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Full text of "Histoire des conciles d'après les documents originaux"

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OF  ILLINOIS 

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HISTOIRE 

DES  CONCILES 

d'après 

LES    DOCUMENTS    ORIGINAUX 

PAR 

Charles   Joseph    H  E  F  E  L  E 

DOCTEUR    EN    l'HILOSOPHIB    ET    EN    THÉOLOGIE,    ÉVÊQUB    DE    ROTTBNBOURG 

NOUVELLE  TRADUCTION    FRANÇAISE   FAITE   SUR  LA   DEUXIÈME  ÉDITION    ALLEMANDE 
CORRIGÉE    ET    AUGMENTÉE    DE   NOTES  CRITIQUES    ET    BIBLIOGRAPHIQUES 

PAR 

Dom  H.   LECLERCO 

BÉNÉDICTIN     DE    L'aBBAYB     DB     FARNBOROUCH 


TOME  IV 
PREMIÈRE    PARTIE 


PARIS 
LETOUZEY    ET    ANÉ,    ÉDITEURS 

76»»»,    RUE    DES     SAINTS-PÈRES 

1911 


HISTOIRE    DES    CONCILES 


TOME    IV 


PREJMIL  RE     PARTIE 


HISTOIRE 


DES  CONCILES 


D  APRES 

LES    DOCUMENTS    ORIGINAUX 

PAR 

Chaules    Joseph    HEFELF. 

DOCTEUR    EN'    PHILOSOPHIE    ET    EN    THÉOLOGIE,    ÉVÊQUE    DE    ROTTENBOURG 

NOUVELLE  TRADUCTION    FRANÇAISE    FAITE    SUR   LA    D  EUXIÈME  ÉDITION    ALLEMANDE 
CORRIGÉE    ET    AUGMENTÉE    DE   NOTES  CRITIQUES    ET    BIBLIOGRAPHIQUES 


PAU 


])o.m   II.   LECLE  RCO 


BENEDICTIV     DE     L    VHIUYE     DK      F  A  R  \  B  0  RO  U  GIT 


TOME    [\ 

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LETOUZEY    ET    ANE,    ÉDITE  1RS 

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191  I 


Imprimai  m 
F.   Cabrol 


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V  . 


LIVRE    VINGT    ET   UNIÈME 

ÉPOQUE  DE   LOUIS  LE   DÉBONNAIRE 
[1]  ET  DE    LOTHAIRE  Ier  JUSQU'AU 

COMMENCEMENT  DES  DISCUSSIONS  DE  GOTESCALC 


415.  Renaissance  de  l'hérésie  des  iconoclastes 
sous  Léon  l'Arménien. 

Tandis  que  la  mort  de  Charlemagne  (28  janvier  814)  ébranlait 
l'Occident,  l'Orient  voyait  reparaître  l'hérésie  des  iconoclastes. 
Malgré  les  condamnations  du  IIe  concile  de  Nicée,  l'empire  grec 
et  surtout  l'armée  gardaient  de  nombreux  partisans  des  théories 
rationalistes  de  Constantin  Copronyme.  Parmi  eux  se  trouvait 
le  général  Léon  Bardas  l'Arménien,  qui,  au  mois  de  juillet  813, 
après  l'abdication  moitié  volontaire  et  moitié  forcée  de  Rhangabé, 
monta  sur  le  trône  impérial  sous  le  nom  de  Léon  V,  l'Arménien. 
L'imprécision  des  documents  originaux  ne  permet  pas  de  décider 
si,  lors  de  son  couronnement,  il  fit  aux  orthodoxes  les  promesses 
écrites  habituelles  en  pareille  circonstance  ou  s'il  s'y  refusa,  en 
disant  :  «  Il  n'y  a  plus  assez  de  temps  pour  le  faire,  ce  sera  pour  une 
autre  fois.  »  On  se  demande  également  si  le  solitaire  et  devin 
Sabbatius  lui  fit  sa  mensongère  prophétie,  pour  l'engager  à  com- 
battre la  prétendue  superstition  :  «  Dans  ce  cas,  et  dans  ce  cas 
seulement,  Dieu  t'accordera  un  règne  heureux  de  trente  années.  » 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  l'empereur  dit  à  plusieurs 
reprises,  et  dès  le  début  de  son  règne  :  Les  empereurs  iconoclastes 
Léon  l'Isaurien  et  Constantin  Copronyme  ont  été  heureux  dans 
leurs  expéditions  contre  les  barbares  et  contre  les  païens;  en 
revanche,  les  iconophiles  ont  été  malheureux;  c'est  probablement 
le  culte  des  images^qui  explique  la  défaite  des  chrétiens  par  les 

CONCILES    -     IV   -    1 

I 000363 


LIVRE    XXI 


païens  1.  Au  commencement  de  la  seconde  année  de  son  règne, 
Léon  fit  colliger  par  le  savant  grammairien  et  lecteur  Jean  les  [2] 
passages  de  la  sainte  Ecriture  et  des  Pères  qui  semblaient  conclure 
contre  les  images.  On  fit  surtout  usage  du  recueil  composé  à 
l'occasion  du  conciliabule  de  754.  Outre  le  lecteur  Jean,  l'empe- 
reur trouva  un  autre  partisan  de  ses  idées  dans  Antoine,  évêque 
de  Sylœum  en  Pamphilie  2,  à  qui  on  fit  entrevoirie  siège  patriarcal 
de  Constantinople  comme  récompense  de  son  zèle. 

Du  mois  de  juillet  au  mois  de  décembre  814,  les  auxiliaires 
de  l'empereur  composèrent  en  grand  secret  leur  mémoire  contre 
les  images;  mais  le  patriarche  Nicéphore,  ayant  eu  vent  de  ce 
qui  se  tramait,  cita  les  coupables  à  comparaître  par-devant  plu- 
sieurs métropolitains,  c'est-à-dire  devant  une  aùvoooç  èvSY] jouera. 
Antoine  produisit  hypocritement  la  profession  de  foi  émise  lors 
de  sa  consécration  épiscopale  par  laquelle  il  admettait  la  vénéra- 
tion des  images.  Pour  mieux  donner  le  change,  il  ajouta  de  sa 
propre  main  à  ce  document  en  présence  de  l'assemblée  plusieurs 
signes  de  croix.  Il  se  vanta  ensuite  à  l'empereur  d'avoir  trompé 
ses  collègues,  afin  de  le  mieux  servir.  Jean,  moins  effronté  et 
troublé  par  les  mesures  du  patriarche,  demanda  pardon  et  se 
retira  dans  un  monastère  3. 

Quelque  temps  après  (décembre  814),  Léon  V  manda  le  patriar- 
che'Nicéphore,  et  lui  déclara  que  l'issue  malheureuse  des  expédi- 
tions contre  les  païens  s'expliquait  par  la  vénération  des  images, 
par  conséquent  qu'il  était  prudent  de  céder  sur  ce  point.  Il  lui 
remit,  probablement  dans  cette  même  circonstance,  le  tomos 
composé  par  Jean,  afin  que  le  patriarche  pût  se  convaincre  que 
la  vénération  des  images  ne  se  fondait  pas  sur  la  Bible  4. 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  115;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1046.  Les  prin- 
cipales sources  originales  à  consulter  sur  ce  retour  offensif  de  l'iconoclasme  sont: 
1)  le  continuateur  anonyme  de  Théophane,  appendice  à  Léo  Grammaticus, 
éd.  Bekker,  dans  le  Corpus,  de  Bonn,  1842,  sous  le  titre  Scriptor  incertus  de  Leone 
Barda,  p.  340  sq.;  2)  Ignace,  Vita  Nicephori  patriarchœ,  dans  les  Acta  sanct., 
mart.  t.  h,  col.  296  sq.;  Walch,  Kelzerhist.,  t.  x,  p.  606  sq.,  a  donné  de  longs  ex- 
traits de  ces  documents  originaux. 

2.  On  lui  donne  souvent,  dans  les  anciens  documents,  le  titre  de  métropoli- 
tain, et  plusieurs  supposent  qu'il  était  abbé  de  ce  qu'on  appelait  le  monastère 
métropolitain.  Mansi,  op.  cit.,  col.  112;  Walch,  op.  cit.,  t.  x,  p.  609,  656. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  118;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1047  sq. 

4.  Je  rattache  ici  le  récit  du  continuateur  de  Théophane  à  celui  des  évêques 
orentaux  dans  Mansi  et  Hardouin. 


415.     RENAISSANCE     DE    L  IIEKESIE     DES     ICONOCLASTES  à 

[3]  Nicéphore  attacha  peu  d'importance  à  l'argumentation  du 
lomos,  et  en  appela  à  la  tradition,  ajoutant  que  l'Évangile  était 
vénéré  partout,  sans  que  cependant  cette  vénération  fût  recom- 
mandée nulle  part  dans  la  sainte  Écriture.  L'empereur  ayant 
déclaré  qu'il  ne  regardait  pas  ses  objections  comme  résolues 
par  une  semblable  réponse,  le  patriarche  lui  envoya  quelques 
évêques  et  abbés,  personnages  fort  savants,  qui  répondraient  d'une 
manière  satisfaisante  à  toutes  les  questions.  Léon  demanda  une  con- 
férence contradictoire  avec  d'autres  savants  convoqués  à  dessein, 
promettant  de  se  soumettre  à  l'opinion  qui  triompherait  dans  ce 
colloque  1.  Les  orthodoxes  repoussèrent  cette  proposition,  disant 
avec  raison  que  «  la  question  avait  été  résolue  en  concile  gé- 
néral. »  Les  impériaux  rétorquèrent  maladroitement  «  qu'on 
avait  tenu  un  concile  à  cause  d'Arius,  qui  était  seul,  et 
qu'eux  étaient  en  plus  grand  nombre.  »  Les  ambassadeurs  du 
patriarche  revinrent  attristés,  et  Nicéphore  réunit  dans 
l'église  de  Sainte-Sophie  un  concile  de  deux  cent  soixante-dix 
Pères  auxquels  il  fit  promettre  fidélité  à  l'orthodoxie,  et  prononcer 
l'anathème  contre  Antoine,  dont  l'hypocrisie  s'était  dévoilée. 
Un  grand  nombre  de  laïques  présents  à  cette  assemblée  accla- 
mèrent avec  joie  cette  condamnation  et  passèrent  toute  la  nuit 
dans  l'église,  demandant  à  Dieu  de  changer  le  cœur  de  l'empereur2. 
Léon  s'irrita  de  ces  démonstrations,  et  sinon  par  son  ordre,  du 
moins  avec  l'espoir  d'une  complète  impunité,  ses  soldats  détrui- 
sirent l'image  du  Christ  qu'Irène  avait  érigée  sur  la  porte 
de  Chalcoprateia,  à  la  place  même  de  celle  que  Léon  l'Isaurien 
avait  fait  détruire.  —  Ce  fut  probablement  dans  ce  concile,  ou 
dans  d'autres  assemblées  réunies  par  lui,  que  le  patriarche  Nicé- 
phore publia  les  canons  qui  nous  ont  été  conservés  3. 

[4]  En  la  fête  de  Noël  de  814,  le  patriarche  supplia  l'empereur 
d'épargner  à  l'Église  toute  innovation,  ajoutant  que,  si  sa  personne 
lui  était  désagréable,  il  le  priait  de  lui  donner  un  successeur.  Léon 

1.  Tel  est  le  récit  de  Théodore  Studite  dans  Episl.,  cxxix,  dans  Sirmond, 
Opéra,  t.  v,  p.  461. 

2.  Mansi,  loc.  cit.,  col.  118  sq.  ;  Hardouin,  loc.  cit.,  col.  1050;  Walch,  op.  cit., 
t.  x,  p.  610,  673.  Il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'il  y  eût  à  Constantinople  un  si 
grand  nombre  d'évêques,  car  ils  y  étaient  toujours  très  nombreux.  Genesiuset 
Ignatius,  dans  Walch,  op.  cit.,  p.  629,  644,  supposent  que  l'empereur  avait  con- 
voqué ce  synode;  ils  le  confondent  avec  un  autre  qui  est  postérieur. 

3.  Hardouin,  loc.  cit.,  col.  1051;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,   t.  xtv.    col.   119. 


LIVRE    XXI 


répondit  qu'il  n'avait  aucune  intention  de  le  déplacer  ni  d'in- 
nover dans  l'Eglise,  et,  le  jour  même  de  la  fête  de  Noël,  il  baisa 
avec  beaucoup  de  dévotion  le  dessus  d'autel,  sur  lequel  était 
représentée  la  naissance  du  Christ.  On  vit  là  un  indice  de  change- 
ment dans  les  idées  de  l'empereur  à  l'égard  des  images  ; 
mais  lorsque  arriva  la  fête  de  la  Chandeleur,  l'empereur  interdit 
cette  même  pieuse  coutume  et  entreprit  la  réalisation  de  ses 
plans.  Il  gagna  d'abord  une  partie  notable  des  évêques  et  des 
clercs  qui,  naguère,  réunis  en  concile  avaient  promis  au  patriar- 
che fidélité  à  la  foi.  La  cause  de  l'hérésie  semblait  devoir  l'em- 
porter si  elle  obtenait  l'adhésion  du  patriarche,  ou  du  moins  son 
silence.  Nicéphore  fut  mandé  au  palais  et  questionné  par  l'empe- 
reur. Le  patriarche  défendit  les  images,  et  affirma  «  n'être  pas 
seul  à  penser  ainsi,  car  un  grand  nombre  d'évêques  et  de  moines 
qui  se  trouvaient  dans  le  voisinage,  pensaient  comme  lui.  »  A 
l'instant  l'empereur  fit  entrer  ceux  dont  parlait  le  patriarche  et 
crut  le  moment  venu  de  frapper  un  grand  coup.  Il  fit  introduire 
une  grande  et  magnifique  escorte  :  autour  de  lui  se  rangèrent 
les  officiers  de  la  cour,  armés  de  glaives  étincelants,  et  à  côté  se 
placèrent  aussi  les  évêques  et  les  théologiens  iconoclastes. 
L'empereur  prononça  un  long  et  violent  discours  sur  l'idolâtrie 
iconophile,  et  demanda  au  patriarche  et  à  ses  amis  de  réfuter  ses 
objections.  Nicéphore  et,  après  lui,  l'abbé  Théodore  Studite 
repoussèrent  cette  nouvelle  discussion,  protestèrent  très  énergique- 
ment  contre  l'empiétement  illégal  de  l'empereur  dans  les  affaires 
intérieures  de  l'Eglise,  et  montrèrent  les  conséquences  dogmati- 
ques d'une  résurrection  de  l'hérésie  iconoclaste  1.  L'empereur  [51 
les  disgracia  tous,  et  il  aurait  même  dit  à  Théodore  Studite  : 
«  Tu  as  mérité  la  mort,  mais  je  ne  veux  pas  faire  de  toi  un  martyr.  » 
—  Le  patriarche  Nicéphore  paraît  s'être  adressé  plus  tard  à  l'im- 
pératrice et  aux  dames  de  la  cour  les  plus  influentes,  pour  qu'elles 
engageassent  l'empereur  à  changer  de  sentiments;  mais  celui-ci 
fut  inébranlable  et  publia  un  édit  défendant  aux  amis  des  images, 
et  en  particulier   aux   moines,    de   tenir   des  réunions  et  d'exciter 


1.  On  se  demande  si  la  Disputalio  Nicephori  cum  Leone  Armeno,de  veerann- 
dis  imaginibus  etc.,  éditée  en  1664  par  Combéfis,  Origin.  Constantin,  manipul., 
p.  159-190,  se  rapporte  à  ce  second  entretien  on  au  premier.  Quant  au  discours 
de  Théodore  Studite,  il  a  été  inséré  dans  sa  biographie  par  le  moine  Michel. 
Sirmond,  Opéra,  t.  v,  col.  32  sq. 


415-    RENAISSANCE     DE    l'hÉRESIE    DES     ICONOCLASTES  5 

les  esprits.  Il  en  serait  probablement  venu,  dès  lors,  aux  mesures 
de  rigueur,  si  une  maladie  du  patriarche  ne  lui  avait  fait  entre- 
voir une  solution  plus  facile.  Mais  le  patriarche  guérit,  et  l'empereur 
se  hâta  de  réunir  en  concile  à  Constantinople  les  évêques 
de  l'empire.  Il  ne  leur  permit  pas  d'aller  d'abord,  selon  la 
coutume,  saluer  le  patriarche  ;  il  les  manda  tous  immédia- 
tement auprès  de  lui,  et  mit  en  jeu  tous  les  moyens  de  les 
gagner.  Une  fois  assemblés,  ces  évêques  adressèrent  au  patriarche 
deux  d'entre  eux,  porteurs  d'une  invitation.  Nicéphore  y  ré- 
pondit avec  dignité,  sans  se  laisser  effrayer  par  les  cris  de  la 
populace  venue  avec  les  députés,  qui  cernait  le  patriarcheion 
et  vomissait  mille  injures  et  anathèmes  contre  Nicéphore,  et 
ses  prédécesseurs  iconophiles,  Germain  et  Tarasius.  L'empereur 
excusa  ces  indignités  sous  prétexte  que  le  patriarche  avait  fait 
violence  à  la  conscience  du  peuple.  A  la  demande  du  concile,  il 
interdit  à  Nicéphore  de  porter  à  l'avenir  son  titre  de  patriarche; 
il  envoya  des  soldats  dans  sa  maison,  lui  imposa  l'abdication 
et  l'exila  par  delà  le  Bosphore,  probablement  non  loin  de  Chalcé- 
doine,  à  Chrysopolis,  où  il  vécut  encore  plusieurs  années.  L'empe- 
reur assura  ensuite,  devant  le  sénat,  que  le  patriarche  avait  quitté 
son  église  de  plein  gré,  à  la  suite  de  la  requête  qui  lui  avait  été 
faite  de  réduire  le  culte  des  images,  il  en  conclut  qu'il  fallait  dési- 
gner une  autre  personne  pour  occuper  ce  siège.  Son  choix  se  porta 
d'abord  sur  ce  lector  et  grammaticus  Jean,  dont  nous  avons  parlé; 
mais  le  sénat  lui  objectant  la  jeunesse  et  l'origine  plébéienne  de  ce 
candidat,  Léon  nomma  Théodote  Cassitera,  beau-frère  de  feu  l'em- 
pereur ConstantinCopronyme.il  était  fonctionnaire  de  l'Etat  et 
marié,  néanmoins  il  reçut  en  toute  hâte  la  tonsure  et  fut  ordonné 
pour  la  Pâque  de  815.  Le  jour  des  Rameaux  815,  Théodore  Studite 
fit  une  procession  solennelle  autour  de  son  monastère,  dans  laquelle 
on  porta  des  images  et  on  chanta  des  cantiques  en  leur  honneur. 
Théodore  repoussa  la  communion  du  nouveau  patriarche,  et 
engagea  les  autres  moines  à  ne  pas  aller  dans  son  palais  1. 
[6]  Après  la  Pâque  de  815,  l'empereur  réunit   un  nouveau   concile 

à  Constantinople,  sous  la  présidence  du  nouveau  patriarche 
Théodote  Cassitera.  Léon  et  son  fils  Constantin,  associé  à  l'em- 
pire, étaient  présents.  Dès  la  i'e  session  l'assemblée  confirma 
les  décisions  du  conciliabule  de  754,  et  annula   celles   de    Nicée. 

1.  Ci.  Vita  Theodori  Stud.,  dans  Sirmond,  Opéra,  I.  v,  p.  38. 


LIVRE    XXI 


Le  lendemain  (11e  session)  on  introduisit  plusieurs  évêques  ortho- 
doxes qui,  refusant  d'adhérer  à  ce  qui  s'était  fait,  furent  mal- 
traités, frappés  d'anathème  et  foulés  aux  pieds.  Dans  la  111e  session 
enfin,  on  rédigea  un  formulaire  signé  par  tous,  et  le  concile  se 
sépara,  après  les  acclamations  accoutumées  en  l'honneur  de 
l'empereur,  et  les  anathèmes  contre  les  adversaires  1.  On  passa 
ensuite  à  la  destruction  effective  des  images,  et  au  châtiment  de 
leurs  défenseurs.  Le  plus  célèbre  de  ces  derniers  était  Théodore 
Studite,  qui,  malgré  trois  séjours  en  prison,  la  flagellation  à  plu- 
sieurs reprises  et  des  traitements  d'une  cruauté  inouïe,  était 
toujours  prêt  à  défendre,  dans  ses  lettres  ardentes,  la  cause  de 
l'orthodoxie.  Plusieurs  de  ces  lettres  nous  ont  été  conservées, 
notamment  celle  adressée  au  concile  iconoclaste  (c'était  le  second 
après  la  Pâque  de  815),  et  dans  laquelle  il  refuse  ainsi  que  les 
abbés  qui  partagent  ses  sentiments,  de  se  rendre  à  cette  assem- 
blée ;  une  seconde  au  pape  Pascal,  dans  laquelle,  dépeignant 
la  triste  situation  du  moment,  il  dit  :  «  Le  patriarche  est  prisonnier, 
les  archevêques  et  les  évêques  sont  bannis,  les  moines  et  les  nonnes 
sont  dans  les  fers,  sous  la  menace  de  la  torture  et  de  la  mort; 
l'image  du  Sauveur,  devant  laquelle  les  démons  eux-mêmes 
tremblent,  est  devenue  un  objet  de  dérision; les  autels  et  les  églises 
sont  dévastés,  et  beaucoup  de  sang  a  déjà  coulé.  »  Il  demandait 
au  pape  de  les  secourir,  et  une  autre  lettre  de  Théodore  nous 
apprend  que  le  pape  fit  en  effet  ce  qui  dépendait  de  lui  pour 
changer  cet  état  de  choses.  —  Avec  Théodore,  beaucoup  de  ses 
amis  et  de  ses  disciples  furent  poursuivis,  maltraités  et  empri- 
sonnés; lui-même  fut  déporté  à  Smyrne,  où  ses  tourments  furent 
aggravés  par  l'évêque  iconoclaste  de  cette  ville  2. 

Les  lettres  de  Théodore  montrent  que  tous  les  iconophiles 
n'eurent  pas  un  courage  égal  au  sien;  beaucoup  se  turent,  d'autres 
passèrent  dans  le  camp  opposé  pour  éviter  la  prison  et  l'exil. 
Parmi  les  indomptables,  citons  le  chronographe  Théophane, 
si  souvent  nommé  dans  cette  histoire,  alors  courbé  par  l'âge 
et  affaibli  par  de  cruelles  souffrances.  L'empereur  ne  put  l'ébranler; 


1.  Les  actes  de  ce  synode  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à  nous  ;  mais  l'empe- 
reur Michel  le  Bègue  en  parle  dans  sa  lettre  à  Louis  le  Débonnaire  en  824  (voy. 
plus  loin),  et  Théodore  Studite  en  parle  également,  ainsi  que  d'autres  documents 
originaux.  Cf.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  135  sq.,  417. 

2.  Vita  Theodori,  dans  Sirmond,  Opéra,  t.  v,  p.  39. 


416.     CONCILES    TENUS     EN     OCCIDENT 


[V]     il  lui  fit  en  vain  les  plus  belles  promesses,  et  fut  réduit  à  l'envoyer 


en  prison  1. 


416.  Conciles  de  peu  d'importance  tenus  en  Occident 

de  814  à  816. 

Pendant  qu'à  Byzance,  Léon  l'Arménien  anéantissait  les  images 
et  poursuivait  leurs  défenseurs,  on  tint  en  Occident  plusieurs 
conciles.  Parmi  les  moins  importants  2,  nous  citerons  celui  de 
Noyon  en  814  (au  sujet  d'un  conflit  survenu  entre  les  évêques 
de  Noyon  et  de  Soissons,  pour  la  délimitation  de  ces  deux  diocèses)  ; 
celui  de  Lyon,  pour  choisir  un  successeur  à  l'archevêque  Leidrad, 
encore  vivant;  celui  de  Trêves  (dont  l'objet  est  inconnu),  et  celui 
de  Compiègne,  en  816,  dans  lequel  l'empereur  Louis  le  Débon- 
naire reçut  les  ambassadeurs  des  Sarrasins  3.  Cette  même  année 
Etienne  V  (IV)  fut  élevé  à  la  dignité  pontificale,  après  la  mort 
de  Léon  III;  le  nouveau  pape  envoya  aussitôt  deux  ambassadeurs 
à  l'empereur  Louis,  pour  lui  faire  part  de  son  élection  et  solliciter, 
pour  ainsi  dire  après  coup,  l'approbation  impériale.  On  croit  aussi 
que  le  pape  Etienne  V  (IV)  a  publié  dans  un  synode  romain  une 
décrétale  portant  qu'à  l'avenir  le  pape  serait  élu  par  les  évêques 
(cardinaux),  et  par  tout  le  clergé  (romain),  en  présence  du  sénat 
et  du  peuple,  mais  qu'il  ne  serait  consacré  que  praesentibus  legatis 
imperialibus.  Cette  décrétale  fut  insérée  dans  le  Corpus  juris 
canonici  4,  mais  Baronius  5,  Noël  Alexandre  6  et  d'autres  historiens 

1.  La  Biographie  de  Théophane  et  de  Théodore  Studite  se  trouve  dans  Acla 
sanct.,  mart.   t.  n,  p.  218  sq.  ;  Walch,  op.  cit.,  p.  643. 

2.  Conc.  de  Noyon  :  Coll.  regia,  t.  xx,  col.  424;  Labbe,  Conc,  t.  vu,  col.  1303- 
1304;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1053;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  393  ; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  141.  —  Conc.  de  Lyon  :  Lalande,  Conc. 
Gallise,  p.  103;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1864;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  395; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  143.  —  Conc.  de  Trêves  :  Labbe,  Concilia, 
t.  vu,  col.  1304-1305;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  393  ;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  147.  —  Conc.  de  Compiègne  :  Mansi,  Concilia,  Suppl.,  t.  i, 
col.  787;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  147.  (H.  L.) 

3.  Mansi,  op.  cit.,   t.  xiv,  col.  142  sq.:  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1054. 

4.  Corp.  juris  can.,  dist.  LXIII,  c.  28. 

5.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  816,  n.  101. 

6.  Hist.  eccles.,  Venetiis,  1778,  t.  vi,  p.  138. 


8  LIVRE    XXI 

la  regardent  comme  apocryphe,  tandis  que  Pagi  x  ne  la  rejette 
pas  complètement,  mais  pense  qu'elle  a  été  publiée  plus  tard 
par  le  pape  Etienne  VIL  Hinschius  2  a  exprimé  la  même  opinion, 
et  estime  qu'on  se  trouve  ici  en  présence  d'une  prescription  du 
concile  romain  de  898.  En  effet  le  c.  10  de  ce  concile  tenu  sous  le 
pape  Jean  IX  contient  une  ordonnance  absolument  analogue  au 
sujet  de  l'élection  des  papes  (voir  plus  loin  §  510).  Mais,  ajoute 
Hinschius,  si  Muratori  3  fait  remarquer  que  déjà  un  concile  romain 
de  862  ou  863  (c'est-à-dire  avant  Etienne  VII  et  Jean  IX)  s'est 
occupé  in  concilio  beatissimi  Stephani  Papse  des  droits  du  clergé 
et  des  personnages  importants  de  la  ville  de  Rome  en  ce  qui  con-  [8] 
cerne  l'élection  des  papes,  cette  décision  ne  se  rapporte  pas  à  l'é- 
poque d'Etienne  V,  mais  au  concile  de  769  célébré  sous  Etienne  IV. 
Nous  ne  croyons  pas  au  bien  fondé  de  cette  dernière  assertion, 
et  nous  ne  pensons  pas  avoir  des  motifs  suffisants  pour  contes- 
ter cette  ordonnance  du  concile  de  l'année  816  tenu  sous  Etienne  V. 
Le  décret  de  l'année  898  nous  semble  au  contraire  n'être  qu'une 
reproduction  du  décret  du  concile  dont  nous  nous  occupons. 

Un  concile  anglais,  tenu  le  27  juillet  816  à  Celchyt  (=  Chelsea)  4 
sous  la  présidence  de  Wulfred,  archevêque  de  Cantorbéry,  déclara 
dans  son  premier  canon  vouloir  rester  fidèle  à  la  foi  orthodoxe, 
puis  il  rendit  les  décisions  suivantes  :  2.  Les  églises  nouvellement 
bâties  doivent  être  consacrées  par  l'évêque  ;  à  côté  des  reli- 
ques, on  conservera  la  sainte  Eucharistie  dans  une  capsula  (elle 
était  placée  dans  le  tombeau  de  l'autel),  et  dans  le  cas  où  il  n'y 
aurait  pas  de  reliques,  on  conservera  la  sainte  Eucharistie  seule- 
ment. Sur  les  parois  de  l'oratoire,  sur  une  table,  ou  sur  l'autel  on  re- 
présentera les  saints  auxquels  les  églises  et  les  autels  sont  dédiés 
(il  y  avait  donc  des  images  dans  l'Eglise  anglaise).  3.  L'entente 
doit  régner  dans  le  clergé.  4.  Chaque  évêque  doit  choisir  dans  son 
diocèse  les  abbés  et  abbesses,  avec  l'assentiment  des  moines  ou 
des  nonnes.  5.  Aucun  Écossais  ne  doit  remplir  de  fonction  ecclé- 
siastique dans  un  diocèse    anglais,    parce  qu'on  ne  sait  ni  où  ni 

1.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  816,  n.  19;  817,  n.  4  sq. 

2.  Kirchenrecht,  Berlin,  1870,  t.  i,  p.  231. 

3.  Rerum  italic.  scriptores,  t.  n,  part.  2,  p.  127. 

4.  Coll.  regia,  t.  xx,  col.  638;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1484-1489;  Hardouin, 
Coll.  concil.,  t.  vi,  col.  1219;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  573;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  355;  Haddan  et  Stubbs,  Councils  and  ecclesiastical Documents, 
t.  m,  p.  579-585.  (H.  L.) 


417.     LES    GRANDES    DIETES    D  AIX-LA-CHAPELLE  y 

par  qui  il  a  été  ordonné.  6.  Les  décisions  de  l'évêque  ont  force  de 
loi,  et  tout  ce  qui  est  confirmé  par  le  signe  de  la  croix  (dans  la 
suscription)  doit  être  valable  (se  rapporte  aux  donations,  etc.). 
7.  Les  évêques,  les  abbés,  etc.,  ne  doivent  rien  aliéner  des  biens 
de  l'Église,  ou  en  confier  une  partie  à  quelqu'un  pour  un  temps 
qui  dépasse  la  vie  de  cette  personne.  On  doit  conserver  avec  soin 
les  titres  des  biens-fonds  (telligrapha,  de  tellus).  8.  Les  monastères 
érigés  avec  l'assentiment  de  l'évêque  doivent  rester  tels  (cf. 
c.  26  de  Chalcédoine).  9.  Tout  évêque  doit  avoir  une  copie  des 
prescriptions  du  présent  concile.  10.  On  doit  donner  aux  pauvres 
la  dîme  des  successions  épiscopales,  et  on  chantera  pour  le  défunt 
le  nombre  de  psaumes  et  de  messes  accoutumés.  11.  Aucun 
[9]  évêque  ne  doit  empiéter  sur  le  diocèse  d'un  collègue,  exception 
faite  pour  les  archevêques.  —  On  trouve  dansun  appendice  quelques 
prescriptions  pour  les  prêtres;  ils  ne  doivent  refuser  le  baptême  à 
personne;  ils  doivent  immerger  les  baptisés,  ne  se  contentant  pas 
de  verser  l'eau  sur  la  tête  1, 


417.  Les  grandes  diètes  synodales  d'Aix-la-Chapelle  en  817. 

Les  relations  amicales  qu'Etienne  V  chercha  à  établir,  dès  le 
début  de  son  pontificat,  avec  Louis  le  Débonnaire  furent  rendues 
encore  plus  cordiales  à  la  suite  d'un  voyage  du  pape  en  France 
pendant  l'été  de  816;  Etienne  rencontra  l'empereur  à  Reims, 
s'entretint  avec  lui  des  affaires  de  l'Eglise  et  le  covxronna  solennelle- 
ment à  Reims  en  octobre  816,  ainsi  que  l'impératrice  Ermengarde. 
L'empereur  se  rendit  ensuite  à  Compiègne  où,  dans  une  diète  roya- 
le, il  prescrivit  d'importantes  mesures  législatives  et  lit  préparer 
des  ordonnances  réformatrices  publiées  l'année  stiivante  dans  les 
célèbres  diètes  synodales  d'Aix-la-Chapelle.  On  avait  cru  à  tort 
;i h  I refois  que  ces  ordonnances  d'Aix-la-Chapelle  appartenaient 
aux  années  816  et  817.  Mais  Pertz  a  remarqué  avec  raison  que  la 
Prœfatio  generalis  2  parlait  de  tous  ces  documents  et  les  attribuait 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  355;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1219. 

2.  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  ni,  Leges,  t.  i,  p.  197,  204;  Mansi,  op.  cil., 
t.  xiv,  p.  380;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t. 1,  col.  542.  Dans  ces  deux  auteurs  cette 
préface  se  trouve,  par  erreur,  uniquement  avant    le    Capilulare    ad    episcopos. 


10 


LIVRE     XXI 


à  un  seul  et  même  concile,  à  une  seule  et  même  année,  c'est-à- 
dire  à  la  quatrième  année  de  Louis  le  Débonnaire,  en  817.  La  paix 
dont  jouissait  le  royaume  permit  à  l'empereur,  ainsi  qu'il  le  dit 
dans  la  Prsefatio  generalis,  d'introduire  dans  l'État  et  dans 
l'Eglise  cette  réforme  si  longtemps  désirée.  Cette  réforme  se  fit 
dans  la  diète  synodale,  où  l'empereur  fit  entre  ses  trois  fils  ce  par-  [10] 
tage  de  l'empire  qui  eut  de  si  tristes  conséquences  \ 

L'ordonnance  la  plus  importante  parmi  toutes  celles  qui  furent 
portées  à  Aix-la-Chapelle  est  la  règle  des  chanoines  et  des  reli- 
gieuses. Elle  porte  dans  les  éditions  la  date  de  816;  mais  Pertz 
n'ayant  pas  publié  ce  document,  nous  ignorons  si  cette  note  chro- 
nologique se  trouve  dans  tous  les  manuscrits,  ou  si  elle  n'est  qu'une 
interpolation  d'un  copiste  ou  d'un  collecteur  plus  récent;  fausse 
par  conséquent,  comme  le  sont  les  données  chronologiques  du 
commencement  de  la  Prsefatio  generalis  2. 

L'empereur  exposa  lui-même  à  l'assemblée  que  malheureuse- 
ment beaucoup  d'évêques  ne  surveillaient  pas  assez  leurs  infé- 
rieurs, et  ne  faisaient  pas  pratiquer  l'hospitalité;  il  ajouta  qu'il 
lui  semblait  nécessaire  de  réunir,  à  l'usage  des  clercs  moins  savants, 
une  collection  des  règles  sur  la  Vita  canonica  disposées  dans  les 
anciens  canons  et  dans  les  écrits  des  Pères.  Les  évêques  acceptèrent 
cette  exhortation,  quoique  la  plupart  d'entre  eux  vécussent  avec 
leurs   subordonnés    conformément   aux   canons;   ils   l'acceptaient 

Enfin  ce  morceau  manque  totalement  dans   Hardouin.   [Verminghofï,   Concilia, 
1896,  donne  la  date  :  août-septembre  816.  (H.  L.)[ 

1.  Pertz,  op.  cit.,  p.  198;  Mansi,  op.  cit.,  col.  389. 

2.  Reformalio  abusuum  cleri  per  Ludovicum  imper atorem,  in-8,  Colonise,  1549; 
Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  n,  col.  329  ;  Aub.  Mirœus,  Forma  institutionis  canoni- 
corum  et  sanctimonialium  canonice  viventium  anno  816,  Ludovici  PU  imperatoris 
hortatu  in  concilio  Aquis granensi  édita,  in-fol.,  Antwerpiœ,  1638  ;  Coll.  regia,  t.  xx, 
col.  430;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1307-1443,  1865-1866  ;  Mabillon,  Vetera 
analecta,  1675,  t.  i,  p.  52  ;  2e  édit.,  p.  149-150;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col. 
1055;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  399;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  117; 
Bouquet,  Rec.  hist.  Gaules,  t.  vi,  col.  1445-1446;  Verminghofï,  Concilia  sévi  karo- 
lini,  1906,  p.  307-464;  Verzeichnis  der  Akten  frànkischer  Synoden  von  742-843,  dans 
N  eues  Archiv  der  Gesellschaft  fur  altère  deutsche  Geschichtskunde,  1899,  t.  xxiv, 
p.  480-483  ;  Ph.  Schneider,  Die  Entwickelung  der  bischôflichen  Domcapitel  in 
Deutschland  bis  zum  XIV  Jahrhundert,  in-8,  Mainz,  1882,  p.  33  ;  Hauck,  Kir- 
chengeschichte  Deulschlands,  t.  n,  p.  582,  710;  Br.  Albers,  Die  Reformssynode 
von  817  und  das  von  ihr  erlassene  Kapitular,  dans  Studien  und  Mittheil.  aus 
dem  Ren.-Cist.  Orden,  1907,  t.  xxvm,  p.  528-540;  Simson,  Jahr b ûcher,  Leipzig, 
1874,  t.  i,  p.  101;  L.  Halphen,  La  crise  de  l'empire  carolingien  sous  Louis  le 
Pieux,  p.  2.   (H.  L.) 


417-     LES    GRANDES    DIETES     D   AIX-LA-CHAPELLE 


11 


d'autant  mieux  que  l'empereur  leur  avait  donné  des  livres  indis- 
pensables à  une  pareille  collection  (ces  livres  avaient  été  pris  dans 
la  bibliothèque  de  Charlemagne  à  Aix-la-Chapelle).  — On  composa 
en  effet,  dans  un  temps  assez  court,  deux  collections  de  ce  genre, 
l'une  pour  les  clercs,  l'autre  pour  les  religieuses  ;  elles  furent  approu- 
vées par  le  concile  et  présentées  à  l'approbation  de  l'empereur. 
L'empereur  et  le  concile  remercièrent  Dieu  de  l'heureuse  issue 
de  l'assemblée,  et  les  deux  institutiones  furent  recommandées 
à  l'observation  de  tous.  Elles  se  composaient  de  deux  livres  : 
1°  De  institutione  canonicorum,  et  2°  De  institutione  sanctimonia- 
lium.  Chaque  livre  se  subdivise  en  deux  parties,  consacrées 
la  première  aux  prescriptions  générales  et  préceptes  des  anciens 
Pères  et  des  conciles,  la  seconde  aux  décisions  du  concile  d'Aix- 
la-Chapelle.  On  citait  les  textes  des  Pères  à  l'appui  de  chacun 
des  règlements  d'Aix-la-Chapelle.  Le  premier  livre,  beaucoup 
l-^J  plus  considérable  que  le  second,  ou,  pour  parler  plus  exactement, 
la  première  partie  du  premier  livre,  c'est-à-dire  la  collection  des  sen- 
tences des  Pères,  etc.,  a  eu,  dit-on,  pour  auteur  le  savant  diacre 
Amalaire  1.  Quelques  textes  de  ces  deux  collections  prouvent 
que  d'autres  auteurs  y  ont  collaboré. 

Les  plus  importantes  de  ces  règles,  parce  qu'elles  nous  permet- 
tent de  jeter  un  regard  sur  la  situation  ecclésiastique" de  cette 
époque,  sont  les  ordonnances  du  concile  d'Aix-la-Chapelle  lui- 
même.  Inspirées  ordinairement  par  la  règle  de  Chrodegang,  elles 
commencent  dans  le  premier  livre  avec  le  chap.  cxiv,  tandis 
que  les  cent  treize  premiers  chapitres  ne  contiennent  que  d'ancien- 
nes prescriptions  patristiques,  etc. 

Voici  les  nouvelles  ordonnances  : 

114.  Les  préceptes  de  la  sainte  Ecriture,  qui  demandent  de 
mener  une  vie  austère,  ne  s'appliquent  pas  seulement  aux  moines 
et  aux  clercs,  ainsi  que  le  supposent  beaucoup  de  personnes, 
mais  à  tous  les  chrétiens. 

115.  Les  chanoines  peuvent  porter  du  lin,' manger  de  la  viande, 
posséder  des  propriétés,  toutes,  choses  défendues  aux  moines; 
mais  les  uns  et  les  autres  doivent  être  zélés  à  éviter  le  péché  et  à 


1  1.  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1055-1175  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  xiv,  col.  147-277;  Hartzheim,  Conc.Germ.,  1. 1,  col.  430-539;  Binterim,  Deutsche 
Concilien,  t.  u,  p.  349.  [Sur  le  personnage  et  l'œuvre  <T Amalaire,  cf.  G.  Morin, 
dans  le  Dictionnaire  de  théol.  cathol.,  t.  i,  au  mot  Amalaire.  (H.  L.)] 


12 


LIVRE    XXI 


faire  le  bien.  Toutefois,  les  moines  ne  possédant  rien  ont  besoin 
des  secours  de  l'Eglise  plus  que  les  clercs,  qui,  sans  compter  ce 
qu'ils  reçoivent  de  l'Eglise,  ont  aussi  leurs  propriétés  privées. 

116.  Les  revenus  de  l'Eglise  doivent  être  employés  selon  les 
intentions  des  donateurs  et  pour  le  bien  des  pauvres. 

117.  Tout  évêque  doit  veiller  à  ce  que  la  clôture  des  clercs  soit 
entourée  d'un  mur  solide,  en  sorte  que  nul  ne  puisse  entrer  ou  sortir. 

118.  Aucun  supérieur  ecclésiastique  ne  doit  se  charger  de  trop 
de  clercs. 

119.  Plusieurs  évêques  n'acceptent,  dans  leur  clergé,  que  des 
serfs  de  leurs  églises,  qui  ne  peuvent  se  plaindre  de  rien  sous 
peine  d'être  ramenés  en  esclavage.  Aucun  prélat  ne  doit  exclure 
les  nobles  d'une  manière  absolue. 

120.  Les  clercs  qui  ont  des  biens  en  propre  ainsi  que  des  revenus 
ecclésiastiques,  et  qui  sont  très  utiles  à  l'Eglise,  doivent  être  admis 
dans  la  communauté  (congre gatio),  mais  seulement  pour  y  prendre 
leur  repas  et  y  avoir  part  aux  aumônes.  S'ils  n'ont  pas  de  reve- 
nus privés,  ils  seront  nourris  et  habillés  ;  enfin  si  quelques-uns 
renoncent  à  leurs  biens  privés  et  à  leurs  revenus  ecclésiastiques, 
les  prélats  devront  pourvoir  à  tous  leurs  besoins. 

121.  Dans  chaque  communauté  de  chanoines,  on  donnera 
à  tous  les  clercs  une  égale  quantité  de  mets  et  de  boisson,  tan- 
dis que  jusqu'ici  ce  sont  les  moins  actifs  qui  ont  été  le  mieux  servis. 

122.  Dans  les  églises  riches  qui  possèdent  trois  mille  manses  et  [12] 
au-dessus,  chaque  chanoine  devra  recevoir  par    jour  cinq  livres 

de  vin;  s'il  y  a  peu  de  vignes  dans  le  pays,  il  aura  trois  livres  de 
vin  et  trois  livres  de  bière;  s'il  n'y  a  pas  de  vin,  il  recevra  une  livre 
de  vin  et  cinq  livres  de  bière  1.  Dans  les  endroits  pauvres,  on  dimi- 
nuera proportionnellement  cette  quantité;  dans  les  plus  pauvres, 
il  aura  deux  livres  de  vin,  ou  trois  livres  de  bière  et, s'il  est  possible, 
une  livre  de  vin.  Dans  ces  pays  les  évêques  auront  soin  de  faire 
venir  du  vin  d'autres  contrées.  Les  jours  de  fête,  on  améliorera 
la  nourriture  et  la  boisson.  Si,  en  temps  de  famine,  les  prélats  ne 
peuvent  donner  la  manse  prescrite,  ils  diviseront  en  parties  égales 
ce  qu'ils  auront,  et  les  clercs  ne  devront  pas  murmurer.  Les  clercs 
riches  doivent,  en  pareille  situation,  secourir  leurs  collègues.  Les 
supérieurs  ne  doivent  pas  refuser  à  ceux  qui  leur  sont  soumis  la 


1.  L'usage  existait  chez  les  anciens  de  peser  les  boissons  pour  en  fixer  la  quan- 
tité,  cf.  H.  Leclercq  au  mot  Cabaretier,  dans  le  Dictionnaire  d'arch.  chrétienne. 


417-    LES     GRANDES    DIETES    d' AIX-LA-CHAPELLE  13 

nourriture  nécessaire,  afin  qu'ils  n'aillent  pas  ailleurs  et  qu'ils 
n'entreprennent  pas  d'autres  affaires,  etc.  Les  supérieurs  doivent 
avoir  des  jardins  potagers.  Le  concile  a  tout  calculé  par  livre, 
parce  que,  dans  toutes  les  provinces,  le  poids  est  le  même,  tandis 
que  la  mesure  ne  l'est  pas.  La  livre  est  de  douze  onces. 

123.  Les  prélats  doivent  s'occuper  de  leurs  inférieurs  de  deux 
manières,  non  seulement  en  leur  procurant  de  quoi  vivre,  mais 
en  veillant  sur  leur  conduite. 

124.  Les  chanoines  doivent  être  habillés  convenablement,  sans 
luxe  pour  éviter  la  vanité,  sans  affectation  de  misère  pour  simuler 
la  vertu  (le  canon  ne  prescrit  rien  touchant  les  habits). 

125.  Ils  ne  doivent  pas,  ainsi  que  cela  arrive  souvent,  porter  des 
coules,  comme  les  moines  ;  chaque  état  doit  avoir  sa  manière  de  se 
vêtir. 

126-133.  Sur  les  heures  canoniales.  Pendant  les  prières  au  chœur, 
les  chanoines  doivent  se  tenir  debout;  sans  s'asseoir,  ni  s'appuyer 
sur  un  bâton,  ni  causer. 

134.  Peines  que  les  prélats  des  maisons  canoniales  soumises  à 
l'évêque  peuvent  infliger  aux  chanoines  placés  sous  leur  juridic- 
tion. Si  un  chanoine  ne  s'amende  pas,  après  plusieurs  réprimandes, 
il  sera  condamné  pour  un  temps  au  pain  et  à  l'eau.  S'il  s'obstine, 
il  sera  exclu  de  la  table  commune,  éloigné  du  chœur,  et  occupera 
dans  l'église  une  place  à  part  qui  marque  son  déshonneur.  Si, 
malgré  ces  mesures,  on  n'obtient  rien,  il  sera  battu,  si  toutefois 
son  âge  le  permet.  Si  son  âge  ou  sa  qualité  (sacerdotale)  ne  le 
permet  pas,  il  sera  réprimandé  publiquement  et  condamné  au 
jeûne  perpétuel  jusqu'à  complet  amendement.  La  gradation  des 
peines  porte  ensuite  l'emprisonnement  et  enfin  la  comparution 
du  délinquant  devant  l'évêque,  qui  décidera  la  conduite  à  tenir. 
Les  prélats  ne  doivent  pas  oublier  que  l'Eglise  est  semblable  à 
la  colombe,  qui  n'égratigne  jamais,  mais  se  contente  de  punir  en 

[13]    donnant  quelques  légers  coups  d'aile. 

135.  Les  enfants  et  jeunes  gens  élevés  dans  la  maison  canoniale 
doivent  être  surveillés  et  instruits,  ils  seront  en  outre  commis  à 
la  garde  d'un  chanoine  âgé  et  sûr  et  habiteront  ensemble  dans  un 
bâtiment  de  Y  atrium. 

136.  Après  complies,  tous  les  chanoines  doivent  se  rendre  au 
dortoir  ;  chacun  doit  avoir  son  lit  ;  une  lampe  brûlera  toute 
la  nuit  dans  le  dortoir  où  personne  ne  se  permettra  d'incon- 
venance de  nature  à  troubler  les  voisins. 


14  LIVRE    XXI 

137.  Que  l'art  des  chantres  ne  leur  fasse  pas  oublier  l'humilité; 
qu'ils  accommodent  leurs  chants  aux  besoins  de  l'Eglise.  Ceux  qui 
ne  peuvent  pas  chanter  se  tairont,  plutôt  que  de  jeter  le  désordre. 
Les  psaumes  seront  chantés  sur  un  ton  plus  simple  que  les  hymnes. 

138-140.  Sur  les  droits  et  les  devoirs  des  directeurs,  des  chanoines, 
des  prieurs,  des  sommeliers  et  de  leurs  auxiliaires. 

141.  Tout  évêque  doit  faire  ériger  un  hôpital  pour  les  pauvres 
et  les  étrangers,  et  le  pourvoir  du  nécessaire.  Chaque  clerc  doit 
donner,  dans  ce  but,  la  dîme  de  tout  ce  qu'il  reçoit.  On  placera 
à  la  tête  de  cet  hôpital  un  chanoine  digne  de  cet  emploi.  Les  clercs 
doivent,  au  moins  pendant  le  carême,  laver  les  pieds  des  pauvres 
dans  les  hôpitaux. 

142.  Il  est  permis  aux  chanoines  d'avoir  des  habitations  privées 
(dans  l'intérieur  de  la  maison  canoniale,  ainsi  qu'il  résulte  du 
canon  23e  du  IIe  livre,  qui  a  du  rapport  avec  celui-ci;  on  voit,  par 
ce  canon  23e,  que  ces  chanoines  demeurent  chez  eux  pendant  le 
jour,  mais  le  dortoir  et  le  réfectoire  sont  communs).  Néanmoins  on 
préparera,  pour  les  anciens  et  pour  les  malades,  des  bâtiments 
particuliers,  pour  qu'ils  y  trouvent,  auprès  de  leurs  frères,  un 
abri,  un  soutien  et  un  secours. 

143.  Devoirs  des  portiers.  Après  complies,  on  doit  fermer  la 
porte  et  apporter  les  clefs  au  premier  supérieur. 

144.  Les  femmes  ne  doivent  pas  entrer  dans  les  demeures  et 
dans  les  bâtiments  claustraux  des  chanoines,  à  l'exception  de 
l'église.  Si  elles  ont  besoin  d'aumônes,  elles  doivent  les  recevoir 
dans  un  bâtiment  placé  en  dehors  des  bâtiments  claustraux;  et 
même  là  aucun  chanoine  ne  doit  leur  parler  sans  témoins. 

145.  Court  résumé  des  devoirs  des  clercs,  en  prenant  pour  base  [j-^j 
les  passages  cités  des  Pères  et  les  propres  capitula  du  concile  1. 

Le  second  livre  :  De  institutione  sancti  monialiutn,  plutôt  destiné 
aux  chanoinesses  qu'aux  nonnes,  donne  (ch.  i-vi)  des  passages 
de  saint  Jérôme,  de  saint  Athanase,  etc.;  (ch.  vii-xxvm)  les 
prescriptions  du  concile  d'Aix-la-Chapelle.  On  y  voit  une  ressem- 
blance frappante  avec  les  règles  pour  les  chanoines,  que  nous 
venons  d'exposer.  Le  chap.  vu  prescrit  aux  abbesses  de  conformer 
à  ces  prescriptions,  leur  vie  et  celle  des  personnes  qui  leur  sont 
soumises,  de    demeurer    dans     les    monastères,    de    ne  pas  faire 

1.  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1129  sq.  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv, 
col.  227  sq.  ;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  p.  498  sq. 


'ilT-     LES    GRANDES    DIETES    d' AIX-LA-CHAPELLE  15 

des  séjours  plus  ou  moins  longs  dans  les  villes,  etc.,  de  visiter 
assidûment  les  malades  avec  plus  de  zèle  que  personne,  d'avoir  la 
même  nourriture  et  les  mêmes  habits    que   leurs    inférieures   etc. 

8.  Elles  ne  doivent  pas  recevoir  un  trop  grand  nombre  de  nonnes, 
ni  des  personnes  qui  ont  vécu  dans  un  trop  grand  luxe;  avant 
toute  admission  elles  doivent  lire  les  canons  ci-inclus  aux  réci- 
piendaires. 

9.  Avant  leur  entrée,  les  nonnes  doivent  disposer  de  leurs  biens, 
en  sorte  qu'elles  ne  soient  pas  préoccupées  plus  tard  par  l'admi- 
nistration de  ces  biens.  Elles  peuvent  les  donner  à  l'Eglise,  s'en 
réserver  l'usufruit,  ou  ne  les  aliéner  en  aucune  façon;  dans  ce 
dernier  cas, elles  doivent  toutefois  instituer  un  procureur.  Quant 
aux  jeunes  filles  ou  aux  personnes  dont  la  vocation  religieuse 
pourrait  donner  lieu  à  des  difficultés,  on  ne  doit  pas  les  recevoir 
d'une  manière  imprévoyante. 

10.  Le  voile  et  l'habit  noir  ne  sont  pas  tout,  il  faut  que  le  cœur 
soit  pur.  On  défend,  en  particulier,  aux  nonnes  de  causer  avec  les 
hommes.  Toutes  doivent  dormir  au  dortoir,  chacune  dans  un  lit. 
Elles  observeront  les  heures  canoniales;  celles  qui  sont  de  naissance 
noble  ne  s'élèveront  pas  au-dessus  des  autres  ;  aucune  ne  fera 
parade  de  sa  chasteté  ou  de  ses  autres  qualités. 

11.  Les  monastères  de  femmes  doivent  être  entourés  de  murs 
solides,  en  sorte  que  personne  ne  puisse  entrer  ou  sortir,  si  ce 
n'est  par  la  porte.  Dans  l'intérieur  de  l'enceinte  ainsi  murée 
on  établira  les  réfectoires,  les  cellaria  (cellules),  les  dortoirs  et  les 
autres  bâtiments  nécessaires. 

12.  Toutes  les  nonnes  auront  la  même  quantité  de  nourriture 
et  de  boisson,  ce  qui  souvent  n'a  pas  eu  lieu  autrefois. 

13.  Toute  nonne  doit  recevoir  par  jour  trois  livres  de  pain  et 
trois  livres  de  vin,  ou  bien,  au  lieu  de  trois  livres  de  vin,  deux 
livres  seulement  et  deux  livres  de  bière,  ou,  dans  les  pays  qui 
ne  produisent  pas  de  vin,  trois  livres  de  bière,  en  y  ajoutant,  si 
c'est  possible,  une  livre  de  vin.  On  donnera  moins  dans  les  monastè- 
res pauvres.  On  veillera  à  ce  que,  les  jours  de  fête,  la  nourriture 
soit  meilleure.    On    fournira    aux    nonnes  tout    le   nécessaire   en 

[15]  viande,  poisson,  bois,  etc.,  de  même  que  la  laine,  le  lin,  les  habits, 
etc..  Toutes  prendront  leurs  repas  ensemble,  à  l'exception  de 
celles   qui  sont  malades  ou  reçoivent  des  visites. 

14.  Comment  Tabbesse  doit  veiller  au  salut  de  toutes  les  per- 
sonnes qui  lui  sont  soumises. 


16  LIVRE     XXI 

15.  Toutes  les  nonnes  doivent,  en  temps  voulu,  et  au  signal  donné, 
se  rendre  à  l'église  pour  les  heures  canoniales  ;  elles  s'y  tien- 
dront d'une  manière  respectueuse,  avec  piété  et  en  silence,  etc. 

16.  Elles  doivent  prier  souvent  et  avec  un  cœur  pur. 

17.  Après  les  complies,  elles  se  rendront  au  dortoir.  Répétition 
mot  à  mot  du  canon  136e  du  premier  livre. 

18.  Pénalité.  Ce  canon  est  semblable  au  canon  134e  du  premier 
livre,  et  énumère  les  mêmes  degrés  de  pénitence. 

19.  Une  abbesse  ne  doit  parler  à  un  homme  que  dans  les  cas  de  né- 
cessité, en  présence  de  plusieurs  religieuses  d'une  vertu  éprouvée. 

20.  L'abbesse  doit  désigner  trois  ou  quatre  nonnes  d'une  vertu 
également  sûre,  qui  seront  toujours  présentes,  lorsqu'une 
religieuse  aura  besoin  de  parler  à  un  homme,  par  exemple  au  sujet 
de  ses  biens,  et  en  particulier  pour  recevoir  les  fruits.  Elles  seront 
de  même  présentes  lorsqu'un  homme  aura  un  travail  à  faire  dans 
la  petite  habitation  d'une  religieuse. 

21.  Les  chanoinesses  (canonice  viventibus)  peuvent  avoir  des 
servantes  attachées  à  leurs  personnes  ;  néanmoins,  comme  ces 
servantes  s'habillent  souvent  d'une  manière  qui  ne  convient 
pas,  et  comme  elles  racontent  dans  le  couvent  ce  qu'elles  ont 
vu  et  entendu  dans  le  monde,  troublant  ainsi  l'esprit  de  leurs 
maîtresses,  on  les  surveillera  de  très  près.  On  ne  devra  pas  en 
prendre  plus  qu'il  est  nécessaire,  et  on  renverra  celles  qui  ne  seront 
pas  soumises. 

22.  Sur  l'éducation  des  jeunes  filles  destinées  au  cloître.  Citation 
d'un  passage  de  saint  Jérôme. 

23.  Semblable  au  capitulaire  142e  du  premier  livre. 

24-26.  Les  abbesses  se  choisiront  des  aides,  ainsi  une  personne 
chargée  des  aliments,  une  autre  préposée  à  la  porte. 

27.  Les  clercs  des  monastères  de  religieuses  auront  une  habita- 
tion et  une  église  en  dehors  des  murs  de  ces  monastères  dans  les- 
quels ils  n'entreront  qu'à  une  heure  déterminée  et  pour  y  dire 
la  messe;  ils  seront  accompagnés  du  diacre  et  du  sous-diacre,  et 
aussitôt  l'office  divin  terminé,  tous  se  retireront.  Les  nonnes  [16] 
assistent  au  service  divin  derrière  un  rideau.  Si  une  nonne  veut 

se  confesser,  elle  doit  le  faire  dans  l'église,  afin  d'être  vue  de  tous, 
et  quant  aux  malades,  le  prêtre  devra  se  faire  suivre  d'un  diacre 
et  d'un  sous-diacre,  témoins  de  sa  conduite. 

28.  Hors  du  monastère  on  établira  un  hôpital,  dans  la  demeure 
et  près  de  l'église  du  clerc  chargé  de  ce  monastère;  à  l'intérieur 


417-     LES     GRANDES    DIETES    d' AIX-l.V-C.il  Al'ELLE  17 

duquel  un  local  sera  réservé  pour  lesveuvescl  les  pauvres  femmes  1. 

A  l'issue  de   ce   concile,   l'empereur  envoya  une   encyclique   à 
tous  les  archevêques  de  l'empire  qui  n'y  avaient  pas  assisté  ;  il  y 
joignait    une    copie    des    institutiones   dont  nous   venons  de    par- 
ler,    les     engageant    à    les    faire    exécuter    dans    leurs    diocèses 
et  ceux  de    leurs    sufïragants.    Pour   cela,    on    exécuterait    pour 
toutes    les    maisons    canoniales    des     copies     fidèles    sur    l'exem- 
plaire  authentique   envoyé   par  l'empereur,   et   un    missus  impé- 
rial resterait    dans   chaque   province  jusqu'à   ce   que    ces   copies 
fussent   terminées  et  envoyées  à  chacun  des  canonicats,  pour  y 
être  exactement  mises  en  pratique.  Au  bout  d'un  an,  et  le  1er  sep- 
tembre de  l'année  suivante,  l'empereur  enverrait  des  missi  dans 
tout  le  royaume,  pour  s'assurer  de  l'observation  des  nouveaux 
statuts.  Nous  possédons  encore  deux  exemplaires  de  cette  ency- 
clique :  l'un  adressé    à  Sichar,  archevêque  de  Bordeaux,  l'autre 
à  Arno,  archevêque  de  Salzbourg2.  C'est  à  tort  qu'on  a  cru  possé- 
der une  troisième  encyclique  adressée  à  Magnus,  archevêque  de 
Sens  3,   car  le  début  même  de  cette  lettre  accuse  une  différence,  à 
savoir  que  l'archevêque  Magnus  était  lui-même  membre  du  concile, 
tandis    que    les    deux  autres  ne  l'étaient  pas.  Mais  l'archevêque 
de  Sens  quitta  Aix-la-Chapelle  avant  que  la  copie  des  actes  ne  fût 
achevée,  c'est  pourquoi  l'empereur  lui   en  envoya  un  exemplaire. 
La  suite  de  la  lettre  à    Magnus    est   identique    aux  deux    autres 
lettres  à' Sichar  et  à  Arno. 

Mansi  a  trouvé  dans  un  manuscrit  du  Vatican,  portant  le 
n°  4885,  une  copie  des  actes  d'Aix-la-Chapelle  4,  qui  pour  les  cent 
treize  premiers  chapitres  coïncide  avec  tous  les  autres  exemplai- 
res, mais  qui  en  diffère  totalement  à  partir  du  chap.  exiv  de  la 
seconde  division  du  premier  livre.  Cette  seconde  division  porte 
a)  une  suscription  particulière  :  de  or  aine  congre  gationis  canoni- 
corum  ;  b)  elle  ne  continue  pas  rémunération  des  chapitres  ;  c)  elle 

1.  Mansi,  op.  cit.,  1.  xtv,  col.  266  sq.;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1165  sq.  ; 
Hartzheim,  Conc.  Germ.,  p.  530  sq. 

2.  La  première  se  trouve  clans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  277;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  iv,  col.  1176  sq.;  la  seconde,  dans  Hartzheim,  op.  cit.,  p.  540  sq. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  280;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1178.  En  deux 
endroits  le  commencement  de  cette  lettre  à  Magnus  est  tout  à  fait  inintelligible , 
parce  qu'on  a  omis  un  mot.  Le  meilleur  texte  se  trouve  dans  Mansi,  op.  cit., 
Appendix,  col.  375  sq.,  et  Pertz,  Mon.  Germ.,  p.  219  sq. 

i.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  283  sq 

CONCILES  -   IV   -   2 


18 


LIVRE    XXI 


contient  plusieurs  prescriptions  nouvelles,  empruntées  en  par- 
tie à  la  règle  de  Chrodegang  ;  d)  elle  mêle  ces  prescriptions  à 
plusieurs  statuts  d'Aix-la-Chapelle.  Mansi,  ayant  lu  dans  ce  ma- 
nuscrit du  Vatican  le  nom  de  l'Eglise  de  Liège,  pensa  qu'à  l'épo- 
que de  notre  concile,  les  chanoines  de  Liège,  qui  avaient  déjà  des 
statuts  particuliers,  les  avaient  soumis  à  l'approbation  du  concile 
d'Aix-la-Chapelle;  le  concile,  après  les  avoir  approuvés,  les  aurait 
ajoutés  à  l'exemplaire  des  chapitres  d'Aix-la-Chapelle  destiné  à 
l'Eglise  de  Liège. 


M8.  Les  statuts  d'Aix-la-Chapelle  et  la  règle  de  Chrodegang. 

Il  est  surprenant  que  les  statuts  d'Aix-la-Chapelle  ne  mention- 
nent pas  la  règle  de  Chrodegang,  d'autant  plus  que  le  diacre 
Amalaire,  leur  principal  auteur,  habitait  Metz,  où  l'évêque  de 
cette  ville,  nommé  Chrodegang,  avait  établi  la  règle  qui  porte 
son  nom.  Ce  silence  a  fait  supposer  à  quelques  historiens  que  cette 
règle  de  Chrodegang  n'avait  jamais  existé,  et  qu'il  fallait  voir, 
dans  les  documents  qui  la  reproduisent,  une  simple  imitation  et 
contrefaçon  des  statuts  d'Aix-la-Chapelle  1.  Cette  hypothèse 
hardie  avait  autrefois  une  certaine  apparence  de  raison,  parce 
que  l'on  ne  possédait  qu'une  forme  altérée  et  interpolée  de  la  règle 
de  Chrodegang,  surchargée  d'additions  postérieures  et,  en  particu- 
lier, d'emprunts  aux  statuts  d'Aix-la-Chapelle.  Mais  le  P.  Labbe  a 
donné  d'après  un  manuscrit  du  fonds  Palatin  de  la  bibliothèque 
Vaticane  un  texte  plus  court  qui  ne  renferme  pas  ces  additions 
et  contient  la  règle  destinée,  à  l'origine,  à  l'Église  de  Metz.  C'est 
ce  que  montrent  les  canons  4,  5,  24,  où  il  est  question  de  la 
cathédrale  de  Saint-Étienne,  et  d'autres  églises  de  Metz,  et  le  c. 
20,  à  la  fin  duquel  Angilram,  successeur  de  Chrodegang,  trouva 
bon  de  faire  une  addition.  Ce  nouveau  texte  que  Mansi  et  Har- 
douin  ont  accepté  2,  résout  la  plupart  des  objections  présentées 
contre  l'existence  de  la  règle  de  Chrodegang.  Si  on  y  ajoute 
les  affirmations  très  précises  des  anciens  auteurs,  en  particulier 

1.  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  u,  p.  355. 

2.  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1181;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv, 
col.  314. 


418.     LES     STATUTS    d' AIX-LA-CHAPELLE  19 

[18]  de  Paul  Diacre  1,  on  ne  peut  nier  que  dans  la  seconde  moitié 
>lu  vnie  siècle  Chrodegang  a  relevé  à  Metz  la  vie  canoniale,  et 
composé  une  règle  à  cette  intention.  Plusieurs  conciles  et  capitu- 
laires  du  temps  de  Pépin  et  de  Charlemagne  mentionnent  une 
règle  de  ce  genre  sur  la  vie  canoniale;  nous  citerons  en  particulier 
le  concilium  Vernense  de  755,  le  capitulaire  de  789  et  les  conciles 
d'Arles,  de  Mayence  et  de  Tours  de  813.  —  On  a  avancé  que 
les  statuts  d'Aix-la-Chapelle  n'avaient  pas  mentionné  la  règle 
de  Chrodegang,  parce  qu'elle  ne  s'était  pas  répandue  hors  de  la 
ville  de  Metz,  et  qu'elle  était  bientôt  tombée  en  désuétude  2; 
mais  cette  opinion  n'est  rien  moins  que  fondée,  car  les  évèques 
présents  à  Aix-la-Chapelle  disent,  dans  le  prologue  de  leurs  statuts, 
que  la  plupart  d'entre  eux  vivaient  selon  l'ordre  canonique, 
ainsi  que  ceux  qui  leur  étaient  soumis,  et  que,  in  plerisque  locis, 
idem  ordo  plenissime  servatur.  On  s'explique  jusqu'à  un  certain 
point  le  silence  gardé  sur  la  règle  de  Chrodegang  par  les  statuts 
d'Aix-la-Chapelle,  si  l'on  réfléchit  que  Louis  le  Débonnaire  se 
proposait  tout  autre  chose  que  de  faire  une  simple  réédition  de  la 
règle  de  Chrodegang.  Son  but  était  de  réunir  ce  que  les  actes  des 
anciens  conciles  et  les  écrits  des  Pères  contenaient  de  meilleur  sur 
la  vie  canoniale.  Ce  qui  prouve  que  Louis  le  Débonnaire  tenait  pour 
insuffisante  la  règle  de  Chrodegang,  c'est  l'insistance  avec  laquelle 
il  demande  au  concile  de  réunir  les  règles  données  par  les  anciens, 
quoique  les  évêques  affirmassent  que  la  vie  canoniale  avait  été 
déjà  introduite  partout.  L'empereur  estimait  probablement  que 
les  statuts  des  plus  anciens  conciles  et  des  Pères  de  l'Église  auraient 
plus  de  prestige  et  de  force  qu'une  règle  composée  par  un  évêque 
contemporain.  Tout  en  utilisant  cette  règle,  il  a  peut-être  cru  que 
le  meilleur  moyen  de  lui  donner  un  vernis  d'antiquité  était  de 
ne  pas  la  mentionner  en  la  citant  dans  ses  capitulaires.  Les  évêques 
s  expriment  plus  favorablement  sur  la  règle  de  Chrodegang;  la 
vie  canoniale  déjà  organisée  en  plusieurs  lieux  ne  leur  déplut  pas, 
et  ils  ne  crurent  pas,  comme  Louis  le  Débonnaire,  qu'il  suffisait  de 
reproduire  simplement  des  textes  des  Pères  disposés  à  la  suite  les 
uns  des  autres. 

Aussi   joignirent-ils    à    ce    premier    travail    un    seeond    qui,   se 


1.  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.   iv,   col.  1198  sq.;   Mansi,   Conc.    amplis*,    coll., 
t.  xiv,  col.  332  sq.  ;  d'Achery,  Spicilegium,  t.  i,  p.  565. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  313;  Binterim,    Denkfviirdigkeiten,    t.  tu,  p.  322. 


20  LIVRE    XXI 

substituant  à  la  règle  de  Chrodegang,  lit  que  celle-ci  tomba  en 
désuétude.  Dans  ce  cas  encore,  le  mieux  était  de  passer  sous 
silence  la  règle  de  l'évêque  de  Metz.  Afin  de  permettre  une  compa- 
raison entre  la  règle  de  Chrodegang  et  les  statuts  d'Aix-la-Chapelle, 
nous  donnerons,  à  l'exemple  des  collections  des  conciles,  cette 
règle  de  Chrodegang,  d'après  la  rédaction  la  plus  courte. 

Règle  de  Chrodegang  1. 

Chrodegang,  qui  prend  le  titre  de  servus  servorum  Dei,  Metensis 
urbis  episcopus,  déplore,  dès  le  début,  la  décadence  du  clergé  et 
du  peuple;  cet  état  de  choses  Fa  grandement  attristé,  mais,  comp- 
tant sur  le  secours  de  Dieu,  et  soutenu  par  les  consolations  spiri- 
tuelles de  ses  frères,  il  s'est  décidé  à  publier  un  court  décret  en 
trente-quatre  chapitres  sur  la  conduite  des  clercs.  En  voici  le  som- 
maire : 

1.  Exhortation  à  l'humilité. 

2.  Le  rang  à  garder  entre  les  chanoines  est  déterminé  par  la  date 
de  leur  ordination,  exception  faite  pour  ceux  que  l'évêque  aura 
voulu  honorer  particulièrement  et  pour  ceux  qu'il  aura  dégradés. 
Les  chanoines  ne  doivent  s'interpeller  ni  se  désigner  l'un  l'autre 
simplement  par  leur  nom;  ils  y  ajouteront  toujours  la  mention 
de  la  dignité  dont  chacun  est  revêtu.  Lorsque  plusieurs  se  rencon- 
trent, le  plus  jeune  doit  demander  aux  anciens  la  bénédiction  et 
ne  pas  s'asseoir  devant  eux. 

3.  Que  tous  dorment  dans  un  dortoir,  excepté  ceux  à  qui 
l'évêque  a  permis  de  dormir  dans  des  habitations  séparées,  mais 
situées  à  l'intérieur  de  la  clôture.  Chacun  aura  un  lit  séparé,  les 
lits  seront  répartis  sans  tenir  compte  de  l'âge  des  chanoi- 
nes, de  telle  sorte  que  les  jeunes  soient  mêlés  aux  plus  âgés  —  ce 
qui  facilite  la  surveillance.  Aucune  femme,  aucun  laïque  ne  peu- 
vent entrer  dans  la  clôture,  si  ce  n'est  avec  la  permission  de 
l'évêque,  ou  de  l'archidiacre,  ou  du  primicier.  Lorsque  les  cha- 
noines vont  au  réfectoire,  ils  laisseront  leurs  armes  à  la   porte. 

1.  Mansi,  Coll.  concil.,  t.  xiv,  col.  313  sq.  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col. 
1 181  sq.,  en  abrégé  dans  Natal.  Alexander,  Hist.  eccl.,  sec.Vm,  Venet.,  1788,  t.  vi, 
p.  80  sq.,  et  dansLongueval,i/is£.  de  V Égl.gallic,  t.  iv,  p.  435  sq.,  etc.;  Schrockh, 
Kirchengesch.,  t.  xx,  p.  82  sq.  ;  Binterim,  Denkw.,  t.  ni,  p.  322  sq.  ;  Rettberg,  Kir- 
chengesch.  Deutschl.,  t.  i,  p.  495  sq.,  a  comparé  la  règle  de  Chrodegang  à  celle 
de  saint  Benoît. 


418.    LES    STATUTS    d' AIX-LA-CHAPELLE  21 

Les  laïques  ne  doivent  rester  dans  la  clôture  que  le  temps  indis- 
pensable à  ce  qu'ils  ont  à  y  faire,  par  exemple  les  cuisiniers,  lorsque 
aucun  chanoine  ne  sait  faire  la  cuisine.  Dans  leurs  habitations 
particulières  (situées  à  l'intérieur  de  la  clôture),  les  chanoines 
n'auront  aucun  clerc  auprès  d'eux  sans  la  permission  de  l'évêque. 

4.  Tout  clerc  qui  appartient  à  la  congrégation  (c'est-à-dire 
à  la  maison  canoniale)  doit  assister  à  complies  dans  l'église  de 
Saint-Etienne,  où  l'on  donnera  constamment  le  signal  à  l'entrée 
de  la  nuit.  A  partir  des  complies,  aucun  clerc  ne  devra  manger, 
boire  ni  parler,  jusqu'au  lendemain,  à  une  heure  déterminée. 
Celui  qui  ne  se  rend  pas  à  complies,  ne  pourra  entrer  dans  la  clô- 
ture  que  lorsque  les  chanoines  vont  aux  nocturnes.  Si  quelqu'un 
s'absente  et  couche  en  ville,  on  se  contentera,  une  première  fois, 
de  lui  infliger  un  blâme;  une  seconde  fois  il  sera  au  pain  et  à  l'eau 
pendant  un  jour,  et  une  troisième  fois  pendant  trois  jours;  s'il 
retombe  encore,  il  recevra  un  châtiment  corporel. 

5-G.  Concernant  les  heures  canoniales.  Pendant  l'hiver,  on  se 
lèvera  à  huit  heures  de  la  nuit  (deux  heures  du  matin)  pour  les 
vigiles.  Après  les  vigiles  on  prendra  un  temps  pour  la  méditation, 
mais  on  ne  dormira  pas.  A  la  première  heure  du  jour,  tous  devront 
chanter  prime   dans  l'église  de   Saint-Etienne. 

7.  On  doit  chanter  les  psaumes  devant  Dieu,  avec  beaucoup  de 
respect.  Nul  ne  doit,  en  le  faisant,  s'appuyer  sur  un  bâton. 

8.  Tout  chanoine  doit  venir  journellement  au  chapitre,  où  on 
lit  des  passages  de  la  sainte  Ecriture,  de  la  présente  règle  (insti- 
tutiuncula),  des  traités  et  des  homélies  des  Pères.  C'est  au  chapi- 
tre que  l'évêque,  l'archidiacre,  ou  le  préposé,  donne  ses  ordres 
et  adresse  ses  réprimandes.  Lorsque,  après  prime,  les  chanoines 
sont  rentrés  dans  leurs  maisons,  ils  doivent  être  attentifs  au 
signal  qui  les  appelle  au  chapitre.  Les  clercs  demeurant  hors  de 
la  clôture  et  dans  la  ville  doivent,  tous  les  dimanches,  se  rendre  au 
chapitre,  avec  la  planeta  (chasuble)  ou  autres  insignes  de  leurs 
fonctions.  Ils  doivent  de  même  se  rendre,  les  jours  de  dimanche 
et  de  fête,  dans  le  cloître  pour  les  nocturnes  et  pour  matines,  et 
se  restaurer  au  réfectoire. 

9.  L'oisiveté  étant  l'ennemie  de  l'âme,  les  clercs  doivent,  après 
le  chapitre,  se  livrer  aux  travaux  (manuels)  qui  leur  ont  été 
assignés  par  leurs  supérieurs. 

10.  Les  clercs  en  voyage  ne  doivent  pas  négliger  les  devoirs 
de  leur  état;  ils  observeront  les  heures  canoniales  du    jour,  etc. 


22 


LIVRE    XXI 


11.  Un  zèle  plein  de  douceur  et  de  charité  doit  régner  parmi  les 
chanoines. 

12.  Personne  ne  doit  excommunier  ni  battre  son  collègue. 

13.  Personne  ne  doit  s'ériger  en  défenseur  ou  protecteur  d  un 
confrère. 

14.  Tout  chanoine  doit  se  confesser  deux  fois  par  an  à  l'évêque  [21] 
ou  à  un  prêtre  établi  par  l'évêque,  c'est-à-dire  pendant  le  carême 

et  entre  le  16  août  et  le  1er  novembre.  Celui  qui  n'est  pas  empêché 
par  ses  fautes  peut  communier  tous  les  dimanches  et  aux  princi- 
pales fêtes.  Celui  qui  cache  un  péché  en  confession  de  crainte 
que  l'évêque  ne  le  dépose,  et  préfère  le  confesser  à  un  autre, 
sera  puni,  si  l'évêque  vient  à  connaître  ce  fait,  et  s'il  est  prouvé  1. 

15.  Lorsqu'un  chanoine  a  commis  une  faute  grave  :  meurtre, 
débauche,  adultère,  vol,  etc.,  il  recevra  un  châtiment  corporel, 
sera  mis  en  prison  ou  exclu.  Pendant  qu'il  est  au  cachot, 
nul  ne  doit  lui  parler  ;  une  fois  rendu  à  la  liberté,  il  se  soumettra  à 
la  pénitence  publique  en  la  manière  voulue  par  l'évêque;  il  ne 
pourra  paraître  ni  dans  l'oratoire,  ni  à  table;  pendant  la  récita- 
tion des  heures  canoniales,  il  se  tiendra  à  la  porte  de  l'église, 
et  se  prosternera  à  l'entrée  et  à  la  sortie  de  ses  confrères. 

16.  Un  clerc  qui  parle  avec  un  collègue  excommunié,  sera  lui- 
même  excommunie. 

17.  Le  clerc  coupable  d'une  faute  sera,  les  trois  premières  fois, 
réprimandé  en  secret  par  ses  supérieurs;  s'il  ne  s'amende  pas, 
il  sera  réprimandé  publiquement;  s'il  s'obstine,  il  sera  excommu- 
nié, et  en  dernier  lieu  il  recevra  un  châtiment  corporel. 

18.  Celui  qui  a  commis  une  faute  légère,  par  exemple  qui  a 
brisé  un  vase,  perdu  un  objet,  ou  qui  est  arrivé  un  peu  tard  à 
table,  doit  se  dénoncer  lui-même  et  demander  pardon. 

19.  On  doit  proportionner  la  peine  à  la  gravité  du  délit. 

20.  Ordre  des  jeûnes  et  des  repas.  Pendant  le  carême,  à  l'excep- 
tion des  dimanches,  il  n'y  aura  qu'une  seule  réfection,  après  les 
vêpres,  et  on  s'abstiendra  des  mets  défendus  par  l'évêque.  Pendant 
ce  temps,  on  doit  jusqu'à  tierce  s'occuper  de  lectures,  et  ne  pas 
quitter  la  clôture;  après  tierce  on  réunira  le  chapitre.  De  Pâques 
à  la  Pentecôte,  on  fera  deux  repas  auxquels  on  pourra  manger  de 
la  viande,  etc.    (à  l'exception  du  vendredi);  de  la  Pentecôte    à 


1.  Binterim,  Denkwùrdigkeiten,  t.  in,  p.  331,  a  montré  que  cette  disposition 
s'accorde  malaisément  avec  le  respect  du  secret  de  la  confession. 


418.    LES    STATUTS    d' AIX-LA-CHAPELLE  23 

la  Saint-Jean,  il  y  aura  également  deux  repas,  mais  on  ne  man- 
gera pas  de  viande  jusqu'à  la  messe  du  jour  de  saint  Jean.  De  la 
Saint- Jean  à  la  Saint-Martin,  on  fera  deux  repas  chaque  jour  et 
[22]    on  s'abstiendra  de  la  viande  les  mercredis    et  vendredis  ;  de  la 
Saint-Martin  à  Noël  il  n'y  aura  qu'un  seul  repas  après  none,  et 
sans  viande;   de   Noël  au  commencement  du  carême,  il  y  aura 
tous  les  jours  deux  repas,  à  l'exception  des  lundis,  mercredis  et 
vendredis.   La  viande  sera  interdite  le  mercredi  et  le  vendredi; 
si  une  fête  tombe   ces  jours-là,  le  supérieur  peut  permettre   de 
manger  de  la   viande.   —  Angilram,   successeur  de   Chrodegang, 
ajouta    que    l'on    pourrait    aussi    manger    de    la    viande  pendant 
les    huit    jours    qui    suivent    la   Pentecôte,    jusqu'à    son  octave, 
parce   que  la    descente    du  Saint-Esprit  est  comme  une  nouvelle 
Pâque. 

21.  A  la  première  table  du  réfectoire  prendront  place  l'évêque, 
ses  invités,  l'archidiacre,  ou  ceux  qu'il  a  appelés  à  sa  table;  à 
la  seconde  table  seront  les  prêtres,  à  la  troisième  les  diacres, 
etc.  Tous  arriveront  au  réfectoire  à  l'heure  indiquée.  On  fera  la 
lecture  pendant  le  repas  ;  nul  ne  devra  en  emporter  ni  nour- 
riture ni  boisson;  on  n'entrera  pas  dans  le  réfectoire  à  un  autre 
moment  qu'aux  heures  des  repas;  on  ne  devra  pas  demander  à 
boire  ni  à  manger  au  cellérier.  Aucun  laïque  ni  aucun  clerc  étran- 
ger ne  doit  prendre  son  repas  dans  le  réfectoire,  sans  permission 
du  supérieur. 

22-23.  Prescriptions  sur  la  quantité  des  mets  et  des  boissons. 
Lorsqu'il  y  a  deux  repas  le  jour,  le  premier  aura  lieu  à  midi  (ad 
sextam)  ;  le  second  le  soir  (ad  csenam).  A  sexte,  le  prêtre  et  le  diacre 
recevront  trois  calices  (de  vin),  et  pour  le  souper  deux  calices; 
les  autres  en  auront  un  peu  moins.  S'il  n'y  a  qu'un  seul  repas 
dans  la  journée,  on  y  donnera  la  portion  de  vin  que  l'on  donne  à 
sexte. S'il  n'y  a  pas  assez  de  vin,  on  devra  s'abstenir  de  murmurer. 
Celui  qui  ne  boit  pas  de  vin  recevra  une  égale  quantité  de  bière. 
Le  mieux  serait  de  s'abstenir  tout  à  fait  de  vin. 

24.  Chacun  doit  à  son  tour  faire  la  cuisine  pendant  une  semaine. 
Sont  exceptés  l'archidiacre,  le  primicier,  le  cellérier  et  les  trois 
gardiens  des  églises  de  Saint-Etienne,  de  Saint-Pierre  et  de  Sainte- 
Marie. 

25-27.  Devoirs  des  archidiacres,  primiciers,  cellériers,  portiers  et 
gardiens    des    églises. 

28.    L'évêque,   l'archidiacre   et  le   primicier    doivent   s'occuper 


24  LIVRE    XXI 

des  malades    ;   on  aura  des  bâtiments  spécialement   destinés    aux 
malades  et  un  chanoine  pour  les  soigner. 

29.  Une  moitié  de  la  communauté  composée  des  plus  âgés 
recevra  chaque  année  de  nouveaux  manteaux  et  donnera  les 
vieux  à  l'autre  moitié.  Ils  recevront  en  outre  des  sarciles  (habit 
de  laine  d'une  forme  inconnue),  des  camisiles  (sorte  de  soutane),  [23] 
ainsi  que  des  souliers  et  du  bois  (le  latin  de  la  première  partie  de 
ce  chapitre  est,  par  exception,  beaucoup  plus  mauvais  que  le 
latin  ordinaire  de  la  règle  de  Chrodegang). 

30.  Des  fêtes,  et  des  repas  qui  ont  lieu  alors.  Les  jours  de  Noël 
et  de  Pâques,  l'évêque  devra  faire  préparer  un  repas  à  ses  cha- 
noines, dans  sa  propre  maison  (au  lieu  de  ipsis,  il  faut  lire  in 
domo  ipsius). 

31.  Celui  qui  entre  dans  un  canonicat,  doit  donner  ses  biens 
(immeubles)  à  l'église  de  Saint-Paul;  mais  il  peut  s'en  réserver 
la  jouissance  sa  vie  durant.  Quant  à  sa  propriété  mobilière,  il  peut, 
sa  vie  durant,  la  donner  aux  pauvres,  ou  à  qui  il  voudra. 

32.  Un  prêtre  peut  garder  ce  qui  lui  est  remis  comme  aumône, 
par  exemple,  pour  dire  la  messe.  Mais  si  on  fait  une  donation  à 
tous  les  prêtres,  les  autres  chanoines,  même  ceux  qui  ne  sont  pas 
prêtres,  doivent  y  avoir  part. 

33.  Après  prime,  tous  doivent  être  prêts,  au  signal  donné,  à 
se  rendre  au  chapitre  avec  les  habits  de  leur  fonction;  après  le 
chapitre,  ils  se  rendent  dans  l'église,  chantent  tierce  et  attendent 
l'évêque.  Celui  qui  ne  s'y  rendra  pas  sera  puni.  Les  frères  qui 
chantent  les  vigiles  dans  une  autre  église,  doivent  néanmoins 
venir  au  chapitre  à  l'heure  fixée. 

34.  Tous  les  quinze  jours,  c'est-à-dire  un  samedi  sur  deux, 
tous  les  matricularii  x  se  rendront  le  matin  dans  l'église  cathé- 
drale, pour  entendre  une  homélie  et  recevoir  l'instruction  ;  ils  se 
confesseront  deux  fois  par  an.  On  instituera  pour  chaque 
matricule  un  primicerius  matricularum  spécial.  Détermination 
de  la  portion  de  pain,  des  autres  aliments  et  du  vin,  que  les 
matricularii  doivent  recevoir  à  certaines  époques.  Plusieurs  de 
ces  matricularii  étaient  employés  aux  divers  services  domestiques; 
d'autres  recevaient  de  l'église  de  petits  biens  qu'ils  devaient 
cultiver  et  dont  ils  avaient  la  jouissance.  Le  présent  chapitre  les 

1.  Les  matricularii  étaient  les  pauvres  secourus  par  l'Église  et  immatriculés 
sur  un  registre.  Cf.  Du  Cange,  Glossarium,  à  ce  mot. 


419.     AUTRES    DÉCISIONS     DU     CONCILE     d' AIX-LA-CHAPELLE       25 

divise  en  trois  classes  :  a)ceux  qui  in  domo  sunt,  c'est-à-dire  dans 
la  maison  épiscopale  ;  b)  ceux  qui  per  cseteras  ecclesias  infra  civita- 
tem  matriculas  habent,  c'est-à-dire  ceux  qui  sont  employés  dans  les 
autres  églises  de  la  ville,  et  c)  ceux  qui  sont  dans  les  villse.  Tous 
doivent  venir  tous  les  quinze  jours  à  la  cathédrale.  Cette  dernière 
s'appelle  ecclesia  in  domo,  dans  la  maison  de  l'éveque,  c'est-à-dire 
située  près  de  cet  ensemble  de  bâtiments  qui,  sans  compter  la 
[24]  maison  de  l'éveque,  contient  aussi  le  canonicat  ou  les  bâtiments 
claustraux  K 


419.  Autres  décisions  du  concile  d' Aix-la-Chapelle  de  811. 

Si  nous  revenons  maintenant  aux  actes  du  concile  d'Aix-la- 
Chapelle,  nous  rencontrons  le  statut  monastique  en  quatre- 
vingts  numéros,  qui  forme  le  pendant  de  la  Règle  de  Chrode- 
gang2.  Le  document  est  daté  de  817,  vi  idus  julius  (10  juillet)  ; 
on  y  lit,  dans  l'introduction  :  «  Lorsqu'en  ce  jour,  divers  abbés 
et  moines  se  furent  réunis  in  domo  Aquisgrani  palatii  quse  ad 
Lateranis  dicitur,  on  prit,  après  délibération,  les  décisions  sui- 
vantes 3.  »  Les  plus  importantes  sont  ainsi  conçues  :  1  et  2.  Dès 
leur  retour   dans  leurs   monastères,   les   abbés  y  introduiront  la 

1.  De  là  le  nom  allemand  Domkirche,  «  église  de  la  maison». 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  347  a  supposé  qu'une  partie  de  ces  quatre-vingts 
capitula  appartenait  à  un  ancien  synode  tenu  sous  Charlemagne,  et  que  cette 
ancienne  partie  coïncidait  avec  les  règlements  donnés  au  monastère  de  Murbach 
par  saint  Simpert,  évêque  d'Augsbourg.  [A.  Verminghofî,  Verzeichnis  der  Akten 
(rànkischer  Synoden  von  742-843,  dans  Neues  Archiv,  1899,  t.  xxiv,  p.  483.  (H.  L.)] 

3.  Binterim  dit,  au  sujet  de  ces  abbés  et  de  ces  moines  convoqués  par  l'empe- 
reur [Deutsche  Conciliai,  t.  n,  p.  359)  :«  L'homme  le  plus  influent  de  cette  réunion 
paraît  avoir  été  Benoît  d'Aniane,  que  l'empereur  chargea,  avec  quelques  autres 
personnes,  de  visiter  tous  les  monastères,  pour  y  introduire  la  nouvelle  règle. 
Pagi,  Critica,  ad  ann.  817,  n.  6.  Au  lieu  de  Benoît  d'Aniane,  d'autres  nomment 
Benoît  abbé  de  Corneliusmùnster,  près  d'Aix-la-Chapelle;  c'est,  en  particulier, 
l'opinion  de  Damberger,  Synchron.  Gesch.,  t.  m,  p.  100,  et  Krilikheft,  p.  31.  Ce  que 
rapporte  Walafrid  Strabo  prouve  que  saint  Benoît  d'Aniane  a  été  le  principal 
auteur  de  la  réforme  des  moines  ;  Strabo  dit  qu'en  818  Hatto,  abbé  de  Reiche- 
nau,  où  Walafrid  avait  été  autrefois  écolier,  avait  envoyé  à  Aniane  deux  des 
moines  les  plus  distingués  de  son  monastère,  Grimoald  et  Tatto,  afin  d'y  étudier 
les  institutions  en  vigueur,  et  après  leur  retour  en  819,  on  fit  des  réformes  sem- 
blables à  Reichenau  (Kalholik,  1857,  octob.,  2). 


26 


LIVRE    XXI 


présente  règle,  et  tous  les  moines  l'apprendront  par  cœur.  3. 
L'office  doit  être  célébré  de  la  manière  prescrite  par  la  règle  de 
saint  Benoît.  4.  Les  moines  doivent  faire  eux-mêmes  la  cuisine, 
laver  leurs  habits,  etc.  5.  Après  les  vigiles  (nocturnes),  ils  ne  doi- 
vent pas  se  coucher.  6.  Pendant  le  carême,  ils  ne  se  feront  raser 
que  le  samedi  saint  ;  mais  en  temps  ordinaire  ils  se  feront  raser 
tous  les  quinze  jours.  8,9,10,78.  Il  est  défendu  de  manger  des  vola- 
tiles sauf  les  jours  de  Noël  et  de  Pâques.  Quant  aux  pommes  et 
à  la  salade,  on  n'en  pourra  manger  qu'à  la  suite  d'autres  ali- 
ments.   11.     Il    n'y    aura    pas  d'époque    fixée    pour    la    saignée.     [25] 

13.  Si  un  moine  est  blâmé  par  son  supérieur,  il  dira  mea  culpa  et 
il  se  prosternera  jusqu'à  ce  que  son  supérieur  lui  dise  de  se  lever. 

14.  Les  moines  qui  ont  commis  une  faute  seront  fouettés  à 
nu,  en  présence  de  leurs  frères.  15.  Aucun  moine  ne  doit  sortir 
seul.  16.  Aucun  ne  peut  servir  de  parrain,  ni  embrasser  une 
femme.  20-22.  Leurs  habits  ne  doivent  être  ni  trop  pauvres  ni 
trop  recherchés,  mais  d'une  qualité  moyenne  ;  la  cuculla  aura  deux 
aunes  de  long  1  ;  chaque  moine  doit  avoir  deux  cammée(chemises), 
deux  tuniques,  deux  cuculles  et  deux  cappas,  et  même,  s'il  est  né- 
cessaire, une  troisième.  En  outre,  il  aura  quatre  pedules  paria  (cale- 
çon ou  bas)  et  deux  femoralia  paria  (culottes),  roccum  unum  (un 
rochet),  pellicias  (pelisse)  usque  adtalos  duas,  fasciolas  duas  (jarre- 
tières), et,  pour  les  voyageurs,  deux  autres  paires,  des  gants  pour 
l'été,  appelés  wantos,  deux  paires  de  souliers  pour  l'usage  jour- 
nalier, deux  paires  de  subtalares  (pantoufles)  pour  les  nuits  d'été, 
et,  en  hiver  des  saccos  (sabots).  En  outre,  ils  recevront  du  savon, 
des  onguents,  de  la  graisse  pour  manger  (v.  c.  77),  une  hemina  de 
vin,  ou  le  double  de  bière  2.  23.  Durant  le  carême  les  frères  doivent 
se  laver  les  pieds  les  uns  aux  autres,  et,  le  jour  de  la  Csena  Domini, 
l'abbé  lavera  et  baisera  les  pieds  de  ses  moines.  31.  La  première 
place,  après  celle  de  l'abbé,  revient  au  prieur,  qui  devra  toujours 
être  un  moine.  34.  On  fera  un  an  de  noviciat.  36.  Les  parents  qui 
veulent  offrir  leur  enfant  au  monastère  doivent  le  présenter  à 
l'autel  pendant  l'offertoire  ;  ils  feront  la  demande  d'admission 
par-devant  des  témoins  laïques.  Si  l'enfant  a  l'âge  de  raison,  il 
confirmera  cette  demande.  40.  On  aura  pour  les  moines  qui  doivent 


1.  Sur  ces  vêtements  monastiques,  voir  tous  les  termes  correspondants   dans 
Du  Cange,  Glossarium. 

2.  La  valeur  de  l'hémine  paraît  correspondre  au  demi-setier. 


419-    AUTRES     DÉCISIONS     DU     CONCILE    d' AIX-LA-CHAPELLE         27 

être  sévèrement  punis,  un  bâtiment  spécial,  qui  pourra  être  chauffé 
en  hiver,  et  qui  aura  une  cour  où  ils  feront  les  travaux  qui  leur 
sont  assignés.  42.  Aucun  clerc  séculier  ne  devra  demeurer  dans 
un  monastère.  45.  Il  n'y  aura  dans  le  monastère  qu'une  seule  école, 
pour  les  oblats.  —  C'est  ce  canon  qui  a  donné  lieu  à  l'institution 
générale  des  scholse  externse.  Quelques  monastères  avaient  eu  anté- 
rieurement deux  écoles,  une  exierna  et  une  interna.  Ainsi,  en  815, 
[26]  Walafrid  Strabo  entra  dans  l'école  des  externes  de  Reichenau; 
elle  comptait  alors  quatre  cents  élèves,  tandis  que  la  classe  d'in- 
ternes en  comptait  cent.  47.  Le  vendredi  saint,  on  n'aura  que  du 
pain  et  de  l'eau.  49.  Les  pauvres  percevront  la  dîme  de  tous  les 
revenus  du  monastère.  54.  Les  supérieurs  doivent  s'appeler  nonni 1. 
62  et  84.  Lorsque  l'abbé,  le  prieur  ou  le  doyen  n'est  pas  prêtre, 
il  doit  néanmoins  bénir  ceux  qui  lisent  (à  l'office  ou  à  table): 
mais  après  les  complies,  un  prêtre  seul  donnera  la  bénédiction. 
68.  Les  prêtres  (parmi  les  moines)  donneront  les  eulogies  aux 
frères  dans  le  réfectoire.  69.  Au  chapitre,  on  lira  d'abord  le  mar- 
tyrologe, puis  la  règle,  ou  les  homélies.  76.  Chacun  recevra  sa 
portion  de  mets  et  de  boisson,  et  il  ne  devra  pas  en  faire  part  à 
un  autre.  80.  L'abbé  doit  traiter  chacun  selon  son  mérite.  Celui 
qui  aura  souvent  été  averti  et  puni,  et  même  excommunié,  et  qui 
ne  s'amende  pas,  sera  battu.  Toutes  les  peines  doivent  être  admi- 
nistrées en  présence  des  autres  moines  2. 

Le  troisième  document  du  concile  d'Aix-la-Chapelle  de  l'année 
817  comprend  vingt-neuf  capitula  proprie  ad  episcopos.  1.  Les 
princes  ne  doivent  pas  porter  atteinte  aux  biens  de  l'église.  2. 
Les  évêques  doivent  être  élus  par  le  clergé  et  le  peuple,  sans  simo- 
nie, etc.,  et  avec  dignité.  3.  Comme  la  vie  canonique  est,  sous  plu- 
sieurs points  de  vue,  mal  observée,  l'empereur  a  prescrit  la  rédac- 
tion d'une  règle  pour  les  chanoines  et  pour  les  nonnes.  4.  Ce  qui 
a  été  donné  aux  églises  sous  le  gouvernement  de  Louis  le  Débon- 
naire doit,  lorsque  l'église  est  riche,  être  employé  aux  deux  tiers 
pour  les  pauvres,  de  telle  sorte  que  les  moines  et  les  clercs  n'aient 
que  le  dernier  tiers;  dans  les  églises  pauvres,  on  devra,  au  contraire, 

1.  Nonnus,  c'est-à-dire  Monsieur.  Cf.  Du  Cange,  Glossarium.  —  Cf.  P.  Karl 
Brandes,  Erklàrung  der  Regel  des  hl.  Vaters  Benedikt,  p.  603.  On  trouve  déjà 
cette  expression  de  nonnus  dans  le  c.  lui  de  la  règle  de  saint  Benoît. 

2.  Pertz,  Monum.,  t.  ni,  Leg.,  t.  i,  p.  200;  Mansi,  Conc.  ampliss.coll.,t.-x.iv, 
App.,  p.  393;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1226;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n, 
p.  3. 


28  LIVRE    XXI 

faire  un  partage  égal  entre  les  clercs  et  les  pauvres,  à  moins  que 
le  donateur  n'ait  fait  quelque  stipulation  particulière.  5.  Statut  au 
sujet  des  moines.  6.  Les  esclaves  ne  doivent  être  ordonnés  qu'avec 
la  permission  de  leurs  maîtres.  Si  un  esclave  a  été  ordonné  sans 
la  permission  de  son  maître,  celui-ci  pourra  l'arracher  au  camp  [27] 
du  Seigneur  et  le  réduire  de  nouveau  en  esclavage.  Si  des  esclaves 
de  l'Église  paraissent  aptes  aux  fonctions  ecclésiastiques,  ils  doi- 
vent être,  conformément  à  un  édit  de  l'empereur,  mis  en  liberté. 
7.  Aucun  clerc  ne  doit  recevoir  de  présent  qui  tendrait  à  dépouiller 
des  enfants  ou  des  parents  du  donateur.  8.  Aucun  chanoine  ou 
moine  n'engagera  qui  que  ce  soit  à  recevoir  la  tonsure,  dans  la 
pensée  d'hériter  de  ses  biens  (pour  son  monastère).  9.  Nul  ne  doit 
être  ordonné  prêtre  sans  l'assentiment  de  l'évêque;  mais  les  évê- 
ques  ne  doivent  pas  refuser  des  clercs  présentés  par  des  laïques 
pour  l'ordination  ou  pour  diverses  fonctions,  et  qui  en  sont  dignes. 
10.  Toute  église  doit  avoir  une  manse  parfaitement  libre,  dont 
le  prêtre  n'ait  à  payer  ni  dîme  ni  offrande,  ni  impôts  pour  sa  mai- 
son et  son  jardin,  ni  à  remplir  d'autre  charge  que  celle  de  son 
ministère. Si  un  prêtre  a  du  superflu,  il  doit,  sur  ce  superflu,  payer 
à  ses  supérieurs  ce  qu'il  leur  doit.  11.  Toute  église  doit  avoir  ses 
prêtres.  12.  Si  on  a  érigé  de  nouvelles  églises  dans  de  nouvelles 
villse,  ces  églises  percevront  la  dîme  sur  ces  villse.  13.  Les  vases 
des  églises  ne  doivent  plus  être  engagés  si  ce  n'est  en  cas  de 
nécessité  et  pour  racheter  des  prisonniers.  14.  Nous  avons 
porté  des  ordonnances  spéciales  sur  les  églises  détruites, 
et  sur  les  neuvièmes  et  les  dîmes.  15.  De  même  sur  l'honneur 
à  rendre  aux  églises.  16.  Les  évêques  lombards  ne  doivent  plus 
recevoir  d'argent  pour  la  collation  des  ordres.  17.  Les  prê- 
tres qui,  malgré  les  défenses,  ont  des  femmes  chez  eux, 
doivent  être  punis  comme  contempteurs  des  canons,  s'ils  ne 
s'amendent  pas.  18.  Quant  aux  clercs  qui  habitent  loin  de  la 
ville  épiscopale,  un  sur  huit  d'entre  eux  doit  venir  demander 
le  saint  chrême  à  l'évêque,  le  jour  de  la  Csena  Domini.  Ceux  qui 
ne  sont  éloignés  que  de  quatre  à  cinq  milles,  viendront  en  personne. 
Afin  de  recevoir  des  instructions,  ils  ne  se  rendront  pas  dans  la 
ville  épiscopale  pendant  le  carême,  mais  à  une  autre  époque  déter- 
minée par  l'évêque.  19.  Les  évêques  ont  promis,  conformément  au 
désir  de  l'empereur,  de  ne  plus  être,  à  l'avenir,  à  charge  au  peuple 
dans  leurs  tournées  de  confirmation,  etc.  20.  Sans  le  consentement 
de  ses  parents,  aucun  fds  ne  peut  recevoir  la  tonsure,   ni   aucune 


419.     AUTRES    DÉCISIONS    DU    CONCILE     d' AIX-LA-CHAPELLE       29 

fille  le  voile.  21.  Une  veuve  ne  peut  prendre  le  voile  que  trente 
jours  après  la  mort  de  son  mari,  et  après  s'être  concertée 
avec  ses  parents,  avec  l'évêque  ou  avec  des  prêtres.  22-24.  Au 
sujet  des  femmes  enlevées  et  de  leurs  ravisseurs,  on  observera 
les  anciennes  ordonnances  de  Chalcédoine  et  d'Ancyre.  25.  Au 
sujet  de  ceux  qui  épousent  des  vierges  consacrées  à  Dieu,  on 
observera  le  décret  du  pape  Gélase.  26.  Aucune  vierge  ne  doit 
recevoir  le  voile  avant  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  27.  Défense  de 
continuer  l'épreuve  de  la  croix.  28.  Les  évêques  doivent  former 
[28]  leur  clergé  avec  beaucoup  de  soin.  29.  Beaucoup  de  capitula  qui 
ne  sont  pas  encore  nécessaires  sont  remis  à  une  autre  époque.  On 
ne  donne  maintenant  que  ceux  dont  l'opportunité  est  reconnue  1. 
—  Viennent  ensuite  trois  séries  d'ordonnances  impériales  concer- 
nant la  vie  civile  et  la  vie  religieuse;  les  dernières  se  rapportent  aux 
devoirs  des  missi  2. 

Dans  ce  même  concile  d'Aix-la-Chapelle,  on  distribua  en  trois 
catégories,  d'après  leurs  revenus,  les  monastères  de  l'empire  : 
ceux  qui,  dans  une  campagne  de  l'empereur,  pouvaient  lui  four- 
nir argent  et  soldats  ;  ceux  qui  ne  pouvaient  lui  procurer  que 
l'argent,  enfin  ceux  qui  ne  pouvaient  l'aider  que  de  leurs  prières. 
Les  quatorze  monastères  de  la  première  classe  sont  :  Saint-Benoît 
de  Fleury,  Ferrière,  Nigelli  de  Troyes,  La  Croix  (Leufroy  près 
d'Evreux),Corbie,  Sainte-Marie  de  Soissons,Stavelot(près  de  Liège), 
Flavigny,  Saint-Eugende  (Saint-Claude,  dans  le  Jura),  Novalaise 
(dans  le  Piémont,  au  pied  du  mont  Cenis),  Saint-Nazaire  (Lorsch), 
Offunwilar  (Schuttern),  Monsée  (Mananseo)  et  Tegernsée. 

Dans  la  seconde  classe  sont  rangés  seize  monastères  :  Saint- Mi- 
chel, Baume  (les  messiours)  (près  de  Besançon),  Saint-Seine  (dans 
le  diocèse  de  Langres,  auj.  Dijon),  Nantua,  Schwarzach  (sur  le 
Mein),  Saint-Boniface(Fulda), Saint- Wigbert  (Hersfeld),  Ellwangen 
(Elehenwanc),Feuchtwangen, iVazarurfa  (peut-être  faut-il  lirellaza- 
rieda),  Hasenried,  Herrieden  (près  de  Feuchtwangen),  Kempten, 
Altmunster,  Altaich,  Kremsmunster,  Mattsée  et  Benediktbeuren. 

Dans  la  troisième  classe  on  énumère  cinquante-quatre  monas- 
tères qui  n'auraient  qu'à  prier  pour  l'empereur,  pour  ses  fils  et 
pour  l'empire,  parmi  lesquels  on  remarque  les  suivants,  situés 
au    delà    du    Rhin    et    en    Bavière  :    Seewang    (?),    Sculturbura 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1213;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  381  ;  Hartz- 
heim,  Conc.  Germ.,  t.  i,  p.  544;  Pertz,  îoc.  cit.,  p.  206. 

2.  Pertz,  loc.  cit.,  p.  210,  214,  216. 


30 


LIVRE    XXI 


(peut-être  Schliiehtern  dans  la  vallée  delà  Kintzig),  Berch  (Haid- 
lingsberg,  près  de  Mallesdorf,  en  Bavière),  Methema  (Metten), 
Schônau,  Masburg  (sur  l'Isar)  et  Wessobrunn  1. 

Dans  la  publication  de  ces  ordonnances  qui  fut  faite  en  son 
nom,  Louis  le  Débonnaire  plaça  en  premier  lieu  son  Capitulai* e 
générale  par  lequel  il  témoigne  de  son  zèle  pour  l'amélioration 
de  la  situation  religieuse,  et  fait  remarquer  que,  pendant  la  qua- 
trième année  de  son  règne  (par  conséquent  en  817),  profitant  d'un 
moment  de  paix,  il  a  convoqué  les  évêques,  abbés,  chanoines,  M"J 
moines  et  les  grands  de  l'empire  pour  essayer  avec  leur  concours 
de  travailler  à  l'amélioration  de  chaque  état,  de  celui  des  chanoi- 
nes, des  moines  et  des  laïques.  Il  a  fait  rédiger,  collationner  et  pla- 
cer dans  les  archives  publiques  le  résultat  de  ces  délibérations, 
c'est-à-dire  ce  que  les  chanoines  et  les  moines  devaient  observer,  et 
ce  qui  devait  être  ajouté  aux  lois  et  capitulaires  2.  Comme  ce 
Capitulare  générale  porte  expressément  la  date  de  la  quatrième 
année  du  règne  de  Louis  le  Débonnaire,  on  ne  saurait  l'attribuer, 
avec  Baluze  et  Mansi,  à  l'année  816;  et  comme  il  rapporte  tout  ce 
qui  est  cité  à  un  seul  et  même  concile  d'Aix-la-Chapelle,  et  forme 
une  sorte  d'introduction  à  tous  ces  divers  documents,  on  est  légi- 
timement amené  à  croire  que  ces  statuts,  ceux  des  chanoines, 
des  nonnes,  etc.,  sont  de  l'année  817. 


420.  Conciles  à  Aix-la-Chapelle,  à  Venise,  à  Vannes, 
à  Thionville,  de  818  à  821. 

A  la  demande  de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire  on  tint,  en 
818,  une  autre  diète  synodale  à  Aix-la-Chapelle.  On  y  déposa  et 
on  relégua  dans  des  monastères  les  évêques  soupçonnés  d'avoir 
pris  part  à  la  rébellion  de  Bernard,  neveu  de  l'empereur  et  roi 
d'Italie  ;  tel  fut,  en  particulier,  le  sort  de  Théodulf  d'Orléans, 
qui  ne  cessa  de  protester  de  son  innocence  3. 

1.  Hardouin,  loc.  cit.,  col.  1234,  et  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  400,  ont  donné 
de  ces  documents  une  édition  moins  correcte  que  celle  de  Pertz,  op.  cit.,  Lcges, 
t.  r,  p.  223  sq. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  380;  Pertz,  loc.  cit.,  p.  204. 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1866-1867;  Lalande,  Conc.Galliœ,  p.  105;Coleti> 
Concilia,  t.  xi,  col.  609;  Mansi,  op.  cit.,  t.xiv,  col.  385;  Hartzheim,  Conc.  Germ., 
t.  h,  col.  10.  (H.  L.) 


420-    CONCILES    A   AIX-LA-CHAPELLE,     ETC.  31 

Dans  cette  même  année,  Jean,  patriarche  intrus  de  Grado, 
fut  déposé  dans  un  concile  tenu  à  Venise. 

Les  actes  des  conciles  mentionnent  aussi  un  concilium  1  eneti- 
cum  ;  cependant  il  ne  se  tint  pas  à  Venise,  mais  à  Vannes  en 
Bretagne,  lorsque  Louis  marcha  contre  les  Bretons  rebelles  1. 
On  y  délibéra  sur  les  affaires  de  l'État  et  de  l'Eglise  ;  malheureuse- 
ment ce  renseignement  par  trop  vague  est  tout  ce  que  nous 
savons  de  cette  assemblée. 

En  |  janvier]  819,  Louis  le  Débonnaire,  remarié  avec  Judith 
depuis  la  mort  d'Ermengarde,  tint  à  Aix-la-Chapelle  une  diète 
synodale,  dans  laquelle  les  missi  rendirent  compte  de  l'exécu- 
[30]  tion  des  réformes  ordonnées  en  817  ;  on  promulgua,  dans  cette 
même  diète,  quelques  nouveaux  capitula2.  Baluze,  Mansi  et  d'au- 
tres attribuent  à  tort  à  cette  dernière  assemblée  d'Aix-la-Cha- 
pelle Y  Instructif)  missorum,  oubliant  que  les  missi  devaient  être 
munis  de  cette  pièce  dès  817,  lorsqu'ils  entreprirent  leur  voyage 
d'inspection  et  de  réforme.  D'autres  capitula  que  Baluze  et  Mansi 
rapportent  à  l'année  819  sont  en  réalité  de  l'année  817,  et  forment 
un  appendice  aux  statuta  pro  episcopis.  Aussi  Pertz  a-t-il  eu  raison 
de  les  placer  tous  en  817.  Il  place  au  contraire  en  819  3  les  neuf 
numéros  d'une  réponse  faite  à  un  missus  revenant  de  sa  tournée. 
Enfin,  le  6e  capitulaire  que  Baluze  et  Mansi  placent  en  819 
appartient  en  réalité  à  l'année  823  4. 

Le  conventus  Noviomagensis  (Nimègue),  en  821,  dans  lequel 
l'empereur  Louis  le  Débonnaire  revint  sur  l'affaire  de  la  divi- 
sion de  l'empire,  est  une  assemblée  purement  politique  et  ne 
peut  être  regardée  comme  un  concile  5.  Par  contre,  l'empereur 
tint,  en  octobre  de  la  même  année,  à  Thionville  (Theodonis  villa), 
une  réunion  solennelle  qui  peut,  jusqu'à  un    certain    point,  être 


1.  Lalande,  Concilia,  p.  106;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1867;  Coleti,  Concilia, 
t.  ix,  col.  609;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1238  ;  Hartzheim,  Deutsche 
Conciliai,  t.  n,  p.  632;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  805  ;  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  386. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1867;  Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  106;  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xiv,  col.  416;  Pertz,  op.  cit.,  p.  225. 

3.  Pertz,  loc.  cit.,  p.  227.  A.  Yermingholï,  Verzhichnis,  dans  Neues  Archiw,  1899, 
t.   xxiv.  (H.  L.) 

4.  Pertz,  loc.  cit.,  p.  236  sq. 

5.  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  609;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  387; 
Damberger,  op.  cit.,  t.  in,  p.  120. 


LIVRE     XXI 


rangée  au  nombre  des  eonciles  1.  L'empereur  avait,  convoqué 
les  seigneurs  et  les  évêques  de  l'empire  aux  noces  de  son  fils 
aîné  et  associé  à  l'empire,  Lothaire,  avec  Ermengarde.  Il  accorda, 
en  cette  occasion,  amnistie  complète  à  tous  les  évêques  condamnés 
pour  avoir  pris  part  à  la  révolte  de  Bernard.  On  y  publia  aussi 
plusieurs  ordonnances  dont  l'objet  était  purement  civil. 

Dans  notre  première  édition  nous  avons  attribué  à  ce  concile 
de  Thionville  deux  capitulaires,  nous  rapportant  en  cela  à  Har- 
douin  et  à  Mansi  2.  Le  premier  a  pour  titre  :  Karoli  M.  et  Hlu- 
dovici  I  capitulare  apud  Theodonis  villam  ;  le  deuxième  :  Capi- 
tulum  ecclesiasticum  apud  Theodonis  viïlam  a  Karolomagno  et 
Ludovico  et  primis  Gallise  conlaudatum  et  subscriptum.  Ces  capi- 
tulaires ne  peuvent  être  attribués  à  l'époque  de  Charlema- 
gne,  car,  de  tous  les  archevêques  qui  y  sont  mentionnés,  seul 
Aistulf  de  Mayence  existait  au  temps  de  Charlemagne.  Mais  [31] 
comme  une  variante  du  capitulaire  ecclesiasticum  ne  fait  pas 
mention  de  Charlemagne  et  ne  nomme  que  Louis  le  Débonnaire, 
nous  croyons  pouvoir  les  attribuer  tous  deux  au  concile  de  Thion- 
ville de  821.  Dans  le  premier  capitulaire  on  dit  :  Les  archevêques 
Aistulf  de  Mayence,  Hadebald  de  Cologne,  Hetto  de  Trêves,  et 
Ebbo  de  Reims,  avec  leurs  suffragants  et  les  délégués  des  autres 
évêques  de  Gaule  et  de  Germanie,  en  tout  trente-deux  évêques, 
ont  célébré  un  concile  à  Thionville,  à  cause  des  graves  sévices 
que  des  prêtres  ont  eu  à  subir  de  la  part  de  quelques  tyrans,  en 
particulier  à  cause  de  l'assassinat  honteux  et  récent  de  l'évêque 
Jean  en  Vasconie  (Navarre).  Le  concile  décida,  à  l'unanimité, 
de  demander  au  prince  et  de  s'en  remettre  à  lui  pour  décider 
si  ceux  qui  s'étaient  rendus  coupables  de  pareilles  fautes  devaient 
être  punis  de  peines  ecclésiastiques,  ou  si  conformément  aux 
capitulaires  des  rois  antérieurs,  on  devait  les  frapper  d'a- 
mendes pécuniaires.  Les  évêques  rendirent  donc  les  quatre  ordon- 
nances suivantes  : 

1.  Celui  qui  maltraite  un  sous  diacre,  le  blesse,  etc.,  devra,  si 
le   sous-diacre   guérit,   faire   pénitence   durant   cinq   carêmes  ;   en 

1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  46,;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1519-1522;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  iv,  col.  1237;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  611  ;  Mansi,  Concilia,  Suppl., 
t.  i,  col.  823;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  389  ;  Bjhmer-Muhlbacher,  Reg. 
Karoling.,  1881,  p.  268-269.  (H.  L.) 

2.  Pertz  a  édité  ces  capitulaires  dans  l'appendice  du  t.  iv  des  Monumenta 
(p.  4.);  il  lésa  mis  en  appendice  parce  qu'il  doutait  de  leur  authenticité. 


420.    CONCILES    A    AIX-LA-CHAPELLE,     ETC.  33 

outre,  il  payera  à  l'évêque  trois  cents  solidi,  avec  la  composition 
requise  en  pareil  cas,  et  les  bannos  episcopales  (amende  due  à 
l'évêque)  ;  si  le  sous-diacre  vient  à  mourir,  le  coupable  fera 
pénitence  pendant  cinq  années  entières,  payera  quatre  cents 
solidi,  une    composition  triple,  et  trois  fois  les  bannos  episcopales. 

2.  Celui  qui  maltraite  un  diacre  fera  pénitence  pendant  six  carê- 
mes entiers,  payera  quatre  cents  solidi,  la  composition  et  les  bannos 
episcopales.  Si  le  diacre  meurt,  la  pénitence  durera  six  années 
entières,  on  payera  six  cents  solidi,  triple  composition,  etc. 

3.  S'il  s'agit  d'un  prêtre,  le  coupable  fera  douze  carêmes  (et 
si  le  prêtre  meurt,  douze  ans  de  pénitence),  payera  six  cents 
solidi,  triple  composition  et  les  bannos  episcopales  ;  si  le  prêtre 
meurt,  tout  sera  triplé,  et  on  donnera  neuf  cents  solidi. 

4.  Si  on  maltraite  un  évêque,  on  fera  pénitence  pendant  dix 
ans,  et  on  payera  trois  fois  plus  que  pour  un  prêtre  qui  n'est  pas 

3^J  mort.  Si  un  évêque  est  tué  par  accident,  le  meurtrier  fera  péni- 
tence, suivant  la  décision  portée  par  le  concile  provincial.  Si  l'évê- 
que a  été  tué  volontairement,  le  coupable  devra  s'abstenir  de 
vin  et  de  viande  toute  sa  vie  ;  vivre  dans  le  célibat,  et  déposer 
le  cingulum  militare  (cesser  tout  service  public). 

L'archevêque  Aistulf  de  Mayence  avait  demandé  si  ces  prescrip- 
tions avaient  l'assentiment  «  des  princes  »  et  de  leurs  fidèles, 
on  lui  répondit  affirmativement.  Cette  approbation  se  trouve 
dans  le  capitulum  ecclesiasticum  ;  on  y  lit  en  effet  :  «  Il  a  semblé  bon 
à  Nous  et  à  nos  fidèles,  que  les  évêques  et  leurs  compagnons, 
que  Dieu  garde  d'après  les  règles  de  sa  justice  divine  et  non 
d'après  celles  de  la  justice  humaine,  demeurent  sauvegardés 
par  les  statuts  des  canons  et  des  capitulaires  qu'on  nous  a  sou- 
mis. »  Les  quatre  capitula  mentionnés  plus  haut  furent  alors 
répétés  et  approuvés;  et  l'empereur  fit  ajouter  ce  qui  suit:  «Celui 
qui  désobéira  à  l'évêque  sera  d'abord  puni  canoniquement  ; 
s'il  s'obstine,  il  perdra  son  bénéfice  et  sera  mis  au  ban  (de  l'em- 
pire). S'il  reste  un  an  et  un  jour  dans  ce  ban  1,  ses  biens  seront 
confisqués,  et  il  sera  exilé  en  tel  lieu  où  il  restera  jusqu'à  ce  qu'il 
ait  satisfait  à  Dieu  et  à  la  sainte  Église.  »  —  Les  deux  empereurs 
Louis   el    Lothaire  et  pêne  omnes    Gallise  et    Germanise  principes 

1.  Damberger,  op.  cit.,  t.  m,  p.  127,  croit  que  le  bannus  dont  il  est  ici  question 
est  le  bannus  ecclésiastique  ;  mais  il  se  trompe,  -car  l'empereur  dit  :  in  nostro 
banno. 

CONCILES     -  IV  -  3 


34 


LIVRE     XXI 


signèrent  ce  décret  et  le  clergé  rendit  grâce  à  Dieu  et  au  prince  par 
le  chant  du   Te  Deum,  après  quoi  le  concile  se  sépara  1. 

Nous  avons  déjà  dit  que  dans  notre  première  édition  nous  avions 
attribué    ces    Capitulaires    au    concile    de    Thionville     de   l'année 
821,   mais   Philipps   a  fait  justement  remarquer  qu'Ebbo  n'était 
plus  archevêque  de  Reims    en    821,    tandis  qu'il   est  nommé    au 
début     du     premier     capitulaire 2.     Philipps     pense     donc    avec 
Pertz    que    ces    deux   capitulaires    sont   apocryphes,   et    qu'on   a 
dû  attribuer  au  concile  de  Thionville    des    décisions  du  concile  de 
Tribur    de   895    (voir    plus    loin    §   509).    Nous    ne    croyons    pas 
pouvoir    admettre    cette    opinion  ;    il    serait     possible     que    les 
prétendus    capitulaires    de    Thionville    appartinssent    au    concile 
de    Coblentz    de    922    auquel    assistèrent  Charles  le   Simple,  roi 
de   France,   et  le  roi  Henri  Ier  d'Allemagne   (voir  plus   loin  §  513). 
Peut-être    le    titre    a-t-il    été    modifié    et  il  peut  se    faire  qu'un 
copiste  ait  lu  Karoli  et  Hludovici  au    lieu  de  Karoli    et    Henrici.  [33] 
Cependant  les    noms    des    quatre    archevêques    cités    au    début 
ne     s'accordent     pas    avec    l'époque    de    Charles    le    Simple  et 
Henri  Ier  ;  il  s'en  faut  de  tout  un  siècle. 


421.  Concile  dAttigny,  en  822. 

Peu  après  le  concile  de  Thionville,  Louis  le  Débonnaire  regretta 
la  rigueur  avec  laquelle  il  avait  traité  Bernard  et  ses  partisans. 
On  sait  que  Bernard  avait  eu  les  yeux  crevés  avec  plusieurs 
autres  personnes,  et  qu'il  était  mort  à  la  suite  de  ces  mauvais 
traitements.  Plusieurs  évêques  furent  déposés  et  enfermés  dans 
des  monastères.  On  infligea  des  peines  semblables  aux  demi-frères 
du  roi  d'Italie,  à  Drogon,  Théodoric  et  Hugo,  fils  naturels  de  Char- 
lemagne,  ainsi  qu'à  d'autres  parents.  On  leur  rasa  les  cheveux 
et  on  les  enferma  dans  un  monastère  en  qualité  de  moines.  Dans 
la  diète  d'Attigny  (août  822),  l'empereur  vêtu  en  pénitent  reconnut 
l'excès  de  sa  rigueur  en  présence  des  prélats  et  des  grands  de  son 


1.   Peilz,  Mon.  gertn.  hisl.,  Leges,  t.  i,  p.  228,  229. 

-.  Phillips,  Die  grossen  Synode  von  Tribur,  dargestelll  mil  Benïitzung  von 
Wiener,  Mùnchener  und  Salzbwger  Handschriften,  dans  Sitzungsberichle  d.  Akad. 
il..  Wissensch.,  1 8 G 5 ,  Wien,  L.  xi.i\,  p.  713-784. 


421.     CONCILE     D'ATTIGNY  35 

empire  ;  il  se  réconcilia  avec  ses  demi-frères,  donna  à  Drogon 
l'évêché  de  Metz,  à  Hugo  plusieurs  abbayes,  promit  de  réparer 
autant  que  possible  le  mal  qu'il  avait  fait,  et,  au  milieu  de  l'émo- 
tion universelle,  il  demanda  aux  évêques  l'absolution  sacramentelle 
et  une  pénitence  1. 

Agobard,  archevêque  de  Lyon,  présent  à  cette  réunion  d'Atti- 
gny,  rapporte  que  l'empereur  avait  engagé  les  ecclésiastiques 
et  les  dignitaires  de  l'empire  à  s'appliquer  aux  sciences  et  à  éviter 
toute  négligence,  et  qu'il  avait  rédigé  ses  exhortations  sous  forme 
de  capitulaires.  S'appuyant  sur  cette  donnée,  Pertz  a  pensé 
[34]  retrouver  le  rescrit  mentionné  par  Agobard  dans  un  document 
comprenant  six  numéros,  et  qu'il  a  le  premier  édité  d'après  un 
manuscrit  de  Blankenburg  2.  Nous  pensons  au  contraire,  que  ce 
document  est  l'œuvre,  non  de  l'empereur,  mais  des  évêques 
présents  à  Attigny,  qui,  sous  l'impulsion  de  l'empereur,  voulu- 
rent travailler  à  l'œuvre  de  la  réforme.  Leurs  décisions  en  six 
numéros  sont  rédigées  sous  la  forme  d'un  discours  à  l'empe- 
reur. «  1.  Eclairés  par  l'inspiration  divine,  et  par  la  ferveur 
de  votre  zèle  impérial,  excités  par  l'exemple  salutaire  de  votre 
confession,  nous  nous  reconnaissons  nous  aussi  coupables  de  bien 
des  manières,  soit  dans  notre  genre  de  vie,  soit  dans  notre  ensei- 
gnement et  dans  notre  ministère.  Mais,  fortifiés  par  votre 
bonté,  et  possédant  la  liberté  et  la  compétence  nécessaires,  nous 
voulons  être  à  l'avenir  plus  vigilants.  2.  Comme  le  salut  du  peuple 
dépend  surtout  de  l'enseignement  qu'il  reçoit,  on  veillera  à  ce 
qu'il  y  ait  partout  des  clercs  savants.  3.  Nous  voulons  apporter 
tout  notre  soin  à  l'amélioration  des  écoles.  Il  faut  que  quiconque 
veut  s'instruire  y  trouve  des  maîtres  savants  ;  les  frais  seront 
supportés  par  les  parents  ou  les  maîtres.  On  fondera  plusieurs 
écoles  dans  les  grands  diocèses.  4.  Si  les  évêques  ne  sont  pas  en 
mesure  de  fonder  ces  écoles,  les  puissants  de  l'endroit  y  pourvoi- 
ront. 5.  Les  grands  doivent  venir  assidûment  aux  sermons  6.  On 
ne  doit  pas  distribuer  des  places  pour  des  raisons  de  parenté,  ou 
d'amitié,  c'est  encore  là  un  genre  de  simonie.  .» 

1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  55;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1529-1540;  Hardouin, 
Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1247  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  621;  Mansi,  Concilia, 
Supplem.,  t.  i,  col.  825;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  403 ;  Hartzheim,  Conc. 
Germ.,  t.  n.  p.  26;  A.  Verminghofï,  Verzeichnis  der  Aklen  frànkischer  Synoden 
von  742-843,  dans  Neues  Archw,  1899,  t.  xxiv,  p.    i84.  (H.  L.) 

2.  Pertz,  Mon.  Germ.  hislor.,  Leges,  i.  i.  p.  2 


36  LIVRE     XXI 

Agobard  nous  a  conservé  un  discours  prononcé  au  concile 
d'Attigny  par  le  vénérable  et  ancien  abbé  Adalard.  Nous  appre- 
nons d'Hincmar  de  Reims,  que,  dans  cette  même  diète,  une  femme 
noble  nommée  Northildis  porta  par-devant  l'empereur  et  l'assem- 
blée des  plaintes  contre  son  mari  ;  les  évêques  laissèrent  aux 
laïques  le  soin  d'instruire  cette  affaire  relative  aux  rapports 
conjugaux  entre  cette  femme  et  son  mari.  Les  évêques  se  réser- 
vèrent d'infliger  une  peine,  si  on  constatait  un  délit  qui  méritât 
un  châtiment 1. 

Sirmond  suppose  que  l'empereur  Louis  publia  également  dans 
ce  même  concile  le  capitulare  II  qui  appartient  plutôt  à  l'année 
825.  Par  contre,  il  est  probable  que  les  évêques  réunis  à  Attigny 
reçurent,  avant  leur  départ,  ce  court  capitulaire  en  dix  numéros 
édité  par  Pertz.  On  a  d'autres  ordonnances  de  l'empereur  qui 
manquent  dans  les  anciennes  collections  des  capitulaires  francs  3, 
elles  sont  à  peu  près  de  cette  époque,  mais  ce  sont  plutôt  des  lois  [35] 
civiles,  et  il  n'est  dit  nulle  part  qu'elles  aient  quelque  rapport 
avec  des  conciles. 


422.  Conciles  à  Rome  et  à  Compiègne  en  823. 

En  823,  le  pape  Pascal  Ier  se  purgea,  dans  un  concile  romain, 
des  accusations  portées  contre  lui.  Le  fils  aîné  de  Louis  le  Débon- 
naire, Lothaire,  proclamé  Auguste  depuis  817,  fut  solennellement 
couronné  par  le  pape,  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  le  jour  de 
Pâques,  5  avril  823.  Aussitôt  après,  ce  prince  regagna  la  Germanie  ; 
mais  un  parti  d'aristocrates  ou  de  républicains,  mécontent  du 
gouvernement  du  pape,  chercha,  sous  le  faux  prétexte  d'un  zèle 
gibelin,  à  atteindre  le  but  qu'il  poursuivait.  Quelque  temps 
après,  l'empereur  Louis,  alors  à  la  diète  de  Compiègne,  apprit 
que  deux  Romains  de  distinction,  le  primicerius  Théodore  et 
son  gendre  le  nomenclator  Léon,  avaient  été  massacrés  à  cause 
de  leur  attachement  à  l'empereur  Lothaire  après  avoir  eu  les  yeux 
crevés  au  palais  de    Latran.    L'empereur   envoya    aussitôt  l'abbé 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.xiv,  col.  407. 

2.  Pertz,  op.  cit.,  p.  236. 

3.  Pertz,  op.  cit.,  p.  232,  les  a  éditées  pour  la  première  fois. 


423.     CONCILES    A     LONDRES     ETC.  37 

de  Saint-Vaast  d'Arras,  Adolung,  et  le  comte  Hunfrid  de  Chur, 
en  Italie  pour  y  ouvrir  une  enquête  rigoureuse.  Avant  leur  départ, 
deux  ambassadeurs  du  pape,  Jean  évêque  de  Silva  Candida,  et 
l'archidiacre  Benoît,  vinrent  au  camp  impérial  protester  que  le 
pape  avait  ignoré  le  meurtre,  bien  loin  de  l'avoir  ordonné.  Les 
commissaires  impériaux  se  rendirent  immédiatement  à  Rome. 
Dès  leur  arrivée,  le  pape  Pascal  tint  en  leur  présence,  au  La- 
tran,  une  assemblée  solennelle,  dans  laquelle  il  affirma  sous  ser- 
ment, et  trente-quatre  évêques  avec  lui,  qu'il  n'avait  pas  pris  la 
moindre  part  à  ce  meurtre.  En  revanche  il  refusa  de  livrer  les 
coupables  parce  qu'ils  étaient  serviteurs  de  l'Eglise  et  parce  que 
les  victimes  avaient  mérité  leur  châtiment  parleur  révolte.  L'em- 
pereur Louis,  mis  au  fait  de  toute  cette  affaire,  s'apaisa,  et  Pascal 
mourut  peu  après,  le  10  février  824  *. 

Nous  avons  dit  que  l'empereur  Louis  tint  à  Compiègne,  dans 
[36]  les  derniers  mois  de  823,  une  diète  qui  fut  en  même  temps  un 
concile.  Les  évêques  se  plaignirent  de  diverses  atteintes  portées 
aux  biens  d'Eglise  par  des  laïques,  et  n'obtinrent  qu'une  demi- 
satisfaction.  Vers  cette  même  époque,  Ebbo,  archevêque  de  Reims, 
fut    désigné    par    un    concile    pour    évangéliser   la    Scandinavie  2. 


423.    Conciles  à  Londres,  à  Cloveshoë,  à  Oslaveshlen 
et  à  Aix-la-Chapelle  entre  816  et  825. 

Le  conflit  survenu  entre  Wulfred,  archevêque  de  Cantorbéry, 
et  le  roi  Cénulf,  provoqua  la  réunion  de  plusieurs  conciles  anglais. 
Wulfred  avait  été  longtemps  le  favori  de  Cénulf,  et  on  ignore 
le  motif  de  sa  disgrâce.  Pendant  six  ans,  le  roi  empêcha  l'arche- 
vêque de  remplir  son  ministère  ;  il  parvint  même  à  tourner  le 
pape  contre  lui,  de  sorte  que,  pendant  six  ans,  le  peuple  en- 
tier   des    Anglais    fut    privé  de    l'administration  du   baptême  3. 

1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  823,  n.  1-3;  Pagi,  Critica,  ad  ann.  823;Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  410;  Bower,  Gesch.  der  Pàpste,  t.  v,  p.  523  sq.  ; 
Damberger,  op.  cit.,  t.  m,  p.  123. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  407,  410. 

3.  C'est  là  ce  que  rapportent  les  actes.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  401.  Serait- 
ce  donc  que  l'archevêque  était  seul  à  baptiser,  ou  bien  a-t-il,  parce  qu'il  était 
persécuté,  fait  publier   un  interdit  général  ? 


38  LIVRE     XXI 


En  816,  le  roi  convoqua  une  grande  assemblée  dans  la  cilla  royale 
de  Londres  et  menaça  l'archevêque  d'un  exil  éternel,  s'il  ne  lui 
donnait  son  bien  de  Yongesham,  comprenant  trois  cents  charrues, 
et  s'il  ne  lui  comptait  en  outre  cent  vingt  livres  d'argent.  L'arche- 
vêque s'exécuta,  sur  les  instances  de  ses  nombreux  amis,  à  la 
condition  que  le  roi  le  ferait  rentrer  en  grâce  auprès  du  pape  et 
l'aiderait  à  ressaisir  ses  droits  primatiaux.  Si  l'archevêque  ne  pou- 
vait les  recouvrer,  le  roi  lui  rendrait  ces  biens  et  cet  argent.  Mais 
le  roi  garda  tout  et  manqua  à  sa  parole  1.  A  la  mort  de  Cénulf,  en 
821,  sa  fille  l'abbesse  Quendrida  (Cenedrytha)  s'empara  de  sa 
succession,  y  compris  les  biens  del' archevêque.  On  n'est  pas  cer- 
tain que  cette  princesse  ait,  dans  le  but  de  s'emparer  du  pouvoir, 
fait  massacrer  son  jeune  frère  Kenielm,  âgé  de  sept  ans,  légitime 
héritier  de  Cénulf  ;  quoi  qu'il  en  soit,  après  le  court  gouverne- 
ment de  Céolwulf,  oncle  de  Quendrida,  le  Mercien  Béornwulf 
ceignit  la  couronne  et  força  l'abbesse  à  un  compromis  avec  l'arche- 
vêque. On  tint,  dans  ce  but,  des  conciles  à  Cloveshoë  et  à  Osla- 
veshlen.  Dans  ce  dernier  concile  Quendrida  remplit  les  conditions 
décrétées  à  Cloveshoë  2.  Mansi  et  d'autres  historiens  prétendent 
à  tort  que  ce  n'est  pas  à  Oslaveshlen,  mais  dans  un  concile  posté- 
rieur de  Cloveshoë,  qu'on  a  rétabli  l'entente.  Les  actes  donnés 
par  Mansi  ne  parlent  3  que  des  conciles  de  Londres,  de  Cloveshoë 
et  0"slaveshlen.  L'expression  prsenominata  synodus  ad  Cloveshoum* 
fait  voir  incontestablement  que  le  concile  de  Cloveshoë,  où  se  fit 
sans  succès  la  première  tentative  de  conciliation,  est  identique 
au  concilium  ad  Cloveshoum  5,  que  Mansi  a  regardé  à  tort  comme 
très  postérieur  ;  quant  aux  signatures  6,  elles  n'appartiennent 
pas  au  synode  de  Cloveshoë,  mais  à  celui  d'Oslaveshlen.  Il  n'est 
guère  possible  de  déterminer  avec  une  précision  absolue  la  date 

1.  Mansi,  t.  xiv,  col.  401  489  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1245.  [Haddan 
et  Stubbs,  Councils  and  ecclesiastical  documents,  t.  ni,  p.  587,  placent  ce  con- 
cile de  Londres  en  819-821.  (H.  L.)] 

2.  Mansi  et  Hardouin,  op.  cit.,  Lingard,  Hist.  d'Angl.,  t.  i,  p.  155  sq.  [Coll. 
regia,  t.  xxi,  col.  51;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1527-1529  ;  Coleti,  Concilia, 
t.  ix,  col.  518;  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  col.  171  ;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  393;  Haddan  and  Stubbs,  Councils  and  eccles.  documents,  t.  ni, 
p.  592-595  ;  le  30  octobre  824.  (H.  L.) 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  402,  490. 

4.  Ibid.,  t.  xiv,  col.  490. 

5.  Ibid.,  t.  xiv,  col.  489. 

6.  Ibid.,  t.  xiv,  col.  491. 


[37] 


423.     CONCILES     A     LONDRES,    ETC.  39 

de  ces  conciles.  Celui  de  Londres  eut  lieu  avant  la  mort  de  Cénulf, 
les  deux  autres  entre  822  et  825  1.  En  825,  le  roi  Béornwulf,  qui 
signa  le  procès-verbal  du  concile,  fut  dépossédé  de  son  trône  par 
Egbert,  roi  de  Wessex.  Si  le  compromis  entre  l'archevêque  et 
l'abbesse  a  eu  lieu  à  Oslaveshlen,  et  non  à  Cloveshoë,  il  en  ré- 
sulte que  la  première  réunion  n'a  pu  avoir  lieu  en  825,  ainsi  que 
l'ont  prétendu  Wilkins  et  Mansi,  car,  dans  ce  cas,  il  faudrait 
retarder  le  concile  d'Oslaveshlen  en  826  2,  c'est-à-dire  à  une 
époque  où  Béornwulf  avait  perdu  la  couronne. 

En  824,  un  autre  concile,  tenu  à  Cloveshoë,  termina  un  différend 
survenu  entre  Herbert,  évêque*de  Worcester,  et  les  moines  de 
Berkeley,  au  sujet  du  couvent  de  Westbury  3. 

Dans  une  diète  synodale  d'Aix-la-Chapelle,  au  commencement 
de  825,  l'empereur  Louis  publia  deux  capitulaires  se  complétant 
l'un  l'autre  :  le  premier,  composé  de  vingt-six  numéros,  était 
adressé  aux  évêques  ;  le  second,  comprenant  quatre  numéros, 
[38]  était  destiné  aux  inissi  4.  Ces  deux  capitulaires  ont  trait  en 
partie  à  l'amélioration  de  la  situation  de  l'Eglise.  Ce  fut  proba- 
blement dans  la  même  diète  qu'on  accéda  à  la  demande  des  moi- 
nes de  Saint-Audain,  dans  les  Ardennes,  qui  voulaient  transférer 
dans  leur  monastère  le  corps  de  saint  Hubert. 


1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  52;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1527-1529; 
Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1245;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  621;  Wilkins, 
Conc.  Brit.,t.  i,col.  172-173;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  401.  (H.    L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  403;  Haddan  et  Stubbs,  Connais  and  ecclesiastical 
documents,  t.  m,  p.  596.  (H.  L.) 

3.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  93;  Labbe,  Concilia,  t.  vu  ,  col.  1555-1556  ;  Hardouin, 
Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1265;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  655;  Wilkins,  Conc.  Britann., 
t.  i,  col.  173-176;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  489.  (H.  L.) 

4.  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  1. 1,  col.  833;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  491. 
Binterim,  Deustche  Conciliai,  t.  n,  p.  365-369,  a  montré  contre  Pertz,  Leges, 
t.  i,  p.  242,  en  invoquant  les  derniers  numéros  du  Capilulare  missorum,  que  cette 
diète  synodale  ne  s'était  pas  tenue  au  mois  de  mai  825.  Binterim,  op.  cit.,  p.  366, 
s'est  trompé  toutefois  en  disant  que  cette  diète  synodale  s'était  réunie  à  Tribur. 


40 


Livrn.    xxi 


424.  Réapparition  de  F  hérésie  des  iconoclastes. 

L'empereur  Léon  l'Arménien  fut  massacré  le  jour  de  Noël 
820.  Ayant  pris  ombrage  de  son  ami  le  général  Michel  le  Bègue, 
auquel  il  devait  le  trône,  il  l'avait  condamné  à  mort  pour 
crime  de  haute  trahison.  L'exécution  devait  avoir  lieu  après  la 
fête  de  Noël.  Mais,  au  commencement  de  la  solennité  de  la 
nuit,  les  amis  de  Michel,  très  inquiets  pour  leur  propre  sûreté, 
massacrèrent  l'empereur,  et  Michel  sortit  de  son  cachot  pour 
monter  sur  le  trône,  avant  qu'on  eût  pris  le  temps  de  lui  ôter 
ses  chaînes.  Michel  était  aussi  un  adversaire  des  images,  mais 
d'un  autre  caractère  que  Léon  et  plus  porté  à  la  conciliation  : 
aussi,  dès  son  avènement,  rendit-il  la  liberté  ou  leur  patrie 
aux  iconophiles  prisonniers,  ou  exilés.  Ce  fut  ainsi  que  Théodore 
Studite  rentra  à  Constantinople,  après  avoir  quitté  sa  prison  de 
Smyrne  1.  Présenté  à  l'empereur,  il  lui  adressa  un  panégyrique, 
et  une  apologie  pour  les  images,  dans  l'espoir  que  Michel  tenterait 
une  restauration  semblable  à  celle  d'Irène.  C'était  une  illusion. 
L'empereur  renvoya  Théodore,  l'assurant  qu'il  serait  personnelle- 
ment à  l'abri  de  tout  danger,  et  ajoutant  que  le  culte  des  images 
ne  serait  pas  rétabli.  L'empereur  fit  la  même  déclaration  au  Sénat, 
et  la  tentative  de  l'ancien  patriarche  Nicéphore  pour  rappeler 
le  prince  à  de  meilleurs  sentiments  ne  produisit  aucun  résultat. 
Quelque  temps  après  (821),  l'empereur  chercha,  dans  un  concile, 
à  mettre  sur  pied  d'égalité  les  amis  et  les  ennemis  des  images. 
Sur  son  ordre,  les  évèques  orthodoxes  et  les  archimandrites  des 
monastères  tinrent  une  délibération  à  la  suite  de  laquelle  ils 
remirent  à  l'empereur  une  déclaration  portant  en  substance 
qu'il  leur  était  impossible  d'assister  à  un  concile  où  siégeraient 
les  hérétiques.  Du  reste,  s'il  restait  quelque  point  qui,  dans  la 
pensée   de   l'empereur,   n'eût   pas   été   résolu  d'une  manière  per- 

1.  A.  Gardner,  Théodore  of  Sludium  :  his  life  and  time,  in-8,  London,  1905; 
G.  A.  Schneider,  Der  Heil.  Theodor  von  Studion.  Sein  Leben  und  Wirken.  Ein 
Beilrag  zur  byzantinischen  M ônchgeschichle,  in-8,  Munster,  1900;  J.  Pargoire,  Saint 
Théophane  le  Chrono graphe  et  ses  rapports  avec  saint  Théodore  Studite,  dans  Aca- 
demia  imper,  s'cientiar.,  Saint-Pétersbourg,  1902,  t.  ix;  Tougard,  La  persécution 
iconoclaste,  dans  la  Revue  des  Questions  historiques,  1891.  (H.  L.) 


i24.   RI- APPARITION    DE   l'hÉRESIE    DES    ICONOCLASTES  41 

[39 1  tinente  par  les  patriarches,  il  n'avait  qu'à  le  soumettre  au 
jugement  de  l'ancienne  Rome,  car  telle  était  la  très  ancienne 
tradition  :  «  en  effet,  cette  Eglise  est  la  tête  des  Eglises  de 
Dieu  ;  elle  a  eu  Pierre  pour  premier  évêque,  celui-là  même  à 
qui  le  Seigneur  a  dit  :  Tu  es  Pierre,  etc.  1.  » 

Dès  lors,  Michel  s'affirma  de  plus  en  plus  comme  l'adversaire 
des  images  ;  après  la  mort  de  Théodote  Cassitera  (821),  il  osa 
élever  au  siège  patriarcal  de  Constantinople,  Antoine  de  Silœum, 
personnage  mal  famé  que  nous  avons  déjà  rencontré.  Les  ico- 
nophiles  furent  grandement  déçus  ;  plusieurs  d'entre  eux  vin- 
rent à  Rome  exhaler  leurs  plakites.  En  conséquence  l'empereur 
Michel  envoya  des  ambassadeurs  et  des  lettres  au  pape  Pascal  Ier, 
e1  à  l'empereur  Louis  le  Débonnaire.  La  lettre  à  Louis  est  arrivée 
jusqu'à  nous.  Ecrite  au  nom  de  l'empereur  Michel  et  de  Théophile 
son  fils  et  associé  à  l'empire,  elle  est  datée  du  10  avril  824.  Michel 
veut  d'abord  informer  «  son  frère  impérial  »  de  son  avènement 
au  trône.  «  Un  certain  Thomas,  qui  se  trouvait  à  Constantinople 
au  service  d'un  patrice  très  distingué,  avait  avec  la  femme  de 
son  maître  des  relations  adultères  ;  craignant  que  sa  faute  ne 
fût  connue,  il  s'était,  sous  l'impératrice  Irène,  réfugié  en  Perse, 
où  il  se  fit  passer  pour  le  fils  d'Irène,  le  malheureux  empereur 
Constantin.il  prétendit  qu'un  autre  avait  eu  à  sa  place  les  yeux 
crevés,  et  lui  s'était  sauvé  ;  beaucoup  le  crurent.  Afin  d'augmenter 
le  nombre  de  ses  partisans,  il  avait  apostasie,  et  à  la  tête  de  bandes 
armées  il  avait  envahi  l'empire  romain,  et  s'était  saisi  des  duchés  de 
Chaldée  et  d'Arménie.  L'empereur  Léon  (l'Arménien)  n'avait  pu  lui 
tenir  tête  et  avait  été  soudain  massacré  par  quelques  mécontenls 
(a  quibusdam  improbis,  conjuratione  in  eum  jacta).  Par  la  grâce 
de  Dieu,  le  choix  des  patriarches  et  celui  des  grands  de  l'empire, 
Michel  avait  été  aussitôt  élevé  sur  le  trône.  Thomas,  l'imposteur, 
avait  assiégé  Constantinople  ;  mais  Michel  secouru  de  Dieu,  et 
miraculeusement  protégé,  l'avait  vaincu  et  anéanti  avec  ses  par- 
tisans. Thomas  avaii  eu  les  mains  et  les  pieds  coupés,  on  l'avait 
ensuite  attaché  à  la  potence  ;  ses  fils  adoptifs  avaient  été  pareille- 
ment exécutés.  »  L'empereur  voulait  mettre  à  profit  la  tranquillité 
présente  pour  rétablir  l'union  parmi  ses  sujets,  et  envoyer  une 
grande  ambassade  à  l'empereur  Louis.  Il  lui  mandait  que  beaucoup 

[40      de  laïques  et  de  clercs  avaient  dévié  des   traditions  apostoliques 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  399. 


42  LIVRE     XXI 

et  des  ordonnances  des  Pères,  et  imaginé  de  coupables  nouveautés. 
«  Ils  ont,  continue  l'empereur,  éliminé  des  églises  la  sainte  croix, 
qu'ils  ont  remplacée  par  des  images  devant  lesquelles  ils  font 
brûler  des  parfums,  leur  rendant  le  même  honneur  qu'au 
signe  sacré  sur  lequel  le  Christ  a  souffert.  Ils  chantent  des 
psaumes  devant  ces  images,  leur  témoignent  leur  vénération 
(xpoaxuvelv,  mot  à  mot  adorare,  geste  qui  consiste  à  porter  la 
main  à  sa  bouche  et  à  la  baiser  en  signe  de  vénération),  et  en 
attendent  du  secours.  Beaucoup  revêtent  ces  images  d'habits 
de  lin,  et  les  choisissent  pour  parrains  de  leurs  enfants.  D'au- 
tres, voulant  prendre  l'habit  monastique,  abandonnent  la  vieille 
tradition,  d'après  laquelle  les  cheveux  qu'on  leur  coupe  étaient 
reçus  par  des  personnes  de  marque  ;  ils  préfèrent  les  laisser 
tomber  sur  les  images.  Des  prêtres  et  des  clercs  grattent  les  cou- 
leurs des  images,  mêlent  ces  couleurs  aux  hosties  et  au  vin,  et 
distribuent  le  tout  après  la  messe  (comme  eulogies).  Enfin  d'au- 
tres placent  le  corps  du  Seigneur  entre  les  mains  des  images, 
avant  de  le  distribuer  aux  communiants.  Quelques-uns  ne 
célèbrent  plus  le  service  divin  dans  les  églises,  mais  dans  les 
maisons  privées  et  sur  des  images  qui  tiennent  lieu  d'autels. 
Ces  faits  et  plusieurs  autres  bien  constatés,  les  hommes  savants 
et  sages  les  regardent  comme  défendus  et  inconvenants.  Aussi 
les  empereurs  orthodoxes  et  les  savants  évêques  se  sont-ils 
décidés  à  réunir  un  concile  local  (celui  de  Constantinople 
815),  dans  lequel  ils  ont  interdit  tous  ces  abus.  Ils  ont  fait 
complètement  détruire  les  images  placées  à  hauteur  d'homme  ; 
quant  aux  autres,  ils  les  ont  maintenues  à  la  condition  qu'on 
regarderait  la  peinture  comme  un  écrit  et  qu'on  ne  la  baiserait 
pas.  Ils  ont  agi  de  la  sorte  pour  empêcher  les  ignorants  et  les 
faibles,  d'adorer  ces  images  et  de  faire  brûler  devant  elles  des 
lampes  ou  de  l'encens.  Nous  partageons  ce  sentiment,  et  chas- 
sons de  l'Église  tous  les  partisans  de  ces  nouveautés.  Quel- 
ques-uns, ne  voulant  pas  admettre  le  concile  local,  et  refusant 
d'entrer  dans  le  chemin  de  la  vérité,  se  sont  enfuis,  et  sont 
allés  dans  l'ancienne  Rome,  pour  y  injurier  l'Eglise  et  la  reli- 
gion. Dédaignant  leurs  impiétés,  nous  préférons  publier  notre 
foi  orthodoxe,  car  nous  professons  inébranlablement,  de  bouche 
et  de  cœur,  le  symbole  des  six  conciles  saints  et  généraux.  Nous 
vénérons  la  Trinité...,  nous  implorons  l'intercession  de  notre 
maîtresse    immaculée,    la    Mère    de    Dieu,     et    toujours  vierge 


'25-     LOUIS     LE     DÉBONNAIRE     II     LA    REUNION     DE  PARIS  43 

\l;uii'.  et  celle  de  tous  les  saints  dont  nous  vénérons  avec  foi 
les  vénérables  et  saintes  reliques.  Pour  l'honneur  de  l'Église  du 
[411  Christ,  nous  avons  écrit  au  saint  pape  de  l'ancienne  Rome,  lui 
envoyant  par  les  ambassadeurs  susnommés  (les  mêmes  qui 
étaient  adressés  à  l'empereur  Louis)  un  évangéliaire,  un  calice 
et  une  patène  en  or  pur  et  ornés  de  pierres  précieuses  ;  c'était 
là  notre  offrande  à  l'Eglise  de  Pierre,  prince  des  apôtres.  Quant 
à  toi,  frère  bien-aimé,  nous  te  demandons  de  veiller  à  ce  que 
ces  ambassadeurs  arrivent  jusqu'au  pape  avec  toute  sorte 
d'honneurs,  et  sans  courir  de  dangers  ;  prête-leur  secours,  et 
fais  que  si  les  blasphémateurs  sont  encore  à  Rome,  ils  en  soient 
chassés.  Comme  souvenir,  nous  t'envoyons  un  vêtement  vert 
brodé, un  autre  de  couleur  hyacinthe, deux  habits  de  pourpre,  etc.1.  » 


425.  Louis  le  Débonnaire  et  la  réunion  tenue  à  Paris,  en  825, 

contre  les  images. 

L'ambassade  grecque,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  une  autre 
venue  plus  tard  en  827  2,  trouva  un  accueil  favorable  au  camp 
impérial,  à  Rouen  (novembre  ou  décembre  824).  L'empereur 
Louis  le  Débonnaire  fit  son  possible  pour  terminer  la  querelle 
des  images  et  réconcilier  les  deux  partis  ennemis.  On  pensa  que  la 
première  chose  à  faire  était  de  calmer  l'iconophilie  du  pape  Eu- 
gène II  qui  avait  partagé  sans  réserve  les  sentiments  d'Hadrien  Ier 
et  de  l'amener  à  accepter  le  moyen  terme  imaginé  par  Charle- 
magne.  Dans  ce  but,  l'empereur  Louis  adjoignit  aux  ambassadeurs 
grecs  se  rendant  à  Rome,  Fréculf,  évêque  de  Lisieux,  et  un  certain 
Adegar  (dont  on  ne  sait  s'il  était  évêque).  Ces  deux  personnages 
solliciteraient  l'appui  du  pape  dans  la  question  des  images  ;  Louis 
envoya  en  même  temps  des  mémoires  sur  cette  question  composés 
[42]  par  les  évêques  francs.  Louis  priait  le  pape  Eugène  de  permettre  à 
ces  évêques  de  choisir,  dans  les  écrits  des  Pères, les  passages  pouvant 
servir  à  résoudre  la  question  soulevée  par  les  ambassadeurs  grecs  3. 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  417.  Ce  document  manque  dans  Hardouin,  ains 
que  la  plupart  de  ceux  concernant  l'assemblée  de  Paris  tenue  en  825. 

2.  Cette  dernière  apporta,  entre  autres  présents,  les  écrits  de  Denys  l'Aréopa 
gite.  Cf.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  827,  n.  14. 

3.  Mansi,  op.   cit.,  t.   xv,  App.,  col.  437;  Baluze,  Capitularia  regum  Franc, 


44 


L1VRF.     XXI 


Le  pape  accéda  à  cette  demande,  et  l'empereur  réunit  en  consé- 
quence à  Paris  une  assemblée  d'évêques  et  de  théologiens,  qui,  de 
leur  aveu,  ne  formaient  cependant  pas  un  concile1.  Nous  possédons 
quatre  documents  relatifs  à  cette  assembléee;  un  mémoire  à  l'em- 
pereur et  à  son  fils  Lothaire,  contenant  une  dissertation  détaillée 
sur  les  images,  et  trois  projets  de  lettres  officielles.  Louis  écrivait 
la  première  au  pape,  le  pape  écrirait  la  seconde  aux  empereurs 
grecs,  enfin  l'épiscopat  français  entier  enverrait  la  troisième  au 
pape  2.  Cette  dernière  lettre  est  intercalée  dans  la  précédente.  Si 
nous  ajoutons  à  ces  documents  deux  lettres  de  l'empereur,  l'une  à 
Jérémie  évêque  de  Sens  et  l'autre  à  Jonas  évêque  d'Orléans,  au. pape 
Eugène  3,  nous  avons  tous  les  documents  de  la  réunion   de  Paris  4. 

Evoques  et  théologiens  annoncent  à  l'empereur  qu'ils  se  sont 
réunis  le  1er  novembre  précédent.  Dès  le  début  ils  se  désignent 
comme  oratores  vestri  (c'est-à-dire  députés  de  l'empereur,  et  non 
membres  d'un  concile).  Ayant  commencé,  disent-ils,  par  faire  lire 
la  lettre  du  pape  Hadrien  à  Irène  et  à  son  fils,  ils  ont  trouvé  que, 
si  le  pape  avait  justement  condamné  les  iconoclastes,  il  avait  agi 
imprudemment  en  prescrivant  une  vénération  superstitieuse 
des  images  (quod  superstitiose  eas  adorare  jussit).  «   Il  avait  deman- 

t.  i,  col.  643.  Il  est  aussi  question  de  tous  ces  incidents  dans  d'autres  documents 
de  cette  époque.  Voy.  par  exemple  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  413,  463.  Cf. 
Walch,  Ketzerhist.,  t.  xi.  p.  105,  108,  112. 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  463.  Le  pape  dut  permettre  bien  plus  iacilement 
aux  évêques  francs  de  rédiger  des  travaux  préparatoires,  pour  les  lui  remettre, 
plutôt  que  de  se  réunir  en  synode,  pour  porter  un  jugement.  Synodus  Parisiensis 
de  imaginibus  habita  anno  Chrisli  824  ex  vetustiss.  codice  descripta  et  nunc  pri- 
num  in  lucem  édita-  (par  Pierre  Pithou),  in-8,  Francoforti,  1596;  Goldast,  Coll., 
const.  imper.,  1615,  t.  i,  p.  151  ;  J.  Ph.  a  Vorburg,  Historiarum...  imperii '.  Romano- 
Germanici,  in-4,  Françfurti,  1660,  t.  xi,  p.  127;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  81; 
Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  106;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1542-1550  ;  Coleti, 
Concilia,  t.  ix,  col.  641;  Bouquet,  Rec.  des  hist.  des  Gaules,  t.  vi,  col.  338-341, 
386;  Mansi, Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  417  ;  P.  h.,  t.  civ,  col.  1314;  B.  Simson, 
Jahrbùcher  des  frànkischcn  Reichs  unter  Ludwig  dem  Frommen,  in-8,  Leipzig, 
1874,  t.  i,  p.  218;  A.  Verminghofï,  Verzeiehnis  dans  Neues  Archiv,  1899, 
t.  xxiv,  p.  485.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  421,  461,  463,  466. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  App.,  col.  435,  437. 

4.  Bellarmin  a  rédigé  un  mémoire  contre  l'assemblée  tenue  à  Paris,  dans  l'ap- 
pendice de  son  traïté  De  cultu  imaginum,  imprimé  dans  Mansi,  op.  cit.,  Venetiis, 
1778,  t.  xiv, col.  473.  Voy.  aussi  Noël  Alexandre,  Hist.  eccles.,  sœc.  vin,  diss.  VI, 
9  et  10,  cf.  t.  vi,  p.  119.  Quant  à  l'ancienne  littérature,  cf.  Walch,  Ketzerhistorie, 
t.  xi,  p.  135,139.  [A.  Verminghofï,  dans  Neues  Archiv,  t.  xxiv,p.  485-486.  (H.L.)] 


i25-     LOUIS    LE     DÉBONNAIRE    ET    LA    RÉUNION     DE     PARIS  45 

dé  que  les  images  fussent  exposées,  adorées  et  appelées  saintes; 
cependant  si  l'exposition  est  permise,  l'adoration    ne    l'est  pas. 
[43]   Hadrien  avait  cité  des  témoignages  des  Pères,  ses  choix  étaient 
mauvais,    car   les   textes   étaient   valde   absona  et  ad  rem  de   qua 
agebatur  minime  pertinentia.  On  avait  ensuite  tenu  un  concile  en 
Orient  (IIe  concile  œcuménique  de  Nicée)  ;  mais  comme  le  premier, 
tenu  sous  Constantin  Copronyme  (le  conciliabule  de  754),  s'était 
trompé  en  prohibant  les  images,   ainsi  ce  nouveau  concile  était 
tombé  dans  une  erreur  non  moins    grave  en  prescrivant  l'adora- 
tion des  images,  en  leur  donnant  le  titre  de  saintes  et  en  leur 
attribuant    le    privilège    de    conférer    la    sainteté.    Charlemagne 
avait  déjà  envoyé  à  Rome,  par  l'abbé  Angilbert,  un  écrit  contre 
ce  concile  ;  dans  sa  réponse,  le  pape,  ayant  voulu  défendre  les 
preuves  apportées  par  ce  concile,  avait  écrit  quse  voluit,  non  tamen 
quse  dècuit.  Aussi,  sans  causer  le  moindre  préjudice  à  l'autorité 
du    pape,    pouvait-on    avancer    que    sa    réponse    contenait     plu- 
sieurs choses   contraires   à  la  vérité.  A  la  fin  de    son   apologie,  le 
pape  prétendait  enseigner,  sur  cette  matière,  la  doctrine  de  Gré- 
goire  le    Grand  :     il  ne   s'égarait   donc   pas    par   ignorance.    Les 
évêques   francs   disaient   qu'ils   avaient    fait    lire     ensuite   la  let- 
tre   remise,  l'année   précédente,    à  l'empereur  par  les   ambassa- 
deurs grecs  ;  Fréculf  et  Adégar  firent  connaître  leurs  démarches 
à  Rome.  Il  était  notoire  que  les  empereurs  avaient  pris  un  moyen 
terme  entre  les  iconoclastes  et  les  iconophiles  exagérés  ;  ils  avaient 
voulu  guérir  ces  deux  factions  également  malades.    Mais   l'erreur 
ayant  été  défendue  aux  lieux  mêmes  où  elle  eût  dû  être  condamnée 
(c'est-à-dire  à  Rome),  Dieu  avait  indiqué  aux  empereurs  une  autre 
conduite  à  tenir,  en  leur  inspirant  de  solliciter  du  pape  la  permis- 
sion   d'entreprendre  sur  la  question  une  enquête  dont  ils  expose- 
raient le  résultat, afin  que  toute  autorité  dût  bon  gré  mal  gré  s'incli- 
ner devant  la  vérité.  La  prudence  demandait  du  reste  que,  dans  les 
déclarations  envoyées  par  l'empereur,  on  insérât  tous  les  blâmes 
de  rigueur  contre  amis  et  ennemis  des  images  ;  on  devait  le  faire, 
en  particulier,  dans  la  lettre  aux  Grecs;  mais  en  s'exprimant,  à 
l'égard   de   Rome,   d'une   manière   modérée   et  respectueuse,  tout 
en  faisant  connaître  l'entière  vérité.  Le  pape  ne  rendrait  ensuite 
qu'une   ordonnance    conforme   au   véritable   état   de    choses,    par 
égard  pour  les  empereurs,  pour  l'autorité  de  son'  siège  et  pour 
les  témoignages  apportés  en  faveur  de  la  vérité.   On  demandait 
aux  empereurs  de  choisir  ce  qui  leur  paraîtrait  le  plus  opportun 


46  LIVRE     XXI 

dans  les  passages  de  la  Bible  et  des  Pères  que  les  évêques  avaient 
collationnés,  et  qu'ils  leur  envoyaient  par  l'intermédiaire  de 
Halitgar  de  Cambrai  et  d'Amalaire  de  Metz.  Ils  avaient  eu  trop 
peu  de  temps  pour  faire  eux-mêmes  ce  choix,  d'autant  plus  que 
tous  ceux  qui  avaient  reçu  ordre  de  comparaître  dans  l'assemblée 
ne  s'y  étaient  pas  rendus,  par  exemple  Moduin,  évêque  d'Autun, 
empêché  par  la  maladie  1.  » 

Les  évêques  ajoutèrent  à    leur    lettre  le    recueil  en  question  : 
les    deux    premiers    canons  sont  dirigés  contre  les  iconoclastes, 
mais  la    seconde    partie,  beaucoup   plus   considérable   (can.    3   à 
16),  est  dirigée  contre  les   iconophiles.   Dans  cette  seconde  partie, 
on    essaie  d'abord  de  démontrer,  au  moyen  d'une  fausse  inter- 
prétation   de    quelques    passages    de    saint    Augustin,    etc.,  que 
l'origine  du  culte  des  images    remonte  à  Simon  le   Magicien  et 
à  Épicure  ;  on  combat  ensuite  (c.  8)   certains   arguments  du  pape 
Hadrien  et  du  IIe  concile  de  Nicée,  favorables  aux  images;  enfin 
on  déclare  que  la  latrie  doit  être  réservée  à  Dieu,  et  que    ce  qui 
vient  de  la  main  des  hommes  ne  doit  être  ni  vénéré  (colenduin) 
ni  adoré   (adorandum).  (Étrange  méprise  de  l'assemblée  de  Paris; 
car  le  IIe  concile  de  Nicée  avait  dit,  au  sujet  de  la  latrie,  précisé- 
ment ce   qu'on  prétendait  lui  imposer  comme   un  correctif.   Au 
sujet  du  mot  colère,  le  passage  de  saint  Augustin  cité  par  le  concile 
de    Paris    enseignait   exactement  le  contraire  de    ce    qu'on    vou- 
lait lui  faire    dire    ;    ce    Père  disant  que  le  mot  colère   pouvait 
aussi    être    appliqué    aux    hommes.)     C'était,    continuaient    les 
Pères   de    Paris,     une    injustice    de    comparer    les    images   à   la 
sainte  Croix.  Dans  ce  désir  d'instruire  iconophiles  et  iconoclastes, 
ils  donnaient  (c.  15)  toute  une  série  de  passages  extraits  des  Pères  : 
saint    Grégoire   le    Grand,  saint  Jean  Chrysostome,  saint  Basile, 
saint  Athanase,  Denys  l'Aréopagite,  saint  Augustin,  saint  Ambroi- 
se,  le  vénérable  Bède,  etc.,  puis  le  canon  82e  du  concile  in  Trullo, 
tenu  en  692,  canon  qu'ils  attribuaient  à  tort  au  VIe  concile  œcu- 
ménique.  Enfin,   dans  le  dernier  chapitre,  les   évêques  réunis  à 
Paris  racontent  les  origines   de  l'hérésie  des    iconoclastes,   et,   à 
cette    occasion,    parlent   du    calife    Iézid.    La    suite    manque  2. 


1.  Nous  ne  connaissons,  en  résumé,  des  membres  de  cette  assemblée,  que  Halil- 
gar  et  Amalaire,  Jonas  d'Orléans,  Jérémie  de  Sens,  Fréculf  et  Adegar. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  421-460.  Comme  réponse  aux  arguments  de  ceux 
de  Paris,  cf.  Bellarmin,  dans  Mansi,  op.  cit.,  col.  476  sq. 


425-     LOUIS     LE     DÉBONNAIRE     ET     LA    REUNION    DE     PARIS  47 

Le  second  document  rédigé  par  l'assemblée  de  Paris  est  un  pro- 
jet de  lettre  de  l'empereur  Louis  au  pape  ;  elle  contient  des  décla- 
[45]  rations  assez  vagues  sur  l'amour  et  l'union,  de  même  que  sur 
l'élévation  du  Siège  de  Rome,  et  n'a,  au  fond,  d'autre  but  que  de 
rappeler  au  pape  la  permission  par  lui  donnée,  et  de  le  rendre 
favorable  à    la  collection  patristique  qu'on    lui  présentait  1. 

D'après  le  projet  de  la  lettre  que  les  évêques  francs  voulaient 
faire  envoyer  aux  Grecs  par  le  pape,  Eugène  les  exhortait  à  l'union 
et  à  la  concorde,  et  leur  communiquait  les  principaux  passages 
du  mémoire  des  évêques  francs,  mémoire  qui,  pour  cette  raison, 
était  intercalé  dans  le  projet  de  lettre  du  pape  aux  Grecs.  Dans 
leur  document,  les  Francs  faisaient  remonter  leurs  pratiques 
au  sujet  des  images  à  leur  apôtre  Denys,  que  Clément  de  Rome 
avait  envoyé  dans  les  Gaules,  ensuite  à  Hilaire  et  à  Martin  de 
Tours;  ils  remarquaient  que,  chez  eux,  il  ne  s'était  jamais  élevé 
de  discussion  sur  ce  point,  car  on  n'y  avait  jamais  ordonné  ni 
condamné  le  culte  des  images.  «  En  effet,  les  images  n'étaient 
pas,  chez  eux,  exposées  dans  les  églises  et  dans  les  palais  pour 
un  but  religieux  2  ;  elles  étaient  simplement  pour  les  gens  ins- 
truits un  souvenir  d'amour  pieux  (  pro  amoris  pii  memoria  ), 
ou  un  ornement,  et  pour  les  ignorants  un  moyen  d'apprendre 
(nescientibus  vero  pro  ejusdem  pietatis  doctrina  pictse  vel  fictse)  : 
elles  ne  pouvaient  donc,  en  aucune  manière,  nuire  aux  vertus  de 
foi.  de  charité  et  d'espérance.  Celui  qui  ne  voulait  pas  d'images, 
pouvait  agir  à  sa  guise,  à  la  condition  toutefois  de  ne  pas  inquiéter 
celui  qui  en  voulait  à  la  façon  qui  vient  d'être  dite.  Jusqu'à  cette 
époque,  les  Gaulois  avaient  été,  au  sujet  des  images,  indifférents  in 
habendo  vel  non  habendo,  in  colendo  vel  non  colendo;  cette  situation 
n'ayant  amené  aucun  conflit,  le  mieux  était  de  s'y  tenir.  » —  Ayant 
inséré,  dans  sa  lettre  aux  Grecs,  cette  déclaration  des  évêques 
francs,  le  pape  devait  éclaircir  le  sens  des  passages  de  saint  Gré- 
ire    qui   semblaient   y  contredire;  il   devait,    en   outre,    engager 

l.Mansi,  loc.cil.,  col.  461-463.  Voy.  comme  réponse.JBcllarmin,  loc.  cit.,  p.  479. 
'2.   Nous  savons  cependant  que,  d'après  une  ancienne  coutume,  on  allumait 
en  Gaule  des  lampes  devant  les  images.  Ainsi  Fortunat  dit,  dans  une  pièce  de 
vers  sur  saint  Martin  : 

Hic  paries  retinet  sancti  sub  imagine  formant. 
Amplectanda  ipso  dulci  pictura  colore. 
Sub  pedibus  justi  paries  liabet  arcte  fenestram, 
Lychnus   adest,  cujus  vitrea  natal  ignis  in  urna. 


48  LIVRE     XXI 

fortement  les  empereurs  byzantins  à  rétablir  la  paix  de  l'Eglise, 
sans  oublier  de  blâmer  les  Grecs  qui  avaient  laissé  la  discorde 
entrer  chez  eux  à  cause  des  images  ;  enfin  le  pape  devait  montrer 
que  Satan  avait  poussé  aux  opinions  extrêmes  aussi  bien  les  icono- 
clastes que  l'impératrice  Irène.  La  suite  manque  1. 

Le  6  décembre  825,  Halitgar  et  Amalaire  remirent  les  docu- 
ments rédigés  par  l'assemblée  de  Paris  à  l'empereur  qui  s'en  montra  I.^J 
satisfait  ;  Louis  ne  voulut  cependant  pas  les  envoyer  au  pape 
immédiatement  et  in  extenso  ;  aussi  chargea-t-il  Jérémie,  arche- 
vêque de  Sens,  et  Jonas,  évêque  d'Orléans,  désignés  comme 
ambassadeurs  à  Rome,  d'extraire  de  ce  mémoire  ce  qui  leur 
paraîtrait  le  plus  propre  à  atteindre  le  but  désiré.  Ils  remet- 
traient au  pape  ces  extraits,  en  lui  rappelant  qu'il  avait  autorisé 
lui-même  cette  façon  d'agir.  Les  ambassadeurs  attireraient  en  par- 
ticulier, l'attention  du  pape  sur  les  passages  qui  n'étaient  con- 
testés par  personne.  Ils  passeraient  alors  à  des  déclarations 
explicites,  évitant  de  brusquer  le  pape  par  des  contestations 
passionnées,  cherchant  plutôt  à  le  ramener,  par  de  prudentes 
concessions,  à  un  moyen  terme  équitable.  Dans  le  cas  où  la  perti- 
nacia  romaine  ne  se  mettrait  pas  en  travers  et  permettrait  aux 
négociations  d'atteindre  un  heureux  résultat,  et  si  le  pape  envoyait 
des  députés  à  la  cour  des  Grecs,  les  deux  ambassadeurs  francs 
lui    offriraient    l'envoi   d'une  ambassade  impériale  en  Grèce  2. 

La  lettre  de  l'empereur  Louis  et  de  son  fils  Lothaire  à  Eugène  II 
est  conforme  à  ce  qui  précède.  Louis  proteste  de  ses  disposi- 
tions de  prêter  appui  au  pape,  et  rappelle  que  c'est  avec  sa 
permission  que  les  évêques  francs  ont  collationné  les  passages 
des  Pères,  dans  le  but  que  l'on  sait.  «  Ils  avaient,  avec  le  secours 
de  Dieu,  terminé  leur  travail,  et  l'empereur  l'envoyait  au  pape 
par  l'intermédiaire  des  évêques  Jérémie  et  Jonas.  Le  pape  pouvait 
se  servir  avec  grand  profit  dans  l'affaire  des  Grecs,  de  ces  deux 
hommes,  très  versés  dans  les  sciences  sacrées  et  très  exercés  à 
la  discussion.  En  envoyant  ces  députés,  et  la  collection,  l'empe- 
reur ne  songeait  pas  à  donner  des  leçons  à  qui  que  ce  fût  à  Rome  ; 
il  ne  songeait  qu'à  offrir  son  concours.  Le  pape  devait  s'employer 

1.  Mansi,  loc.  cit.,  col.  463-474.  Cf.,  par  contre,  Bellarmin,  op.  cit.,  p.  478. 

2.  LaMettre  de  Louis  le  Débonnaire  à  Jérémie  etc.  se  trouve  dans  Mansi,  op. 
cit.,  t.  xv,  App.,  col.  435,  etHardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1260.  Par  suite  d'une 
faute  de  copiste  déjà  ancienne,  on  lit  dans  la  suscription  de  cette  lettre  la  date 
de  824,  au  lieu  de  825.  Cf.  Walch,  op.  cit.,  p.  125,  note  2. 


426.  CONCILES  A  INGELHEIM,  A  ROME  ET  A  MANTOUE      49 

au  retour  de  l'union  chez  les  Grecs.  Dans  le  cas  où  il  enverrait 
des  ambassadeurs  à  Constantinople,  il  devait  faire  choix  d'hommes 
très  prudents  et  professant  des  idées  modérées  ;  si  Eugène  en 
manifestait  le  désir,  l'empereur  ferait  accompagner  par  d'autres 
députés  de  son  choix  les  ambassadeurs  du  pape  :  ce  qui  n'impli- 
quait pas  que  cet, envoi  fût  nécessaire,  ni  que  les  ambassadeurs 
du  pape  ne  fussent  pas  à  même  de  remplir  seuls  cette  mission  1.  » 
On  ne  sait  si  le  pape  entra  dans  les  idées  des  Francs,  ni 
47]  même  s'il  envoya  des  ambassadeurs  ;  on  sait  seulement,  par  un 
biographe  anonyme  de  Louis  le  Débonnaire,  que  ce  prince  envoya 
comme  ambassadeurs  à  Constantinople  l'évêque  llalitgar  et  l'abbé 
Ansfried  de  Nonantula  2. 


426.  Conciles  à  Ingelheim,  à  Rome  et  à  Mantoue,  en  826  et  821. 

En  826,  l'empereur  Louis  réunit  deux  fois,  à  Ingelheim,  en  juin 
et  en  octobre,  les  grands  de  l'empire,  de  l'ordre  civil  et  de  l'ordre 
ecclésiastique.  A  la  première  de  ces  réunions  assistèrent  les  lé- 
gats romains,  probablement  porteurs  de  la  réponse  du  pape 
aux  propositions  de  l'assemblée  de  Paris.  On  y  vit  aussi  les 
ambassadeurs  de  l'abbé  du  Mont-des-Oliviers,  en  Palestine  3. 
Nous  possédons  de  ce  concile  tenu  en  juin  :  a)  un  capitulaire 
contenant  sept  nouvelles  ordonnances  sur  le  vol,  sur  les  mauvais 
traitements  infligés  au  clergé,  sur  les  oratoires,  etc.  ;  b)  un  second 
capitulaire  remettant  en  vigueur  quelques  anciennes  ordonnances4. 
Le  second  capitulaire  est  le  seul  authentique  5  ;  le  premier  6 
n'est  autre  que  la  réunion  des  numéros  97-103,  et  n°  383  du  second 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  437;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1259. 

2.  Walch,  Kelzerhisl.,  p.*115,  132. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  494;  Binterim,  Deulsclie  Concilieii,  t.  n,  p.  371  sq. 

4.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  95;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1556-1557;  Hardouin, 
Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1269;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  657;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv, 
col.  493  ;  B.  Simson,  Jahrbiïcher  des  frànkischen  Reichs  unter  Ludwig  dem  From- 
men,  in-8,  Leipzig,  1874,  t.  i,  p.  254,  note  9  ;  A.  VermingholV,  Verzeichnis  der 
Akten  frânkischer  Synoden  von  742-843,  dans  Neues  Arcliiv,  1899,  t.  xxiv, 
p.  486.  (H.  L.) 

5.  Pertz,  Mon.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  i,  p.  253. 

6.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  440;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n,  p.  36.     • 

CONCILES   —  IV  —   i 


50  LIVRE     XXI 

livre  de  la  collection  de  Benoît  le  Lévite.  Cette  collection,  assez 
voisine  de  celle  du  pseudo- Isidore,  attribue,  dans  ce  n.  383, 
au  concile  d'Ingelheim  ce  qui  provient  de  sources  très  différentes  1. 
Il  y  a  toutefois  entre  Benoît  le  Lévite  et  le  pseudo-Isidore  cette  dis- 
tinction à  établir,  appréciable  dans  le  cas  présent,  cpue  le  pseudo- 
Isidore  attribue  à  des  conciles  ou  à  des  papes  plus  anciens  des 
textes  supposés,  tandis  que  Benoît  le  Lévite  attribue  des  textes 
existants  à  des  conciles  récents2.  — Beaucoup  de  collecteurs  des 
actes  des  conciles,  et,  en  particulier,  Baluze  et  Mansi  3,  ont  réuni 
en  un  seul  tout  la  collection  de  Benoît  le  Lévite,  avec  la  collec- 
tion plus  ancienne  de  l'abbé  Anségise,  en  sorte  que  le  premier 
livre  de  Benoît  le  Lévite  devenait  le  cinquième  livre  de  cette  unique 
collection.  Pertz  a  séparé  ces  deux  recueils  d'une  valeur  histori- 
que si  inégale  4. 

La  seconde  réunion  (octobre  826),  ne  paraît  pas  s'être  occupée 
des  affaires  de  l'Église  ;  du  moins  n'en  voyons-nous  aucune  trace 
dans  le  court  capitulaire  qu'elle  a  laissé  5.  Mais  cette  réunion  L^J 
confirma  les  immunités  du  monastère  de  Grégorien  munster, 
en  Alsace  6,  ainsi  qu'un  traité  d'échange  en  faveur  du  nouvel 
évêque  de  Worms,  Folkwig. 

On  ne  possédait  qu'un  fragment  des  actes  d'un  grand  concile 
romain,  tenu  sous  le  pape  Eugène  II  (15  novembre  826),   lorsque 

1.  C'est  trop  sommaire  pour  être  vrai.  Si  Benoît  et  Isidore  ne  sont  pas  un 
même  personnage,  ils  sont  du  même  atelier  :  ils  ne  fabriquent  pas  les  textes, 
ils  les  arrangent.  Isidore  les  antidate  ;  Benoît  ne  peut  les  mettre  sous  d'autres 
patronages  que  les  assemblées,  auteurs  de  capitulaires.   (H.  L.) 

2.  Knust  en  a  fait  la  démonstration  dans  Pertz,  Leges,  t.  n,  part.  2,  p.  22. 

3.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  appendix,  col.  337. 

4.  Pertz  a  inséré  la  collection  d'Anségise  dans  Leges,  t.  i;  celle  de  Benoît  dans 
Leges,  t.  n. 

5.  Pertz,  Leges,  t.  i,  p.  255  sq. 

6.  Gregorienthal,  à  Munster,  arrondissement  de  Colmar  (anc.  départ,  du  Haut- 
Rhin)  :  Annales  Monasterienses  (528-828),  dans  Pertz,  Monum.  Geirn.  lilst., 
Scriptores,  t.  m,  p.  152,  154;  Fr.  Hecker,  Die  Stadt  und  dus  Thaï  zu  Munster  im 
St  Gregorienthal,  in-8,  Munster,  1891;  Notes  et  documents  pour  servir  à  l'intelli- 
gence de  la  cause  liée  entre  la  ville  de  Munster  et  diverses  communes  du  Val  Saint- 
Grégoire,  in-12,  Colmar,  1836;  J.  Rathgeber,  Munster  im  Gregorienthal,  ein  Bei- 
trag  zur  politisch.  kirchl.  u.  kuliurhist.  Geschichte  des  elsàss.  Munster  thaïes,  bevor- 
wort.  von  Aug.  Stôber,  in-8,  Strasbourg,  1874;  L.  Spach,  L'abbaye  de  Munster, 
dans  les  Mém.  soc.  mon.  hist.  Alsace,  1860,  t.  in,  p.  226-273;  W.  Wiegand,  Aeltere 
Archivalien  der  Abtei  Munster  im  Elsass,  dans  Mittheil.  Inst.  oeslerr.  Gesch., 
1889,  t.  x,  p.  75-80.  (H.  L.) 


436.     CONCILES    A  INGELHEIM,     A    ROME     ET    A    MANTOUE  51 

Luc  Holstein  publia  les  actes  complets  de  cette  assemblée  1. 
Ces  actes  renferment  trente-huit  canons  :  1.  On  ne  donnera  l'onc- 
tion épiscopale  qu'à  ceux  qui  en  sont  dignes.  2.  Interdiction  de 
la  simonie.  3.  L'évêque  doit  donner,  par  ses  exemples,  du  poids 
à  ses  paroles.  4.  Le  métropolitain  doit  engager  un  évêque  ignorant 
à  se  faire  instruire.  L'évêque  qui  a  des  prêtres,  des  diacres  et  des 
sous-diacres  ignorants,  doit  les  obliger  à  se  faire  instruire  ;  il 
leur  interdira  l'exercice  de  leur  saint  ministère  jusqu'à  ce  qu'ils 
aient  les  connaissances  voulues.  5.  Nul  ne  doit  devenir  évêque 
par  intrusion.  6.  On  renouvelle  l'ordonnance  de  Sardique  rela- 
tive à  la  résidence  épiscopale.  7.  A  côté  de  chaque  église  (épis- 
copale) il  y  aura  un  claustrum  (maison  canoniale)  pour  les 
clercs,  et  dans  chaque  claustrum  un  seul  réfectoire  et  un  seul 
dortoir  pour  tous  2.  8.  Les  évêques  doivent  procurer  des  desser- 
vants aux  églises  baptismales  (paroisses  rurales),  et  y  établir 
des  prêtres  suivant  les  besoins.  9.  Ils  ne  doivent  y  placer  qu'un 
nombre  de  clercs  correspondant  aux  revenus  de  l'église.  10.  On 
ne  doit  ordonner  de  prêtres  que  pour  des  églises  et  des  monas- 
tères déterminés  ;  ces  prêtres  ne  doivent  pas  habiter  dans  des 
maisons  privées.  11  et  12.  Les  prêtres  ne  doivent  être  ni 
joueurs,  ni  banquiers,  ni  chasseurs,  ni  hôteliers,  car  ils  doivent, 
hors  de  leur  demeure,  garder  le  souci  de  leur  dignité  sacerdotale. 

13.  Ils  ne  doivent  jamais  se  mêler  des  affaires  séculières,  ni 
pour  porter  témoignage,  ni  pour  rédiger   des   documents  publics. 

14.  Si  un  clerc  a  commis  une  faute  entraînant  la  déposition,  l'évê- 
que  lui    assignera  un    lieu    convenable    où    il  pourra    pleurer  sa 

[49]  faute.  15.  Les  évêques  doivent  veiller  à  ce  que  leurs  clercs  ne 
fréquentent  pas  de  femmes,  car,  puisque  le  mariage  leur  est 
interdit,  à  plus  forte  raison  doivent-ils  s'abstenir  des  rapports  illi- 
cites. 16.  Aucun  évêque  ne  doit  s'approprier  des  immeubles   des 

1.  Ils  sont  reproduits  intégralement  dans  Pertz,  Monum.,  t.  iv,  Leges,  t.  n, 
part.  2,  p.  11-17;  en  outre  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  999  sq.  ;  Hardouin,  op. 
cit.,  t.  v,  col.  62  sq.  ;  Pagi,  Critica,  ad  ann.  826,  n.  1.  [Coll.  régla,  t.  xxi,  col.  96; 
Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1557;  t.  vxn,  col.  102-113  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix, 
col.  657;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  493  ;  Jalîé,  Reg.  pontif.  rom.,  p.  224-225; 
2e  édit.,  p.  321  ;  A.  L.  Richter,  Beitràgc  zur  Kenntnis  der  Quellen  des  canonis- 
chen  Rechts,  in-8,  Leipzig,  1834,  p.  49;  A.  Verminghoiï,  Verzeichnis,  dans 
Neues  Archiv,  1899,  t.  xxiv,  p.  486;  B.  Simson,  Jahr bûcher  des  frànk.  Reiches 
unter  Ludwig  dem  Frommen,  Leipzig,  1874,  1. 1,  p.  280.  (H.  L.)] 


2.  Ce  canon  fixe  la  date  de  l'établissement  régulier  de  la  vie  canoniale  en  Ita- 


lie. 


52  LIVRE    XXI 

églises  rurales,  ni  d'autres  lieux  saints.  17.  Les  prêtres  ne  doivent 
pas  refuser,  à  la  messe,  certaines  offrandes  ;  médiateurs  entre  Dieu 
et  les  hommes,  leurs  prières  doivent  autant  que  possible  embrasser 
tous  les  fidèles.   Comme  notre  Sauveur  est  tout-puissant,    et  en 
même  temps  plein  de  miséricorde,  il  accepte  sans  partialité  les 
prières  de  tous.  18.  Aucun  évêque  ne  doit  donner  à  un  clerc   de 
dimissoires,   si   ce   clerc   n'a   été   expressément    demandé   par  un 
autre  évêque,  car  il  faut  éviter  qu'une  brebis  ne  coure  de  côté 
et  d'autre.  Et  afin  de  pouvoir  distinguer  les  dimissoires  authenti- 
ques des  autres,  elles  devront  porter  le  sceau  du  pape  ou  de  l'empe- 
reur ou  du  métropolitain.  19.  S'il  lui  survient  une    affaire  ecclé- 
siastique ou  une  affaire     privée,    l'évêque   ou  le    prêtre   doivent 
choisir  un  advocatus  de  bonne  réputation,  de  peur  qu'en  s'occu- 
pant  d'affaires  temporelles  ils  ne  compromettent  leur  récompense 
éternelle.  Toutefois,  si  le  clerc  est  accusé  d'un  crime  public, l'avocat 
ne  peut  le  représenter.  20.  Si  le  prêtre  ne  peut  trouver  aucun  avocat, 
l'évêque    doit    en    chercher    la  raison  ;    si   le    prêtre  a    mauvaise 
réputation,  il  le  punira  conformément  aux  canons  .21.  Lorsqu'un 
monastère  ou  un  oratoire  a  été  régulièrement  érigé,  on  doit,  avec 
l'assentiment  de  l'évêque,  y  placer  un  prêtre  qui  y  célébrera  le 
service     divin.  22.  Celui  qui  s'est  emparé  d'une  église  au  mépris 
du   droit,   devra,  lui  ou  son   héritier,  donner   une   compensation. 
23.  Les  fondations  pieuses  doivent  être  employées  selon   l'inten- 
tion des  fondateurs.  24.0n  peut  reprendre,  pour  y  placer  des  clercs, 
les  églises  converties  à    des    usages    profanes.  25.  Les   bâtiments 
en  ruines  doivent  être  restaurés,  et,  s'il  est  nécessaire,  avec  le  con- 
cours du  peuple.  26.  Aucun  évêque  ne  doit  réclamer  de  ses  clercs, 
ni  des  saints  lieux,  plus  que  le  droit  ne  le  lui  permet  ;  il  ne    doit 
pas  imposer  de   corvées   extraordinaires   (super posità).  27.  On  ne 
choisira  pour  abbés,  dans  les  csertobia,  ou,  comme  on  dit  mainte- 
nant, dans  les  monastères,  que  des  hommes  capables.   Ils  seront 
prêtres,   afin   de   pouvoir  remettre   les   péchés   aux  frères   placés 
sous  leur  juridiction.  28.  Les  évêques  ne  doivent  pas  permettre 
aux   moines   d'aller   de   côté   et   d'autre;  ils  les  renverront  chacun 
dans  son  monastère,  ou,  suivant  les  circonstances,  dans  un  monas- 
tère étranger.   27.    Une  femme  qui  a  pris  l'habit  religieux  ou  le 
voile  par  esprit  de  piété,  doit  ne  plus  se  marier;  son  devoir    est 
de  se  retirer  dans  un  monastère,  ou  de  garder  la  chasteté  chez  elle, 
et  l'habit  qu'elle  a  pris.   30.  On  ne  doit  ni  travailler  ni  vendre 
le  dimanche.    On    pourra    seulement    vendre    aux    voyageurs    la  [50] 


426.  COXCILES  A  INGELHEIM,  A  ROME  ET  A  MANTOUE     53 

nourriture  qui  leur  est  nécessaire.  31.  Il  est  permis  d'arrêter 
un  prisonnier  le  dimanche.  32.  Les  femmes  qui,quoique  innocentes, 
sont  mises  de  force  dans  un  monastère,  ne  sont  pas  tenues  d'y 
rester.  33.  Aucun  laïque  ne  doit  se  tenir  debout  dans  le  presby- 
terium,  pendant  la  célébration  des  saints  mystères.  34. Dans  toutes 
les  églises  épiscopales  ou  rurales,  et  partout  où  le  besoin  s'en  fera 
sentir,  il  y  aura  des  maîtres  qui  enseigneront  les  arts  libéraux  et 
les  vérités  de  la  foi.  35.  Quelques  personnes,  et  surtout  les  femmes, 
viennent  à  l'église,  les  dimanches  et  les  jours  de  fête,  non  dans 
de  bonnes  intentions,  mais  pour  se  faire  admirer  (à  la  sortie  de 
l'église),  par  des  danses  [ballare),  des  chants  et  des  chœurs  incon- 
venants et  imités  des  païens.  De  telles  personnes  rentrent  chez 
elles  la  conscience  chargée  de  fautes  plus  graves  que  quand  elles 
sont  sorties.  Aussi  les  prêtres  doivent-ils  exhorter  le  peuple  à 
ne  se  rendre,  ces  jours-là,  à  l'église  que  pour  y  prier.  36.  Nul  ne 
doit  abandonner  sa  femme  et  en  épouser  une  autre  ;  sauf  le  cas 
de  fornication,  si  un  homme  et  une  femme  veulent  observer  la 
continence  par  vertu,  ils  devront  obtenir  l'assentiment  de  l'évê- 
que.  37.  Nul  ne  doit  avoir,  outre  sa  femme,  une  concubine. 
38.  Défenses  contre  les  unions  incestueuses. 

Un  concile,  tenu  à  Mantoue  le  [6]  juin  827,  semble  avoir  vidé 
le  différend  déjà  ancien  entre  les  métropolitains  d'Aquilée  et 
de  Grado  1.  Deux  légats  du  pape  Eugène  II,  l'évêque  Benoît 
et  le  diacre  romain  et  bibliothécaire  Léon,  deux  ambassadeurs 
des  empereurs  Louis  et  Lothaire,  c'est-à-dire  le  presbyter  pala- 
tinus  Sichard  et  le  laïque  Théoto,  un  nombre  considérable  d'évê- 
ques  et  de  clercs  de  la  haute  Italie  assistèrent  à  cette  assemblée. 
Maxence,  patriarche  d'Aquilée,  rapporta  qu'à  l'époque  du  pape 
Benoît  Ier  (574-578),  à  cause  des  invasions  des  Lombards,  le 
patriarche  Paulin  avait  transféré  le  siège  patriarcal  d'Aquilée 
à  Grado  2;  après  la  mort  de  Sévérus,  on  avait  choisi,  pour  Aquilée, 


1.  Hardouin,  Concilia,  t.  iv,  index;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  657-666;  De 
Rubeis,  Schism.  eccles.  Aquileij.,  1732,  p.  222-240;  Monum.  Eccles.  Aquileij.,  1740, 
p.  414-426;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  493-502;  Scisma  tre  capit., 
1770,  p.  306-109;  B.  Simson,  op.  cit.,  t.  i,  p.  281;  Bôhmer-Mûhlbaeher,  Regesla 
imperii,  t.  i,  p.  814,1164  ;  W,  Meyer,  Die  Spaltung  des  Palriarchats  Àquileja, 
dans  Abhandlungen  der  Gôttinger  Gesellschaft  der  Wissenschaflen.  Hist.-phil. 
Klasse,  Berlin,  1898,  p.  16  ;  A.  Verminghofï,  Verzeichnis  dans  Neues  Archiv, 
1899:  t.   xxiv.  p.  487.  (H.  L.) 

2.  Le  titre  de  «  patriarche  »  ne  fut  pris  que  plus  tard  par  les    évèques  d'Aqui- 


54  LIVRE     XXI 

un  certain  Jean,  et  pour  Grado,  l'hérétique  Candidien.  En  même 
temps,  les  Grecs,  maîtres  de  l'Istrie,  forcèrent  plusieurs  évêques 
à  entrer  en  communion  avec  le  schismatique  Candidien,  tandis 
que  le  siège  d'Aquilée  resta  sous  la  domination  lombarde.  [û±] 

Le  concile  de  Mantoue  accueillit  cet  exposé  avec  bienveillance, 
sans  remarquer  qu'il  dénaturait  gravement  l'histoire  ;  car  Can- 
didien avait  été,  en  réalité,  l'évêque  légitime  et  orthodoxe  d'A- 
quilée-Grado,  tandis  que  Jean  était  un  évêque  schismatique, 
partisan  du  schisme  occasionné  dans  la  Haute-Italie  par  la 
querelle  des  Trois  Chapitres.  On  parut  ne  songer  à  rien  de  sem- 
blable et  on  se  souvint  uniquement  que  Grado  était  autrefois 
une  église  dépendante  de  l'évêché  d'Aquilée.  Comme  d'ailleurs, 
plusieurs  nobles  de  l'Istrie  assistaient  au  concile  et  demandaient 
la  restitution  au  siège  d'Aquilée  de  ses  anciens  droits,  on  dé- 
clara que  :  «  La  métropole  d'Aquilée  ayant  été  partagée  con- 
trairement aux  décisions  des  Pères,  il  y  a  lieu  de  lui  rendre 
son  ancienne  dignité.  Par  conséquent  Maxence  et  ses  succes- 
seurs jouiront  du  droit  d'ordonner  des  évêques  en  Istrie  et 
dans  les  autres  parties  de  leur  diocèse  (province).  » 

Les  fondés  de  pouvoir  de  l'empereur  invitèrent  l'évêque  de 
Grado  à  se  rendre  au  concile,  pour  y  faire  valoir  ses  droits.  Il  se 
fit  représenter  par  l'économe  de  son  Eglise,  le  diacre  Tibérius  ; 
mais  les  documents  qu'il  présenta,  ou  ne  méritaient  pas  de  créance, 
ou  ne  prouvaient  pas  en  faveur  de  Grado,  les  évêques  de  ce  siège 
s'y  trouvant  mentionnés  partout  sous  le  titre  d'Aquilée.  On  sait 
cependant  par  un  diplôme  de  l'empereur  Louis  II,  que  cette  der- 
nière circonstance  donna  lieu  à  la  réunion  de  plusieurs  conciles, 
sur  lesquels  nous  n'avons  pas  d'autres  données  1. 


427.  Conciles  réformateurs  francs  tenus  en  828  et  829. 
Documents  qui  s'y  rattachent.  Introduction. 

Les  conciles  tenus  en  828  et  829  ont  une  grande  importance 
pour  l'histoire  de  l'empire  franc,  et  en  particulier  pour  l'histoire 
synodale  de  ce  pays  ;   mais  ordinairement  on  ne  distingue  pas, 

lée,  et  lorsque  la  séparation  d'Aquilée  et  de  Grado  fut  un  fait  accompli.  [Cf.  Dic- 
tionn.  d'archéol.  chrét.,  t.  i,  au  mot  Aquilée.  (H.  L.)  ] 
1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  527. 


427.     CONCILES    RÉFORMATEURS     FRANCS  55 

avec  une  suffisante  précision,  les  événements  qui  se  rattachent 
à  ces  conciles,  ou  du  moins  on  ne  les  dispose  pas  dans  l'ordre 
historique.  Pour  voir  les  choses  sous  leur  véritable  point  de  vue, 
[52]  il  faut  commencer  par  lire  la  lettre  que  le  concile  de  Paris,  tenu 
en  juin  829,  adressait  aux  empereurs  Louis  et  Lothaire  1  ;  elle  est 
ainsi  conçue  :  «  L'empereur  a  justement  reconnu  que  les  nom- 
breux malheurs  qui,  de  l'intérieur  comme  de  l'extérieur,  ont 
fondu  sur  l'empire,  étaient  un  châtiment  mérité.  Aussi,  l'année 
dernière  (828),  a-t-il  engagé,  par  écrit,  tous  les  évêques  à  pres- 
crire un  jeûne  général  de  trois  jours,  à  l'issue  duquel  tout  chrétien 
devra  se  confesser  et  faire  pénitence.  L'empereur  a  ajouté,  dans 
ce  même  édit  solennel,  que  si  Dieu  accordait  quelque  répit  à 
l'empire,  il  réunirait  un  placitum  générale,  en  vue  d'introduire  les 
réformes  utiles,  à  commencer  par  lui-même  et  ses  fonctions,  et 
d'examiner  ce  qui  déplaisait  à  Dieu  dans  chaque  état  et  devait 
être  amélioré.  Malheureusement,  les  invasions  ennemies  ayant  fait 
obstacle  à  la  réalisation  de  ce  projet,  l'empereur  avait,  l'hiver  der- 
nier, tenu  un  placitum  cum  quibusdam  fidelibus,  pour  étudier  la 
volonté  de  Dieu  et  s'occuper  du  bien  de  l'Eglise.  Il  avait  rédigé 
dans  des  capitulaires,  ce  qui  lui  avait  semblé  réaliser  une  prompte 
amélioration,  et  avait  envoyé  des  légats  pour  punir  les  délinquants 
conformément  à  ces  capitulaires,  qu'ils  porteraient  à  la  connais- 
sance des  bons.  Il  avait  décidé  en  même  temps  la  réunion,  à  la 
même  époque,  de  conciles  sur  quatre  points  de  l'empire,  »  etc. 

Le  concile  de  Paris  ayant  écrit  cette  lettre  vers  le  milieu  de 
l'année  829,  il  en  résulte  a)  qu'à  la  suite  des  tristes  événements 
qui  vont  de  823  à  828,  et  après  que  des  vassaux  rebelles,  alliés 
aux  Maures,  se  furent  emparés  de  presque  toute  la  Marche  espa- 
gnole, tandis  qu'à  l'est  les  Bulgares  se  signalaient  par  de  terribles 
invasions,  l'empereur  Louis  le  Débonnaire,  au  commencement  de 
828,  engagea  les  évêques  à  prescrire  un  jeûne  de  trois  jours,  etc.,  et 
annonça  en  même  temps  un  placitum  générale.  Il  publia  proba- 
blement cette  ordonnance  en  février  828,  à  Aix-la-Chapelle,  dans 
ce   conventus  dont  parle  Einhard  dans  ses  Annales. 

h)  Mais  de  nouvelles  invasions  des  Normands  et  des  Bulgares, 
survenues  vers  le  milieu  de  828,  ayant  rendu  impossible  la  réunion 

1.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  n,  col.  477  ;  Coït,  regia,  t.  xxi,  col.  152;  Labbe, 
Concilia,  t.  vu,  col.  1592-1699  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1289  ;  Coleti, 
Concilia,  t.  ix,  col.  704  ;  Bouquet,  Rec.  hist.  de  la  France,  t.  vi,  col.  345-347; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  529.  (H.  L.) 


56  LIVRE     XXI 

de  ce  placitum  général,  l'empereur  en  convoqua  un  autre  moins 
important  (cum  quibusdam  fidelibus)  à  Aix-la-Chapelle  pendant 
l'hiver  de  828-829.  Nous  savons  par  Einhard  qu'à  la  Saint-Martin 
de  828,  Louis  le  Débonnaire  se  rendit  clans  cette  ville  où  il  passa 
tout   l'hiver. 

Ce  point  établi,  examinons  maintenant  toute  une  série  de  docu- 
ments de  cette  même  année  828.  En  tête  se  trouvent  deux  lettres 
de  l'empereur,  commençant  toutes  les  deux  par  les  mots  :  Recor- 
dari  vos  1.  Binterim  prétend  2  que  la  plus  courte  appartient  au 
conventus  d'Aix-la-Chapelle  (février  828),  et  la  plus  longue  au  [53] 
placitum  cum  quibusdam  fidelibus,  hiver  de  828-829.  Binterim  est 
dans  l'erreur;  la  première  partie  de  ces  deux  lettres  est  identi- 
que :  «  Vous  vous  souviendrez,  j'en  suis  persuadé,  que,  sur  le 
conseil  des  évoques  et  d'autres  fidèles,  nous  avons  demandé  pour 
cette  année  la  prescription  d'un  jeûne  général,  afin  que  Dieu 
nous  soit  favorable,  nous  fasse  connaître  en  quoi  nous  l'avons  plus 
particulièrement  offensé,  et  nous  accorde  des  jours  tranquilles  pour 
notre  amendement.  Notre  désir  était  de  réunir  au  moment  oppor- 
tun un  placitum  générale,  et  d'y  traiter  les  conditions  d'une  entière 
réforme;  mais,  comme  vous  le  savez,  les  invasions  des  ennemis 
nous  ont  empêché  de  réaliser  ce  projet.  Aussi  avons-nous  jugé  à 
propos  de  réunir  ce  présent  placitum  cum  aliquibus  ex  fidelibus 
nostris;  le  moment  est  venu  de  vous  en  faire  connaître  les  déci- 
sions et,  tout  d'abord,  que  les  archevêques  se  réunissent  en  temps 
voulu  avec  leurs  sufîragants  dans  les  endroits  les  plus  propices  pour 
y  délibérer  sur  les  réformes  les  plus  opportunes,  à  notre  sujet 
comme  au  sujet  de  tous;  ils  nous  feront  ensuite  connaître  le  résul- 
tat de  leurs  délibérations.  »  —  Jusqu'ici  les  deux  lettres  soûl: 
identiques;  il  en  résulte  qu'aucune  ne  peut  remonter  au  mois 
de  février  828  ;  toutes  deux  ont  été  écrites  après  l'époque  où 
aurait   dû    se   tenir   le   placitum    générale,    c'est-à-dire   après   l'été 

1.  Elles  se  trouvent  dans  Pertz,  Leges,  t.  r,  p.  32!)  ;  de  plus  la  plus  courte  est 
dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  Appendix,  col.  441  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1280; 
Hartzheim,  Conr.  Germ.,  t.  n,  col.  44  ;  la  plus  longue,  dans  Mansi.  op.  cil^  i.  xiv, 
col.  529,  et  t.  xv,  Appendix.,  col.  444;  Hardouin,  op.  cit.,  col.  1289;  Hartzheim, 
Conc.  Germ.,  t.  n,  col.  52.  Damberger,  op.  cit.,  I.  m,  p.  152,  semble  vouloir  pla- 
cer cette  lettre  en  janvier  829;  mais  les  mots  du  commencement  :  «  en  cette  année», 
ont  trait  à  l'année  828. [A.  Verminghoff,  dans  Neues  Archiv,  1899,  t.  xxiv,  p.  487- 
488.  (H.  L.)] 

2.  Binterim,  Deutsche  Conciliai,  t.  n,  p.  374,  380. 


i27-     CONCILES    RÉFORMATEURS    FRANCS  57 

de  828;  elles  appartiennent  évidemment  au  placitum  cum  quibus- 
dain  fidelibus  de  l'hiver  de  828-829.  Il  serait  bien  surprenant 
que  l'édit  impérial  de  décembre  828  fût,  pour  une  si  large  part, 
identique  à  celui  de  février  de  la  même  année. 

Passons  maintenant  aux  passages  qui  diffèrent  dans  les  deux 
rescrits  impériaux  ;  le  plus  court  s'exprime  comme  il  suit  :  «  Nous 
avons  résolu  d'envoyer  dans  tout  l'empire  des  missi,  qui  améliore- 
ront aulant  qu'il  est  en  eux  tout  ce  qui  laissera  à  désirer,  et  s'ils  ne 
peuvent  exécuter  eux-mêmes  toutes  les  améliorations  nécessaires, 
[54]  ils  porteront  les  abus  à  notre  connaissance.  Vous  tous,  devez  leur 
obéir  et  les  soutenir.  De  plus,  nous  tiendrons  toutes  les  semaines 
dans  notre  palais,  à  jour  fixe,  une  audience  publique  pour  nous 
faire  rendre  compte  du  zèle  des  missi  et  de  l'obéissance  du  peuple 
envers  eux.  Afin  d'aboutir  à  un  heureux  résultat,  nous  prescrivons 
un  jeûne  général  de  trois  jours  à  partir  du  lundi  après  l'octave 
de  la  Pentecôte.  Les  ennemis  menaçant  l'empire  de  tous  côtés, 
tous  les  hommes  tenus  au  service  militaire  tiendront  prêts  chevaux, 
armes,  habits,  chars  et  vivres,  afin  de  répondre  immédiatement 
à  notre  appel  et  se  rendre  sur  le  point  menacé.  » 

La  date  du  jeûne  ici  prescrit  concorde  parfaitement  avec 
celle  de  la  célébration  des  conciles  indiqués  par  l'empereur 
comme    nous  le  verrons. 

Quoique    plus    longue,    la    seconde    lettre    contient    cependant 
moins  de  renseignements  que  la  première.  Après    avoir    prescrit 
la  célébration    des    conciles,    la  missive  impériale  développe  uni- 
quement cette  pensée,   que  les  malheurs  des  années  précédentes 
étaient   une  juste  punition  de   Dieu  ;  pour  ce  motif,  l'empereur 
désirait    apaiser   le    Seigneur   et   lui   donner   satisfaction.    «  Dans 
ce  but,  disait  l'empereur,  nous  décidons  et  arrêtons,  sur  le  conseil 
des   évêques   et   autres   fidèles,  la   tenue   de   conciles   dans   quatre 
villes  de  notre  empire.  A  Mayence  se  réuniront  les  archevêques 
Otgar  de  Mayence,   Hadabald  de  Cologne,   Héthi    de    Trêves  et 
Bernuin  de  Besançon,  avec  leurs  suffragants  ;  à  Paris,  le  futur 
archevêque  (Aldrich)  de  Sens  et  les  archevêques  Ebbon  de  Reims 
Ragnoard  de  Rouen  et  Landram  de  Tours,  avec  leurs  suffragants 
à  Lyon,  les  archevêques  Agobard  (de  Lyon),  Bernard  de  Vienne 
André  de  Tarentaise,  Benoît  d'Aix  et  Agéric  d'Embrun,  avec  leurs 
suffragants;  à  Toulouse,  les  archevêques  Nothon  d'Arles,  Barthé- 
lémy de  Narbonne,  Adalelm  de  Bordeaux  et  Agilulf  de    Bourges, 
avec  leurs  suffragants.  Ils   discuteront   les   réformes   à   introduire 


58 


LIVRE     XXI 


dans  la  vie  des  laïques  et  dans  celle  des  clercs,  et  les  causes  qui 
ont  entraîné  les  uns  et  les  autres  hors  de  la  voie  droite.  Ils  garde- 
ront le  secret  sur  leurs  délibérations  qu'ils  ne  feront  connaître  à 
personne  avant  le  moment  voulu.  Un  notaire  assermenté  remplira 
sa  fonction  auprès  de  ces  évêques  et  consignera  le  résultat  de  leurs 
délibérations. 

La  comparaison  de  ces  deux  rescrits  montre  qu'ils  appartiennent 
tous  deux  aux  placitum  peu  nombreux  de  l'hiver  828-829  ;  et  que  le  [55J 
plus  court  était  destiné  aux  laïques  tandis  que  le  plus  long  s'a- 
dressait aux  évêques.  Aussi  le  premier  ne  fait-il  pas  mention  des 
audiences  publiques  que  tiendra  l'empereur  et  n'engage-t-il  pas  à 
soutenir  les  missi.  Par  contre,  la  lettre  aux  évêques  développe  le 
point  de  vue  surnaturel  que  les  malheurs  passés  étaient  une  juste 
punition  de  Dieu,  et  elle  donne,  sur  la  tenue  des  futurs  conciles, 
des  détails  omis  dans  le  rescrit  aux  laïques. 

,  Les  autres  documents  ayant  trait  au  conventus  de  l'hiver  828- 
829  sont  : 

1.  La  relatio  des  oratores  ad  imperatorem,  contenant  les  plans  de 
réforme  présentés  par  les  prélats  et  les  grands  1,  que  l'empereur 
avait  convoqués  à  ces  délibérations,  a)  On  tiendra  tous  les  ans  des 
conciles  provinciaux,  auxquels  assisteront  tant  les  abbés  des  mai- 
sons canoniales  que  ceux  des  monastères.  Autant  que  possible  les 
comités  impériaux  et  les  missi  y  assisteront  également,  b)  A  parties 
cas  de  nécessité,  on  ne  baptisera  qu'aux  époques  déterminées  pour 
l'administration  du  baptême,  c)  Presque  tous  ont  jusqu'ici  négligé 
la  communion  fréquente,  d)  Les  prêtres,  médiateurs  entre  Dieu 
et  les  hommes,  doivent  être  plus  honorés  qu'ils  ne  le  sont  ;  on 
ne  les  emploiera  pas  pour  divers  états,  car  il  en  résulte  que  des 
enfants  meurent  sans  baptême  et  des  adultes  sans  confession. 
e)  L'empereur  doit  mettre  à  exécution  son  ancien  décret  portant 
que  les  églises  sont  affranchies  de  tout  census.  f)  Lorsque  ceux 
qui  ont  commis  des  fautes  capitales  ne  veulent  pas  se  soumettre 
à  la  pénitence  publique,  les  comtes  prêteront  secours  aux  évêques. 
g)  Dans  toutes  les  provinces  on  aura  des  mesures  égales  et  sans 
aucune  fraude,  h)  L'empereur  devra  surtout  prêter  secours  pour 
soutenir  les  droits  des  pauvres  et  des  églises,  i)  On  laissera  aux 
métropolitains  le  soin  de  faire  exécuter  partout  le  décret  de  l'empe- 
reur relatif  à  la  vie  canoniale. 

1.  Les  membres  de  l'assemblée  tenue  à  Paris  en  825  s'appellent  aussi  oratores. 


'i27.    CONCILES     RÉFORMATEURS    FRANCS  59 

2.  La  Constitutio  de  conventions  archiepiscoporum  reproduit 
mot  pour  mot  la  dernière  partie  du  grand  rescrit  impérial,  et 
l'ordonnance  concernant  les  quatre  conciles  ;  elle  y  ajoute  seu- 
lement que  ces  conciles  s'ouvriront  dans  l'octave  de  la  Pente- 
côte; quant  aux  missi  impériaux,  ils  commenceront  leurs  tour- 
nées dans  l'octave  de  Pâques. 

3.  Le  troisième  document  énumère  les  points  sur  lesquels  l'em- 
pereur désirait  être  particulièrement  renseigné  par  les  fidèles 
qu'il  a  appelés  à  délibérer.  Ces  points  concernent  les  dîmes  dues  ad 
capellas  dominicas,  divers  désordres  signalés  dans  des  monastères 

[56]     de  femmes,  les    épreuves    par  l'eau   froide,    l'usure    et   le   service 
militaire. 

4.  La  Constitutio  de  missis  ablegandis  détermine  ce  que  les 
missi  ont  le  droit  d'exiger  pour  leur  nourriture,  etc.,  et  leur 
prescrit  de  commencer  leurs  tournées  huit  jours  après  Pâques. 

5.  Instruction  donnée  aux  missi. 

6.  Continuation  de  cette  instruction  sous  forme  de  capitula 
impériaux  quse  volumus  ut  diligenter  inquirant  (missi).  Ces  capitula 
concernent  les  devoirs  des  évêques  et  des  comités,  ils  font  connaître 
les  personnes  que  les  missi  ne  peuvent  juger  et  qui  ne  peuvent 
l'être  qu'en  placitum  générale. 

7.  Cette  énumération  est  donnée  dans  le  dernier  et  court  docu- 
ment :  Hœc  sunt  capitula,  etc.  1. 

C'est  dans  ce  conventus  de  l'hiver  de  828-829  que  Wala,  abbé 
de  Corbie  et  parent  de  l'empereur,  tint,  au  rapport  de  son 
biographe  Paschase  Radbert,  un  langage  si  énergique  2.  Il  avait 
noté  par  écrit  tous  les  abus  qu'il  avait  constatés  dans  l'empire  ; 

1.  Pertz,  Leges,  1. 1,  p.  326  sq.  ;  moins  complets  et  mieux  coordonnés  dans  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xv,  Appendix,  col.  441  sq.  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1279  sq.  ; 
Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  u,  p.  43  sq. 

2.  Vita  Walse,  dans  Pertz,  Monum.,  t.  n,  p.  547  ;  Mabillon,  Annales  Ord. 
Bened.,  sœc.  iv,  part.  1,  p.  467;  P.  L.,  t.  cxx,  col.  1609  sq.  Adalhard  et  Wala 
étaient  fds  du  comte  Bernard,  fils  naturel  de  Charles  Martel.  Adalhard  fut  moi- 
ne et  abbé  de  Corbie  et  Wala  devint  comte  ;  ils  furent  l'un  et  l'autre  tenus  en 
grande  considération  par  Charlemagne.  Disgracié  sous  le  Louis  le  Débonnaire, 
Wala  entra,  lui  aussi,  dans  un  monastère,  et,  en  826,  succéda  à  son  frère  comme 
abbé  de  Corbie.  Plus  tard,  il  fit  cause  commune  avec  les  fds  de  Louis  le  Débon- 
naire et  ce  prince  le  condamna  à  un  exil  de  plusieurs  années.  Toutefois,  il  lui 
rendit  ensuite  ses  bonnes  grâces.  Paschase  Radbert,  l'ami  de  Wala  et  son  succes- 
seur dans  la  charge  d'abbé  de  Corbie,  défendit  son  prédécesseur  en  écrivant  sa 
biographie  sous  ce  titre  Epitaphium  Arsenii  (c'était  le  nom  que  Wala  avait, 
pris) . 


60  LIVRE    XXI 

il  ne  craignit  pas  de  lire  son  mémoire  clans  le  placitum  et  de 
rappeler  aux  évêques  et  aux  grands  les  devoirs  de  leur  état  ;  il 
osa  même  adresser  des  reproches  à  l'empereur,  l'accusant  d'em- 
piéter sur  les  affaires  de  l'Église,  d'employer  pour  des  intérêts  [57] 
profanes  les  Liens  de  l'Eglise  et  de  donner  les  charges  ecclésiasti- 
ques à  d'indignes  flatteurs.  Aux  évêques,  il  déclara  qu'ils 
s'occupaient  trop  des  affaires  du  monde,  qu'ils  négligeaient  les 
devoirs  de  la  charge  pastorale  et  s'inquiétaient  trop  peu  des 
âmes.  Mais  ce  furent  surtout  les  chapelains  de  la  cour  qui  fu- 
rent l'objet  de  ses  critiques  ;  Wala  leur  représenta  qu'ils  ne 
vivaient  ni  en  moines  ni  en  chanoines,  qu'ils  menaient  une  vie 
purement  laïque  et  n'aspiraient  qu'aux  riches  prélatures.  Ces 
paroles  produisirent  une  vive  impression  sur  l'assemblée;  Louis  le 
Débonnaire  écouta  l'orateur  avec  patience  et  avoua  que  Wala 
avait  dit  malheureusement  la  vérité.  — Binterim  a  raison  de  dire 
que  ce  discours  de  Wala  prouvait  la  nécessité  d'une  réforme  des 
clercs  ;  mais  il  s'abuse  en  soutenant  que  les  évêques  n'en  voulurent 
pas  et  que,  pour  gagner  du  temps  et  traîner  l'affaire  en  longueur, 
ils  conseillèrent  la  réunion  d'un  concile.  A  mon  avis,  ce  conseil 
indiquait  le  vrai  moyen  de  faire  aboutir  la  réforme. 


428.  Conciles  réformateurs  de  Mayence  et  de  Paris  en  juin  829. 

Des  quatre  conciles  ordonnés  par  Louis  le  Débonnaire,  nous 
ne  possédons  aucun  document  relatif  à  ceux  de  Lyon  et  de 
Toulouse,  et  nous  n'avons  que  quelques  données  sur  celui  de 
Mayence1,  célébré  en  juin  829  dans  le  monastère  de  Saint- Alban, 
sous  la  présidence  d'Otgar,  archevêque  de  Mayence.  Les  arche- 
vêques de  Cologne,  Trêves,  Besançon  et  Salzbourg  y  assistèrent 
avec  leurs  suffragants,  les  chorévêques  et  abbés  (parmi  lesquels 
on  comptait  Rhaban  de  Fulda  et  Sindold  d'Elwangen).  Nous 
verrons  (au  §  443)  que  le  célèbre  moine  Gotescalc  porta  des 
accusations    contre   son   abbé    Rhaban. 

En  revanche  nous. possédons  des  renseignements  très  complets 
sur  le  concile    réformateur  de  Paris  tenu  également   en   juin  829 

1.   Dùmmler,  Episl.  Fuldenses,  epist.    xxvn  ;    A.    Verminghoff,    dans  Neucs 
Archiv,  1899,  t.  xxiv,  p.  487. 


i28-     CONCILES    DE    MAYENCE     ET     DE     TARIS  61 

dans  l'église  Saint-Etienne  1.  Ses. actes  très  volumineux  sont  conte- 
nus dans  trois  livres.  En  tête  des  actes  se  trouve  la  plus  longue 
des  deux  missives  impériales,  commençant  par  Recordari,  et  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut.  Puis  vient  la  Prsefatio  du  concile  : 
«  Même  charges  de  lourds  péchés,  nous  ne  devons  pas  désespé- 
[obj  rerj  car  Dieu  est  miséricordieux  pour  celui  qui  fait  pénitence. 
Nous  devons  supporter  avec  patience  les  peines  dont  il  châtie 
nos  fautes.  Comme  l'Eglise  (ce  mot  désigne  ici  les  chrétiens  de 
l'empire  franc),  dont  Jésus-Christ  a  confié  à  ses  pieux  serviteurs 
Louis  et  Lothaire  la  direction  et  le  soutien,  est  affligée  de  divers 
maux  et  frappée  de  divers  malheurs,  elle  a  dû  comprendre  que  le 
glaive  du  Seigneur  la  frappait  suivant  la  justice  au  dedans  et  au 
dehors.  Les  empereurs  inspirés  de  Dieu  ont,  à  l'exemple  des 
Ninivites,  jugé  nécessaire  une  pénitence  publique.  Reconnais- 
sant toutefois  qu'une  pareille  affaire  n'était  pas  de  leur  ressort, 
ils  l'ont,  sur  le  conseil  des  évêques,  des  grands  et  des  autres  fidèles, 
remise  entre  les  mains  des  clercs,  qui  ont  reçu  le  pouvoir  de  lier 
et  de  délier,  et  qui  sont  les  vicarii  des  apôtres.  En  cela,  ils  ont  eu 
pleinement  raison.  Ils  ont  donc  ordonné  la  réunion  de  conciles 
dans  quatre  villes  de  l'empire,  afin  d'examiner  en  quoi  les  princes 
et  le  peuple,  le  clergé  et  les  laïques  ont  contrevenu  à  la  volonté  de 
Dieu.  Conformément  à  ces  prescriptions  impériales,  et  pour  tra- 
vailler à  leur  propre  salut  comme  aussi  pour  veiller  au  salut  des 
peuples  qui  leur  sont  confiés,  les  évêques  des  diocèses  (métropoles) 
de  Reims  (Durocoritorum),  de  Sens,  de  Tours  et  de  Rouen  se  sont 
réunis  le  6  juin  829  dans  la  ville  de  Paris  et  ont  publié  les  cha- 
pitres suivants  : 

1.  Le  chrétien  doit  avoir  la  vraie  foi  et  y  conformer  sa  vie. 
Enumération  des  fondements  de  la  foi  et  des  principales  vertus. 
Sans  ces  vertus,  nul  ne  peut  gagner  le  ciel,  car  la  foi  sans  les  œuvres 
est  une  foi  morte.   Celui-là  doit  être  puni  particulièrement  qui, 

1.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  u,  col.  477;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  152;  Labbe, 
Concilia,  t.  vu,  col.  1592-1699;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  iv,  col.  1289-1360; 
Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  704  ;  Bouquet,  Rec.  des  hist.  de  la  France,  t.  vi, 
col.  345-347;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  855;  Conc.ampliss.  coll.,  t.  xiv, 
col.  529-604.  R.  de  Lasteyrie,  Cartulaire  de  Paris,  dans  Histoire  générale  de 
Paris,  1887,  (.  i,  p.  \'l  ;  B.  Siinson,  Jahrbiïcher  des  frànkischen  Reichs  unter 
Ludwig  dem  Frommen,  in-8,  Leipzig,  1874,  t.  i,  p.  315;  E.  Dùmmlcr,  Geschichte 
des  ostjrànkischen  Reiches,  2P  odit.  1887,  L.  i.  p.  48  :  A.  Verminghoff,  Verzei- 
chnis der  Akten  frànkischer  Synoden  von  /  Î2-843  dans  Xeues  Archiv,  1899,  t.  xxiv, 
p.  488.   (H.  L.)] 


62 


LIVRE     XXI 


au  lieu  de  rehausser  sa  foi  par  ses  œuvres,  la  ternit  et  la  souille 
par  diverses  fautes.  On  compte  surtout  quatre  vices  spirituels  : 
l'orgueil,  l'envie,  la  haine  et  la  discorde  qui,  de  nos  jours,  dépa- 
rent la  foi  ;  ils  sont  d'autant  plus  dangereux  qu'ils  sont  cachés 
et  que  ceux  qui  en  sont  atteints  ignorent  ordinairement  leur  état. 

2.  L'Eglise  forme  un  seul  corps  dont  le  Christ  est  la  tête.  Le 
pécheur  se  sépare  de  ce  corps  et  s'unit  au  corps  de  Satan  ;  il  ne  doit 
pas  différer  de  revenir  en  arrière,  tant  qu'il  lui  reste  le  temps  de 
la  pénitence. 

3.  Le  corps  de  l'Eglise  comprend  deux  genres  de  personnes 
particulièrement  qualifiées,  à  savoir,  les  prêtres  et  les  princes. 
Parlons  d'abord  des  prêtres,  puis  nous  nous  occuperons  des  princes. 

4.  Avant  tout,  les  clercs  doivent  observer  ce  qu'ils  enseignent, 
s'amender  eux-mêmes  avant  de  réprimander  les  autres  et  devancer    [59] 
tout  le  monde   par   leurs   bons   exemples  1.    Preuves   patristiques 

à  l'appui  de   ce  canon. 

5.  Chacun  de  nous  (prêtres,  évêques)  doit  conduire  et  exhorter 
ses  ouailles  par  la  parole  et  le  bon  exemple  afin  de  les  ramener 
à  Dieu  sans  réserve,  de  tirer  d'eux  une  satisfaction  convenable 
et  de  leur  obtenir  par  leurs  propres  aumônes  la  faveur  divine. 
Les  fidèles  prieront  pour  le  pieux  empereur  Louis,  pour  sa  femme 
et  ses  enfants,  et  pour  le  royaume.  Un  prêtre  dont  la  conduite 
est  irréprochable,  mais  qui  ne  punit  pas  et  ne  réprimande  pas  les 
pécheurs,  se  perd  avec  eux. 

6.  Autrefois,  on  ne  donnait  le  baptême  qu'aux  catéchumènes 
déjà  instruits  dans  la  foi.  Aujourd'hui,  depuis  que  tous  les  parents 
sont  chrétiens,  on  agit  autrement;  mais  c'est  une  grave  négli- 
gence de  ne  pas  instruire  suffisamment  ceux  qui  ont  été  baptisés 
pendant  leur  première  enfance. 

7.  Sauf  les  cas  de  nécessité,  on  ne  doit  baptiser  qu'à  Pâques 
et  à  la  Pentecôte  ;  les  parrains  doivent  être  eux-mêmes  suffisam- 
ment instruits  pour  instruire  plus  tard  leurs  filleuls.  (Passage 
de  saint  Augustin  sur  les  devoirs  des  parrains.) 

1.  Lorsque  Luden,  Gesch.  d.  deustch.  Volk.,  t.  v,  p.  316,  dit  :«  L'empereur  ne 
reçut  (de  ces  quatre  conciles)  que  des  conseils  dont  il  n'avait  que  faire  et  on  lui 
demandait  à  lui  seul  de  s'amender  au  sujet  des  fautes  qu'il  n'avait  pas  été  seul 
à  commettre,  etc.,  »  on  voit  l'esprit  agressif  et  injuste.  L'empereur  demandait 
des  conseils;  mais  les  évêques  ne  se  bornèrent  pas  à  émettre  des  plans  de  réforme 
pour  l'empereur,  ils  en  firent  pour  eux-mêmes  et  pour  tout  le  clergé,  ainsi  que 
le  prouvent    un    grand  nombre  de  capitula  de  rassemblée  de  Paris. 


427.     CONCILES     DE    MAYENCE    ET     DE    PARIS  63 

8.  On  ne  doit  admettre  à  la  cléricature,  ni  ceux  qui  ont  été 
baptisés  dans  leur  lit  ],  ni  ceux  qui  pour  recevoir  le  baptême  ont 
employé  des  moyens  défendus  (qui  per  cupiditatem  aut  per  teme- 
ritatem,  contempla  canonica  auctoritate,  baptizantur). 

9.  Le  baptisé  fait  un  double  contrat  :  1°  il  renonce  au  démon  et 
à  ses  œuvres;  2°  il  professe  sa  foi  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint- 
Esprit.  Beaucoup  violent  totalement  ce  double  contrat,  et  beau- 
coup le  violent  en  partie  ;  totalement,  par  l'incrédulité,  l'hérésie, 
le  schisme,  etc.  ;  en  partie,  par  l'orgueil,  l'envie,  etc.  Il  est  fort 
déplorable  que  beaucoup  de  fidèles  baptisés  en  bas  âge  n'appren- 
nent pas,  soit  par  leur  faute,  soit  par  la  négligence  des  prêtres, 
ce  qu'est  le  baptême. 

10.  Les  clercs  mettront  désormais   plus  de  soin  à  enseigner  la 
[60]    signification    du    baptême  ;    de    leur    côté    les    laïques    mettront 

plus   de   soin   à   s'en  instruire.    Explication   du   sens    des   mots  : 
renoncer  à  Satan  et  à  ses  œuvres. 

11.  La  simonie,  devenue  trop  commune  de  nos  jours,  doit  être 
entièrement  extirpée.  L'autorité  et  la  force  impériales  doivent 
en  purger  l'Eglise  romaine,  car  si  la  tête  est  malade,  les  membres 
le  sont  également. 

12.  Le  «  Pastoral  »  de  saint  Grégoire  le  Grand,  et  d'autres  ou- 
vrages, enseignent  comment  on  doit  entrer  dans  la  cléricature, 
comment  on  doit  y  vivre  et  y  travailler  ;  mais  beaucoup  mécon- 
naissent ces  enseignements.  Il  doit  en  être  autrement.  (Citations 
de  passages  de  la  Bible  et  des  Pères  sur  les  devoirs  des  clercs.) 

13-14.  Les  évêques  doivent  principalement  s'appliquer  à  éviter 
l'avarice  et  à  exercer  l'hospitalité. 

15.  Ils  ne  doivent  pas  employer  suivant  leurs  caprices  le  bien 
des  églises  comme  ils  feraient  de  leurs  propriétés  privées.  (Cita- 
tions d'anciens  canons  et  de  passages  des  Pères  sur  ce  point.) 

16.  Les  évêques  et  les  prêtres  ne  doivent  plus,  ainsi  que  cela 
est  trop  souvent  arrivé,  enrichir  leurs  parents  avec  ce  qu'ils  ont 
reçu  de  l'Église. 

17.  Sans  une  grande  nécessité  et  sans  l'assentiment  du  primat 
de  la  province,  aucun  évêque  ne  doit  aliéner  un  bien  d'église  ; 
malheureusement  il  arrive  souvent  que,  par  complaisance,  un 
évêque  échange  des  biens  d'église  de  plus  de  valeur  que  ceux 
qu'il  reçoit  en  retour. 

1.  Grabatarii,  cf.  Marc,  n,  4  ;  on  appelait  dans  la  primitive  Église  le  baptême 
donné  dans  ces  conditions  «  baptême  des  cliniques  »  (clinici).   (H.  L.) 


64  LIVRE     XXI 

18.  Les  biens  de  l'Église  n'appartiennent  pas  aux  clercs,  mais 
aux  pauvres.  Qu'on  ne  dise  donc  pas  avec  jalousie  :  «  Les  églises 
sont  trop  riches;  »  elles  ne  le  sont  pas  trop  si  leur  bien  est  employé 
conformément  à  sa  destination. 

19.  Saûl  est  le  type  des  mauvais  chefs,  David  est  au  contraire 
le  modèle  de  ceux  qui  sont  soumis  avec  respect.  La  faute  des 
supérieurs  n'autorise  pas  les  insultes  et  le  jugement  des  inférieurs. 
Un  évêque  coupable  encourt  une  double  responsabilité,  pour  lui 
d'abord  et  à  cause  de  ses  fautes,  et  pour  les  autres,  qu'il  induit 
à  dire  du  mal  de  lui,  par  conséquent  à  pécher.  La  coutume  de 
quelques  prélats,  malheureusement  trop  invétérée,  de  vivre  dans 
le  luxe,  etc.,  doit  être  abolie. 

20.  Conformément  aux  anciennes  prescriptions,  l'évêque  doit 
avoir  constamment  auprès  de  sa  personne,  même  dans  ses  appar- 
tements particuliers,  des  clercs  qui  soient  témoins  de  sa  conduite. 

21.  Les  évêques,  les  abbés  et  les  abbesses  n'auront  plus  d'entre- 
tiens particuliers  avec  les  laïques  qu'en  présence  de  clercs  (ou  de 
moines  ou  de  nonnes).  Les  évêques  exerceront  sur  les  monas-  [61] 
tères  de  leurs  diocèses  une  surveillance  beaucoup  plus  active 
que  celle  exercée  jusqu'ici.  Ils  ne  devront  pas,  ainsi  que  cela  a 
souvent  eu  lieu,   abandonner  leur  siège  par  esprit  de  lucre  pour 

se  rendre  dans  des  pays  éloignés. 

22.  Afin  de  couper  court  à  toutes  les  difficultés  provenant  du 
droit  de  présentation,  les  laïques  ne  doivent  présenter  aux  évêques 
que  des  clercs  capables,  et  les  évêques  ne  doivent  refuser  personne 
sans  faire  connaître  les  motifs  de  leur  refus. 

23.  Les  évêques  doivent  éviter  l'esprit  d'orgueil  et  l'esprit 
de  domination. 

24.  Ils  pourvoiront  aux  besoins  spirituels  et  temporels  de  leurs 
inférieurs. 

25.  Nous  avons  appris  de  source  certaine  que  les  serviteurs 
(c'est-à-dire  les  coopérateurs,  voyez  plus  loin  §  435)  de  quelques 
évêques  se  sont  montrés  pleins  d'avidité,  non  seulement  à  l'égard 
des  prêtres,  mais  aussi  à  l'égard  du  peuple.  Il  ne  doit  plus  en  être 
ainsi  à  l'avenir  et  les  évêques  puniront  leurs  serviteurs. 

26.  La  prescription  de  tenir  deux  synodes  provinciaux  tous 
les  ans  est  tombée  en  désuétude  :  elle  sera  remise  en  vigueur. 
Dans  tous  les  cas,  on  tiendra  annuellement  au  moins  un  synode 
dans  chaque  province.  Les  prêtres  et  les  diacres  y  assisteront  ainsi 
que  tous  ceux  qui  se  croient  lésés  et  veulent  faire   juger  leur  cas 


428.     CONCILES     DE     MAYENCE     ET      DE     PARIS  65 

par  le  concile.  L'évêque  y  amènera  des  savants  formés  pour  le  ser- 
vice du  Christ  et  l'honneur  de  l'Église  et  connus  des  autres  églises. 

27.  Les  évêques  sont  les  successeurs  des  apôtres;  les  choré- 
vêques  sont  les  successeurs  des  soixante-dix  disciples,  ainsi  qu'il 
résulte  des  Actes  des  apôtres  et  des  canons.  C'est  donc  à  tort  que 
quelques  chorévêques  donnent  la  confirmation  et  accomplissent 
d'autres  fonctions  réservées  aux  seuls  évêques.  Il  n'en  sera  plus 
ainsi  à  l'avenir.  (Rappel  des  canons  13e  de  Néocésarée,  et  10e 
d'Antioche  de  341.) 

28.  Clercs  et  moines  ne  s'occuperont  plus  d'affaires  mondaines 
ni   de  gain  pécuniaire.  (Citations  d'anciens  canons  sur  ce  point.) 

29.  Les  évêques  emploient  parfois  leurs  clercs  à  des  affaires 
ou  missions  mondaines,  en  sorte  que  quelques  églises  restent  un 
certain  temps  sans  prêtres  et  que  le  baptême  n'est  pas  administré. 
Il  n'en  sera  plus  ainsi  à  l'avenir.  Si  des  prêtres,  sans  ordre  de 
l'évêque,  quittent  leurs  églises  pour  leurs  plaisirs  ou  pour  gagner 
quelque  argent,  ils  doivent  être  sévèrement  punis. 

30.  Le  pieux  empereur  Louis  a  depuis  longtemps  ordonné 
aux  redores  ecclesiarutn  (les  évêques)  d'élever  dans  leurs  églises 
d'intelligents  défenseurs  du  Christ.  Quelques  évêques  se  sont  mon- 
trés très  négligents  sur  ce  point;  ils  feront,  à  l'avenir,  preuve  d'un 
plus  grand  zèle,  et,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  chaque 
évêque    doit    conduire    ses   «  scholastiques»   au  concile  provincial. 

31.  Dans  leurs  voyages,  les  évêques  ne  doivent  plus,  comme  par 
le  passé,  être  une  charge  pour  les  curés  ou  les  fidèles.  Quoique, 
d'après  l'ancien  droit,  le  quart  des  dîmes  et  des  offrandes  (de 
chaque  église  de  campagne)  revienne  aux  évêques,  ils  y  renon- 
ceront si  l'Eglise  a  des  revenus  suffisants.  Sinon,  ils  prendront 
non  le  quart,  mais  le  strict  nécessaire.  Le  reste  ira  à  l'Eglise  et 
aux  pauvres. 

32.  Plusieurs  prêtres  n'imposent  pas  à  leurs  pénitents  les  peines 
prescrites  par  les  canons,  mais  des  pénitences  moindres,  en  se 
servant  de  ce  qu'on  appelle  des  «  pénitentiels  ».  Chaque  évêque 
fera  rechercher  dans  son  diocèse  ces  petits  livres  et  les  fera  brûler; 
il  instruira  les  prêtres  ignorants,  leur  apprendra  comment  inter- 
roger sur  les  fautes  et  quelle  pénitence  imposer. 

33.  L'évêque  doit  être  à  jeun  pour  administrer  la  confirmation  ; 
de  même  pour  le  baptême,  sauf  le  cas  d'urgence.  Le  temps  régu- 
lièrement fixé  pour  la  confirmation,  comme  pour  le  baptême, 
est  Pâques  et  la  Pentecôte. 

conciles  —  IV   -  5 


(  G  LIVRE     XXI 

34.  Les  clercs  qui  ne  punissent  pas  les  péchés  contre  nature 
par  les  peines  prescrites  dans  les  canons  (c.  16e  d'Ancyre)  doivent 
être  mieux  instruits.  On  les  obligera  à  se  défaire  de  leurs  livres 
pénitentiels  (codices  psenitentiales).   (Voir  c.  32.) 

35.  Chaque  évêque  doit  soumettre  à  une  pénitence  et  chercher 
à  corriger,  conformément  au  canon  1er  de  Néocésarée,  les  prêtres 
et  clercs  de  sa  paroisse  qu'il  sait  avoir  été  déposés  (parce  qu'ils 
se  sont  mariés  ou  ont  commis  une  faute  contre  les  mœurs). 

36.  Les  clercs  sont  gravement  coupables  lorsqu'ils  abandonnent 
d'eux-mêmes  leurs  charges  pour  s'attacher  à  d'autres  évêques 
et  abbés,  ou  à  des  comtes  et  des  nobles.  Il  n'en  sera  plus 
ainsi  à  l'avenir,  et  on  demandera  très  humblement  à  l'empereur 
de  défendre  aux  laïques  de  prendre  des  clercs  chez  eux.  On  lui 
demandera  également  de  défendre  aux  évêques,  abbés  et  nobles 
italiens  de  recevoir  les  clercs  fugitifs  des   Gaules  ou  de  la  Germanie. 

37.  Les  abbés   des    chanoines   doivent   donner   le    bon   exemple     n^j 
à    ceux    qui   vivent    sous   leur   juridiction,    et   l'évêque    sera    très 
vigilant  sur  ce  point.  S'ils  n'obéissent  pas  à  l'évêque,  ils  devront 

être  corrigés  par  le  jugement  du  concile,  ou  bien  ils  seront  déposés 
avec  le  secours  de  la  puissance  séculière. 

38.  Des  discours  insensés  et  des  farces  ne  conviennent  pas  aux 
clercs  qui  ne  doivent  ni  entendre  les  uns  ni  voir  les  autres. 

39.  On  ne  devra  plus  à  l'avenir  nommer  aussitôt  abbesses  des 
femmes  nobles  qui  ont,  jusqu'au  dernier  moment,  vécu  dans  le 
mariage,  et  qui  viennent  de  perdre  leur  mari. 

40.  Les  prêtres  ne  devront  plus,  sans  en  prévenir  l'évêque, 
bénir  les  voiles  des  veuves,  de  peur  que  celles-ci  ne  retournent 
dans  le  monde. 

41.  Aucun  prêtre  ne  consacrera  une  vierge  à  Dieu. 

42.  Beaucoup  de  femmes,  agissant  en  toute  simplicité,  s'impo- 
sent elles-mêmes  le  voile  sans  l'assentiment  du  prêtre,  afin  de 
pouvoir  devenir  veilleuses  ou  servantes  dans  les  églises.  Les  évê- 
ques ne  le  doivent  plus  permettre.  Nous  savons  que  quelques-unes 
de  ces  femmes  sont  devenues  pour  certains  prêtres  une  occasion 
de  scandale;  on  ne  doit  plus  les  autoriser  à  servir  dans  les  églises. 

43.  Il  est  inadmissible  que  des  abbesses  ou  des  nonnes  imposent 
le  voile  à  des  veuves  et  à  des  vierges.  Dans  presque  tous  les 
monastères  on  trouve  des  personnes  qui  ont  reçu  le  voile  de  cette 
manière  ;  elle  est  devenue  habituelle,  parce  que  l'on  croit  que  les 
personnes    ainsi    voilées    peuvent    se    permettre    de    pécher    avec 


428-     CONCILES     DE     MAYENCE     ET     DE     PARIS  67 

moins  de  gravité  que  les  autres;  il  n'en  sera  plus  ainsi  à  l'avenir. 

44,  Il  arrive  souvent  qu'après  la  mort  de  leur  mari,  les  femmes 
nobles  prennent  le  voile  sans  entrer  clans  un  monastère,  au  con- 
traire restent  clans  leur  maison,  élèvent  leurs  enfants  et  adminis- 
trent leurs  Liens.  11  n'en  sera  plus  ainsi  à  l'avenir.  Ces  femmes  ne 
doivent  pas  prendre  le  voile  immédiatement  après  la  mort  de 
leur  mari:  mais,  d'après  l'ordonnance  de  l'empereur,  de  concert 
avec  les  évèques.  Elles  attendront  trente  jours,  et  se  remarieront 
ou  iront  dans  un  monastère.  Nous  saxons  que  souvent  ces  jeunes 
veines  revêtues  dans  leur  propre  maison  de  l'habit  des  religieuses 
deviennent  la  proie  de  Satan. 

45.  Dans  quelques  provinces  les  femmes  s'approchent  de  l'autel, 
touchent  les  vases  sacrés,  fournissent  aux  prêtres  les  vêtements 
sacerdotaux  et  vont  même  jusqu'à  distribuer  aux  lidèles  le  corps 

[64]      et  le  sang  du   Seigneur.  C'est  là  un  abus  épouvantable  et  qui  ne 
doit   plus  se  produire.   (Citations  d'anciens  canons.) 

i6.  .Munies  et  chanoines  ne  doivent  pas  entrer  dans  les  monas- 
tères de  nonnes  et  dans  les  maisons  des  chanoinesses,  si  ce  n'est 
pour  confesser,  dire  la  messe  ou  prêcher.  La  confession  n'aura 
lieu  que  devant  l'autel,  avec  des  témoins  dans  le  voisinage.  Une 
religieuse  malade  qui  ne  peut  venir  à  l'église,  se  confessera  ail- 
leurs, mais  toujours  devant  témoins.  Les  moines  ne  se  confesse- 
ront qu'à  un  membre  du  monastère.  Les  moines  n'iront  pas  con- 
fesser clans  les  monastères  de  nonnes. 

47.  A  part  les  cas  de  nécessité,  on  ne  dira  plus  la  messe  hors  des 
églises,  dans  des  maisons  particulières  et  dans  des  jardins  ;  ce 
qui  arrive  fréquemment  de  nos  jours  où  on  dit  la  messe  dans 
des  bâtiments  accessoires  ou  dans  la  maison  des  laïques  de  dis- 
tinction. 

48.  Par  négligence  ou  par  avarice,  l'abus  s'est  introduit  dans 
bien  des  endroits  de  dire  la  messe  sans  ministres.  Mais  à  qui  donc 
les  prêtres  diront-ils  alors  Dominus  vobiscum,  et  qui  leur  répondra 
Et  cum  spiritu  tuo  ?  Qu'il  n'en  soit  plus  ainsi  à  l'avenir. 

49.  Comme  chaque  ville  a  son  évêque,  chaque  basilique  doit 
avoir  son  prêtre  ;  mais  il  arrive  que  par  esprit  de  lucre,  beaucoup 
de  prêtres  se  chargent  de  plusieurs  basiliques  chacun.  Qu'il  n'en 
soit  plus  ainsi  lorsqu'une  basilique  a  des  revenus.  Si  la  basilique 
n'a  pas   de  revenus,  l'évêque   décidera   de   ce   qu'il  y  a   à  faire. 

50.  Recommandation  de  célébrer  le  dimanche.  On  demande 
à  l'empereur  d'ordonner  que,   les  jours  de  dimanche,   il  n'y   ait 


GS  LIVRE     XXI 

ni  marchés,  ni  placita,  ni  travaux  à  la  campagne,  ni  corrigationes 
(transports  avec  des  voitures  ou  des  chars). 

51.  Les  seigneurs  laïques  et  ecclésiastiques  ont  deux  sortes 
de  poids  et  de  mesures;  grands  lorsqu'ils  reçoivent,  petits  lors- 
qu'ils donnent.  Par  là,  ils  causent  préjudice  à  leurs  colons,  qui 
manquent  de  blé  et  de  raisin  pour  eux  et  pour  leurs  familles. 
Cet  abus  sera  aboli  ;  ceux  qui  s'y  livrent  et  ceux  qui  le  tolèrent 
encourent  une  grave  responsabilité. 

52.  Dans  quelques  provinces  de  l'ouest  de  l'empire,  il  arrive  que  des 
évêques,  des  comtes  et  divers  seigneurs  fixent  ce  que  leurs  colons  doi- 
vent demander  par  mesure  de  froment  et  par  mesure  de  vin;  ainsi 

ils  ne  payent  que  le  tiers  de  ce  que  coûtent  ailleurs  le  froment  et  le  vin.  rg5] 

53.  Clercs  et  laïques  pratiquent  l'usure  d'une  odieuse  manière  et 
réduisent  à  la  misère  quantité  de  gens,  les  ruinent  et  les  forcent  à 
émigrer.(Enumération  des  différentes  manières  de  pratiquer  l'usure. 
Citation  de  divers  passages  de  la  Bible  et  des  Pères  contre  l'usure.) 

54.  On  n'admettra  pas  en  qualité  de  parrains,  au  baptême  et 
à  la  confirmation,  les  personnes  qui  ont  subi  la  pénitence  publique. 

Le  second  livre,  qu'ouvre  une  courte  préface,  traite  en  treize 
capitula  des  réformes  à  opérer  parmi  les  laïques,   princes  ou  sujets. 

1.  Devoirs  du  roi. Le  roi  ne  doit  pas  être  seulement  un  modèle  de 
vertu,  il  doit  encore  faire  pratiquer  par  ses  serviteurs  toute  la  justice. 

2.  Fonctions  du  roi,  en  sa  qualité  de  protecteur  des  églises,  du 
clergé,  des  veuves,  des  pauvres,  des  orphelins,  etc.,  et  surtout 
en  qualité  de  dispensateur  de  la  justice. 

3.  Le  roi  pèche  lorsqu'il  fait  remplir  toutes  ses  fonctions  par 
des  serviteurs.  Il  doit  d'ailleurs  n'avoir  que  des  serviteurs  éprou- 
vés,, étant  de  sa  personne  responsable  de  leurs  actes  devant  Dieu. 

4.  L'empire  ne  subsistera  que  si  la  piété,  la  justice  et  la  miséri- 
corde y  régnent. 

5.  Le  roi  se  rappellera  qu'il  tient  de  Dieu  son  empire,  et  qu'il 
le  doit  administrer  selon  la  volonté  de  Dieu. 

6.  Beaucoup  de  personnes,  ecclésiastiques  ou  laïques,  manquent 
de  charité.  De  là  tant  de  maux.  Les  officiers  du  palais  doivent 
être  unis  entre  eux  par  l'amitié;  malheureusement  ils  se  haïssent, 
cherchent  à  se  nuire  mutuellement,  manquent  ainsi  à  la  fidélité 
au  roi,  et  sont  pour  autrui  une  cause  de  scandale. 

7.  Comparaison  entre  le  temps  présenl  et  les  temps  apostoli- 
ques :  on  manque  maintenant  de  piété;  l'avarice  et  l'avidité 
ont  remplacé  la   communauté   des   biens  et  l'esprit  d'amour  des 


428.     CONCILES      DE     MAYENCE     ET     DE     PARIS  69 

temps  apostoliques.  Alors  on  louait  le  Seigneur  pendant  le  repas, 
aujourd'hui  on  n'a  d'éloges  que  pour  l'art  du  cuisinier. 

8.  Les  inférieurs  doivent  obéir  fidèlement  au  prince  et  prier 
pour  lui. 

9.  Les  péchés  qui  ont  offensé  Dieu  et  mis  l'empire  en  danger 
sont  marqués  dans  les  livres  de  Moïse,  des  prophètes  et  dans 
l'Évangile  ;  on  étudiera  ces  livres  et  on  y  trouvera  toutes  les  ex- 
plications nécessaires.  (Exemples  ex l rails  de  la  Bible.) 

10.  Il  est  faux,  quoi  qu'en  disent  certains,  que  le  baptisé  n'ira  pas 
[66 1  au  feu  éternel,  mais  seulement  en  purgatoire,  vécût-il  dans  le  [péché: 

la  foi  sans  les  œuvres  ne  conduit  pas  au  royaume  des  cieux.Le  chré- 
tien qui  vit  en  état  de  péché  sera  puni  plus  sévèrement  que  celui 
qui   n'est   pas   chrétien    et   qui   s'applique    aux    bonnes    œuvres. 

11.  Beaucoup  vont  rarement  à  l'église.  Il  ne  faut  pas  que  les 
chapelles  environnantes  détournent  de  l'église. 

12.  Beaucoup  à  l'église  prient  du  bout  des  lèvres  et  non  de  cœur, 
ou  bien  causent  et  rient. 

13.  Beaucoup  ne  prient  pas  du  tout,  ne  pouvant  aller  à  l'église 
et  n'ayant  pas  de  reliques  de  saints  à  leur  portée. 

Le  livre  IIIe  n'est  qu'un  extrait  des  deux  premiers  ;  il  débute 
par  la  lettre  des  évêques  aux  empereurs  dont  ils  louent  le  zèle, 
racontant  toute  la  suite  de  cette  affaire,  y  compris  la  convocation 
des  quatres  conciles,  et  ajoutant  que  :  «  Conformément  aux 
ordres  des  empereurs,  ils  ont  indiqué  dans  les  livres  précédents 
les  réformes  à  entreprendre  dans  le  clergé  et  le  peuple,  et  ils  les 
soumettent  à  l'approbation  impériale.  Ils  n'ont  pas  voulu  omettre 
ce  qui  se  rapporte  aux  personnes  et  aux  fonctions  des  empereurs  ;  au 
contraire,  par  souci  pour  le  salut  de  leurs  âmes,  ils  ont  annoté 
dans  le  livre  IIe  quelques  points  qui  leur  ont  paru  nécessaires. 
Ils  en  ont  extrait  quelques  parties  dans  le  livre  suivant,  et  ils 
y  ont  ajouté  ce  qu'ils  avaient  à    demander    aux  empereurs.  » 

C.  1.  Répétition  abrégée  des  canons  4e  et  5e  du  livre  Ier  ayant 
trait  à  la  réforme  du  clergé. 

2.  Les  malheurs  qui  ont  frappé  l'Eglise  et  l'Etat  ont  été  causés 
par  tous  nos  péchés,  en  particulier  par  la  bestialité  et  la  pédé- 
rastie. Des  vestiges  du  paganisme  ont  subsisté,  ce  sont  :  la  sorcel- 
lerie, l'art  des  devins,  l'explication  des  songes,  les  philtres  amou- 
reux, les  amulettes,  etc.  Plusieurs  font  changer  la  température 
par  des  artifices  diaboliques,  font  tomber  la  grêle,  empêchent 
les  vaches  d'avoir  du  lait,  etc.  En  .outre,  l'ivrognerie,  la  glouton- 


70  LIVRE     XXI 

nerie,  la  haine,  etc.,  sont  choses  communes,  de  même  que  les 
farces,  discours  insensés,  malédictions,  mensonges,  jurements 
sacrilèges,  chants  obscènes.  Avec  l'aide  deDieu,nous  voulons  nous- 
mêmes  fuir  tous  ces  péchés,  donner  le  bon  exemple  à  nos  ouailles 
et  les  instruire.  Nous  avons  également  mentionné  dans  notre  écrit 
(in  opère  conventus  nostri)  d'autres  chapitres  que  nous  résumerons 
ici  brièvement  :  Le  mariage  n'a  pas  été  institué  par  Dieu  pour 
servir  la  volupté,  mais  seulement  pour  procréer  des  enfants  ; 
la  virginité  doit  être  gardée  jusqu'au  mariage  ;  les  gens  mariés 
ne  doivent  avoir  ni  femme  de  mauvaise  vie  ni  de  concubine  ;  [07] 
on  ne  doit  pas  avoir  commerce  avec  des  femmes  enceintes  ; 
nul  ne  doit  abandonner  sa  femme  sauf  pour  inconduite,  et  dans 
ce  dernier  cas  c'est  commettre  l'adultère  que  d'en  épouser  une 
autre;  on  évitera  les  unions  incestueuses;  on  ira  plus  souvent  à 
l'église  ;  on  y  priera  avec  plus  de  respect  ;  on  exercera  la  justice  ; 
on  ne  fera  pas  de  faux  témoignage;  on  ne  se  vendra  pas  pour 
des  présents.  (On  ne  trouve  dans  les  Ier  et  IIe  livres  qu'un  seul 
de  tous  les  points  rappelés  ici  et  résumés  :  les  mots  congessimus 
etiam  in  opère  conventus  nostri  nonnulla  alla  capitula,  etc.,  font 
peut-être  allusion  à  la  seconde  partie  du  IIe  livre,  aujourd'hui 
perdue.  Plusieurs  de  ces  alia  capitula  se  rapprochent  de  ceux 
du  concile  romain  tenu  sous  le  pape  Eugène  II.) 

3.  Sur  l'uniformité  des  poids  et  mesures  ;  extrait  du  c.  51 
du   livre    I. 

4.  Extrait  du  livre  I,  c.  29. 

5.  Extrait  du  livre   I,  c.  50. 

6.  Extrait  du  livre   I,  c.  47. 

7.  Extrait  du  livre  I,  c.  44.  Les  vingt  autres  chapitres  sont 
groupés  sous  le  titre  suivant  :  Hcec  sunt  etiam  capitula,  quse  a 
vestra  pietate  adimpleri  flagitamus  ;  ils  renferment  les  exhorta- 
lions  et  demandes  du  concile  à  l'empereur. 

8.  Nous  vous  demandons  de  faire  connaître  à  vos  fils  et  aux 
grands  la  force  et  la  dignité  de  l'état  ecclésiastique,  et  de  leur 
citer  ces  paroles  de  Constantin  aux  évêques  :  «  Dieu  vous  a  insti- 
tués prêtres  et  vous  a  donné  un  pouvoir  judiciaire  qui  s'étend 
même  sur  nous  ;  et  vous-mêmes  ne  pouvez  être  jugés  par  aucune 
personne  humaine  :  il  faut  laisser  à  Dieu  le  soin  de  vous  juger.  » 

9.  Rappelez-leur  aussi  ce  que  dit  Prosper  à  l'honneur  de  l'état 
ecclésiastique. 

10.  Recommandez  à  vos   fidèles  de   ne  pas  nous  mépriser,  si, 


428.     CONCILES     DE     MAYENCE     ET     DE     PARIS  71 

conformément  à  vos  ordres,  nous  émettons  des  propositions 
pour  notre  réforme  et  pour  celle  de  tous.  Il  serait  injuste  de  pro- 
voquer des  soupçons  contre  nous  avant  la  publication  de  notre 
travail.  Au  contraire,  l'entente  doit  régner  entre  les  pasteurs 
et  les  ouailles  du  Christ.  Ce  n'est  pas  notre  propre  intérêt  qui  nous 
guide,  c'est  le  zèle  pour  le  salut  des  âmes. 
[o8J  |j#  Nous  vous  demandons  de  nous  ménager  tous  les  ans  un 
laps  de  temps  pour  tenir  des  conciles,  conformément  au  livre  I, 
c.  26. 

12.  Nous  vous  demandons  de  fonder,  à  l'exemple  de  votre  père 
Charlemagne,  des  écoles  publiques  et  impériales,  en  trois  endroits 
au  moins  de  l'empire. 

13.  Nous  vous  demandons  de  faire  rechercher  par  vos  missi 
les  clercs  fugitifs  en  Italie,  et  de  les  faire  rentrer  dans  leurs  églises 
d'origine,  conformément  au  livre  I,  c.  36. 

14.  Veuillez  ne  pas  recevoir  les  clercs  et  les  moines  qui  vous 
demandent    audience    sans    suivre    l'ordre    canonique. 

15.  A  l'exemple  de  votre  père,  veuillez  aider  quelques  sièges 
épiscopaux  tout  à  fait  pauvres. 

16.  Comme  d'épouvantables  forfaits  ont  été  commis  dans  les  dio- 
cèses d'Halitgar  (de  Cambrai)  et  de  Rangart  (de  Noyon),  envoyez 
vos  missi  dans  ces  pays  pour  que,  de  concert  avec  ces  évêques, 
ils  extirpent  le   mal  le  plus  tôt  possible,  nous  vous    en  prions. 

17.  Nous  vous  demandons  humblement  de  mettre  un  terme 
aux  meurtres  sacrilèges  qui  se  commettent  dans  l'empire;  sans 
avoir  aucune  mission,  beaucoup  s'établissent  vengeurs  et  tuent. 

18.  Tenez  la  main  à  ce  que  les  abbés  et  les  abbesses  donnent  le  bon 
exemple,  conduisent  leurs  communautés  d'une  manière  paternelle, 
etc. 

19.  Veuillez  ordonner  à  vos  missi  de  nous  soutenir  dans  l'œuvre 
de  la  réforme  et  défendez  aux  palatins  et  aux  grands  d'avoir 
des  chapelains,  car  dès  qu'ils  en  ont,  ils  ne  vont  plus  à  l'église 
de  l'évêque.  Veillez  aussi  à  la  sanctification  du  dimanche,  confor- 
mément au  liv.  I,  c.  47  et  50. 

20.  Au  sujet  de  la  communion  fréquente,  conformez-vous  aux 
exhortations  des  anciens  conciles,  et  par  vos  exemples  engagez 
vos  serviteurs  à  vous  imiter. 

21.  Au  sujcl  du  capitulum  relatif  aux  honneurs  à  rendre  à 
l'état  ecclésiastique  (capitulum  décrété  en  conventus  général), 
veuillez  faire  sans  délai  w  <|ui  vous  paraîtra  le  plus  opportun. 


72  LIVltE     XXI 

22.  Veuillez  apporter  les  plus  grands  soins  à  l'installation  des 
évêques  et  des  pasteurs. 

23.  Evitez,  ainsi  qu'on  vous  l'a  souvent  recommandé,  d'agir  à  la 
légère,  pour  l'installation  des  abbesses  ou  le  choix  de  vos  serviteurs. 

24.  Veillez  à  l'entente  de  vos  conseillers  et  serviteurs,  confor- 
mément au  liv.  II,  c.   6  (p.  65). 

25.  Nous  vous   demandons    et  conjurons   d'élever  vos  enfants    [69] 
dans  la   crainte   de   Dieu,   recommandez-leur   de   s'aimer  mutuel- 
lement, de  déférer   aux   exhortations    paternelles,   et  de  s'abste- 
nir de  toute  injustice. 

26.  Recherchez  le  motif  qui  a  fait  sortir  prêtres  et  princes  du 
droit  chemin.  Sans  compter  les  chapitres  précédents  qui  dénotent 
beaucoup  de  négligences,  nous  croyons  qu'il  existe  contre  le  bien 
un  obstacle  enraciné,  à  savoir  que,  sans  tenir  compte  de  la  volonté 
de  Dieu,  les  princes  se  mêlent  des  affaires  de  l'Eglise,  tandis 
que  les  clercs,  soit  laisser-aller,  soit  ignorance,  soit  avarice,  s'enga- 
gent dans  les  affaires  et  dans  les  soucis  du  monde.  C'est  là  un  sujet 
dont  nous  remettons  le  développement  à  une  autre  époque, 
lorsque  nous  aurons  plus  de  moyens  d'aider  l'empereur  et  qu'il 
y  aura  un  plus  grand  nombre  d'évêques  présents,  etc. 

27.  De  même  nous  traiterons,  à  une  époque  plus  opportune, 
la  question  de  la  liberté  des  évêques. 

Le  jour  même  où  se  réunit  ce  concile  (6  juin  829),  on  couronna 
roi,  dans  l'église  de  Saint-Germain,  Charles  (le  Chauve),  le  plus 
jeune  des  fils  de  l'empereur,  issu  de  Judith,  sa  seconde  femme. 
Toutefois  on  ne  donna  pas  d'apanage  au  jeune  roi 1. 

Il  existe  une  certaine  relation  entre  ce  concile  et  un  document 
par  lequel  Inchadus,  évêque  de  Paris,  accordait  en  jouissance 
aux  clercs  de  sa  cathédrale  plusieurs  biens  dont  on  fait  l'énumé- 
ration.  Cet  acte  fut  passé  dans  l'église  de  Saint-Etienne,  à  Paris, 
en  présence  des  archevêques  et  évêques  réunis  pour  le  concile; 
le  document  porte  leurs  noms  et  la  signature  de  plusieurs  2. 

1.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  829,  n.  8,  etMansi,  Notse  ad  Baron.,  mettent  en  doute 
la  valeur  de  cette  date  du  G  juin. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  605  sq.  Le  concile  de  Paris  de  829  est  en  relation 
intime  avec  deux  ouvrages  de  Jonas  d'Orléans  intitulés  l'un  :  De  ins/itutione  renia, 
et  l'autre,  De  institutionc  laicali.  Depuis  la  publication  de  la  Conciliengeschichte 
un  érudit  est  arrivé  à  cette  conclusion  que  le  De  inslitutione  laicali  doit  continuer 
textuellement  la  dernière  partie  du  second  livre  des  canons  de  829,  partie  con- 
sidérée comme  perdue.  Cf.  Simson,  Jahrbiïcher  des  frânkishen  Reichs  unlerLudwt'x 


/,29-     AGOBARD     DE     LYON    CONTRE     LES    JUIFS  73 


429.  Agobard  de  Lyon  contre  les  juifs. 

Les  actes  des  conciles  réformateurs  tenus  à  la  même  époque 
à  Lyon  et  à  Toulouse  nous  manquent,  avons-nous  dit  ;  néan- 
moins, on  est  porté  à  croire  que  deux  lettres  d' Agobard,  archevê- 
[70]  que  de  Lyon,  à  l'empereur  Louis,  ont  quelque  rapport  avec  ce 
concile  de  Lyon.  L'une  de  ces  lettres  ne  porte  comme  suscrip- 
tion  que  le  nom  d' Agobard  ;  mais  comme  on  peut  y  lire  :  quee 
omnia  contulimus  cum  fratribus,  plusieurs  savants  ont  pensé 
qu' Agobard  avait  déféré  au  concile  tenu  à  Lyon  en  829  l'af- 
faire dont  il  parle  dans  cette  lettre,  à  savoir  le  danger  que 
faisaient  courir  les  juifs;  il  aurait  donc  écrit  cette  lettre  à  Louis 
le  Débonnaire,  du  consentement  de  l'assemblée  1.  La  seconde 
lettre  porte,  outre  la  signature  d' Agobard,  celles  de  Bernard, 
archevêque  de  Vienne,  et  de  Caof,  évêque  de  Chalon-sur-Saône; 
ces  trois  évêques  ayant  rédigé  la  missive  à  la  demande  du 
concile. 

Lyon  et  ses  environs  comptant  un  très  grand  nombre  de  juifs, 
Agobard  avait  engagé  les  chrétiens  à  ne  vendre  aux  juifs  aucun 
esclave  chrétien;  ils  ne  devaient  pas  souffrir  que  des  fidèles 
achetés  par  les  juifs  fussent  emmenés  en  Espagne,  que  des  femmes 
chrétiennes  au  service  des  juifs  célébrassent  le  sabbat  avec  eux, 
travaillassent  le  dimanche  et  mangeassent  en  carême.  Aucun 
chrétien  ne  devait  acheter  de  la  viande  aux  juifs  ni  boire  de  leur 
vin,  etc.  —  Sur  les  plaintes  des  juifs,  l'empereur  envoya  trois 
missi,  Gerrik,  Frederick  et  Evrard,  qui  firent  preuve  d'une  telle 
partialité  en  faveur  des  juifs  qu' Agobard  crut  devoir  adresser  à 
l'empereur  la  première  de  nos  deux  lettres.  Grâce  à  la  conduite 
des  missi,  les  juifs,  disait  l'archevêque,  ne  gardaient  plus  aucune 
mesure  :  «ils  osaient  poursuivre  les  chrétiens  et  l'archevêque 
lui-même  ;  ils  voulaient  enseigner  aux  chrétiens  ce  qu'ils  devaient 
croire    (c'est-à-dire   ce   que   permettait   la   religion   chrétienne   au 


dem  Frommen,  in-8,  Leipzig,  1874,  t.  i,  p.    381   sq.  ;    Kl.    Amelung,    Leben  und 
Schriften  des  Bischofs  Jonas  von  Orléans,  in-8,  Dresden,  1888.  (H.  L.) 

1.  Luden,  Gesch.  d.  deutschen  Volkes,  t.  v,  p.  316,  émet  une  pure  hypothèse 
lorsqu'il  affirme  que,  sur  la  demande  d'Agobard,  les  quatre  synodes  tenus  en 
829  s'étaient  occupés  de  l'affaire  des  juifs. 


74  LIVRE     XXI 

sujet  des  rapports  avec  les  juifs).  Agobard  ne  pouvait  croire 
que  les  prétendus  décrets  impériaux  dont  les  juifs  arguaient 
fussent  authentiques.  On  prétend  que  les  missi  auraient  dit  : 
«  L'empereur  aime  les  juifs  et  ils  lui  sont  chers.  »  Et  l'archevêque  [71] 
se  trouvait  en  butte  à  des  persécutions,  uniquement  à  cause 
des  directions,  pourtant  si  justifiées,  données  par  lui  aux  chré- 
tiens à  l'égard  de  ces  juifs.  Car  on  sait  que  si  les  juifs  tuent 
un  animal  ayant  quelque  tare,  ils  en  vendent  la  viande  aux  chré- 
tiens, et  par  orgueil,  appellent  ces  animaux  «  viande  à  chrétiens», 
christiana  pecora.  Ils  font  le  commerce  du  vin,  quoiqu'ils  le  re- 
gardent comme  une  boisson  impure  ;  ils  ramassent  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  difforme  et  de  plus  souillé,  pour  le  vendre  aux 
chrétiens.  On  sait,  en  outre,  que  dans  leurs  prières  de  chaque  jour 
ils  maudissent  le  Christ  «  et  les  nazaréens  ».  Il  faut  que  l'empereur 
sache  à  quel  point  les  juifs  nuisent  à  la  foi  chrétienne,  car  ils 
ne  rougissent  pas  de  se  vanter  de  toutes  ces  indignités  en  présence 
des  simples  chrétiens  :  à  cause  de  leurs  patriarches,  ils  se  trou- 
vaient en  grande  faveur  auprès  de  l'empereur,  si  bien  que  des 
personnes  haut  placées  avaient  sollicité  leurs  prières  et  leurs 
bénédictions.  Des  parents  de  l'empereur  et  les  femmes  de  quelques 
employés  de  la  cour  avaient  offert  des  vêtements  aux  femmes  ° 
des  juifs  ;  il  leur  était  maintenant  permis,  malgré  les  anciennes 
prescriptions,  de  bâtir  de  nouvelles  synagogues.  Des  chrétiens 
peu  intelligents  vont  jusqu'à  dire  que  les  juifs  prêcheraient  mieux 
que  les  prêtres.  A  cause  des  juifs,  les  missi  avaient  supprimé 
tous  les  marchés  qui  se  tenaient  le  samedi  et  laissé  aux  juifs 
le  choix  d'un  autre  jour.  Il  fallait  que  l'empereur  connût  ce 
que  les  anciens  évêques  des  Gaules  et  les  rois  s'inspirant  de  la 
sainte  Écriture,  avaient  décidé  touchant  la  séparation  nécessaire 
entre  juifs  et  chrétiens...  Cette  lettre  était  déjà  rédigée  lorsque 
est  arrivé  de  Cordoue  un  fugitif,  qui  a  fait  la  déclaration  suivante  : 
Il  y  a  vingt-quatre  ans,  étant  encore  enfant,  il  fut  volé  à  Lyon 
par  un  juif  et  vendu  ;  il  s'est  sauvé  avec  un  compagnon  de  capti- 
vité, pareillement  volé  par  un  juif  à  Arles  six  ans  aupara- 
vant. De  pareils  faits  sont  fréquents,  et  l'on  parle  de  plusieurs 
autres   méfaits   dont  les  juifs   se  sont  rendus   coupables.» 

La  seconde  lettre  démontre  ce  qu'avait  énoncé  la  première,  sur 
la  nécessité  d'établir  une  séparation  rigoureuse  entre  les  chré- 
tiens et  les  juifs.  D'après  le  Christ  lui-même,  le  judaïsme  est 
digne   de    réprobation,  ce    dont  témoignent    les    Pères     de    l'E- 


'i29.     AGOBARD     DE     LYON     CONTRE     LES   JUIFS  75 

glise,    les    conciles    gaulois,     les    passages    talmudiques    des    juifs 
et  la  Bible  elle-même  1. 

Il  semble  qu'au   xvie   siècle    on   eût  encore  les  actes  du  concile 
tenu  à   Mayence  en  829  ;  les  centuriateurs  de  Magdebourg  affir- 
ment les  avoir  vus  et  tenus  en  leur  possession.  Néanmoins  ils  se 
[721   contentent  d'en  extraire  les  noms  des  évêques  présents,  qui  sont  : 
Oto-ar,  archevêque  de    Mayence    (président)  ;  Hatto,  archevêque 
de  Trêves  ;   Hadubald,  archevêque  de  Cologne  ;  Berwin,   arche- 
vêque de  Besançon,  et  Adalram,  archevêque  de  Salzbourg,  avec 
leurs    sufïragants.    Ces    sufïragants    étaient  :   a)    pour    Mayence  : 
Bernold  de  Strasbourg,  Benoît    de  Spire,    Nitgar    d'Augsbourg, 
Folcuin  de  Worms,  Wolfléoz  de  Constance,  Adaling  d'Eichstâdt, 
Badurat  de  Paderborn,  Wolf gar  deWûrzbourg,    Haruch  de  Verden, 
Theutorinde  Halberstadt;  b)  pour  Trêves  :  Drogon  de  Metz    (qui, 
sur  la  demande  de  l'empereur  Louis  et  en  qualité  de  fils  de  Char- 
lemao-ne  et  chapelain  de  la  cour,  avait  reçu  du  pape  le  titre  per- 
sonnel d'archevêque),  Hildin  de  Verdun,  Frothar  de  Toul;  c)  pour 
Cologne  :  Waldgoz  ou  Waldgand  de    Liège,  Willerich  de    Brème, 
Frédéric  d'Utrecht,  Gerfrid  de  Munster,  Géboin  ou  Gosoin  d'Os- 
nabrûck;  d)    pour    Besançon  :    David   de    Lausanne,    Udalrik   de 
Bâle;  e)  pour  Salzbourg  :  Hitto  de    Freising,   Badurich    de    Ratis- 
bonne     Reginher  de   Passau,   Erbéo   de  Brixen.   Après  ces  noms 
viennent  ceux  de  quatre  chorévêques  et  de  six  abbés;  à  la  tête 
de  ces  derniers  se  trouve   Raban  Maur,  abbé  de   Fulda.  Dans  ce 
même    concile   le    moine    Gotescalc  porta,  paraît-il,  ses  plaintes 
contre    Raban    Maur  et    obtint  de  l'assemblée  de    quitter  l'état 
religieux.    Raban    en    appela  de  cette  sentence  à  l'empereur  et  à 
un  autre  concile  qui  se  tiendrait  en  présence  du  souverain,  et  il 
obtint    que     Gotescalc    fût    simplement     placé    dans    un    autre 
monastère,  celui  d'Orbais  près  de  Reims  ;  nous  aurons  plus  tard 
ample  occasion  de  parler  de  lui  2. 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  607  sq.  ;  Agobard,  P.  L.,  t.  civ,  col.  69  sq. 
Cf.  Gfrurer,  Kirchcngeschichte,  t.  ni,   2,  p.  755. 

2.  Centur.  Magdebg.,  t.  ix,  col.  9,10;  Hartheim,  op.  cit.,  t.  u,  p.  54;  Mabillon, 
Annales  Ord.  S.Ben.,  t.  n,  1.  XXX,  p.  523;  Histoire  littér.  delà  France,  t.  v, 
p.  352. 


70  LIVRE     XXI 


430.  Diète  et  concile  tenus  à  Worms  au  mois  d'août  829. 

Ayant  reçu  les  actes  des  quatre  conciles,  l'empereur  réunit,  au 
mois  d'août  de  cette  même  année  829,  une  grande  assemblée  à 
Worms.  Hincmar  de  Reims  qui  l'appelle  un  synodus  et  placitum 
générale,  rapporte  qu'un  légat  du  pape  Grégoire  IV  y  assista, 
et  cite  de  cette  assemblée  un  capitulum  condamnant  a  faire  [73] 
pénitence  publique  celui  qui  aura  abandonné  sa  femme  et  en  aura 
épousé  une  autre  1. 

On  ne  connaissait  autrefois  que  le  capitulaire,  divisé  en  trois 
parties,  publié  par  l'empereur  dans  les  conventus  de  Worms  2, 
et  dont  la  troisième  partie,  c.  3,  contient  mot  à  mot  la  prescrip- 
tion rapportée  par  Hincmar.  Mais  Pertz  a  édité  les  propositions 
détaillées  des  évêques  à  l'empereur,  presque  toutes  empruntées 
aux  actes  du  concile  de  Paris. 

1.  Le  discours  de  début  adressé  à  l'empereur  est  identique  à  la 
lettre  à  Louis  et  à  Lothaire,  placée  au  commencement  du  livre  IIIe 

des  actes  de  l'assemblée  de  Paris  ;  il  n'y  manque  que  le  nom  de 
Lothaire  et  la  fin  de  la  lettre,  qui  devait  être  supprimée,  parce 
qu'elle  se  rapportait 3  spécialement  aux  actes  de  Paris  et  à  leur 
division.  Quant  à  l'omission  du  nom  de  Lothaire,  elle  est  de  nature 
à  surprendre  si  Einhard  est  dans  le  vrai  lorsqu'il  rapporte  que 
Lothaire  ne  fut  envoyé  en  Italie  qu'après  la  célébration  de 
l'assemblée  de  Worms. 

2.  Viennent  ensuite,  dans  les  actes  de  l'assemblée  de  Worms, 
trois  capitula,  résumés  du  lib.  I,  c.  1-3,  de   l'assemblée  de    Paris. 

3.  Le  troisième  document  intitulé  De  persona  sacerdotali  com- 

1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  266  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1669-1670  ;  Har- 
douin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1361;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  781  ;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  626;  Pertz,  Mon.  Germ.  liisl.,  t.  m,  Leges,  t.  i,  p.  331- 
349.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  Appendix,  col.  447  sq.;  Pertz,  Monum.,  t.  m,  Leges, 
t.  i,  p.  439  sq.  [Nithard,  Histor.,  i,  3,  édit.  E.  Mùller,  1907  ;  Vita  Hludowici  impe- 
ratoris,  c.  xliii;  B.  Simson,  Jahrbiicher,  in-8,  Leipzig,  1874,  1. 1,  p.  328;  J.  Cal- 
mette,  De  Bernardi  sancti  Gulielmi  filio,  in-8,  ToIosîp,  1902,  p.  8  sq.  ;  L.  Halphen, 
La  crise  de  l'empire  carolingien  sous  Louis  le  Pieux,  dans  F.  Lot  et  L.  Halphen, 
Le  règne  deCharles  le  Chauve,  1909,  p.  '..  (II.  L.)] 

3.  Annal.,' ad  ann.  S29. 


'j3Q.   diète   et  concile  tenus   a  worms  77 

prend  dix-sept  numéros,  offrant  avec  les  actes  de  Paris  une  ressem- 
blance frappante  ;  ils  ont  été  revus  en  détail  par  Pertz  qui  n'a 
pas  dit  le  dernier  mot  à  leur  sujet.  Les  sept  premiers  numéros 
sont  extraits  du  lib.  I,  c.  11,  12,  13,  14,  31,  27.  et  25  du  concile 
de  Paris:  le  numéro  11  a  de  l'analogie  avec  lib. I,  c.  20:1e  numéro  12 
est  identique  au  lib.  I,  c.  16,  les  numéros  13  et  14  sont  extraits 
du  lib.  I,  c.  21,  les  numéros  15,  16  et  17  du  lib.  I,  c.  22,  4  et  5 
(avec  une  légère  modification  devenue  nécessaire).  Enfin  les  nu- 
méros 8,  9  et  10  et  en  partie  16  sont  nouveaux,  ne  provenant 
pas  du  concile  de  Paris,  mais  bien  d'un  des  trois  autres  conciles 
dont  nous  n'avons  plus  les  actes. 

4    Vient  ensuite  la  petitio  des  évêques  à  l'empereur  concernant 
[74]   ce  qu'il  avait  à    faire    lui-même.     Elle    est    enprumtée   intégrale- 
ment au  IIIe  livre  des  actes  de  Paris,  numéros  8-21. 

5.  Dans  un  autre  document  les  évêques  indiquent  à  l'empereur 
quœ  populo  annuntianda  surit,  et  ils  placent  sous  ce  titre  ce  que 
Je  concile  de  Paris  avait  prescrit,  soit  dans  le  Ier  soit  dans  le  IIIe 
livre.  Le  n°  1  est  identique  à  I,  54  de  Paris,  le  n°  2  identique  à  I, 
7  et  8,  avec  cette  réserve  particulière  que  celui  qui  aurait  été 
baptisé  à  une  autre  époque  qu'à  Pâques  ou  à  la  Pentecôte  ne  pour- 
rait devenir  clerc;  n°  3=  I,  9;  n°  4  =  I,  10;  n°  5  =  I,  30;  n°  6  = 
I,  33  ;n07-  III,  4  (en  partie  =  I,  29);  n°  8=1,  35;  n°  9  = 
I,  48  ;  n°  10  =  I,  49  (avec  cette  indication  que  les  trois  autres 
conciles,  et  non  pas  seulement  celui  de  Paris,  avaient  pris  cette  dé- 
termination); n°  11  =  I,  50  (III,  5);n°12  =  1,47  (III,  6);  n°13 
=  I,  40(111,  7);  ^  14=  I,41;n°15  =  1,42  ;n°16=I,  43;  n°  17 
=  I,  48  ;  n°  18  =  I,  45;  n°  19  =  I,  46;  n°  20  =  I,  53  ;  III,  3, 
et  III,  2  ^ 

6.  Le  dernier  document  intitulé  De  persona  regali  et  son  début 
viennent  de  la  fin  de  Y Epistola  ad  imperalorem  (placée  en  tête 
du  livre  IIIe  des  actes  de  Paris),  avec  cette  différence  que  les 
évêques  de  Worms  disent  qu'  «  ils  se  sont  contentés  d'extraire 
et  de  réunir  une  partie  de  tout  ce  que  leurs  conventus  (les  quatre) 
avaient  décrété.  »  Ce  document  traite  des  devoirs  du  roi,  et  par 
conséquent  continue  et  complète  la  petitio.  Le  n°  1  est,  avec  des 
changements,  extrait  du  livre  IIe,  c.  1  et  2,  des  actes  de  Paris; 
le  reste  provient  du  livre  IIIe,  c.  22-27. 

On  serait  porté  à  croire  que  le  capitulaire  en  trois  parties  publié 

1.   Pertz  n'esl  pas  non  plus  toujours  exact  dans  ses  citations. 


78  LIVRE     XXI 

à  Worms  aurait  été  la  réponse  de  l'empereur  Louis  à  ces'diver- 
ses  propositions  des  évêques.  Mais  sauf  l'unique  point  cité  par 
Hincmar,  le  capitulaire  impérial  ne  contient  rien  qui  soit  une 
sanction  des  propositions  épiscopales.  Cela  s'explique  par  l'histoire 
de  l'assemblée  de  Worms.  L'empereur  en  profita  surtout  pour 
donner  un  royaume  à  son  plus  jeune  fils  Charles,  couronné  roi 
depuis  quelques  mois.  Ce  royaume  comprenait  l'Alemannie, 
la  Rhétie  et  une  partie  de  l'ancien  royaume  deBurgundie,  apanage  [75" 
qui  diminuait  la  part  des  fils  aînés.  Lothaire  y  donna  son  consente- 
ment, mais  Pépin,  roi  d'Aquitaine,  en  fut  très  irrité;  déjà  depuis 
quelque  temps  il  caressait  des  idées  de  révolte.  Le  principal 
adversaire  du  parti  de  Pépin  était  Bernard,  duc  de  Septimanie 
(Marche  espagnole),  homme  de  guerre  distingué,  et  favori  de 
l'impératrice  Judith,  plus  même  que  son  favori,  si  on  en  croit 
certains  bruits  1.  Or,  l'empereur  Louis  choisit  pour  tuteur  et  pré- 
cepteur de  Charles,  ce  même  Bernard  qu'il  nomma  chambrier 
royal  afin  de  le  gagner  tout  à  fait  à  sa  cause  et  à  celle  de  son  plus 
jeune  fils.  Cette  élévation  excita  chez  les  adversaires  un  très 
vif  mécontentement  qui  se  traduisit  en  injures  et  en  intrigues 
odieuses.  On  se  sépara  presque  brouillés,  et  la  diète  de  Worms  se 
termina  sans  résultats,  du  moins  en  ce  qui  concerne  la  réponse 
définitive  aux  propositions  des  évêques  2. 

Avant  de  terminer  ce  qui  a  trait  à  cette  diète,  qu'il  me  soit  per- 
mis de  rectifier  deux  erreurs  de  Binterim  3.  D'après  lui  l'em- 
pereur aurait  déclaré  porter  lui-même  la  défense  au  conjoint  de- 
meuré seul,  après  la  séparation,  de  se  remarier.  C'est  une  erreur, 
car  les  mots  congessimus  etiam,  etc.  4,  ne  sont  pas  de  l'empereur, 
mais  bien  des  évêques.  —  Lorsque  Binterim  ajoute  :  «  C'est 
là  presque  le  seul  point  des  capitulaires  laissés  par  Louis  qui  ne 
se  trouve  pas  dans  les  actes  du  concile  de  Paris,  »  il  oublie  que 
le  concile  de  Paris,  lib.  III,  c.  2,  avait  émis  exactement  la  même 
proposition. 

1.  Cf.  Paschase   Radbert,  Epitaphium  Arsenii,  n,  8.  (H.  L  ) 

2.  Au  sujet  de  la  diète  synodale  de  Worms  et  de  la  division  de  l'empire  en  829, 
cf.  Dùmmler, ' Gesch.  des  ostfrdnk.  Reichs,  Berlin,  1862,   t.  i,    p.  51,    sq. 

3.  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  n,  p.  385. 

4.  Pertz,  op.  cit.,  p.  345. 


±31.     RÉVOLTE     DES    FILS     DE     LOUIS     LE     DEBONNAIRE  79 


431.  Révolte  des  fils  de  Louis  le  Débonnaire  contre  leur  père. 

Diète  synodale  de  Nimègue  x. 

Le  mécontentement  contre  l'empereur,  qui  s'était  fait  jour 
dans  la  diète  de  Worms,  ne  fit  qu'augmenter  jusqu'au  printemps 
de  830;  bientôt  éclata  une  révolte,  menée  par  Pépin,  roi  d'Aqui- 
taine, avec  beaucoup  de  grands  et  de  prélats  francs.  Ils  mar- 
chèrent contre  l'empereur  ;  le  duc  Bernard,  chambrier  impé- 
rial, ne  sut  que  s'enfuir  en  Espagne  ;  l'impératrice  Judith  se 
retira  dans  un  monastère  à  Laon,  et  l'empereur  Louis  vint  à 
Compiègne,  essayer,  dans  une  entrevue,  de  ramener  son  fils  à 
[76]  de  meilleurs  sentiments,  mais  il  ne  retira  guère  que  des  affronts 
de  sa  démarche.  Les  parents  de  Bernard,  les  frères  de  l'impé- 
ratrice et  d'autres  personnages  du  même  parti  eurent  les  yeux 
crevés,  fvirent  relégués  dans  des  monastères,  ou  enfin  réduits  à  la 
misère.  L'impératrice  Judith  amenée  de  force  à  Compiègne  fut 
condamnée  à  se  rendre  à  Poitiers,  dans  le  monastère  de  Sainte- 
Badegonde,  et  à  y  prendre  le  voile.  On  conseilla  à  l'empereur 
de  se  raser  la  tête  et  de  se  retirer  dans  un  monastère;  on  ajoutait 
que  s'il  voulait  sauver  son  âme  et  arrêter  l'empire  sur  sa  rui- 
ne, il  devait  se  hâter  de  faire  cette  profession  monastique 
depuis  longtemps  l'objet  de  ses  désirs.  Louis  se  montra  dans  l'in- 
fortune plus  courageux  qu'on  n'aurait  pu  l'espérer;  il  déclara 
que  seule  la  puissance  ecclésiastique  pouvait  l'autoriser  à  aban- 
donner ainsi  sa  femme  et  son  enfant.  Sa  subite  énergie,  le  zèle 
déployé  en  sa  faveur  par  plusieurs  amis  fidèles,  pour  la  plupart 
membres  du  clergé,  relevèrent  peu  à  peu  le  courage  d'un  grand 
nombre  et   ramenèrent    à   l'empereur    beaucoup    de    sympathies. 

1.  L.  Halphen,  La  crise  de  l'empire  carolingien  sous  Louis  le  Pieux,  dans  F.  Lot 
et  L.  Halphen,  Lerègne  de  Charles  le  Chauve,  in-8,  Paris,  1909,  p.  1-10;  B.  Sim- 
son.  Jahrbûcher  des  frànkischen  Reichs  unter  Ludwig  dem  Frommen,  2  vol.  in-8, 
Leipzig,  1874-76;  Mùhlbacher,  Die  Regesten  des  Kaiserreichs  unter  den  Karolin- 
gem,  2e  édit.,  in-4,  Innsbruck,  1908,  t.  i;  A.  Himly,  Il  ala  e! Louis  le  Débonnaire, 
in-8,  Paris,  1819;  A.  Kleinclausz,  L'Empire  carolingien,  ses  origines  et  ses  trans- 
formations, in-8,  Paris,  1902;  J.  Calmette,  De  Bernardo  sancti  Gulielmi  filio,  in-8, 
Tolosa-,  1902;  L.  M.  Hartmann,  Geschichle  I/aliens  im Miltelalter,  in-8,  Gotha, 
1908,  t.  ni,  part.  1,  p.  127,  sq.  (H.  L.) 


80  LIVRE    XXI 

Son  fils  Louis  le  Germanique  se  déclara  pour  lui,  ainsi 
que  les  grands  de  la  Germanie;  quant  à  Lothaire  qui,  sur  ces 
entrefaites,  était  revenu  d'Italie  et  avait  été  salué  seul  souve- 
rain, il  se  rapprocha  de  son  père  dont  il  commença  par  adoucir 
l'emprisonnement.  On  convint  que  l'on  viderait  ces  tristes  dis- 
cordes dans  une  diète  synodale  spéciale  (concilium  mixtum), 
qui  se  tiendrait  au  mois  d'octobre  830  à  N'mègue.  Vainement 
dans  cette  diète  synodale,  les  ennemis  de  Louis  le  Débonnaire 
cherchèrent  à  faire  aboutir  leurs  plans  par  des  menaces  et  des 
brutalités,  et  à  provoquer  une  nouvelle  révolte  du  jeune  empe- 
reur contre  son  père.  Les  grands  de  la  Germanie  restèrent  fidèles 
au  parti  de  Louis,  et  le  défendirent,  les  armes  à  la  main.  D'un 
autre  côté,  Lothaire  fut  entièrement  gagné  par  les  paroles  affa- 
bles de  son  père;  aussi  Louis  le  Débonnaire  put-il  reprendre  le 
pouvoir  et  châtier  les  auteurs  de  la  révolte.  Parmi  eux  se  trou- 
vait Jessé,  évêque  d'Amiens,  qui  fut  déposé  comme  coupable 
de  haute  trahison.  Hilduin,  abbé  de  Saint- Denis,  fut  exilé  à  Pader- 
born  ;  on  lui  enleva  son  abbaye  et  sa  dignité  de  chancelier; 
Wala  fut  relégué  dans  son  abbaye  de  Corbie,  etc.  1. 


432.  Deux  réunions  à  Saint-Denis  en  829  et  832.  [77] 

Le  nom  d' Hilduin  rappelle  deux  assemblées  ou  conciles  tenus 
vers  cette  époque  à  Saint-Denis.  Le  premier,  en  juin  829,  a 
quelque  rapport  avec  le  concile  tenu  dans  le  même  temps  à 
Paris  et  précède  l'exil  d'Hilduin.  L'autre,  en  janvier  832  2,  sui- 
vit de  près  la  réconciliation  de  l'abbé  Hilduin  avec  l'empereur 
et  sa  réintégration.  Nous  avons  sur  ces  deux  réunions  un  diplôme 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  G30;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  1366;  Dûmmlcr, 
op.  cit.,  p.  58-62.  [A.  Himly,  Wala  et  Louis  le  Débonnaire,  in-8,  Paris,  1849,  F.  Lot; 
Les  abbés  Hilduin  au  IXe  siècle,  dans  la  Biblioth.  de  l'école  des  Chartes,  1905, 
t.  lxvi,  p.  277-280.  (H.  L.) 

2.  Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  140;  Mabillon,  De  re  diplomatica,  lre  et  2e  édit., 
p.  518,  fac-sim.  450  ;  édit.  Neapoli,  1789,  t.  i,  p.  538-541,  fac-sim.  466;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  iv,  col.  1365  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  633;  Felibien, 
Histoire  de  S 'aint-Deny s,  in  fol.,  Paris,  1706,  p.  49;  Buhmer-Muhlbacher,  Regesta 
Imperii,t.  i,  p.  876,  877;  A.  Verminghoiï,  Verzeichnis  derAkteti  frànkisclier  Syno- 
den,  dans  Neues  Archù',  1899,  t.  xxiv,  p.  489.  (H.  L.) 


432.    DEUX     REUNIONS    A     SAINÏ-DÉNIS      EN    82'J     ET    832 


81 


de    l'empereur,    daté    du    26    août  832  ;    il    y    est  dit   qu'entre 
autres  réformes,    le    concile    de    Paris    avait    jugé    nécessaire  la 
réforme  de  Saint-Denis  et  s'était  précisément  occupé  de    la  réa- 
liser. Les  archevêques  Aldrich  de  Sens   et   Ebbon   de    Reims   s'é- 
taient rendus  avec  leurs  sufîragants  à  Saint- Denis,  y  avaient  tenu 
une    assemblée    et    déterminé  la  plus  grande  partie  des    moines 
apostats  (qui  monasticam  vitam  et  habitum  deseruerunt)  à  reprendre 
l'habit  et  à  renouveler  leurs  vœux.  En  même  temps,   ils   avaient 
prié  les  moines  de  Saint-Denis  qui,  restés  fidèles  à  la  règle,  demeu- 
raient dans  une  cella  (  clôture  )  attenante  au  monastère,  de  reve- 
nir à  l'abbaye.  Cette  scission  s'était  produite  peu  de    temps  au- 
paravant, lorsque  les  deux   abbés   Benoît  d'Aniane   et    Arnulph, 
commissaires  de  l'empereur  pour  la  réforme  monastique,  s'étaient 
laissé   tromper    par   les    moines    de    Saint-Denis  et  avaient  main- 
tenu le  parti  relâché  dans    le    monastère,  reléguant   les    religieux 
observants  dans  une  cella  particulière.  Ces  derniers  demandèrent 
et  obtinrent  des  évêques  Aldrich,    Ebbon,    et   des  autres    prélats 
leur   réintégration  dans    le  monastère.  L'ordre    paraissait   rétabli 
à   Saint-Denis  ;    mais    quelque    temps     après  plusieurs    moines, 
mécontents  de  subir  le  joug  de  la  règle,  envoyèrent,   à  l'insu  de 
l'abbé,  des    ambassadeurs  à    l'empereur    pour  se  plaindre  de  ce 
que  les  évêques  avaient  agi  avec    brutalité    et    n'avaient    laissé 
aux   moines   aucune  liberté.  L'empereur   Louis   ordonna  à  l'abbé 
Hilduin  de  réunir  de  nouveau  à    Saint-Denis    les  évêques    ainsi 
mis  en  cause,  et  d'autres  avec   eux.  Dans  cette  nouvelle   réunion 
on  fit  la  preuve  par  témoins,  que  les  plaintes  des  moines    étaient 
sans  fondement,  et  comme  ils  se   montrèrent  repentants  on  leur 
demanda  de  s'engager    par  écrit  à    revenir  à   l'observation    de  la 
règle  1.  —  A  ces  deux   réunions    de    Saint-Denis     se     rattachent 
L'°J  deux    documents  fort  maltraités  par  le  temps  qui  renferment  les 
noms  des  évêques  présents. 

1.  Mansi,   Conc.  ampliss.   coll.,   t.  xiv,  col.  634  sq. 


CONCILES   --   IV  —  G. 


82  LIVRE     XXI 


433.  Conciles  et  diètes  pendant  le  second  conflit  entre  Louis 
le  Débonnaire  et  ses  fils,  de  830  à  833. 

Au  mois  de  novembre  830,  un  concile  de  la  province  ecclésias- 
tique de  Lyon  se  tint  à  Langres  (Lingonis)  ;  nous  savons  seulement 
qu'Albérich,  évêque  de  Langres,  y  fit  des  donations  au  monastère 
de  Saint  Pierre  de  Bèze  (B.  Pétri  Bezuensis),  donations  confirmées 
par  un  acte  impérial  \ 

On  avait  annoncé  au  conventus  de  Nimègue  la  tenue  d'une  nou- 
velle diète  où  on  devait  achever  la  pacification  du  royaume;  cette 
diète  se  réunit  en  février  831  à  Aix-la-Chapelle  ;  les  principaux 
auteurs  de  la  révolte  furent  condamnés  à  mort,  graciés  par 
l'empereur  et  relégués  dans  des  monastères  2.  On  invita  l'impéra- 
trice Judith  à  comparaître  et  à  se  défendre,  s'il  s'élevait  des 
accusateurs  contre  elle.  Personne  ne  l'attaqua,  elle  prêta  le 
serment  d'usage,  protesta  de  son  innocence,  et  tous  les  fils 
de  Louis  le  Débonnaire,  sans  en  excepter  Pépin,  se  réconciliè- 
rent, extérieurement  du  moins,  avec  leur  père.  L'empereur 
demanda  probablement  à  tous  ses  anciens  adversaires  de  lui 
jurer  de  nouveau  fidélité  et  obéissance  ;  Lothaire  dut  renoncer 
solennellement  et  par  serment  à  tous  ses  droits  en  qualité  d'associé 
à  l'empire;  dès  lors  en  effet,  on  ne  retrouve  plus  son  nom  dans 
les  édits  impériaux. 

Dans  la  diète  tenue  en  mai  831  à  Ingelheim,  l'empereur  Louis 
rendit  leurs  fiefs  à  beaucoup  de  coupables  et  remit  en  liberté  ceux  r^m 
qui  avaient  été  enfermés  dans  des  monastères  ;  le  moine  Guntbald, 
qui  s'était  fort  remué  pour  le  service  de  l'empereur,  pendant 
que  les  affaires  de  celui-ci  étaient  le  plus  gâtées,  fut  nommé  grand 
chambellan  à  la  place  du  duc  Bernard.  Vers  cette  même  époque, 
l'empereur   fonda   l'archevêché    de    Hambourg    comme    un   jalon 


1.  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1362  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  626; 
[D'Achery,  Spicilegium,  t.  i,  p.  509;  2e  édit.,  t.  n,  p.  406;  Analecta  Divionensia, 
Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  de  France  et  particulièrement  à  celle  de 
Bourgogne,  in-8,  Dijon,  1864  ;  Bôhmer-Mûhlbacher,  Reg.  imp.,  t.  i,  n.  849; 
A.  Vermingholï,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv.,  1899,  t.  xxiv,  p.   488.   (H.  L.)] 

2.  Ce  fut  alors  que  Hilduin  fut  in  tenu'  à  Corvey  et  Wala  exilé  sur  un  roc  es- 
carpé en  face  du  lac  de  Genève. 


433-    CONCILES     ET     DIETES     DE     830    A     833  83 

pour  les  missions  du  Nord,  et  fit  sacrer  premier  titulaire  de  ce 
siège,  le  célèbre  missionnaire  Ansgar;  le  sacre  fut  fait  par  Drogon 
de  Metz,  Ebbon  de  Reims,  Hetti  de  Trêves  et  d'autres  évêques. 

