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HISTOIRE
DES CONCILES
d'après
LES DOCUMENTS ORIGINAUX
PAR
Charles Joseph H E F E L E
DOCTEUR EN l'HILOSOPHIB ET EN THÉOLOGIE, ÉVÊQUB DE ROTTBNBOURG
NOUVELLE TRADUCTION FRANÇAISE FAITE SUR LA DEUXIÈME ÉDITION ALLEMANDE
CORRIGÉE ET AUGMENTÉE DE NOTES CRITIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES
PAR
Dom H. LECLERCO
BÉNÉDICTIN DE L'aBBAYB DB FARNBOROUCH
TOME IV
PREMIÈRE PARTIE
PARIS
LETOUZEY ET ANÉ, ÉDITEURS
76»»», RUE DES SAINTS-PÈRES
1911
HISTOIRE DES CONCILES
TOME IV
PREJMIL RE PARTIE
HISTOIRE
DES CONCILES
D APRES
LES DOCUMENTS ORIGINAUX
PAR
Chaules Joseph HEFELF.
DOCTEUR EN' PHILOSOPHIE ET EN THÉOLOGIE, ÉVÊQUE DE ROTTENBOURG
NOUVELLE TRADUCTION FRANÇAISE FAITE SUR LA D EUXIÈME ÉDITION ALLEMANDE
CORRIGÉE ET AUGMENTÉE DE NOTES CRITIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES
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LIVRE VINGT ET UNIÈME
ÉPOQUE DE LOUIS LE DÉBONNAIRE
[1] ET DE LOTHAIRE Ier JUSQU'AU
COMMENCEMENT DES DISCUSSIONS DE GOTESCALC
415. Renaissance de l'hérésie des iconoclastes
sous Léon l'Arménien.
Tandis que la mort de Charlemagne (28 janvier 814) ébranlait
l'Occident, l'Orient voyait reparaître l'hérésie des iconoclastes.
Malgré les condamnations du IIe concile de Nicée, l'empire grec
et surtout l'armée gardaient de nombreux partisans des théories
rationalistes de Constantin Copronyme. Parmi eux se trouvait
le général Léon Bardas l'Arménien, qui, au mois de juillet 813,
après l'abdication moitié volontaire et moitié forcée de Rhangabé,
monta sur le trône impérial sous le nom de Léon V, l'Arménien.
L'imprécision des documents originaux ne permet pas de décider
si, lors de son couronnement, il fit aux orthodoxes les promesses
écrites habituelles en pareille circonstance ou s'il s'y refusa, en
disant : « Il n'y a plus assez de temps pour le faire, ce sera pour une
autre fois. » On se demande également si le solitaire et devin
Sabbatius lui fit sa mensongère prophétie, pour l'engager à com-
battre la prétendue superstition : « Dans ce cas, et dans ce cas
seulement, Dieu t'accordera un règne heureux de trente années. »
Quoi qu'il en soit, il est certain que l'empereur dit à plusieurs
reprises, et dès le début de son règne : Les empereurs iconoclastes
Léon l'Isaurien et Constantin Copronyme ont été heureux dans
leurs expéditions contre les barbares et contre les païens; en
revanche, les iconophiles ont été malheureux; c'est probablement
le culte des images^qui explique la défaite des chrétiens par les
CONCILES - IV - 1
I 000363
LIVRE XXI
païens 1. Au commencement de la seconde année de son règne,
Léon fit colliger par le savant grammairien et lecteur Jean les [2]
passages de la sainte Ecriture et des Pères qui semblaient conclure
contre les images. On fit surtout usage du recueil composé à
l'occasion du conciliabule de 754. Outre le lecteur Jean, l'empe-
reur trouva un autre partisan de ses idées dans Antoine, évêque
de Sylœum en Pamphilie 2, à qui on fit entrevoirie siège patriarcal
de Constantinople comme récompense de son zèle.
Du mois de juillet au mois de décembre 814, les auxiliaires
de l'empereur composèrent en grand secret leur mémoire contre
les images; mais le patriarche Nicéphore, ayant eu vent de ce
qui se tramait, cita les coupables à comparaître par-devant plu-
sieurs métropolitains, c'est-à-dire devant une aùvoooç èvSY] jouera.
Antoine produisit hypocritement la profession de foi émise lors
de sa consécration épiscopale par laquelle il admettait la vénéra-
tion des images. Pour mieux donner le change, il ajouta de sa
propre main à ce document en présence de l'assemblée plusieurs
signes de croix. Il se vanta ensuite à l'empereur d'avoir trompé
ses collègues, afin de le mieux servir. Jean, moins effronté et
troublé par les mesures du patriarche, demanda pardon et se
retira dans un monastère 3.
Quelque temps après (décembre 814), Léon V manda le patriar-
che'Nicéphore, et lui déclara que l'issue malheureuse des expédi-
tions contre les païens s'expliquait par la vénération des images,
par conséquent qu'il était prudent de céder sur ce point. Il lui
remit, probablement dans cette même circonstance, le tomos
composé par Jean, afin que le patriarche pût se convaincre que
la vénération des images ne se fondait pas sur la Bible 4.
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 115; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1046. Les prin-
cipales sources originales à consulter sur ce retour offensif de l'iconoclasme sont:
1) le continuateur anonyme de Théophane, appendice à Léo Grammaticus,
éd. Bekker, dans le Corpus, de Bonn, 1842, sous le titre Scriptor incertus de Leone
Barda, p. 340 sq.; 2) Ignace, Vita Nicephori patriarchœ, dans les Acta sanct.,
mart. t. h, col. 296 sq.; Walch, Kelzerhist., t. x, p. 606 sq., a donné de longs ex-
traits de ces documents originaux.
2. On lui donne souvent, dans les anciens documents, le titre de métropoli-
tain, et plusieurs supposent qu'il était abbé de ce qu'on appelait le monastère
métropolitain. Mansi, op. cit., col. 112; Walch, op. cit., t. x, p. 609, 656.
3. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 118; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1047 sq.
4. Je rattache ici le récit du continuateur de Théophane à celui des évêques
orentaux dans Mansi et Hardouin.
415. RENAISSANCE DE L IIEKESIE DES ICONOCLASTES à
[3] Nicéphore attacha peu d'importance à l'argumentation du
lomos, et en appela à la tradition, ajoutant que l'Évangile était
vénéré partout, sans que cependant cette vénération fût recom-
mandée nulle part dans la sainte Écriture. L'empereur ayant
déclaré qu'il ne regardait pas ses objections comme résolues
par une semblable réponse, le patriarche lui envoya quelques
évêques et abbés, personnages fort savants, qui répondraient d'une
manière satisfaisante à toutes les questions. Léon demanda une con-
férence contradictoire avec d'autres savants convoqués à dessein,
promettant de se soumettre à l'opinion qui triompherait dans ce
colloque 1. Les orthodoxes repoussèrent cette proposition, disant
avec raison que « la question avait été résolue en concile gé-
néral. » Les impériaux rétorquèrent maladroitement « qu'on
avait tenu un concile à cause d'Arius, qui était seul, et
qu'eux étaient en plus grand nombre. » Les ambassadeurs du
patriarche revinrent attristés, et Nicéphore réunit dans
l'église de Sainte-Sophie un concile de deux cent soixante-dix
Pères auxquels il fit promettre fidélité à l'orthodoxie, et prononcer
l'anathème contre Antoine, dont l'hypocrisie s'était dévoilée.
Un grand nombre de laïques présents à cette assemblée accla-
mèrent avec joie cette condamnation et passèrent toute la nuit
dans l'église, demandant à Dieu de changer le cœur de l'empereur2.
Léon s'irrita de ces démonstrations, et sinon par son ordre, du
moins avec l'espoir d'une complète impunité, ses soldats détrui-
sirent l'image du Christ qu'Irène avait érigée sur la porte
de Chalcoprateia, à la place même de celle que Léon l'Isaurien
avait fait détruire. — Ce fut probablement dans ce concile, ou
dans d'autres assemblées réunies par lui, que le patriarche Nicé-
phore publia les canons qui nous ont été conservés 3.
[4] En la fête de Noël de 814, le patriarche supplia l'empereur
d'épargner à l'Église toute innovation, ajoutant que, si sa personne
lui était désagréable, il le priait de lui donner un successeur. Léon
1. Tel est le récit de Théodore Studite dans Episl., cxxix, dans Sirmond,
Opéra, t. v, p. 461.
2. Mansi, loc. cit., col. 118 sq. ; Hardouin, loc. cit., col. 1050; Walch, op. cit.,
t. x, p. 610, 673. Il ne faut pas s'étonner qu'il y eût à Constantinople un si
grand nombre d'évêques, car ils y étaient toujours très nombreux. Genesiuset
Ignatius, dans Walch, op. cit., p. 629, 644, supposent que l'empereur avait con-
voqué ce synode; ils le confondent avec un autre qui est postérieur.
3. Hardouin, loc. cit., col. 1051; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xtv. col. 119.
LIVRE XXI
répondit qu'il n'avait aucune intention de le déplacer ni d'in-
nover dans l'Eglise, et, le jour même de la fête de Noël, il baisa
avec beaucoup de dévotion le dessus d'autel, sur lequel était
représentée la naissance du Christ. On vit là un indice de change-
ment dans les idées de l'empereur à l'égard des images ;
mais lorsque arriva la fête de la Chandeleur, l'empereur interdit
cette même pieuse coutume et entreprit la réalisation de ses
plans. Il gagna d'abord une partie notable des évêques et des
clercs qui, naguère, réunis en concile avaient promis au patriar-
che fidélité à la foi. La cause de l'hérésie semblait devoir l'em-
porter si elle obtenait l'adhésion du patriarche, ou du moins son
silence. Nicéphore fut mandé au palais et questionné par l'empe-
reur. Le patriarche défendit les images, et affirma « n'être pas
seul à penser ainsi, car un grand nombre d'évêques et de moines
qui se trouvaient dans le voisinage, pensaient comme lui. » A
l'instant l'empereur fit entrer ceux dont parlait le patriarche et
crut le moment venu de frapper un grand coup. Il fit introduire
une grande et magnifique escorte : autour de lui se rangèrent
les officiers de la cour, armés de glaives étincelants, et à côté se
placèrent aussi les évêques et les théologiens iconoclastes.
L'empereur prononça un long et violent discours sur l'idolâtrie
iconophile, et demanda au patriarche et à ses amis de réfuter ses
objections. Nicéphore et, après lui, l'abbé Théodore Studite
repoussèrent cette nouvelle discussion, protestèrent très énergique-
ment contre l'empiétement illégal de l'empereur dans les affaires
intérieures de l'Eglise, et montrèrent les conséquences dogmati-
ques d'une résurrection de l'hérésie iconoclaste 1. L'empereur [51
les disgracia tous, et il aurait même dit à Théodore Studite :
« Tu as mérité la mort, mais je ne veux pas faire de toi un martyr. »
— Le patriarche Nicéphore paraît s'être adressé plus tard à l'im-
pératrice et aux dames de la cour les plus influentes, pour qu'elles
engageassent l'empereur à changer de sentiments; mais celui-ci
fut inébranlable et publia un édit défendant aux amis des images,
et en particulier aux moines, de tenir des réunions et d'exciter
1. On se demande si la Disputalio Nicephori cum Leone Armeno,de veerann-
dis imaginibus etc., éditée en 1664 par Combéfis, Origin. Constantin, manipul.,
p. 159-190, se rapporte à ce second entretien on au premier. Quant au discours
de Théodore Studite, il a été inséré dans sa biographie par le moine Michel.
Sirmond, Opéra, t. v, col. 32 sq.
415- RENAISSANCE DE l'hÉRESIE DES ICONOCLASTES 5
les esprits. Il en serait probablement venu, dès lors, aux mesures
de rigueur, si une maladie du patriarche ne lui avait fait entre-
voir une solution plus facile. Mais le patriarche guérit, et l'empereur
se hâta de réunir en concile à Constantinople les évêques
de l'empire. Il ne leur permit pas d'aller d'abord, selon la
coutume, saluer le patriarche ; il les manda tous immédia-
tement auprès de lui, et mit en jeu tous les moyens de les
gagner. Une fois assemblés, ces évêques adressèrent au patriarche
deux d'entre eux, porteurs d'une invitation. Nicéphore y ré-
pondit avec dignité, sans se laisser effrayer par les cris de la
populace venue avec les députés, qui cernait le patriarcheion
et vomissait mille injures et anathèmes contre Nicéphore, et
ses prédécesseurs iconophiles, Germain et Tarasius. L'empereur
excusa ces indignités sous prétexte que le patriarche avait fait
violence à la conscience du peuple. A la demande du concile, il
interdit à Nicéphore de porter à l'avenir son titre de patriarche;
il envoya des soldats dans sa maison, lui imposa l'abdication
et l'exila par delà le Bosphore, probablement non loin de Chalcé-
doine, à Chrysopolis, où il vécut encore plusieurs années. L'empe-
reur assura ensuite, devant le sénat, que le patriarche avait quitté
son église de plein gré, à la suite de la requête qui lui avait été
faite de réduire le culte des images, il en conclut qu'il fallait dési-
gner une autre personne pour occuper ce siège. Son choix se porta
d'abord sur ce lector et grammaticus Jean, dont nous avons parlé;
mais le sénat lui objectant la jeunesse et l'origine plébéienne de ce
candidat, Léon nomma Théodote Cassitera, beau-frère de feu l'em-
pereur ConstantinCopronyme.il était fonctionnaire de l'Etat et
marié, néanmoins il reçut en toute hâte la tonsure et fut ordonné
pour la Pâque de 815. Le jour des Rameaux 815, Théodore Studite
fit une procession solennelle autour de son monastère, dans laquelle
on porta des images et on chanta des cantiques en leur honneur.
Théodore repoussa la communion du nouveau patriarche, et
engagea les autres moines à ne pas aller dans son palais 1.
[6] Après la Pâque de 815, l'empereur réunit un nouveau concile
à Constantinople, sous la présidence du nouveau patriarche
Théodote Cassitera. Léon et son fils Constantin, associé à l'em-
pire, étaient présents. Dès la i'e session l'assemblée confirma
les décisions du conciliabule de 754, et annula celles de Nicée.
1. Ci. Vita Theodori Stud., dans Sirmond, Opéra, I. v, p. 38.
LIVRE XXI
Le lendemain (11e session) on introduisit plusieurs évêques ortho-
doxes qui, refusant d'adhérer à ce qui s'était fait, furent mal-
traités, frappés d'anathème et foulés aux pieds. Dans la 111e session
enfin, on rédigea un formulaire signé par tous, et le concile se
sépara, après les acclamations accoutumées en l'honneur de
l'empereur, et les anathèmes contre les adversaires 1. On passa
ensuite à la destruction effective des images, et au châtiment de
leurs défenseurs. Le plus célèbre de ces derniers était Théodore
Studite, qui, malgré trois séjours en prison, la flagellation à plu-
sieurs reprises et des traitements d'une cruauté inouïe, était
toujours prêt à défendre, dans ses lettres ardentes, la cause de
l'orthodoxie. Plusieurs de ces lettres nous ont été conservées,
notamment celle adressée au concile iconoclaste (c'était le second
après la Pâque de 815), et dans laquelle il refuse ainsi que les
abbés qui partagent ses sentiments, de se rendre à cette assem-
blée ; une seconde au pape Pascal, dans laquelle, dépeignant
la triste situation du moment, il dit : « Le patriarche est prisonnier,
les archevêques et les évêques sont bannis, les moines et les nonnes
sont dans les fers, sous la menace de la torture et de la mort;
l'image du Sauveur, devant laquelle les démons eux-mêmes
tremblent, est devenue un objet de dérision; les autels et les églises
sont dévastés, et beaucoup de sang a déjà coulé. » Il demandait
au pape de les secourir, et une autre lettre de Théodore nous
apprend que le pape fit en effet ce qui dépendait de lui pour
changer cet état de choses. — Avec Théodore, beaucoup de ses
amis et de ses disciples furent poursuivis, maltraités et empri-
sonnés; lui-même fut déporté à Smyrne, où ses tourments furent
aggravés par l'évêque iconoclaste de cette ville 2.
Les lettres de Théodore montrent que tous les iconophiles
n'eurent pas un courage égal au sien; beaucoup se turent, d'autres
passèrent dans le camp opposé pour éviter la prison et l'exil.
Parmi les indomptables, citons le chronographe Théophane,
si souvent nommé dans cette histoire, alors courbé par l'âge
et affaibli par de cruelles souffrances. L'empereur ne put l'ébranler;
1. Les actes de ce synode ne sont pas parvenus jusqu'à nous ; mais l'empe-
reur Michel le Bègue en parle dans sa lettre à Louis le Débonnaire en 824 (voy.
plus loin), et Théodore Studite en parle également, ainsi que d'autres documents
originaux. Cf. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 135 sq., 417.
2. Vita Theodori, dans Sirmond, Opéra, t. v, p. 39.
416. CONCILES TENUS EN OCCIDENT
[V] il lui fit en vain les plus belles promesses, et fut réduit à l'envoyer
en prison 1.
416. Conciles de peu d'importance tenus en Occident
de 814 à 816.
Pendant qu'à Byzance, Léon l'Arménien anéantissait les images
et poursuivait leurs défenseurs, on tint en Occident plusieurs
conciles. Parmi les moins importants 2, nous citerons celui de
Noyon en 814 (au sujet d'un conflit survenu entre les évêques
de Noyon et de Soissons, pour la délimitation de ces deux diocèses) ;
celui de Lyon, pour choisir un successeur à l'archevêque Leidrad,
encore vivant; celui de Trêves (dont l'objet est inconnu), et celui
de Compiègne, en 816, dans lequel l'empereur Louis le Débon-
naire reçut les ambassadeurs des Sarrasins 3. Cette même année
Etienne V (IV) fut élevé à la dignité pontificale, après la mort
de Léon III; le nouveau pape envoya aussitôt deux ambassadeurs
à l'empereur Louis, pour lui faire part de son élection et solliciter,
pour ainsi dire après coup, l'approbation impériale. On croit aussi
que le pape Etienne V (IV) a publié dans un synode romain une
décrétale portant qu'à l'avenir le pape serait élu par les évêques
(cardinaux), et par tout le clergé (romain), en présence du sénat
et du peuple, mais qu'il ne serait consacré que praesentibus legatis
imperialibus. Cette décrétale fut insérée dans le Corpus juris
canonici 4, mais Baronius 5, Noël Alexandre 6 et d'autres historiens
1. La Biographie de Théophane et de Théodore Studite se trouve dans Acla
sanct., mart. t. n, p. 218 sq. ; Walch, op. cit., p. 643.
2. Conc. de Noyon : Coll. regia, t. xx, col. 424; Labbe, Conc, t. vu, col. 1303-
1304; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1053; Coleti, Concilia, t. ix, col. 393 ;
Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 141. — Conc. de Lyon : Lalande, Conc.
Gallise, p. 103; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1864; Coleti, Concilia, t. ix, col. 395;
Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 143. — Conc. de Trêves : Labbe, Concilia,
t. vu, col. 1304-1305; Coleti, Concilia, t. ix, col. 393 ; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 147. — Conc. de Compiègne : Mansi, Concilia, Suppl., t. i,
col. 787; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 147. (H. L.)
3. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 142 sq.: Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1054.
4. Corp. juris can., dist. LXIII, c. 28.
5. Baronius, Annales, ad ann. 816, n. 101.
6. Hist. eccles., Venetiis, 1778, t. vi, p. 138.
8 LIVRE XXI
la regardent comme apocryphe, tandis que Pagi x ne la rejette
pas complètement, mais pense qu'elle a été publiée plus tard
par le pape Etienne VIL Hinschius 2 a exprimé la même opinion,
et estime qu'on se trouve ici en présence d'une prescription du
concile romain de 898. En effet le c. 10 de ce concile tenu sous le
pape Jean IX contient une ordonnance absolument analogue au
sujet de l'élection des papes (voir plus loin § 510). Mais, ajoute
Hinschius, si Muratori 3 fait remarquer que déjà un concile romain
de 862 ou 863 (c'est-à-dire avant Etienne VII et Jean IX) s'est
occupé in concilio beatissimi Stephani Papse des droits du clergé
et des personnages importants de la ville de Rome en ce qui con- [8]
cerne l'élection des papes, cette décision ne se rapporte pas à l'é-
poque d'Etienne V, mais au concile de 769 célébré sous Etienne IV.
Nous ne croyons pas au bien fondé de cette dernière assertion,
et nous ne pensons pas avoir des motifs suffisants pour contes-
ter cette ordonnance du concile de l'année 816 tenu sous Etienne V.
Le décret de l'année 898 nous semble au contraire n'être qu'une
reproduction du décret du concile dont nous nous occupons.
Un concile anglais, tenu le 27 juillet 816 à Celchyt (= Chelsea) 4
sous la présidence de Wulfred, archevêque de Cantorbéry, déclara
dans son premier canon vouloir rester fidèle à la foi orthodoxe,
puis il rendit les décisions suivantes : 2. Les églises nouvellement
bâties doivent être consacrées par l'évêque ; à côté des reli-
ques, on conservera la sainte Eucharistie dans une capsula (elle
était placée dans le tombeau de l'autel), et dans le cas où il n'y
aurait pas de reliques, on conservera la sainte Eucharistie seule-
ment. Sur les parois de l'oratoire, sur une table, ou sur l'autel on re-
présentera les saints auxquels les églises et les autels sont dédiés
(il y avait donc des images dans l'Eglise anglaise). 3. L'entente
doit régner dans le clergé. 4. Chaque évêque doit choisir dans son
diocèse les abbés et abbesses, avec l'assentiment des moines ou
des nonnes. 5. Aucun Écossais ne doit remplir de fonction ecclé-
siastique dans un diocèse anglais, parce qu'on ne sait ni où ni
1. Pagi, Critica, ad ann. 816, n. 19; 817, n. 4 sq.
2. Kirchenrecht, Berlin, 1870, t. i, p. 231.
3. Rerum italic. scriptores, t. n, part. 2, p. 127.
4. Coll. regia, t. xx, col. 638; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1484-1489; Hardouin,
Coll. concil., t. vi, col. 1219; Coleti, Concilia, t. ix, col. 573; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 355; Haddan et Stubbs, Councils and ecclesiastical Documents,
t. m, p. 579-585. (H. L.)
417. LES GRANDES DIETES D AIX-LA-CHAPELLE y
par qui il a été ordonné. 6. Les décisions de l'évêque ont force de
loi, et tout ce qui est confirmé par le signe de la croix (dans la
suscription) doit être valable (se rapporte aux donations, etc.).
7. Les évêques, les abbés, etc., ne doivent rien aliéner des biens
de l'Église, ou en confier une partie à quelqu'un pour un temps
qui dépasse la vie de cette personne. On doit conserver avec soin
les titres des biens-fonds (telligrapha, de tellus). 8. Les monastères
érigés avec l'assentiment de l'évêque doivent rester tels (cf.
c. 26 de Chalcédoine). 9. Tout évêque doit avoir une copie des
prescriptions du présent concile. 10. On doit donner aux pauvres
la dîme des successions épiscopales, et on chantera pour le défunt
le nombre de psaumes et de messes accoutumés. 11. Aucun
[9] évêque ne doit empiéter sur le diocèse d'un collègue, exception
faite pour les archevêques. — On trouve dansun appendice quelques
prescriptions pour les prêtres; ils ne doivent refuser le baptême à
personne; ils doivent immerger les baptisés, ne se contentant pas
de verser l'eau sur la tête 1,
417. Les grandes diètes synodales d'Aix-la-Chapelle en 817.
Les relations amicales qu'Etienne V chercha à établir, dès le
début de son pontificat, avec Louis le Débonnaire furent rendues
encore plus cordiales à la suite d'un voyage du pape en France
pendant l'été de 816; Etienne rencontra l'empereur à Reims,
s'entretint avec lui des affaires de l'Eglise et le covxronna solennelle-
ment à Reims en octobre 816, ainsi que l'impératrice Ermengarde.
L'empereur se rendit ensuite à Compiègne où, dans une diète roya-
le, il prescrivit d'importantes mesures législatives et lit préparer
des ordonnances réformatrices publiées l'année stiivante dans les
célèbres diètes synodales d'Aix-la-Chapelle. On avait cru à tort
;i h I refois que ces ordonnances d'Aix-la-Chapelle appartenaient
aux années 816 et 817. Mais Pertz a remarqué avec raison que la
Prœfatio generalis 2 parlait de tous ces documents et les attribuait
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 355; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1219.
2. Pertz, Monum. Germ. hist., t. ni, Leges, t. i, p. 197, 204; Mansi, op. cil.,
t. xiv, p. 380; Hartzheim, Conc. Germ., t. 1, col. 542. Dans ces deux auteurs cette
préface se trouve, par erreur, uniquement avant le Capilulare ad episcopos.
10
LIVRE XXI
à un seul et même concile, à une seule et même année, c'est-à-
dire à la quatrième année de Louis le Débonnaire, en 817. La paix
dont jouissait le royaume permit à l'empereur, ainsi qu'il le dit
dans la Prsefatio generalis, d'introduire dans l'État et dans
l'Eglise cette réforme si longtemps désirée. Cette réforme se fit
dans la diète synodale, où l'empereur fit entre ses trois fils ce par- [10]
tage de l'empire qui eut de si tristes conséquences \
L'ordonnance la plus importante parmi toutes celles qui furent
portées à Aix-la-Chapelle est la règle des chanoines et des reli-
gieuses. Elle porte dans les éditions la date de 816; mais Pertz
n'ayant pas publié ce document, nous ignorons si cette note chro-
nologique se trouve dans tous les manuscrits, ou si elle n'est qu'une
interpolation d'un copiste ou d'un collecteur plus récent; fausse
par conséquent, comme le sont les données chronologiques du
commencement de la Prsefatio generalis 2.
L'empereur exposa lui-même à l'assemblée que malheureuse-
ment beaucoup d'évêques ne surveillaient pas assez leurs infé-
rieurs, et ne faisaient pas pratiquer l'hospitalité; il ajouta qu'il
lui semblait nécessaire de réunir, à l'usage des clercs moins savants,
une collection des règles sur la Vita canonica disposées dans les
anciens canons et dans les écrits des Pères. Les évêques acceptèrent
cette exhortation, quoique la plupart d'entre eux vécussent avec
leurs subordonnés conformément aux canons; ils l'acceptaient
Enfin ce morceau manque totalement dans Hardouin. [Verminghofï, Concilia,
1896, donne la date : août-septembre 816. (H. L.)[
1. Pertz, op. cit., p. 198; Mansi, op. cit., col. 389.
2. Reformalio abusuum cleri per Ludovicum imper atorem, in-8, Colonise, 1549;
Sirmond, Conc. Gall., t. n, col. 329 ; Aub. Mirœus, Forma institutionis canoni-
corum et sanctimonialium canonice viventium anno 816, Ludovici PU imperatoris
hortatu in concilio Aquis granensi édita, in-fol., Antwerpiœ, 1638 ; Coll. regia, t. xx,
col. 430; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1307-1443, 1865-1866 ; Mabillon, Vetera
analecta, 1675, t. i, p. 52 ; 2e édit., p. 149-150; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col.
1055; Coleti, Concilia, t. ix, col. 399; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 117;
Bouquet, Rec. hist. Gaules, t. vi, col. 1445-1446; Verminghofï, Concilia sévi karo-
lini, 1906, p. 307-464; Verzeichnis der Akten frànkischer Synoden von 742-843, dans
N eues Archiv der Gesellschaft fur altère deutsche Geschichtskunde, 1899, t. xxiv,
p. 480-483 ; Ph. Schneider, Die Entwickelung der bischôflichen Domcapitel in
Deutschland bis zum XIV Jahrhundert, in-8, Mainz, 1882, p. 33 ; Hauck, Kir-
chengeschichte Deulschlands, t. n, p. 582, 710; Br. Albers, Die Reformssynode
von 817 und das von ihr erlassene Kapitular, dans Studien und Mittheil. aus
dem Ren.-Cist. Orden, 1907, t. xxvm, p. 528-540; Simson, Jahr b ûcher, Leipzig,
1874, t. i, p. 101; L. Halphen, La crise de l'empire carolingien sous Louis le
Pieux, p. 2. (H. L.)
417- LES GRANDES DIETES D AIX-LA-CHAPELLE
11
d'autant mieux que l'empereur leur avait donné des livres indis-
pensables à une pareille collection (ces livres avaient été pris dans
la bibliothèque de Charlemagne à Aix-la-Chapelle). — On composa
en effet, dans un temps assez court, deux collections de ce genre,
l'une pour les clercs, l'autre pour les religieuses ; elles furent approu-
vées par le concile et présentées à l'approbation de l'empereur.
L'empereur et le concile remercièrent Dieu de l'heureuse issue
de l'assemblée, et les deux institutiones furent recommandées
à l'observation de tous. Elles se composaient de deux livres :
1° De institutione canonicorum, et 2° De institutione sanctimonia-
lium. Chaque livre se subdivise en deux parties, consacrées
la première aux prescriptions générales et préceptes des anciens
Pères et des conciles, la seconde aux décisions du concile d'Aix-
la-Chapelle. On citait les textes des Pères à l'appui de chacun
des règlements d'Aix-la-Chapelle. Le premier livre, beaucoup
l-^J plus considérable que le second, ou, pour parler plus exactement,
la première partie du premier livre, c'est-à-dire la collection des sen-
tences des Pères, etc., a eu, dit-on, pour auteur le savant diacre
Amalaire 1. Quelques textes de ces deux collections prouvent
que d'autres auteurs y ont collaboré.
Les plus importantes de ces règles, parce qu'elles nous permet-
tent de jeter un regard sur la situation ecclésiastique" de cette
époque, sont les ordonnances du concile d'Aix-la-Chapelle lui-
même. Inspirées ordinairement par la règle de Chrodegang, elles
commencent dans le premier livre avec le chap. cxiv, tandis
que les cent treize premiers chapitres ne contiennent que d'ancien-
nes prescriptions patristiques, etc.
Voici les nouvelles ordonnances :
114. Les préceptes de la sainte Ecriture, qui demandent de
mener une vie austère, ne s'appliquent pas seulement aux moines
et aux clercs, ainsi que le supposent beaucoup de personnes,
mais à tous les chrétiens.
115. Les chanoines peuvent porter du lin,' manger de la viande,
posséder des propriétés, toutes, choses défendues aux moines;
mais les uns et les autres doivent être zélés à éviter le péché et à
1 1. Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1055-1175 ; Mansi, Conc. ampliss. coll.,
t. xiv, col. 147-277; Hartzheim, Conc.Germ., 1. 1, col. 430-539; Binterim, Deutsche
Concilien, t. u, p. 349. [Sur le personnage et l'œuvre <T Amalaire, cf. G. Morin,
dans le Dictionnaire de théol. cathol., t. i, au mot Amalaire. (H. L.)]
12
LIVRE XXI
faire le bien. Toutefois, les moines ne possédant rien ont besoin
des secours de l'Eglise plus que les clercs, qui, sans compter ce
qu'ils reçoivent de l'Eglise, ont aussi leurs propriétés privées.
116. Les revenus de l'Eglise doivent être employés selon les
intentions des donateurs et pour le bien des pauvres.
117. Tout évêque doit veiller à ce que la clôture des clercs soit
entourée d'un mur solide, en sorte que nul ne puisse entrer ou sortir.
118. Aucun supérieur ecclésiastique ne doit se charger de trop
de clercs.
119. Plusieurs évêques n'acceptent, dans leur clergé, que des
serfs de leurs églises, qui ne peuvent se plaindre de rien sous
peine d'être ramenés en esclavage. Aucun prélat ne doit exclure
les nobles d'une manière absolue.
120. Les clercs qui ont des biens en propre ainsi que des revenus
ecclésiastiques, et qui sont très utiles à l'Eglise, doivent être admis
dans la communauté (congre gatio), mais seulement pour y prendre
leur repas et y avoir part aux aumônes. S'ils n'ont pas de reve-
nus privés, ils seront nourris et habillés ; enfin si quelques-uns
renoncent à leurs biens privés et à leurs revenus ecclésiastiques,
les prélats devront pourvoir à tous leurs besoins.
121. Dans chaque communauté de chanoines, on donnera
à tous les clercs une égale quantité de mets et de boisson, tan-
dis que jusqu'ici ce sont les moins actifs qui ont été le mieux servis.
122. Dans les églises riches qui possèdent trois mille manses et [12]
au-dessus, chaque chanoine devra recevoir par jour cinq livres
de vin; s'il y a peu de vignes dans le pays, il aura trois livres de
vin et trois livres de bière; s'il n'y a pas de vin, il recevra une livre
de vin et cinq livres de bière 1. Dans les endroits pauvres, on dimi-
nuera proportionnellement cette quantité; dans les plus pauvres,
il aura deux livres de vin, ou trois livres de bière et, s'il est possible,
une livre de vin. Dans ces pays les évêques auront soin de faire
venir du vin d'autres contrées. Les jours de fête, on améliorera
la nourriture et la boisson. Si, en temps de famine, les prélats ne
peuvent donner la manse prescrite, ils diviseront en parties égales
ce qu'ils auront, et les clercs ne devront pas murmurer. Les clercs
riches doivent, en pareille situation, secourir leurs collègues. Les
supérieurs ne doivent pas refuser à ceux qui leur sont soumis la
1. L'usage existait chez les anciens de peser les boissons pour en fixer la quan-
tité, cf. H. Leclercq au mot Cabaretier, dans le Dictionnaire d'arch. chrétienne.
417- LES GRANDES DIETES d' AIX-LA-CHAPELLE 13
nourriture nécessaire, afin qu'ils n'aillent pas ailleurs et qu'ils
n'entreprennent pas d'autres affaires, etc. Les supérieurs doivent
avoir des jardins potagers. Le concile a tout calculé par livre,
parce que, dans toutes les provinces, le poids est le même, tandis
que la mesure ne l'est pas. La livre est de douze onces.
123. Les prélats doivent s'occuper de leurs inférieurs de deux
manières, non seulement en leur procurant de quoi vivre, mais
en veillant sur leur conduite.
124. Les chanoines doivent être habillés convenablement, sans
luxe pour éviter la vanité, sans affectation de misère pour simuler
la vertu (le canon ne prescrit rien touchant les habits).
125. Ils ne doivent pas, ainsi que cela arrive souvent, porter des
coules, comme les moines ; chaque état doit avoir sa manière de se
vêtir.
126-133. Sur les heures canoniales. Pendant les prières au chœur,
les chanoines doivent se tenir debout; sans s'asseoir, ni s'appuyer
sur un bâton, ni causer.
134. Peines que les prélats des maisons canoniales soumises à
l'évêque peuvent infliger aux chanoines placés sous leur juridic-
tion. Si un chanoine ne s'amende pas, après plusieurs réprimandes,
il sera condamné pour un temps au pain et à l'eau. S'il s'obstine,
il sera exclu de la table commune, éloigné du chœur, et occupera
dans l'église une place à part qui marque son déshonneur. Si,
malgré ces mesures, on n'obtient rien, il sera battu, si toutefois
son âge le permet. Si son âge ou sa qualité (sacerdotale) ne le
permet pas, il sera réprimandé publiquement et condamné au
jeûne perpétuel jusqu'à complet amendement. La gradation des
peines porte ensuite l'emprisonnement et enfin la comparution
du délinquant devant l'évêque, qui décidera la conduite à tenir.
Les prélats ne doivent pas oublier que l'Eglise est semblable à
la colombe, qui n'égratigne jamais, mais se contente de punir en
[13] donnant quelques légers coups d'aile.
135. Les enfants et jeunes gens élevés dans la maison canoniale
doivent être surveillés et instruits, ils seront en outre commis à
la garde d'un chanoine âgé et sûr et habiteront ensemble dans un
bâtiment de Y atrium.
136. Après complies, tous les chanoines doivent se rendre au
dortoir ; chacun doit avoir son lit ; une lampe brûlera toute
la nuit dans le dortoir où personne ne se permettra d'incon-
venance de nature à troubler les voisins.
14 LIVRE XXI
137. Que l'art des chantres ne leur fasse pas oublier l'humilité;
qu'ils accommodent leurs chants aux besoins de l'Eglise. Ceux qui
ne peuvent pas chanter se tairont, plutôt que de jeter le désordre.
Les psaumes seront chantés sur un ton plus simple que les hymnes.
138-140. Sur les droits et les devoirs des directeurs, des chanoines,
des prieurs, des sommeliers et de leurs auxiliaires.
141. Tout évêque doit faire ériger un hôpital pour les pauvres
et les étrangers, et le pourvoir du nécessaire. Chaque clerc doit
donner, dans ce but, la dîme de tout ce qu'il reçoit. On placera
à la tête de cet hôpital un chanoine digne de cet emploi. Les clercs
doivent, au moins pendant le carême, laver les pieds des pauvres
dans les hôpitaux.
142. Il est permis aux chanoines d'avoir des habitations privées
(dans l'intérieur de la maison canoniale, ainsi qu'il résulte du
canon 23e du IIe livre, qui a du rapport avec celui-ci; on voit, par
ce canon 23e, que ces chanoines demeurent chez eux pendant le
jour, mais le dortoir et le réfectoire sont communs). Néanmoins on
préparera, pour les anciens et pour les malades, des bâtiments
particuliers, pour qu'ils y trouvent, auprès de leurs frères, un
abri, un soutien et un secours.
143. Devoirs des portiers. Après complies, on doit fermer la
porte et apporter les clefs au premier supérieur.
144. Les femmes ne doivent pas entrer dans les demeures et
dans les bâtiments claustraux des chanoines, à l'exception de
l'église. Si elles ont besoin d'aumônes, elles doivent les recevoir
dans un bâtiment placé en dehors des bâtiments claustraux; et
même là aucun chanoine ne doit leur parler sans témoins.
145. Court résumé des devoirs des clercs, en prenant pour base [j-^j
les passages cités des Pères et les propres capitula du concile 1.
Le second livre : De institutione sancti monialiutn, plutôt destiné
aux chanoinesses qu'aux nonnes, donne (ch. i-vi) des passages
de saint Jérôme, de saint Athanase, etc.; (ch. vii-xxvm) les
prescriptions du concile d'Aix-la-Chapelle. On y voit une ressem-
blance frappante avec les règles pour les chanoines, que nous
venons d'exposer. Le chap. vu prescrit aux abbesses de conformer
à ces prescriptions, leur vie et celle des personnes qui leur sont
soumises, de demeurer dans les monastères, de ne pas faire
1. Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1129 sq. ; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv,
col. 227 sq. ; Hartzheim, Conc. Germ., p. 498 sq.
'ilT- LES GRANDES DIETES d' AIX-LA-CHAPELLE 15
des séjours plus ou moins longs dans les villes, etc., de visiter
assidûment les malades avec plus de zèle que personne, d'avoir la
même nourriture et les mêmes habits que leurs inférieures etc.
8. Elles ne doivent pas recevoir un trop grand nombre de nonnes,
ni des personnes qui ont vécu dans un trop grand luxe; avant
toute admission elles doivent lire les canons ci-inclus aux réci-
piendaires.
9. Avant leur entrée, les nonnes doivent disposer de leurs biens,
en sorte qu'elles ne soient pas préoccupées plus tard par l'admi-
nistration de ces biens. Elles peuvent les donner à l'Eglise, s'en
réserver l'usufruit, ou ne les aliéner en aucune façon; dans ce
dernier cas, elles doivent toutefois instituer un procureur. Quant
aux jeunes filles ou aux personnes dont la vocation religieuse
pourrait donner lieu à des difficultés, on ne doit pas les recevoir
d'une manière imprévoyante.
10. Le voile et l'habit noir ne sont pas tout, il faut que le cœur
soit pur. On défend, en particulier, aux nonnes de causer avec les
hommes. Toutes doivent dormir au dortoir, chacune dans un lit.
Elles observeront les heures canoniales; celles qui sont de naissance
noble ne s'élèveront pas au-dessus des autres ; aucune ne fera
parade de sa chasteté ou de ses autres qualités.
11. Les monastères de femmes doivent être entourés de murs
solides, en sorte que personne ne puisse entrer ou sortir, si ce
n'est par la porte. Dans l'intérieur de l'enceinte ainsi murée
on établira les réfectoires, les cellaria (cellules), les dortoirs et les
autres bâtiments nécessaires.
12. Toutes les nonnes auront la même quantité de nourriture
et de boisson, ce qui souvent n'a pas eu lieu autrefois.
13. Toute nonne doit recevoir par jour trois livres de pain et
trois livres de vin, ou bien, au lieu de trois livres de vin, deux
livres seulement et deux livres de bière, ou, dans les pays qui
ne produisent pas de vin, trois livres de bière, en y ajoutant, si
c'est possible, une livre de vin. On donnera moins dans les monastè-
res pauvres. On veillera à ce que, les jours de fête, la nourriture
soit meilleure. On fournira aux nonnes tout le nécessaire en
[15] viande, poisson, bois, etc., de même que la laine, le lin, les habits,
etc.. Toutes prendront leurs repas ensemble, à l'exception de
celles qui sont malades ou reçoivent des visites.
14. Comment Tabbesse doit veiller au salut de toutes les per-
sonnes qui lui sont soumises.
16 LIVRE XXI
15. Toutes les nonnes doivent, en temps voulu, et au signal donné,
se rendre à l'église pour les heures canoniales ; elles s'y tien-
dront d'une manière respectueuse, avec piété et en silence, etc.
16. Elles doivent prier souvent et avec un cœur pur.
17. Après les complies, elles se rendront au dortoir. Répétition
mot à mot du canon 136e du premier livre.
18. Pénalité. Ce canon est semblable au canon 134e du premier
livre, et énumère les mêmes degrés de pénitence.
19. Une abbesse ne doit parler à un homme que dans les cas de né-
cessité, en présence de plusieurs religieuses d'une vertu éprouvée.
20. L'abbesse doit désigner trois ou quatre nonnes d'une vertu
également sûre, qui seront toujours présentes, lorsqu'une
religieuse aura besoin de parler à un homme, par exemple au sujet
de ses biens, et en particulier pour recevoir les fruits. Elles seront
de même présentes lorsqu'un homme aura un travail à faire dans
la petite habitation d'une religieuse.
21. Les chanoinesses (canonice viventibus) peuvent avoir des
servantes attachées à leurs personnes ; néanmoins, comme ces
servantes s'habillent souvent d'une manière qui ne convient
pas, et comme elles racontent dans le couvent ce qu'elles ont
vu et entendu dans le monde, troublant ainsi l'esprit de leurs
maîtresses, on les surveillera de très près. On ne devra pas en
prendre plus qu'il est nécessaire, et on renverra celles qui ne seront
pas soumises.
22. Sur l'éducation des jeunes filles destinées au cloître. Citation
d'un passage de saint Jérôme.
23. Semblable au capitulaire 142e du premier livre.
24-26. Les abbesses se choisiront des aides, ainsi une personne
chargée des aliments, une autre préposée à la porte.
27. Les clercs des monastères de religieuses auront une habita-
tion et une église en dehors des murs de ces monastères dans les-
quels ils n'entreront qu'à une heure déterminée et pour y dire
la messe; ils seront accompagnés du diacre et du sous-diacre, et
aussitôt l'office divin terminé, tous se retireront. Les nonnes [16]
assistent au service divin derrière un rideau. Si une nonne veut
se confesser, elle doit le faire dans l'église, afin d'être vue de tous,
et quant aux malades, le prêtre devra se faire suivre d'un diacre
et d'un sous-diacre, témoins de sa conduite.
28. Hors du monastère on établira un hôpital, dans la demeure
et près de l'église du clerc chargé de ce monastère; à l'intérieur
417- LES GRANDES DIETES d' AIX-l.V-C.il Al'ELLE 17
duquel un local sera réservé pour lesveuvescl les pauvres femmes 1.
A l'issue de ce concile, l'empereur envoya une encyclique à
tous les archevêques de l'empire qui n'y avaient pas assisté ; il y
joignait une copie des institutiones dont nous venons de par-
ler, les engageant à les faire exécuter dans leurs diocèses
et ceux de leurs sufïragants. Pour cela, on exécuterait pour
toutes les maisons canoniales des copies fidèles sur l'exem-
plaire authentique envoyé par l'empereur, et un missus impé-
rial resterait dans chaque province jusqu'à ce que ces copies
fussent terminées et envoyées à chacun des canonicats, pour y
être exactement mises en pratique. Au bout d'un an, et le 1er sep-
tembre de l'année suivante, l'empereur enverrait des missi dans
tout le royaume, pour s'assurer de l'observation des nouveaux
statuts. Nous possédons encore deux exemplaires de cette ency-
clique : l'un adressé à Sichar, archevêque de Bordeaux, l'autre
à Arno, archevêque de Salzbourg2. C'est à tort qu'on a cru possé-
der une troisième encyclique adressée à Magnus, archevêque de
Sens 3, car le début même de cette lettre accuse une différence, à
savoir que l'archevêque Magnus était lui-même membre du concile,
tandis que les deux autres ne l'étaient pas. Mais l'archevêque
de Sens quitta Aix-la-Chapelle avant que la copie des actes ne fût
achevée, c'est pourquoi l'empereur lui en envoya un exemplaire.
La suite de la lettre à Magnus est identique aux deux autres
lettres à' Sichar et à Arno.
Mansi a trouvé dans un manuscrit du Vatican, portant le
n° 4885, une copie des actes d'Aix-la-Chapelle 4, qui pour les cent
treize premiers chapitres coïncide avec tous les autres exemplai-
res, mais qui en diffère totalement à partir du chap. exiv de la
seconde division du premier livre. Cette seconde division porte
a) une suscription particulière : de or aine congre gationis canoni-
corum ; b) elle ne continue pas rémunération des chapitres ; c) elle
1. Mansi, op. cit., 1. xtv, col. 266 sq.; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1165 sq. ;
Hartzheim, Conc. Germ., p. 530 sq.
2. La première se trouve clans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 277; Hardouin,
op. cit., t. iv, col. 1176 sq.; la seconde, dans Hartzheim, op. cit., p. 540 sq.
3. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 280; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1178. En deux
endroits le commencement de cette lettre à Magnus est tout à fait inintelligible ,
parce qu'on a omis un mot. Le meilleur texte se trouve dans Mansi, op. cit.,
Appendix, col. 375 sq., et Pertz, Mon. Germ., p. 219 sq.
i. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 283 sq
CONCILES - IV - 2
18
LIVRE XXI
contient plusieurs prescriptions nouvelles, empruntées en par-
tie à la règle de Chrodegang ; d) elle mêle ces prescriptions à
plusieurs statuts d'Aix-la-Chapelle. Mansi, ayant lu dans ce ma-
nuscrit du Vatican le nom de l'Eglise de Liège, pensa qu'à l'épo-
que de notre concile, les chanoines de Liège, qui avaient déjà des
statuts particuliers, les avaient soumis à l'approbation du concile
d'Aix-la-Chapelle; le concile, après les avoir approuvés, les aurait
ajoutés à l'exemplaire des chapitres d'Aix-la-Chapelle destiné à
l'Eglise de Liège.
M8. Les statuts d'Aix-la-Chapelle et la règle de Chrodegang.
Il est surprenant que les statuts d'Aix-la-Chapelle ne mention-
nent pas la règle de Chrodegang, d'autant plus que le diacre
Amalaire, leur principal auteur, habitait Metz, où l'évêque de
cette ville, nommé Chrodegang, avait établi la règle qui porte
son nom. Ce silence a fait supposer à quelques historiens que cette
règle de Chrodegang n'avait jamais existé, et qu'il fallait voir,
dans les documents qui la reproduisent, une simple imitation et
contrefaçon des statuts d'Aix-la-Chapelle 1. Cette hypothèse
hardie avait autrefois une certaine apparence de raison, parce
que l'on ne possédait qu'une forme altérée et interpolée de la règle
de Chrodegang, surchargée d'additions postérieures et, en particu-
lier, d'emprunts aux statuts d'Aix-la-Chapelle. Mais le P. Labbe a
donné d'après un manuscrit du fonds Palatin de la bibliothèque
Vaticane un texte plus court qui ne renferme pas ces additions
et contient la règle destinée, à l'origine, à l'Église de Metz. C'est
ce que montrent les canons 4, 5, 24, où il est question de la
cathédrale de Saint-Étienne, et d'autres églises de Metz, et le c.
20, à la fin duquel Angilram, successeur de Chrodegang, trouva
bon de faire une addition. Ce nouveau texte que Mansi et Har-
douin ont accepté 2, résout la plupart des objections présentées
contre l'existence de la règle de Chrodegang. Si on y ajoute
les affirmations très précises des anciens auteurs, en particulier
1. Binterim, Deutsche Concilien, t. u, p. 355.
2. Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1181; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv,
col. 314.
418. LES STATUTS d' AIX-LA-CHAPELLE 19
[18] de Paul Diacre 1, on ne peut nier que dans la seconde moitié
>lu vnie siècle Chrodegang a relevé à Metz la vie canoniale, et
composé une règle à cette intention. Plusieurs conciles et capitu-
laires du temps de Pépin et de Charlemagne mentionnent une
règle de ce genre sur la vie canoniale; nous citerons en particulier
le concilium Vernense de 755, le capitulaire de 789 et les conciles
d'Arles, de Mayence et de Tours de 813. — On a avancé que
les statuts d'Aix-la-Chapelle n'avaient pas mentionné la règle
de Chrodegang, parce qu'elle ne s'était pas répandue hors de la
ville de Metz, et qu'elle était bientôt tombée en désuétude 2;
mais cette opinion n'est rien moins que fondée, car les évèques
présents à Aix-la-Chapelle disent, dans le prologue de leurs statuts,
que la plupart d'entre eux vivaient selon l'ordre canonique,
ainsi que ceux qui leur étaient soumis, et que, in plerisque locis,
idem ordo plenissime servatur. On s'explique jusqu'à un certain
point le silence gardé sur la règle de Chrodegang par les statuts
d'Aix-la-Chapelle, si l'on réfléchit que Louis le Débonnaire se
proposait tout autre chose que de faire une simple réédition de la
règle de Chrodegang. Son but était de réunir ce que les actes des
anciens conciles et les écrits des Pères contenaient de meilleur sur
la vie canoniale. Ce qui prouve que Louis le Débonnaire tenait pour
insuffisante la règle de Chrodegang, c'est l'insistance avec laquelle
il demande au concile de réunir les règles données par les anciens,
quoique les évêques affirmassent que la vie canoniale avait été
déjà introduite partout. L'empereur estimait probablement que
les statuts des plus anciens conciles et des Pères de l'Église auraient
plus de prestige et de force qu'une règle composée par un évêque
contemporain. Tout en utilisant cette règle, il a peut-être cru que
le meilleur moyen de lui donner un vernis d'antiquité était de
ne pas la mentionner en la citant dans ses capitulaires. Les évêques
s expriment plus favorablement sur la règle de Chrodegang; la
vie canoniale déjà organisée en plusieurs lieux ne leur déplut pas,
et ils ne crurent pas, comme Louis le Débonnaire, qu'il suffisait de
reproduire simplement des textes des Pères disposés à la suite les
uns des autres.
Aussi joignirent-ils à ce premier travail un seeond qui, se
1. Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1198 sq.; Mansi, Conc. amplis*, coll.,
t. xiv, col. 332 sq. ; d'Achery, Spicilegium, t. i, p. 565.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 313; Binterim, Denkfviirdigkeiten, t. tu, p. 322.
20 LIVRE XXI
substituant à la règle de Chrodegang, lit que celle-ci tomba en
désuétude. Dans ce cas encore, le mieux était de passer sous
silence la règle de l'évêque de Metz. Afin de permettre une compa-
raison entre la règle de Chrodegang et les statuts d'Aix-la-Chapelle,
nous donnerons, à l'exemple des collections des conciles, cette
règle de Chrodegang, d'après la rédaction la plus courte.
Règle de Chrodegang 1.
Chrodegang, qui prend le titre de servus servorum Dei, Metensis
urbis episcopus, déplore, dès le début, la décadence du clergé et
du peuple; cet état de choses Fa grandement attristé, mais, comp-
tant sur le secours de Dieu, et soutenu par les consolations spiri-
tuelles de ses frères, il s'est décidé à publier un court décret en
trente-quatre chapitres sur la conduite des clercs. En voici le som-
maire :
1. Exhortation à l'humilité.
2. Le rang à garder entre les chanoines est déterminé par la date
de leur ordination, exception faite pour ceux que l'évêque aura
voulu honorer particulièrement et pour ceux qu'il aura dégradés.
Les chanoines ne doivent s'interpeller ni se désigner l'un l'autre
simplement par leur nom; ils y ajouteront toujours la mention
de la dignité dont chacun est revêtu. Lorsque plusieurs se rencon-
trent, le plus jeune doit demander aux anciens la bénédiction et
ne pas s'asseoir devant eux.
3. Que tous dorment dans un dortoir, excepté ceux à qui
l'évêque a permis de dormir dans des habitations séparées, mais
situées à l'intérieur de la clôture. Chacun aura un lit séparé, les
lits seront répartis sans tenir compte de l'âge des chanoi-
nes, de telle sorte que les jeunes soient mêlés aux plus âgés — ce
qui facilite la surveillance. Aucune femme, aucun laïque ne peu-
vent entrer dans la clôture, si ce n'est avec la permission de
l'évêque, ou de l'archidiacre, ou du primicier. Lorsque les cha-
noines vont au réfectoire, ils laisseront leurs armes à la porte.
1. Mansi, Coll. concil., t. xiv, col. 313 sq. ; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col.
1 181 sq., en abrégé dans Natal. Alexander, Hist. eccl., sec.Vm, Venet., 1788, t. vi,
p. 80 sq., et dansLongueval,i/is£. de V Égl.gallic, t. iv, p. 435 sq., etc.; Schrockh,
Kirchengesch., t. xx, p. 82 sq. ; Binterim, Denkw., t. ni, p. 322 sq. ; Rettberg, Kir-
chengesch. Deutschl., t. i, p. 495 sq., a comparé la règle de Chrodegang à celle
de saint Benoît.
418. LES STATUTS d' AIX-LA-CHAPELLE 21
Les laïques ne doivent rester dans la clôture que le temps indis-
pensable à ce qu'ils ont à y faire, par exemple les cuisiniers, lorsque
aucun chanoine ne sait faire la cuisine. Dans leurs habitations
particulières (situées à l'intérieur de la clôture), les chanoines
n'auront aucun clerc auprès d'eux sans la permission de l'évêque.
4. Tout clerc qui appartient à la congrégation (c'est-à-dire
à la maison canoniale) doit assister à complies dans l'église de
Saint-Etienne, où l'on donnera constamment le signal à l'entrée
de la nuit. A partir des complies, aucun clerc ne devra manger,
boire ni parler, jusqu'au lendemain, à une heure déterminée.
Celui qui ne se rend pas à complies, ne pourra entrer dans la clô-
ture que lorsque les chanoines vont aux nocturnes. Si quelqu'un
s'absente et couche en ville, on se contentera, une première fois,
de lui infliger un blâme; une seconde fois il sera au pain et à l'eau
pendant un jour, et une troisième fois pendant trois jours; s'il
retombe encore, il recevra un châtiment corporel.
5-G. Concernant les heures canoniales. Pendant l'hiver, on se
lèvera à huit heures de la nuit (deux heures du matin) pour les
vigiles. Après les vigiles on prendra un temps pour la méditation,
mais on ne dormira pas. A la première heure du jour, tous devront
chanter prime dans l'église de Saint-Etienne.
7. On doit chanter les psaumes devant Dieu, avec beaucoup de
respect. Nul ne doit, en le faisant, s'appuyer sur un bâton.
8. Tout chanoine doit venir journellement au chapitre, où on
lit des passages de la sainte Ecriture, de la présente règle (insti-
tutiuncula), des traités et des homélies des Pères. C'est au chapi-
tre que l'évêque, l'archidiacre, ou le préposé, donne ses ordres
et adresse ses réprimandes. Lorsque, après prime, les chanoines
sont rentrés dans leurs maisons, ils doivent être attentifs au
signal qui les appelle au chapitre. Les clercs demeurant hors de
la clôture et dans la ville doivent, tous les dimanches, se rendre au
chapitre, avec la planeta (chasuble) ou autres insignes de leurs
fonctions. Ils doivent de même se rendre, les jours de dimanche
et de fête, dans le cloître pour les nocturnes et pour matines, et
se restaurer au réfectoire.
9. L'oisiveté étant l'ennemie de l'âme, les clercs doivent, après
le chapitre, se livrer aux travaux (manuels) qui leur ont été
assignés par leurs supérieurs.
10. Les clercs en voyage ne doivent pas négliger les devoirs
de leur état; ils observeront les heures canoniales du jour, etc.
22
LIVRE XXI
11. Un zèle plein de douceur et de charité doit régner parmi les
chanoines.
12. Personne ne doit excommunier ni battre son collègue.
13. Personne ne doit s'ériger en défenseur ou protecteur d un
confrère.
14. Tout chanoine doit se confesser deux fois par an à l'évêque [21]
ou à un prêtre établi par l'évêque, c'est-à-dire pendant le carême
et entre le 16 août et le 1er novembre. Celui qui n'est pas empêché
par ses fautes peut communier tous les dimanches et aux princi-
pales fêtes. Celui qui cache un péché en confession de crainte
que l'évêque ne le dépose, et préfère le confesser à un autre,
sera puni, si l'évêque vient à connaître ce fait, et s'il est prouvé 1.
15. Lorsqu'un chanoine a commis une faute grave : meurtre,
débauche, adultère, vol, etc., il recevra un châtiment corporel,
sera mis en prison ou exclu. Pendant qu'il est au cachot,
nul ne doit lui parler ; une fois rendu à la liberté, il se soumettra à
la pénitence publique en la manière voulue par l'évêque; il ne
pourra paraître ni dans l'oratoire, ni à table; pendant la récita-
tion des heures canoniales, il se tiendra à la porte de l'église,
et se prosternera à l'entrée et à la sortie de ses confrères.
16. Un clerc qui parle avec un collègue excommunié, sera lui-
même excommunie.
17. Le clerc coupable d'une faute sera, les trois premières fois,
réprimandé en secret par ses supérieurs; s'il ne s'amende pas,
il sera réprimandé publiquement; s'il s'obstine, il sera excommu-
nié, et en dernier lieu il recevra un châtiment corporel.
18. Celui qui a commis une faute légère, par exemple qui a
brisé un vase, perdu un objet, ou qui est arrivé un peu tard à
table, doit se dénoncer lui-même et demander pardon.
19. On doit proportionner la peine à la gravité du délit.
20. Ordre des jeûnes et des repas. Pendant le carême, à l'excep-
tion des dimanches, il n'y aura qu'une seule réfection, après les
vêpres, et on s'abstiendra des mets défendus par l'évêque. Pendant
ce temps, on doit jusqu'à tierce s'occuper de lectures, et ne pas
quitter la clôture; après tierce on réunira le chapitre. De Pâques
à la Pentecôte, on fera deux repas auxquels on pourra manger de
la viande, etc. (à l'exception du vendredi); de la Pentecôte à
1. Binterim, Denkwùrdigkeiten, t. in, p. 331, a montré que cette disposition
s'accorde malaisément avec le respect du secret de la confession.
418. LES STATUTS d' AIX-LA-CHAPELLE 23
la Saint-Jean, il y aura également deux repas, mais on ne man-
gera pas de viande jusqu'à la messe du jour de saint Jean. De la
Saint- Jean à la Saint-Martin, on fera deux repas chaque jour et
[22] on s'abstiendra de la viande les mercredis et vendredis ; de la
Saint-Martin à Noël il n'y aura qu'un seul repas après none, et
sans viande; de Noël au commencement du carême, il y aura
tous les jours deux repas, à l'exception des lundis, mercredis et
vendredis. La viande sera interdite le mercredi et le vendredi;
si une fête tombe ces jours-là, le supérieur peut permettre de
manger de la viande. — Angilram, successeur de Chrodegang,
ajouta que l'on pourrait aussi manger de la viande pendant
les huit jours qui suivent la Pentecôte, jusqu'à son octave,
parce que la descente du Saint-Esprit est comme une nouvelle
Pâque.
21. A la première table du réfectoire prendront place l'évêque,
ses invités, l'archidiacre, ou ceux qu'il a appelés à sa table; à
la seconde table seront les prêtres, à la troisième les diacres,
etc. Tous arriveront au réfectoire à l'heure indiquée. On fera la
lecture pendant le repas ; nul ne devra en emporter ni nour-
riture ni boisson; on n'entrera pas dans le réfectoire à un autre
moment qu'aux heures des repas; on ne devra pas demander à
boire ni à manger au cellérier. Aucun laïque ni aucun clerc étran-
ger ne doit prendre son repas dans le réfectoire, sans permission
du supérieur.
22-23. Prescriptions sur la quantité des mets et des boissons.
Lorsqu'il y a deux repas le jour, le premier aura lieu à midi (ad
sextam) ; le second le soir (ad csenam). A sexte, le prêtre et le diacre
recevront trois calices (de vin), et pour le souper deux calices;
les autres en auront un peu moins. S'il n'y a qu'un seul repas
dans la journée, on y donnera la portion de vin que l'on donne à
sexte. S'il n'y a pas assez de vin, on devra s'abstenir de murmurer.
Celui qui ne boit pas de vin recevra une égale quantité de bière.
Le mieux serait de s'abstenir tout à fait de vin.
24. Chacun doit à son tour faire la cuisine pendant une semaine.
Sont exceptés l'archidiacre, le primicier, le cellérier et les trois
gardiens des églises de Saint-Etienne, de Saint-Pierre et de Sainte-
Marie.
25-27. Devoirs des archidiacres, primiciers, cellériers, portiers et
gardiens des églises.
28. L'évêque, l'archidiacre et le primicier doivent s'occuper
24 LIVRE XXI
des malades ; on aura des bâtiments spécialement destinés aux
malades et un chanoine pour les soigner.
29. Une moitié de la communauté composée des plus âgés
recevra chaque année de nouveaux manteaux et donnera les
vieux à l'autre moitié. Ils recevront en outre des sarciles (habit
de laine d'une forme inconnue), des camisiles (sorte de soutane), [23]
ainsi que des souliers et du bois (le latin de la première partie de
ce chapitre est, par exception, beaucoup plus mauvais que le
latin ordinaire de la règle de Chrodegang).
30. Des fêtes, et des repas qui ont lieu alors. Les jours de Noël
et de Pâques, l'évêque devra faire préparer un repas à ses cha-
noines, dans sa propre maison (au lieu de ipsis, il faut lire in
domo ipsius).
31. Celui qui entre dans un canonicat, doit donner ses biens
(immeubles) à l'église de Saint-Paul; mais il peut s'en réserver
la jouissance sa vie durant. Quant à sa propriété mobilière, il peut,
sa vie durant, la donner aux pauvres, ou à qui il voudra.
32. Un prêtre peut garder ce qui lui est remis comme aumône,
par exemple, pour dire la messe. Mais si on fait une donation à
tous les prêtres, les autres chanoines, même ceux qui ne sont pas
prêtres, doivent y avoir part.
33. Après prime, tous doivent être prêts, au signal donné, à
se rendre au chapitre avec les habits de leur fonction; après le
chapitre, ils se rendent dans l'église, chantent tierce et attendent
l'évêque. Celui qui ne s'y rendra pas sera puni. Les frères qui
chantent les vigiles dans une autre église, doivent néanmoins
venir au chapitre à l'heure fixée.
34. Tous les quinze jours, c'est-à-dire un samedi sur deux,
tous les matricularii x se rendront le matin dans l'église cathé-
drale, pour entendre une homélie et recevoir l'instruction ; ils se
confesseront deux fois par an. On instituera pour chaque
matricule un primicerius matricularum spécial. Détermination
de la portion de pain, des autres aliments et du vin, que les
matricularii doivent recevoir à certaines époques. Plusieurs de
ces matricularii étaient employés aux divers services domestiques;
d'autres recevaient de l'église de petits biens qu'ils devaient
cultiver et dont ils avaient la jouissance. Le présent chapitre les
1. Les matricularii étaient les pauvres secourus par l'Église et immatriculés
sur un registre. Cf. Du Cange, Glossarium, à ce mot.
419. AUTRES DÉCISIONS DU CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE 25
divise en trois classes : a)ceux qui in domo sunt, c'est-à-dire dans
la maison épiscopale ; b) ceux qui per cseteras ecclesias infra civita-
tem matriculas habent, c'est-à-dire ceux qui sont employés dans les
autres églises de la ville, et c) ceux qui sont dans les villse. Tous
doivent venir tous les quinze jours à la cathédrale. Cette dernière
s'appelle ecclesia in domo, dans la maison de l'éveque, c'est-à-dire
située près de cet ensemble de bâtiments qui, sans compter la
[24] maison de l'éveque, contient aussi le canonicat ou les bâtiments
claustraux K
419. Autres décisions du concile d' Aix-la-Chapelle de 811.
Si nous revenons maintenant aux actes du concile d'Aix-la-
Chapelle, nous rencontrons le statut monastique en quatre-
vingts numéros, qui forme le pendant de la Règle de Chrode-
gang2. Le document est daté de 817, vi idus julius (10 juillet) ;
on y lit, dans l'introduction : « Lorsqu'en ce jour, divers abbés
et moines se furent réunis in domo Aquisgrani palatii quse ad
Lateranis dicitur, on prit, après délibération, les décisions sui-
vantes 3. » Les plus importantes sont ainsi conçues : 1 et 2. Dès
leur retour dans leurs monastères, les abbés y introduiront la
1. De là le nom allemand Domkirche, « église de la maison».
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 347 a supposé qu'une partie de ces quatre-vingts
capitula appartenait à un ancien synode tenu sous Charlemagne, et que cette
ancienne partie coïncidait avec les règlements donnés au monastère de Murbach
par saint Simpert, évêque d'Augsbourg. [A. Verminghofî, Verzeichnis der Akten
(rànkischer Synoden von 742-843, dans Neues Archiv, 1899, t. xxiv, p. 483. (H. L.)]
3. Binterim dit, au sujet de ces abbés et de ces moines convoqués par l'empe-
reur [Deutsche Conciliai, t. n, p. 359) :« L'homme le plus influent de cette réunion
paraît avoir été Benoît d'Aniane, que l'empereur chargea, avec quelques autres
personnes, de visiter tous les monastères, pour y introduire la nouvelle règle.
Pagi, Critica, ad ann. 817, n. 6. Au lieu de Benoît d'Aniane, d'autres nomment
Benoît abbé de Corneliusmùnster, près d'Aix-la-Chapelle; c'est, en particulier,
l'opinion de Damberger, Synchron. Gesch., t. m, p. 100, et Krilikheft, p. 31. Ce que
rapporte Walafrid Strabo prouve que saint Benoît d'Aniane a été le principal
auteur de la réforme des moines ; Strabo dit qu'en 818 Hatto, abbé de Reiche-
nau, où Walafrid avait été autrefois écolier, avait envoyé à Aniane deux des
moines les plus distingués de son monastère, Grimoald et Tatto, afin d'y étudier
les institutions en vigueur, et après leur retour en 819, on fit des réformes sem-
blables à Reichenau (Kalholik, 1857, octob., 2).
26
LIVRE XXI
présente règle, et tous les moines l'apprendront par cœur. 3.
L'office doit être célébré de la manière prescrite par la règle de
saint Benoît. 4. Les moines doivent faire eux-mêmes la cuisine,
laver leurs habits, etc. 5. Après les vigiles (nocturnes), ils ne doi-
vent pas se coucher. 6. Pendant le carême, ils ne se feront raser
que le samedi saint ; mais en temps ordinaire ils se feront raser
tous les quinze jours. 8,9,10,78. Il est défendu de manger des vola-
tiles sauf les jours de Noël et de Pâques. Quant aux pommes et
à la salade, on n'en pourra manger qu'à la suite d'autres ali-
ments. 11. Il n'y aura pas d'époque fixée pour la saignée. [25]
13. Si un moine est blâmé par son supérieur, il dira mea culpa et
il se prosternera jusqu'à ce que son supérieur lui dise de se lever.
14. Les moines qui ont commis une faute seront fouettés à
nu, en présence de leurs frères. 15. Aucun moine ne doit sortir
seul. 16. Aucun ne peut servir de parrain, ni embrasser une
femme. 20-22. Leurs habits ne doivent être ni trop pauvres ni
trop recherchés, mais d'une qualité moyenne ; la cuculla aura deux
aunes de long 1 ; chaque moine doit avoir deux cammée(chemises),
deux tuniques, deux cuculles et deux cappas, et même, s'il est né-
cessaire, une troisième. En outre, il aura quatre pedules paria (cale-
çon ou bas) et deux femoralia paria (culottes), roccum unum (un
rochet), pellicias (pelisse) usque adtalos duas, fasciolas duas (jarre-
tières), et, pour les voyageurs, deux autres paires, des gants pour
l'été, appelés wantos, deux paires de souliers pour l'usage jour-
nalier, deux paires de subtalares (pantoufles) pour les nuits d'été,
et, en hiver des saccos (sabots). En outre, ils recevront du savon,
des onguents, de la graisse pour manger (v. c. 77), une hemina de
vin, ou le double de bière 2. 23. Durant le carême les frères doivent
se laver les pieds les uns aux autres, et, le jour de la Csena Domini,
l'abbé lavera et baisera les pieds de ses moines. 31. La première
place, après celle de l'abbé, revient au prieur, qui devra toujours
être un moine. 34. On fera un an de noviciat. 36. Les parents qui
veulent offrir leur enfant au monastère doivent le présenter à
l'autel pendant l'offertoire ; ils feront la demande d'admission
par-devant des témoins laïques. Si l'enfant a l'âge de raison, il
confirmera cette demande. 40. On aura pour les moines qui doivent
1. Sur ces vêtements monastiques, voir tous les termes correspondants dans
Du Cange, Glossarium.
2. La valeur de l'hémine paraît correspondre au demi-setier.
419- AUTRES DÉCISIONS DU CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE 27
être sévèrement punis, un bâtiment spécial, qui pourra être chauffé
en hiver, et qui aura une cour où ils feront les travaux qui leur
sont assignés. 42. Aucun clerc séculier ne devra demeurer dans
un monastère. 45. Il n'y aura dans le monastère qu'une seule école,
pour les oblats. — C'est ce canon qui a donné lieu à l'institution
générale des scholse externse. Quelques monastères avaient eu anté-
rieurement deux écoles, une exierna et une interna. Ainsi, en 815,
[26] Walafrid Strabo entra dans l'école des externes de Reichenau;
elle comptait alors quatre cents élèves, tandis que la classe d'in-
ternes en comptait cent. 47. Le vendredi saint, on n'aura que du
pain et de l'eau. 49. Les pauvres percevront la dîme de tous les
revenus du monastère. 54. Les supérieurs doivent s'appeler nonni 1.
62 et 84. Lorsque l'abbé, le prieur ou le doyen n'est pas prêtre,
il doit néanmoins bénir ceux qui lisent (à l'office ou à table):
mais après les complies, un prêtre seul donnera la bénédiction.
68. Les prêtres (parmi les moines) donneront les eulogies aux
frères dans le réfectoire. 69. Au chapitre, on lira d'abord le mar-
tyrologe, puis la règle, ou les homélies. 76. Chacun recevra sa
portion de mets et de boisson, et il ne devra pas en faire part à
un autre. 80. L'abbé doit traiter chacun selon son mérite. Celui
qui aura souvent été averti et puni, et même excommunié, et qui
ne s'amende pas, sera battu. Toutes les peines doivent être admi-
nistrées en présence des autres moines 2.
Le troisième document du concile d'Aix-la-Chapelle de l'année
817 comprend vingt-neuf capitula proprie ad episcopos. 1. Les
princes ne doivent pas porter atteinte aux biens de l'église. 2.
Les évêques doivent être élus par le clergé et le peuple, sans simo-
nie, etc., et avec dignité. 3. Comme la vie canonique est, sous plu-
sieurs points de vue, mal observée, l'empereur a prescrit la rédac-
tion d'une règle pour les chanoines et pour les nonnes. 4. Ce qui
a été donné aux églises sous le gouvernement de Louis le Débon-
naire doit, lorsque l'église est riche, être employé aux deux tiers
pour les pauvres, de telle sorte que les moines et les clercs n'aient
que le dernier tiers; dans les églises pauvres, on devra, au contraire,
1. Nonnus, c'est-à-dire Monsieur. Cf. Du Cange, Glossarium. — Cf. P. Karl
Brandes, Erklàrung der Regel des hl. Vaters Benedikt, p. 603. On trouve déjà
cette expression de nonnus dans le c. lui de la règle de saint Benoît.
2. Pertz, Monum., t. ni, Leg., t. i, p. 200; Mansi, Conc. ampliss.coll.,t.-x.iv,
App., p. 393; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1226; Hartzheim, Conc. Germ., t. n,
p. 3.
28 LIVRE XXI
faire un partage égal entre les clercs et les pauvres, à moins que
le donateur n'ait fait quelque stipulation particulière. 5. Statut au
sujet des moines. 6. Les esclaves ne doivent être ordonnés qu'avec
la permission de leurs maîtres. Si un esclave a été ordonné sans
la permission de son maître, celui-ci pourra l'arracher au camp [27]
du Seigneur et le réduire de nouveau en esclavage. Si des esclaves
de l'Église paraissent aptes aux fonctions ecclésiastiques, ils doi-
vent être, conformément à un édit de l'empereur, mis en liberté.
7. Aucun clerc ne doit recevoir de présent qui tendrait à dépouiller
des enfants ou des parents du donateur. 8. Aucun chanoine ou
moine n'engagera qui que ce soit à recevoir la tonsure, dans la
pensée d'hériter de ses biens (pour son monastère). 9. Nul ne doit
être ordonné prêtre sans l'assentiment de l'évêque; mais les évê-
ques ne doivent pas refuser des clercs présentés par des laïques
pour l'ordination ou pour diverses fonctions, et qui en sont dignes.
10. Toute église doit avoir une manse parfaitement libre, dont
le prêtre n'ait à payer ni dîme ni offrande, ni impôts pour sa mai-
son et son jardin, ni à remplir d'autre charge que celle de son
ministère. Si un prêtre a du superflu, il doit, sur ce superflu, payer
à ses supérieurs ce qu'il leur doit. 11. Toute église doit avoir ses
prêtres. 12. Si on a érigé de nouvelles églises dans de nouvelles
villse, ces églises percevront la dîme sur ces villse. 13. Les vases
des églises ne doivent plus être engagés si ce n'est en cas de
nécessité et pour racheter des prisonniers. 14. Nous avons
porté des ordonnances spéciales sur les églises détruites,
et sur les neuvièmes et les dîmes. 15. De même sur l'honneur
à rendre aux églises. 16. Les évêques lombards ne doivent plus
recevoir d'argent pour la collation des ordres. 17. Les prê-
tres qui, malgré les défenses, ont des femmes chez eux,
doivent être punis comme contempteurs des canons, s'ils ne
s'amendent pas. 18. Quant aux clercs qui habitent loin de la
ville épiscopale, un sur huit d'entre eux doit venir demander
le saint chrême à l'évêque, le jour de la Csena Domini. Ceux qui
ne sont éloignés que de quatre à cinq milles, viendront en personne.
Afin de recevoir des instructions, ils ne se rendront pas dans la
ville épiscopale pendant le carême, mais à une autre époque déter-
minée par l'évêque. 19. Les évêques ont promis, conformément au
désir de l'empereur, de ne plus être, à l'avenir, à charge au peuple
dans leurs tournées de confirmation, etc. 20. Sans le consentement
de ses parents, aucun fds ne peut recevoir la tonsure, ni aucune
419. AUTRES DÉCISIONS DU CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE 29
fille le voile. 21. Une veuve ne peut prendre le voile que trente
jours après la mort de son mari, et après s'être concertée
avec ses parents, avec l'évêque ou avec des prêtres. 22-24. Au
sujet des femmes enlevées et de leurs ravisseurs, on observera
les anciennes ordonnances de Chalcédoine et d'Ancyre. 25. Au
sujet de ceux qui épousent des vierges consacrées à Dieu, on
observera le décret du pape Gélase. 26. Aucune vierge ne doit
recevoir le voile avant l'âge de vingt-cinq ans. 27. Défense de
continuer l'épreuve de la croix. 28. Les évêques doivent former
[28] leur clergé avec beaucoup de soin. 29. Beaucoup de capitula qui
ne sont pas encore nécessaires sont remis à une autre époque. On
ne donne maintenant que ceux dont l'opportunité est reconnue 1.
— Viennent ensuite trois séries d'ordonnances impériales concer-
nant la vie civile et la vie religieuse; les dernières se rapportent aux
devoirs des missi 2.
Dans ce même concile d'Aix-la-Chapelle, on distribua en trois
catégories, d'après leurs revenus, les monastères de l'empire :
ceux qui, dans une campagne de l'empereur, pouvaient lui four-
nir argent et soldats ; ceux qui ne pouvaient lui procurer que
l'argent, enfin ceux qui ne pouvaient l'aider que de leurs prières.
Les quatorze monastères de la première classe sont : Saint-Benoît
de Fleury, Ferrière, Nigelli de Troyes, La Croix (Leufroy près
d'Evreux),Corbie, Sainte-Marie de Soissons,Stavelot(près de Liège),
Flavigny, Saint-Eugende (Saint-Claude, dans le Jura), Novalaise
(dans le Piémont, au pied du mont Cenis), Saint-Nazaire (Lorsch),
Offunwilar (Schuttern), Monsée (Mananseo) et Tegernsée.
Dans la seconde classe sont rangés seize monastères : Saint- Mi-
chel, Baume (les messiours) (près de Besançon), Saint-Seine (dans
le diocèse de Langres, auj. Dijon), Nantua, Schwarzach (sur le
Mein), Saint-Boniface(Fulda), Saint- Wigbert (Hersfeld), Ellwangen
(Elehenwanc),Feuchtwangen, iVazarurfa (peut-être faut-il lirellaza-
rieda), Hasenried, Herrieden (près de Feuchtwangen), Kempten,
Altmunster, Altaich, Kremsmunster, Mattsée et Benediktbeuren.
Dans la troisième classe on énumère cinquante-quatre monas-
tères qui n'auraient qu'à prier pour l'empereur, pour ses fils et
pour l'empire, parmi lesquels on remarque les suivants, situés
au delà du Rhin et en Bavière : Seewang (?), Sculturbura
1. Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1213; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 381 ; Hartz-
heim, Conc. Germ., t. i, p. 544; Pertz, îoc. cit., p. 206.
2. Pertz, loc. cit., p. 210, 214, 216.
30
LIVRE XXI
(peut-être Schliiehtern dans la vallée delà Kintzig), Berch (Haid-
lingsberg, près de Mallesdorf, en Bavière), Methema (Metten),
Schônau, Masburg (sur l'Isar) et Wessobrunn 1.
Dans la publication de ces ordonnances qui fut faite en son
nom, Louis le Débonnaire plaça en premier lieu son Capitulai* e
générale par lequel il témoigne de son zèle pour l'amélioration
de la situation religieuse, et fait remarquer que, pendant la qua-
trième année de son règne (par conséquent en 817), profitant d'un
moment de paix, il a convoqué les évêques, abbés, chanoines, M"J
moines et les grands de l'empire pour essayer avec leur concours
de travailler à l'amélioration de chaque état, de celui des chanoi-
nes, des moines et des laïques. Il a fait rédiger, collationner et pla-
cer dans les archives publiques le résultat de ces délibérations,
c'est-à-dire ce que les chanoines et les moines devaient observer, et
ce qui devait être ajouté aux lois et capitulaires 2. Comme ce
Capitulare générale porte expressément la date de la quatrième
année du règne de Louis le Débonnaire, on ne saurait l'attribuer,
avec Baluze et Mansi, à l'année 816; et comme il rapporte tout ce
qui est cité à un seul et même concile d'Aix-la-Chapelle, et forme
une sorte d'introduction à tous ces divers documents, on est légi-
timement amené à croire que ces statuts, ceux des chanoines,
des nonnes, etc., sont de l'année 817.
420. Conciles à Aix-la-Chapelle, à Venise, à Vannes,
à Thionville, de 818 à 821.
A la demande de l'empereur Louis le Débonnaire on tint, en
818, une autre diète synodale à Aix-la-Chapelle. On y déposa et
on relégua dans des monastères les évêques soupçonnés d'avoir
pris part à la rébellion de Bernard, neveu de l'empereur et roi
d'Italie ; tel fut, en particulier, le sort de Théodulf d'Orléans,
qui ne cessa de protester de son innocence 3.
1. Hardouin, loc. cit., col. 1234, et Mansi, op. cit., t. xiv, col. 400, ont donné
de ces documents une édition moins correcte que celle de Pertz, op. cit., Lcges,
t. r, p. 223 sq.
2. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 380; Pertz, loc. cit., p. 204.
3. Labbe, Concilia, t. vu, col. 1866-1867; Lalande, Conc.Galliœ, p. 105;Coleti>
Concilia, t. xi, col. 609; Mansi, op. cit., t.xiv, col. 385; Hartzheim, Conc. Germ.,
t. h, col. 10. (H. L.)
420- CONCILES A AIX-LA-CHAPELLE, ETC. 31
Dans cette même année, Jean, patriarche intrus de Grado,
fut déposé dans un concile tenu à Venise.
Les actes des conciles mentionnent aussi un concilium 1 eneti-
cum ; cependant il ne se tint pas à Venise, mais à Vannes en
Bretagne, lorsque Louis marcha contre les Bretons rebelles 1.
On y délibéra sur les affaires de l'État et de l'Eglise ; malheureuse-
ment ce renseignement par trop vague est tout ce que nous
savons de cette assemblée.
En | janvier] 819, Louis le Débonnaire, remarié avec Judith
depuis la mort d'Ermengarde, tint à Aix-la-Chapelle une diète
synodale, dans laquelle les missi rendirent compte de l'exécu-
[30] tion des réformes ordonnées en 817 ; on promulgua, dans cette
même diète, quelques nouveaux capitula2. Baluze, Mansi et d'au-
tres attribuent à tort à cette dernière assemblée d'Aix-la-Cha-
pelle Y Instructif) missorum, oubliant que les missi devaient être
munis de cette pièce dès 817, lorsqu'ils entreprirent leur voyage
d'inspection et de réforme. D'autres capitula que Baluze et Mansi
rapportent à l'année 819 sont en réalité de l'année 817, et forment
un appendice aux statuta pro episcopis. Aussi Pertz a-t-il eu raison
de les placer tous en 817. Il place au contraire en 819 3 les neuf
numéros d'une réponse faite à un missus revenant de sa tournée.
Enfin, le 6e capitulaire que Baluze et Mansi placent en 819
appartient en réalité à l'année 823 4.
Le conventus Noviomagensis (Nimègue), en 821, dans lequel
l'empereur Louis le Débonnaire revint sur l'affaire de la divi-
sion de l'empire, est une assemblée purement politique et ne
peut être regardée comme un concile 5. Par contre, l'empereur
tint, en octobre de la même année, à Thionville (Theodonis villa),
une réunion solennelle qui peut, jusqu'à un certain point, être
1. Lalande, Concilia, p. 106; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1867; Coleti, Concilia,
t. ix, col. 609; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1238 ; Hartzheim, Deutsche
Conciliai, t. n, p. 632; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 805 ; Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 386.
2. Labbe, Concilia, t. vu, col. 1867; Lalande, Conc. Gall., p. 106; Mansi,
op. cit., t. xiv, col. 416; Pertz, op. cit., p. 225.
3. Pertz, loc. cit., p. 227. A. Yermingholï, Verzhichnis, dans Neues Archiw, 1899,
t. xxiv. (H. L.)
4. Pertz, loc. cit., p. 236 sq.
5. Coleti, Concilia, t. ix, col. 609; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 387;
Damberger, op. cit., t. in, p. 120.
LIVRE XXI
rangée au nombre des eonciles 1. L'empereur avait, convoqué
les seigneurs et les évêques de l'empire aux noces de son fils
aîné et associé à l'empire, Lothaire, avec Ermengarde. Il accorda,
en cette occasion, amnistie complète à tous les évêques condamnés
pour avoir pris part à la révolte de Bernard. On y publia aussi
plusieurs ordonnances dont l'objet était purement civil.
Dans notre première édition nous avons attribué à ce concile
de Thionville deux capitulaires, nous rapportant en cela à Har-
douin et à Mansi 2. Le premier a pour titre : Karoli M. et Hlu-
dovici I capitulare apud Theodonis villam ; le deuxième : Capi-
tulum ecclesiasticum apud Theodonis viïlam a Karolomagno et
Ludovico et primis Gallise conlaudatum et subscriptum. Ces capi-
tulaires ne peuvent être attribués à l'époque de Charlema-
gne, car, de tous les archevêques qui y sont mentionnés, seul
Aistulf de Mayence existait au temps de Charlemagne. Mais [31]
comme une variante du capitulaire ecclesiasticum ne fait pas
mention de Charlemagne et ne nomme que Louis le Débonnaire,
nous croyons pouvoir les attribuer tous deux au concile de Thion-
ville de 821. Dans le premier capitulaire on dit : Les archevêques
Aistulf de Mayence, Hadebald de Cologne, Hetto de Trêves, et
Ebbo de Reims, avec leurs suffragants et les délégués des autres
évêques de Gaule et de Germanie, en tout trente-deux évêques,
ont célébré un concile à Thionville, à cause des graves sévices
que des prêtres ont eu à subir de la part de quelques tyrans, en
particulier à cause de l'assassinat honteux et récent de l'évêque
Jean en Vasconie (Navarre). Le concile décida, à l'unanimité,
de demander au prince et de s'en remettre à lui pour décider
si ceux qui s'étaient rendus coupables de pareilles fautes devaient
être punis de peines ecclésiastiques, ou si conformément aux
capitulaires des rois antérieurs, on devait les frapper d'a-
mendes pécuniaires. Les évêques rendirent donc les quatre ordon-
nances suivantes :
1. Celui qui maltraite un sous diacre, le blesse, etc., devra, si
le sous-diacre guérit, faire pénitence durant cinq carêmes ; en
1. Coll. regia, t. xxi, col. 46,; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1519-1522; Hardouin,
Conc. coll., t. iv, col. 1237; Coleti, Concilia, t. ix, col. 611 ; Mansi, Concilia, Suppl.,
t. i, col. 823; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 389 ; Bjhmer-Muhlbacher, Reg.
Karoling., 1881, p. 268-269. (H. L.)
2. Pertz a édité ces capitulaires dans l'appendice du t. iv des Monumenta
(p. 4.); il lésa mis en appendice parce qu'il doutait de leur authenticité.
420. CONCILES A AIX-LA-CHAPELLE, ETC. 33
outre, il payera à l'évêque trois cents solidi, avec la composition
requise en pareil cas, et les bannos episcopales (amende due à
l'évêque) ; si le sous-diacre vient à mourir, le coupable fera
pénitence pendant cinq années entières, payera quatre cents
solidi, une composition triple, et trois fois les bannos episcopales.
2. Celui qui maltraite un diacre fera pénitence pendant six carê-
mes entiers, payera quatre cents solidi, la composition et les bannos
episcopales. Si le diacre meurt, la pénitence durera six années
entières, on payera six cents solidi, triple composition, etc.
3. S'il s'agit d'un prêtre, le coupable fera douze carêmes (et
si le prêtre meurt, douze ans de pénitence), payera six cents
solidi, triple composition et les bannos episcopales ; si le prêtre
meurt, tout sera triplé, et on donnera neuf cents solidi.
4. Si on maltraite un évêque, on fera pénitence pendant dix
ans, et on payera trois fois plus que pour un prêtre qui n'est pas
3^J mort. Si un évêque est tué par accident, le meurtrier fera péni-
tence, suivant la décision portée par le concile provincial. Si l'évê-
que a été tué volontairement, le coupable devra s'abstenir de
vin et de viande toute sa vie ; vivre dans le célibat, et déposer
le cingulum militare (cesser tout service public).
L'archevêque Aistulf de Mayence avait demandé si ces prescrip-
tions avaient l'assentiment « des princes » et de leurs fidèles,
on lui répondit affirmativement. Cette approbation se trouve
dans le capitulum ecclesiasticum ; on y lit en effet : « Il a semblé bon
à Nous et à nos fidèles, que les évêques et leurs compagnons,
que Dieu garde d'après les règles de sa justice divine et non
d'après celles de la justice humaine, demeurent sauvegardés
par les statuts des canons et des capitulaires qu'on nous a sou-
mis. » Les quatre capitula mentionnés plus haut furent alors
répétés et approuvés; et l'empereur fit ajouter ce qui suit: «Celui
qui désobéira à l'évêque sera d'abord puni canoniquement ;
s'il s'obstine, il perdra son bénéfice et sera mis au ban (de l'em-
pire). S'il reste un an et un jour dans ce ban 1, ses biens seront
confisqués, et il sera exilé en tel lieu où il restera jusqu'à ce qu'il
ait satisfait à Dieu et à la sainte Église. » — Les deux empereurs
Louis el Lothaire et pêne omnes Gallise et Germanise principes
1. Damberger, op. cit., t. m, p. 127, croit que le bannus dont il est ici question
est le bannus ecclésiastique ; mais il se trompe, -car l'empereur dit : in nostro
banno.
CONCILES - IV - 3
34
LIVRE XXI
signèrent ce décret et le clergé rendit grâce à Dieu et au prince par
le chant du Te Deum, après quoi le concile se sépara 1.
Nous avons déjà dit que dans notre première édition nous avions
attribué ces Capitulaires au concile de Thionville de l'année
821, mais Philipps a fait justement remarquer qu'Ebbo n'était
plus archevêque de Reims en 821, tandis qu'il est nommé au
début du premier capitulaire 2. Philipps pense donc avec
Pertz que ces deux capitulaires sont apocryphes, et qu'on a
dû attribuer au concile de Thionville des décisions du concile de
Tribur de 895 (voir plus loin § 509). Nous ne croyons pas
pouvoir admettre cette opinion ; il serait possible que les
prétendus capitulaires de Thionville appartinssent au concile
de Coblentz de 922 auquel assistèrent Charles le Simple, roi
de France, et le roi Henri Ier d'Allemagne (voir plus loin § 513).
Peut-être le titre a-t-il été modifié et il peut se faire qu'un
copiste ait lu Karoli et Hludovici au lieu de Karoli et Henrici. [33]
Cependant les noms des quatre archevêques cités au début
ne s'accordent pas avec l'époque de Charles le Simple et
Henri Ier ; il s'en faut de tout un siècle.
421. Concile dAttigny, en 822.
Peu après le concile de Thionville, Louis le Débonnaire regretta
la rigueur avec laquelle il avait traité Bernard et ses partisans.
On sait que Bernard avait eu les yeux crevés avec plusieurs
autres personnes, et qu'il était mort à la suite de ces mauvais
traitements. Plusieurs évêques furent déposés et enfermés dans
des monastères. On infligea des peines semblables aux demi-frères
du roi d'Italie, à Drogon, Théodoric et Hugo, fils naturels de Char-
lemagne, ainsi qu'à d'autres parents. On leur rasa les cheveux
et on les enferma dans un monastère en qualité de moines. Dans
la diète d'Attigny (août 822), l'empereur vêtu en pénitent reconnut
l'excès de sa rigueur en présence des prélats et des grands de son
1. Peilz, Mon. gertn. hisl., Leges, t. i, p. 228, 229.
-. Phillips, Die grossen Synode von Tribur, dargestelll mil Benïitzung von
Wiener, Mùnchener und Salzbwger Handschriften, dans Sitzungsberichle d. Akad.
il.. Wissensch., 1 8 G 5 , Wien, L. xi.i\, p. 713-784.
421. CONCILE D'ATTIGNY 35
empire ; il se réconcilia avec ses demi-frères, donna à Drogon
l'évêché de Metz, à Hugo plusieurs abbayes, promit de réparer
autant que possible le mal qu'il avait fait, et, au milieu de l'émo-
tion universelle, il demanda aux évêques l'absolution sacramentelle
et une pénitence 1.
Agobard, archevêque de Lyon, présent à cette réunion d'Atti-
gny, rapporte que l'empereur avait engagé les ecclésiastiques
et les dignitaires de l'empire à s'appliquer aux sciences et à éviter
toute négligence, et qu'il avait rédigé ses exhortations sous forme
de capitulaires. S'appuyant sur cette donnée, Pertz a pensé
[34] retrouver le rescrit mentionné par Agobard dans un document
comprenant six numéros, et qu'il a le premier édité d'après un
manuscrit de Blankenburg 2. Nous pensons au contraire, que ce
document est l'œuvre, non de l'empereur, mais des évêques
présents à Attigny, qui, sous l'impulsion de l'empereur, voulu-
rent travailler à l'œuvre de la réforme. Leurs décisions en six
numéros sont rédigées sous la forme d'un discours à l'empe-
reur. « 1. Eclairés par l'inspiration divine, et par la ferveur
de votre zèle impérial, excités par l'exemple salutaire de votre
confession, nous nous reconnaissons nous aussi coupables de bien
des manières, soit dans notre genre de vie, soit dans notre ensei-
gnement et dans notre ministère. Mais, fortifiés par votre
bonté, et possédant la liberté et la compétence nécessaires, nous
voulons être à l'avenir plus vigilants. 2. Comme le salut du peuple
dépend surtout de l'enseignement qu'il reçoit, on veillera à ce
qu'il y ait partout des clercs savants. 3. Nous voulons apporter
tout notre soin à l'amélioration des écoles. Il faut que quiconque
veut s'instruire y trouve des maîtres savants ; les frais seront
supportés par les parents ou les maîtres. On fondera plusieurs
écoles dans les grands diocèses. 4. Si les évêques ne sont pas en
mesure de fonder ces écoles, les puissants de l'endroit y pourvoi-
ront. 5. Les grands doivent venir assidûment aux sermons 6. On
ne doit pas distribuer des places pour des raisons de parenté, ou
d'amitié, c'est encore là un genre de simonie. .»
1. Coll. regia, t. xxi, col. 55; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1529-1540; Hardouin,
Coll. conc, t. iv, col. 1247 ; Coleti, Concilia, t. ix, col. 621; Mansi, Concilia,
Supplem., t. i, col. 825; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 403 ; Hartzheim, Conc.
Germ., t. n. p. 26; A. Verminghofï, Verzeichnis der Aklen frànkischer Synoden
von 742-843, dans Neues Archw, 1899, t. xxiv, p. i84. (H. L.)
2. Pertz, Mon. Germ. hislor., Leges, i. i. p. 2
36 LIVRE XXI
Agobard nous a conservé un discours prononcé au concile
d'Attigny par le vénérable et ancien abbé Adalard. Nous appre-
nons d'Hincmar de Reims, que, dans cette même diète, une femme
noble nommée Northildis porta par-devant l'empereur et l'assem-
blée des plaintes contre son mari ; les évêques laissèrent aux
laïques le soin d'instruire cette affaire relative aux rapports
conjugaux entre cette femme et son mari. Les évêques se réser-
vèrent d'infliger une peine, si on constatait un délit qui méritât
un châtiment 1.
Sirmond suppose que l'empereur Louis publia également dans
ce même concile le capitulare II qui appartient plutôt à l'année
825. Par contre, il est probable que les évêques réunis à Attigny
reçurent, avant leur départ, ce court capitulaire en dix numéros
édité par Pertz. On a d'autres ordonnances de l'empereur qui
manquent dans les anciennes collections des capitulaires francs 3,
elles sont à peu près de cette époque, mais ce sont plutôt des lois [35]
civiles, et il n'est dit nulle part qu'elles aient quelque rapport
avec des conciles.
422. Conciles à Rome et à Compiègne en 823.
En 823, le pape Pascal Ier se purgea, dans un concile romain,
des accusations portées contre lui. Le fils aîné de Louis le Débon-
naire, Lothaire, proclamé Auguste depuis 817, fut solennellement
couronné par le pape, dans l'église de Saint-Pierre, le jour de
Pâques, 5 avril 823. Aussitôt après, ce prince regagna la Germanie ;
mais un parti d'aristocrates ou de républicains, mécontent du
gouvernement du pape, chercha, sous le faux prétexte d'un zèle
gibelin, à atteindre le but qu'il poursuivait. Quelque temps
après, l'empereur Louis, alors à la diète de Compiègne, apprit
que deux Romains de distinction, le primicerius Théodore et
son gendre le nomenclator Léon, avaient été massacrés à cause
de leur attachement à l'empereur Lothaire après avoir eu les yeux
crevés au palais de Latran. L'empereur envoya aussitôt l'abbé
1. Mansi, Conc. ampliss. coll., t.xiv, col. 407.
2. Pertz, op. cit., p. 236.
3. Pertz, op. cit., p. 232, les a éditées pour la première fois.
423. CONCILES A LONDRES ETC. 37
de Saint-Vaast d'Arras, Adolung, et le comte Hunfrid de Chur,
en Italie pour y ouvrir une enquête rigoureuse. Avant leur départ,
deux ambassadeurs du pape, Jean évêque de Silva Candida, et
l'archidiacre Benoît, vinrent au camp impérial protester que le
pape avait ignoré le meurtre, bien loin de l'avoir ordonné. Les
commissaires impériaux se rendirent immédiatement à Rome.
Dès leur arrivée, le pape Pascal tint en leur présence, au La-
tran, une assemblée solennelle, dans laquelle il affirma sous ser-
ment, et trente-quatre évêques avec lui, qu'il n'avait pas pris la
moindre part à ce meurtre. En revanche il refusa de livrer les
coupables parce qu'ils étaient serviteurs de l'Eglise et parce que
les victimes avaient mérité leur châtiment parleur révolte. L'em-
pereur Louis, mis au fait de toute cette affaire, s'apaisa, et Pascal
mourut peu après, le 10 février 824 *.
Nous avons dit que l'empereur Louis tint à Compiègne, dans
[36] les derniers mois de 823, une diète qui fut en même temps un
concile. Les évêques se plaignirent de diverses atteintes portées
aux biens d'Eglise par des laïques, et n'obtinrent qu'une demi-
satisfaction. Vers cette même époque, Ebbo, archevêque de Reims,
fut désigné par un concile pour évangéliser la Scandinavie 2.
423. Conciles à Londres, à Cloveshoë, à Oslaveshlen
et à Aix-la-Chapelle entre 816 et 825.
Le conflit survenu entre Wulfred, archevêque de Cantorbéry,
et le roi Cénulf, provoqua la réunion de plusieurs conciles anglais.
Wulfred avait été longtemps le favori de Cénulf, et on ignore
le motif de sa disgrâce. Pendant six ans, le roi empêcha l'arche-
vêque de remplir son ministère ; il parvint même à tourner le
pape contre lui, de sorte que, pendant six ans, le peuple en-
tier des Anglais fut privé de l'administration du baptême 3.
1. Baronius, Annales, ad ann. 823, n. 1-3; Pagi, Critica, ad ann. 823;Mansi,
Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 410; Bower, Gesch. der Pàpste, t. v, p. 523 sq. ;
Damberger, op. cit., t. m, p. 123.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 407, 410.
3. C'est là ce que rapportent les actes. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 401. Serait-
ce donc que l'archevêque était seul à baptiser, ou bien a-t-il, parce qu'il était
persécuté, fait publier un interdit général ?
38 LIVRE XXI
En 816, le roi convoqua une grande assemblée dans la cilla royale
de Londres et menaça l'archevêque d'un exil éternel, s'il ne lui
donnait son bien de Yongesham, comprenant trois cents charrues,
et s'il ne lui comptait en outre cent vingt livres d'argent. L'arche-
vêque s'exécuta, sur les instances de ses nombreux amis, à la
condition que le roi le ferait rentrer en grâce auprès du pape et
l'aiderait à ressaisir ses droits primatiaux. Si l'archevêque ne pou-
vait les recouvrer, le roi lui rendrait ces biens et cet argent. Mais
le roi garda tout et manqua à sa parole 1. A la mort de Cénulf, en
821, sa fille l'abbesse Quendrida (Cenedrytha) s'empara de sa
succession, y compris les biens del' archevêque. On n'est pas cer-
tain que cette princesse ait, dans le but de s'emparer du pouvoir,
fait massacrer son jeune frère Kenielm, âgé de sept ans, légitime
héritier de Cénulf ; quoi qu'il en soit, après le court gouverne-
ment de Céolwulf, oncle de Quendrida, le Mercien Béornwulf
ceignit la couronne et força l'abbesse à un compromis avec l'arche-
vêque. On tint, dans ce but, des conciles à Cloveshoë et à Osla-
veshlen. Dans ce dernier concile Quendrida remplit les conditions
décrétées à Cloveshoë 2. Mansi et d'autres historiens prétendent
à tort que ce n'est pas à Oslaveshlen, mais dans un concile posté-
rieur de Cloveshoë, qu'on a rétabli l'entente. Les actes donnés
par Mansi ne parlent 3 que des conciles de Londres, de Cloveshoë
et 0"slaveshlen. L'expression prsenominata synodus ad Cloveshoum*
fait voir incontestablement que le concile de Cloveshoë, où se fit
sans succès la première tentative de conciliation, est identique
au concilium ad Cloveshoum 5, que Mansi a regardé à tort comme
très postérieur ; quant aux signatures 6, elles n'appartiennent
pas au synode de Cloveshoë, mais à celui d'Oslaveshlen. Il n'est
guère possible de déterminer avec une précision absolue la date
1. Mansi, t. xiv, col. 401 489 ; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1245. [Haddan
et Stubbs, Councils and ecclesiastical documents, t. ni, p. 587, placent ce con-
cile de Londres en 819-821. (H. L.)]
2. Mansi et Hardouin, op. cit., Lingard, Hist. d'Angl., t. i, p. 155 sq. [Coll.
regia, t. xxi, col. 51; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1527-1529 ; Coleti, Concilia,
t. ix, col. 518; Wilkins, Conc. Britann., t. i, col. 171 ; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 393; Haddan and Stubbs, Councils and eccles. documents, t. ni,
p. 592-595 ; le 30 octobre 824. (H. L.)
3. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 402, 490.
4. Ibid., t. xiv, col. 490.
5. Ibid., t. xiv, col. 489.
6. Ibid., t. xiv, col. 491.
[37]
423. CONCILES A LONDRES, ETC. 39
de ces conciles. Celui de Londres eut lieu avant la mort de Cénulf,
les deux autres entre 822 et 825 1. En 825, le roi Béornwulf, qui
signa le procès-verbal du concile, fut dépossédé de son trône par
Egbert, roi de Wessex. Si le compromis entre l'archevêque et
l'abbesse a eu lieu à Oslaveshlen, et non à Cloveshoë, il en ré-
sulte que la première réunion n'a pu avoir lieu en 825, ainsi que
l'ont prétendu Wilkins et Mansi, car, dans ce cas, il faudrait
retarder le concile d'Oslaveshlen en 826 2, c'est-à-dire à une
époque où Béornwulf avait perdu la couronne.
En 824, un autre concile, tenu à Cloveshoë, termina un différend
survenu entre Herbert, évêque*de Worcester, et les moines de
Berkeley, au sujet du couvent de Westbury 3.
Dans une diète synodale d'Aix-la-Chapelle, au commencement
de 825, l'empereur Louis publia deux capitulaires se complétant
l'un l'autre : le premier, composé de vingt-six numéros, était
adressé aux évêques ; le second, comprenant quatre numéros,
[38] était destiné aux inissi 4. Ces deux capitulaires ont trait en
partie à l'amélioration de la situation de l'Eglise. Ce fut proba-
blement dans la même diète qu'on accéda à la demande des moi-
nes de Saint-Audain, dans les Ardennes, qui voulaient transférer
dans leur monastère le corps de saint Hubert.
1. Coll. regia, t. xxi, col. 52; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1527-1529;
Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1245; Coleti, Concilia, t. ix, col. 621; Wilkins,
Conc. Brit.,t. i,col. 172-173; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 401. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 403; Haddan et Stubbs, Connais and ecclesiastical
documents, t. m, p. 596. (H. L.)
3. Coll. regia, t. xxi, col. 93; Labbe, Concilia, t. vu , col. 1555-1556 ; Hardouin,
Coll. conc, t. iv, col. 1265; Coleti, Concilia, t. ix, col. 655; Wilkins, Conc. Britann.,
t. i, col. 173-176; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 489. (H. L.)
4. Mansi, Concilia, Supplem., 1. 1, col. 833; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 491.
Binterim, Deustche Conciliai, t. n, p. 365-369, a montré contre Pertz, Leges,
t. i, p. 242, en invoquant les derniers numéros du Capilulare missorum, que cette
diète synodale ne s'était pas tenue au mois de mai 825. Binterim, op. cit., p. 366,
s'est trompé toutefois en disant que cette diète synodale s'était réunie à Tribur.
40
Livrn. xxi
424. Réapparition de F hérésie des iconoclastes.
L'empereur Léon l'Arménien fut massacré le jour de Noël
820. Ayant pris ombrage de son ami le général Michel le Bègue,
auquel il devait le trône, il l'avait condamné à mort pour
crime de haute trahison. L'exécution devait avoir lieu après la
fête de Noël. Mais, au commencement de la solennité de la
nuit, les amis de Michel, très inquiets pour leur propre sûreté,
massacrèrent l'empereur, et Michel sortit de son cachot pour
monter sur le trône, avant qu'on eût pris le temps de lui ôter
ses chaînes. Michel était aussi un adversaire des images, mais
d'un autre caractère que Léon et plus porté à la conciliation :
aussi, dès son avènement, rendit-il la liberté ou leur patrie
aux iconophiles prisonniers, ou exilés. Ce fut ainsi que Théodore
Studite rentra à Constantinople, après avoir quitté sa prison de
Smyrne 1. Présenté à l'empereur, il lui adressa un panégyrique,
et une apologie pour les images, dans l'espoir que Michel tenterait
une restauration semblable à celle d'Irène. C'était une illusion.
L'empereur renvoya Théodore, l'assurant qu'il serait personnelle-
ment à l'abri de tout danger, et ajoutant que le culte des images
ne serait pas rétabli. L'empereur fit la même déclaration au Sénat,
et la tentative de l'ancien patriarche Nicéphore pour rappeler
le prince à de meilleurs sentiments ne produisit aucun résultat.
Quelque temps après (821), l'empereur chercha, dans un concile,
à mettre sur pied d'égalité les amis et les ennemis des images.
Sur son ordre, les évèques orthodoxes et les archimandrites des
monastères tinrent une délibération à la suite de laquelle ils
remirent à l'empereur une déclaration portant en substance
qu'il leur était impossible d'assister à un concile où siégeraient
les hérétiques. Du reste, s'il restait quelque point qui, dans la
pensée de l'empereur, n'eût pas été résolu d'une manière per-
1. A. Gardner, Théodore of Sludium : his life and time, in-8, London, 1905;
G. A. Schneider, Der Heil. Theodor von Studion. Sein Leben und Wirken. Ein
Beilrag zur byzantinischen M ônchgeschichle, in-8, Munster, 1900; J. Pargoire, Saint
Théophane le Chrono graphe et ses rapports avec saint Théodore Studite, dans Aca-
demia imper, s'cientiar., Saint-Pétersbourg, 1902, t. ix; Tougard, La persécution
iconoclaste, dans la Revue des Questions historiques, 1891. (H. L.)
i24. RI- APPARITION DE l'hÉRESIE DES ICONOCLASTES 41
[39 1 tinente par les patriarches, il n'avait qu'à le soumettre au
jugement de l'ancienne Rome, car telle était la très ancienne
tradition : « en effet, cette Eglise est la tête des Eglises de
Dieu ; elle a eu Pierre pour premier évêque, celui-là même à
qui le Seigneur a dit : Tu es Pierre, etc. 1. »
Dès lors, Michel s'affirma de plus en plus comme l'adversaire
des images ; après la mort de Théodote Cassitera (821), il osa
élever au siège patriarcal de Constantinople, Antoine de Silœum,
personnage mal famé que nous avons déjà rencontré. Les ico-
nophiles furent grandement déçus ; plusieurs d'entre eux vin-
rent à Rome exhaler leurs plakites. En conséquence l'empereur
Michel envoya des ambassadeurs et des lettres au pape Pascal Ier,
e1 à l'empereur Louis le Débonnaire. La lettre à Louis est arrivée
jusqu'à nous. Ecrite au nom de l'empereur Michel et de Théophile
son fils et associé à l'empire, elle est datée du 10 avril 824. Michel
veut d'abord informer « son frère impérial » de son avènement
au trône. « Un certain Thomas, qui se trouvait à Constantinople
au service d'un patrice très distingué, avait avec la femme de
son maître des relations adultères ; craignant que sa faute ne
fût connue, il s'était, sous l'impératrice Irène, réfugié en Perse,
où il se fit passer pour le fils d'Irène, le malheureux empereur
Constantin.il prétendit qu'un autre avait eu à sa place les yeux
crevés, et lui s'était sauvé ; beaucoup le crurent. Afin d'augmenter
le nombre de ses partisans, il avait apostasie, et à la tête de bandes
armées il avait envahi l'empire romain, et s'était saisi des duchés de
Chaldée et d'Arménie. L'empereur Léon (l'Arménien) n'avait pu lui
tenir tête et avait été soudain massacré par quelques mécontenls
(a quibusdam improbis, conjuratione in eum jacta). Par la grâce
de Dieu, le choix des patriarches et celui des grands de l'empire,
Michel avait été aussitôt élevé sur le trône. Thomas, l'imposteur,
avait assiégé Constantinople ; mais Michel secouru de Dieu, et
miraculeusement protégé, l'avait vaincu et anéanti avec ses par-
tisans. Thomas avaii eu les mains et les pieds coupés, on l'avait
ensuite attaché à la potence ; ses fils adoptifs avaient été pareille-
ment exécutés. » L'empereur voulait mettre à profit la tranquillité
présente pour rétablir l'union parmi ses sujets, et envoyer une
grande ambassade à l'empereur Louis. Il lui mandait que beaucoup
[40 de laïques et de clercs avaient dévié des traditions apostoliques
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 399.
42 LIVRE XXI
et des ordonnances des Pères, et imaginé de coupables nouveautés.
« Ils ont, continue l'empereur, éliminé des églises la sainte croix,
qu'ils ont remplacée par des images devant lesquelles ils font
brûler des parfums, leur rendant le même honneur qu'au
signe sacré sur lequel le Christ a souffert. Ils chantent des
psaumes devant ces images, leur témoignent leur vénération
(xpoaxuvelv, mot à mot adorare, geste qui consiste à porter la
main à sa bouche et à la baiser en signe de vénération), et en
attendent du secours. Beaucoup revêtent ces images d'habits
de lin, et les choisissent pour parrains de leurs enfants. D'au-
tres, voulant prendre l'habit monastique, abandonnent la vieille
tradition, d'après laquelle les cheveux qu'on leur coupe étaient
reçus par des personnes de marque ; ils préfèrent les laisser
tomber sur les images. Des prêtres et des clercs grattent les cou-
leurs des images, mêlent ces couleurs aux hosties et au vin, et
distribuent le tout après la messe (comme eulogies). Enfin d'au-
tres placent le corps du Seigneur entre les mains des images,
avant de le distribuer aux communiants. Quelques-uns ne
célèbrent plus le service divin dans les églises, mais dans les
maisons privées et sur des images qui tiennent lieu d'autels.
Ces faits et plusieurs autres bien constatés, les hommes savants
et sages les regardent comme défendus et inconvenants. Aussi
les empereurs orthodoxes et les savants évêques se sont-ils
décidés à réunir un concile local (celui de Constantinople
815), dans lequel ils ont interdit tous ces abus. Ils ont fait
complètement détruire les images placées à hauteur d'homme ;
quant aux autres, ils les ont maintenues à la condition qu'on
regarderait la peinture comme un écrit et qu'on ne la baiserait
pas. Ils ont agi de la sorte pour empêcher les ignorants et les
faibles, d'adorer ces images et de faire brûler devant elles des
lampes ou de l'encens. Nous partageons ce sentiment, et chas-
sons de l'Église tous les partisans de ces nouveautés. Quel-
ques-uns, ne voulant pas admettre le concile local, et refusant
d'entrer dans le chemin de la vérité, se sont enfuis, et sont
allés dans l'ancienne Rome, pour y injurier l'Eglise et la reli-
gion. Dédaignant leurs impiétés, nous préférons publier notre
foi orthodoxe, car nous professons inébranlablement, de bouche
et de cœur, le symbole des six conciles saints et généraux. Nous
vénérons la Trinité..., nous implorons l'intercession de notre
maîtresse immaculée, la Mère de Dieu, et toujours vierge
'25- LOUIS LE DÉBONNAIRE II LA REUNION DE PARIS 43
\l;uii'. et celle de tous les saints dont nous vénérons avec foi
les vénérables et saintes reliques. Pour l'honneur de l'Église du
[411 Christ, nous avons écrit au saint pape de l'ancienne Rome, lui
envoyant par les ambassadeurs susnommés (les mêmes qui
étaient adressés à l'empereur Louis) un évangéliaire, un calice
et une patène en or pur et ornés de pierres précieuses ; c'était
là notre offrande à l'Eglise de Pierre, prince des apôtres. Quant
à toi, frère bien-aimé, nous te demandons de veiller à ce que
ces ambassadeurs arrivent jusqu'au pape avec toute sorte
d'honneurs, et sans courir de dangers ; prête-leur secours, et
fais que si les blasphémateurs sont encore à Rome, ils en soient
chassés. Comme souvenir, nous t'envoyons un vêtement vert
brodé, un autre de couleur hyacinthe, deux habits de pourpre, etc.1. »
425. Louis le Débonnaire et la réunion tenue à Paris, en 825,
contre les images.
L'ambassade grecque, qu'il ne faut pas confondre avec une autre
venue plus tard en 827 2, trouva un accueil favorable au camp
impérial, à Rouen (novembre ou décembre 824). L'empereur
Louis le Débonnaire fit son possible pour terminer la querelle
des images et réconcilier les deux partis ennemis. On pensa que la
première chose à faire était de calmer l'iconophilie du pape Eu-
gène II qui avait partagé sans réserve les sentiments d'Hadrien Ier
et de l'amener à accepter le moyen terme imaginé par Charle-
magne. Dans ce but, l'empereur Louis adjoignit aux ambassadeurs
grecs se rendant à Rome, Fréculf, évêque de Lisieux, et un certain
Adegar (dont on ne sait s'il était évêque). Ces deux personnages
solliciteraient l'appui du pape dans la question des images ; Louis
envoya en même temps des mémoires sur cette question composés
[42] par les évêques francs. Louis priait le pape Eugène de permettre à
ces évêques de choisir, dans les écrits des Pères, les passages pouvant
servir à résoudre la question soulevée par les ambassadeurs grecs 3.
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 417. Ce document manque dans Hardouin, ains
que la plupart de ceux concernant l'assemblée de Paris tenue en 825.
2. Cette dernière apporta, entre autres présents, les écrits de Denys l'Aréopa
gite. Cf. Pagi, Critica, ad ann. 827, n. 14.
3. Mansi, op. cit., t. xv, App., col. 437; Baluze, Capitularia regum Franc,
44
L1VRF. XXI
Le pape accéda à cette demande, et l'empereur réunit en consé-
quence à Paris une assemblée d'évêques et de théologiens, qui, de
leur aveu, ne formaient cependant pas un concile1. Nous possédons
quatre documents relatifs à cette assembléee; un mémoire à l'em-
pereur et à son fils Lothaire, contenant une dissertation détaillée
sur les images, et trois projets de lettres officielles. Louis écrivait
la première au pape, le pape écrirait la seconde aux empereurs
grecs, enfin l'épiscopat français entier enverrait la troisième au
pape 2. Cette dernière lettre est intercalée dans la précédente. Si
nous ajoutons à ces documents deux lettres de l'empereur, l'une à
Jérémie évêque de Sens et l'autre à Jonas évêque d'Orléans, au. pape
Eugène 3, nous avons tous les documents de la réunion de Paris 4.
Evoques et théologiens annoncent à l'empereur qu'ils se sont
réunis le 1er novembre précédent. Dès le début ils se désignent
comme oratores vestri (c'est-à-dire députés de l'empereur, et non
membres d'un concile). Ayant commencé, disent-ils, par faire lire
la lettre du pape Hadrien à Irène et à son fils, ils ont trouvé que,
si le pape avait justement condamné les iconoclastes, il avait agi
imprudemment en prescrivant une vénération superstitieuse
des images (quod superstitiose eas adorare jussit). « Il avait deman-
t. i, col. 643. Il est aussi question de tous ces incidents dans d'autres documents
de cette époque. Voy. par exemple Mansi, op. cit., t. xvi, col. 413, 463. Cf.
Walch, Ketzerhist., t. xi. p. 105, 108, 112.
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 463. Le pape dut permettre bien plus iacilement
aux évêques francs de rédiger des travaux préparatoires, pour les lui remettre,
plutôt que de se réunir en synode, pour porter un jugement. Synodus Parisiensis
de imaginibus habita anno Chrisli 824 ex vetustiss. codice descripta et nunc pri-
num in lucem édita- (par Pierre Pithou), in-8, Francoforti, 1596; Goldast, Coll.,
const. imper., 1615, t. i, p. 151 ; J. Ph. a Vorburg, Historiarum... imperii '. Romano-
Germanici, in-4, Françfurti, 1660, t. xi, p. 127; Coll. regia, t. xxi, col. 81;
Lalande, Conc. Gall., p. 106; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1542-1550 ; Coleti,
Concilia, t. ix, col. 641; Bouquet, Rec. des hist. des Gaules, t. vi, col. 338-341,
386; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 417 ; P. h., t. civ, col. 1314; B. Simson,
Jahrbùcher des frànkischcn Reichs unter Ludwig dem Frommen, in-8, Leipzig,
1874, t. i, p. 218; A. Verminghofï, Verzeiehnis dans Neues Archiv, 1899,
t. xxiv, p. 485. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 421, 461, 463, 466.
3. Mansi, op. cit., t. xv, App., col. 435, 437.
4. Bellarmin a rédigé un mémoire contre l'assemblée tenue à Paris, dans l'ap-
pendice de son traïté De cultu imaginum, imprimé dans Mansi, op. cit., Venetiis,
1778, t. xiv, col. 473. Voy. aussi Noël Alexandre, Hist. eccles., sœc. vin, diss. VI,
9 et 10, cf. t. vi, p. 119. Quant à l'ancienne littérature, cf. Walch, Ketzerhistorie,
t. xi, p. 135,139. [A. Verminghofï, dans Neues Archiv, t. xxiv,p. 485-486. (H.L.)]
i25- LOUIS LE DÉBONNAIRE ET LA RÉUNION DE PARIS 45
dé que les images fussent exposées, adorées et appelées saintes;
cependant si l'exposition est permise, l'adoration ne l'est pas.
[43] Hadrien avait cité des témoignages des Pères, ses choix étaient
mauvais, car les textes étaient valde absona et ad rem de qua
agebatur minime pertinentia. On avait ensuite tenu un concile en
Orient (IIe concile œcuménique de Nicée) ; mais comme le premier,
tenu sous Constantin Copronyme (le conciliabule de 754), s'était
trompé en prohibant les images, ainsi ce nouveau concile était
tombé dans une erreur non moins grave en prescrivant l'adora-
tion des images, en leur donnant le titre de saintes et en leur
attribuant le privilège de conférer la sainteté. Charlemagne
avait déjà envoyé à Rome, par l'abbé Angilbert, un écrit contre
ce concile ; dans sa réponse, le pape, ayant voulu défendre les
preuves apportées par ce concile, avait écrit quse voluit, non tamen
quse dècuit. Aussi, sans causer le moindre préjudice à l'autorité
du pape, pouvait-on avancer que sa réponse contenait plu-
sieurs choses contraires à la vérité. A la fin de son apologie, le
pape prétendait enseigner, sur cette matière, la doctrine de Gré-
goire le Grand : il ne s'égarait donc pas par ignorance. Les
évêques francs disaient qu'ils avaient fait lire ensuite la let-
tre remise, l'année précédente, à l'empereur par les ambassa-
deurs grecs ; Fréculf et Adégar firent connaître leurs démarches
à Rome. Il était notoire que les empereurs avaient pris un moyen
terme entre les iconoclastes et les iconophiles exagérés ; ils avaient
voulu guérir ces deux factions également malades. Mais l'erreur
ayant été défendue aux lieux mêmes où elle eût dû être condamnée
(c'est-à-dire à Rome), Dieu avait indiqué aux empereurs une autre
conduite à tenir, en leur inspirant de solliciter du pape la permis-
sion d'entreprendre sur la question une enquête dont ils expose-
raient le résultat, afin que toute autorité dût bon gré mal gré s'incli-
ner devant la vérité. La prudence demandait du reste que, dans les
déclarations envoyées par l'empereur, on insérât tous les blâmes
de rigueur contre amis et ennemis des images ; on devait le faire,
en particulier, dans la lettre aux Grecs; mais en s'exprimant, à
l'égard de Rome, d'une manière modérée et respectueuse, tout
en faisant connaître l'entière vérité. Le pape ne rendrait ensuite
qu'une ordonnance conforme au véritable état de choses, par
égard pour les empereurs, pour l'autorité de son' siège et pour
les témoignages apportés en faveur de la vérité. On demandait
aux empereurs de choisir ce qui leur paraîtrait le plus opportun
46 LIVRE XXI
dans les passages de la Bible et des Pères que les évêques avaient
collationnés, et qu'ils leur envoyaient par l'intermédiaire de
Halitgar de Cambrai et d'Amalaire de Metz. Ils avaient eu trop
peu de temps pour faire eux-mêmes ce choix, d'autant plus que
tous ceux qui avaient reçu ordre de comparaître dans l'assemblée
ne s'y étaient pas rendus, par exemple Moduin, évêque d'Autun,
empêché par la maladie 1. »
Les évêques ajoutèrent à leur lettre le recueil en question :
les deux premiers canons sont dirigés contre les iconoclastes,
mais la seconde partie, beaucoup plus considérable (can. 3 à
16), est dirigée contre les iconophiles. Dans cette seconde partie,
on essaie d'abord de démontrer, au moyen d'une fausse inter-
prétation de quelques passages de saint Augustin, etc., que
l'origine du culte des images remonte à Simon le Magicien et
à Épicure ; on combat ensuite (c. 8) certains arguments du pape
Hadrien et du IIe concile de Nicée, favorables aux images; enfin
on déclare que la latrie doit être réservée à Dieu, et que ce qui
vient de la main des hommes ne doit être ni vénéré (colenduin)
ni adoré (adorandum). (Étrange méprise de l'assemblée de Paris;
car le IIe concile de Nicée avait dit, au sujet de la latrie, précisé-
ment ce qu'on prétendait lui imposer comme un correctif. Au
sujet du mot colère, le passage de saint Augustin cité par le concile
de Paris enseignait exactement le contraire de ce qu'on vou-
lait lui faire dire ; ce Père disant que le mot colère pouvait
aussi être appliqué aux hommes.) C'était, continuaient les
Pères de Paris, une injustice de comparer les images à la
sainte Croix. Dans ce désir d'instruire iconophiles et iconoclastes,
ils donnaient (c. 15) toute une série de passages extraits des Pères :
saint Grégoire le Grand, saint Jean Chrysostome, saint Basile,
saint Athanase, Denys l'Aréopagite, saint Augustin, saint Ambroi-
se, le vénérable Bède, etc., puis le canon 82e du concile in Trullo,
tenu en 692, canon qu'ils attribuaient à tort au VIe concile œcu-
ménique. Enfin, dans le dernier chapitre, les évêques réunis à
Paris racontent les origines de l'hérésie des iconoclastes, et, à
cette occasion, parlent du calife Iézid. La suite manque 2.
1. Nous ne connaissons, en résumé, des membres de cette assemblée, que Halil-
gar et Amalaire, Jonas d'Orléans, Jérémie de Sens, Fréculf et Adegar.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 421-460. Comme réponse aux arguments de ceux
de Paris, cf. Bellarmin, dans Mansi, op. cit., col. 476 sq.
425- LOUIS LE DÉBONNAIRE ET LA REUNION DE PARIS 47
Le second document rédigé par l'assemblée de Paris est un pro-
jet de lettre de l'empereur Louis au pape ; elle contient des décla-
[45] rations assez vagues sur l'amour et l'union, de même que sur
l'élévation du Siège de Rome, et n'a, au fond, d'autre but que de
rappeler au pape la permission par lui donnée, et de le rendre
favorable à la collection patristique qu'on lui présentait 1.
D'après le projet de la lettre que les évêques francs voulaient
faire envoyer aux Grecs par le pape, Eugène les exhortait à l'union
et à la concorde, et leur communiquait les principaux passages
du mémoire des évêques francs, mémoire qui, pour cette raison,
était intercalé dans le projet de lettre du pape aux Grecs. Dans
leur document, les Francs faisaient remonter leurs pratiques
au sujet des images à leur apôtre Denys, que Clément de Rome
avait envoyé dans les Gaules, ensuite à Hilaire et à Martin de
Tours; ils remarquaient que, chez eux, il ne s'était jamais élevé
de discussion sur ce point, car on n'y avait jamais ordonné ni
condamné le culte des images. « En effet, les images n'étaient
pas, chez eux, exposées dans les églises et dans les palais pour
un but religieux 2 ; elles étaient simplement pour les gens ins-
truits un souvenir d'amour pieux ( pro amoris pii memoria ),
ou un ornement, et pour les ignorants un moyen d'apprendre
(nescientibus vero pro ejusdem pietatis doctrina pictse vel fictse) :
elles ne pouvaient donc, en aucune manière, nuire aux vertus de
foi. de charité et d'espérance. Celui qui ne voulait pas d'images,
pouvait agir à sa guise, à la condition toutefois de ne pas inquiéter
celui qui en voulait à la façon qui vient d'être dite. Jusqu'à cette
époque, les Gaulois avaient été, au sujet des images, indifférents in
habendo vel non habendo, in colendo vel non colendo; cette situation
n'ayant amené aucun conflit, le mieux était de s'y tenir. » — Ayant
inséré, dans sa lettre aux Grecs, cette déclaration des évêques
francs, le pape devait éclaircir le sens des passages de saint Gré-
ire qui semblaient y contredire; il devait, en outre, engager
l.Mansi, loc.cil., col. 461-463. Voy. comme réponse.JBcllarmin, loc. cit., p. 479.
'2. Nous savons cependant que, d'après une ancienne coutume, on allumait
en Gaule des lampes devant les images. Ainsi Fortunat dit, dans une pièce de
vers sur saint Martin :
Hic paries retinet sancti sub imagine formant.
Amplectanda ipso dulci pictura colore.
Sub pedibus justi paries liabet arcte fenestram,
Lychnus adest, cujus vitrea natal ignis in urna.
48 LIVRE XXI
fortement les empereurs byzantins à rétablir la paix de l'Eglise,
sans oublier de blâmer les Grecs qui avaient laissé la discorde
entrer chez eux à cause des images ; enfin le pape devait montrer
que Satan avait poussé aux opinions extrêmes aussi bien les icono-
clastes que l'impératrice Irène. La suite manque 1.
Le 6 décembre 825, Halitgar et Amalaire remirent les docu-
ments rédigés par l'assemblée de Paris à l'empereur qui s'en montra I.^J
satisfait ; Louis ne voulut cependant pas les envoyer au pape
immédiatement et in extenso ; aussi chargea-t-il Jérémie, arche-
vêque de Sens, et Jonas, évêque d'Orléans, désignés comme
ambassadeurs à Rome, d'extraire de ce mémoire ce qui leur
paraîtrait le plus propre à atteindre le but désiré. Ils remet-
traient au pape ces extraits, en lui rappelant qu'il avait autorisé
lui-même cette façon d'agir. Les ambassadeurs attireraient en par-
ticulier, l'attention du pape sur les passages qui n'étaient con-
testés par personne. Ils passeraient alors à des déclarations
explicites, évitant de brusquer le pape par des contestations
passionnées, cherchant plutôt à le ramener, par de prudentes
concessions, à un moyen terme équitable. Dans le cas où la perti-
nacia romaine ne se mettrait pas en travers et permettrait aux
négociations d'atteindre un heureux résultat, et si le pape envoyait
des députés à la cour des Grecs, les deux ambassadeurs francs
lui offriraient l'envoi d'une ambassade impériale en Grèce 2.
La lettre de l'empereur Louis et de son fils Lothaire à Eugène II
est conforme à ce qui précède. Louis proteste de ses disposi-
tions de prêter appui au pape, et rappelle que c'est avec sa
permission que les évêques francs ont collationné les passages
des Pères, dans le but que l'on sait. « Ils avaient, avec le secours
de Dieu, terminé leur travail, et l'empereur l'envoyait au pape
par l'intermédiaire des évêques Jérémie et Jonas. Le pape pouvait
se servir avec grand profit dans l'affaire des Grecs, de ces deux
hommes, très versés dans les sciences sacrées et très exercés à
la discussion. En envoyant ces députés, et la collection, l'empe-
reur ne songeait pas à donner des leçons à qui que ce fût à Rome ;
il ne songeait qu'à offrir son concours. Le pape devait s'employer
1. Mansi, loc. cit., col. 463-474. Cf., par contre, Bellarmin, op. cit., p. 478.
2. LaMettre de Louis le Débonnaire à Jérémie etc. se trouve dans Mansi, op.
cit., t. xv, App., col. 435, etHardouin, op. cit., t. iv, col. 1260. Par suite d'une
faute de copiste déjà ancienne, on lit dans la suscription de cette lettre la date
de 824, au lieu de 825. Cf. Walch, op. cit., p. 125, note 2.
426. CONCILES A INGELHEIM, A ROME ET A MANTOUE 49
au retour de l'union chez les Grecs. Dans le cas où il enverrait
des ambassadeurs à Constantinople, il devait faire choix d'hommes
très prudents et professant des idées modérées ; si Eugène en
manifestait le désir, l'empereur ferait accompagner par d'autres
députés de son choix les ambassadeurs du pape : ce qui n'impli-
quait pas que cet, envoi fût nécessaire, ni que les ambassadeurs
du pape ne fussent pas à même de remplir seuls cette mission 1. »
On ne sait si le pape entra dans les idées des Francs, ni
47] même s'il envoya des ambassadeurs ; on sait seulement, par un
biographe anonyme de Louis le Débonnaire, que ce prince envoya
comme ambassadeurs à Constantinople l'évêque llalitgar et l'abbé
Ansfried de Nonantula 2.
426. Conciles à Ingelheim, à Rome et à Mantoue, en 826 et 821.
En 826, l'empereur Louis réunit deux fois, à Ingelheim, en juin
et en octobre, les grands de l'empire, de l'ordre civil et de l'ordre
ecclésiastique. A la première de ces réunions assistèrent les lé-
gats romains, probablement porteurs de la réponse du pape
aux propositions de l'assemblée de Paris. On y vit aussi les
ambassadeurs de l'abbé du Mont-des-Oliviers, en Palestine 3.
Nous possédons de ce concile tenu en juin : a) un capitulaire
contenant sept nouvelles ordonnances sur le vol, sur les mauvais
traitements infligés au clergé, sur les oratoires, etc. ; b) un second
capitulaire remettant en vigueur quelques anciennes ordonnances4.
Le second capitulaire est le seul authentique 5 ; le premier 6
n'est autre que la réunion des numéros 97-103, et n° 383 du second
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 437; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1259.
2. Walch, Kelzerhisl., p.*115, 132.
3. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 494; Binterim, Deulsclie Concilieii, t. n, p. 371 sq.
4. Coll. regia, t. xxi, col. 95; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1556-1557; Hardouin,
Coll. conc, t. iv, col. 1269; Coleti, Concilia, t. ix, col. 657; Mansi, op. cit., t. xiv,
col. 493 ; B. Simson, Jahrbiïcher des frànkischen Reichs unter Ludwig dem From-
men, in-8, Leipzig, 1874, t. i, p. 254, note 9 ; A. VermingholV, Verzeichnis der
Akten frânkischer Synoden von 742-843, dans Neues Arcliiv, 1899, t. xxiv,
p. 486. (H. L.)
5. Pertz, Mon. Germ. hist., Leges, t. i, p. 253.
6. Mansi, op. cit., t. xv, col. 440; Hartzheim, Conc. Germ., t. n, p. 36. •
CONCILES — IV — i
50 LIVRE XXI
livre de la collection de Benoît le Lévite. Cette collection, assez
voisine de celle du pseudo- Isidore, attribue, dans ce n. 383,
au concile d'Ingelheim ce qui provient de sources très différentes 1.
Il y a toutefois entre Benoît le Lévite et le pseudo-Isidore cette dis-
tinction à établir, appréciable dans le cas présent, cpue le pseudo-
Isidore attribue à des conciles ou à des papes plus anciens des
textes supposés, tandis que Benoît le Lévite attribue des textes
existants à des conciles récents2. — Beaucoup de collecteurs des
actes des conciles, et, en particulier, Baluze et Mansi 3, ont réuni
en un seul tout la collection de Benoît le Lévite, avec la collec-
tion plus ancienne de l'abbé Anségise, en sorte que le premier
livre de Benoît le Lévite devenait le cinquième livre de cette unique
collection. Pertz a séparé ces deux recueils d'une valeur histori-
que si inégale 4.
La seconde réunion (octobre 826), ne paraît pas s'être occupée
des affaires de l'Église ; du moins n'en voyons-nous aucune trace
dans le court capitulaire qu'elle a laissé 5. Mais cette réunion L^J
confirma les immunités du monastère de Grégorien munster,
en Alsace 6, ainsi qu'un traité d'échange en faveur du nouvel
évêque de Worms, Folkwig.
On ne possédait qu'un fragment des actes d'un grand concile
romain, tenu sous le pape Eugène II (15 novembre 826), lorsque
1. C'est trop sommaire pour être vrai. Si Benoît et Isidore ne sont pas un
même personnage, ils sont du même atelier : ils ne fabriquent pas les textes,
ils les arrangent. Isidore les antidate ; Benoît ne peut les mettre sous d'autres
patronages que les assemblées, auteurs de capitulaires. (H. L.)
2. Knust en a fait la démonstration dans Pertz, Leges, t. n, part. 2, p. 22.
3. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, appendix, col. 337.
4. Pertz a inséré la collection d'Anségise dans Leges, t. i; celle de Benoît dans
Leges, t. n.
5. Pertz, Leges, t. i, p. 255 sq.
6. Gregorienthal, à Munster, arrondissement de Colmar (anc. départ, du Haut-
Rhin) : Annales Monasterienses (528-828), dans Pertz, Monum. Geirn. lilst.,
Scriptores, t. m, p. 152, 154; Fr. Hecker, Die Stadt und dus Thaï zu Munster im
St Gregorienthal, in-8, Munster, 1891; Notes et documents pour servir à l'intelli-
gence de la cause liée entre la ville de Munster et diverses communes du Val Saint-
Grégoire, in-12, Colmar, 1836; J. Rathgeber, Munster im Gregorienthal, ein Bei-
trag zur politisch. kirchl. u. kuliurhist. Geschichte des elsàss. Munster thaïes, bevor-
wort. von Aug. Stôber, in-8, Strasbourg, 1874; L. Spach, L'abbaye de Munster,
dans les Mém. soc. mon. hist. Alsace, 1860, t. in, p. 226-273; W. Wiegand, Aeltere
Archivalien der Abtei Munster im Elsass, dans Mittheil. Inst. oeslerr. Gesch.,
1889, t. x, p. 75-80. (H. L.)
436. CONCILES A INGELHEIM, A ROME ET A MANTOUE 51
Luc Holstein publia les actes complets de cette assemblée 1.
Ces actes renferment trente-huit canons : 1. On ne donnera l'onc-
tion épiscopale qu'à ceux qui en sont dignes. 2. Interdiction de
la simonie. 3. L'évêque doit donner, par ses exemples, du poids
à ses paroles. 4. Le métropolitain doit engager un évêque ignorant
à se faire instruire. L'évêque qui a des prêtres, des diacres et des
sous-diacres ignorants, doit les obliger à se faire instruire ; il
leur interdira l'exercice de leur saint ministère jusqu'à ce qu'ils
aient les connaissances voulues. 5. Nul ne doit devenir évêque
par intrusion. 6. On renouvelle l'ordonnance de Sardique rela-
tive à la résidence épiscopale. 7. A côté de chaque église (épis-
copale) il y aura un claustrum (maison canoniale) pour les
clercs, et dans chaque claustrum un seul réfectoire et un seul
dortoir pour tous 2. 8. Les évêques doivent procurer des desser-
vants aux églises baptismales (paroisses rurales), et y établir
des prêtres suivant les besoins. 9. Ils ne doivent y placer qu'un
nombre de clercs correspondant aux revenus de l'église. 10. On
ne doit ordonner de prêtres que pour des églises et des monas-
tères déterminés ; ces prêtres ne doivent pas habiter dans des
maisons privées. 11 et 12. Les prêtres ne doivent être ni
joueurs, ni banquiers, ni chasseurs, ni hôteliers, car ils doivent,
hors de leur demeure, garder le souci de leur dignité sacerdotale.
13. Ils ne doivent jamais se mêler des affaires séculières, ni
pour porter témoignage, ni pour rédiger des documents publics.
14. Si un clerc a commis une faute entraînant la déposition, l'évê-
que lui assignera un lieu convenable où il pourra pleurer sa
[49] faute. 15. Les évêques doivent veiller à ce que leurs clercs ne
fréquentent pas de femmes, car, puisque le mariage leur est
interdit, à plus forte raison doivent-ils s'abstenir des rapports illi-
cites. 16. Aucun évêque ne doit s'approprier des immeubles des
1. Ils sont reproduits intégralement dans Pertz, Monum., t. iv, Leges, t. n,
part. 2, p. 11-17; en outre dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 999 sq. ; Hardouin, op.
cit., t. v, col. 62 sq. ; Pagi, Critica, ad ann. 826, n. 1. [Coll. régla, t. xxi, col. 96;
Labbe, Concilia, t. vu, col. 1557; t. vxn, col. 102-113 ; Coleti, Concilia, t. ix,
col. 657; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 493 ; Jalîé, Reg. pontif. rom., p. 224-225;
2e édit., p. 321 ; A. L. Richter, Beitràgc zur Kenntnis der Quellen des canonis-
chen Rechts, in-8, Leipzig, 1834, p. 49; A. Verminghoiï, Verzeichnis, dans
Neues Archiv, 1899, t. xxiv, p. 486; B. Simson, Jahr bûcher des frànk. Reiches
unter Ludwig dem Frommen, Leipzig, 1874, 1. 1, p. 280. (H. L.)]
2. Ce canon fixe la date de l'établissement régulier de la vie canoniale en Ita-
lie.
52 LIVRE XXI
églises rurales, ni d'autres lieux saints. 17. Les prêtres ne doivent
pas refuser, à la messe, certaines offrandes ; médiateurs entre Dieu
et les hommes, leurs prières doivent autant que possible embrasser
tous les fidèles. Comme notre Sauveur est tout-puissant, et en
même temps plein de miséricorde, il accepte sans partialité les
prières de tous. 18. Aucun évêque ne doit donner à un clerc de
dimissoires, si ce clerc n'a été expressément demandé par un
autre évêque, car il faut éviter qu'une brebis ne coure de côté
et d'autre. Et afin de pouvoir distinguer les dimissoires authenti-
ques des autres, elles devront porter le sceau du pape ou de l'empe-
reur ou du métropolitain. 19. S'il lui survient une affaire ecclé-
siastique ou une affaire privée, l'évêque ou le prêtre doivent
choisir un advocatus de bonne réputation, de peur qu'en s'occu-
pant d'affaires temporelles ils ne compromettent leur récompense
éternelle. Toutefois, si le clerc est accusé d'un crime public, l'avocat
ne peut le représenter. 20. Si le prêtre ne peut trouver aucun avocat,
l'évêque doit en chercher la raison ; si le prêtre a mauvaise
réputation, il le punira conformément aux canons .21. Lorsqu'un
monastère ou un oratoire a été régulièrement érigé, on doit, avec
l'assentiment de l'évêque, y placer un prêtre qui y célébrera le
service divin. 22. Celui qui s'est emparé d'une église au mépris
du droit, devra, lui ou son héritier, donner une compensation.
23. Les fondations pieuses doivent être employées selon l'inten-
tion des fondateurs. 24.0n peut reprendre, pour y placer des clercs,
les églises converties à des usages profanes. 25. Les bâtiments
en ruines doivent être restaurés, et, s'il est nécessaire, avec le con-
cours du peuple. 26. Aucun évêque ne doit réclamer de ses clercs,
ni des saints lieux, plus que le droit ne le lui permet ; il ne doit
pas imposer de corvées extraordinaires (super posità). 27. On ne
choisira pour abbés, dans les csertobia, ou, comme on dit mainte-
nant, dans les monastères, que des hommes capables. Ils seront
prêtres, afin de pouvoir remettre les péchés aux frères placés
sous leur juridiction. 28. Les évêques ne doivent pas permettre
aux moines d'aller de côté et d'autre; ils les renverront chacun
dans son monastère, ou, suivant les circonstances, dans un monas-
tère étranger. 27. Une femme qui a pris l'habit religieux ou le
voile par esprit de piété, doit ne plus se marier; son devoir est
de se retirer dans un monastère, ou de garder la chasteté chez elle,
et l'habit qu'elle a pris. 30. On ne doit ni travailler ni vendre
le dimanche. On pourra seulement vendre aux voyageurs la [50]
426. COXCILES A INGELHEIM, A ROME ET A MANTOUE 53
nourriture qui leur est nécessaire. 31. Il est permis d'arrêter
un prisonnier le dimanche. 32. Les femmes qui,quoique innocentes,
sont mises de force dans un monastère, ne sont pas tenues d'y
rester. 33. Aucun laïque ne doit se tenir debout dans le presby-
terium, pendant la célébration des saints mystères. 34. Dans toutes
les églises épiscopales ou rurales, et partout où le besoin s'en fera
sentir, il y aura des maîtres qui enseigneront les arts libéraux et
les vérités de la foi. 35. Quelques personnes, et surtout les femmes,
viennent à l'église, les dimanches et les jours de fête, non dans
de bonnes intentions, mais pour se faire admirer (à la sortie de
l'église), par des danses [ballare), des chants et des chœurs incon-
venants et imités des païens. De telles personnes rentrent chez
elles la conscience chargée de fautes plus graves que quand elles
sont sorties. Aussi les prêtres doivent-ils exhorter le peuple à
ne se rendre, ces jours-là, à l'église que pour y prier. 36. Nul ne
doit abandonner sa femme et en épouser une autre ; sauf le cas
de fornication, si un homme et une femme veulent observer la
continence par vertu, ils devront obtenir l'assentiment de l'évê-
que. 37. Nul ne doit avoir, outre sa femme, une concubine.
38. Défenses contre les unions incestueuses.
Un concile, tenu à Mantoue le [6] juin 827, semble avoir vidé
le différend déjà ancien entre les métropolitains d'Aquilée et
de Grado 1. Deux légats du pape Eugène II, l'évêque Benoît
et le diacre romain et bibliothécaire Léon, deux ambassadeurs
des empereurs Louis et Lothaire, c'est-à-dire le presbyter pala-
tinus Sichard et le laïque Théoto, un nombre considérable d'évê-
ques et de clercs de la haute Italie assistèrent à cette assemblée.
Maxence, patriarche d'Aquilée, rapporta qu'à l'époque du pape
Benoît Ier (574-578), à cause des invasions des Lombards, le
patriarche Paulin avait transféré le siège patriarcal d'Aquilée
à Grado 2; après la mort de Sévérus, on avait choisi, pour Aquilée,
1. Hardouin, Concilia, t. iv, index; Coleti, Concilia, t. ix, col. 657-666; De
Rubeis, Schism. eccles. Aquileij., 1732, p. 222-240; Monum. Eccles. Aquileij., 1740,
p. 414-426; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 493-502; Scisma tre capit.,
1770, p. 306-109; B. Simson, op. cit., t. i, p. 281; Bôhmer-Mûhlbaeher, Regesla
imperii, t. i, p. 814,1164 ; W, Meyer, Die Spaltung des Palriarchats Àquileja,
dans Abhandlungen der Gôttinger Gesellschaft der Wissenschaflen. Hist.-phil.
Klasse, Berlin, 1898, p. 16 ; A. Verminghofï, Verzeichnis dans Neues Archiv,
1899: t. xxiv. p. 487. (H. L.)
2. Le titre de « patriarche » ne fut pris que plus tard par les évèques d'Aqui-
54 LIVRE XXI
un certain Jean, et pour Grado, l'hérétique Candidien. En même
temps, les Grecs, maîtres de l'Istrie, forcèrent plusieurs évêques
à entrer en communion avec le schismatique Candidien, tandis
que le siège d'Aquilée resta sous la domination lombarde. [û±]
Le concile de Mantoue accueillit cet exposé avec bienveillance,
sans remarquer qu'il dénaturait gravement l'histoire ; car Can-
didien avait été, en réalité, l'évêque légitime et orthodoxe d'A-
quilée-Grado, tandis que Jean était un évêque schismatique,
partisan du schisme occasionné dans la Haute-Italie par la
querelle des Trois Chapitres. On parut ne songer à rien de sem-
blable et on se souvint uniquement que Grado était autrefois
une église dépendante de l'évêché d'Aquilée. Comme d'ailleurs,
plusieurs nobles de l'Istrie assistaient au concile et demandaient
la restitution au siège d'Aquilée de ses anciens droits, on dé-
clara que : « La métropole d'Aquilée ayant été partagée con-
trairement aux décisions des Pères, il y a lieu de lui rendre
son ancienne dignité. Par conséquent Maxence et ses succes-
seurs jouiront du droit d'ordonner des évêques en Istrie et
dans les autres parties de leur diocèse (province). »
Les fondés de pouvoir de l'empereur invitèrent l'évêque de
Grado à se rendre au concile, pour y faire valoir ses droits. Il se
fit représenter par l'économe de son Eglise, le diacre Tibérius ;
mais les documents qu'il présenta, ou ne méritaient pas de créance,
ou ne prouvaient pas en faveur de Grado, les évêques de ce siège
s'y trouvant mentionnés partout sous le titre d'Aquilée. On sait
cependant par un diplôme de l'empereur Louis II, que cette der-
nière circonstance donna lieu à la réunion de plusieurs conciles,
sur lesquels nous n'avons pas d'autres données 1.
427. Conciles réformateurs francs tenus en 828 et 829.
Documents qui s'y rattachent. Introduction.
Les conciles tenus en 828 et 829 ont une grande importance
pour l'histoire de l'empire franc, et en particulier pour l'histoire
synodale de ce pays ; mais ordinairement on ne distingue pas,
lée, et lorsque la séparation d'Aquilée et de Grado fut un fait accompli. [Cf. Dic-
tionn. d'archéol. chrét., t. i, au mot Aquilée. (H. L.) ]
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 527.
427. CONCILES RÉFORMATEURS FRANCS 55
avec une suffisante précision, les événements qui se rattachent
à ces conciles, ou du moins on ne les dispose pas dans l'ordre
historique. Pour voir les choses sous leur véritable point de vue,
[52] il faut commencer par lire la lettre que le concile de Paris, tenu
en juin 829, adressait aux empereurs Louis et Lothaire 1 ; elle est
ainsi conçue : « L'empereur a justement reconnu que les nom-
breux malheurs qui, de l'intérieur comme de l'extérieur, ont
fondu sur l'empire, étaient un châtiment mérité. Aussi, l'année
dernière (828), a-t-il engagé, par écrit, tous les évêques à pres-
crire un jeûne général de trois jours, à l'issue duquel tout chrétien
devra se confesser et faire pénitence. L'empereur a ajouté, dans
ce même édit solennel, que si Dieu accordait quelque répit à
l'empire, il réunirait un placitum générale, en vue d'introduire les
réformes utiles, à commencer par lui-même et ses fonctions, et
d'examiner ce qui déplaisait à Dieu dans chaque état et devait
être amélioré. Malheureusement, les invasions ennemies ayant fait
obstacle à la réalisation de ce projet, l'empereur avait, l'hiver der-
nier, tenu un placitum cum quibusdam fidelibus, pour étudier la
volonté de Dieu et s'occuper du bien de l'Eglise. Il avait rédigé
dans des capitulaires, ce qui lui avait semblé réaliser une prompte
amélioration, et avait envoyé des légats pour punir les délinquants
conformément à ces capitulaires, qu'ils porteraient à la connais-
sance des bons. Il avait décidé en même temps la réunion, à la
même époque, de conciles sur quatre points de l'empire, » etc.
Le concile de Paris ayant écrit cette lettre vers le milieu de
l'année 829, il en résulte a) qu'à la suite des tristes événements
qui vont de 823 à 828, et après que des vassaux rebelles, alliés
aux Maures, se furent emparés de presque toute la Marche espa-
gnole, tandis qu'à l'est les Bulgares se signalaient par de terribles
invasions, l'empereur Louis le Débonnaire, au commencement de
828, engagea les évêques à prescrire un jeûne de trois jours, etc., et
annonça en même temps un placitum générale. Il publia proba-
blement cette ordonnance en février 828, à Aix-la-Chapelle, dans
ce conventus dont parle Einhard dans ses Annales.
h) Mais de nouvelles invasions des Normands et des Bulgares,
survenues vers le milieu de 828, ayant rendu impossible la réunion
1. Sirmond, Conc. Gall., t. n, col. 477 ; Coït, regia, t. xxi, col. 152; Labbe,
Concilia, t. vu, col. 1592-1699 ; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1289 ; Coleti,
Concilia, t. ix, col. 704 ; Bouquet, Rec. hist. de la France, t. vi, col. 345-347;
Mansi, op. cit., t. xiv, col. 529. (H. L.)
56 LIVRE XXI
de ce placitum général, l'empereur en convoqua un autre moins
important (cum quibusdam fidelibus) à Aix-la-Chapelle pendant
l'hiver de 828-829. Nous savons par Einhard qu'à la Saint-Martin
de 828, Louis le Débonnaire se rendit clans cette ville où il passa
tout l'hiver.
Ce point établi, examinons maintenant toute une série de docu-
ments de cette même année 828. En tête se trouvent deux lettres
de l'empereur, commençant toutes les deux par les mots : Recor-
dari vos 1. Binterim prétend 2 que la plus courte appartient au
conventus d'Aix-la-Chapelle (février 828), et la plus longue au [53]
placitum cum quibusdam fidelibus, hiver de 828-829. Binterim est
dans l'erreur; la première partie de ces deux lettres est identi-
que : « Vous vous souviendrez, j'en suis persuadé, que, sur le
conseil des évoques et d'autres fidèles, nous avons demandé pour
cette année la prescription d'un jeûne général, afin que Dieu
nous soit favorable, nous fasse connaître en quoi nous l'avons plus
particulièrement offensé, et nous accorde des jours tranquilles pour
notre amendement. Notre désir était de réunir au moment oppor-
tun un placitum générale, et d'y traiter les conditions d'une entière
réforme; mais, comme vous le savez, les invasions des ennemis
nous ont empêché de réaliser ce projet. Aussi avons-nous jugé à
propos de réunir ce présent placitum cum aliquibus ex fidelibus
nostris; le moment est venu de vous en faire connaître les déci-
sions et, tout d'abord, que les archevêques se réunissent en temps
voulu avec leurs sufîragants dans les endroits les plus propices pour
y délibérer sur les réformes les plus opportunes, à notre sujet
comme au sujet de tous; ils nous feront ensuite connaître le résul-
tat de leurs délibérations. » — Jusqu'ici les deux lettres soûl:
identiques; il en résulte qu'aucune ne peut remonter au mois
de février 828 ; toutes deux ont été écrites après l'époque où
aurait dû se tenir le placitum générale, c'est-à-dire après l'été
1. Elles se trouvent dans Pertz, Leges, t. r, p. 32!) ; de plus la plus courte est
dans Mansi, op. cit., t. xv, Appendix, col. 441 ; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1280;
Hartzheim, Conr. Germ., t. n, col. 44 ; la plus longue, dans Mansi. op. cil^ i. xiv,
col. 529, et t. xv, Appendix., col. 444; Hardouin, op. cit., col. 1289; Hartzheim,
Conc. Germ., t. n, col. 52. Damberger, op. cit., I. m, p. 152, semble vouloir pla-
cer cette lettre en janvier 829; mais les mots du commencement : « en cette année»,
ont trait à l'année 828. [A. Verminghoff, dans Neues Archiv, 1899, t. xxiv, p. 487-
488. (H. L.)]
2. Binterim, Deutsche Conciliai, t. n, p. 374, 380.
i27- CONCILES RÉFORMATEURS FRANCS 57
de 828; elles appartiennent évidemment au placitum cum quibus-
dain fidelibus de l'hiver de 828-829. Il serait bien surprenant
que l'édit impérial de décembre 828 fût, pour une si large part,
identique à celui de février de la même année.
Passons maintenant aux passages qui diffèrent dans les deux
rescrits impériaux ; le plus court s'exprime comme il suit : « Nous
avons résolu d'envoyer dans tout l'empire des missi, qui améliore-
ront aulant qu'il est en eux tout ce qui laissera à désirer, et s'ils ne
peuvent exécuter eux-mêmes toutes les améliorations nécessaires,
[54] ils porteront les abus à notre connaissance. Vous tous, devez leur
obéir et les soutenir. De plus, nous tiendrons toutes les semaines
dans notre palais, à jour fixe, une audience publique pour nous
faire rendre compte du zèle des missi et de l'obéissance du peuple
envers eux. Afin d'aboutir à un heureux résultat, nous prescrivons
un jeûne général de trois jours à partir du lundi après l'octave
de la Pentecôte. Les ennemis menaçant l'empire de tous côtés,
tous les hommes tenus au service militaire tiendront prêts chevaux,
armes, habits, chars et vivres, afin de répondre immédiatement
à notre appel et se rendre sur le point menacé. »
La date du jeûne ici prescrit concorde parfaitement avec
celle de la célébration des conciles indiqués par l'empereur
comme nous le verrons.
Quoique plus longue, la seconde lettre contient cependant
moins de renseignements que la première. Après avoir prescrit
la célébration des conciles, la missive impériale développe uni-
quement cette pensée, que les malheurs des années précédentes
étaient une juste punition de Dieu ; pour ce motif, l'empereur
désirait apaiser le Seigneur et lui donner satisfaction. « Dans
ce but, disait l'empereur, nous décidons et arrêtons, sur le conseil
des évêques et autres fidèles, la tenue de conciles dans quatre
villes de notre empire. A Mayence se réuniront les archevêques
Otgar de Mayence, Hadabald de Cologne, Héthi de Trêves et
Bernuin de Besançon, avec leurs suffragants ; à Paris, le futur
archevêque (Aldrich) de Sens et les archevêques Ebbon de Reims
Ragnoard de Rouen et Landram de Tours, avec leurs suffragants
à Lyon, les archevêques Agobard (de Lyon), Bernard de Vienne
André de Tarentaise, Benoît d'Aix et Agéric d'Embrun, avec leurs
suffragants; à Toulouse, les archevêques Nothon d'Arles, Barthé-
lémy de Narbonne, Adalelm de Bordeaux et Agilulf de Bourges,
avec leurs suffragants. Ils discuteront les réformes à introduire
58
LIVRE XXI
dans la vie des laïques et dans celle des clercs, et les causes qui
ont entraîné les uns et les autres hors de la voie droite. Ils garde-
ront le secret sur leurs délibérations qu'ils ne feront connaître à
personne avant le moment voulu. Un notaire assermenté remplira
sa fonction auprès de ces évêques et consignera le résultat de leurs
délibérations.
La comparaison de ces deux rescrits montre qu'ils appartiennent
tous deux aux placitum peu nombreux de l'hiver 828-829 ; et que le [55J
plus court était destiné aux laïques tandis que le plus long s'a-
dressait aux évêques. Aussi le premier ne fait-il pas mention des
audiences publiques que tiendra l'empereur et n'engage-t-il pas à
soutenir les missi. Par contre, la lettre aux évêques développe le
point de vue surnaturel que les malheurs passés étaient une juste
punition de Dieu, et elle donne, sur la tenue des futurs conciles,
des détails omis dans le rescrit aux laïques.
, Les autres documents ayant trait au conventus de l'hiver 828-
829 sont :
1. La relatio des oratores ad imperatorem, contenant les plans de
réforme présentés par les prélats et les grands 1, que l'empereur
avait convoqués à ces délibérations, a) On tiendra tous les ans des
conciles provinciaux, auxquels assisteront tant les abbés des mai-
sons canoniales que ceux des monastères. Autant que possible les
comités impériaux et les missi y assisteront également, b) A parties
cas de nécessité, on ne baptisera qu'aux époques déterminées pour
l'administration du baptême, c) Presque tous ont jusqu'ici négligé
la communion fréquente, d) Les prêtres, médiateurs entre Dieu
et les hommes, doivent être plus honorés qu'ils ne le sont ; on
ne les emploiera pas pour divers états, car il en résulte que des
enfants meurent sans baptême et des adultes sans confession.
e) L'empereur doit mettre à exécution son ancien décret portant
que les églises sont affranchies de tout census. f) Lorsque ceux
qui ont commis des fautes capitales ne veulent pas se soumettre
à la pénitence publique, les comtes prêteront secours aux évêques.
g) Dans toutes les provinces on aura des mesures égales et sans
aucune fraude, h) L'empereur devra surtout prêter secours pour
soutenir les droits des pauvres et des églises, i) On laissera aux
métropolitains le soin de faire exécuter partout le décret de l'empe-
reur relatif à la vie canoniale.
1. Les membres de l'assemblée tenue à Paris en 825 s'appellent aussi oratores.
'i27. CONCILES RÉFORMATEURS FRANCS 59
2. La Constitutio de conventions archiepiscoporum reproduit
mot pour mot la dernière partie du grand rescrit impérial, et
l'ordonnance concernant les quatre conciles ; elle y ajoute seu-
lement que ces conciles s'ouvriront dans l'octave de la Pente-
côte; quant aux missi impériaux, ils commenceront leurs tour-
nées dans l'octave de Pâques.
3. Le troisième document énumère les points sur lesquels l'em-
pereur désirait être particulièrement renseigné par les fidèles
qu'il a appelés à délibérer. Ces points concernent les dîmes dues ad
capellas dominicas, divers désordres signalés dans des monastères
[56] de femmes, les épreuves par l'eau froide, l'usure et le service
militaire.
4. La Constitutio de missis ablegandis détermine ce que les
missi ont le droit d'exiger pour leur nourriture, etc., et leur
prescrit de commencer leurs tournées huit jours après Pâques.
5. Instruction donnée aux missi.
6. Continuation de cette instruction sous forme de capitula
impériaux quse volumus ut diligenter inquirant (missi). Ces capitula
concernent les devoirs des évêques et des comités, ils font connaître
les personnes que les missi ne peuvent juger et qui ne peuvent
l'être qu'en placitum générale.
7. Cette énumération est donnée dans le dernier et court docu-
ment : Hœc sunt capitula, etc. 1.
C'est dans ce conventus de l'hiver de 828-829 que Wala, abbé
de Corbie et parent de l'empereur, tint, au rapport de son
biographe Paschase Radbert, un langage si énergique 2. Il avait
noté par écrit tous les abus qu'il avait constatés dans l'empire ;
1. Pertz, Leges, 1. 1, p. 326 sq. ; moins complets et mieux coordonnés dans Mansi,
op. cit., t. xv, Appendix, col. 441 sq. ; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1279 sq. ;
Hartzheim, Conc. Germ., t. u, p. 43 sq.
2. Vita Walse, dans Pertz, Monum., t. n, p. 547 ; Mabillon, Annales Ord.
Bened., sœc. iv, part. 1, p. 467; P. L., t. cxx, col. 1609 sq. Adalhard et Wala
étaient fds du comte Bernard, fils naturel de Charles Martel. Adalhard fut moi-
ne et abbé de Corbie et Wala devint comte ; ils furent l'un et l'autre tenus en
grande considération par Charlemagne. Disgracié sous le Louis le Débonnaire,
Wala entra, lui aussi, dans un monastère, et, en 826, succéda à son frère comme
abbé de Corbie. Plus tard, il fit cause commune avec les fds de Louis le Débon-
naire et ce prince le condamna à un exil de plusieurs années. Toutefois, il lui
rendit ensuite ses bonnes grâces. Paschase Radbert, l'ami de Wala et son succes-
seur dans la charge d'abbé de Corbie, défendit son prédécesseur en écrivant sa
biographie sous ce titre Epitaphium Arsenii (c'était le nom que Wala avait,
pris) .
60 LIVRE XXI
il ne craignit pas de lire son mémoire clans le placitum et de
rappeler aux évêques et aux grands les devoirs de leur état ; il
osa même adresser des reproches à l'empereur, l'accusant d'em-
piéter sur les affaires de l'Église, d'employer pour des intérêts [57]
profanes les Liens de l'Eglise et de donner les charges ecclésiasti-
ques à d'indignes flatteurs. Aux évêques, il déclara qu'ils
s'occupaient trop des affaires du monde, qu'ils négligeaient les
devoirs de la charge pastorale et s'inquiétaient trop peu des
âmes. Mais ce furent surtout les chapelains de la cour qui fu-
rent l'objet de ses critiques ; Wala leur représenta qu'ils ne
vivaient ni en moines ni en chanoines, qu'ils menaient une vie
purement laïque et n'aspiraient qu'aux riches prélatures. Ces
paroles produisirent une vive impression sur l'assemblée; Louis le
Débonnaire écouta l'orateur avec patience et avoua que Wala
avait dit malheureusement la vérité. — Binterim a raison de dire
que ce discours de Wala prouvait la nécessité d'une réforme des
clercs ; mais il s'abuse en soutenant que les évêques n'en voulurent
pas et que, pour gagner du temps et traîner l'affaire en longueur,
ils conseillèrent la réunion d'un concile. A mon avis, ce conseil
indiquait le vrai moyen de faire aboutir la réforme.
428. Conciles réformateurs de Mayence et de Paris en juin 829.
Des quatre conciles ordonnés par Louis le Débonnaire, nous
ne possédons aucun document relatif à ceux de Lyon et de
Toulouse, et nous n'avons que quelques données sur celui de
Mayence1, célébré en juin 829 dans le monastère de Saint- Alban,
sous la présidence d'Otgar, archevêque de Mayence. Les arche-
vêques de Cologne, Trêves, Besançon et Salzbourg y assistèrent
avec leurs suffragants, les chorévêques et abbés (parmi lesquels
on comptait Rhaban de Fulda et Sindold d'Elwangen). Nous
verrons (au § 443) que le célèbre moine Gotescalc porta des
accusations contre son abbé Rhaban.
En revanche nous. possédons des renseignements très complets
sur le concile réformateur de Paris tenu également en juin 829
1. Dùmmler, Episl. Fuldenses, epist. xxvn ; A. Verminghoff, dans Neucs
Archiv, 1899, t. xxiv, p. 487.
i28- CONCILES DE MAYENCE ET DE TARIS 61
dans l'église Saint-Etienne 1. Ses. actes très volumineux sont conte-
nus dans trois livres. En tête des actes se trouve la plus longue
des deux missives impériales, commençant par Recordari, et dont
nous avons parlé plus haut. Puis vient la Prsefatio du concile :
« Même charges de lourds péchés, nous ne devons pas désespé-
[obj rerj car Dieu est miséricordieux pour celui qui fait pénitence.
