  lettres  pour  les  cardinaux  ;  mais  avant  qu'il  eût 
obtenu  une  audience,  la  nouvelle  se  répandit  que  le  cardinal  de 
Milan  avait  été  élu  pape  à  l'unanimité  \  Le  roi  de  France  avait 
écrit  aux  cardinaux  pour  leur  recommander  de  ne  pas  trop  hâter 
l'élection,  mais  ils  se  décidèrent  si  rapidement  que  leur  choix 
était  déjà  fait  lorsque  la  lettre  arriva  à  Pise  "^ . 

Pierre  Philargi,  qui  prit  le  nom  d'Alexandre  V,  avait  déjà 
soixante-dix  ans;  au  rapport  de  Dietrich  de  Niem  et  de  Platina, 
il  était  originaire  de  l'île  grecque  de  Candie,  qui  appartenait  alors 
à  Venise.  Ses  parents  étaient  très-pauvres;  il  ne  connut  jamais 
son  père  et  sa  mère,  il  était  à  peu  près  réduit  à  mendier  lorsqu'il 
fut  recueilli  par  un  frère  mineur  italien  qui  se  trouvait  dans 
l'île  de  Candie  ;  ce  moine  le  reçut  dans  son  couvent  et  lui  enseigna 
le  latin.  Après  que  l'ancien  mendiant  fut  entré  dans  l'ordre,  son 
bienfaiteur,  voulant  cultiver  le  talent  dont  il  faisait  preuve,  l'a- 
mena en  Italie.  Plus  tard,  il  étudia  à  Oxford  et  à  Paris  et  il  devint 
dans  cette  dernière  université  un  professeur  de  philosophie  et 
de  théologie  très-distingué.  Il  composa,  dit-on,  sur  les  Sentences 
de  Pierre  Lombard  des  commentaires  qui  prouvent  une  grande 
perspicacité  et,  en  outre,  il  devint  célèbre  comme  orateur  et 
prédicateur.  Jean  Galeazzo  Visconti,  duc  de  Milan,  le  fit  ensuite 
venir  auprès  de  lui  et  se  servit  souvent  de  ses  conseils.  Grâce  à 
l'entremise  du  duc,  il  devint  successivement  évêque  de  Vicence, 
plus  tard  de  Novare,  en  1402  archevêque  de  Milan,  et  Inno- 
cent VII  le  nomma  cardinal-prêtre  des  Douze-Apôtres.  Inno- 
cent VII  et  Grégoire  XII  le  chargèrent  de  diverses  missions  de 
confiance  et  nous  avons  vu  que,  dans  les  derniers  temps,  il 
s'employa  beaucoup  pour  la  réunion  du  synode  de  Pise.  Ainsi 
que  le  raconte  Dietrich  de  Niem,  c'était  un  homme  bienveillant 


cès-verbal  d'une  assemblée  tenue  à  Udine  le  29  mai  1409,  et  qui  se  prononça 
contre  Grégoire  et  en  faveur  du  patriarche. 

(1)  Martène,  etc. ,Yel.  Script,  t.  VII,  p.  1114  sq. 

(2)  Chronicor.  Caroli  Y/,  lib.  XXX,  c.  4. 


VINGTIÈME  ET  VINGT-UNIEME  SESSIONS   A    PISE.  298 

et  pacifique,  qui  ne  détestait  pas  le  confortable  et  aimait  les  bons 
vins  capiteux.  Ce  fut  surtout  Balthazar  Cessa  qui  fit  cette  élection, 
et  il  eut  avec  le  cardinal  de  Thury  la  plus  grande  influence  sur 
l'esprit  du  nouveau  pape  *. 

Dés  que  l'élection  fut  connue  à  Pise,  chacun  se  hâta  pour 
témoigner  au  nouvel  élu  son  respect  et  lui  offrir  ses  hommages. 
Il  fut  porté  à  la  cathédrale  et  intronisé  au  son  des  cloches.  Il 
fixa  sa  résidence  dans  le  palais  archiépiscopal  et  nomma  sans 
perdre  de  temps  ses  employés  ;  mais  il  fut  aussitôt  assailli  par 
une  infinité  de  demandes.  Chacun  voulait  obtenir  quelques 
faveurs  pour  soi  ou  pour  les  siens;  ainsi  le  patriarche  Simon 
Gramaud  demanda  l'archevêché  de  Reims  ^. 


742. 


VINGTIEME   ET   VINGT-ET-UNIEME   SESSIONS   A   PISE, 
LE    l'"'  ETLE    10   JUILLET    1409. 

Alexandre  V  convoqua  aussitôt  après,  le  lundi  Ifi""  juillet  1409, 
la  vingtième  session  ;  il  la  présida  lui-même  et  entonna  le  Veni 
Creator.  Son  siège  fut  placé  devant  le  maître-autel,  et  en  face  de 
lui,  vers  l'ouest,  on  plaça  d'autres  sièges  encore  assez  élevés 
pour  les  patriarches  d'Alexandrie,  d'Antioche  et  de  Jérusalem. 
Le  cardinal  Chalant  commença  par  lire  un  document  signé  par 
tous  les  cardinaux.  Il  portait  qu'ils  avaient  élu  pape  à  l'unani- 
mité le  cardinal  de  Milan,  et  il  terminait  en  demandant  des  prières 
pour  le  pape  et  pour  l'Église.  Alexandre  V  prononça  ensuite  un 
discours  sur  ce  texte  de  S.  Jean,  x,  16  :  «  Il  n'y  aura  qu'un  seul 
troupeau  et  un  seul  pasteur.  »  Enfin,  le  cardinal  Balthazar  Cossa 
lut  plusieurs  décrets  afin  de  les  faire  approuver  par  le  synode. 
Le  premier  contenait  la  confirmation  de  toutes  les  ordonnances, 
sentences,  etc.,  portées  par  les  cardinaux  depuis  le  30  mai  1 408 
jusqu'à  l'ouverture  du  synode,  avec  un  rapport  sur  ce  qui  s'était 
passé  dans  le  synode;  par  mesure  de  précaution,  on  devait 
déclarer  que  le  synode  corrigeait  tout  ce  qu'il  pouvait  y  avoir 
eu  de  défectueux  dans  ces  décrets.  A  la  question  de  l'avocat  du 


(1)  Theod.  a  Niem,  De  Sc/usm.  lib.  III,  51.  —  Platina,  Be  vitis  Poniif.  in 
vîta  Alexandri  V.  —  Mabtène,  etc.,  Vef.  Seript.  t.  VII,  p.  H15, 

(2)  Martène,  1.  c.  t.  Vil,  p.  1115  sq. 


294  VINGTIEME  ET  VINGT-UNIEME   SESSIONS   A   PISE, 

fisc,  «  si  tous  acceptaient  ces  propositions,  *  il  n'y  eut,  il  est 
vrai,  que  quelques  membres  à  répondre  :  oui  ;  mais  comme  per- 
sonne ne  s'inscrivit  contre,  le  décret  fut  admis.  Le  second  décret 
portait  que  le  cardinal  Ghalant  devait  recouvrer  tous  les  béné- 
fices dont  on  l'avait  déclaré  dépouillé,  et  quelques  membres 
crièrent  de  nouveaux />/«ce^,  tandis  que  d'autres  allèrent  jusqu'à 
faire  entendre  des  murmures.  Un  troisième  décret  contenait 
plusieurs  articles  :  que  le  pape  réunissait  en  un  seul  les  deux 
collèges  de  cardinaux,  qu'il  voulait  travailler  à  la  réforme  de 
l'Église,  ainsi  qu'il  l'avait  promis  lorsqu'il  n'était  encore  que 
cardinal;  que  chaque  nation  devait  choisir  des  hommes  d'une 
réputation  intacte  et  d'un  talent  éprouvé  pour  s'entendre  sur  ce 
point  avec  le  pape  et  avec  les  cardinaux  ;  qu'il  donnerait  aux 
prélats  venus  au  concile  des  compensations  pour  les  frais  qu'ils 
avaient  eu  à  supporter  ;  que  les  membres  du  synode  devaient 
faire  connaître  à  leurs  compatriotes  la  légitimité  de  la  déposition 
des  deux  prétendants  et,  en  même  temps,  la  légalité  de  la  nou- 
velle élection  à  la  papauté;  enfin  qae  le  synode  devait  accorder 
de  son  côté  des  pleins  pouvoirs  aux  nonces  que  le  pape  enverrait 
dans  toutes  les  parties  du  monde .  L'assemblée  adopta  ces  diverses 
propositions  *. 

L'historien  Lenfant  rattache  à  cette  vingtième  session  un  dis- 
cours qui,  d'après  lui,  aurait  été  tenu  par  Gerson  en  présence 
d'Alexandre  V  ;  Lenfant  n'a  pas  remarqué  que,  d'après  la  suscrip- 
tion,  ce  discours  n'aurait  pu  avoir  lieu  que  le  jour  de  l'Ascension 
qui,  en  1409,  tombait  le  18  mai,  c'est-à-dire  dix  jours  avant  l'é- 
lection du  pape  Alexandre.  Mansi,  Gieseler,  Neander,  etc.,  n'ont 
pas  pris  garde  à  cette  contradiction  chronologique;  mais  elle  n'a 
pas  échappé  à  Schwab,  dans  son  excellent  écrit  sur  Gerson;  il  a 
prouvé  que  Gerson  ne  se  trouvait  pas  alors  à  Pise,  que  le  susdit 
discours  n'a  jamais  été  prononcé  et  que  c'est  simplement  une 
lettre  adressée  au  fatur  pape  pour  le  gagner  à  la  cause  de  la 
réforme  de  l'Église  ^. 

Aussitôt  après  son  élection  et  avant  même  d'être  couronné, 
Alexandre  Y  distribua  un  grand  nombre  d'évêchés  et  d'abbayes 
et,  en  général,  donna  beaucoup  de  grâces  et  privilèges,  un  peu 

(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1151,  1232;  t.  XXVII,  p.  411  sq.-  IIardouin,  t.  VIII, 
p.  18  sq.  92. 

(2)  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Fisc,  1. 1,  p.  288.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  413. 
—  Schwab,  Jean  Gerson,  1858,  S.  243  L 


LE    V''   ET  LE   10   JUILLET    1409.  295 

trop  même  *  ;  son  couronnement  eut  lieu  le  7  juillet  1409  dans 
la  cathédrale  de  Pise,  avec  les  cérémonies  accoutumées,  qui 
furent  faites  d'une  manière  très-solennelle;  le  nouveau  pape  se 
hâta  d'envoyer  des  légats  et  des  nonces  dans  toute  la  chrétienté 
pour  y  annoncer  son  élévation.  Afin  d'honorer  plus  particulière- 
ment la  France,  où  la  nouvelle  de  son  élection  avait  causé  une  si 
grande  joie,  il  y  envoya  le  cardinal  Louis  de  Bari  qui  était  lui- 
même  Français  et  de  plus  parent  de  la  famille  royale  ^. 

Dans  la  vingt-unième  session,  qui  se  tint  le  10  juillet,  le  pape 
présida  de  nouveau  en  personne,  et  les  ambassadeurs  de  Flo- 
rence et  de  Sienne  parurent  dans  l'assemblée  pour  féhciter  le 
nouvel  élu.  De  son  côté,  le  pape  fit  publier  par  le  cardinal  Gha- 
lant  un  décret  abrogeant  toutes  les  sentences  pénales  portées 
par  les  deux  prétendants  et  par  leurs  prédécesseurs  depuis  le 
commencement  du  schisme.  Il  ne  devait  y  avoir  à  garder  force 
de  loi  que  les  dispenses  accordées  par  eux  dans  les  questions 
matrimoniales  et  dans  tous  les  cas  intéressant  le  forum  con- 
scientiœ  ^. 

A  cette  même  époque,  Louis  II  d'Anjou,  fils  de  ce  roi  de  Naples 
du  même  nom  qui  était  mort  dès  l'année  1384,  vint  à  Pise 
pour  faire  valoir  ses  droits  contre  le  roi  Ladislas  et,  en  effet, 
Alexandre  V  le  reconnut  roi  de  Naples  et  grand  gonfalonier  de 
l'Église  romaine;  de  plus  Alexandre  prononça  la  déposition  de 
Ladislas.  Grâce  au  concours  du  belliqueux  Balthazar  Gossa,  et 
de  concert  avec  les  Florentins,  le  pape  parvint  à  recouvrer 
presque  tous  les  États  de  l'Église,  sans  en  excepter  Rome  (3  jan- 
vier 1410),  et  à  chasser  les  Napolitains.  Les  affaires  de  Louis 
d'Anjou  prirent  une  tournure  d'autant  meilleure  que  plus  tard 
Balthazar  Gossa,  étant  devenu  pape,  le  soutint  de  toutes  ses  forces. 
La  bataille  de  Roccasicca  (19  mai  1411)  fut  si  heureuse  pour 
Louis  que  Ladislas  avouait  plus  tard  «  qu'il  aurait  tout  perdu, 
sa  liberté  et  sa  couronne,  si  Louis  avait  voulu  poursuivre  ses 
succès  sans  perdre  de  temps.  >»  Grâce  à  ce  délai,  Ladislas  put 
prendre  des  forces  et  lorsque,  à  cause  du  défaut  d'argent,  les 
soldats  de  Louis  se  débandèrent  peu  à  peu,  il  se  vit  forcé  de 


(1)  Theod.  a  Niem,  De  Schism.  lib.  III,  c.  52. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1152,  1233;  t.  XXVII,  p«  412.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  19, 
92.  —  Chronicor.  Caroli  Yl,  lilo.  XXX,  c.  4  et  11.  —  Lenfant,  1.  c.  p.  292. 

(3)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1152,  1233;  t.  XXVIl,  p.  130.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  19, 
92.  Cette  session  manque  dans  le  Codex  de  Liège, 


296  SYNODE   DE   GRÉGOIRE    XII   A    CIVIDALE   EN    1409. 

regagner  la  France  en  laissant  sa  campagne  inachevée,  ce  qui 
obligea  son  protecteur  Balthazar  Gossa  (le  pape  Jean  XXIIl)  à 
conclure  la  paix  avec  Ladislas  et  à  le  reconnaître  comme  roi  de  . 
Naples  * . 

.  §  743. 

SYNODE   DE   GRÉGOIRE  XII   A    CIVIDALE,    EN    1409. 

Lorsque  le  concile  de  Pise  touchait  à  sa  fin,  Grégoire  XII 
ouvrit  à  Gividale  del  Friuli  (Austria)  près  d'Aquilée  le  synode 
déjà  annoncé  à  plusieurs  reprises^.  Presque  personne  n'ayant 
paru  à  la  première  session,  qui  se  tint  le  jour  de  la  Fête-Dieu 
(6  juin  1409),  Grégoire  publia  de  nouvelles  lettres  de  convo- 
cation et  annonça  pour  le  22  juillet  la  seconde  session,  à  la- 
quelle les  princes  étaient  autorisés  d'assister,  soit  en  personne 
soit  par  des  fondés  de  pouvoirs.  Il  espérait  par  là  obtenir  le 
concours  de  sa  ville  natale  Venise  et  du  roi  romain  Ruprecht. 
Par  un  décret  daté  du  15  juin,  il  autorisa  ce  dernier  à  déposer 
tous  les  archevêques,  évêques  et  prélats  qui  n'obéiraient  pas 
plus  au  pape  légitime  qu'au  roi  légitime,  et  il  lui  accorda  de  pré- 
lever tous  les  revenus  de  Jean,  l'archevêque  rebelle  de  Mayence. 
Le  16  juillet  il  augmenta  encore  ce  privilège  en  faveur  de  Ru- 
precht; mais  celui-ci  ne  put  rien  faire  d'efîîcace  pour  son  ami 
et,  quant  aux  Vénitiens,  ils  passèrent  au  parti  d'Alexandre  V. 
Malgré  tous  ces  contre-temps,  lors  de  la  seconde  session ,  la 
petite  assemblée  n'en  fut  pas  moins  déclarée  concile  œcumé- 
nique. Les  papes  Urbain  VI,  Boniface  IX,  Innocent  VII  et  Gré- 
goire XII  furent  proclamés  papes  légitimes  ;  leurs  adversaires  Ro- 
bert de  Genève,  Pierre  de  Luna  et  Pierre  de  Candie  (Alexandre  V) 
furent  dénoncés  comme  sacrilèges,  et  on  défendit  expressément 
de  leur  obéir  ^. 

Lors  de  la  troisième  session,  qui  eut  lieu  le  5  septembre,  Gré- 


(1)  Theod.  a  NiEjr,  De  Schism.  lib.  III,  c.  52, —  Papengoiîdt,  Gesch.  dcr  Stadt 
Rom,  S.  459. 

(1)  Lorsque  les  Lombards  allèrent  résider  du  côté  de  Pavie,  ils  donnèrent 
le  nom  d'Auslria  à  la  Provincia  Forojuliensis,  à  cause  de  sa  forme.  Cf.  Manst, 
t.  XXVI,  p.  1092. 

(3;  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1087-1090  et  1093.  —  IIard.  t.  VII,  p.  1951  sqq.  — 
Raynald,  1-409,  82. —  IIufler,  Ruprecht  von  der  Pfalz,  18G1,  S.  412. —  Janssen, 
Frankfurts  Reichscorrespondenz,  18G3,  Bd.  I,  S.  798,  801. 


SYNODE   DE   GRÉGOIRE  XII  A  CIVIDALE  EN    1409.  297 

goire  fit  faire  les  déclarations  saivanles  :  il  était  toujours  animé 
à  l'égard  de  l'union  d'un  zèle  dévorant  ;  mais,  à  cause  de  l'apos- 
tasie de  Pierre  de  Candie,  cette  union  ne  pouvait  plus  s'opérer 
par  le  seul  fait  de  son  abdication  (celle  de  Grégoire)  et  de  l'ab- 
dication de  Benoît  XIII.  Aussi  faisait-il  les  propositions  sui- 
vantes :  il  était  prêt  à  abdiquer  si  Pierre  de  Luna  et  Pierre  de 
Candie  voulaient  eux  aussi  renoncer  en  personne  à  leurs  prétendus 
droits  à  la  papauté,  et  si  un  nouveau  pape  était  élu  par  les  deux 
tiers  de  chacun  des  trois  collèges  des  cardinaux  actuellement 
existants.  Quant  à  l'époque  où  aurait  lieu  l'entrevue  pour  l'abdi- 
cation, les  rois  Ruprecht,  Ladislas  et  Sigismond  (de  Hongrie) 
seraient  chargés  de  l'indiquer.  Le  synode  de  Pise  n'accepta  cer- 
tainement pas  cette  dernière  condition  et,  de  plus,  comme 
Ruprecht  et  Sigismond  étaient  en  guerre,  on  ne  pouvait  pas 
espérer  qu'ils  s'entendissent  entre  eux).  Si  cette  proposition  n'é- 
tait pas  acceptée,  il  consentait  à  ce  que  ses  deux  adversaires 
choisissent  le  temps  et  l'endroit  où  pourrait  avoir  lieu  un  con- 
cile général;  il  promettait  de  se  rendre  à  cette  assemblée  et 
de  se  conformer  à  ce  qui  serait  trouvé  bon  par  la  majorité  de 
chacune  des  trois  obédiences.  Grégoire  nomma,  en  outre,  des 
légats  pour  les  divers  royaumes  :  ainsi  pour  la  Pologne,  Albert, 
évêque  de  Posen;  pour  la  Bohême  Sbinko  (Sbinek),  arche- 
vêque de  Prague  ;  pour  l'Angleterre  Henri,  évêque  de  Win- 
chester, etc.  ■*.  Toutefois  comme  Antoine  patriarche  d'Aqailée 
menaçait  de  le  reprendre  à  revers  et,  d'un  autre  côté,  comme  il 
craignait  d'être  fait  prisonnier  par  les  Vénitiens,  il  s'enfuit  dé- 
guisé en  marchand,  et  il  put  ainsi  gagner  les  navires  envoyés  par 
Ladislas  pour  le  recueillir.  Son  chambellan  qui,  pour  sauver  le 
pape,  avait  pris  ses  habits,  tomba  entre  les  mains  des  soldats  du 
patriarche  d'Aquilée,  qui  le  maltraitèrent  doublement,  d'abord 
parce  qu'ils  le  prirent  pour  le  pape  et  ensuite  parce  qu'il 
avait  ce  déguisement.  Grégoire  se  rendit  à  Ortona  sur  la  mer 
Adriatique,  et  puis  à  Fondi  et  à  Gaëte,  sous  la  protection  du  roi 
Ladislas,  tandis  que  plusieurs  de  ses  gens  restèrent  à  Gividale  et 
y  furent  si  bien  traités  que  Grégoire  adressa  des  remerciments  à 
la  ville  2. 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1090  sq.  —  Hàrd.  t.  VII,  p.  1953  sq.  —  Raynald, 
1409,  83.  —  Theod.  a  Niem,  De  Schism.  lib.  III,  c.  46. 

(2)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1096.  —  Raynald,  1409,  83.  —  Lenfant,  1.  c.  1. 1, 
p.  297  sq. 


298  FIN   DU   SYNODE  DE   PISE. 

FIN   DU   SYNODE   DE   PISE. 

Le  synode  de  Pise  tint  sa  vingt-deuxième  séance  le  27  juillet 
1409.  Le  cardinal  Chalant  y  publia  le  décret  suivant  du  pape, 
rendu  avec  l'approbation  du  synode. 

1.  Toutes  les  élections,  présentations,  conûrmations,  colla- 
tions, provisions  concernant  les  prélatures,  les  dignités  et  les 
bénéfices  de  toute  espèce  ;  de  même,  toutes  les  ordinations  d'é- 
vêques  et  d'autres  clercs  faites  par  les  deux  prétendants  ou  par 
leurs  prédécesseurs  en  faveur  de  personnes  faisant  cause  com- 
mune avec  le  synode,  doivent  être  tenues  pour  valables  si  elles 
ont  eu  lieu  dans  l'obédience  respective  avant  la  sentence  de  dé- 
position et  suivant  les  formes  prescrites  par  le  droit;  si  pour 
quelques  cas  particuliers  la  présente  déclaration  était  de  nature 
à  causer  quelque  dommage  à  des  personnes  reconnaissant  le 
concile,  le  pape  s'emploierait  à  trouver  un  compromis  accep- 
table. 

2.  Les  élections,  postulations,  présentations,  permutations, 
ordinations,  collations,  institutions,  privations  et  provisions  de 
toute  espèce  faites  pendant  l'abandon  de  l'obédience  en  des  lieux 
où  l'abandon  de  l'obédience  avait  été  promulguée  par  des 
personnes  ayant  droit  et  en  faveur  d'autres  personnes  accep- 
tant l'autorité  du  présent  synode,  sont  confirmées  par  la  pré- 
sente ordonnance,  si  elles  ont  eu  lieu  d'après  les  formes  cano- 
niques. 

3.  Tous  ceux  qui  possèdent  des  bénéfices,  dignités  personnelles 
ou  d'autres  emplois  ecclésiastiques  doivent  les  posséder  en  toute 
sécurité,  s'ils  les  ont  acquis  d'une  manière  légitime  et  sans  léser 
les  partisans  du  présent  synode. 

4.  Toutefois,  ce  qui  précède  ne  saurait  causer  quelque  préju- 
dice aux  décisions  de  la  congrégation  tenue  il  y  a  peu  de  temps  à 
Paris  (synode  national),  ou  bien  ne  saurait  déroger  aux  droits 
des  cardinaux  non  plus  qu'au  droit  du  cardinal-évêque  d'Albano 
sur  Tarchidiaconé  de  Luçon. 

5.  On  procédera  conformément  aux  canons  contre  les  parti- 
sans et  les  protecteurs  de  Pierre  de  Luna  et  d'Angelo  Corrario. 

6.  Si,  pour  des  motifs  urgents,  le  présent  synode  doit  être 


FIN   DU   SYNODE  DE   PISE.  299 

dissous,  il  sera  réuni  un  autre  concile  général  dans  l'espace  de 
trois  ans,  c'est-à-dire  au  mois  d'avril  1412,  et  le  lieu  de  la  réu- 
nion sera  indiqué  un  an  d'avance. 

7.  Si  dans  l'espace  de  deux  mois  le  cardinal  de  Fiesco  (seul 
cardinal  d'ancienne  promotion  qui  tînt  encore  pour  Benoît  XIII) 
se  présente  en  personne^  accepte  l'obédience  d'Alexandre  et  se 
soumet  aux  décisions  du  concile,  il  sera  reçu  d'une  manière  ami- 
cale, et  restera  en  possession  de  tous  les  bénéfices  qu'il  avait  à  la 
date  du  15  juin  1408. 

8.  Toutes  les  dispenses  de  defectus  œtatis  accordées  par  les 
évêques  pour  la  collation  des  bénéfices,  etc.,  dans  les  territoires 
neutres  (c'est-à-dire  pendant  l'abandon  de  l'obédience)  doivent 
être  tenues  pour  valables,  et  il  en  sera  de  même  des  absolutions 
données  pendant  le  schisme  par  les  deux  prétendants  ou  par  les 
susdits  évêques  (dans  les  territoires  neutres)  in  foro  pœnitentiali 
et  même  pour  les  cas  réservés  au  pape.  L'archevêque  de  Pise 
déclara  ensuite  que  le  pape  remettait  à  toutes  les  églises  les  rede- 
vances dues  jusqu'au  jour  de  son  élection  à  la  chambre  aposto- 
hque,  qu'il  renonçait  à  l'héritage  des  prélats  défunts  sur  lequel 
ses  prédécesseurs  avaient  émis  des  prétentions;  qu'il  renonçait 
également  aux  autres  réserves,  notamment  aux  revenus  échus 
pendant  la  vacance  du  Saint-Siège  et  aux  arrérages  que  les  pré- 
lats, etc.,  auraient  encore  à  payer  à  la  chambre  apostolique  pour 
les  annates,  interstices,  etc.,  le  tout  jusqu'au  jour  de  l'élection. 
L'archevêque  ajouta  que  le  pape  priait  les  cardinaux  de  vouloir 
bien  renoncer,  de  leur  côté,  à  la  moitié  de  ce  qui  leur  revenait 
sur  certaines  redevances;  tous  les  cardinaux  s'empressèrent 
d'obtempérer  à  ce  désir,  à  l'exception  des  cardinaux  d'Albano  et 
de  Naples  ^ 

La  vingt-troisième  et  dernière  session,  qui  avait  été  fixée  au 
2  août,  n'eut  lieu  que  le  7  du  même  mois  et  fut  encore  présidée 
parle  pape.  Le  cardinal  Ghalant  y  lut  le  décret  suivant  publié  par 
le  pape  avec  l'adhésion  du  concile. 

1.  Les  biens  immeubles  de  FÉglise  romaine  et  des  autres 
églises  ne  doivent  pas  être  aliénés  ou  mis  en  gage,  pas  plus  par 
le  pape  que  par  un  autre  prélat  jusqu'au  prochain  concile  gé- 
néral, où  cette  question  sera  examinée  avec  plus  de  maturité. 


(1)  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1154  sqq.  1234  sqq.  ;  t.  XXVII,  p.  131.—  Hard.  t.  VIII, 
p.  21  sqq. 93  sqq. 


300  FIN   DU  SYNODE   DE   PISE. 

2.  Avant  la  réunion  de  ce  prochain  concile  général,  les  mé- 
tropolitains tiendront  des  synodes  provinciaux,  les  suffragants 
des  synodes  diocésains,  les  moines  et  les  clianoines  réguliers 
des  chapitres  pour  examiner  quelles  sont  les  réformes  à  intro- 
duire. 

3.  Tous  les  arrérages  dus  à  la  chambre  apostolique  et  au  pape 
et  toutes  les  peines  décrétées  à  cause  de  ces  arrérages  doivent 
être  remis . 

4.  Nul  ne  doit  être  déplacé  contre  sa  volonté  s'il  n'a  été  en- 
tendu auparavant,  et  si  son  déplacement  n'est  approuvé  par  la 
majorité  du  sacré  collège. 

5.  Le  pape,  de  concert  avec  les  cardinaux,  enverra  des  nonces  à 
tous  les  rois  et  princes  de  la  chrétienté  afm  de  publier  partout  et 
de  faire  exécuter  les  actes  du  synode. 

6.  Lepapeaccorde  une  indulgence  plénière  à  tous  ceux  qui  ont 
assisté  au  synode  et  ont  adhéré  à  ses  décrets.  Alexandre  étendit 
cette  faveur  à  tous  les  serviteurs  des  membres  du  synode;  il  dé- 
clara ensuite  qu'il  voulait,  avec  le  conseil  des  cardinaux,  opérer 
la  réforme  de  l'Église  dans  son  chef  et  dans  ses  membres  ;  que 
certains  articles  étaient  déjà  ébauchés,  mais  ne  pouvaient  être 
terminés  à  cause  du  départ  de  plusieurs  prélats  et  ambassadeurs  ; 
aussi,  qu'à  la  demande  et  avec  l'assentiment  du  synode  [sacro 
requirente  et  approbante  concilid),  il  remettait  au  prochain  con- 
cile l'affaire  de  la  réforme.  En  terminant,  il  donna  à  tous  les 
membres  la  permission  de  rentrer  chez  eux  ^. 

Il  est  incontestable  que,  dans  les  décrets  réformateurs  publiés 
par  Alexandre  V  dans  la  dernière  et  l'avant-dernière  session,  il 
eut  égard  aux  demandes  que  lui  avaientfaites  les  évêques  français, 
anglais,  polonais,  allemands^;  de  même  les  moines  de  Cluny 
cherchèrent  à  fortifier  leur  pouvoir  contre  les  évêques  et  à  dimi- 
nuer les  charges  qu'ils  avaient,  notamment  leurs  redevances 
vis-à-vis  du  pape  ^  On  est  péniblement  impressionné  lorsqu'on 
voit  tous  ces  prélats  et  seigneurs,  au  lieu  de  travailler  à  une 
réforme  interne,  placer  exclusivement  cette  réforme  dans  l'aug- 
mentation de  leur  pouvoir  personnel  et  dans  la  diminution  de 
leurs  charges.  On  a  souvent  blâmé  Alexandre  V  d'avoir,  au  mé- 

(1)  MANsr,  t.  XXVI,  p.  \  156,  1237.  —  Haud.  t.  VllI,  p.  23,  96. 

(2)  Elles  sont  imprimées  dans  Martène,  Yd.  Script,  t.  VU,  p.  1124-1132, 
avec  la  décision  donnée  par  le  pape. 

(3)  Martène,  27ie5. 1.  c.  p.  1120  sqq. 


FIN   DU    SYNODE   DE  PJSE.  301 

pris  de  la  promesse  qu'il  avait  faite  dans  la  seizième  session,  dis- 
sous si  rapidement  le  concile  avant  que  fût  opérée  la  réforme 
dans  le  chef  et  dans  les  membres.  Mais  évidemment  il  avait 
promis  beaucoup  plus  qu'un  homme,  quel  qu'il  fût,  ne  pouvait 
tenir.  Une  pareille  réforme  ne  peut  se  décréter  ex  abrupto,  et  le 
moyen  de  la  rendre  possible  était  précisément  celui  qui  fut  pris 
par  le  pape,  lorsqu'il  prescrivit  la  réunion  des  synodes  diocésains 
et  provinciaux  et  de  chapitres  de  moines  dans  lesquels  on  exa- 
minerait toutes  les  réformes  utiles,  de  telle  sorte  que,  trois  ans 
après,  lorsque  se  réunirait  le  concile  général,  on  eût  d'amples 
matériaux  pour  commencer  le  grand  œuvre.  L'assentiment  gé- 
néral du  synode,  en  particulier  celui  des  réformateurs  les  plus 
déclarés,  prouve  qu'Alexandre  V  était  parfaitement  dans  le  vrai. 
Personne  ne  songea  à  continuer  les  sessions  pas  plus  qu'on  ne 
songea  à  accuser  le  pape  d'avoir  manqué  à  sa  parole;  au  con- 
traire, tout  le  monde  fut  d'accord  avec  lui,  parce  que  tout  le 
monde  fut  convaincu  que  la  voie  indiquée  par  lui  était  la  meil- 
leure pour  atteindre  le  but.  On  s'explique,  en  outre,  que  les 
membres  du  concile  de  Pise  et  Alexandre  V  n'aient  pas  voulu 
aller  plus  loin  avant  que  le  pape  eût  été  universellement  reconnu. 
Or,  tel  n'était  pas  le  cas;  au  contraire,  la  prophétie  du  roi  Ru- 
precht  recevait  son  accomplissement  :  «  Par  votre  manière  d'agir 
(celle  des  cardinaux  de  Pise),  écrivait  Ruprecht,  vous  arriverez  à 
former  trois  partis,  et  la  désunion  ainsi  que  la  honte  seront  plus 
grandes  dans  la  sainte  chrétienté  qu'elles  n'ont  été  depuis  bien 
longtemps.  »  De  fait,  il  y  eut  alors  trois  papes  :  Benoît  était  re- 
connu par  l'Espagne,  le  Portugal  et  l'Ecosse  ;  Grégoire  par  Naples, 
et  par  d'autres  parties  de  l'Italie,  et  aussi  par  le  roi  Ruprecht  et 
d'autres  princes  de  l'Allemagne  ^  ;  nonobstant  cela,  Alexandre  V 
avait  encore  pour  lui  la  majorité  de  la  chrétienté. 

La  responsabilité  de  l'apparition  de  celte  déplorable  trinité 
retombe  en  grande  partie  sur  le  concile  de  Pise;  en  effet,  toute  la 
procédure  de  cette  assemblée  contre  les  deux  prétendants  repose 
sur  une  donnée  fort  contestable  et  que  personne,  dans  le  fond, 
ne  prenait  au  sérieux  :  savoir  que  les  prétendants  étaient  non- 
seulement  les  fauteurs  du  schisme,  mais  aussi  de  véritables  héré- 
tiques dans  tout  le  sens  du  mot,  parce  qu'ils  avaient,  par  leur 
conduite,  attaqué  l'article  de  foi,  imam  sanctam  et  apostolicam 

(1)  Janssen,  a.  a.  0.  S.  144,  Nr.  346  u.  S.  801,  Nr.  1251  u.  1252. 


302  FIN   DU  SYNODE   DE  PISE, 

ecclesiam.  A  cette  théorie  déjà  si  hasardée,  les  membres  du  con- 
cile joignirent  une  excitation  malsaine  et  une  précipitation  fort 
regrettable  vers  les  mesures  extrêmes.  Ils  auraient  dû  cepen- 
dant être  prudents  :  car  ils  savaient  que  Grégoire  et  Benoit  avaient 
encore  de  nombreux  adhérents  et  qu'il  n'était  pas  possible  de 
les  réduire  par  la  force.  La  patience  et  des  ménagements  à  l'é- 
gard des  deux  prétendants,  qui  pouvaient  voir  déjà  le  sérieux  de 
leur  situation  et  qui  étaient  abandonnés  de  leurs  propres  cardi- 
naux, auraient  peut-être  permis  au  concile  de  défaire  le  nœud 
gordien;  il  aima  mieux  le  trancher  par  cette  élection  précipitée. 
Nous  avons  déjà  dit  dans  le  l"vol.,  p.  60,  qu'il  ne  fallait  pas 
compter  le  concile  de  Pise  au  nombre  des  conciles  œcumé- 
niques. 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME 


CONCILE  DE  CONSTANCE,  1414ol418. 


745. 


ÉVÉNEMENTS  ET   SYNODES  DU  CONCILE  DE  PISE  AU   CONCILE 
DE   CONSTANCE. 

Après  la  clôture  du  concile  de  Pise,  Alexandre  V  resta  encore 
trois  mois  et  demi  dans  cette  ville,  pendant  que  son  légat  de 
Bologne  Balthazar  Cessa,  avec  l'aide  de  Louis  II  d'Anjou  et  des 
Florentins,  recouvrait  pour  lui  la  possession  de  l'État  ecclésias- 
tique, que  le  roi  Ladislas  de  Naples  avait  occupé  au  nom  de 
Grégoire  XII.  Les  affaires  d'Alexandre  Y  ne  marchaient  pas 
moins  bien  du  côté  d'Avignon,  que  Rodrigue  de  Luna  défendait 
pour  son  oncle  Benoît  XIII.  Pendant  ce  temps,  Alexandre  cher- 
chait à  se  concilier  les  esprits,  et  à  témoigner  sa  reconnaissance 
envers  ses  électeurs  en  distribuant  à  profusion  les  faveurs  et 
les  grâces;  Dietrich  de  Niem  assure  qu'il  alla  trop  loin  dans 
cette  voie.  Ainsi,  il  confia  toutes  sortes  de  fonctions  importantes 
et  avantageuses  aux  religieux  de  son  ordre,  les  frères  mineurs^ 
et  il  lui  arriva  plus  d'une  fois  de  charger  les  clercs  qui  l'entou- 
raient de  l'expédition  des  lettres  pontificales,  occupation  lucra- 
tive réservée  ordinairement  aux  abréviateurs.  Dietrich  de  Niem, 
l'un  de  ces  derniers,  a  consigné  l'énergique  expression  du  mé- 
contentement qu'il  en  ressentait,  dans  son  ouvrage  De  Schismate 
(lib.  III  c.  51). 

La  bulle  «  Regnans  in  excelsis,  »  que  ce  même  pape  publia  à  Pisé 
en  faveur  des  religieux  mendiants  le  12  octobre  1409,  produisit 
une  grande  impression.  Gomme  nous  l'avons  déjà  vu,  Boni- 


304  EVENEMENTS   ET   SYNODES   DU    CONCILE   DE  PISE 

face  VIII  avait  accordé  aux  frères  mineurs  et  aux  dominicains, 
avec  certaines  restrictions,  le  droit  de  prêcher,  de  confesser  et 
d'enterrer,  et  Clément  V,  au  concile  de  Vienne,  avait  confirmé  les 
dispositions  de  son  prédécesseur.  Bientôt  les  moines  augus- 
tins  et  les  carmes  obtinrent  aussi  les  mêmes  privilèges.  Mais 
Jean  Poilly,  docteur  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  s'éleva 
contre  ces  faveurs  accordées  aux  religieux  mendiants,  et  sou- 
tint que  si  quelqu'un  se  confessait  à  eux,  il  n'en  était  pas  moins 
obligé  d'avouer  encore  ses  fautes  à  son  propre  pasteur,  et  que 
le  pape  lui-même  n'avait  pas  le  droit,  à  rencontre  du  décret  du 
quatrième  concile  de  Latran,  de  dispenser  les  paroissiens  de  l'o- 
bligation de  se  confesser  une  fois  l'an  à  leur  curé.  Le  pape 
Jean  XXII  avait  condamné  ces  propositions  en  1321  ;  néanmoins 
on  attaqua  de  nouveau  les  privilèges  des  mendiants  ;  on  repro- 
duisit avec  des  additions,  les  assertions  de  Poilly,  et  on  déclara 
que  les  mendiants  étaient  des  «  voleurs  >>  et  non  des  «  pasteurs  ». 
Le  clergé  séculier  était  extrêmement  froissé  de  la  faveur  que 
ces  religieux  rencontraient  auprès  du  peuple  et  de  leurs  conti- 
nuels empiétements  sur  le  ministère  pastoral,  qui  perdait  beau- 
coup de  ses  revenus  :  Alexandre  V  prit  néanmoins  le  parti  des 
mendiants,  confirma  par  la  bulle  «  Regnans  «  les  décrets  de  Bo- 
niface  VIII,  de  Clément  V  et  de  Jean  XXII,  et  censura  les  pro- 
positions nouvelles  analogues  à  celles  de  Poilly,  en  mentionnant 
que  quiconque  les  soutiendrait  à  l'avenir  serait  hérétique,  et 
encourrait  ipso  facto  l'excommunication  réservée  au  pape,  sauf 
à  l'article  de  la  mort  *. 

Quelque  temps  auparavant,  2  janvier  1409,  l'Université  de 
Paris  avait  réprouvé  plusieurs  assertions  du  frère  mineur  Jean 
Gorel,  qui  voulait  contester  aux  curés  (comme  tels),  et  revendi- 
quer pour  les  moines  le  droit  de  prêcher,  d'administrer  les  sa- 
crements et  de  toucher  la  dîme  ^.  On  comprend  que  dans  de 
pareilles  conjonctures  la  nouvelle  bulle  d'Alexandre  V  dut  être 
assez  mal  reçue  par  l'Université;  aussi,  pendant  que  les  men- 
diants, dans  l'allégresse,  s'empressaient  de  la  publier  et  d'en  dé- 
velopper en  chaire  le  contenu  (en  l'amplifiant),  la  faculté  prépa- 
rait-elle des  sermons  contre  la  bulle  «  subreptice  »,et  nous  avons 
encore  un  intéressant  discours  de  Gerson  sur  cette  matière. 

(1)  Bullarium  magnum,  éd.  Luxemb.  1730,  t.  IX,  p.  221  sqq.  —  Bull.eus, 
Hisi.  univers.  Paris,  t.  V,  p.  196  sq.  —  Sgi-iwab,  J.  Gerson,  1858,  S.  459. 

(2)  BuLL^us,  1.  c.  p.  189  sq. 


AU   CONCILE   DE   CONSTANCE.  305 

Les  dominicains  et  les  carmes  déclarèrent  alors  qu'ils  n'avaient 
aucunement  sollicité  ce  document,  et  qu'ils  n'entendaient  en 
retirer  aucun  avantage;  les  deux  autres  ordres  furent  d'un  avis 
contraire  :  aussi  furent-ils  exclus  de  l'Université.  En  même 
temps  le  roi,  selon  le  vœu  de  cette  compagnie,  interdit  à  tous 
les  curés,  sous  peine  de  voir  confisquer  leur  temporel,  de  laisser 
aucun  franciscain  ou  augustin  prêcher  ou  dispenser  les  sacre- 
ments dans  leurs  églises  * . 

La  seconde  bulle  qu'Alexandre  V  publia  à  Pise,  le  l^""  no- 
vembre 1409,  était  dirigée  contre  Ladislas  de  Naples,  qui,  malgré 
tous  les  bienfaits  dont  l'Église  l'avait  comblé,  avait  fomenté  le 
schisme  au  mépris  de  ses  serments,  soutenu  le  schismatique  et 
hérétique  Angelo  Corrario  (contre  lequel  Alexandre  se  répandait 
en  invectives)  et  occupé  une  grande  partie  des  États  de  l'Église; 
qui  s'était  opposé,  les  armes  à  la  main,  à  la  réunion  du  concile 
de  Pise,  avait  détruit  des  villes  entières  et  empêché  les  fidèles 
de  reconnaître  leur  légitime  pasteur,  Alexandre.  Il  le  som- 
mait de  comparaître  devant  son  tribunal  pour  s'y  entendre 
dépouiller,  à  raison  de  ses  crimes,  de  la  Sicile  qu'il  tenait  en  fief 
de  l'Église  2. 

Une  épidémie  qui  se  déclara  à  Pise  sur  ces  entrefaites  (no- 
vembre 1409)  obligea  le  pape  à  gagner  Pistoie,  d'où,  sur  les  ins- 
tances des  chevaliers  de  Rhodes  et  du  roi  Sigismond  de  Hongrie, 
il  convoqua  la  chrétienté  à  une  nouvelle  expédition  contre  les 
Turcs.  Il  y  publia  aussi,  le  20  décembre,  contre  Hus  une  bulle,  par 
laquelle  il  Ini  défendait  de  prêcher  dans  les  chapelles  ^,  et  apprit 
en  même  temps  avec  joie  que  les  troupes  croisées  et  confédérées 
contre  le  roi  Ladislas  faisaient  toujours  de  nouveaux  progrès.  En 
effet,  le  13  décembre  1409,  la  ville  de  Rome  était  rentrée  au  pou- 
voir d'Alexandre.  Pendant  que  les  armées  rivales  combattaient 
aux  alentours  de  Saint-Pierre,  le  peuple  se  souleva  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville  au  cri  de  «  Vivent  l'Église  et  le  pape  Alexandre!  » 
Les  chefs  du  parti  de  Ladislas  prirent  la  fuite,  et  les  troupes  du 
pape  purent  occuper  la  ville  en  toute  sécurité,  à  la  grande  joie 


(1)  BuL^EUs,  1.  c.  p.  200-202.  — Gerson,  0pp.  éd.  Du  Pin,  t.  Il,  p.  431  sqq. — 
Schwab,  a.  a.  0.  S.  p.  460  sq. —  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Pise,  1. 1,  p.  809- 
320. 

(2)  Raynald,  Contin.  Annal.  Baron.  1409,  p.  85  sq. 

(3)  Bzovius,  Coniin.  Annal.  Baron.  1409,  p.  17.  —  Raynald,  1409,  p.  89.  — 
Lenfant,  1.  c  p.  323.  Nous  reviendrons  plus  tard  sur  Hus  et  cette  bulle. 

T.  X.     20 


305  ÉVÉNEMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISE 

des  habitants  ^  De  tous  côtés,  on  conseillait  au  souverain  pontife, 
et  les  Romains  le  souhaitaient  passionnément,  de  transporter  son 
siège  au  tombeau  des  saints  Apôtres.  Les  cardinaux  étaient  aussi 
de  cet  avis;  seul  Balthasar  Cossa  crut  qu'il  était  plus  expédient  de 
se  renfermer  dans  les  murs  de  Bologne,  et  il  alléguait  avec  raison 
que  Rome  et  le  sud  des  États  pontificaux  n'étaient  pas  encore  suf- 
fisamment garantis  contre  les  attaques  de  Ladislas,  qui  continuait 
la  guerre.  D'après  Dietrich  de  Niem,  Cossa  ajouta  qu'il  avait 
promis  aux  Bolonais  de  ne  pas  revenir  sans  le  pape.  Sans  doute 
il  fit  aussi  briller  aux  yeux  d'Alexandre  et  de  ses  cardinaux  les 
ressources  financières  de  Bologne,  et  en  effet  il  fournit  à  la  cour 
pontificale  du  vin,  du  bois,  etc.,  en  moins  grande  quantité  toute- 
fois qu'on  n'avait  espéré.  Il  alla  même  jusqu'à  payer  les  servi- 
teurs du  pape;  cependant  celui-ci  n'aurait  pas  été  sans  ennui, 
et  la  crainte  seule  l'aurait  empêché  de  se  plaindre  ^. 

Peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Bologne,  Alexandre  V,  par 
une  bulle  du  31  janvier  1410,  renouvela  la  condamnation  de  ses 
deux  compétiteurs,  Angelo  Gorrario  (Grégoire  XII)  et  Pierre  de 
Luna  (Benoît  XIII)  et  de  leurs  partisans;  il  confirma  en  même 
temps  tout  ce  qui  s'était  passé  à  Pise^  Afin  de  donner  quelque 
satisfaction  aux  Romains,  qui  lui  avaient  envoyé  au  printemps  de 
1410  une  ambassade  considérable  pour  lui  présenter  les  clefs  de 
la  ville  et  lui  exposer  leurs  vœux,  il  leur  accorda  un  jubilé  pour 
l'année  1413^;  mais  lors  même  qu'il  fut  entré  dans  ses  plans 
d'accéder  plus  tard  à  leurs  désirs,  la  mort  l'en  eût  empêché.  Elle 
le  surprit  le  3  mai  1410.  Dietrich  de  Niem  et  l'excellent  chroni- 
queur de  Saint-Denis  rapportent  que,  quatre  jours  auparavant,  il  fit 
venir  auprès  de  son  lit  tous  les  cardinaux,  et  leur  adressa  en  latin 
de  fort  belles  paroles  ^  Plus  récemment  Platina  prétend  qu'il 
exhorta  les  cardinaux  à  la  concorde,  et  affirma  une  fois  de  plus 
avec  autorité  la  légitimité  des  décisions  de  Pise^ .  Il  avait  occupé 


(1)  On  trouve  les  meilleures  sources  italiennes  dans  Christophe  {Hist.  de 
la  Papauté  au  xiv  siècle,  en  allemand  chez  Riïter,  1844,  t.  III,  p.  255-257),  et 
Gregoroyius  [Hisi.  de  la  ville  de  Rome,  t.  VI,  1867,  p.  594  sq.). 

(2)  TiiEOD.  A  Niem,  De  vita  et  fatis  Joannis  XXIII,  dans  Van  deh  IIardt, 
Concil.  Comt.  t.  II,  p.  355  scf. 

(3)  llAYNALD,  1410,  p.  G  sqq.  —  Maksi,  t.  XXVll,  p.  83  sqq. 

(4)  Raynald,  1410,  1(3. 

(5)  Theod.  a  Niem,  De  Schismate,  lib.  IV,  c.  53.  —  thronicor.  CaroliVJ  (àa 
moine  de  Saint-Denis),  dans  les  Docimcnts  inédits,  lib.  XXXI,  c.  7. 

(6)  Platina,  Yita  Alexandri  V,  éd.  Col.  1674,  p.  256. 


ET  LE   CONCILE  DE   CONSTANCE.  307 

le  siège  pontifical  dix  mois  et  huit  jours,  et  était  âgé  de  soixante 
et  onze  ans.  Un  bruit  assez  répandu  accusa  Gossa  de  l'avoir  em- 
poisonné au  moyen  d'un  remède,  et,  plusieurs  années  après,  ce 
soupçon  fut  renouvelé  dans  un  violent  écrit  adressé,  comme  nous 
le  verrons  plus  tard,  au  concile  de  Constance  contre  Jean  XXIII  *  ; 
mais  on  n'en  a  jamais  donné  de  preuves  convaincantes,  et  nous 
savons  bien  qu'au  moyen  âge,  en  Italie  surtout,  on  attribuait 
assez  facilement  au  poison  les  cas  de  mort  rapide.  Alexandre 
lui-même,  dans  ses  dernières  paroles  aux  cardinaux,  ne  fit  pas 
entendre  que  cette  idée  lui  était  venue  à  l'esprit;  il  avait  atteint 
un  âge  assez  avancé  pour  que  sa  fin  pût  s'expliquer  naturelle- 
ment. Enfin,  qui  peut  croire  que  les  cardinaux  aient  choisi  à  l'u- 
nanimité pour  pape  un  homme  publiquement  traité  de  meur- 
trier et  d'empoisonneur  ? 

Déjà,  du  vivant  d'Alexandre  V,  Charles  Malatesta  avait  repris 
le  cours  de  ses  démarches  interrompues  à  Pise  en  faveur  de 
l'union  2.  Après  la  mort  de  ce  pape,  il  envoya  encore  dans  ce 
but  un  ambassadeur  à  Bologne,  avec  la  mission  d'empêcher 
qu'on  ne  se  hâtât  de  faire  une  nouvelle  élection.  Son  député 
s'aboucha  surtout  avec  Balthasar  Gossa,  et  chercha  à  le  préve- 
nir contre  les  autres  cardiaaux,  assez  mal  disposés  pour  lui  et 
capables  de  choisir  précipitamment  un  de  ses  adversaires.  Gossa 
répondit  que  les  moyens  proposés  par  Malatesta  pour  arriver  à 
la  paix  ne  lui  paraissaient  point  expédients  ;  que  la  voie  du  synode 
était  trop  longue,  et  celle  de  la  renonciation  impraticable  :  car 
Ladislas,  ayant  Gorrario  dans  sa  main,  ne  lui  donnerait  pas  la 
liberté  de  traiter;  d'autre  part,  il  était  impossible  aux  cardinaux 
de  Bologne  de  rester  plus  longtemps  sans  pape  ;  ils  n'avaient 
déjà  plus  de  quoi  vivre,  tous  les  employés  de  la  chancellerie 
étaient  sans  occupation,  et  la  ville  de  Rome  allait  être  encore 
une  fois  perdue.  Quant  à  ce  qui  le  regardait  personnellement, 
aucun  cardinal  n'avait  encore  dit  qu'il  voulût  lui  donner 
sa  voix.  Il  pouvait  au  reste  se  comparer  à  tous  ses  autres 
collègues,  et  si  on  lui  reprochait  de  n'avoir  pas  la  conscience 
très-délicate  [quod  non  sit  magnœ  consdentiœ)^  au  moins  pou- 
vait-il se  rendre  la  justice  d'avoir  plus  fait  que  personne  pour 
la  cause  de  l'Église.  Si  on  choisissait  quelqu'un  qui  lui  fût  sym« 


(1)  Van  der  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  197.  ~  Lenfanï,  1.  c.  p.  327,  et  les  notes 
de  Mansi  sur  Raynald,  1410,  17. 

(2)  MARTÈNE,ye^  Script,  ampl,  collecl.  t.  VII,  p.  1162  et  1188  sqq. 


308  ÉVÉNEMENTS    ET    SYNODES    ENTRE   LE    CONCILE    DE    PISE 

pathique,  ce  serait  bien;  mais l'élévalioii d'un  de  ses  adversaires 
aurait  peut-être  encore  plus  d'avantages  pour  son  âme.  Il  ajouta 
que  les  habitants  de  Bologne,  désireux  de  conserver  dans  leurs 
murs  ]a  cour  pontificale,  soupiraient  après  une  nouvelle  élection, 
et  que  les  cardinaux  s'étaient  déjà  entendus  avec  le  seigneur 
d'Imola  sur  le  lieu  du  conclave.  Ce  seigneur  le  lui  avait  révélé  en 
grand  secret,  et  il  était  probable  qu'en  agissant  ainsi  les  cardi- 
naux avaient  eu  pour  but  de  se  soustraire  à  son  influence  ;  mais 
ils  n'avaient  pas  lieu  de  la  redouter.  Enfin  la  proposition  du 
député,  qui  consistait  à  faire  nommer  par  le  sacré  collège  un  admi- 
nistrateur provisoire  de  la  papauté,  ne  lui  paraissait  pas  accep- 
table, car  tout  dépendait  de  ce  titre  «  de  pape  »  K 

Malatesta  chercha  dans  une  lettre  à  réfuter  les  objections  de 
Cossa,  et  il  recommanda  à  son  envoyé  de  faire  de  nouvelles  dé- 
marches auprès  des  cardinaux.  Mais  ceux-ci  ajournaient  leur  ré- 
ponse définitive,  tout  en  répugnant  aux  délais,  comme  l'agent  de 
Malatesta  crut  s'en  apercevoir,  parce  que  chacun  espérait  la  tiare 
pour  lui-même.  Cossa  lui  assura  même  que  ceux  qui  n'avaient 
absolument  aucun  espoir  d'être  élus  seraient  les  seuls  à  accueillir 
les  propositions  de  son  maître  :  ainsi,  les  ultramontains,  le  cardi- 
nal d'Aquilée  et  lui-même  Cossa,  qui  était  complètement  mis 
hors  de  cause.  Il  dit  encore  qu'il  se  réjouirait  de  voir  exami- 
ner la  motion  de  Malatesta  et  rétablir  l'union;  mais  que  l'affaire 
lui  paraissait  très-épineuse,  et  que  pour  ne  pas  blesser  ses  col- 
lègues, il  se  voyait  contraint  de  n'en  conférer  que  secrètement 
avec  l'envoyé^.  , 

Le  dernier  jour  avant  l'ouverture  du  conclave  (13  mai  1410), 
Malatesta  fit  remettre  aux  cardinaux  un  nouveau  mémoire  où  il 
exposait  ses  vues  pour  le  rétablissement  de  l'union,  dans  le  cas 
où  l'on  procéderait  à  Bologne  à  l'élection  d'un  nouveau  pape  ^ .  Il 
avait  appris  par  son  envoyé  que  l'on  se  préparait  déjà  à  se  réunir 
dans  le  château  de  Bologne,  et  non  plus  à  Imola,  selon  le  premier 
projet*.  Dietrich  de  Niem  affirme  aussi  qu'au  début  Balthasar 
Cossa  paraissait  ne  songer  aucunement  à  la  papauté  pour  lui- 
même.  On  dit  même  qu'il  avait  recommandé  à  ses  collègues  un 
autre  candidat,  le  cardinal-prêtre  Conrad,  surnommé  le  cardinal 


(1)  MARTÈNEjVef.  Script,  ampîiss.  coll.  t.  VII,  p.  1163  sq. 

(2)  Ma.rtène,1.  c.  p.  1165-1171. 

(3)  Marïène,  1.  c.  p.  1179. 

(4)  Ibid.  p.  1171. 


i 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  809 

de  Malte,  personnage  d'ailleurs  assez  médiocre  et  d'un  esprit 
peu  cultivé.  Cependant  Gossa  devait  être  élu,  et  il  le  dut  en 
grande  partie  à  l'intervention  du  roi  Louis  d'Anjou,  qui,  dans 
le  moment  où  Ladislas  se  préparait  à  une  guerre  nouvelle, 
tenait  beaucoup  à  ce  choix,  dans  l'intérêt  de  ses  propres  affaires. 
Ce  prince  agit  surtout  sur  les  cardinaux  français  et  napolitains, 
et  les  choses  marchèrent  si  promptement  que,  le  troisième  j  our  du 
conclave,  Balthasar  Gossa  fut  élu  pour  successeur  d'Alexandre  V 
sous  le  nom  de  Jean  XXIII  (17  mai  1410).  Gomme  il  n'était  que 
diacre,  il  se  fit  ordonner  prêtre  le  24  mai  par  le  cardinal-évêque 
d'Ostie,  puis  le  lendemain  consacrer  et  couronner  solennelle- 
ment ^  Tout  se  passa  à  Bologne.  Platina,  qui  nous  donne  ce  vote 
pour  unanime^,  prétend  néanmoins  qu'il  fut  inspiré  aux  cardi- 
naux par  la  crainte  de  la  puissance  militaire  dont  Gossa  disposait. 
Cependant  l'envoyé  de  Malatesta,  qui  avait  de  fréquentes  relations 
avec  les  électeurs,  ne  découvrit  chez  eux  aucune  trace  de  ce  sen- 
timent qui  expliquerait  au  reste  difficilement  l'unanimité  absolue. 
—  Un  anonyme,  que  l'on  croit  être  Dietrich  de  Niem,  émet  un 
autre  soupçon  que  Platina,  dans  un  écrit  évidemment  très-pas- 
sionné ;  selon  lui,  cette  élection  aurait  été  le  résultat  de  la  cor- 
ruption, et  Gossa  aurait  forcé  la  porte  du  bercail  avec  une  clef 
d'or^.  Une  troisième  version  nous  est  fournie  par  Foresta,  his- 
torien plus  récent  et  d'une  autorité  assez  contestable  :  on  l'appelle 
souvent  Jacques-Philippe  de  Bergame.  «  Les  cardinaux,  dit-il, 
étant  divisés  sur  l'élection,  consultèrent  Gossa  qui  répondit  : 
«  Qu'on  m'apporte  le  manteau  de  S.  Pierre,  et  j'en  revêtirai 
«  celui  qui  doit  être  pape.  »  Le  manteau  apporté,  il  le  met  sur  ses 
épaules  en  s'écriant  :  «  Je  suis  pape  ^.  »  Il  serait  superflu  de  dé- 
montrer la  fausseté  d'une  fable  aussi  grossière,  et  nous  nous  con- 
tenterons d'observer,  contre  Lenfant,  que  c'est  à  peine  si  l'on 
peut  découvrir  une  allusion  à  ce  fait  dans  le  mot  des  Invectiva 
in  Joannem^  1.  c.  p.  304  :  «  Tu  iemetipsum  eligens  intrusisti.  »  Ce 

(1)  Theod.  a  Niem,  De  vila  et  fatis  Joannis  XXIII,  1.  c.  c,  18,  et  De  Schism. 
lib.  m,  c.  53. 

(2)  D'après  d'autres  renseignements  un  cardinal,  celui  de  Bordeaux,  refusa 
son  suffrage,  en  disant  que  Gossa  ferait  mieux  un  empereur  qu'un  pape. 
Spondan,  Contin.  Annal.  Baron,  ad  ann.  1410,  2. 

(3)  Invectiva  in  Joannem  e  co7icilio  profugum,  dans  Van  der  Hardt,  I.  c.  t.  II, 
p.  304.  Gomme  Van  der  Hardt,  G.-J.  Rosenkranz  attribue  aussi  cet  écrit  à 
Dietrich  de  Niem,  dans  l'étude  qu^il  a  publiée  sur  lui,  sans  toutefois  en  don- 
ner de  preuves  conYaincantes  [Mémoire  [Revue)  pour  L'histoire  nationale  de  la 
Westphalie  et  Archéologie  de  Erhard  et  Gehrken,  t.  VI,  p.  81). 

(4)  Dans  Lenfant,  1.  c.  t.  II,  p.  4. 


310  ÉVÉN^EMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISE 

serait  plutôt  une  mauvaise  interprétation  de  ce  texte  qui  aurait 
donné  naissance  à  une  pareille  invention. 

Balthasar  Gossa  était  issu  d'une  famille  noble,  mais  assez  peu 
fortunée,  de  Naples.  On  racontait  de  lui  qu'étant  encore  jeune 
clerc,  il  avait  profité  de  la  guerre  de  Ladislas  contre  Louis  d'Anjou 
pour  exercer  la  piraterie  dans  la  mer  de  Sicile.  Il  aurait  conservé 
de  cette  vie  aventureuse  l'habitude  de  veiller  la  nuit  et  de  dormir 
le  jour,  et  n'y  dérogeait  que  dans  les  cas  de  nécessité.  Après  la 
victoire  de  Ladislas  (1390),  le  métier  de  pirate  devenant  péril- 
leux, il  serait  venu  passer  à  Bologne  plusieurs  années  sub 
studentis  figura,  sans  cependant  prendre  de  grades  dans  aucune 
faculté  ^  Platina  et  Onuphrius  soutiennent  au  contraire  qu'il 
obtint  à  Bologne  le  double  diplôme  de  docteur  en  droit,  et 
qu'il  s'y  distingua  de  telle  sorte  que  le  pape  Boniface  IX,  son 
compatriote,  lui  conféra  la  charge  éminente  et  avantageuse  d'ar- 
chidiacre de  Bologne,  et  le  nomma  bientôt  son  camérier.  Dietrich 
de  Niem  prétend  que  dans  cette  charge  il  pratiqua  largement  la 
simonie  et  le  commerce  des  indulgences  (1.  c.  p.  340  sqq.);  il 
assure  aussi  que,  vers  cette  époque,  deux  frères  de  Cossa  qui 
continuaient  leur  métier  de  pirate,  ayant  été  condamnés  à 
mort  par  le  roi  Ladislas,  n'auraient  dû  leur  grâce  qu'à  l'inter- 
vention de  Boniface  IX.  En  1402,  Cossa  fut  fait  cardinal-diacre  de 
Saint-Eustache  et  nommé  légat  de  Bologne,  dont  il  eut  d'abord  à 
faire  rentrer  le  territoire  sous  l'obéissance  de  l'Église.  Sans  aucun 
doute  Boniface  IX,  qui  avait  avant  tout  à  cœur  le  recouvrement  de 
l'Etat  ecclésiastique,  sut  reconnaître  et  apprécier  les  talents  mili- 
taires et  administratifs  de  son  ministre.  Mais  Dietrich  assigne  en- 
core une  autre  cause  à  sa  légation.  Le  pape,  son  protecteur,  aurait 
voulu  par  là  l'arracher  à  ses  relations  adultères  avec  la  femme  de 
son  frère  ;  Cossa  néanmoins  se  serait  abandonné  à  Bologne  à  la 
vie  la  plus  scandaleuse,  et,  pendant  la  durée  de  son  administration, 
n'aurait  pas  séduit  moins  de  deux  cents  femmes  soit  veuves,  soit 
jeunes  filles,  soit  religieuses.  Les  mêmes  plaintes  sont  en  partie 
reproduites  contre  lui  dans  les  articles  rédigés  à  Constance.  Enfin, 
en  sa  qualité  de  légat,  il  aurait  commis  bien  des  exactions  et  des 
violences,  et  écrasé  les  Bolonais  d'impôts  de  toute  nature  ^. 

Il  ne  vécut  pas  en  très-bonne  intelligence  avec  les  deux  papes 


(1)  Theod.  a  Niem,  De  vifa  et  faiis  Joann.  da^^s  Van  der  Harot,  t.  II,  p.  338  sq. 

(2)  Theod.  a  Niem,  dans  Van  der  Hardt,  1.  c.  t.  Il,  p.  337,  339  sqq.  346  sqq 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE,  311 

qui  suivirent,  Innocent  VII  et  Grégoire  XII,  parce  que,  dit-on,  le 
premier  avait  accueilli  favorablement  les  plaintes  portées  par  les 
Bolonais  contre  lui;  quant  au  second,  Gossa  lui  fît  un  sanglant 
affront  en  protestant  contre  la  nomination  du  neveu  de  Grégoire, 
Angelo  Gorrario,  à  l'archevêclié  de  Bologne.  Gossa  aurait  af- 
firmé, à  ce  propos,  que  les  revenus  de  la  mense  archiépisco- 
pale  étaient  absolument  indispensables  à  l'entretien  et  à   la 
défense  de  la  ville  ^ .  Pendant  les  discussions   du   concile  de 
Pise,  Grégoire  XII  vit  toujours  dans  Balthasar  un  de  ses  mortels 
ennemis.  Dans  sa  lettre  du  14  décembre  1408,  oii  il  offre  de  nou- 
veau ses  bonnes  grâces  et  leur  pardon  aux  cardinaux  infidèles, 
ce  pape  se  plaint  surtout  de  Gossa,  cet  «  iniquitatis  alumnus  et 
perditionis  fdius  qui,  abusant  de  sa  position  de  légat,  bien  avant 
la  défection  des  autres  cardinaux,  a  traité  le  souverain  pontife  de 
parjure  et  de  schismatique,  a  répandu  sur  lui  et  sur  les  autres 
membres  du  sacré  collège  les  bruits  les  plus  odieux,  et  est  par- 
venu à  séduire  ainsi  une  multitude  de  prélats  et  de  fidèles  et  des 
cités  tout  entières.  G'est  à  ses  mensonges,  à  ses  offres,  à  ses  pro- 
messes, qu'a  succombé  le  cardinal  Pierre  Philargi,  à  ses  menaces 
qu'a  cédé  le  cardinal  de  Santa  Groce;  c'est  lui  qui  a  fait  partout 
disparaître  les  armes  du  Saint-Siège,  lui  qui  a  arrêté  les  courriers 
du  pape  et  retenu  ses  envois  d'argent.  » 

Tout  homme  impartial  s'étonnera  de  voir  Grégoire  XII,  dans 
ce  véritable  acte  d'accusation  dressé  contre  Balthasar  Gossa, 
garder  un  silence  absolu  sur  les  deux  points  les  plus  chargés  du 
tableau  qu'en  a  tracé  Dietrich  de  Niem  :  sa  débauche  efi"rénée  et 
son  insatiable  avidité.  Nous  ne  pouvons  cependant  admettre  que 
le  pape,  en  parlant  de  la  sorte,  n'ait  pas  dit  tout  ce  qu'il  savait  de 
pis  sur  le  compte  de  Gossa.  Remarquons  que,  d'après  les  asser- 
tions de  Dietrich  de  Niem,  Balthasar  pendant  sa  légation  avait 
frappé  les  débauchés,  les  usuriers  et  les  joueurs  de  très-lourdes 
amendes  ^  :  aurait-il  agi  de  la  sorte  s'il  était  rentré  lui-même 
dans  plusieurs  de  ces  honteuses  catégories?  Enfin  la  constante 
afi'ection  que  lui  témoigna  l'éminent  Gharles  Malatesta,  depuis  sa 
nomination  à  la  charge  de  camérier^,  ne  s'accorde  guère  avec  le 


(1)  Theod.  a  Niem,  1.  c.  t.  Il,  p.  350  sqq. 

(2)  Van  der  Hardt,  t.  II,  p.  350. 

(3)  Martène,  1.  c.  t.  VII,  p.  1189, 1197  sq.  Malatesta  ne  craignit  pas,  en  face 
de  l'empereur  Sigismond,  d'appeler  Cessa  son  vieil  ami.  Cependant  un  cor- 
respondant de  Malatesta  reproche  au  pape  Jean  sa  cruauté. 


312  EVENEMENTS    ET   SYNODES    ENTRE    LE    CONCILE    DE  PISE 

caractère  odieux  que  lui  prêtent  ses  ennemis  ;  de  plus  il  faut  re- 
marquer queMalatesta,  dans  les  écrits  assez  virulents  qu'il  publia 
plus  tard  contre  Jean  XXIII  (par  exemple  dans  son  mémoire  à 
l'empereur  Sigismond),  quand  il  s'efforçait  par  tous  les  moyens 
d'obtenir  sa  démission,  ne  se  permit  jamais  la  moindre  allusion 
à  son  indignité  personnelle.  C'eût  été  cependant  un  argument 
assez  puissant  que  celui-ci  :  «  Renoncer  à  sa  dignité  est  le  moins 
que  puisse  faire  le  pape  Jean  pour  effacer  le  scandale  auquel  a 
donné  lieu  l'élection  d'un  homme  si  dégradé.  » 

Le  jugement  qu'un  contemporain,  l'historien  florentin  Bartho- 
lomeo  Valori,  porte  sur  Gossa,  se  trouve  en  complet  désaccord 
avec  les  portraits  qu'on  en  a  tracés.  Voici  ce  qu'il  dit  :  «  Balthasar  | 
Gossa  s'était  adonné  à  l'étude  dès  sa  jeunesse  avec  une  telle 
application  qu'il  était  devenu  non-seulement  orateur  et  poëte 
distingué,  mais  encore  profond  philosophe.  Il  dirigea  ses  apti- 
tudes dans  les  sens  les  plus  divers.  Ainsi  il  renonça  aux  lettres, 
entra  dans  l'armée,  et  s'y  distingua  si  fort  que  bientôt  il  fut  mis 
au  rang  des  premiers  hommes  de  guerre  de  l'Italie.  Puis,  après 
de  nombreux  faits  d'armes,  il  se  tourna  brusquement  du  côté  de 
l'Église,  dont  il  rechercha  les  honneurs  jusqu'à  la  papauté.  Dès 
lors  il  laissa  de  côté  la  guerre,  se  donna  tout  entier  à  la  religion, 
et  parvint  en  peu  de  temps  à  atteindre  le  but  de  ses  désirs  ' .  » 

L'excellent  chroniqueur  de  Gharles  VI,  le  moine  de  Saint- 
Denis,  nous  apprend  ce  que  l'on  pensait  alors  en  France  de 
Gossa  et  combien,  à  l'époque  de  son  élection,  on  était  loin  de 
lui  attribuer  une  aussi  mauvaise  renommée.  Voici  comment  il 
apprécie  son  exaltation  :  «  Virutn  utiqiie  nohilem  et  expertem 
in  agendis  elegerunt  :  »  (lib.  XXXI,  cap.  i).  Plus  loin  encore,  au 
commencement  du  concile  de  Constance,  le  même  annaliste 
célèbre  ld.paterna  sollicitudo  du  souverain  pontife  (lib,  XXXIII, 
cap.  xxviii). 

Nous  n'avons  point  d'ailleurs  la  prétention  de  transformer 
Gossa  en  un  personnage  irréprochable  de  tous  points;  nous  vou- 
lons seulement  réclamer  pour  lui  la  justice  de  l'histoire,  et  mon- 
trer en  outre  que,  dans  ces  temps,  la  calomnie  jouait  un  grand 
rôle,  plus  grand  encore  que  de  nos  jours,  et  qu'on  n'y  pouvait 
jamais  peindre  sous  des  couleurs  trop  noires  ceux  qui  avaient 
eu  le  malheur  de  tomber  dans  un  discrédit  absolu  ou  même  par- 

(1)  Archiva  storico  iial.  1843,  t.  IV,  p.  261. 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  313 

tiel,  par  exemple:  le  pape  Boniface  VIII,  les  templiers,  et  même 
Clément  V  et  Clément  VI.  Et  serait-il  équitable  de  prendre  à  la 
lettre  toutes  les  plaintes  portées  contre  Jean  XXIII,  tandis  qu'on 
croirait  inique  d'acueillir  même  la  centième  partie  des  accusa- 
tions bien  plus  affreuses  dont  a  été  chargé  Boniface  VIII?  Re- 
marquons en  outre  que,  vers  la  jQn  du  moyen  âge,  la  continence 
était  devenue  malheureusement  assez  rare  dans  le  clergé  comme 
chez  les  laïques,  et  qu'on  n'y  tenait  pas  grand  compte  des  licences 
de  la  chair.  Balthasar  Cossa,  homme  de  guerre  éminent,  gouver- 
neur de  place  et  lieutenant  pontifical,  put  bien  ne  pas  songer 
assez  souvent  aux  devoirs  de  son  état,  et  c'est  à  quoi  semble  faire 
allusion  son  contemporain  d'Arrezzo  en  l'appelant  :  vir  in  tempo- 
ralibus  quidem  magrius,  in  spiritualibus  vero  nullus  omnino  atque 
ineptusK  Ces  paroles  sont  reproduites  textuellement  par  saint 
Antonin  ^,  et  Platina  attribue  au  nouvel  élu  une  vita  prope  mili- 
taris  et  militares  mores.  Que  pour  recouvrer  Bologne  et  la  forti- 
fier, comme  pour  faire  la  guerre  à  Ladislas,  il  ait  dépensé  des 
sommes  énormes,  cela  est  incontestable  et  se  comprend  d'autant 
mieux  qu'il  avait  à  entretenir  aussi  les  cardinaux  et  la  cour 
d'Alexandre  V  ;  il  est  aussi  vraisemblable  qu'un  caractère  comme 
le  sien,  assez  peu  scrupuleux  dans  la  répartition  des  impôts  et  la 
réalisation  de  ses  plans,  ait  dû  blesser  les  droits  de  plusieurs,  et 
peser  lourdement  sur  une  foule  de  citoyens.  Dietrich  de  Niem  nous 
raconte  [Nemus  Unionis^  VI,  38)  que,  de  son  temps,  les  prélats 
italiens  s'occupaient  surtout  d'amasser  de  l'argent,  tandis  que  les 
allemands  étaient  principalement  soucieux  de  tenir  toujours 
table  ouverte  et  de  traiter  magnifiquement  leurs  hôtes.  —  Il  est 
donc  assez  facile  de  comprendre  comment  on  a  pu  reprocher  au 
légat  Balthasar  Cossa  beaucoup  d'homicides  :  car  il  est  plus  que 
probable  qu'en  sa  qualité  de  heutenant,  à  l'égard  des  mécontents 
de  toute  sorte,  et  surtout  comme  général,  à  l'égard  des  ennemis, 
il  ne  montra  pas  touj  ours  une  assez  grande  modération  ;  lui-même 
pourrait  bien  s'être  peint  assez  exactement  en  disant  à  l'envoyé 
de  Malatesta  «  qu'on  lui  reprochait  d'avoir  la  conscience  large, 
mais  qu'il  avait  plus  fait  pour  le  patrimoine  de  l'Église  que  tous 
les  autres  cardinaux.  »  On  comprend  aussi  que  dans  de  sem- 


(1)  Cf.  MuRATORi,  Script,  t.  XIX,  p.  927. 

(2)  Summahistorialis,  P.  III,  tit.  22,  c.  6. 


314  ÉVÉNEMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISE 

blables  conjonctures  son  élection  ait  pu  causer  quelque  scandale, 
selon  le  témoignage  de  Gobelinus  Persona  *. 

Aussitôt  après  son  avènement,  Jean  XXIII  écrivit  de  Bologne, 
où  il  passa  encore  une  année  entière  (25  mai  1410),  une  lettre 
circulaire  à  tous  les  évêques  pour  leur  annoncer  son  exaltation  et 
confirmer  plusieurs  décrets  de  son  prédécesseur  ;  mais,  pour  se 
concilier  les  Parisiens,  il  déclara  que  la  bulle  rendue  le  27  juin 
par  Alexandre  V  en  faveur  des  ordres  mendiants  cessait  d'être 
en  vigueur.  Les  condamnations  prononcées  à  Pise  le  21  juillet 
contre  Grégoire  XII  et  Benoît  XIII  furent  renouvelées,  et  le  car- 
dinal Landulf  envoyé  en  Espagne  pour  détacher  les  rois  de 
Castille,  d'Aragon  et  de  TMavarre  du  parti  de  Benoît  XIII,  et 
sonder  les  dispositions  de  ce  dernier  à  l'égard  d'une  renonciation. 
Ce  légat  devait  en  outre  s'occuper  de  la  conversion  des  Maures  de 
Grenade  ^.  Rien  de  tout  cela  ne  réussit,  pas  plus  que  les  négocia- 
tions avec  Charles  Malatesta.  Ce  dernier  avait  encore  recom- 
mencé ses  tentatives  pour  l'union  de  l'Église  après  l'élection  de 
Jean,  et  ni  les  flatteries  ni  les  promesses  de  grâces  et  de  présents 
ne  purent  le  détourner  de  son  parti  pris  ^.  Il  proposait  deux 
moyens  d'arriver  à  la  paix,  a)  Jean  se  démettrait  si  ses  deux  com- 
pétiteurs ou  seulement  l'un  d'eux  voulait  en  faire  autant,  et 
pour  que  la  cession  ne  fût  plus  entravée  par  aucun  obstacle,  cha- 
cun des  trois  papes  nommerait  un  procureur  et  lui  donnerait 
pleins  pouvoirs.  Si  cette  proposition  n'était  pas  acceptée,  b)  les 
trois  papes  s'engageraient  par  serment,  et  se  donneraient  toutes 
garanties  de  se  soumettre  à  la  décision  d'un  concile  général 
rassemblé  dans  l'année.  Si  deux  seulement  consentaient  à  cette 
réunion,  le  concile  aurait  néanmoins  assez  de  pouvoir  pour 
éteindre  le  schisme,  et  contraindre  le  troisième  à  recevoir  sa 
sentence.  —  Jean  XXIII  ne  voulut  pas  entendre  parler  de  ces 
sion(juin  1410),  sous  prétexte  que  ses  prétentions  étaient  bien 
mieux  fondées  que  celles  de  ses  adversaires,  et  que  le  territoire 
de  son  obédience  était  beaucoup  plus  étendu  que  le  leur  ;  mais  il 
voulait  convoquer  un  concile  à  Bologne,  et  permettait  à  ses  deux 
compétiteurs  d'y  prendre  part*.  Quand  il  vit  Malatesta  se  dispo- 

(1)  Cosmodr.  œt.  VI,  c.  90, 

(2)  Raynald,  1410,  21-25.--  Bul^us,  Eist.  universit.  Paris,  t.  V,  p.  204.— 
Lenfant,  1.  c.  t.  II,  p.  7-9. 

(3)  Martène,  1.  c.  t.  VU,  p.  1189.  — -  Theod.  a  Niem,  dans  Van  der  Hardt, 
1.  et.  II,  p.  361. 

(4)  Martène,  1.  c.  p.  1171-1179,  1189  sq.  et  1193-1197. 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  315 

ser  à  lui  faire  la  guerre,  il  se  montra  un  peu  plus  accommo- 
dant, protesta  de  sa  résolution  de  résigner  ses  droits  au  futur 
concile  et  envoya  auprès  de  Malatesta  un  juriste  célèbre, 
chargé  de  faire  valoir  tout  d'abord  la  justice  de  ses  prétentions, 
et  de  consentir  au  besoin  à  quelques  concessions.  Malatesta  vit 
parfaitement  que  Grégoire  XII  n'entrerait  jamais  dans  cette 
combinaison  :  car  en  la  proposant,  Jean  se  donnait  toujours 
comme  seul  pape  légitime  ;  il  promit  cependant  de  lui  en  parler, 
et  envoya  à  Jean  un  nouveau  mémoire  sur  les  «  modi  unionis  :  » 
car  Jean  XXIII  prétendait  n'avoir  pas  pris  connaissance  du 
premier^. 

Les  commencements  du  pontificat  de  Jean  XXIII  furent  très- 
attristés  par  la  défaite  et  la  dispersion  de  la  flotte  que  Louis 
d'Anjou  avait  armée  contre  Ladislas,  et  par  la  perte  de  plusieurs 
villes  de  laRomagne^;  du  côté  de  l'Allemagne,  au  contraire,  ses 
afi'aires  prenaient  une  très-bonne  tournure.  Le  roi  romain  d'Al- 
lemagne, Euprecht  du  Palatinat,  le  constant  allié  de  Grégoire  XII, 
était  mort  le  lendemain  de  l'élection  de  Jean  XXIII  (18  mai  1410), 
et  le  roi  Sigismond  de  Hongrie,  frère  du  monarque  détrôné  Ven- 
ceslas,  se  porta  comme  prétendant  à  la  couronne.  Il  devenait 
par  là  l'ennemi  mortel  de  Ladislas  de  Naples  et  du  pape  Gré- 
goire, son  allié.  Aussi,  après  l'avènement  de  Jean  XXIII,  Sigis- 
m.ond  lui  envoya  un  ambassadeur  spécial,  qui  rapporta  à  son 
maître  une  réponse  très-bienveillante.  Il  était  en  effet  de  la  plus 
grande  importance  pour  le  pape  que  cet  homme  attaché  à  sa 
cause  par  de  puissants  intérêts  devînt  le  chef  temporel  de  la 
chrétienté.  Mais  le  cousin  de  Sigismond,  le  margrave  Jost  de 
Moravie,  fit  aussi  valoir  ses  prétentions  au  trône,  et  ils  furent 
en  réalité  l'un  et  l'autre  élevés  à  la  dignité  royale  par  une  assem- 
blée de  princes  (septembre  et  octobre  1410),  tandis  que  Venceslas 
continuait  à  revendiquer  ses  droits  à  la  couronne.  Le  monde  eut 
alors  ce  tragique  spectacle  de  l'empire  disputé  par  trois  chefs, 
comme  l'était  aussi  l'Église.  Mais  le  margrave  Jost  étant  mort  le 
17  janvier  1411,  Sigismond  fut  bientôt  universellement  reconnu 


(1)  Mârtène,  1,  c.  t.  VII,  p.  H90-1197.  Le  mémoire  [s'arrête  au  n°  3  de  la 
dernière  page,  et  alors  commence  la  continuation  du  rapport  au  roi  Sigis- 
mond, commencé  à  la  p.  1186. 

(2)  Theod.  a  Niem,  dans  Van  der  Hardt,  1.  c.  t.  II,  p.  359  sq.  —  Raynald, 
1410,  25,  26. 

(3)  Raynald,  1410,  n.  27,  28. 


s  16       ÉVÉNEMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISE 

et  élu  de  nouveau  à  Francfort  le  21  juillet  1411  ;  il  ne  tarda  pas 
ensuite  à  se  réconcilier  avec  son  frère  Venceslas  ^ . 

C'est  vers  lui  que  se  tourna  l'infatigable  Malatesta,  dans  l'espoir 
de  procurer  la  paix  de  l'Église;  il  lui  adressa  un  rapport  détaillé 
de  toutes  les  démarches  qu'il  avait  tentées  jusque-là  et  des  ré- 
sultats heureux  ou  nuls  qu'elles  avaient  obtenus.  Il  recomman- 
dait en  outre  les  deux  projets  d'union  qu'il  avait  proposés,  et 
suppliait  le  nouveau  monarque  allemand,  au  nom  même  des  de- 
voirs que  lui  imposait  sa  haute  dignité,  de  venir  au  secours  de 
l'Église.  Si  l'on  parvenait  à  rétablir  la  paix,  on  pourrait  aisément 
procurer  une  réforme  devenue  si  nécessaire  dans  l'Église.  Ma- 
lesla  faisait  ensuite  remarquer  à  Sigismond  qu'il  ne  fallait  pas 
convoquer  le  concile  dans  un  lieu  soumis  à  la  domination  spiri- 
tuelle et  temporelle  de  Jean  XXIII  ;  autrement,  c'en  serait  fait 
de  la  réforme  et  de  l'union.  A  l'appui  de  ses  assertions,  Malatesta 
joignait  une  plainte  judiciaire,  portée  contre  Jean  XXIII  par 
un  membre  de  son  obédience  et  dans  laquelle  on  insistait  sur  sa 
cruauté  et  sa  violence,  en  demandant  sa  révocation.  Enfin  il 
s'excusait  auprès  de  Sigismond  d'avoir  entamé  la  guerre  contre 
Jean  XXIII,  disant  que  c'était  pour  l'amener  à  composition,  et  il 
communiquait  en  même  temps  au  roi  la  proclamation  qu'il  avait 
publiée  à  ce  sujet  le  16  avril  14112. 

Par  un  décret  du  20  avril  de  la  même  année,  Grégoire  XII  avait 
solennellement  revêtu  de  pleins  pouvoirs  Charles  Malatesta, 
«  son  lieutenant  général  en  Romagne  »  durant  la  guerre  contre 
Jean  XXIII .  Quelques  jours  auparavant,  le  16  avril  (jeudi  saint), 
par  une  bulle  datée  de  Gaëte,  où  il  résidait  alors  sous  la  protec- 
tion du  roi  Ladislas,  Grégoire  XII  avait  excommunié  et  anathé- 
matisé  les  patarins,  les  vaudois,  et  tous  autres  hérétiques,  aiosi 
que  les  pirates,  etc.;  enfin  ses  adversaires  :  Pierre  de  Luna, 
Balthasar  Cessa  et  Louis  d'Anjou,  ainsi  que  leurs  adhérents  ^ 

Les  préparatifs  belliqueux  de  Malatesta  se  poursuivaient, 
comme  ceux  que  le  roi  Ladislas  faisait  lui-même  sur  un  plus  grand 
pied.  En  ce  moment  même  Ladislas  menaçait  encore  la  ville  de 
Rome.  Pour  l'en  éloigner  plus  sûrement,  Jean  XXIII  alla  s'y  éta- 


(1)  AscHBACH,  Gcsch.  Kaiser  Sigismund's,  1838.  t.  I,  p.  282-310.  Les  pièces 
relatives  à  la  seconde  élection  de  Sigismond  ont  clé  reproduites  dans 
Janssen,  Frank  fur  Is  Recihscorrespondenz,  1863,  t.  I,  p.  154-232. 

(2)  Martène,  1.  c.  t.  VII,  p.  1186-1206  et  1206-1208. 

(3)  Raynald,  1411,  1. 


ET  LE  CONCILt:  DE  CONSTANCE.  317 

blir,  le  13  avril  1411,  accompagné  de  Louis  d'Anjou,  qu'il  avait 
nommé  de  nouveau  gonfalonier  de  l'Église  romaine .  Il  avait  confié 
le  vicariat  de  Bologne  et  de  l'Emilie  au  cardinal  Henri  Minutoli, 
et  les  villes  de  Pérouse,  Todi,  Orvieto,  Terni,  Rieti,  ainsi  que  le 
duché  de  Spolète,  au  cardinal  Odo  Golonna  (qui  fut  depuis  Mar- 
tin Y).  Le  28  avril,  Louis  d'Anjou,  accompagné  d'une  troupe 
nombreuse  de  braves  chevaliers  français  et  italiens,  et  menant 
avec  lui  une  puissante  armée,  partit  de  Rome,  et  s'avança  à  travers 
la  Gampanie,  dans  l'intérieur  du  royaume  de  Naples.  Le  19  mai. 
il  remporta  une  brillante  victoire  à  Roccasicca  (patrie  de  S.Thomas 
d'Aquin),  où  l'armée  de  Ladislas  eût  été  complètement  anéantie, 
si  le  vainqueur  avait  voulu  poursuivre  son  triomphe.  Mais  par 
une  inexplicable  lenteur,  il  laissa  à  son  adversaire  le  temps  de 
rassembler  ses  troupes  dispersées,  et  d'occuper  des  forteresses 
et  des  défilés  si  redoutables,  que  Louis  dut  renoncer  à  s'avancer 
plus  loin  dans  le  pays,  et  revenir  mécontent  à  Rome,  d'oii  il  se 
mit  bientôt  en  route  pour  la  France.  La  fête  que  Jean  fit  célé- 
brer à  Rome  en  l'honneur  de  ce  triomphe,  et  où  l'on  traîna 
dans  la  boue  la  bannière  de  Grégoire  XII  et  du  roi  Ladislas,  fut 
troublée  par  la  nouvelle  de  l'occupation  de  l'Emilie  presque 
entière  par  Malatesta,  et  de  l'expulsion  du  légat  de  Bologne  par 
les  habitants  de  cette  ville  ^ 

Avant  la  bataille  de  Roccasicca,  le  29  avril  1411,  Jean  XXIII, 
pour  se  conformer  aux  conclusions  de  l'assemblée  de  Pise,  avait 
convoqué  un  concile  général  à  Rome  pour  le  l*'  avril  de  l'année 
suivante.  Il  fortifia  bientôt  après  son  parti  par  la  nomination  de 
quatorze  cardinaux,  généralement  estimés  et  habiles,  comme 
Pierre  d'Ailly,  Gilles  Deschamps,  François  Zabarella,  Guillaume 
Filastre,  Robert  de  Halam,  évêque  de  Salisbury,  etc.  ^;  puis,  le 
11  août,  il  excommunia  de  nouveau  Ladislas,  et  le  cita  à  son  tri- 
bunal pour  le  9  décembre.  Ladislas,  n'ayant  eu  garde  de  compa- 
raître, fut  frappé  d'anathème  et  déclaré  déchu  des  couronnes 
de  Jérusalem  et  de  Naples.  Jean  fit  même  prêcher  contre  lui 
la  croisade  en  France,  en  Angleterre,  en  Italie,  en  Allemagne 
et  ailleurs. 

Une  seconde  croisade  devait  être  prêchée  en  même  temps,  en 

(1)  Theod.  aNiem,  dans  Van  der  Hardt,  t.  II,  p.  363  sq. —  Raynald,  1411, 

4,  6.  —  BzoYius,  1411,  4.  —  Gregoeoyius,   Gesck.  à.  Stadt  Rom,  Bd.  VI, 

5.  602  ff. 

(2)  Raynald,  1411,  7,  9.—  Theod.  a  Niem,  dans  Van  der  Hardt,  1.  c.  p.    867 


318  ÉvÉtVEMEiNTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISE 

Espagne,  contre  les  Maures,  mais  Benoît  XÎII,  auquel  le  pays 
obéissait,  y  mit  obstacle,  et  l'opposition  faite  à  Ladislas  eut  elle- 
même  si  peu  de  succès,  que  ce  prince  remporta  chaque  jour  de 
nouveaux  avantages  ;  il  gagna  l'un  des  meilleurs  généraux  à  son 
parti,  Sforza,  le  plus  habile  général  du  pape,  et  il  menaça  Rome 
encore  une  fois  ^ . 

Dans  ces  conjonctures,  le  pape  Jean  et  le  roi  Ladislas  pensè- 
rent que  leur  intérêt  respectif  leur  conseillait  une  réconciliation; 
ils  ouvrirent  donc  à  cet  effet  des  négociations,  au  mois  de 
juin  1412.  Dietrich  de  Niem  (1.  c.  p.  367)  prétend  qu'elles  coû- 
tèrent au  pape  beaucoup  d'argent;  Grégorovius  fait  néanmoins 
observer  avec  raison  que,  de  son  côté,  Ladislas  avait  des  motifs 
assez  sérieux  de  désirer  la  paix.  «  11  craignait,  dit-il,  da  voir 
recommencer  l'expédition  d'Anjou  ;  le  roi  de  France  l'exhortait  à 
quitter  le  parti  de  Grégoire  ;  le  roi  des  Romains,  Sigismond,  dont  ^ 
ses  prétentions  à  la  couronne  de  Hongrie  lui  avaient  fait  un  en- 
nemi, et  qui  semblait  fort  redoutable,  songeait  à  venir  en  Italie 
soutenir  les  droits  de  l'empire  et  le  menaçait.  »  Pour  conclure, 
la  paix  fut  faite,  le  16  octobre  1412,  par  une  lettre  fort  humble  de 
Ladislas  au  souverain  pontife.  11  y  disait  «  qu'accablé  d'affaires^ 
il  avait  bien  pu,  pendant  quelque  temps,  révoquer  en  doute  les 
droits  du  pape  auquel  il  s'adressait;  mais  qu'actuellement,  après 
avoir  tout  examiné,  pris  conseil  des  prélats,  docteurs  et  autres 
personnages  de  marque  qui  l'entouraient,  et  considéré  en  outre 
la  conduite  des  autres  rois  et  princes  catholiques  dans  cette 
affaire,  il  se  déclarait  parfaitement  convaincu  de  la  légitimité  du 
choix  qu'on  avait  fait  de  Jean,  par  l'inspiration  de  Dieu.  11  avait 
donc,  en  conséquence,  déjà  fait  acte  de  soumission  et  de  respect 
entre  les  mains  du  commissaire  pontifical,  tant  en  son  propre 
nom  qu'au  nom  de  ses  sujets^. «En  retour,  le  pape  lui  concéda  le 
droit  d'occuper  non-seulement  le  royaume  de  Naples,  mais 
encore  la  Sicile  appartenant  au  roi  d'Aragon  et  placée  sous  l'obé- 
dience de  Benoit  XIII.  Ladislas  reçut  en  outre  le  titre  de  gonfalo- 
nier  de  l'Église  romaine,  et  une  multitude  d'autres  privilèges. 
Jean  XXIII  promit  d'autre  part  à  Grégoire  XII  une  pension  an- 
nuelle de  50,000  florins  d'or,  s'il  voulait  se  soumettre;  dans  le  J 
cas  où  il  refuserait,  Ladislas  s'engageait  à  l'expulser  de  son  ' 

(1)  Theod.  aNiem,  1.  c.  p.  366.  —  Grégorovius,  Hist.  de  la  ville  de  Rome, 
t.  VI,  p.  G04  sqq. 

(2)  Raynald,  1412,  2. 


Eï  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  319 

royaume.  Dietrich  de  Niem  raconte  que  ce  prince  commença  par 
nier  la  conclusion  du  traité  dans  la  visite  que  Grégoire  reçut  de 
lui  à  Gaëte  ;  mais  que,  le  lendemain,  il  lui  fit  signifier  un  délai 
avant  l'expiration  duquel  il  devait  avoir  quitté  le  territoire.  Cette 
mesure  jeta  Grégoire  dans  le  plus  grand  embarras,  jusqu'à  ce 
qu'il  put  enfin  profiter  de  l'arrivée  de  deux  navires  commer- 
çants de  Venise;  il  s'y  embarqua  avec  ses  amis  (parmi  lesquels 
le  futur  pape  Eugène  lY)  et,  après  beaucoup  de  dangers  (car 
Jean  XXIII  avait  envoyé  partout  des  vaisseaux  pour  atteindre 
son  rival),  ils  abordèrent  sur  les  côtes  de  la  Dalmatie.  De  là, 
cinq  barques  conduisirent  les  fugitifs  à  Céséna,  où  Charles  Mala- 
testa  les  reçut.  Il  les  escorta  ensuite  jusqu'à  Rimini,  oii  ils  arri- 
vèrent la  veille  de  Noël  *. 

Pour  se  préparer  au  synode  convoqué  à  Rome  par  Jean  XXIII, 
le  clergé  de  France  s'était  réuni  au  commencement  de  l'an- 
née 1412,  et  avait  très-vivement  réclamé  dans  cette  assemblée 
contre  les  taxes  exigées  par  le  pape.  Leur  suppression  avait  paru 
aux  Français,  d'accord  en  cela  avec  les  Allemands,  le  pointle  plus 
important  de  la  réforme  générale  ^.  Peu  de  temps  après,  le  roi 
désignales  députés  qui  devaient  représenter  la  France  au  synode 
romain  :  parmi  eux  se  trouvaient  Pierre  d'Ailly  etle  patriarche 
Simond  Cramaud,  nommé  cardinal  par  Jean  XXIII  le  13  avril  de 
l'année  suivante  1413;  l'Université  envoya  également  des  dépu- 
tés. Toute  la  députation  était  présidée  par  Bernard  de  Chévenon, 
évêque  d'Amiens  ;  mais  celui-ci  n'appuya  pas  autant  qu'il  l'au- 
rait dû,  auprès  du  synode,  les  plaintes  de  ses  compatriotes, 
dans  la  crainte  de  compromettre  ses  propres  intérêts  (il  ambi- 
tionnait l'évêché  de  Beauvais)  '.  Le  moine  de  Saint-Denis 
ajoute  qu'outre  les  envoyés  français,  il  vint  encore  au  synode 
de  Rome  des  prélats  de  l'Italie,  de  la  Bohême,  de  la  Hon- 
grie, de  l'Angleterre  et  d'autres  pays  ^  Mais  l'insuâisance  de 
leur  nombre  et  la  lenteur  de  leur  arrivée  forcèrent  Jean  XXIII 
à  des  prorogations  successives  ^,  et  le  synode  ne  put  guère 
commencer  qu'à    la    fin  de    1412  ou  au   commencement   de 

(1)  Raynald,  1412,3,  4.  —  Van  dsr  Hardt,  t.  II,  p.  367  sqq.—  Gregoroyius, 
1.  c.p.  608. 

(2)  Chronicor.  Caroli  VI (du  moine  de  Saint-Denis),  lib.  XXXII,  c.  41. 

(3)  iôîVZ.  l.c.  iib.  XXXIV,  c.  21. 

(4)  Chronicor.  1.  c.lib.  XXXIII,  c.  28. 

(5)  II  le  dit  dans  sa  lettre  de  convocation.  Mansi,  t.  XXVII,  p»  537. —  Hapd. 
t.  VIII,  p.  231  sq.  —  Raynald,  1413,  16. 


320  ÉVÉNEMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISB 

1413  *.  Au  mois  de  février  1413,  le  pape,  avec  l'assentiment  de 
cette  assemblée  réunie  à  Saint-Pierre,  promulgua  un  décret 
contre  les  livres  de  Wiclif,  qu'on  lisait  dans  certaines  écoles  et 
qu'on  commentait  en  chaire  devant  le  peuple  (c'était  à  Jean  Hus 
et  à  ses  amis  qu'il  voulait  faire  allusion).  A  l'avenir,  nul  ne 
pourrait  lire  ou  expliquer  ces  livres,  qui  devaient  être  publique- 
ment livrés  aux  flammes.  Si  quelqu'un  voulait  soutenir  la  cause 
de  feu  Wiclif,  il  était  cité  à  comparaître  devant  le  pape  ou  le 
concile  dans  un  délai  de  neuf  mois,  passé  lequel  Wiclif  serait 
condamné  comme  hérétique'.  Quelques  auteurs  ont  prétendu 
que  des  prélats  avaient  été  empêchés  de  se  rendre  à  Rome,  parce 
que  Jean  lui-même  et  son  ami  Ladislas  occupaient  et  barraient 
les  routes  ^. 

Du  reste,  la  légende  occupe  une  trop  grande  place  dans  l'his- 
toire de  ce  synode.  Ainsi  Nicolas  de  Glémangis  raconte  qu'au 
moment  de  l'ouverture,  quand  on  invoqua  le  Saint-Esprit,  un 
hibou  vint  à  tire  d'aile  se  placer  en  face  du  souverain  Pontife. 
Il  reparut  encore  à  la  seconde  session,  et  l'on  eut  beaucoup  de 
peine  à  le  chasser  avec  un  bâton*.  On  voulut  naturellement 
voir  dans  cette  apparition  le  symbole  de  l'esprit  qui  avait  inspiré 
Jean  XXIII.  Dietrich  de  Ni em  parle  aussi  de  ce  hibou;  toutefois 
il  ne  le  fait  pas  apparaître  au  synode,  mais  dans  la  chapelle  du 
palais  pontifical,  pendant  que  le  pape  assistait  aux  vêpres  de 
la  Pentecôte  ^  Il  est  possible  que  ce  dernier  récit  soit  le  vrai,  et 
qu'il  ait  donné  naissance  à  la  version  précédente. 

Le  3  mars  1413,  le  pape  Jean  déclara  que  désormais,  dans 
les  séances  du  synode,  le  nombre  des  prélats  ne  pouvant 
être  aussi  considérable  que  l'exigeait  l'importance  des  ques- 
tions à  traiter,  il  avait  résolu,  avec  l'assentiment  de  l'assemblée, 
de  convoquer  un  nouveau  concile  pour  le  prochain  mois  de  dé- 
cembre (1413).  Le  lieu  de  la  réunion  devait  être  ultérieurement 
désigné^  . 


(1)  Cf  les  notes  de  Mansi  sur  Raynald,;1412,  5, et  1413,  1,  p.  349  et  35S. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  506  sq.  —  Ham.  1.  c.  p.  -203.  —  Raynald,  1413,  1,  2,  3. 
Cf.  aussi  un  ouvrage  récent  (1869)  de  Palacky,  Documenta  M.  Joann.  Hus, 
1869,  p.  467  sq.  Dans  le  même  (p.  470  sqq.)  se  trouve  aussi  une  critique  du 
décret  pontifical  par  Jesenic,  ami  de  Hus. 

(3)  Yita  Joannis,  dans  Muuatori,  Rer.  liai.  III,  2,  p.  846. 

(4)  Cf.  Spondan,  ann.  1412,  4. 

(5)  De  viia,  etc.,  dans  Van  der  Hardt,  t.  II,  p.  375. 

(6)  Raynald,  1413,  16,  17.  Partant  de  la  fausse  hypothèse  que  le  concile 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  321 

Dès  que  Ladislas  connut  le  dessein  du  pape  de  convoquer  le 
concile  ailleurs  qu'à  Rome,  il  saisit  ce  prétexte  pour  rompre 
l'alliance  qu'il  venait  à  peine  de  conclure  avec  lui.  Les  Romains, 
mécontents  surtout  d'un  impôt  mis  sur  le  vin  par  l'autorité  pon- 
tificale, prêtèrent  leur  concours  à  Ladislas,  qui  put  ainsi  faire 
entrer  une  armée  dans  les  Marches  (mai  1413).  A  la  fin  du  même 
mois,  la  flotte  de  Ladislas  parut  à  l'embouchure  du  Tibre,  et  lui- 
même  fut  bientôt  aux  portes  de  Rome.  Le  peuple  ne  manqua 
pas  de  jurer  au  pape  fidélité  jusqu'à  la  mort;  mais  le  8  juin 
Ladislas  fit  une  brèche  aux  remparts  près  de  Santa  Groce,  et 
s'empara  sans  résistance  de  toute  la  ville.  Le  pape  parvint  à 
s'enfuir;  mais  Ladislas  s'abandonna  à  tous  les  emportements  d'une 
fureur  barbare  ^  ;  le  18  juin  notamment,  il  ravagea  tout  le  quar- 
tier de  Saint-Pierre,  ubi  fiebat  concilium,  dit  Antonius  Pétri,  c'est- 
à-dire,  où  se  voyaient  encore  toutes  les  dispositions  pour  le 
concile.  Ainsi  il  n'était  pas  encore  dissous  ^. 

Le  pape  fugitif,  ses  cardinaux  et  les  membres  de  la  chancellerie 
(parmi  lesquels  se  trouvait  Dietrich  de  Niem)  errèrent  longtemps 
accablés  de  fatigues  et  de  soufi'rances  et  exposés  à  mille  dangers. 
Plusieurs  y  perdirent  la  vie;  les  autres,  échappant  aux  poursuites 
des  soldats  de  Ladislas,  purent  enfin  trouver  asile  à  Florence. 
Toutefois  les  habitants  de  cette  ville,  redoutant  le  courroux  du 
vainqueurjn'accordèrent  au  pape  qu'un  logement  dans  le  faubourg 
Saint-Antoine.  C'est  de  là  qu'il  fît  connaître  à  la  chrétienté  son 
infortune^  et  qu'il  réclama  surtout  aide  et  protection  du  roi  romain 
d'Allemagne,  Sigismond,  défenseur  en  titre  de  l'Église.  Ce  prince 
se  trouvait  alors  dans  la  haute  Italie  pour  y  relever  le  prestige  de 
l'empire  :  il  répondit  aux  lettres  et  aux  nombreux  messagers  du 
pape  qu'un  concile  général  pouvait  seul  rétablir  la  paix  et  opérer 
la  réforme  de  l'Église.  Il  ne  restait  plus  qu'à  s'entendre  sur  le 
lieu  où  se  réunirait  le  concile,fdéjà  convoqué,  comme  nous  l'avons 
dit,  par  Jean  SXIII.  Celui-ci  envoya  à  Gôme  les  cardinaux 
Ghalant  et  Zabarella,  accompagnés  du  célèbre  savant  grec  Manuel 


dut  être  convoqué  pour  le  mois  de  décembre  1412  (au  lieu  de  1413),  Lenfant 
a  élevé  des  doutes  sur  la  bulle  contre  les  ouvrages  de  Wiclif  (1.  c.  t.  II,  p.  99). 

(1)  Theod.  a  Niem,  dans  V.  der  Hardt,  1.  c.  p.  376-382.  —  Raynald,  1413, 
19.  —  Gregorovius,  1.  c.  p.  612-617. 

(2)  Cf.  la  note  de  Mansi  sur  Raynald,  1413,  1. 

(3)  Une  lettre  de  Jean  au  roi  d'Angleterre  so  trouve  dans  Lenfant,  I.  c. 
p.  181. 

T.   X.      21 


322  ÉVÉNEMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCTLS  DE  PISE 

Ghrysoloras,  pour  s'entendre  sur  ce  point  avec  Sigismond^ .  Voici 
ce  que  Léonard  l'Arétin,  secrétaire  de  Jean,  dit  à  ce  propos:  «Le 
pape  me  communiqua  en  secret  ses  desseins  dans  cette  affaire. 
Tout,  me  dit-il,  dépend  dulieuoùse  réunirale  concile,  etjeveux que 
ce  ne  soit  dans  aucun  des  endroits  où  l'empereur  se  trouve  en  force. 
Aussi  donnerai-je  en  apparence  à  mes  légats  les  pouvoirs  les 
plus  étendus,  tandis  qu'en  secret  je  ne  les  rendrai  valables  que 
pour  certaines  villes  déterminées.  Il  me  nomma  ces  villes,  mais 
il  fut  plusieurs  jours  avant  de  se  décider  complètement.  Enfin  le 
moment  du  départ  étant  arrivé,  il  donna  à  ses  légats  quelques 
avis  secrets,  que  j'eus  le  privilège  d'entendre.  Il  leur  recom- 
manda d'apporter  tous  leurs  soins  à  l'exécution  de  leur  mandat, 
loua  leur  sagesse  et  leur  dévouement,  et,  tout  en  s'attendrissant 
lui-même,  il  ajouta  enfm  :  J'avais  résolu  de  vous  désigner 
quelques  endroits  dont  vous  n'eussiez  pas  dû  vous  départir, 
mais  à  présent  je  renonce  à  cette  idée  et  remets  tout  à  votre, 
prudence.  Pressés  par  Sigismond,  les  députés  consentirent  à  ce 
que  le  concile  se  réunit  dans  la  ville  impériale  de  Constance.  En 
apprenant  cette  nouvelle,  le  pape  maudit  sa  mauvaise  fortune, 
qui  lui  avait  fait  abandonner  si  légèrement  ses  premières  inten- 
tions^. » 

Pour  lui  rendre  tout  retour  impossible,  Sigismond  annonça 
dès  le  30  octobre  à  la  chrétienté  que,  d'après  une  convention 
faite  avec  le  pape,  un  concile  général  serait  ouvert  le  1"  no- 
vembre de  l'année  suivante  à  Constance,  et  que  lui-même, 
Sigismond,  y  assisterait.  Ce  jour-là,  ou  peu  de  temps  après, 
il  adressa  aussi  des  invitations  à  Grégoire  XII,  à  Benoît  XIII, 
ainsi  qu'au  roi  de  France  ^\  puis,  le  31  octobre,  il , fit  [dresser 
de  la  prétendue   convention  un  acte  notarié,  qui  a   été  pu- 


(1)  Les  lettres  de  pleins  pouvoirs  donnés  par  Jean  XXIII  aux  deux  cardi- 
naux et  à  'Ghrysoloras  (25  août  1413)  jont  été  récemment  publiées  pour  la 
première  fois  par  Pala.gky,  Documenta  M.  Joann.  Hus,  Prag.  1869,  p.  513  sq. 

(2)  Léon.  Aretini  Commentar.  rerum  suo  tempore  in  Ilalia  gestarum,  dans 
MuRATORi,  jRem/n  ital.t.XlK,  p.  928.  Le  comte  Eberhard  de  Nellenburg,  do 
la  maison  de  l'empereur,  lui  avait  fait  remarquer  tons  les  avantages  que 
présentait  la  ville  de  Constance.  Un  autre  conseiller  de  l'empereur,  le  duc 
Ulrich  de  Teck  (dans  le  Wurtemberg),  avait  recommandé  Kempten.  Ref- 
cuENTUVL,  das  Concilium  zu  Constcmz,  Augsljourg,  1536,  S.  x. 

(3)V.DERHARDT,t.VI,p.  5-9.  - Mansi, t.  XXVIIl,p.  1-6.— Raynald,  1413,23. 
—  Aschbach,  Gesch.  k.  Sigismunch,  Rd.  1,  S.  |375,  376.  La  réponse  du  roi  du 
France  paraît  bien  froide.  Il  veut  u'oinpècher  personne  de  se  rendre  à  Cons- 
tance; mais  pour  lui  Jean  XXIII  est  incontestablement  le  pape  légitime. 
CuRomcoR.  Caroli  VI,  lib,  XXXIV,  c.  42,—  Sghwab,  J.  Gerson,  S.  469. 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  323 

blié  pour  la  première  fois  par  Palacky  [Documenta  M.  J.  Hus, 
p.  515  sqq.) 

Le  8  novembre,  le  pape  quitta  la  ville  de  Florence,  qui  ne  lui 
offrait  plus  un  asile  assez  sûr  contre  le  voisinage  de  plus  en  plus 
menaçant  de  Ladislas,  et  se  réfugia  à  Bologne.  Vers  la  fin  de  ce 
mois,  il  vint  à  Plaisance  trouver  Sigismond;  puis  à  Lodi,  où  il 
put  se  convaincre  que  celui-ci  ne  renoncerait  pas  à  l'idée  de 
réunir  le  concile  à  Constance,  et  qu'il  serait  impossible  de  lui 
faire  adopter  une  ville  de  Lombardie.  Il  dut  même  céder  à  la 
violence  des  reproches  que  lui  adressa  Sigismond,  et  promettre 
de  suivre  à  l'avenir  une  meilleure  ligne  de  conduite  *. 

Ce  fut  de  Lodi  que  JeanXXIlI  lança  la  balle  de  convocation 
au  concile  de  Constance  (9  décembre  1413);  il  y  recommandait  à 
tous  les  prélats  et  princes  de  se  trouver  dans  cette  dernière  ville 
le  1"  novembre  de  l'année  1414  '^. 

Le  pape  et  l'empereur,  ayant  passé  à  Lodi  les  fêtes  de  Noël. 
se  rendirent  ensemble  à  Crémone,  où  ils  traitèrent  encore  la 
question  du  concile.  Le  gouverneur  de  la  ville,  Gabrino  Fon- 
dolo,  conçut  l'infernal  dessein  de  les  précipiter  tous  deux  du 
sommet  d'une  tour  où  il  leur  faisait  admirer  les  aspects  environ- 
nants, afin  de  faire  tourner  à  son  profit  la  perturbation  de  l'Église 
et  de  l'empire;  mais  il  ne  réalisa  pas  ce  projet.  Jean  XXIII 
repartit  presque  aussitôt  pour  Bologne.  Sigismond,  au  contraire, 
resta  à  Crémone  jusqu'à  la  mi-février  de  1414.  Le  4  de  ce  mois, 
il  convoqua  Ferdinand  d'Aragon  et  de  Sicile  au  concile  de  Con- 
stance, et  lui  intima  même,  au  nom  de  son  autorité  impériale, 
l'ordre  de  s'y  rendre.  Mais  Ferdinand  s'était  déjà  prononcé  une 
seconde  fois  quelques  jours  auparavant  pour  Benoît  XIII  (22  jan- 
vier 1414)  :  il  répondit  donc  très-durement  à  la  lettre  de  l'em- 
pereur, en  niant  la  prétendue  supériorité  qu'on  s'arrogeait  sur 
lui  3. 

De  Crémone,  Sigismond  alla  trouver  Charles  Malatesta  à  Plai- 
sance pour  lui  parler  de  Grégoire  XII .  Ce  dernier  refusait  de  se 


(1)  Léon.  Aret.  1.  c.  et  Theod.  de  Niem,  dans  V.  der  IIardt,  t.  II,  p.  383. 
Ibid.  1. 1,  p.  559. 

(2)  Mânsi,  t.  XXVII,  p.  537.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  231.  —  V.  der  IIardt,  t  VI, 
p.  9. —  Raynald,  1413,  22.  Cette  bulle,  avec  la  réponse  de  rarchevêque  de 
Gantorbéry,  se  trouve  dans  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  879  sqq. 

(3)  Les  pièces  relatives  à  ces  événements  ont  été  pour  la  première  fo  is 
éditées  intégralement  en  1863  par  Dœllinger  Gesch  des  15  und  16 
Jahrhunderts.  Bd.  II,  S.  367-374. 


324  EYÉNEMEN'1 3  ET  SYNODES  ENTRE  LE   CONCILE  DE  PISE 

rendre  à  Constance,  et  avait  décliné  la  proposition  de  Sigismond 
qui  voulait  lui  payer  deux  mille  florins  d'or  par  mois  pendant 
son  séjour  dans  cette  ville.  Malatesta  essaya  alors  de  déterminer 
son  ami  à  faire  ce  voyage;  mais  Grégoire  resta  inflexible,  et 
promit  seulement  de  se  faire  représenter  au  concile  ^ . 

A  peine  Jean  XXIII  était-il  rentré  à  Bologne,  qu'il  eut  à 
supporter  une  nouvelle  et  terrible  attaque  de  Ladislas.  Le 
14  mars  14 14, celui-ci  parut  une  seconde  fois  devant  Rome  à  la  tête 
d'une  armée,  et  eut  la  sacrilège  audace  d'entrer  à  cheval  dans  la 
basilique  de  Latran .  Le  25  avril,  il  quitta  la  ville,  et  prit  le  chemin 
du  nord  pour  assiéger  Bologne  et  s'emparer  de  la  personne 
du  pape.  Mais  les  Florentins  s'y  opposèrent  et  l'obligèrent  à 
signer  une  convention  où  il  renonçait  (22  juin)  à  son  entreprise 
contre  Bologne.  En  revenant,  il  tomba  malade  à  la  suite  de 
débauches  (on  dit  aussi  que  la  fille  d'un  apothicaire  de  Pé- 
rouse  lui  avait  fait  avaler  du  poison),  et  il  fallut  le  rapporter  à 
Rome  dans  une  litière.  Un  vaisseau  le  ramena  de  là  à  Naples,  au 
château  de  Castellnuovo,  oii  il  expira  dans  d'atroces  souffrances 
le  6  août  1414  ^ 

A  cette  nouvelle,  on  proclama  de  nouveau  la  répubhque  à 
Rome,  et  le  château  Saint-Ange  demeura  seul  aux  mains  de 
l'héritière  de  Ladislas,  Jeanne  sa  sœur,  veuve  du  prince  autri- 
chien Wilhelm  ^  femme  d'une  réputation  très-compromise. 
Toutefois  une  grande  partie  des  citoyens  tenait  pour  le  pape,  et 
de  son  côté  celui-ci  souhaitait  par-dessus  tout  de  revenir  à  Rome 
pour  y  rétablir  son  autorité.  Peut-être  espérait-il  aussi  échapper 
de  la  sorte  au  concile.  Les  cardinaux  en  eurent  peur,  et  s'oppo- 
sèrent à  ses  desseins  avec  la  plus  grande  énergie.  «  Gomme  pape, 
disaient-ils,  il  devait  s'occuper  des  affaires  de  l'Éghse,  et  présider 
en  personne  au  concile,  tandis  qu'il  pouvait  très-bien  confier  à 
des  vicaires  et  à  des  légats  le  soin  des  intérêts  temporels*.  Plu- 
sieurs de  ses  amis  lui  donnèrent  un  avis  tout  contraire;  néan- 
moins il  se  conforma  au  désir  des  cardinaux,  d'autant  qu'il 
espérait  que  le  concile  de  Constance  ne  serait  pas  long,  et  qu'après 
y  avoir  été  reconnu  pape  légitime,  il  pourrait  rentrer  à  Rome 


(1)  ASGHBACH,  1.  c.  p.  376  if. 

(2)  TnEOD.  A  NiEM,  dans  V.  der  IiARDT,t.  II,  p.  386  sqq.  —  Raynald,  1414 
5,  6.  —  Gregorovius,  1.  c.  p.  622  sq.  ' 

(3)  Greqoroyius,  l.c.  p.  625  sq. 

(4)  Raynald,  1414,  6. 


&!'   LE   CONCILE  DE  CONSTANCE.  325 

dans  de  bien  meilleures  conditions  * .  Il  exigea  des  bourgeois  de 
Constance,  et  sous  la  foi  du  serment,  des  garanties  nombreuses 
pour  la  sûreté  de  sa  personne,  et  l'empereur  Sigismond  envoya 
aussi  dans  cette  ville  son  conseiller  privé,  l'archevêque  de  Golocsa 
(Hongrie),  pour  y  traiter  la  même|affaire.  Les  citoyens  de  Constance, 
après  un  grand  nombre  de  réunions  populaires,  répondirent  aux 
exigences  du  pape  et  de  l'empereur  par  de  nombreuses  et  inter- 
minables formalités  ^  .Aussitôt  Jean  XXIII  fit  partir  pour  Constance 
le  cardinal-évêque  d'Ostie,  nommé  le  cardinal  de  Viviers,  afin  de 
veiller  aux  préliminaires  du  concile.  Celui-ci  parvint  à  sa  desti- 
nation  au  milieu  du  mois  d'août  ^  Enfin,  avant  de  se  mettre  lui- 
même  en  route,  le  pape  nomma  le  cardinal-diacre  de  Saint- 
Eustache,  Jacques  Isolani  de  Bologne,  son  légat  à  Rome,  avec  la 
mission  de  reconquérir  cette  ville  et  tous  les  lieux  qui  pouvaient 
être  encore  aux  mains  de  l'ennemi. Il  y  parvint  rapidement,  et  dès 
le  1 9  octobre  il  les  avait  fait  rentrer  au  pouvoir  de  son  maître  * . 
:  Deux  semaines  auparavant  (le  1"  octobre  1414),  Jean  XXIII 
était  parti  de  Bologne  pour  Constance;  Dietrich  de  Niem  prétend 
qu'il  emportait  avec  lui  beaucoup  d'argent  pour  acheter  des 
nartisans,  et  qu'il  menait  grand  train  pour  acquérir  du  crédit^. 
Arrivé  dans  le  Tyrol,  il  conclut  à  Méran,  avec  Frédéric,  duc  du 
Tyrol  autrichien,  un  traité  d'alliance,  en  vertu  duquel  il  le  nom- 
mait capitaine  général  des  troupes  pontificales  avec  un  traitement 
annuel  de  6000  ducats  :  en  retour,  le  duc  s'engageait  à  lui 
fournir  aide  et  protection,  non-seulement  pendant  tout  le  temps 
Qu'il  resterait  à  Constance,  mais  encore  dans  le  cas  où  il  se  dé- 
ciderait à  en  sortir  ^.Ulrich  de  Reichenthal  raconte  (1.  c.  p.  xiv  b.) 
que  dans  l'Arlberg  (qui  sépare  le  Vorderarlberg  du  Tyrol),  la 
voiture  pontificale  ayant  versé,  le  pape  fut  jeté  dans  la  neige,  et 
s'écria  en  latin:  Jaceolhic  in  nomirie  diaholi.  Jean  de  Mûller 
ajoute  que  «  les  bonnes  gens  du  pays  s'indignèrent  d'entendre  le 


(1)  Antonin,  Summa  hist.  P.  III,  tit.  22,  c.  6,  §  1,  fin.  —  Raynald,  1414,  6, 

(2)  Consultez  à  c(?t  égard  les  pièces  dans  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  G-12.—  Van 
i)ER  Hardt,  t.  V,  p.  5-10.  —  Bzovius,  1413,  9-17. 

(3)  Reichenthal,  a.  a.  0.  S.  xiv.  —  Trithem.  Chron.  Hirs,  t.  Il,  p.  336. 

(4)  Raynald,  1414,  6.  —  Gregorovius,  1.  c.  p.  627. 

(5)  V.  DER  Hardt,  t.  II,  p.  387. 

(6)  Voir  les  pièces  dans  V.  der  Hardt,  t,  II,  p.  146,  et  Ghastenet,  Nouvelle 
Hist,  du  concile  de  Constance,  Paris,  1718,  Preuves,  p.  296.  Cf.  Raynald,  1414, 
6.  Au  lieu  de  Franciscus  autem  per  Meronam,  il  faut  lire  Transiens  autem  per 
Meranam. 


326      EVENEMENTS  ET  SYNODES  ENTRE  LE  CONCILE  DE  PISE 

saint-père  jurer  au  nom  du  diable.  »  Mais  les  paysans  du  Vor- 
derarlberg  étaient-ils  donc  assez  instruits  pour  comprendre  le 
latin  ?  Ulrich  de  Reichenthal  rapporte  plus  loin  que  lorsque  le  pape 
vit  pour  la  première  fois  le  lac  de  Constance,  il  dit,  comme  s'il 
avait  prévu  le  sort  qui  l'attendait  :  Sic  capiuntur'ipulpes.  On  ne 
trouvait  plus  en  lLii,remarque-t-il,  depuis  son  exaltation,  presque 
aucune  trace  de  l'audace  et  de  la  fierté  qui  l'avaient  fait  remar- 
quer comme  cardinal.  » 

Dans  l'intervalle  de  temps  qui  sépare  le  concile  de  Pise  de 
celui  de  Constance,  s'est  tenu,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  un 
synode  à  Rome,  à  Saint-Pierre,  en  14 J  3.  Nous  parlerons  plus  tard 
de  l'assemblée  de  Prague  contre  le  wiclifisme  et  le  hussitisme, 
lorsque  nous  étudierons  la  question  de  Jean  Hus.  Un  autre  synode 
fut  aussi  réuni  en  1413  à  Londres,  contre  les  partisans  de  Wiclif. 
Thomas  de  Walsingham,  célèbre  historien  anglais  contemporain 
rapporte  que  les  Lollhards  avaient  affiché  dans  les  églises  de  Lon- 
dres des  menaces  contre  leurs  adversaires.  Ils  avaient  alors  pour 
grand  protecteur  le  chevalier  John  Oldcastle,  devenu  par  son  ma- 
riage lord  Cobham,  excellent  capitaine  et  favori  du  roi  Henri  Y.  Il 
favorisait  les  erreurs  de  Wiclif  et  envoyait  les  Lollhards  (les  pau- 
vres prêtres  de  ce  sectaire)  dans  différents  diocèses,  pour  y  prê- 
cher, malgré  la  défense  de  l'Église.  L'archevêque  Thomas  de 
Cantorbéry  le  cita  plusieurs  fois  à  ce  propos  devant  son  tribunal  ; 
mais  Oldcastle  se  retranchait  dans  son  château  de  Gowlyng,  où 
les  officiers  du  roi,  sur  la  réquisition  du  prélat,  vinrent  enfin 
l'arrêter,  et  il  comparut  devant  le  synode  de  Saint-Paul  à  Lon- 
dres (1413).  Là,  il  produisit  une  profession  de  foi  orthodoxe  ;  mais 
l'archevêque  exigea  une  déclaration  plus  précise,  spécialement  à 
l'égard  des  points  sur  lesquels  portaient  les  erreurs  de  Wiclif.  Le 
chevalier  refusa  d'aller  plus  loin  et  ne  voulut  pas  non  plus  de- 
mander l'absolution  de  l'anathème  que  ses  précédents  refus  de 
comparaître  avaient  attiré  sur  sa  tête.  L'archevêque  lui  accorda 
un  délai  jusqu'au  lundi  suivant,  25  septembre.  Au  jour  fixé, 
le  commandant  de  la  Tour  ramena  Oldcaslte  devant  le  synode. 
Ce  sectaire  se  mit  alors  à  déclamer  contre  l'enseignement  de 
l'Église  sur  l'Eucharistie,  dénonçant  ce  dogme  comme  opposé  à 
l'Écriture  et  comme  une  invention  des  plus  mauvais  temps 
de  l'Église.  Il  s'emporta  de  même  contre  la  confession  et  la 
pénitence,  auxquelles  il  joignit  l'adoration  de  la  croix  et  le 
pouvoir  des  clefs;  d'après  lui,  le  pape  n'était  que  la  tête,  les 


ET  LE  CONCILE  DE  CONSTANCE.  337 

évêques  les  membres  et  les  moines  la  queue  de  l'Antéchrist. 
L'archevêque  le  condamna  alors  solennellement  comme  héré- 
tique, mais  le  roi  consentit  à  le  laisser  vivre  dans  la  Tour  jusqu'à 
ce  qu'il  s'amendât.  Il  parvint  à  s'évader,  continua  ses  menées, 
fut  soupçonné  d'avoir  trempé  dans  une  conjuration  contre  la  vie 
du  roi,  arrêté  et  enfin  pendu  en  1417  ^ 

Wilkens  et  Mansi  ont  recueilli  dans  les  manuscrits  anglais  des 
documents  pour  l'histoire  de  ce  concile  de  Londres  que  nous 
venons  de  mentionner  '^.  Nous  y  voyons  que  ce  synode  ou  corwo- 
cation  s'occupa  ensuite,  vers  la  Fête-Dieu  1413,  de  renouveler  une 
série  d'anciens  décrets  pour  la  réforme  du  clergé,  qu'il  interdit 
souvent  la  chaire  aux  partisans  de  Wiclif  et  condamna  au  feu  une 
quantité  d'ouvrages  hérétiques  qu'Oldcastle  avait  mis  en  circula- 
tion. L'archevêque  cependant  fit  observer  que  ce  sectaire  devait 
comparaître  devant  la  justice  spirituelle.  Le  roi  pria  le  synode  de 
vouloir  bien  différer  quelque  temps  l'affaire,  dans  l'espoir, 
disait-il,  de  ramener  à  de  meilleurs  sentiments  cet  esprit  égaré. 
Les  prélats  y  consentirent;  mais  la  démarche  du  roi  n'eut  pas 
de  succès,  et  Oldcastle  en  profita  pour  se  retrancher  dans  son 
château.  Ces  derniers  faits  sont  évidemment  antérieurs  à  l'em- 
prisonnement d'Oldcastle  et  à  sa  comparution  devant  le  sy- 
node. 

Le  18  novembre  1414,  dans  une  assemblée  d'évêques,  d'abbés 
et  de  docteurs  français  réunis  à  Paris,  on  décida  que  l'intérêt  du 
royaume  s'opposait  à  ce  que  tous  ceux  qui  avaient  été  invités 
par  le  pape  se  rendissent  à  Constance,  et  que  conséquemment 
on  devait  choisir  dans  chaque  province  un  certain  nombre  de 
prélats  et  de  docteurs,  que  l'on  enverrait  au  concile  à  frais  com- 
muns. La  dépense  fut  fixée  à  dix  francs  pour  un  archevêque,  à 
huit  francs  pour  un  évêque,  à  cinq  pour  un  abbé,  et  à  trois  pour 
un  docteur.  Enfin  dans  la  même  assemblée  on  désigna  les  dé- 
putés pour  la  province  de  Rouen  ^ 


(1)  Thomas  Walsingham.  Hist.  anglic.  London,  1864,  t.  II,  p.  291  sq.  327  sq. 
-Mansi,  t.  XXVII,  p.  507  sqq. 

(2)  Wilkens,  Concilia  magn.  Bntann.  t.  III,  p.  351.  —  Mansi,  t.  ÀAYll, 

Ti    ^1  \   SQQ 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  515  sq.  —  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1538  sqq.  No- 
nobstant cette  détermination,  les  députés  de  la  province  de  Rouen  n  ayant 
pas  reçu  de  leurs  mandants  les  sulisides  convenables,  le  concile  de  Lons- 
tance  crut  devoir  rappeler  à  ces  derniers  leurs  obligations,  qui  furent  d  ail- 
leurs observées  depuis  lors  (29  août  1415).  Martène,  1.  c.  p.  1541  sqq. 


328  OUVERTURE  DU  CONCILE  DE  CONSTANCE. 

§746. 

OUVERTURE  DU  CONCILE  DE  CONSTANCE. 

Le  samedi  27  octobre  1414,  dans  l'après-midi,  le  pape  Jean  XXIII 
descendit  avec  une  suite  nombreuse  au  monastère  des  chanoines 
réguliers  augustins  de  Kreuzliogen,  près  de  Constance,  où  il 
passa  la  nuiL,  et  accorda  à  l'abbé  le  droit  de  porter  la  mitre.  Le 
lendemain,  il  fit  son  entrée  solennelle  à  Constance,  accompagné 
de  neuf  cardinaux  et  d'un  grand  nombre  de  prélats  et  de  sei- 
gneurs. Le  comte  Rodolphe  de  Montfort  et  Orsini  de  Rome  con- 
duisaient sa  haquenée  par  la  bride,  tandis  que  le  bourgmestre 
de  Constance,  Henri  d'Ulm,  et  trois  autres  gouverneurs  de  ville 
portaient  au-dessus  de  sa  tête  un  baldaquin  magnifique.  Selon  la 
coutume  ecclésiastique,  il  fut  d'abord  conduit  à  la  cathédrale,  et 
ensuite  à  l'habitation  qu'on  lui  avait  préparée  dans  le  palais 
épiscopal.  Telle  est  la  relation  qu'un  témoin  oculaire,  Ulrich  de 
Reichenthal,  chanoine  de  Constance,  a  consignée  dans  son  cé- 
lèbre ouvrage  sur  le  concile  (Augsbourg,  1536,  p.  xvi)  ;  le  moine 
de  Saint-Denis  ajoute  que  le  pape  fut  reçu  comme  l'ange  de  la 
paix,  au  miheu  de  l'allégresse  générale  ^  Trois  jours  après, 
le  31  octobre,  la  ville  lui  offrit  de  nombreux  et  magnifiques 
présents  en  vaisselle  d'argent  et  en  vins,  et  le  jour  de  la 
Toussaint  (1"  novembre)  il  célébra  la  grand'messe.  Le  docteur 
Jean  Polin  prêcha,  et  le  cardinal  Zabarella  lut  un  décret  aux 
termes  duquel  le  souverain  pontife,  avec  l'avis  des  cardinaux, 
ayant  convoqué  à  Constance  un  concile  général,  pour  continuer 
l'œuvre  du  concile  de  Pise,  en  ferait  solennellement  l'ouver- 
ture le  samedi  suivant  (3  novembre).  Cependant  on  attendit 
jusqu'au  5  ;  ce  jour-là  le  pape  chanta  de  nouveau  la  grand'messe 
solennelle  {de  Spiritu  sanclo)  ;  un  maître  de  théologie,  Jean  de 
Vinzelis,  procureur  de  l'ordre  de  Cluny,  donna  le  sermon,  et  le 
cardinal  Zabarella  proclama  que  la  première  session  du  concile 
était  fixée  au  16  novembre^. 

Cet  intervalle  de  temps  fut  consacré  aux  réunions  préparatoires, 

(1)  Ghuûnicor.  Caroli  VJ,  lib.  XXXV,  c.  35,  t.  V,  p.  438 ,  dans  la  collection 
(les  Documents  inédits. 

(2)  Ghronicor.  1.  c. —  U.  DE  Reichenthal,  Le  concile  de  Constance,  p.  xyi.— 
Mansi,  t.  XXVil.  p.  531  sq.  -  Haiid.  t.  VllI,  p.  2H-229  sq. 


OUVERTURE  DU  CONCILE  DE  CONSTANCE,  329 

aux  consultations  préalables,  aux  processions  et  aux  apprêts  de 
toute  nature. 

Les  auditeurs  de  la  rote  romaine  furent  envoyés  à  l'église  de 
Saint-Étienne,  où  ils  rendirent  la  justice  trois  fois  la  semaine.  La 
cathédrale  fut  disposée  pour  les  sessions  du  concile,  et  des  com- 
missaires pontificaux  et  impériaux,  d'accord  avec  la  ville,  rédi- 
gèrent le  tarif  maximum  des  dépenses  auxquelles  donneraient 
lieu  le  logement  et  l'entretien  des  membres  du  concile,  de  leurs 
gens  et  de  leurs  chevaux  ^  Le  10  novembre,  arrivèrent  des  cardi- 
naux apportant  la  nouvelle  du  retour  de  Rome  à  l'obéissance.  G  ^. 
fut  l'occasion  de  grandes  réjouissances.  Le  12,  les  docteurs  se 
réunirent  et  rédigèrent  un  mémoire  dont  la  première  partie  fut 
présentée  au  pape  deux  jours  après.  Ils  y  demandaient  que  la 
liberté  de  la  parole  fût  garantie  à  tous  les  membres,  et  que,  pour 
assurer  l'ordre  et  la  rapidité  des  travaux,  on  créât  des  procureurs, 
des  promoteurs  et  des  conseillers  pour  le  concile.  Ils  seraient 
choisis  par  les  différentes  nations  et  auraient,  entre  autres  mis- 
sions, celle  de  veiller  à  ce  que  tout  le  monde,  de  quelque  rang  que 
ce  fût,  pût  se  faire  entendre,  lorsqu'on  voudrait  parler  de  la  pa- 
cification ou  de  la  réforme  de  l'Église.  En  dernier  lieu,  les  doc- 
teurs insistaient  sur  la  nécessité  de  s'occuper  avant  tout  de  la 
pacification,  sans  laquelle  aucune  véritable  réforme  n'était  pos- 
sible. Dans  la  seconde  partie,  ils  déclaraient  que,  conformément 
aux  principes  du  concile  de  Pise,  on  devait  prendre  pour  point 
de  départ  de  l'union  la  légitimité  du  pape  Jean  XXIII .  On  s'effor- 
cerait ensuite  par  des  offres  convenables  de  désintéresser  les  deux 
autres,  et  de  les  amener  à  une  renonciation;  s'ils  n'y  voulaient 
pas  consentir,  on  les  déposerait,  car  dans  tous  les  corps  comme 
dans  toutes  les  sociétés  c'est  aux  membres  de  réprimer  le  chef, 
si  celui-ci  est  tyran  et  violent  ^. 

Le  retard  de  la  première  session  eut  sans  doute  pour  cause  le 
petit  nombre  d'étrangers  arrivés  à  Constance  au  commencement 
de  novembre,  sans  parler  de  l'absence  de  Sigismond,  qui  avait 


(l)Cf.  sur  cette  matière  et  celles  qui  s'y  rattachent  la  dissertation  de  Ross- 
MANN,  De  externo  concilii  Constantiensis  apparatu.  léna,  1856.  Au  mois  de  no- 
vembre, la  disette  à  Constance  |était  déjà  Tobjet  des  plaintes,  tant  de  Hus 
que  des  députés  de  l'université  de  Vienne.  Cf.  les  Archives  pour  là  connaissance 
des  sources  de  l'histoire  d'Autriche,  t.  XVI,  Vienne,  1856,  p.  9. 

(2)  Mansi,  1,  c.  p.  534.  —  V.  d2r  Hardt,  t.  II,  p.  189  sq.  (Ici,  comme  dans 
Mansi,  on  a  imprimé  si  nitentur  tyrannidon,  au  lieu  de  si  nitetur).  Ibid.  t.  IV, 

P.  I,  p.  7-14.  —  U.  YON  ReîGHENTHAL,  p.  H,  XYI-XYIII.; 


330  JEAN    HUS   ET  SON   HISTOIRE 

précisément  choisi  ce  moment  (8  novembre  1414)  pour  se  faire 
couronner  roi  d'Allemagne  à  Aix-la-Chapelle,  ce  qui  retenait  na- 
turellement autour  de  lui  la  plus  grande  partie  des  seigneurs  alle- 
mands. Le  pape  le  supplia  de  se  hâter  autant  que  possible,  et 
il  arriva  à  Constance  dès  la  nuit  de  Noël.  Jean  Hus,  dont  les  Pères 
allaient  tant  avoir  à  s'occuper,  l'y  avait  précédé  de  trois  semaines  ^ . 

§  747. 

JEAN  HUS  ET  SON  HISTOIRE  JUSQu'a  SON  ARRIVÉE  A  CONSTANCE. 

Jean  Hus  (et  non  Huss,  car  alors  un  Tchèque  prononcerait 
Husch  ;  Hus  signifie  oie)  était  né  en  Bohême,  à  Husinéc,  village 
du  cercle  de  Prague,  en  1369  (et  non  1373),  d'une  famille  de 
paysans  d'origine  slave.  Husinéc  dépendait  pour  moitié  du  châ- 
teau royal  de  Hus,  et,  selon  l'usage  du  temps,  c'est  du  village 
ou  du  château  que  le  réformateur  tchèque  tira  son  nom.  Il 
fit  ses  études  à  Prague,  où  il  reçut  en  1393,  avec  Jacobell,  trop 
célèbre  plus  tard  lui  aussi,  le  grade  de  bachelier  es  arts  libéraux, 
et  l'année  suivante  celui  de  bachelier  en  théologie^;  maître  es 
arts  en  1396,  il  fut  successivement  professeur  à  la  faculté  des 
arts  libéraux  (1398),  doyen  de  cette  faculté  (1401),  prédicateur  de 
l'église  de  Bethléem  (1402),  et  la  même  année  [(octobre  1402)  rec- 
teur de  l'Université.  C'était  un  homme  grand,  au  visage  pâle  et 
amaigrie.  Il  n'avait  pas  donné  dans  ses  études  les  preuves  d'un 
talent  bien  extraordinaire;  néanmoins  il  possédait  des  connais- 
sances très-étendues  de  philosophie  et  de  théologie  scolastiques, 
et  maniait  la  dialectique  avec  une  véritable  habileté.  Il  joignait  à 
cela  une  puissante  conception  oratoire  et  une  science  appro- 
fondie des  saintes  Écritures,  comme  le  prouvent  les  lettres  et  les 
traités  qu'il  a  laissés.  Personnellement  sérieux,  zélé  et  austère, il 
commença,  dès  qu'il  fut  prêtre,  à  déployer  un  zèle  rigoureux 
contre  le  mal  et  l'impiété;  il  éleva  surtout  la  voix  contre  le  relâ- 


(1)  V.  DER  HaRDT,    t.  IV,  p.  11.  —  U.  UE  ReIGHENTHAL,  p.  XYIII. —  ASGHDACII, 

Hist.  de  Vempereur  Sigismond,  1838,  1. 1,  p.  410,  412. 

(2)  Dans  les  diplûines  il  est  appelé  haccalaureus  formalus;  c'était  un  titre 
d'honneur  décerné  aux  bacheliers  en  théoloij;ie  qui  avaient  l'ait  un  cours, 
non-seulement  pendant  deux  ans  sur  la  Bible  {baccalaurei  Btblici),  main  en- 
core sur  les  deux  premiers  livres  des  sentences  [baccalaurci  senleitliarii). 
Quand  ils  commençaient  à  en  expliquer  le  troisième  livre,  on  leur  donnait  M 
le  titre  de  formati.  1 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  331 

chement  du  clergé,  dont  la  conduite  au  reste,  dans  ce  temps  de 
morale  trop  facile,  ne  répondait  guère  à  l'idéal  du  sacerdoce,  et 
particulièrement  en  Bohême,  où  l'excès  était  devenu  lamentable  ^ . 
A  cette  ardeur  de  réforme  se  joignait  chez  Hus  un  brûlant  patrio- 
tisme tchèque,  et,  de  même  que  le  christianisme  lui|paraissait  la 
plus  admirable  des  religions,  de  même  aussi  la  nation  qui  l'avait 
vu  naître  passait  à  ses  yeux  poar  la  plus  excellente  et  la  plus 
chrétienne  de  tout  l'univers.  Mais  ces  deux  nobles  enthousiasmes 
de  son  esprit  et  de  son  cœur  devaient  devenir  pour  lui  la  source 
des  plus  dangereuses  aberrations.  Ainsi  son  zèle  de  réforme,  si 
louable  au  début,  allait  bientôt  se  changer  en  une  acrimonie  hai- 
neuse. 

Trois  hommes  déjà  connus,  prédicateurs  en  Bohême,  Conrad 
Waldhauser,  Jean  Milicz  et  Mathias  d'Ianow^  l'avaient  précédé 
de  quelque  temps  dans  cet  appel  à  la  réforme,  et  c'est  une  ques- 
tion de  savoir  si  Jean  Hus,  même  sans  avoir  subi  l'ascendant  des 
livres  de  Wiclif,  n'est  pas  devenu,  sous  la  seule  influence  des 
efforts  tentés  avant  lui  par  ses  compatriotes,  et  par  le  dévelop- 
pement naturel  de  ses  propres  tendances,  le  sectaire  que  nous 
connaissons.  Neander  etKrummel  se  rapprochent  de  cette  idée  ^ 
Ils  croient  que  l'introduction  des  doctrines  wiclihtes  en  Bohême 
n'eut  pour  effet  que  de  précipiter  le  mouvement  hussite,  tandis 
que  d'autres  font  remonter  jusqu'à  Wiclif  l'origine  de  ce  mou- 
vement ^  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'à  partir  du  mariage  de 


(1)  Cf.  Palagky,  die  Gesch.  des  Hussitismus,  et  le  prof.  G.  HOfler,  1868, 
S.  116  ff. 