Les  préludes  de  la  nouvelle    brouille    qui    survint    entre   l'em- 
pereur et  ses  fils  étaient  déjà  sensibles  dans  la  diète  de  Thionville 
(automne   de   831).    Pépin   avait   invoqué   divers   prétextes  pour 
y  manquer  ;  peu  après  il  vint  trouver  son    père    à    Aix-la-Cha- 
pelle, où  il  afficha  de  tels  sentiments  que  Louis  le  Débonnaire  lui 
interdit  le    retour    en    Aquitaine.    Pépin    s'enfuit,  se    ligua    avec 
son  ancien  ennemi  le  duc  Bernard,  que  la  nomination  de  Guntbald 
à  la   charge   de   chambellan  avait  grandement   mécontenté,  et  se 
prépara  à  la  révolte.  L'empereur  avait  déjà  convoqué  une  diète 
à  Orléans  pour  y  condamner  son  fils,  lorsque  arriva  la  nouvelle 
que  Louis  le  Germanique  avait  aussi  quitté  le  parti  de  son  père 
et  s'avançait  avec  une  armée  pour  lui  enlever  son  empire.   En 
effet,  ce  prince,  voyant  que  sa  fidélité  dans  la  précédente  révolte 
loin  d'être  récompensée  lui  avait  au  contraire    coûté  une  partie 
de  son  empire,   donnée  à  Charles,   excité  de  plus  par   Lothaire, 
prit  les  armes  et  s'empara    de    la  Germanie,    qui    faisait    partie 
du  lot  du  roi  Charles.  Toutefois,  l'empereur  avait  promptement 
réuni  une  armée  considérable,  et  Louis  le  Germanique,  qui  campait 
sur  les  bords  du   Rhin,  à  Worms,  pensa  que  le  mieux  était  de 
revenir   sur   ses    pas,    et   bientôt,  à   Augsbourg,  il  jura  de  rester 
fidèle  à  son  père.  En  apprenant  la  défection  de  son  frère,  Lothaire 
se  décida  également  à  la  fidélité.    Louis    le    Débonnaire    se    crut 
alors  assez  fort  pour  châtier  son  fils  Pépin  comme  il  le   méritait. 
Au  lieu  de  réunir  à  Orléans  la  diète  annoncée,  il  la  réunit  à    Limo- 
ges en  septembre  832  ;  Pépin  y  fut  solennellement  déclaré   déchu 
de   son   royaume.    Il   devait   être   emmené    prisonnier    à    Trêves 
avec  sa  femme  ;   mais  il  parvint  à  s'échapper  et  se  tint    caché 
pendant  que    son    père    se    rendait    en    Aquitaine  et  donnait    le 
royaume  de  Pépin  à  son  jeune   fils  Charles.   Le  mécontentement 
qui  se  manifesta  en  Aquitaine  à  la  suite  de  cette  décision  de  l'em- 
[80]  pereur  força  ce  prince  à  revenir  précipitamment.  En  même  temps 
Lothaire  et  Louis  le  Germanique  embrassèrent  la  cause  de  leur 
frère   Pépin,   et  le  triste  conflit  entre  le  père  et  les   fils  reparut 
plus  violent  et  plus  envenimé  que  jamais.  Ce  ne  furent  partout 
que  guerres,  désordres,  révolutions,  excès,  qui  troublèrent  profon- 
dément tout  l'empire  franc.  On  chercha,  comme  toujours,  la  cause 
de  tant   de    malheurs,    et    les    mieux    intentionnés    crurent    voir 


84  LIVRE     XXI 

dans  le  malheureux  et  faible  empereur  Louis  le  véritable  bouc 
émissaire.  Le  savant  et  énergique  Agobard,  archevêque  de  Lyon, 
qui  s'était  élevé  des  derniers  degrés  à  cette  haute  dignité,  se  fit 
l'orateur  de  ce  parti.  Dans  une  lettre  courageuse  adressée  à  l'em- 
pereur, ce  prélat  lui  dit  que  «  lui-même  était  la  cause  des 
désordres  de  l'empire.  Lorsque,  spontanément,  il  avait  voulu 
associer  un  de  ses  fils  à  l'empire,  tous  les  évêques  avaient  prié 
et  jeûné  avec  lui  afin  que  son  choix  tombât  sur  le  plus  digne.  Ce 
choix  s'était  porté  sur  Lothaire  son  fils  aîné,  en  même  temps 
qu'il  donnait  aux  deux  autres  des  portions  de  son  empire. 
Mais  voici  que  lui-même  avait  rompu  tout  contrat  et  toute 
promesse,  ce  qui  avait  fait  éclater  partout  contre  lui  beaucoup 
de    mécontentement   et    de  haine  1.   » 

On  comprend  que  tous  ceux  qui  avaient  été  maltraités,  punis, 
bannis,  etc.,  par  l'empereur  Louis,  parlèrent  plus  énergiquement 
encore.  Ils  se  rendirent  tous  au  camp  des  fils  du  Débonnaire, 
et  les  irritèrent  encore  plus  contre  leur  père.  Vers  la  Pâque  de 
833,  l'empereur  Louis  réunit  près  de  Worms  ses  fidèles,  pour  la 
plupart  du  nord  de  l'Allemagne,  tandis  que  les  troupes  du  parti 
des  fils  de  l'empereur  se  réunissaient  près  de  Colmar.  Avec  Lothaire 
se  trouvait  le  pape  Grégoire  IV,  accouru  pour  interposer  son 
autorité  pontificale  et  mettre  un  terme  à  cette  triste  situation. 
Mais  par  le  fait  seul  qu'il  était  dans  le  camp  de  Lothaire  et 
subissait  évidemment  son  influence,  il  ne  pouvait  juger  le  diffé- 
rend en  toute  impartialité  ;  d'autre  part,  l'empereur  et  ses  amis 
se  défièrent  de  Grégoire  et  s'exprimèrent  sur  son  compte  avec 
beaucoup  d'amertume.  Dans  les  rangs  des  adversaires  de 
Louis  le  Débonnaire  on  mit  tout  en  œuvre,  le  vrai  et  le  faux, 
pour  exciter  l'opinion  contre  le  malheureux  empereur  et  contre 
l'impératrice  Judith.  C'est  ce  que  fit  en  particulier  Agobard, 
dans  son  écrit  très  partial  pro  filiis  Ludovici  2.  «  L'empereur  [81] 
Louis,  dit-il  dans  ce  mémoire,  est  un  insensé  qui,  captivé  par  la 
beauté  et  par  la  finesse  d'une  femme,  s'abandonne  à  elle  aveuglé- 
ment et  lui  livre  son  empire,  et  cependant  c'est  la  même  femme 
qui  a  eu  avec  le  duc  Bernard  des  relations  adultères  et  ne  songe 
qu'à  placer  son  bâtard  Charles.  Quant  aux  trois  fils  aînés  de 
Louis,  ils  ne  méritaient  que  des  éloges  et  des  récompenses,  pour 

1.  Luden,  Gesch.  d.  deulschen  Volkes,  t.  v,  p.  343  sq.,  p.  606. 

2.  P.  L.,  t.  civ,  col.  307  sq. 


433.     CONCILES     ET    DIETES     DE     8  .'5  0    A     833  85 

avoir  songé  à  l'honneur  du  lit  paternel  et  à  délivrer  du  démon 
le  palais  impérial.  » 

L'empereur  Louis  aurait  pu  avoir  facilement  raison  de  ses 
fils,  s'il  les  avait  attaqués  avant  qu'ils  fussent  complètement 
armés  ;  mais  il  temporisa  et  perdit  un  temps  précieux  à  des 
négociations  inutiles,  qui  ne  firent  qu'augmenter  l'amertume  de 
part  et  d'autre. 

Pendant  le  séjour  de  l'empereur  à  Worms,  Aldrich,  archevêque 
de  Sens,  tint  dans  sa  ville  épiscopale  un  concile  pour  octroyer 
certains  privilèges  au  monastère  de  Saint-Remi  à  Sens  1. 

Vers  cette  même  époque  les  évêques  anglais,  unis  aux  rois 
Egbert  de  Wessex  et  Withlas  de  Mercie,  se  réunirent  à  Londres 
en  concile,  le  26  mai  833,  pour  se  consulter  au  sujet  des  invasions 
des  Danois  et  confirmer  les  donations  et  le  droit  d'asile  accor- 
dés par  le  roi  Withlas  au  monastère  de  Croyland  2. 

Dans  la  seconde  moitié  de  juin,  l'empereur  Louis  quitta  Worms 
et  vint  camper  avec  toutes  ses  forces  devant  l'armée  de  ses  fils. 
On  allait  en  venir  aux  armes,  lorsque  le  pape  Grégoire  IV,  quit- 
tant le  camp  de  Lothaire,  vint  trouver  l'empereur,  et  les  deux 
grands  représentants  de  la  chrétienté  délibérèrent  ensemble 
sur  la  paix  pendant  plusieurs  jours.  Les  fils  de  Louis  le  Débon- 
naire mirent  à  profit  ce  délai  et  les  relations  qui  se  nouèrent  entre 
les  deux  camps,  pour  gagner  par  ruse,  argent  et  promesses 
beaucoup  de  partisans  de  leur  père.  Se  sentant  ainsi  les  plus  forts, 
ils  fermèrent  l'oreille  aux  propositions  de  paix  faites  par  le 
pape,  et  ne  lui  permirent  même  pas  de  retourner  suivant  sa 
promesse  au  camp  impérial  pour  porter  à  Louis  la  réponse  de  ses 
enfants.  Ils  répandirent  le  bruit  que  le  pape  s'était  décidé  en 
leur  faveur  ;  et  l'empereur  fut  si  rapidement  abandonné  de  tous 
ses  fidèles  qu'il  suffit  à  ses  ennemis  de  faire  mine  d'attaquer 
son  camp,  pour  le  réduire  à  se  rendre  prisonnier.  Ce  qui 
eut  lieu  dans  les  derniers  jours  de  mai  833,  non  loin  de  Colmar, 
au  pied  de  la  montagne  de  Siegwald,  en  un  endroit  juste- 
[82]     ment  appelé  depuis  «  le  champ  du  mensonge»  3.  L'armée  des  fils 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1370;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  639. 

2.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  273;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1683-1686;  Har- 
douin, Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1375  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  797;  Wilkins,  Conc. 
Britann..  t.  i,  col.  176-178;  Mansi,  Conc,  Suppl.,  1. 1,  col.  819;  ConcJampliss . 
coll.,  t.  xiv,  col.  642. 

:!.   Luden^op.  cit.,  p.  357. 


86 


LIVRE     XXI 


se  dissipa  proflftptemeiit,  les  vassaux  retournèrent  chez  eux, 
sans  chercher  à  se  rendre  compte  de  ce  qu'il  y  avait  à  faire  et 
sans  trouver  de  solution  aux  graves  questions  pendantes.  Le  pape 
revint  mécontent  en  Italie,  et  la  malheureuse  impératrice  Judith 
fut  exilée  à  Tortone.  Quant  au  jeune  prince  Charles,  il  fut 
relégué  dans  le  monastère  de  Prum.  Pépin  et  Louis  le  Germanique 
regagnèrent  leurs  royaumes  ;  quant  à  Lothaire,  il  conduisit  son 
père  à  Soissons,  où  il  l'enferma  dans  le  monastère  de  Saint  - 
Médard,  et  de  là  se  rendit  à  Aix-la-Chapelle  pour  y  régner  comme 
seul   souverain   et   y   recevoir   le   serment  de  fidélité. 

Louis  le  Débonnaire  fut  tellement  harcelé  dans  le  monastère 
de  Saint-Médard,  qu'il  fut  le  premier  à  demander  l'habit  de 
moine.  On  le  trompa  par  toutes  sortes  de  fausses  nouvelles  : 
sa  femme  avait  pris  le  voile;  elle  était  morte  ;  son  fils  Charles  s'é- 
tait fait  couper  les  cheveux,  avait  pris  l'habit  monastique,  avait 
dit  au  monde  un  éternel  adieu.  Il  paraît  que  les  saints  dont  les 
reliques  reposaient  dans  le  monastère  de  Saint-Médard  apprirent 
à  l'empereur  détrôné  la  fausseté  de  ces  nouvelles,  en  même  temps 
que  l'abbé  lui  recommandait  de  ne  pas  abdiquer  le  trône  que 
Dieu  lui  avait  donné. 

Au  mois  d'octobre  833,  Lothaire  tint  une  diète  à  Compiègne. 
Les  évêques  présents,  en  particulier  Ebbon,  archevêque  de 
Reims,  acceptèrent  la  mission  de  se  rendre  à  Soissons  pour  faire 
naître  de  nouveaux  scrupules  dans  l'âme  du  vieil  empereur.  Cet 
Ebbon  était  né  de  parents  esclaves  dans  la  maison  de  Charle- 
magne,  et  avait  été  élevé  avec  Louis  le  Débonnaire  ;  affranchi 
à  cause  de  son  talent,  il  s'était  élevé  de  degré  en  degré. 
Demeuré  presque  jusqu'à  cette  époque  un  des  plus  fidèles  parti- 
sans"  de  Louis,  il  était  passé  du  côté  de  Lothaire,  au  «  champ  du 
mensonge  »,  et,  ainsi  que  cela  arrive  trop  souvent,  d'ami  il 
était  devenu  adversaire  déclaré  de  son  ancien  maître.  Serviteur 
de  la  onzième  heure,  il  voulait  réparer  par  son  zèle  le  temps  qu'il 
croyait  avoir  perdu.  Non  seulement  il  récapitula  au  vieil  em- 
pereur toutes  ses  anciennes  fautes,  en  particulier  sa  dureté  vis- 
à-vis  de  son  neveu  Bernard  et  d'autres  membres  de  sa  maison, 
faute  que  Louis  le  Débonnaire  avait  déjà  expiée  publiquement, 
mais  il  l'accusa  de  tous  les  maux,  de  tous  les  désordres  et  de  [83] 
toutes  les  guerres  qui  depuis  des  années  ravageaient  l'empire 
franc  ;  il  entassa  reproches  sur  reproches,  et,  abusant  de  son 
caractère  sacerdotal,  il  mit  dans  une  telle  anxiété  l'âme  du   vieil  - 


i34.    RÉINTÉGRATION     DE     LOUIS    LE     DEBONNAIRE  87 

lard  que  Louis  n'osant  plus  douter  de  sa  culpabilité  se  montra  de 
nouveau  disposé  à  accepter  une  pénitence  ecclésiastique  et 
émit  le  vœu  que  Lothaire  vînt  le  trouver  à  Soissons.  Lothaire 
se  rendit  à  cet  appel  (13  novembre  833)  ;  Louis  le  Débonnaire, 
à  genoux  devant  le  maître-autel  de  l'église  de  Saint-Médard, 
se  déclara  indigne  de  porter  la  couronne  et  prêt  à  se  soumettre 
à  une  pénitence  publique.  On  lui  remit  une  liste  de  ses  fautes, 
qu'il  dut  lire  solennellement  en  présence  de  son  fils,  des  évêques 
et  d'une  grande  foule  de  peuple.  L'archevêque  Ebbon  porta 
cette  pièce  sur  l'autel,  Louis  y  déposa  le  glaive  impérial,  se 
désarmant  lui-même  et  échangea  ses  habits  militaires  contre 
un  vêtement  de  pénitence1.  C'était  prononcer  son  abdication,  et 
Lothaire  revint  triomphant  à  Aix-la-Chapelle.  Néanmoins  son 
père  ne  fit  pas  ce  qu'on  désirait  le  plus,  la  profession  monacale, 
alléguant  toujours,  comme  il  l'avait  fait  à  Soissons,  que  pour 
une  pareille  démarche  il   fallait  jouir   de  toute    sa  liberté. 


434.  Réintégration  de  Louis  le  Débonnaire,  diètes  et  conciles 
à  Thionville  et  à  Stramiac  en  835. 

Quelques  mois  suffirent  pour  retourner  les  affaires.  Des  milliers 
d'honnêtes  gens  furent  indignés  du  déshonneur  infligé  au  fils  de 
Charlemagne,  à  ce  prince  vraiment  bon  et  qui  était  l'oint  du  Sei- 

1.  La  honteuse  Relalio  episcoporum  de  exauctoratione  Hludovici,  ainsi  que  la 
Cartula  d'Agobard,  qui  avait  joué  un  rôle   dans   cette   affaire,    se  trouve   dans 
Pithœus,   Annalium   et  historié   Francorum...scriptores   coœtanei,    Francofurti, 
1594,  p.  322;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  833,  n.  9;  Binius,  Concilia  generalia 
et  provincialia,  Coloniœ  Agrippinœ,  1606,  t.  ni,  part.  1,  p.  573;  Goldast,  Collec- 
tio  constilulionum   imperialium,   Francofordiœ  ad  Mœnum,   1613,  t.   n,    p.  16; 
Sirmond,  Concilia  antiqua  Gallise,  1629,  t.  n,  col.  520   ;  A.  Duchesne,  Historiée 
Francorum  scriptores,  Lutetiœ  Parisiorum,  1636,  t.   n,  p.   331  ;   Collectio    regia, 
t.  xxi,  col.  278;  Ph.  a  Vorburg,  Historiarum...  imperii  Rom.-German.,  Francofurti 
t.  xi,  p.  251;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1686;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  801; 
Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1377  ;  Liinig,  Reichsarchiv,    t.    xv,    p.  111; 
Bouquet,  Rec.  des  hist.  des  Gaules,  t.   vi,  col.  243  ;    Mansi,   Conc.    ampliss  coll., 
t.  xiv,  col.  647;  Monumenta  Germ.  hist.,  Leges,  1. 1,  p.  366;  Capitul.,  t.  n,  p.  51; 
P.  L.,  t.   xcvn,    col.   659  ;    A.   Verminghofî,   V  erzeichnis    dans   Neues  Archiv, 
1899,  t.  xxiv,  p.  489  ;  L.  Halphen,  La  pénitence  de  Louis  le  Pieux  à  Saint-Médard 
de  Soissons,  dans  Bibl.  de  la  Faculté  des  Lettres,  1904,  t.  xvm,  p.  177-185.  (H.  L.) 


88 


LIVRE    XXI 


gneur.  L'opinion  commença  bientôt  à  changer  dans  toutes  les  par- 
ties de  l'empire.  Pépin  et  Louis  le  Germanique,  mécontents  des 
avantages  de  leur  frère  Lothaire,  peut-être  aussi  poussés  par 
de  meilleurs  sentiments,  se  liguèrent  pour  délivrer  Louis  le 
Débonnaire.  Lothaire  s'y  refusant,  ils  marchèrent  (printemps 
de  834)  contre  le  royaume  des  Francs,  l'un  par  le  sud  et  l'autre  [84] 
par  l'est.  Lothaire  convoqua  ses  fidèles,  fort  peu  répondirent  à 
son  appel,  et  d'autres  réclamèrent  hardiment  la  liberté  du 
vieil  empereur.  Déjà  les  troupes  de  Pépin  s'approchaient  de 
Paris,  où  Lothaire  avait  réuni  ses  partisans,  lorsque  ce  der- 
nier, craignant  d'être  fait  prisonnier,  s'enfuit  à  Vienne  et  de 
là  en  Italie,  où  il  espérait  trouver  plus  d'adhérents.  Il  avait,  on 
ne  sait  pourquoi,  fait  transférer  son  père  et  son  jeune  frère 
Charles  à  Saint-Denis,  où  on  les  gardait.  Dès  qu'on  sut  ce  départ, 
tous  les  partisans  de  Louis  le  Débonnaire  accoururent  de  Paris 
à  Saint-Denis  pour  jurer  fidélité  au  vieil  empereur.  Ils  souhai- 
taient lui  voir  reprendre  immédiatement  la  couronne,  mais  Louis 
refusa  en  disant  :  «  L'Eglise  m'a  condamné,  c'est  à  l'Église  à 
m'absoudre  maintenant  ;  les  évêques  m'ont  désarmé,  c'est  aux 
évêques  à  me  rendre  mes  armes.  »  Ce  qui  fut  fait  solennellement 
le  dimanche  suivant,  à  Saint-Denis,  à  la  grande  joie  du  peuple  1. 

L'empereur  Louis  embrassa  son  fils  Pépin,  le  remercia  de  son 
secours,  le  renvoya  en  Aquitaine  et  se  rendit  à  Aix-la-Chapelle 
où  il  rencontra  Louis  le  Germanique.  Peu  après  arriva  dans  cette 
ville  l'impératrice  Judith,  que  des  amis  fidèles  avaient  amenée 
d'Italie.  La  joie  du  prince  fut  complète.  Il  proposa  à  Lothaire 
le  pardon.  Mais  Lothaire  répondit  à  ces  avances  par  des  moqueries 
et  organisa  une  armée.  Les  commencements  de  la  campagne 
lui  furent  favorables  ;  mais,  arrivé  sur  les  bords  de  la  Loire  en 
présence  de  l'armée  de  son  père  unie  à  celles  de  ses  frères,  il  perdit 
sa  belle  assurance.  Voyant  ses  partisans  renouveler  contre  lui 
cette  fois  la  scène  du  a  champ  du  mensonge,  »  il  se  hâta  d'accep- 
ter les  propositions  de  paix,  et  demanda  humblement  pardon 
pour  lui  et  ses  amis.  Il  jura  d'obéir  à  son  père,  d'aller  en  Italie 
et  de  n'en  plus  sortir  sans  permission. 

Vers  cette  époque  (novembre  834),  Louis  le  Débonnaire  célé- 
bra à  Attigny    une  diète    où  il    prit    des    mesures     pour    rétablir 

«■■ 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  654;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1383;  Luden, 
op.  cit.,  p.  358-372. 


89 

l'ordre  dans  l'Eglise,  et  ordonna  à  son  fils  Pépin  de  rendre  à 
l'Église  les  biens  qu'il  s'était  appropriés  ou  qu'il  avait  donnés  à 
ses  amis. — Quelques-uns  rapportent  aussi  à  cette  diète  d'Attigny 
ce  qui  se  passa  au  sujet  de  Northildis  et  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,   §  421. 

Vers  le   même   temps    (16   novembre    834),    à    Aix-la-Chapelle, 

[85]    Louis    confirma   les    privilèges    que,    l'année   précédente,    Aldrich 

de  Sens  avait  accordés  au  monastère  de  Saint-Remi,  à  Worms.fc1 

Le  concile  de  Thionville  (février  835)  fut  célébré  pour  réintégrer 
solennellement  l'empereur  et  juger  les  évêques  qui,  pendant  les 
troubles,  s'étaient  le  plus  mal  conduits  vis-à-vis  de  lui.  Les  actes 
de  cette  importante  assemblée  sont  malheureusement  perdus, 
et  nous  en  sommes  réduits  à  quelques  renseignements  contempo- 
rains ou  à  des  sources  plus  récentes.  Hincmar  en  a  parlé  en  détail, 
dans  son  dernier  écrit  contre  Gotescalc,  c.  xxxvi,  et  Flodoard, 
dans  son  Historia  Remensis,  1.  III,  c.  xx.  Outre  l'empereur  et  les 
grands  du  royaume,  il  y  eut  quarante-trois  évêques  présents  1f 
parmi  lesquels  Drogon,  archevêque  de  Metz,  président  2,  et  les 
archevêques  Hetti  de  Trêves,  Otgar  de  Mayence,  Ragnouard 
de  Rouen,  Landran  de  Tours,  Aldrich  de  Sens,  Notho  d'Arles  et 

1.  Hincmar,  op.  cit.,  P.  L.,  t.  cxxv,  et  dans  Mansi,  t.  xiv,  p.  658  sq., 
compte  et  nomme  quarante-trois  évêques,  et  parmi  eux  Otgar  de  Mayence, 
mais  Binterim,  Deutsche  Concil.,  t.  n,  p.  392,  doute  de  cette  présence  d'Otgar 
par  suite  de  son  attitude  hostile  vis-à-vis  de  l'empereur.  Dans  notre  première 
édition,  nous  basant  sur  une  lettre  de  Florus  de  Lyon  adressée  à  plusieurs  mem- 
bres de  l'assemblée,  nous  avions  compris  au  nombre  des  membres  présents 
Aldrich,  évêque  du  Mans;  mais  Simson,  op.  cit.,  p.  186-187,  montre  qu'il  est  bien 
plus  vraisemblable  que  cette  lettre  (dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  465  sq.),  la 
seconde  par  conséquent,  ne  se  rapporte  pas  au  concile  de  Thionville,  mais  bien  à 
celui  de  Quierzy  de  838,  peu  de  temps  avant  le  jugement  prononcé  sur  Amalaire. 

"2.  Nous  avons  vu  que  Drogon,  fils  naturel  de  Charlemagne,  avait  reçu  de  son 
frère,  Louis  le  Débonnaire,  l'évèché  de  Metz.  Metz  était  un  siège  sufïragant  de 
Trêves,  mais  Angilram  de  Metz  avait  déjà  porté  le  titre  d'archevêque  et  ce 
litre  avait  été  consacré  par  le  c.  55  du  concile  de  Francfort,  en  794.  Nous  voyons 
maintenant  que  Drogon  portait  aussi  le  titre  d'archevêque  et  qu'il  avait  la 
préséance  sur  tous  les  autres  archevêques  en  fonction  (même  sur  celui  de 
Trêves).  Dix  ans  plus  tard  environ  nous  le  retrouverons  comme  vicaire  du 
pape  pour  la  Gaule  et  la  Germanie  ;  il  reçut  ce  titre  du  pape  Serge  II  sur  les  ins- 
tances de  l'empereur  Lothaire  qui  cherchait  à  avoir  en  Drogon  un  soutien  pour 
affermir  sa  prépondérance  sur  son  frère.  V.  Norden,  Hinckmar,  Bonn,  1863, 
p.  16.  Mais  l'opposition  des  évêques  força  Dro»on  à  renoncer  à  cette  dignité. 
V.  §  411.  [Ch.  Pfister,  L'archevêque  de  Metz,  Drogon,  823-856  dans  Mélanges 
PaulFabre,  1902,  p.  101-145.  (H.  L.)] 


90  LIVRE    XXI 

Ajulf  de  Bourges1.  Ebbon,  archevêque  de  Reims,  ne  parut  pas 
comme  membre  du  concile,  mais  en  qualité  d'accusé  ;  après  la  vie-  [86] 
toire  de  Louis,  il  avait  voulu  s'enfuir  chez  les  Danois  ou  chez  les 
Normands;  mais  la  goutte  l'en  avait  empêché,  et  on  l'avait  conduit 
prisonnier  à  Fulda.  D'autres  personnages  gravement  compromis 
avaient  fui  en  Italie  pour  s'y  mettre  sous  la  protection  de  Lothaire. 

Sur  le  désir  de  l'empereur,  chaque  évêque  apporta  un  libellas 
particulier  renfermant  son  opinion  sur  la  restitutio  imperatoris. 
Ebbon  apporta  le  sien,  où  il  déclarait  que  tout  ce  qui  s'était 
fait  pour  déshonorer  l'empereur  était  injuste.  Comme  tous 
ces  libelli  se  prononçaient  unanimement  en  faveur  de  Louis,  ce 
prince  réprit  courage,  et,  le  28  février  835,  dimanche  de  la  Quin- 
quagésime,  il  se  rendit  solennellement  en  grand  cortège  dans 
l'église  cathédrale  de  Saint- Etienne  de  Metz.  Pendant  l'office 
divin,  Drogon  monta  en  chaire  et  lut  la  sentence  signée  par  tous 
les  évêques,  portant  que  Louis  avait  été  injustement  déposé. 
Alors  l'évêque  de  Metz  se  rendit  avec  six  autres  évêques  auprès 
de  l'empereur  et  à  côté  de  l'autel,  tous  imposèrent  les  mains  au 
vieux  souverain,  sur  qui  on  prononça  sept  prières  ;  enfin  on 
plaça  sur  sa  tête,  à  la  grande  satisfaction  du  peuple,  la  couronne 
impériale.  Ebbon  monta  en  chaire  et  réprouva  tout  ce  qui  s'était 
fait,  sous  son  inspiration  et  d'après  ses  conseils,  contre  l'empereur. 

Toute  l'assemblée  revint  à  Thionville  ;  mais  ce  qui  venait 
de  se  passer  à  Metz  a  induit  plusieurs  historiens  à  croire  qu'un 
concile  fut  tenu  dans  cette  dernière  ville  en  835.  Après  le  retour 
à  Thionville,  l'empereur  se  porta  accusateur  d' Ebbon,  qui  l'avait 
renversé  du  trône.  On  renouvela  d'anciennes  accusations  contre 
l'archevêque  de  Reims,  et  les  évêques  présents  furent  appelés  à 
décider.  Il  semble  qu'au  début  Ebbon  chercha  à  éviter  une  dépo- 
sition, quelques-uns  de  ses  amis  mirent  en  question,  au  sujet  d'une 
déposition  épiscopale,  la  compétence  d'une  assemblée  qui  n'était  ni 
convoquée  ni  confirmée  parle  Siège  apostolique  2.  Ebbon  demanda 
la  permission  cependant  de  faire  un  exposé  fidèle  de  ses  fautes 
par-devant  trois  évêques  présents:  Ajulf,  archevêque  de  Bourges, 


1.  Dans  la  première  édition  nous  avions  signalé  comme  présents  l'évêque 
Gosbert,  qui,  chassé  de  Suède,  était  administrateur  d'Osnabrùck,  ainsi  que  plu- 
sieurs autres  évêques;  nous  les  avions  cités  d'après  Binterim,  mais  Hincmar  ne 
nomme  aucun  de  ces  prélats. 

2.  Binterim,  Deutsche  Concilie}!,  t.  n,  p.  394. 


434.     RÉINTÉGRATION    DE     LOUIS     LE    DÉBONNAIRE  91 

Badurab,  évêque  de  Paderborn,  et  Modoin  d'Autun1.  On  y  consen- 
[87]  tit.  et  conformément  à  la  décision  de  ces  trois  évêques,  Ebbon  se 
déclara  par  écrit  indigne  de  la  dignité  épiscopale,  demandant  l'é- 
lection et  le  sacre  d'un  autre  archevêque  de  Reims.  Il  lut  lui-même 
cette  déclaration,  et  prit  trois  autres  évêques  à  témoin  de  son  acte 
d'abdication  ;  puis  tous  les  membres  de  l'assemblée  prononcèrent 
successivement  la  sentence  :  Secundumtuam  confessionem  cessa  a 
ministerio,  et  Jonas,  évêque  d'Orléans,  dicta  un  court  procès- 
verbal,  daté  du  4  mars  835.  Ebbon  fut  conduit  à  Fulda,  et  le 
prêtre  Fulcon  fut  nommé  administrateur  de  Reims.  On  pardonna 
à  la  plupart  des  autres  évêques  :  notamment  à  Hildeman  de 
Beauvais  ;  mais  on  prononça  la  déposition  d'Agobard  arche- 
vêque de  Lyon,  parce  que,  après  Ebbon,  c'était  lui  qui  s'était 
montré  le  plus  intraitable  vis-à-vis  de  l'empereur  ;  de  plus  il 
n'avait  pas  répondu  à  trois  citations  qu'on  lui  avait  faites  2. 

Le  diacre  Florus,  supérieur  de  l'école  de  Lyon,  dénonça  au 
concile  de  Thionville  les  erreurs  que  répandait  Amalaire,  choré- 
vêque  dans  cette  ville.  Nous  avons  déjà  parlé  d' Amalaire  lors- 
qu'il n'était  encore  que  diacre  à  Metz,  et  signalé  sa  grande  acti- 
vité au  concile  d'Aix-la-Chapelle,  en  817.  A  l'époque  où  nous  som- 
mes arrivés,  il  venait  de  publier  un  livre  de  liturgie  fort  savant 
et  que  nous  possédons  encore,  le  De  offîciis  ecclesiasticis,  en 
quatre  livres  ;  malheureusement,  on  y  trouvait  quantité  d'ex- 
plications mystiques  du  culte,  des  cérémonies,  des  vases  sacrés 
et  des  habits  sacerdotaux,  la  plupart  fort  hasardées  et  même 
dangereuses  3.  En  834,  il  profita  de  l'absence  d'Agobard  pour 
réunir,  en  qualité  de  son  représentant,  un  synode  diocésain  à 
Lyon,  et  pendant  trois  jours  il  lut  aux  clercs  le  livre  de  sa  com- 
position. La  plupart  accueillirent  avec  applaudissement  ce  travail, 


1.  Hincmar  dit  que  c'étaient  là  les  judices  electi  dont  parle  le  concile  africain, 
c.  63  (il  aurait  dû  dire,  le  c.  2  du  concile  de  Carthage  tenu  en  407),  et  dont  on  ne 
pouvait  pas  appeler. 

2.  Sirmond,  Conc.  Gall.  t.  n  ;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  291  ;  Labbe,  Concilia, 
t.  vu,  col.  1695-1700  ;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1385  ;  Coleti,  Concilia, 
t.  ix,  col.  811  ;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  866  ;  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  xiv,  col.  657;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n,  p.  63;  Binterim,  Deutsche  Conci- 
lien,  t.  ii,  p.  391;  Luden,  op.  cit.,  t.  v,  p.  383,  619;  Bôhmer-Mùhlbacher,  Reg. 
Karoling.,  p.  346-347  ;  A.  Verminghofî,  Verzeichnis  der  Akten  frànkischer  Syno- 
den  von  742-843,  dans  Neues  Archiv,  1899,  t.  xxiv,  p.  489-490. 

3.  Sur  Agobard  et  Amalaire,  cf.  Dict.  d'arch.  chrél.,  t.  i,  col.  971,  1323.  (H.  L.) 


92 


LIVRE    XXI 


qui,  grâce  à  cette  circonstance,  se  répandit  rapidement.  Mais 
Florus  adressa  deux  lettres  aux  évêques  réunis  à  Thionville  pour 
les  prévenir  contre  les  nouvelles  doctrines  ;  il  se  plaignait  en 
particulier  de  ce  qu'Amalaire  enseignait  l'existence  d'un  triple 
corps  du  Christ  :  a)  son  corps  réel,  b)  son  corps  mystique  dans  [88] 
les  fidèles  vivants,  c)  son  corps  mystique  chez  les  défunts.  C'est 
pour  cela  que  l'hostie  doit  être  partagée  en  trois  parties;  l'une, 
qui  est  placée  dans  le  calice,  est  le  corps  réel  du  Christ;  les  par- 
celles qui  sont  sur  la  patène  représentent  le  corps  du  Christ 
dans  les  vivants,  et  les  parcelles  qui  sont  sur  l'autel  représentent 
le  corps  du  Christ  dans  les  morts.  Au  dire  de  Florus,  Amalaire 
enseignait  également  que  le  pain  était  le  corps  et  le  vin  l'âme 
du  Christ  ;  le  calice  de  la  messe  était  le  tombeau  du  Christ  ;  le 
célébrant,  Joseph  d'Arimathie  ;  l'archidiacre,  Nicodème  ;  les 
diacres  étaient  les  apôtres  qui  se  tenaient  en  arrière  et  voulaient 
se  cacher  ;  les  sous-diacres  étaient  les  femmes  au  tombeau  ; 
lorsque  le  prêtre  s'inclinait,  cela  voulait  dire  :  inclinato  capite 
tradidit  spiritum,  etc.  1.  —  Le  concile  fut  empêché  par  d'autres 
affaires  de  s'occuper  du  livre  d'Amalaire  qui  ne  fut  censuré  que 
plus  tard,  en  838,  par  le  concile  de  Quierzy  2. 

Ce  n'est  pas  en  836,  mais  en  juin  835  que  s'est  tenue  une  diète 
à  Stramiac  près  de  Lyon  3  ;  elle  s'était  réunie  pour  porter  une 
dernière  décision  au  sujet  d'Agobard  de  Lyon  et  de  Bernard  de 
Vienne,  et  donner  leurs  sièges  à  d'autres.  Toutefois,  l'un  et  l'autre 
ayant  pris  la  fuite,  on  ne  voulut  pas  les  juger  par  contumace,  et 
on  remit  l'affaire  à  un  concile  postérieur  4. 


1.  Florus,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  71,  94,  et  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  663  sq.  ; 
Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n,  p.  66  sq.  Cf.  A.  Verminghofï,  dans  Neues  Archiv, 
1899,  t.  xxiv,  p.  490.  Une  troisième  lettre  de  Florus  concernant  cette  même 
affaire  a  été  adressée  au  synode  de  Quierzy  tenu  en  838.  Les  auteurs  de  l'Histoire 
littéraire  de  la  France,  t.  v,  p.  223,  croient  que  la  plus  courte  des  deux  lettres  dont 
nous  parlons  (c'est  la  première  dans  Mansi,  la  troisième  dans  Migne)  n'est  pas 
adressée  à  notre  synode,  mais  à  un  autre  tenu  plus  tard  à  Thionville  ;  Mansi  a 
déjà,  loc.  cit.,  col.  663,  réfuté  cette  opinion. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  col.  655,  662;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  n,  p.  395. 

3.  Le  biographe  anonyme  de  Louis  le  Débonnaire,  souvent  appelé  Astrono- 
mus,  place  à  tort  cette  diète  de  Stramiac  en  836.  Pertz,  Monum.,  t.  n,  p.  642  ; 
Pagi,  Critica,  ad  ann.  836,  8  et  9. 

4.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  396;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1768-1769;  Har- 
douin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1447;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  883;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  734;  A.  Devaux,  L'ancien  Stramiacus  est-il  Tramoyes 


',;J5.     GRAND     CONCILE    A    AIX-LA-CHAPELLE  93 


435.  Grand  concile  à  Aix-à-Chapelle,  en  836. 

A  peine  remonté  sur  le  trône,  Louis  le  Débonnaire  reprit  son 
ancien  projet  de  réforme  générale  des  clercs  et  des  laïques.  Il 
réunit  dans  ce  but  un  grand  concile  (février  836),  dans  le  secre- 
tarium  de  l'église  de  Notre-Dame  dite  de  Latran,  à  Aix-la-Chapelle1. 
Les  actes  de  cette  assemblée  sont  très  considérables  et  compren- 
nent plusieurs  divisions.  Les  évêques  disent  dans  la  préface  : 
«Le  pape  Gélase  a  écrit  que  le  monde  était  gouverné  par  deux 
puissances,  la  puissance  sacerdotale  et  la  puissance  impériale. 
Or,  la  plus  grande  responsabilité  revient  à  la  puissance  sacerdo- 
tale, et  nous  sommes  pleins  de  reconnaissance  de  ce  que  Dieu 
[89]  nous  a  exhortés,  avec  tant  de  douceur  et  par  l'intermédiaire  de 
notre  pieux  empereur,  à  remplir  de  notre  mieux  nos  fonctions 
ecclésiastiques  et  à  nous  en  acquitter  conformément  à  la  volonté 
de   Dieu.  » 

A  ces  causes,  ils  avaient  envisagé  les  trois  points  soumis  par 
l'empereur  :  a)  ce  qu'un  évêque  doit  savoir  et  doit  faire,  b)  ce 
qui  appartient  à  l'honneur  et  aux  fonctions  du  sacerdoce,  c)  ce 
qu'il  est  nécessaire  de  faire  pour  le  salut  de  tous.  Dans  leurs 
réponses,  ils  voulaient  s'en  tenir  aux  statuts  des  Pères,  en  parti- 
culier à  ceux  de  Grégoire  le  Grand,  et,  au  sujet  des  laïques,  ils 
n'entendaient  parler  que  de  l'empereur,  de  ses  fils  et  de  ses 
officiers.  La  première  partie  des  actes  comprend  trois  chapitres  : 
1)  de  la  vie  des  évêques,  2)  de  la  science  des  évêques,  de  la  vie 
et  de  la  science  des  clercs  inférieurs,  3)  de  la  personne  du  roi, 
de   ses   fils   et   de   ses   serviteurs.    La   matière  n'est  pas   toujours 


(Ain)  ou  Crémieu  (Isère)?  dans  l'Université  catholique,  1891,  t.  vin,  p.  452-462. 
(H.  L.) 

1.  Sirmond,  Conc.  GalL,  t.  n,  col.  574;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  295;  Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  1700-1768;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1387;Coleti, 
Concilia,  t.  ix,  col.  816;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  671-695;  Bouquet, 
Rec.  hist.  des  Gaules,  t.  vi,  col.  354  ;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n,  p.  73  sq.  ; 
Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  n,  p.  398,  479  sq.  ;  B.  Simson,  J ahrbiï cher  des  fràn- 
kischen  Reichs  unter  Ludwig  dem  Frommen,  1876,  t.  n,  p.  148;  Bohmer-Mùhl- 
bacher,  Regesta  Imperii,  t.  i,  n.  923  a;  Dùmmler,  Geschichte  des ostfrànkischen 
Reiches,  Leipzig,  1887,  t.  i,  p.  144;  A.  Verminghofî,  dans  Neues  Archiv,  1899, 
t.  xxiv,  p.  490-491.  (H.  L.) 


94 


LIVRE     XXI 


distribuée  suivant  les  trois  catégories,  la  première  contient 
les  ordonnances  suivantes  :  1.  On  doit  arriver  à  l'épiscopat  par 
ses  vertus  et  non  par  l'argent.  2.  Un  évêque  doit  remplir  les  fonc- 
tions de  sa  charge.  3.  L'évêque  doit  exercer  l'hospitalité  et  nourrir 
les  pauvres.  4.  Il  doit  s'abstenir  de  toute  dispute.  5.  Il  ne  doit 
rien  exiger  pour  l'exercice  de  ses  fonctions  ecclésiastiques,  et  ne 
pas  permettre  que  ses  serviteurs  (ses  coopérateurs)  acceptent 
quoi  que  ce  soit.  6.  Il  doit  être  sobre.  7.  Lorsqu'on  fait  une 
enquête  sur  la  vie  d'un  prêtre,  (pour  l'élever  à  l'épiscopat), 
on  doit  examiner  comment  il  prêche  et  comment  il  enseigne  ; 
il  ne  doit  pas,  par  excès  d'humilité,  refuser  l'épiscopat  ;  devenu 
évêque,  il  doit  conformer  sa  vie  à  son  caractère.  8.  L'instruction 
du  sacerdos  (évêque  ou  prêtre)  doit  être  proportionnée  à  ses  audi- 
teurs, utile,  claire,  etc.,  et  sa  vie  doit  être  conforme  à  son  ensei- 
gnement. 9.  La  conduite  de  l'évêque  doit  être  pour  son  troupeau 
comme  une  lumière  conductrice  (extrait  de  la  Régula  pastoralis 
de  saint  Grégoire).  10.  Il  ne  doit  pas,  pour  se  faire  aimer,  se  dépar- 
tir de  sa  vigilance  (extrait  de  saint  Grégoire).  11.  Malheureusement 
beaucoup  d'évêques  administrent  avec  négligence  les  maisons 
canoniales  et  les  monastères  sous  leur  juridiction.  Il  en  sera  autre- 
ment à  l'avenir.  12.  Il  ne  faut  plus  que  désormais  les  évêques  aban- 
donnent leurs  diocèses  par  esprit  de  lucre. 

Chapitre  n.  —  1.  Tout  évêque  doit  être  très  instruit  dans  les 
choses  de  la  foi.  2.  Il  doit  savoir  présenter  d'une  manière  profi- 
table les  vérités  du  salut  contenues  dans  l'Ancien  et  le  Nouveau 
Testament.  3.  Il  doit  savoir  administrer  des  remèdes  spirituels 
et  donner  des  conseils  salutaires.  4.  Il  doit  être  versé  dans  la  science 
des  évangiles,  des  épîtres,  des  canons  et  de  la  Régula  pastoralis 
de  saint  Grégoire.  5.  Il  doit  méditer  tous  les  jours.  6.  Il  doit  se 
rendre  compte  de  la  différence  des  caractères  et  ne  pas  les  traiter 
tous  de  la  même  manière.  7.  Il  ne  doit  pas  employer  le  bien  de  [90J 
l'Église  selon  son  bon  plaisir  et  pour  enrichir  ses  parents.  8.11 
doit  consacrer  l'huile  des  malades  le  jour  de  la  Csena  Domini  et 
ne  pas  différer  de  le  faire,  ainsi  que  cela  arrive  trop  souvent. 
9.  On  doit  être  assidu  à  fréquenter  l'office  qui  a  lieu  le  soir  du  sa- 
medi saint.  10.  On  doit  célébrer  la  Litanie  le  25  avril  selon  la 
coutume  romaine.  11.  Chaque  évêque  doit  donner  des  soins  à 
l'instruction  de  son  coopérateur  (d'après  le  canon  4e  de  la  seconde 
division  de  ce  chapitre,  il  faut  entendre  par  ces  coopérateurs 
jes  chorévêques,   archiprêtres   et  archidiacres),  afin  que,  s'il  vient 


435-     GRAND    CONCILE     A    AIX-LA-CHAPELLE  95 

à  tomber  malade,  etc.,  celui-ci  puisse  prêcher  à  sa  place,  et  pour 
que  l'Église  ne  manque  pas  d'un  docteur  si  l'évêque  vient  à  mourir. 
12.  Tout  évêque  ou  tout  clerc  qui,  à  l'avenir,  ne  gardera  pas  fidé- 
lité à  l'empereur  Louis,  perdra  sa  dignité  de  par  une  sentence 
synodale  ;  quant  au  laïque,  il  sera  excommunié. 

La  seconde  division  de  ce  deuxième  chapitre  traite  des  clercs 
inférieurs  et  comprend  treize  numéros  :  1.  Les  abbés  des  maisons 
canoniales  doivent  veiller  aux  besoins  temporels  et  spirituels 
de  leurs  subordonnés.  Enumération  des  devoirs  de  ces  abbés. 
2.  Devoirs  des  abbés.  3.  Les  moines  ne  doivent  pas  déprécier, 
ainsi  que  cela  arrive  souvent,  les  curés  sur  les  paroisses  desquels 
ils  se  trouvent.  4.  Il  est  arrivé  que  les  coopérateurs  des  évêques, 
c'est-à-dire  les  chorévêques,  archiprêtres  et  archidiacres,  se  sont 
montrés  avares  à  l'égard  des  prêtres  et  du  peuple.  L'évêque  ne 
doit  instituer  aucun  coopérateur  avide  de  s'enrichir.  5.  Les  prêtres, 
qui  sont  à  la  tête  des  églises  et  sont  les  collègues  des  évêques  par 
la  consécration  de  l'Eucharistie,  doivent  être  assidus  à  la  prédi- 
cation, à  leurs  fonctions,  et  à  tout  leur  ministère.  Ils  auront  souci 
de  tous  ceux  qui  appartiennent  à  leur  église,  fussent-ils  encore  en- 
fants, pour  qu'aucun  ne  meure  sans  baptême.  Après  le  baptême 
l'évêque  imposera  les  mains,  puis  on  instruira  ces  fidèles  dans 
l'intelligence  du  Notre  Père,  du  symbole  et  de  leurs  devoirs. 
Si  un  fidèle  vient  à  pécher,  le  prêtre  doit  travailler  à  son  amende- 
ment; il  veillera  à  ce  qu'il  ne  meure  pas  sans  la  confession,  l'huile 
sainte  et  la  communion,  et  que  son  corps  soit  enterré  d'une  manière 
chrétienne.  6-9.  Les  prêtres  tombent  surtout  dans  les  quatre 
fautes  suivantes  :  Certains  dépensent  pour  eux-mêmes  les  biens 
de  l'église,  négligent  les  restaurations  nécessaires  à  cette  église  et 
l'entretien  du  luminaire.  D'autres  ont  des  femmes  à  leur  service, 
ce  qui  a  été  souvent  défendu.  D'autres  se  conduisent  comme  des 
paysans,  vont  dans  les  auberges,  font  des  commerces  défendus, 
s'assoient  à  des  banquets  ou  à  des  parties  à  boire,  vont  à  la  foire, 
etc.  Enfin  quelques-uns  ont  un  patrimoine  insuffisant,  en  sorte 
91]  qu'obligés  de  s'occuper  des  affaires  temporelles  ils  négligent  les 
affaires  spirituelles.  10.  Nous  voulons  nous  efforcer  d'introduire 
des  réformes  parmi  les  prêtres,  mais  vous,  Sire,  vous  devez  ordon- 
ner aux  laïques  de  les  honorer  et  devez  punir  ceux  qui  y  manquent. 
12.  Beaucoup  de  nonnes  sont  devenues  presque  des  filles  publiques. 
Aussi  est-il  nécessaire  de  confier  à  des  hommes  d'une  piété  éprouvée 
le  soin  d'y  mettre  ordre.  13.  Les  abbesses  (prœlatas)  doivent  donner 


96  LIVKE    XXI 

à  leurs  nonnes  le  bon  exemple  et  leur  fournir  le  moyen  de  subsister, 
afin  que  la  faim  ne  les  fasse  pas  tomber  dans  les  pièges  de  Satan. 
14.  Elles  doivent  veiller  à  ce  qu'il  n'y  ait  pas  dans  le  monastère 
de  ces  recoins  obscurs  où  l'on  puisse  commettre  des  fautes.  15. 
Les  missi  impériaux  doivent  veiller  à  ce  que  les  supérieurs  des 
maisons  canoniales  et  des  monastères  d'hommes  et  les  supé- 
rieures des  monastères  de  femmes  fassent  observer  la  règle 
scrupuleusement.  16.  Autant  que  possible,  l'évêque  devra  placer 
dans  chaque  église  un  prêtre,  qui  la  gouvernera,  et  la  dirigera 
d'une  manière  indépendante  ou  sous  la  surveillance  d'un  archi- 
prêtre  (prior  presbyter)  ;  beaucoup  d'endroits  sont  en  effet  privés 
de  prêtres.  Ils  peuvent,  il  est  vrai,  célébrer  des  messes  dans  toutes 
les  églises  qui  leur  sont  confiées  ;  mais  ils  ne  peuvent  pas  remplir 
les  autres  fonctions  de  leur  ministère,  parce  qu'ils  ont  trop  d'églises 
c'est  pourquoi  on  signale  pour  le  baptême  des  malades,  la  con- 
fession et  la  communion  de  ceux  qui  sont  en  danger  de  mort, 
lacunes  fort  regrettables. 

Dans  le  chapitre  3,  les  évêques  rassemblent  des  exhortations 
à  l'empereur  et  à  ses  serviteurs.  Ils  répètent  en  partie  les  avertis- 
sements donnés  à  Paris  et  à  Worms,  en  829.  Ainsi,  c.  1-4  incl. 
est  identique  au  n°  1  De  persona  regali  du  concile  de  Worms  ; 
c.  5  est  identique  aux  nos  8  et  9  ;  c.  6,  au  n°  10  du  IIIe  livre  du 
concile  de  Paris  ;  c.  9,  au  n°  2  de  Worms  de  persona  regali,  et  au 
lib.  III,  c.  22  du  concile  de  Paris;  c.  10,  au  n°  3  de  Worms  et  aux 
c.  23  et  24  de  Paris  ;  c.  13,  au  n°  5  de  Worms  et  au  lib.  III,  c.  25 
de  Paris,  c.  14  et  15,  au  n°  7  de  Worms  et  au  lib.  III,  c.  26  de  Paris; 
c.  16,  au  n°  8  de  Worms  et  au  lib.  III,  c.  27  de  Paris.  —  Les  nou- 
veaux capitula  sont  :  C.  7  :  L'empereur  ne  doit  pas  recevoir  de 
dénonciations  secrètes  contre  les  évêques.  C.  8.  On  doit  observer 
les  anciens  canons  relatifs  à  l'aliénation  des  biens  de  l'Eglise. 
C.  17.  L'empereur  ne  doit  charger  les  évêques  d'aucune 
affaire,  du  moins  pendant  le  carême.  C.  18.  On  ne  doit  pas 
jeûner  le  dimanche,  et  ne  célébrer  ce  jour-là  ni  placitum  ni 
noces  1.  C.  19.  Les  églises  'ne  doivent  pas  être  données  aux  laïques  ; 
celles  qui  sont  ruinées  doivent  être  relevées.  C.  20.  On  doit  engager  [92] 
les  laïques  à  se  montrer  très-respectueux  à  l'égard  des  prêtres. 
C.  21.  Celui  qui  a  en  sa  possession  des  biens  et  des  esclaves  de 
l'Eglise  ne  doit  pas  les  traiter  avec  dureté.  G.  22.  On  doit  recevoir 

1.  Au  lieu  de  nuptias,  Binterim  op.  cit.,  t:  u,  p.  492  veut  qu'on  lise  nundinas. 


',.'!;,.     GRANDS    CONCILES    A    AIX-LA-CHAPELLE  97 

tous  les  dimanches  le  corps  du  Seigneur.  C.  22.  Aucun  prêtre 
ne  doit  venir  dans  le  camp  impérial  sans  permission  de  l'évêque. 
G.  24.  Aucun  moine  ne  doit  s'éloigner  de  son  monastère  sans  une 
raison  suffisante.  C.  25.  Celui  qui  enlève  une  veuve  ou  une 
jeune  fille  sera  recherché  par  les  comités  et  puni. 

Les   évêques   disent   en  terminant  :    «  Si   on   se   conforme    aux 
recommandations    qui    précèdent,    l'Église    recouvrera,    avec    le 
secours  de   Dieu,  sa  première  beauté.    Pour    y  parvenir,  il  faut 
que  chacun  remplisse  son  devoir.  Aussi  longtemps  qu'elle  accom- 
plira  son   pèlerinage   sur  la   terre,   l'Église    sera    gouvernée    par 
les  prêtres  et  par  les  rois.   Il  est  incontestable  et  connu  de  tous 
que    nous,    évêques,    avons    eu    des    torts    nombreux   et    divers  ; 
mais  il  faut  reconnaître  que  notre  fidélité  n'a  été  ébranlée  que 
par  suite  de  la  défection  de  vos  propres  enfants  et  parce  que  la 
malice  des  grands  est  arrivée  à  un  degré  inconnu  jusqu'ici.  Tout 
cela  ne  sera  réparé  que  si,  après  avoir  recouvré  la  puissance  et 
la  dignité  impériales,  vous  travaillez  à  faire  rendre  à  l'Église  les 
honneurs    qui   lui   reviennent    et    à   relever  l'autorité  épiscopale. 
Dans  les  conciles  précédents,  les  évêques  ont,  sur  vos  exhortations, 
porté  de  nombreuses   ordonnances   pour  la  réforme   de  tous  les 
états.   Mais  ces  capitula  sont,  nous  ne  savons  pourquoi,  tombés 
dans  l'oubli.  Plaise  à  Dieu  qu'il  n'en  soit  pas  de  même  pour  les 
présents  capitula  !  » 

Nous  avons  vu  qu'à  Attigny  l'empereur  Louis    avait  ordonné 
à  son  fils  Pépin,  de  rendre  les  biens  enlevés  à  l'Église,  soit  pour 
se  les  approprier,  soit  pour  les  donner  à  ses  amis.   Les  évêques 
avaient,  dans  le  même  but,   adressé  à  Pépin,  dans  une  réunion 
d'ailleurs   inconnue,  des  salutaria   monita.  Toutes   ces   démarches 
étant  demeurées  vaines,  les  évêques  s'en  occupèrent  de  nouveau 
à  Aix-la-Chapelle  et  envoyèrent  à  Pépin  un  long  mémoire  divisé 
en  trois  livres.  On  lit,  dans  la   préface  du  premier  livre,  qu'«  Ils 
avaient  eu  autrefois  trop  peu  de  temps  pour  appuyer  leurs  saluta- 
[93]     ria  monita  sur  des  textes  de  la  Bible.  Il  était  cependant  bon  de 
le  faire,  afin  que  nul  ne  pût  dire  qu'ils  avaient  agi  suivant  leurs  ca- 
prices et  poussés  uniquement  par  leur  propre  intérêt.  »  De  ces  pa- 
roles et  de  plusieurs  autres  passages  des  trois  livres,  il  résulte  que 
Pépin  ou  ses  adhérents  avaient  prétexté  toutes  sortes  de  sophis- 
mes   pour  se  dispenser  de  rendre  les  biens  de  l'Egliee  ;  ils    disaient 
par  exempl3  :  «  Les  saints  à   qui   on   avait   donné   ces   biens   n'en 
avaient  plus   besoin  ;    ou   bien,    Dieu   n'avait    pas    demandé    de 

CONCILES  -   IV  -  7 


98  LIVR   E     XXI 

pareilles  offrandes  puisque  tout  lui  appartenait.  »  Afin  de  réfuter 
ces  arguties,  les  évêques  rapportent,  dans  les  38  n(JS  du  Ier  livre, 
comment  l'Ancien  Testament  avait  déclaré  agréables  à  Dieu, 
l'érection  d'un  temple,  le  don  de  vases  précieux,  l'immolation  des 
victimes,  etc.  Il  était  seulement  défendu  d'offrir  à  Dieu  des 
biens  injustement  acquis.  La  pieuse  coutume  d'offrir  des  sacri- 
fices à  Dieu,  de  lui  élever  des  autels,  etc.,  remonte  jusqu'à 
Abel  et,  venue  de  lui  jusqu'à  nous,  a  été  pratiquée  dans  tous 
les  temps.  Nous  en  avons  pour  témoins,  après  Abel  :  Noé,  Abra- 
ham, Melchisédech,  Isaac,  Jacob,  Moïse.  Grâce  à  Moïse,  qui 
agissait  sur  l'ordre  de  Dieu,  le  service  divin  s'était  grandement 
perfectionné.  Dieu  avait  eu  son  sanctuaire  et  sa  maison,  et  les 
sacrifices  avaient  été  institués  d'une  manière  légale.  Viennent 
ensuite  des  passages  de  la  Bible  sur  le  respect  dû  au  temple  et 
la  manière  d'y  offrir  les  holocaustes. 

Le  second  livre,  qui  renferme  trente-et-un  numéros,  continue 
les  preuves  extraites  de  l'Ancien  Testament.  Il  fait  voir,  par 
une  suite  de  citations,  comment  Dieu  a  puni  les  contempteurs  de 
son  tabernacle  et  du  culte  divin,  comment  Salomon  a  bâti  le 
temple  et  l'a  enrichi  de  présents,  comment  les  étrangers  eux- 
mêmes  ont  honoré  ce  même  temple,  et  enfin  comment  Dieu  a 
puni  Nabuchodonosor,  Balthazar,  Antiochus,  Héliodore,  profa- 
nateurs et  voleurs  de  ce  temple. 

Le  troisième  livre  contient  vingt-sept  chapitres  et  passe  à  l'épo- 
que chrétienne  ;  voici  le  résumé  de  l'argumentation  :  Le  temple 
de  Salomon  était  le  type  de  l'Église  chrétienne,  enrichie  dès 
l'origine  par  les  dons  des  fidèles.  Le  Christ  lui-même  avait,  pendant 
sa  -  vie  terrestre,  accepté  les  présents  des  fidèles  ;  mais  Judas 
en  avait  volé  une  partie,  et  quiconque  volait  ainsi  l'Église,  était, 
au  jugement  de  saint  Augustin,  un  nouveau  Judas.  Saint  Augus- 
tin ajoute  que  le  Christ  avait  possédé  de  l'argent,  pour  montrer 
que  l'Église  devait  avoir  aussi  des  biens,  et  saint  Jérôme  compare 
aux  scribes  ceux  qui  abusent  des  biens  de  l'Église.  Le  Christ  [94] 
avait  loué  Marie  d'avoir  répandu  sur  ses  pieds  un  parfum  précieux, 
et  Judas  ne  sut  que  la  blâmer.  De  même,  beaucoup  de  gens 
désapprouvent  les  offrandes  faites  au  Seigneur.  Le  Christ  avait 
aussi  loué  la  veuve  qui  mettait  deux  deniers  dans  le  tronc.  Le 
Christ  avait  prouvé  qu'il  ne  supporterait  aucun  affront  fait  à 
son  Église  lorsqu'il  chassa  vendeurs  et  acheteurs  du  temple  de 
Jérusalem,  qui  n'était  pas  encore  une  église.  Explication  de  saint 


436-     DIÈTES    SYNODALES,     ETC.  99 

Jérôme  sur  ce  passage.  Ce  même  Père  applique  plusieurs  au  lus 
passages  de  la  Bible  aux  puissants  et  aux  violents  qui  prennent 
le  bien  des  églises  et  des  pauvres,  et  essayent  de  racheter  leurs 
fautes  par  des  aumônes.  Le  respect  du  Christ  à  l'égard  du 
temple  est  la  mesure  de  l'honneur  que  les  chrétiens  doivent 
rendre  à  l'église.  Exemple  de  donations  faites  aux  églises,  extrait 
des  actes  des  apôtres  ;  exemple  de  Constantin  le  Grand  et  d'autres 
princes.  Les  saints  canons  défendent  expressément  de  porter 
atteinte  aux  biens  de  l'église  ;  citation  de  ces  canons.  A  la  fin, 
les  évêques  demandent,  à  Pépin  de  recevoir  ce  mémoire  favorable- 
ment et  d'imiter  ses  prédécesseurs  qui  ont  enrichi  et  exalté 
l'Église  1. 


436.  Événements  qui  surviennent  dans  la  famille  impériale. 
Diètes  synodales  à  Aix-la-Chapelle  et  à  Quierzy  en  838. 

Dès  avant  l'ouverture  du  concile  d'Aix-la-Chapelle,  l'empe- 
reur Louis  avait  renoué  avec  son  fils  Lothaire  des  relations  ami- 
cales. L'impératrice  Judith  poussait  à  ce  rapprochement  dans 
l'espoir  que,  si  l'empereur  déjà  souffrant  venait  à  mourir,  elle 
trouverait  peut-être  dans  Lothaire  un  protecteur  pour  son  fils 
[95]  Charles  2.  Louis  envoya  donc  près  de  Lothaire,  à  Pavie,  Otgar, 
archevêque  de  Mayence,  rentré  en  grâce  3,  sur  les  instances  de 
son  diocèse,  Hilti,  évêque  de  Verdun,  et  deux  comtes.  Lorsque, 
peu  après  la  clôture  du  concile  d'Aix-la-Chapelle,  Louis  tint, 
en  mai  836,  une  diète  à  Thionville,  ces  personnages  étaient  de 
retour,  escortés  d'une  ambassade  de  Lothaire,  à  la  tête  de  la- 
quelle se  trouvait  le  vieil  abbé  Wala,  réfugié  en  Italie  à  cause  de 
sa  conduite  envers  l'empereur  Louis,  et  devenu,  grâce  à  Lothaire, 
abbé  de  Bobbio.  Il  n'en  fut  pas  moins  reçu  avec  cordialité  en  qua- 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  696-733;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1048  sq.; 
Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n.  p.  91  sq. 

2.  C'est  l'opinion  émise  par  Astronomus  dans  sa  Vita  Ludovici;  voy.  Pertz, 
Monum.,  t.  n,  p.  640. 

3.  Voy.  l'epist.  cxxxix,  dans  Wurdtwein,  dans  V  Appendix  de  son  édition  de 
Opéra  sancti  Bonijacii,  p.  329,  e1  dans  l'édition  de  ( Jilcs,  I.  i,  p.  255;  seulement 
il  faut  remarquer  que  ce  dernier  auteur  donne  la  fausse  date  de  840. 


100  LIVRE     XXI 

lité  d'ambassadeur,  et  fit  tous  ses  efforts  pour  réconcilier  le  père  et 
le  fils.  On  décida  que,  dans  la  prochaine  diète,  à  Worms,  Lothaire 
paraîtrait  en  personne.  Wala  retourna  en  Italie  où  il  mourut  dans 
l'été  de  l'année  suivante,  d'une  peste  qui  enleva  un  grand  nombre 
des  partisans  de  Lothaire,  et  parmi  eux  Jessé,  l'ancien  évêque 
d'Amiens.  L'empereur  Louis,  dont  ils  avaient  été  les  ennemis  décla- 
rés, n'en  pleura  pas  moins  sur  cette  fin«  de  la  fleur  de  la  noblesse 
franque.  »  La  mort  de  Wala  retarda  la  réconciliation  des  deux 
souverains.  A  la  diète  de  Worms  (septembre  836),  on  apprit  que 
Lothaire,  dont  on  attendait  l'arrivée,  avait  été  saisi  de  la  fièvre 
et  qu'il  manquerait  au  rendez-vous.  Mais  presque  aussitôt  on 
sut  que  ce  prince  opprimait  et  dépouillait  l'Église  romaine,  déte- 
nait les  biens  de  l'Église,  enlevait  leurs  sièges  aux  évêques  italiens 
et  leurs  établissements  aux  grands  qui  avaient  accompagné 
l'impératrice  en  France.  L'empereur  Louis  renvoya  de  nouveaux 
ambassadeurs  en  Italie,  à  Lothaire  aussi  bien  qu'au  pape  Gré- 
goire IV,  et  Lothaire  promit  de  faire  une  partie  des  restitutions 
réclamées,  déclarant  d'ailleurs  ne  pouvoir  les  faire  toutes.  Le 
pape  Grégoire  accueillit  avec  bienveillance  les  ambassadeurs 
de  Louis  le  Débonnaire,  et  leur  adjoignit,  au  retour,  deux  évê- 
ques italiens  chargés  de  traiter  personnellement  avec  l'empe- 
reur. Lothaire  voulant  empêcher  les  évêques  d'arriver  jusqu'à 
son  père,  les  retint  prisonniers  à  Bologne.  Ils  parvinrent  néan- 
moins à  faire  passer  leurs  dépêches  à  l'empereur  qui  se  décida, 
vu  cet  état  des  choses,  à  faire  une  expédition  en  Italie.  Malheureu- 
sement les  invasions  des  Normands  et  d'autres  peuples,  et  peut- 
être  aussi  la  nouvelle  des  armements  de  Lothaire,  firent  échouer 
ce  plan  1. 

Vers  la  fin  de  l'année  837,  l'empereur  convoqua  une  diète  à 
Aix-la-Chapelle  pour  faire  attribuer  à  son  plus  jeune  fils  Charles, 
son  enfant  préféré,  une  partie  de  l'empire.  Ce  prince  ne  possédait 
plus  d'apanage,  depuis  que  Louis  le  Germanique,  d'accord  avec 
son  père,  s'était  adjugé  l'Allemanie.  Charles  reçut  à  Aix-la-Chapelle 
la  plus  grande  partie  de  la  Belgique  et  une  série  de  comtés  depuis  [96] 
la  Meuse  et  le  Rhin  inférieur  jusqu'à  Paris  inclusivement.  Mécon- 
tent de  cette  décision,  Louis  le  Germanique  eut  avec  Lothaire 
une  entrevue  secrète  à  Trente  ;  il  chercha,  il  est  vrai,  à  apaiser 
la  méfiance  qu'en  avait    conçue  son  père,  mais    dans    une    diète 

1.  Dûmmler,  op.  cit.,  p.  117  sq.,  122-125 


436-     DIÈTES    SYNODALES,     ETC.  101 

tenue  à  Nimègue,  Louis  le  déclara  déchu  d'une  grande  partie 
de  son  royaume,  et  augmenta  de  nouveau  à  la  diète  de  Quierzy 
(septembre  838)  la  part  de  Charles  devenu  majeur  et  cou- 
ronné roi  de  Neustrie.  A  cette  même  assemblée  une  députa- 
tion  venue  de  Septimanie  se  plaignit  de  ce  que  le  duc  Bernard 
permettait  à  ses  serviteurs  d'accepter  les  biens  des  Églises  et 
des  particuliers  et  réclama  l'envoi  de  missi  dans  cette  province  1. 

On  admet  généralement  qu'en  même  temps  que  la  diète  de 
Quierzy  il  se  tint  un  concile  auquel  assistèrent  l'abbé  Sigismond 
et  quarante  moines  du  monastère  d'Anisol  (Saint-Calais)  qui  expo- 
sèrent leurs  plaintes   contre  Aldrich,   évêque  du  Mans. 

A  l'origine,  Saint-Calais  dépendait  de  la  juridiction  épiscopale 
des  évêques  du  Mans,  à  laquelle  il  fut  soustrait  par  Pépin  le  Bref 
en  châtiment  de  la  révolte  d'un  évêque  du  Mans,  et  transféré  sous 
la  protection  royale.  L'évêque  repentant  obtint  que  Charle- 
magne  remît  les  choses  dans  leur  premier  état  2.  Dans  la  suite, 
les  moines  de  Saint-Calais  voulurent  de  nouveau  se  soustraire  à 
l'obéissance  de  l'évêque  et  obtinrent  par  ruse  de  Louis  le  Débon- 
naire un  diplôme  d'exemption  3.  Il  en  résulta  un  conflit  entre 
Aldrich,  évêque  du  Mans,  et  Sigismond,  abbé  de  Saint-Calais,  qui 
repoussa  les  propositions  les  plus  conciliantes.  L'affaire  fut  défé- 
rée à  l'empereur,  qui  s'en  occupa  dans  le  placitum  d'Aix-la- 
Chapelle  (carême  de  838).  Les  deux  parties  devaient  s'y  présenter 
immédiatement  après  Pâques.  L'abbé  Sigismond  cité  trois  fois 
fit  défaut,  et  Aldrich  exposa  des  preuves  si  péremptoires 4, 
que  les  évêques  et  les  grands  de  l'empire  déclarèrent  expressé- 
ment  que    Saint-Calais   serait   sous   sa  juridiction  (30  avril  838), 


1.  Baluze,  Miscellanea,  1761,  t.  i,  p.  109-110;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  887; 
Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  875;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  738; 
P.  L.,  t.  cxix,  col.  80;  Martène  et  Durand,  Veierum  scriptor.  coll,  1733,  t.  ix, 
col.  641,  649  ;  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  ii,  p.  643  sq.  ;  R.  Monchmeier, 
Amalar  von  Metz,  in-8,  Munster,  1893,  p.  44  ;  B.  Simson,  Jahrbiicher,  t.  ir, 
p.  183  ;  A.  Verminghofï,  Verzeichniss  dans  Neues  Archiv,  1899,  t.  xxiv, 
p.  491.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  757. 

3.  Ibid.,  col.  766.  Cf.  J.  Havet,  Questions  mérovingiennes,  IV.  Les  chartes  de 
Saint-Calais,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  1887,  t.  xlviii,  p.  5- 
58  ;  Appendice  :  Cartulaire  de  Saint-Calais  envoyé  au  pape  Nicolas  Ier  en  863, 
ibid.,  p.  209-247;  E.  Mùhlbacher,  dans  Mittheil.  d.  Instit.  œsterr.  Gesch.,  1888, 
t.  ix,  p.  485-489.  (H.  L.) 

4.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  760,  763,  764. 


102  LIVRE     XXI 

et   que    l'empereur    enverrait    des    missi  remettre  toutes  choses 
selon  les  règles. 

Après  la  réintégration  d'Aldrich  dans  ses  droits  sur  le  monastère 
de  Saint-Calais,  les  moines  se  plaignirent  à  la  diète  de  Quierzy 
d'avoir  été  expulsés  de  chez  eux  par  l'évêque  lui-même.  Celui-ci 
voulut  recommencer  la  démonstration  de  ses  droits  sur  Saint- 
Calais.  Mais  Drogon  de  Metz  et  les  autres  prélats  qui  avaient 
assisté  à  la  réunion  d'Aix-la-Chapelle  1)  déclarèrent  que  c'était  [97] 
peine  inutile,  puisque  son  droit  avait  été  reconnu  à  Aix-la-Chapelle 
et  qu'il  suffisait  de  parler  de  la  prétendue  expulsion  des  moines. 
Il  fut  prouvé  que  personne  n'avait  chassé  les  moines,  qu'ils  étaient 
partis  d'eux-mêmes  pour  faire  opposition  à  l'évêque.  L'assemblée 
de  Quierzy  les  condamna  donc  à  revenir  dans  leur  monastère  et 
à  faire  pénitence  ;  et  comme  ils  ne  voulaient  pas  se  soumettre, 
ils  furent  exclus  de  l'état  ecclésiastique  et  de  l'Église.  Le  procès- 
verbal  de  cette  condamnation  signé  par  Drogon,  Otgar  de  Mayence, 
Agobard  de  Lyon,  Bernard  de  Vienne  et  beaucoup  d'autres 
évêques,  est  daté  du  vin  idus  sept.  838  2.  Il  en  résulterait  qu'A- 
gobard  de  Lyon  avait  été,  dans  l'intervalle,  réintégré  sur  son 
siège,  si  la  source  dont  nous  avons  extrait  ce  qui  précède 
n'était  très  suspecte;  c'est  un  des  documents  apocryphes  fabri- 
qués  au   Mans  sur  l'affaire  du  monastère  de  Saint-Calais  3. 

Les  erreurs  d'Amalaire  de  Lyon  furent  condamnées  dans  la 
diète  de  Quierzy  d'après  une  lettre  de  son  adversaire  Florus,  qui 
écrit  à  ce  sujet  à  ses  amis  :  «  Après  qu'Amalaire  eut  commencé  à 
répandre  ses  erreurs,  le  pasteur  (c'est-à-dire  l'archevêque  de 
Lyon),  très  attristé,  en  informa  le  pieux  empereur  qui  avait  alors 
précisément  réuni  les  évêques  dans  son  palais  de  Quierzy,  pour 
délibérer  sur  les  affaires  de  l'Église  ;  il  leur  proposa  donc  de 
juger  les  nouvelles  doctrines.  On  lut  les  principaux  passages 
du  livre  d'Amalaire  en  présence  de  son  auteur  à  qui  on  demanda 
si  c'était  là  réellement  sa  doctrine  et  d'où  il  l'avait  extraite.  — 
Il  répondit  :  «  De  mon  esprit.  »  Les  évêques  lui  dirent  que 
c'était  un  esprit  d'erreur,  et  après  d'interminables  disserta- 
tions,   le   concile  déclara    sa  doctrine    condamnable...,  étrangère 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  738. 

2.  Id.,  t.  xiv,  col.  757,  765. 

3.  Roth,  Beneficialwesen,  p.  459  ;  J.  Havet,  Les  actes  des  évêques  du  Mans, 
dans  la  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  1893-1894,  t.  liv,  p.  645-692;  t.  lv,  p.  5-60. 
(H.  L.) 


437-     CONCILE     DE     KINGSTON  103 

à  la  vraie  foi  et  à  toute  l'Église.  Sans  doute  les  cérémonies 
de  l'Ancien  Testament  avaient  un  aspect  mystérieux  et  sym- 
bolique, mystère  et  symboles  élucidés  par  la  venue  du  Christ. 
Les  types  de  l'ancienne  loi  et  la  vérité  de  l'Évangile  ayant  pour 
eux  l'autorité  divine,  personne  ne  devait  introduire  de  nou- 
veaux types  et  de  nouveaux  mystères.  On  devait,  en  outre,  se 
conformer  aux  règles  de  l'Église  au  sujet  des  vêtements  et  des 
["8]  vases  sacrés,  sans  aller  chercher  des  explications  fantastiques  et 
nébuleuses.  Quant  à  la  doctrine  du  triple  corps  du  Christ,  les 
évêques  la  condamnaient  et  n'hésitaient  pas  à  la  faire  venir 
du  démon.  Florus  assure  avoir  dans  la*  mesure  du  possible, 
rendu  les  mots  et  le  sens  du  concile;  il  s'applique  ensuite  à  réfu- 
ter longuement  Amalaire,  soit  par  des  passages  de  la  Bible,  soit 
par  des  citations  des  Pères  1. 


437.  Concile  de  Kingston,  838.  Mort  de  Louis  le  Débonnaire,  840. 

Vers  le  même  temps  (838),  se  réunit  à  Kingston,  en  Angleterre, 
sous  la  présidence  de  Céolnoth,  archevêque  de  Cantorbéry,  un 
grand  concile  auquel  assistèrent,  s'il  faut  en  croire  les  actes,  les 
deux  rois  Egbert  et  Aethelwulf  et  un  très  grand  nombre  d'évêques. 
Les  actes  ne  portent  d'autres  signatures  que  celles  de  l'archevê- 
que et  de  plusieurs  prêtres  et  diacres,  comme  s'il  ne  s'agissait 
que  d'un  concile  diocésain  2.  Nous  n'en   connaissons    autre  chose 

1.  Dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  741  sq.,  mieux  dans  Florus,  P  L.,  t.  cxix, 
col.  80  sq.  Nous  remarquerons,  en  passant,  cette  phrase  dans  la  lettre  de  Florus  : 
«  L'Église  de  Lyon  est  présentement  malheureuse,  car  elle  a  un  episcopus  sine 
poteslate  et  un  magister  sine  veritate.  Dans  son  édition  de  Baronius,  Mansi,  ad 
ann.  838,  n.  75,  t.  xiv,  p.  231,  comprend  ainsi  cette  phrase  :  Agobard  était  alors 
en  exil,  par  conséquent  sine  poteslate,  et  Amalaire  était  le  magister  sine  veri- 
tate. Mais  alors  cette  phrase  ne  s'accorde  pas  avec  ce  que  Florus  a  dit  au  début, 
que  le  pasteur  avait  accusé  Amalaire  auprès  de  l'empereur,  »  et  nous  voyons  en 
outre,  qu'Agobard  assista  au  synode  de  Quierzy,  qu'il  était  par  conséquent 
réintégré  dans  sa  potestas.  [Sur  la  question  des  deux  Amalaires  (de  Trêves  et  de 
Metz),  qui  se  réduisent  au  seul  Amalaire  de  Metz,  cf.  Diction,  de  théol.  cathol.,t.  i, 
col.  933-934  ;  Diction,  d'archéol.  chrél.,  t.  i,  col.  1323, 1330.  (H.  L.)] 

2.  Kinsgton-upon-Thames,  comté  deSurrey.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  397;  Labbe, 
Concilia,  t.  vu,  col.  1767-1768  ;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1447;  Coleti, 
Concilia,  t.  ix,  col.  888;  Wilkins,  Conc.  Brit.,  t.  i,  col.  178;  Mansi,    Concilia, 


104 


LIVRE     XXI 


que  la  confirmation  d'une  donation  faite  par  les  deux  rois  sus- 
nommés à  l'église  de  Cantorbéry. 

Pépin  d'Aquitaine  mourut  probablement  au  mois  de  décembre 
838,  laissant  deux  enfants  mineurs,  incapables  de  régner,  et  que 
l'empereur  écarta  d'un  nouveau  partage  dans  lequel  son  fils 
Louis  fut  réduit  à  la  Bavière,  tandis  que  Lothaire  et  Charles  se  [99] 
partagèrent  le  reste  de  l'empire.  Lothaire  adopta  ce  projet 
avec  joie  et  se  hâta  de  passer  les  Alpes.  Louis  le  Germanique  parla 
inutilement  d'amener  une  armée;  le  partage  eut  lieu  à  Worms 
(juillet  839);  on  fixa,  autant  que  possible,  la  limite  des  royaumes 
de  Lothaire  et  de  Charles,  et  on  fit  jurer  à  tous  ceux  qui  étaient 
présents  fidélité  à  ce  contrat.  L'empereur  se  rendit  (août  839) 
à  Chalon-sur-Saône,  où  il  tint  un  conventus  Cabillonensis  sou- 
vent énuméré  parmi  les  conciles,  quoiqu'on  n'y  ait  traité  que 
des  affaires  de  l'Etat,  en  particulier,  de  l'exclusion  des  fils  de 
Pépin  du  royaume  d'Aquitaine  \ 

On  tint  dans  le  même  temps  des  réunions  qui  peuvent  être 
comprises  au  nombre  des  conciles,  mais  n'étaient  en  réalité  que 
des  synodes  diocésains  de  peu  d'importance  :  ainsi,  à  Sens  et  à 
Saint- Orner. 

Au  cours  de  cette  même  année  839,  on  tint  à  Cordoue,  en 
Espagne,  sous  la  domination  des  Maures,  un  concile  plus  im- 
portant; Florez  nous  en  a  conservé  les  actes  dans  le  t.  xv  de  son 
Espana  sagrada  (1759),  et  après  lui  Helfferich  2  et  Gains  3  s'en  sont 
particulièrement  occupés.  Huit  évêques  (dont  plusieurs  métro- 
politains) et  de  nombreux  prêtres  assistèrent  à  ce  concile,  à 
la  célébration  duquel  les  Maures  ne  s'opposèrent  pas.  La  princi- 
pale discussion  concerna  la  secte  des  Cassianistes,  formée  dans  les 
diocèses  d'Egabra  et  d'Anci,  principalement  à  Epagro  dans  le 
diocèse  d'Egabra  où  ils  avaient  élevé  une  église  dédiée  à  saint 
Cassien.  Ils  s'étaient  introduits,  disent  les  actes,  venant  du  rivage 
de  la  mer,  c'est-à-dire  d'Afrique  et  paraissaient  avoir  adopté 
les  doctrines  des  Migétiens.  Ils  avaient  un  évêque  nommé  Quiné- 

Supplem.,  t.  i,  col.  805;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  754;  Haddan  et  Stubbs, 
Councils  and  ecclesiastical  documents,  t.  ni,  p.  617-620  ;  W.  D.  Biden,  Histo- 
ry  and  antiquities  of  Kingston,  in-8,  Kingston,  1852.  (H.  L.) 

1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  398;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1770;  Coleti,  Conci- 
lia, t.  ix,  col.  899;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  767.  (H.  L.) 

2.  Helfferich,  Weslgoth.  Arianismus,  p.  108  sq. 

3.  Die  Kirchengeschichte  von  Spanien,  t.  h,  part.  2,  p,  311  sq. 


438-   concile    d'ingelheim,    été   840  105 

ricus  qui  se  prétendait  envoyé  par  Rome,  désignaient  comme  leur 
fondateur  un  certain   Cassien   complètement  inconnu,   et  furent 
désignés   par  le   concile   sous   les   noms   de  Juvéniens  Simonistes 
et  Acéphales   (Séparatistes).    Ils  permettaient  les  mariages  entre 
parents,  avec  les  divorcés  et  avec  les  infidèles,  rejetaient  le  culte 
des  reliques,   voulaient  introduire   une   discipline   du  jeûne   plus 
sévère,  regardaient  comme  impurs  une  grande  quantité  de  mets, 
avaient  la   prétention   de   s'administrer   à   eux-mêmes    la   sainte 
Eucharistie,   ne   se  présentaient  plus  à  la  sainte    table  sous   pré- 
texte  que  la  sainte  Hostie    y    était    placée    dans    la    bouche    des 
fidèles;  ils  se   considéraient   comme   des   saints,  et   menaient  une 
vie  fanatique.  Le  concile  mit  en  garde  contre  eux  tous  les  chré- 
tiens et  les  exhorta   à  revenir  aux  saines  doctrines   de  l'Eglise. 
On  ne  sait  si  ce  conseil  fut  suivi;  toutefois  la  secte  disparut  peu 
de  temps  après  1. 
[100]       Cette  même  année  839,  mais  quelques  mois  plus  tard,  l'empereur 
quitta  Chalon  et  se  dirigea  sur  l'Aquitaine,  pour    y  réprimer  les 
révoltes  des  partisans  de  ses  petits-fils.  Mais  au  commencement 
de  840,  il  dut  revenir  en    Germanie,    parce   que    Louis  le   Ger- 
manique avait  repris  les   armes.   Le    père  et  le   fils  marchèrent 
l'un  contre  l'autre  ;  mais  de  part  et  d'autre,  on  voulait  éviter  le 
combat.   L'empereur  déjà  malade  devint  si  faible  que,  de  la  Thu- 
ringe  où  il  était  avec  son  armée,  il  ne  put  regagner  Aix-la-Chapelle. 
Il  fit  élever  une  tente  dans  une  île  du  Rhin,  en  face  d'ingelheim 
(Palatinat),   et  y   mourut  le   20  juin  840  2.  Durant  les  quarante 
derniers  jours  de  sa  vie,    il    ne    prit    d'autre    nourriture    que  la 
sainte  Eucharistie,  fit  aux  églises  de  nouvelles  donations,  s'occu- 
pa du  salut  de  son  âme,  et,  sur  les  représentations  de  Drogon    et 
d'autres  évêques,  pardonna  sincèrement  à    son  fils  rebelle  Louis. 


438.  Concile  d'ingelheim,  pendant  Vété  de  840. 

Un  des  premiers  actes  de  Lothaire  fut  de  réintégrer  dans  sa 
charge  Ebbon,  archevêque  de  Reims.  Depuis  sa  déposition  à  Thion- 

1.  Florez,  Espana  sagrada,  1759,  t.  xv,  p.  12-15;  1792,  t.  x,  p.  525-532.  (H.  L.) 

2.  Simson,    Jahrbiïclœr,  1874,  t.    n,   p.    230;  Mùhlbacher,  Regesten,    2e    édit., 
t.   i,  n.  1014  c.  (H.  L.) 


106  LIVRE    XXI 

ville,  en  835,  Ebbon  s'était  caché  en  Italie.  Après  la  mort  de  Louis 
le  Débonnaire,  Boson,  abbé  de  Saint-Benoît,  à  Fleury,  l'amena 
à  l'empereur  Lothaire  àWorms.  Là,  Ebbon  manifesta  son  repentir, 
et  fut  en  conséquence  réintégré  dans  ses  hautes  fonctions  par  le 
concile  d'Ingelheim  (août  840),  et  par  un  décret  impérial  contre- 
signé d'un  grand  nombre  d'évêques  \  A  la  tête  du  concile  se  trou- 
vait Drogon,  archevêque  de  Metz,  qu'assistaient  Otgar  de  Mayence 
et  Hetti  de  Trêves,  Almavin  de  Besançon,  Audax  de  Tarentaise 
et  quinze  évêques  2.  Le  décret  impérial  porte  la  date  de  vin  Kal. 
Jul.  (24  juin)  ;  Louis  mourut  le  20  juin,  et  Lothaire  se  trouvait 
à  cette  époque  en  Italie,  en  route  pour  la  Germanie  ;  il  est  impos- 
sible d'admettre  que  le  concile  d'Ingelheim  ait  eu  lieu  quatre  jours 
après  la  mort  du  vieil  empereur.  Aussi  Le  Cointe,  Pagi  3  et  d'autres 
proposent-ils  de  lire  vin  kal.  sept.  (25  août). 

Outre  l'édit  impérial  de  restitution,  les  collections  conciliaires 
nous  ont  conservé  un  document  considérable  intitulé  Apologe- 
ticum  Ebbonis,  divisé  en  trois  parties.  Il  est  dit,  dans  la  première, 
qu'après  sept  ans  d'exil,  Ebbon  avait  été  réintégré  sur  son  siège 
par  l'empereur  Lothaire  et  les  évêques  Drogon,  etc.,  dans  la  réunion 
d'Ingelheim  ;  les  évêques  de  la  province  ecclésiastique  de  Reims 
reconnurent  cette  décision  et  acclamèrent  solennellement  Ebbon 
dans  l'église  cathédrale  de  Reims,  le  6  décembre  840  4,  et  avaient 
rédigé  un  document  sur  ces  événements.  —  Ce  document  forme  la 
seconde  partie  de  Y Apologeticum  et  contient  les  détails  sui- 
vants :  Ebbon  avait  été  chassé  par  l'effet  de  l'inimitié  person- 
nelle de  l'empereur  Louis,  réintégré  par  l'empereur  Lothaire  et  les 
évêques,  décision  à  laquelle  s'étaient  associés  avec  joie  Théo- 
dore   de    Cambrai,     Hrodhad    (Rothad)    de    Soissons,    etc.  5.   — 

1.  M.  Goldast,  Collect.  constitutionum,  1608,  t.  i,  col.  189;  Sirmond,  Concilia, 
t.  ii,  col.  631  ;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  399;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1770-1771  ; 
Coleti,  Conc,  t.  ix,  col.  905;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1447  sq.  ;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  774  sq.  ;  t.  xvn,  app.  n,  col.  233;  Binterim, 
Deutsche  Concilien,  t.  n,  p.  406  sq.  ;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  n,  col.  139  ; 
F.  Walter,  Corp.  jur.  germ.,  Berolini,  1824,  t.  in,  p.  262;  Monum.  Germ.,  Leges, 
t.  i,  p.  374;  A.  Verminghoff,  dans  NeuesArchiv,  1899,  t.xxiv,  p.  491-492.  (H.  L.) 

2.  Sur  Amalvin  et  Audax,  voy.  Moozer,  Onomasticon  hiérarchise  germ.,  Minden, 
1854,  p.  11,  107. 

3.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  840,  n.  11. 

4.  Ebbon  n'avait  pu  se  rendre  plus  tôt  à  Reims,  parce  que  la  ville  était  alors  au 
pouvoir  de  Charles  le  Chauve  encore  brouillé  avec  son  frère  Lothaire. 

5.  L'authenticité  de  ce  document  a  été  mise  en  doute  dans  le  synode  de  Sois- 
sons  en  853.  Voyez  plus  loin  §  453. 


[101] 


438-    conciles    d'ingelheim,  été   840  107 

La  troisième  partie,  qui  est  d'Ebbon  lui-même,  contient  la 
déclaration  de  sa  réintégration  sur  le  siège  de  Reims.  Il  cher- 
che à  y  démontrer  «  qu'on  lui  a  fait  violence  à  Thionville,  et  que 
la  sentence  d'indignité  portée  alors  ne  constituait  pas  un  empê- 
chement à  remonter  sur  le  siège  épiscopal.  Le  Christ  dit  :  «  Lors- 
que tu  apporteras  ton  offrande  à  l'autel,  si  tu  te  souviens  que 
ton  frère  est  irrité  contre  toi,  laisse  là  ton  offrande,  etc.  1  ;  or,  ce 
n'était  pas  un  frère,  mais  son  maître  et  empereur,  qui  s'était 
irrité  contre  lui  ;  il  avait  tout  supporté  avec  patience,  espérant 
qu'un  aveu  sincère  lui  obtiendrait  l'oubli  et  le  pardon  de  ses 
fautes.  Il  s'était  accusé  d'orgueil,  d'esprit  mondain,  de  juge- 
ments sévères,  c'est-à-dire  pécheur.  Enfin  il  avait  abdiqué  l'épis- 
copat  pour  épargner  un  péché  à  ses  adversaires.  Afin  de  couper 
court  à  toutes  fausses  suppositions,  il  voulait  publier  mainte- 
nant l'aveu  de  ses  fautes,  et  la  sentence  d'abdication  qu'il  avait 
signée  à  titre  de  déchéance  non  à  titre  de  condamnation.  Dans 
ce  document,  il  se  reconnaissait  pécheur  en  général,  mais  sans 
articuler  aucune  faute  en  particulier.  Or,  d'après  le  droit  canon, 
il  ne  pouvait  être  déposé  que  dans  ce  dernier  cas.  Il  s'avouait 
indigne  assurément,  mais  il  avait  fait  dans  d'autres  écrits  des 
aveux  analogues  ;  on  aurait  donc  pu  avec  autant  de  raison  le 
[102]  condamner  sur  ces  écrits.  Il  avait  dit  qu'on  pouvait  nommer 
un  autre  évêque  à  Reims,  et  il  ne  s'y  était  pas  opposé,  cependant 
on  ne  l'avait  pas  fait.  Du  reste,  d'après  le  droit  canon,  l'abdication 
d'un  évêque  emprisonné  n'est  valide  que  si  son  diocèse  y  consent. 
Enfin,  sur  la  demande  réitérée  du  clergé  de  Reims,  sur  la  sentence 
de  l'empereur  et  des  évêques,  et  non  de  lui-même,  il  était  remon- 
té sur  son  siège.  » 

Certains  auteurs  pensent  que  pour  démontrer  la  nullité  de  sa 
déposition,  Ebbon  a  produit  un  document  se  rattachant  aux  doc- 
trines du  pseudo-Isidore  2. 

1.  Matth.,  v,  23. 

2.  Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  142;Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1781;  Hardouin, 
Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1458;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  786;  Pertz, 
Monum.  Germ.  hist.,  t.  n,  p.  662.  (H.  L.) 


108 


LIVRE     XXI 


439.  Conciles  à  Fontenoy,  à  Aix-la-Chapelle,  Bourges,  Milan 

et  Germigny,  en  841-843. 

Dès  que  l'empereur  fut  mort,  Lothaire  franchit  les  Alpes  et 
chercha  à  imposer  sa  suprématie  impériale  à  ses  frères,  comme 
aussi  à  agrandir  son  apanage  à  leurs  dépens.  Le  prétendant  à 
la  couronne  d'Aquitaine,  le  jeune  Pépin,  l'accompagnait.  Par 
contre,  Louis  le  Germanique  et  Charles  le  Chauve  firent  cause 
commune,  et  après  diverses  négociations,  des  marches  et  des 
contre-marches,  de  légers  combats  sans  résultat,  les  deux  armées 
se  rencontrèrent  non  loin  d'Auxerre,  à  Fontenoy  (25  juin  841) 
et  le  sort  des  armes  fut  contraire  à  Lothaire  1.  Les  rois  Charles  et 
Louis   restèrent   quelques  jours   sur  le   champ   de   bataille,   pour 

1.  Pasumot,  Dissertation  sur  le  lieu  où  s'est  donnée  la  bataille  de  Fontenay 
en  841,  dans  Malte-Brun,  Annales  des  voyages,  t.  xm,  p.  171-215  ;  Discours 
prononcé  pour  l'inauguration  du  monument  commémoratif  de  la  bataille 
de  Fontenoy-en-Puisaye  Van  841,  par  Bravard,  in-8,  Auxerre,  1860;  J.-B.  Buzy, 
Chant  funèbre  sur  la  bataille  de  Fontenay,  livrée  l'an  841,  un  samedi  25  juin,  dans 
le  Bull,  de  la  Soc.  arch.  de  Sens,  1872,  t.  x,  p.  178-187;  Challe,  De  l'emplacement 
de  la  bataille  de  Fontanetum  (Fontenoy-en-Puisaie)  improprement  appelée  de  Fon- 
tenay ou  de  Fontenailles  par  la  plupart  des  historiens,  dans  les  Comptes  rendus 
de  l'Acad.  des  inscr.,  1860,  série  I,  t.  iv,  p.  151-158;  Crosnier,  Bataille  de  Fonte- 
nay, en  841,  dans  le  Bull.  Soc.  nivern.,  1855,  t.  n,  p.  .'i97;  Dey,  Les  petits  côtés 
de  la  bataille  de  Fontenoy,  dans  l' Annuaire  de  l'Yonne,  1885;  E.  Duché,  Note  sur 
la  bataille  de  Fontenoy,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  scient.  del'Yonne,  1885-1886,  série 
III,  t,  ix,  p.  534-536;  E.  Duché,  Fontanetum,  cauchemar  à  propos  d'un  rêve,  in-12, 
Auxerre,  1860;  E.  Dùmmler,  dans  Neu.  Archiv  Ges.  ait.  deutsch.  Gesch.,  1879, 
t.  iv,  p.  267  ;  Ebert,  dans  Gesch.  d.  Liter.  d.  Mittelall.,18S0,  t.  n,  p.  312-313; 
Lebeuf,  Dissertation  sur  le  lieu  où  s'est  donnée  l'an  841  la  bataille  de  Fontenay, 
dans  Recueil  d'écrits  hist.  de  France,  1738,  t.  i,  p.  127-190;  Lebeuf,  Sur  l'époque 
de  la  bataille  de  Fontenai,  dans  Hist.  de  l'Acad.  des  inscr.  et  bell.-lettr.,  1753, 
t.  xvin,  part.  1,  p.  303-341  ;  t.  xix,  2e  part.,  p.  515-529;  D.M...,  dans  le  Bulletin  mo- 
numental, 1860,  IIIe  série,  t.  vi,  p.  611-614;  J.  Perrin,  Notice  historique  et  littéraire 
sur  la  bataille  de  Fontenoy,  le  diacre  Florus  et  sa  plainte  sur  la  division  de  l'Empire 
après  la  mort  de  Louis  le  Pieux,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  arch.  de  Sens,  1885,  t.  xm, 
p.  89-114  ;Vaulet,  La  bataille  de  Fontanet,  25  juin  841,  in-8,  Paris,  1900  ;  E. 
Millier,  Der  Schlachtort  Fontaneum  [Fontanetum)  von  841,  dans  Neues  Archiv, 
1907,  t.  xxxin,  p.  201-211;  F.  Lot  et  L.  Halphen,  Le  règne  de  Charles  le  Chau- 
ve, in-8,  Paris,  1909,  p.  13-36:  L'ouverture  des  hostilités  et  la  bataille  de  Fon- 
tenoy. Pour  le  poème  relatif  à  la  bataille  de  Fontenoy,  cf.  Dict.  d'arch.  chrét., 
au  mot  Cantilène,  la  bibliographie  des  notes.  (H.  L.) 


139.     CONCILES      A     FONTENOY,     ETC.  109 


célébrer  le  dimanche,  prendre  soin  des  blessés  et  enterrer  les 
morts.  Les  évêques  se  réunirent  en  concile  sur  le  champ  de  bataille 
entre  Tauriac  et  Fontenoy  (diocèse  d'Auxerre)  ;  l'assemblée 
déclara  juste  la  guerre  contre  Lothaire  et  vit  dans  son  issue  le 
[103]  doigt  de  Dieu.  On  ne  devait  donc  pas  punir  ceux  qui  y  avaient 
coopéré,  par  conseil  ou  autrement,  bien  qu'il  fût  défendu  aux 
clercs  de  prendre  part  aux  combats.  Du  reste,  tous  ceux  qui 
reconnaîtraient  y  avoir  contribué  par  haine  ou  par  crainte,  de- 
vaient confesser  leurs  fautes  en  secret  et  en  faire  pénitence. 
Enfin,  pour  rendre  honneur  à  la  justice  de  Dieu  qui  venait  de 
se  manifester  et  contribuer  au  salut  des  âmes  dès  défunts,  on 
ferait  une  pénitence  de  trois  jours.  Tel  est  le  récit  de  Nithard,  petit- 
fils  de  Charlemagne,  fils  de  Bertha  et  d'Angilbert,  dans  le  troi- 
sième livre  de  ses  histoires  1. 

Après  la  bataille  de  Fontenoy,  Lothaire  chercha  à  reconstituer 
ses  forces,  et  on  l'accusa  de  s'être  allié  aux  ennemis  de  l'empire. 
Néanmoins,  sa  puissance  alla  en  diminuant,  et  beaucoup  de  ses 
fidèles  amis,  tels  Rhaban-Maur  abbé  de  Fulda,  Walafrid  Strabon 
abbé  de  Reichenau,  Otgar,  archevêque  de  Mayence,  furent  dépos- 
sédés de  leurs  charges  par  les  armées  envahissantes  des  deux  frè- 
res. Lothaire  lui-même  se  vit  en  tel  danger,  qu'avant  la  Pâque 
de  842  il  dut  s'enfuir  d'Aix-la-Chapelle  à  Châlons-sur-Marne, 
puis  à  Troyes,  tandis  que  Louis  et  Charles  faisaient  leur  entrée 
solennelle  à  Aix-la-Chapelle  et  réunissaient  dans  cette  prima  sedes 
Francise,  ainsi  s'exprime  Nithard,  les  évêques  (concile  d'Aix-la- 
Chapelle  de  842),  pour  décider  du  sort  de  l'apanage  de  Lothaire  2. 
Les  évêques,  dont  aucun  n'est  mentionné  par  Nithard,  déclarèrent 
que  Lothaire  avait  mérité  par  ses  péchés  de  perdre  l'empire  que 
Dieu  avait  transmis  à  ses  frères.  Toutefois,  avant  de  s'en  emparer, 
les  deux  frères  promirent  de  l'administrer,  non  comme  Lothaire, 
mais  d'une  manière  conforme  à  la  volonté  de  Dieu.  Ayant  prêté 
ce  serment,  chacun  des  deux  frères  choisit  douze  arbitres  (le  roi 

1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  406  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1777-1778  [1781- 
1782];  Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  143;Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  917;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  786;  Pertz,  op.  cit.,  t.  n,  p.  668  ;  G.  Meyervon  Khonau, 
Ueber  Nithards  vier  Bûcher  Geschichten,  der  Brùderkrieg  der  Sôhne  Ludwigs  des 
Frommen  und  sein  Geschichtschreiber,  in-4,  Leipzig,  1866  ;  F.  Lot  et  L.  Hal- 
phen, Le  règne  de  Charles  le  Chauve,  1909,  p.  38.  (H.  L.) 

2.  Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  143;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1874;  Coleti,  Con- 
cilia, t.  ix,  col.  919;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  789.  (H.  L.) 


110  LIVRE    XX [ 

Charles  choisit  en  participer  Nithard),  pour  régler  le  partage 
équitable  du  royaume  de  Lothaire. 

Hincmar  de  Reims  croit  que  son  prédécesseur  Ebbon,  chassé 
par  Charles  le  Chauve,  fut  de  nouveau  déposé  vers  cette  même 
époque  (842  ou  841),  dans  un  concile  tenu  à  Bourges. 

Un  concile  tenu  à  Milan  en  842  confirma  les  immunités  du  mo- 
nastère des  Saints-Faustin-et-Jovite,  à  Brescia  1  ;  enfin  un  autre 
concile  tenu  à  Germigny  près  d'Orléans,  en  843, réforma  la  discipline 
monastique  et  conféra   un   privilège   au   monastère  de   Curbion 2. 


440.  Fin  de  l'hérésie  des  iconoclastes.  [104] 

Pendant  que  ces  événements  se  passaient  en  Occident,  la  situa- 
tion des  iconoclastes  avait  bien  changé  dans  l'empire  de  Byzance. 
L'empereur  Michel  le  Bègue  3  mourut  (octobre  829),  après  avoir 
donné  un  grand  scandale  en  épousant  une  religieuse  ;  il  eut  pour 
successeur  son  fils  Théophile,  associé  à  l'empire.  Peu  après 
l'arrivée  au  pouvoir  de  Théophile,  les  patriarches  Job  d'Antioche, 
Christophe  d'Alexandrie  et  Basile  de  Jérusalem 4  lui  remirent 
un  mémoire  détaillé  5,  le  suppliant  de  ne  pas  suivre  les  iconoclastes, 
mais  de  rester,  par  ses  œuvres,  fidèle  à  son  beau  nom  de  Théophile  6. 
— Les  évêques  se  faisaient  une  complète  illusion,  car  Théophile,  ico- 
noclaste acharné,  n'hésitait  pas  à  employer  la  barbarie  contre  la  doc- 
trine contraire.  Persuadé  d'être  César  et  pape,  il  tenait  toute  opposi- 
tion à  un  décret  impérial,  qui  empiétait  sur  les  choses  de  l'Eglise, 
pour, crime  de  lèse-majesté.  Aussi  détruisit-on,  à  la  façon  des  Van- 
dales, les  images  refaites  dans  les  dernières  années,  etlesremplaça- 


1.  Muratori,  Antiq.  Ital.,  t.  v,  col.  985;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  i,  col.  903  ; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  791  ;  Cod.  dipl.  Langob.,  p.  257.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  784,  789,  794.  Voir  Appendices  de  ce  tome. 

3.  Voir  §  424. 

4.  Le  Quien  a  justifié  ces  noms  et  Walch,  Ketzerhist.,  t.  x,  p.  727,  a  adopté 
ses  conclusions. 

5.  Nous  en  avons  déjà  tiré  parti  dans  §  415. 

6.  Combéfîs,  Manipulus  origin.  Constantinopol.,  p.  110-145  ;  S.  Jean  Da- 
mascène,  Opéra,  édit.  Le  Quien,  t.  i,  p.  638-646.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  xiv,  col.  114-120,  n'en  donne  qu'un  extrait,  ainsi  que  Walch,  op.  cit.,  t.  x, 
p.  593  sq. 


440-        FIN     DE     L'HÉRÉSIE    DES     ICONOCLASTES  111 

t-on  sur  les  murs  des  églises  par  des  oiseaux  ou  d'autres  animaux  ; 
Les  cachots  se  remplirent  de  moines,  de  clercs  et  de  laïques  de  toute 
condition  qui  repoussaient  les  édits  des  iconoclastes,  et  reje- 
taient la  communion  de  l'intrus  Jean  Grammaticus  (patriarche 
depuis  833).  Ce  patriarche  ordinairement  appelé  Janes,  comme 
le  devin  dont  parle  la  Bible  1,  avait  été  le  précepteur  de  l'empereur; 
c'était  un  homme  savant,  rusé,  hétérodoxe,  et  l'un  des  principaux 
coopérateurs  de  son  prince  dans  l'affaire  des  iconoclastes.  On 
rapporte  que,  dès  son  élévation,  en  833,  il  prononça,  dans  une 
[105]  sorte  de  synode  tenu  aux  Blakhernes,  l'anathème  contre  tous 
les  iconophiles.  Rome  ne  le  reconnut  pas  plus  que  son  prédécesseur 
Antoine  de  Syllœum.  Aussi,  aucun  Grec  orthodoxe  n'accepta 
sa  communion.  La  fureur  impériale  était  surtout  déchaînée  contre 
les  moines,  les  plus  zélés  et  les  plus  hardis  défenseurs  des  images 
et  qui  comptaient  même  des  artistes  parmi  eux.  Beaucoup  de 
monastères  devinrent  déserts  ;  il  fut  défendu  à  tout  moine  de 
paraître  dans  la  capitale  ;  quant  aux  artistes  qui  se  trouvaient 
parmi  eux,  ils  devaient  être  exterminés,  et  s'ils  continuaient, 
comme  par  exemple  le  moine  Lazare,  à  peindre  des  images,  ils 
devaient  être  fouettés  jusqu'au  sang,  et  leurs  mains  brûlées  au 
fer  rouge.  Ce  châtiment  fut  infligé  aux  savants  qui  défendirent 
le  culte  des  images.  L'empereur  se  laissa  quelquefois  entraîner 
à  discuter  avec  eux  ;  mais  malheur  à  celui  qui  ne  se  laissait  pas 
convaincre  par  ses  arguments.  Les  deux  frères  Théophane  et  Théo- 
dore, nés  l'un  et  l'autre  à  Jérusalem,  furent,  non  seulement  punis 
de  deux  cents  coups  de  bâton,  mais  on  leur  scalpa  dans  le  front 
des  vers  grecs  pour  se  moquer  d'eux  :  aussi  reçurent-ils  le  surnom 
de  ypaircoC.  Un  autre  savant,  nommé  Méthode,  fut,  pour  la 
même  raison,  enfermé  pendant  sept  ans  avec  deux  malfaiteurs 
dans  un  tombeau  situé  dans  une  île  2. 

L'empereur  parvint  à  réprimer  les  tentatives  extérieures  favo- 
rables au  culte  des  images,  lequel  n'en  poussa  que  des  racines 
plus  profondes  dans  les  cœurs,  sans  même  excepter  l'impératrice 
Théodora  et  sa  mère  Théoktista.  Celle-ci  enseignait  à  ses  petites- 
filles,  c'est-à-dire  aux  enfants  de  l'empereur,  à  baiser  les  images 


1.  Exod.,  vu,  22  ;  II  Tim.,  m,  8. 

2.  Constantin  Porphyroa:énète,  Chrono graphia,  édit.  Bonn.  Ce  travail  porte 
Je  titre  suivant  :  Theophanes  coiUinuatus,  c.  x-xiv,  p.  99-106;  Walch,  op.  cit., 
p.  622  sq.,  716  sq. 


112  LIVRE     XXI 

des  saints,  ce  que  voyant  Théophile,  il  défendit  à  ses  filles 
de  visiter  leur  grand'mère.  L'impératrice  elle-même  fut  dénoncée 
par  un  nain,  pour  garder  dans  sa  chambre  des  images  saintes  ; 
elle  n'évita  que  par  la  ruse  la  colère  de  son  mari 1.  La  mort  de 
l'empereur  (20  janvier  841)  mit  fin  à  ces  persécutions.  Sur  son  lit 
de  mort,  il  fit  décapiter  le  général  Théophobe,  et  apporter  la  tête 
sur  son  lit,  et,  tandis  que  les  autres  chrétiens  meurent  en  tenant 
en  mains  le  crucifix,  Théophile  mourut  en  tenant  encore  cette 
tête  ensanglantée  2.  [106] 

Théophile  laissa  l'empire   à  son   fils   Michel  l'Ivrogne,   âgé  de 
trois    ans,    proclamé    empereur   par   ordre    de    son   père,    avec  sa 
mère  Théodora  et  sa  soeur  aînée  Thécla.  En  fait,  sa  mère  avait 
le  pouvoir.    Avant  de  mourir,  l'empereur  lui  fit  promettre,  ainsi 
qu'au  chevalier  Théoktiste,  de  ne  faire  aucun  changement  rela- 
tivement au  culte  des  images.  Ce  qui  survint  fut  plutôt  obtenu 
par  les  sujets  qu'imposé  par  la  princesse.  Celle-ci  fit  immédiate- 
ment sortir  de  prison  les  iconophiles  et  accorda  à  plusieurs  d'entre 
eux,  notamment  à  Méthode,  toute  sa  confiance.  Parmi  les  premiers 
grands  et  les  tuteurs  du  jeune  empereur,  le  chancelier  Théoktiste 
admettait  ouvertement  que  le  culte  des  images  devait  être    réta- 
bli, même  contre  le  désir  du  peuple,  si  cela  était  nécessaire.  Son 
collègue  Bardas,   oncle  de  l'impératrice  du  côté  maternel,   était 
du  même  avis,  quoiqu'il  s'occupât  peu  d'affaires  ecclésiastiques. 
Le  seul  hésitant  était  Manuel,  général  des  gardes  du  corps  et  oncle 
de  l'impératrice  (frère  de  son  père). Tombé  malade  à  cette  époque, 
il  fit,  sur  les  instigations  des  moines  de  Studium  et  d'autres   clercs, 
le  vœu  de  travailler  pour  l'orthodoxie,  s'il  obtenait  sa  guérison. 
Il  guérit  en  effet,  et  se  rendit  avec  les  autres  tuteurs  du  prince 
auprès  de  l'impératrice,   pour  la  prier  formellement  de  rétablir 
le  culte  des  images.  Théodora  aurait  d'abord  refusé,  dit-on,  par 
égard  pour  la  mémoire  de  son  mari;  puis  comprenant  que  son 
refus  pourrait  lui  coûter  le  trône,  elle  se  serait  rendue.   On  est 
plus   porté   à    croire,    d'après   les   sources   plus   recommandables, 
que    Théodora      aurait    répondu    qu' «elle    partageait    l'opinion 

1.  Elle  prétendit  que  le  nain  avait  vu  dans  une  glace  son  image  et  celle  des  da- 
mes de  sa  suite  et  qu'il  avait  cru  voir  de  véritables  tableaux.  Constantin,  loc. 
cit.,  t..  vi,  p.  92.  Cet  incident  fait  l'objet  d'une  miniature  reproduite  par  de 
Beylié,  L'habitation  byzantine,  in-4,  Paris,  1902,  p.  120. 

2.  Le  général  Théophobe  était  tellement  aimé  de  ses  soldats  que  l'empe- 
reur conçut  contre  lui  des  sentiments  de   jalousie. 


440-     FIN     DE     L  HERESIE  DES    ICONOCLASTES 


113 


des  tuteurs  du  prince,  mais  qu'à  cause  des  sénateurs  et  des  grands 
du  royaume,  en  particulier  à  cause  des  évêques  et  du  patriarche 
Jean,  elle  n'avait  encore  rien  voulu  tenter.  Ce  dernier  avait,  par  ses 
prédications,  grandement  développé  ce  germe  d'hérésie  que  son 
mari  avait  reçu  de  ses  ancêtres.  »  Sur  de  nouvelles  instances  de 
Manuel  et  de  ses  amis,  l'impératrice  envoya  au  patriarche  un  offi- 
cier appelé  Constantin,  et  lui  fit  dire  :  «  De  tous  côtés,  et  en  parti- 
culier de  la  part  des  pieux  moines,  on  demande  le  rétablissement 
du  culte  des  images,  si  tu  y  consens,  les  églises  recouvreront  leurs 
[107]  ornements  ;  si  tu  es  encore  dans  l'erreur,  tu  peux  quitter  la  ville 
et  te  retirer  pour  quelque  temps  à  la  campagne,  jusqu'à  ce  que 
les  saints  Pères  (les  moines)  viennent  te  trouver  et  t'enseignent 
une  meilleure  doctrine.  »  L'ordre  était  clair;  le  patriarche  demanda 
à  réfléchir  et  se  fit  à  lui-même  des  blessures,  ce  qui  permit  à 
ses  amis  de  répandre,  dans  le  peuple  déjà  agité,  le  bruit  que  l'im- 
pératrice avait  voulu  faire  massacrer  le  patriarche.  Afin  d'ins- 
truire cette  affaire,  Bardas  fut  envoyé  dans  le  patriarcheion.  Le 
patriarche  Jean  accusa  en  effet  l'officier  Constantin  de  l'avoir 
maltraité  ;  mais  il  fut  démontré,  par  les  dépositions  de  ses  propres 
serviteurs  et  par  la  découverte  des  instruments  dont  il  s'était 
servi,  qu'il  s'était  blessé  lui-même,  et  il  fut  déposé  pour  avoir 
cherché  à  se  suicider  et  relégué  dans  sa  campagne  de  Psicha. 
C'est  ce  que  rapportent  les  documents  les  plus  sûrs  et  les  plus 
nombreux  1.  Toutefois  Walch  2  et  Schlosser  3,  s'appuyant  en  partie 
sur  Genesius,  croient  que  les  ambassadeurs  de  l'impératrice 
avaient  voulu  faire  sortir  de  force  le  patriarche  de  sa  maison,  et 
que  celui-ci  ayant  résisté,  ils  l'avaient  blessé. 

On  donna  pour  successeur  au  patriarche  Jean  le  savant  Méthode, 
confesseur  sous  Théophile  4.  D'après  les  uns  il  aurait  été  choisi  par 
l'impératrice,  d'après  les  autres,  les  clercs  l'auraient  élu,  avec 
l'assentiment  des  grands  de  l'empire,  dans  la  chancellerie  du  palais 
impérial.  On  tint  alors  un  concile  qui  déposa  solennellement  le 
patriarche  Jean  5.  Les  actes  de  cette  assemblée  ne  nous  sont  pas 

1.  Par  ex.,  Constantin  Porphyr.,  op.  cit.,  1.  IV,  De  Michaele,  p.  149  sq.  ;  Walch, 
op.  cit.,  t.  ii,  p.  731,  740,  758,  772,  786. 

2.  Walch,  op.  cit.,  p.  772. 

3.  Schlosser,   Gesch.  der  bildensliirmenden  Kaiser,  p.  547. 

4.  Il  est  vénéré  comme  saint  ;  voy.  Léo  Allatius,  Diatribe  de  Methodiorum 
scriptis,  §  34  sq.  et  Acta  sanct.,  jun.  t.  n,  p.  960  sq. 

5.  Cf.  Libellus  synodicus,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  787;  Hardouin,  op. 
cit.,  t.  v,  col.  1546. 

CONCILIAS   —  [[I    —  s 


114  LIVRE     XXI 

parvenus  ;  mais  les  documents  byzantins  la  mentionnent  très 
souvent,  quoique  brièvement.  Sur  l'ordre  de  l'impératrice,  plu- 
sieurs savants  moines  préparèrent  la  réunion  de  ce  concile  en  réu-  [108] 
nissant  dans  un  tomus  divers  passages  des  Pères  en  faveur  des 
images.  On  lut  leur  mémoire  devant  une  réunion  de  clercs  et  de 
sénateurs  qui  se  prononça  en  faveur  de  la  restauration  du  culte 
des  images.  En  même  temps  arrivèrent  à  Constantinople  un  grand 
nombre  de  moines  venus  de  divers  pays,  soit  pour  travailler  par 
leurs  prédications  l'opinion  du  peuple,  soit  pour  prendre  part 
au  concile  et  aux  solennités  qui  auraient  lieu  à  cette  occasion  l. 
Le  concile  lui-même  renouvela  les  décisions  des  sept  conciles 
antérieurs,  déclara  légitime  le  culte  des  images,  et  frappa  d'ana- 
thème  les  iconoclastes.  Les  évêques  de  ce  parti  furent  chassés 
de  leurs  sièges,  distribués  pour  la  plupart  entre  ceux  qui  avaient 
le  plus  souffert  sous  l'empereur  Théophile  pour  la  cause  des  images. 
Tel  était,  en  particulier,  le  cas  du  ypocrroç  Théophanes,  évêque  de 
Smyrne. 

L'impératrice  Théodora  aurait,  dit-on,  demandé  aux  évêques 
comme  condition  de  sa  coopération  à  l'œuvre  de  la  restauration 
des  images,  de  prier  pour  la  délivrance  de  l'âme  de  son  mari  qu'elle 
prétendait  avoir  vu  dans  une  vision  condamné  au  feu.  On  lui 
répondit  qu'il  était  mort  hérétique  ;  mais  elle  assura  que,  sur  ses 
instances,  il  aurait,  au  dernier  moment,  reconnu  ses  erreurs  et 
baisé  les  images  des  saints  qu'elle  lui  aurait  présentées.  —  Pour 
perpétuer  le  souvenir  de  l'événement  le  concile  décida  qu'on  ferait 
chaque  année  le  premier  dimanche  de  carême,  une  procession 
solennelle  commémorant  la  fête  de  l'orthodoxie,  et  qu'on  y 
renouvellerait  chaque  fois  l'anathème  contre  les  iconoclastes  2. 
La*  première  fête  de  ce  genre  fut  célébrée  immédiatement  après 
la  tenue  du  concile  (19  février  842),  et  les  images  furent  pour  la 
première  fois  exposées  dans  les  églises  de  Constantinople.  Un  grand 
banquet  donné  par  l'impératrice  termina  la  solennité  3.  Cette 
fête  de  l'orthodoxie  obtint  plus  tard,  dans  l'Eglise  grecque  et  dans 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1778-1780  (1782-1784);  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv, 
col.  1546;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  917;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  787.  (H.  L.) 

2.  Sur  le  sens  de  cette  fête,  cf.  Tubinger  theol.  Quarlalschrift,  1846,  p.  424. 
Et  quant  aux  cérémonies  qui  l'accompagnaient,  cf.  Walch,  op.  cit.,  p.  800. 

3.  Constantin  Porphyrogénètc,  op.  cit.,  c.  îv,  5,  p.  152  sq.,  c.  xi,  p.  160. 
Walch  a  réuni  les  autres  documents  fournis  par  les  sources,  op.  cit.,  p.  736, 
741,749,773,783,  788,  799. 


441.     CONCILES     FRANCS     DEPUIS     LE     TRAITE     DE    VERDUN  115 

l'Eglise  russe,  une  signification  beaucoup  plus  étendue.  Ce  fut 
la  célébration  de  la  victoire  remportée  sur  toutes  les  hérésies,  et  on 
y  prononça  l'anathème  contre  les  diverses  catégories  d'hérétiques. 

L'ancien  patriarche  Jean  fut  relégué  dans  le  monastère  de  Klidii, 
près  de  Sténum,  et  donna  aussitôt  carrière  à  son  zèle  puritain 
contre  les  images,  en  crevant  les  yeux  à  des  images  du  Christ  et 
de  Marie  qui  se  trouvaient  dans  sa  chambre.  Indignée,  l'impéra- 
[109]  trice  le  fit  châtier  corporellement,  mais  il  est  faux,  quoi  qu'on  en 
ait  dit,  qu'on  lui  ait  infligé  la  peine  du  talion.  Quelque  temps 
après,  une  femme  accusa  le  patriarche  Méthode  d'avoir  entretenu 
avec  elle  des  relations  coupables;  tous  les  iconoclastes  exultèrent. 
La  cour  ordonna  immédiatement  une  enquête  ;  Manuel,  Théoktiste, 
et  d'autres  sénateurs,  se  rendirent  pour  cela  chez  le  patriarche. 
Méthode  prouva  que  l'accusation  était  pure  calomnie,  et  cela 
d'une  manière  si  péremptoire,  que  cette  femme  avoua  avoir 
été  poussée  par  l'ancien  patriarche  et  ses  amis.  En  punition,  on 
les  condamna  à  se  trouver  tous  les  ans  avec  des  torches  allu- 
mées en  tête  de  la  procession  de  la  fête  de  l'orthodoxie,  et  d'y 
entendre  l'anathème  prononcé  contre  eux  1. 

Le  patriarche  Méthode  mourut  en  846,  ayant  occupé  quatre 
ans  le  siège  patriarcal.  L'un  de  ses  derniers  actes  fut  le  transfert 
solennel  du  corps  de  son  prédécesseur,  le  patriarche  Germain, 
partisan  des  images.  Méthode  eut  pour  successeur  saint  Ignace. 
A  partir  de  cette  époque,  les  iconoclastes  commencèrent  à  dispa- 
raître, et,  jusqu'à  ce  jour,  le  culte  des  images  a  été  conservé  en 
grand  honneur  dans  l'Eglise  grecque.  Même  au  plus  fort  des 
luttes  entre  Photius  et  Ignace,  les  deux  partis  restèrent  d'ac- 
cord au  sujet  des  images,  et  le  VIIIe  concile  œcuménique 
approuva  de  nouveau  le  culte  qu'on  leur  rendait. 


441.  Les  conciles  francs  depuis  le  traité  de  Verdun 

jusquen  841 . 

Après  le  traité  de  Verdun,  conclu  au  mois  d'août  843  2,  un  concile 
tenu  à  Lauriac  ou  Loire,  près  d'Angers  (octobre),  menaça  de  peines 

1.  Constantin  Porphyrogénète,  op.  cit.,  ç.  ix  et  \,  p.  157  sq. 

2.  F.  Lot  et  L.  Halphen,  Le  règne  de   Charles    le    Chauve,    1909.    p.    63-67; 


1 1  G  LIVRE     XXI 

sévères  les  contempteurs  du  pouvoir  royal  et  de  l'Eglise  1.  Presque 
en  même  temps  Charles  le  Chauve  réunit  (novembre)  une  diète 
à  Coulaines,  près  du  Mans,  pour  essayer  de  rétablir  l'union  entre 
les  grands  de  son  royaume,  très  irrités  les  uns  contre  les  autres  et 
contre  lui-même.  Les  évêques  et  les  grands  entrèrent  dans  ce  plan 
et  Charles  publia  un  capitulaire  dans  lequel  chacun  des  deux 
partis  assurait  l'autre  de  son  respect  et  de  son  amitié2.  [110] 

Pour  rétablir  l'entente  entre  les  évêques  et  les  prêtres  de  la 
province  de  Septimanie,  Charles  célébra  (juin  844),  un  concile  à 
Toulouse  3.  Il  fixa  les  redevances  dues  par  chaque  prêtre  à  son 
évêque,  donna  des  règles  sur  les  voyages  des  évêques  en  cours 
de  visites,  sur  des  divisions  inutiles  de  paroisses,  sur  l'érection 
de  nouvelles  églises,  etc.,  et  décida  que  l'évêque  ne  pourrait  réunir 
annuellement  plus  de  deux  synodes  diocésains. 

Au  mois  d'octobre  844,  les  trois  frères  Lothaire,  Louis  et  Charles 
se  réunirent  à  Thionville,  où  ils  célébrèrent,  sous  la  présidence 
de  Drogon,  un  concile  dont  ils  approuvèrent  les  décrets,  conjointe- 
ment  avec   les    grands   qui   étaient   présents  4.    Les   six   capitula, 

G.  Monod,  Du  rôle  de  l'opposition  des  races  et  des  nationalités  dans  la  dissolution 
de  l'empire  carolingien,  dans  Y  Annuaire  de  V  Ecole  pratique  des  hautes  études,  1896, 
p.  5-17.  (H.  L.) 

1.  Lauriacum,  Loire,  arrondissement  de  Segré  (Maine-et-Loire).  Sirmond, 
Conc.  Gall.,  t.  m,  col.  8;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  420;  Labbe,  Concilia,  t.  vu, 
col.  1790-1791,  1826-1827;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1463  ;  Le  Cointe, 
Annales  ecclesiastici,  t.  vin,  p.  698;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  931  ;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  798.  (H.  L.) 

2.  Coulaines,  Villa  Colonia,  arrondissement  du  Mans  (Sarthe).  Sirmond,  Conc. 
Gall.,  t.  m,  col.  4;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  414;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1787- 
1790,  1819-1820;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1459;  Coleti,  Concilia,  t.  ix, 
col.  928;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  798  ;  Pertz,  Monumenta  Ger- 
manise historica,  t.  ni  ,Leges,  t.  i,  p.  376;  Capitul.,  t.  n,  p.  253;  P.  L.,  t.  cxxxvin, 
col.  527;  A.  Verminghofï,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  611. 
(H.  L.) 

3.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  ni,  p.  1  ;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  409  ;  Labbe, 
Concilia,  t.  vu,  col.  1780-1887  ;  Baluze,  Capitul.  reg.  Francor.,  t.  n,  p.  21  ; 
Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1458;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  921; 
Mansi,  Conc  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  798  ;  Pertz,  Monum.  Germ.  hist., 
t.  m,  Leges,  t.  i,  p.  378;  Walter,  Corp.  jur.  Germ.,  t.  ni,  p.  16;  Monum.  Germ., 
Leges,  t.  i,  p.  378;  P.  L.,  t.  cxxxvin,  col.  531  ;  Mon.  Germ.,  Capit.,  t.  n, 
p.  256;  Verminghofï,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.   xxvi,  p.  611.  (H.  L.) 

4.  In  loco  qui  dicitur  Judicium,  c'est  Yùtz.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  436  ;  Labbe, 
Concilia,  t.  vu,  col.  1800-1805,  1820-1825;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1465; 
Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  941;  Mansi.  op.  cit..  t.  xiv,  col.  807;  t.  xvn,  uppendix, 


441.     CONCILES     FRANCS    DEPUIS    LE    TRAITE     DE     VERDUN  117 

contiennent  des  exhortations  et  des  prières  adressées  aux  princes. 

1.  Ils  doivent  vivre  d'accord  entre  eux,  s'aimer  mutuellement 
et  faire  régner  la  concorde  parmi  les  peuples,  s'ils  veulent  préserver 
de  la  ruine  l'Église  qui  leur  était  confiée  pour  la  gouverner  (ad 
gubernandum    commis  s  a),    et    dont    ils  rendront   compte  au   Roi 

[111]  des  rois.  2.  Les  sièges  épiseopaux  devenus  vacants  à  la  suite  des 
discordes  survenues  entre  les  frères,  devront  être  de  nouveau 
pourvus.  On  demande  aux  rois  de  choisir  des  hommes  dignes 
de  l'épiscopat  et  purs  de  simonie  ;  on  leur  demande  aussi  le 
rappel  des  évêques  exilés.  3.  Les  monastères  ne  doivent  plus  res- 
ter en  la  possession  des  laïques,  ils  doivent  être  gouvernés  par  leurs 
supérieurs  réguliers.  4.  On  adresse  les  plus  pressantes  exhortations 
pour  que  les  Eglises  dépouillées  rentrent  dans  leurs  biens.  5.  S'il 
est  impossible  de  retirer  immédiatement  certains  monastères  aux 
laïques  qui  les  possèdent,  les  évêques  dans  les  diocèses  desquels  se 
trouvent  ces  monastères  les  feront  surveiller  par  un  abbé  voi- 
sin. 6.  Enfin,  on  doit  rendre  au  clergé  son  ancienne  dignité  pour 
qu'il  puisse   se   rendre  utile  en  travaillant  au  salut  des  hommes. 

Au  mois  de  décembre  844,  Charles  le  Chauve  convoqua  dans  le 
palatium  Vernum  les  évêques  et  les  autres  grands  de  son  royaume, 
pour  délibérer  sur  la  situation  lamentable  de  l'Eglise,  et  lui  propo- 
ser des  plans  de  réforme.  1  Sous  la  présidence  d'Ebroïn,  évêque 
de  Poitiers,  de  Wénilo,  archevêque  de  Sens,  de  Louis,  abbé  de  Saint- 
Denis,  et  d'Hincmar,  plus  tard  évêque  de  Reims,  ils  proposèrent 
au  roi  douze  capitula  rédigés  par  Loup,  abbé  de  Ferrières. 

1.  Le  roi  doit  être  avant  tout  rempli  de  la  crainte  de  Dieu,  misé- 
ricordieux et  juste;  il  remportera  ainsi  la  victoire  sur  ses  ennemis. 

2.  Plusieurs  évêques  ont  commis  des  fautes  pendant  les  guerres 
civiles,  et  ont  négligé  leurs  diocésains.  On  remettra  les  malfaiteurs, 
dans  l'ordre  au  moyen  d'intelligents  missi  impériaux  (coer- 
ceantur)  ;  de  leur  côté,  les  évêques  feront  tout  ce  qui  dépendra 


p.  5  sq.  ;  Pertz,  Leges,  t.  i,  p.  380;  Bohmer-Muhlbacher,  Regesta  Karolin g,  1881, 
p.  416-417.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

1.  Vernum,  Vern,  Ver,  arrondissement  de  Senlis  (Oise).  Un  concile  s'y  était 
tenu  en  755,  un  autre  s'y  réunira  en  884.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  m,  col.  17; 
Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  445  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1805-1811  ;  Hardouin, 
Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1469;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  947;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  810;  t.  xvn,  Appendix,  p.  9  sq.;  Pertz,  Leges,  t.  i,  p.  383.  Sur 
l'emplacement  et  les  conciles  de  Ver,  voir  la  bibliographie  du  concile  de  755. 
Voir  Appendices.     (H.  L.) 


118 


LIVRE     XXI 


d'eux  pour  prêcher.  3.  Le  roi  chargera  ses  missi  de  s'informer 
auprès  de  l'évêque  du  diocèse,  de  l'état  des  monastères,  état  qu'on 
fera  ensuite  connaître  au  roi  et  à  un  concile.  4.  Les  moines  qui 
ont  quitté  leurs  monastères  et  les  clercs  qui  ont  abandonné  leurs 
églises  et  vont  de  droite  et  de  gauche,  au  grand  déshonneur  de  leur 
état,  devront,  s'il  est  nécessaire,  y  être  ramenés  de  force.  5.  Les 
mariages  avec  des  nonnes  seront  punis  d'excommunication  l. 
6.  D'après  le  c.  11  d'Ancyre,  une  fiancée  enlevée  par  un  autre 
sera  rendue  à  son  fiancé,  même  dans  le  cas  où  on  lui  aurait  fait- 
violence.  Le  ravisseur  sera  puni  par  les  lois  civiles  comme  contemp- 
teur de  l'excommunication  de  l'Eglise.  7.  On  doit  recommander 
aux  nonnes  de  s'abstenir,  sous  l'inspiration  d'une  piété  mal  enten- 
due, de  revêtir  des  habits  d'hommes  ou  de  se  couper  les  cheveux, 
si  elles  ne  veulent  se  voir  appliquer  les  prescriptions  du  concile  de 
Gangres  (c.  13  et  17).  8.  Quelques  évêques  ne  peuvent,  à  cause  de 
leurs  infirmités,  suivre  le  roi  dans  ses  expéditions,  d'autres  en 
ont  été  dispensés  par  le  souverain.  Pour  que  les  affaires  militai- 
res ne  souffrent  pas,  les  évêques  devront  confier  leur  contingent 
à  un  de  leurs  fidèles.  9.  Il  est  urgent  que  l'Eglise  de  Reims  ait 
bientôt  un  autre  évêque.  10.  On  demande  au  roi  de  confirmer  la 
nomination  d'Agius  sur  le  siège  d'Orléans,  ce  qui  mettra  finaux 
maux  de  cette  Eglise.  11.  Le  pape  Sergius  II  a  nommé,  récemment, 
l'archevêque  Drogon  de  Metz,  son  vicaire  en  Gaule  et  en  Germanie. 
Les  évêques  déclarent  s'abstenir  d'exposer  leurs  sentiments  sur  cette 
élévation  de  Drogon,  mais  un  grand  concile,  composé  des  évêques  [112] 
des  Gaules  et  de  la  Germanie,  s'en  expliquera.  Sur  ces  entrefaites, 
Drogon  renonça  à  sa  nouvelle  dignité.  12.  Les  personnes  de  diverses 
conditions  doivent  s'abstenir  de  toute  injustice  et  brutalité,  et  en 
particulier  de  toute  attaque  contre  les  biens  des  églises. 

Conformément  au  souhait  exprimé  par  le  9e  canon,  le  concile 
de  Beauvais  (avril  845)  ordonna  un  pasteur  pour  l'église  de 
Reims  2.  L'archevêque  Ebbon  en  avait  été  expulsé  par  Charles 
le  Chauve  (mai  841),  quelques  mois  après  sa  réintégration.  Il 
se  réfugia   auprès   de    l'empereur    Lothaire,    qui  lui  donna   deux 

1.  Sanctimoniales  olim  dictée,  feminse  aut  virgines,  quse  sanctimonite  dabant 
operam,  interdum  certis,  ssepe  nullis  illigatse  monasticis  votis.Du  Cange. 

2.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  in,  col.  23;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  454;  Labbe, 
Concilia,  t.  vu,  col.  1811-1813,  1826-1828;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  iv,  col.  1473; 
Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  954;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  810  ; 
t.  xvn,  Appendix,  p.  16;  Pertz,  Leges,  t.  i,  p.  387.   Voir  Appendices.  (II.  L.) 


Vil.     CONCILES     FRANCS     DEPUIS     LE     TRAITE    DE    VERDUN  119 

abbayes,  et  sollicita  à  Rome,  en  844,  la  protection  de  Sergius  II 
qui  ne  l'admit  qu'à  la  communion  laïque.  Après  le  départ  d'Eb- 
bon,  on  nomma  Fulcon,  et  après  la  mort  de  Fulcon  on  lui  donna 
Nothon  pour  successeur  ;  mais  aucun  des  deux  n'avait  été  con- 
sacré, dans  la  crainte  du  retour  d'Ebbon.  Toutefois  le  concile 
de  Beauvais,  qui  se  tenait  dans  la  province  ecclésiastique  de 
Reims,  déclara  que,  sans  plus  tenir  compte  d'Ebbon,  on 
pouvait  et  on  devait  pourvoir  au  siège  vacant  ;  les  évêques  qui 
avaient  signé  l'édit  de  restitution  fait  par  Lothaire  en  faveur 
d'Ebbon  trouvèrent  juste  de  faire  un  nouveau  choix.  A  la  de- 
mande du  clergé,  du  peuple  et  des  sufïragants,  Hincmar  prit 
donc,  dans  ce  concile  de  Beauvais,  possession  du  siège  archiépis- 
copal de  Reims. 

Hincmar,  ou,  comme  portent  parfois  les  manuscrits,  Ingu- 
mar,  Ingmer,  Igmar,  était  né  vers  l'an  806  d'une  honorable  fa- 
mille de  l'ouest  de  la  France.  Elevé  sous  Hilduin,  à  Saint-Denis, 
il  s'était  attiré  par  ses  talents  et  sa  modestie  l'estime  de  l'empereur 
Louis  le  Débonnaire,  qui  lui  avait  confié  un  grand  nombre  de 
missions.  Il  tenta  avec  toute  l'énergie  dont  il  était  capable  de  réta- 
blir une  sévère  discipline  dans  le  monastère  ;  mais  lors  de  l'exil 
d' Hilduin  en  830,  Hincmar  l'accompagna  volontairement,  quoique 
[113]  personnellement  toujours  fidèle  à  l'empereur.  Grâce  à  ses  démar- 
ches, Hilduin  put  rentrer  à  Saint- Denis  après  une  année,  et  Hinc- 
mar y  séjourna,  tout  le  temps  qu'il  n'était  pas  obligé  de  passer 
à  la  cour,  jusqu'à  ce  que,  peu  après  l'année  840,  Charles  le  Chauve 
le  prit  à  son  service  d'une  manière  définitive,  lui  confia  la  surveil- 
lance de  plusieurs  monastères  et  lui  fit  don  d'une  propriété 
rurale  qu' Hincmar  donna  à  l'hôpital  de  Saint-Denis,  après  sa 
nomination  à  l'archevêché  de  Reims.  Nous  l'avons  vu  assister 
au  concile  de  Ver  ;  maintenant  à  Beauvais,  avec  l'assentiment 
de  ses  anciens  supérieurs  ecclésiastiques,  en  particulier  de  l'abbé 
Louis  de  Saint-Denis  et  du  roi  Charles  le  Chauve,  il  accepta  la 
haute  dignité  qui  lui  était  offerte  1  et  tint  désormais  un  des  pre- 
miers rangs,  dans  l'histoire  de  l'Eglise  franque.  Les  huit  capi- 
tula du  concile  de  Beauvais  ne  me  paraissent  pas  être,  ainsi 
qu'on  pourrait  le  croire  à  première  vue,  le  résultat  des  deman- 
des des  évêques  réunis  :  je  serais  porté  à  les  croire  l'œuvre  du  seul 

1.  Cf.  Flodoard,  Hist.  eccl.  Rhemensis,  1.  III,  ci,  réimprimé  dans  Mansi,  op. 
cit.,  t.  xiv,  col.  810,  et  P.  L.,  t.  cxxxv,  col.  138. 


120 


LIVRE     XXT 


Hincmar  ;  ils  expriment  le  désir  que  l'on  protège  le  nouvel  arche- 
vêque, son  diocèse  et  toutes  les  églises  qui  en  font  partie,  et  qu'on 
les  préserve  de  toute  atteinte.  Le  concile  de  Meaux  (juin  845), 
dont  nous  parlerons  plus  loin,  a  renouvelé  d'autres  capitula 
du  concile  de  Beauvais,  qui  ne  s'harmonisent  pas  complètement 
avec  ceux  qu'on  vient  de  lire  et  qui  sont  évidemment  l'œuvre  de 
tous  les  évêques. 

En  845,  et  non  en  852,  comme  l'a  prétendu  d'Achéry,  se  tint 
à  Sens  un  concile,  qui  confirma  un  privilège  pour  le  monastère  de 
Saint-Remi.  La  date  de  852  est  sûrement  inexacte,  puisque  les 
deux  évêques  Ursrnar  de  Tours  et  Adalbert  de  Troyes,  qui  signè- 
rent les  actes  de  cette  assemblée,  étaient  morts  en  852  1. 

Entre  845  et  847  se  tinrent,  dans  le  royaume  de  Charles  le 
Chauve,  quatre  réunions  qui  n'ont  pas  été  jusqu'ici  rangées  par 
les  historiens  dans  leur  véritable  ordre  chronologique.  Le  premier 
et  le  plus  considérable  des  fragments  que  nous  possédions  sur 
ces  réunions,  porte  le  titre  de  Concilium  Meldense;  mais  la  préface 
prouve  incontestablement  qu'il  appartient  à  deux  conciles  :  celui 
de  Meaux,  tenu  le  17  juin  845,  et  sa  continuation  à  Paris  le  14 
février  846.  «  Depuis  l'époque  de  Louis  le  Débonnaire,  dit  la 
très  intéressante  prœfatio,  l'Église  est  malade  des  pieds  jusqu'à  [114] 
la  tête.  Les  évêques  ont  beaucoup  prié  et  ont  arrêté  des  pro- 
jets de  réforme  ;  ainsi  à  Lauriac  (août  843),  [à  Coulaines] 
(novembre  843)  et  à  Ver  (décembre  844).  Malheureusement,  la 
malice  de  Satan  et  de  ses  serviteurs  fit  que  ces  propositions  n'é- 
taient pas  encore  entrées  dans  l'esprit  du  roi  et  du  peuple  2. 
Comme  ses  ordres  divins  n'étaient  pas  exécutés,  Dieu  permit 
comme  châtiment  l'apparition  des  persécuteurs  des  chrétiens, 
les  Normands,  qui  s'avancèrent  jusqu'à  Paris.  Les  évêques  revin- 
rent à  la  charge  à  Beauvais  (avril  845)  ;  mais  la  malice  et  les  maux 
n'avaient  fait  que  s'accroître.   Pour  essayer  de   fléchir   la  colère 


1.  L.  d'Achéry,  Spicilegium,  t.  n,  p.  586  ;  2e  édit.,  t.  i,  p.  595;  Gallia  christ., 
t.  iv,  p.  363;  Lalande,  Conc.  Gall.,  p.  161;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  77; 
Hardouin,  Coll.  conc,  t.  v,  col.  39;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1085  ;  Mansi, 
Conc.ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  975;  M.  Quantin,  Cartulaire  général  de  l'Yonne, 
Auxerre,  1854,  t.  i,  p.  63.  (H.  L.) 

2.  On  s'explique  d'autant  moins  cette  affirmation,  que  le  concile  de  Ver 
s'était  tenu  sur  l'ordre  de  Charles  le  Chauve.  Peut-être  était-ce  là  pour  les  évê- 
ques une  manière  polie  de  dire  que  le  roi  n'avait  pas  fait  exécuter  les  stipulations 
de  cet  acte. 


441.     CONCILES     FRANCS    DEPUIS     LE     TRAITÉ     DE    VERDUN  121 

divine,  introduire  la  réforme  dans  le  clergé,  veiller  au  salut  du 
roi  et  de  l'empire,  les  archevêques  Wenilo  de  Sens,  Hincmar  de 
Reims  et  Rodulfe  de  Bourges  se  réunirent,  sur  l'ordre  de  Charles, 
avec  leurs  sufïragants  à  Meaux,  le  17  juin  845  1.  Ils  renouvelèrent 
d'abord  d'anciennes  ordonnances,  et  décrétèrent  ce  que  le  Saint- 
Esprit  leur  avait  inspiré.  Toutefois,  après  la  célébration  de  ce 
concile,  diverses  circonstances  ne  permirent  pas  de  le  faire  suivre 
d'une  exhortation  épiscopale  adaptée  au  sujet  et  d'assurer  l'exé- 
cution de  ses  décrets.  Aussi  les  mêmes  évêques  se  réunirent-ils 
avec  Guntbold  de  Rouen,  à  Paris,  du  consentement  de  Charles, 
le  14  février  846  (indict.  X),  pour  poursuivre  et  terminer  ce  qui 
avait  été  commencé  à  Meaux.  »  Viennent  ensuite  quatre-vingts 
canons,  dont  les  vingt-quatre  premiers  sont  extraits  des  actes  des 
conciles  dont  nous  avons  déjà  parlé,  par  exemple,  de  ceux  de 
Coulaines  (n.  1-6),  de  Thionville  (n.  7-12),  de  Loire  (n.  13-16), 
de  Beauvais  (n.  17-24)  ;  quant  aux  cinquante-six  autres  on  se 
demande  s'ils  ont  tous  été  rédigés  à  Meaux,  ou  si  certains  ne 
proviennent  pas  du  concile  de  Paris.  Voici  le  résumé  de  ces  cin- 
quante-six derniers  canons  : 

25.  La  demeure  de  l'évêque  doit  être  toujours  située  près    de 
l'église  et  être  disposée  pour  recevoir  les  étrangers  et  les  pauvres. 

26.  Lorsque  le  roi  vient  dans  une  ville,  il  doit  demeurer  chez 
l'évêque,  mais  dans  ce  cas  il  n'aura  pas  de  femme  dans   sa  suite. 

27.  La  présence  du  roi  dans  une  ville  ne  devra  pas  être  l'occa- 
sion, comme  il  arrive  fréquemment,  de   quantité  de  violences  et 

[115]  de  vols.  28.  Le  roi  doit  permettre  aux  évêques  de  rester  dans  leurs 
diocèses  pendant  le  carême  et  l'avent,  et  les  évêques  devront 
utiliser  ces  époques  pour  faire  leurs  visites,  etc.  29.  Ils  doivent 
visiter  eux-mêmes  leurs  diocèses.  30.  Ils  ne  doivent  pas  passer 
d'une  église  moindre  à  une  église  plus  considérable.  31.  On 
doit  respecter  et  maintenir  les  droits  des  métropolitains.  32. 
Les  princes  doivent  permettre  la  réunion  annuelle  d'un  ou 
deux  synodes  provinciaux  et  diocésains.  33.  Un  évêque  qui,  sans 
excuse,  ne  se  rend  pas  à  ces  assemblées,  sera  suspendu  jusqu'à  ce 
qu'il  ait  donné  satisfaction  à  ses  collègues.  34.  On  doit  observer 
les   canons,   expliquer  les   saintes    Écritures   d'après   le   sens   des 


1.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  ni,  p.  25;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  458;  Labbe,  Con- 
cilia, t.  vu,  col.  1813-1848;  Hardouin,  Concilia,  t.  iv,  col.  1475;Coleti,  Concilia, 
t.  ix,  col.  955;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  811.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 


122 


LIVRE     XXI 


Pères,  et  interdire  aux  moines  ces  nouvelles  expressions  par  les- 
quelles ils  veulent  se  rendre  célèbres.  35.  Chaque  évêque  doit 
avoir  un  coopérateur  instruit  dans  l'œuvre  de  la  formation  des 
prêtres.  36.  Les  prêtres  doivent  rester  dans  leurs  églises;  là  où  se 
tient  le  prêtre,  aucune  femme  ne  doit  entrer.  37.  Aucun  clerc 
ne  doit,  sous  peine  de  déposition,  porteries  armes.  38.  Aucun  évê- 
que ne  doit  prêter  serment  super  sacra  (en  étendant  la  main  sur  des 
choses  saintes)  il  le  peut  toutefois,  inspectis  sacris  (en  face  de 
choses  saintes).  39.  On  doit  éviter  le  parjure.  Il  est  arrivé  que  des 
parjures,  venus  dans  le  sanctuaire  d'un  martyr,  y  ont  été  saisis 
par  un  démon.  40.  Les  hospices,  en  particulier  ceux  qui  ont  été 
fondés  par  les  Scots  (Irlandais),  doivent  être  rétablis  1.  41.  Les 
monastères  livrés  en  commende  aux  laïques  sont  tombés  dans 
une  grande  décadence.  Devoirs  du  roi  à  ce  sujet.  42.  Il  nommera 
des  missi  qui  rechercheront  la  quantité  de  biens  ecclésiastiques 
donnée  aux  laïques  soit  par  l'empereur,  soit  par  son  père.  43.  Pres- 
sante exhortation  contre  la  simonie.  44.  Un  chorévêque  ne  doit  ni 
consacrer  le  saint  chrême,  ni  donner  la  confirmation,  ni  consacrer 
des  églises.  Il  ne  peut  conférer  les  ordres  qui  réclament  l'imposition 
des  mains  (la  prêtrise  et  le  diaconat)  ;  quant  aux  autres  ordres, 
jusqu'au  sous-diaconat  (inclusivement,  car  le  sous-diaconat  ne 
fut  compris  au  nombre  des  ordres  majeurs  que  depuis  le  xne 
siècle),  il  ne  pourra  les  conférer  que  sur  l'ordre  del'évêque  et  dans 
les  conditions  prescrites  par  les  canons  ;  toutefois,  il  pourra  impo- 
ser des  pénitences  et  réconcilier  les  pénitents,  s'il  a  reçu  de  l' évê- 
que mission  de  le  faire.  Après  la  mort  de  l'évêque,  il  ne  doit  rien 
faire   de   ce   qui  doit   être  fait  exclusivement    par    un   évêque  2. 

\  1.  Au  sujet  de  ces  hospices  irlandais  fondés  en  particulier  à  Cologne,  à  Paris, 
à  Ratisbonne,  à  Vienne,  en  Hongrie  et  en  Italie  pour  les  pèlerins  irlandais  qui  se 
rendaient  à  Rome,  cf.  Greith,  Gesch.  d.  altirischen  /forcée,  Freiburg,  1867,  p.  155. 
Greith  s'en  rapportant  àHardouinne  fait  que  reproduire  les  ordonnances  du  con- 
cile de  Meaux  de  845.  Sur  les  Schottenkloster,  cf.  Revue  bénédictine,  1902,  t.  xix, 
p.    60-69    (H.  L.) 

2.  Les  conciles  d'Ancyre  (314),  c.  13,  etd'Antioche  (143),  c.  10,  avaient  interdit 
aux  chorévêques  l'ordination  des  prêtres  et  des  diacres.  D'après  le  concile  d'An- 
tioche,  les  chorévêques  même  pourvus  de  la  consécration  épiscopale  ne  peu- 
vent consacrer  un  prêtre  ni  un  diacre  sans  mission  de  l'évêque  du  diocèse  ; 
par  contre,  il  leur  était  permis  de  conférer  les  ordres  inférieurs  sans  mission 
de  l'évêque  (contrairement  aux  prescriptions  du  canon  dont  nous  nous  occupons). 
L'ancien  droit  canon  se  trouvait  donc  aggravé,  ou  plutôt  complété,  par  les  or- 
donnances actuelles  ;  cependant  la  question  n'était  par  encore  complètement 
élucidée.  On  aurait  dû  ne  plus  tenir  compte  de  la  distinction  faite  par  le  concile 


[116] 


i41.     CONCILES     FRANCS    DEPUIS     LE    TRAITE    DE     VERDUN  123 

45.  L'évêque  et  ses  serviteurs  ne  doivent  rien  demander  aux  prêtres 
pour  le  chrême  ;  de  leur  côté,  les  prêtres  devront  en  temps  oppor- 
tun envoyer  volontairement  à  l'évêque,  et  en  signe  de  respect, 
des  eulogies.  46.  Le  chrême  ne  doit  être  consacré  que  le  jour  de 
la  Cœna  Domini.  47,  Du  vivant  d'un  évêque,  nul,  pas  même  le 
roi,  ne  doit  sans  son  assentiment  exercer  une  domination  sur  les 
biens  de  l'Église  ou  établir  un  économe  pour  ces  biens.  Si  un  évê- 
que est  malade  au  point  de  ne  pouvoir  administrer  les  biens  de 
l'Église,  le  métropolitain  doit  y  pourvoir  d'accord  avec  lui.  48. 
A  part  les  cas  de  nécessité,  on  ne  doit  administrer  le  baptême  que 
dans  les  baptistères  et  aux  époques  indiquées  par  les  canons. 
49.  Aucun  laïque  ne  doit  employer  un  prêtre  à  des  occupations 
viles.  50.  Aucun  clerc  ne  doit  être  admis  dans  une  autre  paroisse 
(diocèse)  sans  une  littera  formata.  51.  Même  dans  le  cas  où  il  aura 
[117]  une  littera  formata,  on  lui  fera  connaître  où  et  de  quelle  manière  il 
doit  s'acquitter  du  service  divin.  52.  Nul  ne  doit  être  ordonné, 
même  s'il  est  pourvu  d'un  titre,  à  moins  d'avoir  servi  une  année 
dans  le  clergé  (inférieur).  53.  Les  chanoines,  aussi  bien  ceux  qui 
habitent  la  ville  que  ceux  qui  habitent  la  maison  canoniale, 
doivent  dormir  dans  le  même  dortoir,  manger  au  réfectoire,  etc. 

d'Antioche  et  il  eût  été  indispensable  de  décréter  que  :  «  Même  les  chorévêques 
qui  ont  reçu  réellement  la  consécration  épiscopale  (et  qui  par  conséquent  ont  d'au- 
tres droits  que  les  chorévêques  qui  n'ont  reçu  que  la  prêtrise,  ne  peuvent)  sans 
l'assentiment  de  leur  propre  évêque,  procéder  à  aucune  ordination  (ni  pour  les 
ordres  majeurs,  ni  pour  les  ordres  mineurs).  Ils  ne  peuvent  consacrer  le  saint 
chrême,  ni  confirmer,  ni  consacrer  des  églises,  ni  imposer  des  pénitences,  ni 
réconcilier  les  pénitents.  Mais  après  avoir  reçu  mission  de  l'évêque  ils  peuvent 
procéder  à  toutes  ces  cérémonies  et  même  conférer  les  ordres  majeurs  (ce  que 
notre  canon  ne  permet  pas).  Si  l'évêque  vient  à  mourir,  ils  ne  peuvent  exercer 
aucune  fonction  épiscopale  (puisqu'il  leur  faut  pour  cela  l'autorisation  de 
l'évêque).  »  On  leur  donnait  habituellement  la  situation  de  coadjuteurs  du 
nouvel  évêque.  —  Von  Norden,  Hinckmar  Erzbischof  von  Reims,  Bonn,  1863, 
p.  36  sq.,  pense  que,  selon  toute  vraisemblance  Hincmar  provoqua  ce 
canon  au  sujet  des  chorévêques,  parce  que  pendant  neuf  ans  son  diocèse  avait  eu 
à  souffrir  de  l'administration  des  chorévêques.  Du  reste  Hincmar  n'avait  voulu 
que  restreindre  les  droits  des  chorévêques,  mais  non  les  abolir  complète- 
ment, comme  le  Pseudo-Isidore.  Peu  de  temps  après,  Hincmar  adresse  une 
demande  au  pape  Léon  IV,  sur  le  même  objet.  On  ignore  s'il  reçut  une  réponse 
et  quelle  elle  fut  ;  en  tous  cas  la  question  des  chorévêques  ne  fut  pas  définitive- 
ment tranchée  à  ce  moment-là  et  nous  la  verrons  revenir  plus  tard  devant 
plusieurs  autres  conciles;  le  pape  Nicolas  Ier  prit  également  plusieurs  décisions 
à  leur  sujet  et  en  général  en  leur  faveur.  Voir  J.  Weizsàcker,  Der  Kampf  gegen 
den  Chorepiscopat,  1859,  p.  24-32  sq. ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  389,  459. 


124 


LIVRE     XXI 


Si  un  évêque  n'a  pas  la  place  indispensable  pour  l'érection  d'une 
maison  canoniale,  ou  s'il  n'en  a  pas  les  moyens,  il  devra  recevoir 
l'aide  du  prince  conformément  à  l'ordonnance  de  l'empereur 
Louis.  54.  Les  évêques  doivent  disposer  des  tituli  cardinales  (églises) 
qui  se  trouvent  dans  leurs  villes  ou  dans  leurs  faubourgs  1.  55.  Les 
clercs  et  les  laïques  doivent  s'abstenir  de  l'usure  ;  les  évêques  mena- 
ceront des  peines  canoniques  ceux  qui  s'obstineront  à  la  pratiquer. 
56.  L'évêque  ne  doit  excommunier  personne  sans  preuve  et  sans 
l'assentiment  de  l'archevêque  et  des  évêques  ses  collègues  ;  de 
même,  il  ne  doit  anathématiser  personne  sans  avis  préalable  ; 
on  excepte  les  cas  indiqués  par  les  canons.  En  effet,  l'anathème 
qui  entraîne  la  damnation  éternelle  ne  doit  être  lancé  que  pour 
un  crime  mortel,  et  lorsque  le  pécheur  reste  insensible  à  tous  les 
autres  moyens.  57.  Abolition  des  abus  parmi  les  moines.  58.  Le 
roi  ne  prendra  aucun  chanoine  à  son  service  sans  le  consente- 
ment de  l'évêque  de  qui  dépend  ce  chanoine.  59.  Un  moine  ne 
doit  être  chassé  du  monastère  qu'avec  l'assentiment  et  la  permis- 
sion de  l'évêque  ou  de  son  vicaire,  et  on  doit  faire  tout  ce  qui  est 
possible  pour  que  l'âme  de  ce  moine  ne  soit  pas  perdue  durant 
l'éternité.  60.  Les  voleurs  d'églises  doivent  être  punis  conformé- 
ment aux  canons.  61.  Quiconque  porte  atteinte  aux  biens  de 
l'Eglise  sera  soumis  à  une  pénitence  publique.  62.  Punition  de 
ceux  qui  n'acquittent  pas  les  redevances  à  l'Église.  63. Les  prêtres 
ne  doivent  payer  aucun  census  pour  les  biens  des  églises.  64.  Celui 
qui  enlève  une  vierge  ou  une  veuve  et  l'épouse  avec  le  consente- 
ment des  parents,  sera  soumis  à  une  pénitence  publique.  La  péni- 
tence faite,  si,  pour  éviter  de  plus  grandes  fautes,  les  coupables  [118] 
continuent  à  vivre  dans  le  mariage,  ils  s'appliqueront  aux  bonnes 
œuvres  et  aux  aumônes,  jusqu'à  ce  qu'ils  puissent  s'abstenir  de 
la  vie  conjugale.  Les  enfants  nés  de  pareilles  unions  ne  seront  pas 
admis  à  la  cléricature,  s'ils  sont  nés  avant  le  mariage  ;  ni  même 
ceux  qui  sont  nés  dans  le   mariage,  à   moins   que  les   besoins   de 


1.  Le  cardo  d'un  diocèse  est  l'évêque  placé  sur  la  cathedra  episcopalis  autour  de 
laquelle  tout  évolue.  Les  clercs  de  l'évêque  s'appellent  par  suite  cardinales,  par- 
ce qu'ils  se  rattachent  de  très  près  au  cardo,  et  leurs  églises  (tituli)  sont  par  suite 
aussi  appelés  tituli  cardinales  comme  se  rapportant  directement  au  cardo.  Il  ne 
s'ensuit  cependant  pas  qu'elles  soient  toutes  des  églises  paroissiales.  Le  Cardo 
ecclesise  ■/.%-' -Jluv.ifi  est.  le  pape,  et  les  prêtres  qui  l'entourent  sont  les  cardinaux 
sensu  eminenli,  mais  jadis  cette  expression  de  cardinaux  fut  aussi  employée  pour 
d'autres  églises  et  d'autres  diocèses.  Voir  Philipps,  Kirchenrecht,  t.  vi,  p.  45-51. 


441.     CONCILES     FRANCS    DEPUIS     LE     TRAITÉ     DE    VERDUN  125 

l'Eglise  ou  les  services  qu'ils  ont  rendus  ne  permettent  de  faire 
une  exception.  65-68.  Autres  ordonnances  au  sujet  de  ceux 
qui  enlèvent  une  vierge,  une  nonne  ou  une  fiancée.  69.  Celui  qui, 
ayant  commis  un  adultère,  épouse  ensuite  sa  complice  après  la 
mort  du  mari,  sera  soumis  à  une  pénitence  publique.  Si  la  femme 
ou  son  amant  a  tué  le  mari,  ils  ne  pourront  se  marier  ensemble 
et  feront  pénitence  le  reste  de  leurs  jours.  70.  Les  nonnes  accusées 
et  convaincues  de  débauches,  seront  forcées,  par  le  pouvoir  épis- 
copal  et  le  pouvoir  royal,  d'habiter  en  des  lieux  où  elles  pourront 
faire  une  pénitence  contrôlée,  surveillée.  Si  elles  sont  accusées,  mais 
non  convaincues  de  se  mal  conduire,  elles  se  disculperont  confor- 
mément à  la  loi  et  on  les  obligera  à  vivre  à  l'avenir  d'une  manière 
plus  conforme  aux  règles  {religiosius).  71.  Le  roi  doit  donner 
à  l'évêque  de  pleins  pouvoirs  confirmés  sous  le  sceau,  afin  que 
celui-ci  puisse  se  faire  soutenir,  autant  qu'il  sera  nécessaire, 
par  les  fonctionnaires  civils.  72.  Nul  ne  doit  être  enterré  dans 
l'église  sans  la  permission  de  l'évêque  ou  du  prêtre  qui  aura  à 
examiner  la  vie  du  défunt.  Aucun  corps  ne  doit  être  enlevé  d'un 
tombeau  ;  on  ne  demandera  rien  pour  la  place  octroyée  dans  une 
église  afin  d'y  construire  un  tombeau  ;  on  pourra  cependant  accep- 
ter un  don  volontaire.  73.  On  observera  les  anciennes  lois  et  pres- 
criptions au  sujet  des  juifs.  Viennent  alors  plusieurs  lois  et  pres- 
criptions émanant  de  Constantin,  de  Théodose  et  de  Valentinien, 
du  roi  Childebert,  du  pape  Grégoire  le  Grand,  de  saint  Avit  de 
Vienne,  de  Césaire  d'Arles  et  de  divers  conciles.  74.  Les  grands, 
et  en  particulier  les  dames  des  grandes  familles,  doivent  veiller 
à  ce  qu'il  ne  se  commette  dans  leurs  maisons  ni  adultère,  ni  concu- 
binage, ni  inceste  ;  ils  doivent  charger  les  prêtres  desservant 
leurs  chapelles  de  bannir  ces  scandales  de  leurs  maisons.  75.  Le 
roi  ne  doit  pas  être,  dans  les  affaires  de  la  religion,  plus  négligent 
que  ses  sujets  ;  il  encourt  une  grave  responsabilité  s'il  laisse  plus 
longtemps  entre  les  mains  des  laïques  les  chapelles  de  ses  villas, 
[119]  et  s'il  ne  les  fait  pas  occuper  par  des  clercs.  76.  Le  roi  doit  interdire 
à  tous  ses  serviteurs  de  tenir  ni  placitum  ni  mallum,  depuis  le 
mercredi  qui  commence  le  jeûne  (jusqu'à  l'octave  de  Pâques), 
parce  que  c'est  un  temps  de  pénitence.  77.  Les  huit  jours  de  la 
fête  de  Pâques  doivent  être  de  même  exempts  de  tous  travaux 
serviles,  etc.  78.  On  doit  observer  fidèlement  les  capitulaires 
ecclésiastiques  publiés  par  Charlemagne  et  par  Louis  leDébonnaire. 
79.   Par  égard  pour  les  besoins  de  l'époque  et  pour  la  faiblesse 


126  LIVRE     XXI 

des  hommes,  on  a  sur  certains  points  adouci  l'ancienne  sévérité. 
Mais  si  quelqu'un  méprise  avec  obstination  les  prescriptions  de 
l'autorité  épiscopale  ou  royale,  il  devra,  s'il  est  clerc,  être  déposé 
de  sa  charge  par  le  concile,  et  s'il  est  laïque,  il  sera  frappé  par 
la  perte  de  sa  dignité,  par  l'exil,  ou  par  d'autres  peines.  80.  Les 
évêques  disent  en  terminant  :  Si  le  roi  peut  faire  exécuter  immédia- 
tement ces  divers  points,  nous  en  remercions  Dieu.  S'il  a  la  bonne 
volonté  de  le  faire,  mais  s'il  ne  le  peut  immédiatement,  que  cette 
volonté  se  réalise  le  plus  tôt  possible.  Quant  aux  capitula  souscrits 
par  lui,  il  devra  les  mettre  à  exécution  sans  délai.  » 

Les  premiers  mots  d'un  document  rédigé  en  faveur  du  monas- 
tère de  Corbie  prouvent  qu'il  provient  du  concile  de  Paris.  En 
voici  le  début  :  «  Les  évêques  se  sont  réunis  à  Paris  sur  l'ordre 
du  roi,  pour  délibérer  sur  la  réforme  de  l'Eglise,  et  sur  les  causes 
de  tant  de  malheurs,  et  sur  les  statuts  qui,  d'après  les  institutions 
des  Pères,  conviennent  le  mieux  aux  besoins  des  Eglises.  Radbert, 
abbé  de  Corbie,  présenta  des  documents  provenant  de  Louis  le 
Débonnaire,  de  l'empereur  Lothaire  et  de  l'empereur  Charles, 
d'après  lesquels  le  monastère  de  Corbie  avait  le  droit  d'élire  son 
abbé  et  d'administrer  ses  biens  d'une  manière  indépendante.  Rad- 
bert demanda  au  concile  la  confirmation  de  ces  droits.  »  Le  docu- 
ment contient  cette  confirmation  sanctionnée  par  vingt  évêques, 
qui  signent  dans  un  ordre  assez  confus,  et  par  quatre  abbés  x. 

De  même  que  la  prœfatio  des  actes  de  Meaux  fixe  la  date  du 
concile  de  Paris  au  14  février  846,  indict.  X,  de  même  le  document 
de  Corbie  est  daté  de  846,  indict.  X.  Mais  Yindict.  X  n'a  commencé 
que  le  1er  septembre  846  ;  par  conséquent,  le  mois  de  février  de  la 
Xe  indict.  se  trouve  être  le  mois  de  février  847.  Pour  faire  concorder 
Yindict.  X  avec  l'année  846,  Labbe  a  supposé  que,  dans  les  deux 
documents,  suivant  une  coutume  fort  répandue  dans  le  royaume  [120] 
franc,  on  a  ouvert  l'année  au  25  mars,  de  sorte  que  l'année  com- 
prise entre  le  25  mars  846  et  le  25  mars  847  était  tout  entière 
pour  lesFrancs  l'année  846.  Pagi  répond  que  ce  comput  n'a  été  usité 
que  dans  les  relations  privées,  non  dans  les  documents  publics, 
et  il  propose  de  lire  IXe  au  lieu  de  Xe  indict.  2;  c'est-à-dire  qu'il 
place  le  concile  de  Paris  en  février  846.  Mansi  3  hésite,  et  commet 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  843  sq.  ;  Hardouina  op.  cit.,  t.  iv,  col.  1501  sq. 

2.  Pagi,  Critica,  ad  ami.  846,  n.  6. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  850.  Voir  Appendices.   (H.  L.) 


441.     CONCILES    FRANCS    DEPUIS    LE    TRAITE     DE     VERDUN  127 

une  erreur  que  nous  relèverons  plus  loin.  Pour  ma  part,  je  serais 
disposé  à  adopter  l'opinion  de  Pagi  ;  car  le  concile  de  Paris  ayant 
pour  but  de  terminer  ce  qui  avait  été  commencé  en  845,  à  Meaux, 
on  peut  admettre  que  ces  deux  conciles  ne  sont  pas  séparés  par 
plus  d'une  année. 

Nous  arrivons  au  même  résultat  par  la  réunion  d'Epernay 
(in  villa  Sparnaco).  En  effet,  il  est  dit  très  clairement,  dans  les 
annales  de  Prudence  de  Troyes  (continuation  des  Annales  Ber- 
tinian.). qu' en  846,  le  roi  Charles  tint  par  exception,  au  mois  de 
juin,  la  diète  générale  (c'est-à-dire  le  champ  de  mai),  et  qu'il  fit 
peu  de  cas  des  exhortations  des  évêques  1.  A  ces  données  se  ratta- 
che ce  passage  que  les  anciens  collecteurs  ont  placé  en  tête  du 
capitulaire  de  Sparnacum  :  «  Le  roi  Charles  n'accepta  et  ne  con- 
firma à  Sparnacum  que  dix-neuf  capitula,  de  tous  ceux  publiés 
par  les  évêques  dans  le  concile  et  présentés  ensuite  aux  souve- 
rains. En  effet,  une  faction  des  grands  de  ce  monde  avait  incri- 
miné les  évêques  auprès  de  lui  ;  aussi  le  roi  s'était-il  éloigné  ab 
eodem  concilio  (c'est-à-dire  de  la  réunion  d'Epernay).  Les  membres 
de  la  diète  avaient  aussitôt  envoyé  par  écrit  aux  évêques  les  dix- 
neuf  capitula  confirmés,  en  leur  mandant  que  ceux-là  seuls  avaient 
reçu  la  sanction,  et  qu'ils  étaient  décidés  à  les  observer,  eux  et 
le  roi.  »  Ces  dix-neuf  capitula  forment,  dans  les  capitula  de  Meaux 
et  de  Paris,  les  numéros  suivants  :  1,  3,  15,  20,  21.  22,  23,  24,28, 
37,  40,  43,  47,  53,  56,  57,  62,  67,  68,  et  72. 

La  diète  d'Epernay  s'étant  tenue  en  juin  846,  les  conciles  de 
Meaux  et  de  Paris  l'ayant  précédée,  il  en  résulte  que  le  concile  de 
Paris  a  dû  se  tenir  en  février  846.  Nous  voyons  en  outre,  par  les 
ri211  mots  clnl  servent  d'introduction  au  capitulaire  de  Sparnacum  2,  que 
non  seulement  les  archevêques  Wenilo,  Hincmar  et  Gombaud, 
mais  aussi  les  archevêques  Ursmar  de  Tours  et  Amolo  de  Lyon, 
assistaient  avec  leurs  suffragants  à  ces  conciles  réformateurs. 

Sur  ces  entrefaites,  l'entente  entre  l'empereur  Lothaire  et  son 
frère  Charles  le  Chauve  fut  troublée  par  divers  incidents,  en 
particulier  parce  que  le  comte  Gielbert,  qui  avait  fait  violence  à 
Hermingunde,  fille  de  Lothaire,  avait  trouvé  asile  auprès  de  Charles, 

1.  Pertz,  Monum.,  t.  i,  p.  442,  et  P.  L.,  t.  cxv,  col.  1399.  [Coll.  regia,  t.  xxi, 
col.  517;  Labbe,  Concilia,  t.  vu,  col.  1852-1854;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  995s 
Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  iv,  col.  1506  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv, 
col.  850;  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  ni,    Legex,  t.  i,  p.  388.  (H.  L.) 

2.  Voir  le  texte  dans  l'édition  de  Pertz. 


128 


Liviu-:    xxi 


avec  la  permission  d'épouser  solennellement  la  princesse  dans  son 
royaume1.  Lothaire  imagina,  pour  se  venger  et  aussi  pour  assouvir 
sa  haine  contre  Hincmar,  de  déterminer  le  pape  Serge  II  à  pres- 
crire une  nouvelle  enquête  au  sujet  d'Ebbon,  «  sous  prétexte  de 
difficultés  soulevées  au  sujet  d' Hincmar  dans  l'Eglise  de  Reims.  » 
Ebbon  quittant  l'Italie  se  rendit  en  Germanie,  où  le  roi  Louis  le 
nomma  évêque  d'Hildesheim  dont  il  mourut  titulaire,  en  851. 
Le  pape  Serge  écrivit  à  Charles  le  Chauve  d'envoyer  à  Trêves 
Gombaud,  archevêque  de  Rouen,  avec  d'autres  évêques  choisis 
par  cet  archevêque;  ils  se  livreraient  dans  cette  ville,  conjointe- 
ment avec  les  légats  du  pape,  à  l'examen  de  l'affaire  en  question  2. 
Charles  devait  assurer  autant  que  possible  la  présence  d' Hincmar  à 
ce  concile.  Dans  une  seconde  lettre  adressée  à  Gombaud,  le  pape 
dit  qu'il  enverra  ses  légats  à  l'empereur  après  Pâques,  et  qu'à  cette 
époque  Gombaud  devra  se  trouver  à  Trêves  avec  ses  évêques. 
Dans  une  troisième  lettre,  Serge  fut  invité  à  paraître  au  concile. 
Hincmar  de  qui  nous  tenons  ces  détails,  Hincmar  lui-même  ajoute  : 
«  Nous  avons  attendu  les  légats  du  pape  jusqu'au  terme  indiqué 
et  ils  ne  sont  pas  venus  3.  »  Mais  déjà,  Gombaud  se  conformant  à 
la  lettre  du  pape  et  avec  l'assentiment  de  Charles  et  de  tous  les 
évêques  de  l'empire,  avait  convoqué  un  concile  par  devant  lequel 
il  cita  Ebbon,  en  vertu  de  l'autorité  pontificale  4.  Flodoard  dit 
que  ce  concile  se  tint  à  Paris.  Il  ne  fait  guère  que  répéter  les 
paroles  d' Hincmar,  et  remarque  seulement  qu'Ebbon  ne  se  rendit  M22] 


1.  Sur  cette  affaire,  cf.  F.  Lot  et  L.  Halphen,  Le  règne  de  Charles  le  Chauve, 
1909,  p.  159.  On  ne  sait  où  Hefele  a  trouvé  ce  nom  d'Hermingunde  qu'il  donne 
à  la  victime  volontaire  de  Gilbert.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine,  p.  67, 
note  è.  Fuite  et  mariage  se  placent  au  début  de  846.  E.  Lesne.  Hincmar  et  l'em- 
pereur Lothaire,  dans  la  Revue  des  Quest.  histor.,  1905,  t.  lxxviii,  p.  9.  note  5. 
(H.  L.) 

2.  Schrôrs,  Hinckmar,  p.  54,  note  14;  Lesne,  Hier,  épisc,  p.  11,  n.  3;  L.  Hal- 
phen, op.  cit.,  p.  160,  n.  5,  estiment  que  Trêves  n'est  pas  un  simple  lieu  de  ren- 
dez-vous, mais  la  ville  désignée  pour  le  concile.  (H.  L.) 

3.  Peut-être  parce  que,  à  cette  époque,  les  Sarrasins  assiégèrent  Rome  et  pillè- 
rent l'église  de  Saint-Pierre.  Voyez  la  chronique  de  Prudence  de  Troyes,  Contin. 
Annal.  Berlin.,  dans  P.  L.,  t.  cxv,  col.  1399;  Pertz,  Monum.,  t.  i,  p.  442,  Von  Nor- 
den,  op.  cit.,  p.  44,  croit  au  contraire  que  le  pape  ne  prit  pas  au  sérieux  l'inter- 
vention qu'on  sollicitait  de  lui  au  sujet  d'Ebbon  et  pour  cela  n'envoya  pas  ses 
légats. 

4.  Hincmar,  Ep.,  xi,  ad  Nicolaum  papam,  dans  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  82  sq.  ; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  777. 


i41.    CONCILES     DEPUIS     LE     TRAITÉ     DE    VERDUN  129 

pas  à  la  citation.  Les  évoques  présents,  Gombaud,  Wenilo  de  Sens, 
Lantran  de  Tours  *  et  Hincmar  écrivirent,  sur  ces  entrefaites,  à 
Ebbon  pour  lui  interdire  l'accès  du  diocèse  de  Reims  et  lui  défendre 
toute  agitation  jusqu'à  ce  que,  conformément  aux  ordres  du  pape, 
il  se  fût  présenté  par  devant  le  concile.  Ebbon  n'ayant  pas  obéi, 
le  pape  Léon  IV,  successeur  de  Serge,  donna  le  palliant  à  Hincmar  2. 
Hincmar  affirmant  à  plusieurs  reprises  qu'en  vertu  des  pleins 
pouvoirs  apostoliques  de  Serge,  Gombaud  réunit  le  concile  (à 
Paris)  et  y  convoqua  Ebbon,  il  semble  impossible  que  le 
pape  ait,  comme  on  le  croit  ordinairement,  assigné  la  réunion 
du  concile  à  Trêves  :  d'ailleurs  Hincmar  et  Flodoard  ne  disent 
rien  de  semblable,  mais  seulement  que  Trêves  élail  désigné  pour 
la  réunion  des  évêques  et  des  légats  apostoliques  3.  On  peut  se  de- 
mander si  ce  concile  de  Paris  dont  nous  parlons  est  celui  qui  acheva 
l'œuvre  commencée  à  Meaux  et  confirma  les  privilèges  de  l'ab- 
baye de  Corbie.  Les  savants  se  partagent  sur  cette  question  4.  A 
mon  avis,  il  résulte  des  données  fournies  par  Hincmar  et  Flo- 
doard que  l'empereur  Lothaire  a  demandé  au  pape  les  lettres 
en  question,  une  année  entière  [emenso  anno)  après  l'ordination 
d' Hincmar.  Or,  comme  Hincmar  a  été  élu  archevêque  au  concile 
de  Beauvais  en  845,  et  ordonné  à  Reims  le  3  mai,  l'expression 
emenso  anno  nous  reporte  au  mois  d'avril  846;  par  suite  les  let- 
tres du  pape  auront  été  reçues  dans  le  royaume  franc  vers  la 
Pâque  de  846,  qui,  cette  année-là,  tombait  le  18  avril.  Ces  lettres 
disant  que  le  pape  enverrait  ses  légats  immédiatement  après  la 
fête  de  Pâques,  il  s'agit  évidemment  de  la  Pâque  de  846,  les  let- 
tres pontificales  ayant  été  rédigées  peu  de  temps  avant  les  fêtes 
pascales.  «  Nous  avons  attendu,  à  Trêves,  dit  Hincmar,  jusqu'à 
ce  que  le  délai  indiqué  fût  passé,  sans  voir  arriver  les  légats 
du  pape.  »  Si  ces  légats  ne  devaient  quitter  Rome  qu'après  la 
[123]    Pâque  de  846,  on  ne  pouvait  guère  les  attendre  dans   les  Gaules 

1.  Nous  avons  vu,  plus  haut,  Ursmar  désigné  comme  archevêque  de  Tours: 
avant  et  après  lui,  il  y  eut,  sur  ce  même  siège,  un  certain  Lantran,  ou  Landranus. 
On  avait  d'abord  admis  que  Lantran  avait  abdiqué,  tout  en  gardantle  titre,  et 
avait  sans  doute  exercé  de  nouveau  en  quelques  circonstances  ses  fonctions. 
Toutefois,  le  Gallia  christiana,  t.  xiv,  p.  34  sq.,  distingue  deux  Lantran,  l'un 
prédécesseur,  l'autre  successeur  d'Ursmar. 

2.  Flodoard,  Hist.  Eccl.  Rhem.,  1.  III,  c.  n,  P.  L.,  t.  cxxxv,  col.  139  sq.  ; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  899;  Hardouin,  op.  cit.,  I.  v,  col.  3. 

3.  Voir  page  précédente,  note  3. 

4.  Pagi,  Crilica,  ad  ami.  846,  n.  2,  3;  847,  n.  1. 

CON  CI  LES   —  IV  -    9 


130  LIVRE     XXI 

avant  l'été  de  cette  même  année.  Après  avoir  constaté  cette 
absence,  Gombaud  se  décida  à  tenir  le  concile  à  Paris  :  il  solli- 
cita la  permission  du  roi  Charles,  invita  Ebbon  à  s'y  rendre 
.par  une  lettre  particulière  confiée  à  Erpoin,  évêque  de  Senlis. 
On  avait  perdu  deux  mois  à  la  préparation  de  ce  nouveau  con- 
cile, en  raison  soit  de  la  mission  confiée  à  Erpoin  pour  Ebbon,  soit 
du  délai  de  deux  mois  nécessaire  pour  permettre  à  Ebbon  de 
se  rendre  d'Hildesheim  à  Paris.  Aussi,  le  nouveau  concile  ne  put- 
il  se  tenir  avant  la  fin  de  l'année  846.  Cette  hypothèse  trouve 
sa  confirmation  dans  la  remarque  suivante  :  le  pape  Serge  mou- 
rut le  27  janvier  847  1,  or,  le  concile  de  Paris  adresse  sa  lettre  non 
à  Serge,  mais  à  son  successeur  Léon  IV  2.  Il  en  résulte  que  le  con- 
cile de  Paris  s'est  prolongé  jusque  dans  les  premiers  mois  de  847. 
Résumons   maintenant  nos   conclusions 3. 

1.  Le  concile  de  Paris  tenu  au  sujet  d' Ebbon  ne  peut  être  le 
même  que  celui  qui  a  terminé  les  travaux  du  concile  de  Meaux  ; 
en  eilet  ce  concile  de  Paris  est  daté  du  14  février  846;  de  plus, 
il  est  antérieur  à  la  diète  tenue  à  Epernay  en  juin  846. 

2.  Le  concile  tenu  au  sujet  d' Ebbon  ne  peut  être  celui  qui  con- 
firma les  privilèges  de  Corbie,  car  dans  ce  même  concile,  dès 
le  début  du  décret  de  confirmation  les  évêques  affirment  qu'ils 
s'étaient  réunis  dans  le  même  but  que  précédemment  à  Paris 
en  février   846,  à  savoir    c'est-à-dire   la   réforme  de    l'Église. 

3.  Le  concile  de  Paris  tenu  au  sujet  d'Ebbon  a  eu  lieu  après  la 
diète  d' Epernay. 

4.  Mansi  4  rapporte  qu'en  la  nuit  de  Noël  de  846,  un  certain 
Hervé  avait  voulu  communiquer  à  Baltfried,  évêque  de  Bayeux, 
une  sienne  vision,  mais  que  cet  évêque  se  trouvait  alors  au  con- 
cile de  Paris.  Ce  détail  convient  au  concile  qui  s'occupa  d'Ebbon,  r,  « ,-, 
mais  non  avec  celui  qui  s'occupa  de  Corbie.  Mansi  s'est  trompé 
pour    être    parti    de  deux  suppositions  inexactes  :   que  le  concile 

qui  confirma  le  privilège  de   Corbie  était  le  dernier  et  qu'il  avait 
eu  lieu  vers  la  fin  de  847. 

1.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  847,  n.  3. 

2.  C'est  ce  que  dit  Hincmar. 

3.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

4.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  848. 


442.     CONCILE     DE     MAYENCE     DE     847  loi 


442.   Premier  concile  de  Mayence  sous  Rhaban-Maur,  en  847. 

Plusieurs  fois  déjà  nous  avons  mentionné  le  nom  de  Rhaban  - 
Maui'  ;  avec  l'année  847  commence  pour  lui  une  époque  de 
grande  activité.  Rhaban  (Hraban,  c'est-à-dire  Corbeau),  né  à 
Mayence  en  77G  (ou  774),  tirait  son  origine  de  la  gens  Magnentia, 
connue  sous  Julien  l'Apostat.  Alcuin,  dont  il  était  le  disciple  chéri, 
lui  imposa  le  nom  de  Maur  en  souvenir  du  disciple  bien-aimé 
de  saint  Benoît.  A  l'âge  de  neuf  ans  (785),  Rhaban  vint  au  monas- 
tère de  Fulda,  où  il  eut  pour  protecteur  l'abbé  Bangolf,  succes- 
seur de  Sturm,  et  second  abbé  de  Fulda,  et  pour  maître  le  moine 
Haymon,  plus  tard  évêque  d'Halberstadt.  Ordonné  diacre  en  801, 
Rhaban  fut  envoyé  à  Tours  par  le  troisième  abbé,  Ratgar,  pour  y 
continuer  ses  études  sous  la  direction  d' Alcuin.  Après  un  an,  il 
regagna  Fulda  pour  diriger  l'école  de  l'abbaye.  Mais  bientôt 
l'abbé  Ratgar  laissa  voir  ses  graves  défauts.  Saisi  d'une  véritable 
passion  pour  les  bâtiments,  Ratgar  supprima  l'école  et  obligea, 
parfois  même  par  des  sévices  tous  ses  moines  à  travailler  à  ses 
nombreuses  constructions.  Il  fut  déposé  en  817.  Sous  son  suc- 
cesseur Cigil  l'école  refleurit  et  Rhaban-Maur,  prêtre  depuis 
814,  en  devint  le  supérieur,  ou  magister.  Après  la  mort  de  Cigil, 
en  822,  il  fut  choisi  pour  abbé,  dignité  qu'il  conserva  jusqu'en  842, 
où  il  dut  démissionner  soit  par  suite  de  difficultés  avec  ses 
moines,  soit  pour  avoir  pris  parti  pour  l'empereur  Lothaire  contre 
Louis  le  Germanique.  Ces  vingt  années  d'une  administration 
économe  et  intelligente  avaient  rendu  célèbre  le  monastère 
de  Fulda,  et  de  tous  côtés  les  jeunes  gens  y  étaient  accourus  : 
ainsi  Walafrid  Strabon  de  l'Alemannie,  Servatus  Lupus  des 
Gaules,  le  célèbre  moine  et  poète  Otfrid  de  Wissembourg,  Fre- 
menold,  plus  tard  abbé  d'Ellwangen,  et  tant  d'autres.  Après  avoir 
résigné  ses  fonctions,  Rhaban  se  rendit  d'abord  auprès  de  son 
maître  et  ami  Haymo,  évêque  d'Halberstadt,  et  habita  le  monas- 
tère de  Saint-Vigbert-des-Terres,  fondé  par  cet  évêque.  Il  y 
retrouva  Walafrid  Strabon,  qui  semble  y  avoir  commencé  sa 
Glossa  ordinaria.  Plus  tard, Rhaban  se  retira  sur  le  Petersberg,  près 
[125 1  de  Fulda,  pour  s'y  consacrer  exclusivement  à  l'étude.  Mais,  dès 
847,  il  était  réconcilié  avec  le  roi  Louis  et,  après  la  mort  d'Otgar 


132 


LIVRE     XXI 


(avril  847),  il  fut,  «  par  le  choix  des  princes  francs  et  l'élection 
du  clergé  et  du  peuple1,  »  élevé  sur  le  siège  archiépiscopal  de 
Mayence  et  sacré  au  mois  de  juin  de  la  même  année. 

Sur  le  désir  du  roi  Louis,  il  réunit  à  Mayence,  dès  le  mois  d'octo- 
bre  847,  un  concile  provincial,  auquel  se  rendirent  ses  suffragants 
Samuel  de  Worms,  Gozbald  de  Wùrzbourg,Baturad  dePaderborn, 
Ebbon  de  Hildesheim  (l'ancien  archevêque  de  Reims),  Gerbrath 
(Gozprath)  de  Thur,  Haymon  de  Halberstadt,  Waltgar  de  Verden, 
Otgar  d'Eichstâdt,  Lanto  d'Augsbourg,  Salomon  de  Constance, 
C.cbhard  de  Spire,  avec  plusieurs  chorévêques,  abbés,  moines, 
prêtres  et  d'autres  clercs  2.  Ansgar,  l'archevêque  exilé  de 
Hambourg,  s'y  était  aussi  rendu  pour  faire  connaître  au  roi  et 
au  concile  le  triste  état  des  missions  du  Nord  3. 

Cette  assemblée  nous  a  laissé  une  lettre  synodale  adressée  au 
roi  Louis  et  trente  et  un  capitula.  Les  évêques  disent  au  roi,  qu'ils 
avaient  tout  d'abord  appelé  sur  le  concile  la  bénédiction  de 
Dieu,  par  un  jeûne  de  trois  jours  accompagné  des  litanies;  ils 
avaient  prescrit  dans  toutes  les  paroisses  des  prières  pour  le  roi, 
la  reine  et  leurs  descendants.  Ensuite,  ils  avaient  pris  séance 
dans  le  monastère  de  Saint- Alban,  selon  l'ordre  réglé  sous  Char- 
lemagne  par  les  évêques  Hildebald  et  Riculf,  et  avaient  commencé 
leurs  travaux.  Tous  les  membres  présents  s'étaient  divisés  en 
deux  groupes  :  dans  l'un,  les  évêques,  assistés  de  quelques  no- 
taires, se  consultaient  sur  la  réforme  de  l'Eglise,  et  du  peuple 
chrétien  en  général;  dans  l'autre,  les  abbés  et  les  moines  délibé- 
raient sur  la  réforme  des  monastères.  Cela  fait,  on  avait  pris  la 
résolution  suivante  :«  Conformément  aux  préceptes  de  la  sainte 
Ecriture,  on  devait  rendre  à  toute  personne  et  à  tout  état 
l'honneur  qui  était  dû,  et  en  particulier,  honorer    les  prêtres  et 


1.  C'est  ainsi  que  s'exprime  l'abbé  Hatto,  dans  sa  lettre  au  pape  Léon  IV. 

2.^Baronius,  Annales,  ad  ann.  847,  n.  30  ;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  574;  Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  39-52  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  8;  Coleti,  Concilia, 
t.  ix,  col.  1035;  Bouquet,  Rec.  des  hist.  de  la  France,  t.  vu,  col.  580-581  :  Hartz- 
heim,  Conc.  Germ.,  t.  n,  col.  151  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  899;  Mùhlbacher, 
Reg.  Karoling.,  1886,  t.  i,  p.  531;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  n,  p.  413  sq., 
495  sq.  (H.  L.) 

3.  Nous  connaissons  tous  ces  noms  par  le  commencement  de  la  lettre  synodale. 
Ces  noms  se  trouvent  aussi  dans  un  manuscril  de  Saint-Gall  (sec.  ix-x)  reproduit 
par  Hattemer,  Denkmale  des  Miltelalters,  Saint-Gall,  1844,  t.  i,  p.  317.  Voir,  sur 
ce   concile,  Dùmmler,  op.  cit.,  p.  303  sq. 


442.     CONCILE    DE     MAYENCE      DE     847  133 

les  Eglises  de  Dieu  et  conserver  leurs  droits  intacts.  »  Les  évêques 
parlaient  ensuite  énergiquement  des  mauvais  traitements  infli- 
gés aux  prêtres  et  des  vols  faits  aux  églises.  Il  était  grand 
[126]  temps  que  le  roi,  suivant  l'exemple  de  ses  ancêtres,  défendît 
les  Eglises  et  ne  livrât  pas  leurs  biens  à  ceux  qui  n'y  avaient 
aucun  droit.  Non  seulement  des  princes  chrétiens,  mais  même 
des  princes  païens,  Artaxercès  par  exemple  (/  Esdr.,  vu), 
avaient  fait  des  présents  aux  temples  de  Dieu,  et  il  était  vrai- 
ment honteux  que  sous  le  gouvernement  du  roi  Louis,  on  enle- 
vât aux  églises  les  biens  autrefois  offerts  par  les  fidèles.  Les 
capitula  suivants,  la  plupart  empruntés  aux  anciens  conciles, 
feraient  connaître  les  peines  réservées  à  ceux  qui,  sans  ordre  du 
roi,  opprimaient  l'Église  au  profit  de  leur  avarice. 

1.  Avant  tout,  la  foi  est  nécessaire,  elle  est  le  fondement  de  tous 
les  biens  ;  mais  la  foi  sans  les  œuvres  est  une  foi  morte  1. 

2.  Les  clercs  doivent  lire  souvent  les  collections  des  canons. 
Chaque  évêque  doit  avoir  un  recueil  d'homélies,  que  chacun 
traduira  ensuite  clairement  in  rusticam  Romanam  linguam  aut 
Theotiscam,  afin  que  tous  comprennent  ce  qui  se  dit  en  chaire  2. 

3.  Le  baptême  doit  être  administré  dans  toutes  les  paroisses 
selon  la  coutume  romaine,  et,  sauf  les  cas  de  nécessité,  on  ne  bap- 
tisera qu'à  Pâques  et  à  la  Pentecôte  3. 

4.  La  concorde  doit  régner  parmi  les  chrétiens,  surtout  entre 
les  évêques  et  les  comtes  4. 

5.  Toute  révolte  contre  le  roi,  contre  l'autorité  ecclésiastique 
ou  l'autorité   civile,   sera  punie  par  l'excommunication. 

6.  Le  roi  doit  ne  pas  écouter  ceux  qui  disent  qu'il  a  moins  à 
songer   aux   biens    des    églises    qu'à   son   propre   patrimoine. 

7.  Le  pouvoir  sur  les  biens  de  l'Église  appartient  aux  évêques, 
et  les  laïques  qui  les  aident  à  l'exercer,  doivent  leur  obéir  ;  de 
même  les  comtes  et  les  juges  doivent  les  soutenir. 

8.  Un  clerc  doit  rendre  à  l'Eglise  ce  qu'il  a  perçu  des  revenus 
ecclésiastiques.  Il  ne  pourra  employer,  selon  son  bon  plaisir, 
que  ce  qu'il  a  reçu  en  présent  ou  ce  dont  il  a  hérité  5. 

1.  Conc.  Mogunt.,  ann.  813,  can.  1. 

2.  Conc.  Turon.,  ann.  813,  can.  17.  Voir  Hist.  des  conciles,  t.  m,  part.  2, 
p.  1263,  dernière  note.  (H.  L.) 

3.  Conc.  Mogunt.,  ann.  813,  can.  4. 

4.  Conc.  Mogunt.,  ann.  813,  can.  5. 

5.  Cocl.  can.  Eccles.  Ajric,  can.  33;  Conc.  Mogunt.,  ann.  813,  can.  8. 


134  LIVRE     XXI 

9.  Rappel  du  c.  04  du  Codex  can.  Eccl.  Afric.  concernant  les 
affranchissements  à  l'église1. 

10.  La  dîme,  instituée  par   Dieu,   doit    être   acquittée  conscien- [1^'J 
cieusement.     Conformément     aux      anciennes      ordonnances,    on 

fera  quatre  parts  des  revenus  des  églises  et  des  offrandes  des  fidè- 
les :  pour  l'évêque,  pour  le  clergé,  pour  les  pauvres  et  pour  la 
fabrique  de  l'Eglise  2. 

11.  Aucune  église  existante  ne  doit  être  dépossédée  de  ses 
biens  et  droits,  au  profit  d'un  nouvel  oratoire,  si  ce  n'est  avec 
l'assentiment  de  l'évêque  3. 

12.  Défense  contre  la  simonie. 

13-16.  Sur  la  conduite  des  chanoines,  des  moines  et  des  religieu- 
ses 4. 

17-18.  Le  roi  doit  s'opposer  à  l'oppression  des  pauvres  dont  les 
évêques  ont  devoir  de  s'occuper  5. 

19.  Quiconque  accepte  des  présents  pour  agir  contre  la  justice, 
s'exclut  lui-même  du  royaume  de  Dieu. 

20.  Beaucoup  de  parricides  errent  en  fugitifs  ;  mieux  vaudrait 
qu'ils  restassent,  en  un  lieu  déterminé  pour  y  faire  pénitence.  Ils 
ne  doivent  plus  servir  à  la  guerre  ni  se  marier,  les  canons  le  leur 
défendent. 

21.  Les  femmes  qui  tuent  leurs  enfants  ou  qui  se  font 
avorter,  étaient  autrefois  condamnées  à  la  pénitence  pour  le  reste 
de  leur  vie  ;  on  réduit  cette  pénitence  à  dix  ans  6. 

22  et  23.  Renouvellement  d'anciens  canons  sur  la  pénitence 
des  meurtriers. 

24.  Conformément  aux  ordonnances  de  nos  prédécesseurs,  le 
meurtrier  d'un  prêtre  fera  douze  ans  de  pénitence.  S'il  nie  le  fait, 
et  s'il  est  homme  libre,  il  prêtera  serment  qu'il  fera  appuyer 
parle  serment  de  douze  cojurateurs  ;  et  s'il  ne  l'est  pas,  il  su- 
bira l'épreuve  du  feu  7. 

25.  Quelques  clercs  dégradés,  accomplissant  divers   pèlerinages 

1.  Cf.  Diction,  d'arch.  chrét.,  au  mot   Affranchissement. 

2.  Cane.  MogunL,  ann.  813,  can.  38. 
::.  Id.,  can.  31. 

4.  Id.,  can.  9,  10,  13,  14. 

5.  Id.,  can.  6,  7. 

Ci.   Conc.  Illiber.,  circa  ann.  300,  can.  63. 

7.  Cf.  Du  Cange,  Glossarium:  Vomeres  ferventes;  Binterim.  Denkwùrdigkei- 
ten,  t.  v,  part.  3,  p.  69. 


442.        CONCILE    DE     MAYENCE     DE    847  135 

de  pénitence  pour  obtenir  les  suffrages  des  saints,  ont  été  massa- 
crés. Leurs  meurtriers  sont  excommuniés,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
fait  une  pénitence  suffisante. 

26.  On  doit  se  contenter  de  confesser  ceux  qui  sont  en  danger 
de  mort  et  sans  leur  imposer  de  pénitence  obligatoire  à  ce  moment, 

[128J  <le  peur  qu'ils  ne  meurent  dans  l'excommunication.  S'ils  guéris- 
sent, ils  doivent  accomplir  fidèlement  la  pénitence  qui  leur  a  été 
imposée  par  leur  confesseur.  On  doit  par  conséquent  donner  à 
ces  malades  l'onction  et  le  viatique. 

27.  Si  un  homme  condamné  à  mort  povir  divers  méfaits 
confesse  ses  fautes,  on  doit  le  traiter  comme  toute  autre  personne, 
c'est-à-dire  qu'on  doit  recevoir  son  corps  à  l'église  et  célébrer  la 
messe  pour  lui. 

28.  Tous  ceux  qui  vivent  dans  des  unions  incestueuses  doivent 
être  exclus  de  l'Église,  jusqu'à  ce  qu'ils  fassent  pénitence.  S'ils 
s'obstinent,  on  doit  employer  contre  eux  le  bras  séculier  1. 

29.  Énumération  des  mariages  incestueux,  dans  lesquels  les 
conjoints  doivent  être  séparés  2. 

30.  Les  mariages  entre  parents  au  quatrième  degré  sont  interdits 
et  ceux  qui  seront  conclus  après  la  publication  du  présent  édit 
seront  dissous  3. 

31.  Les  prêtres  doivent  déterminer  le  genre  et  la  durée  de  la 
pénitence  en  se  guidant  sur  les  anciens  canons,  la  sainte  Ecri- 
ture et  les  usages  de  l'Eglise.  Ils  distingueront  si  la  pénitence 
doit  être  publique  ou  secrète.  Celui  qui  a  péché  publiquement 
doit  faire  publiquement  pénitence. 

On  demande  au  roi  de  confirmer  ces  décrets  et  de  ne  pas 
souffrir  qu'on  y  déroge.  Ce  concile  de  Mayence  condamna  aussi 
la  fausse  prophétesse  Thiota  d'Alemannie,  qui  avait  causé 
beaucoup  de  désordres  dans  le  diocèse  de  Constance.  Elle  pro- 
phétisait que  la  fin  du  monde  devait  arriver  en  847,  et  faisait 
bien  d'autres  prédictions;  non  seulement  des  laïques,  mais  même 
des  clercs  venaient  la  trouver,  lui  faisaient  des  présents  et  l'ho- 
noraient comme  dépositaire  des  secrets  divins.  Mise  en  pré- 
sence du  concile,  dans  le  monastère  de  Saint-Alban,  elle  avoua 
qu'un  prêtre  lui  avait   enseigné  huiles  ces  choses   et   qu'elle   avait 


1.  Conc.  MogunL,  ann.  813,  can.  53. 

2.  /<!.,  can.  56. 

3.  Id.,  can.  54. 


136 


LIVRE     XXI 


joué  ce  rôle  par  esprit  de  lucre.  Elle  fut,  sur  l'ordre  du  concile, 
soumise  publiquement  à  une  pénitence  corporelle  et  elle  cessa 
de  prophétiser. 

Binterim  croit  que  le  concile  de  Mayence  de  847  est  l'un  des  [1291 
trois  conciles  germaniques  qui  agitèrent  la  question  de  la  réu- 
nion de  l'archevêché  de  Hambourg,  nouvellement  érigé  pour 
Ansgar,  avec  l'ancien  évêché  de  Brème  *.  Le  biographe  de  saint 
Ansgar,  son  disciple  Rimbert,  mentionne  ces  trois  conciles  sans 
donner  plus  de  renseignements  chronologiques,  et  les  anciens 
chroniqueurs  n'en  donnent  pas  non  plus.  Aussi  s'est-il  produit 
des  opinions  très  diverses  sur  l'époque  de  ces  conciles  2.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  dans  le  premier  de  ces  trois  conciles 
(probablement  celui  de  Mayence  en  847),  on  décida  que  le 
nouvel  archevêché  d'Hambourg  ne  comprenant  que  quatre 
églises  baptismales,  et  ayant  beaucoup  souffert  par  le  fait  des 
barbares,  le  mieux  était  de  le  réunir  à  l'évêché  de  Brème  alors 
vacant;  on  rétablissait  ainsi  les  anciennes  limites  entre  Brème 
et  Verden,  en  rendant  au  diocèse  de  Verden  le  territoire  déta- 
ché pour  l'attribuer  à  l'archevêché  de  Hambourg.  Par  suite  la 
ville  de  Hambourg  elle-même  fit  partie  de  l'évêché  de  Verden, 
circonstance  qui  donna  lieu  à  d'autres  négociations  dans  un 
second  concile  qui  aurait  eu  lieu,  d'après  Binterim,  à  Mayence 
en  octobre  848.  On  reconnut  qu' Ansgar  devait  nécessairement 
recouvrer  la  ville  pour  laquelle  il  avait  été  consacré,  sauf  à 
indemniser  l'évêque  de  Verden  par  l'attribution  d'autres  parties 
du  diocèse  de  Brème.  Nous  rencontrerons  plus  tard,  en  857,  le 
troisième  concile  qui  s'occupa  de  l'affaire  de  Hambourg. 

1.  Binterim,  Deutsche  Concil.,  t.  ni,  p.  48  sq. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  130-132. 


rl3°J  LIVRE  VINGT  DEUXIÈME 

CONCILES   DURANT   LES    DISCUSSIONS 
SOULEVÉES    PAR    GOTESCALC   DE   848   A  860 


443.  Concile  de  Mayence  en  848  et  début  des  discussions 

de  Gotescalc. 

Le  concile  tenu  à  Mayence,  en  847,  disait  dans  son  dernier 
capitulum  :  «  Il  reste  beaucoup  d'autres  points  et  questions, 
que  le  temps  n'a  pas  permis  de  traiter.  »  C'est  probablement  pour 
achever  ce  qui  restait  à  faire  que  fut  réunie,  le  1er  octobre  848, 
à  Mayence,  une  nouvelle  assemblée,  moitié  diète,  moitié  concile  1. 
Louis  le  Germanique  qui  y  assistait,  reçut  les  ambassadeurs  de 
ses  frères  et  des  Normans,  parvint  à  réconcilier  l'archevêque 
Rhaban  de  Mayence  avec  plusieurs  de  ses  vassaux  révoltés  et 
essaya  de  faire  lui-même  sa  paix  avec  son  frère  l'empereur  Lo- 
thaire.  L'archevêque  Rhaban  mit  à  profit  cette  assemblée  pour 
conseiller  et  faire  décider,  ainsi  que  s'exprime  Trithème,  multa 
ad  décorera  et  uiilitatem  ecclesiasticam.  La  plus  importante  affaire 
traitée  fut  celle  de  Gotescalc  2. 


1.  Sirmond,  Conc.  GalL,  t.  ni,  col.  64;  Coll.  regia,t.  xxi,  col.  595;  Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  52-55;  Sirmond,  Opéra,  1696,  t.  n,  col.  1293;  Hardouin, 
Coll.  concil.,  t.  v,  col.  15  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1047  ;  Mansi,  Concilia, 
Supplem.,  t.  i,  col.  923;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  914  ;  Mùhlbacher,  Re- 
gesta  Karoling.,  t.  i,  col.  532;  Hartzheim,  Conc.  German.,  t.  n,  p.  163;  Maugin, 
Veter.  auctorum,  Parisiis,  1650,  t.  n,  p.  70  ;  J.  Turmel,  La  controverse  prédesti- 
natienne  au  IXe  siècle,  dans  la  Revue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  1905, 
t.  x,  p.  47-69.  (H.  L.) 

2.  Ruodolfi  Fuldensis,  Annales  (autrefois  appelées  Pithœi),  dans  Pertz,  Mo- 
num.,  t.  i,  p.  365;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  915.  Cf.  Bahr,  Geschichte  d.  rôm. 
Litleratur  im  karoling.  Zeitalter,  p.  170  sq. 


138  LIVRE    XXII 

Gotescalc  *  étail  fils  d'un  comte  saxon   nommé  Bern  ou  Berno; 

1.  La  signification  de  ce  mot  est  «serviteur  de  Dieu  ».  Sur  Gotescalc  la  biblio- 
graphie est  abondante  et  offre  quelques  ouvrages  de  mérite  :  Noël  Alexander, 
Hist.  eccles.,  Venetiis,  1778,  t.  vi,  p.  359-379,  réimprimé  dans  Zaccaria,  Thés. 
theolog.,  t.  ii,  p.  235-285  ;  Antonio,  Biblioth.  Hispan.  Vet.,  1788,  t.  i,  p.  500  ; 
Baehr,  Gesch.  rom.  Litter.,  Supplem.,  1840,  t.  ni,  p.  480-483;  V.  Borrasch,  Der 
Munch  Gottsclialk  von  Orbais,  sein  Leben  und  seine  Lehre,  eine  historisch-dogtna- 
lische  Abhandlnng,  in-8,  Dantzig,  1868  ;  du  Boulay,  Hist.  univers.  Paris.,  1665, 
t.  i,  p.  594-595;  Cave,  Script,  eccles.,  1745,  t.  n,  p.  26;  R.  Ceillier,  Hist.  des  au- 
teurs ecclés.,  1754,  t.  xix,  p.  203-205;  2e  édit.,  t.  xm,  p.  593-595;  L.  Cellot,  His- 
toria  Gotleschalci  prsedestinaliani  et  accurata  controversise  per  eum  revocalse  dis- 
putatio  in  libros  V  distincta,  ace.  appendix  miscellanea,  in-fol.,  Paris,  1655  ; 
E.  Dûmmlcr,  Gesch.  der  ostfrànk.  Reichs,  1887,  2e  édit.,  t.  i;  Neues  Archiv,  1879, 
t.  iv,  p.  320-321;  E.  du  Pin,  Biblioth.  des  aut.  ecclés.,  1697,  t.  ix,  p.  32-43  ;  du 
Méril,  Poésies  populaires  latines,  in-8,  Paris,  1843,  p.  253  sq.  ;  Ebert,  Gesch.  d. 
Liter.  cl.  Mittelalt.,  1880,  t.  n,  p.  166-169;  trad.  franc.,  1884,  p.  186-190;  A.  Fabri- 
cius,  Biblioth.  ined.  sévi,  1735,  t.  ni,  p.  208-214  ;  A.  Freystedt,  Studien  zur 
Gotteschalks  Leben  und  Lehre,  dans  Zeitschrift  fur  Kirchengeschichte,  1897,  t.  xvm, 
p.  1-22,  161-182,  529-545;  le  même,  Der  Prsedestinationslreit  im  9  Jalirhundert, 
dans  Zeitschrift  fur  wissenschaftliche  Théologie,  t.  xxxvi,  part.  3;  t.  xxxvn; 
t.  xli,  part.  1  ;Golteschalk,  dans  Realencyklopàdie  fur  protest.  Theol.  und  Kirche, 
édit.  Hauck,  1899,  t.  vu,  p.  39-41;  Friedrich,  dans  Allgemeine  deutsche  Biogra- 
phie, t.  ix,  p.  493-497;  C.  Gambs,  Vie  et  doctrine  de  Godescalc,  in-4,  Strasbourg, 
1837;  F.-J.  Gaudard,  Gottschalk,  moine  d'Orbais,  ou  le  commencement  de  la  con- 
troverse sur  la  prédestination  au  IXe  siècle,  in-8,  Saint-Quentin,  1888  ;  Gess,  Merk- 
wùrdigkeiten  aus  dem  Leben  und  den  Schriften  Hinkmars,  1806  ;  Gorini,  Dé- 
fense de  l'Église,  1866,  t.  ni,  p.  78-97;  B.  Hauréau,  dans  Nouvelle  biographie 
générale;  le  même,  Histoire  de  la  philosophie  scolastique,  1872,  t.  i,  p.  176-179; 
Histoire  littéraire  de  la  France,  1740,  t.  v,  p.  352-364 ;Lelong, Bibl.  France,  1768, 
t.  i,  p.  5561-5564;  L.  du  Mesnil,  dans  Ziegelbauer,  Hist.  lit.  Bened.,  1754,  t.  ni, 
p.  122-126:  Maugin,  Veter.  auctor.  qui  ssec.  IX de  prsedest.  et  gratiascripseruut, 
Paris,  1650;  F.  Monnier,  De  Gotescalci  et  Johannis  Scoti  Erigense  controversia, 
in-8;  Paris,  1853;  von  Noorden,  Hinkmar  von  Rheims,  1863,  p.  51-100;  H.  Noris, 
dans  Ziegelbauer,  op.  cit.,  p.  105-121  ;  H.  Omont,  dans  Bibl.  de  V  École  des  Chartes, 
1898-1899,  t.  lix,  p.  667-668;  t.  lx,  p.  143-144;  C.  Oudin,  Script,  eccles.,  1722, 
t.  n,  p.  198-200;  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  345  sq.  ;  F.  Picavet,  Les  discussions  sur  la 
liberté  au  temps  de  Gottschalk,  de  Raban  Maur,  d'Hincmar  et  de  JeanScot,  dans  les 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  se.  mor.  et  polit.,  1896  ;  P.  Rœber,  Disputalio 
de  Godeschalci  erroribus  olim  damnalis,  in-4,  Wittebergse,  1646;  Schrors,  Hink- 
mar, Erzbischof  von  Reims,  1884,  p.  88-174;  V.  G.  Siber,  Historia  Godescalcorum, 
in-4,  Lipsirc  1712;  L.  Traube,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Pset.  lut.  Karol.,  1892, 
t.  ni,  p.  707-712  ;  J.  Usserius,  De  Gotheschalchi  et prsedestinatianse controversise  ab  co 
moïse  historia,  in-4,  Dublinii,  1631  et  1639;  in-8,  Hanoviœ,  1662;  Weizsâcker,  Dos 
Dogma  von  gôttlichenVorherbestimmung  im  9  Jahrh.,  dans  Jahrbiicher  fur  deutsche 
Théologie,  1859,  t.  iv  ;  Wiggers,  Schiksale  der  augustinischen  Anthropologie, 
dans  Niedners  Zeitschrift.  1859,  t.  v,  p.  471-591;  W.  B.  Wenck,  Das  Frânkische 


'l'ii.     CONCILE     DE     MAYENCE     DE     8  k  8  139 

encore  enfant,  il  fut  envoyé  à  Fulda  et  offert  à  l'abbé  Cigil  pour 
devenir  moine  ;  il  fut  élevé  dans  ce  but  et  soumis  aux  règles 
ri0,|  monastiques  1.  Parvenu  à  l'âge  d'homme,  il  soutint  que  sa  ton- 
sure ne  l'obligeait  pas,  ne  l'ayant  pas  reçue  de  son  plein  gré  ; 
il  voulut,  sortir  du  monastère  et  porta  son  affaire  devant  le 
concile  de  Mayence,  de  829.  Le  concile  lui  donna  gain  de 
cause  ;  mais  son  nouvel  abbé  Rhaban-Maur  en  appela  de  la  sen- 
tence à  l'empereur  et  à  un  concile  qui  se  tiendrait  en  présence  du 
souverain.  Rhaban  exposa  dans  un  mémoire  2  que  l'enfant,  donné 
au  monastère  par  ses  parents,  ne  pouvait  renoncer  à  la  vie  mo- 
nastique 3;  Gotescalc  fut  maintenu  dans  le  monachisme,  toute- 
fois il  quitta  Fulda  pour  le  monastère  d'Orbais,  au  diocèse  de 
Soissons  (province  ecclésiastique  de  Reims).  Dans  cette  nouvelle 
résidence,  Gotescalc  s'appliqua  assidûment  à  l'étude  des  écrits 
de  saint  Augustin  et  de  saint  Fulgence,  et  commença  à  réciter 
devant  les  autres  moines  divers  passages  de  ces  Pères,  qu'il  pré- 
sentait dans  un  sens  prédestinatien,  parce  qu'il  les  isolait  du  con- 
texte et  les  écourtait.  Ayant,  au  dire  d'Hincmar,  continué  ces 
prédications  durant  des  jours  entiers,  il  avait  mis  le  trouble  dans 
l'esprit  des  faibles,  et  gagné  à  ses  idées  beaucoup  d'imprudents  4. 
Ce  zèle  pour  la  doctrine  prédestinatienne  lui  valut  le  surnom  de 
Fulgence,  que  Walafrid  Strabon,  son  ancien  condisciple  à  Fulda, 
lui  donne  dans  une  pièce  de  vers,  que  nous  possédons  encore, 
composée   à  l'occasion  du  retour  d'Italie   de  Gotescalc  5. 

Reich  nach  dem  Verlrage  von  Verdun  843-861,  in-8,  Leipzig,  1851  ;  P.  von  Winter- 
feld,  Zur  Gotteschalkfrage,  dans  Neues  Archiv,  1902,  t.  xxvn,  p.  506-514.  (H.  L.) 

1.  Maugin  a  soutenu  à  tort  (t.  n,  p.  45)  que  Gotescalc  avait  été  élevé  dans 
le  monastère  de  Reichenau.  Gilbert  Maugin,  conseiller  du  roi  et  président  de  l'hô- 
tel des  Monnaies  à  Paris,  était  janséniste.  Il  a  publié  sur  les  discussions  sou- 
levées par  Gotescalc  un  recueil  de  plusieurs  écrits  anciens  sous  le  titre  :  Vete- 
rum  auclorum,  qui  IX  sseculo  de  prsedestinatione  et  gralia  scripserunt,  etc.,  Paris, 
1 1)50.  Dans  les  dissertations  du  deuxième  volume,  Maugin  cherche  à  prouver 
que  Gotescalc  était  orthodoxe,  et  il  regarde  comme  une  pure  fiction  l'existence 
d'une  secte  prédestinatienne. 

2.  De  iis,  qui  répugnant  institutis  B.  P.  Benedicti,  ou  bien  sous  le  titre  :  De  obla- 
tione  puerorum,  dans  l'édition  des  Œuvres  d'Hincmar,  P.  L..  t.  cxxv,  col.  419  sq. 
On  a  seulement  imprimé  à  tort  819  au  lieu  de  829. 

3.  Le  troisième  concile  de  Tolède,  633,  avait  dit,  dans  son  can.  49  :  Monachum 
facit  aut  propria  confessio  aut  patenta  devotio.  V.  §  290. 

4.  Hincmar,  Epist.  ad  Nicolaum  papam,  P.  L.,  t.  cxxv,   col.  45. 

5.  Elle  a  été  imprimée  dans  Maugin,  op.  cit.,  t.  u,  p.  47,  et  dans  l'édition  des 
Œuvres  de  Walafrid  Strabon,  P.  L.,  t.  exiv,  col.  1  116. 


140  LIVRE    XXII 

Kunstmann  croit  que  Gotescalc  fit  deux- fois  le  voyage  d'Italie 
et  que  cette  pièce  de  vers  se  rapporte  au  premier  voyage,  et  non 
au  second,  qui  eut  des  suites  si  importantes  1.  Je  ne  trouve  rien 
dans  ces  vers  qui  appuie  cette  hypothèse  ;  Walafrid  dit  au  con- 
traire qvie  la  lettre  de  Gotescalc  avait  chassé  loin  de  ses  yeux 
les  nebulas  palatinas,  et,  comme  précisément  dans  les  derniers  ^  J 
temps  de  sa  vie  (il  est  mort  en  849)  il  fut  envoyé  par  Louis 
le  Germanique  en  ambassadeur  auprès  de  Charles  le  Chauve, 
cette  expression  se  rapporte  plutôt  au  voyage  de  Gotescalc  à  Rome 
en  847-848,  et  rien  ne  permet  de  supposer  que  Gotescalc  ait 
fait  alors  deux  fois  ce  voyage  2.  Ces  vers  nous  apprennent  que 
Walafrid  estimait  fort  la  science  de  Gotescalc  ;  il  le  blâme  de 
n'être  plus  aussi  libéral  de  l'or  de  sa  science  qu'au  temps  de  leur 
commune  jeunesse,  et  d'être  avare  du  talent  que  Dieu  lui  avait 
donné.  Enfin  Walafrid  dit  de  la  vie  de  Gotescalc  :  cum  cita  tibi 
potior  sit  lege  Lycurgi. 

A  Orbais,  Gotescalc,  si  on  en  croit  son  épître  poétique  à 
Ratramn  3,  entretint  des  correspondances  avec  divers  savants. 
Dans  cette  lettre,  il  parle,  entre  autres  choses,  de  son  ignorance; 
et  ajoute  qu'il  y  a,  dans  le  pays  où  il  se  trouve  et  en  particulier 
à  la  cour,  divers  savants,  qu'il  leur  a  écrit  avec  humilité, 
ainsi  qu'à  d'autres  personnes,  pour  mettre  sous  leurs  yeux 
un  passage  de  saint  Augustin  dont  il  demandait  l'explication. 
Il  avait  fait  connaître  sa  manière  de  voir  sur  ce  passage  à 
trois  d'entre  eux  :  Marquard  de  Prûm,  Jonas  d'Orléans  (mort 
vers  842),  et  Servatus  Lupus,  leur  demandant  instamment  de 
lui  faire  connaître  la  vérité.  Quant  aux  autres,  il  leur  avait 
simplement  proposé  la  difficulté,  en  donnant  les  raisons  pour 
et  contre,  sans  exposer  son  propre  sentiment.  Jusqu'alors,  un 
seul  lui  avait  répondu  en  trois  points4,  avec  prudence,  sans  se  pro- 
noncer dans  un  sens  ni  dans  l'autre.  Il  voulait,  si  les  deux  au- 
tres lui  répondaient,  communiquer  leurs  explications  à  Ratramn 


1.  Kunstmann,  Raban  Maur  Moguntinus,  Eine  historische  Monographie, 
1841,  p.  120. 

2.  Norden,  Hinckmar  Erzbishof  of  Reims,  Bonn,  1863,  p.  57,  est  d'un  avis 
opposé.  Il  pense  que  Gotescalc  s'est  rendu  deux  fois  en  Italie. 

3.  Maugin  croit  cette  correspondance  postérieure. 

4.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  61,  a  conclu  de  cette  expression  :  terna  respon- 
sa,  que  Gotescalc  avait  consulté  ses  amis  sur  ces  trois  points  :  de  prxdestina- 
tione,  de  gratia  et  libero  arbilrio  et  de  super flua  sanguinis  Christi  taxatione. 


443.     CONCILE     DE     MAYENCE     DE     848  141 

et  celui-ci  devait  s'en  prendre   aux   correspondants  de    Gotescalc 
plutôt  qu'à   Gotescalc  lui-même,   s'il  trouvait  dans   ces    explica- 
133]  tions  quelque  chose  qui  n'eût  pas  son  assentiment  1. 

Il  est  possible  que  Gotescalc  ait  posé  dès  le  début  à  ces  sa- 
vants des  questions  relatives  à  la  doctrine  de  la  prédestination  : 
il  semble  cependant  que  son  attention  a  été  attirée  dès  lors  par 
d'autres  sujets  également  difficiles.  Nous  en  avons  la  preuve  dans 
une  lettre  de  Loup,  abbé  de  Ferrières,  à  Gotescalc2,  qui  lui  avait 
demandé  comment  il  entendait  certaines  expressions  de  saint 
Augustin  3.  A  la  première  question  :  «  Si  lors  de  la  résurrec- 
tion les  yeux  du  corps  seront  spirituels,  puisque,  d'après  saint 
Luc4,  ils  serviront  à  voir  Dieu,  »  Loup  répond  qu'il  ne  résoudra 
pas  cette  difficulté,  puisque  saint  Augustin  lui-même  l'a  jugée 
trop  difficile  pour  lui.  Il  donne  ensuite  des  explications  sur  un 
autre  passage  de  saint  Augustin  5,  dans  lequel  le  saint  docteur 
dit  que  «  lors  de  la  résurrection,  Dieu  sera  vu  en  tout,  par  tous, 
etc.  »  Enfin  l'abbé  de  Ferrières  termine  par  cette  réflexion  : 
«  Gotescalc  ferait  mieux  d'employer  à  l'avenir  son  talent  à  des 
recherches  plus  utiles.  Quant  aux  explications  demandées  sur 
certaines  expressions  grecques,  il  les  lui  enverrait  plus  tard. 
Si  Gotescalc  lui  écrivait  de  nouveau,  il  le  priait  de  ne  plus 
l'ennuyer  avec  des  éloges  inutiles  et  mensongers  6.  » 

Hincmar  dit  que  Gotescalc  avait  reçu  la  prêtrise  à  l'insu  de 
son  évêque  Rothade,  par  l'intermédiaire  de  Rigbold,  chorévêque 
de  Reims,  et  que,  contrairement  à  la  règle  et  sans  la  permission 
de  son  abbé  Bavon,  il  avait  entrepris  un  voyage  en  divers  pays 
et  en  particulier  à  Rome  7.  Maugin  prétend  8,  de  son  côté,  que  la 
conduite  de  Gotescalc  a  toujours  été  régulière  et  qu'il  a  été 
calomnié  par  Hincmar.  Mais  les  arguments  de  Maugin  sont  on  ne 
peut  plus  faibles. 

1.  P,  L.,  t.  cxxi,  col.  367;  en  partie  dans  Kunstmann,  op.  cit.,  p.  119  sq.  ;  avec 
des  éclaircissements  dans  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  60.  Dans  Kunstmann,  il  faut 
lire  torpeo  au  lieu  de  torpes,  cemua  au  lieu  de  cornua,  exponi  au  lieu  de  exposui  ; 
dans  Migne  il  faut  lire  également  scripta  au  lieu  de  scriplura,  uno  au  lieu  de  una. 

2.  Lupus,  Epist.,  xxx,  P.  L.,  t.  exix,  col.  491. 

3.  S.  Augustin,  De  civilate  Dei,  1.  XXII,  c.  xxix,  P.  L.,  t.  xli,  col.  800. 

4.  Luc,  m,  6. 

5.  S.  Augustin,  De  civitate  Dei,  1.  XXII,  c.  xxix,  à  la  fin,  P.  L.,  t.  xli,  col.  800. 

6.  P.  L.,  t.  exix,  col.  491  sq.  ;  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  58. 

7.  Hincmar,  De  prœdest.,  diss.  I,  c.  n,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  84,  85. 

8.  Op.  cit.,  t.  il,  p.  51. 


142 


LIVRE     XXII 


A  son  retour  de  Rome,  vers  847-848,  Gotescale  séjourna  quel- 
que temps  chez  le  comte  Eberhard  de  Frioul,  d'origine  germa- 
nique, marié  à  Gisèle,  fille  de  Louis  le  Débonnaire,  et  nommé 
gouverneur  du  Frioul  par  son  beau-frère  Lothaire.  Outre  ses  au- 
tres vertus,  Eberhard  se  distinguait  par  une  généreuse  hospitalité. 
Chez  lui  Gotescale  rencontra  par  hasard  Noting,  évêque  nommé 
de  Vérone  1.  Gotescale,  qu'Hincmar  nous  représente  comme 
très  ardent  à  faire  des  prosélytes,  ne  manqua  pas  d'inculquer 
à  Noting  ses  idées  sur  la  double  prédestination.  Quelque  temps  [134] 
après,  Noting  étant  venu  à  la  cour  de  Louis  le  Germanique  in 
pago  Loganœ  2,  y  rencontra  Rhaban-Maur,  le  nouvel  archevê- 
que de  Mayence,  auquel  il  parla  de  certains  prédestinatianistes 
qui  soutenaient  que  :  «  La  prédestination  divine  fait  que  celui 
qui  est  prédestiné  à  la  vie  n'est  pas  vaincu  par  la  mort,  et 
que  celui  qui  est  prédestiné  à  la  mort  ne  peut  en  aucune  ma- 
nière atteindre  la  vie.  »  Ils  tombèrent  d'accord  que  Rhaban  de- 
vait réfuter  cette  erreur  par  un  mémoire  particulier.  Tel  est  le 
récit  de  Rhaban  dans  la  préface  de  cet  opuscule,  en  forme  de  lettre 
à  Noting  3.  Rhaban  n'y  nomme  pas  Gotescale,  mais  c'est  certaine- 
ment lui  que  l'archevêque  et  Noting  ont  en  vue.  Gotescale  est  en 
eil'et  nommé  dans  la  lettre  que  Rhaban  écrit  à  cette  même  épo- 
que à  Eberhard,  comte  de  Frioul.  Un  point  demeure  douteux,  à 
savoir  si  Rhaban  connaissait  auparavant  les  erreurs  de  Gotescale 
ou  s'il  ne  les  a  connues  que  par  Noting. 

Dans  son  opuscule,  Rhaban  décrit  ainsi  les  erreurs  qu'il  atta- 
que :  «  Certains  veulent  faire  Dieu  l'auteur  de  leur  ruine,  et 
disent  :  De  même  (sicuti)  que  ceux  qui  sont  appelés  à  la  gloire 
de  la  vie  éternelle  par  la  prescience  de  Dieu  et  la  prédestina- 
tion, ne  peuvent  en  aucune  manière  manquer  leur  salut;  de  même 
(ita)  ceux  qui  sont  voués  à  la  ruine  éternelle  par  la  prédestination 
divine,  sont  forcés  (coguntur)  et  ne  peuvent   échapper  à   leur  per- 


1.  Il  ne  fut  jamais  en  réalité  évêque  de  Vérone,  mais  de  Brescia,  et  il  parut 
en  cette  qualité,  et  aussi  comme  missus  impérial,  au  concile  romain  de 
853. 

2.  Peut-être  Lahngau,  cf.  Damberger,  t.  m,  p.  268,  et  Kunstmann,  Rabanus 
Maurus,  p.  120.  L'un  et  l'autre  placent  cette  rencontre  en  l'année  848.  Kunst- 
mann croyait  auparavant  (Tiib.  Quartalschr.,  1836,  p.  436)  qu'elle  avait  eu  lieu 
en  847  et  dans  le  canton  de  Login,  qu'il  plaçait  sur  les  bords  de  la  Weser. 

3.  Rhaban  Maur,  Opéra,  P.  L.,  t.  cxn,  p.  1530-1553.  Cette  édition  renferme 
beaucoup  d'inutilités   et  de  nombreuses  fautes. 


143.     CONCILE     DE    MAYENCE     DE     848  143 

te;»  «  la  prédestination  divine  oblige  l'homme  à  pécher  même  mal- 
gré lui»   (invitum  hominem  facit  peccare).  Cette  doctrine,  dit  Rha- 
ban,  contredit  le  dogme  de  la  justice  de  Dieu.  Il  développe  ensuite 
le  principe  de  la  prédestination,  d'après  un  passage  tiré  de  Pros- 
per  1,  et  un  autre  tiré  de  V  Hypomnesticon,  alors  attribué  à  saint 
Augustin  2.   Dans  les    deux    passages,    on  distingue  entre  la  pres- 
cience et  la    prédestination  :  non  omne,  quod   prœscit    (Deus)    pré- 
destinât,  mala  enim    tantum    prœscit    et  non  prédestinât  bona    ve- 
ro  et   prsescit   et   prsedestinat.     S'inspirant   de   ces   deux    passages, 
Rhaban  enseigne  ce  qui  suit  :  «  A  la  suite  du  péché  d'Adam,  tous 
les  hommes  voués  à  la  ruine  sont  devenus  une  massa  damnabilis , 
[135]   dans  laquelle    Dieu,  sans  aucune  acception  de  personnes    et    par 
pure  bienveillance  (non  personarum  acceptione,  sed  judicio  sequitatis 
suœ   irreprehensibili),   a   prédestiné   à   la   vie   éternelle   ceux   qu'il 
a   choisis,   en   vertu   d'une   miséricorde   gratuite   (gratuita   miseri- 
cordia)  ;   quant  aux  autres,   il  les   a  frappés   de   peines   méritées, 
ayant  prévu  leur  conduite   (quia  quid  essent  futuri  prœscivit);  il 
n'a  pas  fait  qu'il  fussent  punis,  il  ne  les  y  a  pas  prédestinés,  mais 
il  a  simplement  prévu  qu'ils  appartiendraient  à  la  massa  damna- 
bilis 3.   »  Quant  à  savoir  pourquoi  Dieu  a  laissé   s'introduire    une 
telle  différence,  Rhaban  répond  avec  Prosper  4  :   «  Dieu  n'a  pas 
prédestiné,   c'est-à-dire  n'a  pas  sauvé  de  la  ruine  générale  ceux 
dont  il  a  su  per  prsescientiam  qu'ils  seraient  pécheurs.   »  Rhaban 
ajoute  en  même  temps  5  que  V Hypomnesticon  regarde   cette  ques- 
tion comme  insondable  6.   Il  cherche  ensuite  à  prouver,  par  une 
série  de  passages  bibliques,  que  nul,  pas  plus  le  prédestiné  qu'un 
autre,  ne  peut  plaire  à  Dieu  sans    la  foi  orthodoxe  et  les  bonnes 
œuvres,  et  que  l'Ecriture  annonce  aux  bons    leur    récompense  à 
cause  de  leurs  bonnes  œuvres,  et  aux  méchants  leur  châtiment 
à  cause  de  leurs  méfaits.  On  a  donc  tort  de  dire  :    «  Les  vertus 
du  juste  ne  lui  sont  d'aucune  utilité,  les  péchés  du  coupable  ne 
lui  nuisent  en  rien,  mais  chacun  est  couronné  ou  puni  prsedesti- 


1.  Prosper,  Contra  Gallos,  c.  m,  P.  L.,  t.  li,  col.  153. 

2.  Hypomnesticon,  1.  VI,  c.  i-iii. 

3.  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1531-1532. 

4.  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1532. 

5.  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1533. 

6.  Le  passage  de  Y  Hypomnesticon  ne  se  termine  que  (col.  1533)  par  ces  mots  : 
misericordia  conquiescentes.  Dans  ce  passage  on  a,  par  erreur,  à  la  col.  1533,  cité 
Rom.,  ix,  30,  au  lieu  de  xx,  21. 


144  LIVRE     XXII 

nationis  necessitate  x.  »  Rhaban  énumère  ensuite  sept  ver, tés  dog- 
matiques niées  dans  la  nouvelle  doctrine.  En  particulier,  1)  celle 
doctrine  tient  Dieu  pour  méchant,  parce  qu'il  destine  sans  motifs 
sa  créature  à  une  perte  éternelle  ;  2)  elle  est  en  contradiction  avec 
l'Écriture,  qui  promet  aux  hommes  vertueux  la  vie  éternelle  ; 
3)  elle  nie  l'équité  de  Dieu  juge  ;  4)  elle  suppose  que  le  Christ  a 
versé  inutilement  son  sang,  puisqu'il  ne  peut  aider  tous  ceux  qui 
croient  et  espèrent  en  lui  ;  beaucoup  de  ceux-là  donc  sont  prédes- 
tinés à  la  mort.  La  seconde  partie  2  contient  la  doctrine  des  Pères 
sur  la  prédestination  et  sur  la  liberté  de  la  volonté  ;  elle  cite  des 
réponses  de  Prosper  ad  capitula  objectionum  Vincentianarum,  [130] 
des  passages  de  l'écrit  de  Gennade  De  ecclesiasticis  dogmatibus 
et  surtout  de  V Hypomnesticon.  Rhaban  insère3,  à  part  quelques 
légères  omissions,  tout  le  VIe  livre  de  Y  Hypomnesticon,  et  ter- 
mine son  opuscule  par  une  courte  allocution  à  Noting  4.  Entre 
autres  passages  importants  pris  dans  Y  Hypomnesticon  5,  il  insère 
le  suivant  :  «  Dieu  n'a  pas  prédestiné  les  uns  et  ne  les  a  pas  exci- 
tés à  pécher  et  à  se  perdre,  mais  il  a  prévu  leur  perte  proprio 
i'itio,  et  c'est  à  cause  de  cela  qu'il  leur  a  prédestiné  leurs  peines.  » 
Il  est  surprenant  que  Rhaban  et  ses  amis  acceptent  sans  hésiter 
cette  expression  :  «  La  psena  est  prédestinée  au  pécheur,  »  tandis 
qu'ils  ne  veulent  pas  admettre  cette  autre  proposition  :  «  Le  pé- 
cheur est  prédestiné  ad  peenam  ;  »  car  ces  deux  phrases  sont  au 
fond  identiques,  et,  bien  expliquées,  présentent  un  sens  ortho- 
doxe. En  effet,  le  pécheur  est  prédestiné  ad  morlem  ou  ad  pae- 
nam  ;  mais  sa  prédestination  n'est  pas  absolue  comme  celle  de 
l'élu,  elle  dépend  des  prsevisa  démérita. 

A  la  même  époque,  Rhaban  écrivit  à  Eberhard,  comte  de 
Frioul,  qu'il  loue  de  l'hospitalité  exercée  à  l'égard  de  tant  de 
personnes,  et  m» laminent  naguère,  à  l'égard  de  deux  de  ses 
prêtres.  Déférant  au  désir  exprimé  par  le  comte  devant    ces  prê- 


1.  P.  L.,  t.  cxii,  col.  1533-1541. 

2.  P.  L.,  t.  cxn,   col.  1541  sq. 

3.  Dans  la  seconde  moitié  du  c.  m. 

4.  Cette  seconde  partie  de  VEpisi.  ad  Noting.  est  fort  défigurée  dans  l'édition 
Migne  ;  car  on  y  fait  terminer  à  la  col.  1547  la  citation  de  1' 'Hypomnesticon,  quoi- 
que en  réalité  cette  citation  aille  jusqu'à  la  lin.  En  outre,  col.  1547,  au  lieu  de 
Ps.  xxxiv,  il  faut  lire  Ps.  cxxxiv,  et  col.  1550,  il  faut  lire  Joan.,  xv,  au  lieu  de 
Joan.,  xix. 

5.  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1548. 


443.     CONCILE     DE     MAYENCE     DE    848  145 

très,  Rhaban  lui  avait   envoyé    l'année    précédente    son  écrit   in 
laudem  crucis.    Il  passe  ensuite  à  l'affaire  principale  dont  il  dit  : 
«    La    nouvelle   s'est   répandue   de   la    présence    chez   vous    d'un 
bel  esprit    nommé    Gotescalc,    qui    enseigne    que    la    prédestina- 
tion   divine    fait   violence   à   tout     homme.    Celui     qui,    voulant 
parvenir  à  la  félicité,  possède  la  foi  orthodoxe  et  s'applique  aux 
bonnes  œuvres,  afin  d'arriver  par  la  grâce  de  Dieu  à  la  vie  éter- 
nelle,   travaille   cependant   en  pure  perte  s'il  n'est   pas  prédestiné 
à  la  vie,  comme  si  Dieu  obligeait  par  sa  prédestination  quelqu'un 
à  se  perdre.  Cette  secte  a  déjà  jeté  dans  le  désespoir  bien  des  per- 
sonnes qui  disent  :  A  quoi  bon  tant  d'efforts  pour  arriver  au  salut 
et  à  la  vie  éternelle  ?  Si  je  ne  suis  pas  prédestiné  à  la  vie,  toutes 
mes  bonnes  œuvres  ne  me  servent  à  rien;  si  au  contraire  je  suis 
137]  prédestiné  à  la  vie,  mes  péchés  ne  saliraient  me  nuire...  Ce  doc- 
teur, a,  paraît-il,  extrait  des  œuvres  de  saint- Augustin  un  grand 
nombre  de  passages  favorables  à  sa  manière  de  voir  ;  mais  saint 
Augustin  était  defensor  gratise,  non  destructor  rectse  fidei.    »  Pour 
éclairer  le  comte,  Rhaban  lui  envoie  aussi  une  collection  de  pas- 
sages de  saint  Augustin,  de  saint  Jérôme  et  de  Prosper,  prouvant 
que  Dieu  ne  prédestine  personne  au  péché,  et  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  la  prxdestinatio  et  la  prœscitio.  On  n'y  trouve  pas  les 
beaux  passages   empruntés  à  V Hypomnesticon,    mais,   en    revan- 
che, les  extraits  de    Prosper   qui   se   trouvaient   dans   la   lettre  à 
Noting  ;  ils  sont  de  nouveau  utilisés  ici,  et    complétés   par    d'au- 
tres.   «  Les  nouveaux  docteurs,  continue  Rhaban,  doivent  suivre 
ces  anciens  maîtres.  Ils  disent  :  S'il  est  certain  qu'il  faut  prêcher 
la  vertu,    il  ne  l'est  pas  moins  qu'il   faut   faire  connaître  la    pré- 
destination,   afin    que   l'homme   vertueux  rende  à  Dieu  l'honneur 
qui  lui  revient  et  ne  se  l'attribue  pas  à  lui-même.  Oui,  sans  doute, 
mais    on    doit    apporter    dans  ces  questions  la  plus  grande  pru- 
dence, de  peur  de  nuire  au  lieu  d'édifier.»  Il  termine  ainsi:  «  Je 
t'ai  écrit,  cher  ami,  afin  que  tu  saches    les    scandales    causés  par 
les  nouvelles  venues  d'Italie,  et  afin  que,    s'il   se   trouve    auprès 
de  toi  un  homme  dans   l'erreur,    tu   l'arraches    à   la    secte   et  lui 
adresses  des  exhortations,  car  j'ai  tout  lieu  de  te  croire  un  excel- 
lent chrétien  1.  » 

Hincmar    et    les    Annales    de    Saint-Bertin    disent    que  chassé 

1.  Rhabani  Opéra,  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1553-1562.  Maugin  n'a  inséré  ni  cette 
lettre  ni  celle  à  Noling. 

CONCILES   -   I  VJ—    10 


146  LIVRE     XXII 

honteusement  de  l'Italie,  Gotescalc  s'était  rendu  chez  divers 
peuples  barbares  et  païens,  où,  loin  de  prêcher  l'Évangile,  il  avait 
enseigné  la  doctrine  delà  prédestination  ;  mais  les  contemporains 
et  collègues  d'Hincmar,  par  exemple  Rémi,  archevêque  de  Lyon, 
mettent  en  doute  ce  fait  1.  Il  est  certain  que  Gotescalc  se  ren- 
dit de  Rome  en  Germanie,  et  assista  à  la  diète  synodale  de  Mayencet 
1er  octobre  848.  Kunstmann  croit  pouvoir  déduire  du  mot  détec- 
tas, des  Annales  de  Saint-Bertin,  qu'au  début  Gotescalc  se 
tint  caché  à  Mayence,  peut-être  pour  y  mieux  répandre  son  écrit 
contre  Rhaban-Maur,  mais  que  sa  retraite  fut  découverte  et  que, 
sur  un  ordre  du  roi,  il  fut  cité  par  devant  le  concile  des  évêques 
présents  à  Mayence.  Nous  avons  fait  remarquer,  ailleurs2,  que 
l'expression  detectus  signifiait  non  la  découverte  de  la  retraite  [138] 
de  Gotescalc,  mais  celle  de  ses  erreurs  qu'il  professait.  Sans 
doute  Gotescalc  ne  fit  aucune  difficulté  de  se  présenter  devant  le 
concile  de  Mayence  satisfait  de  discuter,  de  tirer  vengeance  de 
Rhaban  pour  le  présent  et  le  passé  et  de  l'accuser  de  semi-pélagia- 
nisme.  Il  remit  au  concile  une  profession  de  foi,  dont  Hincmar  3nous 
a  conservé  le  fragment  suivant  :  Ego  Gothescalcus  credo  et  confiteor, 
profiteor  et  testificor  ex  Deo  Pâtre,  per  Deum  Filium,  in  Deo  Spi- 
ritu  sancto,  et  affîrmo  atque  approbo  corani  Deo  et  sanctis  ejus, 
quod  gemina  est  prœdestinatio,  sive  electorum  ad  requiem  sive 
reproborum  ad  mortem,  quia  sicut  Deus  incommutabiliter  ante 
mundi  constitutionem  omnes  electos  suos  incommutabiliter  per 
gratuitam  grattant  suam  prsedestinavit  ad  vitam  œternam,  similiter 
omnino  omnes  reprobos,  qui  in  die  judicii  damnabuntur  propter 
ipsorum  mala  mérita  idem  ipse  incommutabilis  Deus  per  justum 
judicium  suum  incommutabiliter  prsedestinavit  ad  mortem  merito 
'sempiternam.  Si  Gotescalc  voulait  dire  que  la  prédestination 
à  la  mort  est  absolue,  tout  comme  la  prédestination  à  la  vie 
—  et  c'est  en  effet  le  sens  qui  résulte  de  ces  deux  mots  similiter 
omnino,  —  il  est  incontestablement  hérétique,  et  la  suite,  à 
savoir  que  «  les  réprouvés  seront  condamnés  au  jour  du  jugement 
à  cause  de  leurs  péchés,  »  laisse  subsister  l'hérésie.  Calvin  lui- 
même  eût  pu  s'exprimer  ainsi,  et  il  l'a  fait.  «  Quoique,  dit-il, 
ceux-là   pèchent   nécessairement  qui  y   sont   prédestinés,  ils    n'en 


1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  52  sq. 

2.  Tùbinger  theolog.    Quartalschrift,  1842.  p.  465  sq. 

3.  De  prsedestinatione,  c.  v,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  89. 


•\3.     CONCILE     DE     MAYENCE     DE    848  147 

seront  pas  moins  jugés  et  condamnés  au  jour  du  jugement  à  cause 
de  leurs  péchés,  parce  qu'ils  ont  fait  de  plein  gré  ce  <|u'ils  ont  fait 
nécessairement  ;  en  effet,  ce  n'est  pas  la  nécessité,  niais  bien  la 
contrainte  physique  qui  peut  seule  enlever  la  responsabilité.  » 
Il  faut  dire  toutefois  que  Gotescalc  ne  s'est  jamais  exprimé 
aussi  nettcmml  que  Calvin,  soit  que  l'aboutissement  logique 
de  son  propre  système  lui  ait  échappé,  soit  qu'il  n'ait  pas  osé  en 
parler  trop  clairement. 
139]  Outre  cette  profession  de  foi,  Gotescalc  publia  un  docu- 
ment qui.  sous  couvert  d'être  adressé  à  Rhaban,  l'attaquait  vive- 
ment ;  Hincmar  qualifie  cet  écrit  de  pièce  venimeuse,  parce 
qu'elle  interprétait  sophistiquement  la  lettre  de  Rhaban  à 
Noting  de  façon  à  jeter  sur  son  auteur  une  teinte  d'hétérodoxie. 
Hincmar  nous  a  conservé  des  fragments  de  cette  lettre  où  Gotes- 
calc disait  dès  le  début  1  :  «  J'ai  enfin,  digne  évêque,  lu  ton  livre, 
dans  lequel  j'ai  trouvé  cette  opinion,  que  les  impies  n'étaient 
pas  prédestinés  de  Dieu  ad  damnationem . . .  Cependant  Dieu  a 
prévu  leur  triste  commencement  et  leur  fin  plus  triste,  et  c'est 
pour  cela  qu'il  les  a  prédestinés  à  une  ruine  éternelle...  De  mê- 
me (sicut)  qu'il  a  prédestiné  par  pure  grâce  les  élus  à  la  vie, 
absolument  de  la  même  manière  (sic  omnino)  il  a  prédestiné  les 
réprouvés  par  un  juste  jugement  à  la  peine  de  la  mort  éternelle.  » 
Dans  un  second  fragment  Gotescalc  reproche  à  Rhaban  «  de  ne 
pas  suivre  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  le  libre  arbitre 
mais  bien  les  opinions  erronées  de  Gennade.  »  dont  il  avait 
inséré  un  passage  dans  sa  lettre  à  Noting  2.  Eu  deux  autres 
courts  fragments3,  Gotescalc  ajoute:  «Certainement  tous  ceux- 
là  deviendront  bienheureux,  dont  Dieu  veut  qu'ils  deviennent 
bienheureux  ;  et  lorsque  la  sainte  Ecriture  dit  :  Il  veut  que  tous 
soient  sauvés  4,  il  faut  entendre  par  là,  non  tous  les  hommes 
mais  uniquement  ceux  qui  sont  compris  dans  la  volonté  de 
Dieu.  »  Enfin,  les  deux  derniers  fragments  5  se  rapportent  à 
la  mort  du  Christ  :  «  Tous  ces  pécheurs,  pour  la  rédemption 
desquels  le   Fils   de    Dieu   a   versé  son  sang,   avaient    été  prédes- 


1.  Hincmar,  De  prœdesliiialionc,  c.  v,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  8'J. 

2.  Hincmar,  op.  cit.,  c.  xxi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  182. 
u.  Id.,  c.  xxiv,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  210. 

4.  I/Tim.,  u,  4. 

5.  Hincmar,  op.  ci/.,  c.  xxvn,  xxix,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  275-288. 


148 


LIVRE     XXII 


tinés  à  la  vie,  grâce  à  la  bonté  de  Dieu.  Quant  aux  autres  pécheurs, 
le  Fils  de  Dieu  ne  s'est  pas  fait  homme  pour  eux  et  il  n'est  pas 
mort  pour  eux  sur  la  croix;  »  «  il  n'est  le  rédempteur  que  de  tous 
les  élus  1.   » 

Nous  ne  connaissons  pas  en  détail  ce  qui    se    passa  au  concile 
de  Mayence  au  sujet  de  Gotescalc,   mais  le  résumé   du  jugement 
nous  est  conservé  dans  une  lettre  de   Rhaban  à   Hincmar,  lettre 
désignée  comme  synodale  dans  les   collections  des   conciles,  bien 
qu'elle   semble   n'avoir   été   rédigée   par   Rhaban   qu'à    l'insu    du 
concile,  et  probablement  à  la  demande  de  l'assemblée.  On  y  lit  : 
«  Nous  vous  faisons  connaître  qu'un  moine  vagabond  (gyrovagus) 
nommé    Gotescalc,   venu   d'Italie    à    Mayence,    a    répandli    une  [140] 
doctrine  honteuse  d'après  laquelle  la  prédestination  est  identique 
pour  les  bons  comme  pour  les  méchants  (sicut  in  bono,  ita  et  in 
malo),  et  qu'il  y  a  des  personnes  damnées  par  la  prédestination 
divine  et  incapables  d'y  échapper  ,  comme  si  dès  l'origine  Dieu 
les  avait  faites  incurables  et  destinées  à  la  punition  et  à  la  ruine. 
C'est    Gotescalc    lui-même    qui    nous    a  exposé    ses    sentiments, 
tout  dernièrement,  dans  un  concile  de  Mayence;  l'ayant  trouvé 
rebelle   à   tout   changement,    nous    avons,    avec   l'assentiment   et 
sur  l'ordre  du  roi  Louis,  décrété  de  vous  le  renvoyer,  après  avoir 
condamné  sa  doctrine  impie  et  lui-même;  vous  aurez  donc    à  le 
retenir  dans  votre  province  qu'il  a  quittée  malgré  la  règle,  et  vous 
l'empêcherez  d'enseigner  ses  erreurs  et  de  tromper  le  peuple  chré- 
tien. Nous  apprenons  en  effet  qu'il  a  déjà  séduit  beaucoup   de  fidè- 
les, les  détournant  de  travailler  à  leur  salut  et  leur  faisant  dire  : 
«  A  quoi  bon  me  donner  tant  de  peine  au  service  de  Dieu  ?  Pré- 
«  destiné  à  la  mort,  je  n'y  échapperai  pas;  prédestiné  à  la  vie, 
d  j'arriverai,  même  pécheur,  à  l'éternel  repos.  »  Le  cardinal  Noris  2 
pense   que   Rhaban  a    fait    un    Gotescalc    d'imagination,    ayant 
interprété    sa    doctrine    avec    partialité   ;    on    ne    saurait    nier  en 
effet,    que    Gotescalc,    pour    autant    que  nous  le  connaissons  par 
ce  qui  nous  en  reste,  n'a  jamais  exprimé  ces  doctrines  prédesti- 
natiennes  tranchées  et  décisives  que  Rhaban  lui  prête. 

D'après    Hincmar,   tous   les   éveques   de   la    Germanie   ont   pris 
part  à   ce   concile  de   Mayence;  Hartzheim  en   conclut  que  c'était 

1.  Maugin  a  reproduit  deux  fois  ces  divers  passages,  t.  n,  part.  2,  p.   3  sq.  ; 
t.  ii,  p.  63  sq. 

■1.  Opéra,  VeneL,  1759,  t.  m,  p.  239. 


4'i3.     CONCILE     DE     MAYENCE     DE    848  149 

un  concile  national;  en  réalité,  suivant  la  remarque  de  Binterim, 
ce   n'était   qu'un   concile   des   diverses  provinces   du  royaume    de 
Louis  et  c'est  uniquement  dans  le  sens  où  on  appelait  Louis,  roi 
de   Germanie,   que  l'on  regardait  ce   concile  comme  ayant  réuni 
tous  les  évêques  de  la  Germanie.  Les  évêques  germains  du  royau- 
me de  Lothaire  ne  faisaient  pas  partie  du  royaume  de  Germanie 
proprement  dit.  La  Chronique  d'Hirsauge1  dit,  il  est  vrai,  que  l'em- 
pereur Lothaire  avait  convoqué  ce   concile,  et  Trittenheim    cite 
plusieurs   archevêques   et   évêques  lorrains   comme   y   ayant    pris 
L1'*1!  part    ;   mais  les  sources  auxquelles  il  a  puisé  devaient  être    bien 
troubles,  car  plusieurs  de  ces  évêques  étaient,  à  l'époque  du  con- 
cile   de    Mayence,    morts    depuis  des  années;  tels  Hetti  de  Trêves, 
Hildebald  de  Cologne  et  Einhard  de  Seligenstadt   ;  d'autres,  au 
contraire,  n'étaient  pas  encore  évêques,  par  exemple  Altfrid  de 
Ilildesheim 2.  Trittenheim  se    trompe    encore,    lorsqu'il  rapporte 
qu'à    Mayence,  Gotescalc   rétracta   ses   erreurs,  et  que    Servatus 
Lupus,     présent  à   l'assemblée,  le    réfuta    complètement.    Enfin, 
les  Annales  de    Fulda   prétendent   que    Gotescalc   s'engagea    par 
serment  à  Mayence  de  ne  plus  sortir  du  royaume    de    Lothaire, 
et  avoua  que  sa  condamnation  portée  par    plusieurs  (par    consé- 
quent pas  par  tous),  lui  paraissait  fondée  3. 

D'après  Flodoard  4,  Rhaban  aurait  envoyé  à  Hincmar  à  Reims 
outre  Gotescalc,  plusieurs  complices  du  moine  vagabond5;  mais 
Maugin  6  a  prouvé  que  cet  historien  s'était  trompé,  au  mépris  de 
toute  chronologie,  mentionnant  Prudence,  Lupus,  et  autres  par- 
tisans plus  tardifs  de  Gotescalc,  dès  lors  souvent  blâmés  par 
Hincmar. 


1.  Ad  ami.   848. 

2.  Binterim,  Deutsche  Conc.,  t.  n,  p.  418. 

3.  Maugin,  op.  cit.,  p.  GG,  G8  ;  Pertz,  Monum.,  t.  i,  p.  365. 

4.  Hisl.  Eccles.  Remensis,  1.  III,  c.  xxi,  P.  L.,  t.  cxxxv,  col.  200  sq. 

5.  Les  Annales  Xantenses  (Pertz,  op.  cit.,  1.  ni,  p.  229)  confondent  les  doux 
conciles  et  supposent  qu'à  Mayence  quidam  monachi,  après  avoir  été  battus  à 
cause  de  leurs  doctrines  sur  la  prédestination,  avaient  été  envoyés  dans  les 
Gaules. 

6.  Op.  cit.,  t.  ii,  p.  74. 


150  LIVRE    XXII 


444.  Concile  de  Quierzy  en  849.  Condamnation  de  Gotescalc. 

Hincmar  garda  à  Reims,  sous  sa  propre  surveillance,  le  mise- 
rabilis  monachus,  ainsi  que  Gotescalc  a  été  souvent  appelé 
par  ses  amis  ;  il  ne  le  renvoya  pas  à  son  ordinaire,  c'est-à-dire 
à  Rothade,  évêque  de  Soissons,  probablement  parce  qu'il  re- 
gardait cet  évêque  comme  trop  faible  pour  tenir  tête  à  Gotes- 
calc 1.  Mais  lorsque  Flodoard  2  nous  dit  qu' Hincmar  avait  écrit 
à  Rothade  pro  recipiendo  et  adducendo  ad  judiciurn  Gothescalco, 
peut-être  faut-il  entendre  cette  phrase  dans  ce  sens  qu'Hincmar 
aurait  d'abord  renvoyé  Gotescalc  à  Rothade,  le  priant  de  rece- 
voir le  moine  et  de  le  conduire  au  concile  de  Quierzy.  Il  se  tint,  M42] 
en  effet,  en  849,  dans  le  palatium  Carisiacum,  une  diète  et  un 
concile  sur  lesquels  Hincmar  nous  a  donné  des  renseignements 
dans  trois  documents.  Il  dit  dans  le  premier  :  «  Après  que  Rha- 
ban  eut  envoyé  Gotescalc  à  Reims,  celui-ci  fut  entendu  clans 
une  assemblée  synodale  tenue  in  palatio  Carisiaco  ;  cette  assem- 
blée comprenait  des  évêques  et  un  très  grand  nombre  de  clercs 
et  de  moines  ;  ainsi  Wenilon,  archevêque  de  Sens,  Hincmar  de 
Reims,  Folcoin  de  Thérouanne,  Teudéric  de  Cambrai,  Rothade 
de  Soissons,  Ragenar  d'Amiens,  Immo  de  Noyon,  Erpoin  de 
Senlis,  Loup  de  Châlons,  Yrmenfried  de  Beauvais,  Pardulus  de 
Laon,  Teutbold  de  Langres,  dans  la  province  de  Lyon  ;  Gern- 
brins  de  Rennes,  dans  la  province  de  Tours  3;  Rigbold,  choré- 
vêque  de  Reims,  et  Witaus,  chorévêque  de  Cambrai,  Wenilon, 
plus  tard  archevêque  de  Rouen,  Enée,  notarius  sacri  palatii, 
maintenant  évêque  de  Paris,  Isaac.  alors  diacre  de  Pardulus, 
aujourd'hui  évêque  de  Langres,  assistaient  aussi  à  l'assemblée  ; 
on  y  voyait  également  les  vénérables  abbés  Ratbert  de  Corbie, 
Bavon  d'Orbais  et  Halduin  d'Hautvilliers  (Altivillaris),  avec 
d'autres  seigneurs,  prêtres  et  diacres,  par  exemple  Wulfad,  éco- 
nome de  la  métropole  de  Reims,  et  l'archidiacre  Rodoald,  ainsi 
que  les  autres  degrés    du  clergé.    En    leur   présence,  Gotescalc  se 


1.  Hincmar,  Ep.  ad  Nicol.  Pap.,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  43. 

2.  Flodoard,  1.  III  ,  t.  xxi,  P.  L.,  t.  cxxxv,  col.  200   sq. 

3.  Cf.  Gallia  christiana,  t.  xiv,  col.  :is. 


444.     CONCILE     DE    QUIERZY  151 

montra,  ainsi  qu'à  Mayence,  inaccessible  à  tout  bon  sentiment. 
Il  fut  déposé  de  la  prêtrise,,  qu'il  avait  usurpée  plutôt  que  reçue, 
lorsqu'il  était  moine  du  diocèse  de  Soissons,  et  à  l'insu  de  son 
évêque,  grâce  à  Rigbold,  chorévêque  de  Reims.  Ensuite  à 
cause  de  son  opiniâtreté,  et  conformément  aux  canons  d'Agde 
ainsi  qu'à  la  règle  de  saint  Benoît  1,  il  fut  battu  de  verges,  comme 
blasphémateur,  et  enfin  mis  en  prison  dans  un  ergastulum,  d'après 
la  décision  des  évêques  de  la  Germanie  (c'est-à-dire  de  Mayence), 
pour  l'empêcher  de  nuire  aux  autres  2.  » 

Hincmar  parle  encore  de  cette  réunion  dans  une  lettre  à  Amo- 
lo  de  Lyon,  lettre  conservée  dans  le  Liber  de  tribus  epistolis  de 
Rémi  de  Lyon.  Hincmar  dit  :  «  A  Carisiacum,  Gotescalc  n'a 
rien  dit  de  sensé  et  n'a  pas  mieux  répondu  aux  questions  qui 
lui  ont  été  posées.  Il  s'est  conduit  comme  un  possédé  du  démon 
et  n'a  su  qu'insulter  tout  le  monde.  A  cause  de  cette  effronterie, 
et  conformément  à  la  règle  de  saint  Benoît,  il  a  été  condamné 
par  les  abbés  et  les  autres  moines  à  être  fustigé  ;  d'autre  part, 
les  évêques  l'ont  condamné,  parce  que,  au  mépris  du  droit  canon, 
il  troublait  constamment  civilia  et  ecclesiastica  negotia  et  ne  vou- 
lait pas  s'amender  3.  » 

Hincmar  revient  une   troisième  fois,   mais   à  plusieurs   années 

143]  ae  distance,  vers  l'année  865,  dans  une  lettre  au  pape  Nicolas  Ier, 

sur  ce  qui  s'est  passé  à  Quierzy.  Il  y  rapporte  brièvement  ce  que 

nous  savons  déjà,  l'audition  et    la    condamnation  de    Gotescalc, 

son   refus   de  rétractation,   son  internement  dans   un   monastère 


1.  Le  canon  38  d'Agde  de  Tannée  506  parle  d'abord  des  moines  et  des  clercs 
vagabonds;  puis  il  ajoute  au  sujet  des  premiers  :  Qiiod  (quos)  si  verborum  iiicrepa- 
lio  non  emendaverit,  etiam  verberibus  statuimus  coerceri.  On  lit  aussi  dans  la  règle 
de  saint  Benoît:  Indisciplinatos  et  inquietos  durius  arguendos,  et  improbos  et  duros 
ac  superbos  vel  inobedientes  verberum  vel  corporis  casiigatione  in  ipso  initio  peccati 
coercendos  esse. 

2.  Hincmar,  De'prsedest.,  c.  n,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  85  ;  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  75  ; 
[Sirmond,  Conc.  Gallise,  t.  m,  col.  680  ;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  601  ;  Lalande,  Conc. 
Gallise,  p.  149;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  55-58;  Sirmond,  Opéra,  1696,  t.  iv, 
col.  290,  428;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  17  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix, 
col.  10,  53  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  919;  D.  Marlot,  Meiropolis 
Remensis  historia,  1664,  t.  i,  p.  409  ;  Gousset,  Actes  de  la  prov.  ecclés.  de 
Reims,  t.  i,  p.  203;  V.  Rose,  Die  lalcinische  Meerman-HandscJir.  des  Sir  Thomas 
Phillipps  in  der  kôniglichen  Bibliothek  zu  Berlin,  Berlin,  1892,  p.  186.  Voir 
Appendices.   (H.  L.)] 

3.  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  1027,  et  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  76. 


152 


LIVRE    XXII 


du  diocèse  de  Reims,  d'après  le  jugement  des  évêques  des  Gaules, 
de  la  Belgique  et  de  Reims,  présents  à  l'assemblée.  Il  ajoute 
ce  détail,  que  nous  avons  déjà  mentionné,  le  refus  de  laisser  Go- 
tescalc  sous  la  juridiction  de  son  évêque  diocésain,  Rothadc.  hop 
faible  pour  résister  à  l'hérétique,  et  susceptible,  au  jugement 
d'Hincmar,  de  se  laisser  gagner  et  de  passer  à  l'hérésie1. 

Les  Annales  de  Saint-Bertin  parlent  aussi  du  concile  de  Quierzy  : 
«  Le  roi  Charles  le  Chauve,  toujours  zélé  pour  les  intérêts  de 
l'Eglise,  convoqua  en  concile  les  évêques  du  diocèse  (de  la  pro-  [144] 
vince)  de  Reims  et  fit  comparaître  Gotescalc.  Celui-ci  fut  fus- 
tigé publiquement  et  obligé  de  brûler  les  livres  contenant  ses  opi- 
pions  2.   » 

Les  collections  conciliaires  nous  ont  conservé  la  sentence  de 
Quierzy  contre  Gotescalc,  la  voici  :  «  Frère  Golescalc,  sache 
que  la  très  haute  dignité  du  ministère  sacerdotal,  que  tu  t'es 
arrogée  au  mépris  des  règles  et  dont  tu  as  abusé  par  tes  mœurs, 
tes  mauvaises  actions  et  tes  doctrines  corrompues,  t'est  main- 
tenant enlevée  de  par  la  sentence  du  Saint-Esprit,  dont  pro- 
vient, comme  un  pur  présent,  la  dignité  sacerdotale,  et  par 
la  vertu  du  sang  du  Christ,  si  tant  est  que  Lu  aies  reçu  cette  di- 
gnité, et,  quoi  qu'il  en  soit,  tu  ne  devras  en  aucune  manière  te 
permettre  d'en  exercer  de  nouveau  les  fonctions.  En  outre,  com- 
me, au  mépris  des  lois  de  l'Église,  tu  cherches  à  jeter  le  désordre 
dans  l'Église  et  dans  l'État,  sans  tenir  plus  de  compte  de  tes  vœux 
et  de  ton  état  de  moine,  nous  avons  décidé,  en  vertu  de  l'au- 
Lorité  épiscopale,  que  tu  serais  très  durement  battu  et  ensuite, 
conformément  aux  règles  de  l'Église,  mis  en  prison.  Enfin,  pour 

.  1.   Hincmar,  Ep.  ad  Nicol.,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  43. 

2.  Dans  Pertz,  Monum.,  t.  i,  p.  443  sq.,  et  réimprimé  dans  P.  L.,  t.  cxv,  col. 
1 402  ;  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  76,  attache  une  grande  importance  à  ce  que  quel- 
ques mots  manquent  dans  les  Annales  de  Saint-Bertin  ;  mais  cette  lacune  a  été 
comblée  dans  toutes  les  nouvelles  et  meilleures  éditions.  La  seconde  partie  des 
Annales  de  Saint-Bertin,  qui  va  de  836  à  861,  et  dans  laquelle  se  trouve  le  pas- 
sage en  question,  est  ordinairement  attribuée  à  saint  Prudence  de  Troyes  ;  mais 
ce  dernier  était  un  défenseur  de  Gotescalc,  tandis  que  le  passage  dont  nous 
parlons  s'exprime  d'une  manière  très  défavorable  au  sujet  du  moine  hérétique. 
Aussi  a-t-on  pensé  que  ce  passage  n'était 'pas  à  l'origine  ce  qu'il  est  aujour- 
d'hui, qu'il  avait  été  modifié  ;  voyez  les  varias  lect.  dans  les  éd.  de  Pertz  et  de 
Migne.  —  Sur  les  Annales  de  Saint-Bertin,  dont  la  troisième  partie  proviendrait 
d'Hincmar  lui-même,  cf.  Bahr,  Gcsch.  der  rom.  Litteratur  im  Caroling.  Zeitalter; 
p.   107  sq. 


44'j.     CONCILE     DE    QUIERZY  153 

que  tu  ne  puisses  plus  te  permettre  d'enseigner,  nous  te  condam- 
nons, par  la  vertu  du  Verbe  éternel,  à  garder  un  éternel  silence  K  » 
Jusqu'ici  personne,  à  notre  connaissance,  n'a  mis  en  don  le 
l'authenticité  de  cette  sentence  ;  il  nous  semble  cependant  qu'il 
y  aurait  de  bonnes  raisons  pour  le  faire.  N'est-il  pas  surprenant 
que  nul  n'ait  connu  l'existence  de  cette  pièce  avant  que  le  P.  Sir- 
mond  la  découvrît,  vers  l'an  1600,  dans  un  ancien  manuscrit  de 
Nicolas  Camuzat  ?  On  n'en  a  jamais  trouvé  un  second  exem- 
plaire. A  cette  première  observation,  digne  de  remarque,  vont  se 
joindre  des  arguments  plus  importants. 

a)  Hincmar  dit  que  les  abbés  et  les  moines  présents  avaient 
ordonné  la  peine  du  fouet,  tandis  que  les  évoques  avaient  sim- 
plement prononcé  la  damnatio;  or  dans  la  sentence,  nous  voyons 
la  flagellatio  ordonnée  par  les  évêques.  Ce  qui  prouve  qu' Hinc- 
mar dit  vrai,  c'est  la  manière  dont  Rémi  de  Lyon  a  blâmé  toute 
cette  procédure. 

b)  La  sentence  motive  doublement  la  condamnation  de  Go- 
tescalc  :  c'est  d'abord  la  prêtrise  reçue    d'une    manière    illégale, 

L1^]  ensuite  le  désordre  introduit  dans  les  negotia  civilia  et  eccle- 
siastica.  Pour  la  première  faute,  Gotescalc  est,  d'après  la  sen- 
tence, dégradé  de  la  prêtrise;  pour  la  seconde,  il  est  fouetté.  Mais 
ne  voit-on  pas  que  la  sentence  est  muette  sur  le  motif  principal, 
l'affaire  du  prédestinatianisme  ?  à  peine  y  fait-elle  une  vague 
allusion,  quand  elle  dit  que  Gotescalc  a  mésusé  de  son  sacer- 
doce par  sa  mauvaise  conduite  et  ses  doctrines   corrompues. 

c)  La  sentence  présente  comme  douteuse  l'ordination  de  Go- 
tescalc. Or,  non  seulement  ce  doute  est  en  opposition  avec  le 
dogme,  mais  il  est  en  contradiction  avec  l'opinion  d' Hincmar,  qui 
croyait  à  la  validité  de  cette  ordination. 

d)  Le  style  ampoulé  de  cette  sentence  doit  faire  naître  des 
doutes  sur  son  authenticité  ;  dans  quelle  autre  sentence  ecclé- 
siastique voit-on  un  coupable  dégradé  de  la  prêtrise  per  virtutem 
sanguinis  Domini  nostri  Jesu  Christi? 

e)  Le  passage  :  Insuper  quia  et  ecclesiastica  et  civilia  negotia 
contra  propositum  et  nomen  monachi  conturbare...  prœsumpsisti, 
est  emprunté  à  la  lettre  d' Hincmar  à  Amolo  de  Lyon,  mais 
on    lui   donne    ici    un    autre     sens.    Hincmar    veut    dire    que   les 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  921;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,   col.   20  ;    Maugiti, 
op.  cit.,  t.  ii,  p.  78- 


154  LIVRE    XXII 

erreurs  de  Gotescalc  avaient  occasionné  des  désordres  dans 
l'Église  et  dans  l'Etat,  soit  parce  que  ses  partisans  ne  s'appliquaient 
plus  à  aucune  bonne  œuvre  et  ne  s'abstenaient  d'aucun  pé- 
ché; soit  parce  que  lui-même  n'avait  pas  voulu  renoncer  à  ses 
erreurs  périlleuses  pour  l'Eglise  et  pour  l'Etat  ;  c'est  pourquoi 
il  avait  été  condamné  par  les  évêques.  Le  rédacteur  de  la  sen- 
tence a  mal  compris  ce  passage  d'Hincmar  ;  il  a  cru  que  Go- 
tescalc avait  ét>  puni  parce  que,  contrairement  à  ses  vœux 
monastiques,  il  s'était  mêlé  aux  affaires  du  monde  et  à  celles  du 
clergé  séculier,  ce  qui,  on  le  sait,  n'a  jamais  été  le  cas  de  Go- 
tescalc 1. 

/)  C'est  par  suite  d'un  autre  malentendu  que  l'auteur  de  la 
sentence  fait  prononcer  contre  Gotescalc,  par  les  évêques, 
la  peine  de  la  flagellatio.  Il  avait  lu  dans  Hincmar  :  Ut  im- 
probus  virgis  csesus,  sicut  decreverant  Germanise  provinciarum 
episcopi,  ne  aliis  noceret...  ergastulo  est  retrusus  2.  Il  a  cru  que  [146] 
les  mots  sicut  decreverant  Germanise,  provinciarum  episcopi  se 
rapportaient  à  virgis  csesus,  c'est-à-dire  que  la  flagellatio  avait 
été  prescrite  par  les  évêques  ;  en  réalité  Hincmar  veut  dire 
que  Gotescalc  a  été  fouetté,  et,  afin  qu'il  ne  pût  nuire,  em- 
prisonné, selon  que  les  évêques  de  la  Germanie,  réunis  à  Mayence, 
l'avaient  jugé  nécessaire.  Hincmar  a  en  vue  ces  mots  de  la  lettre 
de  Rhaban-Maur  :  Decrevimus  eum  mittere  ad  vos,  quatenus  eum 
recludatis  in  vestra  parochia. 

Nous  voyons  donc  dans  la  sentence  en  question  l'œuvre  d'un 
faussaire  assez  récent  et  peu  instruit  de  l'affaire  de  Gotescalc. 
Quant  aux  quatre  capitula  que  le  P.  Sirmond  a,  dans  ses  premiers 
travaux,  attribués  au  présent  concile  de  Quierzy,  ils  appartien- 
nent au  concile  tenu  également  à  Quierzy,  mais  en  853.  Le  P.  Sir- 
mond l'a  reconnu  après  la  publication  des  Annales  de  Saint- 
Bertin,  et  ce  point  est  généralement  admis.  Nous  ajouterons  que 
saint  Rémi  de  Lyon  a,  en  deux  passages,  fortement  critiqué  la 
punition  infligée  à  Gotescalc.  Il  estime  incorrect  que  la  sentence 
de  flagellation  ait  été  portée  par  les  abbés,  et  celle  de  condam- 
nation proprement  dite,  par  les  évêques;   le   jugement  entier  au- 


1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  80,  a  aussi  mal  compris  les  mots  :  ecclesiastira  <t 
civilia  negolia  ;  il  croit  qu'il  s'agit  des  embarras  causés  par  Gotescalc  au  Con- 
cilium  mixtum  de  Mayence,  qui  s'occupait  des  affaires  ecclesiastica  et  civilia. 

2.  Hincmar,  De  pr&denluialione,  c.  n,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  84  sq. 


444.    CONCILE    DE    QUIERZY  155 

rait  dû  être  porté  par  ces  derniers.  Sans  doute  Gotescalc  a 
agi  d'une  manière  impie  et  insensée  (impium,  insanum),  on  a  eu 
raison  de  le  punir  si,  comme  on  l'affirme,  il  a  injurié  les  évêques. 
Mais  il  eût  mieux  valu  que  la  peine  ne  fût  pas  prononcée  par  ceux 
qui  avaient  reçu  les  injures.  De  plus,  l'hérétique  a  été  traité 
avec  trop  de  dureté  et  de  cruauté.  Saint  Rémi  écrit  à  ce  sujet  : 
«  On  dit  qu'il  a  été  déchiré  atrocissime  et  sans  miséricorde,  pêne 
usque  ad  mortem,  »  et  ailleurs  :  «  Tous  sont  au  regret,  et  même 
exaspérés,  car  ce  malheureux  a  été  torturé  avec  une  irreligiositas 
et  une  cruauté  inouïes,  jusqu'à  ce  que,  au  dire  des  témoins  ocu- 
laires, il  eut,  à  demi-mort,  jeté  de  ses  mains  dans  le  feu  le  livre 
dans  lequel  il  avait  réuni  les  passages  de  la  sainte  Ecriture  et  des 
Pères  qui  pouvaient  autoriser  sa  doctrine,  etc..  Et  cependant, 
ces  passages,  sauf  le  dernier,  n'étaient  pas  de  lui,  mais  d'au- 
torités reconnues  dans  l'Eglise  ;  on  n'aurait  pas  dû  les  brûler, 
mais  les  expliquer  par  une  pieuse  et  pacifique  interprétation  1.  » 
[147J  L' er gastulum  dans  lequel  fut  renfermé  Gotescalc  était  une 
cellule  du  monastère  d'Hautvilliers,  au  diocèse  de  Reims  2  ; 
au  commencement  il  y  fut  traité  plus  doucement  que  par  la 
suite. 

Le  concile  de  Quierzy  a  dû  se  tenir  au  printemps  de  849,  car 
Hincmar  écrivant  aussitôt  après  à  Prudence,  évêque  de  Troyes, 
lui  demandait,  entre  autres  choses,  s'il  lui  conseillait  de  laisser 
communier  Gotescalc  à  Pâques  3.  Le  concile  s'était  donc  tenu 
avant  Pâques  et  il  doit  s'agir  ici  des  Pâques  de  849,  car  cette 
lettre  d' Hincmar  est  antérieure  au  concile  de  Paris  tenu  dans 
les  derniers  mois  de  849.  Hincmar  dit  également,  dans  cette 
lettre,  avoir  fait  plusieurs  tentatives  infructueuses  pour  am> 
Gotescalc  à  résipiscence.  Ces  tentatives  consistaient  probable- 
ment en  entretiens  ou  en  lettres;  ainsi,  nous  savons  qu' Hinc- 
mar écrivit  à  Gotescalc  une  lettre,  aujourd'hui  perdue,  pour  lui 
expliquer,  à  l'aide  de  saint  Augustin  et  d'autres  Pères,  certains 
passages     patristiques,    notamment    quelques-uns    de    Prosper  4. 


1.  Liber  de  tribulis  epistolis,  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  1028,    1030;  Maugin,   op.   cil., 
t.  i,  2e  part.,  p.  107,  109. 

2.  Flodoard,  op.  cit.,  1.  III,  c.  xxviii. 

3.  Nous   n'avons   plus   qu'un   seul   fragment   de   cette   lettre   dans    Flodoard. 
III,  c.  xxi,  et  Maugin,  op.  lit.,  t.  n,  p.  93. 

4.  Flodoard,  op  cit.,  1.  III,  c.  xxvm, 


156 


LIVRE    XXII 


L'archevêque  y  montrait  encore  que,'si  la  prescience  de  Dieu 
s'étend  au  bien  et  au  mal,  Dieu  prévoit  simplement  le  mal 
{prsescire),  tandis  qu'il  prévoit  et  prédestine  le  bien  (prsescire 
et  prsedestinare).  Il  peut  donc  y  avoir  prescience  sans  prédesli- 
nation,  mais  non  prédestination  sans  prescience.  Les  bons  étaient 
prœsciti  et  prœdestinati  de  Dieu  ;  les  mauvais,  au  contraire, 
étaient  simplement  prœsciti,  mais  non  prsedestinati  ;  enlin  la 
prescience  n'oblige  personne  à  se  perdre. 

Comme  nous  le  verrons  plus  tard,  Hincmar  s'appuyant  surtouL 
sur  Y Hypomnesticon  et  sur  un  prétendu  écrit  de  saint  Jérôme, 
expliquait,  dans  un  sens  aussi  atténué  que  possible,  ce  passage 
de  la  Bible:  «Dieu  endurcit  le  cœur,»  et  comme  si  Dieu  avait 
simplement  laissé  produire  cet  endurcissement.  Flodoard  ajoute 
que  Gotescalc  avait  obstinément  refusé  d'approuver  cette  expli- 
cation d' Hincmar  et  d'y  souscrire. 

Ce  fut  probablement  sur  le   conseil  donné  par   Prudence    que  L^^°J 
Gotescalc  put  recevoir  à    Pâques    la  sainte    communion,    ce    que 
Rhaban  blâma  plus  tard.  II  lui  fut  également  permis  d'écrire,  et 
il  composa  alors  deux  professions  de  foi  qui  nous  sont  parvenues. 


445.  Double  profession  de  foi  et  autres  écrits  de  Gotescalc. 

La  première  et  la  plus  courte  l  débute  ainsi  :  «  Je  crois  et  pro- 
fesse que  Dieu  prœscivit  et  prœdestinavit  les  saints  anges  et  les 
élus  à  une  vie  éternelle  qu'ils  n'avaient  pas  méritée  ;  de  même 
(pariter)  qu'il  a  prédestiné,  par  un  jiiste  jugement,  à  une  mort 
éternelle  et  méritée  le  démon,  ainsi  que  ses  pareils  et  tous  les 
hommes  condamnés  qui  sont  les  membres  de  Satan  ;  il  les  a  pré- 
destinés, parce  qu'il  a  prévu  leurs  futures  mauvaises  actions.  » 
A  l'appui  de  cette  proposition  Gotescalc  cite  des  passages  de  la 
sainte  Écriture,  de  saint  Augustin,  de  Fulgence  et  d'Isidore  ; 
ces  textes  serapn/>rtent  à  une  double  prédestination  et  sont  jusqu'à 
un  certain  point  favorables  à  l'opinion  de  Gotescalc,  si  ce  dernier 
n'était  allé  trop  loin,  si  l'assimilation  absolue  qu'il  exprimait 
par   ces     paroles    pariter,    son    sic    omnino    et    similiter    omnino, 

1.  P  L.,  t.  cxxi,  col.  347;  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  lre  part,.,  p.  7.  [L.  Traubc,    Go- 
tescalci  Car  mina,  dans  Poetse   latini  sévi  Carolini,  1896,  p.  716,  note  1.(11.  L.)] 


445.     PROFESSIONS     DE     FOI     ET     ÉCRITS     DE    GOTESCALC  157 

ne  l'avaient  fait  tomber  dans  l'erreur  du  prédestinatianisme. 
La  seconde  profession  de  foi,  plus  détaillée  1,  commence  par 
une  prière  :  «  Que  Dieu  m'accorde  la  grâce  de  parler  sur  sa  pres- 
cience et  sur  sa  prédestination,  de  sorte  que  la  vérité  éclate,  et 
que  le  mensonge,  justement  maudit,  disparaisse.  »  Gotescalc 
discute  l'opinion  d'Hincmar  et  de  Rhaban,  à  savoir  que  la  pres- 
cience divine  s'étend  à  la  fois  au  bien  et  au  mal,  mais  que  la  pré- 
destination se  rapporte  exclusivement  au  bien.  Gotescalc  ré- 
pond :  «  Tout  cela  est  vrai  ;  mais  d'après  le  psaume  xxxn,  5, 
le  bien  est  de  deux  sortes,  car  Dieu  aime  la  miséricorde  et  la  justi- 
ce. »  Gotescalc  veut  dire  (mais  il  ne  développe  pas  sa  pen- 
sée )  :  «  En  prédestinant  les  bons  ad  vitam,  Dieu  montre  sa 
miséricorde;  au  contraire,  en  prédestinant  les  pécheurs  à  la  mort, 
il  montre  sa  justice  ;  la  miséricorde  et  la  justice  sont  également 
bonnes  2.  Par  conséquent,  cette  proposition  que  la  prédesti- 
[149]  nation  de  Dieu  ne  porte  que  sur  le  bien,  n'est  pas  en  contra- 
diction avec  la  doctrine  de  la  double  prédestination.  »  Rhaban 
aurait  volontiers  accepté  la  proposition  :  «  Dieu  a  prédes- 
tiné la  mort  pour  les  pécheurs  ;  »  mais  il  semble  avoir  rejeté 
cette  autre  :  «  il  prédestine  les  pécheurs  à  la  mort.  »  Aussi  Go- 
tescalc disait-il  :  «  Tu  prédestines  (il  s'adresse  constamment  à 
Dieu  dans  cette  seconde  profession  de  foi)  aux  élus  une  vie  éter- 
nelle que  tu  leur  accordes  par  pure  grâce,  et  tu  les  prédestines 
également  à  cette  vie,  car  ce  serait  en  vain  que  tu  leur  aurais 
prédestiné  la  vie,  si  tu  ne  les  avais  pas,  eux  aussi,  prédestinés 
à  cette  vie.  A  peu  près  de  la  même  manière  (propemodum)  tu 
as  prédestiné  au  démon  et  à  tous  les  maudits  une  peine  éter- 
nelle, qu'ils  ont  méritée,  et  en  même  temps  tu  les  as  prédestinés 
à  cette  peine  éternelle  et  toujours  la  même,  car  en  toi  il  n'y  a 
jamais  de  changement.  »  Il  ajoute  ensuite  avec  saint  Augustin  : 
«Si  l'on  considère  les  actions  de  Dieu,  prévoir,  vouloir  et  faire 
sont  une  seule  et  même  chose.  Si  Dieu  a  prévu  de  toute  éter- 
nité qu'un  homme  sera  puni  comme  pécheur  par  la  mort  éter- 
nelle, il  a  voulu  aussi  de  toute  éternité  cette  punition  et  l'a  pro- 
noncée, c'est-à-dire    qu'il  l'a    prédestiné  ad  mortem.   »    Pour    évi- 


1.  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  350;  Maugin,  loc.  cit.,  p.  9.  Le  texte  est  altéré  en   plusieurs 
endroits  et  ne  fait  pas  honneur  aux  deux  éditeurs. 

2.  Vers  le  milieu  de  cette  seconde  profession  de  foi,  il  revient  sur  cette  même 
pensée  et  l'énonce  plus  clairement. 


158  LIVRE     XXII 

ter  tout  reproche  de  prédestinatianisme,  Gotescalc  aurait  dû 
dire  :  «  Je  dis  Lingue  entre  l'action  des  pécheurs  et  l'action  de  Dieu; 
les  actions  des  pécheurs,  leurs  méfaits  ont  été,  sans  doute,  prévus 
par  Dieu,  mais  Dieu  ne  les  a  pas  voulus  et  n'y  a  prédestiné  aucun 
d'eux  ;  c'est  en  effet  un  principe  que  Dieu  ne  prédispose  pas  au  mal. 
Par  contre,  la  punition  des  pécheurs  est  l'œuvre  de  Dieu,  qui, 
ayant  de  toute  éternité  prévu  la  mauvaise  conduite  du  pécheur,  a 
aussi  de  toute  éternité  déterminé  la  peine  qui  lui  serait  appliquée, 
et  l'a  destiné  à  cette  peine.  »  —  Le  moine  cherche  à  montrer  en- 
suite, par  une  série  de  passages  de  la  Bible,  que  la  sainte  Écriture 
parle  de  l'éternelle  prédestination  des  maudits;  d'après  lui,  dire 
que  Dieu  connaît  d'avance  le  châtiment  éternel  qui  attend  les 
pécheurs,  mais  ne  le  leur  assigne  pas  de  toute  éternité  et  seulement 
après  leur  mort,  ce  serait  introduire  en  Dieu  un  changement  et, 
par  conséquent,  un  principe  d'instabilité.  En  développant  ces 
preuves  tirées  de  la  Bible,  Gotescalc  dit  clairement  que  Dieu 
n'a  pas  prédestiné  les  réprouves  au  péché  ;  voici  ses  paro- 
les :  «  Ceux  dont  tu  prévoyais,  ô  mon  Dieu  !  l'obstination  par 
leur  propre  misère  dans  les  fautes  méritant  la  damnation,  tu 
les  as,  en  juge  équitable,  prédestinés  à  la  ruine.  »  (Proposi- 
tion parfaitement  orthodoxe  et  qui  ne  contient  plus  trace  des 
expressions  sic  omnino  et  similiter  omnino.) 

Les  adversaires  de  Gotescalc  avaient  allégué,  paraîL-il,  ce  pas- 
sage de  saint  Augustin  :  «  Les  maudits  ont  été  condamnés  par 
la  prescience  de  Dieu  »  (et  non  pas  par  la  prédestination).  Saint 
Augustin  citait  aussi  ce  texte  de  l'Apôtre1  :  Non  repulit  Deus 
plebem  suant,  quant  prsescU'it.  Aussi  Gotescalc  prouve-t-il  que,  [150] 
dans  d'autres  passages,  saint  Augustin  a  enseigné  la  damna- 
tion des  réprouvés  par  la  prédestination.  Il  ajoute  que,  dans 
le  passage  cité  par  ses  adversaires  et  dans  ceux  cités  par 
lui,  saint  Augustin  ne  s'est  pas  mis  en  contradiction  avec 
lui-même,  puisque,  dans  les  actions  de  Dieu,  le  prsescire  et  le 
prsedestinare  sont  une  seule  et  même  chose,  tout  comme  dans 
le  passage  biblique  qui  était  allégué,  les  mots  prœscwit  et  preedes- 
tinavit  sont  employés  comme  entièrement  synonymes.  Il  cher- 
che ensuite  à  démontrer,  par  des  passages  tirés  des  Pères,  la  dou- 
ble prédestination.  Il  cite  alors  saint  Augustin,  Fulgence,  saint 
Grégoire  et  saint   Isidore  ;    il    remarque,  que,    par    l'expression 

1.  Rom.,  xi,  7. 


445.  PROFESSIONS  DE  FOI  ET  ÉCRITS  DE  GOTESCALC     159 

gemina  prœdestinatio,  on  n'enseigne  pas  deux  prédestinations,  mais 
une  seule,  quia,  il  est  vrai,  deux  aspects,  bipartita.  (D'après  cela, 
il  enseignerait  donc  une  prédestination  absolue,  même  pour  les 
réprouvés  !)  Il  remercie  Dieu  de  lui  avoir  donné  ces  lumières  ;  il 
assure  que  la  crainte  des  hommes  ne  le  fera  jamais  vaciller, 
traite  ses  adversaires  d'hérétiques  et  demande  à  Dieu  d'extir- 
per de  la  terre  cette  hérésie  par  la  lumière  de  la  vérité.  Quoiqu'il 
ne  veuille  avoir  aucun  rapport  avec  les  hérétiques,  il  désire  cepen- 
dant, à  cause  des  minus  periti,  avoir  une  assemblée  publique  , 
dans  laquelle  il  demande  à  Dieu  de  pouvoir  prouver  la 
gemina  prœdestinatio,  en  présence  du  roi  et  de  tous  les  évêques, 
des  prêtres,  des  moines,  et  par  l'épreuve  plusieurs  fois  réitérée 
de  l'eau  et  du  feu  1. 
[lolj  La  violence  avec  laquelle  Gotescalc  I  rail  ail  ses  adversaires, 
les  appelant  hérétiques,  menteurs,  les  accusant  de  s'obstiner  par 
orgueil  à  défendre  les  anciennes  erreurs,  lorsqu'ils  se  trouvaient 
en    présence    d'opinions    meilleures,    dut    naturellement    blesser 

1.  Wiggers,  dans  Niedner's  theolog.  Zeitschrift,  1859,  p.  490,  dit  avec  raison  que 
«  Gotescalc  ne  s'écarte  pas,  comme  saint  Augustin  dans  ses  luttes  avec  les  péla- 
giens,  du  point  de  vue  anthropologique,  mais  du  point  de  vue    théologique.  11 
cherchait  à  donner  une  explication  rationnelle  des  qualités  divines,  et  croyait 
mettre  en  péril   la  constance  et  la  sagesse  de  Dieu  en  admettant  que  de  la  pré- 
destination devaient  découler  les  actions  humaines.  Mais  il   ne   développait  pas 
avec  autant  d'âcreté  que  les  augustiniens  cette  proposition  que  la   sainteté  des 
uns   et  la  réprobation  des  autres  dépend  du  bon  plaisir  de  Dieu  et  de  ses  décrois 
éternels,  ou  du  péché  de  la  race  humaine  commis  en  Adam.   D'après  la  théorie 
de  saint  Augustin,  la  faute   d'Adam   s'est  répercutée  sur  toute    l'humanité,   et 
tous  les  hommes  sont  soumis  à  la  juste  sentence  de  la  damnation,  par  suite  du 
péché  originel.   Dans  sa   bonté   Dieu  a  résolu  d'en  sauver   quelques-uns,    mais 
ceux  qui  ne  sont  pas  compris  au  nombre  des   élus    ne    peuvent   attendre   que    le 
châtiment  mérité.  La  cause  dernière  de  la  sainteté  des  hommes  réside  dans  la  pré- 
destination de  Dieu,  mais  la  cause  de  leur  perdition  réside   dans   le  péché    origi- 
nel. Dans  ce  sens,  et  d'après  saint  Augustin,  la  prédestination  ne  s'applique  qu'aux 
élus,  non  aux  réprouvés.  Pour  ces  derniers  toutefois,  la  prescience  de  Dieu  avait 
prévu  leur  sort  de  toute  éternité,  mais  le  décret  absolu  de  Dieu  ne  se  rapporte  pas 
à  eux.  Ainsi  saint  Augustin  pensait  pouvoir  faire  accorder  la  justice  de  Dieu  avec 
sa  bonté.  Il  ne  pouvait  admettre  une  prédestination  (ad  vitam)  découlant  de  la 
conduite  des  hommes,  car  par  suite  de  la  faute  originelle  l'homme  n'est  pas  capa- 
ble de  faire  le  bien.  Par  cette  profession  de  foi,  écrite  sans  grande  énergie,  nous 
pouvons  juger  comment  Gotescalc  cherchait  à  mettre  d'accord  sa  doctrine  de 
la  prédestination  avec  la  nature  morale  des  hommes  issue  du  péché;  il  comprenait 
que  sa  prédestination  (même  pour  les  réprouvés)  découlait  d'un  décret  absolu,  et 
non  d'un  décret  ayant  égard  à  la  faculté  qu'a  l'homme  de  devenir  digne  de  mérite.  » 


100  LIVRE    XXII  ] 

au  vif  Hincmar,  car  c'était  lui  surtout  qui  était  visé.  Gotescalc 
ajoutait,  ce  qui  prouve  sa  ferme  conviction  et  son  exaltation, 
qu'il  était  prêt,  pour  démontrer  la  vérité  de  sa  doctrine,  à 
entrer  dans  quatre  tonneaux  remplis  d'eau  bouillante,  d'huile 
et  de  poix,  et  s'offrait  aussi  à  marcher  sur  des  brasiers  ardents. 
Il  était  convaincu  qu'il  ne  faisait  que  renouveler  la  doctrine  de 
saint  Augustin,  mais  il  le  fit  de  manière  à  mériter  le  reproche 
de   prédestinatianisme. 

Outre  ces  ^deux  professions  de  foi,  Gotescalc  écrivit  à  Amolo, 
archevêque  de  Lyon,  une  lettre  dont  nous  parlerons  plus  loin, 
et  un  petit  livre  intitulé  Pitacium  (Pittacium),  adressé  à  un 
moine  et  dont  Hincmar  nous  a  conservé  plusieurs  fragments. 
Gotescalc  y  dit  :  «  Celui  qui  affirme  que  le  Christ  est  mort  pour 
tous,  contredit  Dieu  le  Père  ;  »  et  plus  loin  :  «  Le  Christ  a  racheté 
par  le  baptême  ceux  qui  ne  sont  pas.  prédestinés  ad  vitam,  non  ta- 
men,  pro  eis  crucem  subiit,  nec  mortem  pertulit,  nec  sanguinem  fu- 
dit;»  et  encore:  «  Il  y  a  deux  redempt  iones,  l'une  quse  communis  est 
et  electis  et  reprobis,  l'autre  quse.  propria  et  specialis  est  solorum 
omnium  electorum.  »  Et  ailleurs  :  «  Nullus  tibi  (Christo)  périt, 
quisquis  redemptus  est  per  sanguinem  crucis  tuse.  »  Enfin  :  «  L'opi- 
nion que  le  Christ  est  mort  pour  tous,  sans  que  tous  ceux  pour 
qui  il  a  souffert  fassent  leur  salut,  n'est  autre  chose  que  evacuare 
crucem  Christi  1.    » 

On  ne  saurait  dire  si  un  autre  fragment  conservé  par  Hincmar  2 
appartient  au  Pittacium  ou  à  un  autre  écrit  de  Gotescalc  au- 
jourd'hui perdu.  Il  ^est  significatif  que  Maugin3  ait  prétendu, 
quoique  sans  preuve,  que  ce  Pittacium  n'était  pas  un  écrit  au-  '1M501 
thentique  de  Gotescalc  ;  l'intrépide  janséniste  a  agi  de  même, 
à  l'égard  de  tous  les  documents  qui  pouvaient  faire  tort  à  son 
client.  C'est  ainsi  qu'il  a  nié  plus  tard  l'authenticité  de  la  lettre 
de  Gotescalc  à  Amolo  4. 


1.  Hincmar,  De  prasdesL,  c.   xxix,    xxxiv,  xxxv,    P.  L.,   t.   cxxv,    col.  271, 
365,  370,  371,  372. 

2.  Id.,  c.  xvn, .i5.  L.,t.  cxxv,  col.  159  sq. 

3.  Maugin,  op.  cit.,  t.  11,  p.  307. 

4.  Id.,  t.  ii,  p.  171. 


446.     CONCILE     DE    PARIS,     AUTOMNE    849  lGl 


446.  Ratramn,  Loup  et  Prudence  prennent  parti  pour  la  double 
prédestination  ;  concile  de  Paris  dans  1  automne  de  849. 

Maugin  croit4  que  Gotescalc  n'a  pu  écrire  ni  lettre  ni  traité 
sans  l'assentiment  d'Hincmar,  et  que  ses  deux  professions  de 
foi  ont  dû  passer  d'abord  par  les  mains  de  l'archevêque  de 
Reims.  On  ne  sait  à  <|iii  il  les  communiqua  ;  mais  vers  le  milieu 
de  l'année  849,  Hincmar  jugea  nécessaire  d'éclairer  les  moines 
de  son  diocèse  sur  les  erreurs  de  Gotescalc,  probablement  parce 
que  plusieurs  d'entre  eux  avaient  pris  parti  pour  leur  collègue. 
L'archevêque  écrivit  donc  son  Opusculum  ad  reclusos  et  simpli- 
ces,  dont  nous  ne  connaissons  encore  quelque  chose  que  grâce  à 
Rhaban  t.  Cet  opuscule  tomba  entre  les  mains  de  Ratramn, 
savant  moine  de  Corbie,  au  diocèse  d'Amiens,  qui  se  crut  obligé 
de  combattre  les  opinions  d'Hincmar,  dans  une  lettre  à  son  ami 
Gotescalc.  Hincmar,  dit-il,  se  trompe  lorsque,  dans  le  passage 
de  Fulgence  :  Prseparavit  Deus  malos  ad  luenda  supplicia,  il  en- 
tend le  mot  prseparavit  dans  le  sens  de  permisit  prœparari  ; 
il  s'est  laissé  induire  en  erreur  par  un  prétendu  écrit  de  saint 
Jérôme  De  induratione  cordis  Pharaonis,  jusqu'à  soutenir  que 
Dieu  n'avait  pas  lui-même  endurci  le  cœur  du  Pharaon,  mais 
avait  simplement  permis  qu'il  fût  endurci  2. 

Dès  lors,  le  débat  s'agrandit.  Du  côté  d'Hincmar  se  rangea, 
avec  beaucoup  d'ardeur,  son  sufîragant  Pardulus,  évêque  de 
Laon,  et  ces  deux  évêques  s'adressèrent,  la  plupart  du  temps 
en  commun,  à  différents  autres  évoques  et  savants,  pour  con- 
naître leurs  sentiments  sur  cette  difficile  question.  Pardulus 
parle  de  six  personnages  dont  ils  avaient  l'approbation  3.  Les 
premiers  d'entre  eux  étaient  Loup  et  Prudence.  Loup,  abbé  de 
Ferrières,  près  de  Sens,  avait  en  elîet  écrit  à  Hincmar  :  «  Après 
mûre  réflexion  voici,  je  crois,  la  vérité  :  d'après  saint  Augustin, 
la  prédestination  des  bons  est  une  prseparatio  gratise,  pour  les    mé- 


1.  Rhaban,  Ep.  IV  ad  Hincmar.,  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1519. 

2.  Rhaban,  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1522;  G.  Morin,  Un  traité  pélagien  inédit  au 
commencement  du  Ve  siècle,  dans  Revue  bénédictine,  1909,  t.  xxvi,  p.  163-188, 
cf.  même  revue,  1907,  t.  xxiv,  p.  267.  (H.    L.) 

3.  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  1052. 

CONCILES  —  IV  -   II 


162 


LIVRE     XXII 


chants,  la  prédestination  est  une  subtractio  gratise,  car,  par  un 
jugement  secret  quoique  équitable,  Dieu  ne  leur  accorde  pas  la 
grâce  et  les  endurcit,  c'est-à-dire  les  abandonne  à  leur  propre  du- 
reté. Il  ne  prédestine  pas  ceux  qu'il  endurcit  non  au  sens  de  les 
précipiter  de  force  dans  le  malheur,  mais  au  sens  de  ne  les  empê- 
cher pas  de  tomber  dans  les  fautes  dignes  du  supplice.  On  peut 
dire,  jusqu'à  un  certain  point,  que  certains  sont  induits  par  Dieu 
eu  tentation,  non  pas  qu'il  les  y  ait  lui-même  induits,  ce  qui 
est  contraire  au  passage  de  saint  Jacques  (r,  13),  mais  en  ce  qu'il 
laisse  tomber  dans  la  tentation  ceux  que  sa  grâce-n'empêche  pas 
d'y  succomber.  Du  reste,  la  prédestination  ne  détruit  pas  plus 
la  volonté  chez  les  justes  que  chez  les  autres.  Le  juste  reçoit  de 
Dieu  la  volonté  et  le  pouvoir  de  réaliser  cette  volonté,  cl  néan- 
moins il  agit  en  toute  liberté;  de  même,  celui  qui  est  abandonné 
de  Dieu  n'est  pas  nécessité  à  commettre  des  péchés,  mais  il  com- 
met de  plein  gré  les  fautes  pour  lesquelles  il  sera  éternellement 
châtié.  En  terminant  Loup  demande  à  Hincmar,  s'il  est  d'un 
autre  avis,  de  vouloir  bien  le  lui  dire  ;  il  fait  la  même  demande  à 
son  ami  Pardulus  L 

Loup  de  Ferrières  se  prononce  donc  contre  Hincmar,  et  en 
faveur  de  Gotescalc,  pour  une  double  prédestination,  sans  toute- 
fois laisser  percer  des  doctrines  prédestinatiennes  proprement 
dites.  Prudence,  évêque  de  Troyes,  embrassa  par  une  adhésion 
plus  motivée  l'opinion  de  Loup,  dans  une  réponse  adressée  à  la  [154] 
fois  à  Hincmar  et  à  Pardulus,  mais  qu'il  ne  leur  envoya  que 
plus  tard,  en  850,  après  avoir  obtenvi  l'approbation  d'un  con- 
cile. Maugin,  Baluze,  Mansi  et  d'autres  auteurs  admettent  que 
cette  approbation  lui  fut  donnée  dans  le  grand  concile  tenu  à 
Paris  dans  l'automne  de  849  2.  Ce  concile  adressa  une  lettre 
d'exhortation  très  énergique,  que  nous  possédons  encore,  à  Nomi- 
noé,  duc  de  Bretagne,  qui  remplissait  mal  ses  devoirs  de  vassal 
vis-à-vis  de  Charles  le  Chauve  et  avait  fait  sur  le  territoire  franc 
des  incursions  armées3.  Les  vingt-deux  archevêques  et  évêques 
présents    au    concile,  parmi   lesquels  Hincmar   et    Pardulus,  rap- 


1.  P.  L.,  t.  exix,  col.  606;  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  1er  part.,  p.  18,  où,  par  suite 
d'une  faute  d'impression,  on  assigne  à  cette  lettre    la  date  de  859  au  lieu  de  849. 

2.  C'est  ce  qui  résulte  de  sa  lettre  contra  Scolurn,  c.  xi.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n, 
p.  105  sq. 

.'!.  Fait  inexact.   Voir  Appendices.    (H.  L.) 


446.     CONCILE     DE    PARIS,      AUTOMNE    849  163 

pelèrent  au  duc  tous  les  maux  causés  par  sa  soif  de  pillage 
et  de  domination,  la  dévastation  d'un  grand  nombre  de  mai- 
sons de  chrétiens,  la  destruction  et  l'incendie  de  beaucoup  d'é- 
glises et  de  reliques  des  saints,  la  confiscation  de  tant  de  biens 
d'église  ;  enfin  le  grand  nombre  d'hommes  lues  ou  réduits  en 
esclavage,  les  rapines,  les  adultères,  le  viol  des  vierges.  Le  duc 
avait,  en  outre,  chassé  de  leurs  sièges  des  évêques  légitimes,  pour 
les  remplacer  par  des  mercenaires.  Ce  qui  était  plus  grave,  il 
avait  méprisé  le  vicaire  de  saint  Pierre,  à  qui  Dieu  a  donné  la 
primauté  sur  le  monde  entier.  Malgré  son  désir  d'être  en  relation 
avec  le  pape,  il  n'avait  pas  voulu  recevoir  sa  lettre,  de  peur 
qu'elle  ne  contint  quelque  reproche  à  son  endroit.  Les  évêques 
l'exhortaient  instamment  à  faire  pénitence  et  à  recevoir  la  lettre 
du  pape  qui  était,  pouvaient-ils  assurer  après  l'avoir  lue,  con- 
çue en  des  termes  entièrement  impartiaux  *.  Pour  comprendre 
ce  qui  précède,  il  faut  savoir  que.  dans  un  conciliabule  tenu  à 
Redon  en  Bretagne,  en  848,  le  duc  Nominoë  avait  déposé  les 
quatre  évêques  Sulsannus  de  Vannes,  Salaco  d'Aleth,  Félix  de 
Cornouailles  et  Libérât  de  Léon.  Institués  par  le  roi  Charles  le 
Chauve  à  qui  ils  étaient  restés  fidèles,  Nominoë  les  accusait  de 
simonie  et  les  menaçait  de  mort,  s'ils  n'avouaient  pas  ce  crime. 
Terrifiés,  ils  dirent  quelque  chose  qui  pouvait  être  interprété 
comme  un  aveu  et  se  réfugièrent  auprès  de  Charles  le  Chauve. 
Nominoë  les  remplaça  par  ses  favoris,  érigea  deux  autres  évê- 
chés  et  éleva  Dol  à  la  dignité  d'archevêché,  pour  affranchir  son 
duché  de  la  province  ecclésiastique  de  Tours  2. 

Deux  autres  documents,  provenant  de  ce  même  concile  de 
Paris  tenu  en  849,  concernent  les  donations  d'Hérimann,  évêque 
de  Nevers,  à  son  église.  Le  moine  Albéric  rapporte  encore  que 
ce  même  concile  de  Paris  décréta  l'abolition  des  chorévêques 
en  France  3.  Néanmoins  on  rencontre  encore  plus  tard  plusieurs 
chorévêques. 

Avant  la   découverte    du    Chronicon   Fontanellense,   on   croyait 
[1551  généralement 4  Qne    QOtre     concile    s'était     tenu    à   Tours,    parce 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  923;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  19. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  924,    942.  Voir  Appendices.    (II.  L.) 