Nous devons supporter avec patience les peines dont il châtie
nos fautes. Comme l'Eglise (ce mot désigne ici les chrétiens de
l'empire franc), dont Jésus-Christ a confié à ses pieux serviteurs
Louis et Lothaire la direction et le soutien, est affligée de divers
maux et frappée de divers malheurs, elle a dû comprendre que le
glaive du Seigneur la frappait suivant la justice au dedans et au
dehors. Les empereurs inspirés de Dieu ont, à l'exemple des
Ninivites, jugé nécessaire une pénitence publique. Reconnais-
sant toutefois qu'une pareille affaire n'était pas de leur ressort,
ils l'ont, sur le conseil des évêques, des grands et des autres fidèles,
remise entre les mains des clercs, qui ont reçu le pouvoir de lier
et de délier, et qui sont les vicarii des apôtres. En cela, ils ont eu
pleinement raison. Ils ont donc ordonné la réunion de conciles
dans quatre villes de l'empire, afin d'examiner en quoi les princes
et le peuple, le clergé et les laïques ont contrevenu à la volonté de
Dieu. Conformément à ces prescriptions impériales, et pour tra-
vailler à leur propre salut comme aussi pour veiller au salut des
peuples qui leur sont confiés, les évêques des diocèses (métropoles)
de Reims (Durocoritorum), de Sens, de Tours et de Rouen se sont
réunis le 6 juin 829 dans la ville de Paris et ont publié les cha-
pitres suivants :
1. Le chrétien doit avoir la vraie foi et y conformer sa vie.
Enumération des fondements de la foi et des principales vertus.
Sans ces vertus, nul ne peut gagner le ciel, car la foi sans les œuvres
est une foi morte. Celui-là doit être puni particulièrement qui,
1. Sirmond, Conc. Gall., t. u, col. 477; Coll. regia, t. xxi, col. 152; Labbe,
Concilia, t. vu, col. 1592-1699; Hardouin, Conc. coll., t. iv, col. 1289-1360;
Coleti, Concilia, t. ix, col. 704 ; Bouquet, Rec. des hist. de la France, t. vi,
col. 345-347; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 855; Conc.ampliss. coll., t. xiv,
col. 529-604. R. de Lasteyrie, Cartulaire de Paris, dans Histoire générale de
Paris, 1887, (. i, p. \'l ; B. Siinson, Jahrbiïcher des frànkischen Reichs unter
Ludwig dem Frommen, in-8, Leipzig, 1874, t. i, p. 315; E. Dùmmlcr, Geschichte
des ostjrànkischen Reiches, 2P odit. 1887, L. i. p. 48 : A. Verminghoff, Verzei-
chnis der Akten frànkischer Synoden von / Î2-843 dans Xeues Archiv, 1899, t. xxiv,
p. 488. (H. L.)]
62
LIVRE XXI
au lieu de rehausser sa foi par ses œuvres, la ternit et la souille
par diverses fautes. On compte surtout quatre vices spirituels :
l'orgueil, l'envie, la haine et la discorde qui, de nos jours, dépa-
rent la foi ; ils sont d'autant plus dangereux qu'ils sont cachés
et que ceux qui en sont atteints ignorent ordinairement leur état.
2. L'Eglise forme un seul corps dont le Christ est la tête. Le
pécheur se sépare de ce corps et s'unit au corps de Satan ; il ne doit
pas différer de revenir en arrière, tant qu'il lui reste le temps de
la pénitence.
3. Le corps de l'Eglise comprend deux genres de personnes
particulièrement qualifiées, à savoir, les prêtres et les princes.
Parlons d'abord des prêtres, puis nous nous occuperons des princes.
4. Avant tout, les clercs doivent observer ce qu'ils enseignent,
s'amender eux-mêmes avant de réprimander les autres et devancer [59]
tout le monde par leurs bons exemples 1. Preuves patristiques
à l'appui de ce canon.
5. Chacun de nous (prêtres, évêques) doit conduire et exhorter
ses ouailles par la parole et le bon exemple afin de les ramener
à Dieu sans réserve, de tirer d'eux une satisfaction convenable
et de leur obtenir par leurs propres aumônes la faveur divine.
Les fidèles prieront pour le pieux empereur Louis, pour sa femme
et ses enfants, et pour le royaume. Un prêtre dont la conduite
est irréprochable, mais qui ne punit pas et ne réprimande pas les
pécheurs, se perd avec eux.
6. Autrefois, on ne donnait le baptême qu'aux catéchumènes
déjà instruits dans la foi. Aujourd'hui, depuis que tous les parents
sont chrétiens, on agit autrement; mais c'est une grave négli-
gence de ne pas instruire suffisamment ceux qui ont été baptisés
pendant leur première enfance.
7. Sauf les cas de nécessité, on ne doit baptiser qu'à Pâques
et à la Pentecôte ; les parrains doivent être eux-mêmes suffisam-
ment instruits pour instruire plus tard leurs filleuls. (Passage
de saint Augustin sur les devoirs des parrains.)
1. Lorsque Luden, Gesch. d. deustch. Volk., t. v, p. 316, dit :« L'empereur ne
reçut (de ces quatre conciles) que des conseils dont il n'avait que faire et on lui
demandait à lui seul de s'amender au sujet des fautes qu'il n'avait pas été seul
à commettre, etc., » on voit l'esprit agressif et injuste. L'empereur demandait
des conseils; mais les évêques ne se bornèrent pas à émettre des plans de réforme
pour l'empereur, ils en firent pour eux-mêmes et pour tout le clergé, ainsi que
le prouvent un grand nombre de capitula de rassemblée de Paris.
427. CONCILES DE MAYENCE ET DE PARIS 63
8. On ne doit admettre à la cléricature, ni ceux qui ont été
baptisés dans leur lit ], ni ceux qui pour recevoir le baptême ont
employé des moyens défendus (qui per cupiditatem aut per teme-
ritatem, contempla canonica auctoritate, baptizantur).
9. Le baptisé fait un double contrat : 1° il renonce au démon et
à ses œuvres; 2° il professe sa foi au Père, au Fils et au Saint-
Esprit. Beaucoup violent totalement ce double contrat, et beau-
coup le violent en partie ; totalement, par l'incrédulité, l'hérésie,
le schisme, etc. ; en partie, par l'orgueil, l'envie, etc. Il est fort
déplorable que beaucoup de fidèles baptisés en bas âge n'appren-
nent pas, soit par leur faute, soit par la négligence des prêtres,
ce qu'est le baptême.
10. Les clercs mettront désormais plus de soin à enseigner la
[60] signification du baptême ; de leur côté les laïques mettront
plus de soin à s'en instruire. Explication du sens des mots :
renoncer à Satan et à ses œuvres.
11. La simonie, devenue trop commune de nos jours, doit être
entièrement extirpée. L'autorité et la force impériales doivent
en purger l'Eglise romaine, car si la tête est malade, les membres
le sont également.
12. Le « Pastoral » de saint Grégoire le Grand, et d'autres ou-
vrages, enseignent comment on doit entrer dans la cléricature,
comment on doit y vivre et y travailler ; mais beaucoup mécon-
naissent ces enseignements. Il doit en être autrement. (Citations
de passages de la Bible et des Pères sur les devoirs des clercs.)
13-14. Les évêques doivent principalement s'appliquer à éviter
l'avarice et à exercer l'hospitalité.
15. Ils ne doivent pas employer suivant leurs caprices le bien
des églises comme ils feraient de leurs propriétés privées. (Cita-
tions d'anciens canons et de passages des Pères sur ce point.)
16. Les évêques et les prêtres ne doivent plus, ainsi que cela
est trop souvent arrivé, enrichir leurs parents avec ce qu'ils ont
reçu de l'Église.
17. Sans une grande nécessité et sans l'assentiment du primat
de la province, aucun évêque ne doit aliéner un bien d'église ;
malheureusement il arrive souvent que, par complaisance, un
évêque échange des biens d'église de plus de valeur que ceux
qu'il reçoit en retour.
1. Grabatarii, cf. Marc, n, 4 ; on appelait dans la primitive Église le baptême
donné dans ces conditions « baptême des cliniques » (clinici). (H. L.)
64 LIVRE XXI
18. Les biens de l'Église n'appartiennent pas aux clercs, mais
aux pauvres. Qu'on ne dise donc pas avec jalousie : « Les églises
sont trop riches; » elles ne le sont pas trop si leur bien est employé
conformément à sa destination.
19. Saûl est le type des mauvais chefs, David est au contraire
le modèle de ceux qui sont soumis avec respect. La faute des
supérieurs n'autorise pas les insultes et le jugement des inférieurs.
Un évêque coupable encourt une double responsabilité, pour lui
d'abord et à cause de ses fautes, et pour les autres, qu'il induit
à dire du mal de lui, par conséquent à pécher. La coutume de
quelques prélats, malheureusement trop invétérée, de vivre dans
le luxe, etc., doit être abolie.
20. Conformément aux anciennes prescriptions, l'évêque doit
avoir constamment auprès de sa personne, même dans ses appar-
tements particuliers, des clercs qui soient témoins de sa conduite.
21. Les évêques, les abbés et les abbesses n'auront plus d'entre-
tiens particuliers avec les laïques qu'en présence de clercs (ou de
moines ou de nonnes). Les évêques exerceront sur les monas- [61]
tères de leurs diocèses une surveillance beaucoup plus active
que celle exercée jusqu'ici. Ils ne devront pas, ainsi que cela a
souvent eu lieu, abandonner leur siège par esprit de lucre pour
se rendre dans des pays éloignés.
22. Afin de couper court à toutes les difficultés provenant du
droit de présentation, les laïques ne doivent présenter aux évêques
que des clercs capables, et les évêques ne doivent refuser personne
sans faire connaître les motifs de leur refus.
23. Les évêques doivent éviter l'esprit d'orgueil et l'esprit
de domination.
24. Ils pourvoiront aux besoins spirituels et temporels de leurs
inférieurs.
25. Nous avons appris de source certaine que les serviteurs
(c'est-à-dire les coopérateurs, voyez plus loin § 435) de quelques
évêques se sont montrés pleins d'avidité, non seulement à l'égard
des prêtres, mais aussi à l'égard du peuple. Il ne doit plus en être
ainsi à l'avenir et les évêques puniront leurs serviteurs.
26. La prescription de tenir deux synodes provinciaux tous
les ans est tombée en désuétude : elle sera remise en vigueur.
Dans tous les cas, on tiendra annuellement au moins un synode
dans chaque province. Les prêtres et les diacres y assisteront ainsi
que tous ceux qui se croient lésés et veulent faire juger leur cas
428. CONCILES DE MAYENCE ET DE PARIS 65
par le concile. L'évêque y amènera des savants formés pour le ser-
vice du Christ et l'honneur de l'Église et connus des autres églises.
27. Les évêques sont les successeurs des apôtres; les choré-
vêques sont les successeurs des soixante-dix disciples, ainsi qu'il
résulte des Actes des apôtres et des canons. C'est donc à tort que
quelques chorévêques donnent la confirmation et accomplissent
d'autres fonctions réservées aux seuls évêques. Il n'en sera plus
ainsi à l'avenir. (Rappel des canons 13e de Néocésarée, et 10e
d'Antioche de 341.)
28. Clercs et moines ne s'occuperont plus d'affaires mondaines
ni de gain pécuniaire. (Citations d'anciens canons sur ce point.)
29. Les évêques emploient parfois leurs clercs à des affaires
ou missions mondaines, en sorte que quelques églises restent un
certain temps sans prêtres et que le baptême n'est pas administré.
Il n'en sera plus ainsi à l'avenir. Si des prêtres, sans ordre de
l'évêque, quittent leurs églises pour leurs plaisirs ou pour gagner
quelque argent, ils doivent être sévèrement punis.
30. Le pieux empereur Louis a depuis longtemps ordonné
aux redores ecclesiarutn (les évêques) d'élever dans leurs églises
d'intelligents défenseurs du Christ. Quelques évêques se sont mon-
trés très négligents sur ce point; ils feront, à l'avenir, preuve d'un
plus grand zèle, et, comme nous l'avons dit plus haut, chaque
évêque doit conduire ses « scholastiques» au concile provincial.
31. Dans leurs voyages, les évêques ne doivent plus, comme par
le passé, être une charge pour les curés ou les fidèles. Quoique,
d'après l'ancien droit, le quart des dîmes et des offrandes (de
chaque église de campagne) revienne aux évêques, ils y renon-
ceront si l'Eglise a des revenus suffisants. Sinon, ils prendront
non le quart, mais le strict nécessaire. Le reste ira à l'Eglise et
aux pauvres.
32. Plusieurs prêtres n'imposent pas à leurs pénitents les peines
prescrites par les canons, mais des pénitences moindres, en se
servant de ce qu'on appelle des « pénitentiels ». Chaque évêque
fera rechercher dans son diocèse ces petits livres et les fera brûler;
il instruira les prêtres ignorants, leur apprendra comment inter-
roger sur les fautes et quelle pénitence imposer.
33. L'évêque doit être à jeun pour administrer la confirmation ;
de même pour le baptême, sauf le cas d'urgence. Le temps régu-
lièrement fixé pour la confirmation, comme pour le baptême,
est Pâques et la Pentecôte.
conciles — IV - 5
( G LIVRE XXI
34. Les clercs qui ne punissent pas les péchés contre nature
par les peines prescrites dans les canons (c. 16e d'Ancyre) doivent
être mieux instruits. On les obligera à se défaire de leurs livres
pénitentiels (codices psenitentiales). (Voir c. 32.)
35. Chaque évêque doit soumettre à une pénitence et chercher
à corriger, conformément au canon 1er de Néocésarée, les prêtres
et clercs de sa paroisse qu'il sait avoir été déposés (parce qu'ils
se sont mariés ou ont commis une faute contre les mœurs).
36. Les clercs sont gravement coupables lorsqu'ils abandonnent
d'eux-mêmes leurs charges pour s'attacher à d'autres évêques
et abbés, ou à des comtes et des nobles. Il n'en sera plus
ainsi à l'avenir, et on demandera très humblement à l'empereur
de défendre aux laïques de prendre des clercs chez eux. On lui
demandera également de défendre aux évêques, abbés et nobles
italiens de recevoir les clercs fugitifs des Gaules ou de la Germanie.
37. Les abbés des chanoines doivent donner le bon exemple n^j
à ceux qui vivent sous leur juridiction, et l'évêque sera très
vigilant sur ce point. S'ils n'obéissent pas à l'évêque, ils devront
être corrigés par le jugement du concile, ou bien ils seront déposés
avec le secours de la puissance séculière.
38. Des discours insensés et des farces ne conviennent pas aux
clercs qui ne doivent ni entendre les uns ni voir les autres.
39. On ne devra plus à l'avenir nommer aussitôt abbesses des
femmes nobles qui ont, jusqu'au dernier moment, vécu dans le
mariage, et qui viennent de perdre leur mari.
40. Les prêtres ne devront plus, sans en prévenir l'évêque,
bénir les voiles des veuves, de peur que celles-ci ne retournent
dans le monde.
41. Aucun prêtre ne consacrera une vierge à Dieu.
42. Beaucoup de femmes, agissant en toute simplicité, s'impo-
sent elles-mêmes le voile sans l'assentiment du prêtre, afin de
pouvoir devenir veilleuses ou servantes dans les églises. Les évê-
ques ne le doivent plus permettre. Nous savons que quelques-unes
de ces femmes sont devenues pour certains prêtres une occasion
de scandale; on ne doit plus les autoriser à servir dans les églises.
43. Il est inadmissible que des abbesses ou des nonnes imposent
le voile à des veuves et à des vierges. Dans presque tous les
monastères on trouve des personnes qui ont reçu le voile de cette
manière ; elle est devenue habituelle, parce que l'on croit que les
personnes ainsi voilées peuvent se permettre de pécher avec
428- CONCILES DE MAYENCE ET DE PARIS 67
moins de gravité que les autres; il n'en sera plus ainsi à l'avenir.
44, Il arrive souvent qu'après la mort de leur mari, les femmes
nobles prennent le voile sans entrer clans un monastère, au con-
traire restent clans leur maison, élèvent leurs enfants et adminis-
trent leurs Liens. 11 n'en sera plus ainsi à l'avenir. Ces femmes ne
doivent pas prendre le voile immédiatement après la mort de
leur mari: mais, d'après l'ordonnance de l'empereur, de concert
avec les évèques. Elles attendront trente jours, et se remarieront
ou iront dans un monastère. Nous saxons que souvent ces jeunes
veines revêtues dans leur propre maison de l'habit des religieuses
deviennent la proie de Satan.
45. Dans quelques provinces les femmes s'approchent de l'autel,
touchent les vases sacrés, fournissent aux prêtres les vêtements
sacerdotaux et vont même jusqu'à distribuer aux lidèles le corps
[64] et le sang du Seigneur. C'est là un abus épouvantable et qui ne
doit plus se produire. (Citations d'anciens canons.)
i6. .Munies et chanoines ne doivent pas entrer dans les monas-
tères de nonnes et dans les maisons des chanoinesses, si ce n'est
pour confesser, dire la messe ou prêcher. La confession n'aura
lieu que devant l'autel, avec des témoins dans le voisinage. Une
religieuse malade qui ne peut venir à l'église, se confessera ail-
leurs, mais toujours devant témoins. Les moines ne se confesse-
ront qu'à un membre du monastère. Les moines n'iront pas con-
fesser clans les monastères de nonnes.
47. A part les cas de nécessité, on ne dira plus la messe hors des
églises, dans des maisons particulières et dans des jardins ; ce
qui arrive fréquemment de nos jours où on dit la messe dans
des bâtiments accessoires ou dans la maison des laïques de dis-
tinction.
48. Par négligence ou par avarice, l'abus s'est introduit dans
bien des endroits de dire la messe sans ministres. Mais à qui donc
les prêtres diront-ils alors Dominus vobiscum, et qui leur répondra
Et cum spiritu tuo ? Qu'il n'en soit plus ainsi à l'avenir.
49. Comme chaque ville a son évêque, chaque basilique doit
avoir son prêtre ; mais il arrive que par esprit de lucre, beaucoup
de prêtres se chargent de plusieurs basiliques chacun. Qu'il n'en
soit plus ainsi lorsqu'une basilique a des revenus. Si la basilique
n'a pas de revenus, l'évêque décidera de ce qu'il y a à faire.
50. Recommandation de célébrer le dimanche. On demande
à l'empereur d'ordonner que, les jours de dimanche, il n'y ait
GS LIVRE XXI
ni marchés, ni placita, ni travaux à la campagne, ni corrigationes
(transports avec des voitures ou des chars).
51. Les seigneurs laïques et ecclésiastiques ont deux sortes
de poids et de mesures; grands lorsqu'ils reçoivent, petits lors-
qu'ils donnent. Par là, ils causent préjudice à leurs colons, qui
manquent de blé et de raisin pour eux et pour leurs familles.
Cet abus sera aboli ; ceux qui s'y livrent et ceux qui le tolèrent
encourent une grave responsabilité.
52. Dans quelques provinces de l'ouest de l'empire, il arrive que des
évêques, des comtes et divers seigneurs fixent ce que leurs colons doi-
vent demander par mesure de froment et par mesure de vin; ainsi
ils ne payent que le tiers de ce que coûtent ailleurs le froment et le vin. rg5]
53. Clercs et laïques pratiquent l'usure d'une odieuse manière et
réduisent à la misère quantité de gens, les ruinent et les forcent à
émigrer.(Enumération des différentes manières de pratiquer l'usure.
Citation de divers passages de la Bible et des Pères contre l'usure.)
54. On n'admettra pas en qualité de parrains, au baptême et
à la confirmation, les personnes qui ont subi la pénitence publique.
Le second livre, qu'ouvre une courte préface, traite en treize
capitula des réformes à opérer parmi les laïques, princes ou sujets.
1. Devoirs du roi. Le roi ne doit pas être seulement un modèle de
vertu, il doit encore faire pratiquer par ses serviteurs toute la justice.
2. Fonctions du roi, en sa qualité de protecteur des églises, du
clergé, des veuves, des pauvres, des orphelins, etc., et surtout
en qualité de dispensateur de la justice.
3. Le roi pèche lorsqu'il fait remplir toutes ses fonctions par
des serviteurs. Il doit d'ailleurs n'avoir que des serviteurs éprou-
vés,, étant de sa personne responsable de leurs actes devant Dieu.
4. L'empire ne subsistera que si la piété, la justice et la miséri-
corde y régnent.
5. Le roi se rappellera qu'il tient de Dieu son empire, et qu'il
le doit administrer selon la volonté de Dieu.
6. Beaucoup de personnes, ecclésiastiques ou laïques, manquent
de charité. De là tant de maux. Les officiers du palais doivent
être unis entre eux par l'amitié; malheureusement ils se haïssent,
cherchent à se nuire mutuellement, manquent ainsi à la fidélité
au roi, et sont pour autrui une cause de scandale.
7. Comparaison entre le temps présenl et les temps apostoli-
ques : on manque maintenant de piété; l'avarice et l'avidité
ont remplacé la communauté des biens et l'esprit d'amour des
428. CONCILES DE MAYENCE ET DE PARIS 69
temps apostoliques. Alors on louait le Seigneur pendant le repas,
aujourd'hui on n'a d'éloges que pour l'art du cuisinier.
8. Les inférieurs doivent obéir fidèlement au prince et prier
pour lui.
9. Les péchés qui ont offensé Dieu et mis l'empire en danger
sont marqués dans les livres de Moïse, des prophètes et dans
l'Évangile ; on étudiera ces livres et on y trouvera toutes les ex-
plications nécessaires. (Exemples ex l rails de la Bible.)
10. Il est faux, quoi qu'en disent certains, que le baptisé n'ira pas
[66 1 au feu éternel, mais seulement en purgatoire, vécût-il dans le [péché:
la foi sans les œuvres ne conduit pas au royaume des cieux.Le chré-
tien qui vit en état de péché sera puni plus sévèrement que celui
qui n'est pas chrétien et qui s'applique aux bonnes œuvres.
11. Beaucoup vont rarement à l'église. Il ne faut pas que les
chapelles environnantes détournent de l'église.
12. Beaucoup à l'église prient du bout des lèvres et non de cœur,
ou bien causent et rient.
13. Beaucoup ne prient pas du tout, ne pouvant aller à l'église
et n'ayant pas de reliques de saints à leur portée.
Le livre IIIe n'est qu'un extrait des deux premiers ; il débute
par la lettre des évêques aux empereurs dont ils louent le zèle,
racontant toute la suite de cette affaire, y compris la convocation
des quatres conciles, et ajoutant que : « Conformément aux
ordres des empereurs, ils ont indiqué dans les livres précédents
les réformes à entreprendre dans le clergé et le peuple, et ils les
soumettent à l'approbation impériale. Ils n'ont pas voulu omettre
ce qui se rapporte aux personnes et aux fonctions des empereurs ; au
contraire, par souci pour le salut de leurs âmes, ils ont annoté
dans le livre IIe quelques points qui leur ont paru nécessaires.
Ils en ont extrait quelques parties dans le livre suivant, et ils
y ont ajouté ce qu'ils avaient à demander aux empereurs. »
C. 1. Répétition abrégée des canons 4e et 5e du livre Ier ayant
trait à la réforme du clergé.
2. Les malheurs qui ont frappé l'Eglise et l'Etat ont été causés
par tous nos péchés, en particulier par la bestialité et la pédé-
rastie. Des vestiges du paganisme ont subsisté, ce sont : la sorcel-
lerie, l'art des devins, l'explication des songes, les philtres amou-
reux, les amulettes, etc. Plusieurs font changer la température
par des artifices diaboliques, font tomber la grêle, empêchent
les vaches d'avoir du lait, etc. En .outre, l'ivrognerie, la glouton-
70 LIVRE XXI
nerie, la haine, etc., sont choses communes, de même que les
farces, discours insensés, malédictions, mensonges, jurements
sacrilèges, chants obscènes. Avec l'aide deDieu,nous voulons nous-
mêmes fuir tous ces péchés, donner le bon exemple à nos ouailles
et les instruire. Nous avons également mentionné dans notre écrit
(in opère conventus nostri) d'autres chapitres que nous résumerons
ici brièvement : Le mariage n'a pas été institué par Dieu pour
servir la volupté, mais seulement pour procréer des enfants ;
la virginité doit être gardée jusqu'au mariage ; les gens mariés
ne doivent avoir ni femme de mauvaise vie ni de concubine ; [07]
on ne doit pas avoir commerce avec des femmes enceintes ;
nul ne doit abandonner sa femme sauf pour inconduite, et dans
ce dernier cas c'est commettre l'adultère que d'en épouser une
autre; on évitera les unions incestueuses; on ira plus souvent à
l'église ; on y priera avec plus de respect ; on exercera la justice ;
on ne fera pas de faux témoignage; on ne se vendra pas pour
des présents. (On ne trouve dans les Ier et IIe livres qu'un seul
de tous les points rappelés ici et résumés : les mots congessimus
etiam in opère conventus nostri nonnulla alla capitula, etc., font
peut-être allusion à la seconde partie du IIe livre, aujourd'hui
perdue. Plusieurs de ces alia capitula se rapprochent de ceux
du concile romain tenu sous le pape Eugène II.)
3. Sur l'uniformité des poids et mesures ; extrait du c. 51
du livre I.
4. Extrait du livre I, c. 29.
5. Extrait du livre I, c. 50.
6. Extrait du livre I, c. 47.
7. Extrait du livre I, c. 44. Les vingt autres chapitres sont
groupés sous le titre suivant : Hcec sunt etiam capitula, quse a
vestra pietate adimpleri flagitamus ; ils renferment les exhorta-
lions et demandes du concile à l'empereur.
8. Nous vous demandons de faire connaître à vos fils et aux
grands la force et la dignité de l'état ecclésiastique, et de leur
citer ces paroles de Constantin aux évêques : « Dieu vous a insti-
tués prêtres et vous a donné un pouvoir judiciaire qui s'étend
même sur nous ; et vous-mêmes ne pouvez être jugés par aucune
personne humaine : il faut laisser à Dieu le soin de vous juger. »
9. Rappelez-leur aussi ce que dit Prosper à l'honneur de l'état
ecclésiastique.
10. Recommandez à vos fidèles de ne pas nous mépriser, si,
428. CONCILES DE MAYENCE ET DE PARIS 71
conformément à vos ordres, nous émettons des propositions
pour notre réforme et pour celle de tous. Il serait injuste de pro-
voquer des soupçons contre nous avant la publication de notre
travail. Au contraire, l'entente doit régner entre les pasteurs
et les ouailles du Christ. Ce n'est pas notre propre intérêt qui nous
guide, c'est le zèle pour le salut des âmes.
[o8J |j# Nous vous demandons de nous ménager tous les ans un
laps de temps pour tenir des conciles, conformément au livre I,
c. 26.
12. Nous vous demandons de fonder, à l'exemple de votre père
Charlemagne, des écoles publiques et impériales, en trois endroits
au moins de l'empire.
13. Nous vous demandons de faire rechercher par vos missi
les clercs fugitifs en Italie, et de les faire rentrer dans leurs églises
d'origine, conformément au livre I, c. 36.
14. Veuillez ne pas recevoir les clercs et les moines qui vous
demandent audience sans suivre l'ordre canonique.
15. A l'exemple de votre père, veuillez aider quelques sièges
épiscopaux tout à fait pauvres.
16. Comme d'épouvantables forfaits ont été commis dans les dio-
cèses d'Halitgar (de Cambrai) et de Rangart (de Noyon), envoyez
vos missi dans ces pays pour que, de concert avec ces évêques,
ils extirpent le mal le plus tôt possible, nous vous en prions.
17. Nous vous demandons humblement de mettre un terme
aux meurtres sacrilèges qui se commettent dans l'empire; sans
avoir aucune mission, beaucoup s'établissent vengeurs et tuent.
18. Tenez la main à ce que les abbés et les abbesses donnent le bon
exemple, conduisent leurs communautés d'une manière paternelle,
etc.
19. Veuillez ordonner à vos missi de nous soutenir dans l'œuvre
de la réforme et défendez aux palatins et aux grands d'avoir
des chapelains, car dès qu'ils en ont, ils ne vont plus à l'église
de l'évêque. Veillez aussi à la sanctification du dimanche, confor-
mément au liv. I, c. 47 et 50.
20. Au sujet de la communion fréquente, conformez-vous aux
exhortations des anciens conciles, et par vos exemples engagez
vos serviteurs à vous imiter.
21. Au sujcl du capitulum relatif aux honneurs à rendre à
l'état ecclésiastique (capitulum décrété en conventus général),
veuillez faire sans délai w <|ui vous paraîtra le plus opportun.
72 LIVltE XXI
22. Veuillez apporter les plus grands soins à l'installation des
évêques et des pasteurs.
23. Evitez, ainsi qu'on vous l'a souvent recommandé, d'agir à la
légère, pour l'installation des abbesses ou le choix de vos serviteurs.
24. Veillez à l'entente de vos conseillers et serviteurs, confor-
mément au liv. II, c. 6 (p. 65).
25. Nous vous demandons et conjurons d'élever vos enfants [69]
dans la crainte de Dieu, recommandez-leur de s'aimer mutuel-
lement, de déférer aux exhortations paternelles, et de s'abste-
nir de toute injustice.
26. Recherchez le motif qui a fait sortir prêtres et princes du
droit chemin. Sans compter les chapitres précédents qui dénotent
beaucoup de négligences, nous croyons qu'il existe contre le bien
un obstacle enraciné, à savoir que, sans tenir compte de la volonté
de Dieu, les princes se mêlent des affaires de l'Eglise, tandis
que les clercs, soit laisser-aller, soit ignorance, soit avarice, s'enga-
gent dans les affaires et dans les soucis du monde. C'est là un sujet
dont nous remettons le développement à une autre époque,
lorsque nous aurons plus de moyens d'aider l'empereur et qu'il
y aura un plus grand nombre d'évêques présents, etc.
27. De même nous traiterons, à une époque plus opportune,
la question de la liberté des évêques.
Le jour même où se réunit ce concile (6 juin 829), on couronna
roi, dans l'église de Saint-Germain, Charles (le Chauve), le plus
jeune des fils de l'empereur, issu de Judith, sa seconde femme.
Toutefois on ne donna pas d'apanage au jeune roi 1.
Il existe une certaine relation entre ce concile et un document
par lequel Inchadus, évêque de Paris, accordait en jouissance
aux clercs de sa cathédrale plusieurs biens dont on fait l'énumé-
ration. Cet acte fut passé dans l'église de Saint-Etienne, à Paris,
en présence des archevêques et évêques réunis pour le concile;
le document porte leurs noms et la signature de plusieurs 2.
1. Pagi, Critica, ad ann. 829, n. 8, etMansi, Notse ad Baron., mettent en doute
la valeur de cette date du G juin.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 605 sq. Le concile de Paris de 829 est en relation
intime avec deux ouvrages de Jonas d'Orléans intitulés l'un : De ins/itutione renia,
et l'autre, De institutionc laicali. Depuis la publication de la Conciliengeschichte
un érudit est arrivé à cette conclusion que le De inslitutione laicali doit continuer
textuellement la dernière partie du second livre des canons de 829, partie con-
sidérée comme perdue. Cf. Simson, Jahrbiïcher des frânkishen Reichs unlerLudwt'x
/,29- AGOBARD DE LYON CONTRE LES JUIFS 73
429. Agobard de Lyon contre les juifs.
Les actes des conciles réformateurs tenus à la même époque
à Lyon et à Toulouse nous manquent, avons-nous dit ; néan-
moins, on est porté à croire que deux lettres d' Agobard, archevê-
[70] que de Lyon, à l'empereur Louis, ont quelque rapport avec ce
concile de Lyon. L'une de ces lettres ne porte comme suscrip-
tion que le nom d' Agobard ; mais comme on peut y lire : quee
omnia contulimus cum fratribus, plusieurs savants ont pensé
qu' Agobard avait déféré au concile tenu à Lyon en 829 l'af-
faire dont il parle dans cette lettre, à savoir le danger que
faisaient courir les juifs; il aurait donc écrit cette lettre à Louis
le Débonnaire, du consentement de l'assemblée 1. La seconde
lettre porte, outre la signature d' Agobard, celles de Bernard,
archevêque de Vienne, et de Caof, évêque de Chalon-sur-Saône;
ces trois évêques ayant rédigé la missive à la demande du
concile.
Lyon et ses environs comptant un très grand nombre de juifs,
Agobard avait engagé les chrétiens à ne vendre aux juifs aucun
esclave chrétien; ils ne devaient pas souffrir que des fidèles
achetés par les juifs fussent emmenés en Espagne, que des femmes
chrétiennes au service des juifs célébrassent le sabbat avec eux,
travaillassent le dimanche et mangeassent en carême. Aucun
chrétien ne devait acheter de la viande aux juifs ni boire de leur
vin, etc. — Sur les plaintes des juifs, l'empereur envoya trois
missi, Gerrik, Frederick et Evrard, qui firent preuve d'une telle
partialité en faveur des juifs qu' Agobard crut devoir adresser à
l'empereur la première de nos deux lettres. Grâce à la conduite
des missi, les juifs, disait l'archevêque, ne gardaient plus aucune
mesure : «ils osaient poursuivre les chrétiens et l'archevêque
lui-même ; ils voulaient enseigner aux chrétiens ce qu'ils devaient
croire (c'est-à-dire ce que permettait la religion chrétienne au
dem Frommen, in-8, Leipzig, 1874, t. i, p. 381 sq. ; Kl. Amelung, Leben und
Schriften des Bischofs Jonas von Orléans, in-8, Dresden, 1888. (H. L.)
1. Luden, Gesch. d. deutschen Volkes, t. v, p. 316, émet une pure hypothèse
lorsqu'il affirme que, sur la demande d'Agobard, les quatre synodes tenus en
829 s'étaient occupés de l'affaire des juifs.
74 LIVRE XXI
sujet des rapports avec les juifs). Agobard ne pouvait croire
que les prétendus décrets impériaux dont les juifs arguaient
fussent authentiques. On prétend que les missi auraient dit :
« L'empereur aime les juifs et ils lui sont chers. » Et l'archevêque [71]
se trouvait en butte à des persécutions, uniquement à cause
des directions, pourtant si justifiées, données par lui aux chré-
tiens à l'égard de ces juifs. Car on sait que si les juifs tuent
un animal ayant quelque tare, ils en vendent la viande aux chré-
tiens, et par orgueil, appellent ces animaux « viande à chrétiens»,
christiana pecora. Ils font le commerce du vin, quoiqu'ils le re-
gardent comme une boisson impure ; ils ramassent tout ce
qu'il y a de plus difforme et de plus souillé, pour le vendre aux
chrétiens. On sait, en outre, que dans leurs prières de chaque jour
ils maudissent le Christ « et les nazaréens ». Il faut que l'empereur
sache à quel point les juifs nuisent à la foi chrétienne, car ils
ne rougissent pas de se vanter de toutes ces indignités en présence
des simples chrétiens : à cause de leurs patriarches, ils se trou-
vaient en grande faveur auprès de l'empereur, si bien que des
personnes haut placées avaient sollicité leurs prières et leurs
bénédictions. Des parents de l'empereur et les femmes de quelques
employés de la cour avaient offert des vêtements aux femmes °
des juifs ; il leur était maintenant permis, malgré les anciennes
prescriptions, de bâtir de nouvelles synagogues. Des chrétiens
peu intelligents vont jusqu'à dire que les juifs prêcheraient mieux
que les prêtres. A cause des juifs, les missi avaient supprimé
tous les marchés qui se tenaient le samedi et laissé aux juifs
le choix d'un autre jour. Il fallait que l'empereur connût ce
que les anciens évêques des Gaules et les rois s'inspirant de la
sainte Écriture, avaient décidé touchant la séparation nécessaire
entre juifs et chrétiens... Cette lettre était déjà rédigée lorsque
est arrivé de Cordoue un fugitif, qui a fait la déclaration suivante :
Il y a vingt-quatre ans, étant encore enfant, il fut volé à Lyon
par un juif et vendu ; il s'est sauvé avec un compagnon de capti-
vité, pareillement volé par un juif à Arles six ans aupara-
vant. De pareils faits sont fréquents, et l'on parle de plusieurs
autres méfaits dont les juifs se sont rendus coupables.»
La seconde lettre démontre ce qu'avait énoncé la première, sur
la nécessité d'établir une séparation rigoureuse entre les chré-
tiens et les juifs. D'après le Christ lui-même, le judaïsme est
digne de réprobation, ce dont témoignent les Pères de l'E-
'i29. AGOBARD DE LYON CONTRE LES JUIFS 75
glise, les conciles gaulois, les passages talmudiques des juifs
et la Bible elle-même 1.
Il semble qu'au xvie siècle on eût encore les actes du concile
tenu à Mayence en 829 ; les centuriateurs de Magdebourg affir-
ment les avoir vus et tenus en leur possession. Néanmoins ils se
[721 contentent d'en extraire les noms des évêques présents, qui sont :
Oto-ar, archevêque de Mayence (président) ; Hatto, archevêque
de Trêves ; Hadubald, archevêque de Cologne ; Berwin, arche-
vêque de Besançon, et Adalram, archevêque de Salzbourg, avec
leurs sufïragants. Ces sufïragants étaient : a) pour Mayence :
Bernold de Strasbourg, Benoît de Spire, Nitgar d'Augsbourg,
Folcuin de Worms, Wolfléoz de Constance, Adaling d'Eichstâdt,
Badurat de Paderborn, Wolf gar deWûrzbourg, Haruch de Verden,
Theutorinde Halberstadt; b) pour Trêves : Drogon de Metz (qui,
sur la demande de l'empereur Louis et en qualité de fils de Char-
lemao-ne et chapelain de la cour, avait reçu du pape le titre per-
sonnel d'archevêque), Hildin de Verdun, Frothar de Toul; c) pour
Cologne : Waldgoz ou Waldgand de Liège, Willerich de Brème,
Frédéric d'Utrecht, Gerfrid de Munster, Géboin ou Gosoin d'Os-
nabrûck; d) pour Besançon : David de Lausanne, Udalrik de
Bâle; e) pour Salzbourg : Hitto de Freising, Badurich de Ratis-
bonne Reginher de Passau, Erbéo de Brixen. Après ces noms
viennent ceux de quatre chorévêques et de six abbés; à la tête
de ces derniers se trouve Raban Maur, abbé de Fulda. Dans ce
même concile le moine Gotescalc porta, paraît-il, ses plaintes
contre Raban Maur et obtint de l'assemblée de quitter l'état
religieux. Raban en appela de cette sentence à l'empereur et à
un autre concile qui se tiendrait en présence du souverain, et il
obtint que Gotescalc fût simplement placé dans un autre
monastère, celui d'Orbais près de Reims ; nous aurons plus tard
ample occasion de parler de lui 2.
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 607 sq. ; Agobard, P. L., t. civ, col. 69 sq.
Cf. Gfrurer, Kirchcngeschichte, t. ni, 2, p. 755.
2. Centur. Magdebg., t. ix, col. 9,10; Hartheim, op. cit., t. u, p. 54; Mabillon,
Annales Ord. S.Ben., t. n, 1. XXX, p. 523; Histoire littér. delà France, t. v,
p. 352.
70 LIVRE XXI
430. Diète et concile tenus à Worms au mois d'août 829.
Ayant reçu les actes des quatre conciles, l'empereur réunit, au
mois d'août de cette même année 829, une grande assemblée à
Worms. Hincmar de Reims qui l'appelle un synodus et placitum
générale, rapporte qu'un légat du pape Grégoire IV y assista,
et cite de cette assemblée un capitulum condamnant a faire [73]
pénitence publique celui qui aura abandonné sa femme et en aura
épousé une autre 1.
On ne connaissait autrefois que le capitulaire, divisé en trois
parties, publié par l'empereur dans les conventus de Worms 2,
et dont la troisième partie, c. 3, contient mot à mot la prescrip-
tion rapportée par Hincmar. Mais Pertz a édité les propositions
détaillées des évêques à l'empereur, presque toutes empruntées
aux actes du concile de Paris.
1. Le discours de début adressé à l'empereur est identique à la
lettre à Louis et à Lothaire, placée au commencement du livre IIIe
des actes de l'assemblée de Paris ; il n'y manque que le nom de
Lothaire et la fin de la lettre, qui devait être supprimée, parce
qu'elle se rapportait 3 spécialement aux actes de Paris et à leur
division. Quant à l'omission du nom de Lothaire, elle est de nature
à surprendre si Einhard est dans le vrai lorsqu'il rapporte que
Lothaire ne fut envoyé en Italie qu'après la célébration de
l'assemblée de Worms.
2. Viennent ensuite, dans les actes de l'assemblée de Worms,
trois capitula, résumés du lib. I, c. 1-3, de l'assemblée de Paris.
3. Le troisième document intitulé De persona sacerdotali com-
1. Coll. regia, t. xxi, col. 266 ; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1669-1670 ; Har-
douin, Coll. conc, t. iv, col. 1361; Coleti, Concilia, t. ix, col. 781 ; Mansi, Conc.
ampliss. coll., t. xiv, col. 626; Pertz, Mon. Germ. liisl., t. m, Leges, t. i, p. 331-
349. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xv, Appendix, col. 447 sq.; Pertz, Monum., t. m, Leges,
t. i, p. 439 sq. [Nithard, Histor., i, 3, édit. E. Mùller, 1907 ; Vita Hludowici impe-
ratoris, c. xliii; B. Simson, Jahrbiicher, in-8, Leipzig, 1874, 1. 1, p. 328; J. Cal-
mette, De Bernardi sancti Gulielmi filio, in-8, ToIosîp, 1902, p. 8 sq. ; L. Halphen,
La crise de l'empire carolingien sous Louis le Pieux, dans F. Lot et L. Halphen,
Le règne deCharles le Chauve, 1909, p. '.. (II. L.)]
3. Annal.,' ad ann. S29.
'j3Q. diète et concile tenus a worms 77
prend dix-sept numéros, offrant avec les actes de Paris une ressem-
blance frappante ; ils ont été revus en détail par Pertz qui n'a
pas dit le dernier mot à leur sujet. Les sept premiers numéros
sont extraits du lib. I, c. 11, 12, 13, 14, 31, 27. et 25 du concile
de Paris: le numéro 11 a de l'analogie avec lib. I, c. 20:1e numéro 12
est identique au lib. I, c. 16, les numéros 13 et 14 sont extraits
du lib. I, c. 21, les numéros 15, 16 et 17 du lib. I, c. 22, 4 et 5
(avec une légère modification devenue nécessaire). Enfin les nu-
méros 8, 9 et 10 et en partie 16 sont nouveaux, ne provenant
pas du concile de Paris, mais bien d'un des trois autres conciles
dont nous n'avons plus les actes.
4 Vient ensuite la petitio des évêques à l'empereur concernant
[74] ce qu'il avait à faire lui-même. Elle est enprumtée intégrale-
ment au IIIe livre des actes de Paris, numéros 8-21.
5. Dans un autre document les évêques indiquent à l'empereur
quœ populo annuntianda surit, et ils placent sous ce titre ce que
Je concile de Paris avait prescrit, soit dans le Ier soit dans le IIIe
livre. Le n° 1 est identique à I, 54 de Paris, le n° 2 identique à I,
7 et 8, avec cette réserve particulière que celui qui aurait été
baptisé à une autre époque qu'à Pâques ou à la Pentecôte ne pour-
rait devenir clerc; n° 3= I, 9; n° 4 = I, 10; n° 5 = I, 30; n° 6 =
I, 33 ;n07- III, 4 (en partie = I, 29); n° 8=1, 35; n° 9 =
I, 48 ; n° 10 = I, 49 (avec cette indication que les trois autres
conciles, et non pas seulement celui de Paris, avaient pris cette dé-
termination); n° 11 = I, 50 (III, 5);n°12 = 1,47 (III, 6); n°13
= I, 40(111, 7); ^ 14= I,41;n°15 = 1,42 ;n°16=I, 43; n° 17
= I, 48 ; n° 18 = I, 45; n° 19 = I, 46; n° 20 = I, 53 ; III, 3,
et III, 2 ^
6. Le dernier document intitulé De persona regali et son début
viennent de la fin de Y Epistola ad imperalorem (placée en tête
du livre IIIe des actes de Paris), avec cette différence que les
évêques de Worms disent qu' « ils se sont contentés d'extraire
et de réunir une partie de tout ce que leurs conventus (les quatre)
avaient décrété. » Ce document traite des devoirs du roi, et par
conséquent continue et complète la petitio. Le n° 1 est, avec des
changements, extrait du livre IIe, c. 1 et 2, des actes de Paris;
le reste provient du livre IIIe, c. 22-27.
On serait porté à croire que le capitulaire en trois parties publié
1. Pertz n'esl pas non plus toujours exact dans ses citations.
78 LIVRE XXI
à Worms aurait été la réponse de l'empereur Louis à ces'diver-
ses propositions des évêques. Mais sauf l'unique point cité par
Hincmar, le capitulaire impérial ne contient rien qui soit une
sanction des propositions épiscopales. Cela s'explique par l'histoire
de l'assemblée de Worms. L'empereur en profita surtout pour
donner un royaume à son plus jeune fils Charles, couronné roi
depuis quelques mois. Ce royaume comprenait l'Alemannie,
la Rhétie et une partie de l'ancien royaume deBurgundie, apanage [75"
qui diminuait la part des fils aînés. Lothaire y donna son consente-
ment, mais Pépin, roi d'Aquitaine, en fut très irrité; déjà depuis
quelque temps il caressait des idées de révolte. Le principal
adversaire du parti de Pépin était Bernard, duc de Septimanie
(Marche espagnole), homme de guerre distingué, et favori de
l'impératrice Judith, plus même que son favori, si on en croit
certains bruits 1. Or, l'empereur Louis choisit pour tuteur et pré-
cepteur de Charles, ce même Bernard qu'il nomma chambrier
royal afin de le gagner tout à fait à sa cause et à celle de son plus
jeune fils. Cette élévation excita chez les adversaires un très
vif mécontentement qui se traduisit en injures et en intrigues
odieuses. On se sépara presque brouillés, et la diète de Worms se
termina sans résultats, du moins en ce qui concerne la réponse
définitive aux propositions des évêques 2.
Avant de terminer ce qui a trait à cette diète, qu'il me soit per-
mis de rectifier deux erreurs de Binterim 3. D'après lui l'em-
pereur aurait déclaré porter lui-même la défense au conjoint de-
meuré seul, après la séparation, de se remarier. C'est une erreur,
car les mots congessimus etiam, etc. 4, ne sont pas de l'empereur,
mais bien des évêques. — Lorsque Binterim ajoute : « C'est
là presque le seul point des capitulaires laissés par Louis qui ne
se trouve pas dans les actes du concile de Paris, » il oublie que
le concile de Paris, lib. III, c. 2, avait émis exactement la même
proposition.
1. Cf. Paschase Radbert, Epitaphium Arsenii, n, 8. (H. L )
2. Au sujet de la diète synodale de Worms et de la division de l'empire en 829,
cf. Dùmmler, ' Gesch. des ostfrdnk. Reichs, Berlin, 1862, t. i, p. 51, sq.
3. Binterim, Deutsche Concilien, t. n, p. 385.
4. Pertz, op. cit., p. 345.
±31. RÉVOLTE DES FILS DE LOUIS LE DEBONNAIRE 79
431. Révolte des fils de Louis le Débonnaire contre leur père.
Diète synodale de Nimègue x.
Le mécontentement contre l'empereur, qui s'était fait jour
dans la diète de Worms, ne fit qu'augmenter jusqu'au printemps
de 830; bientôt éclata une révolte, menée par Pépin, roi d'Aqui-
taine, avec beaucoup de grands et de prélats francs. Ils mar-
chèrent contre l'empereur ; le duc Bernard, chambrier impé-
rial, ne sut que s'enfuir en Espagne ; l'impératrice Judith se
retira dans un monastère à Laon, et l'empereur Louis vint à
Compiègne, essayer, dans une entrevue, de ramener son fils à
[76] de meilleurs sentiments, mais il ne retira guère que des affronts
de sa démarche. Les parents de Bernard, les frères de l'impé-
ratrice et d'autres personnages du même parti eurent les yeux
crevés, fvirent relégués dans des monastères, ou enfin réduits à la
misère. L'impératrice Judith amenée de force à Compiègne fut
condamnée à se rendre à Poitiers, dans le monastère de Sainte-
Badegonde, et à y prendre le voile. On conseilla à l'empereur
de se raser la tête et de se retirer dans un monastère; on ajoutait
que s'il voulait sauver son âme et arrêter l'empire sur sa rui-
ne, il devait se hâter de faire cette profession monastique
depuis longtemps l'objet de ses désirs. Louis se montra dans l'in-
fortune plus courageux qu'on n'aurait pu l'espérer; il déclara
que seule la puissance ecclésiastique pouvait l'autoriser à aban-
donner ainsi sa femme et son enfant. Sa subite énergie, le zèle
déployé en sa faveur par plusieurs amis fidèles, pour la plupart
membres du clergé, relevèrent peu à peu le courage d'un grand
nombre et ramenèrent à l'empereur beaucoup de sympathies.
1. L. Halphen, La crise de l'empire carolingien sous Louis le Pieux, dans F. Lot
et L. Halphen, Lerègne de Charles le Chauve, in-8, Paris, 1909, p. 1-10; B. Sim-
son. Jahrbûcher des frànkischen Reichs unter Ludwig dem Frommen, 2 vol. in-8,
Leipzig, 1874-76; Mùhlbacher, Die Regesten des Kaiserreichs unter den Karolin-
gem, 2e édit., in-4, Innsbruck, 1908, t. i; A. Himly, Il ala e! Louis le Débonnaire,
in-8, Paris, 1819; A. Kleinclausz, L'Empire carolingien, ses origines et ses trans-
formations, in-8, Paris, 1902; J. Calmette, De Bernardo sancti Gulielmi filio, in-8,
Tolosa-, 1902; L. M. Hartmann, Geschichle I/aliens im Miltelalter, in-8, Gotha,
1908, t. ni, part. 1, p. 127, sq. (H. L.)
80 LIVRE XXI
Son fils Louis le Germanique se déclara pour lui, ainsi
que les grands de la Germanie; quant à Lothaire qui, sur ces
entrefaites, était revenu d'Italie et avait été salué seul souve-
rain, il se rapprocha de son père dont il commença par adoucir
l'emprisonnement. On convint que l'on viderait ces tristes dis-
cordes dans une diète synodale spéciale (concilium mixtum),
qui se tiendrait au mois d'octobre 830 à N'mègue. Vainement
dans cette diète synodale, les ennemis de Louis le Débonnaire
cherchèrent à faire aboutir leurs plans par des menaces et des
brutalités, et à provoquer une nouvelle révolte du jeune empe-
reur contre son père. Les grands de la Germanie restèrent fidèles
au parti de Louis, et le défendirent, les armes à la main. D'un
autre côté, Lothaire fut entièrement gagné par les paroles affa-
bles de son père; aussi Louis le Débonnaire put-il reprendre le
pouvoir et châtier les auteurs de la révolte. Parmi eux se trou-
vait Jessé, évêque d'Amiens, qui fut déposé comme coupable
de haute trahison. Hilduin, abbé de Saint- Denis, fut exilé à Pader-
born ; on lui enleva son abbaye et sa dignité de chancelier;
Wala fut relégué dans son abbaye de Corbie, etc. 1.
432. Deux réunions à Saint-Denis en 829 et 832. [77]
Le nom d' Hilduin rappelle deux assemblées ou conciles tenus
vers cette époque à Saint-Denis. Le premier, en juin 829, a
quelque rapport avec le concile tenu dans le même temps à
Paris et précède l'exil d'Hilduin. L'autre, en janvier 832 2, sui-
vit de près la réconciliation de l'abbé Hilduin avec l'empereur
et sa réintégration. Nous avons sur ces deux réunions un diplôme
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. G30; Hardouin, op. cit., t. xv, col. 1366; Dûmmlcr,
op. cit., p. 58-62. [A. Himly, Wala et Louis le Débonnaire, in-8, Paris, 1849, F. Lot;
Les abbés Hilduin au IXe siècle, dans la Biblioth. de l'école des Chartes, 1905,
t. lxvi, p. 277-280. (H. L.)
2. Lalande, Conc. Gall., p. 140; Mabillon, De re diplomatica, lre et 2e édit.,
p. 518, fac-sim. 450 ; édit. Neapoli, 1789, t. i, p. 538-541, fac-sim. 466; Hardouin,
op. cit., t. iv, col. 1365 ; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 633; Felibien,
Histoire de S 'aint-Deny s, in fol., Paris, 1706, p. 49; Buhmer-Muhlbacher, Regesta
Imperii,t. i, p. 876, 877; A. Verminghoiï, Verzeichnis derAkteti frànkisclier Syno-
den, dans Neues Archù', 1899, t. xxiv, p. 489. (H. L.)
432. DEUX REUNIONS A SAINÏ-DÉNIS EN 82'J ET 832
81
de l'empereur, daté du 26 août 832 ; il y est dit qu'entre
autres réformes, le concile de Paris avait jugé nécessaire la
réforme de Saint-Denis et s'était précisément occupé de la réa-
liser. Les archevêques Aldrich de Sens et Ebbon de Reims s'é-
taient rendus avec leurs sufîragants à Saint- Denis, y avaient tenu
une assemblée et déterminé la plus grande partie des moines
apostats (qui monasticam vitam et habitum deseruerunt) à reprendre
l'habit et à renouveler leurs vœux. En même temps, ils avaient
prié les moines de Saint-Denis qui, restés fidèles à la règle, demeu-
raient dans une cella ( clôture ) attenante au monastère, de reve-
nir à l'abbaye. Cette scission s'était produite peu de temps au-
paravant, lorsque les deux abbés Benoît d'Aniane et Arnulph,
commissaires de l'empereur pour la réforme monastique, s'étaient
laissé tromper par les moines de Saint-Denis et avaient main-
tenu le parti relâché dans le monastère, reléguant les religieux
observants dans une cella particulière. Ces derniers demandèrent
et obtinrent des évêques Aldrich, Ebbon, et des autres prélats
leur réintégration dans le monastère. L'ordre paraissait rétabli
à Saint-Denis ; mais quelque temps après plusieurs moines,
mécontents de subir le joug de la règle, envoyèrent, à l'insu de
l'abbé, des ambassadeurs à l'empereur pour se plaindre de ce
que les évêques avaient agi avec brutalité et n'avaient laissé
aux moines aucune liberté. L'empereur Louis ordonna à l'abbé
Hilduin de réunir de nouveau à Saint-Denis les évêques ainsi
mis en cause, et d'autres avec eux. Dans cette nouvelle réunion
on fit la preuve par témoins, que les plaintes des moines étaient
sans fondement, et comme ils se montrèrent repentants on leur
demanda de s'engager par écrit à revenir à l'observation de la
règle 1. — A ces deux réunions de Saint-Denis se rattachent
L'°J deux documents fort maltraités par le temps qui renferment les
noms des évêques présents.
1. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 634 sq.
CONCILES -- IV — G.
82 LIVRE XXI
433. Conciles et diètes pendant le second conflit entre Louis
le Débonnaire et ses fils, de 830 à 833.
Au mois de novembre 830, un concile de la province ecclésias-
tique de Lyon se tint à Langres (Lingonis) ; nous savons seulement
qu'Albérich, évêque de Langres, y fit des donations au monastère
de Saint Pierre de Bèze (B. Pétri Bezuensis), donations confirmées
par un acte impérial \
On avait annoncé au conventus de Nimègue la tenue d'une nou-
velle diète où on devait achever la pacification du royaume; cette
diète se réunit en février 831 à Aix-la-Chapelle ; les principaux
auteurs de la révolte furent condamnés à mort, graciés par
l'empereur et relégués dans des monastères 2. On invita l'impéra-
trice Judith à comparaître et à se défendre, s'il s'élevait des
accusateurs contre elle. Personne ne l'attaqua, elle prêta le
serment d'usage, protesta de son innocence, et tous les fils
de Louis le Débonnaire, sans en excepter Pépin, se réconciliè-
rent, extérieurement du moins, avec leur père. L'empereur
demanda probablement à tous ses anciens adversaires de lui
jurer de nouveau fidélité et obéissance ; Lothaire dut renoncer
solennellement et par serment à tous ses droits en qualité d'associé
à l'empire; dès lors en effet, on ne retrouve plus son nom dans
les édits impériaux.
Dans la diète tenue en mai 831 à Ingelheim, l'empereur Louis
rendit leurs fiefs à beaucoup de coupables et remit en liberté ceux r^m
qui avaient été enfermés dans des monastères ; le moine Guntbald,
qui s'était fort remué pour le service de l'empereur, pendant
que les affaires de celui-ci étaient le plus gâtées, fut nommé grand
chambellan à la place du duc Bernard. Vers cette même époque,
l'empereur fonda l'archevêché de Hambourg comme un jalon
1. Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1362 ; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 626;
[D'Achery, Spicilegium, t. i, p. 509; 2e édit., t. n, p. 406; Analecta Divionensia,
Documents inédits pour servir à l'histoire de France et particulièrement à celle de
Bourgogne, in-8, Dijon, 1864 ; Bôhmer-Mûhlbacher, Reg. imp., t. i, n. 849;
A. Vermingholï, Verzeichnis, dans Neues Archiv., 1899, t. xxiv, p. 488. (H. L.)]
2. Ce fut alors que Hilduin fut in tenu' à Corvey et Wala exilé sur un roc es-
carpé en face du lac de Genève.
433- CONCILES ET DIETES DE 830 A 833 83
pour les missions du Nord, et fit sacrer premier titulaire de ce
siège, le célèbre missionnaire Ansgar; le sacre fut fait par Drogon
de Metz, Ebbon de Reims, Hetti de Trêves et d'autres évêques.
Les préludes de la nouvelle brouille qui survint entre l'em-
pereur et ses fils étaient déjà sensibles dans la diète de Thionville
(automne de 831). Pépin avait invoqué divers prétextes pour
y manquer ; peu après il vint trouver son père à Aix-la-Cha-
pelle, où il afficha de tels sentiments que Louis le Débonnaire lui
interdit le retour en Aquitaine. Pépin s'enfuit, se ligua avec
son ancien ennemi le duc Bernard, que la nomination de Guntbald
à la charge de chambellan avait grandement mécontenté, et se
prépara à la révolte. L'empereur avait déjà convoqué une diète
à Orléans pour y condamner son fils, lorsque arriva la nouvelle
que Louis le Germanique avait aussi quitté le parti de son père
et s'avançait avec une armée pour lui enlever son empire. En
effet, ce prince, voyant que sa fidélité dans la précédente révolte
loin d'être récompensée lui avait au contraire coûté une partie
de son empire, donnée à Charles, excité de plus par Lothaire,
prit les armes et s'empara de la Germanie, qui faisait partie
du lot du roi Charles. Toutefois, l'empereur avait promptement
réuni une armée considérable, et Louis le Germanique, qui campait
sur les bords du Rhin, à Worms, pensa que le mieux était de
revenir sur ses pas, et bientôt, à Augsbourg, il jura de rester
fidèle à son père. En apprenant la défection de son frère, Lothaire
se décida également à la fidélité. Louis le Débonnaire se crut
alors assez fort pour châtier son fils Pépin comme il le méritait.
Au lieu de réunir à Orléans la diète annoncée, il la réunit à Limo-
ges en septembre 832 ; Pépin y fut solennellement déclaré déchu
de son royaume. Il devait être emmené prisonnier à Trêves
avec sa femme ; mais il parvint à s'échapper et se tint caché
pendant que son père se rendait en Aquitaine et donnait le
royaume de Pépin à son jeune fils Charles. Le mécontentement
qui se manifesta en Aquitaine à la suite de cette décision de l'em-
[80] pereur força ce prince à revenir précipitamment. En même temps
Lothaire et Louis le Germanique embrassèrent la cause de leur
frère Pépin, et le triste conflit entre le père et les fils reparut
plus violent et plus envenimé que jamais. Ce ne furent partout
que guerres, désordres, révolutions, excès, qui troublèrent profon-
dément tout l'empire franc. On chercha, comme toujours, la cause
de tant de malheurs, et les mieux intentionnés crurent voir
84 LIVRE XXI
dans le malheureux et faible empereur Louis le véritable bouc
émissaire. Le savant et énergique Agobard, archevêque de Lyon,
qui s'était élevé des derniers degrés à cette haute dignité, se fit
l'orateur de ce parti. Dans une lettre courageuse adressée à l'em-
pereur, ce prélat lui dit que « lui-même était la cause des
désordres de l'empire. Lorsque, spontanément, il avait voulu
associer un de ses fils à l'empire, tous les évêques avaient prié
et jeûné avec lui afin que son choix tombât sur le plus digne. Ce
choix s'était porté sur Lothaire son fils aîné, en même temps
qu'il donnait aux deux autres des portions de son empire.
Mais voici que lui-même avait rompu tout contrat et toute
promesse, ce qui avait fait éclater partout contre lui beaucoup
de mécontentement et de haine 1. »
On comprend que tous ceux qui avaient été maltraités, punis,
bannis, etc., par l'empereur Louis, parlèrent plus énergiquement
encore. Ils se rendirent tous au camp des fils du Débonnaire,
et les irritèrent encore plus contre leur père. Vers la Pâque de
833, l'empereur Louis réunit près de Worms ses fidèles, pour la
plupart du nord de l'Allemagne, tandis que les troupes du parti
des fils de l'empereur se réunissaient près de Colmar. Avec Lothaire
se trouvait le pape Grégoire IV, accouru pour interposer son
autorité pontificale et mettre un terme à cette triste situation.
Mais par le fait seul qu'il était dans le camp de Lothaire et
subissait évidemment son influence, il ne pouvait juger le diffé-
rend en toute impartialité ; d'autre part, l'empereur et ses amis
se défièrent de Grégoire et s'exprimèrent sur son compte avec
beaucoup d'amertume. Dans les rangs des adversaires de
Louis le Débonnaire on mit tout en œuvre, le vrai et le faux,
pour exciter l'opinion contre le malheureux empereur et contre
l'impératrice Judith. C'est ce que fit en particulier Agobard,
dans son écrit très partial pro filiis Ludovici 2. « L'empereur [81]
Louis, dit-il dans ce mémoire, est un insensé qui, captivé par la
beauté et par la finesse d'une femme, s'abandonne à elle aveuglé-
ment et lui livre son empire, et cependant c'est la même femme
qui a eu avec le duc Bernard des relations adultères et ne songe
qu'à placer son bâtard Charles. Quant aux trois fils aînés de
Louis, ils ne méritaient que des éloges et des récompenses, pour
1. Luden, Gesch. d. deulschen Volkes, t. v, p. 343 sq., p. 606.
2. P. L., t. civ, col. 307 sq.
433. CONCILES ET DIETES DE 8 .'5 0 A 833 85
avoir songé à l'honneur du lit paternel et à délivrer du démon
le palais impérial. »
L'empereur Louis aurait pu avoir facilement raison de ses
fils, s'il les avait attaqués avant qu'ils fussent complètement
armés ; mais il temporisa et perdit un temps précieux à des
négociations inutiles, qui ne firent qu'augmenter l'amertume de
part et d'autre.
Pendant le séjour de l'empereur à Worms, Aldrich, archevêque
de Sens, tint dans sa ville épiscopale un concile pour octroyer
certains privilèges au monastère de Saint-Remi à Sens 1.
Vers cette même époque les évêques anglais, unis aux rois
Egbert de Wessex et Withlas de Mercie, se réunirent à Londres
en concile, le 26 mai 833, pour se consulter au sujet des invasions
des Danois et confirmer les donations et le droit d'asile accor-
dés par le roi Withlas au monastère de Croyland 2.
Dans la seconde moitié de juin, l'empereur Louis quitta Worms
et vint camper avec toutes ses forces devant l'armée de ses fils.
On allait en venir aux armes, lorsque le pape Grégoire IV, quit-
tant le camp de Lothaire, vint trouver l'empereur, et les deux
grands représentants de la chrétienté délibérèrent ensemble
sur la paix pendant plusieurs jours. Les fils de Louis le Débon-
naire mirent à profit ce délai et les relations qui se nouèrent entre
les deux camps, pour gagner par ruse, argent et promesses
beaucoup de partisans de leur père. Se sentant ainsi les plus forts,
ils fermèrent l'oreille aux propositions de paix faites par le
pape, et ne lui permirent même pas de retourner suivant sa
promesse au camp impérial pour porter à Louis la réponse de ses
enfants. Ils répandirent le bruit que le pape s'était décidé en
leur faveur ; et l'empereur fut si rapidement abandonné de tous
ses fidèles qu'il suffit à ses ennemis de faire mine d'attaquer
son camp, pour le réduire à se rendre prisonnier. Ce qui
eut lieu dans les derniers jours de mai 833, non loin de Colmar,
au pied de la montagne de Siegwald, en un endroit juste-
[82] ment appelé depuis « le champ du mensonge» 3. L'armée des fils
1. Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1370; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 639.
2. Coll. regia, t. xxi, col. 273; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1683-1686; Har-
douin, Coll. conc, t. iv, col. 1375 ; Coleti, Concilia, t. ix, col. 797; Wilkins, Conc.
Britann.. t. i, col. 176-178; Mansi, Conc, Suppl., 1. 1, col. 819; ConcJampliss .
coll., t. xiv, col. 642.
:!. Luden^op. cit., p. 357.
86
LIVRE XXI
se dissipa proflftptemeiit, les vassaux retournèrent chez eux,
sans chercher à se rendre compte de ce qu'il y avait à faire et
sans trouver de solution aux graves questions pendantes. Le pape
revint mécontent en Italie, et la malheureuse impératrice Judith
fut exilée à Tortone. Quant au jeune prince Charles, il fut
relégué dans le monastère de Prum. Pépin et Louis le Germanique
regagnèrent leurs royaumes ; quant à Lothaire, il conduisit son
père à Soissons, où il l'enferma dans le monastère de Saint -
Médard, et de là se rendit à Aix-la-Chapelle pour y régner comme
seul souverain et y recevoir le serment de fidélité.
Louis le Débonnaire fut tellement harcelé dans le monastère
de Saint-Médard, qu'il fut le premier à demander l'habit de
moine. On le trompa par toutes sortes de fausses nouvelles :
sa femme avait pris le voile; elle était morte ; son fils Charles s'é-
tait fait couper les cheveux, avait pris l'habit monastique, avait
dit au monde un éternel adieu. Il paraît que les saints dont les
reliques reposaient dans le monastère de Saint-Médard apprirent
à l'empereur détrôné la fausseté de ces nouvelles, en même temps
que l'abbé lui recommandait de ne pas abdiquer le trône que
Dieu lui avait donné.
Au mois d'octobre 833, Lothaire tint une diète à Compiègne.
Les évêques présents, en particulier Ebbon, archevêque de
Reims, acceptèrent la mission de se rendre à Soissons pour faire
naître de nouveaux scrupules dans l'âme du vieil empereur. Cet
Ebbon était né de parents esclaves dans la maison de Charle-
magne, et avait été élevé avec Louis le Débonnaire ; affranchi
à cause de son talent, il s'était élevé de degré en degré.
Demeuré presque jusqu'à cette époque un des plus fidèles parti-
sans" de Louis, il était passé du côté de Lothaire, au « champ du
mensonge », et, ainsi que cela arrive trop souvent, d'ami il
était devenu adversaire déclaré de son ancien maître. Serviteur
de la onzième heure, il voulait réparer par son zèle le temps qu'il
croyait avoir perdu. Non seulement il récapitula au vieil em-
pereur toutes ses anciennes fautes, en particulier sa dureté vis-
à-vis de son neveu Bernard et d'autres membres de sa maison,
faute que Louis le Débonnaire avait déjà expiée publiquement,
mais il l'accusa de tous les maux, de tous les désordres et de [83]
toutes les guerres qui depuis des années ravageaient l'empire
franc ; il entassa reproches sur reproches, et, abusant de son
caractère sacerdotal, il mit dans une telle anxiété l'âme du vieil -
i34. RÉINTÉGRATION DE LOUIS LE DEBONNAIRE 87
lard que Louis n'osant plus douter de sa culpabilité se montra de
nouveau disposé à accepter une pénitence ecclésiastique et
émit le vœu que Lothaire vînt le trouver à Soissons. Lothaire
se rendit à cet appel (13 novembre 833) ; Louis le Débonnaire,
à genoux devant le maître-autel de l'église de Saint-Médard,
se déclara indigne de porter la couronne et prêt à se soumettre
à une pénitence publique. On lui remit une liste de ses fautes,
qu'il dut lire solennellement en présence de son fils, des évêques
et d'une grande foule de peuple. L'archevêque Ebbon porta
cette pièce sur l'autel, Louis y déposa le glaive impérial, se
désarmant lui-même et échangea ses habits militaires contre
un vêtement de pénitence1. C'était prononcer son abdication, et
Lothaire revint triomphant à Aix-la-Chapelle. Néanmoins son
père ne fit pas ce qu'on désirait le plus, la profession monacale,
alléguant toujours, comme il l'avait fait à Soissons, que pour
une pareille démarche il fallait jouir de toute sa liberté.
434. Réintégration de Louis le Débonnaire, diètes et conciles
à Thionville et à Stramiac en 835.
Quelques mois suffirent pour retourner les affaires. Des milliers
d'honnêtes gens furent indignés du déshonneur infligé au fils de
Charlemagne, à ce prince vraiment bon et qui était l'oint du Sei-
1. La honteuse Relalio episcoporum de exauctoratione Hludovici, ainsi que la
Cartula d'Agobard, qui avait joué un rôle dans cette affaire, se trouve dans
Pithœus, Annalium et historié Francorum...scriptores coœtanei, Francofurti,
1594, p. 322; Baronius, Annales, ad ann. 833, n. 9; Binius, Concilia generalia
et provincialia, Coloniœ Agrippinœ, 1606, t. ni, part. 1, p. 573; Goldast, Collec-
tio constilulionum imperialium, Francofordiœ ad Mœnum, 1613, t. n, p. 16;
Sirmond, Concilia antiqua Gallise, 1629, t. n, col. 520 ; A. Duchesne, Historiée
Francorum scriptores, Lutetiœ Parisiorum, 1636, t. n, p. 331 ; Collectio regia,
t. xxi, col. 278; Ph. a Vorburg, Historiarum... imperii Rom.-German., Francofurti
t. xi, p. 251; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1686; Coleti, Concilia, t. ix, col. 801;
Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1377 ; Liinig, Reichsarchiv, t. xv, p. 111;
Bouquet, Rec. des hist. des Gaules, t. vi, col. 243 ; Mansi, Conc. ampliss coll.,
t. xiv, col. 647; Monumenta Germ. hist., Leges, 1. 1, p. 366; Capitul., t. n, p. 51;
P. L., t. xcvn, col. 659 ; A. Verminghofî, V erzeichnis dans Neues Archiv,
1899, t. xxiv, p. 489 ; L. Halphen, La pénitence de Louis le Pieux à Saint-Médard
de Soissons, dans Bibl. de la Faculté des Lettres, 1904, t. xvm, p. 177-185. (H. L.)
88
LIVRE XXI
gneur. L'opinion commença bientôt à changer dans toutes les par-
ties de l'empire. Pépin et Louis le Germanique, mécontents des
avantages de leur frère Lothaire, peut-être aussi poussés par
de meilleurs sentiments, se liguèrent pour délivrer Louis le
Débonnaire. Lothaire s'y refusant, ils marchèrent (printemps
de 834) contre le royaume des Francs, l'un par le sud et l'autre [84]
par l'est. Lothaire convoqua ses fidèles, fort peu répondirent à
son appel, et d'autres réclamèrent hardiment la liberté du
vieil empereur. Déjà les troupes de Pépin s'approchaient de
Paris, où Lothaire avait réuni ses partisans, lorsque ce der-
nier, craignant d'être fait prisonnier, s'enfuit à Vienne et de
là en Italie, où il espérait trouver plus d'adhérents. Il avait, on
ne sait pourquoi, fait transférer son père et son jeune frère
Charles à Saint-Denis, où on les gardait. Dès qu'on sut ce départ,
tous les partisans de Louis le Débonnaire accoururent de Paris
à Saint-Denis pour jurer fidélité au vieil empereur. Ils souhai-
taient lui voir reprendre immédiatement la couronne, mais Louis
refusa en disant : « L'Eglise m'a condamné, c'est à l'Église à
m'absoudre maintenant ; les évêques m'ont désarmé, c'est aux
évêques à me rendre mes armes. » Ce qui fut fait solennellement
le dimanche suivant, à Saint-Denis, à la grande joie du peuple 1.
L'empereur Louis embrassa son fils Pépin, le remercia de son
secours, le renvoya en Aquitaine et se rendit à Aix-la-Chapelle
où il rencontra Louis le Germanique. Peu après arriva dans cette
ville l'impératrice Judith, que des amis fidèles avaient amenée
d'Italie. La joie du prince fut complète. Il proposa à Lothaire
le pardon. Mais Lothaire répondit à ces avances par des moqueries
et organisa une armée. Les commencements de la campagne
lui furent favorables ; mais, arrivé sur les bords de la Loire en
présence de l'armée de son père unie à celles de ses frères, il perdit
sa belle assurance. Voyant ses partisans renouveler contre lui
cette fois la scène du a champ du mensonge, » il se hâta d'accep-
ter les propositions de paix, et demanda humblement pardon
pour lui et ses amis. Il jura d'obéir à son père, d'aller en Italie
et de n'en plus sortir sans permission.
Vers cette époque (novembre 834), Louis le Débonnaire célé-
bra à Attigny une diète où il prit des mesures pour rétablir
«■■
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 654; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1383; Luden,
op. cit., p. 358-372.
89
l'ordre dans l'Eglise, et ordonna à son fils Pépin de rendre à
l'Église les biens qu'il s'était appropriés ou qu'il avait donnés à
ses amis. — Quelques-uns rapportent aussi à cette diète d'Attigny
ce qui se passa au sujet de Northildis et dont nous avons
parlé plus haut, § 421.
Vers le même temps (16 novembre 834), à Aix-la-Chapelle,
[85] Louis confirma les privilèges que, l'année précédente, Aldrich
de Sens avait accordés au monastère de Saint-Remi, à Worms.fc1
Le concile de Thionville (février 835) fut célébré pour réintégrer
solennellement l'empereur et juger les évêques qui, pendant les
troubles, s'étaient le plus mal conduits vis-à-vis de lui. Les actes
de cette importante assemblée sont malheureusement perdus,
et nous en sommes réduits à quelques renseignements contempo-
rains ou à des sources plus récentes. Hincmar en a parlé en détail,
dans son dernier écrit contre Gotescalc, c. xxxvi, et Flodoard,
dans son Historia Remensis, 1. III, c. xx. Outre l'empereur et les
grands du royaume, il y eut quarante-trois évêques présents 1f
parmi lesquels Drogon, archevêque de Metz, président 2, et les
archevêques Hetti de Trêves, Otgar de Mayence, Ragnouard
de Rouen, Landran de Tours, Aldrich de Sens, Notho d'Arles et
1. Hincmar, op. cit., P. L., t. cxxv, et dans Mansi, t. xiv, p. 658 sq.,
compte et nomme quarante-trois évêques, et parmi eux Otgar de Mayence,
mais Binterim, Deutsche Concil., t. n, p. 392, doute de cette présence d'Otgar
par suite de son attitude hostile vis-à-vis de l'empereur. Dans notre première
édition, nous basant sur une lettre de Florus de Lyon adressée à plusieurs mem-
bres de l'assemblée, nous avions compris au nombre des membres présents
Aldrich, évêque du Mans; mais Simson, op. cit., p. 186-187, montre qu'il est bien
plus vraisemblable que cette lettre (dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 465 sq.), la
seconde par conséquent, ne se rapporte pas au concile de Thionville, mais bien à
celui de Quierzy de 838, peu de temps avant le jugement prononcé sur Amalaire.
"2. Nous avons vu que Drogon, fils naturel de Charlemagne, avait reçu de son
frère, Louis le Débonnaire, l'évèché de Metz. Metz était un siège sufïragant de
Trêves, mais Angilram de Metz avait déjà porté le titre d'archevêque et ce
litre avait été consacré par le c. 55 du concile de Francfort, en 794. Nous voyons
maintenant que Drogon portait aussi le titre d'archevêque et qu'il avait la
préséance sur tous les autres archevêques en fonction (même sur celui de
Trêves). Dix ans plus tard environ nous le retrouverons comme vicaire du
pape pour la Gaule et la Germanie ; il reçut ce titre du pape Serge II sur les ins-
tances de l'empereur Lothaire qui cherchait à avoir en Drogon un soutien pour
affermir sa prépondérance sur son frère. V. Norden, Hinckmar, Bonn, 1863,
p. 16. Mais l'opposition des évêques força Dro»on à renoncer à cette dignité.
V. § 411. [Ch. Pfister, L'archevêque de Metz, Drogon, 823-856 dans Mélanges
PaulFabre, 1902, p. 101-145. (H. L.)]
90 LIVRE XXI
Ajulf de Bourges1. Ebbon, archevêque de Reims, ne parut pas
comme membre du concile, mais en qualité d'accusé ; après la vie- [86]
toire de Louis, il avait voulu s'enfuir chez les Danois ou chez les
Normands; mais la goutte l'en avait empêché, et on l'avait conduit
prisonnier à Fulda. D'autres personnages gravement compromis
avaient fui en Italie pour s'y mettre sous la protection de Lothaire.
Sur le désir de l'empereur, chaque évêque apporta un libellas
particulier renfermant son opinion sur la restitutio imperatoris.
Ebbon apporta le sien, où il déclarait que tout ce qui s'était
fait pour déshonorer l'empereur était injuste. Comme tous
ces libelli se prononçaient unanimement en faveur de Louis, ce
prince réprit courage, et, le 28 février 835, dimanche de la Quin-
quagésime, il se rendit solennellement en grand cortège dans
l'église cathédrale de Saint- Etienne de Metz. Pendant l'office
divin, Drogon monta en chaire et lut la sentence signée par tous
les évêques, portant que Louis avait été injustement déposé.
Alors l'évêque de Metz se rendit avec six autres évêques auprès
de l'empereur et à côté de l'autel, tous imposèrent les mains au
vieux souverain, sur qui on prononça sept prières ; enfin on
plaça sur sa tête, à la grande satisfaction du peuple, la couronne
impériale. Ebbon monta en chaire et réprouva tout ce qui s'était
fait, sous son inspiration et d'après ses conseils, contre l'empereur.
Toute l'assemblée revint à Thionville ; mais ce qui venait
de se passer à Metz a induit plusieurs historiens à croire qu'un
concile fut tenu dans cette dernière ville en 835. Après le retour
à Thionville, l'empereur se porta accusateur d' Ebbon, qui l'avait
renversé du trône. On renouvela d'anciennes accusations contre
l'archevêque de Reims, et les évêques présents furent appelés à
décider. Il semble qu'au début Ebbon chercha à éviter une dépo-
sition, quelques-uns de ses amis mirent en question, au sujet d'une
déposition épiscopale, la compétence d'une assemblée qui n'était ni
convoquée ni confirmée parle Siège apostolique 2. Ebbon demanda
la permission cependant de faire un exposé fidèle de ses fautes
par-devant trois évêques présents: Ajulf, archevêque de Bourges,
1. Dans la première édition nous avions signalé comme présents l'évêque
Gosbert, qui, chassé de Suède, était administrateur d'Osnabrùck, ainsi que plu-
sieurs autres évêques; nous les avions cités d'après Binterim, mais Hincmar ne
nomme aucun de ces prélats.
2. Binterim, Deutsche Concilie}!, t. n, p. 394.
434. RÉINTÉGRATION DE LOUIS LE DÉBONNAIRE 91
Badurab, évêque de Paderborn, et Modoin d'Autun1. On y consen-
[87] tit. et conformément à la décision de ces trois évêques, Ebbon se
déclara par écrit indigne de la dignité épiscopale, demandant l'é-
lection et le sacre d'un autre archevêque de Reims. Il lut lui-même
cette déclaration, et prit trois autres évêques à témoin de son acte
d'abdication ; puis tous les membres de l'assemblée prononcèrent
successivement la sentence : Secundumtuam confessionem cessa a
ministerio, et Jonas, évêque d'Orléans, dicta un court procès-
verbal, daté du 4 mars 835. Ebbon fut conduit à Fulda, et le
prêtre Fulcon fut nommé administrateur de Reims. On pardonna
à la plupart des autres évêques : notamment à Hildeman de
Beauvais ; mais on prononça la déposition d'Agobard arche-
vêque de Lyon, parce que, après Ebbon, c'était lui qui s'était
montré le plus intraitable vis-à-vis de l'empereur ; de plus il
n'avait pas répondu à trois citations qu'on lui avait faites 2.
Le diacre Florus, supérieur de l'école de Lyon, dénonça au
concile de Thionville les erreurs que répandait Amalaire, choré-
vêque dans cette ville. Nous avons déjà parlé d' Amalaire lors-
qu'il n'était encore que diacre à Metz, et signalé sa grande acti-
vité au concile d'Aix-la-Chapelle, en 817. A l'époque où nous som-
mes arrivés, il venait de publier un livre de liturgie fort savant
et que nous possédons encore, le De offîciis ecclesiasticis, en
quatre livres ; malheureusement, on y trouvait quantité d'ex-
plications mystiques du culte, des cérémonies, des vases sacrés
et des habits sacerdotaux, la plupart fort hasardées et même
dangereuses 3. En 834, il profita de l'absence d'Agobard pour
réunir, en qualité de son représentant, un synode diocésain à
Lyon, et pendant trois jours il lut aux clercs le livre de sa com-
position. La plupart accueillirent avec applaudissement ce travail,
1. Hincmar dit que c'étaient là les judices electi dont parle le concile africain,
c. 63 (il aurait dû dire, le c. 2 du concile de Carthage tenu en 407), et dont on ne
pouvait pas appeler.
2. Sirmond, Conc. Gall. t. n ; Coll. regia, t. xxi, col. 291 ; Labbe, Concilia,
t. vu, col. 1695-1700 ; Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1385 ; Coleti, Concilia,
t. ix, col. 811 ; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 866 ; Conc. ampliss. coll.,
t. xiv, col. 657; Hartzheim, Conc. Germ., t. n, p. 63; Binterim, Deutsche Conci-
lien, t. ii, p. 391; Luden, op. cit., t. v, p. 383, 619; Bôhmer-Mùhlbacher, Reg.
Karoling., p. 346-347 ; A. Verminghofî, Verzeichnis der Akten frànkischer Syno-
den von 742-843, dans Neues Archiv, 1899, t. xxiv, p. 489-490.
3. Sur Agobard et Amalaire, cf. Dict. d'arch. chrél., t. i, col. 971, 1323. (H. L.)
92
LIVRE XXI
qui, grâce à cette circonstance, se répandit rapidement. Mais
Florus adressa deux lettres aux évêques réunis à Thionville pour
les prévenir contre les nouvelles doctrines ; il se plaignait en
particulier de ce qu'Amalaire enseignait l'existence d'un triple
corps du Christ : a) son corps réel, b) son corps mystique dans [88]
les fidèles vivants, c) son corps mystique chez les défunts. C'est
pour cela que l'hostie doit être partagée en trois parties; l'une,
qui est placée dans le calice, est le corps réel du Christ; les par-
celles qui sont sur la patène représentent le corps du Christ
dans les vivants, et les parcelles qui sont sur l'autel représentent
le corps du Christ dans les morts. Au dire de Florus, Amalaire
enseignait également que le pain était le corps et le vin l'âme
du Christ ; le calice de la messe était le tombeau du Christ ; le
célébrant, Joseph d'Arimathie ; l'archidiacre, Nicodème ; les
diacres étaient les apôtres qui se tenaient en arrière et voulaient
se cacher ; les sous-diacres étaient les femmes au tombeau ;
lorsque le prêtre s'inclinait, cela voulait dire : inclinato capite
tradidit spiritum, etc. 1. — Le concile fut empêché par d'autres
affaires de s'occuper du livre d'Amalaire qui ne fut censuré que
plus tard, en 838, par le concile de Quierzy 2.
Ce n'est pas en 836, mais en juin 835 que s'est tenue une diète
à Stramiac près de Lyon 3 ; elle s'était réunie pour porter une
dernière décision au sujet d'Agobard de Lyon et de Bernard de
Vienne, et donner leurs sièges à d'autres. Toutefois, l'un et l'autre
ayant pris la fuite, on ne voulut pas les juger par contumace, et
on remit l'affaire à un concile postérieur 4.
1. Florus, P. L., t. cxix, col. 71, 94, et dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 663 sq. ;
Hartzheim, Conc. Germ., t. n, p. 66 sq. Cf. A. Verminghofï, dans Neues Archiv,
1899, t. xxiv, p. 490. Une troisième lettre de Florus concernant cette même
affaire a été adressée au synode de Quierzy tenu en 838. Les auteurs de l'Histoire
littéraire de la France, t. v, p. 223, croient que la plus courte des deux lettres dont
nous parlons (c'est la première dans Mansi, la troisième dans Migne) n'est pas
adressée à notre synode, mais à un autre tenu plus tard à Thionville ; Mansi a
déjà, loc. cit., col. 663, réfuté cette opinion.
2. Mansi, op. cit., col. 655, 662; Binterim, Deutsche Concilien, t. n, p. 395.
3. Le biographe anonyme de Louis le Débonnaire, souvent appelé Astrono-
mus, place à tort cette diète de Stramiac en 836. Pertz, Monum., t. n, p. 642 ;
Pagi, Critica, ad ann. 836, 8 et 9.
4. Coll. regia, t. xxi, col. 396; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1768-1769; Har-
douin, Coll. conc, t. iv, col. 1447; Coleti, Concilia, t. ix, col. 883; Mansi, Conc.
ampliss. coll., t. xiv, col. 734; A. Devaux, L'ancien Stramiacus est-il Tramoyes
',;J5. GRAND CONCILE A AIX-LA-CHAPELLE 93
435. Grand concile à Aix-à-Chapelle, en 836.
A peine remonté sur le trône, Louis le Débonnaire reprit son
ancien projet de réforme générale des clercs et des laïques. Il
réunit dans ce but un grand concile (février 836), dans le secre-
tarium de l'église de Notre-Dame dite de Latran, à Aix-la-Chapelle1.
Les actes de cette assemblée sont très considérables et compren-
nent plusieurs divisions. Les évêques disent dans la préface :
«Le pape Gélase a écrit que le monde était gouverné par deux
puissances, la puissance sacerdotale et la puissance impériale.
Or, la plus grande responsabilité revient à la puissance sacerdo-
tale, et nous sommes pleins de reconnaissance de ce que Dieu
[89] nous a exhortés, avec tant de douceur et par l'intermédiaire de
notre pieux empereur, à remplir de notre mieux nos fonctions
ecclésiastiques et à nous en acquitter conformément à la volonté
de Dieu. »
A ces causes, ils avaient envisagé les trois points soumis par
l'empereur : a) ce qu'un évêque doit savoir et doit faire, b) ce
qui appartient à l'honneur et aux fonctions du sacerdoce, c) ce
qu'il est nécessaire de faire pour le salut de tous. Dans leurs
réponses, ils voulaient s'en tenir aux statuts des Pères, en parti-
culier à ceux de Grégoire le Grand, et, au sujet des laïques, ils
n'entendaient parler que de l'empereur, de ses fils et de ses
officiers. La première partie des actes comprend trois chapitres :
1) de la vie des évêques, 2) de la science des évêques, de la vie
et de la science des clercs inférieurs, 3) de la personne du roi,
de ses fils et de ses serviteurs. La matière n'est pas toujours
(Ain) ou Crémieu (Isère)? dans l'Université catholique, 1891, t. vin, p. 452-462.
(H. L.)
1. Sirmond, Conc. GalL, t. n, col. 574; Coll. regia, t. xxi, col. 295; Labbe,
Concilia, t. vin, col. 1700-1768; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1387;Coleti,
Concilia, t. ix, col. 816; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 671-695; Bouquet,
Rec. hist. des Gaules, t. vi, col. 354 ; Hartzheim, Conc. Germ., t. n, p. 73 sq. ;
Binterim, Deutsche Concilien, t. n, p. 398, 479 sq. ; B. Simson, J ahrbiï cher des fràn-
kischen Reichs unter Ludwig dem Frommen, 1876, t. n, p. 148; Bohmer-Mùhl-
bacher, Regesta Imperii, t. i, n. 923 a; Dùmmler, Geschichte des ostfrànkischen
Reiches, Leipzig, 1887, t. i, p. 144; A. Verminghofî, dans Neues Archiv, 1899,
t. xxiv, p. 490-491. (H. L.)
94
LIVRE XXI
distribuée suivant les trois catégories, la première contient
les ordonnances suivantes : 1. On doit arriver à l'épiscopat par
ses vertus et non par l'argent. 2. Un évêque doit remplir les fonc-
tions de sa charge. 3. L'évêque doit exercer l'hospitalité et nourrir
les pauvres. 4. Il doit s'abstenir de toute dispute. 5. Il ne doit
rien exiger pour l'exercice de ses fonctions ecclésiastiques, et ne
pas permettre que ses serviteurs (ses coopérateurs) acceptent
quoi que ce soit. 6. Il doit être sobre. 7. Lorsqu'on fait une
enquête sur la vie d'un prêtre, (pour l'élever à l'épiscopat),
on doit examiner comment il prêche et comment il enseigne ;
il ne doit pas, par excès d'humilité, refuser l'épiscopat ; devenu
évêque, il doit conformer sa vie à son caractère. 8. L'instruction
du sacerdos (évêque ou prêtre) doit être proportionnée à ses audi-
teurs, utile, claire, etc., et sa vie doit être conforme à son ensei-
gnement. 9. La conduite de l'évêque doit être pour son troupeau
comme une lumière conductrice (extrait de la Régula pastoralis
de saint Grégoire). 10. Il ne doit pas, pour se faire aimer, se dépar-
tir de sa vigilance (extrait de saint Grégoire). 11. Malheureusement
beaucoup d'évêques administrent avec négligence les maisons
canoniales et les monastères sous leur juridiction. Il en sera autre-
ment à l'avenir. 12. Il ne faut plus que désormais les évêques aban-
donnent leurs diocèses par esprit de lucre.
Chapitre n. — 1. Tout évêque doit être très instruit dans les
choses de la foi. 2. Il doit savoir présenter d'une manière profi-
table les vérités du salut contenues dans l'Ancien et le Nouveau
Testament. 3. Il doit savoir administrer des remèdes spirituels
et donner des conseils salutaires. 4. Il doit être versé dans la science
des évangiles, des épîtres, des canons et de la Régula pastoralis
de saint Grégoire. 5. Il doit méditer tous les jours. 6. Il doit se
rendre compte de la différence des caractères et ne pas les traiter
tous de la même manière. 7. Il ne doit pas employer le bien de [90J
l'Église selon son bon plaisir et pour enrichir ses parents. 8.11
doit consacrer l'huile des malades le jour de la Csena Domini et
ne pas différer de le faire, ainsi que cela arrive trop souvent.
9. On doit être assidu à fréquenter l'office qui a lieu le soir du sa-
medi saint. 10. On doit célébrer la Litanie le 25 avril selon la
coutume romaine. 11. Chaque évêque doit donner des soins à
l'instruction de son coopérateur (d'après le canon 4e de la seconde
division de ce chapitre, il faut entendre par ces coopérateurs
jes chorévêques, archiprêtres et archidiacres), afin que, s'il vient
435- GRAND CONCILE A AIX-LA-CHAPELLE 95
à tomber malade, etc., celui-ci puisse prêcher à sa place, et pour
que l'Église ne manque pas d'un docteur si l'évêque vient à mourir.
12. Tout évêque ou tout clerc qui, à l'avenir, ne gardera pas fidé-
lité à l'empereur Louis, perdra sa dignité de par une sentence
synodale ; quant au laïque, il sera excommunié.
La seconde division de ce deuxième chapitre traite des clercs
inférieurs et comprend treize numéros : 1. Les abbés des maisons
canoniales doivent veiller aux besoins temporels et spirituels
de leurs subordonnés. Enumération des devoirs de ces abbés.
2. Devoirs des abbés. 3. Les moines ne doivent pas déprécier,
ainsi que cela arrive souvent, les curés sur les paroisses desquels
ils se trouvent. 4. Il est arrivé que les coopérateurs des évêques,
c'est-à-dire les chorévêques, archiprêtres et archidiacres, se sont
montrés avares à l'égard des prêtres et du peuple. L'évêque ne
doit instituer aucun coopérateur avide de s'enrichir. 5. Les prêtres,
qui sont à la tête des églises et sont les collègues des évêques par
la consécration de l'Eucharistie, doivent être assidus à la prédi-
cation, à leurs fonctions, et à tout leur ministère. Ils auront souci
de tous ceux qui appartiennent à leur église, fussent-ils encore en-
fants, pour qu'aucun ne meure sans baptême. Après le baptême
l'évêque imposera les mains, puis on instruira ces fidèles dans
l'intelligence du Notre Père, du symbole et de leurs devoirs.
Si un fidèle vient à pécher, le prêtre doit travailler à son amende-
ment; il veillera à ce qu'il ne meure pas sans la confession, l'huile
sainte et la communion, et que son corps soit enterré d'une manière
chrétienne. 6-9. Les prêtres tombent surtout dans les quatre
fautes suivantes : Certains dépensent pour eux-mêmes les biens
de l'église, négligent les restaurations nécessaires à cette église et
l'entretien du luminaire. D'autres ont des femmes à leur service,
ce qui a été souvent défendu. D'autres se conduisent comme des
paysans, vont dans les auberges, font des commerces défendus,
s'assoient à des banquets ou à des parties à boire, vont à la foire,
etc. Enfin quelques-uns ont un patrimoine insuffisant, en sorte
91] qu'obligés de s'occuper des affaires temporelles ils négligent les
affaires spirituelles. 10. Nous voulons nous efforcer d'introduire
des réformes parmi les prêtres, mais vous, Sire, vous devez ordon-
ner aux laïques de les honorer et devez punir ceux qui y manquent.
12. Beaucoup de nonnes sont devenues presque des filles publiques.
Aussi est-il nécessaire de confier à des hommes d'une piété éprouvée
le soin d'y mettre ordre. 13. Les abbesses (prœlatas) doivent donner
96 LIVKE XXI
à leurs nonnes le bon exemple et leur fournir le moyen de subsister,
afin que la faim ne les fasse pas tomber dans les pièges de Satan.
14. Elles doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas dans le monastère
de ces recoins obscurs où l'on puisse commettre des fautes. 15.
Les missi impériaux doivent veiller à ce que les supérieurs des
maisons canoniales et des monastères d'hommes et les supé-
rieures des monastères de femmes fassent observer la règle
scrupuleusement. 16. Autant que possible, l'évêque devra placer
dans chaque église un prêtre, qui la gouvernera, et la dirigera
d'une manière indépendante ou sous la surveillance d'un archi-
prêtre (prior presbyter) ; beaucoup d'endroits sont en effet privés
de prêtres. Ils peuvent, il est vrai, célébrer des messes dans toutes
les églises qui leur sont confiées ; mais ils ne peuvent pas remplir
les autres fonctions de leur ministère, parce qu'ils ont trop d'églises
c'est pourquoi on signale pour le baptême des malades, la con-
fession et la communion de ceux qui sont en danger de mort,
lacunes fort regrettables.
Dans le chapitre 3, les évêques rassemblent des exhortations
à l'empereur et à ses serviteurs. Ils répètent en partie les avertis-
sements donnés à Paris et à Worms, en 829. Ainsi, c. 1-4 incl.
est identique au n° 1 De persona regali du concile de Worms ;
c. 5 est identique aux nos 8 et 9 ; c. 6, au n° 10 du IIIe livre du
concile de Paris ; c. 9, au n° 2 de Worms de persona regali, et au
lib. III, c. 22 du concile de Paris; c. 10, au n° 3 de Worms et aux
c. 23 et 24 de Paris ; c. 13, au n° 5 de Worms et au lib. III, c. 25
de Paris, c. 14 et 15, au n° 7 de Worms et au lib. III, c. 26 de Paris;
c. 16, au n° 8 de Worms et au lib. III, c. 27 de Paris. — Les nou-
veaux capitula sont : C. 7 : L'empereur ne doit pas recevoir de
dénonciations secrètes contre les évêques. C. 8. On doit observer
les anciens canons relatifs à l'aliénation des biens de l'Eglise.
C. 17. L'empereur ne doit charger les évêques d'aucune
affaire, du moins pendant le carême. C. 18. On ne doit pas
jeûner le dimanche, et ne célébrer ce jour-là ni placitum ni
noces 1. C. 19. Les églises 'ne doivent pas être données aux laïques ;
celles qui sont ruinées doivent être relevées. C. 20. On doit engager [92]
les laïques à se montrer très-respectueux à l'égard des prêtres.
C. 21. Celui qui a en sa possession des biens et des esclaves de
l'Eglise ne doit pas les traiter avec dureté. G. 22. On doit recevoir
1. Au lieu de nuptias, Binterim op. cit., t: u, p. 492 veut qu'on lise nundinas.
',.'!;,. GRANDS CONCILES A AIX-LA-CHAPELLE 97
tous les dimanches le corps du Seigneur. C. 22. Aucun prêtre
ne doit venir dans le camp impérial sans permission de l'évêque.
G. 24. Aucun moine ne doit s'éloigner de son monastère sans une
raison suffisante. C. 25. Celui qui enlève une veuve ou une
jeune fille sera recherché par les comités et puni.
Les évêques disent en terminant : « Si on se conforme aux
recommandations qui précèdent, l'Église recouvrera, avec le
secours de Dieu, sa première beauté. Pour y parvenir, il faut
que chacun remplisse son devoir. Aussi longtemps qu'elle accom-
plira son pèlerinage sur la terre, l'Église sera gouvernée par
les prêtres et par les rois. Il est incontestable et connu de tous
que nous, évêques, avons eu des torts nombreux et divers ;
mais il faut reconnaître que notre fidélité n'a été ébranlée que
par suite de la défection de vos propres enfants et parce que la
malice des grands est arrivée à un degré inconnu jusqu'ici. Tout
cela ne sera réparé que si, après avoir recouvré la puissance et
la dignité impériales, vous travaillez à faire rendre à l'Église les
honneurs qui lui reviennent et à relever l'autorité épiscopale.
Dans les conciles précédents, les évêques ont, sur vos exhortations,
porté de nombreuses ordonnances pour la réforme de tous les
états. Mais ces capitula sont, nous ne savons pourquoi, tombés
dans l'oubli. Plaise à Dieu qu'il n'en soit pas de même pour les
présents capitula ! »
Nous avons vu qu'à Attigny l'empereur Louis avait ordonné
à son fils Pépin, de rendre les biens enlevés à l'Église, soit pour
se les approprier, soit pour les donner à ses amis. Les évêques
avaient, dans le même but, adressé à Pépin, dans une réunion
d'ailleurs inconnue, des salutaria monita. Toutes ces démarches
étant demeurées vaines, les évêques s'en occupèrent de nouveau
à Aix-la-Chapelle et envoyèrent à Pépin un long mémoire divisé
en trois livres. On lit, dans la préface du premier livre, qu'« Ils
avaient eu autrefois trop peu de temps pour appuyer leurs saluta-
[93] ria monita sur des textes de la Bible. Il était cependant bon de
le faire, afin que nul ne pût dire qu'ils avaient agi suivant leurs ca-
prices et poussés uniquement par leur propre intérêt. » De ces pa-
roles et de plusieurs autres passages des trois livres, il résulte que
Pépin ou ses adhérents avaient prétexté toutes sortes de sophis-
mes pour se dispenser de rendre les biens de l'Egliee ; ils disaient
par exempl3 : « Les saints à qui on avait donné ces biens n'en
avaient plus besoin ; ou bien, Dieu n'avait pas demandé de
CONCILES - IV - 7
98 LIVR E XXI
pareilles offrandes puisque tout lui appartenait. » Afin de réfuter
ces arguties, les évêques rapportent, dans les 38 n(JS du Ier livre,
comment l'Ancien Testament avait déclaré agréables à Dieu,
l'érection d'un temple, le don de vases précieux, l'immolation des
victimes, etc. Il était seulement défendu d'offrir à Dieu des
biens injustement acquis. La pieuse coutume d'offrir des sacri-
fices à Dieu, de lui élever des autels, etc., remonte jusqu'à
Abel et, venue de lui jusqu'à nous, a été pratiquée dans tous
les temps. Nous en avons pour témoins, après Abel : Noé, Abra-
ham, Melchisédech, Isaac, Jacob, Moïse. Grâce à Moïse, qui
agissait sur l'ordre de Dieu, le service divin s'était grandement
perfectionné. Dieu avait eu son sanctuaire et sa maison, et les
sacrifices avaient été institués d'une manière légale. Viennent
ensuite des passages de la Bible sur le respect dû au temple et
la manière d'y offrir les holocaustes.
Le second livre, qui renferme trente-et-un numéros, continue
les preuves extraites de l'Ancien Testament. Il fait voir, par
une suite de citations, comment Dieu a puni les contempteurs de
son tabernacle et du culte divin, comment Salomon a bâti le
temple et l'a enrichi de présents, comment les étrangers eux-
mêmes ont honoré ce même temple, et enfin comment Dieu a
puni Nabuchodonosor, Balthazar, Antiochus, Héliodore, profa-
nateurs et voleurs de ce temple.
Le troisième livre contient vingt-sept chapitres et passe à l'épo-
que chrétienne ; voici le résumé de l'argumentation : Le temple
de Salomon était le type de l'Église chrétienne, enrichie dès
l'origine par les dons des fidèles. Le Christ lui-même avait, pendant
sa - vie terrestre, accepté les présents des fidèles ; mais Judas
en avait volé une partie, et quiconque volait ainsi l'Église, était,
au jugement de saint Augustin, un nouveau Judas. Saint Augus-
tin ajoute que le Christ avait possédé de l'argent, pour montrer
que l'Église devait avoir aussi des biens, et saint Jérôme compare
aux scribes ceux qui abusent des biens de l'Église. Le Christ [94]
avait loué Marie d'avoir répandu sur ses pieds un parfum précieux,
et Judas ne sut que la blâmer. De même, beaucoup de gens
désapprouvent les offrandes faites au Seigneur. Le Christ avait
aussi loué la veuve qui mettait deux deniers dans le tronc. Le
Christ avait prouvé qu'il ne supporterait aucun affront fait à
son Église lorsqu'il chassa vendeurs et acheteurs du temple de
Jérusalem, qui n'était pas encore une église. Explication de saint
436- DIÈTES SYNODALES, ETC. 99
Jérôme sur ce passage. Ce même Père applique plusieurs au lus
passages de la Bible aux puissants et aux violents qui prennent
le bien des églises et des pauvres, et essayent de racheter leurs
fautes par des aumônes. Le respect du Christ à l'égard du
temple est la mesure de l'honneur que les chrétiens doivent
rendre à l'église. Exemple de donations faites aux églises, extrait
des actes des apôtres ; exemple de Constantin le Grand et d'autres
princes. Les saints canons défendent expressément de porter
atteinte aux biens de l'église ; citation de ces canons. A la fin,
les évêques demandent, à Pépin de recevoir ce mémoire favorable-
ment et d'imiter ses prédécesseurs qui ont enrichi et exalté
l'Église 1.
436. Événements qui surviennent dans la famille impériale.
Diètes synodales à Aix-la-Chapelle et à Quierzy en 838.
Dès avant l'ouverture du concile d'Aix-la-Chapelle, l'empe-
reur Louis avait renoué avec son fils Lothaire des relations ami-
cales. L'impératrice Judith poussait à ce rapprochement dans
l'espoir que, si l'empereur déjà souffrant venait à mourir, elle
trouverait peut-être dans Lothaire un protecteur pour son fils
[95] Charles 2. Louis envoya donc près de Lothaire, à Pavie, Otgar,
archevêque de Mayence, rentré en grâce 3, sur les instances de
son diocèse, Hilti, évêque de Verdun, et deux comtes. Lorsque,
peu après la clôture du concile d'Aix-la-Chapelle, Louis tint,
en mai 836, une diète à Thionville, ces personnages étaient de
retour, escortés d'une ambassade de Lothaire, à la tête de la-
quelle se trouvait le vieil abbé Wala, réfugié en Italie à cause de
sa conduite envers l'empereur Louis, et devenu, grâce à Lothaire,
abbé de Bobbio. Il n'en fut pas moins reçu avec cordialité en qua-
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 696-733; Hardouin, op. cit., t. iv, col. 1048 sq.;
Hartzheim, Conc. Germ., t. n. p. 91 sq.
2. C'est l'opinion émise par Astronomus dans sa Vita Ludovici; voy. Pertz,
Monum., t. n, p. 640.
3. Voy. l'epist. cxxxix, dans Wurdtwein, dans V Appendix de son édition de
Opéra sancti Bonijacii, p. 329, e1 dans l'édition de ( Jilcs, I. i, p. 255; seulement
il faut remarquer que ce dernier auteur donne la fausse date de 840.
100 LIVRE XXI
lité d'ambassadeur, et fit tous ses efforts pour réconcilier le père et
le fils. On décida que, dans la prochaine diète, à Worms, Lothaire
paraîtrait en personne. Wala retourna en Italie où il mourut dans
l'été de l'année suivante, d'une peste qui enleva un grand nombre
des partisans de Lothaire, et parmi eux Jessé, l'ancien évêque
d'Amiens. L'empereur Louis, dont ils avaient été les ennemis décla-
rés, n'en pleura pas moins sur cette fin« de la fleur de la noblesse
franque. » La mort de Wala retarda la réconciliation des deux
souverains. A la diète de Worms (septembre 836), on apprit que
Lothaire, dont on attendait l'arrivée, avait été saisi de la fièvre
et qu'il manquerait au rendez-vous. Mais presque aussitôt on
sut que ce prince opprimait et dépouillait l'Église romaine, déte-
nait les biens de l'Église, enlevait leurs sièges aux évêques italiens
et leurs établissements aux grands qui avaient accompagné
l'impératrice en France. L'empereur Louis renvoya de nouveaux
ambassadeurs en Italie, à Lothaire aussi bien qu'au pape Gré-
goire IV, et Lothaire promit de faire une partie des restitutions
réclamées, déclarant d'ailleurs ne pouvoir les faire toutes. Le
pape Grégoire accueillit avec bienveillance les ambassadeurs
de Louis le Débonnaire, et leur adjoignit, au retour, deux évê-
ques italiens chargés de traiter personnellement avec l'empe-
reur. Lothaire voulant empêcher les évêques d'arriver jusqu'à
son père, les retint prisonniers à Bologne. Ils parvinrent néan-
moins à faire passer leurs dépêches à l'empereur qui se décida,
vu cet état des choses, à faire une expédition en Italie. Malheureu-
sement les invasions des Normands et d'autres peuples, et peut-
être aussi la nouvelle des armements de Lothaire, firent échouer
ce plan 1.
Vers la fin de l'année 837, l'empereur convoqua une diète à
Aix-la-Chapelle pour faire attribuer à son plus jeune fils Charles,
son enfant préféré, une partie de l'empire. Ce prince ne possédait
plus d'apanage, depuis que Louis le Germanique, d'accord avec
son père, s'était adjugé l'Allemanie. Charles reçut à Aix-la-Chapelle
la plus grande partie de la Belgique et une série de comtés depuis [96]
la Meuse et le Rhin inférieur jusqu'à Paris inclusivement. Mécon-
tent de cette décision, Louis le Germanique eut avec Lothaire
une entrevue secrète à Trente ; il chercha, il est vrai, à apaiser
la méfiance qu'en avait conçue son père, mais dans une diète
1. Dûmmler, op. cit., p. 117 sq., 122-125
436- DIÈTES SYNODALES, ETC. 101
tenue à Nimègue, Louis le déclara déchu d'une grande partie
de son royaume, et augmenta de nouveau à la diète de Quierzy
(septembre 838) la part de Charles devenu majeur et cou-
ronné roi de Neustrie. A cette même assemblée une députa-
tion venue de Septimanie se plaignit de ce que le duc Bernard
permettait à ses serviteurs d'accepter les biens des Églises et
des particuliers et réclama l'envoi de missi dans cette province 1.
On admet généralement qu'en même temps que la diète de
Quierzy il se tint un concile auquel assistèrent l'abbé Sigismond
et quarante moines du monastère d'Anisol (Saint-Calais) qui expo-
sèrent leurs plaintes contre Aldrich, évêque du Mans.
A l'origine, Saint-Calais dépendait de la juridiction épiscopale
des évêques du Mans, à laquelle il fut soustrait par Pépin le Bref
en châtiment de la révolte d'un évêque du Mans, et transféré sous
la protection royale. L'évêque repentant obtint que Charle-
magne remît les choses dans leur premier état 2. Dans la suite,
les moines de Saint-Calais voulurent de nouveau se soustraire à
l'obéissance de l'évêque et obtinrent par ruse de Louis le Débon-
naire un diplôme d'exemption 3. Il en résulta un conflit entre
Aldrich, évêque du Mans, et Sigismond, abbé de Saint-Calais, qui
repoussa les propositions les plus conciliantes. L'affaire fut défé-
rée à l'empereur, qui s'en occupa dans le placitum d'Aix-la-
Chapelle (carême de 838). Les deux parties devaient s'y présenter
immédiatement après Pâques. L'abbé Sigismond cité trois fois
fit défaut, et Aldrich exposa des preuves si péremptoires 4,
que les évêques et les grands de l'empire déclarèrent expressé-
ment que Saint-Calais serait sous sa juridiction (30 avril 838),
1. Baluze, Miscellanea, 1761, t. i, p. 109-110; Coleti, Concilia, t. ix, col. 887;
Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 875; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 738;
P. L., t. cxix, col. 80; Martène et Durand, Veierum scriptor. coll, 1733, t. ix,
col. 641, 649 ; Pertz, Monum. Germ. hist., t. ii, p. 643 sq. ; R. Monchmeier,
Amalar von Metz, in-8, Munster, 1893, p. 44 ; B. Simson, Jahrbiicher, t. ir,
p. 183 ; A. Verminghofï, Verzeichniss dans Neues Archiv, 1899, t. xxiv,
p. 491. (H. L.)
2. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 757.
3. Ibid., col. 766. Cf. J. Havet, Questions mérovingiennes, IV. Les chartes de
Saint-Calais, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 1887, t. xlviii, p. 5-
58 ; Appendice : Cartulaire de Saint-Calais envoyé au pape Nicolas Ier en 863,
ibid., p. 209-247; E. Mùhlbacher, dans Mittheil. d. Instit. œsterr. Gesch., 1888,
t. ix, p. 485-489. (H. L.)
4. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 760, 763, 764.
102 LIVRE XXI
et que l'empereur enverrait des missi remettre toutes choses
selon les règles.
Après la réintégration d'Aldrich dans ses droits sur le monastère
de Saint-Calais, les moines se plaignirent à la diète de Quierzy
d'avoir été expulsés de chez eux par l'évêque lui-même. Celui-ci
voulut recommencer la démonstration de ses droits sur Saint-
Calais. Mais Drogon de Metz et les autres prélats qui avaient
assisté à la réunion d'Aix-la-Chapelle 1) déclarèrent que c'était [97]
peine inutile, puisque son droit avait été reconnu à Aix-la-Chapelle
et qu'il suffisait de parler de la prétendue expulsion des moines.
Il fut prouvé que personne n'avait chassé les moines, qu'ils étaient
partis d'eux-mêmes pour faire opposition à l'évêque. L'assemblée
de Quierzy les condamna donc à revenir dans leur monastère et
à faire pénitence ; et comme ils ne voulaient pas se soumettre,
ils furent exclus de l'état ecclésiastique et de l'Église. Le procès-
verbal de cette condamnation signé par Drogon, Otgar de Mayence,
Agobard de Lyon, Bernard de Vienne et beaucoup d'autres
évêques, est daté du vin idus sept. 838 2. Il en résulterait qu'A-
gobard de Lyon avait été, dans l'intervalle, réintégré sur son
siège, si la source dont nous avons extrait ce qui précède
n'était très suspecte; c'est un des documents apocryphes fabri-
qués au Mans sur l'affaire du monastère de Saint-Calais 3.
Les erreurs d'Amalaire de Lyon furent condamnées dans la
diète de Quierzy d'après une lettre de son adversaire Florus, qui
écrit à ce sujet à ses amis : « Après qu'Amalaire eut commencé à
répandre ses erreurs, le pasteur (c'est-à-dire l'archevêque de
Lyon), très attristé, en informa le pieux empereur qui avait alors
précisément réuni les évêques dans son palais de Quierzy, pour
délibérer sur les affaires de l'Église ; il leur proposa donc de
juger les nouvelles doctrines. On lut les principaux passages
du livre d'Amalaire en présence de son auteur à qui on demanda
si c'était là réellement sa doctrine et d'où il l'avait extraite. —
Il répondit : « De mon esprit. » Les évêques lui dirent que
c'était un esprit d'erreur, et après d'interminables disserta-
tions, le concile déclara sa doctrine condamnable..., étrangère
1. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 738.
2. Id., t. xiv, col. 757, 765.
3. Roth, Beneficialwesen, p. 459 ; J. Havet, Les actes des évêques du Mans,
dans la Bibl. de l'École des chartes, 1893-1894, t. liv, p. 645-692; t. lv, p. 5-60.
(H. L.)
437- CONCILE DE KINGSTON 103
à la vraie foi et à toute l'Église. Sans doute les cérémonies
de l'Ancien Testament avaient un aspect mystérieux et sym-
bolique, mystère et symboles élucidés par la venue du Christ.
Les types de l'ancienne loi et la vérité de l'Évangile ayant pour
eux l'autorité divine, personne ne devait introduire de nou-
veaux types et de nouveaux mystères. On devait, en outre, se
conformer aux règles de l'Église au sujet des vêtements et des
["8] vases sacrés, sans aller chercher des explications fantastiques et
nébuleuses. Quant à la doctrine du triple corps du Christ, les
évêques la condamnaient et n'hésitaient pas à la faire venir
du démon. Florus assure avoir dans la* mesure du possible,
rendu les mots et le sens du concile; il s'applique ensuite à réfu-
ter longuement Amalaire, soit par des passages de la Bible, soit
par des citations des Pères 1.
437. Concile de Kingston, 838. Mort de Louis le Débonnaire, 840.
Vers le même temps (838), se réunit à Kingston, en Angleterre,
sous la présidence de Céolnoth, archevêque de Cantorbéry, un
grand concile auquel assistèrent, s'il faut en croire les actes, les
deux rois Egbert et Aethelwulf et un très grand nombre d'évêques.
Les actes ne portent d'autres signatures que celles de l'archevê-
que et de plusieurs prêtres et diacres, comme s'il ne s'agissait
que d'un concile diocésain 2. Nous n'en connaissons autre chose
1. Dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 741 sq., mieux dans Florus, P L., t. cxix,
col. 80 sq. Nous remarquerons, en passant, cette phrase dans la lettre de Florus :
« L'Église de Lyon est présentement malheureuse, car elle a un episcopus sine
poteslate et un magister sine veritate. Dans son édition de Baronius, Mansi, ad
ann. 838, n. 75, t. xiv, p. 231, comprend ainsi cette phrase : Agobard était alors
en exil, par conséquent sine poteslate, et Amalaire était le magister sine veri-
tate. Mais alors cette phrase ne s'accorde pas avec ce que Florus a dit au début,
que le pasteur avait accusé Amalaire auprès de l'empereur, » et nous voyons en
outre, qu'Agobard assista au synode de Quierzy, qu'il était par conséquent
réintégré dans sa potestas. [Sur la question des deux Amalaires (de Trêves et de
Metz), qui se réduisent au seul Amalaire de Metz, cf. Diction, de théol. cathol.,t. i,
col. 933-934 ; Diction, d'archéol. chrél., t. i, col. 1323, 1330. (H. L.)]
2. Kinsgton-upon-Thames, comté deSurrey. Coll. regia, t. xxi, col. 397; Labbe,
Concilia, t. vu, col. 1767-1768 ; Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1447; Coleti,
Concilia, t. ix, col. 888; Wilkins, Conc. Brit., t. i, col. 178; Mansi, Concilia,
104
LIVRE XXI
que la confirmation d'une donation faite par les deux rois sus-
nommés à l'église de Cantorbéry.
Pépin d'Aquitaine mourut probablement au mois de décembre
838, laissant deux enfants mineurs, incapables de régner, et que
l'empereur écarta d'un nouveau partage dans lequel son fils
Louis fut réduit à la Bavière, tandis que Lothaire et Charles se [99]
partagèrent le reste de l'empire. Lothaire adopta ce projet
avec joie et se hâta de passer les Alpes. Louis le Germanique parla
inutilement d'amener une armée; le partage eut lieu à Worms
(juillet 839); on fixa, autant que possible, la limite des royaumes
de Lothaire et de Charles, et on fit jurer à tous ceux qui étaient
présents fidélité à ce contrat. L'empereur se rendit (août 839)
à Chalon-sur-Saône, où il tint un conventus Cabillonensis sou-
vent énuméré parmi les conciles, quoiqu'on n'y ait traité que
des affaires de l'Etat, en particulier, de l'exclusion des fils de
Pépin du royaume d'Aquitaine \
On tint dans le même temps des réunions qui peuvent être
comprises au nombre des conciles, mais n'étaient en réalité que
des synodes diocésains de peu d'importance : ainsi, à Sens et à
Saint- Orner.
Au cours de cette même année 839, on tint à Cordoue, en
Espagne, sous la domination des Maures, un concile plus im-
portant; Florez nous en a conservé les actes dans le t. xv de son
Espana sagrada (1759), et après lui Helfferich 2 et Gains 3 s'en sont
particulièrement occupés. Huit évêques (dont plusieurs métro-
politains) et de nombreux prêtres assistèrent à ce concile, à
la célébration duquel les Maures ne s'opposèrent pas. La princi-
pale discussion concerna la secte des Cassianistes, formée dans les
diocèses d'Egabra et d'Anci, principalement à Epagro dans le
diocèse d'Egabra où ils avaient élevé une église dédiée à saint
Cassien. Ils s'étaient introduits, disent les actes, venant du rivage
de la mer, c'est-à-dire d'Afrique et paraissaient avoir adopté
les doctrines des Migétiens. Ils avaient un évêque nommé Quiné-
Supplem., t. i, col. 805; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 754; Haddan et Stubbs,
Councils and ecclesiastical documents, t. ni, p. 617-620 ; W. D. Biden, Histo-
ry and antiquities of Kingston, in-8, Kingston, 1852. (H. L.)
1. Coll. regia, t. xxi, col. 398; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1770; Coleti, Conci-
lia, t. ix, col. 899; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 767. (H. L.)
2. Helfferich, Weslgoth. Arianismus, p. 108 sq.
3. Die Kirchengeschichte von Spanien, t. h, part. 2, p, 311 sq.
438- concile d'ingelheim, été 840 105
ricus qui se prétendait envoyé par Rome, désignaient comme leur
fondateur un certain Cassien complètement inconnu, et furent
désignés par le concile sous les noms de Juvéniens Simonistes
et Acéphales (Séparatistes). Ils permettaient les mariages entre
parents, avec les divorcés et avec les infidèles, rejetaient le culte
des reliques, voulaient introduire une discipline du jeûne plus
sévère, regardaient comme impurs une grande quantité de mets,
avaient la prétention de s'administrer à eux-mêmes la sainte
Eucharistie, ne se présentaient plus à la sainte table sous pré-
texte que la sainte Hostie y était placée dans la bouche des
fidèles; ils se considéraient comme des saints, et menaient une
vie fanatique. Le concile mit en garde contre eux tous les chré-
tiens et les exhorta à revenir aux saines doctrines de l'Eglise.
On ne sait si ce conseil fut suivi; toutefois la secte disparut peu
de temps après 1.
[100] Cette même année 839, mais quelques mois plus tard, l'empereur
quitta Chalon et se dirigea sur l'Aquitaine, pour y réprimer les
révoltes des partisans de ses petits-fils. Mais au commencement
de 840, il dut revenir en Germanie, parce que Louis le Ger-
manique avait repris les armes. Le père et le fils marchèrent
l'un contre l'autre ; mais de part et d'autre, on voulait éviter le
combat. L'empereur déjà malade devint si faible que, de la Thu-
ringe où il était avec son armée, il ne put regagner Aix-la-Chapelle.
Il fit élever une tente dans une île du Rhin, en face d'ingelheim
(Palatinat), et y mourut le 20 juin 840 2. Durant les quarante
derniers jours de sa vie, il ne prit d'autre nourriture que la
sainte Eucharistie, fit aux églises de nouvelles donations, s'occu-
pa du salut de son âme, et, sur les représentations de Drogon et
d'autres évêques, pardonna sincèrement à son fils rebelle Louis.
438. Concile d'ingelheim, pendant Vété de 840.
Un des premiers actes de Lothaire fut de réintégrer dans sa
charge Ebbon, archevêque de Reims. Depuis sa déposition à Thion-
1. Florez, Espana sagrada, 1759, t. xv, p. 12-15; 1792, t. x, p. 525-532. (H. L.)
2. Simson, Jahrbiïclœr, 1874, t. n, p. 230; Mùhlbacher, Regesten, 2e édit.,
t. i, n. 1014 c. (H. L.)
106 LIVRE XXI
ville, en 835, Ebbon s'était caché en Italie. Après la mort de Louis
le Débonnaire, Boson, abbé de Saint-Benoît, à Fleury, l'amena
à l'empereur Lothaire àWorms. Là, Ebbon manifesta son repentir,
et fut en conséquence réintégré dans ses hautes fonctions par le
concile d'Ingelheim (août 840), et par un décret impérial contre-
signé d'un grand nombre d'évêques \ A la tête du concile se trou-
vait Drogon, archevêque de Metz, qu'assistaient Otgar de Mayence
et Hetti de Trêves, Almavin de Besançon, Audax de Tarentaise
et quinze évêques 2. Le décret impérial porte la date de vin Kal.
Jul. (24 juin) ; Louis mourut le 20 juin, et Lothaire se trouvait
à cette époque en Italie, en route pour la Germanie ; il est impos-
sible d'admettre que le concile d'Ingelheim ait eu lieu quatre jours
après la mort du vieil empereur. Aussi Le Cointe, Pagi 3 et d'autres
proposent-ils de lire vin kal. sept. (25 août).
Outre l'édit impérial de restitution, les collections conciliaires
nous ont conservé un document considérable intitulé Apologe-
ticum Ebbonis, divisé en trois parties. Il est dit, dans la première,
qu'après sept ans d'exil, Ebbon avait été réintégré sur son siège
par l'empereur Lothaire et les évêques Drogon, etc., dans la réunion
d'Ingelheim ; les évêques de la province ecclésiastique de Reims
reconnurent cette décision et acclamèrent solennellement Ebbon
dans l'église cathédrale de Reims, le 6 décembre 840 4, et avaient
rédigé un document sur ces événements. — Ce document forme la
seconde partie de Y Apologeticum et contient les détails sui-
vants : Ebbon avait été chassé par l'effet de l'inimitié person-
nelle de l'empereur Louis, réintégré par l'empereur Lothaire et les
évêques, décision à laquelle s'étaient associés avec joie Théo-
dore de Cambrai, Hrodhad (Rothad) de Soissons, etc. 5. —
1. M. Goldast, Collect. constitutionum, 1608, t. i, col. 189; Sirmond, Concilia,
t. ii, col. 631 ; Coll. regia, t. xxi, col. 399; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1770-1771 ;
Coleti, Conc, t. ix, col. 905; Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1447 sq. ; Mansi,
Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 774 sq. ; t. xvn, app. n, col. 233; Binterim,
Deutsche Concilien, t. n, p. 406 sq. ; Hartzheim, Conc. Germ., t. n, col. 139 ;
F. Walter, Corp. jur. germ., Berolini, 1824, t. in, p. 262; Monum. Germ., Leges,
t. i, p. 374; A. Verminghoff, dans NeuesArchiv, 1899, t.xxiv, p. 491-492. (H. L.)
2. Sur Amalvin et Audax, voy. Moozer, Onomasticon hiérarchise germ., Minden,
1854, p. 11, 107.
3. Pagi, Critica, ad ann. 840, n. 11.
4. Ebbon n'avait pu se rendre plus tôt à Reims, parce que la ville était alors au
pouvoir de Charles le Chauve encore brouillé avec son frère Lothaire.
5. L'authenticité de ce document a été mise en doute dans le synode de Sois-
sons en 853. Voyez plus loin § 453.
[101]
438- conciles d'ingelheim, été 840 107
La troisième partie, qui est d'Ebbon lui-même, contient la
déclaration de sa réintégration sur le siège de Reims. Il cher-
che à y démontrer « qu'on lui a fait violence à Thionville, et que
la sentence d'indignité portée alors ne constituait pas un empê-
chement à remonter sur le siège épiscopal. Le Christ dit : « Lors-
que tu apporteras ton offrande à l'autel, si tu te souviens que
ton frère est irrité contre toi, laisse là ton offrande, etc. 1 ; or, ce
n'était pas un frère, mais son maître et empereur, qui s'était
irrité contre lui ; il avait tout supporté avec patience, espérant
qu'un aveu sincère lui obtiendrait l'oubli et le pardon de ses
fautes. Il s'était accusé d'orgueil, d'esprit mondain, de juge-
ments sévères, c'est-à-dire pécheur. Enfin il avait abdiqué l'épis-
copat pour épargner un péché à ses adversaires. Afin de couper
court à toutes fausses suppositions, il voulait publier mainte-
nant l'aveu de ses fautes, et la sentence d'abdication qu'il avait
signée à titre de déchéance non à titre de condamnation. Dans
ce document, il se reconnaissait pécheur en général, mais sans
articuler aucune faute en particulier. Or, d'après le droit canon,
il ne pouvait être déposé que dans ce dernier cas. Il s'avouait
indigne assurément, mais il avait fait dans d'autres écrits des
aveux analogues ; on aurait donc pu avec autant de raison le
[102] condamner sur ces écrits. Il avait dit qu'on pouvait nommer
un autre évêque à Reims, et il ne s'y était pas opposé, cependant
on ne l'avait pas fait. Du reste, d'après le droit canon, l'abdication
d'un évêque emprisonné n'est valide que si son diocèse y consent.
Enfin, sur la demande réitérée du clergé de Reims, sur la sentence
de l'empereur et des évêques, et non de lui-même, il était remon-
té sur son siège. »
Certains auteurs pensent que pour démontrer la nullité de sa
déposition, Ebbon a produit un document se rattachant aux doc-
trines du pseudo-Isidore 2.
1. Matth., v, 23.
2. Lalande, Conc. Gall., p. 142;Labbe, Concilia, t. vu, col. 1781; Hardouin,
Coll. conc, t. iv, col. 1458; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 786; Pertz,
Monum. Germ. hist., t. n, p. 662. (H. L.)
108
LIVRE XXI
439. Conciles à Fontenoy, à Aix-la-Chapelle, Bourges, Milan
et Germigny, en 841-843.
Dès que l'empereur fut mort, Lothaire franchit les Alpes et
chercha à imposer sa suprématie impériale à ses frères, comme
aussi à agrandir son apanage à leurs dépens. Le prétendant à
la couronne d'Aquitaine, le jeune Pépin, l'accompagnait. Par
contre, Louis le Germanique et Charles le Chauve firent cause
commune, et après diverses négociations, des marches et des
contre-marches, de légers combats sans résultat, les deux armées
se rencontrèrent non loin d'Auxerre, à Fontenoy (25 juin 841)
et le sort des armes fut contraire à Lothaire 1. Les rois Charles et
Louis restèrent quelques jours sur le champ de bataille, pour
1. Pasumot, Dissertation sur le lieu où s'est donnée la bataille de Fontenay
en 841, dans Malte-Brun, Annales des voyages, t. xm, p. 171-215 ; Discours
prononcé pour l'inauguration du monument commémoratif de la bataille
de Fontenoy-en-Puisaye Van 841, par Bravard, in-8, Auxerre, 1860; J.-B. Buzy,
Chant funèbre sur la bataille de Fontenay, livrée l'an 841, un samedi 25 juin, dans
le Bull, de la Soc. arch. de Sens, 1872, t. x, p. 178-187; Challe, De l'emplacement
de la bataille de Fontanetum (Fontenoy-en-Puisaie) improprement appelée de Fon-
tenay ou de Fontenailles par la plupart des historiens, dans les Comptes rendus
de l'Acad. des inscr., 1860, série I, t. iv, p. 151-158; Crosnier, Bataille de Fonte-
nay, en 841, dans le Bull. Soc. nivern., 1855, t. n, p. .'i97; Dey, Les petits côtés
de la bataille de Fontenoy, dans l' Annuaire de l'Yonne, 1885; E. Duché, Note sur
la bataille de Fontenoy, dans le Bull, de la Soc. scient. del'Yonne, 1885-1886, série
III, t, ix, p. 534-536; E. Duché, Fontanetum, cauchemar à propos d'un rêve, in-12,
Auxerre, 1860; E. Dùmmler, dans Neu. Archiv Ges. ait. deutsch. Gesch., 1879,
t. iv, p. 267 ; Ebert, dans Gesch. d. Liter. d. Mittelall.,18S0, t. n, p. 312-313;
Lebeuf, Dissertation sur le lieu où s'est donnée l'an 841 la bataille de Fontenay,
dans Recueil d'écrits hist. de France, 1738, t. i, p. 127-190; Lebeuf, Sur l'époque
de la bataille de Fontenai, dans Hist. de l'Acad. des inscr. et bell.-lettr., 1753,
t. xvin, part. 1, p. 303-341 ; t. xix, 2e part., p. 515-529; D.M..., dans le Bulletin mo-
numental, 1860, IIIe série, t. vi, p. 611-614; J. Perrin, Notice historique et littéraire
sur la bataille de Fontenoy, le diacre Florus et sa plainte sur la division de l'Empire
après la mort de Louis le Pieux, dans le Bull, de la Soc. arch. de Sens, 1885, t. xm,
p. 89-114 ;Vaulet, La bataille de Fontanet, 25 juin 841, in-8, Paris, 1900 ; E.
Millier, Der Schlachtort Fontaneum [Fontanetum) von 841, dans Neues Archiv,
1907, t. xxxin, p. 201-211; F. Lot et L. Halphen, Le règne de Charles le Chau-
ve, in-8, Paris, 1909, p. 13-36: L'ouverture des hostilités et la bataille de Fon-
tenoy. Pour le poème relatif à la bataille de Fontenoy, cf. Dict. d'arch. chrét.,
au mot Cantilène, la bibliographie des notes. (H. L.)
139. CONCILES A FONTENOY, ETC. 109
célébrer le dimanche, prendre soin des blessés et enterrer les
morts. Les évêques se réunirent en concile sur le champ de bataille
entre Tauriac et Fontenoy (diocèse d'Auxerre) ; l'assemblée
déclara juste la guerre contre Lothaire et vit dans son issue le
[103] doigt de Dieu. On ne devait donc pas punir ceux qui y avaient
coopéré, par conseil ou autrement, bien qu'il fût défendu aux
clercs de prendre part aux combats. Du reste, tous ceux qui
reconnaîtraient y avoir contribué par haine ou par crainte, de-
vaient confesser leurs fautes en secret et en faire pénitence.
Enfin, pour rendre honneur à la justice de Dieu qui venait de
se manifester et contribuer au salut des âmes dès défunts, on
ferait une pénitence de trois jours. Tel est le récit de Nithard, petit-
fils de Charlemagne, fils de Bertha et d'Angilbert, dans le troi-
sième livre de ses histoires 1.
Après la bataille de Fontenoy, Lothaire chercha à reconstituer
ses forces, et on l'accusa de s'être allié aux ennemis de l'empire.
Néanmoins, sa puissance alla en diminuant, et beaucoup de ses
fidèles amis, tels Rhaban-Maur abbé de Fulda, Walafrid Strabon
abbé de Reichenau, Otgar, archevêque de Mayence, furent dépos-
sédés de leurs charges par les armées envahissantes des deux frè-
res. Lothaire lui-même se vit en tel danger, qu'avant la Pâque
de 842 il dut s'enfuir d'Aix-la-Chapelle à Châlons-sur-Marne,
puis à Troyes, tandis que Louis et Charles faisaient leur entrée
solennelle à Aix-la-Chapelle et réunissaient dans cette prima sedes
Francise, ainsi s'exprime Nithard, les évêques (concile d'Aix-la-
Chapelle de 842), pour décider du sort de l'apanage de Lothaire 2.
Les évêques, dont aucun n'est mentionné par Nithard, déclarèrent
que Lothaire avait mérité par ses péchés de perdre l'empire que
Dieu avait transmis à ses frères. Toutefois, avant de s'en emparer,
les deux frères promirent de l'administrer, non comme Lothaire,
mais d'une manière conforme à la volonté de Dieu. Ayant prêté
ce serment, chacun des deux frères choisit douze arbitres (le roi
1. Coll. regia, t. xxi, col. 406 ; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1777-1778 [1781-
1782]; Lalande, Conc. Gall., p. 143;Coleti, Concilia, t. ix, col. 917; Mansi, Conc.
ampliss. coll., t. xiv, col. 786; Pertz, op. cit., t. n, p. 668 ; G. Meyervon Khonau,
Ueber Nithards vier Bûcher Geschichten, der Brùderkrieg der Sôhne Ludwigs des
Frommen und sein Geschichtschreiber, in-4, Leipzig, 1866 ; F. Lot et L. Hal-
phen, Le règne de Charles le Chauve, 1909, p. 38. (H. L.)
2. Lalande, Conc. Gall., p. 143; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1874; Coleti, Con-
cilia, t. ix, col. 919; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 789. (H. L.)
110 LIVRE XX [
Charles choisit en participer Nithard), pour régler le partage
équitable du royaume de Lothaire.
Hincmar de Reims croit que son prédécesseur Ebbon, chassé
par Charles le Chauve, fut de nouveau déposé vers cette même
époque (842 ou 841), dans un concile tenu à Bourges.
Un concile tenu à Milan en 842 confirma les immunités du mo-
nastère des Saints-Faustin-et-Jovite, à Brescia 1 ; enfin un autre
concile tenu à Germigny près d'Orléans, en 843, réforma la discipline
monastique et conféra un privilège au monastère de Curbion 2.
440. Fin de l'hérésie des iconoclastes. [104]
Pendant que ces événements se passaient en Occident, la situa-
tion des iconoclastes avait bien changé dans l'empire de Byzance.
L'empereur Michel le Bègue 3 mourut (octobre 829), après avoir
donné un grand scandale en épousant une religieuse ; il eut pour
successeur son fils Théophile, associé à l'empire. Peu après
l'arrivée au pouvoir de Théophile, les patriarches Job d'Antioche,
Christophe d'Alexandrie et Basile de Jérusalem 4 lui remirent
un mémoire détaillé 5, le suppliant de ne pas suivre les iconoclastes,
mais de rester, par ses œuvres, fidèle à son beau nom de Théophile 6.
— Les évêques se faisaient une complète illusion, car Théophile, ico-
noclaste acharné, n'hésitait pas à employer la barbarie contre la doc-
trine contraire. Persuadé d'être César et pape, il tenait toute opposi-
tion à un décret impérial, qui empiétait sur les choses de l'Eglise,
pour, crime de lèse-majesté. Aussi détruisit-on, à la façon des Van-
dales, les images refaites dans les dernières années, etlesremplaça-
1. Muratori, Antiq. Ital., t. v, col. 985; Mansi, Concilia, Supplém., t. i, col. 903 ;
Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 791 ; Cod. dipl. Langob., p. 257. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 784, 789, 794. Voir Appendices de ce tome.
3. Voir § 424.
4. Le Quien a justifié ces noms et Walch, Ketzerhist., t. x, p. 727, a adopté
ses conclusions.
5. Nous en avons déjà tiré parti dans § 415.
6. Combéfîs, Manipulus origin. Constantinopol., p. 110-145 ; S. Jean Da-
mascène, Opéra, édit. Le Quien, t. i, p. 638-646. Mansi, Conc. ampliss. coll.,
t. xiv, col. 114-120, n'en donne qu'un extrait, ainsi que Walch, op. cit., t. x,
p. 593 sq.
440- FIN DE L'HÉRÉSIE DES ICONOCLASTES 111
t-on sur les murs des églises par des oiseaux ou d'autres animaux ;
Les cachots se remplirent de moines, de clercs et de laïques de toute
condition qui repoussaient les édits des iconoclastes, et reje-
taient la communion de l'intrus Jean Grammaticus (patriarche
depuis 833). Ce patriarche ordinairement appelé Janes, comme
le devin dont parle la Bible 1, avait été le précepteur de l'empereur;
c'était un homme savant, rusé, hétérodoxe, et l'un des principaux
coopérateurs de son prince dans l'affaire des iconoclastes. On
rapporte que, dès son élévation, en 833, il prononça, dans une
[105] sorte de synode tenu aux Blakhernes, l'anathème contre tous
les iconophiles. Rome ne le reconnut pas plus que son prédécesseur
Antoine de Syllœum. Aussi, aucun Grec orthodoxe n'accepta
sa communion. La fureur impériale était surtout déchaînée contre
les moines, les plus zélés et les plus hardis défenseurs des images
et qui comptaient même des artistes parmi eux. Beaucoup de
monastères devinrent déserts ; il fut défendu à tout moine de
paraître dans la capitale ; quant aux artistes qui se trouvaient
parmi eux, ils devaient être exterminés, et s'ils continuaient,
comme par exemple le moine Lazare, à peindre des images, ils
devaient être fouettés jusqu'au sang, et leurs mains brûlées au
fer rouge. Ce châtiment fut infligé aux savants qui défendirent
le culte des images. L'empereur se laissa quelquefois entraîner
à discuter avec eux ; mais malheur à celui qui ne se laissait pas
convaincre par ses arguments. Les deux frères Théophane et Théo-
dore, nés l'un et l'autre à Jérusalem, furent, non seulement punis
de deux cents coups de bâton, mais on leur scalpa dans le front
des vers grecs pour se moquer d'eux : aussi reçurent-ils le surnom
de ypaircoC. Un autre savant, nommé Méthode, fut, pour la
même raison, enfermé pendant sept ans avec deux malfaiteurs
dans un tombeau situé dans une île 2.
L'empereur parvint à réprimer les tentatives extérieures favo-
rables au culte des images, lequel n'en poussa que des racines
plus profondes dans les cœurs, sans même excepter l'impératrice
Théodora et sa mère Théoktista. Celle-ci enseignait à ses petites-
filles, c'est-à-dire aux enfants de l'empereur, à baiser les images
1. Exod., vu, 22 ; II Tim., m, 8.
2. Constantin Porphyroa:énète, Chrono graphia, édit. Bonn. Ce travail porte
Je titre suivant : Theophanes coiUinuatus, c. x-xiv, p. 99-106; Walch, op. cit.,
p. 622 sq., 716 sq.
112 LIVRE XXI
des saints, ce que voyant Théophile, il défendit à ses filles
de visiter leur grand'mère. L'impératrice elle-même fut dénoncée
par un nain, pour garder dans sa chambre des images saintes ;
elle n'évita que par la ruse la colère de son mari 1. La mort de
l'empereur (20 janvier 841) mit fin à ces persécutions. Sur son lit
de mort, il fit décapiter le général Théophobe, et apporter la tête
sur son lit, et, tandis que les autres chrétiens meurent en tenant
en mains le crucifix, Théophile mourut en tenant encore cette
tête ensanglantée 2. [106]
Théophile laissa l'empire à son fils Michel l'Ivrogne, âgé de
trois ans, proclamé empereur par ordre de son père, avec sa
mère Théodora et sa soeur aînée Thécla. En fait, sa mère avait
le pouvoir. Avant de mourir, l'empereur lui fit promettre, ainsi
qu'au chevalier Théoktiste, de ne faire aucun changement rela-
tivement au culte des images. Ce qui survint fut plutôt obtenu
par les sujets qu'imposé par la princesse. Celle-ci fit immédiate-
ment sortir de prison les iconophiles et accorda à plusieurs d'entre
eux, notamment à Méthode, toute sa confiance. Parmi les premiers
grands et les tuteurs du jeune empereur, le chancelier Théoktiste
admettait ouvertement que le culte des images devait être réta-
bli, même contre le désir du peuple, si cela était nécessaire. Son
collègue Bardas, oncle de l'impératrice du côté maternel, était
du même avis, quoiqu'il s'occupât peu d'affaires ecclésiastiques.
Le seul hésitant était Manuel, général des gardes du corps et oncle
de l'impératrice (frère de son père). Tombé malade à cette époque,
il fit, sur les instigations des moines de Studium et d'autres clercs,
le vœu de travailler pour l'orthodoxie, s'il obtenait sa guérison.
Il guérit en effet, et se rendit avec les autres tuteurs du prince
auprès de l'impératrice, pour la prier formellement de rétablir
le culte des images. Théodora aurait d'abord refusé, dit-on, par
égard pour la mémoire de son mari; puis comprenant que son
refus pourrait lui coûter le trône, elle se serait rendue. On est
plus porté à croire, d'après les sources plus recommandables,
que Théodora aurait répondu qu' «elle partageait l'opinion
1. Elle prétendit que le nain avait vu dans une glace son image et celle des da-
mes de sa suite et qu'il avait cru voir de véritables tableaux. Constantin, loc.
cit., t.. vi, p. 92. Cet incident fait l'objet d'une miniature reproduite par de
Beylié, L'habitation byzantine, in-4, Paris, 1902, p. 120.
2. Le général Théophobe était tellement aimé de ses soldats que l'empe-
reur conçut contre lui des sentiments de jalousie.
440- FIN DE L HERESIE DES ICONOCLASTES
113
des tuteurs du prince, mais qu'à cause des sénateurs et des grands
du royaume, en particulier à cause des évêques et du patriarche
Jean, elle n'avait encore rien voulu tenter. Ce dernier avait, par ses
prédications, grandement développé ce germe d'hérésie que son
mari avait reçu de ses ancêtres. » Sur de nouvelles instances de
Manuel et de ses amis, l'impératrice envoya au patriarche un offi-
cier appelé Constantin, et lui fit dire : « De tous côtés, et en parti-
culier de la part des pieux moines, on demande le rétablissement
du culte des images, si tu y consens, les églises recouvreront leurs
[107] ornements ; si tu es encore dans l'erreur, tu peux quitter la ville
et te retirer pour quelque temps à la campagne, jusqu'à ce que
les saints Pères (les moines) viennent te trouver et t'enseignent
une meilleure doctrine. » L'ordre était clair; le patriarche demanda
à réfléchir et se fit à lui-même des blessures, ce qui permit à
ses amis de répandre, dans le peuple déjà agité, le bruit que l'im-
pératrice avait voulu faire massacrer le patriarche. Afin d'ins-
truire cette affaire, Bardas fut envoyé dans le patriarcheion. Le
patriarche Jean accusa en effet l'officier Constantin de l'avoir
maltraité ; mais il fut démontré, par les dépositions de ses propres
serviteurs et par la découverte des instruments dont il s'était
servi, qu'il s'était blessé lui-même, et il fut déposé pour avoir
cherché à se suicider et relégué dans sa campagne de Psicha.
C'est ce que rapportent les documents les plus sûrs et les plus
nombreux 1. Toutefois Walch 2 et Schlosser 3, s'appuyant en partie
sur Genesius, croient que les ambassadeurs de l'impératrice
avaient voulu faire sortir de force le patriarche de sa maison, et
que celui-ci ayant résisté, ils l'avaient blessé.
On donna pour successeur au patriarche Jean le savant Méthode,
confesseur sous Théophile 4. D'après les uns il aurait été choisi par
l'impératrice, d'après les autres, les clercs l'auraient élu, avec
l'assentiment des grands de l'empire, dans la chancellerie du palais
impérial. On tint alors un concile qui déposa solennellement le
patriarche Jean 5. Les actes de cette assemblée ne nous sont pas
1. Par ex., Constantin Porphyr., op. cit., 1. IV, De Michaele, p. 149 sq. ; Walch,
op. cit., t. ii, p. 731, 740, 758, 772, 786.
2. Walch, op. cit., p. 772.
3. Schlosser, Gesch. der bildensliirmenden Kaiser, p. 547.
4. Il est vénéré comme saint ; voy. Léo Allatius, Diatribe de Methodiorum
scriptis, § 34 sq. et Acta sanct., jun. t. n, p. 960 sq.
5. Cf. Libellus synodicus, dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 787; Hardouin, op.
cit., t. v, col. 1546.
CONCILIAS — [[I — s
114 LIVRE XXI
parvenus ; mais les documents byzantins la mentionnent très
souvent, quoique brièvement. Sur l'ordre de l'impératrice, plu-
sieurs savants moines préparèrent la réunion de ce concile en réu- [108]
nissant dans un tomus divers passages des Pères en faveur des
images. On lut leur mémoire devant une réunion de clercs et de
sénateurs qui se prononça en faveur de la restauration du culte
des images. En même temps arrivèrent à Constantinople un grand
nombre de moines venus de divers pays, soit pour travailler par
leurs prédications l'opinion du peuple, soit pour prendre part
au concile et aux solennités qui auraient lieu à cette occasion l.
Le concile lui-même renouvela les décisions des sept conciles
antérieurs, déclara légitime le culte des images, et frappa d'ana-
thème les iconoclastes. Les évêques de ce parti furent chassés
de leurs sièges, distribués pour la plupart entre ceux qui avaient
le plus souffert sous l'empereur Théophile pour la cause des images.
Tel était, en particulier, le cas du ypocrroç Théophanes, évêque de
Smyrne.
L'impératrice Théodora aurait, dit-on, demandé aux évêques
comme condition de sa coopération à l'œuvre de la restauration
des images, de prier pour la délivrance de l'âme de son mari qu'elle
prétendait avoir vu dans une vision condamné au feu. On lui
répondit qu'il était mort hérétique ; mais elle assura que, sur ses
instances, il aurait, au dernier moment, reconnu ses erreurs et
baisé les images des saints qu'elle lui aurait présentées. — Pour
perpétuer le souvenir de l'événement le concile décida qu'on ferait
chaque année le premier dimanche de carême, une procession
solennelle commémorant la fête de l'orthodoxie, et qu'on y
renouvellerait chaque fois l'anathème contre les iconoclastes 2.
La* première fête de ce genre fut célébrée immédiatement après
la tenue du concile (19 février 842), et les images furent pour la
première fois exposées dans les églises de Constantinople. Un grand
banquet donné par l'impératrice termina la solennité 3. Cette
fête de l'orthodoxie obtint plus tard, dans l'Eglise grecque et dans
1. Labbe, Concilia, t. vu, col. 1778-1780 (1782-1784); Hardouin, op. cit., t. iv,
col. 1546; Coleti, Concilia, t. ix, col. 917; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 787. (H. L.)
2. Sur le sens de cette fête, cf. Tubinger theol. Quarlalschrift, 1846, p. 424.
Et quant aux cérémonies qui l'accompagnaient, cf. Walch, op. cit., p. 800.
3. Constantin Porphyrogénètc, op. cit., c. îv, 5, p. 152 sq., c. xi, p. 160.
Walch a réuni les autres documents fournis par les sources, op. cit., p. 736,
741,749,773,783, 788, 799.
441. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITE DE VERDUN 115
l'Eglise russe, une signification beaucoup plus étendue. Ce fut
la célébration de la victoire remportée sur toutes les hérésies, et on
y prononça l'anathème contre les diverses catégories d'hérétiques.
L'ancien patriarche Jean fut relégué dans le monastère de Klidii,
près de Sténum, et donna aussitôt carrière à son zèle puritain
contre les images, en crevant les yeux à des images du Christ et
de Marie qui se trouvaient dans sa chambre. Indignée, l'impéra-
[109] trice le fit châtier corporellement, mais il est faux, quoi qu'on en
ait dit, qu'on lui ait infligé la peine du talion. Quelque temps
après, une femme accusa le patriarche Méthode d'avoir entretenu
avec elle des relations coupables; tous les iconoclastes exultèrent.
La cour ordonna immédiatement une enquête ; Manuel, Théoktiste,
et d'autres sénateurs, se rendirent pour cela chez le patriarche.
Méthode prouva que l'accusation était pure calomnie, et cela
d'une manière si péremptoire, que cette femme avoua avoir
été poussée par l'ancien patriarche et ses amis. En punition, on
les condamna à se trouver tous les ans avec des torches allu-
mées en tête de la procession de la fête de l'orthodoxie, et d'y
entendre l'anathème prononcé contre eux 1.
Le patriarche Méthode mourut en 846, ayant occupé quatre
ans le siège patriarcal. L'un de ses derniers actes fut le transfert
solennel du corps de son prédécesseur, le patriarche Germain,
partisan des images. Méthode eut pour successeur saint Ignace.
A partir de cette époque, les iconoclastes commencèrent à dispa-
raître, et, jusqu'à ce jour, le culte des images a été conservé en
grand honneur dans l'Eglise grecque. Même au plus fort des
luttes entre Photius et Ignace, les deux partis restèrent d'ac-
cord au sujet des images, et le VIIIe concile œcuménique
approuva de nouveau le culte qu'on leur rendait.
441. Les conciles francs depuis le traité de Verdun
jusquen 841 .
Après le traité de Verdun, conclu au mois d'août 843 2, un concile
tenu à Lauriac ou Loire, près d'Angers (octobre), menaça de peines
1. Constantin Porphyrogénète, op. cit., ç. ix et \, p. 157 sq.
2. F. Lot et L. Halphen, Le règne de Charles le Chauve, 1909. p. 63-67;
1 1 G LIVRE XXI
sévères les contempteurs du pouvoir royal et de l'Eglise 1. Presque
en même temps Charles le Chauve réunit (novembre) une diète
à Coulaines, près du Mans, pour essayer de rétablir l'union entre
les grands de son royaume, très irrités les uns contre les autres et
contre lui-même. Les évêques et les grands entrèrent dans ce plan
et Charles publia un capitulaire dans lequel chacun des deux
partis assurait l'autre de son respect et de son amitié2. [110]
Pour rétablir l'entente entre les évêques et les prêtres de la
province de Septimanie, Charles célébra (juin 844), un concile à
Toulouse 3. Il fixa les redevances dues par chaque prêtre à son
évêque, donna des règles sur les voyages des évêques en cours
de visites, sur des divisions inutiles de paroisses, sur l'érection
de nouvelles églises, etc., et décida que l'évêque ne pourrait réunir
annuellement plus de deux synodes diocésains.
Au mois d'octobre 844, les trois frères Lothaire, Louis et Charles
se réunirent à Thionville, où ils célébrèrent, sous la présidence
de Drogon, un concile dont ils approuvèrent les décrets, conjointe-
ment avec les grands qui étaient présents 4. Les six capitula,
G. Monod, Du rôle de l'opposition des races et des nationalités dans la dissolution
de l'empire carolingien, dans Y Annuaire de V Ecole pratique des hautes études, 1896,
p. 5-17. (H. L.)
1. Lauriacum, Loire, arrondissement de Segré (Maine-et-Loire). Sirmond,
Conc. Gall., t. m, col. 8; Coll. regia, t. xxi, col. 420; Labbe, Concilia, t. vu,
col. 1790-1791, 1826-1827; Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1463 ; Le Cointe,
Annales ecclesiastici, t. vin, p. 698; Coleti, Concilia, t. ix, col. 931 ; Mansi, Conc.
ampliss. coll., t. xiv, col. 798. (H. L.)
2. Coulaines, Villa Colonia, arrondissement du Mans (Sarthe). Sirmond, Conc.
Gall., t. m, col. 4; Coll. regia, t. xxi, col. 414; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1787-
1790, 1819-1820; Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1459; Coleti, Concilia, t. ix,
col. 928; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 798 ; Pertz, Monumenta Ger-
manise historica, t. ni ,Leges, t. i, p. 376; Capitul., t. n, p. 253; P. L., t. cxxxvin,
col. 527; A. Verminghofï, Verzeichnis, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 611.
(H. L.)
3. Sirmond, Conc. Gall., t. ni, p. 1 ; Coll. regia, t. xxi, col. 409 ; Labbe,
Concilia, t. vu, col. 1780-1887 ; Baluze, Capitul. reg. Francor., t. n, p. 21 ;
Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1458; Coleti, Concilia, t. ix, col. 921;
Mansi, Conc ampliss. coll., t. xiv, col. 798 ; Pertz, Monum. Germ. hist.,
t. m, Leges, t. i, p. 378; Walter, Corp. jur. Germ., t. ni, p. 16; Monum. Germ.,
Leges, t. i, p. 378; P. L., t. cxxxvin, col. 531 ; Mon. Germ., Capit., t. n,
p. 256; Verminghofï, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 611. (H. L.)
4. In loco qui dicitur Judicium, c'est Yùtz. Coll. regia, t. xxi, col. 436 ; Labbe,
Concilia, t. vu, col. 1800-1805, 1820-1825; Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1465;
Coleti, Concilia, t. ix, col. 941; Mansi. op. cit.. t. xiv, col. 807; t. xvn, uppendix,
441. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITE DE VERDUN 117
contiennent des exhortations et des prières adressées aux princes.
1. Ils doivent vivre d'accord entre eux, s'aimer mutuellement
et faire régner la concorde parmi les peuples, s'ils veulent préserver
de la ruine l'Église qui leur était confiée pour la gouverner (ad
gubernandum commis s a), et dont ils rendront compte au Roi
[111] des rois. 2. Les sièges épiseopaux devenus vacants à la suite des
discordes survenues entre les frères, devront être de nouveau
pourvus. On demande aux rois de choisir des hommes dignes
de l'épiscopat et purs de simonie ; on leur demande aussi le
rappel des évêques exilés. 3. Les monastères ne doivent plus res-
ter en la possession des laïques, ils doivent être gouvernés par leurs
supérieurs réguliers. 4. On adresse les plus pressantes exhortations
pour que les Eglises dépouillées rentrent dans leurs biens. 5. S'il
est impossible de retirer immédiatement certains monastères aux
laïques qui les possèdent, les évêques dans les diocèses desquels se
trouvent ces monastères les feront surveiller par un abbé voi-
sin. 6. Enfin, on doit rendre au clergé son ancienne dignité pour
qu'il puisse se rendre utile en travaillant au salut des hommes.
Au mois de décembre 844, Charles le Chauve convoqua dans le
palatium Vernum les évêques et les autres grands de son royaume,
pour délibérer sur la situation lamentable de l'Eglise, et lui propo-
ser des plans de réforme. 1 Sous la présidence d'Ebroïn, évêque
de Poitiers, de Wénilo, archevêque de Sens, de Louis, abbé de Saint-
Denis, et d'Hincmar, plus tard évêque de Reims, ils proposèrent
au roi douze capitula rédigés par Loup, abbé de Ferrières.
1. Le roi doit être avant tout rempli de la crainte de Dieu, misé-
ricordieux et juste; il remportera ainsi la victoire sur ses ennemis.
2. Plusieurs évêques ont commis des fautes pendant les guerres
civiles, et ont négligé leurs diocésains. On remettra les malfaiteurs,
dans l'ordre au moyen d'intelligents missi impériaux (coer-
ceantur) ; de leur côté, les évêques feront tout ce qui dépendra
p. 5 sq. ; Pertz, Leges, t. i, p. 380; Bohmer-Muhlbacher, Regesta Karolin g, 1881,
p. 416-417. Voir Appendices. (H. L.)
1. Vernum, Vern, Ver, arrondissement de Senlis (Oise). Un concile s'y était
tenu en 755, un autre s'y réunira en 884. Sirmond, Conc. Gall., t. m, col. 17;
Coll. regia, t. xxi, col. 445 ; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1805-1811 ; Hardouin,
Coll. conc, t. iv, col. 1469; Coleti, Concilia, t. ix, col. 947; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 810; t. xvn, Appendix, p. 9 sq.; Pertz, Leges, t. i, p. 383. Sur
l'emplacement et les conciles de Ver, voir la bibliographie du concile de 755.
Voir Appendices. (H. L.)
118
LIVRE XXI
d'eux pour prêcher. 3. Le roi chargera ses missi de s'informer
auprès de l'évêque du diocèse, de l'état des monastères, état qu'on
fera ensuite connaître au roi et à un concile. 4. Les moines qui
ont quitté leurs monastères et les clercs qui ont abandonné leurs
églises et vont de droite et de gauche, au grand déshonneur de leur
état, devront, s'il est nécessaire, y être ramenés de force. 5. Les
mariages avec des nonnes seront punis d'excommunication l.
6. D'après le c. 11 d'Ancyre, une fiancée enlevée par un autre
sera rendue à son fiancé, même dans le cas où on lui aurait fait-
violence. Le ravisseur sera puni par les lois civiles comme contemp-
teur de l'excommunication de l'Eglise. 7. On doit recommander
aux nonnes de s'abstenir, sous l'inspiration d'une piété mal enten-
due, de revêtir des habits d'hommes ou de se couper les cheveux,
si elles ne veulent se voir appliquer les prescriptions du concile de
Gangres (c. 13 et 17). 8. Quelques évêques ne peuvent, à cause de
leurs infirmités, suivre le roi dans ses expéditions, d'autres en
ont été dispensés par le souverain. Pour que les affaires militai-
res ne souffrent pas, les évêques devront confier leur contingent
à un de leurs fidèles. 9. Il est urgent que l'Eglise de Reims ait
bientôt un autre évêque. 10. On demande au roi de confirmer la
nomination d'Agius sur le siège d'Orléans, ce qui mettra finaux
maux de cette Eglise. 11. Le pape Sergius II a nommé, récemment,
l'archevêque Drogon de Metz, son vicaire en Gaule et en Germanie.
Les évêques déclarent s'abstenir d'exposer leurs sentiments sur cette
élévation de Drogon, mais un grand concile, composé des évêques [112]
des Gaules et de la Germanie, s'en expliquera. Sur ces entrefaites,
Drogon renonça à sa nouvelle dignité. 12. Les personnes de diverses
conditions doivent s'abstenir de toute injustice et brutalité, et en
particulier de toute attaque contre les biens des églises.
Conformément au souhait exprimé par le 9e canon, le concile
de Beauvais (avril 845) ordonna un pasteur pour l'église de
Reims 2. L'archevêque Ebbon en avait été expulsé par Charles
le Chauve (mai 841), quelques mois après sa réintégration. Il
se réfugia auprès de l'empereur Lothaire, qui lui donna deux
1. Sanctimoniales olim dictée, feminse aut virgines, quse sanctimonite dabant
operam, interdum certis, ssepe nullis illigatse monasticis votis.Du Cange.
2. Sirmond, Conc. Gall., t. in, col. 23; Coll. regia, t. xxi, col. 454; Labbe,
Concilia, t. vu, col. 1811-1813, 1826-1828; Hardouin, Coll. conc, t. iv, col. 1473;
Coleti, Concilia, t. ix, col. 954; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 810 ;
t. xvn, Appendix, p. 16; Pertz, Leges, t. i, p. 387. Voir Appendices. (II. L.)
Vil. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITE DE VERDUN 119
abbayes, et sollicita à Rome, en 844, la protection de Sergius II
qui ne l'admit qu'à la communion laïque. Après le départ d'Eb-
bon, on nomma Fulcon, et après la mort de Fulcon on lui donna
Nothon pour successeur ; mais aucun des deux n'avait été con-
sacré, dans la crainte du retour d'Ebbon. Toutefois le concile
de Beauvais, qui se tenait dans la province ecclésiastique de
Reims, déclara que, sans plus tenir compte d'Ebbon, on
pouvait et on devait pourvoir au siège vacant ; les évêques qui
avaient signé l'édit de restitution fait par Lothaire en faveur
d'Ebbon trouvèrent juste de faire un nouveau choix. A la de-
mande du clergé, du peuple et des sufïragants, Hincmar prit
donc, dans ce concile de Beauvais, possession du siège archiépis-
copal de Reims.
Hincmar, ou, comme portent parfois les manuscrits, Ingu-
mar, Ingmer, Igmar, était né vers l'an 806 d'une honorable fa-
mille de l'ouest de la France. Elevé sous Hilduin, à Saint-Denis,
il s'était attiré par ses talents et sa modestie l'estime de l'empereur
Louis le Débonnaire, qui lui avait confié un grand nombre de
missions. Il tenta avec toute l'énergie dont il était capable de réta-
blir une sévère discipline dans le monastère ; mais lors de l'exil
d' Hilduin en 830, Hincmar l'accompagna volontairement, quoique
[113] personnellement toujours fidèle à l'empereur. Grâce à ses démar-
ches, Hilduin put rentrer à Saint- Denis après une année, et Hinc-
mar y séjourna, tout le temps qu'il n'était pas obligé de passer
à la cour, jusqu'à ce que, peu après l'année 840, Charles le Chauve
le prit à son service d'une manière définitive, lui confia la surveil-
lance de plusieurs monastères et lui fit don d'une propriété
rurale qu' Hincmar donna à l'hôpital de Saint-Denis, après sa
nomination à l'archevêché de Reims. Nous l'avons vu assister
au concile de Ver ; maintenant à Beauvais, avec l'assentiment
de ses anciens supérieurs ecclésiastiques, en particulier de l'abbé
Louis de Saint-Denis et du roi Charles le Chauve, il accepta la
haute dignité qui lui était offerte 1 et tint désormais un des pre-
miers rangs, dans l'histoire de l'Eglise franque. Les huit capi-
tula du concile de Beauvais ne me paraissent pas être, ainsi
qu'on pourrait le croire à première vue, le résultat des deman-
des des évêques réunis : je serais porté à les croire l'œuvre du seul
1. Cf. Flodoard, Hist. eccl. Rhemensis, 1. III, ci, réimprimé dans Mansi, op.
cit., t. xiv, col. 810, et P. L., t. cxxxv, col. 138.
120
LIVRE XXT
Hincmar ; ils expriment le désir que l'on protège le nouvel arche-
vêque, son diocèse et toutes les églises qui en font partie, et qu'on
les préserve de toute atteinte. Le concile de Meaux (juin 845),
dont nous parlerons plus loin, a renouvelé d'autres capitula
du concile de Beauvais, qui ne s'harmonisent pas complètement
avec ceux qu'on vient de lire et qui sont évidemment l'œuvre de
tous les évêques.
En 845, et non en 852, comme l'a prétendu d'Achéry, se tint
à Sens un concile, qui confirma un privilège pour le monastère de
Saint-Remi. La date de 852 est sûrement inexacte, puisque les
deux évêques Ursrnar de Tours et Adalbert de Troyes, qui signè-
rent les actes de cette assemblée, étaient morts en 852 1.
Entre 845 et 847 se tinrent, dans le royaume de Charles le
Chauve, quatre réunions qui n'ont pas été jusqu'ici rangées par
les historiens dans leur véritable ordre chronologique. Le premier
et le plus considérable des fragments que nous possédions sur
ces réunions, porte le titre de Concilium Meldense; mais la préface
prouve incontestablement qu'il appartient à deux conciles : celui
de Meaux, tenu le 17 juin 845, et sa continuation à Paris le 14
février 846. « Depuis l'époque de Louis le Débonnaire, dit la
très intéressante prœfatio, l'Église est malade des pieds jusqu'à [114]
la tête. Les évêques ont beaucoup prié et ont arrêté des pro-
jets de réforme ; ainsi à Lauriac (août 843), [à Coulaines]
(novembre 843) et à Ver (décembre 844). Malheureusement, la
malice de Satan et de ses serviteurs fit que ces propositions n'é-
taient pas encore entrées dans l'esprit du roi et du peuple 2.
Comme ses ordres divins n'étaient pas exécutés, Dieu permit
comme châtiment l'apparition des persécuteurs des chrétiens,
les Normands, qui s'avancèrent jusqu'à Paris. Les évêques revin-
rent à la charge à Beauvais (avril 845) ; mais la malice et les maux
n'avaient fait que s'accroître. Pour essayer de fléchir la colère
1. L. d'Achéry, Spicilegium, t. n, p. 586 ; 2e édit., t. i, p. 595; Gallia christ.,
t. iv, p. 363; Lalande, Conc. Gall., p. 161; Labbe, Concilia, t. vin, col. 77;
Hardouin, Coll. conc, t. v, col. 39; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1085 ; Mansi,
Conc.ampliss. coll., t. xiv, col. 975; M. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne,
Auxerre, 1854, t. i, p. 63. (H. L.)