(2)  On  trouvera  plus  de  détails  sur  cette  question  des  précurseurs  de  Hus  : 
1°  dans  Palagky,  Histoire  de  Bohême  (Prag.  1845,  t.  Ill,  !'«  part.  p.  161-182)  ; 
2°  dans  Jordan,  Les  Précurseurs  du  Hussitisme  (Leipsig,  1846.  Palacky  est 
l'auteur,  Jordan  l'a  édité  et  traduit  en-  allemand.  Cf.  Palagky,  Hist.  du  Hussi- 
tisme, et  le  profes.  C.  Hôfler,  p.  3)  ;  3°  dans  Krummel,  Histoire  de  la  Réformat, 
bohémietme  (Goth.  1866,  p.  50-100);  4°  dans  Neander  {Hist.  de  l'Eglise,  t.  VI, 
p.  288-310);  dans  Czeryenka  (HisL  de  l'Eglise  évangél.  en. Bohême,  1869,  p.  40- 
51);  6°  HôFLER  [Proleg.  au  concile  de  Prag.  p.xxi  sq.)  On  trouvera  aussi  les 
accusations  des  moines  contre  Waldhauser,  et  sa  défense  dans  le  même 
auteur,  Geschichtschreiber  der  hussitischen  Bervegung  (Ecrivains  du  mouvement 
hussite)  (m  foyites  rerum  Austriacarum,  1865,  t.  II,  p.  17-39).  Ibid.  p.  40-116, 
un  éloge  de  Milicz,  qui  avait  converti  à  Prague  un  nombre  infini  de  pécheurs, 
parmi  lesquels  deux  cents  courtisanes,  et  transformé  une  maison  publique 
en  une  église  (Jérusalem).  Ibid.  p.  47,  une  exposition  de  l'écrit  de  Janow,  De 
Corpore  Christi. 

(3)  Neander,  Hist.  de  l'Eglise,  t.  VI,  p.  317  sq.  —  Krummel,  professeur  à 
Kirnbach,  duché  de  Bade,  Hist.  de  la  Réformat,  bohém.  au  x\^  siècle,  Gotha, 
1866,  p.  152. 

(4)  Cf.  Hôfler,  Magister  Jean  Hus,  1864,  p.  i47,  et  Historiens  du  mouvement 
hussite,  t.  III,  p,  90, 


332  JEAN  HUS  ET  SON  HISTOIRE 

la  princesse  Anne  de  Bohême  (ûlle  de  l'empereur  Charles  IV 
et  sœur  de  Winceslas)  avec  le  jeune  Richard  II  d'Angleterre,  si 
malheureux  depuis  *  (1381), des  relations  très-suivies  s'établirent 
entre  les  deux  universités  de  Prague  et  d'Oxford,  et  que  dès 
l'année  1385  les  hvres  de  Wiclif  avaient  pénétré  en  Bohême. 
Que  ce  soit  le  jeune  chevalier  tchèque  Jérôme  de  Prague,  qu'on 
ait  chargé  spécialement  de  cette  commission,  et  que  dès  1398  il 
ait  introduit  en  Bohême  les  écrits  théologiques  de  Wiclif  (son 
dialogue  et  son  trialogue),  c'est  une  tradition  jusqu'ici  fort  ré- 
pandue, mais  que  Palacky  a  récemment  détruite  en  démontrant 
que  ces  ouvrages  n'ont  été  répandus  dans  le  pays  et  connus  de 
Jean  Hus  lui-même  qu'en  1402  ^.  Jusqu'alors  il  n'avait  lu  que  les 
travaux  philosophiques  de  Wiclif,  dont  il  s'inspirait  et  faisait  grand 
cas.  Le  réalisme  déterminé  du  philosophe  Wiclif  fut  une  première 
séduction  pour  le  maître  ^  ;  le  zèle  du  prédicateur  Wiclif  contre  la 
richesse  et  l'inconduite,  surtout  dans  le  clergé,  forma  le  second 
lien  et  lui  gagna  la  sympathie  du  théologien  et  de  l'apôtre, 
comme  celui-ci  du  reste  l'a  déclaré  lui-même  dans  la  suite  *.  En 
outre,  selon  Schwab,  l'étude  de  Pierre  Lombard  et  du  Corpus 
juris  fraya  la  route  au  wiclifisme  dans  l'esprit  de  Jean  Hus.  Dans 
Pierre  Lombard  en  effet,  dont  les  sentences  formaient  alors  tout 
le  fond  des  travaux  théologiques,  ces  erreurs  pouvaient  s'infil- 
trer à  propos  de  certains  points  de  doctrine  opposés  à  l'enseigne- 
ment dominant.  Telle  est  en  particulier  cette  fameuse  valeur  mo- 
rale des  dogmes  que  plus  tard  il  exalta  lui-même  d'une  façon  si 
exclusive.  Mais  on  ne  peut  nier  que  plusieurs  décrétales  ne  lui 
aient  bien  fait  comprendre  la  distance  qui  séparait  alors  l'Église 
de  ses  premiers  âges^. 

(1)  Krummel  fait  la  remarque  suivante  p.  37,  note**:  «Shakespeare,  dit-il, 
dans  un  drame  historique.  Le  roi  Richard  II,  acte  IV,  scène  2,  trace  un  émou- 
vant tableau  des  adieux  que  le  roi,  sur  le  point  d'être  assassiné,  adresse  à 
son  épouse.  Mais  on  ne  peut  comprendre  comment  l'auteur  fait  venir  cette 
princesse  de  France,  puisque  ce  fut  de  Bohème  qu'elle  passa  en  Angleterre.  » 
Krummel  oublie  que  îa  reine  Anne  était  morte  depuis  longtemps,  et  qu'au 
moment  de  sa  chute,  Richard  était  marié  à  la  princesse  Isabelle  de  France, 
fille  de  Charles  VI. 

(2)  PALA.GKY,  Hist.  du  HussiUsme,  et  le  profes.  G.  Hôfler,  p.  113  sq. 

(3)  Ce  n'est  que  par  une  interprétation  tout  à  fait  arbitraire  des  termes 
nominalisme  et  réalivne  que  Czerwenka  prétend  que  Wiclif  et  IIus  auraient 
été  nominalistes,  «  car,  dit-il,  se  servir  des  règles  de  la  critique,  c'est  là  le 
nominalisme.  »  Czerwenka,  1.  c.  p.  59  et  25. 

(4)  Ilussn  0pp.  p.  136  h.Movent  me  sua  scripta,  quihus  nililur  loto  conamine, 
omnes  homines  ad  legem  Christi  reducere,  et  clerum  prœcipue,  etc. 

(5)  SciiwAD,  Jean  Gerson,  1858,  p.  556  sq. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  333 

Certes  Jean  Hus  n'aurait  jamais  acquis  une  si  haute  importance 
s'il  fût  demeuré  simple  professeur  d'université,  et  le  mouve- 
ment suscité  par  lui  n'aurait  pas  alors  dépassé  le  cercle  cultivé 
qui  l'entourait.  Mais  il  était  déjà  prédicateur  dans  la  grande 
église  de  Bethléem  (aujourd'hui  détruite  et  alors  dédiée  aux 
saints  Innocents),  où  le  conseiller  royal  [Jean  de  Mûlheim  avait 
établi  des  sermons  en  langue  tchèque  pour  la  ville  vieille  de 
Prague  ^ . 

Cette  église  devint,  selon  l'expression  de  Tosti,  une  véritable 
université  populaire,  où  Jean  Hus  exposait  à  la  foule  de  ses  com- 
patriotes ses  opinions  et  ses  théories  les  plus  exaltées,  comme  il 
avait  coutume  de  le  faire  devant  son  auditoire  accoutumé  2.  Ce 
fut  là  le  commencement  de  ce  mouvement  démocratique  qui 
vint  accompagner  et  fortifier  l'élan  religieux  et  national  du  hus- 
sitisme^  Il  importe  au  reste  de  ne  pas  perdre  de  vue  que  ce 
mouvement  n'aurait  jamais  pris  d'aussi  fortes  proportions  si,  de- 
puis un  quart  de  siècle,  le  grand  schisme  n'avait  bouleversé  l'É- 
ghse,  introduit  au  lieu  de  réforme  une  confusion  plus  profonde 
encore,  et  finalement  ébranlé  par  le  doute  l'autorité  du  gouver- 
nement spirituel.  Il  n'y  avait  à  la  tête  aucun  pape  universelle- 
ment reconnu;  toutes  les  portes  étaient  ouvertes  à  une  révolution 
rehgieuse  et  les  mieux  intentionnés  pouvaient  se  laisser  entraîner 
par  l'impétuosité  du  courant*. 

Sous  le  faible  gouvernement  de  l'archevêque  Wolfram  de 
Skvvorec  (mort  le  2  mai  1402),  et  pendant  la  longue  vacance  du 
siège  après  sa  mort,  les  idées  wicHfistes  se  répandirent  avec  une 
facilité  toujours  croissante  ,  de  telle  sorte  que  l'université  de 
Prague  crut  devoir  prendre  des  mesures  à  cet  égard  sans  attendre 
la  nomination  du  nouveau  titulaire.  Comme  Hus  avait  donné  sa 
démission  de  recteur  et  qu'on  avait  mis  à  sa  place  un  Allemand, 
Walter  Harasser  de  Bavière,  Kbel,  officiai  de  l'archevêque,  con- 
voqua au  nom  du  chapitre  métropolitain  (le  siège  étant  vacant) 
tous  les  maîtres  à  l'effet  de  se  prononcer  sur  deux  séries  de  pro- 
positions extraites  de  la  doctrine  de  Wiclif.  La  première  série  (de 


(1)  Le  15  mai  1408,  le  pape  Grégoire  XII  confirma  cette  fondation.  Cf. 
Documenta  31.  Joan.  Hus,  éd.  Palacky,  p.  340  sq. 


(2)  TosTi,  Hist.  du  concile  de  Constance,  traduit  en  italien  par  J3.  Arnold 
Schaffouse/l860,  p.llOsq.  . 

(3)  HôFLER,  Historiens  du  Mouvement  hussite,  1856,  V^  partie.  Introduction 

^*(4?Cf.  HoFLEB,  Ibid.  3«  partie,  p.  7-10.  —  J.  Hus,  p.  85  sq.  105, 131  sq. 


334  JEAN  lîUS  ET  SON  HISTOIRE 

vingt-quatre  propositions)  avait  déjàfété  censurée  par  le  concile, 
appelé  le  concile  du  Tremblement  de  terre,  tenu  à  Londres  en 
1382;  la  seconde  série,  au  contraire,  qui  comprenait  vingt  et  un 
chefs,  venait  d'être  recueillie  par  un  maître  de  Prague,  né  en  Si- 
lésie  et  nommé  Jean  Hiibner.  Le  recteur  réunit  donc  tous  les 
maîtres,  le  lundi  28  mai  1403,  vers  quatre  heures  de  l'après- 
midi,  au  collège  Garolin,  et  fît  lire  devant  eux  les  quarante-cinq 
propositions  incriminées.  Stanislas  de  Znaïm  fut  le  seul  qui  osât 
en  soutenir  la  doctrine;  Nicolas  de  Leitomysl  et  Hus  se  bornèrent 
à  protester  que  Hiibner  n'avait  pas  apporté  dans  son  travail  assez 
de  fidélité  ni  d'exactitude,  et  Hus  en  particulier  s'écria  :  «  Celui 
qui  a  fait  cet  extrait  mériterait  encore  plus  d'être  brûlé  que  ces 
deux  marchands  de  safran  qu'on  vient  de  condamner  au  feu 
comme  fraudeurs  ^.  »  Cependant  la  majorité  décida  qu'à  l'avenir 
personne  ne  pourrait  soutenir  ou  enseigner  lesdits  articles,  sous 
peine  d'être  puni  comme  parjure  ^. 

Jean  Hus  s'était,  au  reste,  si  peu  compromis  dans  la  question 
de  Wiclef  que  cette  même  année  (octobre  1403)  il  se  vit  honoré 
d'une  façon  toute  particulière,  et  nommé  prédicateur  synodal 
par  le  nouvel  archevêque  Zbynek  (Zbinko),  personnage  remar- 
quable et  très-désireux  de  réforme ,  bien  qu'assez  médiocre 
théologien';  bien  plus,  il  fut  choisi  par  la  reine  Sophie  pour 
son  confesseur  ^.  Sa  conduite  régulière  et  son  zèle  ascétique, 
non  moins  que  ses  stalents  oratoires,  lui  valurent  ces  honneurs. 
Gomme  prédicateur  synodal,  il  était  chargé  dans  les  synodes 
diocésains,  assez  fréquents  à  Prague  dans  ce  temps-là,  d'exposer 
au  clergé  ses  obligations,  et  il  s'acquitta  de  cette  tâche  avec 


(1)  Ghronicor.  Univers.  Prag.  dans  Hôfler,  Bist.  1'^  partie,  p.  17  et  I9G. 
M,  Jean  Hus,  p.  156  sq.  et  175,  Neander  se  trompe  en  mettant  dans  la  honcho 
de  Nicolas  de  L.,  et  non  de  Hus,  l'allusion  aux  marchands  de  safran  (1.  c. 
p.  325).  De  même  il  n'observe  pas  assez  la  chronologie  des  événements, 
qu'il  anticipe  ou  retarde  à  son  gré. 

(2)  Cf.  les  pièces  relatives  à  cette  assemblée  dans  les  Documenta  M.  J.  Hus, 
éd.  Palacky,  p.  327  sq.  et  dans  Hôfler,  Concilia  Prag.  p.  43  sq.;  mais  la 
date  qu'il  donne  {die  lunœ  XX  mensis  Maii)  est  inexacte,  car  'cette  année-là 
le  20  mai  ne  tombait  pas  un  lundi,  mais  un  dimanche  ;  il  faut  lire  en  consé- 
quence :  XXYUI  Maii.  De  plus,  la  Collection  des  Actes  du  chapitre  métropoli- 
tain, publiée  par  Hôfler,  n'est  pas  assez  soigneusement  rédigée.  Le  n"  5,  par 
exemple,  ne  forme  pas  un  article  séparé,  mais  rentre  dans  le  n°  6. 

(3)  Le  confesseur  de  Jeanne,  la  première  femme  de  Vcnceslas,  était  Jean 
Népomucène.  Krummel  (1.  c.  p.  591-635)  donne  la  traduction  allemande  de 
trois  discours  synodaux  de  Hus.  Nowotny  a  aussi  traduit  un  certain  nombre 
d'autres  sermons  prononcés  par  Jean  (Goriitz,  1855),  et  Krummel  lui  en  a 
emprunté  encore  trois  (p.  636  sq.) 


JUSQU^A   SON  ARRIVÉE   A   CONSTANCE.  335 

habileté  et  vigueur,  comme  nous  pouvons  encore  le  constater 
dans  ce  qui  nous  reste  de  ses  sermons.  Il  partageait  surtout  la 
haine  de  l'archevêque  contre  les  liaisons  des  ecclésiastiques  avec 
ce  qu'il  appelait  la  «  poix  diabolique  »,  c'est-à-dire  avec  les  per- 
sonnes suspectes  de  l'autre  sexe  ^ .  Ce  prélat  lui  donna  une  preuve 
singulière  de  son  estime  en  le  nommant  (avec  deux  autres 
maîtres),  commissaire  chargé  d'examiner  le  prétendu  miracle  du 
précieux  Sang  qui  s'était  passé  à  Wilsnack,  diocèse  deHavelberg, 
province  de  Magdebourg(1403).On  avait  trouvé, parmi  les  ruines 
d'un  église,  dans  la  cavité  où  avait  été  placé  l'autel,  trois  hosties 
qui  paraissaient  teintes  de  sang  :  aussitôt  on  avait  crié  au  miracle. 
iTs'y  forma  bientôt  un  pèlerinage  extrêmement  fréquenté,  auquel 
la  Bohême  fournit  un  nombreux  contingent  ;  les  choses  en  vinrent 
à  ce  point  que  l'archevêque  Zbyneck  crut  indispensable  de  faire 
une  sérieuse  enquête.  Les  commissaires  purent  se  convaincre 
que  les  jnombreux  miracles  accomplis  à  Wilsnack  étaieift  abso- 
lument supposés,  et,  sur  le  rapport  qui  lui  en  fut  adressé,  le  prélat 
défendit  de  continuer  plus  longtemps  le  pèlerinage,  sous  peine 
d'excommunication^.  Il  approuve  en  même  temps  un  écrit  publié 
par  Hus  sur  ce  sujet,  où  il  disait  en  substance  que,  lorsque  le 
Christ  ressuscita  avec  un  corps  glorieux,  toutes  les  parties  de  sa 
substance  furent  aussi  glorifiées,  et  par  conséquent  tout  le  sang 
qu'il  avait  versé  depuis  sa  circoncision  jusqu'à  sa  mort.  Celui 
qui  a  pu  tomber  sur  le  sol  et  se  mêler  |à  la  terre,  imbiber  le  bois 
de  la  croix,  etc.,  a  été  glorifié  et  réuni  au  corps  glorieux  de  Notre- 
Seigneur,  de  sorte  qu'il  n'en  reste  ici-bas  aucune  particule  maté- 
rielle ;  mais  il  subsiste  à  l'état  glorieux  dans  le  sacrement  de 
l'autel,  où  il  se  trouve  vraiment  et  réellement  présent  avec  le 
corps  du  Sauveur.  Ce  qui  est  vrai  du  sang  l'est  aussi  naturelle- 
ment de  toute  autre  partie  du  jcorps  de  Jésus-Christ,  par  exemple 
de  ses  cheveux.  Ils  sont  glorifiés  avec  le  corps  lui-même,  et  ne 
peuvent  plus  par  conséquent  se  'trouver  sur  jla  terre.  Lors  donc 
que  l'on  montre  des  linges  trempés  et  rougis  du  précieux  sang, 
ce  n'est  plus  ce  sang  lui-même  qui  se  trouve  sur  ces  objets,  puis- 


(1)  TosTi,  1.  c.  p.  117.  —  HÔFLER,  /.  Hus,  p.  152. 

(2)  Neander,  Hist.  eccl.  t.  VI,  Hambourg,  1852,  p,  313-316.  Neander  rap- 
porte, d'après  les  expériences  d'Ehrenberg,  que  du  pain  ou  une  substance 
semblable  placé  en  lieu  humide  se  couvre  d'une  substance  organique  {monas 
prodigiosa),  visible  au  microscope,  et  qui  lui  donne  l'apparence  rougeàtre. 


333  JEAN   HUS  ET   SON   HISTOIRE 

qu'il  est  glorifié  :  c'est  fia  couleur  seulement  qui  en  conserve  le 


souvenir 


Ce  traité  et  les  écrits  que  Jean  Hus  avait  composés  précédem- 
ment à  l'Université  {Discours  sur  les  Actes  de- l'Académie,  dispu- 
talions, etc. ^),  nous  font  voir  que  Jean  Hus,  bien  qu'à  cette  époque 
il  estimât  déjà  beaucoup  les  écrits  théologiques  de  Wiclef,  n'avait 
pas  encore  adopté  ses  erreurs  sur  le  dogme  de  l'Eucharistie 
(permanence  de  la  substance  du  pain  et  du  vin  dans  le  Sa- 
crement, —  théorie  de  la  rémanence).  Il  se  montrait  en  cela 
plus  prudent  que  ses  illustres  collègues  de  Bohême,  en  partie  ses 
anciens  maîtres,  Stanislas  de  Znaïm,  Etienne  de  Palecz  et  autres, 
qui,  dans  leur  enthousiasme  pour  Wiclef,  allèrent  jusqu'à  dé- 
fendre la  doctrine  de  la  rémanence,  sauf  à  devenir  plus  tard  les' 
adversaires  déclarés  de  Hus  et  de  Wicleflui-même^àussi  lorsque 
l'archevêque, sur  les  exhortations  d'Innocent  YII  (1405),a^;taqua 
le  v^icl5flsme  dominant  sur  la  doctrine  de  la  rémanence,  et  ful- 
mina contre  les  ouvrages  qui  la  propageaient,  la  confiance  qu'il 
témoignait  à  son  prédicateur  synodal  n'en  fut-elle  pas  altérée  : 
elle  continua  niême  jusqu'à  l'automne  de  1407,  époque  à  la- 
quelle Jean  Hus  parlapour  la  dernière  fois  au  synode  (  1 8  octobre*) . 

A  partir  de  l'été  de  1407,  les  sermons  de  Hus  parurent  en  effet 
singulièrement  subversifs.  Ainsi  le  lOjuillet  1407  il  qualifie  d'hé- 
rétiques tous  ceux  qui  percevaient  le  droit  d'étole;  une  autrefois, 
comme  il  assistait  au  service  funèbre  d'un  prêtre  [possesseur  en 


(i)  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  191-202.  Ce  que  Gzerwenka  (I.  c.  p.  63)  dit  de  cet 
écrit  de  Hus  ne  nous  apprend  rien  sur  sa  teneur. 

(2)  Reproduits  par  Hôfler,  Hist.  2^  partie,  p.  95  sq.  Le  dernier  de  ces  dis- 
cours académiques  (Hûfler,  lit.  H,  1.  C.  p.  112-128)  (est-il  de  Hus?)  est  pro- 
fondément imbu  des  doctrines  de  Wiclif,  et  écrit  à  une  date  évidemment 
postérieure.  L'orateur  compare  les  sept  arts  libéraux  à  sept  jeunes  vierges, 
filles  de  la  reine  Philosophie.  Dans  la  seconde  moitié,  il  s'attaque  à  ces 
menteurs  qui  accusent  d'hérésie  la  sainte  nation  bohémienne,  malgré  le  vieil 
axiome  :  netninem  pure  Bohemum  passe  fore  hareiieum.  IL  s'emporte  contre  les 
prêtres  ignorants  qui  font  croire  au  peuple  dans  leurs  sermons  que  c'est  du 
wiclifisme  qu'il  s'agit  en  Bohême.  Lui  qui  a  lu  Wiclif  et  qui  y  a  beaucoup 
appris  en  sait  là-dessus  plus  que  personne,  bien  qu'il  ne  prenne  pas  pour  ar- 
ticle de  foi  tout  ce  qu'ily  a  dans  ses  livres. Il  termine  en  invitant  ses  auditeurs  à 
lire  soigneusement  les  ouvrages  deWiclif,  surtout  les.ouvrages  philosophiques. 

(3)  Stanislas  de  Znaïm  avait  prétendu  dans  son  ouvrage  De  remanentia  pa- 
rtis^ que  soutenir  la  permanence  de  la  substance  du  pain  dans  l'Eucharistie 
n'était  pas  attaquer  le  dogme.  Cf.  Hussii  0pp.  t.  I,  p.  334  a  et  360  b.  — 
Krummel,  1.  c.  p.  159,  168  sq.  —  Neandeu,  1.  c.  p.  320  sq. —  Czerwenka.,  1.  c. 
p.  63.  Mais  en  1405,  après  le  bref  d'Innocent  VII,  il  rétracta  cette  opinion. 

(4)  Hôfler,  Concilia  Prag.  p.  51-53  et  59;   Èist.  du  Mouvement  hussite, 
"  partie,  p.  17.  —  Krummel,  Le.  p.  617  sq. 


i 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  337 

son  vivant  de  nombreux  bénéfices,  il  ne  put  dissimuler  son  indi- 
gnation. «  Pour  tout  l'univers,  dit-il,  je  ne  consentirais  à 
mourir  chargé  de  tant  de  bénéfices  ^  «  Il  alla  plus  loin  encore  : 
pende  temps  après,  le  18  mai  1408, les  quarante-cinq  articles  de 
Wiclif  furent  une  seconde  fois  condamnés  par  l'université  de 
Prague  réunie,  parce  qu'un  maître  tchèque,  Mathias  de  Knyn,  por- 
tant le  nom  de  Père,  avait  osé  soutenir  encore  la  permanence  de 
la  substance  du  pain  et  du  vin  ^.  Deux  jours  après,  le  20  mai,  la 
nation  bohémienne  tint  une  assemblée  particulière  (à  la  Rose- 
Noire,  à  Neustadt),  composée  de  soixante  docteurs  et  maîtres  et 
d'environ  mille  étudiants.  J.  Hus,  Jacobellus,  Stanislas  de  Znaïm, 
Etienne  Palecz  et  autres  ne  manquèrent  pas  d'y  paraître.  On  fei- 
gnit d'adhérer  à  la  décision  portée  par  le  corps  universitaire  ; 
mais  on  la  rendit  compléteu.ent  illusoire  en  y  joignant  cette 
clause  :  «  Nul  ne  pourra,  sous  peine  d'exclusion,  enseigner  ou  sou- 
tenir témérairement  un  seul  des  quarante-cinq  articles  dans  leur 
sens  hérétique  ou  scandaleux  [temere  in  sensibus  eorum  hereticis 
aut  scandalosis).  »  C'était  évidemment  se  ménager  une  retraite  en 
tout  cas.  On  n'osa  pas  aller  plus  loin;  on  eut  même  soin,  pour  écar- 
ter les  soupçons,  d'ajouter  «  que  ni  les  cours  ni  les  discussions  ne 
devraient  porter  sur  le  Dialogue,  le  Trialogue  ou  le  Traité  de  l^ Eu- 
charistie de  Wiclif,  et  que  les  maîtres  seuls,  et  non  les  étudiants, 
auraient  la  permission  de  lire  les  ouvrages  de  cet  auteur.  »  Jean 
Hus  ne  prit,  du  reste,  aucune  part  saillante  à  cette  délibération; 
il  ne  se  déclara  ouvertement  en  faveur  de  Wiclif  que  lorsque 
deux  étudiants,  dont  l'un  était  Nicolas  Faulfisch,  apportèrent  à 
Prague  un  mémoire  prétendu  de  l'université  d'Oxford,  qui  don- 
nait les  plus  grandes  louanges  à  Wiclif  et  affirmait  qu'on  ne 
l'avait  jamais  convaincu  d'une  hérésie  véritable.  A  ce  propos,  Hus 
se  laissa  entraîner,  dans  un  sermon,  à  dire  «  qu'il  serait  bien  aise 
d'avoir  une  petite  place  dans  le  ciel  à  côté  de  celle  de  Wiclif.»  On 
fut  assez  longtemps  avant  de  reconnaître  la  fausseté  de  l'écrit 
venu  d'Oxford,  et  le  wiciifisme  en  retira  de  grands  avantages 
en  Bohême.  Les  partisans  de  ces  doctrines,  en  annonçant 
eux-mêmes  partout  les  progrès  de  l'hérésie,    déconsidéraient 

(1)  HôFLER,  J.  Eus,  p.  186. 

(2>  Matthias  Knyn  avait  été  arrêté  antérieurement  sur  l'ordre  de  l'arche- 
vêque, et  après  de  longues  dénégations,  avait  renié  les  erreurs  qu'on  lui 
attribuait  (14  mai  1408).  Cf.  Documenta  M.  Joan.  Ifu?,  éd.  Palacky,  p.  .338 
et  sqq. 

T.  X.    22 


338  JEAN   HUS   ET  BON   HISTOIRK 

leur  propre  patrie  :  ainsi  faisait  l'infatigable  Jérôme  de  Prague, 
qui,  en  parcourant  depuis  1399  les  universités  et  les  contrées 
étrangères,  contribuait  le  plus  à  la  mauvaise  renommée  de  la 
Bohême  ^ 

On  comprend  que  ce  sectaire  devait  être  souverainement 
antipathique  à  Wenceslas,  qui  projetait  encore  de  se  faire  recon- 
naître roi  des  Romains  :  aussi  fut-il  résolu  qu'on  mettrait  un 
terme  à  toutes  ces  mauvaises  rumeurs,  en  tenant  une  grande 
assemblée  ecclésiastique  et  laïque  à  la  fois,  qui  serait  convoquée  le 
17  juillet  1408.  L'archevêque  Zbynek  promit  son  concours,  et 
tint,  un  mois  auparavant  (15  juin  1408),  son  synode  diocésain 
d'été,  où  il  ordonna  d'apporter  dans  un  délai  déterminé,  à  la 
chancellerie  archiépiscopale,  tous  les  livres  de  Wiclif,  afin  qu'on 
en  put  corriger  les  erreurs.  Il  demanda  aussi  des  explications 
aux  plus  chauds  partisans  de  "Wiclif,  dans  le  clergé  de  Prague^. 
On  déclara  néanm.oins  à  la  grande  assemblée  du  17  juillet  «  qu'on 
n'avait  pu  trouvèï*  aucun  hérétique  en  Bohème  »:  %  ce  qui  im- 
pliqait  une  contradiction  chez  l'archevêque.  Hôfler  prétend 
avoir  trouvé  tine- copie  plus  fidèle  des  décisions  de- cette  grande 
assemblée  dans  les  actes  d'une  discussion  qui  eut  lieu  plus  tard 
en  1465,  entre  quelques  théologiens  utraquistigues  et  subiinis- 
/iç'Mes.D'après  ce  document,  l'assemblée  aurait  déclaré  que  «  1°  le 
corps  du  clergé  de  Bohême  n'avait  pas,  sur  les  sacrements,  sur  le 
pouvoir  des  clefs,  les  indulgences  et  les  ordres  monastiques, 
d'autre  foi  que  celle  de  la  sainte  Église,  dont  le  pape  est  la  tête, 
et  le  collège  des  cardinaux,  le  corps  ;  2°  le  clergé  de  Bohême  se 
soumet  en  tout  aux  décisions  de  l'Église  romaine;' 3'  il  reconnaît 
que  l'on  doit  obéir  au  Siège  apostolique  et  aux  -chefs  de  l'Église, 
toutes  les  fois  qu'il  ne  défend  pas  quelque  cho'se  d'évidemment 

.- ^ -■ 

(1)  Hôfler,  J.  Eus,  p.  177  sq.  189-191  ;  Hist.  t.  IL  p.  138  et '193;  t.  III, 
p.  35;  Concilia  Prag.  p.  53.  —  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  l''"  partie, 
p.  221  sq.  ;  YHist.  du  Hussit.  et  le  proies.  Hôfler,  p.  116.  —  Krummel,  I.  c. 
p.  170.  Sur  les  poursuites  de  TUniversité  d'Oxford  contre  Jérôme,  au  sujet 
de  Ja  propagation  de  l'hérésie.  Cf.  Documenta  M.  J.  Hus,  éd.  Palacky,  p.  336. 

(2)  Hôfler,  Concilia  Prag.  p.  60. —  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  1''°  p. 
p.  223.  Vraisemblablement  c'est  à  ce  sujet  que  se  rapporte  la  lettre  de  Hus 
(juillet  1408),  dans  laquelle  il  se  plaint  de  voiries  ecclésiastiques  prévari- 
cateurs rester  impunis,  tandis  qu'on  poursuit  sous  prétexte  d'hérésie  ceux 
qui  veulent  améliorer  la  conduite  de  leurs  frères.  C'est  la  première^lcttre 
de  la  première  édit.  des  Documenta  M.  J.  HusA&  Palacky,  Prag.  1S69. 

(3)  Hussii  0pp.  (Histor.  et  Monumenta  J.  Eus),  Norimb.  1715, 1. 1,  p.  114  b; 
Documenta,  nouv.  édit.  p.  392. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  339 

bon  ou  qu'il  ne  prescrit  pas  quelque  chose  d'évidemment 
mauvais  * .  » 

Obéissant  aux  ordres  de  l'archevêque,  plusieurs  docteurs, 
maîtres  et  étudiants,  et  Jean  Hus  lui-même  apportèrent  à  la 
chancellerie  les  livres  de  Wiclif  qu'ils  possédaient,  ou  au  moins 
quelques-uns  d'entreeux;  mais  les  autres  en  appelèrent  au  pape 
Grégoire XII,  et  protestèrent  en  même  temps  contre  le  mandement 
de  l'archevêque  ordonnant  aux  prédicateurs  d'enseigner  au  peuple 
qu'après  la  consécration  il  ne  reste  plus  dans  l'hostie  que  le  corps, 
et  dans  le  calice  que  le  sang  de  Jésus-Christ.  C'est  le  premier 
appel  des  hussites.  Ils  suppliaient  en  outre  le  souverain  pontife 
de  déléguer  un  auditeur  du  sacré  palais,  chargé  d'informer  à  leur 
sujet  et  autorisé  à  citer  l'archevêque  devant  la  cour  romaine 
ou  partout  ailleurs  ^.  Ils  dénonçaient  l'ordonnance  de  l'arche- 
vêque en  lui  faisant  dire  que  sous  l'espèce  du  pain  il  ne  restait 
plus  que  le  corps  à  l'exclusion  du  sang,  ce  qui  aurait  eu  pour 
conséquence  la  nécessité  de  la  communion  sous  les  deux 
espèces  '.  Évidemment  ce  n'était  pas  là  ce  qu'avait  entendu  le 
prélat,  mais  il  est  aussi  intéressant  de  constater  comment  à  leurs 
débuts  les. hussites  qualifiaient  précisément  d'hérésie  le  fonde- 
ment dogmatique  sur  lequel  ils  devaient  s'appuyer  plus  tard  pour 
réclamer  avec  tant  de  passion  l'usage  du  calice.  A  cette  époque, 
Hus  et  ses  partisans  étaient  donc  parfaitement  convaincus  de  la 
présence  simultanée  du  corps  et  du  sang  de  Notre-Seigneur  sous 
une  seule  espèce. 

Vers  le  même  temps  (été  de  1408),  Hus  fut  accusé  auprès  de 
l'archevêque,  par  les  membres  du  clergé  de  Prague,  à  raison  des 
attaques  qu'il  dirigeait  contre  eux  dans  ses  prédications,  et  cité 
par  le  prélat  à  comparaître  devant  lui.  Ses  moyens  de  défense 
ne  manquèrent  ni  de  sophistique  ni  d'audace.  On  lui  reprocha 
«  d'avoir  décrié  le  clergé  devant  tout  le  monde  »  il  répondit  qu'on 
en  avait  menti,  puisque  «  tout  le  monde  »  n'assistait  pas  à  ses  ser- 
mons. Ainsi  du  reste;  aussi  ne  s'étonna-t-on  nullement  de  voir 
l'archevêque  lui  interdire  la  chaire  ^  Ses  amis  émirent  alors  cette 

(1)  Concilia  Prag.  éd.  Hofler,  p.  61  sq.;  —  Palacky,  Y  Histoire  du  Hussi- 
iisme,  etc.  p.  144  sq. 

[l)  _Docume7ita,  etc.  p.  188  sq.  et  332-335,  402;  Concilia  Prag.  y.  51  b2, 
53,  64. 

(3)  Documenta,  etc.  p.  188  sq.  —  Hôfler,  Hist.  1"  part.  p.  290,  et  3«  part 
p.  29  sq.  ;  /.  HuSy  p.  195. 

(4)  Voir  la  plainte  du  clergé  et  la  défense  de  Hus  dans  Hôfler,  Hist.  t.  U. 


340  JEAN    HUS   ET   SON    HISTOIRE 

proposition  :  «  qu'il  est  permis  à  un  diacre  et  à  un  prêtre  d'an- 
noncer la  parole  de  Dieu  sans  l'autorisation  du  souverain  pontife 
ou  de  son  propre  évêque  *,  »  et  ils  en  firent  alors  usage.  Quelques- 
uns  même  voulurent  attribuer  aux  laïques  le  pouvoir  de  prêcher, 
comme  nous  le  verrons  dans  un  document  du  30  juin  1408  2.  Un 
mémoire  intitulé  Medulla  Tritici  seu  Antiwiclefus  ^,  rédigé 
en  1408  sous  les  yeux  de  l'archevêque  Zbynek  par  Etienne  de 
Dola,  l'éminent  prieur  de  la  chartreuse  de  la  vallée  de  Josaphat 
en  Moravie,  nous  apprend  quels  rapides  progrès  avait  déjà  faits 
le  wiclifîsme  en  Bohême  et  dans  ce  pays.  Il  défend  le  dogme 
catholique  de  l'eucharistie  contre  Wiclif  et  ses  partisans,  sans 
trouver  matière  à  polémique  contre  Hus.  Mais  peu  de  temps 
après  le  même  prieur  publia  trois  autres  écrits  contre  Hus  et  les 
hussites  {VAntihusstis,  le  Dialogus  volatilis  inter  aucam  (Hus)  et 
passerem  et  VEpistola  ad  Hussiias  *).  Krummel  (p.  149)  et 
d'autres  auteurs  citent  Etienne  de  Dola  comme  favorable  à  Jean 
Hus.  Il  aurait  dit  en  parlant  de  lui  :  «  Il  a  une  vie  austère,  une 
conduite  pure  et  honorable ,  il  fait  beaucoup  de  prières ,  de 
veilles,  de  jeûnes  et  d'abstinences,  etc.  »  Krummel  allègue  à 
l'appui  V Antiwicliffus  seu  Medulla  tritici,  p.  462;  malheureu- 
sement, s'il  avait  pris  la  peine  de  lire  lui-même  ce  passage,  il 
aurait  pu  constater  1"  qu'il  ne  se  trouve  pas  dans  la  Medulla 
tritici  ou  Antiivicliffus,  mais  dans  le  Dialogus  volatilis,  presque 
à  la  page  indiquée,  p.  461,  et  2°  qu'Etienne  de  Dola  ne  donne  pas 
les  éloges  en  question  à  Jean  Hus,  mais  que  Jean  Hus  lui-même 
[aaca)  se  glorifie  de  ses  bonnes  œuvres,  ce  qui  lui  attire  une 
amère  réprimande  du  passereau. 

Le  wiclifisrae  prit  en  Bohême  une  extension  de  plus  en  plus 
grande  et  devint  bientôt  une  affaire  nationale.  C'étaient  surtout 
les  Tchèques,  et  les  Thèques  presque  seuls,  qui  avaient  adopté 
le  "wiclifisme  ;  les  Allemands  le  combattaient  :  il  n'est  donc  pas 
étonnant  que  les  premiers  formassent  le  désir  de  voir  enfin 
ruinée  la  prépondérance  des  seconds  dans  l'université  de  Prague. 
Une  circonstance  vint  donner  l'espoir  d'opérer  cette  révolution  : 


p.  143-153,  et  Documenta,  etc.  éd.  Palacky,  1869,  p.  153-163.  Cf.  Hôfldr, 
J.  Hus,  p.  197  sqq. 

(1)  HôFLER,  J.  Hus,  p.  200. 

(2)  Documenta,  etc.  éd.  Palacky,  p.  342. 

(3)  Imprimé  par  Fez.  Thesaur.  anecd.  7iov.  t.  IV,  2,  p.  151-360, 

(4)  P.  363-706. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  841 

ce  fut  la  rupture  de  Wenceslas  avec  Grégoire  XII,  suivie  de  la 
promesse  que  fit  ce  prince  de  se  faire  représenter  au  concile  de 
Pise  (octobre  1408)  ^  L'archevêque  et  les  Allemands  ayant  refusé 
leur  adhésion  au  roi,  les  Tchèques  n'en  furent  que  plus  ardents 
à  se  ranger  de  son  côté  ^,  et  les  deux  parties  portèrent  leur 
cause  devant  lui  à  Kuttenberg.  Jean  Nas,  docteur  dans  l'un 
et  l'autre  droit,  et  souvent  envoyé  en  mission  par  le  prince,  dit 
à  ce  sujet  qu'il  était  d'avis  que  les  maîtres  des  trois  nations 
(allemandes)  comparussent  en  personne  devant  le  roi  pour  y 
défendre  leurs  droits  établis  par  leurs  constitutions.  Wenceslas 
le  leur  accorda.  Sur  ces  entrefaites.  Eus,  Jérôme  de  Prague  et 
les  autres  vinrent  trouver  le  roi  pour  l'attirer  à  leur  parti  ;  mais 
il  leur  répondit  avec  indignation  :  «  Toi,  Eus,  et  ton  ami  Jérôme, 
vous  ne  cherchez  qu'à  me  surprendre;  si  vous  ne  vous  con- 
formez pas  aux  ordres  que  j'ai  donnés,  je  vous  ferai  périr  sur 
le  bûcher  ^.  »  Wenceslas  n'était  donc  pas  encore  en  ce  moment 
décidé  à  bouleverser  l'université,  et  comme  il  crut  voir  dans  Eus 
le  principal  auteur  des  troubles  qui  divisaient  ce  corps  à  la  fois 
national  et  ecclésiastique,  il  ne  lui  ménagea  pas  les  paroles 
sévères.  Mais  les  choses  changèrent  de  face,  et  le  jour  même  où 
Wenceslas  se  convainquit  qu'il  n'y  avait  aucune  concession  à 
attendre  des  Allemands,  dans  la  question  du  pape,  il  rendit 
(18  janvier  1409)  le  fameux  décret*  en  vertu  duquel  la  nation 
bohémienne  devait  posséder  à  l'avenir  trois  voix,  et  la  nation 
allemande  n'en  avoir  plus  qu'une.  Nous  avons  déjà  parlé  de 
celte  mesure,  à  la  suite  de  laquelle  toute  la  nation  allemande 
(à  l'exception  des  juriconsultes)  se  retira.  Eus  fut  alors  nommé 


(1)  Nous  nous  sommes  occupés  déjà  de  cette  affaire  et  nous  avons  vu 
qu'outre  l'envoyé  royal,  Jean,  cardinal  de  Reinstein,  deux  professeurs  de 
Prague,  Stanislas  de  Znaïm  et  Etienne  de  Palecz,  vinrent  en  Italie,  mais 
qu'ils  furent  arrêtés  par  Balthasar  Gossa.  Deux  mémoires  de  l'Université  de 
Prague  en  leur  faveur  viennent  d'être  édités  par  Palacky,  Documenta,  etc. 
p.  345  sq.  On  en  trouve  un  troisième  (p.  363)  où  le  cardinal  de  Pise  prie  Bal- 
thasar Cossa  de  leur  rendre  la  liberté. 

(2)  L'archevêque  avait  reproché  à  Hus  de  ne  plus  reconnaître  Grégoire  XII 
comme  pape;  Hus  défend  sa  neutralité  dans  une  lettre  au  prélat.  Voir  Hô- 
FLER,  t.  II,  p.  168  sq.,  et  Documenta,  etc.  p.  5  sq.  Palacky,  de  même  qu'Hôfler, 
écrit  gregi  pour  régi  (p.  6),  et  plus  loin  (p.  515  j,  reservatione  ecclesiœ,  au  lieu 
de  refonnatio)ie . 

(3)  HôFLEE,  Hist.  1. 1,  p.  216  sq. 

(4)  Documenta,  etc.  éd.  Palacky,  p.  347.  Cf.  Hôpler,  Hist,  1. 1,  p.  18  sq.  — 
Balagky,  l'Histoire  du  Hussitisme,  etc.  1868,  p.  93. 


342  JEAN   HUS   tT   SON   HISTOIRE 

recteur  pour  la  seconde  fois.  Ce  fut  le  premier  recteur  de  Tuni- 
versité  mutilée. 

A  partir  de  la  disgrâce  des  Allemands,  Hus  et  ses  amis  prirent 
chaque  jour  dans  leurs  sermons  une  nouvelle  audace.  On  pouvait 
prévoir  de  plus  en  plus  qu'il  ne  se  contenterait  pas,  en  restant 
fidèle  à  l'Église  comme  Gerson  et  les  autres,  d'attendre  d'elle 
les  remèdes  à  ses  propres  maax;  mais  qu'étendant  toujours 
davantage  le  principe  de  subjectivité,  il  en  viendrait  à  considérer 
son  propre  sens  comme  la  mesure  infaillible  des  manifestations 
de  l'Église,  et  à  réclamer  du  pouvoir  civil  la  suppression  de  tout 
ce  qui  ne  voudrait  pas  se  soumettre  à  cette  règle.  En  vertu  de 
ce  principe,  il  se  mit  peu  en  peine  des  démarches  et  des  citations 
de  l'archevêque*,  que  sa  fidélité  à  Grégoire  XII  avait  brouillé 
avec  le  roi,  et  rendu  conséquemment  impuissant  ^.  Les  hussites, 
au  contraire,  s'étaient  déclarés  pour  Alexandre  V,  élu  à  Pise, 
et  avaient  obtenu  de  lui  l'envoi  du  docteur  Henri  Grumhart 
de  Westerholz,  auditeur  du  palais,  en  qualité  de  commissaire 
chargé  d'examiner  les  accusations  portées  contre  l'archevêque. 
Ce  dernier  fut  donc  cité  à  comparaître,  et  prohibition  lui  fut  faite 
de  procéder  en  aucune  sorte  contre  les  appelants  et  plaignants'. 
Mais  lorsque,  le  2  septembre  1409,  Zbynek  se  fat  rangé  aussi  du 
côté  d'Alexandre  et  lui  eût  adressé  un  rapport  sur  la  situation 
religieuse,  l'appel  des  hussites  n'obtint  plus  aucun  résultat,  et 
l'archevêque  lui-même  se  vit  constitué  juge  de  ses  propres 
accusateurs  ^.  Plus  tard,  le  20  décembre,  une  bulle  lui  fut 
adressée,  dans  laquelle  il  était  dit  que  le  pape  avait  été  informé 
par  des  renseignemente  dignes  de  foi  que  les  erreurs  de  Wiclif, 
touchant  particulièrement  l'eucharistie,  s'étaient  introduites  à 
Prague,  et  généralement  dans  la  Bohême  et  la  Moravie,  où  elles 
avaient  séduit  beaucoup  d'âmes.  Afin  d'empêcher  une  plus 
grande  diffusion  du  mal,  le  souverain  pontife  interdisait  de 
prêcher  à  l'avenir  ailleurs  que  dans  les  cathédrales,  collégiales, 
éghses  de  paroisse  ou  de  monastère  et  les  lieux  y  attenants.  Il 
chargeait  en  outre,  tl'archevêque  dont  le  zèle  était  connu  de 

(1)  Le  procès-verbal  d'une  de  ces  citations  contenant  les  accusations  por- 
tées contre  IIus  et  sa  défense  se  trouve  dans  Hôfler,  Hist.  1. 1,  p.  182  sq., 
et  Documenta,  etc.  éd.  Palacky,  p.  164-169. 

(2)  On  peut  voir  dans  sa  lettre  à  M.  Zawissius  avec  quelle  violence  Hus 
traitait  dès  lors  ses  accusateurs.  Documenta,  1.  c.  p.  9  sq. 

(3)  IMd.  p.  389  et  402. 

(4)  Ibid.  p.  189  et  402,  efc. 


jusqu'à  son  arrivés  a  constance.  343 

choisir  une  commission  de  cinq  théologiens  et  de  deux  cano- 
nistes,  et  de  prononcer  avec  elle,  au  nom  de  l'autorité  pontificale, 
sur  tous  les  appels  et  moyens  de  défense  adressés  à  Rome, 
et  de  prohiber,  en  vertu  des  mêmes  pouvoirs,  l'enseignement 
et  la  discussion  des  fameux  articles  dans  toutes  les  écoles. 
Enfin  le  pape  menaçait  tous  les  ecclésiastiques  de  déposition  et 
d'arrestation,  s'ils  refusaient  de  réprouver  les  susdits  articles  et 
de  livrer  les  ouvrages  de  Wiclif  dont  ils  étaient  possesseurs. — 
Dans  un  autre  bref  écrit  à  la  même  date,  Alexandre  V  sommait 
le  roi  de  procéder  contre  les  wiclifistes  ^  Ces  lettres  arrivèrent  à 
Prague  au  mois  de  mars  1410,  et  l'archevêque  s'inspirant  de 
leurs  prescriptions,  au  synode  d'été  (16  juin  1410  2)  condamna 
au  feu  la  série  des  œuvres  de  Wiclif,  comme  manifestement  in- 
fectée d'hérésies  et  d'erreurs,  bien  que  la  bulle  pontificale  n'eût 
pas  fait  mention  de  cette  peine.  Quant  à  ceux  qui  n'avaient  pas 
remis  les  ouvrages  incriminés,  ou  qui  en  avaient  appelé  au  pape  à 
ce  sujet,  il  leur  fut  accordé  un  délai  de  six  jours  pour  faire  livrai- 
son, sous  les  peines  édictées  contre  ceux  qui  prêcheraient  dans 
les  succursales  ou  soutiendraient  les  quarante-cinq  articles  ^.  î' 
Immédiatement  après  la  tenue  du  synode,  l'université  de 
Bohême  avait  protesté  contre  la  condamnation  au  feu  des  livres 
de  Wiclif*  et  prié  le  roi  d'y  mettre  opposition,  sous  prétexte  que 
ce  serait  une  flétrissure  pour  lui  et  pour  tout  son  royaume,  si  l'on 
apprenait  au  dehors  que  les  écrits  de  Wiclif  avaient  pénétré  en 
si  grande  quantité  dans  la  Bohême.  Cependant,  malgré  l'inter- 
diction du  pape,  Hus  continuait  de  prêcher  dans  l'église  de 
Bethléem;  il  prit  occasion  du  décret  synodal  pour  faire  une 
violente  sortie  devant  les  ouvriers  bohémiens  et  autres  auditeurs 
semblables  qui,  saisis  de  fureur,  se  mirent  à  vociférer  :  «(  Les 
prélats  sont  des  menteurs,  ils  nous  ont  accusés  faussement,  et 
surpris  la  bulle  du  pape.  »  Quelques  jours  plus  tard  (25  juin  1410), 
Hus   et   plusieurs  de  ses  amis,  au  nom  d'un  grand  nombre 


(1)  Documenta,  éd.  Palacky,  p.  372  sq.  et  374,  etc.  —  Hôfler,  Concilia 
Prag.  p.  62;  Hist.  3»  partie,  p.  33  sq.;  /.  Eus,  p. 289,  291,  293,  298,  etc.  — 
Raynald,  1409,  p.89' 

(2)  Et  non  1409,  comme  le  disent  par  erreur  les  Conciles  de  Prag.  p.  64; 
Hist.  l'e  partie,  p.  21.  La  vraie  date  se  trouve  dans  les  Documenta,  etc.  éd. 
Palacky,  p.  378  sqq. 

(3)  Hôfler,  J.  Hus,  p.  299-301  ;  Concilia  Prag.  p.  64-69. 

(4)  Voir  à  V^Tjnui  Hôfler,  Hist.  2^  partie,  p.  187.  et  Documenta,  éd.  Palacky, 
r».  36.  "  ■ 


344  JEAN   HUb  ET  8ÔN   HISTOIRE 

d'adhérents  réunis  dans  l'église  de  Bethléem,  en  appelaient  au 
nouveau  pape  Jean  XXIII  de  la  condamnation  portée  par  l'arche- 
vêque, qu'ils  appelaient  une  injure  faite  à  la  Bohême  et  à  sa 
propre  dignité  *.  Nous  avons  encore  deux  documents  qui  con- 
cernent ce  second  appel  :1e  titre  notarié  du  25  juin  1410  ^,  et  la 
lettre  des  appelants  au  pape^.  Celle-ci  renferme  la  prière  adressée 
au  souverain  pontife  de  commettre  à  l'instruction  de  toute  la 
cause  le  cardinal  Golonna,  qui  avait  déjà  été  chargé  d'en  exami- 
ner quelques  points,  et  de  lui  donner  pouvoir  de  citer  l'arche- 
vêque. 

Sans  se  troubler  de  toutes  ces  démarches,  Zbynek  fit  brûler, 
au  son  des  cloches  et  au  chant  du  Te  Deum,  les  ouvrages  qu'on 
lui  avait  livrés  (16  juillet  1410),  ce  qui  excita  tellement  la  fureur 
de  ses  ennemis  qu'on  vit  paraître  une  foule  de  chansons  dans 
lesquelles  lui  et  les  ecclésiastiques  qui  lui  demeuraient  attachés, 
étaient  honnis,  insultés  et  même  menacés  de  mort*. 

L'archevêque  lança  alors  l'excommunication  contre  Jean  Eus 
et  ses  adhérents,  parmi  lesquels  nous  remarquons  certains  noms 
de  l'aristocratie  tchèque  ^. 

Jérôme  de  Prague,  l'ami  de  Eus,  le  dépassait  encore  en 
violence;  il  se  permit  toute  sorte  d'excès,  et  alla  jusqu'à  jeter  de 
sa  propre  main  dans  les  eaux  du  Moldau  un  carme  très-zélé 
contre  les  hérétiques  ;  d'un  autre  côté ,  le  roi  et  ses  con- 
seillers s'efforçaient  d'arracher  à  l'archevêque  une  grosse  somme 
pour  les  livres  brûlés,  dont  plusieurs  avaient  une  grande  valeur  ^. 
Wenceslas  laissait  en  outre  à  Bus,  à  Jacobell  et  aux  autres  la 
liberté  de  recommencer  publiquement,  en  pleine  université,  leurs 
commentaires  sur  les  hvres  de  Wiclif '' .  Il  en  résultait  entre  les 
deux  partis  des  scènes  violenies,  où  les  hussites  ne  manquaient 
pas  d'être  les  agresseurs  *. 

Voici  le  jugement  assez  sage  que  Palacky  lui-même,  compa- 

(1)  Documenta,  p.  189. 
2)  Ibid.  p.  387  sq. 
•(3)  Md.  p.  401-403. 
('()  HôFLER,  Hist.  r«  partie,  p.  21.  —  Helfert,  Hus  e  Jérom.  p.  91. 
(5)  Documenta,  etc.  éd.  Palacky,  p.  397.  —   Hôfler,  J.  Hui,    p.  82.  —   Pa- 
lacky, HUt.  de  Bohème,  t.  III,  p.  252.  D'après  Gzerwenka  (p.  82)  l'archevêque 
n'alla  si  loin  que  parce  qu'il  avait  de  puissants  amis  à  la  cour  d'Avignon. 
Mais  Alexandre  V  et  Jean  XXIII  étaient  donc  alors  des  papes  d'Avignon! 
(fi)  Palacky,  l'Histoire  du  Hussilirme,  etc.  p.  139. 

(7)  Voir  à  ce  sujet  les  déclarations  publiques  de  Hus,  Jacobell  et  autres, 
Documenta,  éd.  Palacky,  p.  399  sq. 

(8)  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  253,  256. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  345 

triote  de  Eus  et  son  admirateur,  porte  sur  sa  conduite  à  cette 
époque  *  :  «  La  conduite  de  Hus,  dit-il,  dans  ces  jours  de 
trouble,  se  comprend  plus  aisément  qu'elle  ne  se  justifie.  On  ne 
peut  douter  que  son  zèle  pour  la  réforme  du  clergé  ne  fût  aussi 
légitime  que  bien  intentionné  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  son  enseignement  allait  tout  droit  à  la  ruine  entière  de 
l'Église.  En  continuant  à  dénoncer  et  à  flétrir  publiquement  les 
abus  et  les  excès  de  ses  supérieurs  ecclésiastiques,  il  oublia 
trop  facilement  que  la  modestie  et  la  docilité  sont  aussi  rangées 
parmi  les  vertus  chrétiennes^.  »  Krummel  (p.  210  et  suiv.)  ne 
veut  pas  non  plus  pardonner  à  Hus  d'avoir  négligé  la  modestie, 
et  trop  excusé  la  manière  dont  son  parti  crut  devoir  affirmer  sa 
force  et  sa  puissance  en  1409  et  dans  les  années  suivantes. 

Le  pape  chargea  quatre  cardinaux  d'examiner  la  cause  de  Jean 
Hus.  Ceux-ci  s'adjoignirent  tous  les  docteurs  en  théologie 
(de  diverses  nations)  qui  se  trouvaient  alors  à  Bologne,  lesquels, 
dans  une  grande  réunion  tenue  chez  le  cardinal  Golonna 
(août  14091,  se  prononcèrent  contre  la  condamnation  au  feu  des 
livres  de  Wiclif,  sans  néanmoins  approuver  tout  le  contenu  des 
dits  ouvrages  ^.  Cependant  arrivèrent  bientôt,  comme  Hus 
l'assure  lui-même,  de  nouvelles  plaintes  qui  l'accusaient  de  prê- 
cher de  mauvaises  doctrines  et  demandaient  sa  citation  devant  la 
cour  romaine,  pour  crime  d'hérésie  *.  Il  s'agit  évidemment  de 
l'acte  d'accusation  qui  se  trouve  dans  les  Documenta  M.  Joan. 
Bus.  p.  404-406,  lequel  déclare  que  Hus,  dans  un  sermon 
prêché  à  l'église  de  Bethléem  a  excité  le  peuple  contrôle  sou- 
verain pontife,  qu'il  a  traité  de  menteur.  On  demandait  au 
pape  de  confier  l'examen  des  erreurs  de  Hus  à  un  cardinal, 
peut-  être  à  Colonna,  de  le  charger  en  même  temps  d'inter- 
roger Hus  en  personne  ;  enfin  d'ordonner  l'exécution  des 
mandats  donnés  par  Alexandre  V  à  l'archevêque.  Hus  prétend 
en  outre  que  le  cardinal  Golonna  ne  choisit  pas  des  témoins 
autorisés,  qu'il  ne  reçut  pas  plusieurs  attestations  à  sa  décharge, 

(1)  Dans  son  nouvel  ouvrage  :  die  Geschichte  des  Husitenthums  und  Prof. 
C.  HôQer,  S.  66,  Palacky  écrit,  p.  66  :  «  J'avoue  que  de  toutes  les  confessions 
chrétiennes  que  je  connaisse,  je  préfère  celle  qui  s'intituie  :  Union  des  Frères 
tchèques,  non  pas  celle  qui  au  xviii«  siècle  s'est  transformée  à  Herrnhut, 
mais  celle  qui  existait  au  xv«  et  au  xvi®  siècle  en  Bohême  et  en  Moravie  et 
dont  mes  aïeux  ont  fait  partie. 

(2)  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  254. 

(3)  Documenta,  etc.  p.  189  et  426,  etc. 

(4)  Ibid.  p.  189  sq. 


346  JEAN   HUS   ET   SON   HISTOIRE 

et  qu'enfin,  malgré  les  dispositions  du  pape  qui  ne  voulait  pas 
exiger  la  comparution  personnelle,  il  le  cita  sans  délai  devant  la 
cour  de  Rome  * . 

D'un  autre  côté,  le  roi  Wenceslas  et  la  reine  Sophie  envoyèrent 
au  pape  Jean  XXIII  et  aux  cardinaux  (12  sept.  1410)  plusieurs  lettres 
demandant  le  retrait  de  la  défense  de  prêcher  et  de  la  condam- 
nation au  feu  des  livres  de  Wiclif,  en  même  temps  que  la  puni- 
tion des  calomniateurs  de  la  Bohême  qui  avaient  surpris  la  foi  du 
saint-père  '^.  Plusieurs  barons  et  administrateurs  de  la  ville  de 
Prague  écrivirent  aussi  dans  le  même  sens,  en  témoignant  un 
intérêt  tout  particulier  pour  l'église  de  Bethléem  ^.  Lorsque 
Jean  Hus  fut  cité  personnellement  à  Bologne,  le  roi  et  la  reine 
s'efforcèrent  de  conjurer  l'effet  de  cette  assignation  par  d'autres 
lettres  (30  septembre  et  1  "'  octobre  1410),  qui  exprimaient  aussi  des 
plaintes  nouvelles  contre  l'interdit  de  la  chaire.  Tous  deux  fai- 
saient le  plus  grand  éloge  de  leur  chapelain  Hus  et  de  l'église  de 
Bethléem  et  exprimaient  le  désir  de  voir  cette  affaire  examinée 
et  traitée  en  Bohême.  Wenceslas  envoya  en  même  temps  près  du 
pape  le  docteur  Naso  et  le  magister  cardinal  de  Reinstein,  pour 
lui  fournir  verbalement  de  plus  amples  explications  *.  Hus 
députa  aussi  à  Bologne  trois  procureurs,  par  lesquels  son  ami,  le 
jurisconsulte  M.  Jean  de  Jésenic;  mais,  comme  ceux-ci  ne  purent 
rien  obtenir  du  cardin-al  Golonna,  ils  interjetèrent  appel  au 
souverain  pontife.  Gela  n'empêcha  pas  Golonna  d'excommunier 
Jean  Hus,  parce  qu'il  n'avait  pas  comparu.  Mais  le  pape  lui  retira 
l'affaire  des  mains  pour  la  confier  à  une  com.mission  de  quatre 
cardinaux,  présidés  par  François  Zabarella  et  Louis  Brancaccio, 
laquelle  néanmoins  devait  siéger  en  Italie  et  non  point  en 
Bohême.  Au  dire  des  hussites,  l'archevêque  et  ses  amis  auraient 
obtenu  cette  solution  en  envoyant  de  riches  présents  au  pape  et 
à  plusieurs  cardinaux  ^,  mais  il  était  de  leur  intérêt  de  déprécier 
et  le  jugement  du  pape  et  l'archevêque  lui-même.  Gontentons- 
uous  de  regretter  avec  Palacky  qu'un  homme  aussi  éclairé  que  le 
cardinal  Zabarella  n'ait  pas  été  envoyé  en  Bohême,  tout  en 
croyant  que  la  nature  de  cette  affaire  et  les  prétentions  exorbi- 


(1)  Documenta,  etc.  p.  190. 

(2)  Ihid.  p.  409-413. 
^3)  Ihid.  p.  413-415. 

(4)  Ibid.  p.  422-426.  Cf.  Hôfler.  Hnt.  t.  I,  p.  188  sq, 

(5)  HoFLER,  Hist.  1. 1,  p.  20. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  347 

tantes  des  hussites  l'eussent  empêché  de  réussir.  Si  Zabarella 
était  venu  en  Bohême,  Palacky  se  serait  encore  plaint  ;  car  le 
cardinal  n'aurait  certainement  pas  pu  accorder  aux  hussites 
ce  qu'ils  voulaient  obtenir.  —  Bientôt,  nous  ne  savons  pour 
quelle  cause,  l'affaire  fut  confiée  au  seul  cardinal  Brancaccio,  qui 
la  traîna  en  longueur,  et  finit,  après  de  longs  retards,  par  con- 
clure à  l'exécution  pure  et  simple  de  la  sentence  de  Golonna.  En 
conséquence,  l'archevêque  prononça  l'excommunication  contre 
Hus  et  ses  partisans  (15  mars  1411),  et  bientôt  après  contre  les 
administrateurs  de  la  ville  de  Prague,  sur  laquelle  il  jeta  l'in- 
terdit. Hus  interjeta  appel  au  concile  général  et  passa  outre,  en 
continuant  de  prêcher  * . 

Pendant  le  mois  de  juillet  1411,  au  moment  de  sa  propre 
réconciliation  avec  son  frère  Sigismond,  Wenceslas  parvint  à 
établir  entre  l'archevêque  et  les  hussites  une  sorte  de  trêve  qui 
fut  d'ailleurs  de  courte  durée.  Un  tribunal  choisi  par  les  deux 
parties,  et  dont  les  principaux  membres  étaient  :  le  prince  électeur 
Rodolphe  de  Saxe,  le  comte  Stibor  (de  Transylvanie,  envoyé 
de  Sigismond),  Wenceslas,  patriarche  d'Antioche,  prieur  de 
Wysherad  et  chancelier  du  roi,  et  Conrad  évêque  d'Olmutz, 
rendit  (juillet  1411)  une  décision  aux  termes  de  laquelle  l'ar- 
chevêque devait  se  soumettre  au  roi  et  écrire  au  pape  qu'il  ne 
savait  absolument  rien  touchant  des  hérétiques  de  Bohême,  et 
que  les  points  de  droit  soulevés  à  l'occasion  de  Hus  et  de  ses 
collègues  ayant  été  très-heure asement  résolus  par  le  roi  et  ses 
conseillers;  toutes  les  censures  portées  par  le  Saint-Siège  à  ce 
sujet  avaient  lieu  d'être  levées,  ainsi  que  l'obhgation  pour  Hus 
de  comparaître  en  personne  ^.  Vers  le  même  temps,  Hus  affirma 
la  pureté  de  sa  foi,  et  remit  le  soir  du  1"  septembre  1411, 
dans  le  collège  Carolin,  au  recteur  [et  aux  directeurs  de  l'Uni- 
versité, une  profession^écrite  sous;forme  de  lettre  à  Jean  XXIII, 
dans  laquelle  il  protestait  de  son  orthodoxie  et  de  son  respect 
profond  pour  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  et  repoussait  en  même 
temps  comme  mensongères  diverses  accusations  lancées  contre 

(1)  Cf.  Epist.  8  in  Documenta  M.  J.  Hus,  etc.  1869,  p.  16.  —  Hofler,  Hist. 
1"  partie,  p.  20,  291,  294.— Palacky,  Histoire  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  256- 
259,  263,  etc.  —  Documenta,  etc.  p.  429  sqq. 

(2)  Voir  les  pièces  dans  les  Documenta,  etc.  p.  434-443.  —  Hôpler,  Hist. 
1. 1,  p.  294-296 ,  etc.;  t.  II,  p.  193-200.  Cf.  Palacky,  I.  c.  p.  268.  Ce  dernier 
présume  (p.  267)  que  l'accord  passager  de  l'archevêque  avec  Hus  eut  l'assen- 
timent du  pape. 


348  JEAN   H  us  ET   SON   HISTOIRE 

lui.  Ainsi,  c'était  faussement  qu'on  lui  reprochait  d'avoir  enseigné 
que  la  substance  matérielle  du  pain  demeure  dans  l'eucharistie, 
et  que  le  corps  de  Notre-Seigneur  n'est  présent  qu'au  moment  de 
l'élévation,  et  non  plus  lorsque  l'hoslie  est  replacée  sur  l'autel. 
Il  n'avait  jamais  soutenu  que  les  princes  puissent  confisquer 
les  biens  du  clergé,  et  s'exempter  de  la  dîme,  etc.  Ce  n'était  pas 
à  lui  qu'il  fallait  attribuer  l'expulsion  des  Allemands  de  Prague  : 
c'étaient  bien  plutôt  ceux-ci  qui  avaient  violé  les  constitutions 
(chartes  de  fondation)  de  l'université  (c'est-à-dire  la  fausse  expli- 
cation qu'on  en  donnait)  et  avaient  refusé  d'obéir  au  roi.  Quand 
on  l'avait  cité  à  Rome,  il  s'y  serait  rendu  volontiers,  si  les 
embûches  de  ses  ennemis  et  surtout  des  Allemands  ne  l'en  avaient 
empêché.  Bien  souvent  il  s'était  déclaré  prêt,  et  il  s'offrait  encore 
une  fois  à  confondre  ses  adversaires,  s'engageant  même,  s'il  était 
vaincu,  à  subir  la  peine  du  feu,  pourvu  qu^en  cas  de  défaite  ses 
accusateurs  endurassent  la  même  peine  * . 

Le  mêmejour  (1"  septembre  1411),  Hus  écrivit  au  sacré-collége 
pour  dire  combien  il  avait  contribué  à  faire  rejeter  l'obédience 
de  Grégoire  XII,  et  à  provoquer  la  reconnaissance  du  concile  de 
Pise.  C'était  pour  cette  raison  que  l'archevêque  Zbynek  l'avait 
persécuté,  et  lui  avait  interdit  d'exercer  les  fonctions  sacerdotales 
dans  le  diocèse.  Plus  tard  ce  prélat  avait  dû  faire  lui-même 
adhésion  au  concile  ;  mais  il  n'en  était  pas  moins  vrai  qu'on 
devait  trouver  là  le  principal  motif  des  poursuites  exercées  contre 
Hus.  Il  appartenait  aux  cardinaux  de  prendre  sa  défense,  et  de 
le  dispenser  de  la  comparution  personnelle.  Son  innocence  était 
certaine,  et  il  s'engageait  à  la  démontrer  devant  l'université  de 
Prague  et  tous  les  prélats  de  Bohême^. 

Il  ne  faut  pas  oublier  le  peu  de  conformité  de  ces  documents 
avec  les  écrits  que  Jean  Hus  publiait  à  la  même  époque,  avant  et 
après  sa  paix  avec  l'archevêque.  Dans  le  livre  Be  libris  hœretico- 
rum  legendisy  non-seulement  il  déclame  contre  la  condamnation 
au  feu  des  livres  de  Wiclif;  mais  encore  il  attaque  assez  ouverte- 
ment l'autorité  de  la  tradition,  car,  d'après  lui,  celui-là  seul 
est  hérétique  qui  est  en  contradiction  formelle  avec  l'Écriture. 


(1)  Documenta,  p.  i8  sqq.,  etHôFLEB,  1.  c.  Impartie, p.  164 sq.  Ce  queLeh- 
mann  a  publié  dans  les  Eludes  et  Critiques  (1837,  l''  cahier)  comme  un  écrit 
apologétique  du  temps  n'est  qu'un  fragment  de  ÏHisloria  de  fatis  de  F,  de 
Mladenowicz. 

(2)  Documenta,  p.  20  sq. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  349 

Dans  un  autre  ouvrage  intitulé  «  Actus  pro  defensione  Wicleffi  » 
il  fait  l'apologie  des  livres  de  Wiclif,  et  attribue  à  la  jalousie 
de  l'antechrist  la  défense  qu'on  lui  a  faite  à  lui-même  de  prêcher. 
C'est  aussi  en  faveur  de  ce  sectaire  qu'il  écrivit  la  Defensio  quo- 
rumdam  articulorum  J.  Wicleffi,  dans  les  opuscules  de  Ablatione 
temporalium  a  clericisei  deDecimis,  où  il  prétend  que  les  laïques 
ont  le  droit  et  même  le  devoir  d'enlever  la  dîme  aux  clercs,  si 
ceux-ci  en  font  mauvais  usage.  Il  y  soutient  encore  cette  propo- 
sition de  Wiclif,  qu'un  supérieur  temporel  ou  spirituel  perd  son 
autorité,  s'il  vient  à  commettre  un  péché  mortel.  C'est  vraisem- 
blablement à  cette  époque  qu'il  faut  placer  sa  correspondance 
avec  Richard  Vitze,  Anglais  wiclifîste,  à  qui  Hus  fait  part  de 
l'éminent  succès  de  la  prédication  évangélique  en  Bohême  *. 
Il  voulut  aussi  engager  une  discussion,  le  13  septembre  1411, 
avec  un  autre  Anglais  résidant  à  Prague,  chargé  d'une  mission 
de  son  souverain  auprès  du  roi  Sigismond  de  Hongrie,  et  nommé 
Jean  Stock,  lequel  prétendait  qu'on  ne  pouvait  lire  les  ouvrages 
de  Wiclif  sans  grand  danger  pour  la  foi.  Mais  Stock  ne  voulut  y 
consentir  que  si  le  débat  était  porté  à  Paris  ou  dans  quelque 
autre  université  neutre  ^. 

Toutes  ces  circonstances  et  d'autres  encore  engagèrent  l'ar- 
chevêque à  ne  pas  envoyer  au  pape  les  lettres  dont  nous  avons 
parlé,  et,  le  5  septembre  1411,  il  écrivit  lui-même  au  roi  pour  se 
plaindre  de  l'inobservation  du  contrat,  alléguant  que  l'on  conti- 
nuait à  exercer  des  vexations  contre  le  clergé  et  à  répandre  sur 
lui  les  plus  infâmes  calomnies.  Il  se  rendit  en  même  temps  à 
Presbourg  pour  y  implorer  du  roi  Sigismond  aide  et  protection 
dans  cette  affaire,  mais  la  mort  vint  l'y  surprendre,  le  28  sep- 
tembre 1411  ^.  On  élut  à  sa  place  le  médecin  de  Wenceslas, 
Albik  d'Uniczow,  docteur  en  médecine  et  en  droit,  et  maître  es 
arts  hbéraux.  C'était  un  homme  déjà  âgé,  qui  était  entré  dans  les 
ordres  après  la  mort  de  sa  femme  ;  il  avait  des  vues  droites,  de 
l'intelligence  et  de  la  capacité;  mais  il  vivait  fort  retiré,  ses 
ennemis  l'accusèrent  d'avarice,  et  lui  reprochèrent  surtout 
d'avoir  acheté  sa  dignité  à  prix  d'argent*.  Dès  le  mois  de 


(1)  HoFLER,  Hist.  t.  II,  p.  210-214.  La  lettre  de  Hus  à  cet  Anglais  se  trouve 
dans  es  Documenta,  etc.  p.  12  sq. 

(2)  Documenta,  etc.  p.  447. 

(3)  Ibid.  p.  443.  —  Palagky,  1,  c.  p.  270  sq. 

(4)  Palacîiy  (l.  c.  p.  273)  combat  ces  accusations  ;  du  reste,  l'élection  d'Albik 


35  JEAN   HUS   ET   SON   HISTOIRE 

mai  1412,  le  légat  Wenceslas  Tiem,  doyen  de  Passau,  vint  lui 
apporter  le  pallium.  Jean  XXIII  lui  envoya  en  même  temps  la 
bulle  portant  publication  delà  croisade  contre  Ladislas  de  Naples. 
Avec  la  permission  du  roi  et  de  l'arcbevêque,  on  afficba  cette 
bulle  sur  les  troncs  de  la  cathédrale  et  des  églises  de  Teyn  et  de 
Wysherad,  et  l'on  publia  des  indulgences  pour  engager  le  peuple 
à  concourir  par  de  riches  offrandes  à  la  guerre  sainte.  Mais  Hus  et 
ses  amis  ne  manquèrent  point  de  s'élever  avec  violence,  du  haut 
de  leur  chaire,  contre  cette  bulle,  qu'ils  traitaient  de  véritable 
provocation  au  massacre  des  chrétiens.  Ils  allèrent  même  jusqu'à 
traiter  le  pape  d'antechrist.  Le  7  juin  1412,  Hus  soutint  publique- 
ment une  thèse  contre  la  bulle,  en  déclarant  qu'il  ne  reconnaissait 
d'autre  autorité  que  «  FÉcriture  sainte  et  la  Loi  du  Christ  » ,  et  qu'il 
ne  tenait  les  décrets  du  pape  pour  obligatoire  qu'autant  qu'ils  s'ac- 
cordaient avec  cette  Loi  (ce  dont  la  conscience  de  chacun  restait 
juge)  ^  Jérôme  de  Prague  se  montra  plus  violent  encore  et  fut 
regardé  comme  le  héros  du  j  our .  Même  scène  à  peu  près  eut  lieu  le 
20  juin.  De  bienveillantes  remontrances  de  l'archevêque,  de  la 
faculté  de  théologie,  ne  furent  pas  écoutées;  la  défense  de  la 
bulle,  entreprise  par  Etienne  de  Palecz  et  autres,  ne  produisit 
aucun  effet;  les  amis  de  Hus  envahirent  les  églises,  injurièrent 
les  prédicateurs  qui  recommandaient  les  indulgences,  excitèrent 
le  peuple  contre  l'autorité  ecclésiastique,  formèrent  une  ligue 
contre  l'antechrist  visible,  et  répandirent  partout  des  placards 
injurieux  contre  le  pape  et  les  prélats.  Deux  livres  de  Hus, 
intitulés  de  Indulgentiis  et  Contra  buUam  papœ^  attisèrent 
encore  le  feu  et,  sous  la  conduite  de  Woksa,  seigneur  de  Wald- 
stein,  noble  de  la  cour  de  Wenceslas,  on  attacha  la  balle  au  cou 
d'une  prostituée,  que  l'on  plaça  sur  un  char  triomphal  comme  la 
représentation  de  la  «  prostituée  de  Babylone  » .  Woksa  étant 
ami  de  Jérôme  de  Prague,  c'est  à  lui  plutôt  qu'à  Hus  qu'il  faut 
attribuer  la  responsabilité  de  cette  scène  ^. 


s'explique  lacilement,  puisque  le  chapitre  tenait  beaucoup  à  choisir  quel- 
qu'un d'agréable  au  roi. 

(i)  On  trouve  une  protestation  de  la  faculté  de  théologie  de  Prague  à  ce 
sujet,  ainsi  que  la  réplique  de  Hus,  dans  les  Documenta,  etc.  p.  4''i8  sqq. 

(2)  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  IIl,  1,  p.  277  sq.,  etHist.  du  Hussit.  p.  57. 
Kbummel,  1.  c.  p,  260.  Hôfler  [J.  Hus,  etc.  p.  306)  fait  remonter  cet  événe- 
ment à  l'année  1410,  et  se  reporte  aux  sources  citées  dans  son  livre  : 
Hist.  t.  11^  p.  172.  Mais  l'acte  d'accusation  contre  Jérôme  de  Prague  le 
place  au  mardi  dans  l'octave  de  la  Pentecôte  14H.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  855. 
—  Hard.  t.  VIll,  p.  522. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  361 

Le  roi  Wenceslas  décréta  alors  que  la  .peine  de  mort  serait  désor- 
mais prononcée  contre  ceux  qui  se  rendraient  coupables  d'ou- 
trages envers  le  souverain  pontife.  En  conséquence,  la  municipa- 
lité de  Prague  fit  appréhender  et  décapiter,  malgré  l'intercession 
de  Hus,  trois  jeunes  gens  des  dernières  classes  du  peuple,  factieux 
des  plus  exaltés  qui,  le  dimanche  10  juillet,  avaient  publiquement 
contredit  et  insulté  des  prédicateurs  dans  leurs  églises.  On  les 
inhuma  solennellement  dans  l'église  de  Bethléem,  et  Hus,  dans 
un  serrnon,  les  loua  comme  des  martyrs  ^  Cette  conduite 
de  Hus  amena  une  crise  dans  les  esprits.  Les  collègues  les 
plus  distingués  de  Hus,  la  plupart  ses  anciens  maîtres,  Stanislas  et 
Pierre  de  Znaïm,  Etienne- de  Palecz,  André  de  Broda  et  d'autres 
encore^,  presque  tous  cependant  tchèques  comme  lui,  se 
déclarèrent  ouvertement  contre  lui  et  Wiclif  ^ .  Le  roi  Wenceslas, 
au  contraire,  s'arrêta  à  moitié  chemin  :  il  voulait  la  «  chaire  libre  » 
et  n'entendait  ni  reculer  ni  prendre  parti  contre  Hus  ;  d'autre 
part,  cependant,  il  maintenait  la  peine  du  bannissement  contre 
.les  défenseurs  des  quarante-cinq  articles  de  Wiclif  ^,  et  il  faisait 
tenir,  le  16  juillet  1412,  dans  la  salle  du  conseil  {in  prœtorio) 
une  grande  assemblée  (que  Hus  a  bien  souvent  accablée 
d'injures),  où.  furent  officiellement  approuvés  six  articles 
opposés  par  la  faculté  de  théologie  aux  doctrines  de  Wiclif. 
Voici  ces  articles  ^  :  1°  Qui  aliter  sentit  de  sacramentis  et 
clavibus  Ecclesiœ,  quam  Rmoana  Ecclesia,  censetur  hœreticus. 

2"  Quod  his  diebus  sit  ille  magnus   Antichristus    et  regnet 

est  error  evidens.  3°  Dicere  quod  constitutiones  sanctorum 
Patrum  et  consuetudines  laudabiles  iri  Ecclesia  non  sunt  tenendœ, 
quia  in  scriptura  Bibliœ  non  continentur ,  est  error.  4°  Quod 
reliquiœ  et  ossà  sanctorum non  sint  venerandœ est  error. 


(1)  HoFLER,  Hist.  t.  II,  p.  201;  t.  III,  p.  230-234.  —  Helfert,  1.  c.  p.  110, 
116,  etc.  —  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  273-280.  —  Czerwenka, 
Hist.  de  l'Egl.  évang.  en  Bohême,  1869,  p.  85  sq. 

(2)  Cette  séparation  ne  remonte  pas  plus  haut.  Cf.  Palacky,  YHistoire  du 
Hussitisme,  etc.  p.  145.  Hus  attribue  lui-même  souvent  la  scission  à  la  bulle 
des  Indulgences.  0pp.  1. 1,  p.  330  b,  394  b,  398  sq. 

(3)  Hus  les  appelle  ca?icmanies,  sous  prétexte  qu'ils  marchaient  en  arrière 
comme  les  crabes;  il  parle  souvent  dans  ses  ouvrages  de  leur  apostasie. 
Cf.  0pp.  1. 1,  p.  324  sqq.  330  è,  334  a,  360  b. 

'    (4)  Voir  une  nouvelle  condamnation  des  quarante-cinq  articles  du  12  juil- 
let 1412  dans  les  Documenta,  etc.  p.  451  sq. 

(5)  Palacky,  Histoire  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  280-283.  —  Helfert,  1.  c. 
p.llôsq.  134,  etc.  —  Hôfler,  Hist.  2«  partie,  p.  202;  3<=  partie,  p.  41  sq. 
45  sq. 


352  JEAN   HU6   ET   BON    HISTOIBE 

5"  Quod  sacerdotes  non  absolvunt  à  peccatis  et  dimittunt  peccata, 
ministerialiter  conferendo  et  applicando  sacramentum  pœni- 
tentiœ,  sed  quod  solmn  denuntient  confttentem  absolutum^  est 
error.  6°  Quod  papa  non  possit  in  necessitate  evocare  personas 
Christifidelium^  aut  subsidia  ab  eis  temporalia  petere  ad  defen- 
dendam  Sedem  Apostolicam,  statum,  S.  Romance  Ecclesiœ  et 
Urbis.et  ad  compescendum  et  revocandum  adversarios  et  inimicos 
Christianos,  largiendo  Christifidelibus  fideliter  subvenientibus , 
vere  pœnitentibus ,  confessis  et  contritis^  plenam  remissionem 
omjiium  peccatorum,  est  error  ^.  On  trouve  dans  les  Documenta 
édiles  par  Palacky,  p.  456,  un  septième  article  ainsi  conçu  : 
Item  quod  mandatum  domini  nostri  régis  et  dominorum 
civium  de  eo,  quod  nullus  clamaret  contra  prœdicatores  (les 
prédicateurs  de  la  croisade),  nec  contra  bullas  papce^  est  et  fuit 
justum,  rationabile  atque  sanctum . 

Ce  fut  vers  le  même  temps  que  les  curés  de  Prague  portèrent 
au  pape  leurs  plaintes  contre  Hus,  par  l'organe  de  leur  procu- 
reur, Michel  de  Deutschbrod,  surnommé  Michael  de  Gausis^. 
On  confia  cette  nouvelle  information  au  cardinal  Pierre  de  San- 
Angelo.  Sur  son  avis,  le  pape,  dans  l'été  de  1412,  lança  l'excom- 
munication majeure  contre  Hus,  et  jeta  l'interdit  sur  le  lieu  de 
sa  résidence,  quel  qu'il  fût.  Il  engagea  en  même  temps  les  fidèles 
à  s'emparer  de  sa  personne  pour  le  livrer  à  l'archevêque  de 
Prague  ou  à  l'évêque  de  Leitomyls  (Jean  de  fer)  et  à  détruire 

(1)  Documenta,  etc.  p.  445  sq.  —  Palacky,  a.  a.  0.  S.  281  f..  Hôfler,  attribue, 
d'après  un  codex,  ces  six  articles  à  un  synode  diocésain  de  Prague  tenu 
en  1413  {Concilia  Prag.  p.  72);  mais  ces  articles  se  trouvent  déjà  dans  les 
actes  du  synode  de  février  de  la  même  année  (voir  plus  bas),  et  furent  ré- 
digés dès  le  10  juillet  1412  chez  l'évêque  d'Olmiitz.  Cf.  Documenta,  p.  456. 

(2)  Voir  le  court  exposé  de  leurs  plaintes  dans  Hôfler,  Geschiclitschr. 
Thl.  II.  S.  204,  et  Concilia  Prag.  p.  73.  Michael  de  Causis  était  un  ancien  curé 
de  Saint-Adalbert,  à  Prague  (nouvelle  ville j;  il  vivait  à  Rome  depuis  quel- 
que temps  à  titre  de  procurator  de  causis  fidei,  d'où  lui  vient  son  surnom. 
Issu  d'une  famille  allemande  de  mineurs  de  Deutschbrod,  il  aurait  été  chargé 
par  le  roi  Venceslas  de  chercher  à  accroître  les  revenus  des  mines  d'or.  N'ayant 
pas  réussi  dans  cette  entreprise,  il  se  serait  enfui  à  Rome  avec  l'argent  du 
roi.  Tel  est  le  récit  d'un  ami  de  Hus,  Pierre  de  Mladenowicz  (Hôfler,  Ges- 
chichtschr.  Thl.  I.  S. 129). Un  autre  réquisitoire  contre  Hus,  antérieur  à  celui-ci, 
et  rédigé  après  la  mort  de  Zbynek,  mais,  paraît-il,  avant  les  troubles  de  la 
bulle,  pour  la  croisade  car  on  n'en  fait  pas  mention,  vient  d'être  édité  par 
Palacky  dans  les  Documenta,  etc.  p.  457  sqq.  Cette  pièce  a  été  écrite  un  an 
et  demi  après  l'excommunication  de  Hus  (l.c.  p.  459),  c'est-à-dire  vers  le 
milieu  de  l'année  1412.  C'est  à  la  même  époque  (10  juin  1412)  que  Hus  écri- 
vit au  roi  WJadislas  de  Pologne  une  lettre  où  il  lui  exposait  son  affaire,  en 
prétendant  n'avoir  été  accusé  d'hérésie  que  par  des  ecclésiastiques  simo- 
niaqueset  corrompus,  comme  il  les  appelle.  Documenta^  etc.  p.  30  sq. 


Jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  353 

l'église  de  Bethléem.  Ce  fut  alors  qu'Etienne  de  Palecz  commença 
à  prêcher  ouvertement  contre  Jean  Hus  * . 

Les  curés  de  Prague  résolurent  sur  ces  entrefaites  d'exécuter 
l'interdit  dans  toute  sa  rigueur,  et  suspendirent  les  exercices 
du  culte.  De  son  côté,  Hus  chercha  à  exciter  l'aristocratie  bohé- 
mienne ^  et  en  appela  au  Christ.  Il  prétendit  s'appuyer  sur 
l'exemple  de  deux  vénérables  évêques,  André  de  Prague  (mort  en 
1 224)  et  Robert  de  Lincoln  (mort  en  1 253) ,  qui  en  avaient  appelé  du 
pape  au  Seigneur,  et  de  S.  Jean  Chrysostome  lui-même,  qui  en 
avait  fait  autant  à  l'égard  de  deux  conciles.  Personne  n'ignorait, 
disait-il,  que  son  ennemi  Michael  de  Causis,  au  nom  des  chanoines 
de  Prague,  avait  obtenu  son  excommunication  du  cardinal  Pierre 
de  San-Angelo.  Celui-ci,  pendant  deux  ans,  avait  refusé  d'entendre 
les  avocats  et  procureurs  de  l'accusé,  et  de  recevoir  les  excuses 
qu'il  alléguait  pour  se  dispenser  de  comparaître.  On  lui  aurait 
tendu  des  embûches  tout  le  long  de  la  route,  et  d'ailleurs  il 
était  suffisamment  instruit  par  l'aventure  de  Stanislas  de  Znaïm 
et  d'Etienne  Palecz,  emprisonnés  à  Bologne,  dépouillés  et  traités 
comme  des  criminels  pour  avoir  voulu  obéir  à  une  citation  de  la 
cour  romaine.  Ses  mandataires  avaient  accepté  en  son  nom  le 
supplice  du  feu,  si  ceux  qui  voulaient  entrer  avec  lui  dans  la 
lice,  consentaient  à  subir  la  même  peine  en  cas  de  défaite  ;  mais 
on  n'avait  répondu  qu'en  jetant  en  prison  sans  aucun  motifs  son 
procureur  légitime.  Hus  écrivit  dans  le  même  sens  aux  moines 
de  Dola,  pour  affaiblir  la  portée  des  attaques  dirigées  contre  lui 
par  leur  prieur  Etienne*. 

Sur  ces  entrefaites,  la  division  des  partis  devenant  de  plus  en 
plus  profonde  à  Prague,  les  uns  ne  respirant  que  haine  contre 
le  pape,  les  autres  que  ressentiment  contre  Hus  qui  avait  fait 
jeter  l'interdit  sur  la  ville,  le  roi  crut  devoir  inviter  celui-ci  à 
s'éloigner  volontairement,  afin  qu'on  pût  reprendre  le  culte 
interrompu.  Hus  obéit  en  décembre  1412^.  Sa  place  à  l'église 


(1)  Voir  la  sentence  d'excommunication  dans  les  Documenta,  etc.  p.  461  sq. 
Cf.  Palacky,  Gesch.  von  Bôhmen,  t.  III,  1,  p.  285,  etc.  —  Hôfler,  Hist. 
l"part.  p.  26  sq.;  E*  partie,  p.  50,  etc.  —  Helfert,  1.  c.  p.  122. 

(2)  Sa  lettre  à  ce  sujet,  de  décembre  1412  (et  non  1411),  vient  d'être  pu- 
bliée pour  la  première  fois  dans  les  Documenta,  etc.  p.  22,  etc. 

(3)  Documenta  M.  Jon7i. Hus. 'Bsda.ckj,  1869,  p.  464  sqq.—  Hussii,  0pp.  1. 1, 
p.  22. 

(4)  Documenta,  etc.  p,  31  sq. 

(5)  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  288. 

T.  X.    23 


i 

3:4  JEAN   HUS   ET   SON   HISTOIRE 

de  Bethléem  fut   provisoirement  confiée  à   son  cher  disciple 
Hawlik. 

Vers  la  même  époque,  l'archevêque  de  Prague,  Albik,  mani- 
festa l'intention  de  se  démettre  de  son  archevêché,  et  l'évêque 
d'Olmutz,  Conrad  Yechta  de  Westphalie,  grand  ami  du  roi,  fut 
chargé  de  l'administration  du  diocèse.  La  confirmation  du  Saint- 
Siège  suivit  en  juillet  1413;  Albik  fut  nommé  archevêque  de  Césa- 
rée  in  partions  et  prieur  de  Wysherad,  tandis  que  le  prieur  en 
charge,  le  patriarche  d'Antioche  Wenceslas,  grand  chancelier 
royal,  reçut  l'évêché  d'Olmutz  * .  Sur  le  désir  du  roi  et  des  princi- 
paux hommes  d'État,  l'administrateur  Conrad,  d'accord  avec  l'é- 
vêque de  Leitomyls,  Jean  de  fer  convoqua  pour  le  6  février  1413, 
dans  le  palais  archiépiscopal^  de  Prague,  un  grand  synode  à  l'effet 
de  rétablir,  autant  que  possible,  la  paix  de  l'Église.  Hus  n'y  com- 
parut pas  en  personne,  mais  il  y  fut  représenté  par  son  ami  le 
jurisconsulte  Jean  de  Jésénic.Les  professeurs  de  la  faculté  de 
théologie,  tous  attachés  à  la  vraie  foi,  ayant  à  leur  tête  Stanislas 
de  Znaïm  et  Etienne  Palecz,  présentèrent  un  mémoire  où  les 
erreurs  nouvelles  étaient  partagées  en  trois  classes  :  «  a)  Les 
dissidents  ne  partageaient  pas   la  foi  commune  sur  les  sept 
sacrements,  les  rites  religieux,  le  culte  des  reliques,  et  les  in- 
dulgences ;    b)  ils  ne  voulaient  accepter  dans  les  controverses 
religieuses  que  l'autorité  de  la  Bible  (interprétée  par  le  senti- 
ment de  chacun),  et  non  celle  de  l'Église,  représentée  par  le 
pape   et  les  cardinaux;  c)  ils  attaquaient  la  soumission  et  le 
respect  dus  au  souverain  Pontife,  aux  évoques  et  aux  prêtres.  » 
Le  meilleur  moyen  de  rétablir  la  tranquillité  de  l'Église,  d'après 
ce  document,  était  d'imposer  aux  novateurs  l'obligation  de  se 
conformer,  sur  ces  trois  chefs,  à  la  croyance  générale  de  l'Église. 
Les  récalcitrants  seraient  condamnés  à  l'exil. 

Naturellement,  les  partisans  de  Hus  firent  des  propositions  de 
paix  toutes  différentes;  d'après  eux,  il  fallait  en  revenir  à  l'accom- 
modement du  6  juillet  1411,  conclu  entre  l'archevêque  et  Hus, 
et  permettre  à  celui-ci  de  comparaître  devant  le  synode  pour  s'y 
purger  du  soupçon  d'hérésie.  Quiconque  voudrait  le  charger, 
parlerait  en  présence  de  l'assemblée,  mais  en  se  soumettant  a  la 
peine  du  feu,  si  les  accusations  ne  paraissaient  pas  suffisamment 


;i)  Pal\cky,  Hist.  de  Bohême,  p.  28G-289  et  297. 
('?)  Il  dovait,  (l'aboril  se  tenir  û  Bijhnii .chljrod. 


JUSQU'A   SON   ARRIVÉE   A   CONSTANCE.  S 55 

établies.  Si  personne  n'acceptait  ce  rôle,  la  Bohême  serait  consi- 
dérée comme  justifiée  à  l'égard  de  Kome,  et  toute  accusation 
ultérieure  d'hérésie  sévèrement  interdite.  Hus  exprima  à  peu 
près  les  mêmes  désirs  dans  une  lettre  adressée  au  synode,  et 
récemment  publiée  par  Palacky  [Documenta  etc.,  p.  52  et  suiv.). 
Jacobell  fit  une  proposition  un  peu  différente;  enfin  Jean  de 
Leitomysl  émit  un  avis  plus  pratique  (10  février  1413)  :  d'après 
lui,  on  nommerait  un  vice-chancelier  chargé  de  la  police  de  l'u- 
niversité, la  prédication  serait  surveillée  avec  soin  et  complè- 
tement interdite  à  Hus  et  à  ses  partisans,  dont  les  livres  écrits 
en  langue  tchèque  seraient  confisqués. 

Cette  divergence  de  sentiments  provoqua  une  foule  d'écrits  et 
de  répliques  dont  la  plupart  n'ont  jamais  été  publiés;  le  synode 
se  sépara  néanmoins  sans  aucun  résultat  ^ 

Le  roi  Wenceslas  fit  une  nouvelle  tentative  pour  rapprocher  les 
partis,  comme  on  les  appelait,  à  l'aide  d'une  commission  dont 
il  confia  la  présidence  à  son  favori,  le  prieur  de  Tous-les-Saints, 
M.  Zdenek  de  Labaun  ;  l'ancien  archevêque  Albik  en  faisait  aussi 
partie.  Mais  bientôt  les  principaux  organes  des  catholiques,  Sta- 
nislas et  Pierre  de  Znaïm,  Etienne  Palecz,  et  Jean  Élie,  accusèrent 
la  commission  de  faiblesse  et  de  connivence,  pour  avoir  appelé 
l'Église  un  «  parti  »  et  avoir  voulu  joindre  aux  décisions  du  Saint- 
Siège  cette  clause  :  «  Chacun  doit  les  recevoir,  comme  les  rece- 
vrait un  vrai  et  fidèle  chrétien.  *  En  réalité,  les  hussites  avaient 
prétendu  parla  justifier  en  toute  rencontre  leur  désobéissance  aux 
lois  de  l'Église  et  maintenir  leurs  convictions  avec  d'autant  plus 
d'aisance  et  d'opiniâtreté,  qu'ils  se  donnaient  le  titre  de  vrais  et 
fidèles  chrétiens.  Après  un  débat  stérile  et  prolongé  pendant 
deux  jours,  les  docteurs  catholiques  (c'est-à-dire  les  professeurs 
de  la  faculté  de  théologie)  cessèrent  de  paraître  devant  la  com- 
mission, et  furent  exilés  par  le  roi  comme  fauteurs  de  la  dis- 
corde ^. 

Stanislas  de  Znaïm  ne  tarda  pas  à  mourir  à  Neuhaus.  Jean 
Elie  et  Pierre  de  Znaïm  gagnèrent  la  Moravie,  et  Etienne  Palecz  se 


(1)  Voir  les  pièces  dans  les  Documenta,  etc.  p.  475-505,  et  dans  Hôfleu. 
Concilia  Prag.  p.  73-111.  Cf.  Hôfler.  Hist.  t.  III,  p.  51  sq.  —  Palacky,  Hist. 
de  Bohême,  t.  III,  1,  n.  290-294.  —  Helfert,  1.  c.  p.  138,  etc.  et  2"8,  etc. 

(2)  Documenta,  et',  n.  507-51  L  —  Hôfler,  Geschichtschr.  Bd.  I.  S.  28-33 
—  Palacky.  Gesch.  voii  Buhmen  Bd.  III.  1.  S.  294  ff. 


356  JEAN   HUS   ET   BON    HISTOIRE 

réfugia  à  Leîtomysl.  Wenceslas  fit  alors  mettre  à  mort  deux 
conseillers  allemands  de  la  vieille  ville,  adversaires  déterminés 
de  la  réforme  ,  et  enleva  ainsi  aux  Allemands  la  majorité 
qu'ils  avaient  toujours  gardée  jusque-làf  dans  le  corps  muni- 
cipal ^ , 

Hus  vivait  '  pendant  ce  temps  sous  la  protection  du  seigneur 
d'Austie,  dans  le  château  de  Kozihradek,  où  s'éleva  plus  tard  la 
ville  de  Tabor  (au  sud  de  la  Bohême).  Après  la  mort  de  ce 
seigneur,  il  accepta  l'hospitalité  qu'Henri  de  Lazan,  surnommé 
Lefl,  lui  offrait  dans  son  château  de  Krakovec  (cercle  de  Ra- 
kowitz),  non  loin  de  Prague.  Dans  ces  deux  résidences,  il  écrivit 
une  série  d'ouvrages,  tantôt  en  tchèque,  tantôt  en  latin,  dont  le 
plus  célèbre  est  son  traité  de  Ecclesia  ^ .  La.  définition  qu'il  y 
donne  de  l'Église  repose  sur  une  erreur  dogmatique  qui  a  eu, 
dans  le  cours  des  troubles  causés  par  le  hussitisme,  les  plus 
funestes  conséquences.  Ce  n'est  d'après  lui  que  la  réunion  des 
prédestinés,  et  l'unilé  de  l'Église  consiste  dans  l'unité  de  la 
prédestination  ^.  Celui  qui  n'est  pas  prédestiné  (le  prœscitus) 
ne  pourra  jamais  faire  partie  de  ce  corps  mystique  de  Jésus- 
Christ.  Les /jrœsczVz  jouent  dans  l'Église  le  rôle  des  excrementa 
dans  le  corps  humain,  et  comme  ceux-ci  n'en  sont  point  des 
éléments  essentiels,  de  même  ceux-là  ne  font  pas  vraiment 
partie  de  rÉghse.  Judas,  quoique  appelé  à  l'apostolat,  n'était 
ni  prédestiné  ni  membre  de  la  véritable  Église  :  il  en  est  ainsi  de 
beaucoup  d'ecclésiastiques,  et  sans  une  révélation  spéciale,  on  ne 
peut  dire  de  personne,  même  d'un  membre  du  clergé,  qu'il  est 
membre  de  la  sainte  Église.  Aucun  laïque  n'est  donc  obligé  de 
regarder  son  supérieur  ecclésiastique  comme  un  membre  de 
l'Église.  S'il  le  voit  pécher,  il  devra  plutôt  croire  qu'il  n'en  fait 
point  partie.  L'Église  du  Christ  est  sainte,  et  bâtie  sur  la  pierre, 
puisque  le  Seigneur  a  dit  :  «  Sur  cette  pierre,  »  c'est-à-dire,  sur 
moi-même,  «  je  veux  bâtir  mon  Église.  »  Cette  sainte  Église 


(1)  Krummel,  1.  c.  p.  286-302.  —  Palagky,  Hist.  de  Bohême,  t.  ÎII,  \, 
p.  295  sq.  Dans  son  nouvel  ouvrage,  Y  Histoire  du  Hussitisme,  ect.,  Palacky 
prétend  que  les  voix  furent,  à  partir  de  ce  moment,  équilibrées  entre  les 
Allemands  et  les  Tchèques;  il  y  en  eut  neuf  de  chaque  côté. 

(2)  Imprimé  dans  tlussii  0pp.  t.  I,  p.  243  sqq. ,  et  traduit  en  partie  en 
allemand  par  Helfert,  1.  c.  p.  284-289. 

(3)  La  doctrine  de  Hus  sur  l'Eglise  est  examinée  en  détail  dans  Cappenberg, 
Utrum  Hussii  doctrina  fuerit  hœretica,  Munster,  1834,  et  dans  Friedrich,  La 
doctrine  de  Hus,  etc.  1862,  p.  13  sqq. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  357 

s'appelle  aussi  l'Église  romaine,  mais  elle  peut  ne  plus  s'identifier 
avec  «  le  pape  et  les  cardinaux  :  »  car  ceux-ci  ont  déjà  cessé  plus 
d'une  fois  d'être  saints  et  purs;  ainsi  par  exemple,  au  temps  de  la 
papesse  Agnès  (Jeanne),  qui  a  réellement  occupé  la  chaire  de 
Saint-Pierre.  Beaucoup  aussi  d'entre  eux  ont  professé  l'hérésie. 
Ce  n'est  pas  ce  collège  de  Rome,  mais  notre  mère,  l'Éghse  uni- 
verselle (la  communauté  des  prédestinés)  qui  constitue  la  sainte 
Église  romaine.  Le  pape  n'est  pas  sa  tête,  mais  un  de  ses  mem- 
bres; sa  tête,  c'est  le  Christ.  Le  pape  et  les  cardinaux  ont  bien  le 
rang  de  pars  prœcipua  Ecclesiœ;  mais  à  la  condition  qu'ils  se 
conforment  mieux  que  les  autres  à  la  loi  du  Seigneur,  et  que, 
renonçant  à  l'orgueil  de  la  primauté,  «  ils  n'en  soient  que  plus 
humbles  et  plus  zélés  au  service  de  l'Église.  Les  bulles  pontifi- 
cales, continue  Jean  Hus,  ne  méritent  créance  qu'autant  qu'elles 
s'accordent  avec  l'Écriture  :  car  le  pape  peut  être  séduit  par  l'in- 
térêt, ou  égaré  par  l'ignorance,  L'Église  n'a  pas  été  bâtie  sur 
Pierre,  mais  sur  le  Christ;  Pierre  n'a  jamais  été  sa  tête,  mais  seu- 
lement le  premier  des  apôtres,  signalé  entre  tous  par  la  pratique 
des  trois  vertus  de  foi,  d'humilité  et  de  charité  que  ses  succes- 
seurs, les  papes,  doivent  pratiquer  après  lui.  Le  véritable  pontife 
romain  est  le  Christ  seul  ;  la  dignité  papale  ne  date  que  de  Cons- 
tantin qui,  quatre  jours  après  son  baptême,  statua  que  tous  les 
évêques  auraient  leur  chef  à  Rome.  L'Éghse  peut  être  gouvernée 
sans  pape  et  sans  cardinaux.  Le  pape  doit  prier  pour  les  fidèles 
et  se  mettre  à  leur  service,  mais  il  ne  doit  pas  les  dominer.  La 
loi  du  Seigneur,  et  non  point  le  bon  vouloir  du  pape  et  des  cardi- 
naux, doit  être  la  règle,  les  décisions  de  l'Église,  et  l'on  doit  par 
conséquent  rejeter  les  ordonnances  du  pape  et  des  évêques 
quand  elles  sont  iniques.  C'est  ce  que  Hus  lui-même  a  fait  avec 
de  légitimes  raisons.  Cette  thèse  se  prolonge  dans  le  reste  des 
chapitres  (de  17  à  23)  et  au  miheu  des  plus  violentes  invectives 
contre  le  pape,  les  prélats  et  les  adversaires  immédiats  de  Hus, 
comme  Etienne  Palecz  et  Stanislas  de  Znaïm,  traite  des  excommu- 
nications légitimes  ou  injustes,  ainsi  que  de  la  suspense  et  de 
l'interdit.  Il  y  est  aussi  question  des  trois  nouveaux  martyrs 
bohémiens  à  l'occasion  de  la  résistance  qu'il  faut  opposer  à  cer- 
tains décrets  de  l'Éghse  (c.  21);  Hus  termine  en  donnant  une 
courte  appréciation  personnelle  sur  les  quarante-cinq  articles  de 
Wiclif:  «On  n'a  jamais  démontré,  dit-il,  qu'ils  fussent  tous 
hérétiques,  erronés  ou  scandaleux.  Il  est  surprenant  que  les 


3  38  JEAN   HUS   ET    SON    HISTOIRÎÎ 

docteurs  pontificaux  n'aient  pas  condamné  solennellement  l'ar- 
ticle qui  permet  aux  princes  d'enlever  leurs  biens  temporels  aux 
clercs  prévaricateurs.  Mais  cela  n'empêchera  pas.  la  réalisation 
de  ce  qu'ils  craignent.  » 

Le  même  esprit  régnait  dans  sa  polémique  contre  Etienne  de 
Palecz  et  Stanislas  de  Znaïm,  dans  ses  sermons  tchèques,  dans 
son  ouvrage  sur  la  simonie,  dans  son  abrégé  de  la  doctrine 
chrétienne  qu'il  fit  écrire  sur  les  murs  de  l'église  de  Bethléem,  et 
dans  tous  les  autres  ouvrages  qu'il  composa  durant  le  cours  de 
son  exil.  Dans  le  traité  De  abolendis  sectis,  il  réclame  l'abo- 
lition des  ordres  religieux,  parce  que  les  commandements  de 
Dieu  sont  moins  observés  par  les  moines  que  par  les  scélérats. 
Enfin  dans  le  de  Pernicie  humanarum  iraditionum  il  attribue 
au  diable  beaucoup  de  décisions  et  de  règlements  ecclésias- 
tiques ^ .  Il  échangea  aussi  pendant  son  exil  une  correspondance 
très-animée  avec  ses  amis.  Trois  de  ces  lettres,  adressées  aux 
citoyens  de  Prague,  déjà  publiées  dans  Eussii  0pp.  t.  I,  p.  75, 
119  et  124,  viennent  d'être  reproduites  beaucoup  plus  exacte- 
ment dans  les  Documenta  J.  Hus,  etc.,  p.  34-43.  Elles  remontent 
aux  premiers  temps  de  son  exil  ;  il  y  exhorte  les  habitants  de  la 
ville  à  persévérer  et  à  défendre  l'église  de  Bethléem.  Il  annonce 
en  outre  que,  malgré  toutes  leurs  violences,  ses  ennemis  verront 
échouer  leurs  desseins,  que  des  oiseaux  autres  que  l'oie  (Hus), 
élevés  jusqu'aux  cieux  par  la  parole  de  Dieu  et  leurs  propres 
forces,  confondront  leur  perversité  (prétendue  prophétie  de  la  des- 
tinée de  Luther).  Onze  autres  lettres  inédites  jusqu'ici,  ont  été 
mises  au  jour  il  y  a  peu  de  temps  par  Hôfier  2,  et  plus  récem- 
ment reproduites  par  Palacky  (Z)oawze«^«,etc.,p.43-51  et  54-63). 
Dans  la  première  (Hôfler,  II,  p.  214;  Documenta,  p.  43),  Hus  en- 
courage ses  partisans,  en  se  comparant  à  l'apôtre  S.  Paul  empri- 
sonné ($'M«muz5  carceri  non  adstrictus);  il  déplore  que  l'église  de 
Bethléem,  alors  fermée,  soit  barricadée  avec  des  bâtons,  et 
exprime  l'espoir  de  voir  Dieu  lui  venir  en  aide  dans  sa  lutte 


(1)  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  593-595  (ancienne  édit.  t.I,  p.  472  sqq.)Les  ouvraj^es 
intitulés  De  sacerdoliim  et  monachorum  abhorrenda  ahommatione  et  desolntione 
in  Ecclesia  Ckrisii,  De  mysterio  iniquitatis  et  De  revelatione  Chrhti  et  Antichristi, 

SOUVi 

Cf. 

^''  (2)  ilÔFLER,  BM.  t  II  p.  214-229. 


'n  Ecclesia  Chrisii,  De  mysterio  iniquitatis  et  De  revelatione  Ckristi  et  Antichristi, 
:]u'on  prétend  avoir  été  composés  à  cette  époque,  et  qu'on  attribue  même 
souvent  à  Hus,  furent  écrits  Lien  avant  lui  par  Matthias  de  lanow  (p.  29). 
;;;f.  Giepeler,  Hist.  ccclesiast.  2^  partie,  3,  p.  285,  et  Schwab,  Jean  Gerson, 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  359 

contre  fantechrist.  La  seconde  lettre  (Hôfler,  II,  p.  215,  Docu- 
menta, p.  44)  parle  de  la  miséricordieuse  descente  de  Jésus- 
Christ  sur  la  terre,  et  de  sa  condamnation  par  les  évêques  et  les 
prêtres  ;  elle  répète  à  la  fin  l'exhortation  :  «  Soyez  fermes,  car  le 
jugement  est  proche.  »  La  troisième,  écrite  le  jour  de  Noël  1412 
ou  1413  (Hôfler,  II,  217,  Documen.  p.  47),  ne  roule  que  sur  les 
joies  de  la  fête,  et  ne  fait  point  de  polémique.  Celle  qui  suit  n'en 
est  que  plus  véhémente  (Hôfler,  II,  S^ii,  Documenta,  ^.  49).  Il 
engage  ses  amis  à  ne  se  troubler  ni  de  son  exil,  ni  de  l'excom- 
munication lancée  contre  lui;  toutes  ces  persécutions  tourneront 
à  leur  avantage  commun  :  car  elles  leur  viennent  de  ceux  qui 
s'opposent  à  la  parole  de  Dieu,  semblables  aux  juifs  déicides  et 
meurtriers  de  8.  Etienne.  Il  faut  craindre  l'excommunication 
qui  vient  de  Dieu,  toute  autre  ne  peut  nous  nuire,  elle  nous  attire 
même  la  bénédiction  d'en  haut(!).  Dans  la  cinquième  lettre,  Hus 
remercie  le  Seigneur  d'avoir  envoyé  aux  habitants  de  Prague  des 
duces  efficaces  veritatis  (probablement  Jacobell  et  ses  collè- 
gues); il  fait  ensuite  une  sorte  de  méditation  sur  les  souff'rances 
du  Christ  et  sur  la  paix,  La  sixième  est  datée,  comme  la  troisième, 
de  la  fête  de  Noël  (Hôfler,  II,  p.  220,/)ocz/men.p.46);  mais  quand 
Hôfler  la  reporte  au  25  décembre  1414,  il  est  évidemment  dans 
l'erreur  :  car,  d'après  nos  calculs,  au  25  décembre  1414,  Hus  était 
déjà  détenu  à  Constance;  bien  plus,  cette  lettre  nous  semble 
même  être  du  25  décembre  1413.  Remarquons,  en  effet,  qu'au 
moyen  âge  ce  jour  étant  le  premier  de  l'année,  on  eût  naturelle- 
ment inscrit  la  date  de  1414.  Son  texte  nous  apprend  que  Hus 
venait  de  quitter  Prague,  ce  qu'il  fit  au  mois  de  décembre  1412  ^ 
Par  conséquent  elle  a  dû  être  écrite  le  jour  de  Noël  de  cette 
même  année.  Les  ennemis  de  l'exilé  l'ayant  accusé  d'avoir  fui,  il 
répond  en  s' appuyant  sur  l'exemple  du  Christ  qui,  lui  aussi,  a  été 
poursuivi  par  les  prêtres.  Si  Dieu  l'appelle  à  l'honneur  du 
martyre,  il  disposera  tout  pour  cela  ;  mais  si  Dieu  veut  qu'il 
prêche  encore,  il  lui  en  fournira  les  moyens.  Peut-être  ses  amis 
désirent-ils  son  retour  à  Prague,  au  moins  pour  voir  interrompu, 
à  cause  de  l'interdit,  le  service  divin  :  car  la  prédication  doit  leur 
être  à  charge,  maintenant  qu'elle  n'a  d'autre  inspiration  que  la 
cupidité,  etc.  «  Malheur  aux  prêtres  qui  rabaissent  la  parole  de 


(1)  Palacky,  dans  les  Documenta,  p.  46,  adopte  avec  raison  la  datd  de  dé- 
cembre 1412. 


360  JBAN   HUS  ET   SON   HISTOIRE 

Dieu!  Malheur  à  ceux  qui,  chargés  de  prêcher  au  peuple,  négli- 
gent de  le  faire,  malheur  aussi  à  ceux  qui  détournent  les  autres 
de  prêcher  ou  d'entendre  la  parole  diviae  !  » 

Ces  lettres  furent  suivies  de  cinq  autres  adressées  au  maître 
Christian  de  Prachatic,  alors  recteur  de  l'université  de  Prague  *. 
Dans  la  première  il  démontre  déjà  que  le  pape  et  ses  docteurs  sont 
la  tête  et  la  queue  du  dragon  infernal,  que  l'oie  (Hus)  doit  battre  de 
sesailes.Dans  la  seconde,  il  attaque  la  doctrine  qui  fait  du  pape  le 
chef,  et  du  sacré-collége  le  corps  de  l'Eglise  romaine .  Ce  sont  les  sa- 
teliites  de  l'antechrist  qui  ont  inventé  ce  langage,  pour  faire  croire 
que  le  pape  et  les  cardinaux  composent  à  eux  seuls  toute  l'Église 
romaine,  la  chaire  de  Pierre  fût-elle  même  occupée  par  Satan 
en  personne,  entouré  de  douze  démons  incarnés,  et  que  l'on  doit 
ajouter  foi  à  toutes  les  décisions  de  ce  diable  et  de  son  corps 
monstrueux.  Suit  une  longue  polémique  contre  la  doctrine  qui 
défend  de  contredire  les  décisions  du  Saint-Siège,  sous  peine 
d'hérésie.  L'hérétique  Libère  et  la  papesse  Jeanne  auraient  donc 
été  les  têtes  de  la  sainte  Église  romaine?  Les  deux  expressions 
«  Église  catholique  »  et  Église  romaine  »  cessent  d'êlre  identi- 
ques, si  l'on  entend  par  cette  dernière  le  pape  et  les  cardinaux. 
Dans  ce  cas,  l'Éghse  romaine  ne  serait  plus  qu'une  Éghse  patriar- 
cale comme  les  autres,  tandis  que  la  sainte  Église  romaine  se 
compose  des  saints  fidèles  chrétiens  qui  combattent  dans  la  foi  du 
Seigneur;  celle-ci  doit  toujours  subsister,  quand  même  le  pape 
avec  tous  ses  cardinaux  serait  englouti  comme  Sodome.  La 
troisième  lettre  énumère  rapidement  les  principaux  points  qui 
séparent  Hus  de  ses  adversaires;  il  dénonce,  entre  autres,  cette 
proposition  comme  diabolique  :  quod  non  potest  Deus  alias  dare 
successores  [Chriàti  seu  Pétri)  suœ  Ecclesiœ,  quam  est  papa  cum 
cardinalibus.  «  S'ils  avaient  soutenu,  >•  remarque  Hus  «  {posuis- 
sent  et  non  posuisset)  quod  non  potest  dare  pcjores  successores,  » 
ils  auraient  eu  pleinement  raison . 

Dans  ]a  quatrième  lettre,  il  déclame  avec  la  plus  grande  violence 
contre  Etienne  de  Palecz  et  Stanislas  de  Znaïm,  reprochant  à  ce 
dernier  d'avoir  soutenu  la  «  permanence  »  du  pain  (erreur  de 
Wiclef)  dans  un  écrit  qu'il  aurait  ensuite  désavoué.  «  Quant  à  lui, 
dit  Jean  Hus,  «  il  préférait  mourir  par  le  feu  plutôt  que  de  trahir 


I 


(l)  lIoPi^ER,  1,  c.  p,  222-229,  et  Documenta  J.  Eus,  p.  55-63. 


jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  361 

la  vérité,  aussi  ne  pouvait-il  recevoir  les  avis  de  la  faculté  de  théo- 
logie de  Prague.  »  Puis  il  ajoute  en  forme  de  post-scriptum  :  «  Je 
crois  avoir  péché,  en  interrompant  ma  prédication  sur  le  désir 
du  roi  ;  mais  je  suis  décidé  à  ne  point  pécher  plus  longtemps.  » 
La  cinquième  lettre  est  plus  importante:  «  Je  veux  bien,  »  dit-il, 
«  considérer  le  pape  comme  le  vicaire  du  Christ  dans  l'Église 
romaine,  mais  cela  n'est  pas  pour  moi  article  de  foi  [non  est 
mihi  fides).  Si  le  pape  est  prédestiné  et  répond  à  sa  vocation, 
en  marchant  sur  les  traces  du  Christ,  il  est  le  chef  de  l'Église 
militante;  mais  s'il  vit  contrairement  à  la  loi  du  Christ,  il  n'est 
qu'un  voleur,  un  scélérat,  etc.,  dont  on  fait  bien  de  mépriser 
les  foudres.  Je  proteste  en  outre  que  je  veux  recevoir  avec 
soumission  et  docilité  de  l'Église  romaine,  c'est-à-dire  du  pape 
et  des  cardinaux,  toutes  les  ordonnances  et  décisions  conformes 
à  la  loi  du  Christ,  mais  non  pas  toute  ordonnance  et  décision 
quelconque  qu'il  leur  plaira  de  donner  :  car  le  pape  et  toute  la 
cour  romaine  peuvent  errer  in  via  morum  et  in  judicio  veritatis, 
comme  l'expérience  l'a  prouvé  plus  d'une  fois.  La  papesse  avec 
tous  ses  cardinaux  n'a-t-elle  pas  dit  qu'elle  était  pape?  » 

Eus  s'occupait  activement  de  répandre  sa  doctrine,  en  prê- 
chant sans  cesse  autour  de  Krakowec,  dans  les  bourgs  et  vil- 
lages voisins  ;  il  parlait  souvent  en  plein  air,  au  milieu  d'une 
foule  immense,  charmant  et  excitant  ses  auditeurs  par  les  pein- 
tures les  plus  noires  du  pape,  des  cardinaux  et  du  reste  du  clergé. 
Ce  fut  même  pendant  son  exil  que  l'hérésie  jeta  les  plus  profondes 
racines  en  Bohême,  d'où  elle  gagna  la  Moravie  et  la  Pologne, 
grâce  surtout  au  concours  de  Jérôme  de  Prague,  qui  fut  alors, 
avec  les  autres  wiclifîtes,  protégé  par  la  parti  tchèque  de  l'uni- 
versité de  Prague  contre  les  poursuites  des  Viennois,  et  spéciale- 
ment du  magister  Sybart  ^ .  Hus  écrivit  lui-même  à  ce  dernier 
une  lettre  très- violente,  pour  lui  reprocher  de  servir  l'Antéchrist 
en  persécutant  Jérôme  ^. 

Vers  le  même  temps  (février  1413),  le  pape  Jean  XXIII  pro- 
mulgua au  synode  de  Rome  la  défense  de  lire  les  ouvrages  de 
Wiclef  ;  ce  fut  dans  la  même  année ,  au  mois  de  décembre, 
qu'eurent  lieu  les  négociations  avec  le  roi  des  Romains  Sigis- 


(1)  HôFLER,  Hist.  2»  part.  p.  205.—  Documenta,  etc.  p.  506,  512.— Palacky, 
Eist.  de  Bokême,  t.  ill,  1,  p.  263,  301. 

(2)  Documenta^  sic.  p.  63. 


362  JEAN    HUS    ET  SON    HISTOIRE 

mond,  pour  la  tenue  du  concile  de  Constance.  Comme  chef  de 
l'empire  et  protecteur  de  l'Église,  celui-ci  n'était  pas  moins  inté- 
ressé que  comme  futur  héritier  du  trône  de  Bohême,  à  voir  s'ar- 
rêter les  progrès  toujours  plus  menaçants  pour  lui  de  l'agitation 
populaire.  Il  eut  à  ce  sujet  des  pourparlers  avec  son  frère 
Wenceslas,  et  chargea  plusieurs  seigneurs  tchèques  qui  étaient 
à  sa  cour  en  Lombardie  d'aller  trouver  Hus,  et  de  le  décider 
à  comparaître  avec  un  sauf-conduit  devant  le  concile  général, 
pour  y  dissiper  tous  les  bruits  défavorables  qu'on  répandait  sur 
sa  personne  et  son  pays  ^ .  Wenceslas  approuva  le  dessein  de  son 
frère;  mais  comme  il  n'y  eut  de  leur  part  aucune  décision  for- 
melle à  l'égard  de  Hus,  celui-ci  pouvait,  sous  la  protection  de  la 
noblesse,  se  dérober  facilement  aux  recherches.  Plusieurs  de  ses 
amis  lui  en  donnèrent  le  conseil,  mais  il  se  considérait  comme 
moralement  obligé  de  se  rendre  à  Constance,  puisqu'il  en.  avait 
lui-même  appelé  du  pape  au  concile  général,  et  publié  si  souvent 
qu'il  était  prêt  à  rendre  compte  de  sa  foi  devant  tout  le  monde.  Il 
avait  donc,  malgré  tout,  conservé  l'illusion  de  croire  que  sa 
doctrine  ne  renfermait  rien  d'hétérodoxe,  et  que,  si  on  lui  lais- 
sait seulement  la  liberté  de  l'exposer,  un  concile  réformateur, 
comme  le  devait  être  celui  de  Constance,  ne  manquerait  pas 
de  l'approuver  ^.  En  conséquence,  il  rentra  à  Prague,  où  l'arche- 
vêque Conrad  avait  réuni  son  synode  diocésain  ;  il  fît  afficher  sur 
les  murs,  en  latin,  en  tchèque  et  en  allemand  ^,  qu'il  était  prêt 
à  rendre  témoignage  de  sa  foi  et  de  ses  espérances,  devant  l'ar- 
chevêque et  son  synode  comme  devant  le  concile  de  Constance, 
et  que  tous  ceux  qui  voudraient  l'accuser  d'erreur  opiniâtre  ou 
d'hérésie,  pourraient  le  faire,  à  condition  d'accepter  la  peine  du 
talion,  s'ils  étaient  convaincus  de  calomnie.  — La  fin  du  texte 
latin  disait  que  Hus  «  voulait  démontrer  son  innocence  au  concile, 
conformément  aux  décrets  et  aux  canons  des  saints  Pères.  »  Dans 
le  texte  allemand,  les  canons  et  les  décrets  des  saints  Pères 
étaient  remplacés  par  l'expression  protestante,  «selon  la  sainte 
Ecriture  ;  »  enfin  dans  le  texte  tchèque,  il  n'était  fait  mention  ni 
des  saints  Pères  ni  de  l'Écriture. 


(1)  HÔFLER,  Hist.  1. 1,  p,  115.  —  Documenta ,  etc.  p.  237.  Voir  plus  bas  la 
discussion  sur  le  sauf-conduit  de  IIus. 

(2)  HÔFLER,  Hist.  t.  m,  p.  69  sq. 

(3)  Documenta,  etc.  p.  66,  67  et  238. —  IIôfler,,  Hist.  f"  purrie,  p.  1 16,  rtc; 
3«  partie,  p.  73. 


jusqu'à  son  abrivée  a  constance.  363 

Le  lendemain,  qui  était  le  27  août,  Jean  de  Jésénic  se  présenta 
à  la  chancellerie  archiépiscopale,  et  exprima,  tant  en  son  propre 
nom  qu'au  nom  de  son  mandant  Jean  Hus,  le  désir  de  compa- 
raître devant  l'assemblée  du  synode  pour  s'y  défendre  contre 
tout  venant.  Le  même  droit  devait  être  aussi  revendiqué  pour  le 
futur  concile  général.  On  n'accéda  pas  immédiatement  à  cette 
demande,  le  synode  étant  alors  saisi  d'une  affaire  concernant  les 
droits  de  la  couronne  [negotium  regium);  mais  on  pria  Jésénic 
d'attendre  un  peu  avant  de  comparaître.  Il  patienta  durant 
quelque  temps  ;  mais,  voyant  que  le  délai  se  prolongeait  trop,  il 
partit,  après  avoir  fait  dresser  procès- verbat  de  son  instance  ^  et 
en  afficher  une  constatation  à  la  porte  de  la  résidence  royale  ^ . 

L'avant-dernier  jour  d'août,  une  assemblée  tout  à  la  fois  ecclé- 
siastique et  laïque,  se  réunit  à  Prague  dans  le  couvent  de  Saint- 
Jacques.  On  y  parla  des  demandes  introduites  par  Hus,  et  à  cette 
occasion,  plusieurs  barons  demandèrent  à  l'archevêque  s'il  avait 
l'intention  de  l'accuser  d'hérésie.  Celui-ci  répondit  que,  n'ayant 
à  lui  reprocher  ni  hérésie  ni  erreur,  il  ne  saurait  l'accuser  de  ces 
crimes,  et  que  c'était  devant  le  pape  que  Hus  devait  se  justifier, 
puisque  c'était  le  pape  qui  l'accusait  ^.  Jean  de  Jésénic  posa  la 
même  question  dans  la  même  assemblée  à  l'inquisiteur  du  pape, 
Nicolas,  évêque  titulaire  de  Nazareth,  et  celui-ci  donna  le  témoi- 
gnage verbal  et  même  écrit  qu'aucune  accusation  ne  lui  avait  été 
portée  contre  Hus,  et  qu'il  avait  eu  l'occasion  de  constater  son 
orthodoxie  dans  plusieurs  entretiens*.  Vraisemblablement,  ces 
deux  prélats  subissaient  l'influence  de  Wenceslas,  qui  voulait  à 
tout  prix  justifier  la  Bohême  du  soupçon  d'hérésie  ;  mais  il  y  par- 
vint d'autant  moins  que  pendant  ce  temps  Jérôme  de  Prague  s'a- 
charnait davantage  à  prêcher  et  à  répandre  partout  ses  erreurs  et 
celles  de  ses  amis. 

Hus  intervint  lui-même  le  1"  septembre  1414,  en  écrivant  à 
Sigismond  pour  le  remercier  de  sa  bienveillance  royale;  il  promet 
au  prince,  dans  cette  lettre,  de  se  rendre  à  Constance  sur  la 
foi  de  son  saut-conduit,  et  ne  demande  qu'une  faveur,  la  liberté 


(1)  Documenta,  p.  240  sq.  —  Hôfler,  Eist.,  i'^  partie,  p.  162  sq.  Cf.  la  dé- 
claration de  l'évêque  de  Nazareth,  Documenta,  1.  c.  p  242,  etc.  —  Hôfler, 
Le.  p.  161,  169. 

(2)  Documenta,  1.  c.  p.  68  sq.  —  Hôfler,  1.  c.  p.  118. 

(3)  Documenta,  1.  c.  p.  239  et  531.  —  Hôfler,  1.  c.  p.  169;  etc. 

(4)  Hôfler,  1.  c.  p.  161  et  168..  Cf.  p.  119.  —  Documenta,  p.  242  sqq. 


364  JEAN  HUS   ET  SON   HISTOIRE 

d'exposer  sa  croyance  devant  le  concile  général.  Ayant  toujours 
enseigné  au  grand  jour,  et  jamais  dans  le  secret,  il  réclame  le 
droit  de  parler  en  séance  publique  et  de  répondre  à  ses  contra- 
dicteurs. Il  n'a  rien  à  redouter  en  confessant  le  Christ,  quand 
même  il  faudrait,  pour  défendre  sa  véritable  io\,endurer  le  dernier 
supplice  ^ . 

A  son  retour  à  Krakowez,  Hus  apprit  que  ses  adversaires 
avaient  déjà  réuni  leurs  chefs  d'accusation  certifiés  par  témoins. 
Us  avaient  même  préparé  une  quête  en  Bohême  pour  subvenir 
aux  frais  du  procès,  et  choisi  pour  leurs  procureurs  à  Constance 
i'évêque  Jean  de  Leitomysl,  EtieDne;'de  Palecz  et  trois  autres  doc- 
teurs en  théologie.  Un  des  amis  de  Hus  lui  procura  une  copie  des 
nouvelles  accusations  formulées  contre  lui  et  des  dépositions 
recueillies  ainsi  que  des  plaintes  portées,  en  1409,  à  l'archevêque 
Zbynek,  et  en  1412,  par  Michael  de  Causis,  à  la  chancellerie  ro- 
maine. Hus  y  répondit  article  par  article,  et  put  ainsi  se  préparer 
d'avance  aux  débats  du  concile  ^. 

Quelque  temps  avant  son  départ  pour  Constance  (10  octo- 
bre 1414)  il  adressa  à  son  ancien  professeur,  le  magister  Martin, 
une  lettre  avec  prière  de  ne  l'ouvrir  qu'après  sa  mort.  Il  l'y 
exhortait  à  la  chasteté  et  à  la  simplicité  dans  les  vêtements,  con- 
fessant que  sur  ce  dernier  point  il  avait  eu  lui-même  souvent  des 
faiblesses,  et  qu'autrefois  il  s'était  adonné  au  jeu  des  échecs,  ce 
qui  l'avait  entraîné,  lui  et  d'autres  avec  lui,  à  des  mouvements 
de  colère  ^ . 

Il  laissa  en  outre  une  lettre  tchèque  d'adieu  à  tous  ses  amis  de 
Bohême.  Il  y  disait  qu'il  se  rendait,  bien  que  sans  sauf-conduit  [bez 
kleitu),  au  milieu  de  ses  ennemis,  plus  nombreux  encore  qu'au- 
trefois ceux  du  Christ,  et  dont  les  plus  acharnés  étaient  ses  compa- 
triotes. Il  recommandait  à  ses  amis  de  demander  à  Dieu  pour  lui 
la  force  d'âme,  afin  que,  si  la  mort  est  inévitable,  il  la  supporte 
avec  fermeté,  et  que,  s'il  y  échappe,  ce  ne  soit  au  détriment  ni  de 


(1)  Documenta,  p.  69.  —  Hôfler,  2«  partie,  p.  262.  —  Palacky,  Hisi.  ih 
Bohême,  3«  partie,  1,  p.  312.  Cf.  aussi  Acta  coiicilii  Const.  manuscripla  (ma- 
nuscrit in-è"  de  la  bibliothèque  de  Tubingue. 

(2)  Palacky,  Eist.  de  Bohême,  t.  III,  i,  p.  314,  etc.  Voir  les  chefs  d'accu- 
sation et  les  réponses  de  Hus  dans  les  Documenta,  etc.  p.  164-185,  et  dans 
HoFLER,  Bist.  !'■«  partie,  p.  182-203. 

(3)  Documenta,  e/c.  p.  74  —Hôfler,  1.  c.  p.  121.  M.  Zùrn  a  traduit  du  latin 
en  allemand  cette  lettre  et  la  plupart  des  autres  lettres  de  Jean  Uus  (Leips. 
1836). 


"*         jusqu'à  son  arrivée  a  constance.  365 

son  honneur,  ni  de  la  vérité  \  Cette  lettre  fut  interpolée  dans  la 
suite;  on  y  fit  direà  Hus  :  «Si  je  consens  à  abjurer,  sachez  que  ce 
sera  seulement  de  bouche  et  non  de  cœur.  » 

Pour  veiller  à  la  garde  de  Hus,  tant  durant  le  voyage  que 
pendant  son  séjour  à  Constance,  Wenceslas  et  Sigismond  avaient 
choisi  trois  nobles  tchèques  :  Jean  de  Chlum  (surnommé  Kepka), 
Wenceslas  de  Duba  sur  LesLno  et  Henri"  Chlum  de  Latzenbock 
(ordinairement  appelé  Latzenbok);  dès  le  8  octobre  1414,  Sigis- 
mond l'avait  fait  avertir,  de  Rothenbourg  sur  la  Tauber,  par  un 
notaire,  que  cette  noble  escorte  était  prête  et  que  les  lettres  de 
sauf-conduit  ne  tarderaient  pas  à  l'être^. Le  cardinal  magister  de 
Reinstein,  le  curé  de  Janovic  Pierre  de  Mladenowicz,  l'historien 
de  son  séjour  à  Constance^,  et  d'autres  amis,  se  joignirent  à  Hus, 
et  le  il  octobre  1414,  ils  partirent  de  Prague  avec  plus  de  trente 
chevaux  et  beaucoup  de  voitures,  au  moment  où  le  pape 
Jean  XXIIt  traversait  les  Alpes.  Le  long  de  la  route,  Hus  reçut  le 
plus  souvent  des  témoignages  sympathiques  du  clergé  et  du 
peuple,  à  JSuremberg  surtout,  où  il  fit  afficher  sur  différentes 
portes  «  qu'il  se  rendait  à  Constance,  et  que  si  on  voulait  l'accuser 
d'erreur  ou  d'hérésie,  on  devait  y  aller  comme  lui  ;  que  là, 
il  rendrait  compte  de  sa  foi  à  tous  les  contradicteurs.  Il  écrivit 
encore  de  cette  ville  une  lettre  à  ses  amis  de  Bohême,  où  il 
leur  racontait  les  incidents  de  son  voyage,  en  insistant  sur  la 
réception  favorable  qu'on  lui  avait  faite  en  Allemagne  :  nulle 
part  il  n'avait  rencontré  plus  d'animosité  qu'en  Bohême.  Il 
terminait  en  disant  que,  le  roi  Sigismond  se  trouvant  actuelle- 
ment sur  les  bords  du  Rhin  (c'est  Rheno  qu'il  faut  lire  et  non  pas 
regno)j  Wenceslas  de  Duba  s'était  rendu  près  de  ce  prince,  pour 


(1)  On  trouve  le  texte  tchèque  et  le  latin  dans  les  Documenta,  p.  71  sq.; 
tchèque  et  allemand  dans  Hôfler,  Hist.  l''^  partie,  p.  122  sq.  Hôfler  donne 
ici  et  ailleurs  la  traduction  allemande,  que  Mikowec  a  publiée,  de  neuf  lettres 
de  Hus  (Leips.  1849). 

(2)  Documenta,  etc.  p.  533. —  Hôfler,  Hist.  2*  partie,  p.  263.  Cf.  Aschbach, 
Hist.  du  roi  Sigismond,  f*  partie,  p.  407,  et  Palacky,  Hist.  de  Bohême^  t  HI, 
1,  p.  314-316. 

(3)  La  Chronique  de  Pierre  de  Mladenowicz  (plus  tard  curé  de  Saint-Michel 
et  membre  du  consistoire  utraquistique,  mort  en  1451),  écrite  en  latin,  parut 
pour  la  première  fois,  avec  quelques  altérations,  dans  le  texte  latin  surtout, 
dans  les  Epistolœ  quœd^nn pii^simœ  et  eruditissimœ  J.  Hus,  Wittenb.  1537,  avec 
une  préface  de  Luther,  puis  dans  XHistoria  et  Documenta  J.  Hus,  ordinaire- 
ment intitulée  Hussii  0pp.  Nuremb.  1558  et  1715;  enfin  plus  récemment 
dans  Hôfler,  Hist.  i"  part.  p.  111-315,  et  dans  Palacky,  Docum.  p.  237,  etc. 
Cf.  Palacky,  Histoire  du  VHussit.  etc.  p.  22,  etc. 


366  JEAN    HUS   ET    SON    HISTOIRE 

réclamer  le  sauf-conduit;  mais  quelui,Hus,  avec  ses  autres  amis, 
sans  s'arrêter  plus  longtemps,  continuaient  leur  voyage  pour  Cons- 
tance (ils  passèrent  par  Biberach  où  on  leur  fit  un  excellent  ac- 
cueil), car  il  croyait  inutile  d'aller  en  personne  (demander  un  sauf- 
conduit)  à  l'empereur,  et  de  faire  pour  cela  un  aussi  long  détour' . 

Ils  arrivèrent  à  Constance  le  samedi  3  novembre  1414,  et  Hus 
alla  demeurer  dans  la  rue  de  Paul,  chez  une  veuve  nommée 
Fida  '^  dont  la  maison  porte  encore  aujourd'hui  un  bas-relief 
représentant  Jean  Hus  (n°  328) .  Le  lendemain  même,  4  novembre, 
Henri  de  Latzenbock  et  Jean  de  Chlum  allèrent  prévenir  le  pape, 
que  Jean  Hus  était  arrivé  avec  un  sauf-conduit  régis  Roma- 
norum  et  Hungarm"^ ^  et  réclama  pour  un  tel  hôte  la  protection 
de  Sa  Sainteté.  Le  pape  leur  répondit  avec  bienveillance  :  «  Quand 
même  Jean  Hus  aurait  tué  mon  propre  frère,  il  ne  devrait  rien 
craindre  à  Constance^.  »  Par  égard  pour  le  roi  Sigismond,  il 
voulut  retarder  le  procès  jusqu'à  son  arrivée,  et,  en  attendant,  il 
commua  l'excommunication  portée  contre  Hus  en  une  simple 
suspense,  qui  l'empêchait  seulement  de  dire  la  messe  et  de  prê- 
cher, mais  laissait  à  tout  le  monde  la  liberté  de  communiquer 
avec  lui;  Hus  devait  cependant  avoir  soin  de  ne  pas  assister  aux 
grandes  cérémonies  du  culte,  afin  d'éviter  le  scandale.  Cette 
commutation  fît  naturellement  évanouir  l'interdit,  qu'il  eût  d'ail- 
leurs fallu  lever,  à  moins  de  se  passer  à  Constance  de  tout  service 
divin  ^. 

Pendant  la  nuit  de  ce  même  dimanche,  4  novembre,  Hus 
écrivit  une  nouvelle  lettre  à  ses  amis  de  Bohême  :  il  était  arrivé 
le  3  sans  sauf-conduit,  et  dès  le  lendemain  Michael  de  Causis  avait 
déposé  contre  lui  un  réquisitoire  en  forme.  Sigismond  est  à  Aix- 
la-Chapelle  pour  son  couronnement,  le  pape  et  le  concile  doi- 
vent l'attendre  pour  commencer  le  procès  ;  mais  il  n'arrivera  qu'à 


(1)  Documenta,  etc.  p,  Tb,  245.  —  Hôfler,  1.  c.  \^^  partie,  p.  126,  etc. 

(2J  On  l'appelait  aussi  Pfidrin,  mais  on  se  demande  si  c'était  son  nom  de 
famille  ou  sa  profession  (boulangère).  Vgl.  Maiuior:  Le  concile  de  Constance, 
1858,  S.  69. 

(3)  Le  sauf-conduit  fut  apporté  à  Constance  par  Venceslas  de  Duba  lui- 
même  le  5  novembre;  il  ne  s'agit  donc  pas  ici  d'un  laissez-passer  écrit,  mais 
d'une  garantie  morale  résultant  de  la  parole  de  l'empereur  et  de  la  désigna- 
tion de  l'escorte  des  trois  nobles. 

(4)  Documenta,  etc.  p.  245  sq.  —  Hôfler,  Eist.  fo  partie,  p.  126-128.  — 
Palagky,  Hist.  de  Bohême,  1. 111,  1,  p.  316  sq. 

(5)  Documenta,  p.  !'0,  au  haut. —  11ofli:r,  1.  c.  l'«  parde,  p.  130,  au  bas,  et 
p.  loi,  au  haut. 


JUSQUA   SON   ARRIVEE   A   CONSTANCE.  3(3? 

Noël,  et  le  concile  sera  alors  bien  près  de  sa  fin,  à  moins  qu'il  ne 
se  prolonge  jusqu'à  Pâques  (!).  A  Constance,  tout  est  très-cher, 
surtout  le  fourrage;  aussi  ont-ils,  Jean  de  Ghlum  et  lui,  renvoyé 
leurs  chevaux  à  Ravensburg;  il  craint  de  tomber  bientôt  dans  le 
besoin,  et  prie  ses  amis  de  vouloir  bien  ne  pas  l'abandonner. 
Latzenbock  s'est  mis  en  route  pour  rejoindre  Sigismond.  Il  y  a  à 
Constance  une  grande  quantité  de  Parisiens  et  d'Italiens,  peu 
néanmoinsjusqu'ici  d'archevêques  et  d'évéques,  mais  un  nombre 
assez  considérable  de  cardinaux,  qui  se  promènent  montés  sur 
des  mules.  Les  tchèques  (il  en  était  parti  à  peu  près  deux  mille 
pour  Constance)  ont  dépensé  leur  argent  pendant  le  voyage  et  se 
trouvent  dans  une  grande  nécessité.  Il  a  grand'pitié  d'eux,  mais 
ne  peut  donner  à  tout  le  monde  * . 

Dans  une  seconde  lettre  du  6  novembre,  Hus  se  vante  encore 
d'être  venu  à  Constance  sans  sauf-conduit  ^,  et  de  ne  craindre  en 
rien  les  efforts  de  Michaël  de  Gausis  ni  de  ses  autres  ennemis;  il 
espère  au  contraire  remporter  une  éclatante  victoire  et  confondre 
pour  jamais  ses  adversaires.  Le  pape  ne  voulait  pas  arrêter  le 
procès;  il  disait:  «  Qu'y  puis-je  faire,  ce  sont  vos  gens  qui  mè- 
nent tout  [quid ego possum,tame7ivestri  faciunt)!  »  Le  roi  Wen- 
ceslas  avait,  en  effet,  loujours  exprimé  le  désir  et  il  venait  de  le 
renouveler  à  Constance,  qu'aucun  Bohémien  ne  fût  accusé  d'hé- 
résie, et  qu'aucune  imputation  de  cette  nature  ne  fût  émise  contre 
Hus.  Plus  loin  on  lit  que  deux  évêques  et  un  docteur  ont  assuré 
à  Jean  de  Chlum  qu'on  n'exigera  de  Hus  qu'une  adhésion  tacite 
(sub  silentio  concordarem)^  c'est-à-dire  qu'on  ne  lui  demandera 
pas  un  désaveu  formel  de  ses  erreurs  ;  mais  qu'on  se  contentera 
de  son  silence,  et  qu'ainsi  l'affaire  sera  assoupie.  Jean  Hus 
ne  manque  pas  d'en  tirer  cette  conclusion,  qiwd  liment  meam 
publicam  responsionem,  et  prœdicationem  ;  ^uis>  il  ajoute  qu'il 
attend  l'arrivée  de  Sigismond  pour  avoir  la  liberté  de  parler. 
Ce  prince  avait  manifesté  une  grande  joie  en  apprenant  qu'il  s'est 
rendu  à  Constance  sans  sauf-conduit  :  c'est  Wenceslas  de  Duba 
qui  lui  a  apporté  cette  pièce,  en  arrivant  le  5  novembre  à  Cons- 
tance. Dans  toutes  les  villes,  Hus  a  été  très-bien  accueilli,  il  a  fait 
afficher  des  déclarations  en  allemand  et  en  latin  daus  toutes  les 
villes  impériales,  et  s'est  entretenu  avec  les  différents  magistri. 