:;.  Lalande,  Concilia  Gallise,  p.  330;  Labbe,  Concilia.  t.  vin,  col.  58-61.  1928- 
1931  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  1!);  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1057  ;  Mansi, 
Concilia,  Supplem.,  t.  i,  p.  921;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv.  col.  923.   (H.  L.) 


4.   Cf.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  849,  n.  14. 


164  LIVRE    XXII 

que  Lantran,  archevêque  de  Tours,  y  avait  tenu  la  première 
place.  Mais  cette  chronique  indique  jusqu'à  l'évidence  que 
l'assemblée  s'est  tenue  à  Paris.  Quant  à  la  présidence  de  Lan- 
tran, on  l'explique  parce  que  le  concile  eut  surtout  à  s'occuper 
des  affaires  de  la  Bretagne  qui  faisait  partie  de  la  province  ecclé- 
siastique de  Tours  1. 

Von  Norden  conteste  à  bon  droit  2  que  ce  concile  de  Paris  ait 
approuvé  formellement  l'écrit  de  Prudence  et  par  suite  condamné 
l'opinion  d'Hincmar.  S'il  en  eût  été  ainsi,  les  adversaires 
d'Hincmar  auraient  certainement  invoqué  contre  lui  ce  concile 
si  important,  ce  qu'en  réalité  ils  ne  firent  jamais.  Dans  l'écrit 
dont  il  est  question  ici,  Prudence  commence  par  protester  qu'il 
aurait  été  heureux  d'éclaircir  de  vive  voix  cette  question  avec 
les  savants  et  saints  personnages,  Hincmar  et  Pardulus,  mais 
il  en  a  été  empêché  et  a  dû  se  résigner  à  le  faire  par  écrit.  Il 
leur  demande  de  ne  pas  s'attaquer  à  la  doctrine  de  saint  Augus- 
tin, approuvée  par  tant  de  papes,  et  défendue  par  Fulgence, 
Prospcr,  de.  Alors  il  s'agissait  [dus  particulièrement  de  la  pré- 
destination des  élus  ;  maintenant  au  contraire,  la  question  porte 
sur  la  prédestination  des  maudits.  —  Prudence  expose  en- 
suite, dans  le  c.  ni,  la  doctrine  de  la  double  prédestination. 
«  Comme,  par  suite  de  la  désobéissance  de  nos  premiers  parents, 
toute  la  masse  du  genre  humain  se  trouve  condamnée,  Dieu  tout- 
puissant  a  fait  tout  à  la  fois  acte  de  prescience  et  de  prédesti- 
nation lorsque,  par  pure  miséricorde,  il  a  voulu  détacher  de 
cette  massa  perdita  ceux  qu'il  fait  arriver  au  moyen  de  la  grâce 
et  du  sang  du  Christ,  à  la  vie,  à  la  magnificence  et  au  royaume. 
Il  a  de  même  prévu  et  prédestiné  tous  ceux  que  la  grâce  et  le 
sans:  du  Christ  ne  détacheraient  pas  de  cette  massa  tniserabdis, 
et  ils  les  a  frappés  d'une  peine  éternelle.  Il  ne  les  a  pas  prédes- 
tinés, i.  e.  prœordinavit,  dans  ce  sens  qu'ils  seraient  obligés  de 
pécher,  mais  dans  ce  sens  qu'ils  seraient,  à  cause  de  leurs  péchés, 
soumis  à  une  peine  éternelle.  Il  ne  les  a  pas  prédestinés  à  la 
culpa,  mais  bien  à  la  pœna.  »  -  De  là.  Prudence  passe  à  la 
seconde  question,  connexe  avec  la  première  :  Le  sang  du  Christ 
a-t-il  été  versé  en  général  pour  tous  les  hommes,  ou  seulement 
pour    les    electi,    les    prsedestinati  ?   «   Le    Christ   lui-même,    dit-il, 

1.  Maugin,  loc.  cil.,  t.  n,  p.  101  sq.  Pagi,  Crilica,  ad  ami.  849,  1, 

2.  Op.  cit.,  p.  69. 


446.     CONCILE     DE    PARIS,     AUTOMNE     849  165 

paraît  indiquer  que  son  sang  n'a  été  versé  que  pour  les  élus,  car 
nous  lisons  ces  mots  dans  trois  évangélistes  :  Ceci  est  mon  sang, 
qui  sera  verse  pour  beaucoup.  Saint  Luc  porte  celle  variante:  qui 
sera  versé  pour  vous.  On  voit  donc  par  là  que  le  sang  du  Christ  n'a 
pas  été  versé  pour  tous  ;  on  lit,  il  est  vrai,  dans  Ire  à  Timo- 
15b]  thée,  ii,  4  :  qui  vuli  omnes  homines  salvos  fi.eri;  mais  le  mot 
omnes  doit  être  pris  ici  non  pas  gêner  aliter,  mais  specialiter.  Il 
désigne  non  tous  les  hommes,  mais,  d'après  saint  Augustin, 
ceux  dont  Dieu  veut  qu'ils  arrivent  au  bonheur  éternel,  ou  encore 
des  hommes  pris  dans  toutes  les  nations;  ou  enfin  la  phrase  signi- 
fie :  Dieu  fait  que  nous  voudrions  voir  tous  les  hommes  arri- 
ver au  bonheur  éternel.  Celui  qui  interpréterait  le  mot  omnes 
dans  un  sens  tout  à  fait  général,  nierait  la  toute-puissance  divine; 
car  tous  les  hommes  devraient  devenir  bienheureux,  si  Dieu  le 
désirait  réellement.  Prudence  cherche  ensuite  (c.  iv,)  à  démon- 
trer, par  des  passages  de  la  Bible,  sa  troisième  proposition  :  Dieu 
ne  veut  pas  que  tous  les  hommes  deviennent  heureux,  et  ne  donne 
pas  sa  grâce  à  tous  ;  ensuite  (c.  v  à  xn),  il  cite  des  passages  des 
Pères  pour  appuyer  la  doctrine  de  la  double  prédestination. 
Enfin,  dans  le  treizième  et  dernier  chapitre,  il  réunit  encore  plu- 
sieurs passages  des  Pères  sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre  pour 
montrer  qu'à  la  suite  du  péché,  la  liberté  humaine  était  devenue 
nulle  pour  le  bien,  mais  que  la  grâce  du  Christ  l'avait  ressuscitée 
et  relevée.  —  La  dernière  partie,  que  l'on  a  prétendue  extraite  de 
Gennade,  mais  qui  est  en  réalité  la  conclusion  de  Prudence, 
décrit  la  marche  de  la  justification  :  Il  est  vrai  que.  malgré  la 
chute  originelle,  le  libre  arbitre  est  resté  à  l'homme  pour  faire  son 
salut  ;  mais  pour  que  ce  libre  arbitre  parvienne  effectivement  à 
pratiquer  le  bien,  il  doil  être  d'abord  excité  par  Dieu  au  moyen 
d'une  inspiration  divine  et  invité  au  salut.  Initium  ergo  salutis  nos- 
trse  Deo  miserante  habemus;  ut  acquiescamus  salutiferse  inspirationi, 
nostrse  potestatis  est  ;  ut  adipiscamur  quod  acquiescendo  admoni- 
lioni  cupimus,  divini  est  muneris  ;  ut  non  labamur  in  adepto  salutis 
munere,  sollicitudinis  nostrœ  et  cselestis  pariter  adjutorii  ;  ut  laba- 
mur, potestatis  nostrœ  est  et  ignavise  1.  Ce  beau  passage  prouve, 
incontestablement,   que   Prudence,   pas  plus   que  saint  Augustin., 


1.  P.  L.,  t.  c.xv.  cpl.  971-1010.  Maugin  n'a  inséré  qu'une  partie  de  cet  écrit 
t.  ii,  p.  107. 


166  LIVRE    XXII 

n'entendait  ces  expressions  liberum  arbitrium  periit,  etc.,  au  sens 
destréformateurs  protestants. 


447.  Autres  écrits  de  Loup  et  de  Ratramn  sur  la  même  question 1 

Après  le  concile  de  Paris,  en  décembre  849,  Loup  de  Ferrières 
séjourna  à  Bourges,  à  la  cour  de  Charles  le  Chauve,  et  exposa 
à  ce  prince  sa  manière  de  voir  sur  la  prédestination,  le  libre  [157] 
arbitre  et  la  rédemption  par  le  sans;  du  Christ.  Il  appuya  ses 
doctrines  de  passages  tirés  de  la  Bible  et  des  Pères.  Comme 
certains  (Hincmar  et  ses  amis)  l'accusaient  de  ne  pas  penser  à 
l'égard  de  Dieu  pie  et  fideliter,  il  crut  bon  d'exposer  brièvement 
son  opinion  sur  ces  trois  points,  dans  une  lettre  au  roi  :«  Dieu, 
dit-il,  a  créé  Adam  en  état  de  justice,  et  avec  lui  il  nous  a  nous- 
mêmes  tous  créés  dans  cet  état.  Mais  Adam  a,  sans  aucune 
contrainte,  abandonné  la  rectitude  naturelle  et  péché  si  gra- 
vement qu'il  s'est  précipité  dans  sa  ruine,  entraînant  avec  lui 
tous  ses  descendants.  Notre  culpabilité  ne  mérite  donc  que  la 
punition,  et  Dieu,  pour  qui  l'avenir  est  présent,  a  vu  que  toute 
la  masse  du  genre  humain  serait  corrompue  en  Adam  par  le 
péché.  Néanmoins,  il  n'a  pas  voulu  retirer  au  genre  humain  sa 
bienveillance,  bene  usurus  etiam  malis  ;  avant  même  la  création 
du  monde,  il  a  choisi  dans  cette  masse  ceux  qu'il  voulait,  par 
sa  grâce,  délivrer  de  la  peine  qu'ils  avaient  méritée.  Quant  aux 
autres,  c'est-à-dire  ceux  auxquels  il  n'a  pas  accordé  cette  grâce. 
il  les  a  abandonnés  au  juste  jugement  mérité  parle  péché.  On 
peut  donc  dire  de  ceux  qui  ne  sont  pas  atteints  par  la  grâce  de 
Dieu,  que  Dieu  les  endurcit,  indurat  eos  ;  ils  sont  appelés  par 
saint  Augustin  prsedestinati  ad  pœnam,  non  dans  ce  sens  qu'ils 
soient  forcés  de  se  perdre,  mais  dans  ce  sens  que  leur  abandon  par 
Dieu  ne  saurait  être  commué.»  Loup  dit  au  sujet  du  second  point  : 
«  Le  libre  arbitre  pour  le  bien  a  été  perdu;  l'homme  avait  le  pou- 

1.  Sur  l'activité  épistolaire  et  la  chronologie  du  recueil  de  Loup  de  Fer- 
rières, cf.  G.  Desdevises  du  Dezert,  Lettres  de  Serval  Loup,  abbé  de  Ferrières. 
Texte,  notes  et  introduction,  in-8,  Paris,  1888  ;  L.  Levillain,  Étude  sur  les  lettres 
de  Loup  de  Ferrières,  dans  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes,  1901,  t.  lxii, 
p.  445  sq.  ;  1902,   t.  lxiii,  p.  69  sq.,  289  sq.,   536  sq.    (H.   L.) 


447.  AUTRES  ECRITS  DE  LOUP  ET  DE  RATRAMN 


167 


voir  de  le  perdre,  mais  il  n'avait  pas  celui  de  le  recouvrer.  Il  se 
trouverait  donc  sans  aucun  libre  arbitre  pour  le  bien,  si  celui- 
ci  n'avait  pas  été  affranchi  par  la  grâce  divine  (dU'ina  gratia 
liberatum).  Dieu  seul  a  relevé  cette  volonté  pour  le  bien.  La  grâce 
divine  nous  arrive  d'abord,  pour  nous  faire  vouloir  et  commencer 
le  bien,  puis  elle  nous  accompagne  (subsequitur),  afin  que  nous 
ne  voulions  pas  en  vain  et  que  nous  coopérions  avec  elle.  Tou- 
tes les  bonnes  actions  sont  princip aliter  l'œuvre  de  Dieu,  elles 
ne  sont  la  nôtre  que  consequenter,  quia  voluntate  a  nobis  fiunt.  » 
Loup  a  tort  de  ne  pas  mentionnner  ici  cette  distinction  si  claire, 
savoir  si  le  libre  arbitre  a  été  perdu  simplement  actu  ou  poten- 
tia.  Mais  l'expression  liberatum  montre  que  Loup  est  dans  le  vrai, 
c'est-à-dire  que  d'après  lui  le  libre  arbitre  n'est  pas  anéanti,  mais 
simplement  prisonnier,  il  est  devenu  latent  actu  et  il  a  besoin 
d'être  délivré.  Loup  reconnaît  aussi  la  nécessité  de  notre  coopéra- 
tion. Enfin  à  cette  troisième  question  :  Si  le  sang  du  Christ  a  coulé 
pjro-|pour  tous?  l'abbé  de  Ferrières  répond  en  ces  termes:  «  Le 
Christ  dit  lui-même  pro  multis,  et  saint  Jérôme  explique  ces 
mots  :  pro  his  qui  credere  voluerint.  Par  conséquent  il  entend 
dans  ce  pro  multis  les  fidèles  en  général,  aussi  bien  ceux  qui 
restent  fidèles  à  la  grâce  que  ceux  qui  la  perdent  par  le  péché. 
Saint  Augustin  est  du  même  sentiment;  saint  Jean  Chrysostome 
croit  au  contraire,  mais  il  est  dans  l'erreur,  que  le  Christ  est 
mort  pro  unis'erso  mundo.Si  quelqu'un  montre  au  roi  les  œuvres 
de  Fauste  de  Riez,  qui  professe  une  autre  doctrine  que  saint 
Augustin,  le  roi  pourra  se  souvenir  que  le  pape  Gélase  et  son 
concile   ont  condamné  les  écrits  de  cet  homme  1. 

Au  début  de  cette  lettre  Loup  parlant  au  passé  de  son  séjour 
à  Bourges,  on  en  peut  conclure  que  la  lettre  a  été  écrite  en  850. 
Or,  à  cette  date,  l'abbé  de  Ferrières  traitait  ces  mêmes  questions 
dogmatiques  avec  beaucoup  plus  de  détails  dans  son  Liber  de 
tribus   qusestionibus  2.    Ne   suivant   plus   l'ordre    observé    dans  sa 

1.  Loup,  Epist.,  cxxviii,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  601  sq.  ;  Maugin,  loc.  cit.,  t.  i, 
part.  2,  p.  37;  t.  n,  p.  110.  [Sur  cette  lettre,  cf.  L.  Levillain,  dans  la  Bibliothè- 
que de  l'Ecole  des  chartes,  1902,  t.  lxiii,  p.  553-556.  (H.   L.)] 

2.  Loup,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  619  sq.  ;  mieux  dans  Maugin,  op.  cit.,  t.  i, 
part.  2,  p.  9  sq.  Seulement  Maugin  est  dans  le  faux  lorsqu'il  attribue  cet  ou- 
vrage, non  pas  à  Loup,  abbé  de  Ferrières,  mais  à  un  prêtre  qui  vivait  à  cette 
même  époque  à  Mayence  ;  il  pense  que  Loup  a  simplement  composé  la  lettre 
Ad    Carolum    regem    et  le    Collectaneum  dont    nous  parlerons  'plus  tard,   t.    i, 


168  LIVRE     XXII 

lettre  au  roi,  Loup  s'occupe  d'abord  du  libre  arbitre,   et  y   cou- 
sacre  la  moitié  de  son  mémoire.  Il  y  revieul    encore  en    traitant  la 
question  de  la  prédestination.  La  division  entre  les    deux    parties 
est  si  peu  tranchée,  que  Maugin  a  pu  faire  commencer  la  seconde 
partie  aux  mots:  Hsecautem  gratiam,    tandis     qu'en    réalité    elle 
commence    plus    haut  :    llœc   plane    ut   supra  relatum  est.  Dans  la 
première   division,   Loup    expose  longuement   que,    par   suite  du 
péché,  le  libre  arbitre  pour  le  bien    a    été   perdu  (de  fait)  ;    avec- 
saint  Augustin  (dans  le  troisième  ou  le  quatrième    livre    de    l'o- 
peris  imperfecti),  maintenant  perdu,  il  dit  que  le  libre  arbitre,  né 
avec  nous  et  que   nous   ne   saurions   perdre,    consiste    en    ce    que 
beati  esse  volunt  etiam  hi  qui  ea  nolunt   quse   ad   beatitudinem    du- 
cunt.    Loup   répète   ici  :    Le   libre    arbitre    pour  le  bien    doit    être 
affranchi  par  la  grâce  de  Dieu  ;  ici  doue,  comme   dans   la    lettre 
au  roi   Charles,   il  comprend    cette  non-existence  du  libre  arbitre 
après  la  chute  originelle  comme  un  emprisonnement,  un    état  la- 
tent, mais    non    comme    un    anéantissement    proprement   dit.    Il 
croit,  à  l'encontre  du  semi-pélagianisme,  qu'aucun   bien,   si   petit 
qu'il  soit,  ne  procède  de  nous-mêmes,  mais  vient    de    Dieu,    que  [159] 
de    lui    proviennent    les    cogitaliones     bonne,     initium     fidei    et   la 
perfectio  fidei.  Il  croit  également  que  la  perseverantia  est  un  don, 
une  grâce  de  Dieu.    Tout    bien    est    donc    principaliter    un    don 
de    Dieu,     mais    consequenter    c'est    aussi   une   action   de   l'hom- 
me. Idemque  opus  et  Dei  est,    qui   operatur    in    nobis,    et    nostrum 
est,  quia  voluntate  facimus  quod  prœceptum  est  nobis.    Loup    for- 
mule   aussi    cette  proposition   remarquable,  pleinement  conforme 
au    c.    19   du     concile    d'Orange    de   529  :    «  Adam     a    eu    besoin 
(même  avant  sa  chute)  du  secours  divin  pour  avoir  la  volonté   de 
faire  le  bien.))  -  -  En  tête  de  la  seconde  partie,  De  prsedestinatione,  . 
Loup  pose    ce    principe  :    tandis    que    Ions    les    hommes    avaient 
mérité    la     mort,    la  ^miséricorde    de     Dieu    en    sauve    quelques- 
uns,    pendant    que    les     autres,    occulto    Dei     judicio    quamquam 
rectissimo,  sonl    abandonnés    à    la    damnation    méritée.    Quant  à 
la    question     de    savoir    pourquoi     Dieu     sauve    les     uns    et     non 
les    autres,     elle     est    supra    hominem.    Ensuite    Loup   explique 
l'expression    :     «   Dieu    endurcit    »    (dont    nous    avons    parlé    au 

part.  2,  p.  10  ;  t.  n,  p.  114.  Le  P.  Sirmond  a  bien  jugé  cette  question  [P.  L., 
t.  exix,  col.  619  not.)  ainsi  que  l'auteur  de  V Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  v, 
p.  262  sq. 


447.     AUTRES    ÉCRITS    DE     LOUP     ET    DE    RATRAMN  169 

début  du  présent  paragraphe),  puis  il  interprète  exactement 
tomme  Prudence,  le  passage  de  l'apôtre  saint  Paul  :  qui 
vull  omîtes  homines  salvos  fieri  :  il  rejette  la  doctrine  d'une 
seule  prédestination  propter  prsevisa  mérita,  enseigne  la  gemi- 
na  prœdestinatio,  en  disant  :  (Deus)  operatur  in  mentibus  pio- 
rum,  adjuvando  al  saluiaria  velint  et  in  eis  proficiant  ;  ope- 
ratur (  !)  in  mentibus  impiorum,  deserendo,  ne  nisi  noxia  velint 
et  in  pejora  labantur.  11  réfute  ensuite  l'opinion  qui  voit  en 
Dieu  l'auteur  de  la  mauvaise  volonté  des  perditi,  puis  il  établit 
cette  distinction  fort  juste  :  que  Dieu  prédestine  ce  qu'il  fait 
lui-même  ;  mais  quant  aux  péchés  des  hommes,  il  ne  les  prédestine 
pas,  il  les  prévoit  seulement,  en  sorte  que  la  prœscientia  est  le 
plus  souvent  sine  prsedestinatione.  Du  reste,  le  nombre  des  élus 
es1  fixé,  on  n'y  peut  ajouter  ni  en  retrancher  personne.  Loup 
n'ignore  pas  que  certains  illustres  évêques  ont  élevé  des  objec- 
tions contre  la  prœdestinatio  ad  mortem,  sous  prétexte  que,  si  on 
l'admettait,  on  devait  aussi  admettre  que  Dieu  avait  condamné, 
de  par  son  bon  plaisir,  une  partie  des  hommes  au  châtiment,  et 
parce  qu'il  serait  injuste  de  condamner  ceux  qui  n'avaient  pas 
le  pouvoir  d'éviter  la  faute  et  par  conséquent  la  punition.  Il 
répond  :  «  Tous  ont  péché  volontairement  en  Adam,  et  Dieu 
[1G0]  n'a  pas  forcé  l'homme  à  tomber  ;  il  l'a  seulement  laissé  tomber  ; 
il  prévoyait  la  chute  (prsescU'it)  et,  dès  l'origine,  il  a  déterminé 
et  prédestiné  la  conséquence  de  cette  chute.  »  C'est  se  faire 
grandement  illusion,  continue-t-il,  de  dire  :  «  Si  je  suis  prédes- 
tiné ad  mortem.,  je  veux  du  moins  jouir  de  cette  vie.»  Dieu  veuille, 
ajoute-t-il,  que  jamais  un  chrétien  n'ait  cette  croyance  insensée, 
qu'il  appartient  au  nombre  des  maudits  et  qu'il  ne  peut  se  sépa- 
rer des  méchants  et  devenir  bienheureux!  Ceux-là  ne  peuvent 
pas  penser  ainsi  qui  se  souviennent  d'avoir  été  rachetés  par  le 
précieux  sang  du  Christ,  et  savent  que  la  pénitence  peut  leur 
ouvrir  l'entrée  d'une  éternité  bienheureuse.  David,  Pierre  et  le 
bon  larron  sont  des  exemples  de  ces  retours.  Quand  même 
quelqu'un  saurait  qu'il  sera  damné,  il  devrait  cependant  s'appli- 
quer aux  bonnes  œuvres  pour  diminuer  son  châtiment  (  !).  Ces 
illustres  évêques  (lamina)  ne  doivent  pas  rougir  de  changer  de 
sentiment,  car  le  déshonneur  ne  consiste  pas  à  tomber  dans  l'erreur, 
mais  à  s'y  obstiner.  —  La  troisième  partie,  très  courte,  cherche  à 
prouver  que  l'expression  omnes  dans  I  Timoth.,  tt.  A,  ne  désigne 
pas  seulement   les  Juifs,   mais  des  personnes  prises  dans  tous  les 


170  LIVRE    XXII 

peuples  et  qui  seront  sauvées  par  le  sang  de  Jésus-Christ.  Saint 
Jean  Chrysostome  seul  a  pris  omnes  au  sens  de  toute  l'humanité, 

Dans  son  troisième  écrit,  Collectaneum  de  tribus  qusestionibus. 
Loup  a  réuni  les  passages  des  Pères  sur  lesquels  il  appuyait  son 
sentiment  1. 

Le  savant  moine  Ratramn  de  Corbie  avait  reçu  de  Charles  le 
Chauve  une  demande  semblable  à  celle  adressée  à  l'abbé  Loup, 
et  nous  possédons  encore  les  deux  livres  De  prsedestinatione,  datés 
de  850,  par  lesquels  il  exposait  au  roi  sa  manière  de  voir  2.  Les 
principaux  passages  du  premier  livre  nous  disent  que  :  «  de  toute 
éternité  Dieu  prévoit  et  dispose  toutes  choses  [dispensât  et  disponit), 
par  conséquent  même  les  pensées  des  hommes.  Toutefois  dans 
les  bonnes  pensées  il  est  à  la  fois  auctor  et  ordinator,  tandis  que 
pour  les  mauvaises  il  est  simplement  ordinator.  Ces  dernières 
ne  sont  pas  de  lui,  mais  elles  servent  sa  volonté.  Ayant  tout  prévu 
de  toute  éternité,  il  a  aussi  disposé  toutes  choses  de  toute  éternité. 
Dans  cette  disposition  éternelle,  il  n'a  pas  oublié  la  fin  des  élus 
et  la  fin  des  maudits,  qu'il  a  réglée  par  un  décret  immuable. 
Cette  dispositio  sempiterni  consilii  est  la  prsedestinatio  operum 
Dei,  par  laquelle  il  dispose  les  élus  pour  le  règne  de  Dieu  (ad 
regnum  disponit)  et  les  réprouvés  au  châtiment  (reprobi  ad  psenas).  » 
Vient  ensuite  une  preuve  tirée  de  saint  Augustin  3  montrant  [ltilj 
que  Dieu  dirige  même  les  pensées  mauvaises  des  hommes  dans 
le  sens  où  il  veut  et  les  fait  encore  servir  à  sa  volonté.  C'est  ainsi 
que  la  trahison  de  Judas  a  servi  à  procurer  la  mort  du  Rédemp- 
teur. L'auteur  donne  quelques  autres  exemples  tirés  de  la  Bible 
prouvant  que  Dieu  met  à  profit  même  les  mauvaises  pensées  des 
hommes  et  agit  dans  leurs  cœurs.  Il  dirige  les  hommes  vers  le 
bien  et  vers  le  mal  ;  mais  cette  direction  vers  le  mal  n'est 
autre  chose  que  le  résultat  d'une  malice  existant  déjà  chez 
celui  qui  est  ainsi  dirigé  (manifestatur  operari  Deum  in  cordibus 
hominum  ad  inclinandas  eorum  voluntates,  quocumque  voluerit, 
sive  ad  bona  pro  sua  misericordia,  sive  ad  mala  pro  meritis  eorum, 
judicio  utique  suo  aliquando  aperto,  aliquando  occulto,  semper  ta- 
men  justo).  Il  endurcit  les  cœurs,  mais  seulement  après  qu'on  a 
mérité     cet     endurcissement.    —    Viennent     alors     des     passages 

1.  P.  L.,  t.   cxix,   col.  647  sq.  ;  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  part.  2,  p.  41  sq. 

2.  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  14  sq.  ;  mieux  dans  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  part.  1.  p.  29; 
t.  ii,  p.  133. 

3.  De  gratia  et  libero  arbitrio,  c   xx,  P.  L.,  t.  xlv,  col.  905  8q. 


447.     AUTRES     ÉCRITS    DE     LOUP     ET    DE     RATRAMN  171 

de  saint  Grégoire  le  Grand,  de  Prosper  et  de  Salvien,  qui  traitent 
de  cette  disposition  divine  et  font  voir  que  Dieu  utilise,  pour  réa- 
liser ses  plans,  même  les  mauvaises  pensées  et  les  mauvaises  ac- 
tions des  hommes,  même  le  mal  que  fait  Satan,  car  Dieu  a  tout 
déterminé  par  avance  d'une  manière  immuable.  Ainsi,  saint 
Grégoire  le  Grand  dit  :  «  Les  pieux  obtiennent  par  la  prière  ce 
à  quoi  Dieu  avait  décidé  par  avance  qu'ils  parviendraient  au 
moyen  de  la  prière.  »  —  Dans  la  deuxième  division  du  premier 
livre,  Ratramn  parle  de  la  double  prédestination,  et  prouve,  par 
dos  passages  de  saint  Augustin,  que  la  foi  et  les  œuvres  sont  de 
pures  grâces  de  Dieu,  qu'aucun  prédestiné  ne  se  perd,  que  tous 
avaient  mérité  la  damnation,  que  ceux  qui  n'arrivent  pas  au  bon- 
heur sont  laissés  dans  la  massa  perdîtionis  ;  que  les  autres,  au 
contraire,  sont  distraits  de  cette  masse  sans  qu'ils  aient  mérité 
d'en  être  séparés.  De  plus,  Dieu  choisit  certaines  personnes 
ad  tempus,  Judas,  par  exemple,  et  ne  leur  accorde  pas  le 
donum  perseverantise  ;  le  nombre  des  prédestinés  est  fixé, 
on  ignore  pourquoi  Dieu  donne  la  grâce  aux  uns  et  ne 
la  donne  pas  aux  autres,  pourquoi  il  laisse  mourir  les  uns  en 
état  de  grâce  et  non  les  autres  ;  enfin  le  Christ  est  le  plus  splen- 
dide  modèle  prsedestinationis  sanctorum  1. 

En  tête  du  second  livre,  également  adressé  au  roi  Charles, 
Ratramn  donne,  d'après  saint  Augustin  et  Fulgence,  la  défini- 
tion de  la  prédestination  :  elle  est  futurorum  operum  Dei  seterna 
prseparatio.  Il  prouve,  par  un  grand  nombre  de  passages  des  Pères, 
qu'il  y  a  une  double  prédestination,  l'une  des  élus,  l'autre  des 
réprouvés.  Dieu  prédestine  les  élus  à  leurs  bonnes  œuvres  et  à  ht 
récompense  qui  en  est  le  résultat  ;  les  réprouvés,  au  contraire, 
sont,  parce  que  Dieu  a  prévu  qu'ils  s'obstineraient  dans  le  péché. 
[1<)2]  prédestinés  ad  psenam,  mais  non  ad  peccatum,  car  ce  n'est 
pas  le  peccatum.  c'est  la  redditio  psense  qui  provient  de  Dieu. 
Dieu  ne  prédestine  qu'à  ce  qu'il  fait  lui-même,  il  ne  saurait 
donc  prédestiner  au  mal,  mais  simplement  à  la  peine  résultan  I 
du  mal.  Lorsque  saim  Augustin  se  sert  de  l'expression:  les  mé- 
chants sont  prédestinés  ad  interitum,  il  entend  par  intentas,  non 
pas  le  peccatum.  mais  la  peccati  vindictam.  Quelques  personnes 
acceptent  l'expression  :  «  la  peine  est  prédestinée  aux  méchants,  » 
mais    rejettent    cette    autre  :    «  les    méchants    sont   prédestinés    îi 

1.  Tiré  de  saint  Augustin,  De  prœdestinalione  sanctorum,  c.  xv. 


172 


LIVRE     XXII 


la  peine  ;  »  en  cela  ils  sont  en  contradiction  avec  ce  passage  de 
l'apôtre  saint  Paul:  ç>asa  irse  aptata  in  interitum  (Rom.,  ix,  22), 
et  avec  saint  Fulgence.  Vainement  objectent-ils,  la  prsedesti- 
natio  ad  mortem  porte  atteinte  à  la  liberté  de  l'homme  et  à  la 
justice  de  Dieu  :  car  a)  la  prescience  divine  ne  force  personne 
;'i  pécher,  mais  Dieu  sait  de  toute  éternité  les  péchés  que  chacun 
commettra  en  toute  liberté  ;  b)  la  prédestination  n'oblige  pas 
les  hommes  à  se  perdre,  car  nul  n'est  damné  parce  qu'il  est 
prédestiné  à  la  damnation,  mais  parce  que  Dieu  a  vu  qu'il 
persévérerait  librement  dans  le  péché.  —  Un  très  beau  passage 
de  saint  Isidore1  {Différent.,  lib.  II,  dist.  XXVII,  xi,  2)  donne  à 
l'auteur  l'occasion  de  revenir  sur  la  doctrine  de  la  double  pré- 
destination, de  même  que  sur  la  liberté  et  la  grâce.  Il  insiste 
beaucoup  sur  les  mots  nullis  prsevisis  meritis,  et  reprend  l'en- 
seignement déjà  énoncé  :  Dieu  retire  certaines  personnes  de  la 
massa  perditionis  pour  montrer  sa  miséricorde  tandis  qu'il  aban- 
donne les  autres  à  un  juste  jugement  ;  celles-ci  ne  peuvent  se 
plaindre,  parce  qu'il  ne  leur  attribue  que  ce  qu'elles  ont  mé- 
rité ;  la  prédestination  est  éternelle,  immuable,  et  la  raison 
pour  laquelle  les  uns  sont  sauvés  et  les  autres  abandonnés  à 
leur  ruine,  n'est  autre  que  le  propositum  prsedestinantis  Dei.  — 
Jusqu'ici  Ratramn  avait  développé  ses  sentiments  plutôt  d'une 
manière  analytique  et  en  s'appuyant  sur  des  passages  des 
Pères  ;  clans  la  dernière  partie  du  deuxième  livre  il  procède  d'une 
manière  plus  synthétique  et  vise  surtout  les  opinions  de  ses 
adversaires.  Aussi  s'applique-t-il  à  mettre  en  relief  l'idée  prin- 
cipale de  Gotescalc  dans  sa  profession  de  foi  détaillée,  que  la 
prsedestinatio  adpsenam  est  un  acte  bon  parce  qu'il  provient  de  la 
justice  divine  en  sorte  que  le  principe  d'une  prsedestinatio  in 
bonis  n'est  pas  en  opposition  avec  celui  d'une  double  prédesti-  [163] 
nation.  L'auteur  prouve  ensuite  que  la  prsedestinatio  ad  pgenam 
n'est  pas  une  prsedestinatio  ad  peccatum,  bien  qu'on  ne  puisse 
dire  :  Dieu  ne  fixe  la  peine  qu'après  la  faute  de  l'homme, 
parce   qu'on   introduirait  ainsi   en  Dieu  un  principe  de  mutabilité. 

1.  EtymoL,  lib.   II,  dist.  XXVII,  c.  n,    n.    2. 


448.      RHABAN     POUR     HINCMAR  173 


448.  Rhaban  prend  parti  pour  Hincmar. 

Charles  le  Chauve  fit  remettre  à  Hincmar  les  écrits  de  Prudence 
et  de  Ratramn,  peut-être  aussi  celui  de  Loup  1  ;  aussitôt  (avant 
Pâques  de  l'année  850),  l'archevêque  de  Reims  sollicita  l'appui 
de  Rhaban,  archevêque  de  Mayence,  dans  les  nouvelles  contro- 
verses. La  lettre  d' Hincmar  est  perdue2;  mais  nous  possédons  la 
réponse  de  Rhaban.  Elle  nous  apprend  que  le  messager  d' Hinc- 
mar était  arrivé  chez  Rhaban  en  mars  850,  et  lui  avait  remis, 
avec  une  lettre,  l'opuscule  d' Hincmar  ad  reclusos  et  simplices,  et 
les  scripta  aliorum  qui  avaient  pris  parti  pour  Gotescalc,  en  par- 
ticulier ceux  de  Prudence  de  Troyes  et  de  Ratramn  de  Corbie. 
Rhaban  s'accorde  avec  Prudence,  pour  admettre  que  Dieu 
n'oblige  personne  à  pécher  ;  mais  lorsque  l'évêque  de  Troyes 
dit  :«  De  même  que  (sicut)  Dieu  conduit  les  élus  à  la  vie  éternelle, 
de  même  (ita)  il  force  les  pécheurs  à  se  perdre,  »  l'archevêque 
déclare  n'avoir  pas  trouvé  cela  ainsi  exposé  (mixtim  positum) 
dans  la  sainte  Écriture.  Aussi,  les  traditions  (les  témoignages 
des  Pères)  invoquées  par  Prudence  ne  le  tranquillisent  pas. 
Rhaban  attribue  ici  à  Prudence  une  phrase  qui  n'existe  pas  tex- 
tuellement dans  son  écrit,  mais  qui  se  trouve  à  peu  de  chose 
près  dans  Gotescalc  ;  entre  les  deux  prédestinations,  l'assimila- 
tion étroite  exprimée  par  les  mots  sicut  et  ita,  est  de  Gotescalc, 
non  de  Prudence.  —  Rhaban  regrette  de  ne  pouvoir,  à  cause  de 
l'âge  et  de  la  maladie,  réfuter  en  détailles  opinions  de  Prudence  et 
opposer  d'autres  textes  à  ceux  qu'il  a  réunis.  Il  a  d'ailleurs  ex- 
posé sa  manière  de  voir  et  ses  preuves,  scripturaires  et  patristi- 
ques,  dans  ses  livres  à  Noting  et  au  comte  Eberhard.  Comme, 
selon  la  remarque  d' Hincmar,  Gotescalc  a  altéré  ces  livres, 
Rhaban  en  envoie  une  copie  authentique.  Il  ne  veut  y  ajouter  que 
peu  de  chose.  La  sainte  Ecriture  ne  parle  d'une  prédestination  que 
pour  le  bien,  il  ne  se  souvient  pas  d'en  avoir  trouvé  une  pour  le 
mal.  Viennent  alors  des  passages  de  la  Bible  établissant  la  prse- 
[164]  destinatio  ad  vitam,  et  démontrant  que  Dieu  n'est  pas  auctor  mali. 

1.  Hincmar,  De  prsedest.,  c.  v,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  90. 

2.  C'est  la  troisième  lettre  à  Rhaban  mentionnée  par  Flodoard,  op.  cit.,  1.  TFT, 

C.   XXI. 


174  LIVRE     XXII 

Le  moine  de  Gorbie,  poursuit  Rhaban,  avait  eu  tort  de  blâmer 
Hincmar  de  ce  qu'il  avait  regardé  ces  paroles  de  Fulgence,  prse- 
paravit  Deus  malos  ad  supplicia,  comme  identiques  à  prœpa- 
rari  permisit,  et  l'expression  de  la  Bible  :  Deum  indurasse  cor 
Pharaonis,  comme  signifiant  indurari  permisit.  Hincmar  avait 
pleinement  raison,  car  Dieu  n'endurcit  pas  lui-même  le  cœur  de 
personne,  il  le  laisse  simplement  s'endurcir,  sauf  à  punir  en- 
suite le  coupable.  Le  véritable  auteur  de  cet  endurcissement 
est  la  malice  de  l'homme,  ou  la  ruse  de  Satan.  Obdurare  est  ici 
synonyme  de  relinquere.  Du  reste  l'homme  n'a  pas  à  scruter  les 
jugements  et  les  secrets  de  Dieu,  il  doit  les  vénérer  et  croire  fer- 
mement que  Dieu,  qui  veut  le  salut  de  tous  les  hommes,  n'a- 
bandonne aucun  de  ceux  qui  espèrent  en  lui.  Rhaban  s'était 
contenté  de  signaler  ces  courts  passages  de  la  sainte  Ecriture 
et  des  Pères,  auxquels  Hincmar  pouvait  en  ajouter  lui-même 
beaucoup  d'autres,  car  il  était  personnellement  très  savant  et 
jouissait  d'une  bonne  santé.  Il  l'exhortait  instamment,  à  ne  plus 
souffrir  entre  les  chrétiens  de  pareilles  et  honteuses  discussions, 
et  à  ne  plus  laisser  Gotescalc  nuire  par  ses  écrits  et  ses  dis- 
cours. Il  était  surpris  qu' Hincmar,  ordinairement  si  prudent,  eût 
autorisé  ce  dangereux  Gotescalc  à  répandre  des  écrits,  dont  le 
venin  avait  infecté  tant  de  personnes  en  divers  lieux.  C'était 
agir  contre  les  conseils  de  saint  Paul  {Tit.  m,  10).  On  ne  devait 
permettre  à  Gotescalc  aucune  discussion,  mais  on  devait  prier 
pour  lui,  afin  que  Dieu  lui  accordât  un  cœur  guérissable.  Rhaban 
ne  pouvait  approuver  qu'on  lui  eût  permis  de  recevoir  la  commu- 
nion, même  avant  sa  conversion  1.  Il  partageait  pleinement  les 
sentiments  d' Hincmar,  dans  son  écrit  ad  reclusos,  mais  il  regar- 
dait comme  superflu  d'écrire  contre  Gotescalc,  chez  qui  il  n'y 
axait  que  de  l'orgueil.  Ce  qui  trahissait  cet  orgueil,  c'est  qu'il 
avail  <i dressé  cette  grande  profession  de  foi  à  Dieu  et  non  aux 
hommes,  comme  s'il  estimait  indigne  de  lui  de  leur  adresser  la 
parole.  Enfin  Rhaban  blâme  la  demande  formulée  par  Gotescalc 
de  soumettre  la  question  au  jugement  de  Dieu  ;  il  souhaite 
qu'Hincmar  soit  satisfait  de  ce  traité  écrit  licetrustico  stylo,  tamen 
devoto  animo  2. 


1.  Voir  Von  Norden,  Hinkmar,  p.  73. 

2.  Rhaban,  P.  L.,  t.  cxn,  col.  1518.  Cf.  Maugin,  op.   cit.,  t.    n,   p.   100,   109, 
112;  Knnstmann,  Rhaban  Maur,  p.  138  sq. 


449.     SCOTT     ÉRIGÈNE     CONTRE     GOTESCALC  175 


K35]  449.  Jean  Scot  Érigène  se  prononce  contre  Gotescalc, 

et  Prudence  contre  Scot  Érigène. 

Nous  apprenons,  par  la  lettre  de  Pardulus  à  l'Église  de    Lyon, 
et  par  la  réponse  de  Rémi,  archevêque  de  Lyon,  qu'Hincmar  et 
Pardulus   ayant   demandé   conseil   à   divers   savants,   en    avaient 
reçu  six  réponses  K  Rémi  trouve  inconvenant  qu'on  ait   consulté 
un   fantasque   tel   qu'Amalaire,   un   théologien   ignorant    tel   que 
Scot,  et  qu'on  l'ait   forcé    à    donner   réponse.    Aucun    écrit   d'A- 
malaire   sur   la    prédestination   n'est   arrivé   jusqu'à   nous  ;    mais 
nous  avons  de  Scot  Erigène  un  livre  assez  considérable  De  prsedes- 
tinatione,  daté   de  851  2.    Dans  la  discussion,  Scot    se  place    plus 
sur  le  terrain  de  la  philosophie  que  sur  celui  de  la  théologie.  Il  ne 
cite  pas,  comme  les  autres  savants,  des  passages    de  la   Bible  et 
des  Pères   ;  il  argumente  en  pur    dialecticien;    partant    des    con- 
cepts de  Dieu,  de  la  liberté,  du  péché,   etc.,  il  côtoie    à   la    fois 
et    le    rationalisme    et  le    panthéisme.   Dès   le    début    il    nomme 
diabolique  la  secte  qu'il  combat  et    accuse    Gotescalc    tantôt  de 
pélagianisme,  tantôt  des  erreurs    opposées  :    «  La  prédestination, 
dit-il,  est  identique  à  la  sagesse  de  Dieu  et  à  Dieu    même.  Aussi 
est-elle  unique,  car  rien  ne  saurait  être  double  en  Dieu.  Cette  pré- 
destination une  est  celle  des  justes.  Elle  est  identique   à  la  pres- 
cience, et  l'ignorance  delà  langue  grecque  a  seule  laissé  s'introduire 
cette  distinction  entre  la  prescience  et  la  prédestination.    Le  grec 
opao)  et  xpoopàw  signifie  tout  à  la  fois  prseA'ideo,  prœdefinio,  prsedes- 
tino,  et  la  version  latine  aurait  pu,    dans  l'épître    aux    Romains, 
i,  4,  et  dans  celle  aux  Ephésiens,  v,  11,  traduire  ces  mots  grecs 
aussi    bien   par  prsevidere   que    par   prsedestinare.    11  ne   saurai!    y 
avoir  une  praedestinatio  ad  psenam,  car  il  n'y  a  en  réalité  une  ce  que 
Dieu   fait.   Aussi  le  péché  n'a-t-il  pas  d'existence  réelle,   il  est  une 
pure  négation;  de  même  la  peine  du  péché  n'existe  pas  réellement, 
c'est    simplement    le   déplaisir  du    pécheur    qui    n'a    pu    attein- 
[166]  dre  son  but  mauvais.  Il  est  vrai  que  les  pécheurs    sont  appelés 


1.  Op.  cit.,  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  1052,  1054;  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  230. 

2.  Il  a  été  édité  pour  la  première  fois  par  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  part.  1,  p.  103 
sq.;  et  de  nos  jours,  par  Floss  dans  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  355  sq. 


176  LIVRE    XXII 

prsedestinati  par  plusieurs  Pères,  qui  ne  prenaient  pas  alors  ce 
mot  au  sens  strict;  ils  font  comme  le  Christ,  disant  à  Judas,  amice 
au  lieu  de  inimice.  Ils  appellent  les  pécheurs  prédestinés  au  lieu 
de  non-prédestinés,  tout  comme  on  dit  lucus  a  non  lucendo, 
et  Parcss,  quod  nulli  parcant  1.  » 

Hincmar  se  repentit  certainement  d'avoir  introduit  dans  le 
débat  un  homme  tel  que  Scot  Erigène  qui  devait  lui  être  plus 
nuisible  qu'utile,  et  permit  au  parti  adverse  d'écrire  des  réfu- 
tations très  fortes.  Wenilo,  archevêque  de  Sens,  envoya  à  son 
savant  sufïragant,  Prudence  de  Troyes,  pour  qu'il  les  réfutât,  dix- 
neuf  capitula  tirés  des  œuvres  de  Scot,  qui  lui  semblaient  erronés. 
Prudence  publia  donc  (été  de  852)  son  grand  ouvrage  De  prœdesti- 
natione  contra  Joannem  Scotum,  etc.,  avec  une  préface  adressée 
à  Wenilo  2.  Il  ne  se  bornait  pas  à  la  réfutation  des  dix-neuf  capitula, 
mais  passait  au  crible  tout  l'écrit  d'Erigène,  et  opposait 
ses  correctiones  à  près  de  cent  propositions  émises  par  son 
adversaire.  Quoique  lié  personnellement  avec  Scot  (c.  i),  Pru- 
dence s'exprime  très  énergiquement  contre  lui  et  l'accuse  d'avoir 
renouvelé  les  anciennes  hérésies  des  pclagiens,  d'Origène  et  des 
collyriens.  Il  appelle  même  Scot  Erigène  un  nouveau  Julien  d'Ecla- 
ne  dont  il  a  l'esprit  (Prœf.).  Personnellement,  Prudence  rejetait  le 
pélagianisme  autant  que  Scot;  mais  quand  ce  dernier  parlait  d'une 
erreur  opposée  au  pélagianisme,  il  se  faisait  illusion,  car  saint  Au- 
gustin et  les  autres  n'avaient  connu  rien  de  semblable.  Scot  désignait 
les  opinions  de  Gotescalc  comme  un  mélange  des  erreurs  péla- 
giennes  et  des  erreurs  opposées  au  pélagianisme  ;  Prudence  ne 
voulait  pas  affirmer  que  cette  manière  de  voir  fût  réellement 
celle  de  Gotescalc;  mais  il  était  évident  que  sous  le  nom  de 
Gotescalc,  Scot  attaquait  tous  les  docteurs  catholiques,  et  ce 
qu'il  appelait  la  troisième  hérésie,  résultant  d'une  sorte  de 
compromis,  n'était  en  réalité  que  la  doctrine  de  saint  Augustin 
(c.  i  et  iv).  En  terminant,  Prudence  expose  en  soixante-dix-sept 
numéros  les  principales  erreurs  de  Scot  et  les  réfute  rapidement. 

1.  Voyez  la  Disserlatio,  p.  26  sq.,  en  tête  de  l'édition  de  Floss. 

2.  Dans  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  part.  1,  p.  194-574.  Voyez  t.  n,  p.  146  sq.,  ctPm- 
denlii  Opéra,  P.  L.,  t.  cxv,  col.  1109-1366. 


450.     FLORUS     ET     A.MOLO  1/7 


450.  Florus  et  Amolo. 

Vers  cette  même  époque,  Florus  de  Lyon,  dont  nous  avons 
déjà  parlé,  composa  à  la  demande  de  plusieurs  amis,  un  court 
traité  sur  la  prédestination,  qui,  plus  peut-être  qu'aucun  autre  écrit 
de  cette  époque,  marque  exactement  la  différence  entre  la  doc- 
trine orthodoxe  et  celle  de  Gotescalc  sur  la  double  prédestina- 
tion, en  admettant  comme  acquis,  que  Florus  a  expliqué 
exactement  les  paroles  de  Gotescalc.  Florus  se  prononce  dans 
le  même  sens  que  Prudence,  sur  la  prsedestinatio  gemma.  Les 
élus,  dit-il,  sont  prédestinés  par  Dieu,  aux  bonnes  œuvres  el  à 
la  béatitude  ;  les  pécheurs  ne  sont  pas  prédestinés  au  péché, 
mais  à  la  peine  due  à  leurs  fautes.  Gotescalc  s'écarte  de 
cette  doctrine  orthodoxe,  lorsqu'il  écrit  :  quod  hi  qui  pereunt, 
prsedestinali  sunt  ad  perditionem,  et  ideo  aliter  evenire  non  potest  ; 
similiter  quoque  et  de  ju.stis  (dicit),  tanquain  et  ipsi  ideo  sah'entur, 
quia  privdestinati  ad  salutem  aliud  esse  non  potuerunt.  Celui  qui 
parle  ainsi,  dit  Florus.  l'ait  disparaître  le  meritum  damnationis 
et  rend  cette  condamnation  injuste,  tandis  qu'en  réalité  les  réprou- 
vés ne  se  perdent  pas  parce  qu'ils  sont  prédestinés  à  se  perdre, 
mais  ils  sont  prédestinés  à  la  punition  de  leurs  fautes  ;  il  serait 
effrayant  de  penser  qu'ils  sont  condamnés  à  être  mauvais,  et 
parler  ainsi  serait  faire  retomber  sur  Dieu  la  culpabilité  de  leurs 
fautes.  Les  mauvais  se  perdent  non  ideo,  quia  boni  esse  non  potue- 
runt, mais  quia  boni  esse  noluerunt.  Chez  les  bons  existe  une  double 
prédestination  de  Dieu,  c'est-à-dire  que  Dieu  les  prédestine  au 
bien  pour  la  vie  présente  et  à  la  béatitude  pour  la  vie  future  ; 
néanmoins  on  ne  doit  pas  dire  (comme  Gotescalc)  :  justi  aliud 
esse  non  potuerunt,  car  les  bons,  comme  les  mauvais,  jouissent  de 
leur  libre  arbitre,  et  voluntas  propria  remuneratur,  voluntas  pro- 
pria damnatur.  Florus  expose  d'une  façon  remarquable  com- 
ment, par  suite  de  la  faute  originelle,  le  libre  arbitre  s'est  trouvé 
vitiatum.  corruptum,  infinmatum  pour  le  bien,  en  sorte  que,  sans  la 
grâce,  il  est  impossible  que  de  lui-même  ad  exercitium  virtutis 
nullo  modo  assurgat  et  convalescat  1. 

1.   Flori  Serrno  de  prsedest.,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  95  sq.  ;  dans  Mangin,    op.  cit. 
t.  i,  part.  1,  p.  21.  Hincmar  eut  entre  les  mains  deux  exemplaires  de  ceSermo. 

CONCILES  —    IV  —  12 


178 


LIVRE    XXII 


Il  est  évident  qu'ainsi  exposée  par  Florus,  la  doctrine  de  Gotes-  [168] 
cale  est  hérétique.  Aussi  Maugin  1,  son  apologiste,  a-t-il  cru  néces- 
saire de  faire  remarquer  que  Florus  ne  connaissait  alors  cette 
doctrine  que  par  ouï-dire,  et  donne  à  sa  place  les  faux  bruits 
répandus  par  des  adversaires.  Il  est  vrai  que  dans  un  écrit  composé 
plus  tard  contre  Erigène,  Florus  se  plaint  de  ne  pas  avoir  des 
données  précises   et  détaillées   sur  la   doctrine   de  Gotescalc. 

De  même  que  Florus,  Amolo,  archevêque  de  Lyon,  se  prononça 
contre  Gotescalc,  qui  lui  avait  écrit,  et  même  envoyé  un  messa- 
ger pour  lui  exposer  sa  doctrine.  De  la  réponse  d'Amolo  il  résulte 
jusqu'à  l'évidence  que  la  doctrine  de  Gotescalc  est  erronée;  ce  qui 
porte  Maugin  2  à  imaginer  une  nouvelle  hypothèse.  Selon  lui  Hinc- 
mar  aurait  agi  par  ruse  en  cette  circonstance  et  écrit  lui-même 
à  Amolo  sous  le  nom  de  Gotescalc,  dont  il  défigurait  la  doctrine. 
Maugin  appuie  son  sentiment  de  deux  raisons  :  a)  Gotescalc 
ne  pouvait  correspondre  avec  personne  sans  la  permission  d'Hinc- 
mar  ;  b)  Amolo  attribue  à  Gotescalc  des  idées  en  désaccord 
avec  ce  que  nous  savons  de  la  doctrine  de  ce  dernier.  On  a 
déjà  vu  l'archevêque  de  Mayence,  Rhaban,  blâmer  Hincmar 
d'avoir  accordé  à  Gotescalc,  dont  les  doctrines  étaient  si  perni- 
cieuses, l'autorisation  d'écrire  à  certaines  personnes,  de  discuter 
avec  d'autres  et  de  recevoir  des  visites.  Il  était  donc  facile  à  Gotes- 
calc de  faire  parvenir  une  lettre  à  Amolo  à  l'insu  d' Hincmar, 
d'autant  que  des  évêques,  tels  que  Prudence,  s'intéressaient 
à  lui.  En  réalité,  un  évêque  se  fît,  pour  cette  lettre,  l'intermé- 
diaire entre  Gotescalc  et  Amolo,  car  ce  dernier  écrit  :  quœ 
mihi  misisli  per  quemdam  fratrem,  nostrum.  Loin  d'avoir  aucune 
raison  pour  empêcher  cette  lettre  d'arriver  à  son  adresse,  Hinc- 
mar devait  désirer  qu'elle  arrivât,  rien  ne  pouvant  mieux  lui 
agréer  que  de  voir  son  collègue  Amolo,  absent  lors  de  la  cou- 
damnation  de  Cxotescalc  à  Quierzy,  se  prononcer  contre  l'héré- 
tique   dans   un   document    authentique.  Quant   à   la    seconde  rai- 


lesquels  ne  concordent  pas  tout  à  fait  entre  eux.  L'exemplaire  qu'il  reçut  d'Héri- 
bold,  évêque  d'Auxerre,  était,  d'après  Hincmar,  plus  correct  en  certains  endroits, 
c'est-à-dire  se  rapprochait  davantage  de  sa  maxime  favorite  :  «  La  peine  est  pré- 
destinée aux  pécheurs.  »  Hincmar  regarda  celte  leçon  comme  la  plus  ancienne  ; 
dans  son  ouvrage  De  prsedest.,  p.  57,  P.  L.,  !..  cxxv,  il  donne  du  reste  l'autre  texte, 
qu'il  avait  reçu  plus  tard  d'Ebbon,  évêque  de  Grenoble. 

1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  160. 

2.  Jd.,  t.  ii,  p.  171. 


450.     FLORUS     ET     AMOLO  179 

169]  son  avancée  par  Maugin,  elle  ne  vaudrail  qu'à  la  condition  de  re- 
garder comme  ayant  été  dans  l'erreur  tous  les  contemporains  de 
Gotescalc,  qui  ont  donné  les  doctrines  comme  prédestinatiennes 
et  de  supposer  Gotescalc  aussi  irréprochable  que  Maugin  veut  bien 
le  dire.  Bien  moins  encore  peut-on  admettre,  ;i\ec  Maugin,  que 
Gotescalc  n'a  pu  aucunement  accuser  Rhaban  de  semi-pélagia- 
nisme,  dans  sa  lettre  à  Amolo,  ni  envoyer  un  mémoire  aux  évo- 
ques qui  l'avaient  condamné.  Sans  doute  Gotescalc  avait  dû,  sur 
l'ordre  du  concile,  brûler  une  apologie  de  cette  doctrine  ;  mais  cette 
apologie  n'était  pas  le  mémoire  dont  parle  Amolo;  celui-ci  a  dû 
être   composé   beaucoup  plus  tard. 

La  lettre  d' Amolo  à  Gotescalc  a  été  d'abord  éditée  par  le 
P.  Sirmond  et  ensuite  par  Maugin  1;  comme  on  le  voit  par  le  con- 
texte, elle  n'a  pas  été  envoyée  directement  à  Gotescalc,  mais  d'abord 
à  Hincmar,  dans  l'espoir  que  l'archevêque  de  Reims  ne  s'irrite- 
rait pas  contre  le  malheureux  moine  parce  qu' Amolo  s'intéressait 
à  lui.  En  efîet,  Amolo  adresse  les  plus  paternelles  et  les  plus 
pressantes  exhortations  à  Gotescalc,  qu'il  appelle  son  frère 
bien-aimé  et  égaré,  et  le  supplie  d'abandonner  ses  erreurs. 
L'archevêque  de  Lyon  dit  connaître  la  doctrine  de  Gotescalc, 
non  seulement  par  ouï-dire,  mais  aussi  par  le  serrno  prolixior, 
et  par  le  dernier  écrit  de  Gotescalc  ad  episcopos  ;  il  extrait 
de  ces  documents  les  six  propositions  suivantes,  qu'il  rejette 
plus  particulièrement  :  1)  neminem  perire  posse  Christi  sanguine 
redemptum  ;  2  )  baptismum  et  alla  sacramenta  frustatorie  eis 
dari,  qui  post  eorum  perceptionem  pereunt  ;  3)  qui  ex  numéro 
fidelium  pereunt,  Christo  et  Ecclesiœ  nunquam  fuerunt  incorpo- 
rati  (proposition  renouvelée  plus  tard  par  Jean  Huss)  ;  4) 
reprobi  sunt  divinitus  ad  interitum  prsedestinati,  ut  eorum  nul- 
lus  potueril  aut  possit  esse  salvus  ;  5)  reprobi,  quia  prsefinitam 
damnationem  evadere  non  possunt,  saltem  Deo  supplicent,  ut  sta- 
tutam  eis  psenam  mitiget  ;  (i)  Deus  et  sancti  gavisuri  sunt  in 
perditione  eorum,  qui  ad  damnationem  prsedestinati  sunt  2.  Amolo 
fit  suivre  chacune  de  ces  six  propositions  d'une  réfutation  ; 
celle   qui   suit   le  n.    4  est  de  beaucoup   la    plus   remarquable,    et 


1.  ht.,  t.  n,  p.  195. 

2.  Sur  ees  six  propositions  et  pour  savoir  si  elles  expriment  la  doctrine  de  <i<> 
tescalc,  et  en  quel  sens  on  peut  défendre  l'une  ou  l'autre,  voyez  Maugin,  op.  cil. 
t.  ii,  p.  175  sq. 


180  LIVRE     XXII 

explique  d'une  manière  très  satisfaisante  l'expression  prœdes- 
tinatio  ad  mortem.  Au  n.  5,  s'inspirant  de  saint  Augustin,  le 
fidelissimus  doctor,  il  dit  que,  dans  ce  passage  de  l'Evangile 
(Joan.,  xn,  39)  :  «  Les  juifs  ne  pouvaient  pas  croire,  »  il  fallait  [170] 
interpréter  le  non  poterant  par  nolebant  :  au  n.  6,  il  dit  que  les 
saints  ont  compassion  du  malheur  des  damnés,  mais  que  dans  ce 
châtiment,  ils  reconnaissent,  honorent,  et.  vénèrent  la  justice  de 
Dieu.  Comme  septième  point  de  mécontentement  contre  Gotes- 
calc,  Amolo  lui  reproche  sa  conduite  :  il  insulte  ses  adversaires, 
les  traite  de  rhabaniens,  s'obstine  dans  sou  excommunication, 
persiste  dans  son  orgueil  et  se  tient  pour  infaillible.  En  terminant, 
Amolo  en  appelle  au  second  concile  d'Orange,  tenu  en  529,  et 
donne  à  Gotescalc  comme  règles  de  foi  deux  propositions  ex- 
traites de  l'épilogue  de  ce  concile  :  Hoc  etiam  secundum,  etc.,  et 
Aliquos  vero. 

Nous  possédons  encore  un  court  et  remarquable  écrit  d'Amolo 
sur  la  prédestination  et  le  libre  arbitre  {depravatum  arbitrium)  ; 
c'est  probablement  un  fragment  de  la  lettre  à  Hincmar  qui 
accompagnait  le  traité  dont  nous    venons    de  parler  x. 

Ces  condamnations  de  la  doctrine  de  Gotescalc  par  Amolo 
et  Florus  déterminèrent  Hincmar  et  Pardulus  à  faire  plus  que 
jamais  cause  commune  avec  l'Église  de  Lyon,  dans  la  question 
en  litige.  C'est  pourquoi,  vers  la  fin  de  l'année  852  ou  au 
commencement  de  l'année  suivante,  ils  adressèrent  deux  lettres 
aux  Lyonnais,  avec  une  copie  de  la  lettre  de  Rhaban  à  Noting. 
Mais  avant  même  que  ces  documents  n'arrivassent  à  leur  destina- 
tion, le  malheureux  livre  de  Scot  Erigène  avait  provoqué  une 
réfutation  de  Florus  à  la  demande  de  l'Eglise  de  Lyon  (852)  2. 
Elle  commence  ainsi  :  Venerunt  ad  nos  cujusdam  vaniloqui  et 
garruli  hominis  scripta.  Par  où  l'on  voit  que  Florus  n'avait  pas 
sous  les  yeux  tout  l'écrit  de  Scot,  mais  seulement  les  dix-neuf 
capitula  extraits  par  l'archevêque  Wenilo.  Ils  sont  réfutés  en 
détail  et  par  ordre.  Comme  dans  le  Sermo  de  prasdestinatione, 
Florus  se  prononce  ici  pour  une  double  prédestination,  dans  le 
sens  indiqué,  et  réfuie  les  objections  pélagiennes  de  Scot  Erigène, 
à  peu  près  de  la  même  manière  que  Prudence.  Comme  celui-ci, 
il    nie    l'existence    d'une    secte    particulière  qui  ferait  tout  dépen- 

1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  211  sq. 

2.  P.  L.,  t.  exix,  col.  101  sq.;  Maugin,  op.  cit.,  I.  î,  part.  1,  p.  595  sq. 


451.     REMI     DE      LYON  181 

dre  de  la  grâce  (sans  tenir  compte  de  la  liberté),  et  ne  douté  pas 
que  Scot  a  inventé  celte  secte  afin  de  pouvoir  combattre  par 
ee  subterfuge  la  doctrine  de  saint  Augustin.  11  déplore  que 
[171]  des  hommes  d'Église  considérables  (Hincmar)  favorisent  Scot 
Erigène.  Il  dit,  enfin,  qu'après  la  sévère  condamnation  portée  con- 
tre Gotescalc.  on  aurait  dû  envoyer  aux  Églises  un  exposé 
de  ses  erreurs,  afin  que  l'on  connût  positivement  l'enseignement 
de  ce  malheureux  moine,  et  qu'on  réfutât  d'une  commune  entente 
ses  fausses  doctrines  (c.  iv). 


451.  Rémi  de  Lyon. 

Ces  derniers  mots  de  l'écrit  de  Florus  prouvent  que  les  trois 
lettres  d' Hincmar  et  de  Pardulus  aux  Lyonnais  n'étaient  pas 
encore  arrivées,  pas  plus  qu'en  les  écrivant,  Hincmar  et  Pardulus 
ne  connaissaient  le  mémoire  de  Florus.  Amolo,  archevêque  de 
Lyon,  étant  mort  sur  ces  entrefaites,  son  successeur  Rémi  com- 
posa, au  nom  de  l'Église  de  Lyon,  une  réponse  détaillée  à  Hincmar 
et  à  Pardulus  1,  intitulée  Liber  de  tribus  epistolis.  Après  une 
courte  introduction,  Rémi  discute  la  lettre  d' Hincmar  dont  il 
cite  plusieurs  fragments.  Le  premier  blâme  Gotescalc  d'avoir' 
prêché  aux  païens  la  doctrine  si  difficile  de  la  prédestination, 
au  lieu  de  leur  prêcher  la  pénitence,  et  contient  mot  à  mot 
cinq  propositions  de  Gotescalc.  Rémi  répond  que  l'accusation 
au  sujet  des  païens  est  inadmissible  ;  quant  à  la  doctrine  sur 
la  prédestination,  il  faut  se  conformer  aux  règles  suivantes  : 
1)  La  prescience  divine,  ainsi  que  la  prédestination,  est,  néces- 
sairement, éternelle  et  immuable.  2)  Tout  ce  que  Dieu  fait  est 
prévu  et  préordonne  d'une  manière  immuable  par  un  décret  de 
toute  éternité  ;  décret  qui  comprend  le  bonheur  des  élus  et  la 
punition  des  réprouvés.  3)  Il  n'existe  pas  de  diilerence  entre 
la  prescience  et  la  prédestination  de  ce  que  Dieu  fait  lui-même  ; 
mais  toute  chose  que  Dieu  a  prévu  vouloir  faire  se  trouve  par  le 
fait  prédestinée.  C'est  pour  cela  qu'il  a  préordonné  les  reprobi 
ad  mortem,  de  même  qu'il  a  préordonné  les  electi  ad  vitam.    4)  A 


1.  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  985-1068;  dans  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  part.  2,  p.  67-118; 
cf.  t.  ii,  p.  223,  229,  234,  258. 


182  LIVRE     XXII 

l'égard  de  ce  que  font  les  créatures  raisonnables,  la  prescience  et 
la  prédestination  divines  sont  identiques.  Les  actions   de  chaque 
créature  sont  en  partie  bonnes  et  en  partie  mauvaises  ;  les  bonnes 
sont  l'œuvre  (opéra)  aussi  bien  de  la  créature  que  de    Dieu,    qui 
donne  aux  créatures  le  vouloir  et  la  force  de  réaliser  ce   qu'elles 
veulent  ;   comme  œuvre  de   Dieu,   ces  bonnes  actions    sont  donc    [172] 
prévues  et  prédestinées  de  Dieu.  Les  actions  mauvaises,   au  con- 
traire, ne  sont  l'œuvre  (opéra)  que  des  créatures  ;  aussi  sont-elles 
prévues,  mais  non  prédestinées  par  Dieu.  5)  Dieu  sait  qui  s'obsti- 
nera dans  l'injustice  et  il  l'a,  avec  une  équité  parfaite,  prédestiné 
à   la   ruine.    Mais   la   prescience   et    la   prédestination   ne    le    for- 
cent pas  à  être  mauvais,  de  telle  façon  qu'il  ne    puisse    pas    ne 
pas  l'être.   Au  contraire,   Dieu  l'invite  à    la    pénitence  et  au  sa- 
lut. 6)  Lorsque  la  sainte  Ecriture  emploie  tantôt  le  mot  prœscire, 
tantôt  le  mot  prsedestinare,  on  ne  doit  pas  s'en  tenir   uniquement 
à  ces  mots  d'une  façon  puérile,    mais   on    doit   examiner    le    con- 
texte  et  voir  s'il  enseigne   ou  n'enseigne   pas    la    prédestination. 
C'est  ce  qu'a  fait  saint  Augustin.  7)  Aucun  des  élus  ne    se  perd 
et  aucun  des  réprouvés  ne  se  sauve,  non  parce  que  les  hommes  ne 
peuvent  s'amender,   mais  parce   qu'ils  ne  le  veulent    pas.    Dieu, 
prévoyant  leur  obstination  volontaire  dans  le  mal,  les  a  prédesti- 
nés ad  mortem.  Mais  il  existe  une  autre  catégorie  très  nombreuse 
de    reprobi,  celle  des    enfants  morts  sans  baptême  et  condamnés 
en  vertu  du  péché  originel.  Disons  simplement  que  Dieu  est  juste, 
même  dans  la  ruine  de  ces  enfants.  Mais,  dira-t-on,  la  prédestina- 
tion ne  rend-elle  pas  la  prière  inutile  ?  Grégoire  le  Grand  répond  : 
«  Nul  ne  peut  obtenir  ce  à  quoi  il  n'est  pas  prédestiné,   mais  la 
pnedestinatio   ad   vitam   est   disposée    par    Dieu    de   telle    manière 
que  les  electi  l'obtiennent  ex  labore,  et  qu'ils  doivent  obtenir  par 
la  prière  ce  que  Dieu  a,  de  toute  éternité,  décidé  de  leur  donner.  » 
Rémi  donne  ensuite,  à  l'appui  de  la  doctrine  sur  la  prédestination 
exprimée  dans   ces  sept  règles,  toute  une  série   de  passages   des 
Pères   ;    il    conclut    que  les  deux  premières  propositions  incrimi- 
nées   de    Gotescalc,    contenaient    l'expression    de  la  vérité.    Les 
voici  :  1)  quia  ante  omnia  secula  et  antequam  quidquam  faceret  a 
principio  Deus,  quos  voluit  prsedestinavit  ad  regnum,  et  quos  voluit 
prsedestinavit  ad  interitum  ;  2)  qui  prsedestinati  sunt  ad  interitum, 
salvari  non  possunt  ;   et  qui  prsedestinati  sunt  ad  regnum,  perire 
non  possunt.  Quoique,  dit  Rémi,  la  levitas,  temeritas  et  importuna 
loquacitas  de   ce   miserabilis   monachus    méritenl    le  blâme,  on   ne 


451.     REMI    DE      LYON  183 

doit  cependant  pas  méconnaître  la  vérité  divine  (c.  i-x).  Le  troi- 
sième principe  de  Gotescalc  :  et  Deus  non  vult  omnes  homines 
sah'os  fieri.  sed  eos  tantum  qui  salvantur,  peut  aussi  s'entendre 
dans  un  sens  orthodoxe,  car  déjà  les  Pères  avaient  donné  diverses 
173]  interprétations  du  passage  de  saint  Paul  [I  Timoth.,  n,  4),  pour  le 
faire  concorder  avec  ce  fait,  que  tous  les  hommes  n'arrivent 
pas  à  faire  leur  salut  (c.  xi-xiii).  Le  quatrième  principe  de  Gotes- 
calc ne  fait  que  développer  sa  troisième  proposition;  il  dit  :  Chris- 
tus  non  venit  ut  omnes  salvaret,  nec  passus  est  pro  omnibus, 
nisi  solummodo  pro  his  qui  passionis  ejus  salvantur  mysterio. 
Rémi  fait  voir  dans  quel  sens  la  sainte  Ecriture  dit  que  le  Christ 
est  mort  pour  tous,  et  remarque  qu'on  ne  peut  cependant  pas 
nier  que  le  Christ  n'ait  pas  versé  son  sang  précieux  pour  les  milliers 
de  personnes  qui  sont  mortes  et  se  sont  perdues  avant  son  arrivée 
sur  la  terre,  et  que  ce  sang  n'a  pu  contribuer  à  racheter.  Le  Christ 
n'est  venu  et  n'a  été  crucifié  que  pour  les  fidèles,  et  on  peut  même 
dire  que  parmi  les  fidèles  il  n'est  mort  que  pour  ceux  qui  ont  persé- 
véré jusqu'à  la  fin.  S'il  était  mort  pour  tous  les  hommes,  il  serait 
mort  même  pour  l'Antéchrist  !  Par  conséquent,  la  phrase  de 
Gotescalc  est,  dans  ce  sens,  admissible,  et  elle  a  beaucoup  de 
docteurs  en  sa  faveur  (c.  xiv-xx).  Il  en  est  autrement  de  la 
cinquième  proposition,  portant  qu'après  la  chute  originelle  l'hom- 
me ne  peut  se  servir  du  libre  arbitre  que  pour  le  mal  et  non  pour 
le  bien  [et  postquam  primus  homo  libero  arbitrio  cecidit,  nemo  nos- 
trum  ad  bene  agendum,  sed  tantum  ad  maie  agendum  libero  potest 
uti  arbitrio).  Rémi  ne  peut  croire  qu'un  chrétien  professe  une 
pareille  doctrine,  et  que  le  bien  que  nous  faisons  doive  être  uni- 
quement attribué  à  la  grâce  sans  la  coopération  de  l'homme. 
Jamais  personne  n'avait  émis  pareille  opinion  (il  n'eût  plus  parlé 
ainsi  au  xvie  siècle).  Mais  peut-être  Gotescalc  voulait-il  simple- 
ment dire  que,  sans  la  grâce  divine,  nul  ne  pouvait  utiliser  son 
libre  arbitre  pour  le  bien,  et,  dans  ce  sens,  la  proposition  était  catho- 
lique (c.  xxi-xxm). 

Le  second  fragment  de  la  lettre  d'Hincmar  raconte  les  préli- 
minaires du  concile  de  Quierzy  ;  Rémi  n'approuve  aucunement 
que  Gotescalc,  condamné  d'abord  par  les  abbés  à  être  fouetté, 
ait  été  ensuite  condamné  par  les  évêques  pour  hérésie,  tandis 
que  l'autorité  supérieure  (c'est-à-dire  celle  des  évêques)  devait  seule 
émettre  le  jugement.  Il  parle  de  la  dureté  inhumaine  avec  laquelle 
on    s'est  conduit  envers    Gotescalc,    et   répète  que  les    principes 


184  LIVRE     XXII 

de  ce  dernier,  condamnés  à  Quierzy,  étaienl  en  partie  orthodoxes, 
du  moins  qu'ils  étaient  d'accord  avec  la  doctrine  de  quelques 
Pères  (c.  xxiv-xxv). 

Le  troisième  fragment  et  les  suivants  contiennent  les  réponses 
d'Hincmar    aux    propositions    de    Gotescalc  ;   Rémi    soumet   ces 
réponses  à  une  analyse    minutieuse,  a)    Dieu,  dit    Hincmar,  veut 
que  tous  arrivent  au  bonheur  éternel,  ce  qui  ne  fait    que  répéter   [174] 
la  sainte  Ecriture.   Mais  on  pourrait,  avec  saint  Augustin,  inter- 
préter ce  passage  de  l'Ecriture  sainte  (/   Timoth.,  n,  4)  dans  un 
autre  sens,   c'est-à-dire  que  tous   ceux  dont   Dieu  veut  le  salut, 
arrivent  à  le  faire  {y ère  vult  salvos  fieri).  Lorsque  Hincmar  dit  que 
le  sang  du  Christ  a  été  versé  pour  tous,  sa   proposition   est   inac- 
ceptable, car  dans  la  plupart  des  passages  de  la  Bible,  on  lit  pro 
multis,  et  le  mot  omnes  qui    se    trouve    dans    la    première    à    Ti- 
mothée  (n,  6)  est  synonyme  de  multi.  b)  Dans  les  c.  xxvm  etxxix, 
Rémi   discute  l'opinion  d'Hincmar  sur  une  seule  prédestination, 
celle  ad  vitam,  et  il  expose  en  abrégé,  mais  exactement,  la  doctrine 
de  la   gemina  prsedestinatio.   c)   Hincmar  admettait  que  la  psena 
était    prédestinée  à  ceux  qui  s'obstinaient    dans    le  péché,   mais 
Rémi  prouve    l'inanité    de    ses    répugnances  contre    la    proposi- 
tion  correspondante  :    «  les    pécheurs     sont    prédestinés    ad   pse- 
nam  »  (c.  xxx).  d)  Dans  les  c.  xxxi-xxxiii,  Rémi  explique  divers 
passages  de  la  Bible,  allégués   par   Hincmar  ou  par  Gotescalc,  et 
il   se    prononce   de  nouveau  pour  ce  dernier  avec  cette  restriction 
que  plusieurs  textes  cités  par  lui  en  faveur  de  la  prédestination  ne 
se  rapportent  pas  à  la  prsedestinatio  futurorum,    mais  au  prsesens 
Dei  judicium,  par  exemple  le  passage  si  connu,  induravit  Do  minus 
cor  Pharaonis  :  Dieu  l'avait  endurci    pour    le    punir,  e)    Dans    les 
c/xxxiv-xxxvi,  Rémi  rejette  avec  beaucoup  de  vivacité  l'assertion 
d'Hincmar    devant  laquelle  saint  Augustin  aurait  rétracté    dans 
Y  Hypomnesticon,   le   principe   si  souvent  formulé  dans   ses    écrits 
antérieurs  :  Reprobi  pysedestinati  sunt  ad  interitum,    pour  le  rem- 
placer par  cet  autre  :  Psense  Us  prédestinât  se  sunt.   Rémi    prouve 
quel'  Hypomnesticon  est  apocryphe,  et  accuse  Hincmar  d'une  absur- 
ditas  et  impia  prsesumptio.  /)  Enfin  dans  les  c.  xxxvn  et  xxxvin, 
Rémi  attaque  deux    opinions  d'Hincmar:  que  le   libre  arbitre    a 
été  simplement  vicié  par  le  péché,   et  que  tout  le  bien  que  nous 
faisons,  et  Dei  est  et  nostrum.  Rémi  pou  va  il  répondre  avec   raison 
que  le  libre  arbitre  avait  été  non  seulement  lésé,  mais  était  devenu 
comme   latent.    Malheureusement,   au   lieu   de   se   servir   de    cette 


451.     REMI    DE     LYON  185 

expression,  à  V état  latent,  il  emploie  le  mot  mortuum,  qu'il  corrige, 
il  est  vrai,  aussitôt  après  par  cette  explication  :  Mortua  est  anima 
per  peccatum,  non  amittendo  naturam  suant,  sed  amittendo  veram 
vitam  suam.  Sur  l'autre  principe,  il  reproche  à  Hincmar  de  vouloir, 
sa  us  raison  aucune,  partager  le  bien    entre   Dieu  et   l'homme.    e1 
il  il   à  ce  sujet  :    «  Tout  le  bien    que    nous    faisons    est    totum    JJei 
donando,    et   devient    totum    nostrum    accipiendo.  »    11   me    semble 
cependant   qu'il   n'y   a   ici   aucune   différence   essentielle    entre   la 
pensée  d' Hincmar  et  celle  de  Rémi. 
[175]       ^  partir  du  c.  xxxix,  Rémi  s'occupe  de  la  lettre  de  Pardulus  qui 
disait  :   «  Après  que   cinq   personnages    (parmi  lesquels  Amalaire) 
nous    eurent  fait    connaître  dans  leurs  lettres  leurs  diverses   opi- 
nions  sur  la    prédestination,    nous   avons   pressé    Scot    de     nous 
écrire    à    ce   sujet.  »    Pardulus   avait  en    même  temps  cherché   à 
défendre   l'authenticité    de   V Hypomnesticon  et  de    l'écrit   apocry 
phe     de    saint    Jérôme,    De    induratione  cordis    Pharaonis.   Rémi 
lui  répond  :  On  eût  évité  toute  cette  dispute,  si  on  s'en  était  tenu 
aux  sentiments  des  Pères,  et  si  on    n'avait   pas   préparé  un  livre 
apocryphe,   V Hypomnesticon,    à   tous   les    écrits   aiithentiques    de 
saint    Augustin.     Le    livre    De    induratione    n'est    pas    non     plus 
de  saint  Jérôme.  Pour  indiquer  le  vrai  sentiment  de  ce  Père,  Rémi 
s'abuse  gravement  en  donnant  comme  de  saint  Jérôme,  un  passa- 
ge de  Pelage,  dans  sa  professio  de  foi  si  connue  adressée  au  pape 
Innocent  Ier.  Enfin,  Rémi  se  plaint  vivement  de   l'importance  don- 
née à  l'opinion  d'hommes  tels  qu' Amalaire  et  Scot  (c.  xxxixet  xl). 
Contre  la  troisième  lettre,   celle   de   Rhaban    à   Noting,    Rémi 
remarque  en  général  qu'elle  ne  touche  pas  à  la  question    en  litige, 
et  réfute  ce  que  personne  ne  soutient,  à    savoir,    que   «  Dieu   pré- 
destine et  force  certains  hommes  à  commettre  le  péché.  »  Quant 
à  la  question  de  savoir  «  si  ceux  dont  Dieu  avait  prévu  l'obstina- 
tion dans  le  péché  étaient  prédestinés  par  lui,    »   elle  est  passée 
sous   silence.    Au  début   de  sa   lettre,   Rhaban    déclare   hérétique, 
ce   principe    de    Gotescalc  :   «  aucun   de  ceux  qui  sont  prédestinés 
à  la  vie  ne  peut  se  perdre,  »  principe    qui,    cependant,    est   juste. 
Ce  que  Rhaban  affirme  ailleurs  n'est  nié  par  personne,  et  ce  qu'il 
attaque  n'est  professé  par  personne  (c.  xlii).  Au  c.  xliii,  Rémi  a 
tort  de  vouloir  prouver  contre  Rhaban  qu'on  imputera  au  damné 
toutes  ses  fautes,  même  celles  qui  ont  été  effacées   par  le   baptê- 
me,   même    le  péché  originel.    Il  s'engage  ensuite  dans  une   pure 
question  de  mots  lorsque,  au  cxLiv.il  blâme  l'opinion  de  Rhaban 


186  LIVRE     XXII 

soutenant  que  les  réprouvés  n'ont  jamais  été  distraits  par  Dieu 
de  la  massa  perditionis.  Dans  le  c.  xlv,  il  montre  qu'un  long  pas- 
sage de  Rhaban  est  emprunté  à  V Hypomnesticon  et  par  consé- 
quent n'a  aucune  force  probante.  Enfin  il  cherche  (c.  xlvi  et  xlvii)  à 
résoudre  diverses  objections  soulevées  par  Rhaban  contre  la 
double  prédestination,  en  particulier  sur  les  sept  points  énoncés 
par  lui. 

En  appendice  à  ce  mémoire,  Rémi  écrivit,  au  nom  de  l'Église 
de  Lyon,  un  petit  livre  intitulé  :  De  generali  per  Adam   damna-    [176] 
tione  omnium  et  speciali  per  Christian  ex  eadern  ereptione  electorum  1. 


452.  Conciles  tenus  entre  850  et  853,  étrangers  à  la  question 

de  Gotescalc. 

Nous  avons  déjà  mentionné  le  concile  de  Paris  de  l'année  849, 
qui  très  vraisemblablement  n'eut  aucun  rapport  avec  les  discus- 
sions soulevées  par  Gotescalc.  On  peut  en  dire  autant  du  syno- 
dus  Regiaticina  tenu  dans  Yurbs  regia  Ticino  (Pavie)  en  850  2. 
Les  membres  les  plus  importants  furent  :  Angilbert,  archevêque 
de  Milan,  Théodeman,  patriarche  d'Aquilée,  et  Joseph,  évêque 
(d'Ivrée)  et  archicapellanus  totius  Eclesise3.  Les  collections  con- 
ciliaires donnent  vingt-cinq  canons  de  ce  concile,  ainsi  qu'un  dé- 
cret impérial  plus  cinq  numéros.  Pertz  a  publié  en  outre  quatre 
fragments  inédits  mais  qui,  en  somme,  n'ajoutent  guère  à  ce  qu'on 
savait.  Le  premier  document  contient  vingt-quatre  canons  ou 
capitula  proposés  au  jeune  empereur  Louis  II,  présent  au  concile 
et  récemment  associé  à  l'empire  par  son  père  l'empereur  Lothaire. 
Le  second  document  contient  les  vingt-quatre  mêmes  canons 
devenus  canons  impériaux,  par  la  confirmation  impériale.  Ils  sont 
identiques  aux  vingt-cinq  canons  des  collections  plus  anciennes  4. 


1.  P.L.,t.  cxxi,  col.  1068  sq.  ;  Maugin,   op.  cit.,  t. 1,  part.  2,  p.  118  sq.  Voyez 
t.  h,  p.  559. 

2.  Sur  la  chronologie,  cf.  les  notes  de  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  930,  et  Pagi, 
Critica,   ad   ann.    850,   5. 

3.  Il  était  archichapelain  de  l'empereur  Louis  IL  Cf.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv, 
col.  77;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  1019. 

4.  Dans  Pertz,  le  canon  18  réunit  les  canons  18  et  19  d'autres  collections. 


452.     CONCILES    TENUS     ENTRE    850     ET    853  187 

La     plupart     ne    sont    du     reste    qu'une    répétition    d'anciennes 
ordonnances;   en  voici   un  résumé:   1.    L'évêque   doit   avoir  cons- 
tamment   quelques    clercs    témoins    de    sa    conduite.    2.     Il    doit 
autant  que  possible  dire  la  messe  tous  les  jours.  3.   Il    doit  tenir 
une  table  modeste,  ne  pas  forcer  ses  hôtes    à   boire,    recevoir  des 
pauvres  et  des  étrangers  à  sa  table.  4.   Il    ne  doit  pas  aimer  les 
chiens,  les  faucons,  les  chevaux,  la  chasse,    les  vêtements  somp- 
tueux, etc.  5.   Il  doit  étudier  assidûment,    instruire  ses  clercs  et 
son   peuple.    6.    Les   archiprêtres   des    campagnes   doivent   visiter 
[177]  toutes  les  maisons  pour  obliger  ceux    qui  ont  commis  une  faute 
publique  à  faire  aussi  une  pénitence  publique.  Ceux  qui  ont  péché 
en  secret  doivent  confesser  leurs  fautes  aux   prêtres   institués  par 
l'évêque  ou  par    les    archiprêtres  des    campagnes.    Dans  les    cas 
difficiles,  c'est  à  l'évêque  à    décider,  et  si    l'évêque  est  lui-même 
dans  le  doute,  ce  sera  au  métropolitain  ou  au  synode  provincial. 
Quand    la   confession  est    secrète,  on  doit  traiter  le  cas  sous  une 
forme  impersonnelle.  Dans  les  environs  des  villes  et   dans  les   fau- 
bourgs,  l'évêque  doit  faire  régler  par  l'archiprêtre  de  la  ville  (mu- 
nicipal) et  par  d'autres  prêtres  ce  qui  a  trait  aux    pénitences.   7. 
Les  prêtres  doivent  veiller  à  ce   que    leurs  pénitents  accomplissent 
les  œuvres  de  satisfaction  qui  leur    sont  imposées.    Sauf   les  cas 
de  nécessité,  l'évêque    seul  peut  réconcilier  les    pénitents.  8.    On 
doit  exhorter  les  malades  à  recevoir  l'huile  sainte,  maison   ne  doit 
la  leur   donner    que    lorsqu'ils    sont   réconciliés    avec    l'Eglise    et 
ont  reçu   la   communion.    9.    Plusieurs    marient   leurs    filles  beau- 
coup trop    tard;  aussi  arrive-t-il  souvent  qu'elles  commettent  des 
fautes,    même  pendant    leur    séjour    dans    la     maison    paternelle. 
Quelques-uns,  ce  qui    est  épouvantable  à  dire,  font  même    com- 
merce de  leurs  filles.  Les  parents  doivent  marier  leurs    filles  plus 
tôt.  S'ils  ne  le  font  pas^  et   si    une    fille    commet    une    faute,    les 
parents   seront    condamnés   à    la    pénitence.    S'ils    font    commerce 
de  leurs  filles,  on  leur  imposera  une  pénitence  plus    considérable 
que   celle  imposée    à    la    fille  coupable.   Une  fille    ainsi  violée  ne 
doit    se    marier  que  lorsqu'elle  et  ses   parents  auront  accompli  la 
pénitence  publique   qui    leur    aura    été  imposée.  10.  Sur  le  rapt  des 
filles.  11.  Si  quelqu'un,  ayant  des  possessions    dans   plusieurs   dio- 
cèses,   est    excommunié    par    un    évêque,   cet    évêque   doit  faire 
connaître    aux    autres    eveques    compétents    la    sentence    portée 
par  lui,  afin  que  l'excommunié    ne   soit  reçu   nulle    part.    12.    Un 
excommunié    ne   doit   être    admis   ni   au   service     militaire,     ni    à 


188  LIVRE     XXII 

aucune  charge  civile.  13.  Il,  doit  y  avoir  pour  chaque  plebs  ] 
un  archiprêtre  qui  aura  la  surveillance  des  prêtres  placés  dans 
les  petites  églises.  14.  Les  évêques  doivent,  sous  peine  d'excom- 
munication, faire  rebâtir  les  monastères  détruits.  15.  Il  en  sera 
de  même  pour  la  conservation  des  xenodochia.  16.  On  doit  exhor- 
ter les  empereurs  à  être  plutôt  les  protecteurs  que  les  oppres- 
seurs des  nombreux  monastères  et  des  xenodochia  placés  sous 
leur  puissance.  17.  Tous  les  chrétiens  doivent  donner  la  dîme 
de  leurs  biens  (omnium  rerum  suarum).  18.  Tous  les  clercs  doi- 
vent être  soumis  à  la  discipline  de  leur  évêque  ;  aussi,  nul  ne 
doit  installer  dans  une  maison  un  chapelain  qui  ne  soit  ap- 
prouvé par  l'évêque.  De  même  nul  ne  doit  confier  à  un  clerc 
des  affaires  ou  des  missions  séculières  et  cela  sous  peine  d'ex- 
communication pour  les  deux.  19.  Il  est  défendu  de  faire  l'usure 
ou  de  prêter  à  intérêt.  20.  Les  oppresseurs  des  veuves  et  des 
orphelins  doivent  être  admonestés  par  l'évêque;  s'ils  ne  s'amen-  [178] 
dent  pas,  ils  seront  dénoncés  à  l'empereur.  21.  Les  clercs  et  les 
moines  qui  vont  de  province  en  province  et  de  ville  en  ville,  sou- 
lèvent des  questions  inutiles  et  occasionnent  des  disputes.  L'évê- 
que doit  les  faire  arrêter  pour  les  soumettre  à  une  enquête  faite 
par  le  métropolitain,  et  s'ils  ont  agi  par  frivolité  et  non  par  zèle 
pour  la  doctrine,  ils  seront  punis  comme  troublant  la  paix  de 
l'Eglise  (allusion  évidente  à  Gotescalc,  qui  avait  d'abord  dissé- 
miné ses  opinions  dans  la  haute  Italie).  22.  Il  arrive  souvent,  sur- 
tout dans  le  peuple  de  la  campagne,  que  des  pères  marient  leurs 
fils  trop  jeunes  avec  des  femmes  plus  âgées,  puis  qu'ils  attirent 
ces  belles-filles  chez  eux  pour  avoir  avec  elles  des  relations 
adultères.  En  conséquence  on  ne  devra  plus  à  l'avenir  marier 
un  fils  trop  jeune  avec  une  femme  plus  âgée.  23.  Les  femmes 
qui,  par  leurs  sortilèges,  font  naître  l'amour  ou  la  haine  ou  qui 
vont  jusqu'à  causer  la  mort,  seront  recherchées  avec  soin  et 
soumises  à  une  sévère  pénitence.  24.  Les  juifs  ne  doivent  pas 
exercer  l'office  de  juges  sur  des  chrétiens  ;  ils  ne  doivent  exiger 
d'eux   aucune    redevance. 

Le  troisième  document  édité  par  Pertz  aurait  dû  n'être  placé 
qu'après  le  quatrième,  car  il  contient  un  extrait  (fait  pour  les 
comités)  de  la  grande  ordonnance  contenue  dans  le  quatrième  docu- 
ment,  et  publiée  par  l'empereur  Louis    II  à  la  demande   de  son 

1.  Plebs,  c'est  l'archiprêtré  ou  doyenné  rural.  (H.  L.) 


<i.r,2.    CONCILES    TENUS     ENTRE    850     ET    853  189 

père.  Le  but  de  celte  ordonnance  était  de  mettre  un  terme  aux 
désastres  causés  par  les  brigands  et  d'empêcher  l'oppression  des 
petits   par   les   grands. 

Nous  apprenons,  par  les  actes  du  concile  romain  tenu  en  853, 
que  dans  un  concile  romain  tenu  en  850  sous  le  pape  Léon  IV, 
[1  '  JJ  le  cardinal-prêtre  Anastase  fut  déposé  1.  Deux  conciles  anglais 
tenus  à  Benningdon  2  et  Kingsbury  en  850  et  851,  sous  la  prési- 
dence de  Céolnoth,  archevêque  de  Cantorbéry,  confirmèrent  les 
donations  du  roi  Bertulf  au  monastère  de  Croyland  3. 

Dans  un  concile  tenu  à  Soissons  en  851,  Pépin,  prince  d'Aqui- 
taine, fut  fait  moine  et  reçut  le  monastère  de  Saint-Médard,  ainsi 
que  nous  l'apprend  le  Ve  concile  tenu  à  Soissons,  en  853  4. 

En  Espagne,  Abderrhaman  II  défendit  sous  peine  de  mort 
de  parler  en  public  contre  Mahomet  et  contre  l'islam  ;  beaucoup 
de  chrétiens,  des  clercs  surtout,  ayant  contrevenu  à  cet  ordre, 
furent  exécutés.  On  les  vénéra  comme  martyrs;  mais,  sur  le  désir 
du  khalife,  un  concile  d'évêques  espagnols,  tenu  à  Cordoue  en 
852,  déclara  que,  puisqu'ils  s'étaient  eux-mêmes  précipités  vers 
la  mort,  ils  ne  devaient  pas  être  vénérés  en  qualité  de  martyrs. 
D'ailleurs,  ils  n'avaient  pas  fait  de  miracles,  comme  en  avaient 
accompli  les  véritables  martyrs,  et  leurs  corps  n'étaient  pas 
incorruptibles  comme  ceux  de  ces    martyrs. 

Dans  ce  même  concile  un  certain  excepter  attaqua  violemment 
au  nom  du  Christ  ceux  qui  se  posaient  en  adversaires  des  Maho- 
métans  5. 

1.  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1075;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  26  sq.; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  943,  1026;  Jafîé,  Reg.  pont,  rom.,  p.  231; 
2e  édit.,  p.  332  (H.  L.) 

2.  Bennington,  Lincolnshire,  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  627;  Labbe,  Concilia, 
t.  vm,  col.  72-73  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  33  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix, 
col.  1077;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  963.  (H.  L.) 

3.  Kingsbury,  comté  de  Sussex.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  618;  Labbe,  Concilia, 
t.  vm,  col.  73-76;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  33  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix, 
col.  1077;  Wilkins,  Conc.  Britann.,  1737,  t.  i,  p.  1S1-183;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  963.  (H.  L.) 

4.  Lalande,  Conc.  Galliœ,  1660,  p.  160;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  1933- 
1934;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  v,  col.  37  ;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1081  ;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  96.  (H.  L.) 

5.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  633;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  76-77;  Hardouin, 
Coll.  concil.,  t.  v,  col.  38;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1083;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  970;  Gams,  Kirchengeschichle  von  Spanien.  t.  n,  part.  2,  p.  318  sq- 
(H.  L.) 


190  LIVRE     XXII 

Les  lettres  de  B.  Saul  (de  Cordoue)  nous  font  connaître  un  autre 
concile  espagnol  plus  important  tenu  en  860-861.  Il  eut  pour  but 
de  faire  cesser  le  schisme  qui  s'était  introduit  parmi  les  chrétiens 
de  Cordoue  dont  les  rigoristes  évitaient  toutes  relations  avec  les 
fidèles  de  caractère  plus  conciliant.  Les  évêques,  s'appuyant  sur 
de  nombreux  témoignages  des  Pères  et  sur  l'histoire,  se  pronon- 
cèrent en  faveur  de  la  conciliation  et  il  ne  semble  pas  qu'il  fut 
fait  opposition  à  leur  sentence  1. 

Jusqu'ici  on  ne  connaissait  les  actes  du  concile  germanique 
national  tenu  à  Mayence,  en  octobre  851  ou  852  2,  que  par 
les  mentions  des  divers  chroniqueurs.  Mais  Pertz  en  a  publié 
les  actes  d'après  un  manuscrit  de  Bamberg  3.  Rhaban  archevêque 
de  Mayence  présidait  ;  étaient  présents  les  évêques  de  la  Fran- 
cia  orientalis,  des  Bavarois  et  des  Saxons,  c'est-à-dire  Liutprand 
de  Salzbourg,  Gotzbald  de  Wùrzbourg.  Salomon  de  Constance, 
Esso  de  Coire,  Lanto  d'Augsbourg,  Otkar  d'Eichstâdt,  Gebhard  de 
Spire,  Haymon  d'Halberstadt,  Baturat  de  Paderborn,  Gautzbert 
(Simon)  de  Suède,  Erchanfrid  de  Ratisbonne,  Hartwig  de  Passau, 
Lantfrid  de  Seben  (Brixen),  Altfrid  d'Hildesheim  et  Liutprand4, 
ainsi  que  beaucoup  de  chorévêques,  d'abbés  et  de  prêtres.  Ils  [180] 
portèrent  les  décisions  suivantes  :  1.  La  paix  et  la  concorde  doivent 
régner  parmi  les  chrétiens,  et  en  particulier  entre  les  évêques  et 
les   comtes.    2.    Les   évêques   sont   chargés    du   gouvernement   de 


1.  Gams,  op.  cit.,  p.  319. 

2.  Les  actes  du  concile  de  Mayence  portent  des  dates  contradictoires,  la  XVe 
indiction  se  rapporte  à  l'année  851,1a  18e  année  du  règne  de  Louis  coïncide  avec 
l'année  850.  En  outre  les  actes  donnent  l'année  852.  Pertz  (Monum.,  t.  iu,Leg., 
t.  i,  p.  410)  se  prononce  pour  851;  Binterim,  Dummler  et  d'autres  pour  8512. 
On  ne  peut  avoir  aucune  certitude  à  ce  sujet. 

3.  Le  Codex  de  Bamberg  porte  852,  mais  Pertz  a  corrigé  cette  indication  et 
mis  851,  bien  à  tort  il  est  vrai,  car  il  est  dit,  au  commencement  du  document, 
que  le  synode  avait  eu  lieu  le  18  octobre  die  tertia.  Or  en  852  le  18  octobre  tombait 
un  mardi,  par  conséquent  die  tertia,  tandis  qu'en  851  ce  jour  était  un  dimanche» 
Coll.regia,  t.  xxi,  col.  634;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  77;  Coleti,  Concilia, 
t.  ix,  col.  1083;  Mansi,  Concilior.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  070;  Jack,  dans  Biich- 
ler-Dùmge,  Archiv,  1820;  t.  i,  p.  157-158;  Mùhlbacher,  Reg.  Karoling.,t.  i,  p.  535  ; 
Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  ni,  Leges,  t.  i,  p.  410  ;  Capitularia,  t.  n,  p.  184  ; 
P.  L.,  t.  cxxxvm,  col.  579;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  n,  p.  503  sq.  ;  Dumm- 
ler, Gescli.  d.  ostfr.  Reiches,  t.  i,  p.  360;  Mùhlbacher,  Regesta,  t.  i,  n.  1390  a  ; 
A.  Verminghoff,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  618.  (H.  L.)  ] 

4.  Siège  inconnu. 


452.     CONCILES    TENUS    ENTRE   850    ET   853  191 

l'Eglise,  de  la  défense  des  veuves  et  des  orphelins,  el  les   comtes 
ainsi  que  les  juges  doivent  les  y  aider.  3.   Exhortation  à    payer 
la  dîme.  4.  Le  roi  doit  protéger  les   biens   des   églises   comme    ses 
biens   propres  et  maintenir  leurs  immunités.   5.    Une    église    ne 
peut  être  partagée  entre  plusieurs  héritiers  (des  domaines  dont 
elle  fait  partie).  6.   Les  clercs  ne  doivent  pas  chasser.   7.    Ils   ne 
doivent  pas  avoir  de  femmes  chez  eux,  et  ils  ne  doivent  pas   non 
plus   les   visiter.   8.     Procédure  à  observer   quand   un   prêtre    est 
accusé  d'inconduite.  9.  Peine  contre  ceux   qui  étouffent  leurs  en- 
fants par  imprudence.  10.  Celui  qui  est  coupable  d'inceste  secret 
doit  aussi  faire  pénitence  en  secret.  11.  Peine  ecclésiastique  contre 
le    meurtre.    Décision    sur    deux    cas    particuliers     d'adultère     et 
de  meurtre.  12.  Celui  qui  a  une  concubine    à    laquelle     il    n'est 
pas  régulièrement   fiancé,   peut  l'abandonner    pour    épouser  une 
autre    femme.    13.    Du    meurtre,    et    en    particulier  du    meurtre 
commis   entre   époux.    14.    Ouvrages   serviles  défendus    le  diman- 
che.  15.   Celui  qui  a  une  femme  et  une  concubine    ne    doit    pas 
être  admis  à   la    communion  ;    mais    on    y    admettra     celui   qui 
n'a  qu'une  concubine  1.    16.    Lorsqu'on   apporte   à   un   prêtre,    de 
quelque  paroisse  que  ce  soit,  un  enfant  malade,  il  doit   le   bapti- 
ser sans  délai.  17-18.  Aucun  prêtre  ne  doit  attirer  ceux    qui   font 
partie  d'une  autre  paroisse  ;  aucun  évêque  ne  doit  attirer  les   clercs 
d'un   autre   évêque.  19.  Aucun  prêtre   ne    doit   faire   de    présents 
à    un  clerc  ou  à    un  laïque   pour   obtenir   l'église   d'un    autre.    20. 
Celui  qui    se  sépare   d'un  prêtre  sous   prétexte   que   ce  prêtre    a 
été  marié  (qui  uxorem  habuit)  et  pense  qu'on  ne  doit    pas     rece- 
voir de  lui  la  communion,  sera  anathème.  21.  Un  diacre    ne  doit 
pas  s'asseoir  en  présence  d'un  prêtre,  à  moins  que  celui-ci  ne   ! 
autorise.  22.  Pendant  le  carême,  on  ne  doit  pas,  sauf    les   same- 
dis   et    les    dimanches,    donner    le    pain   bénit    (partis    benedictio- 
ri81]   nis)>  c'est-à-dire  qu'on  ne  doit    célébrer    aucune    fête    do    saint  2. 
23.   Les  clercs  ne  doivent  pas  assister  aux   représentai  ions   théa- 

1.  Conc.  Tolet.,  can.  19.  Cf.  Hisi.  des  conciles,  §  112. 

2.  Conc.  Laodic,  can.  'i9;  Conc.  Trull.,  can.  52,  contiennent  une  ordonnance 
analogue,  mais  dans  ce  sens  que,  les  autres  jours  de  carême,  on  devait  dire 
seulement  les  missse  prsesanctificatorum.  Dans  le  canon  de  Mayence,  les  mots 
panis  benedictionis  doivent  s'entendre  des  eulogies.  Quoiqu'en  Orient  il  n'y  eût 
durant  les  premiers  siècles  et  pendant  le  carême  de  messe  proprement  dite  que  le 
dimanche,  cette  coutume  était  changée,  dès  le  ive  ou  le  v°  siècle,  en  celle  à  laquelle 
notre  canon  fait  allusion.  Cf.  Binterim,  Denkwùrdigkeiten,  t.  v,  p.  504  sq.  - 


192  LIVRE     XXII 

traies,  qui  onl  lieu  d'ordinaire  à  l'occasion  tics  banquets  et  des 
noces  ;  ils  doivent  se  retirer  auparavant.  24.  On  ne  doit  pas 
dire  la  messe  dans  les  habitations  privées.  25.  Défense  portée 
contre  la  simonie  1. 

Le  manuscrit  de  Bamberg  2  portant  la  suscription  :  Canon 
llludowici,  il  en  résulte  que  Louis  le  Germanique  a  confirmé 
ces  ordonnances. 

Sans  nous  arrêter  à  deux  réunions  peu  nombreuses  et  sans 
importance,  nous  nous  occuperons  du  grand  concile  de  Sois- 
sons,  en  853.  A  la  demande  des  évêques  francs,  le  roi  Charles  le 
Chauve  avait  prescrit  la  tenue  d'un  concile  dans  le  monastère 
de'Saint-Médard  et  Saint-Sébastien,  le  22  avril  853  3.  Il  y  assis- 
tait,  ainsi  que  les  archevêques  Hincmar  de  Reims,  Wenilo  de  Sens 
et  Amalric  de  Tours,  un  grand  nombre  d'évêques,  des  abbés, 
des  prêtres,  etc.  Parmi  les  évêques,  on  distinguait  en  parti- 
culier Prudence  de  Troyes  et  Pardulus  de  Laon,  et  parmi  les 
abbés,  Loup  de  Ferrières  et  Bavon  d'Orbais  (c'était  l'abbé  de 
Gotescalc).  Nous  ne  possédons  pas  les  actes  complets  de  cette 
assemblée  ;  une  partie  néanmoins  nous  est  parvenue,  à  sa- 
voir :  a)  des  extraits  des  procès-verbaux  des  huit  sessions  où 
fut  agitée  la  question  des  clercs  déposés  par  Hincmar  ;  b)  le 
mémoire  adressé  au  concile  par  les  clercs  déposés;  c)  treize  ca- 
nons ;  d)  un  capitulaire  publié  à  cette  époque  par  Charles  le  Chauve 
et  relatif  aux  affaires  de  l'Eglise. 

Nous  avons  vu  que  le  prédécesseur  d' Hincmar  sur  le  siège  de 
Reims,  l'archevêque  Ebbon,  avait  été  déposé  dans  un  concile  de 
Thionville;  mais  en  840,  l'empereur  Lothaire  l'avait  réintégré 
de  force.  Il  ordonna  alors  plusieurs  clercs.  Quelques  mois  après, 
il  était  de  nouveau  expulsé  par  le  roi  Charles  le  Chauve  et,  en  845, 
Hincmar  était  élevé  sur  le  siège  de  Reims.  On  comprend  qu' Hinc- 
mar ait  regardé  comme  illégale  la  réintégration  d'Ebbon  en  840, 
sans  quoi  son  élévation  sur  le  siège  de  Reims,  du  vivant  d'Eb- 
bon,  eût  été   sans  valeur.  Hincmar  se  refusa   donc  à    reconnaître  [182] 

1.  Conc.  Chalced.,  can.  2. 

2.  Ms.  Bamberg  A.  I.  35,  ixc   Siècle.  (II.  L.) 

3.  Sirmond,  Conc.  Gall,  t.  m.  col.  71,  80  ;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  636;  Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  79-98,  1943-1945;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  41  ;  Coleti, 
Concilia,  t.  ix,  col.  1087;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  t,  col.  930;  Conc.  am- 
pliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  978;  t.  xvn,  Appendix,  p.  33;  Pertz,  Monum.  Germ.  hist., 
t.  m,  Leges,  t.  i,  p.  416.  Voir  Appendices.    (H.  L.) 


4.32.     CONCILES    l'IM   s    ENTRE    850    ET    Soà  193 

les  ordinations  faites  par  Ebbon  après  sa  réintégration,  el  inter- 
dit aux  clercs  ainsi  ordonnés  les  fonctions  de  leur  ministère. 
Ceux-ci  portèrent  leurs  plaintes  par-devant  le  concile  de  Soissons, 
et,  sur  leurs  prières,  on  leur  permit  de  paraître  devant  le  con- 
cile. Dès  qu'ils  furent  introduits,  Sigloard,  archidiacre  d'Hinc- 
mar,  lut  leurs  noms  :  Rodoald,  Gislad,  Wulfad  et  Frédébert, 
les  uns  moines,  les  autres  chanoines  de  la  cathédrale  de  Reims. 
Mais  Wulfad,  dont  le  nom  avait  été  appelé,  n'était  pas  présent. 
Ils  demandèrent,  de  vive  voix,  leur  réintégration,  mais  Hinc- 
mar  exigea  d'eux  une  pièce  écrite.  Quelques  jours  après, 
26  avril,  ils  remirent  leur  requête  1  ;  Hincmar,  président,  remar- 
qua alors  l'absence  du  nom  de  Wulfad  ;  Sigloard  répondit  que 
W  ulfad  était  malade  dans  un  des  monastères  de  la  ville.  Aussitôt 
on  lui  envoya  une  députation  réclamant  sa  signature.  Quand  il 
l'eut  donnée,  ainsi  que  l'affirment  les  actes  de  Soissons.  Hincmar 
déclara  que,  conformément  aux  règles  canoniques,  les  plaignants 
et  lui  devaient  faire  choix  d'arbitres.  Il  désigna  pour  sa  part 
183]  les  archevêques  Wenilo  de  Sens,  Amalric  de  Tours  et  l'évêque 
Pardulus  de  Laon.  qu'il  chargea  de  représenter  le  siège  de  Reims, 
et  de  présider  le  tribunal  des  arbitres,  afin  qu'il  ne  fût  porté  aucune 
atteinte  aux  droits  de  la  primatiale  de  Reims.  Il  concéda  à  ses 
adversaires  le  droit  de  choisir  les  mêmes  arbitres  ou  d'autres; 
ceux-ci  se  contentèrent  d'y  adjoindre  Prudence,  évêque  de  Troyes. 
Lorsque,  dans  la  seconde  session,  les  arbitres  demandèrent 
aux  évêques  qui  avaient  autrefois  ordonné  Hincmar,  s'ils  pouvaient 
démontrer  le  motif  de  la  déposition  d' Ebbon  et  de  l'élévation 
d' Hincmar,  Théodoric,  évêque  de  Cambrai,  se  leva  et  remit  un 
mémoire,  lu  par  l'abbé  Loup,  et  contenant  l'exposé  de  ce  qui 
s'était  passé  à  Thionville.  L'évêque  de  Cambrai  montrait  que, 
île  son  propre  aveu  et  par  la  sentence  des  trois  juges  de  sa  con- 
science, devant  des  témoins,  dont  Théodoric  lui-même,  Eb- 
bon s'était  reconnu  indigne,  à  cause  de  ses  péchés  et  méfaits, 
d'occuper  la  charge  archiépiscopale.    Le    mémoire     exposait,    en 

1.  Ce  renseignement  est  reproduit  dans  Bouquet,  Rec.  des  historiens  des  Gaules, 
t.  vu,  p.  277  sq.,  et  dans  A.  Du  Chesne,  Historiée  Franc.  Scriptor es,  t.  n,  p.  340  sq. 
Les  clercs  déposés  emploient  ici  un  principe  conforme  à  celui  du  pseudo-Isidore 
pour  déclarer  que  la  déposition  d' Ebbon  par  le  concile  de  Thionville  n'était  pas 
valable,  en  particulier  parce  que  cette  réunion  n'avait  pas  été  Aposlolica  auctoritate 
convocata.  Ils  pouvaient  facilement  connaître  ce  principe  du  pseudo-Isidore,  si 
Ebbon  est  un  partisan  de  cette  doctrine.  Cf.  Von  Norden,  Hincmar,  p.  122  sq. 

CONCILES    —  IV   —    13 


194 


LIVRE    XXII 


outre,  qu'un  évèque  démissionnaire  dans  ces  conditions  ne  pou- 
vait revenir  sur  sa  décision,  et  indiquait  les  conditions  de  la 
réintégration  d'un  évêque  déposé.  Enfin,  le  pape  Serge  avait 
confirmé  la  déposition  d'Ebbon,  et  l'avait  réduit  à  la  communion 
laïque.  Le^concile  approuva  le  mémoire  de   Théodoric. 

La  troisième  session  enquêta  sur  l'élévation  d'Hincmar  au 
siège  de  Reims  ;  à  la  demande  des  judices,  Rothade,  évèque  de 
Soissons,  rappela  les  règles  canoniques  d'élection  d'un  métropo- 
litain. Il  montra  que,  conformément  à  ces  canons,  Hincmar  avait 
été  demandé  pour  archevêque  par  le  clergé  et  le  peuple,  et 
ajouta  qu'il  l'avait  lui-même  sacré  canoniquement  en  présence 
de  tous  les  évêques  de  la  province.  Hincmar  communiqua  les  do- 
cuments relatifs  à  son  ordination  et  à  sa  reconnaissance  par  les 
évêques  des  Gaules,  par  le  pape  et  par  le  roi.  Aussi  la  quatrième 
session  proclama-t-elle  Hincmar  régulièrement  élu,  ordonné  cano- 
niquement, décoré  du  pallium  et  reconnu  en  qualité  de  primat. 
Immo,  évêque  de  Noyon,  remit  alors  un  mémoire,  démontrant 
la  nullité  des  ordinations  faites  par  Ebbon  après  sa  réintégra- 
tion. 

Dans  la  cinquième  session  le  concile  se  rangea  à  cette  décision, 
et  déclara  non  avenues  les  fonctions  ecclésiastiques  remplies 
par  Ebbon  après  sa  prétendue  réintégration,  sauf  le  baptême. 
Frédébert,  un  des  clercs  ordonnés  par  Ebbon,  se  leva  et  déclara 
avoir  reçu  les  ordres  d'Ebbon,  uniquement  parce  que  les  suffra- 
gants  de  Reims,  Rothad,  Siméon  et  Erpuin,  étaient  venus, 
avec  le  décret  de  l'empereur  Lothaire,  dans  la  cathédrale,  et 
avaient  réintégré  Ebbon  en  sa  présence.  Il  parla  de  leur  procès- 
verbal  de  réintégration  signé  de  leur  propre  main.  Mais  il  fut 
prouvé  que  ce  document  était  apocryphe,  et  on  démontra  éga- 
lement que  trois  des  sufîragants  d'Ebbon  (Siméon,  ancien  évê- 
que de  Laon,  Loup  de  Châlons  et  Erpuin  de  Senlis)  n'avaient  pas, 
comme  on  le  prétendait,  reçu  de  lui  l'anneau  et  la  crosse.  Le  concile 
décida  en  conséquence  d'excommunier  les  prétendus  clercs,  calom-  [184] 
niateurs  des  évêques,  et  dans  la  sixième  session  Hincmar  reprit, 
à  la  satisfaction  générale,  les  fonctions  de  président,  pour  décider, 
conjointement  avec  Wenilo  et  Amalric,  les  autres  questions  en 
litige.  Halduin,  prêtre  et  abbé  d'Hautvilliers.  fut  dégradé  de  la 
prêtrise,  ayant  été  ordonné  par  Loup,  évêque  de  Châlons,  sans 
une  enquête  préalable  suffisante  et  per  saltum.  Car.  Ebbon  lui 
avant   conféré   le  diaconat    et   cette  ordination  se    trouvant   nulle 


452-     CONCILES    TENUS     ENTRE     850     ET    853  195 

comme  les    autres,    Halduin    avait    été   sans   transition   élevé   du 
sous-diaconat  à  la  prêtrise. 

Dans  la  septième  session,  on  demanda  la  conduite  à  tenir  à 
l'égard  de  ceux  qui  étaient  restés  en  communion  avec  Ebbon 
pendant  le  temps  de  son  excommunication.  Les  règles  de  l'Église 
exigeant  de  ces  personnes  une  satisfaction  écrite,  on  prouva 
que,  lors  de  l'élévation  d'Hincmar,  toute  l'Église  de  Reims  avait 
rédigé  un  acte  semblable,  et  s'était  infligé  à  elle-même  une 
pénitence,  qu'Hincmar  avait  levée.  A  la  fin  de  la  huitième 
session,  le  roi  Charles  intercéda  en  faveur  des  clercs  d'Ebbon, 
qu'on  admit  par  grâce  à  la  communion. 

Le  second  document  du  concile  de  Soissons  comprend    treize, 
ou,  d'après  Pertz,  douze  canons.  1.  Le  premier  est  un  résumé   de 
ce  qui  s'était  fait  et  avait  été  décidé   le    26  avril  au  sujet    de    la 
prétendue   réintégration   d'Ebbon   et   des   clercs  ordonnés  par  lui 
après  cette  réintégration  ;  le    canon    renvoie    aux  actes    plus  dé- 
taillés. 2.  Hériman,  évêque  de   Nevers,   est  blâmé  d'avoir  exercé 
ses  fonctions  à  une  époque  où  il  ne  jouissait  pas  de  ses  facultés; 
on  recommande  à  son  métropolitain  Wenilo  de  le  faire  venir  l'été 
suivant   auprès   de   lui   à   la    campagne,    pour  voir  si  un  air  plus 
sain  n'améliorera  pas  son  état.  3.  Une  commission  devra  exami- 
ner la  régularité  de  l'élévation  de  Burchard,    par  ordre    du  roi, 
sur  le   siège   de   Chartres.   4.   Aldrich,   évêque   du  Mans,   malade, 
sollicite  les  prières  du  concile.  Celui-ci  les  promet  et  charge  l'arche- 
vêque de  Tours  de  veiller  au  gouvernement  de  l'Église  du  Mans. 
5.  Deux  moines  de  Saint-Médard  qui  avaient  aidé  le  prince  Pépin, 
enfermé  dans  ce  monastère,  à  prendre  la  fuite,  sont  punis.  6.  Le 
roi   Charles    s'étant    plaint    que    Ragamfrid,    diacre    de    Reims, 
avait  composé  de  faux  documents  portant  le  nom  du  roi,  le   con- 
cile prescrit  que  le  diacre  ne  quittera  pas  Reims  avant   d'avoir 
prouvé  son  innocence  ou  donné  satisfaction.   7.   On   nomme   des 
[185]   commissaires  pour  rétablir  le  service  divin  dans  les  villes  et  dans 
les  monastères  dévastés  par  les  Normands.  8.  Les  immunités  des 
églises  doivent  être    confirmées.  9.  On   paiera  la  dîme  et  le  neu- 
vième des  biens  de  l'Église  qui  sont  dans  des  mains  étrangères  et 
peuvent  être  restitués.  10.  On  ne  rendra  pas  la  justice  les  diman- 
ches ou  jours  de  fête  dans  les  lieux  saints.  11.  Ceux  qui  sont  sous 
le  coup  des  peines  ecclésiastiques,  ne  doivent  être   protégés    par 
personne    contre   l'évêque.    12.    Les    incestueux    ou    autres    sacri- 
lèges qui  veulent   se  soustraire  au  tribunal  épiscopal,  doivent    lui 


196 


LIVKE     XXII 


être  livrés  de  nouveau  par  les  juges  civils.  13.  Aucun  bien  d'Église 
ne  peut  être  échangé  sans  l'assentiment  du  roi. 

Le  troisième  document,  c'est-à-dire  le  capitulaire  publié  par 
le  roi  dans  la  septième  session  de  Soissons,  est  une  instruction 
aux  missi  dominici  relative  à  l'exécution  des  canons  1-13  inclu- 
sivement, énumérés  plus  haut  1.  Nous  verrons  plus  tard  le  juge- 
ment catégorique  du  pape  Nicolas  Ier  sur  ce  concile. 

Au  mois  d'août  853,  on  tint  un  concile  franc  à  Verberie  (arron- 
dissement de  Senlis,  Oise)  au  sujet  de  la  maladie  de  l'évêque 
Ilériman,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  on  établit  un  adminis- 
trateur pour  le  diocèse  de  Nevers.  Il  fut  décidé  que  le  monastère 
de  Saint-Alexandre  de  Lebraha  ne  serait  pas  séparé  de  celui  de 
Saint- Denis  et  ne  serait  pas  donné  en  précaire  2. 

Le  20  décembre  de  cette  même  année  853,  le  pape  Léon  IY  réunit 
dans  l'église  de  Saint-Pierre,  à  Rome,  un  grand  concile  de  soixante- 
sept  évêques,  qui  renouvelèrent  les  trente-huit  canons  du  concile 
romain  de  826,  et  en  ajoutèrent  quatre  autres  ;  ce  concile  pro- 
nonça pour  la  troisième  fois  la  peine  d'excommunication  contre 
le  cardinal  Anastase,  qui  avait  abandonné  sans  autorisation  son 
église  titulaire  Saint-Marcel.  Depuis  cinq  ans,  il  errait  de  coté  et 
d'autre,  surtout  dans  les  environs  d'Aquilée,  et  n'avait  tenu  aucun 
compte  de  quatre  avertissements  du  pape,  ni  des  ordres  réitérés 
de  l'empereur  et  du  concile  3. 


1.  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  54;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xvu, 
Appendix,  p.  37;  Pertz,  Monum.  Germ.  histor.,  Leges,  t.  i,  p.  418. 

2.  Sirmond,  Conc.  Gallise,  t.  in,  col.  91;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  667;  Gallia 
christiana,  1656,  t.  m,  col.  793  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  99-101,  1945- 
1946;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  59;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1112;Scheidt, 
Orig.  Guelf.,  t.  n,  p.  89-90;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  997  ;  t.  xvn,  Appendix, 
p.  40;  Pertz,  Monum.Germ.  hist.,  t.  ni,  Leges,  t.  i,  p.  420.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

3.  Les  actes  mentionnent  ici  pour  la  première  fois  la  date  des  années  du  pape 
à  côté  de  la  date  des  années  de  l'empereur.  [Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  671  ;  Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  101-102,  113-133;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  61;  Coleti, 
Concilia,  t.  ix,  col  1115;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xiv,  col.  997.  Voir  Appen- 
dices. (H.  L.)] 


453.     CONCILE     DE    QUIERZY  197 


453.  Concile  de  Quierzy.  en  853,  et  les  quatre  chapitres 
[186]  THincmar. 

..  Maugin  suppose  1  que  la  réponse  de  l'Église  de  Lyon,  dont  nous 
avons  parlé  2,  et  qui  devait  déplaire  à  Hincmar  et  à  Pardulus, 
était  connue*  de  ces  deux  évêques  à  l'époque  du  concile  de  Sois- 
sons  (avril  853),  mais  qu'ils  avaient  prudemment  gardé  le 
silence  sur  l'affaire  de  Gotescalc,  parce  que  la  plupart  des  évê- 
ques présents  s'étaient  déjà  prononcés  à  Paris,  en  849,  pour 
Prudence  et  pour  la  gemina  prsedestinatio  (ce  qui  est  inexact). 
Aussi,  après  le  concile  de  Soissons,  Hincmar  réunit-il,  au  dire  de 
Maugin,  sur  la  question  de  la  prédestination,  une  assemblée  moins 
nombreuse,  et  qui,  pour  ce  motif,  était  susceptible  de  subir  plus 
facilement  son  influence.  Comme  toujours,  Maugin  prête  à  Hinc- 
mar le  plus  vilain  rôle;  que  si  ce  concile  de  Soissons  ne  s'est  pas 
occupé  de  l'affaire  de  Gotescalc,  c'est  peut-être  pour  de  tout  autres 
motifs.  L'histoire  de  cette  assemblée  nous  l'a  montrée,  en  général, 
bien  disposée  pour  Hincmar,  et  assez  chargée  d'affaires  sans  y 
ajouter  la  question  de  la  prédestination. 

Les  Annales  de  Saint- Berlin  rapportent,  qu'à  l'issue  du  concile 
de  Soissons,  Charles  le  Chauve  publia,  conjointement  avec  quel- 
ques évêques  et  abbés  réunis  à  Quierzy,  quatre  capitula,  qu'il 
confirma  en  les  contresignant  lui-même  3.  Comme  ces  Annales 
donnent  en  abrégé  ces  quatre  canons,  il  est  incontestable  qu'il 
s'agit  ici  des  quatre  célèbres  capitula  d'Hincmar  contre  Gotes- 
calc, souvent  attribués,  mais  à  tort,  au  concile  de  Quierzy  de 
849.  Ils  portent,  clans  les  collections  des  conciles,  ce  titre  :  in 
synodo  constituta,  et  Maugin  4  fait  de  vains  efforts  pour  prouver 
que  la  réunion  de  Quierzy,  d'où  proviennent  ces  capitula,  n'a 
pas  été  un  concile  proprement  dit.  Hincmar  dit,  au  contraire, 
que  le  roi  Charles  avait  synodali  decreto  et  episcopali  definitione 
réuni  la  doctrine  des  Pères  dans  quelques  capitula,  qu'il  avait  fait 


1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  264. 

2.  Voir  §  451. 

3.  Pertz,  Monum.,  t.  i,  p.  447. 

4.  Maugin,  op.  cit.,  t.  u,   p.  273. 


198 


LIVRE     XXII 


signer  par  tous  1.  Même  les  adversaires  d'Hincmar  déclarent,  dans 
le  c.  4  de  Valence,  que  ces  capitula  proviennent  d'un  concile,  (voir 
p.  194).   En  voici  le  texte  : 

1.  Quod  una  tantum  sit  prœdestinatio  Dei.  Deus  omnipotens  hominem  sine  [187] 
peccato  rectum  cum  libero  arbitrio  condidit  et  in  paradiso  posuit,  quem 

in  sanctitate  justitiœ  permanere  voluit.  Homo  libero  arbitrio  maie  utens 
peccavit  et  cecidit,  et  factus  est  massa  perditionis  totius  bumani  generis. 
Deus  autem  bonus  et  justus  elegit  ex  eadem  massa  perditionis  secundum 
prsescientiam  suam,  quos  per  gratiam  prœdestinavit  ad  vitam,  et  vitam 
illis  prœdestinavit  œternam.  Caeteros  autem,  quos  justitiœ  judicio  in  massa 
perditionis  reliquit,  perituros  prœscivit,  sed  non  ut,  périrent  prœdestinavit, 
pœnam  autem  illis,  quia  justus  est,  prœdestinavit  œternam.  Ac  per  hoc 
unam  Dei  prœdestinationem  tantummodo  dicimus,  quœ  aut  ad  donum 
pertinet  gratiœ,  aut  ad  retributionem  justitiœ. 

2.  Quod  liberum  hominis  arbitrium  per  gratiam  sanetur.  Libertatem  ar- 
bitra in  primo  homine  perdidimus  (  !),  quam  per  Christum  Dominum  nos- 
trum  recepimus.  Et  habemus  liberum  arbitrium  ad  bonum,  prœventum 
et  adjutum  gratia.  Et  habemus  liberum  arbitrium  ad  malum,  desertum 
gratia.  Liberum  autem  habemus  arbitrium,  quia  gratia  liberatum,  et  gratia 
de  corrupto  sanatum. 

3.  Quod  Deus  omnes  homines  velit  salvos  fieri.  Deus  omnipotens  omnes 
homines  sine  exceptione  vult  salvos  fieri,licet  non  omnes  salventur.  Quod 
autem  quidam  salvantur,  salvantis  est  donum;  quod  autem  quidam  pe- 
reunt,  pereuntium  est  meritum. 

4.  Quod  Christus  pro  omnibus  hominibus  passus  sit.  Christus  Jésus  Do- 
minus  noster,  sicut  nullus  homo  est,  fuit,  vel  erit  cujus  natura  in  illo 
assumpta  non  fuerit,  ita  nullus  est,  fuit,  vel  erit  homo,  pro  quo  passus 
non  fuerit,  licet  non  omnes  passionis  ejus  mysterio  redimantur.  Quod  vero 
omnes  passionis  ejus  mysterio  non  redimuntur.  non  respicit  ad  magni- 
tudineni  et  pretii  copiositatem,  sed  ad  infidelium  et  ad  non  credentium 
ea  fide,  quœ  per  dilectionem  opéra tur.  respicit  partem;  quia  poculum 
humanœ  salutis,  quod  confectum  est  infîrmitate  nostra  et  virtute  divina, 
habet  quidem  in  se.  ut  omnibus  prosit;  sed  si  non  bibitur,  non  medetur  2.       [188J 

Les  collecteurs  des  conciles  ont  cru  devoir  identifier  ce  concile 
de  Quierzy  avec  le  concile  provincial  également  tenu  dans  cette 
ville  et  dont  parle  Flodoard  (m,  28).  D'après  celui-ci,  Hincmar 
avait  demandé  au  chorévêque  Richald  et  à  l'archiprêtre    Rodoald 


1.  Hincmar,  Ep.  ad  regem,  P.  h.,  t.  cxxv,  col.  68. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  920,   925  ;   Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  18,  58  ; 
Gess,  Merkwurdigkeiten  aus  dem  Leben  und  den  Schriften  Hinkmars,  p.  34    sq. 


454.     CONCILE     DE     SENS     OU     DE     PARIS  199 

le  renvoi  par  devant  le  concile  provincial,  qui  devait  se  tenir 
apud  Carisiacum,  de  tous  ceux  du  diocèse  de  Reims  qui  avaient 
des  sujets  de  plaintes.  Ils  inviteraient  Milon.  et  sa  fille,  dont  Fui- 
cric  avait  abusé,  avec  tous  les  autres  complices  à  y  comparaître. 
Flodoard  rapporte  (III,  xxvi)  que  Fulcric,  magnat  au  service  de 
l'empereur  Lothaire,  avait  abandonné  sa  femme  légitime  pour 
en  prendre  une  autre.  Enfin,  au  lib.  III,  x,  nous  apprenons 
qu'Hincmar  (ou  son  concile  de  Quierzy)  avait  excommunié  l'em- 
pereur Lothaire,  à  cause  de  ses  relations  avec  Fulcric,  excommu- 
nié lui-même,  mais  que  plus  tard  il  l'avait  absous. 


454.  Concile  de  Sens  ou  de  Paris  et  contre-capitula 

de  Prudence. 

Hincmar  assure  que  Prudence  de  Troyes  avait  signé  les  quatre 
capitula  de  Quierzy  ;  mais  que,  peu  de  temps  après,  il  leur  avait 
opposé  quatre  autres  capitula  contenus  dans  une  lettre  à  Wenilo, 
archevêque  de  Sens  1.  Nous  possédons  encore  cette  lettre  de  Pru- 
dence, et  nous  y  voyons  que  les  évêques  de  la  province  de  Sens 
s'étaient  réunis  à  Paris  ou  à  Sens,  pour  le  sacre  d'Éné,  évêque 
de  Paris,  successeur  d'Ercanrad  2.  Prudence,  malade,  ne  put  se 
rendre  en  personne  à  ce  concile  auquel  il  délégua  un  de  ses  prêtres 
nommé  x\rnold,  avec  une  lettre  approuvant  complètement  l'or- 
dination d'Ené,  si  celui-ci  reconnaissait  les  prescriptions  du 
Siège  apostolique  et  les  écrits  des  saints  Pères  Augustin,  Fulgence, 
Isidore,  Bède,  etc.,  surtout  au  sujet  des  quatre  capitula  par  lesquels 
l'Église  catholique  combattait  Pelage  et  ses  adhérents.  Par  ces 
quatre  capitula,  l'ordinand  professait  les  points  suivants  3  : 

1.  Videlicet  ut  liberum  arbitrium  in  Adam  merito  inobedientiœ  amissum, 

ita  nobis  per  Dominum  nostrum  Jesum  Christum  redditum  at'que  libera- 

189]    Mini    confiteatur,   intérim  in   spe,   postmodnm   autem,   in   re,   sicut   dicit 

1.  Hincmar,  De  prsedest.,  c.  xxvi  et  xxi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  182,  268. 

2.  Lalande,  Conc.  Gallise,  p.  161  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  1932;  Hardouin, 
Coll.  concil.,  t.  v,  col.  39;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1085;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xiv,  col.  975.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

3.  Ces  contre-capitula  ont  été  conservés  par  Hincmar  dans  la  prsefatio  de  son 
ouvrage  De  prœdestinatione,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  64;  Maugin,  op.  cit.,  t.  u,  p.  279. 


200  LIVRE    XXII 

Apostolus  :  Spe  enim  sdivi  facti  sumus,  ut  tamen  semper  ad  omne  opus 
bonum  Dei  omnipotentis  gratiâ  indigeanms  sive  cogitandum,  sive  incho- 
andum,  operandum  ac  perseveranter  consummandum,  et  sine  ipsa  nihil 
boni  nos  posse  ullatenus  aut  cogilare  aut  velle  aut  operari  sciamus. 

2.  Ut  Dei  omnipotentis  altissimo  secretoque  consilio  credat  atque  fa- 
teatur,  quosdam  Dei  gratuita  misericordia  ante  omnia  sœcula  pra?desti- 
natos  ad  vitam,  quosdam  imperscrutabili  justitia  prsedestinatos  ad  pae- 
nam.  Ut  id  videlicet  sive  in  salvandis  sive  in  damnandis  prœdestinaverit, 
quod  se  praescierat  esse  judieando  facturum,  dicente  Propheta  :  Qui  fecit, 
quse  futura  sunt. 

3.  Ut  credat  et  confiteatur  cum  omnibus  catholicis,  sanguinem  Domini 
nostri  Jesu  Christi  pro  omnibus  hominibus  ex  loto  mundo  in  eum  creden- 
libus  fusum,  non  autem  pro  illis,  qui  nunquam  in  illum  crediderunt, 
neque  hodie  credunt,  nunquamque  credituri  sunt,  dicente  ipso  Domino  : 
Venit  enim  Filins  hominis  non  ministrari,  sed  ministrarc  et  dore  animam 
suam  in  redemptionem  pro  mtjltis. 

4.  Ut  credat  atque  confiteatur,  Deum  omnipotentem  omnes,  quoscum- 
que  vult,  salvare,  et  neminem  posse  salvari  ullatenus,  nisi  quem  ipse  sal- 
vaverit  ;  omnes  autem  salvari,  quoscumque  ipse  salvare  voluerit.  Ac  per 
hoc  quicumque  non  salvantur,  penitus  non  esse  voluntatis  illius,  ut  sal- 
ventur,  dicente  propheta  :  Omnia  quœcumque  voluit  Dominus,  fecit  in 
cselo  et  in  terra,  in  mari  et  in  omnibus  abyssis. 

Maugin  prétend  qu'Hincmar  a  menti  impudemment  en  avançant 
que  Prudence  avait  signé  les  quatre  capitula  de  Quierzy  1.  Mais 
Schrôckh  et  Gess  relèvent  cette  excessive  partialité  ;  il  est 
probable  en  effet  que  Prudence,  intimidé  par  la  présence  du  roi, 
qu'Hincmar  avait  gagné  à  ses  idées,  accepta  les  quatre  articles 
de  Quierzy  ;  ensuite,  devenu  plus  libre,  il  fit  connaître  ses  véri- 
tables sentiments  à  l'endroit  de  ces  capitula2.  Maugin  suppose3 
que  le  concile  de  Paris  (ou  de  Sens),  approuvant  la  lettre  de  Pru- 
dence et  les  capitula,  les  envoya  au  roi,  qui  les  fit  aussitôt  remet  Ire  [190] 
à  Hincmar. 


1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  u,  p.  277. 

2.  Von  Norden,  op.  cit.,  p.  86,  note  1,  ne  cloute  pas  que  Prudence  n'ait  souscrit 
aux  capitula. 

3.  Maugin,  op.  cit.,  t.  u,  p.  281. 


455.     REMI    DF.     I.YON    CONTRE      HINCMAB  201 


455.  Rémi  de  Lyon  se  prononce  contre  les  capitula  d  Hincmar. 

En  854,  les  adversaires  d'Hincmar  envoyèrent  les  quatre  capi- 
tula de  Quierzy  à  l'Eglise  de  Lyon,  pour  avoir  son  sentiment  à 
leur  sujet.  En  eiïel,  l'archevêque  Rémi,  de  concert  avec  son 
clergé,  écrivit  sans  délai  une  critique  acerbe  et  détaillée  de  ces 
capitula.,  dans  son  Libellus  de  tenenda  immobiliter  Scripturie  ve- 
ritate,  etc.  1.  Les  chapitres  de  Quierzy,  dit  Rémi,  opposés  à 
la  doctrine  de  la  sainte  Ecriture  et  des  Pères,  cherchent  ausu 
lemerario  et  improvide  atque  insolenter  à  obscurcir  cette  doc- 
hine.  Rémi  entame  une  analyse  et  une  critique  minutieuses  : 
a)  Le  1er  chapitre  d'Hincmar  avance  que  :  Dieu  voulait  qu'Adam 
persévérât  in  sauctitate  justitise  ;  il  aurait  dû  ajouter  que  Dieu 
lui  en  avait  donné  la  grâce  et  que  les  anges,  de  même  que  nos 
premiers  parents  avant  la  chute,  avaient  besoin  de  l'assistance 
divine  pour  faire  le  bien  2  (cm),  b)  Le  même  chapitre  disait  : 
Dieu  a  choisi  secundum  prœscientiam  suam  dans  la  massa  per- 
diiionis  ceux  qu'il  prédestinait  ad  vitam.  Mais  en  disant  seule- 
ment per  prœscientiam,  on  laisse  supposer  des  prœvisa  mérita  3  ; 
pour  les  exclure  totalement,  on  aurait  dû  ajouter  les  mots  per 
gratiam  aux  mots  per  prœscientiam  (c  iv).c)  Le  chapitre  reconnaît 
que  Dieu  a  laissé  judicio  suo  l'autre  partie  des  hommes  dans  la 
massa  perditionis  ;  mais  c'est  une  inconséquence  alors  que  de 
nier  la  prœdestinatio  ad  pcenam  (très  juste  !).  Autre  inconséquen- 
ce de  soutenir  que  Dieu  avait  non  seulement  prévu,  mais  prédéter- 
miné ce  que  feraient  les  élus,  tandis  qu'au  sujet  des  autres  il 
[191]  aurait  simplement  prévu,  mais  non  prédéterminé  (c  v;très  bien!). 
Rémi  termine  en  expliquant  la  prœdestinatio  ad  pcenam,  qui 
n'implique  pas  une  prédestination  au  péché.  Il  appuie  sa  doctrine 
sur  des  témoignages  de  la  Bible  et  des  Pères,  et  met  de  nouveau 
en  doute  l'authenticité  de  V Hypomnesticon,  et  celle  de  l'écrit 
de  saint  Jérôme  (c.  v-ix). 


1.  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  1083  sq.;  Maugin,  op.  cit.,  t.  i,  part.  2,  p.  178  sq.  ;  cf. 
t.  ii,  p.  283  sq.  Le  texte  de  Migne  est  fautif  en  bien  des  endroits  ;  ainsi,  col. 
1119  et  1129,  il  faut  suppléer  le  mot  non  avant  redimuntur. 

2.  Hincmar  n'a  jamais  nié  cela. 

3.  Hincmar  n'a  nVn  soutenu  de  semblable  ni  d'approchant. 


202 


LIVRE     XXII 


Rémi  remarque  au  sujet  du  second  capitulum  d'Hincmar  :  a) 
Le  principe  libertatem  arbitrii  in  primo  homine  perdidimus  est 
faux;  ce  qui  est  perdu,  c'est  seulement  la  volonté  pour  le  bien, 
mais  non  la  volonté  pour  le  mal  et  pour  les  plaisirs  naturels  (c. 
x  et  xi)  *.  b)  Tout  aussi  faux  est  ce  principe  :  «  Nous  avons 
recouvré  par  le  Christ  le  libre  arbitre  que  nous  avions  perdu 
dans  le  premier  homme  ;  »  car  il  en  résulterait  que  ceux  qui 
sont  nés  de  nouveau  dans  le  Christ  posséderaient  un  libre  arbi- 
tre aussi  puissant  que  celui  du  premier  homme  avant  sa  chute, 
et  pourraient  comme  lui  rester  sans  pécher 2.  Ce  principe  ou- 
vrirait du  reste  la  porte  au  pélagianisme,  d'après  lequel  l'hom- 
me peut  rester  sans  pécher  sola  virtute  liberi  arbitrii  (c.  xi),  c). 
Quant  à  l'expression  :  «  Nous  obtenons  de  nouveau  par  le 
Christ  la  volonté  libre  et  nous  la  possédons  maintenant  ad  bo- 
nurn  et  ad  malum,,  »  elle  est  fausse,  car  elle  suppose,  ce  qui  est  ab- 
surde, que  nous  avons  recouvré  seulement  par  le  Christ  la  volonté 
de  faire  le  mal  3.  d)  Le  chapitre  ne  mettait  pas  en  relief  que,  non 
seulement  nous  avons  besoin  de  recouvrer  une  première  fois  le 
libre  arbitre,  mais  que  nous  devons  avoir  continuellement  recours 
à  la  grâce  divine,  et  non  seulement  ad  boiium  opus,  comme  dit  le 
texte,  mais  ad  ipsum  initium  fidei  (c.  xn)  4. 

La  suite  de  la  discussion  sur  le  second  chapitre  est  perdue, 
ainsi  que  la  plus  grande  partie  de  celle  sur  le  troisième  chapitre.  On 
voit  cependant,  par  ce  qui  nous  reste,  que  Rémi  citait  son  traité 
De  tribus  epistolis  et  y  renvoyait.  Il  remarque  également  que  les 
Pères  avaient  expliqué  de  diverses  manières  ce  passage  de  la  Ri- 
ble  :  «  Dieu  veut  que  tous  arrivent  au  bonheur  éternel,  etc.  »  Sur 
cette  question,  il  fallait  se  tenir  tranquille  et  ne  pas  disputer.  Il 
est  évident  que  nul  n'est  sauvé  nisi  gratuita  misericordia  Dei, 
que  Dieu  éveille  chez  les  uns  la  volonté  d'être  sauvé  et  ne  l'éveille 
pas  chez  les  autres  severitate  justi  et  occulti  judicii  sui.  Aussi, 
continue  Rémi,  ils  ne  veulent  pas  croire,  par  exemple,  et  c'est 
pour  cela  qu'ils  seront  condamnés.  D'autres,  au  contraire,  à  qui 
l'Évangile  n'est  pas  annoncé,  et  demeure  inconnu,  ne  seront  pas 
condamnés  parce  qu'ils  n'ont  pas  la  foi,  mais  pro  aliis  peccatis 
suis,  et  en  particulier  pour  le  péché  originel  (c.  xn).  [192] 

1.  Hincmar  n'avait  pas  voulu  dire  autre  chose. 

2.  C'est  un  procès  de  tendance  qui  attribue  à  Hincmar  de   telles    déductions. 

3.  Tout  cela  est  prêté  à  Hincmar. 

4.  Cette  critique  n'atteint  pas  Hincmar: 


455.  REMI  DE  LYON  CONTRE  HINCMAR  203 

Au  sujet  du  chapitre  quatrième,  Rémi  formule  un  triple  repro- 
che, a)  Il  blâme  tout  d'abord  les  premiers  mots,  quia  nullus  homo 
est,  fuit  vel  erit,  cujus  natura  in  Christo  assumpta  non  fuerit.  On  au- 
rait dû  bien  plutôt  dire,  puisque  les  fidèles  sont  dans  le  Christ,  que 
le  Christ  est  en  eux  et  que  les  infidèles  sont,  au  contraire,  exsortes. 
«  Lorsque  le  Christ  a  pris  la  nature  humaine,  les  infidèles  n'ont  pas 
participé  à  cette  grâce,  et  ceux-là  seuls  ont  avec  le  Christ  une 
même  nature  qui  assumentem  recipiunt,  et  eo  spiritu  sunt  regenerati, 
quo  est  Me  (le  Christ)  primogenitus  1.  b)  La  proposition  quod  nul- 
lus est,  fuit,  vel  erit  homo,  pro  quo  Christus  passus  non  fuerit  est 
également  erronée,  car  on  ne  peut  certainement  pas  dire  que  le 
Christ  a  souffert  pour  ceux  qui  étaient  morts  dans  l'impiété  avant 
sa  venue  sur  la  terre  et  avaient  été  pour  cela  condamnés.  On  ne 
peut  dire  non  plus  qu'il  a  souffert  pour  le  démon,  car  le  démon, 
comme  les  méchants  morts  avant  l'arrivée  du  Christ,  est  damné 
irrévocablement  pour  toute  l'éternité.  Le  Christ  n'a  appliqué 
ses  souffrances  et  sa  mort  qu'à  ceux  qui  étaient  dans  le  ciel. 
Quant  aux  hommes  venus  après  le  Christ,  la  sainte  Ecriture  en- 
seigne que  le  Christ  a  souffert  pour  tous  ceux  qui,  ayant  cru, 
renaîtraient  de  l'eau  et  de  l' Esprit-Saint  par  la  grâce  du  baptême, 
et  seraient  ainsi  incorporés  à  l'Eglise.  Lorsque  saint  Paul  (I  Tim., 
h,  6)  dit  omnes,  ce  mot  signifie  multos,  ainsi  que  lui-même  le 
montre  en  d'autres  passages  2.  Le  Christ  lui-même  avait  employé 
cette  même  expression:  pro  multis  et  pro  vobis3.  A  l'appui  de 
cette  déduction,  Rémi  allègue  la  pratique  de  l'Eglise,  qui  ne 
permet  pas  d'offrir  le  saint  sacrifice  de  la  messe  pour  les  infi- 
dèles et  les  catéchumènes,  c)  Enfin  l'archevêque  de  Lyon  critique 
cette  phrase  (cependant  très  juste)  :  et  non  credentium  ea  fide, 
etc.,  parce  qu'il  y  est  dit  :  nec  fidèles  redempli  sunt,  qui  non  ha- 
buerint  eam  fidem  quse  per  dilectionem  operatur;  car  tous  les  vrais 
chrétiens  deviennent  participants  de  la  redemptio,  par  le  fait 
même  de  leur  naissance  et  de  leur  baptême,  et  parce  que  cette 
renaissance  implique  par  elle-même  la  délivrance  du  joug  du 
péché.  Quant  à  la  proposition:  «  Celui  qui  est  véritablement 
né  une  seconde  fois  n'est  pas  par  le  fait  même  redemptus,  »    elle 

1.  C'est  là  évidemment  faire  violence  aux  paroles  d'Hinemar.  Il  parle  sim- 
plement de  l'égalité  naturelle  de  tous  les  hommes  avec  le  Christ  :  Rémi,  au 
contraire,  ne  parle  que  de  l'unité  morale  de3  justes  avec   le  Christ. 

2.  Hebr.,  ix,  28;  Rom.,  v,  18. 

3.  Matth.,  xxvi,  28. 


204  LIVRE     XXII 

est    aussi  insensée    que    cette    autre  :   «  Le  Christ  a  aussi  souffert 

pro  impiis.  »  [193] 


456.  Concile  de  Valence,  en  855,  et  réponse  dHincmar. 

Sur  la  demande  de  l'empereur  Lothaire,  Rémi,  Agilmar  et 
Rodland,  métropolitains  des  trois  provinces  de  Lyon,  de  Vienne 
et  d'Arles,  se  réunirent  le  8  janvier  855  avec  leurs  sufîragants  à 
Valence  en  Dauphiné,  pour  y  juger  l'évêque  de  cette  ville  accus*' 
de  divers  méfaits  1.  Après  une  enquête  et  un  jugement  dont  nous 
ignorons  les  termes,  le  concile  publia  vingt-trois  canons.  Ebbon 
de  Grenoble  se  distingua  dans  ce  concile  par  son  activité  :  c'était 
un  neveu  cl' Ebbon,  l'ancien  archevêque  de  Reims,  et  ennemi 
acharné  d'Hincmar.  Aussi  a-t-on  présumé  qu'il  avait  réuni  ce 
concile  pour  combattre  les  principes  de  ce  dernier.  Du  reste,  on 
peut  supposer  que  Rémi  de  Lyon,  président  de  l'assemblée,  ne 
laissa  pas  échapper  cette  occasion  de  combattre,  par  une  sentence 
synodale,  les  capitula  d'Hincmar  qu'il  avait  déjà  attaqués  par 
d'autres  moyens.  Il  est  incontestable  qu'il  a  été  l'inspirateur 
des  canons  de  Valence,  car  on  reconnaît  à  première  vue  la  parenté 
de  ces  canons  avec  l'ouvrage  de  Rémi  :  De  tenénda  immobiliter 
Scripturse    veritate  2. 

1.  Le  premier  de  ces  canons  forme  une  sorte  d'introduction  aux 
autres  et  déclare  que  dans  les  choses  de  foi,  on  doit  éviter  les 
novitates  vocum  et  les  garrulitates  prœsumptivse,  et  qu'au  sujet 
de  la  prescience  et  de  la  prédestination,  il  faut  s'en  tenir  aux 
décisions  des  saints  Pères.  Cette  doctrine  des  Pères  est  exposée 
dans  les  canons  suivants  : 

2.  Deum  prsescire  et  prœscisse  seternaliter  et  bona,  quse  boni  erant 
facturi,  et  mala,  quœ  mali  sunt  gesturi...  fideliter  tenemus  et  placet  tene- 

1.  Les  trois  métropoles  de  Lyon,  de  Vienne  et  d'Arles,  ainsi  que  la  ville  de  Va- 
lence (province  ecclésiastique  de  Vienne),  appartenaient  au  royaume  de  Lothaire. 
[Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  ni,  col.  95;  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  678;  Labbe,  Concilia, 
t.  vin,  col.  133-146;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  87;  Coleti,  Concilia,  t.  ix, 
col.  1149;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  1;  Hincmar  et  le  concile  de  Valence 
dans  l'affaire  de  Golescalc,  dans  Anal,  juris  ponlificii,  t.  iv,  p.  540-563.  Voir 
Appendices.  (H.  L.)] 

2.  Maugin,  op.  cit.,  t.  u,  p.  3(Ki  sq. 


'[.">('..     CONCILE     DE     VALENCE,    EN     855  'M<- 


0 


re,  bonos  praescisse  (Deum)  omnino  per  gratiam  suam  bonos  l'uturos,  et 
per  eamdem  gratiam  alterna  praemia  accepturos  ;  malos  praescisse  per 
propriam  malitiam  malos  futuros,  et  per  suam  justitiam  aeterna  ultione 
damnandos...  Nec  prorsus  ulli  malo  prœscientiam  Dei  imposuisse  neces- 
194]  sitatem,  ut  aliud  esse  non  posset,  sed  quod  ille  futurus  erat  ex  propria 
voluntate,...  Deus...  praesciit  ex  sua  omnipotenti  et  incommutabili  ma- 
jestate.  Nec  ex  prœjudicio  ejus  (Dei)  aliquem,  sed  ex  merito  propriae  ini- 
quitatis  credimus  condemnari  ;  nec  ipsos  malos  ideo  perire,  quia  boni 
esse  non  potuerunt,  sed  quia  boni  esse  noluerunt,  suoque  vitio  in  massa 
damnationis,  vel  merito  originali  vel  etiam  actuali  permanserunt. 

3.  ...Fidenter  fatemur  praedestinationem  electorum  ad  vitam,  et  prae- 
destinationem impiorum  ad  mortem;  in  electione  tamen  salvandorum 
misericordiam  Dei  prœcedere  meritum  bonum,  in  damnatione  autem 
periturorum  meritum  malum  praecedere  justum  Dei  judicium.  Praedesti- 
uatione  auterri  Deum  ea  tantum  statuisse.  quae  vel  gratuita  misericordia, 
vel  justo  judicio  facturus  erat...  In  malis  vero  ipsorum  malitiam  prae- 
scisse, quia  ex  ipsis  est,  non  praedestinasse,  quia  ex  illo(Deo)  non  est.  Pœ- 
nam  sane,  malum  meritum  eorum  sequentem,  uti  Deum  qui  omnia  pro- 
spicit  praescivisse,  et  praedestinasse,  quia  justus  est...Verum  aliquos  ad 
malum  praedestinatos  esse  divina  potestate,  videlicet  ut  quasi  aliud  esse 
non  possint  (possent),  non  solum  non  credimus,  sed  etiam  si  sunt,  qui 
tantum  mali  credere  velint,  cum  omni  detestatione,  sicut  Arausica  syno- 
dus,  illis  anathema  dicimus. 

4.  Item  de  redemptione  sanguinis  Christi,  propter  nimium  errorem, 
qui  de  hac  causa  exortus  est,  ita  ut  quidam,  sicut  eorum  scripta  indicant, 
etiam  pro  illis  impiis,  qui  a  mundi  exordio  usque  ad  passionem  Domini  in 
sua  impietate  mortui  aeterna  damnatione  puniti  sunt,  efïusum  eum  de- 
finiant...  illud  nobis  simpliciter  et  fideliter  tenendum  ac  docendum  pla- 
cet...,  quod  pro  illis  hoc  datum  pretium  teneamus,  de  quibus  ipse  Domi- 
nus  noster  dicit  :  ut  omnis  qui  crédit  in  eum,  non  pereat,  sed  habeat  vitam 
seternam,  et  Apostolus  :  Christus,  inquit,  semel  oblatus  est  ad  multorum 
eœhaurienda  peccata.  Porro  capitula  quatuor,  quae  a  concilio  iratrum  nos- 
trorum  (à  Quierzy)  minus  prospecte  suscepta  sunt,  propter  inutilitatem 
vel  etiam  noxietatem  et  errorem  contrarium  veritati,  sed  et  alia  19  syllo- 
gisinis  ineptissime  conclusa  (il  s'agit  de  V écrit  d' Érigène),  et,  licet  jactetur, 
nulla  sœculari  litteratura  nitentia,  in  quibus  commentum  diaboli,  potius 
quam  argumentum  aliquod  fidei.  deprehenditur,  a  pio  auditu  fidelium 
penitus  explodimus... 

5.  Item  firmissime  tenendum  credimus,  quod  omnis  multitudo  fidelium 
ex  aqua  et  spiritu  sancto  regenerata,  ac  per  hoc  veraciter  Ecclesiœ  incor- 
porata,  el  juxta  doctrinam  apostolicam  in  morte  Christi  baptizata,  m 
ejns  sanguine  sil  a   peccatis  suis  abluta  :  quia  nec  in  ois  potuil  esse  vera 

eneratio,  nisi   Qerel   el    vera  redemptio,  cum  in   Ecclesiae  sacramentis 
nihil  sil   cassum,  nihil  ludificatorium,    sed    prorsus  lot  uni  verum  et  ipsa 


206  LIVRE     XX11 

sua  veritate  ac  sinceritate  subnixum.  Ex  ipsa  tamen  multitudine  fidelium 
et  redemptorum  alios  salvari  œterna  salute,  quia  per  gratiam  Dei  in  re- 
demptione  sua  fideliter  permanent...  alios,  quia  noluerunt  permanere  in 
salute  fidei,  quam  initio  acceperunt,  redemptionisque  gratiam  potius 
irritam  facere  prava  doctrina  vel  vita,  quam  servare,  elegerunt,  ad  ple- 
nitudinem  salutis  et  ad  perceptionem  aeternœ  beatitudinis  nullo  modo 
pervenire. 

6.  Ttem  de  gratia,  per  quam  salvantur  credentes,  et  sine  qua  rationis  [195] 
creatura  nunquam  béate  vixit,  et  de  libero  arbitrio  per  peccatum  in  pri- 
mo homine  infirma to,  sed  per  gratiam  Domini  Jesu  fidelibus  ejus  redin- 
tegrato  et  sanato,  idipsum  constantissimi  et  fide  plena  fatemur,  quod 
sanctissimi  patres  auctoritate  sacrarum  Scripturarum  nobis  tenendum 
reliquerunt,  quod  Af ricana,  quod  Arausica  synodus  professa  est,  quod 
beatissimi  pontifiees  apostolicœ  Sedis  catholica  fide  tenuerunt  ;  sed  et 
de  natura  et  gratia  in  aliam  partem  nullo  modo  declinare  prœsumentes. 
Ineptas  autem  quastiunculas  et  amies  pêne  fabulas,  Scotorumque  pultes 
(la  lettre  de  Scot  Erigène  et  de  ses  partisans)  x  puritati  fidei  nauseam  infe- 
rentes,  quse...  usque  ad  scissionem  caritatis  miserabiliter  et  lacrymabiliter 
succreverunt...  penitus  respuimus...  Recordetur  fraternitas,  malis  mundi 
gravissimis  se  urgeri...  hœc  vincere  ferveat,  hrec  corrigere  laboret,  et  su- 
perfluis  cœtum  pie  dolentium  et  gementium  non  oneret;  sed  potius  certa 
et  vera  fide,  quod  a  sanctis  patribus  de  his  et  similibus  sufficienter  prose- 
cutum  est,  amplectatur. 

Les  collections  des  conciles  passent  immédiatement  au  c.  7; 
mais  Hincmar  nous  apprend  que  le  compositor  capitulorum  avait 
joint  à  ce  canon  neuf  capitula  extraits  des  Pères,  que  Ptemi  avait 
réunis  dans  son  ouvrage  De  tenenda  Scripturse  veritate  (c.  x)  2;  c'est 
ce  qui  résulte  également  de  sa  prsefatio  à  cet  ouvrage,  dans 
laquelle  il  copie  les  canons  de  Valence  et  de  Savonnières,  à 
l'exception  du  premier  canon,  et  donne  également  les  sententias 
Patrum. 

Les  autres  canons  ont  trait  à  d'autres  sujets;  il  est  surprenant 
que  le  concile  de  Valence  n'ait  pas  traité  la  question  :  «  Si  Dieu 
veut  que  tous  les  hommes  arrivent  au  bonheur  éternel,  »  ques- 
tion bruyamment  posée  par  Gotescalc,  diversement  solutionnée 
par  Hincmar  et  ses  adversaires  et  traitée  si  soigneusement  par 
Rémi  dans  ses  écrits.  Il  est  vrai  que  cette  question  touche  à  cette  [196] 

1.  Hincmar,  De  prsedestinat.,  c.  xxiv  sq.,  P.  L.  t.  cxxv,   col.  210  sq. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ami.  855,  1,  qui  ne  connaissait  pas  les  écrits  de  Scot 
Erigène,  a  pensé  que  quelques  Scoti  vagabundi  ayant  à  leur  tête  Gotescalc 
avaient  répandu  les  erreurs   du   prédestinatianisme. 


456.     CONCILE    DE    VALENCE    EN     855  207 

autre  :  «  Si  le  Christ  est  mort  pour  tous,  »  question  résolue  dans 
le  can.  4.  On  ne  saurait  admettre  avec  Hinemar  1  que  Rémi  ait 
passé  sous  silence  la  question  :  «  Si  Dieu  veut  que  tous  les  hommes 
arrivent  au  bonheur  éternel,  »  parce  qu'il  avait  inséré  dans  le 
can.  4  ces  mots  du  pape  Célestin  :  tanta  est  erga  omnes  ho- 
mines  bonitas  Dei.  Maugin  remarque  avec  raison  2  que  ces  mots 
ne  figurent  pas  dans  le  can.  4  ;  mais  par  c.  4  Hinemar  n'enten- 
dait pas  le  4e  canon  de  Valence,  mais  bien  le  n.  4  (ou  plus  exac- 
tement 5)  du  chapitre  x  de  l'écrit  de  Rémi  De  tenenda  immobi- 
liter  Scriptural  veritate,  où  se  trouvent  en  effet  ces  mots  de 
Célestin.  —  Les  autres  canons  de  Valence  sont  ainsi  conçus  : 

7.  Beaucoup  de  sièges  étant  occupés  par  des  évêques  ignorants, 
on  demandera  aux  princes  que  désormais,  pour  toute  vacance 
de  siège,  on  procède  à  une  élection  canonique  par  le  clergé  et  par 
le  peuple.  Si  le  roi  juge  à  propos  de  nommer  évêque  un  des  clercs 
qui  sont  à  son  service,  on  examinera  avec  soin  la  science  et  la 
conduite  de  ce  clerc.  Si  le  métropolitain  le  juge  nécessaire,  il 
s'adressera,  d'accord  avec  les  autres  évêques,  à  l'empereur  pour 
empêcher  le  candidat  indigne  de  Tépiscopat  de  parvenir. 

8.  On  punira  par  l'excommunication  la  spoliation  des  églises. 
Cette  peine  atteindra  également  celui  qui  prétexte  avoir  reçu  du 
roi  ces  biens  d'Eglise,  jusqu'à  ce  que  l' évêque  se  soit  expliqué 
avec  le  roi  et  qu'une  sentence  royale  en  ait  décidé. 

9.  Menaces  contre  ceux  qui   oppriment  les   églises  et  les  clercs. 

10.  Sur  les  biens  ecclésiastiques,  qui  sont  entre  les  mains  des 
laïques   et  ne  peuvent  être  restitués   (voyez   c.    9    de     Soissons), 

ri971   on  prélèvera  les  nonœ  et  les  décimée.  Tous  les  fidèles   donneront 
la  dîme  de  tout  ce  qu'ils  possèdent.   Défense  de  pratiquer  l'usure. 

11.  Dans  les  procès  on  ne  doit  pas  faire  prêter  serment  aux  deux 
parties. 

12.  Lorsque  deux  personnes  en  procès  veulent  le  vider  par  les 
armes,  et  que  l'un  des  deux  adversaires  tue  l'autre,  celui-ci  sera 
regardé  comme  suicidé,  et  le  survivant  traité  comme    meurtrier. 

Dans  la  seconde  session,  tenue  le  lendemain,  ou  décréta  les 
canons  suivants  : 

13.  Les  évêques  doivent  se  soutenir  mutuellement  ;  quiconque 
est  excommunié  par  son  évêque,  ne  doit  pas  être  admis  à  la  com- 
munion par  un  autre  évêque. 

1.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  308. 

2.  Hinemar,  Dp  prsedestin.,  c.  xxn,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  195. 


208  LIVRE     XXII 

14.  Aucun  évêque  n'opprimera  les  clercs  et  les  moines  placés 
sous  sa  juridiction. 

15.11  donnera  à  tous  le  bon  exemple  par  sa  conduite. 

16.  Il  prêchera  lui-même  à  la  ville  et  à  la  campagne,  ou  fera  prê- 
cher ses  ministri. 

17.  Les  visites  des  communes  et  des  paroisses  ne  seront  (finan- 
cièrement) à  charge  à  personne. 

18.  Les  évêques  se  concerteront  sur  les  ordonnances  au  sujet 
des  écoles  où  l'on  enseigne  la  science  ecclésiastique  et  de  celles 
où  s'enseignent  la  science  profane  et  le  chant  de  l'Eglise.  Ces  écoles 
sont  ruinées  à  l'heure  qu'il  est. 

19.  Le  métropolitain  surveillera  la  conduite  de  ses   suffragants. 
20-21.  On  n'emploiera  pas  les   ressources  de   l'Eglise  à  des  fins 

profanes.  On  n'échangera  pas  les  biens  des  églises,   du  moins  avec 
perte. 

22.  L'évêque  n'exigera  pas  de  ses  prêtres  les  redevances  pour  des 
visites  qu'en  réalité  il  ne  fait  pas. 

23.  Agilmar,  archevêque  de  Vienne,  se  plaint  de  ce  que  certains 
laïques  émettent  des  prétentions  au  sujet  de  son  archidiacre, 
sous  le  faux  prétexte  qu'il  n'est  pas  de  condition  libre,  mais  qu'il 
est  leur  esclave.  C'est  pourquoi  ils  persécutent  depuis  des  années 
l'Église  de  Vienne,  quoique  le  roi  ait  porté  contre  eux  une 
décision  et  que  la  liberté  de  l'archidiacre  ait  été  confirmée  par 
plusieurs  dépositions.  Le  concile  menace  ces  laïques,  s'ils  s'obs- 
tinent, de  les  exclure  de  toute  communion  avec  les  chrétiens, 
rappelle  deux  anciennes  lois  civiles  pour  montrer  que  l'on 
doit,  sur  ces  points,  obéissance  à  la  décision  des  évêques,  et 
qu'en  toute  hypothèse  l'archidiacre  est  couvert  par  la  prescrip- 
tion. 

Peu  après  la  célébration  du  concile  de  Valence,  l'empereur  Lo-  ngg-j 
thaire  tomba  malade  de  consomption;  son  mal  s'aggravant,  il 
se  retira  dans  le  couvent  de  Prûm,  où  il  mourut  le  29  septembre 
855,  après  avoir  pris  l'habit  monacal.  Sur  l'invitation  d'Ebbon, 
évêque  de  Grenoble,  il  ordonna,  avant  de  mourir,  d'envoyer  au 
roi  Charles  <!<•  France  les  actes  du  concile  de  Valence  (du  moins  les 
canons  relatifs  à  la  prédestination),  avec  les  écrits  de  Rémi  et 
les  dix-neuf  propositions  condamnées,  extraites  de  l'écrit  de 
Scot.  Cet  ordre  fui  exécuté,  et  en  septembre  856,  le  roi  Charles, 
qui  se  trouvait  alors  à  la  villa  de  Nielfa  au  diocèse  de  Rouen, 
envoya    lous    ces    documents  à  l'archevêque  Hincmar,  qui  y  ferait 


456.     CONCILE     DE    VALENCE,     EN     8j5  209 

une  réponse  orthodoxe  1.  Hincmar  écrivit  à  cette  fin  (857-858)  son 
premier  livre  De  prsedestinatione,  dont  nous  ne  possédons  plus 
que  l'introduction  adressée  sous  forme  de  lettre  au  roi  Charle-. 
Il  s'y  plaint  amèrement,  et  non  sans  motif,  de  ce  que  le  concile 
de  Valence  n'ait  pas  cité  intégralement  ses  quatre  capitula,  au  lieu 
d'en  donner  seulement  des  passages  défigurés  et  détournés  de 
leur  sens,  afin  de  les  présenter  comme  dignes  de  condamnation. 
Le  concile  a  omis  certains  endroits,  afin  d'insinuer  qu' Hincmar  se 
mettait  en  contradiction  avec  la  doctrine  des  Pères  et  celle  des  con- 
ciles d'Orange  et  d'Afrique  2.  M  au  gin  3  répond  que  la  coutume  des 
conciles  n'était  pas  de  répéter  en  entier  les  propositions  condam- 
nées, ce  qui  n'est  pas  une  raison,  car  Hincmar  se  plaint  surtout  de  ce 
qu'on  a  détourné  de  leur  sens  les  passages  tirés  de  ses  écrits  cités  au 
concile  de  Valence.  En  effet,  c'est  ce  qui  s'est  produit  dans  les  can.  4 
et  5  de  Valence  ;  de  plus,  le  can.  6  accuse  expressément  Hincmar 
de  s'être  mis  en  contradiction  avec  les  conciles  d'Orange  et  d'Afri- 
que, et  ce  reproche  est  encore  plus  accentué  dans  l'ouvrage  de 
Rémi  :  De  tenenda  immobiliter  Scripturœ  veritate. 

Hincmar  a  moins  raison  lorsqu'il  reproche  au  concile  de  Valence 
d'avoir  passé  sous  silence  la  question  :  «  Dieu  veut-il  que  tous 
les  hommes  arrivent  au  bonheur  éternel  ?  »  Par  contre,  il  a  raison 
de  dire,  que  le  5e  canon  de  Valence  suggère  la  pensée  quasi  ludi- 
[19 JJ  ficatio  aliqua  in  sacris  mysteriis  esse  possit.  C'était  une  injustice 
manifeste  contre  l'archevêque  de  Reims  que  de  placer  dans  le 
can.  4  les  dix-neuf  propositions  de  Scot  à  côté  des  quatre  chapitres 
de  Quierzy  et  d'imputer  le  tout  à  Hincmar.  Celui-ci  répond  qu'il 
ne  les  avait  même  pas  vus  (il  écrit  16  au  lieu  de  19),  avant  qu'Ebbon 
(de  Grenoble)  ne  les  eût  envoyés  au  roi  Charles,  et  malgré  toutes 
ses  recherches,  il  n'avait  pu  en  découvrir  l'auteur.  Maugin  4 
accuse  ici  Hincmar  de  mensonge  grossier,  puisque  lui-même  avait 
engagé  et  forcé  Scot  à  composer  cet  écrit  ;  mais  Maugin  oublie 
que  ces  dix-neuf  propositions  ne  sont  pas  l'écrit  même  de  Scot, 
mais  un  extrait  fait  par  ses  adversaires  et  communiqué  à  Prudence. 
Or.  puisque  ce  parti  s'est  permis  de  dénaturer  les  propositions 
d' Hincmar,  il  n'aura   pas  été  plus  scrupuleux  à  l'égard  de  Scot 


1.  Hincmar,   P.   L.,  t.  cxxv,  col.  49,  51,  55,  57  et  297. 

2.  P.  L.,  t.  cxxv.  col.  49  sq.  et  Flodoard,  Hist.  Ecoles.  Remensis,  1.  III.  c.  xv. 

3.  Maugin,  op.  cil.,   t.  n,  p.  316. 
i.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  317. 

CONCILES   -   IV  —    I 


210  LIVRE     XXII 

Erigène.  C'est  ce  qu'Hincmar  insinue  en  disant  que  ces  dix-neuf 
syllogismes  avaient  été  compilés  uniquement  ad  cujusdam  (Scot) 
opinionem  infamandam.  Il  feint  de  croire  que  les  actes  de  Valence 
n'étaient  arrivés  entre  les  mains  du  roi  qu'altérés,  car  il  ne  pouvait 
admettre  que  ses  collègues  se  fussent  conduits  à  son  égard  avec 
tant  d'inimitié,  au  lieu  de  l'entendre  et  de  chercher  à  le  convertir 
fraternellement.  Un  autre  indice  qui  permettait  de  douter  de 
l'authenticité  de  ces  actes,  c'est  qu'à  part  les  archevêques, 
on  ne  nommait  d'autre  évêque  comme  présent  au  concile 
qu'Ebbon  de  Grenoble,  ce  qui  était  contraire  à  la  pratique  uni- 
verselle, et  invraisemblable,  à  cause  de  la  modestie  d'Ebbon.  En 
terminant,  Hincmar  fait  au  roi  l'esquisse  de  son  premier  livre 
De  prœdestinatione,  aujourd'hui  perdu. 


457.  Autres  conciles  de  855  à  859.  Trêve  dans  les  luttes 

sur  la  prédestination. 

Trois  semaines  environ  après  la  célébration  du  concile  de  Valen- 
ce, l'empereur  Louis  II  réunit  à  Pavie,  le  4  février  855  L,  les  évêques 
de  la  haute  Italie,  ils  devaient  le  conseiller,  1°  sur,  la  pénurie  des 
clercs  et  des  moines,  2°  sur  le  défaut  d'instruction  dans  le  peuple, 
3°  lui  indiquer  les  monastères,  églises  et  hôpitaux  réclamant  une 
restauration;  4°  enfin  lui  faire  connaître  la  conduite  des  comtes 
et  de  leurs  coopéra teurs.  Les  évêques,  parmi  lesquels  AngilberL 
de  Milan,  André,  patriarche  d'Aquilée,  Joseph,  archichapelain  et  ("2001 
évêque  d'ivrée,  exposèrent  les  abus  cl  indiquèrenl  1rs  anciennes 
ordonnances  à  renouveler.  L'empereur  publia  un  edit  défendant 
le  vol,  confirmant  les  immunités  des  églises  e1  des  monastères, 
cxhortantles  comtes  à  pratiquer  la  justice  et  à  protéger  les  veu- 
ves et  les  orphelins,  leur  recommandant,  ainsi  qu'aux  évêques, 
de  ne  pas  molester  le  peuple  dans  leurs  voyages,  et  de  ne  pas 
tolérer  les  trop  fréquentes  rapines  de  leurs  serviteurs.  Un  second 


1.  Coll.  regia,  t.  xxi,  col.  699;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  146-150;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  v,  col.  97;  Basnage,  Thesaur.  monument.,  1725  ;  t.  n,  part.  2, 
p.  353-368;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1161,  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col. 
931;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  15;  Pertz,  Monum.  Germ.  histor.,  t.  m,  Leges, 
t.  i.  p.  430,  Capilularia,  t.n,  p.  8S  :  Bôhmer-Mùhlbacher,  Regesta,  c.  1168.  (H.  L.) 


457.      AUTRES    CONCILES     DE     855    A    859  211 

édit  impérial  contient  des  prescriptions  relatives  aux  missi  ;  un 
troisième,  enfin,  renferme  diverses  ordonnances  sur  la  pratique 
de  la  justice,  la  restauration  des  églises  baptismales,  les  dîmes  et 
la  réédification  des  ponts,  notamment  à  Pavie. 

Au  mois  d'août  de  celte  même  année  855  ].  vingt-huit  évoques 
francs  et  treize  abbés  célébrèrent  un  concile  à  Bonneuil-sur-Marne, 
non  loin  de  Charcnton.  Les  quatre  métropolitains  Amalric  de  Tours, 
Wenilo  de  Sens,  Hincmar  de  Reims  et  Paul  de  Rouen  étaient 
présents  à  ce  concile  qui  confirma  les  privilèges  du  monastère 
d'Anisol  (s.  confessoris  Carilefi)  près  du  Mans  (Saint-Calais),  con- 
tre les  prétentions  de  l'évêque  de  cette  ville2. 

Un  concile  romain  tenu  sous  le  pape  Léon  IV,  entre  853  et  855, 
s'occupa  du  conflit  entre  Sienne  et  Arezzo.  Déjà  un  concile  de 
715  avait  adjugé  à  l'évêché  d' Arezzo  les  églises  et  couvents  au 
sujet  desquels  s'était  élevé  le  conflit.  Mais  le  pape  Léon  IV  se 
prononça  en  faveur  de  l'église  de  Sienne  3.  Nous  verrons  cette 
question  de  nouveau  agitée  en  1129. 

En  novembre  855,  se  tint  à  Winchester  (W intoniensis) ,  un  grand 
concile  national  anglais  auquel  assistèrent  les  trois  rois  Ethelwulf 
de  Wessex,  Béorred  de  Mercie  et  Edmond  d'Ostanglie,  ainsi  que 
[201]  les  évêques  et  les  grands  de  toute  l'Angleterre  4. 

Dans  ce  concile,  le  roi  Ethelwulf  fit  des  présents  considéra- 
bles à  l'Eglise,  qui  avait  tant  souffert  de  l'invasion  des  barbares, 
l'exempta  de  tout  impôt  civil  et  de  toute  redevance.  Le  docu- 
ment original,  assez  difficile  à  comprendre,  a  été  conservé  en 
plusieurs  exemplaires. 

Il  s'est  tenu  à  Constantinople,  en  845  et  856,  deux  conciles 
occasionnés  par  Grégoire  Asbesta,   archevêque  de   Syracuse,  qui, 


1.  D'après  Mansi,  ce  serait  en  853.  Voir  Appendices.   (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  p.  22.  La  question  du  monastère  de  Saint-Calais  a  été 
plusieurs  fois  traitée  parles  synodes  francs.  Voyez  plus  haut,  §  446,  et  plus  bas,§§ 
467  et  471. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  p.  29  sq. ;  Jaffé,  Regesta  pontif.rom.,j).  235-236;  2e 
édit.,  p.  340.  Voir  aux  Appendices  où  nous  restituons  ce  concile  au  mois  d'avril 

850.   (H.  L.) 

4.  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  20;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  243-246;  Hardouin, 
Concil.  coll.,  t.  v,  col.  111;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1259;  Wilkins,  Conc.  Bril. 
t.  i,  col.  183-185;  Mansi,  Concil.,  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  112;  Lingard,  Hisl. 
d' Angleterre,  t.  i;  Haddan  et  Stubbs,  Councils  and  ecclesiastical  documents,  t.  m, 
p.  636  (H.  L.) 


212 


LIVRE     XXII 


on  le  verra  plus  Lard1,  quoique  déposé  par  le  patriarche  Ignace, 
ordonna    Photius   d'une    manière   illégitime2. 

I  11  concile  tenu  à  Quierzy,  en  février  857,  chercha  à  mettre 
un  terme  aux  désordres  et  à  l'insécurité  qui  troublaient  le 
royaume  de  Charles  le  Chauve  :  il  prescrivit  aux  évoques  et  aux 
comtes  de  tenir  de  petites  réunions  pour  inculquer  à  leurs  infé- 
rieurs les  préceptes  de  la  sainte  Ecriture  et  de  l'Eglise  contre  le 
vol  et  leur  dépeindre  l'énormité  de  ces  fautes;  il  fait  diverses  cita- 
tions des  papes  Anaclet,  Urbain  et  Lucius,  empruntées  en  réalité 
au  pseudo- Isidore  3. 

Nous  savons  qu'un  concile  romain  tenu  sous  le  pape  Benoît  III 
(855-858)  réduisit  à  la  communion  laïque  le  cardinal-prêtre  Anas- 
tiisc,  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Soutenu  par  les  missi  impé- 
riaux, Anastase  s'était  rendu  à  Rome  aussitôt  après  l'élection 
de  Benoit  III,  avait  fait  arrêter  le  pape,  l'avait  maltraité  et  s'était 
posé  comme  antipape.  Mais  le  peuple  se  prononça  en  faveur  du 
pape  Benoît  dont  Anastase  et  ses  partisans  durent  implorer  la 
clémence.  Peut-être  faut-il  aussi  attribuer  à  ce  synode  les  vingt- 
cinq  canons  édités  par  Pertz  4. 

Lorsque,  dans  les  conciles  tenus  à  Mayence  en  847-848,  lui  conclu, 
entre  les  évêchés  de  Hambourg-Brème  et  de  Verden,  l'acte  de 
conciliation  dont  nous  avons  parlé  5,  le  siège  de  Cologne  était 
vacant.  Le  20  avril  850,  Gùnther,  depuis  si  célèbre  dans  l'af- 
faire du  divorce  de  Lothaire,  fut  nommé  archevêque  de  Cologne. 
Ansgar  chercha  aussitôt  à  obi  cuir  son  assentiment  à  l'arrange- 
ment, parce  que  Brème  jusqu'alors    sufïragant  de    Cologne    vou- 


1.  Voir  §  464. 

2.  Conc.  de  854  :  Coll.  reg.,  t.  xxi,  col.  678;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  133  ; 
Coleti,  Concilia,  t.  ix,  co.l  1147;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  930  ;  Conc. 
amplis*,  coll.,   t.  xiv,  col.  1030;  Conc.  de  856;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i 
col.  947;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  124.  (H.  L.) 

3.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  ni,  col.  110;  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.   25;  Lalande, 
Concilia,  col.  162;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  246-250,  1946  ;  Hardouin,    Coll. 
concil.,  t.  v.  col.  115;  Coleti,  Concilia,  t.  ix,  col.  1263;  Mansi,  Concilia,  Supplem. 
t.  i,  col.  947;  Conc.   ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  126;  Pertz,  Mon.  German.    histor. 
t.  m,  Lcges,  t.  i,  p.  451;  Tiïbinger  theolog.  Quarlals.,  1847,  p.  647  sq.  Voir  Appen- 
dices. (H.  L.) 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  86;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  1028  ;  Pertz, 
Monum.  German.  histor.,  t.  ni,  Leges,  t.  i,  p.  439.  [Jafïé,  p.  340  (H.  L.)]  Voir  § 
354. 

5.   Voir  §  442. 


457.    AUTRES     CONCILES    DE     855    A     859  213 

lait  maintenant  s'affranchir  de  celle  juridiction.  Gùnther  s'y  re- 
fusa longtemps,  et  ce  ne  fut  que  dans  la  diète  synodale  de 
Worms  (carême  de  857),  qu'il  se  déclara  disposé,  grâce  aux  dé- 
marches des  deux  rois,  Louis  le  Germanique  et  Lothaire  de  Lor- 
raine, à  cesser  son  opposition,  si  le  pape  de  son  côté  consentait 
à  l'.nnion  des  diocèses  de  Brème  et  d'Hambourg.  Le  pape  Nico- 
las Ier  accepta  cette  union,  en  858  ou  859,  après  que  Louis  le 
Germanique  eut.  à  cet  effet,  envoyé  à  Rome  Salomon,  évèque  de 
Constance  1. 

Au  rapport  de  plusieurs  anciens  chroniqueurs,  il  se  serait 
tenu  un  concile  à  Mayence  en  857  2.  Après  la  mort  de  Rhaban 
survenue  le  4  février  856,  Charles,  prince  d'Aquitaine,  avait  été 
élevé  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Mayence.  Entré  volontaire- 
ment, ainsi  qu'il  le  rapporte  lui-même,  dans  le  monastère  de 
[202]  Corbie  en  849,  il  s'était  enfui  en  Germanie  en  854,  auprès  de  son 
oncle  Louis,  et  était  entré  à  Fulda.  Au  témoignage  des  hommes 
les  plus  autorisés,  ce  prince  était  doué  des  plus  belles  qualités 
et  digne  du  titre  d'archevêque,  et  d'archichancelier  de  l'empire 
germanique.  D'après  les  chroniqueurs,  le  1er  octobre  857,  Gùn- 
ther, archevêque  de  Cologne,  avait  écrit  à  Aldfrid.  évêque  d'Hil- 
desheim,  membre  de  l'assemblée,  que  le  15  septembre,  pendant 
un  violent  orage,  la  foudre,  semblable  à  un  dragon  de  feu,  était 
tombée  sur  la  basilique  de  Saint-Pierre  à  Cologne  et  avait  blessé 
plusieurs  personnes.  Martène,  Durand  et  d'autres,  avec  Mansi  3, 
rapportent  à  ce  concile  de  Mayence  une  bulle  du  pape  Nicolas  Ier 
à  Charles,  archevêque  de  Mayence,  et  à  ses  sufïragants.  Mais  la 
supposition  que  cette  bulle  est  une  réponse  à  la  lettre  synodale  de 
Mayence  est  hasardée,  et  Binterim  a  émis  contre  l'authenticité 
de  cette  bulle  des  objections  qu'il  n'est  pas  facile  de  réfuter  4. 

Mentionnons,  en  passant,  un  concile  diocésain  tenu  a  Tours 
(mai  858),  dans  lequel  l'archevêque  Hérard  promulgua  pour 
son  clergé  cent  quarante  canons  composés  par  lui  5. 

1.  La  bulle  pontificale  se  trouve  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  137;  Klippel, 
Biogr.  des  Ansgar,  p.  89  et  224.  Voyez  la  date  de  la  bulle  dans  Binterim,  Deutsche 
Concil.,  t.  m,  p.  53,  et  Mansi,  op.  cit..  t.  xv.  p.  130. 

2.  Coll.  regia,  t.  xxu,  col.  31  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  250;  Coleti,  Concilia 
t.  ix,  col.  1262;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  140.  (H.  L.) 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  141. 

4.  Binterim,  Deutsche  Conciliai,  t.  ni,  p.  10  sq. 

5.  Maan,   Conc.   Turon.,  1667,  t.  n  ;  Labbe,  Concilia,    t.  vin,  col.  627-376  ; 


214  LIVRE    XXII 

Vers  cette  époque,  un  grand  mécontentement  régnait  en  France 
contre  le  roi  Charles  le  Chauve  qui  tenta  en   vain,   dans   une  diète 
tenue   à   Quierzy,   en  mars  858,   de  se  rattacher  plus  étroitement 
les  grands  par  un  serment  réciproque  1.  Plusieurs  de  ces  grands  se  l^và] 
rendirent  aussitôt  auprès  de  Louis  le    Germanique,  qui,  sur  leur 
invitation,  passa  le  Rhin  (été  de  858),  sous    prétexte    de  secourir 
la  malheureuse    France,  en  réalité    pour    la  prendre  à   son    frère. 
Plusieurs  des  vassaux  laïques   et  ecclésiastiques    de    ce   dernier, 
parmi   lesquels   Wenilo,   archevêque   de  Sens,  abandonnèrent  aus- 
sitôt leur  roi  légitime  pour  passer  à  l'ennemi,  si  bien  que  Char- 
les le  Chauve  dut  se  réfugier  en  Bourgogne,  tandis  que  Louis,  se 
considérant  déjà  comme    maître    de    la    France,    distribuait  évê- 
chés,  abbayes  et  fiefs  à  tous  les  transfuges.  Les  prélats  demeurés 
fidèles  à  la  cause  de  Charles  le    Chauve,    Hincmar    de   Reims  et 
Wenilo  de  Rouen  à  leur  tête,  cherchèrent  à  s'interposer  entre  les 
deux  frères,  et  proposèrent  une  conférence  à  laquelle    assisteraient 
les  amis  des    deux    princes,    dans    l'espoir  d'aboutir  à    un    com- 
promis.  Louis,  rejetant  cette  proposition,  prescrivit    la    réunion 
à   Reims  pour  le   25  novembre  858,   des   grands  et    des    prélats 
de    son  royaume.  Mais  les  prélats  des  provinces  de    Reims   et  de 
Rouen,   restés    fidèles    au  roi    Charles,    quoique   mandés   à   cette 
assemblée,    n'y    parurent    pas  ;    ils  se  réunirent  à   Quierzy  d'où 
ils   envoyèrent   au    roi    Louis    une    lettre    synodale    rédigée    par 
Hincmar.     Ils   s'excusent  d'avoir  décliné  l'assignation    à  Reims, 
exhortent  Louis   à   réfléchir   aux  motifs    qu'il   a    pu    avoir    pour 
envahir  la   France;  ils  lui  rappellent  l'heure   de  la   mort   qui  ne 
saurait  tarder  pour   lui,     et    rapportent    les    cruautés    commises 
dans  tous  les    diocèses  par  lesquels   Louis  a  passé.    Il  eût    mieux 
valu,  disent-ils,  conduire  son  armée  contre  les  païens.  Si,  comme 
il  l'écrivait,  sou  but  était  de  relever  l'Église,  il  devait  commencer 
par  en  respecter  les  privilèges  et  en  défendre  les  biens,  honorer  les 
chefs  et  lui  procurer  les  moyens  de  se  développer  sans  entraves. 
(Ici  le  c.   7   rapporte  une    vision  d'Euchérius,   évêque   d'Orléans, 
qui   vit    Charles    Martel    en   enfer   pour    avoir    pris   les   biens    de 
l'Église.)    11  en  était  de   même  des   monastères  et  des    hôpitaux. 


Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  450;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  979; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  523;  Hauréau,  Gallia  christiana,  1856,  t.  xiv, 
Instrumenta,  p.  39-46.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

1.  Pertz,  Leg.,  t.  i,  p.  457.  Voir  Appendices    (H.  L.) 


457.  AUTRES  CONCILES  DE  855  A  859  215 

Louis  écrivait  que  le  concile  de  Reims  indiquerait  les  réformes 
concernant  la  conduite  des  fidèles.  Sur  ce  point  encore,  il  ferait 
bien  de  commencer  par  lui-même  et  par  sa  propre  maison.  En 
terminant,  les  évêques  répètent  qu'en  raison  de  la  prochaine 
fête  de  Noël,  ils  ne  peuvent  en  principe  se  rendre  à  la  convocation, 
[204]  mais  consentent  à  se  rencontrer  avec  les  autres  évêques  dans  un 
concile  fixé  à  une  date  plus  favorable  et  plus  canonique,  après 
toutefois  qu'ils  auront  eu  le  loisir  d'en  délibérer  avec  ceux  de 
leurs  collègues  qui  avaient  sacré  roi  Charles  le  Chauve.  Pour 
le  moment,  il  ne  leur  était  pas  possible  de  prêter  au  roi  Louis 
le  serment  de  vassalité  1. 

Dans  la  première  édition  nous  avons  parlé  d'une  lettre  d'Hinc- 
mar.  adressée  au  roi  Louis  après  la  convocation  d'un  concile  à 
Soissons  2.  Mais  cette  lettre  appartient  à  l'année  879-880  et  le 
roi  Louis  dont  il  est  question  est  Louis  III  de  Saxe  (troisième 
fils  de  Louis  le  Germanique)  qui  cherchait  à  s'emparer  du  royaume 
franc  de  l'ouest.  Dès  le  commencement  de  l'année  859,  Louis 
comprit  que  sa  situation  en  France  était  désespérée.  Aussi  vers 
le  1er  mars,  regagna-t-il  le  Rhin  en  toute  hâte,  et  dès  le  milieu 
du  même  mois,  il  était  déjà  rendu  à  Worms.  Sur  le  désir  des  rois 
Charles  de  France  et  Lothaire  de  Lorraine,  les  évêques  de  ees 
deux  royaumes  se  réunirent  à  Metz  (mai  859)  3,  d'où  ils  envoyè- 
rent Hincmar  de  Reims,  Gùnther  de  Cologne  et  Wenilo  de  Rouen, 
et  plusieurs  autres  évêques  à  Worms,  pour  faire  connaître  au 
roi  Louis  à  quelles  conditions  il  obtiendrait  le  pardon  de  l'Eglise 
pour  ce  qui  venait  de  se  passer.  Il  répondit  qu'il  en  délibérerait 
avec  les  évêques    de    son    royaume   ;    en    effet,    ces    délibérations 

1.  [A.  Duchesne,  Histor.  Franc,  script.,  1636,  t.  i,  p.  792;  Labbe,  Concilia, 
t.  vin,  col.  654-668,  1947-1948;  Bouquet,  Rec.  des  hist.  de  France,  1741,  t.  m. 
col.  659-660;  B.  Guérard,  dans  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  1838,  t.  xm, 
part.  2,  p.  62;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  456;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  xvii,  appendix,  col.  69;  Hincmar,  Epist.,  i,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  9  sq.  (H.  L.)] 
Gfrôrer,  Gesch.  der  Karolinger,  t.  i,  p.  272  et  Gess,  Lebensgesch.  Hinkmars, 
p.  160  sq.  ;  Weiszàcker,  Hinkmar  und  Pseudo-Isidor,  dans  Illigeii-Xiedner,  Zeilsch. 
/.  hi-tor.  Theol.,  1858,  t.  ni,  p.  408  sq.  veut  trouver  dans  cette  lettre  d'Hincmar 
des  preuves  d'une  duplicité  manifeste,  dans  ce  sens  que  l'archevêque  de  Reims 
tiendrait  tantôt  le  parti  de  Charles  et  tantôt  celui  de  Louis. 

2.  Flodoard,  Hist.  Eccles.  Rem.,  1.  III,  c.  xxm,  P.  L.,  t.  cxxxv,  col.  230. 

3.  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  634;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  668-673,  1948-1949; 
Hardouin,  Concilior.  coll.,  t.  v,  col.  477;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  105;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  525.  Voir  Appendices  (H.  L.) 


216  LIVRE     XXII 

aboutirent,  le  5  juin  8G0,  à  une  réconciliation  complète,  dans  la 
diète  qui  se  tint  à  Coblentz,  dans  l'église  de  Saint-Castor,  e1  qui 
osl  souvent    comptée  au  nombre  des  conciles  1. 


458.  Reprise  des  discussions  sur  la  prédestination.  -  -  Conciles  [205] 
de  Langres,  de  Savonnières  près  de  Toul. 

En  859,  les  évêques  des  trois  provinces  de  Lyon,  de  Vienne 
et  d'Arles,  qui  s'étaient  auparavant  réunis  en  concile  à  Valence, 
furent  convoqués  par  le  roi  Charles,  fils  de  l'empereur  Lothaire  2, 
ad  concilium  Tullense  apud  Saponarias,  c'est-à-dire  à  Savonnières, 
près  de  Toul,  où  se  trouvèrent  des  évêques  de  plusieurs  autres 
provinces  3.  Mais  quinze  jours  avant  la  réunion  de  Toul,  les  évê- 
ques tinrent,  d'accord  avec  leurs  rois,  une  sorte  de  synode  préli- 
minaire in  Andemantunno  Lingonum  (Langres),  dans  la  province 
de  Lyon,  dans  le  but  de  donner  à  leurs  canons  de  Valence  une 
rédaction  un  peu  différente,  qu'ils  se  flattaient  de  faire  approu- 
ver par  Charles  le    Chauve  4.    Dans    ce    but,    il    répétèrent    mot 

1.  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  678;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  678-702, 1951-1952; 
Hardouin,  Concil.  coll.,  t.  v,  col.  478,  503;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  141  ;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  549;  t.  xvn,  Appendix,  col.  81,  93;  Pertz,  Monum. 
German.  histor.,  t.  m,  Leges,  t.  i,  col.  458,  468;  Gfrôrer,  op.  cit.,  p.  301,  306  sq.t 
(H.  L.) 

2.  L'empereur  Lothaire  avait  partagé  son  empire  de  la  manière  suivante  : 
son  fils  aîné  Louis  II  obtint  l'Italie  et  la  couronne  impériale  ;  Lothaire  (le  mari 
de  Teutberge)  eut  les  provinces  allemandes  (Lotharingie)  ;  le  plus  jeune,  Charles, 
eut  les  provinces  franques  (Provence).  Dans  ce  dernier  royaume,  se  trouvaient 
les  trois  métropoles  de  Lyon,  de  Vienne,  et  d'Arles.  Langres  s'y  trouvait  aussi, 
tandis  que  Toul  était  dans^la  Lotharingie. 

3.  Savonnières,  commune  de  Foug,  arrondissement  de  Toul,  département 
de  Meurthe-et-Moselle.  Pithœus,  Ann.  hist.  Franc,  1594,  p.  491-498;  Sirmond, 
Conc.  Galliœ,  t.  ni,  col.  137  ;  Duchesne,  Hist.  Franc,  script.,  t.  n,  p.  436;  Coll.  regia, 
t.  xxn,  col.  642;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  674-695,  1949-1950  ;  Hardouin, 
Coll.  concil.,  t.  v,  col.  483;  Martène.  Thesaur.  nov.  anecd.,  1717,  t.  m,  col.  857- 
859  ;  Coleti,  Concilia,  1730,  t.  x,  col.  113;  Bouquet,  Recueil  des  hist.  de  la  France, 
1749,  t.  xn,  col.  582-585;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  527;  Duru,  Bi-  . 
blioth.hist.  de  l'Yonne,  1850,  t.  i,  p.  292-301;  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  m, 
Leges  t.  i,  p.  462  sq.  Voir  Appendices  (H.  L.) 

4.  Sirmond,  Conc.  Gallise,  t.  m,  col.  136,  153   ;  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  641  ; 
Labbe.  Concilia,  t.    vm,    col.    673-674.   690-694  :   Hardouin,    Coll.    concil.,    t.  v, 


i58.     CONCILES     DE     LANGRES,    ETC.  217 

pour  mot  les  six  premiers  canons  de  Valence  ;  mais  ils  firent 
suivre  le  canon  4e  de  la  phrase  suivante  :  capitula  quatuor,  quse 
a  concilio  fratrum  nostrorum  (à  Quierzy)  minus  prospecte  suscepta 
su  ut,  propter  inutilitatem  vel  etiam  noxietatem  et  errorem  con- 
trarium  veritati,  parce  qu'ils  savaient  que  Charles  avait  approuvé 
cl  souscrit  les  quatre  capitula  de  Quierzy.  Du  c.  5,  ils  retranchèrent 
la  citation  de  la  lettre  aux  Hébreux,  x,  26.  Les  dix  autres  canons 
ajoutés  par  le  concile  de  Langres  ont  trait  à  divers  points  de 
discipline  et  n'ont  aucun  rapport  avec  la  question  principale.  Peut- 
être  étaient-ils  destinés  à  dissimuler  le  but  véritable  de  la  réu- 
nion. Hincmar  nous  apprend  1  qu'on  ajouta  aux  capitula  de  Lan- 
gres  les  sept  règles  de  Rémi  concernant  la   prédestination. 

Une  charte  de  donation  de  Jonas,  évoque  de  Nevers,  se  rap- 
porte  à  un  concile  tenu  dans  l'abbaye  'des  Saints- Jumeaux,  en 
avril  859  :  c'est  vraisemblablement  le  concile  de  Langres;  toute- 
^uoj  |()js  ]a  date  ne  s'accorde  pas  parfaitement,  car  la  réunion  de  Lan- 
gres s'est  terminée  le  dernier  jour  de  mai  ou  le  premier  jour  de 
juin. 

Le  14  juin  859  s'ouvrit,  dans  la  villa  de  Savonnières,  près  de 
Toul,  le  grand  concile  national  franc,  qui  dans  sa  lettre  à  Wenilo, 
archevêque  de  Sens,  prend  lui-même  le  titre  de  universale  conci- 
lium  2.  Outre  les  trois  rois  (maries  le  Chauve  de  France,  Lothaire 
de  Lorraine  et  Charles  de  Provence3,  l'assemblée  comptait  les 
évêques  de  douze  provinces  ecclésiastiques,  et  en  particulier  les 
métropolitains  Rémi  de  Lyon,  Rodulf  de  Bourges,  Giïnther  de 
Cologne,  Hincmar  de  Reims,  Arduic  de  Besançon,  Thietgaud 
de  Trêves,  Wenilo  de  Rouen  et  Hérard  de  Tours.  Le  roi  Charles 
présenta  au  concile  un  mémoire,  que  nous  possédons  encore,  dirigé 
contre  Wenilo,  archevêque  de  Sens,  qui  lui  avait  été  infidèle  et 
avait  entraîné  plusieurs  collègues  dans  sa  défection.  On  lit  dans 
ce1  écrit  que  personne  n'a  le  droit  de  déposer  le  roi,  sans  la  décision 
préliminaire,  des  évêques  (a  qua  regni  sublimitate  supplantari  vel 
projici  a  nullo  debueram,  saltem  sine  audientia  et  judicio  episcopo- 

col.  481;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  111;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  982; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  546.  Voir  Appendices.   (H.  L.) 

1.  Hincmar,  De  prœdeslinatione,  c.  xxxi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  290  sq. 

2.  Sur  ce  terme,  cf.  Hist.  des  conciles,  t.  i,  préface. 

.'?.  Une  colonne  commémorative  a  été  élevée  en  1870  en  mémoire  de  ces 
réunions  de  priuces  francs  à  Savonnières.  Une  partie  des  inscriptions  gravées 
sur  le  piédestal,  recouverte  par   le   lierre,  esl  aujourd'hui  indéchiffrable,   (H.   L.) 


218  LIVRE     XXII 

rum,  quorum  ministerio  in  regem  sum  consecratus,  et  qui  throni 
Dei  sunt  dicti,  in  quibus  Deus  sedet,  et  per  quos  sua  decernit  judicia  ; 
quorum  paternis  correptionibus  et  castigatoriis  judiciis  me  subdere 
fui  paratus,  et  in  pressenti  sum  subditus). 

Le  concile  répondit  à  ces  plaintes  du  roi  dans  le  sixième  des 
treize  capitula  dont  voici  le  résumé  : 

1.  Entre  les  deux  frères,  les  rois  Charles  de  France  et  Louis 
de  Germanie,  doivent  régner  de  nouveau  l'amour  fraternel  et 
une  véritable  concorde. 

2  et  3.  Les  évêques  doivent  être  unis  et  se  soutenir  mutuelle- 
ment. On  devra  remettre  en  honneur  el  tenir  régulièrement  les 
conciles,  qui  sont  tombés  en  désuétude  par  suite  de  l'inimitié  des 
princes.  Les  rois  approuvèrent  cette  ordonnance. 

4.  Le  diacre  Tortold' de  Sens,  qui  s'est  emparé  de  l'évêché 
de  Bayeux,  comparaîtra  par-devant  Wenilo  de  Sens  et  trois  autres 
évêques  qui  examineront  cette  affaire.  (Comment  le  concile  a-t-il 
oublié  que  Wenilo  de  Sens  avait  lui-même  trahi  Charles  le  Chauve, 
ainsi  que  le  dit  ce  prince  dans  son  mémoire   ?) 

5.  On. agira  de  même  au  sujet  du  sous-diacre  Anskar,  qui  s'est   [207] 
emparé  du  siège  de  Langres,    mais  qui  a  reconnu  son   tort. 

G.  On  a  accordé  un  délai  et  on  a  fait  connaître  à  Wenilo  de  Sens, 
par  une  lettre  synodale,  la  plainte  portée  contre  lui.  Cette  lettre 
nous  apprend,  outre  les  chefs  d'accusation,  que  le  concile  a  sou- 
mis l'affaire  à  la  décision  arbitrale  des  archevêques  Rémi  de  Lyon, 
Wenilo  de  Rouen,  Hérard  de  Tours  et  Rodulf  de  Bourges.  Si 
l'accusé  se  prétend  innocent,  il  doit,  trente  jours  après  la  réception 
de  la  lettre,  comparaître  pour  se  défendre.  Un  appendice  d'origine 
peut-être  plus  récente  contient  plusieurs  canons  concernant  la 
manière  de  procéder  dans  les  plaintes  contre  les  évêques,  et  résu- 
me les  principaux  griefs  du  roi  Charles  contre  Wenilo.  Dans  un 
autre  document,  une  lettre  à  Wenilo,  Hérard  de  Tours  s'excuse, 
sur  la  maladie,  de  faire  partie  du  tribunal  qui  jugera  Wenilo.  En 
conséquence  le  concile  le  remplace  par  Robert,  évêque  du  Mans. 
Hérard  enoageait  Wenilo  à  arranger  cette  affaire  et  à  intercéder 
auprès  du  roi,  ce  qui  eut  lieu,  comme  en  témoignent  les  Anna- 
les de  Saint-Bertin,  et  on  ne  rendit,  en  définitive,  aucune  sen- 
tence contre  Wenilo. 

7.  Parmi  les  évêques  présents  à  Savonnières,  se  trouvait  Al  ton 
de  Verdun,  jadis  offert  au  monastère  de  Saint-Germain  d'Auxerre, 
mais  qui,  après  avoir  quitté  cette  maison,  au  mépris  de  tousdroits, 


458.     CONCILES    DE     LANGRES,     ETC.  219 


avait  été  bien  imprudemment  élevé  à  l'évêché  de  Verdun.  Le  con- 
cile renvoya  l'examen  de  cette  affaire  à  un  concile  ultérieur.  Néan- 
moins, nous  retrouvons  encore,  en  867,  Atton  sur  le  siège  de  Verdun. 

8.  Les  évêques  de  Bretagne  qui  se  sont  séparés  de  leur  métro- 
pole de  Tours,  seront  exhortés  par  lettres  à  se  soumettre  à  ce  siège 
et  à  se  conformer  aux  canons  sur  la  juridiction.  Ils  ne  doivent  non 
pins  avoir  aucun  rapport  avec  les  excommuniés,  et  ils  engageront 
le  duc  Salomon  à  garder  au  roi  Charles  la  fidélité  jurée1. 

9.  Le  concile  écrivit  aussi  aux  grands  de  Bretagne  qui  avaient  été 
excommuniés  ;  il  les  avertit  que,  s'ils  ne  s'amendaient  pas  avant 
la  réunion  du  prochain  concile  général,  ils  seraient  tous  frappés 
anathemate  terribili.  Dans  cette  même  lettre,  les  grands  de  Breta- 
gne sont  accusés  d'avoir  porté  atteinte  aux  biens  de  l'Eglise, 
d'avoir  commis  beaucoup  d'adultères,  fornications,  meurtres,  etc. 

10.  On  lut  ensuite  certains  capitula  (de  Langres  et  de   Quierzy), 
[208]  au  sujet  desquels  un  dissentiment  s'éleva  entre  les  évêques  ;  ceux-ci 

décidèrent  de  se  réunir  une  fois  de  plus  après  la  restauration 
de  la  paix  politique,  et  de  formuler  la  doctrine  conforme  à  la 
sainte  Ecriture  et  aux  Pères. 

11.  Le  concile  insista  auprès  de  Charles  le  Chauve  et  de  Rodulf . 
archevêque  de  Bourges,  pour  que  ce  dernier  renonçât  à  l'abbaye 
de  Saint-Benoît  de  Fleury,  qu'il  possédait  à  titre  d'abbé,  au 
mépris  de  tous  droits,  et  pour  rendre  au  monastère  le  droit  de 
choisir  son  abbé. 

12.  On  régla  aussi  diverses  affaires  particulières  à  certains  dio- 
cèses,   laissant  aux  évêques  le  soin  défaire  exécuter  ces  décisions. 

13.  Enfin  tous  décidèrent  l'érection  de  confréries  afin  de 
prier  les  uns  pour  les  autres. 

Hincmar  nous  apprend  que  Rémi  de  Lyon  lut  les  capitula 
de  Langres,  dans  l'assemblée  où  on  avait  lu  la  veille  d'autres 
capitula,  (ceux  de  Quierzy).  Hincmar  avait  été  fort  irrité  de  la 
première  de  ces  lectures,  et  ses  amis  étaient  sur  le  point  de  faire 
au  concile  des  propositions  contraires,  lorsque  Rémi  de  Lyon 
les  calma  en  disant  qu'il  valait  mieux  remettre  au  prochain 
concile  le  soin  de  faire  une  nouvelle  enquête  sur  cette  question, 
après  quoi  on  admettrait  ce  que  tous  reconnaîtraient  comme 
le  plus  juste.  Hincmar  assure  à  ce  sujet  que  plusieurs  évêques, 
même  de  la  province  de  Rémi  de  Lyon,  étaient  opposés   à  la  nou- 

1.  Voir  Appendices  :  Le  concile  de  Coïtlouh.  (H.  L.) 


220 


LIVRE     XXII 


velle  doctrine  de  la  double    prédestination,    mais    n'avaient    pas 
eu  le  courage  de  se  montrer,  afin  de  ne  pas  troubler  la  paix  1. 

Maugin 2  accuse  Hincmar  de  mensonge  lorsqu'il  prétend  une 
seconde  fois  avoir  lu  à  Toul  (lisez  Savonnières)  les  articles  de 
Quierzy  3,  par  la  raison  qu'il  n'eût  pas  alors  osé  faire  cette  lecture. 
Il  s'autorise,  pour  parler  ainsi,  de  ce  que  les  capitula  de  Quierzy  ne 
se  trouvent  pas  dans  les  actes  de  Savonnières  (il  aurait  dû  dire 
dans  les  actes  mutilés,  les  seuls  que  nous  ayons).  Il  n'a  guère  [200] 
plus  de  fondement  pour  avancer  que  les  capitula,  de  Langres 
ont  été  approuvés  à  Savonnières  par  toute  l'Église  des  Gaules, 
parce  que  ces  chpitula  se  trouvent  dans  les  actes  de  Savonnières  4. 
L'approbation  donnée  aux  capitula  de  Langres  (ou  de  Valence) 
par  le  pape  Nicolas  Ier  conclut  de  même  contre  Maugin.  Il  est 
vrai  que  Prudence  de  Troyes  parle  dans  ses  Annales  6  dans  le 
même  sens  que  Maugin  ;  c'est  du  moins  ce  que  nous  apprend 
Hincmar  6,  mais  personne  dans  la  Gaule  entière  et  surtout 
aucun  auteur  de  cette  époque  n'a  eu  la  moindre  connaissance 
de  ce  que  soutient  Maugin  et  jamais  les  adversaires  d'Hincmar 
ne  se  sont  appuyés  sur  cette  sentence  du  pape.  Il  y  a  lieu  de  re- 
marquer en  outre  que  les  Annales  de  Saint-Bertin,  également 
citées  par  Maugin  7,  sont,  pour  la  partie  dont  il  s'agit  ici,  l'œuvre 
du  même  Prudence;  en  somme,  ce  sont  précisément  les  annales 
de   Prudence  citées  par  Hincmar. 


459.  Second  écrit  d'Hincmar  sur  la  prédestination. 

Aussitôt    après    le    concile  de  Savonnières,   Hincmar  composa 
son  grand  ouvrage  De  prœdestinatione,    qui   porte   le    même  titre 

1.  Hincmar,  Ep.  ad  Carol.,  en' tête  de  son  second  écrit  De  prsedest.,    P.  L., 
t.  cxxv,  col.  66. 

2.  Maugin,  op.  cit.,  t.  n,  p.  325-327. 

3.  Hincmar  l'assure  de  nouveau  dans  la  prsefatio  de  son  second  écrit  De  prvr- 
dest.,   P.  L.,  t.  cxxv,  col.  66. 

4.  Le  c.  x  met  Maugin  dans  son  tort  ;  Schrôckh,    Kirchengeschichte,   t.   xxiv 
p.  106,  a  bien  envisagé  la  question. 

5.  A  l'année  859. 

G.    Hincmar,  Epist.  ix,  (al.  xxiv)  ad  Egilon.  Senon.  archiepisc,  P.  L.,  I.  cxxvi, 
col.  70. 
7.  Op.  cit.,  i.  h,  p.  330. 


...'.I.     SECOND     ÉCRI1      D    HINCMAR  221 

que   le    premier   écrit  De   prsedestinatione   aujourd'hui   perdu,   et 
dont  nous  avons  déjà  parlé3.  Le  premier  travail  était  une  réponse 
aux  décisions  de  Valence;  le  second  fut  une  réplique  aux  docu- 
ments (quœdam  capitula)  que  Rémi  de  Lyon  avait  envoyés,  dans 
l'intérêt  de  son  parti,  au  roi  Charles  le    Chauve,  c'est-à-dire  aux 
canons  de  Langres,  aux  dix-neuf  propositions  extraites  de  l'écrit 
de   Scot,    aux   soixante-dix-sept    capitula  (extraits)    de  la  réponse 
de   Prudence,    enfin   au   court   mémoire   De    tenenda  immobiliter 
Scripturœ    veritate,   publié    peu    auparavant    par    Rémi.    Le    roi 
Charles,  qui  aimait  la  controverse   religieuse,    suivait  avec  beau- 
coup d'intérêt  les    diverses    phases    des    discussions    sur   la  pré- 
destination,   tout    en    penchant  du  côté  d'Hincmar.    Aussi  com- 
muniqua-t-il  à  ce  dernier  l'envoi  de   Rémi  dont,  sur  ses  instances, 
210]   Hincmar  entama,  dès  les  derniers  mois  de  859,  une  réfutation. 
Elle  fut  terminée   dans  la   première   moitié  de  l'année  suivante  et 
avant  l'ouverture  du  concile  de  Tuzey  qui  établit,  nous  le  verrons, 
une  sorte  de  compromis  entre  Hincmar  et  Rémi,  tandis  que  l'écrit 
De  prsedestinatione  appartient  certainement  à  une  époque  où  le 
débat  était  encore  très  vif.  Il  y  est,  d'ailleurs,  plusieurs  fois  ques- 
tion du  concile  de  Savonnières  ou  de  Toul,  et  jamais  du  concile 
de  Tuzey.  De  plus,  dans  le  can.  30,  c'est-à-dire  vers  la  fin  de  son 
grand  ouvrage,  et  dans  sa  lettre  d'envoi  au  roi  (lettre  rédigée  lorsque 
le  livre  était  déjà  composé),  Hincmar  dit  que,  trois  ans  auparavant, 
on  lui  avait  remis  à  Nielfa  les  canons  de  Valence;  or,  cette  remise 
eut  lieu  dans  l'été  de  856.   Les  motifs  allégués  par  Maugin  pour 
soutenir  que  l'écrit  d'Hincmar  avait    été  terminé    seulement   en 
862  ou  863  ne  sont  pas  soutenables  2.  Hincmar  dit  qu'il  a  utilisé  les 
loisirs  que  lui  laissent  ses  nombreuses  occupations3;  mais  on  ne 
neut  en  conclure  qu'il    ait  consacré  trois  ou  quatre  ans  à  composer 
son   écrit.    Il   est   vrai   qu'en  862,  ou   au   commencement  de  863, 
Hincmar  envoya  son  livre  au  pape  par  l'entremise  d'Odon,  évêque 
de  Beauvais  4,   mais  la   conclusion  que   Maugin  en  veut  tirer,   à 
savoir  que  le  livre  d'Hincmar  n'a  été  terminé   qu'en  862  ou  863, 
est  arbitraire  ;  plus  arbitraire  encore  sa  supposition  qu'à  l'épo- 
que où  cet  écrit  a  été  rédigé,  Prudence  était  mort  (il  mourut  en 


1.  Voir  §  456. 

2.  Op.  cit.,   t.  n,  p.  339  sq. 

3.  Epist.  ad  Carolum,  P.  L..   t.  cxxv,  col  68. 

'i.  Floduard,  Hisl.  Eccl.  Rom.,  I.  III,  c.  xvi,  xv. 


222 


LIVRi-;     XXI  ï 


861),  car  sans  cela  Hincmar  n'aurait  pas  osé  le  blâmer.  Maugin 
pose  ici  comme  indiscutable  que  Prudence  n'a  jamais  signé'les 
capitula  de  Quierzy  ;  or,  nous  savons  le  contraire. 

Le  nouvel  écrit  d' Hincmar  avait  une  double  introduction 
une  prsefatio,  et  une  lettre  au  roi  Charles.  Dans  la  prœfatio,  Hinc- 
mar avertit  que  l'on  pourra  faire  des  altérations  à  son  livre,  mais 
qu'on  ne  devra  pas  les  lui  attribuer;  il  indique  ensuite  les  ouvrages 
suivants  que  l'on  devra  consulter,  à  propos  de  son  livre  :  a)  le 
petit  ouvrage  (sermo)  de  Florus  sur  la  prédestination  ;  b)  les  six 
capitula  de  Toul,  à  proprement  parler,  de  Valence  et  de  Langres, 
lus  à  Toul  ou  àSavoimières,  en  omettant  le  premier  de  ces  capitula, 
qui  est  inutile  ;  c)  les  Sententise  SS.  Patrum,  extraites  de  l'écrit 
de  Rémi  De  tenenda  etc.  ;  d)  le  can.  7  de  Valence  et  le  can.  8  de 
Langres  ;  e)  la  lettre  de  Prudence  au  concile  de  Sens  ou  de  Paris. 
On  serait  porté  à  croire  qu'entre  les  numéros  1  et  2  se  trouvait  [211] 
autrefois  un  autre  document,  c'est-à-dire  la  lettre  d'Hincmar 
aux  évêques  au  sujet  de  Gotescalc. 

Dans  la  lettre  au  roi  Charles,  Hincmar  raconte  comment  ce 
prince  lui  avait  fait  parvenir,  en  juin  859,  les  documents  envoyés 
par  Rémi,  archevêque  de  Lyon,  que  ces  divers  documents  avaient 
été  lus  à  Toul,  apud  Saponarias,  ainsi  que  les  capitula  de  Quierzy; 
que  les  nova  capitula  (ceux  de  Langres)  étaient  identiques  à 
ceux  de  Valence  ;  que  Hincmar  avait  voulu  répondre  à  ces  nou- 
veaux canons,  quoiqu'il  eût  déjà  répondu  à  ceux  de  Valence  : 
il  l'avait  entrepris,  parce  qu'il  était  persuadé  que  ses  collègues 
n'auraient  pas  dû  écrire  contre  lui  comme  ils  l'avaient  fait.  Le 
véritable  auteur  de  ces  nouveaux  chapitres  aurait  dû  dire  son 
nom,  car  celui-là  seul  craint  la  lumière  qui  fait  le  mal.  Dans  le 
livre  De  prxdestinatione  lui-même,  Hincmar,  s'exprime  encore 
d'une  manière  très  acerbe  contre  le  compilateur  de  ces  chapitres  : 
il  dit,  au  c.  36,  que  le  véritable  auteur  n'est  pas  Rémi,  ni  un 
autre  évêque  de  la  province  de  Lyon;  d'après  lui,  c'est  un  homme 
qui  a  abandonné,  au  mépris  de  tous  les  canons,  l'Église  pour  la- 
quelle il  avait  été  ordonné,  qui  a  erré  ensuite  dans  diverses  pro- 
vinces, a  été  excommunié,  et  enfin  a  usurpé  un  siège  épiscopal. 

L'écrit  De  prsedestinatione  affirme  d'abord  que  l'erreur  du  pré- 
destinatianisme,  née  dans  les  Gaules  et  en  Afrique,  du  vivant 
même  de  saint  Augustin,  avait  été  surtout  combattue  par  Pros- 
per;  mais  dès  les  premières  pages,  et  plusieurs  fois  dans  le  cours 
de  l'ouvrage,   Hincmar  commet    la  faute  de    regarder  comme  de 


59.     SECOND     ÉCRIT     d'hiNCMAR  223 

véritables  prédestinatiens  ces  Gaulois,  ainsi  que  les  moines  d' Hadru- 
mète,  qui  (étant  en  réalité  des  semi-pélagiens)  déduisaient  de  la 
doctrine  de    saint    Augustin    des    conséqences    prédestinatiennes, 
afin  de  conduire  cette  doctrine  ad    absurdum.    L'archevêque  de 
Reims  se  trompe  également,  en  donnant  comme  évêques  Prosper 
et  Hilaire,  les  défenseurs  de  saint  Augustin,  et  en  confondant  cet 
Hilaire    avec    l'archevêque   d'Arles    du    même    nom.    Par   contre, 
Hincmar  a    raison    de    désigner    comme  prédestinatien    le    prêtre 
gaulois    Lucidus.  Gotescalc,  habitu  monachus,  mente  ferinus,  conti- 
nue-t-il  au  ch.    n,    avait   renouvelé   l'erreur   des    prédestinatiens, 
et   exposé   ses   folies    dans    quatre    capitula.     En    effet,    Hincmar 
classe  les  erreurs  de  Gotescalc  sous  les    quatre    titres    suivants  : 
De     prœdestinatione,    De    libero    arbitrio,    De    voluntate   Dei  (  que 
tous    ne    doivent    pas    arriver    au    bonheur    éternel)    et  De    morte 
Christi  (que  le  Christ  n'est  pas  mort  pour  tous),    et   oppose  à  ces 
quatre  capitula    de  Gotescalc    ceux  de  Quierzy.    Il  raconte   en- 
suite   l'histoire    de     Gotescalc,  parle    des    conciles    de    Mayence 
[212]  et  de   Reims,   et  s'étonne   qu'un  tel  homme  ait    réussi  à  répan- 
dre ses  idées.  Ch.  ni  :  Gotescalc  et  ses  amis  en  appellent  à  l'auto- 
rité de  Fulgence  qui  a  enseigné,  il  est  vrai,  une  prsedestinatio  ad 
psenam;  mais  dans  ses  derniers  et  meilleurs   écrits,   en   particulier 
dans  l' Hypomnesticon,  dont    Hincmar    avait    déjà    défendu  l'au- 
thenticité dans    le    ch.    i,    saint    Augustin    ne    parle    que    d'une 
prœdestinatio  pœnœ  pour  les   pécheurs  ,   et  l'autorité  de  Fulgence 
n'est  pas,  après  tout,  si   grande.  Ch.  iv  :    On  doit   suivre  l'Eglise 
romaine.    Ch.    v  :     Hincmar    insère    des    fragments    du   livre    de 
Gotescalc  à  Rhaban-Maur,  et  sa  profession  de  foi  au    concile  de 
Mayence.    Prudence  de  Troyes  et  Ratramn  ont  aussi  enseigné  une 
prœdestinatio  ad  mortem  (on  se  souvient  qu'  Hincmar  et  Rhaban- 
Maur  ne  voulaient   pas  entendre  parler  de  l'expression  prœdesti- 
natio ad  mortem).  Ch.  vi  :  Le  compilateur   des    deuxième   et    troi- 
sième chapitres  de  Toul  (Langres)  a  puisé  dans  le  Sermo  de  Florus, 
mais  en  y  faisant  des  changements,  et  par  conséquent  des  alté- 
rations ;  ainsi,    il    y    a    contradiction    entre   ces    deux    phrases  : 
«Ils  sont    abandonnés    de  Dieu,  dans  la  massa  damnationis,  »   et  «ils 
sont  perdus  par  suite  de  la  prédestination.»  Ch.  vu  :  Dans  le  c.  ni, 
le  compilateur  a  tort  de  s'appuyer  sur  ces  paroles  de  l'Apôtre, 
vasa  iras,  etc.,  car  un  cas  irœ  est  uniquement  celui  qui  veut  s'ob- 
stiner dans  ses  fautes,  et  a  fait  de  tels    progrès  dans  cette  voie 
que  Dieu,  pour  le  punir,  l'endurcit,  comme  il  a   endurci    Pharaon, 


'2 2  ri  LIVRE    XXII 

c'est-à-dire  ne  le  réveille  pas  par  sa  grâce.  Ch.  vm  :  Le  compila* 
leur  a,  en  cela,  suivi  Fulgence.  Ch.  ix  :  On  cite  à  tort,  pour  appuyer 
ces  doctrines,  Isidore,  Grégoire  le  Grand  et  d'autres  Pères;  ceux-ci 
n'ont  jamais  enseigné  une  double  prédestination  dans  le  sens  des 
adversaires  :    Sicut  electi  ad  vitam,  ita  reprobi  a  Deo  prsedestinan- 
tur  ad  mortem.  Sans  doute,    saint   Augustin  a   employé,   dans  ses 
premiers   ouvrages,   l'expression   de   prsedestinatio   dans    un    sens 
peu  défini,  et  parlé  d'une  prsedestinatio  ad  interitum',  mais,  dans 
ses  derniers  livres,    De    dono   perseçerantise  et  De  libero  arbitrio, 
il   s'est  exprimé  avec  plus   de   précision.    Hincmar  donne  comme 
conclusion  sa  propre  doctrine,  que    ceux    qui    se    perdent   ne    se 
perdent  pas  par  suite  de    la    prédestination,    mais    par    suite  du 
péché  d'Adam.  La  prédestination  de  Dieu  ne  porte    que    sur  ce 
que   Dieu  fait  lui-même  ;  par  conséquent,  il    prédestine   simple- 
ment   la    peine,    la    punition   aux   pécheurs.     On    ne    doit     pas 
dire  que  Dieu    prédestine    les    pécheurs    ad  psenam    ou     ad    mor- 
tem,   comme    il    prédestine  les  autres  ad    vitam,  car  si   Dieu  fait 
arriver    ces   derniers    au    bonheur   éternel,  ce   n'est   pas    lui    qui 
fait  tomber  quelqu'un   dans  la    mort    éternelle,    ce    que    suppose 
l'expression    prsedestinatio   ad   mortem.    Saint  Augustin    dit    avec 
raison  :  Deus  obdurat,  non    impertiendo   malitiam,   sed  non  imper- 
tiendo   misericordiam.    Ch.    x  :    Gotescalc  et  ses  amis  abusent  des   [213] 
textes  de  la    sainte  Écriture.    Ch.    xi  :  Critique  de    ces    mots  du 
can.  3  de  Toul  :  In  electione  salvandorum  misericordiam  Dei  prse- 
cedere  meritum   bonum.   Uelectio  est  une   misericordia,   et  ainsi  il 
y  a  deux  misericordise,   par  lesquelles   l'élu    est  choisi.    Il   aurait 
dû   dire  :    In  salvatione   electorum    misericordia  Dei  prœcedit  meri- 
tum   bonum,  car,   dans  la  salvatio,  il    y  a  deux    misericordise,  la 
gratia  prima  de  Yelectio,  et  la  secunda,  c'est-à-dire  le  donum  recte 
vivendi.  Ch.  xn  :  Autre  critique  du  can.  3  de  Toul.  La  proposition 
in  damnatione.    autem    periturorum     malum     meritum    prsecedere 
justum  Dei   judicium,  n'est  pas  juste.  Par    le  justum  judicium  il 
faut  entendre  la  prédestination  ;    or,    la    prédestination    date  de 
toute  éternité,  par  conséquent   elle   est    antérieure    aux    mérites 
et   démérites.    On   ne    doit  pas  cependant  parler    ainsi,    car  Dieu 
ne  condamne  personne,  avant  qu'il  ait   péché.  Du  reste  l'expres- 
sion prsedestinatio  ad  interitum  n'esl   pas  exacte  :    celui-là  seul,  en 
effet,    qui  est  choisi  pour  la  vie  éternelle,  est  prsedestinatus,  l'au- 
tre   est    simplement    un  relictus  ;    or    nul  ne    peut    être    à  la  fois 
prsedestinatus  et  relictus.   Ch.     xm  et  xiv  :    Fulgence  dit  à  tort, 


'.    SECOND    ÉCRIT    d'hiNCMAK  225 

qu'il    y  a    aussi  une  prœdestinatio  in  malum  ;  il  s'était  exprimé, 
plus    heureusement    ailleurs,    et     saint     Augustin    s'est    exprimé 
encore     mieux    que    lui.     Ch.     xv  :    Hincmar    expose   les  quatre 
grandes  erreurs  des  anciens    prédestinatiens,     et    leur    compare 
celle    des    nouveaux.    Voici    quelles    étaient    ces     quatre    erreurs 
anciennes   :    a)    conformément   à   sa    prescience,    Dieu   damne   les 
hommes,  non  seulement  à   cause   des  péchés    qu'ils   commettent, 
mais  encore  à  cause  de  ceux  qu'ils  auraient  commis,  s'ils  avaient 
vécu  plus  longtemps  ;  b)  pour  ceux  qui  ne  sont  pas  prédestinés  à 
la  vie,  le  baptême  n'ôte  pas  le  péché  originel,  et  ils  n'obtiendront 
de  la  vie  que  ce  qu'il  leur  en  faut  pour  pécher;  c)  la  prescience 
et  la  prédestination  sont  identiques;  d)  il  y  a  une  prœdestinatio 
ad  interitum,  de    même    qu'il   y  a  une  prœdestinatio  ad  peccatum. 
Au  sujet  de  ces  points,  moderni  prsedestinatiani  unum  non  tangunt, 
aliud   transiliunt,    tertium    déclinant,    quartum    colore    mutant,    car 
ils  ne  disent  pas  ad  peccatum,  mais  bien  ad  interitum,  tandis  que 
personne  n'arrive  à  Vinteritus,  si  ce  n'est  per  peccatum.  Ch.  xvi  : 
Les    Pères  et  les  passages  de  la  Bible    d'où    Hincmar    a   pris    le 
texte  de    son  c.  1  de  Quierzy  ?  Ch.  xvn  :    Gotescalc    a  aussi  cité 
V Hypomnesticon  de   saint   Augustin,    pour    appuyer    sa   doctrine. 
Continuation  du  thème    du  ch.  xvi,  c'est-à-dire  de  l'exposé  des 
preuves    tirées    des    Pères,    pour    montrer  qu'on  ne  doit  admet- 
tre    qu'une    seule    prédestination.    Ch.    xvin   :    La    prœdestinatio 
14]  ad  vitam  ne   rend   pas  inutiles  les  efforts  de  l'homme  pour  arriver 
au  salut.  Ch.  xix  et   xx:    Nouvelle  et  claire  exposition  de  la  doc- 
trine sur  la  prédestination,  et  preuve  que  l'on  peut  parler  d'une 
gemina  prœdestinatio,  non,    sans    doute,    dans  le  sens  de    Gotes- 
calc,   mais     dans    celui-ci  :    Electi   prœdestinati   sunt   ad   vitam,  et 
vita  Mis,  et  pœna  prœdestinata  est  reprobis,  mais  non  pas  reprobi  ad 
pœnam.     Ch.     xxi    :     Les     anciens     prédestinatiens    enseignaient 
qu'il  n'y  avait  aucun  libre  arbitre,  et  que  Dieu  inspirait  aux  mé- 
chants les  volontés  mauvaises  qui  les  faisaient  agir.  C'est  contre 
cette  erreur  qu'avait  été  porté  le  2e  canon  de    Quierzy,  que  Pru- 
dence avait  d'abord  signé,  et  l'avait  ensuite  combattu.   Le  compi- 
lateur a  fait  aussi  connaître    son    sentiment  dans  le    c.  6,   mais 
dans  une  mauvaise  intention  il  ne  s'était  exprimé  que  sexto  loco. 
Les    Pères    dans  lesquels  Hincmar  a  puisé  le  c.  2  de  Quierzy.   Ch. 
xxn    et    xxiii  :    Violente    attaque    contre    le    compilateur  qui  a 
ajouté  les  neuf  sententiœ  Patrum  au  c.  6  de  Toul.  Le  second  arti- 
cle d'Hincmar  est  d'accord  avec  la  doctrine  des  Pères  et  celle  du 

CONCILES-    IV—    15 


226  LIVRE    XXII 

concile  d'Orange.  Explication  des  novem  sententiœ  Patrum.  Passage 
très  vif   contre   ceux   qui   avaient   écrit    en   secret   un   livre    con- 
tre Hincmar,  et    l'avaient    accusé    de    nier    l'existence    du    libre 
arbitre   même   pour  le   mal,   et   cela   par   suite   du   péché  originel 
(c'était  là  en  effet  une  des  accusations  de  Rémi  contre  Hincmar)- 
Ch.   xxiv-xxvi  :   A  l'exemple    des    anciens  prédestinations,     Go- 
tescalc    et    Prudence    enseignent    que    Dieu    ne    veut  pas  laisser 
arriver  tous  les  hommes  au  bonheur  ;  le  compilateur,  au  contraire, 
ne  touche    pas  à  ce  point.   Défense  du  troisième  chapitre  d' Hinc- 
mar :  Dieu  veut  que  tous  les  hommes  arrivent   au    bonheur.    Ch. 
xxvn-xxx  :     Gotescalc    et    Prudence    enseignent,     avec     les  an- 
ciens    prédestinations,   que    le   Christ   n'est  pas    mort  pour  tous 
les  hommes.   Défense    du    quatrième    chapitre    de    Quierzy,    non 
seulement  contre  le  can.  4  (de  Langres  ou  de  Toul),   mais    aussi 
contre  l'écrit  d'un  anonyme    (Rémi  de     Lyon),   prétendant   que 
le  Christ  n'est  pas  mort  pour  l'Antéchrist   et  pour  le  démon.  Le 
can.  4    de  Toul  ne    diffère    du  can.  5    de  Valence,   que    par    son 
silence    sur    les    capitula  de    Quierzy.    Hincmar    s'étonne   de   cet 
oubli,   par  la   raison   que    les    deux    séries  de  capitula  paraissent 
être  l'œuvre   d'un    unique    compilateur.  Si  ce    compilateur   a    eu 
des  remords  de   conscience,   il  n'aurait  pas  dû  se  borner  à  ce  seul 
changement.  Ch.  xxxi.  Quant  aux  dix-neuf    propositions  extrai- 
tes de  l'écrit  de  Scot,  et  à  leur  réfutation  (celle  de   Prudence),  il 
ne  voulait  pas  les    apprécier,   jusqu'à   plus    ample    information. 
Il   veut  voir   quel  sera  le    sort    de   certaines   expressions  et  pro- 
positions nouvelles  par  exemple  :  trina  deitas    (nous    reviendrons 
sur   ce   point)  ;   et  encore  :    dans   la   sainte  eucharistie  il  y   a   non 
verum  corpus  et  verus  sanguis  Domini,  sed  tantum  memoria  corpo- 
ris  et  sanguinis  ejus    (proposition  émise    par    Scot),  et  de    nirme 
il  n'y  a  pas  d'autres  peines  de  l'enfer  que  celles    qui:    tourmen-  [215] 
teront  la  conscience  des  hommes  (Scot)  ;  les  anges  sont   de   na- 
ture corporelle,  et  l'âme  n'est  pas  dans  le  corps.  Hincmar  blâme, 
de  la  manière  la    plus    acerbe,    les    sept  règles  ajoutées  au  con- 
cile de  Langres  par  un  de  ses  collègues   dans  l'épiscopat.   Il    s'agit 
des  sept  règles  sur  la  prédestination,  que  Rémi  a  exposées  dans 
son  livre  De  tribus  epistolis.   Ch.   xxxn  :   Discussion  des  derniers 
mots  du   can.  4  de    Langres  et  de  Toul,  pour   prouver    qu'avant 
Jésus-Christ,  comme  après  lui,    on    a    été    sauvé    par  la    foi   au 
Christ  et  à  sa  mort.  Ch.  xxxiii:  Les  Pères  enseignent  que  le  Christ 
i'sl  mort  generaliter  pour  tous.  Ch.  xxxiv  :  Cependant  tous  nés  ont 


459.    SECOND    ÉCRIT     d'hINCMAR  227 

pas  passionis  ejus  mysterio  redempti.  Dieu  appelle  tous  les  hom- 
mes aii  bonheur  éternel  ;  en  réalité,  tous  n'y  parviennent  pas, 
mais  uniquement  par  leur  faute.  Solution  des  objections  contre 
cette  doctrine,  et,  en  particulier,  explication  d'un  passage  de  la 
lettre  de  Prudence  à  Hincmar  et  à  Pardulus.  Ch.  xxxv:  Le  can.  5 
de  Langres-Toul,  identique  au  can.  5  de  Valence,  sauf  un  passage 
de  la  Bible  (fui  ne  se  trouve  pas  dans  le  premier  de  ces  canons, 
ne  saurail  atteindre  Hincmar:  ce  n'est  pas  lui,  c'est  Gotescalc 
qui,  dans  soi!  pittacium,  avait  émis  cette  proposition  renouvelée 
des  anciens  prédestinatienSj  à  savoir  que  celui  qui  n'est  pas  pré- 
destiné  à  la  vie  n'obtient  pas  au  baptême  la  rémission  du 
péché  originel.  Doctrine  opposée  des  Pères.  Ch.  xxxvi  :  Hincmar 
suppose  que  le  eau.  7  de  Valence  est  dirigé  contre  lui  ;  il  se 
défend  et  déclare  ne  pouvoir  croire  que  Rémi  et  les  évoques 
de  la  province  de  Lyon  aient  écrit  de  pareilles  choses,  car  ils 
savaient  très  bien  comment  il  était  devenu  évêque  ;  il  soup- 
çonne donc,  comme  il  l'avait  déjà  insinué,  une  autre  personne 
d'être  l'auteur  de  cet  écrit.  Documents  sur  son  élévation  et  sur 
la  déposition  d'Ebbo.  Ch.  xxxvn  :  La  censure  qui  a  frappé  l'hé- 
résie des  anciens  predestinatiens  s'applique  pareillement  aux  nou- 
veaux. Comment  il  faut  punir  celui  qui  (comme  Prudence)  aban- 
donne l'orthodoxie,  qu'il  avait  d'abord  embrassée.  Ch.  xxxvm  : 
Epilogue  et  court  résumé. 


460.  Concile  de  Tuzey  en  860.  Fin  des  discussions 
sur  la  prédestination. 

Le  22  octobre  860,  un  concile  national  franc  se  tint  non  loin 

de    Foui,  à  Tuzey.  Les  trois  rois.  Charles  le  Chauve,  Lothaire  II 

de  Lorraine,  et  Charles  de  Provence,  les  évêques  de  quatorze  pro- 

0  1  ij]  vinces  ecclésiastiques  y  assistèrent 1.  A  leur  tête  se  trouvaient  les 


1.  Tusiacum,  Tuzey,  commune  de  Vaùcouleurs,  département  de  la  Meuse. 
Coll.  regia,  t.  xxn.  col.  684;  Lalande,  Conc.  Gallisê,  L660,  p.  164;  Labbe,  Alliance 
chronologique,  1651,  t.  n,  p.  464-466;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  7012-735; 
Mabillon,  Annal,  vel.,  1675.  l.  i.  p.  57  :  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  507; 
Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  1 4 9 ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  I.  xv.  col.  557.  Voir 
.  \[>i>cndices.  (H.  L.) 


228 


LIVRE     XXII 


douze  métropolitains  :  Arduic  de  Besançon,  Wenilo  de  Sens, 
Hincmar  de  Reims,  Ado  de  Vienne,  Thieutgaud  de  Trêves,  Gùnther 
de  Cologne,  Rodulf  de  Bourges,  Hérard  de  Tours,  Frotar  de  Bor- 
deaux, Frédold  de  Narbonne,  Rémi  de  Lyon  et  Wenilo  de  Rouen. 
Des  évêques  étaient  venus  des  provinces  ecclésiastiques  d'Arles 
et  de  Mayence,  mais  non  les  métropolitains  ;  on  s'explique 
ainsi  pourquoi  le  premier  document  conciliaire  parle  de  douze 
provinces  ecclésiastiques,  et  le  second  de  quatorze.  Le  premier 
document  contient  les  cinq  canons  suivants  : 

1.  Celui  qui  s'approprie,  sans  l'assentiment  de  l'évêque,  des 
revenus  ecclésiastiques,  et  celui  qui  refuse  de  les  payer,  seront 
excommuniés  à  perpétuité;  ils  ne  pourront  recevoir  la  communion 
au  lit  de  mort,  et  n'auront  pas  les  honneurs  de  la  sépulture 
ecclésiastique.  S'ils  veulent  faire  pénitence,  ils  commenceront 
par  payer  à  l'église,  chacun  suivant  sa  condition,  trois  ou  qua- 
tre fois  la  valeur  du  dommage  causé. 

2.  Les  vierges  consacrées  ou  les  veuves  qui  se  conduisent  mal 
en  secret,  ou  se  marient  publiquement  seront  enfermées,  leur 
vie  durant,  et  condamnées  à  faire  pénitence.  Il  en  sera  de 
même  des  veuves  qui  mènent  chez  elles  une  vie  dépravée,  ou 
qui  livrent  leurs  filles  à  la  prostitution.  Les  hommes  qui  auront 
péché  avec  ces  femmes  consacrées  à  Dieu  x  seront  également 
obligés  de  faire  pénitence,  et  les  fonctionnaires  royaux  devront, 
dans  ces  circonstances,  prêter  main  forte  aux  évêques. 

3.  On  doit  frapper  d'excommunication  les  personnes,  si  nom- 
breuses maintenant,  qui  prêtent  de  faux  témoignages  ou  qui  se 
parjurent. 

4.  Quiconque  se  rend  coupable  de  vol,  incendie,  débauches 
scandaleuses  ou  de  meurtre,  sera  exclu  de  la  communion,  jus- 
qu'à ce  qu'il  s'amende. 

5.  Nombre  de  lieux  saints  ont  été  ravagés  par  des  chrétiens 
infidèles  et  par  de  cruels  Normands  ;  aussi  beaucoup  de  clercs 
et  de  moines  débauchés  mènent  une  vie  vagabonde  en  habit 
laïque.  Ils  doivent  obéir  à  leurs  évêques  et  à  leurs  abbés,  et  vivre 
sous  leur  discipline. 


1.  Qui  vim  eis  intulerint;  non  dans  le  sens  qu'on  leur  ait  fait  violence,  car 
il  n'est  pas  ici  question  de  violence,  mais  dans  le  sens  qu'on  les  ait  séduites  ; 
c'est  ce  qui  résulte  delà  lettre  d'Hincmar  aux  deux  archevêques  de  Bourges 
et  de  Bordeaux.    Dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.   585. 


I 


'îGO.     CONCILE    DE     TUZEY    EN     860  229 

Ces  canons  portent   les  signatures  de  cinquante-sept  évêques, 
quoique  le  texte  ne  mentionne  que    quarante    évêques    présents 
Peut-être  n'étaient-ils  pas  plus  nombreux;  mais  suivant  une  pra- 
tique reçue  on  fit    sans  cloute   circuler  les   actes  afin   de    recueillir 
les  signatures  des  évêques  absents. 

Le  second  document  est  la  longue  lettre  synodale  datée  du 
22  octobre  860  *.  Nous  avons  vu  que  le  concile  de  Savonnières 
avait  remis  au  concile  suivant,  c'est-à-dire  le  concile  actuel, 
le  soin  de  décider  la  question  de  la  prédestination.  Mais  au 
concile  de  Tuzey,  au  lieu  de  mettre  en  présence  les  propositions 
opposées  des  deux  partis,  on  trouva  plus  opportun  de  ne  pas  men- 
tionner les  points  de  dissentiment,  et  de  se  borner  à  indiquer 
les  principes  sur  lesquels  tout  le  monde  était  d'accord  ;  c'est  ce 
qu'on  fit  dans  la  première  partie  de  la  lettre  synodale  adressée 
2171  à  tous  les  fidèles.  Cette  lettre,  composée  par  Hincmar,  expli- 
quait les  opinions  de  l'auteur  sur  les  points  en  litige,  avec  une 
telle  précision,  que  ses  adversaires  n'eurent  rien  à  critiquer,  et 
qu'on  cessa,  dès  lors,  de  le  soupçonner  de  semipélagianisme. 
Hincmar  accentua  du  reste,  dans  cette  nouvelle  pièce,  ses  quatre 
principaux  points  de  doctrine  :  Dieu  veut  le  salut  de  tous  les  hom- 
mes; le  libre  arbitre  subsiste  après  la  chute,  mais  il  a  dû  néan- 
moins être  délivré  et  guéri  par  la  grâce  de  Dieu  ;  la  prédestination 
divine  ex  massa  perditionis,  laquelle  (massa)  est  ensuite  relicta, 
prédestine,  par  pure  miséricorde,  certaines  personnes  à  la  vie  ; 
enfin  le  Christ  est  mort  pour  tous.  Les  formules  de  salutation,  ainsi 
que  le  contenu  de  cette  lettre  synodale,  prouvent,  qu'elle  a  été 
adressée  à  tous  les  fidèles  ;  et  si  une  suscription  plus  récente  désigne 
les  pervasores  rerum  ecclesiasticarum  comme  les  véritables  desti- 
nataires de  cette  lettre,  cela  vient  probablement  de  ce  qu'il  y  est 
fait  mention  du  vol  des  biens  d'église.  La  première  partie,  la  plus 
importante  est  dogmatique,  et  contient  un  aperçu  de  toutes  les 
principales,  vérités  du  christianisme.  «  Dieu  a  créé  toutes  choses, 
et  armé  du  libre  arbitre  deux  sortes  de  créatures,  les  anges  et  les 
hommes.  Quoique  créés  à  l'image  et  ressemblance  de  Dieu,  ceux- 
ci  peuvent  pécher,  ce  que  Dieu  ne  peut  pas  faire,  car  ils  ne  sont  pas, 
comme  le  Logos,  l'image  de  Dieu,  ils  ont  simplement  été  faits  ad 
imaginent  Dei...  Rien  ne  se  fait  dans  le  ciel  et  sur  la  terre  qui  ne 

1.    Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  511   ;  Mansi,  op.  cit,  t.  xv,  col.  563;  Hincmar, 
Epist.,  xxi,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  122  sq. 


230  LIVRE    XXII 

soit  fait  par  Dieu  lui-même,  ou  qu'il  ne  laisse  faire.  Il  veut  que  tous 
les  hommes  arrivent  au  bonheur  éternel,  et  sa  volonté  est  qu'au- 
cun ne  se  perde.  Après  la  chute  de  nos  premiers  parents,  il  n'a 
pas  voulu  retirer  aux  hommes  le  libre  arbitre  ;  mais  il  guérit 
et  soutient  ce  libre  arbitre  par  la  grâce.  Aussi,  après  sa  chute, 
l'homme  conserve,  pour  vouloir  le  bien,  le  faire,  et  y  persister  un  [218 
liber um  arbitrium  gratia  liberatum,  et  gratia  de  corrupto  sanatum, 
gratia  prseventum,  adjutum  et  coronandum...  C'est  parce  qu'il  y  a 
une  grâce  divine  que  le  monde  est  sauvé  (saleatur),  et  c'est  parce  que 
l'homme  a  un  libre  arbitre  que  le  monde  est  jugé  (judicabitur) ... 
Certains  des  anges  sont  tombés  par  orgueil,  et  par  cette  chute 
leur  état  est  devenu  tel  que  non  velint  nec  possint  esse  boni  ;  au 
contraire,  les  anges  restés  fidèles  ont  reçu,  par  la  gratia  et  retributio 
justitiœ,  en  pur  don,  ce  que  le  Créateur  possède  en  vertu  de  son 
essence,  c'est-à-dire  ut  non  velint  nec  valeant  esse  mali...  Dieu  a 
créé  l'homme,  avec  une  âme  et  un  corps,  et  il  a  laissé  entre- 
voir que  l'auteur  de  toute  chair  s'incarnerait  un  jour  dans  le 
sein  d'une  vierge,  n'ayant  pas  eu  commerce  avec  l'homme.  Celui 
qui  est  mort  sur  la  croix  pour  tous  ceux  qui  étaient  voués  à  la 
mort,  quoiqu'il  fût  seul  à  ne  pas  être  tributaire  de  la  mort,  celui 
qui  est  le  Fils  prédestiné  de  Dieu  et  le  chef  de  tous  les  prédestinés, 
a  voulu  constituer  son  Église  avec  tous  ceux  qui  croiraient  en 
lui,  qu'ils  eussent  vécu  sur  la  terre  avant  ou  après  sa  venue.  Si 
l'homme  était  resté  fidèle  à  la  volonté  du  Créateur,  et  n'avait 
pas  péché,  il  ne  serait  pas  mort,  et  n'aurait  pas  engendré  des 
fils  mortels,  c'est-à-dire  des  enfants  de  la  mort  de  la  géhenne  ; 
il  aurait  possédé,  comme  un  présent,  le  don  accordé  aux  bons 
anges,  ut  non  peccare  vellet  nec  jam  cadere  posset.  Mais,  trompé 
par  le  démon,  l'homme  a  abusé  de  son  libre  arbitre,  et  abandonné 
Dieu;  abandonné  à  son  tour  par  Dieu,  ainsi  qu'il  était  juste, 
il  a  péché  et  est  tombé,  et  per  malum  velle  perdidit  bonum  esse. 
Il  en  résulta  que  le  genre  humain  devint  une  massa  perditionis. 
Quand  même  il  n'y  aurait  eu  personne  de  sauvé  dans  cette  massa 
perditionis,  on  ne  pourrait  pas  blâmer  la  justice  divine  ;  mais, 
puisque  beaucoup  sont  sauvés,  il  faut  reconnaître  que  la  grâce  de 
Dieu  est  ineffable...  A  la  fin  des  temps,  tous  ceux  qui  arrivent 
au  salut  —  c'est-à-dire  tous  les  prédestinés,  maintenant  dispersés 
dans  le  monde,  dans  la  massa  perditionis,  mais  élus  par  la  grâce 
et  la  prédestination  de  Dieu,  dès  avant  la  création  du  monde,  et  dis- 
traits de  cette  massa  perditionis  — ■  seront  réunis  dans  la  plénitude 


460.     CONCILE     DE     TUZEY    EN     860  231 

de  l'Église  céleste  et  éternelle.  Le  même  Dieu  a  fondé  par  ses 
saints  l'Église  sur  la  terre,  il  la  gouverne,  et  les  fidèles  doivent 
maintenir  l'Église  et  ses  serviteurs.  »  Là  commence  la  seconde 
partie  de  la  lettre  synodale,  qui  traite  des  atteintes  portées  aux 
biens  des  églises.  On  y  retrouve  les  mêmes  fragments  pseudo- 
isidoriens  que  le  concile  de  Quierzy,  de  857,  avait  déjà  cités  au 
sujet  de  la  même  question.  La  prœdestinatio  ad  mortem  n'est 
219]   nullement  mentionnée  dans  la  lettre  synodale. 

Régimund,  Franc  de  distinction,  envoya  au  concile  de  Tuzey 
une  plainte  écrite  :  il  avait  marié  sa  fille  à  un  certain  Etienne, 
qui  ne  voulait  pas  habiter  avec  sa  femme,  sous  prétexte  d'avoir 
eu  commerce  autrefois  avec  une  parente  de  cette  femme.  Le 
concile  aurait  pu  écarter  une  plainte  par  écrit,  d'autant  plus 
que,  dans  l'espèce,  cette  plainte  aurait  dû  provenir  de  la 
femme  plutôt  que  de  son  père.  Il  préféra  cependant  inviter 
Etienne  à  comparaître,  car  le  beau-père  et  le  gendre  étaient  de 
haute  condition:  Etienne  avait  un  emploi  à  la  cour,  et  on  pouvait 
redouter  les  suites  de  son  mécontentement.  Etienne  comparut  donc 
et  avoua  secrètement  aux  évêques  qu'il  s'était  jadis  oublié  avec  une 
jeune  fille  ;  que,  plus  tard,  son  père  l'avait  fiancé  avec  une  pa- 
rente de  cette  jeune  fille,  qu'il  avait  fait  alors  connaître  l'em- 
barras où  il  se  trouvait  à  son  confesseur,  et  que  celui-ci  lui  avait 
ordonné  de  ne  pas  épouser  sa  fiancée.  Il  avait  été  longtemps 
perplexe,  enfin  la  crainte  de  Régimund  l'avait  fait  consentir  aux 
noces  ;  mais  il  n'avait  jamais  voulu  consommer  le  mariage.  Du 
reste,  il  se  déclarait  prêt  à  s'incliner  devant  la  décision  du  con- 
cile. L'assemblée  décida  qu'à  l'occasion  d'une  diète,  les  archevê- 
ques de  Bourges  et  de  Bordeaux  tiendraient  un  concile  avec  leurs 
sufîragants  et  résoudraient  cette  question  d'après  les  règles  cano- 
niques ;  en  attendant,  le  roi  s'efforcerait  de  réconcilier  Régimund 
et  Etienne.  Ce  dernier  accepta  avec  joie  cette  décision,  tandis 
qu'Hincmar  obtint  de  l'assemblée  la  permission  d'exposer  sa 
manière  de  voir  et  de  proposer  une  solution.  Son  avis  obtint 
l'assentiment  général;  on  décida  que  son  mémoire  serait  envoyé 
aux  deux  archevêques.  Ce  mémoire  d'Hincmar  forme  le  troisième 
document  des  actes  synodaux  x;  il  est  identique  à  l'epist.  xxn 
d'Hincmar2.   Hincmar  y    développe  les    principes  du  droit  chré- 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  521  ;  Mansî,  op.  cit..  t.   xv.  col.  571. 

2.  P.  L.,  t.  cxxx,  col.  132  sq. 


232 


LIVRE    XXII 


tien  sur  le  mariage,  et  la  conduite   à   tenir   dans  le  cas  présent;   il 
appuie  ses  raisonnements  sur  divers  passages   des   Pères   de    l'E- 
glise, et  des  conciles,  y   compris    quelques    emprunts    au    pseudo- 
Isidore h    La     femme    devait    d'abord,     selon    lui,    jurer  n'avoir 
jamais  eu  commerce    avec  Etienne  depuis   le    mariage  ;    de    son 
côté,  Etienne    devait    affirmer  n'avoir  pas  consommé  le    mariage, 
uniquement  parce  qu'il  avait   jadis  péché    avec    une    parente  de 
sa  femme.   Il  n'avait    pas  à    livrer  le  nom  de  sa  complice,  pour 
la   même  raison   qui  fait  que  les  pénitents  sont  obligés  de    faire 
connaître  leurs    fautes    au    prêtre   seul,   et  non   à  d'autres.   Pour 
qu'il  y  ait  mariage,  il  faut  a)  qu'il  soit  contracté  entre   personnes 
nubiles,  b)  que  la  femme,  légitime   dotata  et   publicis  nuptiis  hono- 
rata,  ait  obtenu  le    consentement  de   son  père,  c)  que  le   mariage 
ait  été  consommé.  Le  mariage    ainsi    conclu,  aucun  des  conjoints  [220 1 
n'a  le    droit    de    vivre     dans     la    continence,    mais     l'union  d'E- 
tienne n'est  pas  un  vrai   mariage  et  aurait  dû  être   cassée  comme 
incestueuse,    même     si     Etienne     avait    eu     commerce     avec    sa 
femme.    Ni    l'un    ni    l'autre    ne    pouvaient     désormais  contracter 
mariage.   Hincmar    combat    ensuite    ceux  qui    soutiennent   qu'un 
homme,  ayant  renvoyé  sa    femme    pour  cause  d'adultère,    peut 
en  épouser  une  autre  ;  il  accuse  ses   adversaires  d'en  appeler  sur 
ce  point    à     l'autorité     de     saint      Augustin     avec   aussi  peu  de 
raison  que  les    nouveaux    prédestinatiens.   Hincmar    termine    en 
disant    qu'Etienne    doit     être    puni     par     son    évêque,    d'abord 
pour   la  faute     commise    avant     son    mariage,  et    qui  est    main- 
tenant connue  de  tous,  ensuite  pour  avoir  après  son  mariage,  vécu 
avec  une  concubine,  ce  qui  a  été  une  cause  de  scandale. 


461.  Fin  de  Gotescalc.  Discussion  sur  la  «trina  deitas  ». 

A  partir  du  concile  de  Tuzey,  les  discussions  sur  la  prédestina- 
tion  cessèrent  entre  Hincmar  et  les  autres  évêques.  On  engagea 
Gotescalc  à  adhérer  à  la  lettre  synodale  de  Tuzey,  et  à  en  signer 
la  première  partie  ;  c'est  du  moins  ce  qu' Hincmar  demanda  à 
Gotescalc,  lors  de  sa  dernière  maladie.  Mais  le  refus  qu'il  essuya 
montre  que    Gotescalc    était    allé    plus    loin    que    Rémi   de    Lyon 

1 .  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  575. 


461.     FIN     DE     GOTESCALC  233 

et  les  autres  augustiniens,  et  avait  employé  l'expression  de 
prsedestinatio  ad  mortem  clans  un  sens  entièrement  faux. 

Dans  son  écrit  De  prsedestin.,  c.  xxxi,  Hincmar  indique,  entre 
autres  nouveautés  blâmables,  l'expression  trina  Deitas.  L'hymne 
des  vêpres,  au  commun  de  plusieurs  martyrs,  œuvre  d'un  auteur 
inconnu,  se  terminait  alors  par  ces  mots  :  Te  trina  Deitas  unaque 
poscimus  (maintenant  Te  summa  o  Deitas)  1.  Hincmar  se  scanda- 
lisa de  cette  expression,  et  défendit  de  chanter  en  son  église  trina 
Deitas.  Il  partait  de  ce  principe  que  le  mot  Deitas,  désignait  la 
Sagesse  ou  la  substance  divine,  et  comme  celle-ci  était  surtout 
'2211  une,  on  ne  devait  pas  la  qualifier  par  l'épithète  trina,  qui  a  un 
sens  arien.  Hincmar  avait  évidemment  raison  ;  on  peut  dire 
cependant,  pour  défendre  cette  expression,  que  Deitas  peut 
aussi  être  regardé  comme  synonyme  de  Deus,  et  de  même  qu'on 
dit  trinus  Deus,  on  dit  trina  Deitas  2.  Les  ennemis  d' Hincmar 
prirent  aussitôt  parti  pour  la  trina  Deitas,  en  particulier  Ra- 
tramn  de  Corbie.  Gotescalc  alla  plus  loin,  et  publia  une  sche- 
dula  accusant  de  sabellianisme  Hincmar  qui  avait  condamné 
l'expression  trina  Deitas,  parce  qu'il  ne  croyait  pas  aux  trois 
personnes  divines.  Cette  schedula  de  Gotescalc  nous  a  été 
conservée  dans  la  réplique  d' Hincmar  De  una  et  non  trina 
Deitate:  dans  plusieurs  de  ses  lettres  Hincmar  énumère,  à  la 
suite  des  erreurs  de  Gotescalc,  le  prédestinatianisme,  celle  qui 
concerne  la  trina  Deitas  ;  ainsi  les  epist.  ix  et  x  à  Egilo  de  866. 

Dans  ses  dernières  années,  Gotescalc  versa  dans  beaucoup 
d'autres  erreurs  ou  folies,  dont  parle  Hincmar,  De  una  et  non  trina 
Deitate.  Il  disait,  par  exemple,  que  Dieu  lui  avait  défendu  de  prier 
pour  Hincmar,  que  le  Fils  de  Dieu  était  d'abord  entré  en  lui 
(Gotescalc),  puis  le  Père,  et  enfin  le  Saint-Esprit,  et  que  ce 
dernier  lui  avait  brûlé  la  barbe  et  la  bouche.  Il  refusait  de  rece- 
voir aucun  vêtement  des  moines  d'Hautvilliers,  parce  qu'ils 
étaient  en  relations  avec  Hincmar,  et  pendant  quelque  temps 
il  resta  presque  nu,  jusqu'à  l'entrée  de  l'hiver.  Il  prophétisa 
qu'Hincmar  mourrait  comme  l'Antéchrist,  deux  ans  et  demi 
après    sa    prophétie,    et    que     lui-même    monterait    alors    sur  le 


1.  Cette  expression   a  été  reprise  dans   l'hymne  Sacris  solemniis,  et  figure  au 
Bréviaire.    (H.   L.) 

2.  Photius  a  aussi  traité  ce  sujet  dans  ses  Amphilochis,  q.   xxvn.  Voyez  la 
dissertation  d'Hergenrother  dans  la  Tiibing.  Quartalschr.,  1858,  p.  287. 


234  LIVRE     XXII 

siège  de  Reims.  Ce  temps  écoulé,  comme  Hincmar  s'obstinait 
à  vivr.e,  Gotescalc  écrivit  à  un  ami«  que  Dieu  aimait  mieux 
appeler  plus  tard  ce  fur  et  latro.  »  De  una  etc.,  c.  xix. 

Lorsque,  en  862,  on  se  plaignit  à  Rome  de  la  conduite  d' Hinc- 
mar vis-à-vis  de  Rothade,  évêque  de  Soissons,  on  dénonça  égale- 
ment la  dureté  dont  l'archevêque  de  Reims  avait  fait  preuve  à 
l'égard  de  Gotescalc.  En  apprenant  cela,  Hincmar  envoya  à 
Rome,  vers  la  fin  de  l'année  862,  ou  au  commencement  de 
l'année  suivante,  Odon,  évêque  de  Beauvais,  avec  une  rotula, 
qui  contenait  les  sentiments  des  Pères  à  l'endroit  des  doctrines 
professées  par  Gotescalc  1.  C'était  son  grand  ouvrage  De  prœ-  [222] 
destinatione.  Quelque  temps  après,  en  cette  même  année  863, 
Charles  le  Chauve,  roi  de  France,  envoya  le  diacre  Luido  comme 
ambassadeur  à  Rome;  le  pape  Nicolas  Ier  traita  avec  ce  diacre 
de  la  condamnation  et  de  l'emprisonnement  de  Gotescalc  ;  à 
celle  occasion  Hincmar  donna  au  pape,  dans  une  longue  lettre 
(864),  des  renseignements  sur  Gotescalc,  sa  vie,  sa  condamna- 
tion à  Mayence  et  à  Quierzy,  enfin  sur  ses  doctrines;  sans  parler 
des  autres  matières  dont  il  y  traitait  2.  Nous  y  avons  puisé  la  plu- 
part des  détails  donnés  plus  haut.  Hincmar  y  rapporte  encore  que 
le  conciliabule  tenu  à  Metz  en  863  (nous  en  parlerons  plus  loin), 
en  présence  et  avec  la  coopération  d'un  légat  du  pape,  et  qui  se 
conduisit  si  honteusement  dans  l'affaire  du  divorce  de  Lothaire  de 
Lorraine,  les  avait  fait  inviter,  lui  et  Gotescalc,  par  un  laïque  3  ; 
or,  pour  se  rendre  à  une  réunion  si  éloignée,  il  n'avait  reçu  la  lettre 
d'invitation  que  quatre  jours  avant  l'ouverture  des  sessions;  aussi 
n'avait-il  pu  y  paraître. Vers  la  fin  de  cette  même  lettre,  Hinc- 
mar parle  encore  des  calomniateurs  et  ennemis  qu'il  compte 
parmi  les  évèques;  il  ajoute  que,  si  le  pape  lui  avait  ordonné  de 
mettre  Gotescalc  en  liberté  et  de  l'envoyer  à  Rome,  ou  ailleurs, 
il  aurait   obéi  immédiatement. 

Quelque    temps  après,    en   865    ou   866  4,   le   moine    Gautbert, 
homme    de   désordre,    s'échappa    du    monastère    d'Hautvilliers, 

1.  Hincmar,  Ep.,  n,  ad  Nicol.,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  43. 

2.  Hincmar,  Ep.,  n,  ad  Nicol.,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  25  sq.  ;  Flodoard,  1.  III, 
c.  xn-xiv. 

3.  Maugin  prétend  (t.  n,  p.  400)  que  le  légat  avait  invité  Hincmar,  sur  l'ordre 
du  pape. 

4.  Et  non  pas  en  858,  ainsi  que  le  prétend  Schrôckh,  t.  xxiv,  p.  115.  Cf.  Gess, 
Leben  Ilinkmars,  p.  89. 


161.     FIN     DE     GOTESCALC  235 

emportant,  des  livres,  des  habits,  des  chevaux,  en  un  mot  tout 
ce  qu'il  put,  et  le  bruit  se  répandit  qu'il  était  parti  pour  Rome, 
afin  d'y  apporter  les  réclamations  écrites  de  Gotescalc.  Hincmar 
craignit  que  ce  ne  fût  vrai,  d'autant  que  tout  le  monde  savait 
que  le  pape,  peu  disposé  en  sa  faveur,  s'était  plaint  de  lui  dans 
une  lettre  au  roi.  Aussi,  lorsque,  en  866,  Egilo,  archevêque  de 
Sens,  se  rendit  à  Rome  pour  ses  affaires  particulières,  le  pria- 
t-il  (epist.  ix  et  x)  de  vouloir  s'occuper  aussi  de  ses  intérêts,  et 
223]  de  parler  au  pape  de  cette  assertion  du  Chronicon  de  Prudence, 
prétendant  que  Nicolas  avait  approuvé  les  capitula  de  Valence. 
Seulement  l'archevêque  de  Sens  devait  avoir  soin  de  ne  pas 
nommer  Hincmar,  le  pape  étant  irrité  contre  lui. 

On  ne  peut  dire  si  le  reproche  de  cruauté  que  le  pape  adressait 
quelque  temps  après  à  Hincmar.  en  867,  se  rapporte  à  sa  conduite 
envers  Gotescalc,  plus  probablement,  à  sa  manière  d'agir  à 
l'égard  de   Rothade  et  des  clercs  de  Reims  déposés  \ 

Gotescalc,  gravement  malade  et  proche  de  la  mort,  reçut  de 
Hincmar  une  profession  de  foi 2,  que  nous  possédons  encore, 
i  l  qu'il  devait  accepter  et  souscrire,  s'il  voulait  être  de  nou- 
veau admis  à  la  communion  de  l'Église  et  recevoir  la  sainte 
eucharistie.  Hincmar  délégua  les  moines  d'Hautvilliers  pour  ab- 
soudre Gotescalc,  s'il  se  soumettait,  lui  donner  la  communion,  et 
lui  accorder  les  honneurs  de  la  sépulture  ecclésiastique  (epist.  xm). 
Mais  Gotescalc  mourut,  en  868  ou  869,  sans  vouloir  se  réconcilier  3. 


1.   Hincmar  en  parle  dans  Epist.,  xi,  ad  NicoL,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  78. 
■      2.   Elle  se  trouve  dans  le  c.  xix  de  l'écrit  d'Hincmar  De  una  et  non  trina  Deita- 
te;  elle  est,  en  somme,  d'une  rédaction  très  modérée. 

3.   Hincmar,  De  una  et  non  trina  Deltate,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  616.  Cf.    Gfrôrer 
die  Carolinger,  t.  i,  p.  279. 


224J  LIVRE    VINGT-TROISIÈME 

CONCILES  RELATIFS  A  LOTHAIRE, 
ROTHADE,  HINCMAR  DE  LAON  ET  PHOT1US 

DE  860  A  867 


462.   Deux  conciles   tenus  à  Aix-la-Chapelle,  en  865, 
au  sujet  du  divorce  de  Lothaire  de  Lorraine. 

Pendant  les  discussions  sur  le  prédestinatianisme,  plusieurs  autres 
conflits  nécessitèrent  la  convocation  de  la  plupart  des  conciles  dont 
nous  allons  parler.  Ces  conflits  furent  soulevés  à  l'occasion 
du  mariage  de  Lothaire  de  Lorraine,  du  différend  entre  Hincmar 
et  ses  suffragants  et  du  schisme  de  Photius. 

Lothaire,  roi  de  Lorraine,  second  fils  de  Lothaire  Ier  et  frère  de 
l'empereur   Louis    II,   ayant   épousé   en  855  1  Theutberge   (Thiet- 

1.  Et  non  pas  en  856.  Au  sujet  de  cette  date  cf.  Dûmmler,  Gesch.  des  ostfrânk. 
Reichs,  in-8,  Berlin,  1862,  t.  i.  p.  744.  [Sur  le  mariage  de  Lothaire  et  ses  suites  : 
A.  Borgnet,  Le  divorce  du  roi  Lothaire  II  et  la  reine  Theutberge,  in-8,  s.  1.  n.  d.  ; 
•Ernouf,  Histoire  de  Waldrade  et  de  Lolher  27,  dans  la  Revue  contemporaine,  1857, 
t.  xxxn,  p.  730-757,  Histoire  de  Waldrade  de  Lother  II,  et  de  leurs  descendants, 
d'après  Luidprand,  Frodoard,  Erchempert,  Léon  d'Ostie,  Benoît  de  Saint-André, 
in-8,  Paris,  1858;  Le  pape  Nicolas  IeT  et  le  jeune  roi  Lothaire,  fragment  historique, 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie  de  Dijon,  1862,  série  II,  t.  ix,  p.  1-85  ;  B.  Parisot, 
Leroyaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens  (843-923),  in-8,  Paris,  1899;  J.  Cal- 
mette,  La  diplomatie  carolingienne,  du  traité  de  Verdun  à  la  mort  de  Charles 
le  Chauve  (843-877),  in-8,  Paris,  1901,  p.  69-127;  ch.  m  :  La  question  de  Lorraine, 
du  mariage  de  Lothaire  II  à  la  légation  d'Arsène;  ch.  iv  :  L.  q.  d.  L.  de  la  léga- 
tion d'Arsène  au  partage  de  Meerssen;  B.  Poupardin,  Leroyaume  de  Provence 
sous  les  Carolingiens  (855-933?),  in-8,  Paris,  1901,  p.  443,  462,  aux  mots 
Lothaire  II,  Teulberge.  Le  divorce  de  Lothaire  est  une  des  affaires  importantes 
dans  lesquelles  nous  voyons  intervenir  le  personnage  d'Hincmar.  Le  rôle  qu'il  joua 
en  cette  circonstance  a    été    étudié    par    M.    Sdralek,    Hinckmars    von    Rheims 


238 


LIVRE     XXIII 


berg,  Thietbrich),  fille  de  Boso,  comte  et  gouverneur  de  Bourgo- 
gne 1,  s'éprit  ensuite  de  Waldrade,  d'origine  franque  et  de  parents 

Kanonistisches  Gutachten  iïbcr  die  Ehescheidung  des  Kônigs  Lothar  II,  in-8, 
Fribourg-en-Brisgau,  1881.  Ce  fut  l'occasion  pour  Hincmar  d'un  avis  longue- 
ment motivé,  qui,  joint  à  diverses  décisions  sur  des  causes  matrimoniales, 
fournit  les  bases  d'une  théorie  canonique  du  mariage.  D'après  Hincmar,  si  l'in- 
ceste imputé  à  Theutberge  et  à  son  frère  Hubert  était  démontré,  il  entraînait 
incapacité  ultérieure  de  mariage  et  par  conséquent  nullité  de  l'union  contractée 
avec  Lothaire.  La  défense  qu'Hincmar  présente  de  Theutberge  va  donc  se  trouver 
nécessairement  transportée  du  terrain  du  droit  sur  le  terrain  du  fait.  On  a  très 
justement  reproché  au  défenseur  de  Theutberge  d'avoir  multiplié  les  contre- 
sens dans  l'interprétation  des  textes  anciens,  afin  d'en  déduire  la  règle  qu'il 
lui  convient  de  poser  au  sujet  des  incestueux  ;  en  tous  cas  l'incapacité  qui  frappe 
ces  derniers  en  ce  qui  concerne  le  mariage  est  un  point  constant  de  la  discipline 
matrimoniale  du  ixe  siècle  :  H.  Schroers,  Hinkmar  Erzbischof  von  Rheims,  sein 
Leben  und  seine  Schriften,  in-8,  Fribourg,  1881,  soutient  contre  Sdralek,  op.  cit., 
et  Scherer,  Ueber  das  Eherecht  bei  Benedikt  Levita  und  Pseudo-Isidor,  in-4,  Pratz, 
1879,  que  l'inceste  non  entaché  d'adultère  produisait  déjà  cet  effet  au  vmc 
siècle,  ce  que  prouveraient  les  décisions  du  concile  de  Compiègne  de  757.  (H.  L.) 

1.  «  Nous  ne  savons  ni  de  quel  pays  il  tirait  son  origine,  ni  quelles  fonctions 
il  avait  remplies.»  R.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  843- 
923,  in-8,  Paris,  1899,  p.  83.  Dùmmler,  Geschichte  des  ostfrànkischen  Reichs,  in-8, 
Leipzig,  1888,  t.  ii,  p.  5,  note  2,  croit  que  c'est  un  comte  Boson  que  l'on  trouve 
en  Italie  sous  le  règne  de  Louis  le  Pieux  et  parmi  les  grands  qui  accompagnaient 
Louis  II  en  844  ;  Miïhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  477,  déclare  qu'on  ne  peut  affirmer  que 
ce  Boson  soit  le  père  de  Theutberge.  A  quelle  époque  et  de  quelle  façon  le  mariage 
de  Lothaire  II  et  de  Theutberge  s'était-il.  accompli  ?  Cette  question  va  nous 
arrêter  assez  longtemps  et  provoquer  assez  de  conciles  pour  mériter  d'être  ex- 
posée ici  en  détail.  Nous  suivons  le  récit  de  M.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  85-88. 

«  Deux  dates  nous  sont  données  pour  cette  union  :  855  par  les  Annales  Lauba- 
censes  ou  Lobienses,  856  par  Réginon.  On  sait  que  la  chronologie  de  ce  dernier 
auteur  est  fréquemment  fautive  pour  toute  autre  période  que  celle  dont  il  est  le 
contemporain  immédiat.  Aussi,  bien  que  les  Annales  Laubacenses  présentent 
quelques  erreurs  du  même  genre,  croyons-nous  devoir  préférer  855.  D'abord, 
c'est  tout  au  début  du  règne  de  Lothaire  II  que  se  place  la  plus  grande  faveur 
d'Hubert,  frère  de  Theutberge,  ou  plutôt  qu'elle  se  manifeste  le  plus  ouvertement; 
il  figure  comme  intercesseur  dans  les  deux  diplômes  du  26  octobre  et  du  9  novem- 
bre 855.  Après,  il  n'est  plus  mentionné  dans  aucun  diplôme,  non  que  la  disgrâce 
l'ait  tout  de  suite  frappé,  mais  parce  qu'il  ne  se  trouve  plus  auprès  du  roi,  ayant 
dû  rejoindre  son  duché.  Le  mariage  a  été  certainement  célébré  avant  qu'Hubert 
se  mît  en  route.  D'un  autre  côté,  Advence,  évêque  de  Metz,  place  le  mariage  de 
Lothaire  II  et  de  Theutberge  a  l'époque  où  le  jeune  roi  venait  de  perdre  son  père 
(28  ou  29  septembre  855).  Ce  sérail  donc  en  octobre  nu  en  novembre,  un  peu  avant 
nu  un  peu  après  le  voyage  île  Francforl  nécessité  par  la  ci  rémonie  d'installation, 
que  Lothaire  aurait  pris  Tliuulberge  pour  femme.  Ce  mariage  du  second  fils  de 
Lothaire   Ier  avec   une   fille   de  noble   naissance    n'aurait  rien  en   lui-même  qui 


462.     DEUX     CONCILES    TENUS     A     AIX-LA-CHAPELLE  239 

inconnus,  autrefois  sa  maîtresse,  à  laquelle  il  voulut  sacrifier  sa 
jeune  épouse.  Comme  l'instance  en  divorce  ne  pouvait  être  pré- 

provoquât  la  surprise,   cl    n'appellerait  aucune  explication,  si  nous  ne  savions 
qu'auparavant  le  jeune  prince  avait  eu  pour  femme  ou  pour  maîtresse  une  cer- 
taine Waldrade,  qui  appartenait,  elle  aussi,  à  l'aristocratie,  étant  parente  du  comte 
alsacien  Eberhard.    Nous    ne  croyons  pas  que  l'union  du  jeune  Lothaire  et  de 
Waldrade  ait  été  régulière,   niais  quelle  que  soit  la  nature  des  liens  qui  aient 
existé  entre  eux  avant  855,  il  est  certain  que  Lothaire  avait  eu,  du  vivant  de  son 
père,  des  relations  avec  Waldrade;  il  n'est  pas  moins  certain  non  plus  qu'il  avait 
pour  cette  femme  un  profond  amour.  Depuis  857,  Ions  ses  efforts  ne  tendent  qu'à 
divorcer  d'avec  Theutberge,  afin  de  pouvoir  faire  de  Wraldrade  son  épouse  légi- 
time :  il  a  exposé,  à  poursuivre  ce  but,  son  trône,  sa  vie,  le  salut  de  son  âme. 
Waldrade  lui  était  donc  bien  chère.  Admettons  que  le  vieil  empereur,  tout  en 
fermant   les  yeux  sur  la  liaison  de  son  fds  avec  Waldrade,  ne  lui  ait  pas  permis 
de  l'épouser.  Pourquoi,  une  fois  devenu  son  maître,  le  jeune  Lothaire  ne  s'est-il 
pas  empressé  de  régulariser  la  situation  de  la  femme  à  laquelle  il  s'était  attaché? 
Pourquoi  ne  l'a-t-il  pas  associée  à  sa  personne  et  à  son  trône  ?     Pour  ne  l'avoir 
pas  fait,  pour   avoir   épousé  Theutberge,  dont  il  cherchera  bientôt  à  se  défaire, 
il  a  fallu  de  graves  motifs,  une   nécessite    pressante,  inexorable,  à  laquelle  il  ne 
pouvait  échapper.  Lothaire,  dans  une  lettre  aujourd'hui  perdue,  adressée  au  pape 
Nicolas  Ier, P.  L.,  t.  exix,  col.  1 179-1 180,  prétendra  plus  tard  que  l'on  a  eu  recours 
à  des  menaces,   à  des  violences  pour  l'obliger  à  épouser  Theutberge   (Ernouf, 
Histoire  de  Waldrade  et  de  Lothaire  II,  in-8,  Paris,  1858,  p.  3);  nous  trouvons  la 
même  assertion  répétée  par  Advence,  Lib.  apol.,  dans  Baronius,  Annales,  édit., 
Lucques,  t.  xiv,  p.  566,  col.  2.  On  trouve  au  ch.  iv  des  actes  du  IIIe  concile  d'Aix, 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  612,  une  phrase,  un  peu  ambiguë,  il  est  vrai,  où  Lothaire 
dit  qu'il  a  été  trompé  par  les  arguments  factieux  d'hommes  perfides.  Deux  ans 
plus   tôt,  au  Ier  concile  d'Aix,  Lothaire  tenait  un  langage  différent.  D'après  le 
Libellus  octo  capitulorum,  c.  3,  Capitularia,  t.  n,  p.   464,   il    aurait  désiré  avoir 
Theutberge.  Peut-être  alors  ne  se  souciait-il  pas  d'avouer  qu'il  avait  été  contraint 
de  faire  ce  mariage.  Dans  le  ch.  i  du  Libellus  septem  capitulorum.  Capitularia, 
t.  n,  p.  i63-464,  il  est  dit  que  Lothaire  épousa  Theutberge  avec  le  consentement 
et   la  volonté  de  ses  fidèles.  Nous  croyons,  nous,  que  l'intervention  des  grands 
produite  sous  une  forme  moins  respectueuse.  Wenck,  Das   frànkische  Reich 
nacli  dem  Vertrage  von   Verdun,  in-8,  Leipzig,  1851,  p.  327,  pense  que  le  mariage 
de  Lothaire  fut  l'œuvre   des  grands  qui  avaient  porté  au  trône  le  jeune  roi  ;    il 
semble  admettre  qu'ils  ont  exercé  sur  lui  une   pression.    Mais   pour   la   plupart 
des  historiens  modernes,  Ranke.  Weltgeschichte,  vi,  part.  1,  p.  140;  Mùhlbacher, 
Reg.  Kar.,  p.  477;  Mùhlbacher,  Deustchc  Geschichte  unter  den  Karolingern,  in-8, 
Stuttgart,  1896,  p.    504-505,  et  Dùmmler,  op.   cit.,  t.  n,  p.  5-6,   Lothaire  n'a  nul- 
lement    été  forcé  de  prendre  Theutberge  pour   femme   :    -  boix    a  été    dicté 
par  îles  considérations  politiques,  par  ledésir  de  s'assurer  l'appui  d'une  famille 
puissante.  Pourtant,  nous  croyons  qu'il  y  a  eu  pression  exercée  sue  Lothaire  pour 
qu'il  se  séparât  de  Waldrade  et  s'unît  à  Theutberge.  Les  grands,   une  partie  tout 
au  moins  di  -  grands  de  le.  Francia,  entendaient  mettre  un  terme  au  morcellement 
indéfini  des   Etats  de  Lothaire  Ier,  et  pour  cela  si'  proposaient  de  conserver  au 


240  LIVRE     XXIII 

sentée  sans  quelque  apparence  de  droit,  on  raconta  qu'avant  son 
mariage,  Theutberge  avait  eu  avec  son  frère  Hubert  un  commerce 
incestueux.  La  mauvaise  réputation  d'Hubert  qui,  quoique  sous- 
diacre  et  abbé  de  Saint-Maurice  en  Valais,  s'était  enfui  après 
s'être  rendu  coupable  de  beaucoup  d'actes  de  brutalité  et  de  scan- 
dales, donnait  à  ces  rumeurs  quelque  vraisemblance  1.  Afin  de  gros- 
sir la  faute  de  Theutberge,  on  ajouta  qu'Hubert  avait  souillé  sa  [225] 
sœur  d'une  manière  monstrueuse  et  qu'après  l'avoir  rendue  en- 
ceinte, il  l'avait  fait  avorter  au  moyen  de  certains  breuvages  2# 
Les  courtisans  firent  tous  leurs  efforts  pour  accréditer  ces  bruits 
odieux  et  Lothaire  convoqua,  en  858  ou  859,  une  réunion  des 
grands  de  son  royaume  pour  instruire  la  cause  de  Theutberge, 
qu'il  ne  pouvait  plus  garder  comme  sa  femme  si  elle  était  trou- 
vée coupable.  Theutberge  nia  tout  ;  selon  la  coutume  du  temps, 
on  la  soumit  au  jugement  de  Dieu,  par  l'épreuve  de  l'eau  bouil- 

second  de  ses  fds  tout  ce  que  le  vieil  empereur  avait  possédé  au  nord  et  à  l'ouest 
des  Alpes.  Lothaire  II  était  leur  obligé,  gouvernait  à  leur  profit.  Pour  être  sûrs 
de  lui,  ils  jugèrent  bon  de  le  marier  avec  une  femme  qui  tînt  de  près  à  l'un  d'entre 
eux  ;  elle  devait,  dans  leur  pensée,  mettre  au  service  de  leurs  intérêts  l'influence 
qu'elle  acquerrait  sur  l'esprit  du  nouveau  roi.  Se  méfiant  peut-être  de  Waldra- 
de,  ils  exigèrent  de  Lothaire  qu'il  la  renvoyât.  Nous  ne  savons  ce  qui  leur  fit 
préférer  la  sœur  de  l'abbé  Hubert  à  d'autres  jeunes  filles  ;  toujours  est-il  que  ce 
fut  à  elle  que  Lothaire  fut  obligé  de  se  marier.  Il  était  très  jeune,  dépourvu 
d'expérience,  à  peine  assis  sur  le  trône  ;  la  crainte  d'une  révolte  l'aura  déterminé 
à  se  soumettre.  Peut-être  aussi  l'ambition  parla-t-elle  en  ce  moment  plus  haut 
que  l'amour  dans  le  cœur  de  Lothaire,  et  il  sacrifia  Waldrade  au  désir  de  régner 
sur  une  plus  grande  étendue  de  territoire. Theutberge  était  probablement  beaucoup 
plus  jeune  que  son  frère,  qui,  après  la  mort  de  leur  père,  lui  avait  servi  de  tu- 
teur. Hincmar.  De  divortio  Lotharii,  interr.  xn,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  697.  Mais 
il  pourrait  se  faire  qu'elle  eût  quelques  années  de  plus  que  son  mari.  Le  mariage 
célébré,  nous  ne  savons  pas  où,  Hubert  se  sera  fait  donner  le  gouvernement 
du  pays  situé  entre  le  Jura  et  les  Alpes,  avec  mission  de  surveiller  les  agisse- 
ments de  Louis  II,  fils  aîné  de  Lothaire  Ier.  (H.  L.) 

1.  On  trouve  dans  Dûmmler,  op.  cit.,  p.  448.  des  renseignements  détaillés  sur 
Hubert  et  ses  dérèglements  ;  et  aussi  dans  R.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine 
sous  les  Carolingiens,  843-923,  in-8,  Paris,  1899,  p.  83  sq.  (H.  L.) 

2.  Sur  Theutberge,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  143.  Le  reproche  de  stérilité  adressé 
à  la  reine  par  Lothaire  tombait  devant  cette  accusation  d'être  grosse  des  œuvres 
d'Hubert,  à  moins  d'admettre  que  les  manœuvres  abortives  employées  eussent 
rendu  Theutberge  impropre  à  la  maternité.  La  stérilité  paraît  incontestable. 
Si  Lothaire  d'une  part,  et  Charles  le  Chauve  d'autre  part  représentant  des  inté- 
rêts opposés,  tenaient  tant  l'un  à  se  défaire  de  Theutberge,  l'autre  à  la  conser- 
ver, c'est  qu'elle  ne  pouvait  assurer  la  succession  du  neveu  que  l'oncle  convoitait. 
(H.  L.) 


i62.     DU    X     CONCILES     TENUS     A     AIX-LA-CHAPELLE  241 

lante  :  l'un  de  ses  serviteurs  la  subit  pour  elle  ci  avec  un  tel  bon- 
heur, que  Theutberge  lui  déclarée  innocente.  Craignant  de  braver 
l'opinion,  Loi  haire  la  reprit,  au  moins  extérieurement,  pour  sa  fem- 
me *.  On  rapporte  qu'il  l'emprisonna  secrètement,  en  tous  cas, 
il  ne  vécut  plus  avec  elle,  mais  avec  Waldrade  2 


1.  R.  Parisot,  op.  cil.,  p.   149  :    «  Nous  n'avons  que  des  renseignements  très 
sommaires  sur  la  façon  dont  les  choses  se  passèrent.  »  (H.  L.) 

2.  Hincmar,  De  divortio  Lolharii,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  629  sq.  ;  Annales  Berti- 
niani,  ad  ann.  858,  dans  Monum.  Germ.  histor.,  t.  i,  p.  452  ;  N.  Alexander, 
Hist.  eccles.,  in-fol.,  Venetiis,  1778,  t.  vi,  dissert.  IX:  De  divortio  Lotharii  régis; 
Noorden,  Hinkmar,  Erzbischof  von  Rheirns,  ein  Beitrag  zur  Staats-und  Kirchenge- 
chiclite  des  westfrânkischen  Reichs  in  der  zweilen  Hàlfle  des  9  Jahrhunderls,  in-8, 
Bonn,  1863,  p.  167  sq.  [On  ignore  la  date  de  naissance  de  Lothaire  II.  En  841, 
il  est  encore  qualifié  de  puerulus  par  les  Annales  fuldenses,  édit.  Kurze,  1891, 
p.  32.  En  853,  il  a  une  ou  plusieurs  concubines  ainsi  qu'on  peut  l'induire  de  ce 
passage  de  Prudence  parlant  des  maîtresses  de  Lothaire  Ier,  aliique  fûii  ejus  simi- 
liter  adulleriis  inserviunt.  Annal.  Berlin.,  ad  ann.  853,  p.  41.  Peut-être  même  y 
a-t-il  là  une  allusion  aux  relations  du  jeune  prince  avec  Waldrade.  D'autre  part, 
Advence  de  Metz,  dans  son  mémoire  sur  le  divorce  de  Lothaire  II,  assure  que  ce 
prince  était  puerulus  quand  son  père  lui  donna  Waldrade  pour  femme  ;  il  était 
encore  sous  des  gouverneurs  et  des  tuteurs,  c'est-à-dire  mineur  et  au-dessous  de 
quinze  ans,  limite  de  la  majorité  fixée  par  la  loi  ripuaire,  Lex  ripuaria,  c.  lxxxi, 
(83),  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  v,  p.  264,  qui  était  aussi  la  loi  des  princes 
carolingiens.  Ord.  imp.,$ll,  c.  xvi,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Capitul.,  t.  i,  p.  273. 
En  tous  cas,  on  ne  peut  faire  remonter  l'union  plus  ou  moins  régulière  avec  Wal- 
drade, antérieurement  au  mariage  avec  Theutberge,  plus  haut  que  851,  année 
où  mourut  l'impératrice  Ermengarde,  mère  du  jeune  Lothaire.  C'est  entre  851 
et  853  que  débutent  les  relations  entre  Lothaire  et  Waldrade.  Le  jeune  prince 
devait  avoir  alors  au  moins  quatorze  ans,  il  serait  donc  né  vers  837-839  et  à  son 
avènement  aurait  eu  de  seize  à  dix-huit  ans.  Quand  il  mourut  en  869,  les  Annales 
Laubecenses,  ad  ann.  869,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  i,  p.  15,  le  qualifient 
de  juvenis,  il  avait  en  effet  à  ce  moment  de  trente  à  trente-deux  ans. 

Le  sacre  du  jeune  Lothaire  eut  lieu  en  avril  856.  Très  peu  de  temps  après  le  roi 
créa  un  duché  comprenant  les  pays  situés  entre  le  Jura  et  les  Alpes  et  il  conlia 
le  gouvernement  de  cette  province,  qui  garantissait  ses  États  contre  Louis  II,  à 
l'abbé  Hubert,  frère  de  Theutberge.  La  grande  situation  ainsi  faite  à  Hubert  est 
certainement  antérieure  à  l'année  859  et  aux  débuts  de  l'affaire  du  divorce,  com- 
me Leibnitz,  Annales  imperii  occidentis,  t.  i,  p.  589,  l'a  remarqué.  Pour  Mùhlba- 
cher,  Reg.  Karolin.,  p.  479,  Hubert  a  dû  recevoir  le  duché  en  855.  Dùmmler, 
Geschichlc  des  ostfrànkischen  Reichs,  in-8,  Leipzig,  1888,  t.  n,  p.  5-6,  rejette  la 
date  859  proposée  par  la  Chronique  de  Réginon  et  tient  le  fait  lui-même  pour 
inexact.  D'après  lui,  Hubert  possédail  avant  le  mariage  de  sa  sœur  le  pays  com- 
pris entre  le  Jura  et  les  Alpes,  et  c'est  pour  avoir  l'appui  de  ce  personnage  qui 
commandait  les  défilés  faisant  communiquer  la  Bourgogne  avec  la  Lombardie 
que  Lothaire  lui  demanda  la  main  de  sa  sœur  Theutberge.  R.  Parisot,  op.  cit., 

CONCILES  —  IV  —  16 


242  LIVRE     XXIII 

Lothaire  fut  secondé  dans  ses  projets  de  divorce  par  son  archi- 
chapelain,  l'archevêque  Gùnther  de  Cologne,  prélat  léger  et  mon- 
dain, qui  gagna  aux  projets  du  roi  l'archevêque  Thieutgaud  de 
Trêves  (également  du  royaume  de  Lothaire),  prélat  peu  versé 
dans  le  droit  ecclésiastique,  et  quelques  autres  évêques  1.  Quant 
à  la  promesse  faite  par  Lothaire  d'épouser  la  nièce  de  l'archevê- 
que de  Cologne  après  la  répudiation  de  Theutberge,  c'est  une 
légende   bien   postérieure  2. 

Lothaire  convoqua  un  concile  [le  9]  janvier  860,  dans  son  palais 
d'Aix-la-Chapelle  3  ;    y    assistaient    les    archevêques   de    Cologne 

p.  83,  note  1,  n'accepte  pas  l'opinion  de  Dùmmler,  sans  vouloir  pourtant  soutenir 
qu'Hubert  n'avait  rien  dans  les  régions  du  haut  Rhône  avant  855.  Hubert  était 
fils  d'un  certain  Boson  que  nous  ne  connaissons  pas  autrement,  il  eut   un  frère 
de  ce  nom,  marié  à  Engeltrude,  et  deux  sœurs,  Theutberge  et  Richilde.  Hubert 
était  tonsviré,  mais  n'avait  pas  dépassé  le  sous-diaconat;  il  fut  successivement 
ou  simultanément  abbé  de  Lobbes,  de  Saint-Maurice  en  Valais    et    de    Saint- 
Martin  de  Tours.  Il  semble  qu'il  ne  fit  que  traverser  l'abbaye  de  Luxeuil  sans 
chercher  à  s'en  emparer.   Il  détenait  Saint-Maurice  avant  857  et  reçut    Saint- 
Martin  en  862;  il  envahit  Lobbes  d'où  il  chassa  l'abbé  régulier  Hartbert  au  moins 
dès  846.  Une  lettre  du  pape  Benoît  III  datée  probablement  de  857    signale    la 
conduite  scandaleuse  d'Hubert  à  Saint-Maurice.  Jafïé-Ewald,    n.    2669.    Pour 
mettre  le  comble,  il  se  maria.  Annales  Bertiniani,  ad  ann.  852,  p.  57.  Dans  l'in- 
tervalle, Lothaire,  dégoûté  de  Theutberge  depuis  857,  n'était  plus  d'humeur  à 
subir  les  exigences  et  les  désordres  de  son  beau-frère  contre  lequel  il  entra  en  cam- 
pagne, décembre  857-avril  858,  sans  aucun    résultat.    L'éloignement  de    Theut- 
berge par  son  mari,  raconté  par  les  Ann.  Bert.,  ad  ann.  857,  p.  47,  est  antérieur 
au  15  septembre  857.  La  reine  interrogée  sur  les  bruits  mis  en  circulation  contre 
elle  nie  tout  en  858.  Hubert,  convoqué,  refuse  de  comparaître  devant  les  conciles 
qui  condamneront  sa  sœur,  faute  de  garanties  suffisantes.  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  759- 
760.  Le  refus  de  ces  garanties  était  une  manière  de  tenir  Hubert  éloigné,    d'évi- 
ter  une    confrontation   et   un    débat   contradictoire  qui    eût  prouvé  l'innocence 
de  la  reine.  Cette  accusation,  lancée  en  857,  reparaîtra  en  859.  Dans  l'intervalle 
on  avait  bâclé  une  réconciliation  en  858.  Cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  149,  note  3. 
Mais  Lothaire  ne  rendit  pas  à  Theutberge  ses  droits  d'épouse,  il  la  fit  emprisonner, 
on  ne  sait  où,  Ann.  Bert.,  ad  ann.  858,  p.  50,  et  dirigea  contre  Hubert  de   nou- 
velles expéditions  aussi  infructueuses  que  la  précédente.  Celui-ci  finit  par  être 
tué  au  combat  d'Orbe,  en  864.  Cf.  R.  Poupardin,  Le  royaume  de  Provence  sous 
les  Carolingiens  (855-933)?  in-8,  Paris,  1901,  p.  48-53.  (H.  L.) 

1.  Sur  Theutberge,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  154,  note  3.  (H.  L.) 

2.  Tel    est   le   récit    contenu   dans   la   Chronique    de   Réginon,   Mon.    Germ 
liistor.,  1. 1,  p.    571.  Comme  l'auteur  des    Annales   Metenses   copie    longuement 
Réginon,  il  arrivera  qu'un    auteur   sera    cité    fréquemment    pour    l'autre.    [Sur 
Gùnther  de  Cologne,  cf.  Hist.  littér.  de  la  France,  1740,  t.  v,  p.  364-368  surtout 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  151-153.  (H.  L.)] 

3.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t-  ni,  col.  189;  Coll.  regia,   t.   xxu,  col.  675;  Labbe 


462.    DEUX    CONCILES    TENUS     A     AIX-LA-CHAPELLE  243 

et  de  Trêves,  les  évêques  Adventius  de  Metz  et  Franco  de  Ton- 
226]  grès,  quelques  abbés  et  des  laïques.  Lothaire  y  exposa  les  gra- 
ves soupçons  qui  pesaient  sur  sa  femme,  ajoutant  qu'il  ne 
voulail  pas  prolonger  son  incertitude.  Il  demanda  donc  aux  pré- 
lats d'interroger  sérieusement  Theutberge  sur  le  bien  fondé  de  ces 
bruits.  Par  ruse  et  par  force,  par  menaces  et  brutalité,  ainsi  que 
l'insinue  Hincmar,  on  obtint  de  la  malheureuse  femme  de  faire 
à  l'archevêque  G  uni  lier  l'aveu  d'une  faute  involontaire  :«  elle  avait 
été  violon  I  ée  :  elle  se  reconnaissait  indigne  de  rester  l'épouse  du  roi 
ou  de  devenir  la  femme  de  tout  autre.  Elle  demandait  à  prendre 
le  voile.  »  Victime  des  intrigues  qui  l'enveloppaient,  elle  pria 
Gûnther  de  faire  connaître  ses  aveux  aux  autres  évêques  et  aux 
abbés  1.  Ces  incidents  occasionnèrent,  dès  le  mois  de  février  de 
la  même  année,  la  réunion  d'un  autre  concile  à  Aix-la-Chapelle  2. 
Outre  les  prélats  lorrains,  des  évêques  de  France  et  de  Provence, 
en  particulier  Wenilo  de  Rouen,  Hildegard  de  Meaux,  Hilduin 
d'Avignon,  et  plusieurs  laïques  de  distinction  y  siégèrent.  Theut- 
berge se  déclara  de  vive  voix  et  par  écrit,  par-devant  le  roi,  les 

Concilia,  t.  vm,  col.  G96-698;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  501;  Concilia, 
t.  x,  col.  139;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  547.  Réginon  fait  une  con- 
fusion entre  ce  concile  et  celui  de  Metz.  Cf.  Hincmar,  De  divortio  Lotharii,  P.  L., 
t.  cxxv,  col.  636;  Monum.  Germ.  histor.,  Leges,  t.  i,  p.  445;  Annules  Bert.,  dans 
Monum.  Germ.  histor.,  t.  i,  p.  454;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  154-157.  Nous  possédons 
deux  récits  des  événements  qui  se  sont  passés  dans  ce  concile.  Hincmar  les  a 
insérés  dans  son  De  divortio  Lotharii,  interrog.  la  :  c'est  le  Libellus  octo  capitu- 
lorum,  œuvre  des  évoques  présents  au  concile,  et  le  Libellus  septem  capitulorum 
qui  n'émane  pas  d'eux.  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  637;  A.  Verminghoff,  Verzeichnis  der 
Aklen  frànkischer  Synoden  von  843-918,  dans  Neues  Archiv  der  Gesellscluijt  fur 
altère  deutsche  Geschichtskunde,  1901,  t.  xxvi,  p.  627.  (H.  L.) 

1.  Hincmar,  op.  cit.,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  631,  636  sq. 

2.  Voir  les  références  aux  collections  données  pour  le  concile  de  janvier  860, 
p.  240,  note  3.  Theutberge  écrivit  au  pape  Nicolas  que  l'aveu  de  sa  culpabilité 
lui  avait  été  extorqué  par  la  force.  Nicolas,  Commonit.  ad  legatos,  dans  Jalïé- 
Ewald,  n.  2726;  Hincmar,  De  divortio  Lotharii,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  696.  Conc. 
Aqueuse,  III,  c.  xvn,  dans  Capitularia,  t.  n,  p.  467.  11  semble  qu'avant  le  pre- 
mier concile  d'Aix-la-Chapelle,  de  janvier  860,  Theutberge  ait  secrètement  écrit 
au  pape  pour  lui  faire  connaître  la  situation  critique  à  laquelle  elle  se  trouvait 
réduite  ;  cela  ressort  du  Commonitorium.  Sur  ce  nouveau  concile  d'Aix-la-Cha- 
pelle', cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  158-164;  le  refus  d'Hincmar  d'assister  au  concile, 
l'effarement  qui  en  fut  la  suite,  les  aveux  de  Theutberge,  sa  condamnation  et  son 
résultat.  Après  le  IIe  concile  d'Aix-la-Chapelle  Lothaire  n'a  plus  de  femme  en 
fait,  sinon  en  droit.  Sans  doute,  il  eût  souhaité  que  les  évêques  allassent  jusqu'au 
bout,  mais  ceux-ci  s'arrêtent  à  mi-chemin.  (H.  L.) 


244  LIVRE    XXIII 

clercs  et  les  laïques,  coupable  de  l'inceste  dont  on  l'accusait .  et 
déclara  son  aveu  spontané  et  véridique.  En  cet  état  de  choses, 
les  évoques  engagèrent  le  roi  à  ne  plus  regarder  Theutberge  comme 
sa  femme  :  ils  condamnèrent  celle-ci  à  une  pénitence  ecclésias- 
tique et  à  la  réclusion  dans  un  monastère  1.   Cette  année   même 

1.  Hincmar,  op.  cit.,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  637  ;  Monum.  Germ.  histor.,  Leges, 
t.  i,  p.  467.  M.  Sdralek,  Hinckmars  von  Rheims  kanonistischer  Gutachlen  iiber 
die  Ehescheidung  des  Kônigs  Lothar  II,  1881,  estime  que  l'Église  franque  du  ixe 
siècle  et  un  de  ses  plus  importants  interprètes,  Hincmar  de  Reims,  réservent 
exclusivement  au  juge  séculier  le  droit  de  prononcer  la  séparation  de  corps,  ou 
le  divorce:  l'Eglise  n'exercerait  en  ers  hypothèses  que  la  juridiction  pénitentielle. 
M.  P.  Fournier,  dans  le  Bull,  crit.,  1885,  t.  vi,  p.  212,  se  rallie  à  l'opinion  de 
Schrors,  op.  cit.,  append.  v,  qui  conteste  cette  interprétation  au  moyen  de  textes 
empruntés  à  Hincmar  lui-même.  «  J'avoue,  écrit  M.  P.  Fournier,  qu'il  me  paraît 
difficile  de  refuser  à  l'Eglise,  pour  l'époque  carolingienne,  le  droit  de  prononcer 
la  séparation  ou  la  nullité  d'un  mariage  :  l'ensemble  des  textes  me  paraît  plutôt 
conduire  à  la  conclusion  contraire.  Il  y  a  longtemps  que  le  vieux  concile  d'Agde 
(en  506)  a  défendu  aux  époux  de  se  séj>arer  sans  qu'ils  aient  soumis  aux  évêques 
de  la  province  les  causes  de  leur  séparation;  or  Hincmar  rappelle  cette  prescrip- 
tion dans  les  termes  employés  par  le  concile.  Sans  doute,  à  côté  de  la  compé- 
tence de  l'Eglise,  Hincmar  veut  établir  celle  du  juge  laïque;  sans  doute  il  favorise 
singulièrement  en  cette  affaire  le  tribtinal  séculier  ;  mais  ce  n'est  pas  pour  des 
raisons  théoriques  ;  défenseur  énergique  de  Theutberge,  il  aime  mieux  sou- 
mettre sa  cause  à  l'assemblée  des  grands  qu'à  un  synode  de  prélats  de  cour.  » 
Cf.  A.  Hauck,  Kirchengeschichle  Deutschlands,  t.  n,  p.  507;  Esmein,  Le  mariage 
en  droit  canonique,  in-8,  Paris,  1891,  t.  i,  p.  16-25  ;  t.  n,  p.  45-71.  Le  droit 
franc  permettait  le  divorce  et  autorisait  le  mari  à  se  remarier  si  le  divorce  avait 
été  prononcé  en  sa  faveur  ;  la  femme,  dans  le  même  cas,  ne  pouvait  cependant 
prendre  un  autre  époux.  Le  droit  canon  distinguait  la  séparation  pour  cause  de 
chasteté  du  divorce  pour  adultère  et  interdisait  au  mari  le  mariage  du  vivant  de 
son  épouse  même  coupable.  Cependant  l'Église  proclamant  l'indissolubilité  du 
mariage  admettait  des  cas  de  nullité,  notamment  quand  les  conditions  essentielles 
à  la  validité  faisaient  défaut  pour  un  des  conjoints  ou  pour  les  deux.  Quant  à  la  ju- 
ridiction compétente,  elle  différait  suivant  qu'on  procédait  à  l'examen  ou  de  la 
question  défait,  ou  de  la  validité  de  l'union  contre  laquelle  on  invoquait  un  motif 
de  nullité.  Le  De  divortio  Lothar ii  est  un  écrit  important,  mais  d'une  lecture 
souvent  rebutante.  La  longueur  de  l'argumentation  est  encore  plus  sensible  grâce 
à  un  encombrement  de  citations  in  extenso  qu'une  allusion  sommaire  eût  avanta- 
geusement remplacées.  L'exposition,  l'ordonnance,  l'exposé  des  faits,  le  style 
et  la  pensée  elle-même  sont  de  qualité  médiocre.  Sdralek,  op.  cit.,  p.  vi,  p.  17- 
21  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  172-173.  Tel  qu'il  est,  en  voici  l'analyse  succincte  qu'en 
donne  M.  R.  Parisot,  analyse  qui  a  l'avantage  d'être  plus  limpide  que  le  docu- 
ment lui-même.  «Nous  ne  nous  astreignons  pas,  dit-il,  à  suivreHincmar  pas  à  pas, 
nous  voulons  seulement  indiquer  quelle  est  sur  les  principaux  points  sa  manière 
d'envisager  et  d'apprécier  les  choses. 