2. On s'explique d'autant moins cette affirmation, que le concile de Ver
s'était tenu sur l'ordre de Charles le Chauve. Peut-être était-ce là pour les évê-
ques une manière polie de dire que le roi n'avait pas fait exécuter les stipulations
de cet acte.
441. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITÉ DE VERDUN 121
divine, introduire la réforme dans le clergé, veiller au salut du
roi et de l'empire, les archevêques Wenilo de Sens, Hincmar de
Reims et Rodulfe de Bourges se réunirent, sur l'ordre de Charles,
avec leurs sufïragants à Meaux, le 17 juin 845 1. Ils renouvelèrent
d'abord d'anciennes ordonnances, et décrétèrent ce que le Saint-
Esprit leur avait inspiré. Toutefois, après la célébration de ce
concile, diverses circonstances ne permirent pas de le faire suivre
d'une exhortation épiscopale adaptée au sujet et d'assurer l'exé-
cution de ses décrets. Aussi les mêmes évêques se réunirent-ils
avec Guntbold de Rouen, à Paris, du consentement de Charles,
le 14 février 846 (indict. X), pour poursuivre et terminer ce qui
avait été commencé à Meaux. » Viennent ensuite quatre-vingts
canons, dont les vingt-quatre premiers sont extraits des actes des
conciles dont nous avons déjà parlé, par exemple, de ceux de
Coulaines (n. 1-6), de Thionville (n. 7-12), de Loire (n. 13-16),
de Beauvais (n. 17-24) ; quant aux cinquante-six autres on se
demande s'ils ont tous été rédigés à Meaux, ou si certains ne
proviennent pas du concile de Paris. Voici le résumé de ces cin-
quante-six derniers canons :
25. La demeure de l'évêque doit être toujours située près de
l'église et être disposée pour recevoir les étrangers et les pauvres.
26. Lorsque le roi vient dans une ville, il doit demeurer chez
l'évêque, mais dans ce cas il n'aura pas de femme dans sa suite.
27. La présence du roi dans une ville ne devra pas être l'occa-
sion, comme il arrive fréquemment, de quantité de violences et
[115] de vols. 28. Le roi doit permettre aux évêques de rester dans leurs
diocèses pendant le carême et l'avent, et les évêques devront
utiliser ces époques pour faire leurs visites, etc. 29. Ils doivent
visiter eux-mêmes leurs diocèses. 30. Ils ne doivent pas passer
d'une église moindre à une église plus considérable. 31. On
doit respecter et maintenir les droits des métropolitains. 32.
Les princes doivent permettre la réunion annuelle d'un ou
deux synodes provinciaux et diocésains. 33. Un évêque qui, sans
excuse, ne se rend pas à ces assemblées, sera suspendu jusqu'à ce
qu'il ait donné satisfaction à ses collègues. 34. On doit observer
les canons, expliquer les saintes Écritures d'après le sens des
1. Sirmond, Conc. Gall., t. ni, p. 25; Coll. regia, t. xxi, col. 458; Labbe, Con-
cilia, t. vu, col. 1813-1848; Hardouin, Concilia, t. iv, col. 1475;Coleti, Concilia,
t. ix, col. 955; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 811. Voir Appendices. (H. L.)
122
LIVRE XXI
Pères, et interdire aux moines ces nouvelles expressions par les-
quelles ils veulent se rendre célèbres. 35. Chaque évêque doit
avoir un coopérateur instruit dans l'œuvre de la formation des
prêtres. 36. Les prêtres doivent rester dans leurs églises; là où se
tient le prêtre, aucune femme ne doit entrer. 37. Aucun clerc
ne doit, sous peine de déposition, porteries armes. 38. Aucun évê-
que ne doit prêter serment super sacra (en étendant la main sur des
choses saintes) il le peut toutefois, inspectis sacris (en face de
choses saintes). 39. On doit éviter le parjure. Il est arrivé que des
parjures, venus dans le sanctuaire d'un martyr, y ont été saisis
par un démon. 40. Les hospices, en particulier ceux qui ont été
fondés par les Scots (Irlandais), doivent être rétablis 1. 41. Les
monastères livrés en commende aux laïques sont tombés dans
une grande décadence. Devoirs du roi à ce sujet. 42. Il nommera
des missi qui rechercheront la quantité de biens ecclésiastiques
donnée aux laïques soit par l'empereur, soit par son père. 43. Pres-
sante exhortation contre la simonie. 44. Un chorévêque ne doit ni
consacrer le saint chrême, ni donner la confirmation, ni consacrer
des églises. Il ne peut conférer les ordres qui réclament l'imposition
des mains (la prêtrise et le diaconat) ; quant aux autres ordres,
jusqu'au sous-diaconat (inclusivement, car le sous-diaconat ne
fut compris au nombre des ordres majeurs que depuis le xne
siècle), il ne pourra les conférer que sur l'ordre del'évêque et dans
les conditions prescrites par les canons ; toutefois, il pourra impo-
ser des pénitences et réconcilier les pénitents, s'il a reçu de l' évê-
que mission de le faire. Après la mort de l'évêque, il ne doit rien
faire de ce qui doit être fait exclusivement par un évêque 2.
\ 1. Au sujet de ces hospices irlandais fondés en particulier à Cologne, à Paris,
à Ratisbonne, à Vienne, en Hongrie et en Italie pour les pèlerins irlandais qui se
rendaient à Rome, cf. Greith, Gesch. d. altirischen /forcée, Freiburg, 1867, p. 155.
Greith s'en rapportant àHardouinne fait que reproduire les ordonnances du con-
cile de Meaux de 845. Sur les Schottenkloster, cf. Revue bénédictine, 1902, t. xix,
p. 60-69 (H. L.)
2. Les conciles d'Ancyre (314), c. 13, etd'Antioche (143), c. 10, avaient interdit
aux chorévêques l'ordination des prêtres et des diacres. D'après le concile d'An-
tioche, les chorévêques même pourvus de la consécration épiscopale ne peu-
vent consacrer un prêtre ni un diacre sans mission de l'évêque du diocèse ;
par contre, il leur était permis de conférer les ordres inférieurs sans mission
de l'évêque (contrairement aux prescriptions du canon dont nous nous occupons).
L'ancien droit canon se trouvait donc aggravé, ou plutôt complété, par les or-
donnances actuelles ; cependant la question n'était par encore complètement
élucidée. On aurait dû ne plus tenir compte de la distinction faite par le concile
[116]
i41. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITE DE VERDUN 123
45. L'évêque et ses serviteurs ne doivent rien demander aux prêtres
pour le chrême ; de leur côté, les prêtres devront en temps oppor-
tun envoyer volontairement à l'évêque, et en signe de respect,
des eulogies. 46. Le chrême ne doit être consacré que le jour de
la Cœna Domini. 47, Du vivant d'un évêque, nul, pas même le
roi, ne doit sans son assentiment exercer une domination sur les
biens de l'Église ou établir un économe pour ces biens. Si un évê-
que est malade au point de ne pouvoir administrer les biens de
l'Église, le métropolitain doit y pourvoir d'accord avec lui. 48.
A part les cas de nécessité, on ne doit administrer le baptême que
dans les baptistères et aux époques indiquées par les canons.
49. Aucun laïque ne doit employer un prêtre à des occupations
viles. 50. Aucun clerc ne doit être admis dans une autre paroisse
(diocèse) sans une littera formata. 51. Même dans le cas où il aura
[117] une littera formata, on lui fera connaître où et de quelle manière il
doit s'acquitter du service divin. 52. Nul ne doit être ordonné,
même s'il est pourvu d'un titre, à moins d'avoir servi une année
dans le clergé (inférieur). 53. Les chanoines, aussi bien ceux qui
habitent la ville que ceux qui habitent la maison canoniale,
doivent dormir dans le même dortoir, manger au réfectoire, etc.
d'Antioche et il eût été indispensable de décréter que : « Même les chorévêques
qui ont reçu réellement la consécration épiscopale (et qui par conséquent ont d'au-
tres droits que les chorévêques qui n'ont reçu que la prêtrise, ne peuvent) sans
l'assentiment de leur propre évêque, procéder à aucune ordination (ni pour les
ordres majeurs, ni pour les ordres mineurs). Ils ne peuvent consacrer le saint
chrême, ni confirmer, ni consacrer des églises, ni imposer des pénitences, ni
réconcilier les pénitents. Mais après avoir reçu mission de l'évêque ils peuvent
procéder à toutes ces cérémonies et même conférer les ordres majeurs (ce que
notre canon ne permet pas). Si l'évêque vient à mourir, ils ne peuvent exercer
aucune fonction épiscopale (puisqu'il leur faut pour cela l'autorisation de
l'évêque). » On leur donnait habituellement la situation de coadjuteurs du
nouvel évêque. — Von Norden, Hinckmar Erzbischof von Reims, Bonn, 1863,
p. 36 sq., pense que, selon toute vraisemblance Hincmar provoqua ce
canon au sujet des chorévêques, parce que pendant neuf ans son diocèse avait eu
à souffrir de l'administration des chorévêques. Du reste Hincmar n'avait voulu
que restreindre les droits des chorévêques, mais non les abolir complète-
ment, comme le Pseudo-Isidore. Peu de temps après, Hincmar adresse une
demande au pape Léon IV, sur le même objet. On ignore s'il reçut une réponse
et quelle elle fut ; en tous cas la question des chorévêques ne fut pas définitive-
ment tranchée à ce moment-là et nous la verrons revenir plus tard devant
plusieurs autres conciles; le pape Nicolas Ier prit également plusieurs décisions
à leur sujet et en général en leur faveur. Voir J. Weizsàcker, Der Kampf gegen
den Chorepiscopat, 1859, p. 24-32 sq. ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 389, 459.
124
LIVRE XXI
Si un évêque n'a pas la place indispensable pour l'érection d'une
maison canoniale, ou s'il n'en a pas les moyens, il devra recevoir
l'aide du prince conformément à l'ordonnance de l'empereur
Louis. 54. Les évêques doivent disposer des tituli cardinales (églises)
qui se trouvent dans leurs villes ou dans leurs faubourgs 1. 55. Les
clercs et les laïques doivent s'abstenir de l'usure ; les évêques mena-
ceront des peines canoniques ceux qui s'obstineront à la pratiquer.
56. L'évêque ne doit excommunier personne sans preuve et sans
l'assentiment de l'archevêque et des évêques ses collègues ; de
même, il ne doit anathématiser personne sans avis préalable ;
on excepte les cas indiqués par les canons. En effet, l'anathème
qui entraîne la damnation éternelle ne doit être lancé que pour
un crime mortel, et lorsque le pécheur reste insensible à tous les
autres moyens. 57. Abolition des abus parmi les moines. 58. Le
roi ne prendra aucun chanoine à son service sans le consente-
ment de l'évêque de qui dépend ce chanoine. 59. Un moine ne
doit être chassé du monastère qu'avec l'assentiment et la permis-
sion de l'évêque ou de son vicaire, et on doit faire tout ce qui est
possible pour que l'âme de ce moine ne soit pas perdue durant
l'éternité. 60. Les voleurs d'églises doivent être punis conformé-
ment aux canons. 61. Quiconque porte atteinte aux biens de
l'Eglise sera soumis à une pénitence publique. 62. Punition de
ceux qui n'acquittent pas les redevances à l'Église. 63. Les prêtres
ne doivent payer aucun census pour les biens des églises. 64. Celui
qui enlève une vierge ou une veuve et l'épouse avec le consente-
ment des parents, sera soumis à une pénitence publique. La péni-
tence faite, si, pour éviter de plus grandes fautes, les coupables [118]
continuent à vivre dans le mariage, ils s'appliqueront aux bonnes
œuvres et aux aumônes, jusqu'à ce qu'ils puissent s'abstenir de
la vie conjugale. Les enfants nés de pareilles unions ne seront pas
admis à la cléricature, s'ils sont nés avant le mariage ; ni même
ceux qui sont nés dans le mariage, à moins que les besoins de
1. Le cardo d'un diocèse est l'évêque placé sur la cathedra episcopalis autour de
laquelle tout évolue. Les clercs de l'évêque s'appellent par suite cardinales, par-
ce qu'ils se rattachent de très près au cardo, et leurs églises (tituli) sont par suite
aussi appelés tituli cardinales comme se rapportant directement au cardo. Il ne
s'ensuit cependant pas qu'elles soient toutes des églises paroissiales. Le Cardo
ecclesise ■/.%-' -Jluv.ifi est. le pape, et les prêtres qui l'entourent sont les cardinaux
sensu eminenli, mais jadis cette expression de cardinaux fut aussi employée pour
d'autres églises et d'autres diocèses. Voir Philipps, Kirchenrecht, t. vi, p. 45-51.
441. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITÉ DE VERDUN 125
l'Eglise ou les services qu'ils ont rendus ne permettent de faire
une exception. 65-68. Autres ordonnances au sujet de ceux
qui enlèvent une vierge, une nonne ou une fiancée. 69. Celui qui,
ayant commis un adultère, épouse ensuite sa complice après la
mort du mari, sera soumis à une pénitence publique. Si la femme
ou son amant a tué le mari, ils ne pourront se marier ensemble
et feront pénitence le reste de leurs jours. 70. Les nonnes accusées
et convaincues de débauches, seront forcées, par le pouvoir épis-
copal et le pouvoir royal, d'habiter en des lieux où elles pourront
faire une pénitence contrôlée, surveillée. Si elles sont accusées, mais
non convaincues de se mal conduire, elles se disculperont confor-
mément à la loi et on les obligera à vivre à l'avenir d'une manière
plus conforme aux règles {religiosius). 71. Le roi doit donner
à l'évêque de pleins pouvoirs confirmés sous le sceau, afin que
celui-ci puisse se faire soutenir, autant qu'il sera nécessaire,
par les fonctionnaires civils. 72. Nul ne doit être enterré dans
l'église sans la permission de l'évêque ou du prêtre qui aura à
examiner la vie du défunt. Aucun corps ne doit être enlevé d'un
tombeau ; on ne demandera rien pour la place octroyée dans une
église afin d'y construire un tombeau ; on pourra cependant accep-
ter un don volontaire. 73. On observera les anciennes lois et pres-
criptions au sujet des juifs. Viennent alors plusieurs lois et pres-
criptions émanant de Constantin, de Théodose et de Valentinien,
du roi Childebert, du pape Grégoire le Grand, de saint Avit de
Vienne, de Césaire d'Arles et de divers conciles. 74. Les grands,
et en particulier les dames des grandes familles, doivent veiller
à ce qu'il ne se commette dans leurs maisons ni adultère, ni concu-
binage, ni inceste ; ils doivent charger les prêtres desservant
leurs chapelles de bannir ces scandales de leurs maisons. 75. Le
roi ne doit pas être, dans les affaires de la religion, plus négligent
que ses sujets ; il encourt une grave responsabilité s'il laisse plus
longtemps entre les mains des laïques les chapelles de ses villas,
[119] et s'il ne les fait pas occuper par des clercs. 76. Le roi doit interdire
à tous ses serviteurs de tenir ni placitum ni mallum, depuis le
mercredi qui commence le jeûne (jusqu'à l'octave de Pâques),
parce que c'est un temps de pénitence. 77. Les huit jours de la
fête de Pâques doivent être de même exempts de tous travaux
serviles, etc. 78. On doit observer fidèlement les capitulaires
ecclésiastiques publiés par Charlemagne et par Louis leDébonnaire.
79. Par égard pour les besoins de l'époque et pour la faiblesse
126 LIVRE XXI
des hommes, on a sur certains points adouci l'ancienne sévérité.
Mais si quelqu'un méprise avec obstination les prescriptions de
l'autorité épiscopale ou royale, il devra, s'il est clerc, être déposé
de sa charge par le concile, et s'il est laïque, il sera frappé par
la perte de sa dignité, par l'exil, ou par d'autres peines. 80. Les
évêques disent en terminant : Si le roi peut faire exécuter immédia-
tement ces divers points, nous en remercions Dieu. S'il a la bonne
volonté de le faire, mais s'il ne le peut immédiatement, que cette
volonté se réalise le plus tôt possible. Quant aux capitula souscrits
par lui, il devra les mettre à exécution sans délai. »
Les premiers mots d'un document rédigé en faveur du monas-
tère de Corbie prouvent qu'il provient du concile de Paris. En
voici le début : « Les évêques se sont réunis à Paris sur l'ordre
du roi, pour délibérer sur la réforme de l'Eglise, et sur les causes
de tant de malheurs, et sur les statuts qui, d'après les institutions
des Pères, conviennent le mieux aux besoins des Eglises. Radbert,
abbé de Corbie, présenta des documents provenant de Louis le
Débonnaire, de l'empereur Lothaire et de l'empereur Charles,
d'après lesquels le monastère de Corbie avait le droit d'élire son
abbé et d'administrer ses biens d'une manière indépendante. Rad-
bert demanda au concile la confirmation de ces droits. » Le docu-
ment contient cette confirmation sanctionnée par vingt évêques,
qui signent dans un ordre assez confus, et par quatre abbés x.
De même que la prœfatio des actes de Meaux fixe la date du
concile de Paris au 14 février 846, indict. X, de même le document
de Corbie est daté de 846, indict. X. Mais Yindict. X n'a commencé
que le 1er septembre 846 ; par conséquent, le mois de février de la
Xe indict. se trouve être le mois de février 847. Pour faire concorder
Yindict. X avec l'année 846, Labbe a supposé que, dans les deux
documents, suivant une coutume fort répandue dans le royaume [120]
franc, on a ouvert l'année au 25 mars, de sorte que l'année com-
prise entre le 25 mars 846 et le 25 mars 847 était tout entière
pour lesFrancs l'année 846. Pagi répond que ce comput n'a été usité
que dans les relations privées, non dans les documents publics,
et il propose de lire IXe au lieu de Xe indict. 2; c'est-à-dire qu'il
place le concile de Paris en février 846. Mansi 3 hésite, et commet
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 843 sq. ; Hardouina op. cit., t. iv, col. 1501 sq.
2. Pagi, Critica, ad ami. 846, n. 6.
3. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 850. Voir Appendices. (H. L.)
441. CONCILES FRANCS DEPUIS LE TRAITE DE VERDUN 127
une erreur que nous relèverons plus loin. Pour ma part, je serais
disposé à adopter l'opinion de Pagi ; car le concile de Paris ayant
pour but de terminer ce qui avait été commencé en 845, à Meaux,
on peut admettre que ces deux conciles ne sont pas séparés par
plus d'une année.
Nous arrivons au même résultat par la réunion d'Epernay
(in villa Sparnaco). En effet, il est dit très clairement, dans les
annales de Prudence de Troyes (continuation des Annales Ber-
tinian.). qu' en 846, le roi Charles tint par exception, au mois de
juin, la diète générale (c'est-à-dire le champ de mai), et qu'il fit
peu de cas des exhortations des évêques 1. A ces données se ratta-
che ce passage que les anciens collecteurs ont placé en tête du
capitulaire de Sparnacum : « Le roi Charles n'accepta et ne con-
firma à Sparnacum que dix-neuf capitula, de tous ceux publiés
par les évêques dans le concile et présentés ensuite aux souve-
rains. En effet, une faction des grands de ce monde avait incri-
miné les évêques auprès de lui ; aussi le roi s'était-il éloigné ab
eodem concilio (c'est-à-dire de la réunion d'Epernay). Les membres
de la diète avaient aussitôt envoyé par écrit aux évêques les dix-
neuf capitula confirmés, en leur mandant que ceux-là seuls avaient
reçu la sanction, et qu'ils étaient décidés à les observer, eux et
le roi. » Ces dix-neuf capitula forment, dans les capitula de Meaux
et de Paris, les numéros suivants : 1, 3, 15, 20, 21. 22, 23, 24,28,
37, 40, 43, 47, 53, 56, 57, 62, 67, 68, et 72.
La diète d'Epernay s'étant tenue en juin 846, les conciles de
Meaux et de Paris l'ayant précédée, il en résulte que le concile de
Paris a dû se tenir en février 846. Nous voyons en outre, par les
ri211 mots clnl servent d'introduction au capitulaire de Sparnacum 2, que
non seulement les archevêques Wenilo, Hincmar et Gombaud,
mais aussi les archevêques Ursmar de Tours et Amolo de Lyon,
assistaient avec leurs suffragants à ces conciles réformateurs.
Sur ces entrefaites, l'entente entre l'empereur Lothaire et son
frère Charles le Chauve fut troublée par divers incidents, en
particulier parce que le comte Gielbert, qui avait fait violence à
Hermingunde, fille de Lothaire, avait trouvé asile auprès de Charles,
1. Pertz, Monum., t. i, p. 442, et P. L., t. cxv, col. 1399. [Coll. regia, t. xxi,
col. 517; Labbe, Concilia, t. vu, col. 1852-1854; Coleti, Concilia, t. ix, col. 995s
Hardouin, Coll. concil., t. iv, col. 1506 ; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv,
col. 850; Pertz, Monum. Germ. hist., t. ni, Legex, t. i, p. 388. (H. L.)
2. Voir le texte dans l'édition de Pertz.
128
Liviu-: xxi
avec la permission d'épouser solennellement la princesse dans son
royaume1. Lothaire imagina, pour se venger et aussi pour assouvir
sa haine contre Hincmar, de déterminer le pape Serge II à pres-
crire une nouvelle enquête au sujet d'Ebbon, « sous prétexte de
difficultés soulevées au sujet d' Hincmar dans l'Eglise de Reims. »
Ebbon quittant l'Italie se rendit en Germanie, où le roi Louis le
nomma évêque d'Hildesheim dont il mourut titulaire, en 851.
Le pape Serge écrivit à Charles le Chauve d'envoyer à Trêves
Gombaud, archevêque de Rouen, avec d'autres évêques choisis
par cet archevêque; ils se livreraient dans cette ville, conjointe-
ment avec les légats du pape, à l'examen de l'affaire en question 2.
Charles devait assurer autant que possible la présence d' Hincmar à
ce concile. Dans une seconde lettre adressée à Gombaud, le pape
dit qu'il enverra ses légats à l'empereur après Pâques, et qu'à cette
époque Gombaud devra se trouver à Trêves avec ses évêques.
Dans une troisième lettre, Serge fut invité à paraître au concile.
Hincmar de qui nous tenons ces détails, Hincmar lui-même ajoute :
« Nous avons attendu les légats du pape jusqu'au terme indiqué
et ils ne sont pas venus 3. » Mais déjà, Gombaud se conformant à
la lettre du pape et avec l'assentiment de Charles et de tous les
évêques de l'empire, avait convoqué un concile par devant lequel
il cita Ebbon, en vertu de l'autorité pontificale 4. Flodoard dit
que ce concile se tint à Paris. Il ne fait guère que répéter les
paroles d' Hincmar, et remarque seulement qu'Ebbon ne se rendit M22]
1. Sur cette affaire, cf. F. Lot et L. Halphen, Le règne de Charles le Chauve,
1909, p. 159. On ne sait où Hefele a trouvé ce nom d'Hermingunde qu'il donne
à la victime volontaire de Gilbert. Parisot, Le royaume de Lorraine, p. 67,
note è. Fuite et mariage se placent au début de 846. E. Lesne. Hincmar et l'em-
pereur Lothaire, dans la Revue des Quest. histor., 1905, t. lxxviii, p. 9. note 5.
(H. L.)
2. Schrôrs, Hinckmar, p. 54, note 14; Lesne, Hier, épisc, p. 11, n. 3; L. Hal-
phen, op. cit., p. 160, n. 5, estiment que Trêves n'est pas un simple lieu de ren-
dez-vous, mais la ville désignée pour le concile. (H. L.)
3. Peut-être parce que, à cette époque, les Sarrasins assiégèrent Rome et pillè-
rent l'église de Saint-Pierre. Voyez la chronique de Prudence de Troyes, Contin.
Annal. Berlin., dans P. L., t. cxv, col. 1399; Pertz, Monum., t. i, p. 442, Von Nor-
den, op. cit., p. 44, croit au contraire que le pape ne prit pas au sérieux l'inter-
vention qu'on sollicitait de lui au sujet d'Ebbon et pour cela n'envoya pas ses
légats.
4. Hincmar, Ep., xi, ad Nicolaum papam, dans P. L., t. cxxvi, col. 82 sq. ;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 777.
i41. CONCILES DEPUIS LE TRAITÉ DE VERDUN 129
pas à la citation. Les évoques présents, Gombaud, Wenilo de Sens,
Lantran de Tours * et Hincmar écrivirent, sur ces entrefaites, à
Ebbon pour lui interdire l'accès du diocèse de Reims et lui défendre
toute agitation jusqu'à ce que, conformément aux ordres du pape,
il se fût présenté par devant le concile. Ebbon n'ayant pas obéi,
le pape Léon IV, successeur de Serge, donna le palliant à Hincmar 2.
Hincmar affirmant à plusieurs reprises qu'en vertu des pleins
pouvoirs apostoliques de Serge, Gombaud réunit le concile (à
Paris) et y convoqua Ebbon, il semble impossible que le
pape ait, comme on le croit ordinairement, assigné la réunion
du concile à Trêves : d'ailleurs Hincmar et Flodoard ne disent
rien de semblable, mais seulement que Trêves élail désigné pour
la réunion des évêques et des légats apostoliques 3. On peut se de-
mander si ce concile de Paris dont nous parlons est celui qui acheva
l'œuvre commencée à Meaux et confirma les privilèges de l'ab-
baye de Corbie. Les savants se partagent sur cette question 4. A
mon avis, il résulte des données fournies par Hincmar et Flo-
doard que l'empereur Lothaire a demandé au pape les lettres
en question, une année entière [emenso anno) après l'ordination
d' Hincmar. Or, comme Hincmar a été élu archevêque au concile
de Beauvais en 845, et ordonné à Reims le 3 mai, l'expression
emenso anno nous reporte au mois d'avril 846; par suite les let-
tres du pape auront été reçues dans le royaume franc vers la
Pâque de 846, qui, cette année-là, tombait le 18 avril. Ces lettres
disant que le pape enverrait ses légats immédiatement après la
fête de Pâques, il s'agit évidemment de la Pâque de 846, les let-
tres pontificales ayant été rédigées peu de temps avant les fêtes
pascales. « Nous avons attendu, à Trêves, dit Hincmar, jusqu'à
ce que le délai indiqué fût passé, sans voir arriver les légats
du pape. » Si ces légats ne devaient quitter Rome qu'après la
[123] Pâque de 846, on ne pouvait guère les attendre dans les Gaules
1. Nous avons vu, plus haut, Ursmar désigné comme archevêque de Tours:
avant et après lui, il y eut, sur ce même siège, un certain Lantran, ou Landranus.
On avait d'abord admis que Lantran avait abdiqué, tout en gardantle titre, et
avait sans doute exercé de nouveau en quelques circonstances ses fonctions.
Toutefois, le Gallia christiana, t. xiv, p. 34 sq., distingue deux Lantran, l'un
prédécesseur, l'autre successeur d'Ursmar.
2. Flodoard, Hist. Eccl. Rhem., 1. III, c. n, P. L., t. cxxxv, col. 139 sq. ;
Mansi, op. cit., t. xiv, col. 899; Hardouin, op. cit., I. v, col. 3.
3. Voir page précédente, note 3.
4. Pagi, Crilica, ad ami. 846, n. 2, 3; 847, n. 1.
CON CI LES — IV - 9
130 LIVRE XXI
avant l'été de cette même année. Après avoir constaté cette
absence, Gombaud se décida à tenir le concile à Paris : il solli-
cita la permission du roi Charles, invita Ebbon à s'y rendre
.par une lettre particulière confiée à Erpoin, évêque de Senlis.
On avait perdu deux mois à la préparation de ce nouveau con-
cile, en raison soit de la mission confiée à Erpoin pour Ebbon, soit
du délai de deux mois nécessaire pour permettre à Ebbon de
se rendre d'Hildesheim à Paris. Aussi, le nouveau concile ne put-
il se tenir avant la fin de l'année 846. Cette hypothèse trouve
sa confirmation dans la remarque suivante : le pape Serge mou-
rut le 27 janvier 847 1, or, le concile de Paris adresse sa lettre non
à Serge, mais à son successeur Léon IV 2. Il en résulte que le con-
cile de Paris s'est prolongé jusque dans les premiers mois de 847.
Résumons maintenant nos conclusions 3.
1. Le concile de Paris tenu au sujet d' Ebbon ne peut être le
même que celui qui a terminé les travaux du concile de Meaux ;
en eilet ce concile de Paris est daté du 14 février 846; de plus,
il est antérieur à la diète tenue à Epernay en juin 846.
2. Le concile tenu au sujet d' Ebbon ne peut être celui qui con-
firma les privilèges de Corbie, car dans ce même concile, dès
le début du décret de confirmation les évêques affirment qu'ils
s'étaient réunis dans le même but que précédemment à Paris
en février 846, à savoir c'est-à-dire la réforme de l'Église.
3. Le concile de Paris tenu au sujet d'Ebbon a eu lieu après la
diète d' Epernay.
4. Mansi 4 rapporte qu'en la nuit de Noël de 846, un certain
Hervé avait voulu communiquer à Baltfried, évêque de Bayeux,
une sienne vision, mais que cet évêque se trouvait alors au con-
cile de Paris. Ce détail convient au concile qui s'occupa d'Ebbon, r, « ,-,
mais non avec celui qui s'occupa de Corbie. Mansi s'est trompé
pour être parti de deux suppositions inexactes : que le concile
qui confirma le privilège de Corbie était le dernier et qu'il avait
eu lieu vers la fin de 847.
1. Pagi, Critica, ad ann. 847, n. 3.
2. C'est ce que dit Hincmar.
3. Voir Appendices. (H. L.)
4. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 848.
442. CONCILE DE MAYENCE DE 847 loi
442. Premier concile de Mayence sous Rhaban-Maur, en 847.
Plusieurs fois déjà nous avons mentionné le nom de Rhaban -
Maui' ; avec l'année 847 commence pour lui une époque de
grande activité. Rhaban (Hraban, c'est-à-dire Corbeau), né à
Mayence en 77G (ou 774), tirait son origine de la gens Magnentia,
connue sous Julien l'Apostat. Alcuin, dont il était le disciple chéri,
lui imposa le nom de Maur en souvenir du disciple bien-aimé
de saint Benoît. A l'âge de neuf ans (785), Rhaban vint au monas-
tère de Fulda, où il eut pour protecteur l'abbé Bangolf, succes-
seur de Sturm, et second abbé de Fulda, et pour maître le moine
Haymon, plus tard évêque d'Halberstadt. Ordonné diacre en 801,
Rhaban fut envoyé à Tours par le troisième abbé, Ratgar, pour y
continuer ses études sous la direction d' Alcuin. Après un an, il
regagna Fulda pour diriger l'école de l'abbaye. Mais bientôt
l'abbé Ratgar laissa voir ses graves défauts. Saisi d'une véritable
passion pour les bâtiments, Ratgar supprima l'école et obligea,
parfois même par des sévices tous ses moines à travailler à ses
nombreuses constructions. Il fut déposé en 817. Sous son suc-
cesseur Cigil l'école refleurit et Rhaban-Maur, prêtre depuis
814, en devint le supérieur, ou magister. Après la mort de Cigil,
en 822, il fut choisi pour abbé, dignité qu'il conserva jusqu'en 842,
où il dut démissionner soit par suite de difficultés avec ses
moines, soit pour avoir pris parti pour l'empereur Lothaire contre
Louis le Germanique. Ces vingt années d'une administration
économe et intelligente avaient rendu célèbre le monastère
de Fulda, et de tous côtés les jeunes gens y étaient accourus :
ainsi Walafrid Strabon de l'Alemannie, Servatus Lupus des
Gaules, le célèbre moine et poète Otfrid de Wissembourg, Fre-
menold, plus tard abbé d'Ellwangen, et tant d'autres. Après avoir
résigné ses fonctions, Rhaban se rendit d'abord auprès de son
maître et ami Haymo, évêque d'Halberstadt, et habita le monas-
tère de Saint-Vigbert-des-Terres, fondé par cet évêque. Il y
retrouva Walafrid Strabon, qui semble y avoir commencé sa
Glossa ordinaria. Plus tard, Rhaban se retira sur le Petersberg, près
[125 1 de Fulda, pour s'y consacrer exclusivement à l'étude. Mais, dès
847, il était réconcilié avec le roi Louis et, après la mort d'Otgar
132
LIVRE XXI
(avril 847), il fut, « par le choix des princes francs et l'élection
du clergé et du peuple1, » élevé sur le siège archiépiscopal de
Mayence et sacré au mois de juin de la même année.
Sur le désir du roi Louis, il réunit à Mayence, dès le mois d'octo-
bre 847, un concile provincial, auquel se rendirent ses suffragants
Samuel de Worms, Gozbald de Wùrzbourg,Baturad dePaderborn,
Ebbon de Hildesheim (l'ancien archevêque de Reims), Gerbrath
(Gozprath) de Thur, Haymon de Halberstadt, Waltgar de Verden,
Otgar d'Eichstâdt, Lanto d'Augsbourg, Salomon de Constance,
C.cbhard de Spire, avec plusieurs chorévêques, abbés, moines,
prêtres et d'autres clercs 2. Ansgar, l'archevêque exilé de
Hambourg, s'y était aussi rendu pour faire connaître au roi et
au concile le triste état des missions du Nord 3.
Cette assemblée nous a laissé une lettre synodale adressée au
roi Louis et trente et un capitula. Les évêques disent au roi, qu'ils
avaient tout d'abord appelé sur le concile la bénédiction de
Dieu, par un jeûne de trois jours accompagné des litanies; ils
avaient prescrit dans toutes les paroisses des prières pour le roi,
la reine et leurs descendants. Ensuite, ils avaient pris séance
dans le monastère de Saint- Alban, selon l'ordre réglé sous Char-
lemagne par les évêques Hildebald et Riculf, et avaient commencé
leurs travaux. Tous les membres présents s'étaient divisés en
deux groupes : dans l'un, les évêques, assistés de quelques no-
taires, se consultaient sur la réforme de l'Eglise, et du peuple
chrétien en général; dans l'autre, les abbés et les moines délibé-
raient sur la réforme des monastères. Cela fait, on avait pris la
résolution suivante :« Conformément aux préceptes de la sainte
Ecriture, on devait rendre à toute personne et à tout état
l'honneur qui était dû, et en particulier, honorer les prêtres et
1. C'est ainsi que s'exprime l'abbé Hatto, dans sa lettre au pape Léon IV.
2.^Baronius, Annales, ad ann. 847, n. 30 ; Coll. regia, t. xxi, col. 574; Labbe,
Concilia, t. vin, col. 39-52 ; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 8; Coleti, Concilia,
t. ix, col. 1035; Bouquet, Rec. des hist. de la France, t. vu, col. 580-581 : Hartz-
heim, Conc. Germ., t. n, col. 151 sq. ; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 899; Mùhlbacher,
Reg. Karoling., 1886, t. i, p. 531; Binterim, Deutsche Concilien, t. n, p. 413 sq.,
495 sq. (H. L.)
3. Nous connaissons tous ces noms par le commencement de la lettre synodale.
Ces noms se trouvent aussi dans un manuscril de Saint-Gall (sec. ix-x) reproduit
par Hattemer, Denkmale des Miltelalters, Saint-Gall, 1844, t. i, p. 317. Voir, sur
ce concile, Dùmmler, op. cit., p. 303 sq.
442. CONCILE DE MAYENCE DE 847 133
les Eglises de Dieu et conserver leurs droits intacts. » Les évêques
parlaient ensuite énergiquement des mauvais traitements infli-
gés aux prêtres et des vols faits aux églises. Il était grand
[126] temps que le roi, suivant l'exemple de ses ancêtres, défendît
les Eglises et ne livrât pas leurs biens à ceux qui n'y avaient
aucun droit. Non seulement des princes chrétiens, mais même
des princes païens, Artaxercès par exemple (/ Esdr., vu),
avaient fait des présents aux temples de Dieu, et il était vrai-
ment honteux que sous le gouvernement du roi Louis, on enle-
vât aux églises les biens autrefois offerts par les fidèles. Les
capitula suivants, la plupart empruntés aux anciens conciles,
feraient connaître les peines réservées à ceux qui, sans ordre du
roi, opprimaient l'Église au profit de leur avarice.
1. Avant tout, la foi est nécessaire, elle est le fondement de tous
les biens ; mais la foi sans les œuvres est une foi morte 1.
2. Les clercs doivent lire souvent les collections des canons.
Chaque évêque doit avoir un recueil d'homélies, que chacun
traduira ensuite clairement in rusticam Romanam linguam aut
Theotiscam, afin que tous comprennent ce qui se dit en chaire 2.
3. Le baptême doit être administré dans toutes les paroisses
selon la coutume romaine, et, sauf les cas de nécessité, on ne bap-
tisera qu'à Pâques et à la Pentecôte 3.
4. La concorde doit régner parmi les chrétiens, surtout entre
les évêques et les comtes 4.
5. Toute révolte contre le roi, contre l'autorité ecclésiastique
ou l'autorité civile, sera punie par l'excommunication.
6. Le roi doit ne pas écouter ceux qui disent qu'il a moins à
songer aux biens des églises qu'à son propre patrimoine.
7. Le pouvoir sur les biens de l'Église appartient aux évêques,
et les laïques qui les aident à l'exercer, doivent leur obéir ; de
même les comtes et les juges doivent les soutenir.
8. Un clerc doit rendre à l'Eglise ce qu'il a perçu des revenus
ecclésiastiques. Il ne pourra employer, selon son bon plaisir,
que ce qu'il a reçu en présent ou ce dont il a hérité 5.
1. Conc. Mogunt., ann. 813, can. 1.
2. Conc. Turon., ann. 813, can. 17. Voir Hist. des conciles, t. m, part. 2,
p. 1263, dernière note. (H. L.)
3. Conc. Mogunt., ann. 813, can. 4.
4. Conc. Mogunt., ann. 813, can. 5.
5. Cocl. can. Eccles. Ajric, can. 33; Conc. Mogunt., ann. 813, can. 8.
134 LIVRE XXI
9. Rappel du c. 04 du Codex can. Eccl. Afric. concernant les
affranchissements à l'église1.
10. La dîme, instituée par Dieu, doit être acquittée conscien- [1^'J
cieusement. Conformément aux anciennes ordonnances, on
fera quatre parts des revenus des églises et des offrandes des fidè-
les : pour l'évêque, pour le clergé, pour les pauvres et pour la
fabrique de l'Eglise 2.
11. Aucune église existante ne doit être dépossédée de ses
biens et droits, au profit d'un nouvel oratoire, si ce n'est avec
l'assentiment de l'évêque 3.
12. Défense contre la simonie.
13-16. Sur la conduite des chanoines, des moines et des religieu-
ses 4.
17-18. Le roi doit s'opposer à l'oppression des pauvres dont les
évêques ont devoir de s'occuper 5.
19. Quiconque accepte des présents pour agir contre la justice,
s'exclut lui-même du royaume de Dieu.
20. Beaucoup de parricides errent en fugitifs ; mieux vaudrait
qu'ils restassent, en un lieu déterminé pour y faire pénitence. Ils
ne doivent plus servir à la guerre ni se marier, les canons le leur
défendent.
21. Les femmes qui tuent leurs enfants ou qui se font
avorter, étaient autrefois condamnées à la pénitence pour le reste
de leur vie ; on réduit cette pénitence à dix ans 6.
22 et 23. Renouvellement d'anciens canons sur la pénitence
des meurtriers.
24. Conformément aux ordonnances de nos prédécesseurs, le
meurtrier d'un prêtre fera douze ans de pénitence. S'il nie le fait,
et s'il est homme libre, il prêtera serment qu'il fera appuyer
parle serment de douze cojurateurs ; et s'il ne l'est pas, il su-
bira l'épreuve du feu 7.
25. Quelques clercs dégradés, accomplissant divers pèlerinages
1. Cf. Diction, d'arch. chrét., au mot Affranchissement.
2. Cane. MogunL, ann. 813, can. 38.
::. Id., can. 31.
4. Id., can. 9, 10, 13, 14.
5. Id., can. 6, 7.
Ci. Conc. Illiber., circa ann. 300, can. 63.
7. Cf. Du Cange, Glossarium: Vomeres ferventes; Binterim. Denkwùrdigkei-
ten, t. v, part. 3, p. 69.
442. CONCILE DE MAYENCE DE 847 135
de pénitence pour obtenir les suffrages des saints, ont été massa-
crés. Leurs meurtriers sont excommuniés, jusqu'à ce qu'ils aient
fait une pénitence suffisante.
26. On doit se contenter de confesser ceux qui sont en danger
de mort et sans leur imposer de pénitence obligatoire à ce moment,
[128J <le peur qu'ils ne meurent dans l'excommunication. S'ils guéris-
sent, ils doivent accomplir fidèlement la pénitence qui leur a été
imposée par leur confesseur. On doit par conséquent donner à
ces malades l'onction et le viatique.
27. Si un homme condamné à mort povir divers méfaits
confesse ses fautes, on doit le traiter comme toute autre personne,
c'est-à-dire qu'on doit recevoir son corps à l'église et célébrer la
messe pour lui.
28. Tous ceux qui vivent dans des unions incestueuses doivent
être exclus de l'Église, jusqu'à ce qu'ils fassent pénitence. S'ils
s'obstinent, on doit employer contre eux le bras séculier 1.
29. Énumération des mariages incestueux, dans lesquels les
conjoints doivent être séparés 2.
30. Les mariages entre parents au quatrième degré sont interdits
et ceux qui seront conclus après la publication du présent édit
seront dissous 3.
31. Les prêtres doivent déterminer le genre et la durée de la
pénitence en se guidant sur les anciens canons, la sainte Ecri-
ture et les usages de l'Eglise. Ils distingueront si la pénitence
doit être publique ou secrète. Celui qui a péché publiquement
doit faire publiquement pénitence.
On demande au roi de confirmer ces décrets et de ne pas
souffrir qu'on y déroge. Ce concile de Mayence condamna aussi
la fausse prophétesse Thiota d'Alemannie, qui avait causé
beaucoup de désordres dans le diocèse de Constance. Elle pro-
phétisait que la fin du monde devait arriver en 847, et faisait
bien d'autres prédictions; non seulement des laïques, mais même
des clercs venaient la trouver, lui faisaient des présents et l'ho-
noraient comme dépositaire des secrets divins. Mise en pré-
sence du concile, dans le monastère de Saint-Alban, elle avoua
qu'un prêtre lui avait enseigné huiles ces choses et qu'elle avait
1. Conc. MogunL, ann. 813, can. 53.
2. /<!., can. 56.
3. Id., can. 54.
136
LIVRE XXI
joué ce rôle par esprit de lucre. Elle fut, sur l'ordre du concile,
soumise publiquement à une pénitence corporelle et elle cessa
de prophétiser.
Binterim croit que le concile de Mayence de 847 est l'un des [1291
trois conciles germaniques qui agitèrent la question de la réu-
nion de l'archevêché de Hambourg, nouvellement érigé pour
Ansgar, avec l'ancien évêché de Brème *. Le biographe de saint
Ansgar, son disciple Rimbert, mentionne ces trois conciles sans
donner plus de renseignements chronologiques, et les anciens
chroniqueurs n'en donnent pas non plus. Aussi s'est-il produit
des opinions très diverses sur l'époque de ces conciles 2. Quoi
qu'il en soit, il est certain que dans le premier de ces trois conciles
(probablement celui de Mayence en 847), on décida que le
nouvel archevêché d'Hambourg ne comprenant que quatre
églises baptismales, et ayant beaucoup souffert par le fait des
barbares, le mieux était de le réunir à l'évêché de Brème alors
vacant; on rétablissait ainsi les anciennes limites entre Brème
et Verden, en rendant au diocèse de Verden le territoire déta-
ché pour l'attribuer à l'archevêché de Hambourg. Par suite la
ville de Hambourg elle-même fit partie de l'évêché de Verden,
circonstance qui donna lieu à d'autres négociations dans un
second concile qui aurait eu lieu, d'après Binterim, à Mayence
en octobre 848. On reconnut qu' Ansgar devait nécessairement
recouvrer la ville pour laquelle il avait été consacré, sauf à
indemniser l'évêque de Verden par l'attribution d'autres parties
du diocèse de Brème. Nous rencontrerons plus tard, en 857, le
troisième concile qui s'occupa de l'affaire de Hambourg.
1. Binterim, Deutsche Concil., t. ni, p. 48 sq.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 130-132.
rl3°J LIVRE VINGT DEUXIÈME
CONCILES DURANT LES DISCUSSIONS
SOULEVÉES PAR GOTESCALC DE 848 A 860
443. Concile de Mayence en 848 et début des discussions
de Gotescalc.
Le concile tenu à Mayence, en 847, disait dans son dernier
capitulum : « Il reste beaucoup d'autres points et questions,
que le temps n'a pas permis de traiter. » C'est probablement pour
achever ce qui restait à faire que fut réunie, le 1er octobre 848,
à Mayence, une nouvelle assemblée, moitié diète, moitié concile 1.
Louis le Germanique qui y assistait, reçut les ambassadeurs de
ses frères et des Normans, parvint à réconcilier l'archevêque
Rhaban de Mayence avec plusieurs de ses vassaux révoltés et
essaya de faire lui-même sa paix avec son frère l'empereur Lo-
thaire. L'archevêque Rhaban mit à profit cette assemblée pour
conseiller et faire décider, ainsi que s'exprime Trithème, multa
ad décorera et uiilitatem ecclesiasticam. La plus importante affaire
traitée fut celle de Gotescalc 2.
1. Sirmond, Conc. GalL, t. ni, col. 64; Coll. regia,t. xxi, col. 595; Labbe,
Concilia, t. vin, col. 52-55; Sirmond, Opéra, 1696, t. n, col. 1293; Hardouin,
Coll. concil., t. v, col. 15 ; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1047 ; Mansi, Concilia,
Supplem., t. i, col. 923; Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 914 ; Mùhlbacher, Re-
gesta Karoling., t. i, col. 532; Hartzheim, Conc. German., t. n, p. 163; Maugin,
Veter. auctorum, Parisiis, 1650, t. n, p. 70 ; J. Turmel, La controverse prédesti-
natienne au IXe siècle, dans la Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1905,
t. x, p. 47-69. (H. L.)
2. Ruodolfi Fuldensis, Annales (autrefois appelées Pithœi), dans Pertz, Mo-
num., t. i, p. 365; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 915. Cf. Bahr, Geschichte d. rôm.
Litleratur im karoling. Zeitalter, p. 170 sq.
138 LIVRE XXII
Gotescalc * étail fils d'un comte saxon nommé Bern ou Berno;
1. La signification de ce mot est «serviteur de Dieu ». Sur Gotescalc la biblio-
graphie est abondante et offre quelques ouvrages de mérite : Noël Alexander,
Hist. eccles., Venetiis, 1778, t. vi, p. 359-379, réimprimé dans Zaccaria, Thés.
theolog., t. ii, p. 235-285 ; Antonio, Biblioth. Hispan. Vet., 1788, t. i, p. 500 ;
Baehr, Gesch. rom. Litter., Supplem., 1840, t. ni, p. 480-483; V. Borrasch, Der
Munch Gottsclialk von Orbais, sein Leben und seine Lehre, eine historisch-dogtna-
lische Abhandlnng, in-8, Dantzig, 1868 ; du Boulay, Hist. univers. Paris., 1665,
t. i, p. 594-595; Cave, Script, eccles., 1745, t. n, p. 26; R. Ceillier, Hist. des au-
teurs ecclés., 1754, t. xix, p. 203-205; 2e édit., t. xm, p. 593-595; L. Cellot, His-
toria Gotleschalci prsedestinaliani et accurata controversise per eum revocalse dis-
putatio in libros V distincta, ace. appendix miscellanea, in-fol., Paris, 1655 ;
E. Dûmmlcr, Gesch. der ostfrànk. Reichs, 1887, 2e édit., t. i; Neues Archiv, 1879,
t. iv, p. 320-321; E. du Pin, Biblioth. des aut. ecclés., 1697, t. ix, p. 32-43 ; du
Méril, Poésies populaires latines, in-8, Paris, 1843, p. 253 sq. ; Ebert, Gesch. d.
Liter. cl. Mittelalt., 1880, t. n, p. 166-169; trad. franc., 1884, p. 186-190; A. Fabri-
cius, Biblioth. ined. sévi, 1735, t. ni, p. 208-214 ; A. Freystedt, Studien zur
Gotteschalks Leben und Lehre, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, 1897, t. xvm,
p. 1-22, 161-182, 529-545; le même, Der Prsedestinationslreit im 9 Jalirhundert,
dans Zeitschrift fur wissenschaftliche Théologie, t. xxxvi, part. 3; t. xxxvn;
t. xli, part. 1 ;Golteschalk, dans Realencyklopàdie fur protest. Theol. und Kirche,
édit. Hauck, 1899, t. vu, p. 39-41; Friedrich, dans Allgemeine deutsche Biogra-
phie, t. ix, p. 493-497; C. Gambs, Vie et doctrine de Godescalc, in-4, Strasbourg,
1837; F.-J. Gaudard, Gottschalk, moine d'Orbais, ou le commencement de la con-
troverse sur la prédestination au IXe siècle, in-8, Saint-Quentin, 1888 ; Gess, Merk-
wùrdigkeiten aus dem Leben und den Schriften Hinkmars, 1806 ; Gorini, Dé-
fense de l'Église, 1866, t. ni, p. 78-97; B. Hauréau, dans Nouvelle biographie
générale; le même, Histoire de la philosophie scolastique, 1872, t. i, p. 176-179;
Histoire littéraire de la France, 1740, t. v, p. 352-364 ;Lelong, Bibl. France, 1768,
t. i, p. 5561-5564; L. du Mesnil, dans Ziegelbauer, Hist. lit. Bened., 1754, t. ni,
p. 122-126: Maugin, Veter. auctor. qui ssec. IX de prsedest. et gratiascripseruut,
Paris, 1650; F. Monnier, De Gotescalci et Johannis Scoti Erigense controversia,
in-8; Paris, 1853; von Noorden, Hinkmar von Rheims, 1863, p. 51-100; H. Noris,
dans Ziegelbauer, op. cit., p. 105-121 ; H. Omont, dans Bibl. de V École des Chartes,
1898-1899, t. lix, p. 667-668; t. lx, p. 143-144; C. Oudin, Script, eccles., 1722,
t. n, p. 198-200; P. L., t. cxxi, col. 345 sq. ; F. Picavet, Les discussions sur la
liberté au temps de Gottschalk, de Raban Maur, d'Hincmar et de JeanScot, dans les
Comptes rendus de l'Académie des se. mor. et polit., 1896 ; P. Rœber, Disputalio
de Godeschalci erroribus olim damnalis, in-4, Wittebergse, 1646; Schrors, Hink-
mar, Erzbischof von Reims, 1884, p. 88-174; V. G. Siber, Historia Godescalcorum,
in-4, Lipsirc 1712; L. Traube, dans Monum. Germ. hist., Pset. lut. Karol., 1892,
t. ni, p. 707-712 ; J. Usserius, De Gotheschalchi et prsedestinatianse controversise ab co
moïse historia, in-4, Dublinii, 1631 et 1639; in-8, Hanoviœ, 1662; Weizsâcker, Dos
Dogma von gôttlichenVorherbestimmung im 9 Jahrh., dans Jahrbiicher fur deutsche
Théologie, 1859, t. iv ; Wiggers, Schiksale der augustinischen Anthropologie,
dans Niedners Zeitschrift. 1859, t. v, p. 471-591; W. B. Wenck, Das Frânkische
'l'ii. CONCILE DE MAYENCE DE 8 k 8 139
encore enfant, il fut envoyé à Fulda et offert à l'abbé Cigil pour
devenir moine ; il fut élevé dans ce but et soumis aux règles
ri0,| monastiques 1. Parvenu à l'âge d'homme, il soutint que sa ton-
sure ne l'obligeait pas, ne l'ayant pas reçue de son plein gré ;
il voulut, sortir du monastère et porta son affaire devant le
concile de Mayence, de 829. Le concile lui donna gain de
cause ; mais son nouvel abbé Rhaban-Maur en appela de la sen-
tence à l'empereur et à un concile qui se tiendrait en présence du
souverain. Rhaban exposa dans un mémoire 2 que l'enfant, donné
au monastère par ses parents, ne pouvait renoncer à la vie mo-
nastique 3; Gotescalc fut maintenu dans le monachisme, toute-
fois il quitta Fulda pour le monastère d'Orbais, au diocèse de
Soissons (province ecclésiastique de Reims). Dans cette nouvelle
résidence, Gotescalc s'appliqua assidûment à l'étude des écrits
de saint Augustin et de saint Fulgence, et commença à réciter
devant les autres moines divers passages de ces Pères, qu'il pré-
sentait dans un sens prédestinatien, parce qu'il les isolait du con-
texte et les écourtait. Ayant, au dire d'Hincmar, continué ces
prédications durant des jours entiers, il avait mis le trouble dans
l'esprit des faibles, et gagné à ses idées beaucoup d'imprudents 4.
Ce zèle pour la doctrine prédestinatienne lui valut le surnom de
Fulgence, que Walafrid Strabon, son ancien condisciple à Fulda,
lui donne dans une pièce de vers, que nous possédons encore,
composée à l'occasion du retour d'Italie de Gotescalc 5.
Reich nach dem Verlrage von Verdun 843-861, in-8, Leipzig, 1851 ; P. von Winter-
feld, Zur Gotteschalkfrage, dans Neues Archiv, 1902, t. xxvn, p. 506-514. (H. L.)
1. Maugin a soutenu à tort (t. n, p. 45) que Gotescalc avait été élevé dans
le monastère de Reichenau. Gilbert Maugin, conseiller du roi et président de l'hô-
tel des Monnaies à Paris, était janséniste. Il a publié sur les discussions sou-
levées par Gotescalc un recueil de plusieurs écrits anciens sous le titre : Vete-
rum auclorum, qui IX sseculo de prsedestinatione et gralia scripserunt, etc., Paris,
1 1)50. Dans les dissertations du deuxième volume, Maugin cherche à prouver
que Gotescalc était orthodoxe, et il regarde comme une pure fiction l'existence
d'une secte prédestinatienne.
2. De iis, qui répugnant institutis B. P. Benedicti, ou bien sous le titre : De obla-
tione puerorum, dans l'édition des Œuvres d'Hincmar, P. L.. t. cxxv, col. 419 sq.
On a seulement imprimé à tort 819 au lieu de 829.
3. Le troisième concile de Tolède, 633, avait dit, dans son can. 49 : Monachum
facit aut propria confessio aut patenta devotio. V. § 290.
4. Hincmar, Epist. ad Nicolaum papam, P. L., t. cxxv, col. 45.
5. Elle a été imprimée dans Maugin, op. cit., t. u, p. 47, et dans l'édition des
Œuvres de Walafrid Strabon, P. L., t. exiv, col. 1 116.
140 LIVRE XXII
Kunstmann croit que Gotescalc fit deux- fois le voyage d'Italie
et que cette pièce de vers se rapporte au premier voyage, et non
au second, qui eut des suites si importantes 1. Je ne trouve rien
dans ces vers qui appuie cette hypothèse ; Walafrid dit au con-
traire qvie la lettre de Gotescalc avait chassé loin de ses yeux
les nebulas palatinas, et, comme précisément dans les derniers ^ J
temps de sa vie (il est mort en 849) il fut envoyé par Louis
le Germanique en ambassadeur auprès de Charles le Chauve,
cette expression se rapporte plutôt au voyage de Gotescalc à Rome
en 847-848, et rien ne permet de supposer que Gotescalc ait
fait alors deux fois ce voyage 2. Ces vers nous apprennent que
Walafrid estimait fort la science de Gotescalc ; il le blâme de
n'être plus aussi libéral de l'or de sa science qu'au temps de leur
commune jeunesse, et d'être avare du talent que Dieu lui avait
donné. Enfin Walafrid dit de la vie de Gotescalc : cum cita tibi
potior sit lege Lycurgi.
A Orbais, Gotescalc, si on en croit son épître poétique à
Ratramn 3, entretint des correspondances avec divers savants.
Dans cette lettre, il parle, entre autres choses, de son ignorance;
et ajoute qu'il y a, dans le pays où il se trouve et en particulier
à la cour, divers savants, qu'il leur a écrit avec humilité,
ainsi qu'à d'autres personnes, pour mettre sous leurs yeux
un passage de saint Augustin dont il demandait l'explication.
Il avait fait connaître sa manière de voir sur ce passage à
trois d'entre eux : Marquard de Prûm, Jonas d'Orléans (mort
vers 842), et Servatus Lupus, leur demandant instamment de
lui faire connaître la vérité. Quant aux autres, il leur avait
simplement proposé la difficulté, en donnant les raisons pour
et contre, sans exposer son propre sentiment. Jusqu'alors, un
seul lui avait répondu en trois points4, avec prudence, sans se pro-
noncer dans un sens ni dans l'autre. Il voulait, si les deux au-
tres lui répondaient, communiquer leurs explications à Ratramn
1. Kunstmann, Raban Maur Moguntinus, Eine historische Monographie,
1841, p. 120.
2. Norden, Hinckmar Erzbishof of Reims, Bonn, 1863, p. 57, est d'un avis
opposé. Il pense que Gotescalc s'est rendu deux fois en Italie.
3. Maugin croit cette correspondance postérieure.
4. Maugin, op. cit., t. n, p. 61, a conclu de cette expression : terna respon-
sa, que Gotescalc avait consulté ses amis sur ces trois points : de prxdestina-
tione, de gratia et libero arbilrio et de super flua sanguinis Christi taxatione.
443. CONCILE DE MAYENCE DE 848 141
et celui-ci devait s'en prendre aux correspondants de Gotescalc
plutôt qu'à Gotescalc lui-même, s'il trouvait dans ces explica-
133] tions quelque chose qui n'eût pas son assentiment 1.
Il est possible que Gotescalc ait posé dès le début à ces sa-
vants des questions relatives à la doctrine de la prédestination :
il semble cependant que son attention a été attirée dès lors par
d'autres sujets également difficiles. Nous en avons la preuve dans
une lettre de Loup, abbé de Ferrières, à Gotescalc2, qui lui avait
demandé comment il entendait certaines expressions de saint
Augustin 3. A la première question : « Si lors de la résurrec-
tion les yeux du corps seront spirituels, puisque, d'après saint
Luc4, ils serviront à voir Dieu, » Loup répond qu'il ne résoudra
pas cette difficulté, puisque saint Augustin lui-même l'a jugée
trop difficile pour lui. Il donne ensuite des explications sur un
autre passage de saint Augustin 5, dans lequel le saint docteur
dit que « lors de la résurrection, Dieu sera vu en tout, par tous,
etc. » Enfin l'abbé de Ferrières termine par cette réflexion :
« Gotescalc ferait mieux d'employer à l'avenir son talent à des
recherches plus utiles. Quant aux explications demandées sur
certaines expressions grecques, il les lui enverrait plus tard.
Si Gotescalc lui écrivait de nouveau, il le priait de ne plus
l'ennuyer avec des éloges inutiles et mensongers 6. »
Hincmar dit que Gotescalc avait reçu la prêtrise à l'insu de
son évêque Rothade, par l'intermédiaire de Rigbold, chorévêque
de Reims, et que, contrairement à la règle et sans la permission
de son abbé Bavon, il avait entrepris un voyage en divers pays
et en particulier à Rome 7. Maugin prétend 8, de son côté, que la
conduite de Gotescalc a toujours été régulière et qu'il a été
calomnié par Hincmar. Mais les arguments de Maugin sont on ne
peut plus faibles.
1. P, L., t. cxxi, col. 367; en partie dans Kunstmann, op. cit., p. 119 sq. ; avec
des éclaircissements dans Maugin, op. cit., t. n, p. 60. Dans Kunstmann, il faut
lire torpeo au lieu de torpes, cemua au lieu de cornua, exponi au lieu de exposui ;
dans Migne il faut lire également scripta au lieu de scriplura, uno au lieu de una.
2. Lupus, Epist., xxx, P. L., t. exix, col. 491.
3. S. Augustin, De civilate Dei, 1. XXII, c. xxix, P. L., t. xli, col. 800.
4. Luc, m, 6.
5. S. Augustin, De civitate Dei, 1. XXII, c. xxix, à la fin, P. L., t. xli, col. 800.
6. P. L., t. exix, col. 491 sq. ; Maugin, op. cit., t. n, p. 58.
7. Hincmar, De prœdest., diss. I, c. n, P. L., t. cxxv, col. 84, 85.
8. Op. cit., t. il, p. 51.
142
LIVRE XXII
A son retour de Rome, vers 847-848, Gotescale séjourna quel-
que temps chez le comte Eberhard de Frioul, d'origine germa-
nique, marié à Gisèle, fille de Louis le Débonnaire, et nommé
gouverneur du Frioul par son beau-frère Lothaire. Outre ses au-
tres vertus, Eberhard se distinguait par une généreuse hospitalité.
Chez lui Gotescale rencontra par hasard Noting, évêque nommé
de Vérone 1. Gotescale, qu'Hincmar nous représente comme
très ardent à faire des prosélytes, ne manqua pas d'inculquer
à Noting ses idées sur la double prédestination. Quelque temps [134]
après, Noting étant venu à la cour de Louis le Germanique in
pago Loganœ 2, y rencontra Rhaban-Maur, le nouvel archevê-
que de Mayence, auquel il parla de certains prédestinatianistes
qui soutenaient que : « La prédestination divine fait que celui
qui est prédestiné à la vie n'est pas vaincu par la mort, et
que celui qui est prédestiné à la mort ne peut en aucune ma-
nière atteindre la vie. » Ils tombèrent d'accord que Rhaban de-
vait réfuter cette erreur par un mémoire particulier. Tel est le
récit de Rhaban dans la préface de cet opuscule, en forme de lettre
à Noting 3. Rhaban n'y nomme pas Gotescale, mais c'est certaine-
ment lui que l'archevêque et Noting ont en vue. Gotescale est en
eil'et nommé dans la lettre que Rhaban écrit à cette même épo-
que à Eberhard, comte de Frioul. Un point demeure douteux, à
savoir si Rhaban connaissait auparavant les erreurs de Gotescale
ou s'il ne les a connues que par Noting.
Dans son opuscule, Rhaban décrit ainsi les erreurs qu'il atta-
que : « Certains veulent faire Dieu l'auteur de leur ruine, et
disent : De même (sicuti) que ceux qui sont appelés à la gloire
de la vie éternelle par la prescience de Dieu et la prédestina-
tion, ne peuvent en aucune manière manquer leur salut; de même
(ita) ceux qui sont voués à la ruine éternelle par la prédestination
divine, sont forcés (coguntur) et ne peuvent échapper à leur per-
1. Il ne fut jamais en réalité évêque de Vérone, mais de Brescia, et il parut
en cette qualité, et aussi comme missus impérial, au concile romain de
853.
2. Peut-être Lahngau, cf. Damberger, t. m, p. 268, et Kunstmann, Rabanus
Maurus, p. 120. L'un et l'autre placent cette rencontre en l'année 848. Kunst-
mann croyait auparavant (Tiib. Quartalschr., 1836, p. 436) qu'elle avait eu lieu
en 847 et dans le canton de Login, qu'il plaçait sur les bords de la Weser.
3. Rhaban Maur, Opéra, P. L., t. cxn, p. 1530-1553. Cette édition renferme
beaucoup d'inutilités et de nombreuses fautes.
143. CONCILE DE MAYENCE DE 848 143
te;» « la prédestination divine oblige l'homme à pécher même mal-
gré lui» (invitum hominem facit peccare). Cette doctrine, dit Rha-
ban, contredit le dogme de la justice de Dieu. Il développe ensuite
le principe de la prédestination, d'après un passage tiré de Pros-
per 1, et un autre tiré de V Hypomnesticon, alors attribué à saint
Augustin 2. Dans les deux passages, on distingue entre la pres-
cience et la prédestination : non omne, quod prœscit (Deus) pré-
destinât, mala enim tantum prœscit et non prédestinât bona ve-
ro et prsescit et prsedestinat. S'inspirant de ces deux passages,
Rhaban enseigne ce qui suit : « A la suite du péché d'Adam, tous
les hommes voués à la ruine sont devenus une massa damnabilis ,
[135] dans laquelle Dieu, sans aucune acception de personnes et par
pure bienveillance (non personarum acceptione, sed judicio sequitatis
suœ irreprehensibili), a prédestiné à la vie éternelle ceux qu'il
a choisis, en vertu d'une miséricorde gratuite (gratuita miseri-
cordia) ; quant aux autres, il les a frappés de peines méritées,
ayant prévu leur conduite (quia quid essent futuri prœscivit); il
n'a pas fait qu'il fussent punis, il ne les y a pas prédestinés, mais
il a simplement prévu qu'ils appartiendraient à la massa damna-
bilis 3. » Quant à savoir pourquoi Dieu a laissé s'introduire une
telle différence, Rhaban répond avec Prosper 4 : « Dieu n'a pas
prédestiné, c'est-à-dire n'a pas sauvé de la ruine générale ceux
dont il a su per prsescientiam qu'ils seraient pécheurs. » Rhaban
ajoute en même temps 5 que V Hypomnesticon regarde cette ques-
tion comme insondable 6. Il cherche ensuite à prouver, par une
série de passages bibliques, que nul, pas plus le prédestiné qu'un
autre, ne peut plaire à Dieu sans la foi orthodoxe et les bonnes
œuvres, et que l'Ecriture annonce aux bons leur récompense à
cause de leurs bonnes œuvres, et aux méchants leur châtiment
à cause de leurs méfaits. On a donc tort de dire : « Les vertus
du juste ne lui sont d'aucune utilité, les péchés du coupable ne
lui nuisent en rien, mais chacun est couronné ou puni prsedesti-
1. Prosper, Contra Gallos, c. m, P. L., t. li, col. 153.
2. Hypomnesticon, 1. VI, c. i-iii.
3. P. L., t. cxn, col. 1531-1532.
4. P. L., t. cxn, col. 1532.
5. P. L., t. cxn, col. 1533.
6. Le passage de Y Hypomnesticon ne se termine que (col. 1533) par ces mots :
misericordia conquiescentes. Dans ce passage on a, par erreur, à la col. 1533, cité
Rom., ix, 30, au lieu de xx, 21.
144 LIVRE XXII
nationis necessitate x. » Rhaban énumère ensuite sept ver, tés dog-
matiques niées dans la nouvelle doctrine. En particulier, 1) celle
doctrine tient Dieu pour méchant, parce qu'il destine sans motifs
sa créature à une perte éternelle ; 2) elle est en contradiction avec
l'Écriture, qui promet aux hommes vertueux la vie éternelle ;
3) elle nie l'équité de Dieu juge ; 4) elle suppose que le Christ a
versé inutilement son sang, puisqu'il ne peut aider tous ceux qui
croient et espèrent en lui ; beaucoup de ceux-là donc sont prédes-
tinés à la mort. La seconde partie 2 contient la doctrine des Pères
sur la prédestination et sur la liberté de la volonté ; elle cite des
réponses de Prosper ad capitula objectionum Vincentianarum, [130]
des passages de l'écrit de Gennade De ecclesiasticis dogmatibus
et surtout de V Hypomnesticon. Rhaban insère3, à part quelques
légères omissions, tout le VIe livre de Y Hypomnesticon, et ter-
mine son opuscule par une courte allocution à Noting 4. Entre
autres passages importants pris dans Y Hypomnesticon 5, il insère
le suivant : « Dieu n'a pas prédestiné les uns et ne les a pas exci-
tés à pécher et à se perdre, mais il a prévu leur perte proprio
i'itio, et c'est à cause de cela qu'il leur a prédestiné leurs peines. »
Il est surprenant que Rhaban et ses amis acceptent sans hésiter
cette expression : « La psena est prédestinée au pécheur, » tandis
qu'ils ne veulent pas admettre cette autre proposition : « Le pé-
cheur est prédestiné ad peenam ; » car ces deux phrases sont au
fond identiques, et, bien expliquées, présentent un sens ortho-
doxe. En effet, le pécheur est prédestiné ad morlem ou ad pae-
nam ; mais sa prédestination n'est pas absolue comme celle de
l'élu, elle dépend des prsevisa démérita.
A la même époque, Rhaban écrivit à Eberhard, comte de
Frioul, qu'il loue de l'hospitalité exercée à l'égard de tant de
personnes, et m» laminent naguère, à l'égard de deux de ses
prêtres. Déférant au désir exprimé par le comte devant ces prê-
1. P. L., t. cxii, col. 1533-1541.
2. P. L., t. cxn, col. 1541 sq.
3. Dans la seconde moitié du c. m.
4. Cette seconde partie de VEpisi. ad Noting. est fort défigurée dans l'édition
Migne ; car on y fait terminer à la col. 1547 la citation de 1' 'Hypomnesticon, quoi-
que en réalité cette citation aille jusqu'à la lin. En outre, col. 1547, au lieu de
Ps. xxxiv, il faut lire Ps. cxxxiv, et col. 1550, il faut lire Joan., xv, au lieu de
Joan., xix.
5. P. L., t. cxn, col. 1548.
443. CONCILE DE MAYENCE DE 848 145
très, Rhaban lui avait envoyé l'année précédente son écrit in
laudem crucis. Il passe ensuite à l'affaire principale dont il dit :
« La nouvelle s'est répandue de la présence chez vous d'un
bel esprit nommé Gotescalc, qui enseigne que la prédestina-
tion divine fait violence à tout homme. Celui qui, voulant
parvenir à la félicité, possède la foi orthodoxe et s'applique aux
bonnes œuvres, afin d'arriver par la grâce de Dieu à la vie éter-
nelle, travaille cependant en pure perte s'il n'est pas prédestiné
à la vie, comme si Dieu obligeait par sa prédestination quelqu'un
à se perdre. Cette secte a déjà jeté dans le désespoir bien des per-
sonnes qui disent : A quoi bon tant d'efforts pour arriver au salut
et à la vie éternelle ? Si je ne suis pas prédestiné à la vie, toutes
mes bonnes œuvres ne me servent à rien; si au contraire je suis
137] prédestiné à la vie, mes péchés ne saliraient me nuire... Ce doc-
teur, a, paraît-il, extrait des œuvres de saint- Augustin un grand
nombre de passages favorables à sa manière de voir ; mais saint
Augustin était defensor gratise, non destructor rectse fidei. » Pour
éclairer le comte, Rhaban lui envoie aussi une collection de pas-
sages de saint Augustin, de saint Jérôme et de Prosper, prouvant
que Dieu ne prédestine personne au péché, et qu'il ne faut pas
confondre la prxdestinatio et la prœscitio. On n'y trouve pas les
beaux passages empruntés à V Hypomnesticon, mais, en revan-
che, les extraits de Prosper qui se trouvaient dans la lettre à
Noting ; ils sont de nouveau utilisés ici, et complétés par d'au-
tres. « Les nouveaux docteurs, continue Rhaban, doivent suivre
ces anciens maîtres. Ils disent : S'il est certain qu'il faut prêcher
la vertu, il ne l'est pas moins qu'il faut faire connaître la pré-
destination, afin que l'homme vertueux rende à Dieu l'honneur
qui lui revient et ne se l'attribue pas à lui-même. Oui, sans doute,
mais on doit apporter dans ces questions la plus grande pru-
dence, de peur de nuire au lieu d'édifier.» Il termine ainsi: « Je
t'ai écrit, cher ami, afin que tu saches les scandales causés par
les nouvelles venues d'Italie, et afin que, s'il se trouve auprès
de toi un homme dans l'erreur, tu l'arraches à la secte et lui
adresses des exhortations, car j'ai tout lieu de te croire un excel-
lent chrétien 1. »
Hincmar et les Annales de Saint-Bertin disent que chassé
1. Rhabani Opéra, P. L., t. cxn, col. 1553-1562. Maugin n'a inséré ni cette
lettre ni celle à Noling.
CONCILES - I VJ— 10
146 LIVRE XXII
honteusement de l'Italie, Gotescalc s'était rendu chez divers
peuples barbares et païens, où, loin de prêcher l'Évangile, il avait
enseigné la doctrine delà prédestination ; mais les contemporains
et collègues d'Hincmar, par exemple Rémi, archevêque de Lyon,
mettent en doute ce fait 1. Il est certain que Gotescalc se ren-
dit de Rome en Germanie, et assista à la diète synodale de Mayencet
1er octobre 848. Kunstmann croit pouvoir déduire du mot détec-
tas, des Annales de Saint-Bertin, qu'au début Gotescalc se
tint caché à Mayence, peut-être pour y mieux répandre son écrit
contre Rhaban-Maur, mais que sa retraite fut découverte et que,
sur un ordre du roi, il fut cité par devant le concile des évêques
présents à Mayence. Nous avons fait remarquer, ailleurs2, que
l'expression detectus signifiait non la découverte de la retraite [138]
de Gotescalc, mais celle de ses erreurs qu'il professait. Sans
doute Gotescalc ne fit aucune difficulté de se présenter devant le
concile de Mayence satisfait de discuter, de tirer vengeance de
Rhaban pour le présent et le passé et de l'accuser de semi-pélagia-
nisme. Il remit au concile une profession de foi, dont Hincmar 3nous
a conservé le fragment suivant : Ego Gothescalcus credo et confiteor,
profiteor et testificor ex Deo Pâtre, per Deum Filium, in Deo Spi-
ritu sancto, et affîrmo atque approbo corani Deo et sanctis ejus,
quod gemina est prœdestinatio, sive electorum ad requiem sive
reproborum ad mortem, quia sicut Deus incommutabiliter ante
mundi constitutionem omnes electos suos incommutabiliter per
gratuitam grattant suam prsedestinavit ad vitam œternam, similiter
omnino omnes reprobos, qui in die judicii damnabuntur propter
ipsorum mala mérita idem ipse incommutabilis Deus per justum
judicium suum incommutabiliter prsedestinavit ad mortem merito
'sempiternam. Si Gotescalc voulait dire que la prédestination
à la mort est absolue, tout comme la prédestination à la vie
— et c'est en effet le sens qui résulte de ces deux mots similiter
omnino, — il est incontestablement hérétique, et la suite, à
savoir que « les réprouvés seront condamnés au jour du jugement
à cause de leurs péchés, » laisse subsister l'hérésie. Calvin lui-
même eût pu s'exprimer ainsi, et il l'a fait. « Quoique, dit-il,
ceux-là pèchent nécessairement qui y sont prédestinés, ils n'en
1. Maugin, op. cit., t. n, p. 52 sq.
2. Tùbinger theolog. Quartalschrift, 1842. p. 465 sq.
3. De prsedestinatione, c. v, P. L., t. cxxv, col. 89.
•\3. CONCILE DE MAYENCE DE 848 147
seront pas moins jugés et condamnés au jour du jugement à cause
de leurs péchés, parce qu'ils ont fait de plein gré ce <|u'ils ont fait
nécessairement ; en effet, ce n'est pas la nécessité, niais bien la
contrainte physique qui peut seule enlever la responsabilité. »
Il faut dire toutefois que Gotescalc ne s'est jamais exprimé
aussi nettcmml que Calvin, soit que l'aboutissement logique
de son propre système lui ait échappé, soit qu'il n'ait pas osé en
parler trop clairement.
139] Outre cette profession de foi, Gotescalc publia un docu-
ment qui. sous couvert d'être adressé à Rhaban, l'attaquait vive-
ment ; Hincmar qualifie cet écrit de pièce venimeuse, parce
qu'elle interprétait sophistiquement la lettre de Rhaban à
Noting de façon à jeter sur son auteur une teinte d'hétérodoxie.
Hincmar nous a conservé des fragments de cette lettre où Gotes-
calc disait dès le début 1 : « J'ai enfin, digne évêque, lu ton livre,
dans lequel j'ai trouvé cette opinion, que les impies n'étaient
pas prédestinés de Dieu ad damnationem . . . Cependant Dieu a
prévu leur triste commencement et leur fin plus triste, et c'est
pour cela qu'il les a prédestinés à une ruine éternelle... De mê-
me (sicut) qu'il a prédestiné par pure grâce les élus à la vie,
absolument de la même manière (sic omnino) il a prédestiné les
réprouvés par un juste jugement à la peine de la mort éternelle. »
Dans un second fragment Gotescalc reproche à Rhaban « de ne
pas suivre la doctrine de saint Augustin sur le libre arbitre
mais bien les opinions erronées de Gennade. » dont il avait
inséré un passage dans sa lettre à Noting 2. Eu deux autres
courts fragments3, Gotescalc ajoute: «Certainement tous ceux-
là deviendront bienheureux, dont Dieu veut qu'ils deviennent
bienheureux ; et lorsque la sainte Ecriture dit : Il veut que tous
soient sauvés 4, il faut entendre par là, non tous les hommes
mais uniquement ceux qui sont compris dans la volonté de
Dieu. » Enfin, les deux derniers fragments 5 se rapportent à
la mort du Christ : « Tous ces pécheurs, pour la rédemption
desquels le Fils de Dieu a versé son sang, avaient été prédes-
1. Hincmar, De prœdesliiialionc, c. v, P. L., t. cxxv, col. 8'J.
2. Hincmar, op. cit., c. xxi, P. L., t. cxxv, col. 182.
u. Id., c. xxiv, P. L., t. cxxv, col. 210.
4. I/Tim., u, 4.
5. Hincmar, op. ci/., c. xxvn, xxix, P. L., t. cxxv, col. 275-288.
148
LIVRE XXII
tinés à la vie, grâce à la bonté de Dieu. Quant aux autres pécheurs,
le Fils de Dieu ne s'est pas fait homme pour eux et il n'est pas
mort pour eux sur la croix; » « il n'est le rédempteur que de tous
les élus 1. »
Nous ne connaissons pas en détail ce qui se passa au concile
de Mayence au sujet de Gotescalc, mais le résumé du jugement
nous est conservé dans une lettre de Rhaban à Hincmar, lettre
désignée comme synodale dans les collections des conciles, bien
qu'elle semble n'avoir été rédigée par Rhaban qu'à l'insu du
concile, et probablement à la demande de l'assemblée. On y lit :
« Nous vous faisons connaître qu'un moine vagabond (gyrovagus)
nommé Gotescalc, venu d'Italie à Mayence, a répandli une [140]
doctrine honteuse d'après laquelle la prédestination est identique
pour les bons comme pour les méchants (sicut in bono, ita et in
malo), et qu'il y a des personnes damnées par la prédestination
divine et incapables d'y échapper , comme si dès l'origine Dieu
les avait faites incurables et destinées à la punition et à la ruine.
C'est Gotescalc lui-même qui nous a exposé ses sentiments,
tout dernièrement, dans un concile de Mayence; l'ayant trouvé
rebelle à tout changement, nous avons, avec l'assentiment et
sur l'ordre du roi Louis, décrété de vous le renvoyer, après avoir
condamné sa doctrine impie et lui-même; vous aurez donc à le
retenir dans votre province qu'il a quittée malgré la règle, et vous
l'empêcherez d'enseigner ses erreurs et de tromper le peuple chré-
tien. Nous apprenons en effet qu'il a déjà séduit beaucoup de fidè-
les, les détournant de travailler à leur salut et leur faisant dire :
« A quoi bon me donner tant de peine au service de Dieu ? Pré-
« destiné à la mort, je n'y échapperai pas; prédestiné à la vie,
d j'arriverai, même pécheur, à l'éternel repos. » Le cardinal Noris 2
pense que Rhaban a fait un Gotescalc d'imagination, ayant
interprété sa doctrine avec partialité ; on ne saurait nier en
effet, que Gotescalc, pour autant que nous le connaissons par
ce qui nous en reste, n'a jamais exprimé ces doctrines prédesti-
natiennes tranchées et décisives que Rhaban lui prête.
D'après Hincmar, tous les éveques de la Germanie ont pris
part à ce concile de Mayence; Hartzheim en conclut que c'était
1. Maugin a reproduit deux fois ces divers passages, t. n, part. 2, p. 3 sq. ;
t. ii, p. 63 sq.
■1. Opéra, VeneL, 1759, t. m, p. 239.
4'i3. CONCILE DE MAYENCE DE 848 149
un concile national; en réalité, suivant la remarque de Binterim,
ce n'était qu'un concile des diverses provinces du royaume de
Louis et c'est uniquement dans le sens où on appelait Louis, roi
de Germanie, que l'on regardait ce concile comme ayant réuni
tous les évêques de la Germanie. Les évêques germains du royau-
me de Lothaire ne faisaient pas partie du royaume de Germanie
proprement dit. La Chronique d'Hirsauge1 dit, il est vrai, que l'em-
pereur Lothaire avait convoqué ce concile, et Trittenheim cite
plusieurs archevêques et évêques lorrains comme y ayant pris
L1'*1! part ; mais les sources auxquelles il a puisé devaient être bien
troubles, car plusieurs de ces évêques étaient, à l'époque du con-
cile de Mayence, morts depuis des années; tels Hetti de Trêves,
Hildebald de Cologne et Einhard de Seligenstadt ; d'autres, au
contraire, n'étaient pas encore évêques, par exemple Altfrid de
Ilildesheim 2. Trittenheim se trompe encore, lorsqu'il rapporte
qu'à Mayence, Gotescalc rétracta ses erreurs, et que Servatus
Lupus, présent à l'assemblée, le réfuta complètement. Enfin,
les Annales de Fulda prétendent que Gotescalc s'engagea par
serment à Mayence de ne plus sortir du royaume de Lothaire,
et avoua que sa condamnation portée par plusieurs (par consé-
quent pas par tous), lui paraissait fondée 3.
D'après Flodoard 4, Rhaban aurait envoyé à Hincmar à Reims
outre Gotescalc, plusieurs complices du moine vagabond5; mais
Maugin 6 a prouvé que cet historien s'était trompé, au mépris de
toute chronologie, mentionnant Prudence, Lupus, et autres par-
tisans plus tardifs de Gotescalc, dès lors souvent blâmés par
Hincmar.
1. Ad ami. 848.
2. Binterim, Deutsche Conc., t. n, p. 418.
3. Maugin, op. cit., p. GG, G8 ; Pertz, Monum., t. i, p. 365.
4. Hisl. Eccles. Remensis, 1. III, c. xxi, P. L., t. cxxxv, col. 200 sq.
5. Les Annales Xantenses (Pertz, op. cit., 1. ni, p. 229) confondent les doux
conciles et supposent qu'à Mayence quidam monachi, après avoir été battus à
cause de leurs doctrines sur la prédestination, avaient été envoyés dans les
Gaules.
6. Op. cit., t. ii, p. 74.
150 LIVRE XXII
444. Concile de Quierzy en 849. Condamnation de Gotescalc.
Hincmar garda à Reims, sous sa propre surveillance, le mise-
rabilis monachus, ainsi que Gotescalc a été souvent appelé
par ses amis ; il ne le renvoya pas à son ordinaire, c'est-à-dire
à Rothade, évêque de Soissons, probablement parce qu'il re-
gardait cet évêque comme trop faible pour tenir tête à Gotes-
calc 1. Mais lorsque Flodoard 2 nous dit qu' Hincmar avait écrit
à Rothade pro recipiendo et adducendo ad judiciurn Gothescalco,
peut-être faut-il entendre cette phrase dans ce sens qu'Hincmar
aurait d'abord renvoyé Gotescalc à Rothade, le priant de rece-
voir le moine et de le conduire au concile de Quierzy. Il se tint, M42]
en effet, en 849, dans le palatium Carisiacum, une diète et un
concile sur lesquels Hincmar nous a donné des renseignements
dans trois documents. Il dit dans le premier : « Après que Rha-
ban eut envoyé Gotescalc à Reims, celui-ci fut entendu clans
une assemblée synodale tenue in palatio Carisiaco ; cette assem-
blée comprenait des évêques et un très grand nombre de clercs
et de moines ; ainsi Wenilon, archevêque de Sens, Hincmar de
Reims, Folcoin de Thérouanne, Teudéric de Cambrai, Rothade
de Soissons, Ragenar d'Amiens, Immo de Noyon, Erpoin de
Senlis, Loup de Châlons, Yrmenfried de Beauvais, Pardulus de
Laon, Teutbold de Langres, dans la province de Lyon ; Gern-
brins de Rennes, dans la province de Tours 3; Rigbold, choré-
vêque de Reims, et Witaus, chorévêque de Cambrai, Wenilon,
plus tard archevêque de Rouen, Enée, notarius sacri palatii,
maintenant évêque de Paris, Isaac. alors diacre de Pardulus,
aujourd'hui évêque de Langres, assistaient aussi à l'assemblée ;
on y voyait également les vénérables abbés Ratbert de Corbie,
Bavon d'Orbais et Halduin d'Hautvilliers (Altivillaris), avec
d'autres seigneurs, prêtres et diacres, par exemple Wulfad, éco-
nome de la métropole de Reims, et l'archidiacre Rodoald, ainsi
que les autres degrés du clergé. En leur présence, Gotescalc se
1. Hincmar, Ep. ad Nicol. Pap., P. L., t. cxxvi, col. 43.
2. Flodoard, 1. III , t. xxi, P. L., t. cxxxv, col. 200 sq.
3. Cf. Gallia christiana, t. xiv, col. :is.
444. CONCILE DE QUIERZY 151
montra, ainsi qu'à Mayence, inaccessible à tout bon sentiment.
Il fut déposé de la prêtrise,, qu'il avait usurpée plutôt que reçue,
lorsqu'il était moine du diocèse de Soissons, et à l'insu de son
évêque, grâce à Rigbold, chorévêque de Reims. Ensuite à
cause de son opiniâtreté, et conformément aux canons d'Agde
ainsi qu'à la règle de saint Benoît 1, il fut battu de verges, comme
blasphémateur, et enfin mis en prison dans un ergastulum, d'après
la décision des évêques de la Germanie (c'est-à-dire de Mayence),
pour l'empêcher de nuire aux autres 2. »
Hincmar parle encore de cette réunion dans une lettre à Amo-
lo de Lyon, lettre conservée dans le Liber de tribus epistolis de
Rémi de Lyon. Hincmar dit : « A Carisiacum, Gotescalc n'a
rien dit de sensé et n'a pas mieux répondu aux questions qui
lui ont été posées. Il s'est conduit comme un possédé du démon
et n'a su qu'insulter tout le monde. A cause de cette effronterie,
et conformément à la règle de saint Benoît, il a été condamné
par les abbés et les autres moines à être fustigé ; d'autre part,
les évêques l'ont condamné, parce que, au mépris du droit canon,
il troublait constamment civilia et ecclesiastica negotia et ne vou-
lait pas s'amender 3. »
Hincmar revient une troisième fois, mais à plusieurs années
143] ae distance, vers l'année 865, dans une lettre au pape Nicolas Ier,
sur ce qui s'est passé à Quierzy. Il y rapporte brièvement ce que
nous savons déjà, l'audition et la condamnation de Gotescalc,
son refus de rétractation, son internement dans un monastère
1. Le canon 38 d'Agde de Tannée 506 parle d'abord des moines et des clercs
vagabonds; puis il ajoute au sujet des premiers : Qiiod (quos) si verborum iiicrepa-
lio non emendaverit, etiam verberibus statuimus coerceri. On lit aussi dans la règle
de saint Benoît: Indisciplinatos et inquietos durius arguendos, et improbos et duros
ac superbos vel inobedientes verberum vel corporis casiigatione in ipso initio peccati
coercendos esse.
2. Hincmar, De'prsedest., c. n, P. L., t. cxxv, col. 85 ; Maugin, op. cit., t. n, p. 75 ;
[Sirmond, Conc. Gallise, t. m, col. 680 ; Coll. regia, t. xxi, col. 601 ; Lalande, Conc.
Gallise, p. 149; Labbe, Concilia, t. vin, col. 55-58; Sirmond, Opéra, 1696, t. iv,
col. 290, 428; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 17 ; Coleti, Concilia, t. ix,
col. 10, 53 ; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 919; D. Marlot, Meiropolis
Remensis historia, 1664, t. i, p. 409 ; Gousset, Actes de la prov. ecclés. de
Reims, t. i, p. 203; V. Rose, Die lalcinische Meerman-HandscJir. des Sir Thomas
Phillipps in der kôniglichen Bibliothek zu Berlin, Berlin, 1892, p. 186. Voir
Appendices. (H. L.)]
3. P. L., t. cxxi, col. 1027, et Maugin, op. cit., t. n, p. 76.
152
LIVRE XXII
du diocèse de Reims, d'après le jugement des évêques des Gaules,
de la Belgique et de Reims, présents à l'assemblée. Il ajoute
ce détail, que nous avons déjà mentionné, le refus de laisser Go-
tescalc sous la juridiction de son évêque diocésain, Rothadc. hop
faible pour résister à l'hérétique, et susceptible, au jugement
d'Hincmar, de se laisser gagner et de passer à l'hérésie1.
Les Annales de Saint-Bertin parlent aussi du concile de Quierzy :
« Le roi Charles le Chauve, toujours zélé pour les intérêts de
l'Eglise, convoqua en concile les évêques du diocèse (de la pro- [144]
vince) de Reims et fit comparaître Gotescalc. Celui-ci fut fus-
tigé publiquement et obligé de brûler les livres contenant ses opi-
pions 2. »
Les collections conciliaires nous ont conservé la sentence de
Quierzy contre Gotescalc, la voici : « Frère Golescalc, sache
que la très haute dignité du ministère sacerdotal, que tu t'es
arrogée au mépris des règles et dont tu as abusé par tes mœurs,
tes mauvaises actions et tes doctrines corrompues, t'est main-
tenant enlevée de par la sentence du Saint-Esprit, dont pro-
vient, comme un pur présent, la dignité sacerdotale, et par
la vertu du sang du Christ, si tant est que Lu aies reçu cette di-
gnité, et, quoi qu'il en soit, tu ne devras en aucune manière te
permettre d'en exercer de nouveau les fonctions. En outre, com-
me, au mépris des lois de l'Église, tu cherches à jeter le désordre
dans l'Église et dans l'État, sans tenir plus de compte de tes vœux
et de ton état de moine, nous avons décidé, en vertu de l'au-
Lorité épiscopale, que tu serais très durement battu et ensuite,
conformément aux règles de l'Église, mis en prison. Enfin, pour
. 1. Hincmar, Ep. ad Nicol., P. L., t. cxxvi, col. 43.
2. Dans Pertz, Monum., t. i, p. 443 sq., et réimprimé dans P. L., t. cxv, col.
1 402 ; Maugin, op. cit., t. n, p. 76, attache une grande importance à ce que quel-
ques mots manquent dans les Annales de Saint-Bertin ; mais cette lacune a été
comblée dans toutes les nouvelles et meilleures éditions. La seconde partie des
Annales de Saint-Bertin, qui va de 836 à 861, et dans laquelle se trouve le pas-
sage en question, est ordinairement attribuée à saint Prudence de Troyes ; mais
ce dernier était un défenseur de Gotescalc, tandis que le passage dont nous
parlons s'exprime d'une manière très défavorable au sujet du moine hérétique.
Aussi a-t-on pensé que ce passage n'était 'pas à l'origine ce qu'il est aujour-
d'hui, qu'il avait été modifié ; voyez les varias lect. dans les éd. de Pertz et de
Migne. — Sur les Annales de Saint-Bertin, dont la troisième partie proviendrait
d'Hincmar lui-même, cf. Bahr, Gcsch. der rom. Litteratur im Caroling. Zeitalter;
p. 107 sq.
44'j. CONCILE DE QUIERZY 153
que tu ne puisses plus te permettre d'enseigner, nous te condam-
nons, par la vertu du Verbe éternel, à garder un éternel silence K »
Jusqu'ici personne, à notre connaissance, n'a mis en don le
l'authenticité de cette sentence ; il nous semble cependant qu'il
y aurait de bonnes raisons pour le faire. N'est-il pas surprenant
que nul n'ait connu l'existence de cette pièce avant que le P. Sir-
mond la découvrît, vers l'an 1600, dans un ancien manuscrit de
Nicolas Camuzat ? On n'en a jamais trouvé un second exem-
plaire. A cette première observation, digne de remarque, vont se
joindre des arguments plus importants.
a) Hincmar dit que les abbés et les moines présents avaient
ordonné la peine du fouet, tandis que les évoques avaient sim-
plement prononcé la damnatio; or dans la sentence, nous voyons
la flagellatio ordonnée par les évêques. Ce qui prouve qu' Hinc-
mar dit vrai, c'est la manière dont Rémi de Lyon a blâmé toute
cette procédure.
b) La sentence motive doublement la condamnation de Go-
tescalc : c'est d'abord la prêtrise reçue d'une manière illégale,
L1^] ensuite le désordre introduit dans les negotia civilia et eccle-
siastica. Pour la première faute, Gotescalc est, d'après la sen-
tence, dégradé de la prêtrise; pour la seconde, il est fouetté. Mais
ne voit-on pas que la sentence est muette sur le motif principal,
l'affaire du prédestinatianisme ? à peine y fait-elle une vague
allusion, quand elle dit que Gotescalc a mésusé de son sacer-
doce par sa mauvaise conduite et ses doctrines corrompues.
c) La sentence présente comme douteuse l'ordination de Go-
tescalc. Or, non seulement ce doute est en opposition avec le
dogme, mais il est en contradiction avec l'opinion d' Hincmar, qui
croyait à la validité de cette ordination.
d) Le style ampoulé de cette sentence doit faire naître des
doutes sur son authenticité ; dans quelle autre sentence ecclé-
siastique voit-on un coupable dégradé de la prêtrise per virtutem
sanguinis Domini nostri Jesu Christi?
e) Le passage : Insuper quia et ecclesiastica et civilia negotia
contra propositum et nomen monachi conturbare... prœsumpsisti,
est emprunté à la lettre d' Hincmar à Amolo de Lyon, mais
on lui donne ici un autre sens. Hincmar veut dire que les
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 921; Hardouin, op. cit., t. v, col. 20 ; Maugiti,
op. cit., t. ii, p. 78-
154 LIVRE XXII
erreurs de Gotescalc avaient occasionné des désordres dans
l'Église et dans l'Etat, soit parce que ses partisans ne s'appliquaient
plus à aucune bonne œuvre et ne s'abstenaient d'aucun pé-
ché; soit parce que lui-même n'avait pas voulu renoncer à ses
erreurs périlleuses pour l'Eglise et pour l'Etat ; c'est pourquoi
il avait été condamné par les évêques. Le rédacteur de la sen-
tence a mal compris ce passage d'Hincmar ; il a cru que Go-
tescalc avait ét> puni parce que, contrairement à ses vœux
monastiques, il s'était mêlé aux affaires du monde et à celles du
clergé séculier, ce qui, on le sait, n'a jamais été le cas de Go-
tescalc 1.
/) C'est par suite d'un autre malentendu que l'auteur de la
sentence fait prononcer contre Gotescalc, par les évêques,
la peine de la flagellatio. Il avait lu dans Hincmar : Ut im-
probus virgis csesus, sicut decreverant Germanise provinciarum
episcopi, ne aliis noceret... ergastulo est retrusus 2. Il a cru que [146]
les mots sicut decreverant Germanise, provinciarum episcopi se
rapportaient à virgis csesus, c'est-à-dire que la flagellatio avait
été prescrite par les évêques ; en réalité Hincmar veut dire
que Gotescalc a été fouetté, et, afin qu'il ne pût nuire, em-
prisonné, selon que les évêques de la Germanie, réunis à Mayence,
l'avaient jugé nécessaire. Hincmar a en vue ces mots de la lettre
de Rhaban-Maur : Decrevimus eum mittere ad vos, quatenus eum
recludatis in vestra parochia.
Nous voyons donc dans la sentence en question l'œuvre d'un
faussaire assez récent et peu instruit de l'affaire de Gotescalc.
Quant aux quatre capitula que le P. Sirmond a, dans ses premiers
travaux, attribués au présent concile de Quierzy, ils appartien-
nent au concile tenu également à Quierzy, mais en 853. Le P. Sir-
mond l'a reconnu après la publication des Annales de Saint-
Bertin, et ce point est généralement admis. Nous ajouterons que
saint Rémi de Lyon a, en deux passages, fortement critiqué la
punition infligée à Gotescalc. Il estime incorrect que la sentence
de flagellation ait été portée par les abbés, et celle de condam-
nation proprement dite, par les évêques; le jugement entier au-
1. Maugin, op. cit., t. n, p. 80, a aussi mal compris les mots : ecclesiastira <t
civilia negolia ; il croit qu'il s'agit des embarras causés par Gotescalc au Con-
cilium mixtum de Mayence, qui s'occupait des affaires ecclesiastica et civilia.
2. Hincmar, De pr&denluialione, c. n, P. L., t. cxxv, col. 84 sq.
444. CONCILE DE QUIERZY 155
rait dû être porté par ces derniers. Sans doute Gotescalc a
agi d'une manière impie et insensée (impium, insanum), on a eu
raison de le punir si, comme on l'affirme, il a injurié les évêques.
Mais il eût mieux valu que la peine ne fût pas prononcée par ceux
qui avaient reçu les injures. De plus, l'hérétique a été traité
avec trop de dureté et de cruauté. Saint Rémi écrit à ce sujet :
« On dit qu'il a été déchiré atrocissime et sans miséricorde, pêne
usque ad mortem, » et ailleurs : « Tous sont au regret, et même
exaspérés, car ce malheureux a été torturé avec une irreligiositas
et une cruauté inouïes, jusqu'à ce que, au dire des témoins ocu-
laires, il eut, à demi-mort, jeté de ses mains dans le feu le livre
dans lequel il avait réuni les passages de la sainte Ecriture et des
Pères qui pouvaient autoriser sa doctrine, etc.. Et cependant,
ces passages, sauf le dernier, n'étaient pas de lui, mais d'au-
torités reconnues dans l'Eglise ; on n'aurait pas dû les brûler,
mais les expliquer par une pieuse et pacifique interprétation 1. »
[147J L' er gastulum dans lequel fut renfermé Gotescalc était une
cellule du monastère d'Hautvilliers, au diocèse de Reims 2 ;
au commencement il y fut traité plus doucement que par la
suite.
Le concile de Quierzy a dû se tenir au printemps de 849, car
Hincmar écrivant aussitôt après à Prudence, évêque de Troyes,
lui demandait, entre autres choses, s'il lui conseillait de laisser
communier Gotescalc à Pâques 3. Le concile s'était donc tenu
avant Pâques et il doit s'agir ici des Pâques de 849, car cette
lettre d' Hincmar est antérieure au concile de Paris tenu dans
les derniers mois de 849. Hincmar dit également, dans cette
lettre, avoir fait plusieurs tentatives infructueuses pour am>
Gotescalc à résipiscence. Ces tentatives consistaient probable-
ment en entretiens ou en lettres; ainsi, nous savons qu' Hinc-
mar écrivit à Gotescalc une lettre, aujourd'hui perdue, pour lui
expliquer, à l'aide de saint Augustin et d'autres Pères, certains
passages patristiques, notamment quelques-uns de Prosper 4.
1. Liber de tribulis epistolis, P. L., t. cxxi, col. 1028, 1030; Maugin, op. cil.,
t. i, 2e part., p. 107, 109.
2. Flodoard, op. cit., 1. III, c. xxviii.
3. Nous n'avons plus qu'un seul fragment de cette lettre dans Flodoard.
III, c. xxi, et Maugin, op. lit., t. n, p. 93.
4. Flodoard, op cit., 1. III, c. xxvm,
156
LIVRE XXII
L'archevêque y montrait encore que,'si la prescience de Dieu
s'étend au bien et au mal, Dieu prévoit simplement le mal
{prsescire), tandis qu'il prévoit et prédestine le bien (prsescire
et prsedestinare). Il peut donc y avoir prescience sans prédesli-
nation, mais non prédestination sans prescience. Les bons étaient
prœsciti et prœdestinati de Dieu ; les mauvais, au contraire,
étaient simplement prœsciti, mais non prsedestinati ; enlin la
prescience n'oblige personne à se perdre.
Comme nous le verrons plus tard, Hincmar s'appuyant surtouL
sur Y Hypomnesticon et sur un prétendu écrit de saint Jérôme,
expliquait, dans un sens aussi atténué que possible, ce passage
de la Bible: «Dieu endurcit le cœur,» et comme si Dieu avait
simplement laissé produire cet endurcissement. Flodoard ajoute
que Gotescalc avait obstinément refusé d'approuver cette expli-
cation d' Hincmar et d'y souscrire.
Ce fut probablement sur le conseil donné par Prudence que L^^°J
Gotescalc put recevoir à Pâques la sainte communion, ce que
Rhaban blâma plus tard. II lui fut également permis d'écrire, et
il composa alors deux professions de foi qui nous sont parvenues.
445. Double profession de foi et autres écrits de Gotescalc.
La première et la plus courte l débute ainsi : « Je crois et pro-
fesse que Dieu prœscivit et prœdestinavit les saints anges et les
élus à une vie éternelle qu'ils n'avaient pas méritée ; de même
(pariter) qu'il a prédestiné, par un jiiste jugement, à une mort
éternelle et méritée le démon, ainsi que ses pareils et tous les
hommes condamnés qui sont les membres de Satan ; il les a pré-
destinés, parce qu'il a prévu leurs futures mauvaises actions. »
A l'appui de cette proposition Gotescalc cite des passages de la
sainte Écriture, de saint Augustin, de Fulgence et d'Isidore ;
ces textes serapn/>rtent à une double prédestination et sont jusqu'à
un certain point favorables à l'opinion de Gotescalc, si ce dernier
n'était allé trop loin, si l'assimilation absolue qu'il exprimait
par ces paroles pariter, son sic omnino et similiter omnino,
1. P L., t. cxxi, col. 347; Maugin, op. cit., t. i, lre part,., p. 7. [L. Traubc, Go-
tescalci Car mina, dans Poetse latini sévi Carolini, 1896, p. 716, note 1.(11. L.)]
445. PROFESSIONS DE FOI ET ÉCRITS DE GOTESCALC 157
ne l'avaient fait tomber dans l'erreur du prédestinatianisme.
La seconde profession de foi, plus détaillée 1, commence par
une prière : « Que Dieu m'accorde la grâce de parler sur sa pres-
cience et sur sa prédestination, de sorte que la vérité éclate, et
que le mensonge, justement maudit, disparaisse. » Gotescalc
discute l'opinion d'Hincmar et de Rhaban, à savoir que la pres-
cience divine s'étend à la fois au bien et au mal, mais que la pré-
destination se rapporte exclusivement au bien. Gotescalc ré-
pond : « Tout cela est vrai ; mais d'après le psaume xxxn, 5,
le bien est de deux sortes, car Dieu aime la miséricorde et la justi-
ce. » Gotescalc veut dire (mais il ne développe pas sa pen-
sée ) : « En prédestinant les bons ad vitam, Dieu montre sa
miséricorde; au contraire, en prédestinant les pécheurs à la mort,
il montre sa justice ; la miséricorde et la justice sont également
bonnes 2. Par conséquent, cette proposition que la prédesti-
[149] nation de Dieu ne porte que sur le bien, n'est pas en contra-
diction avec la doctrine de la double prédestination. » Rhaban
aurait volontiers accepté la proposition : « Dieu a prédes-
tiné la mort pour les pécheurs ; » mais il semble avoir rejeté
cette autre : « il prédestine les pécheurs à la mort. » Aussi Go-
tescalc disait-il : « Tu prédestines (il s'adresse constamment à
Dieu dans cette seconde profession de foi) aux élus une vie éter-
nelle que tu leur accordes par pure grâce, et tu les prédestines
également à cette vie, car ce serait en vain que tu leur aurais
prédestiné la vie, si tu ne les avais pas, eux aussi, prédestinés
à cette vie. A peu près de la même manière (propemodum) tu
as prédestiné au démon et à tous les maudits une peine éter-
nelle, qu'ils ont méritée, et en même temps tu les as prédestinés
à cette peine éternelle et toujours la même, car en toi il n'y a
jamais de changement. » Il ajoute ensuite avec saint Augustin :
«Si l'on considère les actions de Dieu, prévoir, vouloir et faire
sont une seule et même chose. Si Dieu a prévu de toute éter-
nité qu'un homme sera puni comme pécheur par la mort éter-
nelle, il a voulu aussi de toute éternité cette punition et l'a pro-
noncée, c'est-à-dire qu'il l'a prédestiné ad mortem. » Pour évi-
1. P. L., t. cxxi, col. 350; Maugin, loc. cit., p. 9. Le texte est altéré en plusieurs
endroits et ne fait pas honneur aux deux éditeurs.
2. Vers le milieu de cette seconde profession de foi, il revient sur cette même
pensée et l'énonce plus clairement.
158 LIVRE XXII
ter tout reproche de prédestinatianisme, Gotescalc aurait dû
dire : « Je dis Lingue entre l'action des pécheurs et l'action de Dieu;
les actions des pécheurs, leurs méfaits ont été, sans doute, prévus
par Dieu, mais Dieu ne les a pas voulus et n'y a prédestiné aucun
d'eux ; c'est en effet un principe que Dieu ne prédispose pas au mal.
Par contre, la punition des pécheurs est l'œuvre de Dieu, qui,
ayant de toute éternité prévu la mauvaise conduite du pécheur, a
aussi de toute éternité déterminé la peine qui lui serait appliquée,
et l'a destiné à cette peine. » — Le moine cherche à montrer en-
suite, par une série de passages de la Bible, que la sainte Écriture
parle de l'éternelle prédestination des maudits; d'après lui, dire
que Dieu connaît d'avance le châtiment éternel qui attend les
pécheurs, mais ne le leur assigne pas de toute éternité et seulement
après leur mort, ce serait introduire en Dieu un changement et,
par conséquent, un principe d'instabilité. En développant ces
preuves tirées de la Bible, Gotescalc dit clairement que Dieu
n'a pas prédestiné les réprouves au péché ; voici ses paro-
les : « Ceux dont tu prévoyais, ô mon Dieu ! l'obstination par
leur propre misère dans les fautes méritant la damnation, tu
les as, en juge équitable, prédestinés à la ruine. » (Proposi-
tion parfaitement orthodoxe et qui ne contient plus trace des
expressions sic omnino et similiter omnino.)
Les adversaires de Gotescalc avaient allégué, paraîL-il, ce pas-
sage de saint Augustin : « Les maudits ont été condamnés par
la prescience de Dieu » (et non pas par la prédestination). Saint
Augustin citait aussi ce texte de l'Apôtre1 : Non repulit Deus
plebem suant, quant prsescU'it. Aussi Gotescalc prouve-t-il que, [150]
dans d'autres passages, saint Augustin a enseigné la damna-
tion des réprouvés par la prédestination. Il ajoute que, dans
le passage cité par ses adversaires et dans ceux cités par
lui, saint Augustin ne s'est pas mis en contradiction avec
lui-même, puisque, dans les actions de Dieu, le prsescire et le
prsedestinare sont une seule et même chose, tout comme dans
le passage biblique qui était allégué, les mots prœscwit et preedes-
tinavit sont employés comme entièrement synonymes. Il cher-
che ensuite à démontrer, par des passages tirés des Pères, la dou-
ble prédestination. Il cite alors saint Augustin, Fulgence, saint
Grégoire et saint Isidore ; il remarque, que, par l'expression
1. Rom., xi, 7.
445. PROFESSIONS DE FOI ET ÉCRITS DE GOTESCALC 159
gemina prœdestinatio, on n'enseigne pas deux prédestinations, mais
une seule, quia, il est vrai, deux aspects, bipartita. (D'après cela,
il enseignerait donc une prédestination absolue, même pour les
réprouvés !) Il remercie Dieu de lui avoir donné ces lumières ; il
assure que la crainte des hommes ne le fera jamais vaciller,
traite ses adversaires d'hérétiques et demande à Dieu d'extir-
per de la terre cette hérésie par la lumière de la vérité. Quoiqu'il
ne veuille avoir aucun rapport avec les hérétiques, il désire cepen-
dant, à cause des minus periti, avoir une assemblée publique ,
dans laquelle il demande à Dieu de pouvoir prouver la
gemina prœdestinatio, en présence du roi et de tous les évêques,
des prêtres, des moines, et par l'épreuve plusieurs fois réitérée
de l'eau et du feu 1.
[lolj La violence avec laquelle Gotescalc I rail ail ses adversaires,
les appelant hérétiques, menteurs, les accusant de s'obstiner par
orgueil à défendre les anciennes erreurs, lorsqu'ils se trouvaient
en présence d'opinions meilleures, dut naturellement blesser
1. Wiggers, dans Niedner's theolog. Zeitschrift, 1859, p. 490, dit avec raison que
« Gotescalc ne s'écarte pas, comme saint Augustin dans ses luttes avec les péla-
giens, du point de vue anthropologique, mais du point de vue théologique. 11
cherchait à donner une explication rationnelle des qualités divines, et croyait
mettre en péril la constance et la sagesse de Dieu en admettant que de la pré-
destination devaient découler les actions humaines. Mais il ne développait pas
avec autant d'âcreté que les augustiniens cette proposition que la sainteté des
uns et la réprobation des autres dépend du bon plaisir de Dieu et de ses décrois
éternels, ou du péché de la race humaine commis en Adam. D'après la théorie
de saint Augustin, la faute d'Adam s'est répercutée sur toute l'humanité, et
tous les hommes sont soumis à la juste sentence de la damnation, par suite du
péché originel. Dans sa bonté Dieu a résolu d'en sauver quelques-uns, mais
ceux qui ne sont pas compris au nombre des élus ne peuvent attendre que le
châtiment mérité. La cause dernière de la sainteté des hommes réside dans la pré-
destination de Dieu, mais la cause de leur perdition réside dans le péché origi-
nel. Dans ce sens, et d'après saint Augustin, la prédestination ne s'applique qu'aux
élus, non aux réprouvés. Pour ces derniers toutefois, la prescience de Dieu avait
prévu leur sort de toute éternité, mais le décret absolu de Dieu ne se rapporte pas
à eux. Ainsi saint Augustin pensait pouvoir faire accorder la justice de Dieu avec
sa bonté. Il ne pouvait admettre une prédestination (ad vitam) découlant de la
conduite des hommes, car par suite de la faute originelle l'homme n'est pas capa-
ble de faire le bien. Par cette profession de foi, écrite sans grande énergie, nous
pouvons juger comment Gotescalc cherchait à mettre d'accord sa doctrine de
la prédestination avec la nature morale des hommes issue du péché; il comprenait
que sa prédestination (même pour les réprouvés) découlait d'un décret absolu, et
non d'un décret ayant égard à la faculté qu'a l'homme de devenir digne de mérite. »
100 LIVRE XXII ]
au vif Hincmar, car c'était lui surtout qui était visé. Gotescalc
ajoutait, ce qui prouve sa ferme conviction et son exaltation,
qu'il était prêt, pour démontrer la vérité de sa doctrine, à
entrer dans quatre tonneaux remplis d'eau bouillante, d'huile
et de poix, et s'offrait aussi à marcher sur des brasiers ardents.
Il était convaincu qu'il ne faisait que renouveler la doctrine de
saint Augustin, mais il le fit de manière à mériter le reproche
de prédestinatianisme.
Outre ces ^deux professions de foi, Gotescalc écrivit à Amolo,
archevêque de Lyon, une lettre dont nous parlerons plus loin,
et un petit livre intitulé Pitacium (Pittacium), adressé à un
moine et dont Hincmar nous a conservé plusieurs fragments.
Gotescalc y dit : « Celui qui affirme que le Christ est mort pour
tous, contredit Dieu le Père ; » et plus loin : « Le Christ a racheté
par le baptême ceux qui ne sont pas. prédestinés ad vitam, non ta-
men, pro eis crucem subiit, nec mortem pertulit, nec sanguinem fu-
dit;» et encore: « Il y a deux redempt iones, l'une quse communis est
et electis et reprobis, l'autre quse. propria et specialis est solorum
omnium electorum. » Et ailleurs : « Nullus tibi (Christo) périt,
quisquis redemptus est per sanguinem crucis tuse. » Enfin : « L'opi-
nion que le Christ est mort pour tous, sans que tous ceux pour
qui il a souffert fassent leur salut, n'est autre chose que evacuare
crucem Christi 1. »
On ne saurait dire si un autre fragment conservé par Hincmar 2
appartient au Pittacium ou à un autre écrit de Gotescalc au-
jourd'hui perdu. Il ^est significatif que Maugin3 ait prétendu,
quoique sans preuve, que ce Pittacium n'était pas un écrit au- '1M501
thentique de Gotescalc ; l'intrépide janséniste a agi de même,
à l'égard de tous les documents qui pouvaient faire tort à son
client. C'est ainsi qu'il a nié plus tard l'authenticité de la lettre
de Gotescalc à Amolo 4.
1. Hincmar, De prasdesL, c. xxix, xxxiv, xxxv, P. L., t. cxxv, col. 271,
365, 370, 371, 372.
2. Id., c. xvn, .i5. L.,t. cxxv, col. 159 sq.
3. Maugin, op. cit., t. 11, p. 307.
4. Id., t. ii, p. 171.
446. CONCILE DE PARIS, AUTOMNE 849 lGl
446. Ratramn, Loup et Prudence prennent parti pour la double
prédestination ; concile de Paris dans 1 automne de 849.
Maugin croit4 que Gotescalc n'a pu écrire ni lettre ni traité
sans l'assentiment d'Hincmar, et que ses deux professions de
foi ont dû passer d'abord par les mains de l'archevêque de
Reims. On ne sait à <|iii il les communiqua ; mais vers le milieu
de l'année 849, Hincmar jugea nécessaire d'éclairer les moines
de son diocèse sur les erreurs de Gotescalc, probablement parce
que plusieurs d'entre eux avaient pris parti pour leur collègue.
L'archevêque écrivit donc son Opusculum ad reclusos et simpli-
ces, dont nous ne connaissons encore quelque chose que grâce à
Rhaban t. Cet opuscule tomba entre les mains de Ratramn,
savant moine de Corbie, au diocèse d'Amiens, qui se crut obligé
de combattre les opinions d'Hincmar, dans une lettre à son ami
Gotescalc. Hincmar, dit-il, se trompe lorsque, dans le passage
de Fulgence : Prseparavit Deus malos ad luenda supplicia, il en-
tend le mot prseparavit dans le sens de permisit prœparari ;
il s'est laissé induire en erreur par un prétendu écrit de saint
Jérôme De induratione cordis Pharaonis, jusqu'à soutenir que
Dieu n'avait pas lui-même endurci le cœur du Pharaon, mais
avait simplement permis qu'il fût endurci 2.
Dès lors, le débat s'agrandit. Du côté d'Hincmar se rangea,
avec beaucoup d'ardeur, son sufîragant Pardulus, évêque de
Laon, et ces deux évêques s'adressèrent, la plupart du temps
en commun, à différents autres évoques et savants, pour con-
naître leurs sentiments sur cette difficile question. Pardulus
parle de six personnages dont ils avaient l'approbation 3. Les
premiers d'entre eux étaient Loup et Prudence. Loup, abbé de
Ferrières, près de Sens, avait en elîet écrit à Hincmar : « Après
mûre réflexion voici, je crois, la vérité : d'après saint Augustin,
la prédestination des bons est une prseparatio gratise, pour les mé-
1. Rhaban, Ep. IV ad Hincmar., P. L., t. cxn, col. 1519.
2. Rhaban, P. L., t. cxn, col. 1522; G. Morin, Un traité pélagien inédit au
commencement du Ve siècle, dans Revue bénédictine, 1909, t. xxvi, p. 163-188,
cf. même revue, 1907, t. xxiv, p. 267. (H. L.)
3. P. L., t. cxxi, col. 1052.
CONCILES — IV - II
162
LIVRE XXII
chants, la prédestination est une subtractio gratise, car, par un
jugement secret quoique équitable, Dieu ne leur accorde pas la
grâce et les endurcit, c'est-à-dire les abandonne à leur propre du-
reté. Il ne prédestine pas ceux qu'il endurcit non au sens de les
précipiter de force dans le malheur, mais au sens de ne les empê-
cher pas de tomber dans les fautes dignes du supplice. On peut
dire, jusqu'à un certain point, que certains sont induits par Dieu
eu tentation, non pas qu'il les y ait lui-même induits, ce qui
est contraire au passage de saint Jacques (r, 13), mais en ce qu'il
laisse tomber dans la tentation ceux que sa grâce-n'empêche pas
d'y succomber. Du reste, la prédestination ne détruit pas plus
la volonté chez les justes que chez les autres. Le juste reçoit de
Dieu la volonté et le pouvoir de réaliser cette volonté, cl néan-
moins il agit en toute liberté; de même, celui qui est abandonné
de Dieu n'est pas nécessité à commettre des péchés, mais il com-
met de plein gré les fautes pour lesquelles il sera éternellement
châtié. En terminant Loup demande à Hincmar, s'il est d'un
autre avis, de vouloir bien le lui dire ; il fait la même demande à
son ami Pardulus L
Loup de Ferrières se prononce donc contre Hincmar, et en
faveur de Gotescalc, pour une double prédestination, sans toute-
fois laisser percer des doctrines prédestinatiennes proprement
dites. Prudence, évêque de Troyes, embrassa par une adhésion
plus motivée l'opinion de Loup, dans une réponse adressée à la [154]
fois à Hincmar et à Pardulus, mais qu'il ne leur envoya que
plus tard, en 850, après avoir obtenvi l'approbation d'un con-
cile. Maugin, Baluze, Mansi et d'autres auteurs admettent que
cette approbation lui fut donnée dans le grand concile tenu à
Paris dans l'automne de 849 2. Ce concile adressa une lettre
d'exhortation très énergique, que nous possédons encore, à Nomi-
noé, duc de Bretagne, qui remplissait mal ses devoirs de vassal
vis-à-vis de Charles le Chauve et avait fait sur le territoire franc
des incursions armées3. Les vingt-deux archevêques et évêques
présents au concile, parmi lesquels Hincmar et Pardulus, rap-
1. P. L., t. exix, col. 606; Maugin, op. cit., t. i, 1er part., p. 18, où, par suite
d'une faute d'impression, on assigne à cette lettre la date de 859 au lieu de 849.
2. C'est ce qui résulte de sa lettre contra Scolurn, c. xi. Maugin, op. cit., t. n,
p. 105 sq.
.'!. Fait inexact. Voir Appendices. (H. L.)
446. CONCILE DE PARIS, AUTOMNE 849 163
pelèrent au duc tous les maux causés par sa soif de pillage
et de domination, la dévastation d'un grand nombre de mai-
sons de chrétiens, la destruction et l'incendie de beaucoup d'é-
glises et de reliques des saints, la confiscation de tant de biens
d'église ; enfin le grand nombre d'hommes lues ou réduits en
esclavage, les rapines, les adultères, le viol des vierges. Le duc
avait, en outre, chassé de leurs sièges des évêques légitimes, pour
les remplacer par des mercenaires. Ce qui était plus grave, il
avait méprisé le vicaire de saint Pierre, à qui Dieu a donné la
primauté sur le monde entier. Malgré son désir d'être en relation
avec le pape, il n'avait pas voulu recevoir sa lettre, de peur
qu'elle ne contint quelque reproche à son endroit. Les évêques
l'exhortaient instamment à faire pénitence et à recevoir la lettre
du pape qui était, pouvaient-ils assurer après l'avoir lue, con-
çue en des termes entièrement impartiaux *. Pour comprendre
ce qui précède, il faut savoir que. dans un conciliabule tenu à
Redon en Bretagne, en 848, le duc Nominoë avait déposé les
quatre évêques Sulsannus de Vannes, Salaco d'Aleth, Félix de
Cornouailles et Libérât de Léon. Institués par le roi Charles le
Chauve à qui ils étaient restés fidèles, Nominoë les accusait de
simonie et les menaçait de mort, s'ils n'avouaient pas ce crime.
Terrifiés, ils dirent quelque chose qui pouvait être interprété
comme un aveu et se réfugièrent auprès de Charles le Chauve.
Nominoë les remplaça par ses favoris, érigea deux autres évê-
chés et éleva Dol à la dignité d'archevêché, pour affranchir son
duché de la province ecclésiastique de Tours 2.
Deux autres documents, provenant de ce même concile de
Paris tenu en 849, concernent les donations d'Hérimann, évêque
de Nevers, à son église. Le moine Albéric rapporte encore que
ce même concile de Paris décréta l'abolition des chorévêques
en France 3. Néanmoins on rencontre encore plus tard plusieurs
chorévêques.
Avant la découverte du Chronicon Fontanellense, on croyait
[1551 généralement 4 Qne QOtre concile s'était tenu à Tours, parce
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 923; Hardouin, op. cit., t. v, col. 19.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 924, 942. Voir Appendices. (II. L.)
:;. Lalande, Concilia Gallise, p. 330; Labbe, Concilia. t. vin, col. 58-61. 1928-
1931 ; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 1!); Coleti, Concilia, t. ix, col. 1057 ; Mansi,
Concilia, Supplem., t. i, p. 921; Conc. ampliss. coll., t. xiv. col. 923. (H. L.)
4. Cf. Baronius, Annales, ad ann. 849, n. 14.
164 LIVRE XXII
que Lantran, archevêque de Tours, y avait tenu la première
place. Mais cette chronique indique jusqu'à l'évidence que
l'assemblée s'est tenue à Paris. Quant à la présidence de Lan-
tran, on l'explique parce que le concile eut surtout à s'occuper
des affaires de la Bretagne qui faisait partie de la province ecclé-
siastique de Tours 1.
Von Norden conteste à bon droit 2 que ce concile de Paris ait
approuvé formellement l'écrit de Prudence et par suite condamné
l'opinion d'Hincmar. S'il en eût été ainsi, les adversaires
d'Hincmar auraient certainement invoqué contre lui ce concile
si important, ce qu'en réalité ils ne firent jamais. Dans l'écrit
dont il est question ici, Prudence commence par protester qu'il
aurait été heureux d'éclaircir de vive voix cette question avec
les savants et saints personnages, Hincmar et Pardulus, mais
il en a été empêché et a dû se résigner à le faire par écrit. Il
leur demande de ne pas s'attaquer à la doctrine de saint Augus-
tin, approuvée par tant de papes, et défendue par Fulgence,
Prospcr, de. Alors il s'agissait [dus particulièrement de la pré-
destination des élus ; maintenant au contraire, la question porte
sur la prédestination des maudits. — Prudence expose en-
suite, dans le c. ni, la doctrine de la double prédestination.
« Comme, par suite de la désobéissance de nos premiers parents,
toute la masse du genre humain se trouve condamnée, Dieu tout-
puissant a fait tout à la fois acte de prescience et de prédesti-
nation lorsque, par pure miséricorde, il a voulu détacher de
cette massa perdita ceux qu'il fait arriver au moyen de la grâce
et du sang du Christ, à la vie, à la magnificence et au royaume.
Il a de même prévu et prédestiné tous ceux que la grâce et le
sans: du Christ ne détacheraient pas de cette massa tniserabdis,
et ils les a frappés d'une peine éternelle. Il ne les a pas prédes-
tinés, i. e. prœordinavit, dans ce sens qu'ils seraient obligés de
pécher, mais dans ce sens qu'ils seraient, à cause de leurs péchés,
soumis à une peine éternelle. Il ne les a pas prédestinés à la
culpa, mais bien à la pœna. » - De là. Prudence passe à la
seconde question, connexe avec la première : Le sang du Christ
a-t-il été versé en général pour tous les hommes, ou seulement
pour les electi, les prsedestinati ? « Le Christ lui-même, dit-il,
1. Maugin, loc. cil., t. n, p. 101 sq. Pagi, Crilica, ad ami. 849, 1,
2. Op. cit., p. 69.
446. CONCILE DE PARIS, AUTOMNE 849 165
paraît indiquer que son sang n'a été versé que pour les élus, car
nous lisons ces mots dans trois évangélistes : Ceci est mon sang,
qui sera verse pour beaucoup. Saint Luc porte celle variante: qui
sera versé pour vous. On voit donc par là que le sang du Christ n'a
pas été versé pour tous ; on lit, il est vrai, dans Ire à Timo-
15b] thée, ii, 4 : qui vuli omnes homines salvos fi.eri; mais le mot
omnes doit être pris ici non pas gêner aliter, mais specialiter. Il
désigne non tous les hommes, mais, d'après saint Augustin,
ceux dont Dieu veut qu'ils arrivent au bonheur éternel, ou encore
des hommes pris dans toutes les nations; ou enfin la phrase signi-
fie : Dieu fait que nous voudrions voir tous les hommes arri-
ver au bonheur éternel. Celui qui interpréterait le mot omnes
dans un sens tout à fait général, nierait la toute-puissance divine;
car tous les hommes devraient devenir bienheureux, si Dieu le
désirait réellement. Prudence cherche ensuite (c. iv,) à démon-
trer, par des passages de la Bible, sa troisième proposition : Dieu
ne veut pas que tous les hommes deviennent heureux, et ne donne
pas sa grâce à tous ; ensuite (c. v à xn), il cite des passages des
Pères pour appuyer la doctrine de la double prédestination.
Enfin, dans le treizième et dernier chapitre, il réunit encore plu-
sieurs passages des Pères sur la grâce et le libre arbitre pour
montrer qu'à la suite du péché, la liberté humaine était devenue
nulle pour le bien, mais que la grâce du Christ l'avait ressuscitée
et relevée. — La dernière partie, que l'on a prétendue extraite de
Gennade, mais qui est en réalité la conclusion de Prudence,
décrit la marche de la justification : Il est vrai que. malgré la
chute originelle, le libre arbitre est resté à l'homme pour faire son
salut ; mais pour que ce libre arbitre parvienne effectivement à
pratiquer le bien, il doil être d'abord excité par Dieu au moyen
d'une inspiration divine et invité au salut. Initium ergo salutis nos-
trse Deo miserante habemus; ut acquiescamus salutiferse inspirationi,
nostrse potestatis est ; ut adipiscamur quod acquiescendo admoni-
lioni cupimus, divini est muneris ; ut non labamur in adepto salutis
munere, sollicitudinis nostrœ et cselestis pariter adjutorii ; ut laba-
mur, potestatis nostrœ est et ignavise 1. Ce beau passage prouve,
incontestablement, que Prudence, pas plus que saint Augustin.,
1. P. L., t. c.xv. cpl. 971-1010. Maugin n'a inséré qu'une partie de cet écrit
t. ii, p. 107.
166 LIVRE XXII
n'entendait ces expressions liberum arbitrium periit, etc., au sens
destréformateurs protestants.
447. Autres écrits de Loup et de Ratramn sur la même question 1
Après le concile de Paris, en décembre 849, Loup de Ferrières
séjourna à Bourges, à la cour de Charles le Chauve, et exposa
à ce prince sa manière de voir sur la prédestination, le libre [157]
arbitre et la rédemption par le sans; du Christ. Il appuya ses
doctrines de passages tirés de la Bible et des Pères. Comme
certains (Hincmar et ses amis) l'accusaient de ne pas penser à
l'égard de Dieu pie et fideliter, il crut bon d'exposer brièvement
son opinion sur ces trois points, dans une lettre au roi :« Dieu,
dit-il, a créé Adam en état de justice, et avec lui il nous a nous-
mêmes tous créés dans cet état. Mais Adam a, sans aucune
contrainte, abandonné la rectitude naturelle et péché si gra-
vement qu'il s'est précipité dans sa ruine, entraînant avec lui
tous ses descendants. Notre culpabilité ne mérite donc que la
punition, et Dieu, pour qui l'avenir est présent, a vu que toute
la masse du genre humain serait corrompue en Adam par le
péché. Néanmoins, il n'a pas voulu retirer au genre humain sa
bienveillance, bene usurus etiam malis ; avant même la création
du monde, il a choisi dans cette masse ceux qu'il voulait, par
sa grâce, délivrer de la peine qu'ils avaient méritée. Quant aux
autres, c'est-à-dire ceux auxquels il n'a pas accordé cette grâce.
il les a abandonnés au juste jugement mérité parle péché. On
peut donc dire de ceux qui ne sont pas atteints par la grâce de
Dieu, que Dieu les endurcit, indurat eos ; ils sont appelés par
saint Augustin prsedestinati ad pœnam, non dans ce sens qu'ils
soient forcés de se perdre, mais dans ce sens que leur abandon par
Dieu ne saurait être commué.» Loup dit au sujet du second point :
« Le libre arbitre pour le bien a été perdu; l'homme avait le pou-
1. Sur l'activité épistolaire et la chronologie du recueil de Loup de Fer-
rières, cf. G. Desdevises du Dezert, Lettres de Serval Loup, abbé de Ferrières.
Texte, notes et introduction, in-8, Paris, 1888 ; L. Levillain, Étude sur les lettres
de Loup de Ferrières, dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 1901, t. lxii,
p. 445 sq. ; 1902, t. lxiii, p. 69 sq., 289 sq., 536 sq. (H. L.)
447. AUTRES ECRITS DE LOUP ET DE RATRAMN
167
voir de le perdre, mais il n'avait pas celui de le recouvrer. Il se
trouverait donc sans aucun libre arbitre pour le bien, si celui-
ci n'avait pas été affranchi par la grâce divine (dU'ina gratia
liberatum). Dieu seul a relevé cette volonté pour le bien. La grâce
divine nous arrive d'abord, pour nous faire vouloir et commencer
le bien, puis elle nous accompagne (subsequitur), afin que nous
ne voulions pas en vain et que nous coopérions avec elle. Tou-
tes les bonnes actions sont princip aliter l'œuvre de Dieu, elles
ne sont la nôtre que consequenter, quia voluntate a nobis fiunt. »
Loup a tort de ne pas mentionnner ici cette distinction si claire,
savoir si le libre arbitre a été perdu simplement actu ou poten-
tia. Mais l'expression liberatum montre que Loup est dans le vrai,
c'est-à-dire que d'après lui le libre arbitre n'est pas anéanti, mais
simplement prisonnier, il est devenu latent actu et il a besoin
d'être délivré. Loup reconnaît aussi la nécessité de notre coopéra-
tion. Enfin à cette troisième question : Si le sang du Christ a coulé
pjro-|pour tous? l'abbé de Ferrières répond en ces termes: « Le
Christ dit lui-même pro multis, et saint Jérôme explique ces
mots : pro his qui credere voluerint. Par conséquent il entend
dans ce pro multis les fidèles en général, aussi bien ceux qui
restent fidèles à la grâce que ceux qui la perdent par le péché.
Saint Augustin est du même sentiment; saint Jean Chrysostome
croit au contraire, mais il est dans l'erreur, que le Christ est
mort pro unis'erso mundo.Si quelqu'un montre au roi les œuvres
de Fauste de Riez, qui professe une autre doctrine que saint
Augustin, le roi pourra se souvenir que le pape Gélase et son
concile ont condamné les écrits de cet homme 1.
Au début de cette lettre Loup parlant au passé de son séjour
à Bourges, on en peut conclure que la lettre a été écrite en 850.
Or, à cette date, l'abbé de Ferrières traitait ces mêmes questions
dogmatiques avec beaucoup plus de détails dans son Liber de
tribus qusestionibus 2. Ne suivant plus l'ordre observé dans sa
1. Loup, Epist., cxxviii, P. L., t. cxix, col. 601 sq. ; Maugin, loc. cit., t. i,
part. 2, p. 37; t. n, p. 110. [Sur cette lettre, cf. L. Levillain, dans la Bibliothè-
que de l'Ecole des chartes, 1902, t. lxiii, p. 553-556. (H. L.)]
2. Loup, P. L., t. cxix, col. 619 sq. ; mieux dans Maugin, op. cit., t. i,
part. 2, p. 9 sq. Seulement Maugin est dans le faux lorsqu'il attribue cet ou-
vrage, non pas à Loup, abbé de Ferrières, mais à un prêtre qui vivait à cette
même époque à Mayence ; il pense que Loup a simplement composé la lettre
Ad Carolum regem et le Collectaneum dont nous parlerons 'plus tard, t. i,
168 LIVRE XXII
lettre au roi, Loup s'occupe d'abord du libre arbitre, et y cou-
sacre la moitié de son mémoire. Il y revieul encore en traitant la
question de la prédestination. La division entre les deux parties
est si peu tranchée, que Maugin a pu faire commencer la seconde
partie aux mots: Hsecautem gratiam, tandis qu'en réalité elle
commence plus haut : llœc plane ut supra relatum est. Dans la
première division, Loup expose longuement que, par suite du
péché, le libre arbitre pour le bien a été perdu (de fait) ; avec-
saint Augustin (dans le troisième ou le quatrième livre de l'o-
peris imperfecti), maintenant perdu, il dit que le libre arbitre, né
avec nous et que nous ne saurions perdre, consiste en ce que
beati esse volunt etiam hi qui ea nolunt quse ad beatitudinem du-
cunt. Loup répète ici : Le libre arbitre pour le bien doit être
affranchi par la grâce de Dieu ; ici doue, comme dans la lettre
au roi Charles, il comprend cette non-existence du libre arbitre
après la chute originelle comme un emprisonnement, un état la-
tent, mais non comme un anéantissement proprement dit. Il
croit, à l'encontre du semi-pélagianisme, qu'aucun bien, si petit
qu'il soit, ne procède de nous-mêmes, mais vient de Dieu, que [159]
de lui proviennent les cogitaliones bonne, initium fidei et la
perfectio fidei. Il croit également que la perseverantia est un don,
une grâce de Dieu. Tout bien est donc principaliter un don
de Dieu, mais consequenter c'est aussi une action de l'hom-
me. Idemque opus et Dei est, qui operatur in nobis, et nostrum
est, quia voluntate facimus quod prœceptum est nobis. Loup for-
mule aussi cette proposition remarquable, pleinement conforme
au c. 19 du concile d'Orange de 529 : « Adam a eu besoin
(même avant sa chute) du secours divin pour avoir la volonté de
faire le bien.)) - - En tête de la seconde partie, De prsedestinatione, .
Loup pose ce principe : tandis que Ions les hommes avaient
mérité la mort, la ^miséricorde de Dieu en sauve quelques-
uns, pendant que les autres, occulto Dei judicio quamquam
rectissimo, sonl abandonnés à la damnation méritée. Quant à
la question de savoir pourquoi Dieu sauve les uns et non
les autres, elle est supra hominem. Ensuite Loup explique
l'expression : « Dieu endurcit » (dont nous avons parlé au
part. 2, p. 10 ; t. n, p. 114. Le P. Sirmond a bien jugé cette question [P. L.,
t. exix, col. 619 not.) ainsi que l'auteur de V Histoire littéraire de la France, t. v,
p. 262 sq.
447. AUTRES ÉCRITS DE LOUP ET DE RATRAMN 169
début du présent paragraphe), puis il interprète exactement
tomme Prudence, le passage de l'apôtre saint Paul : qui
vull omîtes homines salvos fieri : il rejette la doctrine d'une
seule prédestination propter prsevisa mérita, enseigne la gemi-
na prœdestinatio, en disant : (Deus) operatur in mentibus pio-
rum, adjuvando al saluiaria velint et in eis proficiant ; ope-
ratur ( !) in mentibus impiorum, deserendo, ne nisi noxia velint
et in pejora labantur. 11 réfute ensuite l'opinion qui voit en
Dieu l'auteur de la mauvaise volonté des perditi, puis il établit
cette distinction fort juste : que Dieu prédestine ce qu'il fait
lui-même ; mais quant aux péchés des hommes, il ne les prédestine
pas, il les prévoit seulement, en sorte que la prœscientia est le
plus souvent sine prsedestinatione. Du reste, le nombre des élus
es1 fixé, on n'y peut ajouter ni en retrancher personne. Loup
n'ignore pas que certains illustres évêques ont élevé des objec-
tions contre la prœdestinatio ad mortem, sous prétexte que, si on
l'admettait, on devait aussi admettre que Dieu avait condamné,
de par son bon plaisir, une partie des hommes au châtiment, et
parce qu'il serait injuste de condamner ceux qui n'avaient pas
le pouvoir d'éviter la faute et par conséquent la punition. Il
répond : « Tous ont péché volontairement en Adam, et Dieu
[1G0] n'a pas forcé l'homme à tomber ; il l'a seulement laissé tomber ;
il prévoyait la chute (prsescU'it) et, dès l'origine, il a déterminé
et prédestiné la conséquence de cette chute. » C'est se faire
grandement illusion, continue-t-il, de dire : « Si je suis prédes-
tiné ad mortem., je veux du moins jouir de cette vie.» Dieu veuille,
ajoute-t-il, que jamais un chrétien n'ait cette croyance insensée,
qu'il appartient au nombre des maudits et qu'il ne peut se sépa-
rer des méchants et devenir bienheureux! Ceux-là ne peuvent
pas penser ainsi qui se souviennent d'avoir été rachetés par le
précieux sang du Christ, et savent que la pénitence peut leur
ouvrir l'entrée d'une éternité bienheureuse. David, Pierre et le
bon larron sont des exemples de ces retours. Quand même
quelqu'un saurait qu'il sera damné, il devrait cependant s'appli-
quer aux bonnes œuvres pour diminuer son châtiment ( !). Ces
illustres évêques (lamina) ne doivent pas rougir de changer de
sentiment, car le déshonneur ne consiste pas à tomber dans l'erreur,
mais à s'y obstiner. — La troisième partie, très courte, cherche à
prouver que l'expression omnes dans I Timoth., tt. A, ne désigne
pas seulement les Juifs, mais des personnes prises dans tous les
170 LIVRE XXII
peuples et qui seront sauvées par le sang de Jésus-Christ. Saint
Jean Chrysostome seul a pris omnes au sens de toute l'humanité,
Dans son troisième écrit, Collectaneum de tribus qusestionibus.
Loup a réuni les passages des Pères sur lesquels il appuyait son
sentiment 1.
Le savant moine Ratramn de Corbie avait reçu de Charles le
Chauve une demande semblable à celle adressée à l'abbé Loup,
et nous possédons encore les deux livres De prsedestinatione, datés
de 850, par lesquels il exposait au roi sa manière de voir 2. Les
principaux passages du premier livre nous disent que : « de toute
éternité Dieu prévoit et dispose toutes choses [dispensât et disponit),
par conséquent même les pensées des hommes. Toutefois dans
les bonnes pensées il est à la fois auctor et ordinator, tandis que
pour les mauvaises il est simplement ordinator. Ces dernières
ne sont pas de lui, mais elles servent sa volonté. Ayant tout prévu
de toute éternité, il a aussi disposé toutes choses de toute éternité.
Dans cette disposition éternelle, il n'a pas oublié la fin des élus
et la fin des maudits, qu'il a réglée par un décret immuable.
Cette dispositio sempiterni consilii est la prsedestinatio operum
Dei, par laquelle il dispose les élus pour le règne de Dieu (ad
regnum disponit) et les réprouvés au châtiment (reprobi ad psenas). »
Vient ensuite une preuve tirée de saint Augustin 3 montrant [ltilj
que Dieu dirige même les pensées mauvaises des hommes dans
le sens où il veut et les fait encore servir à sa volonté. C'est ainsi
que la trahison de Judas a servi à procurer la mort du Rédemp-
teur. L'auteur donne quelques autres exemples tirés de la Bible
prouvant que Dieu met à profit même les mauvaises pensées des
hommes et agit dans leurs cœurs. Il dirige les hommes vers le
bien et vers le mal ; mais cette direction vers le mal n'est
autre chose que le résultat d'une malice existant déjà chez
celui qui est ainsi dirigé (manifestatur operari Deum in cordibus
hominum ad inclinandas eorum voluntates, quocumque voluerit,
sive ad bona pro sua misericordia, sive ad mala pro meritis eorum,
judicio utique suo aliquando aperto, aliquando occulto, semper ta-
men justo). Il endurcit les cœurs, mais seulement après qu'on a
mérité cet endurcissement. — Viennent alors des passages
1. P. L., t. cxix, col. 647 sq. ; Maugin, op. cit., t. i, part. 2, p. 41 sq.
2. P. L., t. cxxi, col. 14 sq. ; mieux dans Maugin, op. cit., t. i, part. 1. p. 29;
t. ii, p. 133.
3. De gratia et libero arbitrio, c xx, P. L., t. xlv, col. 905 8q.
447. AUTRES ÉCRITS DE LOUP ET DE RATRAMN 171
de saint Grégoire le Grand, de Prosper et de Salvien, qui traitent
de cette disposition divine et font voir que Dieu utilise, pour réa-
liser ses plans, même les mauvaises pensées et les mauvaises ac-
tions des hommes, même le mal que fait Satan, car Dieu a tout
déterminé par avance d'une manière immuable. Ainsi, saint
Grégoire le Grand dit : « Les pieux obtiennent par la prière ce
à quoi Dieu avait décidé par avance qu'ils parviendraient au
moyen de la prière. » — Dans la deuxième division du premier
livre, Ratramn parle de la double prédestination, et prouve, par
dos passages de saint Augustin, que la foi et les œuvres sont de
pures grâces de Dieu, qu'aucun prédestiné ne se perd, que tous
avaient mérité la damnation, que ceux qui n'arrivent pas au bon-
heur sont laissés dans la massa perdîtionis ; que les autres, au
contraire, sont distraits de cette masse sans qu'ils aient mérité
d'en être séparés. De plus, Dieu choisit certaines personnes
ad tempus, Judas, par exemple, et ne leur accorde pas le
donum perseverantise ; le nombre des prédestinés est fixé,
on ignore pourquoi Dieu donne la grâce aux uns et ne
la donne pas aux autres, pourquoi il laisse mourir les uns en
état de grâce et non les autres ; enfin le Christ est le plus splen-
dide modèle prsedestinationis sanctorum 1.
En tête du second livre, également adressé au roi Charles,
Ratramn donne, d'après saint Augustin et Fulgence, la défini-
tion de la prédestination : elle est futurorum operum Dei seterna
prseparatio. Il prouve, par un grand nombre de passages des Pères,
qu'il y a une double prédestination, l'une des élus, l'autre des
réprouvés. Dieu prédestine les élus à leurs bonnes œuvres et à ht
récompense qui en est le résultat ; les réprouvés, au contraire,
sont, parce que Dieu a prévu qu'ils s'obstineraient dans le péché.
[1<)2] prédestinés ad psenam, mais non ad peccatum, car ce n'est
pas le peccatum. c'est la redditio psense qui provient de Dieu.
Dieu ne prédestine qu'à ce qu'il fait lui-même, il ne saurait
donc prédestiner au mal, mais simplement à la peine résultan I
du mal. Lorsque saim Augustin se sert de l'expression: les mé-
chants sont prédestinés ad interitum, il entend par intentas, non
pas le peccatum. mais la peccati vindictam. Quelques personnes
acceptent l'expression : « la peine est prédestinée aux méchants, »
mais rejettent cette autre : « les méchants sont prédestinés îi
1. Tiré de saint Augustin, De prœdestinalione sanctorum, c. xv.
172
LIVRE XXII
la peine ; » en cela ils sont en contradiction avec ce passage de
l'apôtre saint Paul: ç>asa irse aptata in interitum (Rom., ix, 22),
et avec saint Fulgence. Vainement objectent-ils, la prsedesti-
natio ad mortem porte atteinte à la liberté de l'homme et à la
justice de Dieu : car a) la prescience divine ne force personne
;'i pécher, mais Dieu sait de toute éternité les péchés que chacun
commettra en toute liberté ; b) la prédestination n'oblige pas
les hommes à se perdre, car nul n'est damné parce qu'il est
prédestiné à la damnation, mais parce que Dieu a vu qu'il
persévérerait librement dans le péché. — Un très beau passage
de saint Isidore1 {Différent., lib. II, dist. XXVII, xi, 2) donne à
l'auteur l'occasion de revenir sur la doctrine de la double pré-
destination, de même que sur la liberté et la grâce. Il insiste
beaucoup sur les mots nullis prsevisis meritis, et reprend l'en-
seignement déjà énoncé : Dieu retire certaines personnes de la
massa perditionis pour montrer sa miséricorde tandis qu'il aban-
donne les autres à un juste jugement ; celles-ci ne peuvent se
plaindre, parce qu'il ne leur attribue que ce qu'elles ont mé-
rité ; la prédestination est éternelle, immuable, et la raison
pour laquelle les uns sont sauvés et les autres abandonnés à
leur ruine, n'est autre que le propositum prsedestinantis Dei. —
Jusqu'ici Ratramn avait développé ses sentiments plutôt d'une
manière analytique et en s'appuyant sur des passages des
Pères ; clans la dernière partie du deuxième livre il procède d'une
manière plus synthétique et vise surtout les opinions de ses
adversaires. Aussi s'applique-t-il à mettre en relief l'idée prin-
cipale de Gotescalc dans sa profession de foi détaillée, que la
prsedestinatio adpsenam est un acte bon parce qu'il provient de la
justice divine en sorte que le principe d'une prsedestinatio in
bonis n'est pas en opposition avec celui d'une double prédesti- [163]
nation. L'auteur prouve ensuite que la prsedestinatio ad pgenam
n'est pas une prsedestinatio ad peccatum, bien qu'on ne puisse
dire : Dieu ne fixe la peine qu'après la faute de l'homme,
parce qu'on introduirait ainsi en Dieu un principe de mutabilité.
1. EtymoL, lib. II, dist. XXVII, c. n, n. 2.
448. RHABAN POUR HINCMAR 173
448. Rhaban prend parti pour Hincmar.
Charles le Chauve fit remettre à Hincmar les écrits de Prudence
et de Ratramn, peut-être aussi celui de Loup 1 ; aussitôt (avant
Pâques de l'année 850), l'archevêque de Reims sollicita l'appui
de Rhaban, archevêque de Mayence, dans les nouvelles contro-
verses. La lettre d' Hincmar est perdue2; mais nous possédons la
réponse de Rhaban. Elle nous apprend que le messager d' Hinc-
mar était arrivé chez Rhaban en mars 850, et lui avait remis,
avec une lettre, l'opuscule d' Hincmar ad reclusos et simplices, et
les scripta aliorum qui avaient pris parti pour Gotescalc, en par-
ticulier ceux de Prudence de Troyes et de Ratramn de Corbie.
Rhaban s'accorde avec Prudence, pour admettre que Dieu
n'oblige personne à pécher ; mais lorsque l'évêque de Troyes
dit :« De même que (sicut) Dieu conduit les élus à la vie éternelle,
de même (ita) il force les pécheurs à se perdre, » l'archevêque
déclare n'avoir pas trouvé cela ainsi exposé (mixtim positum)
dans la sainte Écriture. Aussi, les traditions (les témoignages
des Pères) invoquées par Prudence ne le tranquillisent pas.
Rhaban attribue ici à Prudence une phrase qui n'existe pas tex-
tuellement dans son écrit, mais qui se trouve à peu de chose
près dans Gotescalc ; entre les deux prédestinations, l'assimila-
tion étroite exprimée par les mots sicut et ita, est de Gotescalc,
non de Prudence. — Rhaban regrette de ne pouvoir, à cause de
l'âge et de la maladie, réfuter en détailles opinions de Prudence et
opposer d'autres textes à ceux qu'il a réunis. Il a d'ailleurs ex-
posé sa manière de voir et ses preuves, scripturaires et patristi-
ques, dans ses livres à Noting et au comte Eberhard. Comme,
selon la remarque d' Hincmar, Gotescalc a altéré ces livres,
Rhaban en envoie une copie authentique. Il ne veut y ajouter que
peu de chose. La sainte Ecriture ne parle d'une prédestination que
pour le bien, il ne se souvient pas d'en avoir trouvé une pour le
mal. Viennent alors des passages de la Bible établissant la prse-
[164] destinatio ad vitam, et démontrant que Dieu n'est pas auctor mali.
1. Hincmar, De prsedest., c. v, P. L., t. cxxv, col. 90.
2. C'est la troisième lettre à Rhaban mentionnée par Flodoard, op. cit., 1. TFT,
C. XXI.
174 LIVRE XXII
Le moine de Gorbie, poursuit Rhaban, avait eu tort de blâmer
Hincmar de ce qu'il avait regardé ces paroles de Fulgence, prse-
paravit Deus malos ad supplicia, comme identiques à prœpa-
rari permisit, et l'expression de la Bible : Deum indurasse cor
Pharaonis, comme signifiant indurari permisit. Hincmar avait
pleinement raison, car Dieu n'endurcit pas lui-même le cœur de
personne, il le laisse simplement s'endurcir, sauf à punir en-
suite le coupable. Le véritable auteur de cet endurcissement
est la malice de l'homme, ou la ruse de Satan. Obdurare est ici
synonyme de relinquere. Du reste l'homme n'a pas à scruter les
jugements et les secrets de Dieu, il doit les vénérer et croire fer-
mement que Dieu, qui veut le salut de tous les hommes, n'a-
bandonne aucun de ceux qui espèrent en lui. Rhaban s'était
contenté de signaler ces courts passages de la sainte Ecriture
et des Pères, auxquels Hincmar pouvait en ajouter lui-même
beaucoup d'autres, car il était personnellement très savant et
jouissait d'une bonne santé. Il l'exhortait instamment, à ne plus
souffrir entre les chrétiens de pareilles et honteuses discussions,
et à ne plus laisser Gotescalc nuire par ses écrits et ses dis-
cours. Il était surpris qu' Hincmar, ordinairement si prudent, eût
autorisé ce dangereux Gotescalc à répandre des écrits, dont le
venin avait infecté tant de personnes en divers lieux. C'était
agir contre les conseils de saint Paul {Tit. m, 10). On ne devait
permettre à Gotescalc aucune discussion, mais on devait prier
pour lui, afin que Dieu lui accordât un cœur guérissable. Rhaban
ne pouvait approuver qu'on lui eût permis de recevoir la commu-
nion, même avant sa conversion 1. Il partageait pleinement les
sentiments d' Hincmar, dans son écrit ad reclusos, mais il regar-
dait comme superflu d'écrire contre Gotescalc, chez qui il n'y
axait que de l'orgueil. Ce qui trahissait cet orgueil, c'est qu'il
avail <i dressé cette grande profession de foi à Dieu et non aux
hommes, comme s'il estimait indigne de lui de leur adresser la
parole. Enfin Rhaban blâme la demande formulée par Gotescalc
de soumettre la question au jugement de Dieu ; il souhaite
qu'Hincmar soit satisfait de ce traité écrit licetrustico stylo, tamen
devoto animo 2.
1. Voir Von Norden, Hinkmar, p. 73.
2. Rhaban, P. L., t. cxn, col. 1518. Cf. Maugin, op. cit., t. n, p. 100, 109,
112; Knnstmann, Rhaban Maur, p. 138 sq.
449. SCOTT ÉRIGÈNE CONTRE GOTESCALC 175
K35] 449. Jean Scot Érigène se prononce contre Gotescalc,
et Prudence contre Scot Érigène.
Nous apprenons, par la lettre de Pardulus à l'Église de Lyon,
et par la réponse de Rémi, archevêque de Lyon, qu'Hincmar et
Pardulus ayant demandé conseil à divers savants, en avaient
reçu six réponses K Rémi trouve inconvenant qu'on ait consulté
un fantasque tel qu'Amalaire, un théologien ignorant tel que
Scot, et qu'on l'ait forcé à donner réponse. Aucun écrit d'A-
malaire sur la prédestination n'est arrivé jusqu'à nous ; mais
nous avons de Scot Erigène un livre assez considérable De prsedes-
tinatione, daté de 851 2. Dans la discussion, Scot se place plus
sur le terrain de la philosophie que sur celui de la théologie. Il ne
cite pas, comme les autres savants, des passages de la Bible et
des Pères ; il argumente en pur dialecticien; partant des con-
cepts de Dieu, de la liberté, du péché, etc., il côtoie à la fois
et le rationalisme et le panthéisme. Dès le début il nomme
diabolique la secte qu'il combat et accuse Gotescalc tantôt de
pélagianisme, tantôt des erreurs opposées : « La prédestination,
dit-il, est identique à la sagesse de Dieu et à Dieu même. Aussi
est-elle unique, car rien ne saurait être double en Dieu. Cette pré-
destination une est celle des justes. Elle est identique à la pres-
cience, et l'ignorance delà langue grecque a seule laissé s'introduire
cette distinction entre la prescience et la prédestination. Le grec
opao) et xpoopàw signifie tout à la fois prseA'ideo, prœdefinio, prsedes-
tino, et la version latine aurait pu, dans l'épître aux Romains,
i, 4, et dans celle aux Ephésiens, v, 11, traduire ces mots grecs
aussi bien par prsevidere que par prsedestinare. 11 ne saurai! y
avoir une praedestinatio ad psenam, car il n'y a en réalité une ce que
Dieu fait. Aussi le péché n'a-t-il pas d'existence réelle, il est une
pure négation; de même la peine du péché n'existe pas réellement,
c'est simplement le déplaisir du pécheur qui n'a pu attein-
[166] dre son but mauvais. Il est vrai que les pécheurs sont appelés
1. Op. cit., P. L., t. cxxi, col. 1052, 1054; Maugin, op. cit., t. n, p. 230.
2. Il a été édité pour la première fois par Maugin, op. cit., t. i, part. 1, p. 103
sq.; et de nos jours, par Floss dans P. L., t. cxxn, col. 355 sq.
176 LIVRE XXII
prsedestinati par plusieurs Pères, qui ne prenaient pas alors ce
mot au sens strict; ils font comme le Christ, disant à Judas, amice
au lieu de inimice. Ils appellent les pécheurs prédestinés au lieu
de non-prédestinés, tout comme on dit lucus a non lucendo,
et Parcss, quod nulli parcant 1. »
Hincmar se repentit certainement d'avoir introduit dans le
débat un homme tel que Scot Erigène qui devait lui être plus
nuisible qu'utile, et permit au parti adverse d'écrire des réfu-
tations très fortes. Wenilo, archevêque de Sens, envoya à son
savant sufïragant, Prudence de Troyes, pour qu'il les réfutât, dix-
neuf capitula tirés des œuvres de Scot, qui lui semblaient erronés.
Prudence publia donc (été de 852) son grand ouvrage De prœdesti-
natione contra Joannem Scotum, etc., avec une préface adressée
à Wenilo 2. Il ne se bornait pas à la réfutation des dix-neuf capitula,
mais passait au crible tout l'écrit d'Erigène, et opposait
ses correctiones à près de cent propositions émises par son
adversaire. Quoique lié personnellement avec Scot (c. i), Pru-
dence s'exprime très énergiquement contre lui et l'accuse d'avoir
renouvelé les anciennes hérésies des pclagiens, d'Origène et des
collyriens. Il appelle même Scot Erigène un nouveau Julien d'Ecla-
ne dont il a l'esprit (Prœf.). Personnellement, Prudence rejetait le
pélagianisme autant que Scot; mais quand ce dernier parlait d'une
erreur opposée au pélagianisme, il se faisait illusion, car saint Au-
gustin et les autres n'avaient connu rien de semblable. Scot désignait
les opinions de Gotescalc comme un mélange des erreurs péla-
giennes et des erreurs opposées au pélagianisme ; Prudence ne
voulait pas affirmer que cette manière de voir fût réellement
celle de Gotescalc; mais il était évident que sous le nom de
Gotescalc, Scot attaquait tous les docteurs catholiques, et ce
qu'il appelait la troisième hérésie, résultant d'une sorte de
compromis, n'était en réalité que la doctrine de saint Augustin
(c. i et iv). En terminant, Prudence expose en soixante-dix-sept
numéros les principales erreurs de Scot et les réfute rapidement.
1. Voyez la Disserlatio, p. 26 sq., en tête de l'édition de Floss.
2. Dans Maugin, op. cit., t. i, part. 1, p. 194-574. Voyez t. n, p. 146 sq., ctPm-
denlii Opéra, P. L., t. cxv, col. 1109-1366.
450. FLORUS ET A.MOLO 1/7
450. Florus et Amolo.
Vers cette même époque, Florus de Lyon, dont nous avons
déjà parlé, composa à la demande de plusieurs amis, un court
traité sur la prédestination, qui, plus peut-être qu'aucun autre écrit
de cette époque, marque exactement la différence entre la doc-
trine orthodoxe et celle de Gotescalc sur la double prédestina-
tion, en admettant comme acquis, que Florus a expliqué
exactement les paroles de Gotescalc. Florus se prononce dans
le même sens que Prudence, sur la prsedestinatio gemma. Les
élus, dit-il, sont prédestinés par Dieu, aux bonnes œuvres el à
la béatitude ; les pécheurs ne sont pas prédestinés au péché,
mais à la peine due à leurs fautes. Gotescalc s'écarte de
cette doctrine orthodoxe, lorsqu'il écrit : quod hi qui pereunt,
prsedestinali sunt ad perditionem, et ideo aliter evenire non potest ;
similiter quoque et de ju.stis (dicit), tanquain et ipsi ideo sah'entur,
quia privdestinati ad salutem aliud esse non potuerunt. Celui qui
parle ainsi, dit Florus. l'ait disparaître le meritum damnationis
et rend cette condamnation injuste, tandis qu'en réalité les réprou-
vés ne se perdent pas parce qu'ils sont prédestinés à se perdre,
mais ils sont prédestinés à la punition de leurs fautes ; il serait
effrayant de penser qu'ils sont condamnés à être mauvais, et
parler ainsi serait faire retomber sur Dieu la culpabilité de leurs
fautes. Les mauvais se perdent non ideo, quia boni esse non potue-
runt, mais quia boni esse noluerunt. Chez les bons existe une double
prédestination de Dieu, c'est-à-dire que Dieu les prédestine au
bien pour la vie présente et à la béatitude pour la vie future ;
néanmoins on ne doit pas dire (comme Gotescalc) : justi aliud
esse non potuerunt, car les bons, comme les mauvais, jouissent de
leur libre arbitre, et voluntas propria remuneratur, voluntas pro-
pria damnatur. Florus expose d'une façon remarquable com-
ment, par suite de la faute originelle, le libre arbitre s'est trouvé
vitiatum. corruptum, infinmatum pour le bien, en sorte que, sans la
grâce, il est impossible que de lui-même ad exercitium virtutis
nullo modo assurgat et convalescat 1.
1. Flori Serrno de prsedest., P. L., t. cxix, col. 95 sq. ; dans Mangin, op. cit.
t. i, part. 1, p. 21. Hincmar eut entre les mains deux exemplaires de ceSermo.
CONCILES — IV — 12
178
LIVRE XXII
Il est évident qu'ainsi exposée par Florus, la doctrine de Gotes- [168]
cale est hérétique. Aussi Maugin 1, son apologiste, a-t-il cru néces-
saire de faire remarquer que Florus ne connaissait alors cette
doctrine que par ouï-dire, et donne à sa place les faux bruits
répandus par des adversaires. Il est vrai que dans un écrit composé
plus tard contre Erigène, Florus se plaint de ne pas avoir des
données précises et détaillées sur la doctrine de Gotescalc.
De même que Florus, Amolo, archevêque de Lyon, se prononça
contre Gotescalc, qui lui avait écrit, et même envoyé un messa-
ger pour lui exposer sa doctrine. De la réponse d'Amolo il résulte
jusqu'à l'évidence que la doctrine de Gotescalc est erronée; ce qui
porte Maugin 2 à imaginer une nouvelle hypothèse. Selon lui Hinc-
mar aurait agi par ruse en cette circonstance et écrit lui-même
à Amolo sous le nom de Gotescalc, dont il défigurait la doctrine.
Maugin appuie son sentiment de deux raisons : a) Gotescalc
ne pouvait correspondre avec personne sans la permission d'Hinc-
mar ; b) Amolo attribue à Gotescalc des idées en désaccord
avec ce que nous savons de la doctrine de ce dernier. On a
déjà vu l'archevêque de Mayence, Rhaban, blâmer Hincmar
d'avoir accordé à Gotescalc, dont les doctrines étaient si perni-
cieuses, l'autorisation d'écrire à certaines personnes, de discuter
avec d'autres et de recevoir des visites. Il était donc facile à Gotes-
calc de faire parvenir une lettre à Amolo à l'insu d' Hincmar,
d'autant que des évêques, tels que Prudence, s'intéressaient
à lui. En réalité, un évêque se fît, pour cette lettre, l'intermé-
diaire entre Gotescalc et Amolo, car ce dernier écrit : quœ
mihi misisli per quemdam fratrem, nostrum. Loin d'avoir aucune
raison pour empêcher cette lettre d'arriver à son adresse, Hinc-
mar devait désirer qu'elle arrivât, rien ne pouvant mieux lui
agréer que de voir son collègue Amolo, absent lors de la cou-
damnation de Cxotescalc à Quierzy, se prononcer contre l'héré-
tique dans un document authentique. Quant à la seconde rai-
lesquels ne concordent pas tout à fait entre eux. L'exemplaire qu'il reçut d'Héri-
bold, évêque d'Auxerre, était, d'après Hincmar, plus correct en certains endroits,
c'est-à-dire se rapprochait davantage de sa maxime favorite : « La peine est pré-
destinée aux pécheurs. » Hincmar regarda celte leçon comme la plus ancienne ;
dans son ouvrage De prsedest., p. 57, P. L., !.. cxxv, il donne du reste l'autre texte,
qu'il avait reçu plus tard d'Ebbon, évêque de Grenoble.
1. Maugin, op. cit., t. n, p. 160.
2. Jd., t. ii, p. 171.
450. FLORUS ET AMOLO 179
169] son avancée par Maugin, elle ne vaudrail qu'à la condition de re-
garder comme ayant été dans l'erreur tous les contemporains de
Gotescalc, qui ont donné les doctrines comme prédestinatiennes
et de supposer Gotescalc aussi irréprochable que Maugin veut bien
le dire. Bien moins encore peut-on admettre, ;i\ec Maugin, que
Gotescalc n'a pu aucunement accuser Rhaban de semi-pélagia-
nisme, dans sa lettre à Amolo, ni envoyer un mémoire aux évo-
ques qui l'avaient condamné. Sans doute Gotescalc avait dû, sur
l'ordre du concile, brûler une apologie de cette doctrine ; mais cette
apologie n'était pas le mémoire dont parle Amolo; celui-ci a dû
être composé beaucoup plus tard.
La lettre d' Amolo à Gotescalc a été d'abord éditée par le
P. Sirmond et ensuite par Maugin 1; comme on le voit par le con-
texte, elle n'a pas été envoyée directement à Gotescalc, mais d'abord
à Hincmar, dans l'espoir que l'archevêque de Reims ne s'irrite-
rait pas contre le malheureux moine parce qu' Amolo s'intéressait
à lui. En efîet, Amolo adresse les plus paternelles et les plus
pressantes exhortations à Gotescalc, qu'il appelle son frère
bien-aimé et égaré, et le supplie d'abandonner ses erreurs.
L'archevêque de Lyon dit connaître la doctrine de Gotescalc,
non seulement par ouï-dire, mais aussi par le serrno prolixior,
et par le dernier écrit de Gotescalc ad episcopos ; il extrait
de ces documents les six propositions suivantes, qu'il rejette
plus particulièrement : 1) neminem perire posse Christi sanguine
redemptum ; 2 ) baptismum et alla sacramenta frustatorie eis
dari, qui post eorum perceptionem pereunt ; 3) qui ex numéro
fidelium pereunt, Christo et Ecclesiœ nunquam fuerunt incorpo-
rati (proposition renouvelée plus tard par Jean Huss) ; 4)
reprobi sunt divinitus ad interitum prsedestinati, ut eorum nul-
lus potueril aut possit esse salvus ; 5) reprobi, quia prsefinitam
damnationem evadere non possunt, saltem Deo supplicent, ut sta-
tutam eis psenam mitiget ; (i) Deus et sancti gavisuri sunt in
perditione eorum, qui ad damnationem prsedestinati sunt 2. Amolo
fit suivre chacune de ces six propositions d'une réfutation ;
celle qui suit le n. 4 est de beaucoup la plus remarquable, et
1. ht., t. n, p. 195.