(1)  Documenta^  ^.11 .  —  Hôfler,  1.  c.  1"'^  partie,  p.  l'29  sq. 

[x]  Nous  parlerons  plus  loin  de  l'erreur  qu'on  a  faite  en  lisant:  sine  salvo 

CO-l'h'r'u  V.W.V,. 


368         PRÎ.MIÈRE   SESSION    DU    CONCJLE,   LE    16    NOVEMBRE    1414, 

L'évêque  de  Lubeck,  qui  le  précédait  d'un  jour,  avait  voulu 
ameuter  la  population  contre  lui;  mais  ses  efforts  ont  été  inutiles. 
La  lettre  se  termine  par  de  nouvelles  allusions  à  la  pénurie  d'ar- 
gent, et  les  mêmes  instances  à  cet  égard  ^ . 

Dix  jours  après,  le  16  novembre,  Hus  écrivit  une  troisième 
lettre,  fort  déclamatoire;  il  y  raconte  que  sa  présence  n'a  pas 
interrompu  le  service  divin  dans  la  ville,  puisque  le  pape  lui- 
même  y  a  dit  la  messe,  nonobstant  son  arrivée  ^.  La  lettre  du 
rnagister  cardinal  de  Reinstein  fait  aussi  allusion  à  ce  point;  elle 
mentionne  de  plus  le  bruit  alors  répandu  par  les  amis  ou  par  les 
ennemis  de  Hus,  que  celui-ci  devait  prêcher  à  Constance  dans 
une  église  le  dimanche  suivant  et  donner  un  ducat  à  chacun  de 
ses  auditeurs.  D'après  lui,  Hus  aurait  dit  la  messe  tous  les  jours 
{divina peragit)  et  cela  depuis  le  commencement  de  son  voyage. 
En  dernier  lieu,  le  cardinal  fait  observer  que  l'Oie  (Hus)  n'a  rien 
à  craindre  du  feu,  puisque  la  vigile  de  Saint-Martin  tombe  cette 
année-là  un  samedi,  par  conséquent  un  jour  d'abstinence  ^. 


§  748. 

PREMIÈRE   SESSION   DU   CONCILE,  LE  16  NOVEMBRE  1414,  ET  ÉVÉNEMENTS 
QUI    SE   PASSÈRENT  A  CONSTANCE   JUSQu'a   l'aRRIVÉE   DE   SiaiSMOND. 

On  a  vu  que  la  première  session  générale  du  concile  devait 
se  tenir  le  16  novembre  1414,  dans  la  cathédrale  de  Cons- 
tance *.  Le  pape  y  présidait;  mais  ce  fut  le  cardinal  Jordan 
d'Albano  qui  célébra  la  grand-messe  de  Spiritu  Sancto .  kprès 
la  recitation  des  prières  et  des  litanies ,  le  pape  prit  la  pa- 
role et  développa  le  texte  :  Loqiiimiyii  veritatem  (Zacharie, 
8,  16),  en  exhortant  tous  les  membres  du  concile  à  procurer 
avec  zèle  et  dévouement  la  paix  et  l'avantage  de  l'Église.  Le  car- 


(1|  Documenta,  p.  78  sq.  —  Hôfler,  1.  c.  1"  partie,  p,  131  sq. 

(2)  Documenta,  p.  81  sq.  —  Hôfleiî,  1.  c.  !''•  partie,  p.  132-135. 

(3)  Documenta,  p.  79  sq.  —  Hôfler,  1.  c.  l'"'^  partie,  p.  130  sq, 

(4)  Toutes  les  sessions  générales  du  concile,  de  même  que  toutes  les  con- 
grégations générales,  se  tinrent  dans  la  cathédrale,  comme  le  mentionnent 
expressément  les  actes  synodaux.  On  voit  par  là  ce  qu'il  faut  penser  de  la 
«  salle  du  concile,»  que  l'on  montre  aux  étrangers,  moyennant  rétribution, 
avec  toute  sorte  de  prétendues  antiquités.  Le  concile  n'a  jamais  tenu  de 
réunion  dans  ce  local;  mais  ce  fut  là  que  se  réunit  le  conclave  pour  l'élec- 
tion de  Martin  V. 


ET   ÉVÉNEMENTS   QUI   SE   PASSERENT   A   CONSTANCE.  369 

dinal  Zabarella  et  un  notaire  pontifical  donnèrent  alors  lecture  de 
la  bulle  de  convocation  du  9  décembre  1413  que  nous  connais- 
sons déjà,  et  d'un  nouveau  décret  dans  lequel  îe  souverain  pon- 
tife, avec  l'approbation  du  saint  concile  et  sous  la  promesse 
d'indulgences,  ordonnait  que,  durant  la  durée  du  concile  et 
pour  attirer  sur  lui  les  bénédictions  de  Dieu  ,  on  célébrât 
chaque  jeudi,  dans  toutes  les  églises  de  Constance,  la  messe 
du  Saint-Esprit.  Tous  les  membres  de  l'assemblée  qui  avaient 
reçu  le  sacerdoce  devaient  dire  la  même  messe  chaque  se- 
maine, et  tous  les  fidèles  apporter  à  l'œuvre  commune  le  con- 
cours de  leurs  prières,  de  leurs  jeûnes  et  de  leurs  aumônes.  Le 
but  de  tous  les  conciles  généraux  étant  avant  tout  de  s'occuper 
de  la  foi,  les  docteurs  devaient  s'appliquer  avec  le  plus  grand 
soin  aux  questions  dogmatiques,  échanger  leur  réflexions  et 
communiquer  le  résultat  de  leurs  travaux  au  pape  et  au  concile  ; 
on  désignait  plus  particulièrement  à  leurs  investigations  les 
erreurs  produites  çà  et  là,  notamment  celles  de  Wiclef,  et  les 
moyens  de  procurer  à  l'Église  la  réforme  aussi  indispensable 
que  la  paix  * . 

Les  règlements  de  Tolède  pour  la  police  de  l'assemblée  furent 
remis  en  vigueur.  Le  synode  nomma  ensuite  ses  bureaux,  qui  se 
composaient  pour  chacune  des  quatre  nations  (française,  italienne, 
allemande  et  anglaise  ^)  d'un  protonotaire,  de  deux  notaires,  et 
d'un  certain  nombre  de  secrétaires,  scrutateurs,  avocats  conci- 
liaires, procureurs,  promoteurs  et  introducteurs;  le  comte  Ber- 
thold  de  Ursinis  fut  nommé  questeur,  et  la  session  suivante 
fixée  au  17  décembre  ^ 

A  peine  cette  première  session  était-elle  terminée  que  le  car- 
dinal Jean  Dominici,  appelé  cardinal  de  Kaguse,  fit  demander 


(1)  A  la  suite  de  cette  invitation  plusieurs  prélats  rédigèrent  en  toute  li- 
berté leurs  observations  sur  ce  sujet.  Nous  avons  encore  un  des  deux  mé- 
moires de  i'arcbevêque  Pileus  de  Gènes,  intitulé  De  la  réforme  ecclésiastique, 
et  inséré  dernièrement  par  Dôllinger  dans  les  Documents  pour  servir  à  l'his- 
toire du  XV*  et  du  xvi^  siècle  (t.  Il,  1863,  p.  301-311).  11  a  été  évidemment 
écrit  avant  la  cinquième  session;  dans  le  §  2,  en  effet,  l'auteur  demande 

?[u'on  déclare  l'autorité  et  les  pouvoirs  du  concile.  Or  cette  déclaration  fut 
aite  dans  la  cinquième  session,  comme  le  constatent  les  mots  hoc  expeditum 
est,  ajoutés  plus  tard  au  texte. 

(2)^  L'Espagne,  attachée  à  l'obédience  de  Benoît  XIII,  ne  fut  pas  repré- 
S6Ii1jG6  3,11  conpilp 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  536-540.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  230-235.  —  Lenfant, 
Histoire  du  concile  de  Constance,  nouv.  éd.  1727,  1. 1,  p.  48-53.  —  Ghronicor. 
Caroli  VI,  lib.  XXXV,  c.  40-43  incl. 

T.  X.     24 


370         PREMIÈRE   SESSION   DU   CONCILE  ,   LE   16   NOVEMBRE    1414  , 

comme  plénipotentiaire  de  Grégoire  XII,  aux  représentants  de 
l'empereur  et  aux  magistrats  de  la  ville,  de  pourvoir  à  son  loge- 
ment. On  lui  désigna  le  couvent  des  augustins,  qu'on  aurait  offert 
à  Grégoire  XII  lui-même,  s'il  était  venu.  Le  cardinal,  qui  s'était 
tenu  jusque-là  dans  les  environs,  parut  alors  en  personne  et  fit 
mettre  aussitôt  les  armes  de^son  maître  à  la  porte  de  sa  demeure. 
Elles  furent  enlevées  pendant  la  nuit,  et  cette  mesure  fut  diver- 
sement jugée.  Une  congrégation  générale,  tenue  le  20  novembre 
dans  la  salle  basse  du  palais  pontifical,  s'occupa  de  cet  inci- 
dent ;  mais  les  avis  y  furent  très-partages  :  finalement  on  adopta 
à  la  simple  majorité,  une  résolution  mixte  en  vertu  de  laquelle  le 
pape  Grégoire  XII,  tant  qu'il  ne  serait  pas  personnellement 
présent,  devait  s'abstenir  de  faire  appendre  ses  armes.  C'était 
lui  faire  plus  d'honneur  que  ne  le  pouvait  accorder  son  rival; 
aussi  bien  cette  décision  ne  s'harmonisait  guère  avec  la  sentence 
de  déposition  portée  à  Pise  contre  Grégoire  * . 

Cependant  le  nombre  des  membres  du  concile  croissait  sensi- 
blement. On  signalait  notamment  l'arrivée  de  Pierre  d'Ailly 
(17  novembre),  reçu  avec  les  plus  grands  égards  par  les  autres 
cardinaux,  du  comte  de  Cilly,  beau-père  de  Sigismond,  des  en- 
voyés du  duc  Albert  V  d'Autriche,  du  théologien  Nicolas  de 
Dinkelsbtihl,  des  députés  anglais  et  d'une  foule  d'autres  princes, 
seigneurs,  prélats  et  docteurs.  Ce  fut  sans  doute  avec  les  envoyés 
du  duc  d'Autriche  que  vinrent  les  députés  de  l'université  de 
Vienne,  Pierre  de  Pulka,  docteur  en  théologie,  et  Gaspard  de 
Meiselstein,  docteur  decretorum.  Ce  dernier  ne  resta  pas  long- 
temps à  Constance,  mais  le  premier  nous  a  laissé,  dans  ses  lettres 
adressées  du  concile  à  l'université,  des  documents  ^  récemment 
mis  au  jour,  et  très-importants  pour  l'histoire  de  cette  assem- 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  540  sq.  —  Hard.  1.  c.  p.  235  sq.—  Lenfant,  1.  c.  p.  54.— 
Schwab,  /.  Gerson,  p.  499. 

(2)  Publiés  par  Fr.  Firnhaber  dans  les  Archives  pour  l'étude  des  questions 
historiques  en  Autriche,  L  XV,  Vienne,  1856.  Pierre  Tzech  ou  Tzach  le  fait 
naître  dans  la  Basse-Autriche,  d'où  lui  serait  venu  le  surnom  de  Pulka.  Plu- 
sieurs autres  auteurs  l'appellent  aussi  Pierre  de  Saint-Bernard.  11  fut  d'abord 
attaché  à  la  Faculté  des  arts ,  puis  passa  à  celle  de  théologie ,  où  il  fut  reçu 
docteur,  et  dont  il  fit  longtemps,  avec  son  ami  et  condisciple  Nicolas  deDin- 
kelsbùhl,  le  plus  bel  ornement  (f  1425).  Cf.  Asghdach,  Hist.  de  VUniversité 
rfe  Vienne,  1865,  p.  424  sq.  La  bibliothèque  de  l'Université  de  Tubmgue  possède 
dans  l'un  des  recueils  relatifs  aux  questions  qui  nous  occupent  {Actes 
d'Erfurth  pour  le  concile  de  Constance),  un  discours  inédit  de  Pierre  de  Pulka, 
prononcé  par  lui  devant  les  Pères  du  concile.  Nous  y  reviendrons  dans  la 
suite. 


ET  ÉVÉNEMENTS   QUI  SE  PASSERENT  A   CONSTANCE.  371 

hlée.  Sur  ces  entrefaites,  et  en  attendant  qu'Etienne  de  Palecz  et 
Michaël  de  Causis  eussent  rédigé  et  remis  leur  acte  d'accusation, 
les  évêques  d'Augsbourg  et  de  Trente,  avec  le  bourgmestre  de 
Constance  et  le  seigneur  Hans  de  Bade,  se  présentèrent  le  28  no- 
vembre à  midi  chez  Hus,  pour  l'inviter  à  comparaître  devant  le 
pape  et  les  cardinaux.  Le  seigneur  de  Ghlum  protesta,  alléguant 
que  Hus  était  sous  la  protection  de  l'empereur  et  qu'on  ne  devait 
rien  entreprendre  contre  lui  en  l'absence  du  prince;  mais  Hus  lui- 
même  se  déclara  prêt  à  marcher,  en  faisant  observer  néanmoins 
qu'il  était  venu  à  Constance  pour  rendre  compte  de  sa  conduite 
au  concile  général,  et  non  pas  au  pape  et  à  ses  cardinaux.  Puis  il 
monta  à  cheval  et  se  rendit,  en  compagnie  du  chevalier  de  Chlum 
et  de  plusieurs  autres  seigneurs,  à  la  demeure  du  pape;  on  dit  que 
son  hôtesse,  par  un  triste  pressentiment,  versa  des  larmes  en  le 
voyant  s'éloigner.  Quand  il  fut  en  présence  des  cardinaux,  celui 
qui  présidait  lui  dit  «  qu'il  avait  recueilli  sur  son  compte  des 
bruits  très-défavorables,  mais  qu'il  voulait  apprendre  de  sa  propre 
bouche  quel  cas  on  devait  faire  de  ces  imputations.  »  Hus  répondit 
qu'il  détestait  toutes  les  hérésies,  qu'il  aimerait  mieux  mourir  que 
d'être  hérétique  opiniâtre  ;  et  que  si  on  parvenait  à  le  convaincre 
d'une  erreur,  il  était  prêt  à  l'abjurer  et  à  en  faire  pénitence.  Ces 
paroles  parurent  exercer  une  heureuse  impression.  Les  cardinaux 
d'ailleurs  ne  tardèrent  pas  à  s'éloigner  et  laissèrent  Hus  et  le  sei- 
gneur de  Chlum  sous  bonne  garde.  Le  franciscain  Didacus,  théo- 
logien lombard  très-estimé,  leur  succéda  avec  la  mission  de 
sonder  les  doctrines  de  Hus  sur  l'Eucharistie  ;  mais,  malgré  l'in- 
génuité qu'il  feignit  d'apporter  dans  le  débat,  il  ne  put  lui  arracher 
aucune  réponse  compromettante.  A  quatre  heures,  les  cardinaux 
se  rassemblèrent  de  nouveau;  mais  cette  fois  en  présence  du 
pape,  ainsi  que  des  amis  et  des  ennemis  de  Hus.  On  remarquait, 
parmi  les  premiers,|le  magister  cardinal  de  Reinstein  et  Pierre  de 
Mladenowicz  ;  mais  Etienne  de  Palecz  et  le  moine  Pierre  se  trou- 
vaient avec  les  seconds,  et  la  discussion  s'ouvrit  bientôt  entre  les 
deux  partis.  Cette  nouvelle'réunion  fut  moins  heureuse  pour  Hus, 
car  elle  se  termina  par  son  arrestation.  A  la  signification  qui  lui  en 
fut  faite  par  un  officier  pontifical,  le  seigneur  de  Chlum  vint 
trouver  le  pape,  qui  était  encore  à  l'assemblée,  et  lui  adressa 
devant  elle  les  plus  violents  reproches.  Jean  aurait  répondu 
qu'il  était  personnellement  innocent  dans  cette  affaire,  et  que 
c'étaient  les  cardinaux  qui  l'avaient  contraint  de  prendre  une 


372         PREMIÈRE   SESSION   DU   CONCILE,    LE    16   NOVEMBRE    1414, 

semblable  mesure.  Quoi  qu'il  en  soit,  Hus  fut  provisoirement 
retenu  dans  la  maison  d'un  chanoine  (le  grand  chantre),  et  huit 
jours  après,  le  6  décembre  1414,  transféré  au  couvent  des  domi- 
nicains, où  il  resta  enfermé,  dit-on,  dans  une  mauvaise  chambre 
voisine  des  égoûts,  jusqu'au  dimanche  des  Rameaux  :  tel  est  du 
moins  le  récit  de  Pierre  de  Mladenowicz  * .  Que  ce  soit  Hus  lui- 
même  qui,  par  une  tentative  d'évasion,  ait  donné  lieu  à  son  arres- 
tation, comme  le  prétend  Ulrich  de  Reichenthal  (p.  216  et  suiv.) 
et  après  lui  beaucoup  d'auteurs,  c'est  une  opinion  purement 
gratuite,  émise  par  les  ennemis  de  l'accusé,  et  dont  fait  mention 
Pierre  de  Mladenowicz  2.  Ghlum,  de  son  côté,  soutint  plus  tard 
devant  le  concile  (16  mai  1415)  que,  depuis  son  arrivée  à  Cons- 
tance jusqu'au  jour  de  son  arrestation,  Hus  n'avait  pas  fait  un 
seul  pas  hors  de  son  domicile  ^.  Au  moins  ne  faut-il  pas  mécon- 
naître que,  dans  l'intérieur  de  sa  maison,  il  prit  bien  des  libertés 
qui  ont  pu  motiver  la  manière  rigoureuse  dont  on  agit  à  son 
égard.  Malgré  la  défense  expresse  du  pape,  il  disait  tous  les  jours 
la  messe,  et  prenait  souvent  la  parole  à  propos  de  certains  évé- 
nements contemporains,  ce  que  naturellement l'évêque  de  Cons- 
tance ne  voulait  pas  tolérer  ^. 

Les  articles  réunis  par  Etienne  de  Palecz  et  Michaël  de  Causis, 
et  remis  par  eux  au  pape,  formulaient  les  accusations  suivantes  : 
1°  Hus  avait  soutenu  que  les  laïques  avaient  le  droit  de  recevoir 
la  communion  sous  les  deux  espèces,  et  la  meilleure  preuve  c'est 
qu'en  fait  ses  disciples  recevaient  l'Eucharistie  de  cette  manière 
(ceci  n'était  pas  imputable  à  Hus).  H  aurait  aussi  prétendu  qu'après 
la  consécration  le  pain  matériel  subsistait  (accusation  erronée).  Il 
serait  soumis  plus  tard  à  un  interrogatoire  sur  ce  point.  2°  D'après 
lui,  un  prêtre  coupable  de  péché  mortel  n'administrait  pas  va- 
lidement  les  sacrements,  ce  que  pouvait  faire  tout  laïque  en  état 
de  grâce.  3°  Ses  doctrines  sur  la  constitution  de  l'Église  étaient 
fausses  :  il  ne  voulait  pas  admettre  que  par  l'Église  il  fallût  en- 
tendre le  pape,  les  cardinaux,  les  archevêques,  les  évêques  et  le 
clergé;  il  soutenait  que  l'Église  ne  doit  posséder  aucun  bien  tem- 


(1)  Docum.  etc.  p.  248-252.  —  Hofler,  Hist.  1. 1,  p.  135-140.  —  Palacky. 
ffist.  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  322  sq. 

(2)  Documenta,  I.  c.  p.  247,  au  bas.  —  Hôpler,  I.  c.  p.  135.  au  bas. 

(3)  Van  der  Hardt,  Magnum  Constantiense  concilium,  1699,  t.  IV.  v.  213.— 
Palacky,  1.  c.  p.  322.  >  i>      ^' 

(4)  Helfbrt,  Hus  et  Jérôme,  p.  178  sq.— Ulrich  de  Reichenthal,  p.  ccxii  b. 
"-  Krummel,  Hist.de  la  réforme  en  Bohême,  1866,  p.  455  sq. 


i 


ET  ÉVÉNEMENTS  QUI  SE  PASSERENT   A   CONSTANCE.  373 

porel,que  les  laïques  ont  le  droit  de  lui  ôter  ceux  dont  elle  jouit  et 
que  c'avait  été  la  grande  faute  de  Constantin  et  des  autres  princes 
après  lui  que  d'enrichir  les  Églises  et  les  monastères.  4°  Il  ensei- 
gnait encore  que  si  le  pape  et  les  clercs  venaient  à  commettre  un 
péché  mortel,  l'Église  n'aurait  plus  d'autorité.  5°  Ses  erreurs  sur 
l'Église  étaient  allées  jusqu'à  lui  faire  mépriser  l'excommunica- 
tion. 6°  Il  attribuait  à  tout  le  monde  le  droit  d'investir  les  curés 
(c'est-à-dire  qu'il  le  reconnaissait  aux  barons  de  Bohème,  ses 
protecteurs).  7°  Enfin,  il  soutenait  en  théorie  et  en  pratique 
qu'on  n'avait  pas  le  droit  d'interdire  la  prédication  à  un  prêtre  ou 
à  un  diacre.  D'autres  accusations  se  joignaient  encore  à  celle-là  : 
c'était  lui  qui  avait  fait  expulser  les  Allemands  de  l'université 
de  Prague,  il  avait  déclaré  orthodoxes  les  quarante-cinq  articles 
de  Wiclef,  n'avait  tenu  aucun  compte  des  ordres  de  l'archevêque 
et  du  pape,  et  était  allé  jusqu'à  exciter  ses  amis  à  maltraiter  les 
membres  du  clergé  demeurés  fidèles  *.  Le  4  décembre  1414, 
le  pape  confia  le  soin  d'examiner  ces  accusations  à  trois  com- 
missaires :  Jean,  patriarche  latin  de  Gonstantinople  (Français 
d'origine  et  plus  tard  cardinal),  et  les  évêques  Bernard  de  Gas- 
tellum  (Gitta  di  Gastello,  près  de  Pérouse)  et  Jean  de  Lubeck  ^. 
Les  témoins  qu'ils  s'adjoignirent  furent  le  docteur  en  théologie 
Mûnsterberg,  le  magister  Steurch  (Storch)  de  Leipsig  ,  tous 
deux  anciens  collègues  de  Hus  à  Prague,  Etienne  de  Palecz, 
l'ancien  ofiicial  du  diocèse  de  Prague  Gelsmeister(Zeiselmeister), 
le  moine  Pierre  de  Saint-Glément  (ennemi  déclaré  de  Hus) , 
Pierre,  abbé  de  Saint-Ambroise  à  Prague,  et  plusieurs  autres. 
On  ne  nomma  point  d'avocat  à  Hus,  comme  on  le  fait  en  tout 
temps  :  car  personne  ne  se  trouva  pour  le  défendre  contre  l'ac- 
cusation d'hérésie  ;  mais  le  pape  lui  envoya  son  médecin,  comme 
s'il  avait  été  attaqué  de  la  pierre,  de  la  fièvre  ou  de  la  dyssen- 
terie  ^,  et  on  lui  assigna  un  meilleur  appartement  dans  le  mo- 
nastère des  Dominicains  * . 


(1)  Documenta,  etc.  p.  194-199.  —  Hôfler,^  Hist.  V^  partie,  p.  203-207. 

(2)  Lenfant  (1.  c.  p.  63)  écrit,  au  lieu  de  l'évêque  de  Lubeck,  l' évoque  de 
Lebus.  Tous  deux  étaient  en  effet  à  Constance,  et  portaient  le  nom  de  Jean. 
(V.  D.  Hardt,  t.  V,  p.  14  et  16);  mais  dans  Raynald  qX  les  Documenta,  p.  199 
et  252,  il  y  a  formellement  Lubucensis.  Plus  tard,  le  même  auteur  se  trompe 
encore  en  traduisant  Castellum  par  Casiellamar  délia  Brucca. 

(3)  Documenta,  etc.  1.  c.p.252. —  Hofler,  Hist.  1'^* partie,  p.  140. 

(4)  Palacky  mentionne  ce  dernier  trait  sans  dire  d'où  il  le  tient  {ffist.  de 
Bohême,  t.  III,  1,  p.  330).  Mladenowicz  paraît  soutenir  au  contraire  que  Hus 


374         PBEMIÈRE   SESSION   DU   CONCILE,    LE    16    NOVEMBRE   1414, 

C'est  là  que  Hus  rédigea  un  certain  nombre  de  traités  religieux  : 
sur  le  Pater,  les  dix  commandements,  l'Eucharistie,  le  mariage 
et  la  pénitence,  sur  les  trois  ennemis  de  l'homme,  et  l'amour  de 
Dieu  ^ .  Il  répondit  en  outre  aux  accusations  de  ses  adversaires, 
en  s'adressant  surtout  à  Etienne  de  Palecz  et  à  Gerson,  ses  enne- 
mis les  plus  déclarés  (Gerson  avait,  le  24  septembre  1414,  extrait 
du  livre  de  Hus  de  Ecclesia  vingt  propositions  erronées,  qu'il 
avait  ensuite  réunies  et  envoyées  à  Constance  ;  il  y  vint  lui-même 
le  21  février  1415  ^.  Hus  en  parlait  ainsi  :  Ohlsi  Deus  daret  tempus 
scribendi  contra  mendacia  Parisie7isis  cancellarii  ^.  C'est  de 
cette  époque  que  datent  plusieurs  des  lettres  qui  nous  restent 
encore  de  lui  ^. 

Le  7  décembre  1414,  il  y  eut  encore  une  congrégation  générale 
(pas  une  session  proprement  dite)  de  cardinaux  et  de  prélats, 
dans  le  palais  du  pape;  celui-ci  d'ailleurs  n'y  assista  point.  La 
nation  italienne  présenta  un  résumé  écrit  des  mesures  à  prendre 
dans  le  moment  ^.  H  fallait  tout  d'abord  reconnaître  et  exécuter 
les  décrets  de  Pise,  et  spécialement  déterminer  le  souverain 
pontife  à  obtenir  de  gré  ou  de  force,  dans  l'intervalle  d'une  année, 
la  soumission  d'Angelo  Corrario  et  de  Pierre  de  Luna.  Le  pape 
devait  encore  promulguer  un  canon  en  vertu  duquel,  s'il  s'é- 
levait une  nouvelle  controverse  au  sujet  de  la  papauté  et 
que  le  pape  ne  voulût  point  convoquer  un  concile  général,  les 
cardinaux-évêques,  ou  même  seulement  trois  d'entre  eux,  au- 
raient le  pouvoir  de  le  faire.  C'était  encore  aux  Pères  de  Cons- 
tance qu'il  appartenait  de  fixer  les  promesses  et  les  engagements 
obligatoires  pour  chaque  pape  au  jour  de  son  exaltation;  pro- 
messe de  convoquer  tous  les  dix  ans  ou  au  moins  tous  les  vingt- 
cinq  ans  le  concile  œcuménique,  de  maintenir  dans  leur  intégrité 
les  droits  de  l'Église  romaine,  et  de  ne  pas  léser  ceux  des  Églises 


est  resté  jusqu'au  dimanche  des  Rameaux  dans  la  même  chambre,  près  des 
égoùts.  DocAimenta,  1.  c.  p.  252.  —  Hôflisr,  1.  c.  p.  l'jO. 

(1)  Ilussh  0pp.  1. 1,  p.  38  sq. —  Documenta,  etc.  p.  254,  etc. —  Hôfleb,  1.  c. 
p.  142.  J 

(2)  Documenta,  etc.  p.  185  sq.  % 

(3)  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  93,  c.  50.  —  Documenta,  etc.  p.  97,  c.  56. 

(4)  Ces  pièces  ne  se  trouvent  avec  ordre  que  dans  les  Docum.  etc.  p. 83,  etc. 
Dans  les  Hussii  0pp.,  on  n'a  tenu  aucun  compte  de  la  chronologie  ni  des 
sujets  traités. 

(5)  Le  môme  jour  (7  décembre)  le  roi  Jean  do  Portugal  signa  les  pouvoirs 
de  ses  députés  à  Constance.  Cf.  Dollingkr,  Documetits  pour  l  histoire  du  xv°  et 
du  xvi"  siècle,  i8lj3;,  t,  II,  p.  299. 


à 


ET  ÉVÉNEMENTS  QUI  SE  PASSÈRENT  A   CONSTANCE.  376 

étrangères,  de  ne  pas  autoriser  leurs  empiétements  réciproques, 
de  ne  jamais  déposer  les  cardinaux,  évêques  ou  clercs  contre 
leur  volonté  et  sans  les  formes  juridiques,  de  ne  pas  livrer  le 
clergé  aux  seigneurs  temporels,  de  ne  pas  approuver  les  charges 
qu'on  voudrait  lui  imposer,  de  réprimer  tout  trafic  simoniaque 
des  bénéfices,  et  de  ne  rien  entreprendre  d'important  sans 
avoir  consulté  les  cardinaux  *.  D'un  autre  côté,  d'Ailly,  cardinal 
de  Cambrai,  d'accord  avec  plusieurs  prélats  et  docteurs  fran- 
çais et  le  cardinal  de  Saint-Marc  (Guil.  Filastre),  présenta  un 
contre-projet  dont  voici  les  principales  dispositions  :  «  Le 
pape  et  les  cardinaux  étaient  tenus,  en  vertu  des  décrets  de 
Pise,  et  au  nom  du  droit  naturel  et  divin,  de  procurer  l'union 
de  l'Église  et  la  réforme  tant  de  sa  tète  que  de  ses  membres.  La 
même  obligation  incombait  à  tous  les  Pères  du  concile.  Qui- 
conque prétendrait  qu'ils  pouvaient  se  séparer  sans  s'ajourner  à 
une  époque  déterminée  serait  fauteur  de  schisme,  et  fortement 
suspect  d'hérésie.  On  ne  devait  plus  à  Constance  discuter  la  va- 
leur des  décrets  de  Pise,  mais  prendre  leur  autorité  pour  fonde- 
ment du  nouveau  concile.  Les  assemblées  de  Pise  et  de  Cons- 
tance ne  formaient  qu'un  seul  concile,  il  était  donc  inutile  de 
demander  qu'avant  tout  la  seconde  confirmât  la  première,  puis- 
qu'elle n'en  était  que  la  conséquence  logique  et  nullement  la 
contradiction  ^.  » 

Les  cardinaux  Zabarella,  Chalant,  Brancas  et  de  Placentia  pro- 
duisirent un  troisième  mémoire  sur  les  améliorations  à  introduire 
dans  la  cour  pontificale,  sur  la  manière  de  vivre  du  pape  durant 
la  tenue  du  concile,  sur  ses  mœurs,  ses  vêtements,  ses  audiences, 
ses  invitations,  etc  ^ . 

La  proposition  des  Italiens  sur  les  moyens  de  rigueur  à  em- 
ployer contre  Grégoire  XII  et  Benoît  XIII  ayant  rencontré 
quelque  crédit,  particulièrement  auprès  du  pape  Jean,  le  cardinal 
d'Ailly,  dans  une  nouvelle  congrégation  qui  se  tint  au  milieu  du 
mois  de  décembre,  présenta  une  série  de  mesures  pacifiques  à 
l'égard  des  deux  prétendants  :  on  devait,  selon  lui,  les  amener  par 
des  offres  avantageuses  à  une  résignation  volontaire;  c'était  le 
moyen  le  plus  facile  et  le  plus  certain  d'assurer  l'union.  Il  ajouta 


(1)  Mânsi,  t.  XXVII,  p.  541,  etc.  ~  V.  d.  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  23  sq. 

(2)  Manst,  1.  c.  p.  542.  —  V.  d.  Hardt,  1.  c.  t.  II,  p.  193. 

(3)  Mansi,  1.  c.  p.  543.  —  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t.  lY,  p.  25. 


376    PREMIÈRE   SESSION   DU    CONCILE,   LE    16    NOVEMBRE    1414,   ETC. 

deux  articles  pour  réfuter  les  objections  qu'on  lui  faisait,  et 
Prouver  que,  d'une  part,  ces  offres  ne  pouvaient  aucunement  en- 
courir le  reproche  de  simonie,  et  que,  de  l'autre,  la  déposition 
des  deux  prétendants  à  Pise  n'empêchait  pas  d'entamer  avec  eux 
de  nouvelles  et  pacifiques  négociations,  puisque,  d'après  l'avis  de 
plusieurs  grands  docteurs,  le  concile  général  pouvait  errer  non- 
seulement  dans  les  questions  de  fait,  mais  encore  sur  des  points 
de  morale  et  de  foi,  et  que  rinfaillibihté  n'était  assurée  qu'au 
corps  entier  de  l'Église  * . 

Une  dernière  objection,  faite  sans  doute  par  les  Italiens,  consis- 
tait à  dire  que,  si  l'on  voulait] traiter  encore  une  fois  avec  Gré- 
goire XII  et  Benoît  XIII,  le  concile  perdait  toute  autorité,  puisqu'il 
avait  été  convoqué  par  Jean,  leur  adversaire.  A  cela  le  cardinal 
d'Ailly  répondait  que  le  concile  n'avait  pas  été  convoqué  par 
Jean  seulement,  mais  aussi  par  le  roi  des  Romains,  en  sa  qualité 
de  défenseur  de  l'Église;  titre  qui  lui  faisait  un  devoir  de  venir 
en  aide  à  la  religion  dans  une  si  extrême  nécessité.  Plusieurs  de 
ses  prédécesseurs  en  avaient  agi  de  la  même  manière  ^. 

Déjà  on  était  arrivé  au  jour  fixé  pour  la  seconde  session  gé- 
nérale (17  décembre)  ;  mais  on  se  décida  à  l'ajourner,  vraisem- 
blablement pour  attendre  l'arrivée  de  Sigismond,  qui  venait 
d'être  couronné  roi  des  Romains  à  Aix-la-Chapelle,  le  8  no- 
vembre 1414,  et  se  dirigeait  au  miheu  des  fêtes  et  des  solennités 
vers  la  ville  de  Constance  ^. 

Vers  la  fin  de  décembre,  le  bruit  se  répandit  dans  la  ville  que 
le  pape  voulait  supprimer  toutes  les  universités  allemandes.  Les 
députés  de  l'université  de  Vienne  en  firent  mention  dans  leurs 
lettres,  mais  à  Vienne  on  ne  parut  ajouter  aucune  foi  à  cette  ru- 
meur, et  l'université  elle-même  n'en  fit  point  état  *,  et  ne 
réclama  pas  le  secours  du  duc  d'Autriche. 

Cependant  le  chevalier  Jean  de  Chlum  s'était  plaint  au  roi 
Sigismond  de  l'arrestation  de  Hus;  ce  prince  en  fut  tellement 
irrité  qu'il  envoya  l'ordre  à  ses  ambassadeurs  à  Constance  de  ré- 
clamer l'élargissement  de  l'accusé,  et  d'enfoncer  au  besoin  les 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  544-547.  —  Van  der  Hardt,  1.  c.  t.  II,  p.  197,  198,  201  ; 
t.  IV,  p,  26.  —  Schwab,  Jean  Gerson^  p.  500. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p  547.— V.  d.  Hardt,  1.  c.  t.  II,  p.  197,  198,  201  ;  t.  IV,  p.  26. 
—  Schwab,  J.  Gersun,  p.  500. 

(3)  AscHBACH,  lïùt.  du  roi  Sigismond,  1. 1,  p.  410,  etc. 

(4)  Archives  pour  l'élude  des  gués  t.  histor.  en  Autriche,  t.  XV,  p.  9. 


HISTOIRE  DU   CONCILE   DE  CONSTANCE,   ETC.  377 

portes  de  sa  prison.  Comme  ces  menaces  demeurèrent  sans  effet, 
Ghlum,  le  samedi  avant  la  fête  de  l'apôtre  S.  Thomas,  et  la  veille 
de  Noël,  fit  afficher  en  latin  et  en  allemand,  aux  portes  de  toutes 
les  églises  de  la  ville,  une  protestation  contre  la  violation  du 
sauf-conduit,  en  ayant  soin  de  montrer  partout  le  texte  de  celui 
qu'il  avait  obtenu  de  l'empereur  *. 

§749. 

HISTOIRE  DU  CONCILE  DE  CONSTANCE  DEPUIS  l' ARRIVÉE  DE  l'eMPEREUR 
jusqu'à  la  FUITE  DU  PAPE,  DU  25  DÉCEMBRE  1414  AU  MOIS  DE 
MARS    1415. 

Le  même  jour  (24  décembre  1414),  Sigismond,  parvenu  à 
Ueberlingen,  sur  le  lac  de  Constance,  fît  donner  avis  au  pape  de 
son  arrivée,  et  le  soir  même,  il  aborda  sous  les  murs  de  la  ville, 
avec  son  épouse,  plusieurs  princes  et  une  suite  très-nombreuse 
d'environ  mille  chevaux.  Il  fit  son  entrée  solennelle  fort  avant 
dans  la  soirée,  à  la  lueur  des  flambeaux  et  par  un  froid  rigou- 
reux; puis,  après  un  court  repos,  il  se  rendit  encore  avant  minuit 
à  la  cathédrale  brillamment  illuminée,  où  le  pape  le  reçut  et 
célébra  en  grande  pompe  la  grand'messe  de  la  Nativité.  Voulant 
se  conformer  à  un  antique  usage,  l'empereur  (nous  le  nommons 
ainsi  pour  abréger,  bien  qu'en  réalité  il  ne  reçût  la  couronne 
impériale  qu'en  1433), chanta  l'évangile  de  la  fête  {Exiit  edictum 
a  Cœsare),  revêtu  de  la  dalmatique  du  diacre  et  la  couronne  sur 
la  tête.  On  avait  placé  pour  lui  en  face  de  Tautel  un  trône  magni- 
fique, entouré  par  les  princes  de  l'empire.  L'office  terminé,  le 
pape  lui  remit  une  épée  bénite,  en  l'engageant  à  s'en  servir  pour 
la  défense  de  l'Église,  ce  dont  il  fit  le  serment  solennel,  et  cette 
résolution  chez  lui  était  sérieuse,  car,  si  léger  qu'il  ait  été  en 
maintes  rencontres,  le  concile,  la  pacification  et  la  réforme  lui 
tenaient  vraiment  à  cœur. 

Dans  une  lettre  écrite  plus  tard  de  Paris  aux  états  de  Bohême 
(21  mars  1416),  Sigismond  affirme  qu'il  a  eu  plus  d'une  fois  dans 
les  derniers  jours  de  l'année  1414,  à  propos  de  l'arrestation  de 


(1)  Documenta,  etc.  p.  253  sq.  Pour  le  sauf-conduit,  cf.  p.  237  sq.  —  Hôfler, 
Hist.  1"  partie,  p.  141  et  115.  —  Palacky,  Hist.  de  Bohême,  t.  III,  1,  p.  327. 
V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  26.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  95,  epist.  57. 


m 

378  HISTOIRE   DU  CONCILE  DE  CONSTANCE 

Hus,  de  violentes  scènes  avec  les  cardinaux  (surlesquels  Jean XXIII 
avait  tout  rejeté),  qu'il  est  sorti  souvent  en  colère  de  la  salle  des 
sessions,  qu'une  fois  même  il  a  quitté  la  ville;  mais  il  ajoute 
que  le  concile  n'aurait  abouti  à  rien,  si  l'on  avait  voulu  défendre 
plus  longtemps  l'accusé  ^  Son  consentement  fut  enfin  donné 
le  1"  janvier  1415,  comme  nous  allons  le  voir;  mais  avant  cette 
époque  se  placent  deux  solennités  importantes. 

Yan  der  Hardt  (t.  IV,  p.  28)  mentionne  un  sermon  du  cardinal 
d'Ailly  prononcé  le  28  décembre  141 4  sur  ce  texte  de  S. Luc(21, 25): 
Erunt  signa  in  sole,  luna  et  stellis,  où  il  compara  le  concile  tout 
entier  au  ciel,  le  pape  au  soleil,  l'empereur  à  la  lune,  les  membres 
du  concile  aux  étoiles;  dit  que  le  rétablissement  de  l'union  et  la 
réforme  de  l'Église  étaient  les  devoirs  capitaux  du  concile;  puis 
conclut  sa  thèse  en  soutenant  que  le  pape  ne  serait  pas  lié  par  les 
décrets  de  l'assemblée  ^.  Le  lendemain,  dans  une  congrégation, 
Sigismond  fît  part  des  négociations  qu'il  avait  entamées  avec 
Grégoire  XII  et  Benoît  XIII,  et  engagea  les  Pères  à  attendre  les 
envoyés  des  deux  antipapes  et  leurs  partisans.  Sur  son  désir,  on 
choisit  aussi  plusieurs  cardinaux  avec  lesquels  il  pût  discuter  en 
particulier  les  affaires  du  concile  ^. 

L'avant-dernier  jour  de  l'année  1414,  d'après  Van  der  Hardt  et 
Lenfant,  fut  signalé  par  un  discours  de  Mathias  Rœder,  Allemand 
d'origine,  professeur  au  collège  de  Navarre  à  Paris,  sur  le  déplo- 
rable état  de  l'Église  et  spécialement  sur  la  simonie  et  la  re- 
cherche ambitieuse  des  honneurs  '*.  Mais  comme  dans  la  seconde 
partie,  beaucoup  moins  éteudue  d'ailleurs,  l'orateur  exhorte  le 
concile  à  ne  choisir  pour  nouveau  pape  qu'un  homme  dont  la 
capacité  soit  vraiment  digne  d'un  si  haut  rang,  il  faut  nécessai- 
rement rejeter  ce  discours  à  une  époque  postérieure,  puisqu'à  la 
fin  de  1414  la  légitimité  de  Jean  XXIII  était  encore  presque 
unanimement  reconnue  à  Constance. 

Le  pape  voulut  ouvrir  la  nouvelle  année  par  une  grand'messe 
et  une  bénédiction  solennelle  :  ce  fut  aussi  au  début  de  1415 
que  Sigismond  déclara  sa  résolution  de  ne  plus  s'opposer  «  aux 

(1)  Documenta,  etc.  p.  612.  —  Helfert,  Eus  et  Jérôme,  p.  316.  —  IIoflek, 
Hist.  2<=  partie,  p.  272  (incomplet  et  inexact). 

(2)  Van  der  Hardt,  t.  I,  p.  436.  —  Mansi,  t.  XXVIIl,  p.  947  (date  de  1417 
fausse). 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  31. 

(4)  Reproduit  par  Walch,  Monimenta  medii  cevi,  1. 1,  2,  p.  29-50.  Cf.  Van 
DER  Hardt,  t.  V,  Proleg.  p.  22. 


DEPUIS  l'arhivée  de  l'empereur  jusqu'à  la  fuite  du  pape.     379 

poursuites  régulières  et  légales  que  le  concile  voudrait  diri- 
ger contre  les  gens  accusés  d'hérésie.  »  Il  fit  mettre  hors  de 
cause  les  menaces  écrites  antérieurement  à  propos  de  J.  Hus. 
Comme  le  racontent  les  députés  de  l'université  de  Vienne, 
c'étaient  les  nations  qui  avaient  demandé  à  l'empereur  de  ne  pas 
céder  aux  vœux'des  Bohémiens,  en  faisant  relâcher  J.  Hus.  Une 
adresse  des  nobles  moraves  en  sa  faveur  n'eut  aucun  résultat. 
Néanmoins  Sigismond  promettait  en  même  temps  des  sauf-con- 
duits aux  envoyés  de  Grégoire  XII  et  de  Benoît  XIII,  et  même  à 
tous  ceux  qui  voudraient  venir  au  concile  ^. 

Dans  une  autre  congrégation  générale,  tenue  le  4  janvier  1415, 
on  agita  la  question  de  savoir  s'il  fallait  accorder  aux  députés  des 
deux  prétendants  tous  les  honneurs  dus  aux  envoyés  pontificaux. 
En  particulier,  on  s'occupa  de  Jean  Dominici  de  Raguse,  créé 
cardinal  par  Grégoire  XII  et  envoyé  par  lui  à  Constance,  et  l'on  se 
demanda  si  on  devait  le  traiter  comme  un  véritable  cardinal 
et  lui  permettre  de  porter  les  insignes  de  sa  dignité.  Les  avis 
sur  ce  point  furent  très-partages  :  la  conséquence  logique  des 
décrets  de  Pise  indiquait  la  négative,  puisque  les  deux  anti- 
papes et  leurs  partisans  y  avaient  été  anathématisés  comme  héré- 
tiques et  schismatiques,  et  c'était  aussi  naturellement  l'avis  de 
Jean  XXIII.  Mais  Sigismond  et  d'Ailly  persuadèrent  à  la  majorité 
de  faire  cette  concession,  qui  pouvait  devenir  utile  à  la  pacification 
de  l'Église  2. 

Le  lendemain  eut  lieu  l'investiture  jdu  burgrave  de  Nurem- 
berg, Frédéric,  en  qualité  d'électeur  de  Brandebourg  ^  ;  puis, 
à  l'occasion  d'une  disette  qui  commençait  à  se  faire  sentir,  la 
nomination  d'une  commission  choisie  par  le  pape,  l'empereur, 
et  les  magistrats  de  Constance,  et  qui  fut  chargée  de  taxer  les 
objets  de  première  nécessité  *.  Le  souverain  pontife  ofiicia  de 
nouveau  le  jour  de  l'Epiphanie,  en  présence  de  l'empereur  et 
de  tous  les  princes  ;  le  sermon  fut  prêché  par  Vital,  évêque  de 
Toulon,  dont  le  rôle  à  Constance  fut  considérable,  mais  qui  dans 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  32.  —  Archives  pour  l'étude  des  quest.  historiques 
en  Autriche,  t.  XV,  p.  13.—  Hôfler,  Hist.  1"  partie,  p.  171  sq. —  Documenta, 
p.  534  sq. 

(2)  Mansi,  t.  XXVil,  p.  548.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  236.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p. 33  sq. 

(3)  Voii-la  description  de  cette  solennité  dans  V.  d.  HARDT^t.  V,  p.  183  sqq. 

(4)  Cf.  U.  DE  RbIGHENTHAL,  p.  XXVIIT. 


380  HISTOIRE   DU   CONCILE   DE    CONSTANCE 

ce  discours  fît  preuve  de  peu  de  goût  ' .  Sur  ces  entrefaites  arrivè- 
rent les  envoyés  de  Benoît XIII  et  du  roi  d'Aragon;  ils  obtinrent 
audience  le  12  et  le  13  janvier,  mais  ne  firent  aucune  déclaration, 
si  ce  n'est  que  leurs  maîtres  étaient  disposés  à  avoir  avec  l'em- 
pereur à  Nice  une  entrevue  personnelle  où  l'on  chercherait  les 
moyens  de  pacifier  l'Église,  et  qu'ils  consentaient  volontiers  à 
ce  qu'elle  eût  lieu  le  plus  tôt  possible  ^.  Ils  ne  devaient  recevoir 
de  réponse  que  le  11  mars,  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 
La  session  du  14  décembre  avait  été  remise  au  14  janvier; 
mais,  sur  le  désir  exprimé  par  l'empereur,  ce  délai  fut  encore  pro- 
longé, d'abord  jusqu'au  24  janvier,  puis  jusqu'au  4  février,  parce 
qu'on  attendait  Tarrivée  des  Anglais  et  d'autres  envoyés.  Les  re- 
présentants de  l'université  de  Vienne,  de  qui  nous  apprenons  cette 
circonstance,  font  remarquer  que,  si  l'empereur  ne  fait  pas  preuve 
d'un  esprit  accommodant,  le  concile  peut  se  prolonger  jusqu'à 
Pâques  1415.  Hus  prédisait  aussi  ce  terme  ,  et  personne  ne 
soupçonnait  qu'à  Pâques  de  1418,  c'est-à-dire  trois  ans  plus  tard, 
à  peine  on  en  verrait  la  fin.  Les  Anglais  se  présentèrent  le  21  jan- 
vier 1415  ^  ;  le  lendemain  parurent  les  envoyés  de  Grégoire  XII, 
accompagnés  par  le  prince  électeur  palatin,  Louis  le  Barbu,  fils  de 
feu  l'empereur  Ruprecht,  et  le  duc  de  Brieg  en  Silésie.  Venaient 
à  leur  suite  les  évêques  de  Worms,  Spire  et  Verden,  qui  appar- 
tenaient, comme  ces  deux  princes,  à  l'obédience  de  Grégoire,  et 
étaient  arrivés  quelques  jours  auparavant  à  Constance.  Les  légats 
de  Grégoire  eurent  pour  résidence  le  couvent  des  augustins,  et 
dès  le  25  janvier,  pendant  une  congrégation  qui  se  tint  chez 
l'empereur  (palais  de  Fribourg  ou  Rippenhaus,  vis-à-vis  la  ca- 
thédrale), ils  obtinrent  audience  solennelle.  Sigismond  leur 
demanda  d'abord  s'ils  étaient  réellement  revêtus  des  pouvoirs 
de  Grégoire;  ils  répondirent  affirmativement,  et  produisirent  en 
effet  une  lettre  de  leur  maître,  où  celui-ci  déclarait  très-expli- 
citement consentir  à  abdiquer,  moyennant  deux  conditions  :  la 
première,  que  Balthasar  Cessa,  surnommé  Jean,  ne  présidât 
pas  ou  ne  prît  pas  part  à  la  séance  du  concile  dans  laquelle  cette 


(1)  Reproduit  par  Walch,  Monimenta  medii  œvi,  1. 1,  2,  p..  51,  etc. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  550,  etc.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  3&;  t.  II,  p.  495. 
Les  députés  de  l'Université  de  "Vienne  mentionnent  l'audience  de  ces  dépu- 
tés, en  insinuant  qu'ils  avaient  eu  des  conférences  secrètes  avec  Sigismond. 
Archives,  1.  c.  p.  13. 

(3)  Archives.  1.  c.  p.  13. 


DEPUIS  l'arrivée  de  l'empereur  jusqu'à  la  fuite  du  pape.  381 
cession  serait  proclamée,  et  la  seconde,  que  ce.  même  Cossa 
et  Pierre  de  Luna  renonçassent  eux  aussi  à  leurs  prétentions. 
L'empereur  leur  posa  ensuite  deux  questions  :  reconnaissaient- 
ils  le  concile,  et  voulaient-ils  en  faire  partie?  A  quoi  ils  ne  pu- 
rent répondre  faute  d'instructions.  Alors  l'électeur  palatin  dé- 
clara, au  nom  des  évêques  de  son  parti,  que  si  Jean  renonçait  à 
présider  le  concile,  Grégoire  s'y  présenterait  en  personne,  ou 
tout  au  moins  n'apporterait  aucun  obstacle  à  l'union,  et  donne- 
rait à  ses  légats  tous  pouvoirs.  En  cas  de  refus  de  la  part  de 
Grégoire,  lui,  l'électeur,  proteste  qu'il  était  déterminé  à  se  sou- 
mettre entièrement,  avec  ses  amis,  aux  décisions  du  concile  *. 

Toutefois,  ces  déclarations  n'ayant  pas  paru  suffisantes,  les 
partisans  de  Grégoire  en  firent  une  autre,  le  lendemain,  dans  une 
nouvelle  congrégation  :  «  Si  l'empereur  et  les  personnages  engagés 
dans  cette  affaire  trouvaient  pour  la  via  cessionis  une  solution 
amiable,  et  qui  rencontrât  de  nombreux  adhérents  dans  les  diverses 
obédiences,  l'électeur  et  les  prélats  sujets  de  Grégoire  qui  se  trou- 
vaient à  Constance,  d'accord  avec  ses  deux  légats,  consacreraient 
tous  leurs  efforts  à  la  faire  réussir  ;  et  si  les  pouvoirs  donnés  par 
Grégoire  ne  paraissaient  pas  assez  formels,  les  mêmes  personnes 
espéraient  en  obtenir  de  suffisants  dans  un  bref  délai,  de  telle 
sorte  qu'il  ne  dépendrait  pas  d'elles  que  l'union  ne  fût  entièrement 
rétablie.  En  outre  tous  les  prélats,  docteurs  et  magistri  de  l'obé- 
dience de  Grégoire  qui  se  trouvaient  présents  s'engageaient,  [pro 
rata  et  statu  sud)  à  chercher  avec  les  autres  membres  du  concile 
l'union  et  la  réforme  de  l'Église,  ainsi  que  la  solution  des  autres 
questions  pendantes,  en  ajoutant  néanmoins  qu'il  fallait  que  le 
pape  Jean  XXIII  s'abstînt  de  paraître  au  concile,  et  qu'à  son  égard 
les  Pères  devaient  prendre  l'engagement  exprès  de  conserver 
toute  liberté  de  discussion.  L'empereur  et  les  partisans  de  Gré- 
goire désignés  plus  haut  prieraient  en  outre  ce  prétendant  de 
comparaître  lui-même  dans  un  [délai  déterminé,  ou  d'envoyer 
des  députés  munis  de  pouvoirs  suffisants.  Il  choisirait  l'une  ou 
l'autre  de  ces  voies,  ou  n'en  adopterait  aucune,  auquel  cas  ses 
adhérents  se  soumettraient  à  la  décision  conciliaire  ^.  » 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  549.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  212,  237,'en  haut.— V.  d.  Hardt, 
l.c.  t.  II,  p.  205;  t.  IV,  p.  37. 

(2)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t.  II,  p.  206.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  552.—  Haud.  1.  c. 
p.  21 3. 


352  HISTOIRE    DU    CONCILE   DE   CONSTANCE 

Les  amis  de  Jean  XXIII  firent  à  cette  proposiLion  mille  objec- 
tions et  mille  difficultés  ^  ;  lui-même,  bien  qu'il  se  fût  abstenu 
déjà  depuis  quelque  temps  d'assister  aux  congrégations,  étant 
informé,  dans  les  moindres  détails,  selon  la  remarque  de  Dié- 
trich  de  Niem,  de  tout  ce  qui  se  passait,  parvint,  par  son  adresse 
et  ses  présents,  à  jeter  la  discorde  entre  les  diverses  nations  et 
à  les  empêcher  de  rien  résoudre/'. 

Cependant  le  nombre  des  membres  du  concile  s'accroissait 
sensiblement  :  ainsi  l'on  avait  vu  successivement  arriver  l'arche- 
vêque de  Mayence,  le  duc  Frédéric  du  Tyrol  autrichien,  le  mar- 
grave de  Bade,  l'électeur  Rodolphe  de  Saxe,  les  envoyés  de 
l'archevêque  de  Trêves  et  du  roi  de  Pologne  ^,  les  députés  du 
Danemark,  de  la  Norvège  et  de  la  Suède  ;  ces  dernirs  devaient 
exprimer  des  vœux  particuliers.pssue  d'une  noble  famJlle  de  ce 
pays,  la  bienheureuse  Birgitte  ou  Brigitte  avait  été  unie  dès  l'âge 
de  quatorze  ans  à  un  jeune  seigneur  de  dix-huit  ans,  et  avait 
saintement  passé  de  longues  années  dans  l'état  du  mariage. 
Ste  Catherine  de  Suède  était  l'une  de  ses  filles.  Devenue  veuve, 
Brigitte  se  fit  connaître  par  la  fondation  d'un  ordre  religieux,  et 
par  des  révélations  dans  lesquelles  Dieu  se  communiquait  à  elle 
du  sein  d'une  nuée  lumineuse.  A  l'âge  de  quarante-deux  ans, 
elle  se  rendit  à  Rome,  sur  l'ordre  de  Notre-Seigneur,  y  demeura 
vingt-cinq  ans,  entreprit  enfin,  dans  les  dernières  années  de  sa 
vie  ,  le  pèlerinage  des  lieux  les  plus  vénérés  et  visita  Jéru- 
salem. Elle  mourut  en  1373.  Nous  avons  raconté  plus  haut 
les  efforts  qu'elle  fit  pour  ramener  le  pape  de  l'exil  d'Avignon; 
déjà  vénérée  pendant  sa  vie,  elle  avait  été  après  sa  mort  ca- 
nonisée par  Boniface  IX  en  1391;  mais  comme  c'était  pendant 
le  schisme,  et  que  Boniface  (bien  que  pape  légitime)  n'avait 
pas  été  universellement  reconnu  ,  les  députés  Scandinaves , 
dans  la  congrégation  générale  du  1"  février  1415,  demandè- 
rent la  confirmation  de  cette  sentence.  La  réponse  fut  unani- 
mement favorable,  et  le  pape  Jean  la  canonisa  aussitôt;  ce 
fut  son  dernier  acte  pontifical.  Quatre  ans  après  d'ailleurs  , 
Ste  Brigitte  fut  canonisée  une  troisième  fois  par  Martin  V  à 


(1)  V.  n.  IIardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  38. 

(2)  V.  D.  ILvRDT,  1.  c.  t.  II,  p.  389;  t.  IV,  p.  39. 

(3)  On  trouve  deux  discours  adressés  à  l'empereur  et  au  pape  par  André 
Lascaris,  député  polonais,  dans  V.  d.  Hardt,  t.  II,  p.  170  sqq.  Cf.  Lbnfant, 
Eist.  du  concile  de  Conslancc,  1. 1,  p.  ill. 


DEPUI3  l'arrivée    DE   l'eMPEREUR  JUSQU'a   LA   FUITE   DU   PAPE.      383 

Florence  (1419);  enfin,  comme  des  doutes  avaient  été  émis  çà 
et  là  sur  l'authenticité  de  ses  révélations  ,  spécialement  dans 
l'écrit  de  Gerson  :  de  Probatione  spirituiun^  les  Suédois  cru- 
rent bon  de  faire  confirmer  encore  une  fois  par  le  concile  de 
Bàle  les  décisions  précédemment  portées  (1433)^. 

Yers  la  fin  de  janvier  1415,  parurent  à  Constance  deux  mé- 
moires qui  traitaient,  l'un  de  la  réforme  et  l'autre  de  l'union  de 
l'Église.  Le  premier  était  l'ouvrage  des  Allemands  "^  :  il  deman- 
dait la  suppression  des  innombrables  réserves  pontificales,  etc., 
au  moyen  desquelles  la  collatioD  de  presque  tous  les  bénéfices 
appartenait  au  pape.  On  revendiquait  aussi  des  préférences  pour 
les  gradués  dans  cette  distribution,  et  l'on  mettait  dès  lors  en 
avant  les  maximes  que  nous  verrons  reproduites  en  1418,  à 
l'époque  du  concordat  avec  la  nation  allemande.  L'auteur  con- 
cluait par  une  réclamation  bien  autrement  importante,  en  de- 
mandant qu'à  Constance  les  évêques  et  les  prélats  mitres  ne 
fussent  pas  seuls  à  avoir  voix  «  judicative  et  définitive;  »  mais 
que  le  même  privilège  fût  attribué  aux  représentants  des  évêques, 
abbés,  chapitres  ou  universités,  aux  magistri  ^  docteurs  et  en- 
voyés des  princes  ^.  Les  Allemands  soulevaient  ainsi  les  premiers 
la  querelle  du  mode  de  votation,  qui  ne  tarda  pas  à  se  produire. 
Dans  le  second  écrit  qui  traitait  de  Causa  unionis,  on  examinait 
divers  moyens  d'arriver  à  la  pacification,  et  l'on  démontrait  que 
la  démission  des  trois  prétendants  était  le  meilleur  de  tous.  Jean, 
poursuivait-on,  ne  pouvait  s'y  refuser,  s'il  était  le  vrai  pasteur  : 
car  le  vrai  pasteur  donne  sa  vie  pour  ses  brebis.  S'il  n'y  consen- 
tait pas,  il  pouvait  être  contraint,  et  même  déposé  par  le  concile, 
compétent  en  tout  ce  qui  concerne  l'état  général  de  l'Église. 

L'auteur  du  second  écrit  était  un  Français, le  cardinal  Guillaume 
Filastre  de  Saint-Marc*. D'Ailly,Sigismond  et  beaucoup  d'autres 
l'approuvèrent,  et  Filastre  s'en  déclara  l'auteurjen  présence  même 
du  pape,  et  ajouta  qu'il  l'avait  composé  dans  l'intérêt  de  la  paix. 

(1)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  p.  39,  40. —  Reichenthal,  1.  c.  fol.  xxxiii. —  Lenfant, 
1.  c.  t.  I,  p.  102.  —  Schwab,  /.  Gerson,  p.  364-367. 

(2)  Pour  la  date  de  cet  écrite  cf.  Hubler  (magistrat  et  agrégé  à  Berlin), 
La  Reforme  de  Constance,  1867,  p.  5,  note  10. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  1,  Proleg.  p.  32,  etc. 

(4)  Reproduit  par  Ma^si,  t.  XXYIl,  p.  553-556. —  Hard.  1.  c.  p.  213,  au  bas, 
jusqu'à  217.  —  V.  d.  Hardt,  1,  c.  t.  Il,  p.  209.  Pour  le  cardinal  Filastre, 
cf.  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Pise,  Préf.  p.  li;  t.  I,  p.  142,  et  t.  11,  p.  59. 
C'était  un  adversaire  déclaré  de  Jean,  mais  il  n'expose  pas  très-clairement 
ses  sentiments. 


334  HISTOIRE   DU   CONCILE    DE   CONSTANCE 

Les  partisans  de  Jean  rédigèrent  aussi  quelques  petites  réponses, 
dans  lesquelles  ils  accusaient  Filastre  et  ses  adhérents  de  tomber 
dans  l'hérésie,  d'attaquer  la  légitimité  de  l'élection  du  pape,  et 
de  faire  violence  aux  décrets  de  Pi  se  ^.  D'Ailly  leur  répliqua  et 
différents  écrits  furent' ainsi  échangés  ^. 

Les  choses  prenaient  une  tournure  fâcheuse  pour  Jean  XXIII  : 
cependant  il  pouvait  encore  se  consoler  par  la  pensée  que  la  ma- 
jorité des  prélats  était  de  son  côté;  il  en^avait  en  effet  amené 
un  grand  nombre  d'Italie,  et  il  venait  d'un  seul  coup  d'en  créer 
encore  beaucoup  de  nouveaux  '.  Lorsqu'on  en  vint  à  examiner 
la  question  des  voix  au  concile,  ses  partisans  soutinrent,  en  se 
fondant  sur  la  pratique  des  assemblées  précédentes,  que  les  seuls 
évoques  et  abbés  devaient  avoir  le  privilège  de  voter.  Mais 
cette  doctrine  souleva  une  opposition  tumultueuse  :  d'Ailly  en 
particulier,  dans  différents  écrits,  affirma  que  la  discipline  des 
anciens  conciles  avait  varié  sur  ce  point,  et  qu'on  ne  pouvait 
admettre  raisonnablement  qu'un  évêque  seulement  titulaire  et 
sans  charge  d'âmes  fût  mis  sur  la  même  ligne,  par  exemple,  que 
l'archevêque  de  Mayence.  Il  prétendit  que  les  docteurs  en  théo- 
logie et  dans  les  deux  droits  devraient  avoir  aussi  voix  définitive, 
surtout  les  premiers,  qui  prêchaient  et  enseignaient,  et  dont  le 
jugement  était  bien  plus  à  considérer  que  celui  d'un  ignorant 
prélat  en  titre.  Selon  lui,  l'objection  qu'il  n'y  avait  jamais  eu  de 
docteurs  dans  les  anciens  conciles  ne  reposait  sur  rien,  puisqu'on 
ne  donnait  pas  alors  de  grades;  mais  au  concile  de  Pise  et  à  celui 
de  Rome  en  1412,  les  docteurs  avaient  eu  voix  délibérative. 
Enfin  il  revendiqua  le  même  privilège  pour  les  rois  et  princes 
chrétiens  et  leurs  envoyés  ^.  Le  cardinal  Filastre  reproduisit  à 
peu  près  ces  mêmes  arguments  dans  un  écrit  plus  véhément 
encore,  et  cette  (opinion  finit  par  prévaloir^.  Le  même  jour,  7  fé- 
vrier ®,  on  souleva  une  question  d'une  plus  haute  importance  :  la 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  556-558.  —  Hard.  1.  c.  p.  217-220.  —  V.  d.  Hardt,  1.  c. 
p.  214,  etc. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  558,  au  bas,  jusqu'à  560.—  Hardouin,  1.  c.  p.  220-222. — 
V.  D.  Hardt,  1.  c.  p.  218-225.  —  Schwab,  /.  Gerson,  p.  501,  etc. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  II,  p.  230. 

(4)  Mansi,  l.  c.  t.  XXVII,  p.  560.  —  Haro.  t.  VIII,  p.  122.  —  V.  d.  Hardt, 
l.c.  t.  II,  p.  224. 

(5)  Mansi,  1.  c.  p.  561.  —  Hard.  1.  c.  p.  223,  au  bas.  —  V.  d.  Hardt,  1.  c. 
p.  226.  —  Schwab,  J.  Gerson,  etc.  p.  502,  etc. 

(6)  Cette  date  ressort  évidemment  du  texte  de  V.  d.  Hardt,  l.  c.  t.  IV, 
p.  40, 


DEPUIS   L  ARRIVÉE   DE   L  EMPEREUR  JUSQU  A   LA   FUITE    DU    PAPE.      S85 

question  de  savoir  si  l'on  voterait  par  tête  ou  par  nation.  Les 
prélats  et  les  docteurs  italiens  formaient  à  peu  près  la  moitié  des 
voix  :  ce  fut  pour  leur  ôter  cet  avantage  que,  malgré  la  volonté 
du  pape  et  la  discipline  constamment  observée  jusque-là,  on 
adopta  le  vote  par  nation.  Tous  les  membres  de  l'assemblée 
furent  répartis  en  quatre  nations  :  la  nation  italienne,  la  nation 
allemande,  qui  comprenait  les  Polonais,  la  nation  française  et  la 
nation  anglaise  ;  pour  chaque  nation,  on  choisit  un  certain  nombre 
de  députés  clercs  et  laïques,  ainsi  que  des  procureurs  et  des 
notaires.  A  la  tête  des  députés  de  chaque  nation,  on  mit  un  pré- 
sident qui  devait  être  changé  tous  les  mois.  Les  nations  devaient 
se  réunir  séparément  pour  examiner  les  questions  qu'on  sou- 
mettrait au  concile,  et  se  communiquer  réciproquement  leurs 
décisions  pour  lever  tous  les  obstacles.  Quand  elles  se  seraient 
entendues  sur  un  point,  on  réunirait  une  congrégation  générale 
des  quatre  nations,  et  l'article  universellement  adopté  serait 
soumis  à  la  session  suivante  du  concile  pour  y  être  approuvé  *. 
Mais  toute  cette  discussion  avait  rendu  impossible  la  tenue  de 
la  seconde  session  générale  pour  le  4  février  et  on  dut  l'ajourner, 
sans  fixer  de  date  précise  ^. 

A  peine  la  question  des  votes  était-elle  résolue,  qu'un  inconnu, 
probablement  Italien,  ût  remettre  secrètement  aux  quatre  na- 
tions un  libelle  contenant  la  longue  série  des  crimes  honteux 
dont  il  accusait  le  pape  Jean  XXIII,  et  sur  lesquels  il  réclamait 
une  information.  Plusieurs  des  plus  notables  députés  d'Alle- 
magne et  d'Angleterre,  après  avoir  pris  connaissance  de  cet  écrit, 
s'opposèrent  à  sa  divulgation,  pour  l'honneur  de  l'Église,  et, 
d'accord  avec  d'autres  personnages  considérables,  se  pronon- 
cèrent pour  ce  que  l'on  nomme  compe7idiosa  via  mquisitionis; 
«  il  était ,  disaient-ils ,  inutile  de  soumettre  à  un  examen  dé- 
taillé des  faits  dont  plusieurs  étaient  notoires.  »  Lorsque  cette 
nouvelle  parvint  aux  oreilles  du  pape,  il  se  trouva  fort  en  peine  et 
consulta  quelques  cardinaux  sur  la  conduite  qu'il  devait  suivre; 
d'après  Dietrich  de  Niem,  il  aurait  voulu  confesser  devant  le 


(1)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t,  II,  P.  viii,  p.  230,  et  t.  IV,  P.  ii,  p.  40.  —  Theodo- 
RiCE  Vrie  (baron),  Hist.  du  concile  de  Constance,  dans  V.  d.  Pardt,  1.  c.  t.  I. 
p.  157  sq.  Pou.  plus  de  détails  sur  rhistoire  du  concile,  voir  Rauheb,  Histor. 
Tasckenhuch.,  nouvelle  série,  t.  X,  p.  57-75. 

(2)  Ainsi  s'expriment  les  députés  de  PUniversité  de  Vienne.  Archives,  etc. 
p.  14. 

T.  X.     25 


386  HISTOIRE  DU   CONCILE   DE   CONSTANCE 

concile  quelques-uns  des  faits  allégués,  et  se  déclarer  innocent 
du  reste:  on  lui  conseilla  d'y  réfléchir  encore  quelques  jours; 
mais,  comme  les  députés  dont  nous  venons  de  parler  l'encou- 
rageaient à  se  démettre,  pour  éviter  des  discussions  scanda- 
leuses, il  déclara  qu'il  était  prêt  à  prendre  cette  voie  ' ,  et  fit  lire  le 
soir  même  (16  février)  par  le  cardinal  Zabarella,  dans  une  congré- 
gation générale,,  un  acte  dans  lequel  il  disait  «  qu'ayant  résolu 
en  toute  liberté  de  rendre  la  paix  à  l'Église,  il  consentait  à  rési- 
gner ses  pouvoirs,  pourvu  que  Pierre  de  Luna  et  Angelo  Gorrario, 
déjà  condamnés  comme  hérétiques  et  schismatiques  et  déposés 
au  concile  de  Pise,  fissent  une  renonciation  suffisante  de  leurs 
prétentions  à  la  papauté;  le  mode,  la  forme,  les  conditions  et 
l'époque  de  cette  cession  devaient  être  déterminés  par  les  com- 
missaires de  Jean  et  ceux  des  nations  ^.  » 

Les  députés  chargés  d'examioer  cet  acte  le  trouvèrent  peu 
précis  et  trop  virulent  à  l'égard  des  deux  autres  prétendants, 
qu'il  accusait  d'hérésie.  Le  pape  Jean  en  fit  proposer  le  lende- 
main un  second,  qui  ne  parut  pas  plus  satisfaisant  et  reçut  à  peu 
près  les  mêmes  reproches  que  le  premier.  Alors  Sigismond  et 
les  députés  trouvèrent  bon  de  présenter  eux-mêmes  au  pape  deux 
modèles,  rédigés  en  grande  partie  dans  les  mêmes  termes  que 
la  renonciation  de  Grégoire^.  L'affaire  en  était  là,  lorsque  arri- 
vèrent le  18  février  les  députés  de  l'université  de  Paris,  parmi 
lesquels  on  remarquait  d'abord  Gerson,  qui  était  en  même  temps 
représentant  du  roi  et  de  la  province  ecclésiastique  de  Sens,  puis 
Dachery,  Jean  de  Spars  (médecin),  Benoît  Gentian  (moine  de 
Saint-Denis)  et  Jean  de  Templis  *,  Le  pape  Jean  les  reçut  avec 
une  bienveillance  extrême,  et  fit  les  plus  grands  éloges  de  la 
France;  Sigismond,  de  son  côté,  les  conduisit  le|24  février  dans 
une  réunion  de  la  nation  allemande,  où  la  discussion  s'eu  gagea 


(1)  Theod.  de  Niem,  De  vita,  etc.,  dans  V.  d.  IIaudt,  t.  II,  p.  391. 

(2)  Mansi,  1.  c.  t.  XXVII,  p.  56L  —  Habd.  1.  c.  p.  226.  —  V.  d.  Hardt,  1.  c. 
t.  II,  p.  233,  et  P.  XV,  p.  391  ;  t.  IV,  p.  42. 

(3)  Voir  la  seconde  dans  V.  d.  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  ''j3.  Cf.  t.  II,  p.  23 i,  237. 
Il  ressort  parfaitement  du  récit  de  cet  auteur  (t.  IV,  p.  44)  que  ce  fut  deux, 
et  non  pas  une  formule  de  cession,  qu'où  présenta  au  pape  Jean  au  nom 
des  nations. 

(4)  Chbonicorum  Caroli  Yl,  lib.XXXV,  c.  35;  t.  V,  p.  438.-—  BuL.Eas,  Hist. 
univers.  Paris,  t.  V,  p.  275.  —  V.  d,  Hardt,  t.  IV,  p.  43,  52.  —  Schwab,  Jean 
Gerson,  etc.  p.  503.  Lo  même  jour,  Maufred  de  la  Gruce,  député  d©  Milan, 
vfononça  un  discours  devant  Sigismond.  V.  d.  Hardt,  t.  V>  p.  110. 


DEPUIS  l'arrivée  de  l^empereur  jusqu'à  l4  fuite  du  pape.   387 

entre  eux,  les  Allemands  et  les  Anglais,  sur  la  rédaction  d'une 
troisième  formule  de  cession.  La  nation  allemande  proposa,  sous 
le  titre  à'Avisameîita,  une  série  de  sept  propositions,  destinées  à 
effrayer  le  pape,  et  dans  lesquelles  on  disait  «  qu'il  était  obligé 
sous  peine  de  péché  mortel  d'accepter  la  formule  de  cession,  que 
le  concile  pouvait  l'y  contraindre,  et  que,  s'il  s'obstinait  à  refaser, 
on  ferait  appel  contre  lui  au  bras  séculier  de  l'empereur  *.  » 

Jean  chercha  à  gagner  par  ses  lettres  différents  princes  et 
seigneurs  à  son  parti^;  il  se  vit  néanmoins  obligé,  dans  la  congré- 
gation générale  du  1"  mars,  de  lire  l'acte  suivant,  qui  lui  fut  pré- 
senté au  nom  du  synode  par  Jean,  patriarche  d'Antioche,  Français 
et  principal  instrument  de  l'empereur.  En  voici  les  termes  :  Ego 
Joannes  papa  XXIII  j^ropter  quietem  totins  populi  Christiani 
profiteor,  spondeo,  prom,itto,voveo  et  jiiro  Deo  et  Ecclesiœ  et  huic 
sacro  concilio^  sponte  et  libère  dare  pacem  ipsi  Ecclesiœ  per  viam 
meœ  simplicis  cessionis  papatus,  et  eam  facere  et  adimplere  cum 
effectu  juxta  deliheratioîiem  prœseniis  concilii,  si  et  quando  Pe- 
trus  de  Luna,  Benedictus  XIII,  et  Angélus  de  Corrario,  Grego- 
rius  XII,  iîi  suis  obedientiis  nuncupati,  papatui  quem  prœten- 
dunt^  per  se  vel  procuratores  suos  légitimas  simpliciter  cédant^ 
et  etiam  in  quocumque  casu  cessionis  vel  decessus  aut  alio  in  quo 
per  meam  cessionem  poterit  dari  unio  Ecclesiœ  Dei  ad  extirpa- 
iionem  prœsentis  schismatis  ^. 

Cette  déclaration  du  pape  causa  une  grande  allégresse  ;  Sigis- 
mond  et  les  cardinaux  l'en  remercièrent  solennellement  et  le 
patriarche  exprima  de  même  la  reconnaissance  du  concile.  Tout 
Constance  était  dans  la  joie  *. 

Le  lendemain,  2  mars  J  415,  on  tint  la  seconde  session  générale 
que  la  pape  ouvrit  en  célébrant  la  grand'messe.  D'après  la  disci- 
pline en  vigueur,  on  devait  y  donner  une  sanction  solennelle  aux 
résolutions  adoptées,  et  il  fallut  que  le  pape  Jean  recommençât 
la  lecture  de  l'acte  de  cession.  Arrivé  aux  mots  :  «  Je  promets  et 
je  jure,  »  il  se  leva  de  son  siège,  et  s'agenouilla  devant  l'autel. 


(!)  Mansi,  t.  XXVIl,  p.  565,  etc.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  227.  —  V.  d,  Hardt, 
t.  II,  p.  237,  etc.,  et  t.  IV,  p.  44. 

(2)  Ainsi  il  écrivit  le  26  février  1415  au  margrave Burchard  de  Bade.  Gf.v. 
DER  Ha.rdt,  t.  II,  p.  1  48, 

(3)  M.iNsi,  t.  XXVII,  p.  567.  —  Hard.  1.  c.  p.  238.  —  Van  der  Hakdt,  t.  IV, 
p.  44-45;  t.  II.  p.  237-241.  —  Chronicor.  \-.  c.  lib.  XXXV,  c.  45. 

(4)  Hard.  t.  VIII,  p.  237.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  566.  —  V.  d.  Haedt,  t.  IV, 
p.  46:  t.  II,  p.  241. 


388  HISTOIRE   DU   CONCILE   DE   CONSTANCE 

Quand  il  eut  terminé,  l'empereur  lui  baisa  le  pied  en  signe  de 
reconnaissance,  et  les  cardinaux,  le  patriarche  d'Antioche  et  les 
députés  de  l'université  de  Paris  en  firent  autant.  —  Promit-on 
alors  à  Jean  XXIII  de  lui  prêter  appui  contre  Benoît  et  Grégoire, 
au  cas  où  ceux-ci  refuseraient  de  se  démettre,  ce  point  est  resté 
fort  incertain.  Spondanus  et  Maimbourg  ont  trouvé  un  projet 
relatif  à  cette  prétendue  promesse  dans  les  manuscrits  de  la 
bibliothèque  de  Saint- Victor  à  Paris;  mais  tous  les  actes  du 
concile  gardent  le  silence  à  cet  égard,  et  la  seconde  formule  de 
cession  proposée  par  Jean  lui-même,  et  dans  laquelle  il  réclamait 
cette  assistance,  fat,  comme  on  l'a  vu,  absolument  rejetée  '. 

La  congrégation  générale  du  4  mars  se  tint  dans  le  couvent  des 
Franciscains.  Les  représentants  de  Benoît  XIII  et  du  roi  d'Aragon, 
ainsi  que  les  cardinaux  et  les  prélats,  conjurèrent  Sigismond  de  se 
rendre  le  plus  promptement  possible  à  Nice,  pour  y  conférer 
avec  Benoît,  et  d'y  rester  tout  le  mois  de  juin,  Ferdinand  roi 
d'Aragon  et  de  Sicile  devant  se  rendre  dans  le  même  but  tout 
près  de  Nice,à  Villafranca,  L'empereur  y  consentit,  demanda  les 
sauf-conduits  nécessaires  à  la  Savoie,  à  Gênes,  etc.,  conclut,  pour 
plus  de  sûreté,  une  convention  expresse  avec  les  députés  de 
l'Aragon,  se  fit  donner  en  outre  parle  pape  une  approbation  du 
plan  total,  une  lettre  de  sûreté  au  nom  de  l'Église,  enfin  la  pro- 
messe que,  pendant  la  durée  des  négociations  à  Nice,  on  n'en- 
treprendrait à  Cons(ance  rien  qui  pût  entraver  leur  succès^. 

Cependant  le  pape  Jean,  mis  en  demeure  par  les  instances  des 
deux  congrégations  tenues  les  5  et  6  mars,  et  par  l'empereur 
Sigismond,  lança  le  7  mars  une  bulle  formelle  de  cession  {Pacis 
bonum),  qui  promulgua  solennellement  les  promesses  faites 
le  1  et  le  2  de  ce  mois^. 

Les  événements  qui  précédèrent  le  concile  de  Pise  avaient 
montré  combien  il  serait  difficile  de  réunir  les  trois  prétendants 
dans  un  même  lieu,  pour  y  traiter  de  la  cession.  Le  pape  Jean 
avait  promis  de  [faire  sa  résignation  en  personne  ou  par  procu- 
reur, et  Sigismond,  d'accord  en  cela  avec  le  concile,  désirait  être 


(1)  Hard.  1.  c.  p.  237,  etc.  —  Mansi,  1.  c.  p.  567,  etc.  —  V.  d.  Hardt,  1,  c. 
t.  IV,  B.  II,  p.  46.  —  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXXV,  c,  45.  —  Lenfant,  Concile  de 
Constance,  t.],  T^.  m. 

(2)  V  D  Hardt,  t.  IV,  p.  47-52.  —  Dôllinger,  Documcnls,  etc.  t.  II,  p.  d/4. 
—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  570,  etc.  —  Hard.  t.  VIH,  p.  240-213. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  52-54.  —  Mansi,  1.  c.  p.  568.  —  IIardouin,  1.  c. 
p.  239  sq. 


DEPUIS  l'arrivée  de  l'empereur  jusqu'à  la  fuite  du  pape.   369 

choisi  lui-même  avec  quelques-uns  des  seigneurs  qui  l'accom- 
pagnaient à  Nice,  pour  représenter  les  intérêts  du  pontife.  C'eût 
été  un  moyen  d'accélérer  la  solution,  et  il  fût  devenu  trés-difBcile 
aux  deux  autres  prétendants  de  ne  pas  imiter  l'exemple  de  Jean; 
ce  dernier,  néanmoins,  ne  voulut  pas  s'y  prêter,  et  la  nation 
italienne  menaça  de  quitter  Constance,  si  l'on  continuait  à  mo- 
lester le  souverain  pontife^.  Le  lendemain  (dimanche  Lœtare, 
10  mars  1415),  le  pape  bénit  avec  les  cérémonies  accoutumées  la 
rose  d'or  et  la  présenta  à  l'empereur,  qui  en  fit  hommage  à  la 
sainte  Vierge  dans  la  cathédrale.  Dans  la  congrégation  générale 
du  11  mars,  on  parla  de  l'élection  nouvelle  que  l'on  devrait  faire 
après  la  cession  des  trois  pontifes,  et  l'on  conclut  à  l'impossibilité 
de  réélire  Jean  XXIII.  Jean  II,  archevêque  de  Mayence  et  comte 
de  Nassau,  protesta  contre  cette  impossibilité  prétendue,  et  dé- 
clara qu'il  n'obéirait  jamais  à  un  autre  pape  qu'au  pape  Jean,  ce 
qui  donna  lieu  à  un  débat  des  plus  vifs,  où  les  crimes  de  Jean  ne 
manquèrent  pas  d'être  remis  en  cause  ^. 

Dans  de  telles  conjonctures,  les  rapports  du  pape  avec  l'empe- 
reur devinrent  naturellement  fort  tendus.  On  disait  déjà  que  Jean 
aurait  voulu  fuir,  mais  qu'ordre  avait  été  donné  de  ne  laisser 
sortir  personne  de  la  ville.  Le  cardinal  de  S.  Angelo  ayant  été 
réellement  empêché  de  quitter  la  ville,  le  pape  manda  les  princes 
et  le  bourgmestre  de  Constance  et  se  plaignit  auprès  d'eux  de  la 
violation  des  traités  (14  mars).  Le  bourgmestre  rejeta  tout  sur 
Sigismond  ;  le  duc  Frédéric  d'Autriche  promit  au  contraire  d'exé- 
cuter loyalement  ses  engagements,  dans  tout  le  ressort  de  sa 
juridiction  qui  s'étendait  jusqu'aux  environs  de  Constance^.  Sur 
ces  entrefaites,  Sigismond  convoqua,  le  15  mars,  une  nouvelle 
congrégation  générale  dans  laquelle  on  demanda  :  1°  que  le  pape 
choisit  pour  ses  représentants  à  Nice  l'empereur  et  les  seigneurs 
qui  l'accompagnaient  à  Nice  ;  2°  qu'il  ne  fût  permis  à  personne  de 
s'absenter,  même  pour  se  retirer  du  concile  ;  3"  que  le  concile  ne 
pût  être  dissous  ou  prorogé  avant  le  rétablissement  de  l'union. 
Sigismond  s'excusa  ensuite  auprèsdu  pape  de  la  surveillance  qu'il 
exerçait  aux  portes  de  la  ville  :  les  bruits  qui  couraient  du  départ 
de  plusieurs  cardinaux  et  les  intentions  secrètes  qu'on  prêtait  à  Sa 


(1)  V.  D.  Hardt,  ].c.  t.IV,  p.  54. 
2)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  55. 
(3)  V.  D.  Haudt,  1.  c.  t.  IV,  p.  55.  —  Lenfant,  1,  c.  1. 1,  p.  H8,  sq. 


fi 90  HISTOIRE  DU   CONCILE   DE   CONSTANCE 

Sainteté  en  étaient  la  cause;  il  s'engageait  néanmoins  à  observer 
scrupuleusement  la  teneur  du  sauf-conduit  qu'il  avait  signé  *. 

Le  pape  approuva  le  deuxième  article  ainsi  que  le  troisième, 
mais  il  fit  ses  réserves  à  l'égard  du  premier  :  sachant  que  Benoit 
voulait  faire  sa  résignation  en  personne  et  non  par  procureurs,  il 
ne  pouvait,  disait-il,  ne  pas  suivre  cet  exemple,  et  dans  l'intérêt 
de  l'union  il  avait  l'intention  de  se  rendre  lui-même  à  Nice.  Ce 
ne  serait  que  dans  le  cas  de  maladie  que  sa  cession  serait  signée 
par  procureurs.  Il  ne  désirait  nullement  dissoudre  le  concile, 
mais  il  lui  eût  semblé  peut-être  préférable  de  le  rapprocher  de 
Nice^.  Les  cardinaux  Zabarella,  d'Ailly  et  Filastre  confirmèrent 
les  assertions  du  pape  à  l'égard  de  Benoît,  ce  qui  discrédita  la 
première  proposition,  particulièrement  dans  l'esprit  des  Français. 
On  s'en  aperçut  surtout  dans  la  congrégation  tenue  le  17  mars, 
dans  le  couvent  des  franciscains,  parles  trois  nations,  Anglais, 
Français  et  Allemands  réunis.  La  nation  italienne  tint  une 
séance  séparée  au  couvent  des  dominicains,  et  députa  cinq 
cardinaux,  entre  autres  d'Ailly  et  Filastre,  auprès  de  la  nation 
française,  pour  tâcher  de  la  séparer  des  deux  autres.  Les  Français 
étaient  particulièrement  choqués  de  la  violence  des  Anglais,  qui 
allaient  jusqu'à  réclamer  l'arrestation  du  pape.  Afin  de  prévenir 
le  rapprochement  inquiétant  des  Français  avec  la  nation  italienne, 
Sigismond,  accompagné  de  la  nation  allemande  et  de  la  nation 
anglaise,  se  présenta  le  19  mars  dans  la  salle  de  la  nation  fran- 
çaise et  exposa  les  résolutions  prises  par  ces  deux  nations  contre 
le  pape  Jean  en  proposant  de  les  adopter.  Il  fit  remarquer  à 
ce  propos  que  la  minorité  seulement  des  membres  de  la  nation 
française  était  sujette  du  roi  de  P'rance,  tandis  que  la  majorité 
dépendait  de  lui,  Sigismond.  Les  Français  refusèrent  de  délibérer 
en  présence  d'étrangers,  et  exigèrent  avec  fermeté  que  l'empe- 
reur s'éloignât  avec  ses  conseillers  et  les  deux  nations.  Il  fallut 
céder  ;  mais  ce  ne  fut  pas  sans  contrariété  de  la  part  de  l'empereur, 
qui  laissa  échapper  ces  mots  :  «  On  verra  bien  quels  sont  ceux  qui 
veulent  la  paix  de  l'Église  et  qui  sont  fidèles  à  l'empire.  »  Ces 
paroles  parurent  une  menace  (peut-être  aussi  n'avaient-elles  pas 
été  les  seules)  ;  le  cardinal  d'Ailly  en  témoigna  une  profonde 
indignation  et  se  retira;  ses  quatre  collègues,  députés  avec  lui 


(1)  V.  D.  H\RDT,  1.  c.  p.  56. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  573-575.  —  Mautkne,  Thesaur.  t.  II,  p.  1614,  etc. 


DEPUIS  l'arrivée  de  l'empereur  jusqu'à  la  fuite  du  pape.  391 

vers  les  Français,  comme  nous  l'avons  vu,  par  la  nation  ita- 
lienne, déclarèrent  que  cette  menace  violait  la  liberté  de  discus- 
sion. La  nation  française  ayant  demandé  à  l'empereur  s'il  pré- 
tendait respecter  son  indépendance,  celui-ci  répondit  :  «  Les 
Français  sont  parfaitement  libres;  ces  paroles  me  sont  échappées 
dans  un  moment  de  vivacité,  mais  ceux  qui  ne  font  pas  partie  de 
la  nation  française  (ainsi  les  quatre  cardinaux)  doivent  quitter  cette 
assemblée  sous  peine  d'être  mis  en  prison.  Quant  aux  Français, 
ils  n'ont  qu'à  suivre  les  instructions  des  ambassadeurs  de  leur 
roi.  Ces  derniers  intervinrent  en  effet,  et  décidèrent  leur  nation  à 
adopter  les  articles  qui  interdisaient  la  dissolution  du  concile  et 
demandaient  la  nomination  de  procureurs  chargés  de  repré- 
senter Jean  dans  les  affaires  de  la  cession  *■ .  Aschbach  présume 
que  le  duc  Louis  de  Bavière,  qui  présidait  l'ambassade  fran- 
çaise, influa  sur  cette  décision  ^. 

Cependant  on  disait  de  plus  en  plus  que  le  pape,  avec  l'appui 
de  Frédéric  duc  de  l'Autriche-Tyrol,  (cherchait  les  |moyens  de 
s'enfuir.  Beaucoup  de  princes  voulurent  prémunir  le  duc  ;  mais 
Sigismond  fît  lui-même,  le  19  ou  le  20  mars,  une  visite  au  pape, 
et  mit  très-ouvertement  Tentretien  sur  cette  question,  en  lui 
demandant  s'il  se  plaignait  du  mauvais  air  de  Constance^;  puis 
il  le  pressa  de  ne  point  quitter  le  concile  avant  la  fin  de  ses  tra- 
vaux, ou  au  moins  de  ne  le  point  faire  mystérieusement  et  sans 
dignité;  en  ajoutant  que  d'ailleurs,  aux  termes  des  garanties  don- 
nées au  pape  comme  aux  autres,  l'empereur  devait  l'accompagner 
partout  où  il  irait.  Jean  répondit  «  qu'il  ne  se  mettrait  pas  en 
route  avant  la  dissolution  du  concile,  »  avec  cette  restriction 
mentale  que  le  concile  serait  dissous  par  son  départ.  On  prétend 
que  dans  cette  visite  l'évêque  de  Salisbury,  qui  accompagnait 
l'empereur,  aurait  soutenu  au  souverain  pontife  qu'il  était  au- 
dessous  du  concile  général.  Quoi  qu'il  en  soit,  Jean  était  tellement 
mécontent  de  Sigismond  qu'après  son  départ  il  l'appela  devant 
les  familiers  de  la  cour  pontificale,  fou,  ivrogne  et  butor  ^  Bien 


(1)  Van  der  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  P.  n,  p.  56-58.  et  t.  II,  p.  257.  —  Mansi, 
t.  XXVII,  p.  573,  et  t.  XXVIII,  p.  15-16. 

(2)  Aschbach,  Sist.  du  roi  Sigismond,  t.  Il,  p.  59. 

(3)  Le  moine  de  Saint-Denis  affirme  aussi,  dans  sa  célèbre  Chronique  de 
Charles  VI,  qu'à  cette  époque  le  temps  était  extraordinairement  mauvais. 
(Ghronigor.  CaroliVI,  lib.XXXV,  c.  47,  dans  les  Documents  inédits,  etc.  Paris, 
1844. 

(4)  V.  D.  Hardï,  1,  c,  t.  II,  p.  395,  etc.;  t,  IV,  p.  58,  etc. 


302  HISTOIRE   DU    CONCILE   DE   CONSTANCE 

que  le  duc  Frédéric  d'Autriche  ne  répondît  que  par  des  dénéga- 
tions aux  avertissements  qu'on  lui  donnait  sur  les  intentions  de 
Jean,  et  se  tînt  en  apparence  fort  éloigné  de  lui,  il  ne  laissa  pas 
que  de  lui  fournir  une  occasion  de  fuir,  en  annonçant  pour  le  20 
mars  un  grand  tournoi  où  Frédéric  lui-même  et  le  jeune  comte 
Cilly,  beau-frère  de  l'empereur,  devaient  jouer  les  principaux 
rôles  ^  De  pareilles  fêtes  n'avaient  rien  d'extraordinaire  à  Cons- 
tance dans  ce  temps,  où  le  concile  y  avait  amené  presque  autant 
de  princes  que  de  prélats.  Aussi  s'agissait-il  de  la  paix  du  monde. 
Un  concile  général  en  Allemagne,  le  premier  qu'on  y  ait  jamais 
réuni,  était  un  spectacle  si  extraordinaire  et  si  prodigieux,  que 
des  milliers  d'hommes  y  étaient  accourus  de  tous  les  Etats,  et 
selon  la  coutume  fastueuse  du  temps,  chacun  avec  la  suite  la 
plus  nombreuse  qu'il  eût  pu  réunir,  les  uns  pour  satisfaire  leur 
curiosité,  les  autres  pour  briller,  rencontrer  leurs  amis  ou  con- 
clure leurs  affaires. 

En  outre,  l'amour  du  gain  avait  attiré  à  Constance  un  grand 
nombre  de  marchands,  artisans,  ouvriers,  etc.,  ainsi  que  des 
comédiens,  des  aventuriers,  des  musiciens,  et  même  des  débau- 
chés ^.  Il  y  avait  bien  à  cette  époque,  tant  dans  la  ville  qu'aux 
environs,  cent  mille  hommes  avec  trente  mille  chevaux  ;  le 
chiffre  des  laïques  dépassait  de  beaucoup  celui  des  gens  d'Église^ . 


(1)  Le  tournoi  était  fixé  au  jour  de  la  fête  de  S.  Benoît,  par  conséquent  le 
20  mars,  et  non  pas  le  21,  comme  le  dit  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  59.  Cf.  Schwab, 
1.  c.  p.  505. 

(2)  «Joueurs  de  trompettes,  fifres,  flûtes,  etc.,  faisaient  bien  mille  sept  cent 
personnes.  Ilyavaitaumoins  sept  cents  femmes  dans  lesmaisons  publiques, 
ou  chez  elles,  sans  compter  celles  qui  ne  se  déclaraient  point.  »  Ulrich 
DE  Reighenthal,  1.  C.  f.  GGxi  h.  Certains  auteurs,  et  M.  Peter  de  Pulka  eu 
particulier,  se  sont  appuyés  sur  ce  passage  de  Reichentbal  pour  juger  très- 
sévèrement  le  concile  de  Constance  et  attaquer  le  luxe  et  même  les  scan- 
dales de  plusieurs  de  ses  membres.  11  est  certain  que  partout  où  les  hommes 
sont  rassemblés  il  s'en  rencontre  d'indignes. 

(3)  Au  moment  où  le  concile  fut  le  plus  nombreux  ,  il  compta  trois 
patriarches,  vingt-neuf  cardinaux,  trente-trois  archevêques,  environ  cent 
cinquante  évêques,  plus  de  cent  abbés,  à  peu  près  cinquante  prévôts,  et 
environ  trois  cents  docteurs.  Les  ecclésiastiques  avec  leur  suite,  qui  était 
très-considérable,  puisque  l'archevêque  de  Mayence  n'avait  pas  moins  de 
cinq  cents  hommes  avec  lui,  comprenaient  environ  dix-huit  mille  personnes, 
Ulrich  de  lieichcnthal,  que  nous  avons  déjà  cité  plus  d'une  fois,  était  chargé 
de  dresser  la  nomenclature  des  étrangers.  11  nous  a  laissé  cette  liste  dans 
son  ouvrage.  Nous  en  avons  trouvé  également  chez  d'autres  auteurs,  par 
exemple  dans  Dagher.  Cf.  Lenfant,  L  c.  t.  !1,  p.  SOS-SSG.— V.  d.  Hardt,  t.  V, 
B.  1,  p.  12  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVIli,  p.  G25  sq.  —  Aschbagh,  1.  c  p.  39,  ^'il.  Les 
personnages  les  plus  considérables  entre  les  laïques  étaient,  outre  l'empe- 
reur Si.gismonil,  Louis,  électeur  palatin  ((jui  devint  dans  la  suite  protecteur 


DEPUIS   L^ARRIVÉiî    DE   l'eMPEREUR  JUSQU'a   LA   FUITE   DU   PAPE.     3  93 

Dans  de  telles  conditions  le  tournoi  de  Frédéric,  venant  après 
bien  d'autres  fêtes,  n'avait  rien  qui  dût  surprendre.  Sa  grandeur, 
sa  magnificence,  et  l'appareil  qu'on  y  déploya  étaient  seuls  de 
nature  à  le  faire  remarquer.  Cependant,  tandis  que  ce  spectacle 
tenait  tous  les  esprits  attentifs,  le  pape  Jean,  caché  sous  les  vête- 
ments d'un  palefrenier,  parvint  à  s'enfuir  le  20  mars  1415,  dans 
la  soirée.  Il  était  revêtu  d'un  mauvais  habit  griS;  montait  un 
méchant  cheval  dont  la  selle  portait  une  arbalète  ;  c'est  en  se 
couvrant  le  visage  qu'il  réussit  à  franchir  les  portes,  en  compagnie 
d'un  enfant;  il  poursuivit  sa  route  jusqu'à  Ermatingen,  à  deux 
lieues  environ  de  Constance,  dans  le  canton  de  Thurgau;  là  il 
prit  quelques  rafraîchissements  chez  le  curé,  qui  ne  le  reconnut 
point,  puis  s'embarqua  sur  une  bateau  préparé  par  les  soins  de 
Frédéric  et  parvint  jusqu'à  Schafîhouse.  Dès  qu'il  fut  sorti  des 
murs  de  Constance,  il  en  fit  prévenir  secrètement  le  duc  par  un 
de  ses  gens,  M.  Antoine  Sôldenhorn  de  Waldsée^  Les  assistants, 
qui  avaient  eu  avis  du  complot,  conçurent  quelques  soupçons; 
mais  Frédéric  continua  de  prendre  part  à  la  fête,  comme  si  rien 
ne  s'était  passé.  Néanmoins  ayant  hâte  d'en  finir,  il  abandonna  la 
victoire  et  laissa  le  prix  du  combat  à  son  adversaire;  il  s'élança 
avec  quelques  amis  fidèles  à  la  suite  du  pape,  sur  la  route  de 
Schaffhouse,  ville  deses  États,  où  il  comptait  retrouver  Jean  XXIII 
en  toute  stîreté.  Celui-ci  l'y  avait  en  effet  précédé,  et  c'est  de  cette 
résidence  qu'il  adressa  le  21  mars  à  Sigisuiond  un  billet,  dans 
lequel  il  disait  «  qu'il  se  trouvait  libre  et  en  très-bon  air  à 
Schaffhouse  où  il  s'était  rendu  à  l'insu  de  Frédéric^,  et  que,  du 

du  concile),  Rodolphe,  électeur  de  Saxe,  Frédéric,  margrave  de  Brandebourg, 
les  ducs  de  Bavière,  d'Autriche,  de  Saxe,  de  Schleswig,  de  Mecklenbourg,  de 
Lorraine  et  de  Teck  (le  dernier  rejeton  de  cette  maison  était  alors  Louis  le 
patriarche  d'Aquilée,  qui  s'était  fait  représenter  au  concile  par  un  envoyé);  ve- 
naient ensuite  les  ambassadeurs  des  rois  de  France,  d'Angleterre,  d'Ecosse,  de 
Bologne,  de  Suède,  de  Danemark,  de  Norwége,  de  Naples,  de  Sicile,  et  plus  tard 
ceux  du  roi  d'Espagne  et  de  Manuel  Paléologue,  empereur  de  Ccnstantinople. 
Il  fauty  ajouter  un  nombre  infini  de  comtes,  de  chevaliers,  venus  à  Constance 
soit  de  leur  propre  mouvement,  soit  à  la  suite  de  quelque  grand  seigneur. 
Nous  y  remarquons  des  membres  de  familles  allemandes  encore  florissantes 
aujourd'hui,  ainsi  un  Henri  Egon,  comte  de  Furstenberg,  Guillaume,  comte 
de  Nassau,  Albert,  comte  de  Hohenlohe,  Henri,  comte  de  Lôwenstein,  les 
comtes  Louis  et  Guillaume  d'OEttini^^en,  Conrad  de  Tubingue,  Eberhard  Ul- 
rich de  Wurtemberg ,  Frédéric  de  iZollern,  etc.  Parmi  les  chevaliers,  nous 
avons  distingué  Albert  de  Rechberg,  Sigismond  de  Freunsberg,  Jean,  écuyer 
de  Waldbourg,  un  d'Andlau,  un  Freiberg-Eisenberg,  un  Horstein,  etc.,  etc. 

(1)  C'est  le  nom  donné  par  Ulrich  de  Reichenthal,  1.  c.  toi.  lxiv  b.  Jean  de 
MûUer  Fappelle  Seldenhofen,  Schiveizergesch,^''  partie,  p.  35.^ 

(2)  Assertion  inexacte,  comme  le  prouve  une  pièce  de  l'évêché  de  Gon- 


894    TROISIÈME,  QUATR.  ET   CINQ.  SESSIONS   DU    CONCILE   DE  CONSTANCE 

reste,  il  ne  retirait  aucunement  sa  promesse  de  donner  la  paix  à 
l'Église,  en  résignant  ses  pouvoirs*.  Il  écrivit  dans  les  mêmes 
termes  aux  cardinaux.  ^ 

i 

§  750. 

TROISIÈME,    QUATRIÈME   ET   CINQUIÈME   SESSIONS   DU   CONCILE 

DE   CONSTANCE   (26  ET   30   MARS,    6   AVRIL    1415).  /M 

La  nouvelle  de  l'évasion  du  pape  causa  une  grande  stupeur  à 
Constance.  La  continuation  du  concile  parut  impossible.  Ce  fut 
bieûtôt  une  confusion  générale.  Tandis -que  les  uns  se  la- 
mentaient de  voir  leurs  espérances  déçues  et  la  réforme  de  l'Église 
indéfiniment  ajournée,  d'autres  se  renfermaient  dans  leurs  mai- 
sons et  cachaient  leur  argent,  par  suite  de  la  crainte  qu'inspirent 
toujours  les  masses  populaires  et  que  justifiait  cette  fois  le  pillage 
immédiat  du  palais  pontifical.  Plusieurs  quittaient  Constance  en 
toute  hâte,  beaucoup  de  ceux  qui  restaient  étaient  anxieux  et 
troublés,  enfin  ceux  qui  s'étaient  le  plus  élevés  contre  Jean  XXIII 
prétendaient  qu'il  allait  revenir  avec  des  forces  imposantes  pour 
écraser  ses  ennemis.  Ce  fut  Sigismond  qui  empêcha  le  désordre 
de  devenir  universel  et  qui  s'opposa  à  la  dissolution  du  concile. 
Il  parcourut  les  rues  de  la  ville  à  cheval  pour  relever  les  courages 
et  veiller  à  la  sûreté  publique  2.  Mais  il  eut  le  tort  de  laisser 
publier  les  écrits  les  plus  violents  contre  le  pape  et  les  cardinaux. 
Un  des  plus  emportés  était  dû  à  la  plume  de  Benoit  Gentian, 
moine  de  Saint-Denis,  à  qui  sa  position  de  représentant  de  l'uni- 
versité de  Paris  donnait  une  plus  grande  autorité^. 

Dès  le  21  ou  le  22  mars,  l'empereur  convoqua  une  congréga- 
tion des  quatre  nations  dans  l'église  des  franciscains,  ainsi 
qu'une  réunion  particulière  des  princes  allemands  :  dans  la  pre- 
mière il  déclara  sa  résolution  de  maintenir  le  concile,  même 
au  péril  de  sa  vie;  puis  il  exhorta  tout  le  monde  à  ne  pas  se 
laisser  troubler  par  la  fuite  du  pape.  On  donna  lecture  ensuite 


stance  (Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1620),  et  comme  le  pape  Jean  l'avoua  lui- 
même  dans  la  suite. 

(1)  V.  D.  IIabdt,  1.  c.  t.  II,  p.  2b2,  398;  t.  IV,  p.  50-60.—  IIardouin,  t.  VIII, 
p.  244. —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  577.  —  Heighenthal,  1.  c.  fol.  lxiv  b. 

(2)  V.  D.  IlAnDT,  1.  c.  t.  IV,  P.  III ,  p.  63.  —  Mansï  ,  t.  XXYll,  p.  575.  —  Rei- 

CHENTHAL,  1.  C.  i'ol.  XX  b,  LeNFANT,  1.  C.  t.  I,   p.  129. 

(3)  Reproduit  par  Van  der  Hardt,  I.  c.  t.  If,  P.  xi,  p.  280.  Cf.  Lenfant,  1.  c. 
p.  130.  125. 


(26   ET  30   MARS,   6   AVRIL   1415).  895 

àii  billet  adressé  de  SchafFhouse  à  Sigismond  par  Jean  XXIII,  et 

il  fut  décidé  qu'une  députation  serait  envoyée  vers  les  cardinaux 
réunis  au  palais  pontifical  afin  de  connaître  leur  sentiment. 
L'empereur  s'y  rendit  aussi,  les  membres  du  sacré-collége  dé- 
clarèrent qu'ils  étaient  déterminés  à  traiter  toutes  les  affaires 
d'accord  avec  les  nations,  pendant  l'absence  du  souverain  pontife. 
Si  son  éloignement  devenait  un  obstacle  à  la  paix  et  à  la  réforme 
de  l'Église,  ils  se  sépareraient  de  lui;  mais  avant  tout  il  fallait 
envoyer  une  députation  au  pape  et  ne  prendre  en  attendant  au- 
cune mesure  à  son  égard.  Les  cardinaux  des  Ursins,  de  Saint-Marc 
(Pilastre)  et  de  Saluées  furent  en  conséquence  invités,  ainsi  que 
l'archevêque  de  Reims,  à  partir  pour  Schaffhouse  \  Dans  la 
réunion  des  princes  allemands,  Sigismond  accusa  le  duc  Frédéric 
d'Autriche  de  trahison  envers  l'Église  et  l'empire,  et  le  cita  à 
comparaître  devant  l'empereur  et  le  concile.  Le  même  jour,  les 
gardes  pontificaux,  chargés  de  veiller  sur  la  personne  de  Jean 
Eus,  reçurent  avis  de  le  remettre  aux  mains  de  l'évêque  de 
Constance,  qui  le  fît  enfermer  dans  son  château  de  Gottlieben  ^. 
Sur  ces  entrefaites,  le  23  mars,  Gerson  prononça  comme  man- 
dataire de  la  députation  française  une  homélie  sur  l'Évangile 
de  S.  Jean  (ch.  xii,  35),  où  il  présenta  douze  propositions  déjà 
émises  dans  ses  précédents  écrits,  comme  autantde  rayons  émanés 
de  la  vérité,  puis  il  chercha  à  préciser  les  relations  du  concile 
avec  le  pape.  D'après  lui  tous  les  fidèles,  même  le  souverain 
pontife,  devaient  être  soumis  au  concile  assisté  du  Saint-Esprit. 
Si  le  concile  n'a  pas  le  pouvoir  de  détruire  la  puissance  ponti- 
ficale établie  par  Jésus-Christ,  il  a  néanmoins  le  droit  d'en  régler 
et  d'en  modérer  l'exercice  pour  le  plus  grand  bien  de  l'Église  ;  il 
peut  aussi  se  réunir  sans  la  convocation  du  Saint-Siège  et  tracer 
à  celui-ci  la  marche  à  suivre  pour  l'extinction  du  schisme^. 
Venait  ensuite  l'énumération  des  mesures  à  prendre  contre 
Jean  XXIII.  D'autres  membres  de  l'université  de  Paris  allaient 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  575  sq.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  65.67. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  64-66.—  Hôfler.  Geschichtschr.  1^*  partie,  p.  143; 
2«  partie,  p.  273.  —  Document.  M.  J.  Eus,  1869,  p.  255  et  541.  Gottlieben  est 
à  trois  quarts  de  lieue  à  l'ouest  de  Constance  et  a  deux  tours.'G'est  dans  la 
tour  occidentale  que  Hus  fut  enfermé  pendant  soixante-treize  jours.  Marmor. 
Das  Concil.  zu  Constanz,  1858,  p.  79. 

(3)  Cf.  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  535  sq.,  et  V.  d.  Hardt,  t.  II,  p.  265  (faute  d'im- 
pression, pour  165).  Cf.  Martène,  27te5.  t.  II,  p.  1619  et  1623.  —  Schwab, 
/.  Gerson,  etc.  p.  507,  etc. 


396    TROISIÈME,  QUATR.  ET   CINQ.  SESSIONS   DU   CONCILE   DE   CONSTANCE 

encore  plus  loin  que  Gerson,  et  ne  craignirent  pas  d'émettre  des 
propositions  si  extraordinaires  sur  la  toute-puissance  du  concile 
général  qu'elles  ne  furent  pas  ratifiées  à  Constance  ' . 

Sigismond  avait  invité  les  cardinaux  à  cette  séance;  niais  ils 
n'y  parurent  point,  parce  qu'ils  redoutaient  les  attaques  de  Gerson 
contre  le  pouvoir  papal.  Ils  eurent  néanmoins  le  même  jour,  avec 
l'empereur,  une  entrevue  particulière,  au  sortir  de  laquelle  ils 
adressèrent  au  souverain  pontife  un  rapport  très-défavorable 
pour  l'orateur^. 

Le  23  mars,  partirent  pour  Schaffliouse  les  dépulés  du  concile, 
accompagnés  de  quelques  seigneurs,  et  le  lendemain,  qui  était  le 
dimanche  des  Rameaux,  ils  furent  suivis,  sans  que  le  concile 
le  sût,  par  les  cardinaux  Alamannus  (archevêque  de  Pise),  Cha- 
lant,  Brancaccio,  Branda  et  Landulf  de  Bari.  Le  même  jour,  le 
pape  envoya  à  tout  le  sacré-collége  l'ordre  écrit  de  venir  le 
trouver  dans  l'intervalle  de  six  jours,  sous  peine  d'excommuni- 
cation, d'anathème  et  de  déposition.  Il  écrivit  en  même  temps 
au  roi  de  France,  aux  ducs  d'Orléans,  de  Berry  et  de  Bourgogne, 
ainsi  qu'à  l'université  de  Paris,  pour  se  plaindre  des  vexations 
qu'on  lui  avait  fait  subir  à  Constance,  de  l'irrégularité  de  votes 
auxquels  les  laïques  eux-mêmes  prenaient  part,  des  entraves 
qu'on  mettait  par  des  menaces  à  la  liberté  de  parler  ,  de 
la  défiance  qu'on  témoignait  en  fermant  les  portes  de  la  ville,  et 
enfin  des  complots  qu'on  tramait  contre  lui.  C'étaient  là,  di- 
sait-il, les  causes  qui  avaient  motivé  sa  fuite  ^. 

Dans  un  appendice  (m/(9rma^2o/ies)  joint  aux  lettres  adressées 
par  le  pape  à  l'université  de  Paris  et  au  duc  d'Orléans,  on  trouve 
de  plus  amples  développements  sur  les  plaintes  de  Jean  contre 
Constance,  exposées  d'une  manière  très-flatteuse  pour  la  France. 
Voici  ces  griefs  :  1°  On  avait  commencé  les  débats  contre  la  vo- 
lonté du  pape,  avant  l'arrivée  des  représentants  de  la  France. 
2°  Jean  Hus,  déjà  condamné  depuis  longtemps  par  l'université 
de  Paris,  n'avait  été  arrêté  à  Constance  que  sur  l'ordre  du  pape 
(  ce  qui  contredisait  formellement  les  assertions  précédentes 
de  Jean  XXIII)  ;  mais  on  n'avait  pu  procéder  canoniquement 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  II.  p.  273-280.  Cf.  t.  IV,  p.  69. 

(2)  Ibid.  t,  IV,  p.  66.  —  Schwab,  1.  c.  p.  507. 

{3)  V.  D.  Harût,  t.  II,  p.  253  (faute  d'impression,  au  lieu  de  153)  jusqu'à 
264,  et  p.  398;  t.  IV,  p.  67  sq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  578,  etc.;  t.  XXVIII, 
p.  12,  etc.  —  IIard.  t.  VUI,  p.  244,  etc. 


(26   ET  30   MARS,   5  AVRIL   1415).  397 

contre  lui,  parce  que  le  roi  des  Romains  avait  exigé  son  élargisse- 
ment, et  menacé  de  forcer  les  portes  de  la  prison.   3°  Ordi- 
nairement, on  ne  faisait  dans  les   conciles   généraux  aucune 
distinction  entre  les   nations  ,  car  Dieu  ne  fait  acception    de 
personne,  tous  les   membres    devaient  opiner    en  commun; 
à  Constance,  celte  coutume  n'avait  pas  été  respectée,  on  avait 
décidé  que  chaque  nation  n'aurait  qu'une  voix,  ce  qui  portait  un 
gravepréjudiceàlaFrance  et  à  l'Italie,  puisque  ces  deux  contrées 
comptaient  au  moins  deux  cents  prélats  au  concile,  tandis  que 
l'Angleterre  n'était  représentée  que  par  trois  prélats.  4°  La  consti" 
tution  des  quatre  nations  et  le  nouveau  mode  de  votation  ne  lais- 
saient aucune  place  au  mérite  ni  à  la  dignité  :  tous  les  rangs 
étaient  confondus,  et  depuis  le  commencement  la  nation  alle- 
mande et  la  nation  anglaise  s'étaient  intimement  unies;  mais  leur 
alliance  n'ayant  pu  triompher  de  la  résistance  des  deux  autres, 
le  roi  des  Romains  s'était  fait  une  idole  du  patriarche  d'An- 
tioche,  l'ancien  ami  de  Pierre  de  Luna.  Le  patriarche  s'était  adjoint 
six  députés  de  la  nation  française|et  quatre  d'autres  nations,  et, 
bien  que  ces  personnages  n'eussent  d'autre  mission  que  celle 
d'écouter  et  de  rapporter,  ils  ne  laissaient  pas  que  de  prendre 
des  décisions  et  de  modifier  à  leur  gré  celles  du  concile  (allusion 
aux  fonctions  diverses  dans  lesquelles  le  patriarche  avait  joué  le 
rôle  de  représentant  du  concile).  5°  Dans  les  conciles  tenus  cano- 
niquement,  les  cardinaux,  les  patriarches,  les  archevêques  et 
les  évoques  avaient  seuls  le  droit  de  voter;  à  Constance,  au  con- 
traire, chacun  donnait  son  vote,  les  laïques  mariés  ou  non, 
comme  les  prélats,  malgré  la  résistance  de  ceux-ci.  On  s'était 
moqué  d'eux  quand  ils  avaient  voulu  défendre  leurs  droits. 
6°  Dans  tout  concile  général,  la  présidence  légitime  appartenait 
au  pape;  à  Constance  le  roi  des  Romains  l'avait  revendiquée  pour 
lui  et  souvent  exercée  (dans  les  assemblées  des  nations).  7°  Les 
délibérations  à  Constance  n'étaient  pas  libres  :  Sigismond  avait 
surtout  cherché  à  intimider  les  membres  de  la  nation  française, 
soumis  au  roi  de  France  (la  majorité  de  la  nation  française  se  com- 
posait des  sujets  de  l'empereur).  8°  Les  projets  de  cession  sérieu- 
sement et  sincèrement  adoptés  par  le  pape  n'avaient  pas  été  pris 
en  considération;  on  lui  en  avait  proposé  d'autres  captieusement 
rédigés,  dans  l'espoir  de  les  lui  voir  rejeter;  il  les  avait  acceptés 
néanmoins.  9°  Le  pape  ajoutait  ici  des  plaintes  contre  Sigismond, 
qui  l'avait  traité  d'une  façon  odieuse,  et  qui  avait  souffert  que  les 


398    TROISIÈME,  QUATR.  ET   CINQ.  SESSIONS   DU   CONCILE   DE   CONSTANCE 

Anglais  réclaniasseut  son  arrestation  et  que  l'évêque  de  Salisbury 
allât  jusqu'à  l'insulter  en  face.  10°  La  nation  italienne,  qui  comp- 
tait au  concile  quatre-vingts  prélats  et  beaucoup  de  docteurs, 
avait  voulu  avec  beaucoup  d'autres  membres  des  autres  nations 
que  toutes  les  affaires  fussent  traitées,  toutes  les  décisions 
prises,  conformément  aux  vègles{per  majora)  ;  maison  ne  l'avait 
pas  écoutée,  et  l'on  avait  étouffé  sa  voix.  11°  Le  pape,  effrayé  de 
tous  ces  symptômes,  s'était  retiré  de  Constance,  avec  l'assenti- 
ment du  duc  Frédéric  d'Autriche  ^  ;  dans  sa  lettre  à  Sigismond, 
Jean  XXIII  avait  précisément  nié  cette  dernière  circonstance. 

Le  25  mars,  l'archevêque  de  Reims  revint  de  Schaffhouse 
rendre  compte  à  Constance  du  résultat  de  sa  mission.  Ce  qu'il  y 
avait  de  plus  important  dans  son  récit,  c'était  la  déclaration  de 
Jean  XXIII.  Le  souverain  pontife  avait  répété  que  ce  n'était 
nullement  la  crainte,  mais  bien  l'insalubrité  du  climat,  qui  l'avait 
forcé  de  quitter  Constance,  et  qu'il  était  encore  prêt  à  partir  pour 
Nice  avec  Sigismond,  afin  d'y  travailler  ensemble  à  la  pacification 
de  l'Église.  Néanmoins,  dans  une  lettre  adressée  aux  cardinaux, 
Jean  leur  déclara  qu'il  les  nommait  tous  ses  procurateurs  dans 
l'affaire  de  la  cession,  et  qu'il  ordonnait  à  trois  d'entre  eux  de 
promulguer  sa  démission,  aussitôt  que  Grégoire  et  Benoît  en 
auraient  donné  l'exemple.  Quatre  prélats  des  quatre  nations 
devaient  être  revêtus  des  mêmes  pouvoirs  ^.  Cependant  le  concile, 
ne  se  fiant  ni  au  pape  ni  aux  cardinaux,  exclut  ces  derniers  de 
plusieurs  délibérations  ^  et  se  hâta  d'affirmer  sa  permanence 
par  la  tenue  d'une  session  générale. 

Ce  fut  la  troisième,  et  elle  eut  lieu  le  26  mars  1415.  Une  heure 
environ  avant  la  séance,  on  communiqua  au  sacré-collége  la 
teneur  des  décisions  qui,  déjà  adoptées  par  les  nations,  allaient 
être  solennellement  promulguées.  En  conséquence,  deux  cardi- 
naux seulement,  d'Ailly  et  Zabarella,  le  premier  en  qualité  de 
président,  assistèrent  à  cette  session.  Les  autres  refusèrent  sim- 
plement d'y  paraître,  comme  les  cardinaux  de  Venise  etd'Aquilée, 
ou  s'excusèrent  sous  prétexte  d'indisposition,  etc.  Il  n'y  eut  en 
tout  de  présents  que  soixante-dix  prélats;  en  revanche  on  y  vit 
beaucoup  de  docteurs,  un  grand  nombre  de  seigneurs  laïques, 


(1)  Manst,  t.  XXVIII,  p.  14,  sq(f.  —  V.  D.  IknDT,  t.  II,  p.  253  (ot  non  153). 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  (38,  sq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  576,  etc. 

(3)  V.  D.  Harut,  t.  IV,  p.  69. 


(26  ET  30  MAKS,   6  AVHIL   1415).  399 

et  Sigismond  lui-même .  Le  cardinal  d' Ailly  chanta  la  grand'messe, 
et  Zabarella,  après  un  préambule  qui  recommandait  d'émettre 
son  jugement  selon  l'équité  et  sans  acception  des  personnes, 
donna  lecture  des  conclusions  suivantes  :  1"  Le  concile  a  été  rite 
et  juste  convoqué,  ouvert  et  lenu  à  Constance.  2"  L'éloignement 
du  pape  et  d'autres  personnages  n'a  pas  dissous  le  saint  con- 
cile :  il  demeure  dans  la  plénitude  de  son  autorité,  même  au  cas 
d'opposition  déclarée  du  souverain  pontife.  3°  Le  saint  concile 
ne  peut  être  dissous  avant  que  le  schisme  n'ait  été  éteint,  et  l'Église 
réformée  dans  son  chef  et  dans  ses  membres.  4°  Il  ne  doit  pas 
être  transféré  ailleurs,  à  moins  que  ce  ne  soit  pour  une  raison 
suffisante  etavec  son  assentiment.  5° Les  prélats  et  autres  membres 
du  concile  doivent  y  demeurer  et  ne  point  quitter  Constance 
avant  la  fin  de  ses  travaux,  si  ce  n'est  pour  un  motif  grave  et 
avec  l'autorisation  du  concile,  ou  bien  encore  pour  faire  partie 
d'une  députation  envoyée  par  lui. 

Ces  différents  points  furent  acceptés  par  les  cardinaux  et  tous 
les  membres  de  l'assemblée,  puis  inscrits  au  procès-verbal; 
après  quoi  Zabarella  lut  encore  à  haute  voix  une  déclaration  qu'il 
avait  rédigée  de  concert  avec  d'Ailly,  et  dont  voici  la  teneur  : 
«  Nous  déclarons  ici  de  nouveau,  comme  nous  l'avons  déjà 
déclaré,  après  l'éloignement  du  souverain  pontife,  au  roi  des 
Romains  et  aux  députés  des  nations,  que  nous  demeurerons 
fidèles  à  l'obédience  du  pape  Jean,  tant  qu'il  persistera  dans 
l'intention  de  rendre  la  paix  à  l'Église,  en  résignant  ses  pouvoirs; 
mais  que  si,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  il  venait  à  se  départir  de  ce 
dessein,  nous  nous  soumettrions  uniquement  au  concile.  Nous 
étions  d'avis  qu'on  attendit  pour  cette  troisième  session  le  retour 
des  cardinaux  envoyés  vers  le  pape,  mais  les  seigneurs  du  concile 
n'ont  pas  voulu  différer  plus  longtemps.  Tandis  que  nos  collè- 
gues se  sont  abstenus  d'y  paraître,  les  uns  à  raison  de  leurs  in- 
firmités, les  autres  par  souci  de  leur  dignité,  nous  avons  cru  de- 
voir nous  présenter  à  cette  session,  dans  l'espérance  de  voir  le 
pape  en  ratifier  plus  tard  les  décisions.  C'est  à  la  prière  de  l'em- 
pereur, à  la  prière  des  syndics  des  nations  et  des  universités,  etc., 
que  le  cardinal  de  Cambrai,  en  sa  qualité  de  président  de  cette 
session,  confirme  au  nom  de  ceux  à  qui  il  appartient  toutes  les 
décisions  adoptées  *.  » 

(1)  Mansi,  t.  XXVII,  n.  579-582  — Hard.  t.  VII,  p.  246-249.— V.  d.  Hardt» 
t.lV,  p.  7U-74. 


400    TROISIÈME,    QUATR.  ET   CI^Q.  SESSIONS   DU    CONCILE   DE   CONSTANCE 

La  motion  de.  Yitalis,  évêque  de  Toulon,  présente  un  étrange 
contraste  avec  cette  déclaration  modérée."  Il  regardait  la  fuite  du 
pape  comme  un  scandale  qui  le  ferait  soupçonner  de  connivence 
avec  le  schisme  et  l'hérésie,  s'il  n'avait  hâte  de  s'en  justifier  et  ^ 
d'en  donner  satisfaction  ^  »  1 

C'est  à  cette  date  qu'il  faut  faire  remonter  un  document  inséré 
par  Dollinger  dans  ses  Matériaux  pour  Vliistoira  du  xv"  et  du 
XYf  siècle  (t.  II,  p.  311,  etc.).  C'est  un  fragment  d'une  lettre 
adressée  par  les  députés  de  l'université  de  Paris  au  roi  CharlesVI  : 
ils  y  racontent  la  fuite  du  pape  et  conjurent  le  prince  de  ne  pas 
se  laisser  prévenir  par  de  faux  rapports  contre  le  concile,  qui  a 
déjà  pris  les  mesures  nécessaires  à  la  continuation  de  ses 
travaux. 

Très-peu  de  temps  après  le  retour  de  l'archevêque  de  Reims, 
trop  tard  néanmoins  pour  assister  à  la  troisième  session,  arri- 
vèrent à  Constance  les  cardinaux  envoyés  au  pape  Jean,  avec 
deux  de  leurs  collègues  qui  les  avaient  suivis  à  Schaffhouse,  comme 
nous  l'avons'vu  plus  haut;  ils  eurent  le  même  jour  une  entrevue 
avec  les  députés  des  nations  et  rapportèrent  sur  les  dispositions 
du  pape  les  meilleures  assurances';  ils  se  proposaient  même  à 
la  première  occasion  de  donner  à  ce  sujet  les  plus  amples  éclair- 
cissements. Quand  on  leur  objecta  l'ordre  intimé  par  Jean  XXIII  à 
tous  les  membres  de  lacour  romaine  de  le  rejoindre  à  Schafîhouse, 
indice  manifeste  de  sentiments  peu  favorables,  il  s'éleva  une 
assez  vive  discussion.  Ce  n'était  que  le  prélude  de  celle  qui 
s'engagea  à  l'assemblée  générale,  le  jeudi-saint  28  mars.  L'em- 
pereur, les  cardinaux,  les  envoyés  des  rois  et  des  quatre  na- 
tions y  assistaient;  le  cardinal  de  Pise  vint  déclarer,  au  nom  de 
ses  collègues  et  du  pape,  «  que  celui-ci  persistait  dans  ses  idées  de 
renonciation,  qu'il  avait  nommé  tous  les  cardinaux  ses  procura- 
teurs à  cette  fin,  de  telle  sorte  que  l'accord  de  trois  d'entre  eux 
suffirait  pour  leur  donner  pouvoir  de  faire  en  son  nom  acte  de 
cession.  11  désirait  en  outre,  sur  trente-deux  prélats  que  lui  pré- 
senteraient les  nations,  en  choisir  huit,  dont  trois  auraient  aussi 
pouvoir  de  résigner  pour  lui  (c'était  ajouter  encore  à  ses  propo- 
sitions du  25  mars).  Il  n'entendait  ni  dissoudre  ni  transférer 
le  concile  sans  son  consentement,  et  lui-même  était  décidé  à 
rester  près  de  Constance.  Enfin  il  réclamait  pour  lui  et  pour  le 

(1)  V.  D.  IIardt,  1.  c.  p.  72. 


(26   EX   30   MARS,    6   AVRIL   1415).  401 

duc  Frédéric  d'Autriche,  aide  et  sécurité;  faute  de  cette  garantie, 
il  se  verrait  contraint  de  revenir  sur  les  précédentes  conces- 
sions. »  De  là  un  débat  violent.  L'empereur  et  les  autres  ne 
voulaient  accepter  aucune  des  réserves  du  pape,  ni  accéder  à 
aucun  de  ses  désirs,  tant  était  grande  leur  défiance,  et  ils 
demandaient  qu'on  tînt  immédiatement  une  nouvelle  session  * . 
Dans  cette  prévision,  les  trois  nations  de  France,  d'Allemagne 
et  d'Angleterre  ^,  à  une  réunion  tenue  le  vendredi  saint, 
29  mars,  chez  les  Franciscains,  rédigèrent  quatre  articles 
devenus  fameux.  1°  Le  concile  de  Constance  légitimement 
assemblé  dans  le  Saint-Esprit,  formant  un  concile  œcuménique 
et  représentant  l'Église  militante,  tient  sa  puissance  immédiate- 
ment de  Dieu,  et  tout  le  monde,  y  compris  le  pape,  est  obligé  de 
lui  obéir  en  ce  qui  concerne  la  foi,  l'extinction  du  schisme  et  la 
réforme  soit  de  la  tête,  soit  des  membres  de  cette  Église.  2°  Qui- 
conque, fût-ce  le  pape  lui-même,  aura  refusé  opiniâtrement  de 
se  conformer  aux  décrets,  statuts  et  ordonnances  du  saint  concile 
ou  de  tout  autre  concile  général  canoniquement  assemblé,  sur 
lesdits  points  ou  autres  y  ayant  trait,  subira  la  peine  qu'il  aura 
méritée,  sans  qu'il  soit  tenu  compte  des  différents  moyens  de 
droit  civil  auxquels  il  pourra  recourir.  3"  A  la  sollicitation  de 
Gerson,  la  déclaration  de  Févêque  de  Toulon,  mentionnée  plus 
haut,  fut  insérée  comme  troisième  article.  En  voici  la  teneur  :  La 
fuite  du  pape  est  un  acte  blâmable  et  scandaleux,  c'est  le  prélude 
d'une  dérogation  et  d'une  contravention  formelle  aux  engage- 
ments antérieurement  contractés,  elle  le  fait  grandement  soup- 
çonner de  favoriser  le  schisme  et  même  d'être  tombé  dans 
l'hérésie.  4°  Enfin  le  quatrième  article  portait  que  le  pape  Jean 
et  tous  ceux  qui  avaient  été  invités  au  concile,  ou  s'y  trou- 
vaient actuellement,  avaient  joui  et  jouissaient  de  la  plus  entière 
liberté  2. 

Le  même  jour,  les  cardinaux  eurent  une  entrevue  avec  Sigis- 
mond,  pour  lui  soumettre  une  nouvelle  proposition.  Le  pape 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  582-584.  —  Hardouin,  t.  VIII,  p.  249-251.  (Ces  deux 
auteurs  renferment  quelques  erreurs  de  date;  ainsi,  au  lieu  de  die  Jovis 
XXIII mensis  Martii,  il  faut  lire  XXVIlIm.  M.,  et  quelques  lignes  plus  bas, 
au  lieu  de  XXVIII Mariii...  eodem  die,  etc.,  il  faut  lire  XXVIl  M, 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  584.  —  Haud.  p.  251,  au  milieu. 

(3)  Van  ûer  Hardt,  t.  IV,  p.  81 ,  etc.  Vi'aisemblablement  c'est  à  cette  date 
qu'il  faut  faire  remonter  le  placard  qui  fut  affiché  contre  le  pape,  et  qu'on 
trouve  dans  Mansi,  t.  XXVIIl,  p.  912. 

I.  X.    26 


402  TROISIÈME,  QUATR.  ET   CINQ.  SESSIONS  DU   CONCILE   DE   CONSTANCE. 

étaitdisposé  à  choisir  l'empereur  Sigismond  et  les  cardinaux  pour 
ses  procureurs  dans  l'affaire  de  la  cession,  de  telle  sorte  que  l'a- 
dhésion de  deux  cardinaux,  même  contre  la  volonté  du  souverain 
pontife,  suffirait  pour  donner  à  Sigismond  le  pouvoir  d'agir. 
Jean  XXllI,  revenant  sur  ses  premières  instructions,  désirait  en 
outre  que  la  cour  romaine  ne  s'éloignât  pas  de  Constance  sans 
l'approbation  du  concile^.  Enfin  les  cardinaux  se  déclarèrent 
prêts  à  suivre  les  débats  de  la  prochaine  session,  qui  devait  avoir 
lieu  le  lendemain,  pourvu  que  l'on  n'y  sanctionnât  pas  d'autres 
chapitres  que  ceux  dont  ils  donnèrent  communication  [infra- 
scripta).  Sigismond  se  hâta  de  porter  cette  nouvelle  aux  trois 
nations  réunies  au  couvent  des  Dominicains  et  ne  revint  qu'assez 
avant  dans  la  soirée  avec  cette  réponse  :  «  Les  nations  ne  peuvent 
s'engager  à  ne  pas  voter  un  plus  grand  nombre  de  chapitres  dans 
la  quatrième  session;  mais  comme  elle  ne  doit  commencer  qu'à  dix 
heures,  peut-être  sera-t-il  possible  de  s'entendre  auparavant^.  » 

On  ne  peut  douter  que  les  chapitres  présentés  par  les  cardi- 
naux comme  seuls  acceptables,  ne  soient  ceux  que  l'on  attribue 
aujourd'hui  à  la  quatrième  session,  et  qui  ont  reçu  justement 
dans  les  actes  la  dénomination  àHnfra  scripta.  Les  cardinaux 
avaient  fort  bien  compris  que  plusieurs  des  quatre  articles  pro- 
posés par  les  nations  étaient  au  moins,  quant  à  l'esprit  qui  les 
avait  dictés,  inadmissibles  peureux;  aussi  cherchaient-ils,  sinon 
à  les  faire  rejeter  absolument,  du  moins  à  les  modifier  par  d'au- 
tres clauses.  Cependant  Sigismond  qui  attachait  une  souveraine 
importance  à  éviter  en  ce  moment  décisif  toute  rupture  entre  les 
cardmaux  et  le  concile,  manœuvra  si  habilement  dans  la  matinée 
du  samedisaint,  qu'au  moment  même  où  la  session  allait  s'ouvrir, 
les  députés  des  nations  s'accordèrent  à  supprimer  les  articles 
et  les  expressions  offensantes  pour  le  Saint-Siège^.  Quant  aux 
autres  membres  du  concile  qui  n'avaient  pas  été  mis  dans  le 
secret,  on  espérait  leur  faire  accepter  par  surprise  le  fait  accom- 
pli et  obtenir  d'eux  une  adhésion  au  moins  tacite. 

La  quatrième  session  se  tint  donc  le  samedi-saint,  30  mars 
1415,    sous   la   présidence   du  cardinal  Jordan  des  Ursius  et 


(1)  C'est  ici  qu'il  faut  placer  les  propositions  des  cardinaux  dont  parle 
Mansi,  t.  XXVII,  p.  588.  Cf.  Y.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  91.—  Haru.  1.  c.  p.  255,  au 
bas,  et  256. 

(2)  Mansi,  j.  c.  p.  584.  —  Habd.  1.  c.  p.  251. 

(3)  Ma>-fi,  t.  XXVll,  p.  588,  nu  haut.  —  Hard.  1.  c.  p.  255,  au  milieu. 


(26   ET  30  MARS,  6  Arr<IL   1415).  403 

en  présence  de  l'empereur,  de  beaucoup  de  princes  et  de  plus 
de  deux  cents  prélats  et  docteurs*.  Le  cardinal  Zabarella  y 
donna  lecture  des  résolutions  suivantes,  acceptées  par  le  con- 
cile :  1*  Le  premier  article  reproduisait  exactement  les  termes 
de  celui  que  nous  avons  mentionné  à  la  page  précédente, 
sauf  les  mots  :  «  réforme  de  la  tête  et  des  membres  » .  2°  Le  second 
était  ainsi  conçu  :  «  Jean  ne  pourra  faire  venir  de  Constance,  sans 
l'assentiment  des  Pères,  les  membres  et  employés  de  la  cour 
romaine,  dont  l'absence  pourrait  occasionner  la  dissolution  du 
concile  ou  porter  atteinte  à  ses  droits.  3°  Enfin,  aux  termes  du 
troisième  article,  toutes  les  peines  édictées  par  le  pape  depuis 
son  départ  de  Constance  contre  les  partisans  ou  les  membres 
du  concile  demeuraient  sans  effet  ^. 

On  laissa  donc  de  côté  les  articles  deuxième,  troisième  et  qua- 
trième acceptés  la  veille.  Il  paraîtrait,  d'autre  part,  que  le  car- 
dinal Zabarella  aurait  lu  deux  articles  d'après  lesquels  on  aurait 
interdit  au  pape,  pendant  sa  séparation  du  concile,  de  faire  aucune 
nomination  de  cardinaux,  et  l'on  aurait  chargé  une  commission 
dont  chaque  nation  aurait  nommé  trois  membres,  de  statuer  sur 
les  demandes  de  congé.  C'est  du  moins  ce  que  rapporte,  en 
insérant  le  texte  de  ces  propositions,  le  chroniqueur  de  Saint- 
Denis,  ordinairement  très-exact.  Lenfant  fait  remarquer,  d'un 
autre  côté,  que  ces  articles  furent,  il  est  vrai,  soumis  au  concile, 
mais  qu'on  ne  les  adopta  pas  ^. 

La  majorité  du  concile,  qui  ignorait  le  rapprochement  opéré 
entre  l'empereur  et  le  sacré-collége,  se  montra  naturellement 
très-surprise  de  la  lecture  faite  par  Zabarella.  Le  mécontentement 
se  manifesta  hautement  au  sortir  de  la  session,  et  quelques-uns, 
comme  Benoît  Gentian,  se  répandirent  en  plaintes  amères.  Mais 
cette  irritation  se  fût  vraisemblablement  assez  vite  calmée  si  un 
nouvel  incident  n'était  venu  l'attiser  encore. 

Le  29  mars,  jour  du  vendredi  saint,  le  pape  Jean  s'était  mis 
en  route  pour  Laufenbourg,  à  l'ouest  de  Schaffhouse,  dans  la 


(1)  Les  cardinaux  d'Ailly  et  de  Viviers  étaient  absents  pour  cause  de  ma- 
ladie, sans  quoi  ce  dernier  eût  présidé,  comme  doyen  du  sacré  collège. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  584-586.—  Hard.  t.  VIII,  p.  252,  etc.—  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  86. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  90,  etc.  —  Chronicor.  Caroli  VI,  lib.  XXXV,  c.  51. 
—  Lenfant,  1. 1,  p.  154. 

(4)  V.  D.  Hardt,  t.  II,  p.  281;  t.  IV,  p.  92. 

(5)  V.  D.  Hardt,  t.  Il,  p.  400;  t.  IV,  p.  84. 


4<J4    TROISIÈME,  QUATi'i.  ET   ClNCi.    SBisSlOJNcJ   DU    CONCILE   DE   CONSTANCE 

crainte  d'une  attaque  imminente  de  l'empereur  contre  le  duc 
Frédéric  d'Autriche.  Cette  seconde  fuite  fut  très-mal  accueillie  à 
Constance;  le  ressentiment  s'accrut  encore  quand  on  apprit 
qu'aussitôt  après  avoir  quitté  Schaffhouse,  le  pape  avait  fait  rédi- 
ger, par  un  notaire,  un  acte  d'après  lequel  toutes  les  concessions 
faites  par  lui  à  Constance  lui  ayant  été  extorquées,  se  trouvaient 
annulées.  Tel  est  le  récit  de  Dietrichde  Niem;  le  4  avril  1415 
Jean  XXIII  adressa  au  contraire  de  Laufenbourg,  à  tous  les 
fidèles,  une  lettre  où  il  protestait  de  ses  intentions  persistantes  à 
l'égard  de  la  cession,  et  donnait  de  son  départ,  outre  le  prétexte 
du  climat,  une  double  raison  :  d'abord  l'appréhension  des  dangers 
quile  menaçaient  personnellement,  puis  la  crainte  de  voir  Benoît 
et  Grégoire  profiter  des  entraves  qu'on  voulait  mettre  à  sa 
liberté,  pour  faire  échouer  cette  union  qu'il  avait  tant  à  cœur*. 

Cette  circonstance  détermina  plusieurs  cardinaux  et  membres 
de  la  cour  romaine  à  quitter  Constance  pour  aller  rejoindre  le 
souverain  pontite^,;  mais  Sigismond  convoqua  pour  le  5  avril, 
dans  la  cathédrale,  une  congrégation  générale  afin  de  constater 
la  contradiction  du  pape  dans  l'exposition  de  ses  motifs.  L'arche- 
vêque de  Reims  dut  venir  répéter,  à  l'appui,  ce  qu'il  avait  dit 
le  25  mars,  de  la  part  de  Jean  XXIII.  Il  ajouta  que  la  déclaration 
finale  du  pape  lui  avait  été  remise  par  le  cardinal  Ghalant;  à  quoi 
celui-ci  repartit  que  Jean  avait  donné  dès  l'origine  à  sa  fuite 
d'autres  motifs  que  le  mauvais  air,  en  ajoutant  néanmoins  que 
ce  n'était  pas  la  crainte  de  Sigismond,|mais  celle  que  lui  inspi- 
raient plusieurs  personnages  de  la  cour  impériale,  qui  avait 
déterminé  son  départ  ^. 

A  la  nouvelle  de  la  seconde  fuite  du  pape,  la  conviction  una- 
nime à  Constance  (conviction  partagée  par  l'empereur)  fut  qu'il 
fellait  formuler  et  adopter  les  articles  omis  par  Zabarella  touchant 
la  supériorité  du  concile  sur  le  pape,  et  transformer  ainsi  une 
opinion  purement  théorique  en  une  opposition  de  fait  contre 
Jean  XXIII.  Ce  fut  en  effet  ce  qui  arriva  dans  la  cinquième  session 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  102.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  597. 

(2   V.  D.  Harot,  t.  IV,  p.  93. 

i3)  MANsr,  t.  XXVII,  p.  589  et  586,  etc.—  Hard.  t.  VIII,  p.  256,  etc.  et  254. 
(Tous  doux  racontent  deux  fois  ce  trait,  et  à  des  dates  différentes.)  —  Ghro- 
NicoR.  Caroli  VI,  lib.  XXXV,  c.  51.  —  V.  u.  Hardt,  t.  IV,  p.  94  ,  etc.  Ce  que 
dit  Reichenthal  de  la  suppression  des  armes  pontificales  par  le  concile  est 
inexact.  Cette  mesure  ne  fut  prise  qu'après  la  déposition  de  Jean  XXIII. 