<  Il  commence  par  protester  contre  la  façon  dont  on  a  dénaturé  ses  actes  elses 


462.     DEUX     CONCILES    TENUS    A     AIX-LA-CHAPELLE  245 

la  princesse  s'enfuit  auprès  de  son  frère  Hubert  et  de  Charles  le 
Chauve,  roi  de  France,  oncle  de  Lothaire.   Hubert  avait  été  dès 

opinions  ;  il  n'a  pas  plus  approuvé  le  divorce  qu'il  n'a  chargé  Wénilon  et  Hilde- 
gaire  de  le  représenter  au  IIe  concile  d'Aix.  Vient  ensuite  un  résumé  de  l'entre- 
tien qu'il  a  eu  avec  Advence,  suivi  de  quelques  extraits  des  lettres  qu'il  a  écri- 
tes à  ce  prélat.  De  divort.  Loth.,  interr.  ni,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  645-648.  Hincmar 
ne  prétend  pas  que  Theutberge  soit  innocente  du  crime  dont  elle  est  accusée, 
mais  la  culpabilité  de  la  reine  ne  lui  semble  pas  non  plus  démontrée.  Cela  ressort 
de  l'ensemble  du  mémoire.  La  grossesse  de  Theutberge  lui  paraît  peu  croyable, 
vu  le  caractère  contre  nature  des  relations  que  la  princesse  aurait  eues  avec  son 
frère.  De  divorl.  Lotit.,  interr.  nr,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  695.  Mais  ce  que  critique  sur- 
tout l'archevêque,  c'est  la  manière  dont  on  a  procédé  à  l'égard  de  Theutberge. 
Il  proteste  contre  les  deux  procès  qui,  pour  le  même  fait,  lui  ont  été  successive- 
ment intentés.  Du  moment  que  le  champion  de  la  reine  avait  victorieusement 
subi  l'épreuve  de  l'eau  bouillante,  on  n'avait  pas  le  droit  de  rouvrir  l'affaire  : 
l'accusateur  aurait-il  souffert  qu'on  la  reprît,  si  l'homme  de  Theutberge  avait 
succombé  ?  Assurément  non.  De  divort.  Loth.,  interr.  vi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  672- 
673.  A  ce  propos,  Hincmar  prend  la  défense  des  épreuves  judiciaires,  que  saint 
Agobard  avait  attaquées  au  nom  de  la  religion  et  du  bon  sens.  Hincmar,  lui, 
croit  que  Dieu  s'y  prononce  en  faveur  de  la  vérité.  De  divort.  Loth.,  interr.  vi, 
vu,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  663,  670,  671,  673.  Il  combat,  en  outre,  les  objections 
qu'on  avait  mises  en  avant  contre  la  valeur  de  l'épreuve  à  laquelle  avait  été 
soumis  le  champion  de  Theutberge  :  Dieu,  dit-il,  ne  peut  ni  tromper,  ni  se  laisser 
tromper.  De  divort.  Loth.,  interr.  vu,  vin,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  673-674,  675.  Ce 
n'est  pas  tout  :  la  façon  dont  le  procès  a  été  conduit  est  des  plus  irrégulières  : 
Theutberge  devait  être  jugée  non  par  un  concile,  mais  par  un  tribunal  séculier  ; 
en  pareille  matière,  des  laïcs,  et  des  laïcs  mariés,  sont  seuls  compétents,  et  d'ail- 
leurs la  reine  avait  remis  sa  confession  écrite  non  aux  évêques  mais  au  roi,  un  laïc. 
De  divort.  Loth.,  interr.  i,  v,  P.  L.,  t.  cxxv,  col. 639-641,  654-655,  695.  Autre  irré- 
gularité :  on  n'a  pas  entendu  Hubert,  le  complice  supposé  de  Theutberge,  et  à  vrai 
dire,  le  principal  coupable,  puisqu'il  est  censé  avoir  pris  sa  sœur  de  force.  De 
divort.  Lotit.,  interr.  vu,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  696-697.  Une  confession  écrite  de 
la  reine  ne  suffisait  pas  pour  entraîner  la  condamnation  ;  il  eût  été  nécessaire 
ou  que  Theutberge  fit  devant  les  juges  l'aveu  de  son  crime,  ou  qu'elle  fût  con- 
vaincue par  des  témoignages.  De  divort.  Lotit.,  interr.,  ix,  xi,  P.  L.,  t.  cxxv, 
col.  639,  682,  686-687.  Alors,  mais  alors  seulement,  la  question  pouvait  être 
portée  devant  le  tribunal  des  évêques,  qui  auraient  infligé  à  la  coupable  une  pé- 
nitence. De  divort.  Loth.,  interr.  i,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  640.  Dans  la  première  partie 
de  son  mémoire,  Hincmar  parlait  déjà  de  la  réunion  d'un  concile  général,  auquel 
serait  confiée  la  mission  de  juger  le  procès.  De  divort.  Loth.,  interr.  i,  ni,  P.  L., 
t.  cxxv,  col.  641,  646,  647.  Dans  la  deuxième  partie,  il  se  prononce  nettement 
en  faveur  de  cette  juridiction,  attendu  que,  seul,  un  tribunal  international  offre 
les  garanties  d'impartialité  voulues.  D'après  lui,  c'est  à  tort  qu'on  le  leur  dénie. 
De  divort.  Lotit.,  qua-st.  n,  m,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  747-751.  Hincmar  trouve  sin- 
guliers les  procédés  de  Lothaire,  qui  a  si  longtemps  attendu  pour  accuser  sa  femme, 
De  divort.  Loth.,  interr.  xn  et  qusest.  n,  P.    L.,  t.  cxxv,  col.  695,  748;  qui  a  en- 


246 


LIVRE     XXIII 


longtemps  cité,  par  le  pape  Benoît  III,  à  comparaître  pour  rendre 
compte  de  ses  nombreux  méfaits  ;  mais  Charles  le  Chauve  l'avait 

suite  organisé  un  simulacre  de  jugement,  interr.   i,  P.  L.,  t.    cxxv,   col.    640; 
il  s'étonne  également  de  la  conduite  des  évêques  au  Ier  concile  d'Aix-la-Chapelle; 
on  peut  reprocher  à  leurs  discours  et  à  leurs  façons  d'agir  d'être  peu  raisonnables, 
et,  qui  plus  est,  de  se  contredire.   Interr.  i,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  632,  633.  Il  s'élè- 
ve surtout  contre  Gùnther,  n'admettant  pas  que  sous  aucun  prétexte  on  viole 
le  secret  de  la  confession.    Interr.    i,  vu,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.    634-635,    674-675. 
Pour  ce  qui  est  de  la  rupture  des  relations  conjugales,  elle  peut,    suivant   Hinc- 
mar,  se  produire  dans  deux  cas  différents  :  soit  lorsque  les  deux  époux  veulent 
l'un  et  l'autre   vivre   dans   la  chasteté,  interr.  v,  xix,  quœst.  iv,  P.  L.,  t.  cxxv, 
col.  651,  733,  753;  soit  quand  l'un  d'eux  a  commis  après  le  mariage  un  adultère, 
interr.    v,    x,  xxi,  qufest.  iv,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  651-652,  686,  733,    753;     mais 
dans  ce  cas  aucun  des  époux  séparés  ne  peut  se  remarier  du  vivant    de  l'autre. 
Interr.    v,  xu,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  655-656,  706.  En  ce    qui   concerne  Lothaire, 
à  supposer  que  Theutberge,  avant  d'être  unie  au  roi,  se  soit  rendue  coupable  d'un 
inceste  avec  son  frère,  Hincmar  ne  dit  pas  clairement  s'il  pourra  ou  non  prendre 
une  autre  femme  :  pourtant  les  passages  qu'il  cite  des  Pères  ou  des  conciles  sem- 
blent prouver  qu'il  penchait  pour  l'affirmative,  étant  donné  qu'un  incestueux 
n'est  plus  apte  à  contracter  une  union  valide.  Interr.  xu,  xiv,  xx,  xxi,  P.  L., 
t.  cxxv,  col.  706,  730,  731,  735-736.  Sdralek,  op.  cit.,  p.    250  ;   Schrôrs,  op.  cit.. 
p.  197  sq.,  croient  l'un  et  l'autre  qu'Hincmar  admet  la  nullité  du  mariage  d'un 
incestueux  et  la  possibilité  pour  l'autre  conjoint  de  contracter  une  seconde  union. 
Le  droit  de  Lothaire  à  se  remarier  étant  admis,  Hincmar  n'interdit  pas  au  roi 
d'épouser  son  ancienne  maîtresse  (Waldrade)  ;  toutefois  il  fait  certaines  réserves. 
Interr.  xxi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  732-738.    En  tous  cas,  Lothaire   doit  auparavant 
subir  une  pénitence.  Interr.  xm,  xxi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  708.    738.    Il  n'est  pas, 
en  effet,  tout  roi  qu'il  est,  au-dessus  des  lois,  comme  certaines  gens  le  prétendent 
à  tort  ;  il  n'a  pas  le  droit  de  faire  tout  ce  qui  lui  plaît.  Lothaire  est  soumis  aux  mi- 
nistres de  Dieu;  qu'il  prenne  garde  aux  jugements  divins  et  humains,  s'il  n'imite 
pas  la  conduite  vertueuse  de  son  père.  Quœst.  vi,   P.  L.,   t.  cxxv,  col.  756.  Hinc-, 
mar  déclare  que  l'on  ne  doit  pas  tenir  vin  serment  téméraire.  Interr.  xin,  xiv, 
P.  L.,  t.  cxxv,  col.  707,  714-716.  Il  admet  qu'à  l'aide  de  certains  maléfices,  une 
femme  peut  faire  naître  entre  deux  époux  une  haine  irréconciliable,  ou  un  amour 
irrésistible,  provoquer  ou  faire  cesser  l'impuissanee  cliez   l'homme.    C'est   Wald- 
rade que  l'on  soupçonnait  d'avoir  eu  recours  à  de  semblables  sortilèges  pour  brouil- 
ler Lothaire  et  Theutberge. 

Ce  traité  d'Hincmar  a  été  un  peu  tiraillé  en  divers  sens  et  on  ne  saurait  en  être 
surpris,  vu  qu'il  traite  ex  professo  de  la  très  délicate  matière  de  la  rupture  du  ma- 
riage, une  de  celles  qui  périodiquement  soulèvent  des  causes  politiques  d'une  gra- 
vité exceptionnelle.  Schrôrs,  p.  214  sq.,  a  donné  un  bon  exposé  des  idées  d'Hinc- 
mar en  matière  de  mariage  au  point  de  vue  canonique.  Selon  lui,  Hincmar  con- 
férait au  tribunal  synodal  de  préférence  à  l'autre  le  droit  de  prononcer  l'annula- 
tion du  mariage  ;  cependant  Hincmar  n'exclut  pas  complètement  la  juridiction 
séculière.  Ainsi,  après  avoir  déclaré  que  le  tribunal  séculier  est  seul  compétent, 
au  moins  pour  examiner  la  question  de    fait,  il  admet  ensuite  que   celle-ci   peut 


462.     DEUX    CONCILES    TENUS    A    AIX-LA-CHAPELLE  247 

pris  sous  sa  protection,  lui  avait  donné  l'abbaye  de  Saint-Martin 
de  Tours  et  le  défendait  contre  les  peines  ecclésiastiques.  Theut- 
berge  trouva  également  asile  auprès  de  Charles  le  Chauve  1,  d'où 

être  portée  devant  un  concile.  Sdralek,  op.  cit.,  p.  89,  croit  que  d'après  Hincmar 
le  tribunal  ecclésiastique  ne  peut  prononcer  qu'une  peine  ecclésiastique  à  la  suite 
d'une  condamnation  infligée  par  des  juges  laïcs.  C'est  à  ceux-ci  seuls,  p.  93-98, 
108-109,  qu'il  appartient  d'examiner  la  question  de  fait,  et  même,  le  cas 
échéant,  de  prononcer  le  divorce.  Schrôrs  estime  trop  absolue  cette  manière  de 
voir  prêtée  par  Sdralek  à  l'archevêque  de  Reims.  Selon  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  499 
sq.,  Hincmar  concède  au  tribunal  séculier  la  compétence  en  matière  crimi- 
nelle (question  de  fait),  mais  il  ne  lui  reconnaît  pas  le  droit  de  prononcer 
la  séparation  des  époux,  comme  le  dit  à  tort  Sdralek  (op.  cit.,  p.  503). 
Schrôrs  avait  dit  antérieurement  (p.  194—195),  qu' Hincmar  ne  spécifie  pas  à 
quel  tribunal  il  appartient  de  prononcer  la  séparation  des  époux,  c'est-à-dire  la 
rupture  de  la  vie  commune,  non  le  divorce.  Quant  à  l'annulation  du  mariage 
en  cas  d'inceste  (p.  196),  l'archevêque  penche  pour  la  juridiction  ecclésiastique, 
sans  exclure  l'autre.  D'autre  part,  en  ce  qui  concerne  la  question  de  fait,  Schrôrs, 
op.  cit.,  p.  193  et  note  29,  soutient  qu'Hincmar  admet  une  affaire  de  même  na- 
ture en  première  instance.  Mais  les  passages  que  cite  Schrôrs,  ne  prouvent  rien. 
Celui  qu'Hincmar,  interr.  x,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  681,  emprunte  à  saint  Augustin 
ne  vise  nullement  des  procès  en  séparation  ni  des  causes  matrimoniales  ;  et  dans 
l'autre,  tiré  d'Hincmar  lui-même,  interr.  xn,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  695,  il  s'agit 
non  d'un  appel  véritable  du  tribunal  séculier  aux  évêques,  mais  de  la  demande 
adressée  à  ces  derniers  par  un  criminel  déjà  condamné  par  ses  juges  naturels, 
et  qui  désire  qu'une  pénitence  lui  soit  infligée.  Sdralek,  op.  cit.,  p.  166,  rejetait 
la  possibilité  d'un  tribunal  séculier  international;  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  503,  fait 
remarquer  qu'il  y  a  eu  de  telles  assemblées  générales  des  grands  des  trois  royau- 
mes francs     à  Meerssen  (851),  à  Liège  (854)  et  à  Coblentz  (860). 

Dans  le  De  divoriio  Lotharii  il  est  à  deux  reprises  question  d'Engeltrude  et 
de  Boson,   dont  nous  allons  nous  occuper  dans  quelques  instants.  (H.L.) 

1.  Gfrôrer  suppose  que  Charles  le  Chauve  avait  eu  à  cœur  de  soutenir  la  vali- 
dité du  mariage  de  Lothaire  et  de  Theutberge,  parce  que  celle-ci  n'ayant  pas 
d'enfants,  donnait  au  roi  de  France  l'espoir  d'hériter  de  la  Lorraine,  tandis  que 
Waldrade  ayant  déjà  donné  plusieurs  enfants  à  Lothaire,  Charles  le  Chauve  de- 
vait renoncer  à  cette  espérance  si,  par  le  mariage  avec  Waldrade,  Lothaire  se  trou- 
vait du  jour  au  lendemain  pourvu  d'héritiers.  Leibnitz,  Annales  imp.  occid., 
t.  i,  p.  592,  618;  Ernouf,  Hist.  de  Waldrade,  p.  10;  Weiszsaecker,  Hinkmar  and 
pseudo  Jsidor,  dans  Zeitschr.  fur  histor.  TheoL,  1858,  p.  412;  Bourgeois,  Hugues 
l'Abbé,  dans  les  Annales  de  la  Faculté  des  lettres  de  Caen,  1885, 1. 1,  p.  99  ;  Dûmmler, 
op.  cit.,  t.  ii,  p.  18-19;  Mùhlbacher,  Deustche  Geschichte  unter  den  Karolingern, 
p.  510;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  171-172,  sont  tous  d'accord  pour  attribuer  à  l'in- 
térêt la  conduite  de  Charles  le  Chauve  à  l'égard  de  son  neveu,  car  il  ne  pouvait 
dès  lors  prévoir  que  les  maladresses  de  Lothaire  lui  fourniraient  un  jour  l'occa- 
sion de  le  déposséder.  D'après  Sdralek,  Hinkmars  von  Rheims  kanonistisches 
Gutaclden  iiber  die  Ehescheidung  des  Kônigs  Lothur  des  Zweiten,  in-8,  Freiburg, 
1881,  p.  16,  c'est  Hincmar  qui,    dans   l'affaire  du  divorce,  a  imposé   à    Charles 


248  LIVRE   XXIII 

elle  envoya  des  ambassadeurs  au  pape  Nicolas  Ier,  récemment 
élu  au  pontificat  (858)  1,  se  plaignant  de  l'injustice  commise  [227] 
à  son  égard.  De  leur  côté,  les  évêques  du  parti  de  Lothaire 
s'adressèrent  également  au  pape,  lui  demandant  de  ne  pas 
se  laisser  influencer  par  les  envoyés  des  adversaires  de  ce  roi, 
mais  de  remettre  sa  décision  après  l'arrivée  des  ambassadeurs, 
Thieutgaud,  archevêque  de  Trêves  et  Atto,  évêque  de  Verdun  2. 
On  ne  voit  cependant  pas  que  ces  évêques  se  soient  alors  rendus 
à   Rome. 


463.  Conciles  à  Milan  et  dans  les  Gaules  au  sujet  d' Engeltrude. 

Vers  cette  même  époque,  on  tint  plusieurs  conciles  au  sujet 
d'un  autre  mariage  dans  la  famille  des  Carolingiens.  Engeltrude, 
fille  du  comte  franc  [Matfrid.  avait  épousé  le  comte  Boson, 
probablement  fils  du  Boson  dont  nous  avons  parlé,  et  frère 
d'Hubert   et  de  la  reine  Theutberge  3.  Hincmar  la   dit  parente  de 


le  Chauve  la  ligne  qu'il  devait  suivre.  Livré  à  lui-même,  le  prince  aurait  con- 
senti, moyennant  un  bon  prix  (témoin  l'alliance  qu'il  conclut  en  866  avec 
Lothaire  qui  lui  avait  cédé  l'abbaye  de  Saint- Vaast),  à  favoriser  les  projets 
matrimoniaux  de  son  neveu.  C'est  fort  possible;  quoi  qu'il  en  soit,  Hincmar  n'a 
certainement  pas  rendu  public  son  traité  De  divorlio  Lotharii,  sans  l'autorisa- 
tion de  son  souverain  dont  la  politique  se  trouvait  désormais  engagée.  D'ail- 
leurs, dès  ce  moment  Charles  aura  à  l'égard  de  Lothaire  des  procédés  fran- 
chement  hostiles.    Theutberge   trouva  asile  en  France.  (H.  L)]. 

1.  Gregorovius,  Gesch.  der  Stadt  Rom,  1870,  t.  m,  p.  129. 

2.  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  502;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv, 
col.  548. 

3.  Wenck,  Das  jriinkische  Reich  nach  detn  Beitrage  von  Verdun,  in-8,  Leipzig, 
1851,  p.  345;Dûmmler, Geschiclite  des  ostfrànkischen  Reichs,  in-8,  Berlin,  1862, 1. 1, 
p.  459.  [Un  frère  de  Theutberge  et  d'Hubert,  frère  aîné  portant  le  nom  de  leur  père 
Boson,  avait  en  Italie  l'administration  d'un  comté.  Il  avait  épousé  Engeltrude.  Cf. 
Wenck,  op.  cit.,  p.  354,  n.  2  ;  Noorden,  Hinkmar,  p.  167;Sdralek,  Hinkmars  Gut- 
achten  ûber  die  Ehescheidung  Lothars,  u,  p.  22;  Schrors,  Hinkmar,  p.  206;  Mùhl- 
bacher,  Reg.  Kar.,  p.  477;  Dùmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  17,  n.  2  ;  B.  Parisot,  op.  cit., 
p.  83,  note  3;  p.  165.  Krùger,  Der  Ursprung  des  Hanses  Lolhringen-Habsburg, 
p.  8,  estime  qu'Engeltrulde  était  fille  de  Malfrid  II,  iils  du  comte  d'Orléans, 
mort  en  836.  Ce  dernier,  d'après  Krùger,  n'aurait  pu  être  le  père  d'un  enfant  né 
probablement  vers  830.  Des  liens  de  parenté  unissaient  Engeltrude  à  Lothaire  II, 
mais  il  est  impossible  de  dire  quelle  était  l'origine  de  cette  parenté.  Au  bout  de 


463.     CONCILES     A     MILAN     ET     DANS     LES     GAULES  249 

Lothaire  *.  Entraînée  par  la  passion,  Engeltrude  avait  abandonné 
son  mari  depuis  plusieurs  années  et  vécu  scandaleusement  en 
France,  tantôtdans  un  lieu,  tantôt  dans  unautre.Le  comteBoson  lui 
proposa  vainement  le  pardon  en  cas  de  retour.  Poussé  par  l'ob- 
stination de  sa  femme,  le  comte  s'adressa  au  pape  Benoît  III, 
après  la  mort  duquel  Nicolas  Ier  prit  l'affaire  en  main.  Ce  pape 
ayant  adressé  inutilement  plusieurs  lettres  d'exhortation  à  Engel- 
trude 2,  chargea  un  concile  tenu  à  Milan  en  860  3,  de  la  faire  citer  et 
de  l'anathématiser,  en  cas  de  refus.  Le  comte  Boson  habitait  pro- 
bablement dans  la  province  ecclésiastique  de  Milan.  Engeltrude 
ne  s'étant  pas  rendue  à  l'appel,  fut  anathématisée  ;  le  pape  con- 
firma la  sentence  qui  fut  communiquée  aux  archevêques  de  Trêves 
et  de  Cologne,  dont  la  pécheresse  habitait  les  diocèses  où  elle 
avait  trouvé  protection  auprès  du  roi  Lothaire4.  Hincmar  ajoute 

quelques  années,  Engeltrude  quitta  son  mari  dont  elle  avait  eu  des  fdles  (voir 
différentes  lettres  du  pape  Jean  VIII,  Jaiïé-Ewald,  n.  3167,  3168,  321 1)  et  s'enfuit 
avec  un  de  ses  vassaux.  Elle  se  retira  en  Gaule,  des  témoignages  postérieurs  la 
montrent  en  Lorraine  et  dans  le  diocèse  de  Cologne.  Ceci  se  passait  en  857  ou  858  ; 
une  lettre  du  pape  Benoît  invite  les  rois  et  les  évêques  à  faire  arrêter  la  fugitive 
et  à  la  ramener  à  son  mari.  Jaffé,  n.  2673.  Sur  les  ascendants  et  les  descendants 
des  comtes  Boson,  cf.  B.  Poupardin,  Le  royaume  de  Provence  sous  les  Carolin- 
giens {855-933)  ?  in-8,  Paris,  1901,  p.  41-47,  et  surtout  p.  297-307,  l'appendice  inti- 
tulé :  Boson,    mari  d 'Engeltrude  (844-874/878). 

1.  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  754. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll..  t.  xv,  col.  326,  336;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v. 
col.  286. 

3.  Mansi,  Concilia.  Supplem.,  t.  i,  col.  983;  Conc.  ampliss.,  coll.,  t.  xv,  col.  590. 
Lettres  de  Nicolas  du  30  (?)  octobre  863  et  du  31  octobre  867.  Cf.  Jaffé-Ewald. 
n.  2748-2751,  2886.  Les  canons  de  ce  concile  de  Milan  ne  nous  sont  pas  connus 
directement  mais  seulement  parla  mention  des  actes  du  concile  de  Latrande863. 
Ann.  Bertiniani,  ad  ami.  863,  p.  iii.  Sententiam  quant  a  Sale  apostolica  inlngil- 
druhem  uxorem  Bosonis  sanctissimus  (rater  nosler  Mediolanensis  archiepiscopus 
'ratio  etcetericoepiscopinostripetwerantemittendam.M.ansi,op.cit.,t.  xv,  col.  609. 
adopte  la  date  «  circa  860  »;  Hefele  tient  pour  860.  Sdralek,  Hinkmars  von  Bluirn* 
kanonistisches  Gutachten,  p.  186;  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine  stius  les  Carolin- 
giens, p.  166,  et  B. Poupardin,  op.  cit.,  p.  302,  note  3,  reportent  l'assemblée  à  859 
on  aux  premiers  mois  de  860.  Sdralek  est  suivi  par  B.  Poupardin  lorsqu'il  suppose 
que  le  concile  de  Milan  fut  antérieur  au  congrès  de  Savonnières.  Il  est  probable 
qu'il  s'est  produit  quelque  ebose,  peut-être  l'annonce  de  l'anathème  prononcé, 
pour  amener  Engeltrude  à  la  dernière  de  ces  deux  réunions.  C'est  à  l'excommica- 
tion  prononcée  à  la  demande  des  prélats  réunis  à  Milan  que  Charles  le  Chauve, 
à  la  seconde  assemblée  de  Savonnières,  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  862.  p.  61,  paraît 
avoir  l'ail  allusion.  (H.  L.) 

'i .   Voir  §  \l>~.  Nicolas,  Episl.,  lviii,  dans  Hardouin,    op.  cit..  t.  v,    col.    285  ; 


250  LIVRE    XXIII 

qu'en  cette  même  année  860,  à  la  diète  de  Coblsntz,  le  comte 
Boson  demanda  vainement  sa  femme  au  roi  Lothaire,  et  beaucoup  [228[ 
exprimèrent  la  crainte  que  Boson  ne  tuât  sa  femme,  si  elle  revenait 
auprès  de  lui.  Une  fois  promulguée  la  sentence  du  concile  de  Milan, 
Giinther  de  Cologne  posa,  dans  un  concile  franc,  la  question  sui- 
vante :  «  Au  cas  où  Engeltrude  reconnaîtrait  ses  fautes,  pour- 
rait-il lui  imposer  une  pénitence  et  la  garder  dans  son  diocèse, 
ou  bien  devait-il  la  renvoyer  à  son  mari,  à  la  condition  que  celui- 
ci  ne  la  tuât  pas?»  Hincmar  répondit  par  écrit,  dès  le  lendemain, 
que  Gûnther  ne  pouvait  pas  imposer  la  pénitence  à  une  femme 
étrangère  à  son  diocèse,  parce  qu'il  priverait  le  mari  d'exercer 
sur  elle  ses  droits  légitimes.  Lothaire  devrait  renvoyer  Engeltrude 
à  Boson,  et  Giinther  aurait  simplement  à    intercéder    auprès    du 

et  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  334;  Jafïé-Ewald,  n.  2748-2751,  2886.  Il  semble  bien 
à  lire  ces  lettres  de  Nicolas  Ier,  que  la  sentence  du  concilede  Milan  et  a  confirma- 
tion qu'en  avait  prononcée  le  pape  aient  été  notifiées  à  Gûnther  et  à  Thieutgaud. 
Ce  concile  de  Milan,  dont  la  date  n'est  pas  donnée,  doit  se  placer  ou  en  859  ou, 
au  plus  tard,  dans  les  premiers  mois  de  860.  Pour  arriver  à  préciser  l'année  et  les 
mois,  remarque  M.  R.  Parisot,  il  faudrait  savoir  quand  Boson  a  pour  la  première 
fois  franchi  les  Alpes  pour  venir  réclamer  sa  femme;  car  Boson  n'a  dû  s'adresser 
aux  conciles  francs  qu'après  avoir  vainement  attendu  les  effets  du  concile  de 
Milan.  Boson  était  présent  au  congrès  de  Coblentz  de  juin  860;  le  concile  de  Milan 
est  donc  antérieur,  et  de  plusieurs  mois,  à  ce  congrès.  Sdralek,  op.  cit.,  place 
en  conséquence,  p.  189,  note  1,  le  concile  de  Milan  en  859.  Dûmmler  n'indique 
pas  l'année  où,  d'après  lui,  ce  concile  a  dû  avoir  lieu,  mais  il  est  vraisemblable 
qu'il  le  croit  de  860,  attendu  qu'il  ne  fait  commencer  qu'en  cette  année  l'épisco- 
pat  de  Tadon,  président  du  concile  de  Milan.  Déjà,  au  concile  de  Savonnières  en 
859,  l'attention  des  évêques  avait  été  appelée  sur  cette  affaire.  Hincmar  qui 
rapporte  le  fait  ne  nous  dit  pas  si  Boson  lui-même  avait  présenté  sa  plainte.Tou- 
tefois,  la  chose  ne  nous  paraît  pas  probable,  et  il  n'était  pas  nécessaire  que  Boson 
fût  là  pour  que  le  concile  s'occupât  d' Engeltrude.  Le  concile  de  Savonnières  ne 
prit  d'ailleurs  aucune  décision.  Le  IIe  concile  d'Aix-la-Chapelle  s'empara  de  la 
question,  soit  qu'elle  n'eût  pas  encore  été  résolue  par  le  concile  de  Milan,  soit 
que  l'on  estimât  en  Lorraine  un  nouvel  examen  nécessaire.  Boson  et  sans  doute 
aussi  Engeltrude,  alors  réfugiée  dans  le  diocèse  de  Gûnther,  furent  invités  à  com- 
paraître. Boson  ne  vint  pas,  et  les  évêques  déclarèrent  qu'ils  ne  pouvaient  livrer 
à  la  mort  une  femme  qui  s'était  mise  sous  leur  protection  et  dont  ils  n'avaient 
pas  instruil  la  cause.  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  743.  S'ils  avaient  pris  ce  parti,  c'était 
pour  plaire  à  Lothaire  ;  en  donnant  asile  à  Engeltrude,  ce  prince  n'obligeait  pas 
seulement  une  cousine,  il  était  désagréable  à  l'un  des  frères  de  la  femme  qu'il 
détestait.  Engeltrude  continua  donc  de  vivre  en  Lorraine.  Son  mari  se  décida  à 
venir  en  Gaule;  il  assistait  à  l'entrevue  de  Coblentz.  Boson  demanda  à  Lothaira 
de  lui  rendre  sa  femme.  Lothaire  s'y  refusa  ;  il  ne  pouvait,  disait-il,  livrer  une 
femme  de  race  franque,  sa  cousine,  qui  manifestait  la  crainte  d'être  mise  à  mort 


463.     CONCILES     A    MILAN     ET    DANS    LES    GAULES 


251 


mari    pour    qu'il    épargnât    sa  femme  K    On  ne  sait  ni  le  lieu  ni 
l'époque  où  s'est  tenu  ce   concile  franc  2. 

par  son  mari  et  menaçait,  si  l'on  prétendait  la  ramener  àBosoa,  de  s'enfuir  chez 
les  Normands.  Force  fut  à  Boson  de  retourner  seul  en  Italie.  (H.  L.) 

1.  Hincmar,  Epist.  xxiv,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  154;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xv,  col.  500. 

2.  Ce  concile  s'est  tenu  a  Tusey,  petite  localité  du  diocèse  de  Tonl  (aujourd'hui 
de  Verdun)  et  du  royaume  de  Lorraine  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  commune 
deVaucouleurs,  arrondissement  de  Commercy.Sirmond,Conc. Gall,,  t.  ni,  col.  160; 
Coll.  regia,  t.  xxii,  col.  684;  Lalande,  Conc.  Gallise,  p. 164  ;  Labhe,  Alliance  chro- 
nologique, 1651, t.  ii,  p.  464 -466;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  702-735;  Mabillon, 
Anal.  veteraA&lb,  t.  i,  p.  57;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  507;  Coleti,  Conci- 
lia, t.  x,  col.  149;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  557  ;  R.  Parisot,  Le 
royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  1899,  p.  176-179;  R.  Poupardin,  Le 
royaume  deProvence,  p.  303,  note  6;  A.  Verminghofî,  Verzeichnis  der  Akten  frànkis- 
cherSynoden  von  843-918,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxxvi,  p.  627-628.  Quant 
à  Hefele,  il  a  parlé  plus  haut  de  ce  concile,  Conciliengeschichte,  2e  édit.,  t.  iv, 
p.  215,  où  il  suppose  que  furent  présents  Charles  le  Chauve  et  les  deux  rois  de 
Lorraine  et  de  Provence;  mais,  comme  le  fait  remarquer  Dùmmler,  op.  cit., 
t.  ii,  p.  18,  n.  4,  cela  ne  ressort  en  aucune  façon  des  actes  de  ce  concile.  Charles  le 
Chauve  était  présent  au  concile  (R.  Parisot,  p.  177),  ainsi  que  de  nombreux  pré- 
lats français,  lorrains  et  provençaux.  Hincmar  y  siégeait  à  côté  de  Gùnther  et 
de  Thieutgaud  qu'il  venait  de  malmener  rudement  dans  son  De  divortio  Lotharii . 
Le  concile  commença  au  plus  tard  le  22  octobre  860  et  n'était  pas  terminé  le  7 
novembre. On  y  aborda  l'affaire  d'Engeltrude.  Boson  revenu  d'Italie  pria  le  pape 
d'intervenir  en  sa  faveur  et  Nicolas  Ier  écrivit  à  Charles  le  Chauve,  à  Hincmar  et 
aux  évêques  francs,  invitant  le  roi  de  France  à  ne  pas  permettre  que  l'épouse 
adultère  et  fugitive  séjournât  plus  longtemps  dans  les  États  de  Lothaire  et  or- 
donnant à  Hincmar  et  à  ses  collègues  d'excommunier  Engeltrude.  Jaffé-Ewald, 
n.  2685.  Boson,  muni  de  ces  lettres,  datées  d'aoûtet  septembre,  arriva  à  Tusey  et 
les  remit  aux  intéressés.  Pourtant,  à  lire  le  mémoire  d'Hincmar,  il  semblerait 
que  la  question  eût  été  soulevée  devant  le  concile  par  Gùnther,  Couvent,  ap  Sa- 
pon.,  c.  iv,  dans  Capitularia,  t.  n,  p.  160.  D'après  ce  mémoire.  Gùnther  aurail 
à  la  fin  d'une  session  demandé  quelle  conduite  il  devait  tenir  à  l'égard  d'Engel- 
trude pour  le  cas  où  celle-ci  viendrait  le  trouver  et,  tout  en  déplorant  sa  faute, 
demanderait  de  n'être  pas  livrée  à  la  mort  dont  la  menaçait  son  mari.  Hincmar 
pris  de  court  remit  la  réponse  à  plus  tard,  y  réfléchit  et  prépara  à  tète  reposée 
son  mémoire  qu'il  lut  ou  fit  lire  dans  une  des  sessions  suivantes. D'après  Hincmar, 
Gùnther  ne  peut  imposer  aucune  pénitence  à  une  femme  dont  le  mari,  à  qui  elle 
reste  soumise,  ne  réside  pas  dans  le  diocèse.  Le  roi,  dans  les  États  duquel  elle  est 
réfugiée  doit  la  rendre  à  Boson  qui  se  déclare  prêt  à  pardonner  sur  l'ordre  donné 
par  le  pape.  Resp.  ad  Guntharium,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  154-156.  Nous  ignorons 
l'accueil  fait  par  le  concile  au  mémoire  d'Hincmar,  mais  Engeltrude  continua 
de  vivre  dans  le  royaume  de  Lothaire,  ainsi  qu'il  résulte  du  mémoire  de  Charles 
le  Chauve  lu  au  congrès  de  Savonnières  en  862,  ch.  iv,  dans  Capitularia,  t.  n, 
p.  160,  et  différentes  lettres  du  pape  Nicolas  Ier  dans  Jaffé-Ewald,  n.  2748-2751 , 
2836.  (H.  L.) 


252 


LIVRE    XXIII 


464.  Premiers  conciles  au  sujet  de  Photius. 

En  860,  Photius  commença  à  attirer  l'attention  du  pape    Nico- 
las   Ier1.   L'impératrice  Théodora,   qui  avait  remis   en  honneur  le 

1.  Nos  principales  sources  sont  les  suivantes  :  a)  les  lettres  du  pape  Nicolas  Ier, 
dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  159  sq.  ;  et  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  119  sq.: 
b)  la  Biographie  d'Ignace,  patriarche  de  Constantinople,  par  Nicétas,  Mansi,  op.  cit., 
t.  xvi,  col.  210  sq.;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v.  col.  943  sq.  ;  c)  la  lettre  adressée  au 
pape  par  le  moine  Théognost  au  nom  du  patriarche  Ignace,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi, 
col.  295;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1014;  d)  la  lettre  du  contemporain  Métro- 
phanes  de  Smyrne  au  patrice  Manuel,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  414  rsq.  ; 
Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1111  sq.  ;  en  latin  dans  Baronius,  Annales,  ad 
ann.  870,  n.  45  sq.  ;  e)  la  lettre  de  Stylianus,  évèque  de  Néocésarée  en  Syrie, 
au  pape  Etienne  VI,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  426;  Hardouin,  op.  cit., 
t.  v,  col.  1122.  Sur  Photius,  il  existe  une  abondante  littérature  :  R.  Ballheimer, 
De  Photii  s'itis  decem  oratorum,  dissertatio  philologica,  in-8,  Bonn,  1877.  Cf. 
A.  Martin,  dans  \s.  Revue  critique,  1879,  t.  vin,  p.  347-350;  J.  Bernays,  Pliokion 
und  seine  neueren  Beurtheiler,  ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  griechischen Philoso- 
phie und  Politik,  in-8,  Berlin,  1881  ;  J.-B.  Bury,  The  relationship  of  the  patriarch 
Photius  to  the  empress  Théodora,  dans  English  historical  review,  avril  1890, 
p.  255-258;  A.  Chassang,  dans  l'Annuaire  de  la  Société  d' encouragement  pour  les 
études  grecques,  1871,  t.  v,  p.  75-85;  Chr.  Faucher,  Histoire  de  Photius,  patriar- 
che schismatique  de  Constantinople,  suivie  d'observations  sur  le  fanatisme,  in-12, 
Paris,  1772;  J.  Hergenrôther,  Photii  constantinopolitani  liber  de  Spiritus  sancti 
mystagogia,  quem  notis  variis  illustratum  ac  theologicse  crisi  subjectum  nunc  pri- 
mum  editus,  in-8,  Ratisbonne,  1857  ;  J.  Hergenrôther,  Photius,  Patriarch 
von  Constantinopel,  sein  Leben,  seine  Schriften  und,  das  griechische  Schisma, 
nach  handschriftlichen  und  gedruckten  Quellen,  'A  vol.  in-8,  Regensburg,  1867- 
1869;  Monumenta  grseca  ad  Photium  ejusque  historiam  pertinentia  ex  variis 
codicibus  mss.  collecta,  in-8,  Regensburg,  1869;  E.  B.  Swalue,  Disputatio  de  dis- 
sidio  christianse  Ecclesise,  Photii  auctoritale  maturato,  in-4,  Lugd.  Batav.,  1829; 
Histoire  de  saint  Ignace,  patriarche  de  Constantinople  et  de  Photius  usurpateur  de 
son  siège,  in-8,  1791  ;  Ks.  Bojarski,  Historya  Focyuska...  opartana  swiadectwach 
wspôlczesnych  pisarzy  geskich  czerpana  z  dzeil  francuskich  i  innych,  in-8,  Lwow, 
1895;  J.  N.  Jager,  Histoire  de  Photius,  patriarche  de  Constantinople,  auteur  du 
schisme  des  Grecs,  in-8,  Paris,  1844  ;  Louvain,  1845,  Paris,  1854;  B.  Jungmann, 
dans  Dissertationes  selectie  historiée  ecclesiasticse,  1882,  t.  ni,  p.  319-442;  K.  Krum- 
bacher,  Geschichte  der  byzantinischen  Literatur,  in-8,  Mûnchen,  1897,  p.  73- 
79,  515-524,  972  ;  A.  Palmieri,  Photius  et  ses  apologistes  russes,  dans  les 
Échos  d'Orient,  1899,  t.  m,  p.  94-106;  A.  Papadopoulos  Kerameus,  Photii 
Epislolse,  Petropoli,  1896.  Cf.  P.  N.  Pagageorgiu,  dans  Byzant.  Zeitschr.,  1898, 
t.  vu,  p.  299-308  ;  'O  rcaTptâpjnriç  3>wtio;  m_-  rcarrip  yi'.o;  Tr,ç  'Op8oô6?ou  Ka6o/.rAr,ç 
'Kv.v.lr^ix;,  dans  Byzant.  Zeitschr.,  1899,  t.  vin,  p.  647-671;  L.  Sternbach,  Photii 


464.      PREMIERS     CONCILES    AU     SUJET    DE     PHOTIUS  253 

patriarchse     opusculum     parœnelicum,    appendix,    gnomica    excerpta    Parisina, 
dans  Diss.  class.  philol.  acad.  lilt.  Cracovise,  1893,  t.  xx,  p.  1-82;  in-8,  Hrakan, 
1893;  Analecta  Photiana,  dans  Sitzungsberichte  d.  Akad.  d.  Wissejich.  Krakau, 
in-8,   Krakau,  1893;  J.  Weguelin,  Mémoire  sur  le  patriarche  Photius,  dans  les 
Mêm.  de  l'Acad.  de  Berlin,  1777-1779,  t.  vm,  p.  440-466.Entre  tous  ces  travaux, 
l'ouvrage  de  Hergenrôther  est  devenu  classique  en  ce  qui  concerne  Photius. 
Les  trois  volumes  dont  il  se  compose  sont  ainsi  répartis:  I. Histoire  des  évêques  et 
patriarches  de  Constantinople  jusqu'à  Photius  et  biographie  de  celui-ci  jusqu'au 
concile  de  869.  II.  Récit  depuis  les  premiers  troubles  jusqu'à   la  mort  de  Pho- 
tius. III.  Écrits  de  Photius,  principalement  sa  théologie.   Celle-ci  a  été  étudiée 
par    Iwantzovv-Platonovv,    Recherche    d'une  apologie    générale  de    Photius   (en 
russe),  cf.  Revue  internationale  de  théologie,  1893,  t.  i,  p.  654  sq.   ;  1894,    t.  n, 
p.    80    sq.,    253    sq.   Sur    le    schisme    auquel    Photius    a    attaché    son    nom  :  A. 
Pichler,  Geschichte  der  kirchlichen  Trennung zwischen  d.  Orient  und  Occident,  1864, 
t.  i,  p.  180    sq.  ;  A.  Demetrakopoulos,    I<77oo;'a  roO  ayi<j\La.xoz  rf,ç  XaxtvtXTiç  à-o  ?/,; 
ôpôoc62o-j   z/'/ry.y.f,;,  1867  sq.  ;   R.  Baxmann,  Die  Politik  der  Pàpste  von  Gregor  I 
bis  auf  Gregor  VII,  1869,  2  vol.  Les  travaux  récents  ont  été  classés  et  la  carrière 
de  Photius  a  été  exposée  et  appréciée  par  F.  Kattenbnsch,Photius,  dans  Realoie;/- 
klôpàdie  fur  proies!.  Théologie  und  Kirche,  '-'>e  édit.,  1904,  t.  xv  ;  Th.  M.  Rosseikine, 
Pervœ  pravleine  Photiia,  patriarka  Konstantinopolikago,  dans  Byz.  Vrem.,  1909, 
t.    ii,  p.   194-228,  395-423,   374-393.  Le  personnage  de  Photius  n'est  pas  de  ceux 
sur  lesquels   l'accord  s'est  fait  entre  historiens.  Comme   Luther  et  Calvin,  le  pa- 
triarche de  Constantinople  a  une  postérité  qui  se  fait  un  point  d'honneur  de  dé- 
fendre tout  ce    qui  est  attaquable  dans  cette  vie  agitée  et  en  face   de  ces   défen- 
seurs à  outrance,  les  latins  rappellent  des  faits  peu  honorables  qu'on  ne  peut    ni 
supprimer  ni  excuser.  Le  seul  point  sur  lequel  tous  tombent  d'accord,  c'est  sur  la 
capacité  intellectuelle  de  Photius.  Son  œuvre  érudite  et  théologique  témoigne 
de  lectures  innombrables,  d'une  réflexion  et  d'une  étendue  d'esprit  incontesta- 
bles. Si  Photius  n'avait  rien  fondé,  s'il  avait  disparu  tout  entier  ou  s'il  n'était 
plus  aujourd'hui  qu'un  nom  historique  comme  Acace  ou  Pierre  Monge  on  Timo- 
thée  Élure,  il  est  assez  vraisemblable  qu'on  ne  lui  contesterait  pas  d'avoir  été 
un  scélérat,  mais  il  est  clair  qu'on  ne  peut  songer  à  réclamer  un  aveu  de  cette 
nature  à  l'Eglise  grecque.   Si  l'épithète  d'ensemble  est  impossible,  chaque  fait 
pris  isolément   clans   la    carrière  de   Photius   est  déshonorant  sans  contestation 
possible.  Son  élévation  au  patriarcat  du  vivant  d'Ignace  est  entachée  de  nullité. 
Tous  les  précédents  qu'on  pouvait  invoquer  en  pareille  matière  n'y  changeaient 
rien.  Ignace  refusa  une  abdication  qui  lui  paraissait  une  lâcheté;  c'était,  paraît-il, 
manquer  de  souplesse,  et  on  n'est  pas  éloigné  de  lui  en  faire  un  reproche,  encore 
aujourd'hui.  Avec  un  tel  adversaire,  les  habiletés  de  Photius  étaient  peine  per- 
due, il  passa  outre,  sollicita  à  Rome  une  confirmation  qu'il  savait  devoir  lui  être 
refusée  e1   comprenant  qu'en  ce  cas,  la  rupture    lui    serait  imputée  personnelle- 
mental  choisit  un  autre  terrain,  celui  des  controverses,    el  \   transporta  la  ques- 
tion.  Là  était  l.i   véritable  habileté  de  Photius.   Il  sut  découvrit-  le  poinl   Faible 
de  l'autorité  papale  dans  les  esprits  orientaux,  substituer  à  son  grief  personnel 
cette  hostilité  inconsciente,   révéler  celle-ci  à   elle-même,   lui  faire  entrevoir  ce 
à  quoi  elle   aspirait   confusément   et   conduire   l'attaque   sur   ce   terrain   sans   la 
laisser  désormais  s'égarer.   Ainsi,  d'une  déconfiture  privée  il  faisait   une  reven- 
dication   nationale.    Les    arguments    invoqués    n'étaient   pas   moins   habilement 


254  LIVRE     XXIII 

culte  des  images,  fit  monter,  en  juillet  846  \  saint  Ignace,  le  plus  [229] 
jeune  des  fils  de  l'empereur  Michel  Rhangabé,  sur  le  siège  patriar- 
cal de  Constantinople.  Lorsque,  en  813,  l'empereur  Rhangabé 
eut  été  détrôné  par  Léon  l'Arménien,  il  se  réfugia  dans  un  mo- 
nastère ;  ses  deux  fils,  Théophilacte  et  Nicétas,  l'imitèrent,  et 
le  dernier,  âgé  de  quatorze  ans,  prit  alors  le  nom  d'Ignace.  Afin  de 
s'assurer  le  trône,  Léon  l'Arménien  fit  mutiler  les  deux  princes 
qu'il  sépara  et  relégua  dans  des  monastères  différents.  Ignace 
ne  tarda  pas  à  se  distinguer  par  sa  vie  ascétique,  sa  science  et 
son  éloquence.  Il  acquit  une  grande  réputation  et  fut  ordonné 
par  Basile,  évêque  de  Paros.  Lors  des  discussions  sur  les  images, 
il  se  montra  constamment  un  vaillant  défenseur  de  l'orthodoxie; 
aussi,  l'impératrice  Théodora  le  tint-elle  en  grande  estime  et  lui  en 
donna  plusieurs  témoignages2.  Mais  les  temps  d'épreuve  arrivèrent, 
orsque  Michel  III  l'Ivrogne,  fils  de  Théodora,  prit  en  main  le 
gouvernement,  tout  en  subissant  l'influence  de  son  oncle  Bardas  3. 
Ce  dernier,  frère  de  Théodora,  possédait  les  plus  hautes  dignités 
et  même  celle  de  César.  Il  rendit  divers  services,  encouragea  les 
sciences  et  favorisa  ardemment  le  culte  des  images.  Mais  il  donna 

choisis.  C'étaient  des  finasseries  sans  portée  réelle  et,  précisément  à  cause  de  cela, 
à  la  portée  de  l'intelligence  populaire.  Photius  s'identifia  ainsi  avec  une  aspira- 
tion,une  tendance  que  des  siècles  de  constestations  et  des  schismes  répétés  avaient 
mûrie;  il  incarna  l'impatience  des  Orientaux  à  l'idée  de  subir  la  prépondérance 
des  Occidentaux  ;  en  lui,  vingt  généra  lions  trouvaient  leur  interprète  savant 
et  superbe.  Une  rupture  en  pareil  cas  ne  peut  être  une  œuvre  clandestine,  il  faut 
un  éclat,  un  anathème.  Photius  était  l'homme  marqué  pour  une  scène  théâtrale, 
il  y  réussit  admirablement.  De  même  au  xvie  siècle,  Luther  incarnerait  l'esprit 
allemand  et  ferait  de  la  Réforme  une  scission  encore  plus  politique  que  religieuse. 
La  foi  de  Rome  importait  moins  que  le  gouvernement  par  Rome  et  la  justification 
sans  les  oeuvres  fut  une  de  ces  formules  dont  s'éprennent  les  peuples  dans  la 
mesure  même  où  ils  ne  les  entendent  pas.  En  définitive,  Photius  a  été  l'homme 
d'une  pensée  politique,  l'artisan  d'un  mouvement  séparatiste  pour  lequel  il  a  su 
donner  à  l'ambition  nationale  l'apparence  et  le  prétexte  de  la  ferveur  religieuse. 
(H.  L.) 

1.  Hergenrothcr,  Photius,  t.  î,  p.  358. [Ignace,  né  en  798,  abbé  de  Saint-Satyre, 
patriarche  de  Constantinople  le  4  juillet  S'iG,  chassé  le  23  novembre  857,  rétabli 
le  23  nov.  867,  mort  le  23  octobre  877;  cf.  J.  van  Kecke,  dans  Acta  sanct.,  1861, 
octobre  l.  x,  p.  157-167  :  [(I.  N.  Maultrot,]  Histoire  de  saint  Ignace,  patriarche 
de  Constantinople,  cl  de  Photius,  usurpateur  de  sou  siège,  in-8,  s.  L,  1791. 
(H.  L.)] 

2.  Au  sujet  de  la  jeunesse  d'Ignace  et  de  son  élévation  sur  le  siège  de  Constan- 
tinople, voir  Hergenrôther,  Photius,  t.  i,  p.  355  sq. 

3.  Nous  trouvons  tous  les  renseignements  sur  la  cour  de  Byzance  pendant 


464.    PREMIERS    CONCILES     AL*     SUJET     DE     PHOTIUS  255 

plus  tard  de  grands  scandales,  par  ses  rapports  incestueux  avec 
sa  belle-fille,  et  demeura  sourd  à  tous  les  avertissements  du  pa- 
triarche 1.  En  la  fêle  de  l'Epiphanie  de  l'année  857,  Bardas 
étant  venu  pour  recevoir  la  sainte  Eucharistie,  Ignace  la  lui  refusa, 
e1  ni  prières  ni  menaces  ne  purent  le  décider  à  céder.  La  vengeance 
de  Bardas  ne  tarda  pas.  Quelques  mois  après,  Bardas  conseilla 
à  l'empereur,  jeune  et  déhanché,  de  reléguer  dans  un  monastère 
sa  mère  et  ses  sœurs  a  lin  de  se  délivrer  de  leurs  remontrances. 
Ignace  refusant  de  s'associer  à  une  pareille  brutalité  et,  en  par- 
ticulier, de  bénir  le  voile,  Bardas  l'accusa  du  crime  de  haute  tra- 
hison conjointement  avec  le  moine  insensé  Gébon,  et  commença 
la  persécution.  Si  l'on  ajoute  foi  à  une  ancienne  tradition  grecque 
230]  citée  par  Rader,  Ignace  aurait  au  début  plié  devant  la  force,  afin 
d'éviter  tout  scandale  ;  mais  les  évêques  du  patriarcat  de  Cons- 
tantinople  auraient  déclaré  tout  préférer  à  une  pareille  conduite2. 
Sans  se  laisser  arrêter  par  ces  démonstrations  des  évêques,  Bardas 
obtint,  le  23  novembre  857, l'exil  d'Ignace  dans  l'île  de  Térébinthe  3. 
Afin  de  mieux  assurer  sa  perte,  Bardas  demanda  Photius  pour 
successeur  d'Ignace.  Photius,  [issu  d'une  famille  grecque  alliée 
à  la  famille  impériale,  était  alors  simple  laïque  (célibataire  et 
probablement    eunuque),     militaire,     homme     d'Etat,     protospa- 

le  règne  de  l'impératrice  Théodora  et  celui  de  Michel  III     dans  Hergenrôther, 
Photius,  t.  i,  p.  337-351  et  369  sq. 

1.  C.  Bayet,  Bardas,  dans  la  Grande  Encyclopédie,  t.  v,  (1888),  p.  400,  A.  Vogt; 
Basile  Ier,  cm  prieur  de  Byzance  (867-886),  et  la  civilisation  byzantine  à  la  fin  du 
ixe  siècle,  in-8,  Paris.  1908,  p.  32-33.(H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1134  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  442.  D'après 
A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  32,  cet  exil  doit  se  placer  le  23  novembre  858,  tandis  que 
Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  i,  p.  372,  donne  la  date  857,  Voici  comment  A.  Vogt 
sou  lient  son  opinion  :  «  1°  Au  moment  des  affaires  d'Ignace,  Bardas  n'est  encore 
que  domestique  des  scholes.  2°  Le  premier  pontificat  d'Ignace  dura  onze  ans. 
En  outre,  il  remonta  sur  le  trône  patriarcal  le  23  novembre  867,  après  neuf  années 
d'exil.  De  plus,  Nicétas  dit  qu'Ignace  demeura  un  peu  plus  de  trente  ans  au 
pouvoir  cl  que  son  second  pontificat  dura  dix  ans.  3°  L'ambassade  envoyée  à 
Rome  par  Photius  n'y  arriva  qu'en  860  pour  en  repartir  avec  des  lettres  datées 
du  25  septembre.  Il  semble  qu'on  aurait  laissé  passer  bien  du  temps  entre  la  dé- 
position d'Ignace  et  cette  ambassade.  Il  semble  donc  que  la  date  du  23  no- 
vembre 858  est  préférable  à  celle  de  857.  Nous  avons  donc  comme  dates  fixes  : 
élévation  d'Ignace  au  patriarcat,  juin  847  ;  déposition,  23  novembre  858.  Toute 
l'erreur    d' Hergenrôther    vient   de    ce   qu'il    fait    mourir    Méthode    en    846.   » 

(II.  L.) 
,;.   C'est  une  des  îles  des  Princes,  dans  la  Propontide. 


256 


LIVRE     XXIII 


thaire  et  premier  secrétaire  intime  de  l'empereur.  C'était,  au  résu- 
mé,  un  homme  instruit  et  d'une  ambition  démesurée  1.  Photius, 
bon  canoniste, savait  qu'on  ne  pouvait  offrir  un  siège  épiscopal  qui 
n'était  pas  vacant  légalement  et  la  plus  élémentaire  prudence  eût 
dû  lui  faire  simuler  des  hésitations  et  des  refus,  afin  de  paraître 
dans  la  suite  n'avoir  accepté  la  dignité  que  contraint  et  forcé. 
Lui-même  assura  plus  tard,  et  à  plusieurs  reprises,  avoir  subi 
violence  :  mais  toute  sa  conduite  ultérieure,  en  particulier  son 
acharnement  à  se  maintenir  par  tous  les  moyens,  sur  le  siège 
épiscopal,  montre  assez  le  peu  de  sincérité  de  ses  hésitations  et  de 
ses  refus.  C'est  ce  que  Néander  et  beaucoup  d'autres  historiens 
ont  démêlé  sans  peine.  Jamais,  plus  que  chez  Photius,  le  nolo 
episcopari  n'a  été  une  fiction  2. 

1.  Photius  était  né  à  Constantinople  vers  815,  il  mourut  vers  897;  son  père 
Sergius  était  allié  à  la  famille  impériale. La  réputation  de  Photius  était  grande  et 
méritée;  sa  science  était  réelle  et  étendue;  ce  qui  reste  aujourd'hui  de  ses  écrits 
permet  de  se  faire  une  idée  de  ce  que  pouvait  savoir  un  Byzantin  studieux  du  bas 
empire  et  cette  idée  est  loin  d'être  méprisable.  On  a  pu  mettre  en  question  bien 
des  choses,  mais  il  faut  accorder  à  Photius  une  curiosité  à  peu  près  universelle  et 
une  moralité  assez  rare  dans  le  milieu  où  il  vécut.  Voilà  à  peu  près  tout  ce  qu'on 
peut  dire  à  la  décharge  de  cet  ambitieux  qui  fut  plus  violent  qu'habile. 
(H.  L.) 

2.  Il  voulait  l'épiscopat  et  il  l'obtint.  Malgré  la  résistance  d'Ignace,  tout  se  se- 
rait réduit  probablement  à  une  de  ces  usurpations  dont  le  siège  épiscopal  de  Byzan- 
ce  a  été  si  souvent  l'occasion.  Mais  ce  ne  fut  pas  seulement  Ignace  que  Photius  eut 
eiftête,  ce  fut  le  pape  Nicolas  Ier.  Si  Photius  personnifiait  l'état  d'esprit  de  l'Orient, 
Nicolas  incarnait  le  génie  occidental.  C'étaient  deux  représentants  inespérés,  deux 
champions  véritables  qui  allaient  se  rencontrer  et  mettre  en  présence,  sous  prétex- 
te d'une  question  disciplinaire, deux  tendances  séculaires  et  -deux  races  incompati- 
bles.Les  contemporains  savaient  parfaitement  en  quelles  mains  se  trouvait  remise 
la  cause  de  l'Occident.  «  Depuis  Grégoire  le  Grand,  écrit  Réginon  dans  sa  Chroni- 
que, ad  ami.  868,  aucun  pape  ne  s'est  assis  sur  le  siège  de  Saint-Pierre,  qui  puisse 
s'égaler  à  lui.  Il  commande  aux  rois  et  aux  tyrans  comme  s'il  était  le  vrai  maître 
de  la  terre.  On  eût  dit  un  autre  Élie,  ressuscité  par  Dieu  de  notre  temps,  sinon 
en  chair,  du  moins  en  esprit  et  en  vérité.  »  Inférieur  à  Photius  par  la  culture  géné- 
rale de  l'esprit,  il  le  dépasse  par  la  valeur  morale  et  la  suite  qu'il  apporte 
dans  sa  conduite  politique.  Une  fois  celle-ci  décidée,  il  ne  s'en  écarte  plus  et  avec 
une  imperturbable  décision  il  tend  à  son  but  sans  se  laisser  troubler,  encore  moins 
détourner,  par  les  clameurs  des  intérêts  qu'il  menace  et  l'hostilité  des  opposi- 
tions qu'il  rencontre.  En  Orient  comme  en  Occident  il  fait  face  à  tous,  sans  com- 
promis, sans  concessions,  avec  une  indomptable  hauteur.  Ce  n'est  pas  lui  qui  a 
imaginé  ni  inauguré  la  primatie  pontificale,  mais  c'est  lui  qui  en  a  montré  les  con- 
ditions et  les  inexorables  exigences.  Grégoire  VII  et  Innocent  III  achèveront 
le  monument  tracé  dès  lors  dans  sa  majestueuse  et  sereine  ébauche.  Nous  le  ver- 


464.  PREMIERS  CONCILES  AU  SUJET  DE  PHOTIUS      257 

Le  premier  objectif  de  Photius  fut,  on   le  comprend,   de  faire 
disparaître  le   principal   obstacle   à   son   élévation.    On   envoya   à 

rons  agir  dans  les  conflits  avec  l'Occident  ;  il  apporte  la  même  robuste  vigueur 
dans  les  conflits  avec  l'Orient.  Son  tempérament  et  son  caractère  le  rendaient 
impropre  aux  fourberies  de  la  diplomatie  ;  par  instinct  et  par  réflexion,  il 
devait  mépriser  grandement  des  adversaires  chez  qui  l'ingéniosité  faisait 
l'elïct  de  ruse  et  de  trahison  pour  un  homme  tel  que  lui.  Peut-être  mé- 
prisait-il trop,  mais  une  telle  erreur  avait  sa  grandeur  quand  à  toutes 
les  vilenies  et  aux  combinaisons  il  opposait  invariablement  une  loyauté  et 
une  franchise  qu'on  ne  peut  prendre  en  faute.  Ce  dut  lui  être  une  amertume 
profonde  de  vivre  et  de  lutter  en  pleine  imposture.  Hincmar  et  Photius  on1 
gardé,  à  tort  ou  à  raison,  la  réputation  de  faussaires  éhontés  et  les  apologies 
ne  sont  pas  parvenues  à  les  blanchir  complètement  de  cette  vilaine  accusation. 
Il  y  a  plaisir  à  assister  aux  tentatives  de  Photius  pour  s'attirer  la  bienveil- 
lance du  pape  et  en  obtenir  sa  consécration,  tentatives  réduites  à  néant  par  les 
raisonnements  du  bon  sens  de  Nicolas.  Les  avances  de  Photius,  les  prévenan- 
ces et  la  déférence  qu'on  témoigne  soudain  de  Byzance  au  pape  de  Rome  suffisent 
à  éveiller  sa  méfiance.  Trompé  dans  son  choix  par  la  vénalité  des  légats,  il  n'est 
pas  de  ceux  qui  n'avouent  jamais  leurs  torts;  il  reconnaît  qu'il  s'est  trompé,  fait 
condamner  les  deux  évêques  fripons,  considère  ce  qui  est  arrivé  parleur  faute 
comme  un  simple  accident,  reçoit  l'appel  du  patriarche  Ignace  et  évoque  la 
cause  à  nouveau.  Photius  avait  eu  bon  marché  des  légats;  il  avait  fait  une  école 
humiliante  pour  vin  tel  compère.  Ces  légats  n'étaient,  soutient  le  pape,  que  de 
simples  enquêteurs,  sans  qualité  pour  juger  du  conllit,  et  pour  porter  une  sentence 
définitive  qui  n'appartient  qu'à  lui  seul.  Quoique  le  texte  des  instructions  don- 
nées aux  envoyés  prévaricateurs  n'existe  plus,  il  n'y  a  pas  lieu  de  douter  de  cette 
affirmation  sur  laquelle  le  pape  revient  avec  insistance  dans  ses  lettres  posté- 
rieures et  qui  se  trouve  consignée  dans  le  texte  officiel  de  la  notice  du  Liber  ponti- 
ficalis.  La  distinction  était  capitale,  désormais  c'était  entre  Photius  et  Nicolas, 
sans  intermédiaire,  que  se  viderait  l'alïaire.  Nicolas  convoqua  un  concile  au  La- 
tran,  863,  se  déclara  suffisamment  informé  et  jeta  l'anathème  sur  Photius, 
renouvela  la  sentence  déjà  ancienne  contre  son  consécrateur,  rétablit  Ignace  et 
condamna   les  légats. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  le  pape  de  Rome  frappait  son  collègue  de 
Constantinople;  chaque  fois  dans  le  passé  un  schisme  plus  ou  moins  passager 
s'en  était  suivi,  mais  cette  fois  les  temps  étaient  accomplis  et  les  hommes  étaient 
de  taille  à  vider  l'antique  rivalité  si  souvent  renaissante  et  toujours  ajournée. 
A  une  longue  série  d'empiétements  les  papes  répondaient  par  des  concessions 
partielles  et  d'irréductibles  revendications.  La  thèse  des  byzantins  revenait  à 
soutenir  que  le  siège  épiscopal  de  la  nouvelle  Rome  jouissait  de  droits  au  moins 
égaux  à  ceux  du  siège  de  l'ancienne  Rome,  et  cette  égalité  devait  entraîner  un 
partage  territorial  faisant  la  part  des  deux  juridictions.  Il  y  avait  dans  cette 
théorie  une  réminiscence  subtile  de  l'ancien  droit  qui  conférait  à  la  résidence  im- 
périale des  droits  exceptionnels  découlant  de  la  vertu  divine  attachée  à  la  per- 
sonne de  l'empereur.  Le  siège  de  Rome  avait  bénéficié  de  cet  écoulement  au 
temps    où  la  capitale  du  monde  et  de  l'empire  se  trouvait  dans  eetle  ville,    mais 

CONCIL  ES  —  IV  —  17 


258  LIVRE     XXIII 

Ignace,  clans  son  exil,  quelques  évêques  et  mandataires  qui  lui 
proposèrent   en   termes   polis   et   formels   l'abdication   écrite.  Cela 

tout  avait  bien  changé  depuis  le  transfert  de  cette  capitale  sur  les  bords  du  Bos- 
phore. A  cette  argumentation,  les  papes  de  Rome  opposèrent  le  privilège  atta- 
ché à  une  institution  bien  antérieure  à  la  conversion  de  Constantin  et  contempo- 
raine du  séjour  et  de  l'établissement  de  saint  Pierre  à  Rome.  Au  droit  impérial  et 
païen  on  opposait  une  prétention  d'ordre  surnaturel  et  une  origine  historique. 
Ainsi  se  formèrent  peu  à  peu  et  se  formulèrent  assez  rapidement  deux  concep- 
tions antagonistes  dont  les  divergences,  s'aggravant  à  mesure  qu'elles  s'accen- 
tuaient de  siècle  en  siècle,  aboutirent  finalement  d'une  simple  rivalité  parti- 
culière à  des  théories  exclusives  et  incompatibles  :  l'une,  faisant  dériver  de 
l'institution  mystique  de  saint  Pierre  la  primatie  romaine  et  la  dépendance  à 
son  égard  des  patriarcats;  l'autre  fondant  la  prééminence  byzantine  sur  les 
décisions  des  conciles  et  des  rescrits  impériaux. 

Après  la  réunion  du  concile  de  863  et  la  condamnation  de  Photius,  le  débat 
prit  une  direction  nouvelle.  Quoique  la  lettre  de  l'empereur  Michel  au  pape 
Nicolas  soit  perdue,  on  peut  en  retrouver  dans  la  réponse  de  ce  dernier  la  contre- 
épreuve  et  la  contre-partie.  Nicolas  Ier,  Episl.,  lxxxvi,  P.  L.,  t.  exix,  col.  926. 
Le  pape  maintient  sa  décision  à  l'égard  d'Ignace  et  de  Photius  ;  il  n'essaie  pas 
de  lutter  de  grossièreté  avec  l'empereur  qui  lui  a  prodigué  les  injures,  mais  il 
profite  de  la  circonstance  pour  lui  porter  un  coup  droit  :  <c  Cessez  donc,  lui  dit-il, 
de  vous  appeler  empereur  des  Romains,  puisque  ces  Romains  ne  sont  pour  vous 
que  des  barbares.  »  Jusque-là  en  effet,  les  souverains  de  Byzance  s'obstinaient 
à  revendiquer  un  titre  que  d'autres  portaient  en  Occident.  Dès  le  pontificat 
de  Nicolas,  nous  voyons  dans  le  Liber  pontificalis  et  même  dans  les  chroniques 
contemporaines  que  l'usage  s'établit  de  n'appeler  plus  les  souverains  de  Byzance 
qu'empereurs  des  Grecs.  C'était  un  nouveau  fil  qu'on  coupait.  En  même  temps 
Nicolas  revendiquait  son  droit  de  prononcer  seul  en  dernier  ressort  dans  les  causes 
ecclésiastiques  des  Orientaux  ;  car,  seul,  il  pouvait  donner  leur  force  aux  conciles 
et  leur  autorité  aux  canons.  Il  y  avait  beau  temps  à  Constantinople  qu'on  n'avait 
lu  rien  de  comparable  venant  du  pape  de  Rome,  et  Photius  dut  commencer  à  se 
clouter  qu'il  allait  avoir  affaire  à  forte  partie.  Il  eut  bientôt  l'occasion  de 
s'en  convaincre. 

Le  pape  Nicolas  ne  se  bornait  pas  à  la  défensive;  comme  tous  ceux  qui  ont 
le  goût  et  le  sens  de  l'action,  il  prenait  l'offensive. Au  fort  de  la  lutte  engagée  entre 
Rome  et  Byzance,  tandis  que  les  questions  rituelles  et  disciplinaires  masquaient 
à  peine  d'une  apparence  religieuse  la  grande  question  politique  engagée,  les 
incidents  survenus  chez  les  Bulgares  obligèrent  l'empereur  à  s'engager  officielle- 
ment dans  le  conflit  et  à  prendre  à  son  compte  ce  qui  n'était  encore  en  apparence 
i| ii  une  querelle  de  gens  d'Eglise. 

Après  bien  des  combats  contre  l'empire  qu'ils  avaient  souvent  inquiété  et 
dont  ils  avaient  menacé  la  capitale,  les  Bulgares  avaient  désarmé  et  manifeste 
l'intention  de  s'agréger  à  la  foi  chrétienne.  Dans  ce  but,  ils  avaient  demandé  au 
patriarche  de  Constantinople  des  prêtres  pour  les  instruire.  Nous  retrouverons 
plus  loin  le  détail  de  cette  affaire.  Quoi  qu'il  en  soit  des  ouvertures  faites  à  Cons- 
tantinople, le  roiBogoris,  mis  au  courant  du  conflit  qui  séparait  l'Orient  de  l'Occi- 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS  259 

fait,  le  sacre  de  Photius  devenait  chose  facile,  car,  à  Constanti- 
nople,  on  était  depuis  longtemps  habitué  à  ce  que  les  empereurs 
L]  fissent  monter  des  laïques  sur  le  siège  patriarcal.  Mais  Ignace 
refusa  ;  Photius  ne  s'en  fit  pas  moins  tonsurer  le  20  décembre 
857  ;  les  jours  suivants,  il  reçut  successivement  tous  les  ordres, 
et  l'avant-veille  de  Noël  il  fut  officiellement  nommé  patriarche 
par  un  conciliabule  tenu  au  palais  impérial  de  Constantinople. 
Enfin  le  jour  de   Noël  il  fut  solennellement  sacré  par   Grégoire 

dent,  se  plaça  de  ce  côté,  s'adressa  au  pape  Nicolas  à  qui  cette  fois  il  demanda 
des  évêques  et  des  missionnaires  pour  instruire  son  peuple.  Nicolas  envoya  aussi- 
tôt une  mission  dont  les  membres,  accueillis  avec  faveur,  s'appliquèrent  à  effacer 
tout  vestige  de  l'enseignement  donné  précédemment  par  les  moines  de  Byzance. 
Déjà  Nicolas  avait  envoyé  au  roi  des  Bulgares,  Bogoris,  le  formulaire  de  la  foi 
romaine  accompagné  d'instructions  qui  combattent  les  prétentions  byzantines 
sans  ménagements.  Les  envoyés  pontificaux  et  leurs  agents  baptisèrent  et  con- 
firmèrent de  nouveau  tous  les  Bulgares  et  substituèrent  les  rites  latins  aux 
usages  introduits  à  la  suite  des  instructions  de  Pbotius.  Us  obtinrent  même  de 
Bogoris  le  renvoi  de  tous  les  missionnaires  byzantins. 

Si  ces  procédés  étaient  de  nature  à  blesser  l'empereur  de  Byzance,  du  moins 
avaient-ils  l'avantage  de  ne  laisser  plus  aucune  hésitation  sur  la  gravité  du  duel  en- 
gagé entre  l'Occident  et  l'Orient.Pbotius  ne  pouvait  manquer  de  tirer,  pour  sa  situa- 
tion si  compromise, tout  le  parti  possible  d'un  événement  qu'il  se  hâta  de  présenter 
comme  une  offense  adressée  au  clergé  byzantin  tout  entier,  au  peuple  et  à  l'em- 
pereur même.  Le  pape,  qui  n'avait  sans  doute  pas  prévu  le  débordement  d'indi- 
gnation vraie  ou  feinte  qui  accueillerait  sa  politique,  ne  dut  pas  être  trop  contra- 
rié de  voir  la  lutte  engagée  sur  un  terrain  bien  net.  Il  n'était  l'homme  des  demi- 
mesures  et  des  demi-solutions  à  aucun  degré  et  devait  préférer  la  rupture  ou- 
verte à  une  entente  déguisée.  D'ailleurs  peu  fait  pour  les  ruses,  il  retrouvait  toute 
sa  supériorité  dans  les  attaques  et  les  ripostes  à  découvert,  sa  force   contenue  s'y 
montrait  à  l'aise  et  sûre  d'elle-même.  Ainsi  il  amenait    sur  son   propre  terrain 
tin  adversaire  qui  n'y  paraissait  pas  avec  les  mêmes  avantages.  Photius,  plus  ha- 
bile dans  l'intrigue,  devenait  inférieur  à  son  antagoniste  dès  qu'il  sortait  des  voies 
fuyantes,  à  la  force  il  ne  pouvait  opposer  que  la  violence.  Sa  lettre  encyclique 
aux  patriarches  dans  laquelle  il  engage  décidément  la  guerre  est  tour  à  tour  em- 
phatique,  grossière   et   enveloppe  des   griefs   imaginaires  dans   un  jargon  d'une 
prolixité  tout  orientale.  Sur  les  griefs  d'ordre  disciplinaire,  il  n'y  a  pas  lieu  d'in- 
sister  ;  le  point  de  doctrine  capital  sur  lequel  Photius  porte  tout  l'effort,  c'est 
l'hérésie  romaine  touchant  la  procession  du  Saint-Esprit.    Cette  manière  d'élar- 
gir un  débat  jxisqu'alors  tout  personnel  et  d'accuser  l'Église  d'hétérodoxie  était 
audacieuse  et  originale,  c'était  ouvrir  une  voie   toute   nouvelle,  mais  qui   offrail 
peu  de  chances  de  succès  quand  on  allait  rencontrer  en  l'ace  de  soi  un  adversaire 
de  la  taille  de  Nicolas.  Et  il  arriva,  en  effet,  que  le  conciliabule  byzantin  qui  ex- 
communia le  pape  fut  annulé,  ses    décrets   abolis,    ses    actes    détruits    et    nous 
ne    le    connaissons  aujourd'hui  que  par  les  allusions  de  quelques  chroniqueurs 
ennemis  de  Photius.  Celui-ci  avait  joué  de  malheur.  (H.  L.) 


260  LIVRE    XXIII 

Asbesta.  archevêque  de  Syracuse  x.  Ce  dernier,  qui  avait  fui  son 
siège  devant  les  invasions  des  Sarrasins,  vivait  depuis  quelque  temps 
à  Constantinople.  Lorsque  Ignace  avait  été  ordonné  patriarche, 
il  avait,  on  ignore  pourquoi,  défendu  à  Grégoire  d'assister  à  sa 
consécration.  Grégoire  en  fut  tellement  irrité,  qu'il  jeta  à  terre 
le  cierge  qu'il  tenait  à  la  main  pour  assister  à  la  cérémonie,  et, 
dès  lors,  il  répandit  contre  Ignace  mille  infamies,  en  sorte  que 
celui-ci  dut  prononcer  la  peine  de  la  déposition  dans  plusieurs 
conciles  contre  Grégoire  et  ses  partisans,  Eulampius  d'Apamée 
et  Pierre  de  Sardes  2.  Photius  au  contraire  entretint  des  rela- 
tions très  amicales  avec  Grégoire  Asbesta  et,  au  rapport  de 
Nicétas,  l'honora  comme  «  un  grand  serviteur  de  Dieu  »  3.  Le 
pape  Nicolas  Ier  reprocha  plus  tard  à  Photius  d'avoir  compté 
au  nombre  des  schismatiques,  lorsqu'il  n'était  encore  que  laïque  4. 
Métrophanes  dit,  de  son  côté,  que  Photius,  n'étant  encore  que 
laïque,  avait  été  excommunié  par  Ignace  5.  Toutefois,  comme 
cette  dernière  accusation  n'a  jamais  été  renouvelée  contre  Pho- 
tius, pas  même  au  cours  des  procès  qu'il  eut  à  subir,  on  est  porté 
à  interpréter  les  paroles  de  Métrophanes  en  ce  sens,  qu'Ignace 
aurait  menacé  de  l'anathème,  s'ils  persistaient  dans  leur  obsti- 
nation, tous  les  partisans  de  Grégoire,  sans  en  excepter  les  laïques, 
parmi  lesquels  Photius  avait  été  compris,  sans  avoir  cependant  été 
désigné  nommément.  L'affaire  de  Grégoire  Asbesta  est  si  inti- 
mement liée  à  la  question  de  la  validité  de  l'ordination  de  Photius, 
elle  a  été  si  souvent  agitée  par  les  deux  partis,  qu'il  importe 
de  l'examiner  attentivement,  d'autant  plus  qu'elle  soulève  plu- 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1546;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  518  sq.  Cette 
violation  des  canons  était  chose  courante  à  Constantinople,  où  on  pouvait  citer 
les  exemples  de  Nectaire,  de  Nicéphore,  de  Taraise.  Les  précédents  eussent,  avec 
un  peu  d'adresse,  fait  excuser  le  fait  qui  venait  de  se  produire,  mais  il  eût  fallu 
y  mettre  quelque  souplesse,  car,  en  somme,  Photius  n'était  pas  l'homme  du  peu- 
ple. L'empereur  Michel,  dans  un  de  ses  accès  de  lucidité,  disait,  paraît-il,  en  plai- 
santant :  «  Constantinople  a  maintenant  trois  patriarches  :  Pryllos,  mon  bouffon, 
est  mon  patriarche  à  moi,  Ignace  est  celui  du  peuple,  Photius  celui  de  Bardas.» 
L'affaire  avait  passé  presque  inaperçue.    (H.    L.) 

2.  Voir  §  457;  Nicetas,  Vita  Ignatii,  dans  Mansi,  op.  cit.,  I.  xvi,  col.  232;  Har- 
douin, op.  cit.,  t.  v,  col.  961;  Styliani,  Epist.,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  427; 
Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  961  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  i,  p.  358  sq. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  961;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  233. 

4.  Voir  §  477. 

5.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1111  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  415. 


1 

464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE    PHOTIUS  261 

sieurs  difficultés,  et  n'a  jamais,  selon  moi,  été  présentée  sous  son 
vrai  jour.  Dans  sa  lettre  neuvième  à  l'empereur  Michel,  le  pape 
Nicolas  Ier  parle  assez  longuement  de  Grégoire  et  nous  apprend 
32]  que  le  patriarche  Ignace  chercha  à  faire  confirmer  à  Rome  sa 
sentence  de  déposition  contre  Grégoire  Asbesta,  mais  les  papes 
Léon  IV  et  Benoit  111  remirent  toute  décision  après  l'audition 
des  deux  partis.  Ils  n'avaient  donc  pas,  à  cette  époque,  confirmé 
la  déposition,  s'étaient  contentés  d'engager  les  deux  archevêques 
à  comparaître  en  personne  <»u  par  procureur  devant  le  Siège 
romain,  et  à  se  soumettre  à  son  arbitrage.  Ignace,  en  effet, 
envoya  à  Rome  un  représentant  (le  moine  Lazare1),  pendant 
le  voyage  duquel  Grégoire  et  son  parti  renversèrent  Ignace. 
En  elïei  Grégoire  Asbesta,  ayant  appris  par  son  représentant 
Zacharie  qu'on  hésitait  à  Rome  à  confirmer  la  sentence  por- 
tée contre  lui  par  Ignace,  en  conçut  une  telle  vanité,  qu'il 
attaqua  Ignace  avec  plus  d'emportement  que  jamais  et  procéda 
à  l'ordination  d'un  autre  é\  êque  pour  Constantinople.  Si  les  papes 
Léon  et  Benoit  avaient  connu  la  conduite  de  Grégoire  et  de  ses 
patisans,  ils  l'eussent  immédiatement  condamné;  mais  dans  l'in- 
tervalle ils  étaient  morts,  et  c'était  maintenant  au  pape  Nico- 
las Ier,  leur  successeur,  à  connaître  de  cette   affaire  2. 


1.  Nous  connaisson>  ce  détail  par  Stylianus. 

2.  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  184  sq.  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv, 
col.  228  sq.  A  la  distance  où  l'on  se  trouvait,  il  fallait  plus  compter  sur  la  perspi- 
cacité personnelle  que  sur  l'abondance  des  informations.  Si  Photius,  avant  de 
s'être  mesuré  avec  Nicolas  Ier,  se  flattait  de  le  berner,  il  put  s'apercevoir  que  la 
véritable  supériorité  consiste  à  pressentir  ses  adversaires.  L'ambassade  envoyée 
à  Rome  pour  expliquer  la  retraite  forcée  du  patriarche  Ignace,  combler  le  pape 
de  présents  et  demander  la  réunion  d'un  concile  destiné  à  mettre  lin  à  l'hérésie 
iconoclaste,  était  une  grossière  malice  que  la  finesse  romaine  aurait  vite  percée 
à  jour.  L'ambassade  se  composait  de  Méthode,  métropolitain  de  Gangres,  de 
Samuel,  évêque  de  Chôme,  de  Zacharie  et  Théophile  d'Amorion,  ces  deux  derniers 
déposés  par  Ignace,  et  du  protospathaire  Arsavir,  tous  partisans  fanatiques  de 
Photius.  Le  pape  promit  d'envoyer  des  légats,  mais  se  réserva  le  jugement  de 
l'élévation  de  Photius  d'après  les  résultats  de  l'enquête  que  feraient  sur  place 
ces  légats.  C'était  un  premier  échec.  Nicolas  s'était  parfaitement  rendu  compte 
que  la  déposition  d'Ignace  el  l'élévation  de  Photius  cachaient  une  de  ces  intri- 
gues politiques  si  fréquentes  à  Byzancc,  cependant  il  n'en  laissa  rien  voir  et,  se 
plaçant  sur  le  terrain  canonique  le  plus  inattaquable,  il  fit  désigner  les  légats 
Rodoald  et  Zacharie  par  un  concile  romain  (860). 

«  C'était  là,  évidemment,  la  meilleure  solution  provisoire,  écrit  M.  A.  Vogt, 
op.  cit.,  p.  205-206.  D'une  part,  en  effet,  malgré  toutes  les  apparences  et  certains 


262  LIVRE     XXIII 

D'après   cela,   si    Rome,   à   l'époque   où   nous   sommes   arrivés, 
n'avait  pas  encore  confirmé    la  déposition  de  Grégoire  et  de  ses 

faits  contraires,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  171,   on  imputait  à  Ignace   divers  cri- 
mes. Les  uns  disaient  qu'il  avait  été  l'élu  de  la  puissance  séculière     (ibid.),  les 
autres  qu'il  se  portait  accusateur  du  patriarche  Méthode;  Photius  le  traitait  de 
détracteur  de  la  mémoire  du  pontife  défunt  et  disait  qu'on  devait  le  regarder  com- 
me un  véritable  parricide.  Anastase,  Préf.  au  VIIIe  concile,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi, 
col.  3.  D'autres   l'accusaient   même  —  et  la  chose  pouvait  ne  pas   manquer   de 
vraisemblance  aux  yeux  de  certains,  vu  les  origines  d'Ignace  —  de  faire  de  l'agita- 
tion politique.  Enfin  —  et  c'était  le  motif  véritable  —  on  lui  reprochait  son  auto- 
rité, son  excessive  raideur,  ses  idées  de  réforme  et  sa  sévérité.  Vita  Ignatii,  P.  L., 
t.  cv,  col.  502.  Or,  ces  attaques,  ces  irrégularités,  ces  fautes  réelles  ou  prétendues, 
Ignace  devait  les  réfuter  et  les  expliquer.  Quant  à  Photius,  il  se  trouvait  en  très 
peu  canonique  posture.  Contrairement  à  tous   les   usages,    il   avait   subitement 
et  sans  transition   passé  de  la  vie  séculière  —  et  d'une  vie  séculière   qui  n'était 
pas   exempte   de   tous   reproches,    Mansi,    op.    cit.,   t.     xv,    col.    194-259   ;  Vita 
Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  512  —  à  la  vie  épiscopale,  et  cela  uniquement  grâce  au 
souverain  ;  il  avait  accepté  un  siège  régulièrement  occupé  ;  il  avait  usé  de  violence 
pour  obtenir  l'abdication  de  son  prédécesseur  ;  enfin,  chose  plus  grave,  c'était 
un  évêque  plusieurs  fois  condamné  :  par  un  synode,  par  Ignace  et  par  le  pape, 
Grégoire  Asbesta,   qui  l'avait  sacré.  Comment,  dès  lors,  en  présence  d'un  tel  con- 
flit, agir  autrement  qu'en  convoquant  un  concile  dans  lequel,  des  deux  côtés,  on 
exposerait  les  faits,  on  expliquerait  les  événements,    on  se  justifierait  ?   Malheu- 
reusement,  l'affaire  déjà  par  elle-même  assez  compliquée,   se    trouvait  encore 
obscurcie  par  la  division  extrême  des  partis.  Ignace  avait  pour  lui  —  et  ce  devait 
être    aux  yeux  du  pape,  une  bonne  note  —  les    moines  qui  défendaient  dans  le 
patriarche  un  des  leurs.  Le  Stoudion,  à  sa  voix,  s'était  levé  pour  sa  défense,  et 
son  higoumène    Nicolas  avait  souffert  la  persécution  à    cette  occasion.  P.   G., 
t.  cv,  col.  908-909.  Le   moine   Théognoste,  de  son  côté,  dès  861,  Liber  pontif., 
p.  187  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  369,   était  parti  pour  Rome  et  dans  la   déléga- 
tion byzantine  que  le  pape  ne  tarda  pas  à  appeler  à  son  tribunal  se  trouvaient 
plusieurs  religieux.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  211.   Bien  plus,  le  haut  clergé  lui- 
même  paraît  avoir  été,  au  début  de  l'affaire,  partisan  du  vieil  Ignace.  Quelques 
membres  du  synode,  twy  STnrr/.oTLOiv  oî  vo(AiÇ6[xevoi  ).oyio:;,  prélats  de  cour  et  de  fidé- 
lité douteuse,  Vita  Ignatii,  P.    G.,  t.  cv,  col.   505,   se  rangèrent   bien,    en  vérité, 
dès  la  première  heure,  du  côté  de  Photius  et  s'en  allèrent«  à  cause  du  malheur 
des  temps  demander  à  Ignace  une  prompte  abdication;  «mais  ce  fut  l'exception. 
La  majorité  des  évêques  et  le  peuple,  tout  d'abord,  lui  restèrent   fidèles.  Anas- 
tase", Préf.  au  VIIIe  concile,  Mansi,  op.  cit.,  col.  4.  Les  uns  et  les  autres  réclamè- 
rent le  retour  du  patriarche    et    la    cessation    des    tourments    qu'on   lui   faisait 
subir.  Le  synode  alla  même,  paraît-il,   jusqu'à   refuser   de  reconnaître    Photius 
et  présenta  à    sa    place    trois    autres    candidats.    Mansi,    op.  cit.,    t.  xvi,  col. 
415.    Malheureusement  la  résistance  fut  de   courte   durée.    De  concessions  en 
concessions,   gagnés  par  des  faveurs   ou  brisés  par  la   crainte,   les   évêques,   à 
l'exception  de  cinq,  acceptèrent  tour  à  tour  le  fait   accompli  ,   à   une   condition 
cependant  :  ils  exigeaient  qu'Ignace  vécût  honoré,  qu'on   ne  fît  rien  contre  sa 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOT1US  263 

partisans,  le  pape  Benoît  n'en  dut  pas  moins,  conformément  aux 
règles  canoniques,  leur  interdire  toutes  fonctions  ecclésiastiques, 
jusqu'à  ce  que  le  tribunal    de    seconde  instance   [nova  audientia) 
eût  rendu  son  jugement.  Ils  étaient  donc  alors  suspendus  ab  officio, 
c'est-à-dire  interdits,  et  c'est  ce  que  le  pape  Nicolas  dit  à  plusieurs 
reprises,  usant  du  mot  obligatus,  par  exemple  dans  la  phrase  sui- 
vante :     Gregorius    a    synodo    (celui    d'Ignace)    episcopatus    officio 
privatus  et  a  decessore  meo  santas  mémorise  papa  Benedicto  obligatus 
est  1.    Pour   s'exprimer   d'une   manière   plus    claire,   il   ajoute    que 
Grégoire  et  ses  partisans  avaient  été  condamnés  préventivement 
par  Benoît,   ne  sacerdotale  officium  ante  audientiam  présumèrent. 
Baronius    est   donc    dans   l'erreur,    lorsqu'il   prétend    conclure   de 
ces  passages  que  le  pape  Benoît  avait  formellement  anathématisé 
Grégoire2,  et  DuCange  se  trompe  également  lorsqu'il  tient  l'expres- 
sion obligati   pour  synonyme   de   excommunicali.    Dans   cette   ixe 
lettre  déjà  mentionnée,  le  pape  Nicolas  Ier  dit  si  clairement  que 
Léon  et  Benoît  n'avaient  pas  confirmé  la  sentence  d'Ignace,  que 
d'après   lui,    cet    esprit   de   douceur   du    Siège   apostolique   aurait 
exalté  l'audace  des  ennemis  d'Ignace  et  contribué  à  la  chute  de 
2331   celui-ci.  Il  reproche  aussi  à  Grégoire  d'avoir,  après  sa  déposition  par 
un  concile  (celui  d'Ignace),  continué,  malgré  les  canons,  à  exercer 
les  fonctions  ecclésiastiques,  se  privant  ainsi  de  toute  excuse.  Nico- 
las  ne  se  serait   pas    contenté   de  parler  du  concile  d'Ignace,  il  eût 
mentionné  sa  confirmation  par  Rome  et   l'excommunication  pro- 
noncée contre   Grégoire  par  le  pape,  si  ces    deux   faits  s'étaient 
produits.   Mais  le  pape   Nicolas   Ier    ne    dit-il    pas  :    omnes   enim 
(ceux  de  Constantinople)   illum    (Grégoire)   et  depositum  norunt  et 
anathematis  çinculis  obligatum,  ac  per  hoc  totius   Ecclesiœ   commu- 

volonté  et  qu'on  ne  le  molestât  en  aucune  façon.  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  t.  cv, 
col.  513.  Photius  donna  sa  parole  et  l'accord  se  trouva  ainsi  réalisé  quelques  se- 
maines durant.  Mansi,  op.  ci!.,  t.  xvi,  col.  4.  Le  nouveau  patriarche,  dans  l'espé- 
rance de  vaincre  les  dernières  résistances,  imagina  de  réunir  un  concile  aux 
Saints-Apôtres.  Les  Pères,  habilement  choisis  et  circonvenus,  firent  ce  qui  leur 
fut  commandé  :  ils  déposèrent  Ignace  et  l'anathématisèrent.  Peine  perdue  ! 
Tandis  que  Métrophane  et  quelques  amis  se  détachaient  définitivement  de  Pho- 
tius et  le  déposaient  à  leur  tour  dans  un  concile  tenu  par  eux  à  Sainte-Irène, 
la  population  continuait  de  se  prononcer  en  faveur  d'Ignace.  C'est  alors  que  par- 
tit de  Constantinople  l'ambassade  de  859  conduite  par  Méthode.  .Mansi,  op. 
cit.,  t.  xvi,  col.  416,   sq.  (H.  L.) 

1.  Nicolas  Ier,  Epist.,  vu,  x.  xi. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  856,  n.  7. 


204  LIVRE    XXIII 

nione  privatum?  Sans  doute;  mais  il  veut  dire  que,  conformément  à 
l'ancien  droit,  Grégoire,  condamné  par  son  supérieur  ecclésiastique 
Ignace,  qui  avait  prononcé  contre  lui  l'excommunication  et  la  dé- 
position ne  devait  être  désormais  admis  par  personne  à  la  com- 
munion ecclésiastique,  à  moins  qu'une  nouvelle  sentence  rendue 
par  un  tribunal  supérieur  n'ordonnât  le  contraire.  On  pourrait  nous 
objecter  que  notre  manière  de  voir  ne  s'accorde  pas  avec  le  mot 
concictus,  dont  le  pape  Nicolas  se  sert  à  l'égard  de  Grégoire,  lors- 
qu'il accuse  Photius  d'avoir  reçu  les  ordres  a  Gregorio  Syracusano 
dudum  episcopo,  a  synodo  damnato  et  ab  apostolica  Sede  convicto. 
Mais  de  quoi  donc  Grégoire  avait-il  été  convaincu  par  le  Siège 
romain,  lorsqu'il  ordonna  Photius  ?  S'il  eût  été  déjà  convaincu 
par  Rome,  on  n'eût  pas  jugé  nécessaire  une  nouvelle  audientia. 
Quand  Nicolas  rappelle  la  conduite  de  ses  prédécesseurs  dans 
l'affaire  de  Grégoire,  il  ne  dit  rien  qui  implique  que  Grégoire  ait 
été  convaincu  par  Rome.  Toute  difficulté  disparaît,  au  contraire, 
si  nous  lisons  convinctus  (lié,  suspendu),  mot  identique  à  obligatus, 
et  indiquant  comme  lui  une  suspensio  a  sacris.  Or  le  texte 
primitif  portait  cette  leçon  et  convictus  vient  d'une  faute  de 
copiste,  car  la  traduction  grecque  de  la  lettre  papale,  tra- 
duction presque  comtemporaine  utilisée  par  le  VIIIe  concile 
œcuménique,  porte  au  passage  en  question  Sea^eoôévTwv  (de 
Secj|xeu(o,  lier,  vincio)  1.  La  lettre  de  l'évêque  Stylianus  au  pape 
Etienne  ne  saurait  infirmer  notre  explication  ;  on  y  lit  :  «  qu'après 
sa  déposition  et  la  sentence  d'anathème  prononcée  contre  lui 
par  Ignace,  Grégoire  Asbesta  envoya  à  Rome  des  lettres  et  des 
messagers  pour  y  demander  du  secours.  D'un  autre  côté,  le  pape 
Léon  avail  ('gaiement  conseillé  à  Ignace  l'envoi  à  Rome  d'un 
député.  Ignace  envoya  le  moine  Lazare,  dont  l'exposé  fut  si  [234] 
clair  que  le  pape  confirma  la  sentence  d'Ignace  contre  les  schis- 
matiques.  Ceux-ci  importunèrent  de  nouveau  le  pape  Renoit, 
qui  imita  son  prédécesseur  et  adhéra  au  jugement  d'Ignace  contre 
eux2.  »  Stylianus  était,  il  est  vrai,  un  ami,  un  contemporain,  on 
pourrait  presque  dire  un  partisan  dévoué  du  patriarche  Ignace; 
mais  en  sa  qualité  de  Syrien,  on  s'explique  qu'il  n'ait  pas  été  par- 
faitemeul  au  courant  des  divers  incidents  qui  précédèrent  l'intru- 
sion   de    Photius,    de    ceux   en   particulier   qui   se   produisirent   à 

1.  Mansi,  <>/'.  cit.,  t.  xvi,  col.  364;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1069. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  'ii'T:  Hardouin,  up.  cit.,  I     v,  col.  1122. 


PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS 


265 


Rome,  Il  fut  mieux  informé  de  ce  qui  suivit;  il  n'avait  évidemment 
pas  lu  les  décrets  du  pape  à  Ignace  de  Constantinople,  et  ne  les  con- 
uaissiiii  que  par  ouï-dire  ;  mais  il  savait  que  Grégoire  était  toujours 
déposé  en  fait,  que  le  pape  lui  avait  interdit  toutes  fonctions 
ecclésiastiques,  et  il  en  concluait,  à  tort,  à  la  confirmation  posi- 
tive  par  liomede  la  sentence  portée  par  Ignace. 

Grégoire  Asbesta  était,  on  le  comprend,  disposé  à  s'employer 
activement  à  la  ruine  d'Ignace  ;  il  accepta  donc  de  sacrer  Photius, 
quoique  cet  exercice  des  fonctions  ecclésiastiques  le  mît  en  oppo- 
sition avec  les  canons  et  avec  la  suspense  temporaire  prononcée 
contre  lui  par  le  pape.  Lorsque  l'empereur  Michel  III  annonça 
à  Rome  l'élévation  de  Photius,  il  ne  dit  rien  de  l'évêque  consécra- 
teur,  il  en  parle  pour  la  première  fois  dans  une  lettre  au  pape 
en  863.  Comme  on  ne  pouvait  cacher  l'incident,  Michel  et  Photius 
cherchèrenl  à  justifier  la  conduite  de  Grégoire  qui,  disaient-ils, 
avait  été  injustement  déposé  par  Ignace,  mais  que  l'empereur 
Michel  et  les  évêques  avaient  de  nouveau  reçu  à  la  communion. 

Dans  son  epist.  ix,  le  pape  réfuta  sans  peine  cet  argument. 

D'ailleurs  plusieurs  des  évêques  du  patriarcat  de  Constanti- 
nople, certains  même  de  ceux  qui  se  trouvaient  dans  la  capitale, 
n'avaient  pas  donné  leur  voix  à  Photius,  dans  le  simulacre  d'élec- 
tion. La  majorité  (Métrophanes  va  même  jusqu'à  dire  tous  les 
évêques  )  -1  refusa  longtemps  de  le  reconnaître  et  choisit  à  sa  place 
trois  autres  candidats.  Dans  son  ouvrage  sur  Photius,  Jager  se 
35]  demande  comment  ces  évêques  pouvaient  reconnaître  Ignace  com- 
me patriarche  légitime,  et  lui  choisir  un  successeur2.  Mais  si  Mé- 
trophanes dit  la  vérité  sans  chercher  à  s'excuser  lui  et  ses  amis, 
on  voit  qu'Ignace  admettait  qu'on  cédât  à  la  force,  et  qu'on  fît 
choix  d'un  autre  pasteur  pour  l'Eglise  de  Constantinople,  à  condi- 
tion que  celui-ci  serait  désigné  parmi  les  amis  d'Ignace  avec  lequel 
il  resterait  en  communion.  A  proprement  parler,  Ignace  deman- 
dait, par  ces  conditions,  un  coadjuteur.  Il  s'était  en  effet  passé 
quelque  chose  de  semblable  à  Rome  pendant  la  captivité  du  pape 
Martin  Ier  3.  Mais,  continue  Métrophanes,  les  évêques,  gagnés 
successivement  par  toutes  sortes  de  moyens,  oublièrent  leurs 
promesses  et  leurs  protestations  solennelles,  ils  embrassèrent  le 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  415;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1111. 

2.  J.  N.  Jager,  op.  cit.,  p.  25. 

3.  Cf.  §  310. 


266 


LIVRE     XXIII 


parti  de  Photius,  à  l'exception  de  cinq  parmi  lesquels  se  trouvaient 
Métrophanes  et  Stylianus.  Cédant  à  la  force,  même  ces  cinq  recon- 
nurent Photius,  à  condition  qui  celui-ci  resterait  en  communion 
avec  Ignace.  Photius  promit  tout  ce  qu'on  voulut,  s'engagea  par 
écrit  à  regarder  Ignace  comme  le  plus  irréprochable  des  patriar- 
ches, à  ne  dire  et  à  ne  tolérer  jamais  rien  contre  lui.  Sur  ces  assu- 
rances, Photius  fut  reconnu  par  tous.  Mais  bientôt  il  retira  sa 
déclaration  écrite  et  prononça  la  déposition  d'Ignace.  Tandis 
que  la  majorité  des  évoques  grecs  supportait  ce  parjure,  Métro- 
phanes et  ses  amis  se  réunirent  en  concile  dans  l'église  de  Sainte- 
Irène  à  Constantinople,  déclarèrent  Photius  déchu  du  siège  patri- 
arcal, exclu  de  la  communion  de  l'Église,  et  jetèrent  l'anathème 
sur  celui  d'entre  eux  qui  entrerait  en  communion  avec  ce  blas- 
phémateur. On  en  pourrait  conclure  que  tout  l'épiscopat  du 
patriarcat  avait  été  unanime  dans  ces  résolutions  ;  mais  Métro- 
phanes ajoute  immédiatement  que  les  partisans  de  Photius  tin- 
rent de  leur  côté  un  concile  dans  l'église  des  Apôtres  à  Constan- 
tinople et  y  renouvelèrent  les  sentences  d'anathème  et  de  dépo- 
sition prononcées  contre  Ignace  1.  Malheureusement  les  actes  de 
ces  deux  conciles  ne  nous  sont  pas  parvenus  ;  ceux  du  dernier  furent 
brûlés  plus  tard  avec  d'autres  documents  des  partisans  de 
Photius,  par  ordre  du  pape  et  de  l'empereur  Basile  le  Macédonien. 

Depuis  lors,  on  fit  subir  à  Ignace  plusieurs  mauvais  traitements  : 
afin  de  lui  arracher  une  abdication;  enchaîné  comme  un  criminel,  [236] 
il  fut  relégué  d'abord  à  Mytilène.  Ses  partisans,  au  nombre  des- 
quels se  trouvait  Métrophanes,  furent  également  emprisonnés 
et  maltraités.  Bardas,  l'auteur  de  toutes  ces  violences,  cherchait 
à  mettre  entièrement  sous  sa  dépendance  le  nouveau  patriarche, 
sa  créature,  et  à  lui  enlever  tout  pouvoir  ;  Photius  jugea  opportun 
de  lui  demander  de  modifier  sa  manière  de  faire.  Us  ne  se  brouil- 
lèrent cependant  pas,  ayant  trop  de  motifs  d'unir  leurs  intérêts. 

Ignace  voulut  faire  connaître  à  toute  la  chrétienté  par  une  en- 
cyclique, l'injustice  dont  il  était  victime,  mais  ses  lettres  furent 
interceptées  et  les  deux  clercs  qui  devaient  en  porter  un  exemplaire 
à  Rome,  les  livrèrent  traîtreusement  2.  Photius  chercha  alors  de 


1.  Métrophanes.   dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  415;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v, 
col.  1111. 

2.  Ignace  fit  appel  par  deux  fois  au  pape  Nicolas  Ier.  Libellus  de  Ignatii  causa 
du  moine  Théognoste,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1014.    La  pièce  est  de 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS 


267 


son  côté  à  se  faire  reconnaître  par  Rome;  de  concert  avec  l'em- 
pereur, il  envoya  au  pape  en  859,  une  ambassade  comprenant 
quatre  évêques  et  le  ministre  impérial  Arsaber,  oncle  de  Photius. 
L'ambassade  devait  remettre  à  Nicolas  des  lettres  et  de  riches 
présents  l.  Pour  comprendre  ce  qui  se  rapporte  à  cette  ambassade, 
il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  sa  double  mission.   Il    fallait  avant 

861,  c'est  par  erreur  que  Hardouin  l'a  datée  de  869.  Cf.  P.  Bernardakis,  Les  appels 
au  pape  dans  V  Église  grecque  jusqu'à  Photius,  dans  les  Échos  d'Orient,  1903,  t.  vi, 
p.  254-257.  (H.  U) 

1.   Yita    Nicolai,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,     col.  147,  et  P.    L.,    t.    cxxvm, 
col.  1362.  J'ai  donné  une  description  de  ces  présents  dans  Der  Kirchenschmuck 
de  Laid  et  Schwarz,  L858,  i.  tv,  fasc.  2.  Cet  article  rectifie  le  texte  du  Liber  pontifi- 
calis et  le  Glossaire  de  Du  Cange;  il  est  peut-être  opportun  de  le  résumer  ici.  C'était 
une  patène    de    l'or  le    plus    pur    avec  diverses  pierres  précieuses  blanches  (pro- 
bablement des  diamants),  vertes  [prasinis,  c'est-à-dire  des  émeraudes)   et  cou- 
leur d'hyacinthe  (des  améthystes),  de  même,  un  calice  d'or  entouré  de    pierres 
précieuses,  et  avec  des  améthystes  rattachées  par  des  fils  d'or.  Il  est  plus  diffi- 
cile d'expliquer  les  mots  suivants  :  Et  repidis  duobus  in  typo  pavonum  cum  sentis 
et  diversis  lapibibus  pretiosis,  hyacinthis,  albis.  Du  Cange  lui-même  n'a  pu  ex- 
pliquer le  mot  repidis  et  s'est  contenté  Je  reproduire  mot  à  mot,  dans   son  Glos- 
saire, le  passage  qui  nous  occupe,  sans  y  joindre  aucune  explication.  A  mon  avis, 
l'auteur  a  latinisé  le    mot    grec    çt-toiov,   éventail    ;    rappelons-nous   que,    chez 
les  Grecs,  pendant  la   messe,    deux   diacres  se   tenaient   constamment  à  l'autel 
avec  des  flabella  pour  chasser  les  mouches,  etc.  Ces    éventails    avaient   ordinai- 
rement la  forme  de  queues  de  paon  (in  typo  pavonum),  et  afin  d'imiter  ce  qu'on 
appelle  les  yeux  de  paon,  on  les  avait  ornés  de  petits  écussons  (cum  scutis)  ou  de 
diverses  pierres  précieuses  blanches  et  bleues.  Il  est  également  nécessaire  d'ex- 
pliquer le  passage  qui  suit  dans  le  Liber  pontificalis  :  Similiter  vero  et  vestem  de 
chrijsoclavo  cum  gemmi.s  albis  habentem  historiam  Salvatoris,  et  beatum  apostolum 
Pelntm,  et  Paulum,  et  alios  apostolos,  arbusta  et  rosas,  utraque  parte  altaris  tegen- 
les,   de  nomine   ipsius   imperatoris,   miras,  magnitudinis  et  pulchritudinis  décore. 
Disons  tout  d'abord  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  habit,  par  exemple  d'une  chasu- 
ble pour  le  pape,  mais  bien    d'une    vestis  altaris,    c'est-à-dire    d'un    grand    tapis 
destiné  à  entourer  l'autel.  Ce  vestis  altaris  n'est  autre  que  le  velamen  ou  le   tetra- 
vélum,   dont  il   est    question  dans    les   Études   sur    l'autel   chrétien    (de   Schwarz 
et  Laib,  p.     25).  Le  tapis  envoyé  au  pape  était  orné   de  bandes   dorées    (chryso- 
clavus),  de  pierres  précieuses  blanches  et  de  représentations  en  images.  C'étaient 
des  scènes  de  l'histoire  du  Sauveur,  les  portraits  des  apôtres,  en  particulier  de 
Pierre  et  de  Paul,  et  aussi  des  plantes  (arbusta)  et   des   roses.  Par  conséquent, 
si  l'on  veut  comprendre,  dans  le  sens  que  nous  indiquons,  le  passage  du  Liber 
pontificalis,  il  faut  lire  utramque  parlem  altaris  tegentes,  et  traduire  :   «  Eux,  les 
ambassadeurs  byzantins,  couvrirent  au  nom  de  leur    empereur    les  deux  côtés 
de  l'autel  avec  cet  ornement  d'une  grandeur  et  d'une  beauté  merveilleuse.  »  Celui 
qui  s'est  rendu  compte  des  nombreuses  altérations  que  l'on  constate  dans  le  texte 
du  Liber  pontificalis  ne  saurait  être  étonné  de  la  rectification  que  nous  proposons. 


268  LIVRE     XXIII 

tout  faire  confirmer  par  Rome  l'élévation  de  Photius  sur  le  siège  [237] 
de  Constantinople.  Nicétas  dit  à  ce  sujet  :  «  Photius  avait  mandé 
au  pape  l'abdication  volontaire  d' Ignace  devenu  extrêmement  âgé 
et  valétudinaire,  sa  retraite  était  dans  un  monastère,  où  il  conti- 
nuait à  jouir  de  toutes  sortes  d'honneurs  de  la  part  de  l'empereur, 
du  clergé  et  du  peuple  1.  »  Cette  phrase  de  Nicétas  a  été  jus- 
qu'ici diversement  appréciée  et  a  occasionné  des  hypothèses  plus 
ou  moins  soutenables.  Nous  possédons  encore  la  lettre,  fort  digne 
et  très  adroite,  de  Photius  au  pape  2  ;  il  y  exprime  son  appréhen- 
sion pour  les  fonctions  ecclésiastiques  et  fournil  en  preuve  de 
son  orthodoxie  une  profession  de  foi  détaillée.  Il  ne  parle  d'Ignace 
que  dans  ces  mots  jetés  comme  en  passant  :  «  Lorsque  mon  pré- 
décesseur abdiqua  sa  dignité  »  (tyjç  lO'.aù-.-qc,  ûxs£eA0 ivxoç  à£taç). 
Comme  cette  lettre  ne  contient  pas  ce  que,  d'après  Nicétas, 
Photius  aurait  écrit  au  pape,  Fleury  a  supposé  l'existence  d'une  [238] 
autre  lettre  de  Photius,  aujourd'hui  perdue,  et  qui  aurait  contre- 
dil  les  détails  donnés  par  Nicétas.  D'autres  historiens,  ne 
rencontrant  aucune  trace  de  cette  lettre,  ont  cru  à  une  erreur 
de  Nicétas,  d'autant  plus  que  ce  qu'il  dit  ne  s'accorde  guère 
avec  les  première  et  dixième  lettres  de  Nicolas  Ier,  d'après 
lequel  la  lettre  (aujourd'hui  perdue)  de  l'empereur  contenait 
des  accusations  contre  Ignace,  avec  l'apologie  de  Photius, 
et  cherchait  à  expliquer  la  déposition  de  l'un  et  l'élévation  de 
l'autre   3.     D'après   cela,  l'empereur  aurait  parlé  de  déposition  et 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  235;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  963. 

2.  On  ne  connaissait  autrefois  que  la  traduction  latine  de  cette  lettre, 
faite  par  Baronius  d'après  un  manuscrit  grec  de  la  Bibliotheca  Columnensis  et 
insérée  dans  ses  Annales  (859,  n.  61).  L'original  fut  publié  en  1706  dans  leTojj.o;  /apS; 
édité  en  Valachie  ;  Jager  l'a  donné  dans  l'appendice  de  son  Histoire  de  Photius, 
2e  édition,  et  l'a  traduit  en  français,  ibid.,  p.  34  sq.  ;  Damberger,  Synchr.  Gesch. 
t.  ni,  p.  173,  qui  ne  connaissait  pas  encore  le  texte  grec,  a  supposé  que  cette 
lettre  n'avait  pas  été  adressée  au  pape,  mais  aux  patriarches  orientaux.  Her- 
genrtither,  op.  cit.,  p.  467-671,  en  donne  une  analyse  détaillée  et  la  traduction 
d'une  notable  partie. 

3.  Nicolas  Ier,  Epist.,  i  et  x,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  160  et  241,  dans  Har- 
douin, op.  cit.,  t.  v,  col.  119  et  197;  H.  Laemmer,  PapstNikolaus  der  Erste  und  die 
byzanlinische  Staats-Kirche  seiner  Zeit,  eine  kirchengeschichtliche  Skizze,  in-8,  Ber- 
lin, 1857  ;  J.  Rocquain,  Les  lettres  de  Nicolas  Ier,  dans  le  Journal  des  savants,  1880, 
p.  577-587,  630-647,  676-685;  J.  Roy,  Principes  du  pape  Nicolas  Jer  sur  les  rap- 
ports des  deux  puissances,  dans  Etudes  historiques  du  moyen  âge  dédiées  à  Gabriel 
Monod,  in-8,   Paris,   1896,  p.  95-105;  M.  Sdralek,  Handschriftliche  krilische  Un- 


464.  PREMIERS  CONCILES  AU  SUJET  DE  PHOTIUS      269 

non    d'abdication    volontaire    d'Ignace.    Mais    le  véritable    point 
de  vue  duquel  il  faut  juger    cette    affaire,    nous  est    indiqué  par 

lersuchiingen  ïiber  eine  Gruppe  von  Briefen  Papsls  Nikolaus  I,  dans  Archiv  fin- 
katholisches  Kirchenrecht,  1882,  t.  xi/vn,  p.  117-215;  le  même,  De  sancti   Nicolai 
P.  P.  I.  epislolarum  codicibus  quibusdam  manuscriptis,  disserlalio,    in-8,  Wratis- 
lavia-,  1882.  Cf.   H.  Lammer,  dans  Archiv  fur  katholisches  Kirchenrechts,  1882, 
t.  xi.viii,  p.  470-574;  Sdralek,  Hinkmars  von  Reims,  in-8,  Freiburg,  1881,  p. 177- 
178;  Ch.  Bayet,  Les  élections  pontificales  sous  les  Carolingiens  au  vme  et  au  ixe 
siècle,  dans  la  Revue  historique,  t.  xxiv,  p.  85  ;  A.  Thiel,  De  Nicolao  papa  I  legisla- 
tore  ecclesiastico  commenlationes  cluse  hislorico-canonicse,  in-8,  Bran nsbergœ,  1859 
La  correspondance  de  ce  pape  est  une  source  capitale  de  renseignements  pour 
l'histoire  de  son  règne,  d'ailleurs  assez  court  puisqu'il  s'étend  du  24  avril   858  au 
13  novembre  867.  Nous  savons  par  la  correspondance  de  Nicolas  Ier  que  ce  pape 
gardait  sur  un  registre  le  double  des  actes  expédiés  en  son  nom,  ce  en  quoi  il  ne 
Eaisait  que  suivre,  ainsi  qu'il  le  reconnaît  lui-même,  une  très  ancienne  coutume 
de  l'Église  romaine,  coutume  remontant  au  moins  au  temps  de  saint  Grégoire  Ier. 
Le  registre  du  pape  Nicolas  Ier  disparut,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'autres  an- 
térieurs à  Innocent  III  (1198),  dans  des  circonstances  qui  ne  nous  sont  pas  con- 
nues :  toujours  est-il  qu'au  temps  où  le  cardinal    Deusdedit,    contemporain   de 
Victor  III  (1086-1087),  rédigeait  son  recueil  de  canons,  il  n'a  pas  tiré  parti  du  re- 
gistre de  Nicolas  dont  il  ne  cite  qu'une  seule  lettre,  ce  qui  porte  à  croire  que  ce 
registre  avait  dès  lors  disparu.  Ce  qui  subsiste  de  l'œuvre  épistolaire  de  ce  pape 
dans  les  manuscrits  a  fait  l'objet  d'un  classement  accompagné  des   incipit,  dans 
L.  Chaillot,  Analecta    juris    pontificii,  Dissertations  sur    divers    sujets    de    droit 
canonique,  Liturgie    et    théologie,  Paris,  1868,  t.  v,  fascicule  84,    p.    47-176.  Des 
éditions  des  lettres  sont  données  par  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  144  sq.  ; 
P.  L.,  t.  cxix,  col.  769  sq.  ;  Jafîé,  Regesla  pontificum  romanorum,   2e   édit.,   t.   i, 
p.  341-368;  Schneider  prépare  une  nouvelle  édition  pour  les  Monum.  Germanise 
historica,  dans  la  série  des  Epistolse.  Un  certain  nombre  de  lettres  sont  disséminées 
dans  les  ouvrages  de  Baronius,  Muratori,  D.  Bouquet,  Pertz;    l'édition    la    plus 
usuelle  en  attendant  celle  des  Mon.  Germ.  hist.,  et  en   la   supposant   meilleure, 
reste  jusqu'ici  celle  de  Migne,  P.  L.,  t.  cxix,  à  laquelle  il  faut  ajouter  trois  privi- 
lèges omis  dans  ce  volume  et  renvoyés  dans  le  t.  cxxix,  col.  1011.  Jafîé  a  donné 
le  sommaire  des  cent  cinquante-neuf  lettres  existantes  et  de  quelques  autres  per- 
dues et  connues  seulement  par  les  allusions  qui  y  sont  faites  dans  les  Chroniques. 
Dom  P.  Coustant  s'était  naturellement  occupé  de  ces  lettres  tant  pour  en  établir 
l'exacte  chronologie  que  pour  déterminer  le  caractère  des  lettres  perdues  et  classer 
les  variantes  des  manuscrits.  Le  même  érudit  avait  non  seulement  rétabli  le  texte, 
mais  préparé  les  bases  d'un  commentaire  historique  tel  qu'on  pouvait  l'attendre 
dr  lui.  Ce  sont  des  fragments  de  ce  travail  capital   qui  ont  été  publiés  dans  les 
Analecta  juris  pontificii,  1868.  Enfin  on  trouve  une  notice  succincte  et  précise  dans 
J.  Roy,  Nicolas  Ie1'  in-12,  Paris,  1900,  p.  192-197,  avec  la  mention  des  principaux 
manuscrits. 

Quoique  incomplète,  cette  collection  représente  une  des  sources  les  plus  im- 
portantes de  l'histoire  de  ce  temps.  Elle  montre  la  place  prise  par  la  papauté  dans 
la  chrétienté  lors  du  grand  désarroi  qui  suivit  la   mort  de  Charlemagne.  Rome 


270  LIVRE    XXIII 

la   lettre    du    pape    à    l'empereur    ;     d'après    cette    lettre,    voici 
comment  l'empereur  aurait  raconté  les  événements  de  Constanti- 

avait  été  de  tout  temps  un  lieu  de  pèlerinage  fréquenté,  mais  vers  le  pontificat 
de  Nicolas  Ier,  il  semble  qu'un  redoublement  de  ferveur  ou  d'intérêt  se  dirige  vers 
elle.  Rien  de  plus  mêlé  que  la  foule  qu'on  y  voit  apparaître  dans  la  correspon- 
dance papale  :  évêques  qui  s'acquittent  de  leur  pèlerinage  ad  limina,  Epist.,  cv, 
et  qui  mettent  à  profit  ce  long  déplacement  pour  obtenir  quelques  nouveaux  pri- 
vilèges à  leurs  Églises,  Epist.,  xxix;  prêtres  et  clercs  qui  viennent  réclamer  con- 
tre la  justice  diocésaine,  Epist.,  cxvu,  cxxi;  prince  fugitif  sollicitant  la  média- 
tion du  pape  entre  son  suzerain  et  lui,  Epist.,  xxn,  xxm  ;  séculiers  désireux 
d'obtenir  la  protection  du  Saint-Siège  sans  passer  par  la  filière  hiérarchique, 
Epist.,  xxm  ;  pénitents  venant  accomplir  la  peine  à  eux  imposée  par  la  cour 
diocésaine,  et  criminels  venant  solliciter  un  châtiment  non  influencé  par  les  res- 
sentiments  locaux.  Epist.,  xxn,  xxm,  cxvi,  exix,  cxxxvi;  enfin,  évêques  et 
abbés,  clercs  et  moi i.esvenant  défendre  des  causes  pendantes.  Epist.,  xiv,  xxxiv, 
i.,  lu,  lui.  L'Occident  n'était  pas  seul  représenté  ;  l'empereur  de  Byzance 
envoyait  trois  ambassades  au  pape,  Epist.,  xcviii.  Officiers  byzantins  aux 
titres  pompeux  et  passablement  énigmatiques  s'y  rencontrent  avec  les  comtes 
envoyés  par  Charles  le  Chauve,  Epist.,  clv,  et  les  missi  ou  légats  venus  de 
différentes  [contrées.  Le  pape  envoyait  de  son  côté  des  légats,  des  ambassa- 
deurs et  entretient  une  correspondance  étendue.  A  diverses  reprises,  il  écrit  à 
Charles  le  Chauve,  à  Louis  le  Germanique,  à  Lothaire,  au  roi  des  Bretons,  au  roi 
de  Danemark,  au  roi  des  Bulgares  et  à  l'empereur  Michel  III  de  Constantinople. 
Sa  correspondance  avec  les  évêques  est  plus  active  encore,  enfin  quelques  lettres 
ut  pour  destinataires  Ermentrude  ou  Theutberge. 

1  a  correspondance  du  pape  est  bien  souvent  écourtée  faute  de  temps.  La  mul- 
titude  d'affaires  qu'il  avait  à  régler  imposait  à  Nicolas  Ier  des  réponses  sommaires 
faites  en  courant,  cwsini.  Epist.,  xvn,  xxi,  xxvn,  xlvi,  lxvi,  lxxix,  lxxxii, 
lxxxv,  clviii.  Comme  le  porteur  d'une  lettre  était  généralement  chargé  de  la 
réponse,  le  pape  réclame  des  délais.  «Lorsque  vous  nous  adresserez  quelque  mes- 
sager, écrit-il  à  l'archevêque  d'Arles,  veuillez  l'avertir  qu'il  ne  doit  point  se 
montrer  pressé  d'opérer  son  retour  ;  car,  ainsi  que  vous  le  savez,  la  nécessité 
de  répondre  aux  nombreux  fidèles  qui  affluent  vers  le  Saint-Siège,  jointe  à  la  sol- 
licitude que  nous  devons  à  toutes  les  Eglises  de  Dieu,  nous  absorbe  de  telle  ma- 
nière, que  nous  ne  pouvons  donner  aux  intérêts  de  chacun  qu'une  attention 
tardive.  »  Epist.,  clviii.  Dans  une  autre  lettre  le  pape  réclame  que  le  porteur 
fasse  un  séjour  d'un  mois  au  moins  à  Ruine,  Epist.,  lxxxv,  ou  même  plus.  Epist., 

I.XXXVI. 

La  transcription  des  lettres  sur  le  registre  papal  était  une  mesure  de  prudence 
dont  on  eut  souvent  à  vérifier  l'utilité,  mais  c'était  encore  l'occasion  de  retards 
nouveaux  dans  l'expédition.  Sans  doute,  le  pape  était  aidé  de  secrétaires;  nous 

c aissons    trois   d'entre   ceux-ci   qualifiés   du    Litre   de   conseillers,   consiliarios 

nostros,  c'étaient  Rodoaid,  évêque  de  Porto,  Jean,  évèque  de  Fondi,  et  Arsène, 
évêque  d'Horta.  Ce  dernier  remplissait  les  fonctions  de  chancelier  de  l'Église 
romaine  ou  apocrisiaire.  Epis/.,  xxi,  lxxix.  La  correspondance  mentionne 
également   quatre   notaires,    Pierre,    Léon,  Sophrone,  Zacharie   et   leur  primicier 


464.     PREMIERS    CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS  271 

nople.  Ignace,  conscient  de  son  indignité,  quitta  de  lui-même  son 
église  ;  on  tint  un  concile  et  sa  déposition  fut  prononcée.  On  voit 
donc  que,  pour  le  fond,  les  renseignements  donnés  par  Nicétas 
sont  vrais,  sauf  qu'il  attribue  à  Photius  ce  qu'écrivit  l'em- 
pereur et  qu'il  rapporte  l'abdication  volontaire  d'Ignace,  sans 
mentionner  la  sentence  de  déposition  subséquente.  Ce  qu'il  dit 
des  honneurs  rendus  à  Ignace  se  trouve  confirmé  jusqu'à  un  cer- 
tain point  par  cette  phrase  de  la  lettre  de  l'empereur  :  «  On  a 
été,  il  est  vrai,  obligé  de  le  déposer,  mais,  à  part  cela,  nul  ne  l'a 
molesté,  au  contraire  on  l'a  honoré  de  toutes  manières.  »  La  lettre, 
impériale  accusait  Ignace  d'avoir  participé  à  un   crime   de   haute 

Tibère.  A  ceux-ci  appartenait  l'expédition  de  certaines  pièces  de  chancellerie, 
Epist.,  ii,  m,  xxviii,  xxix,  xxx,  xxxu,  lxii,  lxiii,  cf.  lxxvii,  lxxxvii,  mais 
il  y  a  lieu  de  croire  que  le  pape  les  employait  pour  sa  correspondance  politi- 
que. En  effet,  une  lettre  de  Nicolas  Ier  à  l'empereur  Michel,  en  865,  l'une 
des  plus  longues  du  recueil,  a  été  écrite  par  les  notaires  (scrinarii)  Pierre,  Léon 
et  Zacharie.  Epist.,  lxxxvi.  Nicolas  Ier  employait  des  méthodes  différentes 
selon  l'occasion,  tantôt  il  dictait  la  lettre  à  un  notaire,  tantôt  il  se  contentait 
d'en  tracer  le  canevas.  Epist.,  lxxxvi,  cf.  xxvi.  De  même,  dans  la  corres- 
pondance avec  Michel  III,  les  circonstances  pouvaient  amener  le  pape  à  ne 
pas  laisser  partir  une  lettre  déjà  écrite  et  à  la  faire  remplacer  par  une  autre. 
Epist.,  lxxxvi.  Pour  les  lettres  destinées  à  plusieurs  personnages,  les  notaires 
apostoliques  se  contentaient  d'une  unique  expédition  ;  la  première  personne 
aux  mains  de  qui  elle  parvenait  était  chargée  de  mettre  le  document  en  circu- 
lation, Epist.,  xciii,  cxlviii;  il  est  vrai  que  l'ordre  tardait  parfois  à  recevoir 
son  exécution,  comme  dans  le  cas  d'une  lettre  adressée  à  Hincmar  pour  que 
celui-ci  la  transmît  à  divers  destinataires  et  qui  fut  tenue  secrète  pendant 
quatre  mois,  Epist.,  lxxiii,  lxxiv.  Bien  souvent  des  lettres  pontificales 
furent  falsifiées.  Thieutgaud  et  Gûnther,  Epist.,  clv,  Hincmar,  Epist.,  lviii, 
cviii,  Michel  III,  Epist.,  lxxxvi,  n'hésitaient  pas  à  user  de  moyens,  tels  que 
grattages,  substitutions  de  mots  qui  nous  paraissent  infâmes  et  qui,  pour 
les  clercs  du  moyen  âge,  n'étaient  que  de  légères  peccadilles.  On  recou- 
rait en  pareil  cas  aux  registres,  ainsi  que  le  pape  en  fait  ressouvenir  Hinc- 
mar :  «  Lorsque  vous  saviez  cjuc,  selon  une  ancienne  coutume  de  l'Eglise  romaine, 
nous  conservons  dans  des  registres  la  copie  des  actes  expédiés  par  le  Saint-Siège, 
et  que  vous  pouviez  penser  que  nous  avions  vu  de  nos  propres  yeux  une  lettre 
émanée  de  notre  prédécesseur  (Benoît  III),  comment  n'avez-vous  pas  craint 
de  nous  faire  parvenir  un  titre  ainsi  mutilé  ou  falsifié  ?»  Epist.,  cviii.  Toutes  les 
lettres  sans  exception  n'étaienl  pas  ainsi  conservées  dans  les  registres.  En  diffé- 
rentes circonstances,  Nicolas  !''''  mande  soit  à  des  prélats,  soil  à  des  princes,  de 
lui  adresser  des  lettres  qu'ils  pourraient  avoir  conservées  de  lui  ou  de  ses  prédé- 
cesseurs et  qu'il  n'avail  pas  lui-même.  Sur  l'état  des  recueils  de  registres  sous 
Nicolas  Ier  et  l'utilisation  que  ce  pape  en  a  fait,  cf.  F.  Rocquain,  La  papauté 
au  moyen  âge,  in-8,   Paris,  1881,  p.   20-22.   (H.   L.) 


272 


LIVHIÎ     XXIII 


trahison  et  d'avoir  abandonné  de  plein  gré  son  Église1;  ces  deux 
griefs  viennent  en  première  ligne;  nous  en  trouvons  un  troisième 
dans  la  réponse  du  pape  à  l'empereur,  trop  négligée  jusqu'ici  : 
«  Le  concile  qui  va  se  tenir  à  Constantinople  par  mes  légats, 
demandera  compte  à  Ignace  de  n'avoir  pas  suivi  les  ordonnances 
des  anciens  papes  Léon  IV  et  Benoît  III.  »  Après  ce  qu'on  a  lu 
au  début  de  ce  paragraphe,  il  semble  évident  qu'il  s'agit  ici  des 
décisions  prises  à  Rome  au  sujet  de  Grégoire  Asbesta  ;  ainsi 
pour  agir  sur  l'esprit  des  Romains,  les  Byzantins  accusaient  Ignace  [23!)] 
de  désobéissance  au  Saint-Siège,  alléguant  son  retard  et  sa 
négligence  à  faire  approuver  à  Rome  sa  conduite  envers  Gré- 
goire Asbesta. 

Afin  d'atteindre  le  premier  but  de  leur  mission,  c'est-à-dire 
la  confirmation  de  l'élection  de  Photius,  les  Byzantins  crurent 
habile  de  demander  au  pape  (après  la  reconnaissance  de 
Photius)  l'envoi  de  légats  à  Constantinople,  en  vue  d'y  résoudre 
les  divers  conflits  survenus,  d'y  étouffer  les  derniers  restes  de 
l'iconoclasme,qui  couvait  encore  sous  la  cendre  1.  Photius  comme 
Ignace  protégeait  le  culte  des  images,  et  son  orthodoxie  sur  ce 
point  lui  avait  jadis  attiré  les  anathèmes  des  iconoclastes.  Par 
ces  témoignages  de  zèle  contre  les  iconoclastes,  Photius  voulait 
uniquement  gagner  le  pape,  qui,  espérait-il,  saisirait  avidement 
cette  occasion  d'envoyer  des  légats  et  d'intervenir  dans  les  affaires 
intérieures  de  l'Eglise  de  Byzance,  afin  d'affirmer,  une  fois  de  plus, 
la  primauté  romaine.  Le  second  but  des  Byzantins  et  leur  calcul 
secret  étaient  de  prouver  au  monde  entier,  par  l'envoi  à  Constan- 
tinople de  légats  qui  seraient  en  rapport  avec  Photius,  la  légitimité 
du  sacre  de  celui-ci  et  la  futilité  des  attaques  de  ses  adversaires. 
Mais  Nicolas  n'était  pas  homme  à  se  laisser  berner  ;  peut-être 
aussi  lui  avait-on  déjà  fait  connaître,  au  moins  en  partie,  le  véri- 
table   état    des  choses  2.     Il    réunit    aussitôt    un  concile  romain 


1.  Nicolas  Ier,  Epist.  i,  x,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  160,  261;  Hardouin, 
op.  cit,  t.  v,  col.  119,  197. 

2.  F.  Rocquain,  La  papauté'au  moyen  âge,  Nicolas  Ier,  Grégoire  VII,  Inno- 
cent III,  Boniface  VIII,  études  sur  le  pouvoir  pontifical,  in-8,  Paris,  1881.  Cf. 
Elie  Berger,  dans  la  Revue  historique,  1882,  t.  xx,  p.  141-418;  P.  Fournier,  dans  le 
Bulletin  critique,  1883,  t.  iv,  p.  423-427;  Q.  Saige,  dans  la  Bibliothèque  de  V Écol- 
des  chartes,  1882,  t.  xliii,  p.  367-372;  A.  Tachy,  dans  la  Revue  des  sciences  ecclé- 
siastiques, 1883,  série  V,  t.  vin,  p.  125-156,  206-224;  P.  Viollet,  dans  la  Revue  cri- 
tique, 1882,  IIe  série,  t.  xvi,  p.  64-67.  Les  critiques  contenues  dans  ces  recensions, 
notamment  celles  du  Bull,  cril.,  sont  utiles  pour  ramener  à  une  plus  exacte  ap- 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE    PHOTIUS  273 

(860),  communiqua  à  l'assemblée  les  lettres  reçues  de  Byzanee, 
et,  avec  son  assentiment,  envoya  à  Constantinople,  en  qualité 
de  légats  a  latere  (nous  rencontrons  ici  cette  expression  pour  la 
première  fois  dans  l'histoire  de  l'Église),  les  évêques  Rodoald  de 
Porto  et  Zacharie  d'Agnani.  Ils  avaient  mission  d'enquêter  minu- 
tieusement sur  l'affaire  d'Ignace,  et  de  communiquer  fidèlement 
et  en  détail  au  Saint-Siège  le  résultat  de  leurs  recherches  1.  Le  pape 

prédation  une  grande  quantité  d'opinions  lancées  sur  le  rôle  de  Nicolas  Ier,  rôle 
apprécié  avec  plus  de  modération  dans  J.  Roy,  Saint  Nicolas  IeT,  in-8,  Paris, 
1901.  Cf.  J.  Richterich,  Papst  Nikolaus  I.  Eine  Monographie.  Inaugural- 
Dissertation,  in-8,  Bern,  1903.  Parmi  les  travaux  d'ensemble  on  peut  s'aider  de 
R.  Baxmann,Z)ie  Politik  der  Pàpste,  t.  n,  p.  1-28;  E.  Dùmmler,  Geschichte  des 
ostfrànkischen  Reiches,  2e  édit.,  t.  n,  p.  52-217;  B.  Niehues,  Geschichte  der  Verhàlt- 
nissen  zwischen  Kairsertum  und  Papslum  im  Miltelalter,  t.  n,  p.  199-316; 
Langen,  Geschichte  der  romischen  Kirche  von  Nikolaus  I  bis  Gregor  VII, 
p.  1-113;  A.  Hauck,  Kirchengeschichte  Deulschlands,  2e  édit.,  t.  n,  p.  533-557; 
J.  Richterich,  dans  la  Revue  internationale  de  théologie,  t.  ix,  p.  560,  735;  t.  x, 
p.  116,  512;  t.  xi,  p.  46;  H.  Bôhmer,  Nikolaus  I,  dans  Realencyklopàdie  fur  pro- 
test. Theol.    und  Kirche,  1904,  t.  xiv,  p.  68-72.  (H.  L.) 

1.  L'addition  qui  se  trouve  dans  l'epist.  i  du  pape  Nicolas  :  «  Ignace  a  été  chassé 
avant  qu'on  eût  formulé  la  moindre  accusation  contre  lui,  »  n'a  pas  été  écrite 
avant  l'exemplaire  remis  aux  légats  :  elle  n'a  dû  l'être  que  plus  tard,  lorsque  le 
pape  rédigea  cette  epist.  i  et  après  avoir  reçu  d  autres  renseignements  de  Constan- 
tinople. A  l'époque  où  les  légats  furent  envoyés,  il  ne  connaissait  pas  encore  ce 
détail,  ainsi  que  le  prouve  sa  première  lettre  à  l'empereur.  [Nicolas  continuait, 
et  avec  plus  d'énergie,  la  politique  inaugurée  par  ses  prédécesseurs.  Il  ne  faut 
pas  oublier  que  sous  le  conflit  de  Photius  et  d'Ignace,  les  papes  voyaient  des  in- 
térêts très  personnels  à  poursuivre,  notamment  en  ce  qui  concernait  l'affran- 
chissement de  l'Eglise  de  toute  sujétion  envers  les  pouvoirs  temporels.  Ce 
qu'à  grand'peine  on  avait  arraché  aux  empereurs  de  Constantinople,  le  droit  de 
confirmer  l'élection,  allait-on  le  transférer  bénévolement  aux  empereurs  d'Occi- 
dent ?  Nicolas  Ier  se  préoccupait  vivement  d'assurer  la  complète  indépendance 
de  l'Eglise  et  des  élections  pontificales.  C'est  cette  préoccupation  qui  explique 
l'ardeur  apportée  par  le  pape  à  la  défense  des  libertés  de  l'Église  contre  Photius. 
L'ambition  de  ce  dernier  l'avait  poussé  à  des  maladresses  qui  faisaient  au  pape 
la  partie  belle.  Au  nom  des  canons,  il  revendiquait  son  droit  de  juger  Ignace  de 
Constantinople  accusé  et  déposé  de  son  siège.  Ainsi,  par  une  précipitation  mala- 
droite, l'empereur  et  Photius  s'étaient  exposés  à  entendre  un  pape  revendiquer 
sa  suprématie  sur  ce  même  siège  de  Constantinople  qu'on  s'ingéniait  depuis  des 
siècles  à  lui  soustraire.  Le  débat  intéressait  donc  non  seulement  l'indépendance 
de  l'Eglise,  mais  encore  la  primauté  du  pape;  Nicolas  Ier  n'avait  pu  manquer  de 
s'en  apercevoir  et  sa  politique  religieuse  se  trouvait  pleinement  d'accord  en  Occi- 
dent et  en  Orient.  La  déposition  du  patriarche  Ignace  était  un  tissu  d'illégalités. 
Non  seulement  on  avait  négligé  de  recourir  au  pape,  mais  encore  c'était  l'empe- 
reur Michel  III  lui-même  qui  avait  dépossédé  Ignace  et  réuni  le  concile  dont  la 

CONCILES  —  1  V—    18 


274  LIVRE    XXIII 

se  réserva   le   soin   de    prononcer    le  jugement.  On  ne    reconnut 
pas  la  légitimité  du  sacre  de  Photius  que  les  légats  reçurent  ordre 
de  traiter  comme  un  laïque.    Ils  n'étaient  autorisés  à  agir  sans 
nouvelles   instructions   de    Rome  x   que   dans   l'affaire   des   icono- 
clastes. Le  pape  leur  remit  en  même  temps  deux  lettres,  adressées  [^OJ 
l'une  à  l'empereur  et  l'autre  à  Photius,  toutes  les  deux  datées  du 
25  septembre  860.  La  lettre  à  l'empereur  met  en  relief  dès  le  début 
les  droits  du  pape,  et  blâme  la  déposition  d'Ignace  sans  l'assen- 
timent de  Rome  et  dans  un  concile  tenu  à  Constantinople  ;   «  on 
avait  dans  cette  affaire,  au  mépris  de  tous  les  canons,  ouï  comme 
témoins  et  accusateurs  contre  Ignace  ses  ennemis  déclarés,  ainsi 
qu'il  ressortait  de  la  lettre  de  l'empereur.  On  avait  également  eu 
tort  d'élever  un  laïque  sur  le  siège  patriarcal,  ce  que  les  conciles 
et  les   papes   avaient   défendu   à   plusieurs   reprises   (citations   de 
textes).  Il  attendrait,  pour  statuer  sur  la  consécration  de  Photius, 
le  rapport   de   ses  légats   sur  les   événements  de  Constantinople  : 
on  devait  introduire  Ignace  en  présence  du  concile  que  les  légats 
allaient  tenir,   et  lui  demander  ses  raisons  pour  avoir  quitté  de 
son  plein  gré,  par    conséquent    au    mépris    des  canons,  son  Egli- 
se,   et  transgressé    les   ordonnances   des   papes   Léon    IV   et   Be- 
noît  III.    Il   était   également  nécessaire   d'examiner   si  les  règles 
canoniques  avaient  été  observées  dans  l'acte    de  déposition    d'I- 
gnace.» Nicolas  passe  ensuite   à  la  question  des  images  et  expose 
rapidement  son  sentiment  et  celui  de  ses  prédécesseurs  sur  cette 
affaire.  Enfin  il  demande  restitution  au  Siège  de  Rome  du  droit 


servilité  lui  avait  accordé  sans  résistance  les  services  qu'il  en  attendait.  La  dépo- 
sition ainsi  obtenue  avait  été  signée  par  l'empereur  passant  avant  tous  les  évê- 
ques.  Abstraction  faite  des  questions  qui  touchaient  à  la  primauté  du  siège  de 
Rome  et  de  quelques  manquements  qui  n'étaient  pas  incorrigibles,  tels  que  l'ordi- 
nation de  Photius  passant  en  six  jours  du  rang  de  laïque  à  la  dignité  patriarcale, 
les  événements  d'Orient  entraînaient  surtout  l'avilissement  de  l'Eglise  et  sa  sou- 
mission au  pouvoir  séculier.  C'était  ce  que  Nicolas  ne  consentirait  à  supporter 
à  aucun  prix. 

Son  choix  tomba  sur  deux  évêques  qui  se  laissèrent  corrompre.  L'histoire  de  la 
diplomatie  pontificale  depuis  ses  premières  relations  au  ive  siècle  avec  les  évêques 
de  Constantinople  offre  plusieurs  fois  la  répétition  d'un  fait  de  ce  genre.  Le  per- 
sonnel donl  disposaient  les  papes  était  sans  doute  limité,  mais  néanmoins  c'était 
jouer  de  malheur.  L'histoire  diplomatique  de  Rome  et  de  Byzance  serait  un  cu- 
rieux récit  dont  il  n'existe  que  des  chapitres  disséminés.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

1.  Nicolas,  Epist.,  i  et  x,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  160,  261,  et  dans  Har- 
douin,  op.  ciï.,rt.  v,  col.  119,  197. 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE    PHOTIUS  275 

enlevé  par  Léon  l'Isaurien,  de  nommer  l'archevêque  de  Thessa- 
lonique,  vicaire  apostolique  pour  l'Épire,  l'Illyrie,  la  Macédoine, 
la  Thessalie,  l'Achaïe  et  la  Dacie.  Il  réclame  également  les  biens  de 
l'Eglise  romaine  situés  en  Calabre  et  en  Sicile,  dont  l'empereur 
s'est  emparé.  Enfin  la  pape  revendique  le  droit  d'ordonner  l'ar- 
chevêque de  Syracuse  1. 

La  lettre  du  pape  à  Photius  est  beaucoup  plus  courte.  Nicolas 
y  exprime  sa  joie  de  l'orthodoxie  de  Photius,  regrettant  toutefois 
son  ordination  précipitée  et  contraire  aux  règles  canoniques,  ce 
qui  l'oblige  à  remettre  la  reconnaissance  de  sa  consécration  après 
le  rapport  détaillé  de  ses  légats  2. 

Les  légats,  à  leur  arrivée  à  Constantinople,  furent  tenus  éloignés 
de    toute    communication    avec   les    Grecs,    afin    de    n'en    obtenir 
aucun  renseignement  utile.  On  employa  à  leur  égard  les  moyens 
r ji  d'intimidation  ;   on  les  menaça  de  l'exil  et  d'autres  peines,   s'ils 
n'accédaient  aux  désirs  de  l'empereur.  Après  trois  mois  de  résis- 
tance, les  légats  fléchirent  et  manquèrent  à  leur  devoir3.  Photius 
réunit  aussitôt,  en  présence  de  l'empereur,  des   légats,  des   grands 
de  l'empire  et  d'une  foule  de  peuple,  un  prétendu  concile  général 
dans  l'église  des  Saints-Apôtres  à  Constantinople,  au  mois  de  mai 
861.    On  y  avait  convoqué,   pour  ne   pas   dire   conduit  de  force, 
trois  cent  dix-huit  membres,  afin  de  pouvoir  comparer  ce  conci- 
liabule avec  le  concile  de  Nicée  4.  Comme  il  comprend  deux  parties, 
on  a  souvent  parlé  du  premier  et  du  deuxième  concile  de  Photius 
tenus  en  861  ;  le  pape  l'appela  (epist.  x)  un  nouveau  brigandage. 
L'assemblée   se   proposait   de   statuer   solennellement   et   définiti- 
vement  au   sujet   du   siège   de   Constantinople,   soit   en   décidant 
[gnace    à    l'abdication,     soit    en    prononçant    sa    déposition.    On 
l'avait   dans   ce   but  amené   à   Constantinople,   et  il  fut  officielle- 
ment  cité   à   comparaître    devant    le    concile,     par    une    seconde 
citation,     indûment  libellée  au  nom  des    légats  du    pape.    Ignace 


1.  Nicolas  Ier,  Epist.,  11,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  162;  t.  xvi,  col.  59; 
Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  121,  802;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  415  sq. 

2.  Nicolas  Ier,  Epist.,  i  et  iv. 

3.  Nicolas  Ier,  Epist.,  vi  et  x;  Nicetas,  Vita  S.  Ignatii,  dans  Mansi,  op.  cit., 
t.  xvi,  col.  246;  Hardouin,  op.  cit.,  I.  v,  col.  971  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  419. 

4.  Au  sujet  de  ce  concile  voir  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  420-438.  [Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  652-653;  735-736,  1511;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1195; 
Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  187  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  595  ;  A.  Vogt,  Basile  Ier, 
p.  207-208.  (H.  L.) 


27H  i,i  \  re  xxiii 

s'y  rendit  dans  ses  vêtements  patriarcaux,  entouré  d'évêques  et 
de  moines  ;  arrivé  à  pied  dans  l'église  des  Apôtres,  un  fonctionnaire 
lui  intima  l'ordre  de  la  part  de  l'empereur,  et  sous  peine  de  mort, 
de  ne  pénétrer  dans  l'assemblée  que  sous  des  habits  de  moine  1.  Il 
se  soumit  à  la  force,  fut  séparé  de  son  cortège,  et  conduit  devant 
l'empereur  par  trois  clercs,  qui  étaient  au  service  du  concile  et 
qui  l'abreuvèrent  d'injures  2.  Le  prince  lui  parla  avec  irritation 
et  lui  ordonna  de  s'asseoir  sur  un  simple  banc  de  bois.  Ce  banc 
était  probablement  dans  la  salle  des  sessions  de  l'assemblée,  et 
je  ne  partage  pas  l'opinion  de  Fleury,  d'après  lequel  Ignace  ne 
fut  mis  en  présence  du  concile  que  quinze  jours  plus  tard. Il  de- 
manda avant  tout  de  saluer  les  légats  romains,  et  s'enquit  s'ils  ne  lui 
avaient  pas  apporté  une  lettre  du  pape.  Les  légats  répondirent 
qu'il  n'était  plus  patriarche,  ayant  déjà  été  jugé  par  un  concile 
provincial,  et  qu'ils  étaient  prêts  à  examiner  canoniquement  son 
affaire.  Ignace  répondit  que  leur  devoir  était  d'éloigner  Photius 
l'intrus  (il  l'appelle  adultère,  pour  avoir  mis  la  main  sur  l'Eglise 
de  Constantinople  avec  laquelle  Ignace  avait  contracté  un  mariage  [242] 
mystique).  S'ils  n'agissaient  pas  ainsi,  il  ne  pouvait  les  reconnaître 
pour  ses  juges.  Après  qu'Ignace  se  fut  refusé  à  plusieurs  reprises 
à  l'abdication,  on  leva  la  séance  (première  session).  Ignace  cité 
à  comparaître  un  autre  jour  s'y  refusa,  déclarant  ne  pas  recon- 
naître des  juges  corrompus  et  en  appeler  au  pape.  Il  invoqua  à 
l'appui  une  lettre  du  pape  Innocent  Ier  en  faveur  de  saint  Jean 
Chrvsostome,  le  4e  canon  de  Sardique  et  d'autres  pièces  qu'il 
avait  fait  remettre  aux  évêques  dans  l'intérêt  de  sa  défense. 
Sur  de  nouvelles  instances  pour  qu'il  comparût  en  personne,  il 
se  rendit  dans  l'assemblée  et  dit  :   «    Vous  n'avez  donc  pas  lu  les 

1.  Nicetas,  Vita  S.  Ignatii,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  238;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  966. 

2.  De  tous  les  griefs  formulés  contre  Ignace,  on  en  retint  un  seul  et  on  lui 
appliqua  le  canon  31e  des  canons  apostoliques:»  Quiconque  aura  obtenu  une 
dignité  ecclésiastique  au  moyen  des  dépositaires  du  pouvoir  civil  devra  être  dé- 
posé. »  Par  force,  on  le  contraignit  à  tracer  une  croix  sur  un  acte  d'abdication 
auquel  on  ajouta  :  «  Moi,  très  indigne  Ignace  de  Constantinople,  je  reconnais 
être  devenu  évêque  sans  élection,  ityrffioToç,  et  j'avoue  également  avoir... 
gouverné  non  pas  d'une  manière  sainte,  mais  d'une  façon  tyrannique.  »  Vita 
Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  521.  On  chercha  à  s'en  débarrasser,  Ibid.,  col.  513, 
en  lui  faisant  crever  les  yeux.  Ibid.,  col.  521-524.  Cf.  P.  Bernardakis,  Les  appels 
au  pape  dans  l'Eglise  grecque  jusqu'à  Photius,  dans  les  Echos  d'Orient,  1903, 
t.  vi,  p.  254-257.  (H.  L.) 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS  277 

canons?  D'après  eux,  un  évêque  ne  peut  être  cité  à  se  rendre 
devant  un  concile  que  par  deux  autres  évêques.  Vous,  au  contraire, 
vous  m'envoyez  simplement  un  sous-diacre  et  un  laïque.  »  On 
lui  répondit  :  <c  Tu  n'es  pas  évêque  légitime,  tu  es  intrus,  arrivé 
par  la  puissance  de  l'empereur,  à  la  place  que  tu  occupais.  »  Il 
répliqua  :  «  Si  je  ne  suis  pas  archevêque,  tu  n'es  pas  empereur, 
et  ceux-ci  ne  sont  pas  des  évêques,  car  je  vous  ai  tous  ordonnés; 
Photius  non  plus  n'est  pas  évêque»  (ayant  été  élu  par  ceux  qu'I- 
gnace avait  ordonnés).  Après  quelques  attaques  contre  Photius, 
Ignace  demanda  à  tous  les  évêques  présents  d'attester  qu'il  avait 
été  élu  et  ordonné  d'une  manière  légitime  ;  mais  ils  n'osèrent 
pas  sachant  ce  qu'il  en  avait  coûté  au  métropolitain  d'Ancyre 
pour  avoir  tenu  un  langage  courageux.  Aussi  se  bornèrent-ils  à 
exhorter  Ignace  à  l'abdication.  On  annonça  une  nouvelle  session 
pour  le  lendemain  ;  mais  Ignace  ne  comparut  devant  le  concile 
que  dix  jours  plus  tard  l.  Soixante-douze  témoins  de  basse 
condition,  et  dont  plusieurs  avaient  été  gagnés  à  prix  d'argent 
ou  par  d'autres  moyens,  attestèrent  sous  la  foi  du  serment  qu'I- 
gnace avait  été  ordonné  sans  vote  préliminaire  (des  évêques),  et 
mis  en  possession  de  son  siège  par  la  force.  Aussi  lui  appliqua- 
t-on  le  31e  (29)  canon  apostolique,  ainsi  conçu  :  «  Quiconque 
aura  obtenu  une  dignité  ecclésiastique  grâce  aux  dépositaires 
du  pouvoir  civil,  devra  être  déposé.  »  Nicétas  dit  que,  pour 
être  logiques,  les  membres  du  concile  auraient  dû  donner  aussi 
3J  la  seconde  partie  de  ce  canon  :  «  Celui  qui  aura  été  en  commu- 
nion avec  un  tel  homme  sera  lui-même  excommunié  ;  »  ils  se 
seraient  anathématisés  eux-mêmes,  ayant  été  onze  ans  en  rela- 
tions ecclésiastiques  avec  Ignace.  Nicétas  ajoute  que  cette  accu- 
sation n'avait  aucun  fondement,  puisque  Ignace  avait  été  élu 
par  le  choix  unanime  des  évêques  et  l'assentiment  de  tout  le  peu- 
ple. 

Le  concile  procéda  ensuite  à  la  dégradation  d'Ignace.  On  le 
revêtit  de  ses  habits  pontificaux  déjà  déchirés  et  couverts  de 
poussière;  on  lui  mit  l'étole,  puis  on  lui  enleva  le  tout  en  criant 
àvâ^ioç,  les  légats  du  pape  criant  comme  les  autres.  Il  ne 
restait  qu'à  faire  souscrire  Ignace  à  sa  déposition.  On  usa,  pendant 


1.  Nous  puisons  tous  ces  détails  dans  une  lettre  écrite  par  Ignace  lui-même, 
par  l'intermédiaire  du  moine  Théognoste,  qui  la  fit  parvenir  au  pape;  dans  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xvi,  col.  259  sq.  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1014  sq. 


278  LIVRE     XXIII 

deux  semaines,  de  toutes  sortes  de  moyens  pour  l'y  amener  ;  il 
refusa  constamment,  et  l'un  de  ses  gardiens  nommé  Théodore 
dut  lui  tenir  de  force  la  main  pour  lui  faire  tracer  une  croix  au 
bas  de  l'acte  d'abdication.  Photius  y  ajouta  :  «  Moi,  très  in- 
digne Ignace,  je  reconnais  être  devenu  évêque  sans  élection  pré- 
liminaire, et  j'avoue  également  avoir  gouverné,  non  d'une  ma- 
nière sainte,  mais  d'une  façon  tyranique.  »  Ignace  sortit  de 
prison,  et  on  le  laissa  quelque  temps  tranquille  dans  la  maison 
dont  il  avait  hérité  de  sa  mère.  C'est  probablement  alors  qu'il 
envoya  à  Rome  le  document  composé  avec  le  secours  de  Théo- 
gnoste  et  dont  nous  avons  déjà  parlé.  On  voulut  le  faire  compa- 
raître une  fois  de  plus  devant  le  concile  pour  lire,  du  haut  de 
l'ambon,  sa  sentence  de  déposition.  On  devait  ensuite  lui  crever 
les  yeux;  mais  il  prit  la  fuite  lors  de  la  Pentecôte  (25  mai  861),  et 
se  cacha  successivement  dans  des  îles,  des  monastères,  des  caver- 
nes, des  déserts,  pourchassé  comme  une  bête  fauve  par  les  limiers 
de  l'empereur,  qui  souvent  ne  surent  le  reconnaître  quand  ils 
se  trouvèrent  en  sa  présence.  Au  mois  d'août  861,  un  tremble- 
ment de  terre  violent  et  prolongé  ayant  ébranlé  Constantinople, 
le  peuple  y  vit  une  punition  divine  des  mauvais  traitements  infli- 
gés à  Ignace  ;  celui-ci  eut  la  permission  de  revenir,  et  dès  lors 
vécut  en  paix  dans  son  monastère  1. 

Le  pape  Nicolas  désirait  que  l'empereur  communiquât  au  con- 
cile la  lettre  du  Siège  de  Rome  ;  dans  le  cas  contraire  Nicolas 
avait  recommandé  à  ses  légats  d'en  donner  lecture,  et  les  avait, 
à  cette  fin,  pourvus  d'une  copie  très  exacte.  Mais  tant  qu'il 
s'agit  du  jugement  d'Ignace,  l'empereur  et  les  légats  tinrent  [244] 
secrète  la  lettre  du  pape  ;  ils  la  lurent  dans  la  seconde  période 
du  concile,  dans  le  conventus  ou  concilium  tenu  plus  tard,  ainsi 
que  s'exprime  le  pape  Nicolas  (epist.  x),  et  encore  ne  présentèrent- 
ils  à  l'assemblée  qu'un  exemplaire  tronqué  dans  lequel  on  avait 
pratiqué  arbitrairement  des  additions,  des  changements  ou  des 
coupures,  si  bien  qu'il  n'y  était  plus  question  d'Ignace.  On  avait, 
en  particulier,  supprimé  les  passages  dans  lesquels  le  pape  blâ- 
mait la  déposition  d'Ignace  faite  d'une    manière    peu    canonique 


1.  Nicetas,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  238-246;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v, 
col.  966-971.  Voyez  Jos.  Simon  Assemani,  Biblioth.  juris  Orient.,  t.  i,  p.  124  sq.  ; 
Baronius,  Annales,  ad  ann.  861,  n.  1  sq.;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  434  sq. 
460  sq. 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS  279 

et  sans  l'assentiment  de  Rome,  ainsi  que  l'élévation  irrégulière 
de  Photius.  Les  actes  du  conciliabule  de  Constantinople  envoyés 
à  Rome  prouvaient  que  les  choses  se  passèrent  ainsi 1.  Les  déci- 
sions prises  dans  le  second  corwentus  au  sujet  des  iconoclastes 
séparées  des  décisions  du  premier  concile,  furent  également 
envoyées  au  pape  ;  mais  elles  sont  malheureusement  perdues, 
ainsi  que  les  premières  (il  est  difficile  d'admettre,  avec  quelques 
historiens,  que  les  partisans  d'Ignace  aient  fait  disparaître  ces 
pièces).  Aussi  ne  possédons-nous  de  ce  conciliabule  que  dix- 
sept  canons  2. 

Les  six  premiers  traitent  de  la  réforme  de  la  vie  des  moi- 
nes ;  le  7e  défend  aux  évêques  de  fonder  des  monastères,  en 
les  dotant  avec  les  biens  des  églises,  parce  que  plus  d'un  évêque 
a  ainsi  ruiné  le  patrimoine  de  ses  églises.  8.  Quiconque  s'est 
mutilé  lui-même  ne  peut,  conformément  aux  canons  ecclé- 
siastiques, devenir  prêtre.  9.  Les  clercs  ne  doivent  châtier  que 
par  des  paroles  et  non  par  des  coups  :  conformément  aux  pres- 
criptions du  28e  (26e)  canon  apostolique.  10.  Conformément  au 
73e  (72e)  canon  apostolique,  quiconque  se  sera  approprié  ou  un 
vase  sacré,  ou  un  ornement  d'église,  ou  un  linge  d'autel,  etc.,  et 
l'aura  employé  à  des  usages  profanes,  sera  déposé.  11.  Aucun 
clerc  ne  doit  accepter  de  charges  civiles.  12.  Aucun  ne  doit  célé- 
brer dans  des  chapelles  privées  sans  la  permission  des  évêques. 
13.  Aucun  prêtre  ou  diacre  accusant  son  évêque  d'un  délit,  ne 
doit  abandonner  sa  communion  avant  que  l'évêque  ait  été  jugé 
par  une  sentence  synodale.  14-15.  Il  en  sera  de  même  de  l'évêque 
à  l'égard  de  ses  métropolitains  et  des  patriarches  à  l'égard  les 
uns  des  autres  (stipulation  favorable  à  Photius,  qui  voulait 
amener  par  là  le  clergé  à  le  reconnaître).  16.  On  ne  doit  ins- 
tituer un  nouvel  évêque  pour  une  Église,  si  l'évêque  posses- 
seur de  cette  Eglise  vit  encore  et  exerce  ses  fonctions.  On  excepte 
les  cas  où  l'évêque  abdique  de  lui-même  ou  est  légitimement 
5.5]  déposé.  Si,  sans  abdiquer,  un  évêque  abandonne  son  Eglise 
et  s'absente  pendant  six  mois,  il  sera  déposé,  et  un  autre  sera 
élu  à  sa  place  (on  voulait,  par  ce  canon  16e,  reconnaître  le 
principe  énoncé   par     Rome,   sans  toutefois  renoncer   à    défendre 


1.  Nicolas  Ier,  Episl.,  x,  dans  Mansi,  op.  cit..  t.  xv,  col.  242-244  ;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  198  sq. 

2.  Dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  535  sq.  ;  Hardouin.  op.  cit.,  t.  v,  col.  1197  sq. 


280 


LIVRE     XXIII 


l'élévation  de  Photius,  et  pour  cela  on  prétendait  qu'Ignace 
avait  abdiqué  de  plein  gré,  c'est-à-dire  s'était  volontairement 
éloigné  de  son  siège).  17.  Aucun  laïque  ou  moine  ne  doit 
être  élevé  trop  rapidement  à  l'épiscopat  et  avant  d'avoir  subi  de 
longues  épreuves.  Si  jusqu'ici  quelques  hommes  de  distinction 
ont  été,  pour  de  graves  raisons,  déclarés  immédiatement  dignes  de 
l'épiscopat,  il  ne  devra  plus  en  être  ainsi  à  l'avenir  (ici  on  adhé- 
rait au  principe  émis  par  Rome,  sans  renoncer  à  sauver  Photius). 

De  retour  à  Rome,  les  légats  du  pape  dirent  que  la  dépo- 
sition d'Ignace  avait  été  confirmée  à  Constantinople  et  que 
Photius  avait  été  reconnu  par  tous.  Ils  n'ajoutèrent  rien  sur  la 
manière  déplorable  dont  ils  avaient  rempli  leur  mission.  Deux 
jours  plus  tard  arriva  à  Rome,  en  qualité  d'ambassadeur  de  son 
maître,  le  secrétaire  intime  et  impérial  Léon,  porteur  des  lettres 
de  Photius  et  de  l'empereur,  et  de  deux  volumes  séparés  conte- 
nanties  actes  des  assemblées  tenues  au  sujet  d'Ignace  et  sur  la 
question  des  images  1.  La  lettre  de  l'empereur  au  pape  est  perdue, 
nous  ne  la  connaissons  que  par  la  réponse  de  Nicolas;  en  revan- 
che, nous  possédons  la  longue  lettre  de  Photius,  vrai  modèle  de 
finesse   byzantine   et   d'éloquence  2. 

Elle  commence  ainsi  :  «  Rien  n'est  si  précieux  que  l'amour  ; 
il  enseigne,  par  exemple,  aux  inférieurs  à  supporter  les  caprices 
de  leurs  supérieurs  3.  Il  empêche  la  division  de  s'introduire  dans 
les  familles...  C'est  aussi  l'amour  qui  me  détermine  à  ne  pas 
discuter  les  reproches  de  Votre  Sainteté.  Ornée  de  tant  de  qualités, 
elle  aurait  dû  considérer  avant  tout  que  je  n'ai  accepté  ce  joug 
qu'à  contre-cœur,  et,  au  lieu  de  blâme,  elle  aurait  dû  me  témoi- 
gner de  la  compassion.  On  m'a  fait  violence,  on  m'a  emprisonné 
comme  un  criminel,  on  m'a  élu  malgré  mes  protestations.  J'ai 
abandonné  une  vie  tranquille  pour  l'échanger  contre  une  existence 
pleine  de  labeurs.  »  Photius  décrit  ensuite,  sur  le  ton  d'une  idylle,    [266] 


1.  Nicolas,  Epist.,  x,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  243;  Hardouin,  op.  cit., 
t.  v,  col.  199. 

2.  Elle  est  en  latin  dans  Baronius,  Annales,  ad  ami.  861,  n.  34  sq.  ;  elle  a  été 
publiée  pour  la  première  fois  en  grec  dans  le  'Yop.o:  •/apâ;  et  réimprimée  dans  l'ou- 
vrage de  l'abbé  Jager,  op.  cit.,  439,  qui  l'a  traduite  en  français,  p.  59.  On  la  trouve 
aussi  en  allemand  dans  l'analyse  détaillée  d'Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  i,  p.  439 
sq. 

3.  Phrase  insidieuse  !  Le  pape  pouvait  conclure  de  là  que  Photius  le  regardait 
comme  son  supérieur,  et  cependant  Photius  ne  le  disait  pas. 


'H'.'j       PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET     DE     PHOTIUS  281 

les  charmes  de  sa  vie  antérieure;  il  parle  de  sa  gloire  comme  savant 
et  comme  docteur,  et  y  oppose  les  soucis  de  sa  nouvelle  position, 
qu'il  est  prêt  encore  à  abandonner  volontiers.  On  lui  reproche, 
continue-t-il,  d'avoir  par  son  élévation  trop  rapide,  agi  en  oppo- 
sition avec  les  canons;  s'il  en  est  ainsi,  ce  n'est  pas  à  lui  qu'il  faut 
s'en  prendre,  c'est  à  ceux  qui  l'ont  promu  malgré  lui.  Il  avait 
vigoureusement  résisté,  et  si  sa  mort  avait  dû  être  utile  à  l'Eglise, 
il  se  serait  volontiers  laissé  tuer,  plutôt  que  d'accepter  cette  charge. 
Mais  les  canons  en  question  n'ont  jamais  été  reçus  à  Constanti- 
nople,  et  Tarasius,  son  grand-oncle,  ainsi  que  Nectaire,  les  lu- 
mières de  l'Église  grecque,  ont  été  élevés  sans  transition  de  la 
condition  laïque  à  l'épiscopat.  Viennent  ensuite  d'autres  exem- 
ples :  ainsi  celui  de  saint  Ambroise.  Il  ne  faut  pas  oublier 
que  dans  diverses  parties  de  l'Eglise  on  trouve  des  diiférences, 
sans  que  l'unité  ait  à  en  souffrir.  Chez  les  Latins,  par  exemple, 
les  ecclésiastiques  laissent  croître  la  barbe  et  les  cheveux,  ce  qui 
est  défendu  chez  les  Grecs.  De  même,  les  Latins  ont  une  manière 
particulière  de  jeûner  ;  leurs  prêtres  observent  le  célibat  et 
ils  ordonnent  les  diacres  à  l'épiscopat  per  saltum.  Les  diffé- 
rences au  point  de  vue  liturgique  sont  beaucoup  plus  nombreuses 
(Photius  en  a  fait  plus  tard  aux  Latins  de  très  vifs  reproches). 
Si  on  compare  les  accusations  portées  contre  lui  avec  les  points 
qu'il  vient  d'énumérer,  il  est  facile  de  constater  son  entière  inno- 
cence. Certaines  des  actions  qu'il  vient  de  citer  sont  tout  à 
fait  défendues;  d'autres  au  contraire  (ce  qu'on  lui  reproche), 
se  rencontrent  dans  la  vie  des  hommes  les  meilleurs  et  les  plus 
dignes  d'éloges,  par  exemple  Tarasius,  etc.  :.  De  fait,  on  a  tou- 
jours agi  ainsi;  et  on  à  pu  l'affirmer  en  toute  sincérité,  il  en  a 
été  de  même  cette  fois  (pour  l'élection  de  Photius).  Celui-là  du 
reste  mérite  l'estime  qui,  sans  être  clerc,  a  vécu  de  telle  sorte 
que  les  clercs  l'ont  préféré  à  tous  leurs  collègues.  Il  y  a,  au 
contraire  (chez  les  Latins),  des  pratiques  différentes  qu'on  ne 
peut  suivre  sans  péché  ;  mais  on  ne  veut  pas  convenir  que 
cette  manière  de  faire  soit  gravement  désordonnée.  Tel  l'abus  du 
chrétien  qui  observe  le  sabbat  et  tient  le  mariage  pour  défendu, 
(Photius  interprète  ici  d'une  manière  fantaisiste  le  célibat  ecclé- 
siastique  et  le  jeûne  du  samedi  chez  les  Latins  ;  il   insinue  contre 


1.  Cf.  §  482. 


282 


LIVRE    XXIII 


Rome  des  accusations  qu'il  reprendra  plus  tard  si  son  élévation 
au  patriarcat  est  contestée).  Du  reste,  pour  donner  au  pape  des 
preuves  de  son  obéissance,  il  a  pris  soin  de  faire  sanctionner  [247] 
par  un  concile  général  (c'est-à-dire  son  conciliabule)  le  prin- 
cipe romain  :  à  savoir  qu'aucun  laïque  ne  doit  être  élevé  à 
l'épiscopat,  ce  dont  on  fait  une  règle  ferme  pour  l'avenir.  Quel 
bonheur  pour  lui  si  cette  règle  avait  été  en  vigueur  à  Constan- 
tinople  (il  ne  serait  pas  devenu  évêque)  !  L'Église  de  Constan- 
tinople  est  remplie  de  pécheurs,  de  schismatiques,  d'héréti- 
ques. A  l'aide  des  légats  du  pape,  on  a  pris  en  main  les  inté- 
rêts de  cette  Eglise  ;  non  seulement  on  a  réglé  l'élévation  à 
l'épiscopat,  mais  on  a  reçu  d'autres  canons  de  Rome  pour 
faire  honneur  à  l'Eglise  romaine,  qui  a  toujours  su  éteindre 
tous  les  schismes.  Ce  concile  aurait  reçu  toutes  les  règles  pro- 
posées par  le  pape,  si  l'empereur  y  avait  consenti.  Quant 
aux  évêques  autrefois  ordonnés  à  Rome  2,  les  légats  deman- 
daient à  ce  qu'ils  fussent  rattachés,  comme  autrefois  à  cette 
Eglise.  Photius  était  tout  prêt  à  faire  cette  concession  au 
pape;  malheureusement,  des  considérations  politiques  et  terri- 
toriales s'y  opposaient  ;  les  légats  donneraient  sur  ce  point  des 
explications  nécessaires.  Il  allait  oublier  un  détail.  Plus  on  est 
élevé  en  dignité,  mieux  on  doit  observer  les  canons.  Le  pape 
ne  devait  donc  recevoir  aucun  de  ceux  qui  se  rendaient  de 
Constantinople  à  Rome  pour  y  semer  la  discorde,  des  litterse 
commendatitiœ.  Des  malfaiteurs  de  toute  sorte  avaient  récem- 
ment pris  la  fuite  sous  divers  faux  prétextes  (par  exemple, 
qu'ils  ne  voulaient  pas  être  en  communion  avec  Photius),  en 
réalité,  afin  d'échapper  à  la  peine  qui  les  attendait.  » 

Au  reçu  de  cette  lettre,  le  pape  réunit  son  clergé  en  concile 


1.  La  traduction  latine  qui  se  trouve  dans  Baro nius,  loc.  cit.,  rend  aoroOsv  par 
ex  se,  et  de  même  Jager  traduit  :  «  qui  ont  été  ordonnés  de  leur  propre  autorité  ;  » 
la  première  traduction  est  aussi  fautive  que  la  seconde. 

2.  On  a   ici  en  vue  les     métropolitains    de  Thessalonique,    Syracuse,    etc 

Jager,  op.  cit.,  p.  73,  croit  au  contraire  qu'il  s'agit  des  clercs  ordonnés  par 
Ignace  pour  les  Bulgares,  mais  il  se  trompe.  D'ailleurs  il  dit  à  la  page  130 
que  les  Bulgares  avaient,  en  864,  demandé  pour  la  première  fois  les  prê- 
tres de  Constantinople.  Dans  la  première  édition  nous  avions  traduit  ào7o*kv 
par  «  d'ici  »,  c'est-à-dire  de  Constantinople.  mais  Hergenrôther,  op.  cit., 
p.  456,  a  donné  à  ce  mot  son  véritable  sens  et  nous  nous  sommes  rangé  à  son 
avis. 


464.     PREMIERS     CONCILES     AU     SUJET    DE     PHOTIUS  283 

ou  consistoire  1,  en  présence  des  ambassadeurs  de  Byzance, 
[248]  et  déclara  solennellement  que  ses  légats  n'avaient  pas  reçu  pou- 
voir pour  juger  Ignace;  en  conséquence  il  ne  reconnaissait  pas 
plus  sa  déposition  que  l'élévation  de  Photius. 

Le  pape  s'exprima  dans  le  même  sens  dans  ses  lettres  à  l'em- 
pereur et  à  Photius  (epist.  v  et  vi),  remises  aux  envoyés  de 
Byzance.  Elles  sont  datées  des  18  et  19  mars  862  2.  Le  pape 
déclare  à  l'empereur  qu'il  ne  peut  confirmer  la  déposition  d'Ignace 
et  l'élévation  de  Photius.  Ignace  était,  depuis  douze  ans,  l'objet 
«les  éloges  de  l'empereur  et  de  tous  les  conciles  grecs,  et  main- 
tenant on  voulait  subitement  le  condamner.  Une  comparaison 
entre  Ignace  et  Photius  serait  toute  en  faveur  du  premier.  On  avait 
tort  d'en  appeler  aux  précédents  de  Nectaire  et  d'Ambroise;  sans 
doute  ils  avaient  été  subitement,  élevés  de  la  condition  laïque 
à  l'épiscopat;  mais  la  situation  était  bien  différente  et  notam- 
ment, les  sièges  à  remplir  étaient  vacants.  De  ce  que  le  concile 
(de  Photius)  à  Constantinople  comptait  trois  cent  dix-huit  mem- 
bres, comme  celui  de  Nicée,  on  n'en  pouvait  rien  conclure  pour 
la  valeur  de  ses  décrets.  Au  contraire,  on  devait  d'autant  plus 
déplorer  qu'un  si  grand  nombre  d'évêques  eût  participé  à  de  si 
regrettables  décisions.  L'empereur  écrivait  que  les  légats  du 
pape  avaient  regardé  la  consécration  d'Ignace  comme  non 
valide  ;  mais  les  légats  avaient  excédé  leurs  pouvoirs,  et  le  pape 
rejetait  leur  jugement.  Il  appartenait  à  l'empereur  de  ne  pas 
laisser  quelques  personnes  (Phptius  et  ses  amis)  troubler  l'Eglise 
et  amener  un  schisme  3. 

Nous  avons  dit  que  cette  réponse  du  pape  permet  de  conjec- 
turer le  contenu  de  la  lettre  de  l'empereur  à  Nicolas.  Le  prince 
y  présentait  aussi  le  conciliabule  de  Constantinople  comme 
un  tribunal  institué  par  le  pape  lui-même  4. 

Dans  sa  lettre  à  Photius,   Nicolas    s'applique  à  faire    ressortir 


1.  Ce  qu'on  appelle  maintenant  consistoire,  dans  l'Église  de  Rome,  s'appelait 
autrefois  concile  romain. 

2.  A  la  fin  de  la  lettre  à  l'empereur,  il  faut  corriger  indict.  ix  et  lire  indict.  x; 
c'est  ce  que  prouve  suffisamment  la  comparaison  avec  la  lettre  du  pape  à  Photius 
et  la  lettre  ad  ovines  fidèles.  Cf.  Pagi,  Critica,  1689,  ad  ann.  862,  n.  2. 

3.  Nicolas  Ier,  Epist.,  v,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  170  ;  t.  xvi,  col. 
6't;   Hardouin,  op.  cit.,   t.  v,  col.  129,   807. 

4.  Cf.  Nicolas  Ier,  Epist.,  x,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  242;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  198. 


284 


LIVRE     XXIII 


la  primauté  du  Saint-Siège.  C'est  à  tort  que,  dit-il,  pour  justi-  [249] 
fier  son  ordination  par  trop  prompte,  Photius  invoque  les  exem- 
ples de  Nectaire,  de  Tarasius  et  d'Ambroise.  Nectaire  avait  été 
choisi  faute  de  clercs  capables,  Tarasius.  parce  qu'il  était  le 
plus  intrépide  champion  contre  les  iconoclastes,  enfin  Ambroise 
parce  que  des  miracles  avaient  témoigné  en  sa  faveur.  Le  pape 
ne  pouvait  croire  que  l'on  ignorât  à  Constantinople  les  canons 
de  Sardique  défendant  les  ordinations  accomplies  en  dehors  des 
délais  ordinaires.  Il  blâme  ensuite  la  dureté  avec  laquelle  Photius 
s'est  conduit  vis-à-vis  d'Ignace  ;  il  refuse  d'approuver  ce  qui 
s'est  passé,  se  plaint  de  la  conduite  de  ses  légats  et  de  la  fal- 
sification de  sa  lettre  à  l'empereur  1. 

Le  même  jour,  18  mars  862,  Nicolas  adressa  une  lettre  ad  omnes 
fidèles,  en  particulier  aux  patriarches  d'Alexandrie,  d'Antioche 
el  de  Jérusalem,  pour  dénoncer  à  toute  la  chrétienté  ce  qui  se 
passait  à  Constantinople  et  surtout  la  conduite  de  Photius.  Le 
pape  déclarait  tenir  toujours  Ignace  pour  évêque  légitime  de  Cons- 
tantinople   et    réprouvait    Photius  2. 


465.  Conciles  au  sujet  de  Jean,  archevêque  de  Ravenne. 

Avant,  la  publication  de  cette  dernière  lettre  el  dès  l'année 
861,  il  s'était  tenu  quelques  conciles  qui  ont  droit  à  notre  atten- 
tion. Au  mois  de  novembre,  un  concile  romain  eut  à  décider  au 
sujet  de  Jean,  archevêque  de  Ravenne3.  C'est  par  la  Vita  Nieolai  I, 
dans  le  Liber  pontificalis,  que  nous  avons  connaissance  de  ce 
concile,  et  de  la  conduite  assez  peu  canonique  de  l'archevêque  de 
Ravenne  4.   De  plus,  divers  manuscrits,  d'une  valeur  très    inégale, 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  174;  t.  xvi,  col.  68  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col. 
132,  811. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  168;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  127. 

3.  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  733  ;  Ughelli,  Italia  sacra,  2e  édit.,  t.  n,  col.  346- 
350;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  736;  Agnelli,  Liber  pontif.  Ravennat.,  1708, 
t.  m,  p.  80-90  ;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  187;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i, 
col.  983  ;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  598  ;  Jafïé,  Regest.  pontif.  roman., 
2e  édit.,  p.  343-344  ;  A.  Verminghoff,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv,  1901, 
t.  xxvi,  p.  629-630.  (H.  L.) 

4.  Cet  épisode  de  Jean  de  Ravenne  est  assez  significatif  de  l'attitude  générale  du 


465.     CONCILES      AI      SUJET     DE     JEAN     DE    RAVKNNE  285 

nous  ont  conservé  les  actes  de  la  dernière  session  de  ce  concile 
dont  Antoine  Zaccaria  et  Mansi  ont  donné  une  très  bonne  édi- 
tion. L'archevêque  Jean  avait  opprimé  le  peuple  et  le  clergé, 
porté  préjudice  aux  biens  de  l'Église,  banni  arbitrairement  plu- 
sieurs ecclésiastiques,  en  avait  jeté  d'autres  dans  d'épouvantables 
cachots.  Les  avertissements  du  pape  étaient  restés  sans  effet  et 
semblaient,  au  contraire,  exciter  le  coupable  à  commettre  de 
[250]  plus  grands  attentats;  ainsi,  il  commença  dès  lors  à  mettre  la 
main  sur  les  possessions  de  l'Eglise  romaine,  méprisa  les  ambas- 
sadeurs du  pape,  déchira  les  documents  qui  témoignaient  en  faveur 
de  la  possession  de  Rome,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  fût  excommu- 
nié par  le  pape  Nicolas  Ier,  qui  l'avait  par  trois  fois  inutile- 
ment cité  devant  un  concile.  Mais  Jean  trouva  un  protecteur  dans 
l'empereur  Louis  II,  avec  les  ambassadeurs  duquel  il  vint  hardi- 
ment à  Rome  pour  demander  de  régler  le  différend.  Il  ne  voulut 
ni  s'humilier  ni  donner  satisfaction  devant  le  concile  romain 
que  le  pape  réunit  le  1er  novembre  (probablement  en  861):  aussi 
l'entrevue  n'eut-elle  aucun  résultat.  Sur  l'invitation  des  sénateurs 
de  Ravenne,  le  pape  se  rendit  dans  cette  ville.  Le  peuple  mani- 
festa une  telle  aversion  contre  son  archevêque,  que  l'empereur 
se   vit    obligé   de   retirer   sa  protection  au   prélat  1.  Jean    comprit 


pape  en  matière  d'élections  cpiseopales.  Nicolas  Ier  tenait  à  laisser  au  clergé  et  au 
peuple  du  diocèse  son  libre  choix  sous  la  seule  condition  que  l'élection  n'offrît  rien 
de  contraire  aux  canons,  Epist.,  xli,  xliii;  pour  l'élection  des  abbés,  Epist.,  xliv, 
il  apporte  à  cette  indépendance  un  vrai  scrupule.  Epist.,  lxi.  Cette  position 
est  d'ailleurs  logique,  eu  égard  à  celle  qu'il  donne  à  l'élection  au  siège  de  Rome 
en  face  des  empereurs.  Nicolas  Ier  s'attache  aux  anciennes  règles  et  à  celle-ci 
m  particulier,  que  l'évêque  doit  être  choisi  dans  le  clergé  du  diocèse  qu'il  est 
appelé  à  administrer.  Il  s'en  explique  avec  clarté  à  propos  d'une  élection  au  siège 
de  Sens,  en  866,  Epist.,  xevi,  et  en  fait  même  un  principe  général,  Epist.,  xcv. 
L'évêque  ainsi  élu  demeurera  en  possession  de  son  siège,  à  moins  d'incapacité 
physique  ou  d'indignité  reconnue.  Lorsqu'il  s'agira  en  effet  de  déposer  Zacharie 
et  Radoald,  le  pape  convoquera  deux  conciles  successifs,  car  l'un  des  accusés 
n'a  pu  être  présent  au  premier  concile.  En  867,  Nicolas  signifie  à  l'archevêque 
de  Ravenne  que  conformément  au  décret  d'un  concile  romain  de  862,  il  ne  doit 
consacrer  aucun  évèque  dans  sa  province  avant  que  le  choix  du  nouveau  titu- 
laire ait  été  notifié  au  Siège  apostolique  et  sanctionné  par  lui.  Epist.,  cxliv. 
(IL  L.) 

1.  D'après  le  Libellus  de  imperaloria  potestate,  le  pape  Nicolas  s'était  surtout 
alarmé  de  la  familiarité  existant  entre  l'archevêque  Jean  et  les  princes.  Le  Liber 
pontificalis,  biographe  officiel,  se  charge  de  donner  des  raisons  plus  acceptables, 
empiétement,  etc.   et  surtout  de  «  vouloir  transférer  à  Saint-Apollinaire  les  droits 


286  LIVRE     XXII! 

qu'il  ne  lui  restait  qu  à  faire  sa  soumission  à   Rome.   On  réunit 


qui  appartenaient  à  Saint-Pierre,   grief  qui   empruntait  une  gravité   particulière 
à  la  rivalité  séculaire  entre  Rome  et  Ravenne  dont  les  évêques  avaient,  au  temps 
où  leur  ville  était  la  résidence  des  exarques,  prétendu  à  l'autocéphalie.  «  Ils  ex- 
hibaient un  vieux  diplôme  de  Valentinien  III  qui  permettait  à  ces  prélats  de  re- 
cevoir directement  le  pallium  de  l'empereur  et  non  du  pape  et  attribuait  à  leur 
métropole  les  diocèses  de  Ferrare,  d'Imola,     de  Modène,  ainsi  que    les    évêchés 
de  l'Emilie.  Agnellus,  Liber  pontif.  Ravennat  :   V  ita  Johannis,  c.  xl.  Plus   tard 
l'archevêque  Maurus  avait  obtenu  de  l'empereur  le  renouvellement  de  ce  précieux 
privilège.    «  II  fit,  écrit  son  biographe,  maints  voyages  à  Constantinople  pour 
arracher  son  Église  au  joug  et  à  la  domination  de  Rome.  Il  réussit.  L'Église  de 
Ravenne  obtint  que  ses  évêques  n'iraient  plus  à   Rome  pour  se  faire  consacrer, 
qu'ils     recevraient  la  consécration  de  trois  évêques  leurs  sufïragants,  et  que  le 
pallium  leur  serait  envoyé  par  l'empereur  de  Constantinople,  Agnellus,  op.  cil., 
Vila  Mauri.  Le  pape  punit  sa  révolte   de    l'excommunication,  il   renvoya  l'ex- 
communication au  pape.  Les  dernières  paroles,  adressées  à  ses  prêtres,  furent 
des  objurgations  ardentes  de  ne  jamais  souffrir  l'ingérence  de  Rome  dans  le  choix 
de  leur  pontife.  Le  pape  Léon   II  obtint  cependant  de  l'empereur  Constantin 
Pogonat  la  révocation  de  ces  prérogatives  odieuses  au  siège  de  Rome  et  le  réta- 
blissement des  anciennes  coutumes.  Mais  les  Ravennates  ne  se  soumirent  jamais 
que  de  mauvaise  grâce  et  guettèrent  toutes  les  occasions  de  se  soustraire  à  l'auto- 
rité romaine.  Au  milieu  du  ixe  siècle,  un  de  leurs  évêques,  Grégoire,  encouragé 
peut-être  par  l'empereur  Lothaire,  essaya  d'obtenir  de  ce  prince  la  restitution 
des  droits  dont  avait  joui  pendant  quelques  années  son  Église.  Il  partit  donc  pour 
la  France  avec  une  nombreuse  suite  et  les  archives  de  sa  métropole,  «  accompa- 
gné, dit  son  biographe,  de  la  malédiction  apostolique.  »  Il  assista  à  la  bataille 
de  Fontanet  et  au  désastre  de  Lothaire.  Dans  la  déroute,  il  perdit  ses  richesses 
et  ses  archives,  qui  furent  pillées  et  traînées  dans  la  boue;  lui-même,   tombé  en- 
tre les  mains  des  soldats  de  Charles  et  de  Louis  le  Germanique,  subit  toutes  les 
avanies  et  les  injures.  Reconnu  et  sauvé  par  les  princes  francs,  il  revint  humilié 
à  Ravenne,  n'ayant  retiré  que  honte  et  dommage  de  son  aventure,  Agnellus,  op. 
cil.,   Vila  Gregorii.    Il  n'est  pas  douteux  que  les  mêmes  ambitions  germèrent 
dans  l'esprit  de  ses  successeurs  Félix  et  Jean  et  que  ce  dernier  compta  sur  sa  fa- 
veur auprès  de  Louis  II  pour  les  réaliser.  Le  sentiment  de  cette  situation  enga- 
gea le  pape  Nicolas  à  user  de  rigueurs  à  son  égard,  afin  de  le  démasquer  et  de 
l'obliger  à  déchirer  tous  les  voiles.  Cité  trois  fois  à  comparaître  devant  un  synode 
à  Rome,  trois  fois  il  refusa   prétendant  ne  pas  reconnaître  la  juridiction  du  pape. 
Aussi  fut-il  l'objet  d'une  sentence  d'excommunication.  Il  courut  alors   à   Pavie, 
excitant  l'empereur  contre  Nicolas  et  le  pressant  d'intervenir.  Cédant  aux  instances 
de  sa  femme  Ingelberge,   Louis   II  somma  le  pape  de  lever  l'excommunication. 
Non  seulement  le  pape  refusa,  mais,  appelé  par  les  dissidents  de  Ravenne  et  de 
l'Emilie,  il  marcha  droit  à  la  ville  de  son  rival,  l'en  fit  sortir,  et  présida  un  tribu- 
nal, qui  délivra  les  captifs  de  l'archevêque  et  leva  le  séquestre  mis  sur  leurs  bien». 
Seuls  dans  Pavie,  l'empereur  et  l'impératrice  avaient  osé  donner  aide  au  prélat 
excommunié.  Devant  la  réprobation  générale,  ils  conseillèrent  à  Jean  de  céder. 
L'archevêque  fit  donc,  amende  honorable  au  pape  et  consentit  à  se  présenter 


[251] 


466.    LE     TROISIÈME     CONCILE     d' AIX-LA-CHAPELLE  287 

dans  ce  but  un  premier  concile  à  Rome,  dans  le  palais  Lèonien  1, 
un  second  dans  la  basilique  du  Latran,  et  enfin  un  troisième 
de  nouveau  dans  le  palais  Leonien.  Les  détails  fournis  par  le  Liber 
pontificalis  font  voir  clairement  que  les  actes  attribués  par  Zacca- 
ria  et  Mansi  au  concile  du  18  novembre  861,  appartiennent  préci- 
sément à  cette  troisième  session.  Les  règles  imposées  à  Jean 
furent  les  suivantes  :  «  1.  Tu  ne  consacreras  pas  d'évêques 
dans  l'Emilie,  si  ce  n'est  lorsque  le  clergé  et  le  peuple  ont  déjà 
fait  leur  élection.  2.  Tu  n'empêcheras  pas  qu'on  se  rende  à 
Rome,  et  tu  ne  demanderas  pas  à  ceux  qui  s'y  rendent  des  rede- 
vances défendues  par  les  canons.  3.  Tu  rendras  les  biens  de  l'Église 
romaine  que  tu  as  donnés  aux  tiens  ou  à  d'autres  en  présents.  » 
Le  décret  synodal  qui  termine  les  actes,  explique  plus  longuement 
la  conduite  de  l'archevêque,  expose  les  conditions  auxquelles  il 
doit  se  soumettre  ;  il  fut  signé  par  tous  les  assistants.  Malheureu- 
sement, la  paix  dura  peu  :  deux  ans  plus  tard  l'archevêque  Jean 
recommença  ses  menées  contre  Rome,  et  prit  part  aux  luttes 
de  Thieutgaud  de  Trêves  et  de  Gûnther  de  Cologne  contre 
Nicolas  2. 


466.  Le  troisième  concile  d'Aix-la-Chapelle,  tenu  en  862, 
permet  au  roi  Lothaire  de  se  remarier. 

Nous  avons  vu  que  les  archevêques  de  Trêves  et  de  Cologne 
avaient  soutenu,  dans  l'affaire  de  son  mariage,  Lothaire,  roi  de 

devant  le  synode.  Le  pape  se  montra  inexorable.  II  lui  retira  l'administration 
des  diocèses  usurpés  au  profit  de  la  métropole,  lui  imposa  l'obligation  de  venir 
au  moins  une  fois  chaque  année  se  présenter  comme  un  vassal  en  cour  de  Rome 
et  de  ne  jamais  empêcher  ses  évêques  et  ses  clercs  de  porter  leurs  griefs  devant  le 
siège  apostolique.  L'archevêque  feignit  de  se  soumettre,  il  s'inclina  par  néces- 
sité, mais  il  gardait  toutes  ses  rancunes  et  devait  trouver  bientôt  l'occasion  de 
les  assouvir.  »  A.  Gasquet,  L'empire  byzantin  et  la  monarchie  franque,  in-8,  Paris, 
1888,  p.  373-375.  (H.  L.) 

1.  A  cause  de  l'invasion  des  Sarrasins,  le  pape  Léon  IV  avait  fortifié  les  abords 
de  l'église  de  Saint-Pierre  et  y  avait  construit  une  nouvelle  ville  (848-852)  qui 
fut  appelée   Cité   Léonine.   Cf.    Baronius,    ad  ami.  852,  1  ;  Gregorovius,  Gesch.  d. 
Stadt  Rom,  t.  m,  1870,  p.  105  sq.  ;  Alfr.  de  Reumont,  Gesch.  d.  Stadt  Rom,  t.  n,  p. 
198  sq. 

2.  Cf.  Gfrorer,  Die  Carolinger,  t.  i,  p.  295.  sq. 


288 


LIVRE     XXIII 


Lorraine,  et  s'étaient  employés  pour  lui  dans  deux  conciles  tenus 
à  Aix-la-Chapelle  en  860.  La  reine  Theutberge  chercha  un  soutien 
auprès  du  pape;  mais  Lothaire  jugea  habile  de  brusquer  la  solu- 
tion et  mettre  en  face  du  fait  accompli,  avant  que  n'arrivât  de  Rome 
une  sentence  qu'il  avait  lieu  de  craindre  défavorable.  Le  second 
concile  tenu  à  Aix-la-Chapelle  avait  défendu  au  roi  de  continuer 
à  vivre  avec  Theutberge;  mais  il  n'obéit  pas  à  cette  défense,  afin 
qu'on  lui  permît  de  contracter  un  nouveau  mariage.  Dans  ce  but, 
il  réunit,  le  29  avril  862,  à  Aix-la-Chapelle,  un  troisième  concile 
dont  la  plupart  des  membres  étaient  des  complaisants  1.  Les  actes 

1.  Sirmond,  Concilia  Galliœ,  1629,  t.  m,  col.  197;  Coll.  regia,  t.    xxn,    col. 
734  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  739-754;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  539; 
Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  199;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  612;  A.  Ver- 
minghoif,    Verzeichnis,    dans    Neues    Archw,   1910,  t.  xxvi,  p.   630-631.  Depuis 
le  IIe  concile  d'Aix-la-Chapelle,  15  février,  Lothaire  était  engagé  et  allait  se  trou- 
ver entraîné  à  des  procédés  dont   l'incorrection   doit  être    exposée    en    détail. 
Charles  le  Chauve  ne  manifestait  pas  d'hostilité  au  projet,  puisque  le  IIe  concile 
d'Aix-la-Chapelle  se  tint  avec  son  approbation  et  que  deux  évoques  de  son  royau- 
me y  assistèrent   ;  sur  l'ordre  de  Charles  le  Chauve   et   de   Lothaire,    l'évèque 
Advence  de  Metz'alla  inviter  Hincmar  de  Reims  à  être  l'un  des  deux.  C'était  un 
ami  déjà  ancien  du  métropolitain  de  Reims,  ce  qui  faisait  présager  le  succès  de 
sa  mission.  Advence  le  sollicita  de  venir  ou  de  se  faire  au  moins  représenter  par 
un  de  ses  suiîragants.  «  Pour  être  plus  sûr  d'emporter  l'adhésion  du  métropoli- 
tain de  la  seconde  Belgique,  Advence    avait    prié    le  neveu  de  ce  dernier,  Hinc- 
mar le  Jeune,  évêque  de  Laon,  de  l'accompagner.  Les  deux  prélats  insistèrent 
vivement  auprès  de  l'archevêque  pour  qu'il  acceptât  l'invitation  dont  ils  étaient 
chargés  ;  mais,  chose  curieuse,    Advence  s'abstint  de  lui  dire  que  le  concile,  au- 
quel on  voulait  qu'il  assistât,  devait  examiner  plus  particulièrement  l'affaire  du 
divorce  de  Lothaire  II  et  de    Theutberge  et  que  c'était  même  à  cause  de  cette 
grande  affaire  que  l'on  désirait  sa  présence.  De  son  côté,  Hincmar  garda  la  même 
réserve,  quoiqu'il  se  doutât  bien  au  fond  du  motif  pour  lequel  on  le  réclamait. 
L'entretien  des  trois  prélats  tomba  pourtant  sur  la  question  du  divorce,  qui  fai 
sait  l'objet  de  toutes  les  conversations,  et  si  Hincmar  n'avait  pas  été  au  courant 
de  ce  qui  s'était  passé  à  Aix-la-Chapelle  quinze  jours  auparavant,  Advence  eût 
pu  lui  donner  les  renseignements  les  plus  exacts  et  les  plus  précis.  Sans  avoir  l'air 
de   savoir   que  le   concile   s'occupait   de   Theutberge,    l'archevêque   déclara    que 
l'affaire  du  divorce  était  trop  importante  pour  être  résolue  par  quelques  évêques; 
seul  un  concile  général  pourrait  la  juger.  Hincmar  ajouta  qu'il  ne  pouvait  ni  assis- 
ter en  personne  au  concile  projeté,  vu  le  mauvais  état   de  sa  santé,  ni  s'y  faire 
représenter  par  quelques-uns  de  ses  sufîragants  :  le  temps  lui  manquait  en  effet 
pour  convoquer  ces  derniers  à  une  réunion  où  seraient  désignés  ceux  d'entre  eux 
qu'il    conviendrait  d'envoyer  à  Aix-la-Chapelle,  et,  d'autre  part,  il  ne  se  recon- 
naissait pas  le  droit  de  choisir  de  sa  propre  autorité  les  délégués  de  la  province 
ecclésiastique  qu'il  gouvernait.  Non  content  d'avoir  donné  de  vive  voix  à  Advence 
ces  explications  et  ces  excuses,  Hincmar  les  lui  renouvela  le  lendemain  dans  une 


466.       TROISIÈME     CONCILE     d' AIX-LA-C  H  APELLE  -S!) 

synodaux  citent  Giïnther  de  Cologne,  Thieutgaud  de  Trêves.  A.d- 

lettre  que  nous  possédons  ;  il  se  défendait  d'ailleurs  de  tout  mauvais  vouloir. 
Revenant  à  l'affaire  de  Theutberge,  il  déclarait  qu'il  ne  se  permettrait  pas  de 
donner  un  avis,  tant  qu'il  n'aurait  pas  étudié  la  question  :  il  se  gardait  de 
désapprouver  ou  de  dénigrer  à  l'avance  la  sentence  que  les  évêques  devraient 
prononcer.  La  lettre  se  terminait  par  des  conseils  de  prudence  empruntés  à  une 
lettre  du  pape  saint  Léon  Ier  et  par  l'invitation  à  Advence  de  la  lire  au  concile. 
Ainsi  Hincmar  ne  doutait  pas  qu'on  allait  à  Aix-la-Chapelle  instruire  le  procès 
de  Theutberge.  Cette  affaire  lui  semblait  louche  et  il  ne  se  souciait  pas  de  s  \ 
compromettre.  Le  refus  d'Hincmar  d'assister  au  concile  dut  jeter  Lothaire  et 
ses  conseillers  dans  une  grande  perplexité  ;  il  n'en  fallait  pas  davantage  pour 
faire  avorter  l'entreprise.  L'absence  d'Hincmar  donnerait  déjà  à  ses  collègues 
lieu  de  penser  qu'il  désapprouvait  le  divorce;  la  lecture  de  la  lettre  que  l'archevê- 
que de  Reims  avait  écrite  à  Advence,  lecture  qu'il  avait  formellement  invité 
ce  dernier  à  faire,  achèverait  de  confirmer  les  évêques  dans  cette  manière  de  voir. 
Ils  n'oseraient  certainement  pas  aller  à  l' encontre  de  l'opinion  qu'ils  supposeraient 
à  un  aussi  grand  théologien  que  l'archevêque  de  Reims.  Aussi,  pour  éviter  un 
échec,  résolut-on  d'abord  de  tenir  cachée  la  malencontreuse  missive,  et  l'on 
avança  hardiment  qu'Hincmar  avait  remis  à  Advence,  pour  le  concile  et  pour  le 
pape,  des  lettres  où  il  approuvait  le  procès  intenté  à  Theutberge.  Comme  deux 
évêques  français,  Wenilon  et  Hildegaire  avaient  promis  d'assister  au  concile,  on 
fit  courir  le  bruit  qu'ils  étaient  les  représentants  de  l'archevêque  de  Reims, 
empêché  lui-même  de  venir  à  Aix-la-Chapelle,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  630,  G'iô.  » 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  159-161. 

Le  IIe  concile  d'Aix-la-Chapelle,  se  tint,  comme  nous  l'avons  dit,  le  15  février 
860;  beaucoup  de  questions  y  furent  traitées,  mais  nous  ignorons  lesquelles,  Hinc- 
mar ne  nous  ayant  conservé  des  actes  de  l'assemblée  que  les  articles  16,  17,  18 
et  le  commencement  du  19e.  Theutberge  ayant  fait  des  aveux  fut  condamnée 
à  une  pénitence  publique  et  enfermée  dans  un  monastère.  Annal.  Bert.,  ad  ann. 
860,  p.  53.  Toutefois,  on  n'avait  pas  lu  devant  le  concile  la  lettre  d'Hincmar 
à  Advence  et  on  avait  même  représenté  Wenilon  et  Hildegaire  comme  ses  man- 
dataires. Une  telle  déloyauté  devait  le  porter  à  protester  publiquement  contre 
le  rôle  qu'on  lui  prêtait.  Or,  il  arriva  que  des  sujets  de  Lothaire,  Hincmar,  Epist. 
ad  Hildegarium,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  161;  Sdralek,  op.  cit.,  p.  8-9  ;  R.  Parisot, 
op.  cit.,  p.  168,  prélats  et  laïcs,  parmi  lesquels  plusieurs  avaient  assisté  au  con- 
cile de  Savonnières,  adressèrent  un  questionnaire  en  huit  chapitres  à  l'archevê- 
que de  Reims,  le  priant  de  leur  faire  connaître  ses  vrais  sentiments  sur  l'affaire 
de  Theutberge.  Cette  démarche  avait  eu  lieu  entre  le  Ie  et  le  11er  concile  d'Aix-la- 
Chapelle,  après  le  voyage  d'Advence  à  Reims,  par  conséquent  au  début  de  février 
860.  Leur  mémoire  est  de  la  première  quinzaine  de  ce  mois,  et  six  mois  plus  tard, 
en  août,  ils  envoyèrent  à  Hincmar  un  nouveau  mémoire  avec  sept  questions  nou- 
velles. P.  L.,  t.  cxxv,  col.  745-746.  Hincmar  répondit  aux  deux  questionnaires. 
Et  d'abord  sa  réponse  au  questionnaire  en  huit  chapitres  devait  être  terminée 
avant  le  congrès  de  Coblentz  (début  de  juin  860),  puisque  Hincmar  n'y  dit  rien 
des  démarches  tentées  alors  par  Boson  pour  reprendre  Ingeltrude.  Sdralek, 
op.  cit.,  p.  6;  Schrôrs,  op.  cit.,  p.   189,   n.  4  ;    R.   Parisot,   op.   cit.,   p.    169,   n.    5. 

CONCILKS   —  I  V  —    19 


290  LIVRE     XXIII 

vence  de  Metz,  Atto  de  Verdun,  Arnulf  de  Toul,  Franco  de   Ton- 

A  la  première  réponse  et  probablement  avant  qu'elle  eût  été  rendue   publique, 
il  joignit  la  réponse  au  second  questionnaire  et  le  tout  constitua  le  traité  intitulé  : 
De  divortio  Klotarii  régis  et  Tetbergse  reginse,    rédigé  pour  le   concile  de  Tusey, 
tenu  en  octobre-novembre  860.  (Sdralek,  op.  cit.,  p.  196-199  ;  Schrôrs,    op.  cit., 
p.  209,  n.  16  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  170.  Le  De  divortio  parut  donc  soit  en    sep- 
tembre, soit  au  début  d'octobre  860.  Sachant  qu'un  concile  général    provincial 
allait  s'ouvrir  à  Tusey  le  22  octobre,  Hincmar  s'était  peut-être  arrangé  pour  que 
des  exemplaires  de  son  travail  fussent  adressés,  non  seulement  aux  prélats  qui 
l'avaient  interrogé,  mais  en  outre,  à  tous  les  métropolitains  et  à  ceux  des  évo- 
ques qu'il  supposait  devoir  venir  au  concile.  Quelques  auteurs,    qui  ont  cru  voir 
à  tort  dans  les  interr.  xvm-xx  du  mémoire  d'Hincmar  des  allusions  au  IIIe  con- 
cile d'Aix-la-Chapelle,  ont  fixé  en   862    la   composition  du  De  divortio  Lotharii. 
Citons  en  particulier  Noorden,  Hinkmar  von  Reims,  p.  172,  n.  2;  Hefele,  Concilien- 
geschichte,  2e  édit.,  t.  iv,  p.  261  ;  mais  Sdralek,  op.  cit.,  p.  3,  n.  2,  a  réfuté  cette 
chronologie  et  prouvé  d'une  façon  péremptoire,  p.  1-7,  que  le  traité  est  antérieur 
au  concile  de  Tusey.  Cette  démonstration  est  acceptée  par    Schrôrs,    op.  cit., 
p.  189,  209,  n.  16,  et  n.  139  des  Regesten  Hinkmars  ;  A.  Hauck,  Kirchengeschichte 
Deulschlands,  t.  n,  p.  505,  n.  4   ;  Dûmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  15;    Mûhlbacher, 
Deutsche  Gescliichle  unler  den  Karolingern,  p.  509;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  170, 
n.  5.  Ce  dernier  auteur  expose  bien  la  situation  réciproque  de  Lothaire  et  d'Hinc- 
mar en  860.  Il  ne  pouvait  plus  être  question  alors  des  dissentiments  du  règne 
précédent;  E.  Lesne,  Hincmar  et  V empereur  Lothaire,  dans  la  Revue  des  questions 
historiques,  1905,  t.   lxxviii,  p.   5-58;  en  860,  ce  qui  provoqua    l'intervention 
d'Hincmar,  ce  fut  le  souci  de  rétablir,  en  ce  qui  le  concernait,  la  vérité  des  faits 
et  son  rôle  dans  la  consultation  d'Advence,  puis  le  souci  de  la    morale  et  de  la 
justice  gravement  lésées  par  le  roi  et  ses  évêques  au  préjudice  de  Theutberge. 
Peut-être,  ajoute-t-on,   Hincmar  cède-t-il  encore  à  un  sentiment  de  vanité,  au 
désir  d'étaler  son  érudition  théologique,  sa  connaissance  de  l'Écriture  et  des  Pères 
de  l'Église   ;    d'autres  y   mêlent   des    arrière-combinaisons    politiques.    Weizsœ- 
ker,  Hinkmar  und  Pseudo-Isidor,  dans  Zeils.  fur  histor.   Theol.,    1858,   p.   383, 
393,  411-412;    Bourgeois,    Le    capitulaire  de    Kiersy-sur-Oise,    in-8,  Paris,   1885, 
p.  116-119  ;  Hugues  l'Abbé,  dans  les  Annales  de  la  Faculté  des  lettres  de  Caen,  1885, 
t.  i,  p.  99;  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  205;  Zeller,  Hist.  d' Allemagne,  t.  n,  p.  140;  Dûmm- 
ler, op.  cit.,  t.  ii,  p.  14;  Noorden,  op.  cit.,    Beilage  iv,  p.  xix;  Sdralek,  p.  10-13; 
R.   Parisot,  op.  cit.,  p.  171,  note  1;  c'est  un   procès   de   tendance   et   autant   de 
critiques  autant  d'opinions. 

Entre  le  IIe  et  le  IIIe  concile  d'Aix-la-Chapelle,  un  événement  s'était  produit  : 
la  fuite  de  la  reine  Theutberge  qui  dut  arriver  postérieurement  à  la  rédaction 
du  De  divortio  Lotharii,  quoique  Sdralek,  op.  cit.,  p.  181,  pense  le  contraire.  Elle 
se  réfugia  sur  les  terres  de  Charles  le  Chauve  qui  donnait  déjà  asile  à  Hubert, 
P.  L.,  t.  cxxv,  col.  698,  et  ne  dissimulait  pas  son  hostilité  à  l'endroit  de  son  ne- 
veu Lothaire.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  179  et  note  3,  p.  181.  Une  fois  rendue  à  la 
liberté,  Theutberge  put  s'expliquer  enfin  en  toute  vérité.  Il  semble  que  dès  avant 
le  Ier  concile  d'Aix-la-Chapelle,  la  reine  avait  mandé  au  pape  son  dessein  de 
s'avouer  coupable;  cette  fois  elle  changeait  de  ton  et  protestait  contre  les  vio- 


466.    TROISIÈME     CONCILE     d'  AIX-LA-CHAPELLE  291 

grès,  Hungar  d'Utrecht  et  Ratold  de  Strasbourg1.  Seuls,  deux 
évêques,  probablement  Arnulf  de  Toul  et  Hunger  d'Utrecht 2, 
firent  preuve  d'indépendance.  Lothaire  remit  au  concile  sa  con- 
testatio,  dans  laquelle  il  parlait  d'abord  en  termes  excessifs  de  la 
dignité  épiscopale  :  médiatrice  entre  Dieu  et  les  hommes,  et  élevée 
au-dessus  des  rois.  Conformément  aux  ordres  indiqués,   continue- 


lences  et  les  injustices  qu'elle  avait  dû  subir.  Voir  la  lettre  de  Nicolas  Ier  aux 
évêques  du  concile  de  Metz,  du  23  novembre  862,  et  le  «  commonitorium»  adressé 
aux  légats  chargés  de  présider  ce  même  concile.  Jafîé-Ewald,  n.  2702,  2726, 
P.  L.,  t.  cxix,  col.  801,1180.  Hubert  joignit  sans  doute  sa  protestation  à  celle 
de  sa  sœur  et  Charles  le  Chauve  appuya  leurs  mémoires.  Jafîé-Ewald,  n.  2872, 
P.  L.,  cxix,  col.  1143.  Lothaire,  afin  de  tenir  la  balance  égale,  envoya  au  pape 
une  ambassade,  composée  de  Liutfrid  etWalter,  Thieutgaud  et  Hatton,  et  qui 
n'aura  dû  se  mettre  en  route  qu'après  le  concile  de  Tusey,  fin  de  860  ou  peut-être 
début  de  861.  Sur  cette  ambassade  et  les  lettres  qu'elle  était  chargée  de  remettre 
au  pape,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  183-184.  On  ignore  l'accueil  fait  par  le  pape. 
En  tout  cas,  la  question  ne  paraît  pas  avoir  alors  longtemps  fixé  son  attention  ; 
en  Lorraine  même,  le  procès  subit  un  long  temps  d'arrêt  pour  ne  reprendre  qu'en 
862. 

On  ne  sait  quelle  raison,  en  dehors  de  la  passion,  porta  Lothaire  à  reprendre 
l'affaire.  S'il  avait,  comme  on  a  lieu  de  le  supposer,  renoué  avec  Waldrade,  Annales 
Bertiniani,  ad  ann.  857;  Ann.  Xanlenses,  ad  ann.  861  ;  Hincmar,  Dedivort.Loth., 
interr.  xvm,  xxi,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  729,732;  Conc.  Aquis granense  III,  c.  iv, 
dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  612,  peut-être  est-ce  la  naissance  de  son  fils 
Hugues  dont  on  ne  sait  rien  de  plus  sinon  que  la  date  est  antérieure  au  18  mai 
863,  qui  le  détermina  à  rouvrir  une  discussion  assoupie.  Il  n'avait  plus,  il  est  vrai, 
Theutberge  sous  la  main  et  n'était  plus  maître  de  la  faire  parler  comme  il  vou- 
drait ;  la  sentence  du  IIe  concile  d'Aix-la-Chapelle,  déjà  fortement  ébranlée  par 
le  mémoire  d'Hincmar,  avait  été  à  peu  près  ruinée  par  la  protestation  de  Theut- 
berge. S'appuyer  sur  cette  sentence,  considérer  la  culpabilité  de  la  reine  comme 
acquise,  pour  prononcer  la  dissolution  du  mariage  de  Theutberge  avec 
Lothaire,  c'était  jouer  une  partie  dangereuse.  Theutberge,  Hubert,  Hincmar, 
Charles  le  Chauve,  ne  manqueraient  pas  de  renouveler  auprès  du  Saint-Siège 
les  protestations  qu'ils  avaient  déjà  fait  entendre,  et  il  faudrait  bien  que  cette 
fois  Nicolas  y  prêtât  attention.  Ces  considérations,  si  elles  se  présentèrent  à 
l'esprit  de  Lothaire  et  de  ses  évêques,  ne  les  arrêtèrent  pas.  La  réunion  d'un  nou- 
veau concile,  purement  lorrain,  fut  décidée  :  comme  les  précédents,  il  se  tint 
à  Aix-la-Chapelle.  (H.  L.) 

1.  Arduic,  archevêque  de  Besançon,  et  ses  sufïragants,  de  même  que  Thierry, 
évêque  de  Cambrai,  ne  parurent  pas.  Sur  ces  abstentions,  cf.  R.  Parisot,  Le  royau- 
me de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  p.  193.  (H.  L.) 

2.  Hefele,  Sdralek,  op.  cit.,  p.  150,  et  Dûmmler,  Geschichte  des  ostfrànkischen 
Reichs,  t.  n,  p.  31,  note  2,  sont  pour  Arnulf  et  Hunger,  tandis  que  Schrôrs  croit 
que  la  collection  attribuée  à  ces  deux  évêques  a  été  composée  après  le  concile. 
Toutefois  il  admet  une  opposition.  (H.  L.) 


292  LIVRE    XXIII 

t-il,  il  a  répudié  sa  femme  criminelle;  c'est  maintenant  aux  évê- 
ques  à  lui  imposer  une  pénitence  pour  les  rechutes  charnelles 
commises  à  partir  de  cette  époque.  Il  l'accepte  volontiers  ; 
mais  comme  depuis  sa  jeunesse,  il  peut  presque  dire  depuis  son 
enfance,  il  a  vécu  avec  des  femmes,  il  se  déclare  hors  d'état  de 
vivre  sans  femme  ou  sans  concubine.  Aussi  il  demande  aux  évo- 
ques la  permission  de  contracter  un  second  mariage  1. 

Thieutgaud,  archevêque  de  Trêves,  se  leva  et  dit  que  Lothaire 
avait  accompli  une  pénitence  suffisante  dans  le  dernier  carême,  ^ 

pour  expier  des  relations  avec  une  concubine  2.  Les  évêques  déli- 
bérèrent 3,  plusieurs  lurent  des  opinions  des  Pères  et  des  conciles  [252] 
tendant   à   recevoir  la   demande   de   Lothaire  4.  Deux  évêques  s'y 
opposèrent    et    citèrent   les    décisions  des  Pères  5.    Leur  mémoire 

1 .  Conc.  Aquisgr.  III,  c.  4,  et  Contestatio  Lotharii  régis  appellantis  episcopos 
de  conjugio  sibi  concedendo,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  612,  614-615.  Le  c.  4 
des  Actes  du  concile  n'est  qu'un  résumé  de  la  Contestatio.  (H.  L.) 

2.  C.  4,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  612.  (H.  L.) 

3.  C.   4,   dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  613.  (H.  L.) 

4.  C.  4,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  613.  Avant  de  se  prononcer,  les  évê- 
ques chargèrent  deux  d'entre  eux  de  relever  dans  l'Écriture  et  dans  les  Pères  les 
passages  relatifs  à  la  question  en  litige.  Chacun  des  prélats  désignés  travailla 
seul  et  employa  la  nuit  à  rédiger  son  mémoire.  Le  lendemain  matin  en  compa- 
rant les  écrits  on  constata  que,  différents  pour  la  forme,  ils  étaient  identiques 
quant  au  fond.  Conc.  Aquisgr.  III.  Sententia  episcoporum,  dans  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  617.  Ces  deux  mémoires  sont  perdus  ;  ils  seraient  curieux  à  connaître. 
(H.  L.) 

5.  Aux  deux  mémoires  ci-dessus  rappelés  s'en  opposa  un  troisième  qui  con- 
cluait, avec  citations  à  l'appui,  que  le  mariage  de  Lothaire  avec  Theutberge  ne 
pouvait  être  annulé.  Les  noms  des  auteurs  de  ces  différents  mémoires  n'ont  pas 
été  conservés.  Collectio  variorum  locorum,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  617-625. 
Mansi,  col.  616,  croyait  à  tort  que  ce  mémoire  était  l'œuvre  d'un  des  deux 
évêques  chargés  par  le  concile  de  lui  faire  un  rapport.  Hefele,  Conciliengeschichte 
2e  édit.,  t.  iv,  p.  252;  Sdralek  op.  cit.,  p.  148-150;  Muhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  486; 
Dùmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  31,  n.  2,  attribuent  avec  raison  la  Collectio  aux  deux 
évêques  dissidents.  Pour  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  226,  n.  16,  l'expression  de  concilia- 
bulum  employée  dans  le  titre  pour  désigner  le  concile  et  les  mots  reverentia  veslra 
prsecepit  ne  semblent  pas  favorables  à  l'opinion  d'après  laquelle  ce  mémoire  éma- 
nerait de  la  minorité  du  concile.  Le  titre,  où  il  est  dit  que  ce  travail  a  été  présenté 
par  deux  évêques  au  concile  d'Aix,  a  pu  être  ajouté  après  coup;  en  outre,  il  sem- 
ble bien  que  les  auteurs  de  la  Collectio  aient  eu  sous  les  yeux  les  actes  du 
concile.  Quant  au  Libellus,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col  626-630,  qui  vient 
à  la  suite  de  la  Collectio,  Hefele,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  252,  se  demande  s'il  pro- 
vient de  l'un  des  évêques  présents,  ou  d'un  théologien  dont  on  voulait  con- 
naître l'avis.  Sdralek,  op.  cit.,  p.  145,  n.  3,  le  croit  écrit  par  un   moine   de  Metz 


466.    TROISIÈME     CONCILE     d' AIX-LA-CHAPELLE  -J93 

a  été  conservé  ;  il  montre  que  Lothaire  ne  peut  se   remarier,   et 
qu'on  a  tort  de  regarder  son  mariage   comme  invalide  1.   Theut- 
berge  aurait-elle  eu  avant  son  mariage  des  relations  incestueuses 
avec  son  frère,   cette  circonstance  ne  peut  invalider  le  mariage 
qui  a  suivi.  Ce  n'était  pas  le  lieu  de  citer  les  canons  relatifs  aux 
mariages  incestueux,  car  Lothaire  n'était  pas  parent  de  Theut- 
berge;  en  outre,  la  faute  de  celle-ci  avant  son  mariage  n'autorisait 
pas  à  l'abandonner  (sans  divorce)  ;  en  effet,  une  faute  commise 
s'efface  par  le  baptême  ou  par  la  pénitence,  et  la  seule  cause  de 
séparation,  c'est  une  conduite  désordonnée  pendant  le  mariage. 
S'il  fallait  casser  les  mariages  sous  prétexte  de  fautes  charnelles 
commises  avant  l'union  par  l'un  des  conjoints,  on  verrait  des  divor- 
ces en  masse,  car  ut  de  mulieribus  tacearn,  rarus  aut  nullus  est  vir 
qui  cum  uxore  virgo  conveniat  2.  Triste  témoignage  pour  l'époque  ! 
Nous  trouvons  dans  d'autres  fragments  un  second  avis, sans  pouvoir 
dire  s'il  provient  d'un  membre  du  concile  ou  d'une  personne  étran- 
gère dont  on  aurait  demandé  l'opinion.  L'auteur  admet  et  expose 
deux  cas  où  le  mari  peut  répudier  sa  femme  :  pour  cause  de  parenté 
ou  par  suite  d'inconduite  scandaleuse,  même  (au  dire  de    l'auteur), 
lorsque  cette  inconduite  aurait  précédé  le  mariage.     De    même, 
on  déposait  les  clercs  qui  avaient  péché  avant  la  réception  des 
ordres,  lorsque  leur  faute  devenait  publique  après  leur  ordination. 
Il  en  était  autrement  pour  l'homme.  La  femme  ne  pouvait  l'aban- 
donner, sous  prétexte  de  son  inconduite  antérieure,  car  l'homme 
était  le  maître  de  la  femme.  Quant  à  la  question  de  savoir  si,  après 
avoir  répudié  sa  femme,    l'homme    pouvait  contracter  un  second 
mariage,  elle  n'est  pas  traitée  dans  le  mémoire  dont  nous  parlons  3. 
La   majorité  des  évêques  rendit  une  décision  favorable  à   Lo- 
thaire, basée  sur  ces  motifs  :  a)   Le  concile  de  Lérida,  c.  4,  relè- 
gue parmi  les  catéchumènes  les  incestueux  obstinés,  nul   ne   doit 
[253]   avoir  commerce  avec  eux4,    b)   Le   c.   62   (61)   d'Agde 5  demande 
la    dissolution     des    unions     incestueuses     et    permet     un  second 

sur  la  demande  d'Advence   ;  Schrôrs.  op.  cit.,  p.    226,    le    considère    comme  un 
brouillon.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  194,  note  8.  (H.  L.) 

1.  Cette  opposition  fut  considérée  comme  non  avenue,   on  ne  la  mentionne 
même  pas.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  617  sq.  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  544  sq. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  626  sq.  Ce  mémoire  manque  dans  Hardouin. 

4.  Voir  §  237. 

5.  Voir  §  222. 


294 


LIVRE    XXIII 


mariage  1.  c)  Dans  son  commentaire  sur  la  première  lettre  aux 
Corinthiens,  saint  Ambroise  déclare  que  l'homme  qui  a  répudié  sa 
femme  pour  cause  d'adultère,  peut  en  épouser  une  autre  2.  Le  con- 
cile cite  ici  un  écrit  apocryphe  de  saint  Ambroise,  c'est-à-dire 
Y Ambrosiaster.  D'ailleurs  aucune  de  ces  citations  ne  s'applique 
au  cas  dont  il  s'agit  :  les  deux  premières,  parce  que  l'union  de 
Lothaire  avec  Theutberge  n'était  nullement  incestueuse  ;  la 
troisième,  parce  que,  en  admettant  que  Theutberge  eût  commis, 
avant  son  mariage,  la  faute  dont  on  l'accusait,  elle  ne  devenait, 
pas  pour  cela  adultère. 

Les  évêques  exposèrent,  dans  une  sentence  synodale,  les  motifs 
de  leur  décision.  Il  y  est  dit,  à  la  fin,  qu'elle  fut  composée  en  une 
nuit,  «  et  il  arriva  par  tniracle,  que  la  rédaction  de  l'un  était 
identique  à  celle  de  l'autre.  Aussi  l'assemblée  confirme  avec  joie 
et  à  l'unanimité  le  document  ;  elle  faisait  cette  remarque  parce 
que  l'on  chercherait  peut-être  à  propager  un  écrit  renfer- 
mant  un   autre   sentiment  3.  »    Il  est    évident  qu'on    vise    ici  le 


1.  Nous  avons  déjà  remarqué,  t.  u,  que  plusieurs  canons,  attribués  à  tort 
au  concile  d'Agde,  appartiennent  en  réalité  à  d'autres  conciles,  principalement 
au  concile  d'Épaone  de  517.  Le  canon  61  (non  62)  du  concile  d'Agde  cité  ici  est 
le  c.  30  d'Épaone. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  540;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  613. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  542  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  615.  On  voit 
qu'on  prenait  ses  précautions  contre  la  Collectio  variorum  locorum  qui  eût  fort 
contrarié,  au  moins  autant  que  jadis  le  De  divortio  Lotharii.  Sdralek,  op.  cit., 
p.  144  sq.,  croit  que  les  évêques  lorrains  ont  basé  leur  sentence  sur  le  De  divortio; 
oui,  sans  doute,  pour  les  questions  de  forme,  mais  quant  au  fond,  quant  à  la  pro- 
cédure suivie,  c'est  la  négation  même  des  principes  posés  par  l'archevêque  de 
Reims.  Cf.  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  226,  note  16.  L.  Ranke,  Weltgeschichte,  part.  VI, 
p.  1,  p.  183-185,  ne  voit  dans  la  sentence  rendue  qu'une  œuvre  inspirée  par  la 
politique.  Lothaire,  une  fois  en  possession  de  la  sentence  tant  désirée,  ne  préci- 
pita pas  les  événements,  mais  il  fit  mander  officiellement  au  pape  la  décision, 
l'assurant  qu'avant  de  passer  outre  il  voulait  attendre  son  avis  ;  mais,  d'après 
une  lettre  de  Nicolas  Ier  datée  de  867,  celui-ci  aurait  fait  réponse  qu'il  ne  pouvait 
envoyer  de  suite  des  légats.  Bizarre  démarche  de  la  part  de  Lothaire  que  l'envoi 
de  cette  ambassade  au  pape  aussitôt  après  le  IIIe  concile  d'Aix-la-Chapelle  pour 
solliciter  l'agrément  de  Nicolas  à  une  décision  qu'il  s'apprêtait  à  exécuter  avant  le 
retour  des  légats  et  la  réponse  du  pape.  Jafîé-Ewald,  n.  2698,  2886,  P.  L.,  t.  cxix, 
col.  798,  1166.  La  réponse  du  pape  est  perdue,  mais  le  sens  en  est  certain  d'après 
des  lettres  postérieures.  Voir  lettres  de  NicolasIer  à  Lothaire,  du  23  novembre  862, 
aux  évêques  du  concile  de  Soissons  d'avril  (?)  863,  aux  prélats  de  Gaule  et  de 
Germanie,  pour  les  inviter  à  assister  au  concile  de  Metz  (même  époque),  et  aux 
évêques  de  Germanie   du  31  octobre  867,  pour  les  prier  de  cesser  leurs  sollicita- 


66.     TROISIÈME     CONCILE     d' AIX-LA-CHAPELLE  295 


mémoire    des    deux    autres    évêques    qui  avaient  montré  plus  de 
courage  et  de  fermeté. 

Ayant  obtenu  la  permission  de  se  remarier,  Lothaire  épousa 
Waldrade,  qu'il  fit  couronner  reine  à  la  grande  tristesse  du  peuple. 
On  répétait  partout  que  Waldrade  avait  ensorcelé  le  prince  1. 
Nous  voyons,  par  l'epist.  xxxn  du  pape  Nicolas,  que  les  noces 
solennelles  de  Lothaire  avec  Waldrade  eurent  lieu  à  Noël  de  862  2. 


tions  en  faveur  de  Gùnther  et  de  Thieutgaud.  Jafîé-Ewald,  n.  2598,  2723,  2725, 
2886  ;  P.  L.,  t.  cxix,  col.  798,  833,  800,  1165-1166;  voir  aussi  Liber  pontificalis, 
notice  du  pape  Nicolas,  t.  n,  p.  159;  le  mémoire  lu  par  Charles  le  Chauve  à  Sa- 
vonnières,  c.  vi,  Couvent,  op.  Sapon.,  dans  Capitularia,  t.  n,  p.  161.  C'est  pro- 
bablement à  l'ambassade  envoyée  en  862  à  Nicolas  après  le  IIIe  concile  d'Aix- 
la-Chapelle,  qu'Advence  de  Metz  fait  allusion  dans  son  Libellus  apologeticus, 
dans  Baronius,  Annales,  édit.  Lucques,  t.  xiv,  p.  566,  col.  2.  Hefele,  Concilien- 
geschichte,  t.  iv,  2e  édit.,  p.  262,  pense  que  si  Lothaire  réclamait  l'intervention  du 
pape,  c'est  qu'il  espérait  séduire  les  légats  qu'enverrait  Nicolas.  (H.  L.) 

1.  Annales  Bertin.,  ad  ann.  862,  dans  Pertz,  Monum.  Germ.  histor.,  t.  i,  p.  458, 
et  Regino,  Chronicon,  ad  ann.  864,  ibid.,  p.  572.  [R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  198-199. 
(H.  L.)] 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  269;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  305.  Il  est  pro- 
bable que  la  cérémonie  du  mariage  se  fit  à  Aix-la-Chapelle.  La  date  exacte  n'est 
pas  donnée  par  Hincmar  qui  raconte  l'événement  après  l'entrevue  de  Mayence 
et  avant  la  consécration  de  la  cathédrale  de  Reims,  Annal.  Berlin.,  ad  ann.  862. 
p.  60.  Cette  église  était  dédiée  à  la  Vierge;  il  est  vraisemblable  que  la  cérémonie  eut 
lieu  le  8  septembre,  jour  de  la  Nativité.  Le  mariage  de  Lothaire  et  de  Waldrade  se 
placerait  ainsi  en  août  ou  au  commencement  de  septembre.  Telle  est  la  date 
admise  par  le  plus  récent  historien  et  le  mieux  averti  de  toute  cette  suite  d'évé- 
nements, M.  R.  Parisot  qui  ajoute  que  d'autre  part,  un  passage  de  la  lettre  écrite 
par  le  pape  aux  évêques  du  concile  de  Soissons  (Jafîé-Ewald,  op.  cit.,  n.  2723, 
P.  L.,  t.  cxix,  col.  833),  semble  indiquer  le  jour  de  Noël  comme  celui  où  le  ma- 
riage de  Lothaire  et  de  Waldrade  aurait  été  célébré  :  Prsecipue  vero  quoad  eum 
quem  perhibetis  die  natalis  Domini  super  adulteros  benedictionem  quse  maledic- 
tio  potius  credenda  est,  protulisse.  Comment  concilier  cette  assertion  avec  les  An. 
Bert.,  ad  ann.  862,  qui  placent  le  mariage  avant  la  dédicace  de  la  cathédrale  de 
Reims  et  avec  le  témoignage  de  Charles  le  Chauve  qui,  au  ch.  vi  du  mémoire 
qu'il  lut  au  Congrès  de  Savonnières,  donne  à  entendre  d'une  façon  sullisamment 
claire  que  Lothaire  s'était  déjà  uni  à  sa  maîtresse,  Capitularia,  t.  n,  p.  161  ?He- 
fele,  Conciliengeschichte,  t.  iv,p.  253,  place  à  Noël  le  couronnement  de  Waldrade; 
mais  Mùhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  487,  et  Diimmler,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  32,  n.  5,  croient 
que  ni  la  bénédiction  nuptiale  ni  le  couronnement  de  Waldrade  n'ont  eu  lieu 
le  jour  de  Noël;  d'après  eux,  le  mariage  a  été  célébré  avant  le  Congrès  de  Sa- 
vonnières. Une  erreur  ne  se  serait-elle  pas  glissée  soit  dans  la  lettre  des  évêques 
du  concile  de  Soissons,  qui  avaient  annoncé  à  Nicolas  la  nouvelle,  soit  dans  la 
réponse  du  pape  et,  au  lieu  de  die  jXalalis  Domini  ne  faudrait-il  pas  lire  die  Nati- 
vilalis  matris  Domini  ?  (H.  L.) 


296 


LIVRE     XXIII 


467.  Conciles  de  Soissons  et  de  Pistes.  Rothade  et  la  reine  Judith.  [254] 

Vers  cette  même  époque,  le  conflit  soulevé  entre  Hincmar  et 
Rothade  de  Soissons  fut  abordé  dans  les  assemblées  conciliaires. 
Depuis  l'année  822  ou  823,  Rothade  occupait  le  siège  épiscopal 
de  Soissons  ;  il  était  par  conséquent  suffragant  de  Reims,  et 
lors  des  difficultés  qui  avaient  assailli  son  ancien  métropolitain 
Ebbon,  il  s'était  distingué  parmi  ses  adversaires.  Il  avait  pris 
part  aux  deux  dépositions  d' Ebbon,  à  Thionville  et  à  Beauvais,  en 
835  et  en  845  ;  seule  la  crainte  l'avait  fait  adhérer  à  la  réin- 
tégration d'Ebbon  en  840  1.  Nous  le  retrouvons  très  actif  en  845, 
quand  il  s'agit  de  faire  monter  Hincmar  sur  le  siège  de  Reims  2, 
et  cependant  on  put  voir,  après  le  concile  de  Quierzy,  que  Rothade 
ne  possédait  guère  la  confiance  d' Hincmar,  qui  lui  retira  la  surveil- 
lance sur  Gotescalc  3.  Rothade  assure  qu'en  diverses  circonstances 


1.  Voir  §  438.  M.  Alexander,  Historiaecclesiastica,  in-fol.,  Venetiis,  1778,  t.  vi, 
p.  379-385  ;  Ellies  du  Pin,  Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques,  1697,  t.  ix, 
p.  89-100;  Otto,  De  causa  Rolhadi,  episcopi  Suessionensis,  dissertatio,  in-8,  Bres- 
lau,  1862  ;  Ed.  Rossteuscher,  Dissertatio  de  Rothardo  episcopo  Suessionensi, 
partie.  II.,  in-8,  Marburgi,  1845.  (H.  L.) 

2.  Voir  §  441,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  257,  258.  (H.  L.) 

3.  Voir  §  444.  C'est  une  carrière  fort  mouvementée  que  celle  de  Rotbade  de 
Soissons.  Il  était  au  nombre  des  plus  ardents  adversaires  d'Ebbon  de  Reims  et 
pour  assurer  sa  disparition,  il  s'était  volontiers  chargé  de  sacrer  Hincmar,  suc- 
cesseur d'Ebbon.  L'accord  entre  Hincmar  et  Rothade  dure  quelque  temps,  mais 
le  caractère  très  indépendant  de  Rothade  joint  à  son  titre  d'évèque  de  Soissons, 
ville  qui  occupe  le  premier  rang  dans  la  province  après  la  métropole,  lui  font  sup- 
porter avec  peine  l'attitude  autoritaire  d'Hincmar.  Diu  multis  ac  variis  labori- 
bus  rneam  vexabat  ambiguilatem,  dira-t-il,  dans  son  Lib.  proclam.,  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  682.  Et  il  commençait  à  ne  plus  cacher  son  humeur,  à  répondre  avec 
impertinence  à  son  archevêque  qui  l'accablait  de  ses  livres,  P.  L.,  t.  cxxvi, 
col.  29,  dont  le  vieil  évèque,  fort  de  son  expérience,  se  souciait  très  peu.  Rothade 
avait  peu  de  goût  pour  les  remontrances,  il  n'entendait  pas  subir  le  contrôle  d'un 
métropolitain  ni  l'ingérence  d'un  synode  provincial.  Il  faisait  aussi  peu  de  cas 
que  possible  du  droit  canon,  des  Décrétales  vraies  ou  fausses.  Rothade  avait  dû 
être  sacré  aux  environs  de  l'an  832,  P.  L.,  t.  exix,  col.  924;  il  fut  déposé  en  862 
cl  Nicolas  Ier  dit  qu'Hincmar  a  travaillé  environ  huit  ans  à  parvenir  à  cette 
déposition.  P.  L.,  t.  exix,  col.  897  ;  le  conflit  a  donc  commencé  aux  environs 
de  854.  Peut-être  le  pape  veut-il  dire  simplement  qu'à  la  date  où  il  écrit,  865,  le 
conflit  entre  les  deux  prélats  dure  depuis  huit  ans,  ce    qui  ferait  commencer  les 


467.     CONCILES    DE    SOISSONS    ET    DE    PISTES  297 

Hincmar  l'avait  longuement  et  rudement  persécuté  ;  pour  lui, 
il  avait  toujours  cédé  lorsque  sa  conscience  le  lui  avait  permis. 
Entre  autres  reproches  injustifiés  Hincmar  l'accusait  d'avoir 
déposé  sans  raison  un  prêtre  de  Soissons,  saisi  et  mutilé 
en  flagrant  délit  d'adultère  ;  néanmoins  cette  sentence  avait  été 
rendue  par  un  tribunal  de  trente-trois  évêques  1.  Rothade 
avait  disposé  de  la  place  du  prêtre  déposé  en  faveur  d'un  autre 
prêtre,  lequel,  après  trois  ans  passés  dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions, avait  été  saisi  par  ordre  d' Hincmar,  emmené  à  Reims,  excom- 
munié, incarcéré.  Hincmar  avait  ensuite  demandé  la  réintégra- 
tion du  prêtre  déposé.  Rothade  s'y  était  opposé,  ce  qui  lui  avait 
valu  d'être  traité  de  désobéissant  par  Hincmar,  car  celui-ci  ne 
le  regardait  pas  comme  son  frère  et  son  collègue  dans  l'épiscopat, 
mais  comme  un  clerc  du  diocèse.  Tel  est  le  récit  de  Rothade,  dans 
[255]  le   Libellus  proclarnationis   qu'il   envoya   au   pape  2.    Le   mémoire 

hostilités  en  857.  Au  concile  de  Soissons,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  986,  Rothade 
témoigne  encore  beaucoup  de  zèle  pour  Hincmar.  H.  Schrôrs,  Hinkmar,  Erzbis- 
chof  von  Reims,  sein  Leben  und  seine  Schriflen,  in-8,  Freiburg,  1884,  p.  238,  avance 
qu'à  cette  date  si  Rothade  parlait  encore  ainsi  en  public,  il  n'en  était  déjà  plus 
de  même  en  particulier.  Or,  ce  n'est  qu'en  867  qu' Hincmar  fait  mention  de  pro 
pos  très  vifs  tenus  par  Rothade  à  l'heure  présente,  par  opposition  aux  alléga- 
tions produites  jadis  en  concile  provincial,  probablement  en  853.  C'est  en  857  que 
la  crise  arrive  à  l'état  aigu.  Pendant  tout  ce  temps  l'affaire  des  clercs  ordonnés 
parEbbon  sera  le  subtil  venin  autour  duquel  le  mal  grandira  peu  à  peu.  Deux  mois 
après  son  sacre,  les  évêques  consécrateurs  d'Hincmar  lui  prescrivaient  au  sy- 
node de  Meaux  de  déposer  ces  clercs,  alors  que  lui-même,  dit-il,  n'y  songeait 
pas,  P.  h.,  t.  cxxvi,  col.  84.  Au  synode  de  Soissons,  les  sufîragants  de  l'évêque  de 
Reims  le  défendent  contre  ces  clercs.  Hincmar  choisit  pour  juges  entre  eux  et 
lui,  deux  archevêques  et  un  de  ses  sufîragants;  Pardulus  de  Lyon,  un  évêque 
d'une  province  voisine,  Prudence  de  Troyes  est  désigné  par  les  clercs  qui  sont 
confondus  et  déposés.  Au  IIIe  concile  de  Soissons  (866),  les  sufîragants  d'Hinc 
mar  auront  dans  la  même  question  la  même  attitude.  Seul  Rothade,  devant  le 
concile  de  Troyes  (867),  déclare  que  les  évêques  de  la  province  de  Reims  en  dépit 
de  leurs  précédentes  dénégations  ont  pris  part  au  rétablissement  d'Ebbon.  Depuis 
huit  années  que  Rothade  lutte  contre  Hincmar,  il  a  été  déposé  par  ordre  de  celui- 
ci,  emprisonné,  enfin  rétabli  sur  son  siège  par  Nicolas  Ier  en  865.  On  conçoit 
qu'il  n'ait  pas  laissé  échapper  une  si  belle  occasion  d'exhaler  sa  rancune.  (H.  L.) 

1.  Cette  donnée  n'est  pas  croyable.  Comment  un  évêque  sufïragant  aurait-il  con- 
voqué un  concile  de  trente-trois  évêques  ?  De  plus  ce  concile,  qui  aurait  dû  inté- 
resser plusieurs  provinces  ecclésiastiques,  n'est  mentionné  nulle  part.  Voir  Noorden , 
Hincmar,  p.  178  sq.,  qui,  dans  le  n.  6.  exprime  l'opinion  qu'il  ne  peut  y  avoir  là 
qu'une  faute  de  copiste  et  que  Rothade  a  sans  doute  prononcé  son  jugement  contre 
le  prêtre  en  question  avec  le  secours  de  trois  et  non  de  trente-trois  autres  évêques. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  681  sq.  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  579  sq. 


298 


LIVRE     XXIII 


envoyé  au  pape  Nicolas  par  Hinemar,  en  864,  présente  les  choses,  on 
le  devine,  sous  un  tout  autre  aspect x.  Rothade  est  un  désobéissant 

1.  Le  personnage  d'Hincmar  est  un  des  plus  importants  de  l'histoire  ecclésias- 
tique de  la  seconde  moitié  du  ixe  siècle.  Sans  être  doué  remarquablement  ni  pour 
l'action  ni  pour  l'intrigue,  sans  sortir  d'un  théâtre  restreint  et  d'une  polémique 
locale,  ce  prélat  est  arrivé  à  prendre  part  à  d'interminables  et  ardentes  discussions, 
à  provoquer  d'irréductibles  conflits,  à  froisser  des  réputations,  à  compromettre 
des  intérêts  avec  une  telle  obstination  que  son  nom  reparaît  invariablement 
dans  toutes  les  disputes  et  les  brouilles  de  son  temps.  Voici  d'abord  son  cursus 
hororum.  Né  vers  806,  trésorier  de  l'abbaye  de  Saint-Denys,  abbé  de  Saint-Ger- 
main à  Compiègne  et  de  Saint-Pernes  de  Flaix,  archevêque  de  Reims  élu  à  Beau- 
vais  en  avril  845,  sacré  le  3  mai,  mort  à  Épernay  le  21  décembre  882.  J.-J.  Ampère, 
dans  Histoire  littéraire  de  la  France,  in-4,  Paris,  1840,  t.  m,  p.  187-212  ;  (Barnabite) 
Hinemar  et  le  concile  de  Valence,  dans  V affaire  de  Godescalc,  dans  Analecta  juris 
pontificii,  1864,  t.  vu,  p.  540,  563;  Brissaud,  Étude  sur  Hinemar,  archevêque  de 
Reims,  dans  les  Travaux  de  l'Académie  de  Reims,  1847,  t.  vi,  p.  571  ;  E.  Bùchting, 
Glaubwùrdigkeit  Hincmars  von  Reims,  im  3  Theile  der  sogenannten  Annalen  von 
S1  Rertin.  Inaug.-Disserl.,  in-8,  Wittemberg,  1887;  R.  Ceillier,  Histoire  des  au- 
teurs ecclésiastiques,  in-4,  Paris,  1754,  t.  xix,  p.  308-374;  2e  édit.,  t.  xn,  p.  654- 
689;  M.  Conrat,  Ueber  eine  Quelle  der  rômisch-rechllichen  Texte  bei  Hinkmar  von 
Reims,  dans  Neues  Archiv  Gesells.  fur  d.  ait.  deuts.  Gesch.,  1899,  t.  xxiv,  p.  349- 
357;  C.  Diez,  De  Hincmari  vita  et  ingenio,  in-8,  Agendici,  1859  ;  H.  E.  Dirksen, 
Hinemar,  als  Kenner  der  Quellen  des  rômischen  Rechls,da.ns  ses  Hinterlas.  Schriflen, 
t.  ii,  p.  130-141  ;  E.  Dùmmler,  dans  Neues  Archiv  fur  Gesells.  cl.  dit.  deuts.  Gesch. 
1879,  t.  iv,  p.  536-538;  Ebert,  Hist.  de  la  littérature  du  moyen  âge,  in-8,  Paris, 
1884,  t.  ii,  p.  274-284;  A.  Esmein,  Les  ordalies  dans  V Eglise  gallicane  au  ixe  siècle, 
Hinemar  de  Reims  et  ses  contemporains,  in-8,  Paris,  1898;  Th.  Fôrster,  Drei  Erz- 
bischôfe  vor  tauseud  Jahren  :  Claudius  von  Turin,  Agobard  von  Lyon,  Hinkmar 
von  Rheims;  ein  Spiegelbild  far  ihre  Epigonen  in  unsem  Tagen,  in-8,  Gùtersloh, 
1873;  Wolf.  Friedr.  Gess,  Merkwûrdigkeiten  aus  dem  Leben  und  den  Schriften 
Hinkmar's,  Erzbischofs  von  Reims,  als  ein  Beitrag  zur  nàhern  Kenntniss  des  9 
Jahrhund.  besonders  in  Hinsicht  auf  den  kirchl.  und  sittl.  Zustand  in  den  frànk. 
Kreisen,  mil  einer  Vorrede  von  J.  G.  J.  Planck,  in-8,  Gottingen,  1806  ;  A.  M.  Gielt, 
Hinkmar's  Collectio  de  ecclesiis  et  capellis,  eine  Studie  zur  Geschichte  des  Kirchen- 
rechts,  dans  Historisches  Jahrbuch,  1894,  t.  xv,  p.  553-573;  Gorini,  Défense  de 
l'Église,  in-8,  Paris,  1866,  t.  ni,  p.  1-151;  G.  Guizot,  Histoire  de  la  civilisation 
en  France,  in-8,  Paris,  1874,  t.  n,  p.  336-364;  W.  Gundlach,  Zwei  Schriften  des 
Erzbischofs  Hinkmar  von  Reims,  lier aus gegeben,  dans  Zeilschrift  fur  Kirchenge- 
schichte,  1889,  t.  x,  p.  92-145,  258-310;  K.  Hampel,  Zum  Streite  Kinkmars  von 
Reims  mit  seinem  Vorgànger  Ebo  und  dessen  Anhàngern,  dans  A  eues  Archiv 
Gesslls.  fur  ait.  deuts.  Geschichte,  1897,  t.  xxiii,  p.  180-195  ;  B.  Hauréau,  Hinemar, 
dans  la  Nouvelle  biographie  générale,  1858,  t.  xxiv,  p.  706-712;  Holder-Egger, 
ZumTexte  von  Hincmars  S  chr  if  t  de  villa  Novilliaco  dans  Neues  Archiv  Gesells.  fur  ait. 
deuts.  Gesch.,  1897,  t.  xxm,  p.  196-198;  V.  Krause,  Hinkmar  von  Reims,  der 
Verfasser  der  sogenannten  Collectio  de  raptoribus  im  Capitulai-  vonQuierzy  857, 
dans  Neues  Archiv    Gesells.  fur   ait.  deuts.   Gesch.,  1892,  t.    xvm,   p.  303-308   ; 


467,     CONCILES     DE     SOISSONS     ET     DE     PISTES  299 

incorrigible  et  indigne  de  ses  saintes  fonctions.  «  Durant  des  années 
entières,  il  a  cherché  par  réprimandes  et  par  prières  à  le  remettre 

V.  Krause,  Hincmarus,  de  ordine  palatii,  dans  Fontes  juris  Germon,  aniiq.,  1894. 
Cf.  M.  Prou,  dans  Bibl.  de  V école  desch.,  1894,  t.  lv,  p.  674-675;  Moyen  âge,  1895, 
t.  vin,  p.  276-277;  G.  C.  Lee,  Hincmar,  An  introduction  to  the  study  of  the  révo- 
lution of  the  organisation  of  the  Church  in  the  ninth  century,  dans  Papers  of  the 
American  Society  of  Church  histary,  New-York,  1897,  t.  vm;  Poupot,  Hincmar, 
archevêque  de  Reims,  sa  vie,  ses  œuvres,  son  influence,  dans  Travaux  de  l'acad. 
de  Reims,  1866-1870,  t.  xlvi,  p.  1-328;  tiré  à  part,  Reims,  1869;  Nolte,  dans  la 
Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  1877,  IVe  série  t.  vi,  p.  279-284  ;  K.  von  Noor- 
den,  Ebo,  Hincmar  und  Pseudo-Isidor,  dans  Sybel,  Historische  Zeitschrift,  1862, 
t.  vu,  p.  311-350  ;  K.  von  Noorden,  Hinkmar,  Erzbischof  von  Rheims,  ein  Beitrag 
zur  Slaats-und  Kirchengeschichte  des  westfrànkischen  Reichs  in  der  zweiten  Hâlfte 
des  9  Jahrhund.,  in-8,  Bonn,  1863;  J.  C.  Pritchard,  The  life  and  limes  of  Hinc- 
mar, archbishop  of  Rheims,  in-8,  Littlemore,  1849;  M.  Prou,  Hincmar,  De  ordine 
palatii  epistola,  dans  la  Biblioth.  de  V École  des  hautes  études,  1884,  t.  lviii, 
p.  1-41  ;  cf.  Gefïroy,  dans  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  sciences  morales  et  poli- 
tiques, 1885,  série  IVe,  t.  xxiv,  p.  578-582;  J.  L.  Raab,  Delibris  Hypognosticon, 
an  ab  Hincmaro  in  August.  Confess.  et  alibi  recte  tribuantur  d.  August.  episc. 
Hipponensi,  in-8,  Altorfi,  |1735  ;  H.  Schrôrs,  Hinkmar,  Erzbischof  von  Reims, 
sein  Leben  und  seine  Schriften,  in-8,  Freiburg,  1884;  M.  Sdralek,  Hinkmars  von 
Rheims  kanonistisches  Gutachten  iiber  die  Ehescheidung  des  Kônigs  Lothar  II, 
ein  Beitrag  zur  Kirchen-Staats-und  Redits geschichle  des  9  Jahrhund.,  in-8,  Frei- 
burg, 1881  ;  E.  Lesne,  Hincmar  et  l'empereur  Lothaire,  dans  la  Revue  des  ques- 
tions historiques,  1905,  t.  lxxviii,  p.  5-58;  A.  Vidieu,  Hincmar  de  Reims,  étude 
sur  le  ixe  siècle,  in-8,  Paris,  1875;  K.  Weizsâcker,  Hinkmar  und  Pseudo-Isidor, 
dans  Zeitschrift  fur  histor.  Théologie,  1858,  p.  327-430.  F.  Picavet,  Les  discussions 
sur  la  liberté  au  temps  deGotleschalk,  de  Rhaban  Maur,  d' Hincmar  et  de  Jean  Scot, 
dans  les  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  se.  morales  et  polit.,  1896;  A.  Potthast, 
Bibliotheca  historica  medii  sévi,  in-8,  Berlin,  1896,  t.  i,  p.  598-600,  et  pour  les 
Annales  Bertiniani,  p.  55;  Wattembach,  Deulschlands  Geschichlsquellen,  p.  113, 
154,  5e  édit.,  1885,  t.  i,  p.  19G,  209,  277,  278;  6e  édit.,  1893,  t.  i,  p.  295,  296, 
t.  ii,  p.  292-509. 

On  le  voit  par  cette  bibliographie,  Hincmar  a  été  mêlé  à  tout  ce  qui  s'est  fait 
de  son  temps  ;  il  a  effleuré  plus  qu'approfondi  les  idées,  il  s'est  engagé  à  fond  dans 
les  conflits,  mais  théologie,  droit,  politique,  histoire,  il  ne  s'est  désintéressé  de 
rien.  Une  étude  patiente  de  cette  vie  si  remplie  peut  seule  aider  à  en  ressaisir 
l'ordonnance,  car  un  rapide  examen  ne  laisse  apercevoir  qu'un  caractère  mobile 
dirigé  par  l'intérêt.  Tour  à  tour  allié  ou  adversaire  du  Saint-Siège  et  des  princes 
carolingiens,  Hincmar  apparaît  comme  un  ambitieux  décidé  à  tout  sacrifier  à 
son  ambition  et  à  sa  grandeur  personnelle.  En  réalité,  une  pensée  moins  égoïste 
le  gouverne,  il  identifie  sa  personne  avec  sa  charge  de  métropolitain  et  avec 
l'institution  elle-même,  voici  pour  les  questions  de  droit  ;  il  est  adversaire-né 
et  irréductible  de  toute  innovation,  voici  pour  la  théologie  et  l'histoire  civile. 
M.  P.  Fournier,  dans  le  Bulletin  critique,  1885,  t.  vi,  p.  210,  apprécie  ainsi  le  ca- 
ractère de  l'intervention  d'Hincmar  parmi  ses  contemporains  :«  L'Église  est  arri- 


300  LIVRE     XXIII 

dans  le  droit  chemin.  D'autres  évêques  aussi,  sans  meilleur  résul- 
tat. Il  lui  a,  en  particulier,  donné  de  bons  livres  pour  qu'il  pût  lui- 

vée  à  un  point  décisif  dans  l'histoire  de  sa  constitution.  Bientôt,  grâce  à  l'affai- 
blissement du  pouvoir  impérial,  elle  sera  en  mesure  de  s'affranchir  peu  à  peu 
de  la  domination  séculière.  Pendant  que  la  société  civile  se  désorganise  et  s'émiette, 
la  tendance  à  la  centralisation  dans  l'Église  se  heurte  à  l'autorité  récem- 
ment établie  des  métropolitains.  Le  désordre  des  affaires  politiques  profite  à 
ce  pouvoir,  il  est  vrai  de  dire  qu'à  tout  amoindrissement  de  la  puissance  de  l'État 
doit  correspondre  un  accroissement  de  l'influence  des  métropolitains.  Voir  sur 
ce  point  l'article  de  Roth,  Pseudo-Isidor,  dans  Zeitschrift  fur  Redits geschichte, 
1865,  t.  v,  p.  9  sq.  Désormais,  affranchis  de  tout  contrôle  efficace,  ils  pourront 
confirmer  les  élections,  convoquer  les  synodes  et  exercer  la  juridiction.  Il  semble 
donc  que  le  droit  marche  vers  un  affermissement  de  leur  pouvoir;  au  contraire, 
jamais  il  n'a  été  plus  près  de  sa  ruine.  En  effet,  il  se  trouve  que  les  métropolitains 
ont  à  compter  avec  deux  forces  qui  leur  sont  hostiles,  celle  des  évêques,  qu'ils 
menacent  d'opprimer,  celle  du  pape,  qu'ils  menacent  d'effacer.  Viennent  sur  la 
chaire  de  saint  Pierre  un  homme  comme  Nicolas  Ier  et  à  la  tête  des  diocèses 
des  hommes  comme  Rothade  de  Soissons  et  Hincmar  de  Laon,  on  comprend  sans 
peine  que  des  efforts  vigoureux  partant  à  la  fois  d'en  haut  et  d'en  bas  ébranleront 
l'autorité  des  métropolitains.  Cependant,  par  situation,  comme  par  tempéra- 
ment, Hincmar  sera  le  défenseur  de  ce  pouvoir  et  l'adversaire-né  des  aspirations 
de  ses  contemporains.  Toutefois  les  tendances  nouvelles  prendront  corps  dans  les 
fausses  décrétales  :  aussi  ce  sont  ces  tendances  auxquelles  Hincmar  s'attaquera 
dans  plusieurs  des  lettres  capitales  de  sa  vie,  je  veux  dire,  dans  les  affaires  de 
Wulfade,  de  Rothade  et  d'Hincmar  de  Laon. 

«  En  politique,  Hincmar  appartient  à  la  génération  qui  suit  immédiatement 
Charlemagne.  Au  temps  du  grand  empereur,  l'unité  de  l'empire  est  un  dogme, 
comme  l'unité  de  l'Église  ;  les  deux  pouvoirs  se  confondent,  et  si  l'un  d'eux 
semble  l'emporter  ,  c'est  plutôt  le  pouvoir  temporel.  Pour  Hincmar  aussi,  il  n'y 
a  qu'une  Église  et  qu'un  Empire,  mais  quand  il  voit  la  faiblesse  des  successeurs 
de  Charlemagne,  il  n'a  pas  de  peine  à  donner  la  préférence  au  pouvoir  spirituel. 
D'ailleurs  témoin  attristé  des  déchirements  qui  ont  abouti  au  traité  de  Verdun, 
il  est  assez  avisé  pour  comprendre  que  dépareilles  modifications  ne  sont  pas  éphé- 
mères et  que  l'unité  matérielle  de  l'Empire  ne  saurait  guère  être  rétablie,  mais 
il  s'attache  à  maintenir  entre  les  débris  de  l'empire  carolingien  une  certaine  unité 
morale.  Pour  lui,  les  sujets  de  Louis,  de  Lothaire,  et  de  Charles  appartiennent 
au  même  empire  que  gouvernent  en  commun  les  princes  issus  de  la  race  de  Char- 
lemagne ;  Hincmar,  qui  vit  dans  les  domaines  de  Charles  le  Chauve,  parle 
volontiers  de  «  nos  princes  chrétiens  »  ;  il  appelle  Lothaire  II  «  notre  seigneur 
le  roi  m.  Les  guerres  entre  les  princes  carolingiens  sont  pour  lui  des  guerres  civi- 
les; l'Église  les  condamne  et  les  déplore,  tandis  qu'elle  bénit  les  luttes  que  les 
soldats  de  la  chrétienté  soutiennent  contre  les  païens.  Sans  doute  l'empire 
demeurera  longtemps  encore  l'idéal  politique  des  esprits  cultivés  :  mais  il  est 
facile  de  deviner  les  déceptions  que  doivent  éprouver  à  la  fin  du  ixe  siècle  ceux 
qui  gardaient  de  telles  croyances  et  de  tels  souvenirs.  En  politique  comme  en 
religion,  Hincmar  n'est  donc  pas  en  parfait  accord  avec  les  aspirations  de  son 


467.     CONCILES     DE     SOISSONS     ET     DE     PISTES  301 

même   se    convaincre   de   ses   fautes  ;    mais    Rothade   a   répondu 
ironiquement  qu'Hincmar  n'a  rien  trouvé  de  mieux  que  de  lui 


époque.  Toutefois  le  conflit  fut  moins  vif  sur  le  terrain  politique  que  sur  le  terrain 
religieux  où  Hincmar  était  directement  intéressé  ;  l'archevêque  semble  même 
avoir  accueilli  avec  froideur  la  réunion  passagère  de  tout  l'empire  sous  le  scep- 
tre de  Charles  le  Chauve.  »  Hincmar  est  avant  tout  un  homme  de  gouvernement. 
Sans  doute  il  a  laissé  beaucoup  d'écrits  théologiques.  Mais  la  plupart  ont  été 
provoqués  par  les  incidents  de  sa  vie  militante.  Hincmar  n'est  point  un  théolo- 
gien de  profession.  Il  n'élève  la  voix  contre  les  erreurs  de  Gotescalc  que  parce 
que  l'hérésiarque  est  son  diocésain  et  qu'avec  son  sens  pratique  il  a  vite  compris 
tous  les  dangers  que  les  doctrines  prédestinatiennes  font  courir  à  la  religion  et 
à  la  morale.  Au  surplus,  quand  il  se  lance  dans  la  mêlée,  c'est  après  les  écrivains 
les  plus  considérables  de  son  temps.  Bien  plutôt  homme  d'action  qu'homme  de 
théorie,  Hincmar  est  moins  fait  pour  raisonner  que  pour  diriger.  D'ailleurs  il 
ne  manque  point  de  grandeur  :  il  sait  être  fier  avec  les  grands  et  compatissant 
avec  les  humbles.  Hincmar  garde  assez  mauvaise  réputation  pour  certaines 
falsifications  de  documents  qu'il  se  serait  permises.  On  a  prétendu  l'innocenter 
complètement,  nous  ne  croyons  pas  qu'on  y  ait  réussi.  La  vie  de  saint  Rémi, 
le  Grand  Testament  de  saint  Rémi,  la  légende  de  la  sainte  Ampoule  sont  d'ail- 
leurs des  faits  moins  graves  que  certaines  altérations  de  textes  juridiques.  Hinc- 
mar ne  manquait  pas  d'érudition  et  c'est  ce  qui  le  rend  moins  excusable  d'en 
avoir  abusé  au  profit  de  ses  prétentions.  Savigny,  Geschichte  des  romischen  Rechts 
im  Miltelaller,  1.  II,  c.  cxv,  n.  98,  et  Dirksen,  Ueber  die  Collatio  Legum  Mosai- 
carum  et  Romanarum,  dans  Hinterlassene  Schrijten,  publiés  par  Sanio,  in-8, 
Leipzig,  1871,  ont  signalé  les  historiens,  les  Pères  de  l'Eglise  et  les  monuments 
juridiques  consultés  et  cités  par  Hincmar.  Un  certain  nombre  de  citations 
juridiques  ont  été  simplement  dépiquées  dans  les  écrits  des  Pères  ;  aussi  Schrôrs 
est  d'accord  avec  Savigny  pour  écarter  de  sa  bibliothèque  les  compilations  de 
Justinien,  tout  en  reconnaissant  qu'il  s'est  servi  de  VEpitome  Juliani. Comme  tous 
ses  contemporains  Hincmar  a  fait  grand  usage  de  la  Lex  romana  Wisigolhorum 
dans  un  exemplaire  qui  devait  contenir  en  outre  un  certain  nombre  de  Consti- 
tutions impériales  ordinairement  omises,  notamment  des  constitutions  du 
XVIe  livre  du  code  théodosien  si  importantes  pour  le  droit  ecclésiastique.  Hrenle 
signale,  Lex  rom.  Wisigothor.,  proleg.,  p.  xlix,  lix  sq.,  des  manuscrits  de  la  Lex 
romana  qui  renferment  de  telles  additions.  Comme  les  citations  étrangères  à  la 
Lex  romana  sont  extraites  de  constitutions  ainsi  ajoutées,  on  est  en  droit  de  pen- 
ser qu'Hincmar  n'a  pas  connu  directement  le  code   théodosien. 

C'est  surtout  comme  incarnant  la  discipline  métropolitaine  qu'Hincmar  inté- 
resse nos  études  et  influe  en  son  temps  sur  l'histoire  que  nous  exposons.  Son  rôle 
politique  qui  est  considérable,  au  point  que  E.  Dùmmler,  Geschichte  des  Oslfràn- 
kischen  Reiches,  2e  édit.,  Leipzig,  1887,  1888,  t.  n,  p.  87,  voit  en  lui  :  die  Seele 
der  svcstfrankisch.cn  J'olilik,  ajoute  encore  à  l'importance  de  son  intervention  eu 
matière  canonique.  Le  siège  de  Reims  est  alors  pour  celui  qui  l'occupe  un  moyen 
d'exercer  une  influence  considérable.  Cf.  E.  Lesne,  La  hiérarchie  épiscopale;  pro- 
vinces, métropolitains,  primats  en  Gaule  et  Germanie  depuis  la  réforme  de  saint 
Boni  face  jusqu'à  la  mort  d' Hincmar,  742-882,  in-8,  Paris,  1905,  p.  286,  287,  note  1. 


302  LIVRE    XXIII 

montrer  tous  les  jours  ses  petits  livres.  Rothade  a  cherché  sou- 
vent à  l'irriter,  ainsi  que  d'autres  évêques  et  le  roi  lui-même. 
Néanmoins  Hincmar  l'a  supporté  longtemps,  non  sans  dommage 
pour  le  diocèse  de  Soissons.  »  Dès  avant  sa  déposition,  ajoute 
Hincmar,  Rothade  a  donné  des  preuves  de  désobéissance  à 
l'égard  des  saints  canons,  du  roi  et  du  métropolitain.  Mais  mainte- 
nant —  depuis  sa  déposition  —  il  vit  délaissé  et  continue 
à  donner  le  mauvais  exemple  aux  méchants  et  à  scandaliser 
les  bons.  Hincmar  lui  reproche  sa  negligentia  et  sa  diutina  in 
sacro  ministerio  inutilitas  ;  il  l'accuse  d'avoir  engagé  un  calice 
d'or  à  un  aubergiste,  d'avoir  vendu  à  des  juifs  des  couronnes 
d'or  de  statues  de  saints,  d'avoir  trafiqué  des  biens  des  églises, 
enfin  d'avoir  dissipé  ou  donné  plusieurs  vases  d'argent,  et  cela 
sans  l'assentiment  du  métropolitain  et  des  évêques  de  la  pro- 
vince, de  même  que  sans  le  conseil  de  son  économe  et  des  autres 
clercs  ;  plus  de  cinquante  membres  d'un  concile  l'avaient  solennel- 
lement convaincu  de  toutes  ces  fautes  (lors  de  sa  déposition)  l, 
Dans  sa  continuation  des  Annales  de  Saint-Bertin,  Hincmar  ap- 
pelle Rothade  homo  singularis  amentise2.  Tout  cela,  joint  aux 
paroles  de  Rothade,  prouve  que  le  mécontentement  d' Hinc- 
mar reposait  sur  des  motifs  sérieux  et  non  pas  seulement  sur 
la  déposition  du  prêtre  adultère.  Dans  ce  cas  particulier,  Hinc- 
mar avait  le  droit  canon  pour  lui,  car  un  prêtre  ne  doit 
jamais  être  déposé  par  un  évêque  seul,  mais  par  un  concile, 
et  si  Rothade  a,  comme  il  l'affirme,  fait  condamner  ce  prêtre 
par  une  assemblée  de  trente-trois  évêques,  il  s'avoue  coupable 
d'une  faute  grave,  car  ce  n'était  pas  à  lui,  simple  suffragant,  [256J 
mais  à  un  métropolitain  à  convoquer  un  pareil  concile  3.  Aussi 
Hincmar  se  vit-il  obligé  de  réunir  en  861,  dans  le  monastère 
des  Saints-Crépin    et    Crépinien    à    Soissons,    un   concile    provîn- 


On  trouve  disposés  dans  un  ordre  logique  les  éléments  d'une  biographie  d' Hinc- 
mar au  point  de  vue  canonique  dans  ce  dernier  ouvrage  p.  319-320,  au  mot 
Hincmar.   (H.  L.) 

1.  Hincmar,  Epist.,  u,ad  Nicolaum  Papam,  dans  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  29-32; 
P.  L.,  t.  cxix,  col.  748-752. 

2.  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  i,  p.  457. 

3.  Si  l'on  admet  avec  Noordcn  que  Rothade  avait  convoqué  trois  évêques  et 
non  trente-trois,  la  procédure  n'eût  cependant  pas  été  conforme  à  l'ancien 
droit  canon,  qui  exige  la  présence  de  cinq  évêques  lorsqu'il  s'agit  de  condam- 
ner un  prêtre. 


467.     CONCILES     DE     SOISSONS    ET     DE    PISTES  303 

cial  qui  prononça  l'exclusion  de  Rothade  de  la  communion  des 
évêques.  Nous  n'avons  sur  ce  synode  que  ces  rapides  détails 
fournis  par  le  continuateur  des  Annales  de  Saint- Berlin1. 

Dédaignant  la  sentence  qui  le  frappait,  Rothade  parut,  en 
862,  au  concile  de  Pistes  ou  Pistres  (diocèse  de  Rouen)  2.  Charles 
le  Chauve,  roi  de  France,  avait  convoqué  à  Pistes3,  le  1er juin 
862,  les  grands  de  son  empire  avec  leurs  esclaves,  leurs  voitures, 
leurs  chevaux,  afin  d'établir  à  cet  endroit  de  la  Seine  de  forts 
retranchements  contre  les  invasions  des  Normands.  Pendant  qu'on 
y  travaillait,  le  roi  résida  durant  quelques  jours  à  Mehun-sur- 
Loire,  où  il  eut  une  entrevue  avec  son  fils  Charles.  Puis  il  revint 


1.  Lalande,  Concilia  Gallise,  1660,  col.  166  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  736- 
737;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  196;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  605; 
Pertz,  Monum.  Germ.  hisl.,  t.  i,  p.  455  ;  A.  Verminghofî,  Verzeichnis,  dans 
Neues  Archiv,  1901,  t.-xxvi,  p.  631-632;  E.  Lesne,  La  hiérarchie  épiscopale, 
1905,  p.  155.  (H.  L.) 

2.  Le  concile  de  862  commence  ainsi  :  In  nomine  sanctse  et  individuse  Trini- 
(atis.  Karolus  gratiaDei  rex  et  episcopi,  abbales  quoque  et  comités  ac  céleri  in  ChristO 
renati  fidèles  qui  ex  diversis  provinciis  super  fluvium  Sequanam  in  locum  qui  Pistis 
dicilur,  ubi,  exigentibus  peccatis  nostris,  aliquandiu  sedes  fuit  Nortmanorum, 
conversimus.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  631  ;  Capitul.,  édit.  Krause,  t.  n,  p.  303. 
Sur  la  localité  de  Pitres,  dans  laquelle  Charles  le  Chauve  aurait,  au  mois  de  jan- 
vier 862,  remporté  un  succès  sur  les  pirates  normands,  cf.  F.  Lot,  Mélanges 
carolingiens,  II.  Le  pont  de  Pitres,  dans  Le  moyen-âge,  1905 ,  IIe  série,  t.  ix, 
p.  1-2.  Le  roi  convoqua  le  grand  plaid  annuel  à  Pitres  pour  les  calendes  de  juin 
(16  mai-ler  juin  862)  et  après  une  courte  absence,  il  revint  dans  ce  lieu  pour  y 
tenir  un  concile  et  y  promulguer  des  Capitulaires.  «  Qu'est-ce  que  Pistis,  Pistas, 
Pîstus  ?  se  demande  M.  Lot.  Sans  nous  attarder  à  discuter  des  identifications 
antaisistes,  il  n'est  pas  douteux  qu'il  s'agisse  de  Pitres,  sur  la  Seine,  département 
de  l'Eure,  arrondissement  de  Louviers,  canton  de  Pont-de-1'Arche,  au  confluent 
de  l'Andelle  avec  la  Seine,  à  l'endroit  même  où  l'action  de  la  marée  montante 
cesse  de  se  faire  sentir,  Vita  sancli  Condedi,  monachi  Fontanellensis,  c.  vi,  dans 
Mabillon,  Acta  sanct.  O.  S.  B.,  sœc.  n,  p.  862.  C'était  une  ancienne  villa  méro- 
vingienne ou  gallo-romaine.  »  F.  Lot,  op.  cit.,  p.  17-18.  Cochet,  Notes  sur  les  res- 
tes d'un  palais  de  Charles  le  C/iauw?(861-869)  retrouvés  à  Pitres  en  1854,  1855,  1856, 
dans  les  Mém.  de  la  Soc.  des  antiq.  de  Normandie,  1858,  t.  xxiv,  p.  156-165;  Une 
ouvelle  visite  à  Pitres,  ibid.,  p.  398-402;  L.  Contel,  Les  fouilles  de  Pitres,  dans  le 
Recueil  des  travaux  de  la  Société  d'agriculture,  sciences,  arts  et  belles-lettres  de  l'Eure. 
Ve  série,  1899,  t.  vu,  p.  60-66.  (H.  L.) 

3.  Il  y  avait  un  palais,  cf.  Cochet,  Notes  sur  les  restes  d'un  palais  de  Charles  le 
Chauve  (861-869),  retrouvés  à  Pitres,  canton  de  Pont-de-V Arche,  arrondissement 
de  Louviers,  (Eure)  dans  les  Procès-verbaux  de  la  Commission  des  antiquités  de  la 
Seine-Inférieure,  1849-1867,  t.  n,  p.  102-109;  cf.  Mémoires  de  la  Société  des  antiq. 
de  Normandie,  1859,  série  IIIe,  t.  iv,  p.  156.  (H.  L.) 


304  LIVRE     XXIII 

à  Pistes,  où  devaient  se  tenir  le  placitum  et  le  synodus  indiqués. 
Les  évêques  de  quatre  provinces  ecclésiastiques  s'y  rendirent 
et  on  y  traita  des  affaires  de  l'empire  et  de  l'Église  x.  Nous  possé- 
dons encore  de  cette  réunion  un  important  décret  en  quatre  cha- 
pitres :  1.  Le  roi,  les  évêques  et  les  grands  déplorent  d'abord 
les  grands  malheurs  qui  frappent  présentement  l'empire,  et  qui 
sont  la  conséquence  des  péchés,  des  leurs  en  particulier.  2.  Pour 
introduire  une  réforme,  chaque  évêque  dans  son  diocèse,  chaque 
jnissus  dans  son  district,  chaque  comte  dans  son  comté,  doit 
ramener  au  bien  les  délinquants,  ou  les  punir;  les  évêques  doivent 
imposer  les  peines  méritées  sans  acception  de  personnes.  On  devra 
proclamer  de  nouveau  les  anciens  canons  publiés  à  Quierzy  et 
à  Valence  en  853  et  857.  3.  Jusqu'à  la  fête  de  saint  Rémi  (1er 
octobre),  chacun  pourra  expier  ses  péchés  de  plein  gré  ;  après 
cette  date  on  portera  des  peines  sévères.  4.  On  renouvelle  [257] 
d'anciennes  prescriptions  sur  le  vol,  les  duperies,  les  atteintes 
portées  aux  biens  des  églises,  les  mauvais  traitements  infligés 
aux  clercs,  et  on  engage  les  évêques  à  excommunier  les  grands 
de  l'empire  qui  ne  voudraient  pas  travailler  à  leur  amendement 
et  à  celui  de  leurs  inférieurs  2.  Enfin  le  concile  de  Pistes  confirme 
au  monastère  de  Saint-Calais  ses  privilèges  que  lui  ^dispute 
l'évêque  du  Mans  3. 

Le  concile  de  Pistes  se  montrait  disposé,  sur  la  demande  d'Hinc- 
mar,    à  ratifier  la   sentence   de   déposition   contre    Rothade,    qui 

1.  Coll.  regia,  1644,  t.  xxn,  col.  750  ;  Lalande,  Conc.  Gallise,  1660,  col.  171; 
Labbe,  Concilia,  1671,  t.  vin,  col.  734-761,  775-783,  1935-1936,  1952-1953 
Baluze,  Capitularia  regum  jrancorum,  1677,  t.  n,  col.  153-164;  Hardouin,  Coll. 
concil.,  t.  v,  col.  559;  Bessin,  Concilia  Rotomagensia,  1717,  t.  i,  p.  17;  Martène, 
Thésaurus  nov.  anecdot.,  1717,  t.  iv,  col.  63-66;  Coleti,  Concilia,  1730,  t.  x,  col.  215, 
245;  Bouquet,  Recueil  des  historiens  de  la  France,  1749,  t.  vu,  col.  585;  Mansi, 
Conc.  amphss.  coll.,  1770,  t.  xv,  col.  663;  Walter,  Corp.  jur.  ant.,  1824,  t.  ni, 
col.  121  ;  Pertz,  Mon.  Germ.  hist.,  t.  i,  p.  457.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvm,  Append.,  col.  104  ;  Pertz,  Mon.  Germ.  hist.,  t.  m, 
Leges,  t.  i,  p.  477  sq.  ;  Gfrôrer,  Die  Carolinger,  t.  i,  p.  328  sq. 

3.  Voir§  436,  §  457.  Le  concile  de  Pitres  reprit  la  même  affaire  qui  avait  occupé 
le  concile  de  Bonneuil  sept  ans  plus  toi.  Or  décida  que  les  évêques  qui  ne  s'étaient 
|i;is  trouvés  à  Bonneuil,  ainsi  que  les  successeurs  de  ceux  qui  étaient  morts  depuis 
cette  assemblée,  ajouteraient  leurs  signatures  au  bas  du  privilège  de  855.  Cette  série 
supplémentaire  de  signatures  épiscopales  a  été  publiée  par  Martène.  Thésaurus,  t.  jv 
p.  63,  et  par  J.  Havet,  Œuvres  complètes,  1. 1,  p.  183,  n.  18.  Le  même  concile  de  Pitres 
de  862  adressa  une  lettre  à  l'évêque  du  Mans  publiées  par  Mabillon,  Annales,  t.  ni, 
p.  94  et  Havet,  op.  cit.,  t.  i,  p.  184,  n.  19.  (H.  L.) 


467.     CONCILES     DE     SOISSONS     ET     DE     PISTES  305 

comprit  que,  pour  l'éviter,  il  devait  sans  délai  en  appeler  à  Rome  '. 
Le  concile  reconnut  la  légalité  de  cet  appel  et  lui  accorda  un  sur- 
sis, nécessaire  au  voyage  de  Rome.  Rothade  revint  immédiate- 
ment à  Soissons,  d'où  il  écrivit  au  roi  et  à  Hincmar  pour  leur  recom- 
mander son  Eglise  pendant  son  absence.  Il  écrivit  également 
au  prêtre  déposé  de  se  rendre  à  Rome  et  d'y  exposer  sa  défense. 
Rothade  confia  au  clerc  porteur  de  ses  lettres  au  roi  et  à  Hinc- 
mar, une  troisième  lettre  pour  un  évêque  de  ses  amis,  dans  l'es- 
poir que  celui-ci  serait  encore  au  concile  ;  dans  cette  missive, 
il  l'exhortait  instamment  tous  ceux  de  ses  collègues  qui,  à  Pistes, 
n'avaient  pas  voulu  adhérer  à  sa  déposition,  à  le  défendre  cl  à 
Ir  soutenir2.  Hincmar,  ayant  appris  l'existence  de  cette  lettre, 
lit  tant  qu'elle  fut  lue  dans  le  concile  ;  il  en  conclut  que  Ro- 
thade avait  retiré  son  appel  et  demandait  que  son  affaire 
fût     réglée    par    des    judices    elecii  3.    On    ne   peut    dire   jusqu'à 

1.  Le  droit  canon  en  usage  n'admettait  pas  l'appel  à  un  tribunal  supérieur 
avant  qu'un  tribunal  de  rang  moins  élevé  eût  rendu  son  jugement;  un  appel  de 
ce  genre  ne  peut  être  fait  qu'en  suivant  la  doctrine  du  pseudo-Isidore. 

2.  Gfrorer,  op.  cit.,  t.  i,  p.  465,  dit  à  tort    que  Rothade  avait  simplement    im- 
ploré l'assistance  de  ces  évêques  pour  le  temps  que  durerait  son  voyage  à  Rome. 

3.  Sur  l'attitude  d'Hincmar  dans  ce  concile  et  dans  plusieurs  autres,  cf.E.  Lesne, 
La  hiérarchie  épiscopale,  1905,  p.  173-174.  La  compétence  des  judices  elecii  est 
un  emprunt  fait  au  cours  de  la  renaissance  carolingienne  du  droit  canonique  aux 
canons  des  conciles  africains.  Cf.  Hincmar,  LV  Capit.,  xxvn,  P.L.,  t.  cxxvi, 
col.  400;  Libellus  exposl.,  xm,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  583-584;  //  Conc.  Suession., 
act.  i,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  984  ;  Conc.  Milevitanum,  can.  22,  24,  dans 
la  Collectio  Hispana,  P.  L.,  t.  lxxxiv,  col.  234,  dans  la  collection  du  pseudo- 
Isidore (édit.  Hinschius,  p.  319);  ///  Conc.  Carthag.,  can.  9,  10,  dans  Hispana, 
P.  L.,  t.  cxxxiv,  col.  190,  191,  dans  la  collection  pseudo-Isidorienne  (Hinschius, 
p.  298)  ;  Conc.  Africanum,  dans  la  Dionysio  Hadriana,  can.  63  et  87  (dans  Hartz- 
heim,  Conc.  Germ.,  t.  i,  p.  223,  227).  Hincmar  explique  l'usage  africain  de  déférer 
la  cause  à  des  évêques  voisins  élus,  par  l'étendue  des  provinces  et  l'éloignement 
de  l'évêque  du  premier  siège.  LV  Capit.,  xxix,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  404.  Le  même 
obstacle  n'existant  pas  dans  sa  province,  il  s'ensuit  que  c'est  à  lui  de  prononcer  ou, 
en  preuve  d'impartialité,  de  désigner  les  juges.  Toutefois  l'ancien  droit  subit  des 
retouches  destinées  à  sauvegarder  les  prérogatives  de  l'archevêque,  rouage  dont 
la  législation  africaine  n'avait  pu  se  préoccuper.  Lorsque  le  métropolitain  ne 
donne  pas  lui-même  des  juges,  il  ratifie  du  moins  le  choix  fait  par  l'inculpé.  Cf. 
Hincmar,  LV  Capit.,  vi  :  Ego  vero  tibi  judices  aut  consentire  electos  aul  a  me  etiam  de- 
pulatos  dare  debeo,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  311  ;  De  jure  melrop.,  xvi  :  Quœstio per  ipsos 
judices  jubetur  finiri,  sive  quos  primates  dederint,  sive  quos  inter  se  conquerentes 
vicinos  ex  consensu  delegerinl,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  198;  Conc.  Africanum,  can.  87 
{Dionysio  Hadr.,  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  i,  p.  227).  A  Douzy,  Hincmar  repro- 
che à  son  su  lirai;.!  ii  I  de  n'avoir  accepté  ni  l'une  ni  1  autre  de  ces  solutions.  I a  bel  lus 

CONC  I  LES    -    IV    -   2ii 


306  LIVRE     XXIII 

quel  point  était  fondée  cette  allégation  d'Hincmar,  car  la 
lettre  de  Rothade  qui   la    provoqua    est    perdue.    Quoi    qu'il    en 

expost.,  iv,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  570.  Hincmar  de  Laon  réclama  des  judices  elecli. 
P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  496.  Quand  l'archevêque  est  en  cause,  il  a  le  droit  de  désigner 
seul  les  juges.  C'est  de  sa  pari  faire  preuve  d'un  grand  esprit  de  conciliation  que 
de  permettre  à  la  partie  adverse  de  choisir  à  son  tour  quelques  juges.  Conc.  Sues- 
sion.  III,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  984.  L'évêque  accusé  ne  peut  chercher 
des  juges  que  dans  sa  province,  tandis  que  le  métropolitain  peut  lui  assigner 
comme  juges  les  évêques  d'une  province  étrangère.  Hincmar,  LV  Capil..  vi. 
P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  312,  313.  La  sentence  des  juges  élus  est  sans  appel.  Hincmar, 
Libellus  expost.,  xiii,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  584;  cf.  Epist.  ad  NicoL,  P.  L.,  t.  cxxvi, 
col.  29.  Du  jugement  d'un  évêque,  quand  il  a  prononcé  comme  juge  élu  par  les 
parties,  on  ne  peut,  de  l'aveu  d'Hincmar,  en  appeler  au  métropolitain.  Hincmar, 
LV  Capit.,  xxix,  P.  L.,  t.  cxxvr,  col.  404.  Si,  en  revanche,  l'évêque  déjà  condamné 
dans  un  synode  et  par  un  métropolitain  en  a  appelé,  avec  l'approbation  de 
l'archevêque,  à  des  judices  elecli,  il  s'est  fermé  toute  autre  voie  de  recours;  Hiiic- 
mar  affirmait  que  Rothade,  au  concile  de  Pitres  en  avait  appelé  au  Siège  romain 
et  demandé  au  concile  de  lui  donner  des  judices  elecli  :  en  conséquence  sa  demande 
d'appel  à  Rome  n'était  plus  recevable.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  28  sq.  Rothade  nia  en 
avoir  appelé  aux  judices  elecli  et  déclara  s'en  être  toujours  tenu  à  l'appel  au 
Saint-Siège.  Libellus  proclamai.,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv.  col.  683.  Rothade  sem- 
ble donc  reconnaître  implicitement  que  l'une  des  juridictions  excluait  l'autre. 
Nicolas  Ier  n'est  pas  de  cet  avis.  Il  admet  parfaitement  que  Rothade  n'a  pas 
sollicité  de  judices  elecli,  mais  l'eût-il  fait  il  n'accepte  pas  le  principe  qu'il  se  fût 
ainsi  fermé  le  recours  à  Rome.  P.  L.,  t.  cxix,  col.  891-892.  On  en  a  la  prëttvë  lors- 
qu'il ordonne  de  remettre  à  des  judices  elecli  l'examen  de  la  querelle  entre  l'évê- 
que du  Mans  et  le  monastère  de  Saint-Calais;  mais  si  l'évêque,  au  cours  du  juge- 
ment, vient  à  en  appeler  au  Saint-Siège,  l'affaire  devra  lui  être  déférée.  Nicolas, 
Epist.  ad  Carolum  regem,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  864.  En  fait,  la  juridiction  des  judices 
electi  se  distingua  sans  doute  rarement  de  celle  du  synode.  Au  IIe  concile  de  Sois- 
sons,  Hincmar  et  les  clercs  ordonnés  par  Ebbon  élisent  comme  juges  quelques- 
uns  des  évêques  présents.  Mansi,  op.  cit.,  t..  xiv,  col.  984.  Ce  sont  ces  juges  élus  qui 
conduisent  1  instruction,  mais  c'est  devant  le  synode  tout  entier  que  s'agiteîit 
les  débats.  C'est  le  concile  qui  rend  les  arrêts.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  986. 
Finalement  Hincmar  reprend  la  présidence,  du  consentement  des  juges  et  du 
concile,  et  on  en  revient  à  la  procédure  ordinaire  des  synodes.  Mansi,  op.  cit., 
t.  xiii,  col.  987.  Il  en  a  été  de  même  dans  l'affaire  de  Rothade  ;  Hincmar  affirme 
que  sur  la  demande  de  ce  dernier,  le  concile  de  Pitres,  lui  a  constitué  douze 
juges  et  qu'en  conséquence  il  a  été  déposé  à  Soissons.  A  lire  le  récit  du  condamné, 
on  voit  qu'il  s'est  tenu  à  Soissons  un  véritable  synode  dont  le  président  Hinc- 
mar a  prononcé  la  sentence  de  déposition.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  683,   864. 

Sous  cette  forme  et  grâce  à  ces  restrictions,  l'appel  à  des  judices  electi  laisse 
intacte  la  prérogative  du  métropolitain  et  la  juridiction  synodale.  L'appel 
au  Siège  apostolique,  au  contraire,  diminuait  et  contrariait  directement  l'une  et 
l'autre.  Le  développement  constant  de  cette  pratique  au  ixe  siècle  alarmait  les 
tenants    de   la   juridiction     synodale     et    métropolitaine.     Sans    nier  le  princi  pe 


467.     CONCILES     DE     SOISSONS     ET     DE     PISTES  307 

soit,    Rothade    a    toujours    affirmé    qu'il    n'avait    pas  songé  un 
seul  instant  à  renoncer  à  l'appel    et  n'avait  jamais  réclamé   un 
258]  nouveau  tribunal  épiscopal  x.   La   majorité  des  évêques  réunis  à 
Pistes   et  le  roi   Charles   lui-même    approuvèrent  les   conclusions 
d'Hincmar  qui  envoya  aussitôt  à  Soissons  l'abbé  Trasulf,  chargé 
d'interdire   à    Rothade   le   voyage   de    Rome;    Rothade,   refusant 
d'obéir,  fut  mis  en  prison.  Le  roi  transféra,  dans  les  derniers  mois 
de  862,  le  concile  de  Pistes  dans  un    faubourg    de    Soissons  (in 
suburbano),  et  Hincmar  députa   trois  évêques  à  Rothade  pour  le 
citer.   Il  n'obéit  pas,  mais  après  plusieurs    citations    il    consentit 
à  se  laisser  présenter  au  roi  dans  un  appartement  voisin  du  local 
où   se  tenait  le   concile.   Charles   lui  interdit  une  fois   de   plus   le 
voyage  de   Rome,   et  exigea   sa   comparution  devant  l'assemblée. 
L'évêque  refusant  encore  fut  remis  en  prison  et  le    concile    pro- 
nonça    contre     lui,     par    défaut,  la  déposition.    Rothade   soutint 
qu' Hincmar  avait  extorqué  ce  jugement  en    traitant    l'assemblée 
en  dictateur,    et  qu'il    avait    voulu  le   contraindre   à  reconnaître 
cette  sentence   et  à  se   contenter   d'une    abbaye,    au    lieu  de  son 
évêché  2.     Hincmar     proteste    de    son    côté    que    Rothade   avait 
acquiescé  à  ce  qui  s'était  fait  et  accepté  une  riche  abbaye.   Mais 


de  l'appel  à  Rome  —  et  à  Pitres,  au  témoignage  de  Rothade.  Hincmar  lui-même 
a  reconnu  le  bien-fondé  de  son  appel  —  Hincmar  s'attache  à  en  régler  et  à  en  res- 
treindre l'application.  Il  ne  veut  pas,  déclare-t-il,  par  respect  pour  le  privilège 
apostolique,  laisser  porter  devant  lui  des  causes  qui  peuvent  recevoir  leur  solu- 
tion au  synode  provincial,  Hincmar,  Epist.  ad  Nicol.,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  28; 
d'où  il  conclut  que  pour  l'affaire  de  Rothade  en  particulier  elle  ne  doit  pas  être 
portée  à  Rome  où,  en  aucun  cas,  les  simples  clercs  et  les  prêtres  ne  pourront  en 
appeler.  Condamnés  en  première  instance  par  leurs  évêques,  ils  n'ont  de  recours 
que  devant  le  synode  provincial  et  le  métropolitain.  Seuls  les  évêques  peuvent 
en  appeler  au  Siège  apostolique  et  seulement  après  qu'un  synode  provincial  et 
leur  métropolitain  les  auront  condamnés.  A  l'autorité  du  Siège  romain,  Hincmar 
substitue  les  judices  elecli  qu'il  oppose  à  l'appel  à  Rome  comme  étant  eux-mêmes 
une  juridiction  d'appel  exclusive  de  toute  autre.  Mais  surtout  Hincmar  rappelle 
l'Eglise  romaine  au  respect  de  la  procédure  établie  par  le  concile  de  Sdrdique  et 
considère  la  conduite  du  pape  à  l'égard  de  Rothade  comme  sa  violation  flagrant  e. 

1.  Cf.  Libellus  proclamationis,  dans  Hardouin,  op.  cit., t.  v,  col.  580;Mansi, 
op.  cit.,  t.  xv,  col.  682  sq. 

2.  D.  Doublet.  Histoire  de  saint  Denys,  1625,  p.  792  ;  Lalande,  Concilia  Gallise, 
1660,  col.  170;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  1936-1937  ;  Mabillon,  De  re  diplo- 
matica,  1789,  col.  468,  470-471;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  569;  Coleti,  Concilia, 
t.  x,  col.  221;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  638;  E.  Lesne,  La  hiérarchie 
épiscopale,  p.  173,  n.  3,  p.  180,  n.  1. 


308  LIVRE    XXIII 

les    évêques    du    parti     de     Lothaire    et    de    Waldrade  l'avaient 
excité  et  amené  à  retirer  son  consentement 1. 

Ce  que  nous  venons  de  raconter  d'un  concile  tenu  dans  un 
faubourg  de  Soissons,  est  attribué  par  d'autres  historiens,  Gfrôrer 
par  exemple,  à  un  concile  tenu  à  Senlis  2.  Ils  l'établissent  par  la 
suscription  d'une  lettre  du  pape  Nicolas  Ier  ad  episcopos  synodi 
Sih'anectensis.  Noël  Alexandre  et  Pagi  avaient  bien  compris 
qu'il  fallait  lire  Suessionensis  ;  ils  s'appuyaient  pour  cela  sur  la 
continuation  faite  par  Hincmar  aux  Annales  de  Saint-Bertin,  où 
on  lit,  ad  ann.  862  :  in  suburbio  Suessorum  3.  Nous  avons,  en  outre, 
trois  preuves  qui  confirment  cette  argumentation  :  d'abord  le 
Libellus  proclamationis  de  Rothade,  où  on  lit  :  in  suburbio  nostrss 
civitatis  (par  conséquent  Soissons)  ;  ensuite  deux  pièces  prove- 
nant de  ce  concile  et  confirmant  diverses  donations  anciennes 
et  nouvelles  faites  au  monastère  de  Saint-Denis.  On  y  lit  que  le 
roi  avait  d'abord  réuni  les  évêques  à  Pistes,  ensuite  à  Soissons  4.  [2591 

1.  Hincmar,  EpisL,  u,  ad  Nicol.,  dans  P.L.,  t.  cxxvi,  col.  30. 

2.  Sirmond,  Conc.  Gallise,  1629,  t.  n,  col.  202;  Coll.  regia,  1644,  t.  xxn,  col. 
739;  Labbe,  Concilia,  1672,  t.  vin,  col.  761-764  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v, 
col.  557;  Coleti,  Concilia,  1730  ,  t.  x,  col.  227;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  643; 
Gfrôrer,  Die  Carolinger,  t.  i,  p.  465.  Cf.  Lafïineur,  Notice  sur  les  conciles  de  Senlis, 
863-1326,  dans  Mém.  com.  archéol.  de  Senlis,  1869-1871,  p.  47;  A.  Verminghoff, 
Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  632..  (H.  L.) 

3.  Noël  Alexandre,  Hist.  eccles.,  ssec.  ix,  x,  dissert.  VI,  Venetiis,  1778,  p.  379; 
Pagi,  Critica,  ad  ann.  863,  n.  5;  Pertz,  Mon.  Germ.  hist.,  t.  i,  p.  457. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  551  sq.;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  631  sq.  Cf. 
D.  Doublet,  Hist.  de  saint  Denys,  1625,  p.  792;  E.  Lesne,  La  hiérarchie  épiscopalc, 
1905,  j).  136.  A  lire  le  récit  de  Rothade  on  voit  qu'il  s'est  tenu  à  Soissons  un  véri- 
table concile  dont  le  président  Hincmar  a  prononcé  la  sentence  de  déposition. 
Libellus  proclam.,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  683.  Hincmar  y  fut  à  la  fois  accusa- 
teur, témoin,  et  juge  :  factusque  est  gratis  meus  ipse  accusator,  ipse  testis,  ipseque 
judex.  Voici  donc  la  suite  de  ce  petit  drame  :  Rothade  est  déposé,  en  861,  au  con- 
cile provincial  de  Soissons,  donec  obediat.  Il  comparaît,  en  862,  devant  le  concile 
de  Pitres,  où  il  interjette  appel.  Mais  Hincmar  est  tout-puissant  à  Pitres  et  Ro- 
thade a  beau  en  appeler  de  la  sentence  rendue  par  le  concile  provincial  de  Sois- 
sons, il  perd  son  temps  et  sa  peine.  A  Pitres  cependant,  au  témoignage  de  Rotha- 
de, Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  682,  Hincmar  a  dû  reconnaître  le  bien-fondé  de  son 
appel  au  siège  romain,  mais  ensuite  il  se  ravise  et  prétend,  pour  soustraire  Ro- 
thade à  cette  juridiction  sur  laquelle  il  n'a  pas  de  prise,  que  l'évêque  de  Soissons 
a  sollicité  du  concile  de  Pitres  des  judices  electi,  ce  que  Rothade  nie  absolument. 
Mais  Rothade  n'est  pas  le  plus  fort,  on  passe  outre  et  un  véritable  concile  va  se 
tenir,  à  l'issue  de  celui  de  Pîtres,  dans  la  banlieue  de  Soissons.  C'est  là  que  Ro- 
thade sera  enfin  déposé.  On  ne  voit  pas  que  personne  ait  pris  sa  défense.  A  l'issue 
du  concile  de  Pîtres,  Rothade  avait  envoyé  à  un  évêque  qu'il  croyait  sympathi- 


167.     CONCILES     DE     SOISSONS     ET     DE     PISTES  309 

On  envoya  à  Rome  l'évêque  de  Beauvais,  Odon,  avec  la  lettre 
synodale  ;  la  réponse  du  pape  permet  d'en  conjecturer  le  contenu, 
en  même  temps  que  les  événements  qui  précédèrent  et  suivirent 
le  concile  1.  Nicolas  traitait  dans  cette  lettre  l'affaire  de  la  reine 
Judith,  fille  de  Charles  le  Chauve  2,  mariée  en  856  au  roi  d'An- 
gleterre, après  la  mort  duquel,  en  858,  elle  s'était  mariée  avec  le 
fils  aîné  de  son  mari,  son  propre  beau-fils,  Ethelbald,  roi  de 
Wessex.  Le  mécontentement  du  peuple  la  força  à  rompre  cette 
union,  et,  après  avoir  vendu  son  douaire,  elle  rentra  en  France, 
et  demeura,  conformément  aux  ordres  de  son  père,  à  Senlis,  où 
elle  fut  placée  sous  la  surveillance  des  évêques  jusqu'à  ce  qu'elle 
eût  renoncé  au  monde  ou  qu'elle  eût  contracté  une  union  assortie  3. 
Là,  elle  s'aboucha  avec  Baudouin  Eisenarm,  comte  de  Flandre, 
et  s'enfuit  avec  lui,  grâce  aux  secours  que  lui  fournit  son  frère 
Louis  4.  Le  roi  Charles  fut  grandement  irrité,  et  dénonça  ce  crime 
aux  évêques  réunis  à  Soissons  :  ceux-ci  prononcèrent  l'anathème 
contre  Judith  et  contre  Baudouin  5.  Ce  récit  des  Annales  de  S aint- 
Bertin  (ad  ann.  862)   ne   dit  pas   si  ce  concile  de   Soissons  est  le 

que  à  sa  personne  et  à  sa  cause,  mais  qui  avait  déjà  quitté  cette  localité,  une  lettre 
dans  laquelle  il  demandait  l'appui  de  ceux  qui  in  meam  damnationem  partici- 
pa™ nolebant.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  682.  Plus  tard,  HincmardeLaon  prétendra 
n'avoir  pas  consenti  à  cette  déposition,  et  Hincmar  de  Reims  se  contentera  de 
produire  la  signature  de  l'évêque  de  Laon.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  510.  Seuls  les  évê- 
ques du  royaume  de  Lothaire  II  ont  pris  parti  pour  Rothade,  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  646,  mais  il  est  évident  que  c'est  pour  complaire  à  leur  roi  blessé  par 
l'attitude  prise  par  Hincmar  dans  l'affaire  du  divorce.  Hincmar,  Epist.  ad  Nico- 
laum,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  30.  (H.  L.) 

1.  Nicolas,  Epist.,  xxxn,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  821  ;  cf.  §  471. 

2.  J.  Marchai,  De  la  fuite  de  Judith,  reine  douairière  de  Wessex,  avec  le  comte 
Baudouin  et  de  l'inféodalion  du  marquisat  et  de  la  Flandre,  dans  le  Bulletin  de  l'A- 
cad.  de  Belgique,  1847.  (H.  L.) 

3.  Annales  Bertiniani,  ad  ann.  856,  857,  862,  p.  47,  49,  56  ;  Asser,  Gesta 
JEljridi,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Scriptores,  t.  xm,  p.  121.  (H.  L.) 

4.  Annales  Bertiniani,  ad  ann.  862,  p.  56;  Annales  Elnonenses,  ad  ann.  862; 
Annales  Blandinienses,  ad  ann.  862,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  v,  p.  19,  26; 
Consent,  ap.  Sapon.,  c.  v,  dans  Capitularia,  t.  u,  p.  160.  (H.  L.) 

5.  La  sentence  épiscopale  fut  communiquée  à  Lothaire  qui  donnait  asile  au 
couple  condamné.  Charles  le  Chauve  lui  en  fera  plus  tard  un  grief  ;  il  avait  à  son 
propre  compte  bien  d'autres  licences  à  se  reprocher.  Annales  Bertiniani,  ad 
ann.  862,  p.  57;  Consent,  ap.  Sapon.,  c.  v,  dans  Capitularia,  t.  n,  p.  160-161. 
Cf.  Lettres  d'Hincmar  à  Hunger,  évêque  d'Utrecht,  et  au  Normand  Roric,  au 
sujet  de  l'excommunication  de  Baudouin.  Flodoard,  Hist.  Remensis  Ecclesise, 
\.  III,  c.  xxin,  xxvn,  édit.  Lejeune,  t.  n,  p.  284,  345.  (H.  L.) 


310 


LIVRE     XXIII 


même  que  l'assemblée  réunie  à  Soissons  immédiatement  après  celle 
de  Pistes.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'un  et  l'autre  appartiennent  à  l'an- 
née 862.  Lothaire,  roi  de  Lorraine,  prit  en  main  la  cause  de  Judith 
et  de  Baudouin,  par  rancune  de  ce  que  Charles  le  Chauve  avait 
pris  parti  contre  lui  dans  l'affaire  de  Theutberge  1.  Baudouin  cher- 
cha à  se  rendre  le  pape  favorable;  il  partit  pour  Rome2,  et  nous 
verrons  plus  tard  le  pape  Nicolas  intercéder  à  plusieurs  reprises 
en  sa  faveur,  jusqu'à  ce  qu'enfin  on  tolérât  son  mariage  avec  Ju- 
dith. Ils  vécurent  en  Flandre  au  milieu  d'une  cour  magnifique  : 
c'est  d'eux  que  sont  descendus  les  anciens  comtes  de  Flandre. 


468.  Réunions  à  Savonnières,  à  Sens,  à  Rome  et  à  Cordoue. 

L'appui  que  Judith  et  Ingeltrude  trouvèrent  près  de  Lothaire 
et  les  efforts  de  Charles  pour  empêcher  son  neveu  de  répudier 
sa  femme,  avaient,  on  le  comprend,  ajouté  à  la  mésintelligence 
existant  entre  ces  princes.  Une  entrevue  ménagée  par  Louis  le 
Germanique,  à  Savonnières  près  de  Toul,  le  3  novembre  862,  [260] 
n'amena   aucune   détente  3.   On  a  regardé  à  tort  cette  entrevue 

1.  Gfrôrer,  Die  Carolinger,  t.  i,  p.  325  sq.  [R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  201-203.  (H.  L.)] 