2. Sur ees six propositions et pour savoir si elles expriment la doctrine de <i<>
tescalc, et en quel sens on peut défendre l'une ou l'autre, voyez Maugin, op. cil.
t. ii, p. 175 sq.
180 LIVRE XXII
explique d'une manière très satisfaisante l'expression prœdes-
tinatio ad mortem. Au n. 5, s'inspirant de saint Augustin, le
fidelissimus doctor, il dit que, dans ce passage de l'Evangile
(Joan., xn, 39) : « Les juifs ne pouvaient pas croire, » il fallait [170]
interpréter le non poterant par nolebant : au n. 6, il dit que les
saints ont compassion du malheur des damnés, mais que dans ce
châtiment, ils reconnaissent, honorent, et. vénèrent la justice de
Dieu. Comme septième point de mécontentement contre Gotes-
calc, Amolo lui reproche sa conduite : il insulte ses adversaires,
les traite de rhabaniens, s'obstine dans sou excommunication,
persiste dans son orgueil et se tient pour infaillible. En terminant,
Amolo en appelle au second concile d'Orange, tenu en 529, et
donne à Gotescalc comme règles de foi deux propositions ex-
traites de l'épilogue de ce concile : Hoc etiam secundum, etc., et
Aliquos vero.
Nous possédons encore un court et remarquable écrit d'Amolo
sur la prédestination et le libre arbitre {depravatum arbitrium) ;
c'est probablement un fragment de la lettre à Hincmar qui
accompagnait le traité dont nous venons de parler x.
Ces condamnations de la doctrine de Gotescalc par Amolo
et Florus déterminèrent Hincmar et Pardulus à faire plus que
jamais cause commune avec l'Église de Lyon, dans la question
en litige. C'est pourquoi, vers la fin de l'année 852 ou au
commencement de l'année suivante, ils adressèrent deux lettres
aux Lyonnais, avec une copie de la lettre de Rhaban à Noting.
Mais avant même que ces documents n'arrivassent à leur destina-
tion, le malheureux livre de Scot Erigène avait provoqué une
réfutation de Florus à la demande de l'Eglise de Lyon (852) 2.
Elle commence ainsi : Venerunt ad nos cujusdam vaniloqui et
garruli hominis scripta. Par où l'on voit que Florus n'avait pas
sous les yeux tout l'écrit de Scot, mais seulement les dix-neuf
capitula extraits par l'archevêque Wenilo. Ils sont réfutés en
détail et par ordre. Comme dans le Sermo de prasdestinatione,
Florus se prononce ici pour une double prédestination, dans le
sens indiqué, et réfuie les objections pélagiennes de Scot Erigène,
à peu près de la même manière que Prudence. Comme celui-ci,
il nie l'existence d'une secte particulière qui ferait tout dépen-
1. Maugin, op. cit., t. n, p. 211 sq.
2. P. L., t. exix, col. 101 sq.; Maugin, op. cit., I. î, part. 1, p. 595 sq.
451. REMI DE LYON 181
dre de la grâce (sans tenir compte de la liberté), et ne douté pas
que Scot a inventé celte secte afin de pouvoir combattre par
ee subterfuge la doctrine de saint Augustin. 11 déplore que
[171] des hommes d'Église considérables (Hincmar) favorisent Scot
Erigène. Il dit, enfin, qu'après la sévère condamnation portée con-
tre Gotescalc. on aurait dû envoyer aux Églises un exposé
de ses erreurs, afin que l'on connût positivement l'enseignement
de ce malheureux moine, et qu'on réfutât d'une commune entente
ses fausses doctrines (c. iv).
451. Rémi de Lyon.
Ces derniers mots de l'écrit de Florus prouvent que les trois
lettres d' Hincmar et de Pardulus aux Lyonnais n'étaient pas
encore arrivées, pas plus qu'en les écrivant, Hincmar et Pardulus
ne connaissaient le mémoire de Florus. Amolo, archevêque de
Lyon, étant mort sur ces entrefaites, son successeur Rémi com-
posa, au nom de l'Église de Lyon, une réponse détaillée à Hincmar
et à Pardulus 1, intitulée Liber de tribus epistolis. Après une
courte introduction, Rémi discute la lettre d' Hincmar dont il
cite plusieurs fragments. Le premier blâme Gotescalc d'avoir'
prêché aux païens la doctrine si difficile de la prédestination,
au lieu de leur prêcher la pénitence, et contient mot à mot
cinq propositions de Gotescalc. Rémi répond que l'accusation
au sujet des païens est inadmissible ; quant à la doctrine sur
la prédestination, il faut se conformer aux règles suivantes :
1) La prescience divine, ainsi que la prédestination, est, néces-
sairement, éternelle et immuable. 2) Tout ce que Dieu fait est
prévu et préordonne d'une manière immuable par un décret de
toute éternité ; décret qui comprend le bonheur des élus et la
punition des réprouvés. 3) Il n'existe pas de diilerence entre
la prescience et la prédestination de ce que Dieu fait lui-même ;
mais toute chose que Dieu a prévu vouloir faire se trouve par le
fait prédestinée. C'est pour cela qu'il a préordonné les reprobi
ad mortem, de même qu'il a préordonné les electi ad vitam. 4) A
1. P. L., t. cxxi, col. 985-1068; dans Maugin, op. cit., t. i, part. 2, p. 67-118;
cf. t. ii, p. 223, 229, 234, 258.
182 LIVRE XXII
l'égard de ce que font les créatures raisonnables, la prescience et
la prédestination divines sont identiques. Les actions de chaque
créature sont en partie bonnes et en partie mauvaises ; les bonnes
sont l'œuvre (opéra) aussi bien de la créature que de Dieu, qui
donne aux créatures le vouloir et la force de réaliser ce qu'elles
veulent ; comme œuvre de Dieu, ces bonnes actions sont donc [172]
prévues et prédestinées de Dieu. Les actions mauvaises, au con-
traire, ne sont l'œuvre (opéra) que des créatures ; aussi sont-elles
prévues, mais non prédestinées par Dieu. 5) Dieu sait qui s'obsti-
nera dans l'injustice et il l'a, avec une équité parfaite, prédestiné
à la ruine. Mais la prescience et la prédestination ne le for-
cent pas à être mauvais, de telle façon qu'il ne puisse pas ne
pas l'être. Au contraire, Dieu l'invite à la pénitence et au sa-
lut. 6) Lorsque la sainte Ecriture emploie tantôt le mot prœscire,
tantôt le mot prsedestinare, on ne doit pas s'en tenir uniquement
à ces mots d'une façon puérile, mais on doit examiner le con-
texte et voir s'il enseigne ou n'enseigne pas la prédestination.
C'est ce qu'a fait saint Augustin. 7) Aucun des élus ne se perd
et aucun des réprouvés ne se sauve, non parce que les hommes ne
peuvent s'amender, mais parce qu'ils ne le veulent pas. Dieu,
prévoyant leur obstination volontaire dans le mal, les a prédesti-
nés ad mortem. Mais il existe une autre catégorie très nombreuse
de reprobi, celle des enfants morts sans baptême et condamnés
en vertu du péché originel. Disons simplement que Dieu est juste,
même dans la ruine de ces enfants. Mais, dira-t-on, la prédestina-
tion ne rend-elle pas la prière inutile ? Grégoire le Grand répond :
« Nul ne peut obtenir ce à quoi il n'est pas prédestiné, mais la
pnedestinatio ad vitam est disposée par Dieu de telle manière
que les electi l'obtiennent ex labore, et qu'ils doivent obtenir par
la prière ce que Dieu a, de toute éternité, décidé de leur donner. »
Rémi donne ensuite, à l'appui de la doctrine sur la prédestination
exprimée dans ces sept règles, toute une série de passages des
Pères ; il conclut que les deux premières propositions incrimi-
nées de Gotescalc, contenaient l'expression de la vérité. Les
voici : 1) quia ante omnia secula et antequam quidquam faceret a
principio Deus, quos voluit prsedestinavit ad regnum, et quos voluit
prsedestinavit ad interitum ; 2) qui prsedestinati sunt ad interitum,
salvari non possunt ; et qui prsedestinati sunt ad regnum, perire
non possunt. Quoique, dit Rémi, la levitas, temeritas et importuna
loquacitas de ce miserabilis monachus méritenl le blâme, on ne
451. REMI DE LYON 183
doit cependant pas méconnaître la vérité divine (c. i-x). Le troi-
sième principe de Gotescalc : et Deus non vult omnes homines
sah'os fieri. sed eos tantum qui salvantur, peut aussi s'entendre
dans un sens orthodoxe, car déjà les Pères avaient donné diverses
173] interprétations du passage de saint Paul [I Timoth., n, 4), pour le
faire concorder avec ce fait, que tous les hommes n'arrivent
pas à faire leur salut (c. xi-xiii). Le quatrième principe de Gotes-
calc ne fait que développer sa troisième proposition; il dit : Chris-
tus non venit ut omnes salvaret, nec passus est pro omnibus,
nisi solummodo pro his qui passionis ejus salvantur mysterio.
Rémi fait voir dans quel sens la sainte Ecriture dit que le Christ
est mort pour tous, et remarque qu'on ne peut cependant pas
nier que le Christ n'ait pas versé son sang précieux pour les milliers
de personnes qui sont mortes et se sont perdues avant son arrivée
sur la terre, et que ce sang n'a pu contribuer à racheter. Le Christ
n'est venu et n'a été crucifié que pour les fidèles, et on peut même
dire que parmi les fidèles il n'est mort que pour ceux qui ont persé-
véré jusqu'à la fin. S'il était mort pour tous les hommes, il serait
mort même pour l'Antéchrist ! Par conséquent, la phrase de
Gotescalc est, dans ce sens, admissible, et elle a beaucoup de
docteurs en sa faveur (c. xiv-xx). Il en est autrement de la
cinquième proposition, portant qu'après la chute originelle l'hom-
me ne peut se servir du libre arbitre que pour le mal et non pour
le bien [et postquam primus homo libero arbitrio cecidit, nemo nos-
trum ad bene agendum, sed tantum ad maie agendum libero potest
uti arbitrio). Rémi ne peut croire qu'un chrétien professe une
pareille doctrine, et que le bien que nous faisons doive être uni-
quement attribué à la grâce sans la coopération de l'homme.
Jamais personne n'avait émis pareille opinion (il n'eût plus parlé
ainsi au xvie siècle). Mais peut-être Gotescalc voulait-il simple-
ment dire que, sans la grâce divine, nul ne pouvait utiliser son
libre arbitre pour le bien, et, dans ce sens, la proposition était catho-
lique (c. xxi-xxm).
Le second fragment de la lettre d'Hincmar raconte les préli-
minaires du concile de Quierzy ; Rémi n'approuve aucunement
que Gotescalc, condamné d'abord par les abbés à être fouetté,
ait été ensuite condamné par les évêques pour hérésie, tandis
que l'autorité supérieure (c'est-à-dire celle des évêques) devait seule
émettre le jugement. Il parle de la dureté inhumaine avec laquelle
on s'est conduit envers Gotescalc, et répète que les principes
184 LIVRE XXII
de ce dernier, condamnés à Quierzy, étaienl en partie orthodoxes,
du moins qu'ils étaient d'accord avec la doctrine de quelques
Pères (c. xxiv-xxv).
Le troisième fragment et les suivants contiennent les réponses
d'Hincmar aux propositions de Gotescalc ; Rémi soumet ces
réponses à une analyse minutieuse, a) Dieu, dit Hincmar, veut
que tous arrivent au bonheur éternel, ce qui ne fait que répéter [174]
la sainte Ecriture. Mais on pourrait, avec saint Augustin, inter-
préter ce passage de l'Ecriture sainte (/ Timoth., n, 4) dans un
autre sens, c'est-à-dire que tous ceux dont Dieu veut le salut,
arrivent à le faire {y ère vult salvos fieri). Lorsque Hincmar dit que
le sang du Christ a été versé pour tous, sa proposition est inac-
ceptable, car dans la plupart des passages de la Bible, on lit pro
multis, et le mot omnes qui se trouve dans la première à Ti-
mothée (n, 6) est synonyme de multi. b) Dans les c. xxvm etxxix,
Rémi discute l'opinion d'Hincmar sur une seule prédestination,
celle ad vitam, et il expose en abrégé, mais exactement, la doctrine
de la gemina prsedestinatio. c) Hincmar admettait que la psena
était prédestinée à ceux qui s'obstinaient dans le péché, mais
Rémi prouve l'inanité de ses répugnances contre la proposi-
tion correspondante : « les pécheurs sont prédestinés ad pse-
nam » (c. xxx). d) Dans les c. xxxi-xxxiii, Rémi explique divers
passages de la Bible, allégués par Hincmar ou par Gotescalc, et
il se prononce de nouveau pour ce dernier avec cette restriction
que plusieurs textes cités par lui en faveur de la prédestination ne
se rapportent pas à la prsedestinatio futurorum, mais au prsesens
Dei judicium, par exemple le passage si connu, induravit Do minus
cor Pharaonis : Dieu l'avait endurci pour le punir, e) Dans les
c/xxxiv-xxxvi, Rémi rejette avec beaucoup de vivacité l'assertion
d'Hincmar devant laquelle saint Augustin aurait rétracté dans
Y Hypomnesticon, le principe si souvent formulé dans ses écrits
antérieurs : Reprobi pysedestinati sunt ad interitum, pour le rem-
placer par cet autre : Psense Us prédestinât se sunt. Rémi prouve
quel' Hypomnesticon est apocryphe, et accuse Hincmar d'une absur-
ditas et impia prsesumptio. /) Enfin dans les c. xxxvn et xxxvin,
Rémi attaque deux opinions d'Hincmar: que le libre arbitre a
été simplement vicié par le péché, et que tout le bien que nous
faisons, et Dei est et nostrum. Rémi pou va il répondre avec raison
que le libre arbitre avait été non seulement lésé, mais était devenu
comme latent. Malheureusement, au lieu de se servir de cette
451. REMI DE LYON 185
expression, à V état latent, il emploie le mot mortuum, qu'il corrige,
il est vrai, aussitôt après par cette explication : Mortua est anima
per peccatum, non amittendo naturam suant, sed amittendo veram
vitam suam. Sur l'autre principe, il reproche à Hincmar de vouloir,
sa us raison aucune, partager le bien entre Dieu et l'homme. e1
il il à ce sujet : « Tout le bien que nous faisons est totum JJei
donando, et devient totum nostrum accipiendo. » 11 me semble
cependant qu'il n'y a ici aucune différence essentielle entre la
pensée d' Hincmar et celle de Rémi.
[175] ^ partir du c. xxxix, Rémi s'occupe de la lettre de Pardulus qui
disait : « Après que cinq personnages (parmi lesquels Amalaire)
nous eurent fait connaître dans leurs lettres leurs diverses opi-
nions sur la prédestination, nous avons pressé Scot de nous
écrire à ce sujet. » Pardulus avait en même temps cherché à
défendre l'authenticité de V Hypomnesticon et de l'écrit apocry
phe de saint Jérôme, De induratione cordis Pharaonis. Rémi
lui répond : On eût évité toute cette dispute, si on s'en était tenu
aux sentiments des Pères, et si on n'avait pas préparé un livre
apocryphe, V Hypomnesticon, à tous les écrits aiithentiques de
saint Augustin. Le livre De induratione n'est pas non plus
de saint Jérôme. Pour indiquer le vrai sentiment de ce Père, Rémi
s'abuse gravement en donnant comme de saint Jérôme, un passa-
ge de Pelage, dans sa professio de foi si connue adressée au pape
Innocent Ier. Enfin, Rémi se plaint vivement de l'importance don-
née à l'opinion d'hommes tels qu' Amalaire et Scot (c. xxxixet xl).
Contre la troisième lettre, celle de Rhaban à Noting, Rémi
remarque en général qu'elle ne touche pas à la question en litige,
et réfute ce que personne ne soutient, à savoir, que « Dieu pré-
destine et force certains hommes à commettre le péché. » Quant
à la question de savoir « si ceux dont Dieu avait prévu l'obstina-
tion dans le péché étaient prédestinés par lui, » elle est passée
sous silence. Au début de sa lettre, Rhaban déclare hérétique,
ce principe de Gotescalc : « aucun de ceux qui sont prédestinés
à la vie ne peut se perdre, » principe qui, cependant, est juste.
Ce que Rhaban affirme ailleurs n'est nié par personne, et ce qu'il
attaque n'est professé par personne (c. xlii). Au c. xliii, Rémi a
tort de vouloir prouver contre Rhaban qu'on imputera au damné
toutes ses fautes, même celles qui ont été effacées par le baptê-
me, même le péché originel. Il s'engage ensuite dans une pure
question de mots lorsque, au cxLiv.il blâme l'opinion de Rhaban
186 LIVRE XXII
soutenant que les réprouvés n'ont jamais été distraits par Dieu
de la massa perditionis. Dans le c. xlv, il montre qu'un long pas-
sage de Rhaban est emprunté à V Hypomnesticon et par consé-
quent n'a aucune force probante. Enfin il cherche (c. xlvi et xlvii) à
résoudre diverses objections soulevées par Rhaban contre la
double prédestination, en particulier sur les sept points énoncés
par lui.
En appendice à ce mémoire, Rémi écrivit, au nom de l'Église
de Lyon, un petit livre intitulé : De generali per Adam damna- [176]
tione omnium et speciali per Christian ex eadern ereptione electorum 1.
452. Conciles tenus entre 850 et 853, étrangers à la question
de Gotescalc.
Nous avons déjà mentionné le concile de Paris de l'année 849,
qui très vraisemblablement n'eut aucun rapport avec les discus-
sions soulevées par Gotescalc. On peut en dire autant du syno-
dus Regiaticina tenu dans Yurbs regia Ticino (Pavie) en 850 2.
Les membres les plus importants furent : Angilbert, archevêque
de Milan, Théodeman, patriarche d'Aquilée, et Joseph, évêque
(d'Ivrée) et archicapellanus totius Eclesise3. Les collections con-
ciliaires donnent vingt-cinq canons de ce concile, ainsi qu'un dé-
cret impérial plus cinq numéros. Pertz a publié en outre quatre
fragments inédits mais qui, en somme, n'ajoutent guère à ce qu'on
savait. Le premier document contient vingt-quatre canons ou
capitula proposés au jeune empereur Louis II, présent au concile
et récemment associé à l'empire par son père l'empereur Lothaire.
Le second document contient les vingt-quatre mêmes canons
devenus canons impériaux, par la confirmation impériale. Ils sont
identiques aux vingt-cinq canons des collections plus anciennes 4.
1. P.L.,t. cxxi, col. 1068 sq. ; Maugin, op. cit., t. 1, part. 2, p. 118 sq. Voyez
t. h, p. 559.
2. Sur la chronologie, cf. les notes de Mansi, op. cit., t. xiv, col. 930, et Pagi,
Critica, ad ann. 850, 5.
3. Il était archichapelain de l'empereur Louis IL Cf. Hardouin, op. cit., t. iv,
col. 77; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 1019.
4. Dans Pertz, le canon 18 réunit les canons 18 et 19 d'autres collections.
452. CONCILES TENUS ENTRE 850 ET 853 187
La plupart ne sont du reste qu'une répétition d'anciennes
ordonnances; en voici un résumé: 1. L'évêque doit avoir cons-
tamment quelques clercs témoins de sa conduite. 2. Il doit
autant que possible dire la messe tous les jours. 3. Il doit tenir
une table modeste, ne pas forcer ses hôtes à boire, recevoir des
pauvres et des étrangers à sa table. 4. Il ne doit pas aimer les
chiens, les faucons, les chevaux, la chasse, les vêtements somp-
tueux, etc. 5. Il doit étudier assidûment, instruire ses clercs et
son peuple. 6. Les archiprêtres des campagnes doivent visiter
[177] toutes les maisons pour obliger ceux qui ont commis une faute
publique à faire aussi une pénitence publique. Ceux qui ont péché
en secret doivent confesser leurs fautes aux prêtres institués par
l'évêque ou par les archiprêtres des campagnes. Dans les cas
difficiles, c'est à l'évêque à décider, et si l'évêque est lui-même
dans le doute, ce sera au métropolitain ou au synode provincial.
Quand la confession est secrète, on doit traiter le cas sous une
forme impersonnelle. Dans les environs des villes et dans les fau-
bourgs, l'évêque doit faire régler par l'archiprêtre de la ville (mu-
nicipal) et par d'autres prêtres ce qui a trait aux pénitences. 7.
Les prêtres doivent veiller à ce que leurs pénitents accomplissent
les œuvres de satisfaction qui leur sont imposées. Sauf les cas
de nécessité, l'évêque seul peut réconcilier les pénitents. 8. On
doit exhorter les malades à recevoir l'huile sainte, maison ne doit
la leur donner que lorsqu'ils sont réconciliés avec l'Eglise et
ont reçu la communion. 9. Plusieurs marient leurs filles beau-
coup trop tard; aussi arrive-t-il souvent qu'elles commettent des
fautes, même pendant leur séjour dans la maison paternelle.
Quelques-uns, ce qui est épouvantable à dire, font même com-
merce de leurs filles. Les parents doivent marier leurs filles plus
tôt. S'ils ne le font pas^ et si une fille commet une faute, les
parents seront condamnés à la pénitence. S'ils font commerce
de leurs filles, on leur imposera une pénitence plus considérable
que celle imposée à la fille coupable. Une fille ainsi violée ne
doit se marier que lorsqu'elle et ses parents auront accompli la
pénitence publique qui leur aura été imposée. 10. Sur le rapt des
filles. 11. Si quelqu'un, ayant des possessions dans plusieurs dio-
cèses, est excommunié par un évêque, cet évêque doit faire
connaître aux autres eveques compétents la sentence portée
par lui, afin que l'excommunié ne soit reçu nulle part. 12. Un
excommunié ne doit être admis ni au service militaire, ni à
188 LIVRE XXII
aucune charge civile. 13. Il, doit y avoir pour chaque plebs ]
un archiprêtre qui aura la surveillance des prêtres placés dans
les petites églises. 14. Les évêques doivent, sous peine d'excom-
munication, faire rebâtir les monastères détruits. 15. Il en sera
de même pour la conservation des xenodochia. 16. On doit exhor-
ter les empereurs à être plutôt les protecteurs que les oppres-
seurs des nombreux monastères et des xenodochia placés sous
leur puissance. 17. Tous les chrétiens doivent donner la dîme
de leurs biens (omnium rerum suarum). 18. Tous les clercs doi-
vent être soumis à la discipline de leur évêque ; aussi, nul ne
doit installer dans une maison un chapelain qui ne soit ap-
prouvé par l'évêque. De même nul ne doit confier à un clerc
des affaires ou des missions séculières et cela sous peine d'ex-
communication pour les deux. 19. Il est défendu de faire l'usure
ou de prêter à intérêt. 20. Les oppresseurs des veuves et des
orphelins doivent être admonestés par l'évêque; s'ils ne s'amen- [178]
dent pas, ils seront dénoncés à l'empereur. 21. Les clercs et les
moines qui vont de province en province et de ville en ville, sou-
lèvent des questions inutiles et occasionnent des disputes. L'évê-
que doit les faire arrêter pour les soumettre à une enquête faite
par le métropolitain, et s'ils ont agi par frivolité et non par zèle
pour la doctrine, ils seront punis comme troublant la paix de
l'Eglise (allusion évidente à Gotescalc, qui avait d'abord dissé-
miné ses opinions dans la haute Italie). 22. Il arrive souvent, sur-
tout dans le peuple de la campagne, que des pères marient leurs
fils trop jeunes avec des femmes plus âgées, puis qu'ils attirent
ces belles-filles chez eux pour avoir avec elles des relations
adultères. En conséquence on ne devra plus à l'avenir marier
un fils trop jeune avec une femme plus âgée. 23. Les femmes
qui, par leurs sortilèges, font naître l'amour ou la haine ou qui
vont jusqu'à causer la mort, seront recherchées avec soin et
soumises à une sévère pénitence. 24. Les juifs ne doivent pas
exercer l'office de juges sur des chrétiens ; ils ne doivent exiger
d'eux aucune redevance.
Le troisième document édité par Pertz aurait dû n'être placé
qu'après le quatrième, car il contient un extrait (fait pour les
comités) de la grande ordonnance contenue dans le quatrième docu-
ment, et publiée par l'empereur Louis II à la demande de son
1. Plebs, c'est l'archiprêtré ou doyenné rural. (H. L.)
<i.r,2. CONCILES TENUS ENTRE 850 ET 853 189
père. Le but de celte ordonnance était de mettre un terme aux
désastres causés par les brigands et d'empêcher l'oppression des
petits par les grands.
Nous apprenons, par les actes du concile romain tenu en 853,
que dans un concile romain tenu en 850 sous le pape Léon IV,
[1 ' JJ le cardinal-prêtre Anastase fut déposé 1. Deux conciles anglais
tenus à Benningdon 2 et Kingsbury en 850 et 851, sous la prési-
dence de Céolnoth, archevêque de Cantorbéry, confirmèrent les
donations du roi Bertulf au monastère de Croyland 3.
Dans un concile tenu à Soissons en 851, Pépin, prince d'Aqui-
taine, fut fait moine et reçut le monastère de Saint-Médard, ainsi
que nous l'apprend le Ve concile tenu à Soissons, en 853 4.
En Espagne, Abderrhaman II défendit sous peine de mort
de parler en public contre Mahomet et contre l'islam ; beaucoup
de chrétiens, des clercs surtout, ayant contrevenu à cet ordre,
furent exécutés. On les vénéra comme martyrs; mais, sur le désir
du khalife, un concile d'évêques espagnols, tenu à Cordoue en
852, déclara que, puisqu'ils s'étaient eux-mêmes précipités vers
la mort, ils ne devaient pas être vénérés en qualité de martyrs.
D'ailleurs, ils n'avaient pas fait de miracles, comme en avaient
accompli les véritables martyrs, et leurs corps n'étaient pas
incorruptibles comme ceux de ces martyrs.
Dans ce même concile un certain excepter attaqua violemment
au nom du Christ ceux qui se posaient en adversaires des Maho-
métans 5.
1. Coleti, Concilia, t. ix, col. 1075; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 26 sq.;
Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 943, 1026; Jafîé, Reg. pont, rom., p. 231;
2e édit., p. 332 (H. L.)
2. Bennington, Lincolnshire, Coll. regia, t. xxi, col. 627; Labbe, Concilia,
t. vm, col. 72-73 ; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 33 ; Coleti, Concilia, t. ix,
col. 1077; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 963. (H. L.)
3. Kingsbury, comté de Sussex. Coll. regia, t. xxi, col. 618; Labbe, Concilia,
t. vm, col. 73-76; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 33 ; Coleti, Concilia, t. ix,
col. 1077; Wilkins, Conc. Britann., 1737, t. i, p. 1S1-183; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 963. (H. L.)
4. Lalande, Conc. Galliœ, 1660, p. 160; Labbe, Concilia, t. vm, col. 1933-
1934; Hardouin, Conc. coll., t. v, col. 37 ; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1081 ; Mansi,
Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 96. (H. L.)
5. Coll. regia, t. xxi, col. 633; Labbe, Concilia, t. vm, col. 76-77; Hardouin,
Coll. concil., t. v, col. 38; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1083; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 970; Gams, Kirchengeschichle von Spanien. t. n, part. 2, p. 318 sq-
(H. L.)
190 LIVRE XXII
Les lettres de B. Saul (de Cordoue) nous font connaître un autre
concile espagnol plus important tenu en 860-861. Il eut pour but
de faire cesser le schisme qui s'était introduit parmi les chrétiens
de Cordoue dont les rigoristes évitaient toutes relations avec les
fidèles de caractère plus conciliant. Les évêques, s'appuyant sur
de nombreux témoignages des Pères et sur l'histoire, se pronon-
cèrent en faveur de la conciliation et il ne semble pas qu'il fut
fait opposition à leur sentence 1.
Jusqu'ici on ne connaissait les actes du concile germanique
national tenu à Mayence, en octobre 851 ou 852 2, que par
les mentions des divers chroniqueurs. Mais Pertz en a publié
les actes d'après un manuscrit de Bamberg 3. Rhaban archevêque
de Mayence présidait ; étaient présents les évêques de la Fran-
cia orientalis, des Bavarois et des Saxons, c'est-à-dire Liutprand
de Salzbourg, Gotzbald de Wùrzbourg. Salomon de Constance,
Esso de Coire, Lanto d'Augsbourg, Otkar d'Eichstâdt, Gebhard de
Spire, Haymon d'Halberstadt, Baturat de Paderborn, Gautzbert
(Simon) de Suède, Erchanfrid de Ratisbonne, Hartwig de Passau,
Lantfrid de Seben (Brixen), Altfrid d'Hildesheim et Liutprand4,
ainsi que beaucoup de chorévêques, d'abbés et de prêtres. Ils [180]
portèrent les décisions suivantes : 1. La paix et la concorde doivent
régner parmi les chrétiens, et en particulier entre les évêques et
les comtes. 2. Les évêques sont chargés du gouvernement de
1. Gams, op. cit., p. 319.
2. Les actes du concile de Mayence portent des dates contradictoires, la XVe
indiction se rapporte à l'année 851,1a 18e année du règne de Louis coïncide avec
l'année 850. En outre les actes donnent l'année 852. Pertz (Monum., t. iu,Leg.,
t. i, p. 410) se prononce pour 851; Binterim, Dummler et d'autres pour 8512.
On ne peut avoir aucune certitude à ce sujet.
3. Le Codex de Bamberg porte 852, mais Pertz a corrigé cette indication et
mis 851, bien à tort il est vrai, car il est dit, au commencement du document,
que le synode avait eu lieu le 18 octobre die tertia. Or en 852 le 18 octobre tombait
un mardi, par conséquent die tertia, tandis qu'en 851 ce jour était un dimanche»
Coll.regia, t. xxi, col. 634; Labbe, Concilia, t. vin, col. 77; Coleti, Concilia,
t. ix, col. 1083; Mansi, Concilior. ampliss. coll., t. xiv, col. 070; Jack, dans Biich-
ler-Dùmge, Archiv, 1820; t. i, p. 157-158; Mùhlbacher, Reg. Karoling.,t. i, p. 535 ;
Pertz, Monum. Germ. hist., t. ni, Leges, t. i, p. 410 ; Capitularia, t. n, p. 184 ;
P. L., t. cxxxvm, col. 579; Binterim, Deutsche Concilien, t. n, p. 503 sq. ; Dumm-
ler, Gescli. d. ostfr. Reiches, t. i, p. 360; Mùhlbacher, Regesta, t. i, n. 1390 a ;
A. Verminghoff, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 618. (H. L.) ]
4. Siège inconnu.
452. CONCILES TENUS ENTRE 850 ET 853 191
l'Eglise, de la défense des veuves et des orphelins, el les comtes
ainsi que les juges doivent les y aider. 3. Exhortation à payer
la dîme. 4. Le roi doit protéger les biens des églises comme ses
biens propres et maintenir leurs immunités. 5. Une église ne
peut être partagée entre plusieurs héritiers (des domaines dont
elle fait partie). 6. Les clercs ne doivent pas chasser. 7. Ils ne
doivent pas avoir de femmes chez eux, et ils ne doivent pas non
plus les visiter. 8. Procédure à observer quand un prêtre est
accusé d'inconduite. 9. Peine contre ceux qui étouffent leurs en-
fants par imprudence. 10. Celui qui est coupable d'inceste secret
doit aussi faire pénitence en secret. 11. Peine ecclésiastique contre
le meurtre. Décision sur deux cas particuliers d'adultère et
de meurtre. 12. Celui qui a une concubine à laquelle il n'est
pas régulièrement fiancé, peut l'abandonner pour épouser une
autre femme. 13. Du meurtre, et en particulier du meurtre
commis entre époux. 14. Ouvrages serviles défendus le diman-
che. 15. Celui qui a une femme et une concubine ne doit pas
être admis à la communion ; mais on y admettra celui qui
n'a qu'une concubine 1. 16. Lorsqu'on apporte à un prêtre, de
quelque paroisse que ce soit, un enfant malade, il doit le bapti-
ser sans délai. 17-18. Aucun prêtre ne doit attirer ceux qui font
partie d'une autre paroisse ; aucun évêque ne doit attirer les clercs
d'un autre évêque. 19. Aucun prêtre ne doit faire de présents
à un clerc ou à un laïque pour obtenir l'église d'un autre. 20.
Celui qui se sépare d'un prêtre sous prétexte que ce prêtre a
été marié (qui uxorem habuit) et pense qu'on ne doit pas rece-
voir de lui la communion, sera anathème. 21. Un diacre ne doit
pas s'asseoir en présence d'un prêtre, à moins que celui-ci ne !
autorise. 22. Pendant le carême, on ne doit pas, sauf les same-
dis et les dimanches, donner le pain bénit (partis benedictio-
ri81] nis)> c'est-à-dire qu'on ne doit célébrer aucune fête do saint 2.
23. Les clercs ne doivent pas assister aux représentai ions théa-
1. Conc. Tolet., can. 19. Cf. Hisi. des conciles, § 112.
2. Conc. Laodic, can. 'i9; Conc. Trull., can. 52, contiennent une ordonnance
analogue, mais dans ce sens que, les autres jours de carême, on devait dire
seulement les missse prsesanctificatorum. Dans le canon de Mayence, les mots
panis benedictionis doivent s'entendre des eulogies. Quoiqu'en Orient il n'y eût
durant les premiers siècles et pendant le carême de messe proprement dite que le
dimanche, cette coutume était changée, dès le ive ou le v° siècle, en celle à laquelle
notre canon fait allusion. Cf. Binterim, Denkwùrdigkeiten, t. v, p. 504 sq. -
192 LIVRE XXII
traies, qui onl lieu d'ordinaire à l'occasion tics banquets et des
noces ; ils doivent se retirer auparavant. 24. On ne doit pas
dire la messe dans les habitations privées. 25. Défense portée
contre la simonie 1.
Le manuscrit de Bamberg 2 portant la suscription : Canon
llludowici, il en résulte que Louis le Germanique a confirmé
ces ordonnances.
Sans nous arrêter à deux réunions peu nombreuses et sans
importance, nous nous occuperons du grand concile de Sois-
sons, en 853. A la demande des évêques francs, le roi Charles le
Chauve avait prescrit la tenue d'un concile dans le monastère
de'Saint-Médard et Saint-Sébastien, le 22 avril 853 3. Il y assis-
tait, ainsi que les archevêques Hincmar de Reims, Wenilo de Sens
et Amalric de Tours, un grand nombre d'évêques, des abbés,
des prêtres, etc. Parmi les évêques, on distinguait en parti-
culier Prudence de Troyes et Pardulus de Laon, et parmi les
abbés, Loup de Ferrières et Bavon d'Orbais (c'était l'abbé de
Gotescalc). Nous ne possédons pas les actes complets de cette
assemblée ; une partie néanmoins nous est parvenue, à sa-
voir : a) des extraits des procès-verbaux des huit sessions où
fut agitée la question des clercs déposés par Hincmar ; b) le
mémoire adressé au concile par les clercs déposés; c) treize ca-
nons ; d) un capitulaire publié à cette époque par Charles le Chauve
et relatif aux affaires de l'Eglise.
Nous avons vu que le prédécesseur d' Hincmar sur le siège de
Reims, l'archevêque Ebbon, avait été déposé dans un concile de
Thionville; mais en 840, l'empereur Lothaire l'avait réintégré
de force. Il ordonna alors plusieurs clercs. Quelques mois après,
il était de nouveau expulsé par le roi Charles le Chauve et, en 845,
Hincmar était élevé sur le siège de Reims. On comprend qu' Hinc-
mar ait regardé comme illégale la réintégration d'Ebbon en 840,
sans quoi son élévation sur le siège de Reims, du vivant d'Eb-
bon, eût été sans valeur. Hincmar se refusa donc à reconnaître [182]
1. Conc. Chalced., can. 2.
2. Ms. Bamberg A. I. 35, ixc Siècle. (II. L.)
3. Sirmond, Conc. Gall, t. m. col. 71, 80 ; Coll. regia, t. xxi, col. 636; Labbe,
Concilia, t. vin, col. 79-98, 1943-1945; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 41 ; Coleti,
Concilia, t. ix, col. 1087; Mansi, Concilia, Supplem., t. t, col. 930; Conc. am-
pliss. coll., t. xiv, col. 978; t. xvn, Appendix, p. 33; Pertz, Monum. Germ. hist.,
t. m, Leges, t. i, p. 416. Voir Appendices. (H. L.)
4.32. CONCILES l'IM s ENTRE 850 ET Soà 193
les ordinations faites par Ebbon après sa réintégration, el inter-
dit aux clercs ainsi ordonnés les fonctions de leur ministère.
Ceux-ci portèrent leurs plaintes par-devant le concile de Soissons,
et, sur leurs prières, on leur permit de paraître devant le con-
cile. Dès qu'ils furent introduits, Sigloard, archidiacre d'Hinc-
mar, lut leurs noms : Rodoald, Gislad, Wulfad et Frédébert,
les uns moines, les autres chanoines de la cathédrale de Reims.
Mais Wulfad, dont le nom avait été appelé, n'était pas présent.
Ils demandèrent, de vive voix, leur réintégration, mais Hinc-
mar exigea d'eux une pièce écrite. Quelques jours après,
26 avril, ils remirent leur requête 1 ; Hincmar, président, remar-
qua alors l'absence du nom de Wulfad ; Sigloard répondit que
W ulfad était malade dans un des monastères de la ville. Aussitôt
on lui envoya une députation réclamant sa signature. Quand il
l'eut donnée, ainsi que l'affirment les actes de Soissons. Hincmar
déclara que, conformément aux règles canoniques, les plaignants
et lui devaient faire choix d'arbitres. Il désigna pour sa part
183] les archevêques Wenilo de Sens, Amalric de Tours et l'évêque
Pardulus de Laon. qu'il chargea de représenter le siège de Reims,
et de présider le tribunal des arbitres, afin qu'il ne fût porté aucune
atteinte aux droits de la primatiale de Reims. Il concéda à ses
adversaires le droit de choisir les mêmes arbitres ou d'autres;
ceux-ci se contentèrent d'y adjoindre Prudence, évêque de Troyes.
Lorsque, dans la seconde session, les arbitres demandèrent
aux évêques qui avaient autrefois ordonné Hincmar, s'ils pouvaient
démontrer le motif de la déposition d' Ebbon et de l'élévation
d' Hincmar, Théodoric, évêque de Cambrai, se leva et remit un
mémoire, lu par l'abbé Loup, et contenant l'exposé de ce qui
s'était passé à Thionville. L'évêque de Cambrai montrait que,
île son propre aveu et par la sentence des trois juges de sa con-
science, devant des témoins, dont Théodoric lui-même, Eb-
bon s'était reconnu indigne, à cause de ses péchés et méfaits,
d'occuper la charge archiépiscopale. Le mémoire exposait, en
1. Ce renseignement est reproduit dans Bouquet, Rec. des historiens des Gaules,
t. vu, p. 277 sq., et dans A. Du Chesne, Historiée Franc. Scriptor es, t. n, p. 340 sq.
Les clercs déposés emploient ici un principe conforme à celui du pseudo-Isidore
pour déclarer que la déposition d' Ebbon par le concile de Thionville n'était pas
valable, en particulier parce que cette réunion n'avait pas été Aposlolica auctoritate
convocata. Ils pouvaient facilement connaître ce principe du pseudo-Isidore, si
Ebbon est un partisan de cette doctrine. Cf. Von Norden, Hincmar, p. 122 sq.
CONCILES — IV — 13
194
LIVRE XXII
outre, qu'un évèque démissionnaire dans ces conditions ne pou-
vait revenir sur sa décision, et indiquait les conditions de la
réintégration d'un évêque déposé. Enfin, le pape Serge avait
confirmé la déposition d'Ebbon, et l'avait réduit à la communion
laïque. Le^concile approuva le mémoire de Théodoric.
La troisième session enquêta sur l'élévation d'Hincmar au
siège de Reims ; à la demande des judices, Rothade, évèque de
Soissons, rappela les règles canoniques d'élection d'un métropo-
litain. Il montra que, conformément à ces canons, Hincmar avait
été demandé pour archevêque par le clergé et le peuple, et
ajouta qu'il l'avait lui-même sacré canoniquement en présence
de tous les évêques de la province. Hincmar communiqua les do-
cuments relatifs à son ordination et à sa reconnaissance par les
évêques des Gaules, par le pape et par le roi. Aussi la quatrième
session proclama-t-elle Hincmar régulièrement élu, ordonné cano-
niquement, décoré du pallium et reconnu en qualité de primat.
Immo, évêque de Noyon, remit alors un mémoire, démontrant
la nullité des ordinations faites par Ebbon après sa réintégra-
tion.
Dans la cinquième session le concile se rangea à cette décision,
et déclara non avenues les fonctions ecclésiastiques remplies
par Ebbon après sa prétendue réintégration, sauf le baptême.
Frédébert, un des clercs ordonnés par Ebbon, se leva et déclara
avoir reçu les ordres d'Ebbon, uniquement parce que les suffra-
gants de Reims, Rothad, Siméon et Erpuin, étaient venus,
avec le décret de l'empereur Lothaire, dans la cathédrale, et
avaient réintégré Ebbon en sa présence. Il parla de leur procès-
verbal de réintégration signé de leur propre main. Mais il fut
prouvé que ce document était apocryphe, et on démontra éga-
lement que trois des sufîragants d'Ebbon (Siméon, ancien évê-
que de Laon, Loup de Châlons et Erpuin de Senlis) n'avaient pas,
comme on le prétendait, reçu de lui l'anneau et la crosse. Le concile
décida en conséquence d'excommunier les prétendus clercs, calom- [184]
niateurs des évêques, et dans la sixième session Hincmar reprit,
à la satisfaction générale, les fonctions de président, pour décider,
conjointement avec Wenilo et Amalric, les autres questions en
litige. Halduin, prêtre et abbé d'Hautvilliers. fut dégradé de la
prêtrise, ayant été ordonné par Loup, évêque de Châlons, sans
une enquête préalable suffisante et per saltum. Car. Ebbon lui
avant conféré le diaconat et cette ordination se trouvant nulle
452- CONCILES TENUS ENTRE 850 ET 853 195
comme les autres, Halduin avait été sans transition élevé du
sous-diaconat à la prêtrise.
Dans la septième session, on demanda la conduite à tenir à
l'égard de ceux qui étaient restés en communion avec Ebbon
pendant le temps de son excommunication. Les règles de l'Église
exigeant de ces personnes une satisfaction écrite, on prouva
que, lors de l'élévation d'Hincmar, toute l'Église de Reims avait
rédigé un acte semblable, et s'était infligé à elle-même une
pénitence, qu'Hincmar avait levée. A la fin de la huitième
session, le roi Charles intercéda en faveur des clercs d'Ebbon,
qu'on admit par grâce à la communion.
Le second document du concile de Soissons comprend treize,
ou, d'après Pertz, douze canons. 1. Le premier est un résumé de
ce qui s'était fait et avait été décidé le 26 avril au sujet de la
prétendue réintégration d'Ebbon et des clercs ordonnés par lui
après cette réintégration ; le canon renvoie aux actes plus dé-
taillés. 2. Hériman, évêque de Nevers, est blâmé d'avoir exercé
ses fonctions à une époque où il ne jouissait pas de ses facultés;
on recommande à son métropolitain Wenilo de le faire venir l'été
suivant auprès de lui à la campagne, pour voir si un air plus
sain n'améliorera pas son état. 3. Une commission devra exami-
ner la régularité de l'élévation de Burchard, par ordre du roi,
sur le siège de Chartres. 4. Aldrich, évêque du Mans, malade,
sollicite les prières du concile. Celui-ci les promet et charge l'arche-
vêque de Tours de veiller au gouvernement de l'Église du Mans.
5. Deux moines de Saint-Médard qui avaient aidé le prince Pépin,
enfermé dans ce monastère, à prendre la fuite, sont punis. 6. Le
roi Charles s'étant plaint que Ragamfrid, diacre de Reims,
avait composé de faux documents portant le nom du roi, le con-
cile prescrit que le diacre ne quittera pas Reims avant d'avoir
prouvé son innocence ou donné satisfaction. 7. On nomme des
[185] commissaires pour rétablir le service divin dans les villes et dans
les monastères dévastés par les Normands. 8. Les immunités des
églises doivent être confirmées. 9. On paiera la dîme et le neu-
vième des biens de l'Église qui sont dans des mains étrangères et
peuvent être restitués. 10. On ne rendra pas la justice les diman-
ches ou jours de fête dans les lieux saints. 11. Ceux qui sont sous
le coup des peines ecclésiastiques, ne doivent être protégés par
personne contre l'évêque. 12. Les incestueux ou autres sacri-
lèges qui veulent se soustraire au tribunal épiscopal, doivent lui
196
LIVKE XXII
être livrés de nouveau par les juges civils. 13. Aucun bien d'Église
ne peut être échangé sans l'assentiment du roi.
Le troisième document, c'est-à-dire le capitulaire publié par
le roi dans la septième session de Soissons, est une instruction
aux missi dominici relative à l'exécution des canons 1-13 inclu-
sivement, énumérés plus haut 1. Nous verrons plus tard le juge-
ment catégorique du pape Nicolas Ier sur ce concile.
Au mois d'août 853, on tint un concile franc à Verberie (arron-
dissement de Senlis, Oise) au sujet de la maladie de l'évêque
Ilériman, dont nous avons déjà parlé, et on établit un adminis-
trateur pour le diocèse de Nevers. Il fut décidé que le monastère
de Saint-Alexandre de Lebraha ne serait pas séparé de celui de
Saint- Denis et ne serait pas donné en précaire 2.
Le 20 décembre de cette même année 853, le pape Léon IY réunit
dans l'église de Saint-Pierre, à Rome, un grand concile de soixante-
sept évêques, qui renouvelèrent les trente-huit canons du concile
romain de 826, et en ajoutèrent quatre autres ; ce concile pro-
nonça pour la troisième fois la peine d'excommunication contre
le cardinal Anastase, qui avait abandonné sans autorisation son
église titulaire Saint-Marcel. Depuis cinq ans, il errait de coté et
d'autre, surtout dans les environs d'Aquilée, et n'avait tenu aucun
compte de quatre avertissements du pape, ni des ordres réitérés
de l'empereur et du concile 3.
1. Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 54; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xvu,
Appendix, p. 37; Pertz, Monum. Germ. histor., Leges, t. i, p. 418.
2. Sirmond, Conc. Gallise, t. in, col. 91; Coll. regia, t. xxi, col. 667; Gallia
christiana, 1656, t. m, col. 793 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 99-101, 1945-
1946; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 59; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1112;Scheidt,
Orig. Guelf., t. n, p. 89-90; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 997 ; t. xvn, Appendix,
p. 40; Pertz, Monum.Germ. hist., t. ni, Leges, t. i, p. 420. Voir Appendices. (H. L.)
3. Les actes mentionnent ici pour la première fois la date des années du pape
à côté de la date des années de l'empereur. [Coll. regia, t. xxi, col. 671 ; Labbe,
Concilia, t. vin, col. 101-102, 113-133; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 61; Coleti,
Concilia, t. ix, col 1115; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xiv, col. 997. Voir Appen-
dices. (H. L.)]
453. CONCILE DE QUIERZY 197
453. Concile de Quierzy. en 853, et les quatre chapitres
[186] THincmar.
.. Maugin suppose 1 que la réponse de l'Église de Lyon, dont nous
avons parlé 2, et qui devait déplaire à Hincmar et à Pardulus,
était connue* de ces deux évêques à l'époque du concile de Sois-
sons (avril 853), mais qu'ils avaient prudemment gardé le
silence sur l'affaire de Gotescalc, parce que la plupart des évê-
ques présents s'étaient déjà prononcés à Paris, en 849, pour
Prudence et pour la gemina prsedestinatio (ce qui est inexact).
Aussi, après le concile de Soissons, Hincmar réunit-il, au dire de
Maugin, sur la question de la prédestination, une assemblée moins
nombreuse, et qui, pour ce motif, était susceptible de subir plus
facilement son influence. Comme toujours, Maugin prête à Hinc-
mar le plus vilain rôle; que si ce concile de Soissons ne s'est pas
occupé de l'affaire de Gotescalc, c'est peut-être pour de tout autres
motifs. L'histoire de cette assemblée nous l'a montrée, en général,
bien disposée pour Hincmar, et assez chargée d'affaires sans y
ajouter la question de la prédestination.
Les Annales de Saint- Berlin rapportent, qu'à l'issue du concile
de Soissons, Charles le Chauve publia, conjointement avec quel-
ques évêques et abbés réunis à Quierzy, quatre capitula, qu'il
confirma en les contresignant lui-même 3. Comme ces Annales
donnent en abrégé ces quatre canons, il est incontestable qu'il
s'agit ici des quatre célèbres capitula d'Hincmar contre Gotes-
calc, souvent attribués, mais à tort, au concile de Quierzy de
849. Ils portent, clans les collections des conciles, ce titre : in
synodo constituta, et Maugin 4 fait de vains efforts pour prouver
que la réunion de Quierzy, d'où proviennent ces capitula, n'a
pas été un concile proprement dit. Hincmar dit, au contraire,
que le roi Charles avait synodali decreto et episcopali definitione
réuni la doctrine des Pères dans quelques capitula, qu'il avait fait
1. Maugin, op. cit., t. n, p. 264.
2. Voir § 451.
3. Pertz, Monum., t. i, p. 447.
4. Maugin, op. cit., t. u, p. 273.
198
LIVRE XXII
signer par tous 1. Même les adversaires d'Hincmar déclarent, dans
le c. 4 de Valence, que ces capitula proviennent d'un concile, (voir
p. 194). En voici le texte :
1. Quod una tantum sit prœdestinatio Dei. Deus omnipotens hominem sine [187]
peccato rectum cum libero arbitrio condidit et in paradiso posuit, quem
in sanctitate justitiœ permanere voluit. Homo libero arbitrio maie utens
peccavit et cecidit, et factus est massa perditionis totius bumani generis.
Deus autem bonus et justus elegit ex eadem massa perditionis secundum
prsescientiam suam, quos per gratiam prœdestinavit ad vitam, et vitam
illis prœdestinavit œternam. Caeteros autem, quos justitiœ judicio in massa
perditionis reliquit, perituros prœscivit, sed non ut, périrent prœdestinavit,
pœnam autem illis, quia justus est, prœdestinavit œternam. Ac per hoc
unam Dei prœdestinationem tantummodo dicimus, quœ aut ad donum
pertinet gratiœ, aut ad retributionem justitiœ.
2. Quod liberum hominis arbitrium per gratiam sanetur. Libertatem ar-
bitra in primo homine perdidimus ( !), quam per Christum Dominum nos-
trum recepimus. Et habemus liberum arbitrium ad bonum, prœventum
et adjutum gratia. Et habemus liberum arbitrium ad malum, desertum
gratia. Liberum autem habemus arbitrium, quia gratia liberatum, et gratia
de corrupto sanatum.
3. Quod Deus omnes homines velit salvos fieri. Deus omnipotens omnes
homines sine exceptione vult salvos fieri,licet non omnes salventur. Quod
autem quidam salvantur, salvantis est donum; quod autem quidam pe-
reunt, pereuntium est meritum.
4. Quod Christus pro omnibus hominibus passus sit. Christus Jésus Do-
minus noster, sicut nullus homo est, fuit, vel erit cujus natura in illo
assumpta non fuerit, ita nullus est, fuit, vel erit homo, pro quo passus
non fuerit, licet non omnes passionis ejus mysterio redimantur. Quod vero
omnes passionis ejus mysterio non redimuntur. non respicit ad magni-
tudineni et pretii copiositatem, sed ad infidelium et ad non credentium
ea fide, quœ per dilectionem opéra tur. respicit partem; quia poculum
humanœ salutis, quod confectum est infîrmitate nostra et virtute divina,
habet quidem in se. ut omnibus prosit; sed si non bibitur, non medetur 2. [188J
Les collecteurs des conciles ont cru devoir identifier ce concile
de Quierzy avec le concile provincial également tenu dans cette
ville et dont parle Flodoard (m, 28). D'après celui-ci, Hincmar
avait demandé au chorévêque Richald et à l'archiprêtre Rodoald
1. Hincmar, Ep. ad regem, P. h., t. cxxv, col. 68.
2. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 920, 925 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 18, 58 ;
Gess, Merkwurdigkeiten aus dem Leben und den Schriften Hinkmars, p. 34 sq.
454. CONCILE DE SENS OU DE PARIS 199
le renvoi par devant le concile provincial, qui devait se tenir
apud Carisiacum, de tous ceux du diocèse de Reims qui avaient
des sujets de plaintes. Ils inviteraient Milon. et sa fille, dont Fui-
cric avait abusé, avec tous les autres complices à y comparaître.
Flodoard rapporte (III, xxvi) que Fulcric, magnat au service de
l'empereur Lothaire, avait abandonné sa femme légitime pour
en prendre une autre. Enfin, au lib. III, x, nous apprenons
qu'Hincmar (ou son concile de Quierzy) avait excommunié l'em-
pereur Lothaire, à cause de ses relations avec Fulcric, excommu-
nié lui-même, mais que plus tard il l'avait absous.
454. Concile de Sens ou de Paris et contre-capitula
de Prudence.
Hincmar assure que Prudence de Troyes avait signé les quatre
capitula de Quierzy ; mais que, peu de temps après, il leur avait
opposé quatre autres capitula contenus dans une lettre à Wenilo,
archevêque de Sens 1. Nous possédons encore cette lettre de Pru-
dence, et nous y voyons que les évêques de la province de Sens
s'étaient réunis à Paris ou à Sens, pour le sacre d'Éné, évêque
de Paris, successeur d'Ercanrad 2. Prudence, malade, ne put se
rendre en personne à ce concile auquel il délégua un de ses prêtres
nommé x\rnold, avec une lettre approuvant complètement l'or-
dination d'Ené, si celui-ci reconnaissait les prescriptions du
Siège apostolique et les écrits des saints Pères Augustin, Fulgence,
Isidore, Bède, etc., surtout au sujet des quatre capitula par lesquels
l'Église catholique combattait Pelage et ses adhérents. Par ces
quatre capitula, l'ordinand professait les points suivants 3 :
1. Videlicet ut liberum arbitrium in Adam merito inobedientiœ amissum,
ita nobis per Dominum nostrum Jesum Christum redditum at'que libera-
189] Mini confiteatur, intérim in spe, postmodnm autem, in re, sicut dicit
1. Hincmar, De prsedest., c. xxvi et xxi, P. L., t. cxxv, col. 182, 268.
2. Lalande, Conc. Gallise, p. 161 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 1932; Hardouin,
Coll. concil., t. v, col. 39; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1085; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xiv, col. 975. Voir Appendices. (H. L.)
3. Ces contre-capitula ont été conservés par Hincmar dans la prsefatio de son
ouvrage De prœdestinatione, P. L., t. cxxv, col. 64; Maugin, op. cit., t. u, p. 279.
200 LIVRE XXII
Apostolus : Spe enim sdivi facti sumus, ut tamen semper ad omne opus
bonum Dei omnipotentis gratiâ indigeanms sive cogitandum, sive incho-
andum, operandum ac perseveranter consummandum, et sine ipsa nihil
boni nos posse ullatenus aut cogilare aut velle aut operari sciamus.
2. Ut Dei omnipotentis altissimo secretoque consilio credat atque fa-
teatur, quosdam Dei gratuita misericordia ante omnia sœcula pra?desti-
natos ad vitam, quosdam imperscrutabili justitia prsedestinatos ad pae-
nam. Ut id videlicet sive in salvandis sive in damnandis prœdestinaverit,
quod se praescierat esse judieando facturum, dicente Propheta : Qui fecit,
quse futura sunt.
3. Ut credat et confiteatur cum omnibus catholicis, sanguinem Domini
nostri Jesu Christi pro omnibus hominibus ex loto mundo in eum creden-
libus fusum, non autem pro illis, qui nunquam in illum crediderunt,
neque hodie credunt, nunquamque credituri sunt, dicente ipso Domino :
Venit enim Filins hominis non ministrari, sed ministrarc et dore animam
suam in redemptionem pro mtjltis.
4. Ut credat atque confiteatur, Deum omnipotentem omnes, quoscum-
que vult, salvare, et neminem posse salvari ullatenus, nisi quem ipse sal-
vaverit ; omnes autem salvari, quoscumque ipse salvare voluerit. Ac per
hoc quicumque non salvantur, penitus non esse voluntatis illius, ut sal-
ventur, dicente propheta : Omnia quœcumque voluit Dominus, fecit in
cselo et in terra, in mari et in omnibus abyssis.
Maugin prétend qu'Hincmar a menti impudemment en avançant
que Prudence avait signé les quatre capitula de Quierzy 1. Mais
Schrôckh et Gess relèvent cette excessive partialité ; il est
probable en effet que Prudence, intimidé par la présence du roi,
qu'Hincmar avait gagné à ses idées, accepta les quatre articles
de Quierzy ; ensuite, devenu plus libre, il fit connaître ses véri-
tables sentiments à l'endroit de ces capitula2. Maugin suppose3
que le concile de Paris (ou de Sens), approuvant la lettre de Pru-
dence et les capitula, les envoya au roi, qui les fit aussitôt remet Ire [190]
à Hincmar.
1. Maugin, op. cit., t. u, p. 277.
2. Von Norden, op. cit., p. 86, note 1, ne cloute pas que Prudence n'ait souscrit
aux capitula.
3. Maugin, op. cit., t. u, p. 281.
455. REMI DF. I.YON CONTRE HINCMAB 201
455. Rémi de Lyon se prononce contre les capitula d Hincmar.
En 854, les adversaires d'Hincmar envoyèrent les quatre capi-
tula de Quierzy à l'Eglise de Lyon, pour avoir son sentiment à
leur sujet. En eiïel, l'archevêque Rémi, de concert avec son
clergé, écrivit sans délai une critique acerbe et détaillée de ces
capitula., dans son Libellus de tenenda immobiliter Scripturie ve-
ritate, etc. 1. Les chapitres de Quierzy, dit Rémi, opposés à
la doctrine de la sainte Ecriture et des Pères, cherchent ausu
lemerario et improvide atque insolenter à obscurcir cette doc-
hine. Rémi entame une analyse et une critique minutieuses :
a) Le 1er chapitre d'Hincmar avance que : Dieu voulait qu'Adam
persévérât in sauctitate justitise ; il aurait dû ajouter que Dieu
lui en avait donné la grâce et que les anges, de même que nos
premiers parents avant la chute, avaient besoin de l'assistance
divine pour faire le bien 2 (cm), b) Le même chapitre disait :
Dieu a choisi secundum prœscientiam suam dans la massa per-
diiionis ceux qu'il prédestinait ad vitam. Mais en disant seule-
ment per prœscientiam, on laisse supposer des prœvisa mérita 3 ;
pour les exclure totalement, on aurait dû ajouter les mots per
gratiam aux mots per prœscientiam (c iv).c) Le chapitre reconnaît
que Dieu a laissé judicio suo l'autre partie des hommes dans la
massa perditionis ; mais c'est une inconséquence alors que de
nier la prœdestinatio ad pcenam (très juste !). Autre inconséquen-
ce de soutenir que Dieu avait non seulement prévu, mais prédéter-
miné ce que feraient les élus, tandis qu'au sujet des autres il
[191] aurait simplement prévu, mais non prédéterminé (c v;très bien!).
Rémi termine en expliquant la prœdestinatio ad pcenam, qui
n'implique pas une prédestination au péché. Il appuie sa doctrine
sur des témoignages de la Bible et des Pères, et met de nouveau
en doute l'authenticité de V Hypomnesticon, et celle de l'écrit
de saint Jérôme (c. v-ix).
1. P. L., t. cxxi, col. 1083 sq.; Maugin, op. cit., t. i, part. 2, p. 178 sq. ; cf.
t. ii, p. 283 sq. Le texte de Migne est fautif en bien des endroits ; ainsi, col.
1119 et 1129, il faut suppléer le mot non avant redimuntur.
2. Hincmar n'a jamais nié cela.
3. Hincmar n'a nVn soutenu de semblable ni d'approchant.
202
LIVRE XXII
Rémi remarque au sujet du second capitulum d'Hincmar : a)
Le principe libertatem arbitrii in primo homine perdidimus est
faux; ce qui est perdu, c'est seulement la volonté pour le bien,
mais non la volonté pour le mal et pour les plaisirs naturels (c.
x et xi) *. b) Tout aussi faux est ce principe : « Nous avons
recouvré par le Christ le libre arbitre que nous avions perdu
dans le premier homme ; » car il en résulterait que ceux qui
sont nés de nouveau dans le Christ posséderaient un libre arbi-
tre aussi puissant que celui du premier homme avant sa chute,
et pourraient comme lui rester sans pécher 2. Ce principe ou-
vrirait du reste la porte au pélagianisme, d'après lequel l'hom-
me peut rester sans pécher sola virtute liberi arbitrii (c. xi), c).
Quant à l'expression : « Nous obtenons de nouveau par le
Christ la volonté libre et nous la possédons maintenant ad bo-
nurn et ad malum,, » elle est fausse, car elle suppose, ce qui est ab-
surde, que nous avons recouvré seulement par le Christ la volonté
de faire le mal 3. d) Le chapitre ne mettait pas en relief que, non
seulement nous avons besoin de recouvrer une première fois le
libre arbitre, mais que nous devons avoir continuellement recours
à la grâce divine, et non seulement ad boiium opus, comme dit le
texte, mais ad ipsum initium fidei (c. xn) 4.
La suite de la discussion sur le second chapitre est perdue,
ainsi que la plus grande partie de celle sur le troisième chapitre. On
voit cependant, par ce qui nous reste, que Rémi citait son traité
De tribus epistolis et y renvoyait. Il remarque également que les
Pères avaient expliqué de diverses manières ce passage de la Ri-
ble : « Dieu veut que tous arrivent au bonheur éternel, etc. » Sur
cette question, il fallait se tenir tranquille et ne pas disputer. Il
est évident que nul n'est sauvé nisi gratuita misericordia Dei,
que Dieu éveille chez les uns la volonté d'être sauvé et ne l'éveille
pas chez les autres severitate justi et occulti judicii sui. Aussi,
continue Rémi, ils ne veulent pas croire, par exemple, et c'est
pour cela qu'ils seront condamnés. D'autres, au contraire, à qui
l'Évangile n'est pas annoncé, et demeure inconnu, ne seront pas
condamnés parce qu'ils n'ont pas la foi, mais pro aliis peccatis
suis, et en particulier pour le péché originel (c. xn). [192]
1. Hincmar n'avait pas voulu dire autre chose.
2. C'est un procès de tendance qui attribue à Hincmar de telles déductions.
3. Tout cela est prêté à Hincmar.
4. Cette critique n'atteint pas Hincmar:
455. REMI DE LYON CONTRE HINCMAR 203
Au sujet du chapitre quatrième, Rémi formule un triple repro-
che, a) Il blâme tout d'abord les premiers mots, quia nullus homo
est, fuit vel erit, cujus natura in Christo assumpta non fuerit. On au-
rait dû bien plutôt dire, puisque les fidèles sont dans le Christ, que
le Christ est en eux et que les infidèles sont, au contraire, exsortes.
« Lorsque le Christ a pris la nature humaine, les infidèles n'ont pas
participé à cette grâce, et ceux-là seuls ont avec le Christ une
même nature qui assumentem recipiunt, et eo spiritu sunt regenerati,
quo est Me (le Christ) primogenitus 1. b) La proposition quod nul-
lus est, fuit, vel erit homo, pro quo Christus passus non fuerit est
également erronée, car on ne peut certainement pas dire que le
Christ a souffert pour ceux qui étaient morts dans l'impiété avant
sa venue sur la terre et avaient été pour cela condamnés. On ne
peut dire non plus qu'il a souffert pour le démon, car le démon,
comme les méchants morts avant l'arrivée du Christ, est damné
irrévocablement pour toute l'éternité. Le Christ n'a appliqué
ses souffrances et sa mort qu'à ceux qui étaient dans le ciel.
Quant aux hommes venus après le Christ, la sainte Ecriture en-
seigne que le Christ a souffert pour tous ceux qui, ayant cru,
renaîtraient de l'eau et de l' Esprit-Saint par la grâce du baptême,
et seraient ainsi incorporés à l'Eglise. Lorsque saint Paul (I Tim.,
h, 6) dit omnes, ce mot signifie multos, ainsi que lui-même le
montre en d'autres passages 2. Le Christ lui-même avait employé
cette même expression: pro multis et pro vobis3. A l'appui de
cette déduction, Rémi allègue la pratique de l'Eglise, qui ne
permet pas d'offrir le saint sacrifice de la messe pour les infi-
dèles et les catéchumènes, c) Enfin l'archevêque de Lyon critique
cette phrase (cependant très juste) : et non credentium ea fide,
etc., parce qu'il y est dit : nec fidèles redempli sunt, qui non ha-
buerint eam fidem quse per dilectionem operatur; car tous les vrais
chrétiens deviennent participants de la redemptio, par le fait
même de leur naissance et de leur baptême, et parce que cette
renaissance implique par elle-même la délivrance du joug du
péché. Quant à la proposition: « Celui qui est véritablement
né une seconde fois n'est pas par le fait même redemptus, » elle
1. C'est là évidemment faire violence aux paroles d'Hinemar. Il parle sim-
plement de l'égalité naturelle de tous les hommes avec le Christ : Rémi, au
contraire, ne parle que de l'unité morale de3 justes avec le Christ.
2. Hebr., ix, 28; Rom., v, 18.
3. Matth., xxvi, 28.
204 LIVRE XXII
est aussi insensée que cette autre : « Le Christ a aussi souffert
pro impiis. » [193]
456. Concile de Valence, en 855, et réponse dHincmar.
Sur la demande de l'empereur Lothaire, Rémi, Agilmar et
Rodland, métropolitains des trois provinces de Lyon, de Vienne
et d'Arles, se réunirent le 8 janvier 855 avec leurs sufîragants à
Valence en Dauphiné, pour y juger l'évêque de cette ville accus*'
de divers méfaits 1. Après une enquête et un jugement dont nous
ignorons les termes, le concile publia vingt-trois canons. Ebbon
de Grenoble se distingua dans ce concile par son activité : c'était
un neveu cl' Ebbon, l'ancien archevêque de Reims, et ennemi
acharné d'Hincmar. Aussi a-t-on présumé qu'il avait réuni ce
concile pour combattre les principes de ce dernier. Du reste, on
peut supposer que Rémi de Lyon, président de l'assemblée, ne
laissa pas échapper cette occasion de combattre, par une sentence
synodale, les capitula d'Hincmar qu'il avait déjà attaqués par
d'autres moyens. Il est incontestable qu'il a été l'inspirateur
des canons de Valence, car on reconnaît à première vue la parenté
de ces canons avec l'ouvrage de Rémi : De tenénda immobiliter
Scripturse veritate 2.
1. Le premier de ces canons forme une sorte d'introduction aux
autres et déclare que dans les choses de foi, on doit éviter les
novitates vocum et les garrulitates prœsumptivse, et qu'au sujet
de la prescience et de la prédestination, il faut s'en tenir aux
décisions des saints Pères. Cette doctrine des Pères est exposée
dans les canons suivants :
2. Deum prsescire et prœscisse seternaliter et bona, quse boni erant
facturi, et mala, quœ mali sunt gesturi... fideliter tenemus et placet tene-
1. Les trois métropoles de Lyon, de Vienne et d'Arles, ainsi que la ville de Va-
lence (province ecclésiastique de Vienne), appartenaient au royaume de Lothaire.
[Sirmond, Conc. Gall., t. ni, col. 95; Coll. regia, t. xxi, col. 678; Labbe, Concilia,
t. vin, col. 133-146; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 87; Coleti, Concilia, t. ix,
col. 1149; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 1; Hincmar et le concile de Valence
dans l'affaire de Golescalc, dans Anal, juris ponlificii, t. iv, p. 540-563. Voir
Appendices. (H. L.)]
2. Maugin, op. cit., t. u, p. 3(Ki sq.
'[.">('.. CONCILE DE VALENCE, EN 855 'M<-
0
re, bonos praescisse (Deum) omnino per gratiam suam bonos l'uturos, et
per eamdem gratiam alterna praemia accepturos ; malos praescisse per
propriam malitiam malos futuros, et per suam justitiam aeterna ultione
damnandos... Nec prorsus ulli malo prœscientiam Dei imposuisse neces-
194] sitatem, ut aliud esse non posset, sed quod ille futurus erat ex propria
voluntate,... Deus... praesciit ex sua omnipotenti et incommutabili ma-
jestate. Nec ex prœjudicio ejus (Dei) aliquem, sed ex merito propriae ini-
quitatis credimus condemnari ; nec ipsos malos ideo perire, quia boni
esse non potuerunt, sed quia boni esse noluerunt, suoque vitio in massa
damnationis, vel merito originali vel etiam actuali permanserunt.
3. ...Fidenter fatemur praedestinationem electorum ad vitam, et prae-
destinationem impiorum ad mortem; in electione tamen salvandorum
misericordiam Dei prœcedere meritum bonum, in damnatione autem
periturorum meritum malum praecedere justum Dei judicium. Praedesti-
uatione auterri Deum ea tantum statuisse. quae vel gratuita misericordia,
vel justo judicio facturus erat... In malis vero ipsorum malitiam prae-
scisse, quia ex ipsis est, non praedestinasse, quia ex illo(Deo) non est. Pœ-
nam sane, malum meritum eorum sequentem, uti Deum qui omnia pro-
spicit praescivisse, et praedestinasse, quia justus est...Verum aliquos ad
malum praedestinatos esse divina potestate, videlicet ut quasi aliud esse
non possint (possent), non solum non credimus, sed etiam si sunt, qui
tantum mali credere velint, cum omni detestatione, sicut Arausica syno-
dus, illis anathema dicimus.
4. Item de redemptione sanguinis Christi, propter nimium errorem,
qui de hac causa exortus est, ita ut quidam, sicut eorum scripta indicant,
etiam pro illis impiis, qui a mundi exordio usque ad passionem Domini in
sua impietate mortui aeterna damnatione puniti sunt, efïusum eum de-
finiant... illud nobis simpliciter et fideliter tenendum ac docendum pla-
cet..., quod pro illis hoc datum pretium teneamus, de quibus ipse Domi-
nus noster dicit : ut omnis qui crédit in eum, non pereat, sed habeat vitam
seternam, et Apostolus : Christus, inquit, semel oblatus est ad multorum
eœhaurienda peccata. Porro capitula quatuor, quae a concilio iratrum nos-
trorum (à Quierzy) minus prospecte suscepta sunt, propter inutilitatem
vel etiam noxietatem et errorem contrarium veritati, sed et alia 19 syllo-
gisinis ineptissime conclusa (il s'agit de V écrit d' Érigène), et, licet jactetur,
nulla sœculari litteratura nitentia, in quibus commentum diaboli, potius
quam argumentum aliquod fidei. deprehenditur, a pio auditu fidelium
penitus explodimus...
5. Item firmissime tenendum credimus, quod omnis multitudo fidelium
ex aqua et spiritu sancto regenerata, ac per hoc veraciter Ecclesiœ incor-
porata, el juxta doctrinam apostolicam in morte Christi baptizata, m
ejns sanguine sil a peccatis suis abluta : quia nec in ois potuil esse vera
eneratio, nisi Qerel el vera redemptio, cum in Ecclesiae sacramentis
nihil sil cassum, nihil ludificatorium, sed prorsus lot uni verum et ipsa
206 LIVRE XX11
sua veritate ac sinceritate subnixum. Ex ipsa tamen multitudine fidelium
et redemptorum alios salvari œterna salute, quia per gratiam Dei in re-
demptione sua fideliter permanent... alios, quia noluerunt permanere in
salute fidei, quam initio acceperunt, redemptionisque gratiam potius
irritam facere prava doctrina vel vita, quam servare, elegerunt, ad ple-
nitudinem salutis et ad perceptionem aeternœ beatitudinis nullo modo
pervenire.
6. Ttem de gratia, per quam salvantur credentes, et sine qua rationis [195]
creatura nunquam béate vixit, et de libero arbitrio per peccatum in pri-
mo homine infirma to, sed per gratiam Domini Jesu fidelibus ejus redin-
tegrato et sanato, idipsum constantissimi et fide plena fatemur, quod
sanctissimi patres auctoritate sacrarum Scripturarum nobis tenendum
reliquerunt, quod Af ricana, quod Arausica synodus professa est, quod
beatissimi pontifiees apostolicœ Sedis catholica fide tenuerunt ; sed et
de natura et gratia in aliam partem nullo modo declinare prœsumentes.
Ineptas autem quastiunculas et amies pêne fabulas, Scotorumque pultes
(la lettre de Scot Erigène et de ses partisans) x puritati fidei nauseam infe-
rentes, quse... usque ad scissionem caritatis miserabiliter et lacrymabiliter
succreverunt... penitus respuimus... Recordetur fraternitas, malis mundi
gravissimis se urgeri... hœc vincere ferveat, hrec corrigere laboret, et su-
perfluis cœtum pie dolentium et gementium non oneret; sed potius certa
et vera fide, quod a sanctis patribus de his et similibus sufficienter prose-
cutum est, amplectatur.
Les collections des conciles passent immédiatement au c. 7;
mais Hincmar nous apprend que le compositor capitulorum avait
joint à ce canon neuf capitula extraits des Pères, que Ptemi avait
réunis dans son ouvrage De tenenda Scripturse veritate (c. x) 2; c'est
ce qui résulte également de sa prsefatio à cet ouvrage, dans
laquelle il copie les canons de Valence et de Savonnières, à
l'exception du premier canon, et donne également les sententias
Patrum.
Les autres canons ont trait à d'autres sujets; il est surprenant
que le concile de Valence n'ait pas traité la question : « Si Dieu
veut que tous les hommes arrivent au bonheur éternel, » ques-
tion bruyamment posée par Gotescalc, diversement solutionnée
par Hincmar et ses adversaires et traitée si soigneusement par
Rémi dans ses écrits. Il est vrai que cette question touche à cette [196]
1. Hincmar, De prsedestinat., c. xxiv sq., P. L. t. cxxv, col. 210 sq.
2. Baronius, Annales, ad ami. 855, 1, qui ne connaissait pas les écrits de Scot
Erigène, a pensé que quelques Scoti vagabundi ayant à leur tête Gotescalc
avaient répandu les erreurs du prédestinatianisme.
456. CONCILE DE VALENCE EN 855 207
autre : « Si le Christ est mort pour tous, » question résolue dans
le can. 4. On ne saurait admettre avec Hinemar 1 que Rémi ait
passé sous silence la question : « Si Dieu veut que tous les hommes
arrivent au bonheur éternel, » parce qu'il avait inséré dans le
can. 4 ces mots du pape Célestin : tanta est erga omnes ho-
mines bonitas Dei. Maugin remarque avec raison 2 que ces mots
ne figurent pas dans le can. 4 ; mais par c. 4 Hinemar n'enten-
dait pas le 4e canon de Valence, mais bien le n. 4 (ou plus exac-
tement 5) du chapitre x de l'écrit de Rémi De tenenda immobi-
liter Scriptural veritate, où se trouvent en effet ces mots de
Célestin. — Les autres canons de Valence sont ainsi conçus :
7. Beaucoup de sièges étant occupés par des évêques ignorants,
on demandera aux princes que désormais, pour toute vacance
de siège, on procède à une élection canonique par le clergé et par
le peuple. Si le roi juge à propos de nommer évêque un des clercs
qui sont à son service, on examinera avec soin la science et la
conduite de ce clerc. Si le métropolitain le juge nécessaire, il
s'adressera, d'accord avec les autres évêques, à l'empereur pour
empêcher le candidat indigne de Tépiscopat de parvenir.
8. On punira par l'excommunication la spoliation des églises.
Cette peine atteindra également celui qui prétexte avoir reçu du
roi ces biens d'Eglise, jusqu'à ce que l' évêque se soit expliqué
avec le roi et qu'une sentence royale en ait décidé.
9. Menaces contre ceux qui oppriment les églises et les clercs.
10. Sur les biens ecclésiastiques, qui sont entre les mains des
laïques et ne peuvent être restitués (voyez c. 9 de Soissons),
ri971 on prélèvera les nonœ et les décimée. Tous les fidèles donneront
la dîme de tout ce qu'ils possèdent. Défense de pratiquer l'usure.
11. Dans les procès on ne doit pas faire prêter serment aux deux
parties.
12. Lorsque deux personnes en procès veulent le vider par les
armes, et que l'un des deux adversaires tue l'autre, celui-ci sera
regardé comme suicidé, et le survivant traité comme meurtrier.
Dans la seconde session, tenue le lendemain, ou décréta les
canons suivants :
13. Les évêques doivent se soutenir mutuellement ; quiconque
est excommunié par son évêque, ne doit pas être admis à la com-
munion par un autre évêque.
1. Maugin, op. cit., t. n, p. 308.
2. Hinemar, Dp prsedestin., c. xxn, P. L., t. cxxv, col. 195.
208 LIVRE XXII
14. Aucun évêque n'opprimera les clercs et les moines placés
sous sa juridiction.
15.11 donnera à tous le bon exemple par sa conduite.
16. Il prêchera lui-même à la ville et à la campagne, ou fera prê-
cher ses ministri.
17. Les visites des communes et des paroisses ne seront (finan-
cièrement) à charge à personne.
18. Les évêques se concerteront sur les ordonnances au sujet
des écoles où l'on enseigne la science ecclésiastique et de celles
où s'enseignent la science profane et le chant de l'Eglise. Ces écoles
sont ruinées à l'heure qu'il est.
19. Le métropolitain surveillera la conduite de ses suffragants.
20-21. On n'emploiera pas les ressources de l'Eglise à des fins
profanes. On n'échangera pas les biens des églises, du moins avec
perte.
22. L'évêque n'exigera pas de ses prêtres les redevances pour des
visites qu'en réalité il ne fait pas.
23. Agilmar, archevêque de Vienne, se plaint de ce que certains
laïques émettent des prétentions au sujet de son archidiacre,
sous le faux prétexte qu'il n'est pas de condition libre, mais qu'il
est leur esclave. C'est pourquoi ils persécutent depuis des années
l'Église de Vienne, quoique le roi ait porté contre eux une
décision et que la liberté de l'archidiacre ait été confirmée par
plusieurs dépositions. Le concile menace ces laïques, s'ils s'obs-
tinent, de les exclure de toute communion avec les chrétiens,
rappelle deux anciennes lois civiles pour montrer que l'on
doit, sur ces points, obéissance à la décision des évêques, et
qu'en toute hypothèse l'archidiacre est couvert par la prescrip-
tion.
Peu après la célébration du concile de Valence, l'empereur Lo- ngg-j
thaire tomba malade de consomption; son mal s'aggravant, il
se retira dans le couvent de Prûm, où il mourut le 29 septembre
855, après avoir pris l'habit monacal. Sur l'invitation d'Ebbon,
évêque de Grenoble, il ordonna, avant de mourir, d'envoyer au
roi Charles <!<• France les actes du concile de Valence (du moins les
canons relatifs à la prédestination), avec les écrits de Rémi et
les dix-neuf propositions condamnées, extraites de l'écrit de
Scot. Cet ordre fui exécuté, et en septembre 856, le roi Charles,
qui se trouvait alors à la villa de Nielfa au diocèse de Rouen,
envoya lous ces documents à l'archevêque Hincmar, qui y ferait
456. CONCILE DE VALENCE, EN 8j5 209
une réponse orthodoxe 1. Hincmar écrivit à cette fin (857-858) son
premier livre De prsedestinatione, dont nous ne possédons plus
que l'introduction adressée sous forme de lettre au roi Charle-.
Il s'y plaint amèrement, et non sans motif, de ce que le concile
de Valence n'ait pas cité intégralement ses quatre capitula, au lieu
d'en donner seulement des passages défigurés et détournés de
leur sens, afin de les présenter comme dignes de condamnation.
Le concile a omis certains endroits, afin d'insinuer qu' Hincmar se
mettait en contradiction avec la doctrine des Pères et celle des con-
ciles d'Orange et d'Afrique 2. M au gin 3 répond que la coutume des
conciles n'était pas de répéter en entier les propositions condam-
nées, ce qui n'est pas une raison, car Hincmar se plaint surtout de ce
qu'on a détourné de leur sens les passages tirés de ses écrits cités au
concile de Valence. En effet, c'est ce qui s'est produit dans les can. 4
et 5 de Valence ; de plus, le can. 6 accuse expressément Hincmar
de s'être mis en contradiction avec les conciles d'Orange et d'Afri-
que, et ce reproche est encore plus accentué dans l'ouvrage de
Rémi : De tenenda immobiliter Scripturœ veritate.
Hincmar a moins raison lorsqu'il reproche au concile de Valence
d'avoir passé sous silence la question : « Dieu veut-il que tous
les hommes arrivent au bonheur éternel ? » Par contre, il a raison
de dire, que le 5e canon de Valence suggère la pensée quasi ludi-
[19 JJ ficatio aliqua in sacris mysteriis esse possit. C'était une injustice
manifeste contre l'archevêque de Reims que de placer dans le
can. 4 les dix-neuf propositions de Scot à côté des quatre chapitres
de Quierzy et d'imputer le tout à Hincmar. Celui-ci répond qu'il
ne les avait même pas vus (il écrit 16 au lieu de 19), avant qu'Ebbon
(de Grenoble) ne les eût envoyés au roi Charles, et malgré toutes
ses recherches, il n'avait pu en découvrir l'auteur. Maugin 4
accuse ici Hincmar de mensonge grossier, puisque lui-même avait
engagé et forcé Scot à composer cet écrit ; mais Maugin oublie
que ces dix-neuf propositions ne sont pas l'écrit même de Scot,
mais un extrait fait par ses adversaires et communiqué à Prudence.
Or. puisque ce parti s'est permis de dénaturer les propositions
d' Hincmar, il n'aura pas été plus scrupuleux à l'égard de Scot
1. Hincmar, P. L., t. cxxv, col. 49, 51, 55, 57 et 297.
2. P. L., t. cxxv. col. 49 sq. et Flodoard, Hist. Ecoles. Remensis, 1. III. c. xv.
3. Maugin, op. cil., t. n, p. 316.
i. Maugin, op. cit., t. n, p. 317.
CONCILES - IV — I
210 LIVRE XXII
Erigène. C'est ce qu'Hincmar insinue en disant que ces dix-neuf
syllogismes avaient été compilés uniquement ad cujusdam (Scot)
opinionem infamandam. Il feint de croire que les actes de Valence
n'étaient arrivés entre les mains du roi qu'altérés, car il ne pouvait
admettre que ses collègues se fussent conduits à son égard avec
tant d'inimitié, au lieu de l'entendre et de chercher à le convertir
fraternellement. Un autre indice qui permettait de douter de
l'authenticité de ces actes, c'est qu'à part les archevêques,
on ne nommait d'autre évêque comme présent au concile
qu'Ebbon de Grenoble, ce qui était contraire à la pratique uni-
verselle, et invraisemblable, à cause de la modestie d'Ebbon. En
terminant, Hincmar fait au roi l'esquisse de son premier livre
De prœdestinatione, aujourd'hui perdu.
457. Autres conciles de 855 à 859. Trêve dans les luttes
sur la prédestination.
Trois semaines environ après la célébration du concile de Valen-
ce, l'empereur Louis II réunit à Pavie, le 4 février 855 L, les évêques
de la haute Italie, ils devaient le conseiller, 1° sur, la pénurie des
clercs et des moines, 2° sur le défaut d'instruction dans le peuple,
3° lui indiquer les monastères, églises et hôpitaux réclamant une
restauration; 4° enfin lui faire connaître la conduite des comtes
et de leurs coopéra teurs. Les évêques, parmi lesquels AngilberL
de Milan, André, patriarche d'Aquilée, Joseph, archichapelain et ("2001
évêque d'ivrée, exposèrent les abus cl indiquèrenl 1rs anciennes
ordonnances à renouveler. L'empereur publia un edit défendant
le vol, confirmant les immunités des églises e1 des monastères,
cxhortantles comtes à pratiquer la justice et à protéger les veu-
ves et les orphelins, leur recommandant, ainsi qu'aux évêques,
de ne pas molester le peuple dans leurs voyages, et de ne pas
tolérer les trop fréquentes rapines de leurs serviteurs. Un second
1. Coll. regia, t. xxi, col. 699; Labbe, Concilia, t. vin, col. 146-150; Hardouin,
Conc. coll., t. v, col. 97; Basnage, Thesaur. monument., 1725 ; t. n, part. 2,
p. 353-368; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1161, Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col.
931; Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 15; Pertz, Monum. Germ. histor., t. m, Leges,
t. i. p. 430, Capilularia, t.n, p. 8S : Bôhmer-Mùhlbacher, Regesta, c. 1168. (H. L.)
457. AUTRES CONCILES DE 855 A 859 211
édit impérial contient des prescriptions relatives aux missi ; un
troisième, enfin, renferme diverses ordonnances sur la pratique
de la justice, la restauration des églises baptismales, les dîmes et
la réédification des ponts, notamment à Pavie.
Au mois d'août de celte même année 855 ]. vingt-huit évoques
francs et treize abbés célébrèrent un concile à Bonneuil-sur-Marne,
non loin de Charcnton. Les quatre métropolitains Amalric de Tours,
Wenilo de Sens, Hincmar de Reims et Paul de Rouen étaient
présents à ce concile qui confirma les privilèges du monastère
d'Anisol (s. confessoris Carilefi) près du Mans (Saint-Calais), con-
tre les prétentions de l'évêque de cette ville2.
Un concile romain tenu sous le pape Léon IV, entre 853 et 855,
s'occupa du conflit entre Sienne et Arezzo. Déjà un concile de
715 avait adjugé à l'évêché d' Arezzo les églises et couvents au
sujet desquels s'était élevé le conflit. Mais le pape Léon IV se
prononça en faveur de l'église de Sienne 3. Nous verrons cette
question de nouveau agitée en 1129.
En novembre 855, se tint à Winchester (W intoniensis) , un grand
concile national anglais auquel assistèrent les trois rois Ethelwulf
de Wessex, Béorred de Mercie et Edmond d'Ostanglie, ainsi que
[201] les évêques et les grands de toute l'Angleterre 4.
Dans ce concile, le roi Ethelwulf fit des présents considéra-
bles à l'Eglise, qui avait tant souffert de l'invasion des barbares,
l'exempta de tout impôt civil et de toute redevance. Le docu-
ment original, assez difficile à comprendre, a été conservé en
plusieurs exemplaires.
Il s'est tenu à Constantinople, en 845 et 856, deux conciles
occasionnés par Grégoire Asbesta, archevêque de Syracuse, qui,
1. D'après Mansi, ce serait en 853. Voir Appendices. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xv, p. 22. La question du monastère de Saint-Calais a été
plusieurs fois traitée parles synodes francs. Voyez plus haut, § 446, et plus bas,§§
467 et 471.
3. Mansi, op. cit., t. xv, p. 29 sq. ; Jaffé, Regesta pontif.rom.,j). 235-236; 2e
édit., p. 340. Voir aux Appendices où nous restituons ce concile au mois d'avril
850. (H. L.)
4. Coll. regia, t. xxn, col. 20; Labbe, Concilia, t. vin, col. 243-246; Hardouin,
Concil. coll., t. v, col. 111; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1259; Wilkins, Conc. Bril.
t. i, col. 183-185; Mansi, Concil., ampliss. coll., t. xv, col. 112; Lingard, Hisl.
d' Angleterre, t. i; Haddan et Stubbs, Councils and ecclesiastical documents, t. m,
p. 636 (H. L.)
212
LIVRE XXII
on le verra plus Lard1, quoique déposé par le patriarche Ignace,
ordonna Photius d'une manière illégitime2.
I 11 concile tenu à Quierzy, en février 857, chercha à mettre
un terme aux désordres et à l'insécurité qui troublaient le
royaume de Charles le Chauve : il prescrivit aux évoques et aux
comtes de tenir de petites réunions pour inculquer à leurs infé-
rieurs les préceptes de la sainte Ecriture et de l'Eglise contre le
vol et leur dépeindre l'énormité de ces fautes; il fait diverses cita-
tions des papes Anaclet, Urbain et Lucius, empruntées en réalité
au pseudo- Isidore 3.
Nous savons qu'un concile romain tenu sous le pape Benoît III
(855-858) réduisit à la communion laïque le cardinal-prêtre Anas-
tiisc, dont nous avons déjà parlé. Soutenu par les missi impé-
riaux, Anastase s'était rendu à Rome aussitôt après l'élection
de Benoit III, avait fait arrêter le pape, l'avait maltraité et s'était
posé comme antipape. Mais le peuple se prononça en faveur du
pape Benoît dont Anastase et ses partisans durent implorer la
clémence. Peut-être faut-il aussi attribuer à ce synode les vingt-
cinq canons édités par Pertz 4.
Lorsque, dans les conciles tenus à Mayence en 847-848, lui conclu,
entre les évêchés de Hambourg-Brème et de Verden, l'acte de
conciliation dont nous avons parlé 5, le siège de Cologne était
vacant. Le 20 avril 850, Gùnther, depuis si célèbre dans l'af-
faire du divorce de Lothaire, fut nommé archevêque de Cologne.
Ansgar chercha aussitôt à obi cuir son assentiment à l'arrange-
ment, parce que Brème jusqu'alors sufïragant de Cologne vou-
1. Voir § 464.
2. Conc. de 854 : Coll. reg., t. xxi, col. 678; Labbe, Concilia, t. vin, col. 133 ;
Coleti, Concilia, t. ix, co.l 1147; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 930 ; Conc.
amplis*, coll., t. xiv, col. 1030; Conc. de 856; Mansi, Concilia, Supplem., t. i
col. 947; Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 124. (H. L.)
3. Sirmond, Conc. Gall., t. ni, col. 110; Coll. regia, t. xxn, col. 25; Lalande,
Concilia, col. 162; Labbe, Concilia, t. vin, col. 246-250, 1946 ; Hardouin, Coll.
concil., t. v. col. 115; Coleti, Concilia, t. ix, col. 1263; Mansi, Concilia, Supplem.
t. i, col. 947; Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 126; Pertz, Mon. German. histor.
t. m, Lcges, t. i, p. 451; Tiïbinger theolog. Quarlals., 1847, p. 647 sq. Voir Appen-
dices. (H. L.)
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 86; Mansi, op. cit., t. xiv, col. 1028 ; Pertz,
Monum. German. histor., t. ni, Leges, t. i, p. 439. [Jafïé, p. 340 (H. L.)] Voir §
354.
5. Voir § 442.
457. AUTRES CONCILES DE 855 A 859 213
lait maintenant s'affranchir de celle juridiction. Gùnther s'y re-
fusa longtemps, et ce ne fut que dans la diète synodale de
Worms (carême de 857), qu'il se déclara disposé, grâce aux dé-
marches des deux rois, Louis le Germanique et Lothaire de Lor-
raine, à cesser son opposition, si le pape de son côté consentait
à l'.nnion des diocèses de Brème et d'Hambourg. Le pape Nico-
las Ier accepta cette union, en 858 ou 859, après que Louis le
Germanique eut. à cet effet, envoyé à Rome Salomon, évèque de
Constance 1.
Au rapport de plusieurs anciens chroniqueurs, il se serait
tenu un concile à Mayence en 857 2. Après la mort de Rhaban
survenue le 4 février 856, Charles, prince d'Aquitaine, avait été
élevé sur le siège archiépiscopal de Mayence. Entré volontaire-
ment, ainsi qu'il le rapporte lui-même, dans le monastère de
[202] Corbie en 849, il s'était enfui en Germanie en 854, auprès de son
oncle Louis, et était entré à Fulda. Au témoignage des hommes
les plus autorisés, ce prince était doué des plus belles qualités
et digne du titre d'archevêque, et d'archichancelier de l'empire
germanique. D'après les chroniqueurs, le 1er octobre 857, Gùn-
ther, archevêque de Cologne, avait écrit à Aldfrid. évêque d'Hil-
desheim, membre de l'assemblée, que le 15 septembre, pendant
un violent orage, la foudre, semblable à un dragon de feu, était
tombée sur la basilique de Saint-Pierre à Cologne et avait blessé
plusieurs personnes. Martène, Durand et d'autres, avec Mansi 3,
rapportent à ce concile de Mayence une bulle du pape Nicolas Ier
à Charles, archevêque de Mayence, et à ses sufïragants. Mais la
supposition que cette bulle est une réponse à la lettre synodale de
Mayence est hasardée, et Binterim a émis contre l'authenticité
de cette bulle des objections qu'il n'est pas facile de réfuter 4.
Mentionnons, en passant, un concile diocésain tenu a Tours
(mai 858), dans lequel l'archevêque Hérard promulgua pour
son clergé cent quarante canons composés par lui 5.
1. La bulle pontificale se trouve dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 137; Klippel,
Biogr. des Ansgar, p. 89 et 224. Voyez la date de la bulle dans Binterim, Deutsche
Concil., t. m, p. 53, et Mansi, op. cit.. t. xv. p. 130.
2. Coll. regia, t. xxu, col. 31 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 250; Coleti, Concilia
t. ix, col. 1262; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 140. (H. L.)
3. Mansi, op. cit., t. xv, col. 141.
4. Binterim, Deutsche Conciliai, t. ni, p. 10 sq.
5. Maan, Conc. Turon., 1667, t. n ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 627-376 ;
214 LIVRE XXII
Vers cette époque, un grand mécontentement régnait en France
contre le roi Charles le Chauve qui tenta en vain, dans une diète
tenue à Quierzy, en mars 858, de se rattacher plus étroitement
les grands par un serment réciproque 1. Plusieurs de ces grands se l^và]
rendirent aussitôt auprès de Louis le Germanique, qui, sur leur
invitation, passa le Rhin (été de 858), sous prétexte de secourir
la malheureuse France, en réalité pour la prendre à son frère.
Plusieurs des vassaux laïques et ecclésiastiques de ce dernier,
parmi lesquels Wenilo, archevêque de Sens, abandonnèrent aus-
sitôt leur roi légitime pour passer à l'ennemi, si bien que Char-
les le Chauve dut se réfugier en Bourgogne, tandis que Louis, se
considérant déjà comme maître de la France, distribuait évê-
chés, abbayes et fiefs à tous les transfuges. Les prélats demeurés
fidèles à la cause de Charles le Chauve, Hincmar de Reims et
Wenilo de Rouen à leur tête, cherchèrent à s'interposer entre les
deux frères, et proposèrent une conférence à laquelle assisteraient
les amis des deux princes, dans l'espoir d'aboutir à un com-
promis. Louis, rejetant cette proposition, prescrivit la réunion
à Reims pour le 25 novembre 858, des grands et des prélats
de son royaume. Mais les prélats des provinces de Reims et de
Rouen, restés fidèles au roi Charles, quoique mandés à cette
assemblée, n'y parurent pas ; ils se réunirent à Quierzy d'où
ils envoyèrent au roi Louis une lettre synodale rédigée par
Hincmar. Ils s'excusent d'avoir décliné l'assignation à Reims,
exhortent Louis à réfléchir aux motifs qu'il a pu avoir pour
envahir la France; ils lui rappellent l'heure de la mort qui ne
saurait tarder pour lui, et rapportent les cruautés commises
dans tous les diocèses par lesquels Louis a passé. Il eût mieux
valu, disent-ils, conduire son armée contre les païens. Si, comme
il l'écrivait, sou but était de relever l'Église, il devait commencer
par en respecter les privilèges et en défendre les biens, honorer les
chefs et lui procurer les moyens de se développer sans entraves.
(Ici le c. 7 rapporte une vision d'Euchérius, évêque d'Orléans,
qui vit Charles Martel en enfer pour avoir pris les biens de
l'Église.) 11 en était de même des monastères et des hôpitaux.
Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 450; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 979;
Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 523; Hauréau, Gallia christiana, 1856, t. xiv,
Instrumenta, p. 39-46. Voir Appendices. (H. L.)
1. Pertz, Leg., t. i, p. 457. Voir Appendices (H. L.)
457. AUTRES CONCILES DE 855 A 859 215
Louis écrivait que le concile de Reims indiquerait les réformes
concernant la conduite des fidèles. Sur ce point encore, il ferait
bien de commencer par lui-même et par sa propre maison. En
terminant, les évêques répètent qu'en raison de la prochaine
fête de Noël, ils ne peuvent en principe se rendre à la convocation,
[204] mais consentent à se rencontrer avec les autres évêques dans un
concile fixé à une date plus favorable et plus canonique, après
toutefois qu'ils auront eu le loisir d'en délibérer avec ceux de
leurs collègues qui avaient sacré roi Charles le Chauve. Pour
le moment, il ne leur était pas possible de prêter au roi Louis
le serment de vassalité 1.
Dans la première édition nous avons parlé d'une lettre d'Hinc-
mar. adressée au roi Louis après la convocation d'un concile à
Soissons 2. Mais cette lettre appartient à l'année 879-880 et le
roi Louis dont il est question est Louis III de Saxe (troisième
fils de Louis le Germanique) qui cherchait à s'emparer du royaume
franc de l'ouest. Dès le commencement de l'année 859, Louis
comprit que sa situation en France était désespérée. Aussi vers
le 1er mars, regagna-t-il le Rhin en toute hâte, et dès le milieu
du même mois, il était déjà rendu à Worms. Sur le désir des rois
Charles de France et Lothaire de Lorraine, les évêques de ees
deux royaumes se réunirent à Metz (mai 859) 3, d'où ils envoyè-
rent Hincmar de Reims, Gùnther de Cologne et Wenilo de Rouen,
et plusieurs autres évêques à Worms, pour faire connaître au
roi Louis à quelles conditions il obtiendrait le pardon de l'Eglise
pour ce qui venait de se passer. Il répondit qu'il en délibérerait
avec les évêques de son royaume ; en effet, ces délibérations
1. [A. Duchesne, Histor. Franc, script., 1636, t. i, p. 792; Labbe, Concilia,
t. vin, col. 654-668, 1947-1948; Bouquet, Rec. des hist. de France, 1741, t. m.
col. 659-660; B. Guérard, dans Notices et extraits des manuscrits, 1838, t. xm,
part. 2, p. 62; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 456; Mansi, Conc. ampliss. coll.,
t. xvii, appendix, col. 69; Hincmar, Epist., i, P. L., t. cxxvi, col. 9 sq. (H. L.)]
Gfrôrer, Gesch. der Karolinger, t. i, p. 272 et Gess, Lebensgesch. Hinkmars,
p. 160 sq. ; Weiszàcker, Hinkmar und Pseudo-Isidor, dans Illigeii-Xiedner, Zeilsch.
/. hi-tor. Theol., 1858, t. ni, p. 408 sq. veut trouver dans cette lettre d'Hincmar
des preuves d'une duplicité manifeste, dans ce sens que l'archevêque de Reims
tiendrait tantôt le parti de Charles et tantôt celui de Louis.
2. Flodoard, Hist. Eccles. Rem., 1. III, c. xxm, P. L., t. cxxxv, col. 230.
3. Coll. regia, t. xxn, col. 634; Labbe, Concilia, t. vin, col. 668-673, 1948-1949;
Hardouin, Concilior. coll., t. v, col. 477; Coleti, Concilia, t. x, col. 105; Mansi,
Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 525. Voir Appendices (H. L.)
216 LIVRE XXII
aboutirent, le 5 juin 8G0, à une réconciliation complète, dans la
diète qui se tint à Coblentz, dans l'église de Saint-Castor, e1 qui
osl souvent comptée au nombre des conciles 1.
458. Reprise des discussions sur la prédestination. - - Conciles [205]
de Langres, de Savonnières près de Toul.
En 859, les évêques des trois provinces de Lyon, de Vienne
et d'Arles, qui s'étaient auparavant réunis en concile à Valence,
furent convoqués par le roi Charles, fils de l'empereur Lothaire 2,
ad concilium Tullense apud Saponarias, c'est-à-dire à Savonnières,
près de Toul, où se trouvèrent des évêques de plusieurs autres
provinces 3. Mais quinze jours avant la réunion de Toul, les évê-
ques tinrent, d'accord avec leurs rois, une sorte de synode préli-
minaire in Andemantunno Lingonum (Langres), dans la province
de Lyon, dans le but de donner à leurs canons de Valence une
rédaction un peu différente, qu'ils se flattaient de faire approu-
ver par Charles le Chauve 4. Dans ce but, il répétèrent mot
1. Coll. regia, t. xxn, col. 678; Labbe, Concilia, t. vin, col. 678-702, 1951-1952;
Hardouin, Concil. coll., t. v, col. 478, 503; Coleti, Concilia, t. x, col. 141 ; Mansi,
Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 549; t. xvn, Appendix, col. 81, 93; Pertz, Monum.
German. histor., t. m, Leges, t. i, col. 458, 468; Gfrôrer, op. cit., p. 301, 306 sq.t
(H. L.)
2. L'empereur Lothaire avait partagé son empire de la manière suivante :
son fils aîné Louis II obtint l'Italie et la couronne impériale ; Lothaire (le mari
de Teutberge) eut les provinces allemandes (Lotharingie) ; le plus jeune, Charles,
eut les provinces franques (Provence). Dans ce dernier royaume, se trouvaient
les trois métropoles de Lyon, de Vienne, et d'Arles. Langres s'y trouvait aussi,
tandis que Toul était dans^la Lotharingie.
3. Savonnières, commune de Foug, arrondissement de Toul, département
de Meurthe-et-Moselle. Pithœus, Ann. hist. Franc, 1594, p. 491-498; Sirmond,
Conc. Galliœ, t. ni, col. 137 ; Duchesne, Hist. Franc, script., t. n, p. 436; Coll. regia,
t. xxn, col. 642; Labbe, Concilia, t. vin, col. 674-695, 1949-1950 ; Hardouin,
Coll. concil., t. v, col. 483; Martène. Thesaur. nov. anecd., 1717, t. m, col. 857-
859 ; Coleti, Concilia, 1730, t. x, col. 113; Bouquet, Recueil des hist. de la France,
1749, t. xn, col. 582-585; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 527; Duru, Bi- .
blioth.hist. de l'Yonne, 1850, t. i, p. 292-301; Pertz, Monum. Germ. hist., t. m,
Leges t. i, p. 462 sq. Voir Appendices (H. L.)
4. Sirmond, Conc. Gallise, t. m, col. 136, 153 ; Coll. regia, t. xxn, col. 641 ;
Labbe. Concilia, t. vm, col. 673-674. 690-694 : Hardouin, Coll. concil., t. v,
i58. CONCILES DE LANGRES, ETC. 217
pour mot les six premiers canons de Valence ; mais ils firent
suivre le canon 4e de la phrase suivante : capitula quatuor, quse
a concilio fratrum nostrorum (à Quierzy) minus prospecte suscepta
su ut, propter inutilitatem vel etiam noxietatem et errorem con-
trarium veritati, parce qu'ils savaient que Charles avait approuvé
cl souscrit les quatre capitula de Quierzy. Du c. 5, ils retranchèrent
la citation de la lettre aux Hébreux, x, 26. Les dix autres canons
ajoutés par le concile de Langres ont trait à divers points de
discipline et n'ont aucun rapport avec la question principale. Peut-
être étaient-ils destinés à dissimuler le but véritable de la réu-
nion. Hincmar nous apprend 1 qu'on ajouta aux capitula de Lan-
gres les sept règles de Rémi concernant la prédestination.
Une charte de donation de Jonas, évoque de Nevers, se rap-
porte à un concile tenu dans l'abbaye 'des Saints- Jumeaux, en
avril 859 : c'est vraisemblablement le concile de Langres; toute-
^uoj |()js ]a date ne s'accorde pas parfaitement, car la réunion de Lan-
gres s'est terminée le dernier jour de mai ou le premier jour de
juin.
Le 14 juin 859 s'ouvrit, dans la villa de Savonnières, près de
Toul, le grand concile national franc, qui dans sa lettre à Wenilo,
archevêque de Sens, prend lui-même le titre de universale conci-
lium 2. Outre les trois rois (maries le Chauve de France, Lothaire
de Lorraine et Charles de Provence3, l'assemblée comptait les
évêques de douze provinces ecclésiastiques, et en particulier les
métropolitains Rémi de Lyon, Rodulf de Bourges, Giïnther de
Cologne, Hincmar de Reims, Arduic de Besançon, Thietgaud
de Trêves, Wenilo de Rouen et Hérard de Tours. Le roi Charles
présenta au concile un mémoire, que nous possédons encore, dirigé
contre Wenilo, archevêque de Sens, qui lui avait été infidèle et
avait entraîné plusieurs collègues dans sa défection. On lit dans
ce1 écrit que personne n'a le droit de déposer le roi, sans la décision
préliminaire, des évêques (a qua regni sublimitate supplantari vel
projici a nullo debueram, saltem sine audientia et judicio episcopo-
col. 481; Coleti, Concilia, t. x, col. 111; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 982;
Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 546. Voir Appendices. (H. L.)
1. Hincmar, De prœdeslinatione, c. xxxi, P. L., t. cxxv, col. 290 sq.
2. Sur ce terme, cf. Hist. des conciles, t. i, préface.
.'?. Une colonne commémorative a été élevée en 1870 en mémoire de ces
réunions de priuces francs à Savonnières. Une partie des inscriptions gravées
sur le piédestal, recouverte par le lierre, esl aujourd'hui indéchiffrable, (H. L.)
218 LIVRE XXII
rum, quorum ministerio in regem sum consecratus, et qui throni
Dei sunt dicti, in quibus Deus sedet, et per quos sua decernit judicia ;
quorum paternis correptionibus et castigatoriis judiciis me subdere
fui paratus, et in pressenti sum subditus).
Le concile répondit à ces plaintes du roi dans le sixième des
treize capitula dont voici le résumé :
1. Entre les deux frères, les rois Charles de France et Louis
de Germanie, doivent régner de nouveau l'amour fraternel et
une véritable concorde.
2 et 3. Les évêques doivent être unis et se soutenir mutuelle-
ment. On devra remettre en honneur el tenir régulièrement les
conciles, qui sont tombés en désuétude par suite de l'inimitié des
princes. Les rois approuvèrent cette ordonnance.
4. Le diacre Tortold' de Sens, qui s'est emparé de l'évêché
de Bayeux, comparaîtra par-devant Wenilo de Sens et trois autres
évêques qui examineront cette affaire. (Comment le concile a-t-il
oublié que Wenilo de Sens avait lui-même trahi Charles le Chauve,
ainsi que le dit ce prince dans son mémoire ?)
5. On. agira de même au sujet du sous-diacre Anskar, qui s'est [207]
emparé du siège de Langres, mais qui a reconnu son tort.
G. On a accordé un délai et on a fait connaître à Wenilo de Sens,
par une lettre synodale, la plainte portée contre lui. Cette lettre
nous apprend, outre les chefs d'accusation, que le concile a sou-
mis l'affaire à la décision arbitrale des archevêques Rémi de Lyon,
Wenilo de Rouen, Hérard de Tours et Rodulf de Bourges. Si
l'accusé se prétend innocent, il doit, trente jours après la réception
de la lettre, comparaître pour se défendre. Un appendice d'origine
peut-être plus récente contient plusieurs canons concernant la
manière de procéder dans les plaintes contre les évêques, et résu-
me les principaux griefs du roi Charles contre Wenilo. Dans un
autre document, une lettre à Wenilo, Hérard de Tours s'excuse,
sur la maladie, de faire partie du tribunal qui jugera Wenilo. En
conséquence le concile le remplace par Robert, évêque du Mans.
Hérard enoageait Wenilo à arranger cette affaire et à intercéder
auprès du roi, ce qui eut lieu, comme en témoignent les Anna-
les de Saint-Bertin, et on ne rendit, en définitive, aucune sen-
tence contre Wenilo.
7. Parmi les évêques présents à Savonnières, se trouvait Al ton
de Verdun, jadis offert au monastère de Saint-Germain d'Auxerre,
mais qui, après avoir quitté cette maison, au mépris de tousdroits,
458. CONCILES DE LANGRES, ETC. 219
avait été bien imprudemment élevé à l'évêché de Verdun. Le con-
cile renvoya l'examen de cette affaire à un concile ultérieur. Néan-
moins, nous retrouvons encore, en 867, Atton sur le siège de Verdun.
8. Les évêques de Bretagne qui se sont séparés de leur métro-
pole de Tours, seront exhortés par lettres à se soumettre à ce siège
et à se conformer aux canons sur la juridiction. Ils ne doivent non
pins avoir aucun rapport avec les excommuniés, et ils engageront
le duc Salomon à garder au roi Charles la fidélité jurée1.
9. Le concile écrivit aussi aux grands de Bretagne qui avaient été
excommuniés ; il les avertit que, s'ils ne s'amendaient pas avant
la réunion du prochain concile général, ils seraient tous frappés
anathemate terribili. Dans cette même lettre, les grands de Breta-
gne sont accusés d'avoir porté atteinte aux biens de l'Eglise,
d'avoir commis beaucoup d'adultères, fornications, meurtres, etc.
10. On lut ensuite certains capitula (de Langres et de Quierzy),
[208] au sujet desquels un dissentiment s'éleva entre les évêques ; ceux-ci
décidèrent de se réunir une fois de plus après la restauration
de la paix politique, et de formuler la doctrine conforme à la
sainte Ecriture et aux Pères.
11. Le concile insista auprès de Charles le Chauve et de Rodulf .
archevêque de Bourges, pour que ce dernier renonçât à l'abbaye
de Saint-Benoît de Fleury, qu'il possédait à titre d'abbé, au
mépris de tous droits, et pour rendre au monastère le droit de
choisir son abbé.
12. On régla aussi diverses affaires particulières à certains dio-
cèses, laissant aux évêques le soin défaire exécuter ces décisions.
13. Enfin tous décidèrent l'érection de confréries afin de
prier les uns pour les autres.
Hincmar nous apprend que Rémi de Lyon lut les capitula
de Langres, dans l'assemblée où on avait lu la veille d'autres
capitula, (ceux de Quierzy). Hincmar avait été fort irrité de la
première de ces lectures, et ses amis étaient sur le point de faire
au concile des propositions contraires, lorsque Rémi de Lyon
les calma en disant qu'il valait mieux remettre au prochain
concile le soin de faire une nouvelle enquête sur cette question,
après quoi on admettrait ce que tous reconnaîtraient comme
le plus juste. Hincmar assure à ce sujet que plusieurs évêques,
même de la province de Rémi de Lyon, étaient opposés à la nou-
1. Voir Appendices : Le concile de Coïtlouh. (H. L.)
220
LIVRE XXII
velle doctrine de la double prédestination, mais n'avaient pas
eu le courage de se montrer, afin de ne pas troubler la paix 1.
Maugin 2 accuse Hincmar de mensonge lorsqu'il prétend une
seconde fois avoir lu à Toul (lisez Savonnières) les articles de
Quierzy 3, par la raison qu'il n'eût pas alors osé faire cette lecture.
Il s'autorise, pour parler ainsi, de ce que les capitula de Quierzy ne
se trouvent pas dans les actes de Savonnières (il aurait dû dire
dans les actes mutilés, les seuls que nous ayons). Il n'a guère [200]
plus de fondement pour avancer que les capitula, de Langres
ont été approuvés à Savonnières par toute l'Église des Gaules,
parce que ces chpitula se trouvent dans les actes de Savonnières 4.
L'approbation donnée aux capitula de Langres (ou de Valence)
par le pape Nicolas Ier conclut de même contre Maugin. Il est
vrai que Prudence de Troyes parle dans ses Annales 6 dans le
même sens que Maugin ; c'est du moins ce que nous apprend
Hincmar 6, mais personne dans la Gaule entière et surtout
aucun auteur de cette époque n'a eu la moindre connaissance
de ce que soutient Maugin et jamais les adversaires d'Hincmar
ne se sont appuyés sur cette sentence du pape. Il y a lieu de re-
marquer en outre que les Annales de Saint-Bertin, également
citées par Maugin 7, sont, pour la partie dont il s'agit ici, l'œuvre
du même Prudence; en somme, ce sont précisément les annales
de Prudence citées par Hincmar.
459. Second écrit d'Hincmar sur la prédestination.
Aussitôt après le concile de Savonnières, Hincmar composa
son grand ouvrage De prœdestinatione, qui porte le même titre
1. Hincmar, Ep. ad Carol., en' tête de son second écrit De prsedest., P. L.,
t. cxxv, col. 66.
2. Maugin, op. cit., t. n, p. 325-327.
3. Hincmar l'assure de nouveau dans la prsefatio de son second écrit De prvr-
dest., P. L., t. cxxv, col. 66.
4. Le c. x met Maugin dans son tort ; Schrôckh, Kirchengeschichte, t. xxiv
p. 106, a bien envisagé la question.
5. A l'année 859.
G. Hincmar, Epist. ix, (al. xxiv) ad Egilon. Senon. archiepisc, P. L., I. cxxvi,
col. 70.
7. Op. cit., i. h, p. 330.
...'.I. SECOND ÉCRI1 D HINCMAR 221
que le premier écrit De prsedestinatione aujourd'hui perdu, et
dont nous avons déjà parlé3. Le premier travail était une réponse
aux décisions de Valence; le second fut une réplique aux docu-
ments (quœdam capitula) que Rémi de Lyon avait envoyés, dans
l'intérêt de son parti, au roi Charles le Chauve, c'est-à-dire aux
canons de Langres, aux dix-neuf propositions extraites de l'écrit
de Scot, aux soixante-dix-sept capitula (extraits) de la réponse
de Prudence, enfin au court mémoire De tenenda immobiliter
Scripturœ veritate, publié peu auparavant par Rémi. Le roi
Charles, qui aimait la controverse religieuse, suivait avec beau-
coup d'intérêt les diverses phases des discussions sur la pré-
destination, tout en penchant du côté d'Hincmar. Aussi com-
muniqua-t-il à ce dernier l'envoi de Rémi dont, sur ses instances,
210] Hincmar entama, dès les derniers mois de 859, une réfutation.
Elle fut terminée dans la première moitié de l'année suivante et
avant l'ouverture du concile de Tuzey qui établit, nous le verrons,
une sorte de compromis entre Hincmar et Rémi, tandis que l'écrit
De prsedestinatione appartient certainement à une époque où le
débat était encore très vif. Il y est, d'ailleurs, plusieurs fois ques-
tion du concile de Savonnières ou de Toul, et jamais du concile
de Tuzey. De plus, dans le can. 30, c'est-à-dire vers la fin de son
grand ouvrage, et dans sa lettre d'envoi au roi (lettre rédigée lorsque
le livre était déjà composé), Hincmar dit que, trois ans auparavant,
on lui avait remis à Nielfa les canons de Valence; or, cette remise
eut lieu dans l'été de 856. Les motifs allégués par Maugin pour
soutenir que l'écrit d'Hincmar avait été terminé seulement en
862 ou 863 ne sont pas soutenables 2. Hincmar dit qu'il a utilisé les
loisirs que lui laissent ses nombreuses occupations3; mais on ne
neut en conclure qu'il ait consacré trois ou quatre ans à composer
son écrit. Il est vrai qu'en 862, ou au commencement de 863,
Hincmar envoya son livre au pape par l'entremise d'Odon, évêque
de Beauvais 4, mais la conclusion que Maugin en veut tirer, à
savoir que le livre d'Hincmar n'a été terminé qu'en 862 ou 863,
est arbitraire ; plus arbitraire encore sa supposition qu'à l'épo-
que où cet écrit a été rédigé, Prudence était mort (il mourut en
1. Voir § 456.
2. Op. cit., t. n, p. 339 sq.
3. Epist. ad Carolum, P. L.. t. cxxv, col 68.
'i. Floduard, Hisl. Eccl. Rom., I. III, c. xvi, xv.
222
LIVRi-; XXI ï
861), car sans cela Hincmar n'aurait pas osé le blâmer. Maugin
pose ici comme indiscutable que Prudence n'a jamais signé'les
capitula de Quierzy ; or, nous savons le contraire.
Le nouvel écrit d' Hincmar avait une double introduction
une prsefatio, et une lettre au roi Charles. Dans la prœfatio, Hinc-
mar avertit que l'on pourra faire des altérations à son livre, mais
qu'on ne devra pas les lui attribuer; il indique ensuite les ouvrages
suivants que l'on devra consulter, à propos de son livre : a) le
petit ouvrage (sermo) de Florus sur la prédestination ; b) les six
capitula de Toul, à proprement parler, de Valence et de Langres,
lus à Toul ou àSavoimières, en omettant le premier de ces capitula,
qui est inutile ; c) les Sententise SS. Patrum, extraites de l'écrit
de Rémi De tenenda etc. ; d) le can. 7 de Valence et le can. 8 de
Langres ; e) la lettre de Prudence au concile de Sens ou de Paris.
On serait porté à croire qu'entre les numéros 1 et 2 se trouvait [211]
autrefois un autre document, c'est-à-dire la lettre d'Hincmar
aux évêques au sujet de Gotescalc.
Dans la lettre au roi Charles, Hincmar raconte comment ce
prince lui avait fait parvenir, en juin 859, les documents envoyés
par Rémi, archevêque de Lyon, que ces divers documents avaient
été lus à Toul, apud Saponarias, ainsi que les capitula de Quierzy;
que les nova capitula (ceux de Langres) étaient identiques à
ceux de Valence ; que Hincmar avait voulu répondre à ces nou-
veaux canons, quoiqu'il eût déjà répondu à ceux de Valence :
il l'avait entrepris, parce qu'il était persuadé que ses collègues
n'auraient pas dû écrire contre lui comme ils l'avaient fait. Le
véritable auteur de ces nouveaux chapitres aurait dû dire son
nom, car celui-là seul craint la lumière qui fait le mal. Dans le
livre De prxdestinatione lui-même, Hincmar, s'exprime encore
d'une manière très acerbe contre le compilateur de ces chapitres :
il dit, au c. 36, que le véritable auteur n'est pas Rémi, ni un
autre évêque de la province de Lyon; d'après lui, c'est un homme
qui a abandonné, au mépris de tous les canons, l'Église pour la-
quelle il avait été ordonné, qui a erré ensuite dans diverses pro-
vinces, a été excommunié, et enfin a usurpé un siège épiscopal.
L'écrit De prsedestinatione affirme d'abord que l'erreur du pré-
destinatianisme, née dans les Gaules et en Afrique, du vivant
même de saint Augustin, avait été surtout combattue par Pros-
per; mais dès les premières pages, et plusieurs fois dans le cours
de l'ouvrage, Hincmar commet la faute de regarder comme de
59. SECOND ÉCRIT d'hiNCMAR 223
véritables prédestinatiens ces Gaulois, ainsi que les moines d' Hadru-
mète, qui (étant en réalité des semi-pélagiens) déduisaient de la
doctrine de saint Augustin des conséqences prédestinatiennes,
afin de conduire cette doctrine ad absurdum. L'archevêque de
Reims se trompe également, en donnant comme évêques Prosper
et Hilaire, les défenseurs de saint Augustin, et en confondant cet
Hilaire avec l'archevêque d'Arles du même nom. Par contre,
Hincmar a raison de désigner comme prédestinatien le prêtre
gaulois Lucidus. Gotescalc, habitu monachus, mente ferinus, conti-
nue-t-il au ch. n, avait renouvelé l'erreur des prédestinatiens,
et exposé ses folies dans quatre capitula. En effet, Hincmar
classe les erreurs de Gotescalc sous les quatre titres suivants :
De prœdestinatione, De libero arbitrio, De voluntate Dei ( que
tous ne doivent pas arriver au bonheur éternel) et De morte
Christi (que le Christ n'est pas mort pour tous), et oppose à ces
quatre capitula de Gotescalc ceux de Quierzy. Il raconte en-
suite l'histoire de Gotescalc, parle des conciles de Mayence
[212] et de Reims, et s'étonne qu'un tel homme ait réussi à répan-
dre ses idées. Ch. ni : Gotescalc et ses amis en appellent à l'auto-
rité de Fulgence qui a enseigné, il est vrai, une prsedestinatio ad
psenam; mais dans ses derniers et meilleurs écrits, en particulier
dans l' Hypomnesticon, dont Hincmar avait déjà défendu l'au-
thenticité dans le ch. i, saint Augustin ne parle que d'une
prœdestinatio pœnœ pour les pécheurs , et l'autorité de Fulgence
n'est pas, après tout, si grande. Ch. iv : On doit suivre l'Eglise
romaine. Ch. v : Hincmar insère des fragments du livre de
Gotescalc à Rhaban-Maur, et sa profession de foi au concile de
Mayence. Prudence de Troyes et Ratramn ont aussi enseigné une
prœdestinatio ad mortem (on se souvient qu' Hincmar et Rhaban-
Maur ne voulaient pas entendre parler de l'expression prœdesti-
natio ad mortem). Ch. vi : Le compilateur des deuxième et troi-
sième chapitres de Toul (Langres) a puisé dans le Sermo de Florus,
mais en y faisant des changements, et par conséquent des alté-
rations ; ainsi, il y a contradiction entre ces deux phrases :
«Ils sont abandonnés de Dieu, dans la massa damnationis, » et «ils
sont perdus par suite de la prédestination.» Ch. vu : Dans le c. ni,
le compilateur a tort de s'appuyer sur ces paroles de l'Apôtre,
vasa iras, etc., car un cas irœ est uniquement celui qui veut s'ob-
stiner dans ses fautes, et a fait de tels progrès dans cette voie
que Dieu, pour le punir, l'endurcit, comme il a endurci Pharaon,
'2 2 ri LIVRE XXII
c'est-à-dire ne le réveille pas par sa grâce. Ch. vm : Le compila*
leur a, en cela, suivi Fulgence. Ch. ix : On cite à tort, pour appuyer
ces doctrines, Isidore, Grégoire le Grand et d'autres Pères; ceux-ci
n'ont jamais enseigné une double prédestination dans le sens des
adversaires : Sicut electi ad vitam, ita reprobi a Deo prsedestinan-
tur ad mortem. Sans doute, saint Augustin a employé, dans ses
premiers ouvrages, l'expression de prsedestinatio dans un sens
peu défini, et parlé d'une prsedestinatio ad interitum', mais, dans
ses derniers livres, De dono perseçerantise et De libero arbitrio,
il s'est exprimé avec plus de précision. Hincmar donne comme
conclusion sa propre doctrine, que ceux qui se perdent ne se
perdent pas par suite de la prédestination, mais par suite du
péché d'Adam. La prédestination de Dieu ne porte que sur ce
que Dieu fait lui-même ; par conséquent, il prédestine simple-
ment la peine, la punition aux pécheurs. On ne doit pas
dire que Dieu prédestine les pécheurs ad psenam ou ad mor-
tem, comme il prédestine les autres ad vitam, car si Dieu fait
arriver ces derniers au bonheur éternel, ce n'est pas lui qui
fait tomber quelqu'un dans la mort éternelle, ce que suppose
l'expression prsedestinatio ad mortem. Saint Augustin dit avec
raison : Deus obdurat, non impertiendo malitiam, sed non imper-
tiendo misericordiam. Ch. x : Gotescalc et ses amis abusent des [213]
textes de la sainte Écriture. Ch. xi : Critique de ces mots du
can. 3 de Toul : In electione salvandorum misericordiam Dei prse-
cedere meritum bonum. Uelectio est une misericordia, et ainsi il
y a deux misericordise, par lesquelles l'élu est choisi. Il aurait
dû dire : In salvatione electorum misericordia Dei prœcedit meri-
tum bonum, car, dans la salvatio, il y a deux misericordise, la
gratia prima de Yelectio, et la secunda, c'est-à-dire le donum recte
vivendi. Ch. xn : Autre critique du can. 3 de Toul. La proposition
in damnatione. autem periturorum malum meritum prsecedere
justum Dei judicium, n'est pas juste. Par le justum judicium il
faut entendre la prédestination ; or, la prédestination date de
toute éternité, par conséquent elle est antérieure aux mérites
et démérites. On ne doit pas cependant parler ainsi, car Dieu
ne condamne personne, avant qu'il ait péché. Du reste l'expres-
sion prsedestinatio ad interitum n'esl pas exacte : celui-là seul, en
effet, qui est choisi pour la vie éternelle, est prsedestinatus, l'au-
tre est simplement un relictus ; or nul ne peut être à la fois
prsedestinatus et relictus. Ch. xm et xiv : Fulgence dit à tort,
'. SECOND ÉCRIT d'hiNCMAK 225
qu'il y a aussi une prœdestinatio in malum ; il s'était exprimé,
plus heureusement ailleurs, et saint Augustin s'est exprimé
encore mieux que lui. Ch. xv : Hincmar expose les quatre
grandes erreurs des anciens prédestinatiens, et leur compare
celle des nouveaux. Voici quelles étaient ces quatre erreurs
anciennes : a) conformément à sa prescience, Dieu damne les
hommes, non seulement à cause des péchés qu'ils commettent,
mais encore à cause de ceux qu'ils auraient commis, s'ils avaient
vécu plus longtemps ; b) pour ceux qui ne sont pas prédestinés à
la vie, le baptême n'ôte pas le péché originel, et ils n'obtiendront
de la vie que ce qu'il leur en faut pour pécher; c) la prescience
et la prédestination sont identiques; d) il y a une prœdestinatio
ad interitum, de même qu'il y a une prœdestinatio ad peccatum.
Au sujet de ces points, moderni prsedestinatiani unum non tangunt,
aliud transiliunt, tertium déclinant, quartum colore mutant, car
ils ne disent pas ad peccatum, mais bien ad interitum, tandis que
personne n'arrive à Vinteritus, si ce n'est per peccatum. Ch. xvi :
Les Pères et les passages de la Bible d'où Hincmar a pris le
texte de son c. 1 de Quierzy ? Ch. xvn : Gotescalc a aussi cité
V Hypomnesticon de saint Augustin, pour appuyer sa doctrine.
Continuation du thème du ch. xvi, c'est-à-dire de l'exposé des
preuves tirées des Pères, pour montrer qu'on ne doit admet-
tre qu'une seule prédestination. Ch. xvin : La prœdestinatio
14] ad vitam ne rend pas inutiles les efforts de l'homme pour arriver
au salut. Ch. xix et xx: Nouvelle et claire exposition de la doc-
trine sur la prédestination, et preuve que l'on peut parler d'une
gemina prœdestinatio, non, sans doute, dans le sens de Gotes-
calc, mais dans celui-ci : Electi prœdestinati sunt ad vitam, et
vita Mis, et pœna prœdestinata est reprobis, mais non pas reprobi ad
pœnam. Ch. xxi : Les anciens prédestinatiens enseignaient
qu'il n'y avait aucun libre arbitre, et que Dieu inspirait aux mé-
chants les volontés mauvaises qui les faisaient agir. C'est contre
cette erreur qu'avait été porté le 2e canon de Quierzy, que Pru-
dence avait d'abord signé, et l'avait ensuite combattu. Le compi-
lateur a fait aussi connaître son sentiment dans le c. 6, mais
dans une mauvaise intention il ne s'était exprimé que sexto loco.
Les Pères dans lesquels Hincmar a puisé le c. 2 de Quierzy. Ch.
xxn et xxiii : Violente attaque contre le compilateur qui a
ajouté les neuf sententiœ Patrum au c. 6 de Toul. Le second arti-
cle d'Hincmar est d'accord avec la doctrine des Pères et celle du
CONCILES- IV— 15
226 LIVRE XXII
concile d'Orange. Explication des novem sententiœ Patrum. Passage
très vif contre ceux qui avaient écrit en secret un livre con-
tre Hincmar, et l'avaient accusé de nier l'existence du libre
arbitre même pour le mal, et cela par suite du péché originel
(c'était là en effet une des accusations de Rémi contre Hincmar)-
Ch. xxiv-xxvi : A l'exemple des anciens prédestinations, Go-
tescalc et Prudence enseignent que Dieu ne veut pas laisser
arriver tous les hommes au bonheur ; le compilateur, au contraire,
ne touche pas à ce point. Défense du troisième chapitre d' Hinc-
mar : Dieu veut que tous les hommes arrivent au bonheur. Ch.
xxvn-xxx : Gotescalc et Prudence enseignent, avec les an-
ciens prédestinations, que le Christ n'est pas mort pour tous
les hommes. Défense du quatrième chapitre de Quierzy, non
seulement contre le can. 4 (de Langres ou de Toul), mais aussi
contre l'écrit d'un anonyme (Rémi de Lyon), prétendant que
le Christ n'est pas mort pour l'Antéchrist et pour le démon. Le
can. 4 de Toul ne diffère du can. 5 de Valence, que par son
silence sur les capitula de Quierzy. Hincmar s'étonne de cet
oubli, par la raison que les deux séries de capitula paraissent
être l'œuvre d'un unique compilateur. Si ce compilateur a eu
des remords de conscience, il n'aurait pas dû se borner à ce seul
changement. Ch. xxxi. Quant aux dix-neuf propositions extrai-
tes de l'écrit de Scot, et à leur réfutation (celle de Prudence), il
ne voulait pas les apprécier, jusqu'à plus ample information.
Il veut voir quel sera le sort de certaines expressions et pro-
positions nouvelles par exemple : trina deitas (nous reviendrons
sur ce point) ; et encore : dans la sainte eucharistie il y a non
verum corpus et verus sanguis Domini, sed tantum memoria corpo-
ris et sanguinis ejus (proposition émise par Scot), et de nirme
il n'y a pas d'autres peines de l'enfer que celles qui: tourmen- [215]
teront la conscience des hommes (Scot) ; les anges sont de na-
ture corporelle, et l'âme n'est pas dans le corps. Hincmar blâme,
de la manière la plus acerbe, les sept règles ajoutées au con-
cile de Langres par un de ses collègues dans l'épiscopat. Il s'agit
des sept règles sur la prédestination, que Rémi a exposées dans
son livre De tribus epistolis. Ch. xxxn : Discussion des derniers
mots du can. 4 de Langres et de Toul, pour prouver qu'avant
Jésus-Christ, comme après lui, on a été sauvé par la foi au
Christ et à sa mort. Ch. xxxiii: Les Pères enseignent que le Christ
i'sl mort generaliter pour tous. Ch. xxxiv : Cependant tous nés ont
459. SECOND ÉCRIT d'hINCMAR 227
pas passionis ejus mysterio redempti. Dieu appelle tous les hom-
mes aii bonheur éternel ; en réalité, tous n'y parviennent pas,
mais uniquement par leur faute. Solution des objections contre
cette doctrine, et, en particulier, explication d'un passage de la
lettre de Prudence à Hincmar et à Pardulus. Ch. xxxv: Le can. 5
de Langres-Toul, identique au can. 5 de Valence, sauf un passage
de la Bible (fui ne se trouve pas dans le premier de ces canons,
ne saurail atteindre Hincmar: ce n'est pas lui, c'est Gotescalc
qui, dans soi! pittacium, avait émis cette proposition renouvelée
des anciens prédestinatienSj à savoir que celui qui n'est pas pré-
destiné à la vie n'obtient pas au baptême la rémission du
péché originel. Doctrine opposée des Pères. Ch. xxxvi : Hincmar
suppose que le eau. 7 de Valence est dirigé contre lui ; il se
défend et déclare ne pouvoir croire que Rémi et les évoques
de la province de Lyon aient écrit de pareilles choses, car ils
savaient très bien comment il était devenu évêque ; il soup-
çonne donc, comme il l'avait déjà insinué, une autre personne
d'être l'auteur de cet écrit. Documents sur son élévation et sur
la déposition d'Ebbo. Ch. xxxvn : La censure qui a frappé l'hé-
résie des anciens predestinatiens s'applique pareillement aux nou-
veaux. Comment il faut punir celui qui (comme Prudence) aban-
donne l'orthodoxie, qu'il avait d'abord embrassée. Ch. xxxvm :
Epilogue et court résumé.
460. Concile de Tuzey en 860. Fin des discussions
sur la prédestination.
Le 22 octobre 860, un concile national franc se tint non loin
de Foui, à Tuzey. Les trois rois. Charles le Chauve, Lothaire II
de Lorraine, et Charles de Provence, les évêques de quatorze pro-
0 1 ij] vinces ecclésiastiques y assistèrent 1. A leur tête se trouvaient les
1. Tusiacum, Tuzey, commune de Vaùcouleurs, département de la Meuse.
Coll. regia, t. xxn. col. 684; Lalande, Conc. Gallisê, L660, p. 164; Labbe, Alliance
chronologique, 1651, t. n, p. 464-466; Labbe, Concilia, t. vin, col. 7012-735;
Mabillon, Annal, vel., 1675. l. i. p. 57 : Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 507;
Coleti, Concilia, t. x, col. 1 4 9 ; Mansi, Conc. ampliss. coll., I. xv. col. 557. Voir
. \[>i>cndices. (H. L.)
228
LIVRE XXII
douze métropolitains : Arduic de Besançon, Wenilo de Sens,
Hincmar de Reims, Ado de Vienne, Thieutgaud de Trêves, Gùnther
de Cologne, Rodulf de Bourges, Hérard de Tours, Frotar de Bor-
deaux, Frédold de Narbonne, Rémi de Lyon et Wenilo de Rouen.
Des évêques étaient venus des provinces ecclésiastiques d'Arles
et de Mayence, mais non les métropolitains ; on s'explique
ainsi pourquoi le premier document conciliaire parle de douze
provinces ecclésiastiques, et le second de quatorze. Le premier
document contient les cinq canons suivants :
1. Celui qui s'approprie, sans l'assentiment de l'évêque, des
revenus ecclésiastiques, et celui qui refuse de les payer, seront
excommuniés à perpétuité; ils ne pourront recevoir la communion
au lit de mort, et n'auront pas les honneurs de la sépulture
ecclésiastique. S'ils veulent faire pénitence, ils commenceront
par payer à l'église, chacun suivant sa condition, trois ou qua-
tre fois la valeur du dommage causé.
2. Les vierges consacrées ou les veuves qui se conduisent mal
en secret, ou se marient publiquement seront enfermées, leur
vie durant, et condamnées à faire pénitence. Il en sera de
même des veuves qui mènent chez elles une vie dépravée, ou
qui livrent leurs filles à la prostitution. Les hommes qui auront
péché avec ces femmes consacrées à Dieu x seront également
obligés de faire pénitence, et les fonctionnaires royaux devront,
dans ces circonstances, prêter main forte aux évêques.
3. On doit frapper d'excommunication les personnes, si nom-
breuses maintenant, qui prêtent de faux témoignages ou qui se
parjurent.
4. Quiconque se rend coupable de vol, incendie, débauches
scandaleuses ou de meurtre, sera exclu de la communion, jus-
qu'à ce qu'il s'amende.
5. Nombre de lieux saints ont été ravagés par des chrétiens
infidèles et par de cruels Normands ; aussi beaucoup de clercs
et de moines débauchés mènent une vie vagabonde en habit
laïque. Ils doivent obéir à leurs évêques et à leurs abbés, et vivre
sous leur discipline.
1. Qui vim eis intulerint; non dans le sens qu'on leur ait fait violence, car
il n'est pas ici question de violence, mais dans le sens qu'on les ait séduites ;
c'est ce qui résulte delà lettre d'Hincmar aux deux archevêques de Bourges
et de Bordeaux. Dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 585.
I
'îGO. CONCILE DE TUZEY EN 860 229
Ces canons portent les signatures de cinquante-sept évêques,
quoique le texte ne mentionne que quarante évêques présents
Peut-être n'étaient-ils pas plus nombreux; mais suivant une pra-
tique reçue on fit sans cloute circuler les actes afin de recueillir
les signatures des évêques absents.
Le second document est la longue lettre synodale datée du
22 octobre 860 *. Nous avons vu que le concile de Savonnières
avait remis au concile suivant, c'est-à-dire le concile actuel,
le soin de décider la question de la prédestination. Mais au
concile de Tuzey, au lieu de mettre en présence les propositions
opposées des deux partis, on trouva plus opportun de ne pas men-
tionner les points de dissentiment, et de se borner à indiquer
les principes sur lesquels tout le monde était d'accord ; c'est ce
qu'on fit dans la première partie de la lettre synodale adressée
2171 à tous les fidèles. Cette lettre, composée par Hincmar, expli-
quait les opinions de l'auteur sur les points en litige, avec une
telle précision, que ses adversaires n'eurent rien à critiquer, et
qu'on cessa, dès lors, de le soupçonner de semipélagianisme.
Hincmar accentua du reste, dans cette nouvelle pièce, ses quatre
principaux points de doctrine : Dieu veut le salut de tous les hom-
mes; le libre arbitre subsiste après la chute, mais il a dû néan-
moins être délivré et guéri par la grâce de Dieu ; la prédestination
divine ex massa perditionis, laquelle (massa) est ensuite relicta,
prédestine, par pure miséricorde, certaines personnes à la vie ;
enfin le Christ est mort pour tous. Les formules de salutation, ainsi
que le contenu de cette lettre synodale, prouvent, qu'elle a été
adressée à tous les fidèles ; et si une suscription plus récente désigne
les pervasores rerum ecclesiasticarum comme les véritables desti-
nataires de cette lettre, cela vient probablement de ce qu'il y est
fait mention du vol des biens d'église. La première partie, la plus
importante est dogmatique, et contient un aperçu de toutes les
principales, vérités du christianisme. « Dieu a créé toutes choses,
et armé du libre arbitre deux sortes de créatures, les anges et les
hommes. Quoique créés à l'image et ressemblance de Dieu, ceux-
ci peuvent pécher, ce que Dieu ne peut pas faire, car ils ne sont pas,
comme le Logos, l'image de Dieu, ils ont simplement été faits ad
imaginent Dei... Rien ne se fait dans le ciel et sur la terre qui ne
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 511 ; Mansi, op. cit, t. xv, col. 563; Hincmar,
Epist., xxi, P. L., t. cxxvi, col. 122 sq.
230 LIVRE XXII
soit fait par Dieu lui-même, ou qu'il ne laisse faire. Il veut que tous
les hommes arrivent au bonheur éternel, et sa volonté est qu'au-
cun ne se perde. Après la chute de nos premiers parents, il n'a
pas voulu retirer aux hommes le libre arbitre ; mais il guérit
et soutient ce libre arbitre par la grâce. Aussi, après sa chute,
l'homme conserve, pour vouloir le bien, le faire, et y persister un [218
liber um arbitrium gratia liberatum, et gratia de corrupto sanatum,
gratia prseventum, adjutum et coronandum... C'est parce qu'il y a
une grâce divine que le monde est sauvé (saleatur), et c'est parce que
l'homme a un libre arbitre que le monde est jugé (judicabitur) ...
Certains des anges sont tombés par orgueil, et par cette chute
leur état est devenu tel que non velint nec possint esse boni ; au
contraire, les anges restés fidèles ont reçu, par la gratia et retributio
justitiœ, en pur don, ce que le Créateur possède en vertu de son
essence, c'est-à-dire ut non velint nec valeant esse mali... Dieu a
créé l'homme, avec une âme et un corps, et il a laissé entre-
voir que l'auteur de toute chair s'incarnerait un jour dans le
sein d'une vierge, n'ayant pas eu commerce avec l'homme. Celui
qui est mort sur la croix pour tous ceux qui étaient voués à la
mort, quoiqu'il fût seul à ne pas être tributaire de la mort, celui
qui est le Fils prédestiné de Dieu et le chef de tous les prédestinés,
a voulu constituer son Église avec tous ceux qui croiraient en
lui, qu'ils eussent vécu sur la terre avant ou après sa venue. Si
l'homme était resté fidèle à la volonté du Créateur, et n'avait
pas péché, il ne serait pas mort, et n'aurait pas engendré des
fils mortels, c'est-à-dire des enfants de la mort de la géhenne ;
il aurait possédé, comme un présent, le don accordé aux bons
anges, ut non peccare vellet nec jam cadere posset. Mais, trompé
par le démon, l'homme a abusé de son libre arbitre, et abandonné
Dieu; abandonné à son tour par Dieu, ainsi qu'il était juste,
il a péché et est tombé, et per malum velle perdidit bonum esse.
Il en résulta que le genre humain devint une massa perditionis.
Quand même il n'y aurait eu personne de sauvé dans cette massa
perditionis, on ne pourrait pas blâmer la justice divine ; mais,
puisque beaucoup sont sauvés, il faut reconnaître que la grâce de
Dieu est ineffable... A la fin des temps, tous ceux qui arrivent
au salut — c'est-à-dire tous les prédestinés, maintenant dispersés
dans le monde, dans la massa perditionis, mais élus par la grâce
et la prédestination de Dieu, dès avant la création du monde, et dis-
traits de cette massa perditionis — ■ seront réunis dans la plénitude
460. CONCILE DE TUZEY EN 860 231
de l'Église céleste et éternelle. Le même Dieu a fondé par ses
saints l'Église sur la terre, il la gouverne, et les fidèles doivent
maintenir l'Église et ses serviteurs. » Là commence la seconde
partie de la lettre synodale, qui traite des atteintes portées aux
biens des églises. On y retrouve les mêmes fragments pseudo-
isidoriens que le concile de Quierzy, de 857, avait déjà cités au
sujet de la même question. La prœdestinatio ad mortem n'est
219] nullement mentionnée dans la lettre synodale.
Régimund, Franc de distinction, envoya au concile de Tuzey
une plainte écrite : il avait marié sa fille à un certain Etienne,
qui ne voulait pas habiter avec sa femme, sous prétexte d'avoir
eu commerce autrefois avec une parente de cette femme. Le
concile aurait pu écarter une plainte par écrit, d'autant plus
que, dans l'espèce, cette plainte aurait dû provenir de la
femme plutôt que de son père. Il préféra cependant inviter
Etienne à comparaître, car le beau-père et le gendre étaient de
haute condition: Etienne avait un emploi à la cour, et on pouvait
redouter les suites de son mécontentement. Etienne comparut donc
et avoua secrètement aux évêques qu'il s'était jadis oublié avec une
jeune fille ; que, plus tard, son père l'avait fiancé avec une pa-
rente de cette jeune fille, qu'il avait fait alors connaître l'em-
barras où il se trouvait à son confesseur, et que celui-ci lui avait
ordonné de ne pas épouser sa fiancée. Il avait été longtemps
perplexe, enfin la crainte de Régimund l'avait fait consentir aux
noces ; mais il n'avait jamais voulu consommer le mariage. Du
reste, il se déclarait prêt à s'incliner devant la décision du con-
cile. L'assemblée décida qu'à l'occasion d'une diète, les archevê-
ques de Bourges et de Bordeaux tiendraient un concile avec leurs
sufîragants et résoudraient cette question d'après les règles cano-
niques ; en attendant, le roi s'efforcerait de réconcilier Régimund
et Etienne. Ce dernier accepta avec joie cette décision, tandis
qu'Hincmar obtint de l'assemblée la permission d'exposer sa
manière de voir et de proposer une solution. Son avis obtint
l'assentiment général; on décida que son mémoire serait envoyé
aux deux archevêques. Ce mémoire d'Hincmar forme le troisième
document des actes synodaux x; il est identique à l'epist. xxn
d'Hincmar2. Hincmar y développe les principes du droit chré-
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 521 ; Mansî, op. cit.. t. xv. col. 571.
2. P. L., t. cxxx, col. 132 sq.
232
LIVRE XXII
tien sur le mariage, et la conduite à tenir dans le cas présent; il
appuie ses raisonnements sur divers passages des Pères de l'E-
glise, et des conciles, y compris quelques emprunts au pseudo-
Isidore h La femme devait d'abord, selon lui, jurer n'avoir
jamais eu commerce avec Etienne depuis le mariage ; de son
côté, Etienne devait affirmer n'avoir pas consommé le mariage,
uniquement parce qu'il avait jadis péché avec une parente de
sa femme. Il n'avait pas à livrer le nom de sa complice, pour
la même raison qui fait que les pénitents sont obligés de faire
connaître leurs fautes au prêtre seul, et non à d'autres. Pour
qu'il y ait mariage, il faut a) qu'il soit contracté entre personnes
nubiles, b) que la femme, légitime dotata et publicis nuptiis hono-
rata, ait obtenu le consentement de son père, c) que le mariage
ait été consommé. Le mariage ainsi conclu, aucun des conjoints [220 1
n'a le droit de vivre dans la continence, mais l'union d'E-
tienne n'est pas un vrai mariage et aurait dû être cassée comme
incestueuse, même si Etienne avait eu commerce avec sa
femme. Ni l'un ni l'autre ne pouvaient désormais contracter
mariage. Hincmar combat ensuite ceux qui soutiennent qu'un
homme, ayant renvoyé sa femme pour cause d'adultère, peut
en épouser une autre ; il accuse ses adversaires d'en appeler sur
ce point à l'autorité de saint Augustin avec aussi peu de
raison que les nouveaux prédestinatiens. Hincmar termine en
disant qu'Etienne doit être puni par son évêque, d'abord
pour la faute commise avant son mariage, et qui est main-
tenant connue de tous, ensuite pour avoir après son mariage, vécu
avec une concubine, ce qui a été une cause de scandale.
461. Fin de Gotescalc. Discussion sur la «trina deitas ».
A partir du concile de Tuzey, les discussions sur la prédestina-
tion cessèrent entre Hincmar et les autres évêques. On engagea
Gotescalc à adhérer à la lettre synodale de Tuzey, et à en signer
la première partie ; c'est du moins ce qu' Hincmar demanda à
Gotescalc, lors de sa dernière maladie. Mais le refus qu'il essuya
montre que Gotescalc était allé plus loin que Rémi de Lyon
1 . Mansi, op. cit., t. xv, col. 575.
461. FIN DE GOTESCALC 233
et les autres augustiniens, et avait employé l'expression de
prsedestinatio ad mortem clans un sens entièrement faux.
Dans son écrit De prsedestin., c. xxxi, Hincmar indique, entre
autres nouveautés blâmables, l'expression trina Deitas. L'hymne
des vêpres, au commun de plusieurs martyrs, œuvre d'un auteur
inconnu, se terminait alors par ces mots : Te trina Deitas unaque
poscimus (maintenant Te summa o Deitas) 1. Hincmar se scanda-
lisa de cette expression, et défendit de chanter en son église trina
Deitas. Il partait de ce principe que le mot Deitas, désignait la
Sagesse ou la substance divine, et comme celle-ci était surtout
'2211 une, on ne devait pas la qualifier par l'épithète trina, qui a un
sens arien. Hincmar avait évidemment raison ; on peut dire
cependant, pour défendre cette expression, que Deitas peut
aussi être regardé comme synonyme de Deus, et de même qu'on
dit trinus Deus, on dit trina Deitas 2. Les ennemis d' Hincmar
prirent aussitôt parti pour la trina Deitas, en particulier Ra-
tramn de Corbie. Gotescalc alla plus loin, et publia une sche-
dula accusant de sabellianisme Hincmar qui avait condamné
l'expression trina Deitas, parce qu'il ne croyait pas aux trois
personnes divines. Cette schedula de Gotescalc nous a été
conservée dans la réplique d' Hincmar De una et non trina
Deitate: dans plusieurs de ses lettres Hincmar énumère, à la
suite des erreurs de Gotescalc, le prédestinatianisme, celle qui
concerne la trina Deitas ; ainsi les epist. ix et x à Egilo de 866.
Dans ses dernières années, Gotescalc versa dans beaucoup
d'autres erreurs ou folies, dont parle Hincmar, De una et non trina
Deitate. Il disait, par exemple, que Dieu lui avait défendu de prier
pour Hincmar, que le Fils de Dieu était d'abord entré en lui
(Gotescalc), puis le Père, et enfin le Saint-Esprit, et que ce
dernier lui avait brûlé la barbe et la bouche. Il refusait de rece-
voir aucun vêtement des moines d'Hautvilliers, parce qu'ils
étaient en relations avec Hincmar, et pendant quelque temps
il resta presque nu, jusqu'à l'entrée de l'hiver. Il prophétisa
qu'Hincmar mourrait comme l'Antéchrist, deux ans et demi
après sa prophétie, et que lui-même monterait alors sur le
1. Cette expression a été reprise dans l'hymne Sacris solemniis, et figure au
Bréviaire. (H. L.)
2. Photius a aussi traité ce sujet dans ses Amphilochis, q. xxvn. Voyez la
dissertation d'Hergenrother dans la Tiibing. Quartalschr., 1858, p. 287.
234 LIVRE XXII
siège de Reims. Ce temps écoulé, comme Hincmar s'obstinait
à vivr.e, Gotescalc écrivit à un ami« que Dieu aimait mieux
appeler plus tard ce fur et latro. » De una etc., c. xix.
Lorsque, en 862, on se plaignit à Rome de la conduite d' Hinc-
mar vis-à-vis de Rothade, évêque de Soissons, on dénonça égale-
ment la dureté dont l'archevêque de Reims avait fait preuve à
l'égard de Gotescalc. En apprenant cela, Hincmar envoya à
Rome, vers la fin de l'année 862, ou au commencement de
l'année suivante, Odon, évêque de Beauvais, avec une rotula,
qui contenait les sentiments des Pères à l'endroit des doctrines
professées par Gotescalc 1. C'était son grand ouvrage De prœ- [222]
destinatione. Quelque temps après, en cette même année 863,
Charles le Chauve, roi de France, envoya le diacre Luido comme
ambassadeur à Rome; le pape Nicolas Ier traita avec ce diacre
de la condamnation et de l'emprisonnement de Gotescalc ; à
celle occasion Hincmar donna au pape, dans une longue lettre
(864), des renseignements sur Gotescalc, sa vie, sa condamna-
tion à Mayence et à Quierzy, enfin sur ses doctrines; sans parler
des autres matières dont il y traitait 2. Nous y avons puisé la plu-
part des détails donnés plus haut. Hincmar y rapporte encore que
le conciliabule tenu à Metz en 863 (nous en parlerons plus loin),
en présence et avec la coopération d'un légat du pape, et qui se
conduisit si honteusement dans l'affaire du divorce de Lothaire de
Lorraine, les avait fait inviter, lui et Gotescalc, par un laïque 3 ;
or, pour se rendre à une réunion si éloignée, il n'avait reçu la lettre
d'invitation que quatre jours avant l'ouverture des sessions; aussi
n'avait-il pu y paraître. Vers la fin de cette même lettre, Hinc-
mar parle encore des calomniateurs et ennemis qu'il compte
parmi les évèques; il ajoute que, si le pape lui avait ordonné de
mettre Gotescalc en liberté et de l'envoyer à Rome, ou ailleurs,
il aurait obéi immédiatement.
Quelque temps après, en 865 ou 866 4, le moine Gautbert,
homme de désordre, s'échappa du monastère d'Hautvilliers,
1. Hincmar, Ep., n, ad Nicol., P. L., t. cxxv, col. 43.
2. Hincmar, Ep., n, ad Nicol., P. L., t. cxxv, col. 25 sq. ; Flodoard, 1. III,
c. xn-xiv.
3. Maugin prétend (t. n, p. 400) que le légat avait invité Hincmar, sur l'ordre
du pape.
4. Et non pas en 858, ainsi que le prétend Schrôckh, t. xxiv, p. 115. Cf. Gess,
Leben Ilinkmars, p. 89.
161. FIN DE GOTESCALC 235
emportant, des livres, des habits, des chevaux, en un mot tout
ce qu'il put, et le bruit se répandit qu'il était parti pour Rome,
afin d'y apporter les réclamations écrites de Gotescalc. Hincmar
craignit que ce ne fût vrai, d'autant que tout le monde savait
que le pape, peu disposé en sa faveur, s'était plaint de lui dans
une lettre au roi. Aussi, lorsque, en 866, Egilo, archevêque de
Sens, se rendit à Rome pour ses affaires particulières, le pria-
t-il (epist. ix et x) de vouloir s'occuper aussi de ses intérêts, et
223] de parler au pape de cette assertion du Chronicon de Prudence,
prétendant que Nicolas avait approuvé les capitula de Valence.
Seulement l'archevêque de Sens devait avoir soin de ne pas
nommer Hincmar, le pape étant irrité contre lui.
On ne peut dire si le reproche de cruauté que le pape adressait
quelque temps après à Hincmar. en 867, se rapporte à sa conduite
envers Gotescalc, plus probablement, à sa manière d'agir à
l'égard de Rothade et des clercs de Reims déposés \
Gotescalc, gravement malade et proche de la mort, reçut de
Hincmar une profession de foi 2, que nous possédons encore,
i l qu'il devait accepter et souscrire, s'il voulait être de nou-
veau admis à la communion de l'Église et recevoir la sainte
eucharistie. Hincmar délégua les moines d'Hautvilliers pour ab-
soudre Gotescalc, s'il se soumettait, lui donner la communion, et
lui accorder les honneurs de la sépulture ecclésiastique (epist. xm).
Mais Gotescalc mourut, en 868 ou 869, sans vouloir se réconcilier 3.
1. Hincmar en parle dans Epist., xi, ad NicoL, P. L., t. cxxv, col. 78.
■ 2. Elle se trouve dans le c. xix de l'écrit d'Hincmar De una et non trina Deita-
te; elle est, en somme, d'une rédaction très modérée.
3. Hincmar, De una et non trina Deltate, P. L., t. cxxv, col. 616. Cf. Gfrôrer
die Carolinger, t. i, p. 279.
224J LIVRE VINGT-TROISIÈME
CONCILES RELATIFS A LOTHAIRE,
ROTHADE, HINCMAR DE LAON ET PHOT1US
DE 860 A 867
462. Deux conciles tenus à Aix-la-Chapelle, en 865,
au sujet du divorce de Lothaire de Lorraine.
Pendant les discussions sur le prédestinatianisme, plusieurs autres
conflits nécessitèrent la convocation de la plupart des conciles dont
nous allons parler. Ces conflits furent soulevés à l'occasion
du mariage de Lothaire de Lorraine, du différend entre Hincmar
et ses suffragants et du schisme de Photius.
Lothaire, roi de Lorraine, second fils de Lothaire Ier et frère de
l'empereur Louis II, ayant épousé en 855 1 Theutberge (Thiet-
1. Et non pas en 856. Au sujet de cette date cf. Dûmmler, Gesch. des ostfrânk.
Reichs, in-8, Berlin, 1862, t. i. p. 744. [Sur le mariage de Lothaire et ses suites :
A. Borgnet, Le divorce du roi Lothaire II et la reine Theutberge, in-8, s. 1. n. d. ;
•Ernouf, Histoire de Waldrade et de Lolher 27, dans la Revue contemporaine, 1857,
t. xxxn, p. 730-757, Histoire de Waldrade de Lother II, et de leurs descendants,
d'après Luidprand, Frodoard, Erchempert, Léon d'Ostie, Benoît de Saint-André,
in-8, Paris, 1858; Le pape Nicolas IeT et le jeune roi Lothaire, fragment historique,
dans les Mémoires de l'Académie de Dijon, 1862, série II, t. ix, p. 1-85 ; B. Parisot,
Leroyaume de Lorraine sous les Carolingiens (843-923), in-8, Paris, 1899; J. Cal-
mette, La diplomatie carolingienne, du traité de Verdun à la mort de Charles
le Chauve (843-877), in-8, Paris, 1901, p. 69-127; ch. m : La question de Lorraine,
du mariage de Lothaire II à la légation d'Arsène; ch. iv : L. q. d. L. de la léga-
tion d'Arsène au partage de Meerssen; B. Poupardin, Leroyaume de Provence
sous les Carolingiens (855-933?), in-8, Paris, 1901, p. 443, 462, aux mots
Lothaire II, Teulberge. Le divorce de Lothaire est une des affaires importantes
dans lesquelles nous voyons intervenir le personnage d'Hincmar. Le rôle qu'il joua
en cette circonstance a été étudié par M. Sdralek, Hinckmars von Rheims
238
LIVRE XXIII
berg, Thietbrich), fille de Boso, comte et gouverneur de Bourgo-
gne 1, s'éprit ensuite de Waldrade, d'origine franque et de parents
Kanonistisches Gutachten iïbcr die Ehescheidung des Kônigs Lothar II, in-8,
Fribourg-en-Brisgau, 1881. Ce fut l'occasion pour Hincmar d'un avis longue-
ment motivé, qui, joint à diverses décisions sur des causes matrimoniales,
fournit les bases d'une théorie canonique du mariage. D'après Hincmar, si l'in-
ceste imputé à Theutberge et à son frère Hubert était démontré, il entraînait
incapacité ultérieure de mariage et par conséquent nullité de l'union contractée
avec Lothaire. La défense qu'Hincmar présente de Theutberge va donc se trouver
nécessairement transportée du terrain du droit sur le terrain du fait. On a très
justement reproché au défenseur de Theutberge d'avoir multiplié les contre-
sens dans l'interprétation des textes anciens, afin d'en déduire la règle qu'il
lui convient de poser au sujet des incestueux ; en tous cas l'incapacité qui frappe
ces derniers en ce qui concerne le mariage est un point constant de la discipline
matrimoniale du ixe siècle : H. Schroers, Hinkmar Erzbischof von Rheims, sein
Leben und seine Schriften, in-8, Fribourg, 1881, soutient contre Sdralek, op. cit.,
et Scherer, Ueber das Eherecht bei Benedikt Levita und Pseudo-Isidor, in-4, Pratz,
1879, que l'inceste non entaché d'adultère produisait déjà cet effet au vmc
siècle, ce que prouveraient les décisions du concile de Compiègne de 757. (H. L.)
1. « Nous ne savons ni de quel pays il tirait son origine, ni quelles fonctions
il avait remplies.» R. Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, 843-
923, in-8, Paris, 1899, p. 83. Dùmmler, Geschichte des ostfrànkischen Reichs, in-8,
Leipzig, 1888, t. ii, p. 5, note 2, croit que c'est un comte Boson que l'on trouve
en Italie sous le règne de Louis le Pieux et parmi les grands qui accompagnaient
Louis II en 844 ; Miïhlbacher, Reg. Kar., p. 477, déclare qu'on ne peut affirmer que
ce Boson soit le père de Theutberge. A quelle époque et de quelle façon le mariage
de Lothaire II et de Theutberge s'était-il. accompli ? Cette question va nous
arrêter assez longtemps et provoquer assez de conciles pour mériter d'être ex-
posée ici en détail. Nous suivons le récit de M. R. Parisot, op. cit., p. 85-88.
« Deux dates nous sont données pour cette union : 855 par les Annales Lauba-
censes ou Lobienses, 856 par Réginon. On sait que la chronologie de ce dernier
auteur est fréquemment fautive pour toute autre période que celle dont il est le
contemporain immédiat. Aussi, bien que les Annales Laubacenses présentent
quelques erreurs du même genre, croyons-nous devoir préférer 855. D'abord,
c'est tout au début du règne de Lothaire II que se place la plus grande faveur
d'Hubert, frère de Theutberge, ou plutôt qu'elle se manifeste le plus ouvertement;
il figure comme intercesseur dans les deux diplômes du 26 octobre et du 9 novem-
bre 855. Après, il n'est plus mentionné dans aucun diplôme, non que la disgrâce
l'ait tout de suite frappé, mais parce qu'il ne se trouve plus auprès du roi, ayant
dû rejoindre son duché. Le mariage a été certainement célébré avant qu'Hubert
se mît en route. D'un autre côté, Advence, évêque de Metz, place le mariage de
Lothaire II et de Theutberge a l'époque où le jeune roi venait de perdre son père
(28 ou 29 septembre 855). Ce sérail donc en octobre nu en novembre, un peu avant
nu un peu après le voyage île Francforl nécessité par la ci rémonie d'installation,
que Lothaire aurait pris Tliuulberge pour femme. Ce mariage du second fils de
Lothaire Ier avec une fille de noble naissance n'aurait rien en lui-même qui
462. DEUX CONCILES TENUS A AIX-LA-CHAPELLE 239
inconnus, autrefois sa maîtresse, à laquelle il voulut sacrifier sa
jeune épouse. Comme l'instance en divorce ne pouvait être pré-
provoquât la surprise, cl n'appellerait aucune explication, si nous ne savions
qu'auparavant le jeune prince avait eu pour femme ou pour maîtresse une cer-
taine Waldrade, qui appartenait, elle aussi, à l'aristocratie, étant parente du comte
alsacien Eberhard. Nous ne croyons pas que l'union du jeune Lothaire et de
Waldrade ait été régulière, niais quelle que soit la nature des liens qui aient
existé entre eux avant 855, il est certain que Lothaire avait eu, du vivant de son
père, des relations avec Waldrade; il n'est pas moins certain non plus qu'il avait
pour cette femme un profond amour. Depuis 857, Ions ses efforts ne tendent qu'à
divorcer d'avec Theutberge, afin de pouvoir faire de Wraldrade son épouse légi-
time : il a exposé, à poursuivre ce but, son trône, sa vie, le salut de son âme.
Waldrade lui était donc bien chère. Admettons que le vieil empereur, tout en
fermant les yeux sur la liaison de son fds avec Waldrade, ne lui ait pas permis
de l'épouser. Pourquoi, une fois devenu son maître, le jeune Lothaire ne s'est-il
pas empressé de régulariser la situation de la femme à laquelle il s'était attaché?