(26  ET  30   MARS,  6  AVRIL   1415).  405 

générale  tenue  le  6  avril  sous  la  présidence  du  cardinal  Jordan  des 
Ursins,  et  en  présence  de  sept  autres  cardinaux  (d'Aquilée,  de 
Saint-Marc,  Ghalant,  de  Saluces,  Zabarella,  de  Pise  et  Angé- 
lus de  Lodi).  Quatre  autres,  les  cardinaux  de  Yiviers,  d'Ailly, 
Fieschi  et  François  de  Venise,  bien  qu'en  ce  moment  à  Cons- 
tance, ne  parurent  point  à  cette  session.  Ceux  qui  crurent 
devoir  y  assister  déclarèrent  auparavant  qu'ils  ne  le  faisaient 
que  pour  éviter  le  scandale  et  nullement  pour  approuver  les 
décisions  qu'on  y  pourrait  prendre.  Schelstrate  lut  dans  quel- 
ques manuscrits  que  les  envoyés  du  roi  de  France  protestèrent 
aussi;  en  réalité,  ils  n'en  firent  rien,  et  il  est  probable  qu'on 
aura  confondu  à  ce  sujet  la  cinquième  session  avec  la  quatrième. 
Dans  cette  dernière,  en  effet,  les  Français  purent  bien  paraître 
hésiter  en  entendant  lire  les  décrets  mitigés  de  Zarabella;  mais 
il  ne  se  passa  rien  de  semblable  dans  la  cinquième  session  ^ 

D'après  le  vœu  du  concile,  Andréas,  évêque  de  Posen,  donna 
lecture  de  cinq  articles  sanctionnés  par  les  Pères.  En  tête 
on  n'avait  pas  manqué  d'insérer  ce  premier  article  dont  nous 
avons  déjà  parlé  plus  d'une  fois,  avec  l'addition  retranchée 
par  Zabarella,  à  savoir  qu'«  en  ce  qui  concerne  la  réforme 
de  l'Église,  dans  sa  tête  et  dans  ses  membres,  tout  chré- 
tien, même  le  pape,  doit  obéir  au  concile  général.  »  Venait 
ensuite  le  second  article,  qu'on  avait  tout  à  fait  rejeté  dans  la 
quatrième  session,  et  d'après  lequel  on  menaçait  de  peines  le 
souverain  pontife,  s'il  refusait  d'obéir  au  concile  de  Constance 
ou  à  tout  autre  concile  général  légitimement  assemblé.  Le 
troisième  et  le  quatrième  article  s'accordaient  avec  le  second 
et  le  troisième  de  la  précédente  session,  pour  défendre  au  pape 
de  faire  sortir  sa  curie  de  Constance  sans  l'assentiment  du  concile, 
et  pour  annuler  toutes  les  condamnations  lancées  par  Jean  depuis 
son  départ  contre  les  défenseurs  et  les  membres  du  concile. 
Enfin,  l'article  cinquième  était  celui  qu'on  avait  adopté  dans 
la  congrégation  du  29  mars,  et  que  Zabarella  avait  retranché  : 
«  Le  pape  Jean  et  les  membres  du  concile  ont  joui  et  jouis- 
sent de  la  plus  entière  hberté  ^.  » 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  96,  etc.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  590.—  Hard.  t.  VIII, 
p.  258.  —  Chronicor.  1.  c.  lib,  XXXVI,  c.  16.  —  Lenfant,  1.  c.  1. 1,  p.  163,  etc. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  590.  —  Hardouin.  1.  c.  p.  258.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p<  96,  etc.  —  Gbronicor.  I.  c.  c.  il. 


406    TROISIÈME,  QUATR.  ET  CINQ.   SESSIONS   DU  CONCILE  DE  CONSTANCE 

C'est  ainsi  que  les  Pères  de  Constance  tranchaient  solennelle- 
ment la  fameuse  question  de  la  supériorité  du  concile  œcumé- 
nique sur  le  pape,  et  réveillaient  ainsi  les  ardeurs  d'une  contro- 
verse qui  n'est  pas  encore  éteinte  aujourd'hui.  Les  nécessités  du 
temps  leur  faisaient  envisager  ce  décret  comme  le  seul  moyen 
d'échapper  à  cette  affreuse  situation  de  trois  prétendants  se 
disputant  la'tiare.Dans  de  semblables  conjonctures,  alors  que  l'on 
ignorait  qui  était  le  véritable  pape,  et  que  d'un  autre  côté  s'éva- 
nouissait chaque  jour  l'espérance  de  voir  une  cession  volontaire 
venir  terminer  cette  brûlante  querelle,  on  pouvait  bien  croire  que 
le  seul  moyen  d'obtenir  la  paix  était  de  soumettre  les  rivaux  à  la 
décision  d'un  concile  réputé  général.  Mais  on  allait  plus  loin  à 
Constance  ^que  ne  l'exigeaient  les  nécessités  du  temps  :  l'on  en- 
tendait poser  une  thèse  absolue  dont  les  conséquences  enga- 
geassent l'avenir  et  la  revêtir  du  prestige  d'un  dogme.  Au  mo- 
ment où  le  concile  se  prononça  de  la  sorte,  il  se  donnait  à  la  vérité 
le  titre  de  concile  œcuménique;  mais  la  postérité  ne  peut  lui 
reconnaître  ce  haut  caractère  que  dans  les  dernières  sessions 
(depuis  la  quarante  et  unième  jusqu'à  la  quarante-cinquième  in- 
clusivement), c'est-à-dire  pour  époque  où  il  agissait  de  concert 
avec  le  pape  Martin  V  (t.  I,  p.  53).  Les  gallicans  prétendent  bien 
que  Martin  V  approuva  ce  qui  s'était  fait  dans  les  sessions  précé- 
dentes, y  compris  la  cinquièuie,  mais  cette  assertion  n'a  pas  la 
moindre  valeur.  Ce  pape,  en  effet,  n'a  confirmé  des  décisions  du 
concile  que  ce  qui  avait  été  décrété  in  materiis  fidei  concUiariter 
et  non  aliternec  alio  modo.  Or,  à  son  propre  sens,  et  au  sens  de 
tout  le  sacré  collège,  nous  rapporte  d'Ailly  (Gerson,  0pp.  éd.  Du 
Pin,  t.  II,  p.  940),  n'avait  pas  été  décrété  concUiariter  tout  ce  qui 
n'avait  été  décrété  que  par  la  majorité  des  nations,  sans  la  parti- 
cipation des  cardinaux,  et  c'est  précisément  le  cas  dont  il  s'agit  * . 

Le  moine  de  Saint-Denis  et  quelques  autres  annalistes  men- 
tionnent encore  dans  la  cinquième  session  toute  une  série  de 
décisions  à  l'égard  du  pape  et  de  Jean  Hus.  Voici  la  première  : 
1°  Le  pape  Jean  sera  tenu  de  résigner  ses  pouvoirs  non-seulement 
dans  les  cas  prévus  par  l'acte  de  cession,  mais  encore  dans  tous 
les  cas  où  cette  résignation  constituerait  pour  l'Eglise  un  réel  et 
sincère  avantage,  et  il  doit  s'en  remettre  sur  ce  sujet  à  l'appré- 


(1)  Schwab,  J.  Gerson,  p.  513,  f.  ;  QuartaUchrift,  1859,  p.  287  sq. 


(26  ET  30   MARS,  6  AVRIL    1415).  407 

dation  et  à  la  déclaration  du  saint  concile.  2°  Si,  pour  le  bien  de 
l'union,  les  Pères  invitent  le  pape  à  se  démettre,  et  s'il  refuso  ou 
retarde  indéfiniment,  il  sera  considéré  comme  déposé.  '6"'  Sa 
retraite  de  Constance  est  une  menace  illicite  et  préjudiciable  à 
l'union  ;  il  doit  donc  effectuer  son  retour,  et  s'il  ne  le  fait  pas 
dans  le  délai  prescrit  par  le  concile,  il  sera  poursuivi  comme 
fauteur  de  schisme  et  suspect  d'hérésie.  4°  S'il  veut,  au  contraire, 
revenir  à  Constance  et  remplir  ses  engagements,  on  lui  garantit 
la  pleine  liberté  de  sa  personne  et  de  ses  biens. 

L'évêque  de  Posen  lut  ensuite  à  haute  voix  les  articles  suivants 
qui  se  rapportaient  aux  erreurs  de  Wiclef  et  de  Hus  :  1°  La  com- 
mission des  docteurs  en  théologie  et  en  droit  canonique  réunis  à 
cet  effet  est  d'avis  de  confirmer  la  sentence  portée  par  le  concile 
de  Rome  (en  1412)  contre  les  livres  et  écrits  de  Wiclef,  et  de 
livrer  au  feu  lesdits  ouvrages.  2°  L'examen  des  doctrines  de 
Hus  et  de  ses  adeptes,  en  matière  de  foi,  sera  confié  aux  car- 
dinaux d'Ailly  et  Filastre,  assistés  de  l'évêque  de  Dôle  et  de 
l'abbé  de  Cîteaux,  lesquels  pourront  s'adjoindre  plusieurs  doc- 
teurs en  théologie  et  en  droit  canon  (le  mandat  remis  à  cet  effet 
par  le  pape  à  une  commission  étant  considéré  comme  révoqué 
par  sa  fuite).  3*  Lesdits  commissaires  rechercheront  comment 
l'on  devra  procéder  contre  la  mémoire  de  Wiclef,  et  s'il  convient 
d'exhumer  ses  restes.  4*  Ils  auront  soin  de  prendre  en  considé- 
ration les  censures  portées  par  l'université  de  Paris  et  celle  de 
Prague  contre  certaines  propositions  de  Wiclef. 

Les  Pères  prirent  ensuite  l'importante  résolution  d'adresser, 
de  la  part  du  concile,  à  tous  les  rois  et  princes  chrétiens,  à  toutes 
les  communautés  et  universités,  un  mémoire  détaillé  relatant  la 
marche  des  affaires  à  Constance,  la  fuite  du  pape  et  FétaL 
des  négociations  entamées  à  ce  sujet  avec  lui  K  Sigismond 
déclara  en  outre,  à  la  prière  du  concile,  qu'il  était  déterminé  à  tout 
mettre  en  œuyre  pour  ramener  le  souverain  pontife  à  Constance, 
et  annonça  en  même  temps  qu'il  avait  déjà  envoyé  des  troupes 
pour  attaquer    Frédéric,  duc  d'Autriche  et  pénétrer  à  Schaf- 


(1)  On  trouve  un  exemplaire  de  cette  communication  dans  V.  d.  Hardt, 
t.  Iv,  p.  108  et  125;  le  même  auteur  (p.  131,  etc.)  donne  un  second  mémoire 
un  peu  différent  du  premier,  et  adressé  au  roi  de  Pologne;  enfin  il  repro- 
duit aussi  (p.  129)  un  fragment  d'un  rapport  adressé,  peut-être  à  la  même 
époque,  peut-être  un  peu  auparavant,  par  les  délégués  de  rUoiversité  de 
Paris  au  roi  Charles  VI. 


403  SIXIÈME  ET   SEPTIÈME  SESSIONS   DU  CONCILE. 

fhouse.  Leur  général,  le  burgrave  Frédéric  de  Nuremberg,  avait 
proposé  aux  cardinaux  et  aux  membres  de  la  cour  romaine  qu'il 
avait  rencontrés  à  Schaffhouse,  de  les  renvoyer  sous  bonne  escorte 
à  Constance,  mais  ceux-ci  avaient  décliné  cette  offre,  ne  voulant, 
disaient-ils,  aller  ni  à  Constance  ni  à  Laufenbourg  auprès  du 
pape  Jean;  ils  voulaient  se  rendre  à  Rome,  et  prétendaient  que 
c'était  aussi  le  désir  de  leurs  collègues  restés  au  concile.  Zaba- 
rella  protesta  contre  cette  dernière  allégation,  en  disant  que  lui  et 
ses  collègues  voulaient  suivre  le  pape  et  le  défendre,  comme 
c'était  leur  devoir,  s'il  persistait  réellemen  t  à  vouloir  se  démettre, 
comme  il  l'avait  promis;  mais  que,  s'il  violait  ses  engagements, 
les  cardinaux  l'abandonneraient  pour  demeurer  au  concile.  Jus- 
qu'alors on  n'avait  pas  encore  pu  conclure  avec  certitude  de  la 
lettre  da  pape  qu'il  eût  dessein  de  manquer  à  sa  parole. 

La  dernière  résolution  adoptée  dans  la  cinquième  session  por- 
tait que  nul  ne  pourrait  quitter  le  concile  sans  en  avoir  obtenu 
l'autorisation  et  chargeait  l'empereur  et  les  présidents  du  concile 
de  veiller  à  la  punition  des  délinquants  ^ 

§  751. 

SIXIÈME  ET  SEPTIÈME  SESSIONS  DU  CONCILE  (17  AVRIL  ET  2   MAI  1415). 

Le  lendemain  de  la  cinquième  session  (7  avril  1415),  la  bulle 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  que  Jean  XXIII  avait  lancée  de 
Laufenbourg  pour  donner  les  motifs  de  sa  fuite,  fut  lue  dans  une 
congrégation  des  quatre  nations,  le  duc  Frédéric  mis  au  ban  dé 
l'empire  par  Sigismond,  et  ses  sujets  furent  déliés  de  leur  ser- 
ment^. 

Dans  la  même  journée,  Jérôme  de  Prague,  arrivé  à  Constance 
le  4  avril,  demanda  au  concile  un  sauf-conduit  qui  lui  permît  de 
vaquer  à  sa  défense,  promettant  en  retour,  «  s'il  était  convaincu 
d'hérésie,  de  se  soumettre  à  la  sentence  portée  contre  lui  >» .  Les 
Pères  lui  firent  espérer  qu'on  aurait  égard  à  sa  réclamation,  et 
continuèrent  de  se  réunir  en  congrégation  tous  les  jours.  Le 


{{)  CnnoNicoR.  Caroli  VI,  lib.  XXXVI,  c.  17,  p.  600-608.  —  Mansi,  t.  XXVII, 
p.  591-596.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  259-265.  —  V.  d.  IIardt,  t.  IV,  p.  ^J9.  —  Lkn- 
FANT,  1.  C.  t.  I,  p.  165,  sq. 

(2)  Mansi,  I.  c.  p.  597.  —  Hardouin,  I.  c.  p.  265.  —  Van  der  ITvrdt,  t.  ÏV, 
p.  102,  Ptc— -  Cf.  Dorj-iNGER,  Maiérialien.  t.  II,  p.  314,  iT. 


(17  AVRIL  ET  2   MAI   1415).  409 

9  avril,  l'assemblée  envoya  des  fondés  de  pouvoirs  au  cardinal- 
doyen  de  Viviers,  évêque  d'Ostie,pour  qu'il  continuât  à  expédier 
les  affaires  en  sa  qualité  de  vice-chancelier  de  la  cour  romaine. 
On  engagea  aussi  d'Ailly  à  procéder  sans  désemparer  contre  le 
wiclefisme  et  contre  Jean  Hus.  Viviers  répondit  qu'il  consentait 
à  signer  dejustitiày  c'est-à-dire  à  signer  les  décisions  de  droit, 
mais  qu'il  ne  pouvait  tenir  les  consistoires.  De  son  côté,  d'Ailly 
déclara  qu'il  en  référerait  au  concile  touchant  la  doctrine  de 
Wiclef,  mais  qu'il  ne  se  chargerait  point  d'instruire  son  procès  ; 
cette  affaire,  étant  de  la  compétence  des  juristes,  revenait  natu- 
rellement aux  cardinaux  Pilastre  et  Zabarella  * . 

La  mise  au  han  de  l'empire  du  duc  Frédéric  d'Autriche  eut 
pour  résultat  de  lui  aliéner  bon  nombre  de  ses  partisans  et  même 
son  frère  Ernest  "^y  ce  qui  ouvrit  aux  impériaux  les  portes  de 
presque  toutes  ses  villes  et  places  fortes,  y  compris  Schaffhouse. 
Les  Suisses  eux-mêmes,  malgré  la  trêve  de  cinquante  ans,  jurée 
avec  le  duc,  se  laissèrent  entraîner  à  prendre  les  armes  contre 
lui.  Six  cardinaux  furent  alors  contraints  de  quitter  Schaffhouse 
pour  revenir  à  Constance  (10  avril),  tandis  que  ce  jour-là  même, 
le  pape  Jean  quittait  Laufenbourg  pour  Fribourg  en  Brisgau,  d'où 
il  passa  le  16  avril  à  Brisach,  une  des  places  de  Frédéric  sur  le 
Rhin  \ 

Sur  ces  entrefaites  (11  avril),  les  délégués  des  nations  réunis 
en  assemblée  à  Constance  accordèrent  à  Jérôme  de  Prague  le 
sauf-conduit  qu'il  sollicitait,  discu  Lèrent  de  nouveau  la  question  des 
lettres  circulaires  aux  princes  chrétiens  et  élaborèrent  plusieurs 
résolutions  relatives  aux  négociations  avec  le  pape.  Ainsi,  d'après 
l'un  des  projets,  chaque  nation  devait  nommer  quatre  commis- 
saires que  le  pape  adjoindrait  à  ses  propres  conseillers  comme 
procurateurs  dans  l'affaire  de  la  cession. 

Dans  une  seconde  séance,  le  13  avril,  on  critiqua  les  clauses  in- 
sérées par  le  pape  dans  ses  offres  de  cession.  Outre  les  garanties 
nécessaires  à  sa  sûreté,  il  réclamait  le  silence  absolu  sur  tous  ses 
agissements  antérieurs  et  postérieurs  à  l'abdication, et  il  voulait 
de  plus  le  titre  de  cardinal  et  de  légat  apostolique  en  Italie  avec 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  104-106.  —  Mansi,  1.  c.  p.  597,  etc.  —  Hard.  1.  c 
p.  265,  etc. 

(2)  Mansi  reproduit  une  lettre  du  concile  à  l'adresse  de  ce  prince  (t.  XXVIIÎ, 
p.  33). 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  105-113. 


410  SIXIÈME  ET   SEPTIÈME    SESSIONS    DU   CONCILE 

les  pouvoirs  les  plus  étendus.  Le  comtat  Venaissin  devait  aussi 
lui  payer  30,000  florins  par  an.  Les  députés  furent  d'avis  que  le 
pape  ferait  sagement  de  vivre  sans  bruit  à  l'avenir,  en  se  conten- 
tant du  train  d'un  cardinal.  A  l'égard  des  30,000  florins,  quel- 
qu'un proposa  de  lever  une  dîme  générale,  et  d'acheter  par  ce 
moyen  aux  Vénitiens,  aux  Florentins  et  aux  Génois  une 
rente  annuelle  équivalente  à  cette  somme.  Mais  on  éleva  de 
toute  part  des  difficultés,  et  l'affaire  ne  reçut  pas  de  solution 
définitive.  On  défendit  aux  prieurs  des  ordres  mendiants  de 
quitter  le  concile  sous  n'importe  quel  prétexte,  par  exemple, 
pour  la  tenue  d'un  chapitre  général ,  et  l'on  arrêta  définiti- 
vement le  texte  de  la  circulaire  aux  princes  chrétiens  [Decet  ea) 
tel  qu'il  devait  être  adopté  à  la  séance  suivante  ^  Enfin 
Sigismond,  pour  étouffer  toute  velléité  de  départ,  déclara  sans 
valeur  les  saufs -conduits  qu'il  avait  accordés  ^. 

Le  15  avril  1415,  le  concile  perdit  un  de  ses  membres  les  plus 
éminents,  le  Grec  Manuel  Ghrysoloras,  que  le  cardinal  Zabarella 
avait  amené  à  Constance  :  c'était  l'un  des  restauratsurs  des  études 
classiques  en  Occident;  on  l'inhuma  dans  le  couvent  des  Domi- 
nicains à  Constance,  oîi  l'on  voit  encore  son  tombeau  bien  con- 
servé, malgré  la  transformation  du  monastère  en  fabrique. 

Le  cardinal  de  Viviers,  en  sa  qualité  de  doyen  du  sacré  collège 
et  d'évêque  d'Ostie,  présida  la  sixième  session  générale  (17  avril), 
ainsi  que  toutes  celles  qui  suivirent,  jusqu'à  l'élection  de  Martin  V. 
Ce  fut  dans  cette  session  que  Ton  adopta  la  formule  d'abdication 
élaborée  par  une  commission  choisie  dans  les  quatre  nations, 
et  qui  devait  être  proposée  au  pape.  Aux  termes  de  cet  actes 
celui-ci  se  serait  engagé  à  nommer  de  nouveaux  procurateurs  dans 
de  telles  conditions  qu'il  eût  suffi  de  deux  d'entre  eux,  munis  de 
pleins  pouvoirs,  pour  qu'ils  abdiquassent  validement  en  son  nom, 
même  à  l'insu  et  contre  le  gré  de  leurs  collègues  (ce  qui  était 
manifestement  inacceptable).  Le  pape  aurait  de  plus  renonce 
absolument  au  droit  de  retirer  à  aucune  époque  ces  pleins  pou- 
voirs une  fois  donnés.  La  désignation  de  ces  procurateurs  ne  lui 
aurait  même  pas  été  entièrement  abandonnée.  Le  concile  aurait 


(1)  Ma 
t.  IV,  p. 


MANsr,  t.  XXVII,  p.  598-603.  —  Haud.  1.  c.  p.  266-272.  —  V.  d.  IlAnDT, 
p.  106,  sqq.  et  125;  t.  II,  p.  403. 
(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  112.  —  Hôfleu,  GerchichLschr.  2«  part.  p.  264.— 
Documenta  M.  Joan.  Eus,  1869,  p.  543. 


(17    AVRIL   lïT    2    MAI    1415).  411 

élu  dans  chaque  nation  un  certain  nombre  de  prélats,  parmi  les- 
quels le  pape  aurait  eu  le  droit  de  choisir,  en  en  prenant  au  moins 
huit,  c'est-à-dire  deux  par  nation.  On  laissait  au  pape  le  droit 
d'ajouter  d'autres  procurateurs  à  ces  premiers. 

Une  dépulation  dont  faisaient  partie  Zabarella  et  Filastre  fut  en- 
suite envoyée  au  pape,  pour  lui  demander  d'agréer  cette  formule 
et  le  prier  de  revenir  à  Constance  ou  d'aller  s'établir  à  Ulm,  à 
Ravensbourg  ou  à  Bâle,  à  l'effet  de  poursuivre  les  négociations 
entamées.  On  lui  donnait  deux  jours  pour  se  décider  entre  ces  di- 
verses résidences  et  dix  pour  se  rendre  à  celle  qu'il  aurait  choisie  ; 
ce  délai  passé,  on  procéderait  contre  lui  comme  fauteur  de 
schisme  et  suspect  d'hérésie.  Les  poursuites  devraient  être  sus- 
pendues jusqu'à  l'arrivée  de  sa  réponse,  et  même  complètement 
éteintes  s'il  acquiesçait  aux  prières  qui  lui  étaient  adressées  ^ . 

Ce  fut  aussi  dans  cette  session  qu'on  expédia  les  lettres  du 
concile  à  toute  la  chrétienté,  à  l'université  de  Cologne  et  autres, 
concernant  la  fuite  du  pape  ^,  et  qu'on  délégua  de  nouveaux  com- 
missaires à  l'examen  de  l'affaire  de  Hus;  c'étaient  :  pour  la  nation 
italienne,  l'archevêque  de  Raguse,  pour  la  nation  allemande,  l'évê- 
que  deSchleswig;  pourlanationfrançaise,  maître  UrsinTalavanda; 
pour  la  nation  anglaise,  le  docteur  en  théologie  Wilhem  Corne. 
Ils  reçurent  mission  d'informer,  puis  de  poursuivre  jusqu'au  juge- 
ment définitif  inclusivement^.  Le  mandat  des  commissaires  en 
charge  jusqu'alors  pour  l'affaire  Jean  Hus,  d'Ailly,  Filastre  et 
Zabarella,  n'était  pas  aussi  étendu.  Ils  durent  communiquer  à 
leurs  nouveaux  [collègues  les  dossiers  qu'ils  avaient  rédigés  re- 
lativement à  la  condamnation  des  livres  et  sentences  de  Wiclef, 
par  les  universités  de  Paris,  de  Prague  et  d'Oxford,  à  la  con- 
damnation de  sa  personne  elle-même,  et  à  la  confirmation  de  la 
sentence  portée  par  le  récent  concile  de  Rome  contre  lesdits 
ouvrages.  A  cette  affaire  se  rapportait  celle  de  Jérôme  de 
Prague,  auquel  on  avait  à  la  vérité  accordé  le  sauf-conduit  qu'il 

(1)  Van  der  Hardt,  t.  IV,  p.  114,  116,  sqq.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  606,  sqq. 
690,  sq.  —  Hardouin,  t.  VIII^  p.  275,  etc.  279,  sqq.  —  Chronigor.  Caroli  VI, 
lib.  XXXVI,  c.  19.  —  Maetène,  Thés.  t.  II,  p.  1629,  sqq.— Hôfler,  Geschichts. 
t.  II,  p.  269,  275.  —  Docum.  eic.  p.  545-547.  Cf.  la  lettre  de  Pierre  de  Pulka, 
député  de  l'Université  de  Vienne ,  dans  les  Archives  pour  Vétude  de  l'histoire 
d'Autriche,  t.  XV,  p.  16,  sqq. 

(2)  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1626,  f. 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  610,  etc.  —  Hardouin,  t.  VIII,  p.  280.  —  Chronicor 
1.  c.  p.  624.  Dans  ces  deux  auteurs,  au  lieu  de  Cameracensis  tituli  S.  Marci 
il  faut  lire  Cameracensis  et  tituli  S.  Marci,  ce  qui  désigne  d'Ailly  et  Filastre 


412  SIXIÈME   ET  SEPTIÈME  SESSIONS  DU   CONCILE 

réclamait,  mais  qui  s'était  engagé  en  retour  à  comparaître  et  à 
se  défendre  devant  le  concile  dans  un  délai  de  quinze  jours, 
parce  que  l'assemblée  avait  hâte  «  de  prendre  les  renards  qui 
dévastaient  la  vigne  du^Seigneur.  »  Le  concile  déclara,  pour  plus 
de  précision,  que  le  sauf-conduit  était  destiné  à  garantir  des 
violences  illégales,  mais  nullement  des  poursuites  judiciaires. 
Enfin  le  texte  de  la  fameuse  lettre  circulaire  à  la  chrétienté 
ayant  été  définitivement  adopté  et  tout  écrit  attentatoire  à  l'hon- 
neur des  personnes  présentes  à  Constance  rigoureusement  pro- 
hibé, on  donna  lecture  de  quelques  lettres  de  l'université  de 
Paris  ^ .  La- première  pressait  les  députés  de  l'université  au  concile 
de  s'employer  au  rétablissement  de  l'unité  dans  l'Église,  etc.  La 
deuxième,  datée  du  2  avril,  dans  la  séance  ad  S.  Bernardum,  était 
adressée  aux  membres  de  la  nation  italienne,  et  les  engageait  à 
rester  à  Constance  et  à  agir  sur  le  pape  en  vue  de  son  retour  ^. 
Remarquons  ici  que  la  Chronique  de  Saint-Denis,  dans  laquelle 
ces  lettres  sont  insérées,  ne  fait  arriver  celle-ci  que  le  21  avril  à 
Constance  (Le.  p.  640),  tandis  qu'elle  mentionne  la  première, 
qui  portait  la  même  date,  comme  ayant  été  lue  à  la  sixième 
session  générale  du  17  (p.  630).  Il  y  a  encore  une  autre  diffi- 
culté dans  son  récit,  à  propos  de  Benoit  Gentian,  qui  aurait  lu  dans 
la  même  session  (17  avril)  une  lettre  [Pacis  zelus)  de  l'université 
de  Paris.  A  la  vérité,  la  Chronique  n'en  donne  pas  le  texte,  mais 
on  le  trouve  dans  Bulseus  et  Yan  der  Hardt  ^  ;  c'est  en  résumé, 
un  appel  à  la  concorde,  etc.  Van  der  Hardt,  d'après  la  leçon 
de  plusieurs  manuscrits,  date  cette  lettre  du  2  avril,  dans  la 
séance  «  apud  S.  Martinum,  «  et  non  «  apud  S.  Bernardum  ;  » 
Bulée,  au  contraire,  et  avec  plus  de  raison,  dit  qu'il  faut  lire 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.610-616  —  Hard.  t.  VIII,  p.  281-285.— V.  d.  IlAnDT 
t.  IV,  p.  118-129  et  133.  (II  y  a  deux  pages  qui  portent  le  chiffre  133,  c'est 
de  133  bis  que  nous  voulons  parler.)  Çhronicor.  CaroliVI,  lib,  XXXVI,  c.20, 
22  et  24. 

(2)  Pierre  de  Pulka,  député  de  l'Université  de  Vienne,  raconte  qu'on  avait 
aussi  écrit  de  Paris  au  duc  Frédéric  d'Autriche;  mais  que  cette  lettre  n'avait 
pas  été  lue  à  Constance.  L'Université  de  Paris  avait  en  outre  communiqué 
les  copies  des  bulles  pontificales  adressées  aux  ducs  de  Béthune  et  d'Or- 
léans, au  roi  de  France  et  à  Venceslas  de  Bohême,  ainsi  que  d'autres  docu- 
ments. Dans  ces  pièces,  le  pape  qualifiait  Venceslas  de  roi  des  Romains,  et 
affirmait  que  les  craintes  les  plus  vives,  justifiées  par  les  prétentions  exces- 
sives du  concile,  l'avaient  contraint  de  prendre  la  fuite.  Enfin  il  se  répan- 
dait en  plaintes  amères  contre  Sigismond,  le  patriarche  d'Antioche  etl'évèque 
de  Salisbury. 

(3)  BuL^us,  Hist.  univers.  Paris,  t.  V,  p.  283.—  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  123. 


(17  AVEIL  EX  2   MAI  1415).  413 

«  aptid  S.  Mathurinum^  »  le  14  avril  *.  On  trouve  la  même  date 
(14  avril)  dans  une  lettre  pleine  de  louanges  et  de  félicitations 
adressée  par  l'université  de  Paris  au  roi  Sigismond;  Pierre  de 
Pulka  nous  apprend  que  ce  même  prince  et  le  concile  étaient 
jugés  ailleurs  d'une  façon  bien  différente  2. 

On  peut  se  rendre  compte  des  extrémités  et  des  violences  aux- 
quelles se  livraient  certains  esprits  à  Constance,  par  la  motion  que 
l'on  fit  à  la  sixième  session  d'interdire  au  pape  et  aux  cardinaux 
toute  participation  aux  délibérations  conciliaires,  sous  prétexte 
que  c'était  principalement  sur  leur  conduite  que  devaient  porter 
les  décrets  de  réforme  ^ .  Luther  devait  plus  tard  exprimer  les 
mêmes  vœux,  et  il  est  fâcheux  que  le  nom  de  celui  qui  les  formula 
avant  lui  à  Constance  ne  soit  pas  mieux  connu,  car  il  aurait  cer- 
tainement figuré  parmi  les  précurseurs  de  la  réforme.  Cette 
proposition  n'eut  d'ailleurs  d'autre  résultat  que  d'amener  les 
cardinaux  à  présenter  le  lendemain  aux  nations  réunies  une 
série  de  thèses  favorables  au  Saint-Siège  et  au  sacré-collége  et 
destinées  à  combattre  celles  qui  exaltaient  le  plus  déraisonna- 
blement les  pouvoirs  du  concile.  La  congrégation  des  quatre 
nations  jugea  néanmoins  nécessaire  d'introduire  dans  la 
plupart  de  ces  dernières  thèses  des  clauses  restrictives;  ainsi, 
à  cette  proposition  :  «  de  même  que  l'Église  romaine  est 
la  tête  de  l'Église  catholique,  elle  est  aussi  la  tête  du  concile 
général,  »  les  Pères  ajoutèrent  cette  observation  :  «  Hoc  est 
verum  in  aliquo  concilio,  maxime  cum  agitur  ad  elidendum 
aliquem  errorem  contra  catholicam  fidem...;  ubi  autem  agitur  de 
schismate  tollendo  in  Romana  Ecdesia  quod  -per  cardinales  ortum 
habuitj  et  in  similibus,  ibi  non  habet  locum  *. 

Les  nouvelles  discussions  qu'amena  le  décret  de  la  sixième  ses- 
sion sur  la  question  de  Wiclif  et  de  Hus,  conduisirent  naturelle- 
ment à  se  demander  de  qui  émanerait  la  condamnation  prévue  ; 
serait-ce  du  pape,  du  concile,  ou  des  deux  à  la  fois?  Le  cardinal 
d'Ailly  fut  d'avis  que  le  concile  devait  seul  prononcer  l'anathème, 
sans  qu'il  fût  question  du  pape,  et  l'on  nomma  une  commission  de 


(1)  Il  n'est  cependant  pas  très-vraisemblable  que  l'Université  de  Paris  ait 
tenu  le  même  jour  (2  avril)  deux  séances  dans  deux  endroits  différents. 

(2)  Archives  pour  l'étude  de  l'histoire,  etc.  t.  XV,  p.  18. 

(3)  V.  D.  Haedt,  t.  II,  p.  285;  t.  IV,  p.  120,  etc.  —  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  24. 

(4)  V.  B.  Hardt,  1.  c.  t.  II,  p.  288;  t.  IV,  p.  135.  (Les  numéros  133-140  incl. 
reviennent  deux  fois  dans  ce  volume  de  Van  der  Hardt;  c'est  la  première 
pagination  que  nous  désignons  ici.) 


414  SIXIEME   ET   SEPTIEME   SESSIONS   DU   CONCILE 

quarante  maîtres  en  théologie  des  quatre  nations  pour  examiner 
celte  affaire.  Le  projet  de  d'Ailly  n'eut  que  douze  voix,  toutes  les 
autresfurent  contrelui,  par  ce  motif  que  le  concile  général,  n'ayant 
par  lui-même  aucune  autorité,  ne  recevait  la  sienne  que  de  la  tète 
de  l'Église  {ex  capite),  et  qu'en  conséquence  ce  n'était  point  à  lui 
à  prononcer  «  souverainement  »  [principale],  mais  à  cette  tête 
elle-même  avec  le  consentement  du  concile.  Lorsqu'au  cours  de 
la  discussion  d'Ailly  avança  cette  proposition  :  «  Le  concile  est 
au-dessus  du  pape  et  peut  le  déposer,  »  il  rencontra  des  déné- 
gations presque  unanimes;  il  la  maintint  toutefois  et  voulut  la 
renouveler  devant  le  concile  ;  mais,  prévoyant  qu'on  se  servirait 
de  cette  démarche  pour  l'accuser  auprès  du  souverain  pontife, 
il  crut  bon  d'y  joindre  une  petite  apologie  personnelle.  Il  l'inséra 
aussi  dans  son  grand  ouvrage  De  ecclesiastica  potestate,  qu'il 
adressa  au  concile  dans  l'automne  de  l'année  suivante  ^  Ces 
dispositions  de  bienveillance  à  l'égard  du  pape,  très-rares  chez 
les  Pères  de  Constance,  se  retrouvent  plus  accentuées  encore 
chez  le  patriarche  d'Antioche,  jusque-là  le  principal  adversaire 
de  Jean  XXIII  et  son  ennemi  le  plus  redouté  ;  le  patriarche  prit 
le  parti  du  Saint-Siège  contre  d'Ailly.  Il  soutint  dans  une  disser- 
tation les  deux  thèses  suivantes  :  le  pape  n'est  pas  au-dessous  du 
concile  général;  les  décrets  du  concile  doivent  être  promulgués  au 
nom  du  pape  ^,  et,  comme  à  cette  date  (19  avril),  les  députés  ^ 
envoyés  à  Jean  XXIII  n'avaient  pas  encore  reçu  leurs  instruc- 
tions, il  profita  de  cette  occasion  pour  les  prier  de  remettre  au 
souverain  pontife  l'exposé  de  ses  opinions  sur  la  matière.  Cette 
conduite  lui  attira  plus  tard,  quand  elle  fut  connue,  les  plus 
amers  reproches,  surtout  de  la  part  de  d'Ailly,  qui  l'accusa  for- 
mellement d'avoir  par  là  détourné  le  pape  de  toute  idée  de  rap- 
prochement et  précipité  la  catastrophe.  Quoi  qu'il  en  soit,  d'Ailly 
crut  devoir  insérer  dans  son  traité  De  ecclesiastica  potestate  une 
réfutation  spéciale  de  l'écrit  dont  nous  venons  de  parler  ■*. 
Cependant  la  députation  du  concile  alla  trouver  le  pape  à, 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  136  ;  t.  VI,  p.  61,  etc. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  Il,  p.  295  ;  t.  IV,  p.  138,  etc.  —  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  Si. 

(3)  Mansi,  1.  c.  p.  618.—  IIârd.  t.  VIII,  p.  288.—  V.  d.  IUrdt,  t.  IV.  p.  140. 

(4)  V.  I).  Hardt,  1.  c.  p.  139;  t.  VI,  p.  fi'i,  c(c. 


(17   AVRIL  ET    2   MAI   1415).  415 

Brisach;  le  premier  jour,  Jean  XXIII  prétexta  une  indisposition 
pour  ne  pas  accorder  d'audience  aux  députés;  le  second,  il  con- 
sentit à  les  recevoir,  et  leur  promit  une  réponse;  mais  le  25 avril, 
sans  leur  en  donner  avis,  il  partit  de  grand  matin  pour  Neuen- 
bourg,  à  quelques  milles  au  sud  de  Brisach,  et  également  sur  le 
Rhin.  Son  intention  était  de  gagner  Avignon  par  la  Bourgogne, 
et  il  avait  déjà  entamé  des  négociations  à  cet  effet  avec  Jean  sans 
Peur  ;  mais  celui-ci,  menacé  par  le  concile,  ne  voulut  pas  y  donner 
suite,  et  se  retira  d'autant  plus  promptement  que  ses  relations 
avec  Jean  Petit,  apologiste  du  tyrannicide,  le  faisaient  soupçonner 
d'hérésie  ^  Enfin,  pour  comble  de  malheur,  l'empereur  avait 
réuni  de  grands  corps  de  troupes  sur  les  bords  du  Rhin,  ce  qui 
rendait  impossible  le  passage  de  ce  fleuve,  et  les  habitants  de  Bâle 
menaçaient  d'attaquer  la  faible  place  de  Neuenbourg.  Le  pape 
n'eut  rien  autre  chose  à  faire  que  de  rentrer  en  toute  hâte  à 
Brisach  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  les  députés  du  concile,  revenant  à  Constance, 
eurent  une  entrevue  à  Fribourg  avec  le  duc  Louis  de  Bavière  In- 
golstadt,  frère  de  la  reine  de  France.  Ce  prince  était  en  pourparlers 
avec  le  duc  Frédéric  d'Autriche,  et  s'efforçait  de  l'amener  à  se  sou- 
mettre à  l'empereur  et  au  concile.  Il  y  réussit  si  bien  que  non- 
seulement  le  duc  promit  de  revenir  lui-même  à  Constance,  mais 
qu'il  offrit  d'y  faire  revenir  le  pape,  et  même  de  concourir  à  son 
arrestation.  La  persuasion  ou  la  crainte  décida  en  effet  Jean  XXIII 
à  quitter  Brisach  pour  Fribourg,  où  il  eut  denouvelles  conférences 
avec  les  députés  du  concile  (27,  28  et  29  avril  1415)  ^.  Il  s'engagea 
à  déléguer  les  pouvoirs  demandés  pour  l'abdication,  à  la  condi- 


(1)  Voir  la  réponse  du  duc  au  concile  dans  Mansi,  t.  XXVII,  p.  710,  etc., 
et  t.  XXVIII,  p.  740.  On  la  lut  à  Constance  vers  la  fin  de  mai.  Dans  une  se- 
conde lettre  (Mansi,  t.  XXVIII,  p.  39),  il  cherche  à  se  défendre  contre  Louis 
de  Bavière,  qui  l'accusait  de  vouloir  tendre  des  embûches  à  Sigismond,  s'il 
se  rendait  à  Nice. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  619.  —  Theod.  de  Niem,  dans  Van  deb  Hardt,  t.  II, 
p.  401,  etc.  (C'est  par  erreur  que  Théodore  de  Niem  fait  partir  en  même 
temps  le  pape  de  Nuenbourg  pour  Fribourg.)  Hôfler,  Geschichtschr.  2«  part, 
p.  269.  —  Documenta,  p.  545,  etc. 

(3)  D'après  Pierre  de  Pulka,  les  Fribourgeois  auraient  été  très-effrayés  de 
voir  arriver  le  pape  et  le  duc  de  Bavière,  persuadés  que  ce  dernier  venait 
assiéger  leur  ville;  le  duc  les  aurait  rassurés  à  cet  égard.  Le  4  mai,  le  bruit 
aurait  couru  dans  Constance  que  le  pape  avait  tenté  de  fuir  encore,  mais 
qu'on  l'avait  arrêté,  sous  des  vêtements  d'emprunt,  dans  une  maison  infâme 
(preuve  manifeste  de  la  haine  qu'on  nourrissait  contre  lui  à  Constance!) 
Archives,  etc.  t.  XV,  p.  22. 


416  SIXIEME   ET  SEPTIEME  SESSIONS  DU   CONCILE 

tion  toutefois  que  l'acte  n'en  serait  pas  remis  immédiatement  au 
concile,  mais  au  comte  Berthold  des  Ursins  jusqu'au  règlement 
définitif  des  dédommagements  auxquels  la  cession  lui  donnerait 
droit  ;  puis  aux  procurateurs  du  concile  il  en  adjoignit  trois  autres  : 
l'archevêque  de  Reims,  l'évêque  de  Garcassonne,  et  le,  professeur 
de  théologie  Jean  Dacher,  tous  Français.  Enfin  il  se  laissa  si  bien 
circonvenir  par  Filastre  et  Zabarella  qu'il  consentit  à  offrir  sa  dé- 
mission, alors  même  que  ses  compétiteurs  Grégoire  XII  et  Be- 
noît XIII  refuseraient  d'imiter  sa  conduite.  Ce  fut  l'engagement 
qu'il  prit  dans  un  nouvel  acte  du  29  avril,  aux  termes  duquel 
«  il  devait  résigner  ses  pouvoirs,  même  dans  ce  cas,  aussitôt  que 
le  concile  général  réuni  à  Constance  lui  aurait  assuré  des  dédom- 
magements acceptables,  ainsi  que  cela  avait  été  convenu  entre 
lui  et  les  susdits  cardinaux  » .  Le  pape  y  stipula  expressément 
qu'on  n'exercerait  aucune  poursuite  contre  le  duc  Frédéric  d'Au- 
triche ^ .  La  conduite  de  ce  dernier  n'avait  pas  été  aussi  géné- 
reuse. 

Après  avoir  obtenu  ces  résultats,  les  députés  revinrent  à  Cons- 
tance, où  l'on  avait  fait  durant  ce  temps  des  processions  solen- 
nelles et  des  prières  publiques  pour  la  pacification  de  l'Église  ^> 
et  présentèrent  au  concile  un  rapport  auquel  nous  sommes  rede- 
vables de  tous  les  détails  que  nous  venons  de  donner  ^.  Le 
30  avril,  le  duc  Frédéric  vint  lui-même  à  Constance  implorer 
son  pardon.  Le  lendemain  (1"  mai),  Jérôme  de  Prague  fut  cité  pour 
la  seconde  fois  à  comparaître  devant  le  concile,  bien  que  l'on 
n'ignorât  point  à  Constance  que,  dans  sa  fuite  vers  la  Bohême,  il 
avait  été  arrêté,  pour  injures  envers  le  concile,  à  Hirschau  dans 
le  Haut-Palatinat  (près  de  Amberg  en  Bavière),  dès  le  23  avril. 
Le  duc  Jean  de  Bavière  avait  écrit  à  ce  sujet  en  joignant  à  sa. 
missive  les  lettres  de  nobles  bohémiens  qu'on  avait  saisies  sur 
Jérôme.  Cette  démarche  souleva  chez  eux  des  accusations  in- 
justes; ils  prétendirent  qu'on  avait  refusé  d'entendre  Jérôme  et 
de  lui  donner  un  sauf-conduit;  cependant  Sigismond  fit  parvenir 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  621-623.  —  V.  d.  Hauûx,  t.  II,  p.  402,  etc.  ;  t.  IV, 
p.  135-137  et  139  bis. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  135,  et  Pierre  de  Pulka,  Archives,  etc.  p.  20.  Ou 
trouve  dans  les  œuvres  de  Gerson  un  sermon  qu'il  prononça  à  celte  occa- 
sion sur  les  qualités  et  le  mérite  de  la  prière;  éd.  Dapiu.'t.  III,  p.  2G9.  — 
Mansi,  t.  XXVIII,  p.540. 

(3)  Mansi,  t.  XXVIl,  p.  620,  etc. 


(17    AVRIL   ET   2    MAI    14Î5),  417 

ces  documents  au  pape,  et  ordonna  d'amener  l'accusé  devant  le 
concile  ^ 

Vers  le  même  temps  (28  avril  1415),  le  roi  Ferdinand  d'Aragon 
écrivit  deux  lettres  à  l'empereur  pour  le  presser  d'agir  à  la  fois 
contre  le  pape  Jean  XXIll  et  contre  Jean  Hus;  pour  Ferdinand, 
un  sauf-conduit  n'avait  pas  le  pouvoir  de  soustraire  son  posses- 
seur à  un  châtiment  mérité  ^. 

Très-peu  de  temps  avant  la  septième  session,  on  formula 
contre  les  cardinaux  de  nouvelles  plaintes,  à  la  suite  desquelles 
il  leur  fut  notifié,  dans  la  matinée  du  2  mai,  qu'ils  n'auraient  plus 
de  voix  spéciale  en  qualité  de  membres  du  sacré-coUége,  mais 
qu'ils  voteraient  avec  leurs  nations  respectives,  selon  le  droit 
commun.  Ils  demandèrent  la  faveur  d'être  au  moins  assimilés  à 
la  nation  anglaise,  qui  ne  se  composait  que  de  vingt  membres 
dont  trois  prélats  seulement  (les  cardinaux  étaient  seize),  et  de 
former  ainsi  comme  une  cinquième  nation  disposant  d'une  voix,  à 
l'exemple  des  autres;  mais  cette  rôclamtition  ne  fut  pas  accuillie  ^  ; 
puis  on  ouvrit  immédiatement  la  septième  session,  présidée, 
cette  fois  encore,  par  le  cardinal  de  Viviers  (2mai  1415).  Le  promo- 
teur, maître  Henri  Piro  de  Cologne,  accusa  Jérôme  de  Prague  de 
désobéissance  obstinée,  pour  n'avoir  pas  comparu  après  des  cita- 
tions réitérées;  en  conséquence,  il  réclama  du  concile  l'autorisa- 
tion, qui  lui  fut  octroyée,  de  poursuivre  le  contumace,  et  de  rendre 
compte  à  la  prochaine  session  de  la  marche  du  procès.  Après  quoi, 
il  passa  à  la  seconde  motion,  aux  termes  de  laquelle  le  pape  Jean, 
nonobstant  ses  récentes  concessions,  devait  être  assigné,  dans 
toutes  les  formes  juridiques,  devant  le  saint  concile,  et  à  cet  effet 
le  promoteur  demanda  à  l'empereur  et  aux  Pères  les  garanties 
les  plus  étendues  pour  Sa  Sainteté.  Cette  proposition  fut  adoptées 
le  sauf-conduit  accordé  et  le  souverain  pontife  cité  avec  ses  adhé- 
rents^. Le  décret  d'assignation  l'accusait  d'hérésie  notoire,  de 
complaisance  pour  le  schisme,  de  simonie  et  de  dilapidation  des 

(1)  Pierre  DE  PuLKA,  Archiv.  S  20.  —  Van  der  Hardt,  t.  IV,  p.  134,  139, 
216. 

(2)  DôLLiNGER,  Documents,  etc.  2^  part.  p.  317.  —  Hôfler,  Geschichlschr 
1^^  partie,  p.  173-175.  —  Documenta,  p.  539,  etc. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  139  bis,  etc. 

(4)  On  mentionna  encore  formellement  à  cette  occasion  que  le  sauf-con- 
duit ne  s'appliquerait  qu'aux  poursuites  illégales,  et  nullement  à  celles  qui 
seraient  exercées  dans  les  règles.  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  145. —  aIansi,  t.  XXVII 
p.  627. 

T  X.     27 


418  HUITIÈME   SESSION   GÉNÉRALE    (4    MAI    1415). 

deniers  ecclésiastiques,  ainsi  que  d'inconduile  et  d'opiniâtreté, 
et  ne  lui  accordait  qu'un  délai  de  neuf  jours  pour  se  présenter,  à 
peine  de  suspense  et  de  déposition.  La  session  suivante,  où  l'on 
devait  s'occuper  des  affaires  de  Wiclif,  fut  fixée  au  4  mai  * . 

§  752. 

HUITIÈlME   session   générale    (4    MAI    1415).    CONDAMNATION 
DE   WIGLEF   ET    DE   SES   ÉCRITS. 

■  Dans  l'intervalle,  le  3  mai,  arrivèrent  à  Constance  des  envoyés 
de  l'archevêque  de  Mayence  :  car  ce  fidèle  ami  de  Jean  XXIII, 
qui  avait  quitté  le  concile  après  la  fuite  du  pape,  commençait  à 
concevoir  certaines  inquiétudes,  et  il  espérait  que  cette  démarche 
serait  de  quelque  utilité  pour  sa  cause  et  celle  du  souverain  pon- 
tife ^.  Cependant  le  4  mai  au  matin,  avant  l'ouverture  de  la  hui- 
tième session  générale,  on  appela  encore  une  fois  les  partisan 
de  Wiclif,  et,  personne  ne  s'étant  présenté,  la  session  fut  ouverte 
Le  patriarche  d'Antioche  dit  la  messe,  et  l'évêque  de  Toulon 
prêcha  sur  le  texte  de  S.  Jean  :  «  Le  Saint-Esprit  vous  enseignera 
toute  vérité  »  (ch.  xvi,  v.  13),  d'où  il  prit  occasion  pour  déclamer 
violemment  contre  le  pape  :  le  cardinal  de  Viviers  présidait;  huit 
autres  cardinaux  assistaient  aussi  à  la  séance,  ainsi  que  l'empe- 
reur Sigismond  en  grande  pompe.  Les  fonctions  de  présidents  et 
vice-présidents  des  nations  étaient  remplies  par  Jean,  évêque 
de  Leitomysl  pour  l'Allemagne,  Antoine  évêque  de  Concordia 
pour  l'ItaKe,  Vitalis  évêque  de  Toulon  pour  la  France,  et  Guil- 
laume abbé  d'York  pour  l'Angleterre.  Les  procureurs  du  concile, 
Henri  Piro  et  Jean  de  Scribanis,  demandèrent  que  les  sectateurs 
de  Wiclif  n'ayant  pas  comparu  fussent  pour  ce  fait  déclarés  et 
proclamés  hérétiques  opiniâtres,  puisqu'il  était  constant  que  Wi- 
clif avait  persévéré  dans  l'hérésie  jusqu'à  sa  mort;  qu'en  outre 
sa  mémoire  et  son  enseignement,  spécialement  les  quarante-cinq 
et  les  deux  cent  soixante  articles,  fussent  solennellement  ré- 
prouvés par  les  quatre  prélats  représentant  en  cette  circonstance 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  140-148.  —  Manst,  t.  XXVII,  p.  623,  etc.—  Hard. 
t.  VIII,  p.  289,  etc.  —  Chronicor.  Caroli  YI,  lib.  XXXVI,  p.  640. 

(2)  V.  D.  Haudt,  t.  IV,  p.  148. 

(3)  V.  D.  Habdt,  t.  IV,  p.  148. 


CONDAMNATION  DE  WICLEF  ET  DE  SES  ÉCRITS.         419 

les  quatre  nations  et  agissant  pour  elles;  enfin  que  ses  restes 
fussent  exhumés  ^  Avant  de  commencer  les  poursuites,  l'arche- 
vêque de  Gênes  lut  à  haute  voix  le  symbole  du  douzième  con- 
cile général  {Firmiter  credimus,  etc.),  et  tous  les  membres 
présents,  y  compris  l'empereur,  ayant  afiQrmé  la  conformité  de 
leur  foi  avec  cette  confession  ^,  il  lut  le  projet  de  décret  [Fidem 
catholicam),  soumis  à  la  décision  du  concile.  Ce  projet,  après 
avoir  énuméré  ^  les  quarante-cinq  articles  de  Wiclef,  conti- 


(1)  Mansi,  t.  XXYII,  p.  629,  etc.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  149-152.—  Hard. 
t.  VIII,  p.  296,  etc.  —  Chromcor.  I.  c.  lib.  XXXVI,  c.  25  et  27. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  630.  —  Hard.  ].  c.  p.  297.  —  Chronic.  lib.  XXXVI,  c.  26. 

(3)  En  voici  la  teneur  :  1°  Substantia  panis  materialis  et  similiter  substantia 
vint  materialis  manent  in  sacramento  altaris;  2°  accidentia  panis  non  manent 
sinesubjecto  in  eodem  sacramento  ;  3°  Christus  non  est  in  eodem  sacramenio  iden- 
tice  et  realiter  in  propria  prœsentia  corporali;  4°  si  episcopus  vel  sacerdos  est  in 
peccato  mortali,  non  ordinat,  non  conficit,  non  consecrat,  non  baptizat;  5°  7iO}i 
est  fondation  in  Evangelio,  quod  Christus  missam  ordinaverit  ;  6°  Deus  débet 
obedire  diabolo;  1°  si  homo  debiti  fuerit  contritus,  omnis  confessio  exterior  est  sibi 
super flua  et  inutilis;  8°  si  papa  sit  prœsciius  et  malus,  et  per  C07isequens  meynbrum 
diaboli,  non  habet potestatern  super  fidèles  ab  aliquo  sibi  datam^nisi  forte  a  Cœsare; 
9°  post  Urbanum  VI,  non  est  aliquis  recipiendus  in  papam,  sed  vivendum  est 
more  Grœcorum  sub  legibus  propriis;  10"  contra  Scripturam  sacram  est,  quod 
viri  ecclesiasiici  habeant  possessiones ;  11°  nullus  prœlatus  débet  aliquem  excom- 
municare,  nisi  prius  sciât  eum  excommunicatum  a  Deo;  et  qui  sic  excommunicat, 
fit  hœreticus  ex  hoc  vel  excommunicatus  ;  12°  prœlatus  excommunicans  clericum, 
qui  appellavit  ad  regem  et  ad  concilium  regni,  eo  ipso  traditor  est  régis  et  regni; 
13°  illi,  qui  dimittunt  prœdicare,  sive  verbum  Dei  audire,  propter  excommunica- 
tionem  hominum,  sunt  excommunicati,  et  in  die  judicii  traditores  Christi  habe- 
buntur;  14°  licet  alicui  diacono  vel  presbytero  prœdicare  verbum  Dei  absque  auc- 
toritate  Sedis  Apostolicœ  vel  episcopi  catholici;  15°  nullus  est  dorninus  civilis, 
nullus  est  prœlatus,  nullus  est  episcopus,  dum  est  in  peccato  mortali;  16°  domini 
temporales  possunt  ad  arbitrium  suum  aiiferre  bona  temporalia  ab   Ecclesia , 
possessionaiis  habitualiler  delinquentibus ,  id  est,  ex  habitu,  non  solo  actu  delin- 
que?itïàus;  \1°  populares  possunt  ad  suum  arbitrium  dominos  delinquentes ,  cor^ 
rigere;    18"  decimœ  sunt  pur œ  eleemosynœ,  et  parochiani  possunt  propter  peccata 
suorum  prœlatorum  ad  libitum  suum  eas  auferre;  19°  spéciales  orationes  applicatœ 
uni  personœ  per  prœlatos  vel  religiosos,  non  plus  prosunt  eidem,  quam  générales, 
cœteris  paribus;  20°    conferens  eleemosynam  fratribus  (moines  mendiants)  est 
excommunicatus  eo  facto;  21°  si  quisiïigreditur  Religionem  privutam  qvalemcunque, 
(ordre  de  moines  mendiants)  tam  possessionatorum  quammendicardium,  redditur 
ineptior  et  inhabilior  ad  observantiam  mandatorum  Dei;  22°  sancti  instiluentes 
religiones  privatas ,  sic  instituendopeccaverimt;  23°  religiosiviventesinreligionibus 
privatis,  non  sunt  de  religione  christiana;  2A°  fratres  tenentur per  labores  manunm 
victum  acquirere,  et  non  per  mendacitatem;  25°  omnes  sunt  simoniaci,  qui  seohli- 
gant  orare  pro  aliis  ,  eis  in  temporalibus  subvenientibus ;  26°  oralio  prœsciti  nulli 
valet  ;  27°  omnia  de  necessilate  absoluta  eveniunt;  28°  confirmatio  juvejium,  clerico- 
rumordinatio,  locorum  consecratio  reservantur papœ et  episcopis propter cupiditatem 
lucri  temporalis  et  honoris;  29°  universitales,  studia,  collegia,  gradualiones  et 
magisieria  in  eisdem  sunt  vana  genlilitate  intfoducta,  et  tantum  prosunt  Ecclesiœ 
sicul  diabolus;  30°  excommunicatio  papœ  vel  cujuscunque  prœlali  non  est  timenda, 
quia  est  censura  Antichristi;  31°  peccant  fundantes  claustra,  et  iiigredientes  sunt 
viri  diabolici;  32°  ditare  clerum  est  contra  Christi  inandaturn;  33°  Sylvester  papa 
et  Constaîitinus  imper ator  erraveruvt  Ecclesiam  dotando;  34°  omnes  de  ordine 


420  HUITIÈME   SESSION   GÉC^JERALIi    (4    MAI   1415). 

nuait  en  ces  termes  :  «  Wiclif  est  en  outre  l'auteur  du  Dialogue^ 
du  Trialogue  et  de  plusieurs  différents  traités  dans  lesquels  il  a 
inséré  ses  erreurs  et  un  grand  nombre  d'autres  et  semé  le 
scandale  et  l'impiété,  particulièrement  en  Angleterre  et  en  Bo- 
hême, Les  quarante-cinq  articles,  déjà  rejetés  au  point  de  vue 
doctrinal  par  les  universités  d'Oxford  et  dé  Prague,  ont  encore 
été  condamnés  par  les  archevêques  de  Gantorbéry,  d'York  et  de 
Prague,  légats  apostoliques;  ce  dernier  prélat  a  même  prononcé 
la  peine  du  feu  contre  tous  les  ouvrages  de  Wiclif.  Enfin  le  sou- 
verain pontife  a  dernièrement  réprouvé  les  mêmes  écrits  au 
concile  de  Rome,  etc.  Le  concile  actuellement  réuni  a  fait 
examiner  plusieurs  fois  lesdits  articles  par  des  cardinaux,  des 
évêques,  des  abbés,  des  maîtres  en  théologie  et  des  docteurs 
dans  l'un  et  l'autre  droit,  et  l'on  a  constaté  que  beaucoup  d'entre 
eux  sont  manifestement  hérétiques,  plusieurs  erronés,  d'autres 
scandaleux,  blasphématoires,  téméraires  et  offensant  les  oreilles 
pies  :  on  a  pu  s'assurer  en  outre  que  les  livres  de  Wiclif 
sont  remplis  d'articles  aussi  suspects  que  ceux-ci.  En  consé- 
quence, le  concile  confirme  les  sentences  des  archevêques  de 
Gantorbéry,  d'York  et  de  Prague,  ainsi  que  les  décrets  du  con- 
cile de  Rome,  condamne  les  quarante-cinq  articles,  le  Dialogue, 
le  Trialogue eiioiis  autres  écrits  de  WicHf,  défend  de  les  lire, 
commenter  ou  citer,  si  ce  n'est  pour  les  réfuter,  et  ordonne 
que  tous  ces  écrits  et  traités  seront  publiquement  ^  livrés  aux 

mendicantium  sunt  hœreiici,  et  dantes  eis  eleemosynam  sunt  excommunicalit 
35°  inqredientei  religionem  aut  aliquem  ordinem  eo  ipso  inhabiles  sunt  ad  obser- 
vandum  divina  prœcepta,  et  per  conseqiiens  perveniendi  ad  régna  cœlorum,  ni- 
apostaverint  ab  eisdem;  36°  Papacum  omnibus  dericis  suis  possessionem  habenli 
bus  sunt  hœretici,  eo  quod  possessionem  habent,  et  omnes  conse?ilientes  eis,  omnes 
scilicet  domini  sœculares  et  laici  cœteri;  37°  Ecclesia  Romana  est  synagoga  *Sa- 
tance ,  nec  papa  est  immediatus  et  proximus  vicarius  ChrisLi  et  Aposlolorum; 
38°  décrétâtes  epistolœ  sunt  apocryphœ,  et  seducunt  a  fide  Christi,  et  clerici  sunt 
stuiti,  qui  student  eas;  39"  imperator  et  domini  sœculares  seducti  sunt  a  diabolo, 
ut  Ecclesiam  dotarent  de  bonis  temporcdibus;  40°  electio  papœ  a  cardinal ibus  per 
diabolum  est  introducia;  41°  non  est'  de  necesMate  salutis  credere  Romanam 
Ecclesiam  esse  supremam  inter  alias  Ecclesias;  42°  fatuum  est  credere  indulgen- 
tiis  papœ  et  episcoporum ;  ^3°  juramenia  illiciia  sunt,  quœ  fiunt  ad  roborandmn 
humanos  contractus  et  commercia  civilin;  44°  Augustinus^  Bencdictns  et  Bernar- 
dus  damnati  sunt,  nisi  pœnituerint  de  hoc,  quod  habuerunt  possessiones  et  intra 
verunt  religiones.  Et  sic  a  papa  usoue  ad  infimum  religiosum  omnes  sunt  hœ~ 
retici;  45°  ornnes  Religiones  indifferoder  introductœ  sunt  a  diabolo.  Ou  trouve 
une  censure  abrégée  des  quarante-cinq  articles ,  par  les  théologiens  de 
Constance,  dans  Van  der  Hardt,  1.  c.  t.  Ill,  p.  168,  etc.,  et  une  autre  plus 
étendue  rédigée  au  mois  de  décembre  1414.  îbid.  p.  212-335. 

(1)  Hard,  t.  VllI,  p.  299-382.  Mansi,  t.  XXYll,  p.  632-635.  —V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  153-156.  —  Chrome.  1.  c.  lib.  XXXVI.  c.  28. 


CONDAMNATION   DE  WICLEF  ET  DE  SES  ECRITS.  421 

flammes.»  Ce  décret  fut  signé  par  le  cardinal  président  et  par  les 
représentants  des  quatre  nations  au  nom  du  concile  S  ainsi  qu'un 
second  décret  {Insuper)  qui  en  était  le  corollaire;  dans  cette  der- 
nière pièce  on  ratifiait  la  sentence  proprosée  par  Heni  Piro  contre 
la  personne  de  Wiclif,  hérétique  notoire  et  mort  dans  l'impé- 
nitence,  dont  la  mémoire  devait  être  honnie,  et  les  restes,  autant 
que  possible,  privés  de  la  sépulture  chrétienne  ^. 

Outre  les  quarante-cinq  articles  dont  il  vient  d'être  fait  men- 
tion, on  avait  encore  extrait^  principalement  à  Oxford,  deux  cents 
soixante  propositions  des  écrits  de  Wiclif;  l'archevêque  de  Gênes 
voulait  en  donner  lecture  afin  de  les  faire  comprendre  dans  la 
condamnation;  mais  sur  les  observations  du  cardinal  Filastre,  il 
renonça  à  ce  dessein.  Je  crois  en  avoir  trouvé  la  raison  dans 
une  remarque  faite  plus  tard  par  la  nation  allemande;  on 
y  voit  que  ces  deux  cent  soixante  articles  n'avaient  pas  été 
communiqués  à  la  nation  française,  comme  ils  auraient  dû  l'être 
régulièrement.  Leur  condamnation  fut  en  conséquence  remise  à 
la  session  suivante;  c'est  donc  à  la  neuvième  et  non  pas  à  la  hui- 
tième qu'appartient  le  décret  succinct  où  se  trouve  portée  cette 
sentence  ^. 

Immédiatement  après  la  session,  la  citation  de  Jean  XXIII, 
ratifiée  dès  le  2  mai,  fut  affichée  à  la  porte  sculptée  (Schnetz- 
thor)  de  Constance,  du  côté  de  Kreuzlingen  par  laquelle  le 
pape  s'était  enfui  ;  le  soir,  dans  une  réunion  de  la  nation  alle- 
mande, on  nomma  une  petite  commission  de  trois  évêques  :  ceux 
de  Gnesen,  de  Ratisbonne  et  de  Hipen  en  Danemark,  chargée  de 
recevoir  et  d'examiner  les  projetsqu'on  pourrait  lui  soumettre,  en 
particulier  sur  les  moyens  de  rétablir  l'unité  dans  l'Église.  Dans 
la  même  journée,  on  vit  revenir  de  Schafîhouse  et  de  Fribourg 
trois  cardinaux,  parmi  lesquels  Golonna  (plus  tard  pape  sous  le 
nom  de  Martin  V),  et  plusieurs  personnages  de  la  cour  romaine*. 

(1)  Mansi,  1.  c.  p.  630,  au  bas,  et  p.  631 ,  en  haut.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  152  b.  -  Hard.  1.  c.p  297. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  635.  —  Hard.  1.  c.  p.  302,  etc.™  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  156.  —  Chronicor.  1.  c.  lib.  XXXVI,  c.  28,  à  la  fin. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  152,  156,  191.  —  Mansi,  t.  XXVÏÏ,  p.  630,  635.  — 
Hard.  t.  VIII,  p.  297,  302.  —  Archiv.  etc.  p.  22. 

(4)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  636.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  303.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  157,  etc. 


422  HUMILIATION   PUBLIQUE   DE  FRÉDÉRIC    d'aUTRICHE. 

§  753. 

HUMILIATION  PUBLIQUE   DU   DUC   FRÉDÉRIC   d'aUTRICHE.    INTERDICTION 
DU   PAPE.    NEUVIÈME   ET   DIXIÈME   SESSIONS   (13   ET    14    MAI    1415). 

Le  5  mai  fut  marqué  par  d'importants  événements.  C'était  un 
dimanche,  une  assemblée  nombreuse  composée  des  quatre  nations 
et  d'une  foule  de  princes  et  de  seigneurs  s'était  réunie  dans  le 
couvent  des  Franciscains,  pour  donner  plus  de  solennité  à  l'hu- 
miliation qu'allait  subir  le  duc  Frédéric  d'Autriche.  Avant  sa  com- 
parution, l'empereurprononça  undiscours  dans  lequel,  après  avoir 
énuméré  les  différents  crimes  du  duc,  il  demanda  au  concile  si 
l'on  pouvait  sans  péché  renouer  des  relations  avec  Frédéric  après 
avoir  juré  de  ne  jamais  lui  accorder  la  paix.  Les  députés  des  na- 
tions calmèrent  ce  scrupule  religieux,  et  choisirent  quatre  prélats 
chargés  d'introduire  le  duc.  Alors  Frédéric,  conduit  par  le  duc 
Louis  de  Bavière  et  le  hurgrave  Frédéric  de  Nuremberg,  et 
accompagné  du  duc  de  Hongrie  Nicolas  Gara,  se  présenta  à  la 
porte  de  la  salle  et  s'agenouilla  trois  fois.  L'empereur  lui  ayant 
demandé  ce  qu'il  désirait,  l'un  de  ses  trois  répondants,  le  duc 
Louis,  parla  en  ces  termes  :  «  Au  nom  de  mon  oncle,  le  prince 
Frédéric,  duc  d'Autriche,  je  demande  à  l'empereur  de  lui  par- 
donner les  offenses  dont  il  s'est  rendu  coupable  envers  Sa  Majesté 
et  envers  le  concile.  Use  remet  tout  entier,  sa  personne,  son  terri- 
toire, ses  sujets  et  tout  ce  qu'il  possède  sans  aucune  restriction, 
aux  mains  et  à  la  discrétion  de  son  suzerain,  et  promet  en  outre 
de  faire  revenir  le  pape  Jean,  en  s'engageant  sur  l'honneur  à  ne 
tolérer  aucune  violence  contre  sa  personne  ou  ses  biens.  »  Puis 
le  duc  d'Autriche  s'avança  avec  ses  répondants  jusqu'au  trône 
de  l'empereur,  qui  lui  demanda  si  tels  étaient  ses  sentiments  et 
s'il  ratifiait  ces  promesses.  Frédéric,  naguère  si  fler,  répondit 
d'une  voix  si  émue,  et  implora  sa  grâce  si  humblement  que  Sigis- 
mond  sentit  fléchir  son  courroux,  et  lui  tendant  la  main  :  «  Qu'il 
nous  est  pénible,  dit-il,  de  vous  voir  ainsi  coupable!  «  Le  duc 
accepta  d'abord  par  serment,  puis  signa  une  déclaration  portant 
qu'il  remettait  tous  ses  domaines,  depuis  le  Tyrol  jusqu'à  l'Alsace, 
entre  les  mains  de  l'empereur,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  à  celui-ci 
de  les  lui  rendre,  qu'il  promettait  en  outre  de  ramener  le  pape 
Jean  XXIII  à  Constance  et  de  l'y  faire  rester  comme  otage,  jus- 


INTERDICTION   DU    PAPE.     NEUVIEME   ET    DIXIEME  SESSIONS.        423 

qu'au  complet  accomplissement  de  ses  engagements.  Lorsque 
Frédéric  eut  ainsi  fait  amende  honorable,  l'empereur  se  tourna 
vers  les  seigneurs  italiens,  vers  les  envoyés  de  Venise,  de  Gênes, 
de  Milan  et  de  Florence,  et  d'un  ton  sévère  :  «  Vous  saviez,  leur 
dit-il,  ce  qu'était  la  puissance  et  l'autorité  d'un  duc  d'Autriche, 
vous  voyez  maintenant  ce  qu'est  celle  d'un  empereur  d'Alle- 
magne! »  Immédiatement  après  la  soumission  de  Frédéric,  Sigis- 
mond  envoya  des  délégués  dans  différentes  directions  pour 
prendre  possession  de  ses  terres,  et  faire  prêter  serment  à  ses 
sujets,  et  presque  partout  les  décrets  impériaux  furent  suivis 
d'exécution.  Malgré  l'abaissement  de  Frédéric,  malgré  son  em- 
pressement à  satisfaire  à  toutes  les  exigences  de  l'empereur,  dans 
la  mesure  de  son  pouvoir,  Sigismond  le  retint  prisonnier  tant 
qu'il  lui  resta  quelque  chose.  Les  titres  de  prince  et  de  duc  furent 
les  seuls  biens  qu'on  lui  laissa  plutôt  par  dérision  que  par  hon- 
neur, et  ce  pauvre  prince,  complètement  dépouillé,  s'entendit 
bientôt  surnommer  par  toutes  les  bouches  :  «  Frédéric  à  la  bourse 
plate  ^  » 

Cependant  le  9  mai,  le  concile  envoya  au  pape  une  députation 
chargée  de  lui  signifier  sa  citation  et  de  le  ramener  à  Constance  • 
c'était  aux  archevêques  de  Besançon  et  de  Riga  qu'on  avait  confié 
ce  message;  Sigismond  leur  adjoignit  le  burgrave  Frédéric  de 
Nuremberg,  accompagné  de  trois  cents  soldats,  pour  le  cas  où  le 
pape  ne  consentirait  pasà  revenir.  Jean  XXIII  fit  bon  accueil  aux 
députés,  se  plaignit  des  procédés  offensants  du  concile,  tout  en 
promettant  d'ailleurs  de  se  rendre  à  Constance;  il  écrivit  néan- 
moins, le  11  mai,  une  lettre  confidentielle  aux  cardinaux  d'Ailly, 
Zabarella  et  Filastre,  pour  les  nommer  ses  procurateurs  dans  le 
procès  que  le  concile  voulait  lui  intenter,  et  il  différa  de  jour  en 
jour  son  départ  ^.  Le  terme  de  neuf  jours  qu'on  lui  avait  assigné 
expirait  le  il  mai;  cependant  ce  jour-là  le  concile,  sans  s'occuper 
du  pape,  nomma  une  commission  chargée  d'examiner  un  différend 
qui  s'était  élevé  entre  l'ordre  teutonique  et  le  roi  do  Pologne, 
et  fixa  sa  neuvième  session  générale  au  13  mai.  Le  souve- 
rain pontife  n'étant  pas  encore  arrivé  à  cette  date,  le  promoteur 
Henri  de  Piro,  après  la  lecture  de  deux  adresses  témoignant  de 

(1)  AsGHBAcn,  Geschichte  Kaiser  Sigismunds,  t.  II,  p.  79-84,  —  V.  d.  Hardt, 
1.  c  t.  IV,  p.  159-163. —  Keighenthal,  1.  c.  fol.  xxii  b,  etc.—  Mansi,  t.  XXVII, 
p.  636-639.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  304  -307. 

(2)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  163-166.  —  Mansi,  1.  c.  p.  639,  etc. 


424  HUMILIATION   PUBLIQUE   DU   DUC  FRÉDÉRIC   d'aUTRICHE. 

la  reconnaissance  et  du  dévouement  de  l'université  de  Paris 
pour  le  concile  et  l'empereur  *,  proposa  aux  Pères  de  prononcer 
l'interdiction  du  pape,  d'ouïr  les  charges  produites  contre  lui,  et 
de  commencer  par  défaut  le  procès  de  sa  déposition.  Zabarella 
répliqua  que  le  souverain  pontife  l'avait  choisi  avec  les  cardinaux 
d'Ailly  et  Pilastre  pour  ses  défenseurs;  mais  que  ni  lui  ni  ses 
collègues  ne  se  sentaient  disposés  à  remplir  cette  mission  ;  à  quoi 
Piro  objecta  que  ce  moyen  de  défense  n'était  pas  recevable, 
puisque  l'assignation  était  personnelle  à  Jean  XXIII.  Le  concile 
voulutalors  envoyer  deux  cardinaux, assistés  de  cinqprélats,  aux 
portes  de  l'église  pour  citer  de  nouveau  le  pape  à  comparaître; 
mais  les  cardinaux  refusèrent,  et  les  cinq  prélals  seuls  s'y  ren- 
dirent. Cette  démarche  ne  fut  naturellement  suivie  d'aucun  effet; 
cependant  les  Pères  voulurent  attendre  encore  un  jour  avant  de 
prononcer  l'interdiction  de  Jean  XXIII,  et  la  renvoyèrent  à  la  ses- 
sion suivante;  en  attendant,  une  commission  de  treize  membres 
fut  nommée  pour  entendre  les  témoins  à  charge,  on  choisit  aussi 
plusieurs  cérémoniaires  et  une  seconde  commission  à  l'effet  de 
résoudre  les  questions  litigieuses  qui  pourraient  se  présenter^. 
Nous  avons  fait  remarquer  plus  haut  que  c'est  aussi  dans  cette 
neuvième  session  que  furent  censurés  les  deux  cent  soixante 
articles  de  Wiclif. 

Au  sortir  de  la  session,  la  nation  allemande  se  réunit,  et  nomma 
cinq  canonistes,  parmi  lesquels  Henri  Piro,  chargés  de  classer  les 
dossiers  du  procès;  puis  on  fit  prêter  serment  à  dix  témoins, 
évêques  ou  personnages  considérables.  Dans  une  autre  assemblée 
des  quatre  nations,  Sigismond  communiqua  une  lettre  écrite  par 
le  prince  Malatesta,  ainsi  que  la  copie  d'une  bulle  de  Grégoire  XII, 
dans  laquelle  celui-ci  donnait  aux  amis  qu'il  avait  désignés  plein 
pouvoir  de  se  désister  en  son  nom,  et  aux  mêmes  conditions,  de 
tous  droits  au  tfône  pontifical  ^. 

Le  lendemain  (14  mai  1415),  eut  lieu  la  dixième  session  géné- 
rale ;  le  pape  Jean  y  fut  encore  une  fois  solennellement  appelé  à 
la  porte  de  l'église  par  deux  cardinaux;  et  comme  cette 
démarche   n'eut   aucun   résultat,  il  fut  déclaré   obstùié,  avec 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  646-647.  —  Iïard.  t.  VIII,  p.  314. 

(2)  V.  D.  IIarût,  t.  IV,  p.  164-176.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  640-646;  t.  XXVIII, 
p.  883.  —  IIard.  t.  VIII,  p.  307-314. 

(3)  V.  D.  IIardt,  t.  IV,  p.  177-179  et  192.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  647,  etc., 
et  733.  —  IIard.  t.  VIII,  p.  316,  etc. 


INTERDICTION   DU   PAPE.    NEUVIEME   ET   DIXIEME   SESSIONS.         425 

tous  ses  partisans.  Le  cardinal  Pilastre  informa  alors  le  concile 
que  la  commission  avait  déjà  recueilli  les  dépositions  de  dix  té- 
moins à  charge,  et  les  avait  trouvées  sufïisaram_ent  établies,  no- 
tamment celles  qui  reprochaient  à  Jean  XXIII  d'avoir  dissipé  les 
biens  de  l'Église,  pratiqué  la  simonie  de  toute  manière,  jeté  le 
scandale  dans  les  consciences  et  la  perturbation  dans  la  chrétienté 
tout  entière,  etc.  Ea  conclusion  était  que  le  pape  avait  mérité 
d'être  dépouillé  de  l'administration  spirituelle  et  temporelle  de 
l'Église.  Les  autres  membres  de  la  commission  d'examen  ayant 
fait  des  déclarations  analogues,  le  promoteur,  Henri  de  Piro, 
requit  alors  l'assemblée  de  prononcer  immédiatement  la  peine  de 
la  suspense  contre  le  souverain  pontife,  et  d'interdire  rigoureuse- 
ment toute  obéissance  ultérieure  à  ses  ordres.  Le  cardinal  prési- 
dent et  les  quatre  prélats  représentant  les  nations  souscrivirent  à 
cette  proposition,  au  nom  du  concile,  et  le  patriarche  d'Antioche 
donna  lecture  du  décret,  qui,  après  un  long  exposé  des  faits,  con- 
cluait en  ces  termes  :  «  Au  nom  de  la  sainte  et  indivisible  Trinité, 
le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  Amen.  Attendu  qu'il  nous  est 
manifestement  démontré  que  le  pape  Jean  XXIII,  depuis  le  jour 
de  son  exaltation,  a  mal  rempli  la  mission  qui  lui  avait  été  con- 
fiée de  gouverner  l'Église,  que  sa  vie  scandaleuse  et  son  impiété 
ont  présenté  au  peuple  chrétien  le  plus  déplorable  spectacle,  qu'il 
s'est  rendu  coupable  de  simonie  dans  la  collation  des  cathédrales, 
abbayes,  prieurés  et  autres  bénéfices  ecclésiastiques,  qu'il  a  sa- 
crifié les  droits  et  les  biens  de  l'Église  de  Rome  et  des  autres 
Églises,  qu'il  n'a  écouté  aucune  remontrance,  mais  qu'il  s'est 
obstiné  malgré  tout  à  contrister  l'Église,  nous  déclarons  ledit 
pape  Jean  suspendu  de  toutes  fonctions  spirituelles  ou  tempo- 
relles, que  nous  lui  interdisons  par  les  présentes  ;  faisons  savoir 
en  outre  que  ses  prévarications  nous  contraignent  d'instruire  le 
procès  de  sa  déposition,  et  défendons  enfin  à  tous  les  fidèles  de 
lui  prêter  obéissance.  »  Le  cardinal  de  Saint- Marc  (Pilastre)  fit 
quelques  objections  :  «  Pourquoi,  disait-il,  exprimer  dans  le  décret 
l'accusation  d'hérésie,  puisque  ce  point  n'est  encore  acquis  ni  par 
les  dépositions,  ni  parla  notoriété  publique?  A  la  suite  de  cette 
observation ,  on  fit  au  texte  une  légère  modification  et  on  le 
rédigea  tel  que  nous  l'avons  aujourd'hui  ^  >>  Benoît  Gentian 
protesta  contre  la  clause  qui  attribuait  aux  évêques,  pendant  l'in- 


(1)  Manst,  t.  XXYII,  p.  655.  —  Hard.  L  c.  p.  324. 


426      HUMILIATION   PUBLIQUE   DU   DUC  FREDERIC   d' AUTRICHE,   ETC, 

terdiction  du  pape,  la  collation  des  bénéfices.  «  Ce  serait,  dit-il, 
causer  un  grand  préjudice  aux  hommes  de  science  que  de  les 
faire  dépendre  en  quelque  manière  des  évêques.  »  Pareil  re- 
proche avait  été  adressé  cent  ans  auparavant  par  Boniface  VIII 
au  corps  épiscopal.  La  réclamation  de  Gentian  fut  néanmoins 
écartée,  par  la  raison  que  seule  la  sentence  définitive  contre  le 
pape,  et  non  la  simple  suspense,  devait  amener  ce  résultat  * . 

Dans  l'assemblée  des  quatre  nations  qui  se  tint  le  même  jour, 
on  lut  un  intéressant  travail  rédigé  par  Pierre  de  Mladenowicz,, 
au  nom  des  membres  delà  noblesse  de  Bohême  et  de  Pologne 
présents  à  Constance.  Ils  s'y  plaignaient  vivement  de  voir  Jean 
Hus,  malgré  le  sauf-conduit  de  l'empereur,  et  sans  qu'aucune 
sentence  fût  intervenue  contre  lui,  soumis  à  une  captivité  si  ri- 
goureuse, tandis  que  des  hérétiques,  condamnés  au  concile  de  Pise, 
circulaient  en  toute  liberté  dans  la  ville.  L'empereur  lui-même' 
et  les  nobles  tchèques  présents  n'avaient-ils  pas  demandé  avec  les 
plus  vives  instances  qu'on  s'en  tînt  à  la  lettre  du  sauf-conduit,  et 
qu'on  fournît  à  Jean  Hus  l'occasion  de  témoigner  publiquement 
de  sa  foi,  sauf  à  lui,  s'il  était  convaincu  d'erreur,  à  se  conformer 
aux  décisions  et  instructions  du  concile?  Cependant  ils  n'avaient 
pu  rien  obtenir,  et  Hus  languissait  dans  un  cachot,  à  la  grande 
confusion  de  la  Bohême,  qui  jamais,  depuis  sa  conversion,  n'avait 
refusé  d'obéir  à  rÉghse  romaine.  Le  concile  ne  pouvait-il,  par 
respect  pour  la  parole  impériale,  par  égard  pour  l'honneur  de  la 
Bohême,  hâter  la  conclusion  de  cette  affaire?  En  finissant,  les 
nobles  tchèques,  que  les  Polonais  ne  suivirent  pas  sur  ce  terrain, 
prièrent  le  concile  de  ne  pas  ajouter  foi  aux  calomnies  que  l'on 
répandait  sur  leur  pays;  ainsi  l'on  ne  craignait, pas  de  dire  qu'en 
Bohême  on  portait  le  précieux  sang  dans  des  bouteilles,  que 
les  cordonniers  confessaient  et  donnaient  la  sainte  commu- 
nion, etc.,  calomnies  dont  les  auteurs  devaient  être  dénoncés  ^. 

Alors  l'évêque  de  Leitomysl  s'écria  :  «  Ces  faits  m'ont  été  re- 
prochés à  moi  et  à  mes  amis,  >>  et  il  demanda  quelque  délai  pour 


(1)  Y.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  179-187.  —  Man^i,  1.  c.  p.  049-655.  —  Ha.ud.  l.  c. 
p.  317-324.  D'Ailly  et  les  trois  autres  cardinaux  n'ai^sistaient  pas  à  cette 
s6ssion.« 

(2)  Documenta  M.  Joan.  Hus,  1869,  p.  556,  etc.  —  Hôfler,  Geschichtichr. 
1"  part.  p.  145,  etc.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  188 —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  65ti. 
—  Hard,  t.  Vlil,  p.  324,  etc. 


LES  SOIXANTE-DOUZE   CHEFS   d'aCCUSATION    CONTiîE  JEAN   XXIII.     427 

répondre.  Mais  les  députés  des  nations  dirent  aux  seigneurs  de 
Bohême  qu'on  leur  répondrait  le  lendemain  ' . 

Enfin,  le  14  mai,  il  y  eut  encore  une  réunion  particulière  de  la 
nation  allemande,  oii  l'on  s'occupa  du  règlement,  de  son  obser- 
vation exacte  et  des  améliorations  qu'on  pourrait  introduire;  on 
insista  notamment  sur  la  nécessité  de  faire  présenter  en  détail 
et  très-exactement  à  chaque  nation  toutes  les  propositions  qu] 
devaient  être  soumises  au  concile.  On  éviterait  par  là  de  donner 
matière  à  des  objections  comme  celles  qu'avait  présentées  der- 
nièrement le  cardinal  Filastre.  Enfin,  pour  couper  court  aux 
plaintes  de  Jean  XXIII,  et  pour  éviter  toute  apparence  de 
surprise  dans  le  vote,  il  était  indispensable  d'introduire  le  scrutin 
public  et  de  n'y  admettre  que  ceux  qui  avaient  véritablement  voix 
délibérative  au  concile,  etc.  ^. 

Le  lendemain,  15  mai,  il  y  eut  une  nouvelle  congrégation  gé- 
nérale des  nations,  oii  l'on  donna  lecture  d'une  bulle  adressée  par 
Grégoire  XII  au  cardinal  de  Saint-Sixte,  etc.  Il  y  déclarait  son 
intention  de  renoncer  au  pouvoir,  et  consentait  à  reconnaître  le 
concile  de  Constance,  à  deux  conditions  :  si  la  convocation  avait 
été  faite  aussi  au  nom  de  l'empereur,  et  non  pas  seulement  au  nom 
de  Balthasar  Cessa,  et  si  celui-ci  n'y  présidait  et  même  n'y  assistait 
point.  Nous  donnerons  plus  tard  la  réponse  du  concile  ^. 


§  754. 

LES   SOIXANTE-DOUZE    CHEFS   d'aGGUSATION   CONTRE   JEAN    XXIII. 

Le  16  mai,  un  grand  nombre  d'évêques  et  de  prêtres,  parmi 
lesquels  beaucoup  d'employés  de  la  cour  pontificale,  furent  assi- 
gnés et  prêtèrent  serment  devant  la  commission  chargée  de 
recueillir  les  dépositions  contre  Jean  XXIII.  Ce  dernier  fut  lui- 
même  cité  de  nouveau,  à  l'effet  d'ouïr  les  charges  produites  contre 
lui.  Elles  ne  comprenaient  pas  moins  de  soixante-douze  chefs, 


(1)  HÔFLEH,  1.  c.  p.  148.  —  Docutnenta,  p.  258. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  190.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  657;,  etc.  —  Hardouin, 
t.Vni.p.  326,  etc. 

(3)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  192.—  Mansi,  1.  c.  p.  659,  etc.  —  Habd.  1.  c. 
p,  328,  etc. 


428    LES  SOIXANTE-DOUZE   CHEFS   d'aCCUSATION   CONTRE  JEAN  XXIII, 

que  voici  :   1°  Le  pape  Jean  a  été  depuis  sa  jeunesse,  alors' 
qu'on  l'appelai L  Balthasar  Cossa,  fourbe,  impudique,  menteur  et 
rebelle  à  l'autorité  de  ses  parents.  2°  C'est  par  des  voies  illicites 
qu'il  est  parvenu  à  la  charge  de  camérier  du  pape  Boniface  IX, 
et  cette  place  ne  lui  a  servi  qu'à  devenir  l'entremetteur  et  le 
protecteur  de  tous  ceux  qui  voulaient  acheter   des  bénéfices., 
3"  C'est  par  ces  moyens  et  autres  semblables  qu'il  s'est  acquis,  en  i 
peu  de  temps,  de  très-grandes  richesses.  4°  C'est  par  simonie  qu'il 
est  entré  dans  le  sacré-collége;  il  a  payé  pour  en  faire  partie 
une  forte  somme.  5°  Il  a  montré  de  la  cruauté  dans  sa  légation  à 
Bologne,  levé  toute  sorte  d'impôts,  commis  toute  sorte  d'exac- 
tions, opprimé  ses  administrés,  appauvri,  fait  mettre  à  mort  et 
banni  beaucoup  d'entre  eux,  etc.  6°  Il  est  cause  de  l'empoi- 
sonnement du  pape  Alexandre  V,  et  de  son  médecin,  maître  Daniel . 
7°  Après  la  mort  d'Alexandre  V,  il  a  su  se  faire  élire  pape;  mais 
son  exaltation  a  été  loin  de  l'amender,  il  s'est  acquitté  comme  un 
païen  du  service  de  Dieu,  n'assistant  pas  ordinairement  à  la  messe 
et  aux  vêpres  pontificales,  négligeant  les  heures  canoniques, 
n'observant  pas  les  jeûnes,  ne  célébrant  que  de  temps  à  autre, 
avec  la  plus  grande  précipitation  (more  venatorum),  uniquement 
pour  détourner  le  soupçon  d'hérésie  et  nullement  pour  satisfaire  sa 
piété.  8°  Il  a  toujours  été  et  est  encore  oppresseur  des  pauvres, 
ennemi  de  la  justice,  fauteur  de  simonie  et  d'impiété,  adorateur 
de  la  chair,  réceptacle  de  toutes  les  infamies,  etc.  9°  Il  s'est 
rendu  coupable  de  fornication  avec  la  femme   de    son  frère, 
des  religieuses,   des  jeunes  filles  et  des  femmes  mariées,  et 
s'est  souillé  de  mille  autres  impuretés.  10"  Ce  vase  d'iniquité  a 
promu  des  indignes  aux  charges  et  aux  bénéfices;  il  a  vendu  ou 
fait  vendre  an  plus  offrant  les  privilèges,  prébendes,  prélatures 
et  autres  dignités  ecclésiastiques;  il  a  trafiqué  aussi  de  la  conces- 
sion des  bulles.  11°  Dans  le  diocèse  de  Bologne,  il  a  vendu 
six  paroisses  à  des  laïques  qu'il  a  fait  ordonner  prêtres  pour  dire 
la  messe,  et  ce  n'est  là  qu'une  de  ses  moindres  prévarications. 
12°  Dans  le  diocèse  de  Nemosia,  en  Chypre,  il  a,  à  prix  d'argent, 
conféré  la  dignité  de  précepteur  de  l'ordre  de  Saint-Jean  à  un  en- 
fant de  moins  de  cinq  ans,  Aloïs  de  Lusignan,  bâtard  du  roi  de' 
Chypre,  et  l'a  même  autorisé  à  faire  profession.  13°  Il  n'a  con- 
senti à  revenir  sur  cette  mesure  que  si  on  rendait  auroide  Chypre 
l'argent  qu'il  avait  donné  au  pape,  moins  6 ,  000  florins  retenus  pour 
le  trésor  pontifical.  14°  Il  a  assigné  audit  Aloïs  de  Lusignan  une 


LES  SOIXANTE-DOUZE    CHEFS  D  ACCUSATION   CONTRE   JJîAN    XXIII.     429 

pension  considérable  sur  les  revenus  de  l'ordre.  15**  Il  a  relevé  de 
ses  vœux  et  sécularisé  le  chevalier  de  Saint-Jean,  Jacques  de 
ViriacO;,  en  lui  permettant  même  de  contracter  mariage,  et  il  a 
reçu  à  cet  efiet  600  ducats.  16°  Il  s'est  réservé  la  châtellenie  dudit 
Jacques  et  l'a  vendue  à  Hémar  de  Fessello  (Aimar  de  Sossello), 
bien  qu'elle  dût  avoir  douze  chapelains;  c'est,  de  cette  façon  que 
le  culte  dépérit.  17°  Il  a  encouragé  ledit  Aimar,  jeune  homme  de 
quatorze  ans,  dans  sa  révolte  contre  le  grand-maître.  18°  Il  a 
donné  par  tous  ces  actes  un  grand  scandale  aux  fidèles .  1 9°  Pour 
tous  ces  motifs  et  d'autres  encore,  les  cardinaux,  dès  la  première 
année  de  son  exaltation,  l'avaient  fraternellement  exhorté,  même 
avec  d'instantes  prières,  à  se  garder  des  scandales  que  la  simonie 
ne  manque  jamais  de  produire.  20°  Mais  bien  loin  de  s'amender,  il 
semble  s'être  perverti  davantage,  surtout  depuis  le  jour  de  sa  fuite 
de  Rome.  21°  Il  a  été  jusqu'à  nommer  des  employés  spéciaux 
chargés  de  sestraficssimoniaques.  22°  Il  a  défendu  aux  secrétaires 
pontificaux  de  délivrer  quelque  copie,  avant  d'avoir  perçu  à  cet 
effet  une  somme  déterminée;  plusieurs  parties  intéressées  qui 
n'ont  pu  faire  ce  sacrifice,  ont  été  ainsi  empêchées  de  soutenir 
leurs  droits.  23°  Il  a  introduit  dans  la  cour  romaine  plusieurs 
personnes  adonnées  au  commerce,  qu'il  chargeait  d'estimer  et  de 
vendre  à  haut  prix  les  bénéfices  vacants.  24°  Il  a  défendu  aux 
référendaires  de  lui  présenter  à  signer  aucune  demande  de  place 
vacante,  si  l'on  n'avait  au  préalable  versé  au  moins  la  moitié 
de  la  somme  promise  au  cours  de  la  requête.  25  °  Il  a  vendu 
beaucoup  de  bulles,  où  se  trouvait  supposée  la  résignation  des  titu- 
laires actuels  de  diverses  charges,  ce  qui  a  causé  la  ruine  de  plu- 
sieurs d'entre  eux.  26°  Il  a  occasionné  par  toutes  ces  manœuvres 
la  perte  de  beaucoup  d'âmes  :  celui  qui  promettait  le  plus  était  le 
plus  sûr  d'obtenir;  les  sacrements,  les  indulgences,  tout  était 
l'objet  d'un  trafic.  27°  Le  pape  a  souvent  vendu  un  même  bénéfice 
à  plusieurs  prétendants,  il  en  a  été  de  même  pour  les  expecta- 
tives, etc.  28°  Il  a  refusé  de  confirmer  des  sujets  recommandables 
élus  à  des  emplois  ecclésiastiques,  parce  qu'ils  ne  voulaient  pas 
payer  tout  ce  qu'il  leur  demandait  ;  il  en  a  choisi  au  contraire 
d'indignes  qui  consentaient  à  satisfaire  sa  cupidité.  Il  a  de  même, 
contre  leur  gré,  enlevé  plusieurs  prêtres  à  leurs  églises,  pour  les 
transférer  ailleurs,  dans  l'espoir  de  retirer  plus  de  profit  des 
sièges  qu'ils  laissaient  vacants.  29°  Au  concile  général  de  Kome, 
réuni  selon  les  vœux  du  concile  de  Pise,  pour  opérer  la  réforme 


430     LES   SOIXANTE-DOrZE   CHEFS    D^ACCUSATION   CONTRE  JEAN    XXIII. 

de  l'Église,  sa  conduite  a  été  publiquement  censurée;  cependant, 
loin  de  s'améliorer,  elle  est  devenue  plus   détestable  encore. 
30°  Il  a  vendu  à  prix  d'argent  les  indulgences  à  l'article  de  la 
mort,  les  prédications  des  croisades,  les  absolutions  de  crimes, 
les  rémissions  de  peines  et  de  châtiments,  les  privilèges  d'autel 
portatif,  les  consécrations  d'évéques,  les  bénédictions  d'abbés,  etc. 
31°  Au  mois  d'août  1412,  il  a  envoyé  un  laïque  de  Florence  marié, 
Nicolas  de  Pistorio,  en  qualité  de  légat  dans  le  Brabant,  pour  y 
lever  la  dîme  sur  tous  les  bénéfices  des  diocèses  de  Cambrai, 
ïournay,  Liège  et  Utrecbt,  avec  le  pouvoir  d'excommunier  tous 
les  récalcitrants,  et  de  jeter  l'interdit  sur  les  églises.  32°  Ce  pré- 
tendu légat  avait  le  droit  de  donner  des  pouvoirs  aux  confesseurs, 
et  de  les  autoriser  à  absoudre  «  a  pœna  et  a  culpa,  »  en  échange 
de  sommes  assez  considérables;  il  s'était  aussi  permis  de  prêcher 
des  indulgences  dans  plusieurs  villes  et  y  avait  recueilli  beaucoup 
d'argent.  33°  Tous  ces  faits  sont  vérifiés  et  notoires.  34°  En  1412, 
le  pape  a  reçu  à  Rome,  dans  le  palais  pontifical  près  de  Saint- 
Pierre,  une  ambassade  envoyée  au  nom  du  roi  de  France,  des 
évêques  du  royaume  et  de  l'université  de  Paris,  et  a  dû  subir,  en 
présence  de  plusieurs  témoins,  de  vifs  reproches  sur  le  scandale 
de  ses  simonies  et  de  son  inconduite.  35°  Il  n'en  a  retiré  aucun 
fruit.  36°  Ces  faits  sont  universellement  connus,  et  le  pape  Jean 
universellement  décrié.  37°  Quant  aux  biens  temporels  de  l'Église, 
spécialement  la  ville  de  Rome  et  le  patrimoine  de  Saint-Pierre  en 
Italie,  il  les  a  administrés  de  la  façon  la  plus  déplorable,  il  a  aug- 
menté les  anciens  impôts,  en  en  créant  de  nouveaux,  il  a  appauvri 
ses  sujets,  grevé  d'hypothèques,  sans  une  nécessité  évidente, 
diverses  propriétés  de  l'Église  romaine;  il  en  a  même  vendu 
quelques-unes,  il  a  traité  avec  la  commune  de  Florence  pour  la 
cession  de  Bologne,  et  s'est  même  engagé  par  un  traité  secret  à 
laisser  occuper  par  le  roi  Ladislas  la  ville  de  Rome  et  le  patri- 
moine. 38°  Cette  mesure  a  été  cause  de  mille  crimes,  sacrilèges, 
désordres,  meurtres  et  vols  commis  dans  la  ville,  et  dont  on  doit 
faire  remonter  la  responsabihté  jusqu'à  lui.  39°  Il  a  aussi  écras, 
d'impôts  le  territoire  d'Avignon,  et  voulu  également  le  vendre 
au  roi  Ladislas.  40°  Personne  n'ignore  qu'il  a  gouverné  l'Église» 
au  spirituel  et  au  temporel,  de  la  façon  la  plus  lamentable,  qu'il  a 
dilapidé  les  biens  tant  de  l'Église  romaine  que  de  toutes  les  autres, 
et  que  ses  empoisonnements,  ses  assasinats  et  ses  impudicités  ont 
scandalisé  tout  le  monde  chrétien.  Aussi  les  Italiens  l'ont-ils  sur- 


LES   SOIXANTE-DOUZB    CHEFS    D'aCCUSAÏIOiV    CONTRE  JEAN   XXIII.     431 

nommé  le  pape  Boldrinus  en  souvenir  du  capitaine  Boldrinus, 
de  triste  mémoire.  41°  Ces  faits  sont  également  notoires.  42°  Son 
insatiable  cupidité  l'a  porté  à  dissiper  et  à  vendre  au-dessous  de 
leur  valeur,  sans  nécessité  ni  raison,  des  revenus  que  l'Église  ro- 
maine possédait  en  France.  43°  Il  a  pareillement  aliéué  une  grande 
quantité  de  biens,  meubles  et  immeubles,  appartenant  à  divers 
couvents,  églises,  collèges,  prieurés  et  hôpitaux  de  Rome,  ainsi  : 
à  l'église  de  Latran,  aux  couvents  de  Saint-Jean  et  de  Saint-Paul, 
de  Saint-Laurent,  de  Saint-Alexis,  etc.  Plusieurs  de  ces  établisse- 
ments en  ont  été  réduits  à  ne  plus  pouvoir  continuer  le  service 
de  Dieu.  44°  Après  avoir  fait  trois  parts  des  biens  du  couvent  de 
Saint-Laurent,  il  les  a  distribués  à  ses  cardinaux  ;  les  moines  ont 
été  obligés  de  déguerpir.  45°  Il  a  vendu  le  couvent  de  Saint-Alexis 
à  Baptiste  de  Sabellis  pour  un  de  ses  bâtards  encore  mineur;  le 
cloître  de  Saint-Saba  à  Nicolas  des  Ursins,  etc.  Il  avait  déjà  vendu 
secrètement  aux  Florentins,  pour  50,000  ducats,  la  tête  de  S.  Jean- 
Baptisle  que  possédaient  les  religieuses  du  couvent  de  Saint-Sil- 
vestre;  mais  les  Romains  s'en  aperçurent  à  temps,  ce  qui  attira 
sur  la  tête  des  révélateurs  de  terribles  châtiments  :  plusieurs  ne- 
purent  racheter  leur  vie  qu'à  force  d'argent,  46°  Il  a  de  même 
aliéné  et  sacrifié  les  droits  et  biens  des  cathédrales,  collégiales, 
couvents,  collèges  et  hôpitaux  situés  en  dehors  de  Rome,  ainsi 
ceux  de  l'évêché  de  Bologne,  de  l'église  de  Saint-Pétronius  et 
du  collège  Grégorien.  47°  Il  a  transféré  à  des  laïques  une  grande 
partie  des  dîmes  perçues  à  Bologne  pour  la  mense  épiscopale. 
48°  Il  a  privé  les  professeurs  de  Bologne  des  revenus  affectés  de- 
puis longtemps  à  leur  entretien,  ce  qui  a  rendu  l'école  déserte- 
49°  Il  a  imposé  des  charges  écrasantes  à  plusieurs  ecclésiastiques 
de  Bologne  et  de  Rome,  et  les  a  dépouillés  des  biens  d'église,  leur 
dernière  ressource.  Il  a  de  même,  à  prix  d'argent,  spolié  des 
prélats  étrangers  au  profit  de  leurs  seigneurs,  et  les  a  réduits  à 
vendre  leurs  ornements  sacrés.  50°  De  semblables  agissements 
ont  profondément  scandalisé  l'Église.  51°  Tous  les  princes  chré- 
tiens connaissaient  sa  mauvaise  renommée;  le  roi  Sigismond  lui- 
même  l'a  conjuré  instamment  à  Lodi  d'amender  sa  vie,  et  de 
travailler  efficacement  à  la  paix  de  l'Éghse.  52°  Le  pape' Jean  a 
répondu  à  ces  prières  en  prenant  l'engagement  de  changer  de 
conduite,  spécialement  à  l'égard  de  la  simonie,  et  de  convoquer 
un  concile  à  Constance.  53°  Mais  il  est  bientôt  retombé  dans  ses 
anciennes  pratiques,  il  est  allé  plus  loin  encore,  il  a  vendu  des 


432     LES  SOIXANTE-DOUZE   CHEFS   d'aCCUSATION   CONTRE  JSAN  XXIII. 

brefs,  dont  la  date  était  aiiiticipée,  et  s'est  gagné  par  là  de  nou- 
veaux partisans.  54°  Il  a  défendu  aux  auditeurs  de  rote  de  tenir 
aucun  compte  de  ces  altérations  dans  les  procès,  ainsi  qu'aux 
greffiers  et  officiers  d'exiger  aucune  déclaration  propre  à  faire 
connaître  la  vérité.  55°  L'évêque  de  Salisbury  et  les  autres  en» 
voyés  du  roi  d'Angleterre  l'ont  exhorté  à  changer  de  conduite 
sur  ce  point,  mais  leurs  conseils  sont  demeurés  inutiles.  56°  A 
Constance,  Jean  XXIII  s'est  engagé,  le  2  mars  1415,  dans  une 
session  générale,  à  résigner  ses  pouvoirs.  57°  Il  s'est  soumis 
au  concile,  en  tout  ce  qui  touche  à  la  réforme  de  l'Église  dans 
son  chef  et  dans  ses  membres.  58°  Il  a  déclaré  soumettre  aussi 
au  jugement  du  concile  toutes  les  mesures  qu'il  a  prises  comme 
pape.  59°  Les  nations  et  le  concile  l'ont  supplié  de  se  constituer 
des  procurateurs  chargés  de  négocier  les  affaires  de  la  cession- 
60°  C'est  alors  qu'ont  été  ébruités  ses  projets  de  fuite.  61°  Le  roi 
Sigismond  l'ayant  prié  de  rester  à  Constance  pour  ne  pas  nuire 
aux  intérêts  de  l'union,  le  pape  en  a  pris  l'engagement.  62°  Ce- 
pendant, le  20  mars  1415,  il  s'est  enfui  nuitamment,  sous  un 
déguisement  ignominieux.  63°  Il  s'est  rendu  à  Schafîouse,  oii  il  a 
appelé  les  cardinaux  et  la  cour  romaine,  pour  dissoudre  le  con_ 
cile  et  fomenter  le  schisme.  64°  De  Schafîouse,  il  s'est  rendu  à 
Laufenbourg,  puis  à  Brisach,  dans  le  dessein  de  passer  en  Bour- 
gogne. 65°  Au  mois  d'avril  14i5,  une  députation  du  concile  est 
allée  le  trouver  pour  le  conjurer  de  revenir  à  Constance,  ou  bien 
de  se  rendre  à  Bàle,  à  Ulm  ou  à  Ravensbourg  pour  y  reprendre 
les  négociations  de  l'union.  On  avait  déjà  rédigé  à  cet  effet  les 
sauf-conduits  les  plus  étendus,  et  on  lui  assurait,  après  la  cession, 
les  conditions  les  plus  avantageuses.  66°  Jean  XXIII  promit  de 
donner  une  réponse,  mais  au  lieu  de  le  faire  il  est  parti  pour 
Neuenbourg.  67°Toutle|mGnde  le  tient  pour  un  pécheur  o])stiné, 
endurci,  incorrigible,  un  fauteur  de  schisme,  indigne  de  la  pa- 
pauté. 68°Ces  faits  sont  connus  de  l'univers  entier.  69°  On  l'accuse 
partout  d'assassinats,  d'empoisonnements  et  des  crimes  les  plus 
atroces,  partout  on  le  décrie  comme  un  dissipateur  des  biens  de 
l'Église,  un  simoniaque  et  un  hérétique  endurci,  indigne  de  la 
papauté.  70°  Il  a  affirmé  plus  d'une  fois  qu'il  n'y  a  point  de  vie 
éternelle  au  delà  du  tombeau,  que  notre  âme  finit  avec  notre 
corps,  et  que  la  résurrection  des  morts  est  une  fable.  71°  Il  a  sou- 
vent déclaré  qu'il  était  prêt  à  tout  faire,  même  à  donner  sa  vie 
pour  la  paix  de  l'Église,  et  qu'il  se  sounicttrait  cans  restriction 


DÉFENSE  DE  l'ÉVÊQUE  DE  LEITOMYSL.   ARRESTATION,    ETC.         433 

sur  ce  point  aux  décisions  du  concile.  72°  Tous  ces  faits  sont  no- 
toires. ■• 

§  755. 

DÉFENSE    DE  l'ÉVÊQUE    DE   LEITOMYSL.   ARRESTATION 
DE  JÉRÔME    DE   PRAGUE. 

Le  même  jour,  16  mai  1415,  Jean  évêque  de  Leitomysl  se 
disculpa  d'avoir  calomnié  le  royaume  de  Bohême.  «  Tout  le 
monde  sait,  dit- il,  combien  j'ai  contribué  avec  les  autres  pré- 
lats, docteurs  et  fidèles  de  l'empire,  à  l'extinction  du  schisme 
pernicieux  de  Wiclef,  mais  je  veux  qu'on  sache  encore  que 
les  dernières  communications  que  j'ai  cru  devoir  adresser  à 
la  nation  allemande,  dont  je  suis  membre,  n'avaient  d'autre 
but  que  de  sauvegarder  l'honneur  de  la  Bohême  et  nullement 
de  l'attaquer.  J'ai  signalé  (afin  qu'on  y  portât  remède)  la  con- 
duite des  sectaires  qui  distribuent  à  l'un  et  à  l'autre  sexe  la 
communion  sous  les  deux  espèces,  enseignant  la  nécessité  de 
cette  pratique  et  traitant  de  sacrilèges  et  d'impies  les  ecclésias- 
tiques qui  agissent  autrement.  J'ai  ajouté,  sur  les  rapports  qui 
m'en  sont  venus  de  Bohême,  qu'ils  ont  aussi  la  coutume  de  porter 
le  précieux  sang  dans  des  flacons  ou  vases  non  consacrés,  et  de 
fait,  puisqu'ils  enseignent  la  nécessité  de  la  communion  sous  les 
deux  espèces,  ils  sont  bien  obligés  de  porter  ainsi  le  précieux 
sang  aux  malades  comme  on  porte  l'hostie  dans  la  pyxide.  J'ai 

(1)  On  trouvera  ces  soixante-douze  articles  très-exactement  reproduits 
dans  Van  der  Habdt,  t.  IV,  p.  196,  etc.,  à  cette  différence  près  qu'ils  sont 
réduits  à  soixante-dix.  Notre  division  a  Tavantage  de  se  trouver  plus  con- 
forme auxactesdela  douzième  session  générale  (voir  plus  loin). Mansi  est  un 
peu  moins  fidèle  (t.  XXVU,  p.  662,  etc.)  Hardouin  ne  donne  pas  ces  articles.  On 
voit  d'ailleurs  qu'un  certain  nombre  de  ces  articles  ne  sont  pas  précisément 
des  chefs  d'accusation,  mais  des  allusions  aux  promesses  antérieures  du 
pape;  qu'en  outre  on  désirait  en  réunir  le  plus  grand  nombre  possible,  c'est 
ce  qu'il  est  facile  de  vérifier  par  ces  constantes  répétitions  de  notoriété 
dont  on  a  fait  des  numéros  séparés.  En  outre,  il  y  a  plusieurs  articles  qui 
ne  font  que  reproduire  des  accusations  déjà  formulées.  Ainsi,  on  semble 
insister  avec  affectation  sur  l'empoisonnement  d'Alexandre  V  (n"*  6,  40  et 
69),  sur  le  reproche  de  simonie,  qui  n'est  pas  répété  moins  de  vingt-cinq 
fois,  etc.  Enfin,  nous  ne  devons  pas  oublier  ce  que  nous  avons  déjà  dit 
sur  le  caractère  de  Cossa.  Rappelons-nous  aussi  que  des  accusations  bien 
plus  nombreuses  et  bien  plus  graves  furent  produites  contre  Boniface  VIII, 
et  attestées  sous  la  foi  du  serment  par  plusieurs  prélats,  dont  aucun  cepen- 
dant ne  voulut  attester  leur  authenticité.  Quelle  part  ne  faut-il  pas  faire  à 
l'animosité  et  aux  suppositions  hasardées! 

T.  X.    28 


L 


434  DÉFENSE   DE  l'ÉVÊQUE  DE   LEITOMYSL, 

même  entendu  dire  qu'une  femme,  appartenant  à  cette  secte,  a 
arraché  la  sainte  hostie  de  la  main  d'un  prêtre,  et  s'en  est  com- 
muniée  elle-même,  prétendant,  en  outre,  qu'il  faut  en  agir  ainsi 
quand  un  prêtre  refuse  de  donner  la  communion,  et  que  d'ail- 
leurs un  homme  ou  une  femme  en  état  de  grâce  consacre  et 
absout  mieux  qu'un  prêtre  en  péché  mortel,  puisque  les  absolu- 
tions et  la  consécration  de  ce  dernier  sont  nulles.  Je  n'ai  jamais 
dit  au  saint  concile  qu'en  Bohême  les  choses  en  soient  à  ce  point 
que  les  cordonniers  osent  bien  entendre  les  confessions  et  distri- 
buer la  communion,  mais  je  crains  que  cet  abus  ne  vienne  à 
s'introduire  si  on  ne  le  prévient  promptement.  Dans  l'intérêt  de 
ce  pays,  je  demande  instamment  que  le  concile  avise  à  l'égard 
de  cette  secte,  et  déclare  tout  d'abord  ennemis  de  la  Bohême 
tous  ceux  qui  entravent  l'extinction  du  schisme  ou  qui  s'em- 
ploient à  le  perpétuer  * .  » 

L'évêque  de  Carcassonne  avait  été  chargé  par  le  concile  de  ré- 
pondre aux  autres  griefs  énumérés  par  la  noblesse  de  Bohême  et 
de  Pologne  ;  voici  dans  quel  sens  il  le  fit  :  1"  A  l'égard  de  Hus,  il 
était  impossible  de  le  relâcher,  d'ailleurs  il  n'avait  reçu  de  sauf- 
conduit  que  quinze  jours  après  son  arrestation.  2"  Il  était  faux 
que  Hus  n'eût  point  été  encore  entendu.  Le  pape  Jean  l'avait 
cité  à  Rome;  à  la  vérité,  il  n'y  avait  pas  comparu  lui-même, 
mais  les  procurateurs  envoyés  par  lui  avaient  été  admis,  et  ce 
n'était  qu'après  les  avoir  entendus  qu'on  avait  prononcé  la  sen- 
tence; 3°  encore  en  partie  sous  le  coup  de  cette  condamnation, 
Hus  n'avait  pas  craint  de  venir  jouer  à  Constance  le  rôle  de  chef 
de  secte  et  d'y  porter  la  parole  ;  4°  les  paroles  des  Tchèques  à 
l'égard  des  hérétiques  déjà  condamnés  à  Pise  n'offraient  pas  un 
sens  précis.  Vraisemblablement  ils  désignaient  par  ces  héré- 
tiques les  envoyés  de  Grégoire  XII,  qu'on  avait  entendus  dans 
l'intérêt  de  la  paix;  ils  ne  se  permettraient  pas  de  soutenir  que 
d'autres  condamnés  eussent  été  entendus  par  le  concile;  5°  le 
concile  aurait  d'ailleurs  prochainement  l'occasion  de  revenir 
sur  les  vœux  des  Bohémiens  en  s'occupant  de  l'affaire  de  Hus  ^. 

La  noblesse  de  Bohême  répliqua,  le  18  mai,  par  un  nouveau 
mémoire  :  1°  en  ce  qui  touchait  le  sauf-conduit,  Jean  de  Ghlum, 
qui  s'y  était  spécialement  intéressé,  avait  répondu  au  pape,  en 


l)  liotaER,  Geschicht.  1''»  parc.  p.  148,  etc.  —  Documenta^  etc.  p.  259,  etc. 
2   Mansi,  t.  XXVIII,  p,  34.  —  V,  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  209. 


ARRESTATION   DE  JÉRÔME  DE  PRAGUE.  436 

présence  de  presque  tous  les  cardinaux,  le  jour  même  de  l'arres- 
tation de  Hus  :  «  Saint  Père,  je  dois  vous  rappeler  que  le  roi 
Sigismond  a  délivré  un  sauf-conduit  à  Hus.  »  Personne  n'avait 
demandé  à  voir  cette  pièce  dans  le  moment,  mais  le  lendemain  et 
les  jours  suivants  Chlum  l'avait  montrée  à  beaucoup  de  per- 
sonnes. Ainsi  plusieurs  évêques  l'avaient  vue  et  entendu  lire. 
Du  reste  les  princes  électeurs,  ainsi  que  les  autres  princes  et  sei- 
gneurs de  l'entourage  de  Sigismond,  devant  lesquels  le  sauf-con- 
duit avait  été  accordé,  savaient  à  quoi  s'en  tenir  à  ce  sujet;  2°  il 
n'était  point  exact  que  Hus  eût  prêché  à  Constance,  puisque,  depuis 
le  jour  de  son  arrivée  jusqu'au  moment  de  son  arrestation,  il 
n'était  point  sorti  de  sa  maison  '.  Les  requérants  réclamaient  pour 
Hus  le  bénéfice  de  la  liberté  dont  jouissaient  les  personnes  déjà 
condamnées  à  Pise,  puisque  c'était  librement  et  de  son  propre 
mouvement  qu'il  était  venu  à  Constance  dans  l'intérêt  de  l'union 
et  de  la  foi  ^.  »  A  l'égard  de  l'évêque  de  Leitomysl,  les  Bohémiens 
prétendirent  que  ses  assertions  ne  reposaient  que  sur  des  bruits 
sans  fondement,  et  prièrent  le  concile  de  n'y  point  ajouter  foi 
avant  confirmation,  promettant,  dans  ce  cas,  de  concourir  active- 
ment à  l'extinction  du  schisme.  L'évêque  d'ailleurs  avail-il  en 
vue  l'honneur  de  la  Bohême?  L'on  en  pouvait  douter.  N'avait-il 
pas  plutôt  accusé  les  nobles  de  favoriser  l'erreur,  tandis  que  tout 
l'empire  savait  que,  loin  de  protéger  l'hérésie  et  les  hérétiques, 
ils  avaient,  à  l'exemple  de  leurs  aïeux,  exposé  leur  vie  et  leurs 
biens  pour  l'extirpation  de  l'hérésie  ^? 

Le  23  mai,  Jérôme  de  Prague  fut  conduit  enchaîné  à  Cons- 
tance *,  et  comparut  devant  une  congrégation  publique  pour 
y  être  interrogé  sur  sa  fuite.  Il  voulut  arguer  d'uu  sauf-con- 
duit qu'on  lui  aurait  accordé,  mais  il  fut  réfuté  et  attaqué  par 
Gerson.  L'irritation  contre  lui  était  si  grande  que  le  mot  de 
«  bûcher  »  fut  prononcé.  Jérôme  répondit  :  «  Si  l'on  veut 
ma  mort,  je  mourrai  au  nom  de  Dieu.  »  A  quoi  l'archevêque 
de  Salzbourg  répartit  :  «  Non,  Jérôme,  il  n'en  sera  pas  ainsi,  car 

(1)  Mais  il  tint  des  conférences  dans  sa  maison.  Voir  plus  haut. 

(2)  HoFLER,  1.  c.  p.  150,  etc.  —  Documenta,  p.  260,  etc.—  Maksi,  1.  c.  p.  36. 
—  V.  D.  Hardt,  1.  c.  p.  212. 

(3)  HÔFLER,  Ge^ddchisclir.  i^'*  partie,  p.  153-155.  —  Documenta,  p.  264,  etc. 

(4)  La  lettre  adressée  à  cette  occasion,  le  8  mai  1415,  par  Jean  duc  de  Ba- 
vière, ainsi  que  la  réponse  du  concile,  se  trouvent  dans  Schelhorn,  Acta 
historico-ecl.  Ulm,  1738,  l'^  partie,  p.  44,  etc.,  et  dans  Dôi.linqer,  Materialien 
zur  Gesch.  des.  15.  und  16.  lahrh.  2«  partie,  p.  318,  etc. 


43  3  DEPOSITION   DU    PAPE   JEAN   XXIII. 

il  est  écrit  :  Je  ne  veux  pas  la  mort  du  pécheur,  etc.  »  On  l'in- 
terna alors  dans  la  tour  du  cimetière  Saint-Paul;  la  surveil- 
lance, confiée  à  l'archevêque  de  Riga,  fut  pendant  les  deux  pre- 
miers jours  extrêmement  rigoureuse,  mais  elle  s'adoucit  enfin 
sur  la  demande  des  compatriotes  du  captif  ^ 


§756. 

DÉPOSITION  DU   PAPE   JEAN   XXIIl.     ONZIÈME  ET   DOUZIÈME   SESSIONS 
GÉNÉRALES   (25    ET   29   MAI    1415). 

Sur  ces  entrefaites,  on  procéda  a  l'arrestation  du  pape  Jean. 
Le  burgrave  de  Nuremberg  et  les  envoyés  du  concile  que  nous 
avons  nommés  plus  haut  (les  archevêques  de  Besançon  et  de 
Riga)  l'avaient  forcé  de  venir  avec  eux  de  Fribourg  à  Ra- 
dolfszell,  sur  la  route  de  Constance  (17  mai).  Le  lendemain, 
l'archevêque  de  Riga  revint  à  Constance  et  rapporta  aux  délégués 
des  nations  que  le  pape  s'était  arrêté  dans  une  hôtellerie  à  Ra- 
dolfszell,  mais  que,  ce  lieu  n'étant  pas  assez  sur,  il  importait 
d'y  faire  bonne  garde,  bien  que  Jean  XXni  eût  donné  les  marques 
d'une  douleur  et  d'un  repentir  sincère  et  imploré  la  clémence 
du  concile. 

Quatre  délégués,  choisis  dans  les  quatre  nations,  furent  donc 
commis  à  cet  office;  c'étaient  les  évêques  d'Asti,  d'Augsbourg 
et  de  Toulon,  assistés  d'un  docteur  anglais.  Le  même  jour 
(18  mai),  onze  cardinaux  furent  appelés  devant  la  commission 
d'enquête  à  faire  leurs  dépositions;  dès  le  lendemain  (19  mai), 
les  quatre  délégués  se  rendirent  à  leur  poste;  le  20,  ils  eurent 
une  entrevue  avec  le  pape,  qui  versa  des  larmes  amères,  congédia 
ses  gens,  et  remit  son  anneau  à  l'évêque  de  Toulon,  selon  les 
prescriptions  du  concile.  Au  bout  de  quatre  jours  (24  mai),  il  fut 
enfermé  dans  le  donjon  de  Radolfszell  et  confié  à  la  garde  de 
trois  cents  soldats  hongrois.  Immédiatement  après,  l'évêque  de 
Toulon  se  mit  en  route  pour  Constance  avec  une  déclaration 
écrite  du  pape,  mais  les  cardinaux  des  Ursins,  d'Ailly ,  Chalant,  Sa- 
luces  et  Zabarella,  étaient  déjà  partis  pour  notifier  au  pape  le  décret 
de  suspense.  Jean  leur  répondit  qu'il  avait  fait  porter  au  concile, 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  216-218. 


ONZIÈME  ET  DOUZIÈME  SESSIONS   GÉNÉRALES   (25  ET  29  MAI  1415).    437 

par  l'organe  des  évêques  de  Toulon  et  d'Augsbourg,  l'assurance 
de  sa  parfaite  soumission,  et  qu'il  était  prêt  à  se  démettre,  si  le 
concile  l'exigeait;  il  s'offrait  aussi  à  donner  des  garanties;  que  si 
l'on  voulait  aller  plus  loin  et  procéder  à  sa  déposition,  il  n'y 
ferait  aucune  résistance,  approuverait  et  ratifierait  toutes  les 
décisions  adoptées;  il  se  bornerait  à  demander  des  égards 
pour  son  honneur,  sa  personne  et  son  rang.  Il  ajouta  qu'il 
faisait  appel  à  la  médiation  et  aux  bons  offices  du  roi,  et  offrit 
de  se  rendre  à  Constance,  ou  dans  tout  autre  lieu  désigné 
par  le  concile,  pour  y  exécuter  ses  engagements.  Puis  il  signa 
le  procès-verbal  de  son  prénom  «<  Balthasar  ^ .  » 

Pendant  que  ceci  se  passait  à  Radolfszell  (24  mai),  on  recevait 
à  Constance  les  dépositions  d'un  grand  nombre  de  témoins;  on 
produisit  même  des  fragments  de  pièces  à  l'appui  de  quatre  des 
chefs  d'accusation  énumérés  plus  haut.  La  première  de  ces  pièces 
était  une  bulle  du  13  août  1414,  d'après  laquelle  le  pape  avait 
réellement  conféré  à  un  enfant  de  moins  de  cinq  ans  une  com- 
manderie  des  Johannites  dans  l'île  de  Chypre  (n°  12  des  chefs 
d'accusation).  Remarquons  néanmoins  que  ladite  bulle  révo- 
quait cette  concession  sur  les  remontrances  du  grand-maître 
Philibert  de  Néato,  et  qu'il  n'y  était  fait  aucune  allusion  aux 
prétendues  compensations  mentionnées  par  le  treizième  article. 
La  seconde  et  la  troisième  bulle  se  rapportaient  aux  articles  15 
et  16,  relatifs  à  Jacques  de  Viriaco  et  plus  encore  à  Aimar  de 
Sossello;  enfin  la  dernière  pièce,  un  procès-verbal  dans  lequel 
se  trouvaient  insérées  la  deuxième  et  la  troisième  bulle,  était 
citée  à  l'appui  de  l'article  17  2. 

On  trouve  encore,  à  la  date  du  24  mai,  un  décret  du  concile 
adressé  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  ainsi  qu'à  ses  suffragants, 
et  mentionnant  que  les  collecteurs  des  deniers  pour  la  Chambre 
apostolique  sont  suspendus  et  leurs  fonctions  dévolues  aux 
évêques,  qui  les  exerceront  désormais  au  nom  du  concile  ^. 

Ces  préliminaires  étant  terminés,  on  tint,  le  25  mai  1415,  la 
onzième  session  générale  sous    la  présidence  du  cardinal  de 


(1)  Mansi,  t. XXVII,  p. 681,  etc.—  V.  d.  Hardt,  t. IV,  p. 210,  211,  214,  215 
Cf.  aussi  Haed.  t.  VIII,  p.  341,  qui  est  fort  concis. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  674-681.  —  Ha  eu.  t.  VIII,  p.  332-340.  —  V  d.  Hardt,  ibid- 
p  219  etc 

'  (8)  ManJi,  t.  XXVIII,  p.  916. 


438  DEPOSITION  DU  PAPE  JEAN  XXHI. 

Viviers,  et  en  présence  de  quinze  antres  cardinaux.  L'empereur 
Sigismond  y  vint  aussi  avec  une  suite  fort  nombreuse.  Après 
ies  cérémonies  usitées  pour  l'ouverture,  Henri  de  Piro,  en  sa 
qualité  de  promoteur,  fit  la  motion  suivante  :  «  La  commission 
nommée  par  le  concile  formulera  les  accusations  qu'elle  juge 
dignes  de  foi;  en  même  temps,  assignation  sera  faite  au  pape 
Jean,  et  citation  à  lui  notifiée  par  délégués,  d'avoir  à  compa- 
raître devant  le  concile  pour  entendre  sa  sentence  définitive.  » 
Les  Pères  ayant  répondu  plaeet,  on  vit  se  lever  le  cardinal  des 
Ursins,  André  évêque  élu  de  Posen,  et  les  deux  auditeurs  du 
palais,  Berthold  de  Wildungen  (Allemand)  et  Jean  de  Bologne, 
comme  rapporteurs  de  la  commission  des  Treize.  L'ôvêque  de 
Posen  donna  lecture  de  cinquante-quatre  chefs  d'accusation,  à 
chacun  desquels  Berthold  de  Wildungen  joignit  les  nombreuses 
dépositions  émanées  des  divers  cardinaux,  évêques,  protono- 
taires, etc.  Ces  cinquante-quatre  articles  étaient  la  reproduction 
littérale  des  soixante-douze  que  nous  avons  énumérés.  Seuls 
lesn°=  1,6,9,  11,  12,  13,  14,  15,  16,  17,  39,  42,  44,45,47,  69, 
70  et  71,  bien  qu'également  prouvés  par  témoins  \  avaient 
été  mis  de  côté,  parce  qu'on  voulait  ménager  l'honneur  du 
souverain  pontife  ^. 

Après  la  lecture  des  cinquante-quatre  articles,  les  délégués 
susmentionnés  de  la  commission  des  Treize  reçurent  mission 
du  concile  de  notifier  au  pape  les  charges  produites  contre  lui, 
de  l'inviter  à  y  répondre  et  à  comparaître  en  personne  le  27  mai, 
à  la  session  générale,  pour  y  entendre  sa  sentence  définitive.  On 
adopta  la  proposition  d'Henri  de  Piro  sur  la  marche  à  suivre 
dans  le  procès  ^. 

L'évêque  de  Posen  lut  ensuite  un  second  décret  du  concile, 
ratifiant  les  actes  passés  par  les  protonotaires  et  notaires  du 
concile,  et  portant  nomination  de  nouveaux  ofBciers,  un  proto- 
notaire  élu  dans  chaque  nation  avec  un  ou  deux  notaires.  Le  car- 


(1)  Mansi  (t.  XXVII,  p.  684)  et  Hardouin  (t.  VIII,  p.  343)  suppriment  le 
n°  2  au  lieu  du  n"  1  ;  mais  la  version  de  Van  der  llardt  (t.  IV,  p.  237)  paraît 
être  la  plus  exacte,  car  on  voulut  éviter  de  faire  connaître  des  détails  fie 
mœurs  touchant  Jean  XXIII.  Remarquons  d'ailleurs  que  nous  ne  tiouvons 
jamais  dans  ces  auteurs  le  nombre  des  cardinaux,  etc.  allirmant  tel  ou  tel 
point. 

(2)  V.  n.  îIardt,  t.  IV,  p.  248.  —  Mansf,  1.  c.  p.  696.  —  IIakd.  I.  c.  p.  357.  sq. 
(■X\  V.  n.  Haudt,  ].  c.  p.  236  h.  -—  Hard.  ibid,  p.  342.  —  Mansi,  I,  c.  p.  683. 


ONZIÈME  ET  DOUZIÈME  SESSIONS  GÉNÉRALES   (25  ET  29  MAT  1415).   439 

dinal  président,  puis  les  délégués  des  nations,  au  nom  du  cotî- 
cile,  y  apposèrent  leurs  signatures  ^. 

La  commission  des  Treize  délégua,  le  jour  de  la  Trinité 
(26  mai  1415),  les  deux  évêques  André  de  Posen  et  Jean  de 
Lavaur,  avec  deux  abbés  et  quelques  notaires,  auprès  du  pape 
Jean,  à  Radolfszell.  Ces  commissaires  se  présentèrent  le  lende- 
main de  bon  matin,  et  donnèrent  communication  des  cinquante- 
quatre  articles  à  Jean  XXIII,  en  présence  de  nombreux  témoins; 
lecture  faite,  ils  lui  demandèrent  s'il  avait  quelque  arrêt  ou  op- 
position à  mettre  au  procès,  ou  quelque  moyen  de  défense  à 
produire,  bien  qu'après  les  déclarations  faites  par  lui  récemment 
[pridie]  aux  cardinaux  des  Ursins,  Ghalant,  de  Cambrai,  de 
Saluées  et  de  Florence  ^,  cette  dernière  formalité  pût  paraître 
inutile.  Jean  répondit  qu'il  avait  beaucoup  travaillé  au  rétablis- 
sement de  la  paix  de  l'Église,  avant  même  d'être  élevé  sur  le 
siège  pontifical  ;  qu'à  peine  arrivé  à  Constance,  il  avait  promis 
sa  démission  ;  que,  s'il  s'était  enfui,  il  en  concevait  les  plus  vifs 
regrets,  au  point  même  qu'il  aimerait  mieux  être  m.ort  que  d'a- 
voir commis  une  si  malheureuse  démarche  ;  qu'il  ne  voulait  point 
répondre  aux  accusations  portées  contre  lui,  mais  que,  se  ré- 
férant à  ses  déclarations  antérieures,  il  se  soumettait  entière- 
ment aux  décisions  du  concile,  car,  le  concile  de  Constance  étant 
saint  et  ne  pouvant  errer,  il  était  bien  résolu  à  ne  jamais  lui  ré- 
sister. Quant  aux  dépositions  qu'on  lui  opposait,  le  pape  ajouta 
qu'il  n'y  ferait  aucune  objection,  s'en  remettant  du  soin  de  sa 
défense  au  concile,  dont  il  implorait  l'indulgence.  Enfin  l'évêque 
de  Lavaur  le  cita  à  comparaître  en  personne  le  lendemain 
devant  les  Pères  de  Constance,  pour  y  entendre  sa  sentence  dé- 
finitive. Jean  fit  d'abord  quelque  résistance,  mais  il  finit  par 
répéter  qu'il  était  aux  ordres  du  concile  ^. 

Les  délégués  de  la  commission  des  Treize,  après  leur  entrevue 
avec  le  pape,  revinrent  à  Constance,  et  le  soir  même  (27  mai) 


(1)  Mansi,  t.  XXVn,p.  684-703.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  343-365.  —  V.d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  237  et  255,  etc. 

(2)  Ces  cardinaux  avaient  eu,  le  24  mai,  une  entrevue  avec  le  pape.  Le  mot 
pridie  signifie  donc  ici  «  récemment;  »  il  a  souvent  ce  sens  dans  la  basse 
latinité.  C'est  donc  à  tort  que  Van  der  Hardt  (  t.  IV,  p.  256,  etc.)  et  Lenfant 
(1.  c.  p.  291)  font  faire  aux  cinq  cardinaux  un  second  voyage  à  Radolfszell, 
le  26  mai. 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  701-703  et  706-708.  On  trouve  la  même  répétition 
dans  Hard.  l.c.  p.  362-365  et  p.  369-371.  Cf.  Martèni.^,  Tlies.  t.  II,  p.  1636. 


440  DÉPOSITION  DU   PAPE  JEAN   XXIII. 

firent  leur  rapport  à  une  congrégation  des  quatre  nations  ^  ;  ils 
déposèrent  en  même  temps  une  lettre  touchante  adressée  par  le 
souverain  pontife  à  Sigismond,  et  datée  du  25  mai.  Le  pape  y 
rappelait  à  son  «  cher  fils  »  quels  gages  il  lui  avait  donnés  de  sa 
tendresse  au  commencement  de  son  pontificat.  Aujourd'hui, 
après  Dieu,  le  roi  des  Romains  était  son  seul  appui.  Quels  que 
fussent  les  motifs  de  mécontentement  du  prince,  le  pape  le  sup- 
pliait d'écouter  la  voix  de  la  générosité  et  d'agir  auprès  du  sy- 
node, afin  de  concilier  autant  que  possible  les  intérêts  de  l'union 
de  rÉglise  avec  ceux  de  l'honneur,  de  la  personne  et  du  rang  du 
pontife  dépossédé^.  Sous  prétexte  de  ménager  la  dignité  du  pape, 
mais  en  réalité  pour  mieux  s'assurer  de  sa  présence  et  compléter 
le  triomphe  du  concile ,  les  représentants  des  quatre  nations 
fixèrent  la  session  suivante  au  mercredi  29  mars,  veille  de  la 
Fête-Dieu,  et  envoyèrent  de  nouveau  les  députés  en  donner  avis 
à  Jean  XXIII.  Celui-ci  les  reçut  avec  la  même  affabilité  et  renou- 
vela ses  promesses  de  soumission  absolue  ^.  Il  était  devenu, 
pouramsi  parler,  très-docile,  et  ne  conservait  plus  aucune  trace 
de  son  ancienne  fougue  et  de  ses  premières  violences.  Il  avait 
ouvertement  et  absolument  renoncé  à  l'espoir  d'obtenir  gain  de 
cause,  et  ne  cherchait  plus  qu'à  adoucir  le  plus  possible  l'esprit 
de  ses  accusateurs  et  à  mériter  leur  indulgence.  De  là  ces  affir- 
mations répétées  sur  la  sainteté  et  l'infaillibilité  du  concile. 

Le  28  mai  eut  lieu  une  entrevue  entre  les  députés  des  quatre 
nations  et  les  cardinaux.  Ces  derniers  avaient  fait  observer  depuis 
quelque  temps  au  roi  Sigismond,  et  par  suite  aux  nations  elles- 
mêmes,  qu'il  leur  paraîtrait  convenable  de  faire  accompagner 
Sa  Majesté  à  Nice  par  quelques-uns  d'entre  eux  qui  prendraient 
part  aux  négociations  entamées  avec  Pierre  de  Luna  et  le  roi 
d'Aragon.  L'autorité  du  Saint-Siège,  le  concile,  l'empereur  et  le 
sacré-collége  auraient  un  égal  intérêt  à  agir  ainsi.  Les  assistants 
étaient  déjà  désignés.  C'étaient  le  cardinal  d'Ostie,  qui  présidait 
le  concile,  d'Ailly,  de  Saluées  et  Zabarella;  mais  l'empereur  res- 
terait libre  de  n'emmener  avec  lui  que  quelques-uns  de  ces  car- 
dinaux, ou  même  de  faire  un  choix  parmi  les  autres  membres  du 
sacré-collége.  Sigismond  avait  assez  bien  accueilli  cette  proposi- 


(1)  Mansi,  1.  c  p.  703,  etc.  —  Hard.  1.  c.  p.  365,  etc. 

(2)  Mansi,  1.  c.  p.  699,  etc.  —  Hard.  1.  c.  p.  361,  etc. 

(3)  Mansi,  1.  c.  p.  704,  etc.  et  709.  --  Haiuj.,  1.  c.  p.  366-371.  —  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  259,  etc. 


ONZIÈME  ET  DOUZIÈME  SESSIONS  GENERALES   (25  ET  29  MAI  1415).    441 

tion,  mais  il  avait  voulu  la  faire  approuver  par  les  délégués  des 
nations.  Ceux-ci  avaient  jusque-là  gardé  le  silence.  On  était  à  la 
veille  du  départ,  et  les  cardinaux  ne  savaient  encore  s'ils  devaient 
se  préparer  à  suivre  le  prince  ;  ils  portèrent  donc  la  question  à 
l'assemblée  des  nations  (28  mai)  et  déclarèrent  que,  si  l'empereur 
désirait  se  faire  accompagner  de  quelques  cardinaux,  ceux-ci 
lui  seraient  reconnaissants  de  vouloir  bien  faire  son  choix; 
mais  que,  si  telles  n'étaient  pas  les  intentions  de  Sa  Majesté, 
ils  se  croiraient  obligés,  pour  éviter  le  reproche  de  négligence, 
de  rédiger  un  procès -verbal.  Le  sacré-collége  demanda  en 
outre  à  l'empereur  qu'il  lui  plût  de  désigner  pour  protecteur 
du  concile  en  son  absence  le  duc  et  comte  palatin,  Louis  de 
Bavière,  pourvu  que  celui-ci  reconnût  les  sauf-conduits  accor- 
dés par  l'empereur  aux  membres  du  concile  et  aux  particuliers, 
et  qu'il  renonçât  solennellement  à  l'obédience  d'Angelo  Gorrario, 
faute  de  quoi  on  supplierait  Sa  Majesté  de  jeter  les  yeux  sur  un 
autre,  par  exemple  sur  le  burgrave  de  Nuremberg  ^ 

Enfin,  le  29  mai  1415,  le  procès  de  Jean  XXIII  reçut  une  solu- 
tion définitive  dans  la  douzième  session  générale  tenue ,  dans 
la  cathédrale  de  Constance,  sous  la  présidence  du  cardinal  évéque 
d'Ostie;  l'empereur  y  assistait,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de 
princes,  quinze  cardinaux  et  une  foule  de  prélats  et  de  doc- 
teurs, etc.  Le  patriarche  d'Antioche  chanta  la  messe  du  Saint-Es- 
prit, qui  fut  suivie  des  litanies  et  de  l'évangile  de  S.  Jean  (12,  31)  : 
Nimc  est  judicium  niundiy  nunc  princeps  hujus  mundi  ejicietur 
foras,  sanglante  allusion  à  la  malheureuse  destinée  du  souverain 
pontife.  L'évêque  de  Lavaur  rendit  compte  ensuite,  en  son  nom 
et  au  nom  de  ses  collègues,  de  la  mission  qu'ils  avaient  remplie 
u  Radolfszell  ;  et,  sur  la  motion  de  Piro,  on  donna  lecture,  à  ce 
propos,  des  deux  procès-verbaux  dont  nous  avons  parlé.  Le 
promoteur  demanda  ensuite  qu'il  plût  au  concile  de  procéder 
à  la  déposition  de  Jean  XXIII  ^.  On  la  fit  précéder  immédiate- 
ment d'un  décret  portant  que,  «  si  le  Saint-Siège  venait  à  vaquer, 
il  ne  serait  pris  aucune  décision  à  cet  égard  sans  l'approbation  du 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  705,  etc.—  Hard.  t.  VIII,  p.  367,  etc.—  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  264-266.  Le  comte  palatin  appartenait,  comme  son  père  le  roi  Ru- 
precht,  à  l'obédience  de  Grégoire  XII. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  709,  au  bas  [Et  quia,  etc.)  —  Hard.  t.  VIII,  p.  372. 
Tous  deux  se  trompent  en  rapportant  cet  acte  à  la  onzième  session. 