2.  Baudouin  et  Judith  se  rendirent  à  Rome  pour  implorer  la  clémence  du  pape  ; 
nous  ignorons  la  date  de  ce  voyage,  peut-être  quittèrent-ils  la  Lorraine  avant 
l'assemblée  de  Savonnières.  La  première  lettre,  en  effet,  par  laquelle  le  pape  in- 
tercéda auprès  de  Charles  le  Chauve  en  leur  faveur  est  du  23  novembre  862  (  Jafîé- 
Ewald,  n.  2703,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  803-804);  le  congrès  de  Savonnières,  nous 
allons  le  voir,  se  termina  le  3  du  même  mois.  C'est  un  espace  de  temps  bien  court 
mais  suffisant,  somme  toute,  pour  que  le  couple  fît  le  voyage  de  Rome,  vît  le 
pape  et  en  obtînt  une  intervention.  (H.  L.) 

3.  Sablonnières,  arrondissement  de  Coulommiers,  dép.  de  Seine-et-Marne, 
où  se  tint  un  concile  le  14  juin  859;  localité  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Sa- 
vonnières dont  on  va  parler  incessamment.  A.  Verminghofî,  Verzeichnis  der 
Akten  frànkischer  Synoden  von  843-918,  dans  Neues  Archiv  der  Gesellschafl 
fur  altère  deulsche  Geschichtskunde,  1901,  t.  xxvi,  p.  625-626,  632  ;  Baronius, 
Annales,  ad  ann.  862,  n.  36  sq.  ;  Labbe.  Concilia,  t.  vm,  col.  754  ;  Coleti, 
Concilia,  t.  x,  col.  215;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  630;  t.  xviii,  Append.,  col.  1 11 
sq.;  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  m,  Leges,  t.  i,  p.  483  ;  Dûmmler,  op.  cit.,  p. 
484  sq.  Il  faut  donc  distinguer  entre  Sablonnières  qui  précède  et  Savonnières,  com- 
mune de  Foug,  arrondis,  de  Toul,  Meurthe-et-Moselle.  Cf.  Beaulieu,  Savonnières- 
les-Toul,  dans  les  Mém.  de  la  Soc.  scient,  de  Nancy,  1838-1839;  Pithou,  Ann.  hist. 
franc.,  1594,  p.  491-498;  J.  Sirmond,  Conc.  Galliœ,  t.  m,  col.  137;  A.  Duchesne, 


468.     RÉUNIONS     A    SAVONNIÈRES,     A     SENS,     ETC.  311 

comme  un  concile,  parce  que  chacun  des  rois  qui  y  prirent  part 
était   accompagné   de   plusieurs   évêques. 

En  cette  même  année  862  un  concile  déposa  à  Sens  Héri- 
mann,  évêque  de  Nevers,  coupable  de  divers  méfaits  et  dont  la 
raison  était  affaiblie  i. 

En  862  encore,  un  concile  romain  condamna  la  doctrine  des  théo- 
paschites2.  Muratori   et   Mansi   pensent  que   ce   concile  s'est  tenu 

Hist.  de  Franc,  script.,  1636,  t.  n,  p.  436;  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  642;  Labbe, 
Concilia,  t.  vin,  col.  674-695,  1949-1950;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  483; 
Martène,  Thés.  nos',  anecd.,  t.  m,  col.  857-859;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  113  ; 
Bouquet,  Rec.  des  hist.  de  la  Gaule,  t.  xn,  col.  582-585;  Mansi,  Concilior.  ampliss. 
coll.,  t.  xv,  col.  527;  Duru,  B M.  hist.  de V Yonne,  1850,  t.  i,  p.  292-301  ;  E.  Lesne, 
La  hiérarchie  épiscopale,  in-8,  Paris,  1905,  p.  146,  152,  note  2  ;  198,  note  3;  201, 
note  4  ;  275  ;  R.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  843-923, 
in-8,  Paris,  1899,  p.  204-209;  J.  Calmette,  La  diplomatie  carolingienne,  du  traité 
de  Verdun  à  la  mort  de  Charles  le  Chauve  (843-877),  in-8,  Paris,  1901,  p.  81-86. 
Le  lieu  du  Congrès  est  indiqué  par  le  titre  que  quelques  manuscrits  mettent  en 
tête  des  Adnuntiones  et  par  une  note  qu'ils  ajoutent  à  celle-ci,  Capitularia, 
t.  n,  p.  163,  n.  c,  et  p.  165.  Cette  même  note  nous  apprend  que  le  congrès  était 
terminé  le  3  novembre.  Comme  d'autre  part  Charles  le  Chauve  était  encore  à 
Ponthion  le  28  octobre  où  il  donne  un  diplôme  pour  Saint-Urbain,  Rec.  hist. 
France,  t.  vm,  p.  584,  c'est  entre  ces  deux  dates  que  se  place  la  conférence  de  Sa- 
vonnières.  Lothaire  était  représenté  par  Advence  de  Metz  et  Atton  de  Verdun. 
Louis  le  Germanique  amenait  avec  lui  Altfrid  d'Hildesheim  et  Salomon  de  Cons- 
tance ;  enfin  Charles  le  Chauve  était  accompagné  d'Hincmar  de  Reims,  d'Hinc- 
mar  de  Laon,  Eudes  de  Beauvais  et  Chrétien  de  Troyes.  Les  pourparlers,  de 
l'aveu  d'Hincmar  [Ann.  Bertin.,  ad  ann.  862,  p.  60)  furent  très  difficiles  et  Hinc- 
mar  le  sait  autant  que  personne,  car  il  y  a  joué  un  rôle  important.  Il  sortit  de  là 
un  mémorandum  en  dix  articles  contenant  l'exposé  de  la  situation  et  l'énoncé 
des  griefs.  C'était  plutôt  un  ultimatum  qu'il  eût  fallu  dire:  Charles  le  Chauve 
exigeait  l'abandon  de  Judith,  sa  fille,  par  Lothaire.  Il  appuyait  les  revendica- 
tions du  comte  Boson  et  dans  la  question  du  divorce  de  Theutberge  il  déclarait 
s'en  tenir  à  la  solution  du  traité  De  divortio  dont  l'auteur  Hincmar  était  aussi 
l'auteur  du  Mémorandum.  Quant  au  concile  lorrain  de  862,  il  était  non  avenu  et 
le  couronnement  de  Waldrade  illégitime.  «  Si  la  conférence  de  Savonnières 
avait  évité  un  conflit  imminent,  elle  n'était  certainement  pas  parvenue  à  faire 
disparaître  toutes  les  causes  de  dissentiment  entre  Lothaire  et  Charles.  Rien 
n'avait  été  résolu  et  personne  n'avait  été  désarmé  :  le  résultat  de  ces  laborieuses 
négociations  n'était,  en  dernière  analyse,  qu'un  compromis  provisoire.   »  (H.  L.) 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  1934-1935;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  537; 
Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  197;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  x,  col.  607; 
L.-M.  Duru,  Bibliothèque  historique  de  l'Yonne,  in-4,  Paris,  1850-1863,  t.  n, 
p.  286  ;  A.  Verminghofï,  op.  cit.,  t.  xxvi,  p.  632.  (H.  L.) 

2.  Voir  §  202.  Cf.  A.  Verminghofï,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv.,  1901, 
t.  xxvi,  p.  633.  (H.  L.) 


Q 


12  LIVRE     XXHI 


l'année  suivante  1,  Jaffé  maintient  la  date  de  862.  Ce  concile  fit 
contre  les  théopaschites  les  déclarations  suivantes  :  1.  Le  Christ 
n'a  souffert  que  dans  sa  chair  ;  2.  Que  celui  qui  rapporte  les 
souffrances  à  sa  divinité  soit  anathème  2.  Il  promulgua  en  outre 
les  cinq  déclarations  suivantes  :  1.  Excommunication  renouve- 
lée contre  Jean,  archevêque  de  Ravenne.  2.  Anathème  contre  ceux 
qui  soutenaient  que  le  baptême  n'efface  pas  le  péché  originel.  3. 
Renouvellement  du  statut,  et  menace  d'anathème  contre  qui- 
conque dispute  au  clergé  romain  et  aux  principaux  du  peuple  le 
droit  d'élire  le  pape.  4.  Menace  d'excommunication  contre  celui 
qui  maltraiterait  un  évêque,  et  confirmation  des  décisions  prises 
par  un  concile  romain  tenu  sous  Léon   IV  3. 

En  862  on  tint  un  concile  à  Cordoue.  Depuis  quelque  temps 
s'étaient  répandues  en  Andalousie  des  erreurs  anthropomorphi- 
ques  dont  un  certain  Hostegesis  s'était  fait  le  propagateur 
zélé.  Il  niait  en  particulier  la  réelle  ubiquité  de  Dieu  et  estimait 
contraire  à  la  dignité  de  Dieu  de  le  faire  intervenir  en  tout  et 
partout.  Le  principal  adversaire  d' Hostegesis  fut  l'abbé  Samson 
qui  attaqua  l'anthropomorphisme  et  remit  au  concile  de  Cordoue, 
en  862,  une  profession  de  foi  de  sa  composition.  Les  évêques  l'exa- 
minèrent et  la  reçurent.  Mais  Hostegesis  s'introduisit  dans  le  con- 
cile avec  ses  partisans  et  obligea  les  évêques  à  souscrire  une  for- 
mule de  foi  qu'il  avait  composée  et  à  condamner  comme  hérétique  [261J 
l'abbé  Samson  (la  formule  d' Hostegesis  présentait  les  idées 
émises  par  l'abbé  Samson  sur  l'ubiquité  de  Dieu  comme  ayant 
des  tendances  hérétiques,  et  lui  attribuait  encore  la  paternité 
de  nouvelles  erreurs).  Dans  la  suite,  les  évêques  déclarèrent  à 
Samson  soit  de  vive  voix,  soit  par  écrit,  qu'ils  le  considéraient 
comme   un   excellent  catholique,  et  le  rétablirent  dans  sa  charge  3. 

1.  Coll.  regia.,  t.  xxn,  col.  743;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  766-774;  Hardouin, 
Coll.  conc,  t.  v,  col.  571;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  235;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.  649;  Jafîé-Ewald,  Reg.  pont,  rom.,  2e  édit.,  p.  349. —  2e:  Coll.  regia,  t.  xxn, 
col.  743;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  774-775,  cf.  288-289;  Coleti,  Concilia,  t.  x, 
col.  243;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  661  ;  Jaffé,  op.  cit.,  2e  édit.,  p.  350.  —  3e  :  Coll. 
regia,  t.  xxn,  col.  749;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col. 775;  Mnratori,7?er.  liai,  script., 
1726,  t.  ii,  part.  2,  p.  127-128;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  243,  1409  ;  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  661  ;  Jaffé,  op.  cit.,  2e  édit.,  p.  351;  Mtihlbacher,  Reg.  Karolin.,  1886, 
p.  492.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  p.  611. 

3.  Voir  §  452. 

'i.  Gams,  Kirchengesch.  von  Spanien,  t.  n,  2,  p.  318  sq. 


^69.     LOTHAIRE     ET    NICOLAS     Ier  31 


0 


469.  Lothaire  et  Nicolas  1er.  Le  concile  de  Metz  en  863. 

La  sentence  du  troisième  concile  d'Aix-la-Chapelle  permettant 
au  roi    Lothaire  de  se  remarier    froissa    tellement  l'opinion,   que 
beaucoup  de  grands,  laïques   ou  évoques,  même    du    royaume  de 
Lothaire,    posèrent    à    Hincmar     vingt-trois    questions,    et    plus 
tard  sept  autres,  sur  cette  affaire.   Il  y  répondit  en  862  ou  863 
par  l'écrit    De  divortio  Lotharii  régis,   etc.  1,  dans   lequel  il  prouva 
qu'on    ne    pouvait    rien    conclure  des  aveux    de  Theutberge  con- 
trainte.   «  Pour  observer   la  procédure  requise,   on    aurait    dû,    en 
particulier,   citer  son   frère  Hubert  devant  le  tribunal.  Du  reste, 
Theutberge    eût-elle    réellement     péché    avec    son     frère,    avant 
son    mariage,    cette    faute   ne    saurait   justifier    une  répudiation; 
c'est  à  tort  qu'on  a  supposé  de  sa  part  (à  Hincmar)  une  adhésion 
directe  ou  indirecte  aux  décisions    du  concile   d'Aix-la-Chapelle. 
Une  séparation  ne  peut  être   motivée  que  par    la  faute  d'un  des 
conjoints,  ou  par  la  volonté  des  deux  parties  de  faire  le  vœu  de 
chasteté.  Mais  alors  même  qu'il  y  a  séparation  entre  conjoints,   il 
ne  s'ensuit  nullement    que    l'un    des    deux    puisse    se    remarier. 
Pour  se  tenir  dans  la  légalité,   on  aurait  dû  prouver,  par   nou- 
velle  enquête,   l'impossibilité   du    mariage    du   roi    avec    Theut- 
berge; alors  seulement  Lothaire  aurait  pu  se  remarier.  D'ailleurs, 
ces  sortes  d'enquêtes    sur    les   rapports    conjugaux  étaient  de  la 
compétence  des  juges  civils  et  mariés,  non  de   celle    des  clercs  qui 
n'avaient  qu'à  déterminer  la  pénitence.  Les   juges  civils   devaient 
demander  à  leurs  femmes  si  les  rapports  contre  nature  de  Theut- 
[262]  berge  avec  son  frère  avaient  pu  la  rendre  enceinte.  »  Malgré  leur 
peu  de  valeur,    les  considérations    d' Hincmar  sur  le  jugement  de 
Dieu,  l'ensorcellement  d'un  conjoint,  en  vue  d'exciter  en  lui  une 
passion  amoureuse  ou  une  profonde  haine    à    l'égard  de    l'autre, 
offrent    un    intérêt,     comme    caractéristiques    du    temps.     Hinc- 
mar termine  en  disant  avec  raison,  que,  dans    les    affaires    spiri- 
tuelles, les  princes  comme  les  autres  hommes  doivent  se  soumettre 
au  jugement  de  l'Eglise. 

Le  pape  Nicolas  Ier  résolut    cette  importante    affaire    dans  le 

1.  Sur  la  date  de  cet  écrit,  en  septembre  ou  octobre  860,  voir  plus  haut,  p.  242, 
note  1. 


314 


LIVRE    XXIII 


même  sens  qu'Hincmar  1.  Theutberge  ayant  seule  envoyé  au  pape 
des  députés,  ceux  du  roi  n'ayant  pas  paru  2,  le  pape  ne  voulut 
prendre  aucune  décision,  et  décida  d'envoyer  sur  les  lieux  deux 
légats  qui  feraient  un  rapport    exact  3.  Avant   leur    départ  deux 

1.  Nicolas  Ier  n'était  ordinairement  pas  l'homme  des  atermoiements  et  on  s'ex- 
plique difficilement  les  délais  apportés  par  lui  à  se  prononcer  dans  cette  affaire 
du  divorce  de  Lothaire.  Les  informations  ne  lui  manquaient  pas.  D'une  part 
Lothaire  lui  avait  envoyé  une  ambassade  après  le  concile  de  Tusey  (860),  pour 
contre-balancer  l'impression  fâcheuse  qu'avait  dû  produire  le  De  dworlio  d'Hinc- 
mar  ;  d'autre  part,  le  commonitorium  nous  apprend  que  le  pape  avait  reçu  de 
Theutberge  trois  réclamations.  Jaffé-Ewald,  n.  2726,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1180. 
L'une  de  ces  réclamations  se  place  naturellement  après  la  sentence  de  divorce 
prononcée  par  le  IIIe  concile  d'Aix-la-Chapelle,  les  deux  autres  étant,  l'une  anté- 
rieure au  Ier  concile  d'Aix-la-Chapelle,  la  seconde  postérieure  à  l'évasion  de  Theut- 
berge. Reginon,  Chronicon,  ad  ami.  864,  p.  82,  parle  en  outre  d'une  protestation 
que  les  frères  de  Theutberge  auraient,  après  le  IIIe  concile  d'Aix-la-Chapelle, 
adressée  au  pape,  cf.  Nicolas  Ier,  Epist.  ad  Hubertum,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  840; 
celui-ci  était  donc  parfaitement  au  fait  et  cependant  il  continua,  jusqu'après 
le  mariage  avec  Waldrade,  à  témoigner  une  apparente  indifférence  qu'on  pouvait 
interpréter  comme  la  volonté  de  s'abstenir.  A  l'ambassade  de  Lothaire,  le  pape 
répondit  qu'il  ne  pouvait  immédiatement  faire  partir  des  légats,  Jaffé-Ewald, 
op.  cit.,  n.  2698,  2886,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  798,  1166,  et  ce  renvoi  à  une  épo- 
que indéterminée  pouvait  toujours  s'interpréter  dans  le  sens  du  laisser- faire. 
Lothaire  voulut  dès  lors  en  finir  et  placer  le  pape  devant  le  fait  accompli  :  le  ma- 
riage fut  célébré  solennellement.  Chose  extraordinaire  :  de  ce  mariage  conclu 
en  août  ou  au  début  de  septembre,  le  pape  n'eut  connaissance  qu'au  début  de 
l'année  863.  Jaffé-Ewald,  n.  2723,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  833.  Lothaire  lui  avait 
promis  d'attendre  sa  décision  pontificale,  or  il  avait  passé  outre.  Celle-ci,  à  dire 
vrai,  s'était  si  extraordinairement  fait  attendre  que  le  roi  de  Lorraine,  avec  ses 
vingt  ans,  pouvait  obtenir  quelques  circonstances  atténuantes  ;  mais  Nicolas 
n'était  pas  d'humeur  à  les  accorder  et  il  allait  infliger  au  jeune  prince  une  leçon 
telle  qu'aucun   souverain   n'en  avait  encore  reçu  de  pareille.  (H.  L.) 

2.  Ceci  est  inexact  :  Lothaire,  à  l'issue  du  IIIe  concile  d'Aix-la-Chapelle,  envoya 
au  pape  deux  de  ses  comtes  lui  communiquer  la  sentence  du  concile.  P.  L.,  t.  cxix, 
col.  1165-1166.  (H.  L.) 

3.  Est-ce  l'ambassade  de  Lothaire  qui  avait  demandé  l'envoi  des  deux  légats? 
nous  ne  savons.  D'après  une  lettre  de  Nicolas  Ier,  datée  de  867,  c'est  probable, 
P.  L.,  t.  cxix,  col.  1165-1166  ;  une  autre  lettre  du  pape  de  novembre  862,  P.  L. 
t.  cxix,  col.  798,  représente  la  demande  comme  toute  récente.  Le  pape  répondit 
qu'il  ne  pouvait  le  satisfaire  sur-le-champ  et  faire  partir  les  légats.  P.  L.,  t.  cxix, 
col.  798,  1166.  Cette  réponse  dilatoire  reçue  par  Lothaire  précipita  l'événement 
qu'elle  prétendait  ajourner  encore.  Il  ressort,  en  effet,  de  différentes  lettres  du 
pape,  Jaffé-Ewald,  n.  2723,  2725,  2886,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  833,  800,  1166,  ainsi 
que  du  mémoire  lu  par  Charles  le  Chauve  à  l'assemblée  de  Savonnières,  c.  vi, 
Capitularia,  t.  n,  p.  161,  que  Lothaire  avait  reçu,  avant  d'épouser,  Waldrade 
cette  réponse  décourageante  et  aujourd'hui  perdue  du  Souverain  Pontife.  (H.  L.) 


469.     LOTHA1RE     ET     NICOLAS     Ier  315 

comtes  arrivèrent  à  Rome1,  en  qualité  d'ambassadeurs  de  Lothaire 
et  remirent  au  pape  une  lettre  du  roi  annonçant  la  permission  à 
lui  accordée  par  les  évêques  du  troisième  concile  d'Aix-la-Chapelle 
de  répudier  Theutberge  et  d'épouser  Waldrade.  Cependant,  pour 
plus  de  régularité,  il  sollicitait  du  pape  l'envoi  de  légats  qui 
réuniraient  un  concile  en  Lorraine  et  éclairciraient  toute  cette 
affaire.  Il  est  probable  que  la  sentence  du  concile  d'Aix-la-Chapelle, 
antérieure  à  la  lettre  de  Lothaire,  et  le  couronnement  de  Wald- 
rade avaient  mécontenté  tout  le  monde  au  point  que  le  roi 
crut  opportun  de  s'assurer  l'approbation  du  pape  2.  En  outre, 
il  savait  que  le  pape,  faisant  droit  aux  plaintes  de  Theutberge, 
songeait  à  envoyer  des  légats,  et  il  avait  dû  calculer  que  sa  posi- 
tion serait  meilleure  si  ces  légats  venaient  non  pour  informer 
contre  lui,  mais  à  sa  demande.  C'était  à  ses  yeux  le  meilleur  moyen 
de  réaliser  son  plan  :  un  séjour  prolongé  des  légats  à  sa  cour, 
accompagné  d'égards  et  de  présents,  lui  permettrait  de  les  gagner  3. 
Cela  fait,  il  n'avait  plus  rien  à  craindre  d'un  concile,  vulacom- 
[°ficn  plaisance  connue  des  évêques  de  son  royaume.  Le  pape  répondit 
ne  pouvoir  envoyer  immédiatement  des  légats4;  il  le  ferait  bien- 
tôt néanmoins  :  en  effet,  peu  de  temps  après  il  envoya  les  deux 
rvcques  Rodoald  de  Porto  et  Jean  de  Ficoclœ  (Cervia,  près  de 
Ravenne)  en  Lorraine,  avec  mission  de  convoquer  au  concile 
projeté  deux  évêques  du  royaume  de  Louis  le  Germanique  et 
deux  autres  du  royaume  de  Charles  de  Provence,  frère  de  Lothaire  5. 

1.  En  effet,  on  voit  qu'il  n'était  pas  question  de  ce  départ.  (H.  L.) 

2.  Gfrôrer,  Die  Carolinger,  t.  i,  p.  357. 

3.  La  probité  des  légats  pontificaux  était  depuis  longtemps  chose  assez  sus- 
pecte ;  les  Byzantins  l'ayant  mise  à  de  rudes  assauts,  des  conciles  récents  ayant 
eu  à  prononcer  des  dépositions  épiscopales  retentissantes  pour  forfaiture,  on 
comprend  que  les  princes  d'Occident  escomptaient  pour  le  plus  grand  profit  de 
eur  politique  ou  de  leur  morale  les  choix  d'ailleurs  souvent  malheureux  de  la 
diplomatie  papale.  J.  Roy,  Du  rôle  des  légats  de  la  cour  de  Rome  en  Orient  et  en 
Occident  du  ive  au  ixe  siècle,  dans  la  Bibliothèque  de  l'école  des  hautes  études, 
35e  fascicule.  Voir  Appendices.  (H.  L.) 

4.  La  réponse  du  pape  est  perdue,  mais  nous  savons  que  Nicolas  Ier  retardait 
l'envoi  des  légats  et  annonçait  son  intention  de  convoquer  un  concile  qui,  sous  la 
présidence  de  ses  représentants,  reviserait  le  procès  de  Theutberge,  avec  l'assis- 
tance de  deux  prélats  de  Louis  le  Germanique  et  de  deux  autres  de  Charles  de 
Provence,  Jaffé-Ewald,  n.  2698,  P.  L.,  t.  cxtx,  col.  798  ;  i!  n'était  pas  encore  ques- 
tion de  faire  venir  au  concile  des  évêques  français.  (H.  L.) 

5.  Nicolas  Ier,  Epist.,  lviii,  xvii.  On  sera  peut-être  surpris  de  ce  que  le  pape 
Nicolas  ait  confié  une  nouvelle  mission  à  Rodoald  de  Porto,  malgré  sa  conduite 


316 


LIVRE     XXIII 


Gfrorer  suppose  que  Lothaire  avait  lui-même  proposé  ces  stipu- 
lations, soit  pout  donner  à  l'assemblée  l'apparence  d'un  concile 
général  franc  et  une  [dus  grande  autorité,  parce  qu'au  fond  il  ne 
redoutait  guère  ces  évêques  étrangers  venus  de  provinces  amies. 
Mais  Lothaire  fit  confisquer  les  lettres  des  légats  adressées  par  le 
pape  à  ses  cousins,  et  cette  circonstance  renverse  l'hypothèse 
de  Gfrorer.  On  comprend  que  Lothaire  ne  se  souciât  pas  d'a- 
voir au  concile  des  évêques  venant  de  la  France  proprement  dite, 
où  régnait  son  oncle  Charles  le  Chauve,  qui  lui  était  si  opposé 
et  où  Hincmar  était  si  puissant. 

Les  six  lettres  remises  aux  légats  du  pape  sont  du  23  novembre 
862  1.  Nicolas  les  avait  probablement  soumises  auparavant  à 
l'approbation  d'un  concile  romain  2,  car  plus  tard  le  pape  les 
appelle  epistohc  synodicse  3.  Dans  la  première  le  pape  demande 
à  l'empereur  Louis  II  un  sauf-conduit  pour  que  ses  légats  arri- 
vent jusqu'à  Lothaire  et  tiennent  concile  à  Metz  4.  Dans  la  seconde 


à  Constantinople  ;  mais  lorsque  Nicolas  l'envoya  dans  les  Gaules,  il  ne  connaissait 
pas  encore  la  faute  dont  il  s'était  rendu  coupable,  et  quoiqu'il  eût  déjà  contre  lui 
quelques  sujets  de  mécontentement,  le  pape  lui  conservait  une  partie  de  sa  con- 
fiance. [Cf.  R.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  1899, 
p.  215,  note  5.  (H.  L.)] 

1.  Jafîé-Ewald,  n.  2698,  2699,  2701,  2702.  (H.  L.) 

2.  L'intervention  du  pape  dans  l'affaire  du  divorce  a  été  diversement  appré- 
ciée. «  Leibnitz  regrette  [Ann.  imp.  occ,  t.  i,  p.  619)  :  si,  dit-il,  un  Souverain 
Pontife  avait  protesté  contre  la  répudiation  de  Plectrude  par  Pépin  le  Moyen, 
ou  de  la  fille  de  Didier  par  Charlemagne,  de  grands  malheurs  en  seraient  résultés. 
Gagern,  Arnulfi  imperatoris  vita,  p.  14,  fait  remarquer  combien  la  papauté  avait 
acquis  d'autorité  depuis  le  temps  où  elle  laissait  Pépin  épouser  Alpaïde  du  vivant 
de  Plectrude  et  Charlemagne  répudier  sa  première  femme,  fille  du  roi  des  Lom- 
bards. Il  s'étonne  d'autre  part,  p.  31,  que  l'Eglise  se  soit  montrée  pour  Louis  le 
Bègue  plus  indulgente  que  pour  Lothaire.  D'après  Teller,  Histoire  d'Allemagne, 
t.  ii,  p.  141,  c'était  l'intérêt  de  Louis  II  qui  guidait  Nicolas  dans  l'affaire  du  di- 
vorce, l'empereur  ne  voulait  pas  en  effet  qu'un  mariage  légitimât  les  enfants 
que  Waldrade  avait  donnés  à  Lothaire  et  leur  conférât  des  droits  à  l'héritage  de 
leur  père.  Nous  croyons  cette  appréciation  absolument  fausse,  aussi  bien  en  ce 
qui  concerne  le  Souverain  Pontife  que  Louis  IL  Des  mobiles  plus  élevés  diri- 
geaient la  politique  de  Nicolas  et  l'empereur  qui  n'avait  pas  d'enfant  mâle 
n'était  aucunement  intéressé  à  empêcher  le  fils  de  Lothaire  II  et  de  Waldrade  de 
devenir  apte  à  recueillir  la  succession  de  son  père.  »  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  214, 
notel.  (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  319;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  367. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  234  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,   col.  279  ;  P.    L., 
t.  cxix,  col.  799,  800.  801. 


469.     LOTHAIRE     ET     NICOLAS     Ier  317 

lettre,  adressée  à  Lothaire,  le  pape  résume  sa  première  missive,  au- 
jourd'hui perdue,  et  ajoute  cette  stipulation  nouvelle  et  fort  déplai- 
sante pour  Lothaire,  que  deux  évêques  du  royaume  de  Charles 
le  Chauve  siégeraient  au  concile.  Le  pape  ajoute  qu'il  envoie  à 
Lothaire  la  lettre  destinée  au  roi  de  France,  et  le  prie  de  la  lui  faire 
parvenir  *.  Cette  lettre  à  Charles  le  Chauve  est  la  troisième  des 
six  :  on  comprend  que  le  pape  y  demande  au  roi  d'envoyer  au 
[264]  concile  de  Metz  deux  évoques  de  son  royaume2.  Une  autre  lettre, 
également  adressée  à  Charles  le  Chauve  3.  le  sollicite  en  faveur  de 
Baudouin,  comte  de  Flandre,  qui  s'était  enfui  avec  Judith,  fille  du 
roi.  et  était  récemment  arrivé  à  Rome4.  La  cinquième  lettre,  cou- 
rue dans  le  même  sens  5,  est  adressée  à  la  reine  Ermentrude.  Elle 
ne  porte  plus  de  date,  mais  elle  a  été  écrite  à  la  même  époque  que 
les  précédentes.  Enfin  la  sixième  lettre,  destinée  au  concile  de 
Metz,  devait  être  lue  par  les  légats  à  l'ouverture  des  sessions. 
Elle  exhorte  à  faire  une  enquête  juste  et  impartiale  6  sur  la 
question  soumise  au  concile.  Le  pape  avait  également  écrit  à 
Louis,  roi  de  Germanie,  à  Charles  de  Provence,  et  aux  évêques 
de  ces  pays  7  ;  mais  aucun  fragment  de  ces  lettres  n'est  arrivé 
jusqu'à  nous. 

Les  légats  étaient  eu  route  lorsque  le  pape  leur  envoya  une 
nouvelle  dépêche.  Il  venait  d'apprendre  le  mariage  de  Lothaire  avec 
W  aldrade  proclamée  reine8.  Pour  s'excuser,  Lothaire  prétendait  que 
son  père  l'empereur  Lothaire  Ier  l'avait  jadis  marié  à  Waldrade  et 
lui  avait  remis  sa  dot  9  :  plus  tard,  après  la  mort  de  son  père,  il  avait 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  233;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  278.  La  lettre  à 
l'empereur  ne  parle  que  des  évêques  français  (P.  L.,  t.  cxix,  col.  800).  celle  à 
Charles  le  Chauve  ne  mentionne  pas  les  prélats  provençaux.   (H.  L.) 

2.  Epist.,  xvm, 

3.  Epist.,  xx. 
'..  Voir7§  467. 

5.  Epist.,  xxi. 

6.  Epist.,  xxm. 

7.  Ceci  ressort  de  l'epist.  de  Nicolas. 

8.  T  >  a  m  s  sa  lettre  aux  évêques  du  concile  de  Soissons,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  833, 
Nicolas  dit  n'avoir  eu  connaissance  du  mariage  de  Lothaire.  avec  Waldrade 
qu'après  le  départ  des  légats  Rodoald  et  Jean.  (H.  L.) 

9.  Cette  piètre  imagination  d'un  précédent  mariage  a  dû  surgir  à  ce  moment 
lorsqu'il  fallut  faire  face  au  pape  en  qui  on  savait  qu'on  allait  avoir  un  adversaire 
résolu.  Nicolas  avait  fait  connaître  son  hostilité  radicale  à  toute  dissolution  de 
mariage  dans  une  lettre  écrite  en  862  à  l'archevêque  Adon  de  Vienne.  Jaffé- 
Ewald,  n.  2697,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  797.   Bien  que   ni  Lothaire   ni  Waldrade  ne 


318  LIVRE    XXIII 

été  contraint  par  Hubert  à  épouser  sa  sœur,  sous  la  menace 
des  plus  grands  désastres  pour  son  royaume  ;  maintenant  la  honte 
de  Theutberge  étant  publique,  il  avait  repris  sa  première  et  légi- 
time épouse  1.  Cette  apologie  est  identique  à  celle  que  le  chance- 
lier Advence,  évêque  de  Metz,  enverra  au  pape,  après  le  concile 
de  Metz  2;  niais  sans  don  le  dès  la  fin  de  862,  Advence  ou  Lothaire 
l'auront  transmise  à  Rome  pour  se  rendre  le  jugement  plus  favo- 
rable 3.  Sur  ces  entrefaites,  le  pape  apprit  de  ses  légats  que  les 
lettres  destinées  à  Charles  le  Chauve,  aux  deux  autres  rois  francs, 
et  à  leurs  évêques  leur  avaient  été  enlevées  par  des  amis  de 
Lothaire  4.  Probablement  Lothaire  avait  envoyé  au-devant  des  [2651 
légats  jusqu'aux  limites  de  l'empire  quelques  courtisans  chargés 
de  recevoir  la  lettre  du  pape  à  lui  adressée  et  dans  laquelle  le  pape 
le  chargeait  de  faire  parvenir  ses  autres  missives  à  Charles,  etc. 
Les  ambassadeurs  de  Lothaire  s'en  autorisèrent  pour  réclamer 
ces  autres  lettres,  qui  leur  furent  en  effet  remises  par  les  légats  5. 
Le  pape  craignit  que  Lothaire  ne  s'opposât  à  la  réunion  du  con- 
cile  de   Metz,  ou  du  moins  s'il  ne   pouvait   l'empêcher,    qu'il   n'y 

fussent  nommés  on  ne  pouvait  hésiter  à  les  reconnaître.  Il  n'est  pas  certain  que 
cette  histoire  commença  à  courir  en  novembre  862,  car  Nicolas  n'en  dit  encore 
rien  dans  ses  lettres  écrites  à  cette  date.  On  la  trouve  pour  la  première  fois 
mentionnée  dans  un  commonilorium  adressé  aux  deux  légats  (Jafïé-Ewald, 
h.  2726,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1179-1180),  commonitorium  dont  la  date  est  incer- 
taine  et  qui  peut  n'avoir  été  rédigé  qu'au  début  de  863,  même  après  le  départ 
des  légats.  (H.  L.) 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  320;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  367. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  862,  n.  29. 

3.  Nulle  mention  du  mariage  de  862  et  du  soi-disant  mariage  contracte  sous 
Lothaire  Ier  dans  les  lettres  du  pape.  A  cet  égard,  le  silence  observé  dans  la  lettre 
adressée  aux  évêques  du  concile  de  Metz  est  significatif.  Nicolas  leur  rappelle 
qu'à  plusieurs  reprises  Theutberge  s'est  adressée  à  lui  ;  il  les  prie  d'examiner  l'affaire 
avec  un  soin  scrupuleux.  Si  l'histoire  du  mariage  antérieur  avec  Waldrade  avail 
été  dès  lors  connue  du  pape,  il  n'aurait  pu  se  dispenser  de  recommander  au  pré- 
la  I  de  vérifier  cette  assertion  qui  transformait  toute  l'affaire.  (H.  L.) 

4.  Epist.,  lviii,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  288;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  335. 

5.  Plusieurs  mois  se  passèrent  encore  avant  que  les  légats  ne  se  missent  en 
route,  leur  départ  n'a  pas  dû  avoir  lieu  avant  février  ou  mars.  La  Vita  Nicolai 
au  Liber  pontificalis,  t.  n,  p.  160,  commet  une  erreur  en  faisant  partir  les  lé- 
gats aussitôt  après  que  le  pape  reçut  la  nouvelle  du  mariage  de  Lothaire  et  de 
Waldrade,  cf.  P.L.,  t.  exix,  col.  833,  apportée  à  Rome  par  l'évêque  Odon  de Beau- 
vais.  Sur  ces  lettres  confisquées,  cf.  lettre  de  Nicolas  aux  légats,  avril  863,  et  lettre 
de  Nicolas  aux  évêques  allemands  du  31  oct.  867.  Jafîé-Ewald,  n.  2726,  2886, 
P.  L.,  t.  exix,  col.  1179, 1166;   R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  217,  note  5.  (H:  L.) 


469.     LOTHAIRE     ET     NICOLAS    1er  319 

appelât  que  les  évêques  placés  sous  sa  dépendance, à  l'exclusion  des 
députés  des  autres  royaumes  francs,  de  qui  le  pape  attendait 
une  attitude  plus  indépendante.  Aussi  Nicolas  écrivit  à  tous  les 
évêques  de  la  Germanie  et  des  Gaules,  pour  les  presser  de  se 
rendre  d'eux-mêmes,  et  sans  autre  invitation,  au  concile  de 
Metz,  d'y  citer  Lothaire  et  de  le  juger  canoniquement  l.  Dans 
de  nouvelles  lettres  à  ses  légats,  Nicolas  leur  fait  part  des  dires 
de  Lothaire  au  sujet  de  son  mariage  avec  Waldrade,  et  leur  recom- 
mande de  rechercher  tout  cela  par  l'exacte  vérité.  Si  l'allégation 
es1  reconnue  fausse,  ils  demanderont  au  roi  de  se  réconcilier  avec 
Theutberge  ;  celle-ci  devra  dans  tous  les  cas  comparaîtra  devant 
le  concile  de  Metz,  et  si  elle  affirme  de  nouveau  qu'elle  avait 
été  contrainte  à  porter  contre  elle-même  de  faux  témoignages 
et  que  ses  juges  avaient  été  ses  ennemis,  les  légats  auront  à 
rendre  un  jugement  équitable.  Tel  est  le  sens  du  Commonitoriitmaxix. 
légats  2.  Dans  les  lettres  qui  accompagnent  ce  Commonitorium  3, 
le  pape  recommande  à  nouveau  de  réunir  en  hâte  le  concile  fixé  à 
Metz.  Au  cas  ou  les  évêques  ne  viendraient  pas  et  où  Lothaire 
ferait  défaut,  ils  Tiraient  trouver  et  lui  donner  connaissance  des 
ordres    du    pape.    Cela    fait,    ils    iraient    trouver,   pour    l'affaire 

1.  Episl.,  xxii,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  236;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  2S1. 
Les  lettres  écrites  par  Nicolas  à  ses  légats  en  avril  863  renfermaient  de  nou- 
velles instructions  et  la  menace  d'excommunication  contre  Lothaire.  Jalié- 
Ewald,  n.  2778  ;  Floss,  Papslwahl  unter  denOttonen,  Urkunden,  p.  30.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.v,  col.  319;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  367.  Le  Commoni- 
torium de  Nicolas  aux  légats  nous  a  été  conservé,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1179-1180. 
A-t-il  été  remis  aux  légats  au  moment  où  ils  quittaient  Rome,  ou  bien  est-ce  un 
second  Commonitorium  qui  leur  fut  envoyé  à  la  fin  d'avril,  alors  qu'ils  étaient 
déjà  dans  les  États  de  Lothaire  et  dont  parle  une  lettre  du  pape  à  cette  date  ? 
Dans  ces  instructions,  Nicolas  recommande  à  ses  légats  de  faire  la  lumière  sur 
l'affaire  du  mariage  conclu  sous  Lothaire  Ier  et  sur  l'inceste  de  Theutberge.  Pas 
la  plus  légère  allusion  au  mariage  de  862,  rien  qui  rappelle  l'irritation  dis  lettres 
papales  à  partir  d'avril  863.  On  peut  donc  présumer  que  notre  Commonitorium 
est  de  février  ou  de  mars  et  qu'il  a  été  remis  à  Rodoald  ou  à  Jean  avant  leur  dé- 
part de  Rome.  Cependant  presque  tous  les  auteurs  admettent  que  le  Commoni- 
torium qui  nous  est  parvenu  est  celui-là  même  qui  était  joint  à  la  lettre  que  le 
pape  écrivit  à  ses  légats  vers  la  fin  d'avril.  C'est  l'opinion  de  Hefele,  Concilien- 
geschichte,  2e  édit.,  t.  iv,  p.  264-265;  Jafle-Ewald,  Regesta  ponlificum  romano- 
rum,  p.  249,  n.  2726;  A.  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutschlands,  t.  u,  p.  508, 
Miihlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  490;  Dummler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  64,  n.  1.  L'opinion  con- 
traire est  soutenue  par  Fleury,  Histoire  ecclésiastique,  t.  xi,  p.  62,  et  R.  Parisot, 
op.  cit.,  p.  217,  n.  3.  (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  319;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  367. 


320  LIVKE     XXIII 

de  Baudouin,  le  roi  Charles  le  Chauve,  lui  remettraient  les  epistolas 
synodicas  (dont  il  envoyait  un  nouvel  exemplaire),  avec  une  nou- 
velle lettre,  et  feraient  connaître  tous  ces  documents  aux 
évêques  et  aux  fidèles  de  son  royaume.  Pour  remplacer  les  lettres 
confisquées,  il  leur  en  envoyait  deux  autres  pour  Charles  et  pour 
sa  femme  1,  relatives  à  Baudouin  (on  voit  que  ces  lettres  leur 
avaient  été  aussi  enlevées);  enfin  il  leur  confiait  une  nouvelle  [266] 
lettre  pour  les  évêques  des  Gaules  et  de  la  Germanie  2. 

On  est  porté  à  croire  que  les  légats  eurent  avec  Lothaire  une 
première  entrevue,  avant  la  réception  des  nouvelles  dépêches; 
dépourvus'  d'instructions  écrites,  ils  se  bornèrent  à  exposer  de 
vive  voix  les  ordres  du  pape  3. 

Une  lettre  d'Advence  de  Metz  à  Thieutgaud  nous  apprend  que 
peut-être  dès  l'arrivée  des  légats,  le  concile  de  Metz  avait  été 
fixé  au  5  février  863  4.  La  lettre  est  à  dessein  un  peu  énigmatique; 
on  recommande  à  Thieutgaud  de  la  brûler  aussitôt  que  lue.  Advence 
y  dit  que  Lothaire  est  désormais  décidé  à  se  soumettre  sans  condi- 
tion aux  décisions  du  concile  5  ;  Thieutgaud  ne  doit  cependant 
pas  l'induire  en  erreur  sur  ce  point  et  ne  pas  le  détourner  de  la 
voie  de  Dieu,  en  lui  suggérant  de  trompeuses  espérances.  Il  vaut 

1.  Epist.,  xx,  xxi.  Coup  sur  coup  le  pape  avait  été  édifié  sur  le  caractère  de 
Lothaire.  Le  mariage  avec  Waldrade  ;  la  capture  des  dépèches  des  légats  ;  le  rôle 
joué  dans  l'affaire  de  la  succession  du  siège  de  Cambrai  ;  c'en  était  plus  que  ce 
qu'il  fallait  pour  combler  la  mesure.  Nicolas  fut  attristé  et  irrité,  Liber  ponlifi- 
calis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  159.  Il  est  vraisemblable  qu'il  écrivit  alors  à  Lo- 
thaire pour  lui  reprocher  sa  duplicité,  sa  désobéissance,  son  mépris  des  lois  de 
l'Église.  Mais  cette  lettre,  à  supposer  qu'elle  ait  été  écrite,  est  aujourd'hui  per- 
due. Nous  possédons,  par  contre,  celles  adressées  aux  légats,  aux  membres  de 
1  épiscopat  français  et  allemand,  aux  Pères  du  concile  de  Soissons,  à  l'abbé 
Hubert,  à  Charles  le  Chauve,  enfin  la  correspondance  relative  à  Hilduin,  abbé 
de  Saint-Denys.  Jaffé-Ewald,  n.  2726,  2725,  2723,  2729,  2722,  2730,  2731,  2732. 
Dans  son  esprit  la  cause  du  roi  était  perdue,  le  pape  n'admettait  pas  qu'un  hon- 
nête homme  fît  usage  de  pareils  procédés;  aussi  parlait-il  déjà  dans  la  lettre  aux 
évêques  du  concile  de  Soissons  et  à  l'épiscopat  de  Gaule  et  de  Germanie,  d'une 
excommunication.  Jaffé-Ewald,  n.  2723,  2725,  P.  L.,  t.  exix,  col.  833,  801. 
(H.  L.)  _ 

2.  Epist.,  xxii. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  288;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  335. 

4t.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  862,  n.  60  ;  Damberger,  op.  cit.,  t.  ni,  p.  168  ; 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  264,  et  note  2  au  sujet  d'une  lettre  sans  date  d'Advence  à 
Thieutgaud  qu'il  propose  de  reculer  jusqu'en  janvier  865.  (H.  L.) 

5.  Le  pape,  qui  ne  connaissait  pas  le  caractère  de  Lothaire,  appréhendait  une 
révolte  ouverte.  Jaffé-Ewald,  n.  2723,  2725.  Cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  222.   (H.  L.) 


'i6  9.     LOTHAIRE     ET     NICOLAS     Ier  321 

mieux  que  Lothaire  cède  plutôt  que  de  refuser  un  remède  salutaire. 
Le  concile  fut  forcément  différé,  d'abord  à  cause  des  invasions 
des  Normands,  qui  s'étaient  avancés  jusqu'aux  environs  de  Colo- 
gne et  de  Neuss  1,  et  aussi  à  cause  de  la  mort  du  jeune  roi  Charles 
de  Provence  2  dont  Lothaire  ambitionnait  la  succession.  Une  lettre 
de  Thieutgaud  à  Hincmar  nous  apprend  qu'on  fixa  le  concile 
au  15  mars3.  Le  prêtre  et  abbé  Hilduin  4.  frère  de  Gûnther  de 
Cologne  avait  été  demande  par  Lothaire  pour  le  siège  de  Cambrai. 
Hincmar  en  qualité  de  métropolitain  s'y  refusa  et  remit  au  roi 
Lothaire  un  mémoire  exposanl  l'indignité  d'Hilduin.  On  récla- 
mait d'Hincmar  la  preuve  de  ces  accusations,  c'est  pour  cela  que 
Thieutgaud  l'avait  invité  à  se  rendre  à  Metz  5.  Hincmar  ne  compa- 
rut pas  et  le  pape  Nicolas  au  cours  de  cette  même  année  863, 
chercha  à  écarter  Hilduin.  à  qui  il  écrivit  ainsi  qu'au  roi  Lothaire  et 
aux  évêquesde  son  royaume.  Odon,  évêque  de  Beauvais,  se  chargea 
de  ces  lettres  à  son  retour  à  Home  6.  Le  pape  écrivit  en  même  temps 
[267]  à  Hubert  pour  lui  dire  que,  conformément  à  ses  désirs,  la  question 
du  mariage  de  sa  sœur  serait  traitée  au  concile  de  Metz  7.  Une  autre 

1.  Ann.  Bertiniani,  ad  ann.  863,  p.  61  ;  Ann.  Xantenses,  ad  ann.  864,  p.  230- 
231.   (H.   L.) 

2.  Mort  le  24  janvier  863.  Ann.  Berlin.,  ad  ann.  863,  p.  61.  (H.  L.) 

3.  Epislola  episcoporum  regni  Lotharii  ad  Hincmarum,  dans  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  645;  Fleury,  Hist.  eccl.,  t.  xi,  p.  67;  Binterim,  Pragmatische  Geschichte 
(1er  deutschen  Conciliai,  t.  ni,  p.  10!)  :  Hefele,  Conciliengeschichte,  t.  iv,  p.  266, 
cl  avec  quelques  réserves,  Dùmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  64,  a.  ".!.  croient  que  primi- 
tivement le  concile  avait  été  fixé  au  2  février  :  leur  hypothèse  est  fondée  sur  une 
[ettre  écrite  par  Advence  à  Thieutgaud,  Hontheim,  HistoriaTrevirensis  diplo- 
matica,  t.  i,  p.  199,  lettre  où  il  est  question  d'un  concile  qui  devait  s'ouvrir  à 
Metz  le  jour  de  la  Purification.  Mais  cette  lettre  est  de  la  fin  de  864  ou  du  début 
de  865.  (H.  L.) 

4.  Il  y  ;i  eu  plusieurs  personnages  de  ce  nom  à  cette  époque  et  la  confusion  ne 
s'établit  que  trop  facilement  entre  eux.  Sur  les  relations  d'Hincmar  avec  Hilduin 
abbé  de  Saint-Denys,  Flodoard,  Hist.  eccl.  Remensis,  1.  III,  c.  i,  édit.  Lejeune, 
t.  n,  p.  2-4;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  219.   (H.  L.) 

5.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  645. 

6.  liardouin,  op.  cil.,,1.  v,  col.  302  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  349. 

7.  Pendant  le  séjour  de  Lothaire  dans  le  Midi,  où  l'avait  appelé  la  mort  du 
jeune  Charles  son  frère,  les  légats  Rodoald  et  Jean  avaient  reçu  les  lettres  du  pape, 
écrites  pour  remplacer  celles  qu'ils  s'étaient  laissé  dérober.  Il  n'est  pas  certain 
qu'Odon  de  Beauvais  fût  porteur  de  cette  correspondance  pontificale,  mais 
c'est  possible  et,  en  tous  cas,  il  remit  le  24  mai  à  Hincmar  une  lettre  de  Nico- 
las. Comme  il  était  également  chargé  d'une  lettre  papale  aux  évèques  lorrains, 
Jafîé-Ewald,  n.  2730,  P.  L..  t.  cxxvi,  col.  -J5,  il  est  vraisemblable    qu'on   lui   avait 

CONCILIAS    —    IV    —21 


322 


LIVRE     XXIII 


lettre  fut  adressée  aux  fils  de  Charles  le  Chauve  réconciliés  peu 
auparavant  avec  leur  père;  le  pape  les  engageait  à  se  rendre 
également  à  Metz.  Mais  ce  concile  ne  put  s'ouvrir  le  15  mars 
863.  Sur  ces  entrefaites  les  légats  du  pape  se  rendirent  à  la 
cour  de  Charles  le  Chauve,  qui  les  reçut  avec  bienveillance  à 
Saint-Médard  de  Soissons.  Charles  pardonna  alors  au  comte 
Baudoin  x  :  on  ignore  si  à  cette  époque  le  roi  avait  reçu  la  let- 
tre du  pape  2  confiée  à  Odon  de  Beauvais,  et  contenant  de  nou- 
velles instances  en  faveur  de  Baudoin. 

Le  roi  Charles  fit  de  riches  présents  aux  légats  qui  revinrent 
à  Metz,  où  le  concile  s'ouvrit  enfin  vers  mi-juin  863  3.  Les 
actes  de  cette  assemblée  ne  nous  sont  pas  parvenus  ;  nous  la 
connaissons  néanmoins  par  la  continuation  des  Annales  de  Saint- 
Bertin  d'Hincmar  4,  par]  les  lettres  du  pape  Nicolas  et  quel- 
ques autres  sources.  L'assemblée  comprenait  Lothaire,  entouré 
de  tous  les  évêques  du  royaume,  sauf  Hungar  d'Utrecht, 
malade  5.    Mais   aucun   évêque   des   autres   royaumes     francs    n'y 

confié  le  reste  de  la  correspondance.  A  cette  époque  Lothaire  les  avait  déjà  pro- 
bablement achetés.  On  devait  écarter  du  concile  les  évêques  étrangers,  Theut- 
b<  rge,  Hubert  etc.  ;  la  complicité  des  légats  était  nécessaire.  Comment  ceux-ci 
s'y  prirent-ils  ?  Est-ce  en  supprimant  les  lettres  du  pape  aux  rois  et  aux  évêques 
ou  en  retardant  leur  remise  de  manière  à  empêcher  les  prélats  français  et  alle- 
mands de  se  concerter  et  de  se  rendre  au  concile  ?  Hincmar,  Ann.  Berlin.,  ad  ann. 
863,  p.  62,  parle  de  lettres  papales  cachées  par  les  légats  :  lui-même  ne  lui  con- 
voqué que  quatre  jours  avant  le  concile  et  par  une  lettre  de  Thieutgaud  et  d'Ar- 
duic,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  43.  (H.  L.) 

1.  Pertz,  Monum.  Germ.  hisl.,  t.  i,  p.  460. 

2.  EpisL,  xxx.  Annal.  Berliniani,  ad  ann.  863,  p.  62  :  R.  Parisot,  op.  cil., 
p.  228.  (H.  L.) 

3.  Sirmond,  Conc.  Gallise,  1629,  t.  m,  col.  227;  Coll.  regia,  t.  xxn.  col.  741  ; 
Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  764-766;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  \,  col.  571;  Coleti, 
Concilia,  l.  x,  col.  231:  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  6'i7;  R.  Parisot, 
Le  royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  843-923,  in-8,  Paris,  1899,  p.  "228, 
231;  A.  Verminghoff,  Verzeichnis  der  Akten  frànkischer  Synoden  von  843-918, 
dans  Neues  Archiv  \der  Gesellsch.  fur  âllere  deutsche  Geschichlskunde,  1901, 
t.  xxvi,  p.  633.   (H.   L.) 

i.  Pertz,  Monum.  Germ.  hist.,  t.  i,  p.  460.  Parmi  les  sources  sur  cette  assem- 
blée il  faut  mentionner  le  Libellus  apologeticus  d'Advence,  dans  Baronius, 
Annales,  édit.  Mansi,  t.  xiv,  p.  566-567.  (H.  L.) 

5.  Annal.  Fuldenses,  ad  ann.  863,  p.  57.  Pour  Gùnther  et  Thieutgaud,  voir 
Ann.  Berlin.,  ad  ann.  863,  p.  62  ;  Ann.  Fuldenses,  ad  ann.  863,  p.  57;  Jafîé- 
Ewald,  n.  2748-2751;  Acta  concilii  Lateranensis,  c.  i,  dans  les  Ann.  Berlin.,  ad 
ann.  863,  p.  63-64,  et  Jalîé-Ewald,  n.  2886,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1 166;  pour  Advenc, 


4  69.     LOTHAIRE     ET     NICOLAS    Ier  323 

assista;  Lothaire,  s'inspirant  des  conseils  de  Thieutgaud,  n'avait 
pas  voulu  les  inviter  1.  Il  avait  d'ailleurs,  ainsi  que  l'affirment  le 
pape  et  Hincmar,  corrompu  ou  intimidé  ses  propres  évêques. 
Les  légats  de  leur  côté,  gagnés  par  des  présents,  n'insistèrent 
pas  pour  que  l'on  fît  venir  des  évoques  étrangers  ;  ils  ne  rempli- 
rent pas  leurs  instructions,  et  retinrent  même  les  lettres  du  pape  2. 
Ces  faits  sont  attestés  non  seulement  par  Hincmar  3,  mais  aussi 
par  Advence,  qui  avait  sa  part  de  culpabilité  et  qui  plus  tard, 
en  865,  écrira  au  pape  :  0  utinam  Rodoaldus,  quondam  legatus 
vester...    nobis  per  omnia  vestra   mandata  denudasset  4.    Il  ne  faut 

Epistola  ad  Nicolaum  papam,  dans  Mansi,  t.  xv,  col.  369  ;  pour  Arduic,  un 
fragment  de  lettre  adressée  par  Hincmar  à  lui  ainsi  qu'à  Thieutgaud  en  réponse 
à  l'invitation  à  venir  au  concile  de  Metz,  Archiv  de  Pertz,  t.  vu,  p.  866.  La  pré- 
sence d'Advence  est  attestée  par  son  Libellas  apologetlcus,\)av  sa  lettre  au  pape, 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  368-371,  par  la  réponse  de  Nicolas,  Jafïé-Ewald, 
n.  2768,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  887-889,  par  le  Chronicon  S.  démentis  Metteuse, 
dans  Mon.  Germ.  liisL,  Script.,  t.  xxiv,  p.  497.  La  lettre  de  Nicolas  à  Françon, 
Jafïé-Ewald,  n.  2767,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  885-887,  démontre  que  l'évêque  de 
Liège  assistait  au  concile.  Quant  à  l'évêque  de  Strasbourg,  sa  lettre  au  Souverain 
Pontife  est  une  preuve  qu'il  se  trouvait  à  Metz.  Baronius,  Annales,  édit.  Mansi, 
t.  xv,  p.  3,  col.  2.  Sur  les  autres  membres  de  l'épiscopat  présents  au  concile,  nous 
ne  possédons  aucun  renseignement.  Il  ne  semble  pas  que  ni  les  archevêques  de 
Lyon  et  de  Vienne,  Rémi  et  Odon,  ni  aucun  des  évêques  provençaux  soient 
venus  à  Metz.  Par  contre,  un  évêque  italien,  Haganon  de  Bergame,  se  trouvait 
là,  délégué  par  Louis  le  Germanique  ou  par  l'épiscopat  de  la  péninsule.  Ann. 
Bertiniani,  ad  ann.  863,  |>.  62;  Vita  Nicalai,  dans  Liber  pontificalis,  t.  n,  160. 
Reginon,  Chronicon,  ad  ann.  865,  p.  82,  fait  d'Haganon  un  des  légats  pontifi- 
caux. Gfrôrer,  op.  cit.,  I.  i,  p.  362,  voit  dans  ce  personnage  un  surveillant  donné, 
aux  deux  légats  par  le  pape  qui  se  méfiait  d'eux.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  229  et 
notes  4-5.  (H.  L.) 

1.  Lothaire  prétend  dans  une  de  ces  lettres  au  pape  Nicolas  avoir  donné  à  ses 
accusateurs  toute  facilité  pour  se  rendre  au  concile,  Lotharii  régis  epistola  ad 
Nicolaum  papam.  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  384,  mais  cette  assertion  est 
contredite  par  le  pape  lui-même  en  ce  qui  concerne  Theutberge.  Jafïé-Ewald, 
n.  2886.  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1168.  (H.  L.) 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  862,  n.  30;  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  375;  Nicolas  Ier, 
Epist.,  LYin,  dans  Ilardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  288  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv 
col.  335. 

3.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  375. 

4.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  865,  n.  57;Begin,  Biçgr.  de  la  Moselle,  1829, 
I.  i.  p.  8-17;  D.  A.  Cahnel,  Bibl.  de  la  Lorraine,  1751,  p.  25-26;  D.  R.  Ceillier,  His- 
toire générale  des  auteurs  ecclésiastiques,  1754,  t.  xix,  p.  229-232;  2e  édit.,  t.  xn, 
p.  609-610;  E.  Dùmmler,  dans  Neues  Archiv  der  Gesellsch.  fur  ait.  deuts.  Geschichte, 
1879,  t.  iv,  p.  526-527;  J.  A.  Fabricius,  Bibl.  med.  sévi,  1734,  t.  i,  p.  47;  édit. 
Ilarles,  p.  18  ;  W.  Gundlach,  dans  Neues  Archiv  der  Gesells.  fur  dit.  deuts,  Geschichte. 


324  LIVRE    XXIII 

pas  voir,  avec  Binterim  1,  une  contradiction  entre  ces  faits  et  ce 
qui  a  été  dit  plus  haut,  que  «  les  courtisans  de  Lothaire  avaient 
enlevé  aux  légats  les  lettres  du  pape,  »  car  il  s'agit  ici  seulement 
des  dépêches  qu'ils  gardèrent.  Les  légats  souffrirent  en  outre  que  [268] 
Theutberge  ne  comparût  pas  avi  concile,  parce  qu'elle  n'avait 
pas  le  sauf-conduit  nécessaire.  Néanmoins,  pour  simuler  une 
sorte  d'enquête,  les  légats  demandèrent  au  roi  Lothaire  d'ex- 
poser lui-même  l'état  de  la  question.  Il  dit  :  «  Je  n'ai  fait  que 
ce  que  les  évêques  de  mon  royaume  (réunis  à  Aix-la-Chapelle) 
m'ont  permis  de  faire.  »  Et  il  renouvela  alors  l'audacieux 
mensonge    de    son    pseudo-mariage    avec    Waldrade  2. 

En  même  temps,  les  évêques  qui  avaient  assisté  au  concile 
d'Aix-la-Chapelle  affirmèrent  que  le  roi  disait  vrai,  et  exposè- 
rent les  motifs  de  leur  décision,  qu'ils  regardaient  encore 
comme  valables,  dans  un  mémoire  signé,  d'abord  par  Giïnther 
et  Thieutgaud,  puis  par  tous  les  autres  évêques,  et  qui  fut  qua- 
lifié par  le  pape  de   prof  anus  libellus  3.   On  lut  ensuite  la   partie 

1887,  t.  xii,  p.  483;  Hist.  littér.  de  la  France,  1740,  t.  v,  p.  429-435;  P.  L.,  t.  exix, 
col.  1141;  Wattembach,  Deutschl.  Ceschichtsquellen,  1873,  t.  i,  p.  199;  et  surtout 
R.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  843-923,  in-8,  Paris, 
1899,  p.  126,  note  2.  (H.  L.) 

1.  Binterim,  Deutsche  Concilien,  L.  m,   p.    110;   R.   Parisot,    op.    cit.,   p.   320, 
n.   1.  (H.  L.) 

2.  Réginon,  Chronique,  ad  ann.  865  (au  lieu  de  863),  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  572;  Rodolphe  de  Fulda,  Annales,  ad  ann.  863,  ibid.,  p.  375  ;  Adventius, 
Narratio,  dans  Raronius.  Annales,  ad  ann.  862,  n.  30.  Le  comte  Liutfrid,  les  pœ- 
dagogi  de  Lothaire  et  tous  les  senatores  attestèrent  la  réalité  de  ce  premier  mariage 
avec  Waldrade.  Les  Annales  Fuldenses,  ad  ann.  863,  p.  57,  prêtent  à  Lothaire  la 
déclaration  de  n'avoir  agi  que  sur  le  conseil  de  ses  évêques.  Le  Liber  ponlificalis, 
t.  n,  p.  160.  et  Réginon,  Chronicon,  ad  ann.  865,  p.  82,  mentionnent  cette  dé- 
claration, mais  la  font  adresser  par  le  roi  non  au  concile,  mais  aux  légats. 
(H.  L.) 

•">.  Nicolas,  Episf..  î.vm,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  289;  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  336.  Cf.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  375-460.  Nous  citerons  le  fait  suivant 
pour  montrer  avec  combien  peu  de  dignité  ou  se  conduisit  dans  le  concile.  FJn 
évêque  avait  ajouté  à  sa  signature  cette  stipulation,  que  le  décrel  ne  pourrait 
avoir  de  valeur  qu'après  la  décision  du  pape,  mais  Gùnther  coupa,  dans  le 
parchemin,  cette  stipulation,  et  ne  laissa  que  le  nom  de  l'évêque.  Nicolas, 
EpisL,  lviii,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  292;  Mansi.  op.  cit.,  t.  xv,  col.  338. 
Les  légats  hasardèrent  pour  la  forme  quelques  observations,  mais  l'assem- 
blée de  Metz  ratifia  les  décisions  des  assemblées  antérieures  d'Aix-la-Cha- 
pelle, approuva  l'annulation  du  mariage  de  Lothaire  et  de  Theutberge  et 
confirma  l'union  avec  Waldrade.  Advence,  Libel.   apol.,  dans    Baronius,  Annales, 


169.     LOTHAIRE     ET     NICOLAS     Ier  325 

des  actes  d'Aix-la-Chapelle  contenant  les  accusations  portées 
par  Theutberge  contre  elle-même  l,  et,  quoique  absente,  elle 
fut  condamnée.  Le  pape  Nicolas,  qui  nous  donne  ces  détails2, 
ajoute  que  Gùnther  e1  Thieutgaud  avaient  falsifié  les  lettres 
du  pape  au  sujet  d'Engeltrude,  qui  lurent  lues  au  concile  ; 
ils  y  avaient  à  leur  gré  ajouté  3,  retranché,  modifié.  Enfin 
Gùnther  et  Thieutgaud  furent  choisis  pour  porter  au  pape  ce 
libellus  et  lui  donner  de  vive  voix  les  explications  nécessaires  4. 
Hartzheim   5    a    lorl    d'attribuer  à  ce  concile    de    Metz  la    lettre 

édit.  Mansi,  t.  xiv,  p.  r><>7.  col.  2  ;  Nicolas,  Epist.  ad  episcopos  in  regno  [Lu- 
dovici  constitutos.  31  octob.  8t>7:  Jalïé-Ewald,  n.  2886,  P.  L.,  t.  cxix.  col. 
1166,  1168-1170;  Mùhlbacher,  Ri>«.  Kar.,  p.  491.  (H.  L.) 

1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  862,  n.  30  Cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  230-231  : 
«  Ce  mariage,  ce  sont  les  intéressés,  Lothaire,  son  oncle  Liutfrid,  ses  précepteurs, 
qui  l'affirment,  nulle  source  impartiale  n'en  dit  rien, Prudence  parle  des  adultères 
commis  par  les  fils  de  Lothaire  Ier,  et  ce  passage  vise  les  relations  du  second 
fils  de  l'empereur  avec  Waïdrade  ;  Hincmar,  dans  son  Dedivortio,  ne  nomme  pas 
Waldrade,  mais  c'est  elle  évidemment  cette  concubine  que  le  jeune  roi  a  eue 
avant  son  mariage  et  qu'il  désire  épouser.  De  divort.  Loth.,  interr.  xvm,  xxi, 
P.  L.,  t.  cxxv,  col.  729-732.  Réginon  enfin,  Chronicon,  ad  ann.  864,  p.  80,  dit 
formellement  que  Waldrade  avait  été  la  maîtresse  de  Lothaire,  alors  que  celui-ci, 
encore  adolescent,  vivait  dans  le  palais  de  son  père.  D'ailleurs,  si  son  union  avec 
Waldrade  avait  été  régulière,  il  n'aurait  pas  attendu  à  862  pour  s'en  prévaloir, 
il  n'aurait  pas  eu  besoin  d'inventer,  [pour  se  débarrasser  de  Theutberge,  l'his- 
toire de  l'inceste.  Devant  aucun  des  trois  conciles  réunis  à  Aix-la-Chapelle  de 
860  à  862,  il  n'a  fait  même  la  plus  légère  allusion  au  mariage  que  son  père  lui 
aurait  fait  contracter  avec  Waldrade.  C'est  seulement  après  le  IIIe  concile, 
quand  il  écrit  au  pape,  que  Lothaire  s'avise  de  recourir  à  cet  argument.  Comme 
il  sait  peut-être  Nicolas  hostile  à  la  rupture  du  lien  conjugal,  même  alors  que  la 
femme  a  commis  un  inceste  avant  le  mariage,  il  a  l'idée  de  transformer  en 
union  légitime  la  liaison  irrégulière  :  le  pape,  il  l'espère  du  moins,  acceptera 
l'histoire  comme  vraisemblable  et,  en  vertu  de  ses  principes,  il  sera  bien  obligé  de 
déclarer  nul  le  mariage  du  roi  et  de  Theutberge,  puisque  antérieurement  ce  prince 
avait  épousé  Waldrade.    »  (H.  L.) 

2.  Epist.,    lviii. 

'3.  Le  résultat  de  la  manœuvre  de  Gùnther  et  de  Thieutgaud  fut  de  donner 
l'absolution  à  Engeltrude.  Conc.  Lateran.,  c.  n,  dans,  Ann.  Bertiniani,  ad  ann. 
863,  p.  64  ;  Advence,  Epistola  ad  Nicolaum,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv.  col.  370; 
Nicolas,  Epist.  ad  episc.  in  regno  Ludow.  constit.,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1167.  Le  con- 
cile s'occupa  aussi  de  l'Église  de  Metz.  Cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  231,  note  5.  (H.  L.) 

4.  Le  Liber  pontificalis,  t.  n,  p.  160  et  la  lettre  de  Nicolas  aux  évoques  alle- 
mands, datée  du  :!1  octobre  (P.  L.,  t.  cxix,  col.  1166),  avancent  que  Gùnther  et 
Thieutgaud  auraient  déclaré  qu'ils  se  faisaient  fort  de  justifier  leur  conduite 
en  tous  points  devant  le  pape.  (H.  L.) 

5.  Hartzheim,  Conc.  Gernu,  t.  n,  p.  286. 


326  LIVRE     XXIII 

des  évoques  lorrains  au  pape,  lui  adressant  comme  leurs  dé- 
putés Thieutgaud  et  Otto  de  Verdun.  Il  suffit  de  lire  cette 
lettre  pour  constater  qu'elle  est  antérieure  au  troisième  concile 
d'Aix-la-Chapelle  ;  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  elle  appartient 
au  deuxième  concile  d'Aix-la-Chapelle  l.  Par  contre,  Hartz- 
heim  et  d'autres  historiens  ont  raison  de  rattacher  l'apologie 
d'Advence  pour  Lothaire  au  concile  de  Metz  2.  Cet  écrit  avait  L^yj 
évidemment  pour  but  de  faire  connaître  partout  le  pseudo- 
mariage de  Lothaire  avec  Waldrade.  L'auteur  garde  néanmoins 
assez  d'honnêteté  pour  dire  qu'il  n'est  pas  absolument  certain 
de  ce  qu'il  avance,  parce  qu'à  cette  époque  il  n'était  pas  encore 
évêque  3. 


470.  Trois  conciles  romains.  Déposition  de  Photius.  Punition 
des  légats  et  des  Lorrains.  Siège  de  Rome. 

Rodoald  était  déjà  parti  en  qualité  de  légat  du  pape  en  Lorraine, 
lorsque  des  amis  du  patriarche  Ignace,  chassés  par  Photius  et  réfu- 
giés à  Rome,  exposèrent  minutieusement  à  Nicolas  la  conduite 
de  ses  légats  à  Constantinople.  Le  pape  réunit  aussitôt,  au  commen- 
cement de  863,  dans  l'église  de  Saint-Pierre  un  concile  qu'il 
transféra  ensuite  au  Latran  à  cause  de  la  rigueur  de  l'hiver  4. 
L'assemblée  jugea  un  de  ces  légats,  Zacharie,  évêque  d'Ana- 
gni.    11     fut     convaincu     d'avoir      contrevenu     aux      instructions 


1.  Voir   §  462. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  862,  n.  27  sq. 

3.  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  743;  Labbe,  Concilia,  t.  vm,  col.  774-775,  cf.  col. 
288-289;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  243  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  661;  Jafîé, 
Reg.Pontif.  roman.,  2e  édit.,  n.  350;  Hergenrôther,  Photius,  t.  i,  p.  519  sq.  (H.  L.) 

4.  Advence,  dont  le  témoignage  serait  capital,  a  bien  soin  de  dire  qu'il  n'a 
pas  été  témoin  du  mariage  de  Lothaire  avec  Waldrade;  il  n'en  parle  que  par  ouï- 
dire.  On  lui  a  affirmé  que  Lothaire  Ier  avait  fait  cadeau  de  cent  menses  à  son  lils 
pour  lui  constituer  une  dot  et  lui  avait  donné  Waldrade  suo  nomine  divinse  fidei 
ou  in  Dei  fide,  expressions  qui  semblent  viser  la  bénédiction  nuptiale.  Advence 
ne  croit  pas  que  Lothaire  eût  doté  la  concubine  de  son  fils  :  il  dit  que  la  cohabi- 
tation des  deux  jeunes  gens  a  eu  lieu  au  vu  et  au  su  de  tous.  Mais  tout  cela  ne 
vaut  pas  le  témoignage  oculaire.  (H.  L.J 


470.     TROIS     CONCILES     ROMAINS  327 

papales,  en  confirmant  la  déposition  d'Ignace  et  l'élévation 
de  Photius.  Il  fut  déposé  et  excommunié  en  présence  d'un  grand 
nombre  d'évêques  venus  de  diverses  parties  de  l'Occident  1i  Le 
jugement  de  Rodoald  fut  renvoyé,  à  raison  de  son  absence,  à  un 
autre  concile.  Lecture  faite  des  procès-verbaux  du  conciliabule 
de  Photius  et  des  lettres  de  Constantinople  traduites  en  latin, 
l'assemblée  jugea  et  anathématisa  Photius  et  ses  partisans 
dans  les  cinq  capitula  suivants  : 

1.  Photius,  schismatique,  tonsuré  trop  vite  après  avoir  quitté 
le  service  de  l'État  et  les  rangs  de  l'armée,  a  été  ordonné  évêque 
par  Grégoire  jadis  évêque  de  Syracuse,  condamné  depuis  lors 
par  un  concile  et  interdit  par  le  Siège  apostolique.  Du  vivant 
d'Ignace  notre  collègue  dans  le  sacerdoce  et  patriarche  de  la 
sainte  Église  de  Constantinople,  il  s'est  emparé  de  son  siège  et, 
semblable  à  un  voleur  et  à  un  adultère,  il  a  fait  violence  à  cette 
fiancée...  Il  a  entretenu  des  relations  quotidiennes  avec  des 
[270]  gens  condamnés  et  anathématisés,  ainsi  qu'avec  ceux  auxquels 
notre  prédécesseur  Benoît  avait  interdit  jusqu'à  décision  ulté- 
rieure  l'exercice  des  fonctions  sacerdotales.  Nonobstant  sa  pro- 
messe solennelle  de  ne  rien  faire  d'hostile  au  patriarche  Ignace, 
il  a  réuni  un  concile  et,  d'accord  avec  ses  pareils,  tous  gens  dépo- 
sés et  condamnés,  excommuniés  et  anathématisés,  évêques  sans 
évêchés,  promus  irrégulièrement  et  illicitement,  ordonnés  indû- 
ment, il  a  osé  prononcer  une  sentence  de  déposition  et  d'ana- 
thème  contre  notre  frère  Ignace.  En  outre,  il  a  cherché  par  tous 
moyens,  imitant  en  cela  Acace,  patriarche  hérétique  de  Cons- 
tantinople, à  détourner  de  leurs  instructions  et  de  notre  obéis- 
sance les  légats  du  Siège  apostolique  envoyés  à  Constantinople 
pour  traiter  l'affaire  des  iconoclastes  et  faire  une  enquête  sur 
l'expulsion  d'Ignace  et  sur  la  promotion  de  ce  néophyte  ;  il 
a  avoué  lui-même  avoir  obligé  ces  légats  à  entrer  en  communion 
avec  des  condamnés  et  des  schismatiques,  méprisant  ainsi  ce 
caractère  d'ambassadeur  qui  avait  cependant  toujours  été  res- 
pecté, même  par  le  droit  international.  Il  a  tant  fait  que  ces 
ambassadeurs,  au  mépris  du  Siège  de  Pierre,  sont  revenus 
non  seulement  sans  avoir  pris  les  informations  nécessaires,  mais 
même   après   s'être   tournés   contre   ceux   qui  leur  avaient   confié 

1.    Liber    pontificalis,     Vita    Nicolai,    t.    n,   p.   159  ;   Jaffé-Ewald,   n.   2821. 
(H.  L.) 


328  LIVRE     X  \  l  1 1 

leur  mission.  Enfin,  il  a  exilé  les  évoques  qui  le  repoussaient  de 
leur  communion  et  le  regardaient  comme  adultère  et  ravis- 
seur (d'une  fiancée  qui  n'était  pas  à  lui)  ;  il  les  a  remplacés  par 
des  approbateurs  de  ses  blasphèmes.  Il  a  continué  jusqu'à  ce 
jour  à  persécuter  de  diverses  manières  l'Eglise  de  Dieu;  il  ne  cesse 
de  molester  d'une  façon  inouïe  et  épouvantable  notre  frère  Ignace, 
e1  il  est  constamment  appliqué  à  perdre  ceux  qui  combattent  pour 
la  vérité.  Aussi  doit-il  être,  en  vertu  de  l'autorité  de  Dieu  tout 
puissant,  des  princes  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  de  tous  les  saints, 
des  six  conciles  œcuméniques  *,  et  par  le  jugement  du  Sainl- 
Esprit  que  nous  prononçons,  privé  de  toul  honneur  et  dignité 
sacerdotale,  et  complètement  dépouillé  de  toutes  fonctions  ecclé- 
siastiques. Si,  après  avoir  pris  connaissance  de  cette  sanction, 
que  nous  croyons  inspirée  du  Saint-Esprit,  parce  qu'elle  a  été 
adoptée  à  l'unanimité,  il  ose  encore  s'asseoir  sur  le  siège  de  Cons- 
tantinople,  et  s'il  empêche  Ignace  de  reprendre  la  conduite  de  [271] 
son  troupeau,  il  sera  frappé  d'anathème  et  exclu,  lui  et  ses  pareils, 
de  l'eucharistie  jusqu'au  moment  de  la  mort,  afin  qu'à  l'avenir 
nul  n'ose  passer  sans  transition  du  rang  de  laïque  à  l'épiscopat, 
ce  qui  est  trop  souvent  arrivé  dans  l'Eglise  de  Constantinople, 
et  que,  au  mépris  des  clercs  de  Constantinople  qui  ont  servi  sans 
se  lasser  l'Église  du  Christ  (on  pourrait  presque  dire  depuis  le 
berceau),  on  ne  remet  pas  à  un  étranger  la  conduite  du  trou- 
peau du  Christ. 

2.  Quant  à  Grégoire  qui,  en  violation  des  canons,  se  trouve  à  la 
tête  de  l'Église  de  Syracuse  et  la  gouverne  au  mépris  des  lois  de 
Dieu,  il  compte  également  parmi  les  schisma tiques  ;  cependant 
déposé  par  un  concile  et  suspendu  (obligatus)  par  le  pape  Benoîl, 
il  a  osé  élever  Photius  à  l'épiscopat,  et  il  a  exercé  plusieurs  autres 
fonctions  du  saint  ministère.  Nous  ordonnons  donc,  en  vertu  de 
l'autorité  apostolique  et  conformément  au  droit  ecclésiastique 
et  aux  canons,  qu'il  soil  dégradé  et  dépouillé  de  toutes  fonctions 
sacerdotales,  sans  espoir  de  restitution.  S'il  continue  à  exercer 
les  fonctions  ecclésiastiques  et  à  intriguer  contre   Ignace,  il  sera 

I.  Baronius,^4nncZes,  ad  ann.  863,  n.  6,  cherche  à  expliquer  pourquoile  pape 
ne  parle  pas  de  sept  conciles  œcuméniques.  Damberger,  Synchron.  Gesch.,  t.  ni, 
Kritikheft,  p.  206  sq.,  croit,  de  son  côté,  que  ces  mots  :  et  des  six  conciles  œcu- 
méniques,  sont  une  interpolai  ion  probablement  faite  par  Photius,  afin  <l  accu- 
ser ensuite  les  Romains  de  ne  vouloir  pas  reconnaître  le  VIIe  concile  œcumé- 
nique. 


i/O.    TROIS    CONCILES    ROMAINS  .120 

anathématisé,   et  tons  rapports  avec  les  fidèles  lui  seront  inter- 
dits: il  en  sera  de  même  de  ceux  qui  le  soutiendront. 

3.  Nous  dépouillons  de  tout  emploi  dans  la  cléricature  ceux 
que  le  néophyte  Photius,  ravisseur  du  siège  de  Constantinople, 
;i  élevés  à  une  dignité  ecclésiastique  quelconque  :  car  il  est  bien 
évidenl  qu'ils  adhèrent  à  tous  les  blasphèmes  de  leur  consé- 
crateur  e1  sont  en  communion  avec  lui. 

4.  Au  sujet  de  notre  très  digne  et  très  saint  père  Ignace,  dépouil- 
lé d'abord  de  sou  siège  par  l'empereur,  anathématisé  ensuite  par 
Photius,  l'adultère,  le  pécheur  et  le  ravisseur,  et  par  ses  pareils 
déjà  excommuniés,  anathématisés  et  suspendus  par  le  pape  Benoit, 
en  (in  dépouillé  de  la  mitre  sacerdotale  par  les  légats  du  Siège  apos- 
tolique, agissant  en  cela  contre  nos  ordres,  ainsi  que  l'a  avoué 
Zacharie  lui-même,  l'un  de  ces  légats,  nous  ordonnons  et  procla- 
mons, de  par  l'autorité  du  juge  suprême  Jésus-Christ,  qu'il  n'est 
ni  déposé  ni  anathématisé,  qu'il  ne  l'a  jamais  été,  n'ayant  été 
chassé  qu'en  vertu  de  la  puissance  impériale  et  sans  aucune  auto- 
rité canonique.  Il  ne  pouvait  aucunement  être  lié  par  la  sen- 
tence de  ceux  qui  avaient  eux-mêmes  perdu  leur  liberté  (c'est- 
à-dire  qui  étaient  suspendus  de  par  l'autorité  ecclésiastique). 
Pour  ces  raisons,  en  vertu  de  la  puissance  octroyée  par  Dieu  à 
saint  Pierre,  nous  réintégrons   Ignace  dans  son  ancienne  dignité, 

[272]    dans    son   rang   et   son   patriarcat,    et   nous    menaçons    de    peines 
sévères  ceux  qui  refuseront  de  le  reconnaître. 

5.  Tous  les  évoques  et  clercs  qui,  après  l'injuste  déposition 
d'Ignace,  ont  été  exilés  ou  privés  de  leurs  charges,  doivent  cire 
rappelés  et  réintégrés.  Si  quelqu'un  n'observe  pas  ce  décret,  qu'il 
soit  anathème  !  S'il  existe  contre  quelques-uns  d'entre  eux  des 
accusations,  on  doit  les  réintégrer  avant  d'examiner  la  valeur 
de  ces  accusations  ;  ils  ne  pourront  être  jugés  que  par  le  Siège 
de  Rome. 

(>.  A  l'égard  des  saintes  et  vénérables  images  de  Notre-Seigneur, 
de  sa  Mère  toujours  vierge  et  de  tous  les  saints,  depuis  Abel, 
on  doit  conserver  intact  et  sans  changement  ce  que  la  sainte 
Eglise  a  accepté  de  tout  temps  dans  le  monde  entier,  et  ce  que 
les  papes  ont  ordonné  et  prescrit  sur  ce  point  (ici  encore  il  n'est 
fait  aucune  mention  de  septième  concile  œcuménique).  Nous 
prononçons  l'anathème  contre  Jean  1,  ancien   patriarche  de  Cons- 

1.  Cette  sentence  synodale  nous  a  été  conservée  en  latin  dans  les  Epiât.,  vu 


330  LIVRE     XXIII 

tantinople,  et  contre  ses  partisans,  au  dire  desquels  on  devait 
briser  et  fouler  aux  pieds  les  images. 

Les  légats  du  pape  à  Metz  étant  rentrés  à  Rome,  rapportèrent 
au  pape  ce  qui  avait  été  décidé,  et  que  le  roi  s'était  conduit 
d'après  la  sentence  du  concile.  Ils  ajoutèrent  que  Gùnther  et  Thieut- 
gaud  ne  tarderaient  pas  à  arriver  pour  fournir  au  Saint-Siège 
des  renseignements  très  précis  sur  ce  concile  1.  Quelque  temps 
après,  Rodoald  sommé  de  rendre  compte  de  sa  conduite  à  Cons- 
tantinople  et  à  Metz,  prit  la  fuite  2. 

Bientôt  en  effet,  arrivèrent  à  Rome  Gûnther  et  Thieutgaud; 
le  pape  les  reçut  avec  bienveillance  et  les  questionna  sur  ce  qui 
s'était  passé  à  Metz  3.  Ils  remirent  le  Libellus,  contenant,  disaient- 
ils,  le  récit  de  tout  ce  qui  s'était  passé  4.  Le  pape  y  ayant  remarqué 
«  plusieurs  choses  profanes  et  nouvelles,  »  convoqua  en  octobre 
863  au  Latran  un  concile  auquel  assistèrent  Gùnther  et  Thieut- 
gaud 5.  Nicolas  fit  donner  lecture  des  diverses  pièces  concernant  [273] 
cette  affaire,  et,  après  avoir  relevé  l'injustice  commise  par  le 
concile  de  Metz,  il  publia  une  sentence  rédigée  en  forme  de  décret 
adressé  à  tous  les  évêques  d'Italie,  des  Gaules  et  de  Germanie  : 
«  Le  roi  Lothaire,  si  tant  est  qu'il  mérite  le  nom  de  roi,  s'est, 
par  sa  bigamie,  rendu  coupable  d'un  grand  crime.  Nous  savions 
depuis  longtemps  et  par  diverses  sources,  que  Thieutgaud  etGiin- 

et  x,  du  pape  Nicolas,  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  178,  244;  Hardouin, 
Coll.  concil.,  t.  v,  col.  136,  18,  et  dans  les  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique, 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  106;  Hardouin,  op.  cit.,  col.  842.  On  la  retrouve  eu 
grec  dans  YEpitome  grec  des  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique.  Mansi,  op.  cit., 
t.  xvi,  col.  363;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1070.  Dans  l'epist.  vu  du  pape  Nico- 
las on  trouve,  outre  ces  six  canons  sur  Photius  et  sur  les  images,  deux  canons 
sur  les  théopaschites,  canons  qui  appartiennent,  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  § 
468,  à  un  concile  romain  de  862. 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  152;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  233.  (H.  L.) 

2.  Ibid.,  t.  xv,  col.  183;  Annales  Bertiniani,  ad  ann.  863,  p.  63.  (H.  L.) 

:;.  Le  pape  savait  alors  ce  qui  s'était  passé  à  Metz,  Ann.  Bertiniani,  ad  ann. 
p.  63;  Liber  ponlij.,  Vila  Nicolai,  t.  n,  p.  160.  (H.  L.) 

4.  Fin  septembre  ou  commencement  d'octobre.  Le  pape  fit  lire  le  Libellus 
à  haute  voix,  par  un  notaire,  puis,  sans  faire  d'observations,  congédia  les  deux 
métropolitains.  Conc.  Lateranense,  c.  n,  dans  Ann.  Berlin.,  ad  ann.  863,  p.  64. 
Dans  Jafïé-Ewald,  n.  2886,  le  pape  semble  dire  qu'il  a  fait  immédiatement  et 
en  présence  des  deux  archevêques  la  critique  des  actes  du  concile  de  Metz.  (H.  L.) 

5.  Trois  semaines  s'écoulèrent  avant  que  le  pape  se  prononçât.  Cf.  R.  Parisot. 
Le  royaume  de  Lorraine  sous  les  Carolingiens,  p.  234  et  notes  2,  3;  A.  Vermingholï, 
Verzeiehnis,  dans  Neues  Archw,  1901,  t.  xxvi,  p.  664.  (H.  L.) 


470.     TROIS     CONCILES     ROMAINS  331 

ther  l'avaient  soutenu  dans  cette  affaire  ;  mais  nous  ne  pouvions 
pas  croire  fondées  de  telles  accusations  portées  contre  des  évoques. 
Néanmoins,  leur  présence  à  Rome,  et  l'écrit  qu'ils  ont  remis  et 
voulaient  nous  faire  signer,  ont  démontré  la  réalité  de  ces  bruits. 
Us  se  sont  pris  eux-mêmes  dans  leurs  propres  filets  ;  aussi  ont-ils 
été  déposés  par  sentence  du  présent  concile  1,  dépouillés  de  toutes 

1.  Sur  cotte  déposition  envisagée  au  poinl  do  vue  du  droit  de  l'époque,  il  y  a 
lieu  de  s'arrêter  après  celle  importante  remarque  de  E.  Lesne,  La  hiérarchie 
épiscopale,  p.  227 .  note  1  :  «  Hinomar  qui  protestera  contre  le  rétablissement  de 
Rothade  de  Soissons,  prononcé  potêtitiàliter,  sans  d'ailleurs  mettre  en  doute  la 
validité  de  l'acte  pontifical,  n'avait  rien  trouvé  à  dire  lorsque  Nicolas  Ier  déposait 
tout  aussi  potentiitliter  Gùnther  et  Thieutgaud.  »  Noorden,  Hinkmdr,  p.  190,  n.  1, 
s'étonne  de  cette  longanimité  de  l'archevêque  de  Reims  au  moment  où  on  s'at- 
tendait à  le  voir  éclater.  M.  R.  Parisot  apprécie  avec  précision  et  justice  l'acte 
du  pape  :  «  Nicolas  avait  raison  :  Gùnther  et  Thieutgaud  étaient  très  coupables, 
tous  deux  méritaient  une  punition  ;  seulement  il  convenait  que  celle-ci  fût  pro- 
noncée dans  les  formes.  On  reprochait,  non  sans  raison,  à  Gùnther  et  à  Thieut- 
gaud d'avoir  violé  à  l'égard  de  Theùtberge  la  règle  de  la  justice;  en  procédant 
contre  eux,  il  importait  de  ne  pas  suivre  leurs  errements.  Le  pape  eut  le  lort 
de   ne   pas   le   comprendre. 

«  A  qui  appartenait  le  droit  de  juger  les  deux  archevêques?  Un  concile  œcumé- 
nique, ou  un  concile  général  de  l'empire  franc  auraient  eu  sans  aucun  doute  la 
compétence  nécessaire  ;  peut-être  aurait-il  suffi,  pour  que  les  décisions  du  con- 
cile fussent  valables,  qu'au  moins  les  autres  métropolitains  de  Lothaire,  de  ses 
oncles  et  de  ses  frères,  ainsi  que  les  évêques  sufïragants  des  deux  archevêques 
inculpés  eussent  fait  partie  de  l'assemblée.  Un  synode  d'évêques  italiens  présidé 
par  le  pape  avait-il  qualité  pour  prononcer  sur  le  cas  de  Gùnther  et  de  Thieutgaud? 
On  doit,  semble-t-il,  [si  on  s'en  tient  au  droit  en  vigueur  au  ixe  siècle]  répondre 
non  à  cette  question.  Au  ve  siècle,  plusieurs  papes  avaient  jugé,  avec  le  concours 
de  conciles  italiens,  des  métropolitains  de  la  Gaule  ou  de  l'Orient;  ainsi,  saint 
Léon  le  Grand  cassa  la  décision  d'un  synode  primatial  gaulois  qui,  à  l'instigation 
d'Hilaire,  métropolitain  d'Arles,  avait  déposé  le  métropolitain  de  Besançon, 
Chélidoine.  Le  pape  restaura  celui-ci  sur  son  siège  et  déclara  déchu  de  son  rang 
de  métropolitain  Hilaire  qui  fut  réduit  à  la  condition  d'un  simple  évêque  d'Arles. 
P.  L.,  t.  liv,  col.  628.  Mamert,  métropolitain  de  Vienne,  empiétant  sur  les  droits 
de  son  collègue  d'Arles,  de  qui  le  diocèse  de  Die  dépendait  alors,  avait  consacré 
à  Die  un  évêque  ;  le  pape  Hilaire  fit  réunir,  pour  juger  Mamert,  un  concile,  à 
qui  il  enjoignit,  si  le  métropolitain  de  Vienne  refusait  de  se  soumettre,  de  lui 
retirer  les  quatre  diocèses  sufïragants  de  son  siège,  pour  les  attribuer  au  métro- 
politain d'Arles,  Jalté-Kalteiibrunner,  n.  556-559,  P.  L.,  t.  lviii,  col.  25-27. 
Le  même  pape  sévit  contre  Hermès  qui,  abandonnant  au  mépris  des  règles  cano- 
niques l'évèche  de  Béziers,  avait  usurpé  le  siège  métropolitain  de  Narbonne  ;  le 
droit  de  consacrer  lui  fut  enlevé  et  conféré  au  plus  ancien  des  évêques  suifragants 
de  Narbonne,  Jaffé-Kaltenbrunner,  n.  554-555,  P.  L.,  t.  lviii,  col.  24-25.  Ces 
différentes  sentences  pontificales,  qui  avaient  d'ailleurs  été  rendues  dans  des 
conciles  italiens,   furent  acceptées  sans  protestation  par  les  évêques    gaulois; 


332  LIVRE     XXIII 

mais  remarquons-le,  ni  Hilaire,  ni  Mamert,  ni  Hermès  n'ont  été  déposés;  ce  qu'ils 
ont  perdu,  ce  n'est  pas  leur  siège,  mais  leurs  prérogatives  de  métropolitains. 
Les  seuls  exemples  de  déposition  nous  sont  donnés  par  le  pape  Félix  II  (III) 
qui  fît  prononcer  cette  peine  par  des  conciles  tenus  à  Rome  en  484,  contre  Acace, 
patriarche  de  Constantinople,  à  l'instigation  de  qui  l'empereur  Zenon  avait  en- 
levé à  Jean  Talaja  le  siège  d'Alexandrie  pour  le  donner  à  Pierre  Monge;  puis, 
en  485,  contre  Pierre  le  Foulon,  usurpateur  du  siège  d'Antioche.  Jafîé-Kalten- 
brunner,  n.  592-404,  P.  L.,  lviii,  col.  893,  978,  921,  934.  Sur  le  pouvoir  des  pa- 
pes en  matière  disciplinaire,  cf.  Hinschius,  Dos  Kirchenrecht  (1er  Katholischen  and 
Profestanten,  t.  iv.  p.  780  sq.,  pour  l'époque  impériale;  p.  837  sq.,  pour  l'époque 
mérovingienne;  t.  v,  p.  281  sq.,  pour  l'époque  carolingienne.  Aucune  des  deux 
sentences  ne  fut  d'ailleurs  exécutée  :  Acace  et  Pierre  le  Foulon  conservèrent 
l'un  et  l'autre  leur  dignité.  Dans  l'empire  franc,  ni  à  l'époque  mérovingienne, 
ni  sous  les  premiers  carolingiens,  il  n'y  eut  de  prélal  déposé  par  un  pape.  La  seule 
intervention  pontificale  à  signaler  pour  cette  période  est  la  restauration  sur  leurs 
sièges  par  le  pape  Jean  III  des  évèques  Salonius  d'Embrun  et  Sagittarius  de 
Gap  qu'avait  déposés  un  concile  tenu  à  Lyon  en  567,  encore  n'en  avaient-ils 
appelé  au  Saint-Siège  qu'avec  l'autorisation  du  roi  Gontran.  Jafîé-Kaltenbrunner, 
n.  1040.  Les  archevêques  Ebbon  de  Reims,  Agobard  de  Lyon,  Bernard  de  Vienne, 
et  Barthélémy  de  Narbonne  avaient  été  déposés  en  835  par  le  concile  de  Thion- 
ville  sans  que  le  pape  Grégoire  IV  eût  même  été  consulté.  Mûhlbacher,  Reg.  Kar., 
p.  346.  En  prononçant  la  déposition  de  Gûnther  et  de  Thieutgaud  dans  un  sy- 
node uniquement  composé  de  prélats  italiens,  le  pape  Nicolas  Ier  s'écartait  de  la 
tradition  et  des  règles  canoniques,  il  commettait  un  abus  de  pouvoir  et  un  véri- 
table coup  d'État.  Leibnitz,  Ann.  imp.  occ,  t.  r.  p.  623;  Noorden,  Hinkmar, 
p.  190.  n.  1  ;  A.  Hauck,  Kirchengeschichte Deutschlands,  t.  n,  p.  509-510,  s'accor- 
dent à  juger  illégale  la  déposition  des  deux  métropolitains.  Le  dernier  reconnaît 
pourtant,  de  même  que  Guizot,  Histoire  de  la  civilisation  en  France,  t.  n,  27e 
leçon,  que  Nicolas  avait  raison  au  fond.  Hontheim  (=  Febronius),  Prodromus 
historiée  Trevirensis,  1. 1,  p.  308-309,  et  Historia  Trevirensis  diplomatica,  t.  i,  p.  150, 
ne  blâme  pas  ouvertement  la  sentence  pontificale,  niais  il  voit  là  une  innovation 
qu'il  attribue  à  l'influence  des  Fausses  Décrétales. 

«  Ce  n'est  pas  seulement  de  l'incompétence  du  tribunal  chargé  de  les  juger  que 
les  deux  archevêques  avaient  le  droit  de  se  plaindre,  il  semble  bien  que  les  règles 
habituelles  de  la  procédure  aient  été  violées  à  leur  détriment.  Nous  ne  savons  pas 
exactement  de  quelle  façon  procéda  le  concile  à  l'examen  de.  l'affaire,  mais, 
d'après  le  factum  de  Gûnther  et  de  Thieutgaud,  ils  n'auraient  pas  été  cités  à 
comparaître  pour  s'expliquer  sur  leur  conduite  ;  ils  n'auraient  été  introduits 
dans  le  concile  que  pour  entendre  leur  condamnation  sans  avoir  eu  la  possibi- 
lité de  présenter  leur  défense,  Guntharii  et  Theutgaudi.  Libellas,  c.  ni,  Ann. 
Berlin.,  ad  ann.  864,  p.  69;  Ann.  Fuld.,  ad  ann.  863,  p.  61.  Nicolas,  dans  sa  lettre 
aux  évèques  allemands  du  31  octobre  867,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1187,  dit  qu'il  a 
critiqué  les  actes  du  concile  de  Metz  en  présence  de  Gûnther  et  de  Thieutgaud, 
ce  qui  est  en  contradiction  formelle  avec  l'assertion  de  ces  derniers.  Toutefois, 
ces  observations  auraient  été  faites  lorsque  les  deux  archevêques  présentèrent 
les  actes  du  concile  de  Metz  au  pape  qui  en  ordonna  immédiatement  la  lecture. 
Nicolas  ne  dit  pas  d'ailleurs  que  les  prélats  incriminés  eussent  été  appelés  à  four- 
nir des    explications.    Ainsi   ce  droit  de  défense,  le  plus  sacré   de    tous,  le  plus 


470.    TROIS     CONCILES     ROMAINS  333 

fonctions  sacerdotales  et  dépossédés  de  tout  pouvoir  épiscopal.  » 
A  ce  décret  sont  joints  les  cinq  capitula  suivants  1  : 

1.  Nous  annulons  à  tout  jamais  le  concile  de  Metz,  tenu  en  juin 
863,  dont  les  membres  ont  porté  une  décision  à  nous  réservée 
(sur  le  mariage  de  Lothaire)  ;  nous  mettons  cette  assemblée  sur 
la  même  ligne  que  le  brigandage  d'Éphèse,  etc.  2. 

2.  Nous  déchirons  dépouillés  de  toutes  fonctions  ecclésiastiques, 
pour  cause  d'indignité,  Thieutgaud  de  Trêves,  primat  de  Belgique, 
et  Gùnther,  archevêque  de  Cologne,  qui  ont  fait  connaître  par  un 
•  ■(lit,  à  nous  e1  à  ce  saint  concile,  leur  conduite  dans  l'affaire 
de  Lothaire  et  de  ses  deux  femmes,  et  ont  confirmé  de  vive 
voix  cet  écrit;  qui  ont,  en  outre,  déclaré  n'avoir  pas  suivi  les  ordres 
du  pape  au  sujet  d'Engeltrude  3.  En  vertu  du  jugement  du  Saint- 
précieux  pour  un  accusé,  leur  aurait  été  refusé  par  le  pape.  Ou  le  voit,  une  dou- 
ble irrégularité  entachait  la  sentence  du  concile  de  Latran. 

«Tout  était  donc  préparé  à  l'avance,  quand  Gùnther  et  Thieutgaud  furent 
appelés  devant  l'assemblée  qui  se  tenait  dans  le  palais  de  Latran,  au  lieu  dit 
su  h  apostolis.  Des  laïcs  étaient  mélangés  aux  clercs  dans  la  salle  des  séances. 
Nicolas  présidait,  assisté  d'Anastase  connu  généralement  sous  le  nom  d'Anas- 
tase  le  Bibliothécaire.  Nicolas  lut  d'abord  les  actes  du  concile  de  Metz,  puis  la 
sentence,  d'abord  lue  dans  le  concile,  le  fut  ensuite  dans  l'église  Saint-Pierre. 
Jaifé-Ewald,  n.  2748-2751  ;  Ann.  Berlin.,  ad  ann.  86.'!.  p.  63  ;  Gùnther  et  Thieut- 
gaud. Libellus,  c.  ni,  dans  Ann.  BerL,  ad  ann.  864,  p.  69,  et  Ann.  Fuld.,  ad 
ann.  863,  p.  61  ;  Réginon.  Chronicon,  ad  ann.  865,  p.  83  :  Translatio  S.  Glodesin- 
dis,  c.  xxvm,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  cxxjv.  p.  507,  note.  Cette  der- 
nière source  fait  assister  au  concile  des  évèques  de  presque  toute  l'Italie  et  beau- 
coup de  la  Gaule.  »  (H.  L.) 

1.  Nicolas  Ier  Epist.,  lviii;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  336;  Hardouin,  op. 
cit.,  t.  v,  col.  289.  Les  Annales  de  Saint-Bertin,  Pertz,  Mon.  Germ.  hist.,  t.  i, 
p.  'i66,  ne  donnent  pas  ce  concile  à  la  place  voulue,  mais  le  reportent  en  864. 

2.  Conc.  Lateranense,  c.  i,  dans  Ann.  Bertiniani,  ad  ann.    863,  p.    64.    (H.  L.) 

3.  Conc.  Lateranense,  c.  n,  dans  Ann.  Bertiniani,  ad  ann.  863,  p.  64.  Dans 
Jafîé-Ewald,  n.  2886,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1167-1168,  Nicolas  donne  sept  raisons 
de  la  sentence  qu'il  a  portée  contre  Gùnther  et  Thieutgaud.  Il  les  a  déposés 
parce  qu'ils  ont  :  1°  désobéi  aux  ordres  du  pape,  en  ce  qui  concernait  Engel- 
trude,  Theutberge  et  Waldrade  ;  -  -  2°  essayé  d'absoudre  Engeltrude  que  le 
pape  avait  excommuniée;  3°  altéré  les  lettres  pontificales  relatives  à  Engel- 
trude avant  de  les  lire  au  concile  de  Metz;  -  -  4°  favorisé  les  adultères;  —  5° 
Lente  de  juger  eux-mêmes  en  dernier  ressort  l'affaire  de  Lothaire  et  de  ses  fem- 
ni' is,  au  mépris  des  droits  du  pape,  à  qui  les  deux  parties  en  avaient  appelé  ; 
condamné  Theutberge  ;  —  6°  et  ce,  en  l'absence  de  la  reine,  qui  n'est  pas  venue 
par  crainte  de  Lothaire;  —  7°  obligé  leurs  collègues  à  signer  les  actes  du  con- 
cile. Cf.  L.  M.  Hartmann,  Geschichte  Italiens  im  Mittelalter,  t.  ni,  part.  1, 
Italien  und  die  frànkische  Herrschaft,  in-8,  jGotha,  1908,  le  ch.  vu,  traité  du 
divorce  de  Lothaire.   (H.  L.) 


334 


LIVRE     XXIII 


Esprit  et  de  l'autorité  de  saint  Pierre,  nous  prononçons  leur 
déposition  de  l'épiscopat.  Si,  nonobstant  cette  condamnation, 
ils  continuent  à  exercer  les  fonctions  épiscopales,  ils  perdront 
tout  espoir  d'être  réintégrés,  et  ceux  qui  entretiendront  commu- 
nion avec  eux  seront  exclus  de  l'Église. 

3.  La  même  peine  atteindra  tous  les  autres  évêques  qui  feront 
cause  commune  avec  eux.  Néanmoins,  s'ils  déclarent  personnelle- 
menl  ou  par  députés  qu'ils  adhèrent  à  la  sentence  rendue  par  le 
Saint-Siège,  il  leur  sera  pardonné  1. 

4.  Engeltrude,  ses  amis  et  ses  protecteurs  sont  menacés  de  l'ana- 
thème  et  des  autres  peines.   Si  elle  revient  auprès  de  son  mari,   [274] 
ou    si    elle    se    présente    devant    le   Siège   apostolique,  on  lui  fera 
espérer  son  pardon,  toutefois  après  satisfaction  suffisante  2. 

5.  Celui  qui  méprise  les  ordres,  les  interdits,  etc.,  du  Saint- 
Siège,  sera  anathème  3. 

Le  pape  communiqua  ce  décret  au  roi  Lothaire;  mais  nous  ne 
possédons  plus  de  sa  lettre,  que  trois  fragments  dans  le  Corpus 
juris  can.,  dist.  LXIII,  c.  4  ;  caus.  XL,  q.  ni,  c.  96  et  caus.  XXIV, 
q.  ni,  c.  19.  Le  pape  blâme  d'abord  le  roi  de  son  adultère;  il 
parle  ensuite  de  la  déposition  de  Gïmther  et  de  Thieutgaud,  et 
défend  de  donner  leurs  sièges  à  d'autres  sans  sa  permission  4. 

Dans  ce  même  concile,  on  déposa  également  Haganon,  évèque 
de  Bergame,  qui,  avec  Gûnther  et  Thieutgaud,  avait  eu  la  prin- 
cipale part  à  la  rédaction  de  ce  Libellas,  et  Jean  de  Ravenne. 
qui    avait    fait    cause    commune    avec    les    ennemis    de    Rome  5. 


1.  Conc.  Laleranense,  c.  m,  dans  Annal.  Berliniani,  ad  ann.  863,  p.  65.  (H.  L.) 

2.  Conc.  Laleranense,  c.  v,  dans  Ann.  BerL,  p.  65.  (H.  L.) 

3.  Conc.  Laleranense,  c.  v,  dans  Ann.  BerL,  p.  65-66.  (H.  L.)  Mansi,  op.  cit., 
1.  xv.  col.  649;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  573;  Pertz,  op.  cit.,  t.  i.  p.  460  sq.; 
Baronius,  Annales,  ad  ann.  863,  n.  22.  Il  y  a  quelques  années,  le  docteur  Floss  a 
publié  aussi  ce  décret  du  pape  dans  son  ouvrage:  Leonis  VIII  Privïlegium.  etc. 
1858,  p.  24,  d'après  un  manuscrit  de  Trêves 

4.  Jafïé-Ewald,  n.  2752,  2753,  P.  L.,  t.  cxix,  coi.  869;  Sdraiek,  op.  cit.,  p.  30  ; 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  238,  note  6.  Nous  possédons  quatre  exemplaires  des  lettres 
envoyées  à  cette  occasion  par  le  pape  :  1°  aux  évêques  de  Gaule,  d'Italie,  et  de 
Germanie  ;  2°  à  Hincmar  et  à  Wénilon  ;  3°  à  Odon  ;  4°  à  l'épiscopat  allemand, 
Jaiïé-Ewald,  n.  2748-2751;  les  Ann.  Bertiniani,  ad  ann.  863,  p.  63,  donnent  le 
texte  de  la  lettre  envoyée  à  Hincmar  ;  les  Ann.  J'uldenses,  ad  ann.  863,  p.  58, 
reproduisent  celle  envoyée  aux  évêques  de  Louis  le  Germanique.  (H.  L.) 

5.  Voir  Lapôtre,  Hadrien  II  et  les  fausses  décrélales,  dans  la  Bévue  des  ques- 
tions historiques,  1880,  t.  xxvii,  p.  386,  note  5.  (H.  L.) 


470.     TROIS     CONCILES     ROMAINS  335 

Ils  ne  se  soumirent  pas  plus  (|iie  Gùnther  el  Thientgand  et  allè- 
rent trouver  l'empereur  Louis  11,  alors  à  Bénévenl.  à  qui  ils 
représentèrent  l'injustice  de  leur  déposition  <|  ni  ]>ortait  atteinte 
au  respect  dû  à  l'empereur  et  à  son  frère  1.  On  n'avait  jamais  vu, 
à  les  entendre,  des  métropolitains  condamnés  sans  l'assenti- 
ment de  leur  souverain  temporel  (  !)  ;  de  plus,  dans  le  cas  pré- 
sent, Gùnther  et  Thieutgaud  étaient  venus  à  Rome  coin  me 
ambassadeurs  de  Lothaire  et  sous  la  protection  de  l'empereur. 
Ils  joignirent  à  ces  accusations  des  calomnies  contre  le  pape  2. 
Au  début  de  l'année  864,  l'empereur  se  rendit  avec  sa  femme 
en  Italie  afin  d'obtenir  du  pape  de  gré  ou  de  force  le  retrait  de 
la  sentence  portée  contre  Gùnther  et  Thieutgaud.  Les  deux  arche- 
vêques lorrains  faisaienl  partie  de  la  suite  impériale  ;  pendant 
qu'ils  faisaient  route  vers  Rome,  ils  publièrent  une  encyclique 
adressée  à  tous  les  évêques  ;  ils  représentaient  le  pape  ci  mime  un 
tyran  et  engageaient  les  évêques  de  leur  nation  à  se  ranger  du 
parti  de  Lothaire.  En  même  temps  qu'ils  adressaient  au  pape 
[275]  une  lettre  de  plaintes  et  d'exigences,  ils  envoyaient  ce  même  docu- 
ment à  Byzance,  où  ils  réclamaient  assistance  contre  le  pape. 
Nicolas  Ier  fit  face  à  l'orage;  il  écrivit  à  Rodulf.  archevêque  de 
Bourges,  l'engageant,  ainsi  que  ses  sufîragants,  à  refuser  la  com- 
munion de  Gùnther  et  Thieutgaud.  Gùnther,  continuait  Nicolas, 
importune  en  ce  moment  l'empereur  et  les  rois  francs,  et  répand 
partout  des  calomnies  contre  le  pape  3.  En  terminant,  Nicolas 
priait  les  évêques  de  la  province  de  Bourges  d  envoyer,  au 
commencement  de  novembre  (864),  deux  de  leurs  collègues 
siéger  à   Rome  à  un  grand   concile  4. 

A  l'époque  du  concile  de  Latran  dont  nous  venons  de  parler 
se  tint  à  Milan  (octobre  863)  un  concile  provincial,  sous  la 
présidence  de  Tado,  archevêque  de  cette  ville.  Maassen  a  décou- 
vert el  publié,  d'après  un  manuscrit  du  Chapitre  de  la  cathédrale 

1.  Gùnther  et  Thieutgaud  soudèrent  à  déposer  le  pape.  Leur  mémoire  de  pro- 
testation fut  adressé  à  Photius.  Cf.  Diminuer,  Geschichte  des  ostfrànkischen 
Reichs,  2e  édit.,  Leipzig,  1888,  t.  u,  p.  72,  n.  2,  et  une  analyse  du  mémoire  dans 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  243-244.  (II.  L.) 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  863,  n.  27,  32;  Mansi,  up.  cit.,  l.  xv,  col.  152; 
Pertz,  op.  cit.,  t.  i.  p.  462,  573;  \.\nu.  Bert.,  ad  ann.  864,  p.  67.  (H.  L.)] 

3.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  242.  (H.  L.) 

4.  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  334;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  382;  [Ann. 
Bert.,  ad  ann.  864,  p.  67.  (H.  L.)] 


336  LIVRE     XXIÎI. 

de  Novare,  les  actes    canoniques    de    ce    concile  1.    Voici    les    14 
canons   de  ce  concile  :   1)   Les    évèques    doivent   placer  à   la  tête 
de  la  paroisse  des  prêtres  capables.  2)  Les  églises  ne    doivent    pas 
être    dépouillées    de    leurs    revenus,    surtout     par     les     préposés 
à  ces  revenus.  3)    Les  monastères    doivent    rester  tels  2.  4)    Lors- 
que   les    hospices    ne    peuvent     être    maintenus    conformément 
aux   fondations,    on    doit    attribuer    aux    étrangers    et    aux  pau- 
vres    la     cinquième    partie    (de    leurs  revenus).  5)    Les    revenus 
des   hospices   éloignés   doivent   être   attribués   par    l'évêque    aux 
étrangers    et   aux    pauvres    des    endroits    fréquentés.    6)    Défense 
aux  prêtres  et  aux  évêques  d'assister  aux  spectacles,  de  chasser. 
7)  Si  celui  qui  prend  un  clerc  sous  sa  protection  cherche  à  le  dé- 
fendre  contre  son   évêque,   protecteur  et  protégé  seront   frappés 
d'anathème.  8)  L'évêque  doit  décider  de  l'emploi  de  la  dîme  ecclé- 
siastique d'après  le  can.  7  de  Gangres.  9)  Personne  ne  peut,  sans 
l'assentiment  de  l'évêque,  recevoir  un  clerc  vagabond  et  le  laisser 
remplir  ses  fonctions.  10)  Aucun  clerc  ne  peut,  en  dehors  de  l'auto- 
risation de  l'évêque,  échanger  un  bien  d'église.    11)  Celui  qui  dé- 
robe le  bien  des  pauvres  ou  de  l'église  et   ne   s'amende   pas  après 
trois     avertissements    de    l'évêque,    sera    excommunié    définiti- 
vement.   12)  On  demandera   à  l'empereur   d'éloigner  de   sa    cour 
et  d'y  priver  de  tout  emploi  les  excommuniés.  13)  On  doit  mettre 
à    la   tête   des   portiers    des    sous-diacres    de    capacité    reconnue, 
a  lin  que  des  pécheurs  notoires  ne  puissent  entrer  dans  une  église   12761 
sans  la  permission  de  l'évêque.  14)  Les  évêques  doivent  désigner 
des  prêtres  sérieux  en  qualité  de  pénitenciers. 

Ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut,  l'empereur  Louis  11 
se  rendit  en  Italie  au  début  de  l'année  864  pour  contraindre  le 
pape  à  l'indulgence  à  l'égard  du  roi  Lothaire. 

Lorsque  le  pape  Nicolas  apprit  l'approche  de  l'empereur,  il 
ordonna  des  jeûnes  et  des  prières,  afin  que  Dieu  changeât  les 
sentiments  du  prince  3.  L'empereur  arriva  devant  Rome  et  campa 
non  loin   de  l 'église    de     Saint-Pierre4.    Des  clercs  et  des  laïques 

1.  F.  Maassen,  Eine  M ailànder  Synode  vom  Jahre  863,  mitgetheilt,  dans  Sit- 
zungsberichte  d.  Akad.  d.  Wissenschaften,  Wien,  1865,  t.  xlix,  p.  306-310.  Cf. 
Aiud.  juris  pontificii,  1873,  t.  xii,  p.  767-76'J:  A.  Verminghofî,  Verzeichnis,  dans 
Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  634.  (H.  L.) 

2.  Voir  le  can.  24  du  concile  de  Chalcédoine. 

3.  Ann.  Berlin.,  ad  ami.  864,  p.  67;  Libellus  de  imperatoria  poiestate,  P.  L., 
t.  cxxxix,  col.  55.  (H.  L.) 

4.  Ann.  Berlin.,  ad  ann.  864,  p.  67;  Libell.  de  imp.  pot.,  col.  55;  Erchampert, 


470.    TROIS    CONCILES     ROMAINS  337 

qui  se  rendaient  en  procession  à  Saint-Pierre,  pour  y  prier  suivant 
les  instructions  du  pape,  furent  refoulés  et  maltraités  parles  ser- 
viteurs de  l'empereur  ;  on  brisa  croix  et  bannières,  et  même  une 
croix  précieuse  qui  provenait  de  sainte  Hélène  et  renfermait 
une  parcelle  de  la  croix  du  Sauveur  1.  Le  pape  résidait  alors  au 
Latran,  situé  à  l'extrémité  sud-est  de  la  ville.  Apprenant  ce  qui 
se  passait,  et  sachant  qu'on  voulait  le  faire  prisonnier,  il  s'échappa 
et  vint  sur  une  petite  barque  jusqu'à  Saint-Pierre,  où  il  passa 
deux  jours  et  deux  nuits  sans  boire  ni  manger  2.  Sur  ces  entrefaites, 
l'homme  qui  avait  brisé  la  vénérable  croix  de  sainte  Hélène  mou- 
rut, et  l'empereur  tomba  malade  de  la  fièvre  3.  Voyant  dans  ces 
deux  faits  la  punition  divine,  l'empereur,  par  l'intermédiaire  de 
sa  femme  (Engelberge),  se  réconcilia  avec  le  pape  4.  Quant  à 
(1  ii ni  lier  il  eut  l'audace  d'envoyer  par  son  frère  Hilduin  au  pape 
ses  Diabolica  capitula,  ainsi  que  les  appelle  Hincmar  5,  c'est-à- 
dire  l'injurieuse  lettre  à  Nicolas,  dont  nous  avons  déjà  parlé. 
Si  le  pape  refusait  de  la  recevoir,  Hilduin  devait  la  placer  sur 
le  tombeau  de  saint  Pierre;  il  se  mit  en  devoir  de  le  faire, 
mais  il  fut,  avec  ses  partisans,  chassé  de  Saint-Pierre,  et  dans  le 
tumulte  l'un  des  siens  fut  tué  6.  L'empereur  ordonna  alors  à 
Gùnther  et  à  Thieutgaud  de  retourner  chez  eux,  et  lui-même 
alla  de  Rome  à  Ravenne,  où  il  passa  les  fêtes  de  Pâques,  864  7. 
Avec   l'empereur    Louis   l'ancien  légat  du  pape  à  Constantinople 

Historia  Langobardorum,    c.   xxxvn,    dans   Scriptores  rerum  Langobardicarum, 
p.  248.  (H.  L.) 

1.  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  864,  p.  67  ;  Libell.  de  irnp.  pote?st.,P.  L.,  t.  cxxxix, 
col.  55;  Erchempert,  op.  cit.,  c.  xxxvn,  p.  248.  (H.  L.) 

2.  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  864,  p.  68,  P.  L.,  t.  cxxxix,  col.  55  ;  P.  L.,  t.  cxxvi, 
col.   612-613.   (H.   L.) 

3.  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  864,  p.  68. 

4.  L'empereur  abandonnait  ses  deux  protégés  et  cessait  son  opposition  à  la 
sentence  qui  les  avait  frappés.  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  864,  p.  68.  Le  Libellus  de 
imper,  polest.  ne  présente  pas  les  choses  sous  leur  véritable  jour,  P.  L.,  t.  cxxxix, 
col.  55.  Il  semble  attribuer  au  pape  les  concessions;  c'est  le  contraire  qui  eut  lieu. 
(H.  L.) 

5.  Pertz,  op.  cit.,  t. 1,  p.  463. 

6.  Translatio  S.  Glodesindis,  c.  xxxvin,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Srripl ., 
t.  xxiv,  p.  507  note,  attribue  la  protestation  au  seul  Gûnther.  Ann.  Bertin.,  ad 
ann.  864,  p.  68,  70-71;  Jaiïé-Ewald,  n.  2886,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1169  ;  R.  Pari- 
sot,  op.  cit.,  246.  (H.  L.) 

7.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  575;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  635;  Pertz,  op.  cit., 
t.  i,  p.  464;  Dùmmler,  op.  cit.,  p.  511  sq. 

CONCILES   —   IV   —   2  2 


338  LIVRE     XXIII 

et  à  Metz,  Rodoald  était  revenu  à  Rome,  espérant  le  moment 
favorable  pour  ses  intérêts.  Aussi  longtemps  que  ses  ennemis  y 
dominèrent,  Nicolas  ne  put  remettre  à  un  concile  l'affaire  de 
Rodoald,  qu'il  engagea  à  ne  pas  quitter  Rome  et  à  se  présenter 
au  prochain  concile,  l'assurant  n'avoir  rien  à  craindre  puis- 
qu'il pourrait,  en  toute  liberté,  présenter  sa  justification;  au  con-  [277] 
traire,  s'il  s'éloignait,  il  serait  déposé  et  excommunié.  Rodoald 
prit  néanmoins  la  fuite  :  aussi  un  concile  tenu  dans  la  basilique  de 
Constantin,  au  Latran,  prononça  contre  lui  la  déposition  et  l'ex- 
communication; c'était  probablement  peu  après  le  départ  de  l'em- 
pereur, vers  le  milieu  de  l'année  864  l. 

Le  jeudi  saint  (30  mars)  de  cette  même  année,  Giïnther  osa, 
quoique  excommunié,  célébrer  dans  sa  cathédrale,  à  Cologne, 
le  service  divin  et  consacrer  les  saintes  huiles  2.  Thieutgaud  s'abs- 
tint de  toutes  fonctions  ecclésiastiques  3.  Les  autres  évêques 
lorrains  furent  comme  lui  si  stupéfaits  des  décisions  prises  au 
concile  de  Latran,  l'année  précédente,  qu'usant  du  moyen  de 
réconciliation  marqué  par  le  canon  3e,  ils  reconnurent  par 
écrit  leurs  torts,  et  sollicitèrent  humblement  leur  pardon  4.  Nous 
possédons  encore  la  lettre  d'Advence,  alors  évêque  de  Metz,  au 
pape  Nicolas.  «  Après  la  réception  des  décrets  apostoliques  (les 
décisions  du  concile  de  Latran),  je  me  serais  hâté  avec  plaisir, 
dit-il,  d'aller  à  Rome  répondre. de  vive  voix  à  Votre  Sainteté  ; 
mais  j'en  ai  été  empêché  par  mon  grand  âge  et  par  la  maladie,  car 
ma  vie  est  en  danger.  Toutefois,  si  je  ne  le  puis  de  corps,  je  veux 
au  moins  me  jeter  en  pensée  à  vos  pieds,  pour  vous  prier  d'accep- 
ter avec  une  bienveillance  paternelle  mes  excuses,  qui  sont  en 
tout  conformes  à  la  vérité.  »  Vient  ensuite,  en  six  numéros,  la 
déclaration  suivante  :  «  il  ne  veut  plus  reconnaître  pour  évê- 
que ni  Thieutgaud  qui,  par  esprit  d'obéissance,  s'abstenait  de 
toutes  fonctions  et  espérait  obtenir  du  pape  son  pardon,  ni 
Gùnther,  qui  dédaignait  l'excommunication;  il  s'interdit  tous 
rapports  avec  ce  dernier  et  avec  ses  partisans.  Dans  l'affaire 
de  Lothaire,  il  avait  ajouté  foi  à  l'exposition  des  faits  présen- 
tée   par   les    deux    archevêques,    et    se    conformant  aux   anciens 

1.  Nicolas,  Epist.,  vu,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  183;  Hardouin,  op  cit., 
t.  v,  col.  141  ;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  864,  n.  3,  4. 

2.  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  864,  p.  71.  (H.  L.) 

3.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  249.  (H.  L.) 

4.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  465. 


470.     TROIS     CONCILES     ROMAINS 


33lJ 


canons,  il  avait  suivi  ses  métropolitains,  d'autant  qu'il  ignorait 
personnellement  l'affaire,  n'étant  pas  évêque  à  l'époque  du  pré- 
tendu mariage.  Au  reste,  il  est  prêt  à  obéir  au  pape  dans  cette 
question.  Il  n'a  pas  participé  à  l'acquittement  d'Engeltrude,  et 
en  cela,  comme  en  tout,  il  s'attache  au  Siège  de  Pierre.  Le 
[278]  pape  avait  promis  aux  évêques  lorrains  leur  pardon  s'ils  faisaient 
leur  soumission  et  adhéraient  soit  personnellement,  soit  par  des 
députés  à  sa  sentence.  Il  a  donc  choisi  un  député  pour  porter  sa 
profession  de  foi.  cependant  il  a  différé  pendant  quelque  temps 
delà  faire  parvenir  parce  qu'il  a  négocié  avec  les  autres  évêques 
lorrains,  pour  les  engager  à  se  conformer  au  désir  du  pape. 
Maintenant  qu'il  sait  leur  consentement  unanime,  il  envoie 
d'avance  le  porteur  de  cette  lettre  comme  un  héraut  qui  doit 
devancer  son  autre  député  1. 

Sur  la  demande  d'Advence,  le  roi  Charles  le  Chauve  intercéda 
aussi  auprès  du  pape  en  sa  faveur,  et  fit  remarquer  à  Nicolas 
que  son  oncle,  l'illustre  Drogon  de  Metz,  avait  élevé  Advence 
et  l'avait  pris  dans  sa  maison.  Cette  lettre  fut  confiée  au  moine 
Betton  qui  la  porta  à    Rome  2. 

Quelque  temps  après,  le  député  d'Advence,  le  prêtre  Theuderich, 
arriva  à  Rome  et  remit  une  lettre  plus  détaillée,  ainsi  que  nous 
l'apprend  la  réponse  du  pape.  En  même  temps,  les  autres  évêques 
lorrains  envoyèrent  des  lettres  et  des  députés  à  Rome  ;  ainsi 
firent,  en  particulier,  Rodoald  de  Strasbourg,  dont  nous  pos- 
sédons encore  le  début  de  la  lettre  d'excuses  3,  et  Francon, 
évêque  de  Tongres,  auquel  le  pape  répondit  4. 

Le  roi  Lothaire  voulut,  lui  aussi,  essayer  d'adoucir  le  pape; 
il  lui  adressa  donc  une  lettre  que  Baronius  a  reproduite  5.  Il 
se  plaint  d'abord  de  ce  que  le  pape,  qu'il  tenait  cependant  en 
si   haute   estime,    donnait    trop    de    créance    à    ses    adversaires. 


1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  863,  n.  51;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  370;  Har- 
douin, op.  cit..  t.  v,  col.  321  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  254.  (H.  L.) 

2.  Baronius,  Annales,  ad.  ann.  863,  n.  56;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  323; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  371. 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  864,   n.  8. 

4.  Nicolas,  Epist.,  xlv.  [R.   Parisot,  op.  cit.,  p.  253,  256.  (H.  L.)] 

5  Baronius,  Annales,  ad.  ann.  864,  n.  24,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  336  ; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  384.  L'autre  lettre  citée  par  Baronius,  op.  cit.,  n.  19, 
est  d'une  époque  plus  récente  et  postérieure  à  l'arrivée  du  légat  Arsène,  cf. 
§  472.  [R.   Parisot,,    op.   cit.,  p.  252.  (H.   L.)] 


340  LIVRE     XXIII 

«   Le  pape   a    cependant    pu    apprendre    de    ses    légats   que  lui, 
Lothaire,  n'a  pas  fait  difficulté  d'exposer  devant  eux  ses  plaintes, 
comme  l'aurait  pu  faire  un   homme   de   condition   ordinaire.    Le 
véritable  but  de  ses  ennemis  est  de  le  dépouiller  de  son  royaume  1, 
dont  il  a  légitimement  hérité.   Il  a  appris,  des  extrémités  de  son 
empire  où  il  lutte  contre  les  païens,  que  Gùnther  et  Thieutgaud 
ont    été    excommuniés  ;    il    en   a    ressenti    une     grande    peine, 
mais  s'est  promis  d'user  de  patience.  Il  a   su  plus  tard  que,   mal-    [279] 
gré  cette  sentence,   Gùnther    dit    la  messe,    consacre  les  saintes 
huiles   et   communique    le    Saint-Esprit  2.    Il    désapprouve    cette 
conduite    et,   pour    ce    motif,  cesse   toute     communion     avec   lui. 
Quant  à    Thieutgaud    qui    a   obéi,  il  intercède    en  sa    faveur.    Du 
reste,    quand    il   les    a    envoyés    tous    deux  en  Italie,    il    ne   leur 
a  aucunement  ordonné  d'user  d'expressions  de  nature  à  leur  atti- 
rer une  pareille  condamnation  3.   Il  est  également  innocent  dans 
la  question  d'Engeltrude,  car  il  avait  exhorté  Gùnther,  dans  le 
diocèse  duquel  elle   vivait,   à   faire   à   son   égard  ce  que  comman- 
dait le  devoir  de   sa   charge.    Il  ne   sait  ce   qu'ont  décidé  au  sujet 
de   cette  femme   les   légats   du   pape,   devant   lesquels   elle  a  été 
assignée  4. 

Ainsi  Lothaire,  soucieux  de  garder  extérieurement  une  atti- 
tude respectueuse,  avait  rompu  toute  communion  ecclésiasti- 
que avec  Gùnther.  Les  Annales  de  Saint-Bertin  prétendent 
que,  pour  gagner  son  oncle  Charles  le  Chauve,  il  avait  donné  le 
siège  de  Cologne  à  Hugues,  cousin  de  Charles,  simple  sous-diacre 
et  homme  de  mauvaises  mœurs  5.  En  agissant  ainsi,  Lothaire 
serait  allé  directement  contre  les  prescriptions  du  pape  ;  le  prince 
Hugues  n'eut  sans  doute  que  des  promesses,  car,  en  864,  nous 
trouvons     Gùnther    administrateur    temporel    de    Cologne  6   ;    il 


1 .  Allusion  à  Charles  le  Chauve. 

2.  Il  avait  sans  cloute  administré  le    sacrement  de    confirmation    le    jour   de 
la   Pentecôte  de  l'année  864. 

3.  Ceci  pour  se  justifier  du  Libellus  et  de  l'écrit  injurieux  au  pape. 
'i.    Dummler,  op.  cit.,  p.  519. 

.r>.  Pertz,  <>[>.  cit.,  \>.  465.  Sur  Hugues  i'Abbc,  cf.  Kalkstein,  U>i  Hu^n  mis 
dem  Hause  der  Welfen,  Markgraf  von  Neustrien,  dans  Forschungen  zur  deul- 
schen  Geschichle,  Gœttingen,  1874,  t.  xiv,  p.  37-128;  Bourgeois,  Hugues  l'Abbé, 
dans  les  Annales  de  la  Faculté  des  lettres  de  Caen,  1885,  t.  i,  p.  61-72,  07-130. 
(H.  L.) 

6.  Cette  assertion  est  fausse,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  251,  n.  8.  (H.  L.) 


*7Û.     TROIS    CONCILES     HUMAINS  341 

resta  en  effet,  quelque  temps,  en  possession  des  biens  des  églises, 
tandis  que  son  frère,  le  fameux  abbé  Hilduin,  paraît  avoir  exercé 
les  fonctions  ecclésiastiques  1.  On  se  demande  si  les  Annales 
de  Saint-Bertin  sont  dans  le  vrai  lorsqu'elles  rapportent  que 
Gùnther,  irrité  de  la  nomination  de  Hugues,  serait  retourné 
à  Rome  et  aurait  dévoilé  au  pape  toutes  ces  intrigues  2.  Il  est 
certain  que  le  pape  Xicolas  pardonna  à  tous  les  évêques  lorrains, 
à  l'exception  de  Gûnther  et  de  Thieutgaud,  et  les  exhorta  à  tout 
tenter  pour  remettre  le  roi  dans  le  droit  chemin.  Nous  possédons 
[280]  encore  les  deux  Ici  lies  du  pape  à  Francon  de  Tongres  et  à  Ad- 
vence  de  Metz  3.  datées  lune  et  l'autre  du  17  septembre  864, 
e1  presque  identiques.  Toutefois  dans  la  lettre  à  Advence  le 
pape  manifeste  une  certaine  surprise  d'avoir  reçu  de  lui  une 
pareille  lettre  (probablement  parce  qu' Advence  était  le  chancelier 
de  Lothaire)  ;  fût-il  moins  innocent  qu'il  ne  le  prétendait,  le  pape 
était  décidé  à  lui  pardonner  et  lui  pardonnait  en  effet,  parce 
qu'il  était  près  de  la  mort.  Advence  avait  cherché  à  expliquer 
sa  conduite,  en  alléguant  l'obéissance  due  aux  rois,  citant  à  ce  pro- 
pos un  passage  de  saint  Pierre  4.  Cette  citation  ne  se  trouvant 
pas  dans  la  lettre  analysée  plus  haut,  doit  appartenir  à  la  se- 
conde lettre,  confiée  à  Theuderich.  Mais,  dit  le  pape,  il  fallait 
voir  si  ces  rois  étaient  de  véritables  rois,  s'ils  savaient  d'a- 
bord se  gouverner  eux-mêmes  et  ensuite  le  peuple  confié  à 
leurs  soins,  s'ils  gouvernaient  avec  justice  et  n'étaient  pas  plutôt 
des  tyrans  auxquels  on  devait  résister,  au  lieu  de  leur  obéir. 
Advence  avait  eu  tort  d'alléguer  les  anciens  canons  pour  expli- 
quer sa  faiblesse  vis-à-vis  des  deux  métropolitains  5. 

Advence  adressa  aussitôt  au  pape  une  lettre  de  remercî- 
ment;  on  y  voit  que  le  pape  avait  écrit,  en  même  temps  qu'à 
lui,    aux    rois    Charles   le    Chauve    et  Louis    le    Germanique,  leur 


1.  Baronius,  Annales,  édit.  de  Lucques,  t.  xv,  p.  9;  Gfrôrer,  Die  Carolinger, 
t.  i,  p.  418. 

2.  Les  Ann.  Berlin.,  ad  ann.  864,  p.  71,  ne  le  disent  pas  formellement  ;  les  Ann. 
Fuldenses,  ad  ann.  864,  p.  63,  disent  que  le  pape  refusa  de  recevoir  Gùnther. 
(H.  L.) 

3.  Jafîé-Ewald,  n.  2776,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  885-887;  R.  Parisot,  op.  rit.,  p.  255. 
(H.  L.) 

4.  I  Petr.,  n,  l:j. 

5.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  863,  n.  59;  Uardouin,  op.  cil.,  t.  v,  col.  325; 
Mansi,  op.  cil.,  1.  xy,  col.  372. 


342 


LIVRE    XXIII 


mandant  d'envoyer  à  Rome  le  métropolitain  ou  deux  sufïra- 
gants  de  chaque  province  ecclésiastique,  pour  assister  à  un 
grand  concile  convoqué  pour  le  mois  de  mai  1.  Les  deux  rois 
devaient   également    communiquer  cette  lettre  à    l'épiscopat  lor- 


1.  A  moins  que,  au  lieu  de  xiv  kal.  junii,  il  ne  faille  lire  kal.  nov.,  ce  qui  s'ac- 
corderait mieux  avec  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  et  avec  ce  qui  est  rapporté 
dans  les  Annales  de  Saint-Berlin.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  466.  Dans  ce  dernier  cas 
ce  serait  du  mois  de  novembre  864  qu'il  s'agirait  ;  mais  si  on  garde  kal.  junii, 
il  s'agit  évidemment  du  mois  de  mai  865. 

«  Certains  auteurs  ont  rejeté  à  priori  la  convocation  successive  de  deux  con- 
ciles par  le  pape  et  ont  cru  qu'il  n'y  en  avait  eu  qu'une  seule  faite  en  864,  celle 
dont  parlent  les  Annales  Bertiniani,  ad  ami.  864,  p.  73.  En  conséquence  et  pour 
faire  cadrer  avec  leur  hypothèse  la  lettre  d'Advence,  Episl.  ad  Nicolaum,  ils  ont 
proposé  de  lire  dans  celle-ci  novembris  au  lieu  de  junii.  Le  concile  se  serait  donc 
ouvert  le  19  octobre  ;  mais  comme  les  Ann.  Berlin,  disent  circa  kalendas  novem- 
bris,i\  n'y  a  pas  contradiction.  Mais  Noorden,  Hinkmar,  p.  194  et  n.  4,  et  Hefele, 
Conciliengeschichte,  t.  iv,  p.  281  et  note  2  (qu'on  vient  de  lire),  qui  ont  soutenu 
cette  opinion,  n'ont  pas  remarqué  qu'Advence  dit  avoir  reçu  la  lettre  du  pape 
des  mains  de  Louis  et  de  Charles.  Or,  en  864,  les  deux  souverains  ne  se  sont  pas 
rencontrés;  c'est  à  Tusey,  en  février  865,  qu'ils  se  sont  revus  pour  la  première  fois 
depuis  le  congrès  de  Savonnières  ;  c'est  donc  à  Tusey  qu'ils  ont  remis  à  l'évêque  de 
Metz  la  convocation  pour  le  concile,  et  celle-ci  ne  concerne  pas  naturellement 
une  assemblée  déjà  tenue  en  novembre,  il  s'agit  bien  d'une  nouvelle  qui  devait 
se  réunir  en  juin  865.  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutschlands,  t.  n,  p.  511  et  n.  6; 
Mùhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  494  ;  Dûmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  99-101,  115,  se  pro- 
noncent pour  la  convocation  d'un  deuxième  concile  et  pour  le  maintien  dans  la 
lettre  d'Advence  de  junii;  Mùhlbacher  et  Dûmmler  lisent  à  tort  julii.  »  R.  Pari- 
sot,  op.  cit.,  p.  269,  note  2. 

Peut-être  Nicolas  commencait-il  à  concevoir  quelques  doutes  touchant  la  régu- 
larité de  la  déposition  des  deux  métropolitains  ;  il  convenait  donc  de  recourir  a 
un  concile  général.  On  y  résoudrait  du  même  coup  plusieurs  questions  très  gra- 
ves, notamment  celle  du  patriarcat  de  Constantinople  et,  sans  paraître  convo- 
quer un  concile  général  à  l'occasion  de  deux  évêques  peu  recommandables,  on 
y  réglerait  leur  cas.  Ann.  Bert.,  ad  ann.  864,   n.  73. 

Une  lettre  du  pape  à  Rodolphe,  archevêque  de  Rourges,  nous  apprend  que  ce 
concile  général  devait  se  réunir  à  Rome  le  1er  novembre  864,  Jafïé-Ewald, 
u.  2764,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  883;  nous  ne  savons  pas  quelle  devait  en  être  exac- 
tement la  composition.  Toutefois,  en  rapprochant  des  instructions  que  le  pape 
avait  envoyées  à  Rodolphe  les  ordres  qu'il  donna  plus  tard  en  vue  du  concile 
qu'il  voulait  réunir  en  mai  865,  on  est  amené  à  croire  qu'il  avait  enjoint  à  tous 
les  métropolitains  de  l'empire  franc  de  venir  eux-mêmes  à  l'assemblée  de  novem- 
bre 864  ou  de  s'y  faire  représenter  par  deux  de  leurs  sufîragants.  Les  évêques  ne 
pouvaient  aller  au  concile  sans  l'autorisation  de  leurs  souverains.  Il  est  vrai- 
semblable que  ceux-ci  s'émurent  des  projets  de  Nicolas.  La  déposition  de  Gùnther 
et  de  Thieutgaud  avait  déjà  été  de  la  part  du  pape  un  empiétement  sur  les  droits 


471.     CONFLIT    ENTRE     HINCMAR     ET     ROTHADE  343 

[281]  rain,  afin  qu'il  pût  envoyer  aussi  ses  représentants.     Reprenons 
maintenant  la   suite  du  conflit  entre  Hincmar  et  Rothade. 


471.  Suite  du  conflit  entre  Hincmar  et  Rothade. 

Nous  avons  vu  qu' Hincmar  avait  envoyé  à  Rome  Odon,  évêque 
de  Beanvais  1,  porteur  des  décrets  du  concile  de  Soissons  relatifs 
à  la  déposition  de  Rothade  2.  Avant  l'arrivée  à  Rome  de  cet  ambas- 
sadeur, le  pape  savait  déjà  ce  qui  s'était  passé,  et  il  en  exprima 
par  lettre  à  Hincmar  tout  son  mécontentement  (début  de 
l'année  863).  «  Jusqu'alors  il  n'avait  rien  entendu  que  de  favorable 
à  Hincmar  ;  mais  il  venait  d'être  informé,  à  son  grand  regret, 
que  l'évêque  Rothade  avait  été  déposé  de  son  évêché,  exilé  et 
enfermé  dans  un  monastère,  nonobstant  qu'il  en  eût  appelé. 
Son  âge  seul  aurait  dû  le  protéger  ;  mais  par  mépris  pour  le 
Siège  apostolique  auquel  il  en  avait  appelé,  il  était  maintenant 
en  proie  à  la  faim,  à  la  soif  et  à  d'autres  souffrances  sans  nombre. 
C'était  intolérable.  Aussi  ordonnait-il  à  Hincmar  de  réintégrer 
Rothade  dans  le  délai  de  trente  jours  à  compter  de  la  réception 
de  cette  lettre,  ou,  s'il  était  convaincu  de  son  bon  droit,  de 
l'envoyer  à  Rome  avec  ses  accusateurs,  de  s'y  rendre  en  personne 
ou  d'y  envoyer  des  fondés  de  pouvoir.  Ce  délai  de  trente  jours 
écoulé,  sans  avoir  accompli  l'une  ou  l'autre  de  ces  prescrip- 
tions, il  devait  s'abstenir  de  dire  la  messe  jusqu'à  ce  qu'il  eût  exé- 
cuté les  ordres  du  pape.  Cette  sentence  s'appliquait  non  seule- 
ment à   Hincmar,  mais  à  tous  les  évêques  qui  avaient  adhéré  à 


des  rois  et  des  métropolitains.  Cette  fois,  il  se  proposait  de  juger  un  souverain; 
c'était  une  subordination  de  l'Etat  à  l'Eglise.  Une  telle  prétention  ne  pouvait  être 
favorablement  accueillie  par  les  princes  qui  firent  en  sorte  de  faire  échouer  le 
concile  en  n'y  envoyant  pas  leurs  évêques.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  257;  A.  Hauck, 
op.  cit.,  t.  ii,  p.  511  ;  Dùmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  100.  (H.  L.) 

1.  D.  R.  Ceillier,  Histoire  générale  des -auteurs  ecclés.,  1754,  t.  xix,  p.  281-283; 
2e  édit.,  t.  xn,  p.  639-640;  Corblet,  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  1873,  t.  ni, 
p.  281-309;  t.  iv,  p.  705;  J.  A.  Fabricius,  Bibl.  med.  sévi,  1736,  t.  v,  p.  452-453; 
2e  édit.,  p.  154;  D.  Rivet,  Hist.  litt.  de  la  France,  1740,  t.  v,  p.  530-535;  P.  L., 
t.  cxxiv,  col.  1109.  (H.  L.) 

2.  Voir  §  467. 


344  LIVRE     XXIII 

la  déposition  de  Rothade  1.  »  Le  pape  écrivit  en  même  temps 
à  Charles  le  Chauve,  roi  de  France  2,  lui  communiquant  ce 
qu'il  avait  mandé  à  Hincmar. 

Nicolas  prit  un  ton  moins  sévère  lorsque  l'évêque  Odon  fut 
arrivé  à  Rome  3  et  lui  eut  remis  le  procès-verbal  de  l'assemblée 
de  Soissons,  avec  une  lettre  d' Hincmar.  Il  écrivit  de  nouveau 
à  ce  dernier:  il  se  réjouissait  de  voir  qu' Hincmar  s'était  adressé 
au  Siège  apostolique  et  avait  recherché  son  approbation  pour  ce 
qui  s'était  passé.  Malheureusement,  il  ne  pouvait  malgré  son  [282] 
vif  désir  satisfaire  à  toutes  les  demandes  d' Hincmar.  Les  papes 
avaient,  depuis  longtemps,  la  meilleure  opinion  de  la  fidélité 
d' Hincmar  ;  Nicolas  n'avait  pu  croire  qu'en  présence  d' Hincmar, 
personne  eût  été  molesté  après  en  avoir  appelé  à  Rome;  il  n'au- 
rait pu  le  croire  quand  même  les  canons  n'auraient  rien  dé- 
crété sur  ce  point,  ne  fût-ce  qu'à  cause  de  la  prudence  bien 
connue  d' Hincmar  et  de  sa  grande  influence  sur  le  roi  Charles. 
A  supposer  même  que  Rothade  eût  été  trouvé  gravement  cou- 
pable, et  n'en  aurait  pas  appelé  à  Rome,  Hincmar  aurait  dû, 
par  respect  pour  saint  Pierre,  porter  cette  affaire  au  Saint-Siège 
et  attendre  son  jugement  (d'après  le  droit  canon  introduit  par 
les  décrétales  du  pseudo-Isidore).  Du  moins  n'aurait-il  pas  dû, 
après  appel  interjeté,  ordonner  un  autre  évêque  pour  Soissons, 
sans  attendre  la  décision  du  pape.  Dans  sa  lettre  aux  évêques 
du  royaume  de  Charles  le  Chauve,  le  pape  avait  marqué  en  dé- 
tail la  conduite  à  tenir  envers  Rothade,  et  Hincmar  était  au 
nombre  de  ces  évêques.  Il  devait  donc  se  conformer  à  ces  ins-  • 
tructions,  s'il  ne  voulait  éprouver  la  rigueur  des  canons.  Hinc- 
mar souhaitait  d'obtenir  du  pape  la  confirmation  des  privilè- 
ges   de   son   siège,    et   néanmoins   il   dépréciait  de    son   mieux  les 

1.  Nicolas  Ier,  EpisL,  xxix,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  295;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  249;  P.  L.,  t.  cxix,  col.  825;  Jaffé-Ewald,  n.  2712.  P.  Coustant, 
dans  Analecta  juris  ponlificii,  1869,  84e  livr.,  série  X,  col.  85,  avait  recueilli 
un  certain  nombre  de  variantes  jpour  cette  lettre  importante.  M.  Sdralek,  Die 
Briefe  Nicolaus  I,  dans  Tùbing.  theol.  Quartalsch.,  1880,  p.  222  sq.  (H.  L.) 

2.  mco\asleT, EpisL,  xxxvi,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  833;  Jaffé-Ewald,  n.  2713;  Mansi- 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  300.  P.  Coustant,  dans  Analecta  juris  pontificii, 
1 869,  84e  livraison,  série  Xe,  col.  61 ,  fixe  la  date  de  cette  lettre  et  de  celle  adressée 
à  Rothade  à  la  fin  de  862  ou  au  début  de  863  ;  Jafîé,  dans  sa  lre  édition,  au  plus 
tard  en  avril  863.  (11.  L.) 

3.  Noorden,  Hinkmar,  p.  182  sq.:  Diimmler,  op.  rit.,  t.  i,  p.  532;  H.  Schrors, 
op.  cit.,  |>.  247,  note  'i0.  (II.  L.) 


471,    CONFLIT    ENTRE    HINCMAR    ET    ROTHADE  345 

droits  de  Rome.  »  En  terminant,  le  pape  fait  de  nouveau  espérer  à 
Hincmar  la  confirmation  des  privilèges  du  siège  de  Reims, 
s'il  se  montre  obéissant,  et  il  rappelle  que  c'est  pour  la  se- 
conde fois  qu'il  lui  ordonne  par  écrit  d'envoyer  Rothade  à 
Rome.  S'il  élail  obligé  d'y  revenir  une  troisième  fois,  il  serait 
corttrainl    de  le  traiter  comme  contempteur  des  canons1. 

J.a  Lettre  aux  évêques  du  royaume  de  Charles  le  Chauve,  à 
laquelle  le  pape  fait  allusion  dans  le  document  que  nous  venons 
d'analyser,  n'est  autre  que  son  epist.  xxxn  aux  évêques  du  eon 
eile  de  Soissons  2.  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  qu'au  lieu  de 
spnodi  Sylvanectensis,  il  fallait  lire  Suessionensis.  Le  ton  de  cette 
lettre  est  analogue  à  celui  de  la  dernière  lettre  du  pape  à  Hinc- 
mar. Ici  encore  le  pape  veut  adoucir  ce  que  sa  première  lettre 
avait  de  trop  acerbe  ;  mais  il  est  décidé  à  ne  pas  céder  d'un  iota 
sur  l'affaire  elle-même.  Il  commence  par  louer  les  évêques  du  res- 
pect à  l'égard  de  Rome  dont  ils  ont  fait  preuve  dans  leurs  lettres  ; 
il  les  exhorte  à  ne  pas  perdre  courage  en  face  des  malheurs  qui 
[283]  viennent  fondre  sur  leur  patrie,  par  suite  de  l'invasion  des  païens 
et  des  dissensions  intérieures  ;  il  aborde  ensuite  la  question  de 
Rothade,  et  dit  :  «  Vous  nous  avez  demandé  confirmation  de 
ce  que  vous  aviez  décidé  au  sujet  de  Rothade  dans  votre  concile  ; 
cette  demande  est  inacceptable,  car  le  Siège  apostolique  ne  peut 
porter  un  jugement  qu'avec  la  connaissance  parfaite  du  vérita- 
ble état  des  choses.  Vous  dites  avoir  envoyé  une  relation  complète, 
et  vous  ajoutez  que  l'évêque  Odon,  présent  à  tout,  pourra  nous 
donner  de  vive  voix  les  explications  nécessaires.  J'accepterais 
volontiers  vos  explications,  si  plusieurs  de  vos  voisins  (les  évêques 
lorrains)  ne  nous  avaient  envoyé  des  apologies  de  Rothade,  et 
des  arguments  concluant  à  son  innocence  et  à  votre  culpabilité, 
et  que  l'évêque  Odon  n'a  pu  réfuter.  Je  ne  vous  cacherai  pas  non 
plus  ma  douleur  en  voyant  qu'au  mépris  du  Siège  de  Rome,  vous 
avez  déposé  Rothade,  malgré  son  appel.   Il  est  également  regret- 

1.  Nicolas  Ier,  Epist.,  xxvm.  Jafîé  a,  dans  ses  Regesta  pontif.  roman.,  Ie  édit., 
p.  241,  mal  exposé  le  rapport  de  cette  lettre  du  pape  avec  ce  qui  précède  et  il  a 
placé  plus  tard  ce  qui  était  antérieur.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  294  ;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  247. 

2.  Epist.,  xxxii  (xxxv),  P.  L.,  I.  cxix,  col.  826;  Jafîé-Ewald,  n.  2723 ;  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xv,  col.  300  sq.  Sur  celte  lettre,  cf.  II.  Schrors,  Hinkmar,  Erzbischof 
von  Reims,  sein  Leben  und  seine  Schriften,  in-8,  Freiburg-im-Br.,  1884,  p.  247- 
249.  (H.  L.) 


346 


LIVRE    XXIII 


table  d'avoir  invoqué   les  lois  impériales  en  preuve   de   la    nullité 
de  l'appel  de  Rothade,  comme  si  dans  un  tel  conflit  les  lois  civiles 
l'emportaient  sur  les  lois  ecclésiastiques...  Vous  ajoutez  que  l'appel 
n'était  qu'une  feinte  pour  traîner  l'affaire  en  longueur;  mais  vous 
ne  le  prouvez  pas,  et  vous  savez  que  Dieu  seul  voit  le  fond  des 
coeurs.   Chacun  connaît  les  can.  4  et  8  de  Sardique  sur    l'appel 
à    Rome  1.    Vous   avancez   que    Rothade   ne   pouvait   en   appeler 
parce  qu'il  n'avait  aucune  bona  causa,  ce  que  suppose  le  concile 
de  Sardique.  Mais  lui-même  devait  tenir  sa  cause  pour  bonne,  ce 
qui   suffit   pour  permettre   l'appel.  Du   reste,  n'eût-il  pas  interjeté 
appel,  vous   deviez   déférer   son   affaire   à    Rome,    conformément 
à  l'ordonnance  du  même  concile  (explication  singulière  du  can.  3  ; 
Si  i'obis  placet,  sancti  Pétri  apostoli  memoriam  honoremus,  ut  scri- 
batur,  ab  his  qui  causam  examinarunt,  Romano  pontifici).   Ce  qui 
est  plus  fâcheux  encore,   c'est  que,  consacrant  un  autre   évêque 
à  la  place  de  Rothade,    vous  avez  agi  directement  contre  les  règles 
de   l'Eglise   (can.   4   de   Sardique).  Vous   dites   qu'après  son  appel, 
Rothade   avait   changé   de    sentiment    et    réclamé    le    jugement 
des   évêques.   Sans  douter  de  votre   affirmation,   on  se   demande 
comment  Rothade  est  ainsi  revenu  sur  ses  pas,  et  cette  question 
ne  sera  éclaircie  qu'après  comparaison,  dans  une  enquête  sérieuse,    [284] 
des  témoignages   des   deux  parties.    Vous  savez   que  j'ai    écrit  à 
l'évêque   de    Reims,    à   qui  je   n'ai  donné,  comme  à  ses  collègues, 
qu'un  délai  de  trente  jours,  ajoutant  ce  qu'il  encourait  en  cas  de 
désobéissance.  Mais  Odon  m'apprend  maintenant  que  vous  avez 
ordonné  un  autre  évêque  de  Soissons.  Quand   même  chaque  mem- 
bre de  mon  corps  aurait  le  don  de  la  parole,  je  ne  pourrais  assez 
dire    à    quel    point    cette    manière   de   faire    est   abominable    et 
intolérable...    Vous  avez  mérité  des  peines  sévères  ;    mais    pour 
agir  avec  une  douceur  apostolique,   je    vous   ordonne  de  rappe- 
ler immédiatement  Rothade  de  l'exil  et  de    l'envoyer    à    Rome* 
Vous  y    enverrez    deux   des    vôtres,    ou    du   moins    ils   s'y  feront 
représenter  par  des  fondés  de  pouvoir,  afin  de   prendre   part  à  ce 
qui  sera  fait.  Si  vous  n'exécutez  pas  ces   ordres  dans   le    délai   de 
trente    jours    à    compter    de    la  réception  de  la    présente    lettre, 
vous  serez  interdit  pour  la  célébration  de  la  messe,  jusqu'à  ce  que 
vous  obéissiez,  et,  dans  ce  cas,   Rothade  sera  acquitté  par  nous, 


1.  Le  pape  aurait  dû  dire  les  canons  3e  et  5e,  dont  il  cite  d'ailleurs  le  texte  in- 
tégralement. 


471.     CONFLIT    ENTRE     HINCMAR     ET    ROTHADE  347 

tandis  que  vous  tomberez  dans  l'abîme  que  vous  aviez  préparé 
pour  lui.  Mes  bien-aimés,  ne  recevez  pas  cet  ordre  avec  répu- 
gnance, car  la  vérité  et  la  justice  doivent  avoir  le  dernier  mot, 
et  je  défendrai  jusqu'à  la  mort  les  privilèges  de  mon  siège.  Songez 
que  ce  qui  est  arrivé  aujourd'hui  à  Rothade  pourrait  arriver 
demain  à  l'un  de  vous.  »  Nicolas  passe  ensuite  à  l'affaire  de 
Baudouin.  Conformément  à  ce  que  lui  mandaient  les  évêques,  il 
avait  constaté  que  ses  premières  démarches  pour  Baudouin  étaient 
irstées  sans  effet.  Il  faisait  remarquer  qu'il  n'avait  aucunement 
voulu  porter  atteinte  aux  canons  ni  donner  des  ordres;  il  s'était 
contenté  d'intercéder  en  sa  faveur.  «  Quant  à  ma  manière  de  voir, 
continue-t-il,  sur  l'affaire  de  Lothaire  et  de  ses  deux  femmes, 
vous  pouvez  la  connaître  par  le  Commonitorium  dont  je  vous 
envoie  des  copies  par  Odon.  Vous  y  verrez  que  votre  demande 
de  changer  d"a\  is  est  complètement  inutile  1.  Si  Lothaire  ne  s'a- 
mende pas  et  ne  fait  pas  pénitence,  il  sentira,  lui  ainsi  que  tous 
ses  partisans  et  ses  amis,  la  rigueur  des  peines  canoniques.  Ces 
peines  atteindront  surtout  celui  qui,  en  la  fête  de  Noël,  a  béni 
les  deux  adultères  (c'est-à-dire  a  béni  le  prétendu  mariage  de 
[285]  Lothaire  et  de  Waldrade).  Afin  que  nul  ne  croie  que  j'ai  faibli  vis- 
à-vis  d'eux,  vous  publierez  ma  déclaration  dans  toutes  les  églises. 
Quant  au  concile  composé  des  députés  de  tous  les  royaumes 
francs,  dont  vous  proposez  la  réunion,  il  importe  que  mes  deux 
légats  tiennent  auparavant  le  concile  convoqué  au  sujet  de  l'affaire 
Theutberge  (Metz,  863),  auquel  deux  d'entre  vous  devront  assister. 
Après  que  nos  légats  nous  en  auront  rapporté  le  détail,  nous  en 
enverrons  d'autres  pour  convoquer  le  concile  que  vous  sollici- 
tez 2.  » 

Le  pape  Nicolas  écrivit,  aussi  à  Rothade  3,  et  au  roi  Charles 
le  Chauve  4.  Dans  sa  lettre  à  Rothade,  il  fait  part  des  or- 
dres transmis  à  son  sujet  à  Hincmar,  et  il  l'engage  à  venir  à 
Rome  dès   qu'il   pourra  faire  le  voyage.    Si  on   ne  le  lui  permet 


1.  On  serait  porté  à  croire,  d'après  cela,  que  le  concile  de  Soissons,  tenu  sous 
l'influence  de  Charles  le  Chauve  et  d'Hincmar,  et  par  conséquent,  mal  disposé 
à  l'égard  de  Lothaire,  aurait  engagé  le  pape  à  ne  pas  permettre  au  roi  de  répudier 
sa  femme  et  à  retirer  la  permission  donnée  (le  parti  de  Lothaire  avait  en  effet 
prétendu  que  le  pape  avait  donné  cette  permission  à  Lothaire  ). 

2.  Epist.,  xxxn  (xxxvn),  P.  L.,  t.  cxix,  col.  825  sq. 

3.  Epist.,  xxxin  (xxxvin),  P.  L.,  t.  cxix,  col.  838  sq. 

4.  Epist.,  xxx  (xxxvi),  P.  L.,  t.  cxix,  col.  834  sq. 


348  LIVRE    XXIII 

pas,  qu'il  en  informe  le  pape  et  ne  cesse  de  faire  connaître  son 
appel.  Dans  la  lettre  au  roi,  Nicolas  parle  d'abord  de  Baudoin  et 
intercède  en  sa  faveur,  puis  il  rapporte  ce  qu'il  vient  d'or- 
donner relativement  à  Rothade,  dont  il  demande  ensuite  à 
Charles  le  Chauve  le  prompt  envoi  à  Rome.  En  terminant,  il 
fait  remarquer  que  le  roi  de  France  s'était  plaint  d'avoir  reçu 
de  lui  une  lettre  par  trop  acerbe.  Il  n'en  dit  pas  le  sujet  ;  mais 
il  s'efforce  d'effacer  cette  mauvaise  impression  de  l'esprit  du  roi 
dont  il  connaissait  si  bien  les  sentiments  de  respect  et  de  défé- 
rence vis-à-vis  du  Saint-Siège,  etc.  Dans  cette  lettre  maintenanl 
perdue,  Nicolas  avait  probablement  intercédé  pour  Baudouin  en 
des  termes  plus  énergiques  que  le  roi  ne  l'eût  voulu.  Remarquons 
encore  ce  passage  digne  d'attention  :  Le  roi  ne  devait  pas  laisser 
s'amoindrir  les  privilèges  du  Siège  apostolique,  qui  avaient  valu 
à  ses  ancêtres  toute  leur  grandeur  (allusion  à  la  dignité  royale  con- 
férée à  Pépin  et  à  la  couronne  impériale  donnée  à  Charlemagne).  Les 
privilèges  de  Rome,  continue-t-il,  sont  une  source  de  salut  pour 
toute  l'Eglise  du  Christ  ;  ils  sont  également  une  arme  contre  toutes 
les  attaques  du  mal  et  un  fort  inexpugnable  pour  les  prêtres  et 
pour  tous  ceux  qui  sont  injustement  poursuivis  1. 

On  croit  ordinairement  qu'Hincmar  et  Charles  le  Chauve 
avaient  tardé  plusieurs  mois  avant  d'exécuter  les  ordres  du  pape, 
dont  ils  avaient  caché  les  lettres  à  tout  le  monde  et  ne  s'étaient  [286] 
plus  occupés  de  l'affaire  de  Rothade  qu'au  concile  de  Verberie. 
Mais  d'autres  lettres  du  pape  font  voir  que  Rothade  avait  été 
délivré  de  sa  captivité  et  commis  à  la  garde  d'un  évêque  de  ses 
amis,  enfin  qu'Hincmar  et  le  roi  avaient  promis  son  envoi  à  Rome. 
Pour  faire  connaître  ces  décisions  à  Rome,  on  y  envoya  le  diacre 
Liudo  2,  à  qui  le  pape  remit,  à  son  tour,  plusieurs  lettres,  deux 
entre  autres  pour  le  roi  et  pour  la  reine  3.  Il  explique  à  cette  der- 
nière pourquoi  il  ne  peut  accéder  à  sa  demande  de  laisser  tomber 


1.  Sur  la  conception  élevée  que  se  faisait  Nicolas  de  la  primauté  romaine, 
cf.  Néander,  Kirchengesch.,  t.  iv,  p.  125  sq. 

2.  Epist.,  xxxv  et  xxxvi,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  308  sq.;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  261  sq.  Otto,  De  causa  Rothadii,  in-8,  Vratislaviae,  1862,  p.  35, 
ne  place  l'envoi  de  Liudo  que  vers  le  milieu  de  l'été  ;  c'est  évidemment  trop  tard 
puisque  celui-ci  était  de  retour  avant  le  30  novembre  ;  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  253, 
place  avec  plus  de  vraisemblance  la  mission  du  diacre  à  Rome  au  printemps  de 
l'année  863.  (H.  L.) 

3.  Ermentrude  avait  précédemment  écrit  deux  fois  au  pape.  (H.  L.) 


471.     CONFLIT     ENTRE     HINCMAR     ET    ROTHADE  349 

l'affaire  de  Rothade  ;  dans  la  première  lettre  il  loue  le  roi  de  sa 
condescendance,  lui  demande  d'oublier  tous  ses  ressentiments 
contre  Rothade  et  de  l'envoyer  à  Rome  en  lui  fournissant  le  néces- 
saire pour  son  voyage.  Dans  une  troisième  lettre  adressée  à  Ro- 
thade lui-même  1,  il  le  prie  de  lui  déclarer  en  conscience  s'il  se 
reconnaît  coupable,  s'il  a  fait  appel  et  s'il  a  ensuite  demandé 
à  être  jugé  par  les  évêques.  Dans  ce  cas,  il  ne  devrait  pas  don- 
ner tant  de  peine  à  lui-même  et  aux  autres,  mieux  vaudrait 
rester  chez  lui.  Si  on  l'a  déjà  réintégré  dans  son  évêché,  on  a 
agi  suivant  la  justice  et  la  légalité  ;  mais  si  on  ne  l'a  pas  fait  et 
s'il  persiste  dans  son  appel,  il  doit  avoir  bon  courage  et  venir  à 
Rome  ;  il  en  obtiendra  la  permission,  car  le  roi  Charles  et  Hine- 
mar  s'y  sont  engagés.  Le  pape  écrivit  en  même  temps  à  Hincmar, 
cl  lixa  au  1er  mai  864  la  présence  à  Rome  de  Rothade  et  des 
députés  de  ses  adversaires.  La  lettre  de  Nicolas  est  perdue, 
mais  ces  détails  se  trouvent  dans    Epist.  xxxvn. 

Avant  l'arrivée  de  ces  lettres  du  pape  en  France,  on  avait  tenu 
un  grand  concile  à  Verberie  (in  palatio  Vermeria,  29  octobre  863), 
peu  après  le  départ  des  légats  du  pape,  Rodoald  et  Jean  2. 
Charles  le  Chauve  y  assista  ainsi  que  les  quatre  archevêques 
Hincmar  de  Reims,  Wenilon  de  Sens,  Wenilon  de  Rouen,  et 
Hérard  de  Tours,  avec  vingt  autres  évêques,  beaucoup  d'abbés, 
des  comtes  etc.  Le  principal  souci  de  l'assemblée  fut  de  mettre  fin 
à  l'interminable  conflit  entre  le  monastère  de  Sain  t-Calais  et  l'évê- 
que  du  Mans.  Déjà  plusieurs  conciles,  en  particulier  celui  de  Pistes 
(862)  3,  s'étaient  prononcés  en  faveur  du  monastère  ;  mais  l'évê- 
(|ue  Robert  du  Mans  avait  gagné  le  pape,  et  nous  possédons 
[287J  encore  plusieurs  lettres  de  Nicolas  en  faveur  de  l'évêque.  L'affaire 
fut  examinée  une  fois  de  plus  (25  et  29  octobre)  ;  il  fut  prouvé, 
1°  que  le  monastère  appartenait  au  roi  et  non  à  l'évêque,  2°  que 
certains  évêques  du  Mans  ne  l'avaient  possédé  que  pour  peu  de 

ls  Epist.,  xxxviii,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  838. 

2.  Lalande,  Concilia  Gallise,  p.  175;  Labbe,  Concilia  t.  vm,  col.  1938-1939; 
Hardouin,  Coll.  conc,  t.  v,  col.  569;  Martène,  Script,  vêler,  coll.,  1724,  t.  i,  p.  169- 
172;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  263;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  i,  col.  986; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  670;  Bouquet,  Recueil  des  hist.  de  la  France,  1749, 
t.  vm,  col.  297-298;  A.  Vermingkolï,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv,  1901, 
t.  xxvi,  p.  633-634;  J.  Havet,  Œuvres,  t.  i,  p.  187-190,  rejet  des  prétentions 
de  l'évêque  du  Mans  sur  Saint-Calais  et  ordre  de  détruire  les  titres  faux.  (H.  L.) 

3.  Hincmar,  Episl.,  n,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  26,  27;  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  462. 


350  LIVRE    XXIII 

temps  et  par  privilège  du  roi,  3°  que  les  documents  cités  par 
l'évêque  à  l'appui  de  ses  prétentions  étaient  apocryphes;  ordre 
fut  donné  de  les  détruire. 

L'assemblée  s'occupa  ensuite  du  mariage  de  Baudouin.  On  lut 
les  lettres  du  pape  sur  cette  question,  et  les  évêques  demandèrent 
que  Baudouin  et  Judith  fussent  soumis  à  une  pénitence  ecclésias- 
tique. Comme  la  première  lettre  du  pape  ne  disait  rien  de  sembla- 
ble et  que.  pour  cette  raison,  Baudoin  refusait  toute  pénitence, 
Hincmar  lut  une  seconde  lettre  dans  laquelle  le  pape  disait  que 
son  intention  n'était  pas  de  faire  abstraction,  dans  cette  affaire, 
des  lois  de  l'Église,  et  que  les  intéressés  devaient  être  soumis 
à  une  pénitence.  Hincmar,  conseillé  par  plusieurs,  consentit  cepen- 
dant à  ce  que  l'on  se  conformât  à  la  première  et  non  à  la  seconde 
lettre  du  pape;  il  conseilla  même  au  roi  d'autoriser  le  mariage  de 
sa  fille  avec  son  séducteur.  Néanmoins  ni  Hincmar  ni  Charles 
n'y  voulurent  assister  1. 

Le  concile  de  Verberie  décida  également  l'envoi  à  Rome  de 
Rothade  accompagné  de  Robert,  évêque  du  Mans,  porteur  d'une 
lettre  du  roi  pour  le  pape.  Les  députés  de  l'épiscopat  de  Neus- 
trie  devaient  se  joindre  à  cette  ambassade,  porteurs  des  litterse 
synodicœ  (de  Soissons  et  de  Verberie).  Néanmoins,  comme  on  différa 
quelque  temps  leur  départ,  sur  ces  entrefaites,  le  3  novembre 
863,  Liudo  revenant  de  Rome  arriva  à  Auxerre,  où  Charles  le 
Chauve  se  trouvait  avec  plusieurs  évêques  à  l'issue  du  concile 
de  Verberie  2.  Il  apportait  de  nouvelles  lettres  du  pape,  notam- 
ment celle  à  Hincmar  aujourd'hui  perdue,  que  nous  avons 
pu,  à  l'aide  d'autres  documents,  analyser  plus  haut.  En  consé- 
quence l'archevêque  de  Reims  jugea  prudent  de  confier  aux 
députés  des  évêques  qui  se  rendaient  à  Rome  une  apologie  détail-  [-J°°] 
lée  de  sa  conduite  (début  de  864).  Après  avoir  exposé  sa  conduite 
touchant  la  longue  vacance  du  siège  de  Cambrai  et  l'affaire  de 
Baudouin,  il  passe  à  la  question  principale,  et  dit  avoir  fait  part 
à  un  concile  (celui  de  Verberie)  des  ordres  du  pape  au  sujet  de 
Rothade,  transmis  par  l'intermédiaire  d'Odon  ;  il  ajoute  qu'on 
avait  décidé  l'envoi  de  Rothade  à  Rome.  «  Malheureusement 
divers  obstacles,  que  les  députés  pourront  exposer  de  vive  voix, 


1.  Voir   §  467. 

2.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  462,  465   ;  Hincmar,  Episl.,    u,    P.    L.,    t.    cxxvi, 
col.   29.   [H.  Schrors,  op.  cit.,  p.    253-257.  (H.  L.)] 


471.     CONFLIT    ENTRE     HINCMAR     ET    ROTIIADE  351 

s'étaient  opposés  à  la  réalisation  immédiate  de    la    décision.    Sur 
ces  entrefaites,  le  3  novembre  (863),   Liudo  avait  remis  au  roi, 
à  Auxerre,  les  nouvelles  lettres  du  pape,  tandis    qu'Hincrnai   se 
trouvait  auprès  du  iils  du  roi,  Charles  le  jeune,  dont  il   cherchait 
à    procurer  la    réconciliation    avec    son    père.    A    son    retour  à 
Auxerre,   on  lui  avait  communiqué  ces  nouvelles  lettres  du   pape. 
Elles  contenaient  à  son  adresse  des  éloges  qu'il   ne   méritait    pas; 
mais  aussi  des   paroles  sévères,   d'après  lesquelles    le  pape  sem- 
blait  soupçonner   Hincmar   de  le  jouer.     Il    demandait    donc  au 
pape    la     permission    de    s'expliquer    en     détail   sur    l'affaire    de 
Rothade.  et  il  envoyait  des  représentants,  non  comme  accusa  leurs, 
mais   comme   accusés,   car   Rothade   avait  été  remis   à   ceux   qui 
devaient  l'emmener  à  Rome,  et  Hincmar,  par  suite  d'une  longue 
absence  à  la  cour  du  jeune  prince  Charles,  et  du  départ  des  évo- 
ques, ne  pouvait  réunir  un  grand  concile.   Les  évêques   présents 
estimaient   que    Rothade,  s'il    était   réintégré,  serait   encore    plus 
hautain  qu'auparavant.    Hincmar  aurait  pu  conseiller  au  roi  de 
différer    le    voyage    de    Rothade   jusqu'à    la    réunion    du  concile 
demandé  par  le  pape;   mais   il  aurait  eu,   ce  faisant,   à   essuyer 
les  reproches  des  autres    évêques,  car  la  fuite   de   Rothade  était 
connue   de  tous.    Conformément    aux  ordres   du    pape,    Rothade 
serait  donc  conduit  à  Rome  sous  escorte;  mais  sa  cause  était   vrai- 
ment mauvaise  et  il  ne  pourrait  que  se  nuire  à  lui-même.  Rothade 
avait  fait  preuve  d'une  étrange  obstination.  On  avait  pu  lui  faire 
promettre  d'obéir  aux  canons  désormais  et  aux  décrets  de   Rome, 
et  par  conséquent  à  son  métropolitain,   puisque   ces   canons  pres- 
crivaient une  telle  obéissance.  Malgré  cela,  dans  son  Libellus  profes- 
sionis  par  lequel  il  réclamait  le  jugement  des  évêques,  il  soutenait 
faussement   avoir   toujours   été   plein   de   déférence   et  de   respect 
pour  ces  décrets,  etc.  Il  n'avait   pas    voulu    signer,    pour    ne    pas 
être  vaincu,  et  son  plan  était,  au  cas  où  le  roi  et  les  évêques  con- 
[289]   tinueraient   la   procédure,   d'aller   à    Rome   avant   toute   sentence 
contre  lui  et  d'y  obtenir  son  absolution.  Le  concile  de  Sardique 
ne  disait  pas   que  le    pape   pouvait  réintégrer  immédiatement  un 
évêque   qui   en   avait   appelé   au    Saint-Siège,     mais    simplement 
que  les  juges  in  partibus  devaient  alors  procéder  à  une  enquête. 
Hincmar  ne  faisait  pas  cette  remarque  par  esprit  d'opposition  au 
pape,  mais  il    croyait  lui  rendre  service  en  lui    faisant    connaître 
son  sentiment  et  la  conduite  de  Rothade.   Si  le  pape  confirmait 
la  déposition  de  Rothade,  le  roi  prendrait  soin  de  lui,  et  les  évêques 


352  LIVKE     XX11I 

l'entretiendraient  largement   du  revenu   de  leurs  églises  ;  quant  à    , 
lui  Hincmar,  il  se  résignerait  à  la  réintégration  de  Rothade,  mais 
se  refusait  à  croire    que  le  pape  l'ordonnât,    sachant    ce  que  le 
concile  de   Sardique   avait  prescrit  au  sujet  des  judices  et  que, 
d'après  le  concile  de  Carthage,  un  appel  ne  devait  pas  nuire  aux 
juges  de  première  instance,   sauf  le  cas  où  ceux-ci  auraient  agi 
ouvertement    en    ennemis    et    illégalement.    Ses  collègues    et  lui 
n'avaient  pas  déposé  Rothade  par  inimitié,    par  haine  ou  quel- 
que motif  semblable,    mais   à  cause  de  son  incurable   socordia    et 
pertinacia.   Le  pape  ne  saurait  non  plus   oublier  que  d'après  ce 
même  canon  de  Carthage    (can.   10  d'Hippone  ),  on  ne  peut    en 
appeler  des  judices  electi.  Si,  dans    sa    grande    sagesse,    il   cassait 
la  sentence  des  judices  electi,   Hincmar  le  supporterait  et  se  féli- 
citerait d'être  délivré  de  tout  souci  au  sujet  de  Rothade.  A  l'ave- 
nir, si  ses  suffragants  se  rendaient  coupables,  et  sises  réprimandes 
n'obtenaient  pas  d'effet,  il  déférerait  le  cas  à  Rome.  S'ils  y  allaient, 
ce  serait  au  pape  à  décider  ;  s'ils  n'y  allaient  pas,  ils  en  feraient 
à  leur  guise.  Hincmar  parle  ensuite  des  privilèges  de  l'Eglise  de 
Reims,  qui  n'a  jamais  reconnu  un  primat  supérieur  au  sien,  si  ce 
n'est  le  pape,  sauf    toutefois  le   peu  de  temps  qu'elle   fut   soumise 
aux  légats   apostoliques,   après   que  Milon  eut,   sous    saint   Boni- 
face,   injustement   expulsé    Rigobert.    Reims   et  Trêves   sont   les 
deux    métropoles    de  la  Belgique  et  le  plus  ancien  métropolitain 
par  l'ordination  a  le  pas  sur  les  autres.  Hincmar  voulait  mourir 
dans    la    communion    du    Saint-Siège  ;    il    cédait  donc,   pour  ne 
pas    être   menacé   de  l'excommunication,     comme   cela   avait    eu 
lieu  souvent.  Mais  de  ce  moment  il  ne  voulait  plus    se  fatiguer  en 
synodes  provinciaux  ;  chaque   évêque  serait    désormais  son    pro- 
pre guide.  Si  le  pape  se  croyait    obligé    de    veiller    à    ce    que    les 
évêques  ne  fussent  pas  injustement  condamnés  par  leurs  métro- 
politains, il  devait  veiller  également  à  ce  que  les  métropolitains 
ne  fussent  pas  méprisés  par  leurs  suffragants.  Il  devait,  en  particu- 
lier,   rappeler    Rothade    à  de    meilleurs    sentiments  touchant   la  [290] 
discipline    ecclésiastique    et    la    miséricorde,    pour    que    d'autres 
ne  fussent  pas  amenés  à  l'imiter.  Le  roi  Charles  avait  envoyé  à 
Hincmar  la  lettre  du  pape  à  Rothade.  Du  reste,  les  députés  des 
évêques   rapporteraient   au    pape    le   langage    tenu   par    Hincmar 
devant  ces    arbitres    (judices    electi)    auxquels    Rothade    en    avait 
appelé,  et  ils  exposeraient  aussi  la  conduite  de   Rothade  depuis 
son   excommunication.  »  Dans  ce  qui   suit,  Hincmar  reparle  de  son 


471.     CONFLIT     ENTRE     HliNCMAK    ET     ROTHADE  353 

élévation  sur  un  siège  épiscopal,  et  dit  qu'après  la  mort  d'Ebbon 
il  n'a  pas  voulu  empêcher  que  son  nom  fût  écrit  dans  les  dipty- 
ques. «  Le  pape  lui  écrivait  maintenant  qu'il  ne  devait  pas  souf- 
frir que  les  noms  de  Gùnther  et  de  Thieutgaud  fussent  inscrits 
au  catalogue  des  évêques  ;  il  demandait  donc  au  pape  ce 
qu'il  devait  faire  à  l'avenir  à  l'égard  d'Ebbon.  Liudo  disait  (pie 
le  pape  s'était  entretenu  avec  lui  de  .Gotescalc.  Lui,  Hincmar, 
avail  déjà  envoyé  au  pape,  par  Odon  de  Beauvais,  une  rotula  ex 
verbis  et  catholicorum  sensibus,  preuve  des  hérésies  de  Gotes- 
calc, mais  il  n'avait  pas  reçu  de  réponse.  Le  conciliabule,  de 
Metz  (863)  l'avait  invité  à  répondre  au  sujet  de  Gotescalc  mais 
cette  invitation  lui  avait  été  apportée  par  un  laïque.  Il  donne 
des  détails  sur  Gotescalc  et  sa  doctrine.  Hincmar,  poursuivi  par 
les  hérétiques,  supportait  tout,  n'ayant  que  peu  de  temps  à 
vivre.  Si  le  pape  voulait  qu'il  fît  sortir  Gotescalc  de  prison  et 
l'envoyât  à  Rome,  il  ne  s'y  opposerait  pas  ;  mais  Nicolas  devait 
lui  faire  connaître  son  intention,  afin  qu'on  ne  l'accusât  point 
de  dédaigner  le  jugement  rendu  par  les  nombreux  évêques  qui 
avaient  jugé   Gotescalc  1.  » 

Rothade  et  son  escorte  étaient  en  route  vers  Rome,  lorsque  l'em- 
pereur Louis  II  leur  défendit  de  continuer  leur  voyage  ;  les  députés 
de  Charles  et  les  évêques  durent  se  contenter  de  mander  secrète- 
ment au  pape  ce  qui  se  passait.  Ils  revinrent  chez  eux,  mais 
Rothade  s'arrêta  à  Besançon,  d'où  il  se  rendit  en  Italie  auprès 
de  l'empereur,  qui,  sur  les  instances  de  Lothaire  et  de  Louis  le 
Germanique,  lui  permit  enfin  d'aller  à  Rome  2. 

Vers  cette  même  époque  (juin  864),  Charles  le  Chauve  tint  à 
Pistes  un  placitum,  appelé  second  concile  de  Pistes,  qui  s'oc- 
cupa de  la  réforme  de  l'Église  ;  mais  en  réalité,  ce  fut  plutôt 
[291]  une  diète  qu'un  concile.  L'assemblée  ordonna  d'honorer  les  égli- 
ses et  les  prêtres,  de  protéger  les  veuves  et  les  orphelins,  d'exer- 
cer partout  la  justice  et  enjoignit  aux  comtes  de  veiller  à  ce 
qu'on  se  servît  partout  de  mesures  légales  3. 

1.  Hincmar.  Episl.,  ri,  ad  Nicolaum,  P.  L.,    t.  cxxvi,  col.  25-46. 

2.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p,  465.  [L'itinéraire  de  Rothade  était  quelque  peu  exeen 
trique,  il  partit  de  Besançon,  passa  par  Coire,  mais  tous  les  chemins  mènent  à 
Rome;  il  y  arriva  donc.  Cf.  Jafîé-Ewald,  n.  2782-2786;  Schrors,  op.  cit.,  p.  237; 
Dùmmler,  t.  n,  p.  88  sq.;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  261.  (H.  L.)] 

3.  D'Achery,  Spicilegium,  t.  h,  p.  588-592  ;  Mabillon,  De  re  diplomatica,  1681, 
p.  316;  3e  édit.,  L.  i,  p.  272-475;  Gallia  christiana,  1770.  t.  xir,  p.  97-101;  D.  Bou- 

CONGILES  —IV     -  23 


354  LIVRE    XXIII 

Le  pape  avait  marqué  au  1er  mai  864  le  dernier  délai  au  terme 
duquel  Rothade  et  les  députés  de  l'épiscopat  de  Neustrie  devaient 
se  trouver  à  Rome.  Ce  délai  passé,  ignorant  le  véritable  état  des 
choses,  trompé  par  de  fausses  nouvelles,  le  pape  rédigea,  peut- 
être  dans  ce  même  mois  de  mai  864,  sa  lettre  n°  37  dans  laquelle 
il  reprochait  à  Hincmar  d'avoir  entravé  le  voyage  de  Rothade  déjà 
commencé,  etc.,  et  d'avoir  même  forcé  celui-ci  à  revenir.  Le  pape 
prétendait  savoir  que,  malgré  l'excommunication,  Gûnther  avait 
célébré  le  service  divin  le  dernier  jeudi  saint,  et  il  exhortait  for- 
tement à  rompre  tous  rapports  avec  lui  *. 

Comme  nous  l'avons  dit,  les  députés  du  roi  et  de  l'épiscopat 
franc  avaient  informé  secrètement  le  pape  de  la  violence  de  l'em- 
pereur Louis.  Mais  Nicolas  ne  vit  là  qu'un  faux  rapport  ;  c'est,  du 
moins,  ce  que  laisse  voir  sa  lettre  à  Charles  le  Chauve  2.  Aussi, 
après  six  mois  d'attente,  il  se  déclara  ouvertement  en  faveur 
de  Rothade,  et  il  ajouta  pleine  créance  à  son  Libellus  procla- 
mationis  3.  Nicolas  alla  plus  loin  ;  célébrant,  la  nuit  de  Noël,  selon 
l'ancienne  coutume  des  papes,  une  messe  solennelle  dans  l'église 
de  la  Mère  de  Dieu  ad  Prœsepe  4,  il  prit  la  parole  du  haut  de  l'am- 
bon  au  sujet  de  Rothade,  raconta  l'histoire  de  ses  persécutions 
par  Hincmar  et  par  le  roi  Charles,  insista  sur  son  appel  et  déclara 
absurde  l'assertion  d' Hincmar  soutenant  que  Rothade  avait  retiré 
son  appel  et  en  avait  référé  à  des  judices  electi  5.  Le  pape  déclara  [292] 
ensuite,  conjointement  avec  les  évêques,  les  prêtres  et  les  diacres 
(il  y  avait  donc  une  sorte  de  synode),  que  Rothade  était  digne 
de  l'épiscopat,  et  on  le  revêtit  de  nouveau  des  insignes  épiscopaux. 
Rothade  déclara  en  même  temps  avoir  toujours  été  et  être 
encore  prêt  à  répondre  à  ses  adversaires.  On  attendit  encore  jus- 

quet,  Recueil  des  hist.  de  la  France,  t.  vin,  col.  592  ;  Baluze,  Capitularia  regum 
Francorum,  t.  n,  col.  173-196;  Pommeraye,  Concilia Rolhomagensia,  1677,  p.  24; 
Bessin,  Concilia  Rothomagensia,  1717,  t.  i,  p.  23;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  265; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  678;  Walter,  Corp.  jur.  ant.,  1824,  t.  m, 
p.  128;  Pertz,  Monum.,  t.  m,  Leges,  t.  i,  p.  288  sq.  (H.  L.) 

1.  Nicolas  Ier,  Epist.,  xxxvn,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  263;  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  310.  Il  résulte  de  cette  lettre  que  Rothade  n'était  pas  arrivé  à  Rome 
dès  le  mois  d'avril  864. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v.col.  586;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  688. 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  863,  n.  70  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  579; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  681. 

4.  Sainte-Marie-Majeure. 

5.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  583;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  685. 


471.     CONFLIT     ENTRE     HINCMAR     ET    ROTHADE  355 

qu'à  la  fête  de  sainte  Agnès  (21  janvier  865),  et  aucun  accusateur 
ne  se  présentant,  le  pape  réunit  une  nouvelle  assemblée  dans 
l'église  de  Sainte- Agnès  hors  les  murs;  en  cette  occasion  Rothade 
remit  son  Libellus  excusationis  et  promissionis  1.  On  en  fit  lecture 
publique,  et  on  publia  ensuite  un  décret  du  pape  réintégrant 
Rothade  2.  Tous  y  ayant  adhéré,  on  se  rendit  sur-le-champ  dans 
l'église  de  Sainte-Constance,  où  Rothade  célébra  solennellement 
la  messe.  Le  lendemain,  dans  une  nouvelle  réunion  synodale 
tenue  in  domo  Leoniana  (Vatican),  Rothade  fut  renvoyé  dans 
son  évêché,  et  on  lui  donna  pour  l'accompagner,  en  qualité  de 
légat  du  pape,  Arsène.  évêqued'Orta  en  Toscane  3,  chargé  d'exa- 
miner la  question  du  mariage  de  Lothaire  et  de  terminer  les  con- 
flits survenus  entre  les  princes  francs  4. 

Cinq  des  lettres  papales  remises  aux  légats  se  rapportaient 
à  l'affaire  de  Rothade  5.  Dans  la  première,  adressée  à  Charles  le 
Chauve,  Nicolas  s'étend  principalement  sur  l'injustice  commise 
tant  à  l'égard  du  Saint-Siège  qu'à  l'égard  de  Rothade,  en  ne  tenant 
aucun  compte  d'un  appel  et  des  ordres  donnés  par  le  pape  ;  Hinc- 
mar  est  dénoncé  comme  l'auteur  de  tout  le  mal.  «  Le  concile 
de  Chalcédoine  avait  ordonné,  can.  9,  que  le  sufîragant  qui 
avait  à  se  plaindre  de  son  métropolitain,  confiât  l'affaire  au 
primat  du  diocèse  (dans  le  sens  d'autrefois)  ou    qu'il   la    fît   juger 

1.  H.  Schi ors,  op.  cit.,  p.  258;  A.  Verminghoff,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archw, 
1901,  t.  xxvi,  p.  635.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  584;  Mansi,   op.  cit.,  t.  xv,  col.  687. 

3.  Sur  Arsène,  cf.  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  103,  n.  30;  p.  149, 
n.  4  ;  p.  186,  n.  13.  Arsène,  apocrisaire  du  Saint-Siège,  évêque  d'Orta,  fds  d'A- 
nastase  le  bibliothécaire.  A.  Lapôtre,  De  Anastasio  bibliothecario,  in-8,  Paris, 
1885,  p.  37  sq.,  93  sq.  Il  avait  quitté  Rome  avant  le  22  avril  865,  date  de  la  fête 
de  Pâques.  P.  L.,  t.  cxix,  col.  921.  (H.  L.) 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  578;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  206  sq.  Rothade 
est  donc  rétabli  par  un  concile  romain  et  le  pape  prescrit  de  tenir  un  concile  en 
Gaule  pour  rétablir  les  clercs  ordonnés  par  Ebbon  ;  mais  le  synode  ne  connaît 
pas  librement  l'affaire  :  Nicolas  Ier  lui  fait  un  devoir  de  rétablir  les  clercs  déposés. 
Epist.  ad  Hincmurum,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  706.  Hincmar  proteste 
dans  ses  Annales  Bertiniani  contre  le  rétablissement  de  Rothade  prononcé  poten- 
lialiter  et  en  dépit  des  canons  de  Sardique,  Ann.,  ad  ami.  865,  p.  76.  En  tous  cas 
Rothade  est  rétabli,  non  en  raison  des  plaintes  et  réclamations  des  évêques  occi- 
dentaux, mais  par  un  coup  d'Etat  du  pape  Nicolas.  (H.  L.) 

5.  Les  lettres  destinées  à  Louis  le  Germanique  et  à  ses  évêques  sont  per- 
dues, mais  elles  étaient,  au  dire  d' Hincmar,  conformes  aux  autres,  uniformes. 
(H.  L.) 


356 


LIVRE     XXIII 


par  le  siège  de  Constantinople.    Ce    droit    revenait    à    plus    forte 
raison    à    l'Église    de    Rome     qu'à    l'Église     de    Constantinople. 
C'est     ainsi    que    plusieurs     papes,    Jules    par   exemple,    avaient 
appelé    à   leur   tribunal  les  discussions  survenues   entre   les   évê- 
ques     (le    pape    cite    ici   un   fragment    du    pseudo-Isidore    dont 
vraisemblablement    Rothade    avait    apporté    à   Rome  la   collec- 
tion).    Hincmar    avait  cherché   par   tous  les   moyens    à   annuler 
l'appel    de    Rothade,    et     n'avait    pas    obéi    aux    ordres    réitérés 
du   pape.    Prétendre   que   les  députés  de   l'épiscopat  franc  avaient  [293 1 
été  arrêtés  dans  leur  voyage  en    Italie   c'était   un    véritable   faux- 
fuyant.    Ces  députés  avaient    déclaré,    dans    leur  lettre  au  pape, 
n'avoir  reçu  de  leurs  collègues  aucune  mission  d'accuser  Rothade 
qui  était  à  Rome  depuis  huit  mois  sans  qu'aucun  accusateur  se 
fût  encore  levé  contre  lui,  ce  qui  s'explique  sans  peine  parce  que 
ses  ennemis,  qui  avaient  été  à  la  fois  accusateurs  et  juges,  ne  vou- 
laient pas  laisser  reviser  leur  sentence,  pour  ne  pas  être  couverts 
de  confusion.   Mais   Rothade,  fort  de  sa  conscience,  n'avait  pas 
craint   la    décision    de    Rome,    il    l'avait  même  sollicitée  ;  aussi 
le     pape    l'avait-il     réintégré     dans     sa    première    dignité    et    sa 
première  église.  Le  roi  avait  maintenant  une  excellente  occasion 
de  montrer    sa   déférence   pour    Rome  :    en    faisant   exécuter    la 
sentence    du    pape.    Quiconque     empêcherait     Rothade     d'exer- 
cer   de    nouveau    ses    fonctions,    serait  excommunié  et  exclu  de 
tout    rapport    avec    les     fidèles.     Enfin,    le    roi    devait   rendre    à 
l'Église    de    Soissons    tous    les    biens    perdus    depuis    la     déposi- 
tion  de   Rothade,    même   ceux    que  le  roi   aurait   déjà  donnés    à 
d'autres  x.  » 

Les  quatre  autres  lettres  sont  conçues  à  peu  près  dans  le  même 
sens;  toutes  s'expriment  de  la  même  manière  sur  la  conduite 
d' Hincmar  dans  l'affaire  de  Rothade,  et  toutes  proclament  ce 
principe,  que  le  jugement  à  porter  sur  un  évêque  appartient  au 
pape  comme  negotium  majus  [causa  major).  Le  pape  écrit  en  parti- 
culier à  Hincmar  :  «  Si  tu  avais  jamais  eu  le  moindre  respect  pour  les 
< :anons  des  Pères  et  pour  le  Siège  apostolique,  tu  n'aurais  pas  cher- 
ché  à  déposer  l'évêque  de  Soissons  à  notre  insu,  car  cette  affaire 
appartient  aux  majora  negotia.  Lorsque  tu  as  été  toi-même  dans  le 
besoin,  tu  t'es  aussitôt  souvenu  du  Siège  apostolique;  mais  lors- 
qu'il s'est  agi  de  Rothade,  tu  ne  t'en  es  pas  souvenu  ;  au  contraire, 

1.   Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  585;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  688. 


471.     CONFLIT     ENTRE     HINGMAR     ET     ROTHADE  35i 

tu  as  cherché  par  tous  les  moyens  à  infirmer  son  appel.  Tu  as 
déposé  Rothade  dans  un  synode  général  (franc)  :  or,  un  tel  synode 
ne  devait  se  tenir  qu'avec  l'assentiment  du  pape  (le  pape  Nico- 
las avait  émis  ce  même  principe  pseudo-isidorien  dans  son  dis- 
cours sur  Rothade,  en  la  fête  de  Noël  864).  Le  prétexte  que 
Rothade  avait  lui-même  retiré  son  appel  est  faux,  car  sa  lettre 
ne  contient  rien  de  semblable.  C'est  ton  arguta  sapientia  qui  a 
[294]  abusé  de  lui.  Du  reste,  n'eût-il  pas  appelé,  tu  aurais  dû  néan- 
moins déférer  toute  cette  procédure  à  Rome,  car  les  judicia  totius 
Ecclesise  doivent  être  rendus  par  ce  Siège,  qui  aie  droit  de  tout 
juger  et  dont  on  ne  peut  appeler.  Tu  t'es  montré  dans  cette  affaire 
désobéissant  à  l'égard  des  ordres  du  pape,  et,  semblable  à  un  nou- 
veau Dioscore,  tu  as  même  empêché  qu'on  les  publiât.  »  (On  se 
souvient  que.  lors  du  brigandage  d'Éphèse,  Dioscore  avait  em- 
pêché qu'on  ne  publiât  Y Epistola  dogmatica  du  pape  Léon  le 
Grand.)  Le  pape  parle  ensuite  en  détail  de  la  conduite  d'Hinc- 
mar;il  mentionne  cette  prétendue  arrestation  des  députés  se  ren- 
dant à  Rome,  et,  après  avoir  informé  Hincmar  de  la  réintégration 
de  Rothade,  il  ajoute  :  «  Tu  as  maintenant  à  choisir  entre  deux 
voies  :  t'incliner  devant  cette  sentence,  ou  bien  venir  à  Rome 
avec  Rothade  déposer  tes  plaintes  contre  lui  ;  mais,  dans  ce  cas, 
il  doit  être  auparavant  réintégré.  Si  tu  ne  fais  ni  l'un  ni  l'autre, 
tu  seras  déposé  à  tout  jamais  de  la  dignité  sacerdotale  1.  » 

Dans  la  troisième  lettre,  adressée  à  tous  les  évêques  des  Gaules, 
le  pape  leur  reproche  de  soumettre  les  majora  negotia  à  leur  propre 
décision,  même  après  appel.  «  N'y  en  eût-il  pas  eu,  ils  n'au- 
raient pas  dû  juger  un  évêque.  Ils  ont  méprisé  les  décrets  des 
anciens  papes,  conservés  de  temps  immémorial  par  l'Église 
romaine  et  gardés  dans  ses  archives  (il  s'agit  des  documents 
pseudo-isidoriens).  Quelques-uns  disent,  il  est  vrai,  que  ces  décrets 
ne  se  trouvent  pas  dans  le  Corpus  codicis  canonum,  mais  ceux- 
là  sont  les  premiers  à  les  invoquer,  lorsqu'ils  leur  sont  favora- 
bles 2.  Si  on  nie  l'autorité  d'une  décrétale,  parce  qu'elle  ne  se 
trouve  pas  dans  le  Codex  canonum,  les  ordonnances  de  Grégoire 
(le  Grand)  et  d'autres,  et  la  Bible  elle-même,  n'auraient  pas  non 
plus  force  de  loi.  Du  reste  il  y  a  dans  le  Codex  canonum,  un  chapitre 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  588;  Mansi,  t.  xv,  col.  691. 

2.  C'est  ce  qu'avait  fait  Hincmar  à  Quierzy  en  857.  Cf.  Theol.  Quartals.,  Tii- 
bingen,  1847,  p.  648,  (i57. 


358  LIVRE     XXIII 

de  Léon  (le  Grand)  ordonnant  d'observer  les  décrétâtes  du  Saint- 
Siège;  par  conséquent,  toutes  ces  décrétâtes  sont  implicitement  con- 
tenues dans  le  Codex  canonum.  Le  pape  Gélase  prescrit  également 
le  respect  pour  toutes  les  ordonnances  pontificales,  et  le  pape  Léon 
a  insisté  pour  que  les  affaires  d'une  importance  majeure  ne  se  fissent 
pas  sans  l'assentiment  du  pape.  Ceux  des  Gaules  sont  dans  l'erreur, 
lorsqu'ils  prétendent  que  le  jugement  porté  sur  un  métropolitain, 
mais  non  pas  celui  qui  concerne  un  suffragant,  est  un  negotium 
majus.  Enfin,  Nicolas  a  réintégré  Rothade  en  vertu  des  privilèges 
de  l'Église  romaine,  et  les  évêques  gaulois  doivent  obéir,  sous  [295] 
peine  d'excommunication.  Lorsque  Rothade  aura  été  réintégré  sur 
son  siège,  ils  seront  libres  de  porter  à  Rome  des  plaintes  contre  lui1.  » 

Dans  la  quatrième  lettre,  le  pape  engage  les  habitants  de  Sois- 
sons  à  se  réjouir  à  l'occasion  du  retour  de  leur  évêque  et  à  lui 
obéir  ;  enfin,  dans  la  dernière  lettre,  il  annonce  officiellement  à 
Rothade  sa  réintégration  et  lui  ordonne  de  se  tenir  prêt  à  répon- 
dre, ainsi  que  l'exigeaient  les  règles  canoniques,  si  ses  adversaires 
élevaient  des  plaintes  contre  lui.  En  attendant,  il  devait  faire 
les  démarches  nécessaires  pour  recouvrer  les  biens  enlevés  à  son 
Église  2.  Cette  lettre  est  datée  du  mois  de  janvier  865,  et  sans 
doute  les  quatre  autres  ont  été  écrites  à  la  même  époque.  Mainte- 
nant que  nous  connaissons  leur  contenu,  nous  ne  saurions  être 
surpris  qu'Hincmar  en  parle  d'une  manière  si  défavorable  dans 
sa  continuation  des  Annales  de  Saint-Bertin  3. 

Deux  autres  lettres,  confiées  à  Arsène  4,  avaient  pour  but  de  ré- 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  590;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  693. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  597  sq.  ;    Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  700  sq. 

3.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  468.  Hincmar  se  soumit  en  frémissant.  «  Le  légat  Ar- 
sène, écrit-il  dans  les  Ann.  Bertin.,  ad  ami.  865,  ramena  en  France  et  présenta 
à  Charles  l'évêque  Rothade,  canoniquement  déposé  par  les  évêques  de  cinq  pro- 
vinces et  rétabli  par  le  pape  Nicolas  contre  toutes  les  règles  et  par  un  coup  d'au- 
torité. Toutes  les  règles  édictées  par  les  sacrés  canons  sur  la  matière,  il  refusa 
d'en  tenir  compte  et  méprisant  le  jugement  des  évêques,  lui-même,  de  son  pro- 
pre pouvoir,  lui  restitua  sa  dignité.  Il  le  renvoya  au  roi  Charles  avec  des  lettres 
où  il  déclarait  anathème  quiconque  inquiéterait  Rothade  dans  la  possession 
de  sa  prélature  et  de  ses  biens.  C'est  ainsi  que,  sans  interrogatoire,  sans  le  con- 
sentement des  premiers  juges,  mais  simplement  par  l'entremise  du  légat 
Arsène,  l'évêque  déposé  fut  rendu  à  son  siège.  »  Sur  la  légation  d'Arsène,  cf. 
H.  Schrôrs,  Hinkmar,  p.  268  sq.  ;  Hergenrôther,  Photius,  in-8,  Regensburg, 
1867,  t.  ii,  p.  235.  (H.  L.) 

4.  Epist.,  xxv,  xxvi,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  241  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.  287. 


471.    CONFLIT     ENTRE     HINCMAR     ET     ROTHADE  359 

concilier  Charles  le  Chauve  avec  l'empereur  son  neveu.  La  première 
est  adressée  à  Charles  lui-même,  la  seconde  aux  évêques  de  son 
empire.  Le  pape  recommande  dans  ces  deux  documents  le  légat 
Arsène,  qui  dira  de  vive  voix  tout  ce  qui  n'a  pu  être  écrit.  Remar- 
quons cette  phrase  dans  la  lettre  aux  évèques  francs  :  «  L'oncle 
ne  doit  pas  forcer  l'empereur  à  tourner  contre  les  chrétiens 
le  glaive  qu'il  a  reçu  de  Pierre  pour  s'en  servir  contre  les  infidèles. 
On  ne^doit  pas  l'empêcher  de  gouverner  en  paix  l'empire  reçu 
en  héritage,  dont  la  possession  lui  a  été  confirmée  par  l'autorité 
du  Siège  apostolique,  et  qui  a  été  rendu  plus  glorieux  par  la  cou- 
ronne que  le  pape  a  placée  sur  la  tête  de  l'empereur.  On  doit 
lui  permettre  d'administrer,  pour  le  plus  grand  honneur  de  l'Eglise, 
son  empire  protégé  de  Dieu,  qu'il  a  reçu  avec  les  bénédictions 
et  les  onctions  par  l'intermédiaire  du  pontife  suprême  aposto- 
lique. Quiconque  combat  contre  l'empereur  a  pour  ennemis 
Dieu  et  le  Siège    apostolique  1.  » 

1.  «  Ce  voyage  d'Arsène  marque  l'apogée  de  la  puissance  et  du  triomphe 
de  la  politique  pontificale.  Les  manières  hautaines  et  cassantes  du  légat  indispo- 
sèrent et  froissèrent  le  clergé  de  France.  Il  apparut  en  maître,  et  «  comme  s'il 
«était  lui-même  le  souverain  pontife,»  ne  souffrant  de  personne  ni  discussion  ni 
contradiction,  imposant  des  ordres,  la  bouche  pleine  de  menaces  d'excommu- 
nication. »  A.  Gasquet,  L'empire  byzantin  et  la  monarchie  franque,  in-8,  Paris, 
1888,  p.  380  ;  c'est  ce  qu'avancent  la  Chronique  de  Réginon  et  les  Annales  de 
Saint-Bertin,  dont  les  auteurs  n'ont  guère  de  motifs  pour  sympathiser  avec 
Arsène.  Cf.  E.  Buechting.  Giaubwùrdigkeit  Hincmars  von  Reims  im  drit- 
len  Theile  der  sogenannten  Annalen  von  Sankt  Bertin,  in-8.  Halle,  1887. 
Quant  à  la  probité,  Arsène  n'était  pas  doué  pour  cette  vertu.  Jean  Diacre, 
Vita  Gregorii,  1.  IV,  c.  i,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  207;  Nicolas  Ier,  Epistola  ad 
Ludovicum,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1178.  Cf.  A.  Lapôtre,  Hadrien  II  et  les  fausses 
décrétales,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  1880,  t.  xxvn,  p.  397,  note  4; 
L.  Duchesne,  Fastes  episcopaux  de  la  Gaule,  1 900,  t.  n,  p.  258;  A.  Lapôtre, 
L'Europe  et  le  Saint-Siège  à  l'époque  carolingienne,  in-8,  Paris,  1895,  Le  pape 
Jean  VIII,  p.  41;  J.  Calmette,  La  diplomatie  carolingienne,  in-8,  Paris,  1901, 
p.  98-100.  Pour  Arsène  avait  été  créée,  avec  ses  attributions  personnelles,  la  charge 
d'apocrisaire  du  Saint-Siège.  Avant  lui,  on  ne  trouve  personne  qui  soit  revêtu 
de  cette  dignité  qui,  d'ailleurs,  lui  survécut  peu.  Arsène  n'eut  que  deux  suc- 
cesseurs :  Grégoire  et  Léon,  neveux  de  Jean  VIII.  Née  des  relations  plus  inti- 
mes entre  la  Papauté  et  l'Empire,  cette  charge  disparaît  assez  naturellement 
lors  de  l'amoindrissement  de  l'autorité  impériale.  Galletti  n'en  dit  rien  dans  son 
Del  primicerio  délia  Santa  Sede  apostolica,  in-4,  Roma,  1776.  (H.  L.) 


300  LIVRE    XXIII 


472.  Le  différend  du  roi  Lothaire  est  résolu  dans  l'assemblée  [296] 
d'Attigny,  pendant  Tété  de865l. 

Arsène  était  porteur  d'une  lettre  aux  évêques  lorrains,  dans 
laquelle  le  pape  leur  reprochait  leur  promesse  de  s'unir  à  lui  dans 
la  question  du  mariage  de  Lothaire,  et  de  rester  maintenant 
inactifs  ;  du  moins  ne  savait-il  rien  de  leurs  efforts.  Il  les  adjure 
donc,  dans  les  ternies  les  plus  énergiques,  de  faire  tout  ce  qui 
dépend  d'eux  et  de  combattre  courageusement  en  faveur  du 
droit.  Ils  doivent  prier,  conjurer,  conseiller  souvent  le  roi,  lui 
rappeler  que  les  choses  du  monde  passent  vite,  le  menacer,  au 
nom  du  Seigneur  et  du  Siège  apostolique,  de  l'excommunication, 
et  ne  pas  hésiter  à  le  rejeter  de  leur  communion,  s'il  ne  renvoie 
la  femme  adultère.  Arsène  devait  leur  prêter  son  concours  dans 
toute   cette  affaire  2. 


1.  Un  concile  semble  s'être  réuni  à  Rome,  en  novembre  864,  composé  exclu- 
sivement de  prélats  italiens.  Rodoald,  le  légat  deux  fois  prévaricateur,  fut  déposé 
et  excommunié.  Jafîé-Ewald,  n.  2821,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  856-857^  ;  Dûmmler, 
op.  cit.,  t.  il,  p.  101,  n.  1.  Le  concile  refusa  d'examiner  l'affaire  de  Gûnther  et  de 
Thieutgaud.  Mais  ceux-ci  conservaient  la  bienveillance  de  l'empereur  et  de  l'im- 
pératrice et  de  plusieurs  évêques  de  la  Lombardie.  En  février  865,  sur  l'ordre 
de  l'empereur,  un  concile  se  tint  à  Pavie,  auquel  prirent  part  des  prélats  italiens 
et  provençaux,  au  nombre  desquels  Tadon  de  Milan,  Roland  d'Arles  et  Arpenus 
d'Embrun.  Gûnther  se  présenta  devant  ce  concile  dont  il  sollicita  l'appui.  Il 
était,  disait-il,  venu  de  Rome  avec  la  permission  et  sur  le  conseil  du  pape  dési- 
reux de  témoigner  à  Thieutgaud  et  à  lui  sa  bienveillance.  Le  concile  décida  d'in- 
tervenir en  faveur  des  deux  prélats  et  écrivit  au  pape  pour  solliciter  son  pardon. 
Nous  mettons  ici  à  sa  date  chronologique  ce  concile  dont  Hefele,  Concilienge- 
schichte,  t.  iv,  p.  306,  a  mis  en  doute  les  actes  et  la  lettre  synodale  à  Nicolas  qu'on 
trouvera  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  759  sq.,  et  dans  Hartzheim,  Concilia  Ger- 
manium, t.  n,  p.  327  sq.  L'erreur  d'Hefele  vient  de  ce  qu'il  joint  à  ces  actes  un 
discours  qui  en  réalité  a  été  prononcé  dans  un  concile  tenu  à  Rome  en  869, 
Dûmmler,  op.  cit.,  n.  2,  p.  139,  t.  n,  a  réfuté  l'opinion  de  Hefele,  et  Mûhlbacher 
Reg.Kar..  p.  456,  a  admis  ses  raisons;  d'après  Dûmmler  le  concile  aurait  coïncidé 
avec  une  assemblée  générale  présidée  par  l'empereur.  Le  capitulaire  édicté  par 
Louis  II  dans  cette  occasion  est  du  4  février.  Bohmer-Mûhlbacher,  n.  1195  ; 
Parisot,  op.  cit.,  p.  258.   (H.  L.) 

2.  Baronius,  Annules,  ad  ann.  865,  n.  54  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  331; 
Mansi,  op.  cit..  t.  xv,  col.  379. [Nous  sommes  presque  certain  que  vers  la  fin  de  864,  le 
Sou  s  erain  Pontife,  avant  de  convoquer  un  concile  pour  le  mois  de  mai,  a  manifesté 


472.     ASSEMBLER     d'aTTIGNY  361 

Le  pape  Nicolas  confia  probablement  aussi  à  Arsène  1  une  lettre 
au  roi  Lnthaire,  menaçant  d'excommunication  le  prince  coupa- 
ble, s'il  iif  s'amendait  avant  le  retour  du  légat2.  Une  réponse  de 
Lothaire  nous  fait  connaître  un  fragment  d'une  autre  lettre 
du  pape  à  ce  prince,  où  il  se  plaint  qu'on  ait  corrompu  ses 
légats  3  ;  Lothaire  s'en  défend  et  cherche  à  donner  au  pape 
bonne  opinion  de  lui-même.  Comme  les  mots  de  Lothaire,  pos- 
teriorem  legatum,  se  rapportent  incontestablement  à  Arsène, 
on  en  peut  conclure  que  la  lettre  du  pape  aujourd'hui  perdue 
date  de  l'envoi  de  ce  légat;  comme,  d'un  autre  côté,  la  lettre 
contenant  une  menace  d'excommunication  ne  contient  pas 
on  mot  pour  recommander  le  nouveau  légat  (Arsène),  on  peut 
croire  que  la  lettre  perdue  contenait  ces  recommandations,  et 
le  pape  dut  naturellement  saisir  cette  occasion  pour  reprocher 
à    Lothaire    d'avoir    suborné    ses    premiers    légats. 

On  n'a  pas  oublié  que  le  pape  Nicolas  avait  engagé  les  métro- 
politains de  France  (Neustrie),  de  Germanie  et  de  Lorraine  à 
[297]  assister  à  Rome,  au  mois  de  mai  865,  à  un  concile,  ou  à  y  envoyer 
deux  suffragants.  Arsène  était  déjà  reparti  pour  la  Lorraine, 
quand  arrivèrent  à  Rome  des  lettres  de  Charles  le  Chauve  et  de 
Louis  le  Germanique,  déclarant  qu'on  ne  pouvait  accéder  au 
désir  du  pape.  Celui-ci  fut  très  impressionné  de  ces  refus, 
comme  on  le  voit  par  sa  lettre  aux  deux  rois  4  où  il  s'applique 
à  démontrer  que  les  motifs  allégués  :  trop  grand  éloignement, 
délai  trop   court,   difficultés   du  voyage,    étaient    de    vains    pré- 


l'intention  où  il  était  d'en  venir  aux  moyens  extrêmes  contre  Lothaire,  si  ce  prince 
ne  se  résignait  pas  à  quitter  Waldrade.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  263.  (H.  L.)) 

1.  Sur  les  entraves  mises  par  Louis  le  Germanique  à  la  mission  d'Arsène,  cf. 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  274.  (H.  L.) 

2.  Découverte  par  le  professeur  Floss,  dans  un  manuscrit  de  Trêves  :  Leonis, 
papse  VIII,  prwilegium  de  investituris  Ottoni  I  imperatori  concessum,  nec 
non  Ludovici  Germanorum  régis...  aliorum...  epistolœ,  in-8,  Friburgi,  1858, 
p.  30.  Jafïé-Ewald,  n.  2778;  Floss,  Paptswahl  unter  den  Ottonen,  Urkunden 
p.  30-33;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  277.  Sur  la  date  des  lettres  à  Lothaire  et  à  ses 
évêques,  cf.  Analecta  juris  pontificii,  t.  x,  col.  62;  Jafïé-Ewald,  Reg.  pont,  roman., 
t.  i,  p.  355;  Dùmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  131,  n.  2  et  3.  (H.  L.) 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  864,  n.  19  ;  Jafïé-Ewald,  n.  2.777  ;  nous 
connaissons  ce  fragment  grâce  à  une  lettre  de  Lothaire  au  pape  en  866. 
(H.   L.) 

4.  Nicolas,  Epist.,  xxvn,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  922;  Jafïé-Ewald,  n.  2788;  R.  Pa- 
risot, op.  cit.,  p.  278,  274.  (H.  L.) 


362  LIVRE    XXIII 

textes    et    des    faux-fuyants  l.  Charles  le    Chauve    avait    allégué, 
en  particulier,  que  la  plus  grande  partie  de  ces   évêques   devaient 
garder,  avec  les  autres  fidèles,    les   régions    maritimes    contre   les 
pirates.  Le  pape  répond  que  ce  n'est  pas  aux  évêques  à  faire  la 
guerre  ;  le  roi  de  France  a  également  tort  de   nier   l'utilité  de  la 
présence  des   évêques   francs   au  concile    romain.     Quand    même 
les  évêques   des  royaumes   de   Charles  et  de   Louis    auraient  été 
empêchés  (par  l'empereur)  de  traverser  les  Alpes,  le  même  empê- 
chement n'aurait  pas  existé  pour  les  évêques  de  son  frère  Lothaire. 
La  présence  de  ces  évêques  eût  été  très  utile  pour  éclaircir  la  ques- 
tion du  mariage  ;  en  s'abstenant  de  comparaître,  ils  ont  certaine- 
ment augmenté  l'obstination  du  roi.  Le  pape  continue,  s'adres- 
sant    à    Charles    et    Louis  :    «  Vous    prétendez    avoir    déjà    averti 
plusieurs  fois  le  roi  Lothaire,  ainsi  que  je  puis  le  conclure,  dites- 
vous,  de  votre  commonitorium.  Mais  vous  n'avez  pas  envoyé  ce 
commonitorium  ;   aussi  ne  puis-je   savoir  ce   que  vous  avez  fait. 
Lothaire  m'a  déclaré,  comme  vous,  qu'il  voulait  venir  à   Rome 
en  personne  ;   mais  je  lui  ai  défendu   d'entreprendre   ce  voyage 
dans  l'état  où  il  est,  parce  que  la  sainte  Eglise  romaine  rejette 
et  condamne  toute  personne  dans  cet  état.  Je  suis  heureux  que 
vous  ayez  exhorté  de  nouveau  Lothaire  en  la  fête  de  saint  Jean  ; 
peut-être  Dieu  ramèriera-t-il  son  cœur    au  bien.  Si  Lothaire  veut 
reprendre  Theutberge,   qu'il  ne  la   fasse   pas   souffrir,   mais  qu'il 
la  traite  comme  sa  légitime  épouse.   Si  elle  ne  veut  pas  revenir 
auprès  de  lui,  on  devra  l'y  contraindre.  Je  n'ai  pas  jusqu'ici  pro- 
noncé  de   sentence   au   sujet   de   Lothaire,   parce   que   j'ai  voulu 
éviter   l'effusion    du    sang.    Recevez    Arsène    avec    bienveillance, 
il  traitera  cette  affaire  avec  vous.   Afin  que  vous  puissiez  vous 
assurer    que    les  lettres  qu'il    apporte  sont    réellement  authenti-  [298] 
ques,  je  vous  envoie    de    nouvelles  copies  de  ces   mêmes  lettres 
par  le  porteur  de  la  présente.  On  choisira  un  autre  évêque  pour 
l'Église  de  Cologne  ;  de  même  on  exécutera  les  ordres  que  j'ai 
donnés  au  sujet  du  siège  de  Cambrai  ;  au  cas  où  le  nouvel  évê- 
que serait  déjà  canoniquement  élu,  on  le  consacrera  (à  la    place 

1.  La  lettre  du  pape  à  Adon,  archevêque  de  Vienne,  avait  trait,  elle  aussi,  à  ce 
refus  de  se  rendre  au  concile.  Le  pape  y  disait  que  «  la  non-comparution  des  évê- 
ques transalpins  avait  fait  échouer  le  concile  ;  Adon  n'en  devait  donc  que  plus 
activement  soutenir  Arsène.  Il  n'était  pas  exact  de  prétendre  que  le  pape  eût 
de  nouveau  reçu  à  sa  communion  Gûnther  et  Thieutgaud.  »  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.  450;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  387. 


472.    ASSEMBLÉE    d'aTTIGNY  363 

d'Hilduin).  Enfin,  Charles,  mon  fils,  ce  que  tu  dis  contre  Rothade, 
c'est  à  proprement  parler  un  autre  (Hincmar)  qui  le  dit  par  ton 
intermédiaire.  Je  suis  surpris  que  tu  aimes  mieux  ajouter  foi  à 
ses  insinuations  que  de  me  réjouir  par  ton  obéissance.  Laisse 
cela,  mon  fils,  et  commence  à  répondre  à  mes  exhortations. 
Tu  verras,  par  d'autres  lettres,  ce  que  tu  as  à  faire  dans  cette 
question.  » 

Arsène  traversa  d'abord  le  pays  de  Coire  et  l'Alemannie  l, 
pour  se  rendre  auprès  du  roi  Lothaire  le  Germanique,  qu'il  rencon- 
tra à  Francfort2.  Il  s'aboucha  ensuite  avec  Lothaire  et  les  évê- 
ques  lorrains  à  Gondreville  (près  de  Toul,  sur  la  Moselle)  3,  et 
remit  aux  uns  et  aux  autres  les  lettres  du  pape.  Puis,  en  présence 
des  évêques,  il  intima  à  Lothaire,  sous  peine  d'anathème,  l'obli- 
gation de  quitter  immédiatement  Waldrade  et  de  rappeler  la  reine 
Theutberge  4.  Lothaire  l'ayant  promis,  le  légat  se  dirigea  vers 
la  Neustrie  5,  et  rencontra  le  roi  Charles  le  Chauve  vers  la  mi- 
juillet  865,  à  Attigny  (département  des  Ardennes)  ;  il  lui  remit 
d'abord  la  lettre  du  pape  et  lui  présenta  ensuite  solennellement 
Rothade,  qu'il  réintégra  sans  difficulté  dans  ses  fonctions  6. 
Hincmar  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer,  dans  sa  continuation 
des  Annales  de  Saint- Berlin,  que  le  pape  avait  agi  en  opposition 
avec  les  canons  de  Sardique.  Comme  depuis  la  mort  de  son 
frère  Hubert  (864),  Theutberge  se  trouvait  sur  les  terres  de  Charles 
le  Chauve,  qui  lui  avait  donné  l'abbaye  d'Avenay,  près  de  Reims  7, 
et  d'autres  biens,  on  la  conduisit,  sur  la  demande  du  légat  et  sur 
l'ordre  de  Charles,  à  Douzy  (près  de  Sedan,  département  des 
Ardennes),  accompagnée  de  plusieurs  évêques,  afin  d'être  solen- 
nellement réunie  à  son  mari  par  le  légat  Arsène.  Pour  plus  de 
sûreté,   on  avait  fait,  le  3   août,  promettre,  par  serment  8  sur  les 


1.  Ann.  Bertiniani,  ad  ami.  865,  p.  75-76.  (H.  L.) 

2.  Probablement  en  juin.  Cf.  J.  Calmette,  op.  cit.,  p.  99.   (H.    L.) 

3.  Fin  juin  ou  début  de  juillet  865.  On  trouve  Lothaire  à  Gondreville  le  4  juil- 
let. D'après  Réginon,  Chronicon,  ad  ann.  866,  p.  84,  Arsène  aurait  convoqué  un 
concile,  et  là,  prenant  la  parole,  il  aurait  mis  Lothaire  en  demeure  de  choisir  en- 
tre le  renvoi  de  Waldrade  et  l'excommunication.  (H.  L.) 

4.  Floss,  Die  Paptswahl,  p.  30-33  ;  J.  Calmette,  op.  cit.,  p.  99.  (H.  L.) 

5.  Ann.  Bert.,  ad  ann.  865,  p.  76.  (H.  L.) 

6.  Ann.  Bert.,  ad  ann.  865,  p.  76  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  278.  (H.  L.) 

7.  Ann.  Bert.,  ad  ann.  864,  p.  74.  (H.  L.) 

8.  Ann.  Bert.,  ad  ann.  865,  p.  77.  Le  serment  avait  été  apporté  de  Rome  par 


364 


LIVRE    XXIII 


Évangiles  et  sur  une  relique  de  la  vraie  croix,  à  douze  comtes  de 
Lothaire  de  tenir  désormais  et  d'honorer  Theutberge  comme  la 
femme  légitime  de  leur  roi  et  comme  leur  reine,  et  de  ne  pas  per- 
mettre qu'on  lui  fît  injure  :  ce  serment  eut  lieu  à  Vindonissa 
^  Yenderesse,  près  de  Sedan).  Le  roi  Lothaire  fit  la  même  promesse,  [299] 
et  le  légat  l'adjura  de  la  tenir  sous  peine  d'un  bannissement  per- 
pétuel 1.  Hincmar  reproche  à  cette  occasion  au  pape  de  n'avoir 
imposé  aucune  pénitence  à  l'adultère. 

Le  légat  du  pape  avait  aussi  pour  mission  de  réconcilier  entre 
eux  les  rois  francs  ;  grâce  à  ses  efforts,  Lothaire  accepta  de  se 
rendre  à  Attigny  près  de  Charles,  qui  l'accueillit  amicalement 
et  lui  rendit  de  grands  honneurs  2.  Arsène  revint  de  Douzy  à 
Attigny;  là,  dans  une  sorte  de  synode,  il  publia  deux  excommu- 
nications pontificales  :  l'une  contre  Engeltrude  3,  l'autre  contre 
ceux  qui,  quelques  années  auparavant,  avaient  enlevé  à  Arsène 
une  somme  d'argent  considérable.  Il  s'empara  ensuite,  grâce 
au  secours  que  lui  donna  Charles,  de  la  ville  de  Vendeuvre, 
que  Louis  le  Débonnaire  avait  donnée  à  Saint -Pierre,  mais 
dont  le  comte  Wido  s'était  rendu  maître  depuis  longtemps.  Puis 
il  revint  avec  Lothaire  à  Gondreville,  où  il  célébra  le  service  di- 
vin, le  jour  de  l'Assomption,  en  présence  de  Lothaire  et  de 
Theutberge,  qui  y  assistèrent,  couronne  en  tête  et  revêtus  des 
ornements  royaux.  Enfin,  on  lui  confia  Waldrade,  pour  qu'il 
l'emmenât  à  Rome  4.  Au  retour,  il  se  dirigea  vers  l'Alemannie 
et  la  Bavière,  pour  y  percevoir  les  revenus  accordés  à  l'Eglise 
romaine.  Pendant  qu'il  était  à  Worms,  Engeltrude  vint  le  trouver, 
lui  promit  de  s'amender  et  d'aller  à  Rome  pour  obtenir  du 
pape  sa  réconciliation  avec  l'Église5.  Mais  elle  ne  tint  pas  sa  pro- 
messe et,  au  lieu  de  suivre  le  légat,  elle  prit  la  fuite  non  loin 
d'Augsbourg.  Nous  possédons  encore  la  lettre  d'excommunication 

le  légat.  (H.  L.)  Il  se  trouve  dans  la  Chronique  de  Réginon,  ainsi  que  dans  les 
Annules  de  Metz,  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  573.  et  dans  Baronius,  Annales,  ad  ann. 
865,  n.  61. 

1.  Sur  tous  ces  incidents,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  279-280  et  note  1.  (H.  L.) 

2.  Id.,  p.  280;  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  865,  p.  78.  (H.  L.) 

3.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  238,  280;  Arsène,  Episl.  ad  omnes  episcopos,  dans 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  327.  (H.  L.) 

4.  Ann.  Bert.,  ad  ann.  865,  p.  78;  Ann.  Fuldenses,  ad  ann.  865,  p.  64  ;  Réginon, 
Chronicon,  ad  ann.  866,  p.  84;  Ann.  Xanlenses,  ad  ann.  866.  (H.  L.) 

5.  Quant  à  son  mari,  il  semble  qu'il  n'y  tenait  guère,  il  songeait  à  se  remarier. 
Jafïé-Ewald,  n.  2874,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1151.  (H.  L.) 


'<73.     LA    QUESTION     DU     MARIAGE     DE     LOTHAIRE  365 

que  le  légat  Arsène  publia  contre  elle  l.  Quelque  temps  après 
\\  aldrade,  qui  était  cependant  arrivée  avec  le  légat  jusqu'à 
Pavie  2,  prit  la  fuite  et  se  rendit  en  Provence  dans  l'empire  du 
roi  Lothaire.  En  vain  le  légat  l'engagea  à  revenir;  en  conséquence, 
le  2  février  866,  le  pape  l'excommunia  avec  tous  ceux  qui  lui 
avaient  prêté  assistance,  et  communiqua  aux  évêques  francs  sa 
décision.  Sa  lettre  est  perdue,  mais  il  en  répéta  le  contenu  dans 
une  autre  lettre  du  13  juin  866;  il  s'y  plaint  que  Waldrade 
réside  maintenant  en  Provence,  y  commande  des  troupes  et  vive 
dans  le  luxe  au  grand  scandale  des  fidèles;  elle  gouverne  des 
monastères  et  peut  facilement  se  rencontrer  avec  Lothaire  3.  Le 
[oOO]  pape  engage  les  évêques  à  lui  faire  connaître  les  tracasseries 
que  Theutberge  aurait  à  supporter  et  à  excommunier  l'adultère 
Waldrade  et  sa  suite,  si  elle  vient  dans  leurs  diocèses  4.  Les 
évêques  devaient  attendie  de  nouvelles  instructions  du  pape 
pour  traiter  également  le  roi  Lothaire  excommunié. 


473.  La  question  du  mariage  de  Lothaire  est  reprise 
et  définitivement  tranchée. 

Revenue  auprès  de  son  mari,  Theutberge  fut  traitée  par  lui  et 
par  toute  la  cour  d'une  telle  manière,  les  calomnies  répandues 
contre  elle  furent  si  odieuses,  qu'elle  craignit  sérieusement  pour 
ses  jours  et  se  réfugia  auprès  de  Charles  le  Chauve.  Mais  l'attitude 


1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  865,  n.  63  sq.  ;  en  partie  dans  Pertz,  op.  cit., 
t.  i,  p.  574.  [Engeltrude  ne  poussa  pas  plus  loin  qu'Augsbourg.  Cf.  R.  Parisot, 
op.  cit.,  p.  286  et  note  2.  (H.  L.)] 

2.  Voyez  Nicolas  l,Epist.,  lv,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  282;  Mansi,  op. 
cit.,  t.  xv,  col.  327. 

3.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  286,  n.  3.  (H.  L.) 

4.  Epist.,  xi,  dans  l'appendice,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  380;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  :»33;  [R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  286.  (H.  L.)]  Baronius,  Annales, 
ad  ann.  866,  n.  25  ;  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  575.  Damberger,  op.  cit.,  t.  ni,  Kritikh., 
p.  221,  prétend  que  cette  lettre  n'a  pas  de  sens,  et  il  déclare  sans  raisons  sérieuses 
que  «  les  dernières  lettres  du  pape  Nicolas,  dans  l'affaire  de  Theutberge,  et  dans 
celle  des  évêques  de  Trêves  et  de  Cologne,  qui  avaient  été  déposés,  sont  altérées  en 
divers  endroits,  et  qu'elles  ont  de  quoi  surprendre  d'une  manière  générale 
tout  historien.    » 


366 


LIVRE     XXIII 


de  celui-ci  à  l'égard  de  son  neveu  n'était  plus  la  même  ;  Lothaire 
l'avait  gagné  en  lui  abandonnant  l'abbaye  de  Saint- Vaast  à 
Arras  J,  et  Charles  n'avait  plus  la  même  ardeur  pour  main- 
tenir les  règles  du  mariage  chrétien.  La  déception  qu'elle  en 
éprouva  et  les  conseils  de  Charles,  déterminèrent  Theutberge  à 
solliciter  l'annulai  ion  de  son  mariage;  elle  écrivit  au  pape  dans  ce 
but,  témoignant  l'intention  de  se  rendre  à  Rome  2.  Mais,  au  mois 
de  septembre  866,  lorsqu'à  l'issue  du  concile  de  Soissons  eut 
lieu  l'entrevue  d'Attigny  entre  Charles  et  Lothaire,  Theutberge 
fut  invitée  à  s'y  rendre,  et  on  lui  refusa  la  permission  de  se 
rendre  à  Rome.  Égilon,  archevêque  de  Sens,  y  étant  envoyé  sur 
la  demande  du  concile  de  Soissons  et  de  Charles  le  Chauve,  le  roi 
Lothaire  le  fit  accompagner  par  Adon,  archevêque  de  Vienne,  et 
son  secrétaire  Walter,  qui  devaient  avoir  avec  Nicolas  des  pour- 
parlers secrets  3. 


1.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  471,  574  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  172,  n.  1  ;  p.  290, 
n.  5.  (H.  L.) 

2.JR.  Parisot,  op.  cit.,  p.  291,  293.  La  lettre  de  Theutberge  au  pape  Nicolas 
est  perdue,  nous  ne  la  connaissons  que  par  la  réponse  du  pape  et  par  la  lettre 
écrite  en  même  temps  à  Lothaire,  l'une  et  l'autre  de  janvier  867.  Jafîé-Ewald, 
n.  2870,  2873,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1136-1138,  1146-1150.  (H.  L.) 

3.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  472  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  291-292,  note  1,  2.  Lo- 
thaire ayant  acheté  son  oncle  Charles  le  Chauve  par  le  don  de  l'abbaye  de  Saint- 
Yaast,  tout  n'était  pas  fini.  Lothaire  imagina  de  députer  au  pape  Theutberge 
elle-même  qui  solliciterait  l'annulation  de  son  mariage.  Celle-ci  se  mit  donc  en 
route,  mais  le  roi  ayant  changé  d'avis,  la  rappela.  Ann.  Bertiniani,  ad  ann.  866, 
p.  83.  Cf.  Lapôtre,  Hadrien  II  et  les  fausses  décrétâtes,  dans  la  Revue  des  questions 
historiques,  t.  xxvn,  p.  388.  A  la  place  de  la  reine,  une  ambassade  fut  envoyée 
composée,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  d'Eigil,  archevêque  de  Sens,  Adon,  archevêque  de 
Vienne,  et  du  comte  Walter,  homme  de  confiance  du  roi.  Sur  ce  personnage,  cf. 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  182,  note  2.  Adon  était  un  choix  bizarre  ;  en  effet,  admi- 
rateur fervent  du  pape  Nicolas  et  de  Charles  le  Chauve,  il  n'était  pas  homme 
à  plaider  la  cause  matrimoniale  dont  on  le  chargeait.  Rien  ne  prouve  qu'il  arriva 
jusqu'à  Rome.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'ambassade  essuya  un  échec  complet.  Si  Char- 
les le  Chauve  avait  abandonné  Theutberge  «  il  restait  à  celle-ci  un  défenseur 
que  l'on  ne  pouvait  ni  acheter,  ni  intimider,  ni  circonvenir  et  qui  ne  revenait 
pas  sur  ses  décisions  quand  il  les  croyait  justes  :  nous  voulons  parler  du  Souverain 
Pontife.  Par  malheur  Nicolas  était  trop  éloigné,  trop  occupé,  pour  que  sa  protec- 
tion pût  avoir  toute  l'efficacité  voulue.  Nous  avons  vu  que,  dès  le  2  février,  il 
avait  excommunié  Waldrade.  La  sentence  ne  parvint  pas  à  ses  destinataires, 
ou  ceux-ci  n'en  tinrent  pas  compte.  Le  pape  en  eut  connaissance  ainsi  que  de  la 
triste  situation  de  Theutberge  (Jafîé-Ewald,  n.  2808,  P.  L.,  t.  exix,  col.  971, 
973)  et  crut  devoir,  pour  la  deuxième  fois,  notifier  aux  évêques   Pexcommuni- 


473.     LA    QUESTION     DU     MARIAGE     DE     LOTHAIRE  367 

[oUlJ  Après  ces  préliminaires,  Lothaire  invita  les  évêques  de  son 
royaume  à  une  sorte  Je  synode,  qui  devait  se  tenir  à  Trêves  au 
mois  de  novembre  866,  pour  agir  d'une  manière  décisive  contre 
Theutberge.  On  devait  prouver  qu'elle  n'avait  jamais  été  sa 
femme  et  que,  dès  sa  jeunesse,  il  avait  été  fiancé  à  Waldrade. 
Si  on  ne  pouvait  établir  ce  point,  on  accuserait  Theutberge  d'adul- 
tère, on  prescrirait  le  "jugement  de  Dieu,  et,  s'il  tournait  contre 
elle,  on  la  condamnerait  à  mort.  Les  évêques  lorrains  rejetèrent 
ce  plan,  soit  par  conscience,  soit  par  crainte  du  pape  1. 

Nicolas  Ier,  averti  de  tout  ce  qui  se  passait,  expédia  quatre 
lettres  au  mois  de  janvier  867,  à  Theutberge,  au  roi  Charles,  à 
Lothaire  et  aux  évêques  lorrains  2.  Il  disait  à  Theutberge  (24 
janvier)  :  «  Ta  lettre  récente  ne  concorde  pas  avec  les  renseigne- 
ments presque  journaliers  d'un  grand  nombre  de  gens  de  distinc- 
tion, venus  des  Gaules  et  de  la  Germanie,  qui  attestent  que  tu 
es  soumise  à  une  tyrannie  brutale.  Tu  dis  que  tu  veux  renoncer 
volontairement  à  la  dignité  royale,  et,  nonobstant  tes  anciennes 
affirmations,  tu  racontes  maintenant  sur  toi-même  je  ne  sais 
quelles  fables.  Mais  je  sais  que  les  troupeaux  se  plaisent  quel- 
quefois dans  l'ordure,  et  que  celui  qui  ne  se  tient  pas  pour  satis- 
fait d'être  adultère,  veut  encore  perdre  l'âme  d'autrui  en  l'en- 
traînant à  de  faux  serments.  Ce  que  tu  dis  de  Waldrade,  qu'elle 
est  la  femme  légitime  de  Lothaire,  ne  compte  pas.  Serais-tu 
morte,  il  ne  pourrait  l'épouser.  »  Le  pape  lui  défend  ensuite,  dans 
l'intérêt  de  sa  propre  sûreté,  de  venir  à  Rome  avant  la  comparu- 


cation  dont  il  avait  frappé  Waldrade  ;  il  les  invitait  à  la  publier  el  à  secourir 
Theutberge.  Cette  lettre,  écrite  le  13  juin,  arrivée  probablement  en  Fiance  et  en 
Lorraine  à  la  fin  de  juillet,  n'eut  pas  plus  d'effet  que  la  précédente;  on  la  tint  pour 
nulle  et  non  avenue.  L'entente  de  Charles  le  Chauve  et  de  son  neveu  portait  ses 
fruits.  Par  crainte  de  Lothaire  et  pour  lui  complaire,  certains  évêques  refusèrent 
de  recevoir  la  lettre  du  pape,  d'autres  n'osèrent  pas  la  publier.  On  fit  même 
courir  le  bruit  que  Nicolas  avait  autorisé  Waldrade  à  revenir  en  Gaule.  Voir 
les  lettres  du  pape  aux  évêques  lorrains  et  à  Charles  le  Chauve,  du  25  janvier  867. 
Jafïé-Ewald,  n.  2871,  2872,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1140,  1141;  1146.»  R.  Parisot, 
op.  cit.,  p.  292.  (H.  L.) 

1.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  574. 

2.  La  lettre  à  Theutberge  est  du 24  janvier  867,  celles  aux  évêques  lorrains  et 
à  Charles  le  Chauve,  du  25,  celle  adressée  à  Lothaire  n'a  plus  de  date,  mais 
elle  est  vraisemblablement  du  24  ou  du  25  janvier.  Jafïé-Ewald,  n.  2870-2873. 
(H.  L.) 


.'!<>8  LIVRE     XXIII 

tion  de  Waldrade,  et  dit  que  sa  stérilité  n'autorise  pas  le  divorce, 
puisqu'il  faut  uniquement  l'imputer  à  la  méchanceté  de  son  mari. 
Il  sait  qu'elle  a  été  forcée  d'écrire  sa  lettre,  il  en  était  prévenu 
longtemps  à  l'avance.  Qu'elle  ne  craigne  pas  la  mort,  si  Lothaire 
l'en  menace  ;  du  reste,  en  agissant  ainsi,  ce  serait  à  lui  qu'il  nuirait 
le  plus.  Enfin,  elle  affirme  vouloir  la  séparation  pour  vivre  en- 
suite dans  la  continence,  mais  on  ne  peut  l'y  autoriser  que  si 
son  mari  avait  émis  le  même  vœu  x. 

Dans  la  lettre  à  Charles  le  Chauve,  le  pape  déplore  que  cet 
ancien  et  courageux  défenseur  de  Theutberge  ait  consenti  à  se  [^2] 
liguer,  au  prix  d'une  abbaye,  avec  Lothaire,  pour  perdre  cette 
malheureuse  femme  ;  «  il  se  refuse  à  y  croire.  Lothaire  compte 
réunir  une  assemblée  pour  faire  juger  Theutberge,  même,  s'il 
le  faut,  par  un  jugement  de  Dieu.  Cela  est  défendu.  Theut- 
berge ne  doit  être  soumise  à  aucun  tribunal,  son  affaire  ayant 
été  jugée,  elle-même  ayant  fait  recours  au  Saint-Siège,  et  son 
mari  s'étant  également  adressé  à  Rome;  pour  ces  diverses  raisons, 
c'est  à  Rome  à  rendre  la  sentence.  Le  roi  Charles  doit  protéger 
Theutberge,  comme  auparavant.  Si  Lothaire  veut  entreprendre 
un  nouveau  procès,  soit  sur  la  validité  de  leur  mariage,  soit  sur 
l'accusation  d'adultère,  elle  doit  avant  tout  être  libre  et  en  sûreté. 
Sans  l'assentiment  du  pape,  on  ne  doit  pas  commencer  cette 
procédure  2.  » 

Dans  la  lettre  à  Lothaire,  le  pape  disait  avoir  appris  avec 
joie,  après  le  retour  de  son  légat  Arsène,  l'amendement  de  Lothaire} 
malheureusement  cet  amendement  n'avait  pas  duré;  et  cela  lui 
avait  causé  une  nouvelle  affliction.  La  lettre  de  Theutberge  était 
évidemment  extorquée.  Après  avoir  répété  presque  dans  les 
mêmes  termes  ce  qu'il  avait  dit  à  Theutberge,  il  continuait  3  : 
«  Lothaire  doit  honorer  et  aimer  Theutberge  comme  sa  légitime 
épouse  et  sa  propre  chair,  et  si  elle  ne  veut  réellement  pas  leur  sépa- 
ration, il  doit  lui  rester  uni,  fût-ce  même  pour  garder  la  chasteté. 


1-   Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  266;  Mansi,  op.  cit.,   t.    w,  col.   312;   [JallV 
Ewald,  n.  2870-2873,     P.  L.,  t.  cxix,  col.  1136-1138,  1146-1150  ;  R.  Parisot, 
op.  cit.,  p.  294-295.  (H.  L.)] 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  271  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  318   ;  [Jafîé- 
Ewald,  n.  2872,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  295.  (H.  L.)] 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  274;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  321;   [Jaffé- 
Ewald,  n.  2783,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1146-1150.  (H.  L.)] 


473.     LA    QUESTION    DU     MAKIAGE     DE    LOTHAIRE  369 

Le  pape  ne  consentirait  à  leur  séparation  que  si  Lothaire  et 
Theutberge  émettaient  en  même  temps  le  vœu  de  continence  ; 
en  ce  cas  il  donnerait  ce  consentement  volontiers  et  sans  délai.  » 
Viennent  ensuite  des  prières,  des  instances,  la  menace  des  pei- 
nes ecclésiastiques,  de  la  perte  de  son  royaume  et  de  l'éternité, 
si  Lothaire  ne  venait  pas  à  résipiscence.  Les  derniers  mots,  Porro 
excellentiam  vestram,  n'appartiennent  pas  à  la  lettre  de  Lothaire, 
mais  à  celle  destinée  à  Charles,  chargé  de  faire  parvenir  la  mis- 
sive à  son  neveu  1. 

Dans  la  lettre  aux  évêques  lorrains,  le  pape  se  plaint  grandement 
de  leur  apathie.  Voici  la  troisième  fois  qu'il  leur  mande  l'excom- 
munication de  Waldrade.  On  l'assure  que  les  évêques  lorrains 
n'ont  pas  reçu  ses  deux  lettres  précédentes.  Cela  fût-il  vrai,  ils 
auraient  dû  cependantjrfaire  connaître  à  Rome  leur  conduite 
[303]  et  surtout  le  résultat  définitif.  En  agissant  autrement,  ils  ont 
manqué  de  zèle.  Sans  doute  que,  par  crainte  de  perdre  leurs  char- 
ges, certains  d'entre  eux  ont  préféré  prendre  parti  pour  l'adultère 
plutôt  que  pour  la  vérité.  Il  les  connaît  bien,  et  s'il  les  a  épargnés 
jusqu'ici,  il  est  maintenant  décidé  à  les  excommunier  et  à  les 
déposer.  Il  est  faux  qu'il  ait  permis  à  Waldrade  de  revenir  en 
France.  Les  évêques  lorrains  doivent  parler  à  un  roi  adultère, 
comme  l'avait  fait  le  prophète  Nathan,  et  se  montrer  aussi  cou- 
rageux que  les  apôtres.  Enfin,  ils  doivent  lui  faire  connaître, 
par  députés  et  par  lettres,  si  Lothaire  vit  avec  Theutberge  confor- 
mément à  son  serment,  s'il  la  traite  en  reine,  et  quels  sont  les 
évêques  qui  ne  favorisent  pas  l'adultère.  Ils  doivent  également 
promulguer  l'excommunication  portée  contre  Waldrade.  Celui 
qui  n'enverra  à  Rome  aucun  député,  devra  du  moins,  écrire; 
mais  Atton,  évèque  de  Verdun,  devra  en  tout  cas  envoyer  un 
clerc  2. 

Peu  de  temps  après  (mars  867),  le  pape  engagea  Louis,  roi  de 


1.  Cet  intermédiaire  était  de  nature,  à  blesser  et  à  alarmer  Lothaire  qui  con- 
naissait les  desseins  de  son  oncle  à  son  égard  ;  il  s'en  plaignit  et  réclama  qu'on 
lui  envoyât  ses  lettres  directement.  Voir  lettres  de  Lothaire  à  Nicolas  et  à  Ha- 
drien II;  la  première  en  867,  la  seconde  en  868;  Bohmer-Mùhlbacher,  n.  1281, 
1282  ;  Baronius,  Annales,  édit.  Mansi,  t.  xv,  p.  67,  col.  12  ;  Mansi,  Conc.  am- 
pliss.  coll.,  t.  xv,  col.  832.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  268;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  315;  [Jalïé- 
Ewald,  n.  2871,  P.  L.,  t.  cxix,  col.  1139-1142.  (H.  L.)] 

CONCILES    -    I  Y  —  -2  i 


370 


LIVRE    XXIII 


Germanie,  à  user  de  son  influence  pour  ramener  son  neveu  dans 
le  droit  chemin  1. 

Dès  avant  l'arrivée  de  ces  lettres  du  pape,  Advence  de  Metz 
avait  appris  de  deux  côtés,  du  royaume  de  Charles  et  du 
royaume  de  Louis,  que  le  pape  Nicolas  avait  résolu  d'excommunier 
Lothaire,  s'il  ne  s'était  pas  séparé  de  Waldrade  pour  la  fête  de 
la  Purification  (2  février  867).  Advence  en  informa  aussitôt 
Atton  de  Verdun,  conseiller  intime  de  Lothaire,  et  le  conseilla 
dans  le  but  de  détourner  un  danger  imminent.  Le  roi  devait, 
quelques  jours  auparavant,  faire  sa  confession  à  [Florange,  ou 
dans  toute  autre  ville]  devant  des  clercs  choisis  ;  il  promettrait 
par  serment  de  s'amender  et  de  faire  examiner  de  nouveau  la 
question  de  son  mariage,  pour  pouvoir  ainsi  être  absous  et  pren- 
dre part  à  la  fête.  Advence  ajoute  qu'il  envoyait  cette  lettre 
sous  le  secret  de  la  confession  2. 

La  nouvelle  donnée  par  Advence  n'était  pas  fondée,  et,  comme 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  278;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,   col.  324  ;  Floss, 
Leonis  VIII  privilegium ,  p.  34. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  867,  n.  118.  [R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  263,264  et 
noie  1,  place  cette  alerte  en  865.  Comme  la  lettre  d'Adveuce  ne  porte  aucune 
date,  dit-il,  on  lui  en  a  cherché  une.  La  plupart  des  auteurs  adoptent  867.  Baro- 
nius, Annales,  édit.  Mansi,  t.  xv,  p.  123;  Fleury,  Histoire  ecclésiastique,  t.  xi, 
p.  151;  Noorden,  Hinkmar,  p.  222;    Clouët,  Histoire   de  Verdun,    p.  264  note; 
Hefele,  Conciliengeschichte,  2e  édit.,  t.  iv,  p.  303  ;  Dûmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  155, 
qui  ajoute  cependant,  note  3,  que  la  lettre  pourrait  tout  aussi  bien  se  placer  en 
865  ou  866.  C'est  Eigil,  archevêque  de  Sens,  envoyé  à  Rome  en  866,  qui  aurait 
rapporté  de  cette  ville  le  bruit  de  l'excommunication  de  Lothaire.  Mais  Eigil 
ne  revint  en  France  qu'en  mai  ;  c'est  le  20  de  ce  mois  qu'il  rendit  à  Charles  le 
Chauve  les  réponses  du  pape,  et  la  lettre  d'Advence  se  place  ou  dans  le  dernier 
mois  d'une  année  ou  dans  le  premier  de  la  suivante,  puisqu'elle  a  été  écrite  assez 
peu  de  temps  avant  le  1er  février.  Le  retour  d'Eigil  est  trop  éloigné  de  cette  der- 
nière date  pour  qu'on  puisse  établir  un  rapprochement  quelconque  entre  lui  et 
la  lettre  de  l'évêque  de  Metz.  Mùhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  503  (cf.  Deutschlands 
Kirchengeschichte,  p.  533),  se  prononce  pour  le  début  de  868;  si,  dit-il,  Advence 
redoute  la  date  du  1er  février,  c'est  que  ce  jour-là  devait  se  réunir  à  Auxerre  un 
concile  destiné  à  traiter  l'affaire  de  Lothaire.  Mùhlbacher  oublie  qu'à  ce  moment 
Nicolas  était  mort,  et  que  l'on  n'avait  pas  à  craindre  du  nouveau  pape  des  me- 
sures de  rigueur.  Le  concile  d 'Auxerre  n'était  pas  de  nature  à  remplir  d'anxiété 
le    roi  et  ses  évêques.  En  864,  au  contraire,  on  pouvait  redouter  que  le  pape  ne 
fulminât  contre  Lothaire  l'excommunication  dont  il  avait  déjà  parlé  dans  diffé- 
rentes lettres  (Jalfé-Ewald,  n.  2723,  2725)  et  dont  il  allait  formellement  menacer 
le  jeune  roi.  Jaiîé-Ewald,  n.  2778,   Floss,  Paptswahl  unter  den  Ottonen,    Urkun- 
den,  p.  30.   (H.  L.) 


473.    LA    QUESTION     DU    MARIAGE    DE      LOTHAIRE  371 

on  l'a  vu  par  les  lettres  du  pape,  Nicolas  s'était  borné  aux'moyens 
de  persuasion.  Suivant  sa  demande,  Charles  le  Chauve  et  Louis 
[304J  le  Germanique  firent  des  représentations  à  leur  neveu;  Lothaire 
ne  s'étant  pas  rendu  à  une  entrevue  projetée  entre  les  prin- 
ces, Charles,  accompagné  de  quelques  évêques  du  royaume  de 
Louis,  vint  le  trouver  et  lui  fit  promettre  de  se  soumettre  aux 
injonctions  du  pape  1.  Lothaire  et  ses  évêques  écrivirent  alors 
an  pape  une  lettre  polie,  que  Grimland  le  chancelier  devait  porter 
à  Rome  au  printemps  de  867  et  non  dans  les  derniers  mois  de 
celte  année,  ainsi  que  l'a  prétendu  Baronius.  La  lettre  de  Lo- 
thaire est  pleine  des  expressions  les  plus  humbles  et  les  plus 
respectueuses  à  l'égard  du  pape.  Le  prince  se  plaint  de  nou- 
veau, comme  on  pouvait  s'y  attendre,  que  ses  ennemis  aient  trouvé 
créance  à  Rome  ;  il  parle  d'un  concile  général  lorrain  qui  devait 
se  tenir  vers  la  mi-juillet  (867)  ;  il  ajoute  que,  depuis  le  départ 
d'Arsène,  il  n'a  pas  eu  le  moindre  rapport  avec  Waldrade.  En 
terminant,  Lothaire  demande  au  pape  de  ne  plus  lui  envoyer 
ses  lettres  par  l'intermédiaire  d'un  tiers  et  comme  un  appendice 
à  d'autres  lettres,  car,  après  Dieu  et  les  saints,  il  ne  reconnaît 
d'autre  supérieur  que  le  pape  2. 

De  toutes  les  lettres  que  l'épiscopat  lorrain  écrivit  alors  en 
cette  affaire,  nous  n'avons  plus  que  celle  d'Advence  3.  Elle  nous 
apprend  que  Lothaire  avait  repris  depuis  peu,  extérieurement 
du  moins,  Theutberge,  la  faisait  dîner  quelquefois  à  sa  table  et 
s'en  faisait  accompagner  aux  processions  solennelles.  Advence 
pouvait  présumer  que  Lothaire  se  conduisait  en  tout  comme  un 
mari  vis-à-vis  de  Theutberge  :  il  n'ose  cependant  soutenir  un 
pareil  mensonge,  et  essaie  d'attendrir  le  pape  en  lui  dépeignant 
les  terribles   douleurs   que  lui   cause  la   goutte  4.  Dans  une  lettre 


1.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  296-297. 

2.  Bôhmer-Mùhlbacher,  n.  1281;  Baronius.  Annales,  édit.  Lucques,  t.  xv, 
p.  67;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  832  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  301-302. 
On  ignore  si  l'ambassade  à  Rome  annoncée  dans  cette  lettre  eut  Hou;  quant  au 
\  oj  âge  de  Lothaire,  il  fallut  y  renoncer  à  la  suite  d'une  expédition  des  .Normands, 
Ann.  Berlin.,  ad  ann.  867,  p.  87  ;  Advence,  Epist.  ad  Nicolaum,  dans  Baronius, 
Annales,  t.  xv,  p.  64.  (H.  L.) 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  866,  n.  29  ;  Damberger,  Synchron.  Gesch.,  t.  m, 
Kritikheft,  p.  218,  suppose  arbitrairement  que  cette  lettre  avait  été  extorquée 
par  Grimland,  chancelier  de  Lothaire,  à  Advence,  déjà  à  son  lit  de    mort. 

4.  Baronius,  Ann.,  t.  xv,  p.  64-65;  Lapôtre,    Hadrien  II  et  les  fausses    décré- 


372  LIVRE     XXIII 

peut-être  un  peu  plus  récente  mais  écrite  certainement  en  867 , 
Lothaire,  après  de  flatteuses  paroles  pour  le  pape,  exprime  son 
désir  de  se  rendre  bientôt  à  Rome  et  la  joie  qu'il  aura  de 
refouler,  avec  son  frère  l'empereur,  les  invasions  des  Sarrasins 
dans  l'État  de  l'Église1.  Mais  Nicolas  ne  prit  pas  le  change  :  il 
comprit  que  la  réconciliation  de  Lothaire  avec  Theutberge  n'était 
qu'une  feinte  ;  il  sut  qu'elle  n'avait  aucune  liberté,  pas  même 
les  moyens  de  faire  le  bien,  tandis  que  Waklrade  jouissait  de  la 
plus  grande  influence  et  que  toutes  les  grâces  s'obtenaient  par  [305] 
son  entremise.  Nicolas  se  plaignit  de  cet  état  de  choses  dans  sa 
lettre  du  29  octobre  867  à  Louis  le  Germanique  2  ;  après  l'a- 
voir remercié  de  tous  ses  efforts  pour  ramener  Lothaire  à  de 
meilleurs  sentiments,  il  ajoute  que  toutes  les  promesses  du 
roi  de  Lorraine  étaient  restées  sans  effet.  D'ailleurs,  ce  n'est 
pas  la  première  fois  que  Lothaire  promet  sans  tenir  ;  il  vient 
encore  d'annoncer  son  intention  de  venir  à  Rome,  le  pape  le  lui 
a  défendu,  comme  précédemment,  car,  tant  qu'il  ne  se  sera  pas 
soumis  à  tout  ce  qu'on  demandait  de  lui,  Lothaire  ne  sera  pas 
reçu  à  Rome  d'une  manière  digne  de  son  rang.  Il  ne  suffit  pas 
que  Theutberge  réside  auprès  de  son  mari,  s'il  la  traite  en  étran- 
gère; il  ne  suffit  pas  non  plus  que  Waldrade  soit  au  loin  si  elle 
garde  sur  Lothaire  plus  d'influence  que  sa  femme  légitime.  Le 
pape  s'est  entendu  avec  les  ambassadeurs  de  Louis  pour  faire 
percevoir  par  des  employés  spéciaux  les  redevances  dues  par 
l'Empire  à  l'Église  romaine,  et  qui  sont  en  retard  de  plusieurs 
années.  Arsène  en  avait  reçu  une  partie,  mais  il  ne  les  avait 
pas  fait  parvenir  3. 

Dans  sa  lettre  au  pape,  Lothaire  disait  que,  s'il  ne  pouvait 
pas  se  rendre  lui-même  à  Rome,  il  enverrait  des  ambassadeurs, 
parmi  lesquels  Thieutgaud  (on  se  rappelle  qu'il  était  moins  com- 
promis que  Gunther)  et  Atton,  évêque  de  Verdun.  Atton  voulait 
par  là  regagner  les  bonnes  grâces  du  pape  ;  on  poursuivait 
aussi  la    réintégration    de    Thieutgaud    et    de    Gunther  ;    en   fait, 


talcs,  dans  lu  Revue  des  quest.  hist.,  l.  xxvn,  |>.  388,  n.  G,  pense  qu'Advence  a 
pris  le  change  de  bonne  foi  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  303,  estime  que  l'évêque  de 
Metz  n'était  pas  de  ceux  qui  se  font  scrupule  d'altérer  la  vérité.  (H.  L.) 

1.  Baronius,  Ann.,  ad  ann.  867,  n.  121. 

2.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  304-  305.  (H.  L.) 

3.  Jafîé-Ewald,  n.  2884,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1174-1179.  (H.  L.) 


473.     LA    QUESTION     DU     MARIAGE     DE      LOTHAIRE  373 

tous  deux  étaient  restés  en  possession  de  leurs  sièges,  et  non 
seulement  Lothaire,  mais  Louis  le  Germanique  et  ses  évêques 
adressèrent  à  Rome  de  vives  instances  en  leur  faveur.  Le  pape 
Nicolas  répondit  par  un  refus  formel  (lettres  des  30  et  31  octo- 
bre 867).  Il  consentait  à  leur  laisser  leurs  bénéfices  s'ils  faisaient 
pénitence  pour  leurs  fautes,  mais  il  leur  fallait  renoncer  sans 
espoir  à  l'exercice  de  leurs  fonctions  sacerdotales  1.  Les  deux 
lettres  2  blâment  sévèrement  ceux  qui  intercèdent  pour  les  deux 
archevêques  déposés,  dont  le  pape  énumère  les  fautes  dans  sa 
[306]   ettre  adressée  aux  évêques  allemands. 

D'après  cette  lettre  Gùnther  et  Thieutgaud  n'étaient  pas 
encore  allés  à  Rome.  Toutefois  ils  ne  durent  pas  tarder  à  y  arri- 
ver, vers  les  derniers  jours  de  la  vie  du  pape  Nicolas,  ou  aussi- 
tôt après  sa  mort  (13  novembre  867)  3  ;  car  le  14  décembre  867, 
fête  de  la  consécration  du  nouveau  pape  Hadrien  II,  ce  der- 
nier donna  à  Thieutgaud  la  sainte  Eucharistie  4.  Hincmar 
raconte  que  l'ancien  légat  Arsène,  connu  pour  son  avarice,  leur 
avait  fait  espérer  leur  grâce  moyennant  une  somme  d'argent, 
et  les  avait  ainsi  décidés  au  voyage  de  Rome  5. 

L'empereur  Louis  II  s'employa  aussi  certainement  en  faveur 
des  deux  archevêques  qui  s'étaient  si  fort  compromis  pour  faire 
leur  cour  à  son  frère  Lothaire  ;  c'est  peut  être  pour  eux  qu'il 
tint  un  concile  à  Pavie  (Ticinum).  Les  actes  de  cette  assem- 
blée 6  y  signalent  la  présence  de  Gûnther  de  Cologne  venu  à 
cette  fin  de   Rome    avec    la    permission    du    pape.   Il  exposa  son 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  331,  333;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  284,  286. 
La  lettre  du  pape  aux  évêques  de  Germanie  a  été  éditée  par  Floss,  d'après 
un  manuscrit  de  Trêves.  Cf.  Leonis  VIII  Privilegium,  p.  37.  Damberger,  op.  cit., 
p.  222,  met  aussi  en  doute  ce  document. 

2.  Jafîé-Ewald,  n.  2885,  2886,  P.  L.,  t.  exix,  col.  1161-1162,  1163-1174  ; 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  304-305.  (H.  L.) 

3.  Sur  la  date  de  la  mort  de  Nicolas  Ier  cf.  Jafîé-Ewald,  Reg.  pontif.  rom.,t.  i, 
p.  367.  (H.  L.) 

4.  Sur  ce  changement  de  pontificat  et  le  changement  de  politique  qui  en  fut  la 
suite,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  306  et  notes  1,2  ;  A.  Lapôtre,  Hadrien  II  et  les 
fausses  décrétâtes,  dans  la  Reçue  des  quest.  historiques,  1880,  t.  xxvn,  p.  395-396. 

5.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  306.  (H.  L.) 

6.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  759;  Hartzheim,  Conc.  Germanise,  t.  n,  p.  327;  Bin- 
terim,  Deutsche  Conciliai,  t.  ni,  p.  127.  [Sur  ce  concile  voir  la  note  au  début  du 
§472.  (H.  L.)] 


374  LIVRE    XXIII 

affaire  et  celle  de  Thieutgaud,  à  l'assemblée  qui  rédigea  quelques 
capitula,  pour  prouver  que,  dans  des  cas  semblables,  les  papes 
avaient  jadis  usé  de  clémence.  Ces  capitula  furent  adressés  au 
pape  Nicolas  avec  une  lettre  synodale,  et  figurent  encore  dans 
les  actes  appelés  «  actes  de  Pavie  ».  Muratori  a  édité  le  discours 
de  l'un  des  évêques  présents  qui  se  prononçait  contre  la  réinté- 
gration des  deux   métropolitains   l.      Les    raisons   suivantes   nous 


1.   Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  890.  Le  concile  de  Pavie  a  eu  lieu  en  février  865  ; 
nous  avons  expliqué  plus  haut  la  raison  de  l'erreur  dans  laquelle  tombe  ici  Hefele. 
Muratori,  Rerum  Italicarum  scriptores,  t.  n,  part.  2,  p.  133,  d'après  le  ms.  de  la 
bibliothèque  ambrosienne  G.  68  Sup.  (=  olim  D.  76),  publia  le  discours  dont  il  ne 
sut  pas  déterminer  la  place  chronologique  dans  l'ensemble,  d'ailleurs  si  compli- 
qué, de  la  documentation  conciliaire  relative  au  divorce  de  Lothaire.  Muratori 
imagina  un  concile  tenu  en  864  sous  Nicolas,  soustrayant  ainsi  à  la  place  la  plus 
obscure  et  la  plus  difficile  des  négociations,  sous  le  pontificat  d'Hadrien  II,  un 
document  important.  Hefele  ne  fut  pas  mieux  inspiré  quand  il  mit  en  doute  l'au- 
thenticité de  cette  pièce  qu'il  supposait  donnée  par  Muratori  comme  se  ratta- 
chant aux  actes  d'un  concile  de  Pavie,  de  866.  Dès  lors,  il  a  beau  jeu  de  découvrir 
une  opposition  entre  les  actes  et  le  discours  et  de  soulever  des  objections  qu'il  a 
fait  naître  lui-même.  Le  discours  ne  pouvait  cependant  qu'être  rapporté  à  une 
seule  date,  celle  de  869,  qu'adopta  d'ailleurs  Mansi,  lorsqu'il  réimprima  dans  sa 
Conc.  ampliss.  coll.,  le  texte  de  Muratori   (dans  le  Supplementum,  t.  i,  col.   1005- 
1012  et  dans  Y Amplissima,  t.  xv,  col.  890).   L'honnête  Mansi,  dont  on  a  ditpis 
que  pendre,  avait  une  fois  de  plus  vu  clair  et  H.   Pertz,   Monumenta  Germanise 
historica,  Scriptores,  t.  i,  p.  463,  n.  43,  faute   d'avoir   connu   sa   démonstration, 
revint  à  l'erreur  de  Muratori.  Mansi  eut  le  tort  de  ne  pas  s'en  tenir  là,  il  proposa 
de  faire  prononcer  le  discours  de  869  dans  un  concile  qui  aurait  été  tenu  au  Mont- 
Cassin  à  l'occasion  de  la  rencontre  du  pape  et  du  roi  Lothaire,  Mansi,  Supplem., 
t.  i,  col.  1005  :  Oratio  anonymi  cujuspiam  episcopi  habita  in  synodo  romana  anno 
Christi  DCCCLXIV.  Le  document  n'était  pas  au  bout  de  ses  aventures.  Ph.  Jaffc 
proposa   de  faire   prononcer  le   discours  non  par   un  simple   évêque,  mais  par 
le  pape  Hadrien  II  en  personne.  Regest.  pont,  roman.,  p.  257;  Dûmmler,  Geschi- 
chte  des  ostfrànkischen  Reichs,  Berlin,  1862,  t.  i,  p.  678,  n.  51,   adopta  la  conjec- 
ture qui  prit  un  air  historique  bien  incontestable,  ainsi  que  le  concile  du  Mont- 
Cassin  qu'accueillait  également  Damberger,  Synchronistische  Geschichte  der  Kirche 
und  der  Welt  im  Mittelalter,   t.  m,  p.  550.  En  1872,  Fr.  Maassen  fit  entrer  le  dis- 
cours dans  une  pièce  nouvelle  :  Eine  Rede  des  Papsles  Hadrien  II  vom  Jahre  869, 
die  erste  umjassende  Benutzung  der  falschen  Decretalen  zur  Begrùndung  der  Macht- 
fùlle  des  rômischen  Stuhles,  dans  Sitzungsberichte  d.  Akad.  der  Wissenschaften. 
Philos.-hist.  Klasse  zu  Wien,  1872,  t.   cxxn,  p.  521-554.  Le    document    avait 
été  édité  incomplètement  par  Muratori,  un  fragment  considérable,  comme  éten- 
due et  comme  importance,  était  demeuré  dans  le  manuscrit  où  personne  n'avait 
eu  l'idée  d'aller  le  chercher.  Dans  cette  seconde  partie  l'auteur  s'efforçait  d'établir 
les  prérogatives  du  siège  apostolique   faisant  reposer   toute  son  argumentation 


473.     LA    QUESTION     DU     MARIAGE     DE      LOTHAIRE  375 

inclineraient  néanmoins  à  mettre  en  doute  l'authenticité  de  ces 
pièces,  a)  D'après  ces  documents,  le  synode  aurait  eu  lieu  pen- 
dant le  carême  de   866  ;  or   Gùnther  et  Thieutgaud  n'arrivèrent 

sur  les  autorités  fournies  par  le  faux  Isidore  dans  les  Déerétales  de  ce  faussaire. 
Plus  de  trente  textes,  empruntés  à  dix-sept  papes,  y  figuraient  disposés  dans  le 
même  ordre  que  dans  la  collection  apocryphe  et  se  terminaient  par  un  extrait  de 
la  préface  d'Isidore  Mercator.  Voici  le  détail  de  ces  emprunts:  Damase,  Epist. 
ad  Aurelium  (Hinschius,  Décrétâtes  pseudo-isidoriatise  et  capitula  Angilrami, 
in-8,  Lipsiae,  1863,  p.  21)  ;  Clément,  Epist.  I  ad  Jacobum,  c.  n  (Hinschius,  op.  cit., 
p.  31),  c.  xxvii.  xxviii,  xxix  (p.  39)  ;  Epist.,  n,  c.  xlv  (p.  46,  47)  ;  Anaclet, 
Epist.  ad  omnes  episcopos,  c.  xvn  (p.  74);  Epist.  ad  episc.  ital.,  c.  xxiv  (p.  79)  ; 
c.  xxvi  (p.  79,  80)  ;  ad  omnes  episc.  et  sacerd.,  c.  xxviii  (p.  82)  ;  c.  xxix.  xxx,  xxi, 
xxxn  (p.  82,  83)  ;  Alexandre,  Epist.  ad  univers,  orthod.,  c.  iv  (p.  95)  ;  Sixte,  Epist. 
ad  Univ.  Eccl.,  c.  v,  (p.  108)  ;  Anicet,  Epist.  ad  episc.  GalL,  c.  iv  (p.  121)  ;  Zéphyrin, 
Epist.  ad  episc.  Sicilise,  c.  n  (p.  131)  ;  c.  vu  (p.  132)  ;  Calliste,  Epist.  ad  Benedic- 
lum.  c.  vi  (p.  137);  Fabien,  Epist.  ad  Hilarium,  c.  xxix  (p.  168);  Etienne,  Epist. 
ad  omnes  episc,  c.  ix  (p.  185)  ;  Sixte  II,  Epist.  ad  Gratum,  c.  n  (p.  190)  ;  Denys, 
Epist.  ad  Severum,  c.  u  (p.  195);  Marcel,  Epist.  ad  episc.  Antioch.,  c.  n  (p.  224); 
Epist.  ad  Maxentium,  c.  x  (p.  118);  Marcellin,  Epist.  ad  episc.  Orientis,  c.  iv 
(p.  222-223);  cette  décrétale  est  attribuée  à  Marcel,  comme  dans  le  ms.  de  Saint- 
Gall;  Melchiade,  Epist.  ad  episc,  c.  n,  m  (p.  243)  ;  Jules,  Epist.  ad  univ.  Orient., 
c.  v,  vi  (p.  459)  ;  c.  vin  (p.  460)  ;  Epist.  ad  Eusebium,  etc.  (p.  465),  c.  xin  (p.  471)  ; 
c.  xv  (p.  472)  ;  Athanase,  Epist.  ad  Felicem  papam,  c.  i.  n  (p.  479)  ;  c.  iv  (p.  480)  ; 
Félix,  Epist.  ad  Anastasium,  c.  xn  (p.  487);  c.  xiv,  (p.  489);  Damase,  Epist., 
ad  Stephanum,  c.  vin  (p.  502,  503);  c.  xvm  (p.  505);  c.  xx  (p.  506);  Prsefatio 
Isidori  Mercatoris,  c.  vm  (p. 19).  F.  Maassen  concluait  avec  vraisemblance  (p.  13) 
de  l'examen  des  citations  et  des  leçons  adoptées,  que  l'orateur  de  869  a  fait  usa- 
ge d'un  exemplaire  reproduisant  la  collection  sous  la  forme  abrégée  et  plus 
récente,  dont  les  mss.  de  Saint-Gall  670,  deBamberg  647,  de  Darmstadt  114  sont 
les  meilleurs  représentants.  (Hinschius,  op.  cit.,  p.  xli  sq.  Déjà  Hinschius  (op.  cit., 
c.  lviii)  avait  établi  que  le  pape  Nicolas  Ier  avait  eu  sous  les  yeux  un  exem- 
plaire de  ce  genre.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  avait  désormais,  semble-t-il,  la  preuve 
que,  dès  leur  apparition,  les  fausses  décrétâtes  avaient  été  impudemment  exploitées 
par  les  papes;  théorie  que  paraissaient  néanmoins  avoir  réfutée  d'avance  le  livre 
d'Hinschius  déjà  cité  et  le  P.  De  Smedt  dans  son  travail  sur  Les  fausses  décré- 
tâtes, V épiscopat  franc  et  la  cour  de  Rome  du  ixe  au  xie  siècle,  dans  les  Études 
religieuses,  1870,  IVe  série,  t.  vi,  p.  77-101.  Or,  il  ne  s'agissait  plus  cette  fois 
comme  dans  la  correspondance  de  Nicolas  Ier  de  deux  ou  trois  propositions  plus  ou 
moins  appuyées  sur  le  recueil  des  fausses  déerétales  (Epist.,  xxxm,  P.  L.,  t.  exix, 
col.  824,  epist.,  lxxv,  Sermo  de  Rothado,  col.  891  ;  cf.  Hinschius,  op.  cit., 
p.  ccv-ccvm;  De  Smedt,  op.  cit.,  p.  14-18),  ni  comme  dans  la  lettre  d'Hadrien  II 
au  concile  de  Douzy  (Epist. .  xxxvm,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1313),  d'une  citation  ex- 
plicite mais  sans  portée.  Maassen  s'efforça  donc,  pour  assurer  au  document  toute  sa 
saveur,  de  démontrer  qu'il  se  rapportait  à  un  concile  tenu  au  Mont-Cassin  vers  le 
1er  janvier  869  et  que  l'orateur  ne  pouvait  être  que  le  pape  Hadrien  II.  M.  Hinily 
rendit  compte  du   mémoire  dans    la   Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,   1878^ 


376  LIVRE     XXIII 

à  Rome  qu'à  la  fin  de  867.  b)  Abstraction  faite  de  cette  diffi- 
culté et  négligeant  cette  indication  chronologique  des  actes 
«carême  de  866»,  une  autre  objection  se  présente.  Si  Gùnther 
et  Thieutgaud  sont  arrivés  à  Rome  du  vivant  du  pape  Nico- 
las Ier,  ils  n'ont  pu  dans  tous  les  cas  y  arriver  que  dans  le  court 
intervalle  écoulé  entre  la  date  des  lettres  signalées  plus  haut  (30  [30 /] 
octobre)  et  la  mort  du  pape  survenue  treize  jours  plus  tard.  Or, 
c'est  un  intervalle  trop  court  pour  placer  les  événements  rappor- 
tés par  les  actes  du  concile.  Le  pape  aurait  permis  à  Gùnther  de 
prendre  part  à  l'assemblée,  Gùnther  serait  allé  de  Rome  à  Pavie, 
aurait  exposé  sa  cause  au  concile  qui  en  aurait  délibéré,  aurait 
décrété  les  canons  et  envoyé  au  pape  des  lettres  synodales. 
Comprend-on  que  tout  cela  ait  pu  tenir  entre  le  1er  et  le  13  no- 
vembre ?  c)  A  supposer  qu'on  passât  par-dessus  cette  impossi- 
bilité, nous  ne  saurions  admettre  que  Nicolas  ait  permis  à  Gùn- 
ther de  s'adresser  au  concile  de  Pavie.  Le  pape  aurait  ainsi 
rouvert  la  procédure  après  que  le  Saint-Siège  avait  rendu  sa 
décision,  oubliant  que  peu  de  jours  auparavant  (30  et  31 
octobre),  il  avait    renouvelé     une     sentence    formelle    contre  les 

t.  xxxix,  p.  501-502,  avec  une  pointe  de  scepticisme  ;  en  1880,  le  P.  Lapôtre, 
Hadrien  II  et  les  fausses  décrétales,  dans  la  Revue  des  quest.  histor.,  t.  xxvii, 
p.  377-431,  démontre  que  l'attribution  à  Hadrien  était  erronée  et  le  concile  du 
Mont-Cassin  entièrement  fictif;  il  a  même  pu  retrouver  l'orateur  et  le  concile 
qui  avaient  si  longtemps  échappé  à  tous.  Ses  conclusions  ont  été  adoptées  par 
H.  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  371,  et  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  320  et  note  3.  H.  Schrôrs, 
Eine  vermutliche  Konzilsrede  des  Papsts  Hadrien  II,  dans  Historisches 
Jahrbuch,  1901,  t.  xxn,  p.  28-36,  257-275.  Au  contraire,  Jafïé-Ewald,  Regest. 
ponlif.  roman.,  p.  371;  Mûhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  505-506;  et  Deutschlands 
Kirchengeschichte,  p.  462,  ainsi  que  Dummler,  Geschichle  des  ostfrànkischen 
Reichs,  2e  édit.,  in-8,  Leipzig,  1887-1888,  t.  h,  p.  238,  note  1,  rejettent  la  dé- 
monstration du  P.  Lapôtre  pour  se  rallier  à  l'opinion  de  leur  compatriote 
Maassen,  sans  essayer,  et  pour  cause,  de  réfuter  les  arguments  du  P.  La- 
pôtre. La  seule  concession  que  fasse  Jafïé-Ewald,  c'est  que  le  pape  n'a  pas 
parlé  dans  un  concile  du  Mont-Cassin.  Rocquain,  La  papauté  au  moyen  âge,  p.  47, 
note  2,  suivi  par  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  344,  n.  150,  observe  que  la  «  seconde  partie 
du  discours  paraîl  offrir  tous  les  caractères  d'une  addition  faite  après  coup.  Elle 
n'a  aucun  lien  avec  la  première  ;  la  transition  de  l'une  à  l'autre  est  des 
plus  maladroites.  D'ailleurs  cette  première  partie  présente  un  ensemble  complet 
et  parfaitement  défini,  et  il  y  a  en  outre  ceci  de  remarquable  que,  dans  celle-ci, 
l'orateur  s'appuie  sur  des  textes  qui  sont  tous  authentiques,  tandis  que  dans 
l'autre  il  ne  cite  que  des  textes  apocryphes.»  Ajoutons  que  ce  manuscrit  date, 
selon  F.  Maassen,  du  xe  siècle,  et,  selon  M.  Bethmann,  du  xie,  d'où  l'on  pour- 
rait conclure  que  l'addition  a  été  faite  à  l'une  ou  à  l'autre  époque.  (H.  L.) 


173.     LA    QUESTION     DU     MARIAGE     DE      LOTHAIRE  377 

deux  archevêques,  d)  De  nouvelles  difficultés  naissent  du  dis- 
cours édité  par  Muratori,  et  qui  aurait  été  prononcé  par  l'un 
des  membres  du  concile  de  Pavie.  <>n  y  lit  la  phrase  suivan- 
te :  Thietberga  regina  olirn  ad  hanc  Sedem  apostolicam  venisse 
perhibetur.  Or  il  est  certain,  nous  le  verrons  plus  loin,  que 
Theutberge  n'est  venue  à  Rome  que  sous  le  pape  Hadrien  II. 
On  serait  amené  par  là  à  retarder  discours  et  synode  jusqu'aux 
premières  années  du  règne  d'Hadrien  II,  par  exemple  dans  le 
carême  de  868  ou  de  869,  ainsi  que  l'a  fait  Mansi  *.  Mais  cette 
solution  est  deux  fois  inacceptable,  car  les  actes  synodaux 
mentionnent  expressément  le  pape  Nicolas,  et  Zacharie,  évêque 
d'Anagni,  figure  au  synode  comme  excommunié  (à  cause  de  sa 
déplorable  conduite  à  Constantinople),  tandis  que  ce  personnage 
fut  reçu  dans  la  communion  de  l'Eglise  le  14  décembre  867,  au 
jour  de  la  consécration  du  pape  Hadrien.  Il  en  résulte  que  les 
actes  de  Pavie  sont  en  opposition  avec  l'histoire,  et  en  particu- 
lier, que  le  discours  se  contredit  lui-même.  Hartzheim  et  d'autres 
historiens  sont  tombés  dans  une  grave  erreur,  en  soutenant  que 
l'epist.  lxviii  du  pape  Nicolas  ad  episcopos  in  regno  Ludovici  consti- 
tuas était  une  réponse  à  la  lettre  de  Pavie  2  ;  en  réalité  elle 
était  adressée  aux  évêques  du  royaume  de  Louis  le  Germanique  et 
non  à  ceux  de  l'empereur  Louis  II. 
f3081  ^n  raPPorte  que,  dans  les  derniers  jours  de  sa  vie,  le  pape  Nicolas 
lança  enfin  contre  Lothaire  l'excommunication  dont  il  l'avait 
si  souvent  menacé.  Fleury  et  d'autres  historiens  tirent  cette  con- 
clusion d'une  lettre  où  le  pape  demande  à  Charles  le  Chauve 
de  s'entendre  avec  le  roi  Louis,  pour  obtenir  de  Lothaire  resti- 
tution à  sa  sœur  Helletrude  de  ce  qu'il  lui  avait  pris.  «  Nous 
ne  pouvons,  continue  le  pape,  nous  adresser  à  Lothaire  lui- 
même,  parce  que,  à  cause  de  ses  méfaits,  nous  le  tenons  pour 
excommunié  (excommunicatum  habemus)  4.  »  Néanmoins,  comme 
il  n'existe  pas  trace  d'une  excommunication  formelle  de  Lothaire. 
Nicolas  voulait  probablement  dire  qu'il  avait  cessé  toute  com- 
munication    avec    Lothaire.    C'était    en   effet  le  meilleur    parti  à 

1.  Mansi,  "/>.  cit.,  i.  xv,  col.  890.  Dûmmler,  Geschichie  des  ostfrànk.  Reichs, 
1862,  t.  i,  p.  579,  note  46,  place  aussi  ce  document  en  869  et  se  prononce  pour 
l'authenticité  des  actes  de  Pavie.  sans  tenir  compte  des  motifs  qui  s'y  opposent. 
[Voir  p.  .'!7'l  note,  1.] 

2.  Hartzheim,  op.  cit.,  t.  n,  p.  334. 

3.  Mansi,  «/».  cit.,  t.  xv.  col.  387  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  340. 


378  livre  xxm 

prendre  pour  déjouer  des  intrigues  sans  cesse  renaissantes. 
Jaffé  1  place  à  tort  cette  lettre  en  866  ;  nous  avons  vu  plus 
haut  qu'en  janvier  867  le  pape  Nicolas  continuait  à  corres- 
pondre avec  Lothaire  2. 

Cette  longue  affaire  du  mariage  de  Lothaire  ne  se  termina  que 
sous  le  successeur  de  Nicolas,  le  pape  Hadrien,  solennellement 
sacré  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  le  14  décembre  867,  un  mois 
après  la  mort  de  son  prédécesseur.  Hadrien  était  aimé  de 
tous  ;  on  racontait,  ce  qui  prouve  la  vénération  dont  il  jouissait, 
que  l'argent  destiné  aux  aumônes  s'était  miraculeusement  mul- 
tiplié entre  ses  mains  3.  Il  avait  par  deux  fois  refusé  le  souverain 
pontificat,  à  la  mort  de  Léon  IV  et  de  Benoît  III  ;  mais  les  prières 
du  peuple  et  du  clergé  triomphèrent  enfin  de  son  obstination,  et 
il  dut  accepter,  à  l'âge  de  soixante-seize  ans,  le  lourd  fardeau  de  la 
charge  suprême.  Le  jour  de  sa  consécration,  dans  le  premier  office 
qu'il  célébra,  il  donna  la  communion  aux  évêques  Thieutgaud 
de   Trêves   et   Zacharie     d'Anagni,   ainsi     qu'au     cardinal-prêtre 


1.  Jafïé,  Reg.  pont,  rom.,  lre  éd.,  p.  250. 

2.  Dùmmler,  p.  613,  note  68,  conteste  cette  rectification  chronologique  et  se 
range  à  l'avis  de  Jafïé,  faisant  remarquer  qu'avant  cette  lettre  du  pape,  en 
janvier  867,  on  constate  une  interruption  dans  la  série  des  lettres  adressées 
par  le  pape  au  roi  Lothaire.  En  effet  il  y  eut  interruption,  mais  non  rupture 
complète. 

3.  Hadrien  II  était  prêtre  du  titre  de  Saint-Marc,  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  867, 
p.  90;  Liber  ponlificalis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  173  sq.,  il  n'avait  ni  la  hauteur  de 
vues,  ni  l'énergie,  ni  la  raideur  de  formes  de  son  prédécesseur.  Il  est  possible  que 
son  élection  soit  due  à  l'opposition  que  le  caractère  du  défunt  pape  n'avait  pu 
manquer  de  créer  et  de  constituer  en  parti.  Noorden,  Hinkmar,  p.  237,  croit  que 
l'élection  fut  faite  sous  l'influence  de  Louis  le  Germanique.  Lapôtre,  op.  cit., 
t.  xxvn,  p.  396,  estime  que  le  nouveau  pape  fut  soutenu  par  le  parti  impérial. 
On  craignit  un  instant  parmi  les  tenants  de  l'ancien  pontificat  que  le  nouveau 
pape  allât  jusqu'à  casser  les  décisions  antérieures,  voir  par  exemple  une 
lettre  d'Anastase  à  Adon  de  Vienne,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  453-454, 
et  une  lettre  d'Hadrien  II  au  même  Adon,  le  8  février  868.  Jaffé-Ewald,  op.  cit., 
n.  2907,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1274-1276.  En  réalité,  le  nouveau  pape  se  borna 
à  des  concessions  peu  importantes,  mais  qui  ne  laissaient  pas  d'en  faire  appré- 
hender de  plus  graves.  Le  nouveau  règne  avait  un  aspect  de  réaction  auquel  on 
ne  pouvait  se  tromper.  Hefele,  Conciliengeschichte,  t.  iv,  p.  306,  semble  ne  voir 
qu'une  coïncidence  dans  l'arrivée  de  Gùnther  et  Thieutgaud  à  Rome  dans  les 
jours  qui  précédèrent  ou  qui  suivirent  immédiatement  la  mort  du  pape;  Dùmm- 
ler, op.  cit.,  t.  ii,  p.  224,  n.  1,  suppose  que  les  deux  archevêques  y  avaient  été 
appelés  par  Arsène,  en  prévision  de  la  mort  de  Nicolas.  (H.  L.) 


473.     LA.    QUESTION    DU    MARIAGE     DE      LOTHAIRE  379 

Anastase  l,  qui  avait  été  réduit  à  la  communion  laïque. 
Néanmoins,  il  ne  les  admit  qu'au  rang  des  prêtres.  D'après  le 
Liber  pontificalis,  ils  avaient  accompli  ou  promis  d'accomplir  une 
pénitence  suffisante  2  ;  mais,  conformément  à  la  décision  du  pape 
Nicolas,  Thieutgaud  ne  put  recouvrer  son  évêché;  il  dut  se  rési- 
[309]  gner,  malgré  d'abondantes  largesses  (dont  Arsène  avait  eu  sa  part), 
à  vivre  comme  hôte  et  d'une  façon  assez  précaire  dans  le  monastère 
de  Saint-Grégoire  ad  clivum  Scauri,  jusqu'à  ce  qu'un  rêve,  dans 
lequel  il  avait  vu  saint  Grégoire,  l'en  eût  fait  chasser.  Il  mourut 
la  même  année,  868,  dans  le  pays  des  Sabins.  Quant  à  Giinther, 
plus  gravement  compromis,  il  ne  put  être  admis  à  la  commu- 
nion 3. 

L'accueil  du  nouveau  pape  à  Thieutgaud  et  à  Zacharie  le  montrait 
animé  d'un  esprit  de  conciliation.  Lothaire  crut  donc  opportun 
de  lui  écrire  4.  Après  avoir  rendu  hommage  aux  grandes  qua- 
lités du  feu  pape,  le  roi  déplore  qu'il  ait  accordé  tant  de  créance 
à  ses  ennemis.  Il  a  surtout  souffert  de  ne  pouvoir  se  rendre 
personnellement  près  de  ce  Saint-Siège  que  ses  aïeux  avaient 
tant  de  fois  défendu  ;  aussi  désire-t-il  maintenant,  plus  que 
jamais,  voir  le  nouveau  pape,  lui  parler  et  recevoir  sa  bénédiction  5. 
— Hadrien  répondit  :  «  Le  Siège  de  Pierre  est  toujours  disposé 
à  répondre  dignement  aux  avances  qui  lui  sont  faites.  Si  Lothaire 
se  sent  innocent  de  ce  qu'on  lui  impute,  qu'il  vienne  avec  pleine 

1.  Voir  §  457. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  867,  n.  147. 

3.  Bertiniani,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  476;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  868, 
n.  51  sq.  [Sur  la  lin  de  Thieutgaud,  cf.  B.  Parisot,  op.  cit.,  p.  307  et  note  3. 
(H.  L.)] 

4.  D'après  Hefele,  cette  lettre  de  Lothaire  serait  donc  antérieure  au  voyage 
imminent  de  Theutberge  à  Borne. Dùmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  227,  n.  2,  rejette  cette 
manière  de  voir,  car,  dit-il,  en  écrivant  cette  lettre  Lothaire  connaissait  la  mort  de 
Nicolas.  Il  la  savait  aussi  en  décidant  le  voyage  de  sa  femme  et  les  deux  démar- 
ches eussent  été  impossibles  avec  le  pape  défunt  ;  ainsi  donc  la  question  de  prio- 
rité de  la  lettre  ou  du  voyage  demeure  douteuse.  Mûhlbacher,  Reg.  Kar.,p.  502, 
place  en  867  la  lettre  du  pape  Hadrien  à  Lothaire  et  reporte  en  868,  après  l'abso- 
jution  de  Waldrade,  prononcée  en  février,  la  lettre  dont  il  est  ici  question. 
B. Parisot,  op.  cit.,  p.  309,  note  1,  place  la  présente  lettre  en  décembre  867  ou  jan- 
vier 868.  (H.  L.) 

5.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  867,  n.  150;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  700; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  831.  Dummler,  op.  cit.,  p.  667,  note  13,  fait  remarquer 
que  cette  lettre  a  dû  être  écrite  après  le  voyage  de  Theutberge  à  Borne  :  c'est 
douteux. 


380  LIVRE     XXIII 

confiance  visiter  le  Saint-Siège  et  en  recevoir  les  bénédictions  ; 
s'il  se  reconnaît  coupable,  qu'il  vienne  néanmoins  recevoir  la 
pénitence  méritée  x.  » 

Ces  derniers  mots  prouvent  qu'Hadrien  ne  dévia  pas  pour  le 
fond  des  principes  de  son  prédécesseur,  qui  n'étaient  que  les  prin- 
cipes du  droit  canon  et  du  Siège  romain  en  tout  temps  ;  mais 
voulant  les  faire  prévaloir  par  des  moyens  plus  doux,  il  permit 
à  ceux  à  qui  Nicolas  avait  interdit  le  voyage  de  Rome,  d'y  venir 
à  des  conditions  acceptables.  Il  accusa  plus  fortement  son  adhé- 
sion à  ces  mêmes  principes,  dans  sa  seconde  lettre  à  Lothaire. 
Celui-ci,  obstiné  dans  son  plan,  avait  envoyé  à  Rome  la  malheu- 
reuse Theutberge  et  obtenu  d'elle  qu'elle  répétât  de  vive  voix  [310] 
au  pape  Hadrien  ce  qu'elle  avait  écrit  auparavant  au  pape  Nicolas  ; 
en  un  mot  qu'elle  sollicitât  la  rupture  de  leur  mariage  2.  Le  pape 
écrivit  alors  au  roi  dans  un  langage  tout  apostolique  3.  Lothaire 
devait  rejeter  les  conseils  des  méchants  et  ouvrir  l'oreille  de  son 
cœur  aux  paroles  du  successeur  de  Pierre.  Il  y  avait  deux  fautes  que 
Nicolas  n'avait  jamais  tolérées  :  la  répudiation  deTheutberge,  épou- 
se légitime,  et  le  concubinage  avec  Waldrade.  Le  pape  ne  se  serait 
pas  décidé  à  revenir  sur  cette  question,  s'il  n'avait  vu  que  Lothaire 
voulait  retourner  à  ses  anciennes  débauches  (il  sollicitait  l'éloi- 
gnement  de   Theutberge   et  le  retour  de   Waldrade),  Theutberge 


1.  Reginon,  Annales,  ad  ann.  688,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  579.  ne  donne 
qu'un  fragment  de  cette  lettre  ;  Gfrôrer,  Die  Carolinger,  t.  n,  p.  11,  pense  que  ce 
fragment  n'est  pas  une  réponse  aux  lettres  précédentes,  mais  à  une  autre  lettre 
écrite  plus  tard  au  pape  par  Lothaire. 

2.  Sur  ce  voyage:  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  867,  p.  90.  Lapôtre,  op.  cit.,  p.  416, 
n.  8,  veut  que  Theutberge  se  soit  présentée  au  pape  Hadrien  le  5  janvier. 
R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  308.  (H.  L.) 

3.  Hadrien,  Epistolse  ad  Lotharium  regem,  Jaffé-Ewald,  n.  2892,  P.  L.,  t.  cxxn, 
col.  1259-1261  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  702  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col. 
833.  D'après  Mûhlbacher,  Reg.  Kar.,  p.  502  et  Dûmmler,  op.  cit.,  t.  n, 
p.  226,  n.  2,  le  voyage  de  Theutberge  et  la  lettre  à  Lothaire  devraient  pren- 
dre place  avant  la  fin  de  867.  En  ce  cas,  la  lettre  ne  pourrait  être  que  des  der- 
niers jours  de  décembre,  car  il  est  peu  vraisemblable  que  Theutberge  ait  osé  venir 
à  Rome  avant  la  mort  de  Nicolas,  et  par  conséquent  elle  n'a  pu  arriver  qu'à 
la  fin  de  l'année.  Quant  à  la  lettre,  elle  n'a  été  remise  à  Lothaire  qu'en  janvier 
ou  février  de  l'année  868.  Sans  être  absolument  satisfaisante,  cette  réponse 
d'Hadrien  n'enlevait  pas  à  Lothaire  tout  espoir  de  réussir.  Le  concile  annoncé 
prononcerait-il  l'annulation  du  mariage  du  roi  et  de  Theutberge  ?  On  ne  pou- 
vait rien  en  savoir,  rien  en  dire,  mais  la  chance  s'ouvrait  de  nouveau.  Il  y  avait 
loin  de  cette  promesse  au  refus  catégorique  de  Nicolas.  (H.  L.) 


473.     LÀ    QUESTION     DU     MARIAGE     DE      LOTHAIRE  381 

était  venue  à  Rome  et  y  avait  été  reçue  honorablement.  Elle  avait 
demandé  elle-même  la  dissolution  de  son  mariage  avec  Lothaire, 
déclaré  ce  mariage  anticanonique  et  affirmé  qu'elle  voulait  vivre 
désormais  dans  la  continence.  Mais  il  n'avait  pu  condescendre 
à  ce  désir,  et  il  lui  avait  ordonné  de  revenir  auprès  de  son  mari. 
L'intention  du  pape  était  de  réunir  plus  tard  un  concile  à  ce  sujet  1. 
Il  conjurait  le  roi  de  traiter  Theutberge  en  légitime  épouse,  de 
l'honorer,  de  veiller  sur  elle  comme  sur  une  partie  de  lui-même. 
Néanmoins,  si,  à  cause  de  la  distance  ou  pour  des  raisons  de  santé, 
elle  ne  pouvait  parcourir  la  longue  route  de  Rome  jusqu'au  camp 
de  Lothaire,  et  si  elle  voulait  séjourner  en  un  autre  lieu,  elle  devait, 
jusqu'à  la  célébration  du  concile  projeté,  jouir  d'une  pleine  sécu- 
rité sous  la  protection  du  roi  et  disposer  du  revenu  des  abbayes 
que  le  roi  lui  avait  promises.  Quiconque  agirait  contre  ces  pres- 
criptions serait  excommunié,  fût-il  roi. 

La  lettre  d'Hadrien  à  Hincmar,  8  mars  868 2,  approuvant 
la  ligne  de  conduite  de  l'archevêque  dans  la  question  du  mariage 
de  Lothaire  et  l'engageant  à  y  persévérer,  prouve  qu'Hadrien 
ne  s'est  pas  écarté  des  principes  de  son  prédécesseur  et  du  Siège 
de  Rome.  Mais  en  même  temps,  le  pape  se  préoccupait  de 
montrer  la  plus  grande  condescendance  vis-à-vis  de  Lothaire  et 
de  son  frère  l'empereur,  qui  venaient,  sur  ces  entrefaites,  de  réu- 
nir leurs  armées  pour  combattre  ensemble  les  Sarrasins,  qu'ils  com- 
battaient déjà  séparément  depuis  longtemps,  mais  qu'ils  vou- 
laient détourner  maintenant  des  Etats  de  l'Eglise.  L'empereur 
[311]  assurant  que  Waldrade  avait  alors  une  conduite  irréprochable 
et  avait  renoncé  à  ses  prétentions,  Hadrien  se  décida  (février 
868),  sur  les  instantes  prières  de  l'empereur  3,  à  relever  Waldrade 

1.  Cette  idée  de  concile  apparaît  simultanément  chez  Hadrien  et  chez  Charles 
le  Chauve;  d'après  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  303,  l'idée  première  venait  d'Hincmar 
réconcilié  avec  son  roi.  Il  s'agissait  de  réunir  ce  concile  à  Auxerre  le  1er  février  868  ; 
ce  synode  n'eut  pas  lieu.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  310.  (H.  L.) 

2.  Jaffé-Ewald,  n.  2905,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1272-1273.  Cf.  R.  Parisot,  op.  cit., 
p.  :!12.  n.  ■'..  (11.  L.) 

:!.  L'empereur  pouvait  désirer  que  son  frèreeût  l'honneur  sauf  et,  en  particu- 
lier, que  la  honte  qui  rejaillissait  sur  lui,  par  suite  de  l'anathèmc  jeté  sur  Wal- 
drade, disparût.  Mais  il  ne  pouvait  entrer*  dans  ses  vues  que  Waldrade  épousât 
Lothaire,  dont  elle  avait  eu  des  enfants,  tandis  que  la  stérilité  de  Theutberge 
lui  laissait  l'espoir  d'hériter  du  royaume  de  Lothaire.  Cette  absolution  de  Wal- 
drade était  la  cassation  d'une  des  sentences  du  pape  Nicolas.  Noorden,  Hink- 
mar,     p.    239,     pense    qu'Hadrien   n'eût    pas    cédé    sur    le    fond    du  divorce  ; 


382  LIVRE     XXIII 

de  la  sentence  d'excommunication  qui  pesait  sur  elle,  luî 
permettant  de  communiquer  avec  les  chrétiens,  à  l'exception 
du  roi  Lothaire,  de  peur  que  Satan  ne  la  fît  tomber  une  fois  de 
plus  dans  ses  embûches.  A  la  fin  du  décret  adressé  à  Waldrade,  le 
pape  rappelle  qu'il  ne  lui  servirait  de  rien  d'être  relevée  de  l'excom- 
munication devant  les  hommes,  si  Dieu  ne  lui  pardonnait  à  son 
tour,  et,  si  elle  usait  de  tromperie,  Dieu  ferait  peser  sur  elle  une 
excommunication  beaucoup  plus  terrible  1.  Le  12  février  868,  Ha- 
drien communiqua  ces  décisions  aux  évêques  des  royaumes 
francs  2,en  même  temps  qu'il  écrivait  à  Charles  le  Chauve  et  Louis 
le  Germanique,  pour  leur  interdire  de  s'emparer  du  royaume  de  leur 
neveu,  qu'ils    convoitaient   depuis   longtemps  3. 

Lorsque  Adon,  archevêque  de  Vienne,  apprit  la  sentence  du 
pape  au  sujet  de  Waldrade,  il  ne  crut  pas  devoir  cacher  un  très 
vif  mécontentement.  Mais  Hadrien  lui  exposa  avec  bienveillance 
(mai  868)  son  intention  d'achever  la  guérison  commencée  par 
son  prédécesseur.  Au  début  d'une  cure,  les  remèdes  énergiques 
sont  ordinairement  nécessaires, son  prédécesseur  les  avait  employés  ; 
maintenant  l'heure  des  lénitifs  lui  semblait  venue  4. 

Adon  était  dans  le  vrai,  en  ce  sens  qu'il  connaissait  mieux 
que  le  pape  l'effet  [désastreux]  produit  en  Lorraine  par  les  der- 
nières décisions  du  Saint-Siège.  Lothaire  se  reprit  à  espérer  d'épou- 


Lapôtre,  op.  cit.,  p.  392-401,  croit  que  le  pape  n'osait  pas  aller  aussi  loin  qu'il 
eût  voulu,  dans  la  crainte  des  clameurs  des  partisans  de  Nicolas  prêts  à  se  voiler 
la  face;  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutschlands,  t.  ri,  p.  515,  estime  que  la 
mort  seide  de  Lothaire  a  dispensé  le  pape  d'en  venir  aux  dernières  concessions. 
Hadrien,  Epistola  ad  Waldradam,  Jafîé- Ewald,  n.  2897,  P.  L.,  t.  cxxn,  col. 
1265-1266.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  311,  note  2,  croit  faux  le  raisonnement  de 
Hefele  au  début  de  la  présente  note.  «  Louis  II,  qui  n'avait  point  de  fils  et 
qui  avait  probablement  perdu  l'espoir  que  sa  femme  lui  en  donnât,  qui  d'ail- 
leurs avait  dix  ou  quinze  ans  de  plus  que  son  frère,  ne  songeait  sans  doute 
pas  à  hériter  de  cedernier.il  devait  bien  plutôt  désirer  que  Lothaire  eût  un  fils 
capable  de  lui  succéder  et  de  réunir  un  jour  sous  sa  domination  tous  les  Etats 
qu'avait  gouvernés  Lothaire  Ier.»   (H.  L.) 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  704;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  834.  Pamberçor, 
op.  cit.,  [i.  322,  n'admet  pas  l'authenticité  de  la  lettre  de  Waldrade. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  705;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  835,  [Jaffé-Evvald, 
n.  2898-2899,  2900,  aux  évêques  de  Germanie,  de  France  et  de  Lorraine.  (H.  L.)] 

3.  La  lettre  au  roi  Louis  existe  encore,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  829;  Har- 
douin, op.  cit.,  t.  v,  col.  699  ;  et  Hincmar  parle  de  celle  qui  fut  adressée  à  Charles 
dans  les  Annales    Berliniani.    Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  477. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  728;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  859. 


473.    LA    QUESTION    DU    MARIAGE    DE      LOTHAIRE  383 

ser  et  de  faire  couronner  Waldrade,  soit  qu'il  l'aimât  encore,  soit 
qu'il  songât  à  faire  héritiers  les  enfants  qu'il  en  avait  eus. 
Lothaire  chercha  d'abord  à  obtenir  de  ses  oncles  de  tolérer  les  dé- 
[312]  marches  qu'il  ferait  dans  ce  but,  et  de  n'y  pas  voir  un  cas  de  guerre. 
Louis  le  Germanique  promit,  mais  Charles  le  Chauve  se  réserva  1. 
Lothaire  comptait  tout  terminer  dans  une  entrevue  avec  le  pape  ; 
au  mois  de  juin  869,  il  se  dirigea  vers  Rome,  où  Theutberge  avait 
été  envoyée  une  seconde  fois  2.  Dès  son  arrivée  à  Ravenne,  il 
rencontra  des  messagers  et  des  lettres  de  son  frère  l'empereur, 
le  pressant  de  regagner  la  Lorraine  ;  sans  doute  l'empereur  pres- 
sentait le  danger  qui,  de  la  part  de  Charles  le  Chauve,  menaçait 
la  Lorraine,  et  prévoyait  que  ce  voyage  à  Rome  ne  tournerait 
ni  à  l'honneur  ni  au  gré  des  désirs  de  son  frère.  On  comprend 
d'ailleurs  que.  dans  son  intérêt  personnel,  l'empereur  dût  être 
opposé  aux  projets  de  Lothaire,  puisqu'il  pouvait  briguer  lui- 
même  le  royaume  de  Lorraine.  Quoi  qu'il  en  soit,  Lothaire,  ne  se 
laissant  pas  arrêter  par  ces  conseils,  continua  son  voyage  et  attei- 
gnit Bénévent,  où  son  frère  tenait  sa  cour;  il  y  gagna  à  ses  inté- 
rêts la  cupide  impératrice  Engelberge,  qu'il  combla  de  présents  3. 
Grâce  à  son  influence,  l'empereur  ménagea  une  entrevue  entre 
Lothaire    et   le    pape    au    Mont-Cassin  4.    On   détermina     le    pape 

1.  Annales  Bertiniani,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  479.  Surtout  ce  qui  s'est 
passé  entre  le  12  février  868,  absolution  de  Waldrade,  et  le  départ  de  Lothaire, 
début  de  868,  cf.  Parisot,  op.  cit.,  p.  313-315,  notamment  pour  l'entrevue  et 
l'entente  de  Lothaire  avec  Louis  le  Germanique,  et  l'entrevue  d'Attigny  avec 
Charles  le  Chauve.   (H.  L.) 