Pourquoi ne l'a-t-il pas associée à sa personne et à son trône ? Pour ne l'avoir
pas fait, pour avoir épousé Theutberge, dont il cherchera bientôt à se défaire,
il a fallu de graves motifs, une nécessite pressante, inexorable, à laquelle il ne
pouvait échapper. Lothaire, dans une lettre aujourd'hui perdue, adressée au pape
Nicolas Ier, P. L., t. exix, col. 1 179-1 180, prétendra plus tard que l'on a eu recours
à des menaces, à des violences pour l'obliger à épouser Theutberge (Ernouf,
Histoire de Waldrade et de Lothaire II, in-8, Paris, 1858, p. 3); nous trouvons la
même assertion répétée par Advence, Lib. apol., dans Baronius, Annales, édit.,
Lucques, t. xiv, p. 566, col. 2. On trouve au ch. iv des actes du IIIe concile d'Aix,
Mansi, op. cit., t. xv, col. 612, une phrase, un peu ambiguë, il est vrai, où Lothaire
dit qu'il a été trompé par les arguments factieux d'hommes perfides. Deux ans
plus tôt, au Ier concile d'Aix, Lothaire tenait un langage différent. D'après le
Libellus octo capitulorum, c. 3, Capitularia, t. n, p. 464, il aurait désiré avoir
Theutberge. Peut-être alors ne se souciait-il pas d'avouer qu'il avait été contraint
de faire ce mariage. Dans le ch. i du Libellus septem capitulorum. Capitularia,
t. n, p. i63-464, il est dit que Lothaire épousa Theutberge avec le consentement
et la volonté de ses fidèles. Nous croyons, nous, que l'intervention des grands
produite sous une forme moins respectueuse. Wenck, Das frànkische Reich
nacli dem Vertrage von Verdun, in-8, Leipzig, 1851, p. 327, pense que le mariage
de Lothaire fut l'œuvre des grands qui avaient porté au trône le jeune roi ; il
semble admettre qu'ils ont exercé sur lui une pression. Mais pour la plupart
des historiens modernes, Ranke. Weltgeschichte, vi, part. 1, p. 140; Mùhlbacher,
Reg. Kar., p. 477; Mùhlbacher, Deustchc Geschichte unter den Karolingern, in-8,
Stuttgart, 1896, p. 504-505, et Dùmmler, op. cit., t. n, p. 5-6, Lothaire n'a nul-
lement été forcé de prendre Theutberge pour femme : - boix a été dicté
par îles considérations politiques, par ledésir de s'assurer l'appui d'une famille
puissante. Pourtant, nous croyons qu'il y a eu pression exercée sue Lothaire pour
qu'il se séparât de Waldrade et s'unît à Theutberge. Les grands, une partie tout
au moins di - grands de le. Francia, entendaient mettre un terme au morcellement
indéfini des Etats de Lothaire Ier, et pour cela si' proposaient de conserver au
240 LIVRE XXIII
sentée sans quelque apparence de droit, on raconta qu'avant son
mariage, Theutberge avait eu avec son frère Hubert un commerce
incestueux. La mauvaise réputation d'Hubert qui, quoique sous-
diacre et abbé de Saint-Maurice en Valais, s'était enfui après
s'être rendu coupable de beaucoup d'actes de brutalité et de scan-
dales, donnait à ces rumeurs quelque vraisemblance 1. Afin de gros-
sir la faute de Theutberge, on ajouta qu'Hubert avait souillé sa [225]
sœur d'une manière monstrueuse et qu'après l'avoir rendue en-
ceinte, il l'avait fait avorter au moyen de certains breuvages 2#
Les courtisans firent tous leurs efforts pour accréditer ces bruits
odieux et Lothaire convoqua, en 858 ou 859, une réunion des
grands de son royaume pour instruire la cause de Theutberge,
qu'il ne pouvait plus garder comme sa femme si elle était trou-
vée coupable. Theutberge nia tout ; selon la coutume du temps,
on la soumit au jugement de Dieu, par l'épreuve de l'eau bouil-
second de ses fds tout ce que le vieil empereur avait possédé au nord et à l'ouest
des Alpes. Lothaire II était leur obligé, gouvernait à leur profit. Pour être sûrs
de lui, ils jugèrent bon de le marier avec une femme qui tînt de près à l'un d'entre
eux ; elle devait, dans leur pensée, mettre au service de leurs intérêts l'influence
qu'elle acquerrait sur l'esprit du nouveau roi. Se méfiant peut-être de Waldra-
de, ils exigèrent de Lothaire qu'il la renvoyât. Nous ne savons ce qui leur fit
préférer la sœur de l'abbé Hubert à d'autres jeunes filles ; toujours est-il que ce
fut à elle que Lothaire fut obligé de se marier. Il était très jeune, dépourvu
d'expérience, à peine assis sur le trône ; la crainte d'une révolte l'aura déterminé
à se soumettre. Peut-être aussi l'ambition parla-t-elle en ce moment plus haut
que l'amour dans le cœur de Lothaire, et il sacrifia Waldrade au désir de régner
sur une plus grande étendue de territoire. Theutberge était probablement beaucoup
plus jeune que son frère, qui, après la mort de leur père, lui avait servi de tu-
teur. Hincmar. De divortio Lotharii, interr. xn, P. L., t. cxxv, col. 697. Mais
il pourrait se faire qu'elle eût quelques années de plus que son mari. Le mariage
célébré, nous ne savons pas où, Hubert se sera fait donner le gouvernement
du pays situé entre le Jura et les Alpes, avec mission de surveiller les agisse-
ments de Louis II, fils aîné de Lothaire Ier. (H. L.)
1. On trouve dans Dûmmler, op. cit., p. 448. des renseignements détaillés sur
Hubert et ses dérèglements ; et aussi dans R. Parisot, Le royaume de Lorraine
sous les Carolingiens, 843-923, in-8, Paris, 1899, p. 83 sq. (H. L.)
2. Sur Theutberge, cf. R. Parisot, op. cit., p. 143. Le reproche de stérilité adressé
à la reine par Lothaire tombait devant cette accusation d'être grosse des œuvres
d'Hubert, à moins d'admettre que les manœuvres abortives employées eussent
rendu Theutberge impropre à la maternité. La stérilité paraît incontestable.
Si Lothaire d'une part, et Charles le Chauve d'autre part représentant des inté-
rêts opposés, tenaient tant l'un à se défaire de Theutberge, l'autre à la conser-
ver, c'est qu'elle ne pouvait assurer la succession du neveu que l'oncle convoitait.
(H. L.)
i62. DU X CONCILES TENUS A AIX-LA-CHAPELLE 241
lante : l'un de ses serviteurs la subit pour elle ci avec un tel bon-
heur, que Theutberge lui déclarée innocente. Craignant de braver
l'opinion, Loi haire la reprit, au moins extérieurement, pour sa fem-
me *. On rapporte qu'il l'emprisonna secrètement, en tous cas,
il ne vécut plus avec elle, mais avec Waldrade 2
1. R. Parisot, op. cil., p. 149 : « Nous n'avons que des renseignements très
sommaires sur la façon dont les choses se passèrent. » (H. L.)
2. Hincmar, De divortio Lolharii, P. L., t. cxxv, col. 629 sq. ; Annales Berti-
niani, ad ann. 858, dans Monum. Germ. histor., t. i, p. 452 ; N. Alexander,
Hist. eccles., in-fol., Venetiis, 1778, t. vi, dissert. IX: De divortio Lotharii régis;
Noorden, Hinkmar, Erzbischof von Rheirns, ein Beitrag zur Staats-und Kirchenge-
chiclite des westfrânkischen Reichs in der zweilen Hàlfle des 9 Jahrhunderls, in-8,
Bonn, 1863, p. 167 sq. [On ignore la date de naissance de Lothaire II. En 841,
il est encore qualifié de puerulus par les Annales fuldenses, édit. Kurze, 1891,
p. 32. En 853, il a une ou plusieurs concubines ainsi qu'on peut l'induire de ce
passage de Prudence parlant des maîtresses de Lothaire Ier, aliique fûii ejus simi-
liter adulleriis inserviunt. Annal. Berlin., ad ann. 853, p. 41. Peut-être même y
a-t-il là une allusion aux relations du jeune prince avec Waldrade. D'autre part,
Advence de Metz, dans son mémoire sur le divorce de Lothaire II, assure que ce
prince était puerulus quand son père lui donna Waldrade pour femme ; il était
encore sous des gouverneurs et des tuteurs, c'est-à-dire mineur et au-dessous de
quinze ans, limite de la majorité fixée par la loi ripuaire, Lex ripuaria, c. lxxxi,
(83), dans Mon. Germ. hist., Leges, t. v, p. 264, qui était aussi la loi des princes
carolingiens. Ord. imp.,$ll, c. xvi, dans Mon. Germ. hist., Capitul., t. i, p. 273.
En tous cas, on ne peut faire remonter l'union plus ou moins régulière avec Wal-
drade, antérieurement au mariage avec Theutberge, plus haut que 851, année
où mourut l'impératrice Ermengarde, mère du jeune Lothaire. C'est entre 851
et 853 que débutent les relations entre Lothaire et Waldrade. Le jeune prince
devait avoir alors au moins quatorze ans, il serait donc né vers 837-839 et à son
avènement aurait eu de seize à dix-huit ans. Quand il mourut en 869, les Annales
Laubecenses, ad ann. 869, dans Mon. Germ. hist., Script., t. i, p. 15, le qualifient
de juvenis, il avait en effet à ce moment de trente à trente-deux ans.
Le sacre du jeune Lothaire eut lieu en avril 856. Très peu de temps après le roi
créa un duché comprenant les pays situés entre le Jura et les Alpes et il conlia
le gouvernement de cette province, qui garantissait ses États contre Louis II, à
l'abbé Hubert, frère de Theutberge. La grande situation ainsi faite à Hubert est
certainement antérieure à l'année 859 et aux débuts de l'affaire du divorce, com-
me Leibnitz, Annales imperii occidentis, t. i, p. 589, l'a remarqué. Pour Mùhlba-
cher, Reg. Karolin., p. 479, Hubert a dû recevoir le duché en 855. Dùmmler,
Geschichlc des ostfrànkischen Reichs, in-8, Leipzig, 1888, t. n, p. 5-6, rejette la
date 859 proposée par la Chronique de Réginon et tient le fait lui-même pour
inexact. D'après lui, Hubert possédail avant le mariage de sa sœur le pays com-
pris entre le Jura et les Alpes, et c'est pour avoir l'appui de ce personnage qui
commandait les défilés faisant communiquer la Bourgogne avec la Lombardie
que Lothaire lui demanda la main de sa sœur Theutberge. R. Parisot, op. cit.,
CONCILES — IV — 16
242 LIVRE XXIII
Lothaire fut secondé dans ses projets de divorce par son archi-
chapelain, l'archevêque Gùnther de Cologne, prélat léger et mon-
dain, qui gagna aux projets du roi l'archevêque Thieutgaud de
Trêves (également du royaume de Lothaire), prélat peu versé
dans le droit ecclésiastique, et quelques autres évêques 1. Quant
à la promesse faite par Lothaire d'épouser la nièce de l'archevê-
que de Cologne après la répudiation de Theutberge, c'est une
légende bien postérieure 2.
Lothaire convoqua un concile [le 9] janvier 860, dans son palais
d'Aix-la-Chapelle 3 ; y assistaient les archevêques de Cologne
p. 83, note 1, n'accepte pas l'opinion de Dùmmler, sans vouloir pourtant soutenir
qu'Hubert n'avait rien dans les régions du haut Rhône avant 855. Hubert était
fils d'un certain Boson que nous ne connaissons pas autrement, il eut un frère
de ce nom, marié à Engeltrude, et deux sœurs, Theutberge et Richilde. Hubert
était tonsviré, mais n'avait pas dépassé le sous-diaconat; il fut successivement
ou simultanément abbé de Lobbes, de Saint-Maurice en Valais et de Saint-
Martin de Tours. Il semble qu'il ne fit que traverser l'abbaye de Luxeuil sans
chercher à s'en emparer. Il détenait Saint-Maurice avant 857 et reçut Saint-
Martin en 862; il envahit Lobbes d'où il chassa l'abbé régulier Hartbert au moins
dès 846. Une lettre du pape Benoît III datée probablement de 857 signale la
conduite scandaleuse d'Hubert à Saint-Maurice. Jafïé-Ewald, n. 2669. Pour
mettre le comble, il se maria. Annales Bertiniani, ad ann. 852, p. 57. Dans l'in-
tervalle, Lothaire, dégoûté de Theutberge depuis 857, n'était plus d'humeur à
subir les exigences et les désordres de son beau-frère contre lequel il entra en cam-
pagne, décembre 857-avril 858, sans aucun résultat. L'éloignement de Theut-
berge par son mari, raconté par les Ann. Bert., ad ann. 857, p. 47, est antérieur
au 15 septembre 857. La reine interrogée sur les bruits mis en circulation contre
elle nie tout en 858. Hubert, convoqué, refuse de comparaître devant les conciles
qui condamneront sa sœur, faute de garanties suffisantes. P. L., t. cxxv, col. 759-
760. Le refus de ces garanties était une manière de tenir Hubert éloigné, d'évi-
ter une confrontation et un débat contradictoire qui eût prouvé l'innocence
de la reine. Cette accusation, lancée en 857, reparaîtra en 859. Dans l'intervalle
on avait bâclé une réconciliation en 858. Cf. R. Parisot, op. cit., p. 149, note 3.
Mais Lothaire ne rendit pas à Theutberge ses droits d'épouse, il la fit emprisonner,
on ne sait où, Ann. Bert., ad ann. 858, p. 50, et dirigea contre Hubert de nou-
velles expéditions aussi infructueuses que la précédente. Celui-ci finit par être
tué au combat d'Orbe, en 864. Cf. R. Poupardin, Le royaume de Provence sous
les Carolingiens (855-933)? in-8, Paris, 1901, p. 48-53. (H. L.)
1. Sur Theutberge, cf. R. Parisot, op. cit., p. 154, note 3. (H. L.)
2. Tel est le récit contenu dans la Chronique de Réginon, Mon. Germ
liistor., 1. 1, p. 571. Comme l'auteur des Annales Metenses copie longuement
Réginon, il arrivera qu'un auteur sera cité fréquemment pour l'autre. [Sur
Gùnther de Cologne, cf. Hist. littér. de la France, 1740, t. v, p. 364-368 surtout
R. Parisot, op. cit., p. 151-153. (H. L.)]
3. Sirmond, Conc. Gall., t- ni, col. 189; Coll. regia, t. xxu, col. 675; Labbe
462. DEUX CONCILES TENUS A AIX-LA-CHAPELLE 243
et de Trêves, les évêques Adventius de Metz et Franco de Ton-
226] grès, quelques abbés et des laïques. Lothaire y exposa les gra-
ves soupçons qui pesaient sur sa femme, ajoutant qu'il ne
voulail pas prolonger son incertitude. Il demanda donc aux pré-
lats d'interroger sérieusement Theutberge sur le bien fondé de ces
bruits. Par ruse et par force, par menaces et brutalité, ainsi que
l'insinue Hincmar, on obtint de la malheureuse femme de faire
à l'archevêque G uni lier l'aveu d'une faute involontaire :« elle avait
été violon I ée : elle se reconnaissait indigne de rester l'épouse du roi
ou de devenir la femme de tout autre. Elle demandait à prendre
le voile. » Victime des intrigues qui l'enveloppaient, elle pria
Gûnther de faire connaître ses aveux aux autres évêques et aux
abbés 1. Ces incidents occasionnèrent, dès le mois de février de
la même année, la réunion d'un autre concile à Aix-la-Chapelle 2.
Outre les prélats lorrains, des évêques de France et de Provence,
en particulier Wenilo de Rouen, Hildegard de Meaux, Hilduin
d'Avignon, et plusieurs laïques de distinction y siégèrent. Theut-
berge se déclara de vive voix et par écrit, par-devant le roi, les
Concilia, t. vm, col. G96-698; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 501; Concilia,
t. x, col. 139; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 547. Réginon fait une con-
fusion entre ce concile et celui de Metz. Cf. Hincmar, De divortio Lotharii, P. L.,
t. cxxv, col. 636; Monum. Germ. histor., Leges, t. i, p. 445; Annules Bert., dans
Monum. Germ. histor., t. i, p. 454; R. Parisot, op. cit., p. 154-157. Nous possédons
deux récits des événements qui se sont passés dans ce concile. Hincmar les a
insérés dans son De divortio Lotharii, interrog. la : c'est le Libellus octo capitu-
lorum, œuvre des évoques présents au concile, et le Libellus septem capitulorum
qui n'émane pas d'eux. P. L., t. cxxv, col. 637; A. Verminghoff, Verzeichnis der
Aklen frànkischer Synoden von 843-918, dans Neues Archiv der Gesellscluijt fur
altère deutsche Geschichtskunde, 1901, t. xxvi, p. 627. (H. L.)
1. Hincmar, op. cit., P. L., t. cxxv, col. 631, 636 sq.
2. Voir les références aux collections données pour le concile de janvier 860,
p. 240, note 3. Theutberge écrivit au pape Nicolas que l'aveu de sa culpabilité
lui avait été extorqué par la force. Nicolas, Commonit. ad legatos, dans Jalïé-
Ewald, n. 2726; Hincmar, De divortio Lotharii, P. L., t. cxxv, col. 696. Conc.
Aqueuse, III, c. xvn, dans Capitularia, t. n, p. 467. 11 semble qu'avant le pre-
mier concile d'Aix-la-Chapelle, de janvier 860, Theutberge ait secrètement écrit
au pape pour lui faire connaître la situation critique à laquelle elle se trouvait
réduite ; cela ressort du Commonitorium. Sur ce nouveau concile d'Aix-la-Cha-
pelle', cf. R. Parisot, op. cit., p. 158-164; le refus d'Hincmar d'assister au concile,
l'effarement qui en fut la suite, les aveux de Theutberge, sa condamnation et son
résultat. Après le IIe concile d'Aix-la-Chapelle Lothaire n'a plus de femme en
fait, sinon en droit. Sans doute, il eût souhaité que les évêques allassent jusqu'au
bout, mais ceux-ci s'arrêtent à mi-chemin. (H. L.)
244 LIVRE XXIII
clercs et les laïques, coupable de l'inceste dont on l'accusait . et
déclara son aveu spontané et véridique. En cet état de choses,
les évoques engagèrent le roi à ne plus regarder Theutberge comme
sa femme : ils condamnèrent celle-ci à une pénitence ecclésias-
tique et à la réclusion dans un monastère 1. Cette année même
1. Hincmar, op. cit., P. L., t. cxxv, col. 637 ; Monum. Germ. histor., Leges,
t. i, p. 467. M. Sdralek, Hinckmars von Rheims kanonistischer Gutachlen iiber
die Ehescheidung des Kônigs Lothar II, 1881, estime que l'Église franque du ixe
siècle et un de ses plus importants interprètes, Hincmar de Reims, réservent
exclusivement au juge séculier le droit de prononcer la séparation de corps, ou
le divorce: l'Eglise n'exercerait en ers hypothèses que la juridiction pénitentielle.
M. P. Fournier, dans le Bull, crit., 1885, t. vi, p. 212, se rallie à l'opinion de
Schrors, op. cit., append. v, qui conteste cette interprétation au moyen de textes
empruntés à Hincmar lui-même. « J'avoue, écrit M. P. Fournier, qu'il me paraît
difficile de refuser à l'Eglise, pour l'époque carolingienne, le droit de prononcer
la séparation ou la nullité d'un mariage : l'ensemble des textes me paraît plutôt
conduire à la conclusion contraire. Il y a longtemps que le vieux concile d'Agde
(en 506) a défendu aux époux de se séj>arer sans qu'ils aient soumis aux évêques
de la province les causes de leur séparation; or Hincmar rappelle cette prescrip-
tion dans les termes employés par le concile. Sans doute, à côté de la compé-
tence de l'Eglise, Hincmar veut établir celle du juge laïque; sans doute il favorise
singulièrement en cette affaire le tribtinal séculier ; mais ce n'est pas pour des
raisons théoriques ; défenseur énergique de Theutberge, il aime mieux sou-
mettre sa cause à l'assemblée des grands qu'à un synode de prélats de cour. »
Cf. A. Hauck, Kirchengeschichle Deutschlands, t. n, p. 507; Esmein, Le mariage
en droit canonique, in-8, Paris, 1891, t. i, p. 16-25 ; t. n, p. 45-71. Le droit
franc permettait le divorce et autorisait le mari à se remarier si le divorce avait
été prononcé en sa faveur ; la femme, dans le même cas, ne pouvait cependant
prendre un autre époux. Le droit canon distinguait la séparation pour cause de
chasteté du divorce pour adultère et interdisait au mari le mariage du vivant de
son épouse même coupable. Cependant l'Église proclamant l'indissolubilité du
mariage admettait des cas de nullité, notamment quand les conditions essentielles
à la validité faisaient défaut pour un des conjoints ou pour les deux. Quant à la ju-
ridiction compétente, elle différait suivant qu'on procédait à l'examen ou de la
question défait, ou de la validité de l'union contre laquelle on invoquait un motif
de nullité. Le De divortio Lothar ii est un écrit important, mais d'une lecture
souvent rebutante. La longueur de l'argumentation est encore plus sensible grâce
à un encombrement de citations in extenso qu'une allusion sommaire eût avanta-
geusement remplacées. L'exposition, l'ordonnance, l'exposé des faits, le style
et la pensée elle-même sont de qualité médiocre. Sdralek, op. cit., p. vi, p. 17-
21 ; R. Parisot, op. cit., p. 172-173. Tel qu'il est, en voici l'analyse succincte qu'en
donne M. R. Parisot, analyse qui a l'avantage d'être plus limpide que le docu-
ment lui-même. «Nous ne nous astreignons pas, dit-il, à suivreHincmar pas à pas,
nous voulons seulement indiquer quelle est sur les principaux points sa manière
d'envisager et d'apprécier les choses.
< Il commence par protester contre la façon dont on a dénaturé ses actes elses
462. DEUX CONCILES TENUS A AIX-LA-CHAPELLE 245
la princesse s'enfuit auprès de son frère Hubert et de Charles le
Chauve, roi de France, oncle de Lothaire. Hubert avait été dès
opinions ; il n'a pas plus approuvé le divorce qu'il n'a chargé Wénilon et Hilde-
gaire de le représenter au IIe concile d'Aix. Vient ensuite un résumé de l'entre-
tien qu'il a eu avec Advence, suivi de quelques extraits des lettres qu'il a écri-
tes à ce prélat. De divort. Loth., interr. ni, P. L., t. cxxv, col. 645-648. Hincmar
ne prétend pas que Theutberge soit innocente du crime dont elle est accusée,
mais la culpabilité de la reine ne lui semble pas non plus démontrée. Cela ressort
de l'ensemble du mémoire. La grossesse de Theutberge lui paraît peu croyable,
vu le caractère contre nature des relations que la princesse aurait eues avec son
frère. De divorl. Lotit., interr. nr, P. L., t. cxxv, col. 695. Mais ce que critique sur-
tout l'archevêque, c'est la manière dont on a procédé à l'égard de Theutberge.
Il proteste contre les deux procès qui, pour le même fait, lui ont été successive-
ment intentés. Du moment que le champion de la reine avait victorieusement
subi l'épreuve de l'eau bouillante, on n'avait pas le droit de rouvrir l'affaire :
l'accusateur aurait-il souffert qu'on la reprît, si l'homme de Theutberge avait
succombé ? Assurément non. De divort. Loth., interr. vi, P. L., t. cxxv, col. 672-
673. A ce propos, Hincmar prend la défense des épreuves judiciaires, que saint
Agobard avait attaquées au nom de la religion et du bon sens. Hincmar, lui,
croit que Dieu s'y prononce en faveur de la vérité. De divort. Loth., interr. vi,
vu, P. L., t. cxxv, col. 663, 670, 671, 673. Il combat, en outre, les objections
qu'on avait mises en avant contre la valeur de l'épreuve à laquelle avait été
soumis le champion de Theutberge : Dieu, dit-il, ne peut ni tromper, ni se laisser
tromper. De divort. Loth., interr. vu, vin, P. L., t. cxxv, col. 673-674, 675. Ce
n'est pas tout : la façon dont le procès a été conduit est des plus irrégulières :
Theutberge devait être jugée non par un concile, mais par un tribunal séculier ;
en pareille matière, des laïcs, et des laïcs mariés, sont seuls compétents, et d'ail-
leurs la reine avait remis sa confession écrite non aux évêques mais au roi, un laïc.
De divort. Loth., interr. i, v, P. L., t. cxxv, col. 639-641, 654-655, 695. Autre irré-
gularité : on n'a pas entendu Hubert, le complice supposé de Theutberge, et à vrai
dire, le principal coupable, puisqu'il est censé avoir pris sa sœur de force. De
divort. Lotit., interr. vu, P. L., t. cxxv, col. 696-697. Une confession écrite de
la reine ne suffisait pas pour entraîner la condamnation ; il eût été nécessaire
ou que Theutberge fit devant les juges l'aveu de son crime, ou qu'elle fût con-
vaincue par des témoignages. De divort. Lotit., interr., ix, xi, P. L., t. cxxv,
col. 639, 682, 686-687. Alors, mais alors seulement, la question pouvait être
portée devant le tribunal des évêques, qui auraient infligé à la coupable une pé-
nitence. De divort. Loth., interr. i, P. L., t. cxxv, col. 640. Dans la première partie
de son mémoire, Hincmar parlait déjà de la réunion d'un concile général, auquel
serait confiée la mission de juger le procès. De divort. Loth., interr. i, ni, P. L.,
t. cxxv, col. 641, 646, 647. Dans la deuxième partie, il se prononce nettement
en faveur de cette juridiction, attendu que, seul, un tribunal international offre
les garanties d'impartialité voulues. D'après lui, c'est à tort qu'on le leur dénie.
De divort. Lotit., qua-st. n, m, P. L., t. cxxv, col. 747-751. Hincmar trouve sin-
guliers les procédés de Lothaire, qui a si longtemps attendu pour accuser sa femme,
De divort. Loth., interr. xn et qusest. n, P. L., t. cxxv, col. 695, 748; qui a en-
246
LIVRE XXIII
longtemps cité, par le pape Benoît III, à comparaître pour rendre
compte de ses nombreux méfaits ; mais Charles le Chauve l'avait
suite organisé un simulacre de jugement, interr. i, P. L., t. cxxv, col. 640;
il s'étonne également de la conduite des évêques au Ier concile d'Aix-la-Chapelle;
on peut reprocher à leurs discours et à leurs façons d'agir d'être peu raisonnables,
et, qui plus est, de se contredire. Interr. i, P. L., t. cxxv, col. 632, 633. Il s'élè-
ve surtout contre Gùnther, n'admettant pas que sous aucun prétexte on viole
le secret de la confession. Interr. i, vu, P. L., t. cxxv, col. 634-635, 674-675.
Pour ce qui est de la rupture des relations conjugales, elle peut, suivant Hinc-
mar, se produire dans deux cas différents : soit lorsque les deux époux veulent
l'un et l'autre vivre dans la chasteté, interr. v, xix, quœst. iv, P. L., t. cxxv,
col. 651, 733, 753; soit quand l'un d'eux a commis après le mariage un adultère,
interr. v, x, xxi, qufest. iv, P. L., t. cxxv, col. 651-652, 686, 733, 753; mais
dans ce cas aucun des époux séparés ne peut se remarier du vivant de l'autre.
Interr. v, xu, P. L., t. cxxv, col. 655-656, 706. En ce qui concerne Lothaire,
à supposer que Theutberge, avant d'être unie au roi, se soit rendue coupable d'un
inceste avec son frère, Hincmar ne dit pas clairement s'il pourra ou non prendre
une autre femme : pourtant les passages qu'il cite des Pères ou des conciles sem-
blent prouver qu'il penchait pour l'affirmative, étant donné qu'un incestueux
n'est plus apte à contracter une union valide. Interr. xu, xiv, xx, xxi, P. L.,
t. cxxv, col. 706, 730, 731, 735-736. Sdralek, op. cit., p. 250 ; Schrôrs, op. cit..
p. 197 sq., croient l'un et l'autre qu'Hincmar admet la nullité du mariage d'un
incestueux et la possibilité pour l'autre conjoint de contracter une seconde union.
Le droit de Lothaire à se remarier étant admis, Hincmar n'interdit pas au roi
d'épouser son ancienne maîtresse (Waldrade) ; toutefois il fait certaines réserves.
Interr. xxi, P. L., t. cxxv, col. 732-738. En tous cas, Lothaire doit auparavant
subir une pénitence. Interr. xm, xxi, P. L., t. cxxv, col. 708. 738. Il n'est pas,
en effet, tout roi qu'il est, au-dessus des lois, comme certaines gens le prétendent
à tort ; il n'a pas le droit de faire tout ce qui lui plaît. Lothaire est soumis aux mi-
nistres de Dieu; qu'il prenne garde aux jugements divins et humains, s'il n'imite
pas la conduite vertueuse de son père. Quœst. vi, P. L., t. cxxv, col. 756. Hinc-,
mar déclare que l'on ne doit pas tenir vin serment téméraire. Interr. xin, xiv,
P. L., t. cxxv, col. 707, 714-716. Il admet qu'à l'aide de certains maléfices, une
femme peut faire naître entre deux époux une haine irréconciliable, ou un amour
irrésistible, provoquer ou faire cesser l'impuissanee cliez l'homme. C'est Wald-
rade que l'on soupçonnait d'avoir eu recours à de semblables sortilèges pour brouil-
ler Lothaire et Theutberge.
Ce traité d'Hincmar a été un peu tiraillé en divers sens et on ne saurait en être
surpris, vu qu'il traite ex professo de la très délicate matière de la rupture du ma-
riage, une de celles qui périodiquement soulèvent des causes politiques d'une gra-
vité exceptionnelle. Schrôrs, p. 214 sq., a donné un bon exposé des idées d'Hinc-
mar en matière de mariage au point de vue canonique. Selon lui, Hincmar con-
férait au tribunal synodal de préférence à l'autre le droit de prononcer l'annula-
tion du mariage ; cependant Hincmar n'exclut pas complètement la juridiction
séculière. Ainsi, après avoir déclaré que le tribunal séculier est seul compétent,
au moins pour examiner la question de fait, il admet ensuite que celle-ci peut
462. DEUX CONCILES TENUS A AIX-LA-CHAPELLE 247
pris sous sa protection, lui avait donné l'abbaye de Saint-Martin
de Tours et le défendait contre les peines ecclésiastiques. Theut-
berge trouva également asile auprès de Charles le Chauve 1, d'où
être portée devant un concile. Sdralek, op. cit., p. 89, croit que d'après Hincmar
le tribunal ecclésiastique ne peut prononcer qu'une peine ecclésiastique à la suite
d'une condamnation infligée par des juges laïcs. C'est à ceux-ci seuls, p. 93-98,
108-109, qu'il appartient d'examiner la question de fait, et même, le cas
échéant, de prononcer le divorce. Schrôrs estime trop absolue cette manière de
voir prêtée par Sdralek à l'archevêque de Reims. Selon Schrôrs, op. cit., p. 499
sq., Hincmar concède au tribunal séculier la compétence en matière crimi-
nelle (question de fait), mais il ne lui reconnaît pas le droit de prononcer
la séparation des époux, comme le dit à tort Sdralek (op. cit., p. 503).
Schrôrs avait dit antérieurement (p. 194—195), qu' Hincmar ne spécifie pas à
quel tribunal il appartient de prononcer la séparation des époux, c'est-à-dire la
rupture de la vie commune, non le divorce. Quant à l'annulation du mariage
en cas d'inceste (p. 196), l'archevêque penche pour la juridiction ecclésiastique,
sans exclure l'autre. D'autre part, en ce qui concerne la question de fait, Schrôrs,
op. cit., p. 193 et note 29, soutient qu'Hincmar admet une affaire de même na-
ture en première instance. Mais les passages que cite Schrôrs, ne prouvent rien.
Celui qu'Hincmar, interr. x, P. L., t. cxxv, col. 681, emprunte à saint Augustin
ne vise nullement des procès en séparation ni des causes matrimoniales ; et dans
l'autre, tiré d'Hincmar lui-même, interr. xn, P. L., t. cxxv, col. 695, il s'agit
non d'un appel véritable du tribunal séculier aux évêques, mais de la demande
adressée à ces derniers par un criminel déjà condamné par ses juges naturels,
et qui désire qu'une pénitence lui soit infligée. Sdralek, op. cit., p. 166, rejetait
la possibilité d'un tribunal séculier international; Schrôrs, op. cit., p. 503, fait
remarquer qu'il y a eu de telles assemblées générales des grands des trois royau-
mes francs à Meerssen (851), à Liège (854) et à Coblentz (860).
Dans le De divoriio Lotharii il est à deux reprises question d'Engeltrude et
de Boson, dont nous allons nous occuper dans quelques instants. (H.L.)
1. Gfrôrer suppose que Charles le Chauve avait eu à cœur de soutenir la vali-
dité du mariage de Lothaire et de Theutberge, parce que celle-ci n'ayant pas
d'enfants, donnait au roi de France l'espoir d'hériter de la Lorraine, tandis que
Waldrade ayant déjà donné plusieurs enfants à Lothaire, Charles le Chauve de-
vait renoncer à cette espérance si, par le mariage avec Waldrade, Lothaire se trou-
vait du jour au lendemain pourvu d'héritiers. Leibnitz, Annales imp. occid.,
t. i, p. 592, 618; Ernouf, Hist. de Waldrade, p. 10; Weiszsaecker, Hinkmar and
pseudo Jsidor, dans Zeitschr. fur histor. TheoL, 1858, p. 412; Bourgeois, Hugues
l'Abbé, dans les Annales de la Faculté des lettres de Caen, 1885, 1. 1, p. 99 ; Dûmmler,
op. cit., t. ii, p. 18-19; Mùhlbacher, Deustche Geschichte unter den Karolingern,
p. 510; R. Parisot, op. cit., p. 171-172, sont tous d'accord pour attribuer à l'in-
térêt la conduite de Charles le Chauve à l'égard de son neveu, car il ne pouvait
dès lors prévoir que les maladresses de Lothaire lui fourniraient un jour l'occa-
sion de le déposséder. D'après Sdralek, Hinkmars von Rheims kanonistisches
Gutaclden iiber die Ehescheidung des Kônigs Lothur des Zweiten, in-8, Freiburg,
1881, p. 16, c'est Hincmar qui, dans l'affaire du divorce, a imposé à Charles
248 LIVRE XXIII
elle envoya des ambassadeurs au pape Nicolas Ier, récemment
élu au pontificat (858) 1, se plaignant de l'injustice commise [227]
à son égard. De leur côté, les évêques du parti de Lothaire
s'adressèrent également au pape, lui demandant de ne pas
se laisser influencer par les envoyés des adversaires de ce roi,
mais de remettre sa décision après l'arrivée des ambassadeurs,
Thieutgaud, archevêque de Trêves et Atto, évêque de Verdun 2.
On ne voit cependant pas que ces évêques se soient alors rendus
à Rome.
463. Conciles à Milan et dans les Gaules au sujet d' Engeltrude.
Vers cette même époque, on tint plusieurs conciles au sujet
d'un autre mariage dans la famille des Carolingiens. Engeltrude,
fille du comte franc [Matfrid. avait épousé le comte Boson,
probablement fils du Boson dont nous avons parlé, et frère
d'Hubert et de la reine Theutberge 3. Hincmar la dit parente de
le Chauve la ligne qu'il devait suivre. Livré à lui-même, le prince aurait con-
senti, moyennant un bon prix (témoin l'alliance qu'il conclut en 866 avec
Lothaire qui lui avait cédé l'abbaye de Saint- Vaast), à favoriser les projets
matrimoniaux de son neveu. C'est fort possible; quoi qu'il en soit, Hincmar n'a
certainement pas rendu public son traité De divorlio Lotharii, sans l'autorisa-
tion de son souverain dont la politique se trouvait désormais engagée. D'ail-
leurs, dès ce moment Charles aura à l'égard de Lothaire des procédés fran-
chement hostiles. Theutberge trouva asile en France. (H. L)].
1. Gregorovius, Gesch. der Stadt Rom, 1870, t. m, p. 129.
2. Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 502; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv,
col. 548.
3. Wenck, Das jriinkische Reich nach detn Beitrage von Verdun, in-8, Leipzig,
1851, p. 345;Dûmmler, Geschiclite des ostfrànkischen Reichs, in-8, Berlin, 1862, 1. 1,
p. 459. [Un frère de Theutberge et d'Hubert, frère aîné portant le nom de leur père
Boson, avait en Italie l'administration d'un comté. Il avait épousé Engeltrude. Cf.
Wenck, op. cit., p. 354, n. 2 ; Noorden, Hinkmar, p. 167;Sdralek, Hinkmars Gut-
achten ûber die Ehescheidung Lothars, u, p. 22; Schrors, Hinkmar, p. 206; Mùhl-
bacher, Reg. Kar., p. 477; Dùmmler, op. cit., t. n, p. 17, n. 2 ; B. Parisot, op. cit.,
p. 83, note 3; p. 165. Krùger, Der Ursprung des Hanses Lolhringen-Habsburg,
p. 8, estime qu'Engeltrulde était fille de Malfrid II, iils du comte d'Orléans,
mort en 836. Ce dernier, d'après Krùger, n'aurait pu être le père d'un enfant né
probablement vers 830. Des liens de parenté unissaient Engeltrude à Lothaire II,
mais il est impossible de dire quelle était l'origine de cette parenté. Au bout de
463. CONCILES A MILAN ET DANS LES GAULES 249
Lothaire *. Entraînée par la passion, Engeltrude avait abandonné
son mari depuis plusieurs années et vécu scandaleusement en
France, tantôtdans un lieu, tantôt dans unautre.Le comteBoson lui
proposa vainement le pardon en cas de retour. Poussé par l'ob-
stination de sa femme, le comte s'adressa au pape Benoît III,
après la mort duquel Nicolas Ier prit l'affaire en main. Ce pape
ayant adressé inutilement plusieurs lettres d'exhortation à Engel-
trude 2, chargea un concile tenu à Milan en 860 3, de la faire citer et
de l'anathématiser, en cas de refus. Le comte Boson habitait pro-
bablement dans la province ecclésiastique de Milan. Engeltrude
ne s'étant pas rendue à l'appel, fut anathématisée ; le pape con-
firma la sentence qui fut communiquée aux archevêques de Trêves
et de Cologne, dont la pécheresse habitait les diocèses où elle
avait trouvé protection auprès du roi Lothaire4. Hincmar ajoute
quelques années, Engeltrude quitta son mari dont elle avait eu des fdles (voir
différentes lettres du pape Jean VIII, Jaiïé-Ewald, n. 3167, 3168, 321 1) et s'enfuit
avec un de ses vassaux. Elle se retira en Gaule, des témoignages postérieurs la
montrent en Lorraine et dans le diocèse de Cologne. Ceci se passait en 857 ou 858 ;
une lettre du pape Benoît invite les rois et les évêques à faire arrêter la fugitive
et à la ramener à son mari. Jaffé, n. 2673. Sur les ascendants et les descendants
des comtes Boson, cf. B. Poupardin, Le royaume de Provence sous les Carolin-
giens {855-933) ? in-8, Paris, 1901, p. 41-47, et surtout p. 297-307, l'appendice inti-
tulé : Boson, mari d 'Engeltrude (844-874/878).
1. P. L., t. cxxv, col. 754.
2. Mansi, Conc. ampliss. coll.. t. xv, col. 326, 336; Hardouin, Coll. concil., t. v.
col. 286.
3. Mansi, Concilia. Supplem., t. i, col. 983; Conc. ampliss., coll., t. xv, col. 590.
Lettres de Nicolas du 30 (?) octobre 863 et du 31 octobre 867. Cf. Jaffé-Ewald.
n. 2748-2751, 2886. Les canons de ce concile de Milan ne nous sont pas connus
directement mais seulement parla mention des actes du concile de Latrande863.
Ann. Bertiniani, ad ami. 863, p. iii. Sententiam quant a Sale apostolica inlngil-
druhem uxorem Bosonis sanctissimus (rater nosler Mediolanensis archiepiscopus
'ratio etcetericoepiscopinostripetwerantemittendam.M.ansi,op.cit.,t. xv, col. 609.
adopte la date « circa 860 »; Hefele tient pour 860. Sdralek, Hinkmars von Bluirn*
kanonistisches Gutachten, p. 186; Parisot, Le royaume de Lorraine stius les Carolin-
giens, p. 166, et B. Poupardin, op. cit., p. 302, note 3, reportent l'assemblée à 859
on aux premiers mois de 860. Sdralek est suivi par B. Poupardin lorsqu'il suppose
que le concile de Milan fut antérieur au congrès de Savonnières. Il est probable
qu'il s'est produit quelque ebose, peut-être l'annonce de l'anathème prononcé,
pour amener Engeltrude à la dernière de ces deux réunions. C'est à l'excommica-
tion prononcée à la demande des prélats réunis à Milan que Charles le Chauve,
à la seconde assemblée de Savonnières, Ann. Bertin., ad ann. 862. p. 61, paraît
avoir l'ail allusion. (H. L.)
'i . Voir § \l>~. Nicolas, Episl., lviii, dans Hardouin, op. cit.. t. v, col. 285 ;
250 LIVRE XXIII
qu'en cette même année 860, à la diète de Coblsntz, le comte
Boson demanda vainement sa femme au roi Lothaire, et beaucoup [228[
exprimèrent la crainte que Boson ne tuât sa femme, si elle revenait
auprès de lui. Une fois promulguée la sentence du concile de Milan,
Giinther de Cologne posa, dans un concile franc, la question sui-
vante : « Au cas où Engeltrude reconnaîtrait ses fautes, pour-
rait-il lui imposer une pénitence et la garder dans son diocèse,
ou bien devait-il la renvoyer à son mari, à la condition que celui-
ci ne la tuât pas?» Hincmar répondit par écrit, dès le lendemain,
que Gûnther ne pouvait pas imposer la pénitence à une femme
étrangère à son diocèse, parce qu'il priverait le mari d'exercer
sur elle ses droits légitimes. Lothaire devrait renvoyer Engeltrude
à Boson, et Giinther aurait simplement à intercéder auprès du
et Mansi, op. cit., t. xv, col. 334; Jafïé-Ewald, n. 2748-2751, 2886. Il semble bien
à lire ces lettres de Nicolas Ier, que la sentence du concilede Milan et a confirma-
tion qu'en avait prononcée le pape aient été notifiées à Gûnther et à Thieutgaud.
Ce concile de Milan, dont la date n'est pas donnée, doit se placer ou en 859 ou,
au plus tard, dans les premiers mois de 860. Pour arriver à préciser l'année et les
mois, remarque M. R. Parisot, il faudrait savoir quand Boson a pour la première
fois franchi les Alpes pour venir réclamer sa femme; car Boson n'a dû s'adresser
aux conciles francs qu'après avoir vainement attendu les effets du concile de
Milan. Boson était présent au congrès de Coblentz de juin 860; le concile de Milan
est donc antérieur, et de plusieurs mois, à ce congrès. Sdralek, op. cit., place
en conséquence, p. 189, note 1, le concile de Milan en 859. Dûmmler n'indique
pas l'année où, d'après lui, ce concile a dû avoir lieu, mais il est vraisemblable
qu'il le croit de 860, attendu qu'il ne fait commencer qu'en cette année l'épisco-
pat de Tadon, président du concile de Milan. Déjà, au concile de Savonnières en
859, l'attention des évêques avait été appelée sur cette affaire. Hincmar qui
rapporte le fait ne nous dit pas si Boson lui-même avait présenté sa plainte.Tou-
tefois, la chose ne nous paraît pas probable, et il n'était pas nécessaire que Boson
fût là pour que le concile s'occupât d' Engeltrude. Le concile de Savonnières ne
prit d'ailleurs aucune décision. Le IIe concile d'Aix-la-Chapelle s'empara de la
question, soit qu'elle n'eût pas encore été résolue par le concile de Milan, soit
que l'on estimât en Lorraine un nouvel examen nécessaire. Boson et sans doute
aussi Engeltrude, alors réfugiée dans le diocèse de Gûnther, furent invités à com-
paraître. Boson ne vint pas, et les évêques déclarèrent qu'ils ne pouvaient livrer
à la mort une femme qui s'était mise sous leur protection et dont ils n'avaient
pas instruil la cause. P. L., t. cxxv, col. 743. S'ils avaient pris ce parti, c'était
pour plaire à Lothaire ; en donnant asile à Engeltrude, ce prince n'obligeait pas
seulement une cousine, il était désagréable à l'un des frères de la femme qu'il
détestait. Engeltrude continua donc de vivre en Lorraine. Son mari se décida à
venir en Gaule; il assistait à l'entrevue de Coblentz. Boson demanda à Lothaira
de lui rendre sa femme. Lothaire s'y refusa ; il ne pouvait, disait-il, livrer une
femme de race franque, sa cousine, qui manifestait la crainte d'être mise à mort
463. CONCILES A MILAN ET DANS LES GAULES
251
mari pour qu'il épargnât sa femme K On ne sait ni le lieu ni
l'époque où s'est tenu ce concile franc 2.
par son mari et menaçait, si l'on prétendait la ramener àBosoa, de s'enfuir chez
les Normands. Force fut à Boson de retourner seul en Italie. (H. L.)
1. Hincmar, Epist. xxiv, P. L., t. cxxvi, col. 154; Mansi, Conc. ampliss.
coll., t. xv, col. 500.
2. Ce concile s'est tenu a Tusey, petite localité du diocèse de Tonl (aujourd'hui
de Verdun) et du royaume de Lorraine sur la rive gauche de la Meuse, commune
deVaucouleurs, arrondissement de Commercy.Sirmond,Conc. Gall,, t. ni, col. 160;
Coll. regia, t. xxii, col. 684; Lalande, Conc. Gallise, p. 164 ; Labhe, Alliance chro-
nologique, 1651, t. ii, p. 464 -466; Labbe, Concilia, t. vm, col. 702-735; Mabillon,
Anal. veteraA&lb, t. i, p. 57; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 507; Coleti, Conci-
lia, t. x, col. 149; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 557 ; R. Parisot, Le
royaume de Lorraine sous les Carolingiens, 1899, p. 176-179; R. Poupardin, Le
royaume deProvence, p. 303, note 6; A. Verminghofî, Verzeichnis der Akten frànkis-
cherSynoden von 843-918, dans Neues Archiv, 1901, t. xxxvi, p. 627-628. Quant
à Hefele, il a parlé plus haut de ce concile, Conciliengeschichte, 2e édit., t. iv,
p. 215, où il suppose que furent présents Charles le Chauve et les deux rois de
Lorraine et de Provence; mais, comme le fait remarquer Dùmmler, op. cit.,
t. ii, p. 18, n. 4, cela ne ressort en aucune façon des actes de ce concile. Charles le
Chauve était présent au concile (R. Parisot, p. 177), ainsi que de nombreux pré-
lats français, lorrains et provençaux. Hincmar y siégeait à côté de Gùnther et
de Thieutgaud qu'il venait de malmener rudement dans son De divortio Lotharii .
Le concile commença au plus tard le 22 octobre 860 et n'était pas terminé le 7
novembre. On y aborda l'affaire d'Engeltrude. Boson revenu d'Italie pria le pape
d'intervenir en sa faveur et Nicolas Ier écrivit à Charles le Chauve, à Hincmar et
aux évêques francs, invitant le roi de France à ne pas permettre que l'épouse
adultère et fugitive séjournât plus longtemps dans les États de Lothaire et or-
donnant à Hincmar et à ses collègues d'excommunier Engeltrude. Jaffé-Ewald,
n. 2685. Boson, muni de ces lettres, datées d'aoûtet septembre, arriva à Tusey et
les remit aux intéressés. Pourtant, à lire le mémoire d'Hincmar, il semblerait
que la question eût été soulevée devant le concile par Gùnther, Couvent, ap Sa-
pon., c. iv, dans Capitularia, t. n, p. 160. D'après ce mémoire. Gùnther aurail
à la fin d'une session demandé quelle conduite il devait tenir à l'égard d'Engel-
trude pour le cas où celle-ci viendrait le trouver et, tout en déplorant sa faute,
demanderait de n'être pas livrée à la mort dont la menaçait son mari. Hincmar
pris de court remit la réponse à plus tard, y réfléchit et prépara à tète reposée
son mémoire qu'il lut ou fit lire dans une des sessions suivantes. D'après Hincmar,
Gùnther ne peut imposer aucune pénitence à une femme dont le mari, à qui elle
reste soumise, ne réside pas dans le diocèse. Le roi, dans les États duquel elle est
réfugiée doit la rendre à Boson qui se déclare prêt à pardonner sur l'ordre donné
par le pape. Resp. ad Guntharium, P. L., t. cxxvi, col. 154-156. Nous ignorons
l'accueil fait par le concile au mémoire d'Hincmar, mais Engeltrude continua
de vivre dans le royaume de Lothaire, ainsi qu'il résulte du mémoire de Charles
le Chauve lu au congrès de Savonnières en 862, ch. iv, dans Capitularia, t. n,
p. 160, et différentes lettres du pape Nicolas Ier dans Jaffé-Ewald, n. 2748-2751 ,
2836. (H. L.)
252
LIVRE XXIII
464. Premiers conciles au sujet de Photius.
En 860, Photius commença à attirer l'attention du pape Nico-
las Ier1. L'impératrice Théodora, qui avait remis en honneur le
1. Nos principales sources sont les suivantes : a) les lettres du pape Nicolas Ier,
dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 159 sq. ; et Hardouin, op. cit., t. v, col. 119 sq.:
b) la Biographie d'Ignace, patriarche de Constantinople, par Nicétas, Mansi, op. cit.,
t. xvi, col. 210 sq.; Hardouin, op. cit., t. v. col. 943 sq. ; c) la lettre adressée au
pape par le moine Théognost au nom du patriarche Ignace, Mansi, op. cit., t. xvi,
col. 295; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1014; d) la lettre du contemporain Métro-
phanes de Smyrne au patrice Manuel, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 414 rsq. ;
Hardouin, op. cit., t. v, col. 1111 sq. ; en latin dans Baronius, Annales, ad
ann. 870, n. 45 sq. ; e) la lettre de Stylianus, évèque de Néocésarée en Syrie,
au pape Etienne VI, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 426; Hardouin, op. cit.,
t. v, col. 1122. Sur Photius, il existe une abondante littérature : R. Ballheimer,
De Photii s'itis decem oratorum, dissertatio philologica, in-8, Bonn, 1877. Cf.
A. Martin, dans \s. Revue critique, 1879, t. vin, p. 347-350; J. Bernays, Pliokion
und seine neueren Beurtheiler, ein Beitrag zur Geschichte der griechischen Philoso-
phie und Politik, in-8, Berlin, 1881 ; J.-B. Bury, The relationship of the patriarch
Photius to the empress Théodora, dans English historical review, avril 1890,
p. 255-258; A. Chassang, dans l'Annuaire de la Société d' encouragement pour les
études grecques, 1871, t. v, p. 75-85; Chr. Faucher, Histoire de Photius, patriar-
che schismatique de Constantinople, suivie d'observations sur le fanatisme, in-12,
Paris, 1772; J. Hergenrôther, Photii constantinopolitani liber de Spiritus sancti
mystagogia, quem notis variis illustratum ac theologicse crisi subjectum nunc pri-
mum editus, in-8, Ratisbonne, 1857 ; J. Hergenrôther, Photius, Patriarch
von Constantinopel, sein Leben, seine Schriften und, das griechische Schisma,
nach handschriftlichen und gedruckten Quellen, 'A vol. in-8, Regensburg, 1867-
1869; Monumenta grseca ad Photium ejusque historiam pertinentia ex variis
codicibus mss. collecta, in-8, Regensburg, 1869; E. B. Swalue, Disputatio de dis-
sidio christianse Ecclesise, Photii auctoritale maturato, in-4, Lugd. Batav., 1829;
Histoire de saint Ignace, patriarche de Constantinople et de Photius usurpateur de
son siège, in-8, 1791 ; Ks. Bojarski, Historya Focyuska... opartana swiadectwach
wspôlczesnych pisarzy geskich czerpana z dzeil francuskich i innych, in-8, Lwow,
1895; J. N. Jager, Histoire de Photius, patriarche de Constantinople, auteur du
schisme des Grecs, in-8, Paris, 1844 ; Louvain, 1845, Paris, 1854; B. Jungmann,
dans Dissertationes selectie historiée ecclesiasticse, 1882, t. ni, p. 319-442; K. Krum-
bacher, Geschichte der byzantinischen Literatur, in-8, Mûnchen, 1897, p. 73-
79, 515-524, 972 ; A. Palmieri, Photius et ses apologistes russes, dans les
Échos d'Orient, 1899, t. m, p. 94-106; A. Papadopoulos Kerameus, Photii
Epislolse, Petropoli, 1896. Cf. P. N. Pagageorgiu, dans Byzant. Zeitschr., 1898,
t. vu, p. 299-308 ; 'O rcaTptâpjnriç 3>wtio; m_- rcarrip yi'.o; Tr,ç 'Op8oô6?ou Ka6o/.rAr,ç
'Kv.v.lr^ix;, dans Byzant. Zeitschr., 1899, t. vin, p. 647-671; L. Sternbach, Photii
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 253
patriarchse opusculum parœnelicum, appendix, gnomica excerpta Parisina,
dans Diss. class. philol. acad. lilt. Cracovise, 1893, t. xx, p. 1-82; in-8, Hrakan,
1893; Analecta Photiana, dans Sitzungsberichte d. Akad. d. Wissejich. Krakau,
in-8, Krakau, 1893; J. Weguelin, Mémoire sur le patriarche Photius, dans les
Mêm. de l'Acad. de Berlin, 1777-1779, t. vm, p. 440-466.Entre tous ces travaux,
l'ouvrage de Hergenrôther est devenu classique en ce qui concerne Photius.
Les trois volumes dont il se compose sont ainsi répartis: I. Histoire des évêques et
patriarches de Constantinople jusqu'à Photius et biographie de celui-ci jusqu'au
concile de 869. II. Récit depuis les premiers troubles jusqu'à la mort de Pho-
tius. III. Écrits de Photius, principalement sa théologie. Celle-ci a été étudiée
par Iwantzovv-Platonovv, Recherche d'une apologie générale de Photius (en
russe), cf. Revue internationale de théologie, 1893, t. i, p. 654 sq. ; 1894, t. n,
p. 80 sq., 253 sq. Sur le schisme auquel Photius a attaché son nom : A.
Pichler, Geschichte der kirchlichen Trennung zwischen d. Orient und Occident, 1864,
t. i, p. 180 sq. ; A. Demetrakopoulos, I<77oo;'a roO ayi<j\La.xoz rf,ç XaxtvtXTiç à-o ?/,;
ôpôoc62o-j z/'/ry.y.f,;, 1867 sq. ; R. Baxmann, Die Politik der Pàpste von Gregor I
bis auf Gregor VII, 1869, 2 vol. Les travaux récents ont été classés et la carrière
de Photius a été exposée et appréciée par F. Kattenbnsch,Photius, dans Realoie;/-
klôpàdie fur proies!. Théologie und Kirche, '-'>e édit., 1904, t. xv ; Th. M. Rosseikine,
Pervœ pravleine Photiia, patriarka Konstantinopolikago, dans Byz. Vrem., 1909,
t. ii, p. 194-228, 395-423, 374-393. Le personnage de Photius n'est pas de ceux
sur lesquels l'accord s'est fait entre historiens. Comme Luther et Calvin, le pa-
triarche de Constantinople a une postérité qui se fait un point d'honneur de dé-
fendre tout ce qui est attaquable dans cette vie agitée et en face de ces défen-
seurs à outrance, les latins rappellent des faits peu honorables qu'on ne peut ni
supprimer ni excuser. Le seul point sur lequel tous tombent d'accord, c'est sur la
capacité intellectuelle de Photius. Son œuvre érudite et théologique témoigne
de lectures innombrables, d'une réflexion et d'une étendue d'esprit incontesta-
bles. Si Photius n'avait rien fondé, s'il avait disparu tout entier ou s'il n'était
plus aujourd'hui qu'un nom historique comme Acace ou Pierre Monge on Timo-
thée Élure, il est assez vraisemblable qu'on ne lui contesterait pas d'avoir été
un scélérat, mais il est clair qu'on ne peut songer à réclamer un aveu de cette
nature à l'Eglise grecque. Si l'épithète d'ensemble est impossible, chaque fait
pris isolément clans la carrière de Photius est déshonorant sans contestation
possible. Son élévation au patriarcat du vivant d'Ignace est entachée de nullité.
Tous les précédents qu'on pouvait invoquer en pareille matière n'y changeaient
rien. Ignace refusa une abdication qui lui paraissait une lâcheté; c'était, paraît-il,
manquer de souplesse, et on n'est pas éloigné de lui en faire un reproche, encore
aujourd'hui. Avec un tel adversaire, les habiletés de Photius étaient peine per-
due, il passa outre, sollicita à Rome une confirmation qu'il savait devoir lui être
refusée e1 comprenant qu'en ce cas, la rupture lui serait imputée personnelle-
mental choisit un autre terrain, celui des controverses, el \ transporta la ques-
tion. Là était l.i véritable habileté de Photius. Il sut découvrit- le poinl Faible
de l'autorité papale dans les esprits orientaux, substituer à son grief personnel
cette hostilité inconsciente, révéler celle-ci à elle-même, lui faire entrevoir ce
à quoi elle aspirait confusément et conduire l'attaque sur ce terrain sans la
laisser désormais s'égarer. Ainsi, d'une déconfiture privée il faisait une reven-
dication nationale. Les arguments invoqués n'étaient pas moins habilement
254 LIVRE XXIII
culte des images, fit monter, en juillet 846 \ saint Ignace, le plus [229]
jeune des fils de l'empereur Michel Rhangabé, sur le siège patriar-
cal de Constantinople. Lorsque, en 813, l'empereur Rhangabé
eut été détrôné par Léon l'Arménien, il se réfugia dans un mo-
nastère ; ses deux fils, Théophilacte et Nicétas, l'imitèrent, et
le dernier, âgé de quatorze ans, prit alors le nom d'Ignace. Afin de
s'assurer le trône, Léon l'Arménien fit mutiler les deux princes
qu'il sépara et relégua dans des monastères différents. Ignace
ne tarda pas à se distinguer par sa vie ascétique, sa science et
son éloquence. Il acquit une grande réputation et fut ordonné
par Basile, évêque de Paros. Lors des discussions sur les images,
il se montra constamment un vaillant défenseur de l'orthodoxie;
aussi, l'impératrice Théodora le tint-elle en grande estime et lui en
donna plusieurs témoignages2. Mais les temps d'épreuve arrivèrent,
orsque Michel III l'Ivrogne, fils de Théodora, prit en main le
gouvernement, tout en subissant l'influence de son oncle Bardas 3.
Ce dernier, frère de Théodora, possédait les plus hautes dignités
et même celle de César. Il rendit divers services, encouragea les
sciences et favorisa ardemment le culte des images. Mais il donna
choisis. C'étaient des finasseries sans portée réelle et, précisément à cause de cela,
à la portée de l'intelligence populaire. Photius s'identifia ainsi avec une aspira-
tion,une tendance que des siècles de constestations et des schismes répétés avaient
mûrie; il incarna l'impatience des Orientaux à l'idée de subir la prépondérance
des Occidentaux ; en lui, vingt généra lions trouvaient leur interprète savant
et superbe. Une rupture en pareil cas ne peut être une œuvre clandestine, il faut
un éclat, un anathème. Photius était l'homme marqué pour une scène théâtrale,
il y réussit admirablement. De même au xvie siècle, Luther incarnerait l'esprit
allemand et ferait de la Réforme une scission encore plus politique que religieuse.
La foi de Rome importait moins que le gouvernement par Rome et la justification
sans les oeuvres fut une de ces formules dont s'éprennent les peuples dans la
mesure même où ils ne les entendent pas. En définitive, Photius a été l'homme
d'une pensée politique, l'artisan d'un mouvement séparatiste pour lequel il a su
donner à l'ambition nationale l'apparence et le prétexte de la ferveur religieuse.
(H. L.)
1. Hergenrothcr, Photius, t. î, p. 358. [Ignace, né en 798, abbé de Saint-Satyre,
patriarche de Constantinople le 4 juillet S'iG, chassé le 23 novembre 857, rétabli
le 23 nov. 867, mort le 23 octobre 877; cf. J. van Kecke, dans Acta sanct., 1861,
octobre l. x, p. 157-167 : [(I. N. Maultrot,] Histoire de saint Ignace, patriarche
de Constantinople, cl de Photius, usurpateur de sou siège, in-8, s. L, 1791.
(H. L.)]
2. Au sujet de la jeunesse d'Ignace et de son élévation sur le siège de Constan-
tinople, voir Hergenrôther, Photius, t. i, p. 355 sq.
3. Nous trouvons tous les renseignements sur la cour de Byzance pendant
464. PREMIERS CONCILES AL* SUJET DE PHOTIUS 255
plus tard de grands scandales, par ses rapports incestueux avec
sa belle-fille, et demeura sourd à tous les avertissements du pa-
triarche 1. En la fêle de l'Epiphanie de l'année 857, Bardas
étant venu pour recevoir la sainte Eucharistie, Ignace la lui refusa,
e1 ni prières ni menaces ne purent le décider à céder. La vengeance
de Bardas ne tarda pas. Quelques mois après, Bardas conseilla
à l'empereur, jeune et déhanché, de reléguer dans un monastère
sa mère et ses sœurs a lin de se délivrer de leurs remontrances.
Ignace refusant de s'associer à une pareille brutalité et, en par-
ticulier, de bénir le voile, Bardas l'accusa du crime de haute tra-
hison conjointement avec le moine insensé Gébon, et commença
la persécution. Si l'on ajoute foi à une ancienne tradition grecque
230] citée par Rader, Ignace aurait au début plié devant la force, afin
d'éviter tout scandale ; mais les évêques du patriarcat de Cons-
tantinople auraient déclaré tout préférer à une pareille conduite2.
Sans se laisser arrêter par ces démonstrations des évêques, Bardas
obtint, le 23 novembre 857, l'exil d'Ignace dans l'île de Térébinthe 3.
Afin de mieux assurer sa perte, Bardas demanda Photius pour
successeur d'Ignace. Photius, [issu d'une famille grecque alliée
à la famille impériale, était alors simple laïque (célibataire et
probablement eunuque), militaire, homme d'Etat, protospa-
le règne de l'impératrice Théodora et celui de Michel III dans Hergenrôther,
Photius, t. i, p. 337-351 et 369 sq.
1. C. Bayet, Bardas, dans la Grande Encyclopédie, t. v, (1888), p. 400, A. Vogt;
Basile Ier, cm prieur de Byzance (867-886), et la civilisation byzantine à la fin du
ixe siècle, in-8, Paris. 1908, p. 32-33.(H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1134 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 442. D'après
A. Vogt, op. cit., p. 32, cet exil doit se placer le 23 novembre 858, tandis que
Hergenrôther, op. cit., t. i, p. 372, donne la date 857, Voici comment A. Vogt
sou lient son opinion : « 1° Au moment des affaires d'Ignace, Bardas n'est encore
que domestique des scholes. 2° Le premier pontificat d'Ignace dura onze ans.
En outre, il remonta sur le trône patriarcal le 23 novembre 867, après neuf années
d'exil. De plus, Nicétas dit qu'Ignace demeura un peu plus de trente ans au
pouvoir cl que son second pontificat dura dix ans. 3° L'ambassade envoyée à
Rome par Photius n'y arriva qu'en 860 pour en repartir avec des lettres datées
du 25 septembre. Il semble qu'on aurait laissé passer bien du temps entre la dé-
position d'Ignace et cette ambassade. Il semble donc que la date du 23 no-
vembre 858 est préférable à celle de 857. Nous avons donc comme dates fixes :
élévation d'Ignace au patriarcat, juin 847 ; déposition, 23 novembre 858. Toute
l'erreur d' Hergenrôther vient de ce qu'il fait mourir Méthode en 846. »
(II. L.)
,;. C'est une des îles des Princes, dans la Propontide.
256
LIVRE XXIII
thaire et premier secrétaire intime de l'empereur. C'était, au résu-
mé, un homme instruit et d'une ambition démesurée 1. Photius,
bon canoniste, savait qu'on ne pouvait offrir un siège épiscopal qui
n'était pas vacant légalement et la plus élémentaire prudence eût
dû lui faire simuler des hésitations et des refus, afin de paraître
dans la suite n'avoir accepté la dignité que contraint et forcé.
Lui-même assura plus tard, et à plusieurs reprises, avoir subi
violence : mais toute sa conduite ultérieure, en particulier son
acharnement à se maintenir par tous les moyens, sur le siège
épiscopal, montre assez le peu de sincérité de ses hésitations et de
ses refus. C'est ce que Néander et beaucoup d'autres historiens
ont démêlé sans peine. Jamais, plus que chez Photius, le nolo
episcopari n'a été une fiction 2.
1. Photius était né à Constantinople vers 815, il mourut vers 897; son père
Sergius était allié à la famille impériale. La réputation de Photius était grande et
méritée; sa science était réelle et étendue; ce qui reste aujourd'hui de ses écrits
permet de se faire une idée de ce que pouvait savoir un Byzantin studieux du bas
empire et cette idée est loin d'être méprisable. On a pu mettre en question bien
des choses, mais il faut accorder à Photius une curiosité à peu près universelle et
une moralité assez rare dans le milieu où il vécut. Voilà à peu près tout ce qu'on
peut dire à la décharge de cet ambitieux qui fut plus violent qu'habile.
(H. L.)
2. Il voulait l'épiscopat et il l'obtint. Malgré la résistance d'Ignace, tout se se-
rait réduit probablement à une de ces usurpations dont le siège épiscopal de Byzan-
ce a été si souvent l'occasion. Mais ce ne fut pas seulement Ignace que Photius eut
eiftête, ce fut le pape Nicolas Ier. Si Photius personnifiait l'état d'esprit de l'Orient,
Nicolas incarnait le génie occidental. C'étaient deux représentants inespérés, deux
champions véritables qui allaient se rencontrer et mettre en présence, sous prétex-
te d'une question disciplinaire, deux tendances séculaires et -deux races incompati-
bles.Les contemporains savaient parfaitement en quelles mains se trouvait remise
la cause de l'Occident. « Depuis Grégoire le Grand, écrit Réginon dans sa Chroni-
que, ad ami. 868, aucun pape ne s'est assis sur le siège de Saint-Pierre, qui puisse
s'égaler à lui. Il commande aux rois et aux tyrans comme s'il était le vrai maître
de la terre. On eût dit un autre Élie, ressuscité par Dieu de notre temps, sinon
en chair, du moins en esprit et en vérité. » Inférieur à Photius par la culture géné-
rale de l'esprit, il le dépasse par la valeur morale et la suite qu'il apporte
dans sa conduite politique. Une fois celle-ci décidée, il ne s'en écarte plus et avec
une imperturbable décision il tend à son but sans se laisser troubler, encore moins
détourner, par les clameurs des intérêts qu'il menace et l'hostilité des opposi-
tions qu'il rencontre. En Orient comme en Occident il fait face à tous, sans com-
promis, sans concessions, avec une indomptable hauteur. Ce n'est pas lui qui a
imaginé ni inauguré la primatie pontificale, mais c'est lui qui en a montré les con-
ditions et les inexorables exigences. Grégoire VII et Innocent III achèveront
le monument tracé dès lors dans sa majestueuse et sereine ébauche. Nous le ver-
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 257
Le premier objectif de Photius fut, on le comprend, de faire
disparaître le principal obstacle à son élévation. On envoya à
rons agir dans les conflits avec l'Occident ; il apporte la même robuste vigueur
dans les conflits avec l'Orient. Son tempérament et son caractère le rendaient
impropre aux fourberies de la diplomatie ; par instinct et par réflexion, il
devait mépriser grandement des adversaires chez qui l'ingéniosité faisait
l'elïct de ruse et de trahison pour un homme tel que lui. Peut-être mé-
prisait-il trop, mais une telle erreur avait sa grandeur quand à toutes
les vilenies et aux combinaisons il opposait invariablement une loyauté et
une franchise qu'on ne peut prendre en faute. Ce dut lui être une amertume
profonde de vivre et de lutter en pleine imposture. Hincmar et Photius on1
gardé, à tort ou à raison, la réputation de faussaires éhontés et les apologies
ne sont pas parvenues à les blanchir complètement de cette vilaine accusation.
Il y a plaisir à assister aux tentatives de Photius pour s'attirer la bienveil-
lance du pape et en obtenir sa consécration, tentatives réduites à néant par les
raisonnements du bon sens de Nicolas. Les avances de Photius, les prévenan-
ces et la déférence qu'on témoigne soudain de Byzance au pape de Rome suffisent
à éveiller sa méfiance. Trompé dans son choix par la vénalité des légats, il n'est
pas de ceux qui n'avouent jamais leurs torts; il reconnaît qu'il s'est trompé, fait
condamner les deux évêques fripons, considère ce qui est arrivé parleur faute
comme un simple accident, reçoit l'appel du patriarche Ignace et évoque la
cause à nouveau. Photius avait eu bon marché des légats; il avait fait une école
humiliante pour vin tel compère. Ces légats n'étaient, soutient le pape, que de
simples enquêteurs, sans qualité pour juger du conllit, et pour porter une sentence
définitive qui n'appartient qu'à lui seul. Quoique le texte des instructions don-
nées aux envoyés prévaricateurs n'existe plus, il n'y a pas lieu de douter de cette
affirmation sur laquelle le pape revient avec insistance dans ses lettres posté-
rieures et qui se trouve consignée dans le texte officiel de la notice du Liber ponti-
ficalis. La distinction était capitale, désormais c'était entre Photius et Nicolas,
sans intermédiaire, que se viderait l'alïaire. Nicolas convoqua un concile au La-
tran, 863, se déclara suffisamment informé et jeta l'anathème sur Photius,
renouvela la sentence déjà ancienne contre son consécrateur, rétablit Ignace et
condamna les légats.
Ce n'était pas la première fois que le pape de Rome frappait son collègue de
Constantinople; chaque fois dans le passé un schisme plus ou moins passager
s'en était suivi, mais cette fois les temps étaient accomplis et les hommes étaient
de taille à vider l'antique rivalité si souvent renaissante et toujours ajournée.
A une longue série d'empiétements les papes répondaient par des concessions
partielles et d'irréductibles revendications. La thèse des byzantins revenait à
soutenir que le siège épiscopal de la nouvelle Rome jouissait de droits au moins
égaux à ceux du siège de l'ancienne Rome, et cette égalité devait entraîner un
partage territorial faisant la part des deux juridictions. Il y avait dans cette
théorie une réminiscence subtile de l'ancien droit qui conférait à la résidence im-
périale des droits exceptionnels découlant de la vertu divine attachée à la per-
sonne de l'empereur. Le siège de Rome avait bénéficié de cet écoulement au
temps où la capitale du monde et de l'empire se trouvait dans eetle ville, mais
CONCIL ES — IV — 17
258 LIVRE XXIII
Ignace, clans son exil, quelques évêques et mandataires qui lui
proposèrent en termes polis et formels l'abdication écrite. Cela
tout avait bien changé depuis le transfert de cette capitale sur les bords du Bos-
phore. A cette argumentation, les papes de Rome opposèrent le privilège atta-
ché à une institution bien antérieure à la conversion de Constantin et contempo-
raine du séjour et de l'établissement de saint Pierre à Rome. Au droit impérial et
païen on opposait une prétention d'ordre surnaturel et une origine historique.
Ainsi se formèrent peu à peu et se formulèrent assez rapidement deux concep-
tions antagonistes dont les divergences, s'aggravant à mesure qu'elles s'accen-
tuaient de siècle en siècle, aboutirent finalement d'une simple rivalité parti-
culière à des théories exclusives et incompatibles : l'une, faisant dériver de
l'institution mystique de saint Pierre la primatie romaine et la dépendance à
son égard des patriarcats; l'autre fondant la prééminence byzantine sur les
décisions des conciles et des rescrits impériaux.
Après la réunion du concile de 863 et la condamnation de Photius, le débat
prit une direction nouvelle. Quoique la lettre de l'empereur Michel au pape
Nicolas soit perdue, on peut en retrouver dans la réponse de ce dernier la contre-
épreuve et la contre-partie. Nicolas Ier, Episl., lxxxvi, P. L., t. exix, col. 926.
Le pape maintient sa décision à l'égard d'Ignace et de Photius ; il n'essaie pas
de lutter de grossièreté avec l'empereur qui lui a prodigué les injures, mais il
profite de la circonstance pour lui porter un coup droit : <c Cessez donc, lui dit-il,
de vous appeler empereur des Romains, puisque ces Romains ne sont pour vous
que des barbares. » Jusque-là en effet, les souverains de Byzance s'obstinaient
à revendiquer un titre que d'autres portaient en Occident. Dès le pontificat
de Nicolas, nous voyons dans le Liber pontificalis et même dans les chroniques
contemporaines que l'usage s'établit de n'appeler plus les souverains de Byzance
qu'empereurs des Grecs. C'était un nouveau fil qu'on coupait. En même temps
Nicolas revendiquait son droit de prononcer seul en dernier ressort dans les causes
ecclésiastiques des Orientaux ; car, seul, il pouvait donner leur force aux conciles
et leur autorité aux canons. Il y avait beau temps à Constantinople qu'on n'avait
lu rien de comparable venant du pape de Rome, et Photius dut commencer à se
clouter qu'il allait avoir affaire à forte partie. Il eut bientôt l'occasion de
s'en convaincre.
Le pape Nicolas ne se bornait pas à la défensive; comme tous ceux qui ont
le goût et le sens de l'action, il prenait l'offensive. Au fort de la lutte engagée entre
Rome et Byzance, tandis que les questions rituelles et disciplinaires masquaient
à peine d'une apparence religieuse la grande question politique engagée, les
incidents survenus chez les Bulgares obligèrent l'empereur à s'engager officielle-
ment dans le conflit et à prendre à son compte ce qui n'était encore en apparence
i| ii une querelle de gens d'Eglise.
Après bien des combats contre l'empire qu'ils avaient souvent inquiété et
dont ils avaient menacé la capitale, les Bulgares avaient désarmé et manifeste
l'intention de s'agréger à la foi chrétienne. Dans ce but, ils avaient demandé au
patriarche de Constantinople des prêtres pour les instruire. Nous retrouverons
plus loin le détail de cette affaire. Quoi qu'il en soit des ouvertures faites à Cons-
tantinople, le roiBogoris, mis au courant du conflit qui séparait l'Orient de l'Occi-
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 259
fait, le sacre de Photius devenait chose facile, car, à Constanti-
nople, on était depuis longtemps habitué à ce que les empereurs
L] fissent monter des laïques sur le siège patriarcal. Mais Ignace
refusa ; Photius ne s'en fit pas moins tonsurer le 20 décembre
857 ; les jours suivants, il reçut successivement tous les ordres,
et l'avant-veille de Noël il fut officiellement nommé patriarche
par un conciliabule tenu au palais impérial de Constantinople.
Enfin le jour de Noël il fut solennellement sacré par Grégoire
dent, se plaça de ce côté, s'adressa au pape Nicolas à qui cette fois il demanda
des évêques et des missionnaires pour instruire son peuple. Nicolas envoya aussi-
tôt une mission dont les membres, accueillis avec faveur, s'appliquèrent à effacer
tout vestige de l'enseignement donné précédemment par les moines de Byzance.
Déjà Nicolas avait envoyé au roi des Bulgares, Bogoris, le formulaire de la foi
romaine accompagné d'instructions qui combattent les prétentions byzantines
sans ménagements. Les envoyés pontificaux et leurs agents baptisèrent et con-
firmèrent de nouveau tous les Bulgares et substituèrent les rites latins aux
usages introduits à la suite des instructions de Pbotius. Us obtinrent même de
Bogoris le renvoi de tous les missionnaires byzantins.
Si ces procédés étaient de nature à blesser l'empereur de Byzance, du moins
avaient-ils l'avantage de ne laisser plus aucune hésitation sur la gravité du duel en-
gagé entre l'Occident et l'Orient.Pbotius ne pouvait manquer de tirer, pour sa situa-
tion si compromise, tout le parti possible d'un événement qu'il se hâta de présenter
comme une offense adressée au clergé byzantin tout entier, au peuple et à l'em-
pereur même. Le pape, qui n'avait sans doute pas prévu le débordement d'indi-
gnation vraie ou feinte qui accueillerait sa politique, ne dut pas être trop contra-
rié de voir la lutte engagée sur un terrain bien net. Il n'était l'homme des demi-
mesures et des demi-solutions à aucun degré et devait préférer la rupture ou-
verte à une entente déguisée. D'ailleurs peu fait pour les ruses, il retrouvait toute
sa supériorité dans les attaques et les ripostes à découvert, sa force contenue s'y
montrait à l'aise et sûre d'elle-même. Ainsi il amenait sur son propre terrain
tin adversaire qui n'y paraissait pas avec les mêmes avantages. Photius, plus ha-
bile dans l'intrigue, devenait inférieur à son antagoniste dès qu'il sortait des voies
fuyantes, à la force il ne pouvait opposer que la violence. Sa lettre encyclique
aux patriarches dans laquelle il engage décidément la guerre est tour à tour em-
phatique, grossière et enveloppe des griefs imaginaires dans un jargon d'une
prolixité tout orientale. Sur les griefs d'ordre disciplinaire, il n'y a pas lieu d'in-
sister ; le point de doctrine capital sur lequel Photius porte tout l'effort, c'est
l'hérésie romaine touchant la procession du Saint-Esprit. Cette manière d'élar-
gir un débat jxisqu'alors tout personnel et d'accuser l'Église d'hétérodoxie était
audacieuse et originale, c'était ouvrir une voie toute nouvelle, mais qui offrail
peu de chances de succès quand on allait rencontrer en l'ace de soi un adversaire
de la taille de Nicolas. Et il arriva, en effet, que le conciliabule byzantin qui ex-
communia le pape fut annulé, ses décrets abolis, ses actes détruits et nous
ne le connaissons aujourd'hui que par les allusions de quelques chroniqueurs
ennemis de Photius. Celui-ci avait joué de malheur. (H. L.)
260 LIVRE XXIII
Asbesta. archevêque de Syracuse x. Ce dernier, qui avait fui son
siège devant les invasions des Sarrasins, vivait depuis quelque temps
à Constantinople. Lorsque Ignace avait été ordonné patriarche,
il avait, on ignore pourquoi, défendu à Grégoire d'assister à sa
consécration. Grégoire en fut tellement irrité, qu'il jeta à terre
le cierge qu'il tenait à la main pour assister à la cérémonie, et,
dès lors, il répandit contre Ignace mille infamies, en sorte que
celui-ci dut prononcer la peine de la déposition dans plusieurs
conciles contre Grégoire et ses partisans, Eulampius d'Apamée
et Pierre de Sardes 2. Photius au contraire entretint des rela-
tions très amicales avec Grégoire Asbesta et, au rapport de
Nicétas, l'honora comme « un grand serviteur de Dieu » 3. Le
pape Nicolas Ier reprocha plus tard à Photius d'avoir compté
au nombre des schismatiques, lorsqu'il n'était encore que laïque 4.
Métrophanes dit, de son côté, que Photius, n'étant encore que
laïque, avait été excommunié par Ignace 5. Toutefois, comme
cette dernière accusation n'a jamais été renouvelée contre Pho-
tius, pas même au cours des procès qu'il eut à subir, on est porté
à interpréter les paroles de Métrophanes en ce sens, qu'Ignace
aurait menacé de l'anathème, s'ils persistaient dans leur obsti-
nation, tous les partisans de Grégoire, sans en excepter les laïques,
parmi lesquels Photius avait été compris, sans avoir cependant été
désigné nommément. L'affaire de Grégoire Asbesta est si inti-
mement liée à la question de la validité de l'ordination de Photius,
elle a été si souvent agitée par les deux partis, qu'il importe
de l'examiner attentivement, d'autant plus qu'elle soulève plu-
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1546; Mansi, op. cit., t. xv, col. 518 sq. Cette
violation des canons était chose courante à Constantinople, où on pouvait citer
les exemples de Nectaire, de Nicéphore, de Taraise. Les précédents eussent, avec
un peu d'adresse, fait excuser le fait qui venait de se produire, mais il eût fallu
y mettre quelque souplesse, car, en somme, Photius n'était pas l'homme du peu-
ple. L'empereur Michel, dans un de ses accès de lucidité, disait, paraît-il, en plai-
santant : « Constantinople a maintenant trois patriarches : Pryllos, mon bouffon,
est mon patriarche à moi, Ignace est celui du peuple, Photius celui de Bardas.»
L'affaire avait passé presque inaperçue. (H. L.)
2. Voir § 457; Nicetas, Vita Ignatii, dans Mansi, op. cit., I. xvi, col. 232; Har-
douin, op. cit., t. v, col. 961; Styliani, Epist., dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 427;
Hardouin, op. cit., t. v, col. 961 ; Hergenrôther, op. cit., t. i, p. 358 sq.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 961; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 233.
4. Voir § 477.
5. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1111 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 415.
1
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 261
sieurs difficultés, et n'a jamais, selon moi, été présentée sous son
vrai jour. Dans sa lettre neuvième à l'empereur Michel, le pape
Nicolas Ier parle assez longuement de Grégoire et nous apprend
32] que le patriarche Ignace chercha à faire confirmer à Rome sa
sentence de déposition contre Grégoire Asbesta, mais les papes
Léon IV et Benoit 111 remirent toute décision après l'audition
des deux partis. Ils n'avaient donc pas, à cette époque, confirmé
la déposition, s'étaient contentés d'engager les deux archevêques
à comparaître en personne <»u par procureur devant le Siège
romain, et à se soumettre à son arbitrage. Ignace, en effet,
envoya à Rome un représentant (le moine Lazare1), pendant
le voyage duquel Grégoire et son parti renversèrent Ignace.
En elïei Grégoire Asbesta, ayant appris par son représentant
Zacharie qu'on hésitait à Rome à confirmer la sentence por-
tée contre lui par Ignace, en conçut une telle vanité, qu'il
attaqua Ignace avec plus d'emportement que jamais et procéda
à l'ordination d'un autre é\ êque pour Constantinople. Si les papes
Léon et Benoit avaient connu la conduite de Grégoire et de ses
patisans, ils l'eussent immédiatement condamné; mais dans l'in-
tervalle ils étaient morts, et c'était maintenant au pape Nico-
las Ier, leur successeur, à connaître de cette affaire 2.
1. Nous connaisson> ce détail par Stylianus.
2. Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 184 sq. ; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv,
col. 228 sq. A la distance où l'on se trouvait, il fallait plus compter sur la perspi-
cacité personnelle que sur l'abondance des informations. Si Photius, avant de
s'être mesuré avec Nicolas Ier, se flattait de le berner, il put s'apercevoir que la
véritable supériorité consiste à pressentir ses adversaires. L'ambassade envoyée
à Rome pour expliquer la retraite forcée du patriarche Ignace, combler le pape
de présents et demander la réunion d'un concile destiné à mettre lin à l'hérésie
iconoclaste, était une grossière malice que la finesse romaine aurait vite percée
à jour. L'ambassade se composait de Méthode, métropolitain de Gangres, de
Samuel, évêque de Chôme, de Zacharie et Théophile d'Amorion, ces deux derniers
déposés par Ignace, et du protospathaire Arsavir, tous partisans fanatiques de
Photius. Le pape promit d'envoyer des légats, mais se réserva le jugement de
l'élévation de Photius d'après les résultats de l'enquête que feraient sur place
ces légats. C'était un premier échec. Nicolas s'était parfaitement rendu compte
que la déposition d'Ignace el l'élévation de Photius cachaient une de ces intri-
gues politiques si fréquentes à Byzancc, cependant il n'en laissa rien voir et, se
plaçant sur le terrain canonique le plus inattaquable, il fit désigner les légats
Rodoald et Zacharie par un concile romain (860).
« C'était là, évidemment, la meilleure solution provisoire, écrit M. A. Vogt,
op. cit., p. 205-206. D'une part, en effet, malgré toutes les apparences et certains
262 LIVRE XXIII
D'après cela, si Rome, à l'époque où nous sommes arrivés,
n'avait pas encore confirmé la déposition de Grégoire et de ses
faits contraires, Mansi, op. cit., t. xv, col. 171, on imputait à Ignace divers cri-
mes. Les uns disaient qu'il avait été l'élu de la puissance séculière (ibid.), les
autres qu'il se portait accusateur du patriarche Méthode; Photius le traitait de
détracteur de la mémoire du pontife défunt et disait qu'on devait le regarder com-
me un véritable parricide. Anastase, Préf. au VIIIe concile, Mansi, op. cit., t. xvi,
col. 3. D'autres l'accusaient même — et la chose pouvait ne pas manquer de
vraisemblance aux yeux de certains, vu les origines d'Ignace — de faire de l'agita-
tion politique. Enfin — et c'était le motif véritable — on lui reprochait son auto-
rité, son excessive raideur, ses idées de réforme et sa sévérité. Vita Ignatii, P. L.,
t. cv, col. 502. Or, ces attaques, ces irrégularités, ces fautes réelles ou prétendues,
Ignace devait les réfuter et les expliquer. Quant à Photius, il se trouvait en très
peu canonique posture. Contrairement à tous les usages, il avait subitement
et sans transition passé de la vie séculière — et d'une vie séculière qui n'était
pas exempte de tous reproches, Mansi, op. cit., t. xv, col. 194-259 ; Vita
Ignatii, P. G., t. cv, col. 512 — à la vie épiscopale, et cela uniquement grâce au
souverain ; il avait accepté un siège régulièrement occupé ; il avait usé de violence
pour obtenir l'abdication de son prédécesseur ; enfin, chose plus grave, c'était
un évêque plusieurs fois condamné : par un synode, par Ignace et par le pape,
Grégoire Asbesta, qui l'avait sacré. Comment, dès lors, en présence d'un tel con-
flit, agir autrement qu'en convoquant un concile dans lequel, des deux côtés, on
exposerait les faits, on expliquerait les événements, on se justifierait ? Malheu-
reusement, l'affaire déjà par elle-même assez compliquée, se trouvait encore
obscurcie par la division extrême des partis. Ignace avait pour lui — et ce devait
être aux yeux du pape, une bonne note — les moines qui défendaient dans le
patriarche un des leurs. Le Stoudion, à sa voix, s'était levé pour sa défense, et
son higoumène Nicolas avait souffert la persécution à cette occasion. P. G.,
t. cv, col. 908-909. Le moine Théognoste, de son côté, dès 861, Liber pontif.,
p. 187 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 369, était parti pour Rome et dans la déléga-
tion byzantine que le pape ne tarda pas à appeler à son tribunal se trouvaient
plusieurs religieux. Mansi, op. cit., t. xv, col. 211. Bien plus, le haut clergé lui-
même paraît avoir été, au début de l'affaire, partisan du vieil Ignace. Quelques
membres du synode, twy STnrr/.oTLOiv oî vo(AiÇ6[xevoi ).oyio:;, prélats de cour et de fidé-
lité douteuse, Vita Ignatii, P. G., t. cv, col. 505, se rangèrent bien, en vérité,
dès la première heure, du côté de Photius et s'en allèrent« à cause du malheur
des temps demander à Ignace une prompte abdication; «mais ce fut l'exception.
La majorité des évêques et le peuple, tout d'abord, lui restèrent fidèles. Anas-
tase", Préf. au VIIIe concile, Mansi, op. cit., col. 4. Les uns et les autres réclamè-
rent le retour du patriarche et la cessation des tourments qu'on lui faisait
subir. Le synode alla même, paraît-il, jusqu'à refuser de reconnaître Photius
et présenta à sa place trois autres candidats. Mansi, op. cit., t. xvi, col.
415. Malheureusement la résistance fut de courte durée. De concessions en
concessions, gagnés par des faveurs ou brisés par la crainte, les évêques, à
l'exception de cinq, acceptèrent tour à tour le fait accompli , à une condition
cependant : ils exigeaient qu'Ignace vécût honoré, qu'on ne fît rien contre sa
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOT1US 263
partisans, le pape Benoît n'en dut pas moins, conformément aux
règles canoniques, leur interdire toutes fonctions ecclésiastiques,
jusqu'à ce que le tribunal de seconde instance [nova audientia)
eût rendu son jugement. Ils étaient donc alors suspendus ab officio,
c'est-à-dire interdits, et c'est ce que le pape Nicolas dit à plusieurs
reprises, usant du mot obligatus, par exemple dans la phrase sui-
vante : Gregorius a synodo (celui d'Ignace) episcopatus officio
privatus et a decessore meo santas mémorise papa Benedicto obligatus
est 1. Pour s'exprimer d'une manière plus claire, il ajoute que
Grégoire et ses partisans avaient été condamnés préventivement
par Benoît, ne sacerdotale officium ante audientiam présumèrent.
Baronius est donc dans l'erreur, lorsqu'il prétend conclure de
ces passages que le pape Benoît avait formellement anathématisé
Grégoire2, et DuCange se trompe également lorsqu'il tient l'expres-
sion obligati pour synonyme de excommunicali. Dans cette ixe
lettre déjà mentionnée, le pape Nicolas Ier dit si clairement que
Léon et Benoît n'avaient pas confirmé la sentence d'Ignace, que
d'après lui, cet esprit de douceur du Siège apostolique aurait
exalté l'audace des ennemis d'Ignace et contribué à la chute de
2331 celui-ci. Il reproche aussi à Grégoire d'avoir, après sa déposition par
un concile (celui d'Ignace), continué, malgré les canons, à exercer
les fonctions ecclésiastiques, se privant ainsi de toute excuse. Nico-
las ne se serait pas contenté de parler du concile d'Ignace, il eût
mentionné sa confirmation par Rome et l'excommunication pro-
noncée contre Grégoire par le pape, si ces deux faits s'étaient
produits. Mais le pape Nicolas Ier ne dit-il pas : omnes enim
(ceux de Constantinople) illum (Grégoire) et depositum norunt et
anathematis çinculis obligatum, ac per hoc totius Ecclesiœ commu-
volonté et qu'on ne le molestât en aucune façon. Vita Ignatii, P. G., t. t. cv,
col. 513. Photius donna sa parole et l'accord se trouva ainsi réalisé quelques se-
maines durant. Mansi, op. ci!., t. xvi, col. 4. Le nouveau patriarche, dans l'espé-
rance de vaincre les dernières résistances, imagina de réunir un concile aux
Saints-Apôtres. Les Pères, habilement choisis et circonvenus, firent ce qui leur
fut commandé : ils déposèrent Ignace et l'anathématisèrent. Peine perdue !
Tandis que Métrophane et quelques amis se détachaient définitivement de Pho-
tius et le déposaient à leur tour dans un concile tenu par eux à Sainte-Irène,
la population continuait de se prononcer en faveur d'Ignace. C'est alors que par-
tit de Constantinople l'ambassade de 859 conduite par Méthode. .Mansi, op.
cit., t. xvi, col. 416, sq. (H. L.)
1. Nicolas Ier, Epist., vu, x. xi.
2. Baronius, Annales, ad ann. 856, n. 7.
204 LIVRE XXIII
nione privatum? Sans doute; mais il veut dire que, conformément à
l'ancien droit, Grégoire, condamné par son supérieur ecclésiastique
Ignace, qui avait prononcé contre lui l'excommunication et la dé-
position ne devait être désormais admis par personne à la com-
munion ecclésiastique, à moins qu'une nouvelle sentence rendue
par un tribunal supérieur n'ordonnât le contraire. On pourrait nous
objecter que notre manière de voir ne s'accorde pas avec le mot
concictus, dont le pape Nicolas se sert à l'égard de Grégoire, lors-
qu'il accuse Photius d'avoir reçu les ordres a Gregorio Syracusano
dudum episcopo, a synodo damnato et ab apostolica Sede convicto.
Mais de quoi donc Grégoire avait-il été convaincu par le Siège
romain, lorsqu'il ordonna Photius ? S'il eût été déjà convaincu
par Rome, on n'eût pas jugé nécessaire une nouvelle audientia.
Quand Nicolas rappelle la conduite de ses prédécesseurs dans
l'affaire de Grégoire, il ne dit rien qui implique que Grégoire ait
été convaincu par Rome. Toute difficulté disparaît, au contraire,
si nous lisons convinctus (lié, suspendu), mot identique à obligatus,
et indiquant comme lui une suspensio a sacris. Or le texte
primitif portait cette leçon et convictus vient d'une faute de
copiste, car la traduction grecque de la lettre papale, tra-
duction presque comtemporaine utilisée par le VIIIe concile
œcuménique, porte au passage en question Sea^eoôévTwv (de
Secj|xeu(o, lier, vincio) 1. La lettre de l'évêque Stylianus au pape
Etienne ne saurait infirmer notre explication ; on y lit : « qu'après
sa déposition et la sentence d'anathème prononcée contre lui
par Ignace, Grégoire Asbesta envoya à Rome des lettres et des
messagers pour y demander du secours. D'un autre côté, le pape
Léon avail ('gaiement conseillé à Ignace l'envoi à Rome d'un
député. Ignace envoya le moine Lazare, dont l'exposé fut si [234]
clair que le pape confirma la sentence d'Ignace contre les schis-
matiques. Ceux-ci importunèrent de nouveau le pape Renoit,
qui imita son prédécesseur et adhéra au jugement d'Ignace contre
eux2. » Stylianus était, il est vrai, un ami, un contemporain, on
pourrait presque dire un partisan dévoué du patriarche Ignace;
mais en sa qualité de Syrien, on s'explique qu'il n'ait pas été par-
faitemeul au courant des divers incidents qui précédèrent l'intru-
sion de Photius, de ceux en particulier qui se produisirent à
1. Mansi, <>/'. cit., t. xvi, col. 364; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1069.
2. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 'ii'T: Hardouin, up. cit., I v, col. 1122.
PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS
265
Rome, Il fut mieux informé de ce qui suivit; il n'avait évidemment
pas lu les décrets du pape à Ignace de Constantinople, et ne les con-
uaissiiii que par ouï-dire ; mais il savait que Grégoire était toujours
déposé en fait, que le pape lui avait interdit toutes fonctions
ecclésiastiques, et il en concluait, à tort, à la confirmation posi-
tive par liomede la sentence portée par Ignace.
Grégoire Asbesta était, on le comprend, disposé à s'employer
activement à la ruine d'Ignace ; il accepta donc de sacrer Photius,
quoique cet exercice des fonctions ecclésiastiques le mît en oppo-
sition avec les canons et avec la suspense temporaire prononcée
contre lui par le pape. Lorsque l'empereur Michel III annonça
à Rome l'élévation de Photius, il ne dit rien de l'évêque consécra-
teur, il en parle pour la première fois dans une lettre au pape
en 863. Comme on ne pouvait cacher l'incident, Michel et Photius
cherchèrenl à justifier la conduite de Grégoire qui, disaient-ils,
avait été injustement déposé par Ignace, mais que l'empereur
Michel et les évêques avaient de nouveau reçu à la communion.
Dans son epist. ix, le pape réfuta sans peine cet argument.
D'ailleurs plusieurs des évêques du patriarcat de Constanti-
nople, certains même de ceux qui se trouvaient dans la capitale,
n'avaient pas donné leur voix à Photius, dans le simulacre d'élec-
tion. La majorité (Métrophanes va même jusqu'à dire tous les
évêques ) -1 refusa longtemps de le reconnaître et choisit à sa place
trois autres candidats. Dans son ouvrage sur Photius, Jager se
35] demande comment ces évêques pouvaient reconnaître Ignace com-
me patriarche légitime, et lui choisir un successeur2. Mais si Mé-
trophanes dit la vérité sans chercher à s'excuser lui et ses amis,
on voit qu'Ignace admettait qu'on cédât à la force, et qu'on fît
choix d'un autre pasteur pour l'Eglise de Constantinople, à condi-
tion que celui-ci serait désigné parmi les amis d'Ignace avec lequel
il resterait en communion. A proprement parler, Ignace deman-
dait, par ces conditions, un coadjuteur. Il s'était en effet passé
quelque chose de semblable à Rome pendant la captivité du pape
Martin Ier 3. Mais, continue Métrophanes, les évêques, gagnés
successivement par toutes sortes de moyens, oublièrent leurs
promesses et leurs protestations solennelles, ils embrassèrent le
1. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 415; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1111.
2. J. N. Jager, op. cit., p. 25.
3. Cf. § 310.
266
LIVRE XXIII
parti de Photius, à l'exception de cinq parmi lesquels se trouvaient
Métrophanes et Stylianus. Cédant à la force, même ces cinq recon-
nurent Photius, à condition qui celui-ci resterait en communion
avec Ignace. Photius promit tout ce qu'on voulut, s'engagea par
écrit à regarder Ignace comme le plus irréprochable des patriar-
ches, à ne dire et à ne tolérer jamais rien contre lui. Sur ces assu-
rances, Photius fut reconnu par tous. Mais bientôt il retira sa
déclaration écrite et prononça la déposition d'Ignace. Tandis
que la majorité des évoques grecs supportait ce parjure, Métro-
phanes et ses amis se réunirent en concile dans l'église de Sainte-
Irène à Constantinople, déclarèrent Photius déchu du siège patri-
arcal, exclu de la communion de l'Église, et jetèrent l'anathème
sur celui d'entre eux qui entrerait en communion avec ce blas-
phémateur. On en pourrait conclure que tout l'épiscopat du
patriarcat avait été unanime dans ces résolutions ; mais Métro-
phanes ajoute immédiatement que les partisans de Photius tin-
rent de leur côté un concile dans l'église des Apôtres à Constan-
tinople et y renouvelèrent les sentences d'anathème et de dépo-
sition prononcées contre Ignace 1. Malheureusement les actes de
ces deux conciles ne nous sont pas parvenus ; ceux du dernier furent
brûlés plus tard avec d'autres documents des partisans de
Photius, par ordre du pape et de l'empereur Basile le Macédonien.
Depuis lors, on fit subir à Ignace plusieurs mauvais traitements :
afin de lui arracher une abdication; enchaîné comme un criminel, [236]
il fut relégué d'abord à Mytilène. Ses partisans, au nombre des-
quels se trouvait Métrophanes, furent également emprisonnés
et maltraités. Bardas, l'auteur de toutes ces violences, cherchait
à mettre entièrement sous sa dépendance le nouveau patriarche,
sa créature, et à lui enlever tout pouvoir ; Photius jugea opportun
de lui demander de modifier sa manière de faire. Us ne se brouil-
lèrent cependant pas, ayant trop de motifs d'unir leurs intérêts.
Ignace voulut faire connaître à toute la chrétienté par une en-
cyclique, l'injustice dont il était victime, mais ses lettres furent
interceptées et les deux clercs qui devaient en porter un exemplaire
à Rome, les livrèrent traîtreusement 2. Photius chercha alors de
1. Métrophanes. dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 415; Hardouin, op. cit., t. v,
col. 1111.
2. Ignace fit appel par deux fois au pape Nicolas Ier. Libellus de Ignatii causa
du moine Théognoste, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 1014. La pièce est de
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS
267
son côté à se faire reconnaître par Rome; de concert avec l'em-
pereur, il envoya au pape en 859, une ambassade comprenant
quatre évêques et le ministre impérial Arsaber, oncle de Photius.
L'ambassade devait remettre à Nicolas des lettres et de riches
présents l. Pour comprendre ce qui se rapporte à cette ambassade,
il ne faut pas perdre de vue sa double mission. Il fallait avant
861, c'est par erreur que Hardouin l'a datée de 869. Cf. P. Bernardakis, Les appels
au pape dans V Église grecque jusqu'à Photius, dans les Échos d'Orient, 1903, t. vi,
p. 254-257. (H. U)
1. Yita Nicolai, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 147, et P. L., t. cxxvm,
col. 1362. J'ai donné une description de ces présents dans Der Kirchenschmuck
de Laid et Schwarz, L858, i. tv, fasc. 2. Cet article rectifie le texte du Liber pontifi-
calis et le Glossaire de Du Cange; il est peut-être opportun de le résumer ici. C'était
une patène de l'or le plus pur avec diverses pierres précieuses blanches (pro-
bablement des diamants), vertes [prasinis, c'est-à-dire des émeraudes) et cou-
leur d'hyacinthe (des améthystes), de même, un calice d'or entouré de pierres
précieuses, et avec des améthystes rattachées par des fils d'or. Il est plus diffi-
cile d'expliquer les mots suivants : Et repidis duobus in typo pavonum cum sentis
et diversis lapibibus pretiosis, hyacinthis, albis. Du Cange lui-même n'a pu ex-
pliquer le mot repidis et s'est contenté Je reproduire mot à mot, dans son Glos-
saire, le passage qui nous occupe, sans y joindre aucune explication. A mon avis,
l'auteur a latinisé le mot grec çt-toiov, éventail ; rappelons-nous que, chez
les Grecs, pendant la messe, deux diacres se tenaient constamment à l'autel
avec des flabella pour chasser les mouches, etc. Ces éventails avaient ordinai-
rement la forme de queues de paon (in typo pavonum), et afin d'imiter ce qu'on
appelle les yeux de paon, on les avait ornés de petits écussons (cum scutis) ou de
diverses pierres précieuses blanches et bleues. Il est également nécessaire d'ex-
pliquer le passage qui suit dans le Liber pontificalis : Similiter vero et vestem de
chrijsoclavo cum gemmi.s albis habentem historiam Salvatoris, et beatum apostolum
Pelntm, et Paulum, et alios apostolos, arbusta et rosas, utraque parte altaris tegen-
les, de nomine ipsius imperatoris, miras, magnitudinis et pulchritudinis décore.
Disons tout d'abord qu'il ne s'agit pas ici d'un habit, par exemple d'une chasu-
ble pour le pape, mais bien d'une vestis altaris, c'est-à-dire d'un grand tapis
destiné à entourer l'autel. Ce vestis altaris n'est autre que le velamen ou le tetra-
vélum, dont il est question dans les Études sur l'autel chrétien (de Schwarz
et Laib, p. 25). Le tapis envoyé au pape était orné de bandes dorées (chryso-
clavus), de pierres précieuses blanches et de représentations en images. C'étaient
des scènes de l'histoire du Sauveur, les portraits des apôtres, en particulier de
Pierre et de Paul, et aussi des plantes (arbusta) et des roses. Par conséquent,
si l'on veut comprendre, dans le sens que nous indiquons, le passage du Liber
pontificalis, il faut lire utramque parlem altaris tegentes, et traduire : « Eux, les
ambassadeurs byzantins, couvrirent au nom de leur empereur les deux côtés
de l'autel avec cet ornement d'une grandeur et d'une beauté merveilleuse. » Celui
qui s'est rendu compte des nombreuses altérations que l'on constate dans le texte
du Liber pontificalis ne saurait être étonné de la rectification que nous proposons.
268 LIVRE XXIII
tout faire confirmer par Rome l'élévation de Photius sur le siège [237]
de Constantinople. Nicétas dit à ce sujet : « Photius avait mandé
au pape l'abdication volontaire d' Ignace devenu extrêmement âgé
et valétudinaire, sa retraite était dans un monastère, où il conti-
nuait à jouir de toutes sortes d'honneurs de la part de l'empereur,
du clergé et du peuple 1. » Cette phrase de Nicétas a été jus-
qu'ici diversement appréciée et a occasionné des hypothèses plus
ou moins soutenables. Nous possédons encore la lettre, fort digne
et très adroite, de Photius au pape 2 ; il y exprime son appréhen-
sion pour les fonctions ecclésiastiques et fournil en preuve de
son orthodoxie une profession de foi détaillée. Il ne parle d'Ignace
que dans ces mots jetés comme en passant : « Lorsque mon pré-
décesseur abdiqua sa dignité » (tyjç lO'.aù-.-qc, ûxs£eA0 ivxoç à£taç).
Comme cette lettre ne contient pas ce que, d'après Nicétas,
Photius aurait écrit au pape, Fleury a supposé l'existence d'une [238]
autre lettre de Photius, aujourd'hui perdue, et qui aurait contre-
dil les détails donnés par Nicétas. D'autres historiens, ne
rencontrant aucune trace de cette lettre, ont cru à une erreur
de Nicétas, d'autant plus que ce qu'il dit ne s'accorde guère
avec les première et dixième lettres de Nicolas Ier, d'après
lequel la lettre (aujourd'hui perdue) de l'empereur contenait
des accusations contre Ignace, avec l'apologie de Photius,
et cherchait à expliquer la déposition de l'un et l'élévation de
l'autre 3. D'après cela, l'empereur aurait parlé de déposition et
1. Mansi, op. cit., t. xv, col. 235; Hardouin, op. cit., t. v, col. 963.
2. On ne connaissait autrefois que la traduction latine de cette lettre,
faite par Baronius d'après un manuscrit grec de la Bibliotheca Columnensis et
insérée dans ses Annales (859, n. 61). L'original fut publié en 1706 dans leTojj.o; /apS;
édité en Valachie ; Jager l'a donné dans l'appendice de son Histoire de Photius,
2e édition, et l'a traduit en français, ibid., p. 34 sq. ; Damberger, Synchr. Gesch.
t. ni, p. 173, qui ne connaissait pas encore le texte grec, a supposé que cette
lettre n'avait pas été adressée au pape, mais aux patriarches orientaux. Her-
genrtither, op. cit., p. 467-671, en donne une analyse détaillée et la traduction
d'une notable partie.
3. Nicolas Ier, Epist., i et x, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 160 et 241, dans Har-
douin, op. cit., t. v, col. 119 et 197; H. Laemmer, PapstNikolaus der Erste und die
byzanlinische Staats-Kirche seiner Zeit, eine kirchengeschichtliche Skizze, in-8, Ber-
lin, 1857 ; J. Rocquain, Les lettres de Nicolas Ier, dans le Journal des savants, 1880,
p. 577-587, 630-647, 676-685; J. Roy, Principes du pape Nicolas Jer sur les rap-
ports des deux puissances, dans Etudes historiques du moyen âge dédiées à Gabriel
Monod, in-8, Paris, 1896, p. 95-105; M. Sdralek, Handschriftliche krilische Un-
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 269
non d'abdication volontaire d'Ignace. Mais le véritable point
de vue duquel il faut juger cette affaire, nous est indiqué par
lersuchiingen ïiber eine Gruppe von Briefen Papsls Nikolaus I, dans Archiv fin-
katholisches Kirchenrecht, 1882, t. xi/vn, p. 117-215; le même, De sancti Nicolai
P. P. I. epislolarum codicibus quibusdam manuscriptis, disserlalio, in-8, Wratis-
lavia-, 1882. Cf. H. Lammer, dans Archiv fur katholisches Kirchenrechts, 1882,
t. xi.viii, p. 470-574; Sdralek, Hinkmars von Reims, in-8, Freiburg, 1881, p. 177-
178; Ch. Bayet, Les élections pontificales sous les Carolingiens au vme et au ixe
siècle, dans la Revue historique, t. xxiv, p. 85 ; A. Thiel, De Nicolao papa I legisla-
tore ecclesiastico commenlationes cluse hislorico-canonicse, in-8, Bran nsbergœ, 1859
La correspondance de ce pape est une source capitale de renseignements pour
l'histoire de son règne, d'ailleurs assez court puisqu'il s'étend du 24 avril 858 au
13 novembre 867. Nous savons par la correspondance de Nicolas Ier que ce pape
gardait sur un registre le double des actes expédiés en son nom, ce en quoi il ne
Eaisait que suivre, ainsi qu'il le reconnaît lui-même, une très ancienne coutume
de l'Église romaine, coutume remontant au moins au temps de saint Grégoire Ier.
Le registre du pape Nicolas Ier disparut, ainsi qu'un grand nombre d'autres an-
térieurs à Innocent III (1198), dans des circonstances qui ne nous sont pas con-
nues : toujours est-il qu'au temps où le cardinal Deusdedit, contemporain de
Victor III (1086-1087), rédigeait son recueil de canons, il n'a pas tiré parti du re-
gistre de Nicolas dont il ne cite qu'une seule lettre, ce qui porte à croire que ce
registre avait dès lors disparu. Ce qui subsiste de l'œuvre épistolaire de ce pape
dans les manuscrits a fait l'objet d'un classement accompagné des incipit, dans
L. Chaillot, Analecta juris pontificii, Dissertations sur divers sujets de droit
canonique, Liturgie et théologie, Paris, 1868, t. v, fascicule 84, p. 47-176. Des
éditions des lettres sont données par Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 144 sq. ;
P. L., t. cxix, col. 769 sq. ; Jafîé, Regesla pontificum romanorum, 2e édit., t. i,
p. 341-368; Schneider prépare une nouvelle édition pour les Monum. Germanise
historica, dans la série des Epistolse. Un certain nombre de lettres sont disséminées
dans les ouvrages de Baronius, Muratori, D. Bouquet, Pertz; l'édition la plus
usuelle en attendant celle des Mon. Germ. hist., et en la supposant meilleure,
reste jusqu'ici celle de Migne, P. L., t. cxix, à laquelle il faut ajouter trois privi-
lèges omis dans ce volume et renvoyés dans le t. cxxix, col. 1011. Jafîé a donné
le sommaire des cent cinquante-neuf lettres existantes et de quelques autres per-
dues et connues seulement par les allusions qui y sont faites dans les Chroniques.
Dom P. Coustant s'était naturellement occupé de ces lettres tant pour en établir
l'exacte chronologie que pour déterminer le caractère des lettres perdues et classer
les variantes des manuscrits. Le même érudit avait non seulement rétabli le texte,
mais préparé les bases d'un commentaire historique tel qu'on pouvait l'attendre
dr lui. Ce sont des fragments de ce travail capital qui ont été publiés dans les
Analecta juris pontificii, 1868. Enfin on trouve une notice succincte et précise dans
J. Roy, Nicolas Ie1' in-12, Paris, 1900, p. 192-197, avec la mention des principaux
manuscrits.
Quoique incomplète, cette collection représente une des sources les plus im-
portantes de l'histoire de ce temps. Elle montre la place prise par la papauté dans
la chrétienté lors du grand désarroi qui suivit la mort de Charlemagne. Rome
270 LIVRE XXIII
la lettre du pape à l'empereur ; d'après cette lettre, voici
comment l'empereur aurait raconté les événements de Constanti-
avait été de tout temps un lieu de pèlerinage fréquenté, mais vers le pontificat
de Nicolas Ier, il semble qu'un redoublement de ferveur ou d'intérêt se dirige vers
elle. Rien de plus mêlé que la foule qu'on y voit apparaître dans la correspon-
dance papale : évêques qui s'acquittent de leur pèlerinage ad limina, Epist., cv,
et qui mettent à profit ce long déplacement pour obtenir quelques nouveaux pri-
vilèges à leurs Églises, Epist., xxix; prêtres et clercs qui viennent réclamer con-
tre la justice diocésaine, Epist., cxvu, cxxi; prince fugitif sollicitant la média-
tion du pape entre son suzerain et lui, Epist., xxn, xxm ; séculiers désireux
d'obtenir la protection du Saint-Siège sans passer par la filière hiérarchique,
Epist., xxm ; pénitents venant accomplir la peine à eux imposée par la cour
diocésaine, et criminels venant solliciter un châtiment non influencé par les res-
sentiments locaux. Epist., xxn, xxm, cxvi, exix, cxxxvi; enfin, évêques et
abbés, clercs et moi i.esvenant défendre des causes pendantes. Epist., xiv, xxxiv,
i., lu, lui. L'Occident n'était pas seul représenté ; l'empereur de Byzance
envoyait trois ambassades au pape, Epist., xcviii. Officiers byzantins aux
titres pompeux et passablement énigmatiques s'y rencontrent avec les comtes
envoyés par Charles le Chauve, Epist., clv, et les missi ou légats venus de
différentes [contrées. Le pape envoyait de son côté des légats, des ambassa-
deurs et entretient une correspondance étendue. A diverses reprises, il écrit à
Charles le Chauve, à Louis le Germanique, à Lothaire, au roi des Bretons, au roi
de Danemark, au roi des Bulgares et à l'empereur Michel III de Constantinople.
Sa correspondance avec les évêques est plus active encore, enfin quelques lettres
ut pour destinataires Ermentrude ou Theutberge.
1 a correspondance du pape est bien souvent écourtée faute de temps. La mul-
titude d'affaires qu'il avait à régler imposait à Nicolas Ier des réponses sommaires
faites en courant, cwsini. Epist., xvn, xxi, xxvn, xlvi, lxvi, lxxix, lxxxii,
lxxxv, clviii. Comme le porteur d'une lettre était généralement chargé de la
réponse, le pape réclame des délais. «Lorsque vous nous adresserez quelque mes-
sager, écrit-il à l'archevêque d'Arles, veuillez l'avertir qu'il ne doit point se
montrer pressé d'opérer son retour ; car, ainsi que vous le savez, la nécessité
de répondre aux nombreux fidèles qui affluent vers le Saint-Siège, jointe à la sol-
licitude que nous devons à toutes les Eglises de Dieu, nous absorbe de telle ma-
nière, que nous ne pouvons donner aux intérêts de chacun qu'une attention
tardive. » Epist., clviii. Dans une autre lettre le pape réclame que le porteur
fasse un séjour d'un mois au moins à Ruine, Epist., lxxxv, ou même plus. Epist.,
I.XXXVI.
La transcription des lettres sur le registre papal était une mesure de prudence
dont on eut souvent à vérifier l'utilité, mais c'était encore l'occasion de retards
nouveaux dans l'expédition. Sans doute, le pape était aidé de secrétaires; nous
c aissons trois d'entre ceux-ci qualifiés du Litre de conseillers, consiliarios
nostros, c'étaient Rodoaid, évêque de Porto, Jean, évèque de Fondi, et Arsène,
évêque d'Horta. Ce dernier remplissait les fonctions de chancelier de l'Église
romaine ou apocrisiaire. Epis/., xxi, lxxix. La correspondance mentionne
également quatre notaires, Pierre, Léon, Sophrone, Zacharie et leur primicier
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 271
nople. Ignace, conscient de son indignité, quitta de lui-même son
église ; on tint un concile et sa déposition fut prononcée. On voit
donc que, pour le fond, les renseignements donnés par Nicétas
sont vrais, sauf qu'il attribue à Photius ce qu'écrivit l'em-
pereur et qu'il rapporte l'abdication volontaire d'Ignace, sans
mentionner la sentence de déposition subséquente. Ce qu'il dit
des honneurs rendus à Ignace se trouve confirmé jusqu'à un cer-
tain point par cette phrase de la lettre de l'empereur : « On a
été, il est vrai, obligé de le déposer, mais, à part cela, nul ne l'a
molesté, au contraire on l'a honoré de toutes manières. » La lettre,
impériale accusait Ignace d'avoir participé à un crime de haute
Tibère. A ceux-ci appartenait l'expédition de certaines pièces de chancellerie,
Epist., ii, m, xxviii, xxix, xxx, xxxu, lxii, lxiii, cf. lxxvii, lxxxvii, mais
il y a lieu de croire que le pape les employait pour sa correspondance politi-
que. En effet, une lettre de Nicolas Ier à l'empereur Michel, en 865, l'une
des plus longues du recueil, a été écrite par les notaires (scrinarii) Pierre, Léon
et Zacharie. Epist., lxxxvi. Nicolas Ier employait des méthodes différentes
selon l'occasion, tantôt il dictait la lettre à un notaire, tantôt il se contentait
d'en tracer le canevas. Epist., lxxxvi, cf. xxvi. De même, dans la corres-
pondance avec Michel III, les circonstances pouvaient amener le pape à ne
pas laisser partir une lettre déjà écrite et à la faire remplacer par une autre.
Epist., lxxxvi. Pour les lettres destinées à plusieurs personnages, les notaires
apostoliques se contentaient d'une unique expédition ; la première personne
aux mains de qui elle parvenait était chargée de mettre le document en circu-
lation, Epist., xciii, cxlviii; il est vrai que l'ordre tardait parfois à recevoir
son exécution, comme dans le cas d'une lettre adressée à Hincmar pour que
celui-ci la transmît à divers destinataires et qui fut tenue secrète pendant
quatre mois, Epist., lxxiii, lxxiv. Bien souvent des lettres pontificales
furent falsifiées. Thieutgaud et Gûnther, Epist., clv, Hincmar, Epist., lviii,
cviii, Michel III, Epist., lxxxvi, n'hésitaient pas à user de moyens, tels que
grattages, substitutions de mots qui nous paraissent infâmes et qui, pour
les clercs du moyen âge, n'étaient que de légères peccadilles. On recou-
rait en pareil cas aux registres, ainsi que le pape en fait ressouvenir Hinc-
mar : « Lorsque vous saviez cjuc, selon une ancienne coutume de l'Eglise romaine,
nous conservons dans des registres la copie des actes expédiés par le Saint-Siège,
et que vous pouviez penser que nous avions vu de nos propres yeux une lettre
émanée de notre prédécesseur (Benoît III), comment n'avez-vous pas craint
de nous faire parvenir un titre ainsi mutilé ou falsifié ?» Epist., cviii. Toutes les
lettres sans exception n'étaienl pas ainsi conservées dans les registres. En diffé-
rentes circonstances, Nicolas !'''' mande soit à des prélats, soil à des princes, de
lui adresser des lettres qu'ils pourraient avoir conservées de lui ou de ses prédé-
cesseurs et qu'il n'avail pas lui-même. Sur l'état des recueils de registres sous
Nicolas Ier et l'utilisation que ce pape en a fait, cf. F. Rocquain, La papauté
au moyen âge, in-8, Paris, 1881, p. 20-22. (H. L.)
272
LIVHIÎ XXIII
trahison et d'avoir abandonné de plein gré son Église1; ces deux
griefs viennent en première ligne; nous en trouvons un troisième
dans la réponse du pape à l'empereur, trop négligée jusqu'ici :
« Le concile qui va se tenir à Constantinople par mes légats,
demandera compte à Ignace de n'avoir pas suivi les ordonnances
des anciens papes Léon IV et Benoît III. » Après ce qu'on a lu
au début de ce paragraphe, il semble évident qu'il s'agit ici des
décisions prises à Rome au sujet de Grégoire Asbesta ; ainsi
pour agir sur l'esprit des Romains, les Byzantins accusaient Ignace [23!)]
de désobéissance au Saint-Siège, alléguant son retard et sa
négligence à faire approuver à Rome sa conduite envers Gré-
goire Asbesta.
Afin d'atteindre le premier but de leur mission, c'est-à-dire
la confirmation de l'élection de Photius, les Byzantins crurent
habile de demander au pape (après la reconnaissance de
Photius) l'envoi de légats à Constantinople, en vue d'y résoudre
les divers conflits survenus, d'y étouffer les derniers restes de
l'iconoclasme,qui couvait encore sous la cendre 1. Photius comme
Ignace protégeait le culte des images, et son orthodoxie sur ce
point lui avait jadis attiré les anathèmes des iconoclastes. Par
ces témoignages de zèle contre les iconoclastes, Photius voulait
uniquement gagner le pape, qui, espérait-il, saisirait avidement
cette occasion d'envoyer des légats et d'intervenir dans les affaires
intérieures de l'Eglise de Byzance, afin d'affirmer, une fois de plus,
la primauté romaine. Le second but des Byzantins et leur calcul
secret étaient de prouver au monde entier, par l'envoi à Constan-
tinople de légats qui seraient en rapport avec Photius, la légitimité
du sacre de celui-ci et la futilité des attaques de ses adversaires.
Mais Nicolas n'était pas homme à se laisser berner ; peut-être
aussi lui avait-on déjà fait connaître, au moins en partie, le véri-
table état des choses 2. Il réunit aussitôt un concile romain
1. Nicolas Ier, Epist. i, x, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 160, 261; Hardouin,
op. cit, t. v, col. 119, 197.
2. F. Rocquain, La papauté'au moyen âge, Nicolas Ier, Grégoire VII, Inno-
cent III, Boniface VIII, études sur le pouvoir pontifical, in-8, Paris, 1881. Cf.
Elie Berger, dans la Revue historique, 1882, t. xx, p. 141-418; P. Fournier, dans le
Bulletin critique, 1883, t. iv, p. 423-427; Q. Saige, dans la Bibliothèque de V Écol-
des chartes, 1882, t. xliii, p. 367-372; A. Tachy, dans la Revue des sciences ecclé-
siastiques, 1883, série V, t. vin, p. 125-156, 206-224; P. Viollet, dans la Revue cri-
tique, 1882, IIe série, t. xvi, p. 64-67. Les critiques contenues dans ces recensions,
notamment celles du Bull, cril., sont utiles pour ramener à une plus exacte ap-
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 273
(860), communiqua à l'assemblée les lettres reçues de Byzanee,
et, avec son assentiment, envoya à Constantinople, en qualité
de légats a latere (nous rencontrons ici cette expression pour la
première fois dans l'histoire de l'Église), les évêques Rodoald de
Porto et Zacharie d'Agnani. Ils avaient mission d'enquêter minu-
tieusement sur l'affaire d'Ignace, et de communiquer fidèlement
et en détail au Saint-Siège le résultat de leurs recherches 1. Le pape
prédation une grande quantité d'opinions lancées sur le rôle de Nicolas Ier, rôle
apprécié avec plus de modération dans J. Roy, Saint Nicolas IeT, in-8, Paris,
1901. Cf. J. Richterich, Papst Nikolaus I. Eine Monographie. Inaugural-
Dissertation, in-8, Bern, 1903. Parmi les travaux d'ensemble on peut s'aider de
R. Baxmann,Z)ie Politik der Pàpste, t. n, p. 1-28; E. Dùmmler, Geschichte des
ostfrànkischen Reiches, 2e édit., t. n, p. 52-217; B. Niehues, Geschichte der Verhàlt-
nissen zwischen Kairsertum und Papslum im Miltelalter, t. n, p. 199-316;
Langen, Geschichte der romischen Kirche von Nikolaus I bis Gregor VII,
p. 1-113; A. Hauck, Kirchengeschichte Deulschlands, 2e édit., t. n, p. 533-557;
J. Richterich, dans la Revue internationale de théologie, t. ix, p. 560, 735; t. x,
p. 116, 512; t. xi, p. 46; H. Bôhmer, Nikolaus I, dans Realencyklopàdie fur pro-
test. Theol. und Kirche, 1904, t. xiv, p. 68-72. (H. L.)
1. L'addition qui se trouve dans l'epist. i du pape Nicolas : « Ignace a été chassé
avant qu'on eût formulé la moindre accusation contre lui, » n'a pas été écrite
avant l'exemplaire remis aux légats : elle n'a dû l'être que plus tard, lorsque le
pape rédigea cette epist. i et après avoir reçu d autres renseignements de Constan-
tinople. A l'époque où les légats furent envoyés, il ne connaissait pas encore ce
détail, ainsi que le prouve sa première lettre à l'empereur. [Nicolas continuait,
et avec plus d'énergie, la politique inaugurée par ses prédécesseurs. Il ne faut
pas oublier que sous le conflit de Photius et d'Ignace, les papes voyaient des in-
térêts très personnels à poursuivre, notamment en ce qui concernait l'affran-
chissement de l'Eglise de toute sujétion envers les pouvoirs temporels. Ce
qu'à grand'peine on avait arraché aux empereurs de Constantinople, le droit de
confirmer l'élection, allait-on le transférer bénévolement aux empereurs d'Occi-
dent ? Nicolas Ier se préoccupait vivement d'assurer la complète indépendance
de l'Eglise et des élections pontificales. C'est cette préoccupation qui explique
l'ardeur apportée par le pape à la défense des libertés de l'Église contre Photius.
L'ambition de ce dernier l'avait poussé à des maladresses qui faisaient au pape
la partie belle. Au nom des canons, il revendiquait son droit de juger Ignace de
Constantinople accusé et déposé de son siège. Ainsi, par une précipitation mala-
droite, l'empereur et Photius s'étaient exposés à entendre un pape revendiquer
sa suprématie sur ce même siège de Constantinople qu'on s'ingéniait depuis des
siècles à lui soustraire. Le débat intéressait donc non seulement l'indépendance
de l'Eglise, mais encore la primauté du pape; Nicolas Ier n'avait pu manquer de
s'en apercevoir et sa politique religieuse se trouvait pleinement d'accord en Occi-
dent et en Orient. La déposition du patriarche Ignace était un tissu d'illégalités.
Non seulement on avait négligé de recourir au pape, mais encore c'était l'empe-
reur Michel III lui-même qui avait dépossédé Ignace et réuni le concile dont la
CONCILES — 1 V— 18
274 LIVRE XXIII
se réserva le soin de prononcer le jugement. On ne reconnut
pas la légitimité du sacre de Photius que les légats reçurent ordre
de traiter comme un laïque. Ils n'étaient autorisés à agir sans
nouvelles instructions de Rome x que dans l'affaire des icono-
clastes. Le pape leur remit en même temps deux lettres, adressées [^OJ
l'une à l'empereur et l'autre à Photius, toutes les deux datées du
25 septembre 860. La lettre à l'empereur met en relief dès le début
les droits du pape, et blâme la déposition d'Ignace sans l'assen-
timent de Rome et dans un concile tenu à Constantinople ; « on
avait dans cette affaire, au mépris de tous les canons, ouï comme
témoins et accusateurs contre Ignace ses ennemis déclarés, ainsi
qu'il ressortait de la lettre de l'empereur. On avait également eu
tort d'élever un laïque sur le siège patriarcal, ce que les conciles
et les papes avaient défendu à plusieurs reprises (citations de
textes). Il attendrait, pour statuer sur la consécration de Photius,
le rapport de ses légats sur les événements de Constantinople :
on devait introduire Ignace en présence du concile que les légats
allaient tenir, et lui demander ses raisons pour avoir quitté de
son plein gré, par conséquent au mépris des canons, son Egli-
se, et transgressé les ordonnances des papes Léon IV et Be-
noît III. Il était également nécessaire d'examiner si les règles
canoniques avaient été observées dans l'acte de déposition d'I-
gnace.» Nicolas passe ensuite à la question des images et expose
rapidement son sentiment et celui de ses prédécesseurs sur cette
affaire. Enfin il demande restitution au Siège de Rome du droit
servilité lui avait accordé sans résistance les services qu'il en attendait. La dépo-
sition ainsi obtenue avait été signée par l'empereur passant avant tous les évê-
ques. Abstraction faite des questions qui touchaient à la primauté du siège de
Rome et de quelques manquements qui n'étaient pas incorrigibles, tels que l'ordi-
nation de Photius passant en six jours du rang de laïque à la dignité patriarcale,
les événements d'Orient entraînaient surtout l'avilissement de l'Eglise et sa sou-
mission au pouvoir séculier. C'était ce que Nicolas ne consentirait à supporter
à aucun prix.
Son choix tomba sur deux évêques qui se laissèrent corrompre. L'histoire de la
diplomatie pontificale depuis ses premières relations au ive siècle avec les évêques
de Constantinople offre plusieurs fois la répétition d'un fait de ce genre. Le per-
sonnel donl disposaient les papes était sans doute limité, mais néanmoins c'était
jouer de malheur. L'histoire diplomatique de Rome et de Byzance serait un cu-
rieux récit dont il n'existe que des chapitres disséminés. Voir Appendices. (H. L.)
1. Nicolas, Epist., i et x, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 160, 261, et dans Har-
douin, op. ciï.,rt. v, col. 119, 197.
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 275
enlevé par Léon l'Isaurien, de nommer l'archevêque de Thessa-
lonique, vicaire apostolique pour l'Épire, l'Illyrie, la Macédoine,
la Thessalie, l'Achaïe et la Dacie. Il réclame également les biens de
l'Eglise romaine situés en Calabre et en Sicile, dont l'empereur
s'est emparé. Enfin la pape revendique le droit d'ordonner l'ar-
chevêque de Syracuse 1.
La lettre du pape à Photius est beaucoup plus courte. Nicolas
y exprime sa joie de l'orthodoxie de Photius, regrettant toutefois
son ordination précipitée et contraire aux règles canoniques, ce
qui l'oblige à remettre la reconnaissance de sa consécration après
le rapport détaillé de ses légats 2.
Les légats, à leur arrivée à Constantinople, furent tenus éloignés
de toute communication avec les Grecs, afin de n'en obtenir
aucun renseignement utile. On employa à leur égard les moyens
r ji d'intimidation ; on les menaça de l'exil et d'autres peines, s'ils
n'accédaient aux désirs de l'empereur. Après trois mois de résis-
tance, les légats fléchirent et manquèrent à leur devoir3. Photius
réunit aussitôt, en présence de l'empereur, des légats, des grands
de l'empire et d'une foule de peuple, un prétendu concile général
dans l'église des Saints-Apôtres à Constantinople, au mois de mai
861. On y avait convoqué, pour ne pas dire conduit de force,
trois cent dix-huit membres, afin de pouvoir comparer ce conci-
liabule avec le concile de Nicée 4. Comme il comprend deux parties,
on a souvent parlé du premier et du deuxième concile de Photius
tenus en 861 ; le pape l'appela (epist. x) un nouveau brigandage.
L'assemblée se proposait de statuer solennellement et définiti-
vement au sujet du siège de Constantinople, soit en décidant
[gnace à l'abdication, soit en prononçant sa déposition. On
l'avait dans ce but amené à Constantinople, et il fut officielle-
ment cité à comparaître devant le concile, par une seconde
citation, indûment libellée au nom des légats du pape. Ignace
1. Nicolas Ier, Epist., 11, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 162; t. xvi, col. 59;
Hardouin, op. cit., t. v, col. 121, 802; Hergenrôther, op. cit., p. 415 sq.
2. Nicolas Ier, Epist., i et iv.
3. Nicolas Ier, Epist., vi et x; Nicetas, Vita S. Ignatii, dans Mansi, op. cit.,
t. xvi, col. 246; Hardouin, op. cit., I. v, col. 971 ; Hergenrôther, op. cit., p. 419.
4. Au sujet de ce concile voir Hergenrôther, op. cit., p. 420-438. [Labbe,
Concilia, t. vin, col. 652-653; 735-736, 1511; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1195;
Coleti, Concilia, t. x, col. 187 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 595 ; A. Vogt, Basile Ier,
p. 207-208. (H. L.)
27H i,i \ re xxiii
s'y rendit dans ses vêtements patriarcaux, entouré d'évêques et
de moines ; arrivé à pied dans l'église des Apôtres, un fonctionnaire
lui intima l'ordre de la part de l'empereur, et sous peine de mort,
de ne pénétrer dans l'assemblée que sous des habits de moine 1. Il
se soumit à la force, fut séparé de son cortège, et conduit devant
l'empereur par trois clercs, qui étaient au service du concile et
qui l'abreuvèrent d'injures 2. Le prince lui parla avec irritation
et lui ordonna de s'asseoir sur un simple banc de bois. Ce banc
était probablement dans la salle des sessions de l'assemblée, et
je ne partage pas l'opinion de Fleury, d'après lequel Ignace ne
fut mis en présence du concile que quinze jours plus tard. Il de-
manda avant tout de saluer les légats romains, et s'enquit s'ils ne lui
avaient pas apporté une lettre du pape. Les légats répondirent
qu'il n'était plus patriarche, ayant déjà été jugé par un concile
provincial, et qu'ils étaient prêts à examiner canoniquement son
affaire. Ignace répondit que leur devoir était d'éloigner Photius
l'intrus (il l'appelle adultère, pour avoir mis la main sur l'Eglise
de Constantinople avec laquelle Ignace avait contracté un mariage [242]
mystique). S'ils n'agissaient pas ainsi, il ne pouvait les reconnaître
pour ses juges. Après qu'Ignace se fut refusé à plusieurs reprises
à l'abdication, on leva la séance (première session). Ignace cité
à comparaître un autre jour s'y refusa, déclarant ne pas recon-
naître des juges corrompus et en appeler au pape. Il invoqua à
l'appui une lettre du pape Innocent Ier en faveur de saint Jean
Chrvsostome, le 4e canon de Sardique et d'autres pièces qu'il
avait fait remettre aux évêques dans l'intérêt de sa défense.
Sur de nouvelles instances pour qu'il comparût en personne, il
se rendit dans l'assemblée et dit : « Vous n'avez donc pas lu les
1. Nicetas, Vita S. Ignatii, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 238; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 966.
2. De tous les griefs formulés contre Ignace, on en retint un seul et on lui
appliqua le canon 31e des canons apostoliques:» Quiconque aura obtenu une
dignité ecclésiastique au moyen des dépositaires du pouvoir civil devra être dé-
posé. » Par force, on le contraignit à tracer une croix sur un acte d'abdication
auquel on ajouta : « Moi, très indigne Ignace de Constantinople, je reconnais
être devenu évêque sans élection, ityrffioToç, et j'avoue également avoir...
gouverné non pas d'une manière sainte, mais d'une façon tyrannique. » Vita
Ignatii, P. G., t. cv, col. 521. On chercha à s'en débarrasser, Ibid., col. 513,
en lui faisant crever les yeux. Ibid., col. 521-524. Cf. P. Bernardakis, Les appels
au pape dans l'Eglise grecque jusqu'à Photius, dans les Echos d'Orient, 1903,
t. vi, p. 254-257. (H. L.)
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 277
canons? D'après eux, un évêque ne peut être cité à se rendre
devant un concile que par deux autres évêques. Vous, au contraire,
vous m'envoyez simplement un sous-diacre et un laïque. » On
lui répondit : <c Tu n'es pas évêque légitime, tu es intrus, arrivé
par la puissance de l'empereur, à la place que tu occupais. » Il
répliqua : « Si je ne suis pas archevêque, tu n'es pas empereur,
et ceux-ci ne sont pas des évêques, car je vous ai tous ordonnés;
Photius non plus n'est pas évêque» (ayant été élu par ceux qu'I-
gnace avait ordonnés). Après quelques attaques contre Photius,
Ignace demanda à tous les évêques présents d'attester qu'il avait
été élu et ordonné d'une manière légitime ; mais ils n'osèrent
pas sachant ce qu'il en avait coûté au métropolitain d'Ancyre
pour avoir tenu un langage courageux. Aussi se bornèrent-ils à
exhorter Ignace à l'abdication. On annonça une nouvelle session
pour le lendemain ; mais Ignace ne comparut devant le concile
que dix jours plus tard l. Soixante-douze témoins de basse
condition, et dont plusieurs avaient été gagnés à prix d'argent
ou par d'autres moyens, attestèrent sous la foi du serment qu'I-
gnace avait été ordonné sans vote préliminaire (des évêques), et
mis en possession de son siège par la force. Aussi lui appliqua-
t-on le 31e (29) canon apostolique, ainsi conçu : « Quiconque
aura obtenu une dignité ecclésiastique grâce aux dépositaires
du pouvoir civil, devra être déposé. » Nicétas dit que, pour
être logiques, les membres du concile auraient dû donner aussi
3J la seconde partie de ce canon : « Celui qui aura été en commu-
nion avec un tel homme sera lui-même excommunié ; » ils se
seraient anathématisés eux-mêmes, ayant été onze ans en rela-
tions ecclésiastiques avec Ignace. Nicétas ajoute que cette accu-
sation n'avait aucun fondement, puisque Ignace avait été élu
par le choix unanime des évêques et l'assentiment de tout le peu-
ple.
Le concile procéda ensuite à la dégradation d'Ignace. On le
revêtit de ses habits pontificaux déjà déchirés et couverts de
poussière; on lui mit l'étole, puis on lui enleva le tout en criant
àvâ^ioç, les légats du pape criant comme les autres. Il ne
restait qu'à faire souscrire Ignace à sa déposition. On usa, pendant
1. Nous puisons tous ces détails dans une lettre écrite par Ignace lui-même,
par l'intermédiaire du moine Théognoste, qui la fit parvenir au pape; dans Mansi,
op. cit., t. xvi, col. 259 sq. ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1014 sq.
278 LIVRE XXIII
deux semaines, de toutes sortes de moyens pour l'y amener ; il
refusa constamment, et l'un de ses gardiens nommé Théodore
dut lui tenir de force la main pour lui faire tracer une croix au
bas de l'acte d'abdication. Photius y ajouta : « Moi, très in-
digne Ignace, je reconnais être devenu évêque sans élection pré-
liminaire, et j'avoue également avoir gouverné, non d'une ma-
nière sainte, mais d'une façon tyranique. » Ignace sortit de
prison, et on le laissa quelque temps tranquille dans la maison
dont il avait hérité de sa mère. C'est probablement alors qu'il
envoya à Rome le document composé avec le secours de Théo-
gnoste et dont nous avons déjà parlé. On voulut le faire compa-
raître une fois de plus devant le concile pour lire, du haut de
l'ambon, sa sentence de déposition. On devait ensuite lui crever
les yeux; mais il prit la fuite lors de la Pentecôte (25 mai 861), et
se cacha successivement dans des îles, des monastères, des caver-
nes, des déserts, pourchassé comme une bête fauve par les limiers
de l'empereur, qui souvent ne surent le reconnaître quand ils
se trouvèrent en sa présence. Au mois d'août 861, un tremble-
ment de terre violent et prolongé ayant ébranlé Constantinople,
le peuple y vit une punition divine des mauvais traitements infli-
gés à Ignace ; celui-ci eut la permission de revenir, et dès lors
vécut en paix dans son monastère 1.
Le pape Nicolas désirait que l'empereur communiquât au con-
cile la lettre du Siège de Rome ; dans le cas contraire Nicolas
avait recommandé à ses légats d'en donner lecture, et les avait,
à cette fin, pourvus d'une copie très exacte. Mais tant qu'il
s'agit du jugement d'Ignace, l'empereur et les légats tinrent [244]
secrète la lettre du pape ; ils la lurent dans la seconde période
du concile, dans le conventus ou concilium tenu plus tard, ainsi
que s'exprime le pape Nicolas (epist. x), et encore ne présentèrent-
ils à l'assemblée qu'un exemplaire tronqué dans lequel on avait
pratiqué arbitrairement des additions, des changements ou des
coupures, si bien qu'il n'y était plus question d'Ignace. On avait,
en particulier, supprimé les passages dans lesquels le pape blâ-
mait la déposition d'Ignace faite d'une manière peu canonique
1. Nicetas, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 238-246; Hardouin, op. cit., t. v,
col. 966-971. Voyez Jos. Simon Assemani, Biblioth. juris Orient., t. i, p. 124 sq. ;
Baronius, Annales, ad ann. 861, n. 1 sq.; Hergenrôther, op. cit., p. 434 sq.
460 sq.
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 279
et sans l'assentiment de Rome, ainsi que l'élévation irrégulière
de Photius. Les actes du conciliabule de Constantinople envoyés
à Rome prouvaient que les choses se passèrent ainsi 1. Les déci-
sions prises dans le second corwentus au sujet des iconoclastes
séparées des décisions du premier concile, furent également
envoyées au pape ; mais elles sont malheureusement perdues,
ainsi que les premières (il est difficile d'admettre, avec quelques
historiens, que les partisans d'Ignace aient fait disparaître ces
pièces). Aussi ne possédons-nous de ce conciliabule que dix-
sept canons 2.
Les six premiers traitent de la réforme de la vie des moi-
nes ; le 7e défend aux évêques de fonder des monastères, en
les dotant avec les biens des églises, parce que plus d'un évêque
a ainsi ruiné le patrimoine de ses églises. 8. Quiconque s'est
mutilé lui-même ne peut, conformément aux canons ecclé-
siastiques, devenir prêtre. 9. Les clercs ne doivent châtier que
par des paroles et non par des coups : conformément aux pres-
criptions du 28e (26e) canon apostolique. 10. Conformément au
73e (72e) canon apostolique, quiconque se sera approprié ou un
vase sacré, ou un ornement d'église, ou un linge d'autel, etc., et
l'aura employé à des usages profanes, sera déposé. 11. Aucun
clerc ne doit accepter de charges civiles. 12. Aucun ne doit célé-
brer dans des chapelles privées sans la permission des évêques.
13. Aucun prêtre ou diacre accusant son évêque d'un délit, ne
doit abandonner sa communion avant que l'évêque ait été jugé
par une sentence synodale. 14-15. Il en sera de même de l'évêque
à l'égard de ses métropolitains et des patriarches à l'égard les
uns des autres (stipulation favorable à Photius, qui voulait
amener par là le clergé à le reconnaître). 16. On ne doit ins-
tituer un nouvel évêque pour une Église, si l'évêque posses-
seur de cette Eglise vit encore et exerce ses fonctions. On excepte
les cas où l'évêque abdique de lui-même ou est légitimement
5.5] déposé. Si, sans abdiquer, un évêque abandonne son Eglise
et s'absente pendant six mois, il sera déposé, et un autre sera
élu à sa place (on voulait, par ce canon 16e, reconnaître le
principe énoncé par Rome, sans toutefois renoncer à défendre
1. Nicolas Ier, Episl., x, dans Mansi, op. cit.. t. xv, col. 242-244 ; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 198 sq.
2. Dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 535 sq. ; Hardouin. op. cit., t. v, col. 1197 sq.
280
LIVRE XXIII
l'élévation de Photius, et pour cela on prétendait qu'Ignace
avait abdiqué de plein gré, c'est-à-dire s'était volontairement
éloigné de son siège). 17. Aucun laïque ou moine ne doit
être élevé trop rapidement à l'épiscopat et avant d'avoir subi de
longues épreuves. Si jusqu'ici quelques hommes de distinction
ont été, pour de graves raisons, déclarés immédiatement dignes de
l'épiscopat, il ne devra plus en être ainsi à l'avenir (ici on adhé-
rait au principe émis par Rome, sans renoncer à sauver Photius).
De retour à Rome, les légats du pape dirent que la dépo-
sition d'Ignace avait été confirmée à Constantinople et que
Photius avait été reconnu par tous. Ils n'ajoutèrent rien sur la
manière déplorable dont ils avaient rempli leur mission. Deux
jours plus tard arriva à Rome, en qualité d'ambassadeur de son
maître, le secrétaire intime et impérial Léon, porteur des lettres
de Photius et de l'empereur, et de deux volumes séparés conte-
nanties actes des assemblées tenues au sujet d'Ignace et sur la
question des images 1. La lettre de l'empereur au pape est perdue,
nous ne la connaissons que par la réponse de Nicolas; en revan-
che, nous possédons la longue lettre de Photius, vrai modèle de
finesse byzantine et d'éloquence 2.
Elle commence ainsi : « Rien n'est si précieux que l'amour ;
il enseigne, par exemple, aux inférieurs à supporter les caprices
de leurs supérieurs 3. Il empêche la division de s'introduire dans
les familles... C'est aussi l'amour qui me détermine à ne pas
discuter les reproches de Votre Sainteté. Ornée de tant de qualités,
elle aurait dû considérer avant tout que je n'ai accepté ce joug
qu'à contre-cœur, et, au lieu de blâme, elle aurait dû me témoi-
gner de la compassion. On m'a fait violence, on m'a emprisonné
comme un criminel, on m'a élu malgré mes protestations. J'ai
abandonné une vie tranquille pour l'échanger contre une existence
pleine de labeurs. » Photius décrit ensuite, sur le ton d'une idylle, [266]
1. Nicolas, Epist., x, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 243; Hardouin, op. cit.,
t. v, col. 199.
2. Elle est en latin dans Baronius, Annales, ad ami. 861, n. 34 sq. ; elle a été
publiée pour la première fois en grec dans le 'Yop.o: •/apâ; et réimprimée dans l'ou-
vrage de l'abbé Jager, op. cit., 439, qui l'a traduite en français, p. 59. On la trouve
aussi en allemand dans l'analyse détaillée d'Hergenrôther, op. cit., t. i, p. 439
sq.
3. Phrase insidieuse ! Le pape pouvait conclure de là que Photius le regardait
comme son supérieur, et cependant Photius ne le disait pas.
'H'.'j PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 281
les charmes de sa vie antérieure; il parle de sa gloire comme savant
et comme docteur, et y oppose les soucis de sa nouvelle position,
qu'il est prêt encore à abandonner volontiers. On lui reproche,
continue-t-il, d'avoir par son élévation trop rapide, agi en oppo-
sition avec les canons; s'il en est ainsi, ce n'est pas à lui qu'il faut
s'en prendre, c'est à ceux qui l'ont promu malgré lui. Il avait
vigoureusement résisté, et si sa mort avait dû être utile à l'Eglise,
il se serait volontiers laissé tuer, plutôt que d'accepter cette charge.
Mais les canons en question n'ont jamais été reçus à Constanti-
nople, et Tarasius, son grand-oncle, ainsi que Nectaire, les lu-
mières de l'Église grecque, ont été élevés sans transition de la
condition laïque à l'épiscopat. Viennent ensuite d'autres exem-
ples : ainsi celui de saint Ambroise. Il ne faut pas oublier
que dans diverses parties de l'Eglise on trouve des diiférences,
sans que l'unité ait à en souffrir. Chez les Latins, par exemple,
les ecclésiastiques laissent croître la barbe et les cheveux, ce qui
est défendu chez les Grecs. De même, les Latins ont une manière
particulière de jeûner ; leurs prêtres observent le célibat et
ils ordonnent les diacres à l'épiscopat per saltum. Les diffé-
rences au point de vue liturgique sont beaucoup plus nombreuses
(Photius en a fait plus tard aux Latins de très vifs reproches).
Si on compare les accusations portées contre lui avec les points
qu'il vient d'énumérer, il est facile de constater son entière inno-
cence. Certaines des actions qu'il vient de citer sont tout à
fait défendues; d'autres au contraire (ce qu'on lui reproche),
se rencontrent dans la vie des hommes les meilleurs et les plus
dignes d'éloges, par exemple Tarasius, etc. :. De fait, on a tou-
jours agi ainsi; et on à pu l'affirmer en toute sincérité, il en a
été de même cette fois (pour l'élection de Photius). Celui-là du
reste mérite l'estime qui, sans être clerc, a vécu de telle sorte
que les clercs l'ont préféré à tous leurs collègues. Il y a, au
contraire (chez les Latins), des pratiques différentes qu'on ne
peut suivre sans péché ; mais on ne veut pas convenir que
cette manière de faire soit gravement désordonnée. Tel l'abus du
chrétien qui observe le sabbat et tient le mariage pour défendu,
(Photius interprète ici d'une manière fantaisiste le célibat ecclé-
siastique et le jeûne du samedi chez les Latins ; il insinue contre
1. Cf. § 482.
282
LIVRE XXIII
Rome des accusations qu'il reprendra plus tard si son élévation
au patriarcat est contestée). Du reste, pour donner au pape des
preuves de son obéissance, il a pris soin de faire sanctionner [247]
par un concile général (c'est-à-dire son conciliabule) le prin-
cipe romain : à savoir qu'aucun laïque ne doit être élevé à
l'épiscopat, ce dont on fait une règle ferme pour l'avenir. Quel
bonheur pour lui si cette règle avait été en vigueur à Constan-
tinople (il ne serait pas devenu évêque) ! L'Église de Constan-
tinople est remplie de pécheurs, de schismatiques, d'héréti-
ques. A l'aide des légats du pape, on a pris en main les inté-
rêts de cette Eglise ; non seulement on a réglé l'élévation à
l'épiscopat, mais on a reçu d'autres canons de Rome pour
faire honneur à l'Eglise romaine, qui a toujours su éteindre
tous les schismes. Ce concile aurait reçu toutes les règles pro-
posées par le pape, si l'empereur y avait consenti. Quant
aux évêques autrefois ordonnés à Rome 2, les légats deman-
daient à ce qu'ils fussent rattachés, comme autrefois à cette
Eglise. Photius était tout prêt à faire cette concession au
pape; malheureusement, des considérations politiques et terri-
toriales s'y opposaient ; les légats donneraient sur ce point des
explications nécessaires. Il allait oublier un détail. Plus on est
élevé en dignité, mieux on doit observer les canons. Le pape
ne devait donc recevoir aucun de ceux qui se rendaient de
Constantinople à Rome pour y semer la discorde, des litterse
commendatitiœ. Des malfaiteurs de toute sorte avaient récem-
ment pris la fuite sous divers faux prétextes (par exemple,
qu'ils ne voulaient pas être en communion avec Photius), en
réalité, afin d'échapper à la peine qui les attendait. »
Au reçu de cette lettre, le pape réunit son clergé en concile
1. La traduction latine qui se trouve dans Baro nius, loc. cit., rend aoroOsv par
ex se, et de même Jager traduit : « qui ont été ordonnés de leur propre autorité ; »
la première traduction est aussi fautive que la seconde.
2. On a ici en vue les métropolitains de Thessalonique, Syracuse, etc
Jager, op. cit., p. 73, croit au contraire qu'il s'agit des clercs ordonnés par
Ignace pour les Bulgares, mais il se trompe. D'ailleurs il dit à la page 130
que les Bulgares avaient, en 864, demandé pour la première fois les prê-
tres de Constantinople. Dans la première édition nous avions traduit ào7o*kv
par « d'ici », c'est-à-dire de Constantinople. mais Hergenrôther, op. cit.,
p. 456, a donné à ce mot son véritable sens et nous nous sommes rangé à son
avis.
464. PREMIERS CONCILES AU SUJET DE PHOTIUS 283
ou consistoire 1, en présence des ambassadeurs de Byzance,
[248] et déclara solennellement que ses légats n'avaient pas reçu pou-
voir pour juger Ignace; en conséquence il ne reconnaissait pas
plus sa déposition que l'élévation de Photius.
Le pape s'exprima dans le même sens dans ses lettres à l'em-
pereur et à Photius (epist. v et vi), remises aux envoyés de
Byzance. Elles sont datées des 18 et 19 mars 862 2. Le pape
déclare à l'empereur qu'il ne peut confirmer la déposition d'Ignace
et l'élévation de Photius. Ignace était, depuis douze ans, l'objet
«les éloges de l'empereur et de tous les conciles grecs, et main-
tenant on voulait subitement le condamner. Une comparaison
entre Ignace et Photius serait toute en faveur du premier. On avait
tort d'en appeler aux précédents de Nectaire et d'Ambroise; sans
doute ils avaient été subitement, élevés de la condition laïque
à l'épiscopat; mais la situation était bien différente et notam-
ment, les sièges à remplir étaient vacants. De ce que le concile
(de Photius) à Constantinople comptait trois cent dix-huit mem-
bres, comme celui de Nicée, on n'en pouvait rien conclure pour
la valeur de ses décrets. Au contraire, on devait d'autant plus
déplorer qu'un si grand nombre d'évêques eût participé à de si
regrettables décisions. L'empereur écrivait que les légats du
pape avaient regardé la consécration d'Ignace comme non
valide ; mais les légats avaient excédé leurs pouvoirs, et le pape
rejetait leur jugement. Il appartenait à l'empereur de ne pas
laisser quelques personnes (Phptius et ses amis) troubler l'Eglise
et amener un schisme 3.
Nous avons dit que cette réponse du pape permet de conjec-
turer le contenu de la lettre de l'empereur à Nicolas. Le prince
y présentait aussi le conciliabule de Constantinople comme
un tribunal institué par le pape lui-même 4.
Dans sa lettre à Photius, Nicolas s'applique à faire ressortir
1. Ce qu'on appelle maintenant consistoire, dans l'Église de Rome, s'appelait
autrefois concile romain.
2. A la fin de la lettre à l'empereur, il faut corriger indict. ix et lire indict. x;
c'est ce que prouve suffisamment la comparaison avec la lettre du pape à Photius
et la lettre ad ovines fidèles. Cf. Pagi, Critica, 1689, ad ann. 862, n. 2.
3. Nicolas Ier, Epist., v, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 170 ; t. xvi, col.
6't; Hardouin, op. cit., t. v, col. 129, 807.
4. Cf. Nicolas Ier, Epist., x, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 242; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 198.
284
LIVRE XXIII
la primauté du Saint-Siège. C'est à tort que, dit-il, pour justi- [249]
fier son ordination par trop prompte, Photius invoque les exem-
ples de Nectaire, de Tarasius et d'Ambroise. Nectaire avait été
choisi faute de clercs capables, Tarasius. parce qu'il était le
plus intrépide champion contre les iconoclastes, enfin Ambroise
parce que des miracles avaient témoigné en sa faveur. Le pape
ne pouvait croire que l'on ignorât à Constantinople les canons
de Sardique défendant les ordinations accomplies en dehors des
délais ordinaires. Il blâme ensuite la dureté avec laquelle Photius
s'est conduit vis-à-vis d'Ignace ; il refuse d'approuver ce qui
s'est passé, se plaint de la conduite de ses légats et de la fal-
sification de sa lettre à l'empereur 1.
Le même jour, 18 mars 862, Nicolas adressa une lettre ad omnes
fidèles, en particulier aux patriarches d'Alexandrie, d'Antioche
el de Jérusalem, pour dénoncer à toute la chrétienté ce qui se
passait à Constantinople et surtout la conduite de Photius. Le
pape déclarait tenir toujours Ignace pour évêque légitime de Cons-
tantinople et réprouvait Photius 2.
465. Conciles au sujet de Jean, archevêque de Ravenne.
Avant, la publication de cette dernière lettre el dès l'année
861, il s'était tenu quelques conciles qui ont droit à notre atten-
tion. Au mois de novembre, un concile romain eut à décider au
sujet de Jean, archevêque de Ravenne3. C'est par la Vita Nieolai I,
dans le Liber pontificalis, que nous avons connaissance de ce
concile, et de la conduite assez peu canonique de l'archevêque de
Ravenne 4. De plus, divers manuscrits, d'une valeur très inégale,
1. Mansi, op. cit., t. xv, col. 174; t. xvi, col. 68 ; Hardouin, op. cit., t. v, col.
132, 811.
2. Mansi, op. cit., t. xv, col. 168; Hardouin, op. cit., t. v, col. 127.
3. Coll. regia, t. xxn, col. 733 ; Ughelli, Italia sacra, 2e édit., t. n, col. 346-
350; Labbe, Concilia, t. vm, col. 736; Agnelli, Liber pontif. Ravennat., 1708,
t. m, p. 80-90 ; Coleti, Concilia, t. x, col. 187; Mansi, Concilia, Supplem., t. i,
col. 983 ; Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 598 ; Jafïé, Regest. pontif. roman.,
2e édit., p. 343-344 ; A. Verminghoff, Verzeichnis, dans Neues Archiv, 1901,
t. xxvi, p. 629-630. (H. L.)
4. Cet épisode de Jean de Ravenne est assez significatif de l'attitude générale du
465. CONCILES AI SUJET DE JEAN DE RAVKNNE 285
nous ont conservé les actes de la dernière session de ce concile
dont Antoine Zaccaria et Mansi ont donné une très bonne édi-
tion. L'archevêque Jean avait opprimé le peuple et le clergé,
porté préjudice aux biens de l'Église, banni arbitrairement plu-
sieurs ecclésiastiques, en avait jeté d'autres dans d'épouvantables
cachots. Les avertissements du pape étaient restés sans effet et
semblaient, au contraire, exciter le coupable à commettre de
[250] plus grands attentats; ainsi, il commença dès lors à mettre la
main sur les possessions de l'Eglise romaine, méprisa les ambas-
sadeurs du pape, déchira les documents qui témoignaient en faveur
de la possession de Rome, jusqu'à ce qu'enfin il fût excommu-
nié par le pape Nicolas Ier, qui l'avait par trois fois inutile-
ment cité devant un concile. Mais Jean trouva un protecteur dans
l'empereur Louis II, avec les ambassadeurs duquel il vint hardi-
ment à Rome pour demander de régler le différend. Il ne voulut
ni s'humilier ni donner satisfaction devant le concile romain
que le pape réunit le 1er novembre (probablement en 861): aussi
l'entrevue n'eut-elle aucun résultat. Sur l'invitation des sénateurs
de Ravenne, le pape se rendit dans cette ville. Le peuple mani-
festa une telle aversion contre son archevêque, que l'empereur
se vit obligé de retirer sa protection au prélat 1. Jean comprit
pape en matière d'élections cpiseopales. Nicolas Ier tenait à laisser au clergé et au
peuple du diocèse son libre choix sous la seule condition que l'élection n'offrît rien
de contraire aux canons, Epist., xli, xliii; pour l'élection des abbés, Epist., xliv,
il apporte à cette indépendance un vrai scrupule. Epist., lxi. Cette position
est d'ailleurs logique, eu égard à celle qu'il donne à l'élection au siège de Rome
en face des empereurs. Nicolas Ier s'attache aux anciennes règles et à celle-ci
m particulier, que l'évêque doit être choisi dans le clergé du diocèse qu'il est
appelé à administrer. Il s'en explique avec clarté à propos d'une élection au siège
de Sens, en 866, Epist., xevi, et en fait même un principe général, Epist., xcv.
L'évêque ainsi élu demeurera en possession de son siège, à moins d'incapacité
physique ou d'indignité reconnue. Lorsqu'il s'agira en effet de déposer Zacharie
et Radoald, le pape convoquera deux conciles successifs, car l'un des accusés
n'a pu être présent au premier concile. En 867, Nicolas signifie à l'archevêque
de Ravenne que conformément au décret d'un concile romain de 862, il ne doit
consacrer aucun évèque dans sa province avant que le choix du nouveau titu-
laire ait été notifié au Siège apostolique et sanctionné par lui. Epist., cxliv.
(IL L.)
1. D'après le Libellus de imperaloria potestate, le pape Nicolas s'était surtout
alarmé de la familiarité existant entre l'archevêque Jean et les princes. Le Liber
pontificalis, biographe officiel, se charge de donner des raisons plus acceptables,
empiétement, etc. et surtout de « vouloir transférer à Saint-Apollinaire les droits
286 LIVRE XXII!
qu'il ne lui restait qu à faire sa soumission à Rome. On réunit
qui appartenaient à Saint-Pierre, grief qui empruntait une gravité particulière
à la rivalité séculaire entre Rome et Ravenne dont les évêques avaient, au temps
où leur ville était la résidence des exarques, prétendu à l'autocéphalie. « Ils ex-
hibaient un vieux diplôme de Valentinien III qui permettait à ces prélats de re-
cevoir directement le pallium de l'empereur et non du pape et attribuait à leur
métropole les diocèses de Ferrare, d'Imola, de Modène, ainsi que les évêchés
de l'Emilie. Agnellus, Liber pontif. Ravennat : V ita Johannis, c. xl. Plus tard
l'archevêque Maurus avait obtenu de l'empereur le renouvellement de ce précieux
privilège. « II fit, écrit son biographe, maints voyages à Constantinople pour
arracher son Église au joug et à la domination de Rome. Il réussit. L'Église de
Ravenne obtint que ses évêques n'iraient plus à Rome pour se faire consacrer,
qu'ils recevraient la consécration de trois évêques leurs sufïragants, et que le
pallium leur serait envoyé par l'empereur de Constantinople, Agnellus, op. cil.,
Vila Mauri. Le pape punit sa révolte de l'excommunication, il renvoya l'ex-
communication au pape. Les dernières paroles, adressées à ses prêtres, furent
des objurgations ardentes de ne jamais souffrir l'ingérence de Rome dans le choix
de leur pontife. Le pape Léon II obtint cependant de l'empereur Constantin
Pogonat la révocation de ces prérogatives odieuses au siège de Rome et le réta-
blissement des anciennes coutumes. Mais les Ravennates ne se soumirent jamais
que de mauvaise grâce et guettèrent toutes les occasions de se soustraire à l'auto-
rité romaine. Au milieu du ixe siècle, un de leurs évêques, Grégoire, encouragé
peut-être par l'empereur Lothaire, essaya d'obtenir de ce prince la restitution
des droits dont avait joui pendant quelques années son Église. Il partit donc pour
la France avec une nombreuse suite et les archives de sa métropole, « accompa-
gné, dit son biographe, de la malédiction apostolique. » Il assista à la bataille
de Fontanet et au désastre de Lothaire. Dans la déroute, il perdit ses richesses
et ses archives, qui furent pillées et traînées dans la boue; lui-même, tombé en-
tre les mains des soldats de Charles et de Louis le Germanique, subit toutes les
avanies et les injures. Reconnu et sauvé par les princes francs, il revint humilié
à Ravenne, n'ayant retiré que honte et dommage de son aventure, Agnellus, op.
cil., Vila Gregorii. Il n'est pas douteux que les mêmes ambitions germèrent
dans l'esprit de ses successeurs Félix et Jean et que ce dernier compta sur sa fa-
veur auprès de Louis II pour les réaliser. Le sentiment de cette situation enga-
gea le pape Nicolas à user de rigueurs à son égard, afin de le démasquer et de
l'obliger à déchirer tous les voiles. Cité trois fois à comparaître devant un synode
à Rome, trois fois il refusa prétendant ne pas reconnaître la juridiction du pape.
Aussi fut-il l'objet d'une sentence d'excommunication. Il courut alors à Pavie,
excitant l'empereur contre Nicolas et le pressant d'intervenir. Cédant aux instances
de sa femme Ingelberge, Louis II somma le pape de lever l'excommunication.
Non seulement le pape refusa, mais, appelé par les dissidents de Ravenne et de
l'Emilie, il marcha droit à la ville de son rival, l'en fit sortir, et présida un tribu-
nal, qui délivra les captifs de l'archevêque et leva le séquestre mis sur leurs bien».
Seuls dans Pavie, l'empereur et l'impératrice avaient osé donner aide au prélat
excommunié. Devant la réprobation générale, ils conseillèrent à Jean de céder.
L'archevêque fit donc, amende honorable au pape et consentit à se présenter
[251]
466. LE TROISIÈME CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE 287
dans ce but un premier concile à Rome, dans le palais Lèonien 1,
un second dans la basilique du Latran, et enfin un troisième
de nouveau dans le palais Leonien. Les détails fournis par le Liber
pontificalis font voir clairement que les actes attribués par Zacca-
ria et Mansi au concile du 18 novembre 861, appartiennent préci-
sément à cette troisième session. Les règles imposées à Jean
furent les suivantes : « 1. Tu ne consacreras pas d'évêques
dans l'Emilie, si ce n'est lorsque le clergé et le peuple ont déjà
fait leur élection. 2. Tu n'empêcheras pas qu'on se rende à
Rome, et tu ne demanderas pas à ceux qui s'y rendent des rede-
vances défendues par les canons. 3. Tu rendras les biens de l'Église
romaine que tu as donnés aux tiens ou à d'autres en présents. »
Le décret synodal qui termine les actes, explique plus longuement
la conduite de l'archevêque, expose les conditions auxquelles il
doit se soumettre ; il fut signé par tous les assistants. Malheureu-
sement, la paix dura peu : deux ans plus tard l'archevêque Jean
recommença ses menées contre Rome, et prit part aux luttes
de Thieutgaud de Trêves et de Gûnther de Cologne contre
Nicolas 2.
466. Le troisième concile d'Aix-la-Chapelle, tenu en 862,
permet au roi Lothaire de se remarier.
Nous avons vu que les archevêques de Trêves et de Cologne
avaient soutenu, dans l'affaire de son mariage, Lothaire, roi de
devant le synode. Le pape se montra inexorable. II lui retira l'administration
des diocèses usurpés au profit de la métropole, lui imposa l'obligation de venir
au moins une fois chaque année se présenter comme un vassal en cour de Rome
et de ne jamais empêcher ses évêques et ses clercs de porter leurs griefs devant le
siège apostolique. L'archevêque feignit de se soumettre, il s'inclina par néces-
sité, mais il gardait toutes ses rancunes et devait trouver bientôt l'occasion de
les assouvir. » A. Gasquet, L'empire byzantin et la monarchie franque, in-8, Paris,
1888, p. 373-375. (H. L.)
1. A cause de l'invasion des Sarrasins, le pape Léon IV avait fortifié les abords
de l'église de Saint-Pierre et y avait construit une nouvelle ville (848-852) qui
fut appelée Cité Léonine. Cf. Baronius, ad ami. 852, 1 ; Gregorovius, Gesch. d.
Stadt Rom, t. m, 1870, p. 105 sq. ; Alfr. de Reumont, Gesch. d. Stadt Rom, t. n, p.
198 sq.
2. Cf. Gfrorer, Die Carolinger, t. i, p. 295. sq.
288
LIVRE XXIII
Lorraine, et s'étaient employés pour lui dans deux conciles tenus
à Aix-la-Chapelle en 860. La reine Theutberge chercha un soutien
auprès du pape; mais Lothaire jugea habile de brusquer la solu-
tion et mettre en face du fait accompli, avant que n'arrivât de Rome
une sentence qu'il avait lieu de craindre défavorable. Le second
concile tenu à Aix-la-Chapelle avait défendu au roi de continuer
à vivre avec Theutberge; mais il n'obéit pas à cette défense, afin
qu'on lui permît de contracter un nouveau mariage. Dans ce but,
il réunit, le 29 avril 862, à Aix-la-Chapelle, un troisième concile
dont la plupart des membres étaient des complaisants 1. Les actes
1. Sirmond, Concilia Galliœ, 1629, t. m, col. 197; Coll. regia, t. xxn, col.
734 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 739-754; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 539;
Coleti, Concilia, t. x, col. 199; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 612; A. Ver-
minghoif, Verzeichnis, dans Neues Archw, 1910, t. xxvi, p. 630-631. Depuis
le IIe concile d'Aix-la-Chapelle, 15 février, Lothaire était engagé et allait se trou-
ver entraîné à des procédés dont l'incorrection doit être exposée en détail.
Charles le Chauve ne manifestait pas d'hostilité au projet, puisque le IIe concile
d'Aix-la-Chapelle se tint avec son approbation et que deux évoques de son royau-
me y assistèrent ; sur l'ordre de Charles le Chauve et de Lothaire, l'évèque
Advence de Metz'alla inviter Hincmar de Reims à être l'un des deux. C'était un
ami déjà ancien du métropolitain de Reims, ce qui faisait présager le succès de
sa mission. Advence le sollicita de venir ou de se faire au moins représenter par
un de ses suiîragants. « Pour être plus sûr d'emporter l'adhésion du métropoli-
tain de la seconde Belgique, Advence avait prié le neveu de ce dernier, Hinc-
mar le Jeune, évêque de Laon, de l'accompagner. Les deux prélats insistèrent
vivement auprès de l'archevêque pour qu'il acceptât l'invitation dont ils étaient
chargés ; mais, chose curieuse, Advence s'abstint de lui dire que le concile, au-
quel on voulait qu'il assistât, devait examiner plus particulièrement l'affaire du
divorce de Lothaire II et de Theutberge et que c'était même à cause de cette
grande affaire que l'on désirait sa présence. De son côté, Hincmar garda la même
réserve, quoiqu'il se doutât bien au fond du motif pour lequel on le réclamait.