442  DÉPOSITION  DU   PAPE  JEAN   XXIII. 

saint  concile  œcuménigue  »  ^  Vint  ensuite  l'acte  de  déposition, 
qui  fut  lu  par  l'évoque  d'Arras,  assisté  des  délégués  des  nations  : 
le  patriarche  d'Antioche  pour  les  Français,  l'évêque  Nicolas  de 
Merseboui'g  pour  les  Allemands,  Antoine  de  Concordia  (ville  si- 
tuée entre  Venise  et  Aquilée)  pour  les  Italiens,  et  le  patrice 
Gortagensis  pour  les  Anglais.  Le  décret  était  ainsi  conçu  :  «  Le 
très-sainl  concile  général  de  Constance,  canoniquement  réuni  au 

nom  du  Saint-Esprit ,  après  avoir  examiné  les  accusations 

formulées  contre  le  pape  Jean  XXIII  et  les  preuves  produites  à 
l'appui,  après  avoir  reçu  la  promesse  de  soumission  volontaire 
dudit  pape,  déclare  :  i"  Que  son  départ  de  Constance  et  son 
éloignement  du  concile,  exécuté  clandestinement,  nuitamment, 
sous  des  vêtements  étrangers  et  ignominieux,  a  été  et  est  encore 
un  atîte  coupable,  manifestement  injurieux  pour  l'Église  de  Dieu 
et  le  concile,  nuisible  à  la  paix  et  à  l'union  de  ladite  Église,  pro- 
fitable au  schisme  et  formellement  contraire  aux  promesses  du 
pape  lui-m.ême;  2"  que  le  seigneur  Jean  a  été  et  est  encore  no- 
toirement simoniaque,  dissipateur  des  biens  et  privilèges  ecclé- 
siastiques, administrateur  infidèle  de  l'Église,  tant  au  spirituel 
qu'au  temporel;  3°  que  le  débordement  de  ses  mœurs  et  l'indi- 
gnité de  sa  vie,  tant  après  qu'avant  son  exaltation  et  malgré 
les  exhortations  les  plus  pressantes,  ont  scandalisé  l'Église  de 
Dieu  et  la  chrétienté  tout  entière,  au  point  de  nécessiter  sa  dé- 
position; 4°  qu'en  conséquence  le  saint  concile  relève  tous  les 
fidèles  de  leur  serment  d'obéissance  envers  le  pape,  leur  dé- 
fend de  lui  donner  le  nom  de  pape  et  de  se  conformer  à  ses 
ordres,  et  rend  valable,  en  vertu  de  sa  puissance  souveraine, 
tout  ce  qui  pourrait  se  trouver  de  défectueux  dans  la  procé- 
dure; 5°  le  concile  statue  conjointement  que  Jean  sera  désor- 
mais mis  en  lieu  sur  et  convenable,  sous  la  surveillance  de 
Sigismond,  roi  des  Romains  et  des  Hongrois,  et  se  réserve  de 
prononcer  ultérieurement,  après  enquête,  sur  les  peines  qui 
devront  lui  être  appliquées  ;  6°  enfin  le  concile  prononce  que  ni 
Balthasar  Gossa ,  ni  Angelo  Corrario ,  ni  Pierre  de  Luna ,  ne 
pourront  désormais  être  élevés  sur  la  chaire  pontificale  ^ .  » 

(1)  Mansi,  1.  c.  p.  TIF),  au  milieu.  —  Hard.  1.  c.  p.  375,  nu  ])as.  —  Van  der 
Hardt,  t.  IV,  p.  282.  Ce  dernier  place  à  tort  ce  décret  après  la  dépopilion, 
puisque  le  texte  dit  formellement  que  le  Raint-Sicge  n'était  pas  encore  va- 
cant. Le  décret  est  inséré  à  la  place  voulue  dans  le  Chronkor.  Caroli  YL 
lib.  XXXVI,  c.  33. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  715,  etc.—  IlARft.  t.  VIll,  p.  37G,  etc.— V.  d.  IIardt, 


ONZIÈME  ET  DOUZIÈME   SESSIONS  GÉDÈRALES   (25  ET  29  MAI  1415).    443 

Quand  fut  posée  la  question  d'acceptation  du  décret,  le  cardi- 
nal président  répondit  le  premier,  au  nom  de  ses  collègues, 
placet.  Cet  exemple  fut  suivi  par  les  quatre  représentants  des 
nations  et  bientôt  par  tous  les  membres  du  concile  et  tous  les 
assistants.  Le  cardinal  Zabarella  voulut  néanmoins  lire  une  dé- 
claration, qu'il  fut  obligé  d'interrompre  parce  que  porsonne  ne 
voulait  l'écouter.  L'archevêque  de  Riga  apporta  alors  le  sceau 
pontifical  [biilla],  que,  sur  la  proposition  de  Piro,  le  cardinal  fit 
briser  par  un  orfèvre;  on  brisa  aussi  les  armes  du  pape.  L'arche- 
vêque reçut  alors  des  félicitations  sur  la  manière  dont  il  s'était 
acquitté  de  sa  mission  auprès  du  souverain  pontife  *. 

Dans  cette  même  session,  on  nomma  quatre  commissaires, 
chargés  d'appeler  au  concile  les  prélats  qui  ne  s'y  étaient  pas 
encore  rendus,  et  de  poursuivre  les  récalcitrants.  Une  seconde 
députation  reçut  pour  mission  d'aller  notifier  au  pape  le  décret 
définitif.  Elle  se  rendit  à  Radolfszell,  le  31  mai.  Jean  XXIII  lui 
fit  le  meilleur  accueil,  demanda  un  délai  de  deux  heures,  après 
lequel  il  déclara  recevoir  et  ratifier  la  sentence  sans  y  faire  la 
moindre  opposition.  Il  voulut  ensuite  confirmer  cette  accepta- 
tion par  un  serment  solennel,  et  faire  ôter  de  son  appartement 
la  croix  pontificale;  puis,  après  avoir  exprimé  le  regret  d'être 
monté  sur  le  Saint-Siège,  il  se  déclara  prêt  à  comparaître  devant 
le  concile,  dont  il  reconnaissait  la  juridiction,  pour  se  défendre 
contre  toute  accusation  ou  poursuite  ultérieure  ;  enfin  il  termina 
en  se  recommandant  à  la  clémence  de  cette  assemblée.  Tous  ces 
incidents  furent  consignés  dans  un  procès-verbal,  qu'on  lut  le 
1"  juin  devant  les  délégués  des  nations  ^. 

Deux  jours  après  (3  juin  1415),  on  transporta  le  pape  déposé  à 
Gottlieben,  château  de  l'évêque  de  Constance,  où  Hus  avait  été 
lui-même  récemment  interné.  La  surveillance  de  Jean  XXIII, 
ou,  comme  on  disait  alors,  de  Balthasar  Gossa,  fut  confiée  par 
l'empereur  au  comte  palatin,  Louis  de  Bavière,  qui  s'acquitta  de 
cette  mission  avec  la  plus  grande  rigueur.  Ainsi  il  éloigna  de  la 


t.  IV,  p.  281-285.  Cette  dernière  décision,  relative  à  l'exclusion  des  trois 
prétendants,  se  trouve  mentionnée  avec  blâme  dans  une  lettre  de  Nicolas 
de  Glemangis  au  concile.  V.  d.  Haedt,  t.  1,  p.  38.  il  croyait  qu'une  nou- 
velle élection  de  Benoît  XIII  amènerait  le  complet  rétablissement  de  la  paix. 

(1)  Mansi,  t.XXYII,  p.  714,  etc.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  375.  —  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  282. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  717-719.  —  Hard.  t.  VIII.  p.  377-380.—  V.  d.  Haret, 
t.  IV,  p.  285,  etc.  et  291-295. 


444  DÉPOSITION   DU   PAPE  JEAN  XIII,   ETC. 

personne  du  pape  tous  les  serviteurs  qui  lui  étaient  demeurés 
fidèles,  et  bientôt  personne  n'osa  plus  communiquer,  même  par 
lettre,  avec  le  malheureux  captif.  Une  lettre  récemment  publiée 
de  Pierre  dePulka,  député  de  l'Université  de  Vienne,  nous  ap- 
prend que  son  infortune  commençait  alors  à  exciter  la  compas- 
sion et  à  attirer  de  vifs  reproches  au  concile  ^  On  trouva  bientôt 
que  la  prison  de  Gottheben  n'était  pas  assez  sûre,  et  le  comte 
palatin  transporta  le  prisonnier  dans  son  propre  château  de 
Heidelberg,  ce  qui  procura  du  moins  au  pape  une  résidence 
convenable,  ainsi  que  la  société  de  deux  chapelains  et  de  quelques 
nobles  serviteurs.  Au  bout  d'un  an,  le  bruit  s'étant  répandu  que 
Jean  XXIII,  secondé  par  le  gouverneur  du  château,  avait  formé 
le  projet  de  se  réfugier  chez  l'archevêque  de  Mayence  qui  lui 
était  attaché,  le  comte  palatin  accourut  de  Constance,  fît  jeter  le 
gouverneur  dans  le  Rhin ,  et  conduisit  lui-même  le  pape  à 
Mannheim.  Là  il  rendit  sa  captivité  plus  sévère,  et  prit  soin 
de  l'entourer  exclusivement  d'Allemands,  dont  Jean  XXIII  ne 
connaissait  pas  la  langue,  ce  qui  ne  lui  permettait  de  com- 
muniquer que  par  signes.  Après  l'élection  du  nouveau  pape,  le 
comte  palatin  consentit  enfin  à  délivrer  son  prisonnier,  moyen- 
nant une  grosse  somme  (de  30  à  40,000  florins  d'or),  et,  paraît- 
il,  à  l'insu  et  contre  le  gré  de  l'empereur.  Nous  verrons  plus  loin 
ce  qui  lui  advint  dans  la  suite.  Cependant  le  concile  s'empressa 
d'annoncer  à  tout  le  monde  chrétien  la  déposition  de  Jean  XXIIP. 
On  envoya  en  France  les  évoques  de  Carcassonne  et  d'Evreux, 
ainsi  que  deux  députés  de  l'Université  de  Paris,  Benoit  Gentian 
et  Jacques  de  Spars,  ce  dernier  docteur  en  médecine.  Mais  à 
peine  furent-ils  arrivés  dans  le  duché  de  Bar  qu'ils  tombèrent 
le  8  juin  1415  entre  les  maius  des  soldats  bourguignons,  qui, 
après  les  avoir  arrêtés,  les  dépouillèrent  et  les  conduisirent  en 
prison.  L'intervention  du  duc  de  Bar,  qui  menaça  de  mort  les 
coupables,  permit  aux  ambassadeurs  de  continuer  leur  voyage. 
D'ailleurs  la  nouvelle  de  la  déposition  ne  reçut  à  Paris  qu'un 
assez  froid  accueil,  la  cour  de  France  n'ayant  point  été  con- 
sultée à  cet  égard  ^. 


(1)  Archiv.  fur  Kunde  ôsteneichischer  Geschichtsquel.  t.  XV^  p.  25. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  296,  etc.  —  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  40.  —  Lenpant, 
1,  c.  1. 1,  p.  299.  —  AsGHBAGH,  Gesc/i.  des  Kaisers  Sigismund,  t.  II,  p.  92,  etc. 

(3)  Chronicor.  Caroli  YI,  lib.  XXXVl,  c.  34. 


HUS  DEVANT  LE   CONCILE.    PEEMIER   ET    SECOND   INTERROGATOIRES.    445 


757. 


HUS  DEVANT    LE   CONCILE.    PREMIER   ET   SECOND   INTERROGATOIRES 

(6  ET  7  JUIN  1415). 

Tandis  qu'on  procédait  ainsi  contre  le  pape  Jean,  la  question 
hussite  ne  laissait  pas  que  d'attirer  l'attention  du  concile,  et  il 
est  temps  que  nous  y  revenions  nous-mêmes.  Nous  trouverons 
d'abord  le  plus  grand  intérêt  à  étudier  les  lettres  de  Hus,  na- 
guère éditées  par  Palacky  dans  un  ordre  satisfaisant  [Documenta 
Magistri  Joannis  Eus.  Prague,  1869).  Celles  qui  viennent  pour 
nous  en  première  ligne  ont  été  écrites  du  couvent  des  domini- 
cains, 011  il  était  interné  dans  les  premiers  mois  de  l'année  1415, 
et  avant  sa  translation  à  Gottlieben  (p.  93).  Dans  la  première, 
adressée  aux  habitants  de  Prague  et  datée  du  19  janvier  1415,  il 
faisait  allusion  à  la  convalescence  dans  laquelle  il  venait  d'entrer 
après  une  grave  maladie  (p.  72).  Il  recommandait  à  ses  amis  de 
demander  à  Dieu  pour  lui  la  grâce  de  la  persévérance,  et  se 
plaignait  de  voir  les  lettres  qu'il  avait  laissées  en  Bohême  tra- 
duites inexactement  en  latin  (p.  63).  Il  ajoutait  enfin  que  la 
haine  accumulait  contre  lui  tant  d'accusations,  qu'il  trouvait  à 
peine  dans  sa  prison  le  loisir  d'y  répondre  ^.  La  seconde  lettre, 
adressée  à  Jean  de  Ghlum,  faisait  aussi  mention  de  sa  convales- 
cence. Hus  y  réclamait  une  Bible,  de  l'encre,  des  plumes  et  un 
petit  encrier;  puis  il  supphait  le  chevalier  de  Ghlum  de  deman- 
der pour  lui  à  l'empereur  la  liberté  et  la  faveur  d'une  audience 
publique  ^.  Jean  de  Ghlum  répondit  que,  sur  les  instances  de 
Sigismond,  les  délégués  des  nations  avaient  promis  d'accorder  à 
Hus  un  interrogatoire  public,  que  ses  amis  s'efforçaient  de  lui 
procurer  une  habitation  plus  saine  et  mieux  aérée ,  qu'il  ne 
devait  pas  trahir  la  vérité,  toutefois  qu'il  ferait  bien  de  ne  pas 
faire  connaître  son  sentiment  sur  la  communion  laïque,  parce 
que  ses  amis  n'étaient  pas  d'accord  sur  ce  point  ^. 

La  lettre  suivante  était  adressée  au  même  personnage.  Hus 
lui  mandait  que  les  délégués  du  concile  auraient  voulu  le  déci- 

(1)  Documenta,  p.  83,  etc. —  Hôfler,  Geschishtschr.  l^^  partie,  p.  143,  etc- 
Hussii  Ojjp.  1715,  1. 1,  p.  76,  n.  10. 

(2)  Documenta^  p.  85.  —  Hmsii  0pp.  1. 1,  p.  94,  n°  53. 

(S)  Documenta,  p.  85,  etc.  —  Eussii  0pp.  i.  1,  p.  91,  n»  47. 


446  HUS  DEVANT  LE  CONCILE. 

deràse  remettre  entre  les  mains  d'une  commission  de  douze 
ou  treize  maitres,  mais  qu'il  avait  réclamé  un  interrogatoire 
public  en  présence  du  concile  tout  entier.  Plus  loin  il  parle  de 
ses  explications  sur  les  quarante-cinq  articles  de  Wiclef  et  de  ses 
réponses  aux  propositions  extraites  de  son  livre  De  Ecclesia, 
explications  et  réponses  qu'il  a  écrites  en  prison,  sans  le  secours 
d'aucun  livre;  puis  ii  se  loue  des  bons  procédés  qu'ont  pour  lui 
les  clercs  de  la  chambre  pontificale  et  les  gardes  auxquels  il  est 
confié.  Nous  y  remarquons  aussi  cette  phrase  :  «  Je  n'ai  pas 
trouvé  de  consolateur  plus  désagréable  dans  ma  maladie  que 
Palecz  ^.  w  Preuve  que  celui-ci  avait  eu  permission  de  le  visiter. 
Du  reste,  nous  trouvons  encore  la  preuve  de  cette  visite  dans 
une  lettre  adressée  à  Pierre  de  Mladenovv^icz.  Hus  se  plaint  à  lui 
de  ses  démêlés  avec  Jacobell.  Il  faut  observer  que  Hus  avait 
écrit  auparavant  à  Jacobell,  et  lui  disait,  entre  autres  choses  : 
«  Mes  ennemis  prétendent  qu'on  ne  m'accordera  pas  d'audience 
publique  avant  que  je  n'aie  payé  2,000  ducats  aux  serviteurs  de 
l'antechrist.  »  Michel  de  Gausis  était  parvenu  à  se  procurer  une 
copie  de  cette  lettre,  ainsi  que  de  la  longue  réponse  qu'y  fit 
Jacobell.  Les  commissaires  demandèrent  à  Hus,  sous  la  foi  du 
serment,  si  ces  reproductions  étaient  fidèles.  Celui-ci  l'affirma, 
bien  que,  sans  y  faire  attention,  il  n'eût  pas  lu  la  longue  lettre 
de  Jacobell,  qu'il  croyait  pleine  d'observations  pénibles.  (Jacobell 
en  effet  était  mécontent  de  voir  Hus  ne  pas  se  prononcer  sur 
l'introduction  du  calice  dans  la  communion  laïque.)  Aussi  le  pri- 
sonnier fait-il  cette  remarque  à  son  sujet  :  «  Jacobell  prêche 
toujours  la  défiance  contre  les  hypocrites;  cependant  personne 
ne  se  fie  plus  aux  hypocrites  que  lui,  qui  se  laisse  duper  par 
eux  ^.  »  Il  paraît  que  la  lettre  dont  nous  nous  occupons  avait 
été  écrite  avant  les  trois  que  nous  venons  de  mentionner,  puisque 
nous  y  trouvons  cette  observation  de  l'auteur  :  «  A^oici  la  se- 
conde lettre  que  j'écris  de  cette  prison.  »  La  sixième  est  encore 
adressée  à  Jean  de  Ghlum.  Hus  y  demande  que  l'empereur 
Sigismond,  ainsi  que  Ghlum  et  ses  deux  autres  protecteurs  de 
Bohême,  Henri  Latzenbock  et  Wenceslas  de  Duba,  assistent  à 
l'audience  publique  qu'on  lui  fait  espérer.  Il  ajoute  qu'on  ne  lui 
a  donné  ni  procurateur,  ni  avocats,  et  que  tous  les  griefs  de  ses 


(1)  Documenta,  p.  86,  etc.  —  Hussii  0pp.  ibid.  p.  94,  n°  52. 

(2)  Documenta,  p.  87,  etc.  —  Eusdi  0pp.  1. 1,  p.  90,  n"  43. 


PREMIER  ET  SECOND   INTERROGATOIRES    (6   ET   7    SUIN    1415).      447 

adversaires  se  réduisent  à  quatre.  Ainsi  on  lui  reproclie  :  1"  d'a- 
voir arrêté  la  publication  de  la  bulie  pour  la  croisade;  2°  d'être 
resté  longtemps  sous  le  coup  de  l'excommunication,  et  d'avoir 
exercé  nonobstant  cette  sentence  les  fondions  ecclésiastiques; 
3°  d'avoir  appelé  de  la  sentence  du  pape  ;  4°  enfin  ses  adversaires 
ont  méchamment  traduit  une  lettre  qu'il  a  laissée  en  Bohême,  et 
dans  laquelle  on  lui  fait  dire  ces  paroles  :  Exeo  sine  salvo  con- 
ductu.  A  cet  égard,  ses  amis  peuvent  rétablir  la  vérité  en  disant 
qu'il  est  sorti  sans  avoir  de  sauf-conduit  du  pape,  et  qu'à  l'époque 
où  cette  lettre  a  été  écrite,  il  n'était  pas  sûr  d'être  accompagné 
par  Clilum  et  par  deux  autres  chevaliers  tchèques.  En  termi- 
nant, Hus  exprime  le  désir  de  voir  l'empereur  abréger  sa  capti- 
vité après  lui  avoir  accordé  la  faveur  de  l'audience  *. 

Remarquons  que  c'est  la  seconde  fois  que  Jean  Hus  se  sert  de 
l'expression  sans  sauf-conduit  du  pape.  (Il  l'avait  déjà  employée 
dans  une  lettre  du  6  novembre  1414,  Bocmnetita,  p.  78,  et 
Hôfler,  t.  I,  p.  131.)  Palacky  prétend  bien  {Gesch.  von  Bôhmen, 
t.  III,  p.  318)  que  c'est  ipse  qu'il  faut  lire  au  lieu  de  papœ,  mais 
il  se  trompe  évidemment.  Voici  plutôt  l'état  de  la  question  : 
Hus  ayant  déclaré  qu'il  s'était  mis  en  route  pour  Constance  sans 
sauf -conduit,  ses  adversaires  l'accusaient  d'imposture  et  de  jac- 
tance, car  l'empereur  lui  ayant  donné  trois  chevaliers  bohé- 
miens pour  lui  servir  de  sauvegarde,  il  n'avait  plus  le  droit  de 
dire  dans  sa  lettre  :  «  Je  pars  sans  sauf-conduit.  »  Hus  faisait  à 
ce  reproche  une  double  réponse  :  1°  lorsqu'il  avait  écrit  ces 
mots  (sans  sauf-conduit),  il  n'était  pas  certain  d'être  accompagné 
par  les  chevaliers  tchèques;  2"  dans  sa  pensée  il  s'agissait  d'un 
sauf-conduit  accordé  par  le  pape;  or,  en  fait  il  n'en  avait  pas 
obtenu  du  Saint-Siège.  Nous  nous  contenterons  de  dire  que  cette 
manière  de  raisonner  est  un  pauvre  argument,  pour  ne  pas  l'ap- 
peler un  misérable  subterfuge. 

La  septième  lettre  [Documenta,  p.  89)  est  encore  écrite  à  Jean 
de  Ghlum  ;  mais  il  est  facile  de  voir  qu'elle  est  adressée  à  plu- 
sieurs amis.  Hus  a  passé  presque  toute  la  nuit  précédente  à  ré- 
pondre aux  accusations  formulées  contre  lui  par  Palecz,  qui  s'oc- 
cupe activement  de  le  faire  condamner;  c'est  son  ennemi  capital. 
Mais,  si  c'est  une  hérésie  d'avoir  dit  que  l'on  peut  s'emparer  des 
biens  du  clergé,  l'empereur  Sigismond  et  son  père  doivent  être 

(1)  Documenta,  p.  88,  — '  Hussii  Opp,  I,  p.  92,  n°  49. 


448  HUS  DEVANT  LE  CONCILE. 

regardés  comme  hérétiques,  puisqu'ils  se  sont  attribué  le  tem- 
porel de  plusieurs  évêques.  Cet  article  et  deux  autres  semblables 
décideront  l'empereur  à  supprimer  les  accusations  des  doc- 
teurs de  Prague.  Il  faut  faire  arriver  jusqu'à  lui  les  réponses 
de  l'accusé.  A  ce  propos,  Hus  se  plaint  de  la  froideur  appa- 
rente du  prince,  et  exhorte  ses  amis  à  la  prudence.  Ni  Jésé- 
nicz,  ni  Jérôme  de  Prague,  ni  personne,  en  un  mot,  n'a  encore 
pu  l'approcher;  il  s'étonne  néanmoins  qu'aucun  Tchèque  ne 
soit  venu  visiter  sa  prison.  Maître  Gardinalis  doit  être  plus  dé- 
fiant qu'aucun  autre  ;  qu'il  ne  quitte  pas  la  cour,  de  peur  d'être 
arrêté,  car  il  aura  sans  doute  déjà  traité  de  simoniaques  le  pape 
et  les  cardinaux.  Enfin  Hus  forme  le  vœu  de  s'entretenir  au 
moins  une  fois  avec  Sigismond  avant  d'être  condamné. 

Au  commencement  de  la  huitième  lettre,  adressée  à  ses  amis 
de  Constance,  il  rappelle  ses  déclarations  sur  la  communion  des 
laïques,  et  fait  observer  que  la  sainte  Écriture  et  les  mœurs  de 
la  primitive  Église  leur  accordent  également  l'usage  du  calice. 
Ce  serait  donc  une  épreuve  à  tenter  que  de  concéder  ce  privilège 
par  une  bulle  à  ceux  qui  auraient  cette  dévotion.  Les  com- 
missaires de  Jean  XXIII  (voir  p.  71),  et  particuhèrement  le  pa- 
triarche de  Constantinople,  lui  ont  demandé  s'il  voulait  défendre 
les  quarante-cinq  articles  de  Wiclef.  11  a  répondu  négativement, 
malgré  les  efi'orts  continuels  de  Michel  de  Gausis  et  d'Etienne  de 
Palecz  pour  le  surprendre  et  le  perdre.  Ainsi  on  a  fait  courir  le 
bruit  qu'il  est  très-riche  et  possède  70,000  ducats  ^ 

La  neuvième  lettre  contient  le  récit  d'un  songe  (d'ailleurs  sans 
intérêt)  que  Chlum  essaye  d'interpréter  dans  sa  réponse.  Hus 
d'ailleurs  en  donne  lui-même  une  autre  explication  dans  sa 
dixième  lettre,  adressée  au  seigneur  de  Chlum,  avec  la  qualifica- 
tion latine  Doctoralis  de  Pibrach,  parce  qu'à  Biberach,  en  Souabe, 
sa  facilité  de  parole  l'avait  fait  prendre  eff'ectivement  pour  un 
docteur  ^.  Nous  pouvons  constater  dans  la  lettre  suivante  que 
Hus  avait  été  mis  par  ses  amis  au  courant  de  diverses  nouvelles, 
et  que  ceux-ci  se  réunissaient  chez  «  la  veuve  de  Sarepta  »,  c'était 
l'ancienne  hôtesse  de  Hus  à  Constance.  La  treizième  lettre  est  une 
consolation  poétique  écrite  de  prison  à  ses  amis.  Hus  y  fait  re- 
marquer ensuite  qu'il  est  le  premier  à  avoir  enseigné  la  vraie  mé- 


(1)  Documenta,  p.  94.  —  Hussii  0pp.  1. 1^  p.  94,  n"  48. 

(2)  Documenta,  p.  93-95.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  90,  etc.  n"^  4i,  45,  46. 


PKEMIER  ET  SECOND   INTEBR0GAT0IRE3    (6   ET    7    JUIN    1415).      449 

thode  de  prier  et  de  comprendre  les  psaumes,  puisqu'il  presse 
ses  amis  de  se  préparer  dignement  à  la  communion  pascale,  qui 
approche,  bonheur  dont  il  sera  privé  lui-même,  comme  autrefois 
les  apôtres  emprisonnés.  En  forme  de  conclusion,  se  trouve 
l'exclamation  qu'il  a  déjà  répétée  bien  des  fois  :  0  si  Deus  daret 
tempus  scribendi  contra  mendacia  Parisiensis  cancdlarii  M 
C'est  le  4  mars  1415,  huit  semaines  après  sa  translation  au  ré- 
fectoire des  dominicains,  que  Hus  adressa  sa  quatorzième  lettre 
à  Jean  de  Ghlum.  Il  y  parle  des  terribles  douleurs  de  la  pierre, 
qu'il  a  ressenties  pour  la  première  fois,  avec  accompagnement 
de  fièvre  et  de  vomissements  si  violents  que  les  gardes  le  firent 
sortir  de  sa  prison,  croyant  qu'il  allait  mourir.  Puis  il  se  plaint 
de  ne  pouvoir  plus  écrire  à  ses  amis,  tant  est  rigoureuse  la 
surveillance  dont  on  l'entoure,  et  les  prie  d'aller  trouver  le  vice- 
camérier  pour  obtenir  la  permission  de  le  visiter  dans  son  cachot. 
Mais  il  faudra  dans  ce  cas  parler  latin,  à  cause  des  gardes,  dont 
on  aura  soin  d'ailleurs  de  récompenser  la  complaisance.  Dés  qu'il 
sera  libre,  il  ne  manquera  pas  de  rembourser  tous  les  frais  qu'il 
peut  causer  à  Jean  de  Ghlum.  11  termine  en  disant  qu'il  a  fini  ce 
jour-là  même  le  traité  De  corpore  Christi,  après  avoir  achevé  la 
veille  celui  du  mariage.  Enfin,  pour  abréger,  les  dernières  lettres 
datées  du  couvent  des  dominicains  furent  écrites  aussitôt  après 
la  fuite  du  pape  (20  mars  1415).  Il  y  est  dit  que  les  gardes  nom- 
més par  Jean  XXIII  s' étant  enfuis  comme  lui,  Hus  restait  dé- 
pourvu de  toute  subsistance.  L'évêque  de  Constance  s'était  dé- 
gagé de  toute  responsabilité  à  son  égard,  et  le  prisonnier  craignait 
d'être  enlevé  subrepticement  par  le  maître  de  la  cour  pontifi- 
cale. N'est-ce  pas  au  roi  (disait-il)  de  veiller  sur  les  siens,  et  ne 
devrait-il  pas  me  faire  délivrer  «  ce  soir  »  ^. 

Il  est  évident  que  presque  toutes  ces  lettres  ont  un  air  de  dé 
fiance  et  de  réserve  qu'imposait  à  leur  auteur  la  crainte  de  se 
compromettre  ou  de  nuire  à  ses  correspondants.  Bien  des  indi- 
cations sont  vagues;  les  personnes  sur  l'amitié  desquelles  Hus 
croit  pouvoir  compter  sont  désignées  d'une  façon  enigmatique 
intelligible  pour  les  seuls  initiés.  Gomme  nous  l'avons  déjà  dit, 
Hus  fut  transféré  à  Gottlieben  après  la  fuite  du  pape,  et  y  resta 


(1)  Dùcumenta,  p.  96,  etc.  —  Bussii  0pp.  1. 1 ,  p.  93,  n°  50.  Ici,  il  n'y  a 
qu'une  lettre  au  lieu  de  deux  que  mentionnent  les  Documenta. 

(2)  Documerda,  p.  98-100.  —  Bussii  0pp.  1. 1,  p.  93-95,  n°»  51,  55,  56. 

T.  X.    29 


1 


450  HUS   DEVANT   LE    CONCILE. 


jusqu'au  mois  de  juin;  mais  nous  n'avons  aucune  lettre  de  lui 
pendant  cette  partie  de  sa  détention.  Nous  savons  seulement  que 
les  cinquante  docteurs  de  la  commission  d'enquête  nommée  par 
le  concile  eurent  avec  lui  plusieurs  discussions.  On  lui  donna 
lecture  de  plusieurs  articles  extraits  de  ses  ouvrages.  Il  pré- 
tendit y  rencontrer  beaucoup  d'inexactitudes  *  et  montra  d'ail-  j 
leurs  si  peu  de  retenue  dans  ses  séances,  qu'un  chartreux, 
témoin  oculaire,  rendait  de  lui  ce  témoignage,  le  19  mai  1415  : 
j&m  prœsens  fui  in  examine  ejus  et  nunquam  vidi  ita  audacem 
et  temerarium  ribaldum  et  qui  ita  caute  sciret  respondere  [de) 
tegendo  veritatem  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  la  noblesse  de  Bobême  remit,  le  31  mai 
1415,  après  la  déposition  de  Jean  XXIII,  un  nouveau  mémoire 
aux  délégués  des  quatre  nations,  en  s'en  référant  à  celui  da 
18  mai  qu'on  avait  laissé  sans  réponse.  La  lecture  de  cette  pre- 
mière requête,  jointe  aux  dispositions  bienveillantes  des  Pères, 
ferait,  disaient  les  tchèques,  reconnaître  au  concile  que  les  me- 
sures oppressives  adoptées  contre  le  maître  Jean  H  us  avaient  été 
suggérées  par  la  haine  et  la  cruauté.  Hus  n'avait-il  pas  cent  fois 
déclaré  solennellement  que  rien  dans  sa  conduite,  comme  prêtre 
ou  professeur,  particulièrement  dans  ses  sermons,  n'avait  eu 
pour  but  d'attaquer  la  foi  de  l'Église,  ainsi  que  cela  ressortait 
évidemment  de  la  protestation  annexée  à  ce  mémoire?  En  voici 
la  substance  :  «  Moi,  fidèle  membre  de  Jésus-Ghrist  chef  et  époux 
de  l'Église,  n'ayant  en  vue  que  la  gloire  de  Dieu  et  l'avantage  de 
l'Église,  je  renouvelle  ici  la  déclaration  que  j'ai  déjà  faite  :  savoir 
que  je  n'ai  jamais  opiniâtrement  soutenu  et  ne  veux  soutenir  rien 
qui  soit  contraire  à  la  foi  catholique,  que  je  mets  mon  espérance 
dans  le  Seigneur,  et  consens  à  subir  la  mort  avec  son  secours, 
et  qu'enfin  je  suis  prêt  à  rétracter  tout  ce  qui  aurait  pu  m'é- 
chapper  de  contraire  à  la  foi.  »  Cependant,  ajoutaient  ses  com- 
patriotes, ses  ennemis  acharnés  ont  extrait  de  ses  œuvres  et  de 
ses  leçons  certains  articles  odieusement  mutilés  et  tronqués 
[trimcatim  et  syncopatim),q\i  ils  ontdonnés  commodes  preuves 
et  des  documents  contre  lui,  sans  faire  aucune  distinction  entre 
des  termes  équivoques,  sans  rougir  même   de  supposer  des 


(1)  Documenta,  p.  107.  —  Ilussii  0pp.  1. 1,  p.  79,  ep.  15. 

(2)  Martène,  Thés.  t.  II,  1635. 


PREMIER  ET   SECOND   INTERROGATOIRES    (6    ET   7   JUIN    1415).       451 

articles  entiers,  afin  de  l'accabler  et  de  le  conduire  au  supplice, 
malgré  le  sauf-conduit  de  l'empereur.  Ces  motifs  et  la  considé- 
ration de  la  flétrissure  que  de  telles  accusations  impriment  au 
royaume  de  Bohême  tout  entier,  doivent  engager  les  Pères  du 
concile  à  faire  comparaître  Hus  devant  une  réunion  d'hommes 
éclairés  et  versés  dans  l'Écriture  sainte,  dont  plusieurs,  du 
reste,  ont  été  déjà  désignés  à  cet  effet.  Ces  commissaires  enten- 
dront l'accusé  discuter  tous  les  articles  qu'on  lui  reproche,  afin 
d'apprécier  le  sens  qu'il  leur  donne,  et  les  preuves  qu'il  apporte 
à  l'appui;  ils  lui  permettront  aussi  de  distinguer  les  expressions 
équivoques,  et  le  jugeront  ainsi  en  connaissance  de  cause,  et 
non  plus  sur  la  foi  de  témoins  qui  sont  pour  la  plupart,  et  depuis 
longtemps,  ses  ennemis  mortels.  Quanta  lui,  il  est  prêt  à  accepter 
la  décision  du   concile...  Les    Bohémiens  citaient   ensuite   en 
faveur  de  Hus  le  témoignage  que  lui  avait  rendu  avant  son  dé- 
part pour  Constance  l'évêque  de  Nazareth,  en  qualité  d'inqui- 
siteur (p.  61),  puis  ils  suppliaient  les  Pères  de  délivrer  sans  délai 
le  prisonnier,  et  de  le  confier  à  la  garde  de  quelques  évêques  ou 
commissaires  désignés  par  le  concile,  ce  qui  permettrait  à  Hus 
de  reprendre  des  forces;  enfin,  ils  réclamaient  pour  lui  un  inter- 
rogatoire sérieux  et  calme,  auquel  il  pourrait  répondre  en  toute 
liberté.  La  noblesse  de  Bohême  offrait  en  outre  de  garantir  la 
présence  de  l'accusé  jusqu'à  la  fin  du  procès.  —  Les  requérants 
adressèrent  un  exemplaire  de  ce  mémoire  à  l'empereur,  en  le 
suppliant  de  faire  honneur  à  sa  parole,  et  d'user  de  son  influence 
sur  le  concile  pour  lui  faire  adopter  les    propositions  qu'ils 
venaient  de  lui  soumettre  *. 

Le  patriarche  d'Antioche,  parlant  au  nom  des  députés  des  quatre 
nations,  répondit  que  les  débats  devaient  faire  apprécier  la  valeur 
de  ces  protestations,  et  prouver  en  dernier  ressort  si  les  articles 
extraits  des  ouvrages  de  Hus  s'y  trouvaient,  oui  ou  non.  Si  son 
innocence  était  reconnue,  ses  ennemis  auraient  lieu  de  se  repen- 
tir. A.  l'égard  du  cautionnement  offert,  la  conscience  des  délégués 
ne  leur  permettait  pas  de  l'accepter  en  faveur  d'un  homme  qui  ne 
méritait  aucune  confiance.  Enfin,  le  vœu  qu'on  exprimait  d'un 
prompt  interrogatoire  devait  être  satisfait,  cet  interrogatoire 
étant  fixé  au  mercredi  suivant,  5  juin  ^. 


(1|  HoFLER,  GescMch  1''*  partie,  p.  155-160.  —  Documenta,  etc.  p.  266-270, 
(2)  C'est  le  récit  de  Pierre  de  Mladenowicz,  dans  Hôfler,  Ibid.  p.  160  et 


452  HUS  DEVANT  LE  CONCILE. 

Au  commencement  de  juin  1415,  Hus  fut  transféré  de  Gott- 
lieben  à  Constance  et  interné  dans  le  couvent  des  franciscains  * . 
Le  mercredi  5  juin  ^,  on  tint  ciiez  ces  religieux  une  congrégation 
générale,  à  laquelle  il  n'assista  point.  On  y  lut  des  passages  de 
ses  œuvres.  Ses  amis  avaient  lieu  de  craindre  une  réprobation 
immédiate;  ils  avaient  en  outre  constaté,  d'après  le  récit  de 
Mladenow^icz,  qu'on  avait  dénaturé  le  texte  d'une  lettre  lancée 
en  Bohême  par  l'accusé  avant  son  départ,  et  dans  laquelle  il 
aurait  dit  :  «  Si  j'abjure,  ce  sera  de  bouche  et  non  de  cœur.  » 
Ces  motifs  les  portèrent  à  faire  intervenir  l'empereur,  qui 
envoya  aussitôt  à  l'assemblée  le  comte  palatin  Louis  et  le  bur- 
grave  Frédéric  de  Nuremberg,  avec  prière  de  surseoir  à  toute 
sentence  et  condamnation,  d'écouter  patiemment  la  défense 
de  Hus,  et  de  déférer  les  articles  incriminés  à  Sa  Majesté  qui 
déléguerait  des  docteurs  pour  en  faire  l'examen  ^.  Les  nobles 
tchèques  engagèrent  aussi  ces  deux  seigneurs  à  lire  devant 
l'assemblée  le  traité  de  Ecclesia,  ainsi  que  les  écrits  de  Hus 
contre  Stanislas  de  Znaïm  et  Etienne  de  Palecz,  afin  qu'on  pût 
voir  combien  les  articles  extraits  de  ses  ouvrages  étaient  inexacts. 
On  suivit  ce  conseil,  et  Hus  fut  amené  devant  l'assemblée.  Il 
déclara  que  les  livres  qu'on  lui  présentait  étaient  vraiment  les 
siens,  et  il  s'engagea  humblement  à  les  corriger,  s'il  y  avait  lieu; 
puis  on  lut  les  articles  et  les  dépositions  des  témoins.  L'accusé 
s'efforça  d'interpréter  les  premiers  différemment,  et  voulut  mon- 
trer que  l'accusation  leur  avait  donné  un  sens  étranger  au  sien  ; 
mais  on  lui  cria  :  «  Laissez  là  tous  les  sophismes  et  répondez 
simplement  par  un  oui  ou  un  non.  »  Quelques-uns  même  se 
moquèrent  de  lui.  Il  ne  laissa  pas  que  de  vouloir  appuyer  certains 
points  de  doctrine  sur  le  sentiment  des  saints  docteurs  et  des 
Pères  de  l'Eglise  ;  mais  plusieurs  lui  crièrent  encore  que  ces  pas- 
sages n'avaient  aucun  rapport  à  la  question  :  alors  il  se  tut.  Ce 
silence  fut  interprété  comme  un  aveu,  et  il  en  résulta  une  telle 


208.  —  Documenta,  etc.  p.  270  et  273.  La  partialité  ordinaire  de  Mladeno- 
wicz  rend  assez  problématique  la  teneur  de  cette  sévère  réponse  du  pa- 
triarche. 

(1)  Dans  une  tour  de  la  ville  attenant  à  ce  monastère  (voir  n"  192).  M.vu- 
MOR.  Das  Concil.  zu  ConstanZj  1858,  p.  81. 

(2)  Au  lieu  de  feria  IV  post  Marcelli,  dans  Mladenowicz,  il  faut  lire  Marcel- 
Uni,  dont  on  fait  mémoire  le  2  juin. 

(3)  11  est  difficicile  de  croire  que  Sigismond  se  soit  arrogé  une  semblable 
suprématie;  aussi  ne  lit-on  pas  qu'il  ait  réellement  tenté  de  l'exercer. 


PREMIER  ET  SECOND  INTERROGATOIRES    (6   ET   7    JUIN    1415).      453 

émotion,  qu'on  crut  devoir  remettre  l'interrogatoire  au  premier 
jour  libre.  Gomme  il  regagnait  sa  prison,  Hus  trouva  ses  amis 
réunis,  il  les  consola  et  leur  donna  sa  bénédiction. 

Nous  suivons  ici  et  dans  les  pages  qu'on  va  lire  le  récit  de 
Pierre  de  Mladenowicz,  et  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  témoi- 
gnage de  ce  partisan  zélé  de  Hus  ne  doit  être  admis  qu'avec  cir- 
conspection. Nous  devons  avouer  que  quelques  articles  avaient 
été  altérés  au  détriment  de  Hus;  mais  il  ne  s'agissait  là  que 
d'un  très -petit  nombre  de  points,  et  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  la  grande  majorité  de  ses  articles  n'échappait  que  par  de  mi- 
sérables sophismes  au  soupçon  d'hérésie.  C'est  ce  qu'il  nous 
sera  facile  de  constater  en  examinant  le  sens  littéral  de  chacun 
d'eux.  — Hus  prétend,  dans  une  lettre  adressée  le  même  jour 
à  ses  amis,  qu'il  a  pu  démontrer  l'inexactitude  de  deux  des 
articles  discutés  à  cette  séance  (nous  n'avons  pas  à  l'égard  de 
ces  articles  de  plus  amples  renseignements).  Il  affirme  aussi 
avoir  montré  beaucoup  de  fermeté  dans  cette  occasion,  mais 
il  regrette  que  ses  amis  aient  parlé  de  son  traité  Contra  occul- 
tum  adversarium  (composé  en  1411),  ainsi  que  du  traité  de 
Ecclesia.  Ils  n'auraient  dû  présenter  que  les  ouvrages  com- 
posés contre  Stanislas  et  Palecz.  Le  premier  de  ces  écrits  [Con- 
tra occult.)  était  en  effet  de  nature  à  compromettre  son  au- 
teur :  car  il  y  était  dit  que  le  pouvoir  sécuHer  avait  le  droit  de 
contraindre  le  clergé,  par  la  violence  ou  la  confiscation,  à  mener 
une  vie  vertueuse.  [Hussii  opp.  t.  I,  p.  168,  etc.)  Hus  se  plaint 
en  outre,  dans  la  même  lettre,  de  Michel  de  Gausis  et  de  quelques 
autres  qui  avaient  crié  :  Au  bûcher  ;  mais  il  se  loue  de  la  con- 
duite du  «  Père  »  ^  et  d'un  docteur  polonais.  Il  n'avait  répondu 
à  l'évêque  de  Leitomysl  que  par  ces  mots  :  «  Que  vous  ai-je 
fait?  »  On  n'avait  pas  voulu  écouter  sa  distinction  à  l'égard  de 
l'Église,  et  l'enseignement  de  S.  Augustin  sur  le  même  sujet, 
ainsi  que  sur  la  prédestination,  n'avait  pas  trouvé  meilleur 
accueil  ^. 

Dans  une  autre  lettre  datée  du  6  juin,  Hus  parle  de  l'audience 
qu'il  doit  avoir  le  lendemain  à  la  seizième  heure  (10  h.  du 
matin),  et  du  langage  qu'il  a  l'intention  d'y  tenir.  Tout  ce  qu'il 


i 


(1)  Mathias  de  Knyn  avait  reçu  ce  surnom  de  «  père,  »  mais  ce  n'est  pas 
de  lui  qu'il  s'agit  ici;  du  reste,  c'était  aussi  un  ami  de  Hus. 

(2)  Documenta,  etCi  p.  104,  etc. —  Hussii  Opp,  1. 1,  p.  88,  ep.  36. 


454  HUS   DEVANT   LE   CONCILE. 

désire,  c'est  que  l'empereur  Sigismond  puisse  y  assister  *.  Ce 
vœu  fut  accompli.  Le  7  juin  on  tint  en  effet  une  congrégation 
générale,  au  réfectoire  des  franciscains,  une  heure  après  l'éclipsé 
remarquable  qui  signala  cette  journée  ^.  Sigismond  s'y  rendit 
avec  Jean  de  Ghlum,  Wenceslas  de  Duba,  et  Pierre  de  Mladeno- 
wicz.  On  exposa  les  articles  sur  lesquels  le  vicaire  de  l'achevêque 
de  Prague  avait  reçu  les  dépositions  des  témoins,  ainsi  que  ceax 
dont  on  avait  adopté  la  teneur  à  Constance  ;  Hus  répondit  sépa- 
rément sur  la  plupart  d'entre  eux.  L'un  de  ces  articles,  rédigé 
par  Michel  de  Causis,  était  ainsi  conçu  :  «  Jean  Hus,  au  mois  de 
juin  1411,  et  postérieurement  à  cette  date,  a  prêché  dans  Téghse 
de  Bethléem  et  dans  d'autres  lieux  des  sermons  remplis  d'er- 
reurs et  d'hérésies,  qu'il  a  empruntées  aux  ouvrages  de  Wiclef 
ou  tirées  de  son  propre  fonds  ;  il  a  enseigné  notamment  la  per- 
sistance du  pain  matériel  après  la  consécration,  et  ce  fait  est 
attesté  par  plusieurs   docteurs  et  curés.  »  Hus  répondit  qu'il 
n'avait  jamais  rien  soutenu  ni  pu  soutenir  de  semblable,  puisque 
telle  n'était  pas  son  opinion  ;  mais  que  l'archevêque  ayant  dé- 
fendu de  se  servir  du  mot  «  pain  »  dans  cette  circonstance,  il 
avait  combattu  cette  décision  en  s'appuyant  sur  le  6'  chap.  de 
S.  Jean,  où  Notre-Seigneur  emploie  souvent  lui-même  le  même 
terme.  Quant  à  la  persistance  du  pain  matériel,  il  ne  l'avait 
jamais  afQrmée.  Lo  cardinal  d'Ailly  voulut  alors  conclure  du 
réalisme  philosophique  de  Hus,  que  celui-ci  admettait  la  perma- 
nence de  la  substantia  communissima.  Pour  échapper  à  cette 
conclusion,  Hus  devait  affirmer  que  a  la  disparition  du  singulier 
dans  le  pain  était  suivie  nécessairement  de  la  disparition  de  Vuni- 
versel  du  pain,  »  c'est-à-dire  qu'il  devait  donner  raison  au  nomi- 
nalisme  ^.  A  quoi  Hus  répliqua  que  ce  cas  faisait  exception,  et 
que  dans  ce  «  singuher  »  le  pain  matériel  disparaissait,  en  se 
changeant  au  corps  du  Christ,  par  la  transsubstantiation  ^^  Trois 

({]  Documenta,  etc.  p.  105,  etc.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  84,  ep.  27. 

(2)  On  en  trouve  la  relation  dans  P.  de  Mladenowicz.  IIofler,  1.  c.  1"  part, 
p.  210-219.  —  Documenta,  etc.  p.  276-285. 

(3)  Hus  mentionne  cette  argumentation  de  d'Ailly  dans  une  de  ses  lettres. 
Documenta,  etc.  p.  106,  etc.  ep.  65.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  79,  ep.  15.  Cepen- 
dant Gzerwenka  s'obstine  à  faire  de  Hus  un  nominaliste. 

(4)  Palacky  dit  avec  raison  (Gesch.  von  Bôhmen,  t.  III,  1,  p.  350)  que  la 
controverse  philosophique  du  nominalisme  et  du  réalisme  n'a  pas  eu  une 
grande  influence  sur  le  procès  de  Hus;  mais  il  se  trompe  en  prétendant  qu'il 
n'en  fut  question  que  ce  jour-là,  et  point  du  tout  dans  la  suite  du  procès. 
Schwab  démontre  au  contraire  que  dans  les  dix-sept  articles  (Mansi,  t.  XXVII, 


PREMIER   ET   SECOND   INTERROGATOIRES   (6   ET    7    JUIN    1415).       455 

Anglais  intervinrent  encore  dans  ce  débat.  Les  deux  premiers 
voulurent  aussi  tirer  du  réalisme  de  Hus  des  arguments  pour  la 
permanence  du  pain  matériel,  mais  le  troisième,  maître  William, 
dit  que  Hus  cherchait  des  subterfuges,  comme  Wiclef,  qui 
faisait  les  mêmes  concessions  que  lui,  tout  en  soutenant 
néanmoins  la  permanence.  Alors  Hus  s'écria  :  «  Dieu  m'est 
témoin  que  je  parle  loyalement,  et  du  fond  du  cœur.  —  Le 
corps  du  Christ  est-il  totaliter,  realiter  et  multiplicative  dans 
la  sainte  hostie  ?  répliqua  l'Anglais.  —  Oui,  répondit  Hus, 
dans  le  sacrement  de  l'autel,  il  y  a  vere  et  realiter  et  totaliter 
le  corps  du  Christ,  qui  est  né  de  la  Vierge  Marie,  a  souffert, 
est  mort,  est  ressuscité,  et  est  assis  à  la  droite  du  Père.  »  L'un 
des  Anglais  ne  put  alors  s'empêcher  de  lui  rendre  ce  témoi- 
gnage :  Bene  sentit  de  sacramento  altaris.  Mais  son  compa- 
triote Stockes  poursuivit  :  «  J'ai  lu,  dit-il,  à  Prague  un  traité 
de  Hus,  dans  lequel  il  soutient  qu'après  la  consécration  le 
pain  matériel  subsiste.  —  «  Salva  reverentia^  riposta  l'accusé, 
cela  n'est  point  vrai,  »  On  laissa  néanmoins  subsister  cet  article, 
car,  d'après  la  déposition  de  plusieurs  docteurs  et  curés  de 
Prague,  Hus,  dînant  un  jour  dans  l'un  des  presbytères  de  cette 
ville,  avait  soutenu  la  permanence  du  pain  matériel.  Le  curé 
lui  ayant  alors  opposé  l'autorité  de  S.  Grégoire,  le  novateur 
aurait  répondu  :  «  Grégoire  est  un  joculator  vel  ritmisator  » 
(mauvais  plaisant  ou  'rimailleur),'  et  c'est  rit?nice  (rhyth?nice, 
poétiquement)  qu'il  a  parlé.  Hus  protesta  qu'il  le  regardait,  au 
contraire,  comme  un  des  plus  illustres  Pères  de  l'Église.  Le  car- 
dinal Zabarella  lui  fit  alors  cette  question  :  «  Maître  Jean,  voilà 
bien  vingt  témoins,  des  prélats,  des  docteurs,  des  hommes  con- 
sidérables et  honorés,  qui  viennent  déposer  contre  vous,  les  uns 
d'après  le  bruit  public,  les  autres  d'après  leurs  propres  souve- 


p.  758)  les  doctrines  réalistes  de  Hus  lui  suscitèrent  de  graves  accusations, 
car  on  lui  reprocha  d'augmenter  le  nombre  des  trois  personnes  divines_.  C'est 
ce  que  Gerson  exprima  par  ces  paroles  :  Damnata  est  inter  errores  Hus  et 
Hieronymi  posilio  ista  de  universalium  realium  et  œternorum  positione.  (Schwab, 
Joh.  Gerson,  etc.  p.  298  et  586.)  Nous  pouvons  ajouter  que,  le  6  juillet  1415, 
on  accusa  Hus  dans  une  séance  publique  du  concile  de  ne  faire  aucune  dis- 
tinction entre  sa  propre  nature  et  celle  des  trois  personnes  divines,  (Voyez 
plus  bas  HôFLER,  Geschichtschr.  1. 1,  p.  283,  et  1. 111,  p.  121.)  Hôfler  prétend 
justifier  ce  reproche  en  disant  que  Hus  se  comparait  souvent,  lui  et  ses  sec- 
tateurs, au  Christ  entouré  de  ses  disciples.  Nous  avons  peine  à  admettre  cette 
opinion;  nous  croyons  plutôt  voir  ici  une  conséquence  malveillante  qu'on 
aura  cherché  à  tirer  de  la  doctrine  réaliste. 


456  HUS    DEVANT   LE    CONCILE. 

nirs  ;  comment  pouvez-vous  contredire  leurs  assertions  ?  —  Dieu 
et  ma  conscience,  répondit-il,  me  sont  témoins  que  je  n'ai  jamais 
rien  enseigné  ou  prêché  de  semblable.  »  Enfin  le  cardinal  d'Ailly 
prit  la  parole  :  «  Ce  n'est  pas,  dit-il,  d'après  votre  conscience  que 
nous  devons  juger,  mais  d'après  les  faits  rapportés  par  des 
témoins  que  vous  ne  pouvez  tous  récuser  comme  vos  ennemis. 
Vous  accusez  Etienne  de  Palecz  de  vous  être  hostile  ;  cependant 
il  a  certainement  adouci  les  termes  des  articles  extraits  de  votre 
livre,  et  d'autres  docteurs  en  ont  faitjautant.  Vous  repoussez 
de  même  le  chancelier  de  l'université  de  Paris,  bien  que  ce  soit 
le  théologien  le  plus  illustre  de  tout  l'univers  chrétien.  » 

On  passa  alors  à  l'article  suivant,  d'après  lequel  Hus  était 
accusé  d'avoir  soutenu,  dans  ses  cours  et  ses  sermons  les  doc- 
trines erronées  de  Wiclef.  Il  se  défendit  en  disant  qu'il  n'avait 
aucune  raison  de  suivre  Wiclef,  qui  n'était  ni  son  père  ni  son 
compatriote;   que  si  cet  écrivain  avait  enseigné  quelque  erreur, 
c'était  affaire  aux  Anglais  de  le  disculper.  On  lui  rappela  sa 
résistance  à  la  censure  des  quarante-cinq  articles;  à  quoi  il 
réphqua  :  «  Les  docteurs  de  l'université  de  Prague  ont  con- 
damné ces  articles  comme  anticathohques,  hérétiques  et  erronés. 
Pour  moi,  je  n'ai  pu  résister  à  l'inspiration  de  ma  conscience, 
particulièrement  à  l'égard  de  l'article  39,  qui  accuse  le  pape 
Sylvestre  et  l'empereur  Constantin  d'avoir  erré  en  enrichissant 
l'Eglise,  et  de  l'article  4,  aux  termes  duquel  le  pape  ou  un 
prêtre  en  état  de  péché  mortel  ne  consacre  ni  ne  baptise  d'une 
manière   digne.  »  Gomme  on  lui  reprochait  d'ajouter  ces  der- 
niers mots,   qui    ne   se    trouvaient    pas    dans    son    livre,    il 
répondit  :  «  Je  veux  bien  être  brûlé  si  cette   restriction   ne 
s'y  trouve  pas,  »  et  elle  s'y  trouvait,  en  effet,  d'après  M.  Mlade- 
nowicz,  dans  son  traité    contre  Palecz,  au  commencement  du 
second  chapitre.  Elle  y  est,  en  vérité,  mais  enveloppée  de  péri- 
phrases assez  obscures.  [Hussii  opp.  t,  I,  p.  319.)  Hus  ajouta 
qu'il  n'avait  pas  osé  adhérer  à  la  condamnation  de  la  vingtième 
proposition,  qui  ne  donnait  aux  décimes  que  la  qualité  d'au- 
mônes. D'Ailly  fit  observer  que,  si  cela  était  vrai,  il  n'y  aurait 
aucune  obligation  de  les  payer.  «  Tout  riche,  répondit  l'accusé, 
est  tenu,  sous  peine  de  damnation,  à  s'acquitter  des  six  œuvres 
de  miséricorde  (Mattii.  c.  21),  ce  qui  ne  leur  enlève  pas  le 
caractère  d'aumône.  »  L'évêque  de  Salisbury  objecta  qu'il  était 
impossible  d'étendre  à  tout  le  monde  le  précepte  des  œuvres 


PREMIER  ET   SECOND   INTERROGATOIRES    (6   ET   7    JUIN    1415).      457 

de  miséricorde  :  autrement  il  faudrait  nécessairement  damner 
les  pauvres;  mais  il  se  réfuta  lui-même,  en  se  rappelant  qu'on 
n'avait  parlé  que  des  riches.  L'accusé  avait  déjà  représenté 
qu'on  ne  pouvait  appliquer  à  chaque  article  pris  séparément 
les  notes  d'hérétique,  erroné  et  scandaleux;  il  ajouta  que,  tout 
en  ne  souscrivant  pas  comme  les  autres  docteurs  à  la  censure  de 
ces  propositions,  il  ne  s'obstinerait  à  en  soutenir  aucune. 

Le  troisième  chef  d'accusation  était  ainsi  conçu  :  Hus  a  repré- 
senté le  tremblement  de  terre  survenu  pendant  le  synode  de 
Londres  comme  une  manifestation  divine  en  faveur  de  Wiclef, 
et  s'est  écrié  :  «  Puisse  mon  âme  être  où  est  la  sienne  !  »  Il  répli- 
qua qu'il  avait  conçu  la  plus  haute  estime  pour  les  écrits  phi- 
losophiques de  Wiclef  avant  la  diffusion  de  ses  ouvrages  théo- 
logiques  en  Bohême,  et  qu'il  n'avait  jamais  entendu  dire  que 
du  bien  de  sa  personne,  ce  qui  justifiait  amplement  cette  excla- 
mation. Cette  réponse  provoqua  l'hilarité  et  laissa  complètement 
intacte  la  première  partie  du  grief  imputé. 

Aux  termes  du  quatrième  article,  Hus  et  ses  amis  avaient 
soutenu  les  livres  et  les  erreurs  de  Wiclef.  «  Cette  allégation  est 
absolument  fausse,  dit-il,  et  je  ne  sache  pas  qu'il  y  ait  un 
seul  Bohémien  hérétique.  »  On  lui  rappela  qu'il  s'agissait  des 
livres  et  non  des  articles  de  Wiclef;  alors  il  rapporta  que,  confor- 
mément aux  dispositions  de  l'archevêque,  il  les  avait  rendus  en 
demandant  la  permission  de  les  garder  pour  en  noter  les  pas- 
sages erronés,  mais  que  le  prélat,  sur  l'ordre  du  Saint-Siège,  les 
avait  livrés  aux  flammes.  Alors  il  en  avait  appelé  de  la  sentence 
archiépiscopale  aux  papes  Alexandre  V  et  Jean  XXIII,  et  deux 
ans  s'étant  écoulés  sans  qu'il  pût;  obtenir  justice,  il  en  avait  ap- 
pelé au  Christ.  On  rit  encore,  ce  qui  lui  fit  dire  :  «  Appeler  signi- 
fie porter  sa  cause  du  juge  inférieur  au  juge  supérieur,  et  lui 
demander  justice;  or  comme  il  n'y  a  pas  déjuge  plus  équitable 
et  plus  puissant  que  le  Christ,  rien  n'est  plus  naturel  que  d'en 
appeler  à  lui.  »  Etienne  de  Palecz  rectifia  cette  prétention  en 
disant,  avec  beaucoup  de  raison,  qu'il  n'y  avait  eu  de  la  part  de 
Rome  aucun  déni  de  justice,  mais  qu'on  y  avait  tout  simplement 
refusé  à  Hus  la  dispense  de  comparaître  en  personne. 

Jean  Hus  attaqua  de  même  l'exactitude  du  cinquième  chef, 
qui  l'accusait  d'avoir    engagé    ses  adeptes  à   résister  par    la 
force,  suivant  l'exemple  de  Moïse.  Mais  le  sixième  article  était 
plus  convaincant.   On   y  reprochait  au   novateur  d'avoir  jeté 


458  HUS  DEVANT  LE  CONCILE. 

un  trouble  scandaleux  et  une  déplorable  division  entre  le 
clergé  et  le  peuple,  les  professeurs  et  les  étudiants  de  Prague, 
d'avoir  propagé  l'esprit  de  rébellion  chez  les  subordonnés  et 
causé  ainsi  la  ruine  de  l'université.  Hus  en  rejeta  tout  l'odieux 
sur  l'archevêque  et  la  nation  allemande,  qui  avaient  refusé  de 
quitter  avec  le  roi  l'obédience  de  Grégoire  XII.  Ce  prince  avait, 
conformément  à  l'acte  de  fondation,  accordé  trois  voix  à  la 
Bohême;  mais  la  nation  allemande  avait  juré  de  ne  pas  se  sou- 
mettre à  cette  décision  et  de  quitter  l'université  de  Prague.  Hus 
désigna  alors  du  doigt  un  des  assistants,  Albert  Yarentrapp,  en 
disant  :  «  Voilà  un  de  ceux  qui  ont  fait  ce  serment,  il  était  alors 
doyen  de  la  faculté  des  arts.  »  Le  personnage  interpellé  voulut 
s'expliquer,  mais  on  ne  lui  en  donna  pas  l'autorisation.  Le  doc- 
teur Jean  Nas,  qui  jouissait  auprès  du  roi  d'une  faveur  mar- 
quée, s'appliqua  à  rectifier  les  faits  :  «  Au  commencement, 
dit-il,  le  roi  a  donné  satisfaction  aux  trois  nations  allemandes  ; 
et  Hus  ayant  voulu  lui  persuader  d'agir  autrement,  mon  maître 
conçut  contre  lui  et  Jérôme  de  Prague  un  ressentiment  si  vif 
qu'il  les  menaça  de  les  mettre  à  mort,  en  punition  de  leurs 
agissements  séditieux  ;  Hus  était  parvenu,  dans  la  suite,  à 
calmer  la  colère  du  roi.  «  Etienne  de  Palecz  insista  :  «  Ce  ne 
sont  pas  seulement  les  docteurs  étrangers  qu'il  a  chassés,  les 
docteurs  tchèques  ont  dû  partir  aussi  ;  ils  sont  encore  en  Moravie 
aujourd'hui.  »  Hus  repoussa  tous  ces  griefs  et  se  permit  cette 
observation  :  Existimabam  quod  in  concilio  isto  esset  major  reve- 
rentia,  pietas  et  disciplina  ^ .  D'Ailly  lui  ayant  alors  demandé 
pourquoi  il  parlait  avec  plus  d'emportement  qu'il  ne  l'avait  fait 
dans  sa  prison  de  Gottlieben  :  «  Révérendissime  père,  répon- 
dit-il, c'est  qu'alors  on  m'interrompait  avec  bienveillance,  tandis 
qu'ici  tout  le  monde  crie  contre  moi,  et  je  ne  vois  partout 
que  des  ennemis.  »  (Voir  à  la  note  1  une  lettre  de  Hus,  oii  il 
raconte  cet  incident.)  «  Qui  crie  donc  ici?  dit  le  cardinal,  il  n'y 
a  que  vous  à  parler  et  l'on  vous  écoute  en  silence.  »  Mais  il 
persista  à  prétendre  que  l'on  criait  et  que,  d'ailleurs,  on  n'avait 
pas  annoncé  que  ceux  qui  troubleraient  l'ordre  seraient  exclus 
de  l'assemblée. 

En  septième  lieu,  Hus  était  accusé  d'avoir  jeté  par  sa  prédica- 


(1)  Documenta,  etc.  p.  107,  ep.  65.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  80,  ep.  15. 


PREMIER   ET  SECOND   INTERROGATOIRES    (6   ET    7   JUIN    1415).       459 

tion  un  trouble  si  profond  dans  la  ville  de  Prague,  que  beaucoup 
de  catholiques  avaient  été  contraints  de  s'enfuir  et,  en  outre,  de 
s'être  rendu  coupable,  lui  et  ses  sectateurs,   d'une   foule   de 
meurtres,  de  vols  et  de  sacrilèges  détestables.  «  Ce  n'est  pas 
moi  qui  en  suis  la  cause,  répondit-il;  le  roi  et  l'université 
ayant  quitté  l'obédience  de  Grégoire  XII,  l'archevêque  Zbynek 
a  lancé  l'interdit  et  s'est  enfui  à  Raudnitz,  après  le  pillage  du 
caveau  de   Saint- Wenceslas.  Beaucoup    d'ecclésiastiques  l'ont 
suivi  dans  sa  retraite,  pour  ne  pas  obéir  au  roi  et  continuer 
le  service  divin.  On  a  saisi  leurs  biens,  mais  je  m'en  lave  les 
mains.  »  D'Ailly  avait  entendu  dire,  à  son  voyage  de  Rome,  que 
le  clergé  de  Bohême  était  menacé  de  pillage  et  de  sévices;  mais 
il  passa  à  une  autre  question  et  interpella  l'accusé  en  ces  termes  : 
«  Maître  Jean,  quand  vous  avez  été  conduit  au  palais  pontifical 
(28  novembre  1414),  je   vous  ai  interrogé,  et  vous   m'avez 
répondu  que  vous  étiez  venu  à  Constance  de  votre  plein  gré,  et 
que  si  vous  n'aviez  pas  voulu  vous  y  rendre,  il  n'y  aurait  eu  ni 
roi  de  Bohême  ni  roi  des  Romains  qui  pût  vous  y  contraindre.  » 
ïïus  confirma  cette  déclaration  et  ajouta  :  «<  Il  y  a  en  Bohême 
beaucoup  de  seigneurs  qui  me  sont  attachés  et  qui  pourraient 
me  donner  asile  dans  leurs  châteaux.  —  Quelle  audace!  »  dit  le 
cardinal.  Mais  Jean  de  Ghlum  appuya  le  témoignage  de  son  ami. 
Avant  de  renvoyer  l'accusé,  d'Ailly  voulut  l'interroger  encore 
une  fois  :  «  Maître  Jean,  vous  avez  déclaré,  il  y  a  peu  de  temps, 
dans  votre  prison,  que  vous  vouliez  vous  soumettre  humblement 
à  la  décision  du  concile;  je  vous  conseille  d'exécuter  cette  réso- 
lution, de  ne  pas  vous  obstiner  dans  l'erreur,  mais  de  suivre  les 
avis  qu'on  vous  donne  ;  le  concile  se  montrera  plein  de  clémence 
à  votre  égard.  »  L'empereur  Sigismond  intervint  alors  :  «  Écou- 
lez, Jean  Hus,  dit-il.  Il  y  en  a  qui  prétendent  que  je  vous  ai 
donné  un  sauf-conduit  quinze  jours  après  votre  arrestation. 
Gela  n'est  point  vrai.  Je  vous  l'ai  accordé*  avant  votre  départ 
de  Prague,  et  j'ai  ordonné  à  Wenceslas  de  Duba  et  à  Jean  de 
Ghlum  de  vous  accompagner  et,  au  besoin,  de  vous  défendre 
contre  toute  vexation,  afln  que  vous  puissiez  venir  en  toute 
liberté  à  Gonstance  y    obtenir   un  examen  pubhc   et  rendre 
compte  de  votre  foi.  G'est  ce  qui  est  arrivé  :  on  vous  a  accordé 


(1)  C'est  à  tort  qu'Hôfler  parle  ici  de  «  lettre;  «  Hus  n'obtint  de  sauf-con- 
duit écrit  que  plus  tard. 


460  HUS  DEVANT  LE  CONCILE. 

une  discussion  publique,  paisible  et  honorable.  J'en  remercie  le 
concile,  mais,  bien  qu'on  en  ait  dit,  je  n'ai  pu  accorder  de  sauf- 
conduit  à  un  hérétique  ou  à  un  homme  soupçonné  d'hérésie.  Je 
vous  conseille  donc,  comme  vient  de  le  faire  le  cardinal  d'Ailly, 
de  ne  pas  vous  obstiner  davantage,  mais  de  vous  en  remettre  à 
la  clémence  du  saint  concile  sur  les  points  que  l'on  a  prouvés 
contre  vous  ou  que  vous  avouez  vous-même.  Par  égard  pour 
nous,  pour  notre  frère  et  pour  le  royaume  de  Bohême,  on  se 
montrera  miséricordieux,  et  l'on  ne  vous  imposera  que  de 
légères  pénitences.  Mais  si  vous  persistez  à  soutenir  opiniâtre- 
ment votre  sentiment,  malheur  à  vous  !  les  Pères  sauront  bien 
quelles  mesures  adopter  à  votre  égard,  et  je  leur  déclare  que  je 
ne  prendrai  point  la  défense  d'un  hérétique;  mais  que  si  quel- 
qu'un s'obstine  dans  l'hérésie,  je  mettrai  plutôt,  oui,  je  mettrai 
moi-même  le  feu  à  son  bûcher;  je  le  répète,  c'est  donc  le  plus 
entièrement,  le  plus  sincèrement  et  le  plus  promptement  pos- 
sible que  vous  devez  vous  abandonner  à  la  clémence  du  con- 
cile, au  heu  de  vous  enfoncer  plus  profondément  dans  l'er- 
reur. »  lius  répondit  aux  premières  paroles  de  l'empereur  :  «  Je 
remercie  Votre  Majesté  de  m'avoir  gracieusement  octroyé  un 
sauf-conduit.  »  Les  interruptions  lai  firent  oublier  le  second 
point  (l'opiniâtreté],  et  ce  fut  Jean  de  Ghlum  qui  l'y  fit  penser. 
Enfin,  il  adressa  ces  dernières  paroles  à  l'empereur  :  «  Très- 
illusLre  prince,  Votre  Majesté  peut  être  convaincue  que  je  suis 
venu  ici  en  toute  liberté,  non  pour  m'obstiner  en  aucun  point, 
mais  pour  m'amender  humblement  si  je  suis  convaincu.  »  Ce 
qui  signifiait  qu'il  voulait  entrer  en  discussion  avec  le  con- 
cile et  attachait,  comme  le  fait  remarquer  très-justement 
Palacky  (1.  c.  p.  348),  au  mot  «  convaincu  »  un  tout  autre  sens 
que  les  Pères.  Mais  il  était  aussi  impossible  au  concile  de  se 
prêter  à  un  pareil  débat,  qu'il  l'est  à  une  cour  de  justice 
d'entrer  en  discussion  avec  l'accusé.  Tout  se  réduisait  à  cette 
simple  question  :  «  L'avez-vous  soutenu,  oui  ou  non?  voulez- 
vous  le  soutenir  encore,  oui  ou  non  ?  »  Pierre  de  Mladénowicz 
termine  son  récit  en  remarquant  qu'au-dessous  de  Zabarella 
était  assis  un  notaire  public,  qui  écrivait  tout  ce  que  lui  disait  le 
cardinal.  Nous  regrettons  vivement  de  n'avoir  aucune  source 
positive  émanée  de  l'Église  sur  tous  ces  événements,  et  d'être 
obligés  de  recourir  exclusivement  aux  témoignages  de  nos  ad- 
versaires. Nous  sommes  persuadés  que  mille  insinuations  per- 


TROISIÈME   INTERROGATOIRE  DE  HUS    (8   JUIN    14.15).  461 

fides  ont  été  introduites  contre  l'Église  dans  l'affaire  de  Hus, 
comme  dans  beaucoup  d'autres,  calomnies  que  l'on  aurait  cer- 
tainement évitées  si  Ton  avait  pu  se  décider  à  publier  en  temps 
opportun  les  documents  authentiques.  —  Enfin,  poursuit  Mladé- 
nowicz,  après  avoir  discuté  tous  ces  articles  et  bien  d'autres 
encore,  Hus  fut  reconduit  en  prison  et  confié,  comme  Jérôme 
de  Prague,  à  la  surveillance  de  l'évêque  de  Riga^ 

8  758. 

TROISIÈME   INTEIIRO&ATGIRE    DE   HUS    (8   JUIN    1415). 

Dès  le  jour  suivant  (samedi  8  juin),  eut  lieu  le  troisième  in- 
terrogatoire de  Hus,  en  présence  de  l'empereur  et  d'un  grand 
nombre  de  cardinaux,  d'évêques  et  d'autres  prélats.  Wenceslas 
de  Duba,  Jean  de  Gblum  et  Pierre  de  Mladénowicz  y  assistaient 
aussi.  On  lut,  d'après  ce  dernier,  environ  trente-neuf  articles 
extraits  des  livres  de  Hus.  Celui-ci  reconnut  comme  siens  tous  ceux 
qui  étaient  exprimés  informa;  pour  ceux  dont  la  rédaction  pa- 
raissait moins  exacte,  on  comparait  le  texte  incriminé,  dont  un 
Anglais  faisait  la  lecture,  et,  plus  d'une  fois,  d'Ailly  fit  observer 
à  l'empereur  que  les  termes  originaux  avaient  été  mitigés  2.  De 
ces  trente-neuf  articles,  vingt-six  étaient  extraits  du  livre  de 
Ecdesia,  sept  du  traité  contre  Etienne  de  Palecz,  et  les  six  autres 
du  traité  contre  Stanislas  de  Znaim^. 

Les  vingt-six  articles  tirés  du  livre  de  Ecdesia  étaient  pour 
la  plupart  identiques  à  ceux  que  la  première  commission  d'en- 
quête, nommée  par  Jean  XXIII,  avait  précédemment  extraits. 
Mais  comme  l'exactitude  de  ceux-ci  était  attaquée  par  Hus 
dans  ses  réponses  et  dans  ses  petits  pamphlets,  on  en  avait 
retranché  une  partie  et  corrigé  attentivement  les  autres.  Ils 
étaient  ainsi  conçus  :  1°  Il  n'y  a  qu'une  Église  sainte  et  univer- 


(li  IIÔFLEn,  Geschichtschr.  1"  partie,  p.  210-219.  —  Documeiita,  p.  276-285. 

(2)  HoFLER,  1.  c.  p.  219,  etc.  —  Documenta,  etc.  p.  285,  etc. 

(3)  Documenta,  etc.  p.  286-308.  —  Hôfler,  1.  c.  p.  244-265.  —  Hussii  Opp, 
1. 1,  p.  219,  etc.  Hôfler  (1.  c.  p.  244)  se  trompe  en  faisant  lire  les  vingt-six 
articles  extraits  du  livre  de  Ecdesia  le  vendredi  7  juin,  jour  de  l'éclipsé  de 
soleil.  Le  même  auteur  (1.  c.  p.  220-241  et  241-244}  donne  ici,  avant  les 
trente-neuf  articles  du  8  juin,  les  quarante  et  un  articles  extraits  par  la 
commission  de  Jean  XXIII  avec  les  réponses  de  Hus,  et  de  plus  les  dix-neuf 
articles  rédigés  par  Gerson. 


462  TROISIÈME   INTERROGATOIRE   DE   HUS    (8   JUIN    1415). 

selle,  qui  est  la  réunion  des  prédestinés.  La  première  rédac- 
tion portait  :  «  L'Église  catholique  ou  universelle  n'est  la  réu- 
nion que  des  prédestinés  ;  »  mais  Hus  avait  protesté  et  cité  le 
texte  de  son  livre  (ch.  21)  :  Ecclesia  sancta  catholica^  id  est,  uni- 
versalis,  est  omnium prœdestinatorumuniversitaSy  texte  emprunté 
à  S.  Augustin.  En  conséquence,  on  avait  modifié  la  rédaction 
de  l'article  ;  mais,  dans  un  sens  comme  dans  l'autre,  le  domaine 
de  l'Église  s'y  réduisait  à  une  puissance  invisible,  et,  là  comme 
ailleurs,  Hus  n'avait  pas  assez  distingué  entre  le  fait  et  le  droit. 
2°  S.  Paul  n'a  jamais  été  un  membre  de  Satan,  bien  qu'il  ait 
agi  comme  tel  ;  on  peut  dire  la  même  chose  de  S.  Pierre,  qui 
a  tenu  la  même  conduite,  quand  Dieu  a  permis  qu'il  tombât 
dans  le  reniement  pour  se  relever  par  la  suite  (anciens  articles  5 
et  6).  3°  Aucun  membre  de  l'Église  ne  cesse  jamais  de  lui  appar- 
tenir, parce  que  l'amour  de  prédestination  (autrement  dit 
l'amour  prédestinant  de  Dieu)  qui  l'y  rattache  ne  cesse  jamais. 
On  cita  ensuite  le  passage  tel  qu'il  était  dans  le  livre  de  Hus  (les 
deux  textes  étaient  identiques  pour  le  fond)  et  on  donna  les 
preuves  qu'il  avait  produites  à  l'appui  {Hussii  0pp.  1. 1,  p.  248, 
a.  au  haut).  4°  Un  prédestiné  qui  ne  se  trouve  pas  actuellement 
en  état  de  grâce  est  cependant  toujours  un  membre  de  la  sainte 
Église  universelle.  (Pour  bien  comprendre  le  sens,  on  se 
reportera  au  ch.  5  de  Ecclesia,  oti  sont  énumérées  les  diffé- 
rentes manières  d'appartenir  à  l'Église.  On  y  dit,  entre  autres, 
que  quelques-uns  sont  membres  de  TÉgiise  secundum  fidem 
informem  et  secundum,  prœdestinationem ,  ut  christiani  prœdes- 
tinati  nunc  in  criminibus,  sed  ad  gratiam  reversuri.  On  voit 
alors  dans  quelles  limites  se  restreint  la  proposition).  5°  Aucun 
honneur,  aucune  élection  humaine,  aucun  signe  particulier  ne 
peut  rendre  personne  membre  de  la  sainte  Église  catholique. 
On  lut  dans  le  cinquième  chapitre  de  l'Église  (1.  c.  p.  253  b. 
au  bas),  le  passage  relatif  à  cet  article.  Huss  y  a  touché  égale- 
ment dans  le  troisième  chapitre  (1.  c.  p.  248).  On  y  retrouvera  la 
même  erreur  sur  la  distinction  entre  l'Éghse  visible  et  PÉgiise 
invisible  et  entre  les  membres  de  fait  et  les  membres  de  droit. 
6"  n  n'y  a  pas  de  uiQmhvQ  prœscitus  (c'est-à-dire  dont  Dieu  prévoit 
la  damnation,  par  opposition  k  prœdestinatus),  dans  notre  mère 
la  sainte  Église.  (Dans  le  quatrième  chapitre  de  Ecclesia,  b.  c. 
p.  250  a.  il  y  a  :  nullus  prœscitus  est  membrum  Ecclesiœ;  mais 
ailleurs  (ch.  vu)  Hus  appelle  aussi  l'Église  l'arche  du  Seigneur, 


TROISIÈME   INTERROGATOIRE   DE   HUS    (8   JUIN    1415).  4C3 

OÙ  les  bons  et  les  méchants,  les  prœdestinati  et  les  prœsciti  se 
trouvent  confondus.)  7°  Judas  n'a  jamais  été  un  vrai  disciple  du 
Christ.  Hus  a  souvent  repété  cette  idée,  et  quelquefois  dans  les 
mêmes  termes  (zôz'o?.  ch.  iv,  p.  250,  etc.  ch.  v,  p.  254  a.  ch.  i, 
p.  257  a),  toujours  par  suite  de  la  même  confusion  entre  le  fait 
et  le  droit.  8°  La  réunion  des  prédestinés,  qu'elle  se  trouve 
actuellement  [secundum  prœsentem  justitiam)  ou  qu'elle  ne  se 
trouve  pas  en  état  de  grâce,  forme  la  sainte  Église  catho- 
lique, et,  dans  ce  sens,  est  un  article  de  foi.  Voici  les  paroles  de 
Hus  :  Tertio  modo  sumitur  Ecclesia  pro  convocatione  prœdesti- 
natorum^  sive  sint  in  gratia  secundum  prœsentem  justitiam,  sive 
no?i;  et  istomodo  Ecclesia  est  articulus  fidei  (ch.  i,  p.  257  a).  On 
ne  peut  douter  que  cette  propositionne  soit  erronée  ;  elle  détruit 
la  notion  de  l'Église  et  s'efforce  d'encourager,  par  un  faux  argu- 
ment, la  résistance  à  ses  anathèmes.Que  deviennent-ils,  en  effet, 
puisque  le  prédestiné  qui  a  mérité  de  les  encourir  ne  cesse  pas 
d'appartenir  à  l'Église  ?  9°  Pierre  n'a  jamais  été  et  n'est  pas  la 
tête  de  l'Église.  Hus  disait  (ch.  ix,  p.  262  b.  au  bas,  et  p.  263)  : 
Pierre  a  reçu  de  la  Pierre,  c'est-à-dire  du  Christ,  l'humilité,  la 
pauvreté,  la  foi  profonde;  mais  le  Christ  en  disant  :  «  Sur  cette 
Pierre  je  bâtirai  mon  Église,  »  n'a  pas  entendu  |dire  qu'il  bâtirait 
l'Église  militante  sur  la  personne  de  Pierre,  mais  sur  lui-même, 
quiétait  la  vraie  pierre.  Hus  reconnaissait  bien  que  l'on  pouvait, 
en  un  certain  sens,  appeler  Pierre  la  tête  de  l'Église;  mais  il  pro- 
testait sans  cesse  contre  cette  formule  absolue  et  sans  réserve  : 
«  Pierre  ou  le  pape  est  la  tête  de  l'Église  (ch.  vu,  in  fine). 
10°  Si  celui  qu'on  a  appelé  vicaire  du  Christ  imite  la  vie  du 
Christ,  il  est  réellement  son  vicaire  ;  mais  s'il  s'égare  dans  des 
voies  opposées,  il  n'est  que  le  messager  de  l'Antéchrist,  le 
vicaire  de  Judas  Iscariote.  (Cette  proposition  se  trouve  presque 
littéralement  dans  le  ch.  ix,  p.  264  b.  et  reparait  d'ailleurs, 
comme  beaucoup  d'autres,  sous  plusieurs  formes.)  Lorsqu'on 
donna  lecture  de  cet  extrait  du  chapitre  ix,  les  présidents  se 
regardèrent  avec  surprise  et  en  hochant  la  tête.  11"  Tous  les 
prêtres  simoniaques  et  débauchés  sont  hérétiques  [infideliter)  à 
l'égard  des  sept  sacrements,  du  pouvoir  des  clefs,  des  censures, 
des  usages  et  des  cérémonies  de  l'Église,  du  culte  des  reliques, 
des  indulgences  et  des  ordres.  (C'est  le  texte  presque  littéral  du 
chapitre  xi  de  Ecclesia,  \.  c.  p.  271.)  Après  la  lecture  de  cet 
article,  Hus  se  défendit  en  disant  «  que  c'est  être  hérétique  que 


464  TROISlÈiME   INTERROGATOIRE    DE   HUS    (8   JUIN    1415). 

de  ne  pas'  vivre  dans  la  charité  et  de  n'avoir  qu'une  foi  morte.  » 
Puis  il  se  reporta  aux  passages  des  Pères,  cités  à  cet  effet  dans 
so'^Q  livre.  12°  Le  Saint-Siège  relève  de  l'empire.  (Cette  propo- 
sition se  trouve,  non  pas  à  la  lettre,  mais  quant  au  sens,  dans  le 
chapitre  XII,  1.  c.  p.  274  h.)  Hus  fit  observer,  après  lecture, 
«  qu'en  ce  qui  touche  l'éclat  extérieur  et  l-es\  biens,  temporels,  la 
papauté  possède  des  libéralités  de  Constantin,  confirmées  par  ses 
successeurs,  comme  il  ressort  du  décret  distinctio  96,  c.  14, 
[Donatio  Constmitini)  ;  mais  qu'à  l'égard  de  l'administration  spi- 
rituelle et  du  gouvernement  de  l'Église,  elle  tient  cette  autorité 
directement  de  Jésus-Christ.  —  D'Ailly  dit  alors  :  Pourquoi  ne  ■ 
pas  attribuer  plutôt  la  situation  temporelle  de  la  papauté  au 
concile  de  Nicée,  dont  émane  le  décret  qui  n'a  été  attribué  à 
l'empereur  que  pour  lui  faire  honneur?  Hus  répondit."  que 
c'était  à  cause  de  la  donation  de  l'empereur.  »  13»  Aucun 
homme  ne  peut,  sans  une  révélation  spéciale,  dire  de  lui 
ou  d'un  autre  qu'il  est  la  tête  d'une  Église  (ch.  xiii,  1..  c. 
p.  275).  14°  On  ne  peut  croire  qu'un  pape  soit  la  tête  d'une 
Église  particulière,  c'est-à-dire  de  l'Église  romaine,  s'il  n'est 
pas  prédestiné.  (Extrait  textuellement  du  chapitre  xiii,  1.  c. 
p.  275  b.)  15°  Le  pouvoir  du  pape,  comme  vicaire  du  Christ 
et  successeur  de  Pierre,  cesse  lorsque  ses  mœurs  ne  sont  plus 
conformes  à  celles  du  Christ  et  de  Pierre.  (Extrait,  quant  au  sens 
et  presque  quant  aux  termes,  du  chapitre  ix,  ibid.  p.  264  b.) 
Ici,  Hus  fit  observer  que,  dans  une  telle  hypothèse,  le  pouvoir 
du  pape  cessait  quantum  ad  meritum  vel  prœmium, vuSiis  non 
qnoad  of/icium,  et  s'en  référa-  aux  explications  contenues  dans 
sa  réfutation  de  Palecz.  Nous  remarquerons,  cependant,  que  lors- 
qu'on dit  :  Le  roi  de  Hanovre  a  perdu  son  royaume  en  1866, 
personne  au  monde  ne  comprendra,  comme  Hus  aurait  voulu 
le  faire,  que  le  roi  de  Hanovre  a  perdu  les  mérites  que  son 
règne  a  pu  lui  faire  gagner  devant  Dieu,  mais  qu'il  a  conservé  sa 
charge  et  son  pouvoir.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  cette  expli- 
cation ait  fait  sourire.  16°  Ce  n'est  pas  parce  que  le  pape  occupe 
le  siège  de  Pierre,  mais  parce  qu'il  a  un  riche  patrimoine,  qu'il 
est  très-saint.  (Cette  citation,  extraite  du  chapitre  xiv,  fin, 
ibid,  p.  278  b.,  n'est  pas  exacte  ;  il  y  a,  en  effet,  non  enim  quia 
vices  tenet  Pétri  et  quia  tnagnam  habet  dotatio?ie)7î,  exeo  est  san- 
ctissimus;  sed  si  Christum  sequitur  in  humilitate  etc.)  17»  Les  car- 
dinaux ne  sont  pas  les  vrais  successeurs  du  collège  apostolique. 


TEOISIÈME  INTERROGATOIRE   DE   HUS    (8   JUIN    1415).  465 

s'ils  ne  vivent  pas  comme  les  apôtres.  (Extrait  littéralement  du 
chapitre  XIV,  ibid.  p.  278  a.  au  haut).  Le  cardinal  d'Ailly  fit 
observer  que  le  texte  était  encore  pire  que  l'article.  Il  reprocha 
ensuite  à  Hus  de  s'être  livré  contre  les  cardinaux  à  des  décla- 
mations fort  inutiles,  puisque  aucun  n'était  là  pour  entendre  les 
sermons,  et  de  n'avoir  abouti  qu'à  scandaliser  les  fidèles.  Hus 
réplique  qu'il  y  avait  aussi  des  prêtres  à  ses  sermons,  ce  qui 
n'était  guère  une  justification.  18°  On  doit  se  contenter  de  pro- 
noncer contre  les  hérétiques  les  censures  de  l'Église  et  ne  point 
les  livrer  au  bras  séculier  ni  les  punir  de  mort.  (Ce  n'est  pas  le 
texte,  mais  le  sens  exact  du  chapitre  XVI,  ibid.  p.  284  b.  et 
285  a.)  D'Ailly  fît  la  même  remarque  que  plus  haut.  On  lut 
le  texte  à  haute  voix,  et  il  excita  un  murmure  général.)  19^  Les 
seigneurs  temporels  doivent  contraindre  les  ecclésiastiques  à 
observer  les   préceptes  du  Christ  (ch.  XVII,  ibid.  p.  288  a). 
20°  L'obéissance  ecclésiastique  est  une  invention  des  prêtres 
et  n'a  aucun  fondement   dans  la  sainte  Écriture.  (Ch.   XVII, 
ibid.  p.  290.  Hus  proposa  une  restriction  sur  l'obéissance  ecclé- 
siastique, qu'il  distinguait  de  l'obéissance  spirituelle  :  il  enten- 
dait par  la  première  celle  que  le  clergé  exigerait  en  dehors  de 
la  loi  de  Dieu.  Définition  singulièrement  arbitraire!)  21"  Si  quel- 
qu'un, excommunié  parle  pape,  en  appelle  au  Christ  de  la  sentence 
du  Saint-Siège  et  du  concile  général,  aucune  excommunication  ne 
peut  lui  nuire.  (Chapitre    XVIII,  ibid.  p.  294  Hus  ne  soutient 
pas  directement  cette  proposition,  mais  elle  découle  naturelle- 
ment de  ses  appels,  dont  elle  reproduit  l'esprit.  D'Ailly  demanda 
alors  à  Hus  s'il  se  mettait  au-dessus  de  S.  Paul,  qui  à  Jérusa- 
lem n'en  avait  pas  appelé  au  Christ,  mais  à  l'empereur.  Hus 
répondit  que  S.  Paul  n'avait  pas  agi   de  son  propre  mouve- 
ment, mais  sous  l'inspiration  divine  ;  que  d'ailleurs,  dans  les 
cas  d'urgente  néces^iité,  il  n'y  avait  d'appel  efficace  que  l'appel 
au  Christ.  Ces  paroles  excitèrent  de  nouveaux  rires,  et  on  le 
pria  de  dire  s'il  avait  réellement  dit  la  messe  durant  le  temps  de 
l'excommunication.  Il  fut  bien  obligé  de  l'avouer,  tout  en  ajou- 
tant, pour  se  défendre,  qu'il  en  avait  appelé  au  pape;  mais  il  ne 
put  se  vanter  d'avoir  été  relevé  ni  absous  par  le  souverain  pontife.) 
22°  Un  pécheur  agit  toujours  en  pécheur,  un  juste  toujours  en 
juste.  (Extrait  littéralement  du  chapitre  XIX,  ibid.  p.  297  b.,  au 
haut.  L'accusé  maintint  cette  proposition  contre  les  attaques  de 
d'Ailly.)  23o  Un  prêtre  qui  vit  conformément  à  la  loi  du  Christ 

T.  X.     30 


466  TROISIÈME   INTERROGATOIRE   DE   HUS    (8    JUIN    1415). 

et  possède  l'Écriture  sainte,  doit  prêcher  malgré  l'excommunica- 
tion ou  la  défense  du  pape,  ou  de  tout  autre  supérieur.  (Gh.  XX, 
p.  302.  Lecture  faite  du  passage  incriminé,  Hus  défendit  sa 
thèse  en  disant  qu'il  avait  voulu  parler  d'une  excommunication 
injuste.)  24°  Celui  qui  reçoit  la  prêtrise  contracte  en  même  temps 
l'obligation  de  prêcher,  et  il  doit  s'en  acquitter  sans  se  laisser 
arrêter  par  de  prétendues  excommunications.  (Gh.XX,  p.  302.) 
25°  Les  censures  de  l'Église  sont  contraires  à  l'Écriture  et  ont  été 
inventées  par  le  clergé  pour  maintenir  son  prestige  et  opprimer 
le  peuple,  s'il  refusait  d'obtempérer  aux  volontés  des  ecclésiasti- 
ques. (Gh.  XXIII,  p.  314.  Cet  article  a  de  nombreuses  analogies 
avec  le  texte,  qui  d'après  d'Ailly,  aurait  été  mitigé.)  26°  On  ne 
doit  lancer  aucun  interdit  contre  le  peuple,  puisque  le  Christ 
ne  l'a  jamais  fait  pour  punir  les  violences  dont  lui-même  et 
S.  Jean-Baptiste  furent  l'objet.  (Gh.  XXIII, p.  314  b.)  K 

Immédiatement  après,  on  lut  six  autres  articles,  extraits  du 
traité  de  Hus  contre  Palecz.  1°  Si  un  pape,  un  évêque  ou  un  prélat 
tombe  dans  le  péché  mortel,  il  n'est  plus  pape,  ni  évêque,  ni 
prélat.  (Extrait  littéralement  du  traité  contre  Palecz.  Cf.  Eussii 
0pp.  1. 1,  p.  319.)  Après  la  lecture  de  cet  article,  l'accusé  ajouta  : 
«  Ainsi,  un  roi  qui  tombe  dans  le  péché  mortel  n'est  plus  un  roi 
digne  devant  Dieu.  >>  Tandis  qu'il  prononçait  ces  paroles  et  s'effor- 
çait de  les  prouver,  l'empereur  se  pencha  à  la  fenêtre  et  dit  au 
comte  palatin  qu'il  n'y  avait  pas  dans  toute  la  chrétienté  de  plus 
grand  hérétique  que  Hus.  Les  assistants  engagèrent  Sigismond 
à  quitter  la  fenêtre,  et  on  fit  répéter  à  Hus  ce  qu'il  avait  dit  des 
princes  pécheurs.  L'empereur  lui  dit  alors  :  «  Hus,  personne 
n'est  sans  péché.  »  Mais  d'Ailly,  qui  voulait  exciter  les  laïques 
contre  le  réformateur  (d'aprèsl'opinion  de  Pierre  de  Mladénowicz), 
ajouta  :  «  Quoi  !  ce  n'est  pas  assez  pour  vous  d'avoir  abaissé  la  di- 
gnité ecclésiastique,  vous  voulez  encore  vous  attaquer  aux 
princes  !  »  Puis  le  débat  s'étant  engagé  entre  Hus  et  Etienne  de 
Palecz,  le  premier  s'appuya  sur  un  passage  de  S.  Gyprien,  où 
il  est  dit  que  celui  qui  n'imite  pas  le  Christ  dans  sa  vie  n'est  pas 
un  vrai  chrétien.  «  Quelle  folie  !  s'écria  Palecz,  comment  peut-on 
citer  ce  texte  pour  prouver  qu'un  pape  pécheur  n'est  plus  véri- 
tablement pape,  etc.?  Les  noms  de  pape,  d'évêque,   de   roi, 


(1)  lIoFLER,  Geschichtschr.  l"""  partie,  p.  244-265. —  Documenta,  etc.  p.  286- 
298.  —  Husm  Opp,  1. 1,  p.  19-24. 


TROISIÈME  INTERROGATOIRE  DE  HUS   (8  JUIN    1415).  467 

sont  des  noms  de  charges  {nomina  officii),  tandis  que  le  nom  de 
chrétien  est  un  nom  de  mérite  [nomen  meriti),  d'où  il  suit  que 
l'on  peut  parfaitement  être  un  vrai  pape  ou  un  vrai  roi  sans  être 
un  vrai  chrétien.  »  Hus  répliqua  que  le  cas  de  Jean  XXIII  venait 
précisément  à  l'appui  de  sa  thèse,  puisqu'il  avait  cessé   d'être 
vraiment  pape  à  cause  de  ses  péchés,  et  que  c'était  pour  cette 
raison  qu'on  avait  pu  le  déposer.  Sigismond  intervint  alors  pour 
dire  que  les  membres  du  concile  avaient  regardé  Jean  XXIII 
comme  le  véritable  pape,  mais  qu'ils  l'avaient  déposé  à  cause  de 
sesfautes.  Nous  retrouvons  ici,  chezHusmême,  la  confusion  entre 
la  légitimité  et  la  dignité  morale.  2^  La  grâce  de  la  prédestination 
est  le  lien  qui  doit  rattacher  indissolublement  le  corps  et  les  mem- 
bres de  l'Église  avec  sa  tête.  (Extrait  littéral,  ibid.,  p.  321  a. 
au  milieu.  L'auteur  fit  remarquer  que  si,  comme  il  avait  été  dit 
plus  haut,  on  définissait  l'Église  :  la  société  des  prédestinés, 
cette  proposition  était  une  conséquence  rigoureuse),  3°  Si  le  pape 
est  un  pécheur  ou  un  prœscitiis,  il  devient,  comme  Judas,  un 
démon,  un  larron,  un  fils  de  Bélial,  et,  loin  d'être  le  chef  de  la 
sainte  Église  militante,  il  n'en  est  même  plus  l'un  des  membres. 
(C'est  le  sens  d'un  passage  extrait  du  lieu  cité,  p.  322  a.,  au  mi- 
lieu.) 4°  Un  pape  ou  un  prélat  pécheur  ou  prœscitus,  n'est  pas  un 
vrai  pasteur,  mais  un  voleur  et  un  larron  (p.  322  1.  au  haut). 
Hus  fit  cette  distinction  :  «  Quant  «m  mérite  et  à  la  dignité,  ils  ne 
sont  point  pasteurs  ;  ils  ne  le  sont  que  quant  à  la  charge  et  dans 
l'opinion  des  hommes.  »  Un  moine  prétendit  que  cette  interpré- 
tation n'était  point  sérieuse,  et  que  c'était  lui-même  qui  l'avait 
donnée  à  Hus  tout  récemment.  Mais  celui-ci  cita  sou  livre  contre 
Palecz,  où  la  distinction  se  trouvait  signalée.  Cependant  Lenfant 
(t.  I,  p.  331),  qui  défend  Hus  en  toute  occasion,  avoue  que  sur 
ce  point,  le  réformateur  ne  s'est  jamais  déterminé  ni  expliqué 
d'une  façon  bien  nette;  c'est  toujours  le  résultat  de  l'éternelle 
confusion  entre  la  légitimité  et  la  dignité  morale,  comme  on 
pourra  s'en  convaincre,  au  moins  partiellement,  dans  les  articles 
suivants.   5°  Le  pape  n'est  pas  «  très-saint  »  et  ne  mérite  pas 
plus  cette  qualification  secundum  officium  que  le  roi  ou  même 
que  les  magistrats  (p.  322,  à  la  fin.  Hus  ajouta  :  «  Je  ne  vois 
aucune  raison  d'appeler  le  pape  «  très-saint  ».  On  dit  du  Christ  : 
tu  soins  sanctus,  c'est  donc  lui  que  j'appelle  sanctissimus).  6°  Si 
la  vie  du  pape  n'est  pas  conforme  à  celle  du  Christ,  ce  n'est  pas 
du  Christ  qu'il  tient  sa  charge,  quand  il  aurait  été  élu  par  un 


468  TROISIÈME   INTERROGATOIRE  DE  HUS   (8   JUIN    1415). 

choix  légitime  et  canonique.  (Ce  ne  sont  pas  exactement  les 
expressions,  mais  c'est  le  sens  des  dernières  lignes  de  la  page 
323  b.  Hus  accepta  cet  article  en  y  joignant  cette  remarque  : 
a  Ainsi,  Judas  a  bien  été  appelé  par  le  Christ  à  l'apostolat,  mais 
il  n'y  a  pas  été  élevé,  car  c'était  un  voleur,  etc.  »»  Palecz  traita  ce 
discours  d'insensé  ;  mais  Hus  y  mit  de  l'insistance.  7°  La  con- 
damnation par  les  docteurs  des  quarante-cinq  articles  de  Wiclef 
est  gratuite  et  injuste.  C'est  faussement  qu'on  a  prétendu  qu'il 
n'y  en  a  aucun  de  catholique,  mais  que  tous  renferment  quelque 
assertion  hérétique,  erronée  ou  scandaleuse.  (C'est  le  sens  de 
la  page  324  b.)  D'Ailly  dit  alors  à  l'accusé  :  «-  Maître,  vous  vous 
êtes  défendu  de  vouloir  soutenir  les  erreurs  de  Wiclef,  et  cepen- 
dant vos  hvres  vous  accusent  de  l'avoir  fait.  —  Très-révérend 
père,  répondit  Jean  Hus,  ce  que  j'ai  dit  précédemment,  je  le  dis 
encore  aujourd'hui;  je  ne  veux  défendre  les  erreurs  de  personne, 
mais  il  me  semble  qu'il  répugne  à  la  conscience  d'accepter  pure- 
ment et  simplement  une  condamnation  de  ces  propositions,  car 
les  raisons  fournies  pour  légitimer  ces  condamnations  ne  me 
paraissent  pas  suffisantes  * .  » 

Six  autres  articles  étaient  extraits  du  livre  de  Hus  contre 
Stanislas  de  Znaim.  En  voici  les  termes  :  Ce  n'est  pas  seulement 
parce  que  l'unanimité  ou  la  majorité  des  voix  s'est  réunie  sur  une 
personne  d'après  les  règles  humaines,  qu'elle  peut  être  légitime- 
ment élue,  et  gouverner  l'Église  comme  successeur  du  Christ  ou 
vicaire  de  Pierre,  mais  c'est  le  degré  de  puissance  qu'elle  a  reçue 
de  Dieu  à  cet  effet  qui  la  rend  apte  à  gérer  utilement  et  méritoi- 
rement  les  intérêts  de  l'Église.  (Extrait  du  chapitre  II  du  traité 
contre  Stanislas  de  Znaïm.  Hussii  0pp.  t.  I,  p.  339  a.  au  bas.) 
2°  Un  pape  prœscitus  n'est  pas  la  tête  de  la  sainte  Église  de  Dieu. 
(Extrait  littéralement  du  chapitre  II,  ibid.,  p.  339  b.,  au  bas.) 
Après  lecture,  Hus  fit  cette  remarque  :  «  Si  l'Église  est  la 
société  des  prédestinés  (v.  p.  158),  comment  un  pape  prœscitus 
pourrait-il  en  être  la  têLe  ?  »  3"  Il  n'est  nullement  vraisemblable 
qu'il  soit  nécessaire  de  mettre  à  la  tête  des  affaires  spirituelles  un 
chef  qui  soit  perpétuellement  visible  dans  l'Église  militante. 
(Ch.  V,  p.  346  a.  L'inculpé  apporta  une  nouvelle  preuve  à  l'ap- 
pui de  cette  thèse  :  «  La  meilleure  raison  qu'on  en  puisse  don- 


(1)  HôFLEP,,  Geschichtschr.  l'e  partie,  p.  Ib^-^^.—  Documenta,  etc.  p.  299- 
30i.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  24,  etc. 


TROISIÈME  INTERROGATOIRE  DE   HUS    (8  JUIN    1415).  469 

ner,  dit-il,  c'est  que  précisément  à  cette  heure,  depuis  la  dépo- 
sition de  Jean,  l'Église  militante  n'a  plus  de  chef  visible.)  » 
4°  Si  l'Église  n'eût  pas  eu  ces  têtes  monstrueuses,  le  Christ  l'aurait 
bien  mieux  gouvernée  par  la  voix  de  ses  vrais  disciples  disper- 
sés dans  le  monde.  (Gli.  V,  p.  347  a.  Hus  reproduisit  à  l'appui 
de  cet  article  la  fable  de  la  papesse  Jeanne,  qu'il  avait  déjà  racon- 
tée dans  plusieurs  endroits.  D'après  lui,  cet  exemple  prouvait 
qu'aucun  pape  n'est  nécessaire  et  que  personne  ne  peut  être 
successeur  du  Christ  ou  vicaire  de  Pierre.  Les  assistants  sou- 
rirent en  l'entendant  affirmer  que  le  Christ  gouvernerait  mieux 
son  Église  si  elle  n'avait  pas  de  chef  visible.  «  Étes-vous  donc 
prophète?  »  lui  dit-on.  Mais  il  persista  à  défendre  sa  doctrine). 
5°  Pierre  n'était  pas  le  pasteur  de  toutes  les  brebis  du  Christ,  et 
il  n'a  pas  été  non  plus  évêque  de  Rome.  (Car  le  Christ  n'a  assigné 
à  ses  apôtres  aucune  portion  de  territoire.  Ch.  V,  p.  348  a.)  Les 
apôtres  et  les  fidèles  prêtres  du  Seigneur,  avant  que  la  puissance 
pontificale  n'eût  été  inventée,  ont  admirablement  gouverné 
l'Éghse  dans  toutes  les  matières  nécessaires  au  salut,  et  ils  l'au- 
raient fait  encore  jusqu'au  dernier  jour,  s'il  n'y  avait  pas  eu  de 
pape.  (Ch.  YIII,  p.  354  b.,au  miheu.  L'auteur  soutint  son  article 
et  fit  encore  remarquer  qu'actuellement,  après  la  déposition 
du  dernier  pape,  l'Église  pouvait  rester  longtemps  sans  chef  vi- 
sible. Palecz  voulut  contredire;  mais  un  Anglais  nommé  Stockes 
fit  observer  que  toutes  ces  propositions  avaient  été  empruntées 
àWiclef)'. 

Lorsqu'on  eut  terminé  la  lecture  et  l'explication  de  ces  ar- 
ticles, d'Ailly  s'adressa  à  Hus  et  lui  dit  que  deux  voies  restaient 
ouvertes  devant  lui.  La  première,  c'était  de  se  remettre  sim- 
plement et  sans  réserve  à  la  clémence  du  concile,  qui,  en  con- 
sidération de  l'empereur  Sigismond,  du  roi  Wenceslas  et  de 
l'accusé  lui-même,  ne  manquerait  pas  d'en  user  avec  humanité 
et  indulgence  ^.  Mais  s'il  voulait  suivre  la  seconde  et  persister 
à  défendre  quelques-uns  de  ses  articles,  on  lui  accorderait 
d'autres  audiences.  «  Vous  devez  songer  en  outre,  ajouta  le 
cardinal,  que  des  hommes  distingués  et  instruits  ont  réuni 
contre  votre  doctrine  des  preuves  accablantes,  et  qu'une  plus 

(1)  HôFLER,  Geschichtschr.  1"  partie,  p.  262-265.  —  Documenta,  etc.  p.  305- 
30».  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  25,  etc. 

(2)  Van  der  Hardt  (t.  IV,  p.  432)  cite  un  projet  de  sentence;  dans  le  cas 
de  rétractation,  Hus  devait  être  dégradé  et  condamné  à  la  prison. 


470  TROISIÈME    L\TESR0GAT0ÏRE   DE   HUS    (8   JUI.\'    1415). 

longue  obstination  ne  ferait  que  vous  précipiter  dans  de  nou- 
velles erreurs.  »  Plusieurs  membres  appuyèrent  les  conseils  du 
cardinal  ;  mais  Hus  y  fit  cette  réponse  :  «  Très-Révérends  Pères,  je 
suis  venu  ici  en  toute  liberté,  non  pour  y  soutenir  opiniâtrement 
aucune  doctrine,  mais  pour  me  soumettre  humblement  aux  dé- 
cisions du  concile,  si  j'avais  hasardé  quelque  proposition  qui  parût 
répréhensible.  Mais  je  demande,  au  nom  de  Dieu,  qu'on  m'ac- 
corde encore  une  audience,  pour  que  je  puisse  m'expliquer  au 
sujetdesarticlesincriminés,  et  les  appuyer  sur  l'autorité  des  Pères. 
Si  l'on  n'accepte  pas  mes  raisons  et  leurs  preuves,  je  consens  à 
me  soumettre  humblement.  »  Plusieurs  cris  s'élevèrent  alors  : 
«  C'est  une  ruse,  c'est  de  l'opiniâtreté;  il  veut  discuter  avec  le 
concile,  il   n'accepte  ni  ses  corrections  ni  ses  définitions.   » 
«  Je  veux  m'y  soumettre,  répliqua  l'accusé,  et  Dieu  m'est  témoin 
que  je  parle  ici  sans  détour  comme  sans  arrière -pensée.   » 
D'Ailly  reprit  alors  :  «  Si  vous  voulez  vous  en  remettre  à  la  clé- 
mence et  à  l'autorité  du  concile,  apprenez  que  soixante  doc- 
teurs commis  par  lui  à  cet  efi'et  ont  adopté  unanimement  à  votre 
égard  les  résolutions  suivantes.  Vous  devrez  :  1°  avant  tout, 
confesser  humblement  avoir  erré  en  chacun  des  articles  préci- 
tés; 2°  abjurer  lesdits  articles,  et  vous  engager  par  serment  à  ne 
jamais  plus  les  soutenir  ni  les  enseigner;  3°  en  faire  rétractation 
publique;  4°  accepter  et  professer  les  vérités  qui  leur  sont  op- 
posées.  —  Très-Revérends  Pères,  répondit  Jean   Hus,  ne  me 
forcez  pas  à  mentir  et  à  abjurer  des  articles  que  je  n'ai  jamais 
soutenus,  par  exemple  celui  qui  enseigne  la  permanence  du  pain 
matériel  après  la  consécration.  (Cet  article  précisément  n'était 
pas  mentionné  au  nombre  des  trente-neuf.)  Quant  à  ceux  que 
j'ai  véritablement  soutenus,  je  suis  prêt  à  les  abjurer  humble- 
ment, quand  vous  m'aurez  démontré  qu'ils  sont  faux.  »  L'empe- 
reur objecta  qu'on  pouvait  parfaitement  abjurer  des   erreurs 
qu'on  n'avait  jamais  soutenues,  «  par  exemple,  dit-il,  je  puis 
abjurer  toutes  les  erreurs  ».  Hus  répondit  avec  raison  que  c'était 
alors  prendre  le  mot  «  abjurer  »  dans  un  autre  sens.  Le  cardinal 
de  Florence,  Zabarella,  prétendit  alors  que  la  formule  proposée 
à  l'accusé  déterminait  suffisamment  l'étendue  de  ses  obliga- 
tions ;  mais  Sigismond  insista  encore  auprès  de  Hus,  et  l'enga- 
gea à  suivre  les  conseils  du  cardinal  d'Ailly.  Il  lui  remit  donc 
sous  les  yeux  l'alternative  que  ce  dernier  lui  avait  proposée,  en 
ajoutant  :  «  Si  vous  voulez  vous  obstiner  à  défendre  vos  erreurs, 


TROISIÈME  INTERROGATOIRE   DE  HUS   (8   JUIN    1416).  471 

le  concile  et  les  docteurs  seront  contraints  de  procéder  à  votre 
égard  selon  les  rigueurs  du  droit.  »  L'accusé  répéta  qu'il  ne  vou- 
lait s'obstiner  dans  aucune  erreur,  et  demanda  qu'on  lui  accor- 
dât encore  une  autre  audience  où  il  put  expliquer  ses  véritables 
intentions,  particulièrement  en  ce  qui  touchait  le  pape,  les  chefs 
et  les  membres  de  l'Église,  car  les  rédacteurs  des  articles  incrimi- 
nés et  consacrés  à  ces  matières  s'étaient  mépris  sur  le  sens  de  ses 
paroles.  Il  soutint,  par  exemple,  qu'en  disant  qu'un  pape  ou  un 
prélat  prœscitus  n'est  pas  un  vrai  pape  ou  un  vrai  prélat  devant 
Dieu,  il  n'entendait  parler  que  du  mérite  et  non  pas  de  l'office. 
L'empereur  lui  conseilla  encore  une  fois  de  se  soumettre  au  con- 
cile et  de  se  rétracter;  mais  il  répliqua  de  nouveau  qu'il  voulait 
être  convaincu-  Un  gros  prêtre  qui  était  assis  à  la  fenêtre  s'écria 
alors  :  «  Il  ne  faut  pas  accepter  sa  rétractation,  car  elle  ne  serait 
pas  sérieuse;  ill'a  écrit  à  ses  amis  de  Bohême.  »  Hus  protesta 
au  contraire  que  rien  n'était  plus  sérieux  que  ses  offres  de  sou- 
mission. Palecz  apporta,  sur  ces  entrefaites,  un  nouveau  docu- 
ment contenant  neuf  articles  que,  d'après  lui,  Hus  avait  soutenus, 
sur  lesquels  il  avait  même  écrit  des  livres.  Sigismond  demanda 
à  l'accusé  de  produire  ces  livres  devant  le  concile  ;  mais  Hus  ré- 
pondit que  c'était  à  ses  adversaires  de  le  faire,  s'ils  le  pouvaient. 
(Hus  nous  a  appris  lui-même  qu'il  désirait  dissimuler  ses  livres 
autant  que  possible).  Ceux-ci  montrèrent  en  effet  le  commentaire 
que  l'accusé  avait  joint  à  une  sentence  pontiflcaie.  Hus  se  défendit 
d'en  être  l'auteur,  et  l'attribua  à  son  ami,  maître  Jesenicz,  en 
prétendant  d'ailleurs  qu'il  n'approuvait  aucunement  la  doctrine 
de  cet  écrit  * .  On  lut  en  outre  un  article  sur  les  trois  Tchèques 
décapités  que  ses  prédications  avaient  entraînés  au  crime. 
On  l'y  accusait  de  les  avoir  fait  introduire  dans  l'Église 
de  Bethléem  au  chant  de  ces  paroles  :  Isti  sunt  sancti ,  puis 
d'avoir  fait  célébrer  pour  eux  la  messe  de  martyribus ;  enfin 
de  les  avoir  en  chaire  placés  au  raug  des  saints.  Hus  nia  qu'on 
les  eût  introduits  par  son  ordre  à  Bethléem,  attendu  qu'il  ne  s'y 
trouvait  pas  en  ce  moment.  Naso  raconta  alors  cette  histoire  dans 
tous  ses  détails,  et  il  eut  bien  soin  de  faire  remarquer  que 


(1)  Nous  lisons  dans  la  lettre  lxvi  des  Documenta  (p.  109),  ou  xxxvii  des 
Eussii  0pp.,  que  Hus  accuse  le  notaire  d'avoir  méchamment  altéré  sa  ré- 
ponse à  propos  de  ce  commentaire,  et  ajoute  qu'on  doit  en  informer  Jese- 
nicz. Nous  n'avons  pu  découvrir  cette  altération;  toujours  est-il  que  Mlade- 
no-wicz  n'a  rien  altéré  au  détriment  de  Hus. 


472  TROISIÈME   INTERROGATOIRE   DE    HUS    (8   JUIN    1415). 

c'était  sur  l'ordre  du  roi  qu'on  les  avait  décapités.  Ce  dernier 
point  fut  contesté  par  l'accusé,  mais  Palecz  répondit  que,  le 
roi  ayant  interdit  en  général  toute  attaque  contre  la  bulle  ponti- 
JBcale,  c'était  en  vertu  de  cet  ordre  souverain  que  la  peine  capi- 
tale avait  été  prononcée  par  les  juges  compétents  contre  les  ac- 
cusés dont  H  us  s'était  dans  la  suite  constitué  le  défenseur.  Il 
lut  à  l'appui  un  passage  du  traité  de  Ecclesia  (G.  21,  p.  306  b), 
qui  causa  un  étonnement  général.  Les  trois  perturbateurs  en 
effet  y  étaient  représentés  comme  des  martyrs  qui  avaient  sacrifié 
leur  vie  en  luttant  contre  l'Antéchrist,  c'est-à-dire  contrôle  pape 
On  vint  alors  à  parler  d'une  prétendue  lettre  écrite  par  l'univer- 
sité d'Oxford  à  celle  de  Prague,  et  Hus  avoua  qu'il  en  avait  donné 
lecture,  parce  qu'elle  avait  été  apportée  à  Prague  par  deux  étu- 
diants qui  y  avaient  apposé  un  faux  cachet  de  l'université 
d'Oxford.  L'un  de  ces  deux  jeunes  gens  s'appelait  Nicolas 
Faulfisch;  il  ignorait  le  nom  de  l'autre.  A  rencontre  de  ce  do- 
cument supposé,  les  Anglais  produisirent  une  pièce  authentique, 
dans  laquelle  l'université,  mise  en  cause,  condamnait  la  doctrine 
de  Wiclef,  avec  cette  mention  que  douze  docteurs  nommés  par 
elle  à  cet  effet  avaient  extrait  des  ouvrages  incriminés  deux  cent 
soixante  propositions  qui  devaient  être  soumises  au  concile  de 
Constance.  Enfin  Palecz  et  Michel  deCausis  protestèrent  que  leur 
conduite  à  l'égard  de  l'accusé  n'avait  pas  été  inspirée  par  la 
haine,  mais  par  le  désir  de  tenir  le  serment  qu'ils  avaient  prêté 
comme  docteurs  en  théologie;  et  d'Ailly  ajouta  que  Palecz  et  les 
autres  docteurs  avaient  témoigné  à  Jean  Hus  une  véritable  bien- 
veillance en  supprimant  plusieurs  articles  à  sa  charge  qui  avaient 
été  extraits  de  ses  ouvrages,  et  en  adoucissant  les  termes  de 
ceux  qu'ils  avaient  cru  devoir  conserver  '. 

L'accusé,  donnant  alors  quelques  signes  de  fatigue,  car  il 
avait  souffert  la  nuit  précédente  de  la  tête  et  des  dents  et  n'a- 
vait pu  dormir,  fut  de  nouveau  remis  aux  mains  de  l'évêque  de 
Riga  et  reconduit  en  prison.  Jean  de  Chlum  lui  serra  cordiale- 
ment la  main.  Sigismond,  persuadé  que  les  Bohémiens  (Jean  de 
Chlum,  Wenceslas  de  Duba  et  Pierre  de  Mladenowicz)  étaient 
sortis  avec  Hus,  dit  alors  :  ««  Très-Révérends  Pères,  de  tous  les 


{{)  HÔFLER,  Geschichtschr.  1"  partie,  p.  273-279.—  Documenta,  etc.^p.  308- 
314.  Cet  interrogatoire  est  incomplet  dans  JHussii  0pp.  1. 1,  p.  30-32.  Cf.  aussi 
V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  325-328. 


TROISIÈME  INTERROGATOIRE   DE   HUS    (8   JUIN    1415).  473 

articles  relevés  dans  les  livres  de  l'accusé,  qu'il  a  avoués  lui- 
même  ou  qu'on  a  établis  contre  lui,  un  seul  suffirait  pour  le 
faire  condamner  au  bûcher.  S'il  ne  veut  ni  se  rétracter  ni  abjurer, 
dès  lors  rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'il  périsse  par  le  feu,  ou  à  ce  que 
vous  procédiez  contre  lui  selon  les  règles  du  droit.  Mais  consi- 
dérez bien  ceci  :  c'est  que,  s'il  promet  de  se  rétracter,  si  même 
il  se  rétracte  réellement,  il  ne  faut  pas  y  ajouter  plus  de  foi  que 
je  n'en  ajouterai  moi-même,  parce  que,  si  on  le  laisse  retourner 
auprès  de  ses  amis  en  Bohême,  il  deviendra  bien  plus  à  craindre 
encore.  Il  faut  donc  absolument  l'empêcher  de  prêcher  et  de 
visiter  ses  partisans.  Envoyez  en  conséquence  les  articles  con- 
damnés en  Bohême  à  mon  frère,  en  Pologne  et  dans  tous  les 
États  environnants,  car  il  a  partout  des  disciples  et  des  protec- 
teurs cachés.  Lorsqu'on  en  découvrira,  qu'on  s'en  empare,  qu'on 
les  fasse  condamner  par  les  évêques  et  les  prélats,  afin  de  dé- 
truireen  même  temps  lesbranches  et  les  racines.  Le  concile  priera 
les  rois  et  les  princes  de  prêter  main-forte  à  l'Église.  Qu'on  en 
finisse  aussi  avec  ses  sectateurs,  notamment  avec  Jérôme  de 
Prague,  car  il  faut  que  je  me  mette  bientôt  en  route.  »  Ces  pa- 
roles de  l'empereur  terminèrent  la  séance  ' . 

Cependant  Pierre  de  Mladenowicz  avait  entendu  ces  propos  et 
les  fit  connaître  en  Bohême,  ce  qui  suscita  contre  l'empereur  la 
plus  violente  animosité;  aussi  Palacky  dit-il  avec  raison  :  «  Ce 
n'est  pas  parce  que  Sigismond  n'empêcha  pas  Hus  d'être  con- 
damné et  brûlé  comme  hérétique  que  les  Bohémiens  prirent  ce 
prince  en  haine,  car  son  fameux  sauf-conduit  n'avait  jamais  eu  ce 
sens,  et  par  conséquent  il  ne  pouvait  être  question  de  trahison, 
mais  bien  parce  qu'ils  ne  purent  oublier  qu'au  lieu  d'intercéder 
en  sa  faveur,  l'empereur  fut  le  principal  artisan  de  sa  perte  ^.  » 

Pendant  l'interrogatoire  du  8  juin,  le  roi  Sigismond  aurait  dit 
à  l'accusé  :  Ecce  scribetur  tibi  breviter,  et  tu  respondebis,  c'est-à- 
dire  :  «  Les  charges  seront  brièvement  résumées,  et  vous  aurez 
alors  la  faculté  d'y  répondre.  »  A  quoi  le  cardinal  président  fit 
la  réflexion  qu'on  suivrait  cette  marche  dans  la  prochaine  séance. 


(1)  HôFLER,  1,  c,  p.  279-281.  —  Documenta,  etc.  p.  314,  etc.  Cf.  Hussii  0pp. 
1. 1,  p.  32,  incomplet.  Plus  tard,  dans  une  lettre  écrite  de  Paris  aux  nobles 
de  Bohême  et  de  Moravie,  Sigismond  prétend  avoir  beaucoup  fait  pour  Jean 
Hus;  il  fit  en  effet  beaucoup  dans  les  commencements,  mais  rien  dans  la 
suite. 

(2)  Palacky,  Gesch.  von  Bôhmen,  t.  III,  1,  p,  357,  not,  465. 


474  TROISIÈME   INTERROGATOIRE  DE   HUS    (8   JUIN    14 1 5). 

Tel  est  le  récit  de  Eus  dans  plusieurs  lettres  où  il  supplie  les 
nobles  tchèques  avec  les  plus  grandes  instances  de  lui  obtenir 
cette  audience  finale,  comme  il  l'appelle  '.  Il  fait  ressortir  le 
déshonneur  qui  rejaillirait  sur  Sigismonds'il  violait  sa  promesse, 
tout  en  ajoutant  qu'il  ne  l'observerait  peut-être  pas  mieux  que 
son  sauf-conduit.  «  Les  avertissements  ne  m'ont  pas  manqué  en 
Bohème,  ajoute-t-il,  mais  j'avais  mieux  espéré  de  l'empereur. 
Maintenant  je  sais  qu'il  ne  se  soucie  pas  plus  de  moi  que  de  la 
vérité.  Il  m'a  condamné  avant  mes  ennemis  eux-mêmes  (allu- 
sion aux  rigoureuses  paroles  de  Sigismond  dans  la  séance  du 
8  juin).  N'aurait-il  pas  dû  suivre  au  moins  l'exemple  de  Pilate 
le  païen,  qui  ne  put  s'empêcher  de  dire  :  Je  ne  trouve  aucun 
crime  en  lui.  N'aurait-il  pas  dû  dire  :  Je  lui  ai  doyiné  un  sauf- 
conduit;  s'il  ne  veut  pas  se  soumettre  aux  décrets  du  concile, 
je  vais  le  renvoyer  avec  votre  sentence  et  les  preuves  qui  la  justi- 
fient au  roi  de  Bohême,  qui,  de  concert  avec  le  clergé,  prononcera 
sur  son  sort.  En  réalité,  avant  mon  voyage  de  Constance, 
Sigismond  m'a  fait  dire  par  Henri  LefQ  et  d'autres  personnes 
que,  si  je  ne  voulais  pas  me  soumettre  à  la  décision  du  concile,  il 
me  ferait  reconduire  sain  et  sauf  en  Bohême  ^.  »  Tels  étaient 
aussi  les  sentiments  des  nobles  tchèques  et  moraves  qui  s'in- 
téressaient à  Hus.  Ces  derniers,  réunis  à  Brûnn  le  8  mai  1415, 
et  quatre  jours  après  (12  mai)  l'assemblée  des  deux  noblesses 
tenue  à  Prague,  au  nombre  de  deux  cent  soixante-dix  membres, 
écrivirent  à  Sigismond  pour  se  plaindre  de  la  violation  du  sauf- 
conduit,  et  demander  que  Jean  Hus  fût  renvoyé  en  Bohême 
aussi  libre  qu'il  en  était  parti.  C'est  aussi  la  substance  d'une 
petite  lettre  écrite  encore  le  12  mai  et  dans  la  même  ville  par 
quelques  personnes  distinguées  ^.  Ces  différentes  pétitions  ayant 
été  traduites  en  latin  et  lues  à  l'assemblée  des  quatre  nations, 
le  12  juin,  Etienne  de  Palecz  y  fit  des  observations  dont  nous 
ne  connaissons  pas  la  teneur  ^.  Nous  ne  devons  pas  d'ailleurs 
perdre  de  vue  que  Jean  Hus  avait  déclaré  plusieurs  fois  son 
intention  de  se  soumettre  aux  décisions  du  concile,  et  que  ce 

({)  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  80,  ep.  15;  p.  87,  ep.  34;  p.  88,  ep.  35. —  Documenta 
p.  101,  ep.  60;  p.  108,  ep,  65;  p.  114,  ep.  70. 

(2)  Enssii  0pp.  1. 1,  p.  87,  ep.  34.  —  Documenta,  p.  114,  ep.  70. 

(3)  HôFLER,  GeschiclUschr.  1"  part.  p.  175-182  (allemand  et  tchèque).  — 
Documenta,  p.  547-555  (tchèque  et  latin).  La  troisième  lettre  n'est  pas 
dans  Hôfler. 

(4)  Hôfler,  Le.  p.  182. 


TEOISIÈME  ÏNTEEROGATOIRE  DE  HUS    (8   JUIN    1415).  475 

serait  bouleverser  toute  l'économie  judiciaire  que  de  permettre 
à  un  accusé,  après  avoir  saisi  la  plus  haute  juridiction,  de  se 
rabattre  sur  la  juridiction  inférieure,  parce  que  la  première  ne 
lui  est  pas  favorable. 

C'est  presque  aussitôt  après  le  troisième  interrogatoire  qu'il 
faut  placer  la  lettre  de  Hus  à  Jean  de  Ghlum,  dans  laquelle  il  le 
remercie  sincèrement  de  la  poignée  de  main  que  celui-ci  n'a  pas 
craint  de  lui  donner  en  public.  Il  se  plaint,  en  retour,  d'Etienne 
de  Palecz,  qui  n'est  venu  le  voir  en  prison  que  pour  le  traiter  d'hé- 
rétique dangereux,  en  présence  du  commissaire.  (C'était  à  l'occa- 
sion d'un  de  ces  interrogatoires  particuliers  que  l'on  faisait  subir 
à  Hus  en  prison,  avant  la  séance  publique.)  Puis  viennent  les 
récits  de  ses  rêves;  il  en  a  fait  un  notamment  dans  lequel  il  se 
voyait  entouré  de  serpents,  qui,  bien  qu'ayant  une  tête  à  chaque 
extrémité,  ne  pouvaient  parvenir  à  le  mordre .  C 'est  aussi  en  songe 
qu'il  a  vu  d'avance  la  fuite  du  pape,  son  retour,  l'arrestation  de 
Jérôme  de  Prague  et  sa  propre  incarcération.  «  Je  ne  dis  pas  tout 
cela,  ajoute-t-il,  afin  de  passer  pour  un  prophète,  mais  afin  de 
montrer  quelles  angoisses  assiègent  mon  âm.e  et  mon  corps.  » 
Jérôme  de  Prague  a  dit  dès  le  début  :  «  Si  je  vais  au  concile,  je 
n'en  reviendrai  pas.  »  «  Un  tailleur  polonais  m'a  fait  la  même 
prédiction  *.  » 

Comme  ce  dernier  interrogatoire  tant  désiré  se  faisait  at- 
tendre (il  n'eut  lieu  que  le  6  juillet),  Hus  se  persuada  qu'on  ne 
le  lui  accorderait  pas,  et  qu'il  allait  être  condamné  à  mort  sans 
plus  de  délai.  C'est  dans  cette  conviction  qu'il  écrivit,  le  10  juin, 
à  ses  amis  de  Bohême  une  lettre  qui  a  pour  ainsi  dire  le  carac- 
tère d'un  testament.  Il  y  exhorte  tous  les  rangs  de  la  société, 
supérieurs  et  inférieurs,  bourgeois,  maîtres  et  ouvriers,  pro- 
fesseurs et  étudiants,  àconserver  fidèlementla parole  de  Dieu,  etc. 
Si  quelqu'un  a  cru  jamais  entendre  dans  ses  sermons  ou  lire  dans 
ses  ouvrages  quelque  chose  de  répréhensible,  si  l'on  a  remar- 
qué quelque  témérité  dans  ses  paroles,  dans  ses  actions,  il  n'en 
peut  cependant  rien  rabattre.  Que  tous  ses  amis  gardent  une 
vive  reconnaissance  à  ses  courageux  défenseurs,  Wenceslas  de 
Duba  et  Jean  de  Chlum,  qu'ils  prient  pour  le  roi  des  Romains, 
ainsi  que  pour  le  roi  et  la  reine  de  Bohême,  afin  que  Dieu  soit 


(1)  Sussii  0pp.  1. 1,  p.  87,  ep.  33.  —  Documenta,  p.  110,  ep.  67. 


476  TROISIÈME   INTERROGATOIRE   DE   HUS    (8   JUIN    1415). 

avec  ces  princes.  C'est  de  sa  prison  qu'il  écrit  ces  conseils,  at- 
tendant d'un  jour  à  l'autre  la  sentence  capitale,  mais  plein  de 
confiance  en  la  bonté  divine,  qui  ne  peut  l'abandonner  ni  souf- 
frir qu'il  renonce  à  la  vérité  ou  qu'il  rétracte  des  erreurs  qu'on 
lui  impute  faussement.  C'est  aussi  pour  la  foi  que  Jérôme  est  en 
prison  et  attend  la  mort,  et  ce  sont  des  tchèques  qui  sont  leurs 
plus  cruels  ennemis.  Mais  que  les  habitants  de  Prague  ne  cessent 
pas  pour  cela  d'aimer  leur  église  de  Bethléem,  et  de  veiller  à  ce 
que  la  parole  de  Dieu  y  soit  toujours  distribuée  '. 

On  retrouve  ce  même  caractère  dans  deux  autres  lettres  écrites 
presque  à  la  même  date  (13  et  16  juin  1415).  La  première  est 
adressée  à  Henri  Skopek  de  Duba,  la  seconde  à  maître  Martin. 
Il  y  exhorte  ses  deux  disciples  et  partisans  à  mener  une  vie  ver- 
tueuse ;  il  avertit  en  particulier  maître  Martin  de  ne  point  se 
laisser  aller  au  luxe  des  vêtements,  faute  dans  laquelle  lui- 
même  est  malheureusement  tombé  quelquefois,  de  se  garder  des 
relations  avec  les  personnes  du  sexe,  surtout  en  confession,  «  de 
peur,  dit-il,  que  vous  ne  tombiez  dans  les  filets  du  mal.  »  Il 
espère  le  voir  conserver  sa  chasteté  virginale,  et  l'exhorte  à  ne 
pas  craindre  de  mourir  pour  le  Christ.  «  Si  l'on  vous  attaque  à 
cause  de  vos  relations  avec  moi,  poursuit-il,  voici  ce  que  vous 
devez  répondre  :  «  J'espère  que  maître  Hus  a  été  un  bon  chré- 
tien; quant  à  son  enseignement,  je  ne  le  connais  pas  tout  entier, 
et  n'en  ai  lu  que  des  fragments.  »  Enfin  il  lui  recommande  toute 
une  liste  de  ses  adeptes,  ainsi  que  ses  chers  maîtres  en  Jésus- 
Christ,  les  cordonniers  et  les  tailleurs,  et  le  charge  de  régler  ses 
dettes.  Peut-être  ses  créanciers  lui  en  feront-ils  remise  pour  l'a- 
mour de  Dieu.  Gomme  dans  beaucoup  d'autres  épitres,  nous 
trouvons  ici  la  recommandation  expresse  de  ne  se  servir  qu'avec 
circonspection  de  ses  livres  et  de  ses  lettres  ^. 


(1)  Documenta,  etc.  p.  U5,  etc.  ep.  71  (tchèque  et  latin).  —  Eussii  0pp. 
1. 1,  p.  7fi,  etc.  ep.  11. 

(2)  Documenta,  p.  118-120,  epp.  72  et  73.  —  Eussii  Opp,  1. 1,  p.  83,  etc. 
epp.  26  et  28. 


TREIZIÈME   SESSION   GENERALE,   LE    15   JUIN    1415.  477 


§  759. 

;  TREIZIÈME  SESSION  GÉNÉRALE,  LE  15  JUIN  1415.  INTERDICTION  DE 
LA  COMMUNION  SOUS  LES  DEUX  ESPÈCES  AUX  FIDÈLES.  AFFAIRE  DE 
JEAN   PETIT. 

La  mort  de  Jean  Eus  n'était  pas  si  prochaine  ;  ce  tragique 
événement  devait  encore  se  faire  attendre.  On  voulait  gagner  du 
temps,  dans  l'espérance  de  voir  Hus  s'amender  peu  à  peu  et 
épargner  ainsi  à  l'empereur  et  au  concile  une  sentence  toujours 
pénible  à  prononcer.  Aussi  commença-t-on  dès  lors  à  mettre 
tout  en  œuvre  pour  lui  faire  accepter  une  sorte  de  rétractation.  Il 
n'est  point  de  formule  qu'on  n'imaginât,  pas  de  moyens  qu'on  ne 
tentât  pour  l'amener  à  composition,  et  le  décret  de  la  treizième 
session  générale  vint  lui-même  à  point  pour  exercer  sur  son 
esprit  une  sérieuse  influence  (15  juin  1415).  Il  ne  l'atteignait  pas 
immédiatement;  mais  il  était  dirigé  contre  ses  amis  de  Bohême 
qui  avaient  adopté  déjà  l'usage  du  calice  pour  les  laïques  et  sup- 
primé le  jeûne  eucharistique.  Lorsqu'au  mois  de  mai,  l'évêque 
de  Leitomysl  avait  porté  cette  question  au  concile  et  provoqué 
une  répression,  on  avait  nommé  une  commission  de  théologiens 
chargés  d'examiner  l'affaire.  Ceux-ci  formulèrent  unanimement 
leur  réponse  en  six  conclusions,  avec  preuves  et  arguments  à 
l'appui,  contre  les  prétentions  de  Jacobell  * .  A  la  treizième  ses- 
sion générale,  l'archevêque  de  Milan  lut  un  projet  de  décret 
rédigé  d'après  lesdites  conclusions  et  reproduisant  leur  subs- 
tance, et,  sur  la  proposition  des  promoteurs  synodaux,  le  pré- 
sident du  concile,  l'empereur  ainsi  que  les  députés  des  nations 
en  sanctionnèrent  les  dispositions.  En  voici  la  teneur  : 

Gum  in  nonnullis  mundi  partibus  quidam  temerarie  asserere  prsesumant, 
populum  christianum  debere  sacrum  Eucharistiae  sacramentum  sub  utra- 
que  panis  et  vini  specie  suscipere  :  et  non  solum  sub  specie  panis,  sed 
etiam  sub  specie  vini  populum  laicum  passim  communicent,  etiam  post 
cœnam,  vel  alias  non  jéjunum,  et  communicandum  esse  pertinaciter  asse- 
rant,  contra  laudabilem  Ecclesiae  consuetudinem  rationabiliter  approbatam, 
quam  tanquam  sacrilegam  damnabiliter  reprobare  conantur  :  hinc  est,  quod 


(1)  Consultez  les  fragments  qu'en  donnent  V.  d.  Hardt,  t.  III,  p.  586-591, 
et  Matîsi,  t.  XXVII,  p.  157,  etc. 


478  TREIZrèWE  SESSION   GÉNÉRALE,    LE    15   JUIN    1416. 

hoc  praesens  concilium  sacrum  générale  Constantiens9,  in  Spiritu  sancto  > 
légitime  congregatum,  adversus  hune  errorem  saluri  fidelium  providers 
satagens,  matura  plurium  doctorum  tam  divini  quam  humani  juris  delibe- 
ratione  prEehabita,  déclarât,  decernit  et  diffinit  :  Quod  licet  Ghristus  post 
cœnam  instituent,  et  suis  discipulis  administraverit  sub  utraque  specie 
pani?  et  vini  hoc  venerabile  sacramentum;  tamen  hoc  non  obstante,  sa- 
crorum  Ganonum  auctoritas  laudabilis,  et  approbata  consuetudo  Ecclesiae 
servavit  et  servat,  quod  hujusmodi  sacramentum  non  débet  confici  post 
cœnam,  neque  a  fidelibus  recipi  non  jejunis,  nisi  in  casu  infirmitatis,  aut 
alterius  necessitatis,  a  jure  vel  Ecclesia  concesso,  vel  admisse.  Et  sicut  haec 
consuetudo  ad  evitandum  aliqua  pericula  et  scandala  est  rationabiliter  in- 
troducta  :  quod  licet  in  primitiva  Ecclesia  hujusmodi  sacramentum  recipe- 
retur  a  fideUbus  sub  utraque  specie,  tamen  postea  a  conficientibus  sub 
utraque  et  a  laicis  tantummodo  sub  specie  panis  suscipiaiur;  cum  firmis- 
sime  credendum  sit,  et  nullatenus  dubitandum,  integrum  Ghristi  corpus  et 
sanguinem  tam  sub  specie  panis  quam  sub  specie  vini  veraciter  contineri. 
Unde  cum  hujusmodi  consuetudo  ab  Ecclesia  et  sanctis  Patribus  rationabi- 
liter introducta,  et  diutissime  observata  sit,  habenda  est  pro  lege,  quam 
non  licet  reprobare,  aut  sine  Ecclesiae  auctoritate  pro  libito  mutare.  Qua- 
propter  dicere,  quod  banc  consuetudinem  aut  legem  observare,  sit  sacri- 
legium  aut  illicitum,  censeri  débet  erroneum  :  et  pertinaciter  asserentes 
oppositum  prsemissorum,  tanquam^hœretici  arcendi  sunt  et  graviter  puniendi 
per  diœcesanos  locorum,  seu  oiïïciales  eorum,  aut  inquisitores  haereticae 
pravitatis,  in  regnis  seu  provinciis,  in  quibus  conti'a  hoc  decretum  aUquid 
fuerit  forsan  attentatum  aut  prsesumptum,  juxta  canonicas  et  légitimas 
sanctiones,  in  favorem  catholicae  fidei,  contra  haereticos  et  eorum  fautores, 
salubriter  ad  inventas. 

On  avait  joint  une  formule  exécutoire  ainsi  conçue  : 

Item  ipsa  sancta  synodus  decernit  et  déclarât  super  ista  materia,  reve- 
rendissimis  in  Ghristo  patribus  et  dominis  patriarchis,  primatibus,  archie- 
piscopis,  episcopis,  et  eorum  in  spiritualibus  vicariis  ubilibet  constitutis, 
processus  esse  dirigendos,  in  quibus  eis  committatur  et  mandetur  aucto- 
ritate hujus  sacri  concilii  sub  pœna  excommunicationis,  ut  elïectualiter 
puniant  eos  contra  hoc  decretum  excedentes,  qui  communicando  populum 
sub  utraque  specie  panis  et  vini  exhortati  fuerint,  et  sic  faciendum  esse 
docuerint  :  et  si  ad  pœnitentiam  redierint,  ad  gremium  Ecclesiae  susci- 
piantur,  injuncta  eis  pro  modo  culpae  pœnitentia  salutari.  Qui  vero  ex  illis 
ad  pœnitentiam  redire  non  curaverint  animo  indurato,  per  censuras  eccle- 
siasticas  per  eos  ut  haeretici  sunt  coercendi,  invocato  etiam  ad  hoc  (si  opus 
fuerit)  auxilio  brachii  saecularis  ^ . 

On  comprend  facilement  que  ce  décret  dut  être  fort  mal 
accueilli  en  Bohême.  L'archevêque  de  Prague  et  le  roi  Wenceslas 
prohibèrent  en  même  temps  l'emploi  du  calice;  mais  celte 
défense  ne  fut  observée  que  dans  la  ville,  et  encore  pour  peu 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  726-728.  —  H^rd.  t.  VIII,  p.  380-382.  —  Van  der 
Hardt,  t.  IV,  p.  332-334.  —  Hôfler,  Geschichtsckr.  1"  partie,  p.  329. 


INTEEDICT.  DE  LA  COMMUNION  SOUS  LES  DEUX  ESPECES  AUX  FIDÈLES.    479 

de  temps  ;  dans  le  reste  du  pays  on  continua  de  distribuer  la 
communion  sous  les  deux  espèces,  souvent  même  en  plein  air. 
Jacobell  écrivit  alors  une  violente  réfutation  du  décret  conci- 
liaire et  des  conclusions  des  docteurs  qu'on  appelait  ironique- 
ment «  les  docteurs  de  l'usage,  »  parce  qu'ils  avaient  en  effet 
invoqué  la  coutume  établie  ^  Hus  se  prononça  aussi  dès  ce 
jour  plus  ouvertement  qu'il  ne  l'avait  encore  fait  sur  la  ques- 
tion du  calice.  Quelque  temps  auparavant,  il  s'était  élevé 
contre  cette  introduction  arbitraire;  mais,  dans  une  lettre 
écrite  le  21  juin  à  Hawlik,  son  disciple  et  son  successeur  dans 
la  cbaire  de  Betliléem,  il  lui  défend  de  s'opposer  à  l'usage  du 
calice  et  d'attaquer  Jacobell,  il  lui  conseille  au  contraire  de  suivre 
l'exemple  duGhrist,  qui  se  servit  du  calice,  et  de  ne  pas  suivre  une 
coutume  que  la  négligence  seule  a  fait  naîLre.  Le  concile  a  rejeté 
une  institution  du  Christ  comme  une  erreur.  Il  faut  donc  se 
tenir  prêt  à  souffrir  pour  cette  cause  ^.  Dans  une  autre  lettre  sans 
date,  mais  certainement  écrite  à  cette  époque,  parce  qu'elle  a 
ce  caractère  de  testament  que  nous  avons  signalé,  Hus  exhorte 
un  prêtre  à  la  défense  de  l'utraquisme,  et  lui  adresse  quelques 
conseils  principalement  sur  la  chasteté  [juvenculas  mulieres 
omnimode  fuge,  ne  credas  religioni  eorum;  nam  dicit  Augus- 
tinus  :  quo  religiosior,  eo  ad  luxuriam  proclivior,  et  sub  prcB' 
textu  religionis  latet  dolus  ad  venenum  fornicationis  ^). 

La  treizième  session  générale  (15  juin  141 5)  ne  fut  pas  entière- 
ment consacrée  aux  hussites  ;  on  y  commença  aussi  l'examen  de 
l'importante  affaire  de  Jean  Petit  ou  Johannes  Parvi  *,  franciscain 
français  et  docteur  en  théologie.  Le  23  novembre  1407,  le  duc 
d'Orléans  Louis,  frère  du  roi  Charles  VI,  avait  été  assassiné  à  Paris, 
par  huit  meurtriers  aux  gages  de  son  cousin  Jean  sans  Peur,  duc 
de  Bourgogne.  Ils  étaient  rivaux,  et  se  disputaient  mutuellement 
l'empire  du  monarque  en  démence  et  la  domination  de  son 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  III,  p.  591-6IJ7.  Il  y  eut  une  foule  d'écrits  échangés  sur 
cette  matière,  et  nous  en  trouvons  plusieurs  dans  V.  d.  Hardt  (t.  III).  Le 
Codex  de  Tubingue ,  que  nous  avons  déjà  mentionné,  en  contient  un 
très-étendu,  où  l'on  a  prétendu  voir  une  réponse  au  mémoire  adressé  par 
la  noblesse  de  Bohême  à  Sigismond,  mais  qui  n'est  autre  chose  que  le  se- 
cond livre  de  Maurice  de  Prague.  (V.  d.  Hardt,  t.  III,  p.  826-883.) 