2.  «  Il  n'est  pas  facile  de  déterminer  la  date  à  laquelle  le  jeune  roi  se  mit  en 
route.  »  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  315-316.  (H.  L.) 

3.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  317.  (H.  L.) 

4.  Il  faut  enfin  aborder  cette  question  des  conciles  du  milieu  de  l'année  869, 
cf.  A.  Yerminghofî,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  641.  Dans  les  pre- 
miers jours  de  juin  869  un  concile  avait  été  tenu  à  Rome  dans  lequel  Hadrien 
avait  renouvelé  contre  Photius  les  anathèmes  portés  jadis  par  Nicolas  Ier.  Voir 
Jafîé,  Reçesta  pont,  rorn.,  p.  384  et  plus  loin  §  485.  Un  autre  concile  se  tint  au 
mois  de  juillet.  Damberger,  Synchronislische  Gescliichte  der  Kirche  und  der  Welt 
im  Mittelalter,  in-8,  Regensburç,  1851,  t.  tu.  p.  550.  ;i  contribué  à  embrouiller 
la  question  déjà  suffisamment  obscure  en  croyant  découvrir,  dans  le  discours 
anonyme  trouvé  par  Muratori,  l'indice  d'une  amnistie  générale  s'étendant  à 
tous  les  évêques  déposés,  sans  en  excepter  les  Orientaux  et  Photius  lui-même. 
En  réalité,  et  l'orateur,  si  on  y  prend  garde,  le  montre  bien,  il  ne  s'agit  que  de 
deux  évêques  dont  l'un  a  usurpé,  après  sa  condamnation,  des  fonctions  qui  lui 
étaient  interdites,  tandis  que  l'autre  a  été  admis  à  la  communion   avant  d'avoir 


384  LIVRE     XXIII 

Hadrien  à  chanter  la  messe  en  présence  de  Lothaire  et  à  lui  donner 

rempli  les  conditions  canoniques.  Muratori,  Rer.  ital.  script.,  t.  n,  part.  2, 
col.  138  c  —  Maassen,  Eine  Rede,  p.  19.  Or,  ces  deux  personnages  sont  Gùnther 
que  nous  avons  vu  célébrer  la  messe  le  jeudi-saint  dans  sa  cathédrale  de  Cologne, 
en  864,  malgré  l'interdit  qui  pesait  sur  lui;  l'autre  personnage  est  Zacharie,  évê- 
que  d'Anagni,  qui  avait  reçu  la  communion  de  la  main  du  pape,  le  jour  même  de 
la  consécration  de  celui-ci  à  Saint-Pierre.  Il  y  avait  eu,  dans  ce  dernier  cas,  une 
anticipation  regrettable  que  le  Liber  ponlificalis  voudrait  nier,  mais  que  la  voix 
publique  blâmait  énergiquement.  DeThieutgaud  de  Trêves,  la  pauvre  dupe,  il 
ne  pouvait  être  question  puisque  ce  comparse  était  mort,  R.  Parisot,  op.  cil. 
p.  307,  note  3,  pas  plus  d'ailleurs  que  du  cardinal  Anastase,  alors  sous  le  coup 
d'anathèmes  trop  récents.  L'hésitation  est  d'ailleurs  impossible,  puisque  dans 
un  passage  de  son  discours,  l'orateur  interpelle  les  deux  personnages  par  leurs 
noms.  Muratori,  loc.  cil.,  col.  140  c  =  Maassen,  op.  cil.,  p.  22  :  nec  eliam  Gunlha- 
rium  et  Zachariam  lateat.  Le  projet  formé  en  faveur  des  coupables  était  loin  de 
satisfaire  et  le  discours  en  question  ressemble  plus  à  un  réquisitoire  qu'à  un  plai- 
doyer. L'idée  seule  d'une  réintégration  dans  leur  charge  paraissait  si  inconve- 
nante qu'on  n'avait  pas  osé  la  présenter  ouvertement  au  concile,  néanmoins  elle 
ne  pouvait  faire  de  doute  puisque  déjà  à  ce  moment  Gùnther  avait  été  admis 
à  la  communion  au  moins  laïque.  En  ce  qui  concerne  la  reine  Theutberge,  on  voit 
par  le  discours  que  le  concile  est  saisi  d'une  demande  en  séparation  émanant  de  la 
reine.  Muratori,  loc.  cit.,  col.  139  a  =  Maassen,  op.  cit.,  p.  20.  On  se  rappelle 
que  précédemment  Theutberge  avait  sollicité  de  Nicolas  Ier  et,  un  an  après, 
d'Hadrien  II,  un  véritable  divorce.  Cette  fois  on  rabattait  les  prétentions  et 
le  discours  anonyme  nous  montre  que  la  demande  se  réduit  de  la  part  de 
la  malheureuse  princesse  à  ne  plus  vivre  avec  son  mari  et  persécuteur.  «  Il  est 
à  croire,  en  effet,  que  la  cause  avait  été  ramenée  à  ces  proportions  devant  le 
concile,  afin  de  la  rendre  plus  acceptable.  Cela  ne  faisait  pas  sans  doute  l'affaire 
de  Lothaire,  qui  ne  désirait  se  débarrasser  de  Theutberge  que  pour  se  réunir 
à  Waldrade,  mais  le  P.  Lapôtre  y  voit  une  première  raison  de  croire  que  le 
concile  était  l'œuvre  d'Hadrien  II,  et  non,  comme  le  prétend  M.  Maassen, 
une  réunion  d'évêques  convoquée  sous  la  pression  irrésistible  de  l'empereur 
Louis  II,  contre  la  volonté  du  pape.  Ce  point  est  en  effet  de  la  plus  haute  impor- 
tance :  il  décide  en  partie  l'attribution  du  discours  anonyme.  »  Rev.  des  quest. 
histor.,  1880,  t.  xxviii,  p.  391. 

Hadrien  II  souhaitait  sans  doute  résoudre  la  plupart  des  affaires  embarrassantes 

éguées  par  la  politique  du  pontificat  précédent  ;  mais  surtout  il  souhaitait  ve- 
nir à  bout  au  moyen  d'un  concile  de  ces  deux  éternelles  sources  de  récriminations, 
le  mariage  de  Lothaire  et  la  réhabilitation  des  évêques  excommuniés.  On  voit 
que  son  souci, et  il  ne  s'en  cache  nullement, est  de  ne  prononcer  une  sentence  défi- 
nitive qu'après  avoir  fait  examiner  la  cause  par  une  nombreuse  assemblée,  P.  L. 
t.  cxxn,  col.  1260;  peut-être  aussi,  col.  1266,  Hadrien  ne  séparait  pas  dans  sa 
pensée  ces  deux  procès.  Dans  une  lettre  à  Louis  le  Germanique,  datée  du  27  juin 
870,  le  pape  lui  reprochait  d'avoir  donné  un  successeur  à  Gùnther,  «  d'autant 
plus,  ajoutait-il.,  que  nous  avions  promis  à  cet  archevêque  d'entendre  de  nouveau 
sa  cause,  avant  qu'un  autre  lui  fût   substitué   sur   son   siège.»  P.  L.,   t.    cxxn, 

col.  1304.  Il  y  avait  alors  une  année    écoulée  depuis  le  concile  de  869  et  le  pape 


i73.     LA     QUESTION     Dl      MARIAGE     DE      LOTHAIRE  385 

la  sainle  eucharistie,  après  que  ce  prince  eu1   juré  s'être  abstenu 


comptait  encore  soumettre  le  cas  de  Gvinther  à  un  concile.  Cctlc  idée  de  concile 
circulait  depuis    l'avènemenl  d'Hadrien  [I  et  préparait,  à  travers  mille  racontars, 
les  esprits  à  une  réunion  dont  on  attendail  des  décisions   inouïes,  telles  que  la 
cassation  des  actes  du  précédent  pontificat;  au  reste  ce  concile  n'eut  pas  heu, 
mais  les  bruits  qui  avaient  couru  suffisaient  à  donner  l'alarme  et  à  placer  le  pape 
dans  une  fausse    situation.    Celui-ci     s'efforçait  de  calmer  les  esprits    excités  et 
de  les  ramener  sur  la  portée  réelle  de  ses  projets  vrais  ou  supposés.  Toutefois 
quelques  mesures  dont  nous  avons  parlé  :  le  pardon  accordé  à  Waldrade,  la  com- 
munion donnée  à  Zacharie,  mettaient  en  défiance  et  on  ne  s'en  cachait  guère 
à  l'égard  du  pape  lui-même.     Hadrien  II  mandait,  le  2  février,  aux  évêques  du 
concile  de  Troyes,  d'avoir  à  inscrire  aux  diptyques  de  la  messe  le  nom  du  pape 
Nicolas  dont  il  se  proclamait  à  tous  points  de  vue  le  successeur,  P.  L.,  t.  cxxn, 
col.  1262;  il  écrivait  aussi,  comme  nous  l'avons  dit,  aux  évêques  de  Germanie,  de 
France  et  de  Lorraine,  Jaffé-Ewald,  n.  2898,  2899,  2900:  P.  L.,  t.  cxxn,  col. 
1266  (seule  conservée),  pour  leur  expliquer  sa  conduite,  c'est-à-dire  pour  se  justi- 
fier devant  eux.  Adon   de  Vienne    recevait  coup  sur  coup  deux  lettres,  P.  L., 
t.    cxxn,   col.    1261,   1274;    Hincmar    en  recevait  une    autre,   P.   L.,   t.    cxxn. 
col.  1273.  Cependant,  en  dépit  de  ces  efforts  dont  la  sincérité  ne  paraît  pas  pou- 
voir être  contestée,  Hadrien  demeurait  dans  une  situation  assez  fausse.  Toute 
démarche  de  sa  part  était  interprétée,   tiraillée,   dénaturée  ;   il  devait    dès  lors 
hésiter,  en  présence  d'une  opposition  redoutable,  à  prendre  des  mesures  aussi 
graves  que  la  séparation  de  Lothaire  avec  Theutberge  et  la  réintégration  de  Gûn- 
ther  et  Zacharie.  Ainsi  il  se  trouvait  attaché  à  un  système  auquel  les  partisans  du 
pape  défunt  se  félicitaient  de  le  réduire,  dans  l'espoir  que  la  politique    personnelle 
de  mansuétude  cesserait  enfin  d'être  à  l'ordre  du  jour.  Toutefois  une  inquiétude 
poignait  les  nicolaïtes;  l'échec  qu'ils  infligeaient  aux  tendances  d'Hadrien  était 
peu  de  chose  en  comparaison  du  péril  qu'une  assemblée  faisait  courir  aux  actes 
du  précédent  pontificat   qui  risquaient  d'y  être  discutés,   amoindris,  révoqués. 
Devant  ce  concile  il  était  clair  qu'une  grosse  responsabilité  incombait  à  celui 
qui,  prenant  la  parole,  se  constituerait  le  leader  de  l'assemblée.  Cette  responsa- 
bilité, nous  voyons  de  quelle  façon  elle  fut  entendue,  grâce  au  discours  anonyme 
publié  par  Muratori  et  depuis  par  Maassen. 

Le  discours  est  d'un  adversaire  qui  sait  se  contenir  et  s'efforcer  de  maîtriser 
un  incident  qu'il  n'a  pu  empêcher.  11  remercie  Dieu  de  cette  heureuse  convocation, 
consent  à  exposer  ses  vues  personnelles  auxquelles  il  renoncera  volontiers  pour 
se  ranger  aux  lumières  de  ses  collègues  inspirés  par  les  canons  et  les  sainls  Pères. 
Tout  ceci  est  pur  protocole  e1  ne  compte  pas.  —  Il  es1  aisé  de  reconnaître,  et 
le  P.  Lapôtre  n'y  a  pas  manque,  que  l'orateur,  «  en  homme  habile  et  qui  com- 
prend la  nécessité  de  ne  pas  se  heurter  de  front  à  des  influences  redoutables,  pro- 
cède d'abord  avec  ménagement,  mais  peu  à  peu,  il  se  découvre,  et  alors  apparaît 
en  lui  un  esprit  d'opposition  systématique  au  synode  et  à  ses  délibérations. 
D'après  lui,  l'assemblée  en  remettant  en  question  deux  causes  déjà  jugées  par  le 
Saint-Siège,  fait  une  besogne  inutile,  puisque  les  jugements  du  chef  de  l'Église 
sont  irréformables,  périlleuse,  illicite,  qu'on  aurait  dû  s'interdire.  Il  déclare 
pour  son  compte     que  c'est   par  force    et  contre    son    gré    qu'il  se  mêle    d'une 

CONCILES   —  IV    —   •.>:, 


386  LIVRE     XXIII 

de  tout  rapporl  défendu  avec  Waldrade  depuis  l'excommunication 


pareille  discussion  ;  il  se  sent  trop  peu  de  chose  pour  oser  toucher  une    sentence 
du  Saint-Siège.  Le  mieux  à  son   sens  serait    que    personne  ne  modifiât  les  juge- 
ments  de    Nicolas   ;    mais,  si  l'on  veut   à    toute    force  les   modifier,  que  le  pape 
seul  en  prenne  la  responsabilité  ;  il  est  toujours  dangereux  de  revenir  sur  les  dé- 
crets   d'un     chef     de    l'Eglise,    même    lorsque    c'est  un    chef    quij  agit  de   la 
sorte  ;  mais,  après  tout,   c'est  son    droit,  et  il  n'a    pas   la  prétention,  lui,  simple 
sujet  du  Siège  apostolique,  de  lui  contester  ce  pouvoir.  Muratori,  op.  cit.,  p.  139- 
140  =   Maassen,  op.    cit.,  p.  20-23.     Plus    loin,  il  critiquera  la  composition  du 
concile,   se  plaindra  de  ce  qu'on  n'ait  réuni  que  des  prélats  d'Italie    pour  une 
cause    qui   exigerait  la  présence  de  l'épiscopat   d'Orient  et  d'Occident,  si  tant  est 
que  tous  les  évêques  du  monde  puissent  quelque  chose  contre  une    décision  pon- 
tificale. »  Il  est  clair  qu'une    pareille    argumentation,    dans  les  circonstances  où 
l'on  se  trouvait  en  869,  ne  peut  être  l'œuvre  du  pape.     L'orateur  n'hésite   pas    à 
déclarer  le   concile    incompétent  et  s'efforce  de  l'en  bien   convaincre,    afin  de  le 
détourner  de  rendre,  de  sa  propre  autorité,  une  sentence  sur  la  question  en  litige. 
Il  n'a  guère  plus  que  voix  consultative,  quant  à  la    voix    délibéra tive    elle    res- 
semble assez  à  un  leurre   puisque  le  pape  se  réserve  d'adopter  ou   de   repousser 
à  son  gré  les   conclusions   du   concile.   Si   Hadrien    II   fût  entré  personnellement 
dans  le  débat,     toutes   les  objections  contre  la  compétence  du  synode  étaient 
levées,  d'après  les  principes  mêmes  exposés  dans  le  discours. 

«  D'après  ces  principes,  le  Saint-Siège  constituait  un  tribunal  légitime  dans  la 
matière  ;    il   n'y    avait    donc    pas     lieu   de   récuser   une    assemblée    où    le  Saint- 
Siège  avait  une  part  active,  et  qui  devenait,  par  la  présence  du  pape,  la  plus  haute 
autorité  dans  l'Eglise.  L'orateur  n'avait  qu'à  porter  ses  regards  sur  la  place  occu- 
pée par  Hadrien  II,  pour  sentir  aussitôt  tout  le  néant  de  son  argumentation;  au 
lieu  de  contester  absolument  la  validité  de  la  sentence  que  rendraient  les  évêques, 
il  devait  au  moins  distinguer  le  cas  où  le  pape   serait  d'accord    avec  eux.  Je  sup- 
pose,    au     contraire,     qu'Hadrien   II,  avant     de  se  prononcer,  ait     désiré  faire 
examiner  séparément  la  cause  par  un  concile  :  aussitôt  le  langage  de  l'évêque  ano- 
nyme acquiert  de  la  portée,    sa    tactique    se  révèle.   Sans  doute,  il  ne  se  dissimu- 
lait pas  que,  le  concile  terminé,  le  pape    pouvait    confirmer  ses  jugemenls  et  en- 
lever ainsi  tout  prétexte  à  en  nier  la  valeur,    mais  il  connaissait    aussi    le  carac- 
tère et  les  dispositions  d'Hadrien   ;  il  savait  fort  bien  que,  dans  l'hypothèse  où 
son  discours    réussirait  à  persuader  les  évêques  de  ne  pas  s'engager  dans  une  ré- 
vision  imprudente  des  décrets  de  Nicolas    Ier,  le  pape    n'oserait  pas  l'entrepren- 
dre seul.  El  si,  malgré  la  réserve  du  concile,  Hadrien  II  se  décidait  à  revenir  sur 
les  actes  de  son   prédécesseur,   l'orateur  aurait  du  moins   empêché  une  simple 
réunion  d'évêques  de  prendre  l'initiative  d'une  mesure  qui  n'était  illégale   qu'au- 
tant qu'elle  émanait  d'un  tribunal     inférieur   ;  n'ayant  pu  sauver  entièrement 
la  mémoire  du  pape    Nicolas,  il  aurait  du  moins  contribué  à  maintenir  le  grand 
principe    qui     était    le    fond    même  du  débat,  à    savoir,     que  l'Église,  le  Siège 
apostolique  juge  de  tout  et  n'est  jugé  par  personne.   Il  n'y  avait  nulle  témérité 
à  répéter  devant  ce  concile  une  doctrine  qui  n'était  nouvelle  pour    personne,  que 
les  nicolaïtes  ne  cessaient  d'opposer,    depuis  plus  de  deux  ans,  à  toutes  les  entre- 
prises des  ennemis  du  Saint-Siège,  et  qui  était  admise  par  ceux-là  même  auxquels 


473.     LA    QUESTION    DU    MARIAGE    DE      LOTHAIRE  387 

dont  Nicolas  l'avait  frappée  ;  il  ajouta  que  depuis  lors  il  n'avait  même 


le  discours  s'adressait.  Si  au  contraire  on  fait  tenir  ce  langage  par  Hadrien,  on 
arrive  à  cette  étrange  conclusion  d'un  pape,  qui,  d'une  part,  déclare  qu'il  ne  peut 
s'associer  à  une   revision     illégitime  des  jugements  de  son  prédécesseur.  e1  qui, 
l'instant  d'après,  affirmera  qu'en  s'y  associant  il  la   rendra   légitime. »  D'autres 
traits  viennent  montrer  l'impossibilité  de  confondre  l'orateur  anonyme  avec  le 
pape  Hadrien.  Celui-ci  se  trouve  alors  dans  les  dispositions  les  plus  bienveillan  tes 
à  l'égard  de  Gûnther  que  l'orateur  traite  avec  la  dernière  sévérité.  Cet  orateur 
ne  ménage     guère  le    pape    lui-même.    Quand  il  rapporte  la  communion   donnée 
a  Zacharie,  il  s'indigne  ;  sans  doute,  par  un  reste  de  ménagement  pour  leSaint- 
Siège,  il  présente   les  l'ai  ts  de  manière  a  en  rejeter  tout  l'odieux  du  côté  de  Zacha- 
rie,  mais  en  réalité  le  blâme  va  droit  au  pape.  Plus  loin,  il  reconnaît  au  Siège  apos- 
tolique le  droit  de  revenir  sur  les  anciens    décrets,  mais  il  ajoute  :   «  Qu'il  réflé- 
chisse cependanl  avant  d'agir,  de  peur   qu'au   tribunal  de  Dieu  il  ne  lui  faille  ren- 
dre un  compte  rigoureux    à   Celui  qui  gouverne  toutes  les  puissances  et  domine 
tous  les  siècles.    Kl   si  quelqu'un  pesant  sur  nos  volontés  songeait  à  entraîner  notre 
unanimité    dans  nue  revision  des  jugements  du  Siège     apostolique,  qu'il  consi- 
dère auparavant  où  la  prévarication     commence  et  où  elle  aboutit.»    Muratori, 
op.  cit.,  col.   139  b  =  Maassen,  op.  cit.,  p.  21.  Quel  est    maintenant  cet  orateur 
anonyme  ?  Ce  n'est  pas  le  pape  et-      incidemment —  notons  l'importance   de 
cette  constatation  pour  l'histoire  de  l'emploi  officiel  des  fausses    décrétales,  ce 
n  es1  pas  le  pape  Hadrien,  mais  cet  orateur  sera  un  jour  pape  sous  le  nom  de  For- 
mose.  Il  n'est,  en  849,  qu'évêque  de  Porto  et  à  ce  titre  prend  place  dans  les  conciles 
romains.  11  a  pris  part  à  celui  de  juin  869  contre  Photius,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi, 
col.  122-131,  et  le  départ  de  Donat  d'Ostie  pour  Constantinople,  où  nous   le  re- 
trouverons en  qualité  de  légat,  élève  l'évêque  de  Porto  du  second  rang  au  premier. 
Formose  reparaîtra  au  cours  de  cette  histoire,  nous  ne  faisons  que  le  mentionner 
ici  en  attendant  de  faire  avec  lui  plus  ample  connaissance.  Formose  était  alors 
dans  son  plus  grand  éclat,  sa  parole  devait  avoir  d'autant  plus  d'influence  sur 
ses  collègues  qu'il  était  mieux  en  position  de  l'exprimer  sans  réticences.  Le  dis- 
cours anonyme    trahit  la  préséance  du  rang  et  le  sentiment  de  sa  prédominance 
morale  chez   l'orateur.    Il  ouvre  les  sessions,    prescrit    l'objet  des    discussions, 
insinue  les  conclusions  et  fait  la  leçon  à  qui  bon  lui   semble.  Si  on  n'a  pas  la  certi- 
tude   matérielle    que  l'orateur  en  question    est   Formose,  on  n'a  guère  de  solide 
raison  d'en  douter  encore,  après  l'identification    présentée    par  le  P.  Lapôtre, 
op.  cit.,  p.  414-417. 

Tel  est  l'homme  qui  domine  de  son  prestige  le  concile  qu'on  a  confondu  avec 
l'entrevue  du  Mont-Cassin,  faisant  de  celle-ci  une  assemblée  solennelle  tandis 
que  ce  ne  fut  qu'une  rencontre  intime  destinée,  dans  la  pensée  d'Engelberge 
et  de  Lothaire,  à  isoler  le  pape  pour  le  mieux  gagner.  Lothaire  et  sa  belle-sœur 
arrivèrent  probablement  ensemble  et  les  négociations  commencèrent.  «  Nous 
les  connaissons  mal.  Lothaire  demanda  au  pape  de  lui  chanter  la  messe  et  de  lui 
donner  la  communion,  ainsi  qu'à  Gunther  et  aux  grands  de  sa  suite.  Sa  requête, 
appuyée?  par  Engelberge,  l'ut  agréée  par  Hadrien,  qui  exigea  toutefois  du  roi,  de 
Gûnther  et  (\<s  grands  les  déclarations  suivantes.  Celle  de  Lothaire  portail  que 
depuis  l'excommunication  de  Waldrade  par  Nicolas,  il  n'avait  eu  aucun  commerce 


388  LIVRE     XXIII 

charnel  ni  entretenu  aucun  rapport  avec  elle,  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  869,  p.  99; 
celle  des  grands,  qu'ils  n'avaient  pas  favorisé  l'adultère  de  leur  maître,  ni  eu  de 
relations  avec  Waldrade,  non  plus  qu'avec  les  autres  personnes  que  Nicolas  avait 
excommuniées,  Réginon,  Chronicon,  ad  ann.  869,  p.  96  ;  dans  la  sienne,  qu'il 
remit  écrite  au  Souverain  Pontife,  Gùnther  disait  qu'il  acceptait  la  condamna- 
tion portée  contre  lui  par  Nicolas,  qu'il  s'engageait  à  ne  pas  exercer  le  ministère 
sacerdotal,  tant  que  le  pape  ne  le  lui  aurait  pas  rendu,  à  ne  pas  intriguer  contre 
l'Église  ni  contre  son  chef,  mais  au  contraire  à  se  montrer  soumis.  Ann.  Berlin., 
ad  ann.  869,  p.  99.  Tous,  le  roi,  ses  courtisans,  et  l'ex-archevêque  de  Cologne 
souscrivirent  aux  exigences  d'Hadrien.  C'est  le  1er  juillet  qu'eut  lieu  la  cérémo- 
nie. D'après  le  chroniqueur  Réginon,  qui  a  peut-être  dramatisé  la  scène,  Hadrien 
avant  de  donner  la  communion  à  Lothaire  lui  aurait  dit  :  «  Communie,  si  tu 
«es  innocent  de  l'adultère  interdit  par  Nicolas,  et  si  tu  es  résolu  à  ne  plus  avoir 
«de  commerce  avec  Waldrade;  si,  au  contraire,  ta  conscience  t'accuse  d'être  cou- 
«pable,  ou  si  tu  songes  à  retomber  dans  le  péché,  abstiens-toi;  autrement,  la 
«  communion  te  jugerait  et  te  condamnerait.  »  Diïmmler,  op.  cit.,  t.  n,  p.  239, 
n.  2  ;  Schulz,  Die  Chronik  des  Regino,  p.  18.  Hadrien  n'a  pas  dû  exiger  de 
Lothaire  l'engagement  de  renoncer  à  Waldrade,  et  le  roi  ne  l'a  certainement  pas 
pris,  puisque,  s'il  venait  en  Italie,  c'était  justement  pour  obtenir  l'autorisation 
de  faire  de  Waldrade  sa  femme  légitime.  D'autre  part,  le  pape  a-t-il  présenté 
la  communion  qu'il  donnait  à  Lothaire  comme  un  appel  au  jugement  de  Dieu  ? 
Si  le  roi  était  innocent,  il  sortirait  sain  et  sauf  de  l'épreuve  ;  s'il  était  coupable, 
Dieu  le  punirait  d'avoir  commis  un  sacrilège.  Il  est  difficile  d'affirmer  que  telle 
fut  l'intention  d'Hadrien  ;  une  lettre  de  son  successeur  Jean  VIII  à  Paulin,  évê- 
que  de  Reggio,  le  dit  en  termes  formels,  mais  l'authenticité  en  est  douteuse. 
Jaffé-Ewald,  n.  3025.  Peut-être  la  mort  si  prompte  de  Lothaire  et  de  la  plupart 
des  grands  qui  l'accompagnaient  a-t-elle  donné  naissance  à  cette  façon  de  pré- 
senter les  choses.  D'après  le  même  Réginon,  Hadrien  aurait  dit  en  s'adressant 
à  chacun  des  grands  :  «  Si  tu  n'as  pas  favorisé  l'adultère  de  Lothaire,  si  tu  n'as 
«entretenu  aucune  relation  avec  Waldrade,  non  plus  qu'avec  les  autres  personnes 
«excommuniées  par  Nicolas,  que  le  corps  et  le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
«  Christ  te  profitent  pour  la  vie  éternelle.»  Réginon,  Chronicon,  ad  ann.  869, 
p.  97.  Gùnther  reçut  la  communion  mêlé  aux  laïcs;  Hadrien,  avant  de  lui  donner 
l'hostie  consacrée,  se  fit  remettre  la  déclaration  écrite  que  nous  avons  analysée, 
la  lut  à  haute  voix  et  lui  dit  :  «  Je  te  donne  la  communion  laïque  à  condition  que 
«  tant  que  tu  vivras,  tu  resteras  fidèle  à  l'engagement  que  tu  viens  de  prendre.  » 
Ann.  Berlin.,  ad  ann.  869,  p.  99-100.»  R.  Parisot.  op.  cit.,  p.  317-319. 

C'était  là  assurément  un  traitement  fort  bienveillant,  ce  n'était  pas  un  con 
cile  ni  rien  qui  en  approchât.  Le  récit  d'Hincmar  donne,  au  reste,  le  vrai  carac- 
tère de  l'entrevue.  <  Lothaire,  par  un  ordre  de  l'empereur,  fit  venir  Hadrien  dans 
ce  lieu  (le  Mont-Cassin)  <>ù  il  se  trouvai!  déjà  avec  Engelberge,  et,  grâce  à  l'en- 
tremise de  l'impératrice  e1  ;'i  de  nombreux  présents,  obtint  du  pape  qu'il  chan- 
tât la  messe  en  sa  présence  et  lui  donnât  la  communion,  à  la  condition  toute- 
fois que  le  prince  certifierait  que,  depuis  l'excommunication  de  Waldrade,  il 
n'avait  habité  ni  eu  le  moindre  commerce  avec  elle.  Le  malheureux  roi,  comme  un 
autre  Judas,  simulant  une  conscience  tranquille  et  d'un  front  impudent,  ne  crai- 
gnit pas  de  recevoir  la  communion  à  cette  condition.  Avec  lui  communièrent  les 
complices  de  son  crime,  Gùnther...  »   Nulle  trace  d'un  concile  en  la  circonstance 


473.     LA    QUESTION     DU    MARIAGE     DE     LOTHAIRE  389 

et  chacun  reprit  le  chemin  de  sa  résidence.  Engelberge  retourna  près  de  son  mari 
et  le  pape,  suivi  de  près  par  Lothaire,  Ann.  Berlin.,  ad  ann.  869,  p.  100,  rentra 
à  Rome  où  Lothaire  arriva  le  9  juillet.  Mùhlbacher,  lleg.  Kar.,  p.  ">0G.  Il  Eut 
accueilli  avec  quelque  impertinence  et  séjourna  néanmoins  jusqu'à  la  lin  du  mois, 
toujours  préoccupé  de  faire  reviser  son  mariage,  dépendant.  Hadrien  recevait 
le  roi  à  sa  table  le  11  juillet  et  convoquait  à  Home  tous  les  évoques  de  la  pro- 
vince en  un  concile  qui  est  celui  devant  lequel  fut  prononcé  le  discours,  objet 
de  la  présente  note.  Les  Ann.  Bertiniani,  ad  ann.  869,  p.  100,  parlent  non  d'un 
synode,  mais  du  pape  et  des  Romains,  ce  qui  doit  s'entendre  des  évèques  sufEra- 
gants  de  Rome. 

Le  texte  du  discours  de  Formose  nous  permet  de  fixer  le  lieu  de  la  réunion  du 
concile  et  la  date  de  cette  réunion.  Rappelant  le  voyage  de  Theutberge  à  Rome  et 
sa  plainte  adressée  au  Siège  apostolique,  l'évèquc  de  Porto  se  sert  de  l'expression  ad 
hanc  Sedem  apostolicam  reniais  ;  Formose  et  ses  collègues  sont  assemblés  à  Rome, 
il  désigne  ainsi  le  Siège  apostolique  auprès  duquel  ils  sont  réunis.  Pour  la  date, 
il  est  clair  que  le  synode  s'est  tenu  postérieurement  à  l'admission  de  Zacharie 
et  tle  Gûnther  à  la  communion,  puisqu'on  ne  songe  désormais,  en  fait  de  faveurs, 
à  leur  accorder  que  celles  qui  impliquent  la  réconciliation;  or  pour  Gûnther  cette 
réconciliation  par  la  communion  laïque  datait  de  quelques  jours  seulement,  le 
1er  juillet  869. 

«  Malgré  la  valeur  réelle  de  ces  témoignages,  écrit  le  P.  Lapôtre,  dans   Rev.  des 
quest.  hist.,  1880,  t.  xxvn,  p.  429-430,  la  preuve  décisive  me  paraît  être  un  passage 
remarquable  des  Annales  d'Hincmar,  dont  la  portée  a  échappé  jusqu'ici.  Après 
avoir     raconté      l'accueil    bienveillant    que     Lothaire     avait     reçu    d'Hadrien 
dans  le  palais  de  Latran  et  les  espérances   exagérées    que   cette    réception  avait 
fait  naître  dans  l'âme  du  roi,  l'annaliste  ajoute  :  Sed  aliter  ab  eodem  papa  et  Roma- 
nis fuere    disposita  :   nain   idem  pontifex  Formosum  episcopum,    et  alium  eiiam 
cum  eo  episcoporum,  in  lias  Galliarum  partes  mittendas    disposuit,    ut  cum  plu- 
ralilale  episcoporum  de  his    quse   Lotharius   petebat    tractarent,    et    illi    kalendas 
rnartii,  quse  inventa  forent,  in  synodo  renunciarent,  quse  Romse  in  ipsis  kalendis 
marlii  denuntiavit,  quse  etiam  quatuor  episcopos  ex  regno  hudovici,  regio  Germa- 
nise, cum  ipsius  legatis,  et  quatuor  episcopos  ex  regno  Karoli  cum  ejus  legatis,  et 
quosdam  episcopos  ex  regno  Lotharii  epistolis  suis  hac  conditione  venire  prœcepil, 
ut  quse  in  synodo  vel  examinunda  vel  gerenda  forent,  in  personis   aliorum  confir- 
marent,  tam  ex  occidentalibus  partibus  quam  ex  orientalibus.  Unde  missos  suos,  quos 
nuper  Constantinopolim  pro  contentione  quam  orientales  cum  Nicolas  papa  habe- 
banl,  miserai,  lune  venturos  sperabat.  De  ce  passage  il  résulte  :  1°  que,  Lothaire 
étant  à  Rome, c'est-à-dire  dans  le  courant  de  juillet,  une  décision  a  été  prise  tou- 
chant son  procès  avec  Theutberge  ;  2°  qu'elle  a  été  prise,  non   pas     par  le  pape 
seul,  mais  par  le  pape  et  les  Romains,  en  d'autres  termes  par  le  synode  romain  ; 
3°  que  la  conclusion  des  débats  a  été  de  laisser  les  choses  dans  le  statu  quo  et  de 
s'en  rapporter,  pour  une  sentence  définitive,  à  un  concile  plus  général,  composé 
des  autres  évêques  d'Occident  et  d'Orient,  et  dénoncé  pour  le  1er  mars  de  l'année 
suivante.  »   Synode  non  réuni,  puisque  la  mort  de  Lothaire  survenue  dans  l'in- 
tervalle l'eût  rendu  sans  objet  ;  mais  conclusion    conforme  au  plan  proposé  par 
Formose   dans  sou  discours  :  Nos  enim  petimus  et  humililer  suggerendo  precamur 
ac  par  omnes  Del   virlutes,  quantum   possumus,  adjuramus,  ut,  .si  placet  de  sedis 
apostoliese  judicio  retractari,  et,  quod  inhibitum  est,  judicari,  hoc  agatur  concilio  et 


390  LIVRE    XXIII 

pas  eu  un  seul  entretien  avec  elle  1.  D'après  Réginon  2,  Lothaire 
se  serait  engagé  également  à  ne  plus  avoir  aucune  relation  avec 
Waldrade  ;  mais  Réginon  commet  diverses  erreurs  au  sujet  de 
cette  affaire;  cette  promesse  de  Lothaire  eût  été  en  contradiction 
avec  son  plan,  et  rendrait  invraisemblables  les  présents  que  le 
pape  lui  offrit  bientôt  après. 

Avec  Lothaire  on  admit  ses  partisans  à  la  communion  3,  et  par- 
mi eux  Gùnther  de  Cologne.  Toutefois  Gùnther  ne  fut  admis  qu'à 
la  communion  laïque,  après  avoir  fait  sa  soumission  à  la  décision 
rendue  contre  lui  par  le  pape  Nicolas,  (1er  juillet  869)  4. 

En  quittant  le  Mont-Cassin,  le  pape  suivi  de  Lothaire  se  rendit 
à  Rome.  Le  roi  avait  compté  sur  une  réception  solennelle  ;  à 
son  arrivée  [9  juillet],  il  trouva  l'église  Saint-Pierre  complète-  [3131 
ment  vide,  aucun  préparatif,  pas  un  prêtre  à  sa  rencontre.  Il 
ne  put  non  plus  obtenir  que  le  lendemain,  dimanche  [10],  le 
pape  célébrât  la  messe  en  sa  présence.  Le  lundi  [11],  Lothaire 
dîna  avec  le  pape  au  Latran,  et  lui  offrit  des  vases  d'or  et  d'ar- 
gent ;  en  retour,  le  pape  lui  fit  présent  d'un  manteau,  d'une  palme 

tractatu  non  solum  nostrorum  sed  etiam  isforum  regnorum  episcoporum  nec  non  et, 
si  fieri  potest,  Orientalium,  utcumque  anlistitum,  ubi  scelera,  quorum  ultio  falso 
injusla  dicitur,  prohdolor,  sunt  admissa.  Muratori,  op.  cit.,  col.  139  b,  c  =  Maassen, 
op.  cit.,  p.  21.  Ainsi  l'évêque  de  Porto  obtenait  gain  de  cause,  et  ce  qu'il  propo- 
sait de  la  part  des  nicolaïtes  comme  une  concession  extrême  devenait  le  parti 
auquel  s'arrêtait  le  pape  Hadrien.  Formose  reçoit  l'ordre  de  se  rendre  dans  les 
Gaules  et  d'y  préparer,  dans  des  synodes  particuliers,  la  tenue  d'un  concile 
général  qui  aurait  lieu  à  Rome  le  1er  mars  870.  (H.  L.) 

1.  Annales  Bertiniani,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  481;    Mansi,  op.  cit.,  t.  xv 
col.  889;  Dummler,  op.  cit.,  p.  678  sq. 

2.  Réginon,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  580.  [Réginon  se  trompe  en  plaçant  à 
Rome  la  communion  du  1er  juillet  qui  eut  lieu  au  Mont-Cassin.  La  Translatio 
S.  Glodesindis,  c.  xxxviii,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxiv,  p.  507  note, 
est  plus  erronée  encore  quand  elle  fixe  cette  communion  de  Lothaire  dans  l'église 
Sainte-Anastasie  à  Rome.  (H.  L.)] 

3.  Cette  communion,  telle  que  la  représente  Réginon,  était  bien,  dans  l'esprit 
du  temps,  une  ordalie  ou  un  jugement  de  Dieu.  Gorini  n'en  veut  rien  croire, 
Défense  de  V Eglise,  3e  édit.,  t.  m,  p.  162-170,  mais  une  lettre  du  pape  Jean  VIII, 
parlant  des  épreuves  judiciaires  autorisées  par  l'Église,  mentionne  celles  de  la 
communion  et  cite  précisément  comme  exemple  la  communion  donnée  à  Lo- 
thaire par  Hadrien  II  :  aut  etiam  corpore  et  sanguine  Christi  probetur,  sicut  noster 
decessor  Adrianus  fecit  in  Lotliario  rege  pro  Waldrada  sua  pellice?  Jean  VIII, 
Epist.  ad  Pctulinum,  dans  Dummler,  Gesla  Berengarii,  p.  156.  (H.  L.) 

4.  Annales  Bertiniani,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  481.  [R.  Parisot.  op.  cit., 
p.  318-319.  (H.  L.)] 


473.     LA    QUESTION    DU     MARIAGE     DE     LOTHAIRE  391 

et  d'un  bâton.  Lcchaire  et  ses  amis  interprétèrent  ce  don  dans  un 
sens  favorable  :  le  manteau  signifiait  que  Waldrade  lui  était 
rendue  ;  la  palme,  la  réussite  de  ses  projets,  et  le  bâton,  la  puni- 
tion des  évêques  qui  lui  avaient  fait  de  l'opposition.  Mais,  au  dire 
d'Hiflcmar,  le  pape  ne  se  souciait  guère  de  tout  ce  symbolisme, 
et  il  envoya  en  France  l'évêque  Formose  et  un  de  ses  collègues, 
pour  délibérer  avec  les  évêques  du  pays  sur  les  demandes  de 
Lothaire.  Ils  devaient,  le  1er  mars  870,  rendre  compte  de  leur 
mission  devant  le  concile  romain  que  le  pape  réunirait  à  cette  date. 
A  ce  concile  devaient  assister  quatre  évêques  du  royaume  de  Char- 
les le  Chauve  et  de  Louis  le  Germanique,  les  ambassadeurs  de  ces 
rois,  et  quelques  évêques  de  Lorraine  ;  tous  devaient  prendre 
part  à  la  sentence  qui  serait  rendue.  -  Lothaire  quitta  Rome, 
sur  ces  entrefaites,  emportant  une  assez  bonne  impression  x  ; 
à  Lucques  il  fut  saisi  de  la  fièvre,  continua  sa  route  jusqu'à  Plai- 
sance où  il  mourut  le  8  août  869  2.  Presque  toute  son  escorte 
fui  également  emportée  par  la  peste.  Les  quelques  survivants 
enterrèrent  le  roi  dans  un  monastère  voisin  3,  et  on  regarda  sa 
mort  comme  un  châtiment  de  Dieu.  Gùnther  de  Cologne  avait 
quitté  l'Italie  en  même  temps  que  Lothaire,  et  le  pape  lui  avait  or- 
donné de  revenir  à  Rome,  à  une  date  fixée  (pour  le  synode  indi- 
qué), lui  laissant  espérer  qu'il  pourrait  recouvrer  son  évêché. 
Mais  en  870,  le  clergé  de  Cologne  et  les  évêques  de  la  province 
choisirent  pour  archevêque  le  prêtre  Willibert,  et  Gùnther  lui- 
même  demanda  au  pape  de  confirmer  ce  choix  4. 


1.  Lolliarius  vero  Roma  Iselus  piomovens.  Il  avait  lieu  de  compter  sur  ce  concile 
du  1er  mars  870  qui  n'était  pas  du  tout  une  promesse  faite  en  l'air,  Jafïé-Ewald, 
ri.  2930,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1304,  et  Gùnther  lui-même  pouvait  s'attendre  à 
voir  étudier  de  nouveau  son  affaire,  Jafïé-Ewald,  n.  2930.  Que  serait-il  sorti 
de  ce  concile  ?  Lothaire  avait  confiance.  Adon,  Chronicon,  dans  Script.,  t.  n, 
p.  323  ;  R.  Parisot,  op.  cit.,    p.  321.  (H.  L.) 

2.  Sur  cette  mort  et  toutes  ses  circonstances,  cf.  R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  321- 
324,  (H.  L.) 

3.  Annales  Bertin.,  dans  Pertz,  op.  cit.,  p.  482;  Dûmmler,  op.  cit.,  p.  G81. 

4.  Floss,  Papstwahl  unter  den  Ottonen,  p.  69.  [R.  Parisot,  op.  cit.,  p.  631.  (H.  L.)] 


392  LIVRE     XXIII 


474.  Concile  de  Soissons  en  866. 

Nous  avons  vu  1  que  le  concile  de  Soissons,  en  853,  s'était  pro- 
noncé en  faveur  d' Hincmar,  lors  de  la  discussion  survenue  entre  cet  [314] 
archevêque  et  les  clercs  ordonnés  par  Ebbon  après  sa  déposition. 
Pour  plus  de  sûreté,  Hincmar  s'inspirant  des  principes  du  droit 
canon  pseudo-isidorien  (qu'il  adoptait  lorsqu'ils  lui  étaient 
favorables,  qu'il  rejetait  au  contraire  lorsqu'ils  lui  déplaisaient), 
voulut  faire  confirmer  par  la  cour  romaine  ces  décisions  synodales. 
Léon  IV  s'y  refusa,  son  successeur  Benoît  III  y  consentit  en  855  2, 
et,  en  863,  à  la  demande  d' Hincmar,  Nicolas  Ier  renouvela  cette 
confirmation,  sous  la  réserve  suivante  :  ita  tamen,  si  in  nullo 
negotio  apostolicse  Sedis  Romanse  jussionibus  inventus  fueris  inobe- 
diens3.  Mais    l'affaire   se  rouvrit  et  le  pape  apprit  de  divers  côtés 

1.  Voir  §  452. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  855,  n.  15  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  101  ; 
Mansi,  t.  xv,  col.  101  ;  Tuh.  theol.  Quartals.,  1847,  p.  647. 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  853,  n.  64  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  327; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  374.  Avec  le  concile  du  18  août  866  nous  allons  en- 
fin voir  la  question  des  ordinations  faites  par  Ebbon  entrer  dans  la  phase  du  règle- 
ment définitif.  Trois  ans  plus  tôt,  en  863,  à  Soissons,  Hincmar  avait  nié  résolu- 
ment la  validité  des  ordinations  faites  par  Ebbon  en  840.  A  dire  vrai,  cette  attitude 
lui  était  imposée  du  moment  où  il  affirmait  la  légitimité  de  la  déposition  d' Ebbon  en 
835  et  niait  celle  de  la  réintégration  de  840.  Hincmar,  en  qui  la  violence  et  les 
passions  n'obscurcissaient  pas  la  logique,  suivait  une  ligne  très  nette  et  facile 
à  ressaisir.  A  la  ive  session  de  863,  il  avait  fait  lire  par  Immon,  évêque  de 
Noyon,  un  mémoire  tendant  à  démontrer  que  les  ordinations  faites  par  Ebbon, 
après  sa  déposition,  étaient  nulles.  Dès  la  ve  session  on  tire  les  conséquences  des 
principes  posés  et  on  déclare  nuls  —  le  baptême  excepté  --  tous  les  actes  sacra- 
mentels accomplis  par  Ebbon  depuis  sa  déposition.  A  la  vie  session,  on 
règle  la  situation  de  l'abbé  Hilduin,  qui,  après  avoir  été  ordonné  diacre  par 
Ebbon  lors  de  son  second  épiscopat,  fut  ensuite  ordonné  prêtre  par  Loup,  évêque 
de  Châlons,  sans  examen  préalable.  Le  concile  prescrivit  la  déposition  d'Hil- 
duin  pour  1°  défaut  d'examen,  2°  ordination  sacerdotale  sans  avoir  reçu  le 
diaconat  ;  ce  qui  équivalait  à  nier  l'ordination  donnée  par  Ebbon.  En  cela 
d'ailleurs,  on  traitait  Hilduin  comme  dans  la  session  précédente  on  avait -traité 
les  clercs  ordonnés  par  Ebbon  dont  les  ordinations  avaient  été  déclarées 
nulles.  Et  ces  décisions  du  concile  de  853  apporteront  une  véritable  perturbation 
dans  certains  pays.  C'est  ainsi  que  dans  l'évêché  d'Hildesheim'qu'Ebbon  gouver- 
na de  847  à  851,  A.  Hauck,  Kirchengeschichle  Deutschlands,  in-8,  Leipzig,  1900, 
t.  ii,  p.  785,  lonles    1rs  fonctions  épiscopales  remplies  pendant  ce    laps  de  temps 


474.     CONCILE      DE      SOISSONS     EN     866  393 

qu'on  avait  commis  beaucoup  d'injustices  envers  ces  clercs. 
Charles  le  Chauve   s'intéressa    probablement    à   leur  sort,  <;n-  l'un 

se  Irouveront  annulées  et  le  successeur  d'Ebbon,  l'évêque  Altfrid,  n'aura  d'autre 
ressource  que  de  réitérer  ordinations  et  consécrations  d'églises.  Chronicon  Hil- 
desheimense,  dans  Monum.  Genn.,  Script.,  t.  vin,  p.  851';  Annalista  Saxo,  dans 
Monum.  Germ.,  Script.,  t.  vu,  p.  575. 

«  Ce  concile  de  Soissons  de  853  est  un  des  événements  principaux  de  l'épisco- 
pat  d'Hincmar.  Il  a  valu  au  puissant  archevêque  de  nombreuses  difficultés, 
au  cours  desquelles  il  a  montré  l'étendue  de  ses  connaissances  juridiques,  son 
goût  pour  l'intrigue  et  une  remarquable  absence  de  scrupules.  Finalement,  en 
86G,  Hincmar  a  dû  reconnaître  comme  valides  les  ordinations  faites  par  Ebbon, 
après  sa  déposition  ;  il  a  dû  même  permettre  à  ces  clercs  l'exercice  de  leurs  or- 
dres ;  malgré  ses  artifices  de  procédure,  il  a  reconnu  implicitement  que  leur  dépo- 
sition par  le  concile  de  Soissons  n'avait  pas  été  légitime. 

«  Cette  histoire  a  été  exposée  plusieurs  fois,  cf.  H.  Schrôrs,  Hincmar,  p.  61-71, 
270-292.  Mais  il  est  possible  d'y  introduire  des  précisions  importantes  et  de  mon- 
trer comment,  pour  sortir  de  ces  difficultés,  Hincmar  en  est  venu  à  composer 
une  théorie  juridique  de  la  dispense.  Cette  théorie  s'est  conservée  dans  un  ou- 
vrage démarqué  par  un  canoniste  de  la  fin  du  xie  siècle,  mais  qu'il  faut  restituer 
à  Hincmar.    »  L.  Saltet,  Les   réordinations,  p.  129. 

Parmi  le  groupe  des  clercs  ordonnés  par  Ebbon,  ils  étaient  au  nombre  de  treize, 
il  s'en  trouvait  un  qui,  par  la  capacité,  valait  tous  ses  collègues,  c'était  Wulfade 
qui  menait,  comme  de  juste,  tous  ses  compagnons  de  disgrâce.  Au  concile  de 
Quierzy  (février  857)  Hincmar  débouta  tous  nos  gens  et  tira  même  de  Wulfade 
une  promesse  écrite  de  ne  plus  aspirer  aux  honneurs  ecclésiastiques  ;  il  en  eût 
signé  bien  d'autres  sans  grand  résultat  peut-être  si  le  pape  Nicolas  Ier  n'était 
parvenu  au  pontificat  (858-867).  Celui-ci  avait  son  opinion  faite  sur  Hincmar, 
il  ne  le  ménageait  guère  et  lui  imposa  la  revision  du  procès  de  853.  P.  L.,  t.  exix, 
col.  964.  Le  pape  lui  laissait  le  choix  d'admettre  les  clercs  ordonnés  par  Ebbon, 
à  l'exercice  de  leurs  ordres  ou  de  soumettre  le  différend  à  un  concile.  Hincmar 
ayant  choisi  ce  dernier  parti,  le  concile  du  18  août  866  se  réunit  à  Soissons.  «  L'em- 
barras d'Hincmar  était  extrême.  Il  se  croyait  obligé  de  soutenir  la  légitimité 
du  concile  de  Soissons  de  853  et  le  bien  fondé  de  la  condamnation  des  clercs  or- 
donnés par  Ebbon.  Cette  thèse  n'allait  pas  sans  difficultés.  La  première  était  de 
prouver  la  nullité  des  ordinations  faites  par  Ebbon.  Il  fallait  renoncer  à  faire 
accepter  cette  théorie  par  Nicolas  Ier.  Aussi,  vis-à-vis  du  pape,  Hincmar  garda- 
t-il  sur  ce  point  un  silence  prudent.  Il  se  contenta  d'une  courte  mais  très  claire 
insinuation  dans  un  mémoire  confidentiel  adressé  aux  évêques  du  concile.  Énu- 
mérant  plusieurs  appréciations  qu'on  pourrait  porter  sur  les  ordinations  faites 
par  Ebbon,  il  place  en  première  ligne  l'hypothèse  de  la  nullité.  P.  L.,  t.  cxxvi, 
col.  59.  La  pensée  d'Hincmar,  sur  ce  point,  nous  est  fournie  par  un  autre  passa- 
ge du  même  mémoire.  Il  en  vient  à  parler  de  l'acceptation,  par  le  pape  Anas- 
tase  II,  des  ordinations  l'a  il  es  par  Acace  de  Constantinople  après  sa  cou  damnation. 
P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  58.  Cette  décision  ne  lui  paraît  pas  irréprochable.  Evidem- 
ment Hincmar  doute  encore  on  feint  de  douter  qu'une  ordination  faite  par  un 
évêque  condamné  ou  excommunié  soil    valide.  Qu'on  ne  se  hâte  pas  de  parler 


394  LIVRE    XXIII 

d'eux,  nommé  Wulfade,  avait  élevé  le  prince   Carloman  ;  le  roi 
de   France,   qui  lui  voulait  beaucoup  de  bien,  songeait  à  le  faire 

d'une  nouvelle  fraude  d'Hincmar.  En  cette  affaire,  il  pouvait  fort  bien  être  sin- 
cère. Du  vivant  d'Hincmar,  Jean  VIII  a  déclaré  nulles  les  ordinations  faites  par 
un  évêqiie  excommunié.  Ces  hésitations  ou  ces  habiletés  ont  laissé  des  traces 
dans  les  documents  officiels.  A  trois  reprises,  en  866,  Hincmar  est  amené  à  parler 
des  autorités  canoniques  qui  justifient  la  condamnation  des  clercs  ordonnés  par 
Ebbon.  C'étaient  de  bonnes  occasions  pour  rappeler  les  autorités  invoquées  au 
concile  de  Soissons  de  853  :  la  lettre  d'Innocent  Ier  aux  évêques  de  Macédoine 
et  l'annulation  des  ordinations  faites  par  Constantin,  au  synode  romain  de  769. 
Que  fait  Hincmar  ?  Il  mentionne  la  lettre  d'Innocent  Ier,  qui  est  relative  à  un 
cas  d'illégitimité  et  non  pas  d'invalidité  ;  il  passe  complètement  sous  silence 
le  concile  romain  de  769,  dont  les  décisions  sont  relatives  exclusivement  à  des  cas 
d'invalidité.  Cette  omission  se  constate  dans  les  trois  cas  où  Hincmar  donne  les 
considérants  de  la  condamnation  de  853.  Cette  omission  est  donc  intentionnelle. 
Elle  accuse  le  changement  de  thèse  d'Hincmar.  Celui-ci  renonce  à  soutenir  la 
nullité  des  ordinations  faites  par  Ebbon  ;  il  veut  seulement  montrer  qu'elles 
sont  illégitimes  et  ont  été  condamnées  avec  raison.  A  cette  fin,  quand  il  fait 
allusion  aux  considérants  de  la  sentence  de  853,  il  remplace  le  concile  romain 
de  769  par  d'autres  autorités  :  des  lettres  de  Zosime  aux  évêques  d'Afrique, 
à  l'église  de  Marseille  et  à  Patrocle  d'Arles,  et  enfin  une  lettre  de  saint 
Léon.  Malgré  ces  ingénieuses  substitutions,  Hincmar  n'était  pas  rassuré  : 
il  craignait  la  clairvoyance  de  Nicolas  Ier.  »  L.  Saltet,  op.  cit.,  p.  131-132. 
Hincmar  était  personnellement  trop  engagé  par  les  décisions  du  concile  de 
853  pour  ne  pas  peser  autant  qu'il  était  en  son  pouvoir  sur  les  décisions  du 
concile  de  866.  Mais  son  esprit  retors  lui  avait  fait  trouver  une  combinaison  là 
où  son  bon  sens  lui  montrait  l'erreur  commise.  Il  ne  pouvait  plus  être  question 
de  la  nullité  prononcée  en  853,  mais  on  pouvait  arguer  d'une  sentence  de  dépo- 
sition rendue  alors.  Dans  quatre  mémoires  adressés  au  concile  de  866,  P.  L., 
t.  cxxvi,  col.  46  sq.,  Hincmar  suggérait  la  solution  suivante  :  ratification  par 
le  concile  de  la  sentence  de  853,  invitation  adressée  au  pape  Nicolas  de  gracier 
les  condamnés.  Le  concile  se  laissa  engager  dans  ces  vues  et  adressa  à  Nicolas  Ier 
une  lettre  synodale  rédigée  dans  ce  sens  par  Hincmar,  Hardouin,  Coll.  conc, 
t.  v,  col.  623,  et  portée  par  Égilon  de  Sens.  «  Un  point  préoccupait  l'archevêque. 
Nicolas  Ier  accepterait-il  la  thèse  de  la  légitimité  de  la  condamnation  de  853  et 
se  contenterait-il  d'accorder  leur  grâce  aux  clercs  d' Ebbon  ?  Le  pape  n'irait-il 
pas  demander  sur  quels  considérants,  sur  quelles  autorités  canoniques  on  fondait 
la  légitimité  de  la  première  condamnation  qu'on  s'obstinait  à  maintenir  ?  Si  le 
pape  était  assez  curieux  pour  poser  cette  question,  tout  le  système  construit  par 
Hincmar  s'écroulait:  on  verrait  fort  bien,  par  exemple,  que  les  autorités  patris- 
tiques  de  853  n'étaient  pas  les  mêmes  que  celles  de  866  ;  on  constaterait  que, 
tout  en  maintenant  la  condamnation  de  853,  Hincmar  en  changeait  l'objet  :  à  la 
déclaration  de  nullité  prononcée  par  le  concile,  il  substituait  une  prétendue  sen- 
tence de  déposition.  A  tout  prix,  il  fallait  éviter  ces  éclaircissements  et  mainte- 
nir la  question  dans  le  vague.  Hincmar,  Epist.  ad  Egilonem,  P.  L.,  t.  cxxvi, 
col.  67.  Hincmar    voulait  éviter  toute    discussion  sur  le  fond  de  l'affaire,  mais 


474.    CONCILE      DE      SOISSONS    EN.  866  395 

monter  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Bourges,  après  la  mort  de 
Rodulf  qui  était  malade  1.  Ainsi  renseigné,  le  pape  Nicolas  écrivit, 
le  3  avril  866,  à  Hinemar  :  «  Son  devoir  lui  impose  de  prendre  en 
main  la  cause  des  opprimés;  il  a  étudié  certains  documents  des 
archives  romaines  concernant  les  clercs  déposés,  et  en  a  conclu 
que  la  légalité  de  cette  déposition  n'est  pas  inattaquable.  Hine- 
mar ferait  bien  de  les  réintégrer  spontanément  :  s'il  s'y  refuse, 
les  archevêques  Rémi  de  Lyon.  A.don  de  \  ienne.  Wenilon  de 
Rouen,  avec  les  autres  archevêques  et  évêques  des  Gaules  et 
de  Neustrie,  devront  se  réunir  aussi  nombreux  que  faire  se  pourra, 
et,  avec  Hinemar  et  ses  sufïragants,  tenir  un  concile  à  Soissons. 
Wulfade  et  ses  amis  y  assisteront.  On  examinera  tout  ce  qui  con- 
cerne la  réintégration  de  ces  clercs  ;  si  elle  paraît  juste,  on  l'ac- 
nplira  sans  délai  ;  s'il  se  produit  dans  le  concile  des  diversi- 
tés d'opinions  et  si  les  clercs  déposés  font  appel  à  Rome,  ils  s'y 
rendront  avec  Hinemar,  dès  la  clôture  du  concile  fixé  au  [18] 
août  866.  Si  Hinemar  et  ses  clercs  ne  peuvent  venir  à  Rome  en 
personne,  ils  s'y  feront  représenter  par  des  fondés  de  pouvoir. 
Qu'on  n'objecte  pas  que  l'appel  à  Rome  aurait  dû  avoir  lieu 
dans  le  délai  d'un  an  à  partir  de  la  déposition  des  clercs,  car,  pour 
[3151  des  appels  au  Saint-Siège,  les  canons  ne  fixent  aucun  délai. 
D'ailleurs,   ces   clercs  en   avaient   appelé  au  pape   Léon   IV,   dans 

ses  calculs  furent  déjoués.  Ils  lui  valurent  des  lettres  très  dures  du  pape,  dans  les- 
quelles il  était  accusé  d'intrigue  et  même  de  faux.  Nicolas  Ier  posait  nettement  la 
question  ;  au  sujet  des  clercs  d'Ebbon,  il  ne  voulait  pas  entendre  parler  de  grâce, 
mais  de  justice.  Quelle  qu'ait  pu  être  l'indignité  d'Ebbon,  les  clercs  qui,  de  bonne 
foi.  se  sont  fait  ordonner  par  lui,  n'en  oui  reçu  aucun  préjudice,  en  vertu  de  l'en- 
seignement bien  connu  quod  mali  bona  ministràndo  sibi  tantummodo  noceant,  nec 
Ecclesise  sacramenta  commaculent.  Nicolas  Ier,  Epist.,  cvm,  P.  L.,t.  exix,  col.  1100. 
Hinemar  dut  se  soumettre.  Il  reconnut  la  bonne  foi  des  clercs  ordonnés  par 
Ebbon,  mais  ne  voulut  pas  avouer  expressément  que  leur  condamnation  avait 
été  injustifiée.  Hinemar,  Epist.,  xi,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  76  ;  H.  Schrôrs,  op.  cit., 
p.  287.  Ce  n'en  était  pas  moins  une  défaite  pour  l'orgueilleux  archevêque.  » 
L.  Saltet,  op.  cit.,  p.   133-134.   (H.  L.) 

1.  F.  Lot,  Une  année  du  règne  de  Charles  le  Chauve  (866).  dans  le  Moyen  Age, 
1902,  p.  393-438.  Outre  l'intérêt  qu'il  pouvait  porter  à  Wulfade,  le  roi  songeait 
surtout  à  faire  choix  d'un  métropolitain  capable  pour  le  siège  de  Bourges,  poste 
considérable  qui  exigeait  un  homme  actif  et  dévoué.  Le  roi,  d'ailleurs,  n'en  fait 
pas  mystère  dans  sa  lettre  au  pape  :  ubi  maxima  nécessitas  regni  noslri  immi- 
net..., ipsa  Ecclesia  sapienli  et  slrenuo  virilique  pastore  indiget  propter  quorumdam 
levitatem  morum  et  inconstantiam  ipsius  gentis.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  708-709. 
(H.  L.) 


396  LIVRE     XXIII 

le  délai  déterminé,  ainsi  qu'il  résulte  d'un  document  conservé 
aux  archives  de  Rome.  Hincmar  invoquera  peut-être  des  décrels 
des  papes  confirmant  la  décision  prise  au  sujet  de  ces  clercs.  .Mais 
s'il  examine  bien  ces  documents,  il  remarquera  que  le  point 
principal,  c'est-à-dire  la  validité  (summa  finnitas)  de  ces  décrets, 
est  laissée  à  l'arbitrage  du  Siège  apostolique  (allusion  à  la  clause 
indiquée  au  commencement  du  présent  paragraphe).  Au  reste, 
Rémi,  archevêque  de  Lyon,  reçoit  l'ordre  de  n'envoyer  aux 
évêques  la  lettre  de  convocation  au  concile  de  Soissons  que  si 
Hincmar  refuse  formellement  la  réintégration  des  clercs.  <>n 
devra  envoyer  au  Siège  apostolique  les  résultats  de  l'enquête, 
afin  qu'il  se  prononce  conformément  aux  décrets.  »  La  lettre 
se  termine  par  des  menaces  contre  Hincmar,  s'il  n'obéil 
pas  1. 

Les  lettres  du  pape  aux  autres  archevêques  de  France  pour 
porter  cette  affaire  à  leur  connaissance  et  les  prier  de  prendre 
part  au  concile  de  Soissons,  sont  à  peu  près  identiques  à  celle  que 
nous  venons  d'analyser.  Nous  possédons  encore  la  lettre  adressée 
à  Hérard,  archevêque  de  Tours  2.  Une  autre  lettre  (aujourd'hui 
perdue)  fut  adressée  à  Charles  le  Chauve  qui  répondit  immé- 
diatement :  «  Il  sera  heureux  de  pouvoir  honorer  un  légat  du 
pape,  et  plus  encore  le  pape  lui-même  s'il  venait  dans  les  Gau- 
les. Au  sujet  de  Wulfade  et  des  autres  clercs  déposés,  il  a  fait 
tout  ce  qui  dépendait  de  lui  pour  exécuter  les  ordres  du  pape 
et  n'a  cessé  d'engager  Hincmar  à  céder.  Celui-ci  lui  a  donné 
de  belles  paroles,  mais  il  ne  sait  pas  ce  que  cache  tout  ce  miel  3. 
Il  a,  du  reste,  décidé  de  donner  à  Wulfade  l'archevêché  de 
Bourges,  dont  le  titulaire,  Rodulf,  vient  de  mourir  (21  juin  866). 
Tous  les  évêques  et  les  fidèles,  en  particulier  ceux  du  diocèse, 
ont  approuvé  ce  choix,  car  Wulfade  paraît  l'homme  le  plus 
apte  à  remplir  cette  charge.  Charles  a  donné  l'Aquitaine  à  son 
jeune  fils  Charles,  assez  peu  intelligent    et   à   qui  Wulfade   servira 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  601;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  705. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  866,  n.  49;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  606; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  710. 

3.  Hincmai  et  Charles  le  Chauve,  qui  entretenaient  ordinairement  de  fort 
bonnes  relations,  s'étaient  brouillés  pendant  quelque  temps  à  cause  de  l'accord 
survenu  entre  Charles  et  l'adultère  Lothaire  IL  Cf.  V.  Noorden,  op.  cit.- 
p.  217.  [Sur  cette  brouille  et  ses  vrais  motifs,  cf.  J.  Calmette,  La  diplomatie  caro- 
lingienne, in-8,  Paris,  1901,  p.  101-103.  (II.  L.)] 


474.    CONCILE     DE     SOISSONS     EN     866  397 

[316]  de  conseiller.  L'affaire  de  Wulfade  n'étant  pas  encore  décidée 
(le  concile  ne  s'étant  pas  encore  réuni),  le  roi  demande  au  pape, 
afin  ([vie  l'Église  de  Bourges  ne  reste  pas  trop  longtemps  sans 
pasteur,  de  permettre  que  Wulfade  fût  ordonné  prêtre  en  sep- 
tembre et  prît  en  main  le  gouvernement  de  son  évêché.  S'il  ne 
veut  pas  donner  cette  autorisation  avant  de  connaître  le  ré- 
sultai de  l'enquête  synodale,  le  roi  sollicite  l'autorisation,  vu 
la  nécessité  présente,  de  confier  lui-même  à  Wulfade  le  gouver- 
nement de  cette  Église  pour  le  temps  de  la  vacance  1.  »  Le 
pape  répondit  qu'il  ne  pouvait  entrer  dans  ces  calculs  et  qu'il 
fallait  attendre,  avant  tout,  les  conclusions  du  concile  de  Sois- 
sons.  Sa  lettre,  où  Wulfade  est  désigné  comme  abbé,  est  du 
29   août  866  2. 

Deux  semaines  auparavant,  [18]août  866,  le  concile  de  Soissons 
s'était  réuni  3.  Sept  archevêques,   Hincmar,  Rémi  de  Lyon,  Fro- 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  603;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  707. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  605  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  709. 

3.  Sirmond,  Conc.  Galliœ,  t.  ni,  col.  280  ;  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  866  ;  Gallia 
christiana,  lre  édit.,  1656,  t.  iv.  col.  835-837  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  808- 
865, 1901-1920  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  599  ;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col. 
291  ;  Bouquet,  Rec.  des  hisl.  de  la  France,  t.  vu,  col.  586-588  ;  Mansi,  Conc. 
ampliss  .  coll.,  t.  xv,  col.  703  ;  Jafîé,  Regesla  ponlif.  Romanor.,  1851,  p.  255  ; 
2e  édit.,  t.  i,  p.  369;  Noorden,  Hincmar,  p.  218  sq.;  H.  Schrôrs,  Hinkmar  Erz- 
bischof  von  Reims,  sein  Leben  und  seine  Schriften,in-S,  Freiburg,  1884,  p.  277  sq. 
rectifie  la  date  au  18  août;  A.  Verminghoff,  Verzeichniss  der  Akten  jrânkischer 
Synoden  von  843-918,  dans  Neues  Archiv  der  Gesellschaft  fur  altère  deutsche  Ge- 
schichlskunde,  1901,  t.  xxvi,  p.  636-637;  F.  Lot,  Une  année  du  règne  de  Charles  le 
Chauve,  dans  le  Moyen  Age,  1902,  p.  1409  ;  enfin  nous  pouvons  aujourd'hui  citer  un 
document  mis  en  lumière  depuis  peu.  Sirmond,  Conc.  antiq.  Gall.,  t.  m,  p.  613, 
signale  l'existence  de  fragments  d'une  lettre  de  Nicolas  Ier  à  Charles  le  Chauve 
relative  à  la  convocation  du  concile  de  Soissons  en  866.  Ces  fragments  assez 
frustes  n'ont  pas  été  édités  par  Sirmond  ni  signalés  par  Verminghoff,  dans  son 
Catalogue  des  Actes  des  synodes  francs,  dans  Neues  Archiv,  t.  xxvi,  p.  636. 
M.  Lot,  Moyen  Age,  1902,  p.  409,  note  2,  les  a  crus  perdus  bien  qu'ils  eussent 
été  publiés  par  M.  Karl  Hampe  dans  Neues  Archiv,  1898,  t.  xxm,  p.  191- 
195;  enfin  D.  H.  Quentin  les  a  publiés  :  Lettre  de  Sicolas  Ier  pour  le  concile 
de  Soissons  cl  formules  ecclésiastiques  de  la  province  de  Tours  dans  un  manus- 
crit de  Nicolas  Le  Fèvre,  dans  le  Moyen  Age,  1904,   IIe  série,  t.  ix,  p.   97-114, 

d'après  le  ms.  lat.  1458  de  la  Bibl.  nationale.  La  lettre  dont  une  partie  a  dis- 
paru, rongée  par  l'humidité,  est  tout  entière  consacrée  à  l'objet  même  du  con- 
cile de  Soissons.  «  Malgré  les  lacunes  considérables  qui  résultent  de  l'état 
du  parchemin,  le  sens  de  nos  fragments,  écrit  D.  H.  Quentin,  est  encore  par- 
faitement net.    Le   pape   (lignes  1-3)    remercie  Charles    le   Chauve    de   l'accueil 


398  LIVRE    XXIII 

tard  de  Bordeaux,    Hérard  de  Tours,  Wenilon  de   Rouen,   Egilon 
de  Sens  et  Luitbert  de  Mayence  et  vingt-huit  évêques  assistaient 


empressé  qu'il  a  fait  à  son  légat  Arsène  et  immédiatement  il  entre  en  ma- 
tière. Les  plaintes  de  Wulfade  et  des  autres  clercs  déposés  par  Hincmar  sont 
parvenues  jusqu'à  lui  (lignes  4-7)  ;  il  a  donc  écrit  à  Hincmar  pour  l'engager 
à  reprendre  cette  affaire  de  lui-même  et  à  lui  donner  une  solution  plus  bénigne 
en  rétablissant  ces  clercs  (lignes  7-9).  Le  roi  est  prié  de  s'employer  dans  ce 
sens  auprès  du  prélat  (lignes  9-11).  Que  si  les  efforts  de  Charles  sont  inutiles, 
ordre  est  donné  tant  à  Hincmar  qu'aux  autres  archevêques  et  évêques  des 
Gaules  et  de  la  Neustrie  de  se  réunir  en  concile  à  Soissons,  pour  traiter  de  nou- 
veau l'affaire  et  la  résoudre  avec  tout  le  soin  qu'elle  mérite  (lignes  12-15).  Et  Hinc- 
mar doit  bien  s'en  persuader  :  le  devoir  du  pape  s'oppose  à  ce  qu'il  le  couvre  plus 
longtemps.  Le  pontife  le  voulût-il,  que  cela  ne  lui  serait  pas  possible.  Que  l'ar- 
chevêque prenne  donc  garde  de  ne  pas  s'attirer  des  désagréments  qu'à  coup  sûr 
il  ne  désire  pas  (lignes  16-17).  A  la  suite  de  cette  phrase  sévère,  une  lacune  de 
près  de  quinze  lignes  nous  empêche  de  suivre  la  pensée  du  pape,  mais  lorsqu'elle 
réapparaît  au  haut  de  la  page  suivante,  le  ton  n'est  guère  plus  agréable  pour  Hinc- 
mar. Nicolas  Ier  (lignes  34-36)  y  exhorte  fortement  le  roi  Charles  à  ne  pas  se  laisser 
circonvenir  par  l'archevêque,  puis  il  donne  (lignes  38-42)  les  raisons  pour  les- 
quelles il  a  choisi  comme  lieu  du  concile  la  ville  de  Soissons,  située  tout  à  la  fois 
dans  le  royaume  de  Charles  et  dans  la  province  d'Hincmar.  Il  recommande  de 
nouveau  (lignes  43-51)  Wulfade  et  ses  collègues  à  la  protection  du  roi  qu'à  l'avance 
il  remercie.  Enfin,  il  reproduit  pour  terminer  (lignes  51-55)  la  sorte  de  mise  en 
demeure  définitive  adressée  par  lui  à  Hincmar,  d'avoir  à  terminer  ette  aiîaire 
de  la  manière  qui  a  été  indiquée.  La  date  manque  dans  le  manuscrit,  mais  elle 
ne  peut  faire  l'objet  d'aucun  doute.  La  lettre  au  roi  Charles  fut  expédiée  en  même 
temps  que  celles  à  Hincmar,  à  Hérard  de  Tours,  à  Adon  de  Vienne,  dont  elle  re- 
produit parfois  les  termes  ;  elle  est  du  3  avril  866.  » 

A  cette  lettre,  Charles  le  Chauve  répondit  par  les  lettres  :  Sanctitatem  paterni- 
tatis  et  Sanctae  paternitatis  expédiées  à  un  ou  deux  mois  d'intervalle  et  inspirées 
par  la  teneur  même  de  la  lettre  du  pape  au  point  d'en  reproduire  verbalement 
plusieurs  expressions.  Hincmar  eut  connaissance  de  la  lettre  du  pape  au  roi. 
Dans  son  mémoire  In  aliis  adressé  à  Egilon,  il  se  plaint  vivement  du  préjudice 
que  lui  cause  cette  lettre.  Le  bruit  courait  alors  que  le  moine  Gombert  venait 
de  s'enfuir  du  monastère  d'Hautvilliers  emportant,  croyait-on,  des  réclamations 
de  Gotescalc  adressées  au  pape.  «  Cela  n'a  rien  d'étonnant,  écrit  en  substance 
Hincmar,  on  en  prend  maintenant  à  son  aise  avec  moi.  Et  audiens  quod domnus 
Apoatolicus  domno  régi  Carolo  de  me  scripsit  quia  semper  me  légère  non  débet 
a  talibus,  née  valet,  ut  providerem,  ne  proeis  tandem  aliquando  incurram  quee  non 
opto  ;  et  ipse  fraler,  et  alii  licenter  quse  volunt  nul  mQliuntur,  aut  faciunt.  La  phrase 
dont  Hincmar  était  si  blessé  provient,  notre  fragment  le  prouve,  de  la  lettre  du 
3  avril  où  nous  la  retrouvons  dans  les  mêmes  termes  (lignes  16-17).  C'est  donc 
à  l'affaire  de  Wulfade  qu'elle  se  rapporte  directement  et  il  faut  abandonner  l'hy- 
pothèse d'une  lettre  perdue  écrite  par  Nicolas  Ier  on  laveur  de  Gotescalc.  Voici  la 
texte,  tel  qu'il  est  établi  par  D.  II.  Quentin.  L'italique  désigne  les  passages  recons- 
titués d'une  manière  certaine,  le  plus  souvent  à  l'aide  d'autres  lettres  dont  on 


474.     CONCILE    DE      SOISSONS     EN     866  399 

à  la  session  d'ouverture  1.  Wulfade  et  ses  amis  y  assistaient  égale- 
trouvé  le  texte  dans  les  notes  de  D.  H.  Quentin.  Les  mots  entre  crochets  >  sont 
des  reconstitutions  moins  certaines  ou  même  quelquefois  de  simples  indications 
complétant  le  sens  d'une  phrase  aux  endroits  plus  importants. 

[Fol.  162,  ligne  1]  Nicolaus,  servus  servorum  Dei,  Dilecto  filio  Karolo  glorioso 
régi...   [2]       Promptissiy?nœ       devotioni    quam   in  adventu    missi    nostrt  

exhibuistis     [3]  gratias    agimus    et    omnipotentem    dominum    pro 

vestri [4]  smdebimus.    Cœterum   dilectissi/ne scias      [5] 

c/amores    et   gemitus  depositorum  a  îratre  et  coepiscopo  nostro  Hincmaro, 

Vul  [6]  fadi  scilicet  et  collegarum  eius,  pervenisse    usque        ad  nos et  que- 

relas  > [7]    ipsorum    aures    cordis     nostri     modis     omnibus    pénétrasse 

Monuimus  igitur     [8]  dictum     anlistitem    quatinus    circa  eos  benigni- 

us  agens      de    restitutione    [9]     ipsorum   îralerne  iractet  et  pie  deliberel. 

Quamo        brem gloriam       [10]  vestram  ut  ad  hoc  eum    /to/tari  et  admo- 

nere  pro  dei  et....  [11]  sui  amore  procuret  summopere  deprecami/r [12]  Quin 

si  non    inde    vobis  obedierit  iussimus   tam    ipsi quam      [13]   ceteris 

Galliarum    et    Nenstria?    archiepiscopis  et    episcopis    i        n    Suessonicam  urbem 

convenire       [14]    et  huius    modi    negotium    studiosissime    ventilare  u [15] 

tia  iustitiae  adinventa  poterit  utique  confusioni  non  mod [16]  Et  quia  sem- 

per  illum  légère  nec  debemus  a  tahbus,  nec  valemus,  pr&videat  ne  pro  eis  tan    [17] 

dem   aliquando   incurrat   quae   non   opta  vit.    Unde   secundum    datam [18] 

quœ  in  ornamento  gloriœ  vestrœ  potiss [19]  scimus  et  gaudemus   quia   dili- 

gitis   eum [20j   lectione  quam  circa  regnum [21]   diligi  rite    creditur, 

si [22]  Nam  duo    sunt  quae    nos   scribe [23]    intra  regnum   vestrum... 

[24]  ignorant [25]  ad [26-33] [fol.  162,  v»  1.  34J cavete  sollicite 

ne  ipse  vos  ad  se  trahere  quibuscumque  [35]  valeat  argumentis  quo  aut  ne  nobis 
oiœdiat  fautorem  vos  habeat,  aut  contra  mémo  [36]  ratos.  deiectos  animum  vestrum 

commoveat  crudele esse  fr [37]  psalmista  contra  impiosq [38] 

Apud       suessonicam  autem  urbem  id  circa  conventum [39] et  ge- 

nium  fratri  et  coepiscopo  nostro  Hincmaro  [40] undique  convenire  praecepi- 

mus  conveniens  esset  atque  con  [41] prœdicta  urbs  in  regno  vestro    et    in 

diocesï edicti  [42] fertur   ad hinc    inde    confluentibus     n ter 

apta  [43] ra  ni  intercédant  beneficiorum  insignia  memorati  deiecti  [44] 

eg et  quasi  a  nobis  iuxta  pr s  pietati  vestra?  commendat  [45] defensio- 

nis  vestrae  clipeo  muniantur  quatinus  inter  tôt    [46] praeconia,     inter    tôt 

obœdientiaj  laudanda  fastigia  inter  toi    [47] s  judicia.    Quœ  iure  iam  circa 

nos  exercere  consuevit  benigni  [48]  tasvestra  u quod  de  récupéra- 
tion deiectorum  ipsorum.  Precamur  summum  et  sin  [49] tionibus  memo- 

riale  tribuat  et  nomen  vestrum  in  œternum  exaltet.  Quoniam   [50] mu\Va. 

et  magna  poscimus,  quia  multa  et  magna  impetrare  [51] id  eztremum  vero 

Hincmarus  frater  et  coepiscopus  [b2]nosler  ut  a  nobis  fuit  admonitus  provideat 
ne  ullo  pacto  quod  de  pra?fatis  remotis  clericis  sanximus  [53]  œstimel  negligendum, 
eum  a  nobis  incunclanter  nosse  poterit,  si  contemptum  fuerit,  omnino  [54]  dis 
ulciscendum,  quippe  quos  nec  caritas  fraternitatis,  nec  dispensatio  loci  cui  dei 
[55]auctore  prœsidemus,  quousque  regularem  finem  opitulante  ipso  capiat,  a 
?iobis  patitur  omittendum.  (H.  L.) 

1»  Les  archevêques  de  Mayence  (royaume  de  Louis  le  Germanique)  et  de  Lyon 


400  LIVRE     XXIII 

ment.    Dès    le   début,    Hincmar   remit    au   synode     quatre    hbelli 
exposant    l'état  de  la   question   et  les   principes   canoniques   qui, 
d'après  lui,  devaient  servir  à  la  juger  ;  il  ne  dissimulait  pas  son 
mécontentement    à    l'égard    du    pape    .Nicolas,  et   traduisait  son 
irritation   par  des  expressions  pins  ou    moins  déguisées.    11  disait 
dans  le  premier  de  ses  libelli  :  «  Ces   iils   de   l'Eglise  de    Reims  de 
collegio  Wuldafi  n'ayant  pas  été  déposés  par  lui    et    par    ses    sul- 
fragants,    n'avaient    pas   à   être    réintégrés    par   eux   aux    termes 
du    c.     5   de    Nicée   et   du   c.    4    d'Anlioche.    Après   une    (simple) 
suspense    (par    lui    Hincmar),    ils    s'étaient     adressés  à  un    grand 
concile     composé    de    cinq    provinces    qui    les    avait    condamnés, 
conformément  aux    canons    et    aux    décrets    des    papes.  Il  ne  les 
avait  donc  pas  lui-même  déposés   (comme  le  pape    l'affirmait),  il 
n'avait    pas    même    signé    la    sentence   avec  les    juges,   les   actes 
en  l'ont  foi;  il  s'était  contenté,   sur  le  désir  des  juges,   de   servir 
d'intermédiaire   pour    l'aire   connaître    à     Rome    la    décision    que 
Benoît    III   et   le   pape   régnant   avaient   confirmée   sous    menace 
d'anathèmes     pour    quiconque    y    contreviendrait.    Sur    ce    point   [317] 
encore,    on    n'a    < | u ' à     se    rapporter     aux     documents     intacts  et 
non    interpolés.    Comme     le      Saint-Siège     affirme    constammen  I 
que   ses   décisions   sont  sans   appel,   il   ne    peut    croire   que    cette 
question    puisse    être    l'objet  d'un    nouvel    examen.    Maintenant 
que  le  pape  a  chargé  un  concile  de  reprendre  l'examen  de  cette 
affaire,     il     obéit,     comme    il    avait    obéi    lorsque    les     évêques 
(plusieurs    membres    de     la    première    assemblée    se    retrouvaient 
ici)  avaient  rendu   une   première  décision    (exhortation    indirecte 
à  être  conséquents  avec  eux-mêmes).  Il  est    donc    prêt    à    adhérer 
à  ce  que,  conformément  à  la  lettre  du    pape,   le   concile    ordonnera 
en  maintenant  respectueusement  les  décisions  antérieures,  ainsi  que 
s'exprimait  le  pape  Gélase,  et  en  sauvegardant  les  privilèges  du 
Siège  de   Rome.   Son    intention    n'est    pas    de  nuire   à    ces    clercs 
dont    le  sort     ne   lui  fait  pas  envie;  mais  il  n'a    pu    condescendre 
aux. désirs  du    pape    el    les  réintégrer   lui-même,  les  canons  ne  le 
lui  permet  lanl  pas.  Le  pape   dil    dans    la    lettre  aux  évêques:  «    Je 
ne  m'opposerai  pas    à    la    décision    prise  à   l'égard  de  ces  clercs, 
si  elle  n'est    pas  en    opposition    avec  les  lois    de  l'Église.  »   Il    est 
curieux  de  savoir  en  quoi  ces  décisions  pourraient  présenter  une 

(royaume  de  Lothaire)  siègent,  avec  les  évêques  du  royaume  de  Charles  le  Chauve. 

(H.  L.) 


474.     CONCILE     DE    SOlSSONS    EN     S  G  G  4(ji 

pareille  opposition,  cl  il  attend  qu'on  lui  prouve  que  1rs  décrets 
de  confirmation  donnés  par  Benoit  et  par  Nicolas,  avec  menace 
d'anathèmes,  peuvent  être  annulés  sans  aucun  préjudice  pour 
le  Siège  apostolique  et  sans  danger  général.  De  telles  tergiver- 
sations sont  très  périlleuses,  plusieurs  papes  les  ont  blâmées 
très  énergiquement,  et  le  pape  Léon  a  dit  à  ce  sujet  :  «  Je  se- 
«rais  le  premier  transgresseur  de  mes  propres  décrets  et  je  devrais 
«  m'infliger  à  moi-même  les  peines  dont  j'ai  menacé  les  autres, 
«si  je  m'efforçais  de  détruire  ce  que  j'ai  moi-même  élevé.  »  Du  reste, 
il  ne  fait  pas  toutes  ces  citations  dans  l'intention  de  s'opposer 
au  pape  et  aux  décisions  du  concile  qui  seraient  conformes  aux 
règles  canoniques  :  il  ne  veut  que  se  remettre  en  mémoire  les 
principes,  afin  de  pouvoir  se  diriger  dans  le  cas  présent  et  appren- 
dre comment  il  devra  suivre,  sans  aucune  hésitation,  les  décisions 
du  concile  (  !).  » 

Le  second  traité,  relatif  à  Ebbon,  réfute  ceux  qui  soutenaient 
la  nullité  de  la  déposition  de  cet  archevêque  et  par  conséquent 
de  l'élection  d'Hincmar.  Hincmar  entre  dans  tous  les  détails, 
fait  voir  qu'Ebbon,  justement  déposé,  avait  réoccupé,  au  mépris 
des  canons,  le  siège  de  Reims.  «Pour  l'en  punir,  le  pape  Serge 
l'avait  réduit  à  la  communion  laïque  ;  nonobstant  il  continua 
[318]  l'exercice  des  fonctions  épiscopales,  ce  qui,  loin  de  démontrer 
son  innocence,  ao-cn-avait  au  contraire  sa  faute.  En  obtenant  un 
évêché  dans  la  province  de  Mayence  (Hildesheim),  il  s'était  mis 
en  opposition  formelle  avec  les  canons  ;  en  revanche,  l'ordination 
d'Hincmar  s'étail  faite  régulièrement  et  avait  été  confirmée 
par  le  pape.  »  Hincmar  lit  ensuite  remettre  au  concile  toute  une 
série  de  documents  :  procès-verbal  des  conciles  de  Soissons  (853). 
et  de  Bourges  (842),  décrets  de  confirmation  de  Benoît  III,  de 
Nicolas  Ier,  etc. 

Dans  le  troisième  libellus,  Hincmar  cite  plusieurs  anciennes 
décisions,  soit  des  papes,  soit  des  conciles,  montrant  qu'autrefois 
toul  en  usant  d'indulgence  envers  les  coupables  (comme  par 
exemple  à  Nicée  envers  Mélèce),  on  n'avait  cependanl  pas  désa- 
voué les  jugements  plus  sévères  et  conformes  au  droit  déjà  por- 
tés contre  les  coupables.  Au  contraire,  ou  avail  formellement 
déclaré  ces  premiers  jugements  équitables  et  présenté  la 
nouvelle  sentence  comme  un  acte  de  miséricorde,  Il  soumet 
ces  exemples  à  ses  collègues,  afin  qu'ils  agissent  de  même, 
et    ajoute    que,    sans    abroger    la    première    décision     relative     à 

conciles  —  IV  -  2fi 


402  LIVRE    XXIII 

ces  clercs,  ils  devront  se  contenter  de  l'adoucir  par  espril  de 
miséricorde;  Si  le  concile  votait  à  l'unanimité  un  décret  qui  leur 
fût  favorable  cl  si  le  pape  le  confirmait,  il  est  prêt,  pour  sa 
part,  à  l'accepter  ;  niais  il  faut  veiller  à  ce  qu'il  n'en  résulte 
aucun  dommage  et  que  nul  ne  soit  amené  à  exercer  des  fonc- 
tions ecclésiastiques  sans  être  clerc,  ou  du  moins  sans  être 
régulièrement  ordonné. 

Afin  de  mettre  sous  les  yeux  du  concile  les  divers  aspects  de 
la  question,  Hincmar  ajoute  le  quatrième  libellus.  Il  ne  peut 
cacher  qu'après  sa  déposition  Wulfade  a  usurpé,  au  mépris 
des  canons,  l'église  de  Langres,  sous  le  nom  d'un  évêque  sup- 
posé, et  s'en  est  approprié  les  revenus  qui  auraient  dû  être 
gérés  par  un  économe.  I  n  concile  (on  ne  dit  pas  lequel)  l'ayant 
troublé  dans  cette  usurpation,  il  n'a  été  reçu  à  la  communion 
dont  il  s'était  fait  exclure,  qu'à  la  suite  d'excuses  écrites  et  sur  la 
promesse  jurée  de  ne  jamais  plus  se  charger  du  gouvernement 
d'une  Église.  Ce  furent  ces  empiétements  de  Wulfade,  qui  ne 
respecta  pas  plus  les  décisions  de  Soissons  de  853  que  leur  con- 
firmation par  Benoît,  qui  décidèrent  Hincmar  à  demander  à 
Nicolas   de   les  confirmer  une  fois  de  plus. 

Le   quatrième  libellus  parut    trop    blessant    pour  quelques-uns 
des  assistants  ;  aussi  ne  fut-il  pas  lu  publiquement.   Par  contre, 
Hérard,    archevêque    de  Tours,    déclara  solennellement  au    nom 
du    concile    que  nul    ne  devait    croire    que    l'assemblée    rejetait 
les    décisions  de    l'ancien    concile  tenu  dans   cette  ville,    comme  [3191 
si     ces    décisions     étaient    condamnables,    nonobstant     leur     con- 
tinuation   par    le    Saint-Siège.    Le     premier     jugement    avait    été 
équitable  ;  mais  les  préceptes  divins  permettaient  d'user  de  grâce 
là  où  on  pouvait  agir  en  droit,  et  d'adoucir  par  la   miséricorde 
une  juste  sévérité.  De  même  qu'on  s'était  adressé  au  Siège  apos- 
tolique lors  des  premières  décisions,  on  le  ferait  encore  cette  fois, 
et  si  Rome  donnait   son   adhésion,  le  concile  ferait  preuve  d'une 
prudence   ecclésiastique   en  rendant   une   décision   plus   douce.  — 
Hérard  fit  ensuite  connaître  le  désir  de  Charles  le  Chauve,  que  sa 
femme   Hermentrude  fût  solennellement  bénie  comme  reine  par 
les  évoques.   Il  était,  il  est  vrai,  marié  depuis  longtemps  (vingt- 
quatre    ans)  ;    mais    il  faisait    cette  demande    clans    l'espoir    que 
celle  bénédiction  lui  obtiendrait  de  nouveaux  héritiers  plus  aptes 
au    gouvernement   que    ceux   qu'il    avait    eus    jusqu'ici.    Il    avait 
consacré    à    Dieu     certains    de    ses    enfants    (  Carloman    abbé    de 


474.     CONCILE     DE    SOISSONS     EN     866  403 

Saint- Médard);  d'autres  se  trouvaient  en  proie  à  de  cruelles  souf- 
frances (Charles  le  Jeune  par  exemple).  Le  couronnement  cl  la 
bénédiction  d'Hermentrude  eurenl  lieu  au  monastère  de  Saint- 
Médard,  à  Soissons  :  noua  possédons  encore  dans  les  œuvres 
d'Hincmar  le  formulaire  qui  servil   dans  celte  solennité  '. 

Le  concile  éciivil  au  pape,  le  25  août,  une  lettre  2,  presque  en- 
tièrement  empruntée  au  troisième  li bellus  d'Hincmar  :  le  concile 
ne  peul  accéder  aux  désirs  du  pape  demandant  la  réintégration 
de  ces  clercs  (sans  aucune  décision  conciliaire  préalable),  paire 
que  les  canons  ne  le  permettent  pas.  Sans  doute  ces  clercs,  n'é- 
tanl  pas  personnellement  responsables  de  l'irrégularité  de  leur 
ordination,  méritent  qu'on  use  d'indulgence  à  leur  égard,  et 
le  concile  les  aurait  sans  hésiter  réintégrés,  n'était  son  respect 
pour  les  deux  décrets  de  confirmation  émanés  des  papes  Benoît 
et  Nicolas.  Seul  le  pape  peut  toucher  à  ces  décrets  et  réin- 
tégrer ces  clercs  en  réformant  la  décision  précédente,  ce  qui 
n'est  pas  sans  exemple.  En  tous  cas  on  doit  respecter  la  pre- 
mière sentence  rendue  à  Soissons,  d'accord  avec  les  anciens 
canons  et  les  décrets  des  papes.  Si  le  pape  le  jugeait  convena- 
r3201  '''('-  on  pourrait  traiter  ces  clercs  comme  le  concile  de  Nicée 
fit  pour  les  donatistes  ;  les  réintégrer  dans  leurs  fonctions  et  les 
déclarer  aptes  à  l'épiscopat  ;  le  pape  veillerait  à  ce  qu'un  tel 
exemple  n'engageât  pas  d'autres  clercs  à  exercer,  au  mépris  du 
droit,  des  fonctions  ecclésiastiques. 

Dans  une  seconde  lettre  au  pape  le  concile  se  plaint  des  Bre- 
tons qui  ont  séparé  leur  pays  de  la  province  ecclésiastique  de 
Tours,  chassé  plusieurs  évêques,  intronisé  leurs  remplaçants  au 
mépris  des  canons,  pillé  des  évêchés,  entre  autres  Nantes,  et 
refusé  de  prendre  part  au  concile.  Aussi  la  situation  de  l'Eglise 
est-elle  des  plus  lugubres  dans  leur  pays.  Le  concile  prie  donc 
le  pape  d'ordonner  au  duc  des  Bretons  de  s'amender  et  de 
prêter  obéissance  au  roi  Charles.  On  le  prie  encore  d'écouter 
favorablement  Actarcl,  évèque  de  Nantes,  que  le  concile 
charge  de    lui    donner    de    vive    voix    les    détails     nécessaires  3. 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  621  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  725  ;  Pertz,  op. 
cit.,  t.  i,  p.  507;  Hincmar,  dans  P.  L.,  t.  cxxv.  col.  814.  [Capitularia,  édit.  Krauss, 
t.  ii,  p.  453  sq.  (H.  L.)] 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  623  ;  Mansi,  op.  cit.,  I.  v\ ,  col.  728. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  627  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  723.  La  plainte 


404 


LIVRE     XXIII 


Le   concile   de    Soissons    paraît   s'être   aussi   préoccupé   d'amé- 
liorer la  situation  de  l'Eglise  ;  c'est  du  moins  le  but  que  se  propose 


est  déposée  par  le  métropolitain  de  Tours  et  l'évêque  de  Nantes.  Les  évêques  se 
plaignent  d'une  situation  remontant  à  plus  de  vingt  ans,  ce  qui  nous  reporte 
vers  848-856.  Depuis  lors,  les  évêques  bretons  ne  paraissent  plus  aux  conciles  de 
la  province,  pas  plus  d'ailleurs  qu'au  sacre  des  évêques.  Toute  cette  situation 
troublée  est  contemporaine  de  l'époque  de  la  diffusion  des  fausses  Décrétales. 
Noménoé  a  expulsé  de  leurs  sièges  les  évêques  restés  fidèles  à  la  cause  de  Charles 
le  Chauve,  il  les  a  remplacés  par  des  évêques  à  sa  dévotion  qui,  pour  la  lui  témoi- 
gner, ont  consenti  à  faire  du  duc  breton  un  roi.  C'est  une  véritable  insurrection 
contre  la  métropole  traditionnelle  et  la  question  politique  se  trouve  étroitement 
liée  à  la  question  hiérarchique.  Le  mouvement  sécessionniste  s'affirme  et  s'orga- 
nise par  l'érection  de  Dol  en  métropole  de  la  nouvelle  province  bretonne.  L'évê- 
que de  Tours,  l'épiscopat  franc,  le  roi  Charles  et  le  pape  peuvent  réclamer  à 
l'aise,  on  n'en  a  cure.  Sur  ces  événements  voir  Chronicon  Namnelense,  édit. 
Merlet,  dans  la  Collection  pour  servir  à  l'étude  et  à  l'enseignement  de  l'histoire, 
in-8,  Paris,  1896,  fasc.  19,  introduction,  p.  lviii-lix,  et  p.  33-39  ;  L'émancipa- 
tion de  l' Église  de  Bretagne  et  le  concile  de  Tours,  dans  le  Moyen  Age,  1898,  p.  1-30* 
Le  chapitre  xix  de  la  chronique  de  Nantes  renferme  une  sorte  de  diatribe  contre 
la  nation  bretonne.  L'auteur  n'a  fait  que  reproduire  en  les  amplifiant  les  accu- 
sations portées  contre  les  Bretons  par  les  évêques  réunis  à  Soissons  en  866  ;  il 
a  même  pris  soin  d'insérer  dans  son  ouvrage  la  lettre  de  ces  évêques  au  pape 
Nicolas  Ier  et  il  ne  fait  pour  son  compte  que  paraphraser  les  mêmes  griefs.  Chro- 
nicon Namnetense,  édit.  Merlet,  préface,  p.  xxix-xxxi.  La  lettre  en  question  fai- 
sant allusion  à  un  conflit  qui  dure  depuis  près  de  vingt  ans  permet  de  voir  une 
mention  du  synode  que  Noménoé  convoqua  au  château  de  Coitlouh  et  où  fut 
décrétée  l'indépendance  des  diocèses  bretons  vis-à-vis  de  la  métropole  de  Tours. 
Si,  comme  on  peut  le  supposer,  écrit  M.  Merlet,  op.  cit.,  p.  52,  les  prélats  assemblés 
à  Soissons,  en  866,  étaient  bien  informés  sur  les  affaires  ecclésiastiques  de  Breta- 
gne, ce  passage  de  leur  lettre  au  pape  pourrait  servir  à  fixer  la  date  du  synode  de 
Coitlouh,  que  l'on  hésite  à  placer  en  848  ou  849. Malheureusement,  de  la  formule, 
jam  vicesimus,et  eo  licet  paululum,  adsit  annus  quo...  semble  prêter  à  l'équivoque. 
Si  cette  phrase  signifie  :  «  il  y  a  déjà  plus  de  vingt  ans  »,  on  devrait  en  conclure 
que  le  synode  de  Coitlouh  est  de  l'année  846;  ce  qui  est  inadmissible,  car  l'on 
est  certain  que  cette  assemblée  est  postérieure  au  mois  de  février  848.  Mais,  après 
le  mot  paululum,  on  peut  sous-entendre  minus  aussi  bien  que  magis  ;  et  alors 
cette  même  phrase  signifierait  :  «  déjà  la  vingtième  année  est  proche,  quoiqu'elle 
ne  soit  pas  encore  arrivée.  »  Il  en  résulterait  qu'au  mois  d'août  866,  on  n'était 
encore  que  dans  la  dix-neuvième  année  à  partir  du  synode  de  Coitlouh  et,  par 
conséquent,  la  date  de  ce  synode  se  placerait  entre  le  mois  de  février  et  le  mois 
«faon)  de  l'année  848.  Presqiic  aussitôt,  pendant  l'hiver  de  850-851,  Noménoé 
s  empara  des  pays  de  Rennes  et  de  Mantes  et  envahit  les  comtés  d  Anjou  et 
du  Maine.  Noménoé  s'était  fait  proclamer  roi,  il  n'avait  plus  rien  à  ménager  et  on 
s'en  aperçoit.  Une  lettre,  aujourd'hui  perdue,  que  le  pape  Léon  IV  lui  adresse 
en  850,  n'obtient  même  pas  l'honneur  d'être  lue.  Les  évêques  réunis  au  concile 
de  Tours,  en  janvier  851,  lui  en  font  un  reproche  :  ne  litleras  quidern    ipsas  rece- 


174.     CONCILE     DE    SOISSONS     EN     866  405 

le  décret  rendu  en  faveur  du  monastère  de  Solemniac  (Solignac), 
près    de    Limoges,    dont    il    confirme    les    privilèges,    ses  archives 

pisti.  —  Epistolam  Sedis  aposlolicse  respuisti,  existimans  aliqua  in  ea  libi  noxia 
continere.  C'était  donc,  depuis  le  synode  de  Coitlouh,  où  furent  déposés  les  évè- 
ques  accusés  «le  simonie  par Noménoé, la  guerre  ouverte.  Toutefois  le  pape  Nicolas, 
qui  avait  affaire  à  de  plus  gros  personnages,  l'empereur  Michel  ou  le  roi  Lothaire, 
n'était  pas  homme  à  être  intimidé  par  ce  duc  moitié  breton  moitié  sauvage. 
Dans  sa  lettre  adressée,  en  866,  au  duc  des  Bretons,  le  pape  témoigne  quelesévê- 
ques  déposés  par  Noménoé  furent  condamnés  par  les  laïcs  et  non  par  des  prélats, 
et  ils  n'avouèrent  que  contraints  et  forcés  une  culpabilité  imaginaire.  Voir 
L.  Duchesne,  Fastes  épiscopaux  de  la  Gaule,  in-8,  Paris,  1900,  t.  n,  p.  257-258, 
et  un  concile  de  Rome  sous  Léon  IV,  ibid.,  p.  258-259,  et  les  Appendices  de  ce 
tome  iv. 

La  Chronique  de  Nantes  est  le  plus  ancien  témoignage  de  la  création  des  trois 
évêchés  de  Dol,  de  Saint-Brieuc  et  de  Tréguier,  témoignage  postérieur  de  deux 
siècles  au  moins  à  l'événement,  ce  qui  autorise  à  avancer  qu  ou  manque  de  preu- 
ves pour  affirmer  que  Noménoé  soit  l'auteur  de  la  répartition  de  la  Bretagne  en 
neuf  évêchés.  Ce  qui  est  hors  de  doute  c'est  qu'il  établit  un  archevêché  à  Dol  et 
qu'il  affranchit  les  diocèses  de  Bretagne  de  la  juridiction  métropolitaine  de  Tours. 
L'auteur  de  la  Chronique  était  lui-même  partisan  de  la  suppression  de  l'archevê- 
ché de  Dol  et  du  rattachement  des  évêchés  bretons  à  la  province  de  Tours.  Cette 
question  de  la  sécession  des  évêchés  bretons  et  de  leur  organisation  reste  donc 
obscure.  M.  Duchesne  a  accordé  trop  de  confiance  au  Chroniqueur  de  Nantes, 
Catalogues  épiscopaux  de  la  province  de  Tours,  p.  83-99  ;  Fastes  épiscopaux  de 
l'ancienne  Gaule,  in-8,  Paris,  1900.  t.  n,  p.  256-274  ;  la  métropole  de  Dol, 
A.  Lemoyne  de  la  Borderie,  Histoire  de  Bretagne,  in-8,  Rennes,  1896,  t.  n,  p.  50, 
58  ;  L.  Levillain,  Les  réformes  ecclésiastiques  de  Noménoé,  dans  le  Moyen  Age, 
1902,   p.   201-257. 

Et  toujours  l'histoire  des  fausses  Décrétales  et  du  trouble  apporté  par  cet 
écrit  fameux  se  laisse  entrevoir  plus  que  pénétrer.  On  est  alors  en  pleine  efferves- 
cence de  revendications  et  de  remaniements.  L'institution  des  métropolitains 
d'apparence  purement  ecclésiastique  à  l'origine  est  vite  devenue  une  machine 
politique  dont  les  princes  se  sont  emparés  de  leur  mieux  pour  centraliser  et  faire 
échec  au  pape.  Celui-ci  est  servi  par  des  gens  que  le  faux  en  écriture  ne  trouble 
guère.  C'est  une  mêlée  générale.  Peut-être  le  pseudo-Pelage  II  prend-il  parti  dans 
cette  retentissante  querelle,  quand  il  déclare  (Hinschius,  Décrétâtes,  p.  724) 
qu'une  certa  provincia  doit  n'avoir  qu'un  roi  et  compter  dix  ou  onze  cités  épis- 
copales  et  autant  d'évèques.  Il  ne  faut  pas,  ajoute-t-il,  que  les  provinces  per- 
dent leur  rang  et  leur  honneur  ;  elles  doivent  avoir  autant  d'évèques  qu'il  en  faut 
pour  juger  une  affaire  et  ne  pas  être  obligées  de  recourir  à  des  étrangers.  Il  sem- 
ble, écrit  M.  E.  Lesne,  La  hiérarchie  èpiscopale,  1905,  p.  198,  que  ce  soit  seule- 
ment à  propos  des  affaires  de  Bretagne  qu'on  puisse  discuter  en  ce  temps 
quelles  conditions  doit  remplir  une  province  bien  faite,  dont  personne  ne  saurait 
mettre  en  suspicion  l'indépendance,  une  certa  provincia.  Ailleurs,  la  politique  n'a 
rien  changé  à  l'organisation  provinciale  traditionnelle  ;  les  provinces  de  Reims 
et  de  Mayence  sont  partagées  à  la  suite  du  traité    de    Verdun,     entre    plusieurs 


406  LIVRE     XXIII 

ayant  été  brûlées  par  les  Normands.  Nous  trouvons,  dans  les 
signatures  de  ce  décret,  le  nom  de  Wulfade,  avec  cette  désignation  : 
etsi  indignus,  gratia  tamen  Dei,  sanctse  metropolis  Biturigensis 
Ecclesise  episcopus.  Les  Annales  Bertiniani  1  nous  apprennent 
qu'aussitôt  après  la  publication  des  décrets  du  concile  de  Soissons, 
Charles  le  Chauve  fit  prendre  possession  à  Wulfade  de  l'Église 
de  Bourges  et  de  ses  dépendances,  par  l'intermédiaire  du 
prince  Carloman,  abbé  de  Saint-Médard,  et  au  mois  de  septem- 
bre, c'est-à-dire  quelques  jours  après,  il  le  fit  sacrer  évêque  par 
Aldon,  évèque  de  Limoges  et  sufîragant  de  Bourges.  Nous  voyons, 
par  les  actes  du  concile  de  Troyes  2,  que  quelques  membres  du  con- 
cile de  Soissons  prirent  part  à  cette  nomination  et  à  cette  consé- 
cration de  Wulfade.  Cela  ferait  penser  qu'il  y  aurait  eu,  après  cette 
consécration,  une  autre  session  du  concile  pour  prendre  en  con- 
sidération les  pétitions  du  monastère  de  Solignac.  On  s'explique 
aisément  que  Wulfade  ait  signé  le  premier  puisque  Solignac  et 
l'évêché  de  Limoges  appartenaient  à  sa  province  ecclésiastique.  — 
Sirmond  a  proposé  une  autre  explication  :  d'après  lui  Wulfade,  [321] 
déjà  évêque,  aurait  apposé  après  coup  sa  signature  au  décret. 


rois  et  ces  partages  politiques,  que  peut-être  le  faussaire  condamne  quand  il 
déclare  qu'une  province  ne  doit  avoir  qu'un  roi,  ne  détruisaient  pas  du  moins 
le  groupement  provincial.  En  Bretagne,  la  politique  fait  apparaître  une  province, 
innovation  qu'il  convient  de  confronter  avec  de  prétendues  règles  disciplinaires. 
Le  faussaire  a  peut-être  le  souci, naturel  chez  un  clerc  sujet  de  Charles,de  favoriser 
les  intérêts  du  roi  et  du  métropolitain  de  Tours.  Hinschius,  op.  cit.,  p.  ccix-ccx. 
L'évêque  de  Dol  ne  peut  prétendre  à  la  qualité  d'archevêque  puisqu'il  n'a  que 
six  sufîragants  et  que  pour  constituer  une  province  il  faut  un  plus  grand  nombre 
de  diocèses.  P.  L.,  t.  cxix,  col.  969.  La  province  de  Tours  ne  doit  pas  perdre  son 
rang  et  son  honneur.  Si  les  sept  évêques  bretons  reconnaissent  l'autorité  de  leUr 
métropolitain,  celui-ci  présidera  à  onze  Eglises.  Il  sera  possible  de  réunir,  sans 
sortir  de  la  province,  les  douze  évêques  nécessaires,  comme  Léon  IV  vient  de  le 
rappeler  aux  évêques  bretons,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xiv,  col.  882,  pour  juger  les  cau- 
ses épiscopales.  Enfin,  puisqu'une  province  n'a  qu'un  roi,  celui  qui  a  pour  sujet 
l'archevêque  de  Tours  est  aussi  roi  de  Bretagne,  et  Noménoé  a  usurpé  un  titre  qui 
n'appartient  qu'à  Charles.  Ce  passage  du  pseudo-Pelage  trahit  sans  doute  d'autres 
préoccupations,  mais  le  faussaire  a  vraisemblablement  songé  aussi  en  l'écrivant 
au  schisme  qui  ruine  l'organisation  traditionnelle  de  la  province  de  Tours.  Voir 
enfin  F.  Lot,  Le  schisme  breton  du  ixe  siècle.  Etude  sur  les  sources  narratives,  dan 
Mélanges  d'histoire  bretonne,  in-8,  Paris,  1907,  p.  58-96,  et  P.  Fournier,  Les 
fausses  décr étales.  (H.  L.) 

1.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  475. 

2.  Voir   §  475. 


474.     CONCILE     DE     SOISSONS     EN     866  407 

Le  roi  Charles  et  Hincmar  joignirent  aux  actes  de  Soissons  des 
lettres  pour  le  pape,  et  on  envoya  Égilon,  archevêque  de  Sens, 
porter  à  Rome  tous  ces  documents.  Le  roi  Charles  assure,  dans  sa 
lettre  au  pape,  qu'Hincmar  aurait  vivement  désiré  satisfaire  à 
la  demande  de  Sa  Sainteté,  concernant  la  réintégration  immé- 
diate des  clercs  déposés,  mais  les  lois  de  l'Eglise  s'y  .opposaient. 
Dans  le  concile  il  avait  témoigné  à  ces  clercs  les  sentiments  les 
plus  bienveillants  (la  dernière  lettre  du  roi,  que  nous  avons  ana- 
lysée, était  moins  favorable  à  Hincmar).  Le  roi  n'avait  pas 
donné  l'Église  de  Bourges  à  Wulfade  avant  la  décision  du  pape  ; 
il  lui  avait  seulement  confié  par  intérim  et  en  commende  les 
biens  de  cette  Église,  pour  les  sauvegarder.  Il  priait  enfin  le  pape 
de  ratifier  au  plus  tôt  l'élection  de  Wulfade,  afin  qu'il  devînt 
un  appui  pour  le  malheureux  prince  Charles  L 

Dans  sa  lettre  au  pape  (1er  septembre  866)  Hincmar  rapporte, 
de  la  manière  que  nous  avons  dit,  pourquoi  il  n'a  pu  réin- 
tégrer les  clercs:  elle  indique  ensuite  les  résolutions  très  mo- 
dérées prises  par  le  synode  à  leur  sujet  et  y  adhère  complète- 
ment, sous  réserve  des  privilèges  du  Siège  apostolique.  Wulfade 
et  ses  amis  n'ayant  pas  fait  appel,  Hincmar  n'avait  pas  non  plus 
envoyé  à  Rome  de  fondés  de  pouvoir,  le  pape  n'ayant  prescrit 
cet  envoi  que  pour  le  cas  où  il  y  aurait  eu  appel.  Hincmar  assure 
en  terminant  que  Wulfade  et  ses  neuf  collègues  du  diocèse  de 
Reims  n'avaient  jamais  eu  à  souffrir  de  sa  part  ;  quant  à 
Theutberge,  il  n'avait  rien  à  en  dire  au  pape.  Depuis  qu'Ar- 
sène avait  quitté  Attigny,  il  n'avait  revu  ni  elle  ni  le  roi  Lo- 
thaire  -. 

Avec  ses  instructions  Hincmar  remit  à  Egilon  tous  les  docu- 
ments nécessaires,  en  particulier  des  extraits  des  lettres  pontifi- 
cales, afin  qu'ayant  toutes  ces  pièces  sous  les  yeux  il  pût 
protester,  si  les  Romains  venaient  à  dénaturer  leurs  propres 
[322]  décisions  3.  Quant  aux  documents  remis  au  concile  par  Hinc- 
mar, Égilon  n'en  avait  pas  besoin,  car  s'ils  arrivaient  aux 
mains  du  pape  et  des  Romains  ceux-ci  pourraient  penser  que 
les  membres  du  concile  avaient  été  divisés,  et  l'affaire   de  Wulfade. 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  629  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  734. 

2.  Hardouin,op.  cit.,  t.  v,  col.  651  ;  Mansi.  op.  cit.,  t.  xv,  col.  765;  P.  L.,  t.  cxxv, 
col.  61. 

3.  H.  Schrôrs,  Hinkmar,  p.  281.  (H.  L.) 


108  LIVRE     XXIII 

que  le  roi  désirait  voir  se  terminer  au  plus  tôt,  pourrait  traîner 
en  longueur  (Hincmar  donne  néanmoins  ici  le  résumé  des 
écrits  et  documents  présentés  par  lui  au  concile).  Égilon  de- 
vait surtout  faire  ressortir  que  le  concile  avait  regardé  comme 
légitime  la  déposition  d'Ebbon,  et  comme  absolument  nulle 
sa  réintégration,  et  que  ce  n'était  pas  Hincmar,  mais  un  con- 
cile des  cinq  provinces,  qui  avait  déposé  ces  clercs  conformé- 
ment aux  lois  de  l'Eglise.  Il  rappellerait  également  que,  d'après 
les  paroles  mêmes  du  pape,  on  ne  devait  pas  abroger  ce  qui 
était  conforme  aux  lois  de  l'Église  ;  cependant  le  concile,  vou- 
lant s'associer  aux  sentiments  de  miséricorde  manifestés  dans 
la  lettre  du  pape,  avait  décidé,  à  l'exemple  du  concile  de  Nicée, 
de  respecter  l'autorité  des  premiers  décrets  et  celle  des  évêques 
qui  les  avaient  portés,  tout  en  usant  de  douceur  à  l'égard  des 
coupables.  Au  pape  maintenant,  en  [vertu  de  son  autorité,  de 
modifier  le  premier  décret  confirmé  par  lui-même.  A  l'occasion, 
Egilon  ferait  observer  que,  si  les  premières  décisions  étaient 
infirmées,  on  pourrait  facilement  infirmer  aussi  les  dernières, 
en  sorte  qu'on  rendrait  discutables  toutes  les  décisions  quel- 
conques des  synodes  et  des  papes.  Il  rappellerait  comment 
Gûnther  de  Cologne  s'était  conduit  à  l'égard  des  excommu- 
nications. Puisque,  dans  sa  lettre,  le  pape  reprochait  à  Hinc- 
mar une  dureté  digne  des  Pharaons  à  l'égard  de  ces  clercs, 
Egilon  assurerait  qu'Hincmar  les  avait  constamment  traités 
avec  douceur  et  n'était  pas  tel  que  ses  ennemis  le  dépei- 
gnaient. Enfin,  il  devait  dire  que  la  lettre  de  Léon  IV  trai- 
tant de  l'appel  des  clercs  n'était  pas  connue  en  France.  Il  se 
procurerait,  autant  que  possible,  un  exemplaire  des  gesta  pon- 
tificum  de  Serge  contenant  la  condamnation  d'Ebbon  par  ce 
pape  1,  car  on  ne  possédait  dans  les  Gaules  que  les  anciens 
gesta  2. 

Le  pape  Nicolas  ne  fut  pas  satisfait  de  ce  qui  s'était  passé  à 
Soissons,  et  exprima  son  mécontentement  dans  quatre  lettres 
datées  du   6  décembre  866  3.   La  première,   adressée   à    tous    les 


1.  Voir  §  441. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  653  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.    xv,   col.   768  ;   P.    L., 
t.  cxxv,  col.  64. 

3.  H.  Schrôrs,  op.  cit.,  p.  283.  (H.  L.) 


Ï74.     CONCILE     DE     SOISSONS      EN      866  409 

[323]  évoques  du  concile,  exprime  d'abord  sa  satisfaction  de  la  con- 
corde qui  avait  régné  dans  l'assemblée  ;  puis  il  attaque  Hincmar. 
Les  actes  du  premier  concile  de  Soissons  1  donnent  prise  à  la 
crii  ique,  sur  plusieurs  points.  On  y  affirme  que  Wulfade  et 
ses  amis  avaicui  comparu  volontairement  devant  le  concile, 
tandis  qu'en  réalité  ils  avaienl  été  contraints.  Wulfade  est 
nommé  parmi  ceux  qui  on1  demandé  à  être  admis  dans  l'as- 
semblée, et  cependant  il  n'y  comparu l  pas.  En  nuire,  ces  actes 
témoignent  que  la  sentence  était  rédigée  avant  l'enquête  ;  un 
métropolitain  (Hincmar)  y  a  fait  usage  de  ses  droits,  ou  s'en 
est  abstenu  à  son  gré  ;  on  l'a  vu  tour  à  tour  président  et  sujet 
du  concile,  tantôt  accusateur,  tantôl  juge,  jouant  à  volonté  tous 
les  rôles.  Ces  clercs  ont  dû,  contre  leur  gré,  en  appeler  au 
synode  cl  se  présenter  comme  accusateurs.  Hincmar  n'a  pas  in- 
séré dans  les  actes  la  formule  d'appel  et  l'acte  d'accusation, 
tandis  qu'il  joignait  des  pièces  bien  moins  importantes.  Quoi- 
que a  lisent,  Wulfade  a  été,  au  mépris  de  tout  droit,  compté 
parmi  les  appelants.  L'obéissance  de  ces  clercs  à  leur  supérieur 
(Ebbon)  leur  a  été  imputée  à  crime,  et  ils  ont  été  condamnés 
comme  hérétiques.  Quant  à  la  confirmation  du  concile  par  le 
pape,  voici  ce  qui  s'était  passé.  A  plusieurs  reprises,  Hincmar 
avait  écrit  au  pape  Léon  au  sujet  de  Wulfade,  ce  qui  lui  avait 
plu,  et  réclamé  l'approbation  du  concile.  Le  pape  s'y  était  refu- 
sé, parce  qu'on  ne  lui  avait  pas  transmis  les  actes  de  Soissons 
(853)  et  que  les  clercs  déposés  en  avaient  appelé.  Malgré  tout, 
Hincmar  n'avait  pas  envoyé  les  actes,  qu'il  savait  n'être  pas  en 
règle,  et  s'était  contenté  de  demander  une  fois  de  plus  leur  confir- 
mation. Pour  ces  divers  motifs,  le  pape  Léon  avait  prescrit  la 
réunion  d'un  concile  franc,  devant  lequel  les  deux  parties  au- 
raient exposé  leur  cause  en  présence  du  légat  du  pape  Pierre, 
évêque  de  Spolète,  et  des  autres  évêques.  Hincmar  avait  repoussé 
cette  proposition.  Sur  ces  entrefaites,  Léon  était  mort;  son 
successeur  Benoît,  ne  connaissant  pas  toute  l'astuce  d' Hincmar, 
avait  octroyé  la  confirmation  demandée,  mais  sous  la  réserve  de 
l'autorité  du  Saint-Siège  et  à  condition  que  ces  faits  fussent 
conformes  à  l'exposé  d' Hincmar.  Or,  toutes  les  fois  qu'Hincmar 
parlait  de  la  confirmation  pontificale,  il  passait    cette  clause  sous 


1.    Voir   §  452. 


410  LIVRE    XXIII 

silence;  bien  plus,  il  avait  altéré  le  texte  de  la  confirmation  de 
Benoît  1.  C'était  un  exemplaire  falsifié,  qu'Hincmar  avait  pré- 
senté au  dernier  concile  de  Soissons,  empêchant  ainsi  les  évêques  [3241 
de  terminer  l'œuvre  commencée  (la  réintégration  des  clercs),  et 
cela,  par  respect  pour  les  décrets  de  confirmation  émanés  par 
des  papes.  (Or,  selon  Nicolas,  les  évêques  auraient  pris  un 
autre  parti  s'ils  avaient  pu  lire  cette  clause  :  «  si  les  faits  sont 
conformes  à  l'exposé  d'  Hincmar  .  »)  Le  pape  avait  chargé  le 
concile  d'examiner  l'affaire  avec  soin  et  de  la  résoudre  d'un 
commun  accord.  Les  évêques  ont  été,  Dieu  merci,  unanimes  à 
reconnaître  l'opportunité  de  la  réintégration  des  clercs  qu'ils 
tenaient  tous  pour  innocents.  Cependant  ils  n'y  ont  pas  solen- 
nellement réintégré  ces  clercs,  et  ils  ne  lui  ont  pas  transmis,  mal- 
gré sa  demande,  une  relation  complète  de  ce  qui  s'était  passé.  Ils 
auraient  dû,  non  seulement  lui  exposer  par  écrit  ce  qui  s'était 
dit  au  sujet  de  la  déposition  et  de  la  réintégration  d'Ebbon, 
de  l'ordination  de  ces  clercs  et  de  la  seconde  déposition  d'Eb- 
bon, mais  aussi  lui  envoyer  les  documents  officiels  relatifs  à  ces 
incidents.  Il  en  est  temps  encore.  L'adhésion  d' Hincmar  aux 
décisions  modérées  du  concile  prête  à  rire  ;  plus  ridicule  encore 
est  son  affirmation  que  ces  clercs  n'avaient  été  ni  suspendus 
ni  condamnés  par  lui.  Les  actes  du  premier  concile  de  Sois- 
sons,  envoyés  par  lui-même  à  Rome,  prouvent  que  ces  clercs 
avaient  été  suspendus  par  Hincmar  avant  leur  comparution 
devant  le  concile.  Ce  sont  les  clercs  eux-mêmes  qui  affirment  ces 
faits  dans  leur  appel  adressé  à  Léon.  Si  Hincmar  n'avait  lui- 
même  souscrit  la  déposition  des  clercs,  ou  plutôt  s'il  ne  l'avait 
lui-même  provoquée,  il  n'aurait  pas  demandé  au  pape  de  la  con- 
firmer. D'après  cela,  Nicolas  adhérerait  volontiers  à  la  décision 
du  dernier  concile  de  Soissons  concernant  la  réintégration 
de  ces  clercs.  Toutefois,  comme  la  question  n'est  pas  encore 
parfaitement  élucidée,  il  veut  différer  d'imposer  cette  solu- 
tion ;  en  attendant,  comme  la  suspense  de  ces  clercs  est  évidem- 
ment illégale,  il  ordonne  de  leur  rendre  tout  d'abord  leurs 
anciennes    fonctions    et     dignités.     Cela    fait,     Hincmar    présen- 


1.  Dans  sa  lettre  à  Hincmar,  que  nous  allons  analyser  avant  la  fin  de  ce 
paragraphe,  Nicolas  fait  beaucoup  mieux  ressortir  la  falsification  dont  il  accuse 
l'archevêque  de  Reims  ;  mais  voir,  en  sens  contraire,  ce  qui  sera  dit  à  ce  su- 
jet §  475. 


474.    CONCILE     DE    SOISSONS    EN     866  411 

tera,  au  Saint-Siège,  dans  le  délai  d'un  an,  ses  accusations  contre 
eux  et  les  preuves  de  leur  déposition  canonique.  S'il  ne  le  fait  pas, 
le  pape  n'aura  pas  de  repos  qu'Hincmar  ne  reconnaisse  lui-même 
que  ces  clercs  ont  été  réintégrés  en  justice  (et  non  par  grâce) 
L  J  ou  ne  prouve  qu'il  avait  eu  raison  de  les  déposer  autrefois; 
autrement  le  pape  devrait  admettre  que  non  seulement  ces 
clercs,  mais  aussi  Ebbon  qui  les  avait  ordonnés,  avaient  été 
tous  injustement  déposés,  ce  dont  personne  ne  doutait,  sauf 
Hincmar  (?).  Le  pape  reproche  ensuite  aux  évêques  d'être  allés 
plus  loin  qu'il  ne  leur  avait  permis.  Il  ne  les  avait  pas  autorisés, 
en  effet,  à  présenter  un  de  ces  clercs  pour  un  degré  supérieur  ; 
c'est  cependant  ce  qu'on  avait  fait,  grâce  à  leur  condescendance 
(pour  Wulfade).  En  agissant  ainsi,  ils  ont  fait  preuve  d'incon- 
séquence ;  en  même  temps  qu'ils  laissent  au  pape  le  soin  de  réin- 
tégrer ces  clercs  dans  leurs  anciennes  fonctions,  ils  présentent 
l'un  d'eux  pour  un  rang  supérieur.  Enfin,  si  l'on  veut  arguer  de 
ce  que  le  pape  Serge  n'avait  pas  jugé  Ebbon  digne  de  la  com- 
munion des  clercs,  il  faut  se  souvenir  que  le  Siège  apostolique, 
tant  que  l'affaire  d'Ebbon  n'avait  pas  été  examinée  de  nou- 
veau, traita  cet  évêque  conformément  à  la  sentence  prononcée 
contre  lui;  d'ailleurs  Ebbon  ne  vint  pas  à  Rome  porter  son  appel, 
mais  y  demander,  en  compagnie  de  plusieurs  rebelles,  le  pallium 
qu'il  voulait  avoir,  quoique  simple  évêque.  Quoi  qu'il  en  soit  de 
la  culpabilité  d'Ebbon,  elle  ne  peut  nuire  à  ceux  dont  tout  le 
crime  est  de  lui  avoir    obéi  1. 

La  seconde  lettre  du  pape  est  adressée  à  Hincmar;  après  un 
début  peu  amical,  Nicolas  y  renouvelle  tous  les  reproches  des 
lettres  précédentes  et  presque  dans  les  mêmes  termes  :  «  Dans 
le  premier  concile  de  Soissons  on  a  commis  beaucoup  d'illé- 
galités :  Hincmar  n'a  pas  tenu  le  concile  prescrit  par  le  pape 
Léon  ;  il  a  extorqué  au  pape  Benoît  la  confirmation  du  premier 
concile  ;  enfin  il  a  falsifié  les  décrets  du  pape,  ce  qui  lui  a 
permis  de  décider  le  dernier  concile  de  Soissons  à  ne  pas  termi- 
ner l'œuvre  commencée.  Hincmar  a  osé  envoyer  à  Rome  un 
exemplaire  du  décret  de  Benoît  ainsi  dénaturé  ;  heureusement 
on  sarde  dans  les  archives  de  l'Eglise  romaine  les  documents 
authentiques.    Il    devrait    rougir  de  faire    œuvre    de  faussaire.    » 


1.  Baronius,    Annales,  ad  ann.   866,  n.  52  ;  Hardouin,  op.  cit.,   t.  v,  col.  633; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  738. 


412  LIVRE     XXIII 

Le  pape  parle  ensuite  de  la  mission  confiée  au  nouveau  conci'e 
qu'il  loue  d'avoir  fait  preuve  de  tant  d'union  et  d'avoir  déclaré, 
en  principe,  les  clercs  innocents.  L'adhésion  d'Hincmar  aux  déci- 
sions du  concile  prête  à  sourire  ;  plus  encore  son  affirmation  de 
n'avoir  pas  condamné  lui-même  les  clercs.  Il  est  faux  qu'il  ait 
constamment  voulu  le  mieux.  Il  n'est  pas  convenable  de  von-  [326] 
loir  tromper  et  abaisser  le  Siège  apostolique.  Ebbon  ayant  élé 
injustement  déposé,  la  déposition  des  clercs  ordonnés  par  lui 
est  aussi  injuste.  Mais  le  pape  ne  veut  pas  s'étendre  plus  long- 
temps sur  ce  point,  car  il  se  propose  non  de  nuire  à  Hincmar, 
mais  de  lui  être  utile.  Il  a  quelques  raisons  de  douter  que  la  der- 
nière lettre  envoyée  à  Rome  par  Hincmar  soit  réellement  de  lui, 
car  elle  n'a  pas  été  apportée  par  un  messager  spécial  et  ne 
porte  pas  le  sceau  de  l'archevêque.  Vient  ensuite  la  sentence  du 
pape  au  sujet  des  clercs  (c'est  la  même  que  celle  de  la  lettre  pré- 
cédente). Nicolas  termine  en  reprochant  à  Hincmar  de  porter  le 
pallium  à  des  époques  insolites,  pour  pouvoir  s'élever  orgueil- 
leusement au-dessus  des  autres  archevêques.  Sans  doute,  il  a 
le  privilège  spécial  de  le  porter  omni  tempore,  mais  il  doit  user 
de  ce  privilège  avec  modération,  sous  peine  de  se  le  voir 
retirer  \ 

Dans  sa  troisième  lettre  (6  décembre  866),  le  pape  loue  le  roi 
Charles  le  Chauve  de  sa  bonne  volonté  pour  la  réintégration  des 
clercs,  ce  qui  fait  oublier  la  part  prise  à  leur  déposition.  Si  Charles 
affirme  que  les  décrets  des  papes  ont  seuls  empêché  Hincmar 
de  satisfaire  au  désir  de  Nicolas,  c'est  qu' Hincmar  en  avait 
en  partie  celé  le  contenu.  Ils  ne  renfermaient  pas  un  privilège 
spécial  dispensant  Hincmar  d'obéir  aux  ordres  ultérieurs  des 
papes  ;  au  contraire,  on  n'entendait  donner  de  valeur  à  ces 
décrets  que  jusqu'à  une  nouvelle  décision.  En  terminant,  le 
pape  demande  au  roi  de  pardonner  sans  réserve  à  Baudouin  2. 
Enfin,  dans  la  quatrième  lettre,  le  pape  annonce  à  Wulfade 
et  à  ses  amis  leur  réintégration,  leur  donne  des  conseils  pater- 
nels, les  exhorte  à  se  montrer  respectueux  et  obéissants  vis-à-vis 
d'Hincmar,  leur  défend  de  se  plaindre  de   lui   ou  de   s'en  venger, 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  640  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  745. 

2.  Voir  §    468.    Hardouin,    op.    cit.,    t.    v,    col.    648  ;    Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.   573. 


475.     CONCILE     D<E    TROYKS     EN     8G7  413 

et    enfin  leur  indique  le  délai  assigné  à   Hincmar  pour   produire 
ses   preuves   contre  eux  1. 


475.  Concile  de  Troyes  en  867. 


A  son  retour  de  Rome,  Égilon  remit,  le  20  mai  8G7,  à  Charles 
[327]  le  Chauve  les  dépêches  qu'il  avait  apportées.  Le  roi  se  trouvait 
alors  au  château  de  Samoussy  2,  près  de  Laon,  en  compagnie 
d'Hincmar,  de  Wulfade  et  de  ses  amis,  enfin  de  Rothade  de  Sois- 
sons  et  d'Hincmar  le  jeune,  évêque  de  Laon  3.  On  décida  proba- 
blement alors  la  convocation  d'un  nouveau  concile  à  Troyes  pour 
satisfaire  le  pape,  qui  réclamait  un  compte-rendu  complet  de  ce 
qui  se  passerait,  et  les  documents  officiels  relatifs  à  la  déposition 
et  à  la  réintégration  d'Ebbon  ainsi  qu'à  l'ordination  des  clercs. 
Mais  une  campagne  entreprise  contre  Salomon,  duc  de  Bretagne, 
retarda  ce  concile  de  Troyes,  et  Hincmar  utilisa  les  quelques  jours 
qui  s'écoulèrent  entre  le  retour  de  Samoussy  et  l'expédition  con- 
tre Salomon,  à  laquelle  il  prit  part  ainsi  que  les  autres  évêques, 
pour  écrire  en  secret  au  pape  une  lettre  très  humble  :  il  craignait 
alors  les  deux  princes  aux  désirs  desquels  il  n'avait  pu  satisfaire 
(Lothaire  et  l'empereur  Louis).  «  Il  a,  disait-il,  réintégré  les  clercs, 
sitôt  reçues  les  lettres  du  pape,  dont  il  est  décidé  à  exécuter  les 
ordres.  Le  mécontentement  du  pape  l'afflige  fort,  et  il  faut  que 
son  Créateur  connaisse  en  lui  bien  des  fautes  pour  l'avoir  livré  si 
souvent  et  si  durement  à  cette  sorte  de  feu  du  purgatoire  que 
le  Siège  apostolique  lui  a  fait  subir,  par  l'elfet  des  machinations 
de  ses  ennemis.  Mais  par  la  grâce  de  Dieu,  quoique  pécheur,  il 
n'a  pas  à  se  reprocher  les  fautes  dont  on  l'accuse  à  Rome  : 
jactance  vis-à-vis  du  Saint-Siège,  astuce  et  cruauté.  Au  sujet 
d'Ebbon  il  existe  de  nombreux  documents,  même  à  Rome  : 
mais  il   préfère  ne  pas  parler  de  la  déposition    de     ce    prélat,    de 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  64'j  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xi 

2.  Village  de  l'arrondissement  de  Laon,  département  de  l'Aisne.  (H.  L.) 

3.  Hincmar,  Epist.,  xi,  ad  Nicolaum,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  76;  Hardouin,  op.  cit., 
t.  v,  col.  657;  Mansi,  op.  cit..,  t.  xv,  col.  772;  Pertz,  op.  cit.,  t.  [i,  p.  474.  [H.  Schrôrs, 
Hinkmar,  p.  283.  (H.  L.)] 


414  LIVRE     XXIII 

peur  de  paraître  déprécier  un  défaut  à  son  avantage.  Sans 
discuter  la  déposition  d'Ebbon,  il  se  bornera  à  quelques 
réflexions.  A  vrai  dire,  Ebbon  s'est  déposé  lui-même,  non  qu'il 
ait  cédé  à  la  crainte,  à  la  force,  ou  à  la  ruse,  mais  par  conscience 
de  ses  fautes  et  sur  le  conseil  de  quelques  évêques  en  qui  il  avait 
confiance.  Les  fautes  qu'il  avoue  entraînaient  nécessairement  la 
résignation  (preuves  tirées  de  la  Bible  et  des  lois  de  l'Église). 
Des  évêques  qui  avaient  pris  part  à  la  déposition  d'Ebbon,  le  |.^-J^J 
seul  survivant,  de  ce  côté  des  Alpes,  est  Rothade  et  de  ceux 
qui  l'avaient  ordonné,  lui  Hincmar,  il  ne  reste  que  Rothade 
et  Erpoin  de  Senlis  ;  tous  les  évêques  et  clercs  des  provinces 
franques  ont  été  ordonnés  par  ceux  qui  avaient  déposé  Ebbon  et 
l'avaient  intronisé  lui  Hincmar.  Récit  de  son  élévation.  Un  an 
après,  par  haine  contre  Charles  le  Chauve,  dont  Hincmar  était 
partisan,  Lothaire  avait  obtenu  du  pape  Serge  une  nouvelle 
enquête,  et  Guntbold,  archevêque  de  Reims,  reçut  ordre  de 
tenir  un  concile.  Ebbon  n'y  comparut  pas,  quoique  cité,  et  n'en 
appela  pas  non  plus  à  Rome.  Plus  tard,  sans  avoir  été  réinté- 
gré, Ebbon  s'empara  de  l'évêché  d'Hildesheim,  au  mépris 
des  canons.  Quant  à  Wulfade  et  à  ses  compagnons  d'infortune, 
Hincmar  ignorait  d'abord  qu'ils  eussent  été  ordonnés  par  Ebbon 
après  sa  déposition,  et  les  évêques  ses  consécrateurs  lui  avaient 
recommandé  de  ne  les  écarter  des  fonctions  sacrées  qu'après 
l'issue  de  l'enquête  ouverte  sur  cette  affaire.  Il  ne  nie  pas  avoir 
sollicité  du  pape  Léon  la  confirmation  des  décrets  du  synode  de 
Soissons  de  853,  et  avoir  essuyé  un  refus  de  ce  pape,  soit  parce  <|iic 
les  actes  de  ce  concile  n'avaient  pas  été  transmis  à  Rome,  soit 
parce  que  ces  clercs  en  avaient  appelé.  Mais  le  pape  ignore 
qu'aucun  évêque  ne  peut  entreprendre  un  voyage  de  quelque 
durée  sans  la  permission  du  roi.  De  plus,  l'empereur  Lothaire 
avait  prié  le  pape  de  ne  pas  confirmer  les  décrets  des  évêques. 
Sur  ces  entrefaites,  Hincmar  avait  envoyé  à  Rome  des  lettres 
et  des  messagers.  En  route,  ces  messagers  apprirent  la  mort 
de  Léon  ;  ils  poursuivirent  néanmoins  leur  voyage,  et  à  leur 
arrivée  le  pape  Benoit  leur  accorda  la  confirmation  demandée  \ 
Que  le  pape  Léon  ait  prescrit  de  tenir  un    concile  sous  la  prési- 


1.  Ce  renseignement  est  concluant  contre  la  fable  de  la  papesse  Jeanne,  car, 
d'après  cette  fable,  ia  papesse  aurait  régné  un  an  et  demi  après  Léon  IV  et  avant 
Benoît  III. 


475.     CONCILE     DE    TROYES     EN     867  415 

dence  du  légat  Pierre,  évêque  de  Spolète,  personne  n'en  sait  rien. 
S'il  n'avait  pas  scellé  sa  lettre  au  pape  remise  à  Égilon,  c'est 
que  le  concile  n'avait  pas  non  plus  scellé  la  sienne  :  il  eût  mar- 
qué de  la  défiance  en  apposant  son  sceau.  Le  pape  peut  être 
assuré  qu'après  avoir  connu  sa  volonté  au  sujet  des  clercs, 
il  y  a  adhéré  sans  restriction  aucune,  et  qu'il  lui  en  écrit  sans 
arrière-pensée.  —  Hincmar  va  maintenant  si  loin  qu'il  est  le 
[diyj  premier  à  rapporter  ce  qui  peut  être  favorable  à  ces  clercs.  Ils 
ont,  dit-il,  affirmé  leur  ignorance  de  la  déposition  d'Ebbon,  et 
se  sont  vus  forcés  de  recevoir  de  lui  des  ordres.  La  copie  du 
décret  de  confirmation  de  Benoît  III  envoyée  à  Rome  par  Hinc- 
mar n'a  pas  été  falsifiée  par  lui  ;  elle  contenait  la  clause  :  si 
ita  est,  etc.,  ainsi  qu'en  fait  foi  un  passage  de  la  lettre  d' Hincmar 
accompagnant  cet  envoi.  Si  on  a  envoyé  un  document  falsifié, 
il  n'y  est  pour  rien.  Il  a  présenté  au  dernier  concile  de  Soissons 
le  texte  original  de  ce  décret  et  non  une  copie  (ce  qui  revenait 
à  dire  que  l'argumentation  du  pape  dans  sa  lettre  péchait  par 
la  base).  Il  ne  se  servait  presque  jamais  du  pallium,  sauf  à  Noël 
et  à  Pâques.  Hincmar  s'apitoie  ensuite  sur  le  traitement  qu'on 
lui  a  fait  subir,  sur  son  grand  âge,  et  demande  s'il  pourrait  pro- 
mouvoir ces  clercs  à  un  rang  supérieur  s'ils   y    étaient  élus  1. 

Les  clercs  porteurs  de  cette  lettre  arrivèrent  à  Rome  au  mois 
d'août  867,  et  trouvèrent  le  pape  très  absorbé  parles  affaires 
des  Grecs.  Aussi  durent-ils  attendre  quelque  temps  la  réponse 
très  amicale  pour  Hincmar,  que  Nicolas  leur  remit  le  23  octobre; 
Nicolas  y  recevait  les  excuses  d' Hincmar  et  les  tenait  pour 
suffisantes.  Dans  une  seconde  lettre  à  Hincmar  et  aux  autres 
évêques  du  royaume  de  Charles,  le  pape  leur  communiquait 
les  diverses  accusations  portées  par  les  Grecs  contre  les 
Latins,  et  leur  demandait  de  s'appliquer  à  les  réfuter  2.  Cette 
dernière  lettre  existe  encore,  et  nous  en  parlerons  plus  loin  ;  la 
première  est  perdue. 

Le  25  octobre  867  s'ouvrit  le  concile  de  Troyes  3.  L'invitation 
des  évêques  des    royaumes    de    Charles    et    de    Lothaire   à  leurs 


1.  Hincmar,  Epist.,  xi.    Cf.    Noorden,  Hinkmar,  p.  226  sq. 

2.  Nicolas,  Epist.,  lxx;  Annales  de  Saint-Bertin,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  475; 
Flodoard,  Hist.  Eccl.  Remensis,  1.  III,  c.  xvn. 

3.  Sirmond,  Conc.  Gallise,  1629,  t.  ni,  col.  353  ;  Coll.  regia,  t.  xxn,  col.  879; 
Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  868-882,  cf.  col.  864   ;  Mabillon,  De  re  diplomalica, 


416  LIVRE     XXIII 

collègues  du  royaume  de  Louis  le  Germanique,  nous  est  parvenue; 
mais  on  s'explique  difficilement  qu'elle  ait  trait  à  ce  concile,  étant 
datée  du  mois  d'avril,  tandis  qu'Egilon  ne  revint  d'Italie  qu'au 
mois  de  mai  867  et  le  concile  dépendait  entièrement  des  ins- 
tructions qu'il  rapportait  K  De  plus,  dans  l'énumération  des  |330] 
points  dont  le  concile  aura  à  s'occuper,  la  lettre  omet  préci- 
sément le  motif  principal  de  la  réunion.  A  ce  concile  de  Troyes 
assistèrent  vingt  évêques  du  royaume  de  Charles  le  Chauve, 
parmi  lesquels  les  six  métropolitains  Hincmar,  Hérard  de  Tours, 
Wenilon  de  Rouen,  Frotar  de  Bordeaux,  Égilon  de  Sens  etWulfade 
tic  Bourges  2.  Tout  d'abord,  quelques  évêques,  par  égard  pour 
le  roi  Charles  et  son  favori  Wulfade  3,  voulurent  déclarer  invalide 
la  déposition  d'Ebbon;  mais  Hincmar  défendit  si  bien  sa  cause 
par  des  raisons  et  par  les  lois  de  l'Eglise  4,  que  la  majorité  se  rallia 
à  lui  et  décida  d'en  écrire  à  Rome.  «  Le  pape,  dit  la  lettre  syno- 
dale 5,  a  demandé  un  rapport  détaillé  sur  la  déposition  d'Ebbon, 
sa  réintégration,  l'ordination  de  Wulfade,  etc.  ;  mais  comme 
aucun  des  évêques  présents,  sauf  Rothade,  n'était  évêque  et 
témoin  à  l'époque  de  ces  événements,  les  membres  du  concile 
se  sont  vus  obligés  de  composer  leur  récit  à  l'aide  des  documents 
cl  de  divers  renseignements.  Si  ces  clercs  n'ont  pas  été  réinté- 
grés immédiatement,  c'est  par  égard  pour  les  décrets  des  papes 
qui  avaient  confirmé  leur  déposition  ;  quant  à  Hincmar,  il  a 
livré  ces  documents,  avec  le  sceau  qui  les  fermait  encore  intact. 
Tels  sont  les  motifs  qui  les  ont  décidés  à  ne  pas  porter  sur 
cette  affaire  une  décision  définitive,  mais  à  laisser  ce  soin  au 
Saint-Siège.    Néanmoins    certains  d'entre    eux,   sur  les  instances 


3e  édit.,  t.  i,  p.  560-561  ;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  v,  col.  679  ;  Mabillon,  Annal, 
ord.  S.  Bened.,  2e  édit.,  t.  m,  p.  627-628;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  371  ;  Bouquet, 
Rec.  des  hisl.  de  la  France,  t.  vin,  col.  588-593;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv, 
col.  790  ;  H.  Schrôrs,  Hinkmar,  p.  289  ;  A.  Verminghoff,  dans  Neues  Archiv, 
1901,  t.  xxvi,  p.  638.  (H.  L.) 

1  Cette  lettre  est  de  l'année  860,  en  laquelle  devait  se  tenir  à  Troyes  un  con- 
cile qui  ne  fut  pas  réuni.  Cf.  Noorden,  op.  cit.,  p.  228. 

2.  Les  évêques  des  royaumes  de  Charles  et  de  Lothaire  invitèrent  à  ce  concile 
des  évêques  du  royaume  de  Louis  le  Germanique.  Mausi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  789. 
(H.L.) 

3.  E.  Lesne,  La  hiérarchie  épiscopale,  p.  214.  (H.  L.) 

4.  Pertz,  op.  cit.,  t.   i.  p.  475. 

5.  Datée  du  iv  nouas  nov.  :  au  lieu  de  cette  date  Damberger,  op.  cit.,  t.  in, 
Krilikhefl,  p.  227,  propose  iv   kal.  nov.,  ce  qui  est,  en  effet,  plus  probable. 


'i7:>.    concile   de   troyks    en    86'  417 

du   roi,   se    sont    laissé   entraîner    trop     loin     e1     se    sont    mis    en 
contradiction  avec  leurs  propres  déclarations,  en  ce  qui  concerne 
l'ordination    de    Wulfade.    Ebbon  avait  eu  la    plus    grande    part 
à  la  déposition  de  Louis  le  Débonnaire;  aussi,  lorsque  ce    prince 
avait  été    réintégré,    Ebbon    se    sentant    coupable    avait    pris    la 
fuite;  on  l'avait  reconduit  et  gardé  jusqu'au  concile  suivant  dans 
le  monastère  de  Saint-Boniface   à  Fulda.   Lui-même  et  les  autres 
évêques     avaient     alors    reconnu,    dans    un    libellus    spécial,    son 
indigne   conduite  envers  l'empereur.  Déféré  au  concile   de   Thion- 
ville   à   cause   de    ses  calomnieuses    accusations    contre    Louis,    il 
s'était  reconnu  indigne  de  l'épiscopat  et    tous    les    membres    de 
l'assemblée   lui  avaient   unanimement  imposé  d'y  renoncer.  Mais 
Lothaire  l'avait  réintégré,  et  c'était  après  son    retour    que    VYnl- 
[oolj  fade  et  ses  compagnons  avaient   été  ordonnés.   Ceux-ci    assure  ni 
qu'ils  regardaient    la     réintégration     d' Ebbon     comme     parfaite- 
ment  légale,  étant  donné  sa    réinstallation  solennelle  par  les  évê- 
ques.    l'absence    de    toute    protestation,   et    la    tranquillité   avec 
laquelle  il  avait  rempli  ses  fonctions  pendant    une    année    entière. 
De    plus,     ils    n'avaient    pas    sollicité    l'ordination    ;    ils    avaienl 
été   appelés.    Après    que    le    roi    Charles    eut  reconquis   le    pays, 
Ebbon    s'était   enfui   et   était   devenu   évêque    d'Hildesheim,    par 
concession    du    pape     Grégoire     IV.     Un    appendice     contient    le 
récit  de  tous  ces  faits.    En  845.    Hincmar  avait  été    élevé  canoni- 
quement  au    siège  de  Reims,  lors    du   concile  de  Beauvais.    L'an- 
née précédente,    sur    les    instances    de    Lothaire,    le    pape    Serge 
avait   décidé   de    soumettre    l'affaire    d' Ebbon     à    une    nouvelle 
enquête,  et  annoncé  l'envoi  dans  ce    but  de  nouveaux  légats,  qui 
n'étaient  pas  venus.  »       -  On  avait  réuni,  dans  un  autre  appen- 
dice,  tous  les  documents    originaux    et  les  pièces    qui  se  rappor- 
taient à  l'affaire.    Les    évêques    demandaient    donc    au    pape    de 
décider  qu'à  l'avenir  aucun   évêque  ne  fût   déposé    sans  l'assen- 
timent   de     Rome,    aux    termes    de    plusieurs    décrets    d'anciens 
papes   (c'est-à-dire   dans   des   décrets    pseudo-isidoriens) l.  En  ter- 
minant, ils  prièrent  le    pape    d'accorder    le    pallium  à    Wulfade'2. 


1 .  Le  peu  de  garantie  que  l'on  avait  dans  les  royaumes  francs  de  voir  son  droit 
reconnu  et  les  procédés  par  trop  sommaires  des  Carolingiens  firent  que  les  évêques 
furent  les  premiers  à  demander  au  pape  de  reconnaître  les  principes  pseudo- 
isidoriens,  qu'Hincmar  avait  vivement  combattus  dans  l'affaire  de   Rothadc. 

2.  Hardouin,  up.  cit.,  t.  v,  col.  681  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  7CJ1  ;  Noorden, 

CONCILES    —  IV    —    21 


418  LIVRE     XXIII 

Actard,  évêque  de  Nantes1,  fut  chargé  de  porter  à  Rome  la 
lettre  synodale.  .Malgré  la  longue  fidélité  d'Hincmar  au  roi 
Charles  et  ses  nombreux  services  2,  celui-ci  brisa  le  sceau  de  la 
lettre  et  la  jugeant  trop  favorable  à  l'archevêque,  il  adressa 
au  pape  une  lettre  personnelle  qui  fut  également  confiée  à 
Actard.  Le  roi  y  racontait  l'histoire  d'Ebbon  depuis  sa  jeu- 
nesse, en  vue  surtout  de  prouver  qu'Ebbon  n'avait  pas  été,  à 
proprement  parler,  déposé  à  Thionville,  en  835.  «  L'impéra- 
trice Judith  en  particulier  avait  pris  sa  cause  en  main,  inter- 
cédé pour  lui  auprès  de  l'empereur  et  déterminé  les  évêques  à 
ne  prononcer  sur  lui  aucune  sentence,  mais  à  s'en  tenir  aux 
accusations  écrites  qu'il  avait  portées  contre  lui-même  et  à  sa 
déclaration  d'indignité.  C'est  ce  qu'un  avait  fait.  Sur  ces  entre-  [332] 
faites,  Louis  le  Débonnaire  avait  envoyé  un  messager  au  pape 
Grégoire  pour  obtenir  son  adhésion  à  la  déposition  d'Ebbon. 
Le  pape  avait  répondu,  mais  on  ignorait  dans  quel  sens  ;  pro- 
bablement sa  réponse  n'était  pas  conforme  aux  désirs  de  l'em- 
pereur, qui  eût  immédiatement  institué  un  autre  évêque  pour 
Reims.  Après  la  mort  de  Louis,  Ebbon  avait  été  réintégré 
par  les  mêmes  évêques  auxquels  il  avait  présenté  ses  accusa- 
tions contre  lui-même,  et  cette  réintégration  avait  eu  lieu  à  la 
grande  satisfaction  du  clergé  et  du  peuple  de  Reims,  fous  les 
sufïragants  de  cette  province,  même  ceux  qui  avaient  été  ordon- 
nés en  son  absence,  le  reconnurent  et  reçurent  de  lui  l'anneau  et 
la  crosse.  C'est  alors  que  Wulfade  et  ses  amis  avaient  été  ordonnés. 
Ce  «pic  l'on  a  rapporté  au  pape  sur  la  comparution  de  Wulfade 
au  concile  de  Soissons  (en  853)  et  son  attitude  est  complètement 
faux  :  Wulfade  n'a  jamais  paru  à  cette  assemblée.  »  En  termir 
nant,  Charles  demande  au  pape  d'excuser  l'ordination  épisco- 
pale  de  Wulfade,  et  de  lui  envoyer  le  pallium  :  il  prie  aussi  le 
pape  de  donner  à  Actard  un  autre  évêché,  parce  que  les  Rretons 
lui  ont  ravi  le  sien  3. 


op.  cit.,  p.  228  sq.  [E.  Lesne,  La  hiérarchie  épiscopale,  p.  139,  note  5;  p.  180,  n.  1  ; 
p.  214,  n.  2.  (H.  L.)] 

1.  Sur  Actard  (843-871),  cf.  Chronicon  Namnetense,  édit.  Merlet,  préf.,  p.   lviii- 
lix  ;  L.  Duchesne,  Fastes  épiscopaux,  t.  n,  p.  365-3G6.  (H.  L.) 

2.  Tel  est  du  moins  le  récit  d'Hincmar  dans  les  Annales  de  Saint-Berlin,  dans 
Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  475. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  686;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  796  ;  Noorden, 
op.  cit.,  p.  230. 


475.     CONCILE     DE      TROYES     EN      867  419 

Hincmar  ignorait  l'accueil  que  le  pape  ferait  à  sa  dernière  lettre  ; 
aussi  crut-il  plus  prudent  d'écrire  par  l'intermédiaire  d'Actard, 
au  célèbre  abbé  romain  Anastase.  Il  lui  disait  que,  dans  la 
réponse  du  pape  cou  lice  à  Égilon,  on  avait  altéré  plusieurs  pas- 
sages de  ses  propres  lettres.  «  Le  pape  avait  certainement  reçu 
un  de  ces  exemplaires  altérés.  Quelqu'un  (Charles  le  Chauve) 
chercherai!  peut-cire  aussi  à  dénaturer  la  lettre  synodale  de 
Troyes,  mais  Actard,  qui  avail  avec  lui  l'original,  pouvail  le 
montrerai!  pape.  Les  actes  envoyés  par  le  concile  s'harmonise- 
raient avec  les  autres  exemplaires  expédiés  à  Rome.  On  verrait 
aussi  à  Rome  si  le  prétendu  décret  de  Grégoire  IV,  d'après  lequel 
Ebbon  pouvait  recevoir  un  autre  évêché,  était  authentique. 
Wulfade  avail  présenté  ce  décret  que  personne  ne  connaissait 
auparavant.  Les  sufïragants  de  Reims  avaient  déclaré  au  con- 
cile s'être  abstenus  de  tout  rapport  avec  Ebbon  depuis  sa  dé- 
position ;  Rothade  seul  avait  dit  le  contraire,  mais  certaine- 
ment poussé  par  sa  haine  contre  Hincmar.  »  A  la  fin  de  sa  lettre 
[ooo  |  celui-ci  se  dit  très  peiné  de  ne  pouvoir  faire  au  pape,  à  Arsène  et 
à  Anastase,  de  plus  beaux  présents  (benedictiones)  1. 

Lorsque  Actard  arriva  à  Rome,  le  pape  Nicolas  était  mort, 
el  son  successeur  Hadrien  II,  satisfait  de  ce  qui  s'était  passé, 
écrivit  (février-mars  868)  une  série  de  lettres.  La  première  est 
adressée  aux  membres  du  concile  de  Troyes  ;  le  pape  approuve  la 
sentence  et  la  décision  de  l'assemblée,  quoique,  dit-il,  les  pièces 
reçues  ne  lui  permissent  pas  de  se  rendre  pleinement  compte  de 
l'affaire  d' Ebbon.  Elles  lui  ont  cependant  suffi  à  constater  l'inno- 
cence des  collègues  de  Wulfade  et  de  Wulfade  lui-même  à  qui  il 
octroie  le  pallium.  Les  évêques  francs  devront  inscrire  dans  les 
diptyques  de  leurs  églises  le  nom  du  feu  pape  Nicolas,  et  faire 
lire  ce  nom  pendant  la  messe  ;  ils  devront  également  défendre 
sa  personne  et  ses  actes  contre  les  attaques  des  Grecs  2. 

Dans  la  seconde  lettre,  à  Charles  le  Chauve,  le  pape  déclare, 
après  un  début  très  poli,  que  le  mieux  est  de  laisser  dormir 
toute  l'affaire  d'Ebbom  Conformément  au  désir  du  roi.  il  en- 
voie le  pallium  à  Wulfade.  Dès  qu'un  évêché  ou  un  archevêché 
vaquera  dans  l'empire  franc,  on  le  donnera  à  Actard,  à  qui  il 
confère    le    pallium    pour    le    dédommager    de     ses    nombreuses 

1.  Hincmar,  Epist.,  xxxvm,  P.  L.,  t.  cxxvi.  col.  257. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  691   ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  821. 


420  LIVRE    XXIII 

tribulations  1.  Trois  autres  lettres  traitent  de  l'affaire  d'Actard; 
enfin,  une  lettre  du  pape  à  Hincmar,  donne  à  «  son  très  digne  frère  » 
les  plus  grands  éloges,  en  particulier  pour  l'appui  prêté  au 
Saint-Siège  dans  l'affaire  du  mariage  de  Lothaire,  et  l'engage 
à  déployer  toujours  le  même  zèle  2.  Cette  lettre  mettait  fin  à  la 
question  de  Wulfade  et  de  ses  collègues,  laquelle,  à  deux  repri- 
ses, avait  menacé  de  devenir  si  grave  pour   Hincmar. 


476.   Continuation  des  difficultés  au  sujet  de  Photius. 

Nous  avons  vu  3  qu'un  tremblement  de  terre  avait  été  l'occasion 
d'un  grand  changement  dans  la  situation  à  peu  près  désespérée 
du  patriarche  Ignace.  Par  crainte  du  peuple,  qui  vit  dans  ce 
fléau  une  punition  divine  des  mauvais  traitements  infligés  à  [334] 
l'évêque  bien-aimé,  on  crut  plus  prudent  de  laisser  désormais 
Ignace  tranquille  dans  son  monastère  et  de  lui  rendre  ses  biens 
de  famille.  L'empereur  Michel  l'Ivrogne  témoigne  lui-même 
du  grand  attachement  des  orthodoxes  pour  Ignace,  car  on  rap- 
porte que  lorsqu'il  était  pris  de  vin  il  avait  coutume  de  dire  : 
«  Mon  patriarche  est  Théophile,  celui  de  Bardas  est  Photius,  et 
celui  des  chrétiens  est  Ignace  *.  »  L'un  des  amusements  de  Michel 
était  en  effet  de  parodier  dans  ses  orgies  les  diverses  cérémonies 
de  l'Eglise,  voire  même  la  distribution  de  l'eucharistie,  e1  un 
comédien  nommé  Théophile  Gryllus  jouait  dans  ces  sacrilèges 
le  rôle  de  patriarche.  Photius  ne  rougit  pas  d'être  souvent  témoin 
oculaire  de  pareilles  profanations  et  d'assister  à  ces  débauches. 
Aussi  beaucoup  le  méprisaient,  et  le  bruit  courut  qu'il  avait  apos- 
tasie chez  un  rabbin.  Plusieurs  de  ses  opinions,  par  exemple,  que 
dans  l'homme  la  partie  inférieure  de  l'âme,  et  non  la  raison,  est 
seule  à  pécher,  que  les  tremblements  de  terre  ne  sont  pas  des 
châtiments,  mais  de  si  mples  oscillations  naturelles,  causèrent  grand 
scandale  6.  La  protection  de  l'empereur  ne  lui  en    était    que  plus 


1 .  Hardouiu,  op.  cit.,  t.  \ ,  col.  694  ,  Mansi,  op.  cit.,  L.  xv,  col.  824. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  696  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  826. 

3.  Voir  §  464. 

4.  Nicetas,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  973. 

5.  Voyez  plus  loin,  §  493,  canon  11. 


476.     DIFFICULTÉS     AU     SUJET     D  F.     PHOTIUS  421 

nécessaire  ;  mais  il  dut  l'acheter  par  bien  des  humiliations  1. 
Photius,  Bardas  et  Michel  ne  savaient  unir  leurs  efforts  que  contre 
Rome. C'est  ce  qu'on  put  constater  de  nouveau  lorsque  parvinrent  à 
Constantinople  les  décrets  du  concile  romain  de  863  2,  qui  déposait 
Photius  et  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par  lui,  les  menaçant, 
eux  cl  leurs  adhérents,  d'anathème  perpétuel.  L'empereur  Michel 
répondil  ;'i  ces  décisions  par  une  lettre  très  violente,  aujour- 
d'hui perdue,  mais  dont  nous  pouvons  saisir  le  sens  grâce  à  la 
réponse  du  pape,  en  865.  «  J'avais  déjà,  dit  celui-ci,  rédigé  pour 
vous  une  lettre  amicale,  lorsque  le  protospathaire  Michel  ru'a 
remis  celle  de  Votfe  Magnificence.  Comme  elle  est  pleine  de 
blasphèmes  cl  d'injures,  ma  joie  s'en  est  allée...  cl  mon  style  s'en 
est  ressenti.  Je  ne  crois  pouvoir  mieux  faire  que  de  commencer 
par  demander  à  Dieu  de  me  faire  connaître  comment  je  dois  vous 
écrire...  Ainsi,  je  commencerai  ma  letlre  par  une  prière  :  vous, 
vous  commencez  la  vôtre  par  des  injures...  En  tant  que  disciples 
du  Christ,  nous  supportons  ces  traitements  avec  patience  ;  mais 
votre  devoir  à  vous  est  de  respecter  les  prêtres,  fussent-ils  pé- 
[335]  cheurs...Moi,  pécheur  et  indigne,  j'espère  en  la  divine  miséricorde, 
et  d'autres  me  loueront  peut-être  sur  la  matière  même  dont  vous 


1.  Cf.  Lâmmer,  Papsl  Nicolaus  I,  p.  6,  7,  17,  28. 

2.  Voir  §  470.  «  Il  y  a,  écrit  M.  L.  Saltet,  Les  réordinations,  Etude  sur  le  sacre- 
ment de  l'Ordre,  in-8,  Paris,  1907,  p.  141,  une  gradation  dans  les  jugements  de 
Nicolas  Ier  au  sujet  de  Photius.  Jusqu'en  863,  le  pape  déclare  qu'il  ne  peut  lais- 
ser Photius  dans  l'office  épiscopal,  Nicolas  Ier,  Epist.  ad  Pkotium,  25  sept.  860, 
P.  L.,  t.  exix,  col.  780  ;  Epist.  ad  Photium,  18  mars  862,  P.  L.,  t.  exix,  col.  78!). 
Depuis  le  synode  romain  d'avril  863,  il  déclare  déposés  Photius,  P.  L.,  t.  exix, 
col.  1075,  et  les  clercs  ordonnés  par  lui.  P.  L.,  t.  exix,  col.  1075.  Au  13  novembre 
866,  il  parle  encore  de  la  déposition,  mais  il  ajoute  des  expressions  beaucoup  plus 
fortes,  qui,  prises  isolément,  pourraient  faire  croire  à  la  nullité  des  ordinations 
faites  par  Photius.  Une  lettre  pontificale  est  surtout  très  véhémente  (voir  §  477)  ; 
mais,  circonstance  à  signaler,  elle  est  adressée  (13  novembre  866)  à  l'empereur 
Michel  dit  l'Ivrogne,  un  des  Basileis  les  plus  odieux  qui  aient  occupé  le  trône 
de  Ryzance.  Pour  faire  impression  sur  un  tel  personnage,  il  fallait  forcer  l'expres- 
sion et  même  la  pensée.  Le  pape  s'y  est  appliqué  et  y  a  réussi.  Prises  à  la  lettre, 
ces  expressions  ne  peuvent  s'entendre  que  de  la  nullité  absolue.  P.  L.,  t.  exix, 
col.  1027.  Elles  reparaissent,  mais  légèrement  atténuées,  et  corrigées  par  le  con- 
texte, dans  une  lettre  du  même  jour  adressée  au  clergé  de  Constantinople,  P.  L., 
t.  exix,  col.  1078-1079,  1081.  Ces  lettres  se  placent  au  moment  de  l'action  la  plus 
énergique  du  pape  contre  Photius  ;  elles  se  ressentent  beaucoup  de  l'exagération 
oratoire.  Les  interprétera-t-on  comme  des  documents  juridiques?  Ce  serait  un  con- 
tre-sens qu'une  étude  dos  autres  décisions  de  Nicolas  Ier  suffit  à  écarter.  »  (ÏT.  L.) 


422  LIVRE    XXIII 

me  faites  reproche.  Vous  devez,  du  reste,  pour  tous  les  prêtres 
en  général,  et  à  l'égard  du  représentant  de  Pierre  en  particulier, 
ne  pas  regarder  à  la  dignité  ou  à  l'indignité  personnelle,  mais  au 
zèle  pour  la  réforme  de  l'Eglise,  etc.  S'il  fallait  obéir  à  ceux  qui 
étaient  assir  sur  le  siège  de  Moïse,  à  plus  forte  raison  doit-on  obéir 
à  ceux  qui  sont  sur  le  siège  de  Pierre... Nous  savons  que  nous  serons 
calomnié,  mais,  à  l'exemple  du  Christ  1,  nous  nous  bornerons  à  nier. 
Quant  à  ce  que  vous  avez  écrit  pour  nuire  à  l'Eglise  romaine, 
nous  devons  le  réfuter  sans  peur  ni  crainte...  Vous  faites  allusion 
à  votre  lettre  contenant  une  demande  (au  sujet  de  Photius  2). 
Vous  dites  :  Depuis  le  sixième  concile,  jamais  pape  n'a  reçu  de 
l'empereur  un  tel  honneur.  Si  vos  prédécesseurs  ne  se  sont  jamais 
adressés  au  Siège  de  Rome,  ce  n'est  pas  un  déshonneur  pour  nous, 
mais  pour  eux;  car  ils  n'ont  jamais  cherché  à  porter  remède  aux 
hérésies  quand  elles  se  sont  produites  ;  au  contraire  ils  ont  refusé 
les  remèdes  qu'on  leur  a  présentés,  et  ont  attenté  de  deux  manières 
à  la  vie  de  ceux  qui  les  leur  apportaient,  soit  en  les  corrompant, 
comme  à  l'époque  de  Conon,  soit  en  les  exilant,  comme  à  l'époque 
de  Grégoire  III.  Il  faut  ajouter  qu'après  le  VIe  concile  il  n'y  a 
eu  guère  d'empereurs  catholiques  (ils  étaient  iconoclastes)  ;  ceux 
qui  l'ont  été,  Irène  par  exemple,  se  sont  adressés  à  Rome.  Vous 
dites  nous  avoir  intimé  des  ordres  ;  mais  les  anciens  et  pieux  empe- 
reurs ne  se  sont  jamais  exprimés  de  la  sorte,  et  vous-même  ne 
vous  étiez  pas  servi  de  cette  expression  dans  vos  lettres...  Vous 
êtes  maintenant  si  irrité  que  vous  déversez  votre  colère  même 
contre  la  langue  latine,  qu'il  vous  plaît  d'appeler  barbare  et  scy- 
thique,  quoiqu'elle  ait  été  employée  à  côté  de  la  langue  hébraïque 
et  de  la  langue  grecque  dans  l'inscription  de  la  croix  du  Christ... 
Il  serait  vraiment  plaisant  que  vous  ne  la  compreniez  pas,  vous 
qui  portez  le  titre  d'empereur  romain.  Ajoutons  que,  même 
dans  l'Église  de  Constantinople  aux  jours  de  stations,  les  épîtres 
et  évangiles  sont  lus  d'abord  en  latin,  puis  en  grec...  Vous  dites 
que  vous  ne  m'aviez  pas  écrit  dans  l'intention  de  faire  porter 
un  second  jugement  contre  Ignace  ;  les  faits  ont  prouvé  que 
telle  était  cependant  votre  intention.  Quant  à  moi,  je  voulais 
un  examen  consciencieux  de  l'affaire  et  un  rapport  détaillé  pour 
asseoir  mon  jugement.   Vous  dites  qu'Ignace  avait  déjà  été  con- 

1.  Joa.,  vin,  49. 

2.  Il  faut  lire  precatorias  et  non  prsedicatorias. 


$ 

476.     DIFFICULTÉS     AU     SUJET     DE    PHOTIUS  423 

damné,  mais  il  ne  l'avait  pas  été  légalemenl  :  en  effet,  les  canons 
et  les  Pères  défendent  aux  ennemis  d'un  homme  d'être  en  même 
[33(i]  temps  ses  juges  (preuves)  :  ils  s'opposent  à  ce  que  des  personnes 
excommuniées  ou  déposées  remplissent  1  office  de  juges...  et  que 
le  supérieur  soit  cité  à  la  barre  do  ses  inférieurs  (preuves),  En 
particulier,  presque  aucun  évêque  de  Constant inople  n'avait 
été  déposé  sans  l'assentiment  de  Rome  (exemples),  Vous  direz 
peut-être  qu'il  n'était  pas  nécessaire  de  s'adresser  au  Siège  de 
Rome  au  sujet  d'Ignace,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  là  une  question 
dogmatique,  mais  plus  la  prétendue  culpabilité  d'Ignace  était 
insignifiante,  plus  on  devait  observer  à  son  sujet  la  discipline 
ecclésiastique.  Vous,  sire  !  vous  avez  convoqué  contre  lui  le  concile  ; 
vous,  au  signe  duquel  tous  obéissent,  vous  vous  êtes  arrogé  une  fonc- 
tion ecclésiastique  ! . . .  Où  est-il  écrit  que  les  empereurs  assistent  aux 
conciles,  si  ce  n'est  à  ceux  où  il  s'agit  de  la  foi,  qui  alors  intéressent 
tout  le  monde,  les  laïques  comme  les  clercs  ?  Des  accusateurs  sont 
\'-nus  du  palais  impérial,  où  on  leur  avait  ordonné  de  porter  de 
faux  témoignages...  Déjà  le  concile  de  Chalcédoine  a  ordonné 
(can.  9)  que  le  métropolitain  lut  accusé  auprès  du  primat,  enten- 
dant par  primat  le  pape1.  C'est  ce  que  le  concile  prescrit,  et  il  ne 
permet  qu'exceptionnellement  l'examen  des  plaintes  par  le  siège 
de  Constantinople.  On  doit  toujours  s'adresser  à  celui  qui  se  trouve 
dans  une  situation  supérieure  à  l'accusé...  Vous  faites  sourire  lors- 
que vous  attachez  de  l'importance  à  cette  circonstance,  que  votre 
concile  a  compté  trois  cent  dix-huit  membres,  comme  le  concile  de 
Nicée  que  vous  n'avez  imité  qu'en  ce  point,  mais  non  dans  sa 
conduite...  Plus  une  assemblée  compte  de  méchants,  plus  il  est 
facile  de  rendre  de  mauvais  décrets...  \  ous  écrivez  que  vous  dési- 
riez vivement  la  présence  des  légats  romains  à  ce  concile,  sous 
prétexte  qu'on  vous  soupçonnait  d'être  d'accord  avec  les  icono- 
clastes (soupçon  que  la  présence  des  légats  aurait  fait  tomber); 
c'est  pure  invention...  Il  est  évident  que  vous  désiriez  la  présence 
des  légats  pour  qu'elle  donnât  autorité  à  la  condamnation 
d'Ignace.  Quant  au  soupçon  dont  vous  parlez,  il  n'a  jamais 
existé...  \  ous  dites,  il  est  vrai,  que  vous  n'aviez  pas  besoin  de 
nous  pour  avoir  raison  de  l'hérésie  des  iconoclastes,    déjà  vaincue 


1.  Voyez  plus  haut,  §  471,  où  Nicolas  paraît  entendre  dans  un  autre  sens  ce 
passage  de  Chalcédoine,  et  sans  croire  que  ces  mots  pririias  diœceseos  concernent 
le  pape. 


424  LIVRE     XXIII 

par  le  deuxième  concile  de  Nicée.  Mais  n'est-ce  pas  le  Siège  apos- 
tolique qui  a  présidé  ce  concile?...  Est-ce  que  Méthode1  n'a 
pas  eu  l'appui  de  Rome  ?...  Nous  tenons  à  répondre  de  cette  ma- 
nière au  commencement  de  votre  lettre,  pour  réfuter  ces  folies  [337] 
qui  n'ont  pu  sortir  de  votre  cœur  qui  est  pieux.  Quant  au  reste  de 
votre  lettre,  je  ne  puis  y  répondre,  d'abord  parce  que  je  suis 
tombé  malade  et  que  votre  ambassadeur  ne  peut  attendre  plus 
longtemps,  et  ensuite  parce  que  cette  partie  de  votre  lettre  est 
pleine  de  malices  et  de  blasphèmes  et  contraire  à  l'ordonnance 
divine  qui  a  donné  à  l'Église  romaine  ses  privilèges...  Ces  privi- 
lèges reçus  de  Dieu  et  non  des  conciles  lui  confèrent  la  prérogative 
de  veiller  sur  toutes  les  Églises...  L'Église  romaine  tient  par  hé- 
ritage ses  privilèges  des  apôtres  Pierre  et  Paul  ses  fondateurs, 
et,  par  leurs  disciples,  fondateurs  des  Églises  d'Alexandrie  et 
d'Antioche  (dirigé  contre  le  patriarcat  de  Constantinople,  qui 
n'avait  été  fondé  que  par  une  série  d'extorsions).  Les  apôtres 
avaient  gouverné  les  autres  Églises  par  l'intermédiaire  de  ces 
trois  sièges  principaux...  Aucun  concile,  pas  même  celui  de  Nicée, 
n'a  octroyé  un  privilège  à  l'Église  de  Rome...  Mais  le  concile 
de  Nicée  s'était  contenté  (can.  6)  d'accorder  au  siège  d'Alexan- 
drie un  privilège  analogue  à  celui  dont  jouissait  l'Eglise  ro- 
maine 2.  Ce  privilège  m'impose  de  déposer  Photius  et  de  l'excom- 
munier... Nous  n'avions  pas  chargé  nos  légats  de  juger  Ignace 
et  son  élévation  au  siège  ;  nous  leur  avions  simplement  man- 
dé de  faire  une  enquête  sur  son  expulsion  et  de  nous  en  faire 
connaître  le  résultat.  C'est  ce  que  prouve  notre  lettre  3,  dont  nous 
avons  fait  faire  trois  exemplaires  :  l'un  qui  vous  était  destiné, 
le  second  qui  devait  demeurer  ici,  le  troisième  qui  devait  être 
remis  au  légat...  Comme  le  bruit  s'est  répandu  que  vous  en  pos- 
sédiez un  exemplaire  falsifié,  je  vous  en  envoie  ci-joint  une  nouvelle 
copie.  Vous  demandez  que  je  vous  livre  Théognoste,  qu'Ignace 
a  placé  à  la  lêle  de  quelques  provinces  de  moines,  el  certains 
autres  moines,  sous  prétexte  qu'ils  mil  offensé  Votre  Majesté. 
Comme  ils  sont  innocents,  je  ne  puis  déférer  à  votre  demande, 
d'autant  que  je  sais  les  mauvais  traitements  infligés  par  vous  aux 
amis  d'Ignace  (fui  sont  en  votre  pouvoir.  Théognoste  n'a  pas  parlé 

1.  Voir  §  400. 

2.  Voir  §  42. 

3.  Voir  §464. 


476.     DIFFICULTES      \TJ     SUJFT     D  F.     PHOTIUS  Vif) 

contre  vous,  mais  pour  vous...  Au  sujet  de  Photius,  il  n'a  dit  que 
ce  que  tout  le  inonde  sait,  et  ce  que  j'ai  appris  par  diverses  voies  : 
d'Alexandrie,  de  Jérusalem,  de  Constantinople...  Vous  me  me- 
nacez, mais  vous  feriez  mieux  de  châtier  les  païens  qui  ont 
ravagé  votre  empire,  pris  lanl  de  provinces  et.  incendié  un  fau- 
bourg de  Constantinople...  Nous  ordonnons  qu' Ignace  et  Photius 
[338]  soienl  amenés  à  Rome,  et  eue' leur  affaire  soit  soumise  aune  nou- 
velle enquête.  L'Église  romaine  qui  exerce  sa  puissance  judiciaire 
sur  toute  l'Église  ne  peut  être  jugée  par  personne...  Ne  dites 
pas  que  la  citation  de  Photius  et  d'Ignace  est  en  opposition  avec 
les  lois  de  l'Église  :  nous  suivons,  ce  faisant,  les  exemples  de  nos 
prédécesseurs...  Si  Ignace  et  Photius  ne  comparaissent,  pas,  ils 
doivent  faire  connaître  les  motifs  de  leur  absence  et  envoyer  des 
députés.  Photius  et  son  parti  peuvent  envoyer  qui  hou  leur 
semble  et  autant  de  députés  qu'ils  le  voudront,  mais  du  côté 
d'Ignace  doivent  comparaître  les  archevêques  Antoine  de  Cyzi- 
que,  Basile  de  Thessalonique,  etc.,  et  s'ils  ne  viennent  pas,  ils  lais- 
seront planer  sur  eux  des  soupçons.  Lorsque  les  députés  des  deux 
parties  seront  arrivés,  l'affaire,  examinée  en  notre  présence  et 
en  présence  de  nos  frères  (dans  un  concile  romain),  sera  décidée 
par  nous.  Votre  Altesse  impériale  peut  en  même  temps  envoyer 
ses  députés,  qui  assisteront  aux  délibérations  et  se  convaincront 
que  tout  s'est  passé  d'une  manière  légale...  Vous  pourvoirez  aux 
dépenses  de  voyage  de  ceux  qui  sont  dans  le  besoin.  Je  vous  prie 
également  de  me  retourner  la  lettre  à  vous  remise  par  Rodoald 
et  Zacharie,  afin  que  nous  l'examinions  et  cherchions  qui  a  pu  la 
falsifier,  s'il  est  vrai  qu'elle  l'ait  été.  Nous  vous  demandons  égale- 
ment de  nous  envoyer  les  documents  originaux  concernant  la 
première  déposition  d'Ignace,  ainsi  que  les  actes  déjà  apportés  une 
première  fois  par  votre  secrétaire  Léon  et  relatifs  à  la  tyrannique 
déposition  d'Ignace  (la  seconde,  avec  le  secours  des  légats),  et 
les  décisions  au  sujet  des  images.  Cet  envoi  des  députés  des  deux 
parties  dont  nous  avons  déjà  parlé,  me  paraît  être  le  meilleur 
moyen  de  résoudre  ces  difficultés...  Ne  pensez  pas  que  nous  vou- 
lions  favoriser  Ignace  ;  notre  seul  désir  est  de  rester  fidèle  au 
droit...  Songez  à  la  mauvaise  réputation  laissée  par  les  empe- 
reurs persécuteurs  de  l'Église  et  à  la  gloire  de  ceux  qui  l'ont 
exall  ce...  Si  donc,  cher  fils.l  u  ne  veux  pas  être  compté  parmi  les  en- 
fants ingrats,  observe  nos  décrets  au  sujet  de  l'Eglise  de  Constan- 
tinople... Nous  ne  pouvons  négliger  la  cause  de  Dieu  et  nous  taire... 


426  LIVRE    XXIII 

Il  y  a  eu  dans  l'antiquité  des  rois  prêtres.  Plus  tard,  les  empereurs 
païens  ont  été  pontifices  maximi.  Mais  le  christianisme  a  séparé 
les  deux  pouvoirs.  Les  empereurs  chrétiens  ont  besoin  des  pontifes 
à  cause  de  la  vie  éternelle,  tandis  que  les  pontifes  n'ont  besoin  des 
empereurs  que  pour  le  temporel.  Aussi  Ignace  ne  pouvait-il  être 
déposé  par  une  sentence  impériale.  Quant  à  l'assentiment  des  évê-  [339] 
ques,  il  prouve  leur  condescendance,  il  n'est  pas  une  sanction 
légale.  Non  seulement  ta  sentence  sur  Ignace  a  précédé  celle  des 
évêques;  mais  lors  de  sa  condamnation  (au  concile)  tu  as,  chose 
inouïe,  signé  avant  les  évêques.  Mieux  vaut  pour  toi  entendre 
maintenant  mes  prières  que  d'entendre  mes  plaintes  au  jugement 
dernier.  Que  Dieu  incline  ton  cœur  vers  le  bien  1   !  » 


477.  Nouvelles  lettres  du  pape  au  sujet  de  Photius. 

Cette  lettre  n'ayant  amené  aucun  résultat,  le  pape  fit, 
l'année  suivante  (866),  une  nouvelle  tentative  pour  améliorer  la 
situation  à  Constantinople,  où  il  envoya  trois  légats,  Donat.  évo- 
que d'Ostie,  le  prêtre  Léon  et  Marin,  diacre  de  Rome,  avec  de 
nouvelles  lettres.  Elles  sont  toutes  datées  du  13  novembre  866, 
et  la  première  est  adressée  à  l'empereur  2.  «  Plus  le  rang  de  l'em- 
pereur est  élevé,  plus  son  humilité  doit  être  grande,  dit  le  pape. 
Un  prince  a  le  devoir  de  donner  audience  à  tous,  afin  de  con- 
naître ce  que  demande  la  justice  ;  à  plus  forte  raison  est-ce  le 
devoir  du  pape  qui  veut  exposer  à  l'empereur  en  détail  et  en 
toute  vérité  ce  qu'à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  dans  leur 
sollicitude   pour   toutes    les    Églises,   il    a   fait   dans   la    question 

1.  Nicolas  Ier,  EpisL,  vm,  dans  Mansi,  op.  cil.,  t.  xv,  col.  187  ;  Hardouin,  op. 
cit.,  t.  v,  col.  144.  Hergenrôther,  Photius,  t.  i,  p.  555-579.  Les  dernières  phra- 
ses de  ce  document,  à  partir  des  mots  hsec  quidem  jusqu'à  la  fin,  Mansi,  op. 
cit..  t.  xv,  col.  216;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v.  col.  172,  ne  font  pas  partie  de  la  lettre 
du  pape  à  l'empereur,  mais  forment  la  conclusion  d'une  lettre  de  Nicolas  aux  pa- 
triarches orientaux  ;  cette  lettre  aux  orientaux  comprend  les  epist.  i  et  vu, 
ainsi  que  cette  conclusion. 

2.  Ces  lettres  sont  adressées  à  Michel  III,  à  Photius,  à  Bardas  dont,  à  cette 
date,  on  ignorait  encore  à  Rome  l'assassinat,  à  Théodora,  à  Eudocie,  aux  arche- 
vêques, au  sénat.  Le  pape  ne  semble  avoir  pas  songea  Basile.  Cependant  quel- 
ques mois  plus  tard,  en  mai,  Basile  sera  seul  empereur  et  arbitre  des  décisions. 
(H.  L.) 


477.  LETTRES  DU  PAPE  AU  SUJET  DE  PHOTIUS       427 

pendante  de  Constantinople.  »  Il  raconte  alors  la  déposition 
d'Ignace,  l'élévation  de  Photius,  l'arrivée  à  Rome  des  ambassa- 
deurs byzantins,  l'envoi  de  ses  légats  Rodoald  et  Zacharie,  la 
manière  dont  ils  avaient  été  gagnés  à  Constantinople,  leur  punition 
par  deux  conciles  (ainsi  que  cela  avait  eu  lieu  au  ve  siècle  pour 
Vitaliuset  Misénus).  Nicolas  s'était  plaint  que  sa  lettre  à  l'empe- 
l_o4UJ  reur,  confiée  aux  légats,  avait  été  falsifiée,  il  le  prouve.  «  L'em- 
pereur peut  comparer  l'exemplaire  remis  par  les  légats  à  celui 
qu'il  lui  envoie.  Ces  falsifications  ne  sont  pas  rares,  paraît-il, 
chez  les  Grecs,  bien  que  le  pape  ait  peine  à  comprendre  com- 
ment de  pareils  faits  pouvaient  se  passer,  soit  au  su  de  l'empe- 
reur, soit  à  son  insu.  Le  pape  ne  peut  adhérer  à  la  déposition 
d'Ignace  avant  une  nouvelle  enquête  par  le  Saint-Siège.  Ignace 
est  peut-être  coupable,  mais  on  doit  sauvegarder  le  droit  ; 
d'ailleurs  il  ne  devait  pas  être  chassé  par  ses  inférieurs,  il  n'au- 
rait dû  l'être  que  par  une  autorité  supérieure.  Jusqu'à  plus  ample 
informé,  le  pape  doit  tenir  Ignace  pour  évêque  de  Constanti- 
nople, condamner  Photius  et  ne  pas  même  admettre  cet  intrus  à 
la  communion  de  l'Eglise,  s'il  ne  s'amende  pas.  Son  ordination 
par  Grégoire  de  Syracuse,  lui-même  déposé,  est  nulle  de  plein 
droit.  Ignace  avait  déposé  Grégoire  et  demandé  confirmation 
de  la  sentence  à  Rome.  Mais  les  papes  Léon  et  Renoît  n'ont 
rien  voulu  décider  avant  d'avoir  entendu  les  deux  parties  ;  c'est 
pourquoi  ils  ont  pressé  Ignace  d'envoyer  de  son  côté  des  dépu- 
tés à  Rome.  Grégoire,  l'ayant  appris,  et  abusant  de  la  longani- 
mité du  pape,  a  poursuivi  Ignace  avec  plus  d'ardeur  que  jamais, 
a  même  osé  ordonner  un  autre  sujet  à  sa  place,  a  eu  l'audace 
d'exercer  de  nouveau  des  fonctions  ecclésiastiques,  s'excluant 
ainsi  à  tout  jamais  de  l'Eglise,  sans  espoir  de  pardon,  confor- 
mément aux  canons.  Le  pape,  n'ayant  pas  voulu  adhérer  sans 
une  enquête  personnelle  à  la  déposition  prononcée  contre  Gré- 
goire par  Ignace,  ne  peut  évidemment  consentir  à  la  déposition 
d'Ignace  par  Grégoire  sans  enquête.  En  effet,  après  avoir  en- 
voyé à  Rome  un  député  au  sujet  de  Grégoire,  Ignace  a  été 
vaincu,  maltraité  et  déposé  par  ses  ennemis.  On  doit  commencer 
par  le  réintégrer.  L'empereur  pense  maintenir  Photius  en  pos- 
session de  l'Eglise  de  Constantinople  sans  l'assentiment  du  pape, 
et  sacrifier  Ignace  ;  mais  le  pape  espère  que  l'Eglise  du  Christ  ne 
laissera  pas  tomber  dans  l'oubli  les  saints  canons,  surtout  ceux 
de    Nicée.    Le    Siège    apostolique    a  fait  son  devoir,  c'est  main- 


428  LIVRE    XXIII 

tenant  à  Dieu  à  mener  le  reste  à  bonne  fin.  Les  anathèmes  pro- 
noncés par  les  papes  sont  parfois  restés  longtemps  méconnus;  mais 
ils  ont  fini  par  être  efficaces  (exemples).  Déjà  d'autres  papes  se 
sont  trouvés  comme  maintenant  sans  appui  et  menacés  par  les 
empereurs  ;  mais  Nicolas  compte  sur  Dieu  et  déplore  l'erreur  de 
son  cher  fils  l'empereur.  Il  n'a  pu  agir  autrement,  et  n'a  pas  [341] 
prononcé  précipitamment  la  sentence  contre  Photius  et  ses  par- 
tisans ;  il  n'a  agi  qu'en  pleine  connaissance  de  cause.  Il  se  plaint 
de  ce  qu'à  Constantinople  on  ne  fasse  pas  toutes  ces  réflexions, 
et  sollicite  de  l'empereur  l'éloignement  de  Photius  et  la  réinté- 
gration d'Ignace.  L'année  précédente,  il  a  reçu  une  lettre  écrite 
au  nom  de  l'empereur,  mais  si  injurieuse  el  blasphématoire,  que 
son  auteur  semblait  avoir  trempé  sa  plume  dans  le  venin  d'un 
serpent.  Si  le  pape  n'avait  espéré  que  l'empereur  ferait  brûler  ce 
document,  cl  tous  ceux  qui  avaient  été  rédigés  contre  Ignace. 
il  aurait  alors  agi  avec  rigueur.  Il  demande  donc  à  l'empereur 
de  déclarer  que  cette  lettre  n'est  pas  de  lui,  ou,  s'il  s'était  laissé 
entraîner  à  l'écrire,  de  la  déclarer  nulle  et  de  la  brûler.  Sinon, 
le  pape  convoquera  les  évêques  de  toutes  les  provinces  de  l'Oc- 
cident à  un  concile,  pour  y  prononcer  l'anathème  contre  les  au- 
teurs de  cet  attentat,  et  pour  que  la  lettre  en  question  soit  clouée 
au  pilori  et  brûlée  publiquement.  Le  pape  adjure  l'empereur  de 
ne  pas  le  forcer  à  de  pareilles  mesures.  Si  le  prince  persiste  à  refu- 
ser la  réintégra  lion  d'Ignace,  Nicolas  répète  qu'Ignace  et  Photius 
devront  venir  à  Rome.  Pour  plus  de  sûreté,  le  pape  remet  à 
ses  légats  une  copie  de  sa  précédente  lettre,  laquelle  contenait 
les  dispositions  à  prendre  à  ce  sujet.  Il  termine  en  demandant 
à  l'empereur  un  accueil  bienveillant  pour  les  légats,  et  l'invite 
à  déférer  à  leurs  exhortations,  afin  que  saint  Pierre  ne  se  fasse 
pas  son  accusateur  dans  l'autre  vie  1. 

Le  pape  écrivit  en  même  temps  à  tous  les  archevêques  et  évêques 
du  patriarcat,  et  à  tous  les  clercs  de  l'évêché  de  Constantinople 
une  seconde  lettre  (epist.  x),  presque  identique  à  la  précédente. 
Elle  expose  de  la  même  manière  les  événements  survenus  à  Cons- 
tantinople, la  conduite  des  légats  et  leur  punition.  Nicolas  donne 
cependant  plus  de  détails  sur  ce  dernier  point,  et  insère  le  texte 
du   concile  de  Latran  (printemps  de  803).   Après  cette  citation, 

1.   Nicolas  Ier,  Epist.,  ix,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  216;  Hardouin,  op.  cit., 
t.  v,  col.  137  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  617  sq. 


477.  LETTRES  DU  PAVE  AU  SUJET  DE  PHOTIUS        429 

la  lettre  montre  que  le  pape  ne  pouvait  changer  d'avis,  que  le 
sacre  de  Photius  par  Grégoire  de  Syracuse  était  nul  de  plein  droit, 
[342]  et  que  la  lettre  impériale  de  l'année  précédente  devait  être  mise 
à  néant.  Sinon  il  se  verra  obligé  de  réunir  un  grand  concile 
occidental  et  de  faire  solennellement  brûler  cette  lettre  aux  yeux 
du  monde  entier.  Le  pape  conclut  que,  si  on  tolérait  la  conduite 
tenue  à  l'égard  d'Ignace,  à  l'avenir  aucun  évêque  ne  serait  en 
sûreté,  toujours  exposé  à  subir  le  même  traitement;  c'est  chose 
fort  préjudiciable  au  clergé  et  contraire  aux  canons  de  faire  mon- 
ter des  laïques  sur  les  sièges  épiscopaux  1. 

Dans  la  lettre  à  Bardas,  le  pape  vante  d'abord  les  hautes  qualités 
de  son  correspondant;  il  raconte  ensuite  ce  qui  s'est  passé  à 
Constantinople,  et  prouve  que  dans  la  défense  d'ordonner  les  néo- 
phytes, l'expression  néophytes  ne  signifie  pas  seulement  celui  qui 
a  la  foi  depuis  peu,  mais  aussi  celui  qui  est  entré  récemment 
dans  la  cléricature  ;  il  démontre  brièvement  la  nullité  de  Télé  - 
vation  de  Photius,  regrette  que  Bardas  soit  la  cause  de  tous  ces 
malheurs,  et  le  supplie  de  revenir,  de  défendre  l'Eglise,  de  re- 
cevoir avec  bienveillance  les  légats  et  d'user  en  faveur  d'Ignace 
de  son  influence  sur  l'esprit  de  l'empereur  2.  En  écrivant  cette 
lettre,  le  pape  ignorait  la  mort  de  Bardas,  qui  remontait  déjà  à 
plusieurs  mois  3.  Vers  le  jour  du  nouvel  an  866,  Bardas  avait 
rêvé  qu'étant  avec  l'empereur  dans  la  grande  basilique,  l'apôtre 
Pierre  l'en  avait  chassé  à  la  demande  du  patriarche  Ignace  et 
l'avait  condamné  à  mort.  Son  familier  Théophile,  à  qui  il  ra- 
conta son  rêve,  lui  recommanda  d'être  à  l'avenir  plus  doux 
à  l'égard  d'Ignace  ;  mais  Bardas,  méprisant  ces  conseils,  s'ap- 
pliqua au  contraire  à  rendre  plus  dure  la  captivité  du  prisonnier. 
Aussi  le  jour  de  la  punition  ne  tarda  pas.  En  effet,  vers  Pâques, 
l'empereur,  méditant  une  expédition  contre  la  Crète,  fit  saisir 
subitement  Bardas,  et,  le  [21]  avril  866,  le  fit  exécuter  sur  des 
soupçons  d'infidélité. 

La   quatrième   lettre   du    pape    (13   novembre  866),   adressée   à 
Photius,  commence  par  des  reproches  :     «Tandis  qu'Ignace   était 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  240;  t.  x\i,  col.  101 ,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1%, 
842  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  636. 

2.  Nicolas  Ier,  Epist.,  xn,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.]xv,|col.  265;  Hardouin,  op.  ci'. 
I.  v,  col.  221   ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  631  sq. 

3.  Sur  l'assassinat  de  Bardas,  cf.  A.  Vogt,  Basile  IeT,  p.  37-38.  (H.  L.) 


430  LIVRE    XXIIÏ 

encore  sur  son  siège,  Photius  faisait  déjà  partie  des  schismatiques  ;  [343] 
il  est  passé  subitement,  et  au  mépris  des  canons,  du  rang  des 
laïques  à  l'épiscopat,  il  a  été  ordonné  par  Grégoire  de  Syracuse, 
etc.  ;  loin  de  tenir  sa  promesse  de  ne  pas  nuire  à  Ignace,  il  a 
réuni  un  concile  contre  lui  et  l'a  déposé  ;  il  a  corrompu  les  lé- 
gats du  pape,  exilé  les  évêques  qui  ne  voulaient  pas  être  en 
communion  avec  lui,  et  traité  Ignace  de  la  manière  la  plus  cruelle. 
Que  cependant  il  rentre  en  lui-même,  songe  à  l'enfer  et  ne  s'enor- 
gueillisse pas  de  sa  propre  sagesse.  Il  mérite  d'être  comparé  à 
une  vipère,  car  de  même  que  la  vipère,  il  a  tué  son  propre  père 
(Ignace).  Il  est  encore  semblable  à  Cham  et  aux  juifs,  qui  avaient 
levé  la  main  contre  leur  Seigneur.  Les  anciens  papes  et  les  con- 
ciles ont  interdit  l'accession  trop  rapide  à  l'épiscopat  et  c'est  un 
vrai  faux-fuyant  de  soutenir,  comme  il  le  fait,  que  les  canons  de 
Sardique  contenant  ces  défenses  ne  sont  pas  connus  à  Cons- 
tantinople.  L'apôtre  avait  dit  :  ce  N'imposez  trop  tôt  les  mains 
à  personne  1.  »  Photius  doit  se  retirer.  Déposé  des  fonctions 
sacerdotales,  il  perdra  tout  espoir,  s'il  continue  à  les  remplir, 
d'être  reçu  de  nouveau  à  la  communion  de  l'Eglise  ;  il  sera 
excommunié  avec  tous  ses  partisans  et  ses  amis,  jusqu'au 
lit  de  mort.  Ce  sera  un  grand  exemple  pour  qu'à  l'avenir 
nul  ne  passe  subitement  de  l'état  laïque  dans  le  camp  du  Sei- 
gneur 2.  » 

Dans  une  cinquième  lettre,  le  pape  assure  Ignace  de  sa  protec- 
tion,  qu'il  lui  doil  tlu  reste  comme  premier  pasteur  de  l'Eglise 
universelle,  et  lui  fail  connaître  tout  ce  qui  a  été  fait  pour  lui 
depuis  le  retour  des  légats.  «  Il  a  annulé  l'assentiment  des  lé- 
gats à  la  déposition  d'Ignace  et  à  l'élévation  de  Photius,  et  après 
en  avoir  donné  avis  à  l'empereur,  il  a  puni  les  légats  Zacharie  et 
Rodoald  ;  il  a  ensuite  prononcé  la  sentence  contre  Photius  et 
ses  partisans,  et,  après  avoir  déposé  tous  les  clercs  ordonnés  par 
Photius,  il  a  déclaré  Ignace  unique  évêque  de  Constantinople, 
menacé  de  peines  sévères  tous  ses  adversaires  et  ordonné  la 
réintégration  cl^s  évêques  exilés,  exécutoire  avant  toute  nou-  [344] 
velle  accusation;  de  plus,  ils  ne  pourront  être  jugés  que  par  le 
pape.    »   En  terminant,    Nicolas  exhorte  Ignace  à  rester  ferme   et 


1.  I  Tim.,  v,  22. 

2.  Epist.,  xi,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  214;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col. 
259.  Cf.  Hergenrôther,  Photius,  p.  628  sq. 


477.  LETTRES  DU  PAPE  AU  SUJET  DE  PHOTIUS      431 

à  se  confier  en  Dieu,  et  lui  rappelle  que  saint   Athanase   a    connu 
de  pareilles  adversités  1. 

Deux  autres  lettres,  la  sixième  et  la  septième,  sont  adressées 
à  l'impératrice  mère  Théodora  et  à  l'impératrice  Eudoxie  2,  femme 
de  Michel;  à  celle-ci  le  pape  demande  d'user  de  son  influence 
en  faveur  d'Ignace  ci  de  soutenir  les  légats.  Nicolas  loue  Théodora 
d'avoir  maintenu  la  doctrine  orthodoxe  du  vivant  de  son  mari 
l'iconoclaste,  d'avoir  bien  élevé  son  fils  et  d'avoir  assuré  le 
triomphe  de  l'orthodoxie.  Malheureusement  l'ennemi  de  tout 
bien  l'a  persécutée  (son  fils,  l'empereur,  l'avait  obligée  à  se  faire 
religieuse)  ;  qu'elle  demeure  ferme  et  se   confie  en  Dieu  3. 

Le  pape,  ayant  appris  que  plusieurs  membres  du  sénat  im- 
périal de  Constantinople  déploraient  ce  qui  se  passait,  leur  envoya 
l'epist.  xvi  rédigée  sous  forme  d'encyclique,  les  engageant  à 
combat Lre  vaillamment  pour  le  droit  et  pour  l'Eglise,  comme  il 
convient  à  des  chrétiens.  S'ils  n'osent  aller  jusque-là,  que  du 
moins  ils  ne  prennent  aucune  part  aux  persécutions  contre  Ignace, 
ne  restent  pas  en  communion  avec  Photius,  et  soutiennent  les 
légats  du  pape  4. 

Dès  le  début  de  l'affaire  de  Photius,  le  pape  Nicolas  en  avait 
informé  les  patriarches  orientaux  et  les  évêques  d'Asie  et  d'Afri- 
que, et  leur  avait  communiqué  les  documents.  A  ce  moment, 
il  leur  écrivit  de  nouveau,  mais  dans  la  crainte  que  ses  commu- 
nications antérieures  ne  fussent  pas  arrivées  à  destination,  il 
joignit  drs  copies  de  tontes  les  lettres  échangées  dans  celle 
affaire.  Aussi  la  lettre  du  pape  aux  Orientaux  comprend-elle 
une  collection  de  documents  :  en  premier  lieu  une  introduc- 
tion (ordinairement  appelée  epist.  i)  5  rapporte  les  événements 
[345]  de  Constantinople,  de  la  même  manière  que  l'epist.  x.  Viennent 
alors  les  deux  premières  lettres  du  pape  à  l'empereur  et  à 
Photius,  confiées  à  Zacharie  et  Rodoald,  puis  une  troisième 
lettre   ad  omnes   fidèles,    enfin    deux    lettres  de  mars  862  adres- 

1.  Epist.,  xui,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  224  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.  269  ;  un  extrait  grec  dans  Hardouin,  op.  cit.,t.\,  col.  1022  ;  Mansi,  op.  cit., 
t.  xv,  col.  306.  Cf.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  633  sq. 

2.  Sur  Eudocie  Ingerina,  cf.  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  56-58.   (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  227  ;  £p.xiv,  et  xv,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.  272. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  232  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  276. 

5.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  119  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  159. 


432 


LIVRE    XXIII 


sées  par  le  pape  à  l'empereur  et  à  Photius.  Après  l'insertion 
de  ces  pièces,  Ja  lettre  aux  Orientaux  reprend  son  cours,  et, 
suivant  la  juste  remarque  d'Hardouin,  c'est  à  tort  que  les  col- 
lections des  conciles  et  d'autres  historiens  donnent  cette 
lettre  comme  l'epist.  vu  ad  imperatorem  1.  Dans  cette  partie 
principale  de  sa  lettre,  le  pape  rapporte  la  punition  des  légats 
Zacharie  et  Rodoald,  les  décisions  du  concile  de  Latran  contre 
Photius,  etc.,  et  les  canons  d'un  autre  concile  romain  au  sujet 
des  théopaschites.  Ce  passage  de  sa  lettre  aux  Orientaux  se 
rapproche  de  très  près  de  l'epist.  x  2.  Enfin,  la  conclusion  de 
cette  lettre  aux  Orientaux  se  trouve  à  la  fin  de  l'epist.  vu  du 
pape  à  l'empereur3.  Ici,  le  pape  annonce  aux  Orientaux  l'envoi 
à  Constantinople  (novembre  866)  de  trois  nouveaux  légats, 
Donat,  évêque  d'Ostie,  etc.,  porteurs  de  lettres  dont  il  joint 
copie.  Ces  copies  devaient  former  les  numéros  x,  xi  et  xn  de 
la  collection  ;  le  numéro  x  contenait  les  deux  lettres  à  l'empe- 
reur et  aux  évêques  du  patriarcat  de  Constantinople  (epist.  ix 
et  x),  le  numéro  xi  contenait  les  deux  lettres  à  Photius  et  à 
Bardas  (epist.  xi  et  xn),  et  le  xne  les  quatre  lettres  à  Ignace, 
aux  deux  impératrices  et  à  quelques  sénateurs  (epist.  xin,  xiv, 
xv  et  xvi).  A  supposer  que  les  neuf  premiers  numéros  conte- 
naient chacun  un  document  (et  non  plusieurs,  comme  les  trois 
derniers),  la  collection  devait  à  l'origine  contenir  plus  de  docu- 
ments que  dans  son  état  actuel,  car,  au  lieu  de  neuf ,  nous  n'en  [346] 
possédons  que  six  de  date  réellement  antérieure. 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  136  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  178  ;  Hergenrô- 
ther,  op.  cit.,  p.  637  sq.  Damberger,  op.  cit.,  p.  216,  a  bien  remarqué,  que  cette 
lettre  n'était  pas  adressée  à  l'empereur  ;  mais  il  n'a  pas  saisi  le  véritable  état  des 
choses.  A  la  page  215,  il  n'a  pas  compris  non  plus  que  la  note  finale  Hase  qui- 
dem  appartenait  à  la  septième  lettre  du  pape. 

2.  Dans  la  lre  édition  nous  avions  eu  tort  de  dire  que  la  vme  lettre  du  pape 
à  l'empereur  Michel,  écrite  en  865,  avait  été  jointe  à  sa  nouvelle  épître.  C'é- 
tait inexact.  Cf.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  637,  note    95. 

3.  Hase  quidem,  etc.  jusqu'à  la  fin,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  172  ; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  216  ;  Rader  a  trouvé  un  fragment  grec  de  cette  lettre 
«lu  pape.  Il  est  imprimé  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1019  ;  Mansi,  op. 
cit.,  t.  xv,  col.  301. 


478.     LES     BULGARES     ET    LE     PAPE     NICOLAS    1er  433 


478.  Les  Bulgares  et  le  pape  Nicolas  I   . 

Les  légats  se  rendirent  à  Constantinople  en  passant  par  la  Bul- 
garie. Les  Bulgares1,  établis  depuis  le  vne  siècle  dans  le  pays  situé 
entre  le  Dniester,  le  Danube  e1  t'Hémus,  el  en  contad  continuel 
avec  l'empire  de  Byzance,  ne  s'étaient  convertis  au  christianisme 

(fixe  dans  la  première  moitié  du  ixe  siècle,  après  avoir  été  évangé- 
lisés  par  le  prêtre  grec  Méthode.  Leur  prince  ou  roi.  Bogoris, 
se  fit  instruire  par  lui.  demanda  ensuite  aux  empereurs  grecs 
de  lui  envoyer  un  évêque,  des  mains  duquel  il  reçut  le  baptême 
et  fut  appelé  Michel 2.  Le  nouveau  converti  ayant   voulu  puusser 


l.   Les  Bulgares  occupent  une  contrée  que  nous  avons  eu  déjà  occasion  de  men- 
tionner à  propos  de  Y  Illyricum  ecclésiastique  qui  fut  l'occasion  de  conflits  d'in- 
fluence et  de  juridiction  entre  Rome  et  les  patriarches   de   Constantinople.  On 
trouve  un  exposé  rapide  de  ce  qui  concerne  la  Bulgarie  avant  les  Bulgares  dans 
C.  Jirecek,   Geschichte  der  Bulgaren,  in-8,  Prague,   1876,  p.  53-216   ;  H.  Gelzer, 
Die  Genesis  der   byzantinischen   Themenverfassung,  in-8,    Leipzig,    1899,    p.  42- 
6'b   ;  L.   Duchesne,  L' Illyricum  ecclésiastique,  dans  les    Eglises    séparées,  in-12, 
Paris,  1896,  p.  229-279;  Jirecek,  Das  christliche  Elément  in  der   topographischeu 
Nomenklalur  der  Balykanlànder,  dans  Sitzungsberichte  der  Kais.    Akademie   der 
Wissenschaften  in  Wien,  1897,  t.  cxxxvi  ;  S.  Vailhé,  Bulgarie,  dans  le  Dictionn. 
de   théologie  catholique,  1905,  t.  n,  col.  1174-1177.  A  Byzance,  on  avait  tout  lieu 
de  craindre  ces  sauvages  établis  à  petite  distance  de  la  capitale  qu'ils  terrifiaient, 
périodiquement  pour  rentrer  dans  leurs  établissements  vers  les  embouchures  du 
Danube  après  de  profitables  razzias.  Parmi  les  prisonniers  ramenés    d'une  ex- 
pédition en  Macédoine  s'étaient  trouvés  des  chrétiens  qui  avaient  travaillé  à 
convertir  leurs  maîtres,  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  22-24;  on  compte  des   martyrs, 
mais  le  succès  fut  peu  considérable.   «  Cependant,  si  glorieuses  que  fussent  ces 
conquêtes,  elles  n'auraient  pas  réussi  probablement  à  entamer  la  nation,  si  un 
prince  valeureux  n'avait  lui-même  donné  l'exemple,  en  entraînant  à  sa  suite  les 
adorateurs  des  faux  dieux.  A  vrai  dire,  nous  sommes  encore  assez  mai  fixés  sur 
les  causes  qui  déterminèrent  une  démarche  aussi  hardie  et  poussèrent  le  roi  Boris 
à  recevoir  le  baplènu'.  »  Des  légendes  ont  couru  qui  ont  prétendu  faire  l'honneur 
de  cette  conversion  aux  deux  frères  Cyrille  et  Méthode;  ils  n'y  furent   pour  rien 
et  si  leurs  noms  ont   été  prononcés,  ce   sont  leurs  premiers   disciples   qui  l'ont 
t';iii    tout  d'abord.   C.   Jirecek,    Geschichte  der  Bulgaren,  p.   150-160;   L.    Léger, 
Cyrille  et  Méthode,  in-8,  Paris,  1868,  p.  87-91   ;  A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII, 
in-8,  Paris,  1895,  p.  100-106.  (H.  L.) 

2.  D'après  M.  S.  Vailhé,  Dictionn.  de  théolog.  cathol.,  t.  n,  col.  1179,  la  conver- 
sion de  Boris  est  due,  sans  doute,  à  des  motifs  presque  exclusivement  politiques. 
«  Les  Slaves  de  la  Moravie,  qui  touchaient  aux  limites  septentrionales    des    pos- 

CONCILES  —  IV  -    ^ 


434 


LIVRE    XXIII 


trop  vite  et  par  la  force  son  peuple  à  entrer  dans  l'Église,  ses 
sujets  païens  se  révoltèrent,  et  plusieurs  de  ceux  qui  étaient  déjà 
baptisés  apostasièrent.  Mais  Michel  étouffa  violemment  la  sédi- 
tion et  continua  l'œuvre  commencée  1.  Sans  compter  les  mission- 
naires grecs,  il  vint  aussi  en  Bulgarie  des  Arméniens  (peut-être 
des  paulitianistes,  ainsi  que  le  suppose  Néander),  et  d'autres, 
plusieurs  même  sans  aucune  mission  ecclésiastique.  Quelques-uns 
se  firent  passer  pour  prê Ires  et  annoncèrent  des  doctrines  qui  se 
contredisaient  entre  elles  2.  Troublé  par  ces  contradictions,  assailli 
de  doutes  3,  le  roi  des  Bulgares  désira  des  renseignements  certains 
sur  le  véritable  christianisme,  et  durant  l'été  de  866,  il  envoya 
des  députés  au  pape  et  à  Louis  le  Germanique,  alors  à  Ratisbonne4. 

sessions  bulgares,  venaient  d'embrasser  la  christianisme,  convertis  par  Cyrille 
et  Méthode  ;  Boris,  que  ses  conquêtes  avaient  rendu  voisin  des  Francs,  se  trou- 
vait entouré  d'États  chrétiens.  Il  crut  donc  utile  à  ses  intérêts  de  recevoir  aussi  le 
baptême.  A  la  suite  d'une  campagne  victorieuse  contre  l'empereur  Michel  III, 
il  lui  offrit  la  paix  à  des  conditions  peu  onéreuses  et  profita  de  cette  circonstance 
pour  faire  profession  de  la  foi  chrétienne.  L'empereur  lui  servit  de  parrain  et  le 
nom  de  Michel  fut  choisi  par  Boris  comme  nom  de  baptême.  »  L.  Lamouche, 
La  Bulgarie  dans  le  passé  et  dans  le  présent,  in-12,  Paris,  1892,  p.  62.  Cf.  Jirecek, 
Geschichte  der  Bulgaren,  p.  154,  155  ;  A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII ,  in-8,  Paris, 
p.  41  ;  V.  Lah,  De  Borisio  seu  Michaele  I,  dans  Archiv  fur  kath.  Kirchenrecht, 
t.  xl,  p.  274-293;  t.  xlii,  p.  81-120.  (H.  L.) 

1.  Cette  conversion  forcée  eut  lieu  à  la  fin  de  864  ou  mieux  dans  les  pre- 
miers mois  de  865.  Nicolas  Ier,  dans  une  lettre  écrite  en  864,  parle  de  la  con- 
version de  Boris  comme  d'un  simple  projet,  P.  L.,  t.  exix,  col.  875  ;  Hincmar 
écrit  dans  ses  Annales  Bertiniani,  ad  ann.  864,  que  l'on  s'attend  en  Allemagne 
au  prochain  baptême  du  roi  bulgare  ;  enfin,  Photius,  dans  sa  lettre  encyclique, 
P.  G.,  t.  eu,  col.  724,  déclare  qu'il  ne  s'est  pas  écoulé  tout  à  fait  deux  ans  entre 
l'arrivée  en  Bulgarie  des  missionnaires  latins  (fin  de  866)  et  la  conversion  des 
Bulgares  opérée  par  les  prêtres  grecs.  (H.  L.) 

2.  Voir  Nicolas  Ier,  Responsa  ad  Bulgarorum  consulta,  P.  L.,  t.  exix,  principale- 
ment le  n.  106. 

3.  Au  lendemain  de  son  baptême,  Boris  avait  demandé  à  Photius  un  archevê- 
que, des  évèques  et  toute  une  hiérarchie.  Photius,  plus  fin  que  de  raison,  ne  crut 
pas  à  la  sincérité  de  la  demande,  sacrifia  quelques  missionnaires  qu'il  expédia 
à  Boris  avec  une  lettre.  P.  G.,  t.  en,  col.  627-696.  Celui-ci  était  plus  sincère 
que  les  apparences  auraient  pu  donner  lieu  de  le  croire.  Ce  Boris  est  un  personna- 
ge fort  curieux  que  A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII,  p.  49-51,  53,  a  fait  entrevoir 
autant  que  cette  étrange  figure  peut  se  laisser  connaître.  Ce  terrible  homme  ne  se 
payait  pas  de  phrases.  Il  tenait  à  son  idée  et  envoya  au  pape  et  au  roi  de  Germa- 
nie deux  ambassades  qui  devaient  solliciter  toujours  l'envoi  d'une  hiérarchie 
ecclésiastique.  (H.  L.) 

4.  L'ambassade    arriva    à    Borne,    au    mois    d'août    866,  Liber    pontificalis 


478.     LES    BULGARES     ET    LE     PAPE     NICOLAS     ier  435 

Il  demandait  à  ce  dernier  des  prêtres  capables  d'enseigner;  Louis 
lui  envoya  Ermanrich,  éveque  de  Passau,  et  des  clercs  munis 
de  vases  sacrés,  d'habits  et  de  livres  liturgiques  dont  Charles  le 
Chauve  avait  fourni  une  partie  1.  Mais  les  Romains  avaient  devan- 
cé les  Germains  en  Bulgarie  ;  à  leur  arrivée  ceux-ci  trouvèrent 
les  missions  des  prêtres  romains  établies,  ce  qui  les  décida  à  ren- 
trer chez  eux. 

L'ambassade  des  Bulgares  était  arrivée  à  Rome  au  mois  d'août 
[347]  866  ;  elle  apportait  de  nombreux  présents,  parmi  lesquels  les 
armes  du  roi  dans  la  guerre  contre  les  révoltés.  Les  Bulgares 
demandaient  des  prêtres,  et  soumettaient  plus  de  cent  questions 
ou  doutes  sur  différents  points  de  la  foi  ou  de  la  morale  2.  Le  pape 
Nicolas  nomma  aussitôt  légats  en  Bulgarie  les  évêques  Paul  de 
Populonia    en    Toscane    et    Formose    de    Porto  3,    et   leur   remit 


édit.,  Duchesne,  t.  n,  p.  164,  tandis  que  la  mission  envoyée  à  l'empereur 
n'atteignit  Ratisbonne  que  vers  la  fin  de  cette  même  année,  Ann.  Fuldenses, 
ad  ann.  866  ;  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  866,  dans  Mon.  Germ.  Iiistor.,  Script.,  t.  i, 
p.  379,  474    (H.  L.) 

1.  A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII,  p.  55  et  note  5.  (H.  L.) 

2.  Le  pape  Nicolas  avait  saisi  l'occasion  et  avait  donné  deux  évêques  d'un 
coup  à  ce  Bulgare  ami  des  titres  pompeux.  Ayant  déjà  des  sièges  épiscopaux, 
Formose  et  Paul  ne  gouverneraient  l'Église  bulgare  qu'à  titre  provisoire.  Ils 
emportaient  les  fameux  Responsa  qui,  sans  parler  de  leur  utilité  dans  la  situa- 
tion nécessairement,  compliquée  issue  d'une  conversion  en  masse,  avaient  surtout 
l'immense  mérite  de  tenir  la  porte  ouverte  sur  le  rêve  le  plus  chèrement  caressé 
de  Boris,  l'établissement  d'un  patriarche  à  la  tête  de  sa  hiérarchie,  ce  qui 
le  mettrait  sur  le  même  pied  que  l'empereur  de  Byzance.  Aux  yeux  de  ces  bar- 
bares, un  patriarche  était  moins  le  sommet  honorifique  de  la  hiérarchie  que 
le  dispensateur  responsable  du  titre  et  des  insignes  impériaux.  Posséder  un 
patriarche  c'était,  lorsqu'on  se  savait  quelque  énergie,  la  perspective  assurée  de 
se  faire  proclamer  Basileus,  titre  fatidique  et  éternel  objet  de  la  convoitise 
bulgare.  Le  pape  qui  savait  beaucoup  et  devinait  le  reste  ne  prononçait  ce  mot 
de  patriarche  qu'avec  les  plus  formelles  réserves.  Il  promettait  un  archevê- 
que investi  du  pallium.  C'était  beaucoup  et,  avec  le  temps,  Boris  comptait 
bien  obtenir  le  reste;  aussi  oublia-t-il  Photius  et  le  roi  de  Germanie.  Quand 
l'ambassade  envoyée  par  ce  dernier  arriva,  Boris  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  de 
la  congédier.  (II.  L.) 

3.  Nous  avons  rencontré  Formose  au  concile  de  Rome  en  juillet  869.  Voir 
§  473,  p.  387  note).  Il  avait  joui,  en  son  temps,  de  la  meilleure  réputation. 
Le  Liber  pontificalis,  dans  la  Vita  Nicolai,  nous  le  montre  désigné  pour  la  mis- 
sion de  Bulgarie  en  ces  termes:  Paulum  scilicel  Populoniensem  et  Formosum 
Portuensem  magnée  sanctitatis  episcopos.  Anastase  dans  sa  Prsefatio  ad  syno- 
dum  octavam  nous  dit  :  Formosum  Portuensem  sancts   conversationis,  P.  L., 


436 


LIVRE     XXIII 


en  novembre  866,  ses  célèbres  Responsa  ad  consulta  Bulgaro- 
rum,  qui  comptent  cent  six  chapitres  1.  Néander  écrit  à  leur  sujet  : 
«  Ils  prouvent  que  le  pape  ne  se  proposait  pas  seulement  d'intro- 
duire chez  les  Bulgares  l'Eglise  romaine,  c'est-à-dire  la  papauté 
et  les  cérémonies  chrétiennes,  il  avait  aussi  fort  à  cœur  de  rendre 
les  Bulgares  attentifs  à  la  pratique  des  devoirs  de  la  vie  chré- 
tienne; et  la  manière  dont  il  traita  ce  sujet  de  vue,  tout  en  tenant 
compte  de  la  situation  d'un  peuple  nouvellement  converti,  fait 
honneur  à  sa  prudence  pastorale  2.  »  Photius  écrivit  aux  Bulgares 
nouvellement  convertis  une  lettre  qui  porte  le  n.  1  dans  l'édition 
de  ses  lettres  par  Montagu;  elle  se  trouve  en  partie  dans  toutes 
les  collections  des  conciles,  où  on  en  a  utilisé  les  passages  concer- 
nant les  sept  premiers  conciles  œcuméniques  s  ;  mais  cette  lettre 
de  Photius  est,  au  point  de  vue  de  l'utilité  publique,  bien  infé- 
rieure aux  Responsa  dû  pape,  et  Néander  a  raison  d'écrire  :  «  Ce 
document  prouve  que  Photius,  tout  savant  et  rusé  qu'il  était,  ne 
savait  pas  se  mettre  à  la  portée  de  ces  gens  comme  un  évêque 
de  l'Occident,  d'une  moindre  intelligence  4.  » 

La  mission  des  évêques  Paul  et  Formose  en  Bulgarie,  eut    lieu 
en  même  temps  que  celle  de  Donat  d'Ostie,    du    prêtre    Léon    et 


t.  cxxix,  col.  20,  et  Hincmar  de  Reims,  qui  ne  flatte  guère  son  prochain,  lui 
reconnaît  de  la  science  et  de  la  doctrine.  Flodoard,  Hist.  Rem.  Eccles.,  Reims, 
1854,  1.  III,  c.  xxi,  p.  218.  Flodoard,  plus  bénin,  le  désigne  ainsi: 

Prœsulhic  egregius  Formosus  laudibus  altis 

Evehitur,  castus,  parcus  sibi,  largus  egenis. 
De  Roman,  pontif.,  dans  Muratori,  Script,  rer.  Italie,  t.  ni,  part.  II,  col.  317  ; 
Liutprand  le  qualifie  de  papa  religiosissimus  et  encore  :  Portuensis  civitatis  epis- 
copum,  pro  vera  religione  divinarumque  doctrinarum  scientiam  papam  sibi  fieri 
anhelabat.  Liutprand,  Antapodosis,  I.  I,  c.  xxvm,  xxix,  dans  Pertz,  Monum. 
Germ.  histor.,  Scriptores,  t.  m,  p.  282.  Sur  Formose,  cf.  A.  Lapôtre,  dans  la 
Revue  des  questions  historiques,  1880,  t.  xxvn,  p.  411-420  ;  le  même,  Le  pape 
Jean  VIII,  p.  56-62.  (H.  L.) 

1.  Responsa  Nicolai  I  ad  consulta  Bulgarorum,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv, 
col.  401  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  354;  P.  L.,  t.  exix,  col.  978  sq. 

2.  Néander,  Kirchengeschichte,t.  iv,  p.  55.  [«  Si  les  lettres  apostoliques,  les 
fameux  Responsa,  étaient  moins  remplies  de  hautes  spéculations  théologiques 
et  d'une  facture  littéraire  moins  parfaite,  elles  contenaient  en  revanche  une  foule 
d'instructions  positives,  à  la  portée  de  ceux  qu'elles  visaient,  et  où  le  génie 
pratique  du  Romain  gardait  l'avantage  sur  la  métaphysique  byzantine.  »  A.  La- 
pôtre, Le  pape  Jean  VIII,  p.  54.  (H.  L.)] 

3.  Voir  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1463. 
't.  Néander,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  53. 


478.     LES     BULGARES     ET     LE     PAPE     NICOLAS    Ier  437 

du  diacre  Marin  à  Constantinople;  ils  prirent  tous  le  même  che- 
min vers  la  Bulgarie,  et  on  vit  bientôt  que  cette  route  était  la 
seule  sûre  1.  Voici  le  résumé  des  cent  six  Responsa  ad  consulta 
Bulgarorum  :  1.  Le  christianisme  comprend  la  foi  et  les  bonnes 
œuvres.  2.  Il  est  défendu  de  se  marier  avec  ses  parrains.  3.  Des- 
cription des  usages  latins  pour  la  célébration  d'un  mariage  ; 
[348]  toutefois  ces  cérémonies  ne  sont  pas  toutes  absolument  néces- 
saires, et  plusieurs  sont  omises  quand  il  s'.agit  des  pauvres.  Le 
principal  est  le  consentement,  à  défaut  duquel  les  cérémonies 
sont  de  nulle  valeur,  le  mariage  eût-il  été  consommé.  4  et  5. 
Sur  les  jours  de  jeûne.  Lorsque  Noël,  l'Epiphanie,  une  fête 
de  Marie,  celles  des  saints  Pierre  et  Paul,  Jean-Baptiste,  Jean 
l'Evangéliste,  André  ou  Etienne  tombent  un  vendredi,  on  peut 
ce  jour-là  manger  de  la  viande.  6.  Les  Grecs  ont  tort  de  pen- 
ser qu'on  ne  doit  se  baigner  ni  le  mercredi  ni  le  vendredi.  On 
peut  même  le  faire  le  dimanche.  7  et  8.  Un  homme  impur  ne  doit 
ni  baiser  ni  porter  la  croix.  9.  Celui  qui  est  sans  péché  mortel 
doit  communier  tous  les  jours  pendant  le  carême,  mais  il  doit 
aussi  pendant  ce  temps  s'abstenir  du  mariage.  10.  On  doit  s'abste- 
nir du  travail  le  dimanche  seulement,  et  non  le  samedi  jour  du 
sabbat.  11.  Enumération  des  fêtes  des  saints  chômées  :  fêtes  de 
Marie,  des  douze  apôtres,  des  évangélistes,  de  saint  Jean-Baptiste 
et  de  saint  Etienne.  12.  Ces  jours-là  les  tribunaux  chôment  et  on 
suspend  toute  exécution.  13.  Conformément  à  votre  désir,  nous 
avons  donné  aux  légats  les  codes  des  lois  civiles  ils  devront  les  rap- 
porter,parce  que,  laissés  à  vous-mêmes,  vous  ne  sauriez  les  expli- 
quer d'une  manière  pertinente.  14-16.  Vous  rapportez  qu'un  grec 
s'est  donné  chez  vous  comme  prêtre  et  a  baptisé  plusieurs  personnes 
avant  d'être  dévoilé,  alors  vous  lui  avez  coupé  le  nez  et  les  oreilles, 
et  vous  l'avez  chassé.  Cette  cruauté  exige  pénitence;  quant  au 
baptême,  il  est  valide,  s'il  a  été  administré  au  nom  de  la  Trinité. 
17.  Il  n'est  pas  juste  que  le  roi  fasse  exécuter  ceux  qui  se  sont 
révoltés,  ainsi  que  leurs  enfants.  18.  Le  baptisé,  devenu  relaps, 
doit  être  converti  de  force  (voir  le  n.  41).  19-32.  Sur  la  manière 
de  traiter  diverses  espèces  de  malfaiteurs,  exhortation  à  la  clé- 
mence, allusions  aux  codes  des  lois  civiles  et  ecclésiastiques  que 


1.  Annales  Berlin,  et  Fuldenses,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  379,  380,  473,474, 
et  Vita  S.  Nicolai  I  Ponlif.,  dans  Baronius,  Annales,  ad  ann.  866,  n.  1  ;  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xv,  col.  156  ;  P.  L.,  t.  cxxvm,  col.  1374. 


438  LIVRE    XXIII 

les  missionnaires  emportent  avec  eux.  Dans  nombre  de  cas,  il 
faudra  laisser  aux  prêtres  le  soin  de  décider.  33.  Au  lieu  d'une 
queue  de  cheval,  vous  porterez  désormais  une  croix  sur  vos  éten- 
dards. 34-36.  Sauf  le  cas  de  nécessité,  vous  ne  devez  pas  guerroyer 
un  jour  de  fête  ;  à  part  cela,  il  ne  faut  pas  s'attacher  à  tel  ou  tel 
jour.  Abandonnez  les  anciens  usages  païens  et  commencez  toute 
campagne  par  la  prière  et  les  bonnes  œuvres.  37.  Nous  vous  en- 
voyons volontiers  les  livres  nécessaires.  38.  Plus  le  danger  est 
grand  dans  une  guerre,  plus  il  importe  de  prier.  39.  Degrés  de 
parenté  qui  s'opposent  au  mariage. 40.  L'ancienne  coutume  de  tuer 
ceux  qui  ne  sont  pas  prêts  pour  la  guerre  doit  être  abandonnée. 
41.  Que  nul  ne  soit  forcé  d'embrasser  le  christianisme.  42.  La  cou-  [349] 
tume  que  le  roi  mange  seul  n'est  pas  antichrétienne,  mais  elle 
n'est  pas  louable,  parce  qu'elle  n'est  pas  conforme  à  l'humilité. 
43.  On  peut  manger  toute  sorte  de  viandes  si  elles  ne  sont  pas 
nuisibles  par  elles-mêmes.  44.  On  ne  doit  pas  chasser  en  carême, 
car  il  n'est  pas  permis  pendant  ce  temps  de  manger  de  la 
viande.  45  et  46.  Quant  à  savoir  si,  durant  le  carême,  on  peut 
juger  et  faire  la  guerre,  nous  avons  déjà  répondu  aux  numéros 
12  et  34  \  47  et  48.  Pendant  le  carême,  on  ne  doit  ni  faire  des 
parties  de  plaisir  ni  célébrer  des  noces.  49.  Tous  les  usages  qui 
ne  constituent  pas  des  péchés  doivent  être  conservés  après 
la  conversion.  50.  Votre  évêque  ordonnera  la  conduite  à  tenir  à 
l'égard  de  ceux  qui  ne  s'abstiennent  pas  du  mariage  pendant  le 
carême.  On  devra,  dans  ces  cas,  prendre  diverses  circonstances 
en  considération.  51.  Un  chrétien  ne  doit  pas  avoir  deux  femmes. 
52.  Pour  la  punition  de  ceux  qui  mutilent  un  homme,  on  s'en  tien- 
dra aux  codes.  53.  On  doit  faire  le  signe  de  la  croix  sur  la  table, 
même  lorsque  aucun  prêtre  ni  diacre  n'assiste  au  repas.  54.  Les  grecs 
s'abusent  en  croyant  que  c'est  une  grande  faute  de  ne  pas  placer 
ses  mains  sur  sa  poitrine  ;  rien  n'est  prescrit  sur  ce  point,  lors- 
qu'on se  trouve  dans  l'église.  Plusieurs  enlacent  leurs  mains  d'une 
manière  symbolique,  et  pour  demander  à  Dieu  de  ne  pas  lier  leurs 
mains  comme  celles  du  pécheur  dont  il  est  parlé  dans  saint 
Matthieu,  xxn,  13  2.  55.   Les    grecs    ont  eu  tort    de  défendre  de 

1.  Ces  redites  ne  prouvent  rien,  quoi  que  suppose  Damberger,  contre  l'unité 
de  ce  document,  ce  défaut  provenant  de  ce  que  les  demandes  des  Bulgares 
n'étaient  pas  disposées  dans  un  ordre  logique. 

2.  Voyez  Vierordt,  De  junctarum  in  precando  manuum  origine  indo-germa- 
nica  et  usu  inter  plwimos  christianos  adscito,  1851. 


478.     LES    BULGARES    ET    LE    PAPE    NICOLAS    Ier  439 

recevoir  la  sainte  eucharistie  sans  porter  la  ceinture.  56.  Il  est 
permis  d'ordonner  des  jeûnes  et  des  prières  pour  obtenir  la  pluie. 
57.  Les  grecs  défendent  à  tort  de  manger  d'un  animal  tué  par  un 
eunuque.  58.  Les  femmes  doivent  être  voilées  dans  l'église.  59. 
Vous  êtes  libres,  vous  et  vos  femmes,  de  porter  des  pantalons  ou  de 
n'en  pas  porter.  60.  Nul  ne  doit  manger  avant  la  troisième  heure 
du  jour.  61.  Les  laïques  doivent  observer  les  heures  de  prières 
quotidiennes.  62.  Votre  ancien  usage  de  médicamenter  les  malades 
avec  une  certaine  pierre  (miraculeuse)  doit  être  aboli.  63.  Le 
dimanche  (soit  le  jour  soit  la  nuit)  on  ne  doit  pas  user  du  mariage. 
64.  L'homme  ne  doit  pas  avoir  commerce  avec  sa  femme  après 
les  couches  de  celle-ci,  et  aussi  longtemps  qu'elle  nourrira  son 
enfant.  65.  Celui  qui  n'est  pas  à  jeun  ne  doit  pas  communier  ; 
[350]  mais  on  admettra  à  la  communion  celui  qui  a  saigné  de  la  bouche 
ou  du  nez.  66.  Les  hommes  portant  le  turban  ne  doivent  pas  en- 
trer dans  l'église.  67.  Ne  jurez  plus  sur  le  glaive,  mais  sur  l'Evan- 
gile. 68.  Vous  demandez  combien  de  temps  une  femme  doit  s'abs- 
tenir d'aller  à  l'église  après  ses  couches;  elle  peut,  si  elle  a  assez  de 
forces,  y  aller  le  jour  même.  69.  Le  temps  ordinaire  du  baptême 
est  Pâques  et  la  Pentecôte.  70.  Devez-vous  chasser  un  prêtre 
marié  ?  Non,  car  des  laïques  ne  doivent  pas  juger  un  clerc  ;  c'est 
à  l'évêque  à  juger.  71.  Vous  demandez  si  vous  devez  recevoir 
la  communion  des  mains  d'un  prêtre  coupable.  Oui.  72-73.  Vous 
demandez  si  vous  devez  avoir  un  patriarche  et  où  il  doit  être  sacré. 
Provisoirement,  il  suffit  d'un  évêque  qui  sera  sacré  à  Rome.  Si  le 
nombre  des  fidèles  s'acrcoît  en  sorte  que  plusieurs  évêques 
soient  nécessaires,  l'un  d'entre  eux  obtiendra  du  Saint-Siège 
les  privilèges  d'un  archevêque  et  instituera  les  autres  évêques. 
A  sa  mort,  les  évêques  lui  nommeront  un  successeur.  A  cause 
de  la  distance,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'il  vienne  à  Rome  pour 
y  être  consacré  ;  mais  il  se  bornera  à  dire  la  messe  sans  rem- 
plir d'autres  fonctions  ecclésiastiques,  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
reçu  le  pallium.  74.  Vous  demandez  ce  qu'il  faut  faire  lorsque 
l'ennemi  survient,  la  prière  n'étant  pas  encore  terminée.  Vous 
devez  la  terminer  ;  mais  cela  peut  se  faire  partout,  même  en 
marche.  75-76.  Les  légats  vous  apporteront  le  pénitentiel  et  le 
livre  de  messe  que  vous  demandez.  Mais  ces  livres  ne  doivent 
pas  être  mis  entre  les  mains  des  laïques.  77.  Vous  consultez  au 
sujet  d'une  superstition  en  usage  chez  les  grecs  (une  sorte  de 
sortes  Sanctorum).  Il  faut  la  rejeter.  78.    Vous  annoncez    que   les 


44 


0  LIVRE     XXIII 


révoltés  veulent  faire  pénitence,  mais  que  les  prêtres  (grecs) 
(jui  sont  chez  vous  ne  veulent  pas  les  y  admettre.  On  doit  le  faire. 
79.  Défenses  portées  contre  les  amulettes.  80-82.  Sur  les  traités  de 
paix  avec  vos  voisins,  soit  chrétiens,  soit  païens.  Avec  ces  derniers, 
on  ne  doit  faire  la  paix  que  pour  pouvoir  les  amener  à  la  vraie  foi. 
83-85.  Vous  devez  punir  les  malfaiteurs,  mais  non  les  clercs. 
Exhortation  à  la  douceur.  8b.  Défense  d'appliquer  la  torture. 
87.  Celui  qui  obligera  autrui  à  entrer  dans  un  monastère  sera 
puni.  88.  Vous  ne  devez  pas  prier  pour  ceux  des  vôtres  qui  sont 
morts  dans  l'infidélité.  89.  Les  offrandes  des  prémices  sont  très 
anciennes.  90.  On  peut  manger  un  animal  mort  à  la  suite  d'un 
coup  et  sans  avoir  été  saigné.  91.  En  revanche,  vous  ne  devez 
pas  manger  d'un  animal  qui,  poursuivi  par  un  chrétien,  a  été 
tué  par  un  infidèle  (ou  vice  versa).  On  ne  doit  avoir  aucun  rap-  [351] 
port  avec  les  infidèles.  92.  Vous  demandez  quels  sont  les  vrais 
patriarches.  Ce  sont,  à  proprement  parler,  ceux  des  trois  sièges 
fondés  par  les  apôtres,  c'est-à-dire  ceux  de  Rome,  d'Alexandrie 
et  d'Antioche.  Sans  doute,  les  évêques  de  Constantinople  et  de 
Jérusalem  sont  aussi  appelés  patriarches;  mais  ils  n'ont  point 
la  même  autorité,  car  le  siège  de  Constantinople  n'a  pas  été 
fondé  par  un  apôtre  ;  le  concile  de  Nicée,  le  plus  vénérable 
de  tous,  ne  parle  pas  d'un  patriarcat  de  Constantinople,  qui 
doit  son  origine  au  caprice  des  princes  plutôt  qu'à  des  raisons 
légitimes.  Quant  à  la  Jérusalem  actuelle,  ce  n'est  plus  l'an- 
cienne, qui  a  été  détruite  de  fond  en  comble.  93.  Vous  deman- 
dez quel  est  le  patriarcat  qui  occupe  le  second  rang.  Le  concile 
de  Nicée  répond  que  c  es1  celui  d'Alexandrie.  94.  La  prétention 
des  grecs,  que  seuls  ils  font  le  chrême  et  l'envoient  à  l'univers 
entier,  n'est  pas  fondée.  95.  Vous  devez  respecter  le  droit 
d'asile  des  églises.  96.  Nul  ne  doit  renvoyer  sa  femme  sauf  le 
cas  d'adultère.  97.  On  doit  traiter  avec  douceur  les  esclaves 
infidèles.  98.  On  ne  doit  pas  enterrer  à  l'église  les  suicidés, 
ni  offrir  pour  eux  le  saint  sacrifice.  99.  Les  chrétiens  doivent 
être  enterrés  dans  les  églises  où  l'on  songera  plus  à  prier 
pour  eux.  100.  Ceux  qui  sont  morts  à  la  guerre  doivent  être 
rapportés  cliez  eux  pour  y  être  enterrés  (dans  l'église).  101.  Sur 
la  manière  de  donner  l'aumône.  102.  Nul  ne  doit,  nous  l'a- 
vons déjà  dit,  être  amené  de  force  au  christianisme.  103. 
Les  livres  que  nous  avez  pris  aux  Sarrasins  doivent  être 
détruits.    104.    Nous     dites     qu'un    juif,    dont     la    conversion    au 


4  7  8.     LES     BULGARES     ET     LE     PAPE     NICOLAS    1er  441 

christianisme  est  douteuse,  a  baptisé  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes. Ces  baptêmes  sont  valides,  s'ils  ont  été  administrés  au 
nom  de  la  Trinité  et  au  nom  du  Christ  (comme  dans  les  Actes 
des  apôtres).  105.  Vous  ne  devez  pas  écouter  des  prédicateurs 
sans  mission.  106.  Vous  me  demandez  de  vous  enseigner  le  véri- 
table  christianisme,  parce  qu'il  est  venu  dans  votre  pays  des 
chrétiens  parlant,  diverses  langues,  Grecs,  Arméniens,  etc.,  et 
ayant,  des  enseignements  différents.  L'Église  romaine  a  été  cons- 
tamment, sans  souillure  et  a  toujours  possédé  le  véritable  chris- 
tianisme. Pour  vous  faire  connaître  ce  christianisme,  je  vous  en- 
voie des  légats  et  des  livres.  A  l'égard  de  tous  autres  prédicateurs, 
il  est  nécessaire  d'user  de  prudence,  afin  qu'il  ne  naisse  pas  de 
dissensions.  Peu  importe  qui  prêche;  l'essentiel  est  que  le  sermon 
soit  conforme  à  la  vérité.  Mes  légats  et  les  évoques  que  vous  au- 
rez vous  diront  la  conduite  à  tenir  dans  les  cas  douteux;  quant 
aux  choses  plus  importantes,  vous  aurez  soin  de  consulter  tou- 
jours le  Siège  apostolique. 
[352]  Les  légats  du  pape  reçurent  chez  les  Bulgares  l'accueil  le  plus 
bienveillant,  et  ils  y  firent  la  plus  riche  moisson  ;  le  roi  Michel 
fut  tellement  satisfait  de  ces  légats  qu'il  renvoya  tous  les  autres 
missionnaires,  et  un  jour  lui  et  ses  Bulgares  se  firent  couper  les 
cheveux  solennellement  en  signe  d'adhésion  à  l'Eglise  romaine. 
Il  envoya  à  Rome  une  seconde  ambassade  pour  demander  au 
pape  de  nommer  Formose  archevêque  des  Bulgares,  et  d'en- 
voyer d'autres   prédicateurs  1. 

1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  867,  n.  1-3  ;  ad  ann.  869,  n.  73  ;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  757  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  157;  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  11  ;  P.  L. 
t.  xvi,  col.  11  ;  P.  L.,  t.  cxxviii,  col.  1374  ;  Hergenrôther,  Pholius,  t.  i,  p.  594- 
617.  Les  Responsa  ad  consulta  Bulgarorum  sont  un  précieux  document  de  disci- 
pline ecclésiastique,  auquel  les  collections  canoniques  du  moyen  âge  ont  large- 
ment puisé.  Gratien  en  particulier  en  cite  neuf  canons  :  n.  70;  D.  XXVIII,  c.  17  ; 
n.  71,  C.  XV,  q.  vm,  c.  5;  n.  46,  c.  XXIII,  q.  vin,  c.  15;  n.  3,  c.  XXVII,  q.  n,  c.  2; 
n.  2,  c.  XXX,  q.  m,  n.  1;  n.  3,  c.  XXX,  q.  v,  c,  3;  n.  96,  c.  XXXII,  q.  vi,c. 
11;  n.  4,  D.  IV,  c.Vt,De  cons. — «  Dès  son  arrivée  en  Bulgarie,  il  s'était  établi  entre 
Formose  et  le  roi  Boris  uni'  intimité  extraordinaire.  Liberté  complète  lui  avait 
été  donnée  d  organisera  son  gré  la  jeune  chrétienté  bulgare,  et  il  en  usait  avec 
un  zèle  qu'un  peu  plus  de  modération  n'eût  probablement  pas  gâté.  Partout,  sur 
les  ruines  des  vieux  sanctuaires  païens,  s'élevaient  des  églises  consacrées  au  Christ, 
partout  le  rite  latin  était  substitué  au  rite  grec.  Flodoard,  De  roman,  pontifie,  dans 
Mabillon,  Acta sanct.O.  S.  B.,  ssec.  in.  part. 2.  l.  tv,  p.  605 ;  Anastase,  Préf.  auVIIIe 
concile,  P.  L.,  t.  cxxix,  col.  20.  Tout  ce  qui  était  byzantin,  les  personnes  comme 
les  coutumes,  était  sévèrement  banni.  On  donnait  pour  raison  à  l'expulsion  du 


442 


LIVRE    XXIII 


479.  Conciliabule  de  Photius  en  867.  Déposition  du  pape. 

La  mort  de  Bardas  n'amena  aucun  changement  dans  les  diffi- 
cultés religieuses  à  Constantinople.  Le  ruse  Photius  oublia 
son  ancien  protecteur  et  rivalisa  avec  d'autres  pour  l'injurier 
et  pour  louer  son  meurtrier,  le  grand  chambellan  Basile  le  Macé- 

clergé  grec,  qu'il  était  de  l'ordination  de  Photius  ou  engagé  dans  le  mariage.  Ha- 
drien II,  Epist.  ad  Ignatium,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  414.  Le  mariage 
des  prêtres  en  particulier,  ce  vieil  usage  de  l'Eglise  grecque,  ne  devait  pas  trou- 
ver grâce  devant  l'austère  célibat  romain.  En  vain  Photius  s'élevait  avec  éclat 
contre  ces  entreprises,  en  vain  il  ripostait  par  une  attaque  virulente  contre  la  foi 
et  les  pratiques  des  Occidentaux.  P.  G.,  t.  en,  col.  724-732.  Dans  ce  premier  choc 
des  deux  redoutables  adversaires,  la  victoire  restait  à  l'évêque  de  Porto.  Elle 
eût  été  probablement  définitive,  si  son  excès  même  ne  l'avait  compromise  et 
changée  finalement  en  une  irréparable  défaite. 

«  Il  arriva,  en  effet,  qu'à  force  d'admirer  Formose  et  de  le  voir  à  l'œuvre,  Boris 
s'était  pris  d'une  envie  folle  de  l'avoir  pour  archevêque.  C'était  Formose  qu'il 
lui  fallait  à  tout  prix  comme  chef  suprême  de  sa  hiérarchie  ecclésiastique.  A  Rome 
beaucoup  se  persuaderont  un  jour,  Jean  VIII  comme  les  autres,  que  Boris  avait 
été  amené  à  ce  violent  désir  par  les  artificieuses  manœuvres  de  l'évêque  de  Porto. 
Sententia  I  in  Formosum,  P.  G.,  t.  cxxvi,  col.  676.  En  réalité,  il  suffisait  bien  au 
roi  bulgare  d'avoir  pratiqué  Formose  durant  plus  d'une  année,  d'avoir  été  ébloui 
par  le  prestige  qu'il  répandait  autour  de  lui,  par  la  grande  influence  que  lui  don- 
naient son  savoir,  ses  mœurs,  l'énergie  un  peu  hautaine  de  son  caractère,  pour  se 
persuader  de  lui-même  qu'avec  un  tel  homme  à  sa  tête  l'Église  bulgare  pourrait 
s'élever  au  premier  rang,  jusqu'à  éclipser  Byzance  et  son  savant  patriarche. 

«  Au  demeurant,  la  faute  de  Formose,  celle  qu'il  a  commise  certainement,  celle 
quia  sinon  décidé,  du  moins  précipité  le  dénouement,  c'est  de  n'avoir  rien  fait 
pour  détourner  Boris  de  son  dessein  ;  c'est  de  l'avoir,  au  contraire,  entretenu 
dans  l'espoir  chimérique  qu'il  pourrait  l'obtenir  de  Rome  comme  archevêque. 
Mieux  que  personne  cependant,  il  savait  que  le  pontife  romain  ne  pouvait  le  trans- 
férer d'un  siège  à  un  autre  sans  violer  une  loi  ecclésiastique  établie  par  plusieurs 
conciles,  et  qui,  à  Rome  plus  que  partout  ailleurs,  demeurait  en  vigueur.  C'était 
même,à  ce  qu'il  semble,  pour  ce  motif,  que  le  pape  Nicolas  Ier,  peu  de  temps  avant 
sa  mort,  avait  mis  fin  à  la  mission  de  Formose  en  Bulgarie.  Liber  pontificalis, 
édit.  Duchesne,  Vita  Nicolai,  c.  lxxiv-lxxv,  t.  n,  p.  165.  Mais  celui-ci,  au  lieu 
de  profiter  de  l'occasion  pour  rompre  un  lien  dangereux,  s'en  était  servi  au  con- 
traire pour  le  resserrer  davantage.  Avant  de  reprendre  le  chemin  de  Rome,  de 
solennels  serments  avaient  été  échangés  entre  Boris  et  lui  :  Boris  jurant  qu'il 
n'accepterait  jamais  d'autre  archevêque  que  Formose,  Formose  jurant  qu'il 
reviendrait  vers  Boris  le  plus  promptement  possible.  Sententia  I  in  Formosum, 
P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  676.  Le  résultat  de  cet  imprudent  serment  fut  que,  pendant 
près  d'un  an  encore,  le  roi  bulgare  s'obstina  à  demander  au  Saint-Siège  le  retour 


479.     CONCILIABULE    DE    PHOTIUS    EN     867  443 

donien,  qui,  nommé  d'abord  co-régent,  fut  ensuite,  à  la  Pen- 
tecôte de  866,  solennellement  sacré  et  intronisé  par  Photius. 
Basile,  homme  de  basse  extraction,  né  dans  un  bourg  près  d'An- 
drinople,  et  surnommé  pour  ce  motif  le  Macédonien,  avait,  par  sa 
force  corporelle  et,  son  adresse  à  monter  et  à  dresser  les  chevaux, 
attiré  sur  lui  l'attention  de  l'empereur 1,  L'empereur  nomma 
premier  écuyer,  puis  premier  chambellan  Basile,  qui  se  montrait 
toujours  joyeux  compère  dans  les  grands  festins  et  les  orgies 
du  palais.  L'empereur  était  fatigué  d'une  de  ses  maîtresses  nom- 
mée Ingérina  Eudoxie;  Basile  pour  l'épouser  répudia  sa  femme 
légitime  2  ;  en  revanche, l'empereur  épousait  Thècle,  sœur  de  Basile. 

de  l'évêque  de  Porto,  tandis  que,  de  son  côté,  le  pape  Hadrien  II,  à  l'exemple  de 
son  prédécesseur  Nicolas,  persistait  à  le  lui  refuser,  Liber  pontificalis,  Vita 
Hadriani,  c.  lxii,  t.  n,  p.  185.  Or,  toutes  ces  lenteurs  donnèrent  le  temps  à  une 
révolution  de  s'accomplir  à  Byzance.  Le  23  septembre  de  l'année  867,  l'incapable 
empereur  Michel  III  tombait  sous  le  poignard  d'assassins  armés  par  Basile.» 
A.  Lapôtre,  L'Europe  et  le  Saint-Siège  à  l'époque  carolingienne.  I.  Le  pape 
Jean  VIII,  in-8,  Paris,  1895,  p.  56-58.  (H.  L.) 

1.  Sur  la  généalogie  et  les  origines  de  Basile,  cf.  A.  Vogt,  Basile  IeT  empereur 
de  Byzance  (867-886)  et  la  civilisation  byzantine  à  la  fin  du  ixe  siècle,  in-8,  Paris, 
1908,  p.  21  sq.  Basile  était  né  aux  environs  de  l'année  812  ;  tout  enfant  en  813  > 
il  était,  avec  ses  parents  et  une  douzaine  de  mille  d'habitants  d'Andrinople,  em- 
mené en  captivité  chez  les  Bulgares.  Il  grandit  là,  élevé  à  la  dure,  mais  par  des 
parents  incultes  ;  aussi  fut-il  toujours  ignorant.  Il  ne  sut  jamais  écrire,  et,  après 
être  monté  sur  le  trône,  ce  fut  au  prix  d'un  travail  acharné  qu'il  put  acquérir  quel- 
ques connaissances  indispensables.  Au  point  de  vue  moral,  ses  parents  ne  purent 
lui  mettre  l'empreinte  de  leur  foi  ardente.  Basile  avait  vingt-cinq  ans  quand  il 
revint  en  Macédoine,  chargé  de  fournir  aux  besoins  de  sa  famille  depuis  la  mort 
du  père.  La  vie  matérielle  lui  parut  trop  pénible  et  il  alla  chercher  à  Byzance 
l'emploi  de  sa  force,  de  son  intelligence,  de  son  ambition.  Il  semble  qu'il  entra 
sans  trop  attendre  au  service  d'un  grand  seigneur,  parent  de  l'empereur  et  en  peu 
de  temps  son  adresse  et  sa  vigueur  commencèrent  à  le  signaler.  Sa  fortune  com- 
mençait, il  y  aidait  de  son  mieux  en  déblayant  la  route  de  l'obstacle  que  des  scru- 
pules intempestifs  eussent  pu  y  élever.  Ses  succès  sont  ceux  d'un  Hercule  de 
foire  et  d'un  hardi  maquignon  ;  mais  tels  quels  ils  lui  suffisent  pour  se  faire  une 
réputation.  Pendant  ce  temps  il  se  glisse  petit  à  petit  dans  l'intimité  de  l'empe- 
reur avec  d'autant  plus  de  souplesse  qu'il  lui  fallait  tromper  la  défiance  du  César 
Bardas.  Celui-ci  exerça  le  pouvoir  absolu  pendant  dix  ans  tandis  que  Basile 
s'élevait  peu  à  peu  des  écuries  au  rang  déjà  recherché  de  prostrator  et  bientôt 
à  celui  de  patrice.  La  conspiration  qui  devait  aboutir  au  renversement  du  César 
Bardas  fut  habilement  préparée,  sans  faiblesse,  comme  sans  précipitation.  Basile 
porta  à  son  rival  d'influence  le  premier  coup  de  couteau.  Basile  fut  en  récompense 
créé  «  magistros  et  fds  adoptif  »,  puis,  quelques  jours  plus  tard,  co-empereur 
(26  mai.  (H.  L.) 

2.  A.  Vogt,  op.  cit..  p.  56-57.  (H.  L.) 


444  LIVRE    XXIII 

Photius  parut  tout  ignorer,  bénit  et  sacra  le  pieux  césar  1.  Assuré 
de  l'appui  de  la  cour,  le  patriarche  intrus  de  Constantinople 
persécuta  plus  que  jamais  ses  adversaires,  et  n'épargna,  dit  Nicétas, 
ni  les  brutalités  ni  les  cruautés  2.  Invoquant  une  ordonnance  de 
l'empereur,  il  se  fit  remettre  toutes  les  donations  ou  héritages 
laissés  aux  pauvres,  et  devint  ainsi  la  providence  non  seulement 
des  pauvres,  mais  aussi  de  beaucoup  d'autres  personnes  qui 
avaient  jusque-là  refusé  d'entrer  en  communion  avec  lui,  et  qui  [353] 
se  virent  obligées  d'avoir  des  rapports  avec  le  grand  aumônier 
impérial.  Il  fonda  une  école  dont  chaque  auditeur  devait  au  préa- 
lable se  déclarer,  par  écrit,  en  communion  ecclésiastique  avec  le 
patriarche  3.  Autrefois,  encore  laïque,  il  avait  exigé  de  ses  disci- 
ples une  protestation  écrite  d'attachement  à  sa  doctrine,  et  on  le  lui 
reprocha  au  VIIIe  concile  œcuménique  (can.  9.).  Photius  pensa  le 
moment  venu  de  jeter  le  masque  de  politesse  qu'il  avait  gardé 
vis-à-vis  de  Rome,  et  de  se  venger  du  pape.  Les  succès  des  mission- 
naires romains  en  Bulgarie  avaient  été  comme  de  l'huile  jetée 
sur  le  feu  de  sa  colère.  Il  était  surtout  irrité  de  ce  que  les  mis- 
sionnaires romains  avaient  regardé  comme  invalide  et  partout 
renouvelé  la  confirmation  octroyée  par  ses  prêtres  en  Bulga- 
rie 4.  Aussi  conçut-il  le  projet  de  réunir  un  grand  concile  qui 
prononcerait  la  déposition  du  pape  Nicolas.  Nous  possédons  en- 
core sa  lettre  aux  patriarches  d'Orient  ;  elle  est  pleine  des  ac- 
cusations les  plus  passionnées  contre  Rome  et  l'Eglise  latine  5. 
Satan,  y  est-il  dit,  n'a  pas  assez  de  tant  de  plaies  faites  à  l'Eglise 
depuis  Simon  le  Magicien  partant  d'hérésies.  Après  avoir  vaincu 
lous  ces  ennemis,  on  pouvait  espérer  vivre  en  paix,  d'autant 
mieux  que  les  Arméniens  étaient  revenus  dernièrement  à  l'Eglise 
et  que  les  Bulgares  s'étaient  faits  chrétiens.  Mais,  ô  douleur  !  à 


1.  A,  Vogt,  op.  cit.,  p.  39.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  981. 

3.  Anastasii.  Interpret.  synodi  VIII,  Prsefat.,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v, 
col.  732;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  5;  P.  L.,  t.  cxxix,  col.  13. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1113  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  418. 

5.  Photius,  Epist.  encycl,  P.  G.,  t.  en,  col.  724-732.  Le  patriarche  Beccos,  De 
unione  ecclesiarum,  P.  G.,  t.  cxli,  col.  936,  plaçait  à  tort  la  composition  de  cette 
lettre  à  la  suite  du  dépit  éprouvé  par  Photius  de  sa  condamnation  à  Rome  sous 
Hadrien  II.  C'est  à  la  suite  de  la  mission  romaine  en  Bulgarie  que  cette  invective 
a  été  écrite,  comme  l'ont  bien  vu  Hefele,  Hergenrôther,  Photius,  t.  i,  p.  642; 
A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII,  p.  56.  (H.  L.) 


479.     CONCILIABULE     DE     PHOTIUS     EN     867  445 

peine  ceux-ci  étaient-ils  initiés  depuis  deux  ans  1  à  la  foi  que  les 
hommes   de   ténèbres,    c'est-à-dire   les   Occidentaux,   se  sont  pré- 
cipités sur  ce  peuple  comme  des  bêtes  féroces,  afin  de  dévaster  par 
leurs  fausses  doctrines  et  leurs  mœurs  dépravées    cette  vigne    de 
Dieu   nouvellement   plantée.    «    Ils    ont    engagé    les    Bulgares   à 
jeûner  le  jour  du  sabbat  2,    ce    qui   est   défendu    par   le    66e    ca- 
non apostolique.   Ils  séparent  du  temps  consacré  au  jeûne  la  pre- 
mière semaine  du  carême,  pendant  laquelle  ils  permettent  de  boire 
du   lait  et  de  manger  du  fromage...  Ils  sont  la  cause  que  des  prê- 
tres légitimement  mariés  ne  sont  plus  estimés;  voilà  ce  qu'ont  fait 
[oo4J  ces  hommes  qui  prennent  pour  femmes  plusieurs  filles  sans  maris 
et  les  rendent   mères  d'enfants  dont  les  pères  sont    inconnus.  Ils 
n'ont  pas  rougi  de  confirmer  de  nouveau  les  personnes  ointes  du 
chrême  par  un  prêtre,  sous  prétexte  que  c'était  là  l'office  de  l'évê- 
que. Peut-on  faire  des  choses  plus  insensées?...  Ils  sont  allés  jusqu'à 
l'extrême  limite  du  mal,  et    ils  ont    falsifié  le  symbole  en  y  in- 
troduisant le  Filioque.  Quel  serpent  tortueux  a  mis  cela  dans  leur 
cœur  ?  Ils  ont  par  là  introduit  deux  principes  dans  la  Trinité  (dé- 
veloppement). Telles  sont  les  impiétés  que  ces  évêques  de  ténèbres 
ont  répandues  parmi  les  Bulgares.  Cette  nouvelle  a  mortellement 
blessé  mon  âme  ;  elle  m'a  frappé  comme  si  j'avais  vu  mes  fils  déchi- 
rés par  des  serpents  et  des  bêtes  féroces.  Aussi  avons-nous  condam- 
né  ces   malfaiteurs   par   des   décisions  synodales,  non  pas  en  ren- 
dant de  nouveaux  décrets, mais  en  remettant  en  vigueur  des  canons 
apostoliques  ou  d'autres  canons  de  l'antiquité  (can.  64,  66  des  apô- 
tres ;  can.  13  et  55  in  Trullo;  can.  4  de  Gangres).  Nous   portons  à 
votre  connaissance  tous  ces  faits  suivant  l'ancienne  coutume,  vous 
priant  de  nous  envoyer   des   députés   qui   nous   aident  à  arracher 
cette   ivraie.    J'espère  que    les    Bulgares    se    laisseront   regagner, 
car  il  n'est  pas  jusqu'au  cruel  Ruthène  qui  ne  se  soit  converti.  Vos 
députés  doivent  être  munis  de  pleins  pouvoirs  bien  en    règle.   Il 
m'est  aussi  venu  d'Italie  des  plaintes  contre  Nicolas  (de  Thietgaud, 
Gûnther  et  d'autres  3). Ils  sollicitent  aide  contre  la  tyrannie  du  pape, 
dont  nous  ont  aussi  parlé  les  moines  Basile. Zozime  et  Métrophanes. 

1.  En  moins  de,  deux  uns;  cet  apostolat  de  la  Bulgarie  avait  été  mené  avec 
une  rapidité  telle  que  Photius  lui-même  ne  trouve  à  lui  comparer  que  la  mar- 
che de  la  foudre.  P.  G.,  t.  en,  col.  724-732.  (H.  L.) 

2.  Le  pape  Nicolas  ne  disait  rien  de  semblable,  cf.  Hergenrôther,  Photius,  Pa- 
triarch  von  Constantinopel,  in-8,  Ratisbonne,  1867,  t.  i,  p.  643. 

3.  Cf.  Lammer,  Papst  Nicolaus  I,  p.  29  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  547. 


446  LIVRE     XXIII 

Je  vous  envoie  ci-joint  copie  de  la  lettre  des  latins,  parce  que  le 
concile  général  qui  va  se  tenir  aura  à  juger  ce  document.  Enfin 
vous  devez  regarder  comme  œcuménique  le  VIIe  concile  général 
et  l'ajouter  aux  autres,  car  j'apprends  que  cela  ne  se  fait  pas 
encore  chez  vous  1.  » 

Au  moment  où  Photius  combinait  ces  plans,  arrivèrent  sur 
les  limites  de  l'empire  de  Byzance  les  légats  du  pape  se  rendant  à 
Constantinople,  accompagnés  des  ambassadeurs  du  roi  des  Bul- 
gares ;  mais  l'officier  impérial  Théodore,  gardien  de  ce  poste, 
leur  barra  le  passage.  On  chassa  leurs  chevaux  à  coups  de  fouet 
et  on  les  poursuivit  eux-mêmes  avec  des  injures.  Les  Bulgares 
furent  seuls  autorisés  à  faire  route  jusqu'à  Constantinople,  où  [355] 
ils  espéraient  s'employer  pour  les  légats  du  pape.  Mais  l'empe- 
reur, très  mécontent  de  ce  que  le  roi  des  Bulgares  eût  laissé  tra- 
verser son  pays  par  ces  légats,  déclara  ouvertement  que  «si  ces 
derniers  avaient  traversé  ses  provinces,  ils  n'eussent  jamais  revu 
Rome.  » 

Après  quarante  jours  d'attente  à  la  frontière  de  l'empire,  les 
légats  reçurent  enfin  de  Constantinople  l'avis  de  ne  se  montrer 
qu'après  avoir  signé  une  profession  de  foi  par  laquelle  ils  recon- 
naîtraient comme  très  fondées  les  attaques  de  Photius  contre  les 
latins  et  entreraient  en  communion  avec  lui.  Ils  repoussèrent  ces 
demandes,  et  revinrent  près  du  roi  des  Bulgares,  à  qui  l'empereur 
avait  envoyé  un  mémoire  évidemment  composé  par  Photius,  afin 
de  le  déterminer  à  rejeter  la  communion  des  latins.  Ce  mé- 
moire renfermait  contre  l'Église  occidentale  les  mêmes  repro- 
ches que  la  circulaire  de  Photius  aux  patriarches  orientaux,  et 
leur  ressemblance  est  facile  à  établir,  quoique  la  lettre  aux  Bulgares 
comprenne  deux  accusations  de  plus.  Cette  lettre  est  perdue,  mais 
nous  en  connaissons  le  contenu  par  le  pape  Nicolas  (epist.  lxx),  au- 
quel les  Bulgares,  dévoués  à  Rome,  en  adressèrent  une  copie  par 
l'entremise  des  trois  légats  2.  Avec  eux  partit  probablement  l'am- 
bassade bulgare,  chargée  de  solliciter  l'envoi  de  nouveaux  mis- 
sionnaires et  la  nomination    de   Formose  comme   archevêque   des 

1.  Photii,  Epist.  n,  éd.  Montaigu,  p.  M,  ;  en  latin,  dans  Baronius,  Annales,  ad 
ann.  863,  n.  34.  Cf.  Lâmmer,  op.  cit.,  p.  44  sq.  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  639- 
648. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  867,  n.  4,  43  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  307; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  157,  355  ;  Liber  ponlif.,  Vita  Nicolaï  I,  dans  P.  L.t 
t.  cxxviii,  col.  1374. 


479.     CONCILIABULE    DE    PHOTIUS     EN    867  447 

Bulgares.  Le  pape  ne  put  accéder  à  celte  dernière  prière,  les 
canons  défendant  les  translations  épiscopales.  Jusqu'alors,  on 
n'avait  jamais  élu,  même  pour  pape,  un  candidat  déjà  évêcpue; 
quinze  ans  plus  tard  Marin  fut  le  premier;  en  891  Formose  lui- 
même  fut  le  second  pour  qui  on  s'écarta  de  la  règle  ancienne. 

Le  papeNicolas  désigna  les  évêquesDominique  deTriventum  près 
de  Bénévent,  et  Grimoald  de  Polimartium,  avec  plusieurs  prêtres, 
pour  fortifier  la  mission  de  Bulgarie;  ils  devaient  éclairer  les  Bul- 
gares sur  la  situation  de  Formose,  et  leur  dire  que  le  pape  était 
disposé  à  nommer  archevêque  l'un  des  prêtres  qui  avaient  tra- 
[356]  vaille  à  leur  conversion.  Grimoald  et  Formose  reçurent  mission 
de  se  rendre  comme  légats  à  Constantinople,  du  moins  de  faire 
une  tentative  dans  ce  sens  1.  Mais  Nicolas  mourut  le  13  novem- 
bre 867,  avant  le  départ  de  Dominique,  de  Grimoald  et  de  leurs 
collègues.  Un  des  premiers  actes  de  son  successeur  Hadrien  II  fut 
de  hâter  leur  départ  pour  la  Bulgarie  2.  Cette  circonstance  four- 
nit un  solide  point  de  repère  chronologique  pour  prouver  que 
ces  faits  so  passaient  vers  la  fin  de  l'année  867. 

Pendant  les  derniers  mois  de  la  vie  du  pape  Nicolas,  c'est-à-dire 
dans  la  seconde  moitié  de  l'année  687,  Photius  réunit  à  Constanti- 
nople le  concile  projeté,  auquel  il  chercha  par  tous  moyens  à  don- 
ner le  plus  de  crédit  possible.  Après  la  chute  de  Photius,  les  quel- 
ques exemplaires  contenant  les  actes  de  cette  assemblée  furent 
détruits,  sur  l'ordre  du  pape,  parce  que,  du  propre  aveu  des 
grecs,  et  en  particulier  de  Basile  le  Macédonien,  ils  étaient  gra- 
vement falsifiés  et  interpolés;  le  concile  tel  que  le  dépeignaient 
les  actes  n'avait  jamais  existé.  Il  est  fâcheux  que  nous  n'ayons 
sur  cette  assemblée  que  des  renseignements  fournis  par  les  adver- 
saires de  Photius;  aussi  ne  peut-on  ici  entendre  les  deux  parties3. 
D'après  eux  l'empereur  Michel  et  le  César  Basile  présidèrent  le  con- 
cile auquel  tout  le  sénat  impérial  assista,  tandis  que  trois  moines 
choisis  par  Photius  y   figurèrent  comme   vicaires  des  patriarches 

1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  867,  n.  1-3  ;  Liber  ponlif.,  Vita  Nicolai  I, 
dans    Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  157;  P.  L.,  t.  ccxxviii,  col.  1375. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  868,  n.  1   ;  P.  L.,  t.  ccxxviii,  col.  1383. 

3.  Nous  avons  des  renseignements  sur  cette  assemblée  par  Anastase  dans  sa 
traduction  des  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi, 
col.  5  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  752  ;  de  plus  dans  Nicetas,  Vita  Ignatii,  dans 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  256  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  981  ;  Metrophanes, 
dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  418  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v:  col.  1114,  et  le  Syno- 


448  LIVRE    XXlll 

orientaux.  Tous  s'étant  assis,  il  se  présenta  des~accusateurs  qui  re- 
prochèrent au  pape  Nicolas  divers  méfaits  et  demandèrent  au  con- 
cile protection  et  justice.  Des  témoins  apos tés  confirmèrent  leurs 
dépositions,  tandis  que  Photius,  jouant  le  rôle  d'un  canoniste  im- 
partial, fit  remarquer  qu'on  ne  pouvait  juger  un  absent  (c'était  le 
cas  du  pape  Nicolas).  Mais  ses  fidèles  évcques  réfutèrent  si  bien 
les  scrupules  du  rusé  patriarche,  qu'il  se  décida  enfin  à  laisser  [357] 
produire  les  plaintes  contre  Nicolas  et  à  les  examiner.  La  session 
se  termina  par  une  sentence  de  déposition  contre  le  pape  et 
une  menace  d'excommunication  contre  tous  ceux  qui  accepte- 
raient sa  communion  1.  Dans  sa  traduction  des  actes  du  VIIIe 
concile  œcuménique,  Anastase  assure  que  vingt  et  un  évêques 
signèrent  cette  sentence,  tous  les  autres  s'y  refusèrent  ;  mais 
Photius  n'hésita  pas  à  y  apposer  plus  de  mille  signatures.  En  mon- 
tant sur  le  trône,  Basile  le  Macédonien  fit  officiellement  notifier  au 
pape  ses  protestations  disant  que  son  nom  propre  n'y  avait  été 
introduit  que  par  ruse;  il  n'avait  pas  signé  le  protocole  du  concile; 
la  signature  de  Michel  n'avait  pas  été  donnée  dans  l'assemblée  sy- 
nodale, elle  avait  été  extorquée  par  Photius  tandis  que  l'empe- 
reur était  plongé  dans  l'ivresse.  Bien  d'autres  signatures  s'offraient 
frauduleuses  ;  ainsi,  Photius  avait  fait  signer,  au  lieu  de  l'évêque, 
quelque  diocésain  même  fugitif  ou  banni.  En  employant  des  plu- 
mes et  des  écritures  différentes,  on  avait  tenté  de  donner  l'im- 
pression que  les  signatures  venaient  d'hommes  d'âges  très-divers, 
en  réalité  elles  étaient  toutes  du  même  faussaire. 

On  essaya  de  gagner  Louis  le  Germanique  pour  faire  exécu- 
ter la  sentence  portée  contre  Nicolas.  Par  un  procédé  nouveau, 
Photius  fit  prononcer  dans  son  concile  des  acclamations  en 
l'honneur  de  l'empereur  Louis  II  et  de  l'impératrice  Ingel- 
berge,  que  l'on  décora,  dans  ces  acclamations,  des  mêmes  titres 
que    l'empereur    grec  2.   Ingelberge  fut   proclamée    une    nouvelle 


dicon  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1557,  et  Fabricii,  Biblioth.  grxca,    éd., 
Harles.  t.  xi,  p.  803. 

1.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  649  n'est  pas  absolument  sûr  que  ce  concile  ait 
eu  lieu.  [A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  210,  note  2:  «Ce  concile  sur  lequel  nous  avons 
1res  peu  de  renseignements  et  qui  ne  se  tint  peut-être  même  pas,  doit  se  placer 
entre  le  mois  de  mai  et  le  mois  de  septembre  867.  On  soupçonna  toujours  Pho- 
tius d'avoir  fabriqué  pièces  et  signatures,  mais  cela  n'est  pas  prouvé.»  (H.  L.)] 

2.  C'était  une  flatterie  à  laquelle  l'empereur  ne  pouvait  manquer  d'être  sen- 
sible. Les  Grecs,  fidèles  à  leurs  traditions,  refusaient  de  reconnaître  en  lui  autre 


iSO.     CHUTE     DE     [/"EMPEREUR    MICHEL     ET     DE     PHOTIUS        449 

Pulchérie.  Photius  chargea  en  même  temps  Zacharie  xwçbç  (muet), 
archevêque  de  Chalcédoine,  et  Théodore,  transféré  de  la  Carie  sur 
le  siège  de  Laodicée  1,  de  porter  à  l'empereur  Louis  un  exemplaire 
des  actes  synodaux  et  de  remettre  de  riches  présents  à  la  cupide 
impératrice  Ingelberge,  afin  qu'elle  usât  de  son  influence  sur  son 
ro-gi   mari  pour  faire  chasser  le  pape  2. 


480.  Chute  de  l'empereur  Michel  et  de  Photius.  occasionnée  par 
Basile  le  Macédonien,  septembre  867. 

La  situation  changea  subitement  à  Constantinople  :  depuis  quel- 
que temps,  le  césar  Basile  se  montrait  plus  sérieux,  ne  prenait 
plus  part,  comme  auparavant,  aux  grandes  orgies  impériales, 
et.  se  permettait  même  des  représentations  à  l'empereur.  Celui-ci 
irrité  lui  infligea  publiquement  les  plus  grands  affronts,  et  en  par- 
ticulier il  nomma  second  césar  un  joyeux  rameur  nommé  Basi- 
liskianos,  dont  les  plaisanteries  déplacées  l'avaient  amusé  :  il 
le  présenta  au  sénat,  disant  qu'il  avait  cette  fois  fait  un  meilleur 
choix  que  lors  de  l'élection  de  Basile  3.  «  Ce  dernier  ne  fut    bientôt 


chose  que  le  roi  d'Italie.  Depuis  la  capitulation  consentie,  en  813,  à  Aix-la-Cha- 
pelle, aucun  souverain  depuis  Charlemagne  ne  recevait  des  Orientaux  le  titre  de 
bosileus.  Louis  le  Débonnaire  avait  obtenu  ce  titre  accompagné  de  réticences 
qui  détruisaient  l'effet  de  cette  reconnaissance.  Louis  le  Germanique,  qui  était 
bien  loin  de  détenir  la  puissance  territoriale  dont  son  père  et  son  aïeul  avaient 
joui,  n'en  devait  être  que  plus  avide  à  se  parer  d'un  titre  qui  l'égalait  en  apparen- 
ce à  ses  prédécesseurs.  Des  relations  s'établirent  donc  entre  le  patriarche  Pho- 
tius et  le  roi  d'Italie  à  qui  on  promit  la  reconnaissance  solennelle  avec  le  titre 
de  basileis  pour  lui  et  pour  la  reine  Ingelberge,  s'ils  usaient  de  leur  influence 
pour  faire  exécuter  contre  le  pape  la  sentence  du  conciliabule.  Nicétas  le  Paphîa- 
gonien,  de  qui  nous  tenons  le  détail  de  cette  intrigue,  assure  que  l'engagement  fut 
pris  et  les  promesses  échangées  de  part  et  d'autre.  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  cv, 
col.  507.  Dûmmler,  op.  cit..  1.  III,  c.  ix,  avance  sans  preuves  que  Photius  pro- 
mettait à  Louis  II  le  trône  d'Orient.   (H.  L.) 

1.  Il  est  connu  comme  théologien  sous  le  nom  de  Théodore  Abukara,  c'est-à- 
dire  père  de  Cara.  V.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  403,  note  65. 

2.  Métrophanes  de  Smyrne  et  les  autres  sources,  cf.  A.  Gasquet,  L'empire  by- 
zantin et  la  monarchie  franque,  in-8,  Paris,  1888,  p.  386.  (H.  L.) 

3.  Sur  cette  révolution  de  palais,  cf.  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.    n,    p.    1    sq.   : 
A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  40-42.  (H.  L.) 

CONCII-ES      -   IV   —  29 


450 


LIVRE     XXIII 


plus  sûr  de  sa  propre  vie  :  dans  une  chasse    on    aurait,    paraît-il, 
tiré  sur  lui  par  ordre  de    l'empereur  :  tel    est   du    moins    le   récit 
de  son  petit-fils  et  biographe  Constantin  Porphyrogénète.  Basile 
n'eut,   dès  lors,  d'autre  ressource  que  de  renverser  l'empereur  ; 
le  23  septembre  867,  Michel  s'étant  enivré  dans  le  palais  de  Saint- 
Mamas  et  ayant    été    porté    dans    son   lit,    Basile  le    fit  saisir  et 
tuer,   après  lui  avoir  hypocritement  baisé  la  main  en  l'appelant 
son  père.  Le  césar  Basiliskianos,  également  pris  de  vin,  fut  égorgé 
non   loin   de    Michel.    Dans   la    même    nuit   Basile    s'empara    du 
pouvoir;   le   lendemain   il   se   rendit  en    grande  pompe  à   Sainte- 
Sophie  pour  se  faire  proclamer  seul  empereur  et   se   faire  in  Ironi- 
ser. Il  afficha  dans   cette    circonstance   une   grande    dévotion,   se 
prosterna   devant   l'image   de   la   croix   et  promit  de  se  consacrer 
à  Dieu  lui   et   sa   couronne.    Le    peuple,  vivement    impressionné, 
espéra  qu'un  homme  si  énergique  aurait  un  gouvernement  intel- 
ligent l.   De  riches  aumônes,  des  grâces,  la  délivrance  de  prison- 
niers, etc.,  gagnèrent    les    esprits    et    tous  les  citoyens  de    toutes 
les  conditions  acclamèrent  Basile.  L'empereur  Michel,  complète- 
ment oublié,  fut  enterré  dans  un  monastère  comme  un   mendiant, 
sans  aucune   solennité  2.  Zonaras   et   Léon   Grammaticus    préten- 
dent   que     Photius    aurait  refusé   la   sainte   eucharistie   au   nou- 
vel  empereur   lorsque,    après    avoir  commis    tous  ces    meurtres, 
il    se    rendit    dans    l'église  de  Sainte-Sophie  pour  se  faire    accla- 
mer 3,    et   plusieurs    historiens    modernes  ont    accueilli  cette  tra- 
dition et  cherché  à  la    faire  prévaloir   en   l'honneur  de  Photius  4. 
Mais  ces  historiens   n'ont   pas   lu   les  propres  lettres  de  Photius,    [359] 
qui  écrivait  de  son  exil  à  l'empereur  Basile  :   «  Je  ne  veux  pas  te 
rappeler  que  c'est  moi  qui   t'ai   sacré    pour  être  souverain  et  que 
tu  as  reçu  de  ma  main  les  saints  mystères  5.  » 


1.  Sur  le  changement  qui  se  produisit  chez  Basile  depuis  son  avènement  réel, 
sa  piété,  sa  modération,  sa  bonté,  les  bienfaits  de  tout  genre  dont  il  commença 
à  combler  son  peuple,  cf.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  48-51  ;  sur  sa  théorie  de  gouver- 
nement chrétien,  p.  52-56.   (H.  L.) 

2.  Au  monastère  de  Chrysopolis  (==  Scutari).  (H.  L.) 

3.  Zonaras,  Annal.,  lib.  XVI,  c.  vin,  t.  u,  éd.  Paris,  p.  167;  éd.  Venet.,p.  131; 
Léon  Gramm,  Chronograph.  éd.  Paris,  p.  471;  éd.  Bonn,  p.  254  Voir  Lâmmer, 
Papst  Nicolaus  I,  p.  50. 

4.  Néander.  t.  iv,  p.  423,  paraît  tout  disposé  à  le  faire;  il  linil  cependant  par 
mettre  en  doute  le  récit  de  Zonaras. 

5.  «  Photius  était  trop  intelligent  pour  s'imaginer,  quoiqu'il    l'ait   écrit  plus 


480.     CHUTE     DE     L'EMPEREUR     MICHEL    ET    DE     PHOTIUS        451 

Mais  aussitôt  après  cette  communion  et  ce  sacre  solennel,   et 
dès  le  lendemain  25  septembre  867,   Photius  fut  renversé  1.    Le 
nouvel  empereur  pensa  probablement  que  le  meilleur  moyen  de 
se  faire  aimer  du  peuple  était  de  réintégrer  Ignace  2.  Aussi  Photius 
fut-il  relégué  dans  le  couvent  de  Sképé  3,  tandis  qu'on  rappelait 
solennellement   Ignace  de  son  exil  et  qu'on   lui    assignait    pour 
demeure,    jusqu'à    sa    réintégration    formelle,  le   palais  Magdola, 
qui  faisait  partie   de   son  domaine  privé.    Quelques  jours   après, 
l'empereur  envoya   un  fonctionnaire,   nommé  Baanès  4,  à  Sképé, 
pour  intimer  à  Photius  l'ordre  de  rendre  tous  les  documents  qu'il 
avait  emportés  du  patriarcheion.   Photius  jura  n'avoir    rien    em- 
porté, ayant  été  trop    rapidement    emmené  ;    mais    l'escorte    de 
Baanès  surprit  les  serviteurs  de  Photius  en  train  de  cacher,  dans 
une  jachère,  voisine,  sept  poches  ou  sacs  scellés,  dans  lesquels   on 
trouva  deux  protocoles  falsifiés  d'assemblées    synodales.    Le   pre- 
mier contenait    les    actes    d'un    concile   en   sept   sessions   pour    la 
condamnation     d'Ignace.     L'exemplaire    était     d'une    fort    belle 
écriture,    relié    précieusement   et    orné    de    sept  dessins   injurieux 
pour  Ignace,  de  la   main  de  Grégoire  Asbesta.  L'une  d'elles  repré- 
sentait, par  exemple,  la  manière  dont  Ignace  avait  été  dépossédé 
de  son  siège,  avec  cette  inscription  :    «  Le  fils  de  perdition.    »    Le 
même    document    contenait    cinquante-deux   actes     d'accusation 
contre    Ignace,    et,   après    chaque    chef    d'accusation,    on    avait 
laissé  une  ligne  en  blanc,  pour  la  signature  du  témoin   chargé   de 

tard,  qu'il  allait  acquérir  sur  Basile  une  influence  quelconque  par  le  seul  fait  qu'il 
l'avait  sacré  et  avait  participé  avec  lui  aux  saints  mystères.  Photius,  Epist., 
xvi,  P.  G.,  t.  en,  col.  76.  Non,  jusqu'à  la  mort  de  Michel,  le  nouvel  empe- 
reur, vraisemblablement  aussi  peu  soucieux  des  choses  religieuses  qu'il  l'était 
des  choses  morales,  ne  lit  pas  difficulté  de  se  ranger  à  l'avis  de  son  impérial 
associé.  Après  la  mort  de  Michel,  Basile,  il  est  vrai,  protesta  bien  auprès  du  Sou- 
verain Pontife  contre  l'abus  que  fit  de  son  nom  le  patriarche  déchu,  mais  qui  disait 
la  vérité  de  Photius  ou  de  Basile  ?  Nul  ne  pourrait  le  dire  :  la  moralité  des  deux 
accusés  n'étant  pas  à  coup  sûr  un  plus  sérieux  garant  de  leur  parole  que  le  fait 
contesté.  »  A.  Vogt,  Basile  /er,  p.  210.  (H.  L.) 

1.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  211.  Ce  ne  fut  que  le  dimanche  23  novembre  867 
qu'Ignace  remonta  sur  son  siège  patriarcal.  Nicétas  dit  que  Photius  fut  disgracié 
«  au  lendemain  »  du  couronnement  de  Basile.  (H.  L.) 

2.  Sur  la  popularité  persistante  d'Ignace,  et  les  raisons  qu'avait  Basile  de  lui 
sacrifier  Photius,  cf.  A.  Vogt,   op.  cit.,  p.  211-213.  (H.  L.) 

3.  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  540.  (H.  L.) 

4.  Nous  le  retrouverons  plus  tard  comme  commissaire  impérial  au  VIIIe  con- 
cile  œcuménique. 


452  LIVRE     XXIII 

la   soutenir.    La  seconde   partie   des   actes   contenait  le  protocole 
falsifié   du   conciliabule  pour  la  déposition  du    pape   Nicolas  :  il 
était  rempli  de  calomnies  et  d'accusations  odieuses.    Nicétas,    de 
qui   nous    tenons  ces  détails,    ajoute    que    tous    ces    documents 
étaient  complètement   faux  et  que  les  conciles  dont  ils  parlaient 
ne  s'étaient  jamais  tenus.  Il  a  raison  dans  ce  sens  que  réellement 
ce  n'étaient  pas  des    actes  conciliaires,    mais    des    remaniements  |«"^J 
faits  par  Photius  sur  des  protocoles  synodaux.  Tout  porte  à  croire 
que  la  partie  concernant  la  déposition  du  pape   n'était  autre   que 
cette  falsification,  signalée,  des  actes  du  dernier  conciliabule  de 
Photius,  tandis  que  l'autre  se  rapportait   au    conciliabule  tenu  en 
mai  861  pour  la  déposition  d'Ignace  1.  Nicétas  fournit   une    preuve 
à  l'appui  de  cette  hypothèse,  lorsqu'il  ajoute  que  Photius  ayant 
envoyé  un  second  exemplaire  de  ces  actes  falsifiés  à    l'empereur 
Louis  II  en  Italie,  par    l'intermédiaire    des  évêques  Zacharie    et 
Théodore,  l'empereur  Basile  fit  courir   après    eux,   et  leur   fit  en- 
lever ces  écrits  2.  Il  les   avait   également  communiqués   au   sénat 
et  chacun  avait  pu  se  convaincre  de  sa  fourberie  3. 


481.  Réintégration  d'Ignace.  Reprise  des  relations  avec  Rome. 

On  attendit  pour  réintégrer  solennellement  Ignace  jusqu'au 
23  novembre,  jour  anniversaire  de  son  expulsion  et  de  son  départ 
pour  Térébinthe  4.  Il  avait,  pendant  dix  ans  5,  souffert  avec  la 
fermeté  et  la  constance  d'un  martyr.  L'empereur  le  présenta  avec 
les  plus  grands  éloges  à  la  grande  assemblée  d'Etat  (silentium), 
réunie  [le  dimanche]  23  novembre  867  au  palais  de  Magnaure, 
ensuite  il   le    fit    conduire    en    procession  à   l'église   cathédrale  6. 


1.  Voir  §  464. 

2.  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  540.  Cf.  A.  Gasquet,  L'empire  byzantin  et  la 
monarchie  franque,  in-8,  Paris,  1888,  p.  392-393.  (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  981  sq.;Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  257  sq.  ;  Her- 
genrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  18  sq. 

4.  Voir  §  464. 

5.  D'après  la  chronologie  de  M.  A.  Vo<rt,  p.  32,  note  5  ;  p.   212,     «  neuf  ans.  » 
(H.  L.) 

G.   Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  544.  (H.  L.) 


481.     RÉINTÉGRATION     d'igNACE  453 

Lorsqu'il  entra,  le  prêtre  qui  célébrait  èv  déSlxotç  (c'est-à-dire 
derrière  l'iconostase)  prononçait  précisément  ces  mots  de  la  pré- 
face :  EûxapiaTTQaw^îv  xw  Xup[a>  (Gratias  agamus),  et  tout  le 
peuple  répondit  :  "A£tov  xat  ocxacov  ce  qui  fut  regardé  comme 
d'un  heureux  présage,  et  Ignace  reprit,  à  la  grande  joie  des  gens 
de  bien,  possession  de  son  siège.  L'empereur  Basile  fit  connaître 
ces  événements  au  pape  Nicolas  par  le  spathaire  Euthymios  x. 
La  lettre  remise  par  le  spathaire  est  perdue,  mais  en  décem- 
bre 867  l'empereur  écrivit  au  pape  une  seconde  lettre  2,  dans 
laquelle  il  résumait  la  première.  Il  dépeint  le  triste  état  où  il 
[oblj  avaft  trouvé  l'Église  de  Constantinople  lorsqu'il  était  monté  sur 
le  trône  («lorsque,  à  la  suite  de  tes  prières,  Dieu  m'eut  confié 
les  rênes  du  gouvernement  »  ).  Il  a  lui-même  ordonné  certaines 
mesures  nécessaires  au  salut  de  l'Eglise  et  il  laisse  au  pape 
le  soin  d'ordonner  les  autres.  Il  a  voulu  écarter  Photius,  coupable 
à  l'égard  de  la  vérité  et  à  l'égard  de  Rome  ;  il  a  réintégré  le 
pasteur  légitime,  auquel,  d'après  les  déclarations  du  pape  lui- 
même,  on  avait  fait  une  injustice.  D'ailleurs  les  lettres  des  papes 
concernant  toute  cette  affaire  avaient  été  tenues  secrètes  par  ses 
prédécesseurs.  C'est  maintenant  au  pape  à  confirmer  la  réinté- 
gration d'Ignace  et  à  juger  les  clercs  très  nombreux  ordonnés 
par  Photius  ou  qui  avaient  pris  parti  pour  lui.  »  Ce  fut  proba- 
blement cette  dernière  demande  de  l'empereur  qui  donna  lieu  à 
une  nouvelle  missive  impériale  et  à  l'envoi  d'une  nouvelle 
ambassade.  Nicétas  prétend,  qu'à  peine  réintégré,  Ignace  avait 
prononcé  l'anathème  contre  Photius  et  ses  partisans  et  leur 
avait  interdit  toute  fonction  ecclésiastique.  Mais  le  soin  de  por- 
ter cette  sentence  ayant  été,  comme  on  l'a  dit,  réservé  au  pape, 
il  faut  sans  doute  entendre  cette  condamnation  prononcée  par 
Ignace  dans  le  sens  d'une  suspense  provisoire  contre  les  parti- 
sans de  Photius  ;  c'est-à-dire  la  défense  d'exercer  les  fonctions 
ecclésiastiques,  et  même  l'excommunication  jusqu'à  la  sentence 
définitive   prononcée  par  le  pape.  Il   est   probable    que  les  parti- 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  862,   986  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  '122,  262. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  790  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi  ,  col.  46.  Que  cette 
lettre  soit  de  décembre  867  et  non  868,  ainsi  que  le  suppose  Damberger,  op.  cit., 
p.  237,  ce  qui  résulte  de  cela  que,  lorsque  cette  lettre  fut  rédigée,  on  ne  con- 
naissait pas  à  Constantinople  la  mort  du  pape  Nicolas,  survenue  le  13  novem- 
bre 867. 


454  LIVRE    XXIII 

sans  de  Photius  demandèrent  que  l'affaire  fût  jugée  à  Rome,  ce 
qui  décida  l'empereur  à  y  envoyer  des  représentants  des  deux 
partis,  pour  que  le  pape  pût  juger  en  connaissance  de  cause. 
Du  reste,  même  si  les  amis  de  Photius  n'avaient  pas  fait  cette 
demande,  l'empereur  devait  agir  de  la  même  manière,  à  cause 
de  la  lettre  du  pape  à  l'empereur  Michel  en  865  (epist.  vm). 
Ignace  choisit  pour  représentant  le  métropolitain  Jean  de  Sy- 
laeum  1,  et  Photius  choisit  Pierre,  archevêque  de  Sardes.  L'em- 
pereur leur  adjoignit  le  spathaire  Basile,  informa  par  lettre  le 
pape  de  ces  faits,  le  priant  d'être  miséricordieux  à  l'égard  des 
partisans  de  Photius  qui  se  montreraient  prêts  à  faire  pénitence, 
enfin  lui  demanda  d'envoyer  des  apocrisiaires  à  Constantinople,  [302] 
pour  le  règlement  de  ce  qui  intéressait  l'ordre    ecclésiastique  et 

1'  '  9. 

union  a. 

Ignace  écrivit  en  même  temps  au  pape  Nicolas  :  «  Tandis  qu'il 
y  a  beaucoup  de  médecins  pour  les  maladies  du  corps,  il  n'y  en  a 
qu'un  seul,  qui  est  le  pape,  pour  le  corps  du  Christ  qui  est  l'Eglise. 
Nicolas  avait  abattu  Photius  par  sa  sentence,  et  le  pieux  empereur, 
se  conformant  à  la  décision  du  pape,  vient  de  rétablir  Ignace. 
On  est  maintenant  indécis  sur  la  conduite  à  tenir  à  l'égard 
des  évêques  et  des  clercs  qui  avaient  été  longtemps  en  relations 
plus  ou  moins  intimes  avec  Photius.  Ils  ne  sont  pas  tous  égale- 
ment coupables.  En  particulier  Paul,  archevêque  de  Césarée  en 
Cappadoce,  ordonné  par  Photius,  s'était  d'abord  montré  son  par- 
tisan, mais  ensuite  lui  avait  courageusement  résisté  et  il  en  avait 
beaucoup  souffert.  Ignace  envoie  au  pape  Jean  de  Sylseum  et 
Pierre  de  Sardes,  le  questionner  sur  ce  point.  C'est  donc  à  Nico- 
las à  décider  et  à  envoyer  des  légats  3. 


1.  Jean,  métropolitain  de  Sylœum,  autrefois  évêque  de  Perge.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  790  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvr,  col.  46   ;  Hergenrô- 
ther,  op.  cit.,  t.  ir,  p.  22  sq. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  791  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  47  ;  Hergenrô- 
ther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  25  sq. 


482.   l'épiscopat   franc   et  les   grecs  455 


482.  L'épiscopat  franc  et  les  Grecs. 

On  ne  connaissait  pas  encore  à  Constantinople  la  mort  du  pape 
Nicolas  ;  ce  grand  homme  avait  terminé  sa  carrière  le  13  novem- 
bre 867.  Quelques  jours  auparavant,  le  23  octobre,  il  avait 
communiqué  à  Hincmar  et  aux  autres  évoques  francs  les  accu- 
sations des  grecs  contre  les  latins  et  en  avait  demandé  une 
réfutation.  Il  avait  connu  ces  accusations  par  la  lettre  de  l'empe- 
reur Michel  au  prince  des  Bulgares,  lettre  que  les  légats  avaient 
rapportée  de  Bulgarie  à  Rome.  Cette  lettre  portant,  avec  la 
signature  de  l'empereur  Michel,  celle  du  césar  Basile,  le  pape 
se  plaint  également  de  ce  dernier.  Il  pense  que  les  accusations 
des  grecs  sont  nées  d'un  sentiment  de  haine  et  de  jalousie  : 
[363]  de  haine,  à  cause  de  la  sentence  pontificale  contre  Photius  ;  de 
jalousie,  à  cause  de  l'union  du  roi  des  Bulgares  avec  Rome. 
Aussi  s'efïorçait-on  d'inspirer  aux  Bulgares  de  la  défiance  à  l'é- 
gard de  Rome  et  de  les  pousser  à  l'apostasie.  Le  pape  raconte 
ensuite  toute  sa  conduite  dès  le  début  dans  l'affaire  de  Pho- 
tius. «  Ses  derniers  légats  ont  été  éconduits,  et  le  roi  des  Bul- 
gares lui  a  communiqué  une  lettre  des  empereurs  grecs  débordante 
d'injures.  Non  seulement  l'Eglise  romaine,  mais  toute  l'Eglise 
latine  y  est  blâmée  :  elle  jeûne  le  jour  du  sabbat,  elle  enseigne 
que  le  Saint-Esprit  procède  du  Fils,  elle  défend  le  mariage  des 
prêtres,  elle  interdit  aux  prêtres  de  donner  la  confirmation,  elle 
prépare  le  chrême  avec  de  l'eau  (ce  qui  était  faux),  enfin  elle  ne 
défend  pas  de  manger  de  la  viande  pendant  huit  semaines 
avant  Pâques,  et  du  laitage  pendant  sept  semaines  avant  cette 
fête.  L'Eglise  latine  est  encore  accusée  de  consacrer  et  d'offrir 
le  jour  de  Pâques,  à  la  manière  des  juifs,  un  agneau  sur  l'autel 
à  côté  de  l'hostie.  On  reproche  à  ses  clercs  de  se  couper  la  barbe 
et  de  passer  du  diaconat  à  l'épiscopat,  sans  avoir  reçu  auparavant 
l'ordination  sacerdotale.  Contrairement  à  tous  les  droits  et  à  toutes 
les  traditions,  les  grecs  ont  demandé  aux  légats  de  signer  une 
profession  de  foi  et  de  reconnaître  Photius  pour  être  admis  auprès 
de  l'empereur.  C'est  maintenant  aux  évêques  francs  à  soutenir 
le  pape  dans  sa  lutte  contre  les  grecs.  Chaque  métropolitain 
devrait  délibérer  sur  ces  questions  avec  ses  suffragants  et  faire 
connaître    à    Rome,    aussi    rapidement  que  possible,  le  résultat 


456 


LIVRE    XXIII 


de  ces  délibérations.  Les  reproches  des  grecs  portent  sur  1rs 
usages  vénérables  de  l'Eglise  latine  contre  lesquels  aucun  des 
anciens  docteurs  grecs  n'avait  protesté.  Les  grecs  ont  dé- 
passé la  mesure  en  soutenant  que  la  translation  de  la  résidence 
impériale  à  Constantinople  avait  transféré  à  cette  dernière  ville 
tous  les  privilèges  ecclésiastiques  de  Rome.  Photius  prend  le 
titre  de  «  patriarche  œcuménique  ».  Est-ce  tolérable  ?  Le  pape 
réunirait  en  un  grand  synode  les  évoques  francs  et  le  reste  de 
l'épiscopat,  si  les  malheurs  du  temps  ne  l'en  empêchaient.  Mais 
les  évêques  peuvent  faire  chez  eux  ce  qu'ils  viendraient  faire 
à  Rome.  Autrefois  les  grecs  ont  reconnu  à  plusieurs  reprises  la 
primauté  de  Rome,  et  ils  ont  tant  loué  le  pape  qu'ils  ont  espéré 
le  gagner  à  leur  cause  ;  mais  dès  qu'il  s'est  prononcé  contre  l'in- 
justice, leur  langage  a  complètement  changé.  Ils  ont  communiqué 
leurs  sentiments  aux  autres  patriarches  orientaux,  espérant 
obtenir  leur"  approbation,  laquelle  serait  déplorable.  Mais  dans  [364] 
la  triste  situation  de  ces  patriarches,  sous  la  domination  des  Sar- 
rasins, il  est  à  craindre  que  les  Orientaux  ne  soient  induits  en 
erreur.  C'est  pourquoi  les  évêques  francs  doivent  exprimer,  de  la 
manière  la  plus  formelle  et  la  plus  nette,  leur  union  avec  le  Siège 
apostolique.  Enfin  Hincmar  est  chargé  de  communiquer  cette 
lettre  aux  autres  archevêques  du  royaume  de  Charles  le  Chauve 
qui  se  réuniront  avec  leurs  sufïragants  pour  examiner  toute  cette 
affaire  1. 

Flodoard,  historien  de  l'Église  de  Reims,  rapporte  qu' Hinc- 
mar lut  la  lettre  du  pape  in  palatio  Corbonaco  (Corbeny,  près  de 
Laon)  au  roi  Charles  et  à  un  grand  nombre  d'évêques,  et  qu'il  en 
envoya  des  copies  aux  autres  évêques  2.  Hincmar  engagea  ses 
sufïragants  à  réfuter  les  accusations  des  grecs,  et  en  effet  Odon, 
évêque  de  Beauvais,  envoya  une  dissertation  sur  ce  sujet  3.  Ra- 
tramn,  moine  de  Corbie  (province  de  Sens),  composa  un  écrit 
analogue  et,  parmi  les  sufïragants  de  Reims,  Enée,  évêque  de 
Paris,  se  chargea  de  cette  réfutation  ;  son  travail  nous  est  parvenu, 
ainsi  que  celui  de  Ratramn.  Après  une  introduction  verbeuse, 
Enée  de  Paris  trouve  surprenant  que  les    grecs,    qui    se  préten- 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v.  col.  307  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  355  ;  Hergenro- 
iher,  op.  cit.,  t.  i,  p.  667  sq.  [H.  Schrœrs,  Hifikmar,  p.  289.  (H.  L.)] 