L'entretien des trois prélats tomba pourtant sur la question du divorce, qui fai
sait l'objet de toutes les conversations, et si Hincmar n'avait pas été au courant
de ce qui s'était passé à Aix-la-Chapelle quinze jours auparavant, Advence eût
pu lui donner les renseignements les plus exacts et les plus précis. Sans avoir l'air
de savoir que le concile s'occupait de Theutberge, l'archevêque déclara que
l'affaire du divorce était trop importante pour être résolue par quelques évêques;
seul un concile général pourrait la juger. Hincmar ajouta qu'il ne pouvait ni assis-
ter en personne au concile projeté, vu le mauvais état de sa santé, ni s'y faire
représenter par quelques-uns de ses sufîragants : le temps lui manquait en effet
pour convoquer ces derniers à une réunion où seraient désignés ceux d'entre eux
qu'il conviendrait d'envoyer à Aix-la-Chapelle, et, d'autre part, il ne se recon-
naissait pas le droit de choisir de sa propre autorité les délégués de la province
ecclésiastique qu'il gouvernait. Non content d'avoir donné de vive voix à Advence
ces explications et ces excuses, Hincmar les lui renouvela le lendemain dans une
466. TROISIÈME CONCILE d' AIX-LA-C H APELLE -S!)
synodaux citent Giïnther de Cologne, Thieutgaud de Trêves. A.d-
lettre que nous possédons ; il se défendait d'ailleurs de tout mauvais vouloir.
Revenant à l'affaire de Theutberge, il déclarait qu'il ne se permettrait pas de
donner un avis, tant qu'il n'aurait pas étudié la question : il se gardait de
désapprouver ou de dénigrer à l'avance la sentence que les évêques devraient
prononcer. La lettre se terminait par des conseils de prudence empruntés à une
lettre du pape saint Léon Ier et par l'invitation à Advence de la lire au concile.
Ainsi Hincmar ne doutait pas qu'on allait à Aix-la-Chapelle instruire le procès
de Theutberge. Cette affaire lui semblait louche et il ne se souciait pas de s \
compromettre. Le refus d'Hincmar d'assister au concile dut jeter Lothaire et
ses conseillers dans une grande perplexité ; il n'en fallait pas davantage pour
faire avorter l'entreprise. L'absence d'Hincmar donnerait déjà à ses collègues
lieu de penser qu'il désapprouvait le divorce; la lecture de la lettre que l'archevê-
que de Reims avait écrite à Advence, lecture qu'il avait formellement invité
ce dernier à faire, achèverait de confirmer les évêques dans cette manière de voir.
Ils n'oseraient certainement pas aller à l' encontre de l'opinion qu'ils supposeraient
à un aussi grand théologien que l'archevêque de Reims. Aussi, pour éviter un
échec, résolut-on d'abord de tenir cachée la malencontreuse missive, et l'on
avança hardiment qu'Hincmar avait remis à Advence, pour le concile et pour le
pape, des lettres où il approuvait le procès intenté à Theutberge. Comme deux
évêques français, Wenilon et Hildegaire avaient promis d'assister au concile, on
fit courir le bruit qu'ils étaient les représentants de l'archevêque de Reims,
empêché lui-même de venir à Aix-la-Chapelle, P. L., t. cxxv, col. 630, G'iô. »
R. Parisot, op. cit., p. 159-161.
Le IIe concile d'Aix-la-Chapelle, se tint, comme nous l'avons dit, le 15 février
860; beaucoup de questions y furent traitées, mais nous ignorons lesquelles, Hinc-
mar ne nous ayant conservé des actes de l'assemblée que les articles 16, 17, 18
et le commencement du 19e. Theutberge ayant fait des aveux fut condamnée
à une pénitence publique et enfermée dans un monastère. Annal. Bert., ad ann.
860, p. 53. Toutefois, on n'avait pas lu devant le concile la lettre d'Hincmar
à Advence et on avait même représenté Wenilon et Hildegaire comme ses man-
dataires. Une telle déloyauté devait le porter à protester publiquement contre
le rôle qu'on lui prêtait. Or, il arriva que des sujets de Lothaire, Hincmar, Epist.
ad Hildegarium, P. L., t. cxxvi, col. 161; Sdralek, op. cit., p. 8-9 ; R. Parisot,
op. cit., p. 168, prélats et laïcs, parmi lesquels plusieurs avaient assisté au con-
cile de Savonnières, adressèrent un questionnaire en huit chapitres à l'archevê-
que de Reims, le priant de leur faire connaître ses vrais sentiments sur l'affaire
de Theutberge. Cette démarche avait eu lieu entre le Ie et le 11er concile d'Aix-la-
Chapelle, après le voyage d'Advence à Reims, par conséquent au début de février
860. Leur mémoire est de la première quinzaine de ce mois, et six mois plus tard,
en août, ils envoyèrent à Hincmar un nouveau mémoire avec sept questions nou-
velles. P. L., t. cxxv, col. 745-746. Hincmar répondit aux deux questionnaires.
Et d'abord sa réponse au questionnaire en huit chapitres devait être terminée
avant le congrès de Coblentz (début de juin 860), puisque Hincmar n'y dit rien
des démarches tentées alors par Boson pour reprendre Ingeltrude. Sdralek,
op. cit., p. 6; Schrôrs, op. cit., p. 189, n. 4 ; R. Parisot, op. cit., p. 169, n. 5.
CONCILKS — I V — 19
290 LIVRE XXIII
vence de Metz, Atto de Verdun, Arnulf de Toul, Franco de Ton-
A la première réponse et probablement avant qu'elle eût été rendue publique,
il joignit la réponse au second questionnaire et le tout constitua le traité intitulé :
De divortio Klotarii régis et Tetbergse reginse, rédigé pour le concile de Tusey,
tenu en octobre-novembre 860. (Sdralek, op. cit., p. 196-199 ; Schrôrs, op. cit.,
p. 209, n. 16 ; R. Parisot, op. cit., p. 170. Le De divortio parut donc soit en sep-
tembre, soit au début d'octobre 860. Sachant qu'un concile général provincial
allait s'ouvrir à Tusey le 22 octobre, Hincmar s'était peut-être arrangé pour que
des exemplaires de son travail fussent adressés, non seulement aux prélats qui
l'avaient interrogé, mais en outre, à tous les métropolitains et à ceux des évo-
ques qu'il supposait devoir venir au concile. Quelques auteurs, qui ont cru voir
à tort dans les interr. xvm-xx du mémoire d'Hincmar des allusions au IIIe con-
cile d'Aix-la-Chapelle, ont fixé en 862 la composition du De divortio Lotharii.
Citons en particulier Noorden, Hinkmar von Reims, p. 172, n. 2; Hefele, Concilien-
geschichte, 2e édit., t. iv, p. 261 ; mais Sdralek, op. cit., p. 3, n. 2, a réfuté cette
chronologie et prouvé d'une façon péremptoire, p. 1-7, que le traité est antérieur
au concile de Tusey. Cette démonstration est acceptée par Schrôrs, op. cit.,
p. 189, 209, n. 16, et n. 139 des Regesten Hinkmars ; A. Hauck, Kirchengeschichte
Deulschlands, t. n, p. 505, n. 4 ; Dûmmler, op. cit., t. n, p. 15; Mûhlbacher,
Deutsche Gescliichle unler den Karolingern, p. 509; R. Parisot, op. cit., p. 170,
n. 5. Ce dernier auteur expose bien la situation réciproque de Lothaire et d'Hinc-
mar en 860. Il ne pouvait plus être question alors des dissentiments du règne
précédent; E. Lesne, Hincmar et V empereur Lothaire, dans la Revue des questions
historiques, 1905, t. lxxviii, p. 5-58; en 860, ce qui provoqua l'intervention
d'Hincmar, ce fut le souci de rétablir, en ce qui le concernait, la vérité des faits
et son rôle dans la consultation d'Advence, puis le souci de la morale et de la
justice gravement lésées par le roi et ses évêques au préjudice de Theutberge.
Peut-être, ajoute-t-on, Hincmar cède-t-il encore à un sentiment de vanité, au
désir d'étaler son érudition théologique, sa connaissance de l'Écriture et des Pères
de l'Église ; d'autres y mêlent des arrière-combinaisons politiques. Weizsœ-
ker, Hinkmar und Pseudo-Isidor, dans Zeils. fur histor. Theol., 1858, p. 383,
393, 411-412; Bourgeois, Le capitulaire de Kiersy-sur-Oise, in-8, Paris, 1885,
p. 116-119 ; Hugues l'Abbé, dans les Annales de la Faculté des lettres de Caen, 1885,
t. i, p. 99; Schrôrs, op. cit., p. 205; Zeller, Hist. d' Allemagne, t. n, p. 140; Dûmm-
ler, op. cit., t. ii, p. 14; Noorden, op. cit., Beilage iv, p. xix; Sdralek, p. 10-13;
R. Parisot, op. cit., p. 171, note 1; c'est un procès de tendance et autant de
critiques autant d'opinions.
Entre le IIe et le IIIe concile d'Aix-la-Chapelle, un événement s'était produit :
la fuite de la reine Theutberge qui dut arriver postérieurement à la rédaction
du De divortio Lotharii, quoique Sdralek, op. cit., p. 181, pense le contraire. Elle
se réfugia sur les terres de Charles le Chauve qui donnait déjà asile à Hubert,
P. L., t. cxxv, col. 698, et ne dissimulait pas son hostilité à l'endroit de son ne-
veu Lothaire. R. Parisot, op. cit., p. 179 et note 3, p. 181. Une fois rendue à la
liberté, Theutberge put s'expliquer enfin en toute vérité. Il semble que dès avant
le Ier concile d'Aix-la-Chapelle, la reine avait mandé au pape son dessein de
s'avouer coupable; cette fois elle changeait de ton et protestait contre les vio-
466. TROISIÈME CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE 291
grès, Hungar d'Utrecht et Ratold de Strasbourg1. Seuls, deux
évêques, probablement Arnulf de Toul et Hunger d'Utrecht 2,
firent preuve d'indépendance. Lothaire remit au concile sa con-
testatio, dans laquelle il parlait d'abord en termes excessifs de la
dignité épiscopale : médiatrice entre Dieu et les hommes, et élevée
au-dessus des rois. Conformément aux ordres indiqués, continue-
lences et les injustices qu'elle avait dû subir. Voir la lettre de Nicolas Ier aux
évêques du concile de Metz, du 23 novembre 862, et le « commonitorium» adressé
aux légats chargés de présider ce même concile. Jafîé-Ewald, n. 2702, 2726,
P. L., t. cxix, col. 801,1180. Hubert joignit sans doute sa protestation à celle
de sa sœur et Charles le Chauve appuya leurs mémoires. Jafîé-Ewald, n. 2872,
P. L., cxix, col. 1143. Lothaire, afin de tenir la balance égale, envoya au pape
une ambassade, composée de Liutfrid etWalter, Thieutgaud et Hatton, et qui
n'aura dû se mettre en route qu'après le concile de Tusey, fin de 860 ou peut-être
début de 861. Sur cette ambassade et les lettres qu'elle était chargée de remettre
au pape, cf. R. Parisot, op. cit., p. 183-184. On ignore l'accueil fait par le pape.
En tout cas, la question ne paraît pas avoir alors longtemps fixé son attention ;
en Lorraine même, le procès subit un long temps d'arrêt pour ne reprendre qu'en
862.
On ne sait quelle raison, en dehors de la passion, porta Lothaire à reprendre
l'affaire. S'il avait, comme on a lieu de le supposer, renoué avec Waldrade, Annales
Bertiniani, ad ann. 857; Ann. Xanlenses, ad ann. 861 ; Hincmar, Dedivort.Loth.,
interr. xvm, xxi, P. L., t. cxxv, col. 729,732; Conc. Aquis granense III, c. iv,
dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 612, peut-être est-ce la naissance de son fils
Hugues dont on ne sait rien de plus sinon que la date est antérieure au 18 mai
863, qui le détermina à rouvrir une discussion assoupie. Il n'avait plus, il est vrai,
Theutberge sous la main et n'était plus maître de la faire parler comme il vou-
drait ; la sentence du IIe concile d'Aix-la-Chapelle, déjà fortement ébranlée par
le mémoire d'Hincmar, avait été à peu près ruinée par la protestation de Theut-
berge. S'appuyer sur cette sentence, considérer la culpabilité de la reine comme
acquise, pour prononcer la dissolution du mariage de Theutberge avec
Lothaire, c'était jouer une partie dangereuse. Theutberge, Hubert, Hincmar,
Charles le Chauve, ne manqueraient pas de renouveler auprès du Saint-Siège
les protestations qu'ils avaient déjà fait entendre, et il faudrait bien que cette
fois Nicolas y prêtât attention. Ces considérations, si elles se présentèrent à
l'esprit de Lothaire et de ses évêques, ne les arrêtèrent pas. La réunion d'un nou-
veau concile, purement lorrain, fut décidée : comme les précédents, il se tint
à Aix-la-Chapelle. (H. L.)
1. Arduic, archevêque de Besançon, et ses sufïragants, de même que Thierry,
évêque de Cambrai, ne parurent pas. Sur ces abstentions, cf. R. Parisot, Le royau-
me de Lorraine sous les Carolingiens, p. 193. (H. L.)
2. Hefele, Sdralek, op. cit., p. 150, et Dûmmler, Geschichte des ostfrànkischen
Reichs, t. n, p. 31, note 2, sont pour Arnulf et Hunger, tandis que Schrôrs croit
que la collection attribuée à ces deux évêques a été composée après le concile.
Toutefois il admet une opposition. (H. L.)
292 LIVRE XXIII
t-il, il a répudié sa femme criminelle; c'est maintenant aux évê-
ques à lui imposer une pénitence pour les rechutes charnelles
commises à partir de cette époque. Il l'accepte volontiers ;
mais comme depuis sa jeunesse, il peut presque dire depuis son
enfance, il a vécu avec des femmes, il se déclare hors d'état de
vivre sans femme ou sans concubine. Aussi il demande aux évo-
ques la permission de contracter un second mariage 1.
Thieutgaud, archevêque de Trêves, se leva et dit que Lothaire
avait accompli une pénitence suffisante dans le dernier carême, ^
pour expier des relations avec une concubine 2. Les évêques déli-
bérèrent 3, plusieurs lurent des opinions des Pères et des conciles [252]
tendant à recevoir la demande de Lothaire 4. Deux évêques s'y
opposèrent et citèrent les décisions des Pères 5. Leur mémoire
1 . Conc. Aquisgr. III, c. 4, et Contestatio Lotharii régis appellantis episcopos
de conjugio sibi concedendo, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 612, 614-615. Le c. 4
des Actes du concile n'est qu'un résumé de la Contestatio. (H. L.)
2. C. 4, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 612. (H. L.)
3. C. 4, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 613. (H. L.)
4. C. 4, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 613. Avant de se prononcer, les évê-
ques chargèrent deux d'entre eux de relever dans l'Écriture et dans les Pères les
passages relatifs à la question en litige. Chacun des prélats désignés travailla
seul et employa la nuit à rédiger son mémoire. Le lendemain matin en compa-
rant les écrits on constata que, différents pour la forme, ils étaient identiques
quant au fond. Conc. Aquisgr. III. Sententia episcoporum, dans Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 617. Ces deux mémoires sont perdus ; ils seraient curieux à connaître.
(H. L.)
5. Aux deux mémoires ci-dessus rappelés s'en opposa un troisième qui con-
cluait, avec citations à l'appui, que le mariage de Lothaire avec Theutberge ne
pouvait être annulé. Les noms des auteurs de ces différents mémoires n'ont pas
été conservés. Collectio variorum locorum, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 617-625.
Mansi, col. 616, croyait à tort que ce mémoire était l'œuvre d'un des deux
évêques chargés par le concile de lui faire un rapport. Hefele, Conciliengeschichte
2e édit., t. iv, p. 252; Sdralek op. cit., p. 148-150; Muhlbacher, Reg. Kar., p. 486;
Dùmmler, op. cit., t. n, p. 31, n. 2, attribuent avec raison la Collectio aux deux
évêques dissidents. Pour Schrôrs, op. cit., p. 226, n. 16, l'expression de concilia-
bulum employée dans le titre pour désigner le concile et les mots reverentia veslra
prsecepit ne semblent pas favorables à l'opinion d'après laquelle ce mémoire éma-
nerait de la minorité du concile. Le titre, où il est dit que ce travail a été présenté
par deux évêques au concile d'Aix, a pu être ajouté après coup; en outre, il sem-
ble bien que les auteurs de la Collectio aient eu sous les yeux les actes du
concile. Quant au Libellus, Mansi, op. cit., t. xv, col 626-630, qui vient
à la suite de la Collectio, Hefele, op. cit., t. iv, p. 252, se demande s'il pro-
vient de l'un des évêques présents, ou d'un théologien dont on voulait con-
naître l'avis. Sdralek, op. cit., p. 145, n. 3, le croit écrit par un moine de Metz
466. TROISIÈME CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE -J93
a été conservé ; il montre que Lothaire ne peut se remarier, et
qu'on a tort de regarder son mariage comme invalide 1. Theut-
berge aurait-elle eu avant son mariage des relations incestueuses
avec son frère, cette circonstance ne peut invalider le mariage
qui a suivi. Ce n'était pas le lieu de citer les canons relatifs aux
mariages incestueux, car Lothaire n'était pas parent de Theut-
berge; en outre, la faute de celle-ci avant son mariage n'autorisait
pas à l'abandonner (sans divorce) ; en effet, une faute commise
s'efface par le baptême ou par la pénitence, et la seule cause de
séparation, c'est une conduite désordonnée pendant le mariage.
S'il fallait casser les mariages sous prétexte de fautes charnelles
commises avant l'union par l'un des conjoints, on verrait des divor-
ces en masse, car ut de mulieribus tacearn, rarus aut nullus est vir
qui cum uxore virgo conveniat 2. Triste témoignage pour l'époque !
Nous trouvons dans d'autres fragments un second avis, sans pouvoir
dire s'il provient d'un membre du concile ou d'une personne étran-
gère dont on aurait demandé l'opinion. L'auteur admet et expose
deux cas où le mari peut répudier sa femme : pour cause de parenté
ou par suite d'inconduite scandaleuse, même (au dire de l'auteur),
lorsque cette inconduite aurait précédé le mariage. De même,
on déposait les clercs qui avaient péché avant la réception des
ordres, lorsque leur faute devenait publique après leur ordination.
Il en était autrement pour l'homme. La femme ne pouvait l'aban-
donner, sous prétexte de son inconduite antérieure, car l'homme
était le maître de la femme. Quant à la question de savoir si, après
avoir répudié sa femme, l'homme pouvait contracter un second
mariage, elle n'est pas traitée dans le mémoire dont nous parlons 3.
La majorité des évêques rendit une décision favorable à Lo-
thaire, basée sur ces motifs : a) Le concile de Lérida, c. 4, relè-
gue parmi les catéchumènes les incestueux obstinés, nul ne doit
[253] avoir commerce avec eux4, b) Le c. 62 (61) d'Agde 5 demande
la dissolution des unions incestueuses et permet un second
sur la demande d'Advence ; Schrôrs. op. cit., p. 226, le considère comme un
brouillon. R. Parisot, op. cit., p. 194, note 8. (H. L.)
1. Cette opposition fut considérée comme non avenue, on ne la mentionne
même pas. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xv, col. 617 sq. ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 544 sq.
3. Mansi, op. cit., t. xv, col. 626 sq. Ce mémoire manque dans Hardouin.
4. Voir § 237.
5. Voir § 222.
294
LIVRE XXIII
mariage 1. c) Dans son commentaire sur la première lettre aux
Corinthiens, saint Ambroise déclare que l'homme qui a répudié sa
femme pour cause d'adultère, peut en épouser une autre 2. Le con-
cile cite ici un écrit apocryphe de saint Ambroise, c'est-à-dire
Y Ambrosiaster. D'ailleurs aucune de ces citations ne s'applique
au cas dont il s'agit : les deux premières, parce que l'union de
Lothaire avec Theutberge n'était nullement incestueuse ; la
troisième, parce que, en admettant que Theutberge eût commis,
avant son mariage, la faute dont on l'accusait, elle ne devenait,
pas pour cela adultère.
Les évêques exposèrent, dans une sentence synodale, les motifs
de leur décision. Il y est dit, à la fin, qu'elle fut composée en une
nuit, « et il arriva par tniracle, que la rédaction de l'un était
identique à celle de l'autre. Aussi l'assemblée confirme avec joie
et à l'unanimité le document ; elle faisait cette remarque parce
que l'on chercherait peut-être à propager un écrit renfer-
mant un autre sentiment 3. » Il est évident qu'on vise ici le
1. Nous avons déjà remarqué, t. u, que plusieurs canons, attribués à tort
au concile d'Agde, appartiennent en réalité à d'autres conciles, principalement
au concile d'Épaone de 517. Le canon 61 (non 62) du concile d'Agde cité ici est
le c. 30 d'Épaone.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 540; Mansi, op. cit., t. xv, col. 613.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 542 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 615. On voit
qu'on prenait ses précautions contre la Collectio variorum locorum qui eût fort
contrarié, au moins autant que jadis le De divortio Lotharii. Sdralek, op. cit.,
p. 144 sq., croit que les évêques lorrains ont basé leur sentence sur le De divortio;
oui, sans doute, pour les questions de forme, mais quant au fond, quant à la pro-
cédure suivie, c'est la négation même des principes posés par l'archevêque de
Reims. Cf. Schrôrs, op. cit., p. 226, note 16. L. Ranke, Weltgeschichte, part. VI,
p. 1, p. 183-185, ne voit dans la sentence rendue qu'une œuvre inspirée par la
politique. Lothaire, une fois en possession de la sentence tant désirée, ne préci-
pita pas les événements, mais il fit mander officiellement au pape la décision,
l'assurant qu'avant de passer outre il voulait attendre son avis ; mais, d'après
une lettre de Nicolas Ier datée de 867, celui-ci aurait fait réponse qu'il ne pouvait
envoyer de suite des légats. Bizarre démarche de la part de Lothaire que l'envoi
de cette ambassade au pape aussitôt après le IIIe concile d'Aix-la-Chapelle pour
solliciter l'agrément de Nicolas à une décision qu'il s'apprêtait à exécuter avant le
retour des légats et la réponse du pape. Jafîé-Ewald, n. 2698, 2886, P. L., t. cxix,
col. 798, 1166. La réponse du pape est perdue, mais le sens en est certain d'après
des lettres postérieures. Voir lettres de NicolasIer à Lothaire, du 23 novembre 862,
aux évêques du concile de Soissons d'avril (?) 863, aux prélats de Gaule et de
Germanie, pour les inviter à assister au concile de Metz (même époque), et aux
évêques de Germanie du 31 octobre 867, pour les prier de cesser leurs sollicita-
66. TROISIÈME CONCILE d' AIX-LA-CHAPELLE 295
mémoire des deux autres évêques qui avaient montré plus de
courage et de fermeté.
Ayant obtenu la permission de se remarier, Lothaire épousa
Waldrade, qu'il fit couronner reine à la grande tristesse du peuple.
On répétait partout que Waldrade avait ensorcelé le prince 1.
Nous voyons, par l'epist. xxxn du pape Nicolas, que les noces
solennelles de Lothaire avec Waldrade eurent lieu à Noël de 862 2.
tions en faveur de Gùnther et de Thieutgaud. Jafîé-Ewald, n. 2598, 2723, 2725,
2886 ; P. L., t. cxix, col. 798, 833, 800, 1165-1166; voir aussi Liber pontificalis,
notice du pape Nicolas, t. n, p. 159; le mémoire lu par Charles le Chauve à Sa-
vonnières, c. vi, Couvent, op. Sapon., dans Capitularia, t. n, p. 161. C'est pro-
bablement à l'ambassade envoyée en 862 à Nicolas après le IIIe concile d'Aix-
la-Chapelle, qu'Advence de Metz fait allusion dans son Libellus apologeticus,
dans Baronius, Annales, édit. Lucques, t. xiv, p. 566, col. 2. Hefele, Concilien-
geschichte, t. iv, 2e édit., p. 262, pense que si Lothaire réclamait l'intervention du
pape, c'est qu'il espérait séduire les légats qu'enverrait Nicolas. (H. L.)
1. Annales Bertin., ad ann. 862, dans Pertz, Monum. Germ. histor., t. i, p. 458,
et Regino, Chronicon, ad ann. 864, ibid., p. 572. [R. Parisot, op. cit., p. 198-199.
(H. L.)]
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 269; Mansi, op. cit., t. xv, col. 305. Il est pro-
bable que la cérémonie du mariage se fit à Aix-la-Chapelle. La date exacte n'est
pas donnée par Hincmar qui raconte l'événement après l'entrevue de Mayence
et avant la consécration de la cathédrale de Reims, Annal. Berlin., ad ann. 862.
p. 60. Cette église était dédiée à la Vierge; il est vraisemblable que la cérémonie eut
lieu le 8 septembre, jour de la Nativité. Le mariage de Lothaire et de Waldrade se
placerait ainsi en août ou au commencement de septembre. Telle est la date
admise par le plus récent historien et le mieux averti de toute cette suite d'évé-
nements, M. R. Parisot qui ajoute que d'autre part, un passage de la lettre écrite
par le pape aux évêques du concile de Soissons (Jafîé-Ewald, op. cit., n. 2723,
P. L., t. cxix, col. 833), semble indiquer le jour de Noël comme celui où le ma-
riage de Lothaire et de Waldrade aurait été célébré : Prsecipue vero quoad eum
quem perhibetis die natalis Domini super adulteros benedictionem quse maledic-
tio potius credenda est, protulisse. Comment concilier cette assertion avec les An.
Bert., ad ann. 862, qui placent le mariage avant la dédicace de la cathédrale de
Reims et avec le témoignage de Charles le Chauve qui, au ch. vi du mémoire
qu'il lut au Congrès de Savonnières, donne à entendre d'une façon sullisamment
claire que Lothaire s'était déjà uni à sa maîtresse, Capitularia, t. n, p. 161 ?He-
fele, Conciliengeschichte, t. iv,p. 253, place à Noël le couronnement de Waldrade;
mais Mùhlbacher, Reg. Kar., p. 487, et Diimmler, op. cit., t. ii, p. 32, n. 5, croient
que ni la bénédiction nuptiale ni le couronnement de Waldrade n'ont eu lieu
le jour de Noël; d'après eux, le mariage a été célébré avant le Congrès de Sa-
vonnières. Une erreur ne se serait-elle pas glissée soit dans la lettre des évêques
du concile de Soissons, qui avaient annoncé à Nicolas la nouvelle, soit dans la
réponse du pape et, au lieu de die jXalalis Domini ne faudrait-il pas lire die Nati-
vilalis matris Domini ? (H. L.)
296
LIVRE XXIII
467. Conciles de Soissons et de Pistes. Rothade et la reine Judith. [254]
Vers cette même époque, le conflit soulevé entre Hincmar et
Rothade de Soissons fut abordé dans les assemblées conciliaires.
Depuis l'année 822 ou 823, Rothade occupait le siège épiscopal
de Soissons ; il était par conséquent suffragant de Reims, et
lors des difficultés qui avaient assailli son ancien métropolitain
Ebbon, il s'était distingué parmi ses adversaires. Il avait pris
part aux deux dépositions d' Ebbon, à Thionville et à Beauvais, en
835 et en 845 ; seule la crainte l'avait fait adhérer à la réin-
tégration d'Ebbon en 840 1. Nous le retrouvons très actif en 845,
quand il s'agit de faire monter Hincmar sur le siège de Reims 2,
et cependant on put voir, après le concile de Quierzy, que Rothade
ne possédait guère la confiance d' Hincmar, qui lui retira la surveil-
lance sur Gotescalc 3. Rothade assure qu'en diverses circonstances
1. Voir § 438. M. Alexander, Historiaecclesiastica, in-fol., Venetiis, 1778, t. vi,
p. 379-385 ; Ellies du Pin, Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, 1697, t. ix,
p. 89-100; Otto, De causa Rolhadi, episcopi Suessionensis, dissertatio, in-8, Bres-
lau, 1862 ; Ed. Rossteuscher, Dissertatio de Rothardo episcopo Suessionensi,
partie. II., in-8, Marburgi, 1845. (H. L.)
2. Voir § 441, P. L., t. cxxvi, col. 257, 258. (H. L.)
3. Voir § 444. C'est une carrière fort mouvementée que celle de Rotbade de
Soissons. Il était au nombre des plus ardents adversaires d'Ebbon de Reims et
pour assurer sa disparition, il s'était volontiers chargé de sacrer Hincmar, suc-
cesseur d'Ebbon. L'accord entre Hincmar et Rothade dure quelque temps, mais
le caractère très indépendant de Rothade joint à son titre d'évèque de Soissons,
ville qui occupe le premier rang dans la province après la métropole, lui font sup-
porter avec peine l'attitude autoritaire d'Hincmar. Diu multis ac variis labori-
bus rneam vexabat ambiguilatem, dira-t-il, dans son Lib. proclam., Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 682. Et il commençait à ne plus cacher son humeur, à répondre avec
impertinence à son archevêque qui l'accablait de ses livres, P. L., t. cxxvi,
col. 29, dont le vieil évèque, fort de son expérience, se souciait très peu. Rothade
avait peu de goût pour les remontrances, il n'entendait pas subir le contrôle d'un
métropolitain ni l'ingérence d'un synode provincial. Il faisait aussi peu de cas
que possible du droit canon, des Décrétales vraies ou fausses. Rothade avait dû
être sacré aux environs de l'an 832, P. L., t. exix, col. 924; il fut déposé en 862
cl Nicolas Ier dit qu'Hincmar a travaillé environ huit ans à parvenir à cette
déposition. P. L., t. exix, col. 897 ; le conflit a donc commencé aux environs
de 854. Peut-être le pape veut-il dire simplement qu'à la date où il écrit, 865, le
conflit entre les deux prélats dure depuis huit ans, ce qui ferait commencer les
467. CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 297
Hincmar l'avait longuement et rudement persécuté ; pour lui,
il avait toujours cédé lorsque sa conscience le lui avait permis.
Entre autres reproches injustifiés Hincmar l'accusait d'avoir
déposé sans raison un prêtre de Soissons, saisi et mutilé
en flagrant délit d'adultère ; néanmoins cette sentence avait été
rendue par un tribunal de trente-trois évêques 1. Rothade
avait disposé de la place du prêtre déposé en faveur d'un autre
prêtre, lequel, après trois ans passés dans l'exercice de ses fonc-
tions, avait été saisi par ordre d' Hincmar, emmené à Reims, excom-
munié, incarcéré. Hincmar avait ensuite demandé la réintégra-
tion du prêtre déposé. Rothade s'y était opposé, ce qui lui avait
valu d'être traité de désobéissant par Hincmar, car celui-ci ne
le regardait pas comme son frère et son collègue dans l'épiscopat,
mais comme un clerc du diocèse. Tel est le récit de Rothade, dans
[255] le Libellus proclarnationis qu'il envoya au pape 2. Le mémoire
hostilités en 857. Au concile de Soissons, Mansi, op. cit., t. xv, col. 986, Rothade
témoigne encore beaucoup de zèle pour Hincmar. H. Schrôrs, Hinkmar, Erzbis-
chof von Reims, sein Leben und seine Schriflen, in-8, Freiburg, 1884, p. 238, avance
qu'à cette date si Rothade parlait encore ainsi en public, il n'en était déjà plus
de même en particulier. Or, ce n'est qu'en 867 qu' Hincmar fait mention de pro
pos très vifs tenus par Rothade à l'heure présente, par opposition aux alléga-
tions produites jadis en concile provincial, probablement en 853. C'est en 857 que
la crise arrive à l'état aigu. Pendant tout ce temps l'affaire des clercs ordonnés
parEbbon sera le subtil venin autour duquel le mal grandira peu à peu. Deux mois
après son sacre, les évêques consécrateurs d'Hincmar lui prescrivaient au sy-
node de Meaux de déposer ces clercs, alors que lui-même, dit-il, n'y songeait
pas, P. h., t. cxxvi, col. 84. Au synode de Soissons, les sufîragants de l'évêque de
Reims le défendent contre ces clercs. Hincmar choisit pour juges entre eux et
lui, deux archevêques et un de ses sufîragants; Pardulus de Lyon, un évêque
d'une province voisine, Prudence de Troyes est désigné par les clercs qui sont
confondus et déposés. Au IIIe concile de Soissons (866), les sufîragants d'Hinc
mar auront dans la même question la même attitude. Seul Rothade, devant le
concile de Troyes (867), déclare que les évêques de la province de Reims en dépit
de leurs précédentes dénégations ont pris part au rétablissement d'Ebbon. Depuis
huit années que Rothade lutte contre Hincmar, il a été déposé par ordre de celui-
ci, emprisonné, enfin rétabli sur son siège par Nicolas Ier en 865. On conçoit
qu'il n'ait pas laissé échapper une si belle occasion d'exhaler sa rancune. (H. L.)
1. Cette donnée n'est pas croyable. Comment un évêque sufïragant aurait-il con-
voqué un concile de trente-trois évêques ? De plus ce concile, qui aurait dû inté-
resser plusieurs provinces ecclésiastiques, n'est mentionné nulle part. Voir Noorden ,
Hincmar, p. 178 sq., qui, dans le n. 6. exprime l'opinion qu'il ne peut y avoir là
qu'une faute de copiste et que Rothade a sans doute prononcé son jugement contre
le prêtre en question avec le secours de trois et non de trente-trois autres évêques.
2. Mansi, op. cit., t. xv, col. 681 sq. ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 579 sq.
298
LIVRE XXIII
envoyé au pape Nicolas par Hinemar, en 864, présente les choses, on
le devine, sous un tout autre aspect x. Rothade est un désobéissant
1. Le personnage d'Hincmar est un des plus importants de l'histoire ecclésias-
tique de la seconde moitié du ixe siècle. Sans être doué remarquablement ni pour
l'action ni pour l'intrigue, sans sortir d'un théâtre restreint et d'une polémique
locale, ce prélat est arrivé à prendre part à d'interminables et ardentes discussions,
à provoquer d'irréductibles conflits, à froisser des réputations, à compromettre
des intérêts avec une telle obstination que son nom reparaît invariablement
dans toutes les disputes et les brouilles de son temps. Voici d'abord son cursus
hororum. Né vers 806, trésorier de l'abbaye de Saint-Denys, abbé de Saint-Ger-
main à Compiègne et de Saint-Pernes de Flaix, archevêque de Reims élu à Beau-
vais en avril 845, sacré le 3 mai, mort à Épernay le 21 décembre 882. J.-J. Ampère,
dans Histoire littéraire de la France, in-4, Paris, 1840, t. m, p. 187-212 ; (Barnabite)
Hinemar et le concile de Valence, dans V affaire de Godescalc, dans Analecta juris
pontificii, 1864, t. vu, p. 540, 563; Brissaud, Étude sur Hinemar, archevêque de
Reims, dans les Travaux de l'Académie de Reims, 1847, t. vi, p. 571 ; E. Bùchting,
Glaubwùrdigkeit Hincmars von Reims, im 3 Theile der sogenannten Annalen von
S1 Rertin. Inaug.-Disserl., in-8, Wittemberg, 1887; R. Ceillier, Histoire des au-
teurs ecclésiastiques, in-4, Paris, 1754, t. xix, p. 308-374; 2e édit., t. xn, p. 654-
689; M. Conrat, Ueber eine Quelle der rômisch-rechllichen Texte bei Hinkmar von
Reims, dans Neues Archiv Gesells. fur d. ait. deuts. Gesch., 1899, t. xxiv, p. 349-
357; C. Diez, De Hincmari vita et ingenio, in-8, Agendici, 1859 ; H. E. Dirksen,
Hinemar, als Kenner der Quellen des rômischen Rechls,da.ns ses Hinterlas. Schriflen,
t. ii, p. 130-141 ; E. Dùmmler, dans Neues Archiv fur Gesells. cl. dit. deuts. Gesch.
1879, t. iv, p. 536-538; Ebert, Hist. de la littérature du moyen âge, in-8, Paris,
1884, t. ii, p. 274-284; A. Esmein, Les ordalies dans V Eglise gallicane au ixe siècle,
Hinemar de Reims et ses contemporains, in-8, Paris, 1898; Th. Fôrster, Drei Erz-
bischôfe vor tauseud Jahren : Claudius von Turin, Agobard von Lyon, Hinkmar
von Rheims; ein Spiegelbild far ihre Epigonen in unsem Tagen, in-8, Gùtersloh,
1873; Wolf. Friedr. Gess, Merkwûrdigkeiten aus dem Leben und den Schriften
Hinkmar's, Erzbischofs von Reims, als ein Beitrag zur nàhern Kenntniss des 9
Jahrhund. besonders in Hinsicht auf den kirchl. und sittl. Zustand in den frànk.
Kreisen, mil einer Vorrede von J. G. J. Planck, in-8, Gottingen, 1806 ; A. M. Gielt,
Hinkmar's Collectio de ecclesiis et capellis, eine Studie zur Geschichte des Kirchen-
rechts, dans Historisches Jahrbuch, 1894, t. xv, p. 553-573; Gorini, Défense de
l'Église, in-8, Paris, 1866, t. ni, p. 1-151; G. Guizot, Histoire de la civilisation
en France, in-8, Paris, 1874, t. n, p. 336-364; W. Gundlach, Zwei Schriften des
Erzbischofs Hinkmar von Reims, lier aus gegeben, dans Zeilschrift fur Kirchenge-
schichte, 1889, t. x, p. 92-145, 258-310; K. Hampel, Zum Streite Kinkmars von
Reims mit seinem Vorgànger Ebo und dessen Anhàngern, dans A eues Archiv
Gesslls. fur ait. deuts. Geschichte, 1897, t. xxiii, p. 180-195 ; B. Hauréau, Hinemar,
dans la Nouvelle biographie générale, 1858, t. xxiv, p. 706-712; Holder-Egger,
ZumTexte von Hincmars S chr if t de villa Novilliaco dans Neues Archiv Gesells. fur ait.
deuts. Gesch., 1897, t. xxm, p. 196-198; V. Krause, Hinkmar von Reims, der
Verfasser der sogenannten Collectio de raptoribus im Capitulai- vonQuierzy 857,
dans Neues Archiv Gesells. fur ait. deuts. Gesch., 1892, t. xvm, p. 303-308 ;
467, CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 299
incorrigible et indigne de ses saintes fonctions. « Durant des années
entières, il a cherché par réprimandes et par prières à le remettre
V. Krause, Hincmarus, de ordine palatii, dans Fontes juris Germon, aniiq., 1894.
Cf. M. Prou, dans Bibl. de V école desch., 1894, t. lv, p. 674-675; Moyen âge, 1895,
t. vin, p. 276-277; G. C. Lee, Hincmar, An introduction to the study of the révo-
lution of the organisation of the Church in the ninth century, dans Papers of the
American Society of Church histary, New-York, 1897, t. vm; Poupot, Hincmar,
archevêque de Reims, sa vie, ses œuvres, son influence, dans Travaux de l'acad.
de Reims, 1866-1870, t. xlvi, p. 1-328; tiré à part, Reims, 1869; Nolte, dans la
Revue des sciences ecclésiastiques, 1877, IVe série t. vi, p. 279-284 ; K. von Noor-
den, Ebo, Hincmar und Pseudo-Isidor, dans Sybel, Historische Zeitschrift, 1862,
t. vu, p. 311-350 ; K. von Noorden, Hinkmar, Erzbischof von Rheims, ein Beitrag
zur Slaats-und Kirchengeschichte des westfrànkischen Reichs in der zweiten Hâlfte
des 9 Jahrhund., in-8, Bonn, 1863; J. C. Pritchard, The life and limes of Hinc-
mar, archbishop of Rheims, in-8, Littlemore, 1849; M. Prou, Hincmar, De ordine
palatii epistola, dans la Biblioth. de V École des hautes études, 1884, t. lviii,
p. 1-41 ; cf. Gefïroy, dans Comptes rendus de l'Acad. des sciences morales et poli-
tiques, 1885, série IVe, t. xxiv, p. 578-582; J. L. Raab, Delibris Hypognosticon,
an ab Hincmaro in August. Confess. et alibi recte tribuantur d. August. episc.
Hipponensi, in-8, Altorfi, |1735 ; H. Schrôrs, Hinkmar, Erzbischof von Reims,
sein Leben und seine Schriften, in-8, Freiburg, 1884; M. Sdralek, Hinkmars von
Rheims kanonistisches Gutachten iiber die Ehescheidung des Kônigs Lothar II,
ein Beitrag zur Kirchen-Staats-und Redits geschichle des 9 Jahrhund., in-8, Frei-
burg, 1881 ; E. Lesne, Hincmar et l'empereur Lothaire, dans la Revue des ques-
tions historiques, 1905, t. lxxviii, p. 5-58; A. Vidieu, Hincmar de Reims, étude
sur le ixe siècle, in-8, Paris, 1875; K. Weizsâcker, Hinkmar und Pseudo-Isidor,
dans Zeitschrift fur histor. Théologie, 1858, p. 327-430. F. Picavet, Les discussions
sur la liberté au temps deGotleschalk, de Rhaban Maur, d' Hincmar et de Jean Scot,
dans les Comptes rendus de l'Acad. des se. morales et polit., 1896; A. Potthast,
Bibliotheca historica medii sévi, in-8, Berlin, 1896, t. i, p. 598-600, et pour les
Annales Bertiniani, p. 55; Wattembach, Deulschlands Geschichlsquellen, p. 113,
154, 5e édit., 1885, t. i, p. 19G, 209, 277, 278; 6e édit., 1893, t. i, p. 295, 296,
t. ii, p. 292-509.
On le voit par cette bibliographie, Hincmar a été mêlé à tout ce qui s'est fait
de son temps ; il a effleuré plus qu'approfondi les idées, il s'est engagé à fond dans
les conflits, mais théologie, droit, politique, histoire, il ne s'est désintéressé de
rien. Une étude patiente de cette vie si remplie peut seule aider à en ressaisir
l'ordonnance, car un rapide examen ne laisse apercevoir qu'un caractère mobile
dirigé par l'intérêt. Tour à tour allié ou adversaire du Saint-Siège et des princes
carolingiens, Hincmar apparaît comme un ambitieux décidé à tout sacrifier à
son ambition et à sa grandeur personnelle. En réalité, une pensée moins égoïste
le gouverne, il identifie sa personne avec sa charge de métropolitain et avec
l'institution elle-même, voici pour les questions de droit ; il est adversaire-né
et irréductible de toute innovation, voici pour la théologie et l'histoire civile.
M. P. Fournier, dans le Bulletin critique, 1885, t. vi, p. 210, apprécie ainsi le ca-
ractère de l'intervention d'Hincmar parmi ses contemporains :« L'Église est arri-
300 LIVRE XXIII
dans le droit chemin. D'autres évêques aussi, sans meilleur résul-
tat. Il lui a, en particulier, donné de bons livres pour qu'il pût lui-
vée à un point décisif dans l'histoire de sa constitution. Bientôt, grâce à l'affai-
blissement du pouvoir impérial, elle sera en mesure de s'affranchir peu à peu
de la domination séculière. Pendant que la société civile se désorganise et s'émiette,
la tendance à la centralisation dans l'Église se heurte à l'autorité récem-
ment établie des métropolitains. Le désordre des affaires politiques profite à
ce pouvoir, il est vrai de dire qu'à tout amoindrissement de la puissance de l'État
doit correspondre un accroissement de l'influence des métropolitains. Voir sur
ce point l'article de Roth, Pseudo-Isidor, dans Zeitschrift fur Redits geschichte,
1865, t. v, p. 9 sq. Désormais, affranchis de tout contrôle efficace, ils pourront
confirmer les élections, convoquer les synodes et exercer la juridiction. Il semble
donc que le droit marche vers un affermissement de leur pouvoir; au contraire,
jamais il n'a été plus près de sa ruine. En effet, il se trouve que les métropolitains
ont à compter avec deux forces qui leur sont hostiles, celle des évêques, qu'ils
menacent d'opprimer, celle du pape, qu'ils menacent d'effacer. Viennent sur la
chaire de saint Pierre un homme comme Nicolas Ier et à la tête des diocèses
des hommes comme Rothade de Soissons et Hincmar de Laon, on comprend sans
peine que des efforts vigoureux partant à la fois d'en haut et d'en bas ébranleront
l'autorité des métropolitains. Cependant, par situation, comme par tempéra-
ment, Hincmar sera le défenseur de ce pouvoir et l'adversaire-né des aspirations
de ses contemporains. Toutefois les tendances nouvelles prendront corps dans les
fausses décrétales : aussi ce sont ces tendances auxquelles Hincmar s'attaquera
dans plusieurs des lettres capitales de sa vie, je veux dire, dans les affaires de
Wulfade, de Rothade et d'Hincmar de Laon.
« En politique, Hincmar appartient à la génération qui suit immédiatement
Charlemagne. Au temps du grand empereur, l'unité de l'empire est un dogme,
comme l'unité de l'Église ; les deux pouvoirs se confondent, et si l'un d'eux
semble l'emporter , c'est plutôt le pouvoir temporel. Pour Hincmar aussi, il n'y
a qu'une Église et qu'un Empire, mais quand il voit la faiblesse des successeurs
de Charlemagne, il n'a pas de peine à donner la préférence au pouvoir spirituel.
D'ailleurs témoin attristé des déchirements qui ont abouti au traité de Verdun,
il est assez avisé pour comprendre que dépareilles modifications ne sont pas éphé-
mères et que l'unité matérielle de l'Empire ne saurait guère être rétablie, mais
il s'attache à maintenir entre les débris de l'empire carolingien une certaine unité
morale. Pour lui, les sujets de Louis, de Lothaire, et de Charles appartiennent
au même empire que gouvernent en commun les princes issus de la race de Char-
lemagne ; Hincmar, qui vit dans les domaines de Charles le Chauve, parle
volontiers de « nos princes chrétiens » ; il appelle Lothaire II « notre seigneur
le roi m. Les guerres entre les princes carolingiens sont pour lui des guerres civi-
les; l'Église les condamne et les déplore, tandis qu'elle bénit les luttes que les
soldats de la chrétienté soutiennent contre les païens. Sans doute l'empire
demeurera longtemps encore l'idéal politique des esprits cultivés : mais il est
facile de deviner les déceptions que doivent éprouver à la fin du ixe siècle ceux
qui gardaient de telles croyances et de tels souvenirs. En politique comme en
religion, Hincmar n'est donc pas en parfait accord avec les aspirations de son
467. CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 301
même se convaincre de ses fautes ; mais Rothade a répondu
ironiquement qu'Hincmar n'a rien trouvé de mieux que de lui
époque. Toutefois le conflit fut moins vif sur le terrain politique que sur le terrain
religieux où Hincmar était directement intéressé ; l'archevêque semble même
avoir accueilli avec froideur la réunion passagère de tout l'empire sous le scep-
tre de Charles le Chauve. » Hincmar est avant tout un homme de gouvernement.
Sans doute il a laissé beaucoup d'écrits théologiques. Mais la plupart ont été
provoqués par les incidents de sa vie militante. Hincmar n'est point un théolo-
gien de profession. Il n'élève la voix contre les erreurs de Gotescalc que parce
que l'hérésiarque est son diocésain et qu'avec son sens pratique il a vite compris
tous les dangers que les doctrines prédestinatiennes font courir à la religion et
à la morale. Au surplus, quand il se lance dans la mêlée, c'est après les écrivains
les plus considérables de son temps. Bien plutôt homme d'action qu'homme de
théorie, Hincmar est moins fait pour raisonner que pour diriger. D'ailleurs il
ne manque point de grandeur : il sait être fier avec les grands et compatissant
avec les humbles. Hincmar garde assez mauvaise réputation pour certaines
falsifications de documents qu'il se serait permises. On a prétendu l'innocenter
complètement, nous ne croyons pas qu'on y ait réussi. La vie de saint Rémi,
le Grand Testament de saint Rémi, la légende de la sainte Ampoule sont d'ail-
leurs des faits moins graves que certaines altérations de textes juridiques. Hinc-
mar ne manquait pas d'érudition et c'est ce qui le rend moins excusable d'en
avoir abusé au profit de ses prétentions. Savigny, Geschichte des romischen Rechts
im Miltelaller, 1. II, c. cxv, n. 98, et Dirksen, Ueber die Collatio Legum Mosai-
carum et Romanarum, dans Hinterlassene Schrijten, publiés par Sanio, in-8,
Leipzig, 1871, ont signalé les historiens, les Pères de l'Eglise et les monuments
juridiques consultés et cités par Hincmar. Un certain nombre de citations
juridiques ont été simplement dépiquées dans les écrits des Pères ; aussi Schrôrs
est d'accord avec Savigny pour écarter de sa bibliothèque les compilations de
Justinien, tout en reconnaissant qu'il s'est servi de VEpitome Juliani. Comme tous
ses contemporains Hincmar a fait grand usage de la Lex romana Wisigolhorum
dans un exemplaire qui devait contenir en outre un certain nombre de Consti-
tutions impériales ordinairement omises, notamment des constitutions du
XVIe livre du code théodosien si importantes pour le droit ecclésiastique. Hrenle
signale, Lex rom. Wisigothor., proleg., p. xlix, lix sq., des manuscrits de la Lex
romana qui renferment de telles additions. Comme les citations étrangères à la
Lex romana sont extraites de constitutions ainsi ajoutées, on est en droit de pen-
ser qu'Hincmar n'a pas connu directement le code théodosien.
C'est surtout comme incarnant la discipline métropolitaine qu'Hincmar inté-
resse nos études et influe en son temps sur l'histoire que nous exposons. Son rôle
politique qui est considérable, au point que E. Dùmmler, Geschichte des Oslfràn-
kischen Reiches, 2e édit., Leipzig, 1887, 1888, t. n, p. 87, voit en lui : die Seele
der svcstfrankisch.cn J'olilik, ajoute encore à l'importance de son intervention eu
matière canonique. Le siège de Reims est alors pour celui qui l'occupe un moyen
d'exercer une influence considérable. Cf. E. Lesne, La hiérarchie épiscopale; pro-
vinces, métropolitains, primats en Gaule et Germanie depuis la réforme de saint
Boni face jusqu'à la mort d' Hincmar, 742-882, in-8, Paris, 1905, p. 286, 287, note 1.
302 LIVRE XXIII
montrer tous les jours ses petits livres. Rothade a cherché sou-
vent à l'irriter, ainsi que d'autres évêques et le roi lui-même.
Néanmoins Hincmar l'a supporté longtemps, non sans dommage
pour le diocèse de Soissons. » Dès avant sa déposition, ajoute
Hincmar, Rothade a donné des preuves de désobéissance à
l'égard des saints canons, du roi et du métropolitain. Mais mainte-
nant — depuis sa déposition — il vit délaissé et continue
à donner le mauvais exemple aux méchants et à scandaliser
les bons. Hincmar lui reproche sa negligentia et sa diutina in
sacro ministerio inutilitas ; il l'accuse d'avoir engagé un calice
d'or à un aubergiste, d'avoir vendu à des juifs des couronnes
d'or de statues de saints, d'avoir trafiqué des biens des églises,
enfin d'avoir dissipé ou donné plusieurs vases d'argent, et cela
sans l'assentiment du métropolitain et des évêques de la pro-
vince, de même que sans le conseil de son économe et des autres
clercs ; plus de cinquante membres d'un concile l'avaient solennel-
lement convaincu de toutes ces fautes (lors de sa déposition) l,
Dans sa continuation des Annales de Saint-Bertin, Hincmar ap-
pelle Rothade homo singularis amentise2. Tout cela, joint aux
paroles de Rothade, prouve que le mécontentement d' Hinc-
mar reposait sur des motifs sérieux et non pas seulement sur
la déposition du prêtre adultère. Dans ce cas particulier, Hinc-
mar avait le droit canon pour lui, car un prêtre ne doit
jamais être déposé par un évêque seul, mais par un concile,
et si Rothade a, comme il l'affirme, fait condamner ce prêtre
par une assemblée de trente-trois évêques, il s'avoue coupable
d'une faute grave, car ce n'était pas à lui, simple suffragant, [256J
mais à un métropolitain à convoquer un pareil concile 3. Aussi
Hincmar se vit-il obligé de réunir en 861, dans le monastère
des Saints-Crépin et Crépinien à Soissons, un concile provîn-
On trouve disposés dans un ordre logique les éléments d'une biographie d' Hinc-
mar au point de vue canonique dans ce dernier ouvrage p. 319-320, au mot
Hincmar. (H. L.)
1. Hincmar, Epist., u,ad Nicolaum Papam, dans P. L., t. cxxvi, col. 29-32;
P. L., t. cxix, col. 748-752.
2. Pertz, Monum. Germ. hist., t. i, p. 457.
3. Si l'on admet avec Noordcn que Rothade avait convoqué trois évêques et
non trente-trois, la procédure n'eût cependant pas été conforme à l'ancien
droit canon, qui exige la présence de cinq évêques lorsqu'il s'agit de condam-
ner un prêtre.
467. CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 303
cial qui prononça l'exclusion de Rothade de la communion des
évêques. Nous n'avons sur ce synode que ces rapides détails
fournis par le continuateur des Annales de Saint- Berlin1.
Dédaignant la sentence qui le frappait, Rothade parut, en
862, au concile de Pistes ou Pistres (diocèse de Rouen) 2. Charles
le Chauve, roi de France, avait convoqué à Pistes3, le 1er juin
862, les grands de son empire avec leurs esclaves, leurs voitures,
leurs chevaux, afin d'établir à cet endroit de la Seine de forts
retranchements contre les invasions des Normands. Pendant qu'on
y travaillait, le roi résida durant quelques jours à Mehun-sur-
Loire, où il eut une entrevue avec son fils Charles. Puis il revint
1. Lalande, Concilia Gallise, 1660, col. 166 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 736-
737; Coleti, Concilia, t. x, col. 196; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 605;
Pertz, Monum. Germ. hisl., t. i, p. 455 ; A. Verminghofî, Verzeichnis, dans
Neues Archiv, 1901, t.-xxvi, p. 631-632; E. Lesne, La hiérarchie épiscopale,
1905, p. 155. (H. L.)
2. Le concile de 862 commence ainsi : In nomine sanctse et individuse Trini-
(atis. Karolus gratiaDei rex et episcopi, abbales quoque et comités ac céleri in ChristO
renati fidèles qui ex diversis provinciis super fluvium Sequanam in locum qui Pistis
dicilur, ubi, exigentibus peccatis nostris, aliquandiu sedes fuit Nortmanorum,
conversimus. Mansi, op. cit., t. xv, col. 631 ; Capitul., édit. Krause, t. n, p. 303.
Sur la localité de Pitres, dans laquelle Charles le Chauve aurait, au mois de jan-
vier 862, remporté un succès sur les pirates normands, cf. F. Lot, Mélanges
carolingiens, II. Le pont de Pitres, dans Le moyen-âge, 1905 , IIe série, t. ix,
p. 1-2. Le roi convoqua le grand plaid annuel à Pitres pour les calendes de juin
(16 mai-ler juin 862) et après une courte absence, il revint dans ce lieu pour y
tenir un concile et y promulguer des Capitulaires. « Qu'est-ce que Pistis, Pistas,
Pîstus ? se demande M. Lot. Sans nous attarder à discuter des identifications
antaisistes, il n'est pas douteux qu'il s'agisse de Pitres, sur la Seine, département
de l'Eure, arrondissement de Louviers, canton de Pont-de-1'Arche, au confluent
de l'Andelle avec la Seine, à l'endroit même où l'action de la marée montante
cesse de se faire sentir, Vita sancli Condedi, monachi Fontanellensis, c. vi, dans
Mabillon, Acta sanct. O. S. B., sœc. n, p. 862. C'était une ancienne villa méro-
vingienne ou gallo-romaine. » F. Lot, op. cit., p. 17-18. Cochet, Notes sur les res-
tes d'un palais de Charles le C/iauw?(861-869) retrouvés à Pitres en 1854, 1855, 1856,
dans les Mém. de la Soc. des antiq. de Normandie, 1858, t. xxiv, p. 156-165; Une
ouvelle visite à Pitres, ibid., p. 398-402; L. Contel, Les fouilles de Pitres, dans le
Recueil des travaux de la Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l'Eure.
Ve série, 1899, t. vu, p. 60-66. (H. L.)
3. Il y avait un palais, cf. Cochet, Notes sur les restes d'un palais de Charles le
Chauve (861-869), retrouvés à Pitres, canton de Pont-de-V Arche, arrondissement
de Louviers, (Eure) dans les Procès-verbaux de la Commission des antiquités de la
Seine-Inférieure, 1849-1867, t. n, p. 102-109; cf. Mémoires de la Société des antiq.
de Normandie, 1859, série IIIe, t. iv, p. 156. (H. L.)
304 LIVRE XXIII
à Pistes, où devaient se tenir le placitum et le synodus indiqués.
Les évêques de quatre provinces ecclésiastiques s'y rendirent
et on y traita des affaires de l'empire et de l'Église x. Nous possé-
dons encore de cette réunion un important décret en quatre cha-
pitres : 1. Le roi, les évêques et les grands déplorent d'abord
les grands malheurs qui frappent présentement l'empire, et qui
sont la conséquence des péchés, des leurs en particulier. 2. Pour
introduire une réforme, chaque évêque dans son diocèse, chaque
jnissus dans son district, chaque comte dans son comté, doit
ramener au bien les délinquants, ou les punir; les évêques doivent
imposer les peines méritées sans acception de personnes. On devra
proclamer de nouveau les anciens canons publiés à Quierzy et
à Valence en 853 et 857. 3. Jusqu'à la fête de saint Rémi (1er
octobre), chacun pourra expier ses péchés de plein gré ; après
cette date on portera des peines sévères. 4. On renouvelle [257]
d'anciennes prescriptions sur le vol, les duperies, les atteintes
portées aux biens des églises, les mauvais traitements infligés
aux clercs, et on engage les évêques à excommunier les grands
de l'empire qui ne voudraient pas travailler à leur amendement
et à celui de leurs inférieurs 2. Enfin le concile de Pistes confirme
au monastère de Saint-Calais ses privilèges que lui ^dispute
l'évêque du Mans 3.
Le concile de Pistes se montrait disposé, sur la demande d'Hinc-
mar, à ratifier la sentence de déposition contre Rothade, qui
1. Coll. regia, 1644, t. xxn, col. 750 ; Lalande, Conc. Gallise, 1660, col. 171;
Labbe, Concilia, 1671, t. vin, col. 734-761, 775-783, 1935-1936, 1952-1953
Baluze, Capitularia regum jrancorum, 1677, t. n, col. 153-164; Hardouin, Coll.
concil., t. v, col. 559; Bessin, Concilia Rotomagensia, 1717, t. i, p. 17; Martène,
Thésaurus nov. anecdot., 1717, t. iv, col. 63-66; Coleti, Concilia, 1730, t. x, col. 215,
245; Bouquet, Recueil des historiens de la France, 1749, t. vu, col. 585; Mansi,
Conc. amphss. coll., 1770, t. xv, col. 663; Walter, Corp. jur. ant., 1824, t. ni,
col. 121 ; Pertz, Mon. Germ. hist., t. i, p. 457. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xvm, Append., col. 104 ; Pertz, Mon. Germ. hist., t. m,
Leges, t. i, p. 477 sq. ; Gfrôrer, Die Carolinger, t. i, p. 328 sq.
3. Voir§ 436, § 457. Le concile de Pitres reprit la même affaire qui avait occupé
le concile de Bonneuil sept ans plus toi. Or décida que les évêques qui ne s'étaient
|i;is trouvés à Bonneuil, ainsi que les successeurs de ceux qui étaient morts depuis
cette assemblée, ajouteraient leurs signatures au bas du privilège de 855. Cette série
supplémentaire de signatures épiscopales a été publiée par Martène. Thésaurus, t. jv
p. 63, et par J. Havet, Œuvres complètes, 1. 1, p. 183, n. 18. Le même concile de Pitres
de 862 adressa une lettre à l'évêque du Mans publiées par Mabillon, Annales, t. ni,
p. 94 et Havet, op. cit., t. i, p. 184, n. 19. (H. L.)
467. CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 305
comprit que, pour l'éviter, il devait sans délai en appeler à Rome '.
Le concile reconnut la légalité de cet appel et lui accorda un sur-
sis, nécessaire au voyage de Rome. Rothade revint immédiate-
ment à Soissons, d'où il écrivit au roi et à Hincmar pour leur recom-
mander son Eglise pendant son absence. Il écrivit également
au prêtre déposé de se rendre à Rome et d'y exposer sa défense.
Rothade confia au clerc porteur de ses lettres au roi et à Hinc-
mar, une troisième lettre pour un évêque de ses amis, dans l'es-
poir que celui-ci serait encore au concile ; dans cette missive,
il l'exhortait instamment tous ceux de ses collègues qui, à Pistes,
n'avaient pas voulu adhérer à sa déposition, à le défendre cl à
Ir soutenir2. Hincmar, ayant appris l'existence de cette lettre,
lit tant qu'elle fut lue dans le concile ; il en conclut que Ro-
thade avait retiré son appel et demandait que son affaire
fût réglée par des judices elecii 3. On ne peut dire jusqu'à
1. Le droit canon en usage n'admettait pas l'appel à un tribunal supérieur
avant qu'un tribunal de rang moins élevé eût rendu son jugement; un appel de
ce genre ne peut être fait qu'en suivant la doctrine du pseudo-Isidore.
2. Gfrorer, op. cit., t. i, p. 465, dit à tort que Rothade avait simplement im-
ploré l'assistance de ces évêques pour le temps que durerait son voyage à Rome.
3. Sur l'attitude d'Hincmar dans ce concile et dans plusieurs autres, cf.E. Lesne,
La hiérarchie épiscopale, 1905, p. 173-174. La compétence des judices elecii est
un emprunt fait au cours de la renaissance carolingienne du droit canonique aux
canons des conciles africains. Cf. Hincmar, LV Capit., xxvn, P.L., t. cxxvi,
col. 400; Libellus exposl., xm, P. L., t. cxxvi, col. 583-584; // Conc. Suession.,
act. i, dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 984 ; Conc. Milevitanum, can. 22, 24, dans
la Collectio Hispana, P. L., t. lxxxiv, col. 234, dans la collection du pseudo-
Isidore (édit. Hinschius, p. 319); /// Conc. Carthag., can. 9, 10, dans Hispana,
P. L., t. cxxxiv, col. 190, 191, dans la collection pseudo-Isidorienne (Hinschius,
p. 298) ; Conc. Africanum, dans la Dionysio Hadriana, can. 63 et 87 (dans Hartz-
heim, Conc. Germ., t. i, p. 223, 227). Hincmar explique l'usage africain de déférer
la cause à des évêques voisins élus, par l'étendue des provinces et l'éloignement
de l'évêque du premier siège. LV Capit., xxix, P. L., t. cxxvi, col. 404. Le même
obstacle n'existant pas dans sa province, il s'ensuit que c'est à lui de prononcer ou,
en preuve d'impartialité, de désigner les juges. Toutefois l'ancien droit subit des
retouches destinées à sauvegarder les prérogatives de l'archevêque, rouage dont
la législation africaine n'avait pu se préoccuper. Lorsque le métropolitain ne
donne pas lui-même des juges, il ratifie du moins le choix fait par l'inculpé. Cf.
Hincmar, LV Capit., vi : Ego vero tibi judices aut consentire electos aul a me etiam de-
pulatos dare debeo, P. L., t. cxxvi, col. 311 ; De jure melrop., xvi : Quœstio per ipsos
judices jubetur finiri, sive quos primates dederint, sive quos inter se conquerentes
vicinos ex consensu delegerinl, P. L., t. cxxvi, col. 198; Conc. Africanum, can. 87
{Dionysio Hadr., Hartzheim, Conc. Germ., t. i, p. 227). A Douzy, Hincmar repro-
che à son su lirai;.! ii I de n'avoir accepté ni l'une ni 1 autre de ces solutions. I a bel lus
CONC I LES - IV - 2ii
306 LIVRE XXIII
quel point était fondée cette allégation d'Hincmar, car la
lettre de Rothade qui la provoqua est perdue. Quoi qu'il en
expost., iv, P. L., t. cxxvi, col. 570. Hincmar de Laon réclama des judices elecli.
P. L., t. cxxvi, col. 496. Quand l'archevêque est en cause, il a le droit de désigner
seul les juges. C'est de sa pari faire preuve d'un grand esprit de conciliation que
de permettre à la partie adverse de choisir à son tour quelques juges. Conc. Sues-
sion. III, dans Mansi, op. cit., t. xiv, col. 984. L'évêque accusé ne peut chercher
des juges que dans sa province, tandis que le métropolitain peut lui assigner
comme juges les évêques d'une province étrangère. Hincmar, LV Capil.. vi.
P. L., t. cxxvi, col. 312, 313. La sentence des juges élus est sans appel. Hincmar,
Libellus expost., xiii, P. L., t. cxxvi, col. 584; cf. Epist. ad NicoL, P. L., t. cxxvi,
col. 29. Du jugement d'un évêque, quand il a prononcé comme juge élu par les
parties, on ne peut, de l'aveu d'Hincmar, en appeler au métropolitain. Hincmar,
LV Capit., xxix, P. L., t. cxxvr, col. 404. Si, en revanche, l'évêque déjà condamné
dans un synode et par un métropolitain en a appelé, avec l'approbation de
l'archevêque, à des judices elecli, il s'est fermé toute autre voie de recours; Hiiic-
mar affirmait que Rothade, au concile de Pitres en avait appelé au Siège romain
et demandé au concile de lui donner des judices elecli : en conséquence sa demande
d'appel à Rome n'était plus recevable. P. L., t. cxxvi, col. 28 sq. Rothade nia en
avoir appelé aux judices elecli et déclara s'en être toujours tenu à l'appel au
Saint-Siège. Libellus proclamai., dans Mansi, op. cit., t. xv. col. 683. Rothade sem-
ble donc reconnaître implicitement que l'une des juridictions excluait l'autre.
Nicolas Ier n'est pas de cet avis. Il admet parfaitement que Rothade n'a pas
sollicité de judices elecli, mais l'eût-il fait il n'accepte pas le principe qu'il se fût
ainsi fermé le recours à Rome. P. L., t. cxix, col. 891-892. On en a la prëttvë lors-
qu'il ordonne de remettre à des judices elecli l'examen de la querelle entre l'évê-
que du Mans et le monastère de Saint-Calais; mais si l'évêque, au cours du juge-
ment, vient à en appeler au Saint-Siège, l'affaire devra lui être déférée. Nicolas,
Epist. ad Carolum regem, P. L., t. cxix, col. 864. En fait, la juridiction des judices
electi se distingua sans doute rarement de celle du synode. Au IIe concile de Sois-
sons, Hincmar et les clercs ordonnés par Ebbon élisent comme juges quelques-
uns des évêques présents. Mansi, op. cit., t.. xiv, col. 984. Ce sont ces juges élus qui
conduisent 1 instruction, mais c'est devant le synode tout entier que s'agiteîit
les débats. C'est le concile qui rend les arrêts. Mansi, op. cit., t. xiv, col. 986.
Finalement Hincmar reprend la présidence, du consentement des juges et du
concile, et on en revient à la procédure ordinaire des synodes. Mansi, op. cit.,
t. xiii, col. 987. Il en a été de même dans l'affaire de Rothade ; Hincmar affirme
que sur la demande de ce dernier, le concile de Pitres, lui a constitué douze
juges et qu'en conséquence il a été déposé à Soissons. A lire le récit du condamné,
on voit qu'il s'est tenu à Soissons un véritable synode dont le président Hinc-
mar a prononcé la sentence de déposition. Mansi, op. cit., t. xv, col. 683, 864.
Sous cette forme et grâce à ces restrictions, l'appel à des judices electi laisse
intacte la prérogative du métropolitain et la juridiction synodale. L'appel
au Siège apostolique, au contraire, diminuait et contrariait directement l'une et
l'autre. Le développement constant de cette pratique au ixe siècle alarmait les
tenants de la juridiction synodale et métropolitaine. Sans nier le princi pe
467. CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 307
soit, Rothade a toujours affirmé qu'il n'avait pas songé un
seul instant à renoncer à l'appel et n'avait jamais réclamé un
258] nouveau tribunal épiscopal x. La majorité des évêques réunis à
Pistes et le roi Charles lui-même approuvèrent les conclusions
d'Hincmar qui envoya aussitôt à Soissons l'abbé Trasulf, chargé
d'interdire à Rothade le voyage de Rome; Rothade, refusant
d'obéir, fut mis en prison. Le roi transféra, dans les derniers mois
de 862, le concile de Pistes dans un faubourg de Soissons (in
suburbano), et Hincmar députa trois évêques à Rothade pour le
citer. Il n'obéit pas, mais après plusieurs citations il consentit
à se laisser présenter au roi dans un appartement voisin du local
où se tenait le concile. Charles lui interdit une fois de plus le
voyage de Rome, et exigea sa comparution devant l'assemblée.
L'évêque refusant encore fut remis en prison et le concile pro-
nonça contre lui, par défaut, la déposition. Rothade soutint
qu' Hincmar avait extorqué ce jugement en traitant l'assemblée
en dictateur, et qu'il avait voulu le contraindre à reconnaître
cette sentence et à se contenter d'une abbaye, au lieu de son
évêché 2. Hincmar proteste de son côté que Rothade avait
acquiescé à ce qui s'était fait et accepté une riche abbaye. Mais
de l'appel à Rome — et à Pitres, au témoignage de Rothade. Hincmar lui-même
a reconnu le bien-fondé de son appel — Hincmar s'attache à en régler et à en res-
treindre l'application. Il ne veut pas, déclare-t-il, par respect pour le privilège
apostolique, laisser porter devant lui des causes qui peuvent recevoir leur solu-
tion au synode provincial, Hincmar, Epist. ad Nicol., P. L., t. cxxvi, col. 28;
d'où il conclut que pour l'affaire de Rothade en particulier elle ne doit pas être
portée à Rome où, en aucun cas, les simples clercs et les prêtres ne pourront en
appeler. Condamnés en première instance par leurs évêques, ils n'ont de recours
que devant le synode provincial et le métropolitain. Seuls les évêques peuvent
en appeler au Siège apostolique et seulement après qu'un synode provincial et
leur métropolitain les auront condamnés. A l'autorité du Siège romain, Hincmar
substitue les judices elecli qu'il oppose à l'appel à Rome comme étant eux-mêmes
une juridiction d'appel exclusive de toute autre. Mais surtout Hincmar rappelle
l'Eglise romaine au respect de la procédure établie par le concile de Sdrdique et
considère la conduite du pape à l'égard de Rothade comme sa violation flagrant e.
1. Cf. Libellus proclamationis, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 580;Mansi,
op. cit., t. xv, col. 682 sq.
2. D. Doublet. Histoire de saint Denys, 1625, p. 792 ; Lalande, Concilia Gallise,
1660, col. 170; Labbe, Concilia, t. vm, col. 1936-1937 ; Mabillon, De re diplo-
matica, 1789, col. 468, 470-471; Hardouin, op. cit., t. v, col. 569; Coleti, Concilia,
t. x, col. 221; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 638; E. Lesne, La hiérarchie
épiscopale, p. 173, n. 3, p. 180, n. 1.
308 LIVRE XXIII
les évêques du parti de Lothaire et de Waldrade l'avaient
excité et amené à retirer son consentement 1.
Ce que nous venons de raconter d'un concile tenu dans un
faubourg de Soissons, est attribué par d'autres historiens, Gfrôrer
par exemple, à un concile tenu à Senlis 2. Ils l'établissent par la
suscription d'une lettre du pape Nicolas Ier ad episcopos synodi
Sih'anectensis. Noël Alexandre et Pagi avaient bien compris
qu'il fallait lire Suessionensis ; ils s'appuyaient pour cela sur la
continuation faite par Hincmar aux Annales de Saint-Bertin, où
on lit, ad ann. 862 : in suburbio Suessorum 3. Nous avons, en outre,
trois preuves qui confirment cette argumentation : d'abord le
Libellus proclamationis de Rothade, où on lit : in suburbio nostrss
civitatis (par conséquent Soissons) ; ensuite deux pièces prove-
nant de ce concile et confirmant diverses donations anciennes
et nouvelles faites au monastère de Saint-Denis. On y lit que le
roi avait d'abord réuni les évêques à Pistes, ensuite à Soissons 4. [2591
1. Hincmar, EpisL, u, ad Nicol., dans P.L., t. cxxvi, col. 30.
2. Sirmond, Conc. Gallise, 1629, t. n, col. 202; Coll. regia, 1644, t. xxn, col.
739; Labbe, Concilia, 1672, t. vin, col. 761-764 ; Hardouin, Coll. concil., t. v,
col. 557; Coleti, Concilia, 1730 , t. x, col. 227; Mansi, op. cit., t. xv, col. 643;
Gfrôrer, Die Carolinger, t. i, p. 465. Cf. Lafïineur, Notice sur les conciles de Senlis,
863-1326, dans Mém. com. archéol. de Senlis, 1869-1871, p. 47; A. Verminghoff,
Verzeichnis, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 632.. (H. L.)
3. Noël Alexandre, Hist. eccles., ssec. ix, x, dissert. VI, Venetiis, 1778, p. 379;
Pagi, Critica, ad ann. 863, n. 5; Pertz, Mon. Germ. hist., t. i, p. 457.
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 551 sq.; Mansi, op. cit., t. xv, col. 631 sq. Cf.
D. Doublet, Hist. de saint Denys, 1625, p. 792; E. Lesne, La hiérarchie épiscopalc,
1905, j). 136. A lire le récit de Rothade on voit qu'il s'est tenu à Soissons un véri-
table concile dont le président Hincmar a prononcé la sentence de déposition.
Libellus proclam., Mansi, op. cit., t. xv, col. 683. Hincmar y fut à la fois accusa-
teur, témoin, et juge : factusque est gratis meus ipse accusator, ipse testis, ipseque
judex. Voici donc la suite de ce petit drame : Rothade est déposé, en 861, au con-
cile provincial de Soissons, donec obediat. Il comparaît, en 862, devant le concile
de Pitres, où il interjette appel. Mais Hincmar est tout-puissant à Pitres et Ro-
thade a beau en appeler de la sentence rendue par le concile provincial de Sois-
sons, il perd son temps et sa peine. A Pitres cependant, au témoignage de Rotha-
de, Mansi, op. cit., t. xv, col. 682, Hincmar a dû reconnaître le bien-fondé de son
appel au siège romain, mais ensuite il se ravise et prétend, pour soustraire Ro-
thade à cette juridiction sur laquelle il n'a pas de prise, que l'évêque de Soissons
a sollicité du concile de Pitres des judices electi, ce que Rothade nie absolument.
Mais Rothade n'est pas le plus fort, on passe outre et un véritable concile va se
tenir, à l'issue de celui de Pîtres, dans la banlieue de Soissons. C'est là que Ro-
thade sera enfin déposé. On ne voit pas que personne ait pris sa défense. A l'issue
du concile de Pîtres, Rothade avait envoyé à un évêque qu'il croyait sympathi-
167. CONCILES DE SOISSONS ET DE PISTES 309
On envoya à Rome l'évêque de Beauvais, Odon, avec la lettre
synodale ; la réponse du pape permet d'en conjecturer le contenu,
en même temps que les événements qui précédèrent et suivirent
le concile 1. Nicolas traitait dans cette lettre l'affaire de la reine
Judith, fille de Charles le Chauve 2, mariée en 856 au roi d'An-
gleterre, après la mort duquel, en 858, elle s'était mariée avec le
fils aîné de son mari, son propre beau-fils, Ethelbald, roi de
Wessex. Le mécontentement du peuple la força à rompre cette
union, et, après avoir vendu son douaire, elle rentra en France,
et demeura, conformément aux ordres de son père, à Senlis, où
elle fut placée sous la surveillance des évêques jusqu'à ce qu'elle
eût renoncé au monde ou qu'elle eût contracté une union assortie 3.
Là, elle s'aboucha avec Baudouin Eisenarm, comte de Flandre,
et s'enfuit avec lui, grâce aux secours que lui fournit son frère
Louis 4. Le roi Charles fut grandement irrité, et dénonça ce crime
aux évêques réunis à Soissons : ceux-ci prononcèrent l'anathème
contre Judith et contre Baudouin 5. Ce récit des Annales de S aint-
Bertin (ad ann. 862) ne dit pas si ce concile de Soissons est le
que à sa personne et à sa cause, mais qui avait déjà quitté cette localité, une lettre
dans laquelle il demandait l'appui de ceux qui in meam damnationem partici-
pa™ nolebant. Mansi, op. cit., t. xv, col. 682. Plus tard, HincmardeLaon prétendra
n'avoir pas consenti à cette déposition, et Hincmar de Reims se contentera de
produire la signature de l'évêque de Laon. P. L., t. cxxvi, col. 510. Seuls les évê-
ques du royaume de Lothaire II ont pris parti pour Rothade, Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 646, mais il est évident que c'est pour complaire à leur roi blessé par
l'attitude prise par Hincmar dans l'affaire du divorce. Hincmar, Epist. ad Nico-
laum, P. L., t. cxxvi, col. 30. (H. L.)
1. Nicolas, Epist., xxxn, P. L., t. cxix, col. 821 ; cf. § 471.
2. J. Marchai, De la fuite de Judith, reine douairière de Wessex, avec le comte
Baudouin et de l'inféodalion du marquisat et de la Flandre, dans le Bulletin de l'A-
cad. de Belgique, 1847. (H. L.)
3. Annales Bertiniani, ad ann. 856, 857, 862, p. 47, 49, 56 ; Asser, Gesta
JEljridi, dans Mon. Germ. hist., Scriptores, t. xm, p. 121. (H. L.)
4. Annales Bertiniani, ad ann. 862, p. 56; Annales Elnonenses, ad ann. 862;
Annales Blandinienses, ad ann. 862, dans Mon. Germ. hist., Script., t. v, p. 19, 26;
Consent, ap. Sapon., c. v, dans Capitularia, t. u, p. 160. (H. L.)
5. La sentence épiscopale fut communiquée à Lothaire qui donnait asile au
couple condamné. Charles le Chauve lui en fera plus tard un grief ; il avait à son
propre compte bien d'autres licences à se reprocher. Annales Bertiniani, ad
ann. 862, p. 57; Consent, ap. Sapon., c. v, dans Capitularia, t. n, p. 160-161.
Cf. Lettres d'Hincmar à Hunger, évêque d'Utrecht, et au Normand Roric, au
sujet de l'excommunication de Baudouin. Flodoard, Hist. Remensis Ecclesise,
\. III, c. xxin, xxvn, édit. Lejeune, t. n, p. 284, 345. (H. L.)
310
LIVRE XXIII
même que l'assemblée réunie à Soissons immédiatement après celle
de Pistes. Quoi qu'il en soit, l'un et l'autre appartiennent à l'an-
née 862. Lothaire, roi de Lorraine, prit en main la cause de Judith
et de Baudouin, par rancune de ce que Charles le Chauve avait
pris parti contre lui dans l'affaire de Theutberge 1. Baudouin cher-
cha à se rendre le pape favorable; il partit pour Rome2, et nous
verrons plus tard le pape Nicolas intercéder à plusieurs reprises
en sa faveur, jusqu'à ce qu'enfin on tolérât son mariage avec Ju-
dith. Ils vécurent en Flandre au milieu d'une cour magnifique :
c'est d'eux que sont descendus les anciens comtes de Flandre.
468. Réunions à Savonnières, à Sens, à Rome et à Cordoue.
L'appui que Judith et Ingeltrude trouvèrent près de Lothaire
et les efforts de Charles pour empêcher son neveu de répudier
sa femme, avaient, on le comprend, ajouté à la mésintelligence
existant entre ces princes. Une entrevue ménagée par Louis le
Germanique, à Savonnières près de Toul, le 3 novembre 862, [260]
n'amena aucune détente 3. On a regardé à tort cette entrevue
1. Gfrôrer, Die Carolinger, t. i, p. 325 sq. [R. Parisot, op. cit., p. 201-203. (H. L.)]
2. Baudouin et Judith se rendirent à Rome pour implorer la clémence du pape ;
nous ignorons la date de ce voyage, peut-être quittèrent-ils la Lorraine avant
l'assemblée de Savonnières. La première lettre, en effet, par laquelle le pape in-
tercéda auprès de Charles le Chauve en leur faveur est du 23 novembre 862 ( Jafîé-
Ewald, n. 2703, P. L., t. cxix, col. 803-804); le congrès de Savonnières, nous
allons le voir, se termina le 3 du même mois. C'est un espace de temps bien court
mais suffisant, somme toute, pour que le couple fît le voyage de Rome, vît le
pape et en obtînt une intervention. (H. L.)
3. Sablonnières, arrondissement de Coulommiers, dép. de Seine-et-Marne,
où se tint un concile le 14 juin 859; localité qu'il ne faut pas confondre avec Sa-
vonnières dont on va parler incessamment. A. Verminghofî, Verzeichnis der
Akten frànkischer Synoden von 843-918, dans Neues Archiv der Gesellschafl
fur altère deulsche Geschichtskunde, 1901, t. xxvi, p. 625-626, 632 ; Baronius,
Annales, ad ann. 862, n. 36 sq. ; Labbe. Concilia, t. vm, col. 754 ; Coleti,
Concilia, t. x, col. 215; Mansi, op. cit., t. xv, col. 630; t. xviii, Append., col. 1 11
sq.; Pertz, Monum. Germ. hist., t. m, Leges, t. i, p. 483 ; Dûmmler, op. cit., p.
484 sq. Il faut donc distinguer entre Sablonnières qui précède et Savonnières, com-
mune de Foug, arrondis, de Toul, Meurthe-et-Moselle. Cf. Beaulieu, Savonnières-
les-Toul, dans les Mém. de la Soc. scient, de Nancy, 1838-1839; Pithou, Ann. hist.
franc., 1594, p. 491-498; J. Sirmond, Conc. Galliœ, t. m, col. 137; A. Duchesne,
468. RÉUNIONS A SAVONNIÈRES, A SENS, ETC. 311
comme un concile, parce que chacun des rois qui y prirent part
était accompagné de plusieurs évêques.
En cette même année 862 un concile déposa à Sens Héri-
mann, évêque de Nevers, coupable de divers méfaits et dont la
raison était affaiblie i.
En 862 encore, un concile romain condamna la doctrine des théo-
paschites2. Muratori et Mansi pensent que ce concile s'est tenu
Hist. de Franc, script., 1636, t. n, p. 436; Coll. regia, t. xxn, col. 642; Labbe,
Concilia, t. vin, col. 674-695, 1949-1950; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 483;
Martène, Thés. nos', anecd., t. m, col. 857-859; Coleti, Concilia, t. x, col. 113 ;
Bouquet, Rec. des hist. de la Gaule, t. xn, col. 582-585; Mansi, Concilior. ampliss.
coll., t. xv, col. 527; Duru, B M. hist. de V Yonne, 1850, t. i, p. 292-301 ; E. Lesne,
La hiérarchie épiscopale, in-8, Paris, 1905, p. 146, 152, note 2 ; 198, note 3; 201,
note 4 ; 275 ; R. Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, 843-923,
in-8, Paris, 1899, p. 204-209; J. Calmette, La diplomatie carolingienne, du traité
de Verdun à la mort de Charles le Chauve (843-877), in-8, Paris, 1901, p. 81-86.
Le lieu du Congrès est indiqué par le titre que quelques manuscrits mettent en
tête des Adnuntiones et par une note qu'ils ajoutent à celle-ci, Capitularia,
t. n, p. 163, n. c, et p. 165. Cette même note nous apprend que le congrès était
terminé le 3 novembre. Comme d'autre part Charles le Chauve était encore à
Ponthion le 28 octobre où il donne un diplôme pour Saint-Urbain, Rec. hist.
France, t. vm, p. 584, c'est entre ces deux dates que se place la conférence de Sa-
vonnières. Lothaire était représenté par Advence de Metz et Atton de Verdun.
Louis le Germanique amenait avec lui Altfrid d'Hildesheim et Salomon de Cons-
tance ; enfin Charles le Chauve était accompagné d'Hincmar de Reims, d'Hinc-
mar de Laon, Eudes de Beauvais et Chrétien de Troyes. Les pourparlers, de
l'aveu d'Hincmar [Ann. Bertin., ad ann. 862, p. 60) furent très difficiles et Hinc-
mar le sait autant que personne, car il y a joué un rôle important. Il sortit de là
un mémorandum en dix articles contenant l'exposé de la situation et l'énoncé
des griefs. C'était plutôt un ultimatum qu'il eût fallu dire: Charles le Chauve
exigeait l'abandon de Judith, sa fille, par Lothaire. Il appuyait les revendica-
tions du comte Boson et dans la question du divorce de Theutberge il déclarait
s'en tenir à la solution du traité De divortio dont l'auteur Hincmar était aussi
l'auteur du Mémorandum. Quant au concile lorrain de 862, il était non avenu et
le couronnement de Waldrade illégitime. « Si la conférence de Savonnières
avait évité un conflit imminent, elle n'était certainement pas parvenue à faire
disparaître toutes les causes de dissentiment entre Lothaire et Charles. Rien
n'avait été résolu et personne n'avait été désarmé : le résultat de ces laborieuses
négociations n'était, en dernière analyse, qu'un compromis provisoire. » (H. L.)
1. Labbe, Concilia, t. vin, col. 1934-1935; Hardouin, op. cit., t. v, col. 537;
Coleti, Concilia, t. x, col. 197; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. x, col. 607;
L.-M. Duru, Bibliothèque historique de l'Yonne, in-4, Paris, 1850-1863, t. n,
p. 286 ; A. Verminghofï, op. cit., t. xxvi, p. 632. (H. L.)
2. Voir § 202. Cf. A. Verminghofï, Verzeichnis, dans Neues Archiv., 1901,
t. xxvi, p. 633. (H. L.)
Q
12 LIVRE XXHI
l'année suivante 1, Jaffé maintient la date de 862. Ce concile fit
contre les théopaschites les déclarations suivantes : 1. Le Christ
n'a souffert que dans sa chair ; 2. Que celui qui rapporte les
souffrances à sa divinité soit anathème 2. Il promulgua en outre
les cinq déclarations suivantes : 1. Excommunication renouve-
lée contre Jean, archevêque de Ravenne. 2. Anathème contre ceux
qui soutenaient que le baptême n'efface pas le péché originel. 3.
Renouvellement du statut, et menace d'anathème contre qui-
conque dispute au clergé romain et aux principaux du peuple le
droit d'élire le pape. 4. Menace d'excommunication contre celui
qui maltraiterait un évêque, et confirmation des décisions prises
par un concile romain tenu sous Léon IV 3.
En 862 on tint un concile à Cordoue. Depuis quelque temps
s'étaient répandues en Andalousie des erreurs anthropomorphi-
ques dont un certain Hostegesis s'était fait le propagateur
zélé. Il niait en particulier la réelle ubiquité de Dieu et estimait
contraire à la dignité de Dieu de le faire intervenir en tout et
partout. Le principal adversaire d' Hostegesis fut l'abbé Samson
qui attaqua l'anthropomorphisme et remit au concile de Cordoue,
en 862, une profession de foi de sa composition. Les évêques l'exa-
minèrent et la reçurent. Mais Hostegesis s'introduisit dans le con-
cile avec ses partisans et obligea les évêques à souscrire une for-
mule de foi qu'il avait composée et à condamner comme hérétique [261J
l'abbé Samson (la formule d' Hostegesis présentait les idées
émises par l'abbé Samson sur l'ubiquité de Dieu comme ayant
des tendances hérétiques, et lui attribuait encore la paternité
de nouvelles erreurs). Dans la suite, les évêques déclarèrent à
Samson soit de vive voix, soit par écrit, qu'ils le considéraient
comme un excellent catholique, et le rétablirent dans sa charge 3.
1. Coll. regia., t. xxn, col. 743; Labbe, Concilia, t. vm, col. 766-774; Hardouin,
Coll. conc, t. v, col. 571; Coleti, Concilia, t. x, col. 235; Mansi, op. cit., t. xv,
col. 649; Jafîé-Ewald, Reg. pont, rom., 2e édit., p. 349. — 2e: Coll. regia, t. xxn,
col. 743; Labbe, Concilia, t. vin, col. 774-775, cf. 288-289; Coleti, Concilia, t. x,
col. 243; Mansi, op. cit., t. xv, col. 661 ; Jaffé, op. cit., 2e édit., p. 350. — 3e : Coll.
regia, t. xxn, col. 749; Labbe, Concilia, t. vin, col. 775; Mnratori,7?er. liai, script.,
1726, t. ii, part. 2, p. 127-128; Coleti, Concilia, t. x, col. 243, 1409 ; Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 661 ; Jaffé, op. cit., 2e édit., p. 351; Mtihlbacher, Reg. Karolin., 1886,
p. 492. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xv, p. 611.
3. Voir § 452.
'i. Gams, Kirchengesch. von Spanien, t. n, 2, p. 318 sq.
^69. LOTHAIRE ET NICOLAS Ier 31
0
469. Lothaire et Nicolas 1er. Le concile de Metz en 863.
La sentence du troisième concile d'Aix-la-Chapelle permettant
au roi Lothaire de se remarier froissa tellement l'opinion, que
beaucoup de grands, laïques ou évoques, même du royaume de
Lothaire, posèrent à Hincmar vingt-trois questions, et plus
tard sept autres, sur cette affaire. Il y répondit en 862 ou 863
par l'écrit De divortio Lotharii régis, etc. 1, dans lequel il prouva
qu'on ne pouvait rien conclure des aveux de Theutberge con-
trainte. « Pour observer la procédure requise, on aurait dû, en
particulier, citer son frère Hubert devant le tribunal. Du reste,
Theutberge eût-elle réellement péché avec son frère, avant
son mariage, cette faute ne saurait justifier une répudiation;
c'est à tort qu'on a supposé de sa part (à Hincmar) une adhésion
directe ou indirecte aux décisions du concile d'Aix-la-Chapelle.
Une séparation ne peut être motivée que par la faute d'un des
conjoints, ou par la volonté des deux parties de faire le vœu de
chasteté. Mais alors même qu'il y a séparation entre conjoints, il
ne s'ensuit nullement que l'un des deux puisse se remarier.
Pour se tenir dans la légalité, on aurait dû prouver, par nou-
velle enquête, l'impossibilité du mariage du roi avec Theut-
berge; alors seulement Lothaire aurait pu se remarier. D'ailleurs,
ces sortes d'enquêtes sur les rapports conjugaux étaient de la
compétence des juges civils et mariés, non de celle des clercs qui
n'avaient qu'à déterminer la pénitence. Les juges civils devaient
demander à leurs femmes si les rapports contre nature de Theut-
[262] berge avec son frère avaient pu la rendre enceinte. » Malgré leur
peu de valeur, les considérations d' Hincmar sur le jugement de
Dieu, l'ensorcellement d'un conjoint, en vue d'exciter en lui une
passion amoureuse ou une profonde haine à l'égard de l'autre,
offrent un intérêt, comme caractéristiques du temps. Hinc-
mar termine en disant avec raison, que, dans les affaires spiri-
tuelles, les princes comme les autres hommes doivent se soumettre
au jugement de l'Eglise.
Le pape Nicolas Ier résolut cette importante affaire dans le
1. Sur la date de cet écrit, en septembre ou octobre 860, voir plus haut, p. 242,
note 1.
314
LIVRE XXIII
même sens qu'Hincmar 1. Theutberge ayant seule envoyé au pape
des députés, ceux du roi n'ayant pas paru 2, le pape ne voulut
prendre aucune décision, et décida d'envoyer sur les lieux deux
légats qui feraient un rapport exact 3. Avant leur départ deux
1. Nicolas Ier n'était ordinairement pas l'homme des atermoiements et on s'ex-
plique difficilement les délais apportés par lui à se prononcer dans cette affaire
du divorce de Lothaire. Les informations ne lui manquaient pas. D'une part
Lothaire lui avait envoyé une ambassade après le concile de Tusey (860), pour
contre-balancer l'impression fâcheuse qu'avait dû produire le De dworlio d'Hinc-
mar ; d'autre part, le commonitorium nous apprend que le pape avait reçu de
Theutberge trois réclamations. Jaffé-Ewald, n. 2726, P. L., t. cxix, col. 1180.
L'une de ces réclamations se place naturellement après la sentence de divorce
prononcée par le IIIe concile d'Aix-la-Chapelle, les deux autres étant, l'une anté-
rieure au Ier concile d'Aix-la-Chapelle, la seconde postérieure à l'évasion de Theut-
berge. Reginon, Chronicon, ad ami. 864, p. 82, parle en outre d'une protestation
que les frères de Theutberge auraient, après le IIIe concile d'Aix-la-Chapelle,
adressée au pape, cf. Nicolas Ier, Epist. ad Hubertum, P. L., t. cxix, col. 840;
celui-ci était donc parfaitement au fait et cependant il continua, jusqu'après
le mariage avec Waldrade, à témoigner une apparente indifférence qu'on pouvait
interpréter comme la volonté de s'abstenir. A l'ambassade de Lothaire, le pape
répondit qu'il ne pouvait immédiatement faire partir des légats, Jaffé-Ewald,
op. cit., n. 2698, 2886, P. L., t. cxix, col. 798, 1166, et ce renvoi à une épo-
que indéterminée pouvait toujours s'interpréter dans le sens du laisser- faire.
Lothaire voulut dès lors en finir et placer le pape devant le fait accompli : le ma-
riage fut célébré solennellement. Chose extraordinaire : de ce mariage conclu
en août ou au début de septembre, le pape n'eut connaissance qu'au début de
l'année 863. Jaffé-Ewald, n. 2723, P. L., t. cxix, col. 833. Lothaire lui avait
promis d'attendre sa décision pontificale, or il avait passé outre. Celle-ci, à dire
vrai, s'était si extraordinairement fait attendre que le roi de Lorraine, avec ses
vingt ans, pouvait obtenir quelques circonstances atténuantes ; mais Nicolas
n'était pas d'humeur à les accorder et il allait infliger au jeune prince une leçon
telle qu'aucun souverain n'en avait encore reçu de pareille. (H. L.)
2. Ceci est inexact : Lothaire, à l'issue du IIIe concile d'Aix-la-Chapelle, envoya
au pape deux de ses comtes lui communiquer la sentence du concile. P. L., t. cxix,
col. 1165-1166. (H. L.)
3. Est-ce l'ambassade de Lothaire qui avait demandé l'envoi des deux légats?
nous ne savons. D'après une lettre de Nicolas Ier, datée de 867, c'est probable,
P. L., t. cxix, col. 1165-1166 ; une autre lettre du pape de novembre 862, P. L.
t. cxix, col. 798, représente la demande comme toute récente. Le pape répondit
qu'il ne pouvait le satisfaire sur-le-champ et faire partir les légats. P. L., t. cxix,
col. 798, 1166. Cette réponse dilatoire reçue par Lothaire précipita l'événement
qu'elle prétendait ajourner encore. Il ressort, en effet, de différentes lettres du
pape, Jaffé-Ewald, n. 2723, 2725, 2886, P. L., t. cxix, col. 833, 800, 1166, ainsi
que du mémoire lu par Charles le Chauve à l'assemblée de Savonnières, c. vi,
Capitularia, t. n, p. 161, que Lothaire avait reçu, avant d'épouser, Waldrade
cette réponse décourageante et aujourd'hui perdue du Souverain Pontife. (H. L.)
469. LOTHA1RE ET NICOLAS Ier 315
comtes arrivèrent à Rome1, en qualité d'ambassadeurs de Lothaire
et remirent au pape une lettre du roi annonçant la permission à
lui accordée par les évêques du troisième concile d'Aix-la-Chapelle
de répudier Theutberge et d'épouser Waldrade. Cependant, pour
plus de régularité, il sollicitait du pape l'envoi de légats qui
réuniraient un concile en Lorraine et éclairciraient toute cette
affaire. Il est probable que la sentence du concile d'Aix-la-Chapelle,
antérieure à la lettre de Lothaire, et le couronnement de Wald-
rade avaient mécontenté tout le monde au point que le roi
crut opportun de s'assurer l'approbation du pape 2. En outre,
il savait que le pape, faisant droit aux plaintes de Theutberge,
songeait à envoyer des légats, et il avait dû calculer que sa posi-
tion serait meilleure si ces légats venaient non pour informer
contre lui, mais à sa demande. C'était à ses yeux le meilleur moyen
de réaliser son plan : un séjour prolongé des légats à sa cour,
accompagné d'égards et de présents, lui permettrait de les gagner 3.
Cela fait, il n'avait plus rien à craindre d'un concile, vulacom-
[°ficn plaisance connue des évêques de son royaume. Le pape répondit
ne pouvoir envoyer immédiatement des légats4; il le ferait bien-
tôt néanmoins : en effet, peu de temps après il envoya les deux
rvcques Rodoald de Porto et Jean de Ficoclœ (Cervia, près de
Ravenne) en Lorraine, avec mission de convoquer au concile
projeté deux évêques du royaume de Louis le Germanique et
deux autres du royaume de Charles de Provence, frère de Lothaire 5.
1. En effet, on voit qu'il n'était pas question de ce départ. (H. L.)
2. Gfrôrer, Die Carolinger, t. i, p. 357.
3. La probité des légats pontificaux était depuis longtemps chose assez sus-
pecte ; les Byzantins l'ayant mise à de rudes assauts, des conciles récents ayant
eu à prononcer des dépositions épiscopales retentissantes pour forfaiture, on
comprend que les princes d'Occident escomptaient pour le plus grand profit de
eur politique ou de leur morale les choix d'ailleurs souvent malheureux de la
diplomatie papale. J. Roy, Du rôle des légats de la cour de Rome en Orient et en
Occident du ive au ixe siècle, dans la Bibliothèque de l'école des hautes études,
35e fascicule. Voir Appendices. (H. L.)
4. La réponse du pape est perdue, mais nous savons que Nicolas Ier retardait
l'envoi des légats et annonçait son intention de convoquer un concile qui, sous la
présidence de ses représentants, reviserait le procès de Theutberge, avec l'assis-
tance de deux prélats de Louis le Germanique et de deux autres de Charles de
Provence, Jaffé-Ewald, n. 2698, P. L., t. cxtx, col. 798 ; i! n'était pas encore ques-
tion de faire venir au concile des évêques français. (H. L.)
5. Nicolas Ier, Epist., lviii, xvii. On sera peut-être surpris de ce que le pape
Nicolas ait confié une nouvelle mission à Rodoald de Porto, malgré sa conduite
316
LIVRE XXIII
Gfrorer suppose que Lothaire avait lui-même proposé ces stipu-
lations, soit pout donner à l'assemblée l'apparence d'un concile
général franc et une [dus grande autorité, parce qu'au fond il ne
redoutait guère ces évêques étrangers venus de provinces amies.
Mais Lothaire fit confisquer les lettres des légats adressées par le
pape à ses cousins, et cette circonstance renverse l'hypothèse
de Gfrorer. On comprend que Lothaire ne se souciât pas d'a-
voir au concile des évêques venant de la France proprement dite,
où régnait son oncle Charles le Chauve, qui lui était si opposé
et où Hincmar était si puissant.
Les six lettres remises aux légats du pape sont du 23 novembre
862 1. Nicolas les avait probablement soumises auparavant à
l'approbation d'un concile romain 2, car plus tard le pape les
appelle epistohc synodicse 3. Dans la première le pape demande
à l'empereur Louis II un sauf-conduit pour que ses légats arri-
vent jusqu'à Lothaire et tiennent concile à Metz 4. Dans la seconde
à Constantinople ; mais lorsque Nicolas l'envoya dans les Gaules, il ne connaissait
pas encore la faute dont il s'était rendu coupable, et quoiqu'il eût déjà contre lui
quelques sujets de mécontentement, le pape lui conservait une partie de sa con-
fiance. [Cf. R. Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, 1899,
p. 215, note 5. (H. L.)]
1. Jafîé-Ewald, n. 2698, 2699, 2701, 2702. (H. L.)
2. L'intervention du pape dans l'affaire du divorce a été diversement appré-
ciée. « Leibnitz regrette [Ann. imp. occ, t. i, p. 619) : si, dit-il, un Souverain
Pontife avait protesté contre la répudiation de Plectrude par Pépin le Moyen,
ou de la fille de Didier par Charlemagne, de grands malheurs en seraient résultés.
Gagern, Arnulfi imperatoris vita, p. 14, fait remarquer combien la papauté avait
acquis d'autorité depuis le temps où elle laissait Pépin épouser Alpaïde du vivant
de Plectrude et Charlemagne répudier sa première femme, fille du roi des Lom-
bards. Il s'étonne d'autre part, p. 31, que l'Eglise se soit montrée pour Louis le
Bègue plus indulgente que pour Lothaire. D'après Teller, Histoire d'Allemagne,
t. ii, p. 141, c'était l'intérêt de Louis II qui guidait Nicolas dans l'affaire du di-
vorce, l'empereur ne voulait pas en effet qu'un mariage légitimât les enfants
que Waldrade avait donnés à Lothaire et leur conférât des droits à l'héritage de
leur père. Nous croyons cette appréciation absolument fausse, aussi bien en ce
qui concerne le Souverain Pontife que Louis IL Des mobiles plus élevés diri-
geaient la politique de Nicolas et l'empereur qui n'avait pas d'enfant mâle
n'était aucunement intéressé à empêcher le fils de Lothaire II et de Waldrade de
devenir apte à recueillir la succession de son père. » R. Parisot, op. cit., p. 214,
notel. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 319; Mansi, op. cit., t. xv, col. 367.
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 234 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 279 ; P. L.,
t. cxix, col. 799, 800. 801.
469. LOTHAIRE ET NICOLAS Ier 317
lettre, adressée à Lothaire, le pape résume sa première missive, au-
jourd'hui perdue, et ajoute cette stipulation nouvelle et fort déplai-
sante pour Lothaire, que deux évêques du royaume de Charles
le Chauve siégeraient au concile. Le pape ajoute qu'il envoie à
Lothaire la lettre destinée au roi de France, et le prie de la lui faire
parvenir *. Cette lettre à Charles le Chauve est la troisième des
six : on comprend que le pape y demande au roi d'envoyer au
[264] concile de Metz deux évoques de son royaume2. Une autre lettre,
également adressée à Charles le Chauve 3. le sollicite en faveur de
Baudouin, comte de Flandre, qui s'était enfui avec Judith, fille du
roi. et était récemment arrivé à Rome4. La cinquième lettre, cou-
rue dans le même sens 5, est adressée à la reine Ermentrude. Elle
ne porte plus de date, mais elle a été écrite à la même époque que
les précédentes. Enfin la sixième lettre, destinée au concile de
Metz, devait être lue par les légats à l'ouverture des sessions.
Elle exhorte à faire une enquête juste et impartiale 6 sur la
question soumise au concile. Le pape avait également écrit à
Louis, roi de Germanie, à Charles de Provence, et aux évêques
de ces pays 7 ; mais aucun fragment de ces lettres n'est arrivé
jusqu'à nous.
Les légats étaient eu route lorsque le pape leur envoya une
nouvelle dépêche. Il venait d'apprendre le mariage de Lothaire avec
W aldrade proclamée reine8. Pour s'excuser, Lothaire prétendait que
son père l'empereur Lothaire Ier l'avait jadis marié à Waldrade et
lui avait remis sa dot 9 : plus tard, après la mort de son père, il avait
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 233; Mansi, op. cit., t. xv, col. 278. La lettre à
l'empereur ne parle que des évêques français (P. L., t. cxix, col. 800). celle à
Charles le Chauve ne mentionne pas les prélats provençaux. (H. L.)
2. Epist., xvm,
3. Epist., xx.
'.. Voir7§ 467.
5. Epist., xxi.
6. Epist., xxm.
7. Ceci ressort de l'epist. de Nicolas.
8. T > a m s sa lettre aux évêques du concile de Soissons, P. L., t. cxix, col. 833,
Nicolas dit n'avoir eu connaissance du mariage de Lothaire. avec Waldrade
qu'après le départ des légats Rodoald et Jean. (H. L.)
9. Cette piètre imagination d'un précédent mariage a dû surgir à ce moment
lorsqu'il fallut faire face au pape en qui on savait qu'on allait avoir un adversaire
résolu. Nicolas avait fait connaître son hostilité radicale à toute dissolution de
mariage dans une lettre écrite en 862 à l'archevêque Adon de Vienne. Jaffé-
Ewald, n. 2697, P. L., t. cxix, col. 797. Bien que ni Lothaire ni Waldrade ne
318 LIVRE XXIII
été contraint par Hubert à épouser sa sœur, sous la menace
des plus grands désastres pour son royaume ; maintenant la honte
de Theutberge étant publique, il avait repris sa première et légi-
time épouse 1. Cette apologie est identique à celle que le chance-
lier Advence, évêque de Metz, enverra au pape, après le concile
de Metz 2; niais sans don le dès la fin de 862, Advence ou Lothaire
l'auront transmise à Rome pour se rendre le jugement plus favo-
rable 3. Sur ces entrefaites, le pape apprit de ses légats que les
lettres destinées à Charles le Chauve, aux deux autres rois francs,
et à leurs évêques leur avaient été enlevées par des amis de
Lothaire 4. Probablement Lothaire avait envoyé au-devant des [2651
légats jusqu'aux limites de l'empire quelques courtisans chargés
de recevoir la lettre du pape à lui adressée et dans laquelle le pape
le chargeait de faire parvenir ses autres missives à Charles, etc.
Les ambassadeurs de Lothaire s'en autorisèrent pour réclamer
ces autres lettres, qui leur furent en effet remises par les légats 5.
Le pape craignit que Lothaire ne s'opposât à la réunion du con-
cile de Metz, ou du moins s'il ne pouvait l'empêcher, qu'il n'y
fussent nommés on ne pouvait hésiter à les reconnaître. Il n'est pas certain que
cette histoire commença à courir en novembre 862, car Nicolas n'en dit encore
rien dans ses lettres écrites à cette date. On la trouve pour la première fois
mentionnée dans un commonilorium adressé aux deux légats (Jafïé-Ewald,
h. 2726, P. L., t. exix, col. 1179-1180), commonitorium dont la date est incer-
taine et qui peut n'avoir été rédigé qu'au début de 863, même après le départ
des légats. (H. L.)
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 320; Mansi, op. cit., t. xv, col. 367.
2. Baronius, Annales, ad ann. 862, n. 29.
3. Nulle mention du mariage de 862 et du soi-disant mariage contracte sous
Lothaire Ier dans les lettres du pape. A cet égard, le silence observé dans la lettre
adressée aux évêques du concile de Metz est significatif. Nicolas leur rappelle
qu'à plusieurs reprises Theutberge s'est adressée à lui ; il les prie d'examiner l'affaire
avec un soin scrupuleux. Si l'histoire du mariage antérieur avec Waldrade avail
été dès lors connue du pape, il n'aurait pu se dispenser de recommander au pré-
la I de vérifier cette assertion qui transformait toute l'affaire. (H. L.)
4. Epist., lviii, Hardouin, op. cit., t. v, col. 288; Mansi, op. cit., t. xv, col. 335.
5. Plusieurs mois se passèrent encore avant que les légats ne se missent en
route, leur départ n'a pas dû avoir lieu avant février ou mars. La Vita Nicolai
au Liber pontificalis, t. n, p. 160, commet une erreur en faisant partir les lé-
gats aussitôt après que le pape reçut la nouvelle du mariage de Lothaire et de
Waldrade, cf. P.L., t. exix, col. 833, apportée à Rome par l'évêque Odon de Beau-
vais. Sur ces lettres confisquées, cf. lettre de Nicolas aux légats, avril 863, et lettre
de Nicolas aux évêques allemands du 31 oct. 867. Jafîé-Ewald, n. 2726, 2886,
P. L., t. exix, col. 1179, 1166; R. Parisot, op. cit., p. 217, note 5. (H: L.)
469. LOTHAIRE ET NICOLAS 1er 319
appelât que les évêques placés sous sa dépendance, à l'exclusion des
députés des autres royaumes francs, de qui le pape attendait
une attitude plus indépendante. Aussi Nicolas écrivit à tous les
évêques de la Germanie et des Gaules, pour les presser de se
rendre d'eux-mêmes, et sans autre invitation, au concile de
Metz, d'y citer Lothaire et de le juger canoniquement l. Dans
de nouvelles lettres à ses légats, Nicolas leur fait part des dires
de Lothaire au sujet de son mariage avec Waldrade, et leur recom-
mande de rechercher tout cela par l'exacte vérité. Si l'allégation
es1 reconnue fausse, ils demanderont au roi de se réconcilier avec
Theutberge ; celle-ci devra dans tous les cas comparaîtra devant
le concile de Metz, et si elle affirme de nouveau qu'elle avait
été contrainte à porter contre elle-même de faux témoignages
et que ses juges avaient été ses ennemis, les légats auront à
rendre un jugement équitable. Tel est le sens du Commonitoriitmaxix.
légats 2. Dans les lettres qui accompagnent ce Commonitorium 3,
le pape recommande à nouveau de réunir en hâte le concile fixé à
Metz. Au cas ou les évêques ne viendraient pas et où Lothaire
ferait défaut, ils Tiraient trouver et lui donner connaissance des
ordres du pape. Cela fait, ils iraient trouver, pour l'affaire
1. Episl., xxii, Hardouin, op. cit., t. v, col. 236; Mansi, op. cit., t. xv, col. 2S1.
Les lettres écrites par Nicolas à ses légats en avril 863 renfermaient de nou-
velles instructions et la menace d'excommunication contre Lothaire. Jalié-
Ewald, n. 2778 ; Floss, Papslwahl unter denOttonen, Urkunden, p. 30. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t.v, col. 319; Mansi, op. cit., t. xv, col. 367. Le Commoni-
torium de Nicolas aux légats nous a été conservé, P. L., t. cxix, col. 1179-1180.
A-t-il été remis aux légats au moment où ils quittaient Rome, ou bien est-ce un
second Commonitorium qui leur fut envoyé à la fin d'avril, alors qu'ils étaient
déjà dans les États de Lothaire et dont parle une lettre du pape à cette date ?
Dans ces instructions, Nicolas recommande à ses légats de faire la lumière sur
l'affaire du mariage conclu sous Lothaire Ier et sur l'inceste de Theutberge. Pas
la plus légère allusion au mariage de 862, rien qui rappelle l'irritation dis lettres
papales à partir d'avril 863. On peut donc présumer que notre Commonitorium
est de février ou de mars et qu'il a été remis à Rodoald ou à Jean avant leur dé-
part de Rome. Cependant presque tous les auteurs admettent que le Commoni-
torium qui nous est parvenu est celui-là même qui était joint à la lettre que le
pape écrivit à ses légats vers la fin d'avril. C'est l'opinion de Hefele, Concilien-
geschichte, 2e édit., t. iv, p. 264-265; Jafle-Ewald, Regesta ponlificum romano-
rum, p. 249, n. 2726; A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. u, p. 508,
Miihlbacher, Reg. Kar., p. 490; Dummler, op. cit., t. n, p. 64, n. 1. L'opinion con-
traire est soutenue par Fleury, Histoire ecclésiastique, t. xi, p. 62, et R. Parisot,
op. cit., p. 217, n. 3. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 319; Mansi, op. cit., t. xv, col. 367.
320 LIVKE XXIII
de Baudouin, le roi Charles le Chauve, lui remettraient les epistolas
synodicas (dont il envoyait un nouvel exemplaire), avec une nou-
velle lettre, et feraient connaître tous ces documents aux
évêques et aux fidèles de son royaume. Pour remplacer les lettres
confisquées, il leur en envoyait deux autres pour Charles et pour
sa femme 1, relatives à Baudouin (on voit que ces lettres leur
avaient été aussi enlevées); enfin il leur confiait une nouvelle [266]
lettre pour les évêques des Gaules et de la Germanie 2.
On est porté à croire que les légats eurent avec Lothaire une
première entrevue, avant la réception des nouvelles dépêches;
dépourvus' d'instructions écrites, ils se bornèrent à exposer de
vive voix les ordres du pape 3.
Une lettre d'Advence de Metz à Thieutgaud nous apprend que
peut-être dès l'arrivée des légats, le concile de Metz avait été
fixé au 5 février 863 4. La lettre est à dessein un peu énigmatique;
on recommande à Thieutgaud de la brûler aussitôt que lue. Advence
y dit que Lothaire est désormais décidé à se soumettre sans condi-
tion aux décisions du concile 5 ; Thieutgaud ne doit cependant
pas l'induire en erreur sur ce point et ne pas le détourner de la
voie de Dieu, en lui suggérant de trompeuses espérances. Il vaut
1. Epist., xx, xxi. Coup sur coup le pape avait été édifié sur le caractère de
Lothaire. Le mariage avec Waldrade ; la capture des dépèches des légats ; le rôle
joué dans l'affaire de la succession du siège de Cambrai ; c'en était plus que ce
qu'il fallait pour combler la mesure. Nicolas fut attristé et irrité, Liber ponlifi-
calis, édit. Duchesne, t. n, p. 159. Il est vraisemblable qu'il écrivit alors à Lo-
thaire pour lui reprocher sa duplicité, sa désobéissance, son mépris des lois de
l'Église. Mais cette lettre, à supposer qu'elle ait été écrite, est aujourd'hui per-
due. Nous possédons, par contre, celles adressées aux légats, aux membres de
1 épiscopat français et allemand, aux Pères du concile de Soissons, à l'abbé
Hubert, à Charles le Chauve, enfin la correspondance relative à Hilduin, abbé
de Saint-Denys. Jaffé-Ewald, n. 2726, 2725, 2723, 2729, 2722, 2730, 2731, 2732.
Dans son esprit la cause du roi était perdue, le pape n'admettait pas qu'un hon-
nête homme fît usage de pareils procédés; aussi parlait-il déjà dans la lettre aux
évêques du concile de Soissons et à l'épiscopat de Gaule et de Germanie, d'une
excommunication. Jaffé-Ewald, n. 2723, 2725, P. L., t. exix, col. 833, 801.
(H. L.) _
2. Epist., xxii.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 288; Mansi, op. cit., t. xv, col. 335.
4t. Baronius, Annales, ad ann. 862, n. 60 ; Damberger, op. cit., t. ni, p. 168 ;
R. Parisot, op. cit., p. 264, et note 2 au sujet d'une lettre sans date d'Advence à
Thieutgaud qu'il propose de reculer jusqu'en janvier 865. (H. L.)
5. Le pape, qui ne connaissait pas le caractère de Lothaire, appréhendait une
révolte ouverte. Jaffé-Ewald, n. 2723, 2725. Cf. R. Parisot, op. cit., p. 222. (H. L.)
'i6 9. LOTHAIRE ET NICOLAS Ier 321
mieux que Lothaire cède plutôt que de refuser un remède salutaire.
Le concile fut forcément différé, d'abord à cause des invasions
des Normands, qui s'étaient avancés jusqu'aux environs de Colo-
gne et de Neuss 1, et aussi à cause de la mort du jeune roi Charles
de Provence 2 dont Lothaire ambitionnait la succession. Une lettre
de Thieutgaud à Hincmar nous apprend qu'on fixa le concile
au 15 mars3. Le prêtre et abbé Hilduin 4. frère de Gûnther de
Cologne avait été demande par Lothaire pour le siège de Cambrai.
Hincmar en qualité de métropolitain s'y refusa et remit au roi
Lothaire un mémoire exposanl l'indignité d'Hilduin. On récla-
mait d'Hincmar la preuve de ces accusations, c'est pour cela que
Thieutgaud l'avait invité à se rendre à Metz 5. Hincmar ne compa-
rut pas et le pape Nicolas au cours de cette même année 863,
chercha à écarter Hilduin. à qui il écrivit ainsi qu'au roi Lothaire et
aux évêquesde son royaume. Odon, évêque de Beauvais, se chargea
de ces lettres à son retour à Home 6. Le pape écrivit en même temps
[267] à Hubert pour lui dire que, conformément à ses désirs, la question
du mariage de sa sœur serait traitée au concile de Metz 7. Une autre
1. Ann. Bertiniani, ad ann. 863, p. 61 ; Ann. Xantenses, ad ann. 864, p. 230-
231. (H. L.)
2. Mort le 24 janvier 863. Ann. Berlin., ad ann. 863, p. 61. (H. L.)
3. Epislola episcoporum regni Lotharii ad Hincmarum, dans Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 645; Fleury, Hist. eccl., t. xi, p. 67; Binterim, Pragmatische Geschichte
(1er deutschen Conciliai, t. ni, p. 10!) : Hefele, Conciliengeschichte, t. iv, p. 266,
cl avec quelques réserves, Dùmmler, op. cit., t. n, p. 64, a. ".!. croient que primi-
tivement le concile avait été fixé au 2 février : leur hypothèse est fondée sur une
[ettre écrite par Advence à Thieutgaud, Hontheim, HistoriaTrevirensis diplo-
matica, t. i, p. 199, lettre où il est question d'un concile qui devait s'ouvrir à
Metz le jour de la Purification. Mais cette lettre est de la fin de 864 ou du début
de 865. (H. L.)
4. Il y ;i eu plusieurs personnages de ce nom à cette époque et la confusion ne
s'établit que trop facilement entre eux. Sur les relations d'Hincmar avec Hilduin
abbé de Saint-Denys, Flodoard, Hist. eccl. Remensis, 1. III, c. i, édit. Lejeune,
t. n, p. 2-4; R. Parisot, op. cit., p. 219. (H. L.)
5. Mansi, op. cit., t. xv, col. 645.
6. liardouin, op. cil.,,1. v, col. 302 sq. ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 349.
7. Pendant le séjour de Lothaire dans le Midi, où l'avait appelé la mort du
jeune Charles son frère, les légats Rodoald et Jean avaient reçu les lettres du pape,
écrites pour remplacer celles qu'ils s'étaient laissé dérober. Il n'est pas certain
qu'Odon de Beauvais fût porteur de cette correspondance pontificale, mais
c'est possible et, en tous cas, il remit le 24 mai à Hincmar une lettre de Nico-
las. Comme il était également chargé d'une lettre papale aux évèques lorrains,
Jafîé-Ewald, n. 2730, P. L.. t. cxxvi, col. -J5, il est vraisemblable qu'on lui avait
CONCILIAS — IV —21
322
LIVRE XXIII
lettre fut adressée aux fils de Charles le Chauve réconciliés peu
auparavant avec leur père; le pape les engageait à se rendre
également à Metz. Mais ce concile ne put s'ouvrir le 15 mars
863. Sur ces entrefaites les légats du pape se rendirent à la
cour de Charles le Chauve, qui les reçut avec bienveillance à
Saint-Médard de Soissons. Charles pardonna alors au comte
Baudoin x : on ignore si à cette époque le roi avait reçu la let-
tre du pape 2 confiée à Odon de Beauvais, et contenant de nou-
velles instances en faveur de Baudoin.
Le roi Charles fit de riches présents aux légats qui revinrent
à Metz, où le concile s'ouvrit enfin vers mi-juin 863 3. Les
actes de cette assemblée ne nous sont pas parvenus ; nous la
connaissons néanmoins par la continuation des Annales de Saint-
Bertin d'Hincmar 4, par] les lettres du pape Nicolas et quel-
ques autres sources. L'assemblée comprenait Lothaire, entouré
de tous les évêques du royaume, sauf Hungar d'Utrecht,
malade 5. Mais aucun évêque des autres royaumes francs n'y
confié le reste de la correspondance. A cette époque Lothaire les avait déjà pro-
bablement achetés. On devait écarter du concile les évêques étrangers, Theut-
b< rge, Hubert etc. ; la complicité des légats était nécessaire. Comment ceux-ci
s'y prirent-ils ? Est-ce en supprimant les lettres du pape aux rois et aux évêques
ou en retardant leur remise de manière à empêcher les prélats français et alle-
mands de se concerter et de se rendre au concile ? Hincmar, Ann. Berlin., ad ann.
863, p. 62, parle de lettres papales cachées par les légats : lui-même ne lui con-
voqué que quatre jours avant le concile et par une lettre de Thieutgaud et d'Ar-
duic, P. L., t. cxxvi, col. 43. (H. L.)
1. Pertz, Monum. Germ. hisl., t. i, p. 460.
2. EpisL, xxx. Annal. Berliniani, ad ann. 863, p. 62 : R. Parisot, op. cil.,
p. 228. (H. L.)
3. Sirmond, Conc. Gallise, 1629, t. m, col. 227; Coll. regia, t. xxn. col. 741 ;
Labbe, Concilia, t. vin, col. 764-766; Hardouin, Conc. coll., t. \, col. 571; Coleti,
Concilia, l. x, col. 231: Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 6'i7; R. Parisot,
Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, 843-923, in-8, Paris, 1899, p. "228,
231; A. Verminghoff, Verzeichnis der Akten frànkischer Synoden von 843-918,
dans Neues Archiv \der Gesellsch. fur âllere deutsche Geschichlskunde, 1901,
t. xxvi, p. 633. (H. L.)
i. Pertz, Monum. Germ. hist., t. i, p. 460. Parmi les sources sur cette assem-
blée il faut mentionner le Libellus apologeticus d'Advence, dans Baronius,
Annales, édit. Mansi, t. xiv, p. 566-567. (H. L.)
5. Annal. Fuldenses, ad ann. 863, p. 57. Pour Gùnther et Thieutgaud, voir
Ann. Berlin., ad ann. 863, p. 62 ; Ann. Fuldenses, ad ann. 863, p. 57; Jafîé-
Ewald, n. 2748-2751; Acta concilii Lateranensis, c. i, dans les Ann. Berlin., ad
ann. 863, p. 63-64, et Jalîé-Ewald, n. 2886, P. L., t. exix, col. 1 166; pour Advenc,
4 69. LOTHAIRE ET NICOLAS Ier 323
assista; Lothaire, s'inspirant des conseils de Thieutgaud, n'avait
pas voulu les inviter 1. Il avait d'ailleurs, ainsi que l'affirment le
pape et Hincmar, corrompu ou intimidé ses propres évêques.
Les légats de leur côté, gagnés par des présents, n'insistèrent
pas pour que l'on fît venir des évoques étrangers ; ils ne rempli-
rent pas leurs instructions, et retinrent même les lettres du pape 2.
Ces faits sont attestés non seulement par Hincmar 3, mais aussi
par Advence, qui avait sa part de culpabilité et qui plus tard,
en 865, écrira au pape : 0 utinam Rodoaldus, quondam legatus
vester... nobis per omnia vestra mandata denudasset 4. Il ne faut
Epistola ad Nicolaum papam, dans Mansi, t. xv, col. 369 ; pour Arduic, un
fragment de lettre adressée par Hincmar à lui ainsi qu'à Thieutgaud en réponse
à l'invitation à venir au concile de Metz, Archiv de Pertz, t. vu, p. 866. La pré-
sence d'Advence est attestée par son Libellas apologetlcus,\)av sa lettre au pape,
Mansi, op. cit., t. xv, col. 368-371, par la réponse de Nicolas, Jafïé-Ewald,
n. 2768, P. L., t. cxix, col. 887-889, par le Chronicon S. démentis Metteuse,
dans Mon. Germ. liisL, Script., t. xxiv, p. 497. La lettre de Nicolas à Françon,
Jafïé-Ewald, n. 2767, P. L., t. cxix, col. 885-887, démontre que l'évêque de
Liège assistait au concile. Quant à l'évêque de Strasbourg, sa lettre au Souverain
Pontife est une preuve qu'il se trouvait à Metz. Baronius, Annales, édit. Mansi,
t. xv, p. 3, col. 2. Sur les autres membres de l'épiscopat présents au concile, nous
ne possédons aucun renseignement. Il ne semble pas que ni les archevêques de
Lyon et de Vienne, Rémi et Odon, ni aucun des évêques provençaux soient
venus à Metz. Par contre, un évêque italien, Haganon de Bergame, se trouvait
là, délégué par Louis le Germanique ou par l'épiscopat de la péninsule. Ann.
Bertiniani, ad ann. 863, |>. 62; Vita Nicalai, dans Liber pontificalis, t. n, 160.
Reginon, Chronicon, ad ann. 865, p. 82, fait d'Haganon un des légats pontifi-
caux. Gfrôrer, op. cit., I. i, p. 362, voit dans ce personnage un surveillant donné,
aux deux légats par le pape qui se méfiait d'eux. R. Parisot, op. cit., p. 229 et
notes 4-5. (H. L.)
1. Lothaire prétend dans une de ces lettres au pape Nicolas avoir donné à ses
accusateurs toute facilité pour se rendre au concile, Lotharii régis epistola ad
Nicolaum papam. dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 384, mais cette assertion est
contredite par le pape lui-même en ce qui concerne Theutberge. Jafïé-Ewald,
n. 2886. P. L., t. cxix, col. 1168. (H. L.)
2. Baronius, Annales, ad ann. 862, n. 30; Pertz, op. cit., t. i, p. 375; Nicolas Ier,
Epist., LYin, dans Ilardouin, op. cit., t. v, col. 288 sq. ; Mansi, op. cit., t. xv
col. 335.
3. Pertz, op. cit., t. i, p. 375.
4. Baronius, Annales, ad ann. 865, n. 57;Begin, Biçgr. de la Moselle, 1829,
I. i. p. 8-17; D. A. Cahnel, Bibl. de la Lorraine, 1751, p. 25-26; D. R. Ceillier, His-
toire générale des auteurs ecclésiastiques, 1754, t. xix, p. 229-232; 2e édit., t. xn,
p. 609-610; E. Dùmmler, dans Neues Archiv der Gesellsch. fur ait. deuts. Geschichte,
1879, t. iv, p. 526-527; J. A. Fabricius, Bibl. med. sévi, 1734, t. i, p. 47; édit.
Ilarles, p. 18 ; W. Gundlach, dans Neues Archiv der Gesells. fur dit. deuts, Geschichte.
324 LIVRE XXIII
pas voir, avec Binterim 1, une contradiction entre ces faits et ce
qui a été dit plus haut, que « les courtisans de Lothaire avaient
enlevé aux légats les lettres du pape, » car il s'agit ici seulement
des dépêches qu'ils gardèrent. Les légats souffrirent en outre que [268]
Theutberge ne comparût pas avi concile, parce qu'elle n'avait
pas le sauf-conduit nécessaire. Néanmoins, pour simuler une
sorte d'enquête, les légats demandèrent au roi Lothaire d'ex-
poser lui-même l'état de la question. Il dit : « Je n'ai fait que
ce que les évêques de mon royaume (réunis à Aix-la-Chapelle)
m'ont permis de faire. » Et il renouvela alors l'audacieux
mensonge de son pseudo-mariage avec Waldrade 2.
En même temps, les évêques qui avaient assisté au concile
d'Aix-la-Chapelle affirmèrent que le roi disait vrai, et exposè-
rent les motifs de leur décision, qu'ils regardaient encore
comme valables, dans un mémoire signé, d'abord par Giïnther
et Thieutgaud, puis par tous les autres évêques, et qui fut qua-
lifié par le pape de prof anus libellus 3. On lut ensuite la partie
1887, t. xii, p. 483; Hist. littér. de la France, 1740, t. v, p. 429-435; P. L., t. exix,
col. 1141; Wattembach, Deutschl. Ceschichtsquellen, 1873, t. i, p. 199; et surtout
R. Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, 843-923, in-8, Paris,
1899, p. 126, note 2. (H. L.)
1. Binterim, Deutsche Concilien, L. m, p. 110; R. Parisot, op. cit., p. 320,
n. 1. (H. L.)
2. Réginon, Chronique, ad ann. 865 (au lieu de 863), dans Pertz, op. cit., t. i,
p. 572; Rodolphe de Fulda, Annales, ad ann. 863, ibid., p. 375 ; Adventius,
Narratio, dans Raronius. Annales, ad ann. 862, n. 30. Le comte Liutfrid, les pœ-
dagogi de Lothaire et tous les senatores attestèrent la réalité de ce premier mariage
avec Waldrade. Les Annales Fuldenses, ad ann. 863, p. 57, prêtent à Lothaire la
déclaration de n'avoir agi que sur le conseil de ses évêques. Le Liber ponlificalis,
t. n, p. 160. et Réginon, Chronicon, ad ann. 865, p. 82, mentionnent cette dé-
claration, mais la font adresser par le roi non au concile, mais aux légats.
(H. L.)
•">. Nicolas, Episf.. î.vm, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 289; Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 336. Cf. Pertz, op. cit., t. i, p. 375-460. Nous citerons le fait suivant
pour montrer avec combien peu de dignité ou se conduisit dans le concile. FJn
évêque avait ajouté à sa signature cette stipulation, que le décrel ne pourrait
avoir de valeur qu'après la décision du pape, mais Gùnther coupa, dans le
parchemin, cette stipulation, et ne laissa que le nom de l'évêque. Nicolas,
EpisL, lviii, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 292; Mansi. op. cit., t. xv, col. 338.
Les légats hasardèrent pour la forme quelques observations, mais l'assem-
blée de Metz ratifia les décisions des assemblées antérieures d'Aix-la-Cha-
pelle, approuva l'annulation du mariage de Lothaire et de Theutberge et
confirma l'union avec Waldrade. Advence, Libel. apol., dans Baronius, Annales,
169. LOTHAIRE ET NICOLAS Ier 325
des actes d'Aix-la-Chapelle contenant les accusations portées
par Theutberge contre elle-même l, et, quoique absente, elle
fut condamnée. Le pape Nicolas, qui nous donne ces détails2,
ajoute que Gùnther e1 Thieutgaud avaient falsifié les lettres
du pape au sujet d'Engeltrude, qui lurent lues au concile ;
ils y avaient à leur gré ajouté 3, retranché, modifié. Enfin
Gùnther et Thieutgaud furent choisis pour porter au pape ce
libellus et lui donner de vive voix les explications nécessaires 4.
Hartzheim 5 a lorl d'attribuer à ce concile de Metz la lettre
édit. Mansi, t. xiv, p. r><>7. col. 2 ; Nicolas, Epist. ad episcopos in regno [Lu-
dovici constitutos. 31 octob. 8t>7: Jalïé-Ewald, n. 2886, P. L., t. cxix. col.
1166, 1168-1170; Mùhlbacher, Ri>«. Kar., p. 491. (H. L.)
1. Baronius, Annales, ad ann. 862, n. 30 Cf. R. Parisot, op. cit., p. 230-231 :
« Ce mariage, ce sont les intéressés, Lothaire, son oncle Liutfrid, ses précepteurs,
qui l'affirment, nulle source impartiale n'en dit rien, Prudence parle des adultères
commis par les fils de Lothaire Ier, et ce passage vise les relations du second
fils de l'empereur avec Waïdrade ; Hincmar, dans son Dedivortio, ne nomme pas
Waldrade, mais c'est elle évidemment cette concubine que le jeune roi a eue
avant son mariage et qu'il désire épouser. De divort. Loth., interr. xvm, xxi,
P. L., t. cxxv, col. 729-732. Réginon enfin, Chronicon, ad ann. 864, p. 80, dit
formellement que Waldrade avait été la maîtresse de Lothaire, alors que celui-ci,
encore adolescent, vivait dans le palais de son père. D'ailleurs, si son union avec
Waldrade avait été régulière, il n'aurait pas attendu à 862 pour s'en prévaloir,
il n'aurait pas eu besoin d'inventer, [pour se débarrasser de Theutberge, l'his-
toire de l'inceste. Devant aucun des trois conciles réunis à Aix-la-Chapelle de
860 à 862, il n'a fait même la plus légère allusion au mariage que son père lui
aurait fait contracter avec Waldrade. C'est seulement après le IIIe concile,
quand il écrit au pape, que Lothaire s'avise de recourir à cet argument. Comme
il sait peut-être Nicolas hostile à la rupture du lien conjugal, même alors que la
femme a commis un inceste avant le mariage, il a l'idée de transformer en
union légitime la liaison irrégulière : le pape, il l'espère du moins, acceptera
l'histoire comme vraisemblable et, en vertu de ses principes, il sera bien obligé de
déclarer nul le mariage du roi et de Theutberge, puisque antérieurement ce prince
avait épousé Waldrade. » (H. L.)
2. Epist., lviii.
'3. Le résultat de la manœuvre de Gùnther et de Thieutgaud fut de donner
l'absolution à Engeltrude. Conc. Lateran., c. n, dans, Ann. Bertiniani, ad ann.
863, p. 64 ; Advence, Epistola ad Nicolaum, dans Mansi, op. cit., t. xv. col. 370;
Nicolas, Epist. ad episc. in regno Ludow. constit., P. L., t. cxix, col. 1167. Le con-
cile s'occupa aussi de l'Église de Metz. Cf. R. Parisot, op. cit., p. 231, note 5. (H. L.)
4. Le Liber pontificalis, t. n, p. 160 et la lettre de Nicolas aux évoques alle-
mands, datée du :!1 octobre (P. L., t. cxix, col. 1166), avancent que Gùnther et
Thieutgaud auraient déclaré qu'ils se faisaient fort de justifier leur conduite
en tous points devant le pape. (H. L.)
5. Hartzheim, Conc. Gernu, t. n, p. 286.
326 LIVRE XXIII
des évoques lorrains au pape, lui adressant comme leurs dé-
putés Thieutgaud et Otto de Verdun. Il suffit de lire cette
lettre pour constater qu'elle est antérieure au troisième concile
d'Aix-la-Chapelle ; comme nous l'avons déjà dit, elle appartient
au deuxième concile d'Aix-la-Chapelle l. Par contre, Hartz-
heim et d'autres historiens ont raison de rattacher l'apologie
d'Advence pour Lothaire au concile de Metz 2. Cet écrit avait L^yj
évidemment pour but de faire connaître partout le pseudo-
mariage de Lothaire avec Waldrade. L'auteur garde néanmoins
assez d'honnêteté pour dire qu'il n'est pas absolument certain
de ce qu'il avance, parce qu'à cette époque il n'était pas encore
évêque 3.
470. Trois conciles romains. Déposition de Photius. Punition
des légats et des Lorrains. Siège de Rome.
Rodoald était déjà parti en qualité de légat du pape en Lorraine,
lorsque des amis du patriarche Ignace, chassés par Photius et réfu-
giés à Rome, exposèrent minutieusement à Nicolas la conduite
de ses légats à Constantinople. Le pape réunit aussitôt, au commen-
cement de 863, dans l'église de Saint-Pierre un concile qu'il
transféra ensuite au Latran à cause de la rigueur de l'hiver 4.
L'assemblée jugea un de ces légats, Zacharie, évêque d'Ana-
gni. 11 fut convaincu d'avoir contrevenu aux instructions
1. Voir § 462.
2. Baronius, Annales, ad ann. 862, n. 27 sq.
3. Coll. regia, t. xxn, col. 743; Labbe, Concilia, t. vm, col. 774-775, cf. col.
288-289; Coleti, Concilia, t. x, col. 243 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 661; Jafîé,
Reg.Pontif. roman., 2e édit., n. 350; Hergenrôther, Photius, t. i, p. 519 sq. (H. L.)
4. Advence, dont le témoignage serait capital, a bien soin de dire qu'il n'a
pas été témoin du mariage de Lothaire avec Waldrade; il n'en parle que par ouï-
dire. On lui a affirmé que Lothaire Ier avait fait cadeau de cent menses à son lils
pour lui constituer une dot et lui avait donné Waldrade suo nomine divinse fidei
ou in Dei fide, expressions qui semblent viser la bénédiction nuptiale. Advence
ne croit pas que Lothaire eût doté la concubine de son fils : il dit que la cohabi-
tation des deux jeunes gens a eu lieu au vu et au su de tous. Mais tout cela ne
vaut pas le témoignage oculaire. (H. L.J
470. TROIS CONCILES ROMAINS 327
papales, en confirmant la déposition d'Ignace et l'élévation
de Photius. Il fut déposé et excommunié en présence d'un grand
nombre d'évêques venus de diverses parties de l'Occident 1i Le
jugement de Rodoald fut renvoyé, à raison de son absence, à un
autre concile. Lecture faite des procès-verbaux du conciliabule
de Photius et des lettres de Constantinople traduites en latin,
l'assemblée jugea et anathématisa Photius et ses partisans
dans les cinq capitula suivants :
1. Photius, schismatique, tonsuré trop vite après avoir quitté
le service de l'État et les rangs de l'armée, a été ordonné évêque
par Grégoire jadis évêque de Syracuse, condamné depuis lors
par un concile et interdit par le Siège apostolique. Du vivant
d'Ignace notre collègue dans le sacerdoce et patriarche de la
sainte Église de Constantinople, il s'est emparé de son siège et,
semblable à un voleur et à un adultère, il a fait violence à cette
fiancée... Il a entretenu des relations quotidiennes avec des
[270] gens condamnés et anathématisés, ainsi qu'avec ceux auxquels
notre prédécesseur Benoît avait interdit jusqu'à décision ulté-
rieure l'exercice des fonctions sacerdotales. Nonobstant sa pro-
messe solennelle de ne rien faire d'hostile au patriarche Ignace,
il a réuni un concile et, d'accord avec ses pareils, tous gens dépo-
sés et condamnés, excommuniés et anathématisés, évêques sans
évêchés, promus irrégulièrement et illicitement, ordonnés indû-
ment, il a osé prononcer une sentence de déposition et d'ana-
thème contre notre frère Ignace. En outre, il a cherché par tous
moyens, imitant en cela Acace, patriarche hérétique de Cons-
tantinople, à détourner de leurs instructions et de notre obéis-
sance les légats du Siège apostolique envoyés à Constantinople
pour traiter l'affaire des iconoclastes et faire une enquête sur
l'expulsion d'Ignace et sur la promotion de ce néophyte ; il
a avoué lui-même avoir obligé ces légats à entrer en communion
avec des condamnés et des schismatiques, méprisant ainsi ce
caractère d'ambassadeur qui avait cependant toujours été res-
pecté, même par le droit international. Il a tant fait que ces
ambassadeurs, au mépris du Siège de Pierre, sont revenus
non seulement sans avoir pris les informations nécessaires, mais
même après s'être tournés contre ceux qui leur avaient confié
1. Liber pontificalis, Vita Nicolai, t. n, p. 159 ; Jaffé-Ewald, n. 2821.
(H. L.)
328 LIVRE X \ l 1 1
leur mission. Enfin, il a exilé les évoques qui le repoussaient de
leur communion et le regardaient comme adultère et ravis-
seur (d'une fiancée qui n'était pas à lui) ; il les a remplacés par
des approbateurs de ses blasphèmes. Il a continué jusqu'à ce
jour à persécuter de diverses manières l'Eglise de Dieu; il ne cesse
de molester d'une façon inouïe et épouvantable notre frère Ignace,
e1 il est constamment appliqué à perdre ceux qui combattent pour
la vérité. Aussi doit-il être, en vertu de l'autorité de Dieu tout
puissant, des princes des apôtres Pierre et Paul, de tous les saints,
des six conciles œcuméniques *, et par le jugement du Sainl-
Esprit que nous prononçons, privé de toul honneur et dignité
sacerdotale, et complètement dépouillé de toutes fonctions ecclé-
siastiques. Si, après avoir pris connaissance de cette sanction,
que nous croyons inspirée du Saint-Esprit, parce qu'elle a été
adoptée à l'unanimité, il ose encore s'asseoir sur le siège de Cons-
tantinople, et s'il empêche Ignace de reprendre la conduite de [271]
son troupeau, il sera frappé d'anathème et exclu, lui et ses pareils,
de l'eucharistie jusqu'au moment de la mort, afin qu'à l'avenir
nul n'ose passer sans transition du rang de laïque à l'épiscopat,
ce qui est trop souvent arrivé dans l'Eglise de Constantinople,
et que, au mépris des clercs de Constantinople qui ont servi sans
se lasser l'Église du Christ (on pourrait presque dire depuis le
berceau), on ne remet pas à un étranger la conduite du trou-
peau du Christ.
2. Quant à Grégoire qui, en violation des canons, se trouve à la
tête de l'Église de Syracuse et la gouverne au mépris des lois de
Dieu, il compte également parmi les schisma tiques ; cependant
déposé par un concile et suspendu (obligatus) par le pape Benoîl,
il a osé élever Photius à l'épiscopat, et il a exercé plusieurs autres
fonctions du saint ministère. Nous ordonnons donc, en vertu de
l'autorité apostolique et conformément au droit ecclésiastique
et aux canons, qu'il soil dégradé et dépouillé de toutes fonctions
sacerdotales, sans espoir de restitution. S'il continue à exercer
les fonctions ecclésiastiques et à intriguer contre Ignace, il sera
I. Baronius,^4nncZes, ad ann. 863, n. 6, cherche à expliquer pourquoile pape
ne parle pas de sept conciles œcuméniques. Damberger, Synchron. Gesch., t. ni,
Kritikheft, p. 206 sq., croit, de son côté, que ces mots : et des six conciles œcu-
méniques, sont une interpolai ion probablement faite par Photius, afin <l accu-
ser ensuite les Romains de ne vouloir pas reconnaître le VIIe concile œcumé-
nique.
i/O. TROIS CONCILES ROMAINS .120
anathématisé, et tons rapports avec les fidèles lui seront inter-
dits: il en sera de même de ceux qui le soutiendront.
3. Nous dépouillons de tout emploi dans la cléricature ceux
que le néophyte Photius, ravisseur du siège de Constantinople,
;i élevés à une dignité ecclésiastique quelconque : car il est bien
évidenl qu'ils adhèrent à tous les blasphèmes de leur consé-
crateur e1 sont en communion avec lui.
4. Au sujet de notre très digne et très saint père Ignace, dépouil-
lé d'abord de sou siège par l'empereur, anathématisé ensuite par
Photius, l'adultère, le pécheur et le ravisseur, et par ses pareils
déjà excommuniés, anathématisés et suspendus par le pape Benoit,
en (in dépouillé de la mitre sacerdotale par les légats du Siège apos-
tolique, agissant en cela contre nos ordres, ainsi que l'a avoué
Zacharie lui-même, l'un de ces légats, nous ordonnons et procla-
mons, de par l'autorité du juge suprême Jésus-Christ, qu'il n'est
ni déposé ni anathématisé, qu'il ne l'a jamais été, n'ayant été
chassé qu'en vertu de la puissance impériale et sans aucune auto-
rité canonique. Il ne pouvait aucunement être lié par la sen-
tence de ceux qui avaient eux-mêmes perdu leur liberté (c'est-
à-dire qui étaient suspendus de par l'autorité ecclésiastique).
Pour ces raisons, en vertu de la puissance octroyée par Dieu à
saint Pierre, nous réintégrons Ignace dans son ancienne dignité,
[272] dans son rang et son patriarcat, et nous menaçons de peines
sévères ceux qui refuseront de le reconnaître.
5. Tous les évoques et clercs qui, après l'injuste déposition
d'Ignace, ont été exilés ou privés de leurs charges, doivent cire
rappelés et réintégrés. Si quelqu'un n'observe pas ce décret, qu'il
soit anathème ! S'il existe contre quelques-uns d'entre eux des
accusations, on doit les réintégrer avant d'examiner la valeur
de ces accusations ; ils ne pourront être jugés que par le Siège
de Rome.
(>. A l'égard des saintes et vénérables images de Notre-Seigneur,
de sa Mère toujours vierge et de tous les saints, depuis Abel,
on doit conserver intact et sans changement ce que la sainte
Eglise a accepté de tout temps dans le monde entier, et ce que
les papes ont ordonné et prescrit sur ce point (ici encore il n'est
fait aucune mention de septième concile œcuménique). Nous
prononçons l'anathème contre Jean 1, ancien patriarche de Cons-
1. Cette sentence synodale nous a été conservée en latin dans les Epiât., vu
330 LIVRE XXIII
tantinople, et contre ses partisans, au dire desquels on devait
briser et fouler aux pieds les images.
Les légats du pape à Metz étant rentrés à Rome, rapportèrent
au pape ce qui avait été décidé, et que le roi s'était conduit
d'après la sentence du concile. Ils ajoutèrent que Gùnther et Thieut-
gaud ne tarderaient pas à arriver pour fournir au Saint-Siège
des renseignements très précis sur ce concile 1. Quelque temps
après, Rodoald sommé de rendre compte de sa conduite à Cons-
tantinople et à Metz, prit la fuite 2.
Bientôt en effet, arrivèrent à Rome Gûnther et Thieutgaud;
le pape les reçut avec bienveillance et les questionna sur ce qui
s'était passé à Metz 3. Ils remirent le Libellus, contenant, disaient-
ils, le récit de tout ce qui s'était passé 4. Le pape y ayant remarqué
« plusieurs choses profanes et nouvelles, » convoqua en octobre
863 au Latran un concile auquel assistèrent Gùnther et Thieut-
gaud 5. Nicolas fit donner lecture des diverses pièces concernant [273]
cette affaire, et, après avoir relevé l'injustice commise par le
concile de Metz, il publia une sentence rédigée en forme de décret
adressé à tous les évêques d'Italie, des Gaules et de Germanie :
« Le roi Lothaire, si tant est qu'il mérite le nom de roi, s'est,
par sa bigamie, rendu coupable d'un grand crime. Nous savions
depuis longtemps et par diverses sources, que Thieutgaud etGiin-
et x, du pape Nicolas, Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 178, 244; Hardouin,
Coll. concil., t. v, col. 136, 18, et dans les actes du VIIIe concile œcuménique,
Mansi, op. cit., t. xvi, col. 106; Hardouin, op. cit., col. 842. On la retrouve eu
grec dans YEpitome grec des actes du VIIIe concile œcuménique. Mansi, op. cit.,
t. xvi, col. 363; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1070. Dans l'epist. vu du pape Nico-
las on trouve, outre ces six canons sur Photius et sur les images, deux canons
sur les théopaschites, canons qui appartiennent, ainsi que nous l'avons dit. §
468, à un concile romain de 862.
1. Mansi, op. cit., t. xv, col. 152; R. Parisot, op. cit., p. 233. (H. L.)
2. Ibid., t. xv, col. 183; Annales Bertiniani, ad ann. 863, p. 63. (H. L.)
:;. Le pape savait alors ce qui s'était passé à Metz, Ann. Bertiniani, ad ann.
p. 63; Liber ponlij., Vila Nicolai, t. n, p. 160. (H. L.)
4. Fin septembre ou commencement d'octobre. Le pape fit lire le Libellus
à haute voix, par un notaire, puis, sans faire d'observations, congédia les deux
métropolitains. Conc. Lateranense, c. n, dans Ann. Berlin., ad ann. 863, p. 64.
Dans Jafïé-Ewald, n. 2886, le pape semble dire qu'il a fait immédiatement et
en présence des deux archevêques la critique des actes du concile de Metz. (H. L.)
5. Trois semaines s'écoulèrent avant que le pape se prononçât. Cf. R. Parisot.
Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, p. 234 et notes 2, 3; A. Vermingholï,
Verzeiehnis, dans Neues Archw, 1901, t. xxvi, p. 664. (H. L.)
470. TROIS CONCILES ROMAINS 331
ther l'avaient soutenu dans cette affaire ; mais nous ne pouvions
pas croire fondées de telles accusations portées contre des évoques.
Néanmoins, leur présence à Rome, et l'écrit qu'ils ont remis et
voulaient nous faire signer, ont démontré la réalité de ces bruits.
Us se sont pris eux-mêmes dans leurs propres filets ; aussi ont-ils
été déposés par sentence du présent concile 1, dépouillés de toutes
1. Sur cotte déposition envisagée au poinl do vue du droit de l'époque, il y a
lieu de s'arrêter après celle importante remarque de E. Lesne, La hiérarchie
épiscopale, p. 227 . note 1 : « Hinomar qui protestera contre le rétablissement de
Rothade de Soissons, prononcé potêtitiàliter, sans d'ailleurs mettre en doute la
validité de l'acte pontifical, n'avait rien trouvé à dire lorsque Nicolas Ier déposait
tout aussi potentiitliter Gùnther et Thieutgaud. » Noorden, Hinkmdr, p. 190, n. 1,
s'étonne de cette longanimité de l'archevêque de Reims au moment où on s'at-
tendait à le voir éclater. M. R. Parisot apprécie avec précision et justice l'acte
du pape : « Nicolas avait raison : Gùnther et Thieutgaud étaient très coupables,
tous deux méritaient une punition ; seulement il convenait que celle-ci fût pro-
noncée dans les formes. On reprochait, non sans raison, à Gùnther et à Thieut-
gaud d'avoir violé à l'égard de Theùtberge la règle de la justice; en procédant
contre eux, il importait de ne pas suivre leurs errements. Le pape eut le lort
de ne pas le comprendre.
« A qui appartenait le droit de juger les deux archevêques? Un concile œcumé-
nique, ou un concile général de l'empire franc auraient eu sans aucun doute la
compétence nécessaire ; peut-être aurait-il suffi, pour que les décisions du con-
cile fussent valables, qu'au moins les autres métropolitains de Lothaire, de ses
oncles et de ses frères, ainsi que les évêques sufïragants des deux archevêques
inculpés eussent fait partie de l'assemblée. Un synode d'évêques italiens présidé
par le pape avait-il qualité pour prononcer sur le cas de Gùnther et de Thieutgaud?
On doit, semble-t-il, [si on s'en tient au droit en vigueur au ixe siècle] répondre
non à cette question. Au ve siècle, plusieurs papes avaient jugé, avec le concours
de conciles italiens, des métropolitains de la Gaule ou de l'Orient; ainsi, saint
Léon le Grand cassa la décision d'un synode primatial gaulois qui, à l'instigation
d'Hilaire, métropolitain d'Arles, avait déposé le métropolitain de Besançon,
Chélidoine. Le pape restaura celui-ci sur son siège et déclara déchu de son rang
de métropolitain Hilaire qui fut réduit à la condition d'un simple évêque d'Arles.
P. L., t. liv, col. 628. Mamert, métropolitain de Vienne, empiétant sur les droits
de son collègue d'Arles, de qui le diocèse de Die dépendait alors, avait consacré
à Die un évêque ; le pape Hilaire fit réunir, pour juger Mamert, un concile, à
qui il enjoignit, si le métropolitain de Vienne refusait de se soumettre, de lui
retirer les quatre diocèses sufïragants de son siège, pour les attribuer au métro-
politain d'Arles, Jalté-Kalteiibrunner, n. 556-559, P. L., t. lviii, col. 25-27.
Le même pape sévit contre Hermès qui, abandonnant au mépris des règles cano-
niques l'évèche de Béziers, avait usurpé le siège métropolitain de Narbonne ; le
droit de consacrer lui fut enlevé et conféré au plus ancien des évêques suifragants
de Narbonne, Jaffé-Kaltenbrunner, n. 554-555, P. L., t. lviii, col. 24-25. Ces
différentes sentences pontificales, qui avaient d'ailleurs été rendues dans des
conciles italiens, furent acceptées sans protestation par les évêques gaulois;
332 LIVRE XXIII
mais remarquons-le, ni Hilaire, ni Mamert, ni Hermès n'ont été déposés; ce qu'ils
ont perdu, ce n'est pas leur siège, mais leurs prérogatives de métropolitains.
Les seuls exemples de déposition nous sont donnés par le pape Félix II (III)
qui fît prononcer cette peine par des conciles tenus à Rome en 484, contre Acace,
patriarche de Constantinople, à l'instigation de qui l'empereur Zenon avait en-
levé à Jean Talaja le siège d'Alexandrie pour le donner à Pierre Monge; puis,
en 485, contre Pierre le Foulon, usurpateur du siège d'Antioche. Jafîé-Kalten-
brunner, n. 592-404, P. L., lviii, col. 893, 978, 921, 934. Sur le pouvoir des pa-
pes en matière disciplinaire, cf. Hinschius, Dos Kirchenrecht (1er Katholischen and
Profestanten, t. iv. p. 780 sq., pour l'époque impériale; p. 837 sq., pour l'époque
mérovingienne; t. v, p. 281 sq., pour l'époque carolingienne. Aucune des deux
sentences ne fut d'ailleurs exécutée : Acace et Pierre le Foulon conservèrent
l'un et l'autre leur dignité. Dans l'empire franc, ni à l'époque mérovingienne,
ni sous les premiers carolingiens, il n'y eut de prélal déposé par un pape. La seule
intervention pontificale à signaler pour cette période est la restauration sur leurs
sièges par le pape Jean III des évèques Salonius d'Embrun et Sagittarius de
Gap qu'avait déposés un concile tenu à Lyon en 567, encore n'en avaient-ils
appelé au Saint-Siège qu'avec l'autorisation du roi Gontran. Jafîé-Kaltenbrunner,
n. 1040. Les archevêques Ebbon de Reims, Agobard de Lyon, Bernard de Vienne,
et Barthélémy de Narbonne avaient été déposés en 835 par le concile de Thion-
ville sans que le pape Grégoire IV eût même été consulté. Mûhlbacher, Reg. Kar.,
p. 346. En prononçant la déposition de Gûnther et de Thieutgaud dans un sy-
node uniquement composé de prélats italiens, le pape Nicolas Ier s'écartait de la
tradition et des règles canoniques, il commettait un abus de pouvoir et un véri-
table coup d'État. Leibnitz, Ann. imp. occ, t. r. p. 623; Noorden, Hinkmar,
p. 190. n. 1 ; A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. n, p. 509-510, s'accor-
dent à juger illégale la déposition des deux métropolitains. Le dernier reconnaît
pourtant, de même que Guizot, Histoire de la civilisation en France, t. n, 27e
leçon, que Nicolas avait raison au fond. Hontheim (= Febronius), Prodromus
historiée Trevirensis, 1. 1, p. 308-309, et Historia Trevirensis diplomatica, t. i, p. 150,
ne blâme pas ouvertement la sentence pontificale, niais il voit là une innovation
qu'il attribue à l'influence des Fausses Décrétales.
« Ce n'est pas seulement de l'incompétence du tribunal chargé de les juger que
les deux archevêques avaient le droit de se plaindre, il semble bien que les règles
habituelles de la procédure aient été violées à leur détriment. Nous ne savons pas
exactement de quelle façon procéda le concile à l'examen de. l'affaire, mais,
d'après le factum de Gûnther et de Thieutgaud, ils n'auraient pas été cités à
comparaître pour s'expliquer sur leur conduite ; ils n'auraient été introduits
dans le concile que pour entendre leur condamnation sans avoir eu la possibi-
lité de présenter leur défense, Guntharii et Theutgaudi. Libellas, c. ni, Ann.
Berlin., ad ann. 864, p. 69; Ann. Fuld., ad ann. 863, p. 61. Nicolas, dans sa lettre
aux évèques allemands du 31 octobre 867, P. L., t. exix, col. 1187, dit qu'il a
critiqué les actes du concile de Metz en présence de Gûnther et de Thieutgaud,
ce qui est en contradiction formelle avec l'assertion de ces derniers. Toutefois,
ces observations auraient été faites lorsque les deux archevêques présentèrent
les actes du concile de Metz au pape qui en ordonna immédiatement la lecture.
Nicolas ne dit pas d'ailleurs que les prélats incriminés eussent été appelés à four-
nir des explications. Ainsi ce droit de défense, le plus sacré de tous, le plus
470. TROIS CONCILES ROMAINS 333
fonctions sacerdotales et dépossédés de tout pouvoir épiscopal. »
A ce décret sont joints les cinq capitula suivants 1 :
1. Nous annulons à tout jamais le concile de Metz, tenu en juin
863, dont les membres ont porté une décision à nous réservée
(sur le mariage de Lothaire) ; nous mettons cette assemblée sur
la même ligne que le brigandage d'Éphèse, etc. 2.
2. Nous déchirons dépouillés de toutes fonctions ecclésiastiques,
pour cause d'indignité, Thieutgaud de Trêves, primat de Belgique,
et Gùnther, archevêque de Cologne, qui ont fait connaître par un
• ■(lit, à nous e1 à ce saint concile, leur conduite dans l'affaire
de Lothaire et de ses deux femmes, et ont confirmé de vive
voix cet écrit; qui ont, en outre, déclaré n'avoir pas suivi les ordres
du pape au sujet d'Engeltrude 3. En vertu du jugement du Saint-
précieux pour un accusé, leur aurait été refusé par le pape. Ou le voit, une dou-
ble irrégularité entachait la sentence du concile de Latran.
«Tout était donc préparé à l'avance, quand Gùnther et Thieutgaud furent
appelés devant l'assemblée qui se tenait dans le palais de Latran, au lieu dit
su h apostolis. Des laïcs étaient mélangés aux clercs dans la salle des séances.
Nicolas présidait, assisté d'Anastase connu généralement sous le nom d'Anas-
tase le Bibliothécaire. Nicolas lut d'abord les actes du concile de Metz, puis la
sentence, d'abord lue dans le concile, le fut ensuite dans l'église Saint-Pierre.
Jaifé-Ewald, n. 2748-2751 ; Ann. Berlin., ad ann. 86.'!. p. 63 ; Gùnther et Thieut-
gaud. Libellus, c. ni, dans Ann. BerL, ad ann. 864, p. 69, et Ann. Fuld., ad
ann. 863, p. 61 ; Réginon. Chronicon, ad ann. 865, p. 83 : Translatio S. Glodesin-
dis, c. xxvm, dans Mon. Germ. hist., Script., t. cxxjv. p. 507, note. Cette der-
nière source fait assister au concile des évèques de presque toute l'Italie et beau-
coup de la Gaule. » (H. L.)
1. Nicolas Ier Epist., lviii; Mansi, op. cit., t. xv, col. 336; Hardouin, op.
cit., t. v, col. 289. Les Annales de Saint-Bertin, Pertz, Mon. Germ. hist., t. i,
p. 'i66, ne donnent pas ce concile à la place voulue, mais le reportent en 864.
2. Conc. Lateranense, c. i, dans Ann. Bertiniani, ad ann. 863, p. 64. (H. L.)
3. Conc. Lateranense, c. n, dans Ann. Bertiniani, ad ann. 863, p. 64. Dans
Jafîé-Ewald, n. 2886, P. L., t. exix, col. 1167-1168, Nicolas donne sept raisons
de la sentence qu'il a portée contre Gùnther et Thieutgaud. Il les a déposés
parce qu'ils ont : 1° désobéi aux ordres du pape, en ce qui concernait Engel-
trude, Theutberge et Waldrade ; - - 2° essayé d'absoudre Engeltrude que le
pape avait excommuniée; 3° altéré les lettres pontificales relatives à Engel-
trude avant de les lire au concile de Metz; - - 4° favorisé les adultères; — 5°
Lente de juger eux-mêmes en dernier ressort l'affaire de Lothaire et de ses fem-
ni' is, au mépris des droits du pape, à qui les deux parties en avaient appelé ;
condamné Theutberge ; — 6° et ce, en l'absence de la reine, qui n'est pas venue
par crainte de Lothaire; — 7° obligé leurs collègues à signer les actes du con-
cile. Cf. L. M. Hartmann, Geschichte Italiens im Mittelalter, t. ni, part. 1,
Italien und die frànkische Herrschaft, in-8, jGotha, 1908, le ch. vu, traité du
divorce de Lothaire. (H. L.)
334
LIVRE XXIII
Esprit et de l'autorité de saint Pierre, nous prononçons leur
déposition de l'épiscopat. Si, nonobstant cette condamnation,
ils continuent à exercer les fonctions épiscopales, ils perdront
tout espoir d'être réintégrés, et ceux qui entretiendront commu-
nion avec eux seront exclus de l'Église.
3. La même peine atteindra tous les autres évêques qui feront
cause commune avec eux. Néanmoins, s'ils déclarent personnelle-
menl ou par députés qu'ils adhèrent à la sentence rendue par le
Saint-Siège, il leur sera pardonné 1.
4. Engeltrude, ses amis et ses protecteurs sont menacés de l'ana-
thème et des autres peines. Si elle revient auprès de son mari, [274]
ou si elle se présente devant le Siège apostolique, on lui fera
espérer son pardon, toutefois après satisfaction suffisante 2.
5. Celui qui méprise les ordres, les interdits, etc., du Saint-
Siège, sera anathème 3.
Le pape communiqua ce décret au roi Lothaire; mais nous ne
possédons plus de sa lettre, que trois fragments dans le Corpus
juris can., dist. LXIII, c. 4 ; caus. XL, q. ni, c. 96 et caus. XXIV,
q. ni, c. 19. Le pape blâme d'abord le roi de son adultère; il
parle ensuite de la déposition de Gïmther et de Thieutgaud, et
défend de donner leurs sièges à d'autres sans sa permission 4.
Dans ce même concile, on déposa également Haganon, évèque
de Bergame, qui, avec Gûnther et Thieutgaud, avait eu la prin-
cipale part à la rédaction de ce Libellas, et Jean de Ravenne.
qui avait fait cause commune avec les ennemis de Rome 5.
1. Conc. Laleranense, c. m, dans Annal. Berliniani, ad ann. 863, p. 65. (H. L.)
2. Conc. Laleranense, c. v, dans Ann. BerL, p. 65. (H. L.)
3. Conc. Laleranense, c. v, dans Ann. BerL, p. 65-66. (H. L.) Mansi, op. cit.,
1. xv. col. 649; Hardouin, op. cit., t. v, col. 573; Pertz, op. cit., t. i. p. 460 sq.;
Baronius, Annales, ad ann. 863, n. 22. Il y a quelques années, le docteur Floss a
publié aussi ce décret du pape dans son ouvrage: Leonis VIII Privïlegium. etc.
1858, p. 24, d'après un manuscrit de Trêves
4. Jafïé-Ewald, n. 2752, 2753, P. L., t. cxix, coi. 869; Sdraiek, op. cit., p. 30 ;
R. Parisot, op. cit., p. 238, note 6. Nous possédons quatre exemplaires des lettres
envoyées à cette occasion par le pape : 1° aux évêques de Gaule, d'Italie, et de
Germanie ; 2° à Hincmar et à Wénilon ; 3° à Odon ; 4° à l'épiscopat allemand,
Jaiïé-Ewald, n. 2748-2751; les Ann. Bertiniani, ad ann. 863, p. 63, donnent le
texte de la lettre envoyée à Hincmar ; les Ann. J'uldenses, ad ann. 863, p. 58,
reproduisent celle envoyée aux évêques de Louis le Germanique. (H. L.)
5. Voir Lapôtre, Hadrien II et les fausses décrélales, dans la Bévue des ques-
tions historiques, 1880, t. xxvii, p. 386, note 5. (H. L.)
470. TROIS CONCILES ROMAINS 335
Ils ne se soumirent pas plus (|iie Gùnther el Thientgand et allè-
rent trouver l'empereur Louis 11, alors à Bénévenl. à qui ils
représentèrent l'injustice de leur déposition <| ni ]>ortait atteinte
au respect dû à l'empereur et à son frère 1. On n'avait jamais vu,
à les entendre, des métropolitains condamnés sans l'assenti-
ment de leur souverain temporel ( !) ; de plus, dans le cas pré-
sent, Gùnther et Thieutgaud étaient venus à Rome coin me
ambassadeurs de Lothaire et sous la protection de l'empereur.
Ils joignirent à ces accusations des calomnies contre le pape 2.