(2)  Documenta,  p.  128,  ep.  80.  —  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  80,  ep.  16. 

(3)  Documenta,  p.  149,  ep.  92.  —  Hassii  0pp.  1. 1,  p.  76,  ep.  9, 

(4)  On  peut  consulter  une  très-instructive  Synopsis  chronologica  sur  l'af- 
faire de  Petit  dans  les  OEuvres  de  Gerson  éditées  par  Du  Pin,  avant  le  t.  V, 
et  dans  Maksi,  t.  XXVHI,  p.  731. 


480  TREIZIÈME  SESSION    GÉNÉRALE,   LE    15   JUIN    1415. 

royaume.  Le  duc  d'Orléans  était  soutenu  par  l'attachement  suspect 
de  la  reine  îsabeau  de  Bavière  et  l'ambition  de  la  noblesse,  tandis 
que  le  duc  de  Bourgogne  avait  pour  lui  le  peuple.  Quelque  temps 
avant  l'attentat,  il  y  avait  eu  une  apparence  de  réconciliation, 
et  les  deux  rivaux,  en  signe  de  paix,  avaient  communié  de  la 
même  hostie.  Mais  Louis  d'Orléans  s'étant  impudemment  vanté 
de  posséder  les  bonnes  grâces  de  la  duchesse  de  Bourgogne, 
Jean  sans  Peur  sentit  renaître  et  s'accroître  toute  sa  vieille  haine. 
Elle  l'entraîna  jusqu'au  crime.  Le  duc  ne  s'en  cacha  point  et 
commença  par  quitter  Paris,  où  le  roi  lui  fit  défense  de  jamais 
rentrer,  tandis  qu'il  accueillait  favorablement  à  la  cour  la  mal- 
heureuse Valentine  de  Milan  et  ses  enfants.  Cependant  le  Bour- 
guignon reparaissait  à  Paris  dès  le  mois  de  février  1408,  à  la 
tête  d'une  armée  :  le  peuple  le  reçut  avec  enthousiasme,  tandis 
que  la  duchesse  d'Orléans  prenait  la  route  de  Blois.  Il  obtint  du 
monarque  une  audience  solennelle  (8  mars  1408)  où  Jean  Petit, 
son  conseiller,  fit  l'apologie  du  meurtre.  Voici  son  argument  : 
«  Si  un  vassal  trame  un  complot  contre  son  roi,  pour  le  ren- 
verser du  trône,  et  c'était  le  cas  du  duc  d'Orléans,  n'est-il  pas 
permis  à  tout  sujet,  n'est-il  pas  même   méritoire  de  mettre  à 
mort  ce  traître  déloyal,  ce  perfide  usurpateur  ^  ?  »  Le  malheu- 
reux Charles  VI  crut  nécessaire  de  se  réconcilier  avec  son  puis- 
sant voisin  et  de  le  décharger  de  tout  crime.  A  peine  le  duc 
avait-il  quitté  Paris  que  la  veuve  infortunée  parvint  à  gagner  de 
nouveau  l'esprit  du  roi,  et,  à  force  de  prières,  obtint  enfin  la 
réhabilitation  de  son  époux  indignement  calomnié  par  l'assassin 
et  par  son  conseiller.  Sans  avoir  donc  égard  à  la  précédente  abso- 
lution, le  parlement  déclara  le  duc  de  Bourgogne  coupable  du 
meurtre  et  le  condamna  à  l'exil  (août  1408).  La  reine  Isabeau  n'y 
fut  point  étrangère.  Cependant,  la  duchesse  d'Orléans  ne  tarda 
pas  à  succomber  (4  décembre  1408),  et  ses  fils  s'étant  réconciliés 
avec  le  duc  Jean,  celui-ci  revint  bientôt  à  Paris  pour  s'emparer 
des  rênes  du  gouvernement  (juillet  1409).  Il  obligea  en  efi'et 
le  roi  à  lui  confier  la  régence  et  la  tutelle  du  dauphin;  mais,  au 
bout  de  trois  ans,  son  administration  fut  troublée  par  une  san- 
glante révolte  (1412).  Le  comte  d'Armagnac,  beau-père  du  jeune 


(1)  L'apologie  de  Jean  Petit  {Justificatio  ducis  Burgundice)  se  trouve  dans 
le  V«  tome  des  OEuvres  de  Gerson,  éditées  par  Dupin  (p.  15-42).  On  y  trouve 
aussi  beaucoup  d'autres  pièces  relatives  à  cette  aûaire.  Consultez  aussi  la 
collection  de  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  740-870. 


INTERDICT.  DE  LA  COMMUNION  SOUS  LES  DEUX  ESPECES  AUX  FIDELES.    481 

duc  d'Orléans,  releva  la  bannière  du  parti  vaincu  et  commença 
la  fameuse  lutte  des  Armagnacs  et  des  Bourguignons.  Elle  fut 
signalée  par  d'affreuses  représailles  ;  Paris  se  souleva,  la  Bastille 
fut  emportée  d'assaut  par  le  peuple  (1413),  et  le  roi  demeura 
prisonnier  avec  le  dauphin.  Enfin  les  Armagnacs  obtinrent  le 
dessus  :  le  Bourguignon  fut  chassé,  déclaré  ennemi  public,  et  son 
pays  envahi.  —  Ce  fut  alors  (1413)  qu'on  souleva  la  question 
des  doctrines  professées  par  Jean  Petit,  mort  lui-même  quelque 
temps  auparavant  (1410),  après  les  avoir  désavouées,  disait-on, 
et  la  famille  d'Orléans  demanda  sur  cetle  question  une  déclaration 
de  l'université  de  Paris.  A  la  suite  de  ces  démarches,  Gerson  se 
prononça  très-catégoriquement  contre  les  opinions  de  ce  docteur, 
dans  un  sermon  qu'il  prêcha  après  la  répression  des  troubles  de 
Paris,  et  conjura  le  roi  de  s'opposer  à  ces  erreurs  (4  sep- 
tembre 1413)  ^  La  majorité  de  l'Université  lui  donna  pleinement 
raison,  en  particulier  la  faculté  de  théologie,  ainsi  que  la  nation 
de  France,  mais  la  faculté  des  décrets  et  la  nation  de  Picardie 
lui  suscitèrent  la  plus  vive  opposition  ;  le  duc  Jean  en  conçut 
une  haine  mortelle  contre  le  chancelier  Gerson,  d'autant  plus 
que  celui-ci  avait  été  comblé  de  bienfaits  par  la  maison  de  Bour- 
gogne. Gerson  essaya  de  se  disculper  dans  un  mémoire,  où  il 
démontrait  que  sa  conscience  ne  lui  avait  pas  permis  d'agir 
autrement,  mais  ce  fut  en  vain  ^.  Cependant  le  roi,  approuvant  la 
proposition  de  Gerson,  demanda  dès  le  7  octobre  1413  à  l'é- 
vêque  de  Paris,  Montaigu,  de  réunir  l'inquisiteur  de  la  foi 
et  les  plus  illustres  maîtres  de  la  faculté  de  théologie  et  de 
soumettre  à  leur  examen  certaines  erreurs  répandues  dans  le 
royaume  ^.  Les  actes  de  ce  concile  de  Paris  qui,  du  30  no- 
vembre 1413  au  23  février  1414,  tint  six  sessions  (quelquefois 
durant  l'espace  de  plusieurs  jours),  se  trouvent  dans  l'édition  des 
Œuvres  du  chancelier  Gerson  publiée  par  Dupin  (t.  Y,  p.  49-342). 
Schwab  en  a  donné  un  résumé  ^  ;  mais  ce  qui  suit  suffit  au  but 
que  nous  nous  proposons.  Le  résultat  de  l'enquête  fut  l'adoption 
de  sept  propositions,  que  Gerson  avait  déjà  signalées  dans  son 
discours  solennel  devant  le  roi  (4  sept.  1413)  et  devant  l'Univer- 


(1)  Gerson,  0pp.  t.  IV,  p.  657-680. —  Schwab,  /.  Gerson,  etc.  p.  449,  etc.  et 
609,  etc. 

(2)  Schwab,  Ihid.  p.  610. 

(3)  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  52,  etc. 

(4)  Schwab,/.  Gerson,  etc.  p.  612-618. 

T.  X.      31 


482  TREIZIÈME   SESSION  aÉNÉRA.i-'E ,   LE    15   JUIiV    1415. 

site  (6  sept.),  comme  renfermant  les  principales  erreurs  de 
Jean  Petit  ^ .  Sur  la  proposition  de  l'ofiGLcial  diocésain,  les  trente 
maîtres  présents  déposèrent  leur  vote,  et  tous  furent  d'avis  qu'il 
y  avait  lieu  de  poursuivre.  Plusieurs  firent  observer  néanmoins 
qu'il  fallait  d'abord  conslaLer  si  les  propositions  incriminées  se 
trouvaient  textuellement  dans  la  justification  du  duc  de  Bour- 
gogne par  Jean  Petit.  Elles  n'y  étaient  pas  mot  à  mot,  eL  l'official 
de  l'évêque  ainsi  que  le  vicaire  de  l'inquisiteur  promirent  d'en 
référer  à  leurs  mandants.  L'évêque  et  l'inquisiteur  se  bornèrent  à 
convoquer,  le  4  décembre,  une  assemblée  deux  fois  plus  nom- 
breuse, à  laquelle  ils  assistèrent.  L'archevêque  de  Sens  y  assista 
aussi  et  fut  le  premier  votant  des  magistri,  Gerson  le  second  ;  on 
jugea  nécessaire  de  remettre  ensuite  àchaque  maître  unecopie  des 
articles  relevés  dans  les  ouvrages  de  Petit,  afln  d'en  mieux  assurer 
l'examen  2.  Quelques  jours  après,  le  19  décembre,  on  tint  une 
troisième  séance  où  chaque  maître  dut  exprimer  par  écrit  son 
opinion  sur  l'opportunité  d'une  condamnation  des  propositions  qui 
lui  avaient  été  remises  et  sur  la  meilleure  manière  de  procéder. 
Beaucoup  déclarèrent  ne  pas  les  avoir  reçues,  d'autres  donnèrent 
leur  suffrage  de  vive  voix  ou  par  écrit.  On  réunit  ainsi  soixante- 
dix-neuf  votants,  parmi  lesquels  bon  nombre  de  prélats.  Le 
dépouillement  de  ces  votes,  très-longuement  motivés  pour  la 
plupart,  dura  jusqu'au  5  janvier  1415  ;  puis  on  nomma  quinze 
maîtres  pour  constater  si  les  propositions  attaquées  se  trou- 
vaient textuellement  dans  l'écrit  de  Jean  Petit  ;  enfin  des  experts 
furent  chargés  de  constater  l'authenticité  du  manuscrit  ^.  Tous  ces 
préliminaires  prirent  beaucoup  de  temps,  de  telle  sorte  que  la 
quatrième  session  dura  presque  un  mois  (8  janvier-7  février  1414). 
On  ne  laissa  pas  cependant  que  de  lire,  le  31  janvier,  trente-sept 
propositions  équivoques  extraites  des  œuvres  de  Jean  Petit  *, 
et  le  lendemain  on  choisit  les  neuf  plus  importantes  pour  les 
déférer  à  l'évêque  le  6  février  ^. 


(1^  Gerson,  Opip.  t.  IV,  p.  669;  t.  V,  p.  55,  etc. 

(2)  Gerson,  t.  V,  p,  70-78. 

(3)  Ibid.  p.  79-217. 

(4)  Ibid.  p.  258--.!62. 

(5)  Voici  la  teneur  de  ces  neuf  propositions  :  1°  Licitam  est  uuicuique  sut- 
dilo  absque  quocungue  mandato  vel  prœcepto,  secundum  leges  naturalem,  moralem 
et  divinam,  occidere  vel  occidi  facere  quemlibel  iyrannum,  qui  pcr  cupiditalem, 
fraudem,  sortilegium  vel  malum  ingenium  machinatur  contra  saluteni  corporalem 
régis  sui  et  supremi  domini,  pro  auferendo  sibi  suam  no  bi  lias  imam  et  altissimam 


INTERDICT.  DE  LA  COMMUNION  SOUS  LES  DEUX  ESPECES  AUX  FIDELES.    483 

Celui-ci  réunit  le  lendemain  une  session  plénière  du  Conci- 
Hum  fidei,  dans  laquelle  il  fut  résolu  qu'une  copie  des  neuf  pro- 
positions de  Petit  serait  remise  à  tous  les  maîtres  et  licenciés 
en  théologie.  Ceux-ci  opinèrent  à  la  cinquième  séance  (12-19  fé- 
vrier 1414)  *;  à  la  sixième  (23  février),  qui  se  tint  au  palais 
épiscopal  de  Paris  devant  une  très-nombreuse  assemblée, 
Gerson  commença  par  prononcer  un  discours  à  la  suite  duquel 
l'évêque  de  Paris  et  l'inquisiteur  du  Saint-Siège,  juges  compé- 
tents nommés  à  cet  effet  par  le  roi,  promulguèrent  solennelle- 
ment la  sentence.  La  thèse  de  Petit  intitulée  :  Justificatio  domini 
ducis  Burgundiœ,  ainsi  que  les  neuf  propositions  extraites  de 
cette  thèse,  y  étaient  réprouvées,  supprimées  et  condamnées 
au  feu,  et,  dès  le  dimanche  suivant  (25  février),  cette  sentence 
reçut  son  exécution  pubhque  sur  le  parvis  Notre-Dame  ^.  L'é- 
vêque de  Paris  et  le  roi  promulguèrent  aussitôt  cette  condam- 
nation. Un  décret  du  16  mars  1414  en  ordonna  la  pubhcation 


dominationem,  et  nedum  licitum,  sed  honorahile  et  meritorium,  maxime  quando 
est  tantœ  potentiœ  quod  justitia  non  potest  bono  modo  fieri  per  supremum;  2°  le- 
ges,  naturalis,  moralis  et  divina,  auctorisant  unumquemque  subdiium  de  occidendo 
vel  occidi  faciendo  dictum  tyrannum;  3°  licitum  est  unicuique  subdito,  lionorabile 
et  meriiorium,  occidere  vel  occidi  facere  supranominatum  tyrannum,  proditorem 
et  infidelem  suo  régi  et  supremo  domino,  per  dolos  vel  explorationes  et  insidias; 
et  est  propria  mors,  qua  debent  moin  tyranni  infidèles,  occidere  scilicet  eos  vi- 
lainement per  optimas  cautelas  vel  explorationes,  dolos  et  insidias,  et  est  lici- 
tum dissimulare  et  silere  voluntaiem  suam  de  sic  faciendo;  4°  jus  est,  ratio  et 
œrjuitas,  quod  omnis  tyrannus  occidatur  vilainement  per  dolos,  explorationes 
et  insidias,  et  est  propria  mors,  qua  debent  mori  tyranni  infidèles,  occidere  scilicet 
eos  per  bonas  cautelas  vel  explorationes,  dolos  et  insidias;  5°  ille  qui  occidit  vel 
occidi  facit  tyrannum  supradiclum  modis  prœdictis,  non  débet  de  aliquo  reprehendi, 
et  rex  non  débet  solum  esse  contentas,  sed  débet  habere  facium  acceptabile  et  auc- 
torisare,  quantum  opus  vel  nécessitas  esset;  &°  rex  débet  prœmiare  et  remunerare 
illum,  qui  occidit  modo,  qui  dictas  est,  vel  occidi  facit  tyrannum  supranominatum, 
in  tribus  rébus,  scilicet  amore,  honoribus  et  divitiis,  exemplo  remuneratiojiem  fac- 
tarum  sancto  Michaeli  archangelo  pro  expuhione  Luciferi  a  regno  paradisi,  et 
nobili  homini  Phinees  pro  occisione  ducis  Zambri  (IV  AJos.  25,  1,  8,  14)^  1°  rex 
débet  plus  amare  quam  prias  illum,  qui  occidit  vel  occidi  facit  tyrannum  prœno- 
minatum,  modis  supra  dictis,  et  débet  facere  prœdicari  suam  fidem,  et  bonam 
fidelitatem  per  regnum  et  extra  regnum  facere  publicari  per  litteras  in  modum 
epistolœ  et  aliter;  8°  littera  occidit,  spiritus  autem  vivilîcat,  hoc  est  dicere  : 
quod  semper  tenere  sensum  litteralem  in  sacra  Scriptura  est  occidere  animam  suam; 
9°  in  casu  socialitatis ,  juramenti,  promissionis  seu  confœderationis  ,  faciarum  ab 
uno  milite  ad  alterum,  quocumque  modo  istud  fiât  aut  fieri  possit,  si  contingat, 
quod  istud  veHatur  in  prœjudicium  unius  promiltentium  aut  confœderatorum, 
sponsœ  suœ  aut  suorum  liberorum  ;  ipse  de  nullo  tenetur  cas  observare  ;  hoc  pro- 
batur  ex  ordine  cliaritaiis,  quo  quilibet  plus  tenetur  se  ipsum  diligere,  uxorem  et 
libéras,  quam  alterum.  Cf.  Gersox,  0pp.  éd.  Dupin,  t.  V,  p.  327,  etc.  Mansi, 
t.  XXVII,  p.  879.  —  Haru.  t.  VIII,  p.  546,  etc.  —  V.  d,  Haud,  t.  IV,  p.  278. 

(1)  Ibid.  p.  267-819. 

(2   Ibid.  p.  319-323. 


484  THEIZIÈME  SESSION   GÉNÉRALE^   LE   J  5   JUIN    1415. 

dans  tout  le  territoire  du  royaume  *,  et  défendit  toutes  les 
attaques  violentes  dont  elle  était  déjà  l'objet  ^. 

Le  duc  de  Bourgogne  n'attendit  pas  un  instant  pour  en  appeler 
au  souverain  pontife,  qui  confia  l'examen  de  cette  affaire  à  une 
commission  comxposée  des  trois  cardinaux  des  Ursins,  de  Florence 
et  d'Aquilée.  Le  cardinal  Jordano  des  Ursins,  avec  l'assentiment 
de  ses  deux  collègues,  cita  l'évêque  de  Paris  et  l'inquisiteur 
pontifical  à  comparaître  devant  lui  pour  plus  ample  information. 
Ceux-ci  protestèrent  par  procureur  et  déclinèrent  la  citation,  ce 
qui  les  fit  déclarer  «  contumaces  »  par  le  cardinal;  mais  le  procès 
traîna  en  longueur  et  il  n'était  intervenu  aucune  sentence  dé- 
cisive à  l'ouverture  du  concile  de  Constance  ^.  Gerson  fut  alors 
envoyé  au  concile  par  le  roi  et  l'Université  pour  faire  lever  cette 
opposition  et  défendre  au  besoin  la  sentence  de  l'évêque  de 
Paris  et  de  l'inquisiteur.  L'enquête  commencée  à  Rome  se  pour- 
suivant à  Constance,  il  en  fut  naturellement  question  dans  le 
concile,  et  l'affaire  prit  d'autant  plus  d'importance  qu'on  avait 
déjà  à  s'occuper  du  duc  de  Bourgogne  sur  un  autre  chef.  Les 
représentants  de  la  nation  française  à  Constance  avaient  en 
effet  écrit  à  ce  prince  pour  exiger  qu'il  arrêtât  le  pape  Jean  XXIII, 
si  celui-ci  venait  à  franchir  les  frontières  de  Bourgogne.  Le  duc 
avait  répondu  qu'il  s'y  prêterait  volontiers,  tout  en  protestant 
contre  les  soupçons  dont  son  orthodoxie  paraissait  être  l'objet. 
Il  ajoutait  ces  paroles  :  «  Je  n'avais  exposé  au  docteur  Jean  Petit 
que  les  faits;  les  principes  sur  lesquels  il  s'est  appuyé  dans  son 
apologie  lui  appartiennent.  Il  n'a  pas  su  distinguer  le  vrai  du 
faux,  et  n'est  certainement  pas  à  l'abri  de  tout  blâme...  Si 
quelques  personnes,  la  plupart  fort  obscures,  ont  cru  pouvoir 
attaquer  mon  honneur,  le  concile  fera  sans  doute  l'accueil 
qu'elles  méritent  à  des  calomnies  dictées  par  la  haine  ou  l'ima- 
gination beaucoup  plus  que  par  le  zèle  de  la  foi,  etc.  >•  Cet  écrit  fut 
lu  en  séance  publique,  le  26  mai  1415  *.  Gerson  s'empressa  de 
protester  contre  les  graves  imputations  dirigées  manifestement 
contre  lui,  bien  que  son  nom  n'eûtpas  été  prononcé  ;  puis  quelques 
jours  après  (7  juin),  il  dénonça  formellement  l'affaire  au  concile, 
tandis  que  les  envoyés  bourguignons,  Martin  Porée,  évêque 


(1)  V.  D.  Hâmt,  t.  IV,  p.  323,  au  bas,  jusqu'à  3'26  et  332. 

(2)  Ibid.  p.  333.  Actes  du  19  novembre  1414. 

(3)  Ibid.  p.  50U-507. 

(4)  Mansi,  t.  XXVll,  p.  710,  et  t.  XXYIII,  p.  740.—  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  343. 


QUATORZIÈME   SESSION   GENERALE.  485 

d'Arras,  et  Pierre  Gauchon,  vidame  de  Reims,  réclamaient  de 
leur  côté  une  sentence  conciliaire  ^ .  La  treizième  session  générale 
aboutit  donc  à  la  nomination  d'une  commission  chargée  d'exa- 
miner toutes  les  accusations  d'hérésie,  et  composée  des  cardi- 
naux d'Ailly,  Zabarella  (de  Florence),  des  Ursins,  et  d'Aquilée, 
auxquels  on  adjoignit  plusieurs  évoques  et  des  docteurs  de 
chaque  nation  ^.  Ce  fut  en  vain  que  l'évêque  d'Arras  récusa  le 
cardinal  d'Ailly  à  cause  de  la  partialité  qu'il  avait  montrée  à 
l'égard  de  Gerson  dans  cette  affaire  ^.  Le  concile  d'ailleurs,  ayant 
égard  aux  circonstances,  rejetait  l'idée  d'une  condamnation 
nominative  de  Jean  Petit  à  laquelle  s'opposaient  les  intérêts  de 
la  politique  et  de  l'Église.  On  prit  donc  un  moyen  terme,  et  à  la 
seizième  session  (6  juillet  1415),  aussitôt  après  la  condamnation 
de  Hus,  on  réprouva,  sans  en  nommer  l'auteur,  la  proposition 
suivante  :  Quilibet  tyrannus  potest  et  débet  licite  et  meritorie 
occidi  per  quemcumque  vasallum  suiim  vel  subditum^  etiam  per 
clancidares  insidias,  et  subtiUs  blaiiditias  vel  adulationes,  non 
obstante  quocumque  jnramento  seu  confœderatione  factis  cum 
eo,  non  expectata  sententia  vel  mandato  judicis  cujuscunque  *. 

§  760. 

QUATORZIÈME   SESSION   GÉNÉRALE.    ABDICATION   DE   GRÉGOIRE   XII. 

Le  jour  même  où  fut  tenue  la  treizième  session  générale 
(15  juin  1415)  arriva  en  grande  pompe  à  Gonstance  le  prince 
Charles  Malatesta,  qui  s'était  déjà  signalé  à  Pise  par  son  zèle 
pour  l'extinction  du  schisme.  Il  déclara  à  l'empereur  qu'il 
était  député  par  Grégoire  XII  auprès  de  Sa  Majesté,  et  non 
auprès  du  concile  que  ce  pape  n'avait  pas  reconnu,  afin  de  pro- 
curer la  paix  de  l'Église.  Il  fit  ensuite  visite  aux  délégués  des 


(1)  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  353,  etc. 

(2]  Mansi,  t.  XXVIL  p.  729.  ~  Hard.  t.  VIII,  p.  383.  —  V.  d.  IIardt,  t.  IV 
p.  335. 

(3;  Schwab,  Jean  Gerson,  etc.  p.  619-621.  ~  V.u.  Hardt,  Concil.  Const. 
t.  IV,  p.  335.  Un  pamphlet  anonyme,  publié  dans  la  suite  contre  Gerson, 
prétend  que  d'Ailly,  alors  qu'il  était  encore  membre  de  l'Université,  avait 
eu  avec  Jean  Petit  un  dissentiment  assez  vif;  le  fait  est  exact.  Lenfant,  1.  c. 
1. 1,  p.  454. 

(4)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  765.  --  Hard.  t.  VIII,  p.  424.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  440.  —  Schwab,  J.  Gerson,  etc.  p.  621,  etc.. 


486  QUATORZIÈME   SESSION   GÉNÉRALE. 

nations,  et  leur  annonça  qu'il  était  muni  des  pleins  pouvoirs  de 
son  maître  pour  abdiquer  en  sod  nom.  Ses  propositions  furent 
aussitôt  soumises  à  l'examen  de  plusieurs  congrégations,  et,  dans 
la  quatorzième  session  générale   (4  juillet),  la  résignation  de 
Grégoire  XII  fut  solennellement  proclamée  par  Mala  testa  et  par 
Jean  Dominici  de  Raguse,  l'un  des  cardinaux  créés  par  ce  pré- 
tendant. L'empereur   présidait  lui-même,  afin   de   faciliter   à 
l'ambassadeur  la  reconnaissance  du  concile.  On  commença  par 
donner  lecture  de  plusieurs  bulles  de  Grégoire,  nommant  ses 
procurateurs  près  du  concile,  avec  pleins  pouvoirs,  le  cardinal 
de  Raguse  et  le  prince  Malatesta,  et  les  chargeant  de  convoquer 
de  nouveau  à  l'occasion  de  son  abdication  et  d'autoriser  comme 
concile  général,  l'assemblée  réunie  par  l'empereur,  et  non  par 
Balthazar  Cossa,  dont  on  ne  disait  admettre  ni  la  présidence  ni 
même  l'assistance.  Là-dessus  on  adopta  la  publication  de  deux 
actes,  dont  le  concile  était  convenu  avec  les  envoyés,  et  aux 
termes  desquels  étaient  pleinement  réconciliés  les  adhérents 
de  Jean  XXIII  et  de  Grégoire  XII,  et  levées  toutes  les  censures 
portées  à  l'occasion  du  schisme  contre  les  partisans  de  l'un  ou  de 
l'autre  pape.  Le  cardinal  de  Raguse  reçut  alors  l'accolade  frater- 
nelle des  autres  cardinaux  et  prit  place  au  milieu  des  cardinaux- 
prêtres;  puis  le  cardinal  de  Viviers  remonta  de  nouveau  sur  le 
siège  du  président,  et  l'on  donna  lecture  d'une  autre  bulle  de 
Grégoire  par  laquelle  il  instituait  Malatesta  son  vicaire  in  tem- 
poralibus  avec  des  pouvoirs  illimités  pour  rétablir  l'unité  de 
l'Église,  et  spécialement  pour  renoncer  en  son  nom  à  la  papauté 
et  à  tous  ses  droits.  Malatesta  demanda  si  le  concile  jugeait  plus 
opportun  que  Grégoire  abdiquât  avant  le  départ  de  l'empereur 
pour  Nice,  ou  qu'il  attendît  de  connaître  les  intentions  de  Pierre 
de  Luna  (Benoît  XIII) .  L'assemblée  se  prononça  pour  la  démission 
immédiate  et  se  fit  encore  lire  les  neuf  décrets  suivants  :  1°  Le 
choix  d'un  pape  n'aura  lieu  qu'avec  l'assentiment  du  concile 
(cf.  12*  session).  2°  On  se  conformera,  pour  le  mode,  le  lieu,  le 
temps  et  le  sujet  de  l'élection,  aux  décisions  du  concile,  qui  ne  se 
séparera  pas  avant  d'y  avoir  procédé.  L'empereur  Sigismond, 
en  sa  qualité  à' advocatus  Ecclesiœ,  promit  d'y  tenir  la  main, 
et  signa  à  cet  effet  un  engagement  formel .  3°  Le  concile  ratifie 
toutes  les  mesures  conformes  aux  canons  que  Grégoire  XII  a 
pu  prendre  dans  son  obédience.  4°  Il  déclare  en  outre  que  la 
décision  d'après  laquelle  Grégoire  ne  peut  plus  être  élu  au  sou- 


p 


ABDICATION    DE    GREGOIRE   XII,  487 

verain  pontificat  (12*  session)  ne  signifie  nullement  qu'il  en  est 
incapable  ou  indigne,  mais  qu'elle  a  été  prise  uniquement  en 
vue  de  la  paix  et  pour  éviter  les  soupçons  et  le  scandale.  5°  Le 
concile  se  réserve  le  droit  de  prononcer  dans  tous  les  cas  où 
deux  compétiteurs  d'obédience  différente  (de  Jean  XXIII  et  de 
Grégoire  XII)  feraient  valoir  leurs  prétentions  à  la  même  dignité. 
6°  Il  admet  Grégoire  et  les  cardinaux  de  sa  création  (parmi  les- 
quels se  trouvait  celui  qui  fut  pape  depuis  sous  le  nom  d'Eu- 
gène IV)  dans  les  rangs  du  sacré  collège.  7°  Les  offlciales  et 
curiales  de  Grégoire  seront  maintenus  dans  leurs  charges. 
8°  Avant  l'élection  du  nouveau  pape,  aucun  membre  de  l'assem- 
blée ne  doit  s'éloigner  du  synode.  9°  L'empereur  Sigismond 
doit  protéger  le  concile  et  veiller  spécialement  à  la  liberté  de 
l'élection  du  pape  ^ . 

Après  une  nouvelle  allocution,  Malatesta  prononça  en  quelques 
mots  la  formule  de  renonciation  et  en  remit  l'acte  écrit  au 
concile,  qui  approuva  tout  ce  qui  s'était  passé;  puis  on  chanta  un 
Te  Deum  solennel,  et  un  député  de  l'université  de  Cologne, 
Théodoric  de  Munster,  remercia  Malatesta  et  le  comte  palatin 
Louis  d'avoir  si  puissamment  contribué  au  rétablissement  de  la 
paix.  Enfin  on  décida  que  de  nouvelles  exhortations  seraient 
adressées  à  Pierre  de  Luna  pour  l'amener  à  abdiquer  2. 

Un  acte  du  concile,  à  la  date  du  4  juillet  1415,  porta  à  la  con- 
naissance de  la  ville  de  Viterbe  et  probablement  de  plusieurs 
autres  villes  la  résignation  volontaire  de  Grégoire  XII,  ainsi 
que  la  déposition  de  Jean  XXIII  ^.  Le  premier  fut  nommé 
cardinal-évèque  de  Porto  et  légat  perpétuel  à  Ancône  ^.  Dans 
une  lettre  adressée  au  concile  le  7  octobre  1415,  l'ancien  pape 
renouvelle  ses  protestations  de  soumission  et  remercie  des  bien- 
veillants égards  qu'on  a  eus  pour  sa  personne  et  sa  dignité  ^.  Au 
bout  de  deux  ans  à  peine,  il  devait  mourir  à  Eecanati  près  d' An- 
cône  (18  octobre  1417). 


(1)  Man&i,  t.  XXVII,  p.  730-744.—  Hard.  t.  YIII,  p.  384-399.-.  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  341  et  346-380. 

(2)  Mansi,  1.  c  p.  744-746.  —  Hard.  1.  c.  p.  399-402.  —  V.  d.  Hardt,  1.  g. 
p.  380-382.  —  Walgh,  Monimenta  medii  œvi,  t.  I,  2,  p.  79,  etc. 

(3)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  885  ;  mieux  Theiner,  Die  zwei  allgememen  Concil.,  etc. 
(traduit  par  Mgr  Fessier),  1862,  p.  41,  etc. 

(4)  D'après  Farlatti  {Illyr.  sacrum,  t.  VI,  p.  156),  le  concile  envoya  l'arche- 
Yêque  Antoine  de  Raguse  à  Grégoire  XII  pour  le  remercier  de  son  abdication. 

(5)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  884_,  et  t  XXVII,  p.  807,  etc.  Ici,  comme  dans  plu- 
sieurs autres  endroits,  Mansi  a  reproduit  deux  fois  les  mêmes  pièces. 


488  OBSTINATION   DE  HUS.    SES   DERNIÈRES   LETTRES. 

§  761. 

OBSTINATION  DE  HUS.    SES   DERNIÈRES   LETTRES. 

Parmi  les  efforts  tentés  auprès  de  Hus  pour  l'engager  à  se 
soumettre,  on  cite  les  démarches  du  président  cardinal  de 
Viviers,  Jean  d'Ostie.  11  est  vrai  qu'en  tête  du  premier  manus- 
crit relatif  à  cette  affaire,  le  cardinal  auquel  on  attribue  de 
telles  sollicitations  est  désigné  sous  le  nom  de  cardmalis 
Hostiensis  *;  seulement  cet  en-tête  n'est  pas  de  Hus,  mais 
de  Luther,  aussi  l'a-t-on  fait  disparaître  avec  raison  de  la 
dernière  édition  des  Documenta  de  Palacky  (p,  121).  Hus  ne 
se  fût  certainement  pas  contenté  de  donner  à  un  cardinal 
le  nom  de  Révérend  Père,  que  nous  pouvons  lire  dans  sa 
réponse  aux  avis  du  père  en  question  2.  Lenfant  a  déjà  fait  cette 
remarque  avec  raison;  mais  quand  il  prétend  que  le  cardinal  de 
Viviers  s'était  montré  hostile  à  Hus,  il  le  confond  avec  d'Ailly, 
car  les  paroles  sur  lesquelles  il  s'appuie  ont  été  prononcées  par 
ce  dernier  dans  l'Interrogatoire  qu'il  fit  subir  à  Hus,  les  7  et  8  juin, 
comme  président  de  la  commission  d'enquête.  Lenfant  ne  dis- 
tingue pas  cette  présidence  de  celle  du  concile.  Nous  ne  pouvons 
non  plus  supposer  avec  lui  que  l'ami  de  Hus  ait  été  le  cardinal 
de  Reinstein,  que  nous  connaissions  déjà;  car  celui-ci  s'était 
montré  fort  ardent  dans  les  débats  ^  Mais  nous  avons  dit  plus 
haut  que  dans  sa  trente-sixième  lettre  (la  63*  àe^  Documenta),  où 
il  raconte  son  premier  interrogatoire  du  5  juin,  Hus  fait  mention, 
sans  le  désigner  autrement,  d'un  père  qui,  contre  toute  attente, 
s'est  montré  pour  lui  très-bienveillant  Ce  père  (peut-être 
un  abbé)  *,  est  celui  qui  lui  proposa  ensuite  une  formule  de 
soumission  dont  voici  les  termes  :  «  Moi...,  indépendamment  des 
protestations  que  j'ai  souvent  répétées  jusqu'ici,  je  proteste  de 


(1)  Hussii  Opp.  1715,  1. 1,  p.  89,  ep.  38. 

(2)  Husi>ii  Opp.  1.  c.  ep.  Documenta,  ep.  75,  p,  121. 

(3)  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Constance,  1. 1,  p.  343,  etc.  Hôfli^^r  (  Gesrhich. 
3e  partie,  p.  109)  prend  encore  le  cardinal  do  Viviers  pour  l'auteur  de  la 
formule  de  rétractation. 

^(4)  Los  mêmes  raisons  que  pour  le  cardinal  de  Reinstein  nous  empêchent 
d'accepter  Mathias  de  Knyn  qui  portait  le  nom  de  père. 


OBSTINATION  DE  HUS.    SES   DERNIERES   LETTRES.  489 

nouveau  que,  malgré  tout  ce  qu'on  me  reproche  et  à  quoi  je 
n'ai  jamais  songé,  je  me  soumets  humblement  sur  tous  les  points 
incriminés  à  la  décision  et  à  la  correction  du  saint  concile  général , 
et  que  j'accepte  toute  abjuration,  rétractation,  pénitence  ou  autre 
mesure  que  le  saint  concile,  auquel  je  me  recommande,  jugera 
bon  de  déterminer  pour  le  salut  de  mon  âme.  »  Hus  en  remercia 
le  père,  tout  en  lui  déclarant  qu'il  n'oserait  jamais  accepter  cette 
formule,  qui  impliquerait  la  réprobation  de  plusieurs  vérités  et 
le  contraindrait  au  parjure  en  lui  faisant  abjurer  des  erreurs 
qu'il  n'avait  jamais  enseignées.  Quel  scandale  ne  donnerait-il 
pas  ainsi  au  peuple  qui  avait  entendu  sa  prédication?  Eléazar  ne 
voulut  point  mentir  pour  sauver  sa  vie  (//  Machab.  vi,  21,  etc.), 
un  prêtre  de  la  nouvelle  loi  n'en  avait  pas  plus  le  droit  que  lui; 
mieux  valait  pour  lui  la  mort.  Vainement  le  bon  père  s'efforça- 
t-il  de  vaincre  son  obstination  :  «  Il  ne  s'agissait  pour  vous,  lui 
disait-il,  ni  de  réprouver  des  vérités,  ni  de  vous  parjurer.  La 
responsabilité  de  votre  abjuration  retombera  sur  vos  supérieurs 
qui  vous  forcent  d'agir  ainsi.  Origène,  Augustin  et  le  Maître  des 
sentences  n'ont-ils  pas  erré  eux-mêmes,  et  ne  se  sont-ils  pas 
amendés?  »  Hus  persista  dans  sa  résistance,  en  ajoutant  qu'un 
mensonge,  c'est-à-dire  une  abjuration  simulée,  troublerait  ses 
derniers  moments^. 

Cette  conviction  qu'il  lui  était  impossible  de  se  rétracter 
apparaît  dans  une  lettre  écrite  par  Hus  à  l'un  de  ses  amis 
(21  juin).  Il  y  remercie  tous  ses  bienfaiteurs,  le  roi  et  la  reine 
de  Bohême,  et  ajoute  qu'il  croit  sa  mort  prochaine^. 

Une  autre  lettre  du  23  juin  1415  nous  apprend  qu'Etienne 
Palecz,  alors  son  adversaire,  tenta  près  de  lui  une  démarche  ana- 
logue. «  Une  rétractation,  lui  dit-il,  n'est  pas  une  démarche  aussi 
honteuse  que  vous  vous  le  figurez.  —  Sans  doute,  répondit  Hus, 
il  est  plus  honteux  d'être  condamné  et  brûlé  que  d'abjurer  ses 
erreurs  ;  mais  que  feriez-vous,  si  vous  étiez  certain  de  n'avoir 
jamais  soutenu  les  erreurs  qu'on  vous  impute  ?  voudriez-vous  les 
abjurer?  —  C'est  une  grave  question,  »  dit  Palecz,  qui  se  mit  à 
pleurer.  Michel  de  Gausis  montra  moins  de  bienveillance.  Il 
est  venu  plus  d'une  fois  avec  les  députés  du  concile  me  visiter 


(1)  Eussii  0pp.  1,  c.  p.  89,  etc.  ep.  38-41  iDcL—  Documenta,  etc.  p.  121,  etc- 
epp.  74-77  incl. 

(2)  Hussii  0pp.  1.  c.  p.  82,  eo.  20.  —  Documenta,  p.  126,  ep.  79. 


490  OBSTINATION  DE   HUS.    SES   DERNIÈRES    LETTRES. 

dans  mon  cachot,  écrit  le  prisonnier,  et  pendant  que  nous 
discutions,  eux  et  moi,  la  question  de  l'abjuration,  il  disait 
aux  gardes  :  «  S'il  plaît  à  Dieu,  nous  brûlerons  bientôt  cet 
hérétique,  qui  m'a  déjà  fait  dépenser  tant  d'argent.  »  Cependant, 
poursuivit  Hus,  je  ne  lui  en  veux  pas,  mais  je  prie  sincèrement 
Dieu  pour  lui.  Plus  loin,  Hus  rappelle  à  ses  amis  les  précautions 
qu'ils  doivent  prendre  à  l'égard  de  ses  lettres  et  raconte  que 
Michel  de  Gausis  a  défendu  de  laisser  pénétrer  personne  dans  sa 
prison,  pas  même  les  femmes  des  geôliers  * .  Cette  dernière  in- 
terdiction s'explique,  si  nous  consultons  la  Chronique  hussite  de 
Laurent  de  Brzezina  :  «  Hus,  nous  dit-il,  adressait  souvent  de 
sa  prison  des  lettres  et  autres  écrits  à  ses  amis  présents  à  Cons- 
tance, qui  les  faisaient  parvenir  en  sûreté  jusqu'en  Bohême,  et  il 
recevait  lui-même  de  consolantes  nouvelles  de  ses  adeptes  et  de 
ses  protecteurs.  Les  geôhers,  gagnés  à  prix  d'argent,  fai- 
saient passer  de  ces  lettres,  que  l'on  cachait  très-soigneuse- 
ment, par  crainte  du  concile  et  que  l'on  dissimulait  dans  les 
provisions  de  bouche  ^.  » 

Ce  fut  sur  ces  entrefaites  (du  21  au  24  juin  1415)  que  les  écrits 
de  Hus  furent  condamnés  au  feu  par  le  concile  ou  les  commissions 
conciliaires,  peut-être  dans  le  but  d'effrayer  l'auteur  par  cet 
acte  énergique.  Dès  le  24  juin,  Hus  en  informe  ses  amis  de 
Bohême,  en  comparant  ses  ouvrages  à  ceux  du  prophète  Jérémie 
(Jérémie,  xxxvi,  23)  et  à  d'autres  livres  sacrés  qui  avaient  subi  la 
même  peine.  Il  recommande  ensuite  à  ses  disciples  de  continuer  à 
lire  ses  écrits,  au  lieu  de  les  livrer,  et  de  ne  pas  perdre  courage  : 
car  l'école  de  l'Antéchrist  leur  laissera  bientôt  la  paix  et  le 
concile  ne  doit  pas  tarder  à  se  dissoudre.  Qu'ils  répondent  aux 
apologistes  de  la  papauté,  qu'à  Constance  le  pape  a  été  jugé  digne 
de  mort  pour  ses  crimes  épouvantables.  Parmi  ces  crimes  le  con- 
cile a  spécialement  flétri  la  simonie,  «  qu'il  a  poussée  à  ce  point, 
dit  la  condamnation,  de  vendre  plusieurs  fois  les  mêmes  faveurs, 
ainsi  que  le  prouve  l'exemple  de  l'évêque  Jean  de  Leitomysl,qui 
voulut  lui  acheter  deux  fois  l'archevêché  de  Prague.  »  Hus  part 
de  là  pour  blâmer  les  cardinaux  d'avoir  élu  Jean  XXIII,  et 
d'avoir  continué  de  lui  rendre  en  cette  qualité  des  honneurs 


(1)  Hussii  0pp.  1.  c.  p.  85,  ep.  30.  —  Documcntûy  p.  r29,  ep.  82. 

(2)  lioFi-ER,  Geschichtschr.  l'e  partie,  p.  327,  etc. 


OBSTINATION   DE   HUS.     SES  DERNIÈRES  LETTRES.  491 

dont  ils  le  savaient  indigne.  C'est  en  lui,  c'est  dans  d'autres 
membres  du  concile  que  s'est  dévoilée  toute  la  perversité  de 
l'Antéchrist,  et  leur  prisonnier  ne  désire  qu'une  chose,  c'est 
d'avoir  le  temps  de  révéler  au  monde  les  infamies  qu'il  a  appris 
à  connaître  et  de  mettre  en  garde  contre  elles  les  fidèles  servi- 
teurs de  Dieu.  Il  espère  que  la  bonté  divine  enverra  après  lui 
des  hommes  plus  capables  encore  de  démasquer  les  turpitudes 
de  l'Antéchrist  ^  » 

Deux  jours  après  il  écrit  encore  à  ses  amis  de  Bohême  pour 
leur  annoncer  que  le  concile  de  Constance,  rempli  d'orgueil,  de 
cupidité  et  d'abominations  de  toute  sorte,  a  condamné  ses  livres 
comme  hérétiques  sans  les  avoir  seulement  lus  ou  même  regar- 
dés. D'ailleurs,  si  onles  avait  lus,  on  n'en  aurait  pas  été  plus  éclairé, 
puisqu'il  n'y  a  que  très-peu  de  membres  du  concile  à  com- 
prendre le  tchèque,  par  exemple  l'évêque  de  Leitomysl  et 
d'autres  ennemis  de  l'auteur.  (Remarquons  que  la  plupart  des 
livres  de  Hus  sont  écrits  en  latin  et  non  en  tchèque.)  Le 
concile  a  fait  entrer  dans  la  ville  un  si  grand  nombre  de  péchés, 
que,  comme  disent  les  Souabes,  la  ville  n'en  sera  pas  purifiée 
dans  trente  ans.  Aussi  toutes  ces  turpitudes  ont-elles  singuhère- 
ment  exaspéré  les  esprits.  Après  s'être  ainsi  épanché,  Hus  ra- 
conte les  mots  qu'il  a  échangés  avec  le  cardinal  d'Ailly,  lors 
de  l'audience  du  7  juin  :  «  J'aurais  attendu  plus  de  conve- 
nance de  la  part  du  concile,  aurait-il  dit  au  prélat.  —  Yous  parliez 
plus  respectueusement  autrefois,  »  lui  aurait  répondu  son  inter- 
locuteur. Puis  il  fait  mention  de  la  rétractation  demaDdée  par 
cinquante  docteurs,  que  le  même  cardinal  aurait  voulu  lui 
faire  accepter  le  8  juin.  «  Ce  furent  également  cinquante 
savants,  ajoute  Hus,  qui  voulurent  faire  renier  le  Christ  à 
Ste  Catherine;  mais  elle  les  gagna  tous  au  Seigneur,  ce  que  je 
ne  puis  faire.  »  Puis  il  se  plaint  de  ce  qu'on  ne  veut  pas  discuter 
avec  lui  la  sainte  Écriture  et  la  raison,  c'est-à-dire  entrer  dans 
la  voie  des  controverses,  et  termine  en  annonçant  sa  mort 
prochaine,  tout  en  n'osant  affirmer  que  cette  lettre  fût  la 
dernière  2. 

Dans  un  autre  écrit  du  même  jour,  il  restreint  l'affirmation 
contenue  dans  sa  dernière  lettre  pour  la  Bohême  [quam  hodie 


(1)  Hussii  0pp.  1.  c.  p.  78,  ep.  13.  —  Documenta,  p.  131-134,  ep.  83. 

(2)  Hussii  0pp.  1.  c.  p.  77,  ep.  12.  —  Documenta,  p.  137,  etc.  ep.  85. 


492  OBSTINATION   DE   HUS.     SES  DERNIERES  LETTRES. 

direxi).Ce  ne  serait  point  tous  ses  livres  qu'on  aurait  condamnés, 
mais  seulement  ses  traités.  Il  se  félicite  d'ailleurs  de  ce  que  son 
traité  Occultus  soit  resté  occulte  en  effet,  c'est-à-dire  qu'il  ait 
échappé  à  l'examen  du  concile,  et  raconte  qu'il  a  dans  ces  der- 
niers temps  meilleur  appétit  que  depuis  Pâques,  bien  qu'il  soit 
constamment  affligé  dans  sa  prison  par  des  maux  de  dents, 
tandis  qu'à  Goltlieben  {in  arce)  il  souffrait  d'hémorragies,  de 
douleurs  de  tête  et  de  la  pierre.  «  Toutes  ces  souffrances, 
poursuit-il,  sont  les  châtiments  évidents  de  mes  péchés,  en 
même  temps  que  des  preuves  de  l'amour  de  Dieu  pour  moi.  » 
Puis  il  loue  Jean  de  Ghlum,  et  recommande  de  garder 
soigneusement  la  copie  des  articles  avec  les  pièces  à  l'ap- 
pui, et  de  lui  signaler  ceux  d'entre  eux  qui  auraient  besoin 
de  preuves  plus  étendues,  par  exemple  celui-ci  :  Homo  vir- 
tuosus,  quidqiiid  agit,  agit  virtuose.  Avant  tout,  il  désire  qu'on 
ne  publie  pas  un  mot  de  ce  qu'il  a  écrit  en  prison  :  car  il  ne  sait 
pas  encore  définitivement  ce  que  Dieu  permettra  qu'on  fasse  de 
lui.  (La  lettre  suivante  du  27  juin  montre  en  effet  qu'il  avait 
repris  un  peu  d'espérance.)  Que  ses  amis  veillent  donc  autant 
sur  ses  lettres  que  sur  leurs  propres  paroles  et  leur  propre 
conduite,  et  qu'ils  dissimulent  ses  ouvrages*.  La  lettre  suivante 
(27  juin)  nous  apprend  que  le  prononcé  de  la  sentence  est 
ajourné  (c'est  la  cause  de  l'espoir  que  nous  avons  signalé);  le 
prisonnier  s'y  compare  aux  saints  qui  ont  aussi  passé  par  de 
longues  souffrances,  et  se  réjouit  de  voir  ses  adversaires  con- 
traints de  lire  ses  ouvrages,  qu'ils  étudient  plus  minutieuse- 
ment que  la  Bible  ^  (il  avait  dit  le  contraire  dans  sa  précédente 
lettre). 

Noustrouvons  encore  des  traces  de  cette  espérance  momentanée 
dans  la  trente-deuxième  lettre,  ainsi  que  de  nouvelles  recom- 
mandationsau  sujet  de  sa  correspondance,  etc.  On  y  parle  ausside 
la  visite  d'un  docteur  qui  vint  conseiller  au  captif  de  se  soumettre 
au  concile;  mais  Hus  lui  en  démontra  l'impossibilité.  «Je  récite 
souvent  dans  ce  temps,  nous  assure-t-il,  l'antienne  :  Domine, 
vim  patior,  responde  pro  me,  nescio  quid  dicam  inimicis  meis 
(Isaïe,  XXXVIII,  14)^.  Les  recommandations  se  succèdent  d'ailleurs 

(1)  Hmsii  0pp.  1.  c.  p.  8S,  etc.  rp.  37.—  Documenta,  p.  108,  ep.  66. 

(2)  Hussii  Opp.  1.  c.  p.  79,  ep.  14.  —  Documcnla,  p.  140,  etc.  ep.  86. 

(3)  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  86,  etc.  ep.  32.  —  Documenta,  p.  102,  ep.  61. 


OBSTINATION    DE  HUS.     SES  DERNIÈRES  LETTRES.  493 

SOUS  sa  plume.  Il  exhorte  le  même  jour  (27  juin)  l'université  de 
Prague  à  abjurer  toute  division,  à  ne  chercher  par-dessus  tout 
que  la  gloire  de  Dieu,  et  à  se  rappeler  avec  quel  zèle  il  a  pris  les 
intérêts  de  l'université  et  a  étouffé  tout  germe  de  discorde  entre 
elle  et  la  noble  nation  bohémienne.  «  Le  concile,  ajoute-t-il, 
exige  de  moi  que  je  reconnaisse  pour  faux  chacun  des  articles 
qu'on  a  extraits  de  mes  livres;  mais  je  m'y  refuse,  tant  qu'on 
ne  m'aura  pas  démontré  leur  fausseté  par  VÉcriture.  Si  quel- 
qu'un de  ces  articles  a  un  sens  erroné,  je  le  rejette  et  le  soumets 
à  la  correction  du  Christ,  qui  connaît  la  droiture  de  mes  inten- 
tions. »  (Il  est  facile  de  voir  ici  la  négation  de  l'autorité  de 
l'Église.)  Hus  finit  en  disant  qu'il  attend  la  mort  *.  Dans  un 
second  billet  adressé  à  son  ami,  maître  Christian,  il  l'engage 
à  rester  ferme,  bienfaisant  et  chaste  et  à  ne  pas  accepter  plu- 
sieurs bénéfices;  il  conseille  en  outre  aux  deux  seigneurs  Wen- 
ceslas  de  Duba  et  Jean  de  Ghlum  de  quitter  le  service  du  roi  pour 
se  retirer  chez  eux  en  Bohême,  et  se  consacrer  uniquement  au 
service  de  Dieu.  Il  faut  surtout  que  le  premier  renonce  à  toutes 
les  vanités  du  monde  et  se  décide  à  prendre  femme.  A  ces  sages 
avis  viennent  se  joindre  de  violentes  déclamations  contre  le 
concile  et  les  papistes,  ainsi  que  certains  sarcasmes  contre  la 
doctrine  de  l'infaillibilité  conciliaire.  Hus  termine  en  adjurant 
la  noblesse  de  Bohême  de  ne  pas  laisser  opprimer  en  Bohême 
les  fidèles  serviteurs  de  Dieu,  et  de  défendre  l'usage  du  calice 
contre  un  concile  qui  ne  craint  pas  de  déclarer  erroné  ce  que 
le  Christ  a  ordonné  et  établi  ^. 

Les  lettres  vingt-deux  et  vingt-trois  (29  juin  1415)  nous  font 
connaître  avec  quel  empressement  et  quelle  bonne  volonté  Duba 
et  Ghlum  promirent  de  se  conformer  aux  conseils  de  leur  maître. 
Nous  voyons  aussi,  dans  la  première,  la  mention  de  certains  brui  ts 
d'oii  ses  amis  tiraient  un  favorable  augure.  Déjà  commence  la 
confusion  de  ses  ennemis,  et  la  turpitude  de  la  grande  prostituée 
(c'est-à-dire  de  la  congrégation  ou  commission  conciliaire),  avec 
laquelle  ont  péché  les  rois,  sera  bientôt  dévoilée.  Je  vous 
loue,  continue  le  prisonnier,  de  renoncer  au  siècle,  et  je  me 
réjouis  surtout  de  voir  Wenceslas,  après  avoir  erré  si  longtemps 

(1)  Hussii  0pp.  1. 1,  p.  80,  ep.  18. —  Documenta,  p.  142,  ep.  87. 

(2)  Eussii  0pp.  1.  c.  p.  80,  epp.  17  et  19.  —  Documenta,  p.- 124  et  128,  etc. 
epp.  78  et  81. 


494  OBSTINATION   DE  HUS.    SES  DERNIERES  LETTRES. 

par  le  monde,  se  marier  enfin  et  se  retirer  chez  lui  pour  servir 
Dieu  avec  son  épouse  ^ 

Cependant  plus  le  jour  de  la  sentence  définitive  approchait, 
plus  on  s'eff'orçait  de  conjurer  un  dénoùment  fatal  et  de  faire 
accepter  une  formule  à  l'accusé.  La  lettre  trente  et  unième 
nous  donne  à  cet  égard,  ainsi  que  sur  la  dernière  confession  de 
Hus,  d'assez  nombreux  détails.  «  Il  y  en  a  beaucoup,  dit-il, 
qui  viennent  me  trouver  pour  me  démontrer  que  je  puis  licite- 
ment faire  abjuration.  Cette  démarche  ne  prouve  pas,  d'après 
eux,  que  j'aie  réellement  professé  les  erreurs  que  j'abjure,  de 
même  que  l'humilité  d'un  juste  qui  se  déclare  coupable  ne  le 
rend  pas  pécheur,  mais  lui  acquiert  des  mérites.  »  Cependant  Hus 
voulait  qu'on  lui  permît,  avant  chaque  abjuration,  de  jurer  qu'il 
n'avait  pas  professé  l'erreur  qu'il  réprouvait,  et  cette  prétention 
ne  pouvait  être  admise,  puisque  le  contraire  ressortait  en  fait  de 
ses  écrits.  Leurs  termes  étaient  hérétiques  et  pris  par  ses  amis  et 
ses  ennemis  dans  un  sens  hérétique;  on  ne  pouvait  donc  lui 
permettre  de  jurer  :  Nimqyam  illos  errores  prœdicavi.  Sans 
doute  Hus  prétendait  que  dans  le  sens  où  il  les  avait  entendues^ 
les  propositions  incriminées  n'étaient  nullement  hérétiques; 
seulement  dans  la  réalité  il  n'en  était  pas  ainsi,  et  ce  n'était 
qu'auprès  de  certains  esprits,  et  non  pas  auprès  du  grand  nombre, 
que  l'accusé  pouvait  espérer  de  se  purger,  par  une  équivoque, 
du  poison  de  l'erreur.  D'ailleurs,  étant  admis  qu'en  soutenant 
toutes  ces  propositions  Hus  n'eût  eu  aucune  intention  héré- 
tique, les  Pères  ne  pouvaient  même  pas  encore  accepter  la 
formule  qu'on  leur  proposait  :  Nunquam  illos  errores  prœ- 
dicavi. Ils  devaient  exiger  que  l'accusé  rétractât  des  propositions 
objectivement  fausses  aux  yeux  de  tout  le  monde,  sauf  à  appré- 
cier ensuite  sa  responsabilité  subjective,  en  considérant  qu'il 
n'avait  pas  donné  aux  termes  leur  véritable  valeur.  Hus  rap- 
porte plus  loin  dans  la  même  lettre  le  récit  d'un  Anglais,  d'après 
lequel  les  docteurs  soupçonnés  de  wichûsme,  en  Angleterre, 
auraient  tous  abjuré  sur  la  sommation  de  leur  archevêque. 
Puis  il  revient  à  Palecz.  «  J'avais  demandé,  dit-il,  aux  commis- 
saires du  concile,  de  faire  venir  près  de  moi  Palecz  ou  quelque 
autre  à  qui  je  pusse  me  confesser  :  car  bien  que  Palecz  ait  été  mon 


(l)  Haasii  0pp.  1. 1,  p.  82,  83,  epp.  2:2  et  23.  —  Docummla,  etc.  p.  144,  ctc* 
epp.  89  et  90. 


OBSTINATION   DE  HUS.    SES   DERNIERES   LETTRES.  495 

principal  adversaire,  c'est  à  lui  que  j'aurais  voulu  avouer  mes 
fautes.  »  Ou  lui  envoya  un  religieux  instruit  qu'il  aimait  fort. 
Celui-ci  entendit  sa  confession  avec  beaucoup  de  bienveillance, 
et  lui  donna  l'absolution,  en  lui  conseillant  de  se  rétracter,  mais 
sans  lui  en  faire  un  devoir.  Palecz  fut  aussi  introduit  près  de  lui, 
et  ils  pleurèrent  longtemps  l'un  avec  Tautre.  Hus  lui  demanda 
pardon  de  l'avoir  souvent  outragé,  et  en  particulier  de  l'avoir 
appelé  trompeur  [fictor)  ;  puis  il  voulut  le  faire  convenir  de  ses 
propres  torts  ;  mais  Palecz  ne  fut  point  d'accord  avec  lui  sur  tous 
les  points.  Ce  récit  se  termine  par  de  nouvelles  prières  que  le 
captif  adresse  à  ses  amis  de  Constance.  Il  recommande,  au  nom 
de  Dieu,  de  garder  ses  lettres  avec  le  plus  grand  soin,  et  de  ne 
permettre  à  aucun  ecclésiastique  d'en  prendre  copie  ^ 

Sur  la  foi  d'une  vieille  relation,  vàn  der  Hardt  (t.  IV,  p.  344) 
place  la  confession  de  Hus,  et  par  suite  la  rédaction  de  cette 
lettre,  à  la  fin  du  mois  de  juin.  Il  prétend  faire  concorder  avec 
son  opinion  ce  passage  :  «  Pourrait-on  me  faire  savoir  si  les  sei- 
gneurs (de  Duba  et  de  Cblum)  equitabunt  cum  rege,  »  qui,  d'après 
lui,  se  rapporterait  au  départ  alors  imminent  de  l'empereur  Sigis- 
mond  pour  la  ville  de  Nice.  Nous  croyons  qu'en  effet  cette  lettre 
a  dû  être  commencée  à  la  fin  de  juin,  mais  qu'à  cause  des  délais, 
continuels  apportés  aux  affaires  de  Hus,  elle  n'a  été  terminée 
que  vers  le  milieu  de  juillet  ^. 

Le  prisonnier  commence  ce  mois  de  juillet  en  écrivant  cette 
déclaration  solennelle  :  «  Moi,  Jean  Hus,  prêtre  de  Jésus-Christ, 
je  l'espère,  je  ne  puis,  dans  la  crainte  d'offenser  le  Seigneur  et  de 
faire  un  faux  serment,  abjurer  tous  les  articles  que  l'on  me  re- 
proche sur  des  témoignages  trompeurs;  car,  au  nom  du  Seigneur, 
je  n'ai  jamais  prêché,  professé  ou  défendu  les  doctrines  qu'ils 
m'attribuent.  Quant  à  ceux  qu'on  a  extraits  de  mes  ouvrages,  en 
supposant  qu'ils  soient  fidèles,  je  déteste  le  sens  erroné  qu'ils 
pourraient  recevoir;  mais,  encore  une  fois,  il  m'est  impossible, 
de  les  abjurer  sans  offenser  Dieu  et  violer  les  préceptes  des 
saints;  et  si  ma  voix  pouvait  être  entendue  maintenant  du 
monde  entier,  comme  le  seront  au  jour  du  jugement  tous  les 
mensonges  et  tous  les  péchés  que  j'ai  commis,  je  rétracterais 


(1)  Eussii  0pp.  1. 1,  p.  86,  ep.  31.  —  Documenta,  p.  135,  ep. 

(2)  AscHBACH,  Gesch,  Kônig  Sigmunds,  t.  II,  p.  120. 


496  OBSTINATrON   DE   HUS.    SES    DERNIERES   LETTRES. 

volontiers  à  la  face  de  l'univers  toutes  les  faussetés  et  toutes  les 
erreurs  que  j'ai  pu  croire  ou  proférer.  Je  le  dis  et  l'écris  en  toute' 
indépendance  et  liberté  d'esprit,  et  je  le  signe  de  ma  main; 
1"  juillets  » 

Malgré  tous  les  refus  queHus  avait  opposés  jusqu'alors,  les  car- 
dinaux d'Ailly  et  Zabarella  crurent  devoir  faire  une  nouvelle  ten- 
tative la  veille  de  la  sentence  (5  juillet).  Ils  se  firent  amener  l'ac- 
cusé, et  lui  proposèrent  une  rédaction  destinée  à  lever  tous  ses 
scrupules.  Hus  y  déclarait  :  1°  qu'il  abjurait  et  détestait  tous 
les  articles  écrits  de  sa  main  et  tirés  de  ses  livres  (par  con- 
séquent les  articles  textuels  seulement);  2°  qu'il  n'avait  pas 
soutenu  les  articles  dénoncés  par  témoins,  et  que,  s'il  avait  fait 
quelque  chose  de  semblable,  il  avait  eu  tort,  parce  que  ces 
articles  étaient  erronés  ;  aussi  s'engageait-il  à  ne  jamais  plus  les 
soutenir  ni  les  défendre. 

■  L'empereur  Sigismond  approuva  cette  formule;  mais  l'accusé 
ne  voulut  pas  l'adopter.  Dans  la  soirée  du  5  juillet,  Sigismond 
envoya  près  de  lui  le  comte  palatin  Louis  duc  de  Bavière,  les  sei- 
gneurs tchèques  Jean  de  Ghlum  et  Wenceslas  de  Duba,  ainsi  qu'un 
grand  nombre  de  prélats.  Tous  ces  personnages  se  réunirent  au 
couvent  des  Franciscains,  et,  sitôt  qu'on  leur  eut  amené  le  pri- 
sonnier, Jean  de  Ghlum  lui  adressa  la  parole  en  ces  termes  : 
«  Yous  voyez,  maître  Jean,  que  nous  sommes  des  laïques  et 
que  nous  n'avons  pas  le  droit  de  vous  donner  des  conseils; 
cependant  permettez-nous  de  vous  dire  que,  si  vous  vous  sentez 
coupable  de  quelqu'un  des  faits  articulés  contre  vous,  il  ne  faut 
pasrougir  d'en  être  (repris  par  le  concile)  et  de  vous  rétracter.  Si, 
au  contraire,  vous  êtes  convaincu  de  votre  innocence,  vous  ne 
devez  en  aucune  manière  violenter  votre  conscience  ni  vous 
parjurer  devant  Dieu;  mais  il  faut  demeurer  fidèle  jusqu'à  la  mort 
à  ce  que  vous  croyez  la  vérité.  »  (Il  y  a  dans  le  texte  ista;  mais 
c'est  insta  qu'on  doit  lire.)  «  Seigneur  Jean,  répondit  Hus, 
soyez  convaincu  que  j'abjurerais  avec  joie  et  humilité,  si  je 
croyais  avoir  écrit  ou  enseigné  quelque  erreur  contre  la  loi  de 
Dieu  ou  de  la  sainte  Éghse.  Dieu  m'en  est  témoin;  mais  je  vous 
défie  de  me  montrer  des  passages  de  la  sainte  Écriture  plus  vrais 


{\\  Inséré  dans  les  actes  de  la  quinzième  session  par  Mansi,  t.  XXVII 
p.  764.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  422.  —  V.  d.  Hakdt,  t.  IV,  p.  345. 


CONDAMNATION   DE   HUS.  497 

et  plus  évidents  que  mes  thèses;  si  vous  le  faites,  je  me  rétracte 
aussitôt.  »  (Toujours  cette  malheureuse  controverse!)  Un  évêque 
ne  put  s'empêcher  alors  de  lui  dire  qu'il  se  croyait  plus  sage  que 
le  concile  tout  entier  :  «  Je  ne  me  crois  pas  plus  sage,  répondit-il; 
car  si  le  membre  le  moins  important  du  concile  m'oppose  des 
textes  de  l'Écriture  plus  vrais  et  plus  convaincants,  je  veux 
me  soumettre  aussitôt.  —  Qu'il  est  obstiné  dans  son  hérésie  !  » 
s'écrièrent  les  évêques;  et  on  le  reconduisit  en  prison.  Ainsi 
échoua  cette  nouvelle  tentative  ^. 

§  762. 

QUINZIÈME   SESSION   GÉNÉRALE   (6  JUILLET    1415). 
CONDAMNATION   DE   HUS. 

Le  lendemain,  samedi  6  juillet^,  l' évêque  de  Riga  conduisit  son 
prisonnier  à  la  cathédrale  de  Constance,  où  devait  se  tenir  la 
quinzième  session  générale.  Le  cardinal  de  Viviers  présidait; 
Sigismond  y  assistait  en  grande  pompe,  la  couronne  sur  la  tête, 
et  entouré  de  tout  l'appareil  royal.  La  soleunité  des  circonstances 
avait  attiré  un  grand  concours  de  peuple.  Après  la  grand'messe, 
on  chanta  les  litanies  et  les  oraisons  accoutumées,  à  l'issue  des- 
quelles l'accusé  fut  introduit.  On  le  fit  conduire  au  milieu  de 
l'église,  et  on  le  fit  monter  sur  un  gradin,  auprès  de  la  table 
où  étaient  déposés  les  vêtements  sacerdotaux  qui  devaient 
servir  à  sa  dégradation;  là,  il  s'agenouilla  pour  prier.  Cependant 
l'évêque  de  Lodi  prit  la  parole  et  fit  une  courte  et  insignifiante 

homélie  sur  ce  texte  de  l'Épître  aux  Romains  : Ut  destruatur 

corpus  peccati  (ch.  vi,  v.  6).  Il  démontra,  d'après  Aristote  et 
S .  Jérôme,  qu'il  fallait  étouffer  l'hérésie  dans  son  germe  ;  «  mais 
quelle  est  la  source  de  l'hérésie  et  de  tant  d*autres  maux,  conti- 
nua-t-il,  sinon  cet  interminable  schisme?  »  et  il  développa  longue- 
ment cette  idée,  en  disant  que  ce  serait  le  triomphe  de  l'empereur 
d'avoir  en  même  temps  extirpé  le  schisme  et  vaincu  les  hérétiques 
qu'il  avait  fait  naître.  «  Il  rendra  par  là  sa  gloire  immortelle,  car 


(1)  HôFLER,  Geschichtschr.  1"  partie,  p.  281  sq.  2<=  partie,  p.  306  sqq. 
Bocumenta,  p.  316  sqq.  et  p.  559  sqq. 

(2)  Pierre  de  Miadenowicz  désigne  exactement  le  jour  de  la  semaine,  mais 
non  celui  du  mois;  car  il  écrit  "vii  juillet,  au  lieu  du  \i  (Hôfler,  Geschicht. 
1"  partie,  p.  282).  Les  Documenta,  etc.  (p.  317)  donnent  la  vraie  date. 

T.  X.    32 


49ê  QUINZIÈME  SESSION   GÉNÉRALE   (6   JUILLET    1415). 

il  ne  peut  rien  faire  de  plus  saint  ni  de  plus  sage  ;  remercions  Dieu 
de  l'avoir  désigné  au  choix  des  électeurs  et  de  lui  avoir  donné  la 
connaissance  de  la  vérité  et  la  force  pour  la  défendre  ;  il  l'a  mis  à 
même  par  là  d'écraser  toutes  les  erreurs  et  toutes  les  hérésies,  et 
en  particulier  cet  hérétique  opiniâtre.  Ce  sera  l'ouvrage  de  sa 
piété  * .  » 

L'évêque  de  Goncordia  (Vénétie)  lut  alors  un  projet  de  décret 
d'après  lequel  on  devait,  sous  des  peines  sévères,  observer  le 
plus  rigoureux  silence  pendant  les  formalités  qui  allaient  être 
remplies.  Les  délégués  des  quatre  nations,  ainsi  que  le  cardinal 
président  au  nom  du  sacré-collége,  souscrivirent  à  cet  engagement, 
et  Henri  de  Piro  se  leva.  Il  demanda,  comme  promoteur  et  pro- 
cureur conciliaire,  que  les  articles  enseignés  par  Jean  Hus  en  Bo- 
hême ou  dans  tout  autre  lieu,  articles  infectés  des  erreurs  de 
Wiclif  et  réprouvés  par  le  président,  par  l'empereur  et  le  concile 
tout  entier,  fussent  brûlés,  ainsi  que  les  ouvrages  d'où  ils 
étaient  extraits.  Sur  l'ordre  de  l'assemblée,  Berthold  de  Wil- 
dungen  dont  nous  avons  déjà  parlé  lut  ensuite  à  haute  voix 
quelques-uns  des  deux  cent  soixante  articles  professés  par 
Wiclif  et  son  disciple  ;  le  concile  se  dispensa  de  cette  formalité  à 
l'égard  du  reste  ^. 

Les  voici  : 

1.  Sicut  Christus  est  simul  Deus  et  homo,''sic  hostia  consecrata  est  simul 
corpus  Ghristi  et  verus  panis.  Quia  est  corpus  Christi  ad  minimum  in 
figura,  et  panis  verus  in  natura,  vel;,  quod  idem  sonat,  est  verus  panis  na- 
turaliter  et  corpus  Ghristi  figuraliter.  2.  Cum  mendacium  haereticum  de 
hostia  consecrata  inter  haereses  singulas  teneat  principatum,  ut  ipsa  ab 
Ecclesia  extirpetur,  secure  denuncio  modernis  hsereticis,  quod  non  pos- 
sunt  declarare  nec  intelligere  accidens  sine  subjecto...  Et  ideo  omnes  istœ 
sectse  hsereticee  in  capitule  ignorantium  Joh.  IV.  nos  adoramus  quod  scimus. 
3.  Audacter  prœnostico  omnibus  istis  sectis  et  suis  complicibus,  quod 
non  défendant  fidelibus,  quod  sacramentum  erit  accidens  sine  subjecto, 
antequam  Christus  et  tota  triumphans  Ecclesia  venerit  in  finali  judicio, 
equitans  super  flatum  Angeli  Gabrielis.  4.  Sicut  Johannes  figurahter  fuit 
Elias,  et  non  personaliter;  sic  panis  in  altari  figuraliter  est  corpus  Ghristi. 
Et  absque  omni  ambiguitate  hœc  est  figurativa  locutio  :  Hoc  est  corpus 
meum,  sicut  ista  locutio  :  Johannes  est  Elias.  5.  Fructus  istius  dementiie 
qua  fingitur  accidens  sine  subjecto,  foret  blasphemare  in  Deum,  scanda- 
lizare  sanctos,  et  illudere  Ecclesia3  per  mendacia  accidentis.  6.  Definientes, 
parvulos  fidelium,  sine  sacramentali  baptismo  decedentes,  non  fore  sal- 


(1)  Reproduit  par  Mansi  t.  XXVIII,  p.  546  sqq.  —  V.  n.  Hardt,  t,  III,  p.  1-5. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  747  sq.  —  Hard.  t.  Vlll,  p.  402  sq.  —  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  398  sqq. 


CONDAMNATION   DE   liUS.  499 

vandos,  sunt  in  hoc  stolidi  et  prsesumtuosi.  7.  Levis  et  brevis  confirmatio 
Episcoporum,   cum  additis  ritibus  tantum   solemnizatis,  est  ex   motione 
diaboli  introducta,  ut  populus  in  fide  Ecclesiaî  illudatur,  et  Episcoporum 
solennitas  aut  nécessitas  plus  credatur.  8.  Quantum  ad  oleum,  quo  Episcop 
ungunt  pueros,  et  péplum  lineum,  quod  complexum  est  capiti,  videtur 
quod  sit  ritus  levis,  infundabilis  ex  Scriptura.  Et  quod  ista  conlirmatio 
introducta  super  apostolos,   blasphémât  in  Deum.    9.  Confessio  vocalis 
facta  sacerdoti,  introducta  per  Innocentium,  non  est  tam  necessaria  homini 
ut  définit.  Quia  si  quis,  solum  cogitatu,  verbo  vel  opère  offenderet  fratrem 
suum,  solo  cogitatu,  verbo,  opère,  sufûcit  pœnitere.  10.  Grave  est  et  in 
fundabile,   presbyteram    audire  confessionem.   populi,   modo   quo    Latini 
utuntur.  11.  In  his  verbis,  Vos  mundi  estis,  sed  non  omnes,  posuit  diabolus 
pedicam  infidelem  qua  pedem^  caperet  Ghristiani.  Introduxit  enim  confes- 
sionem privatam  et  infundabilem.  Et  postquam  illa  conlessori  nota  fuit, 
ut  legem  statuit,  quod  non  prodatur  populo  malitia  sic  confessi.  12.  Con- 
jectura probabilis  est,  quod  talis,  qui  rite  vivit,  est  diaconus  vel  sacerdos. 
Sicut  enim  conjicio,  quod  iste  est  Johannes,  sic  probabili  conjectura  co- 
gnosco,  quod  iste  sancte  vivendo  constitutus  est  a  Deo  in  tali  officio  sive 
statu.  13.  Non  ex  testificatione  hominis  ordinantis,  sed  ex  juslificatione 
operis  capienda  est  probabilis  evidentia  taUs  status.  Deus  enim  potest  sine 
tali  instrumente  digno  vel  indigne  personam  aliam  in  tali  statu  constituere. 
Nec  est  probabilior  evidentia,  quam  ex  vita.  Ideo,  habita  vita  sancta  et 
doctrina  catholica,  satis  est  Ecclesiœ  militanti.  (Error  in  principio  et  fine.) 
14.  Conversatio  mala  praalati  subtrahit  acceptationem  Ordinum  et  aUorum 
sacramentorum  a  subditis.  Qui  tamen  necessitate  urgente  possent  hoc  ab 
eis  capere,  supplicando  pie,  quod  Deus  suppléât  per  ministres  sues  diabolos 
opus  vel  finem  officii,  ad  quod  jurant.  15.  Antiqui,  ex  cupiditate  tempora- 
lium,  ex  spe  mutuorum  juvaminum,  aut  ex  causa  excusandse  libidinis,  licet 
desperent  de  proie,  copulentur  ad  invicem;  nam  vere  macrimoniaUter  copu- 
lantur  ^.  16.  Hœc  verba  :  Accipiam  te  in  uxorem,  eligibiliora  sunt  in  con- 
tractu  matrimoniaU,  quam  ista  :  Ego  te  accipio  in  uxorem.  Et  quod  contra- 
hendo  cum  una  per  hgec  verba  de  futuro,  et  post  cum  alia,  per  hœc  verba 
de  prœsenti,    non  debent  frustari  verba  prima  per   verba   secundaria  de 
prsesenti.  17.  Papa,  qui  se  falso  nominat  servum  servorum  Dei,  sub  nullo 
gradu  est  in  opère  evangelii,  sed  mundano.  Et  si  sit  in  ordine  aUquo,  est 
in  ordine  dsemonum,  Deo  plus   culpabiliter  servientium.  18.    Papa   non 
dispensât  cum  simonia,  vel  voto   temerario,  cum  ipse  sit  capiialis   simo- 
niacus,  vovens  temerarie  servare  statum  summe  damnabiliter  hic  in  via. 
(Error  in   fine.)   19.-  Quod  papa  sit  summus  pontifex,  est  ridiculum.  Et 
Ghristus  nec  in  Petro,  nec  in  alio,  talem  approbavit  dignitatem.  20.  Papa 
est  patronus  Antichvisti  2,  Non  solum  illa  persona  simplex,  sed  multitude 
paparum  a  tempore    dotationis   Ecclesiœ,    cardinalium,   episcoporum,   ei 
suorum  complicum  aliorum,    est   Antichristi  persona  composita,  mons- 
truosa.  Non  tamen  répugnât,  quin  Gregorius  et  alii  papse,  qui  in  vita  sua 
fecerunt  multa  bona  de  génère  fructuoso,  finaliter  pœnitebant.  21.  Petrus 
et  Glemens,  cum  ceteris  adjutoribus  m  fide,  non  fuerunt  papse^  sed  Dei 
adjutores,  ad  œdificandam  Ecclesiam  Domini  nostri  Jesu  Christi.  22.  Quod 
ex  fide    Evangelii    ista   papalis  prseeminentia   cœpit    ortum,    est    œque 
falsum,  sicut,  quod  ex  prima  veritate  error  quilibet  exortus.  23.  Duodecim 


(1)  D'après  Mansi,  1.  c.  p.  749  :  non  vere  matrimonialitev  copulentur. 

(2)  Dans  Mansi,  d'après  V.  d.  Hardt  -.patulus  Antichristus. 


500  QUINZIÈME   SESSION   GENERALE    (6   JUILLET    1415). 

sunt  procuratores  et  discipuli  Antichristi  :  Papa,  Cardinales^  Patriarchœ, 
Archiepiscopi,  Episcopi,  Archidiaconi,  Officiales,  Decani,  monachi,  bifurcati 
Ganonici,  Pseudofratres  introducti  jam    ultimo,   et  quiEstores.  24.   Patet 
luce   clarius,    quod  quicumque  est  humilier,   ecclesiaî  servicinior,  et  in 
amore  Christi  quoad  suam  ecclesiam  antatinior,  est  in  ecclesia  militante 
major,  etproximus  Christi  vicarius  repulandus.  25.  Omnis  injuste  occupans 
quodcunque  bonum  Dei,  capit  rapina,  furto  vel  latrocinio  aliéna.  26.  Nec 
testium  depositio,  nec  judicis  sententiatio,  nec  corporalis  possessio,  sicut 
nec  distensus  ^  hsereditarius,  nec  humana  commutatio,  sive  donatio,  con- 
fert  homini  sine  gratia  dominium  vel  jus  ad  aliquid,  vel  omnia  ista  simul. 
(Error,  si  intelligatur  de  gratia  gratum  faciente.)  27.  Nisi  adsit  lex  caritatis 
intrinsecus,  nenio  propter  char  tas  vel  bullas  habet  habilitatem  vel  justitiam 
plus  vel  minus.  Nos  non  debemus  prœstare  aut  donare  aliquid  peccatori, 
dum  cognoscimus  ipsum  esse  talem.  Quia  sic  foveremus  proditorem  Bei 
nostri.  28.  Sicut  princeps  vel  Dominus  tempore,  quo  est  in  peocato  mortali, 
non  sortitur  nomen  illius  officii,  nisi  nomine  tenus  et  satis  sequivoce  :  sic 
nec  papa,  episcopus  vel  sacerdos,  dum  lapsus  fuerit  in  mortali.  29.  Omnis 
habituatus  in  peccato  mortali,  caret  quocumque  dominio  et  usu  licito  operis, 
etiam  boni  de  génère.  30.  Ex  principiis  Edei  est  per  se  notum,  quod  quid- 
quid  homo  in  mortali  peccato  fecerit,  peccat  mortaliter.  31.  Ad  verum  se- 
culare  dominium  requiritur  justitia  dominantis  sic  ^,  quod  nuUus,  existons 
in  peccato  mortali,  est  dominus  alicujus  rei.  32.  Omnes  religiosi  moderni  se 
ipsos  neces.sitant,  ut  hypocrisi  maculentur.  Ad  hoc  enim  sonat  sua  pro- 
fession ut  sic  jejunent,  ut  sic  induant,  et  ut  sic  faciant,  quidquid  differenter 
ab  aliis  observant  ^.  Omnis  privata  religio  sapit,  ut  sic,  imperfoctionem  et 
peccatum,  quo  homo  indisponitur  ad  Deo  libère  serviendum.  34.  Religio 
sive  régula  jjnuato  sapit  pvaesumtionem  blasphemam  et  arrogantem  supra 
Deum.  Et  religiosi  talium  ordinum  per  hypocrisin   defensionis  suse  reli- 
gionis  prsesumunt  se  supra  apostolos  exaltare.  35.  Christus  non  docet  in 
Scriptura  aliquam  speciem  ordinis  de  capitulo  Antichristi.  Et  ideo  non  est 
de  suo  beneplacito,  quod  sint  taies.  Capitulum  autem  istud  in  istis  spe- 
ciebus  duodecim  continetur,  quse  sunt  Papa,  Cardinales,  Patriarchœ,   ar- 
chiepiscopi,   episcopi,  archidiaconi,  officiales,  decani,  monachi,  canonici, 
Fratres  de  quatuor  ordinibus,  et  queestores.  36.  Ex  fide  et  operibus  quatuor 
sectarum,  quœ  sunt   Clerus  Caesareus,  vanus   *  monachus,  vanus   cano- 
nicus,  atque  Fratres,   evidenter  elicio,  quod  nulla  persona  istarum   est 
membrum  Christi  in  sanctorum  catalogo,  nisi  in  fine  dierum  deseruerit 
acceptatam  stolide  sectam  suam.  37.  Paulus  quondam  Pharisseus,  propter 
meliorem  sectam  Christi  de  ejus  licentia  sectam  illam  dereliquit.  Et  hœc 
ratio,  quare    claustrales,  cujuscumque,  secta3  fuerint  vel  obligationis,  aut 
quocunque  juramento  stulto  adstricti,  debent  libère  ex  mandate  Christi 
exuere  ista  vincula,  et  induere  libère  sectam   Christi.  38,  Sufficit  laicis, 
quod  quandoque  dant  servis  Dei  décimas  suorum  proventuum.  Et  cum  istis 
paribus   semper  dant  ecclesise,  licet  non  semper  clero  Cœsareo,  a  papa 
vel  suis  subditis  assignato  ^.  39.  Potestas,  quae  fingitur  a  papa  et  aliis 
quatuor  novis  sectis,  sunt  fictce  et  ad  seducendum  subditos  diaboHce  in- 


(1)  Dans  Mansi.  Descensus,  d'après  V.  d.  EIaedt. 

(2)  Dans  Mansi.  Hic,  dans  V.  d.  Hardt. 

(3)  D'après  Mansi  :  quidquid  indifferenter  ah    aliiso  bsovaur. 

(4)  Mansi;  dans  V.  d.  Hardt  :  varius. 

(5)  Dans  Mansi  :  licet  non  semper  Deo,  clero  Cœsareo,  etc. 


CONDAMNATION   DE   HUS.  501 

troductfe  :  ut  Prœlatorum  Cœsareorum  excommunicatio,  citatio,  incarce- 
ratio,  et  redditus  pecuniaram  venditio  ^.  40.  Multi  sacerdotes  simplices 
superant  Prœlatos  in  hujusmodi  potestate.  Imo  videtnr  iidelibus,  quod  ma- 
gnitudo  potestatis  spiritualis  plus  consequitur  filium  imitatorium  Ghristi 
in  moribus,  quam  Prœlatum,  qui  per  Cardinales  et  taies  apostatas  est 
electus.  41.  Subtraliat  populus  décimas,  oblationes,  et  alias  privatas  elee- 
mosynas  ab  indignis  Antichristi  discipulis,  cum  hoc  facere  debeat  de  lege 
Dei.  Nec  est  timenda,  sed  gaudenter  acceptanda  maledictio  vel  censura, 
quam  inferunt  discipuli  Antichristi.  Dominus  papa,  episcopi,  omnes  reli- 
giosi  vel  puri  clerici,  titulo  perpetuœ  possessionis  dotati,  debent  renunciare 
mis  in  manibus  brachii  secularis.  Quod  si  pertinaciter  noluerint,  per  se- 
culares  Dominos  debent  cogi  ^.  42.  Non  est  major  hsereticus  vel  x\nti- 
christus,  quam  ille  clericus,  qui  docet,  quod  licitum  est  sacerdotibus  et 
Levilis  legis  gratiae  dotari  in  possessionibus  temporalibus,  et  si  sunt  aliqui 
hseretici  vel  blasphemi,  sunt  illi  clerici,  qui  hoc  docent.  43.  Non  solum 
possunt  domini  temporales  auferre  bona  fortunée  ab  ecclesia  habitualiter 
delinquente  ^,  nec  hoc  solum  eis  licet,  sed  debent  hoc  facere  sub  pœna 
damnationis  seternœ.  44.  Deus  non  approbat,  quemquam  damnari  civiliter 
vel  civiliter  judicari,  45.  Si  fiât  objectio  contra  impugnantes  dotationem 
ecclesise,  de  Benedicto,  Gregorio  et  Bernardo,  qui  pauca  temporalia  in  pau- 
periepossidebant;  dicitur,  quod  illi  finaliter  pœnitebant.  Siiterum  objicias, 
quod  fingo,  sanctos  istos  de  ista  dechnatione  a  lege  Domini  finaliter  pœni- 
tere,  doce  tu  *,  quod  sint  sancti,  et  ego  docebo,  quod  finaliter  pœnitebant. 
46.  Si  Scripturœ  sacrae  et  rationi  debemus  credere,  patet,  quod  discipuli 
Ghristi  non  habent  potestatem  coacte  exigendi  temporalia  per  censuras, 
sed  hoc  tentantes  sunt  filii  Heli,  filii  Behal.  47.  Quaelibet  essentia  habet 
unum  suppositum,  secundum  quod  producitur  aliud  suppositum  par  priori. 
Et  ista  est  actio  immanens  ^  perfectissima  possibilis  naturœ.  48.  Quselibet 
essentia,  sive  corporea  sive  incorporea,  est  communis  tribus  suppositis,  et 
omnibus  iUis  insunt  communiter  proprietates,  accidentia  et  operationes. 
49.  Deus  nihii  potest  annihilare^  nec  mundum  majorare  vel  minorare,  sed 
animas  usque  ad  certum  numerum  creare,  et  non  ultra.  50.  Impossibileest 
duas  substantias  corporeas  coextendi,  unam  continue  quiescentem  loca- 
liter,  et  aliam  corpus  quiescens  continue  penetrantem.  51.  Linea  ahqua 
mathematica  continua  componitur  ex  duobus,  tribus,  vel  quatuor  punctis 
immediatis,  aut  solum  ex  punctis  simphciter  finitis.  Vel  tempus  est,  fuit, 
vel  erit  compositum  ex  instantibus  immediatis.  Item  non  est  possibile, 
quin  «  tempus,  et  linea,  si  sint,  taliter  componantur.  (Prima  pars  est  error 
in  philosophia,  sed  ultima  errât  circa  divinam  potentiam.)  52.  Imaginan- 
dum  est,  unam  substantiam  corpoream  in  principio  suo  ductam  esse  ex 
indivisibilibus  compositam,  et  occupare  omnem  locum  possibilem.  53.  Quod- 
libet  ■^  est  Deus.  54.  QuseUbet  creatura  est  Deus.  55.  Ubique  omne  ens  est, 
cum  omne  ens  sit  IJeus.  56.  Omnia,  quse  eveniunt,  absolute  necessariove 
eveniunt.  57.  Infans  prœscitus  et  baptizatus  necessario  vivet  diutius,  et 
peccabit  In  Spiritum  sanctum,  ratione  cujus  merebitur,  ut  perpetuo  con- 


(1)  Mansi  :  redditus  pecuniarum  vendicatio. 

(2)  Mansi  écrit  à  tort  :  régi. 

(3)  Mansi  porte  :  bona  ecdesiœ  ab  habitualiter  delinquentibus. 

(4)  C'est  la  leçon  de  Mansi  ;  V.  d.  Hardt  porte  :  docetur. 

(5)  Mansi  :  remanens. 

(6)  Sic  Mansi  ;  V.  d.  Habdt  :  quod. 
Il)  V.  D.  Hardt  :  quilibet. 


502  QUINZIÈME   SESSION   GENERALE    (6  JUILLET   1415). 

demnetur.  Et  ita  nullus  ignis  ipsum  potest  comburere  pro  hoc  tempore 
vel  instanti.  58.  Ut  fidem  asseram,  omnia,  quse  evenient,  de  necessitate 
evenient  ei.  Sic  Paulus  praescitus  non  potest  vere  pœnitere,  hoc  est  contri- 
tione  peccatum  finalis  impœnitentise  delere,  vel  ipsum  non  habere  ^. 

Quand  cette  lecture  fut  terminée,  on  en  vint  plus  immédiate- 
ment aux  afTaires  de  Jean  Hus  ;  on  lut  les  procès-verbaux  de  ses 
démêlés  avec  les  archevêques  de  Prague,  ainsi  que  les  articles 
extraits  de  ses  ouvrages.  A  peine  avait-on  lu  le  premier  ainsi 
conçu  :  «  La  sainte  Église  est  la  réunion  des  prédestinés,  » 
que  l'accusé  voulut  exposer  les  explications  qu'il  avait  écrites 
en  prison  sur  cet  article  et  les  autres  ;  mais  le  cardinal  d'Ailly 
l'invita  à  garder  le  silence,  et  lui  dit  qu'il  aurait  ensuite  la 
faculté  de  s'expliquer  sur  tous  les  articles  à  la  fois.  Hus  pré- 
tendit que  cela  lui  serait  im-possible,  et  voulut  de  même  inter- 
rompre aux  articles  suivants.  «  Taisez-vous  donc,  »  s'écria  alors 
le  cardinal  Zabarelia,  et  il  commanda  aux  appariteurs  de  faire 
exécuter  cet  ordre;  mais  Hus,  joignant  les  mains,  dit  avec  l'accent 
de  la  prière  :  «  Je  vous  en  supplie,  écoutez-moi  pour  l'amour  de 
Dieu,  car  je  ne  veux  pas  laisser  croire  aux  assistants  que  j'ai 
professé  des  erreurs;  vous  ferez  ensuite  de  moi  ce  que  vous 
voudrez.  »  Puis  il  se  jeta  à  genoux  et  répéta  plusieurs  fois  à  haute 
voix  qu'il  remettait  sa  cause  au  juste  jugement  de  Dieu.  Quand 
on  eut  terminé  les  extraits  de  ses  hvres,  on  passa  à  la  série  des 
articles  prouvés  par  témoignages,  et  à  chaque  article  on  donnait 
le  nombre  des  témoins  et  leurs  qualités  respectives,  sans  cepen- 
dant les  nommer;  ainsi  l'on  disait':  «  En  ont  déposé  deux  curés 
et  trois  docteurs.  »  En  tout,  deux  cents  témoins  avaient  été 
produits.  Beaucoup  d'historiens  postérieurs  ont  sévèrement 
blâmé  cette  manière  d'agir,  cependant  on  avait  exactement  suivi 
le  même  procédé  contre  Jean  XXIII,  et  ils  n'y  ont  rien  trouvé 
à  redire.  D'ailleurs,  malgré  la  défense  qu'on  lui  avait  adres- 
sée, Hus  ne  manqua  pas  à  chaque  article  de  prendre  la  parole 
pour  se  justifier,  et  il  se  défendit  surtout  d'avoir  enseigné  qu'après 
la  consécration,  le  pain  matériel  demeure  dans  l'Eucharistie  et 
qu'un  prêtre  coupable  de  péché  mortel  ne  peut  plus  ni  baptiser  ni 
consacrer.  Mais  il  se  montra  plus  véhém.ent  encore  quand  on  lui 

(1)  V.  D.  Hardt,  1.  c.  t.  IV,  p.  400,  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  748,  sqq.  — 
Hard.  t.  VIII,  p.  404,  sqq.  On  trouve  deux  réfutations,  par  des  théologiens  de 
Constance,  des  propositions  de  Wiclef ,  dans  V.  d.  IIardt,  1.  c.  t.  III,  p.  1G8- 
335,  et  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  57-157. 


CONDAMNATION   DE   HUS.  503 

reprocha  de  s'être  associé,  comme  une  quatrième  personne,  aux 
trois  personnes  de  la  Trinité  (c'était  la  conséquence  logique 
de  son  réalisme  philosophique),  et  voulut  absolument  savoir 
le  nom  de  son  accusateur;  mais  on  ne  satisfit  pas  à  sa  de- 
mande. Lorsqu'on  dénonça  comme  une  erreur  son  appel  au 
Christ,  il  s'écria  :  «  Bon  Jésus,  le  concile  condamne  donc  votre 
conduite  et  la  règle  que  vous  nous  avez  tracée,  car  vous  aussi, 
opprimé  par  vos  ennemis,  vous  avez  remis  votre  cause  aux  mains 
de  votre  Père  céleste,  le  plus  juste  des  juges,  et  vous  nous  avez 
laissé  cet  exemple.  »  Puis  il  répéta  que  cet  appel  était  le  plus  sûr 
de  tous.  Plus  loin  on  l'accusait  d'avoir  méprisé  l'excommunica- 
tion du  Saint-Siège.  ^  Je  ne  l'ai  pas  méprisée,  dit-il,  j'en  ai  appelé 
ouvertement,  sans  cesser  de  dire  la  messe  et  de  prêcher.  Il  m'était 
impossible  de  venir  à  Rome  en  personne,  j'y  ai  donc  envoyé  des 
procureurs,  mais  ils  ont  été  éconduits,  maltraités  et  emprison- 
nés. »  Enfin  il  déclara  encore  qu'il  était  venu  à  Constance  libre- 
ment, sur  la  foi  d'un  sauf-conduit  à  lui  délivré  par  le  roi  Sigis- 
mond  présent  à  cette  session,  et  qu'il  n'avait  eu  d'autre  but  que 
de  prouver  son  innocence  et  de  rendre  compte  de  sa  foi.  Tel  est 
le  récit  circonstancié  ^  d'un  témoin  oculaire,  Pierre  de  Mladeno- 
wicz,  disciple  de  Hus  et  son  compagnon  de  route  jusqu'à  Cons- 
tance ;  il  n'y  est  point  dit,  ce  que  nous  verrons  plus  loin,  qu'en 
prononçant  ses  dernières  paroles  l'accusé  regarda  fixement  l'em" 
pereur,  ce  qui  fit  rougir  celui-ci. 

Nous  avons  déjà  rapporté  qu'on  lut  deux  séries  d'articles  contre 
Hus,  mais  nous  n'avons  pas  pu  constater  quelle  en  était  exacte- 
ment la  rédaction.  Il  est  assez  probable  qu'ils  concordaient  avec 
ceux  qu'on  avait  déjà  produits  les  7  et  8  juin,  car  ceux-ci  se  di- 
visaient aussi  en  deux  sections;  les  extraits  d'ouvrages  (8  juin)  et 
les  dépositions  de  témoins  (7  juin).  Ce  que  dit  Mladenowicz  sur 
les  articles  lus  à  la  session  du  6  juillet  se  rapporte  généralement 
à  ceux  dont  nous  parlons;  il  y  a  cependant  quelques  diffé- 
rences :  ainsi  dans  la  rédaction  primitive,  il  n'est  fait  aucune 
allusion  aux  prétentions  de  Hus  à  l'égard  de  la  sainte  Trinité. 
Toutefois  nous  retrouvons  cette  accusation  dans  les  articles 
énumérés  par  Mansi  (t.  XXVII,  p.  755-763)  et  Hardouin 
(t.  VIII,  p.  412-421),  mais  il  faut  observer  que  ces  articles  eux- 
mêmes  ne  peuvent  concorder  avec  ceux  du  6  juillet,  qui  com- 

(1)  HôFLER,  Geschichtschr.  l'«  partie,  p.  282-284.—  Documenta,  p,  317-319. 


504  QUINZIÈME   SESSION    GENERALE   (6   JUILLET    1415). 

mencent  ainsi,  d'après  Mladenowicz  :  Unica  est  sancta  univer- 
salis  Ecclesia,  quœ  est  prœdestinatorum  universitas  *.  Il  est 
beaucoup  plus  important  de  remarquer  que,  le  6  juillet,  ce  ne 
furent  pas  tous  les  articles  lus  que  le  concile  fit  entrer  dans  la 
sentence  de  condamnation,  mais  seulement  trente  d'entre  eux, 
tous  pris  dans  les  articles  du  8  juin,  sauf  peut-être  quelques  modi- 
fications qu'on  leur  fit  subir  pour  les  rendre  plus  conformes  aux 
expressions  employées  par  Hus,  dans  son  livre  c?e  Ecclesia^  et  dans 
ses  traités  contre  Palecz  et  Stanislas  de  Znaïm.  Certains  articles 
du  8  juin  furent  complètement  abandonnés;  quant  aux  trente 
qu'on  réprouva  le  6  juillet,  leur  condamnation  devait  être  con- 
firmée plus  tard  par  le  pape  Martin  V  (bulle  hiter  cunctas,  22  fé- 
vrier 1418)  ^  et  Jérôme  de  Prague  devait  reconnaître  formelle- 
ment, le  il  septembre  1415,  qu'il  les  avait  trouvés  dans  les 
livres  de  Hus,  écrits  de  sa  propre  main.  ^ 
Voici  leur  teneur  : 

1.  Unica  est  sancta  imiversalis  Ecclesia,  quae  est  prœdestinatorum  iini- 
Yersitas.  Et  infra  sequitur .  Universalis  sancta  Ecclesia  tantum  estuna,  eicut 
tantum  est  numerus  unus  omnium  prœdestinatorum. 

2.  Paulus  nunquam  fuit  membrum  diaboli,  licet  fecerit  [avayit  sa  conver- 
sion) actus  quosdam  actibus  Ecclesiœ  malignantium  consimiles. 

3.  Prœsciti  {par  opposition  à  prœdestinati)  non  sunt  partes  Ecclesiœ,  cum 
nullapars  ejus  ab  eafinaliter  excidat,  eo  quod  prœdestinationis  cari  tas,  quœ 
ipsam  ligat,  non  excidit. 

4.  Duœ  naturœ,  divinitas  et  hiimanitas,  sunt  unus  Christus  {qui  est  la  tête 
unique  de  son  époux,  V Eglise  universelle,  c'est-à-dire  la  réunion  des  prédestinés). 

Tel  est  le  texte  extrait  de  cet  article  dans  le  quatrième  chapitre 
du  livre  de  Ecclesia,  et  c'est  seulement  à  une  erreur  de  copiste 
qu'il  faut  attribuer  la  suppression  du  membre  de  phrase  renfermé 
dans  la  parenthèse  du  quatrième  article.  Le  texte  actuel  :  Duœ 
naturœ,  divinitas  et  humanitas,,  sunt  unus  Christus,  prête  à  l'équi- 
voque, et  l'on  peut  y  voir  une  erreur  ou  une  vérité.  Dans  le  sens 
strict  cependant  on  ne  peut  pas  dire  :  «  La  nature  divine  et  la  na- 
ture humaine  sont  un  seul  Christ,  »  car  on  en  pourrait  aisément 
conclure  que  la  divinité  et  l'humanité  constituent  ensemble  la 
personne  du  Christ.  Cet  article  fait  d'ailleurs  partie  d'une  des 

(1)  Hôi^LER,  Geschichtschr.  !''«  partie,  p.  282.  —  Documcntay  p.  317. 

(2)  V.  D.  IIaudt,  t.  IV,  p.  1518,  etc. 

(3)  HôFLER,  1.  c.  3"  partie,  p.  105,  etc. 


CONDAMNATION  DE   HUS.  505 

argumentations  les  plus  spécieuses  du  livre  de  Hus.  Il  distingue 
dans  le  quatrième  chapitre  de  son  livre  de  Ecdesia  entre  la  tête 
intérieure  et  la  tête  extérieure  de  l'Église  ;  cette  dernière  repose 
sur  l'Église,  la  seconde  au  dedans  de  l'Église  dont  elle  est  comme 
l'âme;  maintenant  si  le  Christ,  secimdum  suam  divmitatem,  est 
la  tête  extérieure  de  l'Église,  et  «  secundum  suam  humanitatem 
sa  tête  intérieure,  on  voit  qu'il  ne  reste  plus  de  place  pour  la  souve- 
raineté du  pape.  Les  derniers  mots  de  ce  raisonnement  trahissent 
l'hérésie  nestorienne,  qui  voulait  faire  de  l'huaianité  du  Christ 
une  personne  distincte.  Sans  doute  Hus  se  défendait  d'être  nes- 
torien,  mais  pour  vouloir  faire  ainsi  des  distinctions  trop  sub- 
tiles entre  les  têtes  de  l'Église,  il  tombait  dans  des  erreurs  dog- 
matiques. "• 

5.  Prsescitus  etsi  aliquando  sit  in  gratia  secundum  prœsentem  justitiam, 
tamen  nunquam  est  pars  sanctae  Ecclesise  :  et  prsedestinatus  semper  manet 
membrum.  Ecclesise,  licet  aliquando  excidat  a  gratia  adventitia,  sed  non  a 
gratia  prœdestinationis. 

6.  Sumendo  Ecclesiam  pro  convocatione  praedestinatorum,  sive  sint  in 
gratia,  sive  non,  secundum  praesentem  justitiam,  isto  modo  Ecclesia  est 
articulus  fidei. 

7.  Petrus  non  fuit,  nec  est  caput  Ecclesise  sanctse  catholicœ. 

8.  Sacerdotes  quomodolibet  criminose  viventes,  sacerdotii  polluunt  po- 
testatem,  et  sicut  filii  infidèles,  sentiant  infideliter  de  septem  sacramentis 
Ecclesice,  de  clavibus,  officiis,  censuris,  moribus,  cserimoniis,  et  sacris  rébus 
Ecclesise,  vénérations  reliquiarum,  indulgentiis,  et  ordinibus. 

9.  Papalis  dignitas  a  Csesare  inolevit,  et  papse  prsefectio  et  institutio  a 
Gsesaris  potentia  emanavit. 

10.  Nullus  sine  revelatione  assereret  rationabiliter  de  se,  vel  de  alio, 
quod  esset  caput  particularis  sanctse  Ecclesise  :  nec  Romanus  pontifex  est 
caput  Romanse  Ecclesise. 

11.  Non  oportet  credere,  quod  iste  quicumque  est  particularis  Romanus 
pontifex,  sit  caput  cujuscumque  particularis  Ecclesise  sanctse,  nisi  Deus  eum 
prsedestinaverit. 

12.  Nemo  gerit  vicem  Ghristi,  vel  Pétri,  nisi  sequatur  eum  in  moribus  ; 
cum.  nuUa  alla  sequela  sit  pertinentior,  nec  aliter  {et  non  pas  alter)  a  Deo 
recipiat  procuratoriam  potestatem  :  quia  ad  illud  officium  yicarii  requiritur 
et  morum  conformitas,  et  instituentis  auctoritas. 

13.  Papa  non  est  manifestus  et  verus  successor  principis  apostolorum 


(1)  Remarquons  que  presque  personne  ne  semble  s'être  aperçu  des  diffi- 
cultés que  présente  cet  article  4.  Lenfant  (1.  c.  t.  II,  p.  217)  n'en  parle  que  de 
la  façon  la  plus  insignifiante  ;  par  exemple,  quand  il  dit  que  d'autres  théo- 
logiens que  ceux  de  Constance  le  tiennent  pour  orthodoxe.  Le  savant  de 
Berlin  aurait  besoin  de  se  souvenir  qu'il  y  avait  à  Constance  beaucoup  de 
personnes  un  peu  mieux  instruites  du  dogme  que  lui.  Nous  ne  citerons  que 
Gerson  et  d'Ailly. 


506  QUINZIÈME   SESSION   GÉNÉEALE    (6    JUILLET    1415). 

Pétri,  si  vivit  moribus  contrariis  Petro  :  et  si  quserit  avaritiam,  tune  est 
vicarius  Judse  Scariothis.  Et  pari  evidentia  cardinales  non  sunt  manifesti 
et  veri  successores  collegii  aliorum  apostolorum  Christi.  nisi  vixerint  more 
apostolorum,  servantes  consilia  et  mandata  Domini  nostri  Jesu  Ghristi. 

14.  Doctores  ponentes  quod  aliquis  per  censuram  ecclesiasticam  emen- 
dandus,  si  corrigi  noluerit  ',  judicio  sœculari  est  tradendus,  pro  certo  se- 
quuntur  in  hoc  pontifices,  scribas  et  pharisaeos,  qui  Christum  nolentem 
eis  obedire  in  omnibus,  dicentes,  Nobis  non  licet  interficere  quemqnam, 
ipsum  sseculari  judicio  tradiderunt,  eo  quod  taies  sunt  homicidse  graviores 
quam  Pilatus. 

15.  Obedientia  ecclesiastica  est  obedientia  secundum  adinventionem  sa- 
cerdotum  Ecclesiae,  prseter  expressam  auctoritatem  Scripturae. 

16.  Divisio  immédiate  humanorum  operum  est,  quod  sint  vel  virtuosa, 
vel  vitiosa  :  quia  si  homo  est  vitiosus,  et  agat  quidquam,  tune  agit  vir-. 
tuose  :  quia  sicut  vitium,  quod  crimen  dicitui',  sive  peccatum  mortale,  in- 
ficit  universaliter  actus  hominis  vitiosi,  sic  virtus  vivificat  omnes  actus 
hominis  virtuosi  ^. 

17.  Sacerdos  Ghristi  vivens  secundum  legem  ejus,  et  habens  notitiam 
Scripturae,  et  effectum  ad  œdificandum  populum,  débet  prsedicare,  non 
obstante  praetensa  excommunicatione  ^.  Et  infra  :  Quod  si  papa  vel  aliquis 
prselatus  mandat  sacerdoti  sic  disposito,  non  prsedicare,  non  débet  obedire 
subditus. 

18.  Quilibet  prœdicantis  officium  de  mandate  accipit,  qui  ad  sacerdotium 
accedit  :  et  illud  mandatum  débet  exsequi,  prœtensa  excommunicatione 
non  obstante. 

19.  Per  censuras  ecclesiasticas  excommunicationis,  suspensionis  et  in- 
terdicti,  ad  sui  exaltationem  clerus  populum  laicalem  sibi  suppeditat,  ava- 
ritiam multiplicat,  malitiam  (suam)  protegit,  et  viam  praeparat  Antichristo. 
Signum  autem  evidens  est,  quod  ab  Antichristo  taies  procédant  censurae, 
quas  vocant  in  processibus  suis  fulminationes,  quibus  clerus  principalis- 
sime  procedit  contra  illos  qui  dénudant  nequitiam  Antichristi,  quam  clerus 
maxime  pro  se  usurpavit. 

20.  Si  papa  est  malus,  et  prseseriim  si  est  praescitus,  tune  ut  Judas  apos- 
tolus  est  diabolus,  fur,  et  filius  perditionis,  et  non  est  caput  sanctse  mili- 
tantis  Ecclesiae,  cum  nec  sit  membrum  ejus. 

21.  Gratia  praedestinationis  est  vinculum,  quo  corpus  Ecclesiae  et  quod- 
libet  ejus  membrum  jungitur  Ghristo  capiti  insolubiliter. 

22.  Papa,  vel  praelatus  malus  et  prœscitus,  est  œquivoce  pastor,  et  vere 
fur  et  latro. 

23.  Papa  non  débet  dici  sanctissimus  etiam  secundum  ofûcium,  quia 
alias  rex  etiam  deberet  dici  sanctissimus  secundum  ofûcium  ;  et  tortores 
et  prœcones  dicerentur  sancti  :  imo  etiam  diabolus  deberet  dici  sanctus, 
cum  sit  ofticiarius  Dei. 


(1)  Van  der  Hardt  (t.  IV,  p.  409)  a  lu  à  tort  voluerit ,  tandis  que  dans  la 
bulle  de  Martin  V  il  écrit  lui-même  noluerit.  Mansi  et  Ilardouin  ont  aussi 
noluerit ,  et  la  meilleure  preuve  que  c'est  la  vraie  leçon  se  tire  des  paroles 
suivantes  :  Christum  non  volentem  ew  obedire  in  omnibus. 

(2)  G'est  le  texte  exact  de  la  bulle  de  Martin  V.  Van  der  IIardt,  t.  IV, 
p. 1526. 

(3)  Hus  appelle  l'excommunication  prœtensa,  parce  que,  selon  lui,  le  Christ 
ne  la  ratifie  point. 


CONDAMNATION   DE  HUS.  607 

24.  Si  papa  vivat  Ghristo  contrarie,  etiam  si  accenderet  per  ritam  et  le- 
gitimam  electionem  secundum  constitutionem  humanam  vulgatam,  tamen 
aliunde  ascenderet,  quam  per  Ghristum,  dato  etiam  quod  intraret  per  elec- 
tionem a  Deo  principaliter  factam.  Nam  Judas  Scarioth  rite  et  légitime  est 
electus  a  Deo  Jesu  Ghristo  ad  apostolatum,  et  tamen  ascendit  aliunde  in 
ovile  ovium. 

25.  Condemnatio  quadraginta  quinque  articulorum  Joannis  Wicleff  per 
doctores  facta,  est  irrationabilis  et  iniqua^  et  maie  facta^  et  ficta  est  causa 
per  eos  allegata,  videlicet  ex  eo  quod  nullus  eorum  sit  catholicus,  sed 
quilib.et  eorum  aut  est  haereticus,  aut  erroneus,  aut  scandalosus. 

26.  Non  eo  ipso  quo  electores,  vel  major  pars  eorum  consenserit  viva 
voce  secundum  ritus  hominum  in  personam  aliquam,  eo  ipso  illa  persona 
est  légitime  electa,  vel  eo  ipso  est  verus  et  manifestus  vicarius  vel  suc- 
cessor  Pétri  apostoli,  vel  alterius  apostoli  in  officie  ecclesiastico.  Unde  sive 
electores  bene  vel  maie  elegerint,  operibus  electi  debemus  credere.  Nam 
eo  ipso,  quos  quis  copiosus  operatur  m.eritoriead  profectum  Ecclesiae,  habefc 
a  Deo  ad  hoc  copiosus  potestatem. 

27.  Non  est  scintilla  apparentise,  quod  oporteat  esse  unum  caput  in  spi- 
ritualibus  regens  Ecclesiam,  quod  semper  cum  ipsa  militante  Ecclesia  con- 
versetur  et.conservetur. 

28.  Ghristus  sine  talilms  capitibus  monstruosis,  per  suos  veraees  disci- 
pulos  sparsos  per  orbem  terrarum,  melius  suam  Ecclesiam  regularet. 

29.  Apostoli  et  fidèles  sacerdotes  Domini  strenue  in  necessariis  ad  sa- 
lutem  regularunt  Ecclesiam,  antequam  papa?  officium  foret  introductum  : 
sic  facerent,  déficiente  per  summe  possibile  papa,  usque  ad  diemjudicii. 

30.  Nullus  est  dominus  civilis,  nullus  est  prselatus,  nullus  est  episcopus, 
dum  est  in  peccato  mortali  ^ 


(1)  Mansi,  t.  XXVIl,  p.  754,  etc.—  Hard,  t.  VIII,  p.  410,  etc.— V.  d.  PIardt, 
t.  IV,  p.  408-412.  Pour  faciliter  la  comparaison  de  ces  trente  articles  avec 
ceux  du  8  juin,  nous  avons  dressé  le  tableau  suivant  : 

N°=  des  articles  Numéros  des  articles  du  8  juin. 
condamnés  le  6  Juillet. 

Nos  1.  I^os  1     (extrait  du  livre  de  Ecclesia.) 

2.  2. 

3.'  G  et  3. 
Nos  4  n'a  pas  été  mentionné  le  8  juin. 

5.  Nos  4. 

6.  8 (partiel.) 

7.  9. 

8.  11. 

9.  12. 

10.  13  (extrait  du  livre  de  Ecclesia.) 

11.  14. 

12  et  13.  15,  10  et  17. 

14.  18. 

15.  20. 

16.  22. 

17.  23. 

18.  24. 

19.  25. 

20.  3  (extrait  du  traité  de  Hus  contre  Palecz.) 

21.  2. 

22.  4. 

23.  5. 

24.  6. 

25.  7. 


508  QUINZIÈME  SESSION   GÉNÉRALE  (6  JUILLET   1415). 

Il  est  évident  que  plusieurs  de  ces  articles  ainsi  que  leurs  mo- 
tifs ne  s'attaquaient  pas  seulement,  comme  les  erreurs  précé- 
dentes, à  l'autorité  dogmatique  de  l'Église,  mais  qu'elles  mena- 
çaient toute  la  puissance  ecclésiastique  et  le  pouvoir  séculier 
iQi-méme.  Cet  esprit  romanesque  et  illuminé  ne  se  contentait  pas 
de  réunir  et  de  développer  tout  ce  qu'il  trouvait  de  vraiment  sage 
dans  la  constitution  de  la  société  au  moyen  âge,  mais  il  l'outrait 
sans  mesure  et  finissait  par  tomber  dans  les  plus  dangereux 
excès.  Ainsi  tout  le  moyen  âge  avait  cru  que  dans  un  royaume 
chrétien  le  prince  excommunié  n'avait  plus  aucun  droit  à  l'obéis- 
sance de  ses  sujets.  Hus  ne  s'arrêtait  pas  là,  il  enseignait  que  tout 
supérieur  ecclésiastique  ou  séculier  perdait  son  autorité  dès 
qu'il  était  tombé  dans  le  péché  mortel.  C'était,  comme  Jarke  l'a 
déjà  fait  remarquer,  un  précurseur  de  Lamennais  *.  Ne  trouvons- 
nous  pas  en  effet  cette  théorie  dans  l'ouvrage  «  Des  'progrès  de  la 
révolution  etc.?  Si  la  puissance  civile  abandonne  la  loi  de  Dieu, 
elle  sort  en  même  temps  des  règles  du  droit,  car  c'est  par  Dieu 
qu'elle  a  été  établie;  elle  perd  toute  son  autorité,  et  nul  ne  doit 
plus  -la  considérer  comme  légitime.  En  outre,  le  prédestinatia- 
nisme  de  Hus  n'était  qu'une  exagération  étrange  de  la  doctrine 
catholique  sur  la  grâce,  exagération  qui  allait  jusqu'à  la  conception 
d'une  Église  complètement  invisible;  enfin  nous  ne  devons  voir 
dans  l'interdiction  à  l'Église  et  au  clergé  de  posséder  des  biens 
temporels  et  dans  l'injonction  adressée  aux  laïques  de  les  leur 
reprendre,  qu'un  abus  du  respect  qu'on  doit  à  la  pauvreté  évan- 
gélique  ;  ce  dernier  article  ne  se  trouve  pas  à  la  vérité  parmi  les 
trente  que  réprouve  la  sentence  définitive,  mais  il  avait  été  déjà 
solennellement  condamné  avec  les  erreurs  de  Wiclif  dans  la  quin- 
zième session. 

La  sentence  définitive  portée  contre  Hus  formait  un  appendice 


N°>  des  articles  Numéros  des  articles  du  8  juin, 

condamnés  le  6  juillet. 

26.  1  (extrait  du  traité  de  Hus  contre  Stanislas  de  Znaïra). 

27.  3. 

28.  4. 

29.  6. 

30.  1  (extrait  du  traité  contre  Palecz), 

On  laissa  donc  les  articles  5, 16,  19,  21  et  26,  extraits  du  de  Ecdcsia,  ainsi 
que  les  numéros  2  et  5,  extraits  du  traité  contre  Znaïm. 


(1)  Cf.  Jarcke,  Vcrmischte  Schri/ten,  1. 1,  p.  226. 


CONDAMNATION   DE   HUS.  509 

aux  trente  articles  précités;  l'évêque  de  Goncordia  donna  lecture 
des  deux  parties  qui  la  composaient,  et  dont  la  première  avait 
trait  aux  doctrines,  et  la  seconde  à  la  personne  de  Hus.  A  cette 
dernière  était  jointe  une  double  formule  de  sentence  *,  car  on 
avait  prévu  le  cas  où  l'accusé  ferait  des  concessions  au  dernier 
moment,  et  celui  où  il  demeurerait  opiniâtre  ^. 

La  première  partie  commençait  par  rappeler  sommairement 
que  le  dernier  concile  de  RomO;,  et  le  concile  actuel  de  Goostance 
avaient  condamné  les  erreurs  de  Wiclif,  puis  on  poursuivait  en 
ces  termes  :  «  Nonobstant  ces  réprobations,  l'accusé  présent  de- 
vant vous,  Jean  Hus,  disciple  de  Wiclif  plutôt  que  de  Jésus-Christ, 
n'a  pas  craint  de  soutenir  et  de  prêcher  plusieurs  erreurs  con- 
damnées par  un  grand  nombre  d'évêques  et  de  docteurs  ;  il  s'est 
en  particulier  manifestement  opposé  aux  condamnations  si  sou- 
vent portées  par  l'Université  de  Prague  contre  les  propositions 
de  son  maître;  dans  ses  cours  comme  dans  ses  sermons,  il  a  re- 
vendiqué pour  Wiclif  le  titre  de  catholique  fidèle  et  de  docteur 
évangélique,  en  recommandant  sa  doctrine;  enfin  il  a  soutenu 
l'orthodoxie  et  favorisé  la  publication  des  trente  articles  ci-des- 
sous énoncés,  et  de  grand  nombre  d'autres,  tous  évidemment 
erronés  et  notoirement  exposés  dans  ses  livres.  Après  un  examen 
consciencieux  et  de  mûres  délibérations  auxquelles  ont  pris  part 
un  grand  nombre  de  cardinaux,  de  patriarches,  d'archevêques, 
d'évêques,  de  prélats,  de  docteurs  en  théologie  et  dans  les  deux 
droits,  le  saint  concile  de  Gonstance  déclare  et  décide  que  les  ar- 
ticles ci-annexés,  qui  se  trouvent  dans  les  livres  de  lius,  écrits 
de  sa  propre  main,  ce  qu'il  a  reconnu  lui-même  en  audience  so- 
lennelle devant  plusieurs  Pères  et  prélats  de  cette  assemblée,  ne 
sont  pas  catholiques,  mais  que  plusieurs  d'entre  eux  sont  erronés, 
d'autres  scandaleux,  d'autres  offensifs  des  oreilles  pies,  beaucoup 
téméraires,  quelques-uns  notoirement  hérétiques,  et  générale- 
ment tous  réprouvés  et  défendus  depuis  longtemps  par  les  saints 
Pères  et  les  conciles.  Or  comme  lesdits  articles  se  trouvent  énon- 
cés dans  les  livres  et  traités  de  Hus,  dans  son  écrit  de  Ecclesia 
et  autres  ouvrages,  le  saint  concile  réprouve  et  condamne  ces 
écrits  et  leur  doctrine,  ainsi  que  tous  les  traités  et  commen- 
taires de  Hus,  qu'ils  aient  été  rédigés  par  lui  en  latin  ou  en  bohé- 


(1)  Je  ne  connais  personne  qui  ait  encore  parlé  de  cette  circonstance. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  764,  au  bas.  —  Haeû.  t.  VIII,  p.  423,  au  milieu. 


510  QUINZIÈME   SESSION   GÉNÉRALE    (6   JUILLET   1415). 

mien,  ou  traduit  par  d'autres  mains,  en  quelque  langue  que  ce 
soit.  Ces  ouvrages  seront  en  conséquence  publiquement  et  so- 
lennellement brûlés,  à  Constance  et  ailleurs,  en  présence  du 
clergé  et  du  peuple  ;  les  évêques  auront  soin  d'en  rechercher 
en  tout  lieu  les  exemplaires  et  de  les  faire  détruire  par  le  feu.  ^ 

La  seconde  partie  de  la  sentence  se  terminait  ainsi  :  «  Attendu 
que,  de  l'examen  approfondi  de  la  cause,  non  moins  que  du  rap- 
port fidèle  et  complet  qui  en  a  été  dressé  par  la  commission 
nommée  à  cet  effet,  ainsi  que  par  d'autres  théologiens  et  juristes, 
et  en  outre  des  dépositions  recueillies  et  dont  lecture  publique  a 
été  faite  à  l'accusé,  il  appert  que  Jean  Hus  a  soutenu  ouverte- 
ment et  prêché,  durant  plusieurs  années,  un  grand  nombre  de 
détestables,  séditieuses,  subversives  et  dangereuses  hérésies, 
le  saint  concile  déclare  donc  et  proclame  définitivement  que  ledit 
Hus  doit  être  regardé  comme  un  hérétique  véritable  et  notoire, 
pour  avoir  soutenu  et  prêché  publiquement  des  erreurs  et  des 
hérésies  depuis  longtemps  condamnées,  ainsi  qu'un  grand 
nombre  de  propositions  scandaleuses,  téméraires  et  subversives, 
au  mépris  de  la  Majesté  divine,  au  scandale  de  l'Église,  et  au  dé- 
triment de  la  foi  catholique;  le  saint  concile  le  déclare  en  outre 
coupable  d'avoir  ouvertement  méprisé  le  pouvoir  des  clefs  et  les 
censures  de  l'Église,  en  demeurant  sous  le  coup  de  l'excommu- 
nication, et  en  faisant  appel  au  Christ,  sans  tenir  compte  des 
droits  réguliers,  ce  qui  a  été  la  source  d'un  grand  scandale  pour 
les  fidèles.  Par  ces  motifs  et  pour  beaucoup  d'autres  encore,  le 
saint  concile  proclame  donc  que  ledit  Jean  Hus  s'est  rendu  cou- 
pable d'hérésie,  et  qu'il  en  est  encore  infecté;  qu'en  conséquence, 
il  doit  être  jugé  et  condamné  comme  tel,  met  à  néant  son  appel 
comme  injurieux,  subversif,  et  attentatoire  à  la  juridiction  de 
l'Église,  et  prononce  en  outre  qu'il  a  trompé  par  ses  sermons  et 
ses  écrits  le  peuple  chrétien  et  spécialement  le  peuple  de  Bo- 
hême, et  doit  être  tenu,  non  pour  un  véritable  prédicateur  de 
l'Évangile,  mais  pour  un  séducteur  du  peuple.  »>  ^ 

On  avait  rédigé  deux  formules  pour  la  conclusion  du  décret. 
La  première  commençait  par  ces  mots  :  Verimi  quia  ex  nonnullis 
conjecturis,  etc.^  et  était  ainsi  conçue  :  «  Mais  comme  il  résulte  de 


(1)  Mansi,  t.  XXVIT,  p.  752.  —  Haud.  t.  VIII,  p.  408.  -=-  V.  d.  IIardt,  t.  IV, 

'  (2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  753  {visis  insuper  aclis).  —  Hard.  I.  c.  p.  i09,  au  mi- 
lieu. —  V.  D.  IIardt,  t.  IV,  p.  437. 


CONDAMNATION   DE   HUS.  511 

plusieurs  présomptions  que  Hus  est  vraiment  contrit  de  ses  péchés 
passés,  et  désire  revenir  à  la  véritable  foi  de  l'Église,  le  saint  con- 
cile l'admet  volontiers  à  l'abjuration  qu'il  a  proposée  lui-même, 
le  reçoit  comme  un  fils  égaré  et  repentant,  et  l'absout,  sur  son 
humble  requête,  de  l'excommunication  fulminée  contre  lui.  Ce- 
pendant, comme  ses  doctrines  ont  produit  beaucoup  de  scandales 
et  de  perturbations  dans  l'Église,  le  coupable  sera  considéré 
comme  un  homme  dangereux,  et  conséquemment  interdit  et  dé- 
pouillé de  la  dignité  sacerdotale;  la  cérémonie  de  la  dégradation 
se  fera  conformément  aux  règles,  en  présence  de  l'assemblée,  et 
par  le  ministère  de  l'archevêque  de  Milan,  assisté  des  évêques 
d'Asti,  d'Alexandrie,  etc.;  après  quoi  Hus  sera  conduit  en  prison 
pour  y  être  détenu  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours  ^  » 

Cependant  l'hypothèse  d'une  soumission  finale  ne  se  réalisa 
point;  Hus  se  borna  à  faire  quelques  protestations  durant  la  lec- 
ture des  deux  parties  de  la  sentence.  Ainsi,  lorsqu'on  dit  qu'il 
avait  persisté  de  longues  années  dans  l'hérésie,  il  s'écria  qu'il 
n'avait  jamais  été  opiniâtre  et  qu'il  ne  l'était  pas  encore;  mais 
qu'il  avait  toujours  souhaité  d'être  convaincu  par  la  Bible.  Quand 
on  lut  la  condamnation  de  ses  livres  au  feu  :  «  Comment  pouvez- 
vous  condamner  mes  livres,  puisque  vous  n'avez  jamais  pu  les 
réfuter  par  l'Écriture,  et  surtout  mes  livres  bohémiens,  puisque 
vous  ne  les  avez  jamais  vus  ^?  » 

Au  sujet  de  cette  dernière  assertion  de  Hus,  Lenfant  a  déjà  fait 
remarquer  que  non-seulement  il  y  avait  alors  à  Constance  beau- 
coup de  Bohémiens  qui  connaissaient  parfaitement  ses  livres, 
comme  l'évêque  de  Leitomysl,  Palecz  et  bien  d'autres,  mais 
qu'encore  il  devait  s'y  trouver  beaucoup  d'Allemands  qui  avaient 
étudié  à  Prague  et  savaient  assez  bien  la  langue  pour  apprécier 
sûrement  le  caractère  de  ses  ouvrages  ^ . 

Comme  on  ne  pouvait  plus  espérer  de  rétractation,  l'évêque 
de  Goncordia  mit  de  côté  la  première  formule,  et  donna  lecture 
de  la  seconde  ^,  qui  commençait  aussi  par  Verum  quia,  mais 
qui  continuait  différemment  :  «  Comme  le  saint  concile  a  la 
preuve  que  Jean  Hus  demeure  opiniâtre  et  incorrigible,  et  refuse 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  432  sq. 

(2)  Sic  P.  de  Mladenowicz,  dans  Hôfler,  Geschichtschr.  V^  partie,  p.  285. — 
Documenta,  p.  320. 

(3)  Lenfant,  1. 1,  p.  381  et  407. 

(4)  Mansi,  t.  XXVIT,  p.  765,  au  haut.  —  Haed.  t.  VIII,  p.  423,  au  milieu. 


512  QUINZIÈME   SESSION    GÉNÉRALE   (6   JUILLET    1415). 

de  rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise  et  d'abjurer  ses  erreurs,  il 
décrète  que  le  coupable  sera  déposé  et  dégradé,  charge  l'arche- 
\^êque  de  Milan,  assisté  des  évêques  de  Feltre  et  d'Asti,  de 
procéder  à  cette  dégradation  en  présence  de  l'assemblée,  et 
statue  qu'après  avoir  été  retranché  de  l'Église,  le  coupable  sera 
remis  au  bras  séculier  * . 

Hus  avait  entendu  à  genoux  la  lecture  de  la  sentence  ;  quand 
elle  fut  terminée,  il  fit  à  haute  voix  cette  prière  :  «  Seigneur 
Jésus-Christ,  pardonnez  à  mes  ennemis;  je  vous  en  supplie  par 
votre  très-grande  miséricorde.  Vous  savez  qu'ils  m'accusent 
faussement,  qu'ils  ont  produit  contre  moi  de  faux  témoins  et 
réuni  des  articles  mensongers;  pardonnez-leur  au  nom  de 
votre  miséricorde  infinie.  » 

Plusieurs  prélats,  dit-on,  l'auraient  alors  regardé  avec  indi- 
gnation et  s'en  seraient  moqués.  Tel  est  du  moins  le  récit  du 
P.  Mladenowicz  ;  mais  l'indignation  et  le  rire  s'accordent  mal 
ensemble,  tandis  qu'il  est  assez  naturel  d'admettre  que  plusieurs 
aient  été  choqués  d'une  aussi  étrange  présomption.  Cependant, 
sur  l'ordre  des  sept  évêques  désignés,  on  le  révêtit  des  ornements 
sacerdotaux,  comme  s'il  allait  célébrer  la  messe.  Quand  on  lui 
passa  l'aube,  il  dit  que  lorsque  le  Christ  fut  conduit  d'Hérode 
à  Pilate,il  était  aussi  couvert  d'une  robe  blanche.  «  Tout  étant 
terminé,  les  évêques  l'exhortèrent  encore  une  fois  à  se  rétracter 
et  à  abjurer  :  alors  il  se  redressa^,  et,  se  tournant  du  côté  de  la 
foule,  prononça  ces  paroles  en  pleurant  :  <•  Voici  que  ces  évêques 
m'engagent  à  me  rétracter  et  à  abjurer  ;  mais  je  crains  en 
le  faisant  de  blesser,  à  la  face  de  Dieu,  les  droits  de  ma  cons- 
cience et  de  la  vérité  :  car,  bien  loin  d'avoir  jamais  soutenu  les 
articles  qu'on  me  reproche  faussement,  j'ai  souvent  écrit,  en- 
seigné et  prêché  la  doctrine  contraire^.  Je  ne  puis  donc  me 
rétracter,  parce  que  ce  serait  en  même  temps  donner  du  scan- 
dale aux  peuples  que  j'ai  évangéhsés  et  à  tous  ceux  qui  annon- 
cent fidèlement  la  parole  de  Dieu.  »  Quelques-uns  des  évêques 


(!)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  753,  au  bas,  depuis  Verum  quia. —  Hardouin,  t.  VIII, 
p.  410,  au  haut.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  438. 

(2)  HoFLER,  Geschichtschr.  l''«  partie,  p.  285,  ligne  6;  c'est  ante  quam  qu'il 
faut  lire  et  non  pas  antequam,  qui  dénaturerait  le  sens.  La  même  faute  se 
trouve  d'ailleurs  dans  les  Documenta,  p.  320. 

(3)  On  ne  comprend  pas  que,  en  face  de  la  mort,  Hus  ait  osé  tenir  un 
pareil  langage.  La  plupart  de  ces  articles  ne  pouvaient  être  l'objet  d'au- 
cune contestation,  et  lui-même  avait  avoué  leur  authenticité. 


CONDAMNATION   DE   HUS.  513 

qui  l'entouraient  et  plusieurs  autres  membres  du  concile  dirent 
alors  :  «  Voyez  comme  il  s'obstine  dans  l'hérésie  et  la  perver- 
sité !  »  puis  on  commença  la  dégradation;  les  évêques  lui  prirent 
d'abord  le  calice  des  mains,  en  disant  :  «  Judas,  toi  qui  renonces 
à  la  paix  pour  t'unir  aux  Juifs,  nous  t'ôtons  le  calice  du  salut.  » 
Eus  répondit  à  haute  voix  :  «  Je  mets  ma  confiance  dans  le 
Seigneur  Dieu  tout-puissant,  pour  l'amour  duquel  j'endure  pa- 
tiemment ces  blasphèmes;  il  ne  m'enlèvera  pas  le  calice  du 
salut,  que  i  'espère  boire  aujourd'hui  avec  lui  dans  son  royaume.  » 
On  continua  de  lui  enlever  ainsi  tous  les  ornements,  en  profé- 
rant à  chaque  fois  de  nouvelles  imprécations,  auxquelles  il  ré- 
pobdait  toujours  en  disant  que  c'était  pour  l'amour  du  Christ 
qu'il  supportait  humblement  ces  outrages.  Enfin  les  évêques 
se  mirent  en  devoir  de  faire  disparaître  sa  tonsure.  Tandis  qu'ils 
en  cherchaient  le  moyen,  les  uns  voulant  lui  raser  la  tête  tout 
entière,  les  autres  déformer  simplement  la  tonsure  avec  des 
ciseaux,  il  cria  au  roi  Sigismond  :  «  "Voyez,  les  évêques  ne  s'en- 
tendent même  pas  pour  me  déshonorer  !  ^  »  Enfin  on  déforma 
la  couronne  avec  des  ciseaux  à  droite,  à  gauche,  au  haut  et  au 
bas,  en  prononçant  ces  paroles  :  «  L'Église  t'enlève  aujourd'hui 
tout  privilège  ecclésiastique,  et,  n'ayant  plus  aucune  juridiction 
sur  toi,  elle  te  livre  au  bras  séculier.  «  Puis  l'on  couvrit  sa  tête 
d'une  mitre  de  papier,  en  disant  :  «  Nous  abandonnons  ton  âme 
à  Satan.  —  Et  moi,  répondit-il,  en  joignant  les  mains  et 
en  levant  les  yeux  au  ciel,  je  remets  mon  âme  à  mon  miséri- 
cordieux Seigneur  Jésus- Christ.  »  Regardant  alors  cette  cou- 
ronne de  papier,  il  continua  :  «  Mon  Seigneur  Jésus-Christ,  tout 
innocent  qu'il  fût,  a  porté  pour  l'amour  de  moi  une  cou- 
ronne d'épines  bien  plus  douloureuse  :  je  veux  donc,  moi 
pauvre  pécheur,  porter  humblement,  pour  l'amour  de  lui  et 
de  la  vérité,  une  couronne  si  légère  et  cependant  si  infamante.  » 
Cette  couronne  était  ronde  et  haute  de  deux  pieds;  on  y 
avait  figuré  trois  démons  hideux  saisissant  une  âme  avec  leurs 
griffes,  et  on  avait  mis  au-dessus  cette  inscription  :  Hic  est 
hœresiarcha  ^ .   » 


(1)  Ulrich  de  Reichenthal  ajoute  :  «  Otez-lui  son  caractère,  car  il  en  fait 
un  sujet  de  moquerie.  »  (Fol,  214  a.) 

(2)  D'après  Pierre  de  Mladenowicz,  voyez  Hôfler,  Geschichtschr,  l'"*'  partie, 
p.  285,  etc.  —  Documenta,  p.  321. 

T.  X.     33 


514  MORT  DE  HUS   (6  JUILLET    1415). 

§   763. 
MORT   DE   HUS   (6   JUILLET    1415). 

Eus  fut  donc  abandonné  au  bras  séculier  ;  toutefois,  d'après 
l'antique  usage  de  l'Eglise,  qui  n'était  plus  depuis  longtemps, 
il  faut  le  reconnaître,  qu'une  vaine  formalité,  on  lut  auparavant 
la  recommandation  adressée  à  la  justice  civile  de  ne  pas  mettre 
à  mort  le  coupable,  mais  de  le  retenir  dans  une  captivité  per- 
pétuelle ^  » 

Nous  empruntons  les  détails  qui  suivent  à  Reichenthal  et  à 
P.  de  Mladenowicz  ;  d'après  ces  historiens,  le  roi  Sigismond 
remit  alors  Hus  au  comte  palatin  Louis,  en  lui  disant  de  le 
traiter  «  comme  un  hérétique  ».  Celui-ci  appela  le  prévôt  de 
Constance  :  «  Saisissez,  lui  dit-il,  maître  Jean  Hus et  brûlez- 
le  comme  hérétique;  »  A  son  tour,  le  prévôt  le  livra  aux 
sergents  et  au  bourreau,  en  leur  ordonnant  de  le  conduire  au 
bûcher,  mais  sans  lui  ôter  ses  vêtements  («  il  avait  cependant 
deux  bons  habits  de  drap  noir  »),  ni  ses  souhers,  ni  sa  ceinture, 
ni  son  couteau,  ni  rien  enfin  de  ce  qu'il  portait  sur  lui.  Comme 
il  sortait  de  l'église,  on  brûlait  ses  ouvrages  sur  la  place.  Cette 
cérémonie  le  fit  sourire,  et  il  cria  au  peuple  qu'il  allait  mourir 
innocent,  et  que  ses  prétendues  erreurs  n'étaient  que  des  inven- 
tions de  ses  ennemis  mortels.  Cependant  on  se  mit  en  marche; 
deux  gardes  du  comte  palatin  entouraient,  l'un  à  droite,  l'autre 
à  gauche,  le  prisonnier  qui  s'avançait  libre  et  sans  fers,  précédé 
et  suivi  par  deux  sergents  de  Constance;  la  place  était  occupée 
par  plus  de  trois  mille  soldats  qui  retenaient  une  foule  innom- 
brable. Durant  le  trajet,  Jean  Hus  s'écria  à  plusieurs  reprises  : 
Jesu  Christe,  Fili  Dei  vivi,  miserere  mei;  mais  quand  on  fut  arrivé 
au  lieu  du  supplice,  et  qu'il  aperçut  le  bois,  la  paille  et  le  feu,  il 
tomba  trois  fois  à  genoux  en  poussant  cette  exclamation  :  Jesu 
Christe,  Fili  Dei  vivi,  qui  passus  es  pro  nobis,  miserere  mei.  On 
lui  demanda  alors  s'il  voulait  se  confesser  :  à  quoi  il  répondit  afQr- 
mativement,  en  priant  qu'on  lui  laissât  plus  de  place.  Quand  on 
eut  un  peu  élargi  le  cercle  autour  de  lui,  Ulrich  de  Reichenthal 

(1)  Reichenthal,  fol.  214  a. 


MORT  DE  HUS    (6   JUILLET    1415).  515 

fut  chargé  de  lui  dire  que,  s'il  voulait  se  confesser,  il  devait 
s'adresser  à  un  prêtre  du  lieu,  messire  Ulric  Schorand,  chapelain 
de  Saint-Etienne,  ecclésiastique  instruit  et  muni  des  pouvoirs  de 
l'évêque  et  du  concile.  Hus  répondit  qu'ill'acceptait  volontiers.  » 
Mais  lorsque  ce  prêtre  voulut  le  faire  renoncer  à  ses  erreurs 
«  parce  que  sans  cette  condition,  lui  dit-il,  il  m'est  impos- 
sible de  vous  absoudre;  »  le  pénitent  répliqua  qu'on  n'était  pas 
obligé  de  se  confesser  quand  on  n'avait  pas  commis  de  péché 
mortel,  et  il  voulut  alors  commencer  à  prêcher  en  allemand; 
mais  le  comte  palatin  l'en  empêcha  en  hâtant  l'exécution.  On 
s'empressa  donc  de  l'attacher  au  poteau,  avec  une  chaîne  au  cou; 
on  lui  mit  un  escabeau  sous  les  pieds,  et  l'on  entassa  le  bois  et  la 
paille  autour  de  lui,  de  telle  sorte  qu'il  en  eut  bientôt  jusqu'au 
menton.  Le  maréchal  de  l'empire,  Pappenheim,  et  le  comte  pa- 
latin l'exhortèrent  encore  une  fois  à  se  rétracter  et  à  sauver  sa 
vie;  mais  comme  il  renouvelait  ses  protestations  d'innocence,  le 
comte  Louis  donna  le  signal  d'allumer  le  feu.  Pour  abréger  au- 
tant que  possible  cette  tragique  scène,  on  avait  versé  de  la  poix 
sur  le  bûcher  :  «  aussi  fît-il  des  contorsions  et  des  cris,  >•  dit 
Reichenthal;  P.  de  Mladenowicz  raconte  au  contraire  qu'au 
milieu  des  flammes  il  chanta  :  Christe,  Fili  Dei  vivi,  miserere 
nobis,  et  qu'après  l'avoir  répété  trois  fois,  il  expira.  iEneas  Syl- 
vius,  qui  fut  pape  depuis  sous  le  nom  de  Pie  II,  rend  d'ailleurs 
hommage  à  son  héroïsme  :  Nemo  philosophorum,  écrit-il  en 
parlant  de  Jean  Hus  et  de  Jérôme  de  Prague,  tam  forti  animo 
mortem  pertulisse  traditur,  quam  isti  incendium  ^  Quand  tout 
fut  terminé,  on  jeta  dans  le  Rhin  les  cendres  et  les  débris  de  ses 
os,  de  sorte  que  la  Bohême  n'en  pût  conserver  aucun  fragment^. 

(1)  iENEAS  Sylvius,  Hist.  Bohem.  c.  36. 