2.  Hist.  Eccles.  Remensis,  1.  III,  c.  xvu. 

3.  H.,  1.  III,  c.  xxiii. 


482.    l'épiscopat   franc    et   les   grecs  457 

dent  si  avancés  en  toutes  choses,  aient  si  longtemps  discuté 
sur  des  questions  de  peu  d'importance,  par  exemple,  la  ques- 
tion des  images,  sur  laquelle  ils  pourraient  s'adresser  aux 
Occidentaux  *.  Mais  de  tout  temps  les  hérésies  sont  venues 
des  grecs,  et  le  siège  de  Constantinople  a  été  à  plusieurs 
reprises  occupé  par  des  hérétiques,  tandis  que  le  siège  de  Rome 
est  resté  constamment  fidèle  à  la  foi.  Le  pape  Libère  lui-même 
n'a  pas  dévié  de  la  foi  ;  on  peut  seulement  lui  reprocher  de 
n'avoir  pas  assez  résisté  aux  ariens.  Enée,  si  diffus  dans  la  pré- 
face, ne  dit  à  peu  près  rien  lorsqu'il  aborde  le  sujet  lui-même  ; 
il  se  contente  de  citer,  en  deux  cent  vingt  chapitres,  une  longue 
série  de  passages  des  Pères  en  faveur  des  latins,  ainsi  du  c.  i-xciv 
sur  le  F Moque;  c.  xcv-clxviii  sur  le  célibat;  c.  clxix-clxxvii  sur 
le  jeûne  :  il  remarque  alors  qu'il  existe  sur  ce  point  divers  usages 
suivant  les  contrées  ;  en  Germanie,  par  exemple,  on  fait 
[365]  usage  de  lait,  de  beurre  et  de  fromage  pendant  tout  le  carême, 
et  si  on  s'en  abstient,  c'est  volontairement  et  sans  aucune 
prescription  ecclésiastique.  Aux  c.  ci.xxviii-clxxxv,  viennent  les 
témoignages  en  faveur  de  la  pratique  de  l'Eglise  latine  touchant 
la  confirmation  :  le  c.  clxxxvi  explique  pourquoi  les  clercs  se  cou- 
pent la  barbe  et  les  cheveux.  Les  c.  clxxxvii-ccxix  traitent  de  la 
primauté  de  Rome.  Il  y  est  encore  question  des  empiétements 
des  évêques  de  Constantinople,  mais  Enée  s'abuse,  lorsqu'il  sup- 
pose que  Photius  avait  été  marié  et  était  passé  pour  ainsi  dire 
du  lit  conjugal  sur  le  siège  épiscopal.  Dans  le  c.  ccxx,  Enée  avoue 
ne  savoir  comment  expliquer  la  coutume  assez  fréquente  à  Rome 
d'ordonner  évêques  des  diacres  sans  ordination  presbytérale. 
«  Peut-être  agit-on  ainsi  parce  que  l'ordination  épiscopale  im- 
plique l'ordination  sacerdotale,  et  que  la  fonction  principale, 
c'est-à-dire  la  confectio  corporis  et  sanguinis  Christi,  est  commune 
aux  évêques  et  aux  prêtres;  peut-être  aussi  par  ce  que,  d'après 
saint  Jérôme,  les  évêques  et  les  prêtres  ne  se  distinguaient 
pas   entre   eux   à  l'origine  2.  » 


1.  On  voit  qu'Énée  se  place  encore  au  point  de  vue  des  Libri  Carolini,  avec 
lesquels  il  regarde,  la  doctrine  et  la  pratique  des  Grecs  à  l'égard  des  images  com- 
me entachées  de  superstition. 

2.  iEneae  Parisiensis  Liber  adv.  Grsscos,  dans  d'Achery,  Spicileg.,  t.  i  (t.  vu  de 
la  lre  édition);  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  685-762;  Mansi,  op.  cit., t.  xv,  col.  362;  Har- 
douin,  op.  cil.,    t.  v,  col.  314,  ne  donnent  que  la  préface  de  ce  mémoire. 


458  LIVRE    XXIII 

Le  mémoire  de  Ratramn  est  plus  important  et  mieux  composé, 
surtout  pour  la  question  dogmatique.  Dès  le  début,  Ratramn 
déclare  fausses  les  deux  accusations  des  grecs  soutenant  qu'en 
Occident  on  consacre  un  agneau  à  côté  de  l'hostie  1,  et  que  l'on 
confectionne  le  chrême  avec  de  l'eau  ;  il  énumère  ensuite  les 
autres  chefs  d'accusation,  et  dit  qu'en  les  soutenant  les  empe- 
reurs Michel  et  Basile  ont  dépassé  leur  pouvoir  et  empiété 
sur  le  terrain  de  l'Eglise.  Il  défend  ensuite  l'Eglise  latine  au  sujet 
de  la  procession  du  Saint-Esprit,  alléguant  des  textes  de  la  sainte 
Ecriture,  des  conciles  et  des  Pères,  et  consacre  au  développement 
de  cette  thèse  les  trois  quarts  de  son  ouvrage,  c'est-à-dire  les  trois 
premiers  livres  2.  Le  quatrième  et  le  dernier  livre  est  consacré 
à  la  réfutation  d'autres  points,  et  Ratramn  y  déclare  calomnieuse 
l'accusation  d'une  promotio  per  saltum  du  diaconat  à  l'épiscopat  3. 
Ratramn  avait  raison  pour  son  temps  ;  mais  on  sait,  par  les 
lettres  des  papes  Zozime  et  Célestin,  qu'il  y  avait  eu  autrefois  de  [366] 
pareilles  ordinations  per  saltum  dans  les  Gaules  et  en  Espagne. 
Seulement  Photius  n'aurait  pas  dû  oublier  que  cette  pratique 
existait  aussi  dans  les   Eglises  d'Orient  4. 


483.  Le  concile  de  Worms  en  868  et  son  sentiment 

sur  les  grecs. 

On  vient  de  voir  les  évêques  du  royaume  de  Charles  le  Chauve 
invités  par  le  pape  Nicolas  à  réunir  des  conciles  pour  dis- 
cuter les  accusations  portées  par  les  grecs  contre  les  latins. 
Les    Annales     de     Fulda    5    avancent,    avec    raison    semble-t-il, 


1.  L'agneau  pascal,  que  l'on  bénissait  dans  plusieurs  églises  de  l'Occident, 
était  mangé  comme  eulogie,  mais  n'était  nullement  regardé  comme  sacrement  ; 
on  ne  l'offrait  pas  non  plus  à  l'autel  comme  une  hostie. 

2.  Ratramni,  Contra  Grsecorum  opposita,  Rotnanam  Ecclesiam  infamantia, 
libri  IV,  dans  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  223-346  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  i,  p.  675  sq. 

3.  Sur  les  ordinations  per  saltum,  cf.  Histoire  des  conciles,  t.  u,  p.  431. 
(H.  L.) 

4.  Cf.  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  i,  p.  413,  et  Bingham,  Origines,  1.  II, 
c.  x,   §  5. 

5.  Annal.  Fuld.,  dans  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  380. 


483.    LE    CONCILE    DE    WORMS    EN     868  459 

que  les  évêques  du  royaume  de  Louis  le  Germanique  avaient  reçu 
des  lettres   et  exhortations  semblables,   en   même  temps   que  le 
décret  du  pape  du  31  octobre    867,    blâmant    leur    intervention 
en  faveur  de  Gunther  et  de  Thieutgaud  1.    En    conséquence,   les 
évêques     germains     s'assemblèrent    à    Worms,    le    16    mai   868, 
sous  la  présidence  de  leur  roi  Louis,  afin,  disent  les    Annales  de 
Fulda,  de  rédiger   quelques   capitula    de    utilitate    Ecclesiœ    et    de 
faire  aux    ineptise     grsecorum   les    réponses    les  plus  pertinentes  2. 
Le    principal    document   de    ce    concile,    c'est-à-dire   le    mémoire 
rédigé  ou  du  moins  approuvé  par  lui,   et   qui   est  le   pendant  des 
œuvres  d'Enée  de  Paris  et  du  moine  Ratramn,  manque  dans  toutes 
les  collections   des  conciles;    il  a  été  édité  au  commencement  du 
xixe    siècle    par  Trudpert   Neugart,  savant  bénédictin  de  Saint- 
Biaise,  dans  la  Forêt  Noire  3.  Il  a  pour  titre  :  Imprimis  responsio 
contra  Grsecorum,  hseresim  de  fide  S.  Trinitatis,  et  en  effet,  il  s'ef- 
force surtout  de  défendre  la  doctrine  de  l'Eglise  latine  sur  la  pro- 
cession du  Saint-Esprit.  Il  traite  ensuite  rapidement  des    autres 
accusations  des    grecs.   Les  évêques  réunis  à  Worms  disent  dans 
la  première  partie  de  leur  mémoire  :  «  Nous  ne  pourrions  suffire    à 
recueillir  toutes  les  autorités  des  Pères    contre  les    grecs  ;   nous 
[367]  nous   sommes  bornés  à  leur   opposer  un    seul    Père    de    l'Église, 
saint    Augustin.  »    Ils    citent    alors    une    série    de  passages  de  ce 
docteur  sur  la  Trinité,  dont  ils  veulent  déduire  le  Filioque;  mais 
la    véritable    déduction    n'y    est  pas  formulée  et  l'auteur  ne    dé- 
montre pas   entièrement,  quoi  qu'il  eût    promis   au    début  :  quo- 
modo    ab    utroque  Spiritus    sanctus  veridice  et  seternaliter  procedit. 
Les  principales   pensées  extraites  de  saint  Augustin    sont  les  sui- 
vantes :   a)   On  ne  peut  dire  de  l' Esprit-Saint    ce    qu'il     est  pos- 


1.  Voir  §  473. 

2.  Coll.  regia,  t.  xxiii,  col.  87  ;  Labbe,  Concilia^,  vm,  col.  941-960  ;  Hardouin 
Coll.  conc,  t.  v,  col.  733  ;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  453  ;  Martène,  Script,  veter. 
coll.,  1733,  t.  vm,  col.  49-50  ;  Hartzheim,  Conc.  German.,  t.  n,  p.  311  ;  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xv,  col.  866  ;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  ni,  p.  163;  Bôhmer- 
Mùhlbacher,  Reg.  Karolinor.,  1886,  p.  566  ;  Bull,  ecclés.  de  Strasbourg,  1886,  t.  v, 
p.  151-159;  A.  Verminghofï,  Verzeichnis,  dans  Neues  Archiv,  1903,  t.  xxvi, 
p.  639-640.  (H.  L.) 

3.  Trudpert  Neugart,  Episcopatus  Constantiensis  Allemannicus,  sub  metro- 
poli  Moguntina,  cum  Vindonissensi,  cui  successit,  in  Burgundia  Transjurana 
Provincise  Vesonlinae  olim  fundato  chronologice  et  diplomatice  illustratus,  in-4, 
Friburgi  Brisgoviœ,  1803-1862.  t.  i,  p.  520,  cf.  p.  124.  (H.  L.) 


460  LIVRE    XXIII 

sible  de  dire  du  Père  et  du  Fils.  Le  Père  n'est  pas  en  même 
temps  le  Père  du  Fils  et  de  l'Esprit,  le  Fils  n'est  pas  en  même 
temps  le  Fils  du  Père  et  de  l'Esprit,  mais  le  Saint-Esprit  est 
en,  même  temps  l'Esprit  du  Père  et  du  Fils,  comme  en  témoi- 
gne la  sainte  Ecriture  (par  conséquent,  il  procède  ex  utroque).  b) 
Ce  qui  prouve  que  l'Esprit  procède  du  Père  et  du  Fils,  c'est 
que,  dans  la  Trinité,  toutes  les  personnes  agissent  en  commun  ; 
ainsi  la  naissance  du  Christ  et  sa  résurrection  sont  à  la  fois 
œuvre  du  Fils  et  œuvre  du  Père,  c)  Les  trois  personnes  sont 
égales  entre  elles,  et  chacune  est  véritablement  Dieu,  et  par 
l'expression  «  Dieu  »  il  faut  toujours  entendre  les  trois  per- 
sonnes (qu'en  déduire  pour  la  question  présente  ?  peut-être  les 
évoques  germains  accusaient-  ils  les  grecs  d'arianisme  et  de 
pneumatomachisme).  d)  Le  Saint-Esprit  est  désigné  comme 
l'Esprit  du  Père  et  du  Fils  et  comme  un  présent  de  Dieu  (aux 
hommes,  il  procède  donc  du  Père  et  du  Fils)  ;  il  est  encore  dési- 
gné comme  la  charité  par  laquelle  la  Trinité  demeure  en  nous 
(ce  qui  implique  sa  procession  du  Père  et  du  Fils).  Sur  les 
autres  points  :  jeûne,  célibat,  etc.,  le  concile  cite  surtout  saint 
Augustin,  parfois  aussi  saint  Ambroise,  saint  Jérôme,  Bède, 
les  anciens  papes  et  les  conciles,  et  même  les  décrétales  pseudo- 
isidoriennes  de  Melchiade  et  de  Télesphore.  Quant  à  l'ordination 
per  saltum  des  diacres  à  l'épiscopat,  l'oblation  à  Pâque  d'un 
agneau  à  côté  du  corps  et  du  sang  du  Christ,  et  la  composition 
du  chrême  avec  de  l'eau,  le  concile  déclare  que  ce  sont  de  pures 
calomnies  1.  On  ne  connaît  pas  l'auteur  de  ce  document,  mais 
on  voit  sans  peine  qu'il  s'est    inspiré  d'Enée  et  de  Ratramn. 

Les  autres  actes  du  concile  de  Worms,  qui  ont  trouvé  place 
dans  les  collections  conciliaires,  comprennent,  après  une 
courte  préface  qui  contient  une  belle  profession  de  foi,  qua- 
tre-vingts canons  et  une  confirmation  du  monastère  de  nonnes 
à  Erézée,  dans  le  diocèse  de  Paderborn.  La  profession  de  foi  [368] 
contient  un  ample  exposé  de  la  doctrine  sur  les  trois  person- 
nes divines  et  leurs  relations  mutuelles,  surtout  en  ce  qui  con- 
cerne le  Saint-Esprit  :  Spiritum  enim  sanctum,  qui  est  tertia  in 
Trinitate  persona,  unam  atque  sequalem  cum  Deo  Pâtre  et  Filio 
credimus  esse  Deum,  unius  substantise,  unius  quoque  naturse;  nec 
tamen   genitum,   sed  a  Pâtre   Filioque  procedentem,   amborum  esse 

1.  V.  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  i,  p.  682  sq. 


483.     LE     CONCILE    DE    WORMS     EN     868  461 

Spiritum.  Nec  enim  procedit  de  Pâtre  in  Filium,  nec  de  Filio 
tantum  procedit  ad  sanctificandam  creaturam,  sed  ab  utrisque  proce- 
dere  monstratur,  quia  caritas  sive  sanctitas  amborum  esse  agnosci- 
tur.  Et  nec  Patris  tantum,  nec  Filii  tantum,  sed  simul  Patris  et 
Filii  Spiritus  dicitur.  In  relativis  vero  personarum  nominibus  Pater 
ad  Filium,  Filius  ad  Patrem,  Spiritus  sanctus  ad  utrosque  refertur. 
Le  concile  passe  ensuite  à  l'incarnation  et  à  la  personne  du  Christ 
(Dei  enim  Filius  non  personam  hominis  accepit,sed  naturam),  et' 
pour  la  suite,  il  se  rapproche  beaucoup  plus  du  laconisme  du 
symbole  des  apôtres  *.  Trudpert  Neugart  a  retrouvé  cette 
profession  de  foi  dans  un  manuscrit  de  Vienne,  qui  contenait 
aussi  les  noms  des  évêques  présents  au  concile  de  Worms,  tandis 
que  jusqu'alors  on  n'en  possédait  qu'une  liste  incomplète  dans 
le  document  relatif  au  monastère  d'Erézée  2.  La  présidence  fut 
certainement  exercée  par  Liutbert,  archevêque  de  Mayence, 
nommé  le  premier  dans  le  document  pour  Erézée,  tandis  que  dans 
la  liste  publiée  par  Neugart  Adalwin  de  Salzbourg  occupe  la 
première  place.  Outre  ces  deux  archevêques,  Rembert,  archevê- 
que de  Hambourg,  était  présent  3.  En  comparant  les  deux  listes, 
on  voit  que  Liutbert  de  Mayence  était  escorté  de  ses  douze 
suffragants  :  Alfrid  d'Hildesheim,  Salomon  de  Constance,  Gunzo 
de  Worms.  Arno  de  Wùrzbourg,  Witgar  d'Augsbourg,  Otgar 
d'Eichstàdt.  Gebhard  de  Spire,  Ratolf  de  Strasbourg,  Hessi  de 
Coire,  Hildegrim  d'Halberstadt,  Erolf  de  Verden  et  Luithard 
de  Paderborn.  Tous  les  évêques  de  la  province  de  Salzbourg 
assistaient  également  au  concile;  c'étaient,  avec  le  métropolitain 
Adalwin,  les  évêques  Arno  de  Freising,  Ambrico  de  Ratisbonne, 
[369]  Enrich  de  Passau  et  Lantfrid  deSebenet  Brixen.  L'archevêque 
Rembert  de  Hambourg  était  présent,  mais  seul,  parce  qu'il  n'y 
avait  encore  aucun  siège  sufîragant  dans  sa  province  ecclésias- 
tique. Il  y  avait  enfin  trois  évêques  delà  province  de  Cologne, 
qui   appartenaient   au  royaume   de   Louis  :  Théodoric  de  Minden, 

1.  Mansi,  op.  cit.,  col.  867  ;  Hardouin.  op.  cit.,  t.  v,  col.  736  ;  Hartzheim,  Conc. 
Germ.,  t.  n,  p.  309. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  col.  883  :  Hartzheim,  op.  cit.,  col.  321  ;  manque  dans  Har- 
douin. 

3.  Binterini  (Deutsche  Conciliai,  t.  ni,  p.  18),  suppose  que  les  trois  archevêques 
Adalwin,  Liutbert  et  Rembert  siégeaient  ensemble,  et  que  Liutbert,  comme  le 
plus  vénérable,  était  entre  les  deux  autres.  C'est  pourquoi  la  liste  des  noms 
mentionne  le  sien  entre  ceux  des  deux  autres  métropolitains. 


462  LIVRE    XXIII 

Luitbert  de  Munster  et  Egibert  d'Osnabruek.  L'assemblée  com- 
prenait encore  plusieurs  chorévêques  et  abbés,  notamment  Théoto 
de  Fulda,  Hetto  de  Reichenau  et  Aschéric  d'Ellwangen. 

Il  est  difficile  d'avoir  des  renseignements  précis  au  sujet  des 
canons  du  concile  de  Worms.  Les   nouvelles   collections   des   con- 
ciles  en   donnent   80,    mais   la  manière  dont  les   anciens   manus- 
crits présentent   les   44  premiers  et    les    36    derniers    permet   de 
croire  que  ces   deux    séries    proviennent    de  deux    conciles    diffé- 
rents tenus  à  Worms,  d'autant  mieux  que  la  seconde  série  renfer- 
me plusieurs  choses  qui  se  trouvent  déjà  dans  la  première.  La  nu- 
mération et  l'ordre  des  canons  ne  sont  pas  non  plus  les    mêmes 
dans  les  deux  séries.   Observons  encore  que,  dans    les  anciennes 
éditions  et  dans  les  extraits  des  actes  de  Worms,    on    a  ajouté 
ces  mots  ex  parte  reprobatum  1,   sans   que  l'on    sache    sur  quelle 
autorité  s'appuie  cette  remarque.    On   peut   seulement    conjectu- 
rer  que  saint  Thomas  d'Aquin  2  y  aura  donné  occasion;  sans  doute 
il  ne  nomme  pas  le  concile  de  Worms,  mais  il  cite,  d'après  le  Décret 
de  Gratien  3,  deux   canons    (can.  10  et  15)  de  cette  assemblée  qui 
prescrivent  en   certains   cas  l'épreuve  de  la   sainte  eucharistie,  et 
dit  que  ces  décrets  ont  été  abrogés  par  des  ordonnances  ultérieures 
des  papes.  Et  sans  doute  plusieurs  auteurs,  entre  autres  le  savant 
jésuite  Possevin,   sont   allés    beaucoup    trop   loin,    en   soutenant, 
d'après   ce  texte  de  saint  Thomas,  que  le  concile  de   Worms  avait 
été  formellement  condamné  4. 

De  ces  80  canons,  dont  la  plupart  se  bornent  à  renouveler  d'an- 
ciennes ordonnances,  nous  ne  mentionnerons  que  les  suivants  : 
2  et  8.  Les  évêques  doivent  être  seuls  à  préparer  le  chrême;  les 
prêtres  ne  peuvent  ni  consacrer  les  vierges,  ni  bénir  et  consacrer  un 
autel,  ni  consacrer  une  église,  ni  donner  la  confirmation,  ni  oindre  du 
chrême  les  baptisés,  ni  enfin  réconcilier  publiquement  les  pénitents  à 
la  messe.  4.  On  ne  doit  offrir  à  l'autel  que  du  pain  et  du  vin,  et  le 
vin  doit  être  mêlé  à  l'eau.  Ce  mélange  est  un  symbole  de  l'union  des 
fidèles  avec  le  sang  du  Christ,  car  l'eau  signifie  la  réunion  des  [370] 
fidèles.  5.  On  peut  faire  au  baptême  soit  une  soit  trois  immer- 
sions :  trois  en  raison  de  la  Trinité  des  personnes,  une  seule  en 


1.  Mansi.  op.  cit.,  col.  866. 

2.  Summa,  part.  III,  quœst.  lxxx,  art.  6. 

3.  C  aus.    II,  quest.  v,  c.  26;   Dist.  L,  c.  33. 

4.  Dans  son  Apparat,  sac,  t.  n,  p.  544  ;  Binterim,  op.  cit.,  p.  159. 


483.     LE     CONCILE     DE    WORMS     EN    868  463 

raison   de   l'unité   de   substance.  9.    Les   évêques,   prêtres,   diacres 
et  sous-diacres   doivent  s'abstenir    de  leurs  femmes,   sous   peine 
d'être   déposés.    10.    Si  un  évêque   ou    un  prêtre   est  accusé  d'un 
crime  capital  :  meurtre,  adultère,    vol   ou  sorcellerie,  il   doit,   pour 
chacune    de   ces    accusations,     célébrer   publiquement   la    messe, 
lire  tout  haut  le    canon    (secretœ),     et     prouver    son    innocence 
par   la    communion    (épreuve  par  la  sainte  eucharistie),  conformé- 
ment aux  anciens  canons,  sinon  il  sera  exclu  de  l'Église  pendant 
cinq  ans.  11.   Un  prêtre  convaincu     de    fornication    sera    déposé. 
12.    Si   le  crime  n'est  pas  prouvé,   on  observera  le  c.  9  de  Néocé- 
sarée.  Néanmoins  il  pourra  se  purger  par  serment  :    et   de  même 
le  diacre.   15.    Il  se    produit  souvent  dans  les  monastères  des  vols 
dont  on  ne  peut  découvrir  les  auteurs.    Dans  ce  cas  on  obligera, 
s'il  est  nécessaire,  les   moines    à  se  justifier  par  l'épreuve    de    la 
sainte    eucharistie.    20.     Les    femmes   consacrées   à    Dieu    par    le 
voile,  ne  doivent  pas  le  rejeter,  si   elles   tombent   dans  une  faute 
charnelle,  mais  elles  auront  soin  de  faire  pénitence  afin  d'obtenir 
leur  pardon.   21.  Si  une  veuve,  après  avoir  pris  le  voile  et  promis 
de    ne    plus     le    quitter,     le    rejette  plus  tard,  elle  sera  exclue  de 
l'Eglise    jusqu'à     ce     qu'elle   se   soit   amendée.    22,  23.  L'enfant, 
offert  dans  son  bas  âge    à  un    monastère,    ne  doit  pas  en  sortir 
plus  tard.   25.    Pour  imposer  la  pénitence,   il  faut  considérer  les 
diverses  circonstances  :  l'origine  et  la   gravité  de  la  faute,  la  dou- 
leur ou  l'endurcissement  du   pénitent,  la    qualité   de  la  personne, 
le   lieu,    l'âge,    la    qualité    du    délit,    la     contrition    du    pécheur. 
26.  Le  meurtrier  volontaire   d'un   prêtre   doit,   sa   vie   durant,   ne 
plus   manger  de  viande    et  ne   plus  boire  de  vin,    jeûner  tous  les 
jours  jusqu'au  soir,  sauf   les    dimanches  et  jours   de   fêtes.    Il   ne 
pourra    ni    porter   les    armes,    ni    voyager,    ni    chevaucher  ;  il  se 
tiendra  pendant  cinq  ans  à  la  porte  de  l'église,  sera    admis    phi  s 
tard    parmi   les    audientes    et    ne    pourra  communier    qu'au  bout 
de  dix  ans.  Dès  lors   il  pourra  chevaucher,  mais  il  sera  toujours 
tenu    aux   autres    pratiques  de    pénitence,  sauf  qu'il   ne   jeûnera 
que     trois  fois  par  semaine.   27.    Il    n'est    pas  permis  de  tuer  un 
païen.  30.  Punition  de  ceux  qui  tuent  leurs  parents  ou  leurs  frères 
(ils  peuvent  continuer    la  vie    conjugale    ou    se    marier,    ce     qui 
est  un  adoucissement  à  l'ancienne  pratique).  32.  Pour  les  mariages, 
[371]  nous  n'indiquons  pas  de  degré  de  parenté  ;  mais  tant  que  l'on  ne 
connaît  pas   exactement  le  degré  de  parenté  entre  deux  person- 
nes, c'est  une  raison  suffisante  pour  surseoir  au  mariage.  33.  Celui 


464  LIVRE    XXIII 

qui    a   péché    avec    les    deux    sœurs    ou  avec  des  personnes  avec, 
lesquelles  l'Ancien  Testament  défendait  déjà  le  mariage,  pourra, 
après   une   pénitence   suffisante,  se  remarier  (ce  qui  était  aupara- 
vant défendu).  35.  Les  femmes  qui  se  font  avorter  doivent  être 
punies   comme  infanticides   ;   celles   qui,   par    mégarde,   étouffent 
leurs  enfants  pendant  le    sommeil,    on    les    traitera    avec    moins 
de  rigueur  (cette  faute   a   été  plus  tard  sévèrement  punie)  \  37. 
On  ne  doit  pas  défendre  aux  pénitents  d'user  du  mariage,   de   peur 
de  les  inviter  à  la  débauche.  38.  Celui    qui,    sans    la    permission 
du  juge,  tue  son    esclave,    même  coupable  d'une  faute  capitale, 
sera    soumis    à    deux    ans    de    pénitence.    40.    Si    un  évêque  or- 
donne prêtre  ou  diacre  un    esclave    dont    il    connaît    la    condi- 
tion,      l'esclave     demeurera     clerc,     mais     l' évêque     paiera     au 
maître  le  double  de  la  valeur  de  l'esclave.  Si  l'évêque  ignorait  la 
condition  servile,  ceux  qui  ont  attesté    la  condition  libre  de  cet 
esclave  ou  qui  ont  demandé  son  ordination,  paieront  cette  double 
amende.  43.  Le  traître  à  sa  patrie  sera  excommunié  pour  le  reste 
de  sa  vie.   On  ne  lui  donnera  la  communion  qu'au  lit  de  mort. 
50.  Toute  église  doit  avoir  une  mense    complètement    libre.    60. 
Identique  au  can.  3  de  Vaison  2.  63.  Identique  au  can.  17  de  Com- 
piègne  3.  64.  On  peut   manger  la  chair   d'un  animal   tué    par   un 
homme  et  ensuite  partiellement   dévoré    par  des  animaux,   mais 
on  ne  peut  manger  d'un  animal  mort  de  maladie.  Si  des   abeilles 
ont  tué  un  homme,  on  doit  les  tuer,  mais  on  peut  manger  de  leur 
miel.  65.  On  ne  mangera  pas  la  chair  des    animaux  déchirés    par 
les    dents   des    chiens    ou   des   loups,  mais  on  pourra  en  donner  à 
manger  aux  porcs  et  aux  chiens.  On    ne    mangera    pas    non    plus 
des  cerfs  ou  des   chèvres  trouvés  morts.    On  peut  manger  d'un 
porc  qui  a  léché  du  sang  humain,  mais  il  est  défendu   de   toucher 
à  celui  qui  aurait  mangé  d'un  cadavre,  à  moins  qu'on   ne  le  tue 
qu'un  an    après  4.   On  peut  manger  du  poisson,  mais  non  des  oi- 
seaux ou  autres  animaux  étouffés  dans  leur  nid  6.  68.  Les  lecteurs 


1.  Corp.  jur.  can.,  Décret.,  lib.  V,  tit.  x,  De  his,  qui  fil.  occid.,  c.  3  et  l'ordonnance 
de  saint  Charles  Borromée  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  x,  col.  1112. 

2.  Voir  §  163. 

3.  Voir   §  378. 

4.  Macerare,  abattre,  cf.  Du  Cange,  Glossarium,  à  ce  mot  ;  Binterim,  op.  cit. , 
t.  in,  p.  174;  a  entendu  ce  mot  dans  le  sens  de  «  saler». 

5.  Binterim,  loc.  cit.,  fait  remarquer  que  ces  ordonnances  ne  représentent  pas 


1 8  î .    LETTRE     Dl      PAPE    AUX    BYZANTINS  405 

[372]  arrivés  à  l'âge  de  puberté,  doivent  se  marier  ou  faire  vœu  de 
chasteté  *.  77.  Contre  le  rapt  des  femmes  (identique  au  eau.  27 
de  Chalcédoine).  80.  Lorsqu'un  condamné  à  mort  a  été  exécuté 
après  une  bonne  confession  et  une  sincère  contrition,  son  corps 
sera  porté  à  l'église  et  on  célébrera   la    messe  pour  lui  2. 


4S4.   Lettre  du  pape  aux  Byzantins  (868)  :  concile 
au  sujet  cTAnastase. 

Le  spathaire  impérial  Euthyme,  envoyé  à  Rome  par  Basile  le 
Macédonien  en  novembre  867,  s'y  rendit  assez  rapidement  ;  par 
contre,  la  seconde  ambassade  comprenant  les  députés  de  Pho- 
tius  et  d'Ignace,  avec  un  spathaire  impérial,  n'y  était  pas  encore 
rendue  le  1er  août  868,  ainsi  que  le  prouvent  les  deux  lettres 
du  pape  Hadrien  II  à  l'empereur  Basile  et  au  patriarche  Ignace 
datées  de  ce  jour  3.  Sans  doute  les  rigueurs  de  l'hiver  ne  per- 
mirent pas  à  cette  seconde  ambassade  de  quitter  Constantino- 
ple  en  décembre  867  ;  de  plus  la  traversée  fut  très  mauvaise, 
et  un  navire  tout  neuf,  que  le  député  de  Photius  avait  choisi  pour 
lui  et  pour  sa  suite,  sombra  dans  la  tempête;  de  toute  l'ambassade 
de  Photius  seul  le  moine  Méthode  fut  sauvé  4. 

Des  deux  lettres  du  pape  datées  du  1er  août  868,  la  première 
félicite  l'empereur  de  l'expulsion  de  Photius  et  de  la  réintégration 
du  pasteur  légitime  Ignace.  Hadrien  souhaite  à   l'empereur   toute 


l'ancienne  discipline  franque,  mais  plutôt  l'ancienne  discipline  grecque,  par 
ta  raison  que  le  compilateur  des  canons  de  Worms  a  puisé  ces  décrets  dans  le 
pénitentiel  de  Théodore  de  Cantorbéry. 

1.  Damberger,  Krilikheft,  t.  ni,  p.  234,  s'étonne  de  ce  canon  qui  n'est  cependant 
que  la  reproduction  du  canon  18  d'Hippone.  Voir  §  109. 

2.  Sur  les  autres  prétendues  ordonnances  de  Worms  découvertes  par  Augustin 
Theiner,  cf.  Binterim,  Deutsche  Concilien,  p.  220. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  860  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  120. 

4.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  810.  Voyez  Anastasii  Interpret.  synodi,  vin, 
prsefat.,  dans  P.  L.,  t.  cxxix,  col.  15  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  7  ;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  753  .  [L'  histoire  du  voyage  de  cette  ambassade  est  des  plus 
accidentées.  Les  représentants  d'Ignace  et  de  Photius  ne  purent  se  résoudre 
à  voyager  ensemble,  mal  en  prit  à  ces  derniers.  En  vue  des  côtes  dalmates,  le  légat 
de  Photius  et  son  escorte  de  moines  firent  naufrage,  tous  périrent  sauf  un  seul , 

CONCILES    —     [V  —    30 


466  LIVRE     XXIII 

sorte  de  bonheur,  s'il  persiste  dans  le  droit  chemin.  Il  promet,  [373] 
de  son  côté,  de  rester  fidèle  aux  décisions  portées  sur  cette 
affaire  par  son  prédécesseur  Nicolas.  Il  demande  à  l'empereur  qui 
rappelait  les  exilés  de  rendre  aussi  ses  bonnes  grâces  à  Théo- 
gnoste  depuis  sept  ans  à  Rome,  où  Ignace  avait  envoyé  ce 
fidèle  serviteur,  que  le  pape  renvoie  maintenant  à  Constantino- 
ple.  Dans  sa  seconde  lettre,  le  pape  reproche  à  Ignace  de  ne  pas 
lui  avoir  encore  notifié  sa  réintégration  (ainsi  le  député  d'Ignace 
n'était  pas  encore  arrivé  à  Rome).  Hadrien  maintiendra  les  déci- 
sions de  Nicolas  concernant  Ignace  et  ses  compagnons  d'infor- 
tune, ainsi  que  l'Église  de  Constantinople.  Il  lui  envoie  Théo- 
gnoste  qui  s'est  constamment  employé  pour  l'Eglise  de  Cons- 
tantinople auprès  de  lui  comme  auprès  de  son  prédécesseur 
Xicolas  ;  il  espère  qu'après  avoir  pris  part  aux  malheurs  d'I- 
gnace, Théognoste  participera  à  ses  consolations.  En  termi- 
nant, le  pape  recommande  Théognoste  el  Euthyme  (il  n'est 
pas  question  des  autres  députés)  et  désire  «  à  sa  sainteté  » 
(Ignace)  toute  sorte  de  bonheur  1. 

Sur  ces  entrefaites,  le  [12]  octobre  868,  le  pape  réunit  le  concile 
romain  qui  excommunia  une  fois  de  plus  le  cardinal-prêtre  Anas- 
tase,  gracié  lors  de  l'avènement  du  pontife  2.  Eleuthère,  fils  de 
l'évêque  Arsène,  dont  nous  avons  parlé,  avait  enlevé,  en  mars 
868,  la  fille  du  pape  Hadrien  qui,  tout  comme  Arsène,  avait  été 
marié  avant  son  ordination.  Quoique  déjà  fiancé  à  une  autre, 
Eleuthère  avait  épousé  la  fille  du  pape.  Arsène,  craignant  pour 
lui-même,  se  réfugia  avec  ses  trésors  à  Bénévent  auprès  de  l'em- 
pereur Louis  II,  et  y  mourut  sans  avoir  reçu  la  communion  3. 

De  son  côté,  le  pape  obtint  que  l'empereur  portât  une  sentence 
contre  Eleuthère  qui,  pour  se  venger,  tua  la  fille  et  la  femme  du 
pape  nommée  Stéphanie  ;  par  contre  il  fut  lui-même    condamné 


Méthode,  qu'Anastase  appelle  dédaigneusement  monachulus.  Vital gnatii,  P.  G., 
t.  cv,  col.  544  ;  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  178.  (H.  L.)] 

1.  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  28  sq. 

2.  Voir  §  473.  A.  Verminghofî,  Verzeichnis  der  Akten  frânkischer  Synoden  von 
843-918,  dans  Neues  Archw  der  Gesellschaft  fur  ait.  deutsche  Geschichtskunde, 
1901,  t.  xxvi,  p.  640-641.  Hefele  fixait  ce  concile  au  4  octobre;  Verminghofî 
le  recule  jusqu'au  12  du  même  mois.  (H.  L.) 

ci.  Sur  cette  mort  qu'on  représente  sous  l'aspect  le  plus  effrayant,  De  exemplis 
mortis  Arsenii  miserrimi  episcopi,  dans  Bibliolheca  Casinensis,  t.  m,  p.  139-140, 
cf.  A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII,  p.  41  et  note  4.  (H.  L.) 


484.  LETTRE  DU  PAPE  AUX  BYZANTINS  467 

à  mort  par  les  missi  impériaux  1.     Le  cardinal  Anastase  son  frère  2 


1.  Grégorovius,  Gesch.  der  Stadt  Rom,  1870,  t.  m,  p.  170,  fait  remarquer  avec 
raison  que  ces  événements  montrent  quelle  était  déjà  l'insolence  de  la  noblesse 
romaine.  Bien  que  bridée  par  l'autorité  impériale  elle  devait  chercher  à  acca- 
parer le  pouvoir  au  détriment  du  siège  pontifical  aussitôt  que  la  puissance  de 
ce  dernier  se  trouverait  amoindrie  à  Rome. 

2.  Au  début  du  pontificat  d'Hadrien  II  deux  hommes  accaparent  l'influence  : 
Arsène  et  Anastase.  Agents  dévoués  du  parti  impérial,  ce  sont  eux  qui  gouvernent 
la  curie  romaine,  provoquent  l'accord  temporaire  de  la  papauté  et  de  l'empire 
et  mènent  la  réaction  contre  l'œuvre  du  pape  Nicolas.  Arsène  est  suffisamment 
connu  et  il  n'y  gagne  guère.  Anastase  est  demeuré  longtemps  énigmatique  et  la 
multiplicité  des  rôles  tenus  par  ce  personnage  a  longtemps  conduit  les  historiens 
à  le  dédoubler  et  à  imaginer  deux  Anastase,   contemporains  l'un  et  l'autre,  dont 
la  vie   s'enchevêtre  au  point  qu'à  certains  moments  on  ne  parvient  plus  à  discer- 
ner ce  qui  appartient  en  propre  à  l'un  et  à  l'autre  ;  l'un,  l'abbé  Anastase,  biblio- 
thécaire du  Saint-Siège,  auteur  présumé  de  quelques  notices  pontificales,  traduc- 
teur des  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique,  ami  d'Hincmar  et.  plus  tard,  corres- 
pondant de  Photius    ;    l'autre,    le    cardinal-prêtre    Anastase.    Hergenrôther    et 
A.  Lapôtre  ont  apporté  tous  leurs  soins  et  leur   perspicacité    à    éclaircir   cette 
question  des   Anastase    romains.   Photius,    Patriarch   von    Constanlinopel,    1.  V, 
c.  m  ;  De  Anastasio  bibliolhecario  Sedis  apostolicœ,  in-8,  Paris.  Il  faut  avec  eux 
conclure  à  l'identité  des  deux  Anastase.  Seul  survivant  d'une  famille  trop  long- 
temps influente  à  Rome,  Anastase  le  Bibliothécaire,  à  qui  nous  ne  devons  pas 
le  Liber  pontificalis,  sauf  la  vie  de  Nicolas  Ier,  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne, 
t.  ii,  Introduction,  p.  vu,  s'était  signalé  sous  les  pontificats  précédents  par  des 
services  de  nature  fort  diverse.  Instruit  pour  son  temps  et  habile  dans  tous  les 
sens  de  ce  mot,  il  avait  été  choisi  par  Nicolas  Ier  en  qualité  de  secrétaire  et,  à  ce 
titre,  avait  rédigé  les  lettres  pontificales.  Dans  le  débat  théologique  avec  Photius, 
l'érudit  consommé,  c'était  sur  Anastase  qu'on  s'en  était  reposé  ;  il  nous  l'a  appris 
lui-même,  Préf.  au  VIIIe  concile,  P.  L.,  t.  cxxix,  col.  17.  On  avait  eu  alors,  écrit 
le  P.  Lapôtre,  le  curieux  spectacle  de  l'usurpation  byzantine  combattue  par  un 
homme  qui  lui-même  avait  cherché  à  s'emparer  violemment  du  souverain  ponti- 
ficat, qui  trois  fois  avait  déjà  subi  les  anathèmes  du  Saint-Siège,  et  devait  plus 
tard  les  subir  encore.    En   effet,   Anastase  le  Bibliothécaire  et  Anastase,    piètre 
du  titre  de  Saint-Marcel,  ne   sont  qu'un  seul  et  même  personnage,  d'abord  dé- 
posé et  excommunié  par  Léon  IV,  Mansi,  op.    cit.,    t.  xiv,    col.   1017    sq.,   puis 
antipape   à   l'avènement    de    Benoît    III,    Liber   pontificalis,    édit.    Duchesne, 
t.  ii,  p.  141  sq.,  enfin  déposé  de  nouveau  mais  temporairement  par  Hadrien  II. 
Hincmar,  Ann.  Bertin.,  ad  ann.  868,  dans  Pertz,  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,   t.  i, 
p.  477-479.  Anastase  était,  non  pas  neveu,  mais  iils  d'Arsène,  évêque  d'Orta. 
C'est  ce  qu'affirme  un  passage  très  clair  d'Hincmar,  Annales,  ad  ann.  S08,  [>.  477, 
contre  un  passage  interpolé  d'une  lettre  du  Bibliothécaire  à  Adon  de  Vienne. 
P.  L.,  t.  cxxix,  col.   472.  Au  mois  d'août  868,  Arsène  était  mort  et  sa   dispari- 
tion avait  failli  compromettre  un  instant  la  fortune  politique  de  son   lils  devenu 
bibliothécaire   en  titre  de  l'Eglise  romaine.  Or,  en  cette  même  année  Hincmar 
nous  fait  le  récit  suivant  :  «  A  l'instigation  d'Arsène,  son  lils  Ejeuthère  séduisit 


468  LIVRE    XXIII 

fut  aussi  excommunié  par  ce  concile,  pour  avoir  conseillé  tous 
ces  meurtres  et  causé  d'autres  injustices.  Nous  tenons  ces  détails 
d'Hincmar,  dans  les  Annales  de  Saint- Bertin1,  où  Anastase  est  [374] 
désigné  à  tort  comme  bibliothécaire,  c'est-à-dire  qu'il  est  con- 
fondu avec  le  savant  abbé  auquel  nous  devons  des  Vies  des 
papes  et  la  traduction  du  VIIIe  concile  œcuménique,  et  autres 
ouvrages. 


485.  Concile  dans  1 église  de  Saint  Pierre,  en  869.  Prélude 
du  VIIIe  concile  œcuménique. 

Lorsque  la  seconde  ambassade  de  Byzance  fut  enfin  arrivée 
à  Rome  (le  représentant  de  Photius,  Méthode,  ne  voulut  cepen- 
dant pas  se  laisser  voir),  le  pape  Hadrien  II  réunit  un  concile 
dans  l'église  de  Saint-Pierre.  Mansi  2  et  d'autres  historiens  placent 
à  tort  ce  synode  avant  le  1er  août  868,  sous  prétexte  que  les  lettres 
du  pape  qui  portent  cette  date  ont  dû  être  la  conséquence  de 
cette  assemblée.  Mais  tous  les  documents  s'accordent  à  le  re- 
mettre après  l'arrivée  de  la  seconde  ambassade  de  Byzance, 
par  conséquent  après  le  1er  août  868  ;  au  reste,  une  lettre  du 
pape  à  Ignace   montre  qu'il  a  dû  se   tenir   peu   de  jours  avant  le 


et  enleva  la  fille  du  pape  Hadrien,  fiancée  à  un  autre  époux.  Le  pape  fut  vive- 
ment contristé.  Arsène  s'enfuit  près  de  l'empereur  Louis  à  Bénévent,  confia  ses 
trésors  à  l'impératrice  Ingelberge,  et  pris  de  la  fièvre,  conversant  avec  le  diable, 
ii  s'en  alla,  sans  communion,  le  rejoindre.  Après  sa  mort  le  pape  Hadrien  demanda  à 
l'empereur  qu'Éleuthère  fût  jugé  d'après  la  loi  romaine.  Mais  cet  Éleuthère,  par 
le  conseil,  dit-on,  de  son  frère  Anastase,  qu'Hadrien  avait  nommé  au  début  de 
son  pontificat  bibliothécaire  du  Saint-Siège,  tua  Stéphanie,  la  femme  du  pape, 
et  sa  fille  qu'il  avait  ravie.  Il  fut  lui-même  mis  à  mort  par  les  envoyés  de  l'em- 
pereur. Le  pape  réunit  un  concile  et  fit  condamner  Anastase,  déjà  frappé  par 
plusieurs  jugements  précédents.  »  Toutefois,  le  Bibliothécaire  en  fut  quitte,  la 
faveur  impériale  aidant,  pour  une  déposition  passagère  et  promptement  révo- 
quée. Du  vivant  même  du  pape  Hadrien  II,  cet  homme  reparut  au  Latran  dans 
les  Archives  et  reprit  sa  besogne  de  styliste  et  d'érudit.  (H.  L.) 

1.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  477. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xv,  col.  862,  886;  Jafî é,  [Regesta  pont,  rom., 
p.  256-257;  Lapôtre,  Hadrien  II  et  les  fausses  décrétâtes,  dans  la  Rev.  des  quest. 
hist.,  1880,  t.  xxvii,  p.  384,  note  2,  tiennent  que  ce  concile  s'est  réuni  dans  les 
premiers  juins  de  juin.  (H.  L.) 


485.     CONCILE     DANS     l' EGLISE     DK     SAINT-PIERRE  469 

1er  juin  869  1.  Dans  une  autre  lettre  écrite  à  la  même  époque  à 
l'empereur  de  Byzance,  le  pape  dit  que  les  ambassadeurs  de  Cons- 
tantinople  avaient  demandé  presque  tous  les  jours  l'instruction 
de  leur  affaire,  mais  (pie  la  multitude  des  questions  pendantes 
n'avait  pas  permis  de  les  satisfaire,  c'est-à-dire  de  réunir  plus  tôt 
un  concile  2.  On  lit  dans  la  Vita  Hadriani  :  «  Les  ambassadeurs  de 
l'empereur  grec  et  du  patriarche  Ignace  remirent  au  pape, 
dans  le  secretarium  de  Sainte-Marie-Majeure,  les  présents  et 
les  lettres  qui  leur  avaient  été  confiés  ;  ils  remercièrent  ensuite 
l'Eglise  romaine  de  ce  que,  grâce  à  ses  efforts,  l'Eglise  de  Constan- 
tinople  avait  été  de  nouveau  délivrée  du  schisme,  et  ils  ajoutèrent 
qu'on  avait  trouvé  dans  les  archives  de  Photius  tout  un  livre 
faux,  plein  d'injures  contre  Rome  et  contre  le  pape  Nicolas,  et 
qu'après  l'avoir  scellé  l'empereur  l'envoyait  au  pape  (c'étaient 
les  prétendus  actes  du  conciliabule  de  867)...  Le  député  d'I- 
gnace apporta  ce  livre  qu'il  jeta  à  terre  en  disant  :  Tu  as  déjà 
été  maudit  à  Constantinople  (probablement  par  un  concile  tenu 
sous  Ignace,  ou  encore  dans  le  silentium  du  23  novembre)  ;  sois 
[375"j  aussi  maudit  à  Rome.  Puis  l'ambassadeur  impérial  frappa  le  livre 
du  pied  et  du  glaive,  et  dit  :  Je  crois  que  le  diable  est  caché  dans 
ce  livre  ;  la  signature  de  l'empereur  Basile  qui  s'y  trouve  est 
fausse,  je  puis  l'attester  par  serment,  et  la  réintégration  d'Ignace 
le  prouve  surabondamment.  Quant  à  l'empereur  Michel,  Photius 
l'a  fait  signer  une  nuit  où  Michel  était  ivre-mort.  En  outre,  les 
signatures  d'un  grand  nombre  d'évêques  sont  fausses;  seuls  quel- 
ques partisans  de  Photius  ont  signé.  Beaucoup  de  ces  signatures  ne 
viennent  pas  des  évêques  eux-mêmes,  mais  de  certains  de  leurs  dio- 
césains, que  Photius  a  décidés  à  signer  en  lieu  et  place  de  leurs 
évêques.  Pour  donner  à  ces  faux  une  apparence  d'authenticité, 
on  a  employé  différentes  plumes,  les  unes  plus  grosses,  d'autres 
plus  fines.  »  Le  pape  remit  ensuite  ce  livre  à  l'examen  de  quel- 
ques personne  habiles  dans  la  langue  grecque,  et  bientôt  après, 
il  réunit  un  concile  dans  l'église  Saint-Pierre.  Il  y  fit  d'abord  lire 
les  lettres  de  son  prédécesseur  sur  cette  affaire,  afin  de  réfuter 
les  bruits  répandus  sur  son  compte  (qu'il  voulait  suivre  une  autre 
voie  que  son  prédécesseur)  ;  il  prononça  ensuite  l'anathème 
contre  Photius,  son  conciliabule  et  ses  amis,  et  après  que  tous  les 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  793  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  50. 

2.  Hardouin,  op.cit.,  t.  v,  col.  770;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  24. 


470  LIVRE    XXIII 

assistants  eurent  foulé  aux  pieds  le  livre  de  Photius,  il  le  fit  brû- 
ler. Ce  livre  brûla  très  rapidement,  quoiqu'il  tombât  alors  une 
grande  pluie  qui  eût  dû  éteindre  le  feu;  au  contraire,  chaque 
goutte  d'eau  était  comme  de  l'huile  tombant  sur  la  flamme. 
Tous  les  assistants,  grecs  et  latins,  frappés  de  ce  spectacle,  s'u- 
nirent au  pape  pour  louer  Dieu.  Enfin  le  pape  envoya  à  Constan- 
tinople  en  qualité  de  légats  l'évcque  Donat  d'Ostie  et  le  diacre 
Marin,  déjà  désignés  par  son  prédécesseur,  mais  qui  n'avaient 
pu  remplir  leur  mission  ;  Hadrien  leur  rendit  les  lettres  de  Nicolas, 
se  bornant  à  substituer  son  nom  à  celui  de  son  prédécesseur.  Il 
leur  adjoignit  comme  troisième  ambassadeur  Etienne,  évêque 
de  Népi1.  A  tous  il  recommanda  de  rétablir  la  paix  clans  l'Eglise 
de  Constantinople,  de  réintégrer  les  évêques  qui,  ordonnés  par 
Ignace  et  son  prédécesseur  Méthode,  avaient  pris  parti  pour 
Photius,  après  qu'ils  auraient  signé  les  formules  de  satisfaction 
prescrites  par  Rome.  Quant  à  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par 
Photius,  le  pape  Hadrien  persistait  dans  la  détermination  prise 
par  Nicolas  ;  toutefois  les  légats  devaient  différer  à  leur  égard 
l'exécution  de  la  sentence  des  évêques,  jusqu'à  ce  que  le  Siège 
apostolique  eût  statué  définitivement  2.  R7fil 

Nous  retrouvons  ces  détails,  mais  abrégés,  dans  la  préface  dont 
Anastase  a  fait  précéder  sa  traduction  latine  des  actes  du  VIIIe 


1.  L'ambassade  partit  de  Rome  vers  le  10  juin  869;  c'est  ce  que  prouvent  suffi- 
samment les  deux  lettres  d'Hadrien  II  à  Ignace,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1282  ;  et  à 
l'empereur  Basile,  P.  L.,  t.  cxx,  col.  1285. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  810  sq.  ;  P.  L.,  t.  cxxviii,  col.  1386  sq.  «  On  le 
voit,  malgré  les  protestations  d'Hadrien,  il  y  avait  quelque  chose  de  changé  dans 
la  conduite  du  pape.  Par  ce  synode,  Hadrien,  contrairement  à  ce  qu'avait  tou- 
jours dit  son  prédécesseur  Nicolas,  terminait  le  débat  en  condamnant  Photius 
sans  l'avoir  entendu  ;  il  absolvait  Ignace  sur  le  rapport  de  ses  seuls  partisans  ; 
il  délivrait  à  Basile  un  certificat  d'orthodoxie  et  d'innocence  qui  allait  rendre  ie 
nouvel  empereur  maître  de  la  situation.  Ainsi,  à  la  faveur  de  cette  sentence, 
chacun  gagnait  ou  espérait  gagner  quelque  chose.  Indépendamment  de  l'im- 
pression morale  qu'allait  faire  sur  les  esprits  le  rôle  joué  par  Rome  dans  l'affaire 
du  schisme,  le  pape  faisait  reconnaître  à  toute  l'Église  byzantine  son  absolue  au- 
torité et  s'attachait  par  des  liens  de  reconnaissance  le  patriarche  et  l'empereur 
qu'il  comptait  bien  utiliser  à  bref  délai.  Basile  était  absous,  Ignace  recouvrait 
son  trône  et  Photius  lui-même,  tout  sacrifié  qu'il  fût,  pouvait  lire  entre  les  lignes 
qui  le  condamnaient  la  promesse  d'une  sentence  future  qui  le  réhabiliterait.  » 
A.  Vogt,  Basile  Ie1,  empereur  de  Byzance,  et  la  civilisation  byzantine  à  la  fin  du 
IXe  siècle,  in-8,  Paris,  1908,  p.  216.  (H.  L.) 


485.    CONCILE     DANS    L  ÉGLISE     DE    SAINT-PIERRE  471 

concile  œcuménique  ;  parmi  ces  actes  se  trouvent  plusieurs  docu- 
ments relatifs  au  concile  tenu  à  Saint-Pierre  l.  Le  premier  est  un 
discours  du  pape  au  concile,  lu  par  l'archidiacre  Jean  ;  c'est 
d'abord  une  courte  relation  des  événements  de  Constantinople 
depuis  la  déposition  d'Ignace,  on  y  relève  en  particulier  que 
Photius  avait  insulté  Nicolas  ainsi  que  le  pape  actuel.  On  se  de- 
mande quand  et  comment  il  l'aurait  fait  ;  peut-être  en  mettant 
en  circulation  le  bruit  que  le  pape  Hadrien  pensait  sur  son  affaire 
tout  autrement  que  le  pape  Nicolas.  Dans  cette  même  allocution, 
Hadrien  fait  les  plus  grands  éloges  de  Nicolas,  et  se  déclare  prêt 
à  mourir,  s'il  le  faut,  pour  maintenir  les  principes  de  son  prédéces- 
seur. Il  termine  en  demandant  au  concile  de  faire  connaître  son 
sentiment  sur  le  conciliabule  de  Photius  et  sur  ceux  qui  y  ont  pris 
part. 

En  réponse  au  discours  du  pape,  Gauderich,  évêque  de  Velletri, 
lut  une  déclaration  du  concile  ;  après  une  sortie  énergique 
contre  Photius,  ce  second  Ananie,  on  demandait  au  pape  de 
condamner  un  conciliabule  analogue  au  concile  de  Rimini  et 
au  brigandage  d'Ephèse,  de  sorte  qu'il  n'en  restât  plus  trace. 
On  devait  également  excommunier  et  exclure  même  de  la  com- 
munion laïque  tous  ceux  qui  avaient  assisté  à  ce  conciliabule,  qui 
en  avaient  signé  les  actes,  ou  qui,  à  l'avenir,  le  défendraient  ou 
cacheraient  des  exemplaires  des  actes  ;  on  les  obligerait,  s'ils 
voulaient  venir  à  récipiscence,  à  anathématiser  de  vive  voix  et. 
par  écrit  les  décisions  du    conciliabule. 

Dans  un  autre  document  lu  par  le  diacre  Marin,  le  pape  déclare 
partager  les  sentiments  du  concile,  mais  il  faut,  à  son  avis,  brûler 
publiquement  l'exemplaire  des  actes  du  conciliabule  apporté  par 
les  ambassadeurs  grecs.  Le  concile  déclara  son  adhésion,  par  l'in- 
termédiaire de  Formose,  évêque  de  Porto,  et  le  diacre  Pierre  lui 
alors  la  troisième  allocution  du  pape,  dirigée  contre  la  prétention 
de  Photius  de  déposer  un  pape.  Hadrien  y  disait  :  Romanum  pon- 
tificem  de  omnium  Ecclesiarum  prsesulibus  judicasse  legimus,  de 
T3771  eo  çero  au^mauam  judicasse  non  legimus.  Sans  doute,  continue- 
t-il,  Honorius  fut  anathématisé  après  sa  mort  par  les  Orientaux, 


1.  Coll.  regia,  t.  xxm,  col.  304;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  1087;  Coleti, 
Concilia,  t.  x,  col.  593  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  862  ;  Mansi,  Conc.  am- 
pliss.  coll.,  t.  xvi,  col.  122;  P.  L.,  t.  cxxix,  col.  105  ;  Hergenrôther,  Photius, 
t.  il,  p.  36  ;  A.  Verminghoff,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  641.   (H.  L.) 


472  LIVRE    XXIII 

mais  il  faut  remarquer  qu'il  était  accusé  d'hérésie,  c'est-à-dire 
du  crime  qui  seul  permet  aux  inférieurs  de  résister  à  leurs  supé- 
rieurs 1,  et  même  dans  ce  cas  aucun  patriarche  ni  personne 
n'aurait  pu  porter  de  sentence  contre  lui,  si  le  Siège  de  Rome 
n'y  avait  auparavant  consenti.  De  même  lorsque  Théodoric, 
roi  des  Ostrogoths,  voulut  faire  juger  par  un  concile  romain  le 
pape  Symmaque  accusé  de  plusieurs  méfaits,  les  évêques  réunis 
et  à  leur  tête  les  archevêques  de  Milan  et  de  Ravenne  déclarè- 
rent cette  prétention  inadmissible  2.  Si  Photius  ignorait  ces 
faits,  il  aurait  cependant  dû  savoir  que  le  troisième  concile  à 
Éphèse  avait  condamné  le  patriarche  Jean  d'Antioche,  qui 
avait  osé  juger  Cyrille,  son  supérieur  par  le  rang  3.  Le  concile 
adhéra  une  fois  de  plus  à  la  déclaration  du  pape,  et  sollicita 
seulement,  dans  un  amendement  lu  par  le  notaire  Beftoît,  la 
grâce  de  ceux  qui  avaient  été  trompés  par  Photius,  s'ils  s'amen- 
daient et  faisaient  une  pénitence  convenable.  Hadrien  prononça 
la  sentence  finale  dans  les  cinq  chapitres  suivants  :  «  1.  Nous 
comparons  au  «  Brigandage  d' Éphèse  »  le  conciliabule  réuni  il  y 
a  quelque  temps  par  Photius  et  par  le  tyran  Michel,  nous  décla- 
rons tous  ses  décrets  sans  valeur,  et  ordonnons  que  tous  les  exem- 
plaires en  soient  brûlés  avec  tous  les  documents  écrits  par  Pho- 
tius et  par  Michel  contre  le  Saint-Siège.  2.  Nous  condamnons  de 
même  les  deux  conventicules  parricides  réunis  contre  Ignace  par 
Photius  et  Michel.  3.  Nous  condamnons  et  anathématisons  de 
nouveau,  et  comparons  à  Dioscore,  Photius,  déjà  justement 
condamné  par  notre  prédécesseur,  qui  à  ses  anciens  crimes  a 
ajouté  des  attaques  scandaleuses  contre  les  privilèges  du  Siège 
apostolique,  qui  a  fabriqué  de  nouveaux  dogmes,  répandu  par- 
tout des  calomnies  et  lancé  de  fausses  imputations  contre  Nicolas 
et  contre  nous.  S'il  se  soumet  sans  restriction  et  condamne 
avec  grand  repentir  les  décrets  de  son  conciliabule,  il  sera  admis 
de  nouveau  à  la  communion  laïque.  4.  Ceux  qui  ont  adhéré  à 
son  conciliabule  et  en  ont  signé  les  actes,  seront  admis  à  la  com- 
munion, s'ils  observent  les  décrets  de  mon  prédécesseur,  s'ils 
entrent  en  communion  avec  Ignace,  anathématisent  ce  concilia- 
bule et  en  brûlent  tous  les  exemplaires.  Quant  à  l'empereur  Basile, 


1.  Voir  §  324. 

2.  Voir  §  220. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  t,  co].  151. 


485.     CONCILE     DANS    L  EGLISE    DE     SAINT-PIERRE  473 

[378]  dont  le  nom  a  été  faussement  inséré  dans  les  actes  de  ce  con- 
ciliabule, nous  l'exemptons  de  cette  sentence,  et  le  comptons 
au  nombre  des  pieux  et  orthodoxes  empereurs.  5.  Celui  qui 
cachera  les  actes  de  ce  conciliabule  sera  excommunié,  et.  s'il  esl 
clerc,  il  sera  déposé.  La  même  peine  atteindra  celui  qui  tiendra 
secrètes  les  présentes  ordonnances  ou  ne  voudra  pas  s'y  confor- 
mer, et  cela  non  seulement  pour  l'Église  de  Constantinople,  mais 
encore  pour  celles  d'Alexandrie,  d'Antioche  et  de  Jérusalem.»  A 
la  suite  du  pape,  trente  évêques  signèrent  cette  sentence,  parmi 
lesquels  le  député  d'Ignace,  un  diacre,  qui  signa  comme  repré- 
sentant de  son  évêque,  neuf  cardinaux-prêtres  et  cinq  diacres 
romains  ayant  à  leur  tête  l'archidiacre  Jean,  le  futur  pape 
Jean  VIII1. 

Avec  ces  décisions  Hadrien  transmit  aux  Byzantins  par  ses 
trois  légats  deux  lettres  datées  du  10  juin  869  et  répondant  aux 
questions  de  l'empereur  et  d'Ignace.  Dans  la  lettre  à  Ignace  le 
pape  dit  que  son  prédécesseur  Nicolas  avait  soutenu  pour  l'église 
de  Constantinople  des  combats  sans  nombre  ;  personnellement  il 
est  prêt  à  l'imiter  en  cela  tout  comme  il  lui  succède  dans  sa 
charge.  La  nouvelle  de  la  réintégration  d'Ignace  l'a  comblé 
de  joie.  Ignace  peut  voir  par  les  lettres  de  Nicolas  les  décisions 
prises  au  sujet  de  Photius  et  de  ses  partisans;  il  a  confié  à 
ses  légats  une  copie  de  ces  lettres  pour  le  cas  où  Ignace  ne  les 
posséderait  pas.  Lui-même  s'en  tiendra  fidèlement  aux  décisions 
de  son  prédécesseur,  et  il  s'y  conforme  en  prononçant  les  sen- 
tences suivantes  :  a)  la  déposition  de  Photius,  de  Grégoire  de 
Syracuse  et  de  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par  Photius.  b)  Paul 
de  Césarée,  dont  parle  Ignace,  sera  déposé  de  l'épiscopat,  avec 
tous  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par  Photius;  toutefois,  à  cause 
de  ses  grands  services,  on  lui  accordera  de  nombreux  béné- 
lices  ecclésiastiques,  et  les  honneurs  qu'il  mérite,  c)  Ceux  qui. 
après  avoir  été  ordonnés  par  Ignace,  l'ont  abandonné,  pourront 
être  graciés,  s'ils  signent  le  libellus  satisfactionis  apporté  par 
les  légats  2.  Sur  ceux  qui,  outre  cette  défection,  sont  accusés 
d'autres  crimes,  Ignace  ordonnera  une  enquête.  Ceux  qui  ont  spon- 

[379]   tanément  signé  les  actes  du  conciliabule  ne  méritent  aucun  pardon 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  869  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  128  sq.    Au 
sujet  de  ce  concile  voir  Hergenrôther,  Photius,  t.  n,  p.  26  sq. 

2.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  216,  note  1.  (H.  L.) 


474  LIVRE    XXIII 

à  moins  que  le  Saint-Siège,  qu'ils  ont  offensé,  ne  leur  fasse  misé- 
ricorde (c'est-à-dire  que  le  pape  seul,  et  non  Ignace,  pourra  les 
réintégrer).  Les  ennemis  d'Ignace  l'accusaient  d'avoir  refusé 
autrefois,  à  l'exemple  de  Dioscore,  de  recevoir  une  lettre  du 
pape  Benoît  III  ;  il  montrera  la  fausseté  de  cette  accusation,  en 
s'employant  activement  à  faire  signer  par  tous,  dans  un  con- 
cile grec,  les  capitula  du  présent  concile  romain,  et  en  les  fai- 
sant placer  dans  toutes  les  archives  épiscopales  l. 

Hadrien  écrit  à  l'empereur  qu'il  a  reçu  l'ambassade  envoyée 
à  son  prédécesseur,  et  qu'il  remercie  Dieu  de  ce  qui  s'était  passé 
à  Constantinople.  L'empereur  est  digne  de  tous  éloges  parce  que, 
pour  guérir  l'Eglise  de  Constantinople,  il  s'est  adressé  au  Siège 
apostolique.  A  l'égard  de  Photius  et  d'Ignace  il  a  fait  ce  que 
le  pape  et  toute  l'Église  d'Occident  avaient  décrété  depuis  long- 
temps. Quant  aux  autres  perturbateurs  de  l'unité  de  l'Église, 
on  les  traitera  suivant  la  gravité  de  leurs  fautes,  et  les  légats  du 
pape  prendront  sur  ce  point  les  décisions  opportunes  d'accord  avec 
Ignace.  Sur  le  désir  de  l'empereur  et  malgré  la  gravité  de  leur 
péché,  le  pape  consent  à  user  de  miséricorde  envers  ceux  qui  ont 
été  ordonnés  par  Photius,  mais  leur  sacre  est  sans  valeur.  Le 
spathaire  Basile  a  intercédé  avec  instance  en  leur  faveur,  mais 
il  n'est  pas  possible  de  les  reconnaître  comme  légitimement  ordon- 
nés. Le  pape  se  réserve  le  droit  d'user  plus  tard  de  condescen- 
dance. Il  désire  que  l'empereur  réunisse  sous  la  présidence  de  ses 
légats,  un  grand  concile  qui  jugera  les  coupables  selon  leurs  fautes 
et  fera  brûler  tous  les  exemplaires  des  actes  du  conciliabule. 
Les  capitula  du  récent  concile  romain  devront  être  signés  par 
tous  les  membres  de  ce  concile  grec  et  placés  ensuite  dans  les 
archives  épiscopales.  On  renverra  à  Rome  les  moines  Basile, 
Zozime,  Pierre,  Métrophanes  et  un  autre  Basile  (qui  s'était  enfui 
de  Rome  pour  aller  trouver  Photius).  Enfin  le  pape  recommande 
à  l'empereur  ses  légats  Donat,  Etienne  et  Marin  2. 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  793  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  50. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  766  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  20  ;  Hergenrô- 
ther,  op.  cit.,  p.  2  sq. 


486.    CONCILES    DE    VERBERIE,    DE    PI8TRES,    ETC.  475 


486.  Conciles  de  Verberie,  de  Pistres  et  de  Metz,  en  869. 
[380]  Discussion  entre  les  deux  Hincmar. 

Avant  de  suivre  les  légats  envoyés  par  Hadrien  à  Constanti- 
nople,  c'est-à-dire  avant  de  passer  à  l'histoire  du  VIIIe  concile 
œcuménique,  nous  avons  à  nous  occuper  de  quelques  conciles 
francs  qui.  comme  le  VIIIe  concile  œcuménique,  appartien- 
nent à  l'année  869,  mais  ont.  été  tenus  quelques  mois  avant 
le  concile.  Le  premier  est  celui  de  Verberie  (Vermeria),  qui 
nous  amène  à  parler  de  la  discussion  survenue  entre  les  deux 
Hincmar.  Hincmar  le  jeune,  évêque  de  Laon,  était  un  neveu  par 
sa  mère  du  célèbre  Hincmar,  archevêque  de  Reims,  sur  les  recom- 
mandations duquel,  et  aussi  grâce  à  la  bienveillance  de  Charles 
le  Chauve,  il  avait  obtenu,  étant  encore  très  jeune  et  dès  avant 
858,  l'évêché  de  Laon  dans  la  province  de  Reims,  avec  une  ab- 
baye et  une  charge  de  cour  1.  Mais  bientôt  il  se  montra  récalci- 
trant et  hautain,  non  seulement  vis-à-vis  de  son  oncle  et 
métropolitain,  mais  même  vis-à-vis  du  roi  ;  aussi,  en  868,  ce 
dernier  le  cita  devant  un  tribunal  civil,  lui  enleva  sa  charge  de 
cour,  son  abbaye  et  mit  sous  séquestre  les  revenus  de  son  évêché. 
Mais  Hincmar  de  Reims  défendit  immédiatement  les  immunités 


1.  On  trouve  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  688,  une  biographie  de  cet  évêque 
faite  par  Cellot,  Vita  Hincmari  junioris  episcopi  Laudunensis,  dans  Conc. 
Duziacum  I  (1658),  p.  1-60,  réimprimée  dans  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  1664- 
1702  ;  P.  L.,  t.  cxxiv,  col.  967-978.  Cf.  Ellies  du  Pin,  Bibliothèque  des  auteurs 
ecclésiastiques,  1697,  t.  ix,  p.  131-172;  D.  Rivet,  Hist.  littér.  de  la  France,  1740 
t.  v,  p.  522-527  ;  D.R.  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  ecclésiastiques,  lre  édit.. 
t.  xix,  p.  274-278  ;  2e  édit.,  t.  xn,  p.  635-637.  Sur  le  caractère  et  le  personnage 
d' Hincmar  de  Laon,  cf.  H.  Scbrœrs,  Hinkmar  Erzbischof  von  Reims,  p.  317  ; 
E.  Lesne,  La  hiérarchie  épiscopale  :  Provinces,  métropolitains,  primats  en  Gaule 
et  en  Germanie  depuis  la  réforme  de  saint  Boniface,  jusqu'à  la  mort  d'Hincmar, 
in-8,  Paris,  1905,  p.  221  sq.  :  «  Ce  personnage,  vaniteux,  présomptueux,  impa- 
tient de  toute  règle,  était  porté  par  son  seul  caractère  à  entrer  en  révolte,  sans  que 
personne  ait  besoin  de  l'y  engager,  contre  le  gouvernement  autoritaire  d'Hincmar. 
Ses  malheurs  sont-ils  causés,  comme  on  l'a  cru,  par  sa  fidélité  aux  idées  pseudo- 
isidoriennes  et  réformatrices  qui  l'obligent  à  s'opposer  à  l'ingérence  des  séculiers 
et  à  résister  au  roi  comme  à  son  archevêque  ?  N'est-ce  pas  plutôt  son  humeur 
inconstante  et  brouillonne  et,  comme  l'en  accuse  l'archevêque  de  Reims,  l'amour 
du  siècle  qui  l'ont  perdu  ?  »    (H.  L.) 


476  LIVRE    XXIII 

du  clergé,  soutenant  qu'un  évêque  ne  pouvait  être  jugé  que  par 
ses  pairs  et  qu'on  ne  pouvait  mettre  le  séquestre  sur  ses  biens. 
Il  cita  en  preuve  des  décrétales  pseudo-isidoriennes  des  papes 
Urbain,  Lucius  et  Etienne,  de  l'authenticité  desquelles  il  ne  doutait 
pas.  Grâce  à  son  intervention,  le  roi  et  Hincrnar  de  Laon  se  récon- 
cilièrent dès  cette  même  année  868,  dans  une  diète  tenue  à  Pistres  1. 
L'évêque  demanda  grâce,  et  le  roi  retira  les  peines  édictées  contre 
lui  2.  Mais  bientôt  survint  un  nouveau  conflit.  Sur  le  désir  du 
roi,  Hincrnar  de  Laon  avait  donné  au  comte  Nordmann  un  iief 
ecclésiastique  de  son  diocèse;  il  le  lui  enleva  sans  motif  et  bru-  [381] 
talement  ;  puis  il  raconta  la  chose  au  pape  Hadrien  II  en  lui 
présentant  l'affaire  sous  un  faux  jour.  Il  fut,  pour  ce  motif, 
invité  à  se  présenter,  le  24  avril  869,  devant  un  concile  tenu  à 
Verberie-sur-Oise,  au  diocèse  de  Soissons  ;  avant  de  s'y  rendre  il 
tint  à  Laon,  le  19  avril  869,  un  synode  diocésain  dans  lequel  il 
fit  promettre  à  son  clergé  d'interrompre  partout  le  service 
divin  s'il  lui  arrivait  quelque  désagrément  à  Verberie  et  si,  au 
lieu  de  lui  permettre  d'aller  à  Rome,  on  le  retenait  prisonnier. 

Nous  n'avons  que  très  peu  de  détails  sur  ce  qui  s'est  passé  à 
Verberie;  nous  savons  seulement  qu'on  y  compta  vingt-neuf  évê- 
ques,  dont  huit  métropolitains,  qu' Hincrnar  de  Reims  y  exerça 
les  fonctions  de  président,  et  qu'on  y  confirma  la  donation  de  trois 
monastères  faite  par  le  roi  Charles  le  Chauve  au  monastère  de 
Charroux  en  Poitou  3.  Hincrnar  le  jeune  fut,  paraît-il,  mécontent 
des  décisions  prises  à  son  égard,  et  en  appela  au  pape,  sans  toute- 
fois faire  connaître  son  appel  4   ;  mais,  ainsi    qu'il  l'avait    prévu, 


1.  A.  Verminghoff,  op.  cit.,  1901,  t.  xxvi,  p.  640.  (H.  L.) 

2.  Le  mémoire  d'Hincmar  l'ancien  pro  ecclesiastica  libertate  tuenda  in  causa 
Laudunensis  episcopi,  qu'il  remit  dans  l'assemblée  de  Pistres  au  roi  Charles  le 
Chauve,  se  trouve  avec  des  additions,  des  appendices  et  des  notes  du  jésuite 
Cellot  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  755  sq.,  et,  sans  ces  notes,  dans  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  1328  sq.,  dans  Hincrnar,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  1035,  ett.  cxxvi, 
p.  94,  et  Hincrnar,  Laudun.,  P.  L.,  t.  cxxiv,  col.  1025  sq. 

3.  Sirmond,  Conc.  Gall.,  t.  ni,  col.  374  ;  Coll.  regia,  t.  xxin,  col.  775;  Lalande, 
Conc.  Galliœ,  p.  186  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  865-868,  1527-1531  ;  Marca, 
Concordia,  1663,  t.  i,  col.  215-216  ;  2e  édit.,  col.  192-194  ;  Hardouin,  op.  cit., 
t.  v,  col.  1211;  Miraeus,  Cod.  diplom.  Belg.,  1734,  p.  xxn;  Coleti,  Concilia,  t.  x, 
col.  1033  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  551;  A.  Verminghoff,  dans  Neues  Archiv, 
1901,  t.  xxvi,  p.  641.  (H.  L.) 

4.  C'est  du  moins  ce  que  dit  son  oncle.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1242;  Mansi, 
op   cit.,  t.  xvi,  col.  598. 


486.     CONCILES     DE     VERBER1K.     DE    PISTRES,      ETC.  477 

il  fut  emprisonné  par  ordre  de  Charles  le  Chauve    et  enfermé  à 
Silvacum  dans    le   diocèse  de  Laon.   Auparavant,   il  avait  eu    le 
temps  de  réitérer   à    son    clergé   l'ordre    de    faire   durer   l'interdit 
aussi  longtemps  que  sa   captivité  1  ;   heureusement  qu'en  qualité 
de  métropolitain,  son  oncle  rapporta  immédiatement  cette  ordon- 
nance, aussi  injuste  que  périlleuse  pour  le  salut    des  âmes    ;  en 
même  temps  il  communiqua  à  son  neveu  ainsi  qu'à    ses    clercs 
les  documents  relatifs  à  cette  question  ;  c'étaient  des  passages 
de  la  sainte  Écriture,  des  décrets    des  papes  et  des  canons.   Il 
engagea    jusqu'à    cinq  fois,  soit  de  vive  voix,  soit  par  écrit,  son 
neveu  à  revenir  sur  l'injustice  commise  2,  mais    avec  si  peu  de 
succès  qu'Hincmar  le  jeune,  ayant  bientôt  recouvré   sa  liberté, 
fit  composer  une  autre  collection  des  passages  des   Pères  et  des 
lois  de  l'Eglise,   pour  l'opposer  à   son    oncle  3.    C'étaient  des  ex- 
traits pseudo-isidoriens  dirigés  contre  l'autorité  des  métropolitains 
et  des  conciles  provinciaux. 

Il  se  tint,  en  cette  même  année  869,  un  autre  concile  à  Pistres 
(Pistes);  nous  le  connaissons  par  un  document  dans  lequel  l'as- 
[382]  semblée  confirme  la  fondation  d'un  monastère  par  Égilon,  arche- 
vêque de  Sens  4.  On  voit  par  ce  document  qu'outre  Egilon  trois 
autres  métropolitains  assistèrent  à  l'assemblée  :  Hincmar  de  Reims, 
Wulfade  de  Bourges  et  Hérard  de  Tours,  avec  plusieurs  évê- 
ques.  C'est  probablement  cette  assemblée  de  Pistres  qui  a  rendu 
les  treize  canons  suivants  :  1,  2.  Les  églises,  les  clercs  et  les  reli- 
gieuses doivent  être  protégés  dans  leurs  possessions,  droits  et 
immunités,  mais  ils  doivent  à  leur  tour  rendre  au  roi  l'obéissance 
et  les  services  qui  lui  sont  dus.  3.  On  doit  également  respecter 
les  droits  de  tous  les  autres  fidèles.  4,  5.  Les  employés  royaux 
doivent  soutenir  les  évêques,  etc.,  et  réciproquement.  6,  7.  Si  un 

1.  Hincmar,  Annales  S.  Bertini,  dans  Pertz,  t.  i,  p.  479-480  ;  Hardouin,  op. 
cit.,  t.  v,  col.  1211  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xv,  col.  887;  t.  xvi,  col.  551. 

2.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  511-534  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1361-1379  ;  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xvi,  col.  809-829  ;  Noorden,  Hincmar,  p.  241 . 

3.  Hincmar  de  Laon,  P.  L..  t.   cxxiv,  col.  993. 

4.  Lalande,  Concil.  Gallise,  p.  198  ;  L.  d'Achery,  Spicileg.,  1664,  t.  u,  p.  712- 
714  ;  Concilia,  t.  vm,  col.  1535-1537;  Baluze,  Capitul.  reg.  Francor.,  1877,  t.  u, 
col.  209-216  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1215;  Bessin,  Conc.  Rotomag.,  1717, 
t.  i,  p.  24  ;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  1041  ;  Bouquet,  Rec.  des  hist.  de  la  France, 
t.  vin,  col.  675  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  560  ;  Walter,  Corp.  fur.  an*.,  1824, 
t.  m,  p.  167  ;  Duru,  Bill.  hist.  de  l'Yonne,  1863,  t.  n,  p.  588-589;  A.  Verminghoff , 
Verzeichniss,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  642.  (H.  L.) 


478  LIVRE    XXIII 

évêque  fait  tort  à  un  ecclésiastique,  ceux-là  doivent  faire  l'enquête 
qui  sont  chargés  par  les  canons  de  remplir  cette  mission  ;  mais 
si  l'évêque  a  fait  tort  à  un  laïque,  le  roi  peut  obliger  l'évêque  à 
réparer  sa  faute.  8.  Les  clercs  des  paroisses  doivent  témoigner 
respect  et  obéissance  à  leurs  supérieurs  (seniores);  sinon  les  senio- 
res  doivent  en  informer  l'évêque.  9.  Les  évêques  et  les  vicaires 
ne  doivent  pas  refuser  les  clercs  qui  leur  sont  présentés  par  les 
abbés,  les  comtes,  ou  par  d'autres  laïques,  si  ces  clercs  sont  réelle- 
ment dignes  ;  mais  on  ne  doit  confier  aucune  place  à  un  clerc 
sans  l'assentiment  de  l'évêque.  Les  supérieurs  ne  doivent  pas 
trop  exiger  de  leurs  clercs  et  ils  doivent  éviter  toute  espèce  de 
simonie.  10.  Aucun  évêque  ou  prêtre  ne  doit  excommunier  un 
fidèle  dont  la  faute  n'est  pas  prouvée,  et  sans  avoir  auparavant 
exhorté  le  coupable  à  s'amender.  11.  Les  comtes,  les  missi  et  les 
ministérielles  du  roi  doivent  exercer  la  justice.  12.  La  concorde  doit 
régner  entre  les  évêques,  les  abbés,  les  comtes,  les  serviteurs 
du  roi  et  tous  les  laïques.  13.  Les  évêques  doivent  défendre  les 
privilèges  concédés  à  leurs  églises  par  Rome  et  par  le  roi.  Dans 
les  quatre  numéros  suivants,  le  roi  Charles  résumait  ces  décrets 
afin    de  pouvoir  les  publier  *. 

Enfin,  on  compte  au  nombre  des  conciles  une  grande  diète 
tenue  à  Metz,  le  9  septembre  869,  dans  laquelle,  après  la  mort 
de  Lothaire  de  Lorraine,  Charles  le  Chauve  se  mit,  de  fait,  mais 
contre  tous  les  droits,  en  possession  de  l'héritage  de  son  neveu 
et  fut  solennellement  sacré  roi  de  Lorraine  par  Hincmar  deReims  2. 
Les  évêques,  même  ceux  de  Lorraine,  adhérèrent  à  cet  acte,  et 
Advence  de  Metz  se  fit  dans  cette  circonstance  l'interprète  de 
ses  collègues.  Dans  son  discours,  Hincmar  chercha  à  se  justifier  [383] 
d'avoir  exercé  des  fonctions  ecclésiastiques  dans  une  province 
étrangère  3.  Il  existait  depuis  longtemps,  dit-il  en  résumé,  une 
sorte  d'union  fraternelle  entre  les  métropoles  de  Reims  et  de 
Trêves  (dont  Metz  faisait  partie),  et  le  plus  ancien  des  deux 
métropolitains    avait    toujours    eu    le    pas    sur    l'autre.    Le   siège 

1.  Pertz,  op.  cit.,  t.  m,  Leg.,  t.  i,  p.509;  Mansi,  op.'cit.,  t.  xvii,Append.,  col.114. 

2.  Coll.  regia,  t.  xxin,  col.  777  ;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  1531-1535  ;  Har- 
douin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1211;  Coleti,  op.  cit.,  t.  x,  col.  1037  ;  Mansi,  op.  cit., 
t.  xvi,  col.  556  ;  Dùmmler,  Geschichte  des  ostjrànkischen  Reiches,  t.  h,  p.  282, 
315  ;  R.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine,  p.  171  ;  E.  Lesne,  La  hiérarchie  épisco- 
pale,  p.  270-271  ;  A.  Vermingkofï,  dans  Neues  Archiv,  1901,  t.  xxvi,  p.  642. 

3.  E   Lesne,  La  hiérarchie  épiscopale,  p.  100. 


486.     CONCILES     DE    VERBERIE,     DE     PISTRES,    ETC.  479 

de  Trêves  était  présentement  vacant,  aussi  était-il  d'autant  plus 
autorisé  à  exercer  ces  fonctions.  Les  autres  évêques  lui  don- 
nèrent leur  consentement.  Il  ajouta  que  le  roi  Clovis  avait  été 
baptisé  par  Rémi,  évêque  de  Reims,  et  oint  d'une  huile  venue 
du  ciel  et  dont  on  possédait  encore  une  partie  1.  Pendant 
qu'Hincmar  accomplissait  le  sacre  au  milieu  des  prières,  les  autres 
évêques  placèrent  la  couronne  de  Lorraine  sur  la  tête  de  Charles. 
Les  documents  originaux  fournissent  de  longs  détails  sur  toute 
cette  cérémonie  2  ;   mais  l'assemblée  ne  rendit  aucun   décret  sur 


1.  Pertz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  483,  Leg.,  i,  p.  512  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col. 
555  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v.  col.  1211  sq.  Cf.  Noorden,  op.  cit.,  p.  249  sq.,  253  ; 
Dûmmler,  Gesch.  des  ostfrànk.  Reichs,  t.  i,  p.  720.  [Ed.  de  Barthélémy,  La  sainte 
Ampoule,  dans  la  Revue  indépendante,  1866,  t.  iv,  p.  800-804;  Cavalli,  dans  Zacca- 
ria,  Raccolta  di  dissertazioni,  1795,  t.  xiv,  p.  148-170  ;  J.-J.  Chifïet,  De  ampulla 

Remensi  nova  et  accurata  disquisitio,  ad  dirimendam  litem  de  prserogativa  ordinis 
inter  reges  ;  ace.  parer gon  de  unctione  regum,  in-fol.,  Antwerpiae,  1651  ;  Lacatte- 
Joltrois,  Recherches  historiques  sur  la  sainte  Ampoule,  accompagnées  d'un  dessin 
lithographique  représentant  celte  précieuse  relique  telle  qu'elle  était  avant  sa  des- 
truction, in-8,  Reims,  1825  ;  J.  Hager  et  J.  G.  Speckner,  De  unctione  regum,  in-4, 
Wittembergœ,  1736;  L.  Ph.  Haller,  De  unctione  Remensi,  in-4,  Trajecti  ad  Rhe- 
num,  1722;  F.  Lacointa,  Du  sacre  des  rois  de  France,  de  son  origine  et  de  la  sainte 
Ampoule,  in-8,  Paris,  1825  ;  Lelong,  Bibl.  France,  1769,  t.  n,  n.  25979-25986  ; 
J.  Limmeus,  Notitia  regni  Francise,  1685,  t.  i  ;  H.  Moro,  De  sacris  unctionibus 
libri  très,  in  quibus  de  sacra  ampulla  et  Francorum  regum  consecratione,  in-8, 
Paris,  1593  ;  C.  G.  von  Murr,  Ueber  die  fabelhafte  sogenannte  heil.  Ampulla 
oder  Salbbl.  im  Reims,  welches  1794  zerlrochen  wurde,  in-8,  Nuremberg,  1801, 
cf.  Magasin  encyclopédique,  1803,  t.  xlix,  p.  275-276;  A.  A.  Pallavi,  cini,  Ra- 
gionamento  intorno  l'ampolla  del  crisma  avutesi  miracolosamenle  nel  ballesimo 
del  re  Clodoseo,  dans  Calogera  Raccolta  d'opuscoli,  1758,  t.  iv,  p.  171-203  ; 
Pluche,  Lettre  sur  la  sainte  Ampoule  et  sur  le  sacre  de  nos  rois  à  Reims,  in- 
12,  Paris,  1775  ;  Le  Tenner,  De  sacra  ampulla  Remensi  tractatus  apologelicus; 
ace.  respons.  ad  parer gum,  in-4,  Parisiis,  1652  ;  de  Vertot,  Dissertation  au  sujet 
de  la  sainte  Ampoule  conservée  à  Rheims  pour  le  sacre  de  nos  rois,  dans  les  Mém.  de 
l'Acad.  des  inscr.  et  belles-lettres,  1736,  t.  n,  p.  619-633;  t.  iv,  p.  350-369.  Outre 
cette  bibliographie  on  peut  consulter  les  nombreux  ouvrages  relatifs  au  sacre 
des  rois  de  France,  principalement  ceux  auxquels  donnèrent  occasion  les  sacres 
de  Louis  XVI  (1775)  et  de  Charles  X  (1825),  les  historiens  de  Reims  et  les  re- 
cueils académiques  de  cette  ville.  Le  récit  de  la  sainte  Ampoule,  tel  qu'Hincmar 
le  donne,  servait  trop  bien  les  intérêts  de  son  Église  et  de  son  parti  politique  pour 
qu'on  n'ait  pas  manqué  de  dire  que  la  légende  avait  été  inventée  par  lui.  Ni  Gré- 
goire de  Tours  ni  les  contemporains  de  Clovis  ne  font  mention  de  cet  épisode 
dont  le  caractère  miraculeux  a  suffi  pour  faire  nier  la  réalité.  Ces  jugements 
à  priori  n'ont  rien  de  commun  avec  l'histoire  impartiale.  (H.  L.) 

2.  H.  Schrœrs,  Hinkmar,  p.  307,  note  48.  (H.  L.) 


480  LIVRE    XXIÎI 

des  matières  ecclésiastiques.  Les  protestations  et  exhortations  du 
pape  Hadrien,  qui  voulait  assurer  le  royaume  de  Lothaire  à  l'empe- 
reur Louis  II,  frère  du  défunt,  arrivèrent  trop  tard  *. 

1.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  174;  H.  Schrœrs,  Hinkmar,  p.  306  ;  Ampère,  Histoire 
littéraire  de  la  France  sous  Charlemagne  et  durant  les  xe  et  xie  siècles,  p.  184.(H.L.) 


[384]  LIVRE    VINGT-QUATRIÈME 

LE  HUITIÈME   CONCILE  ŒCUMÉNIQUE  TENU  EN  869 


487.  Arrivée  des  légats  du  pape  à  Constantinople.  Actes 
du  VIII   concile  œcuménique. 

A  la  nouvelle  que  les  légats  du  pape,  Donat,  Etienne  et  Marin 
venaient  à  Constantinople  pour  y  faire  célébrer  le  nouveau  concile  1, 
l'empereur  Basile  le  Macédonien  envoya  à  leur  rencontre  jusqu'à 
Thessalonique  son  spathaire  Eustache,  pour  les  recevoir  et, 
les  accompagner  pendant  le  reste  du  voyage.  A  Sélymbria  2  eut 
lieu  leur  réception  officielle,  par  le  protospathaire  Sisinnios  et 
l'higoumène  Théognoste  que  nous  avons  vu  faire  à  Rome  un  séjour 
prolongé.  On  mit  à  leur  disposition  quarante  chevaux  des  écuries 
impériales,  de  la  vaisselle  plate  et  de  nombreux  serviteurs.  Le 
samedi  24  septembre,  ils  arrivèrent  à  Strongylon,  devant  la  porte 
ouest  de  Constantinople.  et  y  passèrent  la  nuit.  Le  lendemain  3 
ml  lieu  l'entrée  solennelle  dans  Constantinople  (par  la  porte  d'Or), 
parmi  les  employés  de  la  cour,  le  clergé  et  une  grande  foule  de 
peuple,  qui  les  accompagna  jusqu'à  leur  palais  de  Magnaure 
[domus  magna  aurea)  4.  L'anniversaire  de  la  naissance  de  l'empe- 
reur lonibanl  le  lundi  suivant  (26  septembre),  les  ambassadeurs 
ne  lurent  reçus  que  le  mardi  dans  le  Chrysotriclinium,  où  ils  remi- 


1.  L'ambassade  byzantine  et  les  légats  romains  firent  route  de  conserve  ; 
ils  partirent  de  Rome  aux  environs  du  10  juin  8G9.  (H.  L.) 

2.  Sélymbria  est  à  neuf  milles  géographiques  de  Constantinople. 

3.  Dans  la  Vita  Hadriani  11  qui  nous  sert  ici  de  guide,  on  lit,  il  est  vrai, 
XV  sept.  ;  mais  il  faut  lire  XXV,  car  en  869,  ce  n'est  pas  le  15,  mais  le  25, 
qui  tombait  un  dimanche, 

4.  A.  Vogt,  Basile  Ier  empereur  de  Byzance  et  la  civilisation  byzantine  à  la 
fin  ilu  ixe  siècle,  in-8,  Paris,  1908,  p.  217.  (II.  L.) 

CONCILES    -     IV         :'.  1 


482  LIVRE    XXIV 

rent  la  lettre  du  pape.  L'empereur  baisa  la  lettre,  s'entretint  [385] 
amicalement  avec  les  légats  de  la  santé  du  pape,  du  clergé  et  du 
sénat  romains,  embrassa  les  légats  et  les  fit  conduire  au  patriar- 
che Ignace,  pour  lequel  ils  avaient  aussi  une  lettre  apostolique  1. 
Le  lendemain  (27),  nouvelle  audience  de  l'empereur,  qui  parla 
en  ces  termes2:  «  Il  résulte  des  lettres  du  très  saint  seigneur 
et  pape  universel  Nicolas,  que  l'Eglise  romaine,  mère  de  toutes 
les  autres  Eglises,  s'est  occupée  avec  diligence  de  l'Église  de  Cons- 
tantinople,  déchirée  par  l'ambition  de  Photius.  C'est  pour  ces 
motifs  que,  depuis  déjà  deux  ans,  nous  et  tous  les  patriarches, 
métropolitains  et  éveques  orientaux  sollicitons  de  l'Église  romaine 
un  jugement  définitif  (Basile  était  en  effet  seul  souverain  depuis 
deux  ans)  ;  aussi  nous  prions  Dieu,  que  les  scandales  de  Photius 
soient  maintenant  réparés,  grâce  à  l'autorité  de  votre  saint  collège 
(le  concile),  et  que  l'unité  et  le  repos  longtemps  désirés  soient 
rétablis  conformément  aux  décrets  du  pape  Nicolas  3.  »  Les  légats 
répondirent  :  «  Nous  avons  en  effet  été  envoyés  dans  ce  but,  mais 
nous  ne  pouvons  admettre  aucun  Oriental  dans  le  concile,  s'il 
ne  signe  auparavant  le  Libellus  satisfactionis  apporté  de  Rome.  » 
L'empereur  et  le  patriarche  Ignace  dirent  alors  :  «  Ceci  est  nouveau, 

1.  Nous  devons  ces  détails  circonstanciés  au  Liber  pontificalis  composé,  pour 
cette  partie,  par  des  contemporains,  probablement  même  par  des  témoins 
oculaires.   (H.  L.) 

2.  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  181.  (H.  L.) 

3.  «  Il  y  a  dans  ces  mots  tout  le  programme  que  dut  se  tracer  Basile  au  début 
de  son  règne  et  qu'il  remplit  officiellement  jusqu'au  moment  où  l'affaire  des  Bul- 
gares et,  peut-être,  les  incitations  de  Photius  le  décidèrent  à  modifier  ouverte- 
ment la  conduite  qu'il  s'était  imposée,  jusqu'au  moment  aussi  où  il  s'aperçut 
que  les  ordres  donnés  par  Rome  aux  légats  étaient  en  complet  désaccord  avec 
sa  propre  manière  de  voir.  Il  serait,  en  effet,  assez  puéril  de  s'imaginer  avec  les 
latins  du  ixe  siècle  que  Basile  agit  dans  toute  cette  affaire  d'une  façon  absolu 
ment  désintéressée  et  ne  se  laissa  guider  que  par  des  motifs  d'ordre  purement 
religieux.  D'abord,  une  telle  conception  des  choses  ne  pouvait  entrer  dans  l'es- 
prit d'un  basileus  byzantin,  si  pieux  qu'il  fût.  Entre  Rome  et  Constantinople, 
il  y  avait  trop  de  rivalités  et  trop  de  méfiance  pour  qu'un  empereur  allât  s'hu- 
milier devant  un  pape  sans  regrets  et  sans  calculs  ;  Basile,  ensuite,  n'était 
pas  homme  à  sacrifier  ses  droits  et  ses  prérogatives  à  la  légère  et  par  scrupule 
religieux.  Bien  d'autres  idées  et  bien  d'autres  projets  hantaient  alors  son  esprit. 
Non,  en  réalité,  la  politique  ecclésiastique  de  Basile  lut  tout  autre  que  ne  le 
crurent  et  Hadrien  et  les  légats.  Officiellement  il  voulut  être  irréprochable, 
soumis  et  conciliant  durant,  tout  le  concile  :  niais  en  secret  il  agissait,  et  c'est  sur- 
tout par  la  conduite  et  la  parole  de  ses  délégués  que  nous  pouvons  saisir  sa  véri- 
table politique.  »  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  218.  (H.   L.) 


487.     ACTES     DU     HUITIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  483 

il  est  donc  nécessaire  de  lire  d'abord  ce  document.  »  Traduit  en 
grec  sur-le-champ  on  en  donna  lecture  devant  tous.  Les  uns  y 
souscrivirent  et  furent  admis  au  concile,  d'autres  s'y  refusèrent  ; 
mais  plus  tard  ils  se  ravisèrent  et,  après  avoir  signé,  furent  égale- 
ment admis. 

Nous  avons  tiré  ce  qui  précède  du  Liber  pontificalis  ;  pour 
ce  qui  suit  nous  nous  inspirons  des  actes  mêmes  du  VIIIe  concile 
œcuménique.  Nous  devons  ces  actes  à  Anastase,  dont  nous 
avons  déjà  parlé  ;  vers  cette  époque  en  effet,  il  fut  envoyé  avec 
d'autres  personnages  de  l'entourage  de  l'empereur  Louis  II  à  la 
cour  de  Byzance,  pour  y  conclure  les  fiançailles  d'une  liile  de 
Louis  II  avec  le  césar  Constantin,  iils  aîné  de  l'empereur  Basile, 
encore  enfant  1.  Il  fut  chargé  par  le  pape  Hadrien  de  traduire 
roon-É  en  latin  les  actes  du  concile  comme  il  traduisait,  depuis  des 
années,  les  documents  grecs  envoyés  à  Rome  et  en  particulier 
ceux  de  l'affaire  de  Photius.  Le  Bibliothécaire  put  donc  servir 
bien  des  lois  d'interprète  aux  légats  du  pape  à  Constantinople 
et  il  se  trouva  avec  eux  en  relations  très  intimes.  A  l'issue  du 
VIIIe  concile  œcuménique,  on  expédia  à  Rome,  par  l'intermé- 
diaire des  légats,  un  exemplaire  authentique  des  actes  du  con- 
cile, dont  Anastase  garda  une  copie  intégrale,  qui  nous  a  été 
conservée,  tandis  que  l'exemplaire  des  légats  avec  beaucoup 
d'autres  pièces  furent  volés  aux  envoyés  du  pape  à  leur  retour 
à  Rome.  Sur  l'ordre  d'Hadrien  II,  Anastase  fit  alors  une  tra- 
duction latine  de  ces  actes  synodaux  ;  il  assure  avoir  apporté 
le  plus  grand  soir,  traduisant  littéralement  sans  se  permettre 
d'autres  changements  que  ceux  qui  étaient  exigés  par  le  génie 
de  la  langue  et  sans  aucune  altération  du  sens.  «  Il  enrichit  son 
texte  de  notes  pour  le  rendre  plus  intelligible.  Certaines  lettres 
autrefois  envoyées  de  Rome  avaient  été  infidèlement  traduites 
en  grec  à  Constantinople,  faute  de  bons  interprètes.  11  a  cor- 
rigé plusieurs  de  ces  documents,  mais  faute  de  temps  il  en  a 
accepté  d'autres  sans  modifications.  Du  reste,  le  concile  n'avail 
décrété    que    ce    que    contenaient    sou     manuscrit    el    s;i     traduc- 


1.  Encore  enfant  n'est  pas  trop  dire.  Constantin  pouvait  être  né  aux  envi- 
rons de  859,  peut-être  un  peu  plus  tôt.  En  869,  les  légats  de  Louis  II  vinrent  trai- 
ter du  mariage  du  petit  prince  avec  Ermengarde.  A.  Gasquet,  L'empire  byzantin 
et  la  monarchie  franque,  in-8,  Paris,  1888,  p.  412  :  A.  Vogt,  Basile  Ier,  |>.  58. 
IH.L.j 


484  LIVRE    XXIV 

tion,  ni  plus  ni  moins.  C'est  là  ce  qu'ont  signé  et  scellé  les  repré- 
sentants des  patriarches  orientaux,  les  deux  empereurs  Basile  et 
son  fils  Constantin  1  et  tous  les  évoques.  Les  lettres  du  concile, 
de  l'empereur  et  du  patriarche  au  pape,  ajoutées  aux  actes  du 
concile  sont  également  authentiques,  il  faut  le  remarquer  parce  que 
les  grecs  ont  ajouté  aux  actes  du  VIIIe  concile,  comme  ils  l'a- 
vaient fait  pour  d'autres  conciles,  un  document  faux  relatif  à 
la  Bulgarie  (nous  reviendrons  plus  tard  sur  ce  point).  Quant  à 
lui,  ce  qu'il  donne  est  authentique  2.  » 

Outre  cette  traduction  latine  qui  comprend  tous  les  actes  du 
concile,  on  possède  encore  un  long  extrait  de  l'original  grec,  par 
un  anonyme;  le  jésuite  Matthieu  Raderl'a  publié  en  1604,  à  In- 
golstadt,  d'après  plusieurs  manuscrits  et  l'a  fait  suivre  d'une 
traduction  latine  3. 

L'extrait  grec  et  la  traduction  latine  d'Anastase  contiennent  L  J 
également,  mais  avec  des  proportions  différentes,  une  intro- 
duction rédigée  à  la  fin  du  concile  par  les  Grecs  et  placée  en 
tête  des  procès-verbaux  de  chaque  session  ;  en  voici  le  résumé  : 
Déjà  la  sainte  Ecriture  a  parlé  des  faux  prophètes,  des  loups  revêtus 
de  la  peau  des  brebis,  des  arbres  qui  ne  portent  pas  de  bons  fruits. 
Photius  est  un  de  ces  prophètes,  etc.,  mais  le  pape  Nicolas,  ce  nou- 

1.  Ce  jeune  prince,  qui  donnait  de  grandes  espérances,  avait  été  associé  à 
l'empire  par  son  père  Basile  aux  environs  de  870  ;  son  nom  figure,  avec  celui 
de  Basile,  en  tête  du  Prochiron.  Constantin  mourut  vers  la  fin  de  l'année  879. 
(H.  L.) 

2.  Anastase,  Préface  au  VIIIe  concile  ;  Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  755  ; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xvi,  col.  8  sq.  ;  ce  même  document  a  été  réimprimé 
dans  P.  L.,  t.  cxxix.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  1-16,  préface  d'Anastase  au 
VIIIe  concile;  col.  16-207,  traduction  intégrale  des  actes;  col.  308-420,  abrégé 
grec.  (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1025  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  307  sq. 
C'est  s'abuser  que  de  voir,  avec  Walch,  Ketzerhist.,  t.  x,  p.  816,  'dans  cet  ex- 
trait grec  le  texte  original  et  d'en  conclure  que  le  texte  d'Anastase  est  interpolé. 
Il  est  facile  de  se  convaincre,  par  une  multitude  de  passages,  que  le  texte  grec 
n'est  qu'un  extrait.  Que  l'on  compare,  par  exemple,  le  décret  impérial  lu  dans  la 
première  session,  tel  qu'il  est  donné  par  Anastase,  avec  les  quelques  lignes  de 
l'extrait  grec.  Il  en  est  de  même  pour  la  lettre  du  pape  Hadrien  lue  dans  cette 
même  session.  Les  discours  et  répliques  des  membres  du  concile  tels  qu'ils  se 
trouvent  dans  le  texte  grec,  sont  plus  que  laconiques.  Jos.  Simon  Assémani, 
Biblioth.  juris  orient.,  t.  i,  col.  261  sq.  On  trouve  également  dans  Assémani, 
op.  cit.,  col.  259-323,  une  édition  complète  de  tous  les  documents  ayant  trait 
aux  discussions  de  Photius,  et  contenus  dans  le  manuscrit  du  Vatican,  Ottoboni. 


487.     ACTES     DU     HUITIÈME     CONCILE     ŒCUMÉNIQUE  '180 

vel  Élie,  l'a  vaincu,  et  tué  le  loup,  abattu  l'arbre  stérile  ;  l'em- 
pereur Basile  a  coopéré  à  cette  œuvre,  il  a  convoqué  le  présent 
concile  général  et  mis  en  pratique  les  décisions  du  Saint-Esprit 
(ces  décisions  sont  ici  en  abrégé).  Photius,  ainsi  nommé  par 
antiphrase  (Photius  signifie  «  homme  de  lumière  »),  a  été  déposé, 
avec  tous  ceux  qu'il  avait  ordonnés.  De  ces  derniers  ceux  qui 
avaient  déjà  rompu  avec  leur  consécrateur,  ont  simplement 
perdu  leurs  charges;  les  autres  ont  été  de  plus  exclus  de  la  com- 
munion de  l'Eglise.  Le  même  sort  a  frappé  les  iconomaques, 
et  Ignace  a  été  réintégré  sur  son  siège  1. 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  763,  1025  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  16,  307. 
Au  sujet  des  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique,  cf.  Hergenrôther,  Photius,  t.  11, 
p.  63.  sq.  ;  Fr.  Turrianus,Z)e  actis  verissextse  synodi  deque  canonibus  qui  ejusdem 
sextse  synodi  falso  esse  feruntur.  et  de  septima  atque  multiplici  octava...  liber,  in-4, 
Florentise,  1551  ;  M.  Raderus,  Acta  sacrosancti  et  œcumenici  concilii  oclavi, 
Constantinopoli  quarti,  nunc  primum  ex  manuscriptis  codicibus  illuslr.  biblioth. 
Maximil.  Boior.  et  Augusl.  Vindelic.  grsece  cum  latina  interpretatione  édita  notis- 
que  passim  illustrata,  in-4,  Ingolstadii,  1604;  Binius,  Concilia,  1618,  t.  ni,  col.  830- 
831,  852-919  ;  Coll.  regia,  t.  xxiii,  col.  118  ;  Léo  Allatius,  De  octava  synodo  Pho- 
tiana,  ace.  J.  H.  Hottingueri  de  Ecclesise  Orient,  atque  Occident,  tam  in  dogmate 
quam  in  rilibus  dissensu  et  Juv.  Almensis...  refutatio,  in-8,  Romse,  1662;  Haukins, 
Byzant.  rer.  script.,  167'/,  p.  396-397;  Labbe,  Concilia,  t.  vin,  col.  961-1526  ; 
Hardouin,  Coll.  concil.,  t.  v,  col.  749;  Coleti,  Concilia,  t.  x,  col.  471  ;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xvi,  col.  1  sq.  ;  Alexander,  Hist.  eccles.,  in-fol.,  Venetiis, 
1778,  t.  vi,  p.  326-359  ;  Damberger,  Synchron.  Geschichte,  1851,  t.  ni,  p.  537- 
879;  Krit.,  p.  237-399;  Nicolas  Ier,  Epistolae  et  décréta,  P.  L.,  t.  exix,  col.  771  sq  ; 
Hadrien  II,  Epistolœ  et  décréta,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1276  sq.  ;  Anastase  le  Biblio- 
thécaire, Pnefatio  et  Interprétatif  synodi  VIII  generalis,  P.  L.,  t.  cxxix.col.  9-195  ; 
Nicetas  David,  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  487-575;  Liber  pontificalis,  in-4, 
Paris,  1884,  t.  11,  Vita  Hadriani  II  ;  Baronius,  Annales  ecclesiastici,  édit.  Mansi, 
Lucques,  ad  ann.  869  ,  n.  1-92,  t.  xv,  p.  161-191  ;  L.  Thomassin,  Ancienne  et 
nouvelle  discipline  de  V Église,  part.  I,  1.  I,  c.  xiii,  n.  7  ;  part.  II,  1.  II,  c.  1,  11, 
xxvi,  in-4,  Barri-Ducis,  1864,  t.  1,  p.  83;  t.  iv,  p.  194,199,303;  Assemani,  Biblio- 
theca  juris  orienlalis,  t.  1,  p.  261  ;  P.  Jafïé,  Regest.  pont,  rom.,  n.  2205  ;  Jager, 
Photius,  p.  157-218;  Hergenrôther,  Photius,  Patriarch  von  Constantinopel, 
in-8,  Ratisbonne,  1867,  t.  11,  p.  7-166;  M.  Jugie,  IVe concile  de  Conslantinople, 
dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique,  t.  m,  col.  1273-1307;  A.  Vogt,  BasileIeT 
empereur  de  Byzance  et  lu  civilisation  byzantine  à  la  fin  du  ixe  siècle,  1908.  p.  218- 
230. 

On  trouve  dans  Hergenrôther,  op.  cil.,  t.  n,  p.  65-70,  une  étude  attentive  de 
l'abrégé  grec  des  actes.  D'après  lui  toutes  les  omissions  qu'on  relève  dans  ce  texte 
peuvent  s'expliquer  par  la  préoccupation  de  ne  donner  que  l'essentiel  des  actes 
du  concile  ;  rien  ne  prouve  la  volonté  de  causer  quelque  préjudice  au  siège  de 
Rome.   L'omission   de  quelques  passages  particulièrement   explicites  en  faveur 


486  LIVRE    XXIV 


488.  Première  session  du  VIIIe  concile  œcuménique. 

Tous    les    préparatifs    terminés,    le    concile    fut  solennellement 
ouvert,  le  5  octobre  869,  dans  l'église  Sainte-Sophie  1.  Les  membres  [388] 
prirent  place  sur  le  côté  droit  de  ce  qu'on  appelait    les  catéchu- 
ménies  2  ;  pour  rehausser  la  solennité,  on  plaça  au  milieu  de  l'as- 


de  la  primauté  romaine  ne  peut  être  attribuée  à  un  sentiment  d'hostilité,  puis- 
que d'autres  passages  non  moins  favorables  à  cette  primauté  ont  été  mainte- 
nus. L'auteur  de  l'abrégé  n'est  pas  connu.  Tandis  que  Assémaui,  Bibliolheca 
juris  orientalis,  t.  i,  p.  308-310,  323-325,  et  Le  Quien,  Panoplia,  p.  169,  proposent 
Nicetas  David  biographe  de  saint  Ignace,  Hergenrôther,  Photius,  t.  n,  p.  73-75, 
propose  Théophane  Phrénodémon,  que  Photius  nomma  évêque  de  Césarée 
lors  de  son  second  patriarcat.  En  réalité,  on  n'en  sait  rien.  L'abréviateur  est 
aussi  un  compilateur,  car  les  manuscrits  qui  contiennent  les  extraits  des  actes 
renferment  d'autres  documents  se  rapportant  plus  ou  moins  directement  au 
concile  lui-même.  On  les  trouve  dans  la  Conc.  ampliss.colL,  t.  xvi  :  1°  Vie  d'Ignace 
par  Nicetas  David,  col.  209-292.  —  2°  Éloge  d'Ignace  par  le  syncelle  Michel, 
composé  peu  de  temps  après  la  mort  du  patriarche,  col.  292-294.  — 3°  Extraits 
de  trois  lettres  du  pape  Nicolas,  adressées  l'une  à  tous  les  patriarches,  archevê- 
ques et  évêques,  leur  faisant  connaître  les  décisions  du  synode  romain  de863con" 
tre  Photius  et  Rodoald,  l'autre  à  Ignace  en  866,  et  la  troisième  aux  sénateurs, 
également  en  866,  col.  295-308.  — ■  4°  La  lettre  d'Epiphane  de  Chypre  à  Ignace 
après  sa  réintégration,  col.  307-308.  —  5°  la  lettre  du  pape  Etienne  V  à  Basile 
col.  240-246.  -  6°  La  lettre  de  Stylien  de  Néoeésarée  à  Etienne  V,  col.  426-436* 
—  7°  L'encyclique  d'Etienne  V  au  clergé  du  monde  entier,  col.  436-432.  —  8° 
Une  autre  lettre  de  Stylien  à  Etienne  V  (885-890),  col.  438-440.  —  9°  Réponse 
du  pape  Formose  à  Stylien,  col.  440-442.  —  10°  Relations  des  parjures  commis  par 
les  évêques  grecs  pendant  la  querelle  photienne,  col.  442-446.  —  11°  Extraits 
de  la  synodique  de  Nicolas  Ier  (865)  et  de  celle  d'Hadrien  11(869),  col.  446-450.  — 
12°  Résumé  du  VIIIe  concile  suivi  de  quelques  réflexions  du  compilateur» 
col.  450-458.  (H.  L.) 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  16  sq.,  310  sq.;  Hardouio,  op.  cit.,  t.  v,  col.  763  sq., 
1026  sq.La  traduction  latine  d'Anastase  donne,  à  tort, comme  date  chronologique  le 
troisième  consulat  de  Constantin.  En  869,  l'empereur  Basile  le  Macédonien  était, 
il  est  vrai,  consul  pour  la  troisième  fois,  mais  son  fils  Constantin  ne  l'était  que  pour 
la  seconde,  ainsi  qu'Anastase  le  dit  avec  raison  au  sujet,  des  autres  sessions.  L'ex- 
trait grec  est  aussi  dans  le  vrai  sur  ce  point.  Cf.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  869,  n.  5. 

2.  On  entendait  par  catéchuménies  les  galeries  supérieures  où  se  plaçaient  les 
femmes  pour  entendre  les  prières  et  les  chants;  c'était  là  aussi  qu'on  instruisait 
les  catéchumènes.  Cf.  Du  Gange,  Constantinopolis  christiana,  I.  III,  §  38,  p.  22. 
Les  actes  n'indiquent  pas  le  local  où  s'est  tenue  la  première  session  ;  pour  les 
autres  ils  se  contentent  d'indiquer     le  côté  droit  de  l'église  de  Sainte-Sophie;  » 


488.    PREMIÈRE     SESSION     DU     HUITIEME     CONCILE  487 

semblée,  les  saints  Évangiles  el  la  vraie  croix  de  Nuire-  Seigneur. 
Parmi  les  Pères  venaient  d'abord  les  trois  légats  du  pape,  Douai 
d'Ostie,  Etienne  de  Népi  et  le  diacre  Marin;  puis  Ignace,  patriar- 
che de  Constantinople,  Thomas,  archevêque  de  Tyr,  représentant 
du  patriarcal  d'Antioche,  alors  vacant,  e1  le  prêtre  et  syncelle 
Elie,  représentant  de  Théodose  patriarche  de  Jérusalem  ;  venaient 
ensuite  douze  patrices3  et  employés  représentant  le  sénal  impé- 
rial 2.  Ce  nombre  douze  résulte  des  données  fournies  par  l'extrait 
grec  et  par  la  traduction  latine. 

Lorsque  tous  furent  réunis,  on  introduisit,  à  la  demande  des 
légats  du  pape  cl  des  vicaires  orientaux,  les  évêques  persécutés  pour 
leur  fidélité  à  Ignace  ;  eux  seuls  furent  d'abord  tenus  pour  membres 
légitimes  du  concile,  car  les  partisans  de  Photius  devaient  signer 
le  Libellus  satisfactionis  pour  pouvoir  être  admis3.  On  comptait 
d'abord  parmi  ces  évêques  restés  fidèles  à  la  cause  du  droit 
cinq  métropolitains  :  Nicéphore  d'Amasie,  Jean  de  Syllseum, 
Nicétas  d'Athènes.  Métrophanès  de  Smyrne  4.  Michel  de  Rho- 
des ;  puis  sept  évêques  :  Georges  d' Héliopolis,  Pierre  de  Troas, 
Xicétas  de  Céfalù  en  Sicile,  Anastase  (Athanase)  de  Magnésie, 
Nicéphore  de  Crotone,  Antoine  d'Alision  cl  Michel  de  Corcyre. 
Quand  tous  eurent  pris  place  suivant  leur  rang  d'ordination, 
le  patrice  Baanès,  qui,  en  qualité  de  procureur  impérial,  dirigeait 
les  travaux  du  concile,  fit  lire  avec  l'assentiment  des  légats, 
par  le  secrétaire  Théodore,  un  message  impérial,  Epanagnos- 
ticon.    L'empereur    Basile    y   affirmait    d'abord  son  zèle    pour    la 


mais  toutes  les  sessions  se  sont  certainement  tenues  au  même  endroit,  c'est- 
à-dire  au  côté  droit  des  catéchuménies  de  l'église  Sainte-Sophie.  Voir  Dic- 
tionn.d' archéol.  chrét.,  au  mot  Byzance.  (H.  L.) 

1.  Ces  patrices  avaient  à  leur  tête  Baanès.  (H.  L.) 

2.  Voir  §  188. 

3.  Le  Libellus  satisfactionis,  sous  son  air  bénin,  avait  plus  d'importance  qu'il 
n'en  laissait  paraître;  il  confirmait  la  déposition  de  Photius,  condamnait  les  conci- 
liabules tenus  contre  Ignace  et  Nicolas  Ier  et,  surtout/établissait  la  prépondérance 
du  pape.  Basile,  qui  avait  l'œil  ouvert  sur  tout  empiétement,  fut  mis  en  éveil 
et  demanda  quelques  explications  sur  cette  «  nouveauté  »  (Liber  pontifîcalis, 
t.  ii,  p.  181)  ;  il  exigea  que  le  Libellus  fût  traduit  en  grec.  On  pouvait  s'attendre 
à  ce  qu'il  en  fît  édulcorer  un  peu  la  teneur,  mais  il  n'en  fit  rien  ;  sans  doute,  il 
jugea  que  cette  paperasse  irait  s'engloutir  parmi  tant  d'autres  actes  et  que  lui, 
empereur,  trouverait  bien  le  moyen  de  faire  prévaloir  sa  volonté  à  la  commission 
de  laïques  introduite  dans  le  concile.  (H.  L.) 

4.  Voir  §  464. 


488  LIVRE     XXIV 

restauration  do  Tordre  dans  l'Église  ;  il  exhortait  les  Pères  à  s'en- 
tendre, à  écarter  toute  haine  et  toute  partialité,  ce  qui,  disait-il, 
lui  tenait,  fort  à  cœur  1.  Tous  les  membres  présents  approuve-  [389] 
rent  cet  écrit  ;  mais  lorsque,  au  nom  du  sénat  et  des  évêques 
grecs  présents,  Baanès  réclama  des  légats  romains  et  des  vicai- 
res des  Orientaux,  lecture  de  leurs  lettres  de  créance,  les  légats 
protestèrent,  alléguant  qu'on  n'avait  jamais  agi  ainsi  à  l'égard 
des  représentants  de  Rome;  ils  se  calmèrent  néanmoins,  lors- 
qu'on leur  représenta  que  ce  n'était  pas  une  mesure  de  défiance 
à  l'égard  du  Siège  apostolique,  mais  que  Rodoald  et  Zacharie 
avaient  agi  autrefois  en  contradiction  avec  leurs  instructions. 
Le  diacre  romain  Marin  lut  alors  en  latin  la  lettre  du  pape 
apportée  par  les  légats  à  l'empereur  Basile,  et  le  chapelain  de 
la  cour  et  interprète,  Damien,  en  donna  une  traduction  grec- 
que 2.  Cette  lecture  terminée,  Ignace  et  tous  les  assistants  s'écriè- 
rent :  «  Dieu  soit  loué,  qui  a  pris  soin  de  nous  par  l'intermé- 
diaire de  Votre  Sainteté.  »  Élie,  représentant  du  patriarche 
de  Jérusalem,  déclara  alors  que  son  collègue  Thomas,  archevêque 
de  Tyr.  n'avait  aucun  document  établissant  ses  pleins  pouvoirs, 
le  siège  d'Antioche  étant  vacant  et  lui-même  administrateur  du 
patriarcat.  Il  faisait  cette  déclaration  parce  que  Thomas  ne  s'ex- 
primait pas  facilement  en  grec.  Lui-même  (Elie)  était  muni  d'une 
lettre  de  son  patriarche  Théodose,  dont  il  demandait  la  lecture 
ainsi  que  de  son  vote  écrit  sur  les  questions  pendantes,  vote  pré- 
paré sur  l'ordre  de  l'empereur,  dans  le  cas  où  il  aurait  dû  rentrer 
chez  lui  sans  attendre  l'arrivée  des  légats.  On  lut  ensuite  la 
lettre  du  patriarche  Théoclose  de  Jérusalem  à  Ignace,  «  patriar- 
che œcuménique  »,  réponse  à  la  lettre  par  laquelle  celui-ci 
annonçait  à  son  collègue  sa  réintégration  et  l'invitait  au  con- 
cile.  Théodose  y  exprimait  sa  joie  de  la  réintégration  d'Ignace, 
dont  il  déplorait  interminablement  les  malheurs.  Il  n'avait 
pu  lui  écrire  plus  lui  pour  ne  pas  éveiller  les  soupçons  des  Sarra- 
sins, sous  la  puissance  desquels  il  se  trouvait.  Cependant,  sur 
l'ordre  de   son  émir  3,   et   conformément  à  la   demande  (de  l'em-  [390] 


1.  Mansi,  «/<.  <i/..  i.  xvi,  roi.  l'.l.  (H.  L.) 

■2.   Voir  $  i85;  Mansi,  op.  cil.,  i.  xvi,  col.  l'.l.  (H.  L.) 

::.    V.\\  effet,  l'empereur  Basile,   au    rapport    de    Nicolas  dans  sa  Vita  Ignatii 
avait   gagné    à   sa  cause,    par   des   lettres   et   par   des    présents,   le    gouverneur 
sarrasin  de  la  Syrie,  Achmed  do  Tulunido,  qui  gouvernait  également  l'Egypte,  et 


'i8S.     PREMIÈRE     SESSION     DU     HUITIEME     CONCILE  489 

pereur  et  d'Ignace),  il  envoyai!  son  syncelle  et  représentant  Élie 
prendre  part  aux  délibérations  prochaines.  Le  prince  des  Sarra- 
sins (Achmed)  avait  adjoint  à  Élie.  Thomas,  archevêque  de  Tyr, 
administrateur  du  siège  d'Antioche,  dont  les  Byzantins  avaient 
souhaité  la  présence  à  Constantin  ople.  Le  prétexle  invoqué  était 
la  délivrance  des  Sarrasins  détenus  chez  les  Byzantins  1.  On  solli- 
citait l'entremise  d'Ignace  pour  obtenir  de  l'empereur  la  déli- 
vrance des  prisonniers,  sinon  la  situation  des  chrétiens  en  Orienl 
deviendrait  très  critique.  Dans  la  conviction  qu'il  déploierait  le 
plus  grand  zèle  dans  cette  affaire,  Théodose  lui  envoyait  la 
tunique,  l'humerai,  la  mitre  et  l'étole  de  l'apôtre  saint  Jacques, 
premier  évêque  de  Jérusalem,  et  un  calice  d'argent  ciselé  tiré  du 
trésor  de  l'église  du  Saint-Sépulcre. 

A  la  demande  des  légats  du  pape,  on  lui  alors  en  latin  et  en 
grec  le  Libellus  satisfactionis,  que  tous  les  anciens  partisans  de 
Photius  avaient  dû  signer  ;  ce  libellus  était  ainsi  conçu  :  «  La 
foi  n'a  jamais  été  altérée  dans  l'Eglise  romaine.  Nous  y  adhé- 
rons, suivant  en  tout  les  décisions  des  Pères  et  en  particulier 
des  papes;  nous  anathématisons  tous  les  hérétiques,  y  com- 
pris les  iconomaques  et  Photius...  et  nous  adhérons  au  saint 
concile  que  le  pape  Nicolas,  de  pieuse  mémoire,  a  tenu  au  tombeau 
des  apôtres  Pierre  et  Paul,  et  que  toi  aussi,  évêque  suprême, 
Hadrien,  tu  as  signé.  Nous  adhérons  aussi  au  récent  concile, 
nous  condamnons  ce  qu'il  condamne,  c'est-à-dire  Photius,  Gré- 
goire de  Syracuse  et  leurs  partisans  obstinés  dans  le  schisme 
et  restés  en  communion  avec  lui.  Nous  frappons  d'un  anathème 
éternel  les  détestables  conventicules  (conciliabules)  tenus  sous 
l'empereur  Michel,  à  deux  reprises  contre  Ignace  et  une  fois  contre 
le  primat  du  Siège  apostolique  ;  nous  anathématisons  également 
tous  ceux  qui  ont  défendu  les  conclusions  de  ce  concile,  qui  en 
cachent  les  actes  et  ne  les  brûlent  pas.  Quant  à  Ignace  et  à  ses 
partisans,  nous  nous  conformons  absolument  à  ce  qui  a  été  décidé 
par  le  Siège  apostolique,  et  les  noms  de  tous  ceux  qui  ne  sont  pas 
d'accord  avec  ce  Siège  seront  omis  au  service  divin  2.  » 

qui,  dans  son  ardent  désir  de  se  rendre  indépendant  des  khalifes,  comptait  bien 
mettre  à  profit  l'amitié  de  l'empereur  de  Byzance. 

1.  Il  était  nécessaire  de  recourir  à  un  pareil  prétexte,  sinon  pour  les  kha- 
lifes, du  moins  pour  les  soldais  et  le  peuple  sarrasin  qui  étaient  animés  d'un 
violent  fanatisme. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  27  sq.,  315  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  773  sq., 


490  LIVRE     XXIV 

Sur  la  demande  de  Baanès,  tout  le  concile  approuva  ce  document  rqg/i  t 
déclaré  juste  et  acceptable.  Anastase  remarque  à  ce  sujet,  dans  sa 
traduction  des  actes   du  concile,  qu'après   que  tous  les   évoques, 
prêtres  et   laïques    eurent    signé   le    Libellus,  quelques-uns  repro- 
chèrent  à  l'empereur   d'y   avoir  souscrit   par  une  démarche   qui, 
disaient-ils,  plaçait  l'Eglise  de  Constantinople  sous  la  dépendance 
de   l'Église    de    Rome  1.    L'empereur   impressionné    lit   soustraire 
par  leurs  serviteurs  grecs  tous  les  exemplaires  du  Libellus  satis- 
factionis  qui  se  trouvaient  dans  les  mains   des  légats,    et    y  réussit 
en   partie2.    Lorsque   les   légats   s'en   aperçurent,   ils    adressèrent 
leurs  plaintes  à  l'empereur,  avec  cette  déclaration    :   «  Il  nous  est 
défendu,  sire,  de  revenir  à   Rome  sans  ces    libelli;    de    ton    côté, 
tu  ne  retireras  aucun  profit  de  ce  qui  s'est  déjà  fait  pour  la  restau- 
ration de  l'ordre  dans  l'Église  »  (c'est-à-dire    que    nous    devons 
déclarer  sans  valeur  tout  ce  qui  s'est  fait  jusqu'ici).  Les  ambassa- 
deurs venus  à  Constantinople  à  l'occasion  du  projet  de  mariage 
entre  Ermengarde  et  le  jeune  empereur  Constantin,  firent  à  Basile 
les  plus  sérieuses  remontrances  ;  ils  lui  représentèrent   «  qu'il  ne 
convenait   pas  à  la   dignité  impériale   d'abroger  une   ordonnance 
rendue,  et  surtout  de  s'y  prendre  de  cette  manière.  Si  l'empereur 
regrettait   son   adhésion   au    libellus,   il   n'avait    qu'à   le  déclarer 
ouvertement  ;  sinon,  il  ne  devait  pas  faire  ainsi  enlever  les  exem- 
plaires. Si  tout  s'était  fait  sans  son  ordre,  le  meilleur  moyen  de  le 
prouver    était   d'ordonner   la   restitution   des   exemplaires.  »   Ces 
conseils  furent    suivis    et    les    légats    confièrent    les    manuscrits 
restitués    à   Anastase,    qui  les   apporta   heureusement   à    Rome. 
A  leur  retour  les  légats  furent  complètement  dépouillés  par  des 
pirates   entre   Dyrrachium  et  Aucune,  et  on  leur  enleva  tous  leurs 
papiers. 

Dans  la  première  session    encore,   on  lut  la  déclaration  annon- 

1030.  V.  Hergenrôther,  Photius,  t.  n,  p.  78    sq.,    qui    a    reproduit  en   regard  le 
texte  latin  et  le  texte  grec  de  ce  document. 

1.  Le  biographe  du  pape  Hadrien,  P.  L..  t.  r.xxvm,  toi.  1391,  a  mal  compris 
ce  passage  ;  d'après  lui  on  aurait  représenta  à  l'empereur  que  la  manière  dont 
les  légats  avaient  signé  les  actes  synodaux,  c'est-à-dire  la  clause  usque  ad 
volunlatem,  etc.,  qu'ils  avaient  ajoutée  à  leurs  signatures  (ils  voulaient  dire  que 
ces  documents  ne  conserveraient  de  la  valeur  qu'aussi  longtemps  que  le  pape  le 
voudrait),  tenait  en  suspens  toute  l'œuvre  de  conciliation  pour  l'Eglise  grecque 
et  pouvait  la  détruire  d'un  moment  à  l'autre. 

2.  Voir  §  492,  p.  514,  note  4,  une  conjecture  très  vraisemblable  de  M.  Vogt  sur 
l'époque  à  laquelle  se  rapporte  cette  indélicatesse.  (H.  L.) 


488.    PREMIÈRE    SESSION     DU     HUITIEME    CONCILE  49i 

cée   par   Élie,  rédigée    par  lui  et  son   collègue  Thomas.  Il  y  était 
[392]   dit  que  les  deux  vicaires  de  l'Orient  étaient  venus  à  Constantino- 
ple,  sur  le  désir  de  l'empereur,  pour   travailler   au  rétablissement 
de  l'ordre  dans  cette   Kglise.    «   On  attend  impatiemment  l'arrivée 
des  légats  du  pape  (on  a  vu   (pic  le  document  était  composé  déjà 
depuis  longtemps)    ;  ils    ne   peuvent   sans    imprudence   prolonger 
à    Constantinople   un  séjour  qui   pourrait     éveiller    les  soupçons 
des    Sarrasins.     Ils     n'ont      pas      besoin     d'attendre      les     légats 
romains,  car  ils  possèdent  les  décisions  du  pape  Nicolas  et  la  lettre 
d'Hadrien,    e1    ils   y   adhérent   entièrement.    »   Acceptant    les    six 
capitula    du    concile    romain    de  863,  ils   les   renouvelaient   dans 
les   six   capitula  suivants  :   «  1.    Ignace   est    patriarche  légitime.  2. 
Tous   ceux  qui  ont   été  chassés    à  cause  de  leur  attachement  pour 
lui   doivent    être  réintégrés.   3.   Les   clercs  ordonnés    par  Méthode 
et  Ignace  et  passés  au  parti  de  Photius,  mais  rentrés  dans  l'Eglise 
lors  de  la  déposition  de  Photius,  ne    doivent   pas    être  excommu- 
niés,  mais  punis  selon  le  degré  de  leurs  fautes,   suivant  la  déci- 
sion du  pape  Nicolas.  Photius,  Grégoire  de  Syracuse,  et  ceux  qui 
ont   été   ordonnés   par   Photius,   sont   condamnés   définitivement; 
le  soin  de  punir  les  autres  est  laissé  à   Ignace.  4.   Photius  est  à 
tout  jamais  dégradé  du  sacerdoce,  et  ne  sera  même  plus  admis 
à  la  communion  laïque,  s'il  ne  se  soumet  à  notre  jugement    et  à 
celui  du   pape.   5.    Grégoire   de   Syracuse  est  de   même   déposé   et 
condamne.    Ceux    qui    ont    été     consacrés     par     Photius     perdent 
leurs  dignités,  ainsi  que  l'a  décidé  le  pape  Nicolas.  6.  Si  quelqu'un 
résiste  à  ces  décisions,  qu'il  soit  anathème.  » 

Interpellés  par  les  légats  du  pape,  les  deux  vicaires  orientaux 
assurèrent  que  le  document  était  bien  leur  œuvre  à  eux,  et 
le  concile  l'approuva.  Mais  Baanès  demanda  aux  légats,  au 
nom  du  sénat,  d'expliquer  comment  on  avait  pu  condamner,  à 
Rome,  Photius    absent  1.  Les   légats  répondirent  que.    si    Photius 


1.  Les  débats  qui  eurent  lieu  lors  île  la  ive  session  font  mieux  comprendre  la 
nature  de  l'objection  soulevée  par  les  commissaires  impériaux.  Hefele  ne  paraît 
pas  avoir  remarqué,  comme  l'a  fait  M.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  219,  cette  secrète  et 
persistante  action  de  l'empereur  qui,  à  trois  reprises  ,  dans  cette  première  session, 
mettait  les  Romains  dans  le  cas  de  fournir  des  explications.  La  première  fois  il 
leur  avait  fallu  expliquer  la  «  nouveauté  »  du  Libellas  ;  la  deuxième  fois  on  leur  avait 
réclamé  communication  publique  de  leurs  pouvoirs;  la  troisième  fois,  la  bles- 
sure était  plus  habile,  elle  visait  la  procédure  romaine  à  l'égard  de  Pho- 
tius.   Cette  lois  Basile   se   découvrait   et   revendiquait   la  défense   de   son    sujet 


402  LIVRE    XXIV 

n'était  pas  venu  à  Rome  en  personne,  il  y  avait  défendu  sa 
cause  par  ses  écrits  et  ses  fondés  de  pouvoir,  et  ils  racontè- 
rent brièvement  toute  cette  affaire:  «Après  l'expulsion  d'Igna- 
ce, le  ministre  impérial,  Arsaber,  avec  quatre  évoques  et  une 
lettre  de  l'empereur,  était  venu  trouver  le  pape  Nicolas  qui 
avait  consenti  à  envoyer  Rodoald  et  Zacharie,  en  qualité  de  légats  [393] 
à  Constantinople.  Mais  ces  légats  avaient  eu  la  faiblesse  de  par- 
ticiper à  un  nouveau  brigandage,  à  la  suite  duquel  l'empereur 
avait  envoyé  à  Rome  son  secrétaire  Léon  porteur  des  lettres  impé- 
riales et  de  celles  de  Photius  ;  le  pape,  ayant  découvert  toute 
la  supercherie,  avait  convoqué  un  concile,  dans  lequel  Photius 
et  son  conciliabule  avaient  été  condamnés  et  les  légats  punis  (tout 
s'était  donc  passé  de  la  manière  la  plus  régulière).  »  Baanès  deman- 
da ensuite  aux  vicaires  orientaux  pourquoi,  pendant  leur  long 
séjour  à  Constantinople  et  tandis  qu'ils  étaient  si  près  de  Photius, 
ils  ne  l'avaient  pas  invité,  mais  s'étaient  bornés  à  le  condamner. 
Elie  répondit  aussitôt  au  nom  de  ses  collègues  :  «  Photius  n'a 
jamais  été  reconnu  évêque  légitime  pas  plus  par  le  pape  que  par 
les  patriarches  d'Alexandrie,  d'Antioche  et  de  Jérusalem  ;  tous 
les  patriarches  ont  constamment  regardé  Ignace  comme  le  véri- 
table évêque  de  Constantinople.  Or,  on  n'est  tenu  de  convoquer 
l'accusé  en  personne  avant  le  jugement  que  lorsqu'il  s'agit  d'un 
évêque  légitime.  On  conna  ssait  du  reste,  sinon,  par  Photius  du 
moins  par  ses  amis,  son  système  de  défense  qui  était  sans  valeur- 
Photius  avait  donné  lui-même  la  preuve  qu'il  n'avait  jamais 
été  reconnu  par  les  patriarches  orientaux,  en  demandant  à  Tho- 
mas, évêque  de  Tyr,  à  son  arrivée  à  Constantinople,  de  le  faire 
reconnaître  par  l'Eglise  d'Antioche.  »  Les  commissaires  im- 
périaux n'insistèrent  pas  et,  vu  l'heure  avancée,  les  légats,  inter- 
rogés   par    Baanès,    ne    voulurent    pas    laisser    soulever    d'autres 

Photius  contre  une  sentence  qu'on  pouvait  soupçonner  de  précipitation,  sinon 
d'injustice.  Photius  avait  été  condamné  à  Rome  sans  être  entendu  ;  ce 
n'était  pas  la  première  fois  ni  la  seule  que  les  formes  de  la  justice  étaient 
un  peu  bousculées;  le  fait  était  sans  conséquence  d'ordinaire  quand  il  s'agis- 
sait d'accusés  occidentaux  qu'on  parvenait  à  calmer  tant  bien  que  mal  ;  avec 
ces  Byzantins  très  vétilleux  et  peu  endurants  l'aventure  était  plus  risquée  et 
on  s'en  aperçut  cette  fois.  Les  légats,  pris  de  court,  donnèrent  une  explication 
qui  ne  put  satisfaire  qu'eux  seuls,  mais  ce  n'était  que  partie  remise.  Baanès 
aurait  pu  pousser  l'affaire,  mais  il  n'en  fit  rien  sur  l'heure,  parut  satisfait  et 
leva  la  séance.  Les  légats,  s'ils  se  jugèrent  1res  habiles,  durent  s'apercevoir 
au  cours  de  la  ive  session  qu'ils  avaient  trop  tôt  chaulé  victoire.  (H.  L.) 


4  8  9.     DEUXIÈME     ET    TROISIEME    SESSIONS  493 

questions.  Le  sénat  se  leva  en  disant  :  «  Dieu  soil  loué,  de  nous 
avoir  laissé  voir  un  tel  jour  T»  Alors  le  diacre  Etienne  de  Constan- 
tinople  entonna  les  acclamations  habituelles  :  «  Longue  vie 
aux  empereurs  Basile  et  Constantin  !  longue  vie  à  l'impératrice 
Eudoxie  !  éternel  souvenir  au  pape  Nicolas  !  longue  vie  au  pape 
Hadrien,  aux  patriarches  de  l'Orient,  au  sénat  orthodoxe  !  éternel 
souvenir  au  saint  concile  général  *  !  »  Toutes  les  autres  sessions 
se  terminèrent  par  des  acclamations  analogues. 


[394]  489.  Deuxième  et  troisième  sessions. 

Dans  la  seconde  session  (7  octobre),  on  introduisit,  sur  leur 
demande,  les  évêques  ordonnés  par  Ignace  et  par  son  prédécesseur 
Méthode,  qui  avaient  embrassé  le  parti  de  Photius.  A  leur  tête 
se  trouvait  Théodore,  métropolitain  de  Laodicée  (autrefois  de 
Carie)  2.  Ils  se  prosternèrent  et,  sur  la  question  posée  par  les  légats 
du  pape,  déclarèrent  qu'ils  reconnaissaient  leur  faute  et  voulaient 
faire  pénitence  ;  ils  sollicitaient  la  lecture  publique  de  leur  pro- 
fession de  foi,  ce  qui  fut  fait.  Cette  profession  de  foi  adressée 
aux  légats  disait  :  «  Les  supercheries  et  brutalités  de  Photius 
sont  si  connues  à  Rome,  qu'il  serait  superflu  de  les  exposer  en 
détail.  Il  s'est  attaqué  au  pape  Nicolas  et  au  patriarche  Ignace, 
les  a  calomniés  et  déposés.  Sa  fourberie  à  l'égard  d'Ignace,  qu'il 
avait  promis  de  reconnaître  3,  est  connue  de  tous,  mais  ceux 
qui  l'ont  dévoilée  ont  été  exilés  et  maltraités,  et  Ignace  a 
en  particulier  été  poursuivi  cruellement.  Photius  s'étant 
ainsi  conduit  à  l'égard  d'Ignace,  fils  d'un  empereur,  et  à 
l'égard  du  pape,  on  s'explique  ses  procédés  à  notre  endroit. 
Plusieurs  d'entre  nous  ont  été  punis  dans  le  prétoire,  livrés  à 
la  faim,  à  la  soif  et  à  toutes  sortes  de  privations,  condamnés  aux 
mines  et  frappés  à  coups  de  sabre,  comme  si  on  avait  eu  affaire 
non  à  des  prêtres  et  à  des  vivants,  mais  à  des  cadavres.  On  nous 
a  chargés  de  chaînes  et  nourris  de  foin.  Vaincus  par  ces  violences, 


1.  Hardouin.  op.  cit.,  t.  v,  col.  764  sq.,  1025  sq.  ;Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  16-36, 
310-319  ;  Hergenrôther,  Photius,  t.  n,  p.  80  sq. 

2.  Voir   §  480. 

3.  Voir  §  464. 


494  LIVRE     XXIV 

nous  avons  plié,  nous  avons  fait  ce  que  nous  n'approuvions  pas 
et  ce  que  nous  avons  toujours  déploré.    Aujourd'hui,   notre  seul 
espoir  est  qu'à  l'exemple  de  Dieu  et   conformément  à  la  parabole 
de  l'enfant  prodigue,  etc.,  vous  nous  ferez  grâce.  C'est  dans  ces 
sentiments   que  nous   vous  remettons   en  toute  humilité  et  avec 
une  vive  douleur  cet  écrit  ;   Dieu  est  témoin  de  notre  sincérité. 
Nous    comptons    sur    votre    miséricorde,    sur   l'intercession    de    la 
Vierge,  des  saints  apôtres  et  du  saint  pape  Nicolas,  sur  les  prières 
de  notre  saint  évêque  Ignace,  sur  les  vôtres  (celles  des  légats)  et 
celles  des  vicaires  de  l'Orient.   Vous  nous  tendrez  la  main  pour 
nous  relever,  afin  de  défendre  l'Église  jusqu'au  sang,  si  cela    est 
nécessaire,  et  d'obtenir   le    pardon    de    nos  fautes.  Nous    n'aurons 
aucune  communication  avec  Photius  et  ses  partisans,  tant  qu'ils 
s'obstineront  dans  leur  malédiction,  et  nous  accepterons  volontiers  rnqr-i 
la    peine    qu'Ignace    nous    infligera  1.  »    Les    légats    répondirent  : 
«  Conformément  aux  ordres  du  pape  Hadrien,  nous  vous  recevons 
en  conséquence  de  cette  profession  de  foi.  »    Tous    les    évêques 
louèrent  cette  sentence  et  reconnurent  les  légats,  en  toute  cette 
affaire,    comme  juges   légitimes.    Les    légats     firent    alors    relire, 
en  latin  et  en  grec,  le  Libellus  satisfactionis,  qui  fut  signé  par  tous 
ces  évêques  admis  à  l'instant  :  Théodore,  Euthymius  de  Catane, 
Photius  de  Nacolia,  Etienne  de  Chypre,  Etienne  de  Cilyra,  Théo- 
dore de  Sinope,   Eustache  d'Akmonia,   Xénophon  de  Mylassum, 
Léon  de  Daphnusa  et  Paul  de  Mêle.  On  plaça  alors  sur  la  croix 
du  Christ  et  sur  les  saints  Evangiles  leur  profession  de  foi  qui  fut 
ensuite  remise  à  Ignace  ;  celui-ci  imposa  à  chacun  de  ces  évêques 
un  surhuméral,  c'est-à-dire  une  sorte  de  pallium,   et   leur  annonça 
leur  pardon  2.   Les  prêtres,  diacres  et  sous-diacres    ordonnés  par 
Ignace    ou    par   son    prédécesseur,    et   qui   avaient    faibli    devant 
Photius,  furent  introduits  à  leur  tour  devant  le  concile.  Ils  remi- 


1.  On  voit  sans  peine,  au  sujet  de  ce  document,  que  le  texte  grec  n'est  qu'un 
abrégé. 

2.  A  partir  de  ce  moment,  ces  évêques  furent,  on  le  comprend,  membres  du 
concile  ;  mais  on  apprit  plus  tard  que  Théodore  avait  signé  les  actes  du  concilia- 
bule de  Photius,  dans  lequel  on  avait  prononcé  la  déposition  du  pape  Nicolas.  Les 
légats  du  pape  lui  défendirent,  pour  ce  motif,  d'exercer  les  fonctions  sacerdotales, 
et  en  effet,  à  partir  de  la  ixe  session,  Théodore  ne  paraît  plus  comme  membre  du 
concile.  Les  actes  ne  mentionnent  pas  sa  nouvelle  exclusion  ;  mais  nous  connais- 
sons ce  fait  par  une  note  d'Anastase  sur  la  me  session  et  par  une  lettre   écrite 

plus  tard  au  pape  par  Ignace.  Mansi,  op.  cit.,  col.  205  ;  Hardouin,  op.  cit.,  col.  938. 


489.     DEUXIÈME     ET    TROISIEME    SESSIONS  495 

rent  la  même  profession  de  foi  que  les  évêques  el  furent  graciés 
après  avoir  signé  le  Libellus  satisfactionis.  Comme  pénitence, 
Ignace  imposa  à  lous  des  jeûnes  et,  des  prières,  et  les  suspendit 
de  toute  fonction  ecclésiastique  jusqu'à  la  prochaine  fête  de  Noël. 
La  session  se  termina  par  les  mêmes  acclamations  que  la  précé- 
dente *.  Dans  sa  biographie  de  saint  Ignace,  Xicétas  blâme  forte- 
ment cette  trop  grande  indulgence  du  concile  à  l'égard  de  Théo- 
dore el  de  ses  amis,  et  déclare  qu'elle  fui  la  cause  de  tous  les  mal- 
[390]  heurs  et  désordres  qui  suivirent.  Le  concile,  dit-il,  aurail  dû, 
conformément  au  31e  canon  apostolique,  déposer  à  loul  ja- 
mais  les  partisans  de  Photius,  mais  au  contraire  on  en  avail  fail 
des  membres  du  concile,  c'est-à-dire  qu'on  les  avait  admis  comme 
juges  de  Photius,  et  c'est  grâce  à  leur  secours  que  l'intrus  s'empara 
de  nouveau  du  siège  de  Constantinople.  La  responsabilité  de  ce1  te 
indulgence  ne  retombait  pas  sur  Ignace,  qui  avait  laisse  aux 
Romains  le  pouvoir  de  juger.  Eux  et  l'empereur  étaient  seuls  res- 
ponsables. Nicétas  voit  aussi  dans  les  tremblements  de  terre  et  clans 
les  tempêtes  qui  eurent,  lieu  avant  et  pendant  le  concile.de  funestes 
présages  pour  le   succès   de  cette  assemblée  2. 

Dans  la  troisième  session  (11  octobre),  on  compta,  outre  les 
légats  romains,  le  patriarche  Ignace,  les  vicaires  orientaux,  les 
sénateurs  de  l'empire  et  vingt-trois  évèques,  dont  trois,  Basile 
de  Pyrgium,  Grégoire  de  Mésina  et  Samuel  d'Antron  n'avaient 
assisté  ni  à  la  première  ni  à  la  seconde  session.  Ils  n'avaient  pro- 
bablement signé  le  libellus  qu'après  la  clôture  de  la  seconde  ses- 
sion. Par  contre,  il  manque  cette  fois  deux  évêques,  Jean  de 
Syllaeum  et  Paul  de  Mêle  ;  le  premier  admis  dans  la  première 
session  et  le  second  dans  la  deuxième.  Au  début,  les  légats  du  pape 
déclarèrent  que.  par  erreur,  certains  évêques  ordonnés  par  Ignace 
ou  par  Méthode  n'avaient  pas  signé  le  Libellus  satisfactionis  : 
c'étaient  les  deux  métropolitains  Théodule  d'Ancyre  et  Nicéphore 
de  Nicée.  On  leur  députa  aussitôt  le  métropolitain  Métrophanès 
de  Smyrne  avec  deux  autres  évêques,  mais  ils  répondirent  qu'à 
cause  des  mauvaises  e1  bonnes  signatures  dont  on  avait  tant  parlé 
dans  ces  derniers  temps,  ils  s'étaient  fait   une    loi  de  ne  plus  rien 

1.  Mansi,  op.  cit.,  col.  37  sq.,  319  sq.  ;  Hardouin,  op.  cit.,  col.  781  sq.,  1034  sq.  Cf. 
Hergenrother,  op.  cit.,  p.  82  sq. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  col.  987  ;  Mansi,  op.  cit.,  col.  37-44,  319-322.  D'après 
M.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  220,  note  1,  l'empereur  Basile  eut  dans  cette  trop  indul- 
gente solution  un  rôle  beaucoup  plus  important  que  celui  des  légats.  (H.  L.) 


496  LIVRE     XXIV 

signer,  et  ils  demandèrent  qu'on  s'en  rapportât  à  Ja  profession 
de  foi  qu'ils  avaient  donnée  lors  de  leur  sacre  et  qui  se  trouvait 
dans  les  archives  patriarcales  1.  Cette  réponse  fut  communiquée 
au  concile,  et  on  en  prit  note  jusqu'à  nouvelle  décision.  On  lut 
ensuite  les  lettres  de  l'empereur  et  du  patriarche  Ignace  au  pape 
Nicolas,  lettres  confiées  à  la  seconde  ambassade  envoyée  à  Rome 
et  qui  avaient  pour  but  d'obtenir  du  pape  une  décision  sur  l'affaire 
des  partisans  de  Photius.On  lut  alors  la  lettre  du  pape  Hadrien  [397] 
à  Ignace,  du  10  juin  869  2,  dans  laquelle  le  pape,  se  conformant 
aux  décisions  de  son  prédécesseur,  indiquait  la  conduite  à  tenir 
à  l'égard  de  Photius  et  de  ses  partisans,  et  exhortait  Ignace  à  faire 
souscrire  par  les  Grecs  les  capitula  du  concile  romain  de  869.  Le 
concile  œcuménique  accéda  à  ces  demandes,  et  la  session  se  termi- 
na par  des  acclamations  en  l'honneur  du  pape  et  de  l'empereur  3. 


490.  Quatrième  et  cinquième  sessions. 

Dans  la  ive  session  (18  octobre),  le  commissaire  impérial 
Baanès  proposa  de  citer  devant  le  concile  et  déjuger  les  deux  évê- 
ques  Théophile  et  Zacharie,  ordonnés  par  Méthode  et  passés 
au  parti  de  Photius;  après  avoir  fait  partie  avec  Arsaber  de  la 
première  ambassade  envoyée  à  Rome  en  faveur  de  Photius,  ils 
avaient  publié  que  le  pape  Nicolas  avait  reconnu  Photius,  indui- 
sant ainsi  en  erreur  bien  des  personnes  4.  Les  légats  du  pape  et 
les  vicaires  orientaux  voulaient  au  contraire  éviter  la  comparu- 
tion devant  le  concile  des  partisans  de  Photius  ;  aussi  envoyèrent-ils 
immédiatement  des  députés  interroger  les  deux  accusés,  qui  décla- 


1.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  869,  n.  8,  croit  que  ces  deux  évêques  étaient  ceux  dont 
Anastase  disait  qu'ils  voyaient  dans  la  signature  du  Libellus  satisfaclionis 
l'acceptation  d'une  excessive  sujétion  de  l'Église  de  Constantinople  à  l'Église 
romaine. 

2.  Hardouin,  op.  cil.,  t.  v,   col.  793. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  44-53,  322-327  :  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col  788 
sq.,  1035  sq.  Cf.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  85  sq.  Les  trois  documents  lus  dans 
cette  session  sont  notablement  abrégés  dans  le  texte  grec. 

4.  Anastase  les  appelle  à  plusieurs  reprises  les  «  anciens  »  évêques,  et  le  texte 
grec  dit  de  son  côté  olizo-z  ÈTnV/.OTro'.  ;  ils  étaient  probablement  suspendus.  Mansi. 
op.  cit.,  t.  xvi,  col.  54. 


'i'.'O.     QUATRIÈME      ET     CINQUIEME     SESSIOMS  \  \  I  / 

rèrent  ne  vouloir  |»;is  abandonner  la  communion  de  I  Mm  luis  -,  à 
quoi  le  concile  reprit  :  «  En  ce  cas  ils  partageront  son  sort.  »  Baanès 
ajouta  au  nom  du  séna!  1  :     «  Si  le  sénat  doit  souscrire  les  actes 


l.«  C'est  alors  que  Baanès  se  leva  et  commença  le  plus  curieux  discours  qui  soit. 
Insensiblement  il  laisse  deviner  toute  la  politique  cachée  de  Basile  et  le  point 
faible  sur  lequel  va  porter  toute  la  discussion  :  le  jugement  prononcé  par  Rome 
en  l'absence  des  accusés.  Sans  ambages  Baanès  confessa  qu'il  était  envoyé  au 
concile  ainsi  que  ses  collègues  —  «  C'est  ce  qu'on  appelle  le  Sénat,  «Mansi,  op. 
cit.,  t.  xvi,  col.  55  —  pour  être  les  auditeurs  sévères  des  choses  qui  s'y  font, 
ut  simus  districti  eorum  quse  geruntur  auditores.  Si  donc  les  Pères  veulent  que  le 
saint  synode  soit  sanctionné  par  la  signature  des  empereurs,  il  faut  que  Photius 
et  les  évêques  coupables  entendent  leur  jugement  et  puissent  se  défendre  à  l'oc- 
casion. En  cas  contraire,  il  sera  inutile  de  demander  des  signatures  :  Si  hoc 
autem  jactum  non  fuerit,scimus  quia  nostri  non  egetis  ad  scribendum  in  fine  a  vobis 
gestorum.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  55.  Ce  que  Basile  voulait  donc,  c'était  une 
seconde  discussion  et  un  second  jugement.  Or,  il  savait  très  bien  qu'à  cela  il  y 
avait  de  graves  difficultés  et  que  les  légats  n'allaient  pas  revenir  sur  le  jugement 
porté  par  le  pape.  Néanmoins,  par  condescendance,  les  apocrisiaires  acceptèrent  la 
demande  de  Baanès,  non  sans  faire  remarquer  de  quelle  hypocrisie  toute  cette 
alfaire  était  empreinte  :  Excusationem  quserunt,  dirent-ils,  ils  cherchent  une  ex- 
cuse, ils  veulent  fuir  le  jugement,  fugere  volunt  judicium.  Et  il  semble  bien,  en 
effet,  qu'il  y  avait  quelque  chose  de  fondé  dans  cette  observation.  En  tous 
cas,  toute  la  scène  paraît  avoir  été  arrangée  d'avance,  car,  dès  que  les  deux  évê- 
ques se  trouvèrent  devant  le  concile  et  qu'on  leur  eut  parlé  du  Libellus,  ils  se  ré- 
crièrent :  «  Nous  ne  désirons  pas  entendre  la  réponse  du  Libellus,  dirent-ils,  et 
aiious  ne  voulions  pas  venir  ici.  L'empereur  nous  a  ordonné  de  nous  rendre  au 
«  palais  et  en  sa  présence, et  c'est  ainsi  que  nous  nous  trouvons  ici.  »  Mansi,  op.  cit., 
t.  xvi,  col.  58.  Baanès  leur  répondit  alors  :  «  N'avez-vous  pas  dit  au  palais  que 
ic  vous  pouviez  prouver  que  vous  aviez  officié,  comministravimus,  comme  prêtres 
«  avec  le  très  saint  pape  Nicolas?  C'était —  il  importe  de  le  remarquer —  changer 
la  question  première.  Cette  fois,  il  ne  s'agissait  plus  des  bruits  qu'ils  avaient  pu 
répandre  sur  les  rapports  du  pape  et  de  Photius,  mais  bien  d'eux-mêmes.  Naturel- 
lement ils  maintinrent  leur  affirmation  et  les  légats  la  repoussèrent.  II  fallut  lire 
les  deux  lettres  du  pape  Nicolas  à  l'empereur  Michel  —  celles  de  septembre  8G0 
et  de  mars  [862]  —  pour  rendre  évidente  aux  yeux  du  concile  l'erreur  des  deux 
vêques.  Il  n'y  avait  pas,  en  effet,  grand'chose  à  répondre  aux  deux  lettres.  Com- 
me Théodore  de  Carie  le  fit  remarquer  à  Théophile,  du  moment  que  le  pape 
appelait  Photius  «  adultère  »,  c'était  bien  la  preuve  qu'il  ne  l'avait  pas  reçu. 
Quant  à  eux,  quelles  preuves  pouvaient-ils  alléguer  en  faveur  de  leur  dire  ?  Théo- 
phile ne  répondit  pas  à  la  question,  mais,  chose  étrange,  il  en  appela  à  l'empereur. 
Si  celui-ci  l'autorisait  par  écrit  a  parler,  il  le  ferait  avec  clarté.  Mansi,  op.  cit.,, 
t.  xvi,  col.  68,  73.  N'était-ce  pas  avouer  la  complicité  de  Basile  en  toutes  ces  ter- 
giversations ?  Aussi,  les  légats  ne  s'y  laissèrent-ils  pas  prendre  et,  profitant  de 
l'effet  produit  par  la  lecture  des  lettres  sur  un  certain  nombre  d'assistants  com- 
me Théodore,  métropolitain  de  Carie,  s'empressèrent-ils  d'affirmer  que  Photius, 

CONCILES  -IV-   32 


498 


LIVRE    XXIV 


du  concile,  comme  le  veut  la  coutume,  Photius  et  ses  adhérents 
doivent  être  entendus  par  le  concile  et  réfutés  en  notre  présence 
par  les  citations  des  canons.  Ils  doivent  entendre  ici,  devant  nous, 
le  jugement  de  Rome,  et  s'ils  n'y  peuvent  rien  opposer,  le  monde 
sera  par  le  fait  même  guéri.  Mais  comment  pourrons-nous,  dans  le 
cas  contraire,  signer  un  jugement,  si  ceux-ci  peuvent  crier  :  Nous 
voulons  entendre  nous-mêmes  notre  propre  déposition,  et  la  jus- 
tice demande  qu'on  nous  entende  avant  de  nous  condamner  ? 
Nous  ne  pensons  pas  qu'une  pareille  manière  de  faire  (une  eondani-  [oJoj 
nation  sans  avoir  entendu  les  accusés)  soit  légale.  Tel  était  notre 
sentiment,  c'est-à-dire  telle  était  la  manière  dont  nous  appré- 
ciions, avant  notre  arrivée,  la  sentence  du  pape  Nicolas  et  sa  réi- 
tération par  le  pape  Hadrien  (mais  vos  déclarations  dans  la  pre- 
mière session  nous  ont  tranquillisés).  Dès  votre  arrivée,  nous  vous 
a \ons  reçus  comme  de  saints  apôtres  (parce  que  cette  arrivée 
rendait  possibles  la  célébration  d'un  concile  et  par  conséquent 
une  procédure  beaucoup  plus  régulière).  Nous  vous  le  demandons 
donc  avec  instance,  guérissez  ceux  qui  sont  malades,  mais  si  on 
ne  consent  pas  à  entendre  les  accusés,  les  consciences  ne  seront 
pas  guéries  1.  » 

Métrophanès  de  Smyrne  chercha  à  s'entremettre  ;  il  déclara 
fondée  la  demande  du  sénat,  mais  fui  .d'avis  qu'il  fallait deman- 
der à  ceux  que  l'on  voulait  interroger,  s'ils  consentaient  à  se 
soumettre  au  concile  et  à  sa  sentence.  Cette  proposition  n'eut 
pas  l'approbation  des  légats  du  pape,  qui  déclarèrent  :  «  Rome  a 
parlé,  la  question  est  résolue  ;  ce  n'est  pas  au  concile  à  prononcer 
un  nouveau  jugement;  sa  mission  est  uniquement  de  faire  connaî- 
tre partout  le  jugement  de  Rome.  Quiconque  est  déjà  positive- 
ment informé  de  ce  jugement  est,  par  le  fait,  même  lié  par 
lui.  »  Aussi  posèrenl-ils  la  question  suivante  :  «  Ces  évêques 
ne  connaissent-ils  pas  déjà  le  jugement  rendu  par    Rome  ?  »  Et 


a  été  suspendu,  obligatus,  repoussé  et  réprouvé,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  73. 
Le  coup  portait  droit.  Baauès  posa  encore  quelques  questions,  demanda  quelques 
éclaircissements,  avant  de  lever  la  séance  ;  en  fait,  il  était  bal  lu.  Pour  la  première 
fois,  il  n'approuva  pas  de  sa  parole  le  langage  des  apocrisiaires.  Une  gêne  évi- 
dente s'aperçoit  du  côté  des  sénateurs,  même  au  travers  des  actes  assez  secs  du 
concile.  »  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  221-222.  (H.  L.) 

1.  Le  discours  de  Baanès  présente  plusieurs  passages  difficiles,  que  j'ai  essayé 
d'éclaircir  en  mettant  des  explications  entre  parenthèses,  tandis  que  Jager, 
Fleury  et  d'autres  historiens  ont  mieux  aimé  éluder  ces  passages. 


490.     QUATRIÈME   ET    CINQUIEME     SESSIONS  499 

Baanès  répondit  :  «  Non,  car  ils  n'étaient  pas  à  Rome  en  personne, 
et  ils  n'ont  pas  entendu  leur  jugement  de  leurs  propres  oreilles.  » 
(Us  avaient  été  à  Rome,  avec  Arsaber,  mais  n'y  étaient  plus  en 
863,  lors  de  la  sentence  rendue  en  concile  par  Nicolas.)  Les  lé- 
gats répondirent  :  «  Nous  ne  pouvons  abroger  une  sentence  ren- 
due par  Rome,  ce  serait  agir  contre  les  canons.  Les  partisans  de 
Photius  étaient  du  moins  représentés  à  Rome  par  leurs  dépu- 
tés1, et  ils  ont  appris  la  sentence  prononcée  contre  eux.  S'ils 
veulent  maintenant  que  le  jugement  soit  porté  à  leur  connais- 
sance d'une  manière  formelle  et  publique,  ils  peuvent  venir.  » 
Les  légats  cherchaient  par  ce  moyen  à  sauver  le  principe  Ruina 
locuta,  res  decisa.  loui  en  paraissant  accéder  aux  demandes  des 
commissaires.  Ceux-ci  donnèrent  leur  approbation  et  parurent 
aussi  reconnaître  ce  principe,  car  ils  dirent  :«  Ils  peuvent  par 
conséquent  entrer  pour  entendre  le  jugement  de  Rome.  »  Mais 
[399"]  presque  aussitôt  ils  remirent  le  principe  en  doute,  disant:  «  S'ils 
onl  quelques  raisons  à  opposer  à  la  décision  romaine,  ils  pourront 
les  faire  connaître  ;  s'ils  n'en  ont  pas,  ils  devront  se  tenir  tran- 
quilles. »  Les  légats  firent  justement  remarquer  «  qu'ils  cher- 
chaient uniquement  des  faux-fuyants,  car  le  monde  entier  sa- 
vait que  le  jugement  avait  déjà  été  prononcé  contre  eux,  et 
tout  leur  calcul  était  de  ne  pas  s'y  soumettre.  »  Les  sénateurs 
répliquèrent  :  «  Non,  ils  ne  veulent  pas  éviter  le  jugement,  mais 
ils  demandent,  comme  chacun  le  sait,  une  enquête  minutieuse 
suivie  d'une  décision.  »  Cette  réplique  ne  fait  pas  honneur  aux 
sénateurs  byzantins,  elle  renfermait  un  piège  et  un  sophisme  : 
le  jugement  demandé  par  les  partisans  de  Photius  n'étant  pas 
du  tout  celui  que  demandaient  les  légats  du  pape.  On  tomba 
enfin  d'accord  pour  introduire  dans  l'espace  réservé  aux  laï- 
ques Théophile,  Zacharie  et  cinq  autres  partisans  de  Photius, 
auquels  on  lirait  la  première  lettre  du  pape  Nicolas  à  l'empereur 
Michel.  Mais  les  autres  partisans  de  Photius  étaient  déjà  partis. 
et  on  ne  trouva  plus  que  Théophile  et  Zacharie.  Les  commissaires 
impériaux  représentèrent  de  nouveau  que  ces  deux  person- 
nages faisaient  grande  impression  parmi  le  peuple,  en  soute- 
nant   que,  pendant  leur  séjour  à  Rome  en    qualité   de    mandatai- 


1.   Ainsi  le  secrétaire  impérial  et  ambassadeur  Léon  assista  ;iu  concile  tenu 
Rome  en  862. 


500  LIVRE    XXIV 

res  de  Photius,  le  pape  Nicolas  les  avait  admis  à  sa  communion,  et 
parla  médiatement  Photius  dont  ils  étaient  les  représentants.  Les 
légats  avaient  accepté  l'admission  devant  le  concile  de  Théophile 
et  Zacharie,  mais  alors  on  se  demanda  qui  devait  les  convoquer. 
Les  commissaires  demandèrent  que  cette  convocation  fût  faite  par 
les  légats,  puisqu'ils  l'avaient  faite  pour  les  évêques  repentants, 
car  ces  évêques  n'avaient  pas  refusé  de  signer  le  Libellus  satisfactio- 
nis  qu'ils  ne  connaissaient  même  pas.  Les  légats  y  consentirent,  et 
lorsqueThéophile  et  Zacharie  eurent  été  introduits, on  leur  demanda 
s'il  était  vrai  que  le  pape  Nicolas  les  eût  admis  à  sa  communion. 
Ils  l'affirmèrent,  mais  les  légats  nièrent,  surtout  le  diacre  Marin, 
qui  exerçait  ses  fonctions  auprès  du  pape  Nicolas,  dans  l'église 
de  Sancta  Maria  ad  Prœsepe  (Sainte-Marie-Majeure),  lors  du 
séjour  à  Rome  de  Théophile  et  Zacharie.  Marin  assura  que  loin  de 
leur  avoir  donné  la  communion  dans  le  rang  des  évêques,  Nicolas 
ne  les  avait  admis  à  la  communion  (laïque),  qu'après  leur  avoir 
fait  prêter  serment  et  remettre  une  satisfactio  écrite.  (Nous  au- 
rons d'autres  détails  sur  ce  point  à  la  fin  de  cette  même  session.) 
Pour  mieux  réfuter  cette  prétention,  que  le  pape  Nicolas  avait 
reconnu  Photius  (même  indirectement),  on  lut,  à  la  demande  [400] 
des  légats  la  lettre  à  l'empereur,  que  Nicolas  avait  envoyée  en 
860  par  ses  légats  Rodoald  et  Zacharie  à  Constantinople.  Les 
commissaires  impériaux  déclarèrent  que  cette  lettre  montrait  en 
effet  que  le  pape  Nicolas  n'avait  pas  reconnu  Photius  et  avait 
regardé  comme  nulles  ses  ordinations  ;  ils  firent  ensuite  relire  la 
seconde  lettre  du  pape  à  l'empereur  Michel,  datée  du  19  mars  862, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Théophile  dit  alors  :  «  Si  Pho- 
tius est  condamné,  on  doit  condamner  aussi  ceux  qui  l'ont  or- 
donné ;  quant  à  moi,  je  n'ai  pas  assisté  à  son  ordination.  » 
Théodore,  archevêque  de  Carie,  dit  que,  sur  les  rapports  de 
Théodore  et  de  Zacharie,  il  avait  tenu  en  suspicion  le  pape 
Nicolas  jusqu'à  une  époque  assez  récente.  Il  croyait  que  Nicolas 
avait  d'ahord  reconnu  Photius  et  puis  avait  cherché  à  le  renverser. 
En  même  temps  il  mit  Théophile  en  demeure  de  prouver  qu'il 
avait  communié  avec  Nicuhis  (à  Rome),  et  avait  même  exercé  les 
fonctions  ecclésiastiques  aux  côtés  du  pape  pendant  les  cérémo- 
nies du  culte.  Théophile  renouvela  alors  sa  déclaration  écrite, 
mais  ajouta  qu'il  attendait  une  permission  de  l'empereur  pour 
donner  les  preuves  demandées. 

Sur   la   demande   du    concile,    le   diacre   el    notaire    Etienne  lut 


490.    QUATRIEME    ET    CINQUIEME    SESSIONS 


;,m 


la  lettre  du  pape  à  Photius,  de  mars  862.  A  peine  la  lecture 
achevée,  Théophile  affirma  de  nouveau  que  Rome  avait  reconnu 
Photius.  On  lui  répondit  que  les  lettres  de  Nicolas  lui  donnaient 
tort,  et  que  Photius  n'y  était  nullement  appelé  patriarche,  mais 
simplement  moine.  Théodore  de  Carie  se  déclara  convaincu  que 
Photius  n'avait  jamais  été  reconnu  à  Rome.  A  la  demande  des 
légats,  les  vicaires  orientaux  assurèrent  que,  ni  dans  le  patriarcat 
d'Antioche  ni  dans  celui  de  Jérusalem,  on  n'avait  reconnu  Photius 
pour  évêque  de  Constantinople,  ni  entretenu  de  relations  avec 
lui.  Élie,  vicaire  de  Jérusalem,  ajouta  que  les  apocrisiaires  envoyés 
à  Jérusalem  par  l'empereur,  en  vue  du  présent  concile,  pouvaient 
confirmer  ce  fait.  Métrophanès  conclut  qu'en  résumé  Photius 
n'avait  été  reconnu  ni  à  Rome  ni  en  Orient,  et  Théodore  de  Carie 
déplora  son  erreur. 

A  la  lin  les  commissaires  impériaux  insinuèrent  que  Théophile 
r4011  et  Zacharie  avaient  dû  signer  à  Rome  un  document,  et  on  rappela 
que,  d'après  une  coutume  romaine,  tout  étranger  qui  venait 
visiter  l'église  devait  fournir  un  témoignage  écrit  de  son  ortho- 
doxie; Théophile  et  Zacharie  (ils  ne  pouvaient  le  nier)  avaient 
donc  dans  un  document  de  ce  genre,  exprimé  leur  orthodoxie  et 
leur  adhésion  à  V  Église  romaine.  Or  s'expliquait  que,  nanti  d'une 
pareille  profession  de  foi,  le  pape  Nicolas  leur  eût  accordé  la  com- 
munion. Néanmoins,  ils  refusèrent  d'entendre  la  lecture  du  Libel- 
las satisfactionis  qu'on  leur  demandait  de  signer  ;  on  prononça 
donc  leur  exclusion  du  concile  qui  remit  à  une  autre  session  la 
suite  de  cette  affaire  *. 

A  l'occasion  des  actes  de  la  cinquième  session,  Anastase  remarque 
que  le  nombre  des  membres  du  synode  allait  toujours  en  augmen- 
tant. Plusieurs  évêques  étaient  arrivés  en  retard  à  Constanti- 
nople, d'autres  n'avaient  pas  voulu  signer  dès  le  début  le  Libellas 
satisfactionis.  C'est  ainsi  que,  dans  la  cinquième  session,  nous 
constatons  pour  la  première  fois  la  présenee  de  deux  métropolitains, 
Basile  d'Éphèse  et  Barnabe  de   Cyzique. 

Uépitome  grec  et  la  traduction  latine  des  actes  disent  ex- 
pressément que  la  cinquième  session  s'est  tenue  xm  Kal.  nov. 
(20  octobre)   ;    c'est  par  distraction   que  Baronius  l'a   placée     au 


1.   Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  797  sq.,  1042  sq.  ;  Ma?isi.  op.  rit.,  t.  xvi,  col.   53- 
74,  327-339;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  86-92. 


502  LIVRE    XXIV 

«  19  octobre  »,  erreur  reproduite  par  de  nombreux  historiens. 
Dès  l'ouverture  de  la  session,  le  chartophylax  Paul  de  Cons- 
tantinople  l,  que  Photius  avait  élevé  à  la  dignité  d'archevêque 
de  Césarée,  qui  avait  ensuite  pris  parti  pour  Ignace,  et  qui  main- 
tenant se  trouvait  au  concile  comme  employé,  annonça  que 
Photius,  mandé  par  l'empereur,  se  trouvait  non  loin  du  concile, 
attendant  d'être  introduit 2.  Les  légats  du  pape  demandèrent 
si  lui-même  le  désirait,  et  comme  personne  ne  put  répondre, 
ils  envoyèrent  une  députation  exclusivement  composée  de  laïques 
chargée  de  l'interroger.  Il  répondit  :  «  On  ne  m'a  jamais  invité  à 
ce  concile  et  je  suis  surpris  de  ce  qui  se  passe  maintenant  ;  je  ne 
m'y  rends  pas  de  plein  gré,  et  je  dis  avec  le  psalmiste  :  Tai  placé 
une  garde  sur  ma  bouche  (Ps.  xxxvm,  2).  Lisez  vous-mêmes  la 
suite  du  passage  dans  la  Bible.  »  Or  la  suite  du  passage  est  :  «  parce 
que  l'impie  est  contre  moi.  »  Il  voulait  dire  :  «  J'ai  pris  la  réso-  [402] 
lution  de  ne  pas  parler  devant  votre  société  impie.  »  Les  légats 
du  pape,  ayant  ouï  cette  réponse,  répondirent  :  «  Nous  ne  le  con- 
voquons pas  pour  apprendre  de  lui  quoi  que  ce  soit  (qu'il  se  taise 
donc,  s'il  le  veut),  mais  pour  mettre  fin  à  tous  les  soucis  que  Rome 
et  les  Églises  d'Orient  ont  éprouvés  à  cause  de  lui.»  Anastase 
remarque  que  les  légats  parlaient  ici  de  l'Orient  par  politesse, 
car,  en  fait  l'Orient  ne  s'était  jamais  occupé  de  Photius  avant 
la  célébration  du  concile.  A  la  demande  d'Élie  de  Jérusalem,  le 
concile  répondit  à  Photius  par  un  autre  passage  du  psalmiste  : 
«  Par  la  bride  et  le  frein,  tu  maîtriseras  la  bouche  de   celui   qui  ne 


1.  Sur  ce  dignitaire  et  ses  fonctions,  cf.  E.  Beurlier,  Le  chartophylax  de  la 
grande  Église  de  Constantinople,  dans  le  Compte  rendu  du  IIIe  congrès  scienti- 
fique international  des  catholiques  tenu  à  Bruxelles  du  3  au  S  septembre  1894, 
Ve  section,  Sciences  historiques,  p.  253  sq.  (H.  L.) 

2.  L'empereur  manda  Photius,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  75.  Basile  avait 
très  habilement  et  très  sagement  aussi  choisi  pour  terrain  de  son  intervention 
personnelle,  la  légalité  absolue.  Il  avait  beau  jeu,  puisque  Rome  s'en  était  écartée 
plus  ou  moins  ;  c'était  une  manière  de  faire  la  leçon  à  laquelle  on  n'avait  rien  à 
répondre.  On  peut  croire  qu'outre  le  souci  de  mortifier  un  peu  les  Romains  qui 
prétendaient  détenir  le  jugement  en  leur  rappelant  les  règles  immuables  de  la 
procédure,  Basile,  qui  ne  se  refusait  pas  cette  malice  presque  inolfensive,  avait  une 
vue  plus  haute  de  la  situation  et  inspirait  d'après  elle  sa  conduite.  Il  comprenait 
que  rien  ne  serait  terminé  tant  qu'on  laisserai  a  Photius  et  aux  siens  le  droit 
d'invoquer  quelque  vice  de  forme  ;  or,  à  tout  prix,  Basile  voulait  en  finir  avec 
ces  disputes  de  gens  d'Église  qui  menaçaient,  en  s 'éternisant,  de  préjudicier  gra- 
vement aux  intérêts  de  l'empire.  (H.  L.) 


490.    QUATRIÈME    ET    CINQUIEME    SESSIONS  503 

veut  pas  s'approcher  de  toi:»  on   le    prévenait  qu'avec  le   secours 
de   l'empereur,    ce   texte   s'accomplirait    pour   lui.    Photius   ayant 
déclaré  de  nouveau   qu'il   ne  comparaîtrait  pas   de  plein  gré,   le 
concile  lui  lil  dire  qu'on  l'avait  d'abord  cité  à  comparaître  confor- 
mément aux  règles  de  l'Église,  mais  puisque,  conscient  de  sa  faute, 
il  se  montrait  contumace,  l'assemblée   ordonnait   qu'il  fût  intro- 
duit. Ce  qui  eut  lieu.  Après  le  constat  d'identité  fait  pour  la  forme 
par  les  légats  et  les  réponses  des  commissaires,  les  légats  dirent 
à    Photius  :    «  Acceptes-tu   les   décisions   du   pape,   en   particulier 
celles  du  pape    Nicolas  ?  »   Il  ne  répondit  rien,  pas  plus  qu'à  la 
seconde  question,  s'il  reconnaissait  les  décisions  du  pape  Hadrien. 
Les  légats  l'ayant  traité  de  malfaiteur  et  d'adultère,  Photius  dit  : 
«  Dieu   m'entend,   quoique  je   me  taise.  »  Les  légats  l'assurèrent 
que  son  silence  ne  le  sauverait  pas,  il  répondit  :  «  Jésus  n'a  pas 
davantage  évité  sa  condamnation  par  son  silence.»    Cette  compa- 
raison avec  le  Christ  indigna  l'assemblée.  Photius  refusa  dès  lors 
de   répondre   à    toute    question,    et    même   aux   exhortations   des 
vicaires  orientaux,  qui  lui  demandèrent  de  condamner  sa  conduite 
antérieure  et  ses  conciles  contre  Ignace.  On  relut  les  trois    lettres 
du  pape  à  l'empereur  Michel  et  à  Photius,  déjà  lues  dans  la  qua- 
trième session,  et  la  première   lettre  du  pape    Nicolas   à   Photius, 
écrite  en  860. 
[403]        Élie  de  Jérusalem,  en  son  nom  et  au  nom  de  son  collègue  d'An- 
tioche,  parla    alors    en    ces  termes  :   «  Comme  les  anciens   empe- 
reurs  avaient   convoqué   les   conciles  (généraux),  ainsi  l'empereur 
a  convoqué    le    présent    concile.    Pendant    un    séjour    de    près    de 
deux  ans  à    Constantinople,  Elie    a    sans    cesse    exhorté     l'empe- 
reur et   ses    collègues  de  l'épiscopat  à  faire  preuve   d'impartialité, 
et  il  voit  que  ses  conseils  ont  été  écoutés.  Il  n'avance  que  la  vérité 
en  soutenant  que  Photius  n'a  jamais  écrit  aux  patriarcats  d'An- 
tioche  et  de  Jérusalem  et  n'a  jamais  reçu  de  lettres  de  ces  patriar- 
cats.   Aussi   est-il  tenu   pour  intrus   en   Orient  comme   à   Rome  ; 
tout  le  monde  sait  qu'il  a  usurpé,  au  mépris  de  tous  droits,  le  siège 
de  Constantinople.  Le  seul  conseil  à  lui  donner  est  de  reconnaître 
ses  fautes  et  de  faire  pénitence,  afin  d'être   admis    dans    l'Église 
comme  laïque  et    d'y    faire    son    salut.  »    Après    que    Baanès    eut 
exprimé  le  même   avis,   les   légats   du   pape    déclarèrent  :    «  Cha- 
cun voit  qu'il  n'est  pas  possible  de  reconnaître  l'élévation  de  Pho- 
lius  et  la  déposition  d'Ignace.  Les  légats  ne  rendront  aucun  nou- 
veau jugement,  parce  que  ce  jugement  a  été  rendu  depuis    des 


04  LIVRE     XXIV 


OV't 


années  par  le  pape  Nicolas  et  confirmé  par  Hadrien  \  On  a 
appris  en  outre,  des  vicaires  orientaux,  que  Photius  n'a  jamais 
été  reconnu  en  Orient.  Aucun  chrétien  ne  peut  donc  le  recon- 
naître et.  les  légats  anathématisent  ses  tentatives  pour  s'emparer 
du  siège  de  Constantinople,  de  peur  qu'on  ne  renouvelle  en  d'au- 
tres diocèses,  l'expulsion  de  l'évoque  légitime.  Cette  sentence 
des  légats  et  de  leurs  sièges  plaît-elle  au  concile  ?  Ne  lui  plût- 
elle  pas.  les  légats  sont  décidés  à  la  publier.  »  Le  concile  donna 
son  plein  assentiment  à  cette  résolution  ;  les  légats  et  Baanès 
engagèrent  Photius  à  se  soumettre,  lui  disant  que  toute  l'E- 
glise, Rome  et  l'Orient  l'ayant  exclu,  il  n'avait  plus  où  faire  valoir 
son  prétendu  droit.  Photius,  sentencieux  comme  le  fut  phi  s 
lard  Jean  Huss,  répondit  :  «  Mon  droit  n'est  pas  sur  la  terre.  » 
Le  concile  lui  accorda  un  délai  pour  rentrer  en  lui-même,  et,  en  lin 
le  renvoya,  après  de  nouvelles  exhortations  de  Baanès.  La  ses- 
sion  était  terminée  2. 

1.  Tandis  que  l'empereur  Basile  saisissait  toutes  les  occasions  pour  faire  sen- 
tir aux  légats  romains  l'incorrection  de  la  procédure  antérieure  et  la  nécessité  de 
la  désavouer  par  un  débat  conduit  sur  d'autres  bases,  principalement  en  interro- 
geant l'accusé  et  en  lui  donnant  le  droit  et  la  facilité  de  présenter  sa  défense  ; 
ces  légats  estimaient  bien  fait  ce  qui  avait  été  fait  et  n'entendaient  pas  rouvrir 
une  cause  jugée  par  le  pape.  Leur  mission  n'était  donc  pas  du  tout  de  satisfaire 
au  désir  de  Basile,  mais  de  s'y  opposer.  Ils  venaient,  non  pour  disputer,  mais  pour 
promulguer.  Il  était  impossible  qu'une  fois  sorti  de  la  phase  protocolaire  le  con- 
cile ne  fît  surgir  cette  opposition  de  vue  sous  laquelle  se  trouvait  une  opposition 
de  principes.  Tout  le  secret  de  l'échec  final  du  VIIIe  concile  est  là  ;  il  ne  faut  le 
chercher  nulle  part  ailleurs.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  817,  1050  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  74-81, 
339-344  ;  Hergenrother,  op.  cit.,  p.  92.  «De  cette  session,  les  légats  sortaient  appa- 
remment vainqueurs;  mais  chacun  sentait  bien  que  l'affaire  n'était  pas  terminée. 
D'abord,  il  fallait  exécuter  la  sentence  romaine,  puis,  en  supposant  qu'elle 
pût  ramener  à  l'Église  les  partisans  du  patriarche  déchu,  il  n'en  demeurait  pas 
moins  qu'un  recours  était  toujours  possible  contre  elle,  puisqu'en  fait  Photius 
pourrait  arguer  en  sa  faveur  qu'il  ne  fut  pas  jugé.  Néanmoins,  pour  l'heure, 
la  situation  s'éclaircissait.  Ignace  était  définitivement  reconnu  et  Photius  ex- 
pulsé.» A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  223.  (H.  L.) 


491.     SIXIÈME,     SEPTIÈME     ET     HUITIÈME     SESSIONS  505 


[404]  491.  Sixième,  septième  et  huitième  sessions. 

A  la  sixième  session  (25  octobre)  1,  assistèrent  l'empereur,  les 
légats  du  pape,  le  patriarche  de  Constantinople.  les  vicaires  orien- 
taux et  trente-sept  évèques  dont  quatorze  métropolitains.  Métro- 
phanès  de  Smyrne  l'ouvrit  par  un  discours,  dans  lequel  il  compa- 
rait les  patriarches  aux  grands  luminaires  des  cieux,  le  concile 
au  paradis  et  à  l'arche  ;  l'empereur  était  le  nouveau  Noé  qui  avait 
préparé  cette  arche,  etc.  On  lut  ensuite  un  Epanagnosticon  des 
légats  romains  exposant  les  services  rendus  par  l'empereur  à 
la  cause  de  l'Église  :  l'expulsion  de  Photius,  la  réintégration 
d'Ignace  et  l'envoi  d'une  ambassade  à  Rome.  «  Le  pape  Ha- 
drien avait  réuni  dans  l'église  de  Saint-Pierre  un  concile  qui 
avait  confirmé  les  décisions  prises  par  son  prédécesseur,  et 
envoyé  des  légats  à  Constantinople.  Ceux-ci  avaient  dans  les 
sessions  précédentes  —  c'est  par  cette  transition  qu'ils  abor- 
daient leur  sujet  -  -  l'ait  connaître  les  décisions  prises  depuis  long- 
temps au  sujet  de  Photius,  et  demandaient  à  l'empereur  de  n'en 
pas  retarder  l'exécution.  (Le  concile  n'avait  donc  aucune  déci- 
sion à  rendre,  mais  simplement  à  faire  exécuter  les  décisions 
prises  de  Rome.)  Photius  n'avait  jamais  été  reconnu  en  Orient 
comme  patriarche. 

L'empereur  ordonna  d'introduire  les  évêques  ordonnés  par 
Photius:  on  leur  lut.  comme  aux  autres,  les  deux  lettres  écrites 
en  860  par  le  pape  Nicolas  à  l'empereur  Michel  et  à  Photius, 
Elie  de  Jérusalem  discourut  sur  l'illégitimité  de  la  déposition 
d'Ignace  et  de  l'élévation  de  Photius.  Les  partisans  de  ce  der- 
nier avaient  tort  de  prétendre  qu'Ignace  avait  abdiqué  de  lui- 
un"  me  :  P eût-il  fait,  cette  abdication  extorquée  serait  sans 
valeur.  Le  second  argument  des  partisans  de  Photius,  disant  que, 
si  on  le  déposait,  on  devait  déposer  tous  les  évèques  qui  l'avaient 
ordonné,  était  également  faux.  Celle  mesure  n'était  pas  néces- 
[405]  saire.  car  ces  évêques  avaient  été  mis  dans  l'obligation  d'agir 
ainsi   par  le   pouvoir  impérial  :   au    reste    lors    du    second    concile 


1.  La  traduction  d'Anastase  porte   à   tort  VIII   kal.    octobr.    au    lieu    de  no- 
vembr.  ;  le  texte  grec   est    ici   très  exact. 


506 


LIVRE     XXIV 


général  on  n'avait  pas  déposé  Timothée  d'Alexandrie  et  ses 
évêques,  mais  simplement  Maxime,  ordonné  par  eux  \  Parmi  les 
évêques  consécrateurs  de  Photius,  seul  Grégoire  de  Syracuse 
serait  déposé,  et  il  l'était  pour  d'autres  fautes  2.  Plusieurs  des 
anciens  partisans  de  Photius  avaient  déjà  recouru  au  concile  et 
obtenu  leur  pardon;  mais  comme  d'autres  hésitaient  aies  imiter, 
à  cause  des  promesses,  des  serments  et  des  signatures  par  les- 
quels ils  s'étaient  engagés  vis-à-vis  de  Photius,  les  légats  ro- 
mains et  les  évêques  d'Orient  en  vertu  de  la  puissance  qu'avait 
l'Eglise  de  lier  et  de  délier,  avaient  déclaré  sans  valeur  ces  pro- 
messes, serments  et  signatures.  » 

Afin  d'ajouter  à  l'importance  de  cette  décision,  l'empereur  lui- 
même  engagea  les  évêques  de  Photius  à  se  soumettre,  discutant 
avec  eux,  notamment  avec  Euthymios,  que  Photius  avait  fait 
évêque  de  Césarée  en  Cappadoce  et  qui  niait  la  valeur  de  la  sen- 
tence de  Rome  et  des  vicaires  orientaux.  L'empereur  répondit  : 
«  Si  tu  crois  que  cette  sentence  vient  des  patriarches,  tu  dois  t'y 
soumettre  ;  si  tu  en  doutes,  tu  dois  t'adresser  toi-même  aux  sièges 
patriarcaux  pour  savoir  à  quoi  t'en  tenir.  »  Pour  aider  ses  collègues 
à  échapper  à  ce  dilemme,  Zacharie,  élevé  sur  le  siège  de  Chalcé- 
doine  par  Photius  dont  il  était  un  des  disciples  favoris,  répondit  : 
«  Les  canons  sont  au-dessus  du  pape  et  des  patriarches;  il  est 
souvent  arrivé  qu'une  décision  du  pape  ait  été  ensuite  infirmée. 
C'est  ainsi  que  le  pape  Jules  a  proclamé  innocent  Marcel  d'An- 
cyre  que  tout  le  monde  tient  aujourd'hui  pour  hérétique.  Si, 
dans  le  cas  présent,  la  décision  du  pape  Nicolas  s'accordait  avec 
les  canons,  il  s'y  conformerait,  mais  il  n'en  est  pas  ainsi.  Les  deux 
arguments  allégués  par  le  pape  contre  Photius  ne  prouvent  pas  que 
celui  qui  a  été  ordonné,  puisse  ensuite  être  déposé.  En  disant 
qu'on  ne  doit  plus  élever  un  laïque  à  l'épiscopat,  on  veut  sim- 
plement recommander  la  prudence  à  ceux  qui  feront  l'ordination; 
mais  on  ne  songe  pas  à  condamner  celui  qui  est  déjà  ordonné  : 
on  sait,  du  reste,  que  plusieurs  sont  passés  de  Trial  de  laïque 
à  l'épiscopat,   par  exemple  Nectaire,   Ambroise,  etc.   Ce  qui  clait  [406] 


1.  Voir    §  100. 

2.  Il  résulte  de  là  qu'Eulampius  d'Apamée  et  Pierre  de  Sardes,  qui  avaient 
été  déposés  par  Ignace  en  même  temps  que  Grégoire  et  qui  le  furent  plus  tard 
par  Rome,  n'avaient  pas  pris  part  au  sacre  de  Photius.  Sans  cela,  le  nombre  des 
ordinatores  deposili  aurait  été  trop  grand. 


491.    SIXIÈME,    SEPTIÈME    ET    HUITIEME    SESSIONS  507 

valide  pour  eux  doit  l'être  pour  Photius.  Que  s'il  a  été 
ordonné  par  des  évêques  déposés,  ces  évêques  n'avaient  pas 
été  déposés  pour  divers  méfaits,  mais  pour  avoir  troublé  (anté- 
rieurement) la  paix  de  l'Eglise  ;  or,  on  doit  toujours  admettre 
de  pareils  évêques,  lorsqu'ils  se  réconcilient  et  cessent  leur  résis- 
tance (c'était  là  en  effet  le  cas  de  Grégoire  de  Syracuse).  A 
supposer  que  Grégoire  eût  été  condamné,  la  faute  n'en  retombe 
pas  sur  Photius.  mais  sur  ceux  qui  l'ont  amené  à  Grégoire 
(pour  le  luire  ordonner  par  lui)1  ;  or  ceux-là  mêmes  n'étaient 
]>;is  coupables,  car  ce  fut  ainsi,  par  exemple,  qu' Anatole  de  Cons- 
tantinople  admit  Eutychès,  quoique  Flavien  l'eût  déjà  con- 
damné, et  cependant  Anatole  ne  fut  pas  puni  par  le  IVe  concile 
œcuménique.  »  Zacharie  ajouta  deux  autres  exemples,  taisant 
avec  soin  la  vraie  raison,  à  savoir  que  Rome  avait  annulé  l'éléva- 
tion de  Photius,  parce  que  le  siège  de  Constantinople  n'était  pas 
vacant. 

L'empereur  répondit:  «Les  exemples  cités  sont  sans  valeur; 
ils  tendent  à  prouver  que  dans  diverses  circonstances  un  patriar- 
che, sur  de  bons  motifs,  a  jugé  différemment  une  question  ;  mais 
vous  êtes  condamnés  par  tous  les  patriarches,  et  c'est  seule- 
ment par  esprit  de  miséricorde  que  je  travaille  à  vous  faire  obte- 
nir grâce  de  la  part  du  concile.  Nous  savons  tous  que  vous  n'êtes 
que  des  laïques  (c'est-à-dire  que  votre  sacre  par  Photius  est  sans 
valeur)  2,  et  je  ne  vous  ai  pas  fait  venir  ici  pour  vous  entendre 
aboyer  ou  parler  d'une  manière  désordonnée,  car  tout  ce  que  vous 
dites  n'est  que  fourberie  et  mensonge.  »  Ils  s'écrièrent  :  «  Le 
démon  lui-même  n'oserait  parler  ainsi.  »  L'empereur  leur  demanda 


1.  Tel  est  le  sens  que  me  paraît  avoir  ici  npoâyza  ;  il  ne  signifie  pas  promo- 
vere,  ainsi  qu'avait  traduit  Anastase  ;  7tpo"àvsiv  a  souvent  le  sens  de  con- 
duire. Ce  sens  est  en  efïet  le  seul  qui  rende  intelligible  ce  passage,  que  l'abrévia- 
teur  grec  a  presque  complètement  passé  sous  silence. 

2.  Ignace  demandant  à  Rome  la  grâce  de  Paul,  archevêque  de  Césarée  de  Cap- 
padoce,  ordonné  par  Photius,  nous  montre  clairement  qu'on  considérait  les  ordi- 
nations faites  par  l'intrus  comme  illicites  et  non  comme  invalides.  Ignace,  Epist. 
ad  Nicolaum  papam,  dans  Hardouin,  Coll.  conc.,t.  v,  col.  792.  S'il  faut  toujours 
faire  la  part  des  vivacités  de  langage,  remarque  M.  L.  Saltet,  Les  réordinations, 
1907,  p.  143,  c'est  bien  spécialement  le  cas  à  propos  des  discussions  assez  vives 
qui  eurent  lieu  dans  la  session  sixième  du  VIIIe  concile  œcuménique.  On  avait 
fail  comparaître  quelques-uns  des  évêques  ordonnés  par  Photius,  et,  comme  ils 
se  défendaient  âpremenl .  mi  les  traita  de  laïques.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  380. 
(H.   L.) 


o(J8  JUVRK    XXIV 

leurs  preuves  ;  alors  Eulampios  d'Apamée  déclara  qu'Ignace  avait 
volontairement  abdiqué;  mais  les  légats  exprimèrent  leur  mécon- 
tentement  de   ce    que    l'empereur    s'entretînt    avec    Eulampios, 
déposé    et    anathématisé    par   la    sainte    Eglise    de  Rome,  et  de- 
mandèrent que  l'on  interrogeât  les  évêques  ordonnés  par  Photius. 
pour  savoir  s'ils  voulaient  se  soumettre  à  la  sentence  rendue  par 
Rome.  L'empereur  y  consentit,  et  les  légats  posèrent  la  question 
aux  trois  évêques  d'Héraclée,  de  Crète  et  de  Célenderis  (en  Isaurie). 
Ils  déclarèrent  qu'ils  ne  se  soumettraient  pas,  et  le  concile  n'in- 
sista pas.  Métrophanès  s'attaqua  ensuite  à  Zacharie  de  Chalcé- 
doine  dont  il  s'attacha  à  réfuter    le    discours.  «    D'abord    il    est 
inadmissible  que  les  partisans  de  Photius,  qui  avaient  eux-mêmes 
réclamé    la    juridiction    du    pape    Nicolas,    songeassent    mainte- 
nant  à  ne  pas  se  soumettre  à  sa    décision.    En    second    lieu,    les 
exemples    de   Nectaire,  d'Ambroise,  de  Tarasius,  sont  mal  choi- 
sis, la  situation  de  chacun  ayant  été   très   différente   de   celle   de 
l'hotius,  usurpant  un  siège  qui   n'était  pas   vacant  ;   son  élection, 
imposée  par  l'empereur,  n'a  été  reconnue  par  aucun  patriarche.  On 
ne  peut  attacher  plus  de  valeur  aux  exemples  allégués  par  Zacha- 
rie  pour   prouver  que   souvent   celui    qui   avait    été    excommunié 
par  un  évêque,  avait  été  reçu  par  d'autres.  Sans    doute,    Marcel 
d'Ancyre,   admis  par  le   pape   Jules  et  par  le  concile  de  Sardique. 
avait  été  plus   tard  condamné   par  tous  ;    mais  parce  qu'il    avait 
enseigné  dans  la  suite   des   erreurs   qui  l'avaient  fait  anathéma- 
tiser  par   Silvanus  et    ses   amis,   et  le   pape   Libère   avait   adhéré 
à  cette   condamnation  1.  »    Zacharie    voulut    répondre,    mais    les 
légats  du  pape  mirent  fin  à  ces  discours    inutiles  et  engagèrent 
les  partisans  de  Photius  à  se  soumettre  au  concile  et  à  la  décision 
romaine   de  863.   Ces  exhortations  furent  appuyées  par    un  très 
chaleureux  Epanagtiosticon,   de    l'empereur,    dont    il    fit    donner 
lecture;  il  exhortait,   de  la  manière  la  plus    instante    et    la    plus 
louchante,  ceux  qui  étaient  dans  l'erreur  à  ne  pas  laisser  passer 
en  vain  le   temps   de   grâce   et   de   miséricorde.    Son   désir  le   plus 
ardent  était  que  personne  ne  restât  en  dehors  de  l'Eglise  et  ne   se 
perdît    ;  aussi    avait-il    demandé    aux    légats    de     Rome    et    aux 
patriarches  orientaux  de  lui  venir  en  aide   en  cette  circonstance. 
Ceux-ci  protestèrent  de  leur  meilleure  volonté,  et  l'empereur  ter- 


1.  Voir  §  111. 


[407] 


491.     SIXIÈME.     SEPTIÈME     ET     HUITIÈME    SESSION  S  509 

mina   en  déclaranl  que,   si  les  partisans    de     Photius   ne   voulaient 

pas  accepter  immédiatement  le  moyen  de  salut  qui  leur  était 
offert,  ils  auraient  un  délai  de  sept  jours  pour  réfléchir  à  leur  con- 
duite, et  s'ils  persistaient  dans  leur  résolution,  ils  devaient  reve- 
nir le  vendredi  suivant  devant  le  concile  pour  y  entendre  leur 
jugement 1. 

Par  ordre   de  l'empereur  présent  à  la  septième  session   (samedi 
2! •  octobre).  Baanès  demanda  aux  légats  et  aux  vicaires  orientaux 
si  l'on  devait  introduire   Photius,   puisque  le  délai  accordé  était 
[4081  écoulé.  Sur  l'affirmative,  Photius  entra  avec  Grégoire  de  Syracuse. 
A  la  demande  du  légat  Marin,   Photius  fut  obligé  de  déposer  la 
crosse,  insigne  de  sa  dignité  épiscopale,  et  Baanès  lui  demanda, 
au  nom  des  légats  et  des  vicaires  orientaux,  s'il  était  prêt  à  signer 
la  déclaration  contenant  l'aveu  de    ses    injustices,    qui    lui    avait 
été  déjà  présentée  dans  la  session  précédente.  Il  répondit  :   «  Gré- 
goire et  moi,  nous  répondrons  à  l'empereur,  non  aux  vicaires.  » 
Et  tous  deux    ajoutèrent  :     «  C'est  aux  légats  à  faire  pénitence.  » 
Ceux-ci  répondirent  brièvement  et    avec  dignité   à    cette    effron- 
terie; les  vicaires  orientaux  se  montrèrent    plus  vifs    et  plus    pro- 
lixes, et  Photius  se  hâta  de  déclarer  qu'il  n'était    pas     venu    pour 
se  faire  injurier.   On  introduisit  ensuite  les   évèques  ordonnés    par 
lui,    à    qui    on    demanda    s'ils    étaient    prêts    à    signer   le    libellus. 
Quelques-uns   refusèrent   immédiatement,    d'autres   demandèrent 
de  quel  libellus  il  s'agissait,  et  lorsque  les  légats  leur  répondirent  : 
«  Celui  que  nous  avons  apporté  de   Rome,  »  deux  partisans  de 
Photius    protestèrent    énergiquement    qu'ils    n'en    feraient    rien. 
Baanès  leur  dit  :    «  A-t-on  jamais  entendu  dire  qu'un  parti  qui 
avait  contre  lui  tous  les  patriarches,  eût  le  dessus  ?  Tel  est  votre 
cas.  Qui  donc  vient  à  votre  secours?  »  Les  partisans  de  Photius 
répliquèrent  :  «  Les  canons  des  apôtres  et  des  conciles.  »  Baanès  : 
«  Où  donc   Dieu  a-t-il  fait  connaître  les  saints   canons  ?    Est-ce 
dans  les  Églises  ou  ailleurs,  et  y  a-t-il  des  Eglises  en  dehors  des 
cinq  patriarcats  ici  représentés  ?  »  Les  partisans  de  Photius  ar- 
guèrent que  l'empereur  leur  avait  promis  qu'ils  pourraient  parler 
en  toute  liberté.   Mauvaise  raison,  remarqua  Baanès  :  «  Sans  dou- 
te l'empereur  leur  accordait  la  liberté  de  parler,     mais     comme  ils 
n'avaient  proféré  que  des  injures,  les  juges  (c'est-à-dire  les  légats 


1.    Hardouin,  op.  cit.,  col.  823  sq.,  1054  sq. ;  Mansi,  opr  cit.,  t.  xvi,  col.  81-96, 
344-358;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  97  sq.  ;  [A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  224.  (H.  L.)] 


510  T.IVRF     XXIV 

et  les  vicaires  orientaux)  n'étaient  pas  disposés  à  les  entendre 
plus  longtemps.  »  Photius  et  ses  h  mis  protestèrent  alors  contre 
ces  juges,  soutenant  qu'ils  agissaient  en  opposition  avec  les  canons 
et  avec  leurs  propres  patriarches.  L'empereur  dit  :  «  Si  tel  est  votre 
sentiment,  consultez  les  sièges  patriarcaux,  pour  savoir  leur  déci- 
sion. »  Mais  les  partisans  de  Photius  se  contentèrent  de  demander 
que  touie  leur  affaire  fût  examinée  de  nouveau  à  Constantinople. 
Les  légal  s  s'y  refusèrent,  déclarant,  que,  dès  863,  le  pape  Nico- 
las avait  condamné  Photius  pour  avoir  chassé  Ignace,  condam- 
nation à  laquelle  Photius  avait  répondu  en  prononçant  i'ana- 
thème  contre  le  pape.  Aussi  devait-on  lire  les  actes  du  concile 
romain  tenu  sous  Nicolas,  de  même  que  les  documents  d'Hadrien 
et  de  ses  conciles.  Cette  lecture  commença  par  la  lettre  du  pape 
Nicolas  adressée  à  tous  les  évêques  et  à  tous  les  clercs  du  patriar-  [409] 
cat  de  Constantinople,  en  date  du  13  novembre  866,  et  contenant 
les  décrets  du  concile  romain  de  863  contre  Photius  et  ses 
partisans,  contre  Grégoire  de  Syracuse  et  les  iconoclastes.  Vin- 
rent ensuite  les  deux  lettres  d'Hadrien  au  nouvel  empereur 
Basile  le  Macédonien  et  à  Ignace  après  sa  réintégration,  en  date  du 
1er  août  868;  c'étaient  les  premières  que  Rome  eût  envoyées  à 
Constantinople  après  les  grands  événements  survenus  dans  celle 
ville,  et  le  pape  exprimait  toute  la  joie  que  lui  causait  la  déposi- 
tion de  Photius,  etc.  On  relut  également  les  deux  lettres  du  pape 
Hadrien  à  l'empereur  et  à  Ignace,  apportées  par  les  légats  au 
présent  VIIIe  concile,  et  déjà  lues  dans  la  première  et  dans  la 
troisième  session.  On  termina  par  la  lecture  des  six  documents  du 
concile  romain  de  StiV,  contenant  une  nouvelle  condamnation 
de  Photius  et  de  ses  partisans. 

Les  légats  demandèrent  une  nouvelle  publication  de  la 
sentence  du  pape  Nicolas,  car  la  mission  de  ce  concile  général 
ne  pouvait  être  d'infirmer  un  jugement  porté  par  Rome  ;  à  la 
siiite  d'un  discours  d'Ignace,  op  prononça,  par  l'intermédiaire  du 
notaire  et  diacre  Etienne,  l'anathème  sur  Photius  :  «  Anathème 
au  courtisan  et  à  l'intrus  !  Anathème  au  schismatique,  à  Photius 
déjà  condamné  !  Anathème  à  l'adultère  et  au  parricide  Photius  ! 
Anathème  au  fabricant  de  mensonges  !  Anathème  à  l'inventeur 
de  fausses  doctrines  !...  Anathème  à  tous  ses  partisans  et  protec- 
teurs !  Anathème  à  Grégoire,  ancien  é\è<jue  de  Syracuse  !  Ana- 
thème à  Euiampius,  déjà  déposé  et  schismatique  !  »  Vinrent 
ensuite   les   acclamations   habituelles,   plus   complètes   cette   fois, 


[410] 


491.     SIXIÈME.     SEPTIÈME     ET     HUITIEME     SESSIONS  5ii 

en  l'honneur  de  l'empereur,  de  l'impératrice,  des  papes  Nicolas 
et  Hadrien,  des  autres  patriarches,  des  légats  romains,  des  vicaires 
orientaux,  du  sénat  impérial  et  de  tout  le  concile  \ 

La  vne  session  (5  novembre)  compta  quelques  nouveaux 
membres  de  l'épiscopat  grec  ;  sur  l'ordre  de  l'empereur  présenl . 
Baanès  ouvrit  la  délibération  :  «  Antérieurement  (sous  Photius), 
le  clergé,  le  sénat  et  le  peuple  ont,  sous  le  coup  de  la  violence, 
souscrit  à  beaucoup  d'injustices,  mais  aujourd'hui  l'empereur 
veut  que  tous  ces  documents  soient  brûlés,  afin  que  Dieu  pardonne 
à  ceux  qui  ont  participé  à  leur  rédaction.  »  Les  légats  louèrent 
cette  résolution  de  l'empereur,  qui  réalisait  ainsi  une  demande. 
du  pape  et  prièrent  Dieu  de  conserver  ce  |>ie ex  empereur  (,111 
gouvernait  ses  États.  Les  évêques  grecs  qui  avaient  signé  les  docu- 
ments en  question  déclarèrent  adhérer  à  cette  proposition  ;  en 
conséquence,  sur  Tordre  de  l'empereur,  on  apporta  au  centre  de 
la  salle  des  séances  un  vase  de  bronze,  avec  des  charbons  ardents. 
En  même  temps,  Théophylacte,  diacre  de  Constantinople,  apporta 
dans  un  sac  les  documents  que  Photius  avait  l'ait  souscrire  par 
divers  procédés  illégitimes,  à  tous  les  clercs  et  laïques,  dans  des 
positions  supérieures  ou  inférieures,  et  les  actes  faux  du  concile 
tenu  contre  Ignace  et  contre  le  pape  Nicolas.  Tout  fut  jeté  au 
feu  et  anéanti. 

L'empereur  dit  ensuite  qu'il  avait  mandé  ces  faux  vicaires  des 
patriarches,  que  les  actes  (falsifiés)  du  conciliabule  de  Pho- 
tius donnaient  comme  présents.  Ils  furent  introduits,  et  on 
demanda  d'abord  au  moine  Pierre  s'il  avait  réellement  assisté  à 
cette  réunion,  et  remis  un  écrit  contre  le  pape  Nicolas.  Il  nia 
l'un  et  l'autre,  disant  :  «  Suis-je  donc  le  seul  Pierre  arrivé  de  Rome 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  837  sq.,  1065  sq.  ;  Mansi,  t.  xvi,  col.  96-133, 
357-382;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  105  sq.  [Nicetas,  Vita  Ignatii,  dans  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xvi,  col.  264,  assure  tenir  de  témoins  dignes  de  foi  que  «  les  Pères  du 
concile,  pour  manifester  l'horreur  profonde  que  leur  inspirait  la  conduite  de  Pho- 
tius,  signèrent  les  anathèmes  prononcés  contre  lui,  non  avec  de  l'encre,  mais, 
ce  qui  fait  frissonner,  avec  le  sang  de  Jésus-Christ.»  On  trouve  un  fait  semblable 
lors  de  la  condamnation  du  monothélite  Pyrrhus  par  le  pape  Théodore;  Baronius, 
Annales,  ad  ann.  864,  n.  14,  15.  D'après  Hergenrôther,  Photius,  t.  11,  p.  109, 
la  chose  est  très  douteuse  dans  le  cas  présent.  Les  actes  du  concile  ne  laissent 
rien  soupçonner  de  semblable.  A  la  vne  session,  pas  plus  que  dans  les  deux  ses- 
sions suivantes,  aucune  pièce  ne  fut  signée.  On  ne  souscrivit  à  l'ensemble  qu'à  la 
fin  de  la  xe  session.  (H.  L.) 


512  LIVRE    XXIV 

ici,  et  n'y  a-l-il  pas  plusieurs  milliers  de  personnes  qui  portent 
ce  même  nom  ?  »  Il  demanda  la  lecture  publique  d'un  mémoire 
apologétique  qu'il  avait  apporté,  et  dans  lequel  il  disait  en  résumé  : 
«  Sans  doute,  son  nom  figure  dans  les  actes  du  conciliabule,  mais 
il  n'a  jamais  remis  de  mémoire  contre  le  pape,  il  n'a  jamais  impor- 
tuné l'empereur  Michel,  enfin  il  n'a  jamais  assisté  à  ce  synode, 
si  tant  est  qu'il  se  soit  tenu.  Il  sollicite  la  permission  de  retourner 
à  Rome.  »  D'après  cela,  ce  Pierre,  moine  romain,  figurant  dans 
les  actes  du  conciliabule  comme  représentant  de  l'Occident,  c'est- 
à-dire  d'un  parti  en  opposition  avec  le  pape  Nicolas,  était  doue 
un  personnage  imaginaire.  Basile,  cité  aussi  dans  ces  actes  comme 
vicaire  du  patriarche  de  Jérusalem,  nia  avoir  remis  un  écrit  con- 
tre Rome,  et  afin  de  donner  plus  de  force  à  ses  paroles,  il  pro- 
nonça l'anathème  contre  l'auteur  de  cette  supercherie.  A  d'autres 
questions  à  lui  faites,  Basile  répondit  :  «  Il  est  allé  de  Jéru- 
salem à  Tripoli,  et  de  là  à  Rome,  pour  y  faire  ses  dévotions  ; 
mais,  étant  tombé  malade,  il  s'est  rendu  de  Venise  à  Constanti- 
nople,  où  il  a  séjourné  pendant  vingt  mois  sous  le  pape  Benoît  ; 
le  manque  de  ressources  l'avait  obligé  à  quitter  cette  ville. 
Plus  tard,  à  l'époque  de  la  déposition  d'Ignace,  il  est  revenu  à 
Rome,  pour  retourner  ensuite  à  Constautinople,  mais  il  n'a  remis 
aucun  mémoire  et  ne  sait  rien  de  ce  prétendu  synode  (le  concilia- 
bule grec).  Du  reste,  il  n'a  pas  connu  intimement  le  pape  Nicolas 
(de  façon  à  pouvoir  composer  un  mémoire  contre  lui).  »  Vint 
ensuite  le  tour  de  Léonce,  prétendu  vicaire  du  siège  d'Alexandrie. 
Celui-ci  reconnut  avoir  remis,  à  la  demande  de  son  patriarche, 
une  lettre  à  l'empereur  (Michel),  mais  par  cela  n'avoir  reçu 
aucune  mission  de  son  évèque  et  n'avoir  pris  aucune  part  à  l'as- 
semblée en  question.  Baanès  demanda  que  faire  de  ces  gens-là, 
qui  semblaient  être  plutôt  des  marchands  que  des  vicaires  ;  les 
légats  du  pape  proposèrent  de  leur  faire  prononcer  par  écrit  l'ana- 
thème contre  l'auteur  de  ces  faux  documents  (contre  Photius).  Ils 
répondirent  :  «  Nous  ne  connaissons  pas  ces  documents,  et  leur 
inventeur  est  déjà,  par  le  fait  même,  anathématisé  1.  »  Ils  sem- 
blaient donc  résister;  on  les  menaça  d'anathème,  et  ils  se  décidè- 
rent à  faire  ce  qu'on  exigeait  d'eux. 

Un  demanda  ensuite  aux  métropolitains,  dont  les  noms  se  trou- 


1.  Tel  est  le  véritable  sens  de  cette  phrase  et  le  seul  qui  s'accommode  avec  le 
contexte. 


[411] 


191.     SIXIEME.     SEPTIEME     ET     HUITIEME     vissions  .  t  I  .' ! 

vaientTégalemenl  dans  les  procès-verbaux  du  conciliabule  de 
Photius,  s'ils  avaient  réellement  signé  ces  procès-verbaux.  Ils 
le  nièrent  de  la  manière  la  plus  énergique,  et  on  lut  alors,  à  la 
demande  des  légats,  le  20e  canon  du  concile  de  Latran,  tenu  en 
649,  frappant  d'un  ana thème  éternel  quiconque  ayant  composé 
des  documents  apocryphes,  simulé  des  vicaires,  forgé  des  témoi- 
gnages, etc.  (c'était  le  cas  de  Photius).  Métrophanès  exprima 
alors  d'une  manière  très  pathétique  la  joie  profonde  que  lui  cau- 
sait cette  nouvelle  victoire  de  la  vérité. 

L'empereur  attira  ensuite  pour  quelque  temps  l'attention  de 
l'assemblée  sur  la  question  des  images,  et  demanda  ce  qu'il  fallait 
faire  de  Théodore  Crithinus  1,  le  chef  actuel  des  iconoclastes, 
qu'il  avait  mandé.  Les  légats  proposèrent  de  lui  envoyer,  à  lui  et 
à  ses  amis,  quelques-uns  des  employés  impériaux  présents  au 
synode,  pour  les  engager  à  se  saisir  de  la  planche  de  salut  qui 
leur  était  tendue  et  à  quitter  leurs  erreurs  ;  sinon  ils  seraient 
ixcommuniés.  Les  vicaires  orientaux  se  rangèrent  à  cet  avis, 
et,  sur  l'ordre  de  l'empereur,  Baanès  se  rendit  avec  le  patrice 
Léon  auprès  de  Théodore  Crithinus,  pour  lui  communiquer  cette 
décision.  Théodore  n'ayant  rien  répondu,  Baanès  se  confor- 
mant à  la  recommandation  de  l'empereur  lui  remit  une  pièce 
[412]  d'argent  frappée  à  l'image  du  souverain.  L'iconoclaste  la  reçut 
avec  beaucoup  de  respect  et  témoigna  sa  vénération  à  l'image 
de  l'empereur  ;  Baanès  lui  dit  alors  :  «  L'empereur  te  fait  deman- 
der  comment  tu  peux  refuser  d'honorer  l'image  de  Notre-Seigneur. 
de  sa  sainte  Mère,  etc.,  puisque  tu  ne  refuses  pas  ta  vénération 
à  son  image,  c'est-à-dire  à  celle  d'un  prince  mortel.  »  Théodore 
répondit  qu'  «  il  devait  une  reconnaissance  éternelle  à  l'empe- 
reur qui  l'avait  délivré  de  l'exil  et  de  la  misère.  Il  avait  reçu  avec 
respect  l'effigie  de  l'empereur,  parce  que  celui-ci  l'avait  ainsi 
ordonné,  et  il  était  également  prêt  à  vénérer  l'image  du  Christ,  si 
on  lui  prouvait  que  le  Christ  l'avait  ordonné.  »  Baanès  l'exhorta 
à  se  soumettre,  puisque  les  cinq  patriarches  s'étaient  tous  pronon- 
cés contre  les  iconoclastes,  et  rapporta  au  concile  les  paroles  de 
Théodore.  On  lut  alors  le  sixième  capitulum  du  pape  Nicolas 
(et  de  son  concile  de  803)  ~,  contre  les  iconoclastes.  Sur  ces  entre- 

1.  De/oi'Jr,  c'est-à-dire  orge.  Anaslase  remarque  à  ce  sujet  :  quod  interpretatur 
hordeaceus,  qui  videlicet  est  irralionabilium. 

2.  Voir   §  470. 

CONCILES     -      IV  33 


514  LIVRE    XXIV 

faites  trois  de  ces  derniers,  le  clerc  Nicétas,  le  laïque  Théophile 
et  le  jurisconsulte  Théophanes  furent  introduits,  abjurèrent  pu- 
bliquement leurs  anciennes  erreurs,  et  jetèrent  l'anathème  sur  les 
chefs  des  iconoclastes,  c'est-à-dire  Théodotus  (Cassitera)  1,  An- 
toine de  Silœum  et  Jean  Grammaticus,  et  enfin  Théodore  Crithi- 
nus.  L'empereur  les  embrassa  comme  des  membres  nouveaux 
de  l'Église2.  Élie  de  Jérusalem  et  les  légats  du  pape  dirent  alors 
quelques  paroles  en  l'honneur  de  l'empereur  et  de  son  zèle  or- 
thodoxe, ils  firent  ensuite  prononcer  par  le  diacre  Etienne  une 
sentence  contre  les  iconoclastes  dans  les  nombreux  anathèmes 
suivants  :  «  Anathème  à  tous  les  hérétiques  !  Anathème  à  la  secte 
qui  s'acharne  après  les  saintes  images  !  Anathème  à  quiconque 
accepte  ces  faux  principes  !  Anathème  à  ceux  qui  appliquent 
aux  images  les  textes  de  la  sainte  Ecriture  contre  les  idoles  !  Ana- 
1  hème  à  ceux  qui  appellent  les  saintes  images,  des  idoles  !  Anathème 
à  ceux  qui  disent  qu'en  dehors  du  Christ  un  autre  (Léon  l'Isaurien, 
etc.,)  nous  a  délivrés  du  culte  des  idoles  !  Anathème  à  ceux  qui  pré- 
tendent que  l'Eglise  a  jamais  vénéré  les  idoles  !  Anathème  à 
Anastase,  à  Constantin  et  à  Nicétas,  chefs  de  l'hérésie  sous  les 
Isauriens  (comme  évêques  de  Constantinople)  !  Anathème  à 
Théodote,  à  Antoine  et  à  Jean  !  »  On  réitéra  ensuite  les  anathè- 
mes déjà  prononcés  contre  Photius  dans  la  séance   précédente  3. 


492.  Neuvième  session,  le  12  février  810.  [413] 

Après  une  interruption  de  près  de  trois  mois,  le  concile  tint, 
le    12    février    870,    sa    ixe    session  4.    Dans    l'intervalle,    le    se- 


1.  Voir  §  415. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  141.  «  A  partir  de  ce  moment,  Basile  ne  rencontra 
plus,  sans  doute,  de  difficultés  sérieuses  de  la  part  des  iconoclastes.  Leur  nom 
s'en  alla  tomber  dans  l'oubli.  Les  uns  se  soumirent,  les  autres  fusionnèrent 
avec  les  diverses  communautés  hétérodoxes  de  l'empire.  »  A.  Vogt,  Basile  IeT, 
p.  297.  (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  col.  874  sq.,  1086  sq.  ;  Mansi,  op.  cil.,  t.  xvi,  col.  134,  143, 
382-390;   Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  100  sq. 

4.  «  Pourquoi  ?  se  demande  M.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  225.  Il  est  probable  que 
c'est  au  sortir  de  la  vme  session,  après  la  condamnation  de  Photius,  qu'éclata 
dans  le  clergé  le  mécontentement  qui  devait  forcément  se  produire  contre  les 


'i92.     NEUVIÈME    SESSION  .')15 

cond  fils  de  l'empereur  Léon  (qui  devint  plus  tard  empereur 
sous  le  nom  de  LéonVI  ou  Léon  le  Sage), ayant  été  nommé  augusle, 
son  nom  paraît  pour  la  première  lois  à  cette  session.  Nous  y  ren- 
controns également  pour  la  première  fois  un  fondé  de  pouvoirs 
de  Michel,  patriarche  d'Alexandrie,  le  moine  et  archidiacre  Joseph. 
Outre  Ignace  et  les  vicaires  patriarcaux,  le  nombre  des  évèques 


légats.  Déjà,  beaucoup  avaient  vu  de  mauvais  œil  le  Libellas  apporté  par  les  am- 
bassadeurs du  pape  ;  mais  quand  le  jugement  contre  Photius  fut  rendu  public, 
la  colère  des  partisans  du  patriarche  ne  connut  plus  de  bornes.  Ils  se  rendirent 
auprès  de  l'empereur  et  lui  reprochèrent  amèrement  sa  condescendance  et  sa 
faiblesse  qui  rendaient,  disaient-ils,  l'Église  grecque  dépendante  de  l'Église  ro- 
maine. Peut-être  s'avisèrent-ils  aussi  qu'il  serait  prudent,  en  vue  d'événements 
futurs  toujours  possibles,  de  ne  pas  laisser  de  traces  compromettantes  de  leur 
conduite  présente.  Quoiqu'il  en  soit,  un  certain  nombre  d'évêques  et  de  prêtres 
demandèrent  qu'on  s'emparât  des  exemplaires  du  Llbellus  sur  lesquels  leur  nom 
figurait.  L'empereur  mécontent  des  légats,  heureux  sans  doute,  de  se  ménager  des 
amis  pour  le  jour  où  ses  intérêts  lui  commanderaient  une  autre  politique,  acquies- 
ça à  la  demande  qui  lui  était  faite  et,  sans  vergogne,  par  les  domestiques  grecs 
des  légats,  fit  reprendre,  en  secret,  tous  les  exemplaires  qui  se  trouvaient  en  la 
possession  des  Romains.  Voir§  488.  Une  telle  conduite  n'avait  rien  de  très  noble. 
Si  elle  montrait  avec  évidence  combien  était  mécontent  l'empereur,  elle  prouvait 
aussi  qu'il  était  capable  de  ne  reculer  devant  aucun  moyen  pour  arriver  à  ses 
fins  et  que  la  loyauté  n'était  pas  la  première  de  ses  qualités.  L'affaire,  naturelle- 
ment, fit  grand  bruit  et,  sans  doute,  les  légats  n'auraient  à  eux  seuls,  et  malgré 
toute  leur  éloquence,  obtenu  qu'un  refus  de  rendre  les  précieux  papiers,  si  Anas- 
tase  le  Bibliothécaire  ne  s'était  trouvé  fort  à  propos  à  Constantinople,  à  la  tête 
de  l'ambassade  qui  venait  conclure  un  mariage  entre  Constantin  et  la  fille  de 
Louis  IL  Les  légats  firent  immédiatement  intervenir  les  ambassadeurs  auprès 
de  Basile  et  ce  fut  grâce  à  eux  —  car  il  y  allait  pour  l'empereur  de  sa  loyauté 
et  des  succès  des  négociations  —  que  les  signatures  furent  rendues.  Anastase  en 
reçut  le  dépôt  et  les  emporta  à  Rome  avec  le  texte  du  concile,  mais  ce  ne  fut  pas 
sans  encourir  la  colère  de  Basile  qui  le  lui  lit  payer  peu  de  temps  après.  Anastase 
raconte  ces  événements  dans  une  note  assez  courte  insérée  dans  les  actes  de  la 
ire  session  à  l'occasion  du  Libellus,  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  29,  mais  il  ne  s'en- 
suit pas  pour  autant  qu'ils  aient  eu  lieu  à  ce  moment.  L'intervention  d'Anas- 
tase  qui  ne  put  s'exercer  qu'à  la  fin  du  concile  suffirait  à  le  prouver.  D'autre  part, 
le  Liber  pontificalis,  t.  n,  p.  182,  place  ces  événements  à  la  fin  du  concile  à  pro- 
pos des  signatures  des  légats  ;  mais  la  dernière  séance  eut  lieu  un  peu  après  la 
neuvième,  le  28  février,  et  comme  la  fameuse  clause  :  Usque  ad  voluntatem,  sou- 
leva beaucoup  de  diflicultes,  Liber  pontificalis,  t.  ii,  p.  184,  note  4,  il  est  probable 
que  le  protocole  avait  déjà  été  soumis  avant  la  dixième  et  dernière  séance.  Du 
reste,  au  début  du  concile,  Basile  n'aurait  jamais  agi  de  la  sorte  avec  les  légats. 
Je  crois  donc  qu'il  faut  placer  cette  histoire  entre  la  viue  et  la  ixe  session.  Elle 
explique  bien  l'arrêt  momentané  des  séances  et  la  conduite  de  Basile  alors  très 
profondément  blessé  de  l'attitude  intransigeante  des  légats.  »  (H.  L.) 


516 


LIVRE     XXIV 


grecs  présents  était  monté  jusqu'à  60.  L'empereur  n'assistait  pas 
à  la  réunion.  Tout  le  monde  se  réjouit  de  voir  un  fondé  de  pouvoirs 
du  patriarcat  d'Alexandrie,  et  on  lut  le  document  qui  établissait 
la  mission  de  Joseph;  c'était  une  lettre  écrite  à  l'empereur  par  le 
patriarche  Michel.  «  Depuis  longtemps,  disait-il,  je  désirais,  sire, 
écrire  à  Ta  Magnificence  ;  mais  la  crainte  d'un  peuple  étranger 
(les  Sarrasins,  qui,  depuis  le  vne  siècle,  dominaient  en  Egypte), 
m'en  a  détourné.  Toutefois,  il  y  a  quelque  temps,  le  gouverneur 
de  la  Palestine,  de  Tibériade,  de  Tyr  et  de  l'Egypte  (Achmed 
de  Tulinide),  m'a  mandé  avoir  reçu  une  lettre  dans  laquelle  Ta 
Magnificence  m'engageait  à  envoyer  à  Constantinople,  avec  une 
lettre,  un  fondé  de  pouvoirs  du  siège  d'Alexandrie,  à  cause  de 
la  division  provoquée  à  Constantinople  par  les  deux  patriarches. 
L'empereur  tenait  à  consulter  sur  ce  point  même  des  étrangers. 
J'ai  alors  demandé  au  gouverneur  de  m'envoyer  le  moine  Joseph 
autrefois  mon  clerc,  mais  vivant  par  goût  depuis  de  longues  années 
dans  la  solitude;  c'est  ce  qu'il  a  fait.  Par  l'intermédiaire  du  moine 
Joseph  je  t'envoie,  sire,  cette  lettre  indigne  de  toi,  si  je  ne  savais 
que  tu  imites  le  Christ,  qui  a  attaché  un  très  grand  prix  au 
denier  de  la  veuve.  (Suit  une  citation  inintelligible  d'un  poète; 
Anastase,  qui  avait  cependant  le  texte  original  sous  les  yeux,  n'a 
pu  l'expliquer  et  l'abréviateur  grec  l'a  omise.)  Quant  aux  deux 
patriarches  de  Constantinople,  je  ne  puis,  vu  mon  éloignement 
et  l'ignorance  complète  où  je  suis  sur  toute  cette  affaire,  émettre 
un  jugement.  Mais  il  y  a  parmi  vous  un  très  grand  nombre  d'évê-  [414] 
ques,  d'abbés,  de  clercs  et  de  moines  (a^uyeq,  célibataires) 
gens  sages  et  prudents,  dont  tu  es,  sire,  le  chef  et  premier  docteur. 
Vous  qui  voyez  l'affaire  de  près,  pouvez  mieux  que  moi  connaître 
ce  qui  est  juste  et  agréable  à  Dieu.  Nous  lisons,  dans  l'histoire 
du  moine  Alexandre,  que  Jérusalem  a  eu  autrefois  deux  patriar- 
ches en  même  temps.  Entraîné,  en  effet,  par  son  amour  pour  l'as- 
cétisme, le  trentième  patriarche  Narcisse  s'était  retiré  dans  la 
solitude,  et  s'était  si  bien  caché  qu'on  choisit  à  sa  place  Dius, 
puis  Germain,  et  enfin  Gordien.  Sur  ces  entrefaites  reparut  Nar- 
cisse, qui  vécut  dans  les  meilleurs  termes  avec  Gordien.  Je  te 
demande  enfin,  sire,  de  te  montrer  bienveillant  pour  ceux  qui  te 
sont  envoyés  d'ici  (Joseph  et  sa  suite),  et  pour  tous  les  chré- 
tiens qui  s'occuperont  avec  eux  du  rachat  des  prisonniers,  afin 
qu'eux  et  nous-mêmes  nous  ne  devenions  pas  suspects.  »  (Nous 
avons  déjà  vu  les  vicaires  d'Antioche  et  de  Jérusalem  s'occuper 


192.     NEUVIÈME     SESSION  ■"' 1  / 

aussi  du  rachat  des  Sarrasins  captifs.)  Cette  lettre  ayant  satis- 
fait tout  le  monde,  les  commissaires  impériaux  demandèrent  à 
Joseph  s'il  connaissait  les  décisions  du  concile,  c'est-à-dire  la 
réintégration  d'Ignace  et  la  déposition  de  Photius,  et  s'il  y  adhé- 
rait. Il  répondit  affirmativement  avec  une  grande  énergie  et 
répondit  de  même  dans  une  déclaration  écrite  dont  il  réclama 
la  lecture,  et  ({ui  contenait  également  de  vives  louanges  à  l'a- 
dresse de  l'empereur,  des  légats  et  des  vicaires  orientaux.  «  Il 
connaissait,  disait-il,  très  exactement  les  décisions  prises  et 
approuvait  ce  que  les  légats  et  les  vicaires  avaient  jugé  et  déci- 
dé. »  C'étaient  donc  eux,  et  non  le  concile,  qu'il  regardait 
comme  juges  ;  et  l'assemblée  répéta  son  opinion  sans  objection 
aucune,  du  moins  d'après  la  traduction  d'Anastase.  L'abréviateur 
grec  fait  au  contraire  dire  au  concile  :  «  Nous  voyons  qu'il  adhère 
à  notre  jugement.  »  Joseph  fut  donc  officiellement  reconnu 
comme  vicaire  d'Alexandrie,  et,  à  la  demande  des  légats,  le  sy- 
node passa  à  une  autre  affaire. 

On  introduisit  ceux  qui  avaient  autrefois  témoigné  contre  Ignace 
en  présence  des  légats  du  pape  Rodoald  et  Zacharie  (conciliabule 
[415]  de  861)  *,  et  ils  furent  interrogés  par  les  légats.  Le  protospathaire 
Théodore  dit  :  «  L'empereur  Michel  m'avait  forcé  d'attester  par 
serment  que  je  n'avais  rien  vu  de  Y  élection  d'Ignace.  Cette  affir- 
mation était  matériellement  vraie,  car  ce  jour-là  j'étais  de  ser- 
vice à  la  cour,  cependant  j'avais  très  bien  su  qu'Ignace  était 
l'évêque  légitime,  et  pendant  douze  ans  j'avais  été  en  commu- 
nion ecclésiastique  avec  lui.  Je  confessai  ensuite  ma  faute  à  un 
chartularius,  qui  était  moine  et  a  vécu  quarante  ans  sur  une 
colonne,  et  fis  la  pénitence  qui  me  fut  alors  imposée.  Je  recon- 
nais la  réintégration  d'Ignace,  ainsi  que  le  présent  concile  e!  ses 
décrets.  » 

Le  consul  Léon,  qui,  sur  un  ordre  pareil  de  l'empereur  Michel, 
avait  affirmé  dans  le  conciliabule  n'avoir  rien  vu  de  l'élection 
d'Ignace,  fit  une  déposition  semblable.  Il  exposa  que  le  jour  de 
l'élection  il  ne  se  trouvait  pas  à  Constantinople.  «  Comme  il 
n'avait  pas  encore  confessé  sa  faute  et  n'en  avait  pas  fait  pé- 
nitence, les  légats  du  pape  lui  demandèrent  s'il  était  décidé  à 
accepter  une  pénitence.  Il  répondit  affirmativement,  mais  il 
se    refusait  à    prononcer  l'anathème    contre    Photius,    soutenant 

1.  Voir  §  464. 


518  LIVRE     XXIV 

qu'on  n'anathématisait  que  les  hérétiques,  tandis  que  Photius 
était  orthodoxe.  Quand  on  lui  dit  qu'on  pouvait  aussi  frapper 
d'anathème  ceux  qui  étaient  tombés  dans  d'autres  fautes,  il 
anathématisa  tous  ceux  que  le  saint  concile  général  anathéma- 
tisait.  »  Les  légats  du  pape  interrogèrent  ensuite  onze  autres 
personnages,  tous  employés  impériaux,  à  l'exception  d'un  diacre; 
parmi  eux  se  trouvait  Arsaber  '  ;  ils  avouèrent  s'être  laissé 
entraîner,  sous  la  menace  d'amendes  énormes  et  d'exil,  à  rendre 
de  faux  témoignages  contre  Ignace.  Les  légats  demandèrent  que 
tous  ceux  qui  étaient  coupables  de  la  même  faute  fussent  cités 
devant  le  concile,  mais  les  commissaires  impériaux  démontrèrent 
l'impossibilité  d'une  telle  mesure,  vu  le  grand  nombre  de  ces 
faux  témoins  et  la  difficulté  de  les  réunir;  c'était,  dirent-ils,  à 
Ignace  et  aux  autres  métropolitains  à  les  convoquer.  On  y  consen- 
tit, et  on  publia  Y Epitimium,  c'est-à-dire  la  pénitence  de  sept  ans 
imposée  par  les  légats  et  par  le  concile  à  ceux  qui  avaient  rendu 
faux  témoignage  contre  Ignace  et  qui  n'avaient  pas  encore  fait 
pénitence.  Ils  demeureraient  deux  ans  au  dernier  degré  des  péni- 
tents, deux  ans  parmi  les  «  écoutants  » ,  et  pendant  ce  temps  s'abs- 
tiendraient de  vin  et  de  viande,  sauf  le  dimanche  et  les  jours  de  fête 
du  Seigneur.  Ils  passeraient  ensuite  trois  ans  dans  les  rangs  des 
fidèles,  s'abstenant  de  viande  et  de  vin  tous  les  lundis,  mercredis 
et  vendredis  ;  par  contre,  ils  pourraient  recevoir  la  communion 
les  jours  de  fêtes  du  Seigneur.  Celui  qui  ne  s'avouerait  pas  sponta- 
nément coupable,  devait  être  à  tout  jamais  exclu  de  l'Eglise  et  ana- 
thématisé.  Ignace  reçut  pleins  pouvoirs  pour  adoucir  cette  péna-  [416] 
lité  selon  les  circonstances. 

Cela  fait,  les  légats  du  pape  demandèrent  que  l'on  citât  les  laï- 
ques qui  avaient  accepté  de  jouer  des  rôles  ecclésiastiques  dans 
les  orgies  de  l'empereur  Michel,  et  qui  avaient  revêtu  des  orne- 
ments sacerdotaux.  Le  spatharocandidat  Marin  et  d'autres  racon- 
tèrent, à  la  demande  des  légats,  ce  qu'étaient  ces  orgies,  et  cher- 
chèrent à  s'excuser,  en  disant  que  la  moindre  résistance  aux 
volontés  de  l'empereur  leur  aurait  valu  la  mort.  En  effet,  quelques 
personnes  qui  n'avaient  pas  voulu  prendre  part  à  ces  grossières 
plaisanteries,  avaient  été  mises  à  mort.  Ils  avaient,  du  reste, 
confessé  leur  faute  à  Ignace,  qui  leur  avait  imposé  une  pénitence. 
Les  légats   romains   déclarèrent   néanmoins   qu'on  leur  infligerait 

1.   Voir   S  464. 


492.     NEUVIÈME    SESSION  519 

une  autre  pénitence  dans  la  session  suivante  ;  ce  qui  fut  fait  dans 
le  16e  canon.  Interrogés,  si  Photius  avait  assisté  aux  orgies 
impériales,  dans  lesquelles  on  outrageait  le  Très-Haut,  les  cou- 
pables ne  purent  donner  aucun  nouvel  éclaircissement,  mais 
ajoutèrent-ils,  le  monde  entier  sait  ce  qui  s'est  passé.  Ils  ter 
minèrent  en  disant  que  le  protospathaire  Théophile,  qui  jouait 
dans  ces  représentations  le  rôle  de  patriarche,  était  mort. 

Lis  légats  demandèrent  enfin  que  les  personnes  désignées 
faussement  par  Photius  comme  vicaires  des  patriarches  orientaux 
comparussent  une  fois  de  plus  devant  le  concile,  pour  que  Joseph, 
le  représentant  nouvellement  arrivé  du  siège  d'Alexandrie,  pût 
juger  des  fourberies  de  Photius.  On  introduisit  en  effet  Léonce, 
Grégoire  (Georges)  et  Serge.  Ces  deux  derniers  n'avaient  pas  été 
interrogés  pendant  la  vme  session  ;  par  contre,  nous  ne  voyons 
pas  reparaître  Pierre  et  Basile  qui  y  avaient  déjà  figuré  ;  proba- 
blement on  estimait  n'avoir  rien  de  plus  à  apprendre  en  ce  qui 
les  concernait.  On  tenait  au  contraire  à  ce  que  Léonce,  que 
Photius  avait  donné  comme  vicaire  d'Alexandrie,  fût  examiné 
de  plus  près  par  Joseph,  le  véritable  envoyé  de  ce  siège.  Léonce 
parla  ainsi  :  «  Je  suis  Grec  d'origine.  Venu  en  qualité  d'es- 
clave à  Alexandrie,  j'y  ai  été  acheté  et  affranchi  par  le  patriar- 
che Michel,  puis  je  suis  venu  ici  pour  vivre.  J'ai  déjà  dit  que 
je  n'ai  pas  été  envoyé  à  Constantinople  par  le  patriarche  Michel 
(dans  la  vme  session  il  avait  dit  que  le  patriarche  lui  avait 
remis  une  lettre),  mais  Photius  m'a  envoyé  à  Rome  pour  faire 
dans  cette  ville  ce  dont  les  métropolitains  (les  amis  de  Photius) 
m'avaient  chargé.  Dieu  m'en  est  témoin,  j'ai  accompli  cette  mis- 
L^l'J  sion  comme  un  inconscient  et  un  ignorant.  »  Georges  et  Serge, 
envoyés  également  à  Rome  par  Photius,  pour  y  publier  ses  décrets 
contre  le  pape  Nicolas,  prétendirent  n'être  que  des  hommes  gros- 
siers parfaitement  ignorants  de  cette  affaire,  et  obéissant  à  la 
force.  Ils  nièrent  avoir  signé  le  mémoire  contre  le  pape  Nicolas, 
c'est-à-dire  les  actes  falsifiés  du  conciliabule  de  Photius,  dé- 
clarèrent se  soumettre  au  concile,  et  après  avoir  anathématisé 
Photius,   ils  obtinrent  leur  pardon  1. 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  col.  882  sq.  1091,  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  143-157, 
389-390;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  115  sq. 


520 


I.IYRK      XXIV 


493.  Dixième  et  dernière  session. 

L'empereur  Basile  le  Macédonien  et  son  fils  aîné  Constantin 
présidèrent  la  xe  et  dernière  session  (28  février  870),  à  la- 
quelle assistaient  les  trois  ambassadeurs  de  l'empereur  Louis  II  *. 
Anastase  le  Bibliothécaire,  Suppo,  parent  de  l'impératrice  et  minis- 
tre, et  Evrard,  majordome  impérial;  en  outre,  dix  ou  onze  députés 
du  roi  des  Bulgares,  dont  Anastase  a  déformé,  dans  sa  traduc- 
tion latine  des  actes  du  concile,  les  noms  barbares.  Quand  tous 
eurent  pris  place,  Baanès  pria,  au  nom  de  l'empereur,  les 
légats  romains  et  les  vicaires  des  autres  patriarcats,  de  faire  con- 
naître l'ordre  du  jour  de  la  présente  session.  Ils  répondirent  : 
«  Avant  tout,  on  doit  lire  les  canons  approuvés  par  le  concile,» 
ce  qui  fut  fait  :  on  lut  donc  vingt-sept  canons  (l'abréviateur 
grec  n'en  a  donné  que  quatorze)  2.  Le  diacre  Etienne  fit  cette 
lecture  à  haute  voix  dans  la  partie  supérieure  du  local  des  sessions 
et  le  diacre  Thomas  dans  la  partie  inférieure.  Plusieurs  de  ces 
canons  sont  dirigés  contre  Photius  et  contre  ses  partisans. 
Comme  ils  sont  d'une  rédaction  très  diffuse,  il  nous  suffira  d'en 
donner  le  sens  sans  les  traduire  mot  à  mot  3. 

1.  Voir   §  487. 

2.  Les  canons  qui  manquent  dans  le  grec  sont  les  suivants  :  can.  9,  12,  13,  15, 
16, 18,  20,  22,  26.  Le  9e  grec  correspond  au  10e  latin  ,  le  10e  au  11e,  le  11e  au  15e, 
le  12e  au  17e,  le  13e  au  21e,  le  14e  au  27e.  Au  dire  de  Schrors,  Concilienge- 
schichte,  t.  xxiv,  p.  170,  et  Gfrœrer,  Conciliengeschichte,  t.  m,  p.  278,  tous  les  ca- 
nons avaient  été  rédigés  à  Rome  et  furent  proposés  au  concile  par  les  légats. 
C'est  sans  doute  le  cas  du  plus  grand  nombre,  non  cependant  de  tous.  En  par- 
ticulier, les  canons  17e  et  21e,  relatifs  à  l'ordre  de  préséance  et  aux  droits  des 
cinq  patriarches,  doivent  être  d'inspiration,  peut-être  même  de  rédaction 
byzantine  ;  de  même  le  canon  15e,  qui  reproduit  le  canon  7e  du  conciliabule 
de  861,  défendant  aux  évêques  de  bâtir  des  monastères  avec  les  revenus  de  l'É- 
glise, et  le  canon  26e  sur  le  droit  d'appel  des  prêtres  et  des  diacres  au  métropoli- 
tain, et  des  évêques  aux  patriarches.  Cf.  Hergenrôther,  Photius,  t.  it,  p.  68-69. 
(H.  L.) 

3.  Sur  ces  canons,  cf.  Assemani,  Biblioth.  juris  Orient.,  t.  i,  p.  325  sq.  Quelques- 
uns  des  canons  (1,  3,  11  [==  10  gr.],  12,  17  [=  12  gr.],  21  [=  13  gr.),  22),  ont 
été  l'objet  d'un  commentaire  très  étudié  dans  Jugie,  IVe  Concile  de  Constanti- 
nople,  dans  le  Dictionn.  de  théologie  catholique,  t.  m,  col.  1284  sq.  (H.  L.) 


493.     DIXIÈME     ET     DERNIÈRE     SESSION  .Vil 

Can.    1. 

Tyjv  eùôeïav  xal  p'aaiAtxYjv  oobv  tyjç  Oetaç  Btxatoaùvïjç  àxpoaxô'xTMç  (3a8t- 
Çetv  lôéXovTeç,  otov  Tivaç  xupaoùç  âetXau-xeîç  toùç  twv  âyi'wv  xaTepwv  opou; 
xpaxeïv  ôçe(Xou.ev"  Totyapoûv  toùç  Iv  ty)  xaÔoXtXY]  xal  âxoaToXtxY] 'ExxXy;- 
at'a  xapaSoôévTaç  0eau.oùç  xapà  Te  tûv  àyt'wv  xal  xaveuçY)^o>v  àxoaToXojv. 
xapà  Te  ôp6oS6^wv  auvoBwv  otxou^evcxwv  Te  xat  toxixûv,  y)  xal  xpoç  Ttvoç 
ÔeYjyopou  xaTpbç  otoaaxàXou  tyjç  'ExxAYjat'aç,  TYjpeîv  xat  çuXaTTecv  6\ko- 
Xoyoû[jt.ev"  xpaTetv  yàp  Tàç  xapaSocretç,  Sç  xapeXà6o^iev,  erre  8tà  Xoyou,  e'tTe 
oV  IxicjtoXmv  tô»v  xpoyeveareptoç  BtaXau4"*VT(,)V  àytorv,  xapeyyuâ  BcapiYjOYjv 
IlaûXoç  ô  [xéyaç  àxocToXoç. 

[4181  Les  anciennes  règles  des  apôtres,  des  synodes  généraux  et  particuliers, 
que  celles  des  Pères  et  des  docteurs  de  l'Eglise,  doivent  être  maintenues 
(allusions  à  l'élévation  de  Photius,  faite  au  mépris  des  canons). 

Can.   2. 

Tbv  ^.axaptwTaTov  xàxav  NtxoXaov,  àç  àpyavov  toû  àyt'ou  Ilveû^aToç 
I^ovTeç,  xat  tov  Ixetvou  Btàooxov  tôv  àytWTaTOV  xâxav  'ABptavbv,  ôptÇo 
u.ev  xat  6eaxt'Ço[jt.ev  xâvTa  Ta  xap'  aÙTwv  IxTeOévTa  xal  auvoôtxwç  IxcpwvY]- 
OévTa  xaTà  otacpopouç  xatpoùç  ùxèp  IxStxYjaetoç  xat  ffucràaeoiç  tyjç  àyt'aç 
KwvcTavTtvouxoXtTÛv 'ExxXYjat'aç  xat  toû  àytou  aÙTYjç  àpytepéwç'IyvaTt'ou, 
xat  tyjç  <Î>wtîou  é^toôïîaewç  Te  xat  xaTaxpt'a-etoç,  TYjpeta0at  xat  <puXaTTea- 
ôat  xàvTOTe  <rùv  toïç  IxTeôetat  xeçaXatoiç,,  xat  u.Y)Beva  twv  otouBYjTivoç 
TayjxaToç  àv0p(î>xG>v  â0eTY]crat  TOA^tâv  '  et  81  Ttç  fxeTa  toûtov  tquxôv  tov 
opov  çwpaOetïj  àGeTÔJv  Tt  twv  xap'  exetvotç  IxTeGévTWv  xeçaXat'wv,  tepeùç 
u.èv  wv  y)  xXYjptxbç,  IxxtxTeTG)  tyjç  t'Siaç  ti^yjç  xal  TaHecoç"  [^ovaxbç  Se  y) 
Xaïxbç  à<poptÇla0«,  u-éxptç  av  u.eTavoYiaYj. 

Toutes  les  décisions  synodales  des  papes  Nicolas  et  Hadrien  au  sujet 
d'Iyxiace  et  de  Photius  doivent  être  exactement  observées. 

Can.  3. 

Tyjv  tepàv  et'xéva  toû  xuptou  y^wv  'ÏYjaoû  XptaTOÛ  ô^oTtfJiwç  tyj  §t6Xcp  tcôv 
âyt'wv  eùayyeXtwv  xpocxuvetaGat  0eaxtÇo(Jiev.  coaxep  yàp  Scà  twv IfjLcpepo^evwv 
év  aÛTïj  cuXXaôûv  tyjç  awTYjpt'aç  IxtTuyxàvouatv  àxavTeç,  outco  oià  tyjç  twv 
7portAàTO)v  etxovpupytaç  xat  aoçot  xat  tôtonat  xàvTeç  tyjç  (ôçeXet'aç  Ix  toû  xpo- 
"/etpou  xapaxoAaûoucjtv'  àxep  yàp  6  Iv  cruXXaÔY]  Xdyoç,  TaÛTa  xat  y)  Iv 
Xpw^aut  ypaçïj  xaTayyéXXet  Te  xat  xapt'aTYjatv.  e't  Ttç  ouv  où  xpoaxuvet  ttjv 
et'xova  toû  cr(.)TT^poç  XçtffTOÛ,    \ift     t'Sfj  Iv  tt)   oeuTepa  xapoujfa  tyjv  toutou 


522  LIVRE    XXIV 

txopçiqv"  ô^ofwç  Se  xoù  tyjv  eîx6va  ty]ç  âxpavxou  u,Y)xpbç  aûxoû,  xac  xàç 
ecxovaç  xûv  àyt'wv  ày-Y/ÉAtov,  xaôcaç  aûxoùç  xaPaxTYÎPt's£'  âtà  xà>v  Aoyi'uv  y)  àyi'a 
ypaçTj,  xal  xpoaéxi  xûv  âytwv  xavxwv,  xaï  Tt^wixev  xal  xpoaxuvoûu.ev  xat  oc 
tJt-T)  ooxcoç  exovteç  âvà6eu,a  ecxwaav. 

La  sainte  image  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  doit  être  vénérée 
(xpoaxuveîaôat)  à  l'instar  du  saint  livre  des  Evangiles  ;  car  de  même 
que  les  paroles  de  la  sainte  Ecriture  nous  conduisent  au  salut,  de  même 
les  images  agissent  sur  nous  par  leurs  couleurs,  et  tous,  savants  ou  igno- 
rants, en  tirent  profit.  Ce  que  l'Ecriture  nous  dit  par  des  mots,  l'image 
nous  l'annonce  cl  nous  le  rend  présent  par  des  couleurs.  Comme  l'honneur 
revient  au  principal  (c'est-à-dire  à  celui  qui  est  représenté),  on  doit,  ainsi 
que  nous  l'enseignent  la  raison  et  les  anciennes  traditions,  vénérer  les 
images,  de  même  que  nous  vénérons  le  livre  des  saints  Evangiles  et  l'ima- 
ge de  la  précieuse  Croix.  Celui  qui  n'honore  pas  maintenant  l'image  du 
Christ,  ne  le  verra  pas  non  plus  lorsqu'il  viendra  pour  vénérer  ses  saints. 
Nous  représentons  aussi  les  images  de  la  sainte  Vierge  et  des  anges,  parce 
que  la  sainte  Ecriture  nous  les  représente  aussi  par  ses  paroles  ;  il  en  est 
de  même  pour  les  apôtres,  les  prophètes,  les  martyrs  et  tous  les  saints. 

Can.    4. 

Tyjv  <pcÀapxt'av  oîov  xtva  xovrjpàv  pc'Çav  xwv  xaxwv  xavxwv  xopptÇov  âxoxéu.- 
vovxeç,  xbv  xpoxexwç  xal  âôsa^wç,  ot6v  xtva  Xûxov  (iapùvecçxb  xoû  Xptaxoû 
xo(u.vtov  staxY]OY]aavxa  <ï>amov,  xat  xapax^ç  tyjv  ocxou^évYjv  lu.xAYjaavxa, 
otxatw  Aoyw  àxo9atvôu.e0a  u,Y]8éxoxs  yeyovévat  xpoxspov  r\  vûv  Ixt'axoxov 
[xyjxs  xoùç  ùx'  aûxoû  xetpoxovYjGévxaç  Iv  o((pOY5xoxe  §a0u,ô)  tepaxtxô),  év  (p  xpoe- 
Xetpfaôïjaav,  u.évsiv"  xoùç  Se  xap'  aûxoû  etç  Yjyouu.svst'av  xpoxetptôévxaç,  xyjç 
xotaûxnjç  xpocxaataç  âxelpyotxev.  Xéyet  yàp  à  xwv  o*A(i)v  Oebç  Stà  xoû  xpo- 
çtjxou  "Oxe  au  éxiyvwatv  âxaxjto,  xiyà)  âxaxrotiaf  ce  xoû  u.yj  tepaxeûetv  ixot. 

Nous  déclarons  que  Photius  n'a  jamais  été  évêque  et  ne  l'est  pas  aujour- 
d'hui ;  ceux  qui  ont  été  ordonnés  ou  promus  par  lui  ne  retireront  aucun 
avantage  de  cette  ordination  ou  promotion  ;  ceux  qui  ont  été  placés 
par  lui  commme  supérieurs  de  monastères  ont  perdu  leurs  places  1,  et 
enfin  les  églises  ou  les  autels  consacrés  ou  érigés  par  lui,  ou  par  les  évêques 
ordonnés  par  lui,  doivent  être  de  nouveau  consacrés  et  érigés. 

Can.  5. 

Kavcov  loxtv  o  Xiyiùv'  M  y;  oecv  èxtaxoxov  xopxetptÇeaOat  xtva  ve6cpuxov  yj 
xaxà  xyjv  xt'axtv,  Y)  xaxà  xbv  lepaxtxbv  xXfjpov  ûxàpxovxa.  "va  ^.yj  xutpwôetç  etç 

1.  Le  texte  grec  est  le  seul  qui  apporte  ici  quelque  clarté. 


493.     DIXIÈME     ET     DERNIÈRE    SESSION  523 

xpffjuz  l^ncéa-f)  xal  xay(8a  toû  8ca64Xo'j,  x20à  çtjct'.v  6  riaûXoç,  aufxçwvuç 
xofvuv  xoûxcp  Xéyou.sv,  jnrjBéva  xwv  àxb  xf,s  ffuyfcXijxtxfjç  â£(aç  xal  xo(ty.t5d)ç 
àywyf^  xpojçàxwç  xapfvxa,  xal  xaxà  crxoxbv  xal  xpoaBoxtav  àpxtêpax'.XYjç 
fj  xaxptapyjxfjç  xijrrjç  ysyovéxa  xXïjpixbv  r,  ^ovay^bv,  ete  "kv  tocoûxov  àvaSt- 
6àÇecv  @a6u.bv,  xav  é<p'  èxàcxç)  xàyu.axt  ttjç  ôetaç  lepcoaûviqç  xXe(ova  -/povov 
xocrçqj  Soxcuailo^svoç.  oùBè  yàp  oY  eùXàBetav,  àXXà  ctà  çiXapyiav  xéxapxat. 
ëxc  Se  xXéov  xoûxov  àxec'pyou.ev,  et  xapà  (3acnXixY)ç  è£ou<r(aç  elç  xoûxo  cruvo')- 
6ï)xca.  Eî  3é  xcç  xax'  oùBeu.tav  ùxotjn'av  xfjç  etpr;uivY)ç  èxiôu^t'aç  xal  xpoaBoxc'aç 
éxâp-f),  âXXà  otà  xb  xaXbv  xfjç  xaxà  Xpiaxbv  xoXixelaç  yéyove  xXïjpixbç  t} 
[xovor/bç  xal  xàvxa  pa6(xôv  IxxXïjatacjxixbv  fjiexeXOwv  xaxà  xoùç  wpia^évouç 
ypôvouç  àvcx:Xï]xxoç  sûpéGï]  xpoSiôaaô-rçxo)  et'ç  xyjv  àpyjepfojijvTqv,  <"axe  Iv 
xw  (3a0u.(I>  xoû  àvayvwaxou  èvtauxbv  xXYjpûaat,  ev  oè  xw  xoû  ûxoocaxôvou  Bûo, 
xal  év  xw  xoû  Btaxovou  xpelç,  xal  xéaaapeç  év  x<ô  xoû  xpscrôuxépou"  Ixt  oè  xtôv 
ypoviaàvxtov  £ÙXa6û)ç  x<|)  xày^axi  xâ>v  xXïjpcxwv  xs  xal  ^ovayûv  6  xpoecprr 
[xévo?  ypovoç  aucrxaX^asxac  xapà  xwv  xaxà  xaipoùç  éxtaxoxwv.  E!  oè  xapà 
xoûxov  xbv  bpov  xpoayÔsaj  xtç  et'ç  xyjv  eipïjixévrjv  ùxepxàxïjv  xi(jlïjv,  àxoBoxi- 
[xaaÔTQXo)  xavxàxaatv. 

Aucun  sénateur,  et  en  général  aucun  laïque  qui  reçoit  la  tonsure  dans 
l'espoir  d'arriver  à  un  prêché  ou  à  un  patriarcat  et  devient  ainsi  clerc 
ou  moine,  ne  doit  être  promu  à  cette  dignité  qu'il  ambitionne,  ou 
bien  on  attendra  qu'il  ait  passé  un  temps  d'épreuves  suffisant,  dans  tous 
les  degrés  et  fonctions  ecclésiastiques.  Nous  défendons  surtout  de  pareilles 
promotions,  si  elles  sont  faites  au  nom  de  l'empereur.  Par  contre,  celui 
qui,  sans  aucune  ambition,  abandonne  une  haute  dignité  du  monde,  de- 
vient clerc  ou  moine  et  passe  dans  chaque  degré  le  temps  requis,  c'est-à- 
dire,  qui  est  un  an  lecteur,  deux  ans  sous-diacre,  trois  ans  diacre,  et  quatre 
ans  prêtre,  peul  être  élevé  à  l'épiscopat.  Pour  ceux  qui,  n'étant  que 
simples  clercs  ou  moines,  se  sont  pendant  longtemps  acquittés  de  leurs 
fonctions  d'une  manière  exemplaire,  et  qui  paraissent  dignes  de  l'épisco- 
pat, les  évêques  (qui  ont  à  faire  l'ordination  épiscopale)  pourront  abréger 
le  temps  d'épreuves  prescrit  par  les  canons. 

Can.  6. 

'Exefxep  xaxeço)pâ0Y)  «ÎVÔxioç  ^exà  xtjv  é£evex0eîaav  xax'  aùxoû  ocxaioxàxïjv 
àxéçaciv  xapà  xoû  àycwxàxou  xàxa  NtxoXàou,  StàxYjv  â6sa;j(.oxàxï]v  lxt'6aatv 
xfjç  KwvaxavxcvouxoXtxwv  'ExxXïjctaç,  xovïjpoûç  xivaç  àvopaç  âxb  xwv  Xew- 
çopwv  àyuiwv  eùp-rçxwç,  xal  xoxoxY)piqxàç  aûxoùç  xwv  àytwxàxwv  xaxpcapyi- 
xwv  ôpôvwv  xaxovo[xàaaç,  xal  aùv  xoùxocç  èxxXïjffc'av  a-uaxTjaàtievoç  xovïjpsu- 
oyivwv,  xaôatpsxtxàç  auxoçavxlaç  xal  8ta6oXàç  xaxà  xoû  ^axapfou  xàxa 
NcxoXàoii  xupsjciaç,  xal  xb  àvâ6e^a  Xa6pa(wç  xax'  aûxoû  xal  xwv  xoivwvoùvxwv 


524  LIVRE     XXIV 

aÙT<p  âxoçYjvà^evoç,  <ov  xà  §Y)0ev  uxou.VYJu.aTa  auvoStxûç  xupt'xauTa  yéyove* 
toutou  ^âptv  xpbç  àcjçâXeiav  tyjç  éxxXiqataaTCXY)ç  xaTaaTàaetoç  àva0eu.aTtÇo- 
u,ev  tov  etpTQLiévov  4>a>Ttov,  xat  Btà  tyjv  aÙTYjv  atTt'av,  xat  toùç  àxb  toûvûv 
TotoÛTov  Tt  ToXp]aovTaç  TÔ)  aùrû  âvaôéu-aTt  ùxo6aXXou.ev,  xaôùç  xat  ô  tyjç 
eùae6efaç  âOXfjTYjç  MapTtvoç  éxavovtaev. 

Coniinc  Photius  a  voulu  faire  passer  pour  des  vicaires  des  patriarches  [419] 
orientaux  quelques  hommes  ramassés  dans  la  rue,  et  s'en  est  servi  dans  le 
conciliabule  contre  le  pape  Nicolas,  conciliabule  dont  les  actes  ont  été 
condamnés  au  feu,  nous  l'anathématisons  de  nouveau  pour  ce  motif,  ainsi 
que  tous  ceux  qui  l'ont  aidé  dans  sa  fourberie,  c'est-à-dire  les  faux  vicaires 
des  patriarches  et  ceux  qui  ont  fabriqué  les  écrits  mensongers  (contre 
Nicolas)  ;  nous  les  anathématisons  conformément  au  canon  de  Martin  Ier. 

Can.    7. 

Tb  Tàç  àyfaç  xat  asxTàç  etxôvaç  àvaaTYjXoûv  xat  toùç  xXy)<ji'ov  BiSâuxeiv  Ta 
u.a0Yju.aTa  tyjç  0efotç  Te  xai  àvOpwxtvYjç  coçt'aç,  Xtav  ovYjatçopov"  ou  xaXbv  Se 
toûto  jjiy)  xapà  twv  âijtwv  yc'vecOai*  toutou  x<*Ptv  u-YjoauUôç  etxovoupyeïv  év 
toZç  tepotç  vaoïç  toùç  àva0eu.aTta0évTaç  0ecxtÇou.ev,  u.y]ts  u.yjv  év  oiw  8Y]xoTe 
ToxarBtBàcxetv,  ^é^pcç  av  éxtffTpacpûctv  év  tyjç  lot'aç  dxarYjç.  Et  Ttç 
ouv  \xexà  toûtov  tqjjlwv  tov  opov  xpbç  ÇtoypacptXYjv  àyt'wv  etxôvwv  év  êxxXy]- 
ac'a  y)  SiSacxaXtXYjv  auToùç  ôxwaoûv  xapaoéçotTO  xpâçtv'  et  u.èv  xXYjptxôç 
éuTtv,  etç  tov  iStov  xtvSuveuÉTW  ^a0u.6v:  et   Se  Xatxbç,  àçoptÇéa0w,  xaï  oTepe- 

ta0(i)   TÛV    0e(d)V    {XUQTTJptWV. 

Ceux  qui  ont  été  anathématisés  par  ce  saint  concile  général,  ne  doivent 
ni  faire  des  images  ni  enseigner. 

Can.  8. 

'HX0e  çiqu.Y)  Tatç  àxoatç  tqu-wv,  wç  où  u:ovov  atpsTtxot  xat  xapav6u.oc  tyjç 
àyfaç  KwvaTavTtvouxoXtTwv  éxxXïjGt'aç  xpoeBpeuetv  Xa^ovTeç,  àXXà  xat 
ôpOoooç'ot  xaTptap^at  xetpôypaçov  xotetv  àxatToûat  xpbç  ï'Stov  auvaaxta- 
u.6v.  êSoçev  oùv  ty;  àyta  TaÛTfl  xat  oixouu-evixYJ  cruvôSto,  u.Y}3au.â)ç  àxb  vûv 
yt'vea0at  toûto,  xXyjv  toû  xaTà  tùxov  xat  auvY)0etav  ùxèp  tyjç  et'Xtxptvoûç  xtaTewç 
Y)U.â)V  àxatTOU^évou  xaTà  xatpbv  tyjç  éxiaxoxwv  ^etpoTovtaç"  s"  Ttç  oùv  toX- 
u.Y)aet  xapaXûaat  toûtov  y]u.ô>v  tov  bpov,  tyjç  tSfaç  éxxtxTÉTW  tcu.yjç. 

Il  est  venu  à  notre  connaissance  que,  non  seulement  les  hérétiques  et 
les  malfaiteurs  qui  s'emparent  du  siège  de  Constantinople,  mais  encore 
les  patriarches  orthodoxes  et  légitimes,  exigeaient,  pour  leur  sûreté,  des 
déclarations    écrites    d'attachement  qui    devaient  être  fournies  par  leur 


193.     DIXIÈME    ET     DERNIÈRE     SESSION  T)25 

clergé  (ainsi  que  par  les  évêques  qui  étaient  suus  leur  juridiction);  nous 
défendons  à  tout  jamais  cette  manière  d'agir.  Nous  exceptons  néanmoins 
le  document  par  lequel  les  évêques  témoignent  de  leur  orthodoxie  lors  de 
leur  sacre,  d'après  un  formulaire  déterminé  et  conforme  aux  anciennes 
traditions. 

Can.   9'. 

Comme,  longtemps  avant  son  intrusion  sur  le  siège  patriarcal.  Photius 
s'était  rattaché  ses  partisans  par  des  déclarations  écrites,  sous  prétexte 
de  leur  enseigner  une  nouvelle  sagesse,  qui  est  folie  devant  Dieu,  nous 
déclarons  tous  ces  documents  sans   valeur  2. 

Can.  10  (en  grec  9). 

Tfjç  6e(aç  àvaçavSbv  Qoécrqç  ypaçvjç,  xpb  é^exàjewç  p)  ^é^.^^,  Stxacwç 
xal  au^çpepovTtoç  Y}  ayca  xal  otxouu,evtx7]  qcuty)  cûvoBoç  opt^et  u,Tr)Séva  [lovot/ov 
r,  Xaïxbv,  y]  Ttva  toû  xaTaXoyou  tûv  xXïjptxûv  xpb  tyjç  àxptSoûç  eçeTaaecoç 
xal  auvoBixTJç  àxoçàcretoç  àxb  ttjç  xoivwvt'aç  lauTov  âçopt'Çetv  toû  c'Btou  xarpt- 
apxou,  xav  eyxXYju.aTtxov  tc  yivcoaxeiv  StaTecvYjTat  xpâyu,a"  xapaxXYjatwç  8  s 
xal  toùç  êv  I^WTtxatç  xoXeat  xal  ycopatç  éxtaxoxouç  xal  tepeîç  StaTt6ea9ai 
xpbç  toùç  tStouç  jjLT]TpoxoX(Taç  ôptçou-ev,  wcxep  xal  toùç  jxY]TpoxoXtTaç  xpbç 
xbv  "Btov  xaTptâpyjjv.  El  Se  tiç  IvavTt'a  Tf]  oÊxou^evtxij  Taûrj)  auvoSa>  cpwpa- 
0etY)  StaxpaTTÔu.evoç,  et  u.èv  Ixfaxoxoç  êa-rcv  y)  xXïjptxbç,  IxxtxTeTd)  xàarjç 
lepaTtxYJç  lvepye(aç  Te  xal  Ttu.f)ç*  si  Se  {JtovàÇwv  t}  Xaïxbç,  àçopiÇeaGa)  xaa-rçç 
lxxXTjata<JTtxf]ç  xotvwvtaç  xal  auvrà^ewç,  ^éyptç  &v  èxtaTpétpaç  êv  peravofa 
SsxOt). 

Aucun  laïque,  aucun  moine  ou  clerc  ne  doivent  se  séparer  de  leur  pa- 
triarche et  cesser  de  prononcer  son  nom  dans  le  service  divin,  avant 
un  jugement  synodal.  Les  évêques  et  les  prêtres  qui  sont  au  dehors 
(de  la  capitale)  doivent  observer  cette  même  règle  à  l'égard  de  leurs 
métropolitains,  et  ceux-ci  doivent  l'observer  à  l'égard  de  leurs  patriar- 
ches. 

Can.  11  (en  grec  10). 

Ty)ç  xaXatâç  Te  xal  xatvrjç  BcaÔYjxYjç  jjitav  ^u^yjv  Xoytxïjv  Te  xal  voepàv 
StSaG-xoùcrnç  eyetv  tov  avfjpwxov,  xal  xàvTtov  twv  fJeYjyôpwv  xarspwv  xal  StSa- 
axàXwv  TYjç  'ExxXYjccaç    tyjv  aÙTTjv  So^av  xaTSfjLxeSoûvTtov,  état  Ttveç  ot  86o 

1.  Ce  canon  9e  manque  dans  le  grec. 

2.  Nous  avons  déjà  vu  par  Anastase,  qu'après  son  élévation,  Photius  avait 
exigé  de  ses  évêques  qu'ils  lui  remissent  des  protestations  de  leur  attachement. 


526  LIVRE     XXIV 

4iu^àç  exeiv  aûxov  ÔoÇâÇovxeç  xoà  xtacv  àauXXoyt'aTotç  éiuxeip%aff'  ttjv  îStav 
xpaxuvouctv  oupeaiv.  y)  xofvuv  «Yt'a  xat  oîxouu.?v:x-?)  aux?]  cûvoSoç  xoùç  xfjç 
xoiauxrjç  dcceêefaç  yevvrçxopaç,  xal  xoùç  ô[xoçpovoûvxaç  aûxotç  àvaGe^axt'tet 
fjLsyaXoçwvwç,  e!  Se  xiç  xà  êvavxca  xoû  Xoticoû  xoX^TQcei  ^éyeiv,  àvà0eu.a 
s'axw. 

Tandis  que  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  enseignent  que  l'homme 
n'a  qu'une  âme  raisonnable,  et  que  tous  les  Pères  et  les  docteurs  de  l'Eglise 
confirment  cette  doctrine,  i|uelques-uns  prétendent  d'une  manière  impie 
que  l'homme  a  deux  âmes  (Photius  par  exemple1).  Ce  saint  concile  général 
anathématise  les   auteurs   de   ce  sentiment,   ainsi   que   leurs   partisans   2.  [420] 

Can.    12  ». 

Conformément  au  canon  apostolique  (le  31e),  nous  ordonnons  que  qui- 
conque aura  obtenu  un  évêché  par  la  ruse  ou  par  le  pouvoir  d'un  prince, 
soit  déposé, 

Can.    13. 

On  doit  promouvoir  aux  hautes  dignités  de  l'Eglise  les  clercs  de  l'église 
cathédrale,  et  non  les  étrangers  (c'est-à-dire  des  laïques  comme  Pho- 
tius) ;  les  administrateurs  des  biens  et  des  maisons  des  princes  ne  doivent 
pas  être  admis  dans  le  clergé  de  l'église  cathédrale. 

1.  Voir  §  476. 

2.  Ce  canon  a  été  vivement  discuté  dans  ces  derniers  temps,  au  sujet  des  théo- 
ries de  Gunther  ;  aussi  avons-nous  tenu  à  en  donner  le  texte  latin  aussi  bien  que 
le  texte  grec  :  Veteri  et  novo  testamenlo  unam  animam  rationabilem  et  inlellectualem 
habere  hominem  docente,  et  omnibus  deiloquis  Patribus  et  magistris  Ecclesise  eam- 
dem  opinionem  asseverantibus,  in  tantum  impietatis  quidam,  malorum  inventio- 
nibus  dantes  operam,  devenerunl,  ut  duas  eum  habere  animas  impudenter  dogma- 
tizare  et  quibusdam  irralionabilibus  conatibus  per  sapientiam,  quse  stulta  fada 
est,  propriam  hseresim  confîrmare  perlentent.  Itaque  sancta  hsec  et  unwersalis  sy- 
nodus,  veluti  quoddam  pessimum  zizanium  nunc  germinantem  nequam  opinio- 
nem evellere  festinans,  immo  vero  ventilabrum,  in  manu  veritatis  portans,  et  igni 
inextinguibili  transmittere  omnem  paleam,  et  aream  Christi  mundam  exhibere  vo- 
lens,  talis  impietatis  inventores  et  patratores,  et  his  similia  sentientes  magna  voce 
anathematizat,  et  définit  atque  promulgat,  neminem  prorsus  habere  vel  servare  quo- 
quomodo  statuta  hujus  impietatis  auctorum.  Si  autem  quis  contraria  gerere  prsesum- 
pserit  huic  sanclse  et  magnse  synodo,  anathema  sit,  et  a  fide  atque  cultura  Christiano- 
rum  alienus. 

3.  Ce  canon  et  le  suivant  manquent  dans  l'abrégé  grec. 


493.     DIXIÈME     ET     DERNIÈRE     SESSION  527 

Can.    14   (en   grec   11). 

Toùç  ùxb  ttjç  8ec'aç  y^âpiioç  e?ç  t^v  IxiaxoxtxYjv  xpoxAY)6svTaç  oiaxovcav, 
(i>ç  ec'xova  xal  tuxov  çépovxaç  tûv  àyfwv  xal  oùpavtwv  lepap^cûv,  xgcotjç 
tc^ç  âÇtoûcOat  xapà  xavxcov  tô>v  àpxovxwv  xal  àp^onévcov  OeaxcÇo[ji.ev,  xal 
jj.T]3ajJtâJ<;  r)  arpax^yolç  r)  tcœcv  aXXotç  ap^oujc  xpoiïxavtâv  x6ppa)0ev  tûv 
îSfcov  IxxXïjatwv,  ^tqts  twv  Yxxwv  T]  iQa.i6v(i)v  èauToùç  àxopptxToûvxaç  aùv 
<pô6w  xal  Tpô^w  xpoaxiXTeiv  xal  xpoaxuvecv"  e!  ce  uç  sxc'axoxoç  u,sxà  tov 
opov  Tijç  àyc'aç  auvdSou  ttjç  6<petAOuivY]s  aÙTw  xaTaçpovrçaoi  ti^yjç  xal  xata- 
Sé^otxô  Tt  xoifjaac  xapà  ta  vûv  topiau^éva  à<popt307}T(o  éxl  ivtamov  eva"  xal 
o  ap^cov  éxelvoç  éxl  hûo  Ixsai  ^.tq  xataçiwô?;  rrjç  u,eTaAr,<psu)ç  ':(^v   àifcao^à- 

TtoV. 

Les  évèques  doivent  être  honorés,  ainsi  qu'il  convient,  par  les  grands 
du  monde  :  ils  ne  devron!  |>lus  aller  an-devant  de  ces  poissants  à  une. 
certaine  distance  de  leurs  églises,  ni  descendre  de  cheval  lorsqu'ils  les  ren- 
contrent, et  les  saluer  en  pliant  le  genou.  Ils  doivent  plutôt  avoir  le  cou- 
rage de  blâmer,  s'il  est  nécessaire,  ces  personnages  en  vue  de  leur  cor- 
rection. 

Can.   15  \ 

Aucun  évêque  ne  doit  vendre  les  objets  précieux  de  l'église  et  les  vases 
sacrés,  sinon  dans  le  cas  prévu  par  les  anciens  canons,  c'est-à-dire  pour 
le  rachat  des  prisonniers.  Il  ne  doit  pas  non  plus  donner  les  biens  des 
églises,  ni  les  céder  en  emphytéose. 


,AN. 


1U    2, 


Ceux  qui,  sous  l'empereur  Michel,  se  sont  moqués  des  cérémonies  de 
l'Église,  ont  joué  le  rôle  d'évêques,  etc.,  et  qui  n'ont  pas  encore  confessé 
leur  faute  et  n'en  ont  pas  fait  pénitence,  seront  excommuniés  pendant  trois 
ans.  Ils  seront  pendant  un  an  au  nombre  des  fientes,  la  seconde  année 
au  rancr  des  audientes,  et  la  troisième,  à  celui  des  consistentes.  Si  à  l'ave- 
nir  un  empereur  ou  un  grand  voulait  recommencer  de  pareilles  repré- 
sentations, le  patriarche  et  les  évêques  placés  auprès  de  lui  devront  le 
blâmer  et  l'exclure  des  mystères,  et,  s'il  ne  s'empresse  pas  de  faire  péni- 
[4211  tence,  il  sera  frappé  d'anathème.  Si  le  patriarche  et  les  évêques  se  montrent 
négligents  dans  une  affaire  de  ce  genre,  ils  devront  être  déposés. 


1.  Manque  dans  l'abrégé  grec. 

2.  Manque  en  grec. 


528  LIVRE     XXIV 

Can.  17  (en  grec  12). 

'HXOsv  sîç  Tàç  •rçu.wv  àx,oàç,  to  u.7]  SùvocaOai  aveu  àpxovTixijç  xapouataç 
cuvoSov  YevécGat'  oùoau,oû  Se  oî  6etot  xavôveç  auvépyeaôat  xotr^tx.oùç  apyov- 
Taç  Iv  toccç  auv6Socç  vo^oÔetoûcjiv,  àAAa  u,6vouçtoùç  sxcaxoxouç'  oôev  oûSè, 
xayjv  twv  otxoi»[xsvtxâ)V  auvoSwv,  tïjv  xapouac'av  qcijtwv  yeYTqvrjuiv  sôpc'cxo- 
txsv"  oûSè  yàp  0I[XIt6v  Ictc  yiveuGat  Oeaxàç  toùç  xoc^tx,oùç  ap^ovraç  twv 
toïç  lepeûat  to  Osoû  <iuu,6aiv6vTwv  xpayu,àTwv. 

Le  concile  déclare  que  les  patriarches  ont  le  droit  de  convoquer  au  syno- 
de patriarcal  tous  les  métropolitains  institués  par  eux,  soit  qu'ils  les 
aient  ordonnés,  soit  qu'ils  leur  aient  envoyé  le  pallium,  s'il  est  nécessaire, 
les  patriarches  pourront  les  punir.  Les  métropolitains  ne  pourront  plus 
justifier  leur  absence  du  synode  patriarcal  par  la  raison  qu'ils  tiennent 
eux-mêmes  des  synodes  métropolitains.  Quoique  le  concile  général  ne 
défende  pas  ces  synodes  métropolitains,  les  synodes  patriarcaux  sont  cepen- 
dant beaucoup  plus  importants.  Il  est  aussi  très  faux  qu'on  ne  puisse 
tenir  aucun  synode,  si  ce  n'est  en  présence  du  prince.  Les  canons  ne  disent 
pas  que  les  laïques,  mais  que  les  évêques  doivent  se  réunir  en  synode. 
Dans  l'antiquité,  il  n'y  avait  aucun  laïque  dans  les  synodes,  si  ce  n'est 
dans  les  synodes  généraux,  car  il  ne  convient  pas  que  les  laïques  voient  ce 
qui  arrive  à  des  clercs,  twv  tocç  tepsjat  <juu)6aivÔTWV  xpay  y.aTWV, 
c'est-à-dire  assistent  à  leur  punition.  Le  métropolitain  qui,  à  l'avenir, 
ne  se  rendra  pas  à  l'appel  du  patriarche,  sera  suspendu,  si  pendant  deux 
mois  il  diffère  de  répondre,  et  il  sera  déposé  s'il  diffère  pendant  un  an. 

Can.    18   1. 

Les  biens  et  les  privilèges  que  possède  une  église  depuis  trente  ans, 
ne  peuvent  plus  lui  être  enlevés  par  l'autorité  laïque. 

Can.   19. 

Aucun  métropolitain  ne  doit  importuner  par  ses  visites  les  églises  de 
ses  évêques  suffragants,  sous  prétexte  qu'il    a    un  droit  d'inspection. 

Can.     20. 

Aucun  évêque  ne  doit  enlever  de  force  un  bien  possédé  en  emphyté- 
ose  ;  il  doit  seulement  informer  le  possesseur  qu'il  perdra  son  bien  s'il 
reste  trois  ans  sans  payer  le  census.   S'il  est  resté  tout  ce    temps  sans 

1.   Ce  canon  et  les  deux  suivants  manquent  en  grec. 


l'.'.'i.     DIXIEME     II      DERNIERE     SESSION  t)29 

payer  ses  redevances,  I  évêque  doil   porter   sa    plainte    devanl   le  tribunal 
et  redemander  le  bien  de  l'Eglise. 

('.an.  21  (en  grec  loj. 

Et  tcç  ToaaÛTfl  toX^yj  yp-rçaaiTO,  coûts  xcczà  xov  4>o>tiov  y.oà  Atôaxopov, 
i'/ypâçtoç  r]  àyp&pwç  xapotvc'aç  Tcvàç  xaxà  tyjç  xaôéSpaç  IléTpoii  toû  y.opu- 
©ac'ou  Ttov  âxocTÔXwv  xtveîv,  ty;v  aÔTïjv  êxecvotç  osysaOto  xarà^purtv"  e!  oè, 
<juy*/.po'.Y)6£ta7]ç  ôuvôoou  ocxouu,svtxfjç,  ylvYjTat  tcç  y.al  xept  tïjç  'Ey.xXr/Œcaç 
tmv  'Pw^acwv  âjjupiêoXta,  ££e<mv  sûXaôwç  -/.ai  ^exà  tyjç  xpoaïjxoucnjç  atooûç 
ciaxuvôâvssôai  xepl  toû  xpoxoi;j(ivoti  '£7)TY]u,aToç  xat  BéyecOat  tïjv  Xûciv  z,a( 
7)  a><psXeîc6at  r,  axpsXeîv*  p,Y]  uivToc  Opaaéwç  âxo<pspe<70ac  -/.atà  twv  tyjç  xpcj- 
Surépaç  'Pok^ïjç  ispapyûv. 

Aucun  puissant  ne  doit  traiter  d'une  manière  déshonorante  l'un  des  cinq 
patriarches  ni  chercher  aie  faire  déposer  ;  au  contraire  on  doit  [leur 
rendre  les  plus  grands  honneurs,  surtout  au  pape  de  l'ancienne  Rome, 
pois  aux  patriarches  de  Constantinople,  d'Alexandrie,  d'Antioche,  et  de 
.li  rusalem.  Nul  ne  doit  rédiger  un  écrit  accusateur  ou  calomnieux  contre 
le  pape  de  l'ancienne  Rome,  ainsi  que  l'ont  fait  dernièrement  Photius  et 
autrefois  Dioscore.  Si  un  puissant  du  monde  s'efforce  de  chasser  le  pape 
ou  un  autre  patriarche,  qu'il  soit  anathème.  Si  une  plainte  vient  à 
[422]  être  portée  dans  un  synode  général  contre  Rome,  on  doit  l'examiner  avec 
le  respect  voulu  et  porter  ensuite  un  jugement,  mais  on  ne  doit  pas 
prononcer  sans  aucun  égard  une  sentence  contre  l' évêque  supérieur  qui 
réside  à   Rome. 

Can.  22  \ 

Ainsi  que  l'exigent  les  canons,  l'installation  d'un  évêque  doit  avoir 
lieu  en  vertu  de  l'élection  et  d'un  décret  du  collège  des  évêques,  et  au- 
cun grand  du  monde  ne  doit,  sous  peine  d'ana thème,  se  mêler  de  cette 
élection,  à  moins  d'y  être  invité  par  l'Eglise  elle-même. 

Can.   23. 

V  l'avenir,  les  évêques  ne  devront  plus  donner  des  biens  appartenant  à 
d'autres  diocèses,  ni  installer  des  clercs  pour  des  églises  situées  dans  des 
iliocèses  étrangers. 

Can.   24. 
Certains  métropolitains  sont  assez  négligents  pour  confier  indifïérem- 

1 .   Ce  canon  et  les  quatre  suivants  manquent  dans  l'abrégé  grec. 

CONG1  LES     -    IV         3  S 


530 


LIVRE     XXIV 


ment  à  un  de  leurs  sufîragants  le  soin  de  célébrer  le  service  dans  leur  pro- 
pre église.  Quiconque  agira  ainsi  à  l'avenir  sera  puni  par  le  patriarche. 

Can.     25. 

Tous  les  clercs  de  l'église  cathédrale  de  Constantinople  ordonnés  par 
Ignace  ou  par  Méthode,  mais  qui  appartiennent  encore  au  parti  de 
Photius  et  ne  veulent  pas  adhérer  à  ce  saint  synode,  sont  déposés,  suivant 
la  décision  du  pape  Nicolas  ,  et  ne  pourront  plus  être  admis  dans  le  cler- 
gé, quand  même  ils  se  convertiraient.  Toutefois,  par  esprit  de  miséri- 
corde, nous  permettrons  qu'ils  reçoivent,  dès  qu'ils  se  convertiroiit,  les 
saints  mystères,  mais  au  rang  des  laïques. 

Can.  26. 

Si  un  prêtre  ou  un  diacre  est  déposé  par  son  évêque,  il  peut  en  appeler 
au  métropolitain,  qui  aura  ensuite  à  juger  ce  procès  dans  un  synode  pro- 
vincial. De  même,  un  évêque  peut  en  appeler  au  patriarche  de  la  décision 
d'un  métropolitain,  et,  dans  ce  cas,  le  patriarche  aura  à  juger  l'affaire 
avec  les  autres  métropolitains  qui  lui  sont  soumis. 

Can.  27  (en  grec  14). 

®e<TX*'Ço[j.ev  toùç  ôptaOévraç  to^oçopscv  êxtaxoxouç  éxc  tcci  xacpotç  àxoxexXi]- 
pwuivotç,  sv  tocçtoioijtoiç  TrsptSsS'XfjaOai  taûta  xatpotç  xal  toxoiç,  xal  u.tj 
xaraxexp^Oat  tyj  toiccut/j  xaTacToXr;  Btà  tjçov  xal  xevoSo^fav,  xal  Iv  xavrl 
xatpw  Tfjç  0ecaç  ^uaraytoycaç,  xal  xàjï)ç  aXXijç  éxxXïjacaaTixYJç  XsiToupy'aç 
TaÙTa  tpopelv'  àXXà  xal  toùç  u.st'.ovxaç  sûXa6wç  tov  ^ovrjpfj  p^ov,  xal  tyjç  Ixc- 
axoxtxTJç  â^twOsvtaç  ttu.YJç,  tpuXàxTctv  to  Qyr\\x,a.  xa'  tï)v  cttoXïjv  tûv  \xovayy 
xwv  àu.9taffu.âxci)v  6ptÇo[j.ev"  xal  [XTjSéva  xoXu.âv  âxafJuptévvuaOat  to  elpiquivov 
ayr^oi  ctà  t 'cpov  xal  àXaÇwvcxïjv  yvoipjv,  xâvTeûOev  eùpc'jxsaOac  xapaêaTYjv 
twv  lauToû  ffuv0Y)xô)v'  s?  tcç  oôv  êxcaxoxoç  xapà  toùç  tbpia[j.évouç  aÙTÔ)  syypà- 
çouç  ï]  aypà<pouç  .xaipoùç  xepcxàXoiTO  to  (ôu-ôcpopov  r\  twv  u-ova^ixcôv  dfyupta- 
a[xaTWV  àxo6àXoi  to  cyj)[xot.  r\  âtop0ata0w  r,  xa0atpeca0w. 

On  aura  soin  de  ne  pas  déroger  aux  signes  traditionnels  pour  indiquer 
les  diverses  dignités.  Ainsi,  les  évêques  qui  on1  reçu  le  pallium  ne  doivent 
le  porter  qu'à  certaines  époques  e1  en  certains  lieux.  Les  moines  qui  de- 
viennent évêques,  doivent,  sous  peine  de  déposition,  conserver  l'habit 
monacal  1. 

1.   Hardouin,  op.  cit.,  col.  896  sq.,  1098  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  col.  157  sq.,  397  sq.  ; 
Hergenrôther,  op.  cit.,  p.    119   sq.  Dans   Gratien,    c.  15   =   C.  XII,  q.  n,  c.  13; 
-  c.  18  -  C.  XVI,  q.   m,  c.  8;  -  -  c.   21   =    D.    XXII,    c.    7;  —  c.  22  =  D. 
LXIII.   c.  8. 


493.     DIXIÈME     ET     DERNIÈRE     SESSION  531 

Selon  la  coutume  des  anciens  conciles  généraux,  on  lut  à  la  fin  de 
la  dernière  session  du  VIIIe  concile  œcuménique  sur  la  demande 
[423]  des  légats  du  pape,  un  opo;,  c'est-à-dire  un  décret  principal  résu- 
mant toutes  les  décisions  prises  par  l'assemblée.  «  De  tous  temps, 
y  était-il  dit,  le  Fils  de  Dieu  a  pris  soin  d'arracher  les  mauvaises 
herbes  de  son  champ.  C'est  ce  qu'il  a  fait  encore  dans  ces  derniers 
temps,  en  inspirant  à  ce  pieux  empereur  de  réunir  le  présent  con- 
cile général,  lequel  a  renouvelé  les  terminos  pietatis  et  décidé  sui- 
vant le  droit  et  la  vérité.  Confirmant  donc  la  doctrine  orthodoxe, 
nous  croyons  en  Dieu,  etc.  »  Suit  une  profession  de  foi  détaillée, 
reconnaissant  explicitement  les  sepl  conciles  oecuméniques,  et 
anathématisanl  les  hérétiques  et  autres  déjà  anathématisés 
par  ces  conciles;  le  pape  Honorius  n'y  est  pas  oublié1.  Le  sym- 
bole du  VIIIe  concile  œcuménique  s'appesantit  surtout  sur  la 
question  des  images  :  il  établit  le  culte  des  images  du  Christ 
sur  celle  considération,  que  chacune  des  deux  natures  du 
Christ  a  sou  activité  et  son  opération  propres,  de  sorte  qu'en  repré- 
sentant la  vie  et  les  actions  du  Christ,  on  ne  tombe  pas  dans  l'erreur 
de  la  confusion  des  natures.  Suit  la  confirmation  expresse  du  VIIe 
concile  œcuménique,  l'anathème  contre  les  chefs  des  iconoclastes, 
contre  Théodore  Crithinus.  leur  nouveau  chef,  et  tous  leurs  par- 
tisans, y  compris  les  docètes,  car  l'hérésie  des  iconoclastes  repose 
à  proprement  parler  sur  l'erreur  du  docétisme.  En  effet,  «  il  n'y 
a  que  deux  sortes  d'êtres  qui  ne  puissent  être  représentés  en 
images  :  a)  ceux  qui  n'existent  pas  réellement,  c'est-à-dire  des 
êtres  purement  imaginaires,  b)  ceux  qui  ne  sont  pas  corporels.  Celui 
qui  langerait  l'Emmanuel  dans  cette  seconde  catégorie,  serait  en 
opposition  avec  l'Ecriture.  Ce  serait  raisonner  en  manichéen 
que  de  se  servir  contre  les  images  de  ce  passage  du  psalrniste  : 
Le  soleil  est  sa  tente'2.  »  L'ipoç  s'occupe  ensuite  de  Photius,  qui 
n'était  pas  entré  dans  la  bergerie  par  la  porte,  el  y  avait  com- 
mis tant  de  ravages  dont  suit  l'énumération.  Mais  Dieu  a  sus- 
cité  contre  lui,  entre  autres,  le  pape  Nicolas,  juslemenl  nommé 
vainqueur  »  (vtxâv),  qui,  comme  un  second  Phinées,  a  tué 
l'israélite  adultère  3.  L'empereur,  marchant  sur  ces  traces,  a 
exilé     Photius,     ramené     Ignace    et    convoqué    le    concile    qui    a 


1.  Voir  §  324. 

2.  Ps.   xvni,   G. 

3.  Num.,    xxv,   7. 


532  LIVRE    XXIV 

déraciné  l'ivraie  et  le  scandale,  confirmé  l'innocence  d'Ignace 
et  condamné  Photius  et  ses  partisans.  Celui-ci  s'est  rendu  coupa- 
ble à  l'égard  du  pape  Nicolas,  par  son  conciliabule,  par  l'anathè- 
me  prononcé  contre  ce  pape,  contre  tous  ceux  de  sa  communion, 
contre  tous  les  prêtres,  évêques  et  patriarches  du  monde.  Mais 
ce  saint  et  œcuménique  concile  a  confirmé  la  sentence  du  pape 
Nicolas  et  de  son  successeur  Hadrien,  et  a  frappé  d'anathème 
Photius,  déposant  à  tout  jamais  les  clercs  de  son  parti,  excom-  [424] 
muniant  les  moines  et  les  laïques  1. 

L'empereur  ayant  demandé  si  cet  opoç  avait  l'approbation 
générale,  le  concile  s'écria  :  «  Nous  pensons  tous  ainsi  ;  tous 
nous  enseignons  ainsi;  c'est  le  jugement  de  la  vérité,  le  décret 
de  la  justice,  etc.  Dieu  a  réuni  ce  synode...  Longue  vie  aux  em- 
pereurs Constantin,  Basile  et  Léon2...  Longue  vie  à  l'impératrice 
Eudoxie...  Anathème  à  Photius,  à  Grégoire  de  Syracuse,  à  Eu- 
lampios  d'Apamée  !  Eternel  souvenir  au  pape  Hadrien  Ier  et 
au  VIIe  concile  œcuménique  de  Nicée  !  Eternel  souvenir  aux 
patriarches  (amis  des  images)  de  Constantinople  :  Germain,  Tara- 
sius,  Nicéphore  et  Méthode  !  Eternel  souvenir  au  pape  Nicolas, 
le  champion  de  la  vérité  !  Longue  vie  au  pape  Hadrien  II  et 
aux  patriarches  Ignace  de  Constantinople,  Théodore  de  Jéru- 
salem et  Michel  d'Alexandrie,  ainsi  qu'aux  vicaires  de  Rome 
et  des  sièges  orientaux  !  Eternel  souvenir  à  ce  saint  et  grand  con- 
cile général  !  »  L'empereur  promit  aux  évoques  sa  protection 
sur  eux  et  leurs  églises,  en  retour  de  leurs  travaux,  et  fit  lire 
un  décret  reconnaissant  leur  zèle  et  leur  esprit  de  sacrifice, 
leur  souhaitant  comme  récompense  les  bienfaits  de  Dieu,  et 
engageant  chacun  des  assistants  à  parler  maintenant  avec 
franchise,  s'il  avait  quelque  communication  à  faire  au  présent 
concile.  Cette  permission  s'étendait  même  aux  laïques,  quoique 
ce  ne  fût  pas  à  eux  à  s'occuper  des  affaires  de  l'Eglise.  L'empe- 
reur déclarait  en  même  temps  vouloir  punir  sévèrement  ceux  qui, 
après  la  clôture  du  concile,  n'obéiraient  pas  à  ses  décrets,  et  enga- 
geait les  évêques  et  tout  le  clergé,  à  extirper  l'hérésie  et  à  faire 
régner  la  concorde.  A  la  fin,  le  souverain  avertissait  les  laïques, 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  col.  912,  1103;"Mansi,  op.  cit.,  col.  179,  407.  L'abrévia- 
teur  grec  ne  mentionne  l'opoç  qu'en  quelques  mots. 

2.  Sur  ce  personnage,  que  nous  retrouverons,  cf.  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  59-61. 
(H-  L.) 


493.     DIXIÈME     ET     DERNIÈRE     SESSION  533 

qu'il  leur  convenait  moins  qu'à  personne  de  faire  opposition  au 
concile,  parce  qu'ils  n'étaient  point  pasteurs,  mais  brebis. 

Personne  ne  s'étant  présenté  pour  parler  contre  l'assemblée, 
mais  tous  ayant  manifesté  leur  adhésion,  les  légats  demandèrent 
que  les  actes  fussent  signés  d'abord  par  l'empereur  ensuite 
par  le  concile.  Basile  répondit  que,  suivant  l'exemple  de  ses  pré- 
décesseurs Constantin  le  Grand,  Théodose  et  Marcien,  il  avait 
[425J  eu  l'intention  de  signer  après  tous  les  évêques  ;  mais  pour  déférer 
dans  une  certaine  mesure  au  désir  des  légats,  il  consentait  à 
signer  après  les  légats  et  les  vicaires  orientaux.  C'est  ce  qui  eut 
lieu,  et  cinq  exemplaires  des  actes  synodaux  destinés  aux  cinq 
patriarches  \  furent  signés  par  les  légats,  les  vicaires  orientaux, 
les  trois  empereurs  et  tous  les  évêques  au  nombre  de  cent  deux.  Les 
commissaires  impériaux  présents  déclarèrent  solennellement 
dans  le  procès-verbal  leur  adhésion  aux  décisions  du  concile,  sans 
apposer  leurs  signatures  2.  Un  seul  des  employés  impériaux,  le 
premier  secrétaire  Christophe,  contresigna,  selon  l'usage,  le  para- 
phe de  l'empereur.  Nicétas  prétend  avoir  entendu  dire  qu'au  lieu 
de  tremper  leur  plume  dans  l'encre,  les  évêques  l'avaient  trem- 
pée dans  le  sang  du  Seigneur,  mais  lui-même  est  le  premier  à 
déclarer  que  cette  tradition  le  surprend  beaucoup.  On  avait  vu 
cependant  3  Pyrrhus,  patriarche  de  Constantinople,  agir  de  !la 
sorte,  lorsqu'il  avait  remis  à  Rome  une  profession  de  foi  ortho- 
doxe. Quant  à  l'ordre  des  signatures  et  à  la  question  de  préséance, 
nous  en  avons  suffisamment  traité  dans  l'introduction  de  cette  His- 
toire des  conciles  4.  Dans  ses  notes  à  la  traduction  des  actes  du 
\  IIIe  concile  œcuménique,  Anastase  explique  le  nombre  réduit 
de  cent  deux  évêques,  par  l'exclusion  de  tous  les  évêques  ordon- 
nés par  Photius,  et  le  petit  nombre  des  survivants  ordonnés  par 
Méthode  et  Ignace.  Avant  de  passer  à  la  signature  des  actes,  les 
légats  avaient  eu  soin  de  les  remettre  à  Anastase,  le  chargeant 
d'examiner,  grâce  à  sa  connaissance  des  deux  langues,  si  tout 
était  en  règle  et  si  ces  actes  ne  contenaient  aucune  falsification  5. 


1.  Voir  §  322. 

2.  Hardouin,    op.    cit.,  t.  v.  col.  918  sq.,    1103  sq.  ;    Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col. 
15,  7-196,  397-410. 

3.  Voir    §   304. 

4.  Voir  t.  i,  p.  43. 

5.  A.  Vogt,  Basile  7er,  p.  226-227.  (H.  L.) 


534  LIVRE    XXIV 

Anastase  remarqua  qu'une  lettre  du  pape  Hadrien  avait  été  muti- 
lée à  l'endroit  où  le  pape  faisait  l'éloge  de  l'empereur  Louis  II. 
Aussitôt  les  légats  déclarèrent  qu'ils  ne  signeraient  pas.  Les 
grecs  firent,  observer  qu'un  concile  ne  se  tenait  pas  pour  célé- 
brer les  louanges  d'un  prince,  mais  bien  celles  de  Dieu  1,  et  ils  se 
montrèrent  si  obstinés  que  les  légats  finirent  par  céder,  tout  en 
ayant  soin  d'ajouter  à  leurs  signatures  cette  réserve  :  usque  ad 
voluntatem  ejusdem  eximii  prsesulis,  qui  en  subordonnait  la  valeur 
à  l'approbation  du  pape  2.  La  signature  des  légats  fut  donc  la  [426] 
suivante  :  Ego...  locum  obtinens  domini  mei  Hadriani  summi 
pontificis  et  universalis  papse,  oninia  quse  superius  leguntur, 
huic  sanctir  et  universali  synodo  prœsidens,  usque  ad  volunta- 
tem ejusdem  eximii  prsesulis  promulgavi,  et  manu  propria  sub- 
scripsi.  Les  autres  patriarches  et  vicaires  patriarcaux  (Ignace  de 
Constantinople,  etc.)  écrivirent  :  omnibus,  quse  ab  ea  (synodo) 
judieata  et  scripta  sunt,  concordans  et  definiens  subscripsi  manu 
propria.  L'empereur  omit,  comme  on  le  pense  bien,  le  mot  defi- 
niens, et  les  évêques  écrivirent  :  liber  suscipiens  (les  décisions 
du  synode)  subscripsi  manu  propria. 

Le  concile  publia  ensuite  une  longue  lettre  encyclique  adres- 
sée à  tous  les  fidèles;  on  y  énumérait  les  méfaits  de  Photius,  les 
mesures  prises  par  l'empereur,  et  les  décisions  du  concile  con- 
tre lui  et  contre  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par  lui.  On  y 
rappelait  aussi  l'anathème  prononcé  contre  l'iconoclaste  Théo- 
dore Crithinus  ;  enfin  la  lettre  engageait  tous  les  clercs  et  les 
laïques  à  se  soumettre  à  la  décision  du  saint  concile  général  3. 
I  ne  seconde  lettre,  adressée  au  pape,  contenait  beaucoup  d'éloges 
à  l'adresse  des  légats,  des  papes  Nicolas  et  Hadrien,  et  aussi 
de  l'empereur,  dont  on  vantait  les  mœurs  (  !);  on  priait  le  pape 
de  publier   les  décisions   du   concile   général,   qui,  au  fond,  étaient 


1.  «  N'était-il  pas  étonnant  qu'un  concile  qui,  d'un  bout  à  l'autre  de  sa  durée, 
avait  lancé  à  tous  les  échos  du  monde  la  gloire  et  les  vertus  d'un  souverain  meur- 
trier refusât,  sous  le  vain  prétexte  de  religion,  de  rapporter  en  entier  la  lettre 
d'un  pape  qui,  accidentellement,  louait  un  autre  roi  ?»  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  27. 
(H.  L.) 

2.  Tel  est  le  récit  du  Liber  pontificalis,  dans  P.  L.,  t.  cxxvm,  col.  1390,  et  cette 
clause  se  trouve  en  effet  à  la  suite  de  la  signature  des  légats. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  929  sq.,  1107  sq.  ;  Mansi,  op.  cit..  t.  xvi,  col.  196, 
200,  410-412. 


4(Jo.     DIXIÈME     El     DERNIÈRE     SESSION  535 

les  siennes,  de  Jes  confirmer  et    de    les    faire    connaître  à    lou les 
les  autres   Églises  l. 

Dans  la  traduction  d'Anastase,  on  lit,  après  cette  lettre  adres- 
sée au  pape  :  //.<<  epistola  missa  est  ad  omîtes  patriarchales  sedes. 
Fleury  e1  Jager  en  ont  conclu  qu'elle  avait  été  également  envoyée 
a  tous  les  patriarches.  Outre  que  le  texte  de  la  lettre  ne  favorise 
pas  celle  manière  de  voir,  il  esl  facile  de  constater  <|ue  la  remar- 
que d'Anastase  vise  le  document  qui  suit  immédiatement  une 
lettre  de  remerciements,  à  savoir  aux  trois  patriarches  de  l'O- 
rient, où  l'empereur  et  ses  fils  exposent  comment  les  légats  de 
[427]  Rome  ont  extirpé  l'ivraie  d'accord  avec  les  vicaires  orientaux2. 
Cette  lettre  impériale  est  datée  de  la  troisième  indiction,  c'est- 
à-dire  de  l'année  870;  ce  n'est  nullement  une  circulaire  adres- 
sée à  huis  les  évoques,  comme  l'a  soutenu  Fleury,  et  après  lui 
Jager  toujours  empressé  à  le  copier.  De  même,  si  l'abréviateur 
grec  avait  examiné  de  plus  près  ce  document,  il  n'aurait  pas  écrit 
que,  n'en  connaissant   pas  le  destinataire,  il  l'omettait  3. 