Au début de l'année 864, l'empereur se rendit avec sa femme
en Italie afin d'obtenir du pape de gré ou de force le retrait de
la sentence portée contre Gùnther et Thieutgaud. Les deux arche-
vêques lorrains faisaienl partie de la suite impériale ; pendant
qu'ils faisaient route vers Rome, ils publièrent une encyclique
adressée à tous les évêques ; ils représentaient le pape ci mime un
tyran et engageaient les évêques de leur nation à se ranger du
parti de Lothaire. En même temps qu'ils adressaient au pape
[275] une lettre de plaintes et d'exigences, ils envoyaient ce même docu-
ment à Byzance, où ils réclamaient assistance contre le pape.
Nicolas Ier fit face à l'orage; il écrivit à Rodulf. archevêque de
Bourges, l'engageant, ainsi que ses sufîragants, à refuser la com-
munion de Gùnther et Thieutgaud. Gùnther, continuait Nicolas,
importune en ce moment l'empereur et les rois francs, et répand
partout des calomnies contre le pape 3. En terminant, Nicolas
priait les évêques de la province de Bourges d envoyer, au
commencement de novembre (864), deux de leurs collègues
siéger à Rome à un grand concile 4.
A l'époque du concile de Latran dont nous venons de parler
se tint à Milan (octobre 863) un concile provincial, sous la
présidence de Tado, archevêque de cette ville. Maassen a décou-
vert el publié, d'après un manuscrit du Chapitre de la cathédrale
1. Gùnther et Thieutgaud soudèrent à déposer le pape. Leur mémoire de pro-
testation fut adressé à Photius. Cf. Diminuer, Geschichte des ostfrànkischen
Reichs, 2e édit., Leipzig, 1888, t. u, p. 72, n. 2, et une analyse du mémoire dans
R. Parisot, op. cit., p. 243-244. (II. L.)
2. Baronius, Annales, ad ann. 863, n. 27, 32; Mansi, up. cit., l. xv, col. 152;
Pertz, op. cit., t. i. p. 462, 573; \.\nu. Bert., ad ann. 864, p. 67. (H. L.)]
3. R. Parisot, op. cit., p. 242. (H. L.)
4. Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 334; Mansi, op. cit., t. xv, col. 382; [Ann.
Bert., ad ann. 864, p. 67. (H. L.)]
336 LIVRE XXIÎI.
de Novare, les actes canoniques de ce concile 1. Voici les 14
canons de ce concile : 1) Les évèques doivent placer à la tête
de la paroisse des prêtres capables. 2) Les églises ne doivent pas
être dépouillées de leurs revenus, surtout par les préposés
à ces revenus. 3) Les monastères doivent rester tels 2. 4) Lors-
que les hospices ne peuvent être maintenus conformément
aux fondations, on doit attribuer aux étrangers et aux pau-
vres la cinquième partie (de leurs revenus). 5) Les revenus
des hospices éloignés doivent être attribués par l'évêque aux
étrangers et aux pauvres des endroits fréquentés. 6) Défense
aux prêtres et aux évêques d'assister aux spectacles, de chasser.
7) Si celui qui prend un clerc sous sa protection cherche à le dé-
fendre contre son évêque, protecteur et protégé seront frappés
d'anathème. 8) L'évêque doit décider de l'emploi de la dîme ecclé-
siastique d'après le can. 7 de Gangres. 9) Personne ne peut, sans
l'assentiment de l'évêque, recevoir un clerc vagabond et le laisser
remplir ses fonctions. 10) Aucun clerc ne peut, en dehors de l'auto-
risation de l'évêque, échanger un bien d'église. 11) Celui qui dé-
robe le bien des pauvres ou de l'église et ne s'amende pas après
trois avertissements de l'évêque, sera excommunié définiti-
vement. 12) On demandera à l'empereur d'éloigner de sa cour
et d'y priver de tout emploi les excommuniés. 13) On doit mettre
à la tête des portiers des sous-diacres de capacité reconnue,
a lin que des pécheurs notoires ne puissent entrer dans une église 12761
sans la permission de l'évêque. 14) Les évêques doivent désigner
des prêtres sérieux en qualité de pénitenciers.
Ainsi que nous l'avons vu plus haut, l'empereur Louis 11
se rendit en Italie au début de l'année 864 pour contraindre le
pape à l'indulgence à l'égard du roi Lothaire.
Lorsque le pape Nicolas apprit l'approche de l'empereur, il
ordonna des jeûnes et des prières, afin que Dieu changeât les
sentiments du prince 3. L'empereur arriva devant Rome et campa
non loin de l 'église de Saint-Pierre4. Des clercs et des laïques
1. F. Maassen, Eine M ailànder Synode vom Jahre 863, mitgetheilt, dans Sit-
zungsberichte d. Akad. d. Wissenschaften, Wien, 1865, t. xlix, p. 306-310. Cf.
Aiud. juris pontificii, 1873, t. xii, p. 767-76'J: A. Verminghofî, Verzeichnis, dans
Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 634. (H. L.)
2. Voir le can. 24 du concile de Chalcédoine.
3. Ann. Berlin., ad ami. 864, p. 67; Libellus de imperatoria poiestate, P. L.,
t. cxxxix, col. 55. (H. L.)
4. Ann. Berlin., ad ann. 864, p. 67; Libell. de imp. pot., col. 55; Erchampert,
470. TROIS CONCILES ROMAINS 337
qui se rendaient en procession à Saint-Pierre, pour y prier suivant
les instructions du pape, furent refoulés et maltraités parles ser-
viteurs de l'empereur ; on brisa croix et bannières, et même une
croix précieuse qui provenait de sainte Hélène et renfermait
une parcelle de la croix du Sauveur 1. Le pape résidait alors au
Latran, situé à l'extrémité sud-est de la ville. Apprenant ce qui
se passait, et sachant qu'on voulait le faire prisonnier, il s'échappa
et vint sur une petite barque jusqu'à Saint-Pierre, où il passa
deux jours et deux nuits sans boire ni manger 2. Sur ces entrefaites,
l'homme qui avait brisé la vénérable croix de sainte Hélène mou-
rut, et l'empereur tomba malade de la fièvre 3. Voyant dans ces
deux faits la punition divine, l'empereur, par l'intermédiaire de
sa femme (Engelberge), se réconcilia avec le pape 4. Quant à
(1 ii ni lier il eut l'audace d'envoyer par son frère Hilduin au pape
ses Diabolica capitula, ainsi que les appelle Hincmar 5, c'est-à-
dire l'injurieuse lettre à Nicolas, dont nous avons déjà parlé.
Si le pape refusait de la recevoir, Hilduin devait la placer sur
le tombeau de saint Pierre; il se mit en devoir de le faire,
mais il fut, avec ses partisans, chassé de Saint-Pierre, et dans le
tumulte l'un des siens fut tué 6. L'empereur ordonna alors à
Gùnther et à Thieutgaud de retourner chez eux, et lui-même
alla de Rome à Ravenne, où il passa les fêtes de Pâques, 864 7.
Avec l'empereur Louis l'ancien légat du pape à Constantinople
Historia Langobardorum, c. xxxvn, dans Scriptores rerum Langobardicarum,
p. 248. (H. L.)
1. Ann. Bertin., ad ann. 864, p. 67 ; Libell. de irnp. pote?st.,P. L., t. cxxxix,
col. 55; Erchempert, op. cit., c. xxxvn, p. 248. (H. L.)
2. Ann. Bertin., ad ann. 864, p. 68, P. L., t. cxxxix, col. 55 ; P. L., t. cxxvi,
col. 612-613. (H. L.)
3. Ann. Bertin., ad ann. 864, p. 68.
4. L'empereur abandonnait ses deux protégés et cessait son opposition à la
sentence qui les avait frappés. Ann. Bertin., ad ann. 864, p. 68. Le Libellus de
imper, polest. ne présente pas les choses sous leur véritable jour, P. L., t. cxxxix,
col. 55. Il semble attribuer au pape les concessions; c'est le contraire qui eut lieu.
(H. L.)
5. Pertz, op. cit., t. 1, p. 463.
6. Translatio S. Glodesindis, c. xxxvin, dans Mon. Germ. hist., Srripl .,
t. xxiv, p. 507 note, attribue la protestation au seul Gûnther. Ann. Bertin., ad
ann. 864, p. 68, 70-71; Jaiïé-Ewald, n. 2886, P. L., t. exix, col. 1169 ; R. Pari-
sot, op. cit., 246. (H. L.)
7. Hardouin, op. cit., t. v, col. 575; Mansi, op. cit., t. xv, col. 635; Pertz, op. cit.,
t. i, p. 464; Dùmmler, op. cit., p. 511 sq.
CONCILES — IV — 2 2
338 LIVRE XXIII
et à Metz, Rodoald était revenu à Rome, espérant le moment
favorable pour ses intérêts. Aussi longtemps que ses ennemis y
dominèrent, Nicolas ne put remettre à un concile l'affaire de
Rodoald, qu'il engagea à ne pas quitter Rome et à se présenter
au prochain concile, l'assurant n'avoir rien à craindre puis-
qu'il pourrait, en toute liberté, présenter sa justification; au con- [277]
traire, s'il s'éloignait, il serait déposé et excommunié. Rodoald
prit néanmoins la fuite : aussi un concile tenu dans la basilique de
Constantin, au Latran, prononça contre lui la déposition et l'ex-
communication; c'était probablement peu après le départ de l'em-
pereur, vers le milieu de l'année 864 l.
Le jeudi saint (30 mars) de cette même année, Giïnther osa,
quoique excommunié, célébrer dans sa cathédrale, à Cologne,
le service divin et consacrer les saintes huiles 2. Thieutgaud s'abs-
tint de toutes fonctions ecclésiastiques 3. Les autres évêques
lorrains furent comme lui si stupéfaits des décisions prises au
concile de Latran, l'année précédente, qu'usant du moyen de
réconciliation marqué par le canon 3e, ils reconnurent par
écrit leurs torts, et sollicitèrent humblement leur pardon 4. Nous
possédons encore la lettre d'Advence, alors évêque de Metz, au
pape Nicolas. « Après la réception des décrets apostoliques (les
décisions du concile de Latran), je me serais hâté avec plaisir,
dit-il, d'aller à Rome répondre. de vive voix à Votre Sainteté ;
mais j'en ai été empêché par mon grand âge et par la maladie, car
ma vie est en danger. Toutefois, si je ne le puis de corps, je veux
au moins me jeter en pensée à vos pieds, pour vous prier d'accep-
ter avec une bienveillance paternelle mes excuses, qui sont en
tout conformes à la vérité. » Vient ensuite, en six numéros, la
déclaration suivante : « il ne veut plus reconnaître pour évê-
que ni Thieutgaud qui, par esprit d'obéissance, s'abstenait de
toutes fonctions et espérait obtenir du pape son pardon, ni
Gùnther, qui dédaignait l'excommunication; il s'interdit tous
rapports avec ce dernier et avec ses partisans. Dans l'affaire
de Lothaire, il avait ajouté foi à l'exposition des faits présen-
tée par les deux archevêques, et se conformant aux anciens
1. Nicolas, Epist., vu, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 183; Hardouin, op cit.,
t. v, col. 141 ; Baronius, Annales, ad ann. 864, n. 3, 4.
2. Ann. Bertin., ad ann. 864, p. 71. (H. L.)
3. R. Parisot, op. cit., p. 249. (H. L.)
4. Pertz, op. cit., t. i, p. 465.
470. TROIS CONCILES ROMAINS
33lJ
canons, il avait suivi ses métropolitains, d'autant qu'il ignorait
personnellement l'affaire, n'étant pas évêque à l'époque du pré-
tendu mariage. Au reste, il est prêt à obéir au pape dans cette
question. Il n'a pas participé à l'acquittement d'Engeltrude, et
en cela, comme en tout, il s'attache au Siège de Pierre. Le
[278] pape avait promis aux évêques lorrains leur pardon s'ils faisaient
leur soumission et adhéraient soit personnellement, soit par des
députés à sa sentence. Il a donc choisi un député pour porter sa
profession de foi. cependant il a différé pendant quelque temps
delà faire parvenir parce qu'il a négocié avec les autres évêques
lorrains, pour les engager à se conformer au désir du pape.
Maintenant qu'il sait leur consentement unanime, il envoie
d'avance le porteur de cette lettre comme un héraut qui doit
devancer son autre député 1.
Sur la demande d'Advence, le roi Charles le Chauve intercéda
aussi auprès du pape en sa faveur, et fit remarquer à Nicolas
que son oncle, l'illustre Drogon de Metz, avait élevé Advence
et l'avait pris dans sa maison. Cette lettre fut confiée au moine
Betton qui la porta à Rome 2.
Quelque temps après, le député d'Advence, le prêtre Theuderich,
arriva à Rome et remit une lettre plus détaillée, ainsi que nous
l'apprend la réponse du pape. En même temps, les autres évêques
lorrains envoyèrent des lettres et des députés à Rome ; ainsi
firent, en particulier, Rodoald de Strasbourg, dont nous pos-
sédons encore le début de la lettre d'excuses 3, et Francon,
évêque de Tongres, auquel le pape répondit 4.
Le roi Lothaire voulut, lui aussi, essayer d'adoucir le pape;
il lui adressa donc une lettre que Baronius a reproduite 5. Il
se plaint d'abord de ce que le pape, qu'il tenait cependant en
si haute estime, donnait trop de créance à ses adversaires.
1. Baronius, Annales, ad ann. 863, n. 51; Mansi, op. cit., t. xv, col. 370; Har-
douin, op. cit.. t. v, col. 321 ; R. Parisot, op. cit., p. 254. (H. L.)
2. Baronius, Annales, ad. ann. 863, n. 56; Hardouin, op. cit., t. v, col. 323;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 371.
3. Baronius, Annales, ad ann. 864, n. 8.
4. Nicolas, Epist., xlv. [R. Parisot, op. cit., p. 253, 256. (H. L.)]
5 Baronius, Annales, ad. ann. 864, n. 24, Hardouin, op. cit., t. v, col. 336 ;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 384. L'autre lettre citée par Baronius, op. cit., n. 19,
est d'une époque plus récente et postérieure à l'arrivée du légat Arsène, cf.
§ 472. [R. Parisot,, op. cit., p. 252. (H. L.)]
340 LIVRE XXIII
« Le pape a cependant pu apprendre de ses légats que lui,
Lothaire, n'a pas fait difficulté d'exposer devant eux ses plaintes,
comme l'aurait pu faire un homme de condition ordinaire. Le
véritable but de ses ennemis est de le dépouiller de son royaume 1,
dont il a légitimement hérité. Il a appris, des extrémités de son
empire où il lutte contre les païens, que Gùnther et Thieutgaud
ont été excommuniés ; il en a ressenti une grande peine,
mais s'est promis d'user de patience. Il a su plus tard que, mal- [279]
gré cette sentence, Gùnther dit la messe, consacre les saintes
huiles et communique le Saint-Esprit 2. Il désapprouve cette
conduite et, pour ce motif, cesse toute communion avec lui.
Quant à Thieutgaud qui a obéi, il intercède en sa faveur. Du
reste, quand il les a envoyés tous deux en Italie, il ne leur
a aucunement ordonné d'user d'expressions de nature à leur atti-
rer une pareille condamnation 3. Il est également innocent dans
la question d'Engeltrude, car il avait exhorté Gùnther, dans le
diocèse duquel elle vivait, à faire à son égard ce que comman-
dait le devoir de sa charge. Il ne sait ce qu'ont décidé au sujet
de cette femme les légats du pape, devant lesquels elle a été
assignée 4.
Ainsi Lothaire, soucieux de garder extérieurement une atti-
tude respectueuse, avait rompu toute communion ecclésiasti-
que avec Gùnther. Les Annales de Saint-Bertin prétendent
que, pour gagner son oncle Charles le Chauve, il avait donné le
siège de Cologne à Hugues, cousin de Charles, simple sous-diacre
et homme de mauvaises mœurs 5. En agissant ainsi, Lothaire
serait allé directement contre les prescriptions du pape ; le prince
Hugues n'eut sans doute que des promesses, car, en 864, nous
trouvons Gùnther administrateur temporel de Cologne 6 ; il
1 . Allusion à Charles le Chauve.
2. Il avait sans cloute administré le sacrement de confirmation le jour de
la Pentecôte de l'année 864.
3. Ceci pour se justifier du Libellus et de l'écrit injurieux au pape.
'i. Dummler, op. cit., p. 519.
.r>. Pertz, <>[>. cit., \>. 465. Sur Hugues i'Abbc, cf. Kalkstein, U>i Hu^n mis
dem Hause der Welfen, Markgraf von Neustrien, dans Forschungen zur deul-
schen Geschichle, Gœttingen, 1874, t. xiv, p. 37-128; Bourgeois, Hugues l'Abbé,
dans les Annales de la Faculté des lettres de Caen, 1885, t. i, p. 61-72, 07-130.
(H. L.)
6. Cette assertion est fausse, cf. R. Parisot, op. cit., p. 251, n. 8. (H. L.)
*7Û. TROIS CONCILES HUMAINS 341
resta en effet, quelque temps, en possession des biens des églises,
tandis que son frère, le fameux abbé Hilduin, paraît avoir exercé
les fonctions ecclésiastiques 1. On se demande si les Annales
de Saint-Bertin sont dans le vrai lorsqu'elles rapportent que
Gùnther, irrité de la nomination de Hugues, serait retourné
à Rome et aurait dévoilé au pape toutes ces intrigues 2. Il est
certain que le pape Xicolas pardonna à tous les évêques lorrains,
à l'exception de Gûnther et de Thieutgaud, et les exhorta à tout
tenter pour remettre le roi dans le droit chemin. Nous possédons
[280] encore les deux Ici lies du pape à Francon de Tongres et à Ad-
vence de Metz 3. datées lune et l'autre du 17 septembre 864,
e1 presque identiques. Toutefois dans la lettre à Advence le
pape manifeste une certaine surprise d'avoir reçu de lui une
pareille lettre (probablement parce qu' Advence était le chancelier
de Lothaire) ; fût-il moins innocent qu'il ne le prétendait, le pape
était décidé à lui pardonner et lui pardonnait en effet, parce
qu'il était près de la mort. Advence avait cherché à expliquer
sa conduite, en alléguant l'obéissance due aux rois, citant à ce pro-
pos un passage de saint Pierre 4. Cette citation ne se trouvant
pas dans la lettre analysée plus haut, doit appartenir à la se-
conde lettre, confiée à Theuderich. Mais, dit le pape, il fallait
voir si ces rois étaient de véritables rois, s'ils savaient d'a-
bord se gouverner eux-mêmes et ensuite le peuple confié à
leurs soins, s'ils gouvernaient avec justice et n'étaient pas plutôt
des tyrans auxquels on devait résister, au lieu de leur obéir.
Advence avait eu tort d'alléguer les anciens canons pour expli-
quer sa faiblesse vis-à-vis des deux métropolitains 5.
Advence adressa aussitôt au pape une lettre de remercî-
ment; on y voit que le pape avait écrit, en même temps qu'à
lui, aux rois Charles le Chauve et Louis le Germanique, leur
1. Baronius, Annales, édit. de Lucques, t. xv, p. 9; Gfrôrer, Die Carolinger,
t. i, p. 418.
2. Les Ann. Berlin., ad ann. 864, p. 71, ne le disent pas formellement ; les Ann.
Fuldenses, ad ann. 864, p. 63, disent que le pape refusa de recevoir Gùnther.
(H. L.)
3. Jafîé-Ewald, n. 2776, P. L., t. cxix, col. 885-887; R. Parisot, op. rit., p. 255.
(H. L.)
4. I Petr., n, l:j.
5. Baronius, Annales, ad ann. 863, n. 59; Uardouin, op. cil., t. v, col. 325;
Mansi, op. cil., 1. xy, col. 372.
342
LIVRE XXIII
mandant d'envoyer à Rome le métropolitain ou deux sufïra-
gants de chaque province ecclésiastique, pour assister à un
grand concile convoqué pour le mois de mai 1. Les deux rois
devaient également communiquer cette lettre à l'épiscopat lor-
1. A moins que, au lieu de xiv kal. junii, il ne faille lire kal. nov., ce qui s'ac-
corderait mieux avec ce que nous avons dit plus haut et avec ce qui est rapporté
dans les Annales de Saint-Berlin. Pertz, op. cit., t. i, p. 466. Dans ce dernier cas
ce serait du mois de novembre 864 qu'il s'agirait ; mais si on garde kal. junii,
il s'agit évidemment du mois de mai 865.
« Certains auteurs ont rejeté à priori la convocation successive de deux con-
ciles par le pape et ont cru qu'il n'y en avait eu qu'une seule faite en 864, celle
dont parlent les Annales Bertiniani, ad ami. 864, p. 73. En conséquence et pour
faire cadrer avec leur hypothèse la lettre d'Advence, Episl. ad Nicolaum, ils ont
proposé de lire dans celle-ci novembris au lieu de junii. Le concile se serait donc
ouvert le 19 octobre ; mais comme les Ann. Berlin, disent circa kalendas novem-
bris,i\ n'y a pas contradiction. Mais Noorden, Hinkmar, p. 194 et n. 4, et Hefele,
Conciliengeschichte, t. iv, p. 281 et note 2 (qu'on vient de lire), qui ont soutenu
cette opinion, n'ont pas remarqué qu'Advence dit avoir reçu la lettre du pape
des mains de Louis et de Charles. Or, en 864, les deux souverains ne se sont pas
rencontrés; c'est à Tusey, en février 865, qu'ils se sont revus pour la première fois
depuis le congrès de Savonnières ; c'est donc à Tusey qu'ils ont remis à l'évêque de
Metz la convocation pour le concile, et celle-ci ne concerne pas naturellement
une assemblée déjà tenue en novembre, il s'agit bien d'une nouvelle qui devait
se réunir en juin 865. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. n, p. 511 et n. 6;
Mùhlbacher, Reg. Kar., p. 494 ; Dûmmler, op. cit., t. n, p. 99-101, 115, se pro-
noncent pour la convocation d'un deuxième concile et pour le maintien dans la
lettre d'Advence de junii; Mùhlbacher et Dûmmler lisent à tort julii. » R. Pari-
sot, op. cit., p. 269, note 2.
Peut-être Nicolas commencait-il à concevoir quelques doutes touchant la régu-
larité de la déposition des deux métropolitains ; il convenait donc de recourir a
un concile général. On y résoudrait du même coup plusieurs questions très gra-
ves, notamment celle du patriarcat de Constantinople et, sans paraître convo-
quer un concile général à l'occasion de deux évêques peu recommandables, on
y réglerait leur cas. Ann. Bert., ad ann. 864, n. 73.
Une lettre du pape à Rodolphe, archevêque de Rourges, nous apprend que ce
concile général devait se réunir à Rome le 1er novembre 864, Jafïé-Ewald,
u. 2764, P. L., t. cxix, col. 883; nous ne savons pas quelle devait en être exac-
tement la composition. Toutefois, en rapprochant des instructions que le pape
avait envoyées à Rodolphe les ordres qu'il donna plus tard en vue du concile
qu'il voulait réunir en mai 865, on est amené à croire qu'il avait enjoint à tous
les métropolitains de l'empire franc de venir eux-mêmes à l'assemblée de novem-
bre 864 ou de s'y faire représenter par deux de leurs sufîragants. Les évêques ne
pouvaient aller au concile sans l'autorisation de leurs souverains. Il est vrai-
semblable que ceux-ci s'émurent des projets de Nicolas. La déposition de Gùnther
et de Thieutgaud avait déjà été de la part du pape un empiétement sur les droits
471. CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTHADE 343
[281] rain, afin qu'il pût envoyer aussi ses représentants. Reprenons
maintenant la suite du conflit entre Hincmar et Rothade.
471. Suite du conflit entre Hincmar et Rothade.
Nous avons vu qu' Hincmar avait envoyé à Rome Odon, évêque
de Beanvais 1, porteur des décrets du concile de Soissons relatifs
à la déposition de Rothade 2. Avant l'arrivée à Rome de cet ambas-
sadeur, le pape savait déjà ce qui s'était passé, et il en exprima
par lettre à Hincmar tout son mécontentement (début de
l'année 863). « Jusqu'alors il n'avait rien entendu que de favorable
à Hincmar ; mais il venait d'être informé, à son grand regret,
que l'évêque Rothade avait été déposé de son évêché, exilé et
enfermé dans un monastère, nonobstant qu'il en eût appelé.
Son âge seul aurait dû le protéger ; mais par mépris pour le
Siège apostolique auquel il en avait appelé, il était maintenant
en proie à la faim, à la soif et à d'autres souffrances sans nombre.
C'était intolérable. Aussi ordonnait-il à Hincmar de réintégrer
Rothade dans le délai de trente jours à compter de la réception
de cette lettre, ou, s'il était convaincu de son bon droit, de
l'envoyer à Rome avec ses accusateurs, de s'y rendre en personne
ou d'y envoyer des fondés de pouvoir. Ce délai de trente jours
écoulé, sans avoir accompli l'une ou l'autre de ces prescrip-
tions, il devait s'abstenir de dire la messe jusqu'à ce qu'il eût exé-
cuté les ordres du pape. Cette sentence s'appliquait non seule-
ment à Hincmar, mais à tous les évêques qui avaient adhéré à
des rois et des métropolitains. Cette fois, il se proposait de juger un souverain;
c'était une subordination de l'Etat à l'Eglise. Une telle prétention ne pouvait être
favorablement accueillie par les princes qui firent en sorte de faire échouer le
concile en n'y envoyant pas leurs évêques. R. Parisot, op. cit., p. 257; A. Hauck,
op. cit., t. ii, p. 511 ; Dùmmler, op. cit., t. n, p. 100. (H. L.)
1. D. R. Ceillier, Histoire générale des -auteurs ecclés., 1754, t. xix, p. 281-283;
2e édit., t. xn, p. 639-640; Corblet, Hagiographie du diocèse d'Amiens, 1873, t. ni,
p. 281-309; t. iv, p. 705; J. A. Fabricius, Bibl. med. sévi, 1736, t. v, p. 452-453;
2e édit., p. 154; D. Rivet, Hist. litt. de la France, 1740, t. v, p. 530-535; P. L.,
t. cxxiv, col. 1109. (H. L.)
2. Voir § 467.
344 LIVRE XXIII
la déposition de Rothade 1. » Le pape écrivit en même temps
à Charles le Chauve, roi de France 2, lui communiquant ce
qu'il avait mandé à Hincmar.
Nicolas prit un ton moins sévère lorsque l'évêque Odon fut
arrivé à Rome 3 et lui eut remis le procès-verbal de l'assemblée
de Soissons, avec une lettre d' Hincmar. Il écrivit de nouveau
à ce dernier: il se réjouissait de voir qu' Hincmar s'était adressé
au Siège apostolique et avait recherché son approbation pour ce
qui s'était passé. Malheureusement, il ne pouvait malgré son [282]
vif désir satisfaire à toutes les demandes d' Hincmar. Les papes
avaient, depuis longtemps, la meilleure opinion de la fidélité
d' Hincmar ; Nicolas n'avait pu croire qu'en présence d' Hincmar,
personne eût été molesté après en avoir appelé à Rome; il n'au-
rait pu le croire quand même les canons n'auraient rien dé-
crété sur ce point, ne fût-ce qu'à cause de la prudence bien
connue d' Hincmar et de sa grande influence sur le roi Charles.
A supposer même que Rothade eût été trouvé gravement cou-
pable, et n'en aurait pas appelé à Rome, Hincmar aurait dû,
par respect pour saint Pierre, porter cette affaire au Saint-Siège
et attendre son jugement (d'après le droit canon introduit par
les décrétales du pseudo-Isidore). Du moins n'aurait-il pas dû,
après appel interjeté, ordonner un autre évêque pour Soissons,
sans attendre la décision du pape. Dans sa lettre aux évêques
du royaume de Charles le Chauve, le pape avait marqué en dé-
tail la conduite à tenir envers Rothade, et Hincmar était au
nombre de ces évêques. Il devait donc se conformer à ces ins- •
tructions, s'il ne voulait éprouver la rigueur des canons. Hinc-
mar souhaitait d'obtenir du pape la confirmation des privilè-
ges de son siège, et néanmoins il dépréciait de son mieux les
1. Nicolas Ier, EpisL, xxix, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 295; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 249; P. L., t. cxix, col. 825; Jaffé-Ewald, n. 2712. P. Coustant,
dans Analecta juris ponlificii, 1869, 84e livr., série X, col. 85, avait recueilli
un certain nombre de variantes jpour cette lettre importante. M. Sdralek, Die
Briefe Nicolaus I, dans Tùbing. theol. Quartalsch., 1880, p. 222 sq. (H. L.)
2. mco\asleT, EpisL, xxxvi, P. L., t. cxix, col. 833; Jaffé-Ewald, n. 2713; Mansi-
Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 300. P. Coustant, dans Analecta juris pontificii,
1 869, 84e livraison, série Xe, col. 61 , fixe la date de cette lettre et de celle adressée
à Rothade à la fin de 862 ou au début de 863 ; Jafîé, dans sa lre édition, au plus
tard en avril 863. (11. L.)
3. Noorden, Hinkmar, p. 182 sq.: Diimmler, op. rit., t. i, p. 532; H. Schrors,
op. cit., |>. 247, note 'i0. (II. L.)
471, CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTHADE 345
droits de Rome. » En terminant, le pape fait de nouveau espérer à
Hincmar la confirmation des privilèges du siège de Reims,
s'il se montre obéissant, et il rappelle que c'est pour la se-
conde fois qu'il lui ordonne par écrit d'envoyer Rothade à
Rome. S'il élail obligé d'y revenir une troisième fois, il serait
corttrainl de le traiter comme contempteur des canons1.
J.a Lettre aux évêques du royaume de Charles le Chauve, à
laquelle le pape fait allusion dans le document que nous venons
d'analyser, n'est autre que son epist. xxxn aux évêques du eon
eile de Soissons 2. Nous avons déjà fait remarquer qu'au lieu de
spnodi Sylvanectensis, il fallait lire Suessionensis. Le ton de cette
lettre est analogue à celui de la dernière lettre du pape à Hinc-
mar. Ici encore le pape veut adoucir ce que sa première lettre
avait de trop acerbe ; mais il est décidé à ne pas céder d'un iota
sur l'affaire elle-même. Il commence par louer les évêques du res-
pect à l'égard de Rome dont ils ont fait preuve dans leurs lettres ;
il les exhorte à ne pas perdre courage en face des malheurs qui
[283] viennent fondre sur leur patrie, par suite de l'invasion des païens
et des dissensions intérieures ; il aborde ensuite la question de
Rothade, et dit : « Vous nous avez demandé confirmation de
ce que vous aviez décidé au sujet de Rothade dans votre concile ;
cette demande est inacceptable, car le Siège apostolique ne peut
porter un jugement qu'avec la connaissance parfaite du vérita-
ble état des choses. Vous dites avoir envoyé une relation complète,
et vous ajoutez que l'évêque Odon, présent à tout, pourra nous
donner de vive voix les explications nécessaires. J'accepterais
volontiers vos explications, si plusieurs de vos voisins (les évêques
lorrains) ne nous avaient envoyé des apologies de Rothade, et
des arguments concluant à son innocence et à votre culpabilité,
et que l'évêque Odon n'a pu réfuter. Je ne vous cacherai pas non
plus ma douleur en voyant qu'au mépris du Siège de Rome, vous
avez déposé Rothade, malgré son appel. Il est également regret-
1. Nicolas Ier, Epist., xxvm. Jafîé a, dans ses Regesta pontif. roman., Ie édit.,
p. 241, mal exposé le rapport de cette lettre du pape avec ce qui précède et il a
placé plus tard ce qui était antérieur. Mansi, op. cit., t. xv, col. 294 ; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 247.
2. Epist., xxxii (xxxv), P. L., I. cxix, col. 826; Jafîé-Ewald, n. 2723 ; Mansi,
op. cit., t. xv, col. 300 sq. Sur celte lettre, cf. II. Schrors, Hinkmar, Erzbischof
von Reims, sein Leben und seine Schriften, in-8, Freiburg-im-Br., 1884, p. 247-
249. (H. L.)
346
LIVRE XXIII
table d'avoir invoqué les lois impériales en preuve de la nullité
de l'appel de Rothade, comme si dans un tel conflit les lois civiles
l'emportaient sur les lois ecclésiastiques... Vous ajoutez que l'appel
n'était qu'une feinte pour traîner l'affaire en longueur; mais vous
ne le prouvez pas, et vous savez que Dieu seul voit le fond des
coeurs. Chacun connaît les can. 4 et 8 de Sardique sur l'appel
à Rome 1. Vous avancez que Rothade ne pouvait en appeler
parce qu'il n'avait aucune bona causa, ce que suppose le concile
de Sardique. Mais lui-même devait tenir sa cause pour bonne, ce
qui suffit pour permettre l'appel. Du reste, n'eût-il pas interjeté
appel, vous deviez déférer son affaire à Rome, conformément
à l'ordonnance du même concile (explication singulière du can. 3 ;
Si i'obis placet, sancti Pétri apostoli memoriam honoremus, ut scri-
batur, ab his qui causam examinarunt, Romano pontifici). Ce qui
est plus fâcheux encore, c'est que, consacrant un autre évêque
à la place de Rothade, vous avez agi directement contre les règles
de l'Eglise (can. 4 de Sardique). Vous dites qu'après son appel,
Rothade avait changé de sentiment et réclamé le jugement
des évêques. Sans douter de votre affirmation, on se demande
comment Rothade est ainsi revenu sur ses pas, et cette question
ne sera éclaircie qu'après comparaison, dans une enquête sérieuse, [284]
des témoignages des deux parties. Vous savez que j'ai écrit à
l'évêque de Reims, à qui je n'ai donné, comme à ses collègues,
qu'un délai de trente jours, ajoutant ce qu'il encourait en cas de
désobéissance. Mais Odon m'apprend maintenant que vous avez
ordonné un autre évêque de Soissons. Quand même chaque mem-
bre de mon corps aurait le don de la parole, je ne pourrais assez
dire à quel point cette manière de faire est abominable et
intolérable... Vous avez mérité des peines sévères ; mais pour
agir avec une douceur apostolique, je vous ordonne de rappe-
ler immédiatement Rothade de l'exil et de l'envoyer à Rome*
Vous y enverrez deux des vôtres, ou du moins ils s'y feront
représenter par des fondés de pouvoir, afin de prendre part à ce
qui sera fait. Si vous n'exécutez pas ces ordres dans le délai de
trente jours à compter de la réception de la présente lettre,
vous serez interdit pour la célébration de la messe, jusqu'à ce que
vous obéissiez, et, dans ce cas, Rothade sera acquitté par nous,
1. Le pape aurait dû dire les canons 3e et 5e, dont il cite d'ailleurs le texte in-
tégralement.
471. CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTHADE 347
tandis que vous tomberez dans l'abîme que vous aviez préparé
pour lui. Mes bien-aimés, ne recevez pas cet ordre avec répu-
gnance, car la vérité et la justice doivent avoir le dernier mot,
et je défendrai jusqu'à la mort les privilèges de mon siège. Songez
que ce qui est arrivé aujourd'hui à Rothade pourrait arriver
demain à l'un de vous. » Nicolas passe ensuite à l'affaire de
Baudouin. Conformément à ce que lui mandaient les évêques, il
avait constaté que ses premières démarches pour Baudouin étaient
irstées sans effet. Il faisait remarquer qu'il n'avait aucunement
voulu porter atteinte aux canons ni donner des ordres; il s'était
contenté d'intercéder en sa faveur. « Quant à ma manière de voir,
continue-t-il, sur l'affaire de Lothaire et de ses deux femmes,
vous pouvez la connaître par le Commonitorium dont je vous
envoie des copies par Odon. Vous y verrez que votre demande
de changer d"a\ is est complètement inutile 1. Si Lothaire ne s'a-
mende pas et ne fait pas pénitence, il sentira, lui ainsi que tous
ses partisans et ses amis, la rigueur des peines canoniques. Ces
peines atteindront surtout celui qui, en la fête de Noël, a béni
les deux adultères (c'est-à-dire a béni le prétendu mariage de
[285] Lothaire et de Waldrade). Afin que nul ne croie que j'ai faibli vis-
à-vis d'eux, vous publierez ma déclaration dans toutes les églises.
Quant au concile composé des députés de tous les royaumes
francs, dont vous proposez la réunion, il importe que mes deux
légats tiennent auparavant le concile convoqué au sujet de l'affaire
Theutberge (Metz, 863), auquel deux d'entre vous devront assister.
Après que nos légats nous en auront rapporté le détail, nous en
enverrons d'autres pour convoquer le concile que vous sollici-
tez 2. »
Le pape Nicolas écrivit, aussi à Rothade 3, et au roi Charles
le Chauve 4. Dans sa lettre à Rothade, il fait part des or-
dres transmis à son sujet à Hincmar, et il l'engage à venir à
Rome dès qu'il pourra faire le voyage. Si on ne le lui permet
1. On serait porté à croire, d'après cela, que le concile de Soissons, tenu sous
l'influence de Charles le Chauve et d'Hincmar, et par conséquent, mal disposé
à l'égard de Lothaire, aurait engagé le pape à ne pas permettre au roi de répudier
sa femme et à retirer la permission donnée (le parti de Lothaire avait en effet
prétendu que le pape avait donné cette permission à Lothaire ).
2. Epist., xxxn (xxxvn), P. L., t. cxix, col. 825 sq.
3. Epist., xxxin (xxxvin), P. L., t. cxix, col. 838 sq.
4. Epist., xxx (xxxvi), P. L., t. cxix, col. 834 sq.
348 LIVRE XXIII
pas, qu'il en informe le pape et ne cesse de faire connaître son
appel. Dans la lettre au roi, Nicolas parle d'abord de Baudoin et
intercède en sa faveur, puis il rapporte ce qu'il vient d'or-
donner relativement à Rothade, dont il demande ensuite à
Charles le Chauve le prompt envoi à Rome. En terminant, il
fait remarquer que le roi de France s'était plaint d'avoir reçu
de lui une lettre par trop acerbe. Il n'en dit pas le sujet ; mais
il s'efforce d'effacer cette mauvaise impression de l'esprit du roi
dont il connaissait si bien les sentiments de respect et de défé-
rence vis-à-vis du Saint-Siège, etc. Dans cette lettre maintenanl
perdue, Nicolas avait probablement intercédé pour Baudouin en
des termes plus énergiques que le roi ne l'eût voulu. Remarquons
encore ce passage digne d'attention : Le roi ne devait pas laisser
s'amoindrir les privilèges du Siège apostolique, qui avaient valu
à ses ancêtres toute leur grandeur (allusion à la dignité royale con-
férée à Pépin et à la couronne impériale donnée à Charlemagne). Les
privilèges de Rome, continue-t-il, sont une source de salut pour
toute l'Eglise du Christ ; ils sont également une arme contre toutes
les attaques du mal et un fort inexpugnable pour les prêtres et
pour tous ceux qui sont injustement poursuivis 1.
On croit ordinairement qu'Hincmar et Charles le Chauve
avaient tardé plusieurs mois avant d'exécuter les ordres du pape,
dont ils avaient caché les lettres à tout le monde et ne s'étaient [286]
plus occupés de l'affaire de Rothade qu'au concile de Verberie.
Mais d'autres lettres du pape font voir que Rothade avait été
délivré de sa captivité et commis à la garde d'un évêque de ses
amis, enfin qu'Hincmar et le roi avaient promis son envoi à Rome.
Pour faire connaître ces décisions à Rome, on y envoya le diacre
Liudo 2, à qui le pape remit, à son tour, plusieurs lettres, deux
entre autres pour le roi et pour la reine 3. Il explique à cette der-
nière pourquoi il ne peut accéder à sa demande de laisser tomber
1. Sur la conception élevée que se faisait Nicolas de la primauté romaine,
cf. Néander, Kirchengesch., t. iv, p. 125 sq.
2. Epist., xxxv et xxxvi, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 308 sq.; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 261 sq. Otto, De causa Rothadii, in-8, Vratislaviae, 1862, p. 35,
ne place l'envoi de Liudo que vers le milieu de l'été ; c'est évidemment trop tard
puisque celui-ci était de retour avant le 30 novembre ; Schrôrs, op. cit., p. 253,
place avec plus de vraisemblance la mission du diacre à Rome au printemps de
l'année 863. (H. L.)
3. Ermentrude avait précédemment écrit deux fois au pape. (H. L.)
471. CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTHADE 349
l'affaire de Rothade ; dans la première lettre il loue le roi de sa
condescendance, lui demande d'oublier tous ses ressentiments
contre Rothade et de l'envoyer à Rome en lui fournissant le néces-
saire pour son voyage. Dans une troisième lettre adressée à Ro-
thade lui-même 1, il le prie de lui déclarer en conscience s'il se
reconnaît coupable, s'il a fait appel et s'il a ensuite demandé
à être jugé par les évêques. Dans ce cas, il ne devrait pas don-
ner tant de peine à lui-même et aux autres, mieux vaudrait
rester chez lui. Si on l'a déjà réintégré dans son évêché, on a
agi suivant la justice et la légalité ; mais si on ne l'a pas fait et
s'il persiste dans son appel, il doit avoir bon courage et venir à
Rome ; il en obtiendra la permission, car le roi Charles et Hine-
mar s'y sont engagés. Le pape écrivit en même temps à Hincmar,
cl lixa au 1er mai 864 la présence à Rome de Rothade et des
députés de ses adversaires. La lettre de Nicolas est perdue,
mais ces détails se trouvent dans Epist. xxxvn.
Avant l'arrivée de ces lettres du pape en France, on avait tenu
un grand concile à Verberie (in palatio Vermeria, 29 octobre 863),
peu après le départ des légats du pape, Rodoald et Jean 2.
Charles le Chauve y assista ainsi que les quatre archevêques
Hincmar de Reims, Wenilon de Sens, Wenilon de Rouen, et
Hérard de Tours, avec vingt autres évêques, beaucoup d'abbés,
des comtes etc. Le principal souci de l'assemblée fut de mettre fin
à l'interminable conflit entre le monastère de Sain t-Calais et l'évê-
que du Mans. Déjà plusieurs conciles, en particulier celui de Pistes
(862) 3, s'étaient prononcés en faveur du monastère ; mais l'évê-
(|ue Robert du Mans avait gagné le pape, et nous possédons
[287J encore plusieurs lettres de Nicolas en faveur de l'évêque. L'affaire
fut examinée une fois de plus (25 et 29 octobre) ; il fut prouvé,
1° que le monastère appartenait au roi et non à l'évêque, 2° que
certains évêques du Mans ne l'avaient possédé que pour peu de
ls Epist., xxxviii, P. L., t. cxix, col. 838.
2. Lalande, Concilia Gallise, p. 175; Labbe, Concilia t. vm, col. 1938-1939;
Hardouin, Coll. conc, t. v, col. 569; Martène, Script, vêler, coll., 1724, t. i, p. 169-
172; Coleti, Concilia, t. x, col. 263; Mansi, Concilia, Supplem., t. i, col. 986;
Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 670; Bouquet, Recueil des hist. de la France, 1749,
t. vm, col. 297-298; A. Vermingkolï, Verzeichnis, dans Neues Archiv, 1901,
t. xxvi, p. 633-634; J. Havet, Œuvres, t. i, p. 187-190, rejet des prétentions
de l'évêque du Mans sur Saint-Calais et ordre de détruire les titres faux. (H. L.)
3. Hincmar, Episl., n, P. L., t. cxxvi, col. 26, 27; Pertz, op. cit., t. i, p. 462.
350 LIVRE XXIII
temps et par privilège du roi, 3° que les documents cités par
l'évêque à l'appui de ses prétentions étaient apocryphes; ordre
fut donné de les détruire.
L'assemblée s'occupa ensuite du mariage de Baudouin. On lut
les lettres du pape sur cette question, et les évêques demandèrent
que Baudouin et Judith fussent soumis à une pénitence ecclésias-
tique. Comme la première lettre du pape ne disait rien de sembla-
ble et que. pour cette raison, Baudoin refusait toute pénitence,
Hincmar lut une seconde lettre dans laquelle le pape disait que
son intention n'était pas de faire abstraction, dans cette affaire,
des lois de l'Église, et que les intéressés devaient être soumis
à une pénitence. Hincmar, conseillé par plusieurs, consentit cepen-
dant à ce que l'on se conformât à la première et non à la seconde
lettre du pape; il conseilla même au roi d'autoriser le mariage de
sa fille avec son séducteur. Néanmoins ni Hincmar ni Charles
n'y voulurent assister 1.
Le concile de Verberie décida également l'envoi à Rome de
Rothade accompagné de Robert, évêque du Mans, porteur d'une
lettre du roi pour le pape. Les députés de l'épiscopat de Neus-
trie devaient se joindre à cette ambassade, porteurs des litterse
synodicœ (de Soissons et de Verberie). Néanmoins, comme on différa
quelque temps leur départ, sur ces entrefaites, le 3 novembre
863, Liudo revenant de Rome arriva à Auxerre, où Charles le
Chauve se trouvait avec plusieurs évêques à l'issue du concile
de Verberie 2. Il apportait de nouvelles lettres du pape, notam-
ment celle à Hincmar aujourd'hui perdue, que nous avons
pu, à l'aide d'autres documents, analyser plus haut. En consé-
quence l'archevêque de Reims jugea prudent de confier aux
députés des évêques qui se rendaient à Rome une apologie détail- [-J°°]
lée de sa conduite (début de 864). Après avoir exposé sa conduite
touchant la longue vacance du siège de Cambrai et l'affaire de
Baudouin, il passe à la question principale, et dit avoir fait part
à un concile (celui de Verberie) des ordres du pape au sujet de
Rothade, transmis par l'intermédiaire d'Odon ; il ajoute qu'on
avait décidé l'envoi de Rothade à Rome. « Malheureusement
divers obstacles, que les députés pourront exposer de vive voix,
1. Voir § 467.
2. Pertz, op. cit., t. i, p. 462, 465 ; Hincmar, Episl., u, P. L., t. cxxvi,
col. 29. [H. Schrors, op. cit., p. 253-257. (H. L.)]
471. CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTIIADE 351
s'étaient opposés à la réalisation immédiate de la décision. Sur
ces entrefaites, le 3 novembre (863), Liudo avait remis au roi,
à Auxerre, les nouvelles lettres du pape, tandis qu'Hincrnai se
trouvait auprès du iils du roi, Charles le jeune, dont il cherchait
à procurer la réconciliation avec son père. A son retour à
Auxerre, on lui avait communiqué ces nouvelles lettres du pape.
Elles contenaient à son adresse des éloges qu'il ne méritait pas;
mais aussi des paroles sévères, d'après lesquelles le pape sem-
blait soupçonner Hincmar de le jouer. Il demandait donc au
pape la permission de s'expliquer en détail sur l'affaire de
Rothade. et il envoyait des représentants, non comme accusa leurs,
mais comme accusés, car Rothade avait été remis à ceux qui
devaient l'emmener à Rome, et Hincmar, par suite d'une longue
absence à la cour du jeune prince Charles, et du départ des évo-
ques, ne pouvait réunir un grand concile. Les évêques présents
estimaient que Rothade, s'il était réintégré, serait encore plus
hautain qu'auparavant. Hincmar aurait pu conseiller au roi de
différer le voyage de Rothade jusqu'à la réunion du concile
demandé par le pape; mais il aurait eu, ce faisant, à essuyer
les reproches des autres évêques, car la fuite de Rothade était
connue de tous. Conformément aux ordres du pape, Rothade
serait donc conduit à Rome sous escorte; mais sa cause était vrai-
ment mauvaise et il ne pourrait que se nuire à lui-même. Rothade
avait fait preuve d'une étrange obstination. On avait pu lui faire
promettre d'obéir aux canons désormais et aux décrets de Rome,
et par conséquent à son métropolitain, puisque ces canons pres-
crivaient une telle obéissance. Malgré cela, dans son Libellus profes-
sionis par lequel il réclamait le jugement des évêques, il soutenait
faussement avoir toujours été plein de déférence et de respect
pour ces décrets, etc. Il n'avait pas voulu signer, pour ne pas
être vaincu, et son plan était, au cas où le roi et les évêques con-
[289] tinueraient la procédure, d'aller à Rome avant toute sentence
contre lui et d'y obtenir son absolution. Le concile de Sardique
ne disait pas que le pape pouvait réintégrer immédiatement un
évêque qui en avait appelé au Saint-Siège, mais simplement
que les juges in partibus devaient alors procéder à une enquête.
Hincmar ne faisait pas cette remarque par esprit d'opposition au
pape, mais il croyait lui rendre service en lui faisant connaître
son sentiment et la conduite de Rothade. Si le pape confirmait
la déposition de Rothade, le roi prendrait soin de lui, et les évêques
352 LIVKE XX11I
l'entretiendraient largement du revenu de leurs églises ; quant à ,
lui Hincmar, il se résignerait à la réintégration de Rothade, mais
se refusait à croire que le pape l'ordonnât, sachant ce que le
concile de Sardique avait prescrit au sujet des judices et que,
d'après le concile de Carthage, un appel ne devait pas nuire aux
juges de première instance, sauf le cas où ceux-ci auraient agi
ouvertement en ennemis et illégalement. Ses collègues et lui
n'avaient pas déposé Rothade par inimitié, par haine ou quel-
que motif semblable, mais à cause de son incurable socordia et
pertinacia. Le pape ne saurait non plus oublier que d'après ce
même canon de Carthage (can. 10 d'Hippone ), on ne peut en
appeler des judices electi. Si, dans sa grande sagesse, il cassait
la sentence des judices electi, Hincmar le supporterait et se féli-
citerait d'être délivré de tout souci au sujet de Rothade. A l'ave-
nir, si ses suffragants se rendaient coupables, et sises réprimandes
n'obtenaient pas d'effet, il déférerait le cas à Rome. S'ils y allaient,
ce serait au pape à décider ; s'ils n'y allaient pas, ils en feraient
à leur guise. Hincmar parle ensuite des privilèges de l'Eglise de
Reims, qui n'a jamais reconnu un primat supérieur au sien, si ce
n'est le pape, sauf toutefois le peu de temps qu'elle fut soumise
aux légats apostoliques, après que Milon eut, sous saint Boni-
face, injustement expulsé Rigobert. Reims et Trêves sont les
deux métropoles de la Belgique et le plus ancien métropolitain
par l'ordination a le pas sur les autres. Hincmar voulait mourir
dans la communion du Saint-Siège ; il cédait donc, pour ne
pas être menacé de l'excommunication, comme cela avait eu
lieu souvent. Mais de ce moment il ne voulait plus se fatiguer en
synodes provinciaux ; chaque évêque serait désormais son pro-
pre guide. Si le pape se croyait obligé de veiller à ce que les
évêques ne fussent pas injustement condamnés par leurs métro-
politains, il devait veiller également à ce que les métropolitains
ne fussent pas méprisés par leurs suffragants. Il devait, en particu-
lier, rappeler Rothade à de meilleurs sentiments touchant la [290]
discipline ecclésiastique et la miséricorde, pour que d'autres
ne fussent pas amenés à l'imiter. Le roi Charles avait envoyé à
Hincmar la lettre du pape à Rothade. Du reste, les députés des
évêques rapporteraient au pape le langage tenu par Hincmar
devant ces arbitres (judices electi) auxquels Rothade en avait
appelé, et ils exposeraient aussi la conduite de Rothade depuis
son excommunication. » Dans ce qui suit, Hincmar reparle de son
471. CONFLIT ENTRE HliNCMAK ET ROTHADE 353
élévation sur un siège épiscopal, et dit qu'après la mort d'Ebbon
il n'a pas voulu empêcher que son nom fût écrit dans les dipty-
ques. « Le pape lui écrivait maintenant qu'il ne devait pas souf-
frir que les noms de Gùnther et de Thieutgaud fussent inscrits
au catalogue des évêques ; il demandait donc au pape ce
qu'il devait faire à l'avenir à l'égard d'Ebbon. Liudo disait (pie
le pape s'était entretenu avec lui de .Gotescalc. Lui, Hincmar,
avail déjà envoyé au pape, par Odon de Beauvais, une rotula ex
verbis et catholicorum sensibus, preuve des hérésies de Gotes-
calc, mais il n'avait pas reçu de réponse. Le conciliabule, de
Metz (863) l'avait invité à répondre au sujet de Gotescalc mais
cette invitation lui avait été apportée par un laïque. Il donne
des détails sur Gotescalc et sa doctrine. Hincmar, poursuivi par
les hérétiques, supportait tout, n'ayant que peu de temps à
vivre. Si le pape voulait qu'il fît sortir Gotescalc de prison et
l'envoyât à Rome, il ne s'y opposerait pas ; mais Nicolas devait
lui faire connaître son intention, afin qu'on ne l'accusât point
de dédaigner le jugement rendu par les nombreux évêques qui
avaient jugé Gotescalc 1. »
Rothade et son escorte étaient en route vers Rome, lorsque l'em-
pereur Louis II leur défendit de continuer leur voyage ; les députés
de Charles et les évêques durent se contenter de mander secrète-
ment au pape ce qui se passait. Ils revinrent chez eux, mais
Rothade s'arrêta à Besançon, d'où il se rendit en Italie auprès
de l'empereur, qui, sur les instances de Lothaire et de Louis le
Germanique, lui permit enfin d'aller à Rome 2.
Vers cette même époque (juin 864), Charles le Chauve tint à
Pistes un placitum, appelé second concile de Pistes, qui s'oc-
cupa de la réforme de l'Église ; mais en réalité, ce fut plutôt
[291] une diète qu'un concile. L'assemblée ordonna d'honorer les égli-
ses et les prêtres, de protéger les veuves et les orphelins, d'exer-
cer partout la justice et enjoignit aux comtes de veiller à ce
qu'on se servît partout de mesures légales 3.
1. Hincmar. Episl., ri, ad Nicolaum, P. L., t. cxxvi, col. 25-46.
2. Pertz, op. cit., t. i, p, 465. [L'itinéraire de Rothade était quelque peu exeen
trique, il partit de Besançon, passa par Coire, mais tous les chemins mènent à
Rome; il y arriva donc. Cf. Jafîé-Ewald, n. 2782-2786; Schrors, op. cit., p. 237;
Dùmmler, t. n, p. 88 sq.; R. Parisot, op. cit., p. 261. (H. L.)]
3. D'Achery, Spicilegium, t. h, p. 588-592 ; Mabillon, De re diplomatica, 1681,
p. 316; 3e édit., L. i, p. 272-475; Gallia christiana, 1770. t. xir, p. 97-101; D. Bou-
CONGILES —IV - 23
354 LIVRE XXIII
Le pape avait marqué au 1er mai 864 le dernier délai au terme
duquel Rothade et les députés de l'épiscopat de Neustrie devaient
se trouver à Rome. Ce délai passé, ignorant le véritable état des
choses, trompé par de fausses nouvelles, le pape rédigea, peut-
être dans ce même mois de mai 864, sa lettre n° 37 dans laquelle
il reprochait à Hincmar d'avoir entravé le voyage de Rothade déjà
commencé, etc., et d'avoir même forcé celui-ci à revenir. Le pape
prétendait savoir que, malgré l'excommunication, Gûnther avait
célébré le service divin le dernier jeudi saint, et il exhortait for-
tement à rompre tous rapports avec lui *.
Comme nous l'avons dit, les députés du roi et de l'épiscopat
franc avaient informé secrètement le pape de la violence de l'em-
pereur Louis. Mais Nicolas ne vit là qu'un faux rapport ; c'est, du
moins, ce que laisse voir sa lettre à Charles le Chauve 2. Aussi,
après six mois d'attente, il se déclara ouvertement en faveur
de Rothade, et il ajouta pleine créance à son Libellus procla-
mationis 3. Nicolas alla plus loin ; célébrant, la nuit de Noël, selon
l'ancienne coutume des papes, une messe solennelle dans l'église
de la Mère de Dieu ad Prœsepe 4, il prit la parole du haut de l'am-
bon au sujet de Rothade, raconta l'histoire de ses persécutions
par Hincmar et par le roi Charles, insista sur son appel et déclara
absurde l'assertion d' Hincmar soutenant que Rothade avait retiré
son appel et en avait référé à des judices electi 5. Le pape déclara [292]
ensuite, conjointement avec les évêques, les prêtres et les diacres
(il y avait donc une sorte de synode), que Rothade était digne
de l'épiscopat, et on le revêtit de nouveau des insignes épiscopaux.
Rothade déclara en même temps avoir toujours été et être
encore prêt à répondre à ses adversaires. On attendit encore jus-
quet, Recueil des hist. de la France, t. vin, col. 592 ; Baluze, Capitularia regum
Francorum, t. n, col. 173-196; Pommeraye, Concilia Rolhomagensia, 1677, p. 24;
Bessin, Concilia Rothomagensia, 1717, t. i, p. 23; Coleti, Concilia, t. x, col. 265;
Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 678; Walter, Corp. jur. ant., 1824, t. m,
p. 128; Pertz, Monum., t. m, Leges, t. i, p. 288 sq. (H. L.)
1. Nicolas Ier, Epist., xxxvn, Hardouin, op. cit., t. v, col. 263; Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 310. Il résulte de cette lettre que Rothade n'était pas arrivé à Rome
dès le mois d'avril 864.
2. Hardouin, op. cit., t. v.col. 586; Mansi, op. cit., t. xv, col. 688.
3. Baronius, Annales, ad ann. 863, n. 70 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 579;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 681.
4. Sainte-Marie-Majeure.
5. Hardouin, op. cit., t. v, col. 583; Mansi, op. cit., t. xv, col. 685.
471. CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTHADE 355
qu'à la fête de sainte Agnès (21 janvier 865), et aucun accusateur
ne se présentant, le pape réunit une nouvelle assemblée dans
l'église de Sainte- Agnès hors les murs; en cette occasion Rothade
remit son Libellus excusationis et promissionis 1. On en fit lecture
publique, et on publia ensuite un décret du pape réintégrant
Rothade 2. Tous y ayant adhéré, on se rendit sur-le-champ dans
l'église de Sainte-Constance, où Rothade célébra solennellement
la messe. Le lendemain, dans une nouvelle réunion synodale
tenue in domo Leoniana (Vatican), Rothade fut renvoyé dans
son évêché, et on lui donna pour l'accompagner, en qualité de
légat du pape, Arsène. évêqued'Orta en Toscane 3, chargé d'exa-
miner la question du mariage de Lothaire et de terminer les con-
flits survenus entre les princes francs 4.
Cinq des lettres papales remises aux légats se rapportaient
à l'affaire de Rothade 5. Dans la première, adressée à Charles le
Chauve, Nicolas s'étend principalement sur l'injustice commise
tant à l'égard du Saint-Siège qu'à l'égard de Rothade, en ne tenant
aucun compte d'un appel et des ordres donnés par le pape ; Hinc-
mar est dénoncé comme l'auteur de tout le mal. « Le concile
de Chalcédoine avait ordonné, can. 9, que le sufîragant qui
avait à se plaindre de son métropolitain, confiât l'affaire au
primat du diocèse (dans le sens d'autrefois) ou qu'il la fît juger
1. H. Schi ors, op. cit., p. 258; A. Verminghoff, Verzeichnis, dans Neues Archw,
1901, t. xxvi, p. 635. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 584; Mansi, op. cit., t. xv, col. 687.
3. Sur Arsène, cf. Liber pontificalis, édit. Duchesne, t. n, p. 103, n. 30; p. 149,
n. 4 ; p. 186, n. 13. Arsène, apocrisaire du Saint-Siège, évêque d'Orta, fds d'A-
nastase le bibliothécaire. A. Lapôtre, De Anastasio bibliothecario, in-8, Paris,
1885, p. 37 sq., 93 sq. Il avait quitté Rome avant le 22 avril 865, date de la fête
de Pâques. P. L., t. cxix, col. 921. (H. L.)
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 578; Mansi, op. cit., t. xv, col. 206 sq. Rothade
est donc rétabli par un concile romain et le pape prescrit de tenir un concile en
Gaule pour rétablir les clercs ordonnés par Ebbon ; mais le synode ne connaît
pas librement l'affaire : Nicolas Ier lui fait un devoir de rétablir les clercs déposés.
Epist. ad Hincmurum, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 706. Hincmar proteste
dans ses Annales Bertiniani contre le rétablissement de Rothade prononcé poten-
lialiter et en dépit des canons de Sardique, Ann., ad ami. 865, p. 76. En tous cas
Rothade est rétabli, non en raison des plaintes et réclamations des évêques occi-
dentaux, mais par un coup d'Etat du pape Nicolas. (H. L.)
5. Les lettres destinées à Louis le Germanique et à ses évêques sont per-
dues, mais elles étaient, au dire d' Hincmar, conformes aux autres, uniformes.
(H. L.)
356
LIVRE XXIII
par le siège de Constantinople. Ce droit revenait à plus forte
raison à l'Église de Rome qu'à l'Église de Constantinople.
C'est ainsi que plusieurs papes, Jules par exemple, avaient
appelé à leur tribunal les discussions survenues entre les évê-
ques (le pape cite ici un fragment du pseudo-Isidore dont
vraisemblablement Rothade avait apporté à Rome la collec-
tion). Hincmar avait cherché par tous les moyens à annuler
l'appel de Rothade, et n'avait pas obéi aux ordres réitérés
du pape. Prétendre que les députés de l'épiscopat franc avaient [293 1
été arrêtés dans leur voyage en Italie c'était un véritable faux-
fuyant. Ces députés avaient déclaré, dans leur lettre au pape,
n'avoir reçu de leurs collègues aucune mission d'accuser Rothade
qui était à Rome depuis huit mois sans qu'aucun accusateur se
fût encore levé contre lui, ce qui s'explique sans peine parce que
ses ennemis, qui avaient été à la fois accusateurs et juges, ne vou-
laient pas laisser reviser leur sentence, pour ne pas être couverts
de confusion. Mais Rothade, fort de sa conscience, n'avait pas
craint la décision de Rome, il l'avait même sollicitée ; aussi
le pape l'avait-il réintégré dans sa première dignité et sa
première église. Le roi avait maintenant une excellente occasion
de montrer sa déférence pour Rome : en faisant exécuter la
sentence du pape. Quiconque empêcherait Rothade d'exer-
cer de nouveau ses fonctions, serait excommunié et exclu de
tout rapport avec les fidèles. Enfin, le roi devait rendre à
l'Église de Soissons tous les biens perdus depuis la déposi-
tion de Rothade, même ceux que le roi aurait déjà donnés à
d'autres x. »
Les quatre autres lettres sont conçues à peu près dans le même
sens; toutes s'expriment de la même manière sur la conduite
d' Hincmar dans l'affaire de Rothade, et toutes proclament ce
principe, que le jugement à porter sur un évêque appartient au
pape comme negotium majus [causa major). Le pape écrit en parti-
culier à Hincmar : « Si tu avais jamais eu le moindre respect pour les
< :anons des Pères et pour le Siège apostolique, tu n'aurais pas cher-
ché à déposer l'évêque de Soissons à notre insu, car cette affaire
appartient aux majora negotia. Lorsque tu as été toi-même dans le
besoin, tu t'es aussitôt souvenu du Siège apostolique; mais lors-
qu'il s'est agi de Rothade, tu ne t'en es pas souvenu ; au contraire,
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 585; Mansi, op. cit., t. xv, col. 688.
471. CONFLIT ENTRE HINGMAR ET ROTHADE 35i
tu as cherché par tous les moyens à infirmer son appel. Tu as
déposé Rothade dans un synode général (franc) : or, un tel synode
ne devait se tenir qu'avec l'assentiment du pape (le pape Nico-
las avait émis ce même principe pseudo-isidorien dans son dis-
cours sur Rothade, en la fête de Noël 864). Le prétexte que
Rothade avait lui-même retiré son appel est faux, car sa lettre
ne contient rien de semblable. C'est ton arguta sapientia qui a
[294] abusé de lui. Du reste, n'eût-il pas appelé, tu aurais dû néan-
moins déférer toute cette procédure à Rome, car les judicia totius
Ecclesise doivent être rendus par ce Siège, qui aie droit de tout
juger et dont on ne peut appeler. Tu t'es montré dans cette affaire
désobéissant à l'égard des ordres du pape, et, semblable à un nou-
veau Dioscore, tu as même empêché qu'on les publiât. » (On se
souvient que. lors du brigandage d'Éphèse, Dioscore avait em-
pêché qu'on ne publiât Y Epistola dogmatica du pape Léon le
Grand.) Le pape parle ensuite en détail de la conduite d'Hinc-
mar;il mentionne cette prétendue arrestation des députés se ren-
dant à Rome, et, après avoir informé Hincmar de la réintégration
de Rothade, il ajoute : « Tu as maintenant à choisir entre deux
voies : t'incliner devant cette sentence, ou bien venir à Rome
avec Rothade déposer tes plaintes contre lui ; mais, dans ce cas,
il doit être auparavant réintégré. Si tu ne fais ni l'un ni l'autre,
tu seras déposé à tout jamais de la dignité sacerdotale 1. »
Dans la troisième lettre, adressée à tous les évêques des Gaules,
le pape leur reproche de soumettre les majora negotia à leur propre
décision, même après appel. « N'y en eût-il pas eu, ils n'au-
raient pas dû juger un évêque. Ils ont méprisé les décrets des
anciens papes, conservés de temps immémorial par l'Église
romaine et gardés dans ses archives (il s'agit des documents
pseudo-isidoriens). Quelques-uns disent, il est vrai, que ces décrets
ne se trouvent pas dans le Corpus codicis canonum, mais ceux-
là sont les premiers à les invoquer, lorsqu'ils leur sont favora-
bles 2. Si on nie l'autorité d'une décrétale, parce qu'elle ne se
trouve pas dans le Codex canonum, les ordonnances de Grégoire
(le Grand) et d'autres, et la Bible elle-même, n'auraient pas non
plus force de loi. Du reste il y a dans le Codex canonum, un chapitre
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 588; Mansi, t. xv, col. 691.
2. C'est ce qu'avait fait Hincmar à Quierzy en 857. Cf. Theol. Quartals., Tii-
bingen, 1847, p. 648, (i57.
358 LIVRE XXIII
de Léon (le Grand) ordonnant d'observer les décrétâtes du Saint-
Siège; par conséquent, toutes ces décrétâtes sont implicitement con-
tenues dans le Codex canonum. Le pape Gélase prescrit également
le respect pour toutes les ordonnances pontificales, et le pape Léon
a insisté pour que les affaires d'une importance majeure ne se fissent
pas sans l'assentiment du pape. Ceux des Gaules sont dans l'erreur,
lorsqu'ils prétendent que le jugement porté sur un métropolitain,
mais non pas celui qui concerne un suffragant, est un negotium
majus. Enfin, Nicolas a réintégré Rothade en vertu des privilèges
de l'Église romaine, et les évêques gaulois doivent obéir, sous [295]
peine d'excommunication. Lorsque Rothade aura été réintégré sur
son siège, ils seront libres de porter à Rome des plaintes contre lui1. »
Dans la quatrième lettre, le pape engage les habitants de Sois-
sons à se réjouir à l'occasion du retour de leur évêque et à lui
obéir ; enfin, dans la dernière lettre, il annonce officiellement à
Rothade sa réintégration et lui ordonne de se tenir prêt à répon-
dre, ainsi que l'exigeaient les règles canoniques, si ses adversaires
élevaient des plaintes contre lui. En attendant, il devait faire
les démarches nécessaires pour recouvrer les biens enlevés à son
Église 2. Cette lettre est datée du mois de janvier 865, et sans
doute les quatre autres ont été écrites à la même époque. Mainte-
nant que nous connaissons leur contenu, nous ne saurions être
surpris qu'Hincmar en parle d'une manière si défavorable dans
sa continuation des Annales de Saint-Bertin 3.
Deux autres lettres, confiées à Arsène 4, avaient pour but de ré-
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 590; Mansi, op. cit., t. xv, col. 693.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 597 sq. ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 700 sq.
3. Pertz, op. cit., t. i, p. 468. Hincmar se soumit en frémissant. « Le légat Ar-
sène, écrit-il dans les Ann. Bertin., ad ami. 865, ramena en France et présenta
à Charles l'évêque Rothade, canoniquement déposé par les évêques de cinq pro-
vinces et rétabli par le pape Nicolas contre toutes les règles et par un coup d'au-
torité. Toutes les règles édictées par les sacrés canons sur la matière, il refusa
d'en tenir compte et méprisant le jugement des évêques, lui-même, de son pro-
pre pouvoir, lui restitua sa dignité. Il le renvoya au roi Charles avec des lettres
où il déclarait anathème quiconque inquiéterait Rothade dans la possession
de sa prélature et de ses biens. C'est ainsi que, sans interrogatoire, sans le con-
sentement des premiers juges, mais simplement par l'entremise du légat
Arsène, l'évêque déposé fut rendu à son siège. » Sur la légation d'Arsène, cf.
H. Schrôrs, Hinkmar, p. 268 sq. ; Hergenrôther, Photius, in-8, Regensburg,
1867, t. ii, p. 235. (H. L.)
4. Epist., xxv, xxvi, Hardouin, op. cit., t. v, col. 241 ; Mansi, op. cit., t. xv,
col. 287.
471. CONFLIT ENTRE HINCMAR ET ROTHADE 359
concilier Charles le Chauve avec l'empereur son neveu. La première
est adressée à Charles lui-même, la seconde aux évêques de son
empire. Le pape recommande dans ces deux documents le légat
Arsène, qui dira de vive voix tout ce qui n'a pu être écrit. Remar-
quons cette phrase dans la lettre aux évèques francs : « L'oncle
ne doit pas forcer l'empereur à tourner contre les chrétiens
le glaive qu'il a reçu de Pierre pour s'en servir contre les infidèles.
On ne^doit pas l'empêcher de gouverner en paix l'empire reçu
en héritage, dont la possession lui a été confirmée par l'autorité
du Siège apostolique, et qui a été rendu plus glorieux par la cou-
ronne que le pape a placée sur la tête de l'empereur. On doit
lui permettre d'administrer, pour le plus grand honneur de l'Eglise,
son empire protégé de Dieu, qu'il a reçu avec les bénédictions
et les onctions par l'intermédiaire du pontife suprême aposto-
lique. Quiconque combat contre l'empereur a pour ennemis
Dieu et le Siège apostolique 1. »
1. « Ce voyage d'Arsène marque l'apogée de la puissance et du triomphe
de la politique pontificale. Les manières hautaines et cassantes du légat indispo-
sèrent et froissèrent le clergé de France. Il apparut en maître, et « comme s'il
«était lui-même le souverain pontife,» ne souffrant de personne ni discussion ni
contradiction, imposant des ordres, la bouche pleine de menaces d'excommu-
nication. » A. Gasquet, L'empire byzantin et la monarchie franque, in-8, Paris,
1888, p. 380 ; c'est ce qu'avancent la Chronique de Réginon et les Annales de
Saint-Bertin, dont les auteurs n'ont guère de motifs pour sympathiser avec
Arsène. Cf. E. Buechting. Giaubwùrdigkeit Hincmars von Reims im drit-
len Theile der sogenannten Annalen von Sankt Bertin, in-8. Halle, 1887.
Quant à la probité, Arsène n'était pas doué pour cette vertu. Jean Diacre,
Vita Gregorii, 1. IV, c. i, P. L., t. cxxv, col. 207; Nicolas Ier, Epistola ad
Ludovicum, P. L., t. cxix, col. 1178. Cf. A. Lapôtre, Hadrien II et les fausses
décrétales, dans la Revue des questions historiques, 1880, t. xxvn, p. 397, note 4;
L. Duchesne, Fastes episcopaux de la Gaule, 1 900, t. n, p. 258; A. Lapôtre,
L'Europe et le Saint-Siège à l'époque carolingienne, in-8, Paris, 1895, Le pape
Jean VIII, p. 41; J. Calmette, La diplomatie carolingienne, in-8, Paris, 1901,
p. 98-100. Pour Arsène avait été créée, avec ses attributions personnelles, la charge
d'apocrisaire du Saint-Siège. Avant lui, on ne trouve personne qui soit revêtu
de cette dignité qui, d'ailleurs, lui survécut peu. Arsène n'eut que deux suc-
cesseurs : Grégoire et Léon, neveux de Jean VIII. Née des relations plus inti-
mes entre la Papauté et l'Empire, cette charge disparaît assez naturellement
lors de l'amoindrissement de l'autorité impériale. Galletti n'en dit rien dans son
Del primicerio délia Santa Sede apostolica, in-4, Roma, 1776. (H. L.)
300 LIVRE XXIII
472. Le différend du roi Lothaire est résolu dans l'assemblée [296]
d'Attigny, pendant Tété de865l.
Arsène était porteur d'une lettre aux évêques lorrains, dans
laquelle le pape leur reprochait leur promesse de s'unir à lui dans
la question du mariage de Lothaire, et de rester maintenant
inactifs ; du moins ne savait-il rien de leurs efforts. Il les adjure
donc, dans les ternies les plus énergiques, de faire tout ce qui
dépend d'eux et de combattre courageusement en faveur du
droit. Ils doivent prier, conjurer, conseiller souvent le roi, lui
rappeler que les choses du monde passent vite, le menacer, au
nom du Seigneur et du Siège apostolique, de l'excommunication,
et ne pas hésiter à le rejeter de leur communion, s'il ne renvoie
la femme adultère. Arsène devait leur prêter son concours dans
toute cette affaire 2.
1. Un concile semble s'être réuni à Rome, en novembre 864, composé exclu-
sivement de prélats italiens. Rodoald, le légat deux fois prévaricateur, fut déposé
et excommunié. Jafîé-Ewald, n. 2821, P. L., t. cxix, col. 856-857^ ; Dûmmler,
op. cit., t. il, p. 101, n. 1. Le concile refusa d'examiner l'affaire de Gûnther et de
Thieutgaud. Mais ceux-ci conservaient la bienveillance de l'empereur et de l'im-
pératrice et de plusieurs évêques de la Lombardie. En février 865, sur l'ordre
de l'empereur, un concile se tint à Pavie, auquel prirent part des prélats italiens
et provençaux, au nombre desquels Tadon de Milan, Roland d'Arles et Arpenus
d'Embrun. Gûnther se présenta devant ce concile dont il sollicita l'appui. Il
était, disait-il, venu de Rome avec la permission et sur le conseil du pape dési-
reux de témoigner à Thieutgaud et à lui sa bienveillance. Le concile décida d'in-
tervenir en faveur des deux prélats et écrivit au pape pour solliciter son pardon.
Nous mettons ici à sa date chronologique ce concile dont Hefele, Concilienge-
schichte, t. iv, p. 306, a mis en doute les actes et la lettre synodale à Nicolas qu'on
trouvera dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 759 sq., et dans Hartzheim, Concilia Ger-
manium, t. n, p. 327 sq. L'erreur d'Hefele vient de ce qu'il joint à ces actes un
discours qui en réalité a été prononcé dans un concile tenu à Rome en 869,
Dûmmler, op. cit., n. 2, p. 139, t. n, a réfuté l'opinion de Hefele, et Mûhlbacher
Reg.Kar.. p. 456, a admis ses raisons; d'après Dûmmler le concile aurait coïncidé
avec une assemblée générale présidée par l'empereur. Le capitulaire édicté par
Louis II dans cette occasion est du 4 février. Bohmer-Mûhlbacher, n. 1195 ;
Parisot, op. cit., p. 258. (H. L.)
2. Baronius, Annules, ad ann. 865, n. 54 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 331;
Mansi, op. cit.. t. xv, col. 379. [Nous sommes presque certain que vers la fin de 864, le
Sou s erain Pontife, avant de convoquer un concile pour le mois de mai, a manifesté
472. ASSEMBLER d'aTTIGNY 361
Le pape Nicolas confia probablement aussi à Arsène 1 une lettre
au roi Lnthaire, menaçant d'excommunication le prince coupa-
ble, s'il iif s'amendait avant le retour du légat2. Une réponse de
Lothaire nous fait connaître un fragment d'une autre lettre
du pape à ce prince, où il se plaint qu'on ait corrompu ses
légats 3 ; Lothaire s'en défend et cherche à donner au pape
bonne opinion de lui-même. Comme les mots de Lothaire, pos-
teriorem legatum, se rapportent incontestablement à Arsène,
on en peut conclure que la lettre du pape aujourd'hui perdue
date de l'envoi de ce légat; comme, d'un autre côté, la lettre
contenant une menace d'excommunication ne contient pas
on mot pour recommander le nouveau légat (Arsène), on peut
croire que la lettre perdue contenait ces recommandations, et
le pape dut naturellement saisir cette occasion pour reprocher
à Lothaire d'avoir suborné ses premiers légats.
On n'a pas oublié que le pape Nicolas avait engagé les métro-
politains de France (Neustrie), de Germanie et de Lorraine à
[297] assister à Rome, au mois de mai 865, à un concile, ou à y envoyer
deux suffragants. Arsène était déjà reparti pour la Lorraine,
quand arrivèrent à Rome des lettres de Charles le Chauve et de
Louis le Germanique, déclarant qu'on ne pouvait accéder au
désir du pape. Celui-ci fut très impressionné de ces refus,
comme on le voit par sa lettre aux deux rois 4 où il s'applique
à démontrer que les motifs allégués : trop grand éloignement,
délai trop court, difficultés du voyage, étaient de vains pré-
l'intention où il était d'en venir aux moyens extrêmes contre Lothaire, si ce prince
ne se résignait pas à quitter Waldrade. R. Parisot, op. cit., p. 263. (H. L.))
1. Sur les entraves mises par Louis le Germanique à la mission d'Arsène, cf.
R. Parisot, op. cit., p. 274. (H. L.)
2. Découverte par le professeur Floss, dans un manuscrit de Trêves : Leonis,
papse VIII, prwilegium de investituris Ottoni I imperatori concessum, nec
non Ludovici Germanorum régis... aliorum... epistolœ, in-8, Friburgi, 1858,
p. 30. Jafïé-Ewald, n. 2778; Floss, Paptswahl unter den Ottonen, Urkunden
p. 30-33; R. Parisot, op. cit., p. 277. Sur la date des lettres à Lothaire et à ses
évêques, cf. Analecta juris pontificii, t. x, col. 62; Jafïé-Ewald, Reg. pont, roman.,
t. i, p. 355; Dùmmler, op. cit., t. n, p. 131, n. 2 et 3. (H. L.)
3. Baronius, Annales, ad ann. 864, n. 19 ; Jafïé-Ewald, n. 2.777 ; nous
connaissons ce fragment grâce à une lettre de Lothaire au pape en 866.
(H. L.)
4. Nicolas, Epist., xxvn, P. L., t. cxix, col. 922; Jafïé-Ewald, n. 2788; R. Pa-
risot, op. cit., p. 278, 274. (H. L.)
362 LIVRE XXIII
textes et des faux-fuyants l. Charles le Chauve avait allégué,
en particulier, que la plus grande partie de ces évêques devaient
garder, avec les autres fidèles, les régions maritimes contre les
pirates. Le pape répond que ce n'est pas aux évêques à faire la
guerre ; le roi de France a également tort de nier l'utilité de la
présence des évêques francs au concile romain. Quand même
les évêques des royaumes de Charles et de Louis auraient été
empêchés (par l'empereur) de traverser les Alpes, le même empê-
chement n'aurait pas existé pour les évêques de son frère Lothaire.
La présence de ces évêques eût été très utile pour éclaircir la ques-
tion du mariage ; en s'abstenant de comparaître, ils ont certaine-
ment augmenté l'obstination du roi. Le pape continue, s'adres-
sant à Charles et Louis : « Vous prétendez avoir déjà averti
plusieurs fois le roi Lothaire, ainsi que je puis le conclure, dites-
vous, de votre commonitorium. Mais vous n'avez pas envoyé ce
commonitorium ; aussi ne puis-je savoir ce que vous avez fait.
Lothaire m'a déclaré, comme vous, qu'il voulait venir à Rome
en personne ; mais je lui ai défendu d'entreprendre ce voyage
dans l'état où il est, parce que la sainte Eglise romaine rejette
et condamne toute personne dans cet état. Je suis heureux que
vous ayez exhorté de nouveau Lothaire en la fête de saint Jean ;
peut-être Dieu ramèriera-t-il son cœur au bien. Si Lothaire veut
reprendre Theutberge, qu'il ne la fasse pas souffrir, mais qu'il
la traite comme sa légitime épouse. Si elle ne veut pas revenir
auprès de lui, on devra l'y contraindre. Je n'ai pas jusqu'ici pro-
noncé de sentence au sujet de Lothaire, parce que j'ai voulu
éviter l'effusion du sang. Recevez Arsène avec bienveillance,
il traitera cette affaire avec vous. Afin que vous puissiez vous
assurer que les lettres qu'il apporte sont réellement authenti- [298]
ques, je vous envoie de nouvelles copies de ces mêmes lettres
par le porteur de la présente. On choisira un autre évêque pour
l'Église de Cologne ; de même on exécutera les ordres que j'ai
donnés au sujet du siège de Cambrai ; au cas où le nouvel évê-
que serait déjà canoniquement élu, on le consacrera (à la place
1. La lettre du pape à Adon, archevêque de Vienne, avait trait, elle aussi, à ce
refus de se rendre au concile. Le pape y disait que « la non-comparution des évê-
ques transalpins avait fait échouer le concile ; Adon n'en devait donc que plus
activement soutenir Arsène. Il n'était pas exact de prétendre que le pape eût
de nouveau reçu à sa communion Gûnther et Thieutgaud. » Mansi, op. cit., t. xv,
col. 450; Hardouin, op. cit., t. v, col. 387.
472. ASSEMBLÉE d'aTTIGNY 363
d'Hilduin). Enfin, Charles, mon fils, ce que tu dis contre Rothade,
c'est à proprement parler un autre (Hincmar) qui le dit par ton
intermédiaire. Je suis surpris que tu aimes mieux ajouter foi à
ses insinuations que de me réjouir par ton obéissance. Laisse
cela, mon fils, et commence à répondre à mes exhortations.
Tu verras, par d'autres lettres, ce que tu as à faire dans cette
question. »
Arsène traversa d'abord le pays de Coire et l'Alemannie l,
pour se rendre auprès du roi Lothaire le Germanique, qu'il rencon-
tra à Francfort2. Il s'aboucha ensuite avec Lothaire et les évê-
ques lorrains à Gondreville (près de Toul, sur la Moselle) 3, et
remit aux uns et aux autres les lettres du pape. Puis, en présence
des évêques, il intima à Lothaire, sous peine d'anathème, l'obli-
gation de quitter immédiatement Waldrade et de rappeler la reine
Theutberge 4. Lothaire l'ayant promis, le légat se dirigea vers
la Neustrie 5, et rencontra le roi Charles le Chauve vers la mi-
juillet 865, à Attigny (département des Ardennes) ; il lui remit
d'abord la lettre du pape et lui présenta ensuite solennellement
Rothade, qu'il réintégra sans difficulté dans ses fonctions 6.
Hincmar ne peut s'empêcher de remarquer, dans sa continuation
des Annales de Saint- Berlin, que le pape avait agi en opposition
avec les canons de Sardique. Comme depuis la mort de son
frère Hubert (864), Theutberge se trouvait sur les terres de Charles
le Chauve, qui lui avait donné l'abbaye d'Avenay, près de Reims 7,
et d'autres biens, on la conduisit, sur la demande du légat et sur
l'ordre de Charles, à Douzy (près de Sedan, département des
Ardennes), accompagnée de plusieurs évêques, afin d'être solen-
nellement réunie à son mari par le légat Arsène. Pour plus de
sûreté, on avait fait, le 3 août, promettre, par serment 8 sur les
1. Ann. Bertiniani, ad ami. 865, p. 75-76. (H. L.)
2. Probablement en juin. Cf. J. Calmette, op. cit., p. 99. (H. L.)
3. Fin juin ou début de juillet 865. On trouve Lothaire à Gondreville le 4 juil-
let. D'après Réginon, Chronicon, ad ann. 866, p. 84, Arsène aurait convoqué un
concile, et là, prenant la parole, il aurait mis Lothaire en demeure de choisir en-
tre le renvoi de Waldrade et l'excommunication. (H. L.)
4. Floss, Die Paptswahl, p. 30-33 ; J. Calmette, op. cit., p. 99. (H. L.)
5. Ann. Bert., ad ann. 865, p. 76. (H. L.)
6. Ann. Bert., ad ann. 865, p. 76 ; R. Parisot, op. cit., p. 278. (H. L.)
7. Ann. Bert., ad ann. 864, p. 74. (H. L.)
8. Ann. Bert., ad ann. 865, p. 77. Le serment avait été apporté de Rome par
364
LIVRE XXIII
Évangiles et sur une relique de la vraie croix, à douze comtes de
Lothaire de tenir désormais et d'honorer Theutberge comme la
femme légitime de leur roi et comme leur reine, et de ne pas per-
mettre qu'on lui fît injure : ce serment eut lieu à Vindonissa
^ Yenderesse, près de Sedan). Le roi Lothaire fit la même promesse, [299]
et le légat l'adjura de la tenir sous peine d'un bannissement per-
pétuel 1. Hincmar reproche à cette occasion au pape de n'avoir
imposé aucune pénitence à l'adultère.
Le légat du pape avait aussi pour mission de réconcilier entre
eux les rois francs ; grâce à ses efforts, Lothaire accepta de se
rendre à Attigny près de Charles, qui l'accueillit amicalement
et lui rendit de grands honneurs 2. Arsène revint de Douzy à
Attigny; là, dans une sorte de synode, il publia deux excommu-
nications pontificales : l'une contre Engeltrude 3, l'autre contre
ceux qui, quelques années auparavant, avaient enlevé à Arsène
une somme d'argent considérable. Il s'empara ensuite, grâce
au secours que lui donna Charles, de la ville de Vendeuvre,
que Louis le Débonnaire avait donnée à Saint -Pierre, mais
dont le comte Wido s'était rendu maître depuis longtemps. Puis
il revint avec Lothaire à Gondreville, où il célébra le service di-
vin, le jour de l'Assomption, en présence de Lothaire et de
Theutberge, qui y assistèrent, couronne en tête et revêtus des
ornements royaux. Enfin, on lui confia Waldrade, pour qu'il
l'emmenât à Rome 4. Au retour, il se dirigea vers l'Alemannie
et la Bavière, pour y percevoir les revenus accordés à l'Eglise
romaine. Pendant qu'il était à Worms, Engeltrude vint le trouver,
lui promit de s'amender et d'aller à Rome pour obtenir du
pape sa réconciliation avec l'Église5. Mais elle ne tint pas sa pro-
messe et, au lieu de suivre le légat, elle prit la fuite non loin
d'Augsbourg. Nous possédons encore la lettre d'excommunication
le légat. (H. L.) Il se trouve dans la Chronique de Réginon, ainsi que dans les
Annules de Metz, Pertz, op. cit., t. i, p. 573. et dans Baronius, Annales, ad ann.
865, n. 61.
1. Sur tous ces incidents, cf. R. Parisot, op. cit., p. 279-280 et note 1. (H. L.)
2. Id., p. 280; Ann. Bertin., ad ann. 865, p. 78. (H. L.)
3. R. Parisot, op. cit., p. 238, 280; Arsène, Episl. ad omnes episcopos, dans
Mansi, op. cit., t. xv, col. 327. (H. L.)
4. Ann. Bert., ad ann. 865, p. 78; Ann. Fuldenses, ad ann. 865, p. 64 ; Réginon,
Chronicon, ad ann. 866, p. 84; Ann. Xanlenses, ad ann. 866. (H. L.)
5. Quant à son mari, il semble qu'il n'y tenait guère, il songeait à se remarier.
Jafïé-Ewald, n. 2874, P. L., t. cxix, col. 1151. (H. L.)
'<73. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 365
que le légat Arsène publia contre elle l. Quelque temps après
\\ aldrade, qui était cependant arrivée avec le légat jusqu'à
Pavie 2, prit la fuite et se rendit en Provence dans l'empire du
roi Lothaire. En vain le légat l'engagea à revenir; en conséquence,
le 2 février 866, le pape l'excommunia avec tous ceux qui lui
avaient prêté assistance, et communiqua aux évêques francs sa
décision. Sa lettre est perdue, mais il en répéta le contenu dans
une autre lettre du 13 juin 866; il s'y plaint que Waldrade
réside maintenant en Provence, y commande des troupes et vive
dans le luxe au grand scandale des fidèles; elle gouverne des
monastères et peut facilement se rencontrer avec Lothaire 3. Le
[oOO] pape engage les évêques à lui faire connaître les tracasseries
que Theutberge aurait à supporter et à excommunier l'adultère
Waldrade et sa suite, si elle vient dans leurs diocèses 4. Les
évêques devaient attendie de nouvelles instructions du pape
pour traiter également le roi Lothaire excommunié.
473. La question du mariage de Lothaire est reprise
et définitivement tranchée.
Revenue auprès de son mari, Theutberge fut traitée par lui et
par toute la cour d'une telle manière, les calomnies répandues
contre elle furent si odieuses, qu'elle craignit sérieusement pour
ses jours et se réfugia auprès de Charles le Chauve. Mais l'attitude
1. Baronius, Annales, ad ann. 865, n. 63 sq. ; en partie dans Pertz, op. cit.,
t. i, p. 574. [Engeltrude ne poussa pas plus loin qu'Augsbourg. Cf. R. Parisot,
op. cit., p. 286 et note 2. (H. L.)]
2. Voyez Nicolas l,Epist., lv, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 282; Mansi, op.
cit., t. xv, col. 327.
3. R. Parisot, op. cit., p. 286, n. 3. (H. L.)
4. Epist., xi, dans l'appendice, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 380; Hardouin,
op. cit., t. v, col. :»33; [R. Parisot, op. cit., p. 286. (H. L.)] Baronius, Annales,
ad ann. 866, n. 25 ; Pertz, op. cit., t. i, p. 575. Damberger, op. cit., t. ni, Kritikh.,
p. 221, prétend que cette lettre n'a pas de sens, et il déclare sans raisons sérieuses
que « les dernières lettres du pape Nicolas, dans l'affaire de Theutberge, et dans
celle des évêques de Trêves et de Cologne, qui avaient été déposés, sont altérées en
divers endroits, et qu'elles ont de quoi surprendre d'une manière générale
tout historien. »
366
LIVRE XXIII
de celui-ci à l'égard de son neveu n'était plus la même ; Lothaire
l'avait gagné en lui abandonnant l'abbaye de Saint- Vaast à
Arras J, et Charles n'avait plus la même ardeur pour main-
tenir les règles du mariage chrétien. La déception qu'elle en
éprouva et les conseils de Charles, déterminèrent Theutberge à
solliciter l'annulai ion de son mariage; elle écrivit au pape dans ce
but, témoignant l'intention de se rendre à Rome 2. Mais, au mois
de septembre 866, lorsqu'à l'issue du concile de Soissons eut
lieu l'entrevue d'Attigny entre Charles et Lothaire, Theutberge
fut invitée à s'y rendre, et on lui refusa la permission de se
rendre à Rome. Égilon, archevêque de Sens, y étant envoyé sur
la demande du concile de Soissons et de Charles le Chauve, le roi
Lothaire le fit accompagner par Adon, archevêque de Vienne, et
son secrétaire Walter, qui devaient avoir avec Nicolas des pour-
parlers secrets 3.
1. Pertz, op. cit., t. i, p. 471, 574 ; R. Parisot, op. cit., p. 172, n. 1 ; p. 290,
n. 5. (H. L.)
2.JR. Parisot, op. cit., p. 291, 293. La lettre de Theutberge au pape Nicolas
est perdue, nous ne la connaissons que par la réponse du pape et par la lettre
écrite en même temps à Lothaire, l'une et l'autre de janvier 867. Jafîé-Ewald,
n. 2870, 2873, P. L., t. exix, col. 1136-1138, 1146-1150. (H. L.)
3. Pertz, op. cit., t. i, p. 472 ; R. Parisot, op. cit., p. 291-292, note 1, 2. Lo-
thaire ayant acheté son oncle Charles le Chauve par le don de l'abbaye de Saint-
Yaast, tout n'était pas fini. Lothaire imagina de députer au pape Theutberge
elle-même qui solliciterait l'annulation de son mariage. Celle-ci se mit donc en
route, mais le roi ayant changé d'avis, la rappela. Ann. Bertiniani, ad ann. 866,
p. 83. Cf. Lapôtre, Hadrien II et les fausses décrétâtes, dans la Revue des questions
historiques, t. xxvn, p. 388. A la place de la reine, une ambassade fut envoyée
composée, ainsi qu'on l'a vu, d'Eigil, archevêque de Sens, Adon, archevêque de
Vienne, et du comte Walter, homme de confiance du roi. Sur ce personnage, cf.
R. Parisot, op. cit., p. 182, note 2. Adon était un choix bizarre ; en effet, admi-
rateur fervent du pape Nicolas et de Charles le Chauve, il n'était pas homme
à plaider la cause matrimoniale dont on le chargeait. Rien ne prouve qu'il arriva
jusqu'à Rome. Quoi qu'il en soit, l'ambassade essuya un échec complet. Si Char-
les le Chauve avait abandonné Theutberge « il restait à celle-ci un défenseur
que l'on ne pouvait ni acheter, ni intimider, ni circonvenir et qui ne revenait
pas sur ses décisions quand il les croyait justes : nous voulons parler du Souverain
Pontife. Par malheur Nicolas était trop éloigné, trop occupé, pour que sa protec-
tion pût avoir toute l'efficacité voulue. Nous avons vu que, dès le 2 février, il
avait excommunié Waldrade. La sentence ne parvint pas à ses destinataires,
ou ceux-ci n'en tinrent pas compte. Le pape en eut connaissance ainsi que de la
triste situation de Theutberge (Jafîé-Ewald, n. 2808, P. L., t. exix, col. 971,
973) et crut devoir, pour la deuxième fois, notifier aux évêques Pexcommuni-
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 367
[oUlJ Après ces préliminaires, Lothaire invita les évêques de son
royaume à une sorte Je synode, qui devait se tenir à Trêves au
mois de novembre 866, pour agir d'une manière décisive contre
Theutberge. On devait prouver qu'elle n'avait jamais été sa
femme et que, dès sa jeunesse, il avait été fiancé à Waldrade.
Si on ne pouvait établir ce point, on accuserait Theutberge d'adul-
tère, on prescrirait le "jugement de Dieu, et, s'il tournait contre
elle, on la condamnerait à mort. Les évêques lorrains rejetèrent
ce plan, soit par conscience, soit par crainte du pape 1.
Nicolas Ier, averti de tout ce qui se passait, expédia quatre
lettres au mois de janvier 867, à Theutberge, au roi Charles, à
Lothaire et aux évêques lorrains 2. Il disait à Theutberge (24
janvier) : « Ta lettre récente ne concorde pas avec les renseigne-
ments presque journaliers d'un grand nombre de gens de distinc-
tion, venus des Gaules et de la Germanie, qui attestent que tu
es soumise à une tyrannie brutale. Tu dis que tu veux renoncer
volontairement à la dignité royale, et, nonobstant tes anciennes
affirmations, tu racontes maintenant sur toi-même je ne sais
quelles fables. Mais je sais que les troupeaux se plaisent quel-
quefois dans l'ordure, et que celui qui ne se tient pas pour satis-
fait d'être adultère, veut encore perdre l'âme d'autrui en l'en-
traînant à de faux serments. Ce que tu dis de Waldrade, qu'elle
est la femme légitime de Lothaire, ne compte pas. Serais-tu
morte, il ne pourrait l'épouser. » Le pape lui défend ensuite, dans
l'intérêt de sa propre sûreté, de venir à Rome avant la comparu-
cation dont il avait frappé Waldrade ; il les invitait à la publier el à secourir
Theutberge. Cette lettre, écrite le 13 juin, arrivée probablement en Fiance et en
Lorraine à la fin de juillet, n'eut pas plus d'effet que la précédente; on la tint pour
nulle et non avenue. L'entente de Charles le Chauve et de son neveu portait ses
fruits. Par crainte de Lothaire et pour lui complaire, certains évêques refusèrent
de recevoir la lettre du pape, d'autres n'osèrent pas la publier. On fit même
courir le bruit que Nicolas avait autorisé Waldrade à revenir en Gaule. Voir
les lettres du pape aux évêques lorrains et à Charles le Chauve, du 25 janvier 867.
Jafïé-Ewald, n. 2871, 2872, P. L., t. cxix, col. 1140, 1141; 1146.» R. Parisot,
op. cit., p. 292. (H. L.)
1. Pertz, op. cit., t. i, p. 574.
2. La lettre à Theutberge est du 24 janvier 867, celles aux évêques lorrains et
à Charles le Chauve, du 25, celle adressée à Lothaire n'a plus de date, mais
elle est vraisemblablement du 24 ou du 25 janvier. Jafïé-Ewald, n. 2870-2873.
(H. L.)
.'!<>8 LIVRE XXIII
tion de Waldrade, et dit que sa stérilité n'autorise pas le divorce,
puisqu'il faut uniquement l'imputer à la méchanceté de son mari.
Il sait qu'elle a été forcée d'écrire sa lettre, il en était prévenu
longtemps à l'avance. Qu'elle ne craigne pas la mort, si Lothaire
l'en menace ; du reste, en agissant ainsi, ce serait à lui qu'il nuirait
le plus. Enfin, elle affirme vouloir la séparation pour vivre en-
suite dans la continence, mais on ne peut l'y autoriser que si
son mari avait émis le même vœu x.
Dans la lettre à Charles le Chauve, le pape déplore que cet
ancien et courageux défenseur de Theutberge ait consenti à se [^2]
liguer, au prix d'une abbaye, avec Lothaire, pour perdre cette
malheureuse femme ; « il se refuse à y croire. Lothaire compte
réunir une assemblée pour faire juger Theutberge, même, s'il
le faut, par un jugement de Dieu. Cela est défendu. Theut-
berge ne doit être soumise à aucun tribunal, son affaire ayant
été jugée, elle-même ayant fait recours au Saint-Siège, et son
mari s'étant également adressé à Rome; pour ces diverses raisons,
c'est à Rome à rendre la sentence. Le roi Charles doit protéger
Theutberge, comme auparavant. Si Lothaire veut entreprendre
un nouveau procès, soit sur la validité de leur mariage, soit sur
l'accusation d'adultère, elle doit avant tout être libre et en sûreté.
Sans l'assentiment du pape, on ne doit pas commencer cette
procédure 2. »
Dans la lettre à Lothaire, le pape disait avoir appris avec
joie, après le retour de son légat Arsène, l'amendement de Lothaire}
malheureusement cet amendement n'avait pas duré; et cela lui
avait causé une nouvelle affliction. La lettre de Theutberge était
évidemment extorquée. Après avoir répété presque dans les
mêmes termes ce qu'il avait dit à Theutberge, il continuait 3 :
« Lothaire doit honorer et aimer Theutberge comme sa légitime
épouse et sa propre chair, et si elle ne veut réellement pas leur sépa-
ration, il doit lui rester uni, fût-ce même pour garder la chasteté.
1- Hardouin, op. cit., t. v, col. 266; Mansi, op. cit., t. w, col. 312; [JallV
Ewald, n. 2870-2873, P. L., t. cxix, col. 1136-1138, 1146-1150 ; R. Parisot,
op. cit., p. 294-295. (H. L.)]
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 271 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 318 ; [Jafîé-
Ewald, n. 2872, P. L., t. cxix, col. 295. (H. L.)]
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 274; Mansi, op. cit., t. xv, col. 321; [Jaffé-
Ewald, n. 2783, P. L., t. cxix, col. 1146-1150. (H. L.)]
473. LA QUESTION DU MAKIAGE DE LOTHAIRE 369
Le pape ne consentirait à leur séparation que si Lothaire et
Theutberge émettaient en même temps le vœu de continence ;
en ce cas il donnerait ce consentement volontiers et sans délai. »
Viennent ensuite des prières, des instances, la menace des pei-
nes ecclésiastiques, de la perte de son royaume et de l'éternité,
si Lothaire ne venait pas à résipiscence. Les derniers mots, Porro
excellentiam vestram, n'appartiennent pas à la lettre de Lothaire,
mais à celle destinée à Charles, chargé de faire parvenir la mis-
sive à son neveu 1.
Dans la lettre aux évêques lorrains, le pape se plaint grandement
de leur apathie. Voici la troisième fois qu'il leur mande l'excom-
munication de Waldrade. On l'assure que les évêques lorrains
n'ont pas reçu ses deux lettres précédentes. Cela fût-il vrai, ils
auraient dû cependantjrfaire connaître à Rome leur conduite
[303] et surtout le résultat définitif. En agissant autrement, ils ont
manqué de zèle. Sans doute que, par crainte de perdre leurs char-
ges, certains d'entre eux ont préféré prendre parti pour l'adultère
plutôt que pour la vérité. Il les connaît bien, et s'il les a épargnés
jusqu'ici, il est maintenant décidé à les excommunier et à les
déposer. Il est faux qu'il ait permis à Waldrade de revenir en
France. Les évêques lorrains doivent parler à un roi adultère,
comme l'avait fait le prophète Nathan, et se montrer aussi cou-
rageux que les apôtres. Enfin, ils doivent lui faire connaître,
par députés et par lettres, si Lothaire vit avec Theutberge confor-
mément à son serment, s'il la traite en reine, et quels sont les
évêques qui ne favorisent pas l'adultère. Ils doivent également
promulguer l'excommunication portée contre Waldrade. Celui
qui n'enverra à Rome aucun député, devra du moins, écrire;
mais Atton, évèque de Verdun, devra en tout cas envoyer un
clerc 2.
Peu de temps après (mars 867), le pape engagea Louis, roi de
1. Cet intermédiaire était de nature, à blesser et à alarmer Lothaire qui con-
naissait les desseins de son oncle à son égard ; il s'en plaignit et réclama qu'on
lui envoyât ses lettres directement. Voir lettres de Lothaire à Nicolas et à Ha-
drien II; la première en 867, la seconde en 868; Bohmer-Mùhlbacher, n. 1281,
1282 ; Baronius, Annales, édit. Mansi, t. xv, p. 67, col. 12 ; Mansi, Conc. am-
pliss. coll., t. xv, col. 832. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 268; Mansi, op. cit., t. xv, col. 315; [Jalïé-
Ewald, n. 2871, P. L., t. cxix, col. 1139-1142. (H. L.)]
CONCILES - I Y — -2 i
370
LIVRE XXIII
Germanie, à user de son influence pour ramener son neveu dans
le droit chemin 1.
Dès avant l'arrivée de ces lettres du pape, Advence de Metz
avait appris de deux côtés, du royaume de Charles et du
royaume de Louis, que le pape Nicolas avait résolu d'excommunier
Lothaire, s'il ne s'était pas séparé de Waldrade pour la fête de
la Purification (2 février 867). Advence en informa aussitôt
Atton de Verdun, conseiller intime de Lothaire, et le conseilla
dans le but de détourner un danger imminent. Le roi devait,
quelques jours auparavant, faire sa confession à [Florange, ou
dans toute autre ville] devant des clercs choisis ; il promettrait
par serment de s'amender et de faire examiner de nouveau la
question de son mariage, pour pouvoir ainsi être absous et pren-
dre part à la fête. Advence ajoute qu'il envoyait cette lettre
sous le secret de la confession 2.
La nouvelle donnée par Advence n'était pas fondée, et, comme
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 278; Mansi, op. cit., t. xv, col. 324 ; Floss,
Leonis VIII privilegium , p. 34.
2. Baronius, Annales, ad ann. 867, n. 118. [R. Parisot, op. cit., p. 263,264 et
noie 1, place cette alerte en 865. Comme la lettre d'Adveuce ne porte aucune
date, dit-il, on lui en a cherché une. La plupart des auteurs adoptent 867. Baro-
nius, Annales, édit. Mansi, t. xv, p. 123; Fleury, Histoire ecclésiastique, t. xi,
p. 151; Noorden, Hinkmar, p. 222; Clouët, Histoire de Verdun, p. 264 note;
Hefele, Conciliengeschichte, 2e édit., t. iv, p. 303 ; Dûmmler, op. cit., t. n, p. 155,
qui ajoute cependant, note 3, que la lettre pourrait tout aussi bien se placer en
865 ou 866. C'est Eigil, archevêque de Sens, envoyé à Rome en 866, qui aurait
rapporté de cette ville le bruit de l'excommunication de Lothaire. Mais Eigil
ne revint en France qu'en mai ; c'est le 20 de ce mois qu'il rendit à Charles le
Chauve les réponses du pape, et la lettre d'Advence se place ou dans le dernier
mois d'une année ou dans le premier de la suivante, puisqu'elle a été écrite assez
peu de temps avant le 1er février. Le retour d'Eigil est trop éloigné de cette der-
nière date pour qu'on puisse établir un rapprochement quelconque entre lui et
la lettre de l'évêque de Metz. Mùhlbacher, Reg. Kar., p. 503 (cf. Deutschlands
Kirchengeschichte, p. 533), se prononce pour le début de 868; si, dit-il, Advence
redoute la date du 1er février, c'est que ce jour-là devait se réunir à Auxerre un
concile destiné à traiter l'affaire de Lothaire. Mùhlbacher oublie qu'à ce moment
Nicolas était mort, et que l'on n'avait pas à craindre du nouveau pape des me-
sures de rigueur. Le concile d 'Auxerre n'était pas de nature à remplir d'anxiété
le roi et ses évêques. En 864, au contraire, on pouvait redouter que le pape ne
fulminât contre Lothaire l'excommunication dont il avait déjà parlé dans diffé-
rentes lettres (Jalfé-Ewald, n. 2723, 2725) et dont il allait formellement menacer
le jeune roi. Jaiîé-Ewald, n. 2778, Floss, Paptswahl unter den Ottonen, Urkun-
den, p. 30. (H. L.)
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 371
on l'a vu par les lettres du pape, Nicolas s'était borné aux'moyens
de persuasion. Suivant sa demande, Charles le Chauve et Louis
[304J le Germanique firent des représentations à leur neveu; Lothaire
ne s'étant pas rendu à une entrevue projetée entre les prin-
ces, Charles, accompagné de quelques évêques du royaume de
Louis, vint le trouver et lui fit promettre de se soumettre aux
injonctions du pape 1. Lothaire et ses évêques écrivirent alors
an pape une lettre polie, que Grimland le chancelier devait porter
à Rome au printemps de 867 et non dans les derniers mois de
celte année, ainsi que l'a prétendu Baronius. La lettre de Lo-
thaire est pleine des expressions les plus humbles et les plus
respectueuses à l'égard du pape. Le prince se plaint de nou-
veau, comme on pouvait s'y attendre, que ses ennemis aient trouvé
créance à Rome ; il parle d'un concile général lorrain qui devait
se tenir vers la mi-juillet (867) ; il ajoute que, depuis le départ
d'Arsène, il n'a pas eu le moindre rapport avec Waldrade. En
terminant, Lothaire demande au pape de ne plus lui envoyer
ses lettres par l'intermédiaire d'un tiers et comme un appendice
à d'autres lettres, car, après Dieu et les saints, il ne reconnaît
d'autre supérieur que le pape 2.
De toutes les lettres que l'épiscopat lorrain écrivit alors en
cette affaire, nous n'avons plus que celle d'Advence 3. Elle nous
apprend que Lothaire avait repris depuis peu, extérieurement
du moins, Theutberge, la faisait dîner quelquefois à sa table et
s'en faisait accompagner aux processions solennelles. Advence
pouvait présumer que Lothaire se conduisait en tout comme un
mari vis-à-vis de Theutberge : il n'ose cependant soutenir un
pareil mensonge, et essaie d'attendrir le pape en lui dépeignant
les terribles douleurs que lui cause la goutte 4. Dans une lettre
1. R. Parisot, op. cit., p. 296-297.
2. Bôhmer-Mùhlbacher, n. 1281; Baronius. Annales, édit. Lucques, t. xv,
p. 67; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 832 ; R. Parisot, op. cit., p. 301-302.
On ignore si l'ambassade à Rome annoncée dans cette lettre eut Hou; quant au
\ oj âge de Lothaire, il fallut y renoncer à la suite d'une expédition des .Normands,
Ann. Berlin., ad ann. 867, p. 87 ; Advence, Epist. ad Nicolaum, dans Baronius,
Annales, t. xv, p. 64. (H. L.)
3. Baronius, Annales, ad ann. 866, n. 29 ; Damberger, Synchron. Gesch., t. m,
Kritikheft, p. 218, suppose arbitrairement que cette lettre avait été extorquée
par Grimland, chancelier de Lothaire, à Advence, déjà à son lit de mort.
4. Baronius, Ann., t. xv, p. 64-65; Lapôtre, Hadrien II et les fausses décré-
372 LIVRE XXIII
peut-être un peu plus récente mais écrite certainement en 867 ,
Lothaire, après de flatteuses paroles pour le pape, exprime son
désir de se rendre bientôt à Rome et la joie qu'il aura de
refouler, avec son frère l'empereur, les invasions des Sarrasins
dans l'État de l'Église1. Mais Nicolas ne prit pas le change : il
comprit que la réconciliation de Lothaire avec Theutberge n'était
qu'une feinte ; il sut qu'elle n'avait aucune liberté, pas même
les moyens de faire le bien, tandis que Waklrade jouissait de la
plus grande influence et que toutes les grâces s'obtenaient par [305]
son entremise. Nicolas se plaignit de cet état de choses dans sa
lettre du 29 octobre 867 à Louis le Germanique 2 ; après l'a-
voir remercié de tous ses efforts pour ramener Lothaire à de
meilleurs sentiments, il ajoute que toutes les promesses du
roi de Lorraine étaient restées sans effet. D'ailleurs, ce n'est
pas la première fois que Lothaire promet sans tenir ; il vient
encore d'annoncer son intention de venir à Rome, le pape le lui
a défendu, comme précédemment, car, tant qu'il ne se sera pas
soumis à tout ce qu'on demandait de lui, Lothaire ne sera pas
reçu à Rome d'une manière digne de son rang. Il ne suffit pas
que Theutberge réside auprès de son mari, s'il la traite en étran-
gère; il ne suffit pas non plus que Waldrade soit au loin si elle
garde sur Lothaire plus d'influence que sa femme légitime. Le
pape s'est entendu avec les ambassadeurs de Louis pour faire
percevoir par des employés spéciaux les redevances dues par
l'Empire à l'Église romaine, et qui sont en retard de plusieurs
années. Arsène en avait reçu une partie, mais il ne les avait
pas fait parvenir 3.
Dans sa lettre au pape, Lothaire disait que, s'il ne pouvait
pas se rendre lui-même à Rome, il enverrait des ambassadeurs,
parmi lesquels Thieutgaud (on se rappelle qu'il était moins com-
promis que Gunther) et Atton, évêque de Verdun. Atton voulait
par là regagner les bonnes grâces du pape ; on poursuivait
aussi la réintégration de Thieutgaud et de Gunther ; en fait,
talcs, dans lu Revue des quest. hist., l. xxvn, |>. 388, n. G, pense qu'Advence a
pris le change de bonne foi ; R. Parisot, op. cit., p. 303, estime que l'évêque de
Metz n'était pas de ceux qui se font scrupule d'altérer la vérité. (H. L.)
1. Baronius, Ann., ad ann. 867, n. 121.
2. R. Parisot, op. cit., p. 304- 305. (H. L.)
3. Jafîé-Ewald, n. 2884, P. L., t. exix, col. 1174-1179. (H. L.)
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 373
tous deux étaient restés en possession de leurs sièges, et non
seulement Lothaire, mais Louis le Germanique et ses évêques
adressèrent à Rome de vives instances en leur faveur. Le pape
Nicolas répondit par un refus formel (lettres des 30 et 31 octo-
bre 867). Il consentait à leur laisser leurs bénéfices s'ils faisaient
pénitence pour leurs fautes, mais il leur fallait renoncer sans
espoir à l'exercice de leurs fonctions sacerdotales 1. Les deux
lettres 2 blâment sévèrement ceux qui intercèdent pour les deux
archevêques déposés, dont le pape énumère les fautes dans sa
[306] ettre adressée aux évêques allemands.
D'après cette lettre Gùnther et Thieutgaud n'étaient pas
encore allés à Rome. Toutefois ils ne durent pas tarder à y arri-
ver, vers les derniers jours de la vie du pape Nicolas, ou aussi-
tôt après sa mort (13 novembre 867) 3 ; car le 14 décembre 867,
fête de la consécration du nouveau pape Hadrien II, ce der-
nier donna à Thieutgaud la sainte Eucharistie 4. Hincmar
raconte que l'ancien légat Arsène, connu pour son avarice, leur
avait fait espérer leur grâce moyennant une somme d'argent,
et les avait ainsi décidés au voyage de Rome 5.
L'empereur Louis II s'employa aussi certainement en faveur
des deux archevêques qui s'étaient si fort compromis pour faire
leur cour à son frère Lothaire ; c'est peut être pour eux qu'il
tint un concile à Pavie (Ticinum). Les actes de cette assem-
blée 6 y signalent la présence de Gûnther de Cologne venu à
cette fin de Rome avec la permission du pape. Il exposa son
1. Mansi, op. cit., t. xv, col. 331, 333; Hardouin, op. cit., t. v, col. 284, 286.
La lettre du pape aux évêques de Germanie a été éditée par Floss, d'après
un manuscrit de Trêves. Cf. Leonis VIII Privilegium, p. 37. Damberger, op. cit.,
p. 222, met aussi en doute ce document.
2. Jafîé-Ewald, n. 2885, 2886, P. L., t. exix, col. 1161-1162, 1163-1174 ;
R. Parisot, op. cit., p. 304-305. (H. L.)
3. Sur la date de la mort de Nicolas Ier cf. Jafîé-Ewald, Reg. pontif. rom.,t. i,
p. 367. (H. L.)
4. Sur ce changement de pontificat et le changement de politique qui en fut la
suite, cf. R. Parisot, op. cit., p. 306 et notes 1,2 ; A. Lapôtre, Hadrien II et les
fausses décrétâtes, dans la Reçue des quest. historiques, 1880, t. xxvn, p. 395-396.
5. R. Parisot, op. cit., p. 306. (H. L.)
6. Mansi, op. cit., t. xv, col. 759; Hartzheim, Conc. Germanise, t. n, p. 327; Bin-
terim, Deutsche Conciliai, t. ni, p. 127. [Sur ce concile voir la note au début du
§472. (H. L.)]
374 LIVRE XXIII
affaire et celle de Thieutgaud, à l'assemblée qui rédigea quelques
capitula, pour prouver que, dans des cas semblables, les papes
avaient jadis usé de clémence. Ces capitula furent adressés au
pape Nicolas avec une lettre synodale, et figurent encore dans
les actes appelés « actes de Pavie ». Muratori a édité le discours
de l'un des évêques présents qui se prononçait contre la réinté-
gration des deux métropolitains l. Les raisons suivantes nous
1. Mansi, op. cit., t. xv, col. 890. Le concile de Pavie a eu lieu en février 865 ;
nous avons expliqué plus haut la raison de l'erreur dans laquelle tombe ici Hefele.
Muratori, Rerum Italicarum scriptores, t. n, part. 2, p. 133, d'après le ms. de la
bibliothèque ambrosienne G. 68 Sup. (= olim D. 76), publia le discours dont il ne
sut pas déterminer la place chronologique dans l'ensemble, d'ailleurs si compli-
qué, de la documentation conciliaire relative au divorce de Lothaire. Muratori
imagina un concile tenu en 864 sous Nicolas, soustrayant ainsi à la place la plus
obscure et la plus difficile des négociations, sous le pontificat d'Hadrien II, un
document important. Hefele ne fut pas mieux inspiré quand il mit en doute l'au-
thenticité de cette pièce qu'il supposait donnée par Muratori comme se ratta-
chant aux actes d'un concile de Pavie, de 866. Dès lors, il a beau jeu de découvrir
une opposition entre les actes et le discours et de soulever des objections qu'il a
fait naître lui-même. Le discours ne pouvait cependant qu'être rapporté à une
seule date, celle de 869, qu'adopta d'ailleurs Mansi, lorsqu'il réimprima dans sa
Conc. ampliss. coll., le texte de Muratori (dans le Supplementum, t. i, col. 1005-
1012 et dans Y Amplissima, t. xv, col. 890). L'honnête Mansi, dont on a ditpis
que pendre, avait une fois de plus vu clair et H. Pertz, Monumenta Germanise
historica, Scriptores, t. i, p. 463, n. 43, faute d'avoir connu sa démonstration,
revint à l'erreur de Muratori. Mansi eut le tort de ne pas s'en tenir là, il proposa
de faire prononcer le discours de 869 dans un concile qui aurait été tenu au Mont-
Cassin à l'occasion de la rencontre du pape et du roi Lothaire, Mansi, Supplem.,
t. i, col. 1005 : Oratio anonymi cujuspiam episcopi habita in synodo romana anno
Christi DCCCLXIV. Le document n'était pas au bout de ses aventures. Ph. Jaffc
proposa de faire prononcer le discours non par un simple évêque, mais par
le pape Hadrien II en personne. Regest. pont, roman., p. 257; Dûmmler, Geschi-
chte des ostfrànkischen Reichs, Berlin, 1862, t. i, p. 678, n. 51, adopta la conjec-
ture qui prit un air historique bien incontestable, ainsi que le concile du Mont-
Cassin qu'accueillait également Damberger, Synchronistische Geschichte der Kirche
und der Welt im Mittelalter, t. m, p. 550. En 1872, Fr. Maassen fit entrer le dis-
cours dans une pièce nouvelle : Eine Rede des Papsles Hadrien II vom Jahre 869,
die erste umjassende Benutzung der falschen Decretalen zur Begrùndung der Macht-
fùlle des rômischen Stuhles, dans Sitzungsberichte d. Akad. der Wissenschaften.
Philos.-hist. Klasse zu Wien, 1872, t. cxxn, p. 521-554. Le document avait
été édité incomplètement par Muratori, un fragment considérable, comme éten-
due et comme importance, était demeuré dans le manuscrit où personne n'avait
eu l'idée d'aller le chercher. Dans cette seconde partie l'auteur s'efforçait d'établir
les prérogatives du siège apostolique faisant reposer toute son argumentation
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 375
inclineraient néanmoins à mettre en doute l'authenticité de ces
pièces, a) D'après ces documents, le synode aurait eu lieu pen-
dant le carême de 866 ; or Gùnther et Thieutgaud n'arrivèrent
sur les autorités fournies par le faux Isidore dans les Déerétales de ce faussaire.
Plus de trente textes, empruntés à dix-sept papes, y figuraient disposés dans le
même ordre que dans la collection apocryphe et se terminaient par un extrait de
la préface d'Isidore Mercator. Voici le détail de ces emprunts: Damase, Epist.
ad Aurelium (Hinschius, Décrétâtes pseudo-isidoriatise et capitula Angilrami,
in-8, Lipsiae, 1863, p. 21) ; Clément, Epist. I ad Jacobum, c. n (Hinschius, op. cit.,
p. 31), c. xxvii. xxviii, xxix (p. 39) ; Epist., n, c. xlv (p. 46, 47) ; Anaclet,
Epist. ad omnes episcopos, c. xvn (p. 74); Epist. ad episc. ital., c. xxiv (p. 79) ;
c. xxvi (p. 79, 80) ; ad omnes episc. et sacerd., c. xxviii (p. 82) ; c. xxix. xxx, xxi,
xxxn (p. 82, 83) ; Alexandre, Epist. ad univers, orthod., c. iv (p. 95) ; Sixte, Epist.
ad Univ. Eccl., c. v, (p. 108) ; Anicet, Epist. ad episc. GalL, c. iv (p. 121) ; Zéphyrin,
Epist. ad episc. Sicilise, c. n (p. 131) ; c. vu (p. 132) ; Calliste, Epist. ad Benedic-
lum. c. vi (p. 137); Fabien, Epist. ad Hilarium, c. xxix (p. 168); Etienne, Epist.
ad omnes episc, c. ix (p. 185) ; Sixte II, Epist. ad Gratum, c. n (p. 190) ; Denys,
Epist. ad Severum, c. u (p. 195); Marcel, Epist. ad episc. Antioch., c. n (p. 224);
Epist. ad Maxentium, c. x (p. 118); Marcellin, Epist. ad episc. Orientis, c. iv
(p. 222-223); cette décrétale est attribuée à Marcel, comme dans le ms. de Saint-
Gall; Melchiade, Epist. ad episc, c. n, m (p. 243) ; Jules, Epist. ad univ. Orient.,
c. v, vi (p. 459) ; c. vin (p. 460) ; Epist. ad Eusebium, etc. (p. 465), c. xin (p. 471) ;
c. xv (p. 472) ; Athanase, Epist. ad Felicem papam, c. i. n (p. 479) ; c. iv (p. 480) ;
Félix, Epist. ad Anastasium, c. xn (p. 487); c. xiv, (p. 489); Damase, Epist.,
ad Stephanum, c. vin (p. 502, 503); c. xvm (p. 505); c. xx (p. 506); Prsefatio
Isidori Mercatoris, c. vm (p. 19). F. Maassen concluait avec vraisemblance (p. 13)
de l'examen des citations et des leçons adoptées, que l'orateur de 869 a fait usa-
ge d'un exemplaire reproduisant la collection sous la forme abrégée et plus
récente, dont les mss. de Saint-Gall 670, deBamberg 647, de Darmstadt 114 sont
les meilleurs représentants. (Hinschius, op. cit., p. xli sq. Déjà Hinschius (op. cit.,
c. lviii) avait établi que le pape Nicolas Ier avait eu sous les yeux un exem-
plaire de ce genre. Quoi qu'il en soit, on avait désormais, semble-t-il, la preuve
que, dès leur apparition, les fausses décrétâtes avaient été impudemment exploitées
par les papes; théorie que paraissaient néanmoins avoir réfutée d'avance le livre
d'Hinschius déjà cité et le P. De Smedt dans son travail sur Les fausses décré-
tâtes, V épiscopat franc et la cour de Rome du ixe au xie siècle, dans les Études
religieuses, 1870, IVe série, t. vi, p. 77-101. Or, il ne s'agissait plus cette fois
comme dans la correspondance de Nicolas Ier de deux ou trois propositions plus ou
moins appuyées sur le recueil des fausses déerétales (Epist., xxxm, P. L., t. exix,
col. 824, epist., lxxv, Sermo de Rothado, col. 891 ; cf. Hinschius, op. cit.,
p. ccv-ccvm; De Smedt, op. cit., p. 14-18), ni comme dans la lettre d'Hadrien II
au concile de Douzy (Epist. . xxxvm, P. L., t. cxxn, col. 1313), d'une citation ex-
plicite mais sans portée. Maassen s'efforça donc, pour assurer au document toute sa
saveur, de démontrer qu'il se rapportait à un concile tenu au Mont-Cassin vers le
1er janvier 869 et que l'orateur ne pouvait être que le pape Hadrien II. M. Hinily
rendit compte du mémoire dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 1878^
376 LIVRE XXIII
à Rome qu'à la fin de 867. b) Abstraction faite de cette diffi-
culté et négligeant cette indication chronologique des actes
«carême de 866», une autre objection se présente. Si Gùnther
et Thieutgaud sont arrivés à Rome du vivant du pape Nico-
las Ier, ils n'ont pu dans tous les cas y arriver que dans le court
intervalle écoulé entre la date des lettres signalées plus haut (30 [30 /]
octobre) et la mort du pape survenue treize jours plus tard. Or,
c'est un intervalle trop court pour placer les événements rappor-
tés par les actes du concile. Le pape aurait permis à Gùnther de
prendre part à l'assemblée, Gùnther serait allé de Rome à Pavie,
aurait exposé sa cause au concile qui en aurait délibéré, aurait
décrété les canons et envoyé au pape des lettres synodales.
Comprend-on que tout cela ait pu tenir entre le 1er et le 13 no-
vembre ? c) A supposer qu'on passât par-dessus cette impossi-
bilité, nous ne saurions admettre que Nicolas ait permis à Gùn-
ther de s'adresser au concile de Pavie. Le pape aurait ainsi
rouvert la procédure après que le Saint-Siège avait rendu sa
décision, oubliant que peu de jours auparavant (30 et 31
octobre), il avait renouvelé une sentence formelle contre les
t. xxxix, p. 501-502, avec une pointe de scepticisme ; en 1880, le P. Lapôtre,
Hadrien II et les fausses décrétales, dans la Revue des quest. histor., t. xxvii,
p. 377-431, démontre que l'attribution à Hadrien était erronée et le concile du
Mont-Cassin entièrement fictif; il a même pu retrouver l'orateur et le concile
qui avaient si longtemps échappé à tous. Ses conclusions ont été adoptées par
H. Schrôrs, op. cit., p. 371, et R. Parisot, op. cit., p. 320 et note 3. H. Schrôrs,
Eine vermutliche Konzilsrede des Papsts Hadrien II, dans Historisches
Jahrbuch, 1901, t. xxn, p. 28-36, 257-275. Au contraire, Jafïé-Ewald, Regest.
ponlif. roman., p. 371; Mûhlbacher, Reg. Kar., p. 505-506; et Deutschlands
Kirchengeschichte, p. 462, ainsi que Dummler, Geschichle des ostfrànkischen
Reichs, 2e édit., in-8, Leipzig, 1887-1888, t. h, p. 238, note 1, rejettent la dé-
monstration du P. Lapôtre pour se rallier à l'opinion de leur compatriote
Maassen, sans essayer, et pour cause, de réfuter les arguments du P. La-
pôtre. La seule concession que fasse Jafïé-Ewald, c'est que le pape n'a pas
parlé dans un concile du Mont-Cassin. Rocquain, La papauté au moyen âge, p. 47,
note 2, suivi par Schrôrs, op. cit., p. 344, n. 150, observe que la « seconde partie
du discours paraîl offrir tous les caractères d'une addition faite après coup. Elle
n'a aucun lien avec la première ; la transition de l'une à l'autre est des
plus maladroites. D'ailleurs cette première partie présente un ensemble complet
et parfaitement défini, et il y a en outre ceci de remarquable que, dans celle-ci,
l'orateur s'appuie sur des textes qui sont tous authentiques, tandis que dans
l'autre il ne cite que des textes apocryphes.» Ajoutons que ce manuscrit date,
selon F. Maassen, du xe siècle, et, selon M. Bethmann, du xie, d'où l'on pour-
rait conclure que l'addition a été faite à l'une ou à l'autre époque. (H. L.)
173. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 377
deux archevêques, d) De nouvelles difficultés naissent du dis-
cours édité par Muratori, et qui aurait été prononcé par l'un
des membres du concile de Pavie. <>n y lit la phrase suivan-
te : Thietberga regina olirn ad hanc Sedem apostolicam venisse
perhibetur. Or il est certain, nous le verrons plus loin, que
Theutberge n'est venue à Rome que sous le pape Hadrien II.
On serait amené par là à retarder discours et synode jusqu'aux
premières années du règne d'Hadrien II, par exemple dans le
carême de 868 ou de 869, ainsi que l'a fait Mansi *. Mais cette
solution est deux fois inacceptable, car les actes synodaux
mentionnent expressément le pape Nicolas, et Zacharie, évêque
d'Anagni, figure au synode comme excommunié (à cause de sa
déplorable conduite à Constantinople), tandis que ce personnage
fut reçu dans la communion de l'Eglise le 14 décembre 867, au
jour de la consécration du pape Hadrien. Il en résulte que les
actes de Pavie sont en opposition avec l'histoire, et en particu-
lier, que le discours se contredit lui-même. Hartzheim et d'autres
historiens sont tombés dans une grave erreur, en soutenant que
l'epist. lxviii du pape Nicolas ad episcopos in regno Ludovici consti-
tuas était une réponse à la lettre de Pavie 2 ; en réalité elle
était adressée aux évêques du royaume de Louis le Germanique et
non à ceux de l'empereur Louis II.
f3081 ^n raPPorte que, dans les derniers jours de sa vie, le pape Nicolas
lança enfin contre Lothaire l'excommunication dont il l'avait
si souvent menacé. Fleury et d'autres historiens tirent cette con-
clusion d'une lettre où le pape demande à Charles le Chauve
de s'entendre avec le roi Louis, pour obtenir de Lothaire resti-
tution à sa sœur Helletrude de ce qu'il lui avait pris. « Nous
ne pouvons, continue le pape, nous adresser à Lothaire lui-
même, parce que, à cause de ses méfaits, nous le tenons pour
excommunié (excommunicatum habemus) 4. » Néanmoins, comme
il n'existe pas trace d'une excommunication formelle de Lothaire.
Nicolas voulait probablement dire qu'il avait cessé toute com-
munication avec Lothaire. C'était en effet le meilleur parti à
1. Mansi, "/>. cit., i. xv, col. 890. Dûmmler, Geschichie des ostfrànk. Reichs,
1862, t. i, p. 579, note 46, place aussi ce document en 869 et se prononce pour
l'authenticité des actes de Pavie. sans tenir compte des motifs qui s'y opposent.
[Voir p. .'!7'l note, 1.]
2. Hartzheim, op. cit., t. n, p. 334.
3. Mansi, «/». cit., t. xv. col. 387 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 340.
378 livre xxm
prendre pour déjouer des intrigues sans cesse renaissantes.
Jaffé 1 place à tort cette lettre en 866 ; nous avons vu plus
haut qu'en janvier 867 le pape Nicolas continuait à corres-
pondre avec Lothaire 2.
Cette longue affaire du mariage de Lothaire ne se termina que
sous le successeur de Nicolas, le pape Hadrien, solennellement
sacré dans l'église de Saint-Pierre, le 14 décembre 867, un mois
après la mort de son prédécesseur. Hadrien était aimé de
tous ; on racontait, ce qui prouve la vénération dont il jouissait,
que l'argent destiné aux aumônes s'était miraculeusement mul-
tiplié entre ses mains 3. Il avait par deux fois refusé le souverain
pontificat, à la mort de Léon IV et de Benoît III ; mais les prières
du peuple et du clergé triomphèrent enfin de son obstination, et
il dut accepter, à l'âge de soixante-seize ans, le lourd fardeau de la
charge suprême. Le jour de sa consécration, dans le premier office
qu'il célébra, il donna la communion aux évêques Thieutgaud
de Trêves et Zacharie d'Anagni, ainsi qu'au cardinal-prêtre
1. Jafïé, Reg. pont, rom., lre éd., p. 250.
2. Dùmmler, p. 613, note 68, conteste cette rectification chronologique et se
range à l'avis de Jafïé, faisant remarquer qu'avant cette lettre du pape, en
janvier 867, on constate une interruption dans la série des lettres adressées
par le pape au roi Lothaire. En effet il y eut interruption, mais non rupture
complète.
3. Hadrien II était prêtre du titre de Saint-Marc, Ann. Bertin., ad ann. 867,
p. 90; Liber ponlificalis, édit. Duchesne, t. n, p. 173 sq., il n'avait ni la hauteur de
vues, ni l'énergie, ni la raideur de formes de son prédécesseur. Il est possible que
son élection soit due à l'opposition que le caractère du défunt pape n'avait pu
manquer de créer et de constituer en parti. Noorden, Hinkmar, p. 237, croit que
l'élection fut faite sous l'influence de Louis le Germanique. Lapôtre, op. cit.,
t. xxvn, p. 396, estime que le nouveau pape fut soutenu par le parti impérial.
On craignit un instant parmi les tenants de l'ancien pontificat que le nouveau
pape allât jusqu'à casser les décisions antérieures, voir par exemple une
lettre d'Anastase à Adon de Vienne, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 453-454,
et une lettre d'Hadrien II au même Adon, le 8 février 868. Jaffé-Ewald, op. cit.,
n. 2907, P. L., t. cxxn, col. 1274-1276. En réalité, le nouveau pape se borna
à des concessions peu importantes, mais qui ne laissaient pas d'en faire appré-
hender de plus graves. Le nouveau règne avait un aspect de réaction auquel on
ne pouvait se tromper. Hefele, Conciliengeschichte, t. iv, p. 306, semble ne voir
qu'une coïncidence dans l'arrivée de Gùnther et Thieutgaud à Rome dans les
jours qui précédèrent ou qui suivirent immédiatement la mort du pape; Dùmm-
ler, op. cit., t. ii, p. 224, n. 1, suppose que les deux archevêques y avaient été
appelés par Arsène, en prévision de la mort de Nicolas. (H. L.)
473. LA. QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 379
Anastase l, qui avait été réduit à la communion laïque.
Néanmoins, il ne les admit qu'au rang des prêtres. D'après le
Liber pontificalis, ils avaient accompli ou promis d'accomplir une
pénitence suffisante 2 ; mais, conformément à la décision du pape
Nicolas, Thieutgaud ne put recouvrer son évêché; il dut se rési-
[309] gner, malgré d'abondantes largesses (dont Arsène avait eu sa part),
à vivre comme hôte et d'une façon assez précaire dans le monastère
de Saint-Grégoire ad clivum Scauri, jusqu'à ce qu'un rêve, dans
lequel il avait vu saint Grégoire, l'en eût fait chasser. Il mourut
la même année, 868, dans le pays des Sabins. Quant à Giinther,
plus gravement compromis, il ne put être admis à la commu-
nion 3.
L'accueil du nouveau pape à Thieutgaud et à Zacharie le montrait
animé d'un esprit de conciliation. Lothaire crut donc opportun
de lui écrire 4. Après avoir rendu hommage aux grandes qua-
lités du feu pape, le roi déplore qu'il ait accordé tant de créance
à ses ennemis. Il a surtout souffert de ne pouvoir se rendre
personnellement près de ce Saint-Siège que ses aïeux avaient
tant de fois défendu ; aussi désire-t-il maintenant, plus que
jamais, voir le nouveau pape, lui parler et recevoir sa bénédiction 5.
— Hadrien répondit : « Le Siège de Pierre est toujours disposé
à répondre dignement aux avances qui lui sont faites. Si Lothaire
se sent innocent de ce qu'on lui impute, qu'il vienne avec pleine
1. Voir § 457.
2. Baronius, Annales, ad ann. 867, n. 147.
3. Bertiniani, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 476; Baronius, Annales, ad ann. 868,
n. 51 sq. [Sur la lin de Thieutgaud, cf. B. Parisot, op. cit., p. 307 et note 3.
(H. L.)]
4. D'après Hefele, cette lettre de Lothaire serait donc antérieure au voyage
imminent de Theutberge à Borne. Dùmmler, op. cit., t. n, p. 227, n. 2, rejette cette
manière de voir, car, dit-il, en écrivant cette lettre Lothaire connaissait la mort de
Nicolas. Il la savait aussi en décidant le voyage de sa femme et les deux démar-
ches eussent été impossibles avec le pape défunt ; ainsi donc la question de prio-
rité de la lettre ou du voyage demeure douteuse. Mûhlbacher, Reg. Kar.,p. 502,
place en 867 la lettre du pape Hadrien à Lothaire et reporte en 868, après l'abso-
jution de Waldrade, prononcée en février, la lettre dont il est ici question.
B. Parisot, op. cit., p. 309, note 1, place la présente lettre en décembre 867 ou jan-
vier 868. (H. L.)
5. Baronius, Annales, ad ann. 867, n. 150; Hardouin, op. cit., t. v, col. 700;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 831. Dummler, op. cit., p. 667, note 13, fait remarquer
que cette lettre a dû être écrite après le voyage de Theutberge à Borne : c'est
douteux.
380 LIVRE XXIII
confiance visiter le Saint-Siège et en recevoir les bénédictions ;
s'il se reconnaît coupable, qu'il vienne néanmoins recevoir la
pénitence méritée x. »
Ces derniers mots prouvent qu'Hadrien ne dévia pas pour le
fond des principes de son prédécesseur, qui n'étaient que les prin-
cipes du droit canon et du Siège romain en tout temps ; mais
voulant les faire prévaloir par des moyens plus doux, il permit
à ceux à qui Nicolas avait interdit le voyage de Rome, d'y venir
à des conditions acceptables. Il accusa plus fortement son adhé-
sion à ces mêmes principes, dans sa seconde lettre à Lothaire.
Celui-ci, obstiné dans son plan, avait envoyé à Rome la malheu-
reuse Theutberge et obtenu d'elle qu'elle répétât de vive voix [310]
au pape Hadrien ce qu'elle avait écrit auparavant au pape Nicolas ;
en un mot qu'elle sollicitât la rupture de leur mariage 2. Le pape
écrivit alors au roi dans un langage tout apostolique 3. Lothaire
devait rejeter les conseils des méchants et ouvrir l'oreille de son
cœur aux paroles du successeur de Pierre. Il y avait deux fautes que
Nicolas n'avait jamais tolérées : la répudiation deTheutberge, épou-
se légitime, et le concubinage avec Waldrade. Le pape ne se serait
pas décidé à revenir sur cette question, s'il n'avait vu que Lothaire
voulait retourner à ses anciennes débauches (il sollicitait l'éloi-
gnement de Theutberge et le retour de Waldrade), Theutberge
1. Reginon, Annales, ad ann. 688, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 579. ne donne
qu'un fragment de cette lettre ; Gfrôrer, Die Carolinger, t. n, p. 11, pense que ce
fragment n'est pas une réponse aux lettres précédentes, mais à une autre lettre
écrite plus tard au pape par Lothaire.
2. Sur ce voyage: Ann. Bertin., ad ann. 867, p. 90. Lapôtre, op. cit., p. 416,
n. 8, veut que Theutberge se soit présentée au pape Hadrien le 5 janvier.
R. Parisot, op. cit., p. 308. (H. L.)
3. Hadrien, Epistolse ad Lotharium regem, Jaffé-Ewald, n. 2892, P. L., t. cxxn,
col. 1259-1261 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 702 ; Mansi, op. cit., t. xv, col.
833. D'après Mûhlbacher, Reg. Kar., p. 502 et Dûmmler, op. cit., t. n,
p. 226, n. 2, le voyage de Theutberge et la lettre à Lothaire devraient pren-
dre place avant la fin de 867. En ce cas, la lettre ne pourrait être que des der-
niers jours de décembre, car il est peu vraisemblable que Theutberge ait osé venir
à Rome avant la mort de Nicolas, et par conséquent elle n'a pu arriver qu'à
la fin de l'année. Quant à la lettre, elle n'a été remise à Lothaire qu'en janvier
ou février de l'année 868. Sans être absolument satisfaisante, cette réponse
d'Hadrien n'enlevait pas à Lothaire tout espoir de réussir. Le concile annoncé
prononcerait-il l'annulation du mariage du roi et de Theutberge ? On ne pou-
vait rien en savoir, rien en dire, mais la chance s'ouvrait de nouveau. Il y avait
loin de cette promesse au refus catégorique de Nicolas. (H. L.)
473. LÀ QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 381
était venue à Rome et y avait été reçue honorablement. Elle avait
demandé elle-même la dissolution de son mariage avec Lothaire,
déclaré ce mariage anticanonique et affirmé qu'elle voulait vivre
désormais dans la continence. Mais il n'avait pu condescendre
à ce désir, et il lui avait ordonné de revenir auprès de son mari.
L'intention du pape était de réunir plus tard un concile à ce sujet 1.
Il conjurait le roi de traiter Theutberge en légitime épouse, de
l'honorer, de veiller sur elle comme sur une partie de lui-même.
Néanmoins, si, à cause de la distance ou pour des raisons de santé,
elle ne pouvait parcourir la longue route de Rome jusqu'au camp
de Lothaire, et si elle voulait séjourner en un autre lieu, elle devait,
jusqu'à la célébration du concile projeté, jouir d'une pleine sécu-
rité sous la protection du roi et disposer du revenu des abbayes
que le roi lui avait promises. Quiconque agirait contre ces pres-
criptions serait excommunié, fût-il roi.
La lettre d'Hadrien à Hincmar, 8 mars 868 2, approuvant
la ligne de conduite de l'archevêque dans la question du mariage
de Lothaire et l'engageant à y persévérer, prouve qu'Hadrien
ne s'est pas écarté des principes de son prédécesseur et du Siège
de Rome. Mais en même temps, le pape se préoccupait de
montrer la plus grande condescendance vis-à-vis de Lothaire et
de son frère l'empereur, qui venaient, sur ces entrefaites, de réu-
nir leurs armées pour combattre ensemble les Sarrasins, qu'ils com-
battaient déjà séparément depuis longtemps, mais qu'ils vou-
laient détourner maintenant des Etats de l'Eglise. L'empereur
[311] assurant que Waldrade avait alors une conduite irréprochable
et avait renoncé à ses prétentions, Hadrien se décida (février
868), sur les instantes prières de l'empereur 3, à relever Waldrade
1. Cette idée de concile apparaît simultanément chez Hadrien et chez Charles
le Chauve; d'après Schrôrs, op. cit., p. 303, l'idée première venait d'Hincmar
réconcilié avec son roi. Il s'agissait de réunir ce concile à Auxerre le 1er février 868 ;
ce synode n'eut pas lieu. R. Parisot, op. cit., p. 310. (H. L.)
2. Jaffé-Ewald, n. 2905, P. L., t. cxxn, col. 1272-1273. Cf. R. Parisot, op. cit.,
p. :!12. n. ■'.. (11. L.)
:!. L'empereur pouvait désirer que son frèreeût l'honneur sauf et, en particu-
lier, que la honte qui rejaillissait sur lui, par suite de l'anathèmc jeté sur Wal-
drade, disparût. Mais il ne pouvait entrer* dans ses vues que Waldrade épousât
Lothaire, dont elle avait eu des enfants, tandis que la stérilité de Theutberge
lui laissait l'espoir d'hériter du royaume de Lothaire. Cette absolution de Wal-
drade était la cassation d'une des sentences du pape Nicolas. Noorden, Hink-
mar, p. 239, pense qu'Hadrien n'eût pas cédé sur le fond du divorce ;
382 LIVRE XXIII
de la sentence d'excommunication qui pesait sur elle, luî
permettant de communiquer avec les chrétiens, à l'exception
du roi Lothaire, de peur que Satan ne la fît tomber une fois de
plus dans ses embûches. A la fin du décret adressé à Waldrade, le
pape rappelle qu'il ne lui servirait de rien d'être relevée de l'excom-
munication devant les hommes, si Dieu ne lui pardonnait à son
tour, et, si elle usait de tromperie, Dieu ferait peser sur elle une
excommunication beaucoup plus terrible 1. Le 12 février 868, Ha-
drien communiqua ces décisions aux évêques des royaumes
francs 2,en même temps qu'il écrivait à Charles le Chauve et Louis
le Germanique, pour leur interdire de s'emparer du royaume de leur
neveu, qu'ils convoitaient depuis longtemps 3.
Lorsque Adon, archevêque de Vienne, apprit la sentence du
pape au sujet de Waldrade, il ne crut pas devoir cacher un très
vif mécontentement. Mais Hadrien lui exposa avec bienveillance
(mai 868) son intention d'achever la guérison commencée par
son prédécesseur. Au début d'une cure, les remèdes énergiques
sont ordinairement nécessaires, son prédécesseur les avait employés ;
maintenant l'heure des lénitifs lui semblait venue 4.
Adon était dans le vrai, en ce sens qu'il connaissait mieux
que le pape l'effet [désastreux] produit en Lorraine par les der-
nières décisions du Saint-Siège. Lothaire se reprit à espérer d'épou-
Lapôtre, op. cit., p. 392-401, croit que le pape n'osait pas aller aussi loin qu'il
eût voulu, dans la crainte des clameurs des partisans de Nicolas prêts à se voiler
la face; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. ri, p. 515, estime que la
mort seide de Lothaire a dispensé le pape d'en venir aux dernières concessions.
Hadrien, Epistola ad Waldradam, Jafîé- Ewald, n. 2897, P. L., t. cxxn, col.
1265-1266. R. Parisot, op. cit., p. 311, note 2, croit faux le raisonnement de
Hefele au début de la présente note. « Louis II, qui n'avait point de fils et
qui avait probablement perdu l'espoir que sa femme lui en donnât, qui d'ail-
leurs avait dix ou quinze ans de plus que son frère, ne songeait sans doute
pas à hériter de cedernier.il devait bien plutôt désirer que Lothaire eût un fils
capable de lui succéder et de réunir un jour sous sa domination tous les Etats
qu'avait gouvernés Lothaire Ier.» (H. L.)
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 704; Mansi, op. cit., t. xv, col. 834. Pamberçor,
op. cit., [i. 322, n'admet pas l'authenticité de la lettre de Waldrade.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 705; Mansi, op. cit., t. xv, col. 835, [Jaffé-Evvald,
n. 2898-2899, 2900, aux évêques de Germanie, de France et de Lorraine. (H. L.)]
3. La lettre au roi Louis existe encore, Mansi, op. cit., t. xv, col. 829; Har-
douin, op. cit., t. v, col. 699 ; et Hincmar parle de celle qui fut adressée à Charles
dans les Annales Berliniani. Pertz, op. cit., t. i, p. 477.
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 728; Mansi, op. cit., t. xv, col. 859.
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 383
ser et de faire couronner Waldrade, soit qu'il l'aimât encore, soit
qu'il songât à faire héritiers les enfants qu'il en avait eus.
Lothaire chercha d'abord à obtenir de ses oncles de tolérer les dé-
[312] marches qu'il ferait dans ce but, et de n'y pas voir un cas de guerre.
Louis le Germanique promit, mais Charles le Chauve se réserva 1.
Lothaire comptait tout terminer dans une entrevue avec le pape ;
au mois de juin 869, il se dirigea vers Rome, où Theutberge avait
été envoyée une seconde fois 2. Dès son arrivée à Ravenne, il
rencontra des messagers et des lettres de son frère l'empereur,
le pressant de regagner la Lorraine ; sans doute l'empereur pres-
sentait le danger qui, de la part de Charles le Chauve, menaçait
la Lorraine, et prévoyait que ce voyage à Rome ne tournerait
ni à l'honneur ni au gré des désirs de son frère. On comprend
d'ailleurs que. dans son intérêt personnel, l'empereur dût être
opposé aux projets de Lothaire, puisqu'il pouvait briguer lui-
même le royaume de Lorraine. Quoi qu'il en soit, Lothaire, ne se
laissant pas arrêter par ces conseils, continua son voyage et attei-
gnit Bénévent, où son frère tenait sa cour; il y gagna à ses inté-
rêts la cupide impératrice Engelberge, qu'il combla de présents 3.
Grâce à son influence, l'empereur ménagea une entrevue entre
Lothaire et le pape au Mont-Cassin 4. On détermina le pape
1. Annales Bertiniani, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 479. Surtout ce qui s'est
passé entre le 12 février 868, absolution de Waldrade, et le départ de Lothaire,
début de 868, cf. Parisot, op. cit., p. 313-315, notamment pour l'entrevue et
l'entente de Lothaire avec Louis le Germanique, et l'entrevue d'Attigny avec
Charles le Chauve. (H. L.)
2. « Il n'est pas facile de déterminer la date à laquelle le jeune roi se mit en
route. » R. Parisot, op. cit., p. 315-316. (H. L.)
3. R. Parisot, op. cit., p. 317. (H. L.)
4. Il faut enfin aborder cette question des conciles du milieu de l'année 869,
cf. A. Yerminghofî, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 641. Dans les pre-
miers jours de juin 869 un concile avait été tenu à Rome dans lequel Hadrien
avait renouvelé contre Photius les anathèmes portés jadis par Nicolas Ier. Voir
Jafîé, Reçesta pont, rorn., p. 384 et plus loin § 485. Un autre concile se tint au
mois de juillet. Damberger, Synchronislische Gescliichte der Kirche und der Welt
im Mittelalter, in-8, Regensburç, 1851, t. tu. p. 550. ;i contribué à embrouiller
la question déjà suffisamment obscure en croyant découvrir, dans le discours
anonyme trouvé par Muratori, l'indice d'une amnistie générale s'étendant à
tous les évêques déposés, sans en excepter les Orientaux et Photius lui-même.
En réalité, et l'orateur, si on y prend garde, le montre bien, il ne s'agit que de
deux évêques dont l'un a usurpé, après sa condamnation, des fonctions qui lui
étaient interdites, tandis que l'autre a été admis à la communion avant d'avoir
384 LIVRE XXIII
Hadrien à chanter la messe en présence de Lothaire et à lui donner
rempli les conditions canoniques. Muratori, Rer. ital. script., t. n, part. 2,
col. 138 c — Maassen, Eine Rede, p. 19. Or, ces deux personnages sont Gùnther
que nous avons vu célébrer la messe le jeudi-saint dans sa cathédrale de Cologne,
en 864, malgré l'interdit qui pesait sur lui; l'autre personnage est Zacharie, évê-
que d'Anagni, qui avait reçu la communion de la main du pape, le jour même de
la consécration de celui-ci à Saint-Pierre. Il y avait eu, dans ce dernier cas, une
anticipation regrettable que le Liber ponlificalis voudrait nier, mais que la voix
publique blâmait énergiquement. DeThieutgaud de Trêves, la pauvre dupe, il
ne pouvait être question puisque ce comparse était mort, R. Parisot, op. cil.
p. 307, note 3, pas plus d'ailleurs que du cardinal Anastase, alors sous le coup
d'anathèmes trop récents. L'hésitation est d'ailleurs impossible, puisque dans
un passage de son discours, l'orateur interpelle les deux personnages par leurs
noms. Muratori, loc. cil., col. 140 c = Maassen, op. cil., p. 22 : nec eliam Gunlha-
rium et Zachariam lateat. Le projet formé en faveur des coupables était loin de
satisfaire et le discours en question ressemble plus à un réquisitoire qu'à un plai-
doyer. L'idée seule d'une réintégration dans leur charge paraissait si inconve-
nante qu'on n'avait pas osé la présenter ouvertement au concile, néanmoins elle
ne pouvait faire de doute puisque déjà à ce moment Gùnther avait été admis
à la communion au moins laïque. En ce qui concerne la reine Theutberge, on voit
par le discours que le concile est saisi d'une demande en séparation émanant de la
reine. Muratori, loc. cit., col. 139 a = Maassen, op. cit., p. 20. On se rappelle
que précédemment Theutberge avait sollicité de Nicolas Ier et, un an après,
d'Hadrien II, un véritable divorce. Cette fois on rabattait les prétentions et
le discours anonyme nous montre que la demande se réduit de la part de
la malheureuse princesse à ne plus vivre avec son mari et persécuteur. « Il est
à croire, en effet, que la cause avait été ramenée à ces proportions devant le
concile, afin de la rendre plus acceptable. Cela ne faisait pas sans doute l'affaire
de Lothaire, qui ne désirait se débarrasser de Theutberge que pour se réunir
à Waldrade, mais le P. Lapôtre y voit une première raison de croire que le
concile était l'œuvre d'Hadrien II, et non, comme le prétend M. Maassen,
une réunion d'évêques convoquée sous la pression irrésistible de l'empereur
Louis II, contre la volonté du pape. Ce point est en effet de la plus haute impor-
tance : il décide en partie l'attribution du discours anonyme. » Rev. des quest.
histor., 1880, t. xxviii, p. 391.
Hadrien II souhaitait sans doute résoudre la plupart des affaires embarrassantes
éguées par la politique du pontificat précédent ; mais surtout il souhaitait ve-
nir à bout au moyen d'un concile de ces deux éternelles sources de récriminations,
le mariage de Lothaire et la réhabilitation des évêques excommuniés. On voit
que son souci, et il ne s'en cache nullement, est de ne prononcer une sentence défi-
nitive qu'après avoir fait examiner la cause par une nombreuse assemblée, P. L.
t. cxxn, col. 1260; peut-être aussi, col. 1266, Hadrien ne séparait pas dans sa
pensée ces deux procès. Dans une lettre à Louis le Germanique, datée du 27 juin
870, le pape lui reprochait d'avoir donné un successeur à Gùnther, « d'autant
plus, ajoutait-il., que nous avions promis à cet archevêque d'entendre de nouveau
sa cause, avant qu'un autre lui fût substitué sur son siège.» P. L., t. cxxn,
col. 1304. Il y avait alors une année écoulée depuis le concile de 869 et le pape
i73. LA QUESTION Dl MARIAGE DE LOTHAIRE 385
la sainle eucharistie, après que ce prince eu1 juré s'être abstenu
comptait encore soumettre le cas de Gvinther à un concile. Cctlc idée de concile
circulait depuis l'avènemenl d'Hadrien [I et préparait, à travers mille racontars,
les esprits à une réunion dont on attendail des décisions inouïes, telles que la
cassation des actes du précédent pontificat; au reste ce concile n'eut pas heu,
mais les bruits qui avaient couru suffisaient à donner l'alarme et à placer le pape
dans une fausse situation. Celui-ci s'efforçait de calmer les esprits excités et
de les ramener sur la portée réelle de ses projets vrais ou supposés. Toutefois
quelques mesures dont nous avons parlé : le pardon accordé à Waldrade, la com-
munion donnée à Zacharie, mettaient en défiance et on ne s'en cachait guère
à l'égard du pape lui-même. Hadrien II mandait, le 2 février, aux évêques du
concile de Troyes, d'avoir à inscrire aux diptyques de la messe le nom du pape
Nicolas dont il se proclamait à tous points de vue le successeur, P. L., t. cxxn,
col. 1262; il écrivait aussi, comme nous l'avons dit, aux évêques de Germanie, de
France et de Lorraine, Jaffé-Ewald, n. 2898, 2899, 2900: P. L., t. cxxn, col.
1266 (seule conservée), pour leur expliquer sa conduite, c'est-à-dire pour se justi-
fier devant eux. Adon de Vienne recevait coup sur coup deux lettres, P. L.,
t. cxxn, col. 1261, 1274; Hincmar en recevait une autre, P. L., t. cxxn.
col. 1273. Cependant, en dépit de ces efforts dont la sincérité ne paraît pas pou-
voir être contestée, Hadrien demeurait dans une situation assez fausse. Toute
démarche de sa part était interprétée, tiraillée, dénaturée ; il devait dès lors
hésiter, en présence d'une opposition redoutable, à prendre des mesures aussi
graves que la séparation de Lothaire avec Theutberge et la réintégration de Gûn-
ther et Zacharie. Ainsi il se trouvait attaché à un système auquel les partisans du
pape défunt se félicitaient de le réduire, dans l'espoir que la politique personnelle
de mansuétude cesserait enfin d'être à l'ordre du jour. Toutefois une inquiétude
poignait les nicolaïtes; l'échec qu'ils infligeaient aux tendances d'Hadrien était
peu de chose en comparaison du péril qu'une assemblée faisait courir aux actes
du précédent pontificat qui risquaient d'y être discutés, amoindris, révoqués.
Devant ce concile il était clair qu'une grosse responsabilité incombait à celui
qui, prenant la parole, se constituerait le leader de l'assemblée. Cette responsa-
bilité, nous voyons de quelle façon elle fut entendue, grâce au discours anonyme
publié par Muratori et depuis par Maassen.
Le discours est d'un adversaire qui sait se contenir et s'efforcer de maîtriser
un incident qu'il n'a pu empêcher. 11 remercie Dieu de cette heureuse convocation,
consent à exposer ses vues personnelles auxquelles il renoncera volontiers pour
se ranger aux lumières de ses collègues inspirés par les canons et les sainls Pères.
Tout ceci est pur protocole e1 ne compte pas. — Il es1 aisé de reconnaître, et
le P. Lapôtre n'y a pas manque, que l'orateur, « en homme habile et qui com-
prend la nécessité de ne pas se heurter de front à des influences redoutables, pro-
cède d'abord avec ménagement, mais peu à peu, il se découvre, et alors apparaît
en lui un esprit d'opposition systématique au synode et à ses délibérations.
D'après lui, l'assemblée en remettant en question deux causes déjà jugées par le
Saint-Siège, fait une besogne inutile, puisque les jugements du chef de l'Église
sont irréformables, périlleuse, illicite, qu'on aurait dû s'interdire. Il déclare
pour son compte que c'est par force et contre son gré qu'il se mêle d'une
CONCILES — IV — •.>:,
386 LIVRE XXIII
de tout rapporl défendu avec Waldrade depuis l'excommunication
pareille discussion ; il se sent trop peu de chose pour oser toucher une sentence
du Saint-Siège. Le mieux à son sens serait que personne ne modifiât les juge-
ments de Nicolas ; mais, si l'on veut à toute force les modifier, que le pape
seul en prenne la responsabilité ; il est toujours dangereux de revenir sur les dé-
crets d'un chef de l'Eglise, même lorsque c'est un chef quij agit de la
sorte ; mais, après tout, c'est son droit, et il n'a pas la prétention, lui, simple
sujet du Siège apostolique, de lui contester ce pouvoir. Muratori, op. cit., p. 139-
140 = Maassen, op. cit., p. 20-23. Plus loin, il critiquera la composition du
concile, se plaindra de ce qu'on n'ait réuni que des prélats d'Italie pour une
cause qui exigerait la présence de l'épiscopat d'Orient et d'Occident, si tant est
que tous les évêques du monde puissent quelque chose contre une décision pon-
tificale. » Il est clair qu'une pareille argumentation, dans les circonstances où
l'on se trouvait en 869, ne peut être l'œuvre du pape. L'orateur n'hésite pas à
déclarer le concile incompétent et s'efforce de l'en bien convaincre, afin de le
détourner de rendre, de sa propre autorité, une sentence sur la question en litige.
Il n'a guère plus que voix consultative, quant à la voix délibéra tive elle res-
semble assez à un leurre puisque le pape se réserve d'adopter ou de repousser
à son gré les conclusions du concile. Si Hadrien II fût entré personnellement
dans le débat, toutes les objections contre la compétence du synode étaient
levées, d'après les principes mêmes exposés dans le discours.
« D'après ces principes, le Saint-Siège constituait un tribunal légitime dans la
matière ; il n'y avait donc pas lieu de récuser une assemblée où le Saint-
Siège avait une part active, et qui devenait, par la présence du pape, la plus haute
autorité dans l'Eglise. L'orateur n'avait qu'à porter ses regards sur la place occu-
pée par Hadrien II, pour sentir aussitôt tout le néant de son argumentation; au
lieu de contester absolument la validité de la sentence que rendraient les évêques,
il devait au moins distinguer le cas où le pape serait d'accord avec eux. Je sup-
pose, au contraire, qu'Hadrien II, avant de se prononcer, ait désiré faire
examiner séparément la cause par un concile : aussitôt le langage de l'évêque ano-
nyme acquiert de la portée, sa tactique se révèle. Sans doute, il ne se dissimu-
lait pas que, le concile terminé, le pape pouvait confirmer ses jugemenls et en-
lever ainsi tout prétexte à en nier la valeur, mais il connaissait aussi le carac-
tère et les dispositions d'Hadrien ; il savait fort bien que, dans l'hypothèse où
son discours réussirait à persuader les évêques de ne pas s'engager dans une ré-
vision imprudente des décrets de Nicolas Ier, le pape n'oserait pas l'entrepren-
dre seul. El si, malgré la réserve du concile, Hadrien II se décidait à revenir sur
les actes de son prédécesseur, l'orateur aurait du moins empêché une simple
réunion d'évêques de prendre l'initiative d'une mesure qui n'était illégale qu'au-
tant qu'elle émanait d'un tribunal inférieur ; n'ayant pu sauver entièrement
la mémoire du pape Nicolas, il aurait du moins contribué à maintenir le grand
principe qui était le fond même du débat, à savoir, que l'Église, le Siège
apostolique juge de tout et n'est jugé par personne. Il n'y avait nulle témérité
à répéter devant ce concile une doctrine qui n'était nouvelle pour personne, que
les nicolaïtes ne cessaient d'opposer, depuis plus de deux ans, à toutes les entre-
prises des ennemis du Saint-Siège, et qui était admise par ceux-là même auxquels
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 387
dont Nicolas l'avait frappée ; il ajouta que depuis lors il n'avait même
le discours s'adressait. Si au contraire on fait tenir ce langage par Hadrien, on
arrive à cette étrange conclusion d'un pape, qui, d'une part, déclare qu'il ne peut
s'associer à une revision illégitime des jugements de son prédécesseur. e1 qui,
l'instant d'après, affirmera qu'en s'y associant il la rendra légitime. » D'autres
traits viennent montrer l'impossibilité de confondre l'orateur anonyme avec le
pape Hadrien. Celui-ci se trouve alors dans les dispositions les plus bienveillan tes
à l'égard de Gûnther que l'orateur traite avec la dernière sévérité. Cet orateur
ne ménage guère le pape lui-même. Quand il rapporte la communion donnée
a Zacharie, il s'indigne ; sans doute, par un reste de ménagement pour leSaint-
Siège, il présente les l'ai ts de manière a en rejeter tout l'odieux du côté de Zacha-
rie, mais en réalité le blâme va droit au pape. Plus loin, il reconnaît au Siège apos-
tolique le droit de revenir sur les anciens décrets, mais il ajoute : « Qu'il réflé-
chisse cependanl avant d'agir, de peur qu'au tribunal de Dieu il ne lui faille ren-
dre un compte rigoureux à Celui qui gouverne toutes les puissances et domine
tous les siècles. Kl si quelqu'un pesant sur nos volontés songeait à entraîner notre
unanimité dans nue revision des jugements du Siège apostolique, qu'il consi-
dère auparavant où la prévarication commence et où elle aboutit.» Muratori,
op. cit., col. 139 b = Maassen, op. cit., p. 21. Quel est maintenant cet orateur
anonyme ? Ce n'est pas le pape et- incidemment — notons l'importance de
cette constatation pour l'histoire de l'emploi officiel des fausses décrétales, ce
n es1 pas le pape Hadrien, mais cet orateur sera un jour pape sous le nom de For-
mose. Il n'est, en 849, qu'évêque de Porto et à ce titre prend place dans les conciles
romains. 11 a pris part à celui de juin 869 contre Photius, Mansi, op. cit., t. xvi,
col. 122-131, et le départ de Donat d'Ostie pour Constantinople, où nous le re-
trouverons en qualité de légat, élève l'évêque de Porto du second rang au premier.
Formose reparaîtra au cours de cette histoire, nous ne faisons que le mentionner
ici en attendant de faire avec lui plus ample connaissance. Formose était alors
dans son plus grand éclat, sa parole devait avoir d'autant plus d'influence sur
ses collègues qu'il était mieux en position de l'exprimer sans réticences. Le dis-
cours anonyme trahit la préséance du rang et le sentiment de sa prédominance
morale chez l'orateur. Il ouvre les sessions, prescrit l'objet des discussions,
insinue les conclusions et fait la leçon à qui bon lui semble. Si on n'a pas la certi-
tude matérielle que l'orateur en question est Formose, on n'a guère de solide
raison d'en douter encore, après l'identification présentée par le P. Lapôtre,
op. cit., p. 414-417.