(2)  HôFLER,  Geschichtschr.  1^"  partie,  p.  287,  etc.;  2«  partie,  p.  306,  etc.  — 
Documenta,  p.  321,  etc.  et  557. —  Reichenthal,  fol.  214.  On  a  cru  longtemps 
que  Jean  Hus  avait  été  brûlé  à  l'endroit  où  s'éleva  plus  tard  le  couvent  des 
capucins;  les  récentes  recherches  du  docteur  Eiselein  (Begrûndeter  Aufweis 
des  Platzes,  etc.  J847)  ont  démontré  que  le  lieu  ordinaire  des  supplices,  où 
eut  lieu  cette  exécution,  se  trouvait  à  environ  mille  pieds  de  l'ancien  couvent 
des  capucins,  au  milieu  du  petit  faubourg  de  Bruel  (aussi  Reichenthal  écrit-il 
«  en  plein  champ  »).  Dans  un  appendice,  Eiselein  blâme  la  supercherie  d'un 
ancien  antiquaire  de  Constance,  nommé  Gastell,  qui  prétendait  avoir  décou- 
vert le  tombeau  de  Jean  Hus  dans  l'emplacement  du  couvent.  Cette  pierre  ne 
portait  que  les  lettres  I.  H.  et  la  date  1415;  mais  la  forme  même  des  lettres 
et  des  chiffres  en  ont  trahi  l'origine.  En  terminant,  Eiselein  signale  encore 
une  autre  imposture,  lui  1846.  fut  publié  à  Reutlingen  un  opuscule  sous  ce 
titre  :  Derniers  jours  et  supplice  de  Hus,  d'après  les  lettres  de  Pogius  à  L.  Nico- 
lai,  imprimé  pour  la  première  fois  à  Constance  en  1523.  Or  le  savant  italien 


516  MOHT   DE   HUS    {6   JUILLET    1415). 

D'après  une  tradition,  Hus  était  déjà  au  milieu  des  flammes, 
quand  il  vit  s'approcher  une  pauvre  vieille  femme  qui  vint 
apporter  un  morceau  de  bois  au  bûcher  (Stumpff,  des  gros- 
sen,  etc.  Conciliums  zu  Constanz...  Deschreybung^  etc.  fol.  114)  : 
0  sancta  simplicitasl  se  serait-il  alors  écrié.  Quant  à  la  pré- 
diction de  l'apparition  de  Luther  qu'il  aurait  faite  en  disant  : 
Hodie  anserem  uritis,  sed  ex  mets  cineribus  nascetur  cygnus, 
quem  non  assare  poteritis^  les  contemporains  n'en  ont  point 
eu  connaissance,  et  elle  paraît  avoir  été  fabriquée  au  temps 
de  Luther.  Cependant  on  la  retrouve  plus  d'une  fois  dans  les 
ouvrages  de  Luther  [Altenburger  Ausg.  t,  Y,  p.  579  ;  t.  YIII, 
p.  864;  t.  IX,  p.  1562)  et  peut-être  n'y  faut-il  voir  qu'une  combi- 
naison de  certaines  phrases  de  Hus  et  de  Jérôme  de  Prague.  Le 
premier  écrivait  en  effet  à  ses  amis  en  1412:  Prius  laqueos,  cita- 
tiones  et  anathemata  anseri  (Hus  en  bohémien  signifie  oie)  pa- 
raverunt,  et  jam  nonnullis  ex  vobis  insidiantur.  Sed  quia  anscTy 
animal  cictir,  avis  domestica^  suprema  volatu  suo  non  pertin- 
gens,  eorum  laqueos  [non]  rupit,  nihilominus  ali^e  aves,  qu^ 

VERBO  DEI  ET  VITA  VOLATU  SUO  ALTA  PETUNT,  COVUm  iîisidias  COn- 

terunt.  Et  au  même  endroit,  il  ajoutait   :  Pro  uno  ansere  in- 

firmo  et  debili  multos  falcones  et  aquilas misit.  Il  terminait 

à  peu  près  de  la  même  manière  sa  lettre  du  24  juin  1415  :  «  J'es- 
père que  Dieu  suscitera  après  ma  mort  des  hommes  plus  puis- 
sants que  moi  qui  découvriront  mieux  que  moi  la  perversité 
de  l'Antéchrist.  »  Quant  à  Jérôme  de  Prague,  au  moment 
de  son  supplice,  il  protesta  en  ces  termes  :  Vobis  certum  est,  me 
inique  et  maligne  condemîiari,  nulla  noxa  etiamnum  inventa. 
Ego  vero  post  fata  mea  vestris  conscientiis  stimulum  infigo  et 
morsum,  ac  appello  ad  celsissimum  simul  et  œquissimum  judicem 
Deum  omnipotentem,  ut  coram  eo  centum  annis  revolutis  res- 

PONDEATIS  MIHI*. 


Poggio,  qui  assistait  au  concile  de  Constance,  a  bien  écrit  une  lettre  à  Leo- 
nardo  Aretino  sur  la  mort  de  Jérôme  de  Prague;  mais  il  n'en  a  jamais  écrit 
sur  la  mort  de  Hus,  et  ses  prétendues  lettres  à  Léonardo  Nicolai  sont  de 
pures  inventions.  11  est  donc  faux  que  la  brochure  de  Reutlingen  ait  été  im- 
primée pour  la  première  fois  à  Constance  en  1523.  On  a  élevé  sur  le  lieu  du 
supplice  de  J.  Hus  un  monument  commémoratif  en  granit. 

(1)  llussii  0pp.  t.  I,  79  a,  p.  121  a,  et  t.  II,  p.  531  b.  —  Documenta,  p.  135 
et  p.  39  sq.  Cf.  Manso,  an  vcrc  de  M.  Luihero  vaticinalus  sit  J.  Eus  dans  Ver- 
mischten  Abhandlungcn,  etc.  (Breslau,  1821,  p.  157).  —  GiESiiLER,  K.  G.  t.  H, 
4,  p.  417.  —  Palacky,  1.  c.  p.  367.  Après  la  Réforme,  on  frappa  des  médailles 
commémoratives  de  cette  prétendue  prophétie. 


MORT  DE   HUS    (6   JUILLET    1415).  517 

La  condamnation  de  Hus  soulève  deux  questions  intéres- 
santes :  l'application  de  la  peine  capitale  aux  hérétiques  et  l'ob- 
servation du  sauf-conduit  délivré  à  Hus.  Quant  au  premier  point, 
souvenons-nous  bien  qu'il  ne  faut  pas  juger  les  affaires  du 
temps  passé,  et  celle-ci  par  conséquent,  avec  les  idées  du  temps 
présent,  mais  que  nous  devons  avant  tout  poser  en  principe 
que  la  législation  criminelle  au  moyen  âge  était  incomparable- 
ment plus  rigoureuse  et  plus  sanglante  que  celle  du  xix*  siècle. 
Des  délits  qui  ne  sont  passibles  aujourd'hui  que  d'une  amende 
légère,  entraînaient  alors  des  tortures  :  nous  en  trouvons  la 
preuve  dans  le  code  pénal  de  Charles-Quint,  édité  en  1532  et 
qui  nous  donne  une  idée  des  rigueurs  de  la  justice  à  cette 
époque.  Aux  termes  de  la  loi  Caroline,  le  blasphème  contre 
Dieu  ou  la  sainte  Vierge  était  puni  de  la  peine  capitale  (§  106); 
la  pédérastie  et  la  sodomie,  de  la  peine  du  feu  (§  116);  la 
magie,  du  dernier  supplice  (§  106).  Nous  trouvons  la  même 
rigueur  dans  la  répression  des  crimes  s'attaquant  à  la  société. 
Ainsi  le  faux  monnayeur,  et  celui  qui  s'était  servi  sciemment  de  la 
fausse  monnaie,  devaient  être  brûlés  ;  le  falsificateur  des  poids  et 
mesures  était  déchiré  à  coups  de  verges,  et,  dans  certains  cas 
plus  graves,  mis  à  mort  (§§111  et  1 13).  Le  vol  avec  effraction 
était  puni  de  la  corde,  ou  bien  le  coupable  avait  les  yeux  crevés, 
les  mains  coupées,  etc.  La  récidive  de  tout  vol  entraînait  la 
peine  capitale  (§§  159  et  162).  De  même  en  France,  les 
moindres  attentats  contre  la  sûreté  des  routes  étaient  punis 
de  mort,  et  l'on  sait  avec  quelle  rigueur  on  traitait  alors  les 
braconniers.  On  ne  doit  pas  ignorer  non  plus  que  la  justice 
civile  au  moyen  âge  prononçait  unanimement  la  peine  de 
mort  contre  le  crime  d'hérésie.  Telle  est  la  disposition  des  codes 
de  Saxe  et  de  Souabe,  aux  termes  desquels  l'hérétique  qui  aura 
été  convaincu  par  le  juge  ecclésiastique,  doit  être  livré  au 
bras  séculier  et  brûlé  sur  le  bûchera  Les  ordonnances  de  l'em- 
pereur Frédéric  II  de  Hohenstaufen  tiennent  identiquement  le 
même  langage,  et  certes  on  n'accusera  pas  ce  prince  de  fana- 
tisme. Dès  l'année  1220,  aussitôt  après  son  couronnement,  il 
décréta  que  les.  cathares,  patarins,  speronistes,   etc.,  et  tous 


'I)  Der  Schwabenspiegel  oder  schioùb.  Land-und  Leheii-Rechtsbiich,  édhé  "par 
Lassberg,  1840^  p.  136,  §  313.  —  Ber  Sachsenspiegel,  etc.  édité  par  le  docteur 
Sachsse,  Heidelberg,  1848,  livre  II,  art.  14,^§  7,  p.  135. 


518  MORT   DE   HUS   (6   JUILLET    1415). 

autres  hérétiques  seraient  frappés  d'infamie,  mis  au  banc  de 
l'empire,  et  leurs  biens  confisqués.  »  Onze  ans  après,  il  renouvela 
cet  édit  (l'^31),  et  en  promulgua  un  second  dans  lequel  il  consti- 
tuait les  dominicains  inquisitores  hœreticœ  pravitatis  pour  tout 
le  territoire  de  l'Allemagne,  les  prenait  sous  sa  spéciale  pro- 
tee.tion,  en  les  recommandant  aux  fidèles,  et  s'exprimait  sur  le 
compte  des  hérétiques  avec  une  violence  que  Torquemada  n'a 
certes  pas  dépassée.  C'était  pour  lui,  disait-il,  un  devoir  sacré 
que  de  poursuivre  ces  vipereos  perfidiœ  filios,  et  de  ne  pas 
laisser  plus  longtemps  la  vie  à  ces  maleftcos.  En  conséquence, 
tous  ceux  qui  avaient  été  condamnés  par  l'Église  et  livrés  au 
bras  séculier  subissaient  la  peine  du  feu,  et  ceux  que  la  crainte 
de  la  mort  faisait  reculer  devaient  passer  leur  vie  dans  une 
prison  perpétuelle  ' . 

On  ne  fît  qu'appliquer  littéralement  à  Hus  cette  loi  de  Fré- 
déric II,  aux  termes  de  laquelle  on  ne  lui  laissa  d'autre  alter- 
native qu'une  abjuration  suivie  d'une  détention  perpétuelle  ou 
la  mort.  Gomme  tous  ses  contemporains,  Hus  s'en  tenait  à  cette 
conception  du  droit  criminel,  et  il  répéta  plusieurs  fois  à  qui 
voulut  l'entendre  :  «  Si  mes  doctrines  sont  vraiment  erronées, 
je  mérite  la  mort;  mais  si  on  me  reproche  injustement  d'être 
hérétique,  mes  accusateurs^  d'après  la  loi  du  talion,  doivent 
aussi  la  subir.  »  Cette  manière  d'envisager  l'application  de  la 
peine  de  mort  au  crime  d'hérésie  subsista  bien  longtemps  après 
Hus,  chez  les  réformateurs  aussi  bien  que  chez  les  dominicains. 
J'en  citerai  pour  preuve  Michel  Servet;  dès  l'année  1531,  un 
réformateur  bien  connu,  Bucer,  ne  déclarait-il  pas  en  chaire, 
à  Strasbourg,  que  ce  Michel  Servet  méritait  la  mort  la  plus 
ignominieuse,  pour  avoir  écrit  son  traité  contre  la  Trinité  ?  Et 
Calvin  montra  bien,  vingt  ans  après,  que  ce  n'étaient  pas  des 
violences  de  langage,  lorsqu'il  fit  brûler,  le  27  octobre  1553,  à 
petit  feu,  au  milieu  des  plus  affreux  tourments,  ce  même  Servet 
qu'il  accusait  d'hérésie.  »  Il  crut  d'ailleurs  devoir  se  justifier  de 
cette  rigueur,  en  publiant  sa  Fidelis  Expositio  errorum  M.  Serveti 


(1)  Cf.  IIuiLL.  Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t,  IV,  p.  298  sqq.  — 
Pertz,  Leg.  t.  H,  p.  285.  La  législation  de  Frédéric  pour  son  royaume  hérédi- 
taire des  Deux-Siciles  n'était  pas  moin:  rigoureuse.  «  Les  hérétiques,  y  est-il 
dit,  doivent  être  punis  aussi  sévèrement  que  les  criminels  de  lèse-majesté, 
car  ils  se  rendent  coupables  tout  à  la  ibis  envers  Dieu,  envers  le  prochain 
et  envers  eux-mêmes.  » 


MORT  DE  HUS   (6  JUILLET    1416).  519 

et  brevis  eorum  refutatio,  dans  laquelle  il  enseigne  que  les  héré- 
tiques doivent  être  traités  par  le  glaive,  jure  gladii  coercendos 
esse  hœreticos.  Tiiéodore  de  Bèze  écrivit  aussi  un  traité  de 
hœreticis  a  magistratu  civili  puniendis.  Mélanchton  lui-même, 
le  «  doux  »  Mélanchton,  s'exprime  ainsi,  dans  une  lettre  à  Calvin, 
sur  la  mort  de  Michel  Servet:  «  J'ai  lu  le  traité  dans  lequel  vous 
avez  réfuté  en  détail  les  détestables  blasphèmes  de  Servet,  et  je 
rends  grâces  au  Fils  de  Dieu  de  vous  avoir  fait  remporter  la 
palme  dans  cette  lutte  ;  l'Église  vous  en  doit  une  reconnaissance 
éternelle.  Je  souscris  ensuite  de  tout  cœur  à  votre  sentence, 
et  suis  d'avis  que  vous  avez  fait  un  usage  parfaitement  légitime 
de  votre  autorité  en  livrant  au  bourreau,  après  toutes  les  infor- 
mations juridiques,  un  si  affreux  blasphémateur  ^ .  » 

Il  faut  donc,  si  l'on  veut  être  équitable,  se  placer,  pour  juger 
l'affaire  de  Hus,  au  point  de  vue  unanimement  adopté  par  ses 
contemporains  ;  mais  cette  considération  ne  nous  empêche  pas  de 
regretter  vivement  le  caractère  draconien  d'une  pareille  législa- 
tion civile,  d'autant  plus  que  son  application  n'a  fait  qu'entraîner 
pour  l'Église  les  plus  déplorables  conséquences,  et  susciter  dans 
la  suite  jusqu'à  nos  jours  mille  et  mille  confusions. 

D'après  tout  ce  que  nous  venons  de  voir,  il  est  facile  de  deviner 
à  quel  sort  devait  s'attendre  un  hérétique  convaincu  et  refusant 
de  se  soumettre.  Que  d'ailleurs  les  intentions  de  Hus  aient  été 
droites,  nous  ne  voulons  pas  le  nier:  il  s'imagina  être  appelé  à 
guérir  les  graves  blessures  dont  l'Église  était  alors  atteinte,  et 
crut  certainement  à  la  réalité  de  sa  mission,  car  un  imposteur 
ne  serait  pas  mort  comme  il  mourut.  Mais  il  ne  faut  pas  se  dissi- 
muler que  ses  idées  de  réforme  ébranlaient  l'Église  par  la  base, 
et  que  ces  dangereuses  rêveries  n'allaient  à  rien  moins  qu'à 
bouleverser  tous  les  éléments  de  l'ordre  religieux  et  social;  il 
avait  bien  espéré  faire  approuver  par  un  concile  ses  inspirations 
réformatrices;  mais  si  les  Pères  de  Constance  tranchaient  aisé- 
ment les  questions  de  la  discipline,  ils  se  tenaient  très-étroite- 
ment  attachés  au  dogme,  et  les  propositions  de  Hus  parurent 
aux  plus  éclairés  d'entre  eux,  comme  Gerson  et  d'Ailly,  de  véri- 
tables et  intolérables  hérésies.  H  partait  en  effet  d'un  tout  autre 


(i)  Cf.  l'ouvrage  de  Mgr  Héfélé  Der  cardinal  Ximènes,  etc.  2^  édit.  1851, 
p.  291,  etc. 


520  MORT   DE   HUS    (6   JUILLET    1415). 

principe  qu'eux  et  les  autres  partisans  de  la  réforme  à  cette 
époque.  Ceux-ci  sauvegardaient  aussi  précieusement  que  lo 
dogme,  l'autorité  de  l'Église,  et  c'était  d'elle  qu'ils  attendaient 
la  correction  des  abus,  tandis  que  Hus  accordait  la  suprématie 
au  sens  intime,  à  la  raison  d'un  chacun,  et  s'il  a  déclaré  cent 
fois  qu'il  recevrait  volontiers  les  leçons  et  voulait  se  soumettre 
aux  décisions  du  concile,  il  n'en  a  pas  moins  laissé  paraître  la 
plus  formelle  contradiction  entre  ses  affirmations  et  sa  conduite. 
Il  ne  voulait  donc  ni  accepter  l'autorité  de  l'Église,  ni  obéir  à  ses 
jugements,  mais  il  désirait  entrer  en  discussion  avec  le  concile, 
et  ne  consentait  à  se  soumettre  que  si  on  pouvait  le  réfuter 
par  la  Bible,  et  lui  apporter  des  textes  de  l'Écriture  assez  forts 
pour  détruire  ses  thèses.  On  comprend  facilement  que  les  Pères 
ne  pouvaient  accueillir  de  telles  prétentions,  ni  établir  une  parité 
entre  l'autorité  souveraine  de  l'Église  et  l'opinion  d'un  simple 
particulier.  Au  premier  principe  protestant  la  raison,  le  sens 
intime  de  chacun,  la  subjectivité,  Hus  ajouta  donc  le  second, 
qui  est  l'autorité  exclusive  de  la  Bible.  Aussi,  bien  qu'il  puisse 
produire  une  série  d'articles  disciplinaires  et  dogmatiques  qui 
n'ont  pas  le  moindre  rapport  avec  le  protestantisme,  et  reven- 
diquer avec  raison  son  orthodoxie  sur  ces  matières,  il  n'en 
demeure  pas  moins,  sur  les  deux  points  fondamentaux,  le  vrai 
précurseur  de  la  réforme,  et  tous  les  membres  du  concile  un 
peu  versés  dans  la  théologie  ont  bien  dû  mesurer  la  distance 
qui  le  séparait  d'eux.  Ajoutez  à  cela  que  ses  doctrines  mena- 
çaient directement  l'œuvre  capitale  des  Pères  de  Constance, 
pour  laquelle  ils  avaient  tant  fait,  et  n'avaient  pas  reculé  devant 
la  mesure  inouïe  d'une  déposition  papale.  Hus  n'avait-il  donc  pas 
déjà  bouleversé  l'Église  de  Bohême ,  et  devait-on  le  laisser  impuné- 
ment Hemer  dans  toute  l'Europe  de  nouveaux  germes  de  trouble  ? 
n  a  sacrifié  sa  vie  à  ses  convictions;  cet  héroïsme  rachète 
les  défauts  qui  déparent  son  caractère,  c'est-à-dire  sa  violence 
présomptueuse  et  le  haineux  mépris  de  ses  adversaires.  N'ou- 
blions pas  cependant  qu'il  se  vit  placé  dans  l'alternative  de  dé- 
truire entièrement  par  une  abjuration  le  prestige  qu'il  exerçait 
sur  ses  compatriotes  et  ses  amis,  ou,  comme  il  le  dit  lui-même,  de 
sauver  au  moins  l'honneur  de  son  nom  *  par  le  sacrifice  de  sa  vie. 


(1)  Cf.  HôFLEB,  1.  c.  3^  partie,  p.  113. 


f 


MORT  DE  HUS   (6  JUILLET   1415  ).  521 

La  seconde  question  qui  doit  attirer  plus  sérieusement  notre 
attention  est  celle  du  sauf-conduit,  qui  a  suscité  dès  l'origine 
la  plus  ardente  controverse  ^  parce  qu'on  n'a  pas  assez  distingué 
le  sauf-conduit  proprement  dit  d'un  acte  qui  s'en  rapproche 
[Geleitsbrief).  Déjà,  lorsqu'il  était  encore  en  Lombardie  pour 
s'entendre  avec  Jean  XXIII  sur  la  convocation  du  concile  de 
Constance,  Sigismond  avait  envoyé  à  Hus  quelques  seigneurs 
tchèques  "^  pour  l'engager  à  venir  à  Constance  et  lui  promettre 
un  sauf-conduit  de  la  part  de  l'empereur.  C'est  un  disciple  de 
Hus,  P.  de  Mladenowicz,  qui  nous  le  rapporte  ^,  et  Sigismond 
y  fît  lui-même  une  allusion  publique  à  la  congrégation  générale 
du  concile  le  7  juin.  1415,  lorsqu'il  dit  à  Hus  :  «  Quelques-uns 
prétendent  (comme  l'évêque  de  Leitomysl)  que  je  ne  vous  ai 
donné  un  sauf-conduit  que  quinze  jours  après  votre  arrestation 
(28  novembre  1414).  Cela  est  faux,  car  je  vous  l'avais  accordé 
avant  votre  départ  de  Prague,  et  j'avais  chargé  Wenceslas  de 
Duba  et  Jean  de  Chlum  de  vous  accompagner  et  de  vous  pro- 
téger jusqu'à  Constance,  où  vous  veniez  chercher  le  moyen  d'affir- 
mer publiquement  la  pureté  de  vos  croyances  *.  •>  Ce  sauf-conduil 
résultait  donc  d'une  promesse  orale  faite  à  Hus  par  l'empereur,  et 
en  second  lieu  du  mandat  donné  en  son  nom  aux  seigneurs  bohé- 
miens de  garantir  la  sûreté  du  voyage.  Ainsi  le  comprenaient 
ces  derniers  eux-mêmes,  puisque  Jean  de  Chlum  et  Henri  de 
Latzenbock,  dans  la  première  audience  qui  leur  fut  accordée 
par  le  pape  Jean  XXIII,  le  4  novembre,  exposèrent  :  Qualiter 
magistrum  Joh.  Eus  sud  saloo  conductu  Romanorum  et  Hungariœ 
régis  ad  co7icilium  Constantiense  adduxissent  ^.  D'un  autre  côté, 
c'est  une  lettre  formelle  que  Hus  avait  en  vue,  lorsqu'il  disait 
à  Prague  :  «  Je  pars  sans  sauf-conduit,  au  milieu  d'ennemis 
nombreux  et  puissants  ^.  »  Lorsqu'il  fut  arrivé  à  Nuremberg, 


(1)  Cf.  Palacky,  Gesch.  des  Husitenthums,  et  G.  Hôfler,  1868,  p.  101,  etc. 

(2)  Parmi  lesquels  se  trouvait  Henri  Lefl ,  ainsi  que  le  rapporte  Hus  dans 
sa  lettre  xxxiv».  (Hussii  0pp.  1. 1,  p.  87.  —  Documenta,  p.  114,  ep.  70. 

(3)  Hôfler,  Geschichtschreiber  der  Husit.  Bewegung,  f®  part.  p.  115,  au  haut. 
—  Documenta,  p.  237. 

{4i  Hôfler,  1.  c.  p.  218.  —  Documenta,  p.  284  et  plus  haut,  p.  156. 

(5]  Hôfler,  1.  c.  p.  128,  au  haut.  —  Documenta,  p.  246,  au  haut. 

(6)  Le  texte  original  porte,  en  tchèque,  bez  kleitu  {sine  salvo  conductu),  et 
nous  signalons  encore  ici  une  des  nombreuses  infidélités  de  la  traduction 
latine.  (Elle  défigure  en  effet  ce  passage  en  le  rendant  ainsi  :  Proficiscor 
nunc  cum  literis  publicœ  fidei,  a  rege  mihi  datis.)  Hussn  0pp.  t.  I,  p.  72  b, 
ep.  2.  Cf.  Palacky,  Gesch.  von  Bôhmen,  t.  III,  1,  p.  315. —  Documenta,  p.  73. 


522  MORT   DE  HUS   (6  JUILLET    1415). 

on  agita  la  question  de  savoir  s'il  ne  valait  pas  mieux  aller  re- 
joindre l'empereur  sur  leKhin,  pour  venir  avec  lui  à  Constance. 
Mais  ce  détour  ne  fut  pas  adopté,  et  l'on  préféra  envoyer  Duba 
demander  un  sauf-conduit  à  Sigismond.  Ce  dernier  a  prétendu 
dans  la  suite  que  les  choses  se  seraient  passées  tout  autrement 
si  Hus  élait  venu  le  rejoindre  et  l'avait  accompagné  jusqu'à 
Constance  * . 

Dès  son  arrivée  à  Constance,  Hus  écrit  à  ses  amis  (4  no- 
vembre 1414)  :  Venimus  sine  salvo  conductu,  et  deux  jours 
après  :  Veni  sine  salvo  conductu  ^.  A  cette  dernière  phrase 
est  ajouté  le  mot  papœ  ;  ce  qui  fait  :  Veni  sine  salvo  conductu 
papœ;  mais  Palacky  (/.  c.  p.  318)  fait  remarquer  que  c'est 
une  erreur  de  copiste,  et  qu'il  faut  lire  :  Veni  sine  salvo  con- 
ductu iPSE.  C'était  bien  une  manœavre  de  sa  vanité,  que  de 
faire  croire  qu'il  était  venu  à  Constance  sans  aucune  sûreté,  et 
comme  il  affectionnait  l'équivoque,  puisqu'il  parle  lui-même  cent 
fois  de  ses  verhis  œquivocis,  dont  on  ne  pouvait  saisir  le  vrai  sens, 
il  se  sert  encore  ici  d'un  terme  ambigu.  Il  pouvait  dire  qu'il 
n'avait  pas  de  sauf-conduit,  c'est-à-dire  point  de  lettre  de  sûreté; 
mais  il  prend  ce  mot  dans  le  sens  de  garantie,  de  sûreté,  et 
affirme  qu'il  est  venu  sans  en  posséder  aucune.  Ces  vanteries 
furent  très-mal  reçues,  et  lui-même  avouait  dans  sa  49*  lettre, 
qu'elles  étaient  un  des  quatre  principaux  reproches  qu'il  redou- 
tait le  plus.  Ses  amis  devaient  dire  pour  sa  défense  :  1°  qu'à  son 
départ  de  Prague,  il  ne  connaissait  pas  encore  l'ordre  donné  par 
l'empereur  aux  seigneurs  bohémiens  de  l'accompagner,  et  de 
lui  fournir  ainsi  une  sorte  de  sauf-conduit  vivant;  2°  qu'il  n'avait 
reçu  du  pape  aucun  sauf-conduit  ^ .  Cette  dernière  assertion  peut 
faire  supposer  que  l'addition  du  mot  papœ  dans  la  lettre  du 
6  novembre  que  nous  citions  tout  à  l'heure,  a  été  faite  par 
quelques  amis  de  l'accusé. 

Le  sauf-conduit  écrit  fut  accordé  par  l'empereur  à  Spire, 
(18  octobre  1414);  et,  le  5  novembre  %  par  conséquent  plus  de 


(1)  IIoFLER,  1.  c.  l'«part.  p.  106;  2«  part.  p.  272.  (La  date  du  21  avril  1415, 
que  l'on  trouve  ici,  est  inexacte;  c'est  le  21  mars  141 G  qu'il  faut  lire.)  — 
Documenta,  p.  612. 

(2)  HoFLER,  1.  c.  1'^"  partie,  p.  129  et  131.  —  Documenta,  p.  78,  89,  dans  deux 
lettres. 

(3|  IIussii  0pp.  1. 1,  p.  92  i,  ep.  49.  —  Documenta,  p.  89,  ep.  49. 
(4)  Palacky,  Gesch.  von  Bôhmen,  t,  111,  1,  p.  ol8. 


MORT  DE   HUS    (6   JUILLET    1415).  523 

trois  semaines  avant  l'arrestation  de  Hus  (28  novembre),  ce  sauf- 
conduit  arriva  à  Constance,  où  d'ailleurs  il  ne  fut  mis  en  usage 
ni  par  l'accusé  ni  par  ses  protecteurs.  Cependant,  lorsque  l'ar- 
restation fut  ordonnée,  Jean  de  Ghlum  courut  déclarer  au  pape 
qu'il  avait  amené  Jean  Hus  à  Constance,  sous  la  foi  d'un  sauf- 
conduit  du  roi  des  Romains.  Le  pape  répondit  que  l'ordre  d'ar- 
restation n'émanait  pas  de  lui  et  qu'on  lui  avait  pour  ainsi  dire 
forcé  la  main  dans  cette  affaire^.  De  Clilum  se  montra  plus  expli- 
cite encore  dans  la  protestation  qu'il  fît  afficher  à  Constance,  la 
veille  de  Noël  1414,  et  où  il  déclarait  que  c'était  sous  la  protec- 
tion de  lettres  patentes  du  roi  des  Romains  que  Jean  Hus  était 
venu  à  Constance  ^.  C'est  alors  qu'il  fit  voir  le  sauf-conduit  à 
plusieurs  comtes,  évêques  et  nobles  citoyens  de  la  ville  de 
Constance^. 

L'empereur  Sigismond,  comme  les  seigneurs  de  Bohême,  vit 
dans  cette  arrestation,  opérée  isans  qu'on  eût  pris  soin  de  con- 
vaincre ou  même  d'interroger  l'accusé,  une  violation  du  sauf- 
conduit,  et  il  en  cacha  si  peu  son  mécontentement  à  son  arrivée 
à  Constance  (24  décembre)  qu'il  faillit  s'ensuivre  une  rupture  entre 
lui  et  le  concile.  Si  plus  tard  il  se  calma,  c'est  qu'il  put  reconnaître 
d'un  côté  que  la  conduite  de  Hus  avait  singulièrement  provoqué 
la  mesure  dont  celui-ci  était  victime,  et  de  l'autre,  qu'un  grave 
dissentiment  entre  lui  et  le  concile  ne  pourrait  qu'entraver,  et 
même  nécessjiirement  faire  échouer  le  but  qu'ils  poursuivaient 
en  commun,  c'est-à-dire  la  pacification  de  TEgiise  ^.  Toutefois 
■il  exigea  et  obtint  que  les  informations  fussent  conduites  avec 
la  plus  sérieuse  attention. 

Mais,  pour  apprécier  le  véritable  sens  du  sauf-conduit  impérial, 
il  faut  que  nous  en  ayons  le  texte  sous  les  yeux.  Il  fut  rédigé  en 
latin  et  en  allemand;  nous  ne  nous  servirons  que  du  texte  latin, 
et  nous  l'emprunterons  à  P.  de  Mladenowicz,  qui  ne  l'a  certes 
pas  altéré  pour  faire  tort  à  Jean  Hus. 

Sigismundus ,    Dei  gratia  Ro7nanorum  rex,  semper  Augus- 


(1)  D'après  P.  de  Mladenowicz,  dans  Hôfler,  1.  c.  1"  partie,  p.  139.  —  Do- 
cumenta, p.  251. 

(2)  HôFLER,  1,  c.  p.  141.  —  Documenta,  p.  253. 

(3)  HôFLER,  1.  c.  p.  141  et  150,  etc.  —  Documenta,  p.  253  et  261. 

(4)  Plus  tard  (21  avril  1416),  Sigismond  écrivait  de  Paris  aux  seigneurs 
tchèques  :  Si pro  eo  [Hus)  plura  locuti  fuissemus,  concilium  fuisset  annihila- 
tum.  Dans  Hôfler,  1.  c.  2^  partie,  p.  272.  —  Documenta,  p.  612. 


624  MORT   DE  HUS   (6   JUILLET    1415). 

tus...,universis  et  singulis  principihus    ecclesiasticis    et    sœcu- 

laribus,   ducibus,  marchionibus,   comitibus et    officialibus 

quibuscumque  cimtatum ^  oppidorum^  villarum  et  locorun... 
gratiam  regiam  et  omne  honum. 

Venerabiles,  illustres,  nobiles  et  fidèles  dilecti,  honorabilem 
magistrum  Joannem  Eus,  sacrœ  theologiœ  baccalaureum  forma- 
tum  et  artium  magistrum,  prœsentium  ostensorem,  de  regno 
Bohemiœ  ad  concilium  générale  in  civitate  Gonstanticnsi  cele- 
brandum  in  proximo  transeuntem,  quem  etiam  in  nostram  et 

SAGRI  IMPERII  PROTEGTIONEM  REGEPIMUS  ET  TUTELAM,  VOBIS  OMNI- 
BUS ET  VESTRUM  CUILIBET  PLENO  REGOMMENDAMUS  AFFEGTU,  DE- 
SIDERANTES,  QUATENUS  IPSUM,  DUM  AD  VOS  PERVENERIT,  GRATE 
SUSGIPERE,  FAVORABILITER  TRAGTARE,  AG  IN  HIS  QU/E  GELERITATEM 
ET  SEGURITATEM  IPSIUS  GONGERNUNT  ITINERIS,  TAM  PER  TERRAM 
QUAM  PER  AQUAM,  PROMOTIVAM  SIBI  VELITIS  ET  DEBEATIS  OSTENDERE 

VOLUNTATEM,  ïiecnon  ipsum  cum  famulis,  equis,  valisiis,  arne- 
siis  (bagage)  et  aliis  rébus  suis  singulis  per  quoscumque  passus, 
portus,  pontes,  terras,  dominia,  districtus,  jurisdictiones,  civi- 
tates,  oppida,  castra,  villas  et  quœlibet  loca  alia  vestra,  sine 
aliquali  solutione  datii  (redevances),  pedagii  (droit  de  péage), 
telonei,  tributi  et  alio  quovis  solutionis  onere,  omni  prorsus  impe- 
dimenta remoto  transire,  stare,  morari  et  redire  libère  per- 

MITTATIS,  SIBIQUE  ET  SUIS,  DUM  OPUS  FUERIT,  DE  SECURO  ET  SALVO 
VELITIS     ET     DEBEATIS     PROVIDERE     GONDUGTU  ,     ad     IlOnorem    et 

reverentiam  nostrœ  regiœ  majestatis.  Datum  Spirœ  anno  Dni 
MGGGGXIV,  XVIII  die  octobris,  regnorum  nostrorum  anno  : 
Hungariœ,  etc.  XXXIII,  Romanorum  vero  V  ^  » 

Il  résulte  de  ce  texte  que  le  sauf-conduit  devait  procurer  à 
Hus  la  faculté  de  faire  en  sûreté,  avec  le  moins  de  frais  possible, 
à  l'abri  de  toute  violence  illégale  et  en  étant  exempt  de  tous 
droits  de  péage,  le  voyage  de  Gonstance,  afin  de  se  présenter  en 
cette  ville,  devant  ses  juges  ordinaires.  Lorsque  Jean  Hus  avait 
été  cité  à  Rome  il  s'était  excusé  de  n'y  pas  comparaître,  en  allé- 
guant les  embûches  que  ne  manqueraient  pas  de  lui  tendre  ses 
ennemis  personnels;  mais  cette  fois  il  devait  être  protégé  contre 
ces  périls,  d'abord  par  les  seigneurs  bohémiens  qui  lui  faisaient 


(1)  HôFLER,  Geschichtschr.  etc.  1"  partie,  p.  1!5.  —  Documenta,  p.  237  sq 
—  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  12. 


MORT    DE   HUS    (6    JUILLET    1415),  525 

escorte,  puis  par  le  passeport  qu'il  tenait  de  la  bienveillance  im- 
périale. Le  souverain  le  mettait  sous  la  protection  de  l'empire,  le 
recommandait  à  tous  ses  sujets,  nobles  et  manants,  ecclésiastiques 
et  séculiers,  leur  enjoignant  de  lui  faire  bon  accueil  en  tous  lieux, 
de  le  traiter  avec  bienveillance,  de  procurer  par  tous  les  moyens 
la  rapidité  et  la  sécurité  de  son  voyage,  en  vertu  de  son  sauf- 
conduit,  et  de  lui  laisser  toute  liberté  de  s'arrêter,  aller  et  revenir. 
On  prévoyait  en  effet  le  cas  de  son  acquittement,  et  le  retour,  aussi 
bien  que  le  voyage,  était  mis  sous  la  garantie  de  l'empire.  Mais 
on  n'allait  pas  plus  loin,  et  il  était  impossible  de  songer  à  garantir 
quelqu'un  contre  la  sentence  de  ses  juges  ordinaires,  reconnus 
et  librement  réclamés  par  lui  (c'était  le  cas  de  Hus,  comme  il 
l'avait  dit  lui-même  cent  fois).  Ne  serait-il  pas  absurde  de  rédiger 
ainsi  un  sauf-conduit  :  «  Je  m'engage  à  garantir  votre  sûreté  et 
à  vous  procurer  ainsi  les  moyens  de  vous  présenter  devant  votre 
juge  ordinaire,  et  de  lui  répondre  en  pleine  liberté;  mais  tout  ce 
qu'il  décidera  n'aura  aucun  effet  pour  vous?  » 

Le  concile  d'ailleurs  avait  donné  à  ce  sauf-conduit  le  seul 
sens  raisonnable  qu'il  comporte  et  que  nous  venons  d'exposer. 
La  preuve  en  est  par  analogie  dans  ceux  qu'il  accorda  lui-même 
à  Jérôme  de  Prague  et  au  pape  Jean  XXIII.  Il  y  est  expressément 
déclaré  qu'un  sauf-conduit  ne  garantit  que  des  violences  illégales, 
et  nullement  de  l'action  régulière  de  la  justice.  Tel  était  aussi  le 
sentiment  du  roi  d'Aragon,  lorsqu'il  écrivait  à  Sigismond  qu'un 
sauf-conduit  ne  pouvait  soustraire  personne  à  un  châtiment  mé- 
rité. Les  paroles  de  l'empereur  que  nous  avons  citées  plus  haut  ne 
laissent  non  plus  aucun  doute  sur  sa  manière  de  voir  à  cet  égard. 
Il  crut  d'abord  qu'on  avait  violé  son  sauf-conduit  en  arrêtant  Jean 
Hus  sans  avoir  pris  la  peine  de  le  convaincre,  ni  même  de  l'inter- 
roger, et  c'en  eût  été  en  effet  une  violation  manifeste  si  la  conduite 
de  l'accusé  n'avait  rendu  cette  mesure  indispensable;  mais  quand 
il  eût  acquis  la  conviction  de  cette  nécessité,  Sigismond  ne  con- 
serva plus  l'ombre  d'un  doute.  Il  comprit  parfaitement  qu'il 
devait  se  conformer,  dans  ses  rapports  avec  Hus,  à  la  décision 
du  concile,  et  ne  se  crut  aucunement  obligé  par  son  sauf-conduit, 
de  le  soustraire  à  ses  juges  légitimes  pour  le  renvoyer  libre  en 
Bohême,  quelle  que  fût  d'ailleurs  leur  sentence.  Il  lui  dit  en  effet, 
le  7  juin  1415,  comme  nous  l'avons  déjà  rapporté  :  «  J'ai  garanti 
votre  sûreté  avant  votre  départ  de  Prague,  et  j'ai  chargé  à  cet 
effet  Wenceslas  de  Duba  et  Jean  de  Ghlum  de  vous  accompagner 


526  MORT   DE  HUS   (6    JUILLET    1415). 

et  de  vous  faire  escorte  jusqu'à  Constance,  afin  que  vous  puissiez 
y  venir  librement  demander  audience  et  rendre  publiquement 
compte  de  votre  foi.  Vous  en  avez  eu  la  faculté,  et  l'on  vous  a 
accordé  audience  publique,  avec  bienveillance  et  ménagements. 
Je  remercie  le  concile  de  vous  avoir  témoigné  ces  égards,  car 
quelques-uns  prétendaient  que  je  n'aurais  dû  promettre  aucune 
sûreté  à  un  hérétique,  ou  tout  au  moins  à  un  homme  soupçonné 
d'hérésie.  Je  vous  conseille  donc,  comme  l'a  déjà  fait  le  cardinal 

(d'Ailly),  de  ne  pas  vous  obstiner  plus  longtemps Mais  si 

vous  voulez  résister,  malheur  à  vous.  Ceux-ci  (les  Pères  du  con- 
cile) savent  bien  ce  qu'ils  auront  à  faire,  et  je  leur  déclare  que 
je  ne  prendrai  la  défense  d^ aucun  hérétique,  mais  que  je  ferai 
périr  sur  le  bûcher  quiconque  s'obstinera  dans  son  erreur. 
Sigismond  prononça  ces  paroles  en  présence  de  Hus,  qui 
n'éleva  aucune  objection  contre  cette  manière  d'interpréter  le 
sauf-conduit.  Remarquons  d'ailleurs  que  ni  lui  ni  ses  amis 
de  Bohême  n'avaient  protesté  le  13  avril  1415,  quand,  à  propos 
des  partisans  de  Jean  XXIII,  l'empereur  déclara  nulles  et  sans 
effet  toutes  les  lettres  de  sûreté  délivrées  jusque-là.  «  Mais, 
dira-t-on,  Sigismond  ne  rougit-il  pas,  le  6  juillet,  jour  de 
la  sentence,  lorsque  Hus  fixa  les  yeux  sur  lui,  et  cette  rou- 
geur ne  trahissait-elle  pas  les  remords  de  sa  conscience,  qui  lui 
reprochait  d'avoir  violé  la  parole  donnée?  »  Il  est  vrai  qu'on 
a  donné  à  l'incident  cette  explication,  que  l'histoire  a  adoptée  et 
dont  s'inspira  Charles-Quint  pour  répondre  à  ceux  qui  le  pres- 
saient de  faire  arrêter  Luther  à  Worms  :  «  Je  ne  veux  pas  avoir 
à  rougir  comme  Sigismond,  mon  prédécesseur  K  »  Mais  nous 
ferons  observer  d'abord,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  qu'un 
disciple  de  Hus,  P.  de  Mladenowicz,  sous  les  yeux  duquel 
la  scène  aurait  dû  cependant  se  passer,  n'y  fait  pas  la  moindre 
allusion  dans  son  histoire  détaillée  de  Jean  Hus  [Eistoria  de 
fatis  et  actis  M.  Joa?i.  Hus),  et  en  second  lieu,  que  cette  anecdote 
se  trouve  seulement  dans  une  courte  relation  écrite  en  tchèque 
pour  le  peuple,  et  transcrite  en  latin  dans  le  recueil  intitulé 
Eistoria  et  Monumenta  que  l'on  cite  au  nombre  des  œuvres 
de  Hus  (t.  II,  p.  515-520).  Enfin,  quand  même  la  chose  serait 


(1)  AscHBAGH,  Gesch.  Kônig.  Sigismimds,  t.  II,  p.  123.  —  Palacky,  t.  III,  1, 
p.  364. 


MORT   DE  HUS    (6  JUILLET    1415).  52? 

arrivée,  en  faudrait-il  conclure  que  ce  furent  ses  remords  qui 
causèrent  à  l'empereur  cette  émotion?  n'y  a-t-il  pas  mille  autres 
causes  pour  lesquelles  on  peut  rougir  ? 

Yoyons  maintenant  comment  les  seigneurs  bohémiens  avaient 
compris  le  sauf-conduit.  En  février  1415,  ils  écrivirent  à  Sigis- 
mond,  au  sujet  de  l'arrestation  de  Hus,  en  s'en  montrant  fort 
irrités,  et  en  réclamant,  en  vertu  de  la  parole  impériale,  l'élar- 
gissement immédiat  et  public  du  prisonnier,  et  sa  libre  compa- 
rution devant  le  concile.  «  Il  faut  d'abord,  continuent-ils,  que 
l'accusé  soit  convaincu  par  les  moyens  de  droit  et  les  preuves 
juridiques  ;  on  sera  libre  ensuite  de  lui  appliquer  les  prescriptions 
de  la  loi  K  »  Peu  de  mois  après,  en  mai  1415,  les  seigneurs 
bohémiens  présents  à  Constance,  et  à  leur  tête  Henri  de  Latzen- 
bock  et  Jean  de  Ghlum,  adressèrent  au  concile  une  protestation 
tout  à  fait  analogue  et  fondée  sur  les  mêmes  motifs,  contre  l'ar- 
restation de  leur  compatriote;  la  conclusion  était  aussi  la  même  : 
si  convictus  fiierit,  pertinaciter  aliquid  contra  Scripturam  sa- 
cram  et  veritatem  asserere,  quod  id  juxta  decisionem  et  instrii- 
ctionem  concilii  debeat  emendare  ^,  c'est-à-dire  que  si  l'accusé 
ne  se  soumettait  pas  au  concile,  il  devait  subir  la  peine  de  son 
obstination;  c'est  la  conséquence  nécessaire  du  debeat  emen- 
dare. Dans  une  seconde  requête  du  18  mai,  les  mêmes  person- 
nages se  plaignaient   de   ce  qu'on  eût  arrêté  Hus  avant  de 
l'avoir  condamné  ;  mais   la  preuve   qu'ils   ne  niaient  pas  les 
conséquences  d'une  condamnation,  c'est  que,  dans  l'entrevue 
qu'ils  eurent  avec  lui  la  veille  de  sa  mort,  ils  ne  songèrent  nul- 
lement à  invoquer  le  sauf-conduit  pour  protester  contre  les 
rigueurs  imminentes  du  supplice,  mais  parurent  convaincus 
qu'une  plus  longue  résistance  entraînerait  sa  perte.  Bien  plus, 
dans  la  lettre  violente  publiée  par  les  nobles  tchèques  contre 
le  concile  après  l'exécution  de  leur  maître  (2  sept.  1415),  on 
ne  trouve  aucune  allusion  à  cette  prétendue  violation  du  sauf- 
conduit^,  ce  qui  a  fait  dire  justement  à  Palacky:  «<  Les  Bohé- 
miens ne  reprochèrent  pas  à  Sigismond  de  n'avoir  pas  défendu 
un  hérétique  contre  la  sentence  qui  le  frappait  et  le  supplice 


(1)  HôFLER,  Geschichtsclir.  etc.  f^  partie,  p.  171,  etc.  —  Documenta,  p.  536, 
au  haut,  ep.  65. 

(2)  HôFLER,  1.  c.  p.  146.  —  Documenta,  p.  257. 
(B)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  495. 


628  MORT    DE   HUS    (6   JUILLET    1415). 

dont  elle  devait  être  suivie,  car  le  fameux  sauf-conduit  n'avait 
jamais  eu  ce  sens,  et  il  ne  pouvait  être  question  de  sa  viola- 
tion; mais  ce  dont  ils  se  souvinrent  toujours,  c'est  qu'au  lieu 
de  jouer  le  rôle  de  médiateur,  l'empereur  avait  excité  plutôt 
le  ressentiment  des  Pères  ' .  »  Ce  n'est  que  dans  une  lettre  du 
8  mai  1415,  adressée  à  l'empereur  par  la  noblesse  de  Bohême 
et  de  Moravie,  que  nous  rencontrons  un  passage  susceptible 
d'une  interprétation  différente.  On  s'y  plaint  encore  de  l'arres- 
tation de  Hus,  qui  fera  juger  étrangement  l'empereur  et  son 
sauf-conduit.  «  Ne  serait- il  pas  bien  plus  avantageux  pour  Sa 
Majesté,  ajoute-t-on,  de  procurer  à  Hus  la  faculté  de  rentrer 
librement  dans  sa  patrie?  »  Ce  n'est  évidemment  là  qu'un  écho 
de  la  54^  lettre  de  Hus,  et  rien  n'était  plus  naturel  aux  amis  du 
prisonnier,  que  de  désirer  son  retour  en  Bohême;  cependant  ils 
n'osèrent  pas  prétendre  que  l'empereur  se  fût  engagé  par  son 
sauf-conduit  à  l'y  faire  revenir. 

Si  nous  examinons  maintenant  l'opinion  de  Hus  lui-même, 
nous  y  découvrirons  les  traces  de  cette  inconséquence  que  nous 
avons  déjà  rencontrée  chez  lui.  De  même  qu'après  avoir  toujours 
protesté  de  son  obéissance  au  concile,  il  finit  par  lui  désobéir, 
de  même  il  tombe,  à  l'égard  du  sauf-conduit,  dans  les  plus  étranges 
contradictions.  A  son  départ  de  Prague  pour  Constance,  il  avait 
publié  en  tchèque  deux  proclamations,  où  il  disait  :  «  Si  le 
concile  me  juge  coupable  d'erreur  ou  d'hérésie,  je  consens  à 
porter  la  peine  de  mon  crime  ^  ;  »  tandis  que  dans  une  proclama- 
tion latine  il  s'écriait  que  «  quiconque  se  poserait  comme  son 
accusateur,  devrait  être  soumis  à  la  loi  du  talion,  »  c'est-à-dire, 
en  cas  de  fausse  accusation,  encourir  la  peine  que  le  coupable 
aurait  eu  lui-même  à  subir  ^.  Tel  était  aussi  le  sens  de  la  pro- 
fession de  foi  écrite  qu'il  rédigea  le  l*""  septembre  1414  ^  Dès 
son  arrivée  à  Constance,  il  s'empressa,  par  cette  profession  de 
foi,  de  déclarer  aux  cardinaux  qu'il  détestait  toutes  les  erreurs, 
et  que  si  on  pouvait  en  découvrir  quelqu'une  dans  ses  ouvrages, 
il  était  prêt  à  la  corriger  aussitôt  et  à  en  faire  pénitence.  » 
N'était-ce  pas  prononcer  implicitement  sa  propre  sentence? 


1)  Palacky,  Gesch  von  Bôhmen,  t.  III,  i,  p.  357. 

'l)  HiJFLER,  Geschichtschr.  1"  partie,  p.  117  et  IIS.   —  Docum.  p.  G7  et  69. 

(3)  IlÔFLER,  1.  c.  !'■«  partie,  p.  116,  et  3«  partie,  p.  73.  —  Documenta,  p.  66. 

(4)  HÔFLEB,  1.  c.  i""  partie,  p.  166,  au  bas.  —  Documenta,  p.  20,  ep.  9. 


MORT   DE   HLB    (6   JUILLET    1415),  529 

Cependant  il  y  a  deux  autres  endroits  où  il  donne  au  sauf-conduit 
une  interprétation  différente  :  c'est  d'abord  dans  la  lettre  54% 
qui  remonte  aux  trois  premiers  mois  de  l'année  1415.  Il  y 
émet  pour  la  première  fois  cette  assertion  :  «  Sigismond  m'a 
promis  de  me  faire  revenir  sain  et  sauf  en  Bohême  {ut  salvus  ad 
Bohemiam  redirem)  ^  «  Une  lettre  postérieure,  du  mois  de  juin, 
est  plus  explicite  encore  :  «  Sigismond,  y  est-il  dit,  m'a  promis 
de  me  faire  obtenir  une  autre  audience,  mais  il  n'observera  sans 
doute  pas  mieux  sa  parole  que  son  sauf-conduit.  On  m'en  avait 
déjà  prévenu  en  Bohême;  au  moins  aurait-il  pu  suivre  l'exemple 
de  Pilate,  qui  ne  trouva  point  de  crime  dans  le  Christ.  Voici  ce 
qu'il  aurait  dû  dire  :  «  Je  lui  donne  un  sauf-conduit,  si  donc  il 
a  ne  veut  pas  se  soumettre  à  la  décision  du  concile,  je  le  renver- 
«  rai,  avec  votre  sentence  et  vos  attestations,  au  roi  de  Bohême, 
«  qui  le  jugera  lui-même  avec  le  concours  de  son  clergé.  »  Plus 
loin,  Hus  ajoute  :  «  Ainsi  Sigismond  m'a  fait  dire  par  Henri  Lefl  et 
par  d'autres,  qu'il  voulait  me  faire  accorder  assez  d'audiences,  et 
me  faire  retourner  sain  et  sauf  en  Bohême  si  je  refusais  de  me 
soumettre  à  la  décision  du  concile  »  {et  si  me  non  submitterem 
judiciOy  quod  vellet  me  salvum  dirigera  vice  versa)  ^. 

Les  paroles  de  P.  Mladenov^icz  :  «  Ut e  conversa  redire  ad 

Bohemiam  possit  ^,  »  prouvent  qu'il  croyait  aussi  à  l'existence  de 
cette  promesse  ;  mais  il  se  sera  sans  doute  inspiré  de  Hjis,  car  Jean 
de  Chlum  et  Wenceslas  de  Duba  ne  font  aucune  mention  d'un 
pareil  engagement.  Autre  eût  été  certainement  le  langage  de 
Hus  quand  Sigismond  lui  déclara  publiquement  les  sentiments  qui 
l'animaient,  autre  eût  été  celui  delà  noblesse  de  Bohême,  que  le 
supplice  avait  tant  irritée,  si  cette  promesse  avait  été  réellement 
faite.  Sans  doute  il  est  possible  que  Henri  Lefl,  ou  quelque  autre 
des  seigneurs  bohémiens  envoyés  de  Lombardie  auprès  de  Hus, 
ait  employé  des  expressions  capables  de  recevoir  un  pareil  sens; 
mais  peut-on  supposer  que  Sigismond  ait  pris  un  pareil  engage- 
ment, quand  il  savait  d'avance  qu'il  n'en  pouvait  prendre  aucun, 
et  qu'une  telle  promesse  devait  nécessairement  l'entraîoer  dans 
mille  complications?  C'est  ce  qui  fait  dire  à  Palacky  «  qu'il  n'est 
pas  probable  que  Sigismond  se  soit  lié  les  mains  de  la  sorte,  et 


(!)  Husbii  0pp.  1. 1,  p.  95,  ep.  54.  —  Documenta,  p.  91,  ep.  50,  vers  la  fin. 

(2)  Htjssii  0pp.  1. 1,  p.  87  sq.  ep.  34.  —  Documenta,  p.  114,  ep.  70. 

(3)  HôFLER,  1.  c.  1^®  partie,  p.  U5,  au  haut.  —  Documenta,  p.  237. 

T.  X .    34 


530  MORT   DE   HUS   (6   JUILLET    1415). 

que  s'il  l'a  fait,  on  devait  d'autant  moins  se  fier  à  une  promesse 
aussi  inconsidérée  qu'elle  dépassait  non-seulement  ses  droits, 
mais  encore  sa  puissance  »  ^ .  Nous  ajoutons  qu'elle  eût  blessé 
toutes  les  règles  du  droit  et  de  la  procédure,  et  que  d'ailleurs 
la  loi  de  Bohême  à  l'égard  de  l'hérésie  était  absolument  la  même 
que  dans  toutes  les  autres  provinces  de  l'empire  ^. 

Enfin  le  concile  de  Constance  nous  fournit  lui-même  les 
moyens  de  repousser  une  grave  accusation  portée  contre  lui  par 
Gieseler  :  «  Le  concile,  dit  cet  auteur,  pour  justifier  la  con- 
duite de  Sigismond  dans  cette  affaire,  ne  rougit  pas  de  déclarer 
qu'on  n'était  pas  lié  par  la  promesse  faite  à  un  hérétique  ^.  » 
Et  pour  donner  à  cette  assertion  au  moins  l'ombre  d'une  vrai- 
semblance, Gieseler  cite  deux  décrets  du  synode  de  Constance 
rapportés  par  van  derHardt  (t.  IV,  p.  521)  et  Mansi  (t.  XXVII,  p.  791 
et  799),  Le  premier  est  ainsi  conçu  :  «  Si  quelque  personne  soup- 
çonnée d'hérésie  a  reçu  d'un  prince  un  sauf- conduit,  elle  n'en 
demeure  pas  moins  soumise  aux  informations  canoniques,  et  pas- 
sible des  peines  de  droit,  si  elle  est  convaincue  et  demeure  opi- 
niâtre, sans  cependant  que  celui  qui  a  délivré  le  sauf-conduit  soit 
dispensé  de  le  faire  observer  dans  la  mesure  de  son  pouvoir.  »  Il 
est  impossible,  en  se  plaçant  au  point  de  vue  de  l'époque,  de  rien 
trouver  à  reprendre  de  sérieux  dans  ce  décret  ^  ;  mais  on  ne  sau- 
rait trop  blâmer  Gieseler  d'avoir  'grossièrement  offensé  le  concile 
et  la  vérité  elle-même,  en  supprimant  tout  simplement  les  der- 
niers mots  du  décret  qu'il  discute  :  «  Celui  qui  a  déhvré  le  sauf- 
conduit  est  tenu  de  l'observer  dans  la  limite  du  possible.  » 

Si  Gieseler  retranche  une  phrase  authentique,  il  ne  craint  pas 
non  plus  de  commettre  un  faux,  c'est  ce  qu'il  est  aisé  de  constater 
pour  le  second  décret  tout  entier.  Voici  en  effet  ce  qu'il  lui  fait 
dire  :  «  L'obstination  de  Hus  à  combattre  l'enseignement  or- 
thodoxe le  rend  incapable  d'invoquer  tout  sauf-conduit  ou 
privilège,  et  le  droit  naturel,  le  droit  divin  et  le  droit  humain 
défendent  également  d'observer  à  son  égard  tout  engagement  ou 


(1)  Palacky,  Gesch.  von  Bôhmen,  t.  III,  1,  p.  357,  not.  464. 

(2)  Pour  toute  cette  question  du  sauf-conduit,  cf.  Hislorisch-polit.  Bldtter, 
t.  IV,  p.  402,  etc.,  et  Noël  Alkx.  Eist.  ceci,  seculi  xv,  éd.  Venet,  1778,  t.  IX, 
p.  407. 

(3)  Lehrbuch  der  K.-G.  t.  Il,  section  iv,  p.  417  sq. 

(4)  Noël  Alexandre,  dont  on  ne  suspectera  pas  l'indépendance,  a  très-ha- 
bilement défendu  ce  décret  dans  sa  septième  dissertation  de  l'Histoire  de 
l'Eglùe  au  xs^  siècle,  1.  c.  p.  406,  etc. 


1 


RÉTRACTATION   DE  JEROME   DE  PRAGUE.  531 

toute  promesse  qui  tournerait  au  détriment  de  la  foi.  »  Tel  serait 
équivalemment  le  sens  de  la  décision  attribuée  par  Gieseler  au 
concile.  Mais  il  faut  remarquer  que  ce  décret,  découvert  par  van 
der  Hardt,  ne  se  trouve  que  dans  un  seul  Codex  * ,  qu'on  n'indique 
ni  la  session,  ni  même  l'époque  à  laquelle  il  se  rapporte,  et  que 
van  der  Hardt  ne  donne  à  cet  égard  que  des  conjectures.  En  second 
lieu,  ce  prétendu  décret  ne  porte  ni  \q  p lacet  du  concile,  ni  l'ap- 
probation des  délégués  des  nations,  ni  celle  du  cardinal  pré- 
sident :  ce  n'est  évidemment  qu'un  projet  de  décret  rédigé  par 
quelque  Père  et  qui  n'aura  pas  été  adopté;  on  en  rencontre  à 
chaque  instant  de  semblables  dans  les  actes  du  concile.  C'est  ce 
qui  explique  pourquoi  il  est  resté  inconnu  depuis  le  commence- 
ment du  xv^  siècle  jusqu'au  commencement  du  xviii%  et  pourquoi 
le  vrai  décret,  le  premier,  diffère  si  complètement  du  brouillon 
rejeté.  Le  premier  atErme  en  effet  la  validité  du  sauf-conduit, 
le  second  la  nie;  l'un  oblige  le  prince  qui  l'a  concédé  à  tenir  sa 
parole,  l'autre  supprime  d'un  trait  cette  obligation,  sous  prétexte 
qu'elle  ne  saurait  subsister  à  l'égard  d'un  hérétique.  Sur  cette 
question  [d'ailleurs,  on  peut  consulter  Hôfler,  le  savant  auteur 
de  l'article  intitulé  Histor.  polit.  Blœtter,  (Jean  Hus  et  son 
sauf-conduit,  t.  IV,  p.  421  sqq.)  Il  démontre  jusqu'à  l'évidence, 
d'après  les  aveux  de  Wessenberg  lui-même  (appendice  au  second 
livre  de  son  Histoire  des  conciles),  que  la  proposition  relative 
aux  droits  des  hérétiques  ne  saurait  être  rangée  parmi  les  déci- 
sions du  concile,  et  qu'au  sentiment  des  Pères,  le  sauf-conduit 
valable  pour  le  voyage  de  Hus  à  Constance  ne  pouvait  assurer 
son  retour  que  dans  le  cas  d'un  acquittement. 


764. 


SEIZIÈME,  DIX-SEPTIÈME,  DIX-HUITIÈME  ET  DIX-NEUVIÈME  SESSIONS 
GÉNÉRALES  (11,  14  ET  17  JUILLET  ET  23  SEPTEMBRE  1415). 
RÉTRACTATION   DE   JÉRÔME   DE   PRAGUE. 

Aussitôt  après  la  condamnation  de  Hus,  les  nations  se  réunirent 
pour  déterminer  la  manière  dont  il  convenait  de  notifier  cet 
événement  aux  habitants  de  la  Bohême,  et  de  les  éclairer  en 


(1)  Le  Codex  Dorrianus,  à  Vienne.  Mansi  le  reproduit  aussi  (1.  c.  p;  791). 


53  2  RÉTRACTATION    DE   JÉRÔME   DE   PRAGUE.  Ij 

même  temps  sur  les  égarements  de  l'hérétique  et  les  dangers 
de  sa  doctrine.  La  lettre  qu'on  rédigea  à  ce  sujet  ne  fut  cepen- 
dant envoyée  que  le  26  juillet;  encore  manqua-t-elle  complète- 
ment son  but,  comme  nous  le  verrons  plus  tard  '.  On  ordonna 
ensuite  que  des  processions  seraient  faites  pour  le  bien  de 
l'Église  pendant  cinq  jours  à  partir  de  l'exécution  de  Hus.  Sur 
ces  entrefaites  on  trouva  affichée  sur  les  murs  de  la  cathédrale 
une  prétendue  lettre  du  Saint-Esprit  au  concile  où  se  trouvait 
cette  phrase  :  «  Le  Saint-Esprit  n'est  plus  au  milieu  de  vous,  il 
est  occupé  ailleurs  2.  » 

La  seizième  session  générale,  qui  fut  tenue  le  11  juillet  1415, 
offrit  peu  d'intérêt.  L'empereur  allait  se  rendre  à  Nice  pour  y 
conférer  avec  Pierre  de  Luna  (Benoît  XIII)  3;  le  concile  choisit 
donc  dans  son  sein  une  commission  de  délégués,  évêques  et 
docteurs,  chargés  d'accompagner  Sa  Majesté,  sans  qu'il  fût 
question  des  quatre  cardinaux,  que  leurs  collègues  avaient 
d'abord  désignés  à  cet  effet  (28  mai).  Puis  on  décida  que  les 
bulles  relatives  à  l'abdication  de  Grégoire  XII  seraient  transcrites 
sous  la  surveillance  du  concile  et  que  ces  copies  authentiques 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  452  et  485,  etc.—  Mansi,  t.  XXVÏÏ,  p.  781.—  Habd. 
t.  VIII,  p.  442,  etc.  —  HôFLER,  Geschichtschr.  2^  partie,  p.  277,  etc.  —  Bocu- 
menta  M.  Joann.  Hus,  éd.  Palacky,  1869,  p.  568,  etc.  On  fit  plusieurs  copies 
de  cette  lettre.  Nous  voyons  dans  l'exemplaire  adressé  à  l'archevêque  de 
Prague,  à  son  chapitre,  à  ses  suffragants  et  à  tout  le  clergé  de  la  ville,  aussi 
bien  que  dans  ceux  qui! urent  adressés  aux  bourgmestre,  échevins  et  bourgeois 
de  la  cité,  que  l'on  déplore  vivement  les  malheurs  du  temps,  en  particulier 
les  erreurs  de  Wiclif,  qui  a  voulu  renverser  de  fond  en  comble  l'édifice  de  la 
foi  catholique  ;  on  passe  ensuite  à  Hus,  à  Jérôme  de  Prague  et  à  leurs  amis,  qui, 
à  l'imitation  de  Wiclif,  ont  émis  les  plus  funestes  doctrines.  «  Aussi,  poursuit- 
on,  le  concile  a-t-il  examiné,  ingenti  studio  et  maturo  juiicio,  le  moyen  de  dé- 
livrer la  Bofiême  d'hommes  si  pernicieux.  »  Vient  ensuite  le  récit  des  efforts 
tentés  pour  amener  Hus  à  résipiscence,  «  car  on  ne  voulait  pas  la  mort  du 
pécheur.  Mais  tout  a  été  inutile,  et  Hus  n'en  est  devenu  que  plus  opiniâtre 
et  plus  obstiné;  aussi  s'est-on  vu  contraint  de  le  condamner  et  de  le  dégra- 
der en  session  publique,  puis  de  le  remettre  à  la  justice  civile,  qui  l'a  livré 
au  supplice.  Si  donc  quelqu'un  de  ceux  auxquels  cette  lettre  est  adressée 
était  connu  pour  champion  de  ces  dangereuses  hérésies,  qu'il  apprenne  sans 
délai  leur  extirpation  et  s'aille  vite  recommander  à  la  clémence  du  roi.  Car 
ce  prince,  au  dire  de  l'illustre  évêque  de  Leitomysl,  n'a  rien  tant  à  coeur  que 
de  purifier  son  royaume  de  cette  peste  redoutable.  »  On  termine  en  adjurant 
les  destinataires  de  ne  laisser  prêcher  aucun  sectateur  de  Wiclif  ni  de  Hus, 
mais  de  menacer  ceux  qui  attaqueraient  le  concile  ou  défendraient  les  er- 
reurs condamnées,  de  la  colère  céleste  et  des  peines  canoniques.  » 

(2|  Lenfant,  1. 1,  p.  433. 

(3)  Le  voyage  fut  difleré  par  suite  d'un  nouveau  traité  conclu  le  5  juin 
avec  Ferdinand,  roi  d'Aragon.  S.  Dollinger,  Matcrialicn  zur  Gesck.  des  15  und 
16  Jahrh.  Bd.  II,  S.  276  f. 


RÉTRACTATION    DE  JEROME   DE   PRAGUE.  533 

seraient  remises  à  l'empereur  pour  en  faire  usage  dans  les  négo- 
ciations avec  Benoît  III  ;  enfin  que  les  actes  de  la  déposition  et  de 
la  soumission  de  Jean  XXIII  seraient  annexés  aux  procès -verbaux 
officiels  du  concile  et  enregistrés  comme  eux.  Les  évêques  de 
Salisbury,  de  Ploczko,  de  Lavaur  et  de  Pistoie  reçurent  ensuite 
mandat  d'adresser  des  admonestations  sérieuses  aux  membres 
du  concile  absents  sans  permission,  et  de  leur  fixer  un  terme 
pour  revenir;  toutefois  les  présidents  des  nations  furent  autorisés 
à  accorder  des  congés.  On  statua  également  que  les  lettres  de 
justice  [litterœ  de  justitia)  autrefois  expédiées  par  la  cour  pontifi- 
cale, le  seraient  désormais  au  nom  du  concile  et  avec  son  sceau, 
par  le  cardinal  d'Ostie,  président,  et  que  l'intendant  apostolique 
serait  chargé  d'efî'ectuer  sur  les  fonds  de  la  trésorerie  les  paye- 
ments relatifs  aux  cardinaux,  prélats  et  autres  membres  du 
concile.  Enfin  Henri  de  Piro  fit  connaître  à  l'assemblée  que  plu- 
sieurs évêques  et  docteurs  français,  envoyés  par  l'empereur 
auprès  du  roi  de  France  pour  lui  notifier  la  déposition  de 
Jean  XXIII,  avaient  été  assaillis,  maltraités  et  emprisonnés  par 
quelques  seigneurs  lorrains;  quelques  personnes  de  l'escorte 
avaient  même  été  massacrées.  Le  concile  accepta  la  rédaction 
d'une  bulle  relative  à  cet  événement.  On  y  faisait  d'abord  l'ex- 
posé de  la  cause;  puis,  après  avoir  remercié  les  ducs  de  Bar  et 
de  Lorraine  ainsi  que  les  villes  de  Metz,  de  Toul  et  Verdun,  de 
leur  empressement  à  procurer  la  liberté  des  captifs,  on  pronon- 
çait la  peine  de  l'excommunication  contre  les  auteurs  et  com- 
plices d'un  pareil  attentats  Cette  mesure  n'empêcha  pas  un 
seigneur  von  Ende  d'exercer  de  semblables  violences  aux 
environs  de  Constance,  et  ce  ne  fut  qu'à  Pâques  1416  qu'on 
parvint  à  surpendre  et  à  arrêter  le  coupable.  Plusieurs  de  se 
gens  furent  jetés  dans  le  Rhin  à  Schaffhouse,  par  arrêt  du  conseil  ; 
quant  à  lui,  grâce  à  de  hautes  influences,  il  ne  fut  condamné  qu'à 
une  détention  perpétuelle^. 

Trois  jours  après,  14  juillet  1415,  on  tint  la  dix-septième  session 
générale;  l'empereur  y  parut  et  fit  demander  solennellement 
par  le  cardinal  président,  des  prières  pour  l'heureux  succès  de 
son  voyage.  On  promulgua  ensuite  plusieurs  décrets.  En  vertu 


(1)  Mansi,  t.  XXYII,  p.  769-774.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  455-468. 

(2)  V.  D.  Habdt,  t.  II,  p.  443.  —  Reichenthal ,  fol.  28  b.  —  Lenfant,  1.  c. 
p. 573. 


534  RÉTEACTATION    DE   JÉRÔME    DR   PRAGUE. 

du  premier,  Angelo  Gorrario  (Grégoire  XII)  était  d'abord  nommé 
cardinal -évêque  et  légat  perpétuel  dans  la  marche  d'Ancône, 
avec  des  droits  et  des  émoluments  considérables,  puis  déchargé 
de  toute  responsabihté  à  l'égard  du  pouvoir  qu'il  avait  exercé 
comme  pape.  —  Pour  agir  sur  l'esprit  de  Benoît  XIII  on  ajouta 
qu'aucun  cardinal  ne  pourrait  avoir  le  pas  sur  Angelo  Gorrario, 
sauf  le  cas  de  l'abdication  de  Benoît  XIII;  dans  ce  cas,  le  concile, 
aussi  bien  que  le  futur  pape,  pourrait  mettre  ces  deux  person- 
nages sur  le  même  rang  ou  donner  la  prééminence  au  second  *. 

Un  second  décret  menaçait  de  l'excommunication  ceux  qui 
tenteraient  de  contrarier  ou  de  déranger  le  voyage  de  l'empereur^. 
Enfin  le  troisième  statuait  que,  pendant  l'absence  de  Sa  Majesté, 
on  ferait  tous  les  dimanches,  à  Gonstance,  une  procession  solen- 
nelle pour  attirer  les  bénédictions  du  ciel  sur  son  entreprise  ^ 

Sigismond  se  mil  en  route  quelques  jours  après,  emmenant 
avec  lui  seize  prélats  et  docteurs  et  une  suite  de  quatre  mille 
chevaux  ;  à  l'occasion  de  ce  départ,  Gerson  prononça  un  discours, 
que  nous  avons  encore,  sur  l'autorité  du  concile  et  sa  préémi- 
nence à  l'égard  du  pape  ^. 

Peu  de  temps  après  cette  session  (19  juillet  1415),  Jérôme  de 
Prague  subit  un  nouvel  examen  ;  tout  ce  que  nous  en  savons, 
c'est  qu'il  chercha  à  excuser  sa  fuite,  et  que,  interrogé  sur  l'eu- 
charistie, il  soutint  la  permanence  de  la  substance  universelle  du 
pain  [substantia  panis  universalis)^  mais  en  ajoutant  que  sa 
substance  particulière  [substantia  panis  singularis)  était  changée 
au  corps  de  Notre-Seigneur  ^  Le  22  juillet,  une  congrégation 
pubhque  fut  tenue  pour  aviser  aux  moyens  d'assurer  la  durée 
du  concile;  et  deux  jours  après  (24  juillet),  on  fit  la  première 
procession  solennelle  pour  le  succès  du  voyage  de  Sigismond, 
qui  fut  suivie  d'une  très-importante  congrégation  générale  dont 
nous  empruntons  encore  les  détails  à  Pierre  de  Pulka.  La 
question  de  la  réforme  y  fut  enfm  mise  en  cause,  et  les  cardi- 


(Ij  Mansi,  t.  XXVII,  p.  77i  sq.  —  V.  d.  Hai^dt,  t.  IV.  p.  468  sqq. 
[V,  On  avait  alors  répanda  le  bruit  que  le  dauphin  de  France,  le  duc  d'Au- 
triche et  le  comte  de  Savoie  s'étaient  Jigués  contre  l'empereur. 

(3)  Mansi,  t.  XXVll,  p.  780  sq.  —  V.  q.  IIardt,  t.  IV,  p.  481. 

(4)  Gerson,  0pp.  t.  II,  p.  273.  —  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  549.  —  V.  d.  Hardï, 
t.  11,  p.  471.  Cf.  Schwab,  /.  Gerson,  etc.  p.  520,  648. 

(5)  V.  D.  HAnDT,  t.  IV,  p.  481.  —  Pierre  de  Pulka,  Archiv.  fi'ir  Kunde  ôster- 
reichischer  Geschichtsquellen,  Bd.  XV,  S.  24.  —  Lenfant,  I.  c.  p.  441. 


RETRACTATION  DE  JEROME  DE  PRAGUE.  535 

naux  déclarèrent  vouloir  s'en  occuper,  d'accord  avec  les  délégués 
des  nations.  Zabarella  prononça  alors  un  discours  où  il  repoussa 
les  attaques  portées  contre  ses  collègues  qu'on  accusait  d'être 
fort  tièdes  à  cet  endroit,  et  montra  comment  leur  bonne  volonté 
avait  été  jusque-là  paralysée.  Une  assez  violente  sortie  du  pa- 
triarche d'Antioche  amena  ensuite  une  vive  discussion  entre  ce 
prélat  et  le  cardinal  d'Ailly  ;  ils  parvinrent  cependant  à  se  mettre 
d'accord  au  bout  de  quelque  temps,  et  c'est  vraisemblablement 
alors  qu'on  nomma  la  commission  de  réforme  proposée  par  le 
sacré  collège  et  composée  de  cardinaux  et  de  délégués  des 
nations.  On  lut  aussi  un  Mémoire  de  l'université  de  Paris, 
d'après  lequel  l'intérêt  de  l'union  demandait  que  l'on  ne  pourvût 
pas  à  la  vacance  des  bénéfices  avant  l'élection  d'un  nouveau 
pape  ^  Nous  voyons  par  là  que  la  question  qui  devait  tant 
agiter  l'année  1417  occupait  déjà  les  esprits.  La  commission 
de  réforme  se  constitua  les  jours  suivants  de  façon  à  pouvoir 
commencer  ses  travaux  le  1"  août.  Elle  fut  composée  de  trente- 
deux  délégués  des  nations  (huit  pour  chacune)  et  de  trois  cardi- 
naux seulement.  C'est  d'elle  qu'émane  ce  grand  projet  de 
réforme  qu'ont  mis  au  jour  van  der  Hardt  (t.  I,  p.  583  sqq.),  et 
Mansi  (t.  XXVIII,  p.  264  sqq.  ^). 

Ce  fut  à  peu  près  à  la  même  époque  (3  août  1415)  que  le 
concile  ratifia  l'abdication  de  Grégoire  XII  ^.  Le  dimanche 
suivant,,  fête  de  S.  Dominique,  Jean  de  Huguonéti  de  Metz, 
député  de  l'université  d'Avignon,  prononça  un  long  discours 
qui  ne  manquait  pas  d'une  certaine  éloquence,  et  où  il  attaqua 
vivement  les  désordres  du  haut  clergé;  il  lui  reprocha  sa 
cupidité,  son  amour  du  faste,  sa  dureté  à  l'égard  des  ecclésias- 
tiques inférieurs  qu'il  laissait  languir  dans  le  besoin,  tandis 
qu'on  voyait  les  prélats,  toujours  magnifiques,  inoccupés, 
habillés  comme  des  seigneurs,  couverts  de  vêtements  tailladés 
et  ornés  de  pierreries,  et  plutôt  entourés  de  leurs  écuyers  que 
de  leurs  prêtres;  c'était  à  peine  s'ils  se  découvraient  devant  le 


(1)  V.  D.  Habdt,  t.  IV,  p.  485.  —  P.  DE  PuLKA,  1.  c.  p.  24,  au  bas,  jusqu'à 
la  p.  27.  —  HiJBLER,  Die  Constanzer  Reformation,  1867,  p.  6  sq. 

(2)  HiJBLER,  1.  c.  p.  9  sq.  Un  premier  travail  ne  contenait  que  trente  cha- 
pitres; un  second  plus  étendu  les  reproduisit  avec  quelques  modifications, 
et  en  ajoute  quatorze  autres.  C'est  ce  dernier  que  nous  donnent  Van  der 
Hardt  et  Mansi. 

(3)  V,  n.  Haedt,  t.  IV,  p.  485,  490. 


536  RÉTRACTATION    DE   JÉRÔME    DE    PRAGUE, 

Saint-Sacrement,  scandalisant  de  leurs  rires  et  de  leurs  cau- 
series les  fidèles  qui  assistaient  à  l'office,  et  daignant  à  peine 
honorer  d'un  mot  les  honnêtes  gens  qui  n'occupaient  pas  le 
même  rang  qu'eux.  «  C'est  surtout  la  cour  romaine,  poursuivait 
'orateur,  qui  a  hesoin  d'être  réformée,  et  il  importerait  d'y 
pourvoir  avant  l'élection  d'un  pape,  si  l'on  ne  veut  pas  que  les 
décrets  de  Constance  soient  aussi  stériles  que  ceux  de  Pise  et  de 
Rome  ^ .  » 

L'empereur  ayant  délégué  le  premier  électeur,  Louis  comte 
palatin,  comme  protecteur  du  concile  pendant  toute  la  durée  de 
son  absence,  celui-ci  occupa  la  place  du  monarque,  à  la  dix-hui- 
tième session  générale  (17  août  1415).  Le  concile  avait  déjà  chargé 
les  quatre  évêques  de  SaUsbury,  de  Ploczko,  de  Lavaur  et  de 
Pistoie  d'examiner  les  causes  pendantes.  La  multitude  des  affaires 
le  contraignit  d'aller  plus  loin,  et,  dans  la  dix-huitième  session,. 
on  leur  accorda  le  droit  de  décider  en  dernier  ressort,  avec  le 
concours  de  quatre  assesseurs,  sur  toutes  les  questions  liti- 
gieuses, à  l'exception  des  causes  majeures  et  de  celles  qui 
intéressaient  les  églises  cathédrales.  Un  second  et  un  troisième 
décret  statuèrent  que  les  bulles  du  concile  auraient  la  même 
autorité  que  celles  du  Saint-Siège,  et  que  les  peines  en  vigueur 
contre  les  falsificateurs  des  bulles  pontificales  seraient  appli- 
quées à  ceux  qui  oseraient  les  falsifier.  En  vertu  d'un  quatrièuie 
décret,  toutes  les  lettres  de  grâce  accordées  par  Jean  XXIII 
jusqu'à  sa  suspense  (14  mars  1415)  durent  être  munies  du 
sceau  concihaire,  et  ratifiées  par  le  cardinal  d'Ostie  aidé  de 
quatre  assesseurs.  Cette  mesure  toutefois  ne  s'appliquait  pas 
aux  expectatives  et  aux  exorbitances.  Enfin  le  concile  résolut 
d'envoyer  en  Italie  six  députés  pour  régler  définitivement  la 
situation  d'Angelo  Corrario,  et  termina  cette  session  par 
l'examen  et  l'adoption  d'un  décret  relatif  aux  membres  absents. 
Tous  les  prélats  tenus  de  paraître  au  concile  et  qui  n'avaient 
pas  besoin  de  plus  de  quinze  jours  pour  y  venir,  étaient  sommés 


(Ij  Walch  Monimenta  medii  œvi,  1. 1,  p.  207,  etc.  Walch  place  ce  discours 
au  4  août  1417;  mais  cette  année-là  la  fête  de  S.  Dominique  ne  tombait  pas 
un  dimanohe;  elle  n  y  tombait  pas  davantage  Tannée  précédente  (1416).  Le 
codex  de  lubmgue  se  trompe  donc  doublemenr,  en  prétendant  que  ce  ser- 
mon lut  prononcé  en  1416,  le  septième  dimanche  après  la  Pentecôte, 
pmsque  le  4  août  1416  n'était  pas  un  dimanche,  et  que,  de  plus,  jamais 
le  septième  dimanche  après  la  l'entecûte  n'arrive  le  4  août. 


RÉTRACTATION    DE  JÉRÔME   DE  PRAGUE.  537 

de  se  rendre  à  Constance,  et  un  dernier  délai  leur  était  accordé 
jusqu'à  la  lin  de  septembre  K 

Le  lendemain  (18  août  1415)  était  un  dimanche.  Bertrand 
Vacher,  carme  et  professeur  à  Montpellier,  prit  la  parole  à  la 
congrégation  générale  qui  se  tint  ce  jour-là,  et  prononça  un 
sermon  très-véhément,  quoique  scolastique,  sur  la  pressante 
nécessité  de  réformer  l'Église  et  surtout  le  clergé^.  On  reçut 
aussi  deux  lettres  émanant  de  l'entourage  de  Grégoire  XII,  et 
annonçant  qu'à  partir  du  20  juillet  il  avait  quitté  les  insignes  et 
le  titre  de  pape  ^  :  deux  jours  après,  le  concile  envoya  l'arche- 
vêque de  Riga,  Jean  de  Wallenrod,  en  France,  avec  des  commu- 
nications particulières  pour  l'empereur.  Le  bruit  s'était  en  effet 
répandu  à  Constance  que  Sigismond  avait  aussi  entrepris  ce 
voyage  dans  le  but  de  rétablir  la  paix  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre et  de  les  amener  toutes  deux  à  la  réalisation  de  son 
plan  d'une  grande  croisade  contre  les  Turcs.  L'archevêque,  à  qui 
l'empereur  témoignait  une  estime  singulière,  avait  donc  pour 
mission  d'empêcher  que  ce  projet,  d'ailleurs  très-important,  ne 
le  détournât  du  but  principal  de  son  voyage  ;  il  devait,  en  un 
mot,  lui  rappeler  les  négociations  de  Nice  et  lui  faire  de  vives 
instances  à  cet  égard.  Cependant  le  concile  ne  voulait  point 
paraître  négliger  les  Turcs,  qui  ravageaient  alors  la  Hongrie, 
royaume  héréditaire  de  Sigismond.  Il  pressa  donc  le  roi  de 
Pologne  de  s'opposer  à  leurs  incursions,  et  envoya  des  députés 
en  Hongrie  pour  exhorter  les  seigneurs  du  pays  à  demeurer 
fidèles,  malgré  l'absence  de  leur  maître.  L'évêque  de  Leitomysl 
partit  presque  en  même  temps  (25  août)  pour  la  Bohème,  où  le 
concile  le  chargeait,  en  qualité  de  légat,  de  calmer  la  fermenta- 
tion qui  commençait  à  naître*. 

Cependant  on  discutait  toujours  dans  la  commission  de  la  ré- 
forme, on  s'y  occupait  du  retrait  des  grâces  pontificales.  Pierre 
de  Pulka  (/.  c.  p.  29)  nous  donne  à  cet  égard  de  curieux  rensei- 
gnements, et  il  ajoute  qu'on  avait  besoin  de  beaucoup  de  pré- 
cautions à  l'égard  des  universités,  parce  que  les  papes  avaient 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  783-786.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  491,  sqq.  —  Dôl- 
LiNGER,  Matenalen  zur  Gesch.  des  15  und  16  Jahrh.  t.  Il,  p.  325,  sqq. 

(2)  Walch,  1.  c.  1. 1,  2,  p.  105  sqq. 

(3)  P.  DE  Pulka.  1.  c.  p.  28  sq.  —  Lenpant,  1.  c.  p.  452. 

(4)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  494.  —  Palacky,  t.  III,  1,  p.  379. -^~  Lenfant,  1. 1, 
p.  452. 


538  RÉTRACTATION   DE   JÉrÔME   DE    PRAGUE. 

fait  la  part  bien  plus  large  aux  savants  que  ne  l'auraient  voulu 
les  évêques.  Walch  nous  a  conservé  (/.  c.  p.  121,  etc.),  mais 
sans  en  donner  l'auteur,  un  violent  sermon  prononcé  sur  les 
plaies  de  l'Église,  le  8  septembre  1415. 

Le  moment  était  venu  de  commencer  sérieusement  le  procès 
de  Jérôme  de  Prague,  et  l'on  put  se  convaincre  aisément  que  la 
commission  conciliaire  chargée  de  cette  tâche  n'omit  rien  pour 
amener  ce  malheureux  à  des  idées  plus  sages,  et  épargner  à  la 
Bohême  de  nouvelles  commotions.  Ses  efforts  parurent  au  com- 
mencement couronnés  de  quelque  succès.  Dès  le  11  septembre, 
dans  une  congrégation  qui  fut  tenue  à  la  cathédrale,  Jérôme  lut 
une  formule  de  rétractation  écrite  que  nous  trouvons  dans 
Théodore  Brie  [Historia  concilii  Constantiensis).  Il  y  déclare  à 
plusieurs  reprises  que  c'était  en  toute  liberté  et  sans  aucune 
violence  qu'il  faisait  cette  démarche,  et  qu'il  voulait  se  con-- 
former  sincèrement  et  fidèlement  aux  décisions  et  décrets  de  la 
sainte  Église  romaine  et  du  concile  général,  principalement  en 
matière  de  foi.  Il  acceptait  la  condamnation  des  quarante-cinq 
articles  de  Wiclef,  quel  qu'en  fût  d'ailleurs  l'auteur,  et  pareille- 
ment la  réprobation  des  trente  articles  de  Hus.  Pour  ces  der- 
niers, il  avait  d'abord  hésité  à  admettre  leur  authenticité;  mais 
plusieurs  docteurs  et  maîtres  lui  avaient  démontré  qu'ils  appar- 
tenaient vraiment  à  Hus,  et  lui-même  s'en  était  convaincu  par 
la  lecture  d'un  manuscrit  de  Hus.  Il  reconnaissait  donc  qu'ils 
avaient  été  justement  condamnés,  non  pas  tous  comme  héré- 
tiques, mais  certains  comme  tels,  et  les  autres  comme  erronés 
ou  scandaleux.  Cependant  il  n'en  voulait  rien  conclure  de 
préjudiciable  à  la  personne  de  Hus,  ni  à  ses  mœurs  qu'il  avait 
toujours  crues  irréprochables,  non  plus  qu'aux  saintes  vérités 
annoncées  par  lui  dans  la  chaire  ou  dans  l'école.  Le  lendemain 
(12  septembre),  Jérôme  écrivit  en  effet  au  seigneur  Lacek  de 
Krawar,  sénéchal  de  Moravie,  une  lettre  où  il  s'exprimait  très- 
énergiquement  sur  le  compte  de  Hus,  et  affirmait  qu'on  lui  avait 
rendu  justice  à  Constance  2. 

On  devait  naturellement  désirer  qu'une  semblable  rétrac- 
tation ne  fût  pas  prononcée  seulement  au  sein  d'une  congré- 


(1)  Dans  V.  d.  Hardt,  1. 1,  p.  171  sqq.  Cf.  Ihid.  t.  IV,  p.  497. 

(2)  Documenta,  p.  598. 


RÉTRACTATION    DE   JEROME   DE   PRAGUE.  539 

gation,  mais  qu'elle  se  produisît  solennellement  dans  une 
session  générale  :  ce  désir  fat  rempli^  le  23  septembre  1415 
(dix-neuvième  session  générale);  mais  la  formule  employée 
cette  fois  différait  de  la  première.  Cependant,  comme  d'Ailly, 
en  venant  rendre  compte,  au  début  de  la  session,  des  bonnes 
dispositions  de  l'accusé,  ajouta  que  la  rétractation  dont  celui-ci 
allait  donner  lecture  avait  été  déjà  présentée  à  la  congrégation  ^ , 
nous  devons  croire  que  dès  le  11  septembre  ces  modifications 
avaient  été  convenues  entre  Jérôme  et  la  commission  d'enquête, 
dont  d'Ailly  faisait  partie.  Toujours  est-il  qu'après  une  sorte 
de  prologue  ^  Jérôme  de  Prague  s'exprimait  ainsi  :  « ...  J'anathé- 
matise  toutes  les  hérésies,  en  particulier  celles  dont  je  suis 
soupçonné  et  que  Wiclif  et  Hus  ont  professées  dans  leurs  livres 
et  leurs  sermons;  c'est  pour  les  avoir  soutenues  qu'ils  ont  été 
condamnés  par  le  saint  concile  de  Constance  ;  c'est  en  particulier 
pour  avoir  émis  certaines  propositions  reproduites  dans  la  sen- 
tence qui  les  frappe.  Je  reconnais  en  toute  chose  l'autorité  de 
l'Église  romaine,  du  Saint-Siège  apostolique  et  du  saint  concile, 
principalement  en  ce  qui  concerne  le  pouvoir  des  clefs,  les  sacre- 
ments, les  bénédictions,  les  offices,  les  censures,  les  indulgences, 
les  reliques,  les  cérémonies  et  les  immunités  ecclésiastiques,  et 
déclare  que  plusieurs  des  articles  auxquels  je  fais  allusion,  sont 
notoirement  hérétiques,  d'autres  blasphématoires,  certains  erro- 
nés, certains  autres  scandaleux,  d'autres  offensifs  des  oreilles 
pies,  d'autres  enfin  téméraires  et  subversifs.  Si,  pour  démon- 
trer le  réalisme  philosophique,  je  me  suis  servi  d'une  figure 
triangulaire  [triangularis  forma)  en  l'appelant  le  bouclier  de  la 
foi  [scutiim  ftdei),  je  n'ai  pas  voulu  dire  par  là  que  ce  fût  le  seul 
moyen  de  défendre  et  de  faire  triompher  la  vérité  catholique; 


(1)  Quelques  jours  auparavant  (15  septembre  1415),  un  orateur  dont  le 
nom  n'est  pas  connu  avait  exhorté  les  membres  du  sacré  collège  et  les  pré- 
lats à  ne  rien  perdre  de  leur  zèle  pour  l'œuvre  de  la  réforme.  II  appelait 
surtout  leur  attention  sur  l'instruction  du  clergé,  réJection  d'un  pape  et 
l'avidité  des  cardinaux  pour  les  bénéfices  à  laquelle  il  fallait  absolument 
mettre  des  bornes,  (Ce  sermon  se  trouve  dans  le  Codex  de  Tubingue,  A  la 
même  date  (15  septembre),  Van  der  Hardt  et  Walch  placent  un  autre 
sermon,  également  sans  nom  d'auteur,  où  l'on  attaque  de  môme  l'igno- 
rance du  clergé,  etc.  La  question  de  savoir  si  le  pape,  comme  évoque  uni- 
versel, a  le  droit  d'exercer  partout  les  droits  èpiscopaux,  y  était  aussi, 
mais  très-timidement  débattue.  Walch,  Monim.  medii  œvi,  1,  2,  p.  145,  etc. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  499.  —  Mansx,  t.  XXVII,  p.  793.  —  Hard.  t.  VIIL 
p. 456. 

(3)  Apud  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  160  sq. 


540  RÉTRACTATION    DE   JEROME    DE   PRAGUE. 

mais  j'ai  employé  ce  symbole  pour  donner  idée  du  mystère  de  la 
sainte  Trinité  [iina  essentia  et  tria  divina  siipposita),  auquel  con- 
vient bien  le  nom  de  scutum  fidei.  J'avoue  en  outre  que  j'ai  sou- 
vent entendu  les  leçons  et  les  prédications  de  Hus  et  que  je  le 
croyais  dans  les  voies  de  la  vérité  et  de  la  foi;  aussi,  lorsqu'on 
m'a  présenté  ses  articles  à  Constance,  j'ai  d'abord  fait  difficulté  de 
les  reconnaître,  ou  du  moins  j'ai  douté  de  leur  parfaite  exacti- 
tude. Sur  les  assurances  que  m'ont  données  ensuite  plusieurs 
docteurs  et  personnages  distingués,  j'ai  demandé  à  vérifier  moi- 
même  les  manuscrits,  et  on  a  bien  voulu  me  les  remettre.  Or, 
je  connais  son  écriture  aussi  bien  que  la  mienne,  et  je  puis  affir- 
mer que  j'ai  retrouvé  dans  ses  écrits  tous  les  articles  condamnés 
et  absolument  dans  les  mêmes  termes;  c'est  donc  à  bon  droit 
que  sa  doctrine  et  ses  adhérents  ont  été  réprouvés  et  condamnés 
par  le  saint  concile.  Je  déclare  en  outre  que  je  soumets  à  la  même 
autorité  tout  ce  que  j'ai  pu  dire  ou  soutenir  jusqu'ici,  particu- 
lièrement au  sujet  de  l'Église,  et  je  jure  que  je  veux  demeurer 
fidèle  à  la  vérité  de  l'Église  catholique.  >>  Pour  ne  laisser  aucun 
doute  sur  la  sincérité  de  sa  profession  de  foi,  Jérôme  lut  alors 
les  quarante-cinq  articles  de  Wiclif  et  les  trente  articles  de  Hus 
condamnés  par  le  concile,  et  leur  dit  aussi  anathème  ^  ;  après 
quoi  on  le  reconduisit  en  prison,  où  sa  situation  fut  sensiblement 
adoucie^. 

Après  s'être  occupé  de  cette  affaire,  le  concile  autorisa  les 
franciscains  de  la  stricte  observance,  en  France  et  en  Bourgogne, 
à  élire  désormais  séparément  leurs  supérieurs  qui  seraient  ad- 
joints sous  le  nom  de  «  vicaires  »  aux  provinciaux  et  au  général 
de  l'Ordre  tout  entier  ^.  Un  deuxième  décret  était  relatif  à  la 
question  des  sauf-conduits.  Le  concile  la  résolvait  en  ce  sens  que 
celui  dont  il  émanait  était  tenu  de  le  faire  observer  dans  la  li- 
mite de  sa  puissance,  sans  préjudice  toutefois  des  droits  du  ma- 
gistrat régulier  qui  continuait  à  poursuivre  l'erreur  et  à  punir 
l'obstination  ^.  Telle  est  la  décision  authentique  que  nous  oppo- 


(1)  V.  D.  Hardt,  499  et  502-514.  —  Mansi,  t. XXVII,  p.  791-795.  —  lÎAnD. 
l.c.  p.  454-459. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  532.  —  Krummel,  1.  c.  p.  557. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  514,  etc.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  796-790.  —  Hard. 
1.  c.  p.  459  sqq. 

(4)  V.  u.  Hardt,  t.  IV,  p.  522.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  799.  —  Hardouin,  1.  c. 
p.  462. 


RETRACTATION    DE   JEROME   DE    PRAGUE.  541 

sons  au  décret  mensonger  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 
Le  vice-chancelier  de  l'Église  romaine  et  président  du  con- 
cile furent  chargés  d'expédier  partout  des  lettres  exécutoires , 
dans  le  but  de  faire  observer  et  exécuter  en  tout  lieu  la  loi  Caro- 
line :  on  appelait  ainsi  un  décret  de  1377,  spécialement  adressé 
par  l'empereur  Charles  IV  aux  provinces  ecclésiastiques  de  Mag- 
debourg,  Mayence  et  Cologne,  et  relatif  à  la  conservation  des 
immunités,  privilèges  et  possessions  de  l'Église  ^ .  Le  vice-chan- 
celier publia  donc  à  ce  sujet  une  ordonnance  fort  détaillée  qui 
commençait  par  des  plaintes  sur  l'effrayante  proportion  des 
spoliations  et  des  injustices  dont  l'Église,  les  couvents,  les 
hospices,  etc.,  étaient  devenus  les  victimes,  depuis  le  grand 
schisme.  Les  plus  rigoureuses  défenses  à  cet  égard  avaient  été 
déjà  adressées  par  le  troisième  concile  de  Latran  (c.  19)  aux 
consuls,  recteurs  et  autres  magistrats  séculiers.  L'empereur 
Frédéric  II,  dans  le  temps  qu'il  était  encore  dévoué  à  l'Église, 
avait  aussi  pris  de  semblables  mesures  en  sa  faveur  et  abrogé 
toutes  les  constitutions  contraires;  le  pape  Honorius  III  con- 
firma ces  dispositions,  qui  furent  plus  tard  renouvelées  et 
accrues  par  l'empereur  Charles  IV.  Cependant  ces  ordonnances 
étant  tombées  en  désuétude,  le  concile  de  Constance  jugea 
bon  de  les  reproduire.  Le  concile  de  Latran  avait  autorisé  les 
évêques  à  lever  des  contributions  sur  le  clergé,  pour  subvenir 
aux  besoins  de  l'État;  mais  comme  on  avait  abusé  de  cette 
concession,  les  Pères  de  Constance  défendirent  à  tout  laïque, 
fùt-il  même  empereur,  d'imposer  aucun  tribut  aux  ecclésias- 
tiques, sous  le  prétexte  d'une  autorisation  épiscopale.  Le  pape 
seul  en  aurait  le  droit  :  encore  ne  pourrait-il  l'exercer  en  faveur 
de  l'État  qu'avec  l'assentiment  de  l'évêque  et  du  clergé  mis  en 
cause.  Les  prélats  contrevenants  devaient  être  privés  de  leur 
siège,  toutes  les  concessions  pontificales  contraires  au  présent 
décret  étaient  abrogées,  et  tous  les  biens  ecclésiastiques  aliénés 
depuis  le  commencement  du  schisme  devaient  être  restitués; 
diverses  ordonnances  relatives  à  ce  sujet  remplissaient  la  se- 
conde moitié  du  décret  ^.  On  nomma  ensuite  dans  les  différents 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  lY.  p.  523,  etc.—  Mansi,  l. XXVII,  p.  799.—  Hard.  1.  c. 
p. 463. 

(2)  Apud  Mansi,  t.  XXVII,  p.  1219-1228.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  573-583. 
—  Hard.  1.  c.  p.  923-936. 


542  EÉTRACTATION    DE  JEROME   DE    PBAGUE. 

diocèses  des  commissaires  [executores)  chargés  d'y  tenir  la  main  ; 
pour  le  diocèse  de  Constance,  ce  furent  les  évêques  de  Bâle  et  de 
Lausanne,  ainsi  que  l'abbé  du  couvent  des  Écossais  sous  les  murs 
de  la  ville  ^  Sigismond  donna  son  approbation  à  la  loi  Caroline  ^. 

Un  autre  décret  de  la  dix-neuvième  session  générale  commet- 
tait le  patriarche  Jean  de ,  Constantinople  et  l'évêque  Jean  de 
Senlis  à  l'instruction  de  tous  les  cas  d'hérésie  qui  se  présente- 
raient en  Bohême  et  en  Moravie,  et  autorisait  tous  les  bénéficiers 
présents  au  concile,  à  toucher  leurs  revenus,  malgré  le  défaut 
de  résidence.  La  dernière  résolution  que  l'on  adopta  fut  la  vali- 
dation de  toutes  les  concessions  d'emplois  faites  par  Jean  XXIII, 
avant  sa  suspense^. 

C'est  encore  dans  les  lettres  de  Pierre  de  Palka  que  nous  trou- 
vons les  détails  de  la  congrégation  tenue  le  5  octobre  par  les  dé- 
putés des  nations.  On  y  lut  une  requête  du  cardinal  de  Saint- 
Eustache,  vicaire  de  Jean  XXIII  dans  les  États  de  l'Église.  Le 
cardinal  y  disait  que  la  ville  de  Rome  et  les  autres  places  du  patri- 
moine de  Saint-Pierre  étaient  tellement  ruinées  par  les  discordes 
intestines  et  la  guerre  étrangère,  qu'il  devenait  impossible  de  les 
maintenir  au  pouvoir  de  l'Église,  si  le  pape  n'envoyait  bientôt 
une  grosse  somme  d'argent  pour  payer  la  solde  arriérée.  Les 
préposés  aux  finances  de  la  ville  de  Rome  reproduisaient  les 
mêmes  plaintes,  et  le  cardinal  ajoutait  que  deux  émissaires  de 
Pierre  de  Luna  (Benoît  XIII)  étaient  venus  le  trouver  pour  l'en- 
gager à  se  déclarer  en  faveur  de  leur  maître  et  pour  ébranler  la 
fidélité  du  peuple.  «  Benoît  d'ailleurs,  avait-il  dit,  ne  tardera  pas 
à  venir  lui-même  à  Rome,  dans  le  but  d'y  établir  son  siège.  » 
Ce  rapport  produisit  naturellement  une  assez  fâcheuse  impres- 
sion à  Constance,  et  Ton  commençait  à  désespérer  des  négocia- 
tions de  l'empereur,  quand  on  reçut,  le  vendredi  et  le  lundi  sui- 
vants (7  et  11  octobre),  de  bonnes  nouvelles  de  Narbonne,  où  se 
tenait  la  conférence  qui  devait  avoir  lieu  à  Nice.  Sigismond,  après 
les  avoir  mandées  au  concile,  ajoutait  qu'il  concevait  l'heureuse 
espérance  de  ramener  ses  sujets  de  Servie  à  la  foi  catholique  *. 

(!)  Manst,  t.  XXVIII,  p.  256.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  562,  etc.  Le  couvent 
des  Ecossais  à  Constance  disparut  après  la  réforme.  Voir  Pétri,  Suevùï  sacra, 
p.  246. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  874. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p,  528-532.—  Mansi,  t.  XXVII,  p.  799-801.  —  IIaru. 
t.  VIII,  p.  463  sq. 

(4)  Archiv.  fur  kunde  œs/.erreichischer  Geschichtsquellen,  t.  XV,  p.  34  sq. 


RÉTRACTATION   DE   JÉRÔMU    DE   PRAGUE.  543 

Sur  ces  entrefaites  (10  octobre  1415),  mourut  à  Constance  le 
cardinal  Landulf  de  Bari,  et  ses  obsèques  fournirent  à  l'evêque 
de  Lodi  l'occasion  de  prononcer  un  discours  très-véhément  sur  la 
nécessité  d'une  réforme  ^  Le  15  octobre  et  les  jours  suivants, 
la  nation  française  se  réunit  au  couvent  des  dominicains  pour 
y  discuter  précisément  cette  question  ;  le  patriarche  Jean  d'An- 
tioche  présidait.  On  proposa  la  suppression  des  droits  sur  les 
fruits  de  première  année,  ainsi  que  des  droits  de  pallium  et 
autres  contributions  levées  sur  le  clergé,  et  on  lut  à  l'appui  de 
cette  motion  le  décret  rendu,  le  18  février  1407,  par  le  roi 
Charles  VI,  décret  qui  interdisait  les  annales.  L'assemblée  delà 
nation  française  se  décida  à  consulter  sur  ce  sujet  les  autres  na- 
tions ;  mais  aucune  ne  voulut  se  prononcer  pour  l'abolition  totale 
des  annales  (23  octobre  et  8  novembre  1415).  Plusieurs  membres 
firent  observer  qu'il  faudrait  pourvoir  d'une  autre  manière  aux 
besoins  du  pape  et  des  cardinaux  '^.  Les  débats  se  prolongèrent 
jusqu'à  l'année  1416,  et  occupèrent  un  grand  nombre  de  séances. 
Enfin  la  majorité  de  la  nation  française  décida  la  suppression  des 
annales;  mais  l'auditeur  général  du  Saint-Siège,  Angélus  de  Bal- 
lionibus,  défendit  sous  peine  d'excommunication  aux  notaires  de 
la  nation  française  de  rédiger  l'acte  de  cette  décision  ^  (19  mars 
1416). 

Cependant  le  professeur  Hoirie  (ou  Heinrich)  Abendon  d'Oxford 
avait  prononcé,  le  vingt-deuxième  dimanche  après  la  Pentecôte 
(27  octobre  1415),  un  beau  sermon  devant  les  Pères  de  Constance, 
et  s'était  élevé  avec  force  contre  les  exemptions  des  moines  et  la 
mollesse  des  prélats  * .  En  même  temps  Gerson  mettait  à  Constance 
la  dernière  main  à  son  traité  De  protestatione  circa  materiam 
fidei,  et  terminait  son  livre  sur  la  simonie.  On  croit  générale- 
ment que  le  premier  de  ces  écrits  était  dirigé  contre  Jérôme  de 
Prague,  mais  Gerson  ne  peut  l'avoir  eu  en  vue;  il  démontre  en 
effet  qu'une  protestation,  c'est-à-dire  une  rétractation  générale, 
ne  présente  pas  de  suffisantes  garanties,  et  qu'il  en  faut  une  spé- 
ciale et  absolue  ;  or  la  rétractation  de  Jérôme  avait  réuni  précisé- 


(1)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  558.  -  Cf.  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  532;  t.  V,  p.  115. 

(2)  Voir  une  motion  sur  ce  sujet  dans  ûôllinger,  Malerialmi,  etc.,  t.  II, 
p.  321  sqq. 

(3)  Ma>-si,  t.  XXVIII,  p.  161-221.  ~  Martène,  Thesaur.  t.  II,  p.  1543-1609. 

(4)  Walgh,  1.  c.  p.  XLVI,  etc.,  et  p.  181-205.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  33. 


544  VINGTIÈME   SESSION.    TRAITE   DE   NARBONNE. 

ment  ces  deux  derniers  caractères  :  il  faut  donc  croire  que  Gerson 
s'adressait  à  l'évêque  d'Arras,  qui,  dans  sa  défense  de  Jean  Petit, 
protestait  toujours  à  l'avance  de  son  orthodoxie  en  phrases  tout 
à  fait  générales  '. 


765. 


VINGTIEME   SESSION.    TRAITE   DE   NARBONNE. 

La  vingtième  session  générale  fut  tenue  le  21  novembre  1415. 
11  y  avait  longtemps  que  l'évêque  de  Trente  se  plaignait  des 
déprédations  exercées  depuis  neuf  ans  sur  son  territoire  par 
le  duc  du  Tyrol  autrichien,  Frédéric  (à  la  bourse  légère),  qui  em- 
menait prisonniers  ses  diocésains,  lui   extorquait  à  lui-même 
diverses  concessions,  et  s'emparait  violemment  des  biens   de 
l'Église.  On  ne  pouvait  douter  qu'il  n'eût  l'intention  de  médiar 
tiser  les  évêchés  de  Trente  et  de  Brixen,  qui  n'étaient  pas  sou- 
mis à  l'empire,  et  de  les  transformer  en  évêchés  provinciaux;  son 
fils  Sigismond  le  Fortuné  poursuivit  cette  politique  avec  une 
telle  énergie  qu'un  conflit  très-violent  s'éleva  entre  lui  et  le 
cardinal  Nicolas  de  Cusa,  évêque  de  Brixen  ^.  Le  duc  Frédéric 
ayant  fait  sa  paix  avec  l'empereur,  celui-ci  lui  avait  ordonné 
de  réparer  tous  les  dommages  qu'il  avait  causés  à  l'évêché,  et 
comme  il  n'y  voulait  pas  consentir,  le  concile  publia  un  moni- 
toire  lui  enjoignant  expressément  de  restituer,  sous  trente  jours, 
tous  les  biens  ecclésiastiques  dont  il  s'était  emparé,  et  défendant 
sous  les  peines  les  plus  sévères  aux  employés  et  officiers  de 
l'évêché  d'obéir  à  d'autre  autorité  que  celle  de  l'évêque.  Les 
Pères  décrétèrent  en  outre  que,  pendant  la  vacance  du  Saint- 
Siège,  les  prélats  nouvellement  élus  pourraient  être  consacrés 
avec  l'autorisation  du  vice-camerlingue  apostolique  in  curia  ^. 

Il  s'écoula  presque  une  demi-année  entre  cette  session  et  la 
suivante  (30  mars  1416).  On  attendait  évidemment  la  démission 


(1)  Gebson.  0pp.  1. 1,  p.  28.  —  V.  D.  Hardt,  1. 1,  P.  IV;  t.  III,  p.  39  sqq.  — 
Schwab,  Joh.  Gerson,  etc.,  p,  630.  —  Lenfant,  1.  c.  p.  505. 

(2)  Jager,  Albert  ;  der  Slreit  dcr  Nie.  von  Cusa  mit  Herzog  Sigismond  vun 
Œsterreich.  2^  édit.  1855. 

0)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  802-807.— Hard.  t.  Vlll,  p.  465-471.  —V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  533-547. 


VINGTIÈME  SESSION.   TRAITÉ  DE   NARBONNE.  545 

de  Benoît  et  le  rétablissement  de  Tunité.  Toutefois,  cet  intervalle 
ne  s'écoula  pas  sans  amener  d'intéressants  événements.  Ce  furent 
d'abord  les  travaux  de  la  commission  de  réforme,  puis  les  discours 
des  prédicateurs  qui  se  succédèrent  sans  interruption  sur  ce  sujet 
de  la  réforme  ^  ;  venaient  ensuite  les  affaires  de  la  Pologne,  dont 
les  ambassadeurs  furent  reçus  par  le  concile.  Le  roi  de  ce  pays, 
Wladislas  V  Jagellon,  avait  déjà  fait  parvenir  à  Constance,  le 
5  juillet  1415,  un  mémoire  dans  lequel  il  voulait  établir,  à  ren- 
contre des  chevaliers  de  l'ordre  teutonique,  qu'il  n'est  pas 
permis  aux  chrétiens  de  convertir  les  infidèles  par  la  force  des 
armes  *.  Le  28  novembre,  arrivèrent  de  nouveaux  députés 
polonais  avec  une  lettre  très-courtoise  du  roi  et  de  son  cousin, 
le  duc  "Withold  de  Lithuanie;  c'était  une  réponse  aux  instances 
du  concile,  qui  avait  pressé  les  Polonais  de  s'opposer  aux  progrès 
des  Turcs.  Il  faut  dire  que  ces  exhortations  avaient  été  si  peu 
suivies,  qu'on  soupçonnait  plutôt  les  Polonais  de  s'entendre  avec 
les  envahisseurs  et  de  favoriser  leurs  incursions  en  Hongrie.  Les 
deux  princes  se  justifiaient  dans  leur  lettre,  et  rejetaient  en 
même  temps  la  faute  sur  l'ordre  teutonique,  dont  les  perpétuelles 
agressions  les  avaient  empêchés  de  porter  secours  aux  Hongrois 
contre  les  Turcs.  Ils  se  vantaient  même  en  terminant  d'avoir  en- 
voyé des  ambassadeurs  au  Grand  Turc  et  en  Bosnie,  pour  négo- 
cier un  armistice  entre  les  Ottomans  et  l'empereur  Sigismond. 
Mais  les  Hongrois  ne  se  fiaient  pas  aux  Polonais,  et  préféraient 
devoir  leur  salut  à  leurs  propres  efforts  qu'au  secours  d'alliés 
douteux  ^. 

En  même  temps  que  les  envoyés  polonais,  on  vit  arriver  à 
Constance  environ  soixante  Samogitiens,  sujets  de  Withold  de 
Lithuanie,  et  nouvellement  convertis;  ils  y  restèrent  jusqu'au 
mois  de  mars  de  l'année  suivante,  et  ne  partirent  qu'accompagnés 
de  missionnaires  chargés  par  le  concile  de  hâter  la  propagation 
du  christianisme  dans  ces  contrées.  Au  bout  de  deux  mois  à  peine 
(juin  1416),  on  apprit  que  les  chevaliers  Teutoniques,  qui  avaient 
conquis  autrefois  la  Samogitie,  s'opposaient  à  la  nouvelle  mission, 
sous  prétexte  que  le  droit  d'envoyer  des  missionnaires  n'appar- 


(1)  Martène,  Thés.  t.  IL  p.  1641.  —  Walgh.  Mo7iimenta,  I,  3,  p.  27,  etc. 

(2)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  46-57.  —  V.  d.  Hardt,  t.  III,  p.  9-26  ;  t.  IV,  p.  387. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  548.— Mansi,  t.  XXVIII,  p.  221,  etc.—  âsgheagh, 
Gesch.  k.  Sigismundi,  t.  II,  p.  213.—  P.  y.  Pulka,  im  Archiv.  etc.,  1.  c.  p.  36 
et  suiv. 


T.  X.    35 


546  VINGTIEME   SESSION.   TRAITÉ  DE   NARBONNE. 

tenait  qu'à  l'ordre  et  à  l'archevêque  de  Riga,  ce  qui  leur  attira  de 
la  part  du  concile  cette  sévère  réponse,  qu'au  temporel  la  Samo- 
gitie  relevait  de  l'empereur,  et  au  spirituel  de  ses  évêques  '. 

Le  7  décembre  1415,  il  y  eut  une  réunion  des  quatre  nations, 
et  l'on  y  lut  une  lettre  de  l'ex-pape  Grégoire  XII,  où  il  protestait 
une  fois  encore  de  sa  soumission  aux  décisions  du  concile;  le  11 
du  même  mois,  dans  une  réunion  semblable  on  traita  l'affaire 
de  l'évêque  de  Strasbourg,  Wilhelm  de  Diest.  Ce  prélat  était  re- 
tenu prisonnier  à  Molsheim ,  sur  l'ordre  de  son  chapitre  et  des 
magistrats  de  Strasbourg;  deux  députés  du  chapitre  exposèrent 
à  l'assemblée  que  cette  mesure  était  devenue  absolument  indis- 
pensable, attendu  que  l'évêque,  après  avoir  aliéné  déjà  un  grand 
nombre  de  biens  ecclésiastiques,  se  préparait  encore  à  vendre  le 
château  de  Bornetla  ville  de  Saverne,  dont  il  voulait  employer 
le  prix  à  se  marier.  En  effet  depuis  dix-huit  ans  qu'il  gouvernait  le 
diocèse,  il  n'avait  pas  encore  reçu  les  saints  ordres.  On  entendit 
ensuite  un  avocat  du  prélat;  puis  on  nomma  une  commission 
chargée  d'examiner  l'affaire,  tout  en  réclamant  la  mise  en  liberté 
immédiate  de  l'accusé  et  sa  comparution  devant  le  concile.  Les 
représentants  du  chapitre  ayant  protesté  contre  cette  dernière 
condition,  on  remit  une  plus  ample  délibération  sur  cette  ma- 
tière à  la  séance  suivante  des  quatre  nations.  On  y  revint  donc  le  ■ 
19  décembre,  mais  sans  terminer  le  débat;  toutefois,  le  pa- 
triarche de  Constantinople  et  quelques  autres  prélats  furent  en- 
voyés à  Strasbourg  pour  réclamer  la  mise  en  liberté.  Cette 
affaire  devait  durer  bien  longtemps  encore^. 

Ce  fut  dans  la  même  réunion  (19  décembre  1415)  que  la  nation 
allemande  exposa  ses  doléances  par  l'organe  de  son  président 
temporaire,  Jean  Naso.  Elle  se  plaignit  de  ce  que  les  propositions 
adressées  par  elle  aux  autres  nations,  pour  la  destruction  de  la 
simonie  et  autres  exorbitances  [sic],  n'eussent  été  suivies  d'aucun 
effet,  et  de  ce  qu'on  laissât  en  suspens  la  cause  de  Jérôme  de 
Prague  ^. 

Peu  de  jours  après  (25  décembre),  mourut  le  cardinal  Pan- 
dellus,  un  des  anciens  partisans  de  Grégoire  XII  ;  il  fut  enterré 


(!)  V.  D.  IIarut,  t.  IV,  p.  546,  790;  t.  II,  p.  422.  —  IIofler,  Geschichtschr. 
2"  partie,  p.  171. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  807-808.—  V.  «.  Habdt,  t.  IV,  p.  551,  552-560;  t.  II, 
p.  426. 

(3)  MANSr,  t.  XXVII,  p.  809.—  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  556. 


VINGTIÈME  SESSION.    TRAITÉ   DE   NARBONNE.  547 

dans  Téglise  des  Augustins  de  Constance^  sans  beaucoup  de  pompe  : 
car  sa  fortune  était  plus  que  modeste;  Le  lendemain,  fête  de 
S.  Etienne  (26  décembre),  le  fameux  augustin  Jean  Zacharie 
d'Erfurt  prononça  devant  les  Pères  un  discours  fort  long  et  assez 
étrange  sur  la  réforme  de  l'Église  et  en  particulier  du  clergé  ; 
il  y  mêla  quelques  paroles  en  faveur  des  exemptions  et  des  pri- 
vilèges, puis  finit  par  féliciter  l'empereur  Sigismond,  la  lune 
brillante,  d'avoir  effacé  à  Perpignan  la  lune  obscurcie  qui  repré- 
sentait Pierre  de  Luna.  C'était  à  ce  même  Jean  Zacharie  qu'on 
avait  remis,  au  nom  du  concile,  une  rose  d'or  bénite,  en  récom- 
pense de  la  victoire  qu'il  avait  remportée  sur  Hus  dans  une 
discussion  théologique  ^ . 

A  la  congrégation  générale  du  29  décembre,  qui  se  tint  à  la  ca- 
thédrale, comme  toutes  les  autres  congrégations  générales,  on  lut 
des  lettres  de  l'empereur,  ainsi  qu'un  rapport  des  délégués  qui 
l'assistaient,  dans  les  négociations  avec  Benoît  XIII.  Ces  lettres 
annonçaient  que  les  princes  espagnols  venaient  de  renoncer  à 
l'obédience  de  Benoît,  et  qu'ainsi  l'unité  serait  bientôt  consom- 
mée 2.  L'empereur  était  arrivé  le  \  5  août  1415  à  Narbonne,  pour  y 
rester  quelques  semaines,  jusqu'à  ce  que  le  roi  Ferdinand  d'Ara- 
gon, alors  malade,  pût  le  recevoir  à  Perpignan  :  car  c'était  cette 
ville  qu'on  avait  choisie  définitivement  à  la  place  de  Nice,  pour  y 
tenir  les  conférences.  Sigismond  s'y  rendit  enfin  le  18  septembre; 
de  son  côté,  Benoît  XIII,  conformément  aux  conventions  anté- 
,  rieures,  était  resté  à  Perpignan,  tout  le  mois  de  juin,  et  le  dernier 
i  jour,  à  minuit  précis,  avait  quitté  la  ville  en  dénonçant  la  contu- 
'mace  de  Sigismond.  Il  vint  cependant  le  19  août  à  Narbonne  ^, 
et  nous  trouvons  dans  Martène  [Vet.  Script,  t.  YII,  p.  1208-1216) 
'•un  document  qui  jette  un  certain  jour  sur  des  négociations  assez 
:  mal  appréciées  jusqu'ici  ^.  Benoît  mettait  en  première  ligne  le  ré- 
tablissement de  l'unité  par  la  voie  de  la  justice,  comme  ill'appe- 
slait,  c'est-à-dire  au  moyen  d'une  enquête  qui  indiquerait  quel 
\  était  le  pape  légitime.  Toutefois,  si  l'empereur  persistait  à  pré- 
;  férer  la  voie  de  cession,  Benoît  se  déclarait  prêt  à  résigner  ses 
pouvoirs,  mais  à  trois  conditions  :  la  première,  c'est  qu'on  an- 

(1)  Walch,  Monimenta,  I,  3,  p.  xvir,  et  59  sqq. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  II,  p.  423;  t.  IV,  p.  556.  —  P.  von  Pulka,  1.  c.  p.  39-41. 

(3)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  917.— DôLLiNGER,  Materialien,  etc.  t.  II.  p.  377,  etc. 
*^  AscHBACH,  1.  c.  t.  II,  p.  136.  —  P.  YON  PuLKA,  I.  C.  p.  30,  etc. 

(4)  Aussi  apud  Mansi,  t.  XXVI,  p.  1111 ,  etc.    En  partie  aussi  dans  Mar- 
tène, Thes.i.ll,  p.  1684,  etc. 


548  VINGTIEME   SESSION.    TRaITE    DE   NARBONNE. 

nulerait  toutes  les  sentences  prononcées  à  Pise  contre  lui;  la 
seconde,  que  le  nouveau  pape  serait  universellement  reconnu 
par  les  princes  et  les  fidèles;  la  troisième  enfin,  que  l'élection 
de  ce  nouveau  pape  serait  conforme  aux  canons.  Il  fit  interpré- 
ter cette  dernière  clause  par  l'évêque  de  Zamora,  qui  déclara  en 
son  nom  que  lui  seul  était  capable  de  faire  un  nouveau  choix, 
parce  qu'il  n'y  avait  que  lui  qui  tut  incontestablement  cardinal; 
mais  Sigismond  ne  voulant  point  faire  cette  concession,  Benoit 
proposa  le  projet  suivant  :  «  Les  cardinaux  créés  par  lui  choi- 
siraient, avec  son  consentement,  une  réunion  d'arbitres,  à  l'efi'et 
d'éhre  un  nouveau  pape.  Les  cardinaux  des  deux  autres  obé- 
diences en  feraient  autant,  et,  d'accord  avec  la  congrégation  de 
Constance  (le  mot  du  concile  ne  fut  pas  prononcé),  on  accorderait 
à  ces  commissairesledroit  d'élection.  Cette  proposition  fut  faite 
le  26  octobre  1415;  mais  les  représentants  de  l'empereur  et  du 
concile  n'y  souscrivirent  point  et  en  revinrent  à  la  résignation 
pure  et  simple  (30  octobre).  Benoît  persista,  et,  pour  rendre  son 
projet  plus  acceptable,  ajouta  une  note  où  il  consentait  à  n'avoir 
de  son  côté  que  six  arbitres,  tandis  qu'il  en  laissait  huit  et  même 
douze  au  choix  des  parties  adverses;  il  y  joignit  aussi  quelques 
indications  sur  les  villes  qui  pourraient  servir  de  lieu  de  réunion  ; 
mais  le  «  prétendu  roi  des  Romains  »  {prœiensus  rex  Romano- 
rum,  comme  l'appelait  Benoît)  et  les  «  prétendus  envoyés  de  la 
congrégation  de  Constance  »  ne  voulurent  pas  en  entendre  da- 
vantage et  quittèrent  Perpignan.  Sigismond  en  fit  autant. 

La  principale  cause  de  ce  départ  fut  sans  doute  l'opiniâtreté  de 
Benoît  XIII;  mais  il  s'y  joignit  aussi  dans  l'esprit  de  Sigismond 
la  considération  de  sa  sûreté  personnelle.  La  ville  de  Perpignan 
était  pleine  de  Catalans  armés  dont  le  pape  s'entourait,  et  il  s'é- 
tait passé  dans  la  suite  même  de  l'empereur  certains  événe- 
ments propres  à  lui  inspirer  de  l'inquiétude.  Ainsi,  par  exemple, 
le  jeune  comte  de  Wurtemberg  était  parti  tout  à  coup  avec  ses 
trois  cents  chevaux,  sans  prendre  congé  de  son  seigneur  et  roi, 
et  les  conseillers  du  duc  de  Tyrol,  Frédéric,  avaient  amené  avec 
eux  deux  étrangers  assez  suspects,  que  l'on  prenait  pour  des 
empoisonneurs.  Sigismond  partit  donc  au  commencement  de 
novembre,  en  laissant  les  négociations  interrompues,  et  il  était 
déjà  revenu  à  Narbonoe,  quand  il  reçut  les  lettres  du  roi  d'Aragon 
et  des  députés  des  autres  princes  espagnols,  ainsi  que  de  ceux  de 
l'Ecosse,  qui  appartenait  également  à  l'obédience  de  Benoît.  Tous 


VINGTIÈME  SESSIO.^,    TRAITÉ  DE   NARBONNE.  549 

le  priaient  instamment  de  retarder  son  départ',  et  ajoutaient 
qu'ils  étaient  déterminés  à  se  séparer  du  pape,  s'il  persistait  à 
résister.  L'empereur  resta  néanmoins  à  Narbonne,  tout  en  ren- 
voyant à  Perpignan  quelques  délégués  chargés  de  reprendre  à 
nouveau  les  négociations  ^ .  Il  voulait  leur  donner  pour  base  l'ab- 
dication de  Benoît  aux  mêmes  conditions  que  celle  de  Gré- 
goire XII.  Mais  le  pape  s'enfuit  le  13  novembre  à  Gollioure, 
petite  place  sur  le  littoral,  dans  le  voisinage  de  Perpignan,  et, 
trois  jours  après,  gagna  dans  les  environs  de  ^'alence  le  château 
de  Peniscola  situé  dans  la  montagne  et  illustré  par  le  Gid;  ce 
château  appartenait  probablement  à  la  famille  de  Luna.  Quel- 
ques-uns seulement  des  cardinaux  qui  l'entouraient  l'accompa- 
gnèrent jusque-là,  les  autres  revinrent  à  Perpignan.  Il  ne  ré- 
pondit à  la  nouvelle  sommation  qui  lui  fut  adressée,  qu'en 
protestant  contre  l'assemblée  de  Constance,  en  convoquant  un 
nouveau  concile,  et  en  menaçant  d'anathème  et  de  déposition 
tous  les  princes  qui  oseraient  se  soustraire  à  son  obédience. 
C'était  dépasser  la  mesure  :  aussi  les  rois  de  Navarre,  de  Cas- 
tille  et  d'Aragon,  ainsi  que  les  comtes  de  Foix  et  d'Armagnac  et 
les  députés  d'Ecosse,  ouvrirent-ils  le  20  novembre,  avec  Sigis- 
mond,  les  délégués  du  concile  et  l'archevêque  de  Reims,  repré- 
sentant de  La  France,  des  négociations  qui  aboutirent,  le  13  dé- 
cembre 1415,  au  conordat  de  Narbonne.  Yoici  quelles  en  furent 
les  principales  dispositions  : 

1°  Les  cardinaux  et  prélats  réunis  à  Constance  inviteront  leurs 
collègues  de  l'obédience  de  Benoît  à  les  rejoindre  dans  l'espace 
de  trois  mois,  afin  de  constituer  un  concile  général.  Des  invita- 
tions semblables  seront  adressées  par  les  princes  et  prélats  de 
l'obédience  de  Benoît  aux  cardinaux,  etc.,  réunis  à  Constance. 
(On  s'invitait  donc  de  part  et  d'autre  à  former  un  concile  général, 
sans  tenir  compte  de  l'existence  du  premier)  ^ 

2^  Ces  invitations  mutuelles  seront  rédigées  en  termes  géné- 
raux; aucun  point  particulier  n'y  sera  précisé.  En  dehors  de  la 
déposition  de  Benoît,  de  l'élection  d'un  nouveau  pape,  de  la  ré- 


(1)  Deux  lettres  du  roi  d'Aragon  à  Sigismond  sm*  cette  matière  ont  été  ré- 
cemment éditées  dans  les  Materialien  zur  Gesch.  der  15  und  16  Jahr.  de  Dôr.- 
LiNGEN,  t.  Il,  p.  378,  etc. 

(2)  Pierre  von  Pulka  rapporte  les  bruits  qui  parvmrent  a  ce  propos  jus- 
qu'à Constance  (  Archiv  fur  kunde  œsterr.  G.q.  XV,  p.  36-38. 

(3)  Cf.  plus  bas  la  vingt-deuxième  session. 


550  VINGTIÈME   SESSION.    TRAITÉ  DE  NARBONNE, 

forme  de  l'Église  dans  sa  tête  et  dans  ses  membres,  de  l'extirpa- 
tion des  hérésies,  et  des  autres  questions  qui  appartiennent  de 
droit  au  concile  général,  le  roi  des  Romains  et  les  prélats  réunis 
à  Constance  s'engagent  à  ne  rien  soumettre  au  concile  qui  puisse 
porter  atteinte  aux  intérêts  des  princes  ou  prélats,  laïques  ou 
ecclésiastiques,  attachés  à  l'obédience  de  Benoît  XIII. 

3°  Lorsque  le  concile  général  aura  été  constitué  par  la  réunion 
des  princes,  prélats  et  délégués  de  cette  obédience  ou  de  leurs 
collègues  de  Constance,  et  qu'on  aura  procédé  par  voie  légitime  à 
la  déposition  de  Benoît,  sans  recourir  aux  sentences  du  concile  de 
Pise,  alors,  mais  alors  seulement,  viendra  la  question  de  l'élection 
nouvelle.  Les  cardinaux  de  l'obédience  de  Benoît,  aussitôt  après 
leur  arrivée,  se  réuniront  à  leurs  collègues  des  autres  obédiences, 
pour  constituer  avec  eux  et  au  même  titre  le  sacré  collège. 

4°  Aussitôt  que  le  concile  le  jugera  nécessaire,  il  annulera 
toutes  les  dispositions,  sentences  et  peines  émanées  depuis  le 
schisme,  soit  de  Grégoire  et  de  ses  prédécesseurs,  soit  de 
Jean  XXIIl  et  du  concile  de  Pise,  contre  l'obédience  de  Benoît  et 
Benoît  lui-même,  et  aussi  toutes  les  dispositions  prises  par  Benoît 
contre  les  autres  obédiences  et  le  concile  de  Constance. 

5°  Le  concile  ratifiera  toutes  les  concessions,  dispenses  et  fa- 
veurs accordées  par  Benoît  dans  son  obédience  jusqu'au  jour  de 
la  première  sommation  qui  lui  a  été  adressée  à  Collioure. 

6°  Les  cardinaux  de  Benoît  qui  se  rendront  ou  se  feront  repré- 
senter au  concile,  seront  considérés  comme  de  véritables  cardi- 
naux, et  jouiront  de  tous  les  droits  et  privilèges  de  leur  dignité; 
le  concile  se  réserve  néanmoins  le  droit  de  statuer  sur  le  mode 
d'élection  du  nouveau  pape. 

T  II  sera  pourvu  par  le  concile  au  sort  des  officiers  de  Benoît, 
s'ils  renoncent  à  son  obédience. 

8°  Au  cas  où  Benoît  viendrait  à  mourir  avant  son  abdication  ou 
sa  déposition,  tout  choix  d'un  successeur  par  ses  cardinaux  serait 
non  avenu.  Les  rois  d'Espagne  s'engagent  à  ne  reconnaître  que 
le  pape  élu  par  le  concile. 

9°  Si  deux  ou  plusieurs  cardinaux  de  différentes  obédiences 
étaient  en  possession  du  même  titre,  le  concile  rechercherait  le 
moyen  de  concilier  provisoirement  les  intérêts  des  parties. 

10°  Si  Benoît  consent  à  se  rendre  au  concile,  le  roi  des  Bomains 
et  les  commissaires  du  concile  s'engagent,  par  serment,  à  lui  pro- 
curer des  sauf-conduits  du  roi  de  France,  du  dauphin,  du  roi 


VINGTIÈME  SESSION.     TRAITÉ   DE   NARBONNE.  551 

Louis  de  Sicile  et  du  comte  de  Savoie,  et  à  lui  garantir  en  outre 
toute  sûreté,  tant  au  cours  de  son  voyage  à  Constance  que  pen- 
dant la  durée  de  son  séjour  dans  cette  ville.  La  même  promesse 
sera  faite  à  ses  légats  et  fondés  de  pouvoirs  ^ . 

Dollinger  a  récemment  mis  au  jour  [Materialien  zur  Gesch. 
des  15  U7îd  16  Jahrh.,  t,  II,  p.  328,  etc.)  un  supplément  inédit 
aux  actes  du  traité  de  Narbonne.  Il  résulte  de  ce  document 
que  les  commissaires  du  concile  et  l'archevêque  de  Reims, 
comme  représentant  de  la  France,  jurèrent  solennellement  d'ob- 
server les  articles  que  nous  venons  de  rapporter,  et  se  transpor- 
tèrent ensuite  aux  appartements  du  roi,  situés  dans  une  tour  du 
palais  archiépiscopal,  pour  le  supplier  d'y  donner  lui-même  sa 
sanction.  Sigismond  prononça  donc  le  serment,  la  main  sur 
l'Évangile,  et  les  envoyés  des  rois  de  Gastille,  de  Navarre,  d'Aragon 
et  du  comté  de  Foix  suivirent  le  même  exemple.  Sperans  in  Deo, 
seigneur  de  Gordova,  et  représentant  du  comte  de  Foix,  était  re- 
tenu dans  sa  maison  par  la  maladie  ;  mais  il  tint  à  honneur  de 
faire  la  même  promesse,  et  pour  mieux  en  assurer  l'exécution, 
l'empereur  et  tous  les  princes  que  nous  avons  nommés  s'enga- 
gèrent mutuellement  toutes  leurs  possessions.  Enfin  le  roi  d'A- 
ragon fit  encore,  tant  en  son  propre  nom  qu'au  nom  de  son 
pupille  et  neveu,  le  jeune  roi  de  Gastille,  une  déclaration  nouvelle 
de  sa  pleine  adhésion  au  traité,  et  comme  il  était  malade,  il  la  fit 
signer  par  son  fils  aîné  Alphonse. 

La  première  nouvelle  de  cet  arrangement  parvint  à  Constance 
le  29  décembre  1415,  et  y  causa  une  grande  joie;  mais  on  n'en 
connut  les  détails  que  par  les  commissaires  du  concile,  qui 
s'étaient  mis  en  route  après  la  conclusion  du  traité,  et  purent 
faire  au  concile,  le  30  janvier  1416,  un  rapport  circonstancié  du 
résultat  de  leur  mission.  Pendant  ce  temps  Sigismond  était  parti 
pour  visiter  Paris  et  Londres,  et  apaiser  la  guerre  qui  désolait 
la  France  et  l'Angleterre  :  car  il  nourrissait  toujours  le  projet  de 
les  entraîner  à  la  croisade  contre  les  Turcs  ^. 

Le  célèbre  Vincent  Ferrier  fut  un  de  ceux  qui  contribuèrent 
le  plus  à  modifier  l'attitude  du  roi  d'Aragon  à  l'égard  de  Be- 


(i)  AscHBACH,  1.  c.  p.  142-148.  Voir  les  actes  de  ce  traité  dans  Mansi 
t.  XXVII,  p.  811-817,  et  t.  XXVIII,  p.  224,  etc.;  p.  918,  etc.  -■  Hakd.  t.  VllI 
p.  473-479.  —  V.  DE  Hardt,  t.  II,  p.  484,  etc. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  583.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  812-829.  —  Martènb 
Thés.  t.  II,  p.  1655.  —  P.  v.  Pulka,  1.  c.  p.  41-43. 


552  ÉVÉNEMENTS   QUI   SE   PASSÈRENT   A   CONSTANCE 

noît.  Autrefois  partisan  zélé  de  Benoît  XIII,  dont  il  dirigeait 
même  la  conscience,  il  avait  pu  se  convaincre  plus  tard  que  son 
égoïsme  était  le  seul  obstacle  à  des  sacrifices  devenus  nécessaires, 
poar  l'extinction  du  schisme,  et  cette  persuasion  ne  lui  permit 
pas  de  soutenir  plus  longtemps  sa  cause.  Le  renom  de  sainteté 
qui  l'entourait  et  l'énergie  de  ses  paroles  ne  tardèrent  pas  à 
gagner  l'esprit  du  peuple,  et,  le  6  janvier  1416,  Perpignan  vit  pa- 
raître un  édit  constatant  la  renonciation  des  Aragonais  à  l'obé- 
dience de  Benoît  * .  De  semblables  déclarations  furent  publiées 
dans  la  Navarre  et  la  Castille,  malgré  les  efforts  des  arche- 
vêques de  Tolède  et  de  Séville  pour  maintenir  l'autorité  du  pon- 
tife. Bientôt  le  Portugal  et  l'Ecosse  firent  aussi  retour  au  con- 
cile de  Constance  ^.  Le  2  février  1416,  un  prédicateur  de  l'ordre 
des  Prémontrés  put  exprimer  à  Constance  l'espoir  de  voir 
bientôt  la  troisième  obédience  suivre  tout  entière  cet  exemple, 
et  la  consommation  de  Funité  rendre  ainsi  plus  facile  la  réunion 
des  Grecs  à  l'Église  ^. 

Le  traité  de  Narbonne  fut  solennellement  ratifié  par  tous  les 
membres  du  concile  dans  une  congrégation  générale  (4  fé- 
vrier 1416).  On  ne  crut  pas  utile  de  tenir  à  cet  effet  une  session 
proprement  dite,  parce  que  les  Espagnols,  avant  de  prendre  part 
eux-mêmes  aux  travaux  du  concile,  ne  voulaient  lui  reconnaître 
que  l'autorité  d'une  congrégation.  Le  même  jour  on  rédigea  les 
lettres  de  grâce  stipulées  dans  le  concordat  au  profit  des  Espa- 
gnols, et  Jean  d'Opiz,  auditeur  de  Rote,  partit  aussitôt  pour 
l'Espagne  avec  soixante  exemplaires  de  ces  lettres.  Il  y  en  avait 
vingt  pour  l' Aragon,  autant  pour  la  Castille,  dix  pour  la  Navarre 
et  cinq  pour  chacun  des  comtés  de  Foix  et  d'Armagnac  *. 

§  766. 

ÉVÉNEMENTS   QUI   SE   PASSÈRENT   A   CONSTANCE   AU    COMMENCEMENT 

DE  l'année  1416. 
Cependant  les  choses  avaient  pris  une  assez  mauvaise  tournure 

(1)  V.  D.  Hardt,  t.  Il,  p.  554  sqq.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  824  sqq.  —  IIard. 
t.  VIII,  p.  487  sqq.— DoLLiNGiîR,  Matérialien,  etc.  t.  II,  p.  382  ff.  Cf.  Matitkne, 
Thés.  t.  Il,  p.  1658  sq. 

(2)  Materialien,  etc.  t.  II,  p.  391.  —  Martène,  Thés.  t.  II,  p.  1659,  1660  sqq. 
—  AscHBACii,  1.  c.  t.  II,  p.  148  sq. 

(8)  Wâlch,  Monhnenta,  t.  I,  2,  p.  ur  et  p.  207-232. 

(4)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  817  sqq.,  906  et  950.—  IlAnn,  t.  VIII,  p.  480  sqq.— 
V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  586  sqq.  —  Martène,  Vet.  Script,  t,  VII,  p.  1219  sqq. 


AU    COMMENCEMENT   DE   i/aNNÉE    1416.  553 

en  Bohême.  La  nouvelle  de  l'exécution  de  Jean  Hus  y  avait  excité, 
ainsi  que  dans  la  Moravie,  une  violente  indignation ,  et  l'on  s'y 
était  porté  à  de  grands  excès.  A  Prague  même,  on  avait  saccagé 
et  en  partie  démoli  les  maisons  des  curés  connus  pour  enne- 
mis de  Jean  Hus;  plusieurs  ecclésiastiques  avaient  été  mal- 
traités, quelques-uns  même  tués  et  jetés  dans  la  Moldau  ; 
d'autres  n'avaient  dû  leur  salut  qu'à  la  fuite.  Le  palais  archi- 
épiscopal avait  subi  un  siège  en  règle,  et  l'archevêque  Conrad 
n'avait  pu  qu'à  grand'peine  échappera  la  mort.  On  ne  traitait  pas 
mieux  le  clergé  dans  la  campagne.  Les  barons  hussites  expulsaient 
les  curés  et  donnaient  leurs  sièges  à  des  partisans  de  Hus.  La 
haine  éclata  surtout  contre  l'évêque  de  Leitomysl,  dont  tous  les 
biens  furent  aussitôt  confisqués  par  la  noblesse,  sans  que  le  roi 
Wenceslas  y  mît  aucun  obstacle.  Bien  plus,  ce  prince  attaquait 
le  concile,  et  la  reine  ainsi  que  les  autres  dames  de  haut  rang 
prenaient  ouvertement  parti  pour  celui  qu'elles  appelaient  «l'in- 
nocente victime  >> .  On  adopta  l'usage  du  calice  pour  les  laïques 
dans  la  ville  et  la  campagne,  et  avec  si  peu  de  dissimulation  que 
ce  devint  un  signe  de  ralliement  pour  la  secte.  La  noblesse  hus- 
sitejaux  mains  de  laquelle  se  trouvaient  les  plus  hautes  charges 
de  l'État,  tant  en  Bohême  qu'on  Moravie,  tint  à  Prague,  le  1"  sep- 
tembre 1415,  une  importante  réunion  où  l'on  adressa  au  concile 
un  mémoire  rempli  de  reproches,  en  y  joignant  une  déclaration 
qui  qualifiait  de  menteur  et  de  fils  de  Satan  quiconque  oserait 
parler  des  progrès  d'une  hérésie  en  Bohême.  Cette  pièce  fit  le 
tour  des  deux  régions  intéressées  et  recueillit  plusieurs  centaines 
de  signatures.  Ce  fut  aussi  dans  cette  assemblée  que  les  seigneurs 
s'engagèrent  à  défendre  en  commun  et  au  prix  de  leurs  biens, 
la  liberté  de  la  prédication,  à  ne  tenir  aucun  compte  des  excom- 
munications injustes,  à  ne  se  conformer  aux  sentences  épisco- 
pales  qu'autant  qu'elles  seraient  d'accord  avec  l'Écriture,  et 
enfin  à  respecter  en  tout  les  décisions  de  l'université  de  Prague, 
qu'ils  plaçaient  de  la  sorte  au-dessus  du  concile.  De  leur  côté,  les 
catholiques  ne  tardèrent  pas  à  former  une  ligue  (octobre  1415) 
bien  moins  nombreuse  malheureusement,  puisqu'elle  ne  comp- 
tait que  quatorze  barons;  l'archevêque  de  Prague  et  le  roi 
Wenceslas  ne  laissèrent  pas  d'y  donner  leur  adhésion;  mais 
l'impuissance  du  premier  et  la  duplicité  du  second  empêchèrent 
cette  association  d'acquérir  jamais  une  sérieuse  importance.  Tel 
était  l'état  des  affaires  en  Bohême  à  la  fm  de  1415,  quand  on  y 


554  ÉVÉNEMENTS   QUI  SE  PASSERENT   A   CONSTANCE    ■ 

envoya  l'évêque  de  Leitomysl  en  qualité  de  légat.  La  haine  était 
poussée  si  loin  contre  lui  qu'il  ne  pouvait  se  montrer  nulle  part» 
et  il  se  convainquit  aisément  que  ni  le  roi  ni  les  évoques  de  Prague 
et  d'Olmûtz  (ce  dernier  était  alors  chargé  de  toute  la  Moravie) 
n'opposaient  aux  hussites  une  énergique  résistance.  Il  eut  lieu 
d'être  plus  satisfait  du  vicaire  général  et  du  chapitre  métropoli- 
tain de  Prague,  qui  s'efforçaient  de  combatre  les  progrès  de 
l'utraquisme  (communion  sous  les  deux  espèces)  et  avaient  jeté 
l'interdit  sur  la  ville  (à  l'exception  du  Wisehrade),  parce  qu'elle 
s'obstinait  à  recevoir  dans  ses  murs  les  principaux  chefs  du 
parti.  Les  curés  hussites,  assez  nombreux  déjà,  n'en  tinrent 
aucun  compte.  Cependant  l'adresse  rédigée  par  la  diète,  après 
avoir  circulé  en  Bohême  et  en  Moravie  et  recueilli  les  signatures 
de  quatre  cent  cinquante-deux  barons,  fut  envoyée  à  Constance, 
où  elle  parvint  vers  la  Noël  1415.  On  en  fît  une  lecture  solen- 
nelle dans  la  dernière  congrégation  de  cette  année  (30  décembre)  ^ . 