Les  actes  synodaux  se  terminent  par  deux  lettres  de  l'empereur 
et  du  patriarche  Ignace  au  pape  Hadrien,  et  la  réponse  de  ce 
dernier.  Théognoste,  cet  abbé  du  couvent  de  Marie-à-la-Source 
(xïjyt)),  près  de  Constantinople,  dont  nous  avons  déjà  eu  occa- 
sion de  parler,  ayant  voulu  se  rendre  à  Rome  pour  accomplir 
un  vœu,  l'empereur  lui  remit  pour  le  pape  une  lettre  de  recomman- 
dation dans  laquelle  il  s'étonnait  d'être  sans  nouvelles  des  légats, 
depuis  longtemps  partis  de  Constantinople.  Puis  il  priait  le  pape 
de  gracier  les  nombreux  lecteurs  ordonnés  par  Photius,  le  charto- 
phylax  Paul  et  Théodore,  archevêque  de  Carie,  afin  qu'ils  pussent 
reprendre  leurs  anciens  emplois  ou  être  promus  à  des  emplois 
supérieurs.  Selon  l'usage,  l'empereur  accompagnait  sa  lettre  de 
très  beaux  ornements  sacerdotaux  4.  Dans  sa  propre  lettre  Ignace 
formulait  la  même  prière  au  sujet  de  Paul,  de  Théodore  et  des  lec- 
teurs  ordonnés  par  Photius;  il  y  joignait  également  des  présents,  en 
particulier  un  Evangéliaire  grec  et  latin  et  un  horarium  orné  d'or  6. 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  933  sq.,  1110  sq.  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  200, 
202:  412-419. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  935  ;  Mansi,  op.  cit.,  col.  xvi,  202. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1110  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  414. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  936  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  203. 

5.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  937;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  204. 


53  (J 


LIVRE     XXIV 


Le  pape  répondit  le  10  novembre  871  ;  il  se  plaignait  du  long  retard 
subi  par  ses  légats  attaqués  et  dévalisés  en  route  par  des  voleurs. 
11  déplorait  l'incurie  de  l'empereur  qui  n'avait  pu  leur  fournir 
une  escorte.  Pareil  fait  ne  s'était  jamais  produit.  Michel  lui-même 
avait  été  plus  soucieux  du  sort  des  légats  romains.  L'ancienne 
bienveillance  de  l'empereur  Basile  à  l'égard  du  Saint-Siège  de  Rome 
semblait  disparue,  sinon  Ignace  eût-il  jamais  osé  ordonner  un  évoque 
(un  archevêque)  pour  les  Bulgares  ?  Le  pape  priait  donc  l'empe- 
reur d'obtenir  du  patriarche  qu'il  s'abstînt  désormais  d'exercer 
une  juridiction  sur  ces  contrées.  Quant  aux  tria  capitula,  c'est-à- 
dire  l'affaire  des  lecteurs  ordonnés  par  Photius,  celles  de  Paul 
et  de  Théodore  de  Carie,  il  s'en  tenait  aux  anciennes  décisions,  anx- 
«I  uelles  on  ne  pouvait  apporter  aucune  modification  x.  [428] 

Cette  lettre  dénonce  le  différend  qui  existait,  presque  aussitôt 
après  le  concile,  entre  le  pape  et  le  patriarche  Ignace  au  sujet  des 
Bulgares.  Nous  avons  raconté  comment  Boris-Michel,  roi  des  Bul- 
gares, très  satisfait  des  missionnaires  romains,  avait  congédié,  en 
867,  tous  les  autres,  en  particulier  les  grecs,  et  envoyé  à  Rome 
une  seconde  ambassade,  chargée  de  solliciter  l'envoi  de  nou- 
veaux missionnaires  et  la  nomination  de  Formose  comme  arche- 
vêque des  Bulgares.  Le  pape  Nicolas,  tout  en  accédant  à  la  pre- 
mière demande,  n'avait  pu  satisfaire  à  la  seconde,  et  Hadrien  II 
avait  en  effet  envoyé  de  nouveaux  missionnaires.  Il  faut  distinguer 
cette  seconde  ambassade  des  Bulgares  d'une  troisième,  dont  parle 
le  Liber  pontificalis,  et  qui  n'a  guère  pu  arriver  à  Rome  avant 
869,  c'est-à-dire  lorsque  Marin  était  déjà  désigné  comme  légat 
du  pape  pour  le  VIIIe  concile  œcuménique.  L'ambassadeur  bul- 
gare Pierre  était  accompagné  des  deux  évêques  italiens,  For- 
mose et  Paul,  qui  avaient  déjà  travaillé  en  Bulgarie  ;  ils  remirent 
des  présents  et  des  lettres  du  roi  Michel,  et  demandèrent  au  pape 
(puisqu'ils  refusait  de  donner  Formose  comme  archevêque  de  Bul- 
garie) d'accorder  ce  titre  au  cardinal-diacre  Marin,  qu'un  séjour 
en  Bulgarie  avait  fait  connaître  du  roi,  ou  de  leur  envoyer  un  autre 
cardinal-clerc,  intelligent,  qu'ils  pussent  plus  tard  demander  au 
pape,  si  ce  clerc  savait  gagner  leurs  sympathies.  Marin  ayant  une 
autre  mission  à  remplir,  le  pape  Hadrien  leur  envoya  Sylvestre 
(alors  sous-diacre),  dont  les  Bulgares  ne  furent  pas  contents, 
H   qu  ils  renvoyèrenl   ainsi  que  Dominique,  évêque  de  Triventum. 

1.    Hardouin,  op.  cil.,  col.  0fî8   ;    Mansi,  op.  cil.,  ml.  206. 


494.     ADDITION    ILLÉGALE     FAITE    AU    CONClLIi  .J.'j7 

et  Léopard  d'Ancône  donl  il  n'a  pas  encore  été  question). 
Sylvestre  revint  clone  bientôt,  porteur  de  nouvelles  lettres  des 
Bulgares  qui  demandaient  à  grands  cris  un  archevêque,  ou  récla- 
maient le  retour  de  Formose.  Telle  est,  à  mon  sens,  la  signification 
d'un  passage  assez  obscur  et  rendu  confus  par  les  \  triantes,  du 
[429]  Liber  pontificalis  *,  d'après  lequel  le  pape  Hadrien  aurait  cher- 
ché à  contenter  les  Bulgares,  en  leur  promettant  de  sacrer  arche- 
vêque celui  que  leur  roi  désignerait.  Mais  celui-ci,  impatient  du 
délai,  s'était  de  nouveau  rapproché  des  Byzantins  et  avait 
envoyé  à  Constantinople  l'ambassade,  qui  y  arriva  le  28  février 
870,  lors  de  la  xe  et  dernière  session.  A  sa  tête  se  trouvait  ce  même 
Pierre  qui  avait  fait  à  Rome  un  long  cl  inutile  séjour,  en  qualité 
d'ambassadeur. 


494.  Addition  illégale  faite  au  concile,   concernant 

les    Bulgares. 

Trois  jours  après  la  clôture  du  concile,  et  les  actes  signés,  l'em- 
pereur convoqua  les  légats  dans  son  palais,  où  s'étaient  déjà 
réunis  les  vicaires  orientaux,  le  patriarche  Ignace  et  d'autres 
personnages  2.  Après  que  tous  eurent  pris  place,  on  pria  les  am- 
bassadeurs bulgares  de  remettre  les  lettres  et  les  présents  qu'ils 
avaient  apportés,  et.  sur  les  instances  de  l'empereur,  les  légats  con- 
sentirent à  ce  que  l'on  donnât  audience  aux  Bulgares.  Ceux-ci 
étant  entrés  et  ayant  salué  l'assemblée,  Pierre  s'exprima  en  ces 
termes  :  «  Notre  maître  Michel,  prince  des  Bulgares,  a"  appris 
avec  joie  qu'en  vertu  de  l'autorité  apostolique,  vous  vous  êtes 
réunis  ici  de  tous  les  pays  pour  le  bien  de  l'Eglise,  et  il  nous  charge 
de  vous  féliciter  en  particulier,  vous,  ambassadeurs  du  Siège  apos- 
tolique, parce  que,  en  vous  rendant  ici,  vous  l'avez  honoré  de  votre 
visite  et  lui  avez  remis  des  lettres.  »  Les  légats  répondirent  : 
a  Nous  ne  pouvions  et  nous  ne  voulions  pas  passer  au  milieu  de 


1.  P.  L..  t.  cxxvui,  col.  1395;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  869,  n.  92.  Ces  deux 
auteurs  donnent  le  texte  d'une  manière  très  différente. 

2.  Anastase  n'avait  pas   été   invité,   ce   qui  l'humilia   profondément,   Préface 
au  VTTIe  concile,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvt.  col.  11.  (11.  t..) 


538  LIVRE    XXIV 

vous  sans  vous  saluer,   car  nous  vous    savons    fils   de  la  sainte 
Église   romaine  l.  »   Ces    derniers    mots    donnèrent   aux   Bulgares 
occasion  de  faire  connaître  le  plan  perfide  qu'ils  avaient  conçu 
pour  se  détacher  du  patriarcat  romain.  «  Il  y  a  peu  de  temps  encore, 
dirent-ils,  nous  étions  païens,  mais  depuis  nous  avons   été  rendus 
participants  de  la  grâce  du  christianisme.  Afin  de  n'errer  sur  au- 
cun point,  nous  désirons  savoir  de  vous,  représentants  de  tous  les 
patriarches,  à  quelle  Eglise  nous  devons  être  soumis  (c'est-à-dire 
à    quel  patriarcat    nous    appartenons).»    Les    légats  répondirent  : 
«  A  l'Eglise  romaine,  car  c'est  à  elle  que  s'est  donné  votre  prince 
avec  son  royaume,  et  c'est  précisément  par  toi,  Pierre,  qu'il  l'a 
fait  ;  aussi  a-t-il  reçu  du  pape  Nicolas  des  instructions  sur  la  vie 
chrétienne,    des   évêques   et  des   prêtres.    Vous  avez   vous-mêmes 
prouvé  votre  appartenance  à  l'Église  romaine  en  nous  demandant  [4301 
des  prêtres  qui  travaillent  encore  au  milieu  de  vous.  »  Les  Bulga- 
res en  convinrent  et  déclarèrent  vouloir  obéir  en  tout  à  l'Église 
romaine;  mais  ils  n'en  continuèrent  pas  moins  à  demander  que, 
d'accord  avec  les  députés  des  autres  patriarches,  les   légats  déci- 
dassent maintenant  si  les  Bulgares    appartenaient  juridiquement 
à  l'Eglise  romaine  ou  à  celle  de  Constantinople.  Les  légats  dirent 
fort  justement  :    «  La  mission  que  le  Siège  apostolique  nous  avait 
chargés  de  remplir  en  union  avec  les  vicaires  de  l'Orient,  est,   par 
la  grâce  de  Dieu,  terminée  ;  quant  à  votre    affaire,    nous    ne    pou- 
vons   vous    donner    aucune    décision,    parce  qu'elle  vient  à  peine 
de  surgir  et  que  nous  n'avons  aucun  ordre  pour  l'instruire.  Néan- 
moins nous    déclarons  solennellement,  autant  qu'il  est  en  nous, 
que  vous  appartenez  à  l'Eglise  romaine.  »  Les  vicaires  de  l'Orient 
prenant    parti    pour    l'Église    de     Constantinople,     demandèrent 
aux   Bulgares  :    «  A    qui   donc    appartenait  le  pays    lorsque  vous 


1,  Au  dire  d'Anastase,  (Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  11),  «les  légats  d'Orient  et 
les  ambassadeurs  bulgares  ne  comprenaient  pas  ce  que  disaient  les  Romains  et» 
à  leur  tour,  les  Romains  et  les  Bulgares  n'entendaient  rien  à  ce  que  disaient  les 
Orientaux.  »  L'idée  de  faire  choix  d'ambassadeurs  ne  comprenant  pas  le  latin  indi- 
querait bien  peu  de  prévoyance,  l'absence  d'interprètes  est  invraisemblable.  Dans 
la  salle  où  se  passait  l'audience,  il  ne  s'en  trouvait  qu'un,  simple  fonctionnaire 
impérial.  Il  est  possible  que  ce  soit  lui  qui  traduisit  le  salut  des  Bulgares  et  la 
réponse  immédiate  des  légats.  Ce  qui  est  douteux,  c'est  que  pour  cette  séance  sup- 
plémentaire que  l'on  pouvait  pressentir  comme  un  traquenard,  les  légats  romains 
n'eussent  pas  amené  leur  interprète  à  eux.  Il  se  pourrait  bien  qu'Anastase  ait 
accommodé  tout  l'incident  à  son  gré.  (H.  L.) 


494.     ADDITION     ILLÉGALE     FAITE     AU     CONCILE  539 

vous  en  êtes  emparés?  avait-il,  à  cette  époque,  des  prêtres  grecs 
ou  des  prêtres  latins  ?  »  Ils  répondirent  :  «Nous  l'avons  pris  aux 
Grecs  par  droit  de  conquête,  et  nous  n'y  avons  trouvé  que  des 
prêtres  grées.  »  Sur  cette  réponse,  les  vicaires  orientaux  décidè- 
rent ce  qui  paraît  juste  à  première  vue,  que  le  pays  apparte- 
nait donc  à  l'Eglise  de  Constantinople.  Ils  ignoraient  ou  voulurenl 
ignorer  que  ces  pays,  c'est-à-dire  l'Épire  ancienne  et  nouvelle, 
la  Dardanic.  etc.,  bien  qu'appartenanl  à  Yempire  de  Byzance, 
avaient  cependanl  toujours  fail  partie  du  patriarcat  romain,  donc 
encore  à  l'époque  où  les  Bulgares  s'étaient  emparés  d'une  par- 
tie de  ces  pays  l.  La  partie  qui  resta  à  l'empire  grec  ne  fut  reti- 
rée du  patriarcat  de  Rome  qu'en  732,  par  l'empereur  Léon 
l'Isaurien,  lorsque,  au  milieu  de  la  discussion  sur  les  images, 
ce  prince  la  rattacha  brusquement  au  patriarcal  de  Constanti- 
nople 2.  Les  légats  romains  répliquèrent  justement  que  la  diffé- 
rence des  langues  n'impliquait  pas  une  appartenance  ecclésias- 
tique différente,  et  que  d'autres  pays  régis  par  des  prêtres  grecs 
relevaient  néanmoins  du  patriarcat  de  Rome.  Sans  doute  la 
Bulgarie  avait  fait  partie  du  royaume  de  Byzance,  mais  on 
pouvait  prouver  par  plusieurs  raisons  qu'elle  ne  laissait  pas  d'ap- 
partenir au  patriarcat  romain.  Voici  ces  arguments  : 

1)  Les  décrétales  des  papes  prouvaient  que,  depuis  l'antiquité, 
le  Siège  apostolique  avait  sous  sa  juridiction  l'ancienne  et  la  nou- 
velle Épire,  toute  la  Thessalie  et  la  Dardanie.  c'est-à-dire  le  pays 
qui  porte  maintenant  le  nom  de  Bulgarie  ;  par  conséquent,  Rome 
n'avait  pas  enlevé,  comme  on  le  soutenait,  au  siège  de  Constan- 
tinople. cri  le  juridiction  «pie  l'invasion  des  Bulgares  lui  avait 
fait  perdre  momentanément  ;  elle  n'avait  fait  que  la  recouvrer, 
lors  de  la  conversion  de  ces  mêmes  Bulgares. 

2)  Ceux-ci  s'étaient  d'ailleurs  volontairement   soumis  au  Siège 
[431]  apostolique  et  à  son  gouvernement. 

3)  C'est  le  Siège  apostolique  quia  converti  les  Bulgares  après 
beaucoup  de  labeurs,  et  les  gouverne  en  fait  depuis  trois  ans. 
snil  par  quelques-uns  d'entre  nous  qui  sommes  ici  (Douât  e1  Marin 
qui  avaient  travaillé  quelque  temps  en  Bulgarie,  lorsqu'ils  étaient 
déjà  nommés  légats  pour  Constantinople),  soit  par  les  évêques 
Paul,  Dominique,  Léopard  et   Formose  (qui  avaient  demeuré  dans 

1.  Cf.  Dictionn.  de  théologie  catholique,  t.  n,  col.  1177  ;  t.  ni,  col.  1350-1354. 
2:   Voir  §  333. 


M  VUE     XXIV 


le  pays),  soit  par  l'éveque  Grimoald  qui  se  trouve  encore  en  Bul- 
garie avec  plusieurs  de  nos  prêtres,  ainsi  que  les  Bulgares  eux- 
mêmes   l'avouent. 

Les  vicaires  orientaux  prétendirent  examiner  en  détail  cha- 
cune de  ces  trois  raisons,  mais  les  légats  du  pape  protestèrent  : 
«  Le  Saint-Siège  apostolique  ne  vous  a  pas  choisis,  vous  ses 
inférieurs,  pour  juger  cette  affaire,  et  nous  nous  le  sommes  inter- 
dit nous-mêmes,  car  seul  il  a  le  droit  de  juger  les  autres  Eglises. 
Il  ne  nous  a  pas  chargés  de  donner  une  solution  à  cette  question 
que  nous  réservons  tout  entière  à  son  jugement.  Il  a  assez  de 
documents  pour  défendre  son  droit,  et  la  facilité  avec  laquelle 
il  abrogera  votre  sentence,  égalera  la  légèreté  avec  laquelle  vous 
l'avez  portée.  »  Dès  lors,  les  débats  devinrent  plus  vifs  et  plus 
aigres.  Les  vicaires  orientaux  s'écrièrent  :  «  Il  est  insoutenable 
que  vous,  qui  vous  êtes  séparés  de  l'empire  grec,  qui  avez  con- 
clu des  alliances  avec  les  Francs,  vous  vouliez  avoir  le  droit  de 
faire  des  ordinations  dans  le  territoire  de  l'empereur  grec  notre 
maître  ;  aussi  décidons-nous  que  la  Bulgarie,  qui  appartenait  à 
l'empire  grec,  revienne  à  l'Église  de  Constantinople,  dont  le  pa- 
ganisme l'avait  séparée  (faux),  et  que  le  christianisme  lui  a 
rendue  ».  Les  légats  crièrent  plus  haut  :«  Par  l'autorité  du  Saint- 
Esprit  et  jusqu'à  décision  du  Siège  apostolique,  nous  déclarons 
que  la  sentence  que  vous  venez  de  rendre  sans  avoir  été  choisis 
pour  juges,  sans  être  reconnus  comme  tels,  que  vous  n'avez  même 
pas  rendue,  mais  que  l'orgueil  et  la  perversité  vous  ont  arrachée, 
est  nulle  de  plein  droit.  Quant  à  toi,  patriarche  Ignace,  nous  t'adju- 
rons devant  Dieu,  devant  ses  anges  et  devant  tous  les  assistants, 
de  t'abstenir,  conformément  à  la  lettre  du  pape  Hadrien  qui  t'a 
réintégré,  et  que  nous  te  remettons  (ils  avaient  donc  en  réserve 
une  lettre  du  pape  concernant  la  Bulgarie,  qu'ils  étaient  chargés 
de  remettre  si  la  nécessité  l'exigeait),  de  sacrer  un  évêque 
pour  la  Bulgarie  ou  d'envoyer  dans  ce  pays  quelqu'un  des 
tiens.  Si  tu  crois  avoir  des  motifs  de  plainte,  tu  dois  les  faire 
connaître  en  toute  légalité  à  l'Eglise  romaine,  cette  grande  pro- 
tectrice. »  Ignace  reçut  immédiatement  la  lettre  du  pape,  tout  en 
différant  de  la  lire  séance  tenante,  et  répondit  de  façon  assez 
ambiguë  qu'  «  il  se  garderait  certainement  d'accomplir  une  démar- 
che qui  fût  contre  l'honneur  du  Siège  apostolique  :  il  n'était  [432] 
ni  assez  étourdi  pour  se  laisser  ainsi  entraîner  ni  assez  affaibli 
pour  qu'on  lui  fît    faire    ce  qui    paraîtrai!    répréhensible   chez  les 


494.     ADDITION     ILLÉGALE     FAITE     AL'     CONCILE  541 

autres  (je  lis  committam  au  lieu  de  omittam).  »  Ainsi   la   réunion  se 
termina  1. 

Afin  de  mieux  mettre  en  relief  l'injustice  des  Grecs,  Anastase 
ajoute,  dans  la  préface  de  sa  traduction  des  actes  du  concile  : 
«A  celte  réunion  tenue  au  sujet  de  l'Église  bulgare,  ne  se  trouvai! 
qu'un  seul  interprète,  choisi  par  l'empereur,  lequel  traduisail 
toujours  les  paroles  des  deux  partis  dans  un  sens  agréable  à 
l'empereur,  en  sorte  que  les  légats  romains  n'ont  jamais  pu  bien 
comprendre  les  discours  des  vicaires  orientaux  et  des  Bulgares 
ni  réciproquement.  »  On  remit,  en  outre,  aux  Bulgares  un  docu- 
ment grec  déclarant  que  les  vicaires  orientaux  ayant  été  établis 
arbitres  entre  les  légats  romains  et  le  patriarche  Ignace,  ont  décidé 
que  la  Bulgarie  appartenait  au  diocèse  de  Constantinople  2.  Ce 
document  est  évidemment  l'appendice  aux  actes  synodaux 
qu'  Anastase,  accuse  les  Grecs  d'avoir  frauduleusement  ajouté  aux 
actes  authentiques  du  VIIIe  concile.  Ce  document  contenait  aussi 
probablement  les  discours  et  répliques  des  légats,  des  vicaires 
orientaux  et  des  ambassadeurs  de  Bulgarie,  sous  la  forme  que 
l'interprète  impérial  avait  voulu  leur  donner,  tandis  que  la  rela- 
tion utilisée  plus  haut,  empruntée  à  la  biographie  d'Hadrien  II, 
provient  évidemment  des  légats  du  pape,  qui,  à  l'issue  de  la 
séance,  auront  certainement  écrit  leurs  propres  paroles  avec  les 
réponses  de  leurs  adversaires,  telles  qu'ils  les  avaient  comprises 
sans  le  secours  de  l'interprète.  C'est  là  qu' Anastase  a  dû  puiser  les 
détails  qui  se  trouvent  dans  la  préface  de  sa  traduction  des  actes. 


1.  Vita  Hadriani  II,  dans  P.  L.,  t.  cxxviii,  col.  1391  sq.  ;  Baronius,  Annales, 
ad  ann.  869,  n.  68  sq.  [Les  missionnaires  latins,  expulsés  par  Boris,  se  replièrent 
sur  l'Italie,  pendant  que  l'archevêque  Joseph  et  une  dizaine  d'évêques  grecs, 
prenaient  officiellement,  au  nom  d'Ignace,  possession  de  l'Église  bulgare,  870. 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xvi,  col.  10-13  ;  Hadrien  II,  Epist.  ad  Basilium, 
P.  L.,  t.  cxxn,  col.  1310;  Epislolse  Johannis  VIII,  dans  Neues  Archiv,  t.  v,  p.  300; 
Vita  Basilii  imperatoris,  P.  G.,  t.  cix,  col.  357;  Hergenrôther,  Photius,  Patriar- 
che von  Constanlinopel,  in-8,  Ratisbonne,  1867,  t.  n,  p.   149-166.  (H.  L.)] 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  11  ;  Hardouin.  op.  cit.,  t.  v,  col.  758';  P.  L., 
t.  cxxix,  col.  21  sq.  ;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  869,  n.  75;  Hergenrôther,  op. 
cit.,  p.  149-187. 


542  LIVRE     XXIV 


495.  Retour  et  déboires  des  légats.  Autorité  du  VIIIe  concile 

œcuménique. 

On  devine  le  mécontentement  de  l'empereur  à  l'égard  des  légats  [433] 
du  pape  :  néanmoins  il  les  invita  à  sa  table  et  les  renvoya  avec 
des  présents.  Le  spathaire  Théodore  les  accompagna  jusqu'à 
Dyrrachium,  mais  à  partir  de  cette  ville,  on  ne  veilla  plus  à  leur- 
sécurité  1  ;  tandis  qu'ils  traversaient  la  mer  Adriatique,  ils  tombè- 
rent entre  les  mains  de  pirates  slaves,  qui  les  dépouillèrent  et  les 
auraienl  même  tués,  si  quelques  personnes  de  la  suite  des  légats 
élanl  parvenues  à  s'échapper,  les  piratés  n'avaient  craint  d'être 
découverts.  Délivrés  grâce  aux  lettres  du  pape  et  de  l'empereur 
d'Occident,  les  légats  arrivèrent  à  Rome  le  22  décembre 870, n'ayant 
plus  avec  eux  que  quelques  documents  négligés  par  les  pirates  2. 

Quoique,  pendant  et  après  la  célébration  du  concile,  les  Grecs 
eussent  loué  et  exalté  cette  assemblée,  la  reconnaissant  com- 
me sainte  et  œcuménique,  ils  se  laissèrent  entraîner,  quelques 
années  plus  tard,  lorsque  Photius  se  lut  de  nouveau  emparé  du 
siège  de  Constantinople,  à  donner  le  titre  de  VIIIe  concile  œcu- 
ménique au  concile  réuni  en  879,  par  le  patriarche  intrus,  et  cette 
dénomination  est  restée  en  usage  chez  les  Grecs  schismatiques, 
tandis  que  beaucoup  d'entre  eux  ne  reconnaissent  que  sept  con- 
ciles oénéraux  3.  C'est  en  effet  dans  ce  premier  sens  que  parla  le  cé- 


1.  Anastase  regagna  Rome  par  Bénévent,  les  légats  firent  voile  vers  Ancône. 
(H.    L.) 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  869,  n.  86  ;  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne, 
t.  ii,  p.  182  ;  Hergenrôther,  Photius,  p.  160  ;  A.  Vogt,  Basile  IeT,  p.  230  .  Les  lé- 
gats avaient  mis  neuf  mois  pour  accomplir  leur  voyage.  De  leur  mission,  il  ne 
leur  restait  rien,  sinon  un  livre  concernant  les  affaires  d'Ignace,  Librum  actionis 
Ignalii,  et  des  Libelli,  sans  doute  ceux  que  les  évêques  signèrent  en  entrant 
au  concile.  Heureusement  qu'Anastase  avait  emporté  les  actes  du  concile  et  les 
papiers  volés  par  les  grecs  et  récupérés  comme  nous  l'avons  dit,  sans  quoi  Rome 
eût  été  singulièrement  en  peine  de  savoir  ce  qui  s'était  passé  au  cours  des  ses- 
sions d'un  concile  œcuménique.  (H.  L.) 

3.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  869,  n.  16.  Le  fait  de  l'œcuménicité  du  concile 
est  hors  de  question.  La  convocation  par  le  patriarche  Ignace  et  l'empereur  Basile 
fut  librement  approuvée  par  Hadrien  II  :  Fraternitas  tua  curet  necesse  est  ut  seti- 
tentiarum    capitula  quœ  synodice  Romse...  communi  consonantia  promulgavimus, 


495.     RETOUR     ET     DEBOIRES     DES     LÉGATS  54  3 

lèbre  Marc  Eugenicus,  archevêque  d'Ephèse,  dans  la  vie  session 
de  Ferrare,  tenue  le  20  octobre  1438.  Le  cardinal  Julien  Cesarini, 
l'un  des  principaux  orateurs  latins,  dans  le  concile  d'union  de 
Ferrare-Florence,  avait  demandé  aux  grecs  de  lui  prêter  le  livre 
contenant  les  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique,  afin  de  s'en 
servir  pour  développer  ses  preuves  ;  car,  des  deux  côtés,  on  avait 
décidé  de  se  prêter  mutuellement  les  documents  qui  pouvaient 
être  de  quelque  secours.  Le  cardinal  Julien  n'ayant  pas  obtenu 
l'ouvrage  demandé,  s'en  plaignit  à  l'ouverture  Je  cette  vie  session. 
Marc  Eugenicus  lui  répondit  d'une  manière  équivoque,  essayant 
d'abord  de  faire  croire  aux  latins  que  1rs  grecs  n'avaient  pas  le 
livre  demandé.  Puis  il  continua  :  «  Mais  l'eussions-nous  (sr/o[JLsv), 
on  ne  peut  cependanl  pas  nous  forcer  à  compter  comme  œcumé- 
nique ce  concile,  qui  n'est  pas  reconnu  et  qui  esl  même  rejeté. 
Le  concile  auquel  vous  faites  allusion,  s'est  tenu  contre  Photius 
à  l'époque  de  Jean  (!)  et  d'Hadrien.  Mais,  peu  de  temps  après, 
[4341  il  s'est  tenu  un  second  concile  qui  a  réintégré  Photius  e1  annulé 
les  actes  de  la  précédente  assemblée,  et  ce  concile  porte  aussi  le 
titre  de  VIIIe  œcuménique. ..L'Eglise  de  Constantinople  est  ferme- 
ment décidée  à  anathématiser  tout  ce  qui  a  été  dit.  ou   écrit,  aussi 

apud  vos  in  synodo  cunctorum  subscriplione  roborentur,  Mansi,  op.  cit.,  i.  xvi, 
col.  52.  Les  légats  du  pape  présidèrent  le  concile  dont  ils  signèrent  les  actes  en 
son  nom.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  157,  voir  la  formule  plus  haut  p.  532. 
Enfin,  la  lettre  d'Hadrien  II  à  Basile  (10  novembre  871)  confirme  explicitement 
ce  qui  s'est  fait  :  Gratiarum  multimodas  actiones  summse  divinitati,  et  in  colligendo 
magno  sanctoque  collegio  piurn  studium  et  desiderium  ostendistis,  in  quo  definitio 
rectae  fidei  et  calholiese  ac  paternse  traditionis  atque  jura  Ecclesise  perpetuis  ssecu- 
lis  profutura,  et  satis  idonea  fixa  sunt  et  firmata.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  206. 
Jean  VIII  consentit  à  faire  fléchir  en  faveur  de  Photius  certaines  prescriptions 
du  concile,  mais  en  maintenant  intacte  l'autorité  de  l'assemblée  :  Omnis  Ma 
mala  consuetudo  amputetur,  juxta  capitulum,  quod  super  hac  re  venerabili  synodo 
tempore  scilicet  decessoris  nostri  Hadriani  junioris  papse  Constantinopoli  habita, 
est  congruentissime  promulgalum.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  305.  On  sait  que 
cette  lettre  de  Jean  VIII  fut  falsifiée  par  Photius  au  conciliabule  de  879,  de  ma- 
nière à  lui  faire  signifier  sur  ce  point  tout  le  contraire  de  ce  qu'elle  contenait  : 
Quse  vero  synodus  in  urbe  ista  contra  reverentiam  vestram  habita  est,  eam  nos  irri- 
larn  fecimus  atque  omnino  abrogavirnus  et  rejecimus.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  510. 
Après  Jean  VIII  l'œcuménicité  du  VIIIe  concile  ne  fut  jamais  mise  en  doute 
dans  l'Église  romaine,  comme  le  prouve  la  profession  de  foi  que  les  papes  réci- 
taient le  jour  de  leur  consécration.  Ego  N...  profileor...  sancta  oclo  universalia 
concilia,  id  est  Nicœnum,  etc — ,  et  septimum  item  Nicsenum,  octavum  quoque 
item  Conslantinopolitanum  usque  ad  unum  apicem  immutilate  servare.  Mansi, 
op.  cit.,  t.  xvi,  col.  517.  (H.  L). 


544 


LIVRE     XVI V 


bien  contre  Photius  que  contre  Ignace  1.  »  Soit  qu'il  ne  se 
rendît  pas  compte  de  la  question,  soit  qu'il  crût  plus  prudent 
d'éviter  une  controverse  sur  ce  sujet,  afin  de  ne  pas  entraver 
l'œuvre  d'union,  le  cardinal  Julien  Cesarini,  au  lieu  de  prendre  la 
défense  du  VIIIe  concile  oecuménique,  se  borna  à  l'aire  la  réponse 
suivante  :  «  Nous  ne  vous  demandons  pas  ce  livre  pour  extraire 
ii  ii  passage  du  VIIIe  concile  œcuménique,  mais  simplement 
parce  que  nous  avons  besoin  de  quelques  passages  des  VIe  et 
VIIe  conciles  œcuméniques  »  (dont  les  actes  se  trouvaient  dans 
le  même  volume).  Marc  Eugenicus  parut  alors  disposé  à  céder 
le   volume   réclamé   2. 

D'après  ce  qui  précède,  on  voit  que  les  grecs  ont  été,  à  l'égard 
de  ce  concile,  inconséquents  avec  eux-mêmes;  en  Occident,  au 
contraire,  il  a  été  tenu  jusqu'à  présent  pour  œcuménique  3, 
et,  d'après  la  formule  donnée  par  Baronius  4,  les  papes  eux-mê- 
mes devaient,  avant  leur  consécration,  reconnaître  comme  œcu- 
ménique,  le    VIIIe   concile   général    tenu   à   Constantinople   5. 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  ix,  col.  67  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  518-520. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  869,  n.  63,  blâme  le  cardinal  Julien  Cesarini 
d'avoir  traité  toute  cette  affaire  avec  tant  de  légèreté  ;  il  faut  cependant  recon- 
naître qu'il  a  eu  pleinement  raison  de  ne  pas  insister  sur  ce  point,  s'il  voulait 
éviter  une  difficulté  secondaire. 

o.  Nous  avons  mentionné  plus  haut  les  attestations  officielles  d'Hadrien  II 
et  de  Jean  VIII.  Quelques  dissidences  qui  se  produisent  sur  divers  points  ne  sau- 
raient infirmer  la  reconnaissance  faite  par  les  papes  et  par  l'Église  de  Rome. 
En  France,  Hincmar  est  mal  disposé  à  l'égard  de  ce  concile  qui  a  renouvelé  les 
décisions  du  VIIe  concile  œcuménique  concernant  le  culte  des  images  ;  Aymon 
n'en  pense  et  n'en  parle  guère  plus  avantageusement  qu'Hincmar.  Le  cardinal 
Deusdedit  appelle  le  concile  synodus  pro  Ignatio  quse  a  quibusdam  octava  dicitur. 
Mai,  Nova  bibl.  Patrum,  t.  vin,  p.  92.  D'autres  n'ont  pas  voulu  le  mettre  au 
nombre  des  conciles  généraux,  sous  prétexte  qu'il  ne  se  serait  pas  occupé  de  ques- 
tions touchant  à  la  foi.  Cette  idée  se  fait  jour  dans  un  traité  de  controverse  con- 
tre les  Grecs  composé  par  des  dominicains  au  xme  siècle,  Tractalus  de  conciliis 
generalibus,  [dans  Biblioth.  Patrum  Lugdunen.,  t.  xxvn,  p.  613.  Ces  opinions 
privées  ne  purent  prévaloir  contre  l'acceptation  faite  par  les  Eglises  occidentales 
de  ce  concile  au  même  titre  que  les  conciles  généraux.  Les  canons  furent  insérés 
dans  les  collections  canoniques  composées,  soit  avant  soit  après  Gratien  ;  le 
22e  canon,  en  particulier,  fut  souvent  cité  au  cours  de  la  querelle  des  investi- 
tures au  xie  siècle,  Hergenrôther,  Photius,  t.  xi,  p.  130-131;  Jugie,  dans  Dict.  de 
théol.  calhol.,  t.  ni,  col.  1305.  (H.  L.) 

4.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  869,  n.  59. 

5.  Sur  la  reconnaissance  de  ce  synode  comme  œcuménique,  cf.  N.  Alexander, 
Hist.  eccl.,  sœc.  ix  et  x,  dissert.  IV,  §  24,  Venetiis,  1778,  t.  vi,  p.  3'i8. 


195.     RETOUR     r:  I      DÉBOIRES     DES     LEG A  I  s  545 

D'autre  part,  avons-nous  dit,  beaucoup  «le  grecs  ne  reconnais- 
saient que  sept  conciles  œcuméniques.  C'esl  pourquoi  Abraham 
de  Crète,  le  traducteur  el  premier  éditeur  des  actes  du  concile 
de  Ferrare- Florence,  donna  à  cette  dernière  assemblée  le  tilre 
de  «  VIIIe  concile  œcuménique  ».  C'était  en  effet  le  rang  qui  lui 
revenait  aux  yeux  des  grecs,  qui  avaient  accepté  l'union  con- 
clue à  Florence  et  n'avaient  compté  jusque-là  que  sept  con- 
ciles œcuméniques.  Dans  la  bulle  de  confirmation  donnée  à  l'édi- 
tion d'Abraham,  le  pape  Clément  VII  accepta  le  titre  de  l'ouvrage, 
par  conséquent  les  mots  octava  œcumenica  synodus,  lesquels  dis- 
parurent cependant  dans  la  seconde  édition  sous  Paul  V  \  Noël 
Alexandre2  et  Pagi  3  combattirent  Abraham  de  Crète,  et  le  pre- 
L435]  mier  n'hésite  pas  à  dire  que  l'antique  adage  KpyjTeç  àec  d>eû<JTat  /.. 
t.  a.  4  s'était  vérifié  une  fois  de  plus.  Mansi  prétend,  au  con- 
traire, dans  ses  notes  sur  ce  passage  de  Noël  Alexandre,  justifier  de 
I  out  reproche,  Abraham  de  Crète  et  le  pape  Clément  VII,  car  les 
grecs-unis,  même  les  plus  orthodoxes  et  animés  des  sentiments 
les  plus  bienveillants  à  l'égard  de  Rome,  avaient  coutume  de  ne 
compter  que  sept  anciens  conciles  œcuméniques  5  et  de  regarder 
celui  de  Florence  comme  le  VIIIe,  sans  pour  cela  mettre  en  question 

1.  Cf.  Histoire  des  conciles,  t.  i,  p.  79. 

'1.  hoc.  cit.,  t.  vi,  p.  348. 

;{.   Pagi,  Crilica,  ad  ann.  869,  n.  16. 

k  Tit.,  i,  12. 

ô.  De  même  l'occidental  Ariald  (chef  des  Patares)  dans  une  assemblée 
tenue  à  Milan  en  1059  ne  parle  que  de  sept  conciles  œcuméniques.  Voir  Pierre 
Damien,  Opéra,  t.  ni,  opusc.  III,  v,  p.  41.  [  «  Que  les  grecs-unis  eussent  une  ten- 
dance à  ne  considérer  comme  conciles  œcuméniques  que  les  sept  premiers,  cela 
ne  doit  pas  nous  surprendre,  puisqu'ils  étaient  en  relations  constantes  avec  les 
schismatiques  qui  ne  juraient  que  par  les  sept  conciles.  De  nos  jours,  l'Église 
orthodoxe  gréco-slave  s'intitule  toujours  l'Église  des  sept  conciles.En  cela,  elle  n'est 
pas  tout  à  fait  d'accord  avec  plusieurs  de  ses  anciens  théologiens  ou  canonistes.  Par- 
mi ceux-ci  les  uns,  comme  Théodore  Balsamon,  P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  1004,  ont  con- 
sidéré comme  VIIIe  concile  œcuménique  le  conciliabule  de  861  qui  déposa  Ignace; 
d'autres,  plus  nombreux,  ont  réservé  ce  titre  au  conciliabule  de  879  qui  condamna 
solennellement,  dans  sa  me  session,  le  concile  de  869-870.  Tels  sont  Nil  de  Thes- 
salonique,  Responsum  ad  xlix  Latin.,  Cod.  Monacensis,  28,  fol.  264  ;  Siméon  de 
Thessalonique,  Dialog.  adv.  hser.,  P.  G.,  t.  clv,  col.  97;  Macaire  d'Ancyre,  cité  par 
Léon  Allatius,  De  synodo  Photiana,  p.  182;  Nil  de  Rhodes,  dansVoet  et  Justell, 
t.  ii,  p.  1158-1160;  Marc  d'Éphèse,  Confessio,  c.  xv,  P.  G.,  t.  clx,  col.  85;  Georges 
Scholarios,  De  additione  ad  symbolum,  P.  G.,  t.  clx,  col.  720.  Quant  au  véritable 
VIIIe  concile,  les  seuls  grecs  qui  le  reconnurent  au  début  furent  les  partisans 
d' limace,  parmi  lesquels  il  faut  citer  Métrophanes  de  Smyrne.  Mansi,  op.  cit., 

ONCILES  —     IV     —  35 


546  LIVRE     XXIV 

le  synode  tenu  contre  Photius  ni  les  autres  conciles  généraux 
célébrés  plus  tard  en  Occident.  C'est  ainsi  qu'au  xie  siècle  beau- 
coup de  latins,  par  exemple  saint  Gualbert,  ne  parlaient  que 
de   quatre   conciles   généraux   (c'est-à-dire   des   quatre   premiers). 

t.  xvi,  col.  420  ;  Stylien  de  Néocésarée,  ibid.,  col.  429  ;  Nicetas  David,  ibid., 
col.  261,  265.  Les  canons  de  ce  concile  ne  figurent  dans  aucune  collection  grec- 
que, aucun  économiste  byzantin  ne  les  a  commentés,  les  actes  eux-mêmes  ne  nous 
sont  parvenus  qu'à  l'état  de  résumé.  Ces  faits  trouvent  leur  explication  dans  la 
haine  tenace  que  Photius  voua  au  concile  qui  l'avait  condamné.  Il  s'efforça  d'en 
l'aire  disparaître  toute  trace,  d'en  détruire  tous  les  exemplaires,  comme  le  prouve 
la  déception  du  conciliabule  de  879  ordonnant  d'anéantir  tous  les  écrits  dirigés 
contre  lui.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  304,  505,  517;  M.  Jugie,dans  le  Dictionnaire 
de  théol.  cathol,  t.  m,  col.  1306-1307.  (H.  L.) 


LIVRE   VINGT-CINQUIÈME 

RÉINTÉGRATION  ET  SECONDE  DÉPOSITION 

DE  PHOTIUS  i 


496.  Continuation  du  différend  de  l'Église  grecque 
et  de  l'Église  bulgare  jusqu  à  la  mort  d'Ignace,  en  877  ou  818. 

Après  le   VIIIe  concile  œcuménique,  Ignace  gouverna  l'Eglise, 
au  rapport  de  Nicétas,  d'une    manière  plus    remarquable    encore 

1.  A  Byzance,  les  révolutions  de  palais  dont  nous  venons  de  rencontrer  deux 
mémorables  exemples  —  Irène  et  Nicéphore,  Michel  III  et  Basile  —  avaient 
une  répercussion  nécessaire  sur  les  affaires  religieuses  à  raison  de  l'étroite  liaison 
qui  existait  entre  la  politique  et  la  croyance.  Ces  brusques  renversements  de  si- 
tuation pouvaient  compromettre  les  entreprises  les  plus  habilement  préparées; 
en  tous  cas,  ils  demeuraient  comme  une  menace  perpétuellement  suspendue  sur 
les  combinaisons  et  les  intrigues  les  plus  patiemment  ourdies.  Photius  n'avait 
rien  entrepris  qu'assuré  du  concours  de  Bardas  et  en  vue  du  caractère  du  pape 
Nicolas  Ier;  et  voici  que  le  soutien  et  l'adversaire  avaient  disparu.  A  ce  dernier 
avait  succédé  Hadrien  II:  c'était  la  conciliation  faite  homme  succédant  à  l'in- 
transigeance incarnée.  Nous  avons  dit  dans  le  livre  précédent  le  revirement  qui 
se  produisit  alors,  les  solutions  bénignes  données  aux  questions  aiguës,  la  dé- 
tente générale  et  l'évolution  de  la  politique  pontificale.  Ces  concessions  prodi- 
guées avec  une  indulgence  qui  peut  ressembler  à  de  la  faiblesse  et  qui  s'affiche 
comme  un  blâme  de  l'inflexible  rigueur  du  pape  défunt  ont  surtout  pour  but, 
sinon  pour  effet,  de  procurer  l'apaisement  en  Occident  afin  de  pouvoir  à  loisir 
s'appliquer  au  conflit  qui  sépare  Borne  de  Byzance.  La  réconciliation  de  ces 
deux  Églises  et  la  célébration  du  VIIIe  concile  œcuménique  furent  la  négocia- 
tion la  plus  importance  du  patriarcat  d'Hadrien  II.  La  suite  des  événements 
peut  être  ainsi  marquée  :  Arrivée  à  Borne,  peu  de  jours  après  l'élection  dupape; 
des  ambassadeurs  de  Basile  et  d'Ignace,  on  se  rappelle  que  les  envoyés  de  Photius 
avaient  tous  péri  à  l'exception  d'un  moine.  Présentation  et  harangue  des  am- 
bassadeurs qui  exhibent  l'exemplaire  du  conciliabule  de  Photius,  arguent  delà 
fausseté  des  signatures.  Le  pape  fait  brûler  l'exemplaire  en  question.  Envoi  des 
légats  Donat  d'Ostie,  Etienne  de  Nepi  et  du  diacre  Marin,  à  Constaiitinople.  Bécep_ 


548 


f.lVKE     XXV 


qu'auparavant  ;  il-  s'illustra  par  sa  libéralité,  sa  douceur  et  sa 
piété,  et  s'acquitta  des  diverses  fonctions  de  sa  charge  avec  autant 
de  charité  que  de  zèle.  On  lui  attribua  même  plusieurs  miracles; 
ainsi  la  croix  placée  au-dessus  de  l'autel  aurait  souvent  été 
ébranlée  lorsque  Ignace  élevait  l'hostie,  provoquant  des  cris  de  joie 
dans  l'assemblée  étonnée  1.  Malgré  ses  éminentes  qualités,  Ignace 
ne  parvint  pas,  à  regagner  à  l'Église  et  à  sa  cause  les  évêques 
du  parti  de  Photius,  qui  s'obstinaient,  avec  une  ténacité  inouïe, 
dans  le  parti  vaincu,  en  sorte  que  pas  un  seul  de  tous  les  prélats 
ordonnés  par  Photius  ne  se  rangea  du  côté  d'Ignace.  Photius 
représenta  comme  une  sorte  de  miracle  et  une  preuve  de  la  jus- 
tice de  sa  cause  2  cet  attachement  que  beaucoup  imputaient  à 
quelque  sortilège.  Quant  à  moi,  je  serais  disposé  à  expliquer 
cette  obstination  par  l'excessive  sévérité  déployée  à  l'égard 
des  partisans  de  Photius  3.  En  ne  reconnaissant  pas  leur  or- 
dination et  en  les  déclarant  inhabiles  aux  fonctions  ecclésiasti- 
ques, on  leur  avait  fermé  la  voie  du  retour.  L'Église  n'avait  pas  [437J 
fait  preuve  d'une  semblable  sévérité  à  toutes  les  époques  ; 
ainsi  le  Ier  concile  de  Nicée  s'était  montré  plus  conciliant  à  l'égard 
des  mélétiens  et  des  novatiens,  dont  les  évêques  et  les  clercs 
continuaient  à  remplir  les  fonctions  ecclésiastiques,  en  ren- 
trant dans  l'Église  4.  D'après  le  droit  canon  en  vigueur  à  notre 
époque,  les  ordinations  faites  par  Photius,  et  sa  propre  ordination 
par  Grégoire  de  Syracuse,  devaient  être  tenues  pour  illicites, 
mais  non  pour  invalides,  tandis  que  le  VIIIe  concile  œcumé- 
nique regarda  comme  de  simples  laïques  ceux  qui  avaient  été 
ainsi  ordonnés  par  Photius,  et  le   pape    Nicolas  Ier   prononça  leur 


tion  solennelle  des  légats,  sessions  du  VIIIe  concile.  Résistances  à  propos  du 
Libellus  satisfactionis.  Difficultés  à  l'occasion  des  Bulgares.  Retour  des  légats. 
Cf.  A.  Gasquet,  Le  pape  Adrien  II  et  l'empereur  Basile,  Le  pape  Jean  VIII  et 
l'empereur  Basile,  dans  Études  byzantines.  L'empire  byzantin  et  la  monarchie 
franque,  in-8,  Paris,  1888,  p.  387-407,  471-481.  (H.  L.) 

1.  Nicetas,  Vita  S.  Ignatii,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  267  ;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  990. 

2.  Photius,  Epist.,  1.  I,  n.  xiv,  JP.  G.,  t.  en,  col.  741.  Cf*  Baronius,  Annales, 
ad   ann.    871,    n.    41. 

3.  Cette  sévérité  s'affirmera  de  nouveau  dans  la  lettre  d'Hadrien  II  à  Basile, 
datée  du  10  novembre  871,  dans  laquelle  le  pape  refusera  tout  pardon  aux  évê- 
ques en  faveur  desquels  Basile  et  Ignace  avaient  intercédé.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi, 
col.  206  ;  Jafïé,  Regest.  pont,  rom.,  t.  i,  p.  374.  (H.  L.) 

4.  Voir  §  40. 


496.     DIFFÉREND     DES    ÉGLISES     GRECQUE     ET     BULGARE  549 

déposition  formelle  et  irrévocable  \  Les  partisans  de  Photius 
durent  en  être  d'autant  plus  irrités  qu'ils  ne  pouvaient  ignorer 
que  le  VIIe  concile  œcuménique  avait  interprété  le  8e  canon 
de  Nicée  dans  ce  sens,  que  les  clercs  quittant  une  secte  n'avaient 
pas  besoin  d'une  nouvelle  ordination  pour  reprendre  leurs  fonc- 
tions 2.  La  tentative  d'Ignace  pour  faire  adoucir,  dans  une  cer- 
taine mesure,  cette  sévérité  à  l'égard  des  partisans  de  Photius, 
et  gagner  du  moins  les  très  nombreux  lecteurs  ordonnés  par 
l'intrus,  en  leur  procurant  de  l'avancement,  avait  échoué  contre 
la  résistance  de  Rome.  La  manière  dont  on  s'était  conduit  à  l'égard 
de  Paid  de  Césarée  et  de  Théodore  de  Carie,  avait  dû  également 
effrayer  les  partisans  de  Photius  et  leur  prouver  l'inutilité  de 
toute  démarche  de  réconciliation  avec  Ignace. 

Celui-ci  eut  à  subir  bien  d'autres  ennuis,  à  raison  de  son  atti- 
tude vis-à-vis  de  la  Bulgarie.  Se  conformant  à  la  décision  prise 
après  le  récent  concile  œcuménique,  Ignace  déféra  aux  désirs 
des  Bulgares,  et  leur  envoya  sans  délai  un  archevêque  grec,  qui 
ordonna  plusieurs  évêques  pour  le  pays.  On  lui  adjoignit  un 
grand  nombre  de  prêtres  et  de  moines  grecs  et  l'on  expulsa  de 
Bulgarie  tous  les  missionnaires  latins.  Nous  avons  vu  le  pape 
Hadrien  se  plaindre,  dans  une  lettre  à  l'empereur  Basile,  de  cet 
envoi  d'un  archevêque  grec  3.  Quant  au  renvoi  des  latins,  Ignace 
le  justifia,  dans  une  lettre  au  pape  aujourd'hui  perdue,  sur  ce 
que  Rome  avait  de  son  côté  interdit  toute  fonction  aux  prêtres 
[438]  grecs  qui  s'étaient  trouvés  en  Bulgarie.  Le  pape  Hadrien  lui 
répondit  avec  logique,  que  «  ces  prêtres  grecs  ayant  été  ordon- 
nés par  Photius,  et  donc  invalidement,  on  avait  dû  les  traiter 
en  Bulgarie  de  la  même  façon  que  dans  le  reste  de  l'empire  de 
Byzance  »  (avec  l'assentiment  d'Ignace)  4. 

L'expulsion  de  Bulgarie  des    prêtres    latins    fut   d'autant    plus 
aisée    que     Grimoald,    évoque     de    Bomarzo,  leur  chef,  se  laissa, 


1.  Sur  cette  question  des    ordinations    faites    par    Photius,    voir   plus   haut 
p.  421  n.   2.    (H.   L.) 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  iv,  col.  51  et  §  349. 

3.  Voir   §  493. 

4.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  413  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1110.  Dans 
la  traduction  latine  de  ce  fragment,  Rader,  après  ces  mots  :  ut  nostri  pres- 
byteri,  a  placé  à  tort  les  mots  :  Constantinopolitani  scilicet.  Le  pape  parle  de 
prêtres  latins.  Hardouin  avait  rayé  cette  interpolation,  mais  Mansi  l'a  repro- 
duite. 


550 


LIVRE     XXV 


paraît-il,  gagner,  et  sans  attendre  ni  les  ordres  du  pape,  ni 
l'emploi  de  la  force,  s'en  alla  avec  son  monde.  On  l'accusa 
de  trahison,  et  les  grandes  sommes  d'argent  qu'il  emporta 
semblèrent  justifier  ces  soupçons  1.  Dans  la  lettre  que  Grimo- 
ald  eut  à  remettre  au  pape  de  la  part  du  prince  des  Bulgares, 
on  ne  mentionnait  pas  l'expulsion  des  latins,  mais  on  citait  la 
prétendue  décision  du  VIIIe  concile  œcuménique  pour  démon- 
trer que  la  Bulgarie  devait  relever  du  patriarche  de  Constanti- 
nople. 

On  ne  sait  si  le  pape  Hadrien  s'esl  occupé  encore  de  cette  affaire 
de  la  Bulgarie,  mais  nous  verrons  plus  tard  les  démarches  faites, 
à  ce  sujet,  par  Jean  VIII,  son  successeur  depuis  le  14  décembre 
872  2. 

Photius  ne  s'étant  pas  soumis  à  la  décision  du  VIIIe  concile 
œcuménique,  fut  exilé  par  l'empereur  [dans  un  couvent  du  Bos- 
phore,  à   Sképi],   et   traité   en   prisonnier  d'Etat  3.  Mais  l'histoire 


l.VitaHadriani  II,  dans  P.  L.,  t.  cxxvn,  col.  1395;  édit.  Duchesne,  t.  n, 
p.  185  :  Ditissimus  remeavit.  «  Ce  que  tout  le  monde  put  dire,  parce  que  le  rap- 
prochement sautait  aux  yeux,  c'est  que  le  Saint-Siège  perdait  la  Bulgarie  par  la 
faute  des  deux  hommes  qui  représentaient  avec  plus  d'éclat,  l'un  à  Rome  l'autre 
à  Byzance,  l'hostilité  contre  Photius,  par  Formose  et  par  Ignace  ;  Ignace  surtout, 
que  la  papauté  avait  si  rigoureusement  soutenu  contre  son  redoutable  rival, 
pour  lequel  elle  avait  pour  ainsi  dire  soulevé  la  chrétienté  tout  entière.  »  Lapôtre, 
Le  pape  Jean  VIII,  p.  59.  (H.  L.) 

2.  P.  Balnn,  Il  pontifîcato  di  Giovanni  VIII,  dans  Gli  studi  in  Italia,  1880, 
t.  m,  part.  1,  p.  146-167,  365-376,  494-507,  898-906;  part.  2,  p.  261-269,  340- 
352  ;  in-8,  Rome,  1880  ;  P.  Ewald,  dans  Neues  Archiv  der  Gesellschaft  fiir  altère 
deutsche  Geschichtskunde,  1880,  t.  v,  p.  295-326;  A.  Gasquet,  Jean  VIII  et  la 
fin  de  l'empire  carolingien,  in-8,  Clermont-Ferrand,  1886;  réimprimé  dans  L'em- 
pire byzantin  et  la  monarchie  franque,  in-8,  Paris,  1888,  p.  432-482;  A.  Lapôtre, 
Études  d'histoire  pontificale  :  le  pape  Jean  VIII  (872-882),  dans  les  Études  relig., 
1891-1895,  t.  liii-lxv;  réimprimé  dans  L'Europe  et  le  Saint-Siège  à  l'époque 
carolingienne.  I.  Le  pape  Jean  VIII  (872-882),  in-8,  Paris,  1895  ;  A.  Zaccaria, 
De  palrimoniis  sanclce  Romanœ  Ecclesise  ad  Johannem  VIII,  dans  Dissertai, 
lat.  hisl.  antiq.  eccl.,  1781,  t.  n,  p.  68-108.  (H.  L.) 

3.  Stylianos,  Epist.  ad  Stephanum  papam,  dans  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  xvi,  col.  431  ;  Hardouin,  Coll.  conc,  t.  v,  col.  1125.  La  mention  du  couvent 
de  Sképi  est  faite  par  M.  A.  Vogt,  Basile  IeT,  empereur  de  Byzance  (867-886),  et 
la  Civilisation  byzantine  à  la  fin  du  IXe  siècle,  in-8,  Paris,  1908,  p.  232.  Hefele 
disait  «à  Stenon  »  et  expliquait  en  note  que«par  ttsvov  (détroit),  on  a  d'abord 
entendu  le  Bosphore,  puis  les  rivages  qui  l'avoisinaient  des  deux  côtés,  et  surtout 
le  rivage  du  côté  de  l'Europe,  où  se  trouvaient  plusieurs  couvents.  Cf.  Du  Cange, 
Constanlinopolis  chrisliana,  1.  IV,  p.   116.  (H.  L.) 


496.     DIFFÉREND     DES     ÉGLISES     GRECQUE     ET    BULGARE  551 

de  Constantinople  lui  présentait  tant  d'exemples  de  retours 
de  fortune  inouïs  pour  les  gens  d'Église  comme  pour  les  hommes 
d'État,  qu'il  ne  désespéra  pas  de  l'avenir  et  chercha  à  le  prépa- 
rer par  d'éloquentes  lettres.  Je  ne  connais  personne  qui  mieux 
que  Photius  dans  sa  lettre  ex  Ponto  ail  su  se  poser  en  victime, 
exciter  la  compassion,  loucher  les  cœurs,  électriser  ses  partisans 
cl  noircir  ses  adversaires,  11  se  compare  tour  à  tour  au  Christ,  à 
saint  Etienne  et  aux  martyrs  ;  ses  adversaires  sont  au  contraire 
[439]  Caïphe,  Anne.  Pilate  ;  il  appelle  les  vicaires  orientaux  des  esclaves 
des  Ismaélites  (des  Sarrasins),  et  trouve  naturel  qu'une  assemblée 
telle  que  le  VIIIe  concile  œcuménique  ait  choisi  pour  la  présider 
les  députés  de  ces  ennemis  mortels  du  christianisme  1.  Il  écrivit 
en  particulier  à  plusieurs  de  ses  amis  et  de  ses  adversaires,  pour 
consoler  et  exhorter  ses  lidèles  2,  raffermir  les  hésitants,  alarmer 
les  transfuges  3,  menacer  les  ennemis  4  du  jugement  de  Dieu.  Il 
s'adressa  aussi  à  des  grands,  à  des  courtisans,  prenant,  pour  les 
attendrir  par  la  description  de  ses  souffrances,  les  tons  les  plus  di- 
vers. Tantôt  il  se  compare  à  un  prophète  de  l' AncienTestament  prê- 
chant la  pénitence,  tantôt  il  se  donne  pour  un  modèle  de  douceur, 
tantôt  c'est  un  père  plein  de  sollicitude  pour  ses  enfants,  tantôt 
un  frère  passionné  pour  ses  autres  frères  ;  tour  à  tour  sérieux, 
ému,  inquiet,  aimable,  éloquent,  enjoué  même,  par  exemple 
dans  ce  début  de  lettre  à  Zacharie  de  Chalcédoine  :«  Je  m'oublie- 
rais moi-même,  si  je  ne  me  souvenais  plus  de  mon  cher  Zacharie  5.  » 
La  lettre  de  Photius  à  ses  partisans,  après  qu'on  eut  répandu  le 
bruit  qu'il  abandonnait  ses  amis  et  se  disposait  à  faire  soumis- 
sion, est  particulièrement  éloquente.  «  Il  ne  nommera  pas  le 
malheureux  qui  a  ainsi  prétendu  lire  dans  son  âme  pour  l'accuser 
de  folie.  Les  souffrances  de  son  exil  sont,  à  coup  sûr,  terribles  : 


1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  870,  n.  53  sq.  ;  Photius,  Epist.,  1.  III,  n.  lxvi, 
lxvii,  lxxxiii,  lxxxiv,  jP.  G.,  t.  en,  col.  877,  833,  884.  Si  les  vicaires  orientaux 
présents  au  VIIIe  concile  œcuménique  peuvent  être  appelés  «  les  députés  des  Sar- 
rasins »,  parce  que  les  Sarrasins,  leur  avaient  en  effet  confié  une  mission  (pour  les 
prisonniers  de  guerre),  cette  dénomination  doit  s'appliquer  aux  députés  orien- 
taux qui  assistèrent  au  conciliabule  réuni  par  Photius  en  879.  Cf.  infra,  §  498, 
la  ive  session  de  ce  conciliabule  réuni  par  Photius. 

2.  Photius,  Epist.,  1.  I,  n.  xv,  P.  G.,  t.  eu,  col.  764. 

3.  Photius,  Epist.,  1.  II,  n.  xxvi,  P.  G.,  t.  eu,  col.  840. 

4.  Photius,  Epist.,  1.  III,  n.  xlv,  lx,  P.  G.,  t.  eu,  col.  956,  968. 

5.  Photius,  Epist.,  1.  II,  n.  xiv,  P.  G.,  t.  en,  col.  829. 


552 


LIVRE    XXV 


captivité,  isolement,  privation  de  ses  livres,  etc.  ;  mais  l'accu- 
sation d'un  de  ses  amis  les  plus  anciens  lui  est  plus  douloureuse  que 
toutes  les  épreuves  physiques.  Du  reste,  rattachement  à  sa  cause 
de  tous  les  évêques  ordonnés  par  lui  prouverait  à  lui  seul  la  jus- 
tice de  cette  cause  1.  »  Mais  le  modèle  du  genre  me  semble  être 
cette  lettre  à  Basile  :  «  ...  Écoute-moi,  sire,  je  ne  te  rappellerai 
l>as  notre  ancienne  amitié  et  les  serments  sacrés  ;  je  ne  te  rappelle- 
rai pas  que  je  t'ai  sacré  empereur  et  donné  de  ma  main  les  saints 
mystères,  et  qu'il  y  a  entre  nous  un  lien  indissoluble,  établi 
lorsque  j'ai  adopté  ton  illustre  fils  2.  Je  ne  dirai  rien  de  tout  cela,  t-4401 
je  ne  veux  revendiquer  que  les  droits  qui  appartiennent  à  tout 
homme.  Les  Barbares  et  les  Grecs  tuent  ceux  qui  leur  parais- 
sent avoir  mérité  la  mort,  mais  s'ils  laissent  la  vie  à  quelqu'un 
ils  ne  cherchent  pas  ensuite  à  la  lui  disputer  par  la  faim  et  mille 
autres  souffrances.  Ma  vie  est  pire  que  la  mort.  Je  suis  prisonnier, 
séparé  de  tous  mes  parents,  de  mes  amis  et  de  mes  serviteurs, 
et  privé  de  toute  consolation  humaine.  L'apôtre  Paul  jeté  dans 
les  fers  et  conduit  à  la  mort  était  plus  heureux  que  moi  :  ses  amis 
et  ses  disciples  pouvaient  l'approcher  et  le  secourir.  Les  païens, 
les  ennemis  du  Christ,  ne  lui  avaient  pas  refusé  ces  adoucisse- 
ments, tandis  que  depuis  longtemps  déjà  je  suis  en  butte  à 
des  souffrances  qu'on  rougirait  d'infliger,  je  ne  dis  pas  seulement 
à  un  évêque,  mais  même  à  un  grand  criminel.  Par  un  raffinement 
de  cruauté  inouïe  et  jusqu'ici  inconnu,  on  est  allé  jusqu'à  me  pren- 
dre mes  livres.  Et  dans  quel  but  ?  Afin  que  je  ne  puisse  plus  lire 
la  parole  de  Dieu.  Que  de  pareils  attentats  ne  se  commettent  jamais 
dans  ton  empire  !...  Les  empereurs  hérétiques  n'ont  jamais  traité 
ainsi  les  orthodoxes,  et  les  empereurs  orthodoxes  n'ont  jamais 
traité  ainsi  les  hérétiques.  Non,  Athanase,  Eustathe,  Chry- 
sostome,  etc.,  n'ont  pas  été  maltraités  de  cette  façon,  pas 
plus  que  Nestorius,  Dioscore,  Sévère,  etc.  Léon  3,  cet  impie  qui 
tenait    plus    de    la    bête  que  de  l'homme  et  dont  se  souviennent 


1.  Baronius,  Annales,  ad  ami.  871,  n.  27  sq.  ;  Photius,  Epist.,  1.  I,  n.  xiv,  P. G., 
t.   en,   col.   741. 

2.  Photius  avait  été  parrain  do  l'un  des  fds  de  l'empereur.  Cf.  Pagi,  Critica, 
ad  ami.  870,  n.  25. 

3.  L'Arménien  et  non  pas  l'Isaurien,  comme  le  suppose  Jager,  p.  255.  Léon 
l'Isaurien  était  mort  depuis  déjà  cent  trente  mis,  lorsque  Léon  l'Arménien 
chassa  le    patriarche    Nicéphore.  Voir  §  i!5. 


496.     DIFFÉREND     DES     ÉGLISES     GRECQUE    ET    BULGARE  553 

beaucoup  de  gens  encore  en  vie,  n'a  pas  traité  aussi  cruellement 
le  patriarche  Nicéphore;en  l'exilant,  il  ne  lui  a  pas  fait  enlever 
ses  livres,  il  ne  l'a  pas  fait  mourir  de  faim,  tandis  qu'à  mon  égard 
on  n'a  gardé  aucune  mesure.  Les  malfaiteurs  ne  sont  châtiés 
que  dans  leur  corps,  moi  je  suis  également  maltraité  dans  mon 
corps  et  dans  mon  âme...  Si  ta  conscience  te  le  permet,  ajoute  donc 
de  nouvelles  souffrances  à  celles-ci  ;  si  elle  te  l'interdit,  ne  t'en- 
durcis pas  jusqu'à  l'heure  où  tu  te  trouveras  devant  le  tribunal 
en  face  duquel  il  n'est  plus  temps  de  faire  pénitence.  Pareille 
prière  à  la  mienne  est  chose  inouïe,  mais  j'y  suis  amené  par  tout 
ce  qu'il  me  faut  endurer.  Et  maintenant.  Sire,  mets  fin  à  tous  ces 
maux,  ("est  ton  désir,  je  le  sais  :  ou  tue-moi  sans  plus  de  souffrances 
ou  adoucis  ma  situation  intolérable.  Réfléchis  que  rois  et  sujets 
ont  même  chair,  même  nature,  même  maître,  même  Créateur, 
et  qu'ils  auront  même  juge.  Pourquoi  ne  pas  vouloir  que  je  parti- 
cipe à  ta  bienveillance  et  à  ta  bonté,  connues  de  tous  ?  Je 
ne  demande  pas  les  dignités,  la  gloire,  le  bonheur  et  le  plaisir,  je  ne 
[441]  demande  que  le  droit  commun  des  prisonniers  et  des  malfaiteurs. 
Et  qu'est-ce  que  je  demande,  après  tout  ?  La  mort,  ou  une  vie 
qui  ne  soit  pas  plus  intolérable  que  la  mort.  Ne  permets  pas, 
sire,  qu'on  puisse  dire  plus  tard  d'un  empereur  :  il  s'est  distingué 
par  sa  douceur  et  par  sa  bienveillance,  cependant  il  a  fait  mourir 
en  exil,  dans  le  supplice  de  la  faim  et  de  tortures  sans  nombre, 
un  évêque  jadis  son  ami,  le  parrain  de  son  fils,  le  consécrateur 
de  sa  femme  et  de  lui-même,  auquel  il  avait  juré,  sous  les  serments 
les  plus  sacrés,  une  amitié  éternelle  ;  or  F  évêque,  sur  le  point  de 
mourir,  priait  encore  pour  son  empereur  *.  » 

Photius  écrivit  à  la  même  époque  à  Baanès,  cet  officier  du  palais 
très  influent  «pie  nous  avons  vu  remplir  la  fonction  de  commissaire 
impérial  au  \  IIIe  concile  œcuménique.  Il  se  plaint  encore  des 
épouvantables  traitements  qu'on  lui  fait  subir  et  qui  dépassent 
tout  ce  que  l'on  raconte  des  barbares  et  des  païens.  «  Malade 
depuis  trente  jours,  il  réclame  en  vain  un  médecin.  Baanès  est  le 
véritable  auteur  de  ces  rigueurs;  il  invente  des  tortures  jusque- 
là  inconnues,  et  veut  que  son  nom  reste  acquis  à  l'histoire  comme 
plus    odieux    que    celui    d'un    barbare    «m    d'une     bête     féroce  2.  » 


1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  871.  n.  18;  Photius.  F.pisf..  1.  I,  n.  xvi,  P.   C. 
t.  en,    col.  765   ;  Hergenrôther,    Photius,  t.  n,  p.   187  sq. 

2.  Photius,   Epist.,  1.   III.  n.  xxxvin,  P.   G.,  t.  eu,  col.  052. 


554  LIVRE    XXV 

Plus  tard  Photius  écrivit  à  Baanès  une  seconde  lettre  d'un  ton 
très  différent  *.  Il  le  compare  cette  fois  à  Joseph  d'Arimathie, 
l'engage  à  faire  enfin  acte  de  courage,  à  se  présenter  hardiment 
comme  l'avait  fait  Joseph  d'Arimathie  pour  détacher  de  la  croix 
le  corps  du  Christ,  et  à  le  délivrer  pareillement  des  mille  tor- 
tures et  des  souffrances  sans  nombre  qui  l'assaillent  et  lui  sont  une 
mort  perpétuelle.  »  Quelque  temps  auparavant,  Baanès  avait  fait 
assurer  Photius  qu'il  travaillait  secrètement  pour  lui,  mais  qu'il 
n'osait  encore  le  faire  ouvertement. 

Photius  écrivit  à  l'empereur  une  seconde  lettre,  probablement 
pour  le  remercier  des  adoucissements  apportés  à  sa  situation  ; 
c'est  du  moins  le  sens  qui  me  paraît  résulter  de  cette 
lettre  assez  difficile  à  déchiffrer.  Photius  avait  cru  que,  du- 
rant tout  son  règne,  l'empereur  lui  accorderait  de  nouveaux 
bienfaits.  Son  amour  pour  l'empereur  et  les  nombreux  ser- 
ments de  celui-ci  autorisaient  un  pareil  espoir.  Espoir  bien 
vain,  puisqu'il  n'a  encore  à  remercier  l'empereur  que  d'une 
seule  chose,  tardivement  accordée,  un  adoucissement  aux  mau- 
vais traitements  qu'il  avait  jusque-là  subis  de  la  part  des  [442] 
scélérats  2.  Photius  s'adresse  ensuite  à  l'empereur  comme  ami, 
quoique  celui-ci  n'entende  peut-être  pas  ses  paroles  avec  plai- 
sir, enfin  il  lui  rappelle  que  les  causes  défendables  devant  un 
tribunal  humain,  ne  sont  cependant  pas  toujours  justes  devant 
Dieu,  et  que  Dieu  châtie  quelquefois  ce  qui  sur  la  terrre  avait 
semblé  permis  3. 

La  correspondance  de  Photius  avec  le  bibliothécaire  romain 
Anastase,  correspondance  dont  nous  possédons  un  fragment, 
prouve  que  Photius  chercha  également  à  se  faire  des  alliés  à  Rome  4. 


1.  Photius,  Epist.,  xci,  1.  III,  n.  xxxn,  P.  G.,  t.  en,  col.  949. 

2.  Jager,  op.  cit.,  p.  259,  pense  que  cette  lettre  ne  renferme  que  les  féli- 
citations de  Photius  à  l'empereur  pour  sa  victoire  sur  les  Sarrasins,  lesquels 
sont  ces  scélérats  qui  auraient  opprimé  Photius.  Interprétation  insou- 
tenable   ! 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  871,  n.  23  ;  Photius,  Epist.,  1.  I,  n.  xvn, 
P.  G.,  t.  en,  col.  772. 

4.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  878,  n .  9  ;  Photius,  Epist.,  1.  II,  n.  lxvi,  P.  G., 
t.  eu,  col.  877.  [Cette  intervention  subite  d'Anastase,  écrit  M.  A.  Vogt,  op.  cit., 
p.  233,  note  1,  est  assez  curieuse,  après  sa  conduite  à  l'égard  de  Photius.  Voici 
en  réalité  ce  qui  dut  probablement  se  passer.  On  sait  que  Photius  avait  noué  de 
bonne  heure  des  relations  assez  intimes  avec  Louis  IL  II  chercha  même  àl'asso- 


496.     DIFFÉREND     DES    ÉGLISES     GRECQUE     ET    BULGARE  555 

Photius  et  Anastase  s'étaient  connus  à  Constantinople,  lorsque 
ce  dernier  y  était  venu  en  qualité  d'ambassadeur  de  l'empereur 
d'Occident  Louis  II,  et,  savants  distingués,  s'étaient  trouvés  en 
rapports  assez  intimes.  Après  plusieurs  appels  de  Photius,  Anas- 
iase  imagina  pour  secourir  son  ami  vin  plan,  que  Photius  approuva 
dans  ce  fragmenl  de  lettre  en  question.  Il  ajoutait:  «  on  a  déjà 
perdu  beaucoup  de  temps,  malgré  le  proverbe  disant  que  l'occa- 
sion n'a  de  cheveux  que  sur  le  devant  de  la  tête,  tandis  que  par 
derrière  elle  est  chauve,  c'est  pourquoi  il  faut  la  saisir  lorsqu'elle 
vient,  et  non  lorsqu'elle  s'en  va.  Il  est  bon,  du  reste,  qu' Anastase 
soit  enfin  devenu  miséricordieux,  quoiqu'il  le  soit  devenu  un 
peu  tard  1.  »  Quant  au  plan  d 'Anastase,  nous  ne  le  connais- 
sons pas  ;  peut-être  consistait-il  à  irriter  le  pape  contre  Ignace 
à  l'occasion  des  Bulgares,  car  nous  voyons  à  cette  époque  le 
(tape  engager  par  deux  fois  Ignace  à  cesser  ses  empiétements  du 
côté  de  la  Bulgarie,  et  comme  Ignace  n'obéissait  pas,  le  pape 
Jean  VIII  alla,  dans  une  troisième  lettre  écrite  en  878,  jusqu'à  le 
menacer  de  la  suspense  et  de  la  déposition  2. 

Les  pitoyables  détails  donnés  par  Photius  sur  son  exil  ne  s'ac- 
cordent pas  avec  le  récit  de  l'empereur  Constantin  Porphyrogénète 
dans  la  biographie  de  son  aïeul  Basile  le  Macédonien.  «  On  n'avait 
rien  négligé  pour  rendre  plus  supportable  le  sort  de  Photius  ; 
[443]  l'empereur  lui  avait  assigné  un  palais  pour  demeure  et  l'avait  fait 
précepteur  de  ses  enfants  3.  »  On  s'explique  cette  diversité  si  on 
tient  compte  des  temps.  La  description  lamentable  de  Photius 
est  évidemment  exagérée,  elle  a  trait  d'ailleurs  à  la  première 
période  de  son  exil,  mais  sa  situation  s'adoucit  bientôt,  bien  au 
delà  de  ce  que  Photius  veut  bien  reconnaître  dans  sa  seconde 
lettre  à  l'empereur.  On  ne  tarda  pas,  en  effet,  à  rappeler  Pho- 
tius   qui    revint    à   Constantinople,    et    put    de   nouveau    visiter 


cier  à  sa  campagne  contre  Nicolas  Ier.  Or,  Anastase  était,  lui  aussi,  en  excel- 
lents termes  avec  l'empereur  franc  et  ne  manquait  aucune  occasion  de  lui  être 
agréable.  Il  est  probable  que  c'est  à  l'instigation  de  Louis  II,  ou  du  moins 
pour  lui  faire  plaisir,  qu'Anastase  essaya  de  s'entremettre  en  faveur  de  Photius. 
(H.  L.)  ' 

1.  Hergenrôther,  Photius,  p.  228-241. 

2.  Voir  §  496. 

3.  Constantin  VII  Porphyrogénète,  Historia  de  vita  et  rébus  gestis  Basilii 
inclyti  imper atoris,  c.  xliv,  dans  P.  G.,  t.  cix,  et  dans  Historiée  Byzant.  script- 
ores  pust  Theophanem,  Venetiis,  1729,  t.  vin,  p.  127. 


55(J  LIVRE     XXV 

l'empereur.  Il  demeura  dès  lors  au  palais  Magnaura,  ce  qui 
montre  assez  le  changement  d'attitude  à  son  égard  1.  Quant  et 
comment  s'était  opéré  ce  changement,  nous  l'ignorons.  Les  con- 
temporains eux-mêmes  le  trouvèrent  si  surprenant  qu'ils  lui  cher- 
chèrent toutes  sortes  d'explications.  D'après  Nicétas,  Photius 
aurait  gagné  l'empereur  par  un  procédé  qui  réussit  très  souvent 
auprès  d'un  parvenu.  Il  aurait  imaginé  un  arbre  généalogique 
qui  faisait  descendre  Basile  le  Macédonien  de  Tiridate  (l'Arsacide), 
premier  roi  chrétien  d'Arménie.  Avec  sa  ruse  habituelle,  il  ne 
se  donna  pas  comme  l'auteur  de  cette  généalogie,  il  préféra  la 
représenter  comme  un  très  ancien  document  et  une  prophétie 
mystérieuse  et  énigmatique  sur  la  maison  des  Arsacides.  Il  com- 
bina ce  qu'il  savait  sur  les  ancêtres  de  l'empereur  avec  différents 
faits  relatifs  à  cette  ancienne  maison  royale,  évitant  de  donner  aux 
ancêtres  de  l'empereur  et  à  lui-même  leurs  vrais  noms,  préférant 
les  désigner,  en  style  de  prophétie,  sous  des  appellations  symbo- 
liques et  allégoriques.  On  y  lisait,  par  exemple,  à  propos  du  père 
de  Basile  qu'il  aurait  un  fils  du  nom  de  Béclas,  qui  à  travers  tels 
et  tels  événements  deviendrait  un  prince  grand  et  illustre.  Or, 
Béclas  était  un  anagramme  formé  parles  initiales  des  noms  de 
chacun  des  membres  de  la  famille  impériale  :  Basile,  Eudoxie, 
Constantin,  Léon,  Alexandre  et  Stéphanos.  Afin  de  donner 
une  patine  bien  antique  à  son  invention,  Photius  l'écrivit  en 
caractères  alexandrins  sur  des  vieux  papiers  qu'il  introduisit 
sous  la  reliure  d'un  antique  manuscrit,  et  fit  déposer  le  tout  dans 
la  bibliothèque  impériale,  par  les  soins  de  Théophanes,  chapelain 
de  la  cour.  L'empereur  étant  venu  visiter  sa  bibliothèque,  [444J 
Théophanes  attira  son  attention  sur  le  document  mystérieux, 
se  déclarant  incapable  de  l'expliquer,  tandis  que  Photius,  sans 
aucun  doute  avec  sa  science  si  vaste,  en  viendrait  à  bout.  L'em- 
pereur, intrigué,  fit  venir  Photius,  et  fut  si  ravi  de  ses  expli- 
cations qu'il  le  garda  désormais  auprès  de  lui  2.  Quant   à  Théo- 


1.  Nicétas,  Vila  Ignatii,  P.  G.,  t.  cv,  col.  565,  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1003; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  283  ;  Stylianos,  Epist.  ad  Stephanum,  dans  Hardouin, 
op.  cit.,t.v,  col.  1125;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  432  ;  Sym.  Magister,  Annales* 
dans  P.  G.,  t.  cix,  col.  752  ;  A.  Vogt,  Basile  ier,  p.  233.  (H.  L.) 

2.  Basile  envoya  de  suite  l'ouvrage  mystérieux  à  l'ancien  patriarche  qui  dé- 
clara la  prophétie  personnelle  à  l'empereur  el  ne  pouvant  être  développée  qu'en 
sa  présence.  C'était  un  truc  (on  ne  trouve  guère  d'autre  mot  pour  qualifier  pa- 


496. 'différend    des    églises   grecque    et    bulgare  557 

phanes,     on    récompensa     ses     services    en     le     faisanl     nommer 
plus  tard  par  Photius  archevêque  de  Césarée  en  Cappadoce  1. 

L'explication  fournie  par  Stylianos,  évêque  de  Néocésarée, 
est  encore  plus  hasardée  :  d'après  lui,  sur  le  conseil  de  son  ami, 
le  faux  abbé  Théodore  Santabaren,  Photius  gagna  un  serviteur 
de  l'empereur  appelé  Nicétas  Klaiusa,  pour  qu'il  mêlât  aux  mets 
destinés  à  l'empereur  un  philtre  préparé  par  Santabaren;  ce  philtre 
réveilla  les  sentiments  d'amitié  de  l'empereur  pour  Photius  2. 
Il  n'est  guère  possible  d'expliquer  l'origine  de  cette  dernière 
légende,  mais  en  comparant  deux  lettres  de  Photius  3,  on  trouve 
l'explication  du  récit  de  Nicétas.  Parmi  les  clercs  de  Constanti- 
nople  qui,  sur  l'ordre  de  l'empereur,  se  séparèrent  de  Photius, 
se  trouvait  le  diacre  et  protonotaire  Théophanes,  employé  à  la 
bibliothèque  impériale.  Quoique  foncièrement  dévoué  à  Photius, 
Théophanes  accommoda  sa  conduite  aux  circonstances  et  s'abstint 
de  tout  rapport  avec  le  patriarche  intrus,  jusqu'à  ce  que  plus  tard, 
ainsi  que  le  prouve  une  lettre  de  Photius  4,  il  s'adressa  à  l'exilé 
pour  avoir  des  explications  sur  deux  passages  de  l'Ancien  Testa- 
ment 5.  Dans  sa  réponse  Photius  s'étonne  de  ce  que  Théophanes, 
après  un  si  long  silence  et  un  si  cruel  oubli,  vienne  questionner 
un  homme  à  demi  mort  comme  on  s'adresse  à  des  gens  heureux. 
Peut-être  veut-il  entendre  une  voix  sortir  du  tombeau,  ou  bien 
cette  question  n'est-elle  qu'un  piège...  Il  répond  toutefois,  mais 
brièvement,  à  la  difficulté  et  termine  en  engageant  Théopha- 
nes à  ne  pas  servir  plus  longtemps  l'enfer.  D'après  la  suscription 
de  cette  lettre,  Théophanes  aurait  questionné  Photius  au  nom 
de  l'empereur,  et  il  est  bien  probable,  en  effet,  que  la  science  re- 
connue de  Photius  fournit  le  prétexte  à  la  reprise  des  relations. 
[445]  Dès  ce  moment,  l'union  de  Théophanes  et  de  Photius  devient  de 
plus  en  plus  intime  et  celui-ci  assure  Théophanes  d'un    complet 


reille  habileté),  et  il  réussit;  Photius  vint  au  palais  et  lut  son  travail  à  l'empereur 
qui  lui  confia  l'éducation  de  ses  enfants.  (H.  L.) 

1.  Nicétas,  Vita  Ignatii,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1003  ;  Mansi,  op.  cit., 
t.  xvi,  col.  283.  Hergenrôther,  Photius,  t.  n,  p.  258  sq.,  admet  le  récit  de  Nicé- 
tas comme  digne  de  foi. 

2.  Stylianos,  Epist.  ad  Stephanum,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1126; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  431;  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  263. 

3.  Photius,  Epist.,  1.  II,  n.  lv,  P.  G.,  t.  en,  col.  869,  q.  cxv,  P.  G.,  t.  ci,  col.  684. 

4.  Photius,  q.  cxv,  P.  G.,  t.  ci,  col.  684. 

5.  Par    exemple    III    Reg.,    iv,    31. 


558  LTVRE     XXV 

pardon  car  il  juge  que  son  ami  n'a  cédé  qu'à  la  violence  ,  affec- 
tant un  éloignement  qui  n'était  pas  dans  son  cœur  1.  D'où  il 
résulte  que  les  relations  de  l'empereur  avec  Photius  ont  été 
renouées  a)  par  l'intermédiaire  de  Théophanes,  b)  à  la  suite  d'une 
explication  fournie  par  Photius  sur  un  texte  obscur.  Ce  sont 
précisément  là  les  deux  points  qui  composent  le  fond  de  la  narra- 
tion de  Nicétas.  Tout  le  resLe  nous  paraît  n'être  que  légende 
composée  sur  une  donnée  véridique  par  des  ennemis  de   Photius  2. 

Quant    au    changement     survenu    dans    l'attitude    de    l'empe- 
reur  envers    Photius,    voici     notre    explication.     Après   le   juge- 
ment du  VIIIe  concile  œcuménique,  et  l'exil   de  Photius,   l'empe- 
reur s'attendait  à  la   disparition  rapide  du  parti  du  faux  patriar- 
che et  à  la    pacification   religieuse    dont   l'empire    avait    si  grand 
besoin.  Voyant  ses  prévisions  déçues,  convaincu  de   l'inébranlable 
obstination  des  partisans  de  Photius,  de  leur    attachement  à  leur 
maître,  de  leur  union  indissoluble  et  du  zèle  incessant  et  opiniâtre 
qu'ils    déployaient   pour    leur    cause,    constatant  que    leur   nom- 
bre ne  diminuait  pas,  il  comprit  que,    dans    l'intérêt    de    l'Etat, 
il  ne  devait  plus    user  d'une  rigueur  qui  n'avait  donné  jusque-là 
aucun  résultat  favorable,   mais,   au  contraire,   de  douceur  et  de 
condescendance.   Il  dut  craindre  que  le  parti  ne  fût  poussé  à  de 
fâcheuses  extrémités,  si  on  continuait  à  lui  tenir  rigueur  ;  aussi 
songea-t-il    à    réconcilier  entre   eux    les   partisans   de   Photius  et 
ceux  d'Ignace.  Il  s'appliqua  à  représenter  leurs  anciens  dissenti- 
ments comme  des  griefs  purement  personnels  qu'il  fallait  oublier 
et  nous   verrons,   en   effet,  qu'après   la   réintégration   de    Photius 
on  abrogea  et  annula  tout  ce  que  les  deux  partis  avaient  fait  et 
décrété  l'un  contre  l'autre.   Photius  et  Ignace  devaient  tous  les 
deux  être  également  honorés.   La   conduite  postérieure  de  l'em- 
pereur prouve  qu'il  agit  aussi  sous  l'impulsion    de   raisons  ecclé- 
siastiques et  canoniques  ;  il  avait  certainement  dès  lors  conçu  le 
projet  de  faire  succéder    Photius   à    Ignace,   âgé   de  quatre-vingts  [446] 
ans,  sur  le  trône    patriarcal  de  Constantinople;    c'était  là,  à  ses 
yeux,  le  meilleur  moyen  de  réconcilier  les  deux  partis. 

Quant  au  retour  de  Photius  et  à  son  séjour  à  Constantinople 
jusqu'à  la  mort  d'Ignace,  nous  ne   savons  rien,    sinon   ce  qu'il  en 


1.  Photius,  Episl.,  1.  II,  n.  lv,  P.  G.,  t.  en,  col.  869. 

2.  Sur  ce  récit  de  Nicétas  cf.  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  234,  qui  place  le  retour  de 
Photius  à  Constantinople  en  875  ou  876.  (H.  L.) 


496.     DIFFÉREND     DES     ÉGLISES     GRECQUE     ET     BULGARE  559 

dit  dans  la  deuxième  session  de  son  conciliabule  tenu  en  879  : 
«Contre  toute  attente  et  sans  qu'un  seul  de  mes  amis* ait  in- 
tercédé auprès  de  l'empereur,  celui-ci  me  rappela  avec  bienveil- 
lance de  l'exil  dans  la  capitale,  parce  que  Dieu  avait  tourné  son 
cœur  vers  la  miséricorde,  non  pas  tant  à  mon  égard  qu'à  l'é- 
gard de  la  sainte  Eglise  du  Christ.  Tant  qu'Ignace  a  vécu,  je  n'ai 
fait  aucune  démarche  pour  m'emparer  du  siège  de  Constantino- 
ple,  quoique  plusieurs  m'y  engageassent  el  voulussent  m'y  forcer, 
el  quoique,  ce  qui  était  beaucoup  plus  important,  la  situation  de 
mes  amis  toujours  dépossédés  de  leurs  sièges  semblât  me  faire 
un  devoir  de  suivre  les  conseils  qu'on  me  donnait.  Je  vécus, 
au  contraire,  en  bon  accord  avec  Ignace,  et  il  manifesta  lui- 
même  notre  entente,  lorsqu'il  me  visita  dans  le  palais  impérial. 
Dans  cette  rencontre,  nous  tombâmes  aux  pieds  l'un  de  l'autre 
et  nous  pardonnâmes  mutuellement  les  torts  que  nous  pouvions 
avoir  l'un  vis-à-vis  de  l'autre.  Ignace,  étant  tombé  malade,  mani- 
festa le  désir  de  recevoir  ma  visite; je  me  rendis  plusieurs  fois  à 
sa  demande,  cherchant  à  le  soulager  par  tous  moyens  (Photius 
était  aussi  médecin).  Enfin,  au  moment  de  mourir,  Ignace  me 
recommanda  ses  familiers  et  ses  serviteurs,  et  j'ai  tenu  scrupuleu- 
sement compte  de  ses  recommandations  1.  » 

Nicétas  et  Stylianos  parlent  dans  un  sens  tout  différent.  Ils 
racontent  qu'après  la  mort  d'Ignace,  Photius  marqua  la  plus 
grande  cruauté  contre  tous  les  partisans,  et  en  particulier  contre 
les  familiers  et  les  serviteurs  de  l'ancien  patriarche  ;  d'après  eux, 
il  se  serait  efforcé,  dès  son  retour  dans  la  capitale,  d'obtenir  la 
reconnaissance  de  sa  dignité  épiscopale  (sans  siège  spécial)  et  l'en- 
trée dans  sa  communion  avec  lui.  Une  première  tentative  dans 
ce  sens  faite  auprès  d'Ignace,  par  l'intermédiaire  de  Théodore 
Santabaren,  n'aboutit  pas,  mais  en  revanche  Photius  fut  plus 
heureux  auprès  des  autres,  et  acquit  bientôt  une  telle  influence 
qu'il  sembla  gouverner  l'Eglise  patriarcale,  au  point  de  se  per- 
mettre de  faire  des  ordinations  et  de  conférer  des  emplois.  Un 
jour  que  ses  adversaires  étaient  réunis  en  nombre  dans  l'église 
de  Sainte-Sophie  pour  célébrer  un  service  divin,  il  parut  subite- 
ment dans  l'église  avec  une  escorte  armée,  pour  assister  à  la  céré- 
monie, c'est-à-dire  pour  forcer  ses  adversaires  à  entrer  en  commu- 
nion  ecclésiastique    avec   lui.    La    plupart    de    ceux-ci   voulurent 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  422  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col.  255, 


560  LIVRE     XXV 

interrompre  le  service  commencé  et  s'éloigner,  mais  Photius 
les  retint,  et  sauf  Stylianos  et  quelques  autres  qui  parvinrent 
à  s'échapper,  tous  consentirent  à  continuer  le  service  divin 
et  à  faire  acte  de  communion  ecclésiastique  avec  l'intrus.  Enfin 
Stylianos  prétend  que  Photius  voulut  attenter  à  la  vie  d'I-  [447] 
gnace  l. 

En  supposant  exagérés  les  renseignements  fournis  par  les  ad- 
versaires de  Photius,  ils  nous  autorisent  cependant  à  mettre 
en  doute  les  données  par  trop  idylliques  que  Photius  nous  fournit 
sur  sa  propre  conduite  ;  on  peut  affirmer  sans  crainte  de  rien  ou- 
trer qu'après  son  retour  à  Constantinople,  Photius  voulut  exercer 
les  fonctions  épiscopales  et  causa  à  Ignace  bien  des  désagréments. 
On  voit  que,  tout  en  acceptant  son  affirmation  de  n'avoir  jamais 
cherché  à  déposer  Ignace,  nous  pensons  néanmoins  qu'il  a  su 
arracher,  aux  mains  débiles  de  ce  vieillard  déjà  si  âgé  et  si  près 
de  la  mort,  le  pouvoir  qui  allait  bientôt  lui  échapper  tout  à 
fait. 

Si  l'empereur  avait  agi  en  vue  d'une  réconciliation  entre  Ignace 
et  Photius,  il  vit  sans  peine  qu'il  n'arriverait  à  rétablir  com- 
plètement la  paix  de  l'Église  et  à  calmer  les  nombreux  parti- 
sans de  Photius,  qu'après  avoir  rendu  leurs  charges  à  ceux 
qui  en  avaient  été  dépossédés.  Afin  d'en  venir  là,  il  écrivit  deux 
fois  à  Rome,  demandant  l'envoi  de  légats  pontificaux  qu'il  dési- 
gnait ;  on  devine  que  son  choix  tombait  sur  ceux  qui  lui  parais- 
saient les  plus  aptes  à  entrer  dans  ses  vues.  Malheureusement, 
nous  ne  possédons  plus  ses  deux  lettres  au  pape  à  ce  sujet  ; 
nous  savons  seulement  qu'en  avril  878,  Jean  VIII  envoya  en 
effet  deux  légats  à  Constantinople,  les  évêques  Paul  d'Ancône 
et  Eugène  d'Ostie,  à  qui  il  confia  sept  lettres,  toutes  datées  du 
16  avril  878  2.  Les  trois  premières  sont  adressées    aux  Bulgares, 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  283  sq.,  431  sq.;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col. 
1003  sq.,  1123  sq.  [Sur  cette  lettre  de  Stylianos  qui  est,  en  général,  très  exacte 
et' résume  les  faits  dans  leur  ordre  chronologique,  tels  que  nous  les  connais- 
sons par  ailleurs  et  sans  les  exagérer,  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  235,  n.  4.  (H.  L.)] 

2.  Les  lettres  dont  les  légats  étaient  porteurs  étaient  datées  du  26  février  et 
du  26  avril  878.  Jafïé-Ewald,  n.  3118,  3135.  Jafîé  maintient  la  double  lecture 
de  IV  halendas  martii  pour  l'une  et  d'avril  pour  l'autre.  Cette  dernière  a  pour 
simple  date  indictione  XI  et  fait  partie  des  lettres  datées  du  16  avril  678.  Il  est 
probable  qu'elle  était  écrite  quand  arriva  la  lettre  de  Basile  aujourd'hui  perdue. 
Elle  répondait  vraisemblablement  à  l'une  des  deux  lettres  de  l'empereur.  Ton- 


496.    DIFFEREND     DES     EGLISES    (ÎRECQUE    ET    BULGARE  5bl 

c'est-à-dire  à  leur  roi  Michel,  à  son  ministre  Pierre  dont  nous 
avons  déjà  parlé,  et  au  frère  du  roi  de  Bulgarie  1.  Le  pape  les 
engage  à  revenir  à  l'Église  romaine,  qui  seule  peut  leur  donner 
toute  garantie  contre  les  hérésies.  «L'Église  de  Rome  n'a  ja- 
mais été  souillée  de  l'erreur,  tandis  que  de  nombreux  évêques 
de  Constantinople  ont  été  hérétiques  ;  en  s'unissant  à  l'Eglise 
[448]  de  Constantinople,  les  Bulgares  courent  le  danger  de  tomber 
lui  ou  tard  dans  l'hérésie2.  »  Une  quatrième  lettre  adressée  aux 
ecclésiastiques  grecs  alors  en  Bulgarie  leur  notifie  l'excommunica- 
tion que  suivra  la  déposition  formelle,  s'ils  ne  quittent  pas  le  pays 
dans  un  délai  de  trente  jours.  Ceux  qui  obéiront  à  ces  ordres 
pourront  recouvrer  dans  l'Église  grecque  l'évèché  qu'ils  y 
possédaient  auparavant  et  s'ils  n'en  avaient  pas,  on  leur  en 
donnera  un  3.  La  cinquième  lettre  adressée  à  l'empereur  Basile 
répond  aux  siennes,  aujourd'hui  perdues.  Le  pape  déplore  que 
l'Église  de  Constantinople  soit  déjà  privée  de  cette  paix  que  le 
Siège  apostolique  eut  tant  de  peine  à  établir  (il  y  avait  donc  eu 
des  rixes  entre  les  partisans  d'Ignace  et  de  Photius,  et  tout  ne 
se  passait  pas  d'une  manière  aussi  sereine  et  aussi  idyllique  que 
l'assure  Photius).  Plusieurs  moines  avaient  été  chassés  et  fort 
maltraités;  on  avait  infligé  à  certains  évèques  toutes  sortes  de 
désagréments.  Le  pape  ne  peut  envoyer  comme  légats  les  per- 
sonnes désignées  par  l'empereur,  ces  personnes  ayant  déjà  reçu 
d'autres  destinations;  il  envoie  donc  en  leur  place  deux  hom- 
mes dignes  et  intelligents,  les  évêques  Paul  et  Eugène,  auxquels 
il  a  commandé  de  visiter  le  roi  des  Bulgares.  Le  pape  demande 
enfin  à  l'empereur  de  fournir  une  escorte  à  ses  légats  à  l'aller 
et  au  retour  4. 


tes  deux  partirent  en  même  temps;  car  par  l'une  le  pape  répond  au  sujet  de  la 
Bulgarie,  par  l'autre  au  sujet  des  troubles  de  l'Eglise  byzantine.  (H.  L.) 

1.  On  touebait  à  l'épilogue  de  l'imbroglio  bulgare,  aucpicl  nous  allons  revenir 
dans  peu   d'instants.    (H.   L.) 

2.  Jean  VIII,  Epist.  ad  Michaelem  Bulg.regcm  ail  Pelrum,  etc.  P.  L.,  t.  cxxi, 
col.  758  sq.  ;  Mansi,  <>p.  cit.,  L  xvn,  col.  66  ;  Hardouin,  op.cil.,  t.  vi,  part.  1,  col. 
19.  [Jafïé,dans  Neùes  Archw,  t.  v,  p.  308  ;  Jafïé-Ewald,  n.  2962.  (IT.  L.)] 

3.  Peut-être  dans  cette  lettre  maintenant  perdue,  l'empereur  avait-il  accepté 
au  sujet  de  la  Bulgarie  ces  stipulations  qu'énonce  maintenant  le  pape,  lui 
donnant  ainsi  des  satisfactions  partielles,  afin  de  pouvoir  mieux  le  gagner  pour 
le  motif  principal  de  ses  négociations. 

4.  Jean  VIII,  Epist.  ad.  Basil,  imp.,  dans  P.  L..  t.  cxxvi,  col.  765;  Mansi, 

CONCILES  —   I  V  —  36 


562  LIVRE    XXV 

Dans  la  sixième  lettre  également  destinée  à  l'empereur,  le 
pape  exprime  l'espoir  que  Basile  n'abandonnera  pas  l'Eglise  ro- 
maine clans  la  détresse  et  le  besoin  de  l'heure  présente  1.  Les  légats 
lui  diront  de  vive  voix  la  grande  calamité  qui  a  dernièrement 
frappé  cette  Église  2.  Enfin  la  dernière  lettre  est  adressée  au 
patriarche  Ignace  3,  lui  rappelant  le  double  avertissement  déjà 
donné  de  ne  pas  étendre,  au  mépris  des  canons,  les  droits  du  siège 
de  Constantinople,  qu'il  n'avait  recouvré  que  grâce  à  l'autorité 
de  Rome.  «  Chacun  sait  que  le  pays  des  Bulgares  fait  partie  du 
patriarcat  de  Rome.  Ignace  l'a  oublié  ainsi  que  tous  les  bien- 
faits du  Siège  apostolique,  envers  lequel  il  s'étail  montré 
ingrat  et  dont  il  avait  usurpé  le  territoire.  Après  ces  deux 
exhortations  sans  effet,  le  pape  aurait  dû  rompre  avec  Ignace  ; 
mais,  il  veut  user  de  condescendance,  et  l'avertit  une  troi-  [449] 
sième  fois.  Ignace  devra  envoyer  en  Bulgarie  des  mandataires  qui 
ramèneront  tous  les  clercs  grecs  installés  dans  ce  pays.  Faute 
de  se  conformer  à  cet  ordre  dans  le  délai  de  trente  jours,  Ignace 
sera  exclu  de  la  communion  eucharistique  jusqu'à  ce  qu'il 
consente  à  obéir.  S'il  s'obstinait,  il  serait  dégradé  du  pa- 
triarcat, qu'il  ne  possédait  que  grâce  à  la  bienveillance  de 
Rome  4.  » 

Ignace  était  mort,  lorsque  les  légats  du  pape  arrivèrent  à  Cons- 
tantinople  avec  cette  lettre  comminatoire  5  ;  aussi  Baronius  6 
et  d'autres  historiens  sont-ils  dans  l'erreur,  lorsqu'ils  soutiennent 
que  Photius  n'avait  repris  courage  et  recommencé  ses  intrigues 
contre  Ignace  qu'à  la  suite  de  cette  lettre  de  Jean  VIII.  Nicétas 
dit  formellement  qu'Ignace  est  mort  le  23  octobre,  et  on  admet 
généralement  qu'il  s'agit  de  l'année  878,  tandis  que  Pagi  7  et  Her- 


op.  cit.,  t.  xvn,  col.  69;  Hardouin,  op.  cit,t.vi,  part.  1,  col.  23  ;  Hergenrôther, 
op.    cit.,  p.  298  sq.  ;  Neues  Archw,  t.  v,  p.  309. 

1.  Il  s'agissait  de  la  menace  des  invasions  sarrasines. 

2.  Engagement  pris  par  le  pape  de  payer  un  tribut  annuel  aux  Sarrasins. 

3.  Voir  au  début  du  présent  paragraphe. 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  col.  20  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  67;  P.  L., 
t.  cxxvi,  col.  763.  [Ewald,  dans  Neues  Archw,  t.  v,  p.  307  ;  Jafïé-Ewald,  n.  2999. 
(H.  L.)] 

5.  Styliani,  dans  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1126;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi, 
col.   431. 

6.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  878,  n.  8. 

7.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  878,  n.  11  sq. 


496.     DIFFÉKEND     DES     EGLISES     GRECQUE     ET     BULGARE  563 

genrôther  1  se  prononcent  avec  raison  pour  l'année  877.  Quoi- 
qu'il fût  en  démêlé  avec  Rome,  Ignace  n'est  cependant  pas 
mort  en  dehors  de  la  communion  de  l'Eglise  ;  on  ne  doit  donc 
pas  s'étonner  qu'il  ait  reçu  dans  la  suite  les  honneurs  réservés 
aux  saints.  Baronius  le  premier  2  a  excusé  les  discussions  d'Ignace 
avec  le  Siège  apostolique,  sur  ce  qu'il  avait  cru  soutenir  dans 
l'affaire  des  Bulgares  les  intérêts  de  son  Eglise,  qu'il  avait  juré 
de  sauvegarder  lors  de  son  ordination.  Baronius  compromet 
gravement  son  apologie  lorsqu'il  suppose,  à  tort  du  reste, 
qu'Ignace  vivait  encore  lorsque  arrivèrent  à  Constantinople 
les  lettres  du  pape,  et  qu'il  a  refusé  d'y  obéir.  Nicétas  raconte 
ainsi  la  mort  du  patriarche  Ignace.  Il  était  minuit,  et  le  diacre 
chargé  de  lire,  au  pied  du  lit  d'Ignace  gravement  malade,  les 
prières  de  l'Eglise  (Vofficium),  dit  à  haute  voix  la  formule  rituelle 
Jubé  Domne  benedicere  (en  grec,  bien  entendu).  Ignace  fit  alors, 
sans  rien  répondre,  le  signe  de  la  croix  sur  sa  bouche,  et  demanda 
d'une  voix  très  faible  le  nom  du  saint  qu'on  honorait  ce  jour-là. 
On  lui  répondit  :  «  Jacques,  le  frère  du  Seigneur,  ton  ami.  »  Il 
répliqua  :  «  De  mon  maître,  oui,  mais  non  pas  de  mon  ami.  »  Il 
fit  ses  adieux  et  dit  :  «  Que  béni  soit  notre  Dieu  en  tout  temps, 
[450]  maintenant  et  dans  toute  l'éternité,  amen  !  »  On  le  revêtit,  après 
sa  mort  et  selon  ses  ordres,  du  manteau  de  ce  même  apôtre  saint 
Jacques,  précieuse  relique  cju'il  avait  reçue  de  Jérusalem  3,  et  son 
corps  fut  d'abord  porté  dans  l'église  de  Sainte-Sophie,  et  ensuite 
exposé  dans  l'église  de  Saint-Mennas.  Comme  tous  voulaient 
posséder  des  reliques  d'Ignace,  on  déchira  en  mille  pièces  le 
drap  qui  recouvrait  le  cadavre  ;  le  corps  fut  transporté  au  monas- 
tère de  Saint-Michel  qu'il  avait  fait  restaurer,  de  l'autre 
côté  du  Bosphore 4.     La    mer,    raconte  Nicétas,     était    à    ce  mo- 


1.  Hergenrother,  op.  cit.,  t.  i,  p.  285  sq.  [A.  Vogt,   op.    cit.,    p.  237.  (H.  L.)] 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  878,  n.  42. 

3.  Voir  §  488.  Voici  le  Cursus  lionorum  d'Ignace  :  naissance,  797  ;  élévation 
au  patriarcat,  juillet  847  ;  déposition,  novembre  858  (ou  857)  ;  exil  et  rétablis- 
sement au  patriarcat;  23  novembre  867  ;  mort,  23  octobre  877,  cf.  Nicétas, 
Vita  Ignatii,  P.  C,  t.  cv,  col.  512,  544,  560.  (H.  L.) 

4.  Cette  église,  située  sur  la  côte  asiatique  du  Bosphore,  avait  été  construite 
par  Justinien,  mais  Ignace  l'avait  restaurée  et  y  avait  ajouté  un  monastère  ; 
cf.  Du  Cange,  Constantinopolis  Christ.,  1.  IV,  p.  131.  [Pargoire,  Le  monastère 
de  saint  Ignace  et  les  cinq  plus  petits  îlots  de  l'archipel  des  Princes,  dans  le  Bulle' 
tin  de  l'Institut  archéol.  russe  de  Constantinople,  1901,  t.  vu,  part.  l,p.  69.  (H.L.) 


564  Livre  xxv 

ment  très  agitée,  mais  se  calma  subitement,  lorsque  la  barque 
portant  la  précieuse  dépouille  quitta  le  rivage.  Si  cette  tradition 
est  vraie,  les  éléments  auraient  montré  plus  de  sentiment  et 
de  respect  que  les  hommes  pour  les  restes  de  l'ancien  pa- 
triarche, car,  sur  l'ordre  de  Photius,  le  sacellaire  Lydus  chassa, 
avec  des  injures  et  des  coups,  les  malades  qui  venaient  chercher 
leur  guérison  au  tombeau  d'Ignace.  On  dit  qu'on  vit  à  ce  tom- 
beau des  guérisons  miraculeuses  ;  sous  prétexte  de  découvrir 
des  trésors  cachés  en  cet  endroit,  Lydus  bouleversa  complète- 
ment le  tombeau  et  les  environs.  Le  vrai  motif  était  de  pour- 
suivre-jusque  dans  sa  tombe  l'illustre  mort1. 


497.  Réintégration  de  Photius  que  le  pape  Jean  VIII 
consent  à  reconnaître  sous  certaines  conditions. 

Dès  le  troisième  jour  qui  suivit  la  mort  d'Ignace,  Photius  re- 
monta sur  le  trône  patriarcal,  avec  l'assentiment  de  l'empereur  2. 
Toute  sa  conduite  depuis  des  années  préparait  ce  retour  et  on  ne 
peut  s'empêcher  de  sourire  en  l'entendant  protester  de  sa  longue 
résistance  à  l'empereur,  pour  ne  pas  reprendre  la  dignité  de  patriar- 
che 3.   Une  partie  des  évêques  et  des  clercs  lui  était  acquise,  et, 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  995  sq.;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  275  sq. 

2.  Nicétas,  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  ex,  col.  569. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  col.  255;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  426.  A.  Lapôtre, 
Le  pape  Jean  VIII,  p.  64,  a  trop  voulu,  croyons-nous,  découvrir  un  Photius  in- 
connu. Néanmoins,  nous  ne  prétendons  pas  imposer  le  caractère  que  nous  avons 
présenté  plus  haut  (p.  256,  note  2)  ;  d'ailleurs,  au  seuil  de  cette  nouvelle  période 
de  gouvernement  il  est  bon  de  montrer  le  personnage  sous  un  jour  qui,  pour 
être  trop  habilement  disposé,  ne  laisse  pas  d'être  utile  pour  aider  à  comprendre  le 
célèbre   patriarche. 

«  A  parler  rigoureusement,  c'est  fausser  l'histoire  de  Photius,  que  de  lui  donner 
l'ambition  pour  principal  ressort  :  Photius  n'a  pas  été,  au  vrai  sens  du  mot, 
un  ambitieux.  Ce  n'est  pas  précisément  la  convoitise  du  pouvoir,  le  besoin  im- 
périeux d'occuper  la  première  dignité  dans  l'Eglise  qui  amis  en  mouvement  ses 
puissantes  facultés.  Il  n'v  a  eu  sûrement  qu'une  grande  passion  dans  cette  âme,  la 
passion  d'être  admiré  et  estimé  des  hommes,  non  pas  pour  l'éclat  de  sa  situation 
extérieure,  mais  pour  son  mérite  personnel,  pour  la  prééminence  de  son  savoir 
et  de  ses  mœurs.  Et  cette  passion  ne  fut  si  forte  que  parce  qu'elle  tirait  son  ali- 
ment, je  dirai  presque  sa  sincérité,  de  la  foi  robuste  qu'avait  Photius  dans  l'in- 


497.     RÉINTÉGRATION    DE    PHOTIUS  565 

au  rapport  de  Nicétas,  il  gagna  l'autre  en  promettant  de  riches 
évêchés  et  de  hautes  dignités.  Quiconque  repoussa  la  communion 
de  Photius  fut  persécuté;  aussi  plusieurs  de  ses  anciens  adversaires 
[451]  finirent-ils  par  céder.  La  veille  encore  il  avait  odieusement  qua- 
lifié tous  ces  adversaires  de  larrons  et  d'adultères,  que  la  défec- 
tion transforme  subitement  en  frères  et  vénérables  serviteurs 
de  Dieu.  Quant  à  ceux  qui  tinrent  ferme,  on  les  livra  à  Léon 
Catacalos,  commandant  des  gardes  du  corps  et  gendre  de  Photius, 
qui  les  traita  avec  une  brutalité  inouïe  1  ;  plusieurs  d'entre  eux 
en  moururent.  Photius.  continue  Nicétas,  désirait  déposer,  immé- 
diatement après  sa  réintégration,  tous  les  clercs  ordonnés  par 
Ignace,  mais  cette  mesure  était  en  opposition  avec  la  politique 
de  conciliation  de  l'empereur,  et  le  projet  de  réordination  n'étant 
pas  approuvé,  Photius  se  résigna  à  un  moyen  terme  :   il  consacra 

faillibilité  de  sa  science,  comme  dans  l'impeccabilité  de  sa  conduite.  Toute  sa 
vie  est  là,  avec  ses  apparentes  contradictions,  ses  excès  et  ses  mérites.  Il  n'est 
pas  le  moins  du  monde  prouvé  que  Photius  ait  menti  autant  qu'on  le  pense,  lors- 
qu'il affirme  n'avoir  accepté  la  dignité  patriarcale  qu'à  son  corps  défendant. 
P.  G.,  t.  eu,  col.  1019  ;  Actes  du  synode  de  879,  Coleti,  Concilia,  t.  xi,  col.  389. 
Quand  on  a  conscience  de  briller  par  soi-même,  on  se  soucie  moins  d'emprunter 
à  des  titres  officiels  un  reflet  inutile  et  d'essence  inférieure.  Il  semble  même  que, 
pour  les  orgueilleux  de  grande  race,  à  qui  les  honneurs  n'agréent  qu'autant 
qu  ils  s'adressent  à  leur  seul  mérite,  il  y  ait  plus  à  perdre  qu'à  gagner  dans  ces 
hautes  charges  qui  attirent  à  elles  toute  la  considération,  et  servent  moins 
à  mettre  en  relief  qu'à  faire  oublier  la  valeur  de  la  personne.  Photius  s'est  vanté 
dans  ses  lettres  de  n'aimer  ni  le  faste  ni  l'argent.  Epist.,  xiv,  P.  G.,  t.  eu, 
col.  745;  epist.  xvi,  col.  769.  On  peut  l'en  croire,  car  ce  n'était  pas  par  cet  endroit- 
là  que  le  venin  perçait.  Pour  expliquer  le  renom  d'humilité  qu'il  a  conquis  par- 
mi beaucoup  de  ses  contemporains,  et  dont  le  pape  Jean  VIII  lui-même  s'est 
fait  l'écho,  P.  G.,  t.  cxxvi,  col.  911,  il  n'est  pas  nécessaire  non  plus  de  recourir 
aux  calculs  profonds  d'une  incomparable  hypocrisie.  Comme  tous  les  hommes 
chez  qui  la  passion  s'est  concentrée  sur  un  point  unique,  Photius  eut  par  ailleurs 
des  renoncements  faciles  peut-être,  mais  sincères.  S'il  se  cramponna  énergique- 
ment  à  son  siège  patriarcal,  sous  le  feu  des  anathèmes  lancés  par  le  pape  Nico- 
las Ier;  si  plus  tard,  dépouillé  de  sa  charge,  il  aspira  sans  cesse  à  la  reprendre,  ce 
fut  moins  pour  jouir  du  pouvoir  suprême  que  pour  établir  son  bon  droit,  pour 
qu'il  devînt  évident  aux  yeux  de  tous  qu'on  avait  frappé  en  lui  un  innocent, 
le  plus  innocent  et  le  plus  juste  des  condamnés  après  Jésus-Christ.  Son  mépris 
des  jugements  du  Saint-Siège  avait  été  plus  apparent  que  réel.  Il  ne  s'était  tant 
ingénié  à  les  déprécier  que  parce  qu'il  en  sentait  mieux  le  prix.  Rien  ne  lui  eût 
été  plus  agréable  au  contraire,  que  de  pouvoir  se  recommander  de  l'appro- 
bation du  pontife  romain.  (H.  L.) 

1.  Nicétas,  Vita  S.  Ignatii,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  286  sq.  ;  Hardouin, 
op.  cit.t  t.  v,  col.  1006. 


566 


LIVRE    XXV 


des  omophores,  des  oraria,  et  d'autres  vêtements  et  insignes  sacer- 
dotaux, dont  il  fit  présent  à  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par 
Ignace  1.  A  toute  ordination,  à  toute  collation  de  charge,  Pho- 
tius  exigeait  un  serment  de  fidélité  de  vive  voix  et  par  écrit.  Il 
favorisait  de  tout  son  pouvoir  ceux  qui  l'avaient  secouru  dans 
ses  malheurs  et  aidé  dans  ses  intrigues,  et  parmi  eux  il  n'eut 
garde  d'oublier  Théodore  Santabaren  2.  Dès  avant  son  réta- 
blissement  sur  le  siège  patriarcal,  Photius  l'avait  sacré  métro- 
politain de  Patras  (les  moqueurs  disaient  d'Aphantopolis,  «  la 
ville  invisible  »);  mais  redevenu  patriarche  de  Constantinople,  il 
lui  donna  le  siège  d'Euchaïta,  dans  le  Pont,  après  en  avoir  chassé 
l'évêque  légitime  Euphémion.  Il  soumit  ensuite  à  ce  siège  plu- 
sieurs évêchés  relevant  d'autres  provinces  ecclésiastiques,  et 
donna  enfin  à  Santabaren  le  titre  de  prolothronus  et  la  pre- 
mière place  à  côté  du  patriarche.  Amphiloque  de  Cyzique  reçut 
le  titre  d'archevêque  de  Nicée,  et  Nicéphore,  qui  occupait,  ce 
siège,  dut  se  contenter  de  la  direction  d'une  maison  d'orphelins. 
Amphiloque  étant  mort  quelque  temps  après,  Photius  lui  donna 
pour  successeur  Grégoire  de  Syracuse,  et,  à  la  mort  de  celui-ci, 
il  lui  composa  une  épitaphe  dans  laquelle  il  le  comparait  aux 
Pères  de  l'Eglise.  Nicétas,  à  qui  nous  devons  tous  ces  détails,  voit 
dans   la    mort   subite   de    Constantin,    fils   aîné    de   l'empereur  3, 


1.  Une  ancienne  tradition,  recueillie  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  446,  et 
Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1138,  porte  cependant  qu'il  avait  réordonné  plu- 
sieurs de  ceux  qui  avaient  reçu  d'Ignace  leur  ordination,  et  imposé  une  péni- 
tence de  quinze  ans  à  ceux  qui,  après  avoir  été  ses  partisans,  étaient  passés 
du  côté  d'Ignace,  et  revenaient  maintenant  à  lui. 

2.  Malgré  l'affirmation  de  Nicetas  et  de  Stylianos  qui  veulent  que  Théodore 
Santabarenos  ait  ménagé  dans  l'esprit  de  Basile  les  voies  du  retour  de  Photius, 
M.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  236,  note  2,  tient  cette  action  pour  «peu  probable».  Basile 
avait  été  dur  pour  les  amis  de  Photius  et  les  avait  impitoyablement  éloignés. 
Théodore,  moins  que  tout  autre,  ne  dut  pas  faire  exception.  En  tout  cas,  il  n'au- 
rait pas  permis  qu'un  ami  aussi  fidèle,  tenant  du  patriarche  déchu,  eût  grande 
autorité  à  la  cour.  Il  est  beaucoup  plus  probable  que  ce  fut  après  la  mort  de  Cons- 
tantin que  Théodore  acquit  sur  l'esprit  de  Basile  la  grande  autorité  que  nous 
savons.  Néanmoins,  il  est  bien  sûr  que  Basile  connaissait  Théodore  dès  avant 
880-881.  Le  moine  avait  été  évêque  de  Patras,  archevêque  d'Euchaïtes,  ambas- 
sadeur de  Photius  à  Rome,  trop  de  choses  importantes  pour  que  Basile  ne  con- 
nût pas  ce  personnage.  »  Sur  ce  Théodore,  cf.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  154-155.  (H.  L) 

3.  Constantin  mourut  vers  la  fin  de  879,  dans  toute  la  fleur,  de  la  jeunesse  : 
âv  7r,  ày.ij./,  tr,:  vsotvo:,  nous  dit  la  Vila  Basilii,  c.  xcvm,  P.  G.,  t.  cix,  col. 
36li  (H.  L.) 


497.     RÉINTÉGRATION    DE    PHOTIUS  567 

et  dans  la  destruction  de  Syracuse  par  les  Sarrasins  1,  le  châti- 
ment providentiel  de  pareilles  impiétés.  D'après  le  même  Nicétas, 
Photius  décidé  à  tout  pour  flatter  l'empereur,  osa  placer  le  jeune 
prince  défunt  au  nombre  des  saints  et  consacrer  des  églises  et 
des  monastères  sous  son  invocation  2. 
[452]  A  l'arrivée  des  légats  du  pape,  Paul  d'Ancône  et  Eugène, Photius 
était  rétabli  sur  le  siège  patriarcal  ;  en  conséquence  les  légats 
crurent  se  conformer  aux  intentions  de  Rome  en  refusant,  dès 
le  début,  d'entrer  en  communion  avec  le  patriarche  intrus  3. 
Stylianos  dit  que,  par  ses  présents  et  les  menaces  de  l'empereur, 
Photius  décida  les  légats  à  déclarer  en  présence  des  évoques, 
du  clergé  et  du  peuple,  que  «  le  pape  Jean  les  avait  envoyés 
anathématiser  Ignace  et  réintégrer  Photius  sur  le  siège  patriar- 
cal 4.  »  Le  fait  est  exact,  à  condition  d'être  retardé  jusqu'à  une 
date  plus  récente,  celle  du  conciliabule  tenu  par  Photius  5.  La 
vérité  est  qu'au  début,  les  légats  se  tinrent  si  bien  à  l'écart  de 
Photius,  que  celui-ci  se  plaignit  au  pape  6.  En  effet,  les  légats 
refusant  d'entrer  en  communion  avec  Photius,  celui-ci  ne  pou- 
vant espérer  être  reconnu  de  tous  sans  l'approbation  du  pape, 
expédia  à  Rome  son  ami  Théodore  Santabaren  7,  avec  une  lettre 
où  il  disait  que,  cédant  aux  prières  de  tout  le  clergé  et  de  tout 
le  peuple,  ou,  pour  mieux  dire,  à  la  violence  qu'ils  lui  avaient 
faite,  il  s'était  décidé  à  remonter  sur  le  siège  patriarcal.  Tel 
est  le  résumé  que  Nicétas  nous  donne  de  cette  lettre  aujour- 
d'hui perdue,  et  les  réponses   du   pape   à  Photius  et  à  l'empereur 


1.  21  mai  878,  cf.  A.  Vogt,  Basile  /er,  p.  330.  (H.  L.) 

2.  A.  Vogt,  op.  cit.,  p.  155.  (H.  L.) 

3.  La  réintégration  de  Photius  au  patriarcat  est  antérieure  à  la  mort  du  jeune 
Constantin.  En  agissant  de  la  sorte,  Basile  ne  s'écartait  qu'en  apparence  de  sa 
politique  religieuse  qui  n'avait  cessé  de  tendre  à  la  pacification.  La  contra- 
diction n'était  pas  trop  humiliante.  Basile  avait  alors  autant  de  gloire  militaire 
qu'il  en  pouvait  souhaiter  ;  le  clergé  de  Constantinople  était  soumis  ;  ainsi  donc 
en  rappelant  le  patriarche  disgracié,  exilé,  persécuté,  déconsidéré  et  en  le  repla- 
çant au  sommet  de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  Basile  faisait  preuve  de  force  ; 
il  imposait  celui  qu'il  avait  rejeté,  et  sa  volonté,  dans  les  deux  cas,  devait  témoi- 
gner à  tous  que  la  question  religieuse  était  désormais   résolue.  (H.  L) 

4.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1126;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  431. 

5.  Conciliabule  auquel  assistèrent  les  légats  et  dont  nous  parlerons  bientôt. 

6.  Stylianos,  dans  sa  lettre  au  pape  Etienne,  accuse  véhémentement  'es 
légats  de  s'être  laissé  corrompre  par  Photius.  (H.  L.) 

7.  Nicétas,  Vita  Ignatii,  P.  G.,  t.  en,  col.  572.  (H.  L.) 


568  LIVRE    XXV 

prouvent  que  tel  en  était  le  sens.  Pour  apuyer  la  demande 
de  Photius  d'être  reconnu  par  Rome,  les  métropolitains  relevant 
du  siège  de  Constantinople  durent  aussi  écrire  au  pape,  et 
Nicétas  prétend  que  Photius  trompa  ces  métropolitains  en  leur 
demandant  de  signer  sans  le  lire  un  document  relatif  à  un  con- 
trat secrel  d'achat  en  faveur  d'une  église.  En  outre,  le  secré- 
taire Pierre  étant  parvenu  à  se  mettre  en  possession  des  sceaux 
des  métropolitains,  scella  cette  pièce,  qui  est  aussi  perdue.  Au 
dire  de  Stylianos,  Photius  aurait  adressé  à  Rome  un  mémoire  en 
sa  faveur,  mis  faussement  sous  le  nom  d'Ignace  et  de  ses  parti- 
sans *.  Il  esl  exact  que  les  métropolitains  et  les  évêques  dépendant 
du  patriarcat  de  Constantinople  ont  intercédé  à  Rome  en  faveur 
de  Photius,  mais  il  est  faux  que  leur  pétition  porte,  comme  l'avan- 
ce Stylianos.  le  nom  d'Ignace  ;  car  le  pape  Jean  VIII,  qui 
dans  sa  réponse  relève  tout  ce  qui  est  favorable  à  Photius,  n'au- 
rait certainement  pas  omis  ce  point  important.  Ces  mêmes  [^o] 
lettres  de  Jean  VIII  et  le  conciliabule  de  879  nous  apprennent 
que  Photius  avait  également  obtenu  des  lettres  de  reconnais- 
sance des  patriarches  d'Alexandrie,  d'Antioche  et  de  Jérusa- 
lem, et  les  avait  envoyées  à  Rome.  L'empereur  aussi  l'appuya 
de  son  mieux  par  ses  lettres  et  par  ses  ambassadeurs  2.  Lors- 
que, au  printemps  de  879,  ces  ambassadeurs  arrivèrent  dans  la 
Basse- Italie,  le  primicier  Grégoire,  gouverneur  du  pays  au 
nom  de  l'empereur,  se  hâta  d'envoyer  un  messager  au  pape, 
priant  de  seconder  les  efforts  de  l'empereur  en  vue  du  réta- 
blissement de  la  paix  dans  l'Eglise.  Le  pape  répondit  le  3  avril 
879  promettant  d'agir  en  ce  sens,  et  assurant  aux  ambassadeurs 
byzantins  une  réception  honorable.  Il  leur  demandait  de  hâter 
leur  arrivée,  lui-même  comptant  bientôt  entreprendre  un  voyage 
dans  la  Basse-Italie  3.  Le  même  jour,  le  pape  écrivant  au  comte 
Pandenulf,  commandant  de  Capoue,  par  l'intermédiaire  du- 
quel était  arrivé  le  message  du  gouverneur  byzantin,  le  pria 
de  fournir  une  escorte  suffisante  aux  ambassadeurs  impé- 
riaux qui  devaient  passer  par  Capoue  4.   Peu  après   (2  mai  879), 

1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1 126  :  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  431. 

2.  Hergenrôther,  Photius,   t.  n,  p.  308  sq. 

S.  Joannis  VIII,  Epist.,  clxix,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  115;  Epist.,  lxi, 
dans  Hardouin.  op.  cit.   t.  vi,  col.  49  ;  Epist.,  ccxi,  dans  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  828. 

4.  Joannis VIII, Epist.,  clxviii,  dans  Mansi, op.  cit., t.  xvn,  col.  114;J5pis/., 
CCVii,  dans  P.  L.,  loc.  cit.;  manque  dans  Hardouin. 


'i!>7.     REINTEGRATION     DE    PHOTIUS 


569 


les  trois  moines,  envoyés  à  Rome  l'année  précédente  par  Théo- 
dose, patriarche  de  Jérusalem,  regagnèrent  l'Orient,  empor- 
lanl  des  présents  et  une  lettre  du  pape  pour  leur  patriarche  l. 
Baronius  suppose  2  (pie  ces  moines  avaient  aussi  intercédé  en 
laveur  de  Photius,  mais  la  lettre  du  pape  n'autorise  en  aucune 
manière  celte  supposition.  Dans  une  lettre  du  6  mai  879,  le  pape 
réitère  au  primicier  Grégoire  l'avis  de  faire  passer  les  ambassa- 
deurs impériaux  se  rendanl  à  Rome  par  la  route  de  Bénévent 
el  de  Capoue.  «  Il  remettait  son  propre  voyage  dans  la  Basse- 
Italie,  pour  attendre  l'arrivée  à  Rome  du  roi  des  Francs  ; 
aussitôt  après  il  se  porterait,  avec  une  armée  importante,  au 
secours  du  gouverneur  impérial  3. 
[454]  Les  ambassadeurs  byzantins  ne  purent  guère  arriver  à  Rome 
que  vers  la  fin  de  mai  879.  peut-être  plus  tard.  A  leur  départ, 
au  mois  d'août,  le  pape  envoya  de  son  côté  à-  Constantinople 
le  cardinal-prêtre  Pierre  avec  cinq  lettres  et  un  sixième  docu- 
ment, le  Commonitorium,  le  tout  daté  du  16  août  879  4.  Ces 
documents  sont  devenus  célèbres  dans  l'histoire  de  l'Eglise, 
parce  que  Photius  les  a  falsifiés  de  la  manière  la  plus  éhontée  ; 
heureusement  que,  pour  cinq  de  ces  documents,  nous  possé- 
dons encore  le  texte  latin  original,  et  comme,  pour  les  plus 
importants  nous  avons,  l'excellente  traduction  de  Photius, 
il  est  permis  de  faire  entre  ces  divers  textes  d'intéressants 
rapprochements.   Le  premier    de    ces    documents  5,    la    lettre   du 


1.  Joannis  VIII,  Epist.,  clxx,  dans  Mansi;  Episl.,  ccxiii,  dans  P.  L.;  manque 
dans    Hardouin. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  879,  n.  3. 

3.  Epist.,  clxxviii,  dans  Mansi;  Epist.  clxxix,  dans  Hardouin;  Epist.,  ccxx, 
dans  P.   L.,   Hergenrother,   op.   cit.,   p.   380. 

4.  Ces  lettres  étaient  adressées  à  l'empereur,  aux  évêques  de  la  province  de 
Constantinople  et  à  ceux  des  patriarcats  d'Orient,  Jérusalem,  Antioche,  Alexan- 
drie, à  Photius,  aux  chefs  de  l'opposition  contre  le  patriarche  e1  aux  légats. 
Jaffé-Ewald,  n.  3271-3275.  (H.  L.) 

5.  Le  texte  latin  authentique  se  trouve  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  136  sq. 
comme  episl.  cxcix;  dans  Hardouin,  t.  vi,  part.  1,  col.  63  sq.,  comme  epist.  xciii; 
dans  P.  L..  t.  cxxvi,  col.  853,  comme  epist.  ccxliii  ;  Baronius,  Annales, 
ad  ann.  879,  n.  7  ;  il  se  trouve  aussi  en  latin  avec  une  exacte  traduction  grecque 
dans  l'appendice  édité  pour  la  première  fois  par  Bader  (pars  III)  aux  actes 
du  VIIIe  concile  œcuménique,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  479  :  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  v,  col.  1166.  L'intelligente  traduction  grecque  faite  par  Photius 
se  trouve,  avec  la  traduction  latine  faite    sur   cette    traduction    grecque,  dans 


570 


LIVRE    XXV 


pape  à  l'empereur  et  à  ses  fils  1,  commence  par  l'éloge  de  leur 
respect  à  l'égard  du  Siège  apostolique,  de  l'autorité  duquel  ils 
avaient  fait  tout  dépendre.  Le  Seigneur  a  dit,  en  effet,  au 
fondateur  de  ce  Siège,  au  prince  des  apôtres  :  «  Pais  mes  brebis.  » 
Les  anciens  Pères,  les  statuts  de  tous  les  princes  orthodoxes,  ceux 
de  l'empereur  Basile  lui-même,  ont  reconnu  que  ce  Siège  est 
le  chef  de  toutes  les  Églises.  (  Ce  début  parut  à  Photius  trop  [455] 
romain,  il  le  paraphrasa  ;  faisant  d'abord  louer  verbeusement 
par  le  pape,  la  sagesse  et  la  vertu  de  l'empereur  et  de  ses  fils. 
Quant  au  passage  sur  la  primauté,  il  n'en  reste  que  ceci  :  «  Par 
amour  pour  la   concorde,   vous   vous   êtes    adressés   à    la    sainte 


ce  même  appendice  de  Rader.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  487  ;  Hardouin,  op.  cit., 
t.  v,  col.  1171.  On  la  trouve  également  dans  les  actes  du  conciliabule  tenu  par 
Photius  en  879.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvu,  col.  395;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1, 
col.  231;  seulement  en  latin  dans  Mansi,  op.  cit.,  col.  141  ;  Hardouin,  op.  cit., 
col.  67  ;  P.  h.,  col.  858  ;  Baronius,  879,  n.  20.  Il  est  très  surprenant  qu'au  xne 
siècle  Yves  de  Chartres,  citant  un  long  fragment  de  cette  lettre  du  pape  à  l'empe- 
reur, donne  un  texte  qui  se  rapproche  beaucoup  plus  du  texte  falsifié  par  Pho- 
tius, sans  lui  être  cependant  absolument  identique,  que  du  texte  latin  authen- 
tique. Mansi,  op.  cit.,  t.  xvu,  col.  527,  en  conclut,  ou  bien  qu'il  a  existé  dès  le 
xne  siècle  une  traduction  latine  de  la  version  de  Photius,  ou  bien  que  le  pape 
Jean  VIII  a  rédigé  deux,  projets  de  lettres  à  l'empereur,  et  qu'il  a  réellement  en- 
voyé celle  que  Photius  avait  ensuite  traduite  (traduction  assez  fidèle,  dans  ce 
cas).  Mansi  penche  pour  cette  dernière  hypothèse  :  mais  nous  ferons  obser- 
ver que  les  autres  lettres  du  pape  écrites  à  cette  même  date  ont  été  également 
falsifiées  par  Photius. 

1.  Le  texte  latin  nomme  les  princes  Constantin  et  Alexandre  en  omettant 
Léon;  la  traduction  de  Photius  au  contraire  nomme  Léon  et  Alexandre,  et 
avec  raison,  car  Constantin  était  déjà  mort.  Par  conséquent,  ou  bien  il  y  a 
dans  le  texte  authentique  une  faute  de  copiste,  ou  bien  le  rédacteur  du 
texte  a  cru  à  tort  que  Léon  était  mort,  tandis  que  c'était  le  prince  Constantin. 
Cf.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  879,  n.  11.  [M.  A.  Vogt,  Basile  Ie1,  p.  240  note  4, 
fait  «  remarquer  que  la  lettre  du  pape  porte  mention  de  «  Basile,  Constantin, 
«Alexandre,»  tandis  que  l'apocryphe  de  Photius  donne  «  Basile,  Léon,  Alexan- 
«dre.  »  Pour  expliquer  cette  différence,  pas  n'est  besoin  de  recourir  à  une  faute 
de  copiste.  La  vérité  est  que  lorsque  Jean  VIII  écrivit,  en  août  879,  Constantin, 
n'était  point  mort.  Basile  avait  relégué  dans  l'ombre  le  fils  de  Michel  et  les  ambas- 
sadeurs ne  firent  probablement  connaître  au  pape  que  le  nom  des  enfants  légi- 
times de  Basile,  bien  que  Léon  ne  fût  pas  un  inconnu,  puisque  le  concile  de  869 
le  mentionne  dans  ses  acclamations  à  côté  de  ses  frères  et  que  les  lettres  de 
Basile  à  Rome,  datées  de  cette  époque,  le  signalent  elles  aussi.  Quand,  au  con- 
traire, Photius  falsifia  le  pièce,  Constantin  était  mort  et  force  était  bien  à  By- 
zance  d'indiquer  la  personnalité  de  Léon  qu'on  n'avait  pas  encore  songé  à 
évincer.   »  (H.  L.) 


497.     RÉINTÉGRATION    DE    PHOTIUS  571 

Église  romaine,  attendant  de  sa  part  une  aide  énergique.  Vos 
prédécesseurs  ont  agi  de  même,  et  le  Christ  vous  a  tracé  cette 
ligne  de  conduite,  lorsqu'il  a  dit  à  Pierre  :  Pais  mes  brebis.  Les 
saints  conciles,  etc.  vous  en  avaient  également  instruit,  ainsi 
que  le  témoigne  votre  lettre.  »  )  Dans  le  texte  authentique,  le 
pape  poursuit  :  «  Vous  demandez  au  Siège  apostolique  de  dilater, 
pour  ainsi  parler,  ses  miséricordieuses  entrailles,  et  d'admettre 
dans  la  communauté  du  collège  ecclésiastique  le  très  digne  Pho- 
tius,  avec  la  dignité  patriarcale.  Vous  en  attendez  pour  l'Eglise 
de  Dieu  la  fin  de  ses  divisions  et  de  ses  scandales.  Nous  avons  pris 
votre  demande  en  considération,  et  le  patriarche  Ignace,  de  pieuse 
mémoire,  étant  mort,  nous  déclarons,  eu  égard  aux  circonstances, 
pardonner  à  Photius  son  usurpation,  sans  l'assentiment  de  notre 
Siège,  de  la  charge  qui  lui  avait  été  interdite.  »  (Photius  passe 
sous  silence  la  mort  d'Ignace  et  la  vacance  du  siège  de  Constanti- 
nople  ;  il  omet  les  mots  :  «  eu  égard  aux  circonstances,  »  et  dit 
que  le  désir  déjà  ancien  du  pape  était  de  rencontrer  une  aussi 
favorable  occasion  de  le  réintégrer,  enfin  il  remplace  le  reproche 
d'usurpation,  par  ces  mots  :  «  Quoique  Votre  Piété  ait  fait  vio- 
lence à  Photius  et  l'ait  réintégré  avant  l'arrivée  de  nos  légats.  ») 
Le  pape  continue  :  «  Sans  préjudice  des  statuts  ecclésiastiques, 
sans  violer  les  règles  des  Pères,  mais  plutôt  en  nous  fondant 
sur  de  nombreuses  autorités,  en  particulier  sur  le  can.  2  de  Ni- 
cée,  etc.  1,  considérant  le  vœu  unanime  des  patriarches  d'A- 
[456]  lexandrie,  d'Antioche  et  de  Jérusalem,  et  des  métropolitains, 
évêques  et  clercs  du  diocèse  de  Constantinople,  pour  la  paix  et 
l'utilité  de  l'Église,  nous  recevrons  comme  frère  et  collègue 
dans  le  sacerdoce,  Photius  qui  a  demandé   pardon    par-devant    un 


1.  Le  concile  de  Nicée  s'était  trouvé  à  peu  près  dans  la  même  situation  que  le 
pape  Jean.  Vu  les  circonstances,  il  ne  voulait  pas  annuler  le  fait  accompli,  et 
cependant  son  intention  était  qu'on  ne  fît  pas  à  l'avenir  de  pareilles  promotions 
de  laïques.  Les  trois  autres  autorités  citées  par  le  pape,  citations  de  Léon  le 
Grand,  Gélase  et  Félix,  se  résument  à  dire  que,  dans  les  cas  de  nécessité,  on 
peut  faire  une  exception  aux  règles  ;  le  c.  35  du  concile  africain!  (c.  2  du 
VIe  concile  de  Carthage  en  septembre  401  (voir  §  113),  assurait,  au  rapport 
du  pape,  que  les  clercs  donatistes  qui  reviendraient  à  l'Eglise,  pourraient  con- 
server leurs  fonctions,  quoique  un  concile  tenu  outremer  eût  déclaré  que  ces 
clercs  donatistes  n'étaient  que  des  laïques.  Enfin  le  pape  Innocent  avait  usé  de 
la  même  condescendance  à  l'égard  des  clercs  ordonnés  par  Bonosus,  parce  qu'il 
tenait  surtout  à  éviter  un  schisme. 


572  LIVRE    XXV 

synode  en  la  manière  accoutumée,  el  satisfait  pour  sa  con- 
duite antérieure.  Vous  avez,  sire,  intercédé  pour  le  rétablissement, 
de  la  paix  dans  l'Eglise,  et  nous,  à  qui  selon  les  paroles  de  l'Apô- 
tre, est  confié  le  soin  de  l'Eglise  universelle,  nous  désirons  vive- 
ment n'y  laisser  subsister  aucune  cause  de  division.  Nous  absol- 
vons donc  le  susdit  patriarche,  de  même  que  tous  les  évêques 
censurés,  de  tous  les  liens  de  la  sentence  ecclésiastique  portée 
contre  eux,  et  décidons  que  ce  même  Photius  peut  occuper 
de  nouveau  le  siège  de  la  sainte  Eglise  de  Constantinople.  Nous 
agissons  ainsi  en  vertu  de  cette  puissance  qui,  suivant  l'accord 
de  toute  l'Eglise,  nous  a  été  donnée  par  le  Seigneur,  en  la  personne 

du  prince  des  apôtres,  lorsqu'il  lui  dit  :  Tout  ce  que  tu  délieras,  etc 

Ces  paroles  n'admettent  aucune  exception;  par  conséquent  nous 
pouvons  tout  lier  et  tout  délier.  C'est  pourquoi,  au  VIIIe  concile 
œcuménique,  les  légats  du  pape  Hadrien  ont  signé  la  condamna- 
tion de  Photius,  avec  cette  clause  :  aussi  longtemps  quil  plaira 
au  pape  1...  Le  Siège  de  Pierre  peut  délier  ce  que  les  évêques  ont 
lié,  et  il  a  réintégré  des  patriarches  :  Athanase,  Cyrille  d'Alexan- 
drie, Polychronius  de  Jérusalem  2.  »  (Photius  a  altéré  ce  passage, 
citant  les  noms  d' Athanase,  etc.,  immédiatement  après  les  can.  2 
de  Nicée,  que  le  pape  allègue  en  sa  faveur.  Quant  à  la  satisfaction 
et  à  l'amende  honorable  à  lui  prescrites  par-devant  un  concile, 
il  n'en  souffle  par  mot,  mais  il  insère,  en  revanche,  divers  éloges 
à  sa  propre  adresse,  et  va  jusqu'à  faire  taxer  d'injustice  par 
le  pape  les  conciles  qui  l'ont  condamné,  y  compris  le  VIIIe 
œcuménique.  Le  rusé  patriarche  insère  encore  cette  phrase  menson-  [457] 
songère  :  nul  ne  peut  en  appeler  contre  lui  aux  décrets  de 
Nicolas  et  d'Hadrien,  qui  n'avaient  approuvé  ni  l'un  ni  l'autre 
les  intrigues  ourdies  contre  lui.)  Le  texte  authentique  de 
la  lettre  du  pape  demande  ensuite  qu'après  la  mort  de  Photius 
on  ne  choisisse  pour  lui  succéder  qu'un  des  cardinaux-prêtres 
ou  diacres  de  Constantinople,  et  non  un  laïque  ou  un  employé 
de  la  cour,  de  telles  promotions  n'étant  pas  permises.  (Photius 
déplace  cette  phrase  et  ajoute  qu'on  n'a  toléré  d'exceptions  que 
pour  quelques  personnes,  par  exemple  pour  lui-même).  Le  pape 
ajoute  :    «  Nous  avons  porté  cette  ordonnance,  sur  votre  prière, 


1.  Voir    §  493. 

2.  L'assertion  du  pape  au  sujet  de  Polychronius  est  erronée    et  repose  sui- 
des acles  synodaux  apocryphes.  Cf.  Hardouin,  op.  cit..  t.  i,  col.  1742. 


497.     RÉINTÉGRATION     DE    PHOTIUS  573 

à  la  condition  que  Photius  s'interdise  d'exercer  une  juridiction 
ecclésiastique  sur  la  Bulgarie,  n'ordonne  aucun  évêque  pour  ce 
pays,  n'envoie  aucun  pallium,  etc.  »  Photius,  dans  sa  traduc- 
tion, change  cette  condition  en  une  simple  prière,  et  fait  même 
dire  au  pape  que  les  évêques  (grecs)  actuellement  en  Bulgarie 
peuvent  y  rester.  Le  texte  latin  original,  exhorte  alors  l'empereur 
d'honorer  en  Photius  son  père  spirituel  et  le  principal  média- 
teur entre  Dieu  (  !)  et  lui  et  de  n'accorder  aucune  créance  à  ses 
calomniateurs.  (Photius  a  développé  ce  passage  après  avoir  fait 
dire  au  pape  qu'on  ne  doit  plus  élever  un  laïque  sur  le  siège  pa- 
triarcal.) Le  pape  termine  ainsi  :  «  Nous  vous  demandons  en  outre 
de  ramener  avec  bienveillance  à  l'unité  de  l'Eglise  tous  les  évê- 
ques, prêtres  et  clercs  ordonnés  par  Ignace,  présents  à  Constan- 
tinople,  ou  expulsés  de  cette  ville  :  recevez-les  affectueuse- 
ment et  rendez  leur  leur  emploi...  Si  quelques  personnes  ne 
voulaient  pas  être  en  communion  avec  le  patriarche,  on  les  aver- 
tira jusqu'à  deux  et  trois  fois  ;  si  ces  avertissements  restent  inu- 
tiles et  qu'ils  persistent  dans  leur  obstination,  nous  ordonnons 
à  nos  légats  de  les  excommunier,  en  concile,  jusqu'à  ce  qu'ils 
reviennent  à  résipiscence  (lacune).  Si  le  patriarche  recevait  dans 
sa  communion  des  évêques  excommuniés  par  nous,  lui-même 
serait,  par  ce  fait,  hors  de  notre  communion.  Donné  le  16  août 
de  la  XIIe  indiction.  »  (Photius  a  entièrement  supprimé  cet 
avertissement  qui  limite  sa  liberté  d'action;  il  conclut  la  lettre 
du  pape  en  disant  que  Pierre,  apocrisiaire  du  pape,  avait  remis 
aux  légats  Paul  et  Eugène  un  commonitorium  contenant  des  ins- 
tructions supplémentaires;  enfin  il  a  changé  ces  mots  :  «  s'ils  per- 
sistent dans  leur  obstination,»  en  ceux-ci  :  «  s'ils  persistent  dans 
leur  ancienne  ligne  de  conduite  et  dans  leur  obstination,  »  afin 
[458]  de  faire  blâmer  par  le  pape  la  conduite  antérieure  de  ces  évê- 
ques, cependant  très  régulière  ;  tandis  qu'en  réalité  le  pape  vou- 
lait simplement  parler  de  l'obstination  qui  se  produirait  après  la 
réception  de  la  lettre  1. 

La  faiblesse  dont  Jean  VIII   fit  preuve  à  l'égard   de   Photius 
a  élé  sévèrement  blâmée  par  les  historiens  2.  En  agissant  comme 


1.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  383  sq.  Hergenrôther  expose  dans  un  appendice 
spécial  la  falsification  des  lettres  papales,  op.  cit.,  p.  39  sq.,  tandis  que  nous 
avons  confronté  ces  faux  à  la  suite  de  chaque  passage  cité. 

2.  Cette  faiblesse  de  Jean  VIII  est  devenue  proverbiale  et  a  donné  naissance 


574 


LIVRE     XXV 


il  le  fit,  le  pape  s'écartait  de  la  voie  suivie  par  ses  prédéces- 
seurs Nicolas  Ier  et  Hadrien  II,  et    ruinait    leur    sentence    contre 

à  la  fameuse  légende  de  la  papesse  Jeanne  sur  laquelle  nous  reviendrons. 
Jean  VIII  a  partagé  les  historiens.  Tandis  que  les  uns  font  de  lui  le  type  achevé 
de  la  loyauté  cl  de  la  grandeur  d'âme,  Y.  Balan,  //  pontificato  di  Giovanni  VIII, 
p.  103  ;  Guglielmotli,  Storia  délia  marina  pontificia  net  inedio  evo,  t.  i,  p.  109  ; 
d'autres  le  considèrent  comme  un  politique  aussi  habile  que  peu  scrupuleux, 
Gregorovius,  Geschichie  der  Stadt  Rom,  4e  édit.,  t.  v,  p.  205,  actif,  mais  brouil- 
lon et  faux,  A.  Gasquet,  L'emp.  byz.  cl  la  mon.  franq.,  1888,  préf.,  p.  xi,  éner- 
gique, niais  jusqu'à  la  cruauté,  Amari,  Storia  dei  musulmani  di  Sicilia,  t.  i, 
p.  434  ;  enfin,  un  historien  averti  et  perspicace,  A.  Lapôtre,  s'est  attaché  avec 
un  rare  bonheur  à  retrouver  les  traits  justes  de  celte  physionomie  défigurée. 

Jean  VIII  avait  fait  sa  carrière  dans  les  affaires  romaines  et  s'y  était  rompu 
à  toutes  les  finesses,  sans  doute  en  taisant  plus  qu'un  rôle  d'observateur.  On 
ignore  la  date  de  sa  promotion  aux  fonctions  d'archidiacre,  mais  dès  l'année  835, 
on  le  rencontre  dans  le  concile  romain  dirigé  contre  Photius,  Allocutio  lladria ni 
ab  Joanne  archidiacono  relecla,  dans  Mansi,  op.  cit.,  l.  xvi,  col.  122.  Lors  de  son 
élection  (décemhre  872),  il  exerçait  depuis  vingt  ans  au  moins  les  fonctions  d'ar- 
chidiacre, il  était  certainement  très  âgé  et,  de  plus,  malade,  Jean  VIII,  Epist., 
lviii,  Ad  Aionem,P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  710;  Epiai.,  civ,  Ad  Lamberlum,  col.  754; 
Epist.  ccvn,  Ad  Pandenuljnm,  col.  827;  Epist.,  ceci,  Ad  Carolumregem,  col.  914; 
Epist.  cccxxxiv,  Ad  Ludov.  imper,  et  Engelbergem  cjus  conjugem,  col.  939;  Epist. 
ccxn,-4eZ  Bosonem  ducem,  col.  835.  Mais  c'était  un  malade  tel  que  les  médecins 
en  virent  rarement,  qui,  sortant  du  ht  où  il  grelottait  de  la  fièvre,  courait  sus 
aux  pirates  sarrasins,  leur  prenait  dix-huit  vaisseaux,  une  partie  de  leurs  équi- 
pages et  six  cents  captifs  de  leurs  prises.  Jean  VIII,  Epist.  ad  Ludov.  imper., 
P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  939.  Les  politiques  devaient  en  être  pour  leurs  pronostics 
comme  les  médecins  pour  les  médicaments,  Jean  VIII  allait  dérouter  les  uns  et 
les  autres.  Romain  de  naissance  et  probablement  aussi  de  race,  il  avait  manié 
tant  d'affaires  et  tant  d'individus  d'honorabilité  généralement  suspecte  que 
n'étant  pas  vénal  il  était  devenu  d'autant  plus  honnête  qu'il  s'était  habitué 
à  n'envisager  les  causes  que  dans  leur  justice  propre  sans  considération  pour 
les  intérêts  individuels.  C'était  une  probité  un  peu  empirique,  mais  du  moins 
existait-elle  et  son  plus  utile  résultat  avait  été  d'élever  Jean  VIII  fort  au- 
dessus  des  convenances  personnelles,  pour  le  conduire  à  n'envisager  que 
les  intérêts  généraux.  «  Les  hommes  furent  surtout  pour  lui  des  instruments, 
qu'il  utilisait  ou  rejetait  dans  la  mesure  où  ils  pouvaient  servir  ou  nuire 
à  ses  desseins.  Peut-être  même,  à  les  voir  de  trop  près,  avait-il  contracté  à  l'en- 
droit de  leur  valeur  morale,  cette  pointe  légère  de  scepticisme  si  fréquente 
chez  ceux  qui  sont  restés  longtemps  au  gouvernement.  S'il  n'estimait  pas  que, 
moralement,  tous  les  hommes  se  valent,  si  personne,  mieux  que  lui,  n'a  su  faire 
le  discernement  de  l'oppresseur  et  de  l'opprimé,  aucune  réputation  de  vertu, 
si  hautement  célébrée  fût-elle,  n'était  capable  de  lui  imposer,  quand  on  vou- 
lait s'en  faire  une  arme  contre  lui,  pas  plus  du  reste  que  ne  l'effrayaient,  (liez 
les  instruments  moins  rebelles,  les  scandales  connus  de  leur  vie.  »  Lapôtre, 
Le  pape  Jean  VIII,  p.  33.  Bon  financier,  autant  qu'adroit  politique,  Jean  VIII 


497.     RÉINTÉGRATION     DE    PHOTIUS  575 

Photius,  sentence  qu'il  avait  lui-même  signée  en  qualité  d'archi- 


aura  toujours  dans  ses  coffres  tout  l'argent  dont  il  a  besoin  en  vue  de  soutenir 
des  dépenses  multiples  et  très  lourdes.  On  le  prendrait,  à  le  voir  subventionner 
les  services  officiels,  la  politique  extérieure  et  ses  agents,  la  marine  d'Amalfi, 
les  ducs  de  Naples,  pour  quelque  ministre  puissant  à  l'aise  dans  les  «  fonds 
secrets  ».  L'intérieur  n'a  rien  à  souffrir  de  ces  dépenses  faites  à  l'extérieur  ;  on 
entreprend  des  travaux  considérables  :  constructions  navales,  enceinte  fortifiée, 
solde  des  troupes,  achats  dispendieux  de  grandes  orgues.  Le  pape  a  pour 
lui-même  un  grand  train  de  maison,  vaisselle  plate,  domesticité,  écuries  nom- 
breuses et  bien  entretenues,  tout  cela  attentivement  surveillé  et  défendu  par 
une  menace  d'excommunication  qui  plane  sur  les  serviteurs  négligents  ou  inli- 
dèles.  Ce  pape  diligent  et  perspicace  était,  de  sa  propre  volonté,  entouré  d'un 
personnel  de  coquins  et  de  fripons  :  tout  le  personnel  des  pontificats  d'Hadrien  II 
et  de  Nicolas  Ier  demeuré  en  charge  et  en  faveur.  L'apocrisiaire  Grégoire  recevra 
plus  tard  ce  témoignage  de  Jean  VIII  lui-même  que  ses  huit  années  d'adminis- 
tration n'avaient  été  qu'une  suite  de  rapines  et  de  malversations,  Sententia  1 
in  Gregorium,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  677;  les  maîtres  de  la  milice  Serge  et  Georges 
de  Aventino  marchent  de  pair.  Serge  a  volé  les  caisses  des  bonnes  œuvres  pen- 
dant que  son  oncle  par  alliance,  Nicolas  Ier,  agonisait  au  Latran,  Sententia  I 
in  Sergium,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  678;  Georges  avait  empoisonné  son  frère  et 
assassiné  sa  propre  femme  ;  gardien  du  trésor  pontifical  il  le  volera  en  partie  et 
pour  le  mettre  hors  d'état  de  nuire,  on  finira  par  lui  crever  les  yeux,  Sententia 
in  Georgium,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  677-678;  enfin  Anastase  le  Bibliothécaire, 
pape  toujours  disponible,  déjà  excommunié  trois  fois  et  qui  continuera  de  l'être. 
C'est  avec  ces  gredins-là  que  le  pape  qui  les  connaît  tous  par  cœur  depuis  long- 
temps inaugure  son  règne  et  entame  son  œuvre  politique.  On  s'attendait  à  voir 
balayer  tout  ce  monde  interlope,  on  se  fût  presque  accommodé  du  népotisme 
prévu  au  profit  de  Léon  et  Farnulf,  neveux  de  Jean  VIII;  il  n'en  fut  rien,  tout 
le  monde  demeura  en  place.  Le  pape  savait  le  degré  exact  de  corruption  de  cha- 
cun de  ces  agents  ;  il  connaissait  d'avance  ce  qu'il  pouvait  attendre  et  tirer  de 
chacun  d'eux,  c'étaient  autant  d'expériences  acquises  qu'un  renouvellement 
de  personnel  l'eût  contraint  de  recommencer  sur  nouveaux  frais  et  cela  seul 
devait  le  porter  au  statu  quo.  Il  s'y  détermina  pour  une  autre  raison.  Les  instru- 
ments dont  il  usait  pour  atteindre  son  but  étaient  chose  négligeable,  leur  indi- 
gnité importait  peu  au  résultat  poursuivi.  Or,  dans  le  cas  présent,  les  scélérats 
en  fonctions  étaient  des  agents  éprouvés  et  personnellement  agréables  à  l'em- 
pereur Louis  le  Germanique  à  l'égard  duquel  le  précédent  pontificat  avait 
lamentablement  affirmé  la  sujétion  de  la  papauté,  Libellus  de  imperatoria 
potestate  in  urbe  Roma,  dans  Pertz,  Monum.  Genn.  hist.,  Scriptores,  t.  in,  p.  721. 
Puisque  pour  le  moment  on  ne  pouvait  même  songer  à  secouer  ce  joug  récem- 
ment appesanti,  mieux  valait  éviter  les  coups  qui  pouvaient  se  produire  si  on 
employait  des  instruments  nouveaux  pour  continuer  sans  changement  une  poli- 
tique qui  devait  forcément  rester  la  même. 

D'ailleurs  l'aptitude  ou  la  manie  politique  de  Jean  VIII  ne  le  tournaient 
pas  vers  l'Occident,  mais  vers  l'Orient,  et  non  pas  même  vers  cette  hypnotisante 
Byzance  dont  la  proverbiale  finesse  était  devenue  comme  la  pierre  de  touche 


5/(3  LIVRE    XX\ 

des  réputations  diplomatiques  en  Occident  ;  mais  vers  un  coin  de  terre  méconnu, 
dédaigné,  que  le  génie  politique  du  pape  Jean  avait  distingué  comme  le  champ 
clos  des  luttes  futures  où  se  trouvait  l'enjeu  de    la  destinée    politique    et   reli- 
gieuse de  la  plus  nombreuse  famille    des    peuples    de    l'Europe.    Les    Slaves 
occupaient,  à  l'avènement  de  Jean  VIII,  une  situation  analogue  à  celle  d'au- 
jourd'hui. Les  Slaves  arrivaient  encore  jusqu'à  l'Elbe  qu'ils  dépassaient  même 
dans  son  cours  supérieur  ;  mais  entre  la  rive  droite  du  Danube  et  la  Drave  une 
vaste  contrée  isolait  les  Slaves  en  deux  agglomérations  privées  de  contact  et 
bientôt  l'occupation  de  ce  pays,  alors  délaissé,  par  la  race  germanique  allait 
dresser   un    obstacle    peut-être    toujours    insurmontable    à  l'unité  géographique 
de  la  race  et  du  territoire  slave.  Ce  fut  la  destinée  du  pape  Jean  VIII  d'arriver 
juste  au  moment  où  la  lutte    entre    l'élément   slave   et    l'élément   germanique 
venait  d'entrer  dans  sa  période  la  plus  aiguë  ;  on  s'était  aperçu  que,  tout  près 
d'eux,  dans  la  jeune  nation  morave,  se  formait   peu   à   peu,  sous    l'action   d'un 
prince  habile,  le  noyau  d'une  fédération  puissante,  les  Allemands  redoublaient 
d'efforts  pour  briser  cette  force  naissante  qui  les  inquiétait.   L'intervention  de 
Jean  VIII  dans  ce  duel  des  deux  races,  la  position  qu'il  a  prise  entre  Slaves  et 
Germains,  constituerait  l'épisode  le  plus  attachant  de  son  pontificat,  si,  à  l'au- 
tre extrémité  du  monde  slave,   dans  la  péninsule  balkanique,  sa  politique  ne 
s'était  manifestée  sous  une  forme  du  même  genre.   »  Bulgares  et  Moraves  vont 
ainsi  faire  leur  entrée  sur  la  scène   politique   et  dans   l'histoire    ecclésiastique, 
donnant  à   la   diplomatie   pontificale    de   nouvelles    occasions    de    conflit   avec 
la  politique  byzantine.  Nous  avons  rencontré  déjà   les  Bulgares  à  l'occasion  de 
leur  conversion  au  christianisme  et  montré  les  fluctuations   qui  portèrent  tour 
à  tour  le  prince  Boris  vers  le  patriarcat  romain  et  vers  le  byzantin  ;  fluctuations 
pernicieuses  en  ce  qu'elles  ont  contribué   à  détourner  la  nation  bulgare   de  la 
voie  qui  l'eût  amenée  à  sa  pleine  et  rapide  expansion.  Au  nombre  des    péripéties 
de  la  lutte  de  quinze  années  entre  la  Bulgarie  et  la  Papauté,  une   des  plus  ins- 
tructives est  celle  qui  se  passa  sous  le  pontificat  de  Jean  VIII  dont  toute  la   sou- 
plesse ne  parvint  cependant  pas  à  ramener  le  roi  bulgare  de  Byzance  à  Borne. 
Cet  échec,  on  peut  le  croire,  dut  être   particulièrement   sensible    au   pape   qui 
s'était  fait,  à  sa  manière,  une  spécialité  de  ce  qui  était  alors  «   la   question  d'O- 
rient »,  qu'il  se  réservait  à  lui  seul. 

A  peine  installé  au  pouvoir,  Jean  VIII  entreprit  de  corriger  une  situation 
vieille  de  deux  années.  «  Dès  le  premier  jour,  sa  politique  prenait  une  triple  di- 
rection et  se  portait  à  la  fois  en  Bulgarie,  à  Byzance  et  à  Borne.  En  même  temps 
que  par  des  lettres  répétées  et  menaçantes,  Jean  VIII  essayait  d'agir  directe- 
ment sur  Boris,  Jafîé-Ewald,  n.  2962  ;  Neues  Archiv,  t.  v,  p.  308,  Ignace 
recevait  à  Byzance  l'ordre  de  se  mettre  en  route,  malgré  son  grand  âge,  et  de 
venir  rendre  compte  de  sa  conduite  au  Saint-Siège,  Jean  VIII,  Episi.  ad  imper. 
Basil.,  dans  Neues  Archiv,  t.  v,  p.  o09.  A  Borne,  où  la  situation  était  plus  déli- 
cate*, où  Jean  VIII,  pour  ne  point  se  créer  d'embarras  avec  l'empereur  Louis  II, 
tenait  à  maintenir  les  partis  dans  leurs  positions  acquises,  l'évêquc  de  Porto 
[Formose]  ne  ressentit  tout  d'abord  que  faiblement  le  contre-coup  de  ce 
changement  d'allures  dans  la  politique  pontificale.  On  se  contenta  de  lui  en- 
lever l'envie  et  les  moyens  de  se  mêler  dorénavant  des  affaires  bulgares.  S'é- 
tant  présenté  un  jour  devant  Jean  VIII  pour  lui  demander  la  permission 
de  retourner  en  Bulgarie  et  l'argent  nécessaire  à  son  voyage,   Formose  reçut 


'i'.l7.     RÉINTÉGRATION     DE    PHOTIUS  577 

l'ordre  de  se  tenir  en  repos,  Senlentia  I  in  Formosum,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  676. 
Le  pape  saurait  bien  se  tirer  d'affaire  sans  lui.  Malheureusement  il  ne  s'en  tirait 
pas  :  Boris  continuait  à  fermer  l'oreille  aux  prières  comme  aux  menaces  qui  lui 
venaient  de  Rome.  Cependant  Jean  VIII  ne  pouvait  se  résigner  à  voir  la  Bul- 
garie échapper  pour  toujours  à  l'influence  romaine.  Débarrassé  de  Formose 
par  la  déposition  et  l'excommunication  (9  avril  876),  il  songeait  à  frapper  un 
coup  décisif  à  Byzance.  Après  avoir  longtemps  hésité,  il  s'y  décida  à  la  fin,  dans 
le  mois  d'avril  de  l'année  878.  Deux  légats,  Eugène  d'Ostie  et  Paul  d'Ancône, 
partirent  pour  Constantinople,  avec  l'ordre  formel  de  procéder  à  la  déposition 
d'Ignace  s'il  refusait  de  rappeler  de  Bulgarie  le  clergé  grec  qu'il  y  avait  envoyé. 
La  mort  sauva  le  vieux  patriarche  de  ce  suprême  déshonneur  :«  Il  n'était  plus, 
lorsque  les  légats  du  pape  arrivèrent  à  Byzance,  et  Photius  réconcilié  avec 
l'empereur  Basile  avait  repris  possession  du  siège  patriarcal.  »  Lapôtre,  op.  cil , 
p.    61-629. 

Dès  que  la  nouvelle  de  cet  événement  arriva  à  Rome,  Jean  VIII  l'aperçut 
sous  l'aspect  de  ses  conséquences  pour  «  la  question  d'Orient  »,  à  laquelle,  déplus 
en  plus,  il  va  rapporter  toutes  choses.  C'est  sur  ce  terrain  spécial  que  le  pape  en- 
visageait le  redoutable  concurrent  byzantin  beaucoup  plus  que  sous  celui  du 
siège  patriarcal.  Le  vieil  Ignace,  authentique  successeur  des  patriarches  enva- 
hisseurs des  siècles  passés,  avait  mis  la  main  sur  la  province  en  litige  et  ne  s'en 
était  plus  dépris.  Photius,  moins  âpre,  moins  entier  et  très  occupé  par  de  gros 
intérêts,  avait  montré  peu  d'empressement  pour  une  annexion,  qui  s'offrait 
sans  gros  avantages;  il  avait  accueilli  les  avances  de  Boris  sans  beaucoup  se  gê- 
ner, répondu  à  ses  lettres,  promis  des  dignitaires  et  envoyé  simplement  le  fre- 
tin de  la  cléricature.  Jean  VIII  savait  tout  cela  de  reste  —  on  avait  eu  l'adresse 
à  Rome  d'en  tirer  parti  — et  se  disait  que  Photius  pourrait  bien,  si  on  savait  le 
prendre,  laisser  le  champ  libre  en  Bulgarie  à  laquelle  il  devait  tenir  évidemment 
fort  peu.  Jean  VIII,  un  peu  imprudemment,  en  avait  fait  la  remarque  à  Boris 
(Neues  Archiv,  t.  v,  p.  308)  et  Photius,  toujours  bien  renseigné,  ne  manquera 
pas  d'entretenir  cette  illusion,  s'abstenant  dans  ce  but  de  faire  aucune  ordina- 
tion dans  l'Église  bulgare,  depuis  sa  reprise  de  possession  du  siège  patriarcal. 
Au  reste,  la  perspective  de  recouvrer  l'autorité  religieuse  sur  les  Bulgares  ne  dé- 
cidait pas  seule  de  la  conduite  de  Jean  VIII  à  l'égard  de  Photius,  indépendam- 
ment de  la  conviction  où  il  était  qu'une  restauration  de  l'ancien  patriarche  dé- 
posé était  le  meilleur,  le  plus  sûr  et  peut-être  l'unique  moyen  de  pacifier  l'Église 
byzantine.  Ainsi  tout  concourait  à  affermir  Jean  VIII  dans  la  ligne  politique 
qu'il  s'était  tracée.  D'une  part,  il  voulait  reconquérir  la  Bulgarie  ;  d'autre  part, 
il  ne  voulait  pas  rompre  avec  Byzance.  En  définitive,  si  le  pape  Jean  VIII 
s'est  décidé  à  absoudre  l'intrus  tant  de  fois  condamné  par  ses  prédécesseurs, 
c'est  qu'il  a  jugé  possible  d'atteindre  les  deux  fins  en  traitant  avec  ce  patriar- 
che que  son  passé  devait  rendre  moins  intraitable  que  le  vieil  Ignace.  Bien  li- 
gotté  par  les  restrictions  d'un  compromis,  Photius  était  moins  à  redouter  que 
tout  autre,  on  pouvait  espérer  s'entendre  avec  lui  au  prix  où  l'on  s'entend  pres- 
que toujours  avec  les  gens  de  sa  sorte. 

Jean  VIII  se  décida  donc  à  rétablir  Photius,  comptant  que  les  avantages  dé- 
passeraient les  inconvénients  ou  même  les  périls.  Il  avait  trop  escompté  de 
l'avenir  quand  il  avait  attendu  de  Photius  un  aveu  public  de  ses  fautes  passées 
[Episl.,  ccxvi,  P.  G.,  t.  cxxvi,  col.  866)  qu'il  n'obtint  jamais.  Peut-on  supposer 

CONCILES  —   IV    —  37 


578 


LIVRE     XXV 


diacre  de  l'Église  romaine  *,  et  que  le  VIIIe  concile  œcuménique 
avait  confirmée.  Baronius,  qui  cherche  à  l'excuser,  suppose 
que  cette  faiblesse  du  pape  fut  l'occasion  de  la  légende  d'aqrès 
laquelle  une  femme  aurait  occupé  le  siège  de  saint  Pierre  2. 
Cette  explication  n'est  pas  sans  quelque  vraisemblance,  car, 
dans  son  écrit  De  S piritus  S.  mystagogia,  Photius  qualifie  à  trois 
reprises  et  avec  emphase  le  pape    Jean  de  caractère  viril,  ce  qui 


qu'il  attendait  ce  refus  pour  en  tirer  parti  lorsqu'il  jugerait  avoir   suffisamment 
patienté  ?  C'est  possible,  comme  avec  ces  politiques  retors  tout   est   possible. 
Jean    VIII,    cela  est  incontestable,  ne  trouva  pas  suffisante  la  vague  profession 
d'humilité,   que  Photius  avait  faite  dans    le    concile    byzantin    de  879    (Coleti, 
Concilia,   t.    xi,  col.  384.  La  lettre  où  il  s'en  plaint  au  patriarche,  amicalement 
du  reste,  est  encore  au  registre.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  910-911.  Quelques  mois  plus 
tard,  autant  pour  remplir  son  devoir  que  pour  calmer  les  exigences   d'une  oppo- 
sition violente,  que  son  alliance  avec  les  Byzantins  avait  soulevée  dans  certains 
milieux  romains,  et  à  qui  l'avènement  à  l'empire  du  prince   carolingien   Charles 
le   Gros    (9    février   881)    venait   de   donner   une     audace   nouvelle,    le   pontife 
accentuait  davantage  ses    réclamations.   P.  L.,     t.   cxxvi,   col.  908.   Les  légats 
pontificaux  qui  avaient  présidé  à  la  réintégration  de  Photius  se  voyaient  publi- 
quement censurés  pour  n'avoir  pas  exécuté  rigoureusement  leurs    instructions. 
Coleti,   Concilia,    t.    xi,    col.    927.    L'évêque  Marius  aurait  même  été  envoyé  à 
Byzance  avec  la  mission  d'amener  le  patriarche  à  une  satisfaction  plus  explicite. 
Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  576-577  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xi,  col.  899.   Mais  ce 
qui  doit  également  demeurer  incontestable,  c'est  que  Jean  VIII  ne  jugea  pas 
nécessaire    de    défaire    son    œuvre  de    pacification  ;  c'est  que,  par  ailleurs,  les 
calculs  que  le  pontife  avait  fondés  sur  le  caractère  du  patriarche  byzantin  se  sont 
trouvés  exacts.  Non  seulement  Photius  ne  tira  pas  occasion   de   sa   rentrée    en 
charge  pour  renouveler  la  guerre  contre  Borne  ;  non  seulement,  tant  que  vécut 
Jean  VIII,  la  papauté    fut   par    lui    respectée,   mais,    si   l'on   était   parvenu   à 
mieux  déterminer  la  date  de  chacun  de  ses  ouvrages,  on  aurait  constaté   que   le 
patriarche  byzantin   ne   reprit  la   plume,    pour  attaquer   les   Occidentaux,    que 
lorsque  le  pape  Marin  Ier,  lorsque  le  pape   Formose  surtout,   trop  peu   oublieux 
peut-être  des  injures  reçues  par  l'évêque    de    Porto,   eurent  remis  en  vigueur 
contre  lui  et  ses  ordinations  toutes  les  anciennes  sentences  et  tous  les  anathèmes 
d'autrefois.  Pour  extraordinaire  que  paraisse  le  fait,  il  faut  reconnaître  que   c'est 
à   l'orgueilleux   Photius   que    Borne   dut   l'abandon    des   prétentions  byzantines 
sur  l'Église  bulgare.  Photius  et  le  synode  de  879,  inspiré  par  lui,  avaient  promis 
de  s'entendre  à  ce  sujet   avec   l'empereur.   Sess.   i  et  iv,  Coleti,  Concilia,  t.  xi, 
col.  386,  460-641.  La  promesse  fut  tenue  et  l'année  suivante  Jean  VIII  pouvait 
écrire  à  Basile  :  Je  vous  rends  de  nombreuses  actions  de  grâces  de  ce  que,  par 
amour  pour  nous,  et  comme  le  demandait  la  justice,  vous  nous  avez  permis  de 
posséder  le  diocèse  des  Bulgares.   Episl.,  ccxlvi,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  909-910. 
(H.   L.) 

1.  Voir    §   485. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  879,  n.  5. 


497.     RÉINTÉGRATION     DE    PHOTIUS  579 

permettrait  de  penser  que  d'autres  avaient  traité  ce  pape  de 
femme  1.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  reconnaître  que  Jean  VIII, 
il  le  dit  lui-même,  a  cru  de  son  devoir  de  plier  devant  les  circons- 
tances. L'existence  des  Etats  de  l'Eglise  était  menacée  tout  à 
la  fois  par  les  Sarrasins,  par  la  défection  des  Capouans  et  parles 
attaques  des  princes  chrétiens.  Le  pape  ne  pouvait  espérer  de 
secours  et  de  salut  que  du  côté  de  Basile  2.  Il  devait  donc  s'effor- 
cer, dans  les  limites  de  son  devoir,  de  rester  en  bonne  intelligence 
avec  lui.  La  mort  d'Ignace  avait  modifié  essentiellement  la  ques- 
tion canonique  relativement  au  siège  de  Constantinople.  Ce 
siège  était  alors  véritablement  vacant,  et  le  fait  que  Photius  avait 
reçu  illicitement  les  ordres,  n'était  pas  de  nature  à  rendre  sa 
réintégration  à  jamais  impossible.  Le  concile  de  Nicée  avait  cédé 
dans  des  circonstances  analogues,  et  le  pape  Jean  avait  pleine- 
ment raison,  en  ne  demandant  aucune  nouvelle  ordination  des 
évêques  et  des  clercs  ordonnés  par  Photius  3.  Le  pape  Jean  pou- 
vait réintégrer  légitimement  Photius,  à  la  condition  qu'il  fît  péni- 
tence pour  sa  conduite  passée  :  or,  ce  qu'il  pouvait  faire  lui  parut 
très  opportun  et  très  sage  à  réaliser,  d'autant  mieux  que,  grâce 
[459]  aux  fourberies  de  Photius,  tous  les  patriarches  orientaux,  ainsi 
que  les  métropolitains  du  siège  de  Constantinople,  semblaient 
lui  demander  d'agir  de  cette  manière.  Il  pouvait  espérer  éviter 
ainsi  un  schisme,  regagner  la  Bulgarie  et  obtenir  des  secours 
pour  la  défense  des  Etats  de  l'Eglise.  La  condescendance  du 
pape  eut,  il  est  vrai,  des  suites  fâcheuses,  mais  alors  impossibles  à 
prévoir  4. 


1.  Photius,  De  Spirilus  Sancti  mystagogia,  c.  lxxxix,  P.  G.,  t.  en,  col.  279  sq.  ; 
cet  ouvrage  a  été  écrit  après  l'année  896.  Le  P.  A.  Lapôtre  a  consacré  quelques 
pages  alertes  d'un  Appendice  de  son  livre  sur  Le  pape  Jean  VIII,  à  la  question 
de  La  papesse  Jeanne,  p.  359-369.  L'interprétation  abusive  donnée  au  passage 
de  Photius  qu'on  vient  de  lire  par  Angelo  Mai,  Hergenrôther  et  Hefele,  n'offre 
rien  d'historique.  Au  reste  toute  cette  légende,  qui  confine  parfois  aux  imagina- 
tions libidineuses,  est  vraiment  trop  étrangère  à  l'histoire  conciliaire  pour  nous 
arrêter  plus  longtemps.  On  trouvera  dans  U.  Chevalier,  Répertoire  des  sources 
historiques  du  moyen  âge,  Bio-bibliographie,  2e  édit.  1907,  col.  2553-2557,  une 
abondante  bibliographie.   (H.  L.) 

2.  Voir  A.  Lapôtre,  Le  pape  Jean  VIII,  p.  63  ;  P.  G.,  t.  cxxvr  col.  909; 
A.  Vogt,  Basile  7er,  p.  237,  336.  (H.  L.) 

3.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  855  ;  L.  Saltet,  Les  réordinations,  Étude  sur  le  sacre- 
ment de  l'Ordre,  in-8,  Paris,  1907,  p.  143  sq.  (H.  L  ) 

4.  Hergenrôther,  Photius,  t.  n,  p.  381  sq.,  391  sq. 


580  LiVhE  xxv 

La  seconde  lettre  du  pape  en  faveur  de  Photius,  également 
datée  du  mois  d'août  879, est  adressée  à  tous  les  évêques  du  patriar- 
cal de  Constantinople,  ainsi  qu'aux  trois  patriarches  orien- 
taux 1.  Le  pape  dit  que  les  lettres  de  plusieurs  d'entre  eux  lui  ont 
montré  leurs  sentiments  unanimes  à  l'égard  de  Photius.  Son  désir 
est  de  les  voir  toujours  unis  comme  ils  le  sont  sur  cette  question, 
afin  d'éviter  les  schismes.  Il  consent,  dans  l'intérêt  de  l'Eglise 
et  du  peuple  chrétien,  à  reconnaître  sans  délai,  en  vertu  de  l'auto- 
rité de  saint  Pierre,  Photius  comme  patriarche  de  Constantinople. 
Ce  faisant  il  se  rappelle  la  lettre  d'Hadrien  Ier  à  l'impératrice 
Irène  et  à  son  fils  Constantin,  où  ce  pape,  bien  que  voyant  avec 
peine  l'élévation  soudaine  de  Tarasius  simple  laïque  au  pa- 
triarcat de  Constantinople,  reconnaissait,  sous  certaines  condi- 
tions, cette  nomination  2.  Jean  pose  aussi  ses  conditions  :  A 
l'avenir,  aucun  laïque  ne  sera  fait  évoque  de  Constantinople; 
la  Bulgarie  sera  restituée  ;  ceux  qui  ont  envoyé  des  adresses 
au  pape  chercheront  à  réconcilier  avec  Photius  les  évêques  dépo- 
sés (les  évêques  d'Ignace),  et  satisferont  pour  leur  conduite  con- 
traire à  Dieu  et  aux  canons  (ce  que  Photius  traduit  ainsi  :  entre 
autres  bonnes  œuvres,  ils  s'emploieront  à  cette  réconciliation). 
Photius  ne  sera  reconnu  patriarche  et  rendu  à  la  communion  de 
Rome  qu'après  avoir  sollicité  son  pardon  en  présence  d'un  con- 
cile (ce  que  l'intéressé  traduit  :  Photius,  notre  très  saint  et  très 
pieux  frère,  fera  dans  un  concile  l'éloge  de  notre  bienveillance 
à  son  égard,  ou  plutôt  celui  de  la  miséricorde  de  l'Eglise  ro- 
maine). En  terminant,  le  pape  rappelle  la  conduite  d'Inno- 
cent Ier,  rendant  aux  Macédoniens  Aétius,  auparavant  déposé. 
(Photius  omet  ce  passage,  et  se  contente  de  placer  dans  la 
bouche  du  pape  une  éloquente  exhortation  à  la  concorde.)  [460] 

Le  pape  écrivit  à  Photius  3  :   «  Comme  ta   lettre    prouve    sura- 


1.  Le  texte  latin  authentique  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvii,  col.  146  ;  t.  xvi, 
col.  499;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col.  72;  t.  v,  col.  1182;  P.  L.,  t.  cxxvi, 
col.  865;  le  texte  grec  falsifié,  auquel  est  jointe  une  traduction  latine  faite 
sur  ce  même  texte  grec,  se  trouve  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  510;  t. 
xvn,  col.  450;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1191   ;  t.  vi,  part.  1.  col.  278. 

2.  Voir    §   345. 

3.  Le  texte  latin  authentique  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  148;  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col.  73;  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  870  ;  Baronius,  Annales,  ad  ann. 
897,  n.  33  ;  en  latin  et  en  grec  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  502;  Hardouin, 
0p.  cit.,  t.  v,  col.  1186;  la  traduction  falsifiée  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col. 506; 


497.     RÉINTÉGRATION     DE     PHOTIUS  581 

bondamment  ta  prudence  (ton  retour  dans  le  droit  chemin),  nous 
en  remercions  le  Dieu  qui  fait  retentir  son  tonnerre  dans  les  cieux 
et  donne  la  sagesse  à  tous  ceux  qui  la  lui  demandent.»  (Dérobant 
à  Dieu  cette  épithète  d'altitonans,  Photius  se  l'applique  à  lui-même 
et  traduit  :  «  Nous  avons  appris  à  connaître  ta  sagesse,  qui,  sem- 
blable au  tonnerre  du  Seigneur,  retentit  dans  le  monde  entier.  ») 
«  Les  éloges  que  tu  nous  adresses  dans  ta  lettre,  nous  ont  fait 
voir  tes  sentiments  à  notre  égard  et  combien  maintenant  tu  nous 
es  dévoué  (Photius  passe  le  mot  maintenant)  ;  mais  nous  ne 
méritons  pas  ces  louanges,  qui  nous  rappellent  notre  faiblesse.  » 
(Photius  paraphrase  ce  passage.)  Tu  nous  affirmes  l'union  qui 
règne  dans  l'Eglise  de  Constantinople  en  ce  qui  te  concerne  et 
tu  nous  mandes  le  refus  de  nos  légats  de  prendre  part  à  ton  ser- 
vice divin.  Nous  remercions  Dieu  de  cette  union  ;  quant  à  nos 
légats,  nous  ne  leur  avions  donné  aucune  instruction,  dans  l'i- 
gnorance où  nous  étions  de  la  situation  véritable  1.  »  Dans  sa 
traduction  Photius  fait  dire  au  pape  :  «  Je  me  réjouis  de  ta  réin- 
tégration sur  le  siège  qui  te  revenait.  »  (Jean  VIII  exprime  sim- 
plement sa  satisfaction  du  rétablissement  de  l'unité,  sans  dire 
que  s'il  avait  connu  le  rétablissement  de  Photius  il  eût  chargé 
ses  légats  de  l'en  féliciter.  )  Le  pape  poursuit  :  «  De  même  que 
nous  nous  sommes  réjoui  de  la  paix  et  de  l'union,  de  même  nous 
nous  attristons  de  voir  des  dissidents  refuser  de  se  joindre  à 
vous»,  (les  partisans  d'Ignace).  (Photius  accentue  ainsi  ce  pas- 
sage :  «  Nous  avons  appris  qu'il  existe  parmi  vous  des  schis- 
matiques  incapables  de  repos  et  acharnés  à  poursuivre  un 
461]  combat  diabolique...  nous  en  sommes  fort  attristé.)  «  Du  reste, 
continue  le  texte  authentique  (et  Photius  omet  cette  phrase), 
nous  aurions  dû  être  averti  avant  ta  reprise  de  possession.  »  «  Tou- 
tefois, Ignace,  notre  frère  et  collègue  dans  l'épiscopat,  étant 
mort  lorsque  tu  as  repris  le  siège,  nous  remercions  Dieu  du  réta- 
blissement de  la  paix  et  de  la  fin  des  conflits.  De  ton  côté,  efforce- 
toi  de  gagner  par  bienveillance  ceux  qui  sont  dispersés  et  éloi- 
gnés de  toi.  »  (Photius  introduit  l'éloge  de  sa  sagesse.  )   «  Comme 


t.  xvii,  col.  150,  411;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1187;  t.  vi,  part.  1,  col.  75;  Ba- 
rouius,    Annales,  ad  ann.  879,  n.  38. 

1.  C'est-à-dire  que,  lors  de  l'envoi  des  légats,  le  pape  ignorait  la  mort  du  pa- 
triarche Ignace  et  la  conduite  que  tiendrait  celui-ci  devant  la  menace  d'excom- 
munication qui  allait  lui  être  faite. 


582  LIVRE    XXV 

on  ne  saurait  blâmer  la  miséricorde  vis-à-vis  de  celui  qui 
s'est  amendé,  tu  devras,  en  la  forme  accoutumée,  donner 
satisfaction  devant  un  concile  et  demander  miséricorde!  »  (Pho- 
tius  traduit  :  «  Tu  ne  rougiras  pas  de  faire  devant  un  concile 
l'éloge  de  la  miséricorde  de  Dieu  à  ton  égard  et  de  la  bonté  du 
Siège  apostolique.»)  «Si  tu  t'amendes  complètement,  tu  ne  cher- 
cheras à  nuire  à  personne  (c'est-à-dire  aux  partisans  d'Ignace)  ; 
tu  l'appliqueras  au  contraire,  à  ramener  d'exil  tes  prétendus 
ennemis,  tu  les  rétabliras  dans  leurs  dignités,  et  puisque  tous  sans 
exception  désirent  ta  propre  réintégration,  nous  te  pardonnons, 
afin  que  l'Eglise  de  Constantinople  jouisse  de  la  paix;  nous  te  rece- 
vons dans  la  communion  de  l'Eglise  et  te  rendons  la  charge  ecclé- 
siastique, si  tu  consens  à  demander  pardon  par-devant  un  concile. 
Mais  à  l'avenir,  conformément  à  la  décision  du  vénérable  concile 
tenu  à  Constantinople  à  l'époque  d'Hadrien  le  Jeune  (c'est-à- 
dire  du  VIIIe  concile  œcuménique),  aucun  laïque  ne  pourra 
être  élevé  sur  le  siège  de  cette  Eglise.  »  (Photius  use  ici  d'équi- 
voque ;  après  avoir  omis  tout  ce  qui  a  trait  au  pardon  à 
solliciter  devant  un  concile,  il  change  Hadrien  II  en  Hadrien  Ier, 
évitant  par  ce  moyen  de  reconnaître  le  VIIIe  concile  œcuménique, 
et  insère  cette  phrase  :  «  Quant  aux  conciles  tenus  contre  toi 
dans  cette  même  ville,  nous  les  annulons  et  nous  les  déclarons  sans 
valeur  pour  divers  motifs,  et  particulièrement  parce  que  notre 
prédécesseur  Hadrien  ne  les  a  pas  signés.  »)  Le  pape  continue  : 
«  Quant  à  l'autre  décision  que  tu  réclames,  nous  avons  donné, 
de  vive  voix  et  par  écrit,  des  instructions  à  notre  légat,  le  cardinal- 
prêtre  Pierre,  et  à  nos  conseillers  déjà  présents  à  Constantinople; 
les  instructions  écrites  sont  contenues  dans  un  commonitorium. 
Elles  permettent  ce  qui  peut  être  permis  et  corrigent  ce  qui 
appelle  correction.  »  (Photius  a,  ici  encore,  altéré  le  texte  et  même 
omis  les  derniers  mots.)  «  Si  tu  veux  que  nous  favorisions  tes  désirs, 
restitue  la  Bulgarie  à  l'Eglise  romaine...  Si,  au  contraire,  tu  en- 
voies le  pallium  aux  évêques  de  ce  pays,  si  tu  leur  confères  les  or-  [4621 
dres,  ou  si  tu  communiques  avec  eux  avant  qu'ils  ne  nous  obéis- 
sent, tu  seras  excommunié  tout  comme  eux.  »  (Photius  omet 
ce  passage  qu'il  remplace  par  ces  mots  :  «  Que  Dieu  te  conserve 
jusqu'à  la  fin,  bien-aimé  frère  et  très  digne  collègue  dans  le  sacer- 
doce. ») 

Non  content  de  cela,  le  pape  écrivit    une  lettre  commune  aux 
ennemis  de  Photius,  les  patrices  Jean,  Léon  et  Paul,  et  les  métro- 


497.     RÉINTÉGRATION    DE    PHOTIUS  583 

politains  Stylianos,  Jean  et  Métrophanes  :  «  Si  vous  avez  souci 
du  salut  de  votre  âme,  leur  disait-il,  soyez  en  communion  avec 
votre  patriarche  Photius,  que  reconnaît  le  Siège  apostolique. 
Si  vous  vous  y  refusez,  les  légats  du  pape  ont  mission  de  vous 
exclure  de  la  communion  de  l'Église,  jusqu'à  ce  que  vous  obéis- 
siez. Nul  ne  doit  prétendre  excuser  sa  désobéissance  sur  le  docu- 
mentqu'ila  singé  (le  VIIIe  concile  œcuménique);  l'Eglise  a  le 
pouvoir  de  délier  tous  les  liens1.  »  L'original  latin  étant  perdu, 
on  ne  sait  si  Photius  a  également  falsifié,  en  la  traduisant,  cette 
lettre  du  pape,  il  en  est  de  même  du  cinquième  document,  la 
lettre  aux  légats  Paul  et  Eugène.  La  première  phrase  de  cette 
lettre  est  incomplète  au  point  de  vue  grammatical,  elle  blâme  les 
légats  de  n'avoir  pas  obéi  à  la  volonté  du  pape.  Lorsque,  à  leur 
arrivée  à  Constantinople,  ils  avaient  trouvé  Photius  rétabli  sur 
son  siège,  ils  auraient  dû  étudier  la  situation,  et  revenir  à 
Rome  rendre  compte.  Le  pape  continue  :  «  Après  vous  être  si 
médiocrement  acquittés  d'une  première  mission,  vous  ne  devriez 
pas  être  chargés  d'une  seconde.  Nous  voulons  cependant  vous 
témoigner  cette  confiance  et  nous  vous  adjoignons,  pour  que 
cette  seconde  mission  soit  exactement  remplie,  le  cardinal-prêtre 
Pierre,  en  qui  nous  avons  toute  confiance,  afin  que,  conformé- 
ment à  notre  décret  et  au  contenu  de  notre  commonitorium, 
vous  n'omettiez  rien  de  ce  qui  peut  procurer  la  paix  et  l'union  de 
l'Église  2.  » 

Malheureusement,  le  texte  latin  original  de  ce  commonitorium, 
rédigé  dans  un  concile  romain  du  mois  d'août  879,  est  perdu, 
et  nous  ne  possédons  que  la  traduction  de  Photius  lue  dans  la 
[463]  troisième  session  du  conciliabule  de  879.  Les  onze  paragraphes 
sont  visiblement  calqués  sur  les  instructions  du  pape  Hormisdas 
en  515,  à  ses  ambassadeurs  à  Constantinople  3.  Le  commonitorium 
peut  se  résumer  ainsi  : 

1.  Les  légats  habiteront  à  Constantinople  la  demeure  à  eux 
assignée  par  l'empereur  ;  ils  ne  remettront  à  personne  les  lettres 
apostoliques,  avant  l'audience  de  l'empereur  à  qui  ils  présente- 
ront   ces    lettres  en  disant  :    «  Votre  père  spirituel,  le  pape  apos- 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  153;  Hardpuin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col.  77;  P. 
h.,  t.   cxxvi,   col.   863. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  154;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi.  part.  l,col.  78; 
P.  h.,  t.  cxxvi,  col.  867   ;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  879,  n.  46. 

3.  Baronius,   Annales,  ad  ann.  515,  n.  24. 


584  LIVRE     XXV 

tolique  Jean,  vous  salue,  prince  établi  par  Dieu,  etc.  »  2.  Si,  avant, 
la  remise  des  lettres,  l'empereur  interroge  les  légats  sur  le  but 
de  leur  mission,  ils  le  prieront  de  lire  les  lettres,  et  si  l'empereur 
questionne  sur  leur  contenu  les  légats  répondront  :  «  Elles  con- 
tiennent des  salutations  pour  vous,  et  des  instructions  pour  le 
rétablissement  de  la  paix  de  l'Église.  »  3.  Le  lendemain  ils  iront 
saluer  Photius,  ils  diront  en  lui  remettant  la  lettre  du  pape  :  «  Notre 
maître,  le  pape  apostolique  Jean,  te  salue,  et  consent  à  te  recon- 
naître comme  son  frère  et  son  collègue  dans  le  sacerdoce.  » 
4.  Photius  comparaîtra  devant  un  concile  et  en  présence  des  légats, 
Ion  le  l'Église  conformément  à  nos  instructions,  le  reconnaîtra, 
et  lui  de  son  côté  manifestera  sa  reconnaissance  et  louera  la  misé- 
corde  de  l'Église  romaine.  (Ici  il  y  a  évidemment  falsification  : 
dans  ses  lettres  précédentes,  le  pape  exigeait  de  Photius  une 
satisfaction  suffisante  et  la  demande  de  pardon  devant  un  con- 
cile ;  Photius  a  défiguré  ce  passage.)  5.  Lorsqu'ils  prendront 
congé  de  Photius,  les  légats  diront  :  «  Le  pape  ordonne  que  tu 
t'efforces  de  ramener  à  l'unité  les  évêques  et  les  clercs  exilés  qui 
ne  veulent  pas  être  en  communion  avec  toi.  »  Quant  à  ceux  qui 
embrassent  le  parti  de  Photius,  on  leur  rendra  leurs  charges  s'ils 
ont  été  ordonnés  avant  ceux  qui  occupent  actuellement  leurs 
sièges;  s'ils  ont  été  ordonnés  plus  tard,  les  évêques  auront  soin 
de  leur  fournir  ce  qui  est  nécessaire  pour  leur  entretien;  en  d'au- 
tres termes,  si  l'ancien  partisan  d'Ignace  revenant  au  parti  de 
Photius  est,  par  son  ordination,  plus  ancien  que  le  possesseur 
actuel  de  son  siège,  il  recouvrera  ce  siège.  Si  au  contraire  il 
est  moins  ancien,  s'il  a  été  ordonné  par  Ignace  dans  les  der- 
nières années  de  son  pontificat  tandis  que  le  partisan  de  Pho- 
tius l'avait  été  dans  les  premières  années  du  pontificat  de 
celui-ci,  le  siège  épiscopal  restera  au  partisan  de  Photius.  6. 
Dans  le  concile  que  les  légats  célébreront  d'accord  avec  Photius, 
on  lira  d'abord  la  lettre  du  pape  à  l'empereur,  et  on  deman- 
dera au  concile  s'il  en  accepte  les  prescriptions  (par  exemple, 
au  sujet  de  la  Bulgarie).  7.  Ceux  qui  rejetteront  la  communion 
de  Photius  seront  avertis  jusqu'à  deux  et  trois  fois  par  les  lé- 
gats et  par  le  concile;  si  ces  avertissements  ne  sont  pas  écou- 
tés, ils  seront  excommuniés  jusqu'à  ce  qu'ils  s'amendent.  8. 
Après  la  mort  de  Photius,  on  ne  devra  plus  élever  un  laïque  [4641 
sur  le  siège  patriarcal.  9.  Les  légats  engageront  Photius,  en  pré- 
sence  du   concile,   à  ne  plus  s'arroger  désormais  une  juridiction 


498.     CONCILIABULE     DE     PHOTIUS  585 

sur  la  Bulgarie,  sous  la  menace  de  peines  canoniques  (d'après  le 
texte  authentique  des  lettres,  le  pape  n'entendait  pas  se  borner 
à  une  pure  exhortation).  10.  Les  légats  déclareront  devant  un  con- 
cile que  les  conciles  tenus  sous  le  pape  Hadrien,  à  Rome  et  à 
Constantinople,  contre  Photius,  sont  rejetés  et  annulés  (falsifi- 
cation certaine  de  Photius).  11.  Les  légats  ne  doivent  se  laisser 
ni  corrompre  ni  épouvanter  1. 


498.  Conciliabule  de  Photius  en  879  et  880. 

En  possession  de  la  lettre  du  pape  qu'il  traduisit  comme 
nous  avons  vu,  Photius  réunit,  au  mois  de  novembre  879,  un  con- 
ciliabule, destiné  dans  sa  pensée  à  réfuter  le  VIIIe  concile  œcu- 
ménique dont  il  revendiquerait  pour  lui  seul  le  nom  et  le  titre. 
Les  anciennes  collections  des  conciles,  même  celle  de  Labbe, 
n'avaient  publié  que  les  canons  de  ce  conciliabule  ;  Beveridge 
fut  le  premier  à  publier  quelques  fragments  des  actes  2.  Ba- 
ronius  3  avait  inséré  dans  ses  Annales  de  courts  extraits  latins 
de  ces  actes  rédigés  d'après  deux  anciens  exemplaires  conservés 
à  Rome  et  contenant,  en  grec,  les  procès-verbaux  complets  de 
l'assemblée.  Le  pape  Clément  XI  fit  faire  plus  tard  une  .copie 
de  l'exemplaire  de  la  bibliothèque  du  Vatican  4,  pour  le  Père 
Hardouin  qui  la  publia  en  1714  5.  L'Occident  connut  alors  pour 
la  première  fois  les  actes  de  ce  célèbre  conciliabule.  Je  dis  l'Occi- 
dent, car  huit  ans  auparavant  on  avait  publié  en  Valachie  un 
L^,,0I   ouvrage    intitulé    Tiu,oç   7<zpâç    contenant    une     copie     des    actes 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  467  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  col.  294;  Baronius, 
Annales,  ad  ann.  879.  n.  'i7  ;  P.  h.,  t.  cxxvi,  col.  867.  La  falsification  de  ce  com- 
monitoriufn  a  été  mise  en  évidence  par  J.  S.  Assemani  dans  sa  Biblioth.  juris 
Orient.,  t.  t.  p.  180,  au  moins  pour  ce  qui  concerne  le  n.  10,  et  Néander,  Kirchen- 
gesch.,  t.  iv,  |>.  435,  croit  aussi  qu'il  y  a  eu  falsification. 

1.   Beveridge,  Pandecta  canonum,  t.  n,  part.  2,  n.  273  sq. 

'■'>.   liaionius,  Annales,  ad  ann.  879,  n.  64  sq. 

4.  Hardouin,  Coll    concil.,  t.  vi,  pari.  1,  col.  214  sq. 

5.  Ainsi  que  le  dit  J.  S.  Assemani,  op.  cil.,  p.  162,  la  bibliothèque  du  Vatican 
possède  plusieurs  manuscrits  de  ces  actes  ;  ils  se  trouvent  aussi  dans  un  ms. 
de  la  bibliothèque  de  Saint-Marc  à  Venise.  Mais  ces  mss.  diffèrent  beaucoup 
les  uns  des    autres. 


586  LIVRE    XXV 

d'après  un  manuscrit  grec  *.  Fleury  nous  aprend  que  Baluze 
possédait  aussi  une  copie  de  l'un  des  manuscrits  romains,  dont 
il  a  publié  un  fragment  2,  dès  avant  l'édition  de  la  collection 
Hardouin.  L'authenticité  de  ces  actes,  mise  en  question  par 
Baronius  et  par  Léon  Allatius,  a  été  défendue  par  d'autres  histo- 
riens, par  exemple  Joseph-Simon  Assemani  3  et  Néander  4.  Ces 
derniers  cependant  sont  obligés  d'avouer  que  tout  n'y  est  juis 
aulhentique  ;  en  particulier,  la  traduction  des  lettres  du  pape  et 
du  commonitorium  est  faussée  en  plusieurs  endroits,  et  on  a  abusé 
de  l'insuffisante  connaissance  qu'avaient  les  légats  de  la  langue 
grecque  5.  Photius  s'était  plaint  tout  d'abord  de  l'hostilité  que 
lui  témoignaient  les  légats,  mais  cette  situation  changea  dès  l'arri- 
vée du  cardinal  Pierre.  Le  pape  s'étant  prononcé  pour  Photius, 
les  légats  crurent  devoir  l'imiter.  Stylianos  prétend  qu'ils  s'étaient 
laissé  gagner  par  des  présents.  On  a  peine  à  admettre  qu'ils  se 
soient  conduits  d'une  manière  aussi  peu  honorable  que  le  suppo- 
sent les  actes  synodaux  ;  on  est  plutôt  porté  à  croire  que  leurs 
discours  ont  été  falsifiés,  soit  sur  les  notes,  soit  dans  la  traduc- 
tion qui  en  fut  faite. 

Le  procès  verbal  de  la  première  session  ne  porte  pas  de  date, 
celui  de  la  seconde  est  daté  du  17  novembre  879  6,  enfin  la  der- 
nière et  septième  session  s'est  tenue  le  13  mars  880  7.  La  première 
session  fut  célébrée  dans  le  secretarium  de  Sainte-Sophie,  d'autres 


1.  Jager,  Hist.  de  Photius,  p.  320. 

2.  Fleury,  Hist.  de  V Église,  1.  LUI,  c.  xn. 

3.  J.  S.  Assemani,  op.  cit.,  p.  232. 

4.  Néander,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  430,  432. 

5.  Id.  t.  iv,  p.  434. 

6.  Ce  conciliabule  de  879  ne  se  fût.  probablement  pas  passé,  comme  nous  le 
verrons,  sans  un  grave  événement  survenu  très  peu  de  temps  auparavant,  la 
mort  du  jeune  empereur  Constantin,  fils  aîné  de  Basile  et  son  associé  à  l'empire. 
Cette  mort  eut  pour  contre-coup  l'amoindrissement  intellectuel  de  Basile  dont 
l'esprit,  jusque-là  si  lucide,  s'obscurcit  soudain  et  dont  la  volonté  énergique 
s'affaiblit  rapidement.  A  partir  de  ce  moment,  les  intrigants  et  les  habiles  se 
substitueront  au  prince,  et  gouverneront  en  son  nom.  Photius  trouvait  par  une 
nouvelle  et  soudaine  surprise,  une  position  à  peu  près  aussi  forte  qu'au  temps 
de  Bardas  ;  il  sut  en  tirer  parti.  Ce  qui  montre  à  quel  point  Basile  était  affaibli, 
c'est  qu'il  ne  parut  pas  au  concile,  lui  qui,  dix  ans  auparavant,  avait,  peut-on 
dire  sans  exagération,  dirigé  le  concile  de  869.  (H.  L.) 

7.  De  ces  sept  réunions,  nous  allons  voir  que  les  cinq  premières  seulement 
paraissent  avoir  été  réellement  tenues.  (H.  L.) 


498.    CONCILIABULE    DE    PHOTIUS  587 

sessions  à  droite  de  l'église  et  dans  les  catéchuménies,  quelques- 
unes  enfin  dans  le  palais  impérial.  Les  actes  disent  formellement 
que  Photius,    «  patriarche  œcuménique,  »  présida  toutes  les  ses- 
sions.  Les  légats  ne  prirent  place  qu'après  lui  et  à    ses    côtés. 
Quant  aux  autres  patriarches,  celui  de  Jérusalem  était  seul  repré- 
senté au  débul   par  le  prêtre  Elie  1,  mais  dès  la  deuxième  session 
le  prêtre  Cosmas,  apocrisiaire  d'Alexandrie,  représenta  ce  siège; 
[466]  enfin,   dans  la  quatrième   session,  Basile,   archevêque  de  Marty- 
ropolis,   siégea   en   qualité   de   député   du  siège  d'Antioche  2.  Les 
trois  cent  quatre-vingt-trois  autres  évêques  qui,  d'après  les  actes, 
assistèrent    à  la  première  session,  appartenaient  tous  au  patriar- 
cat   de    Constantinople,    alors    le    plus    étendu    de    tous.    A  leur 
tête  étaient  les  archevêques    Procope   de   Césarée    en  Cappadoce, 
Grégoire  d'Éphèse,  Jean  d'Héraclée,  Grégoire  de  Cyzique,  Zacha- 
rie  de  Chalcédoine,  Théodore  de    Thessalonique,    etc.  ;    plusieurs 
avaient    assisté    au    VIIIe    concile     œcuménique.     Pour   augmen- 
ter le  nombre   de  ses  partisans,  Photius  n'aurait-il   pas  imaginé 
d'ordonner   des   évêques   pour   des    localités    insignifiantes  ?  dans 
les  actes  de  ce  conciliabule,  nous  trouvons  des  sièges  épiscopaux 
qui   ne  sont  nommés  nulle  part  ailleurs  3. 

Tous  les  membres  ayant  pris  place,  le  diacre  et  protonotaire 
Pierre  de  Constantinople,  exerçant  les  fonctions  d'employé  du 
synode,  annonça  l'arrivée  des  trois  légats  du  pape,  le  cardinal 
Pierre  et  les  deux  évêques  Paul  et  Eugène  ;  Pierre  était  porteur 
des  lettres  du  pape  Jean.  Photius  les  reçut  avec  bienveillance,  les 
embrassa,  et  leur  parla  d'une  façon  pieuse  et  éloquente.  Le  cardi- 
nal Pierre,  orateur  au  nom  des  légats,  rivalisa  de  politesse,  remer- 
ciant Dieu  d'avoir  trouvé  en  si  bonne  santé,  Sa  Sainteté  qu'il 
assurait  de  l'amitié  du  pape  son  frère  et  son  collègue  dans  le 
sacerdoce.  Photius  répondit  :  «  Nous  aussi  nous  le  reconnais- 
sons pour  frère,  coopérateur  et  père  spirituel.  »  Le  cardinal  Pierre 


1.  Il  ne  faut  pas  confondre  cet  Élie  avec  un  autre  Élie,  qui  assista  au  VIIIe 
concile   œcuménique  en  qualité  de    vicaire    de  Jérusalem.    Cet    Élie    était    déjà 

mort. 

2.  Au  sujet  de  ces  prétendus  vicaires  des  patriarches  orientaux,  cf.  Hergen- 

rother,  Photius,  t.  u,  p.  447  sq. 

3.  Hardouin  avait  déjà  fait  cette  remarque  dans  son  Index  geograph.  du 
xie  volume,  par  exemple,  Dulse,  p.  717;  cf.  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  449  sq., 
qui  traite  en  détail  la  question  des  membres  de  ce  conciliabule. 


588 


LIVRE     XXV 


ayant  fait  allusion  à  ses  lettres  qui  témoignaient  de  la  sollici- 
tude du  pape  pour  Constantinople,  Photius  vanta  cette  sollicitude 
et  compara  le  pape  à  Jésus-Christ.  «  De  même  que  le  Christ  ne 
s'est  pas  contenté  du  ciel,  mais  est  descendu  sur  la  terre  pour 
faire  le  bonheur  des  hommes,  de  même  le  pape  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  voir  sa  propre  Eglise  jouir  de  la  paix,  il  a  aussi  voulu 
engager  les  schismatiques  étrangers  (c'est-à-dire  les  partisans 
d'Ignace)  à  s'amender.  » 

Par  là  Photius  montrait  clairement  qu'il  ne  tenait  le  pape 
que  comme  patriarche  d'Occident;  c'est  ce  qu'il  fit  également 
en  demandant  :  «  Comment  se  porte  le  pape  ?  dans  quel  état 
se  trouve  l'Eglise  à  laquelle  il  préside,  et  comment  vont  ses 
évêques  ?»  Ce  à  quoi  le  cardinal  Pierre  répondit  :  «  Le  pape  et  [467] 
tous  les  évêques,  grâce  à  tes  saintes  prières,  vont  bien,  et  sont  tous 
bien  intentionnés  à  ton  égard,  ainsi  que  tu  le  verras  dans  les 
lettres  du  pape.  »  Photius  éluda  adroitement  la  demande  du  légat, 
de  lire  sans  délai  les  lettres  de  son  maître.  Le  cardinal  Pierre 
s'adressant  au  concile  parla  alors  en  véritable  représentant  du 
primat  de  Rome  :  «  De  même,  dit-il,  qu'un  père  va  à  la  recher- 
che de  ses  enfants  perdus,  de  même  qu'un  pasteur  court  après 
ses  brebis  égarées  ;  ainsi  le  pape  ne  se  fatiguera  jamais  de 
vous  avertir  par  ses  lettres  et  par  ses  légats,  et  de  faire  tout  ce 
qui  dépendra  de  lui  pour  vous  ramener  dans  le  droit  sentier.  » 
Jean,  métropolitain  d'Héraclée,  répondit  aussitôt:  «L'union  est 
déjà  rétablie,  car  nous  n'avons  qu'un  seul  pasteur,  le  très  saint 
seigneur  et  patriarche  œcuménique  Photius.  »  Zacharie  de  Chal- 
cédoine,  ami  de  Photius,  prononça  alors  un  discours  trahissant 
beaucoup  d'hostilité  contre  Rome,  mais  en  même  temps  prudent 
et  perfide,  comme  s'il  eût  été  l'œuvre  même  de  Photius.  «  Il  est 
vrai,  dit-il,  que  la  paix  a  été  troublée  dans  l'Eglise  de  Constanti- 
nople, à  cause  de  la  simplicité  (âxXôxï);)  de  son  ancien  pasteur. 
Il  veut  exposer  la  véritable  raison  de  cette  situation.  Cela 
paraîtra  invraisemblable,  mais  il  n'hésite  pas  à  le  dire,  parce 
que  c'est  la  vérité  :  la  cause  de  tout  le  mal  est  l'incomparable 
excellence  de  Photius,  qui  avait  provoqué  l'envie.  On  l'a 
traité  comme  on  a  traité  le  Christ,  et  l'envie  avait  poussé  les  juifs 
aux  dernières  extrémités.  Photius  en  a  tant  souffert,  qu'il  vaut 
mieux  ne  pas  insister.  Mais  l'empereur  a  arrêté  le  mal.  dévoilé 
les  mensonges  importés  d'Orient  à  Rome,  tandis  que  le  pape  Jean 
renonçait  à  s'obstiner  dans  la  ligne  de  conduite  si  funeste  à  l'Eglise 


198.     CONCILIABULE     DE     PHOTIUS  589 

(la   ligne    de    conduite    de    ses    prédécesseurs).     On    a    rendu    à 
l'Église  son  bien,  elle  a    recouvré    son    fiancé.    Tout    ce    qui   s'est 
fait    contre    elle  est  nul   et  sans   valeur.    Plusieurs   évêques    ont 
accepté  sur-le-champ  ce  nouvel  état  de  choses,  d'autres  s'y  sont 
ralliés  plus  tard,  et,  à  l'heure  présente,  il  ne  restait  que  de  rares 
récalcitrants.    Quand    on   leur   demande  le  motif  de  leur  obstina- 
tion, ils    répondent  :    l'Église    romaine     l'a    ordonné.    Un    voleur 
et    un    meurtrier    pourraient    aussi    bien     dire  :     Les     Romains 
m'ont  permis  d'agir  de  cette  manière  (  !  ).  C'est    ainsi    que    l'Église 
romaine,  ordinairement   pacificatrice,    a    causé  beaucoup  de    mal 
dans  toute  cette  affaire  ;  du    moins    c'est   elle    qu'on    avait   mise 
en  avant.    Pour    ce    motif,    l'empereur    a    mandé    les    légats    ro- 
mains,  qui  réfuteront  les  accusations  élevées  de  tous  côtés  contre 
Rome.    Pour    parler    sans    détours,    le    présent    concile    se  tient 
[468]  p0ur  l'honneur  de  l'Église  romaine,  afin  qu'à  l'avenir  les  schis- 
mes   ne  puissent  lui  imputer  ce  rôle   de   discorde.     Néanmoins, 
grâce  aux  mesures  prises  par  l'empereur  et  aux  prières  du  pape 
Jean,   tout  se  trouve  dans  le   meilleur  ordre  ;  il  n'est  donc    be- 
soin   de     Photius    ni    de   personne    pour    rétablir    la    paix.    Tel 
est    son    sentiment,    tel    est    aussi  le  sentiment  de  tout  le    con- 
cile \  » 


1.  Débarrassé  de  l'empereur  alors  tout  à  sa  douleur  paternelle,  Photius  pou- 
vait craindre  de  ne  plus  rencontrer  un  ensemble  de  circonstances    aussi   favo- 
rables à  ses  projets.  Tout  le  monde  en  Orient  comme  en  Occident  le  reconnais- 
sait ;  l'opposition  était  discréditée,  à  supposer  qu'elle  ne  fût  pas  complètement 
insignifiante  ;  quant  aux  légats,  ils  ne  déparaient  pas  dans  la  longue  liste  d'in- 
capables et   de  fripons   qui   composent  pendant    des   siècles    la   représentation 
pontificale  à  Byzance  et  ailleurs.  Ignorant  le  grec,  asservis  à  leurs  interprètes, 
d'une  probité  qui  laisse  songeur,  les  deux  évêques  et  le  cardinal  se  laissèrent 
circonvenir  par  le  patriarche  et  acceptèrent,  ou  peu  s'en  faut,  tout  ce  que  Pho- 
tius voulut.  «  Or,  non  seulement,  au  cours  du  concile,  le  patriarche  n'accomplit 
aucune  des  formalités  canoniques  exigées  par  Jean  VIII  et  refusa  de  prendre  les 
engagements  solennels  que  le  pape  lui  demandait  au  sujet  de  la  Bulgarie  et  de 
l'élévation  possible,  à  l'avenir,  d'un  laïc  au  trône  patriarcal,  mais  de  concert  avec 
ses  amis  et  par  leur  intermédiaire,  très  résolument  il  rejeta   la  suprême  autorité 
du  siège  apostolique,  fit  annuler  et  anathématiser  les  actes  de  Nicolas  et  d'Ha- 
drien ainsi  que  le  VIIIe  concile  œcuménique,  celui  de  869,  et  sur  les  ruines  de 
la  puissance  romaine  ainsi  définitivement  brisée,  exalté  par  le  concile  pour  ses 
vertus  et  ses  mérites,  fièrement,  il  éleva  sa  propre  gloire  en  se  faisant  reconnaî- 
tre comme  le  premier  de  tous,  ayant  pouvoir  de  lier  et  de  délier.    »  A,  Vogt, 
Basile  I™,  p.  243-244.  (H.  L.)  .......... 


590 


LIVRE     XXV 


Ce  discours  équivalait  à  la  négation  formelle  de  l'intervention 
papale  dont  le  rôle  possible  était  complètement  dénaturé.  Au 
lieu  de  porter  une  sentence,  il  ne  restait  plus  au  pape  qu'à  se  dis- 
culper et  à  désavouer  toute  sa  conduite  antérieure  au  sujet  de 
Photius.  Cet  audacieux  discours  de  Zaeharie  *  fut  approuvé  par 
toute  l'assemblée,  qui  se  déclara  inébranlablement  fidèle  à  Photius, 
prête  à  verser  son  sang  pour  lui  et  à  lui  tout  sacrifier.  Zaeharie 
reprit  la  parole:  «  il  déplore  fort  que  les  schismatiques  (les  parti- 
sans d'Ignace)  causent  un  si  notable  préjudice  à  l'Église  romaine. 
Ils  acceptent  les  actes  des  papes  Nicolas  et  Hadrien,  et  repoussent 
ceux  du  très  saint  pape  Jean,  ce  qui  prouve  leur  volonté  non 
d'obéir  au  pape,  mais  de  voir  le  pape  se  régler  d'après  eux.  La 
mission  des  légats  doit  être  de  délivrer  au  plus  tôt  l'Église  ro- 
maine de  cet  esclavage  humiliant  et  de  la  purger  de  toute  accu- 
sation et  de  toute  honte.  » 

Le  cardinal  Pierre  répondit  :  «  Remercions  Dieu  de  tout,  c'est 
lui  qui  rétablira  toutes  choses.»  Celte  réponse  s'ajuste  bien  mal 
à  ce  que  l'on  vient  de  lire  et  on  peut  supposer  que  le  discours  de 
Zaeharie  fut  mal  rendu  par  l'interprète  au  cardinal  Pierre,  lequel, 
d'après  le  procès- verbal  de  la  deuxième  session,  avait  besoin  d'un 
truchement. 

Plusieurs  orateurs  exprimèrent  ensuite  leur  joie  du  rétablisse- 
ment de  l'unité  de  l'Eglise,  et  parmi  eux  le  député  de  Jérusalem, 
Elie,  assura  que  son  Eglise  avait  constamment  reconnu  Photius, 
depuis  l'envoi  de  sa  lettre  au  patriarche  Théodose.  Le  cardinal 
Pierre  protesta  de  nouveau  que  le  pape  avait  envoyé  les  légats 
pour  mettre  fin  aux  scandales  qui  troublaient  l'Eglise  de  Cons- 
tantinople  et  rétablir  l'unité,  mais  ses  paroles  passèrent  ina- 
perçues. En  revanche,  les  présents  du  pape  à  Photius,  à  savoir  : 
une  étole,  un  omophorium,  un  sticharion,  un  phelonion  (chasuble) 
et  des  sandales  furent  l'objet  d'une  vive  attention.  L'évêque 
Eugène  d'Ostie,  légat  du  pape,  insista  sur  ce  que  «  l'âme  du  pape  [469] 
était  si  intimement  unie  à  celle  de  Photius,  qu'elles  ne  formaient 
pour  ainsi  dire  qu'une  seule  âme,  et  de  même  que  le  pape  dési- 
rait d'être  uni  avec  Dieu,  de  même  il  désirait  dêtre  uni  avec 
Photius  »  (si  le  légat  a  parlé  ainsi,  il  a  blasphémé).  On  remit 
à  un  autre  jour  la  lecture  des  lettres  du  pape;  le  cardinal  Pierre 
insista  pour  que  cette  lecture  eût  lieu  le  lendemain,  mais  Photius, 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  384.  (H.  L.) 


498.     CONCILIABULE     DE    PHOTIUS  591 

avec  sa  présence  d'esprit  ordinaire,  écarta  cette  demande,  sous  pré- 
texte» que  les  légats  avaient  besoin  d'un  plus  long  délai  pour  se 
remettre  des  fatigues  du  voyage.»  Probablement  que  sa  traduc- 
tion n'était  pas  prête.  Le  cardinal  Pierre  fit  aux  dissidents  une 
exhortation  assez  prolixe,  déclarant  à  ceux  qui  se  trouveraient 
dans  l'assemblée,  qu'ils  devaient  revenir  à  l'unité.  Pendant  ce 
temps,  Elie  de  Jérusalem  les  menaçait  du  feu  de  l'enfer.  La  session 
se  termina  par  les  acclamations  habituelles,  adressées  à  l'empereur, 
à  sa  femme,  à  ses  fils  et  aux  patriarches  Jean  (le  pape)  et  Photius  1. 
Photius  ouvrit  la  seconde  session  (17  novembre),  par  des  excla- 
mations pieuses.  Le  cardinal  Pierre  s'adressa  ensuite  au  concile, 
par  l'intermédiaire  du  protospathaire  Léon  qui  lui  servait  d'inter- 
prète :«  L'empereur,  dit-il,  et  les  patriarches  d'Antioche,  d'Alexan- 
drie et  de  Jérusalem,  ont  sollicité  du  pape  la  confirmation  de  la 
paix  de  l'Eglise  rétablie  à  Constantinople;  en  conséquence  le  pape 
les  a  envoyés  porteurs  de  lettres  dont  il  demande  la  lecture.  » 
Le  concile  y  consentit  et  le  protospathaire  lut  d'abord  la  traduc- 
tion faite  par  Photius  de  la  lettre  du  pape  à  l'empereur  et  à  ses 
fils,  traduction  qui,  on  se  le  rappelle,  différait  du  texte  latin 
original,  volontairement  falsifié.  Même  sous  cette  forme  adoucie, 
la  lettre  du  pape  parut  trop  romaine  aux  amis  de  Photius  ;  et 
Procope,  archevêque  de  Cappadoce,  dit,  aussitôt  la  lecture  termi- 
née :  «On  l'a  dit  et  répété:  dès  avant  votre  arrivée,  par  consé- 
quent avant  toute  exhortation  du  pape,  nous  avons  reconnu 
Photius  (et  rétabli  la  paix  de  l'Eglise).  Le  pape  Jean  a  sagement 
agi  en  se  conformant  à  la  volonté  de  l'empereur,  et  en  vous  en- 
voyant, vous  qui  êtes  en  tout  d'accord  avec  lui.»  Après  quelques 
[470]  paroles  insignifiantes  d'EIie  de  Jérusalem  et  du  cardinal  Pierre, 
Procope  engagea  les  légats  à  exhorter  ceux  qui  s'obstinaient  à 
ne  pas  reconnaître  Photius,  à  se  rallier  à  lui.  Le  seul  obstacle  qui 
les  arrêtait  était  une  signature  malencontreuse  ;  quelques  mem- 
bres de  l'assemblée  s'étaient  séparés  momentanément  de  Photius 
à  cause  de  cette  signature  (des  décrets  du  VIIIe  concile  œcumé- 
nique). Le  pape  Jean  avait  déjà  déclaré  par  écrit  que  la  signature 
de  ces  actes  n'obligeait  plus,  mais  il  importait  aux  partisans  de 
Photius  d'arracher  aux  légats  des  déclarations  portant  atteinte 
à  l'autorité  du  VIIIe  concile  œcuménique.  Le  cardinal  Pierre  pro- 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,   col.  374-394  ;   Hardouin,  op.  cit.,   t.   vi,  part.  1, 
col.  214-230;  Hergenrother,  op.  cit.,  t.  n,  p.  363-471. 


5!)2  LIVRE     XXV 

mit  d'exhorter  les  dissidents,  et,  au  besoin,  de  les  punir. 
Toutefois,  il  ne  dit  rien  du  VIIIe  concile  œcuménique  et  de  la 
signature  des  actes  de  ce  concile:  il  se  contenta  de  demander 
au  concile  s'il  approuvait  la  lettre  du  pape  à  l'empereur.  On  répon- 
dit :  «  Nous  acceptons  ce  qui  a  trait  aux  sentiments  bienveillants 
à  l'adresse  de  l'Eglise  de  Constantinople  et  de  Photius  et  à  sa 
réintégration.  Quant  à  la  partie  concernant  l'empereur  et  sa  con- 
duite, nous  lui  en  laissons  l'appréciation.» 

Le  diacre  et  protonotaire  Pierre  lut  ensuite  la  lettre  du  pape  à 
Photius,  naturellement  dans  la  traduction  grecque  falsifiée  par 
Photius.  Sur  la  demande  du  cardinal  Pierre,  Photius  se  déclara 
prêt  à  en  accepter  le  contenu  et  à  donner  satisfaction.  Quant 
aux  adversaires  auxquels  on  l'engageait  à  pardonner,  après  leur 
avoir  rendu  leurs  charges,  il  faisait  remarquer  que  deux  d'entre 
eux  avaient  été  exilés  par  l'empereur,  non  pour  des  affaires 
ecclésiastiques,  mais  pour  avoir  participé  à  des  troubles  et 
injurié  le  pape  Jean.  Il  consentait  du  reste  à  intercéder  pour 
eux  auprès  de  l'empereur.  Le  cardinal  Pierre  l'ayant  interrogé 
sur  ses  dispositions  touchant  la  Bulgarie,  il  se  déclara  sur  ce 
point  prêt  à  céder  ainsi  qu'il  l'avait  écrit  au  pape  Nicolas  1,  ajou- 
tant qu'aujourd'hui  comme  alors  cette  affaire  dépendait  moins 
de  lui  que  de  l'empereur.  Ses  amis,  Procope  de  Césarée  (en  Cappa- 
doce)  et  Grégoire  d'Ephèse,  mirent  fin  à  la  discussion  par  cette 
remarque  ironique  :  «  La  délimitation  des  diocèses  ne  relève 
pas  de  ce  concile  ;  si,  comme  on  doit,  l'espérer,  l'empereur 
soumet  toutes  les  provinces  de  l'Orient  et  de  l'Occident,  il  sera 
temps  alors  de  faire  une  nouvelle  division  des  patriarcats  et  de 
convoquer  un  concile  spécial  dans  ce  but.  »  Le  cardinal  Pierre 
n'insista  pas,  et,  conformément  à  ses  instructions,  demanda  com- 
ment s'était  passée  la  réintégration  de  Photius,  à  laquelle  on  avait 
eu  le  tort  de  procéder  avant  l'arrivée  des  légats.  Elie  de  Jérusalem 
«lit  que  Rome  n'avait  rien  à  voir  à  cela  ;  mais  les  légats  réitérant  [471] 
leur  question,  on  leur  répondit  :  «  Photius  est  remonté  sur 
le  siège  patriarcal  de  l'assentiment  des  trois  patriarches  orien- 
taux, sur  les  instances  d'un  très  grand  nombre,  ou,  pour  mieux 
•  lire,  par  l'effet  de  la  violence  de  l'empereur,  et  surtout  pour 
obéir  au  désir  unanime  de  l'Église  de  Constantinople.  »  On  pro- 


1.  Voir   §  464. 


498.     CONCILIÂBl    LE     DE     l'iioilis  593 

teslu  que  la  force  n'y  avait  eu  aucune  part,  e.t  le  cardinal  Pierre 
crut  devoir  remercier  Dieu  de  ce  qui  s'était  passé.  Photius,  pre- 
nant la  parole,  assura  n'avoir  jamais  ambitionné  le  siège  patriar- 
cal; la  première  fois  l'empereur  Michel,  (Bardas)  son  second  et  les 
évêques  l'avaient  forcé  à  accepter  cette  charge.  Malgré  sa  résis- 
tance, on  l'avait  maîtrisé,  et  c'est  en  dépit  de  ses  larmes  et  de  sa 
volonté  qu'il  était  monté  sur  le  siège  de  Constantinople.  Tout 
le  concile  s'écria  que  telle  était  bien  l'exacte  vérité.  Photius 
ajouta  :  «  Après  ma  chute,  Dieu  sait  par  quel  jugement,  je  n'ai 
causé  aucun  trouble,  je  n'ai  pas  cherché  à  recouvrer  ma  charge, 
j'ai  pris  mon  sort  en  patience  et  je  n'ai  pas  importuné  les  oreilles 
de  l'empereur  (  !).  Je  n'avais  du  reste  aucun  espoir  de  réintégra- 
tion. Mais  Dieu  a  tourné  le  cœur  de  l'empereur  à  la  miséricorde, 
moins  à  mon  égard  qu'à  l'égard  du  troupeau  du  Christ;  j'ai  donc 
été  rappelé  d'exil  et  traité  avec  bienveillance.  Tant  que  le  bien- 
heureux Ignace  a  vécu,  je  l'appelle  bienheureux  parce  que  déjà 
je  lui  étais  dévoué,  je  n'ai  pas  voulu  remonter  sur  le  siège  patriar- 
cal, malgré  les  exhortations  et  les  instances  d'un  grand  nombre. 
La  situation  de  mes  partisans,  traqués  et  dépouillés  de  leurs  char- 
ges, semblait  cependant  me  faire  une  obligation  de  chercher  à  ren- 
verser Ignace.  Néanmoins  j'ai  voulu  vivre  en  paix  avec  lui,  ce 
qui  a  eu  lieu,  car  Ignace  est  venu  me  visiter  au  palais.  Nous 
nous  sommes  jetés  aux  pieds  l'un  de  l'autre  et  demandé 
pardon,  dans  le  cas  où  l'un  des  deux  aurait  nui  à  l'autre.  Peu 
après,  il  tomba  malade,  je  le  visitai  plusieurs  fois  selon  son  désir, 
je  le  consolai  et  le  soutins  autant  qu'il  était  en  moi,  et  je  gagnai  si 
bien  ses  bonnes  grâces  qu'il  me  recommanda  de  prendre  soin 
de  ses  familiers  après  sa  mort.  Je  me  suis  conformé  à  son  désir. 
Aussitôt  après  la  mort  d'Ignace,  l'empereur  m'a  demandé  de 
[472]  reprendre  ma  charge  de  patriarche.  Les  députés  impériaux  sont 
venus  me  trouver  deux  fois  dans  ce  but,  je  ne  leur  ai  rien  promis, 
j'ai  borné  mes  demandes  à  ce  que  mes  partisans  fussent  rappelés 
d'exil.  L'empereur  vint  me  trouver,  et,  après  beaucoup  d'insis- 
tance, a  triomphé  de  mes  refus.  Ce  n'est  pas  le  moment  de 
développer  les  motifs  qu'il  a  fait  valoir.  Comme  tous  demandaient 
mon  élévation,  que  les  trois  patriarches  orientaux  m'invitaient 
à  remonter  sur  le  siège  de  Constantinople,  que  le  pape  dans  sa 
lettre  à  l'empereur  promettait  de  faire  ce  qu'on  lui  demandait,  j'ai 
cessé  toute  résistance  et  j'ai  repris  ma  charge.  »  Le  concile  approu- 
va Photius,  et  le  cardinal  légat  Pierre  déclara,  à  plusieurs  reprises, 

CONCILES    _   i  v  38 


594 


LIVRE     XXV 


que  le  pape  Jean  réintégrait  Photius  et  le  reconnaissait  pour  son 
hère.  Photius  et  tout  le  concile  acceptèrent  avec  joie  ces  déclara- 
tions ,  et  toute  l'assemblée  fit  entendre  des  acclamations  en  l'hon- 
neur de  Photius. 

A  la  demande  des  légats,  on  lut  les  deux  lettres  de  Michel, 
patriarche  d'Alexandrie,  apportées  par  son  député  Cosmas.  La 
première,  adressée  à  l'empereur,  exalte  avec  grande  éloquence  les 
services  par  lui  rendus  à  l'Etat  et  à  l'Eglise,  et  en  particulier 
l'union  procurée  à  cette  dernière.  L'empereur  a  fait  connaître 
aux  patriarches  celle  joyeuse  nouvelle,  par  l'excellent  prêtre  et 
moine  Cosmas.  l'un  des  successeurs  de  saint  Marc  (on  voit  par  là 
(|ii  il  était  d'Alexandrie  cl  si;  trouvait  à  Constantinople)  ;  lui 
eût-on  envoyé  dix  métropolitains,  ils  n'auraient  pas  fait  naître 
dans  son  âme  .un  plus  grand  amour  pour  Photius,  le  patriarche 
œcuménique,  que  ne  l'avail  fait  Cosmas.  Il  aurait  voulu  garder 
près  de  lui  ce  dernier  qui  s'y  est  refusé.  Cosmas  aime  passion- 
nément la  vérité,  il  ne  ressemble  pas  à  ce  maudit  Joseph  qui 
(lois  du  VIIIe  concile  œcuménique)  s'était  faussement  donné 
pour  un  député  de  l'ancien  patriarche,  et  avait  été  déposé  pour 
ce  motif.  On  avait  agi  de  même  au  sujet  de  cet  impie 
Elie,  qui  s'était  aussi  donné  pour  le  représentant  de  Serge,  patriar- 
che de  Jérusalem.  Il  a  appris  de  Cosmas  que  Photius,  cette 
grande  lumière,  avait  été  réintégré  par  l'empereur,  sur  le  siège 
de  Constantinople  ;  il -le  reconnaît  pour  son  collègue  dansl'épis- 
copat,  comme  il  avait  reconnu  son  prédécesseur  Ignace,  et 
déclare  que  quiconque  ne  le  reconnaît  pas  pour  patriarche, 
doit  partager  le  sort  des  déicides.  La  fin  de  la  lettre  trahit  le 
secret  du  patriarche  d'Alexandrie  et  laisse  voir  la  raison  d'être 
de  sa  missive  et  de  ses  compliments  à  l'empereur  :  «  Que  l'em- 
pereur, dit-il,  ait  la  bonté  d'envoyer,  comme  l'a  fait  son  prédé- 
cesseur, de  l'argent  à  Alexandrie  par  l'intermédiaire  de  Cosmas, 
car  personne  n'est  plus  sûr  que  lui.  » 

Dans  la  seconde  lettre,  adressée  à  Photius,  le  patriarche  Michel 
exprime  la  joie  éprouvée  à  la  nouvelle  de  sa  réintégration  ; 
il  voit  dans  cet  événement  une  preuve  de  la  sollicitude  de  Dieu 
pour  son  Eglise,  et  revient  à  plusieurs  reprises  sur  les  excellentes  [473] 
qualités  de  Photius,  cette  lumière.  Il  proteste,  une  fois  de  plus, 
que  son  prédécesseur  avait  reconnu  Photius,  et  rapporte  que 
le  concile  réuni  par  lui  avait  fait  à  tous  un  devoir,  sous  peine 
d'anathème,     de  communiquer  avec    Photius    à    qui    il    souhaite 


498.     CONCILIABULE     DE    PHOTIUS  595 

1outc  sorte  de  prospérités.  Michel  remarque  ensuite  qu'Elie  et 
Joseph,  qui  s'étaient  mal  conduits  à  l'égard  de  Photius,  sont  morts 
en  punition  de  leur  faute;  que  Thomas  de  Béryte,  évêque  de  Tyr  l, 
a  reconnu  ses  torts,  demande  pardon  et  envoie  à  Photius  le  présent 
libellus  p.senitentise  ?.  En  terminant,  il  remercie  Photius  des  pré- 
sents envoyés  par  l'entremise  de  Cosmas,  et  sollicite  de  nou- 
velles aumônes. 

A  la  demande  du  concile,  un  lut  le  Libellus  pn-jiilenliœ  de  Tho- 
mas de  Tyr,  que  Photius  se  hâta  de  proclamer  un  véritable  vase 
idu  Saint-Esprit  ;  Thomas  rejetait  sur  Élie  et  sur  Joseph  la  faute 
de  tout  ce  qui  s'étail  passé.  Le  concile  sollicita  le  pardon  de 
Thomas,  mais  les  légats  du  pape  déclarèrent  sa  faute  trop  grande 
devanl  Dieu,  et  réservèrent  cette  grâce  au  pape  seul.  Le  concile 
protesta  disant  que  si  Thomas  s'était  mal  conduit  à  l'égard  de 
Photius,  c'était  à  celui-ci  de  lui  faire  grâce,  et  Photius  lui  par- 
donna sur-le-champ,  ajoutant  (pie  si  le  pape  vendait  adhérer  à 
cette  absolution,  tout  n'en  serait  que  mieux.  Les  légats  acceptè- 
rent cette  solution. 

Photiua  ajouta  que  Théodose  de  Jérusalem  avait  écrit  par  l'in- 
termédiaire du  moine  André  et  de  son  frère  le  prêtre  Elie;  sa  lettre 
:iv;iil  clé  lue  dans  une  réunion  antérieure  (de  Photius  et  de  ses 
évèques),  en  présence  de  la  majorité  des  membres  du  concile, 
mais  il  en  demandait  l'insertion  dans  les  actes  de  la  présente  as- 
semblée. Le  chartophylax  Photinus  lut  alors  la  lettre,  longue 
lamentation  sur  la  triste  situation  du  patriarche  de  Jérusalem 
sous  la  domination  des  infidèles;  Théodose  demandait  du  secours 
et  concluait  :  «  Que  celui  qui  ne  te  reconnaît  pas,  Photius,  comme 
patriarche  de  la  résidence  impériale,  soit  anathème  et  déposé. 
Telle  est  la  décision  prise  par  notre  concile.  »  On  voit  par  ce 
[474]  même  document  qu'Elie,  vicaire  de  Jérusalem  et  stylite,  se  trou- 
vait depuis  longtemps  à  Constantinople,  auprès  de  Photius,  et 
que  son  frère  André  lui  avait  apporté  récemment  cette  missive  de 
Théodose. 

Aussitôt  après,  le  même  chartophylax  lut  la  courte  lettre  du 
patriarche  d'Antioche.  L'Alexandrin  Cosmas  avait  aussi  annoncé 
la   réintégration    de    Photius    à   ce  patriarche  qui  s'en  réjouissait 


1.  Voir  §  488. 

2.  Assemani  suppose  que  cette  dernière  phrase  est  une  addition  de  Photius. 
Bibliolh.  juris  Orient.,  t.  i,  col.  172. 


596  LIVRE     XXV 

intercédait  également  pour  Thomas  de  Tyr  et  déplorait  sa  propre 
conduite  (au  VIIIe  concile  œcuménique).  Cette  lettre  se  terminait 
par  la  phrase  obligée  :  «  Que  celui  qui  ne  te  reconnaît  pas  comme 
patriarche  soit  maudit  par  le  Père,  le   Fils  et  le  Saint-Esprit.  » 

Cosmas  avait  poursuivi  son  voyage  en  faveur  de  Photius  jusque 
dans  la  Mésopotamie  et  l'Arménie,  et  visité  le  métropolitain 
Abraham  d'Amida  et  de  Samosate.  Il  lui  montra  les  lettres  des 
patriarches  d'Antioche  et  d'Alexandrie,  de  sorte  qu'Abraham 
envoya  à  Photius  une  lettre  de  félicitations  et  de  reconnaissance 
dont  la  lecture  clôtura  la  deuxième  session  1. 

Dans  la  troisième  session  (19  novembre),  on  lut,  à  la  demande 
du  cardinal  Pierre,  la  lettre  du  pape  aux  évêques  du  patriarcat 
de  Constantinople  et  aux  trois  patriarches  orientaux,  naturelle- 
ment dans  la  traduction  infidèle  de  Photius.  On  demanda  ensuite 
au  concile  s'il  acceptait  cette  lettre.  La  réponse  de  l'assem- 
blée fut,  comme  la  première  fois,  une  protestation  évidente  con- 
tre la  primauté  romaine  ;  on  refusait  au  pape  le  droit  de  porter 
une  décision  dans  cette  affaire,  ne  lui  accordant  que  d'apporter 
à  l'œuvre  commune  une  coopération  dont  on  pouvait  se  passer 
mais  qu'on  tolérait  cependant  avec  plaisir.  Sans  plus  insister,  le 
cardinal  Pierre  demanda  au  concile  s'il  était  disposé  à  faire  tout 
ce  que  prescrivait  la  lettre  du  pape.  Le  concile  répondit  «  qu'il 
était  prêt  à  faire  tout  ce  qui  intéressait  l'honneur  de  l'Eglise, 
mais  il  laissait  à  la  sagesse  de  l'empereur  le  soin  de  décider  sur 
ce  qui  le   concernait  personnellement.  » 

Procope  de  Césarée  et  Zacharie  de  Chalcédoine  s'appliquèrent 
alors  à  démontrer  qu'il  n'existait  aucune  interdiction  absolue 
d'élever  un  laïque  à  l'épiscopat  ;  qu'on  avait  vu  plusieurs  pro- 
motions de  ce  genre,  même  dans  l'Eglise  romaine,  que  d'ailleurs 
la  coutume  pouvait  faire  tomber  peu  à  peu  un  canon  en  désuétude. 
«  Les  anciens  canons  défendaient  simplement  d'élever  à  cette 
dignité  des  personnes  entraînées  dans  ïe  tourbillon  du  monde  ;  or,  [475] 
Photius  avait  toujours  vécu  pour  la  science  et  la  vertu  ;  aussi, 
lors  de  l'élection,  l'avait-on  préféré  à  tous  les  clercs  et  moines  ses 
concurrents;  il  avait  éclairé  le  monde  par  ses  écrits  et  gagné  des 
multitudes  à  la  foi  en  Arménie  et  en  Mésopotamie,  et  même 
des  peuples  entiers  (Bulgares  et  Russes).  » 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  394-450  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col. 
230-278;  Hergenrother,  op.  cit.,  t.  n,  p.  471-483. 


498.     CONCILIABULE     DE     PHOTIUS  597 

Le  cardinal  Pierre  ajouta    d'insignifiantes    actions    de    grâces, 
et,  sur  son  désir,  on  lut  une  lettre  adressée  à  l'empereur  par  le 
patriarche  de  Jérusalem,  lettre  arrivée  depuis  peu  et  lue  dans  une 
réunion  des  partisans  de  Photius.  Le  patriarche  Théodose  y  féli- 
citait d'abord  l'empereur  de  sa  victoire,   lui   souhaitant  de   s'em- 
parer aussi  de  la  Palestine  et  de  délivrer  les  chrétiens  de  ce  pays 
de  la  tyrannie  des  infidèles.     Il    lui    demandait    instamment  des 
secours  en  argent,  surtout  pour  l'église  de    la    Résurrection    qui 
tombait  en  ruines.    D'accord  avec  son  concile,  il  avait  menacé 
de  l'anathème   et   de   la   déposition   quiconque    ne    reconnaîtrait 
pas  Photius.  Sur  une  autre  question  du  légat    Pierre,  Elie   ajouta 
que  le  concile  en  question  s'était  tenu  à  Jérusalem  pendant  son 
séjour  dans  cette  ville,  et  que  le  patriarche  avait  tout  dernière- 
ment envoyé  cette  lettre  par  André.   Le  cardinal  justifia  ses  ques- 
tions aux  députés  de  l'Orient  par    son  désir  de  prouver  la   réa- 
lité de  leur  mission,  car  on  prétendait   généralement  que  les  an- 
ciens vicaires   orientaux  n'avaient  été  que    les  mandataires    des 
Sarrasins  (pour    la  délivrance   de    leurs    compatriotes  prisonniers 
de    guerre).    Les   deux  autres  légats  du   pape  manifestèrent  leur 
ferme  conviction,  que   ces  vicaires   étaient   véritables   députés   de 
l'Orient,   tandis    que    les    premiers    n'étaient     que    des    fourbes. 
Photius    profita    de    l'occasion    pour    accuser   le    VIIIe     concile 
œcuménique  de  cruauté  envers  lui  et  ses  amis.   Elie  et  les  légats 
romains  protestèrent  que,  s'ils   s'étaient  rangés  au  parti  de  Pho- 
tius, ce  n'était  pas  pour  s'être    laissé    gagner   par   des    présents, 
mais  uniquement  en  considération  de  ses  vertus.    Photius    voulut 
aussitôt  se  dérober  à    toute    louange,   et  le    légat    crut    pouvoir 
[476]  lui  appliquer  les   paroles   du  Christ  :    Non  qusero  gloriam  meam  1. 
Photius  fit  lire  ensuite  sa    traduction  grecque  du  commonitorium 
remis  aux  légats;  il  n'est  pas  surprenant  que  le  document    falsifié 
ait  reçu  l'approbation  des  partisans  de  Photius  2. 


1.  Joh.,    vin,    50. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  /i50-474  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  l,coI. 
278-299.  Hergenrôther,  op.  cit..  p.  483-492.  En  entendant  lire  le  n.  10  du  com- 
monitorium, Élie,  métropolitain  de  Martyropolis,  se  serait  écrié  au  rapport  du 
procès-verbal  :  «  Comment  peut-on  appeler  concile  une  pareille  assemblée 
(c'est-à-dire  le  VIIIe  concile  œcuménique)  ?  »  Il  y  a  là  évidemment  une  in- 
terpolation dans  le  procès-verbal,  car  le  métropolitain  de  Martyropolis  n'as- 
sista qu'à  la  ive  session  ;  de  plus  il  ne  s'appelait  pas  Elie,  mais  Basile. 


598  LIVRE     XXV 

La  quatrième  session  se  tint  la  veille  de  Noël,  dans  le  grand 
secretarium  ;  Basile,  métropolitain  de  Martyropolis,  y  prit 
part,  comme  député  d'Antioche  et  aussi  de  Jérusalem.  Il  assura 
que  son  patriarche,  Théodose,  avait,  dès  le  début  de  son  ponti- 
ficat, reconnu  Photius,  et  qu'Élie,  le  nouveau  patriarche  de 
Jérusalem,  n'avait  jamais  approuvé  ce  qui  s'était  fait  contre 
Photius.  Les  deux  lettres  des  patriarches,  d'Antioche  et  de  Jéru- 
salem, apportées  par  Basile  étaient  adressées  à  Photius  ;  dans 
la  première,  le  patriarche  d'Antioche  le  félicite  de  sa  réinté- 
gration, le  salue  comme  un  frère  et  un  père,  et  déplore  que  son 
ancien  ambassadeur  Thomas  se  soit  laissé  corrompre  par  le 
sacrilège  Élie  ;  il  n'a  pu  se  rendre  à  la  demande  de  l'empereur 
et  de  Photius  et  venir  en  personne  à  Constantinople,  parce  que 
ce  voyage  lui  aurait  attiré  les  soupçons  des  Sarrasins,  mais  il  a 
envoyé  à  sa  place,  avec  les  pouvoirs  les  plus  étendus,  le  métro- 
politain de  Martyropolis.  Enfin  il  demande  que  l'on  mène  à 
bonne  fin  l'affaire  des  Sarrasins  prisonniers  de  guerre,  parce  qu'il 
en  résultera  un  grand  bien  pour  les  chrétiens  d'Orient. 

Le  cardinal  Pierre  se  réjouit  de  ce  que  les  sièges  orientaux 
avaient  fait  leur  devoir  et  suivi  l'Église  de  Rome  ;  mais,  sans 
faire  plus  attention  à  cette  revendication  en  faveur  du  Siège  de 
Rome,  on  passa  à  la  lecture  de  la  lettre  par  laquelle  le  nouveau 
patriarche  de  Jérusalem,  confirmant  les  instructions  de  son  pré- 
décesseur au  vicaire  Élie,  prononçait  l'excommunication  contre 
quiconque  se  séparait  de  Photius.  Il  remercie  d'un  envoi  de  se- 
cours pour  la  restauration  de  l'église  de  la  Résurrection  à  Jéru- 
salem, et  en  demande  la  continuation. 

Pour  réduire  un  peu  les  prétentions  du  patriarche  d'Orient, 
le  concile  répondit  que  Photius  aurait  été,  même  sans  lui,  reconnu 
patriarche  de  Constantinople  ;  Élie  parut  n'avoir  rien  entendu,  [477] 
et  calma  les  esprits  par  de  grands  éloges  de  Photius,  dont  les  ver- 
tus, dit-il,  étaient  si  connues  en  Orient,  que  les  Sarrasins  eux- 
mêmes  lui  avaient  écrit  pour  lui  demander  le  baptême,  etc. 
Les  légats  du  pape  revinrent  aux  louanges  de  Photius,  «  qui, 
semblable  au  soleil,  illuminait  le  monde  ;  »  sur  leur  demande, 
on  reçut  à  la  pénitence  deux  officiers  byzantins  qui  avaient 
refusé  jusqu'alors  de  reconnaître  Photius.  Ils  revinrent  ensuite 
sur  les  points  principaux  de  la  lettre  (falsifiée)  du  pape  à  l'em- 
pereur, demandant  si  le  concile  y  adhérait  ;  la  première  ques- 
tion qui  se  présenta   fut   celle   de  la   Bulgarie.  On   leur  répondit, 


498.     CONCILIABULE     DE     PHOTIUS  599 

comme  précédemment,  que  le  moment  n'était  pas  venu  de  mar- 
quer les  limites  des  diocèses  ;  le  concile   consentait   à   s'employer 
auprès  de  l'empereur  en  faveur  de  la  demande  du  pape,  et  Nicétas 
de  Smyrne  dit  avec  une  teinte  d'ironie  :    «  Si,  comme  on  l'a  dit, 
le  pape  et  Photius  s'aiment  au  point  de  ne  former  qu'une  âme, 
ils  peuvent  posséder  des   provinces   en   commun.  »   On  repoussa 
avec  plus  de  décision  les  seconde  et  troisième  demandes  du  pape, 
relativement  à  l'interdiction   portée   contre  les  laïques  d'être  élus 
au  patriarcat  de  Constantinople,  charge    réservée  à  un  cardinal- 
pi  rire   ou   à   un   cardinal-diacre   de   Constantinople;    on   répondit 
que   «   le    Christ    n'était    pas   seulement    venu    pour  les    clercs,  et 
que    les   sièges    orientaux   auraient   grandement  à   souffrir,    si   on 
ne  pouvait  les  conlier  parfois  à  des   laïques   intelligents.  »    En  re- 
vanche,  le  concile  accepta    sans    difficulté    le    quatrième    point. 
«  Les  conciles  tenus  à  Rome  et    à    Constantinople     contre  Pho- 
tius sont  annulés  et  ne   peuvent    être    comptés  au  nombre    des 
conciles.  »  On  accepta  de  même  le    n.  5,    menaçant  de  l'excom- 
munication tous  ceux  qui  ne  voulaient  pas  reconnaître   Photius; 
en  terminant,   les  légats   du  pape   proposèrent  une    preuve    d'u- 
nion  plus  manifeste  encore,  car   ils   demandèrent   que   tous   ceux 
qui  étaient  présents  reçussent  la    sainte    eucharistie   avec    Pho- 
tius 1. 

Au  commencement  de  la  ve  session  (2(3  janvier  880),  Photius 
dit  que  le  second  concile  célébré  à  Nicée  était  universellement 
reconnu  par  les  Grecs  comme  VIIe  concile  œcuménique,  tandis 
que  l'Église  romaine  et  les  patriarcats  orientaux,  tout  en  accep- 
tant ses  décisions,  hésitaient  à  le  compter  au  nombre  des  conciles 
[478]  généraux.  Maintenant  que  l'union  était  accomplie,  tous  devaient 
reconnaître  ce  caractère  et  cette  dignité  de  concile  œcuménique 
au  VIIe  concile.  Le  cardinal  Pierre  accepta  complètement  cette 
proposition,  et  menaça  d'anathème  quiconque  ne  reconnaîtrait 
pas  ce  concile  comme  VIIe  œcuménique.  Les  vicaires  orientaux 
se  prononcèrent  dans  le  même  sens.  Les  légats  du  pape  propo- 
sèrent ensuite  l'envoi  d'une  députation  à  Métrophanes,  arche- 
vêque de  Smyrne  et  fidèle  ami  d'Ignace,  pour  l'interroger  sur 
l'union.  On  lui  députa,  en  effet,  trois  archevêques,  qui  lui  de- 
mandèrent au  nom  du  légat    et    du  concile,    pourquoi    il   ne   se 


1.   Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  475-492   ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,    part.    1, 
col.  299-314  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  492-501. 


600 


LIVUE     XXV 


joignait  pas  à  ses   collègues.    Il  répondit  «   que  sans  la  maladie, 
il  se    rendrait   volontiers    au    concile     et     donnerait    des    explica- 
tions ;  il  sollicitait  un  délai  jusqu'à  ce  qu'il  eût  repris  des  forces.  » 
Pour  cette  réponse,  les  légats  du  pape  prononcèrent  son  exclu- 
sion de  l'Eglise,    jusqu'à    ce    qu'il    changeât   de    conduite.    Ils   ne 
s'étaient  pas  contentés  à  son  égard  d'un  oti  deux  avertissements, 
niais,  conformément  aux  instructions  du  pape,  les  avaient  renou- 
velés à  plusieurs  reprises.  Ces  admonestations  étant  demeurées  sans 
résultat,  ils  devaient  maintenant,  pour  obéir  aux  ordres  du  pape, 
agir  contre  lui.  En  même  temps  ils  demandèrent  au  concile  de  pro- 
mulguer, comme  premier  canon,  la  décision  suivante  :  «Tous    les 
clercs  et  laïques    italiens  déposés   ou   anathématisés   par  le   pape 
Jean  doivenl  être  tenus  pour  tels  par  Photius  ;  de  même  le  pape  et 
l'Eglise  romaine  reconnaîtront  toutes  les  peines  infligées  par  Pho- 
tius, sans  préjudice  des  privilèges  de  l'Eglise  romaine  et  de  son 
évêque.  »    Si    le    texte     du     procès-verbal    est    authentique,     les 
légats     auraient    ainsi    placé    i'évêque    de    Constantinople    sur    le 
même  rang  que  le  pape  ;  aussi  leur  proposition  fut-elle  admise 
à    l'instant.    Basile   de    Martyropolis    dit  :    «  Photius   peut   agir   à 
sa  guise  à  l'égard  de  ceux  qui  se  séparent  de  l'Eglise  (c'est-à-dire 
de  lui),  puisqu'il  y  est  pleinement  autorisé  par  les  sièges  orientaux 
et   —  on   vient  de  l'entendre  —    par  l'Eglise  romaine,  d'autant 
mieux  qu'étant  le  plus   grand   pontife    (àp^tspeùç    ^éyicToç),   il    a, 
de   par  Dieu,  la  priorité.  »     Les  légats  du  pape  ne  protestèrent 
|>;is  contre  cette  monstruosité  d'un  primat  byzantin  ;  ils  ne  surent 
que  louer  Dieu  en  présence  d'une  si  belle  union,  et,  au  nom  du 
pape,    donnèrenl    à    Photius   plein   pouvoir   de   gracier  ses   adver- 
saires à  leur  retour,  enfin  ils   décidèrent    l'envoi  à    Métrophanes 
d'une  nouvelle  députation  porteur  de  la  sentence    rendue   contre 
lui  par  le  concile.  Métrophanes   refusa    de    la   reconnaître,    disant 
que  la   maladie  l'avait  empêché   d'exposer    sa   défense  ;  mais  les 
légats    et   le    concile   tinrent    bon.    Photius    demanda   ensuite   s'il 
était  convenable    qu'un    évêque  moine    gardât   la   charge  d'arche- 
vêque. Les  légats  du  [tape  et    les    vicaires   orientaux   répondirent 
négativement,    parce   que  l'état  de    moine    est  un  état  de  péni-  [479] 
tenee.     Le    second     canon    du    conciliabule    proclama    donc    qu'à 
l'avenir  on    n'agirait    plus   de   cette   manière  1.   Aussitôt  après  on 


1.   Gratien   a,    par   erreur,    attribué   ce   canon    an    VIIIe   concile    œcuméni- 
que,   causa    VII,   q.  I,   can.  45. 


498.    CONCILIABULE     DE     PHOTIUS  601 

publia  Je   troisième   canon,   qui    anathématisait  tout  laïque   qui, 
avec  ou  sans  motif,  frappait  ou  emprisonnait  un  évèque. 

Photius  déclara  épuisés  tous  les  sujets  soumis  au  concile,  et 
les  légats  demandèrent  que  l'on  signât  les  décisions  prises  en  fa- 
veur de  Photius.  Le  légat  Paul,  évoque  d'Ancône,  signa  le  premier 
en  ces  termes  :  Je  reconnais  le  vénérable  Photius  comme  pa- 
triarche  légitime  e1  eanoniquement  élu,  et,  conformément  aux 
lettres  du  pape  et  au  commonitorium,  je  me  déclare  en  union 
avec  lui.  En  même  temps,  je  condamne  et  j'anathêmatise  le  concile 
tenu  contre  lui  à  Constantinople  (le  VIIIe  œcuménique),  ainsi 
que  tout  ce  qui  s'est  l'ait  contre  lui  à  l'époque  d'Hadrien.  Qui- 
conque se  sépare  de  lui  se  sépare  de  l'Eglise.  Je  reconnais  en  outre 
le  second  concile  de  Nicée  comme  le  VIIe  œcuménique.  »  Les 
deux  autres  légats  et  les  vicaires  orientaux  s'exprimèrent  de  même, 
et  après  eux  signèrent  tous  les  autres  évêques,  à  l'exception  de 
Photius  (parce  qu'il  s'agissait  de  lui).  La  session  se  termina  par 
des  acclamations  en  l'honneur  de  l'empereur,  de  sa  famille,  du 
pape  Jean  et  de  Photius  1. 

Le  conciliabule  était  clos,  à  proprement  parler  ;  mais  les  actes 
grecs  contiennent  encore  les  procès-verbaux  de  deux  autres  ses- 
sions, dont  l'authenticité  a  été  mise  en  doute  pour  divers  motifs  2. 
Un  Grec  anonyme  a  déjà  remarqué,  en  marge  du  manuscrit 
du  Vatican,  que  ces  sessions  ne  se  sont  jamais  tenues  et  avaient 
été  imaginées  par  Photius.  Il  avait  voulu,  ajoutait  cet  anonyme, 
proposer  au  concile  le  rejet  du  Filioque,  afin  de  donner  une  base 
dogmatique  au  conflit  (qui  allait  bientôt  éclater),  mais  il 
avait  craint  l'irritation  des  légats  romains,  et  des  dissentiments 
sur  d'autres  points.  Aussi  ne  dit-il  rien  de  cette  affaire  au  con- 
ciliabule, et  préféra-t-il  ajouter  aux  actes  de  l'assemblée  deux 
[480]  procès-verbaux  imaginés  par  lui.  En  même  temps,  pour  déga- 
ger sa  responsabilité  vis-à-vis  du  pape,  et  tout  rejeter  sur  l'em- 
pereur, il  présenta  l'affaire  comme  imposée  par  l'empereur  qui 
avait  ordonné  les  deux  sessions  et  la  déclaration  au  sujet  du 
Filioque. 

La   première    de  ces  deux    sessions,    la    vie   d'après   les  actes, 
se    tint,    au    rapport    du     procès-verbal,    le    10    ou    le    12    mars 


1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.   494-511   ;  Hardouin,  op.  cit..  t.  vi,   part.    1, 
col.  315-330;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  501-514. 

2.  Cf.  Assemani,  Biblioth.  iuris  Orient.,  t.  i,  col.  222,  22G. 


602  LIVRE     XXV 

880  1,  non  clans  l'église,  mais  au  palais  impérial,  dans  le  Chry- 
sotriclinium.  L'empereur  la  présida,  en  compagnie  de  ses  fils  2. 
Outre  Photius,  on  cite  parmi  les  assistants  les  légats  du  pape, 
les  vicaires  orientaux  et  clix-lmil  métropolitains.  L'empereur 
ouvrit  la  session  par  ce  discours  :  «  [1  était  peut-être  convenable 
pour  nous  d'assister  au  saint  concile  général,  nous  ne  l'avons  pas 
fait,  afin  d'enlever  aux  mauvaises  langues  occasion  d'injurier 
le  concile  et  de  dire  que  nous  avions  forcé  ses  membres  à  re- 
connaître Photius  ;  aujourd'hui  que  tout  est  terminé,  nous 
croyons  juste  de  confirmer  les  décrets  du  saint  concile  et  d'y 
souscrire.  On  doit  en  même  temps,  puisque  tous  sont  d'accord, 
indiquer  une  règle  de  foi.  Non  qu'on  en  fasse  une  nouvelle,  car 
nous  avons  simplement  en  vue  la  règle  de  foi  de  Nicée,  que  les 
autres  synodes  ont  développée.  »  Fort  de  l'approbation  générale 
qui  suivil  ce  discours,  Photius  fit  lire  cette  formule  :  «  Fidèles 
à  la  vénérable  et  céleste  doctrine  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
aux  saintes  ordonnances  des  apôtres,  avix  prescriptions  canoniques 
et  aux  décrets  des  sept  3  synodes  œcuméniques,  nous  rejetons 
ceux  qui  se  séparent  de  l'Eglise,  et  accueillons  ceux  qui  la  res- 
pectent ;  d'après  ces  maximes,  nous  reconnaissons  et  professons 
hautement  la  formule  de  foi  venue  de  nos  pères,  sans  retran- 
chement ni  addition  sans  changement  ni  altération  d'aucune 
sorte.  En  effet,  toute  addition  ou  tout  retranchement  suppose 
un  jugemeni  sur  des  matières  non  encore  jugées  4.  C'est  une  atten- 
tat contre  les  Pères  ;  enfin  toute  altération  est  la  plus  grave  des 
fautes.  Aussi  le  saint  concile,  attaché  à  l'ancien  symbole  et  fon-  [481] 
dant  sur  lui  l'œuvre  du  salut,  répète  à  tous  :  Je  crois  en  un  seul 
Dieu,  etc.,  (suit  le  symbole  de  Nicée  sans  le  Filioque).  Nous  pensons 
tous  ainsi.  Si  quelqu'un  rédige  une  autre  formule,  ou  s'il  ajoute 
à  ce  symbole  des  mots  nouveaux  et  le  propose  comme  règle  de  foi 


1.  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  517. 

2.  Constantin  était  mort  depuis  plusieurs  mois,  il  ne  restait  que  Léon, 
mais,  depuis  son  avènement,  Basile  avait  eu  un  fils  légitime  nommé  Alexan- 
dre, enfin  Etienne  né  en  870,  fait  clerc  et  devenu  patriarche  de  Constantino- 
ple  sous  le  règne  de  Léon  VI,  à  Noël  de  886.  (H.  L.) 

3.  La  traduction  latine  porte  à  tort  sex  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n.  n. 
518. 

4.  Cette  phrase  est  mal  rendue  dans  la  traduction  latine  ;  il  ne  doit  pas 
y  avoir  de  virgule  après  le  mot  -Kooibiaiz,  et  le  génitif  tn-.SsiMx;  etc.  ne  dépend 
pas  de  npô<jbî<jiz,  mais  bien  de  xaTivvwnv. 


498.     CONCILIABULE    DE    PHOTIUS  603 

aux  infidèles  ou  aux  nouveaux  convertis  (les  Wisigoths  d'Espa- 
gne par  exemple),  s'il  ose  ainsi  altérer  l'ancien  et  vénérable  sym- 
bole par  des  mots,  des  additions  ou  des  coupures  de  son  choix, 
(ju'il  soit  déposé  s'il  est  clerc,  excommunié  s'il  est  laïque.»  Tous 
adhérèrent  à  ces  paroles  1.  L'empereur  Basile  et  ses  fils  Léon. 
Alexandre  et  même  le  plus  jeune,  nommé  Etienne,  pour  lors  sous- 
diacre,  signèrent  les  décisions  du  conciliabule,  et  la  session  se 
termina  par  de  joyeuses  acclamations  en  l'honneur  de  l'em- 
pereur. En  particulier  «  comme  récompense  du  rétablissement  de 
l'union  dans  l'Eglise,  on  demandait  à  Dieu  pour  lui  la  soumission 
de  tous  les  peuples  barbares,  et  le  rétablissement  des  anciennes 
limites  de  l'empire  romain.  » 

Le  13  mars  880.  tous  les  évêques,  mais  cette  fois  sans  l'empe- 
reur, se  rendirent  de  nouveau  dans  les  catéchuménies  de  Sainte- 
Sophie  pour  la  vne  session,  et  la  lecture  du  procès-verbal  de  la 
vie  session,  en  présence  de  quelques  personnes  seulement.  On 
commença  par  confirmer  le  décret  de  foi,  et  on  prononça  les  plus 
terribles  anathèmes  contre  les  insensés  qui  oseraient  faire  au 
symbole  quelque  addition  ou  retranchement.  On  lut  la  formule 
dont  l'empereur  s'était  servi  en  signant,  et  elle  fut  acceptée  avec 
joie.  Les  légats  du  pape  crurent  devoir  encore  une  fois  louer  Pho- 
tius,  célébrer  sa  sagesse,  son  esprit  de  conciliation,  son  humilité: 
d'où  Procope  de  Césarée  prit  occasion  de  répéter  que  l'évêque 
de  Constantinople  était  primat  de  l'Eglise  :  «  Quel  que  soit  le 
portrait  que  vous  fassiez  de  Photius.  dit-il.  il  faut  qu'en  réalité 
celui-là  possède  de  grandes  qualités,  qui  a  une  priorité  spirituelle 
sur  tout  le  monde.  »  Les  légats  répondirent  :  «  Tu  dis  vrai  : 
nous  aussi  qui  demeurons  à  l'extrémité  du  monde,  nous  avons 
entendu  de  pareilles  choses  (l'éloge  de  Photius)...  Que  celui  qui 
n'est  pas  en  communion  avec  lui  ait  le  même  sort  que  Judas.  Lon- 
gues années  à  l'empereur  2  !  » 
[482]       Ainsi  se  terminent  les  actes  de  Photius  sanctionnant  deux  énor- 

1.  Le  procès-verbal  ne  fait  ici  aucune  mention  des  légats  du  pape  ;  mais 
on  voit  par  la  Mystagogia  de  Photius,  p.  127,  éd.  Hergenrôther,  qu'ils  ont  éga- 
lement signé   cette   formule. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  519  sq. ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col. 
337  sq.  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  514-524.  Il  réfute,  p.  528  sq.,  l'opinion 
émise  par  certains  que  ce  conciliabule  n'a  pas  été  réellement  tenu,  mais  que 
les  actes  en  ont  été  purement  et  simplement  fabriqués. 


604 


LIVRE    XXV 


mités  :  le  rejet  du  Filioque  et  la  déclaration  de  la  primauté  by- 
zantine. 

De  la  môme  fabrique  de  documents  apocryphes  sort  une  pré- 
tendue lettre  du  pape  Jean  à  Photius,  placée  à  la  suite  des  actes 
du  conciliabule,  dans  laquelle  le  pape  se  plaint  de  la  fâcheuse  opi- 
nion que  Photius  a  de  lui  et  lui  demande  de  ne  pas  ajouter  foi  aux 
calomnies.  «  In  député  de  Photius,  venu  à  Rome  peu  auparavant, 
pour  connaître  l'opinion  du  pape  au  sujet  du  Filioque,  a  constaté 
qu'il  n'avait  fait  en  réalité  aucune  addition  au  symbole.  Le  pape 
assure  formellement  que  les  choses  sont  bien  ainsi  ;  il  repousse 
ceux  qui  ont  osé  faire  pareille  addition  et  les  voue  au  sort  de 
Judas.  Photius  peut  comprendre,  cependant,  quelles  difficultés 
rencontrait  le  pape  pour  obtenir  des  évêques  l'abandon  d'une 
addition  qu'ils  avaient  acceptée.  Le  mieux  est  donc  de  procéder 
avec  beaucoup  de  prudence,  et  d'éviter  tout  ce  qui  ressemblerait 
à  l'emploi  de  la'force  1.  » 

Je  ne  saurais  admettre  que  Jean  VIII  ait  pu  écrire  pareille 
lettre.  S'il  l'a  fait,  avouons  que  jamais  pape  n'a  oublié  plus  que 
lui  ses  devoirs.  On  n'y  trouve  plus  trace  de  la  primauté  ro- 
maine ;  la  supériorité  de  Photius  est  explicitement  reconnue  et 
le  pape  y  déplore,  presque  avec  larmes,  l'opinion  désavanta- 
geuse que  le  patriarche  de  Constantinople  a  de  lui.  Déjà  le  con- 
tenu de  cette  lettre  conclut  contre  son  authenticité  ;  de  plus, 
dans  sa  lettre  à  l'archevêque  d'Aquilée,  rédigée  après  la  mort 
du  pape  Jean  2,  Photius  ne  mentionne  pas  cette  lettre  du  pape 
dont  le  contenu  eût  été  pour  lui  de  la  plus  haute  importance. 
Il  y  avance  que  les  légats  du  pape  avaient  signé  à  Constantinople 
le  symbole  sans  le  Filioque  ;  or,  il  n'eût  pas  omis  de  tirer  avan- 
tage des  assertions  positives  contre  le  Filioque,  données  par  le 
pape  clans  cette  lettre,  s'il  l'avait  réellement  reçue.  Une  troi-  [483] 
sième  présomption  contre  l'authenticité  de  cette  pièce  se  tire 
du  principal   écrit    de   Photius  3,    insistant  avec  emphase   sur   ce 

i 

1.  Mansi,  op.  cit..,  t.  xvn,  col.  523  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col. 
342  ;  Baronius,  Annales,  ad  ami.  879,  n.  54. 

2.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  883,  n.  5.  Cette  lettre  a  été  éditée  en  grec 
dans  VAucluar.  noviss.  de  Combefis  et  par  Jager,  op.  cit.,  p.  452.  [P.  L.,  t.  en, 
col.  794-822,  écrite  sous  Marin  Ier  (882-884)  d'après  Lapôtre.  op.  cit., 
p.   9.   n.  1.   (H.    L.)] 

3.  Photius,  Spiritus  Sancti  mystagogia,  c.  lxxxix,  P.  G.,  t.  en,  col.  377 
sq.  (H.  L.) 


498.     CONCILIABULE     DE     PHOTIUS  G05 

que  son  cher  Jean  a  souscrit  le  symbole  sans  le  Filioque,  dans 
ht  personne  de  ses  légats  (par  conséquent,  non  par  lui-même  et 
par  une  lettre  particulière)  1. 

A  leur  retour  de  Constantinople,  les  légats  emportèrent  des 
Lettres  (maintenant  perdues)  de  Photius  et  de  l'empereur;  mais 
on  a  peine  à  comprendre  qu'ils  aient  emporté  également  un  exem- 
plaire complet  des  actes  du  conciliabule,  car  ces  documents  au- 
raient témoigné  contre  eux2.  Ils  ne  purent  cependant,  clans  leur 
rapport  verbal,  dissimuler  tout  ce  qui  était  à  leur  charge  et  à  celle 
de  Photius.  C'est  ce  qu'on  peut  conclure  d'abord  du  méconten- 
tement du  pape,  ensuite  de  sa  réponse  à  l'empereur  e1  à  Pho- 
lius3.  Dans  sa  lettre  à  l'empereur  datée  du  13  août  880.  le  pape 
.Ican  loue  sa  sollicitude  pour  le  rétablissement  de  l'unité  ecclésiasti- 
que, et  ses  bonnes  intentions  à  l'égard  de  Rome,  prouvées  par 
ses  paroles  et  par  ses  œuvres.  Il  avait  envoyé  au  pape  plusieurs 
dromons  qui  devaient  rester  à  son  service  pour  la  défense  des 
États  de  l'Église  ;  il  avait  rendu  à  l'Église  romaine  le  monas- 
tère de  Saint-Serge  à  Constantinople,  enfin,  il  avait  restitué  à  l'E- 
glise romaine  la  Bulgarie  (sur  ce  dernier  point,  le  pape  paraît 
s'être  laissé  tromper  par  des  expressions  équivoques  et  de  pure 
politesse;  en  réalité  les  grecs  conservèrent  la  Bulgarie).  Le  pape 
prie  l'empereur  de  demeurer  le  soutien  inébranlable  de  l'Eglise 
romaine  en  ces  temps  périlleux  ;  il  consent,  par  esprit  de  miséri- 
corde, à  admettre  ce  décret  de  Constantinople  sur  la  réintégra- 
tion de  Photius  (d'après  le  pape,  Photius  n'aurait  donc  eu  au- 
cun droit  à  être  réintégré  ;  de  plus  le  pape  n'acceptait  pas  les 
autres  décisions  du  conciliabule,  du  moins  n'en  dit-il  rien).  Dans 
le  cas  où  ses  légats  auraient  agi  en  opposition  avec  leurs  ins- 
tructions,  il   déclare  leurs  actes  frappés  de  nullité  4. 

1.  Au  sujet  de  la  fausseté  de  cette  prétendue  lettre  du  pape,  cf.  Hergenrô- 
ther,  op.  cit.,  t.  n,  p.  541-551. 

2.  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  u,  p.  573,  note  25,  révoque  en  doute  cette  opi- 
nion et  émet  l'avis  que  l'ancienne  traduction  latine  des  actes  de  ce  concile 
fut  faite   sur  l'exemplaire  grec  rapporté  par  les  légats. 

3.  «  Nous  ne  savons  pas  quel  fut  exactement  l'accueil  que  le  pape  réserva 
aux  légats.  Les  lettres  de  Jean  YIII  postérieures  au  concile  semblent  montrer 
qu'il  ne  connut  jamais  complètement  ce  qui  s'était  fait  à  Constantinople  ; 
mais  visiblement  il  se  doutait  de  quelque  chose,  car  les  deux  lettres  qui  nous 
sont  parvenues  signées  de  son  nom  et  datées  du  13  août  880  sont  pleines  de 
restrictions.  »  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  244  (H.  L.) 

4.  Epist.,  ccli,   dans  Mansi,    op.  cit.,   t.  xvn,  col.  186  ;    Epist.,  cix,  dans 


606 


LIVRE     XXV 


Le  pape  Jean  s'exprime  avec  plus  d'énergie  et  de  clarté  dans 
sa  lettre  à  Photius  :    «  Plus  il  s'est  montré    à     son    égard    plein 
de  miséricorde,  plus  il  a   droit  de   s'étonner  de  voir  ses  prescrip-  [484] 
tions  méconnues  et  violées  ;  il  ignore  à  qui  incombe    cette    faute 
dans  la  conduite  de  l'assemblée.  Photius  a  dit   de  lui-même  clans^ 
sa  lettre  au  pape  (aujourd'hui    perdue)   :    Seuls    les    malfaiteurs 
doivent    implorer   miséricorde  (il  voulait  éluder  la  condition  mise 
à  sa  réintégration,    à  savoir,  le  pardon  à  solliciter  devant  un  con- 
cile). Le  pape  ne  veut  pas    attacher  d'importance   à   ces   paroles, 
qui  appelleraient    nue    sanction    pénale.    Toutefois,    ce   n'est   pas 
ainsi  qu'on  doit   se    disculper    car  le  Christ  a  dit  :   Vous  vous  jus- 
tifiez devant  les  hommes,  mais  Dieu  connaît  vos  cœurs,  et  ce  qui 
est  glorieux  devant,   les   hommes   est   une   abomination  aux  yeux 
de    Dieu  2.  Si  Photius  joignait   à   sa   sagesse   une  véritable   humi- 
lité, il  ne  trouverait  pas   trop  dure  cette  condition  d'implorer  la 
miséricorde  de  l'Église  de  Dieu.  S'il  rendait  l'honneur    dû    à    l'É- 
glise romaine,  le  pape  l'embrasserait  comme  un  frère.    11   accepte 
donc  en  esprit  de  miséricorde  ce  qui   a    été   fait   par   le    concile  de 
Constantinople  pour  le  réintégrer.  »  En  terminant,  le    pape    pro- 
teste encore,  comme  dans  sa  lettre  à  l'empereur,  qu'il   frappe   de 
nullité  tout  ce  que    ses    légats    auraient    fait   en  opposition    avec 
leurs  instructions  3. 


Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  2,  col.  88  ;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  880, 
n.  5. 

2.   Luc,    xvi,    15. 

3.Epist.,  ccl,  dans  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvn,  col.  184;  Epist..  cvm,  dans  Hardouin, 
op.  cit.,  t.  vi,  part.  1,  col.  87;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  880,  n.  2.  Etsi  forsan 
noslri  legati  in  eadem  synodo  contra  apostolicam  prxceptionem  egerunt,  non 
recipimus,  nec  judicamus  alicujus  existere  firmitatis,  preuve  évidente  que  le  pape 
n'avait  pas  sous  les  yeux  les  actes  du  concile.  A  leur  retour,  les  légats  eurent 
le  sort  de  ceux  qui,  les  premiers,  s'occupèrent  sous  Nicolas  Ier  des  affaires  de 
Photius.  Ils  furent  censurés  publiquement  et  ce  fut  Marin,  son  futur  succes- 
seur, que  Jean  VIII  chargea  de  porter  à  Constantinople  les  deux  lettres 
dont  nous  venons  de  parler.  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  244-245.  (H.  L.) 


499.     PHOTIUS     DE     NOUVEAU     REJETE     PAR     ROME  607 


499.  Photius,  de  nouveau  rejeté  par  Rome,  est  déposé 
une  seconde  fois  par  1 empereur  Léon. 

Le  pape  envoya  ces  lettres  à  Constantinople,  probablement 
par  le  cardinal  Marin.  Il  est  certain  que  Marin,  légat  au  VIIIe 
concile  œcuménique,  fut  envoyé  une  seconde  fois  (après  le  conci- 
liabule) à  la  cour  de  Byzance,  où  il  se  déclara  si  énergiquement 
contre  Photius,  que  l'empereur  le  fit  saisir  et  tenir  un  mois  en- 
tier dans  un  cachot,  sans  pouvoir  vaincre  sa  fermeté  1.  C'est  ce 
que  nous  dit  le  second  successeur  de  Marin,  le  pape  Etienne  VI  (V), 
dans  sa  lettre  à  l'empereur  Basile,  datée  de  885  2.  Evidemment 
le  légat  Marin  n'avait  agi  que  d'après  les  instructions  du 
[485]  pape  Jean  VIII,  ce  qui  prouve  que  ce  dernier  avait  de  nou- 
veau condamné  Photius  et  réparé  sa  faiblesse.  Une  tradition 
rapporte  que  le  pape  ayant  eu  des  preuves  positives  que  Pho- 
tius avait  corrompu  les  derniers  légats  Paul,  Eugène  et  Pierre, 
comme  autrefois  Rodoald  et  Zacharie,  monta  à  l'ambon,  dans 
une  solennité,  et,  tenant  à  la  main  le  livre  des  Évangiles,  pro- 
nonça à  haute  voix,  en  présence  de  tout  le  peuple,  l'anathème 
contre  Photius,  comme  l'avaient  fait  autrefois  ses  prédécesseurs, 
Nicolas  et  Hadrien  3. 

Cet  anathème,  jeté  par  Jean  VIII  sur  Photius  et  répété  par 
ses    successeurs,    est  encore  attesté  par  une  ancienne    inscription 


1.  Une  lettre  d'Etienne  à  Basile,  écrite  en  885,  et  à  laquelle  Hefele  emprunte 
ces  détails,  est  très  obscure.  A  lire  attentivement  le  texte,  écrit  M.  A.  Vogt, 
op. cit.,  p.  245,  note  1,  on  peut  se  demander  si  le  fait  ne  se  rapporte  pas  au  pre- 
mier voyage  de  Marin,  en  869,  car  dans  tout  le  passage  il  s'agit  de  Nicolas  Ier, 
et  des  premiers  événements  qui  suivirent  le  concile.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  423;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1119;  Baronius, 
Annales,  ad  ann.   885,  n.  9. 

3.  Cette  notice  se  trouve  dans  les  Appendices  au  VIIIe  concile  œcuménique; 
Rader  l'a  éditée  d'après  un  ancien  manuscrit  grec,  et  l'a  donnée  comme 
appendice  à  un  ancien  extrait  d'une  lettre  du  pape  Hadrien  II  dans  Mansi, 
op.  cit..,  t.  xvi,  col.  448  sq.  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1139;  Baronius,  Anna- 
les, ad  ann.  880,  n.  11,  a,  par  erreur,  regardé  ce  document  comme  une  partie 
de  VEpistola  Formosi,  parce  que,  dans  le  codex  Colummensis,  il  vouait  immédia- 
tement après  cette  lettre.  Il  n'appartient  cependant  pas  à  la  lettre  du  pape  For- 
mose,  dont  nous  aurons  bientôt  à  parler. 


G08 


LIVRE     XXV 


placée     sur     le     portique     de     Sainte-Sophie,     à     Constantinople, 
du   côté    droit,     et    reproduite    dans  les    collections  des  conciles. 
Cette    inscription     montre    que    Jean  VIII   a    également  frappé 
d'anathème   ses   légats   corrompus   par    Photius  1.    En  outre,  dès 
cette  époque,  on  ne  rencontre  plus    aucune    mention  de  Photius* 
dans  les  lettres  de  Jean  VIII,  ce   qui  fait  croire   à   Baronius  que 
le   pape   avait   rompu   avec  lui  tout   rapport   ecclésiastique.   De- 
puis  lors   Photius   attaqua    également    sans   relâche    l'Église    ro- 
maine, au  sujet  du  Filioqiie,  l'accusant   d'hérésie  en  divers  écrits 
et  de  nombreuses  lettres.    Ces    entreprises   contre    l'Occident  lui 
paraissaient  le  meilleur  moyen  d'enlever  toute  valeur  aux  anathè- 
mes  prononcés  à  Rome  contre  lui.  Parmi  ses  principaux  ouvrages 
pendant  cette  période,  il  faut  citer  sa   longue   lettre   à   l'archevê- 
que schismatique  d'Aquilée   2,   écrite    en    883,   et    son    traité    De 
mystagogia  Spiritus  sancti,  composé  vers  l'année  885. 


1.  M^nsi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  451  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  col.  442.  Léon 
Allatius  a  prouvé,  Epist.,  ii,  De  templis  Grœcor.  hodiern.,  §  4,  p.  42,  que  cette 
inscription  se  trouvait  sur  le  portique  à  droite,  comme  l'indiquaient  ces  mots 
de   l'inscription   :   èv  £  =  :'.<;>  â^ôXo). 

2.  Nous  ne  savons  pas  le  nom  de  cet  archevêque,  ni  la  nature  de  son  schisme. 
Jager,  op.  cit.,  p.  345,  se  trompe,  en   supposant   qu'il   faisait  partie  du  schisme 
occasionné  par  la  querelle  des  trois  chapitres.  Ce  schisme  n'existait  plus  depuis 
150  ans.  Cette  lettre  de  Photius  se  trouve  en  grec  dans  Jager,  op.  cit.,  p.  452; 
en  latin  dans  Baronius,  Annales,  ad  ann.  883,  n.  5  ;  Hergenrother  en  parle  avec 
beaucoup  de  détails,  Photius,  t.  n,  p.  634  sq.  [Le  P.  Lapôtre,  L'Europe  et  le  Saint- 
Siège  à  l'époque  carolingienne.  Le  pape  Jean  VIII,  in-8,  Paris,  1895,  p.  68-69, 
est  d'un  avis  tout  différent.  Selon  lui  l'accord  régna  toujours  entre  Photius  et 
Jean  VIII.  Longtemps  après  la  mort  de  Jean  VIII,  Photius  se  réclamait  encore 
de    l'autorité    de    ce    pape,    dont-il    vantait,     non    sans    raison,    l'intrépidité    et 
l'esprit   politique    :    ôeffjiotç  7io>.iri/.otç  £7îap-/ïîv  ôv/dcixïvo;  .   De  mystagogia,  P.    G., 
t.  en,  col.    380.    S'il  eût  été  excommunié    finalement    et    publiquement  déposé 
par   Jean  VIII,    Photius   n'aurait  sans  doute  pas   fait   cet  éloge  du  pape.   Si, 
d'après  le  P.  Lapôtre,  on  était  parvenu  à  mieux  déterminer  la  date  de  chacun 
de  ses  ouvrages,  on  aurait  constaté  que  la  reprise  des  hostilités  ne  date  que  du 
pontificat  de  Marin  Ier.  La  Lettre  au  patriarche  d'Aquilée,  P.  G.,  t.  en.  col.  974- 
822  se  place  dans  l'intervalle  entre  les  pontificats  de  Jean  VIII  et  d'Hadrien  III. 
En  effet,    Photius    dit    de  Jean  VIII  qu'il  est  £■/  âycotç,    formule    consacrée  dans 
le  style  ecclésiastique  pour  désigner  les  défunts  (P.   G.,  t.  en,  col.  289)  ;  d'au- 
tre part,  Photius  néglige  de  tirer  argument  en  faveur  de  sa  théorie  sur  le  Saint- 
Esprit  de  la  lettre  synodique  d'Hadrien  III.  Il  n'y  manquera  pas  dans  sa  Mys- 
tagogia  (P.   G.,  t.  en,  col.  381),  mais  il  ne  peut  en  faire  autant  cette  fois,  car  il 
n'a  pas  encore  reçu  la  lettre  et  son  futur  auteur  n'est  pas  encore  pape.    Quant 
au  traité  De  Spiritus  Sancti  mystagogia,  P.  G.,  t.  eu,  col.  279  sq.,    la  date  de  ggc 


499.     PHOTIUS     DE     NOUVEAU     REJETE     PAR     HOME  609 

[486]  Au  pape  Jean,  mort  le  15  décembre  882,  succéda  Marin,  doni 
fun  des  premiers  actes  fut  de  renouveler  l'anathème  contre 
Photius.  Ce  fait,  constaté  par  l'inscription  du  portique  de  Sainte- 
Sophie,  se  déduit  également  de  la  haine  particulière  dont  Photius 
poursuivit  Marin,  allant  jusqu'à  nier  la  validité  de  son  élévation 
sur  le  siège  pontifical,  parce  que  Marin  avait  été  auparav;nil 
évoque  1,  et  que  les  canons  défendaient  les  translations  épisco- 
pales.  Photius  avait  mauvaise  grâce  à  alléguer  pareille  raison, 
lui  qui  avait,  nous  l'avons  vu,  transféré  sur  d'autres  sièges  épis- 
eopaux  beaucoup  de  ses  amis  :  Théodore  Santabaren,  Zacharie 
de  Chalcédoine,  Théodore  de  Carie,  etc.  Il  finit  par  déterminer 
l'empereur  Basile  à  écrire  dans  ce  sens  à  Marin  et  à  contester 
son  élévation  à  la  papauté.  Comme  sa  lettre  n'arriva  qu'après 
la  mort  de  Marin  (mai  884),  le  pape  Etienne  VI  (V)  y  répondit 
en  885.  Mais  lorsque  cette  réponse  arriva  à  Constantinople,  Basile 
à  son  tour  était  mort  (1er  mars  886),  et  elle  fut  remise  à  son  fils 
et  succcesseur  Léon  le  Sage,  qui  paraît  s'en  être  servi  pour  chasser 
Photius  du  siège  patriarcal  et  y  faire  monter  à  sa  place  son  plus 
jeune  frère,  le  prince   Etienne,  que  nous  avons  déjà  rencontré  2. 


fixée  par  Hergenrôther,  op.  cit.,  t.  u,  p.  708,  fondée  sur  l'allusion  du  ch.  lxxxviit, 
P.  G.,  t.  en,  col.  377,  est  fautive,  car  cette  allusion  ne  vise  pas  Nicolas  Ier, 
mais  le  pape  Formose  et  le  tragique  concile  qui  s'assembla  pour  le  juger.  La  pu- 
blication du  traité  se  trouve  donc  reportée  de  885  après  l'année  896.   (H.  L.) 

1.  A  Céré  en  Étrurie,  ainsi  que  l'a  prouvé  Mansi  dans  ses  notes  sur  Baro- 
nius,  Annales,  ad  ann.  882,  n.  12. 

2.  Léon  avait  à  se  venger  de  Photius  qui  pendant  les  sept  années  du  règne 
de  Basile  (779-886)  avait  été  le  véritable  maître  de  l'Église  et  de  l'État. 
C'est,  en  effet,  à  partir  de  la  mort  de  Constantin  et  du  grand  affaiblissement  phy- 
sique et  intellectuel  de  Basile  que  Photius  et  Théodore  de  Santabaren,  son 
âme  damnée,  organisèrent  le  complot  qui  devait  porter  le  patriarche,  ou,  à 
son  défaut,  un  de  ses  proches,  au  souverain  pouvoir.  Le  conciliabule  de  879- 
880  avait  rendu  à  Photius  plus  qu'il  n'en  attendait  ;  grâce  à  la  lâcheté  des  légats 
du  pape  et  à  leur  sottise,  l'Orient  avait  entendu  proclamer  en  grec,  devant  ces 
latins  muets  parce  qu'ignares,  l'omnipotence  religieuse  de  Byzance  au  détri- 
ment de  Rome  et  l'égalité  absolue  de  son  patriarche  avec  le  pape  romain. 
Fort  de  ce  premier  et  décisif  triomphe,  Photius  se  préoccupa  d'atteindre  le 
second  qui,  plus  brillant,  était  cependant  plus  aisé  à  obtenir.  U  eût  alors  réalisé 
le  véritable  but  de  sa  vie  et  l'aspiration  byzantine  qu'il  incarnait  ;  il  eût  créé 
en  Orient  un  autre  État  pontifical  dans  lequel  il  eût  été  à  la  fois  pape  et  roi.  Il 
échoua.  Pour  l'œuvre  religieuse  de  Léon  le  Sage,  je  regrette  de  n'avoir  pu  utiliser 
un  travail  annoncé  depuis  1903  sous  le  titre  de  Recherches  sur  le  gouvernement 
(le  personnel  et  son  œuvre  politique),  les  institutions  politiques  et  administratives 


610  LIVRE     XXV 

Photius  dut  se  retirer  dans  un  monastère  et  le  jeune  patriarche 
impérial  fut  reconnu  sans  conteste  (Noël  886).  Afin  de  gagner  les 
anciens  partisans  d'Ignace,  toujours  privés  de  leurs  charges,  à 
cause  de  leur  hostilité  à  Photius,  l'empereur  Léon  les  fit  venir 
à  Couslantinople,  et  déclara  que  s'ils  hésitaient  à  reconnaître 
son  frère  ordonné  diacre  par  Photius,  le  mieux  serait  de  s'adresser 
tous  ensemble  au  |  »  i  »  |  »  *  -  -,  afin  d'obtenir  ta  grâce  de  ceux  qui  avaient 
été  ordonnés  par  Photius1.  La  lettre  de  l'empereur  est  malheu- 
reusement perdue,  mais  on  possède  celle  de  Slylianos.  arche- 
vêque de  Néurésarée,  au  pape  Etienne  VI  (V)  2  ;  elle  contient 
un  aperçu  eompiel  de  l'histoire  de  Photius,  et  nous  l'avons  sou- 
venl  utilisée  dans  le  récit  qu'on  vient  de  lire.  Slylianus  parle, 
au  nom  de  tous  les  partisans  d'Ignace,  évêques,  prêtres  e.1  dia- 
cres qui  n'ont  jamais  embrassé  les  genoux  de  Photius,  il  appuie 
la  demande  faite  au  pape,  cl  affirme  que  la  grande  majorilé 
de  ceux  qui  avaient  consenti  à  recevoir  l'ordination  de  Photius. 
y  avaient  été  déterminés  par  les  légats  du  pape,  Rodoald  et 
Zacharie  d'abord,  puis  Eugène  et  Paul  3.  Le  pape  Etienne  VI 
(V)  répondit  :  «  Vous  avez  bien  fait  d'exclure  de  l'Eglise 
Photius  qui  a  déshonoré  la  croix  du  Christ4.  »  La  lettre  deL1 
Stylianos  et  de  ses  amis  ne  s'accordait  pas  complètement 
avec  celle  de  l'empereur,  d'après  laquelle  Photius  avait  volontaire- 
ment abdiqué,  tandis   que  la  leur  ne  parlait  que  de   déposition. 


de  VEmpire  byzantin  pendant  le  règne  de  Léon  VI  le  Sage  (886-912),    par  M.  Ma- 
ximil.   Milard,  cf.  Byzantinische  Zeitschrift,  1903,  t.  xn,  p.  585,  note  1.   (FI.  L.) 

1.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  426;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1119;  Hergen- 
rôther,  op.  cit.,  p.  660  sq.,  583  sq. 

2.  «Cette  lettre  écrite  après  la  mort  de  Basile,  sous  le  règne  de  Léon  VI 
(Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xvi.  col.  434),  probablement  dès  886  ou  887,  a 
pour  but  de  demander  au  pape  le  pardon  officiel  du  peuple  de  Byzance.  En 
réalité,  son  auteur  veut  informer  le  nouveau  pape,  tant  de  ce  qui  s'est  passé 
au  sujet  de  Photius  avant  son  avènement,  que  des  raisons  de  sa  définitive 
déposition.  Nous  avons  vraisemblablement  là  un  écho  du  procès  intenté  à 
Photius  au  lendemain  de  la  mort  de  Basile.  »  A.  Vogt,  Basile  Ier,  p.  235, 
note  4.  (H.  L.) 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1127  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  434. 

4.  Pour  comprendre  cette  dernière  phrase,  il  faut  savoir  qu'alors,  comme 
aujourd'hui,  les  évêques  traçaient  toujours  une  croix  devant  leur  signature. 
Aussi  toute  signature  coupable,  par  exemple  celle  donnée  dans  un  conciliabule, 
ou  toute  signature  apposée  au  bas  d'obligations  non  remplies,  était  regardée 
comme  une  profanation  de  la  sainte  croix. 


499.     PHOTIUS     DE     NOUVEAU     REJETE     PAR     ROME  611 

Le    pape   réclamait   de  plus  amples    explications    avant  de  porter 
un  jugement  ;  aussi  l'empereur  et  Stylianos    devaient-ils    envoyer 
des  ambassadeurs  à    Rome  1.    Il   est   vrai   que  cette    demande  ne 
reçut   satisfaction    que    trois    ans    après.    L'empereur    envoya  un 
métropolitain  et  un  fonctionnaire  impérial  auxquels  il  remit  une 
lettre  2,  aujourd'hui  perdue.    Par    contre,    on  possède    encore    la 
lettre    du    parti    de    Stylianos  ;    elle    nous   apprend   que    «  cette 
contradiction    apparente   provenait    de    ce    que    les    uns    regar- 
daient  encore    Photius    comme  prêtre,  sans  toutefois    le   regarder 
comme    patriarche,    tandis    que  les  autres  (par  exemple,  Stylia- 
nos et  son  parti),  s'en  tenant  à  la  décision  des  papes  Nicolas  et 
Hadrien,     ne  lui    reconnaissaient   aucun    caractère    sacerdotal.  » 
L'empereur  avait  donc-  forcé  Photius  à  résigner  sa  charge  de  pa- 
triarche,   mais   celui-ci,    pour   sauver   les   apparences,   avait   paru 
abdiquer   volontairement,   et   c'est   dans   ce   sens   que   l'empereur 
avait  écrit  au  pape.  En  outre,  Photius  était  encore  reconnu  par 
les  uns  comme  prêtre,  tandis  que  les  partisans  d'Ignace,  à  l'exem- 
ple des  anciens  papes  (et  Etienne  V  lui-même  se  place  à  ce  point 
de  vue,  dans  sa  lettre  à  l'empereur  Basile)  ne  le  regardaient  que 
comme  laïque,    et   se    contentèrent,   lorsqu'il    fut   éloigné   de   son 
[488]  siège,  de  renouveler  contre  lui  la  sentence  antérieure.    Stylianos 
s'étonne,  en  outre,  qu'à  la  fin  de  sa  lettre  le   pape    Etienne   parle 
comme  si  Photius  avait  été  patriarche  légitime,  et  comme  si  on 
avait  eu  besoin  d'une  nouvelle  enquête  pour  le  déposer  (fausse 
interprétation  des  paroles  du  pape),  tandis  qu'au  début  il  disait 
lui-même   que   Photius   avait   été  rejeté   du   rocher   (de   l'Eglise). 
En  terminant,   il  renouvelle   sa   prière   pour   ceux   qui,   cédant   à 
la  force,  avaient  embrassé  le  parti  de  Photius  3. 

Après  la  mort  d'Etienne  (891),  son  successeur  Formose,  dans 
une  lettre  à  Stylianos  et  à  ses  amis,  regrette  leurs  efforts  en  faveur 
de  certaines  gens,  sans  même  prendre  la  peine  d'indiquer  s'ils 
sont  prêtres  ou  laïques.  On  peut  pardonner  à  des  laïques,  mais 
non  à  des  prêtres,  Photius  n'ayant  pu  conférer  à  personne  la  di- 
gnité sacerdotale  qu'il  ne  possède  pas  lui-même.  Il  n'a  pu  com- 
muniquer que  sa  propre  malédiction  qu'il  avait   lui-même  reçue, 


1.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1130  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  438. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1130  ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  438  ;  Hergen- 
rôther,  op.  cit.,  p.  691  sq. 

3.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1131   ;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  439. 


012 


LIVRE     XXV 


avec  une  sacrilège  imposition  des  mains.  Le  pape  consentait  à 
user  de  miséricorde  et  à  envoyer  des  légats  qui,  d'accord  avec 
Stylianos,  résoudraient  les  cas  particuliers  et  admettraient  à  la 
communion  de  l'Eglise,  comme  laïques,  ceux  qui  signeraient  les 
libellas  l.  Une  tradition  rapporte  que  Stylianos  lui-même  faiblit 
plus  lard,  et  sept  ans  après  avoir  reçu  cette  lettre  de  Formose, 
rechercha  à  Rome  la  communion  des  partisans  de  Photius,  récla- 
mant la  restitution  d'un  document  autrefois  envoyé  à  Rome 
par  lui  2.  -Mais  le  pape  Jean  IX  rejeta  sa  demande,  sans  même 
lui  faire  l'honneur  d'une  lettre  de  sa  main3.  Ceci  se  passait  en 
900,  longtemps  après  la  mort  de  Photius.  survenue  [non,]  d'après 
Pagi  4,  en  891    [en  réalité  en  897  ou  898]. 

1.  On  voit    par  la  lettre  du  pape  qu'il    faut    lire     /sipo-'payov,    au    lieu    de 
^eipoTOVi'av. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1130;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  435. 

3.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xvi,  col.  455  ;  Hardouin,  op.  cit.,  t.  v,  col.  1146  ;  Baro- 
nius,  Annales,  ad  ann.  905,  n.  9  ;  Hergenrôther,  op.  cit.,  p.  702  sq. 

4.  Pagi,     Critica,  ad  ann.   886,  n.   5.  Lapôtre  donne  la   date  898,   Papado- 
poulos  Kerameus  donne  897.   (H.  L.) 


Imprimerie  M.-R.  Leroy,  185,  rue  de  Vanves, 


Paris. 


LETOUZEY  ET  ANE,  Éditeurs,  76  **,  rue  des  Saints-Pères.  PARIS 

DOCUMENTS  POUR  SERY1R  A  L'HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE 

Vient  de  paraître  : 

NESTORIUS 
> 

LE  LIVRE  DHÉRACLIDE 

DE  DAMAS 

Traduit  en  français  par  F.  NAU 

PROFESSEUR     A     L'INSTITUT      CATHOLIQUE     DE     PARIS 

Avec  le  concours  du  R.  P.  BEDJAN  et  de  M.  BRIÈRE 

SUIVI 

DU  TEXTE  GREC  DES    TROIS  HOMÉLIES   DE   NESTORIUS 

SUR    LES   TENTATIONS   DE    NOTRE-SEIGNEUR 

ET  DE  TROIS  APPENDICES 

1°    LETTRE    A    COSME  ;    2°   PRÉSENTS    ENVOYÉS   D'ALEXANDRIE  ; 
3°     LETTRE    DE     NESTORIUS    AUX     HABITANTS    DE    CONSTANT1NOPLE 

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Beau  volume  in-8  raisin  de  xxvm-402  pages -     Prix  :  10  francs. 


Dans  le  Livre  d'Héraclide,  écrit  en  541,  Nestorius  expose  sa  théorie  philosophique  de  Pin- 
carnation  (1-88)  et  commente  ensuite  les  Actes  du  concile  d'Éphèse  :  il  en  critique  la  forme, 
il  explique  l'un  après  l'autre  tous  les  textes  tirés  de  ses  ouvrages  que  l'on  y  a  cité,  il  com- 
mente la  lettre  de  Cyrille  à  Acace  de  Mélitène  au  sujet  de  son  union  avec  les  Orientaux 
(88-290).  Toute  cette  contrepartie  des  Actes,  provenant  de  la  bouche  du  principal  intéressé, 
condamné  jadis  par  coutumace  sans  avoir  été  entendu,  est  de  la  plus  grande  importance 
pour  l'historien  et  pour  le  théologien.  La  fin  (290-332)  commente  les  événements  qui  ont 
précédé  le  concile  de  Chalcédoine.  Nestorius  s'identifie  avec  Flavien,  il  affirme  que  leur  doc- 
trine est  la  même;  dans  son  sort  il  reconnaît  le  sien  et  0  applaudit  saint  Léon  qui  s'avance 
pour  les  venger  tous  deux.. 

Les  trois  homélies  sur  les  tentations  de  Notre-Seigneur  sont  publiées  en  entier  pour  la 
première  fois.  Nestorius  y  donne  à  la  Vierge  le  titre  de  «  Mère  de  Dieu  ».  La  f  lettre  à  Cosme  > 
est  un  court  exposé  de  la  vie  de  Nestorius.  La  lettre  de  Nestorius  aux  habitants  de  Constan- 
tinople  est  traduite  pour  la  première  fois  ;  l'auteur  y  affirme  à  nouveau  son  accord  avec 
saint  Flavien  et  saint  Léon. 

Le  traducteur  a  ajouté  les  notes  nécessaires;  il  a  résumé  dans  sa  courte  introduction,  les 
données  nouvelles  relatives  à  la  vie  et  aux  écrits  de  Nestorius  ;  il  s'est  interdit  l'examen  des 
doctrines,  mais  des  tables  (alphabétiques  et  analytiques)  permettront  au  lecteur  de  se 
diriger  et  de  se  faire  une  opinion  personnelle.  Le  présent  ouvrage  semble  donc  renouveler 
l'histoire  ecclésiastique  et  les  traditions  théologiques,  pour  la  période  qui  s'étend  du  Concile 
d'Ephèse  au  Concile  de  Chalcédoine. 


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(ALFRED  HtFNER)  ; 
NEW    YORK! 


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