Le  9  janvier,  fut  tenue  la  première  congrégation  de  Tan- 
née 1416  ;  on  y  vit  paraître  les  envoyés  napolitains,  qui  venaient, 
au  nom  de  la  reine  Jeanne  II  (sœur  du  feu  roi  Ladislas)  et  de  son 
époux  Jacques  de  Bourbon,  rendre  leurs  devoirs  au  concile. 
Nous  avons  vu  plus  haut  que  le  concile  de  Pise  avait  pris  parti 
pour  Louis  II  d'Anjou,  prétendant  au  trône  de  Naples,  contre  le 
roi  Ladislas  ;  aussi  la  sœur  de  ce  dernier,  héritière  de  ses  droits, 
appréhendait-elle  quelque  velléité  de  même  nature  chez  les 
pères  de  Constance.  Le  concile  toutefois  renvoya  les  ambassa- 
deurs avec  les  plus  bienveillantes  assurances.  Ils  ne  furent  pas 
du  reste  seuls  à  se  présenter  ce  jour-là,  car  on  reçut  à  cette  con- 
grégation plusieurs  autres  envoyés  des  petits  princes  italiens  ^. 

Le  13  février,  ce  fut  le  tour  des  ambassadeurs  du  roi  de  Po- 
logne, et  du  duc  Withold  de  Lithuanie,  qui  vinrent,  l'archevêque 
de  Gnesen  à  leur  tête,  lire  au  concile  de  nouvelles  réclamations 
contre  les  chevaliers  teutoniques  ;  mais  cette  demande  n'aboutit 
à  aucune  mesure.  Sur  un  autre  théâtre  l'empereur  Sigismond, 
durant  son  séjour  à  Paris,  parvint  à  faire  agréer  une  trêve  aux 
deux  partis  anglais  et  français,  dans  l'intérêt  de  la  croisade  ^. 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  495.  Cf.  p.  559,  et  t.  II,  p.  425.  —  Palacky,  t.  III, 
1,  p.  369-381.  —  P.  V.  PuLKA,  1.  c.  p.  42. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  810.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  559  sq. 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  832.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  495.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  606.  —  Abghbagh,  1.  c.  2^  partie,  p.  263. 


AU   COMMENCEMENT   DE  l'aNNÉE    1416.  555 

Le  même  jour  (13  février  1415),  conformément  au  désir 
exprimé  par  Sigismond,  les  présidents  des  quatre  nations  adres- 
sèrent au  président  du  concile  et  au  vice-chancelier  une  requête, 
le  priant  de  vouloir  bien  enjoindre  aux  auditeurs  causœsacri 
palatii  d'attendre  le  retour  de  l'empereur,  avant  de  rien  statuer 
sur  les  pt'eces  primariœ.  (On  entendait  par  là  le  droit  réservé 
au  monarque  de  disposer,  dans  chaque  chapitre,  du  premier 
bénéfice  vacant  pendant  son  règne.  Cette  requête  fut  agréée. 
Le  dimanche  de  la  Septuagésime  (16  février  1416),  Théodore  de 
Munster,  délégué  de  l'université  de  Cologne,  fit  un  nouveau 
sermon,  dans  lequel  il  tonna  contre  la  dépravation  et  la  mollesse 
des  prélats,  auxquels  il  appliqua  ces  paroles  :  Quid  statis  tota 
die  otiosi  ?  —  Dans  la  congrégation  suivante  (20  février),  on  exa- 
mina la  situation  des  officiers  de  Grégoire  XII,  et  on  les  assimila, 
tant  au  point  de  vue  des  fonctions  que  des  émoluments,  aux 
anciens  employés  de  Jean  XXIII  ;  puis  on  revint  sur  les  reproches 
adressés  au  concile  par  les  quatre  cent  cinquante-deux  seigneurs 
bohémiens  hussites,  et  on  en  cita  les  auteurs  à  comparaître 
comme  suspects  d'hérésie.  Le  décret  Quia  structura  militantis, 
qui  leur  accordait  un  délai  de  cinquante  jours,  devait  être  affiché 
publiquement  dans  les  villes  de  Constance,  Passau,  Ratisbonne 
et  Vienne  ^  On  discuta  ensuite  la  question  de  savoir  s'il  ne  fallait 
pas  adresser  la  même  citation  à  Conrad  archevêque  de  Prague 
et  à  l'évêque  d'Olmûtz,  à  raison  de  leur  coupable  et  négli- 
gente administration.  Nous  venons  de  voir  quelle  mollesse  ils 
montraient  à  l'égard  des  nouvelles  erreurs;  nous  devons  ajouter 
qu'on  accusait  encore  l'archevêque,  de  simonie,  d'alchimie,  de 
nécromancie  et  de  dilapidation  des  biens  ecclésiastiques.  Tous 
deux  trouvèrent  sans  doute  des  défenseurs  à  Constance  et  en 
Bohême,  surtout  à  Prague  dans  le  chapitre  de  la  cathédrale,  et 
dans  celui  de  Wisehrades;  mais  la  majorité  était  contre  eux,  et  la 
vérité  aussi;  toutefois  cette  mesure  n'eut  pas  de  suites  à  leur 
égard,  parce  que  Sigismond  avait  écrit  de  Paris  des  lettres  très- 
pressantes  pour  demander  qu'on  différât  jusqu'à  son  retour  les 
affaires  réellement  importantes  ^. 


(1)  Mansi,  1.  c.  p.  832  sq.  et  p.  919-925,  —  Hard.  1.  c.  p.  495-498  et  593.  — 
V.  D.  Hardt,  1.  c.  p.  607  sq.  et  p.  839-852.  —  "Walch,  Monimenta  medii  œvi, 
I,  3,  p.  55  sq. —  Palacky,  III,  1,  p.  889  sq. 

(2)  Cf.  la  lettre  anonyme  récemment  éditée  par  Hofler  ,  Geschicht.  t.  II, 
p.  270  sq.  —  Palacky,  1.  c.  p.  39o  sq. 


556  ÉVÉNEMENTS   QUI   SE   PASSÈRE;VT   A    COiVSTANCE. 

Enfin  la  congrégation  du  20  février  1416  examina  de  nouveau 
l'affaire  de  l'évêque  de  Strasbourg  toujours  emprisonné  par  ses 
diocésains,  et  résolut  d'adresser  à  ce  sujet  une  proclamation  so- 
lennelle aux  Strasbourgeois.  Mais  cette  mesure,  qui  ne  fut  d'ail- 
leurs exécutée  que  le  10  mars,  devait  encore  rester  sans  résul- 
tats La  notice  anonyme  à  laquelle  nous  avons  emprunté  les 
accusations  portées  contre  les  évêques  de  Prague  et  d'Olmûtz, 
croit  savoir  que  l'évêque  de  Strasbourg  aimait  beaucoup  mieux 
rester  en  prison  que  d'aller  plaider  sa  cause  à  Constance^. 

La  congrégation  du  24  février  fut  consacrée  à  la  lecture  d'une 
série  de  pièces  relatives  à  la  querelle  des  chevaliers  teutoniques' 
et  du  roi  de  Pologne...  On  y  rendit  cependant  un  décret  en  faveur 
des  anciens  officiers  de  Grégoire  XII,  et  on  nomma  une  commis- 
sion chargée  de  procéder  à  un  plus  ample  examen  des  doctrines 
de  Jérôme  de  Prague  S  Celui-ci,  comme  nous  l'avons  vu, 
n'avait  pas  été  relâché,  malgré  sa  rétractation  du  mois  de  sep- 
tembre. Un  hussite,  Laurent  de  Brzezina,  prétend  en  trouver  la 
cause  dans  certains  soupçons  qu'auraient  conçus  Michel  de 
Causis,  Etienne  de  Palecz,  etc.,  sur  la  sincérité  de  sa  déclara- 
tion. Il  serait  aussi  arrivé  des  carmes  de  Prague,  qui  auraient 
allégué  contre  lui  de  nouveaux  griefs.  Les  commissaires  chargés 
jusque-là  de  l'examiner,  les  cardinaux  d'Ailly,  Zabarella,  Orsini 
et  d'Aquilée,  avaient  pourtant  réclamé  son  élargissement;  mais 
les  théologiens  allemands  et  bohémiens  s'y  étaient  énergi- 
quement  opposés,  et  le  docteur  Nas  avait  même  eu  l'au- 
dace de  dire  à  ces  prélats:  «  11  y  a  lieu  de  craindre  que  vous 
n'ayez  été  gagnés  par  les  hérétiques  ou  le  roi  de  Bohême.  » 
Là-dessus,  les  cardinaux  ayant  donné  leur  démission,  les 
ennemis  de  Jérôme  vinrent  à  bout  de  faire  confier  au  patriarche 
Jean  de  Gonstantinople  et  au  docteur  Nicolas  de  Dinkelsbûhl 
le  soin  de  recueillir  les  dépositions  à  la  charge  de  l'accusé  *. 
Nous  avons  déjà  dit  le  peu  de  crédit  que  mérite  la  supposition 
de  Lenfant  et  de  quelques  autres  auteurs,  qui  ont  attribué  à 
l'ouvrage  de  Protestatione  de  Gerson  l'intention  de  faire  soup- 
çonner la  sincérité  de  Jérôme. 

(1)  MANsr,  t.  XXVII,  p.  834-837.  —  Hard.  1.  c.  p.  496-500.  —  V.  d.  IlAnuT 
t.  IV,  p.  610  et  621  sq. 

(2)  Afud  IIôPLEn,  1.  c.  p.  271. 

(3)  Mansi,  t.  XXVll,  p.  837  sq.—  Habd.  1.  c.  p.  500  sq.—  V.  n.  Hamt,  t.IV, 
p.  6l5-6!9. 

(4)  HoFLEn,  Geschichtschr.  1"  partie,  p.  335  sq. 


AU    COMMENCEMENT   DE   l'aNNÉE   i4l6.  557 

Le  dimanche  de  la  Quinquagésime  (!'='  mars  1416),  le  fameux 
Léonard  Slatius,  général  des  dominicains  et  depuis  cardinal, 
prononça  aussi  un  discours  fort  long,  riche  d'idées,  bien  que 
d'une  forme  assez  originale,  sur  la  nécessité  d'une  réforme  dans 
l'Église  ^  Pour  le  dimanche  de  Lœtare,  le  Codex  de  Tuhingue 
ne  nous  parle  que  d'un  prédicateur  anonyme  qui  s'attaqua 
surtout  à  l'ignorance  des  prélats,  qui  n'entendaient  même  pas 
le  latin,  de  telle  sorte  qu'il  fallait  un  interprète  pour  chaque  dis- 
cours. Il  prétendit  en  outre  que  les  papes  envoyaient  bien  des 
légats  pour  ramasser  de  l'argent,  mais  rarement  pour  extirper 
les  schismes  et  les  hérésies. 

Cependant  le  vieux  Benoît  XIII  lançait  chaque  jour  du  château 
de  Peniscola  de  nouveaux  foudres  contre  ses  ennemis,  et  il  alla 
jusqu'à  menacer  le  roi  d'Aragon  de  le  déposer  du  trône.  Mais 
celui-ci  ne  se  laissa  pas  intimider,  et  envoya  le  général  de  l'ordre 
de  Sainte-Marie  de  la  Merci,  Antonius  Taxai,  en  qualité  de  pléni- 
potentiaire à  Constance,  avec  une  lettre  pour  le  concile  et  une 
autre  pour  Sigismond.  Toutes  deux  furent  lues  le  2  mars  1416, 
dans  une  congrégation  générale  que  l'on  tint  à  la  cathédrale,  et 
où  l'envoyé  du  roi  d'Aragon  fit  un  magnifique  éloge  du  zèle  de 
son  maître  pour  l'union  ^.  Quelques  jours  après,  le  27  du  même 
mois,  le  concile  exhorta  plusieurs  seigneurs  bohémiens  à 
prendre  énergiquement  la  défense  des  catholiques  contre  les 
hussites,  et  en  même  temps  s'occupa  de  pourvoir  à  la  sécurité 
des  États  de  l'Église,  en  particulier  de  la  ville  de  Vilerbe  ^  Nous 
avons  déjà  mentionné  plus  haut  une  lettre  du  concile  aux  ha- 
bitants de  Viterbe,  qui  témoigne  de  sa  soUicitude  pour  le  main- 
tien du  pouvoir  temporel  de  l'Église  et  l'amélioration  de  sa  situa- 
tion actuelle.  C'est  le  même  sentiment  qu'on  retrouve  dans 
les  quatre  lettres  à  la  ville  de  Corneto  (août  et  octobre  1415) 
récemment  mises  au  jour  par  le  P.  Theiner  *. 


(4)  Walch,  1.  c.  I,  3,  p.  XXVIII  et  127  sqq, 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  839.—  Hard.  t.  VIII,  p.  502  sq.—  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  619.  —  IJÔLLINGER,  Matérialen,  etc.  t.  II,  p.  388. 

(3)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  920-924.  —  Documenta,  p.  615  sq.  —  Theiner,  Die 
zwei  allg.  Concilien,  etc.  p.  35  et  44-47= 

(4)  Theiner,  1.  c.  p.  36  sq.  et  p.  47-57. 


558  CONGRÉGATION    GENERALE   DU   27    AVRIL    1416. 

§   767. 

CONGRÉGATION   GÉNÉRALE   DU   27  AVRIL    1416.     CHEFS   d' ACCUSATION 
CONTRE   JÉRÔME   DE  PRAGUE. 

On  ne  tint  plus  de  congrégation  avant  la  célébration  des  fêtes 
pascales,  qui  se  terminèrent  le  27  avril  14 16 ^  Le  patriarche  Jean 
de  Gonstantinople  et  Nicolas  de  Dinkelsbûhl  rendirent  compte 
de  l'impression  produite  par  les  dépositions  des  témoins  à 
charge  contre  Jérôme  de  Prague,  et  maître  Jean  de  Rocha,  que 
nous  verrons  lutter  contre  Gerson,  lut,  en  sa  qualité  de  pro- 
moteur et  d'instigateur  (on  appelait  ainsi  celui  qui  poursuivait 
une  affaire),  une  longue  liste  d'articles  réunis  par  la  commission 
d'enquête,  avec  les  réponses  correspondantes  de  l'accusé.  La 
première  série  comprenait  quarante-cinq  numéros  évidemment 
destinés  à  faire  pendant  aux  quarante-cinq  articles  de  Wiclef, 
et  criblés  par  conséquent  de  répétitions  et  de  redondances.  On 
commençait  par  une  sorte  de  préambule  :  «  Il  y  avait  en  Angle- 
terre un  hérésiarque  nommé  Wiclef  (sous-entendu,  dicit  pro- 
motor  aut  accitsator).  Jérôme  avait  répondu  :  «  Je  ne  m'op- 
pose pas  à  ce  qu'on  en  donne  la  preuve,  »  ce  qui  voulait  dire  : 
Je  ne  le  conteste  pas.  Puis  venaient  les  quarante- cinq  articles  : 
1"  Ce  Wiclef  a  écrit  divers  ouvrages  qui  ont  été  répandus  par- 
tout. Réponse  :  «  J'avoue  que  j'en  ai  vu  et  lu  quelques-uns.  » 
2°  Entre  autres  erreurs  contenues  dans  ces  livres  se  trouvent 
notamment  celle-ci  :  Après  la  consécration,  la  substance  du 
pain  et  du  vin  demeure.  S»  Les  accidents  ne  peuvent  demeurer 
sans  sujet  (substance).  4°  Le  corps  du  Christ  n'est  pas  réel- 
lement et  identiquement  présent  dans  le  sacrement  de  l'eucha- 
ristie. R.  «  J'ai  trouvé  les  deux  premières  propositions  dans 
les  livres  de  Wiclef,  je  ne  me  souviens  pas  d'y  avoir  vu  la  troi- 
sième. »  5°  Les  livres  de  Wiclef  ont  été  soigneusement  exa- 
minés par  beaucoup  de  théologiens  et  d'évêques,  et  condamnés 
à  cause  des  erreurs  et  des  hérésies  qu'ils  renferment  par  beau- 
coup de  facultés  privilégiées,  par  exemple  en  Saxe  et  à  Prague. 


(1)  Un  nouveau  sermon  sur  la  réforme  fut  prèclié  le  dimanche  de  la  Pas- 
sion (5  avril  1416)  par  Théodore  de  Munster,  dit  le  Codex  de  Tubingue. Voir 
ce  discours  dans  Walch,  Monimenta,  I,  3,  p.  163. 


CHEFS   d'accusation    CONTBE  JEROME   DE   PRAGUE.  559 

B.  «  Je  ne  l'ignore  pas.»  6° Il  a  surgi  récemment  des  /ils  d'iniquité 
comme  Eus  et  Jérôme  de  Prague,  qui  ont  publiquement  répandu 
ces  livres  et  les  erreurs  dont  ils  sont  pleins.  M.  «  Je  ne  réponds 
que  pour  moi,  et  je  nie  avoir  professé  les  erreurs  et  les  hérésies 
contenues  dans  ces  ouvrages;  j'avoue  cependant  que  dans  ma 
jeunesse  j'ai  copié  en  Angleterre  le  Dialogue  et  le  Trialogue 
de  Wiclef,  et  que  je  les  ai  apportés  à  Prague.  »  7°  Dès  l'année 
1413,  Jean  XXIII  à  tenu  à  Rome  un  concile  général  pour  la 
réforme  de  l'Église  et  l'extirpation  de  l'hérésie.  M.  «  Je  n'en 
savais  rien,  je  croyais  qu'on  s'était  réuni  à  Pise.  »  8»  Dans  ce 
concile,  tous  les  livres  de  "Wiclef  ont  été  réprouvés  et  condamnés 
au  feu;  la  lecture  en  a  été  rigoureusement  interdite.  9°  Ces  faits, 
sans  aucun  doute  étaient  parvenus  à  la  connaissance  de  Jérôme. 
10°  Il  n'avait  pas  craint  cependant  de  répandre  ces  ouvrages, 
ainsi  que  les  erreurs  et  les  hérésies  y  contenues,  en  diverses  con- 
trées, particulièrement  dans  la  Bohême,  la  Pologne  et  la  Hongrie; 
aussi  l'avait-on  expulsé  de  ce  dernier  royaume.  B.  «  Je  ne  me 
souviens  pas  d'avoir  professé  nulle  part  une  erreur  ou  une  hé- 
résie quelconque;  je  n'ai  pas  non  plus  été  expulsé  de  Hongrie, 
mais  l'archevêque  de  Prague  m'ayant  faussement  accusé  par  écrit, 
je  fus  confié  à  la  garde  deTarchevêquedeGran,  qui  me  traita  avec 
une  grande  bienveillance  ;  le  roi  me  laissa  ensuite  partir  en  toute 
liberté.  »  11°  En  1400,  il  y  eut  à  Prague  une  grande  discussion 
théologique,  à  laquelle  est  resté  le  nom  de  Quodlibet.  12°  Or 
Jérôme  y  soutint  que  Wiclef  était  orthodoxe  et  que  ses  livres  ne 
renfermaient  que  des  vérités.  R.  «  J'ai  dit  que  Wiclef  avait  en- 
seigné et  écrit  beaucoup  de  vérités,  mais  je  n'ai  jamais  dit  que  ses 
livres  ne  renferment  que  des  vérités,  puisque  je  ne  les  ai  même 
pas  tous  lus.  »  13°  Dès  l'année  1400,  Jérôme  avait  gagné  aux 
erreurs  de  Wiclef  un  grand  nombre  de  piersonnages  distingués  de 
Prague,  ainsi  que  les  ambassadeurs  de  Bourgogne  et  duBrabant, 
qui  se  trouvaient  alors  dans  cette  ville.  R.  «  Je  nie  pour  les  habi- 
tants de  Prague,  quant  aux  ambassadeurs,  si  je  les  ai  invités  au 
Quodlibet,  c'était  pour  leur  faire  honneur,  et  nullement  pour  les 
gagner  à  des  erreurs.  »  14°  Après  avoir  été  expulsé  de  Hongrie, 
l'accusé  s'est  rendu  à  Vienne.  15°  C'était  en  l'année  1410;  là  en- 
core  ses  erreurs  le  firent  arrêter;  il  jura  de  ne  pas  quitter  la  ville 
avant  son  interrogatoire  et  d'attendre  la  fin  de  l'enquête  com- 
mencée contre  lui  pour  cause  d'hérésie.  R.  «  On  a  violé  toutes 
les  lois  à  mon  égard;  personne  n'avait  juridiction  sur  moi  à 


560         CONGRÉGATION  GÉNÉRALE  DU  27  AVRIL  1416. 

Vienne,  puisque  j'appartiens  à  un  autre  diocèse.  »  16°  On  avait 
déjà  déterminé  l'époque  de  sa  comparution,  quand  il  jugea  à  pro- 
pos de  s'enfuir  secrètement  ^.  R.  «  Je  n'étais  pas  obligé  d'attendre 
qu'on  en  vînt  à  la  violence.  »  17.  A  la  suite  de  cette  évasion,  l'ac- 
cusé fut  déclaré  opiniâtre  et  parjure,  par  l'official  de  l'évêque  de 
Passau  (dont  relevait  la  ville  de  Vienne),  et  frappé  d'excommunica- 
tion comme  suspect  d'hérésie.  i2.  «  En  mon  absence,  on  pouvait 
décréter  tout  ce  qu'on  voulait.  »  18°  Cette  sentence  fut  affichée 
à  Prague,  à  Gracovie  et  en  d'autres  lieux.  R.  «  Je  ne  puis  ré- 
pondre qu'en  ce  qui  concerne  Prague;  j'ignore  ce  qui  s'est  passé 
ailleurs.  »  19"  L'accusé  est  resté  cinq  ans  sous  le  coup  de  l'ex- 
communication, en  bravant  le  pouvoir  des  clefs.  R.  «  Il  n'est  pas 
vrai  que  j'aie  bravé  le  pouvoir  des  clefs.  Si  j'ai  été  vraiment 
excommunié,  j'en  demande  l'absolution.  »  20°  Sur  une  lettre 
de  l'official  de  Vienne,  l'archevêque  de  Prague  a  cité  Jérôme,  et 
l'a  excommunié  par  défaut.  R.  «  Je  crois  en  effet  que  l'arche- 
vêque a  donné  suite  au  procès  de  Vienne;  mais  je  n'ai  jamais 
été  cité  par  lui.  »  21°  Au  mépris  de  l'excommunication,  il  s'est 
assis  à  la  sainte  table  dans  l'église  de  Saint-Michel  à  Prague. 
R,  «  Un  prêtre  m'avait  absous  ad  cautelam,  en  attendant  la 
prochaine  levée  de  l'excommunication.  »  22°  Il  n'a  jamais 
demandé  ni  obtenu  cette  prétendue  levée.  R.  «  Il  est  vrai  que 
jusqu'aujourd'hui  je  n'ai  jamais  bien  su  si  cette  excommunica- 
tion était  vaUde.  »  23°  Il  a  insulté  l'Église  de  Dieu  et  ses  prélats, 
écrit  des  livres  contre  le  pape,  contre  les  prince  Ernest  d'Au- 
triche et  Ernest  de  Bavière,  et  surtout  contre  l'archevêque 
Sbinco  (Zbynek).  Un  jour  à  une  fenêtre  de  l'église  de  Bethléem, 
pendant  un  sermon  de  Hus,  il  a  publiquement  insulté  le  prélat 
devant  une  grande  foule  de  peuple,  et  excité  la  multitude  contre 
lui.  jR.  «  A  l'égard  des  princes  temporels  susnommés,  je  repousse 
entièrement  l'accusation;  quant  à  l'archevêque,  je  lui  ai  reproché 
de  m'avoir  desservi  auprès  du  roi  de  Hongrie  sans  vouloir  m'en- 
tendre.  »  24°  Au  mois  de  septembre  1412,  dans  le  couvent  des 
carmes,  un  religieux  ayant  exposé  à  la  vénération  les  reliques 
de  S.  Wenceslas,  et  recueilli  pour  la  fabrique  les  aumônes  des 
fidèles,  Jérôme  ne  craignit  pas  d'exciter  le  peuple  à  renverser 
ces  précieux  restes  dans  la  poussière.  R.  «  Cette  histoire  est  de 
pure  invention.  »  25°  A  la  même  époque,  il  a  envahi  ce  couvent 


(1)  Le  texte  porte  ici  anno  Dni  MCCCCIV,  au  lieu  de  1410. 


CHEFS  D  ACCUSATION  CONTRE  JÉRÔME  DE  PRAGUE.       561 

à  la  tête  d'une  bande  d'hommes  armés,  et  après  avoir  brisé  les 
portes  et  blessé  plusieurs  religieux,  il  s'est  saisi  d'un  prédicateur 
qui  combattait  les  erreurs  de  Wiclef,  et  l'a  tenu  longtemps  dans 
une  rigoureuse  captivité.  JR.  «  Je  m'entretenais  paisiblement 
avec  les  religieux,  quand  une  troupe  d'hommes  armés  d'épées 
vint  fondre  sur  moi.  J'étais  sans  armes,  mais  je  pris  pour  me 
défendre  l'épée  d'un  de  ceux  qui  m'entouraient,  puis  je  remis 
deux  religieux  aux  mains  du  juge  et  j'en  gardai  un  troisième 
auprès  de  moi.  »  26°  Il  a  frappé  en  pleine  rue  un  frère  mineur 
à  la  bouche,  et  l'aurait  sans  doute  achevé  si  l'on  ne  s'était 
entremis.  M.  «  Ce  frère  insultait  grossièrement  plusieurs  per- 
sonnes de  qualité;  je  l'en  repris,  et  ce  ne  fut  que  lorsqu'il 
m'insulta  moi-même  que  je  lui  ai  mis  le  revers  de  ma  main  sur 
la  bouche.  »  27°  Il  a  entraîné  un  dominicain  de  Saint-Clément 
de  Prague  dans  l'apostasie,  a  envahi  son  couvent  avec  des  gens 
armés,  en  lui  ordonnant  de  quitter  l'habit  religieux  pour  les 
vêtements  laïques  qu'il  lui  a  procurés;  puis,  le  crime  consommé, 
il  s'est  constitué  le  protecteur  de  ce  malheureux,  qui  s'est  noyé 
peu  de  temps  après,  i?.  «  Je  nie  l'envahissement  à  main  armée. 
J'ai  reçu  ce  jeune  homme  par  pitié,  parce  que  le  prieur  lui 
refusait  le  nécessaire.  Il  a  quitté  l'habit  de  son  plein  gré,  et  a 
péri  malheureusement  en  prenant  un  bain.»  28°  Il  a  gardé  comme 
serviteur  pendant  sixou  sept  ans  Pierre  de  Valencia,  au  mépris  des 
foudres  de  l'ÉgHse,  dont  celui-ci  avait  été  frappé,  iî.  «  Je  l'avoue; 
maissije  lui  ai  rendu  ce  service,  ce  n'est  point  à  cause  de  l'excom- 
munication, mais  malgré  l'excommunication.  »  29°  En  Pologne, 
il  a  suscité  mille  divisions,  et  il  allait  être  arrêté  comme  suspect 
d'hérésie,  lorsqu'il  s'est  enfui,  i?.  «  Cela  est  faux.  »  30.  Pendant 
l'année  1413,  il  parcourut  la  Lithuanie  et  la  Piussie,  et  ne  crai- 
gnit pas  de  donner  à  l'hérésie  des  habitants  la  prééminence  sur 
la  foi  chrétienne  ;  aussi  fut-il  comblé  par  eux  de  présents. 
R.  «  Ceux  qui  ont  été  baptisés  selon  le  rit  grec  sont  catholiques; 
j'ai  donc  répondu  au  duc  Withold  qu'il  n'était  pas  nécessaire 
de  les  baptiser  de  nouveau,  mais  qu'il  fallait  simplement  les 
instruire  dans  la  foi  «  romaine  ».  31.  Jérôme  est  soupçonné  de 
professer  les  quarante-cinq  articles  de  Wiclef,  dont  il  nie  la 
condamnation,  et  en  particuher  l'erreur  de  la  permanence. 
M.  «  Lorsque  ces  articles  ont  été  condamnés,  je  me  trouvais  à 
Jérusalem,  et  je  ne  crois  pas  qu'ils  soient  tous  de  Wiclef.  »  32°  Il 
a  souvent  prêché,  bien  que  simple  laïque,  dans  l'intérieur  des 

T.  X.    36 


562  CONGRÉGATION  GÉRÉRALE   DU    27    AVRIL    1416. 

maisons,  en  Pologne,  en  Lithuanie,  en  Moravie.  33°  C'est  un 
des  principaux  sectaires  de  Hus,  et  il  a  fait  beaucoup  d'adeptes. 
jR.  «  J'aimais  Jean  Hus  comme  un  excellent  homme,  et  je  n'ai 
jamais  entendu  aucune  hérésie  sortir  de  sa  bouche.  On  lui  a 
fait  beaucoup  de  reproches  mal  fondés.  »  34°  Malgré  toutes  les 
exhortations  qu'on  lui  a  adressées,  Jérôme  n'a  jamais  renoncé  à 
l'hérésie,  et,  lorsqu'il  a  été  cité  à,  Rome  pour  se  justifier,  bien  loin 
de  se  soumettre,  il  a  persévéré  dans  son  entêtement.  R.  «  Jamais 
je  n'ai  reçu  de  citation.  »  35°  Il  s'est  lié  avec  des  profanes,  des 
ennemis  de  la  foi,  a  fréquenté  leurs  églises,  en  particulier  la 
paroisse  de  Saint-Michel,  et  la  grande  chapelle  de  Bethléem,  et 
a  engagé  beaucoup  de  séculiers  à  suivre  cet  exemple.  M.  «  Gela 
n'est  pas  exact.  >•  36°  Il  s'est  souvent  montré  dans  les  rues  avec 
cent  ou  deux  cents  hommes  armés,  pour  attaquer  les  ennemis 
de  "VViclef.  R.  «  Je  ne  me  suis  montré  qu'une  seule  fois  dans  la 
rue  avec  soixante-dix  hommes  ;  j'accompagnais  le  roi,  et  ces  gens 
n'étaient  pas  à  ma  suite.  »  37°  Quand  le  roi  laissa  la  justice 
suivre  son  cours  contre  Hus  et  les  partisans  de  Wiclef,  Jérôme 
vint  le  trouver  déguisé  en  mendiant,  nu-pieds,  la  barbe  longue, 
monté  sur  un  âne,  et  jouant  hypocritement  le  rôle  de  disciple 
du  Christ.  Il  a  prêché  en  faveur  du  wicléfisme  et  s'est  fait  beau- 
coup d'adeptes  ;  il  a  même  brisé  les  fers  de  plusieurs  prisonniers 
condamnés  par  le  roi  comme  coupables  d'hérésie  et  de  ré- 
beUion.  R.  «  Cela  n'est  pas  vrai.  »  38°  Il  a  donné  publiquement 
lecture  d'une  prétendue  lettre  écrite  par  l'université  d'Oxford 
en  faveur  de  Wiclef.  i?.  «  J'ignorais  qu'elle  fût  supposée;  c'était 
un  jeune  homme  qui  me  l'avait  remise.  »  39°  Il  a  excité  le  res- 
sentiment des  princes  temporels  contre  le  clergé  et  les  a  engagés 
à  dépouiller  l'Église;  lui-même  était  complice  des  principaux 
spoliateurs  Wozon,  Ratzovi,  et  Robulo  (Cobile).iî.  «Il  est  vrai 
que  je  me  suis  entretenu  avec  ces  personnages  qui  remplissaient 
des  charges  à  la  cour;  mais  je  n'ai  jamais  été  leur  complice.  » 
40°  Il  a  engagé  des  séculiers  à  mépriser  les  censures  et  à  ne 
faire  aucun  cas  des  reliques  et  des  indulgences.  R.  «  Cela  n'est 
pas  vrai.  »  41°  L'accusé  est  un  homme  de  la  plus  mauvaise  con- 
duite et  de  la  plus  triste  réputation,  séditieux,  ami  de  l'hérésie 
et  connu  pour  tel.  R.  «  Comment  faire  concorder  cela  avec  la 
passion  dont  on  dit  que  j'étais  l'objet?  »  42°  L'accusé  a  soutenu 
en  différents  lieux,  notamment  à  Paris,  à  Cologne  et  à  Heidelberg, 
les  propositions  suivantes  :  a)  Il  n'y  a  pas  en  Dieu  ou  dans  l'Être 


CHEFS   d'accusation   CONTRE  JÉRÔME   DE    PRAGUE,  563 

divin  seulement  une  trinité  de  personnes,  il  y  a  quaternité  de 
choses  [quaternitas  reriim)^  et  même  quinternité  {quinternitas); 
b)  ces  choses  sont  distinctes  en  Dieu,  l'une  n'est  pas  l'autre,  et 
cependant  chacune  d'elles  est  Dieu;  c)  l'une  d'elles  est  plus  par- 
faite que  les  autres;  <i)  dans  les  créatures,  par  exemple  dans  l'âme 
humaine,  il  faut  aussi  distinguer  une  trinité  de  choses  dans 
l'unité  d'essence,  savoir:  la  mémoire,  l'intelligence  et  la  volonté; 
é)  l'âme  est  une  image  parfaite  de  la  Trinité,  hormis  qu'elle  est 
créée  et  finie;  /)  la  mémoire,  la  volonté  et  l'intelligence  d'un 
ange  sont  sa  nature,  mais  non  pas  sa  personne  ;  g)  en  vertu  de  la 
toute-puissance  divine,  le  Père  aurait  pu  ne  pas  engendrer  le 
Fils;  h)  tout  ce  qui  doit  arriver  est  de  nécessité  conditionnelle; 
[necessitaîe  conditionatd);  i)  la  substance  du  pain  n'est  pas 
changée  au  corps  du  Christ;/)  Wiclef  n'était  pas  un  hérétique, 
mais  un  saint.  43°  Jérôme  a  soutenu  à  Paris  que  Dieu  ne  pouvait 
rien  anéantir,  et  l'Université  ainsi  que  le  chancelier  l'auraient 
contraint  de  se  rétracter,  s'il  ne  s'était  pas  enfui  secrètement. 
44°  Les  propositions  qu'on  vient  d'énumérer,  au  moins  pour  la 
plupart,  sont  inexactes.  R.  «  Ces  propositions  sont,  au  contraire, 
exactes,  si  on  les  entend  bien  ;  mais  ce  ne  sont  point  là  les  termes 
dans  lesquels  je  les  ai  formulées.  »  45°  Tout  ce  qu'on  vient  d'énu- 
mérer est  connu  et  notoire  ■*. 

A  la  suite  de  cette  lecture,  le  promoteur  déclara  que  si  on 
relâchait  Jérôme  sans  exiger  de  lui  les  garanties  indispensables, 
la  nouvelle  hérésie  ferait  courir  à  l'Église  de  plus  grands  dan- 
gers que  l'arianisme,  et  qu'en  conséquence  il  désirait  soumettre 
à  l'accusé  une  série  de  propositions  sur  lesquelles  celui-ci  de- 
vrait répondre  par  serment.  En  cas  de  démenti,  le  promoteur 
serait  admis  à  fournir  ses  preuves.  Cette  nouvelle  série  ne  comp- 
tait pas  moins  de  cent  deux  numéros,  la  plupart  assez  développés. 
Plusieurs  n'étaient  que  la  reproduction  plus  détaillée  des  pré- 
cédents; on  y  avait  joint  des  dates  destinées  à  préciser  les  accu- 
sations contre  Jérôme.  En  voici  le  résumé  assez  fidèle  :  1*'  Wiclef 
a  écrit  beaucoup  de  livres  qui  contiennent  des  hérésies.  2°  L' Uni- 
versité d'Oxford  a  condamné  ses  ouvrages,  ainsi  qu'une  série  de 
propositions  qu'il  avait  soutenues.  3° L'archevêque  de  Gantorbéry 
en  a  fait  autant  avec  son  synode.  4°  Hus  a  lu  ces  ouvrages  et  en  a 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  840-S48.—  Haot.  t.  VIII,  p.  503-512.—  V.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  630-646. 


564  CONGRÉGATION    GENERALE    DU    17    AVRIL    1416. 

répandu  les  erreurs  parmi  les  fidèles  et  le  clergé.  C'est  ainsi  que 
s'est  formée  à  Prague  la  secte  des  wicléfîsLes.  5°  Ces  sectaires 
ont  fait  des  adeptes,  dépouillé,  maltraité  et  chassé  des  ecclésias- 
tiques, se  sont  emparé  des  bénéfices  pour  les  distribuer  à  leurs 
partisans,  et  n'ont  tenu  aucun  compte  du  pouvoir  des  clefs,  etc. 
7°  Dès  le  commencement,  c'est-à-dire  depuis  qu'il  a  eu  l'âge  de 
discrétion,  Jérôme  a  eu  des  sympathies  pour  les  nouvelles  doc- 
trines et  principalement  pour  le  wicléfisme.  8°  Il  a  étudié  en 
Angleterre  les  livres  de  Wiclef,  et  les  a  même  copiés  avec  la 
plus  grande  vénération.  9°  Il  a  répandu  de  même  ceux  de  Hus. 
10°  Par  contre,  il  a  déclaré  qu'il  ne  fallait  faire  aucun  cas  des 
ouvrages  qui  combattaient  ces  erreurs,  et  que  l'autorité  ecclé- 
siastique avait  revêtus  de  son  approbation.  11°  Il  a  soutenu  dans 
une  discussion  publique  à  Prague,  que  qui  n'avait  pas  lu  les 
livres  de  Wiclef  n'avait  que  les  dehors  de  la  science.  12°  Il  a 
souvent  engagé  les  étudiants  à  ne  lire  que  ces  ouvrages.  14°  De-  ' 
puis  douze  ans,  sa  réputation  est  détestable,  sa  conduite  plus 
mauvaise  encore,  c'est  un  séditieux  etc.  et  il  est  partout  connu 
pour  tel.  15-16°  Il  a  détourné  de  la  vraie  foi  beaucoup  d'âmes. 
17°  Il  n'ignorait  pas  la  condamnation  des  livres  de  Wiclef,  cepen- 
dant il  n'a  pas  craint  de  les  apporter  d'Angleterre  à  Prague. 
18°  Depuis  1402,  depuis  de  longues  années  par  conséquent,  il  a 
répandu  partout  ces  doctrines,  en  Bohême,  en  Moravie,  etc.  il  a 
fait  connaître  Hus,  Jacobell  et  les  autres,  et  il  a  excité  à  Prague 
les  partisans  de  Wiclef  contre  le  clergé  et  les  JQdèles  orthodoxes. 
20°  Le  18  mai  1403,  les  quarante-cinq  articles  de  Wiclef  ont  été 
condamnés  et  prohibés.  21°  Ils  l'ont  été  de  même  en  août  1409, 
dans  le  lieu  des  séances  delà  nation  bohémienne,  en  présence  de 
quarante  maîtres  et  d'un  grand  nombre  de  bacheliers  et  d'étu- 
diants. Jérôme  a  dû  lui-même  y  assister.  22°  Au  mois  de  juin  1410, 
le  dialogue  et  le  trialogue  de  Wiclef,  après  un  examen  approfondi 
de  plusieurs  docteurs  et  maîtres,  ont  été  réprouvés  et  condamnés 
au  feu  par  Pévêque  de  Prague,  comme  renfermant  des  erreurs 
et  des  hérésies.  23°  Au  mois  de  janvier  1412-1413,  le  concile 
général  de  Rome  a  de  même  réprouvé  et  condamné  au  feu  les 
livres  de  Wiclef.  27°  L'accusé  n'a  pas  craint  nonobstant,  dans 
les  discussions  publiques,  dans  l'église  de  Bethléem  et  ailleurs, 
d'appeler  Wiclef  un  grand  saint,  un  prédicateur   évangélique 
et  un  apôtre  de  la  vraie  foi.  28°  Il  l'a  fait  peindre  avec  une  auréole 
et  l'a  vénéré  comme  un  saint,  en  exhortant  d'autres  personnes 


CHEFS   D  ACCUSATION    CONTRE   JÉRÔME   DE   PRAGUE.  565 

à  imiter  son  exemple.  29°  Il  a  prétendu  que  les  quarante-cinq 
articles  condamnés  étaient  catholiques  et  évangéliques.  30°  Bien 
que  l'archevêque  de  Prague  eût  exigé  la  remise  des  livres  wiclé- 
fistes,  Jérôme  a  défendu  publiquement  dans  les  écoles  de  celte 
ville  ou  ailleurs,  plusieurs  de  ces  ouvrages  et  les  doctrines 
condamnées.  31°  Il  a  défendu  avec  opiniâtreté  les  doctrines  de 
Wiclef,  combattu  la  sentence  qui  les  frappait,  poursuivi  et  me- 
nacé leurs  adversaires.  32°  Au  mois  d'août  1411,  il  a  fait  arrêter, 
emprisonner  et  maltraiter  un  de  ces  derniers,  nommé  Cultelli- 
faber  (Coutelier).  33°  Ce  malheureux  a  succombé  peu  de  jours 
après  aux  suites  de  ces  mauvais  traitements.  34"  Au  mois  de 
septembre  1412,  le  P.  Carme  Nicolas  ayant  osé  traiter  d'héré- 
tique dans  un  sermon  la  doctrine  de  Wiclef,  Jérôme  l'a  fait 
arrêter  et  emmener  avec  deux  de  ses  frères;  il  a  retenu  le  pré- 
dicateur et  livré  les  deux  autres  au  juge  civil  de  Neustadfc,  qui 
les  a  envoyés  en  prison  avec  les  malfaiteurs  et  les  voleurs.  35°  II 
a  tenu  ce  religieux  plusieurs  jours  en  captivité,  et  l'a  fait  plonger 
avec  une  corde  dans  la  Moldaw,  pour  lui  faire  avouer  que  Wiclef 
était  un  saint  et  un  prédicateur  de  l'Évangile,  et  il  l'aurait  cer- 
tainement noyé  si  l'on  n'était  intervenu.  36.  Il  a  bien  souvent 
soutenu  les  erreurs  suivantes  :  a)  et  b)  que  le  pain  et  le  vin  sub- 
sistent même  après  la  consécration  etc.;c)  que  Jésus-Christ  n'est 
pas  vraiment  présent  sur  l'autel,  car  l'hostie  n'a  jamais  souffert  sur 
la  croix  comme  lui;  cl)  que  si  les  rats  peuvent  manger  une  hostie 
consacrée,  sans  manger  le  Christ,  c'est  que  le  Christ  n'est  pas 
dans  T'hostie;  e)  que  Dieu  n'est  pas  dans  l'hostie,  carie  prêtre  ne 
peut  pas  consacrer  son  Créateur.  37°  Que  personne  ne  pourrait 
entrer  dans  le  ciel  sans  adhérer  aux  doctrines  de  Wiclef.  39.  II 
a  composé  ou   fait  composer  des   cantiques  tchèques  où  en- 
traient les  paroles  de  la  consécration,  et  ceux  qui  les  chantent 
prétendent  aujourd'hui  qu'ils  consacrent  véritablement.  40°  II 
en  a  composé  encore  beaucoup  d'autres,  en  y  intercalant  des 
paroles  de  la  Bible,  de  telle  sorte  que  les  chanteurs  se  figurent 
que  c'est  à  eux  et  non  pas  à  l'Église  qu'il  appartient  de  com- 
prendre la  sainte  Écriture;  et  ils  répètent  ces  cantiques  jour  et 
nuit  dans  toutes  les  rues,  pour  jeter  la  confusion  parmi  les  fidèles. 
41°  Jérôme  a  prétendu  en  outre  que  les  laïques  eux-mêmes, 
pourvu  qu'ils  appartiennent  à  la  secte  de  Wiclef,  ont  le  pouvoir 
de  consacrer,  de  baptiser,  de  confesser  etc.  43°  En  l'année  1409, 
le  dimanche  qui  a  suivi  la  fête  de  l'Assomption,  il  a  prêché  e 


566  CONGRÉGATION    GENERALE   DU    17   AVRIL    1416. 

enseigné,  à  Prague  et  ailleurs,  mais  en  particulier  dans  l'église 
de  Bethléem,  une  doctrine  assez  analogue  à  l'hérésie  de  Hus, 
à  savoir,  qu'il  ne  fallait  pas  s'effrayer  ni  même  tenir  aucun  compte 
de  l'excommunication  lancée  par  le  pape  ou  par  un  évêque,  si  l'on 
n'était  sûr  que  Dieu  avait  d'abord  lui-même  porté  la  sentence; 
il  n'y  avait  pas  non  plus  à  se  préoccuper  de  l'interdit.  Il  n'y  a 
donc  pas  lieu  de  s'étonner  si,  dans  tant  de  paroisses  et  de  villes 
du  diocèse  de  Prague,  les  prêtres  ont  été  contraints  de  célébrer, 
malgré  la  défense  de  l'Église.  45°  Il  a  dénié  au  souverain  pontife 
le  droit  d'accorder  des  indulgences,  a  fait  de  l'opposition  aux 
prédicateurs  envoyés  à  cet  effet,  les  a  chassés  et  poursuivis  à 
main  armée,  en  traitant  le  pape  d'hérétique  et  d'usurier.  48°  Il  a 
prétendu  que  tout  laïque  instruit  pouvait,  sans  autorisation,  prê- 
cher en  dedans  ou  en  dehors  des  églises,  et  il  l'a  souvent  fait 
lui-même  en  Bohême  et  en  Moravie.  49°  Ainsi,  le  jeudi-saint  de 
l'année  1410,  il  a  prêché  à  Bude  en  Hongrie,  dans  la  chapelle 
royale  du  château,  devant  le  roi  Sigismond  entouré  d'un  grand 
nombre  de  prélats;  son  sermon  du  reste  était  rempli  d'erreurs, 
particulièrement  en  ce  qui  touche  l'Eucharistie.  50°  Le  roi  le  fit 
alors  arrêter  et  remettre  entre  les  mains  de  l'archevêque  de 
Grau.  53°  En  1411,  le  mardi  de  la  Pentecôte,  il  a  fait  attacher  les 
bulles  d'indulgences  du  pape  au  cou  de  plusieurs  filles  de  mau- 
vaise vie,  qui  les  ont  ainsi  promenées  par  la  ville.  Des  wicléfistes 
armés  entouraient  la  voiture  et  criaient,  par  son  ordre,  qu'on 
allait  brûler  les  bulles  d'un  hérétique  et  d'un  débauché.  55°  Il  a 
traité  d'hérésie  le  culte  rendu  aux  images  des  saints.  56°  En 
mars  1415,  dans  le  Grosseite  de  Prague,  devant  l'église  des  frères 
mineurs,  il  a  couvert  de  boue  un  crucifix  de  bois,  et  il  a  engagé 
les  autres  sectaires  à  en  faire  autant.  58"  Il  s'est  souvent  élevé 
aussi  contre  les  honneurs  rendus  aux  rehques.  60°  Il  a  soutenu 
que  la  véritable  Église  catholique  se  trouvait  du  côté  de  Wiclef 
et  de  Hus,  et  que  leurs  défenseurs  étaient  de  vrais  martyrs;  en 
conséquence,  il  a  fait  inhumer  avec  les  plus  grandes  marques 
de  respect  les  restes  de  trois  criminels  décapités  au  mois  de 
juin  1412.  61°  Le  lendemain,  il  a  fait  célébrer  en  leur  honneur 
la  messe  des  martyrs,  dans  la  chapelle  de  Bethléem,  après  avoir 
convoqué  le  peuple  à  cette  cérémonie.  64°  Le  promoteur  soutient 
et  offre  de  prouver  que  le  schisme  grec  a  des  adhérents  (ru- 
thènes)  dans  la  ville  de  Witesko  (Witebsk)  en  Russie.  65°  Ces 
Ruthènes  y  ont  une  cathédrale,  et  il  s'y  trouve  aussi  un  couvent 


CHEFS   n'ACCUSATIOlSr    CONTRE   JÉRÔME    DE   PRAGUE.  567 

de  dominicains  catholiques.  66°  Il  y  a  près  de  la  ville  un  cours 
d'eau  navigable.  67°  Au  mois  d'avril  1413,  le  duc  Withold  de 
Lithuanie  s'en  était  approché  avec  une  grande  armée,  et  l'avait 
franchi,  pour  ainsi  dire,  en  présence  de  Jérôme.  68°  Les  catho- 
liques de  la  ville  s'étaient  rendus  processionnellement  au-devant 
de  ce  prince.  69°  Les  Ruthènes  en  avaient  fait  autant.  70°  Jérôme 
se  joignit  à  ces  derniers,  et  rendit  honneur  aux  reliques  des 
schismatiques.  71°  Puis  il  proclama  que  la  foi  des  Ruthènes 
était  la  véritable.  72°  Il  fit  aussi  tous  ses  efforts  pour  amener  le 
duc  et  son  peuple  à  quitter  la  foi  catholique  pour  embrasser  le 
parti  qu'on  vient  de  nommer.  73°  Gomme  l'évêque  de  Wilna  le 
reprenait,  il  répondit  que  les  Ruthènes  étaient  de  bons  chré- 
tiens. 75°  Il  y  a  en  Russie  une  autre  ville  appelée  Pleskow. 
76°  L'accusé  y  a  rendu  les  mêmes  honneurs  aux  reliques  des 
schismatiques.  78°  Il  a  de  plus  laissé  pousser  sa  barbe  pour 
imiter  ces  mécréants.  A  cette  série  d'articles  le  promoteur  on 
instigateur  ajoutait  les  suivants,  pour  prouver  que  l'abjuration  de 
Jérôme,  loin  d'être  sincère,  n'avait  été  qu'un  moyen  de  répandre 
plus  aisément  seserreurs,  pour  dévoiler  plus  complètement  sa  per- 
versité, et  pour  faire  exercer  sur  lui  une  plus  rigoureuse  vigilance. 
80°  Après  avoir  soutenu  ses  erreurs  à  Paris,  se  voyant  pressé  de 
les  rétracter  par  les  maîtres  et  surtout  par  le  chancelier  Gerson, 
Jérôme  a  pris  le  parti  de  s'enfuir  secrètement.  82°  Il  a  professé  les 
mêmes  erreurs  à  Heidelberg.  83°  Aussi  l'université  de  cette  ville 
voulait-elle  le  faire  arrêter  et  exiger  de  sa  part  une  rétractation. 
84°  Mais  cette  fois  encore  il  s'est  dérobé  par  la  fuite.  85°  Il  a  fait 
la  même  chose  à  Gracovie.  87-90°  Il  a  tenu  à  Yienne  une  conduite 
analogue.  91°  Il  s'est  alors  réfugié  dans  le  diocèse  d'Olmûtz,  et  il 
a  écrit  de  là  à  l'official  de  Passau  à  Vienne  qu'il  devait  envoyer  ses 
plaintes  à  Prague  (ci-joint  le  texte  de  la  lettre).  93°  A  Prague  et  en 
plusieurs  autres  lieux  de  la  Bohême,  il  a  fait  publier  qu'il  venait  à 
Constance  pour  défendre  contre  tout  venant  les  doctrines  de 
Wiclef;  tandis  qu'à  Constance  il  affichait  pubhquement  et  envoyait 
à  l'empereur  et  au  concile  des  professions  de  foi  attestant  qu'il 
venait  dans  cette  ville  pour  se  j  ustifier  et  prouver  son  orthodoxie. 
(Deux  de  ces  pièces  étaient  annexées  au  rapport.)  94°  Mais  au 
moment  oii,  contrairement  à  ses  affirmations,  il  voulait  retour- 
ner en  Bohême  avec  quelques  amis,  il  fut  assigné  devant  le 
concile  (décret  de  la  6°  session,  17  avril  1415).  95°  Sa  non- 
comparution  le  fit  déclarer  opiniâtre.  97°  Toutefois,  avec  l'aide 


568         CONGRÉGATION  GENERALE  DU  17  AVRIL  1416. 

de  Dieu,  on  put  s'emparer  de  sa  personne  et  l'amener  à  Constance 
sur  l'ordre  du  concile.  98°  Là,  dans  la  session  publique  du  23  sep- 
tembre, il  a  réprouvé  la  personne  et  les  erreurs  de  Wiclef  aussi 
bien  que  de  Hus,  et  a  promis  d'écrire  au  roi  et  à  la  reine  de 
Bohême,  à  l'université  de  Prague,  et  en  général  à  tous  ses  com- 
patriotes, qu'on  avait  eu  raison  de  condamner  ces  deux  sectaires 
et  leurs  articles.  Mais  il  n'a  pas  tenu  cet  engagement,  n'a  écrit 
qu'une  seule  lettre  et  refuse  d'aller  au  delà.  99°  Il  refuse  aussi 
de  donner  satisfaction  sur  les  articles  qui  l'accusent  d'erreur  et 
d'hérésie,  et  de  confirmer  ses  réponses  par  serment.  100°  Il  pro- 
teste qu'il  a  toujours  été  bon  chrétien,  et  pur  de  toute  erreur 
dans  la  foi,  et  prétend  qu'on  lui  a  fait,  en  l'arrêtant,  une  grande 
injustice  que  l'on  doit  réparer.  101°  Toutes  ces  belles  paroles 
montrent  qu'il  reste  fidèle  à  la  doctrine  de  Wiclef  et  de  Hus. 
102°  Tous  ces  faits  sont  notoires  \ 

Le  promoteur  terminait  en  assurant  que  Jérôme  menait  en 
prison  joyeuse  vie,  mangeant  et  buvant  plus  qu'il  ne  l'aurait 
fait  en  liberté,  et  qu'en  conséquence  on  devait  le  soumettre  au 
jeûne;  il  proposait  en  outre  d'exiger  de  lui,  sous  la  menace  de 
la  torture,  des  réponses  suffisantes,  par  oui  ou  par  non,  sur  sa 
croyance  aux  articles  proposés.  En  cas  de  refus  persistant  et 
prouvé  ou  susceptible  d'être  prouvé  légalement,  sur  l'un  des 
points  précédemment  énoncés,  l'accusé  serait  considéré  comme 
hérétique  opiniâtre  et  incorrigible,  et  conséquemment  abandonné 
à  la  justice  temporelle  ^. 

La  lecture  de  cette  longue  série  occupa  presque  toute  la  durée 
du  jour;  cependant  on  eut  encore  le  temps  d'examiner  quelques 
autres  affaires  (27  avril  14 16).  Le  représentant  de  l'évêque,  nommé 
de  Rimini,  déposa  une  requête  juridique  tendant  à  ce  que  les 
délais  imposés  aux  évêques  pour  se  faire  sacrer  ne  portassent 
pas  préjudice  à  son  mandant,  qui  se  voyait  contraint  d'attendre 
longtemps  la  confirmation  du  Saint-Siège.  Un  autre  envoyé 
de  l'archevêque  élu  de  Sens,  Henri  de  Savoisy,  demanda  la  con- 
firmation de  l'élection  au  concile.  Jean  de  Norry  était  son  concur- 
rent présenté  par  le  roi.  Gomme  on  laissa  traîner  la  chose  en  lon- 
gueur, de  Savoisy  renouvela  plus  tard  sa  protestation  ;  mais  ce  fut 


(1)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  848-863.— IIard.  t.  VIII,  p.  512-531.— V.  d.  IIardt, 
t. IV,  p.  646-089. 

(2)  Mansi,  l.  c.  p.  863.  —  IIaud,  1.  c.  p.  531.  —  V.  d.  HAnoT,  1.  c.  p.  689  sq. 


DISCUSSIONS   RELATIVES   A    l/ÉVÊQUE    DE    STRASBOURG.  5C9 

encore  sans  résultat.  Le  procureur  de  l'Église  de  Lyon  allégua 
d'un  autre  côté  et  voulut  faire  reconnaître  l'autorité  primatiale 
de  cette  Église  sur  celle  de  Sens.  Mais  on  se  borna,  pour  cette 
fois,  à  recevoir  les  pièces  remises  à  l'appui.  L'affaire  de  Stras- 
bourg ne  pouvait  pas  non  plus  manquer  de  se  reproduire;  on 
discuta  donc  la  question  de  savoir  si  le  monitoire  adressé  aux 
adversaires  de  l'évéque  recevrait  bientôt,  ou  non,  force  de  loi,  et 
l'avocat  des  Strasbourgeois  déposa  un  appel  ridiculement  déve- 
loppé contre  les  décisions  du  concile.  On  renvoya  l'affaire  au  jeudi 
suivant,  30  avril.  Enfin  on  prit  une  détermination  relative  aux 
trois  saints  de  Suède.  Aussitôt  après  la  canonisation  de  Ste  Bri- 
gitte (1"  février  1415,  le  roi  de  Suède  Ericli  XIII,  d'accord  avec 
l'épiscopatde  son  royaume,  avait  demandé  au  pape  Jean  XXIII  de 
vouloir  bien  accorder  le  même  honneur  à  trois  autres  person- 
nages, dont  deux  évêques  :  Nicolas  de  Linkœping  (mort  en  1391) 
et  Brynolph  de  Skara  (mort  en  1317)  et  une  religieuse  augustine 
nommée  Nigris  [Lenfant  veut  que  ce  soit  un  moine).  Cette  lettre 
était  parvenue  à  Constance  précisément  au  moment  de  la  fuite 
de  Jean;  le  concile  évoqua  donc  la  cause  et  nomma,  pour  l'exa- 
miner, une  commission  composée  des  cardinaux  d'Ailly  et  Co- 
lonna,  ainsi  que  de  Gerson  et  de  plusieurs  autres  théologiens  ^ . 
Leur  conclusion  fut  que  les  vertus  et  les  miracles  allégués  n'é- 
taient pas  suffisants;  aussi  le  concile  décida-t-il,  le  27  avril,  que 
toute  l'affaire  serait  renvoyée  aux  Suédois,  pour  plus  amples 
recherches.  La  notification  leur  fut  faite  de  ce  décret  par  une 
bulle  2. 


768. 


DISCUSSIONS   RELATIVES  A   l'ÉVÈQUE   DE    STRASBOURG,    A   JEAN   PETIT 
ET   A  JÉRÔME    DE    PRAGUE    (fIN   d' AVRIL   ET    1  "   MAI    1416). 

Dans  la  congrégation  du  jeudi  30  avril,  Jacques  évoque  de 
Lodi  fit,  sur  la  demande  du  concile,  l'éloge  du  roi  Ferdinand  P' 
d'Aragon  qui  venait  de  mourir,  et  il  loua  ses  efforts  ainsi  que 


(1)  La  dissertation  de  Gerson  intitulée  De  probatione  spirituwn,  et  terminée 
le  28  août  1415,  n'était  pas  dirigée  contre  les  saints  de  Suède,  mais  contre 
les  visions  de  Ste  Brigitte.  Cf.  Schwab,  J.  Gerson,  p.  366. 

(2)  Mansi,  t.XXVlI,  p.  839  et  863-873.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  503  et  531-543. 
—  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  630  et  691-715. 


570  DISCUSSIONS  RELATIVES   A   l'ÉVÊQUE   DE  STRASBOURG 

ceux  de  son  nouveau  successeur  Alphonse  en  faveur  de  l'union; 
une  seconde  oraison  funèbre  fut  prononcée  par  l'ambassadeur 
d'Aragon,  le  général  de  l'ordre  de  Sainte-Marie  de  la  Merci; 
puis  on  donna  lecture  des  rapports  adressés  de  la  Castille,  de 
l'Aragon  et  des  comtés  de  Foix  et  d'Armagnac,  par  Jean 
d'Opiz  et  d'autres  envoyés  du  concile.  Quant  à  l'affaire  de 
Strasbourg,  on  expédia  les  lettres  apostoliques  portant  répro- 
bation de  l'appel  interjeté  et  l'on  fixa  un  nouveau  délai  aux 
avocats  pour  mieux  établir  leurs  objections  contre  la  validité  du 
monitoire;  enfin  l'on  prit  connaissance  d'une  lettre  du  roi  de 
France,  réclamant  une  prompte  solution  du  procès  de  Petit'. 
L'après-midi  de  ce  même  jour  (30  avril)  la  nation  allemande 
tint  une  réunion  privée  dans  le  couvent  des  Frères  Mineurs,  et 
le  procureur  des  Strabourgeois  déclara  qu'intimidé  par  ce  qui 
s'était  passé  le  matin,  il  renonçait  à  poursuivre  l'affaire,  et  se 
déchargeait  de  toute  responsabilité  à  cet  égard  2.  Trois  jours 
après,  l'affaire  de  Jean  Petit  fut  de  nouveau  débattue  en  con- 
grégation générale.  Depuis  la  condamnation  de  la  théorie 
générale  du  tyrannicide  (16"  session,  6  juillet  1415,  cette 
question  n'était  pas  sortie  de  la  commission  de  la  foi,  où 
d'ailleurs  elle  avait  été  l'objet  de  nombreuses  et  très- vives  dis- 
cussions. Le  départ  de  l'empereur  n'avait  fait  qu'exciter  les  am- 
oassadeurs  bourguignons,  et  l'évêque  d'Arras  alla  jusqu'à  sou- 
tenir que  l'évêque  de  Paris  n'avait  eu  ni  matériellement  ni 
formellement  le  droit  de  censurer  la  doctrine  de  Petit.  Gerson 
et  d'Ailly  défendirent  devant  la  commission  la  légitimité  de 
cette  sentence  ;  mais  l'évêque  d'Arras  répondit  très- vivement 
au  chancelier,  et  le  franciscain  Jean  de  Rocha  dénonça  même 
comme  hérétiques  vingt-cinq  propositions  extraites  de  ses  ou- 
vrages. De  fait^  Gerson  ne  s'était  pas  exprimé  avec  assez  de 
précision  ;  mais  cet  examen  devant  la  commission  de  la  foi 
lui  fut  si  désagréable,  que  dans  son  emportement  il  laissa 
échapper  deux  propos  très-fâcheux.  (x\insi  il  lui  arriva  de  dire 
que,  si  Plus  avait  eu  un  avocat,  il  n'aurait  pas  été  condamné, 
et  que  pour  lui  il  aimerait  mieux  avoir  des  juifs  et  des  païens 


(1)  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  567  sq.  et  926;  t.  XXVII,  p.  873-875.  —  ILvnDouiN, 
t.  VÎII,  p.  543  sq.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV,  p.  715-719.  Oq  trouve  un  passage  de 
cette  lettre  dans  un  discours  de  Gerson  prononcé  le  5  mai  lilG.  0pp.  t.  II, 
p. 321  sq. 

(2)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  875.  —  V.  d.  H.uujt,  t.  IV,  p.  719  sq. 


A   JEAN  PETIT   ET   A   JÉRÔME   DE   PRAGUE.  571 

pour  juges  dans  les  matières  de  foi  que  les  membres  de  la  com- 
mission). Quelques  équivoques  et  certaines  marques  de  pré- 
somption qu'on  releva  dans  sa  défense,  accrurent  encore 
le  mécontentement.  Cependant  il  poursuivit  ses  réquisitoires 
contre  les  erreurs  de  Petit,  tandis  que  l'évêque  d'Arras  pré- 
tendait au  contraire  que  la  doctrine  de  Jean  Petit  était  parfai- 
tement admissible,  et  cherchait  à  faire  voir  que  la  sentence 
conciliaire  du  6  juillet  ne  l'avait  pas  atteinte.  En  outre,  ce  prélat 
eut  soin  de  demander  des  consultations  sur  cette  affaire  à  tous 
les  docteurs  en  théologie  et  dans  les  deux  droits  alors  présents 
à  Constance,  et  il  ne  négligea  pas  non  plus  de  faire  mouvoir 
tous  les  autres  ressorts,  tels  que  présents,  pensions,  etc.  Tous  ces 
efforts  aboutirent  enfin  à  faire  déclarer  par  la  commission  la 
sentence  de  Paris  nulle  et  non  avenue.  *  (15  janvier  1416.)  Sur 
quatre-vingts  théologiens  et  canonistes,  plus  de  soixante  s'étaient 
prononcés  pour  l'admissibilité  des  propositions  incriminées.  Mais 
l'Université  de  Paris  et  les  ambassadeurs  du  roi  de  France  récla- 
mèrent de  nouveau  la  condamnation  de  Jean  Petit,  et  appelèrent  au 
concile  du  jugement  de  la  commission  que  Gerson  appelait  «  un 
arrêt  de  contrebande.  »  Ce  fut  Simon  de  Theramo  qui  soutint  cet 
appel  au  nom  du  roi  de  France  (30  avril  1416),  et  il  prononça  à  cette 
occasion  un  long  discours,  où  l'évêque  d'Arras  crut  découvrir 
de  graves  atteintes  à  l'honneur  de  son  mandant,  le  duc  de  Bour- 
gogne. Il  demanda  donc  l'autorisation  de  répondre,  et  on  la 
lui  accorda  pour  le  2  mai;  ce  jour-là  on  tint  en  effet  une  con- 
grégation générale,  où  il  exposa  fort  au  long  toute  la  marche 
de  l'affaire;  mais  on  en  renvoya  la  suite  au  5  mai,  ainsi  que  le 
procès  de  Strasbourg  ^. 

Le  3  mai  on  vit  paraître  les  envoyés  du  duc  Ernest  d'Autriche, 
qui  vinrent  exprimer  tous  les  regrets  de  leur  maître  au  sujet 
du  départ  de  son  frère  Frédéric,  duc  du  Tyrol  autrichien. 
Celui-ci  avait  en  effet  quitté  Constance,  le  ^0  mars  1416,  sans 
en  demander  l'autorisation  au  concile  ni  à  l'empereur,  et  sans 
même  laisser  de  mandataire;  mais  le  duc  Ernest  offrait  de 
prouver  par  serment  qu'il  était  absolument  étranger  à  cette 
détermination^. 


(1)  Schwab,  J.  Gerson.  etc.  p.  622-638,  et  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  500-507. 

(2)  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  559  sq.  --  Mansi,  t.  XXYII,  p.  876.—  Y.  d.  Hardt, 
t.  IV,  p.  720.  —  Schwab,  1.  c.  p.  631  sg. 

(3)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  877.  —  V.  d.  Harot,  t.  IV,  p.  723  sq. 


572  DISCUSSIONS    RELATIVE]    A    l'ÉVÊQUE    DE    STRASBOURG, 

Ardicius  de  Navarre  aurait  voulu  prendre  la  parole  le  pre- 
mier, dans  la  congrégation  générale  du  5  mai;  mais,  par  égard 
pour  le  roi  de  France,  on  la  donna  d'abord  à  Gerson  *,  qui  s'étendit 
beaucoup  sur  la  question  pendante  et  s'attaqua  surtout  aux 
assertions  émises  le  2  mai  par  l'évêque  d'Arras  dans  la  congré- 
gation précédente.  Il  réfuta  d'abord  deux  accusations  portées 
contre  Charles  "VI,  à  savoir  :  1°  que,  loin  de  punir  le  meurtre 
de  son  frère,  le  duc  d'Orléans,  il  l'avait  en  quelque  sorte 
approuvé;  et  2"  qu'il  ne  s'était  pas  occupé  de  faire  censurer 
par  les  juges  ordinaires  de  la  foi  l'apologie  de  ce  meurtre. 
Sur  le  premier  point,  le  chancelier  répondit  qu'à  l'exemple 
du  Christ,  son  maître  était  doux  et  débonnaire,  et  ne  prenait  pas 
conseil  de  la  vengeance.  «  C'est  pour  marcher  sur  leurs  traces,  » 
ajouta-t-il,  que  je  ne  dirai  rien  des  iniquités  dont  j'ai  été  moi- 
même  la  victime.  Quant  au  second  point,  la  lettre  du  prince  au 
concile  (dont  Gerson  donna  lecture  en  partie)  prouvait  claire- 
ment qu'il  voulait  faire  condamner  l'apologie  de  Petit. 

L'orateur  passa  ensuite  en  revue  dix  autres  calomnies,  au 
sujet  de  la  sentence  éplscopale  de  Paris  sur  l'affaire  de  Jean  Petit  : 
r  On  objectait  que  personne  n'avait  soutenu  les  propositions 
condamnées.  Comment  alors  avaient-elles  malheureusement 
trouvé  tant  de  défenseurs  dans  le  concile,  et  que  signifiaient  ces 
consultations  de  théologien?  2°  On  prétendait  qu'elles  avaient  été 
faussement  et  méchamment  attribuées  à  Petit. Mais  cette  objection 
n'était  pas  plus  exacte  que  la  précédente,  si  quelques  termes  de 
ces  articles  (y  compris  ceux  qui  avaient  été  censurés)  n'étaient 
pas  tous  de  Jean  Petit,  mais  du  duc  de  Bourgogne,  on  avait  dissi- 
mulé le  nom  de  celui-ci,  pour  ne  pas  le  compromettre.  3°  Les 
huit  vérités  affirmées  par  Jean  Petit  n'étaient  pas,  disait-on, 
identiques  aux  neuf  propositions  réprouvées.  Cela  n'avait  rien 
d'étonnant,  puisque  ces  dernières  n'étaient  pas  extraites  seule- 
ment des  huit  vérités  qui  servaient  de  majeures  à  l'accusé  , 
mais  aussi  de  sa  conclusion  et  des  autres  parties  de  son  livre. 
4°  C'était  une  calomnie  et  même  un  blasphème,  poursuivait 
Gerson,  que  d'affirmer  la  vérité  île  ces  assertions,  surtout  de 
la  première,  et  de  vouloir  les  appuyer  sur  la  révélation  divine. 
Les  bulles  qui  les  avaient  condamnées  n'étaient  pas  tombées  du 
ciel,  mais  la  réfutation  de  ces  prétendues  vérités  se  trouvait  assez 

(1)  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  5bl  sq. 


A   JEAN   PETIT   ET   A   JÉRÔME   DE    PRAGrE.  573 

dans  la  sainte  Ecriture.  5°  Le  principal  argument  des  adversaires 
était  leur  cinquième  imposture,  d'après  laquelle  ces  assertions 
étaient  vraiespour  le  cas  de  légitime  défense.  Mais,  en  réalité,  elles 
ont  été  établies  d'une  façon  générale,  et  non  pas  seulement  pour 
le  cas  de  légitime  défense.  6"  Il  n'était  pas  plus  juste  de  dire 
qu'elles  pouvaient  être  prises  dans  un  sens  exact.  7"  C'était  aussi 
une  calomnie  que  de  donner  à  ces  assertions  plus  de  défenseurs 
que  d'adversaires,  bien  qu'un  tel  argument  n'eût  aucune  valeur 
à  ses  yeux.  8°  On  faisait  encore  une  objection  sans  fondement 
lorsqu'on  prétendait  que  ce  serait  un  grand  scandale  de  pour- 
suivre à  Constance  la  condamnation  d'articles  déjà  condamnés  à 
Paris.  9°  Plusieurs  voulaient  soustraire  cette  cause  à  la  juridic- 
tion spirituelle,  parce  qu'il  s'agissait  là,  disaient-ils,  d'un  attentat 
contre  les  personnes.  Ils  avaient  certes  raison  de  ranger  le 
meurtre  parmi  les  causes  criminelles  ;  mais  la  justification  du 
meurtre,  surtout  quand  on  l'appuyait  sur  le  droit  divin  et  le 
droit  canonique,  rentrait  évidemment  dans  le  ressort  de  la  jus- 
tice spirituelle.  10"  Enfin  la  dixième  calomnie  s'adressait  à 
Gerson  lui-même  à  qui  l'on  reprochait  d'avoir  entraîné  son 
roi  dans  une  querelle  qui  pouvait  faire  soupçonner  son  ortho- 
doxie. «  Je  ne  me  crois  pas  assez  important,  répondit-il,  pour 
empêcher  le  Pioi,  son  conseil,  Puniversité,  les  prélats  et  le 
clergé  du  royaume,  de  défendre  la  vraie  foi  ;  mais  j'en  aurais 
le  pouvoir  que  je  n'en  aurais  pas  la  volonté.  Avant  que  le  roi 
s'occupât  de  cette  question,  continua-t-il,  je  l'avais  examinée 

comme  théologien,  et  j'en  avais  dénoncé  les  erreurs Mais 

je  n'ai  jamais  dirigé  mes  accusations  contre  personne  et  ne  le 
ferai  pas  encore.  Si  Paffaire  n'avait  pas  quitté  le  domaine  théolo- 
gique, aucun  intérêt  personnel  n'eût  été  compromis,  et  l'auto- 
rité du  roi  n'aurait  pas  été  en  cause.  Mais  aujourd'hui  qu'elle  est 
aux  mains  des  avocats,  des  procureurs  et  des  notaires,  qu'elle 
fait  grand  bruit,  et  qu'elle  nécessite  beaucoup  de  dépenses  » 
(peut-être  faut-il  voir  ici  une  allusion  aux  manœuvres  bourgui- 
gnonnes)  «  la  procédure  juridique  effraye  beaucoup  degens 

et  les  empêche  de  dénoncer  aux  juges  des  hérésies  notoires. 
Pour  moi,  je  prétends  et  suis  à  peu  près  certain  que  la  doctrine 
de  maître  Jean  Petit  est  erronée,  dans  la  foi  et  les  mœurs,  et 
suscitera  beaucoup  de  scandale  ;  mais  si  l'on  veut  calomnier 
le  roi  et  lui  reprocher  d'avoir  mal  agi  dans  cette  affaire,  je  me 
pose  comme  son  défenseur  et  j'accepte  la  peine  du  talion.  Je 


574  DISCUSSIONS   RELATIVES   A   L'ÉVÊQUE   DE   STRASBOURG, 

n'accuse  personne.  »  La  péroraison  de  Gerson  fut  pathétique,  et 
il  chercha  à  exciter  la  pitié  de  ses  auditeurs  en  leur  rappelant  la 
fin  déplorable  du  duc  d'Orléans,  fils  et  frère  de  rois.  Le  concile 
pouvait  lui  épargner  un  second  assassinat  :  car  n'en  était-ce  pas 
un  que  cette  apologie  du  premier?  Puis  apostrophant  ses  adver- 
saires :  «  C'est  à  vous  que  je  m'adresse,  vénérable  père  et  sei- 
gneur, évêque  d'Arras,  avec  qui  j'ai  contracté  les  liens  d'une  si 
profonde  affection,  et  à  vous  aussi,  maître  Pierre,  vidame  de 
Reims,  mon  cher  compatriote.  Je  vous  aime  sincèrement,  je 
vous  ai  aimés,  et  avec  la  grâce  de  Dieu  je  veux  vous  aimer 
encore...  je  ne  vous  demande  qu'une  chose,  répondez-moi,  je 
vous  en  prie...  Mais  vous  vous  taisez,  je  vais  répondre  pour  vous. 
Voulez-vous  le  bien  temporel  et  spirituel  de  votre  illustre  prince 
le  duc  de  Bourgogne  ?  Yous  le  voulez,  je  le  sais.  Youlez-vous  as- 
surer la  sécurité  de  sa  dynastie?  Vous  le  voulez,  je  le  sais.  Ne 
croyez-vous  pas  que  cette  mort  lamentable  a  été  le  fruit  d'un 
mauvais  conseil,  et  que  jamais  le  feu  duc  Philippe  n'y  aurait  con- 
senti? xVh!  si  vous  vous  étiez  trouvés  en  France  au  lieu  d'être  en 
Italie,  vous  ne  l'auriez  pas  suggéré,  ce  conseil.  Ne  sait-on  pas 
que  le  duc  lui-même,  en  apprenant  cet  attentat,  n'a  pu  s'empêcher 
d'exprimertouthautson  horreur  et  de  dire  au  prince  royal  :  «  C'est 
le  diable  qui  m'y  a  poussé?  «  Mais  si  ce  crime  est  affreux,  il  est  plus 
affreux  encore  de  le  défendre  :  laissez-vous  toucher,  non  par 
ma  voix,  mais  par  celle  de  la  vérité,  delà  raison  et  de  la  piété.  » 
Ce  discours  terminait  par  une  chaleureuse  exhortation  adressée 
au  concile  de  détruire  cet  ouvrage  trop  fameux,  infecté  de  venin 
et  d'hérésie  ^ . 

Après  avoir  ainsi  parlé,  le  chancelier,  d'accord  avec  les  autres 
ambassadeurs  du  roi  de  France,  présenta  au  concile  plusieurs 
pièces  écrites,  contenant  :  1"  Sex  condusiones  theol.  contra  pro- 
positionem  cujusdam  J.  Parvi  ;  2°  octo  regnlœ  super  stilo  theo- 
logico  tenendo  in  condemnatione  errorum  ;  3"  une  brevis  sche- 
dula,  pour  demander  l'examen  des  consultations  produites  par 
les  ordres  mendiants;  5"  une  lettre  du  roi  à  propos  de  l'affaire 
de  Petit,  et  sur  d'autres  sujets  ^.  En  outre  Gerson  se  déclara 
prêt  à  soutenir  les  six  conclusions  déposées  en  tête  contre  la 
doctrine  de  Jean  Petit,  et  à  démontrer  que  ses  assertions  étaient 


(1)  Gerson,  0pp.  t.  II,  p.  319-329.  Cf.  Schwab,  J.  Gerson^  etc.  p.  G36  sq. 

(2)  Gerson,  1.  c.  p.  329. 


A  JEAN  PETIT   ET  A  JÉRÔME   DE   PRAGUE.  575 

erronées;  il  demanda  que,  vu  l'appel  interjeté  de  la  décision 
qui  infirmait  la  sentence  épiscopale  de  Paris,  on  nommât  de 
nouveaux  juojes  \  L'évêque  d'Arras  annonça  son  intention  de 
répondre,  et  Te  9  mai  fut  fixé  pour  entendre  sa  réplique  ^  ;  mais 
le  cardinal  Alamannus  de  Pise  fit  remarquer  que  les  adversaires 
devraient  mieux  observer  le  texte  de  Gerson  :  Deus  judicium 
tuum  régi  da  et  justitiam  tuam  filio  régis  ;  que  sans  doute  ils 
recherchaient  tous  deux  justitiam  et  judicium,  mais  qu'il  fau- 
drait aussi  que  custodiam  panèrent  ori  suo^  et  que  le  concile 
voulait  rendre  justice  à  chacun  ^. 

Conformément  à  la  décision  du  2,  l'affaire  de  Strasbourg  fut 
remise  en  question  le  5  mai,  et  Jean  de  Scribanis,  promoteur 
et  procureur  du  concile,  réclama  une  déclaration  solennelle  por- 
tant que  les  citoyens  rebelles  à  l'autorité  de  l'Église  tombaient 
dès  lors  sous  le  coup  des  peines  édictées  par  le  monitoire.  Mais  le 
prévôt  de  Funfkirchen,  sur  l'ordre  du  concile,  donna  lecture  d'une 
lettre  qui  venait  d'être  envoyée  par  l'empereur,  et  dans  laquelle 
il  demandait  qu'on  différât  cette  mesure  jusqu'à  son  retour  à 
Constance  ^.  Le  8  mai,  on  tint  une  congrégation  générale  dans  le 
réfectoire  du  couvent  des  Minimes,  oîi  se  rassemblait  ordinaire- 
ment la  nation  allemande,  et  le  seigneur  Henri  de  Latzenbock 
y  fut  introduit  en  qualité  d'envoyé  de  Sigismond.  C'était  lui  qui 
avait  apporté  la  lettre  en  question,  et  il  venait  répéter  verbale- 
ment les  instructions  que  l'empereur  lui  avait  données;  mais 
comme  il  s'exprimait  en  tchèque,  le  docteur  Naso  fut  chargé 
de  traduire  ses  phrases  en  latin. 

Sigismond  désirait  que  l'évêque  de  Strasbourg,  après  avoir  été 
mis  en  liberté,  comparût  devant  le  concile,  et  fût  jugé  par  lui. 
Des  mesures  seraient  prises  pour  assurer  la  sécurité  de  sa  per- 
sonne et  de  ses  biens,  ainsi  que  la  liberté  de  l'égHse  de  Stras- 
bourg. Il  n'était  pas  vrai,  comme  l'avaient  avancé  quelques-uns, 
que  Sigismond  eût  desseia  de  s'approprier  le  château  de  Born  et 
la  ville  de  Saverne  ^. 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  726.  —  Man-si,  t.  XXVII,  p.  878.  —  Hard.  t.  VIII, 
p.  545. 

(2)  Gep,son,  0pp.  t.  V,  p.  552. 

(3)  Mansi,  Hardouin,  V.  d.  Haiidt,  II.  ce. 

(4)  V.  D.  Haedt,  1.  c.  p.  727-730.  —  Mansi,  I.  c.  p.  878-880.  —  Hard.  I.  c. 
p.  546,  547. 

(5)  Mansi,  t.  XXVII,  p.  880.  —  Hard.  t.  VIII,  p.  548.  —  V.  d.  Hardt,  t.  IV, 
p.  731. 


576         DISCUSSIONS    RELATIVES   A    l'ÉVÊQUE   DE   STRASBOURG,    ETC. 

Le  lendemain  9  mai,  la  congrégation  générale  fut  de  nouveau 
tenue  dans  la  cathédrale.  Le  patriarche  de  Gonstantinople  lut  un 
rapport  (qui  n'a  pas  été  conservé)  surleprocèsde  Jérôme  de  Prague, 
et  Henri  de  Latzenbock  prit  l'engagement  de  dél!vrer  l'évêque 
de  Strasbourg  et  de  l'amener  devant  le  concile  :  ce  qui  nécessite- 
rait un  délai  de  vingt  jours;  un  décret  fut  proposé  dans  ce  sens  ', 
mais  sans  résultat.  C'est  ce  qui  ressort  des  discussions  de  la 
congrégation  suivante  (11  mai),  où  l'afTaire  fut  de  nouveau  mise 
en  question,  sans  plus  de  succès,  les  votes  des  nations  s'étant 
diversement  partagés  ^. 

Le  même  jour  9  mai,  ainsi  que  le  surlendemain,  l'évêque 
d'Arras  voulut  répondre  au  discours  de  Gerson;  mais  ses  contra- 
dicteurs protestèrent  et  poussèrent,  par  deux  fois  de  telles  cla- 
meurs qu'il  ne  pût  aller  plus  loin  ^  Les  deux  partis  se  livrèrent 
alors  une  véritable  bataille  de  pamphlets  :  tandis  que  les  parti- 
sans de  Petit  étaient  traités  de  caïnites  et  d'hérétiques,  on  prodi-  ' 
guait  à  Gerson  les  surnoms  de  Judas,  d'Hérode  et  de  Cerbère. 
Pendant  ce  temps,  on  reçut  de  Paris  plusieurs  lettres  de  Sigis- 
mond  qui  demandaient  la  condamnation  des  malheureux  arti- 
cles de  Petit,  et  la  suppression  de  la  sentence  rendue  par  la  com- 
mission de  la  foi.  Les  membres  de  cette  dernière  écrivirent  alors 
à  l'empereur  une  lettre  dejustification(i5mai  1416),  dans  laquelle 
ils  faisaient  remarquer  qu'il  ne  convenait  pas  à  un  évêque  seul 
(comme  l'évêque  de  Paris)  de  porter  une  décision  dogmatique, 
et  que  l'on  devait  attendre  le  jugement  du  concile  général.  Mais 
le  concile  ne  voulait  plus  entendre  parler  de  cette  affaire*. 

Le  général  de  l'ordre  de  la  Merci,  en  sa  qualité  d'ambassa- 
deur d'Aragon,  vint  annoncer,  dans  la  congrégation  du  15  mai, 
que  son  nouveau  maître,  le  roi  Alphonse  V,  acceptait  formelle- 
ment et  solennellement  la  convention  de  Narbonne.  Le  len- 
demain (16  mai)  une  nouvelle  congrégation  nomma  des  commis- 
saires, cardinaux  et  députés  des  nations,  chargés  d'examiner 
le  procès  de  Strasbourg.  De  nouveaux  ajournements  furent  pro- 


(1)  V.  D.  Hardt,  1.  c.p.  732-736.  —  Mansi,  ].  c.  p.  881  sq.—  Hardgui.v,  1.  c. 
p.  548  sq. 

(2)  V.  D.  IIardt,  1.  c.  p.  736-743.  —  Mansi,  1.  c.p.  833-885.  —  ITard.  1.  c.  ; 
p.  551  sq. 

(3)  Geuson,  0pp.  t.  V,  p.  552  sq,  —  Schwab,  1.  c.  p.  639. 

(4)  Gerson,  0pp.  t.  V,  p.  555,  745,  581,  584,  586,  593,  606.—  Schwab,  1.  c.  . 
p.  639.  ^ 


CONDAMNATION  ET  MORT  DE  JÉRÔME  DE  PRAGUE.        577 

nonces  en  conséquence;  on  discuta  de  même  les  affaires  de 
divers  évèques,  en  particulier  le  démêlé  du  siège  de  Sens;  mais 
on  n'aboutit  à  aucune  conclusion. 


§  769. 

CONDAMNATION   ET    MORT   DE    JÉRÔME    DE    PRAQUE. 
VINGT   ET   UNIÈME   SESSION   GÉNÉRALE. 

Cependant  Jérôme  de  Prague  avait  déjà  plus  d'une  fois  refusé 
de  répondre  aux  commissaires  chargés  de  l'enquête  (le  pa- 
triarche Jean  ^.ie  Gonstantinople,  l'abbé  Gaspard  de  Pérouse, 
Jean  Welles  et  Lambert  de  Gelria)  et  témoigné  le  désir  de  com- 
paraître devant  le  concile  lui-même;  sur  la  demande  des  com- 
missaires, on  satisfit  à  ce  vœu  dans  la  congrégation  générale  du 
23  mai  1416.  C'était  le  jour  anniversaire  de  son  arrestation. 
Lecture  lui  fut  d'abord  donnée  des  charges  produites  contre 
lui,  puis  on  exigea  de  lui  le  serment  de  dire  la  vérité.  Il  avait 
espéré  qu'on  le  laisserait  développer  longuement  sa  propre  apo- 
logie; mais  comme  on  n'y  consentait  pas,  et  qu'on  lui  demandait 
des  réponses  précises  sur  certains  points,  il  refusa  de  prêter 
secment.  Laurent  de  Brzezina  nous  apprend  qu'il  y  avait  cent  sept 
articles  à  sa  charge^ .  Ils  ne  nous  ont  pas  été  conservés,  et  comme 
le  procès-verbal  des  réponses  de  Jérôme  est  très-sobre,  c'est  à 
peine  si  nous  pouvons  en  déterminer  le  sens.  Ils  ne  concordent 
pas  avec  la  première,  mais  avec  la  seconde  des  deux  séries 
que  nous  avons  reproduites  plus  haut,  sauf  la  différence 
des  numéros.  Sur  le  premier,  le  troisième  et  le  neuvième 
article  affirmés  par  quatre  témoins,  dont  nous  ne  connaissons 
pas  les  dépositions,  Jérôme  ne  fit  aucune  remarque.  Sur  le 
quatrième,  le  huitième  et  le  dixième,  il  répondit  qu'il  avait 
étudié  les  livres  de  Wiclef  comme  ceux  d'un  grand  philosophe, 
et  nullement  à  cause  de  leurs  hérésies  (Cf.  les  articles  7,  8,  17  de 
la  seconde  série)  ;  il  ne  nia  pas  non  plus  qu'il  eût  loué  Wiclef 
comme  philosophe,  et  qu'il  eût  mis  à  ce  titre  son  portrait  dans 
sa  chambre  avec  ceux  de  plusieurs  autres  grands  savants 
(art.  5,  6  et  25.  Cf.  aussi  les  n"'  il,  12  et  28  de  la  seconde  série). 


(1)  Apud  llÔFLKR,  Geschichischr.  Bd.  I,  S.  336.. 

T.  X.     37 


578  CONDAMNATION   ET   MOET   Dfî   JEROME   DE   PRAGUE. 

Sur  l'article  29  (n"  34  de  la  deuxième  série)  relatif  à  l'arresta- 
tion  d'un  religieux,  il  fît  observer  que  ce  moine  l'avait  insulté  le 
premier;  il  tenta  aussi  d'atténuer  la  portée  du  n°  32,  en  affir- 
mant qu'il  ne  s'était  jamais,  tout  au  plus  une  Tois,  exprimé 
en  tchèque  sur  le  sacrement  de  rEucharistie  (n"  36  de' la 
deuxième  série).  Il  nia  le  n°  35  (39)  et  le  n"  38  (43),  et  reconnut 
la  validité  de  la  consécration  faite  par  un  prêtre  pécheur.  — 
Les  autres  points  ne  sont  pas  numérotés  dans  le  procès-verbal. 
Jérôme  déclara  sur  ces  matières  qu'il  ne  rejetait  par  les  indul- 
gences gratuites  (n°  45  de  la  deuxième  série),  que  toute  l'histoire 
des  bulles  pontificales  brûlées  par  lui  était  une  invention  (n°  53), 
enfin  qu'il  n'avait  jamais  donné  à  tout  laïque  le  pouvoir  de  prê- 
cher (n°  48).  Cependant  il  avoua  avoir  lui-même  prêché,  et  avoir 
exhorté  les  autres  à  le  faire.  Les  quelques  autres  objections,  con- 
signées dans  le  procès-verbal  \  n'ont  aucune  importance.  Mais 
Pierre  de  Pulka  rapporte  qu'à  cause  du  grand  nombre  des  ar- 
ticles et  du  bruit  que  faisait  une  foule  immense,  il  fut  impossible 
de  terminer  ce  jour-là  l'interrogatoire  de  Jérôme,  et  qu'on  en  dut 
remettre  la  suite  à  la  congrégation  suivante  (26  mai  1416)  ^  On  y 
donna  d'abord  lecture  d'une  lettre  adressée  par  le  comte  d'Urbino, 
et  dans  laquelle  il  demandait  la  levée  des  sentences  portées 
contre  lui  par  Angelo  Gorrario  en  qualité  de  légat  pour  la  marche 
d'Ancône.  Provisoirement,  l'assemblée  décida  qu'on  en  ferait 
faire  des  copies  authentiques;  puis  on  s'occupa  de  Jérôme,  qui 
refusa  encore  une  fois  de  prêter  serment  avant  de  répondre,  sous 
prétexte  qu'on  violait,  disait-il,  les  formes  habituelles,  c'est-à- 
dire  qu'au  lieu  de  le  laisser  commencer  par  son  apologie,  on 
voulait  d'abord  le  soumettre  à  un  examen  détaillé.  On  passa 
donc  à  la  lecture  des  articles;  mais  le  plus  souvent  sans  en 
donner  le  numéro. 

Jérôme  se  défendit  d'avoir  rejeté  le  culte  des  rehques  (n°  58 
de  la  seconde  série),  et  d'avoir  appelé  saints  les  trois  criminels 
exécutés  (n"'  60  et  61  de  la  deuxième  série,  devenus  les  n"'  66 
et  67).  Au  sujet  de  l'affaire  de  Vienne,  n»"  87-91  de  la  deuxième 
série,  il  avoua  l'existence  de  sa  lettre  à  l'official,  mais  pas  autre 
chose,  malgré  les  affirmations  de  huit  témoins.  Gomme  il  avait 
déjà  repoussé  le  reproche  qu'on  lui  adressait  de  n'avoir  tenu 

(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  718-753.  —  Mansi.  t.  XXVII,  p.  887  sq.  —  Hard. 
't.  VIII,  p.  556  sqq. 

(2)  Pierre  de  Pulka  daas  leù  Arc/no  fur  Kunde  œslerr.  G.  Q,  XV,  S.  4i. 


VINGT   ET    U.N'IÈME    SESSION   GENERALE.  579 

aucun  compte  de  l'excommunication  (art.  19,  21,  22,  28  de  la 
première  série),  on  relut  simplement  ses  réponses,  ainsi  que  sa 
déclaration  au  sujet  des  dix  propositions  suspectes  qu'il  aurait 
émises  dans  diverses  universités  (n°  42  de  la  première  série). 
Enfin  quand  on  eut  donné  le  résumé  de  quelques  autres  ar- 
ticles, le  patriarche  de  Gonstantinople  prit  la  parole  au  nom  de 
ses  collègues  :  «  L'accusé,  dit-il ,  peut  maintenant ,  comme  il 
en  a  exprimé  le  désir,  présenter  sa  défense  au  concile,  ou  bien 
encore  faire  sa  rétractation.  Dans  ce  dernier  cas,  on  lui  témoi- 
gnera la  plus  grande  bienveillance  ;  beaucoup  d'autres  l'ont  déjà 
précédé  dans  cette  voie.  Mais  s'il  n'adopte  pas  ce  parti,  on  pro- 
cédera contre  lui  selon  les  règles  du  droit.  »  Jérôme  commença 
alors  son  discours  par  une  prière,  et  il  engagea  les  assistants  à 
demander  avec  lui  à  Dieu,  à  la  sainte  Vierge  et  à  tous  les  saints, 
d'éclairer  son  intelligence  et  de  ne  pas  lui  laisser  dire  une  parole 
qui  put  nuire  au  salut  de  son  âme;  puis  il  fit  observer  qu'il  avait 
été  soumis  à  un  examen  assez  rigoureux  par  la  première  com- 
mission d'enquête,  sans  qu'on  pût  cependant  rien  découvrir  qui 
justifiât  l'accusation  d'hérésie.  Les  intrigues  de  ses  ennemis 
avaient  fait  nommer  plus  tard  d'autres  juges,  qu'il  n'avait  jamais 
voulu  reconnaître  et  auxquels  il  n'avait  jamais  répondu  sous  la 
foi  du  serment.  11  énuméra  ensuite  plusieurs  personnages  célè- 
bres (Socrate,  Boëce,  Sénèque,  Platon,  Elie,  S.  Etienne,  Suzanne, 
S.Jérôme),  qui  avaient  été  poursuivis  injustement,  exilés  ou  même 
mis  à  mort,  et  ajouta  que,  si  pareil  sort  lui  était  réservé,  il  ne 
serait  pas  la  première  ni  la  dernière  victirae  innocente  sur  cette 
terre.  Personne  d'ailleurs  ne  le  condamnait  que  ses  compa- 
triotes et  les  Allemands.  Pour  ceux-ci,  leur  première  raison  était 
l'origine  même  des  Tchèques  descendants  des  Grecs,  que  les 
Allemands  ont  en  haine,  et  ils  ajoutaient  à  cette  répulsion  les 
souvenirs  de  Prague,  ikutrefois,  en  effet,  ils  possédaient  la  pré- 
éminence dans  cette  Université,  disposaient  de  trois  voix,  et  jouis- 
saient de  tous  les  bénéfices,  tandis  que  les  Tchèques  gradués 
étaient  le  plus  souvent  obligés  de  se  faire  maîtres  d'école  à  la 
campagne,  pour  trouver  le  moyen  de  vivre.  De  même,  dans  la 
ville,  les  tribunaux  comptaient  seize  magistrats  allemands  pour 
deux  tchèques,  et  les  allemands  occupaient  aussi  la  presque 
totalité  des  charges  publiques.  C'était  lui,  Jérôme,  qui,  de  con- 
cert avec  Eus,  avait  adressé  des  plaintes  au  roi;  c'était  lui  qui 
avait  engagé  Hus,  son  maître,  à  représenter  au  peuple,  dans 


580  CONDAMNATION   ET   MORT  DE  JÉRÔME   DE   PRAGUE. 

ses  sermons  en  langue  vulgaire,  qu'un  pareil  état  de  choses  ne 
pouvait  se  prolonger;  Hus  était  un  homme  juste,  saint  et  honnête 
qui  ne  s'écartait  jamais  du  sentier  de  la  vérité.  C'était  lui  Jérôme, 
avec  le  concours  de  Hus  et  de  plusieurs  autres,  qui  avait  fait 
donner  dans  la  magistrature  la  place  des  Allemands  aux  Bohé- 
miens et  celle  des  Bohémiens  aux  Allemands,  et  qui  avait  ruiné 
la  suprématie  de  ces  derniers  dans  l'Université.  Les  maîtres  de 
cette  nation  étaient  partis  mécontents.  Enfin  c'était  encore  lui 
qui,  avec  Hus,  avait  fait  massacrer,  en  une  seule  fois,  plusieurs 
Allemands  par  les  Bohémiens  (il  y  a  sans  doute  eu  erreur  dans 

le  texte  du  procès -verbal) Jérôme  fit  ensuite  allusion  aux 

sermons  de  Jean  Hus  sur  le  luxe  et  l'intempérance  du  clergé, 
sermons  qui  lui  avaient  valu  d'être  dénoncé  en  cour  de  Rome 
par  Michel  de  Broda  (de  Causis),  au  nom  du  clergé  de  Prague, 
et  cité  à  comparaître.  Jérôme  lui  avait  aussitôt  conseillé  d'aller 
à  Constance  et  s'y  était  rendu  lui-même.  Mais,  sur  l'avis  de 
personnes  considérables,  il  en  était  sorti  bientôt,  pour  ne  pas 
partager  la  prison  de  son  maître,  et  s'était  réfugié  dans  une  ville 
voisine, d'oïl  il  avait  écrit  à  Sigismond  que  l'on  faisait  une  grande 
injustice  à  Jean  Hus,  puisque  toute  sécurité  lui  avait  été  promise. 
En  effet, d'après  le  texte  de  la  lettre  royale  expédiée  à  Hus,  se  fût- 
il  même  agi  d'un  juif  ou  d'un  sarrasin,  il  aurait  eu  pleine  liberté 
de  venir,  de  parler  et  de  s'en  retourner.  Cependant  Jérôme  avait 
écrit  dans  le  même  sens  à  Constance,  et,  comme  on  ne  lui  répon- 
dait point,  il  s'était  décidé  à  reprendre  la  route  de  Bohême,  mais 
on  l'avait  arrêté  sur  le  territoire  du  duc  Jean  de  Bavière,  puis  ra- 
mené à  Constance,  où  il  avait  été  incarcéré  et  interrogé  comme 
suspect  d'hérésie.  Sur  les  exhortations  de  plusieurs  person- 
nages illustres  et  dans  la  crainte  de  se  voir  condamner  au  feu, 
il  avait  consenti  à  faire  abjuration  et  à  en  donner  avis  à  ses  com- 
patriotes, ainsi  qu'à  reconnaître  la  condamnation  des  livres  et  de 
la  doctrine  de  Jean  Hus.  C'était  agir  contre  sa  conscience,  car  la 
doctrine  de  Hus  était  sainte  et  droite  comme  sa  vie,  et  le  seul 
désir  de  Jérôme  était  d'y  rester  scrupuleusement  fidèle.  Il  avait 
en  outre  rétracté  la  lettre  écrite  à  Prague.  Mais  ce  n'était  qu'une 
conversion  arrachée  par  la  crainte  du  bûcher  et  qui  ne  l'empê- 
chait pas  de  retenir  les  principes  de  Wiclef.  Cependant  si  ces 
deux  maîtres  avaient  enseigné  quelque  erreur  touchant  le  sacre- 
ment de  l'Eucharistie,  il  se  séparait  d'eux  sur  ce  point  et  s'en 
tenait  à  la  foi  do  l'Église.  Il  termina  par  une  nouvelle  sortie 


VINGT   ET  UNIÈME   SESSION   GÉNÉRALE.  5Si 

contre  les  mœurs  des  papes,  le  luxe  des  cardinaux,  la  collation 
des  bénéfices  et  autres  abus  sur  lesquels  il  partageait  les  idées 
de  Wiclef  et  de  H  us.  A  la  suite  de  ces  paroles,  on  annonça  que 
sa  sentence  serait  prononcée,  le  samedi  su.ivant,  en  session  pu- 
blique ^ 

Pendant  les  deux  jours  qui  suivirent,  plusieurs  personnages, 
entre  autres  le  cardinal  de  Florence,  Zabarella,  essayèrent, 
comme  nous  l'apprend  une  lettre  de  Poggio  insérée  plus  bas, 
d'auiener  Jérôme  à  se  soumettre,  mais  sans  résultat^.  Celui-ci, 
d'après  ce  qui  s'était  passé  pour  Hus,  ne  pouvait  plus  se  faire 
illusion  sur  le  sort  qui  l'attendait  lui-même.  L'importance  de 
l'affaire  engagea  le  concile  à  tenir  exceptionnellement  une  ses- 
sion générale  (la  vingt  et  unième,  30  mai  1416)  ^  bien  que 
l'empereur,  ni  même  son  représentant  le  comte  palatin,  ne 
pussent  y  assister.  Le  cardinal  d'Ostie  présidait,  comme  à  l'ordi- 
naire; après  la  grand'messe  du  Saint-Esprit  et  les  litanies  habi- 
tuelles, l'évêque  de  Lodi  adressa  à  Jérôme  une  allocution  sur  ce 
texte  :  Exprobravit  incredulitatem  eorum  et  duritiam  cordis 
(S.  Marc,  xvi,  14),  et  dans  laquelle  il  exposa  que  le  concile  serait 
contraint  d'en  venir  aux  moyens  de  rigueur,  si  l'accusé  refusait 
de  faire  ce  que  l'on  désirait  si  instamment,  c'est-à-dire  de  se  ré- 
tracter ^.  Jérôme,  que  l'orateur  avait  apostrophé  plus  d'une  fois, 
se  leva  sur  son  banc  et  répondit  :  «  Je  ne  sais  pas  quel  esprit  a 
parlé  par  la  bouche  de  l'évêque,  mais  il  a  dénaturé  tous  les  faits 
contre  moi,  et  en  particulier  il  a  menti  en  m'accusant  d'avoir 
méprisé  le  clergé.  Je  suis  bon  chrétien,  et  ses  paroles  sont  aussi 
fausses  que  contraires  à  l'esprit  de  Dieu  ^  »  Alors,  comme  le 
16  mai,  il  recommença  un  exposé  historique  de  sa  cause,  et  ter- 
mina par  une  sorte  de  profession  de  foi,  où  il  déclara  qu'il  recon- 
naissait la  sainte  Église  catholique,  admettait  les  articles  qu'elle 
enseis;ne,  les  cérémonies  de  la  messe,  les  jeûnes,  etc.,  sauf  les 


(1)  V.  D.  Haedt,  t.  IV,  p.  752-762.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  889-793.  —  Hard. 
t.  VIII,  p.  558-563.  P.  de  Pulka  parle  aussi  de  ce  discours  de  Jérôme  (1.  c. 
p.  44  sq.) 

(2)  V.  D.  Hardï,  t.  III,  p.  70. 

(3)  Laurent  de  Brzezina  a  raison  de  dire  que  c'était  le  samedi  après  l'As- 
cension, mais  il  se  trompe  en  le  fixant  au  1"  juin,  au  lieu  du  30  mai.  Cf.  Ho- 
FLER,  Geschichtschr.  l^^  partie,  p.  338. 

(4)  Ce  discours  se  trouve  dans  Mansi,  t.  XXVIII,  p.  572,  et  V.  d.  Hardt, 
t.  III,  p.  54  sqq. 

(5)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  766.  —  Mansi,  t.  XXVII,  p.  895.  —  Hard.  t.  VIII, 
p.  565  sq. 


582  CONDAMNATION  ET   MORT   DE   JÉRÔME   DE   PRAGUE. 

cérémonies  accessoires,  et  réclamait  une  réforme  dans  les  mœurs 
et  l'arrogance  du  clergé.  Il  revint  ensuite  sur  sa  rétractation  et 
sur  la  lettre  écrite  â  ce  sujet,  pour  dire  que  la  crainte  du  bûcher 
la  lui  avait  seule  inspirée.  D'après  Yrie,  il  aurait  encore  ajouté 
qu'il  regardait  cette  rétractation  comme  la  plus  grande  faute  de 
sa  vie  ^ . 

Le  patriarche  de  Constantinople  lut  alors  à  haute  voix  la 
sentence  définitive,  à  laquelle  les  députés  des  nations  et  les 
cardinaux  donnèrent  leur  placet.  En  voici  la  teneur  :  «  Au  nom 

de  Dieu il  résulte  des  pièces  de  la  procédure,  que  Jérôme  a 

soutenu  et  professé  diverses  propositions  hérétiques  ou  erronées, 
depuis  longtemps  réprouvées  par  les  saints  Pères  ;  d'autres 
scandaleuses,  blasphématoires  ou  offensives  des  oreilles  pies; 
d'autres  enfin  téméraires  et  subversives;  propositions  enseignées 
avant  lui  par  Wiclef  et  Jean  Hus,  de  funeste  mémoire.  Lorsqu'on 
lui  a  notifié  la  condamnation  de  ces  deux  sectaires  et  de  leurs 
erreurs,  il  y  a  souscrit  en  présence  du  concile,  a  confessé  la 
vraie  foi,  et  anathém-atisé  toutes  les  hérésies,  en  particulier  celles 

dont  il  était  lui-même  soupçonné Il  a  promis  de  rester  fidèle 

à  la  vérité,  et  s'est  déclaré  prêt  à  encourir  toutes  les  peines 
canoniques  et  éternelles,  s'il  y  manquait  en  parole  ou  en  pensée. 
Il  a  signé  de  sa  main  cette  profession  de  foi.  Cependant,  plu- 
sieurs jours  après,  il  est  retourné  comme  un  chien  à  son  vomis- 
sement, et  a  demandé  une  audience  publique  au  concile,  afin  de 
pouvoir  rejeter  encore,  aux  yeux  de  tous,  le  poison  mortel  dont 
son  cœur  était  rempli.  On  a  fait  droit  à  sa  requête  ;  alors  il  a 
proclamé,  en  congrégation  publique,  qu'il  avait  eu  tort  d'adhérer 
à  la  condamnation  de  Wiclef  et  de  Hus,  qu'il  avait  menti  en 
souscrivant  à  la  sentence  portée  contre  eux,  et  qu'il  rétractait 
celte  approbation  pour  le  temps  et  l'éternité,  parce  que,  après 
avoir  lu  et  soigneusement  étudié  leurs  ouvrages,  il  n'y  avait  dé- 
couvert aucune  trace  d'erreur  ni  d'hérésie.  Il  a  fait  ensuite 
profession  de  croire,  au  sujet  de  l'Eucharistie  et  delà  transsub- 
stantiation, ce  que  l'Église  croit  et  enseigne,  parce  qu'il  se  fie 
plus,  dit-il,  à  S.  Augustin  et  aux  autres  docteurs  qu'à  Wiclef  et  à 
Hus.  Tous  ces  faits  démontrent  que  Jérôme  est  un  adepte  de  ces 
deux  sectaires  et  partage  leurs  erreurs, qu'il  les  a  Favorisées  et  les 


(1)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.7n3,  7r.G-768,  —  Mansi,  ].c.p.89r)  sq.  ~  [Iahi. 
c.  p.  56G. 


VI\GT   ET   UNIEME   SESSION    GENERALE.  583 

favorise.  En  conséquence,  le  saint  concile  se  décide  à  le  retran- 
cher, comme  une  branche  morte  et  stérile  qui  n'appartient  plus 
à  la  vigne ,  le  dénonce  et  le  condamne  comme  hérétique  et 
relaps,  l'excommunie  et  le  frappe  d'analhème  '.  » 

Deux  traditions  assez  suspectes  nous  apprennent  que  le  chan- 
celier de  l'empire,  Gaspard  Schlick,  aurait  protesté,  au  nom  de 
son  maître,  contre  l'exécution  de  Jérôme,  et  que  celui-ci  aurait 
apostrophé  les  Pères  en  s'écriant  :  CoramDeo  centum  minis  revo- 
lutis  respondeatis  mihi'^.  Nous  savons  qu'on  avait  mis  de  sem- 
blables prophéties  dans  la  bouche  de  Hus.  Après  le  prononcé  de 
la  sentence,  Jérôme  fut  remis  au  bras  séculier,  avec  la  recom- 
mandation d'usage^.  Le  comte  Eberhard  de  Nellenbourg  et  le 
comte  Hans  de  Lupfen,  assistés  de  deux  bourgmestres  de  la  ville, 
Conrad  Mangolt  et  Henri  Gunterschweiler,  représentaient  Sa 
Majesté  impériale.  Le  condamné  étant  donc  passé  sous  leur 
juridiction,  ils  le  firent  sortir  de  l'église  et  conduire  par  des 
soldats  sur  la  place  où  il  devait  être  brûlée  Quand  on  lui  mit 
sur  la  tête  le  bonnet  des  hérétiques,  où  l'on  avait  représenté 
deux  démons,  on  dit  qu'il  s'écria  :  «  Le  Christ,  mon  Dieu,  a  porté 
pour  moi  la  couronne  d'épines,  pourquoi  ne  porterais-je  pas 
volontiers  celle-ci  pour  sa  gloire?  ^  >>  Puis  il  se  mit  à  genoux 
pour  prier ,  et  pendant  tout  le  trajet  de  l'église  au  lieu  du 
supplice,  il  ne  cessa  de  chanter  le  symbole,  les  litanies  et  le 
répons  Félix  namque  es,  Virgo.  Arrivé  près  du  bûcher,  il  récita 
encore  une  longue  prière,  pendant  que  les  valets  lui  ôtaient  ses 
vêtements  ;  puis  on  le  lia  avec  des  cordes  et  des  chaînes  à  un 
fort  poteau  fixé  en  terre,  et  l'on  entassa  du  bois  tout  autour. 
Il  se  remit  alors  à  chanter  d'abord  l'hymne  de  Pâques  :  Salve, 
festa  dies  ^,  puis  le  Credo,  et  s'adressa  ainsi  en  allemand  à  la 
foule  :  «  "Mes  chers  enfants,  dit-il,  ce  que  je  viens  de  chanter 
est  ce  que  je  crois.  Le  symbole  est  ma  foi.  Je  meurs  aujourd'hui 


(i)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  763  et  766  sq.~  Mansi.  t.  XXVII.  p.  894.—  Hard. 
t.  VIII,  p.  564. 

(2)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  765.  —  Lenpant,  1. 1,  p.  564.  —  Krummel,  Gesch. 
der  bôhmischen  Reformation,  J866,  p.  568. 

(3)  V.  D.  Hardt,  t.  IV,  p.  766. 

(4)  PiEiCHENTHAL,  Das  ConcU  zu  Constanz,  Augsb.  1536,  p.  xxix. 

(5)  Tel  est  le  récit  de  Théodore  Vrie  dans  Van  der  Hardt,  1. 1,  p.  202,  et 
t.  IV,  p.  765. 

(6)  Salve  festa  dies  Mo  venernbilis  œvo,  qua  Deus  infernum  vicit  et  asira  te- 
nei,  etc.,  apud  Daniel,  Thés,  hymnor.  1. 1,  p.  169. 


584        CONDAMNATION  ET  MORT  DE  JÉRÔME  DE  PRAGUE. 

parce  que  je  n'ai  pas  voulu  obéir  au  concile  et  reconnaître  qu'il 
a  eu  raison  de  condamner  Hus,  car  je  sais  que  c'était  un  saint 
homme  et  un  véritable  prédicateur  de  l'Évangile  du  Christ.  » 
Quand  il  eut  du  bois  jusqu'au  front,  on  plaça  ses  vêtements 
sur  le  bûcher,  et  le  feu  fut  allumé.  Il  chanta  alors  :  In  manus 
tuas  commendo  spiritura  meurn,  et  y  ajouta  en  tchèque  :  «  Sei- 
gneur, mon  Dieu,  Père  tout-puissant,  ayez  pitié  de  moi,  et  par- 
donnez-moi mes  péchés,  car  vous  savez  que  j'ai  toujours  aimé 
sincèrement  la  vérité.  »  Mais  la  violence  du  feu  étouffa  sa  voix, 
et  l'on  constata  seulement,  pendant  presque  un  quart  d'heure, 
qu'il  remuait  les  lèvres,  soit  pour  parler,  soit  pour  prier.  On 
vit  aussi  se  former  sur  son  corps  tout  brûlé  des  ampoules  de  la 
grosseur  d'un  œuf,  et  la  forte  constitution  de  Jérôme  prolongea 
si  longtemps  cet  affreux  supplice,  qu'on  aurait  pu  aller  à  Prague 
durant  ce  temps  de  l'éghse  de  Saint-Clément, par  le  pont, jusqu'à 
celle  de  Notre-Dame.  Quand  il  fut  mort,  on  apporta  de  sa  prison 
son  lit,  ses  fourrures,  ses  chaussures  et  le  reste  qu'on  fît  aussi 
brûler;  les  cendres  furent  ensuite  jetées  dans  le  Rhin.  Tel  est  le 
récit  de  Laurent  de  Brzezina  ^  et  de  l'ouvrage  anonyme  intitulé 
Historia  et  monumenta  J.  Hus.  Norimbg,  1715,  t.  II,  p.  527  '^ 

Les  points  importants  de  cette  narration  concordent  avec  la 
fameuse  lettre  adressée  par  l'humaniste  Pogge  à  son  ami  Léonard 
d'Arezzo,  qui  habitait  Florence.  L'auteur  se  trouvait  au  concile 
et  avait  été  témoin  oculaire  des  faits  qu'il  raconte.  Voici  sa  lettre 
(v.  p.  280  du  livre)  3; 

Poggius  plurimam  salutem  dicit  Leonardo  Aretino.  Gum  pluribus  diebus 
ad  balnea  fuissem,  scripsi  ad  Nicolaura  nostrum  ex  balneis  ipsis  epistolam, 
quam  existimo  te  lecturum.  Deinde,  cum  Constantiam  revertissem,  paucis 
post  diebus,  cœpta  est  agi  causa  Hieronymi,  quem  hsereticum  ferunt,  et 
quidam  publiée.  Hanc  tibi  recensere  rationem  institui,  cum  propter  rei  gra- 
vitatem,  (ummaxime  propter  eloquentiara  hominis  ac  doctrinam.  Fateorme 
neminem  unquam  vidisse,  qui  in  causa  dicenda,  pr.Bsertim  capitis,  magis 
accederet  ad  facundiam  priscorum,  qaos  tautopere  admiramur.  Mirum  est 
vidisse,  quibus  verbis,  qua  facundia,  quibus  argumentis,  quo  vultu,  quo 
ore,  qua  fiducia  responderit  adversariis,  ac  demum  causam  perorarit  ;  ut 
dolendum  sit,  tam  nobile  ingenium,  tamque  excellens,  ad  illa  h;eresi^ 
studia  divertisse, —  prouti  tamea  vera  sunt,   quu3   sibi  objiciuntur.  Neque 


(1)  HoFLER,  GeschiclUschr.  t.  I,  p.  338. 

(2)  V.  D.  HAnDT,  t.  IV,  p.  770  sq. 

(3)  Il  était  venu  à  Constance  comme  secrétaire  du  pape,  et  découvrit  dans 
une  tour  de  l'ubl)aye  de  Saint-Gall  ['Argonautùjue  de  Valérins  Flaccus  et  les 
livres  de  Quintilien. 


VINGT    ET   UNIÈME  SESSION    GÉNÉRALE.  585 

enim  mei  inlerest,  tantam  rem  dijudicare  ;  acquiesco  eorum  sententiis,  qui 
sapientiores  habentur.  Neque  tamen  existimo,  me  in  morem  oratorum 
singillatim  causam  referre.  Longum  quidem  illud  esset  et  multorum  dierum 
opus.  Pertingam  quosdam  illustriores  locos,  quibas  tantum  viri  doctrinam 
possis  couspicere.  Cum  multa  in  hune  Hieronymum  congesta  essent,  quibus 
arguebatur  htereticus,  atque  ea  testibus  firmata,  tandem  plaçait,  ut  singulis 
quai  sibi  objiciebantur  responderet.  Ita  in  concionem  deductus  cum  jube- 
retur  ad  illa  respondere,  maledictis  adversariorum  diutius  respondere  recu- 
savit,  asserens  se  prius  causam  suam  agere  quam  maledictis  illorum  res- 
pondere ;  itaque  pro  se  prius  dicentem  se  audiendum  asserebat,  tum  ad 
lemulorum  suorum  probra  in  eum  congesta  deveniendum.  Sed  cum  bsec  au- 
ditio  sibi  denegaretur,  tum  stans  in  medio  concionis,  «  Quœnam  est  hsec 
iniquitas,  inquit,  ut  cum  340  diebus,  quibus  in  durissimis  carceribus  fui, 
in  sordibus,  in  squalore,  in  stercore,  in  compedibus,  in  rerum  omnium 
inopia,  adversarios  atque  obtrectatores  mecs  semper  audieritis,  me  unam 
horam  audire  nolitis  !  Hinc  est,  ut,  cum  singulorum  aures  patuerint,  atque 
in  tam  longo  tempore  vobis  persuaserint,  me  hcereticum,  hostem  fidei,  eccle- 
siasticorum  persecutorem,  mihi  autem  defendendi  nuUa  facultas  detur,  vos 
prius  mentibus  vestris  me  improbum  hominem  judicaveritis,  quam,  qui  fo- 
rera, potueritis  cognoscere.  Atqui,  inquit,  homines  estis,  non  dii  ;  non  per- 
petui,  sedmortales;  labi,  errare,  falli,  decipi,  seduci  potestis.  Hic  mundi 
lumina,  hic  orbis  terrarum  prudentiores  esse  dicuntur.  Maxime  vos  decet 
elaborare,  ne  quid  temere,  ne  quid  inconsulte,  aut  quid  praeter  justitiam 
faciatis.  Equidem  ego  homuncio  sum,  cujus  de  capite  agitur.  Nec  pro  me 
loquor,  qui  mortalis.  Verum  indignum  videtur,  sapientiam  tôt  virorum  ad- 
versum  me  aliquid  statuere  prœter  eequitatem,  non  tantum  re  quantum 
exemplo  nocituram.  »  Heec  et  multa  prseterea  ornate  disserebat  in  strepitu 
et  murmure  plurimorum  sermonem  ejus  interpellantium.  Tandem  decretum 
est,  ut  ad  errores,  qui  in  eum  conferebantur,  publiée  responderet,  deinde 
loquendi  quje  vellet  facultas  daretur.  Legebantur  ergo  ex  pulpito  singula 
capita  accusationis.  Tum  rogabatur,  an  quid  vellet  objicere,  et  deinde  testi- 
moniis  confirmabantur.  Incredibile  est  dicta,  quam  callide  responderet, 
quibus  se  tueretur  argumentis.  Nihil  enim  protulit  indignum  bono  viro.  Et 
si  id  in  fide  sentiebat,  quod  verbis  proûtebatur,  nuUa  in  eum,  nedum 
mortis,  causa  inveniri  justa  potuisset,  sed  nec  quidem  licuisset  levissimge 
ofîensionis.  Omnia  falsa  tune  esse  dicebat,  omnia  crimina  conficta  ab 
œmulis  sais.  Inter  csetera  cum  recitaretur,  illum  Sedis  Apostolicae  detrac- 
torem,  oppugnalorem  Romani  pontificisj  cardinalium  hostem,  persecutorem 
prselatorum  et  cleri,  christianse  religionis  inimicum  :  tune  surgens,  quere- 
bunda  voce  et  manibus  erectis  inquit  :  «  Quo  nunc  me  vertam,  patres  con- 
scripti?  Quorum  auxiiium  implorera?  Quid  deprecer?  Quos  obsecrer  ? 
Vosne  ?  At  isti  persecutores  mei  vestras  mentes  a  mea  sainte  alienaverunt, 
cam  universorum  hostem  me  esse  dixerint  eorum,  qui  judicaturi  sunt. 
Nempe  arbitrati  sunt,  si  ea,  quae  in  me  confinxerunt,  levia  viderentur 
tamen  vos  vestris  sententiis  oppressuros  communera  omnium  hostem  atque 
oppugnatorem,  qualem  me  isti  falsissime  sunt  mentiti.  Ita  si  eorum  verbis 
fidem  dabitis,  nihil  est,  quod  de  mea  sainte  sperandum  sit.  »  —  Multos  sa- 
libus  perstrinxit,  multos  laedoriis,  multos  perssepe  in  re  mœsta  ridere 
coegit,  jocando  in  illorum  objurgationes.  Cum  rogaretur  quid  sentiret  de 
sacramento,  inquit  :  «  Antea  panera,  in  consecratione  et  postea  verum 
corpus,  et  reliqua  secundum  fidem.  »  Tum  quidam  :  «  Atqui  aiunt  te  dixisse, 
post  consecrationem  remanere  panem.  »  Respondit  :  «  Apud  pistorem  re- 
manet  panis.  w  Cuidam  ex  ordine  preedicatorum  acrius  invehenti:  «  Tace, 


586        CONDAMNATION  ET  MORT  DE  JEROME  DE  PRAGUE. 

inquifc,  hypocrita.  »  Alleri,  conscientiam  juranti  :  «  Hsec,  inquit,  tutissima 
via  est  ad  fallenclum.  »  Quemdam  prfecipuum  adversariura  nunquam  nisi 
canem  aut  asinum  appellavit.  Gum  vero  propter  criminum  multitudinem  ac 
pondus  res  eo  die  transigi  nequiret,  in  diem  tertium  est  dilata,  Quo  die 
cum  singulorum  criminum  argumenta  recitata  essent,  ac  subinde  pluribus 
testibus  confirmarentur,  tum  surgens  :  «  Quoniam,  inquit,  adversarios 
mecs  tam  diligenter  audistis,  consequens  est,  ut  me  quoque  dicentem 
aequis  animis  audiatis.  *  Data  tandem,  licet  miiltis  perstrepentibus,  dicendi 
facultate,  hic  primum  a  Dec  exorsus  est.  Eum  deprecans  rogabat,  eam 
mentem  sibi  dari,  eamque  dicendi  facultatem,  quse  in  commodum  et  sa- 
lutem  animae  suœ  verteretur.  Deinde  :  «  Scio,  inquit,  viri  doctissimi, 
plures  fuisse  excellentes  vires  indigna  suis  virtutibus  perpessos,  falsis  op- 
presses testibus,  iniquis  judicis  condemnatos.  »  Incipiens  autem  a  Socrate, 
illum  injuste  a  suis  damnatum  esse  retulit,  neque,  cum  posset,  evadere  vo- 
luisse,  utduorum,  quse  hominibus  asperrima  videntur,  metum  demeret,  car- 
ceris  et  mortis.  Tum  Platonis  captivitatem,  AnaxagorEe  fugam  ac  Zenonis 
tormentum,  multorum  praîterea  gentilium  iniquitas  damnationes,  Rutilii 
exilium,  Boëthii  simul  et  aliorum,  quos  Boëthius  refert,  indignam  mortem 
commemoravit.  Deinde  ad  Hebrseorum  exempla  transivit.  Et  primum 
Moysen,  illum  liberatorem  populi  et  legislatorem,  a  suis  ssepe  calumniatum 
essedixitjtanquam  seductor  esset  aut  contemptor  populi.  Joseph  insuper  a  fra- 
tribus  venditum  ob  invidiam,  post  ob  stupri  suspicionem  in  vincula  con- 
jectum;  praeter  hos  Esaiam,  Danielem,  et  ferme  prophetas  omnes,  tanquam 
contemptores  deorum,  tanquam  seditiosos,  iniquis  circumventos  sententiis. 
Hic  et  Susannee  judicium  multorumque  prœterea,  qui  cum  viri  sanctissimi 
exstitissentj  injustis  tamen  judiciis  perierunt,  Postea  ad  Joannem  Baptistam, 
deinde  ad  Salvatorem  nostrum  descendons,  falsis  testibus,  falsis  judiciis 
condemnatos,  inquit  omnibus  constare.  Deinde  Stephanum  a  sacerdotum 
coUegio  interfectum,  apostolos  autem  omnes  morte  damnâtes,  non  tanquam 
bonos,  sed  ut  seditiosos  populorum  concitatores,  contemptores  deorum,  et 
malorum  operum  effectores.  Iniquum  esse,  injuste  damnari  sacerdotem  a 
sacerdote.  At  id  factum  esse  docuit.  Iniquins,  a  sacerdotum  collegio  ;  id 
quoque  exemplo  probavit.  Iniquissimum  vero,  a  conciUo  sacerdotum  ;  id 
etiam  accidisse  monstravit.  Hsec  disserte  et  magna  cum  exspectatione  dis- 
seruit.  At  omne  cum  pondus  causse  in  testibus  situm  esset,  multis  ratio- 
nibus  docuit,  nuUam  bis  testibus  fidem  adhibendam,  prsesertim  cum  non 
ex  veritate,  sed  ex  odio  ac  malevolentia  et  invidia  omnia  dixissent.  Tum 
odii  causas  ita  explicavit,  ut  haud  procul  fuerit  a  persuadendo.  Ita  enim 
erant  verisimiles,  ut,  excepta  sola  fidei  causa,  parva  illis  iides  testimoniis 
adhibita  esset.  Gommoverat  omnium  mentes,  et  ad  misericordiam  flecte- 
bantur.  Addiderat  enim,  se  sponte  ad  concilium  venisse  ad  se  purgandum. 
Vitam  suam  et  studia  exposuerat,  officii  plena  et  virtutis.  Dixerat  hune 
morem  priscis  atque  doctissimis  viris  fuisse,  ut  in  rébus  fidei  invicem  sen- 
tentiis  discreparent,  non  ad  pessumdandum  fidem,  sed  ad  veritatem  fidei 
aperiendam.  Ita  Augustinum  et  Hieronymum  dissensisse  asseruit,  et  non 
solum  diversa  sensisse,  sed  et  contraria,  nuUa  hœreseos  suspicione.  Exspec- 
tabant  omnes,  ut  vel  se  purgaret,  retractando  objecta,  vel  erratorum  veniam 
postularet.  At  ille,  neque  se  errasse  asseverans,  neque  se  vetractare  aliorum 
falsa  criminavelle  ostendens,  tandem  descendit  in  laudationem  Joannis  Hus, 
dudum  ad  ignem  damnati,  virum  illum  bonum,  justum  et  sanctum  appellans 
et  illa  morte  indignum  ;  se  quoque  paratum  quodvis  supplicium  subire,  forti 
animo  atque  constanti,  seque  inimicis  suis  cedere  et  testibus  illis  tam  im- 
pudenter  mentientibus,  qui  tamen  aliquando  coi'am  Deo,  quem  fallere  non 


I 


VINGT   ET   UNIÈME   SESSION   GENERALE.  587 

potuerint,  essentrationem  eorum  quse  dixissent  reddituri.Magnus  ératcircums- 
tantiura  dolor  animi.  Gupiebant  enim  virum  tam  egregium  salvari,  si  bona 
mens  fuisset.  111e  autem  sua  in  senlentia  perseverans,ultro  mortem  appefcere 
videbatur,  laudansque  Joannem  H  us  ait  :  «  Nihil  illum  adversus  Ecclesiae  Dei 
statum  sensisse,  sed  adversus  siiperbiam,  fastum  ac  pompam  preelatoruin  ; 
nam  cum  patrimonia  ecclesiarum  primum  deberentur  pauperibus  et  advenis, 
ac  demum  fabricis,  indignum  illi  bono  viro  videri,  dispendi  illa  meretricibus, 
conviviis,  equorum  copiœ,  aut  canum  saginse,  cultui  vestimentorum  et  aliis 
rébus  indignis  religione  Ghristi.  »  —  Hoc  autem  maximi  ingenii  fuit  :  cum 
interrumperetur  seepius  oratio  sua,  variisque  rumoribus  lacesseretur  a  non- 
nuUis,  ejus  sententias  captantibus,  neminem  eorum  intactum  reliquit,  pa- 
riterque  omnes  ulciscens  vel  erubescere  coegit  vei  tacere.  Surgente  mur- 
mure silebatjturbam  quandoque  increbans.Postea  orationem  replicans  iterum 
atque  iterum  persequebatur,  orans  atque  obtestans,  ut  eum  loqui  paterentur, 
cum  se  non  essent  amplius  audituri.  Nunquam  ad  hos  rumores  expavit, 
mente  firma  atque  intrepida.  lllud  vero  admirabile  memoriaî  argumentum. 
340   diebus  fuerat   in   fundo  turris  fœtidse  atque  obscurse ,  cujus   asperi- 
tatem  ipsemet  conquestus  est,  asserens  se,  ut  fortem  hominem  decet,  non 
propterea  ingemiscere,quod  sic  indigna  perpessus  esset,  sed  mirari  bominum 
adversus  se  inhumanitatem.  Quo  in  loco  nedum  legendi,  sed  necdum  videndi 
quidem  ullam  habuit  facultatem.  Mitto  anxietatem  mentis,  qua  oportuit 
illum  quotidie  agitari,  quse  omnem  memoriam  excutere   debuisset.  lUe 
tamen  tôt  doctissimos  atque  sapientissimos  viros  in  testes  suorum  opi- 
nionum  allegavit,  tôt  doctores  ecclesiasticos  in  médium  protulit  in  senten- 
tiam  suam,  ut  satis  superque  satis  fuisset,  si  toto  hoc  tempore  summo  in 
otio,  summa  in  quiète,  sapientiae  studiis  operam  dedisset.  Vox  ejus  suavis, 
aperta,  resonans  erat,  quadam  cum  dignitate  gestus  oratoris,vel  adindigna- 
tionem  exprimendam,  vel  ad  commovendam  miserationem,  quam  tamen 
neque  postulabat,  neque  consequi  cupiebat.  Stabat  impavidus,  intrepidus, 
mortem  non  contemnens  solum,  sed  etiam  appetens,  ut  alterum  Catonem 
dixisses.  0  virum  dignum  memoria  bominum  sempiterna  !  Non  laudo,  si 
quid  adversus  instituta  Ecclesiae  sentiebat.  Doctrinam  admiror,  rerum  pluri- 
marum  scientiam,  eloquentiam,  et  argutiam  respondendi  ;  sed  vereor,  ne 
omnia  in  pestem  suam  sibi  fuerint  a  natura  concessa.  Datum  deinde  spatium 
pœnitendi  biduo.  Intérim  multi  ad  illum  accessere  viri  eruditissimi,  ut 
ipsum  a  sententia  sua  dimoverent.  Inter  quos  cardinalis  Florentinus  eum 
adiit,  ut  ipsum  flecteret  ad  rectara  viam.  Sed  cum  pertinacius  in  erroribus 
perseveraret,  per  concilium  hsereseos  damnatus  est  et  igni  combustus.  Ju- 
cunda  fronte  et  hilari  vultu  ac  facie  alacri  ad  exitum  suum  accessit.  Non 
ignem  expavit,  non  tormenti  genus,  non  mortem.  Nullus  unquam  Stoi- 
corum  fuit  tam  constanti  animo  tamque  forti  mortem  perpessus,  quam  ap- 
petiisse  videretur.   Cum  venisset  ad  locum  mortis,  se  ipsum  exuit  vesti- 
mentis.  Tum  procumbens,   flexis  genibus,  veneratus  est  palum,  ad  quem 
ligatus  fuit.  Deinde   circumposita  ligna  pectus  tenus,  non  minuscula  sed 
grossa,  paleis  interjectis.  Tum  flamma  adhibita,  canere  cœpit  hymnum,  quem 
fumuset  ignis  interrupit.Hoc  autemmaximum  constantis  animi  signuni  :  cum 
lictor  ignem  post  tergum,  ne  id  videret,  injicere  vellet  :  «  Hue,  inquit, 
accède,  et  in  conspectu  accende  ignem  ;  si  enim  illum  timuissem,  nunquam 
ad  hune  locum,  quem  fugiendi  facultas  erat,  accessissem.  »  Hoc  modo  vir 
praeter  fidem  egregius  consumptus  est,  Vidi  hune  exitum,  singulos   actus 
inspexi,  Sive  perfidia,  sive  pertinaciahoc  egerit,  certe  exphilosophise  schola 
virum  in teremp tum  esse  descripsisses.  Longam  tibi  cantilenam  narravi,  otii 
causa.  Nihil  enim  agens  aliquid  agere  volui  et  res  tibi  narrare  paululum  si- 


588        CONDAMNATION  ET  MORT  DE  JEROME  DE  PRAGUE. 

miles  historiis  priscorum.  Nam  neque  Mutius  ille  tam  fidenti  animo  passus 
est  membrum  uri,  quam  iste  universum  corpus.  Neque  Socrates  tam  sponte 
venenum  bibit,  quam  iste  ignem  suscepit.  Sed  hsec  satis.  Parce  verbis  meis, 
si  longior  fui.  lies  tanien  ipsa  ampliorem  narrationem  poscebat.  Sed  nolui 
esse  nimium  loquax.  Vale,  mi  jucundissimeLeonarde.  Ex  Constantia  III  Kal. 
Junii,  que  die  Ilieronymus  pœnas  luit.  Iterum  vale  meque  dilige  *. 


(1)  Poggii  0pp.  p.  301  ;  reproduit  dans  V.  d.  Hardt,  1.  c.  t.  III,  P.  v,  p.  64- 
71.  —  Documenta,  p.  624  sq.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  celte  lettre  a  été 
récemment  l'objet  d'une  fraude.  Le  faussaire  a  supposé  un  récit  différent, 
et  l'a  fait  adresser  à  un  certain  Nicolas,  parce  qu'en  effet,  dans  la  pièce  au- 
thentique, Pogge  parle  d'une  lettre  précédemment  écrite  à  l'un  de  ses  amis 
qui  portait  ce  nom. 


FIN    DU    TOME    DIXIEME. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


LIVRE   QUARANTE -TROISIÈME 

LE    GRAND    SCHISME   d'oCCIDENT 

DEPUIS  l'Élection  d'urbain  vi  jusqu'au  concile  de  pise 
(1378-1409) 

Pag. 

Chapitre  premier.  Histoire  du  schisme ,     .  1 

§  712.  Élection  d'Urbain  VI,  1378 1 

§  713.  Reconnaissance  et  abandon  d'Urbain  YI.  Élection  de  Tanti- 

pape  Clément  VII 35 

§  714,  Histoire  du  schisme  jusqu'à  la  mort  d'Urbain  VI  (15  octobre 

1389) 48 

§  715.  Continuation  du  schisme  jusqu'à  la  raort  de  l'antipape  Clé- 
ment VII,  en  1394 69 

§  716.  Tentatives  d'union  faites  de  1394  à  1398 82 

§  717.  Abandon  de  l'obédience  de  Benoît  Xlll,  de  1398  à  1403  .     .  107 
§  718.  Le  pape  romain  Boniface  IX  et  le  roi  romain  Ruprecht,'  du 

Palatinat,  de  1398  à  1403 114 

§  719.  La  France  revient  à  l'obédience  de  Benoît  XIII.  —  Tentative 

d'union  sous  Innocent  VII 124 

§  720.  Concile  général  français  tenu  en  1  i06.  Demi-mesures     .     .  137 
§  721.  L'élection  de  Grégoire  XII  fait  espérer  le  rétabhssement  de 

l'union.  —  Traité  de  Marseille  en  1407 141 

§  722.  Changement  dans  les  dispositions  de  Grégoire  XII.  1407.     .  152 
§  723.  Les  deux  papesse  rapprochent  l'un  de  l'autre,  mais  sans  se 

rencontrer 159 

§  724.  Grégoire  XII  est  abandonné  de  ses  cardinaux 162 

§  725.  La  France  et  d'autres  pays  se  déclarent,  en  1408,  pour  la 

neutralité 165 

§  726.  Les  cardinaux  des  deux  obédiences  se  réunissent  à  Livom^ne 

et  se  prononcent  pour  la  via  sijnodi] 167 

§  727.  Les  cardinaux  se  rendent  à  Pise  et  préparent  le  concile.     .  173 


c 

IIAPJTRE 

§728, 

§  729. 

§  730, 

§  731, 

590  TABLE   DES   MATIERES. 

Pag. 
SECOND.   Synodes  de  cette  époque,  du  commencement  du 

grand  schisme  (1378),  jusqu'au  concile  de  Pise  (1409)     .  191 

Premier  synode  sous  Urbain  VI,  de  1378  à  1381     ....  191 

Wiclif  (Wiclef)  et  les  synodes  tenus  à  son  occasion  en  1382  ,  199 

Dernier  synode  tenu  sous  Urbain  YI,  de  1386  à  1389  ...  222 

Synode  sous  Boniface  IX,  de  1389  à  1404 225 

§  732.  Synodes  tenus  sous  Grégoire  XII  jusqu'à  l'ouverture  du  con- 
cile de  Pise,  de  1406  à  1409 239 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME 

LE    CONCILE   DE    PISE   ET    GRÉGOIRE   XII. 
CONTRE  -  SYNODE     DE     CIVJDALE     EN     1409. 

§  733.  Les  trois  premières  sessions  du  concile  de  Pise     ....    249 
§  734.  Les  amdassadenrs  allemands  à  Pise.  Quatrième  session,  le 

15  avril  1409 n  554 

§  735.  Charles  Malatesta  à  Pise 259 

§  736.  Cinquième  session  à  Pise  le  24  avril  1409.  Mémoire  sur  l'ori- 
gine et  sur  l'histoire  du  schisme 262 

§  737.  Sixième,  septième  et  huitième  sessions  à  Pise.  Apologie  du 

synode  par  lui-même 269 

§  738.  Procès  et  déposition  des  deux  papes,  de  la  neuvième  à  la 

quinzième  session  du  concile  de  Pise 279 

§  739.  Seizième  et  dix-septième  sessions  à  Pise  les  10  et  iSjuin  1409. 

Préparatifs  pour  l'élection  d'un  nouveau  pape  ....    285 
§  740.  Arrivée  des  ambassadeurs  de  Benoît  XIII  et  du  roi  d'Aragon. 

Dix-huitième  session  à  Pise  le  14  juin  1409 283 

§  741.  Dix-neuvième  session  à  Pise.  Election  d'Alexandre  V.     .     .291 
g  742.  Vingtièmeetvingt  et  unième  sessions  à  Pise,  le  1<='' et  le  10  juil- 
let 1409 293 

§  743.  Synode  de  Grégoire  XII  à  Cividale  en  1409 296 

^  744.  Fin  du  synode  de  Pise 298 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIEME 

CONCILE      DE      CONSTANCE,    1414-1418. 

§  745.  Événements  et  synodes  ayant  eu  lieu  entre  le  concile  de 

Pise  et  le  concile  de  Constance 303 

§  746.  Ouverture  du  concile  de  Constance 328 

g  747.  Jean  Hus  et  son  histoire  jusqu'à  son  arrivée  à  Constance    .  330 


TABLE   DES   MATIERES.  591 

Pag. 

g  748.  Première  session  du  concile,  le  16  novembre  1414,  et  événe- 
ments qui  se  passèrent  à  Constance  jusqu'à  l'arrivée  de 
Sigismond 368 

§  749.  Histoire  du  concile  de  Constance  depuis  l'arrivée  de  l'empe- 
reur jusqu'à  la  fuite  du  pape;  du  25  décembre  1-H4  au 
mois  de  mars  1415 377 

g  750.  Troisième,  quatrième  et  cinquième  sessions  du  concile  de 

Constance  (26  et  30  mars,  6  avril  1415) 394 

^  751.  Sixième  et  septième  sessions  du  concile  (17  avril  et  2  mai)  .     408 

^  752.  Huitième  session  générale  (4  mai  1415).  Condamnation  de 

Wiclif  et  de  ses  écrits 418 

§  753.  Humiliation  publique  du  duc  Frédéric  d'Autriche.  Inter- 
diction du  pape.  Neuvième  et  dixième  sessions  (13  et 
14  mai  1415) 422 

§  754.  Les  soixante-douze  chefs  d^accusation  contre  Jean  XXIII     .    427 

§  755.  Défense  del'évêque  de  Leitomysl.  Arrestation  de  Jérôme  de 

Prague 433 

^  756.  Déposition  du  pape  Jean  XXIII.  Onzième  et  douzième  ses- 
sions générales  (25  et  29  mai  1415) 436 

p,  757.  IIus  devant  le  concile.  Premier  et  second  interrogatoire  (6  et 

7  juin  1415) 445 

^^  758.  Troisième  interrogatoire  de  IIus  (8  juin  1415) 461 

§  759.  Treizième  session  générale,  le  15  juin  1415.  Interdiction  de 
la  communion  sous  les  deux  espèces  aux  fidèles.  Affaire 
de  Jean  Petit 476 

(J,  760.  Quatorzième  session  générale.  Abdication  de  Grégoire  XII  .     485 

j-;  761.  Obstination  de  Hus;  ses  dernières  lettres 487 

^  762.  Quinzième  session  générale  (6  juillet  1415).  Condamnation 

de  IIus 497 

g  763.  Mort  de  Hus  (6  juillet  1415) .514 

g  764.  Seizième,  dix-septième,  dix-huitième  et  dix-neuvième  ses- 
sions générales  (11,  14,  17  juillet  et  23  septembre  1415). 
Piétractation  de  Jérôme  de  Prague 531 

jJ  765.  Vingtième  session.  Traité  de  Narbonne 544 

^  766.  Événements  qui  se  passèrent  à  Constance  au  commence- 
ment de  Tannée  1416    551 

§  767.  Congrégation  générale  du  27  avril  1416.  Chefs  d'accusation 

contre  Jérôme  de  Prague , 557 

^  768.  Discussions  relatives  à  l'évêque  de  Strasbourg,  à  Jean  Petit 

et  à  Jérôme  de  Prague  (fin  d'avril  et  l^'  mai  1416).     .     .     559 

^  769.  Condamnation  et  mort  de  Jérôme  de  Prague.  Vingt  et  unième 

session  générale 577 


PAUld,  —   IMI'IUMEIUK   JULIiS  LE  CLEllE   ET  G'-,   KUE  CASSETTE,   29. 


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