Tel est l'homme qui domine de son prestige le concile qu'on a confondu avec
l'entrevue du Mont-Cassin, faisant de celle-ci une assemblée solennelle tandis
que ce ne fut qu'une rencontre intime destinée, dans la pensée d'Engelberge
et de Lothaire, à isoler le pape pour le mieux gagner. Lothaire et sa belle-sœur
arrivèrent probablement ensemble et les négociations commencèrent. « Nous
les connaissons mal. Lothaire demanda au pape de lui chanter la messe et de lui
donner la communion, ainsi qu'à Gunther et aux grands de sa suite. Sa requête,
appuyée? par Engelberge, l'ut agréée par Hadrien, qui exigea toutefois du roi, de
Gûnther et (\<s grands les déclarations suivantes. Celle de Lothaire portail que
depuis l'excommunication de Waldrade par Nicolas, il n'avait eu aucun commerce
388 LIVRE XXIII
charnel ni entretenu aucun rapport avec elle, Ann. Bertin., ad ann. 869, p. 99;
celle des grands, qu'ils n'avaient pas favorisé l'adultère de leur maître, ni eu de
relations avec Waldrade, non plus qu'avec les autres personnes que Nicolas avait
excommuniées, Réginon, Chronicon, ad ann. 869, p. 96 ; dans la sienne, qu'il
remit écrite au Souverain Pontife, Gùnther disait qu'il acceptait la condamna-
tion portée contre lui par Nicolas, qu'il s'engageait à ne pas exercer le ministère
sacerdotal, tant que le pape ne le lui aurait pas rendu, à ne pas intriguer contre
l'Église ni contre son chef, mais au contraire à se montrer soumis. Ann. Berlin.,
ad ann. 869, p. 99. Tous, le roi, ses courtisans, et l'ex-archevêque de Cologne
souscrivirent aux exigences d'Hadrien. C'est le 1er juillet qu'eut lieu la cérémo-
nie. D'après le chroniqueur Réginon, qui a peut-être dramatisé la scène, Hadrien
avant de donner la communion à Lothaire lui aurait dit : « Communie, si tu
«es innocent de l'adultère interdit par Nicolas, et si tu es résolu à ne plus avoir
«de commerce avec Waldrade; si, au contraire, ta conscience t'accuse d'être cou-
«pable, ou si tu songes à retomber dans le péché, abstiens-toi; autrement, la
« communion te jugerait et te condamnerait. » Diïmmler, op. cit., t. n, p. 239,
n. 2 ; Schulz, Die Chronik des Regino, p. 18. Hadrien n'a pas dû exiger de
Lothaire l'engagement de renoncer à Waldrade, et le roi ne l'a certainement pas
pris, puisque, s'il venait en Italie, c'était justement pour obtenir l'autorisation
de faire de Waldrade sa femme légitime. D'autre part, le pape a-t-il présenté
la communion qu'il donnait à Lothaire comme un appel au jugement de Dieu ?
Si le roi était innocent, il sortirait sain et sauf de l'épreuve ; s'il était coupable,
Dieu le punirait d'avoir commis un sacrilège. Il est difficile d'affirmer que telle
fut l'intention d'Hadrien ; une lettre de son successeur Jean VIII à Paulin, évê-
que de Reggio, le dit en termes formels, mais l'authenticité en est douteuse.
Jaffé-Ewald, n. 3025. Peut-être la mort si prompte de Lothaire et de la plupart
des grands qui l'accompagnaient a-t-elle donné naissance à cette façon de pré-
senter les choses. D'après le même Réginon, Hadrien aurait dit en s'adressant
à chacun des grands : « Si tu n'as pas favorisé l'adultère de Lothaire, si tu n'as
«entretenu aucune relation avec Waldrade, non plus qu'avec les autres personnes
«excommuniées par Nicolas, que le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-
« Christ te profitent pour la vie éternelle.» Réginon, Chronicon, ad ann. 869,
p. 97. Gùnther reçut la communion mêlé aux laïcs; Hadrien, avant de lui donner
l'hostie consacrée, se fit remettre la déclaration écrite que nous avons analysée,
la lut à haute voix et lui dit : « Je te donne la communion laïque à condition que
« tant que tu vivras, tu resteras fidèle à l'engagement que tu viens de prendre. »
Ann. Berlin., ad ann. 869, p. 99-100.» R. Parisot. op. cit., p. 317-319.
C'était là assurément un traitement fort bienveillant, ce n'était pas un con
cile ni rien qui en approchât. Le récit d'Hincmar donne, au reste, le vrai carac-
tère de l'entrevue. < Lothaire, par un ordre de l'empereur, fit venir Hadrien dans
ce lieu (le Mont-Cassin) <>ù il se trouvai! déjà avec Engelberge, et, grâce à l'en-
tremise de l'impératrice e1 ;'i de nombreux présents, obtint du pape qu'il chan-
tât la messe en sa présence et lui donnât la communion, à la condition toute-
fois que le prince certifierait que, depuis l'excommunication de Waldrade, il
n'avait habité ni eu le moindre commerce avec elle. Le malheureux roi, comme un
autre Judas, simulant une conscience tranquille et d'un front impudent, ne crai-
gnit pas de recevoir la communion à cette condition. Avec lui communièrent les
complices de son crime, Gùnther... » Nulle trace d'un concile en la circonstance
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 389
et chacun reprit le chemin de sa résidence. Engelberge retourna près de son mari
et le pape, suivi de près par Lothaire, Ann. Berlin., ad ann. 869, p. 100, rentra
à Rome où Lothaire arriva le 9 juillet. Mùhlbacher, lleg. Kar., p. ">0G. Il Eut
accueilli avec quelque impertinence et séjourna néanmoins jusqu'à la lin du mois,
toujours préoccupé de faire reviser son mariage, dépendant. Hadrien recevait
le roi à sa table le 11 juillet et convoquait à Home tous les évoques de la pro-
vince en un concile qui est celui devant lequel fut prononcé le discours, objet
de la présente note. Les Ann. Bertiniani, ad ann. 869, p. 100, parlent non d'un
synode, mais du pape et des Romains, ce qui doit s'entendre des évèques sufEra-
gants de Rome.
Le texte du discours de Formose nous permet de fixer le lieu de la réunion du
concile et la date de cette réunion. Rappelant le voyage de Theutberge à Rome et
sa plainte adressée au Siège apostolique, l'évèquc de Porto se sert de l'expression ad
hanc Sedem apostolicam reniais ; Formose et ses collègues sont assemblés à Rome,
il désigne ainsi le Siège apostolique auprès duquel ils sont réunis. Pour la date,
il est clair que le synode s'est tenu postérieurement à l'admission de Zacharie
et tle Gûnther à la communion, puisqu'on ne songe désormais, en fait de faveurs,
à leur accorder que celles qui impliquent la réconciliation; or pour Gûnther cette
réconciliation par la communion laïque datait de quelques jours seulement, le
1er juillet 869.
« Malgré la valeur réelle de ces témoignages, écrit le P. Lapôtre, dans Rev. des
quest. hist., 1880, t. xxvn, p. 429-430, la preuve décisive me paraît être un passage
remarquable des Annales d'Hincmar, dont la portée a échappé jusqu'ici. Après
avoir raconté l'accueil bienveillant que Lothaire avait reçu d'Hadrien
dans le palais de Latran et les espérances exagérées que cette réception avait
fait naître dans l'âme du roi, l'annaliste ajoute : Sed aliter ab eodem papa et Roma-
nis fuere disposita : nain idem pontifex Formosum episcopum, et alium eiiam
cum eo episcoporum, in lias Galliarum partes mittendas disposuit, ut cum plu-
ralilale episcoporum de his quse Lotharius petebat tractarent, et illi kalendas
rnartii, quse inventa forent, in synodo renunciarent, quse Romse in ipsis kalendis
marlii denuntiavit, quse etiam quatuor episcopos ex regno hudovici, regio Germa-
nise, cum ipsius legatis, et quatuor episcopos ex regno Karoli cum ejus legatis, et
quosdam episcopos ex regno Lotharii epistolis suis hac conditione venire prœcepil,
ut quse in synodo vel examinunda vel gerenda forent, in personis aliorum confir-
marent, tam ex occidentalibus partibus quam ex orientalibus. Unde missos suos, quos
nuper Constantinopolim pro contentione quam orientales cum Nicolas papa habe-
banl, miserai, lune venturos sperabat. De ce passage il résulte : 1° que, Lothaire
étant à Rome, c'est-à-dire dans le courant de juillet, une décision a été prise tou-
chant son procès avec Theutberge ; 2° qu'elle a été prise, non pas par le pape
seul, mais par le pape et les Romains, en d'autres termes par le synode romain ;
3° que la conclusion des débats a été de laisser les choses dans le statu quo et de
s'en rapporter, pour une sentence définitive, à un concile plus général, composé
des autres évêques d'Occident et d'Orient, et dénoncé pour le 1er mars de l'année
suivante. » Synode non réuni, puisque la mort de Lothaire survenue dans l'in-
tervalle l'eût rendu sans objet ; mais conclusion conforme au plan proposé par
Formose dans sou discours : Nos enim petimus et humililer suggerendo precamur
ac par omnes Del virlutes, quantum possumus, adjuramus, ut, .si placet de sedis
apostoliese judicio retractari, et, quod inhibitum est, judicari, hoc agatur concilio et
390 LIVRE XXIII
pas eu un seul entretien avec elle 1. D'après Réginon 2, Lothaire
se serait engagé également à ne plus avoir aucune relation avec
Waldrade ; mais Réginon commet diverses erreurs au sujet de
cette affaire; cette promesse de Lothaire eût été en contradiction
avec son plan, et rendrait invraisemblables les présents que le
pape lui offrit bientôt après.
Avec Lothaire on admit ses partisans à la communion 3, et par-
mi eux Gùnther de Cologne. Toutefois Gùnther ne fut admis qu'à
la communion laïque, après avoir fait sa soumission à la décision
rendue contre lui par le pape Nicolas, (1er juillet 869) 4.
En quittant le Mont-Cassin, le pape suivi de Lothaire se rendit
à Rome. Le roi avait compté sur une réception solennelle ; à
son arrivée [9 juillet], il trouva l'église Saint-Pierre complète- [3131
ment vide, aucun préparatif, pas un prêtre à sa rencontre. Il
ne put non plus obtenir que le lendemain, dimanche [10], le
pape célébrât la messe en sa présence. Le lundi [11], Lothaire
dîna avec le pape au Latran, et lui offrit des vases d'or et d'ar-
gent ; en retour, le pape lui fit présent d'un manteau, d'une palme
tractatu non solum nostrorum sed etiam isforum regnorum episcoporum nec non et,
si fieri potest, Orientalium, utcumque anlistitum, ubi scelera, quorum ultio falso
injusla dicitur, prohdolor, sunt admissa. Muratori, op. cit., col. 139 b, c = Maassen,
op. cit., p. 21. Ainsi l'évêque de Porto obtenait gain de cause, et ce qu'il propo-
sait de la part des nicolaïtes comme une concession extrême devenait le parti
auquel s'arrêtait le pape Hadrien. Formose reçoit l'ordre de se rendre dans les
Gaules et d'y préparer, dans des synodes particuliers, la tenue d'un concile
général qui aurait lieu à Rome le 1er mars 870. (H. L.)
1. Annales Bertiniani, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 481; Mansi, op. cit., t. xv
col. 889; Dummler, op. cit., p. 678 sq.
2. Réginon, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 580. [Réginon se trompe en plaçant à
Rome la communion du 1er juillet qui eut lieu au Mont-Cassin. La Translatio
S. Glodesindis, c. xxxviii, dans Mon. Germ. hist., Script., t. xxiv, p. 507 note,
est plus erronée encore quand elle fixe cette communion de Lothaire dans l'église
Sainte-Anastasie à Rome. (H. L.)]
3. Cette communion, telle que la représente Réginon, était bien, dans l'esprit
du temps, une ordalie ou un jugement de Dieu. Gorini n'en veut rien croire,
Défense de V Eglise, 3e édit., t. m, p. 162-170, mais une lettre du pape Jean VIII,
parlant des épreuves judiciaires autorisées par l'Église, mentionne celles de la
communion et cite précisément comme exemple la communion donnée à Lo-
thaire par Hadrien II : aut etiam corpore et sanguine Christi probetur, sicut noster
decessor Adrianus fecit in Lotliario rege pro Waldrada sua pellice? Jean VIII,
Epist. ad Pctulinum, dans Dummler, Gesla Berengarii, p. 156. (H. L.)
4. Annales Bertiniani, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 481. [R. Parisot. op. cit.,
p. 318-319. (H. L.)]
473. LA QUESTION DU MARIAGE DE LOTHAIRE 391
et d'un bâton. Lcchaire et ses amis interprétèrent ce don dans un
sens favorable : le manteau signifiait que Waldrade lui était
rendue ; la palme, la réussite de ses projets, et le bâton, la puni-
tion des évêques qui lui avaient fait de l'opposition. Mais, au dire
d'Hiflcmar, le pape ne se souciait guère de tout ce symbolisme,
et il envoya en France l'évêque Formose et un de ses collègues,
pour délibérer avec les évêques du pays sur les demandes de
Lothaire. Ils devaient, le 1er mars 870, rendre compte de leur
mission devant le concile romain que le pape réunirait à cette date.
A ce concile devaient assister quatre évêques du royaume de Char-
les le Chauve et de Louis le Germanique, les ambassadeurs de ces
rois, et quelques évêques de Lorraine ; tous devaient prendre
part à la sentence qui serait rendue. - Lothaire quitta Rome,
sur ces entrefaites, emportant une assez bonne impression x ;
à Lucques il fut saisi de la fièvre, continua sa route jusqu'à Plai-
sance où il mourut le 8 août 869 2. Presque toute son escorte
fui également emportée par la peste. Les quelques survivants
enterrèrent le roi dans un monastère voisin 3, et on regarda sa
mort comme un châtiment de Dieu. Gùnther de Cologne avait
quitté l'Italie en même temps que Lothaire, et le pape lui avait or-
donné de revenir à Rome, à une date fixée (pour le synode indi-
qué), lui laissant espérer qu'il pourrait recouvrer son évêché.
Mais en 870, le clergé de Cologne et les évêques de la province
choisirent pour archevêque le prêtre Willibert, et Gùnther lui-
même demanda au pape de confirmer ce choix 4.
1. Lolliarius vero Roma Iselus piomovens. Il avait lieu de compter sur ce concile
du 1er mars 870 qui n'était pas du tout une promesse faite en l'air, Jafïé-Ewald,
ri. 2930, P. L., t. cxxn, col. 1304, et Gùnther lui-même pouvait s'attendre à
voir étudier de nouveau son affaire, Jafïé-Ewald, n. 2930. Que serait-il sorti
de ce concile ? Lothaire avait confiance. Adon, Chronicon, dans Script., t. n,
p. 323 ; R. Parisot, op. cit., p. 321. (H. L.)
2. Sur cette mort et toutes ses circonstances, cf. R. Parisot, op. cit., p. 321-
324, (H. L.)
3. Annales Bertin., dans Pertz, op. cit., p. 482; Dûmmler, op. cit., p. G81.
4. Floss, Papstwahl unter den Ottonen, p. 69. [R. Parisot, op. cit., p. 631. (H. L.)]
392 LIVRE XXIII
474. Concile de Soissons en 866.
Nous avons vu 1 que le concile de Soissons, en 853, s'était pro-
noncé en faveur d' Hincmar, lors de la discussion survenue entre cet [314]
archevêque et les clercs ordonnés par Ebbon après sa déposition.
Pour plus de sûreté, Hincmar s'inspirant des principes du droit
canon pseudo-isidorien (qu'il adoptait lorsqu'ils lui étaient
favorables, qu'il rejetait au contraire lorsqu'ils lui déplaisaient),
voulut faire confirmer par la cour romaine ces décisions synodales.
Léon IV s'y refusa, son successeur Benoît III y consentit en 855 2,
et, en 863, à la demande d' Hincmar, Nicolas Ier renouvela cette
confirmation, sous la réserve suivante : ita tamen, si in nullo
negotio apostolicse Sedis Romanse jussionibus inventus fueris inobe-
diens3. Mais l'affaire se rouvrit et le pape apprit de divers côtés
1. Voir § 452.
2. Baronius, Annales, ad ann. 855, n. 15 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 101 ;
Mansi, t. xv, col. 101 ; Tuh. theol. Quartals., 1847, p. 647.
3. Baronius, Annales, ad ann. 853, n. 64 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 327;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 374. Avec le concile du 18 août 866 nous allons en-
fin voir la question des ordinations faites par Ebbon entrer dans la phase du règle-
ment définitif. Trois ans plus tôt, en 863, à Soissons, Hincmar avait nié résolu-
ment la validité des ordinations faites par Ebbon en 840. A dire vrai, cette attitude
lui était imposée du moment où il affirmait la légitimité de la déposition d' Ebbon en
835 et niait celle de la réintégration de 840. Hincmar, en qui la violence et les
passions n'obscurcissaient pas la logique, suivait une ligne très nette et facile
à ressaisir. A la ive session de 863, il avait fait lire par Immon, évêque de
Noyon, un mémoire tendant à démontrer que les ordinations faites par Ebbon,
après sa déposition, étaient nulles. Dès la ve session on tire les conséquences des
principes posés et on déclare nuls — le baptême excepté -- tous les actes sacra-
mentels accomplis par Ebbon depuis sa déposition. A la vie session, on
règle la situation de l'abbé Hilduin, qui, après avoir été ordonné diacre par
Ebbon lors de son second épiscopat, fut ensuite ordonné prêtre par Loup, évêque
de Châlons, sans examen préalable. Le concile prescrivit la déposition d'Hil-
duin pour 1° défaut d'examen, 2° ordination sacerdotale sans avoir reçu le
diaconat ; ce qui équivalait à nier l'ordination donnée par Ebbon. En cela
d'ailleurs, on traitait Hilduin comme dans la session précédente on avait -traité
les clercs ordonnés par Ebbon dont les ordinations avaient été déclarées
nulles. Et ces décisions du concile de 853 apporteront une véritable perturbation
dans certains pays. C'est ainsi que dans l'évêché d'Hildesheim'qu'Ebbon gouver-
na de 847 à 851, A. Hauck, Kirchengeschichle Deutschlands, in-8, Leipzig, 1900,
t. ii, p. 785, lonles 1rs fonctions épiscopales remplies pendant ce laps de temps
474. CONCILE DE SOISSONS EN 866 393
qu'on avait commis beaucoup d'injustices envers ces clercs.
Charles le Chauve s'intéressa probablement à leur sort, <;n- l'un
se Irouveront annulées et le successeur d'Ebbon, l'évêque Altfrid, n'aura d'autre
ressource que de réitérer ordinations et consécrations d'églises. Chronicon Hil-
desheimense, dans Monum. Genn., Script., t. vin, p. 851'; Annalista Saxo, dans
Monum. Germ., Script., t. vu, p. 575.
« Ce concile de Soissons de 853 est un des événements principaux de l'épisco-
pat d'Hincmar. Il a valu au puissant archevêque de nombreuses difficultés,
au cours desquelles il a montré l'étendue de ses connaissances juridiques, son
goût pour l'intrigue et une remarquable absence de scrupules. Finalement, en
86G, Hincmar a dû reconnaître comme valides les ordinations faites par Ebbon,
après sa déposition ; il a dû même permettre à ces clercs l'exercice de leurs or-
dres ; malgré ses artifices de procédure, il a reconnu implicitement que leur dépo-
sition par le concile de Soissons n'avait pas été légitime.
« Cette histoire a été exposée plusieurs fois, cf. H. Schrôrs, Hincmar, p. 61-71,
270-292. Mais il est possible d'y introduire des précisions importantes et de mon-
trer comment, pour sortir de ces difficultés, Hincmar en est venu à composer
une théorie juridique de la dispense. Cette théorie s'est conservée dans un ou-
vrage démarqué par un canoniste de la fin du xie siècle, mais qu'il faut restituer
à Hincmar. » L. Saltet, Les réordinations, p. 129.
Parmi le groupe des clercs ordonnés par Ebbon, ils étaient au nombre de treize,
il s'en trouvait un qui, par la capacité, valait tous ses collègues, c'était Wulfade
qui menait, comme de juste, tous ses compagnons de disgrâce. Au concile de
Quierzy (février 857) Hincmar débouta tous nos gens et tira même de Wulfade
une promesse écrite de ne plus aspirer aux honneurs ecclésiastiques ; il en eût
signé bien d'autres sans grand résultat peut-être si le pape Nicolas Ier n'était
parvenu au pontificat (858-867). Celui-ci avait son opinion faite sur Hincmar,
il ne le ménageait guère et lui imposa la revision du procès de 853. P. L., t. exix,
col. 964. Le pape lui laissait le choix d'admettre les clercs ordonnés par Ebbon,
à l'exercice de leurs ordres ou de soumettre le différend à un concile. Hincmar
ayant choisi ce dernier parti, le concile du 18 août 866 se réunit à Soissons. « L'em-
barras d'Hincmar était extrême. Il se croyait obligé de soutenir la légitimité
du concile de Soissons de 853 et le bien fondé de la condamnation des clercs or-
donnés par Ebbon. Cette thèse n'allait pas sans difficultés. La première était de
prouver la nullité des ordinations faites par Ebbon. Il fallait renoncer à faire
accepter cette théorie par Nicolas Ier. Aussi, vis-à-vis du pape, Hincmar garda-
t-il sur ce point un silence prudent. Il se contenta d'une courte mais très claire
insinuation dans un mémoire confidentiel adressé aux évêques du concile. Énu-
mérant plusieurs appréciations qu'on pourrait porter sur les ordinations faites
par Ebbon, il place en première ligne l'hypothèse de la nullité. P. L., t. cxxvi,
col. 59. La pensée d'Hincmar, sur ce point, nous est fournie par un autre passa-
ge du même mémoire. Il en vient à parler de l'acceptation, par le pape Anas-
tase II, des ordinations l'a il es par Acace de Constantinople après sa cou damnation.
P. L., t. cxxvi, col. 58. Cette décision ne lui paraît pas irréprochable. Evidem-
ment Hincmar doute encore on feint de douter qu'une ordination faite par un
évêque condamné ou excommunié soil valide. Qu'on ne se hâte pas de parler
394 LIVRE XXIII
d'eux, nommé Wulfade, avait élevé le prince Carloman ; le roi
de France, qui lui voulait beaucoup de bien, songeait à le faire
d'une nouvelle fraude d'Hincmar. En cette affaire, il pouvait fort bien être sin-
cère. Du vivant d'Hincmar, Jean VIII a déclaré nulles les ordinations faites par
un évêqiie excommunié. Ces hésitations ou ces habiletés ont laissé des traces
dans les documents officiels. A trois reprises, en 866, Hincmar est amené à parler
des autorités canoniques qui justifient la condamnation des clercs ordonnés par
Ebbon. C'étaient de bonnes occasions pour rappeler les autorités invoquées au
concile de Soissons de 853 : la lettre d'Innocent Ier aux évêques de Macédoine
et l'annulation des ordinations faites par Constantin, au synode romain de 769.
Que fait Hincmar ? Il mentionne la lettre d'Innocent Ier, qui est relative à un
cas d'illégitimité et non pas d'invalidité ; il passe complètement sous silence
le concile romain de 769, dont les décisions sont relatives exclusivement à des cas
d'invalidité. Cette omission se constate dans les trois cas où Hincmar donne les
considérants de la condamnation de 853. Cette omission est donc intentionnelle.
Elle accuse le changement de thèse d'Hincmar. Celui-ci renonce à soutenir la
nullité des ordinations faites par Ebbon ; il veut seulement montrer qu'elles
sont illégitimes et ont été condamnées avec raison. A cette fin, quand il fait
allusion aux considérants de la sentence de 853, il remplace le concile romain
de 769 par d'autres autorités : des lettres de Zosime aux évêques d'Afrique,
à l'église de Marseille et à Patrocle d'Arles, et enfin une lettre de saint
Léon. Malgré ces ingénieuses substitutions, Hincmar n'était pas rassuré :
il craignait la clairvoyance de Nicolas Ier. » L. Saltet, op. cit., p. 131-132.
Hincmar était personnellement trop engagé par les décisions du concile de
853 pour ne pas peser autant qu'il était en son pouvoir sur les décisions du
concile de 866. Mais son esprit retors lui avait fait trouver une combinaison là
où son bon sens lui montrait l'erreur commise. Il ne pouvait plus être question
de la nullité prononcée en 853, mais on pouvait arguer d'une sentence de dépo-
sition rendue alors. Dans quatre mémoires adressés au concile de 866, P. L.,
t. cxxvi, col. 46 sq., Hincmar suggérait la solution suivante : ratification par
le concile de la sentence de 853, invitation adressée au pape Nicolas de gracier
les condamnés. Le concile se laissa engager dans ces vues et adressa à Nicolas Ier
une lettre synodale rédigée dans ce sens par Hincmar, Hardouin, Coll. conc,
t. v, col. 623, et portée par Égilon de Sens. « Un point préoccupait l'archevêque.
Nicolas Ier accepterait-il la thèse de la légitimité de la condamnation de 853 et
se contenterait-il d'accorder leur grâce aux clercs d' Ebbon ? Le pape n'irait-il
pas demander sur quels considérants, sur quelles autorités canoniques on fondait
la légitimité de la première condamnation qu'on s'obstinait à maintenir ? Si le
pape était assez curieux pour poser cette question, tout le système construit par
Hincmar s'écroulait: on verrait fort bien, par exemple, que les autorités patris-
tiques de 853 n'étaient pas les mêmes que celles de 866 ; on constaterait que,
tout en maintenant la condamnation de 853, Hincmar en changeait l'objet : à la
déclaration de nullité prononcée par le concile, il substituait une prétendue sen-
tence de déposition. A tout prix, il fallait éviter ces éclaircissements et mainte-
nir la question dans le vague. Hincmar, Epist. ad Egilonem, P. L., t. cxxvi,
col. 67. Hincmar voulait éviter toute discussion sur le fond de l'affaire, mais
474. CONCILE DE SOISSONS EN. 866 395
monter sur le siège archiépiscopal de Bourges, après la mort de
Rodulf qui était malade 1. Ainsi renseigné, le pape Nicolas écrivit,
le 3 avril 866, à Hinemar : « Son devoir lui impose de prendre en
main la cause des opprimés; il a étudié certains documents des
archives romaines concernant les clercs déposés, et en a conclu
que la légalité de cette déposition n'est pas inattaquable. Hine-
mar ferait bien de les réintégrer spontanément : s'il s'y refuse,
les archevêques Rémi de Lyon. A.don de \ ienne. Wenilon de
Rouen, avec les autres archevêques et évêques des Gaules et
de Neustrie, devront se réunir aussi nombreux que faire se pourra,
et, avec Hinemar et ses sufïragants, tenir un concile à Soissons.
Wulfade et ses amis y assisteront. On examinera tout ce qui con-
cerne la réintégration de ces clercs ; si elle paraît juste, on l'ac-
nplira sans délai ; s'il se produit dans le concile des diversi-
tés d'opinions et si les clercs déposés font appel à Rome, ils s'y
rendront avec Hinemar, dès la clôture du concile fixé au [18]
août 866. Si Hinemar et ses clercs ne peuvent venir à Rome en
personne, ils s'y feront représenter par des fondés de pouvoir.
Qu'on n'objecte pas que l'appel à Rome aurait dû avoir lieu
dans le délai d'un an à partir de la déposition des clercs, car, pour
[3151 des appels au Saint-Siège, les canons ne fixent aucun délai.
D'ailleurs, ces clercs en avaient appelé au pape Léon IV, dans
ses calculs furent déjoués. Ils lui valurent des lettres très dures du pape, dans les-
quelles il était accusé d'intrigue et même de faux. Nicolas Ier posait nettement la
question ; au sujet des clercs d'Ebbon, il ne voulait pas entendre parler de grâce,
mais de justice. Quelle qu'ait pu être l'indignité d'Ebbon, les clercs qui, de bonne
foi. se sont fait ordonner par lui, n'en oui reçu aucun préjudice, en vertu de l'en-
seignement bien connu quod mali bona ministràndo sibi tantummodo noceant, nec
Ecclesise sacramenta commaculent. Nicolas Ier, Epist., cvm, P. L.,t. exix, col. 1100.
Hinemar dut se soumettre. Il reconnut la bonne foi des clercs ordonnés par
Ebbon, mais ne voulut pas avouer expressément que leur condamnation avait
été injustifiée. Hinemar, Epist., xi, P. L., t. cxxvi, col. 76 ; H. Schrôrs, op. cit.,
p. 287. Ce n'en était pas moins une défaite pour l'orgueilleux archevêque. »
L. Saltet, op. cit., p. 133-134. (H. L.)
1. F. Lot, Une année du règne de Charles le Chauve (866). dans le Moyen Age,
1902, p. 393-438. Outre l'intérêt qu'il pouvait porter à Wulfade, le roi songeait
surtout à faire choix d'un métropolitain capable pour le siège de Bourges, poste
considérable qui exigeait un homme actif et dévoué. Le roi, d'ailleurs, n'en fait
pas mystère dans sa lettre au pape : ubi maxima nécessitas regni noslri immi-
net..., ipsa Ecclesia sapienli et slrenuo virilique pastore indiget propter quorumdam
levitatem morum et inconstantiam ipsius gentis. Mansi, op. cit., t. xv, col. 708-709.
(H. L.)
396 LIVRE XXIII
le délai déterminé, ainsi qu'il résulte d'un document conservé
aux archives de Rome. Hincmar invoquera peut-être des décrels
des papes confirmant la décision prise au sujet de ces clercs. .Mais
s'il examine bien ces documents, il remarquera que le point
principal, c'est-à-dire la validité (summa finnitas) de ces décrets,
est laissée à l'arbitrage du Siège apostolique (allusion à la clause
indiquée au commencement du présent paragraphe). Au reste,
Rémi, archevêque de Lyon, reçoit l'ordre de n'envoyer aux
évêques la lettre de convocation au concile de Soissons que si
Hincmar refuse formellement la réintégration des clercs. <>n
devra envoyer au Siège apostolique les résultats de l'enquête,
afin qu'il se prononce conformément aux décrets. » La lettre
se termine par des menaces contre Hincmar, s'il n'obéil
pas 1.
Les lettres du pape aux autres archevêques de France pour
porter cette affaire à leur connaissance et les prier de prendre
part au concile de Soissons, sont à peu près identiques à celle que
nous venons d'analyser. Nous possédons encore la lettre adressée
à Hérard, archevêque de Tours 2. Une autre lettre (aujourd'hui
perdue) fut adressée à Charles le Chauve qui répondit immé-
diatement : « Il sera heureux de pouvoir honorer un légat du
pape, et plus encore le pape lui-même s'il venait dans les Gau-
les. Au sujet de Wulfade et des autres clercs déposés, il a fait
tout ce qui dépendait de lui pour exécuter les ordres du pape
et n'a cessé d'engager Hincmar à céder. Celui-ci lui a donné
de belles paroles, mais il ne sait pas ce que cache tout ce miel 3.
Il a, du reste, décidé de donner à Wulfade l'archevêché de
Bourges, dont le titulaire, Rodulf, vient de mourir (21 juin 866).
Tous les évêques et les fidèles, en particulier ceux du diocèse,
ont approuvé ce choix, car Wulfade paraît l'homme le plus
apte à remplir cette charge. Charles a donné l'Aquitaine à son
jeune fils Charles, assez peu intelligent et à qui Wulfade servira
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 601; Mansi, op. cit., t. xv, col. 705.
2. Baronius, Annales, ad ann. 866, n. 49; Hardouin, op. cit., t. v, col. 606;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 710.
3. Hincmai et Charles le Chauve, qui entretenaient ordinairement de fort
bonnes relations, s'étaient brouillés pendant quelque temps à cause de l'accord
survenu entre Charles et l'adultère Lothaire IL Cf. V. Noorden, op. cit.-
p. 217. [Sur cette brouille et ses vrais motifs, cf. J. Calmette, La diplomatie caro-
lingienne, in-8, Paris, 1901, p. 101-103. (II. L.)]
474. CONCILE DE SOISSONS EN 866 397
[316] de conseiller. L'affaire de Wulfade n'étant pas encore décidée
(le concile ne s'étant pas encore réuni), le roi demande au pape,
afin ([vie l'Église de Bourges ne reste pas trop longtemps sans
pasteur, de permettre que Wulfade fût ordonné prêtre en sep-
tembre et prît en main le gouvernement de son évêché. S'il ne
veut pas donner cette autorisation avant de connaître le ré-
sultai de l'enquête synodale, le roi sollicite l'autorisation, vu
la nécessité présente, de confier lui-même à Wulfade le gouver-
nement de cette Église pour le temps de la vacance 1. » Le
pape répondit qu'il ne pouvait entrer dans ces calculs et qu'il
fallait attendre, avant tout, les conclusions du concile de Sois-
sons. Sa lettre, où Wulfade est désigné comme abbé, est du
29 août 866 2.
Deux semaines auparavant, [18]août 866, le concile de Soissons
s'était réuni 3. Sept archevêques, Hincmar, Rémi de Lyon, Fro-
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 603; Mansi, op. cit., t. xv, col. 707.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 605 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 709.
3. Sirmond, Conc. Galliœ, t. ni, col. 280 ; Coll. regia, t. xxn, col. 866 ; Gallia
christiana, lre édit., 1656, t. iv. col. 835-837 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 808-
865, 1901-1920 ; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 599 ; Coleti, Concilia, t. x, col.
291 ; Bouquet, Rec. des hisl. de la France, t. vu, col. 586-588 ; Mansi, Conc.
ampliss . coll., t. xv, col. 703 ; Jafîé, Regesla ponlif. Romanor., 1851, p. 255 ;
2e édit., t. i, p. 369; Noorden, Hincmar, p. 218 sq.; H. Schrôrs, Hinkmar Erz-
bischof von Reims, sein Leben und seine Schriften,in-S, Freiburg, 1884, p. 277 sq.
rectifie la date au 18 août; A. Verminghoff, Verzeichniss der Akten jrânkischer
Synoden von 843-918, dans Neues Archiv der Gesellschaft fur altère deutsche Ge-
schichlskunde, 1901, t. xxvi, p. 636-637; F. Lot, Une année du règne de Charles le
Chauve, dans le Moyen Age, 1902, p. 1409 ; enfin nous pouvons aujourd'hui citer un
document mis en lumière depuis peu. Sirmond, Conc. antiq. Gall., t. m, p. 613,
signale l'existence de fragments d'une lettre de Nicolas Ier à Charles le Chauve
relative à la convocation du concile de Soissons en 866. Ces fragments assez
frustes n'ont pas été édités par Sirmond ni signalés par Verminghoff, dans son
Catalogue des Actes des synodes francs, dans Neues Archiv, t. xxvi, p. 636.
M. Lot, Moyen Age, 1902, p. 409, note 2, les a crus perdus bien qu'ils eussent
été publiés par M. Karl Hampe dans Neues Archiv, 1898, t. xxm, p. 191-
195; enfin D. H. Quentin les a publiés : Lettre de Sicolas Ier pour le concile
de Soissons cl formules ecclésiastiques de la province de Tours dans un manus-
crit de Nicolas Le Fèvre, dans le Moyen Age, 1904, IIe série, t. ix, p. 97-114,
d'après le ms. lat. 1458 de la Bibl. nationale. La lettre dont une partie a dis-
paru, rongée par l'humidité, est tout entière consacrée à l'objet même du con-
cile de Soissons. « Malgré les lacunes considérables qui résultent de l'état
du parchemin, le sens de nos fragments, écrit D. H. Quentin, est encore par-
faitement net. Le pape (lignes 1-3) remercie Charles le Chauve de l'accueil
398 LIVRE XXIII
tard de Bordeaux, Hérard de Tours, Wenilon de Rouen, Egilon
de Sens et Luitbert de Mayence et vingt-huit évêques assistaient
empressé qu'il a fait à son légat Arsène et immédiatement il entre en ma-
tière. Les plaintes de Wulfade et des autres clercs déposés par Hincmar sont
parvenues jusqu'à lui (lignes 4-7) ; il a donc écrit à Hincmar pour l'engager
à reprendre cette affaire de lui-même et à lui donner une solution plus bénigne
en rétablissant ces clercs (lignes 7-9). Le roi est prié de s'employer dans ce
sens auprès du prélat (lignes 9-11). Que si les efforts de Charles sont inutiles,
ordre est donné tant à Hincmar qu'aux autres archevêques et évêques des
Gaules et de la Neustrie de se réunir en concile à Soissons, pour traiter de nou-
veau l'affaire et la résoudre avec tout le soin qu'elle mérite (lignes 12-15). Et Hinc-
mar doit bien s'en persuader : le devoir du pape s'oppose à ce qu'il le couvre plus
longtemps. Le pontife le voulût-il, que cela ne lui serait pas possible. Que l'ar-
chevêque prenne donc garde de ne pas s'attirer des désagréments qu'à coup sûr
il ne désire pas (lignes 16-17). A la suite de cette phrase sévère, une lacune de
près de quinze lignes nous empêche de suivre la pensée du pape, mais lorsqu'elle
réapparaît au haut de la page suivante, le ton n'est guère plus agréable pour Hinc-
mar. Nicolas Ier (lignes 34-36) y exhorte fortement le roi Charles à ne pas se laisser
circonvenir par l'archevêque, puis il donne (lignes 38-42) les raisons pour les-
quelles il a choisi comme lieu du concile la ville de Soissons, située tout à la fois
dans le royaume de Charles et dans la province d'Hincmar. Il recommande de
nouveau (lignes 43-51) Wulfade et ses collègues à la protection du roi qu'à l'avance
il remercie. Enfin, il reproduit pour terminer (lignes 51-55) la sorte de mise en
demeure définitive adressée par lui à Hincmar, d'avoir à terminer ette aiîaire
de la manière qui a été indiquée. La date manque dans le manuscrit, mais elle
ne peut faire l'objet d'aucun doute. La lettre au roi Charles fut expédiée en même
temps que celles à Hincmar, à Hérard de Tours, à Adon de Vienne, dont elle re-
produit parfois les termes ; elle est du 3 avril 866. »
A cette lettre, Charles le Chauve répondit par les lettres : Sanctitatem paterni-
tatis et Sanctae paternitatis expédiées à un ou deux mois d'intervalle et inspirées
par la teneur même de la lettre du pape au point d'en reproduire verbalement
plusieurs expressions. Hincmar eut connaissance de la lettre du pape au roi.
Dans son mémoire In aliis adressé à Egilon, il se plaint vivement du préjudice
que lui cause cette lettre. Le bruit courait alors que le moine Gombert venait
de s'enfuir du monastère d'Hautvilliers emportant, croyait-on, des réclamations
de Gotescalc adressées au pape. « Cela n'a rien d'étonnant, écrit en substance
Hincmar, on en prend maintenant à son aise avec moi. Et audiens quod domnus
Apoatolicus domno régi Carolo de me scripsit quia semper me légère non débet
a talibus, née valet, ut providerem, ne proeis tandem aliquando incurram quee non
opto ; et ipse fraler, et alii licenter quse volunt nul mQliuntur, aut faciunt. La phrase
dont Hincmar était si blessé provient, notre fragment le prouve, de la lettre du
3 avril où nous la retrouvons dans les mêmes termes (lignes 16-17). C'est donc
à l'affaire de Wulfade qu'elle se rapporte directement et il faut abandonner l'hy-
pothèse d'une lettre perdue écrite par Nicolas Ier on laveur de Gotescalc. Voici la
texte, tel qu'il est établi par D. II. Quentin. L'italique désigne les passages recons-
titués d'une manière certaine, le plus souvent à l'aide d'autres lettres dont on
474. CONCILE DE SOISSONS EN 866 399
à la session d'ouverture 1. Wulfade et ses amis y assistaient égale-
trouvé le texte dans les notes de D. H. Quentin. Les mots entre crochets > sont
des reconstitutions moins certaines ou même quelquefois de simples indications
complétant le sens d'une phrase aux endroits plus importants.
[Fol. 162, ligne 1] Nicolaus, servus servorum Dei, Dilecto filio Karolo glorioso
régi... [2] Promptissiy?nœ devotioni quam in adventu missi nostrt
exhibuistis [3] gratias agimus et omnipotentem dominum pro
vestri [4] smdebimus. Cœterum dilectissi/ne scias [5]
c/amores et gemitus depositorum a îratre et coepiscopo nostro Hincmaro,
Vul [6] fadi scilicet et collegarum eius, pervenisse usque ad nos et que-
relas > [7] ipsorum aures cordis nostri modis omnibus pénétrasse
Monuimus igitur [8] dictum anlistitem quatinus circa eos benigni-
us agens de restitutione [9] ipsorum îralerne iractet et pie deliberel.
Quamo brem gloriam [10] vestram ut ad hoc eum /to/tari et admo-
nere pro dei et.... [11] sui amore procuret summopere deprecami/r [12] Quin
si non inde vobis obedierit iussimus tam ipsi quam [13] ceteris
Galliarum et Nenstria? archiepiscopis et episcopis i n Suessonicam urbem
convenire [14] et huius modi negotium studiosissime ventilare u [15]
tia iustitiae adinventa poterit utique confusioni non mod [16] Et quia sem-
per illum légère nec debemus a tahbus, nec valemus, pr&videat ne pro eis tan [17]
dem aliquando incurrat quae non opta vit. Unde secundum datam [18]
quœ in ornamento gloriœ vestrœ potiss [19] scimus et gaudemus quia dili-
gitis eum [20j lectione quam circa regnum [21] diligi rite creditur,
si [22] Nam duo sunt quae nos scribe [23] intra regnum vestrum...
[24] ignorant [25] ad [26-33] [fol. 162, v» 1. 34J cavete sollicite
ne ipse vos ad se trahere quibuscumque [35] valeat argumentis quo aut ne nobis
oiœdiat fautorem vos habeat, aut contra mémo [36] ratos. deiectos animum vestrum
commoveat crudele esse fr [37] psalmista contra impiosq [38]
Apud suessonicam autem urbem id circa conventum [39] et ge-
nium fratri et coepiscopo nostro Hincmaro [40] undique convenire praecepi-
mus conveniens esset atque con [41] prœdicta urbs in regno vestro et in
diocesï edicti [42] fertur ad hinc inde confluentibus n ter
apta [43] ra ni intercédant beneficiorum insignia memorati deiecti [44]
eg et quasi a nobis iuxta pr s pietati vestra? commendat [45] defensio-
nis vestrae clipeo muniantur quatinus inter tôt [46] praeconia, inter tôt
obœdientiaj laudanda fastigia inter toi [47] s judicia. Quœ iure iam circa
nos exercere consuevit benigni [48] tasvestra u quod de récupéra-
tion deiectorum ipsorum. Precamur summum et sin [49] tionibus memo-
riale tribuat et nomen vestrum in œternum exaltet. Quoniam [50] mu\Va.
et magna poscimus, quia multa et magna impetrare [51] id eztremum vero
Hincmarus frater et coepiscopus [b2]nosler ut a nobis fuit admonitus provideat
ne ullo pacto quod de pra?fatis remotis clericis sanximus [53] œstimel negligendum,
eum a nobis incunclanter nosse poterit, si contemptum fuerit, omnino [54] dis
ulciscendum, quippe quos nec caritas fraternitatis, nec dispensatio loci cui dei
[55]auctore prœsidemus, quousque regularem finem opitulante ipso capiat, a
?iobis patitur omittendum. (H. L.)
1» Les archevêques de Mayence (royaume de Louis le Germanique) et de Lyon
400 LIVRE XXIII
ment. Dès le début, Hincmar remit au synode quatre hbelli
exposant l'état de la question et les principes canoniques qui,
d'après lui, devaient servir à la juger ; il ne dissimulait pas son
mécontentement à l'égard du pape .Nicolas, et traduisait son
irritation par des expressions pins ou moins déguisées. 11 disait
dans le premier de ses libelli : « Ces iils de l'Eglise de Reims de
collegio Wuldafi n'ayant pas été déposés par lui et par ses sul-
fragants, n'avaient pas à être réintégrés par eux aux termes
du c. 5 de Nicée et du c. 4 d'Anlioche. Après une (simple)
suspense (par lui Hincmar), ils s'étaient adressés à un grand
concile composé de cinq provinces qui les avait condamnés,
conformément aux canons et aux décrets des papes. Il ne les
avait donc pas lui-même déposés (comme le pape l'affirmait), il
n'avait pas même signé la sentence avec les juges, les actes
en l'ont foi; il s'était contenté, sur le désir des juges, de servir
d'intermédiaire pour l'aire connaître à Rome la décision que
Benoît III et le pape régnant avaient confirmée sous menace
d'anathèmes pour quiconque y contreviendrait. Sur ce point [317]
encore, on n'a < | u ' à se rapporter aux documents intacts et
non interpolés. Comme le Saint-Siège affirme constammen I
que ses décisions sont sans appel, il ne peut croire que cette
question puisse être l'objet d'un nouvel examen. Maintenant
que le pape a chargé un concile de reprendre l'examen de cette
affaire, il obéit, comme il avait obéi lorsque les évêques
(plusieurs membres de la première assemblée se retrouvaient
ici) avaient rendu une première décision (exhortation indirecte
à être conséquents avec eux-mêmes). Il est donc prêt à adhérer
à ce que, conformément à la lettre du pape, le concile ordonnera
en maintenant respectueusement les décisions antérieures, ainsi que
s'exprimait le pape Gélase, et en sauvegardant les privilèges du
Siège de Rome. Son intention n'est pas de nuire à ces clercs
dont le sort ne lui fait pas envie; mais il n'a pu condescendre
aux. désirs du pape el les réintégrer lui-même, les canons ne le
lui permet lanl pas. Le pape dil dans la lettre aux évêques: « Je
ne m'opposerai pas à la décision prise à l'égard de ces clercs,
si elle n'est pas en opposition avec les lois de l'Église. » Il est
curieux de savoir en quoi ces décisions pourraient présenter une
(royaume de Lothaire) siègent, avec les évêques du royaume de Charles le Chauve.
(H. L.)
474. CONCILE DE SOlSSONS EN S G G 4(ji
pareille opposition, cl il attend qu'on lui prouve que 1rs décrets
de confirmation donnés par Benoit et par Nicolas, avec menace
d'anathèmes, peuvent être annulés sans aucun préjudice pour
le Siège apostolique et sans danger général. De telles tergiver-
sations sont très périlleuses, plusieurs papes les ont blâmées
très énergiquement, et le pape Léon a dit à ce sujet : « Je se-
«rais le premier transgresseur de mes propres décrets et je devrais
« m'infliger à moi-même les peines dont j'ai menacé les autres,
«si je m'efforçais de détruire ce que j'ai moi-même élevé. » Du reste,
il ne fait pas toutes ces citations dans l'intention de s'opposer
au pape et aux décisions du concile qui seraient conformes aux
règles canoniques : il ne veut que se remettre en mémoire les
principes, afin de pouvoir se diriger dans le cas présent et appren-
dre comment il devra suivre, sans aucune hésitation, les décisions
du concile ( !). »
Le second traité, relatif à Ebbon, réfute ceux qui soutenaient
la nullité de la déposition de cet archevêque et par conséquent
de l'élection d'Hincmar. Hincmar entre dans tous les détails,
fait voir qu'Ebbon, justement déposé, avait réoccupé, au mépris
des canons, le siège de Reims. «Pour l'en punir, le pape Serge
l'avait réduit à la communion laïque ; nonobstant il continua
[318] l'exercice des fonctions épiscopales, ce qui, loin de démontrer
son innocence, ao-cn-avait au contraire sa faute. En obtenant un
évêché dans la province de Mayence (Hildesheim), il s'était mis
en opposition formelle avec les canons ; en revanche, l'ordination
d'Hincmar s'étail faite régulièrement et avait été confirmée
par le pape. » Hincmar lit ensuite remettre au concile toute une
série de documents : procès-verbal des conciles de Soissons (853).
et de Bourges (842), décrets de confirmation de Benoît III, de
Nicolas Ier, etc.
Dans le troisième libellus, Hincmar cite plusieurs anciennes
décisions, soit des papes, soit des conciles, montrant qu'autrefois
toul en usant d'indulgence envers les coupables (comme par
exemple à Nicée envers Mélèce), on n'avait cependanl pas désa-
voué les jugements plus sévères et conformes au droit déjà por-
tés contre les coupables. Au contraire, ou avail formellement
déclaré ces premiers jugements équitables et présenté la
nouvelle sentence comme un acte de miséricorde, Il soumet
ces exemples à ses collègues, afin qu'ils agissent de même,
et ajoute que, sans abroger la première décision relative à
conciles — IV - 2fi
402 LIVRE XXIII
ces clercs, ils devront se contenter de l'adoucir par espril de
miséricorde; Si le concile votait à l'unanimité un décret qui leur
fût favorable cl si le pape le confirmait, il est prêt, pour sa
part, à l'accepter ; niais il faut veiller à ce qu'il n'en résulte
aucun dommage et que nul ne soit amené à exercer des fonc-
tions ecclésiastiques sans être clerc, ou du moins sans être
régulièrement ordonné.
Afin de mettre sous les yeux du concile les divers aspects de
la question, Hincmar ajoute le quatrième libellus. Il ne peut
cacher qu'après sa déposition Wulfade a usurpé, au mépris
des canons, l'église de Langres, sous le nom d'un évêque sup-
posé, et s'en est approprié les revenus qui auraient dû être
gérés par un économe. I n concile (on ne dit pas lequel) l'ayant
troublé dans cette usurpation, il n'a été reçu à la communion
dont il s'était fait exclure, qu'à la suite d'excuses écrites et sur la
promesse jurée de ne jamais plus se charger du gouvernement
d'une Église. Ce furent ces empiétements de Wulfade, qui ne
respecta pas plus les décisions de Soissons de 853 que leur con-
firmation par Benoît, qui décidèrent Hincmar à demander à
Nicolas de les confirmer une fois de plus.
Le quatrième libellus parut trop blessant pour quelques-uns
des assistants ; aussi ne fut-il pas lu publiquement. Par contre,
Hérard, archevêque de Tours, déclara solennellement au nom
du concile que nul ne devait croire que l'assemblée rejetait
les décisions de l'ancien concile tenu dans cette ville, comme [3191
si ces décisions étaient condamnables, nonobstant leur con-
tinuation par le Saint-Siège. Le premier jugement avait été
équitable ; mais les préceptes divins permettaient d'user de grâce
là où on pouvait agir en droit, et d'adoucir par la miséricorde
une juste sévérité. De même qu'on s'était adressé au Siège apos-
tolique lors des premières décisions, on le ferait encore cette fois,
et si Rome donnait son adhésion, le concile ferait preuve d'une
prudence ecclésiastique en rendant une décision plus douce. —
Hérard fit ensuite connaître le désir de Charles le Chauve, que sa
femme Hermentrude fût solennellement bénie comme reine par
les évoques. Il était, il est vrai, marié depuis longtemps (vingt-
quatre ans) ; mais il faisait cette demande clans l'espoir que
celle bénédiction lui obtiendrait de nouveaux héritiers plus aptes
au gouvernement que ceux qu'il avait eus jusqu'ici. Il avait
consacré à Dieu certains de ses enfants ( Carloman abbé de
474. CONCILE DE SOISSONS EN 866 403
Saint- Médard); d'autres se trouvaient en proie à de cruelles souf-
frances (Charles le Jeune par exemple). Le couronnement cl la
bénédiction d'Hermentrude eurenl lieu au monastère de Saint-
Médard, à Soissons : noua possédons encore dans les œuvres
d'Hincmar le formulaire qui servil dans celte solennité '.
Le concile éciivil au pape, le 25 août, une lettre 2, presque en-
tièrement empruntée au troisième li bellus d'Hincmar : le concile
ne peul accéder aux désirs du pape demandant la réintégration
de ces clercs (sans aucune décision conciliaire préalable), paire
que les canons ne le permettent pas. Sans doute ces clercs, n'é-
tanl pas personnellement responsables de l'irrégularité de leur
ordination, méritent qu'on use d'indulgence à leur égard, et
le concile les aurait sans hésiter réintégrés, n'était son respect
pour les deux décrets de confirmation émanés des papes Benoît
et Nicolas. Seul le pape peut toucher à ces décrets et réin-
tégrer ces clercs en réformant la décision précédente, ce qui
n'est pas sans exemple. En tous cas on doit respecter la pre-
mière sentence rendue à Soissons, d'accord avec les anciens
canons et les décrets des papes. Si le pape le jugeait convena-
r3201 '''('- on pourrait traiter ces clercs comme le concile de Nicée
fit pour les donatistes ; les réintégrer dans leurs fonctions et les
déclarer aptes à l'épiscopat ; le pape veillerait à ce qu'un tel
exemple n'engageât pas d'autres clercs à exercer, au mépris du
droit, des fonctions ecclésiastiques.
Dans une seconde lettre au pape le concile se plaint des Bre-
tons qui ont séparé leur pays de la province ecclésiastique de
Tours, chassé plusieurs évêques, intronisé leurs remplaçants au
mépris des canons, pillé des évêchés, entre autres Nantes, et
refusé de prendre part au concile. Aussi la situation de l'Eglise
est-elle des plus lugubres dans leur pays. Le concile prie donc
le pape d'ordonner au duc des Bretons de s'amender et de
prêter obéissance au roi Charles. On le prie encore d'écouter
favorablement Actarcl, évèque de Nantes, que le concile
charge de lui donner de vive voix les détails nécessaires 3.
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 621 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 725 ; Pertz, op.
cit., t. i, p. 507; Hincmar, dans P. L., t. cxxv. col. 814. [Capitularia, édit. Krauss,
t. ii, p. 453 sq. (H. L.)]
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 623 ; Mansi, op. cit., I. v\ , col. 728.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 627 ; Mansi, op. cit., t. iv, col. 723. La plainte
404
LIVRE XXIII
Le concile de Soissons paraît s'être aussi préoccupé d'amé-
liorer la situation de l'Eglise ; c'est du moins le but que se propose
est déposée par le métropolitain de Tours et l'évêque de Nantes. Les évêques se
plaignent d'une situation remontant à plus de vingt ans, ce qui nous reporte
vers 848-856. Depuis lors, les évêques bretons ne paraissent plus aux conciles de
la province, pas plus d'ailleurs qu'au sacre des évêques. Toute cette situation
troublée est contemporaine de l'époque de la diffusion des fausses Décrétales.
Noménoé a expulsé de leurs sièges les évêques restés fidèles à la cause de Charles
le Chauve, il les a remplacés par des évêques à sa dévotion qui, pour la lui témoi-
gner, ont consenti à faire du duc breton un roi. C'est une véritable insurrection
contre la métropole traditionnelle et la question politique se trouve étroitement
liée à la question hiérarchique. Le mouvement sécessionniste s'affirme et s'orga-
nise par l'érection de Dol en métropole de la nouvelle province bretonne. L'évê-
que de Tours, l'épiscopat franc, le roi Charles et le pape peuvent réclamer à
l'aise, on n'en a cure. Sur ces événements voir Chronicon Namnelense, édit.
Merlet, dans la Collection pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire,
in-8, Paris, 1896, fasc. 19, introduction, p. lviii-lix, et p. 33-39 ; L'émancipa-
tion de l' Église de Bretagne et le concile de Tours, dans le Moyen Age, 1898, p. 1-30*
Le chapitre xix de la chronique de Nantes renferme une sorte de diatribe contre
la nation bretonne. L'auteur n'a fait que reproduire en les amplifiant les accu-
sations portées contre les Bretons par les évêques réunis à Soissons en 866 ; il
a même pris soin d'insérer dans son ouvrage la lettre de ces évêques au pape
Nicolas Ier et il ne fait pour son compte que paraphraser les mêmes griefs. Chro-
nicon Namnetense, édit. Merlet, préface, p. xxix-xxxi. La lettre en question fai-
sant allusion à un conflit qui dure depuis près de vingt ans permet de voir une
mention du synode que Noménoé convoqua au château de Coitlouh et où fut
décrétée l'indépendance des diocèses bretons vis-à-vis de la métropole de Tours.
Si, comme on peut le supposer, écrit M. Merlet, op. cit., p. 52, les prélats assemblés
à Soissons, en 866, étaient bien informés sur les affaires ecclésiastiques de Breta-
gne, ce passage de leur lettre au pape pourrait servir à fixer la date du synode de
Coitlouh, que l'on hésite à placer en 848 ou 849. Malheureusement, de la formule,
jam vicesimus,et eo licet paululum, adsit annus quo... semble prêter à l'équivoque.
Si cette phrase signifie : « il y a déjà plus de vingt ans », on devrait en conclure
que le synode de Coitlouh est de l'année 846; ce qui est inadmissible, car l'on
est certain que cette assemblée est postérieure au mois de février 848. Mais, après
le mot paululum, on peut sous-entendre minus aussi bien que magis ; et alors
cette même phrase signifierait : « déjà la vingtième année est proche, quoiqu'elle
ne soit pas encore arrivée. » Il en résulterait qu'au mois d'août 866, on n'était
encore que dans la dix-neuvième année à partir du synode de Coitlouh et, par
conséquent, la date de ce synode se placerait entre le mois de février et le mois
«faon) de l'année 848. Presqiic aussitôt, pendant l'hiver de 850-851, Noménoé
s empara des pays de Rennes et de Mantes et envahit les comtés d Anjou et
du Maine. Noménoé s'était fait proclamer roi, il n'avait plus rien à ménager et on
s'en aperçoit. Une lettre, aujourd'hui perdue, que le pape Léon IV lui adresse
en 850, n'obtient même pas l'honneur d'être lue. Les évêques réunis au concile
de Tours, en janvier 851, lui en font un reproche : ne litleras quidern ipsas rece-
174. CONCILE DE SOISSONS EN 866 405
le décret rendu en faveur du monastère de Solemniac (Solignac),
près de Limoges, dont il confirme les privilèges, ses archives
pisti. — Epistolam Sedis aposlolicse respuisti, existimans aliqua in ea libi noxia
continere. C'était donc, depuis le synode de Coitlouh, où furent déposés les évè-
ques accusés «le simonie par Noménoé, la guerre ouverte. Toutefois le pape Nicolas,
qui avait affaire à de plus gros personnages, l'empereur Michel ou le roi Lothaire,
n'était pas homme à être intimidé par ce duc moitié breton moitié sauvage.
Dans sa lettre adressée, en 866, au duc des Bretons, le pape témoigne quelesévê-
ques déposés par Noménoé furent condamnés par les laïcs et non par des prélats,
et ils n'avouèrent que contraints et forcés une culpabilité imaginaire. Voir
L. Duchesne, Fastes épiscopaux de la Gaule, in-8, Paris, 1900, t. n, p. 257-258,
et un concile de Rome sous Léon IV, ibid., p. 258-259, et les Appendices de ce
tome iv.
La Chronique de Nantes est le plus ancien témoignage de la création des trois
évêchés de Dol, de Saint-Brieuc et de Tréguier, témoignage postérieur de deux
siècles au moins à l'événement, ce qui autorise à avancer qu ou manque de preu-
ves pour affirmer que Noménoé soit l'auteur de la répartition de la Bretagne en
neuf évêchés. Ce qui est hors de doute c'est qu'il établit un archevêché à Dol et
qu'il affranchit les diocèses de Bretagne de la juridiction métropolitaine de Tours.
L'auteur de la Chronique était lui-même partisan de la suppression de l'archevê-
ché de Dol et du rattachement des évêchés bretons à la province de Tours. Cette
question de la sécession des évêchés bretons et de leur organisation reste donc
obscure. M. Duchesne a accordé trop de confiance au Chroniqueur de Nantes,
Catalogues épiscopaux de la province de Tours, p. 83-99 ; Fastes épiscopaux de
l'ancienne Gaule, in-8, Paris, 1900. t. n, p. 256-274 ; la métropole de Dol,
A. Lemoyne de la Borderie, Histoire de Bretagne, in-8, Rennes, 1896, t. n, p. 50,
58 ; L. Levillain, Les réformes ecclésiastiques de Noménoé, dans le Moyen Age,
1902, p. 201-257.
Et toujours l'histoire des fausses Décrétales et du trouble apporté par cet
écrit fameux se laisse entrevoir plus que pénétrer. On est alors en pleine efferves-
cence de revendications et de remaniements. L'institution des métropolitains
d'apparence purement ecclésiastique à l'origine est vite devenue une machine
politique dont les princes se sont emparés de leur mieux pour centraliser et faire
échec au pape. Celui-ci est servi par des gens que le faux en écriture ne trouble
guère. C'est une mêlée générale. Peut-être le pseudo-Pelage II prend-il parti dans
cette retentissante querelle, quand il déclare (Hinschius, Décrétâtes, p. 724)
qu'une certa provincia doit n'avoir qu'un roi et compter dix ou onze cités épis-
copales et autant d'évèques. Il ne faut pas, ajoute-t-il, que les provinces per-
dent leur rang et leur honneur ; elles doivent avoir autant d'évèques qu'il en faut
pour juger une affaire et ne pas être obligées de recourir à des étrangers. Il sem-
ble, écrit M. E. Lesne, La hiérarchie èpiscopale, 1905, p. 198, que ce soit seule-
ment à propos des affaires de Bretagne qu'on puisse discuter en ce temps
quelles conditions doit remplir une province bien faite, dont personne ne saurait
mettre en suspicion l'indépendance, une certa provincia. Ailleurs, la politique n'a
rien changé à l'organisation provinciale traditionnelle ; les provinces de Reims
et de Mayence sont partagées à la suite du traité de Verdun, entre plusieurs
406 LIVRE XXIII
ayant été brûlées par les Normands. Nous trouvons, dans les
signatures de ce décret, le nom de Wulfade, avec cette désignation :
etsi indignus, gratia tamen Dei, sanctse metropolis Biturigensis
Ecclesise episcopus. Les Annales Bertiniani 1 nous apprennent
qu'aussitôt après la publication des décrets du concile de Soissons,
Charles le Chauve fit prendre possession à Wulfade de l'Église
de Bourges et de ses dépendances, par l'intermédiaire du
prince Carloman, abbé de Saint-Médard, et au mois de septem-
bre, c'est-à-dire quelques jours après, il le fit sacrer évêque par
Aldon, évèque de Limoges et sufîragant de Bourges. Nous voyons,
par les actes du concile de Troyes 2, que quelques membres du con-
cile de Soissons prirent part à cette nomination et à cette consé-
cration de Wulfade. Cela ferait penser qu'il y aurait eu, après cette
consécration, une autre session du concile pour prendre en con-
sidération les pétitions du monastère de Solignac. On s'explique
aisément que Wulfade ait signé le premier puisque Solignac et
l'évêché de Limoges appartenaient à sa province ecclésiastique. —
Sirmond a proposé une autre explication : d'après lui Wulfade, [321]
déjà évêque, aurait apposé après coup sa signature au décret.
rois et ces partages politiques, que peut-être le faussaire condamne quand il
déclare qu'une province ne doit avoir qu'un roi, ne détruisaient pas du moins
le groupement provincial. En Bretagne, la politique fait apparaître une province,
innovation qu'il convient de confronter avec de prétendues règles disciplinaires.
Le faussaire a peut-être le souci, naturel chez un clerc sujet de Charles,de favoriser
les intérêts du roi et du métropolitain de Tours. Hinschius, op. cit., p. ccix-ccx.
L'évêque de Dol ne peut prétendre à la qualité d'archevêque puisqu'il n'a que
six sufîragants et que pour constituer une province il faut un plus grand nombre
de diocèses. P. L., t. cxix, col. 969. La province de Tours ne doit pas perdre son
rang et son honneur. Si les sept évêques bretons reconnaissent l'autorité de leUr
métropolitain, celui-ci présidera à onze Eglises. Il sera possible de réunir, sans
sortir de la province, les douze évêques nécessaires, comme Léon IV vient de le
rappeler aux évêques bretons, Mansi, op. cit., t. xiv, col. 882, pour juger les cau-
ses épiscopales. Enfin, puisqu'une province n'a qu'un roi, celui qui a pour sujet
l'archevêque de Tours est aussi roi de Bretagne, et Noménoé a usurpé un titre qui
n'appartient qu'à Charles. Ce passage du pseudo-Pelage trahit sans doute d'autres
préoccupations, mais le faussaire a vraisemblablement songé aussi en l'écrivant
au schisme qui ruine l'organisation traditionnelle de la province de Tours. Voir
enfin F. Lot, Le schisme breton du ixe siècle. Etude sur les sources narratives, dan
Mélanges d'histoire bretonne, in-8, Paris, 1907, p. 58-96, et P. Fournier, Les
fausses décr étales. (H. L.)
1. Pertz, op. cit., t. i, p. 475.
2. Voir § 475.
474. CONCILE DE SOISSONS EN 866 407
Le roi Charles et Hincmar joignirent aux actes de Soissons des
lettres pour le pape, et on envoya Égilon, archevêque de Sens,
porter à Rome tous ces documents. Le roi Charles assure, dans sa
lettre au pape, qu'Hincmar aurait vivement désiré satisfaire à
la demande de Sa Sainteté, concernant la réintégration immé-
diate des clercs déposés, mais les lois de l'Eglise s'y .opposaient.
Dans le concile il avait témoigné à ces clercs les sentiments les
plus bienveillants (la dernière lettre du roi, que nous avons ana-
lysée, était moins favorable à Hincmar). Le roi n'avait pas
donné l'Église de Bourges à Wulfade avant la décision du pape ;
il lui avait seulement confié par intérim et en commende les
biens de cette Église, pour les sauvegarder. Il priait enfin le pape
de ratifier au plus tôt l'élection de Wulfade, afin qu'il devînt
un appui pour le malheureux prince Charles L
Dans sa lettre au pape (1er septembre 866) Hincmar rapporte,
de la manière que nous avons dit, pourquoi il n'a pu réin-
tégrer les clercs: elle indique ensuite les résolutions très mo-
dérées prises par le synode à leur sujet et y adhère complète-
ment, sous réserve des privilèges du Siège apostolique. Wulfade
et ses amis n'ayant pas fait appel, Hincmar n'avait pas non plus
envoyé à Rome de fondés de pouvoir, le pape n'ayant prescrit
cet envoi que pour le cas où il y aurait eu appel. Hincmar assure
en terminant que Wulfade et ses neuf collègues du diocèse de
Reims n'avaient jamais eu à souffrir de sa part ; quant à
Theutberge, il n'avait rien à en dire au pape. Depuis qu'Ar-
sène avait quitté Attigny, il n'avait revu ni elle ni le roi Lo-
thaire -.
Avec ses instructions Hincmar remit à Egilon tous les docu-
ments nécessaires, en particulier des extraits des lettres pontifi-
cales, afin qu'ayant toutes ces pièces sous les yeux il pût
protester, si les Romains venaient à dénaturer leurs propres
[322] décisions 3. Quant aux documents remis au concile par Hinc-
mar, Égilon n'en avait pas besoin, car s'ils arrivaient aux
mains du pape et des Romains ceux-ci pourraient penser que
les membres du concile avaient été divisés, et l'affaire de Wulfade.
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 629 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 734.
2. Hardouin,op. cit., t. v, col. 651 ; Mansi. op. cit., t. xv, col. 765; P. L., t. cxxv,
col. 61.
3. H. Schrôrs, Hinkmar, p. 281. (H. L.)
108 LIVRE XXIII
que le roi désirait voir se terminer au plus tôt, pourrait traîner
en longueur (Hincmar donne néanmoins ici le résumé des
écrits et documents présentés par lui au concile). Égilon de-
vait surtout faire ressortir que le concile avait regardé comme
légitime la déposition d'Ebbon, et comme absolument nulle
sa réintégration, et que ce n'était pas Hincmar, mais un con-
cile des cinq provinces, qui avait déposé ces clercs conformé-
ment aux lois de l'Eglise. Il rappellerait également que, d'après
les paroles mêmes du pape, on ne devait pas abroger ce qui
était conforme aux lois de l'Église ; cependant le concile, vou-
lant s'associer aux sentiments de miséricorde manifestés dans
la lettre du pape, avait décidé, à l'exemple du concile de Nicée,
de respecter l'autorité des premiers décrets et celle des évêques
qui les avaient portés, tout en usant de douceur à l'égard des
coupables. Au pape maintenant, en [vertu de son autorité, de
modifier le premier décret confirmé par lui-même. A l'occasion,
Egilon ferait observer que, si les premières décisions étaient
infirmées, on pourrait facilement infirmer aussi les dernières,
en sorte qu'on rendrait discutables toutes les décisions quel-
conques des synodes et des papes. Il rappellerait comment
Gûnther de Cologne s'était conduit à l'égard des excommu-
nications. Puisque, dans sa lettre, le pape reprochait à Hinc-
mar une dureté digne des Pharaons à l'égard de ces clercs,
Egilon assurerait qu'Hincmar les avait constamment traités
avec douceur et n'était pas tel que ses ennemis le dépei-
gnaient. Enfin, il devait dire que la lettre de Léon IV trai-
tant de l'appel des clercs n'était pas connue en France. Il se
procurerait, autant que possible, un exemplaire des gesta pon-
tificum de Serge contenant la condamnation d'Ebbon par ce
pape 1, car on ne possédait dans les Gaules que les anciens
gesta 2.
Le pape Nicolas ne fut pas satisfait de ce qui s'était passé à
Soissons, et exprima son mécontentement dans quatre lettres
datées du 6 décembre 866 3. La première, adressée à tous les
1. Voir § 441.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 653 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 768 ; P. L.,
t. cxxv, col. 64.
3. H. Schrôrs, op. cit., p. 283. (H. L.)
Ï74. CONCILE DE SOISSONS EN 866 409
[323] évoques du concile, exprime d'abord sa satisfaction de la con-
corde qui avait régné dans l'assemblée ; puis il attaque Hincmar.
Les actes du premier concile de Soissons 1 donnent prise à la
crii ique, sur plusieurs points. On y affirme que Wulfade et
ses amis avaicui comparu volontairement devant le concile,
tandis qu'en réalité ils avaienl été contraints. Wulfade est
nommé parmi ceux qui on1 demandé à être admis dans l'as-
semblée, et cependant il n'y comparu l pas. En nuire, ces actes
témoignent que la sentence était rédigée avant l'enquête ; un
métropolitain (Hincmar) y a fait usage de ses droits, ou s'en
est abstenu à son gré ; on l'a vu tour à tour président et sujet
du concile, tantôt accusateur, tantôl juge, jouant à volonté tous
les rôles. Ces clercs ont dû, contre leur gré, en appeler au
synode cl se présenter comme accusateurs. Hincmar n'a pas in-
séré dans les actes la formule d'appel et l'acte d'accusation,
tandis qu'il joignait des pièces bien moins importantes. Quoi-
que a lisent, Wulfade a été, au mépris de tout droit, compté
parmi les appelants. L'obéissance de ces clercs à leur supérieur
(Ebbon) leur a été imputée à crime, et ils ont été condamnés
comme hérétiques. Quant à la confirmation du concile par le
pape, voici ce qui s'était passé. A plusieurs reprises, Hincmar
avait écrit au pape Léon au sujet de Wulfade, ce qui lui avait
plu, et réclamé l'approbation du concile. Le pape s'y était refu-
sé, parce qu'on ne lui avait pas transmis les actes de Soissons
(853) et que les clercs déposés en avaient appelé. Malgré tout,
Hincmar n'avait pas envoyé les actes, qu'il savait n'être pas en
règle, et s'était contenté de demander une fois de plus leur confir-
mation. Pour ces divers motifs, le pape Léon avait prescrit la
réunion d'un concile franc, devant lequel les deux parties au-
raient exposé leur cause en présence du légat du pape Pierre,
évêque de Spolète, et des autres évêques. Hincmar avait repoussé
cette proposition. Sur ces entrefaites, Léon était mort; son
successeur Benoît, ne connaissant pas toute l'astuce d' Hincmar,
avait octroyé la confirmation demandée, mais sous la réserve de
l'autorité du Saint-Siège et à condition que ces faits fussent
conformes à l'exposé d' Hincmar. Or, toutes les fois qu'Hincmar
parlait de la confirmation pontificale, il passait cette clause sous
1. Voir § 452.
410 LIVRE XXIII
silence; bien plus, il avait altéré le texte de la confirmation de
Benoît 1. C'était un exemplaire falsifié, qu'Hincmar avait pré-
senté au dernier concile de Soissons, empêchant ainsi les évêques [3241
de terminer l'œuvre commencée (la réintégration des clercs), et
cela, par respect pour les décrets de confirmation émanés par
des papes. (Or, selon Nicolas, les évêques auraient pris un
autre parti s'ils avaient pu lire cette clause : « si les faits sont
conformes à l'exposé d' Hincmar . ») Le pape avait chargé le
concile d'examiner l'affaire avec soin et de la résoudre d'un
commun accord. Les évêques ont été, Dieu merci, unanimes à
reconnaître l'opportunité de la réintégration des clercs qu'ils
tenaient tous pour innocents. Cependant ils n'y ont pas solen-
nellement réintégré ces clercs, et ils ne lui ont pas transmis, mal-
gré sa demande, une relation complète de ce qui s'était passé. Ils
auraient dû, non seulement lui exposer par écrit ce qui s'était
dit au sujet de la déposition et de la réintégration d'Ebbon,
de l'ordination de ces clercs et de la seconde déposition d'Eb-
bon, mais aussi lui envoyer les documents officiels relatifs à ces
incidents. Il en est temps encore. L'adhésion d' Hincmar aux
décisions modérées du concile prête à rire ; plus ridicule encore
est son affirmation que ces clercs n'avaient été ni suspendus
ni condamnés par lui. Les actes du premier concile de Sois-
sons, envoyés par lui-même à Rome, prouvent que ces clercs
avaient été suspendus par Hincmar avant leur comparution
devant le concile. Ce sont les clercs eux-mêmes qui affirment ces
faits dans leur appel adressé à Léon. Si Hincmar n'avait lui-
même souscrit la déposition des clercs, ou plutôt s'il ne l'avait
lui-même provoquée, il n'aurait pas demandé au pape de la con-
firmer. D'après cela, Nicolas adhérerait volontiers à la décision
du dernier concile de Soissons concernant la réintégration
de ces clercs. Toutefois, comme la question n'est pas encore
parfaitement élucidée, il veut différer d'imposer cette solu-
tion ; en attendant, comme la suspense de ces clercs est évidem-
ment illégale, il ordonne de leur rendre tout d'abord leurs
anciennes fonctions et dignités. Cela fait, Hincmar présen-
1. Dans sa lettre à Hincmar, que nous allons analyser avant la fin de ce
paragraphe, Nicolas fait beaucoup mieux ressortir la falsification dont il accuse
l'archevêque de Reims ; mais voir, en sens contraire, ce qui sera dit à ce su-
jet § 475.
474. CONCILE DE SOISSONS EN 866 411
tera, au Saint-Siège, dans le délai d'un an, ses accusations contre
eux et les preuves de leur déposition canonique. S'il ne le fait pas,
le pape n'aura pas de repos qu'Hincmar ne reconnaisse lui-même
que ces clercs ont été réintégrés en justice (et non par grâce)
L J ou ne prouve qu'il avait eu raison de les déposer autrefois;
autrement le pape devrait admettre que non seulement ces
clercs, mais aussi Ebbon qui les avait ordonnés, avaient été
tous injustement déposés, ce dont personne ne doutait, sauf
Hincmar (?). Le pape reproche ensuite aux évêques d'être allés
plus loin qu'il ne leur avait permis. Il ne les avait pas autorisés,
en effet, à présenter un de ces clercs pour un degré supérieur ;
c'est cependant ce qu'on avait fait, grâce à leur condescendance
(pour Wulfade). En agissant ainsi, ils ont fait preuve d'incon-
séquence ; en même temps qu'ils laissent au pape le soin de réin-
tégrer ces clercs dans leurs anciennes fonctions, ils présentent
l'un d'eux pour un rang supérieur. Enfin, si l'on veut arguer de
ce que le pape Serge n'avait pas jugé Ebbon digne de la com-
munion des clercs, il faut se souvenir que le Siège apostolique,
tant que l'affaire d'Ebbon n'avait pas été examinée de nou-
veau, traita cet évêque conformément à la sentence prononcée
contre lui; d'ailleurs Ebbon ne vint pas à Rome porter son appel,
mais y demander, en compagnie de plusieurs rebelles, le pallium
qu'il voulait avoir, quoique simple évêque. Quoi qu'il en soit de
la culpabilité d'Ebbon, elle ne peut nuire à ceux dont tout le
crime est de lui avoir obéi 1.
La seconde lettre du pape est adressée à Hincmar; après un
début peu amical, Nicolas y renouvelle tous les reproches des
lettres précédentes et presque dans les mêmes termes : « Dans
le premier concile de Soissons on a commis beaucoup d'illé-
galités : Hincmar n'a pas tenu le concile prescrit par le pape
Léon ; il a extorqué au pape Benoît la confirmation du premier
concile ; enfin il a falsifié les décrets du pape, ce qui lui a
permis de décider le dernier concile de Soissons à ne pas termi-
ner l'œuvre commencée. Hincmar a osé envoyer à Rome un
exemplaire du décret de Benoît ainsi dénaturé ; heureusement
on sarde dans les archives de l'Eglise romaine les documents
authentiques. Il devrait rougir de faire œuvre de faussaire. »
1. Baronius, Annales, ad ann. 866, n. 52 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 633;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 738.
412 LIVRE XXIII
Le pape parle ensuite de la mission confiée au nouveau conci'e
qu'il loue d'avoir fait preuve de tant d'union et d'avoir déclaré,
en principe, les clercs innocents. L'adhésion d'Hincmar aux déci-
sions du concile prête à sourire ; plus encore son affirmation de
n'avoir pas condamné lui-même les clercs. Il est faux qu'il ait
constamment voulu le mieux. Il n'est pas convenable de von- [326]
loir tromper et abaisser le Siège apostolique. Ebbon ayant élé
injustement déposé, la déposition des clercs ordonnés par lui
est aussi injuste. Mais le pape ne veut pas s'étendre plus long-
temps sur ce point, car il se propose non de nuire à Hincmar,
mais de lui être utile. Il a quelques raisons de douter que la der-
nière lettre envoyée à Rome par Hincmar soit réellement de lui,
car elle n'a pas été apportée par un messager spécial et ne
porte pas le sceau de l'archevêque. Vient ensuite la sentence du
pape au sujet des clercs (c'est la même que celle de la lettre pré-
cédente). Nicolas termine en reprochant à Hincmar de porter le
pallium à des époques insolites, pour pouvoir s'élever orgueil-
leusement au-dessus des autres archevêques. Sans doute, il a
le privilège spécial de le porter omni tempore, mais il doit user
de ce privilège avec modération, sous peine de se le voir
retirer \
Dans sa troisième lettre (6 décembre 866), le pape loue le roi
Charles le Chauve de sa bonne volonté pour la réintégration des
clercs, ce qui fait oublier la part prise à leur déposition. Si Charles
affirme que les décrets des papes ont seuls empêché Hincmar
de satisfaire au désir de Nicolas, c'est qu' Hincmar en avait
en partie celé le contenu. Ils ne renfermaient pas un privilège
spécial dispensant Hincmar d'obéir aux ordres ultérieurs des
papes ; au contraire, on n'entendait donner de valeur à ces
décrets que jusqu'à une nouvelle décision. En terminant, le
pape demande au roi de pardonner sans réserve à Baudouin 2.
Enfin, dans la quatrième lettre, le pape annonce à Wulfade
et à ses amis leur réintégration, leur donne des conseils pater-
nels, les exhorte à se montrer respectueux et obéissants vis-à-vis
d'Hincmar, leur défend de se plaindre de lui ou de s'en venger,
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 640 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 745.
2. Voir § 468. Hardouin, op. cit., t. v, col. 648 ; Mansi, op. cit., t. xv,
col. 573.
475. CONCILE D<E TROYKS EN 8G7 413
et enfin leur indique le délai assigné à Hincmar pour produire
ses preuves contre eux 1.
475. Concile de Troyes en 867.
A son retour de Rome, Égilon remit, le 20 mai 8G7, à Charles
[327] le Chauve les dépêches qu'il avait apportées. Le roi se trouvait
alors au château de Samoussy 2, près de Laon, en compagnie
d'Hincmar, de Wulfade et de ses amis, enfin de Rothade de Sois-
sons et d'Hincmar le jeune, évêque de Laon 3. On décida proba-
blement alors la convocation d'un nouveau concile à Troyes pour
satisfaire le pape, qui réclamait un compte-rendu complet de ce
qui se passerait, et les documents officiels relatifs à la déposition
et à la réintégration d'Ebbon ainsi qu'à l'ordination des clercs.
Mais une campagne entreprise contre Salomon, duc de Bretagne,
retarda ce concile de Troyes, et Hincmar utilisa les quelques jours
qui s'écoulèrent entre le retour de Samoussy et l'expédition con-
tre Salomon, à laquelle il prit part ainsi que les autres évêques,
pour écrire en secret au pape une lettre très humble : il craignait
alors les deux princes aux désirs desquels il n'avait pu satisfaire
(Lothaire et l'empereur Louis). « Il a, disait-il, réintégré les clercs,
sitôt reçues les lettres du pape, dont il est décidé à exécuter les
ordres. Le mécontentement du pape l'afflige fort, et il faut que
son Créateur connaisse en lui bien des fautes pour l'avoir livré si
souvent et si durement à cette sorte de feu du purgatoire que
le Siège apostolique lui a fait subir, par l'elfet des machinations
de ses ennemis. Mais par la grâce de Dieu, quoique pécheur, il
n'a pas à se reprocher les fautes dont on l'accuse à Rome :
jactance vis-à-vis du Saint-Siège, astuce et cruauté. Au sujet
d'Ebbon il existe de nombreux documents, même à Rome :
mais il préfère ne pas parler de la déposition de ce prélat, de
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 64'j ; Mansi, op. cit., t. xi
2. Village de l'arrondissement de Laon, département de l'Aisne. (H. L.)
3. Hincmar, Epist., xi, ad Nicolaum, P. L., t. cxxvi, col. 76; Hardouin, op. cit.,
t. v, col. 657; Mansi, op. cit.., t. xv, col. 772; Pertz, op. cit., t. [i, p. 474. [H. Schrôrs,
Hinkmar, p. 283. (H. L.)]
414 LIVRE XXIII
peur de paraître déprécier un défaut à son avantage. Sans
discuter la déposition d'Ebbon, il se bornera à quelques
réflexions. A vrai dire, Ebbon s'est déposé lui-même, non qu'il
ait cédé à la crainte, à la force, ou à la ruse, mais par conscience
de ses fautes et sur le conseil de quelques évêques en qui il avait
confiance. Les fautes qu'il avoue entraînaient nécessairement la
résignation (preuves tirées de la Bible et des lois de l'Église).
Des évêques qui avaient pris part à la déposition d'Ebbon, le |.^-J^J
seul survivant, de ce côté des Alpes, est Rothade et de ceux
qui l'avaient ordonné, lui Hincmar, il ne reste que Rothade
et Erpoin de Senlis ; tous les évêques et clercs des provinces
franques ont été ordonnés par ceux qui avaient déposé Ebbon et
l'avaient intronisé lui Hincmar. Récit de son élévation. Un an
après, par haine contre Charles le Chauve, dont Hincmar était
partisan, Lothaire avait obtenu du pape Serge une nouvelle
enquête, et Guntbold, archevêque de Reims, reçut ordre de
tenir un concile. Ebbon n'y comparut pas, quoique cité, et n'en
appela pas non plus à Rome. Plus tard, sans avoir été réinté-
gré, Ebbon s'empara de l'évêché d'Hildesheim, au mépris
des canons. Quant à Wulfade et à ses compagnons d'infortune,
Hincmar ignorait d'abord qu'ils eussent été ordonnés par Ebbon
après sa déposition, et les évêques ses consécrateurs lui avaient
recommandé de ne les écarter des fonctions sacrées qu'après
l'issue de l'enquête ouverte sur cette affaire. Il ne nie pas avoir
sollicité du pape Léon la confirmation des décrets du synode de
Soissons de 853, et avoir essuyé un refus de ce pape, soit parce <|iic
les actes de ce concile n'avaient pas été transmis à Rome, soit
parce que ces clercs en avaient appelé. Mais le pape ignore
qu'aucun évêque ne peut entreprendre un voyage de quelque
durée sans la permission du roi. De plus, l'empereur Lothaire
avait prié le pape de ne pas confirmer les décrets des évêques.
Sur ces entrefaites, Hincmar avait envoyé à Rome des lettres
et des messagers. En route, ces messagers apprirent la mort
de Léon ; ils poursuivirent néanmoins leur voyage, et à leur
arrivée le pape Benoit leur accorda la confirmation demandée \
Que le pape Léon ait prescrit de tenir un concile sous la prési-
1. Ce renseignement est concluant contre la fable de la papesse Jeanne, car,
d'après cette fable, ia papesse aurait régné un an et demi après Léon IV et avant
Benoît III.
475. CONCILE DE TROYES EN 867 415
dence du légat Pierre, évêque de Spolète, personne n'en sait rien.
S'il n'avait pas scellé sa lettre au pape remise à Égilon, c'est
que le concile n'avait pas non plus scellé la sienne : il eût mar-
qué de la défiance en apposant son sceau. Le pape peut être
assuré qu'après avoir connu sa volonté au sujet des clercs,
il y a adhéré sans restriction aucune, et qu'il lui en écrit sans
arrière-pensée. — Hincmar va maintenant si loin qu'il est le
[diyj premier à rapporter ce qui peut être favorable à ces clercs. Ils
ont, dit-il, affirmé leur ignorance de la déposition d'Ebbon, et
se sont vus forcés de recevoir de lui des ordres. La copie du
décret de confirmation de Benoît III envoyée à Rome par Hinc-
mar n'a pas été falsifiée par lui ; elle contenait la clause : si
ita est, etc., ainsi qu'en fait foi un passage de la lettre d' Hincmar
accompagnant cet envoi. Si on a envoyé un document falsifié,
il n'y est pour rien. Il a présenté au dernier concile de Soissons
le texte original de ce décret et non une copie (ce qui revenait
à dire que l'argumentation du pape dans sa lettre péchait par
la base). Il ne se servait presque jamais du pallium, sauf à Noël
et à Pâques. Hincmar s'apitoie ensuite sur le traitement qu'on
lui a fait subir, sur son grand âge, et demande s'il pourrait pro-
mouvoir ces clercs à un rang supérieur s'ils y étaient élus 1.
Les clercs porteurs de cette lettre arrivèrent à Rome au mois
d'août 867, et trouvèrent le pape très absorbé parles affaires
des Grecs. Aussi durent-ils attendre quelque temps la réponse
très amicale pour Hincmar, que Nicolas leur remit le 23 octobre;
Nicolas y recevait les excuses d' Hincmar et les tenait pour
suffisantes. Dans une seconde lettre à Hincmar et aux autres
évêques du royaume de Charles, le pape leur communiquait
les diverses accusations portées par les Grecs contre les
Latins, et leur demandait de s'appliquer à les réfuter 2. Cette
dernière lettre existe encore, et nous en parlerons plus loin ; la
première est perdue.
Le 25 octobre 867 s'ouvrit le concile de Troyes 3. L'invitation
des évêques des royaumes de Charles et de Lothaire à leurs
1. Hincmar, Epist., xi. Cf. Noorden, Hinkmar, p. 226 sq.
2. Nicolas, Epist., lxx; Annales de Saint-Bertin, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 475;
Flodoard, Hist. Eccl. Remensis, 1. III, c. xvn.
3. Sirmond, Conc. Gallise, 1629, t. ni, col. 353 ; Coll. regia, t. xxn, col. 879;
Labbe, Concilia, t. vin, col. 868-882, cf. col. 864 ; Mabillon, De re diplomalica,
416 LIVRE XXIII
collègues du royaume de Louis le Germanique, nous est parvenue;
mais on s'explique difficilement qu'elle ait trait à ce concile, étant
datée du mois d'avril, tandis qu'Egilon ne revint d'Italie qu'au
mois de mai 867 et le concile dépendait entièrement des ins-
tructions qu'il rapportait K De plus, dans l'énumération des |330]
points dont le concile aura à s'occuper, la lettre omet préci-
sément le motif principal de la réunion. A ce concile de Troyes
assistèrent vingt évêques du royaume de Charles le Chauve,
parmi lesquels les six métropolitains Hincmar, Hérard de Tours,
Wenilon de Rouen, Frotar de Bordeaux, Égilon de Sens etWulfade
tic Bourges 2. Tout d'abord, quelques évêques, par égard pour
le roi Charles et son favori Wulfade 3, voulurent déclarer invalide
la déposition d'Ebbon; mais Hincmar défendit si bien sa cause
par des raisons et par les lois de l'Eglise 4, que la majorité se rallia
à lui et décida d'en écrire à Rome. « Le pape, dit la lettre syno-
dale 5, a demandé un rapport détaillé sur la déposition d'Ebbon,
sa réintégration, l'ordination de Wulfade, etc. ; mais comme
aucun des évêques présents, sauf Rothade, n'était évêque et
témoin à l'époque de ces événements, les membres du concile
se sont vus obligés de composer leur récit à l'aide des documents
cl de divers renseignements. Si ces clercs n'ont pas été réinté-
grés immédiatement, c'est par égard pour les décrets des papes
qui avaient confirmé leur déposition ; quant à Hincmar, il a
livré ces documents, avec le sceau qui les fermait encore intact.
Tels sont les motifs qui les ont décidés à ne pas porter sur
cette affaire une décision définitive, mais à laisser ce soin au
Saint-Siège. Néanmoins certains d'entre eux, sur les instances
3e édit., t. i, p. 560-561 ; Hardouin, Coll. conc, t. v, col. 679 ; Mabillon, Annal,
ord. S. Bened., 2e édit., t. m, p. 627-628; Coleti, Concilia, t. x, col. 371 ; Bouquet,
Rec. des hisl. de la France, t. vin, col. 588-593; Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv,
col. 790 ; H. Schrôrs, Hinkmar, p. 289 ; A. Verminghoff, dans Neues Archiv,
1901, t. xxvi, p. 638. (H. L.)
1 Cette lettre est de l'année 860, en laquelle devait se tenir à Troyes un con-
cile qui ne fut pas réuni. Cf. Noorden, op. cit., p. 228.
2. Les évêques des royaumes de Charles et de Lothaire invitèrent à ce concile
des évêques du royaume de Louis le Germanique. Mausi, op. cit., t. xv, col. 789.
(H.L.)
3. E. Lesne, La hiérarchie épiscopale, p. 214. (H. L.)
4. Pertz, op. cit., t. i. p. 475.
5. Datée du iv nouas nov. : au lieu de cette date Damberger, op. cit., t. in,
Krilikhefl, p. 227, propose iv kal. nov., ce qui est, en effet, plus probable.
'i7:>. concile de troyks en 86' 417
du roi, se sont laissé entraîner trop loin e1 se sont mis en
contradiction avec leurs propres déclarations, en ce qui concerne
l'ordination de Wulfade. Ebbon avait eu la plus grande part
à la déposition de Louis le Débonnaire; aussi, lorsque ce prince
avait été réintégré, Ebbon se sentant coupable avait pris la
fuite; on l'avait reconduit et gardé jusqu'au concile suivant dans
le monastère de Saint-Boniface à Fulda. Lui-même et les autres
évêques avaient alors reconnu, dans un libellus spécial, son
indigne conduite envers l'empereur. Déféré au concile de Thion-
ville à cause de ses calomnieuses accusations contre Louis, il
s'était reconnu indigne de l'épiscopat et tous les membres de
l'assemblée lui avaient unanimement imposé d'y renoncer. Mais
Lothaire l'avait réintégré, et c'était après son retour que VYnl-
[oolj fade et ses compagnons avaient été ordonnés. Ceux-ci assure ni
qu'ils regardaient la réintégration d' Ebbon comme parfaite-
ment légale, étant donné sa réinstallation solennelle par les évê-
ques. l'absence de toute protestation, et la tranquillité avec
laquelle il avait rempli ses fonctions pendant une année entière.
De plus, ils n'avaient pas sollicité l'ordination ; ils avaienl
été appelés. Après que le roi Charles eut reconquis le pays,
Ebbon s'était enfui et était devenu évêque d'Hildesheim, par
concession du pape Grégoire IV. Un appendice contient le
récit de tous ces faits. En 845. Hincmar avait été élevé canoni-
quement au siège de Reims, lors du concile de Beauvais. L'an-
née précédente, sur les instances de Lothaire, le pape Serge
avait décidé de soumettre l'affaire d' Ebbon à une nouvelle
enquête, et annoncé l'envoi dans ce but de nouveaux légats, qui
n'étaient pas venus. » - On avait réuni, dans un autre appen-
dice, tous les documents originaux et les pièces qui se rappor-
taient à l'affaire. Les évêques demandaient donc au pape de
décider qu'à l'avenir aucun évêque ne fût déposé sans l'assen-
timent de Rome, aux termes de plusieurs décrets d'anciens
papes (c'est-à-dire dans des décrets pseudo-isidoriens) l. En ter-
minant, ils prièrent le pape d'accorder le pallium à Wulfade'2.
1 . Le peu de garantie que l'on avait dans les royaumes francs de voir son droit
reconnu et les procédés par trop sommaires des Carolingiens firent que les évêques
furent les premiers à demander au pape de reconnaître les principes pseudo-
isidoriens, qu'Hincmar avait vivement combattus dans l'affaire de Rothadc.
2. Hardouin, up. cit., t. v, col. 681 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 7CJ1 ; Noorden,
CONCILES — IV — 21
418 LIVRE XXIII
Actard, évêque de Nantes1, fut chargé de porter à Rome la
lettre synodale. .Malgré la longue fidélité d'Hincmar au roi
Charles et ses nombreux services 2, celui-ci brisa le sceau de la
lettre et la jugeant trop favorable à l'archevêque, il adressa
au pape une lettre personnelle qui fut également confiée à
Actard. Le roi y racontait l'histoire d'Ebbon depuis sa jeu-
nesse, en vue surtout de prouver qu'Ebbon n'avait pas été, à
proprement parler, déposé à Thionville, en 835. « L'impéra-
trice Judith en particulier avait pris sa cause en main, inter-
cédé pour lui auprès de l'empereur et déterminé les évêques à
ne prononcer sur lui aucune sentence, mais à s'en tenir aux
accusations écrites qu'il avait portées contre lui-même et à sa
déclaration d'indignité. C'est ce qu'un avait fait. Sur ces entre- [332]
faites, Louis le Débonnaire avait envoyé un messager au pape
Grégoire pour obtenir son adhésion à la déposition d'Ebbon.
Le pape avait répondu, mais on ignorait dans quel sens ; pro-
bablement sa réponse n'était pas conforme aux désirs de l'em-
pereur, qui eût immédiatement institué un autre évêque pour
Reims. Après la mort de Louis, Ebbon avait été réintégré
par les mêmes évêques auxquels il avait présenté ses accusa-
tions contre lui-même, et cette réintégration avait eu lieu à la
grande satisfaction du clergé et du peuple de Reims, fous les
sufïragants de cette province, même ceux qui avaient été ordon-
nés en son absence, le reconnurent et reçurent de lui l'anneau et
la crosse. C'est alors que Wulfade et ses amis avaient été ordonnés.
Ce «pic l'on a rapporté au pape sur la comparution de Wulfade
au concile de Soissons (en 853) et son attitude est complètement
faux : Wulfade n'a jamais paru à cette assemblée. » En termir
nant, Charles demande au pape d'excuser l'ordination épisco-
pale de Wulfade, et de lui envoyer le pallium : il prie aussi le
pape de donner à Actard un autre évêché, parce que les Rretons
lui ont ravi le sien 3.
op. cit., p. 228 sq. [E. Lesne, La hiérarchie épiscopale, p. 139, note 5; p. 180, n. 1 ;
p. 214, n. 2. (H. L.)]
1. Sur Actard (843-871), cf. Chronicon Namnetense, édit. Merlet, préf., p. lviii-
lix ; L. Duchesne, Fastes épiscopaux, t. n, p. 365-3G6. (H. L.)
2. Tel est du moins le récit d'Hincmar dans les Annales de Saint-Berlin, dans
Pertz, op. cit., t. i, p. 475.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 686; Mansi, op. cit., t. xv, col. 796 ; Noorden,
op. cit., p. 230.
475. CONCILE DE TROYES EN 867 419
Hincmar ignorait l'accueil que le pape ferait à sa dernière lettre ;
aussi crut-il plus prudent d'écrire par l'intermédiaire d'Actard,
au célèbre abbé romain Anastase. Il lui disait que, dans la
réponse du pape cou lice à Égilon, on avait altéré plusieurs pas-
sages de ses propres lettres. « Le pape avait certainement reçu
un de ces exemplaires altérés. Quelqu'un (Charles le Chauve)
chercherai! peut-cire aussi à dénaturer la lettre synodale de
Troyes, mais Actard, qui avail avec lui l'original, pouvail le
montrerai! pape. Les actes envoyés par le concile s'harmonise-
raient avec les autres exemplaires expédiés à Rome. On verrait
aussi à Rome si le prétendu décret de Grégoire IV, d'après lequel
Ebbon pouvait recevoir un autre évêché, était authentique.
Wulfade avail présenté ce décret que personne ne connaissait
auparavant. Les sufïragants de Reims avaient déclaré au con-
cile s'être abstenus de tout rapport avec Ebbon depuis sa dé-
position ; Rothade seul avait dit le contraire, mais certaine-
ment poussé par sa haine contre Hincmar. » A la fin de sa lettre
[ooo | celui-ci se dit très peiné de ne pouvoir faire au pape, à Arsène et
à Anastase, de plus beaux présents (benedictiones) 1.
Lorsque Actard arriva à Rome, le pape Nicolas était mort,
el son successeur Hadrien II, satisfait de ce qui s'était passé,
écrivit (février-mars 868) une série de lettres. La première est
adressée aux membres du concile de Troyes ; le pape approuve la
sentence et la décision de l'assemblée, quoique, dit-il, les pièces
reçues ne lui permissent pas de se rendre pleinement compte de
l'affaire d' Ebbon. Elles lui ont cependant suffi à constater l'inno-
cence des collègues de Wulfade et de Wulfade lui-même à qui il
octroie le pallium. Les évêques francs devront inscrire dans les
diptyques de leurs églises le nom du feu pape Nicolas, et faire
lire ce nom pendant la messe ; ils devront également défendre
sa personne et ses actes contre les attaques des Grecs 2.
Dans la seconde lettre, à Charles le Chauve, le pape déclare,
après un début très poli, que le mieux est de laisser dormir
toute l'affaire d'Ebbom Conformément au désir du roi. il en-
voie le pallium à Wulfade. Dès qu'un évêché ou un archevêché
vaquera dans l'empire franc, on le donnera à Actard, à qui il
confère le pallium pour le dédommager de ses nombreuses
1. Hincmar, Epist., xxxvm, P. L., t. cxxvi. col. 257.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 691 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 821.
420 LIVRE XXIII
tribulations 1. Trois autres lettres traitent de l'affaire d'Actard;
enfin, une lettre du pape à Hincmar, donne à « son très digne frère »
les plus grands éloges, en particulier pour l'appui prêté au
Saint-Siège dans l'affaire du mariage de Lothaire, et l'engage
à déployer toujours le même zèle 2. Cette lettre mettait fin à la
question de Wulfade et de ses collègues, laquelle, à deux repri-
ses, avait menacé de devenir si grave pour Hincmar.
476. Continuation des difficultés au sujet de Photius.
Nous avons vu 3 qu'un tremblement de terre avait été l'occasion
d'un grand changement dans la situation à peu près désespérée
du patriarche Ignace. Par crainte du peuple, qui vit dans ce
fléau une punition divine des mauvais traitements infligés à [334]
l'évêque bien-aimé, on crut plus prudent de laisser désormais
Ignace tranquille dans son monastère et de lui rendre ses biens
de famille. L'empereur Michel l'Ivrogne témoigne lui-même
du grand attachement des orthodoxes pour Ignace, car on rap-
porte que lorsqu'il était pris de vin il avait coutume de dire :
« Mon patriarche est Théophile, celui de Bardas est Photius, et
celui des chrétiens est Ignace *. » L'un des amusements de Michel
était en effet de parodier dans ses orgies les diverses cérémonies
de l'Eglise, voire même la distribution de l'eucharistie, e1 un
comédien nommé Théophile Gryllus jouait dans ces sacrilèges
le rôle de patriarche. Photius ne rougit pas d'être souvent témoin
oculaire de pareilles profanations et d'assister à ces débauches.
Aussi beaucoup le méprisaient, et le bruit courut qu'il avait apos-
tasie chez un rabbin. Plusieurs de ses opinions, par exemple, que
dans l'homme la partie inférieure de l'âme, et non la raison, est
seule à pécher, que les tremblements de terre ne sont pas des
châtiments, mais de si mples oscillations naturelles, causèrent grand
scandale 6. La protection de l'empereur ne lui en était que plus
1 . Hardouiu, op. cit., t. \ , col. 694 , Mansi, op. cit., L. xv, col. 824.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 696 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 826.
3. Voir § 464.
4. Nicetas, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 973.
5. Voyez plus loin, § 493, canon 11.
476. DIFFICULTÉS AU SUJET D F. PHOTIUS 421
nécessaire ; mais il dut l'acheter par bien des humiliations 1.
Photius, Bardas et Michel ne savaient unir leurs efforts que contre
Rome. C'est ce qu'on put constater de nouveau lorsque parvinrent à
Constantinople les décrets du concile romain de 863 2, qui déposait
Photius et ceux qui avaient été ordonnés par lui, les menaçant,
eux cl leurs adhérents, d'anathème perpétuel. L'empereur Michel
répondil ;'i ces décisions par une lettre très violente, aujour-
d'hui perdue, mais dont nous pouvons saisir le sens grâce à la
réponse du pape, en 865. « J'avais déjà, dit celui-ci, rédigé pour
vous une lettre amicale, lorsque le protospathaire Michel ru'a
remis celle de Votfe Magnificence. Comme elle est pleine de
blasphèmes cl d'injures, ma joie s'en est allée... cl mon style s'en
est ressenti. Je ne crois pouvoir mieux faire que de commencer
par demander à Dieu de me faire connaître comment je dois vous
écrire... Ainsi, je commencerai ma letlre par une prière : vous,
vous commencez la vôtre par des injures... En tant que disciples
du Christ, nous supportons ces traitements avec patience ; mais
votre devoir à vous est de respecter les prêtres, fussent-ils pé-
[335] cheurs...Moi, pécheur et indigne, j'espère en la divine miséricorde,
et d'autres me loueront peut-être sur la matière même dont vous
1. Cf. Lâmmer, Papsl Nicolaus I, p. 6, 7, 17, 28.
2. Voir § 470. « Il y a, écrit M. L. Saltet, Les réordinations, Etude sur le sacre-
ment de l'Ordre, in-8, Paris, 1907, p. 141, une gradation dans les jugements de
Nicolas Ier au sujet de Photius. Jusqu'en 863, le pape déclare qu'il ne peut lais-
ser Photius dans l'office épiscopal, Nicolas Ier, Epist. ad Pkotium, 25 sept. 860,
P. L., t. exix, col. 780 ; Epist. ad Photium, 18 mars 862, P. L., t. exix, col. 78!).
Depuis le synode romain d'avril 863, il déclare déposés Photius, P. L., t. exix,
col. 1075, et les clercs ordonnés par lui. P. L., t. exix, col. 1075. Au 13 novembre
866, il parle encore de la déposition, mais il ajoute des expressions beaucoup plus
fortes, qui, prises isolément, pourraient faire croire à la nullité des ordinations
faites par Photius. Une lettre pontificale est surtout très véhémente (voir § 477) ;
mais, circonstance à signaler, elle est adressée (13 novembre 866) à l'empereur
Michel dit l'Ivrogne, un des Basileis les plus odieux qui aient occupé le trône
de Ryzance. Pour faire impression sur un tel personnage, il fallait forcer l'expres-
sion et même la pensée. Le pape s'y est appliqué et y a réussi. Prises à la lettre,
ces expressions ne peuvent s'entendre que de la nullité absolue. P. L., t. exix,
col. 1027. Elles reparaissent, mais légèrement atténuées, et corrigées par le con-
texte, dans une lettre du même jour adressée au clergé de Constantinople, P. L.,
t. exix, col. 1078-1079, 1081. Ces lettres se placent au moment de l'action la plus
énergique du pape contre Photius ; elles se ressentent beaucoup de l'exagération
oratoire. Les interprétera-t-on comme des documents juridiques? Ce serait un con-
tre-sens qu'une étude dos autres décisions de Nicolas Ier suffit à écarter. » (ÏT. L.)
422 LIVRE XXIII
me faites reproche. Vous devez, du reste, pour tous les prêtres
en général, et à l'égard du représentant de Pierre en particulier,
ne pas regarder à la dignité ou à l'indignité personnelle, mais au
zèle pour la réforme de l'Eglise, etc. S'il fallait obéir à ceux qui
étaient assir sur le siège de Moïse, à plus forte raison doit-on obéir
à ceux qui sont sur le siège de Pierre... Nous savons que nous serons
calomnié, mais, à l'exemple du Christ 1, nous nous bornerons à nier.
Quant à ce que vous avez écrit pour nuire à l'Eglise romaine,
nous devons le réfuter sans peur ni crainte... Vous faites allusion
à votre lettre contenant une demande (au sujet de Photius 2).
Vous dites : Depuis le sixième concile, jamais pape n'a reçu de
l'empereur un tel honneur. Si vos prédécesseurs ne se sont jamais
adressés au Siège de Rome, ce n'est pas un déshonneur pour nous,
mais pour eux; car ils n'ont jamais cherché à porter remède aux
hérésies quand elles se sont produites ; au contraire ils ont refusé
les remèdes qu'on leur a présentés, et ont attenté de deux manières
à la vie de ceux qui les leur apportaient, soit en les corrompant,
comme à l'époque de Conon, soit en les exilant, comme à l'époque
de Grégoire III. Il faut ajouter qu'après le VIe concile il n'y a
eu guère d'empereurs catholiques (ils étaient iconoclastes) ; ceux
qui l'ont été, Irène par exemple, se sont adressés à Rome. Vous
dites nous avoir intimé des ordres ; mais les anciens et pieux empe-
reurs ne se sont jamais exprimés de la sorte, et vous-même ne
vous étiez pas servi de cette expression dans vos lettres... Vous
êtes maintenant si irrité que vous déversez votre colère même
contre la langue latine, qu'il vous plaît d'appeler barbare et scy-
thique, quoiqu'elle ait été employée à côté de la langue hébraïque
et de la langue grecque dans l'inscription de la croix du Christ...
Il serait vraiment plaisant que vous ne la compreniez pas, vous
qui portez le titre d'empereur romain. Ajoutons que, même
dans l'Église de Constantinople aux jours de stations, les épîtres
et évangiles sont lus d'abord en latin, puis en grec... Vous dites
que vous ne m'aviez pas écrit dans l'intention de faire porter
un second jugement contre Ignace ; les faits ont prouvé que
telle était cependant votre intention. Quant à moi, je voulais
un examen consciencieux de l'affaire et un rapport détaillé pour
asseoir mon jugement. Vous dites qu'Ignace avait déjà été con-
1. Joa., vin, 49.
2. Il faut lire precatorias et non prsedicatorias.
$
476. DIFFICULTÉS AU SUJET DE PHOTIUS 423
damné, mais il ne l'avait pas été légalemenl : en effet, les canons
et les Pères défendent aux ennemis d'un homme d'être en même
[33(i] temps ses juges (preuves) : ils s'opposent à ce que des personnes
excommuniées ou déposées remplissent 1 office de juges... et que
le supérieur soit cité à la barre do ses inférieurs (preuves), En
particulier, presque aucun évêque de Constant inople n'avait
été déposé sans l'assentiment de Rome (exemples), Vous direz
peut-être qu'il n'était pas nécessaire de s'adresser au Siège de
Rome au sujet d'Ignace, parce qu'il n'y avait pas là une question
dogmatique, mais plus la prétendue culpabilité d'Ignace était
insignifiante, plus on devait observer à son sujet la discipline
ecclésiastique. Vous, sire ! vous avez convoqué contre lui le concile ;
vous, au signe duquel tous obéissent, vous vous êtes arrogé une fonc-
tion ecclésiastique ! . . . Où est-il écrit que les empereurs assistent aux
conciles, si ce n'est à ceux où il s'agit de la foi, qui alors intéressent
tout le monde, les laïques comme les clercs ? Des accusateurs sont
\'-nus du palais impérial, où on leur avait ordonné de porter de
faux témoignages... Déjà le concile de Chalcédoine a ordonné
(can. 9) que le métropolitain lut accusé auprès du primat, enten-
dant par primat le pape1. C'est ce que le concile prescrit, et il ne
permet qu'exceptionnellement l'examen des plaintes par le siège
de Constantinople. On doit toujours s'adresser à celui qui se trouve
dans une situation supérieure à l'accusé... Vous faites sourire lors-
que vous attachez de l'importance à cette circonstance, que votre
concile a compté trois cent dix-huit membres, comme le concile de
Nicée que vous n'avez imité qu'en ce point, mais non dans sa
conduite... Plus une assemblée compte de méchants, plus il est
facile de rendre de mauvais décrets... \ ous écrivez que vous dési-
riez vivement la présence des légats romains à ce concile, sous
prétexte qu'on vous soupçonnait d'être d'accord avec les icono-
clastes (soupçon que la présence des légats aurait fait tomber);
c'est pure invention... Il est évident que vous désiriez la présence
des légats pour qu'elle donnât autorité à la condamnation
d'Ignace. Quant au soupçon dont vous parlez, il n'a jamais
existé... \ ous dites, il est vrai, que vous n'aviez pas besoin de
nous pour avoir raison de l'hérésie des iconoclastes, déjà vaincue
1. Voyez plus haut, § 471, où Nicolas paraît entendre dans un autre sens ce
passage de Chalcédoine, et sans croire que ces mots pririias diœceseos concernent
le pape.
424 LIVRE XXIII
par le deuxième concile de Nicée. Mais n'est-ce pas le Siège apos-
tolique qui a présidé ce concile?... Est-ce que Méthode1 n'a
pas eu l'appui de Rome ?... Nous tenons à répondre de cette ma-
nière au commencement de votre lettre, pour réfuter ces folies [337]
qui n'ont pu sortir de votre cœur qui est pieux. Quant au reste de
votre lettre, je ne puis y répondre, d'abord parce que je suis
tombé malade et que votre ambassadeur ne peut attendre plus
longtemps, et ensuite parce que cette partie de votre lettre est
pleine de malices et de blasphèmes et contraire à l'ordonnance
divine qui a donné à l'Église romaine ses privilèges... Ces privi-
lèges reçus de Dieu et non des conciles lui confèrent la prérogative
de veiller sur toutes les Églises... L'Église romaine tient par hé-
ritage ses privilèges des apôtres Pierre et Paul ses fondateurs,
et, par leurs disciples, fondateurs des Églises d'Alexandrie et
d'Antioche (dirigé contre le patriarcat de Constantinople, qui
n'avait été fondé que par une série d'extorsions). Les apôtres
avaient gouverné les autres Églises par l'intermédiaire de ces
trois sièges principaux... Aucun concile, pas même celui de Nicée,
n'a octroyé un privilège à l'Église de Rome... Mais le concile
de Nicée s'était contenté (can. 6) d'accorder au siège d'Alexan-
drie un privilège analogue à celui dont jouissait l'Eglise ro-
maine 2. Ce privilège m'impose de déposer Photius et de l'excom-
munier... Nous n'avions pas chargé nos légats de juger Ignace
et son élévation au siège ; nous leur avions simplement man-
dé de faire une enquête sur son expulsion et de nous en faire
connaître le résultat. C'est ce que prouve notre lettre 3, dont nous
avons fait faire trois exemplaires : l'un qui vous était destiné,
le second qui devait demeurer ici, le troisième qui devait être
remis au légat... Comme le bruit s'est répandu que vous en pos-
sédiez un exemplaire falsifié, je vous en envoie ci-joint une nouvelle
copie. Vous demandez que je vous livre Théognoste, qu'Ignace
a placé à la lêle de quelques provinces de moines, el certains
autres moines, sous prétexte qu'ils mil offensé Votre Majesté.
Comme ils sont innocents, je ne puis déférer à votre demande,
d'autant que je sais les mauvais traitements infligés par vous aux
amis d'Ignace (fui sont en votre pouvoir. Théognoste n'a pas parlé
1. Voir § 400.
2. Voir § 42.
3. Voir §464.
476. DIFFICULTES \TJ SUJFT D F. PHOTIUS Vif)
contre vous, mais pour vous... Au sujet de Photius, il n'a dit que
ce que tout le inonde sait, et ce que j'ai appris par diverses voies :
d'Alexandrie, de Jérusalem, de Constantinople... Vous me me-
nacez, mais vous feriez mieux de châtier les païens qui ont
ravagé votre empire, pris lanl de provinces et. incendié un fau-
bourg de Constantinople... Nous ordonnons qu' Ignace et Photius
[338] soienl amenés à Rome, et eue' leur affaire soit soumise aune nou-
velle enquête. L'Église romaine qui exerce sa puissance judiciaire
sur toute l'Église ne peut être jugée par personne... Ne dites
pas que la citation de Photius et d'Ignace est en opposition avec
les lois de l'Église : nous suivons, ce faisant, les exemples de nos
prédécesseurs... Si Ignace et Photius ne comparaissent, pas, ils
doivent faire connaître les motifs de leur absence et envoyer des
députés. Photius et son parti peuvent envoyer qui hou leur
semble et autant de députés qu'ils le voudront, mais du côté
d'Ignace doivent comparaître les archevêques Antoine de Cyzi-
que, Basile de Thessalonique, etc., et s'ils ne viennent pas, ils lais-
seront planer sur eux des soupçons. Lorsque les députés des deux
parties seront arrivés, l'affaire, examinée en notre présence et
en présence de nos frères (dans un concile romain), sera décidée
par nous. Votre Altesse impériale peut en même temps envoyer
ses députés, qui assisteront aux délibérations et se convaincront
que tout s'est passé d'une manière légale... Vous pourvoirez aux
dépenses de voyage de ceux qui sont dans le besoin. Je vous prie
également de me retourner la lettre à vous remise par Rodoald
et Zacharie, afin que nous l'examinions et cherchions qui a pu la
falsifier, s'il est vrai qu'elle l'ait été. Nous vous demandons égale-
ment de nous envoyer les documents originaux concernant la
première déposition d'Ignace, ainsi que les actes déjà apportés une
première fois par votre secrétaire Léon et relatifs à la tyrannique
déposition d'Ignace (la seconde, avec le secours des légats), et
les décisions au sujet des images. Cet envoi des députés des deux
parties dont nous avons déjà parlé, me paraît être le meilleur
moyen de résoudre ces difficultés... Ne pensez pas que nous vou-
lions favoriser Ignace ; notre seul désir est de rester fidèle au
droit... Songez à la mauvaise réputation laissée par les empe-
reurs persécuteurs de l'Église et à la gloire de ceux qui l'ont
exall ce... Si donc, cher fils.l u ne veux pas être compté parmi les en-
fants ingrats, observe nos décrets au sujet de l'Eglise de Constan-
tinople... Nous ne pouvons négliger la cause de Dieu et nous taire...
426 LIVRE XXIII
Il y a eu dans l'antiquité des rois prêtres. Plus tard, les empereurs
païens ont été pontifices maximi. Mais le christianisme a séparé
les deux pouvoirs. Les empereurs chrétiens ont besoin des pontifes
à cause de la vie éternelle, tandis que les pontifes n'ont besoin des
empereurs que pour le temporel. Aussi Ignace ne pouvait-il être
déposé par une sentence impériale. Quant à l'assentiment des évê- [339]
ques, il prouve leur condescendance, il n'est pas une sanction
légale. Non seulement ta sentence sur Ignace a précédé celle des
évêques; mais lors de sa condamnation (au concile) tu as, chose
inouïe, signé avant les évêques. Mieux vaut pour toi entendre
maintenant mes prières que d'entendre mes plaintes au jugement
dernier. Que Dieu incline ton cœur vers le bien 1 ! »
477. Nouvelles lettres du pape au sujet de Photius.
Cette lettre n'ayant amené aucun résultat, le pape fit,
l'année suivante (866), une nouvelle tentative pour améliorer la
situation à Constantinople, où il envoya trois légats, Donat. évo-
que d'Ostie, le prêtre Léon et Marin, diacre de Rome, avec de
nouvelles lettres. Elles sont toutes datées du 13 novembre 866,
et la première est adressée à l'empereur 2. « Plus le rang de l'em-
pereur est élevé, plus son humilité doit être grande, dit le pape.
Un prince a le devoir de donner audience à tous, afin de con-
naître ce que demande la justice ; à plus forte raison est-ce le
devoir du pape qui veut exposer à l'empereur en détail et en
toute vérité ce qu'à l'exemple de ses prédécesseurs, dans leur
sollicitude pour toutes les Églises, il a fait dans la question
1. Nicolas Ier, EpisL, vm, dans Mansi, op. cil., t. xv, col. 187 ; Hardouin, op.
cit., t. v, col. 144. Hergenrôther, Photius, t. i, p. 555-579. Les dernières phra-
ses de ce document, à partir des mots hsec quidem jusqu'à la fin, Mansi, op.
cit.. t. xv, col. 216; Hardouin, op. cit., t. v. col. 172, ne font pas partie de la lettre
du pape à l'empereur, mais forment la conclusion d'une lettre de Nicolas aux pa-
triarches orientaux ; cette lettre aux orientaux comprend les epist. i et vu,
ainsi que cette conclusion.
2. Ces lettres sont adressées à Michel III, à Photius, à Bardas dont, à cette
date, on ignorait encore à Rome l'assassinat, à Théodora, à Eudocie, aux arche-
vêques, au sénat. Le pape ne semble avoir pas songea Basile. Cependant quel-
ques mois plus tard, en mai, Basile sera seul empereur et arbitre des décisions.
(H. L.)
477. LETTRES DU PAPE AU SUJET DE PHOTIUS 427
pendante de Constantinople. » Il raconte alors la déposition
d'Ignace, l'élévation de Photius, l'arrivée à Rome des ambassa-
deurs byzantins, l'envoi de ses légats Rodoald et Zacharie, la
manière dont ils avaient été gagnés à Constantinople, leur punition
par deux conciles (ainsi que cela avait eu lieu au ve siècle pour
Vitaliuset Misénus). Nicolas s'était plaint que sa lettre à l'empe-
l_o4UJ reur, confiée aux légats, avait été falsifiée, il le prouve. « L'em-
pereur peut comparer l'exemplaire remis par les légats à celui
qu'il lui envoie. Ces falsifications ne sont pas rares, paraît-il,
chez les Grecs, bien que le pape ait peine à comprendre com-
ment de pareils faits pouvaient se passer, soit au su de l'empe-
reur, soit à son insu. Le pape ne peut adhérer à la déposition
d'Ignace avant une nouvelle enquête par le Saint-Siège. Ignace
est peut-être coupable, mais on doit sauvegarder le droit ;
d'ailleurs il ne devait pas être chassé par ses inférieurs, il n'au-
rait dû l'être que par une autorité supérieure. Jusqu'à plus ample
informé, le pape doit tenir Ignace pour évêque de Constanti-
nople, condamner Photius et ne pas même admettre cet intrus à
la communion de l'Eglise, s'il ne s'amende pas. Son ordination
par Grégoire de Syracuse, lui-même déposé, est nulle de plein
droit. Ignace avait déposé Grégoire et demandé confirmation
de la sentence à Rome. Mais les papes Léon et Renoît n'ont
rien voulu décider avant d'avoir entendu les deux parties ; c'est
pourquoi ils ont pressé Ignace d'envoyer de son côté des dépu-
tés à Rome. Grégoire, l'ayant appris, et abusant de la longani-
mité du pape, a poursuivi Ignace avec plus d'ardeur que jamais,
a même osé ordonner un autre sujet à sa place, a eu l'audace
d'exercer de nouveau des fonctions ecclésiastiques, s'excluant
ainsi à tout jamais de l'Eglise, sans espoir de pardon, confor-
mément aux canons. Le pape, n'ayant pas voulu adhérer sans
une enquête personnelle à la déposition prononcée contre Gré-
goire par Ignace, ne peut évidemment consentir à la déposition
d'Ignace par Grégoire sans enquête. En effet, après avoir en-
voyé à Rome un député au sujet de Grégoire, Ignace a été
vaincu, maltraité et déposé par ses ennemis. On doit commencer
par le réintégrer. L'empereur pense maintenir Photius en pos-
session de l'Eglise de Constantinople sans l'assentiment du pape,
et sacrifier Ignace ; mais le pape espère que l'Eglise du Christ ne
laissera pas tomber dans l'oubli les saints canons, surtout ceux
de Nicée. Le Siège apostolique a fait son devoir, c'est main-
428 LIVRE XXIII
tenant à Dieu à mener le reste à bonne fin. Les anathèmes pro-
noncés par les papes sont parfois restés longtemps méconnus; mais
ils ont fini par être efficaces (exemples). Déjà d'autres papes se
sont trouvés comme maintenant sans appui et menacés par les
empereurs ; mais Nicolas compte sur Dieu et déplore l'erreur de
son cher fils l'empereur. Il n'a pu agir autrement, et n'a pas [341]
prononcé précipitamment la sentence contre Photius et ses par-
tisans ; il n'a agi qu'en pleine connaissance de cause. Il se plaint
de ce qu'à Constantinople on ne fasse pas toutes ces réflexions,
et sollicite de l'empereur l'éloignement de Photius et la réinté-
gration d'Ignace. L'année précédente, il a reçu une lettre écrite
au nom de l'empereur, mais si injurieuse el blasphématoire, que
son auteur semblait avoir trempé sa plume dans le venin d'un
serpent. Si le pape n'avait espéré que l'empereur ferait brûler ce
document, cl tous ceux qui avaient été rédigés contre Ignace.
il aurait alors agi avec rigueur. Il demande donc à l'empereur
de déclarer que cette lettre n'est pas de lui, ou, s'il s'était laissé
entraîner à l'écrire, de la déclarer nulle et de la brûler. Sinon,
le pape convoquera les évêques de toutes les provinces de l'Oc-
cident à un concile, pour y prononcer l'anathème contre les au-
teurs de cet attentat, et pour que la lettre en question soit clouée
au pilori et brûlée publiquement. Le pape adjure l'empereur de
ne pas le forcer à de pareilles mesures. Si le prince persiste à refu-
ser la réintégra lion d'Ignace, Nicolas répète qu'Ignace et Photius
devront venir à Rome. Pour plus de sûreté, le pape remet à
ses légats une copie de sa précédente lettre, laquelle contenait
les dispositions à prendre à ce sujet. Il termine en demandant
à l'empereur un accueil bienveillant pour les légats, et l'invite
à déférer à leurs exhortations, afin que saint Pierre ne se fasse
pas son accusateur dans l'autre vie 1.
Le pape écrivit en même temps à tous les archevêques et évêques
du patriarcat, et à tous les clercs de l'évêché de Constantinople
une seconde lettre (epist. x), presque identique à la précédente.
Elle expose de la même manière les événements survenus à Cons-
tantinople, la conduite des légats et leur punition. Nicolas donne
cependant plus de détails sur ce dernier point, et insère le texte
du concile de Latran (printemps de 803). Après cette citation,
1. Nicolas Ier, Epist., ix, dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 216; Hardouin, op. cit.,
t. v, col. 137 ; Hergenrôther, op. cit., p. 617 sq.
477. LETTRES DU PAVE AU SUJET DE PHOTIUS 429
la lettre montre que le pape ne pouvait changer d'avis, que le
sacre de Photius par Grégoire de Syracuse était nul de plein droit,
[342] et que la lettre impériale de l'année précédente devait être mise
à néant. Sinon il se verra obligé de réunir un grand concile
occidental et de faire solennellement brûler cette lettre aux yeux
du monde entier. Le pape conclut que, si on tolérait la conduite
tenue à l'égard d'Ignace, à l'avenir aucun évêque ne serait en
sûreté, toujours exposé à subir le même traitement; c'est chose
fort préjudiciable au clergé et contraire aux canons de faire mon-
ter des laïques sur les sièges épiscopaux 1.
Dans la lettre à Bardas, le pape vante d'abord les hautes qualités
de son correspondant; il raconte ensuite ce qui s'est passé à
Constantinople, et prouve que dans la défense d'ordonner les néo-
phytes, l'expression néophytes ne signifie pas seulement celui qui
a la foi depuis peu, mais aussi celui qui est entré récemment
dans la cléricature ; il démontre brièvement la nullité de Télé -
vation de Photius, regrette que Bardas soit la cause de tous ces
malheurs, et le supplie de revenir, de défendre l'Eglise, de re-
cevoir avec bienveillance les légats et d'user en faveur d'Ignace
de son influence sur l'esprit de l'empereur 2. En écrivant cette
lettre, le pape ignorait la mort de Bardas, qui remontait déjà à
plusieurs mois 3. Vers le jour du nouvel an 866, Bardas avait
rêvé qu'étant avec l'empereur dans la grande basilique, l'apôtre
Pierre l'en avait chassé à la demande du patriarche Ignace et
l'avait condamné à mort. Son familier Théophile, à qui il ra-
conta son rêve, lui recommanda d'être à l'avenir plus doux
à l'égard d'Ignace ; mais Bardas, méprisant ces conseils, s'ap-
pliqua au contraire à rendre plus dure la captivité du prisonnier.
Aussi le jour de la punition ne tarda pas. En effet, vers Pâques,
l'empereur, méditant une expédition contre la Crète, fit saisir
subitement Bardas, et, le [21] avril 866, le fit exécuter sur des
soupçons d'infidélité.
La quatrième lettre du pape (13 novembre 866), adressée à
Photius, commence par des reproches : «Tandis qu'Ignace était
1. Mansi, op. cit., t. xv, col. 240; t. x\i, col. 101 , Hardouin, op. cit., t. v, col. 1%,
842 ; Hergenrôther, op. cit., p. 636.
2. Nicolas Ier, Epist., xn, dans Mansi, op. cit., t.]xv,|col. 265; Hardouin, op. ci'.
I. v, col. 221 ; Hergenrôther, op. cit., p. 631 sq.
3. Sur l'assassinat de Bardas, cf. A. Vogt, Basile IeT, p. 37-38. (H. L.)
430 LIVRE XXIIÏ
encore sur son siège, Photius faisait déjà partie des schismatiques ; [343]
il est passé subitement, et au mépris des canons, du rang des
laïques à l'épiscopat, il a été ordonné par Grégoire de Syracuse,
etc. ; loin de tenir sa promesse de ne pas nuire à Ignace, il a
réuni un concile contre lui et l'a déposé ; il a corrompu les lé-
gats du pape, exilé les évêques qui ne voulaient pas être en
communion avec lui, et traité Ignace de la manière la plus cruelle.
Que cependant il rentre en lui-même, songe à l'enfer et ne s'enor-
gueillisse pas de sa propre sagesse. Il mérite d'être comparé à
une vipère, car de même que la vipère, il a tué son propre père
(Ignace). Il est encore semblable à Cham et aux juifs, qui avaient
levé la main contre leur Seigneur. Les anciens papes et les con-
ciles ont interdit l'accession trop rapide à l'épiscopat et c'est un
vrai faux-fuyant de soutenir, comme il le fait, que les canons de
Sardique contenant ces défenses ne sont pas connus à Cons-
tantinople. L'apôtre avait dit : ce N'imposez trop tôt les mains
à personne 1. » Photius doit se retirer. Déposé des fonctions
sacerdotales, il perdra tout espoir, s'il continue à les remplir,
d'être reçu de nouveau à la communion de l'Eglise ; il sera
excommunié avec tous ses partisans et ses amis, jusqu'au
lit de mort. Ce sera un grand exemple pour qu'à l'avenir
nul ne passe subitement de l'état laïque dans le camp du Sei-
gneur 2. »
Dans une cinquième lettre, le pape assure Ignace de sa protec-
tion, qu'il lui doil tlu reste comme premier pasteur de l'Eglise
universelle, et lui fail connaître tout ce qui a été fait pour lui
depuis le retour des légats. « Il a annulé l'assentiment des lé-
gats à la déposition d'Ignace et à l'élévation de Photius, et après
en avoir donné avis à l'empereur, il a puni les légats Zacharie et
Rodoald ; il a ensuite prononcé la sentence contre Photius et
ses partisans, et, après avoir déposé tous les clercs ordonnés par
Photius, il a déclaré Ignace unique évêque de Constantinople,
menacé de peines sévères tous ses adversaires et ordonné la
réintégration cl^s évêques exilés, exécutoire avant toute nou- [344]
velle accusation; de plus, ils ne pourront être jugés que par le
pape. » En terminant, Nicolas exhorte Ignace à rester ferme et
1. I Tim., v, 22.
2. Epist., xi, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 214; Mansi, op. cit., t. xv, col.
259. Cf. Hergenrôther, Photius, p. 628 sq.
477. LETTRES DU PAPE AU SUJET DE PHOTIUS 431
à se confier en Dieu, et lui rappelle que saint Athanase a connu
de pareilles adversités 1.
Deux autres lettres, la sixième et la septième, sont adressées
à l'impératrice mère Théodora et à l'impératrice Eudoxie 2, femme
de Michel; à celle-ci le pape demande d'user de son influence
en faveur d'Ignace ci de soutenir les légats. Nicolas loue Théodora
d'avoir maintenu la doctrine orthodoxe du vivant de son mari
l'iconoclaste, d'avoir bien élevé son fils et d'avoir assuré le
triomphe de l'orthodoxie. Malheureusement l'ennemi de tout
bien l'a persécutée (son fils, l'empereur, l'avait obligée à se faire
religieuse) ; qu'elle demeure ferme et se confie en Dieu 3.
Le pape, ayant appris que plusieurs membres du sénat im-
périal de Constantinople déploraient ce qui se passait, leur envoya
l'epist. xvi rédigée sous forme d'encyclique, les engageant à
combat Lre vaillamment pour le droit et pour l'Eglise, comme il
convient à des chrétiens. S'ils n'osent aller jusque-là, que du
moins ils ne prennent aucune part aux persécutions contre Ignace,
ne restent pas en communion avec Photius, et soutiennent les
légats du pape 4.
Dès le début de l'affaire de Photius, le pape Nicolas en avait
informé les patriarches orientaux et les évêques d'Asie et d'Afri-
que, et leur avait communiqué les documents. A ce moment,
il leur écrivit de nouveau, mais dans la crainte que ses commu-
nications antérieures ne fussent pas arrivées à destination, il
joignit drs copies de tontes les lettres échangées dans celle
affaire. Aussi la lettre du pape aux Orientaux comprend-elle
une collection de documents : en premier lieu une introduc-
tion (ordinairement appelée epist. i) 5 rapporte les événements
[345] de Constantinople, de la même manière que l'epist. x. Viennent
alors les deux premières lettres du pape à l'empereur et à
Photius, confiées à Zacharie et Rodoald, puis une troisième
lettre ad omnes fidèles, enfin deux lettres de mars 862 adres-
1. Epist., xui, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 224 ; Mansi, op. cit., t. xv,
col. 269 ; un extrait grec dans Hardouin, op. cit.,t.\, col. 1022 ; Mansi, op. cit.,
t. xv, col. 306. Cf. Hergenrôther, op. cit., p. 633 sq.
2. Sur Eudocie Ingerina, cf. A. Vogt, Basile Ier, p. 56-58. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 227 ; £p.xiv, et xv, dans Mansi, op. cit., t. xv,
col. 272.
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 232 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 276.
5. Hardouin, op. cit., t. v, col. 119 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 159.
432
LIVRE XXIII
sées par le pape à l'empereur et à Photius. Après l'insertion
de ces pièces, Ja lettre aux Orientaux reprend son cours, et,
suivant la juste remarque d'Hardouin, c'est à tort que les col-
lections des conciles et d'autres historiens donnent cette
lettre comme l'epist. vu ad imperatorem 1. Dans cette partie
principale de sa lettre, le pape rapporte la punition des légats
Zacharie et Rodoald, les décisions du concile de Latran contre
Photius, etc., et les canons d'un autre concile romain au sujet
des théopaschites. Ce passage de sa lettre aux Orientaux se
rapproche de très près de l'epist. x 2. Enfin, la conclusion de
cette lettre aux Orientaux se trouve à la fin de l'epist. vu du
pape à l'empereur3. Ici, le pape annonce aux Orientaux l'envoi
à Constantinople (novembre 866) de trois nouveaux légats,
Donat, évêque d'Ostie, etc., porteurs de lettres dont il joint
copie. Ces copies devaient former les numéros x, xi et xn de
la collection ; le numéro x contenait les deux lettres à l'empe-
reur et aux évêques du patriarcat de Constantinople (epist. ix
et x), le numéro xi contenait les deux lettres à Photius et à
Bardas (epist. xi et xn), et le xne les quatre lettres à Ignace,
aux deux impératrices et à quelques sénateurs (epist. xin, xiv,
xv et xvi). A supposer que les neuf premiers numéros conte-
naient chacun un document (et non plusieurs, comme les trois
derniers), la collection devait à l'origine contenir plus de docu-
ments que dans son état actuel, car, au lieu de neuf , nous n'en [346]
possédons que six de date réellement antérieure.
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 136 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 178 ; Hergenrô-
ther, op. cit., p. 637 sq. Damberger, op. cit., p. 216, a bien remarqué, que cette
lettre n'était pas adressée à l'empereur ; mais il n'a pas saisi le véritable état des
choses. A la page 215, il n'a pas compris non plus que la note finale Hase qui-
dem appartenait à la septième lettre du pape.
2. Dans la lre édition nous avions eu tort de dire que la vme lettre du pape
à l'empereur Michel, écrite en 865, avait été jointe à sa nouvelle épître. C'é-
tait inexact. Cf. Hergenrôther, op. cit., p. 637, note 95.
3. Hase quidem, etc. jusqu'à la fin, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 172 ;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 216 ; Rader a trouvé un fragment grec de cette lettre
«lu pape. Il est imprimé dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 1019 ; Mansi, op.
cit., t. xv, col. 301.
478. LES BULGARES ET LE PAPE NICOLAS 1er 433
478. Les Bulgares et le pape Nicolas I .
Les légats se rendirent à Constantinople en passant par la Bul-
garie. Les Bulgares1, établis depuis le vne siècle dans le pays situé
entre le Dniester, le Danube e1 t'Hémus, el en contad continuel
avec l'empire de Byzance, ne s'étaient convertis au christianisme
(fixe dans la première moitié du ixe siècle, après avoir été évangé-
lisés par le prêtre grec Méthode. Leur prince ou roi. Bogoris,
se fit instruire par lui. demanda ensuite aux empereurs grecs
de lui envoyer un évêque, des mains duquel il reçut le baptême
et fut appelé Michel 2. Le nouveau converti ayant voulu puusser
l. Les Bulgares occupent une contrée que nous avons eu déjà occasion de men-
tionner à propos de Y Illyricum ecclésiastique qui fut l'occasion de conflits d'in-
fluence et de juridiction entre Rome et les patriarches de Constantinople. On
trouve un exposé rapide de ce qui concerne la Bulgarie avant les Bulgares dans
C. Jirecek, Geschichte der Bulgaren, in-8, Prague, 1876, p. 53-216 ; H. Gelzer,
Die Genesis der byzantinischen Themenverfassung, in-8, Leipzig, 1899, p. 42-
6'b ; L. Duchesne, L' Illyricum ecclésiastique, dans les Eglises séparées, in-12,
Paris, 1896, p. 229-279; Jirecek, Das christliche Elément in der topographischeu
Nomenklalur der Balykanlànder, dans Sitzungsberichte der Kais. Akademie der
Wissenschaften in Wien, 1897, t. cxxxvi ; S. Vailhé, Bulgarie, dans le Dictionn.
de théologie catholique, 1905, t. n, col. 1174-1177. A Byzance, on avait tout lieu
de craindre ces sauvages établis à petite distance de la capitale qu'ils terrifiaient,
périodiquement pour rentrer dans leurs établissements vers les embouchures du
Danube après de profitables razzias. Parmi les prisonniers ramenés d'une ex-
pédition en Macédoine s'étaient trouvés des chrétiens qui avaient travaillé à
convertir leurs maîtres, A. Vogt, Basile Ier, p. 22-24; on compte des martyrs,
mais le succès fut peu considérable. « Cependant, si glorieuses que fussent ces
conquêtes, elles n'auraient pas réussi probablement à entamer la nation, si un
prince valeureux n'avait lui-même donné l'exemple, en entraînant à sa suite les
adorateurs des faux dieux. A vrai dire, nous sommes encore assez mai fixés sur
les causes qui déterminèrent une démarche aussi hardie et poussèrent le roi Boris
à recevoir le baplènu'. » Des légendes ont couru qui ont prétendu faire l'honneur
de cette conversion aux deux frères Cyrille et Méthode; ils n'y furent pour rien
et si leurs noms ont été prononcés, ce sont leurs premiers disciples qui l'ont
t';iii tout d'abord. C. Jirecek, Geschichte der Bulgaren, p. 150-160; L. Léger,
Cyrille et Méthode, in-8, Paris, 1868, p. 87-91 ; A. Lapôtre, Le pape Jean VIII,
in-8, Paris, 1895, p. 100-106. (H. L.)
2. D'après M. S. Vailhé, Dictionn. de théolog. cathol., t. n, col. 1179, la conver-
sion de Boris est due, sans doute, à des motifs presque exclusivement politiques.
« Les Slaves de la Moravie, qui touchaient aux limites septentrionales des pos-
CONCILES — IV - ^
434
LIVRE XXIII
trop vite et par la force son peuple à entrer dans l'Église, ses
sujets païens se révoltèrent, et plusieurs de ceux qui étaient déjà
baptisés apostasièrent. Mais Michel étouffa violemment la sédi-
tion et continua l'œuvre commencée 1. Sans compter les mission-
naires grecs, il vint aussi en Bulgarie des Arméniens (peut-être
des paulitianistes, ainsi que le suppose Néander), et d'autres,
plusieurs même sans aucune mission ecclésiastique. Quelques-uns
se firent passer pour prê Ires et annoncèrent des doctrines qui se
contredisaient entre elles 2. Troublé par ces contradictions, assailli
de doutes 3, le roi des Bulgares désira des renseignements certains
sur le véritable christianisme, et durant l'été de 866, il envoya
des députés au pape et à Louis le Germanique, alors à Ratisbonne4.
sessions bulgares, venaient d'embrasser la christianisme, convertis par Cyrille
et Méthode ; Boris, que ses conquêtes avaient rendu voisin des Francs, se trou-
vait entouré d'États chrétiens. Il crut donc utile à ses intérêts de recevoir aussi le
baptême. A la suite d'une campagne victorieuse contre l'empereur Michel III,
il lui offrit la paix à des conditions peu onéreuses et profita de cette circonstance
pour faire profession de la foi chrétienne. L'empereur lui servit de parrain et le
nom de Michel fut choisi par Boris comme nom de baptême. » L. Lamouche,
La Bulgarie dans le passé et dans le présent, in-12, Paris, 1892, p. 62. Cf. Jirecek,
Geschichte der Bulgaren, p. 154, 155 ; A. Lapôtre, Le pape Jean VIII , in-8, Paris,
p. 41 ; V. Lah, De Borisio seu Michaele I, dans Archiv fur kath. Kirchenrecht,
t. xl, p. 274-293; t. xlii, p. 81-120. (H. L.)
1. Cette conversion forcée eut lieu à la fin de 864 ou mieux dans les pre-
miers mois de 865. Nicolas Ier, dans une lettre écrite en 864, parle de la con-
version de Boris comme d'un simple projet, P. L., t. exix, col. 875 ; Hincmar
écrit dans ses Annales Bertiniani, ad ann. 864, que l'on s'attend en Allemagne
au prochain baptême du roi bulgare ; enfin, Photius, dans sa lettre encyclique,
P. G., t. eu, col. 724, déclare qu'il ne s'est pas écoulé tout à fait deux ans entre
l'arrivée en Bulgarie des missionnaires latins (fin de 866) et la conversion des
Bulgares opérée par les prêtres grecs. (H. L.)
2. Voir Nicolas Ier, Responsa ad Bulgarorum consulta, P. L., t. exix, principale-
ment le n. 106.
3. Au lendemain de son baptême, Boris avait demandé à Photius un archevê-
que, des évèques et toute une hiérarchie. Photius, plus fin que de raison, ne crut
pas à la sincérité de la demande, sacrifia quelques missionnaires qu'il expédia
à Boris avec une lettre. P. G., t. en, col. 627-696. Celui-ci était plus sincère
que les apparences auraient pu donner lieu de le croire. Ce Boris est un personna-
ge fort curieux que A. Lapôtre, Le pape Jean VIII, p. 49-51, 53, a fait entrevoir
autant que cette étrange figure peut se laisser connaître. Ce terrible homme ne se
payait pas de phrases. Il tenait à son idée et envoya au pape et au roi de Germa-
nie deux ambassades qui devaient solliciter toujours l'envoi d'une hiérarchie
ecclésiastique. (H. L.)
4. L'ambassade arriva à Borne, au mois d'août 866, Liber pontificalis
478. LES BULGARES ET LE PAPE NICOLAS ier 435
Il demandait à ce dernier des prêtres capables d'enseigner; Louis
lui envoya Ermanrich, éveque de Passau, et des clercs munis
de vases sacrés, d'habits et de livres liturgiques dont Charles le
Chauve avait fourni une partie 1. Mais les Romains avaient devan-
cé les Germains en Bulgarie ; à leur arrivée ceux-ci trouvèrent
les missions des prêtres romains établies, ce qui les décida à ren-
trer chez eux.
L'ambassade des Bulgares était arrivée à Rome au mois d'août
[347] 866 ; elle apportait de nombreux présents, parmi lesquels les
armes du roi dans la guerre contre les révoltés. Les Bulgares
demandaient des prêtres, et soumettaient plus de cent questions
ou doutes sur différents points de la foi ou de la morale 2. Le pape
Nicolas nomma aussitôt légats en Bulgarie les évêques Paul de
Populonia en Toscane et Formose de Porto 3, et leur remit
édit., Duchesne, t. n, p. 164, tandis que la mission envoyée à l'empereur
n'atteignit Ratisbonne que vers la fin de cette même année, Ann. Fuldenses,
ad ann. 866 ; Ann. Bertin., ad ann. 866, dans Mon. Germ. Iiistor., Script., t. i,
p. 379, 474 (H. L.)
1. A. Lapôtre, Le pape Jean VIII, p. 55 et note 5. (H. L.)
2. Le pape Nicolas avait saisi l'occasion et avait donné deux évêques d'un
coup à ce Bulgare ami des titres pompeux. Ayant déjà des sièges épiscopaux,
Formose et Paul ne gouverneraient l'Église bulgare qu'à titre provisoire. Ils
emportaient les fameux Responsa qui, sans parler de leur utilité dans la situa-
tion nécessairement, compliquée issue d'une conversion en masse, avaient surtout
l'immense mérite de tenir la porte ouverte sur le rêve le plus chèrement caressé
de Boris, l'établissement d'un patriarche à la tête de sa hiérarchie, ce qui
le mettrait sur le même pied que l'empereur de Byzance. Aux yeux de ces bar-
bares, un patriarche était moins le sommet honorifique de la hiérarchie que
le dispensateur responsable du titre et des insignes impériaux. Posséder un
patriarche c'était, lorsqu'on se savait quelque énergie, la perspective assurée de
se faire proclamer Basileus, titre fatidique et éternel objet de la convoitise
bulgare. Le pape qui savait beaucoup et devinait le reste ne prononçait ce mot
de patriarche qu'avec les plus formelles réserves. Il promettait un archevê-
que investi du pallium. C'était beaucoup et, avec le temps, Boris comptait
bien obtenir le reste; aussi oublia-t-il Photius et le roi de Germanie. Quand
l'ambassade envoyée par ce dernier arriva, Boris n'eut rien de plus pressé que de
la congédier. (II. L.)
3. Nous avons rencontré Formose au concile de Rome en juillet 869. Voir
§ 473, p. 387 note). Il avait joui, en son temps, de la meilleure réputation.
Le Liber pontificalis, dans la Vita Nicolai, nous le montre désigné pour la mis-
sion de Bulgarie en ces termes: Paulum scilicel Populoniensem et Formosum
Portuensem magnée sanctitatis episcopos. Anastase dans sa Prsefatio ad syno-
dum octavam nous dit : Formosum Portuensem sancts conversationis, P. L.,
436
LIVRE XXIII
en novembre 866, ses célèbres Responsa ad consulta Bulgaro-
rum, qui comptent cent six chapitres 1. Néander écrit à leur sujet :
« Ils prouvent que le pape ne se proposait pas seulement d'intro-
duire chez les Bulgares l'Eglise romaine, c'est-à-dire la papauté
et les cérémonies chrétiennes, il avait aussi fort à cœur de rendre
les Bulgares attentifs à la pratique des devoirs de la vie chré-
tienne; et la manière dont il traita ce sujet de vue, tout en tenant
compte de la situation d'un peuple nouvellement converti, fait
honneur à sa prudence pastorale 2. » Photius écrivit aux Bulgares
nouvellement convertis une lettre qui porte le n. 1 dans l'édition
de ses lettres par Montagu; elle se trouve en partie dans toutes
les collections des conciles, où on en a utilisé les passages concer-
nant les sept premiers conciles œcuméniques s ; mais cette lettre
de Photius est, au point de vue de l'utilité publique, bien infé-
rieure aux Responsa dû pape, et Néander a raison d'écrire : « Ce
document prouve que Photius, tout savant et rusé qu'il était, ne
savait pas se mettre à la portée de ces gens comme un évêque
de l'Occident, d'une moindre intelligence 4. »
La mission des évêques Paul et Formose en Bulgarie, eut lieu
en même temps que celle de Donat d'Ostie, du prêtre Léon et
t. cxxix, col. 20, et Hincmar de Reims, qui ne flatte guère son prochain, lui
reconnaît de la science et de la doctrine. Flodoard, Hist. Rem. Eccles., Reims,
1854, 1. III, c. xxi, p. 218. Flodoard, plus bénin, le désigne ainsi:
Prœsulhic egregius Formosus laudibus altis
Evehitur, castus, parcus sibi, largus egenis.
De Roman, pontif., dans Muratori, Script, rer. Italie, t. ni, part. II, col. 317 ;
Liutprand le qualifie de papa religiosissimus et encore : Portuensis civitatis epis-
copum, pro vera religione divinarumque doctrinarum scientiam papam sibi fieri
anhelabat. Liutprand, Antapodosis, I. I, c. xxvm, xxix, dans Pertz, Monum.
Germ. histor., Scriptores, t. m, p. 282. Sur Formose, cf. A. Lapôtre, dans la
Revue des questions historiques, 1880, t. xxvn, p. 411-420 ; le même, Le pape
Jean VIII, p. 56-62. (H. L.)
1. Responsa Nicolai I ad consulta Bulgarorum, dans Mansi, op. cit., t. xv,
col. 401 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 354; P. L., t. exix, col. 978 sq.
2. Néander, Kirchengeschichte,t. iv, p. 55. [« Si les lettres apostoliques, les
fameux Responsa, étaient moins remplies de hautes spéculations théologiques
et d'une facture littéraire moins parfaite, elles contenaient en revanche une foule
d'instructions positives, à la portée de ceux qu'elles visaient, et où le génie
pratique du Romain gardait l'avantage sur la métaphysique byzantine. » A. La-
pôtre, Le pape Jean VIII, p. 54. (H. L.)]
3. Voir Hardouin, op. cit., t. v, col. 1463.
't. Néander, op. cit., t. iv, p. 53.
478. LES BULGARES ET LE PAPE NICOLAS Ier 437
du diacre Marin à Constantinople; ils prirent tous le même che-
min vers la Bulgarie, et on vit bientôt que cette route était la
seule sûre 1. Voici le résumé des cent six Responsa ad consulta
Bulgarorum : 1. Le christianisme comprend la foi et les bonnes
œuvres. 2. Il est défendu de se marier avec ses parrains. 3. Des-
cription des usages latins pour la célébration d'un mariage ;
[348] toutefois ces cérémonies ne sont pas toutes absolument néces-
saires, et plusieurs sont omises quand il s'.agit des pauvres. Le
principal est le consentement, à défaut duquel les cérémonies
sont de nulle valeur, le mariage eût-il été consommé. 4 et 5.
Sur les jours de jeûne. Lorsque Noël, l'Epiphanie, une fête
de Marie, celles des saints Pierre et Paul, Jean-Baptiste, Jean
l'Evangéliste, André ou Etienne tombent un vendredi, on peut
ce jour-là manger de la viande. 6. Les Grecs ont tort de pen-
ser qu'on ne doit se baigner ni le mercredi ni le vendredi. On
peut même le faire le dimanche. 7 et 8. Un homme impur ne doit
ni baiser ni porter la croix. 9. Celui qui est sans péché mortel
doit communier tous les jours pendant le carême, mais il doit
aussi pendant ce temps s'abstenir du mariage. 10. On doit s'abste-
nir du travail le dimanche seulement, et non le samedi jour du
sabbat. 11. Enumération des fêtes des saints chômées : fêtes de
Marie, des douze apôtres, des évangélistes, de saint Jean-Baptiste
et de saint Etienne. 12. Ces jours-là les tribunaux chôment et on
suspend toute exécution. 13. Conformément à votre désir, nous
avons donné aux légats les codes des lois civiles ils devront les rap-
porter,parce que, laissés à vous-mêmes, vous ne sauriez les expli-
quer d'une manière pertinente. 14-16. Vous rapportez qu'un grec
s'est donné chez vous comme prêtre et a baptisé plusieurs personnes
avant d'être dévoilé, alors vous lui avez coupé le nez et les oreilles,
et vous l'avez chassé. Cette cruauté exige pénitence; quant au
baptême, il est valide, s'il a été administré au nom de la Trinité.
17. Il n'est pas juste que le roi fasse exécuter ceux qui se sont
révoltés, ainsi que leurs enfants. 18. Le baptisé, devenu relaps,
doit être converti de force (voir le n. 41). 19-32. Sur la manière
de traiter diverses espèces de malfaiteurs, exhortation à la clé-
mence, allusions aux codes des lois civiles et ecclésiastiques que
1. Annales Berlin, et Fuldenses, dans Pertz, op. cit., t. i, p. 379, 380, 473,474,
et Vita S. Nicolai I Ponlif., dans Baronius, Annales, ad ann. 866, n. 1 ; Mansi,
op. cit., t. xv, col. 156 ; P. L., t. cxxvm, col. 1374.
438 LIVRE XXIII
les missionnaires emportent avec eux. Dans nombre de cas, il
faudra laisser aux prêtres le soin de décider. 33. Au lieu d'une
queue de cheval, vous porterez désormais une croix sur vos éten-
dards. 34-36. Sauf le cas de nécessité, vous ne devez pas guerroyer
un jour de fête ; à part cela, il ne faut pas s'attacher à tel ou tel
jour. Abandonnez les anciens usages païens et commencez toute
campagne par la prière et les bonnes œuvres. 37. Nous vous en-
voyons volontiers les livres nécessaires. 38. Plus le danger est
grand dans une guerre, plus il importe de prier. 39. Degrés de
parenté qui s'opposent au mariage. 40. L'ancienne coutume de tuer
ceux qui ne sont pas prêts pour la guerre doit être abandonnée.
41. Que nul ne soit forcé d'embrasser le christianisme. 42. La cou- [349]
tume que le roi mange seul n'est pas antichrétienne, mais elle
n'est pas louable, parce qu'elle n'est pas conforme à l'humilité.
43. On peut manger toute sorte de viandes si elles ne sont pas
nuisibles par elles-mêmes. 44. On ne doit pas chasser en carême,
car il n'est pas permis pendant ce temps de manger de la
viande. 45 et 46. Quant à savoir si, durant le carême, on peut
juger et faire la guerre, nous avons déjà répondu aux numéros
12 et 34 \ 47 et 48. Pendant le carême, on ne doit ni faire des
parties de plaisir ni célébrer des noces. 49. Tous les usages qui
ne constituent pas des péchés doivent être conservés après
la conversion. 50. Votre évêque ordonnera la conduite à tenir à
l'égard de ceux qui ne s'abstiennent pas du mariage pendant le
carême. On devra, dans ces cas, prendre diverses circonstances
en considération. 51. Un chrétien ne doit pas avoir deux femmes.
52. Pour la punition de ceux qui mutilent un homme, on s'en tien-
dra aux codes. 53. On doit faire le signe de la croix sur la table,
même lorsque aucun prêtre ni diacre n'assiste au repas. 54. Les grecs
s'abusent en croyant que c'est une grande faute de ne pas placer
ses mains sur sa poitrine ; rien n'est prescrit sur ce point, lors-
qu'on se trouve dans l'église. Plusieurs enlacent leurs mains d'une
manière symbolique, et pour demander à Dieu de ne pas lier leurs
mains comme celles du pécheur dont il est parlé dans saint
Matthieu, xxn, 13 2. 55. Les grecs ont eu tort de défendre de
1. Ces redites ne prouvent rien, quoi que suppose Damberger, contre l'unité
de ce document, ce défaut provenant de ce que les demandes des Bulgares
n'étaient pas disposées dans un ordre logique.
2. Voyez Vierordt, De junctarum in precando manuum origine indo-germa-
nica et usu inter plwimos christianos adscito, 1851.
478. LES BULGARES ET LE PAPE NICOLAS Ier 439
recevoir la sainte eucharistie sans porter la ceinture. 56. Il est
permis d'ordonner des jeûnes et des prières pour obtenir la pluie.
57. Les grecs défendent à tort de manger d'un animal tué par un
eunuque. 58. Les femmes doivent être voilées dans l'église. 59.
Vous êtes libres, vous et vos femmes, de porter des pantalons ou de
n'en pas porter. 60. Nul ne doit manger avant la troisième heure
du jour. 61. Les laïques doivent observer les heures de prières
quotidiennes. 62. Votre ancien usage de médicamenter les malades
avec une certaine pierre (miraculeuse) doit être aboli. 63. Le
dimanche (soit le jour soit la nuit) on ne doit pas user du mariage.
64. L'homme ne doit pas avoir commerce avec sa femme après
les couches de celle-ci, et aussi longtemps qu'elle nourrira son
enfant. 65. Celui qui n'est pas à jeun ne doit pas communier ;
[350] mais on admettra à la communion celui qui a saigné de la bouche
ou du nez. 66. Les hommes portant le turban ne doivent pas en-
trer dans l'église. 67. Ne jurez plus sur le glaive, mais sur l'Evan-
gile. 68. Vous demandez combien de temps une femme doit s'abs-
tenir d'aller à l'église après ses couches; elle peut, si elle a assez de
forces, y aller le jour même. 69. Le temps ordinaire du baptême
est Pâques et la Pentecôte. 70. Devez-vous chasser un prêtre
marié ? Non, car des laïques ne doivent pas juger un clerc ; c'est
à l'évêque à juger. 71. Vous demandez si vous devez recevoir
la communion des mains d'un prêtre coupable. Oui. 72-73. Vous
demandez si vous devez avoir un patriarche et où il doit être sacré.
Provisoirement, il suffit d'un évêque qui sera sacré à Rome. Si le
nombre des fidèles s'acrcoît en sorte que plusieurs évêques
soient nécessaires, l'un d'entre eux obtiendra du Saint-Siège
les privilèges d'un archevêque et instituera les autres évêques.
A sa mort, les évêques lui nommeront un successeur. A cause
de la distance, il n'est pas nécessaire qu'il vienne à Rome pour
y être consacré ; mais il se bornera à dire la messe sans rem-
plir d'autres fonctions ecclésiastiques, jusqu'à ce qu'il ait
reçu le pallium. 74. Vous demandez ce qu'il faut faire lorsque
l'ennemi survient, la prière n'étant pas encore terminée. Vous
devez la terminer ; mais cela peut se faire partout, même en
marche. 75-76. Les légats vous apporteront le pénitentiel et le
livre de messe que vous demandez. Mais ces livres ne doivent
pas être mis entre les mains des laïques. 77. Vous consultez au
sujet d'une superstition en usage chez les grecs (une sorte de
sortes Sanctorum). Il faut la rejeter. 78. Vous annoncez que les
44
0 LIVRE XXIII
révoltés veulent faire pénitence, mais que les prêtres (grecs)
(jui sont chez vous ne veulent pas les y admettre. On doit le faire.
79. Défenses portées contre les amulettes. 80-82. Sur les traités de
paix avec vos voisins, soit chrétiens, soit païens. Avec ces derniers,
on ne doit faire la paix que pour pouvoir les amener à la vraie foi.
83-85. Vous devez punir les malfaiteurs, mais non les clercs.
Exhortation à la douceur. 8b. Défense d'appliquer la torture.
87. Celui qui obligera autrui à entrer dans un monastère sera
puni. 88. Vous ne devez pas prier pour ceux des vôtres qui sont
morts dans l'infidélité. 89. Les offrandes des prémices sont très
anciennes. 90. On peut manger un animal mort à la suite d'un
coup et sans avoir été saigné. 91. En revanche, vous ne devez
pas manger d'un animal qui, poursuivi par un chrétien, a été
tué par un infidèle (ou vice versa). On ne doit avoir aucun rap- [351]
port avec les infidèles. 92. Vous demandez quels sont les vrais
patriarches. Ce sont, à proprement parler, ceux des trois sièges
fondés par les apôtres, c'est-à-dire ceux de Rome, d'Alexandrie
et d'Antioche. Sans doute, les évêques de Constantinople et de
Jérusalem sont aussi appelés patriarches; mais ils n'ont point
la même autorité, car le siège de Constantinople n'a pas été
fondé par un apôtre ; le concile de Nicée, le plus vénérable
de tous, ne parle pas d'un patriarcat de Constantinople, qui
doit son origine au caprice des princes plutôt qu'à des raisons
légitimes. Quant à la Jérusalem actuelle, ce n'est plus l'an-
cienne, qui a été détruite de fond en comble. 93. Vous deman-
dez quel est le patriarcat qui occupe le second rang. Le concile
de Nicée répond que c es1 celui d'Alexandrie. 94. La prétention
des grecs, que seuls ils font le chrême et l'envoient à l'univers
entier, n'est pas fondée. 95. Vous devez respecter le droit
d'asile des églises. 96. Nul ne doit renvoyer sa femme sauf le
cas d'adultère. 97. On doit traiter avec douceur les esclaves
infidèles. 98. On ne doit pas enterrer à l'église les suicidés,
ni offrir pour eux le saint sacrifice. 99. Les chrétiens doivent
être enterrés dans les églises où l'on songera plus à prier
pour eux. 100. Ceux qui sont morts à la guerre doivent être
rapportés cliez eux pour y être enterrés (dans l'église). 101. Sur
la manière de donner l'aumône. 102. Nul ne doit, nous l'a-
vons déjà dit, être amené de force au christianisme. 103.
Les livres que nous avez pris aux Sarrasins doivent être
détruits. 104. Nous dites qu'un juif, dont la conversion au
4 7 8. LES BULGARES ET LE PAPE NICOLAS 1er 441
christianisme est douteuse, a baptisé un grand nombre de per-
sonnes. Ces baptêmes sont valides, s'ils ont été administrés au
nom de la Trinité et au nom du Christ (comme dans les Actes
des apôtres). 105. Vous ne devez pas écouter des prédicateurs
sans mission. 106. Vous me demandez de vous enseigner le véri-
table christianisme, parce qu'il est venu dans votre pays des
chrétiens parlant, diverses langues, Grecs, Arméniens, etc., et
ayant, des enseignements différents. L'Église romaine a été cons-
tamment, sans souillure et a toujours possédé le véritable chris-
tianisme. Pour vous faire connaître ce christianisme, je vous en-
voie des légats et des livres. A l'égard de tous autres prédicateurs,
il est nécessaire d'user de prudence, afin qu'il ne naisse pas de
dissensions. Peu importe qui prêche; l'essentiel est que le sermon
soit conforme à la vérité. Mes légats et les évoques que vous au-
rez vous diront la conduite à tenir dans les cas douteux; quant
aux choses plus importantes, vous aurez soin de consulter tou-
jours le Siège apostolique.
[352] Les légats du pape reçurent chez les Bulgares l'accueil le plus
bienveillant, et ils y firent la plus riche moisson ; le roi Michel
fut tellement satisfait de ces légats qu'il renvoya tous les autres
missionnaires, et un jour lui et ses Bulgares se firent couper les
cheveux solennellement en signe d'adhésion à l'Eglise romaine.
Il envoya à Rome une seconde ambassade pour demander au
pape de nommer Formose archevêque des Bulgares, et d'en-
voyer d'autres prédicateurs 1.
1. Baronius, Annales, ad ann. 867, n. 1-3 ; ad ann. 869, n. 73 ; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 757 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 157; op. cit., t. xvi, col. 11 ; P. L.
t. xvi, col. 11 ; P. L., t. cxxviii, col. 1374 ; Hergenrôther, Pholius, t. i, p. 594-
617. Les Responsa ad consulta Bulgarorum sont un précieux document de disci-
pline ecclésiastique, auquel les collections canoniques du moyen âge ont large-
ment puisé. Gratien en particulier en cite neuf canons : n. 70; D. XXVIII, c. 17 ;
n. 71, C. XV, q. vm, c. 5; n. 46, c. XXIII, q. vin, c. 15; n. 3, c. XXVII, q. n, c. 2;
n. 2, c. XXX, q. m, n. 1; n. 3, c. XXX, q. v, c, 3; n. 96, c. XXXII, q. vi,c.
11; n. 4, D. IV, c.Vt,De cons. — « Dès son arrivée en Bulgarie, il s'était établi entre
Formose et le roi Boris uni' intimité extraordinaire. Liberté complète lui avait
été donnée d organisera son gré la jeune chrétienté bulgare, et il en usait avec
un zèle qu'un peu plus de modération n'eût probablement pas gâté. Partout, sur
les ruines des vieux sanctuaires païens, s'élevaient des églises consacrées au Christ,
partout le rite latin était substitué au rite grec. Flodoard, De roman, pontifie, dans
Mabillon, Acta sanct.O. S. B., ssec. in. part. 2. l. tv, p. 605 ; Anastase, Préf. auVIIIe
concile, P. L., t. cxxix, col. 20. Tout ce qui était byzantin, les personnes comme
les coutumes, était sévèrement banni. On donnait pour raison à l'expulsion du
442
LIVRE XXIII
479. Conciliabule de Photius en 867. Déposition du pape.
La mort de Bardas n'amena aucun changement dans les diffi-
cultés religieuses à Constantinople. Le ruse Photius oublia
son ancien protecteur et rivalisa avec d'autres pour l'injurier
et pour louer son meurtrier, le grand chambellan Basile le Macé-
clergé grec, qu'il était de l'ordination de Photius ou engagé dans le mariage. Ha-
drien II, Epist. ad Ignatium, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 414. Le mariage
des prêtres en particulier, ce vieil usage de l'Eglise grecque, ne devait pas trou-
ver grâce devant l'austère célibat romain. En vain Photius s'élevait avec éclat
contre ces entreprises, en vain il ripostait par une attaque virulente contre la foi
et les pratiques des Occidentaux. P. G., t. en, col. 724-732. Dans ce premier choc
des deux redoutables adversaires, la victoire restait à l'évêque de Porto. Elle
eût été probablement définitive, si son excès même ne l'avait compromise et
changée finalement en une irréparable défaite.
« Il arriva, en effet, qu'à force d'admirer Formose et de le voir à l'œuvre, Boris
s'était pris d'une envie folle de l'avoir pour archevêque. C'était Formose qu'il
lui fallait à tout prix comme chef suprême de sa hiérarchie ecclésiastique. A Rome
beaucoup se persuaderont un jour, Jean VIII comme les autres, que Boris avait
été amené à ce violent désir par les artificieuses manœuvres de l'évêque de Porto.
Sententia I in Formosum, P. G., t. cxxvi, col. 676. En réalité, il suffisait bien au
roi bulgare d'avoir pratiqué Formose durant plus d'une année, d'avoir été ébloui
par le prestige qu'il répandait autour de lui, par la grande influence que lui don-
naient son savoir, ses mœurs, l'énergie un peu hautaine de son caractère, pour se
persuader de lui-même qu'avec un tel homme à sa tête l'Église bulgare pourrait
s'élever au premier rang, jusqu'à éclipser Byzance et son savant patriarche.
« Au demeurant, la faute de Formose, celle qu'il a commise certainement, celle
quia sinon décidé, du moins précipité le dénouement, c'est de n'avoir rien fait
pour détourner Boris de son dessein ; c'est de l'avoir, au contraire, entretenu
dans l'espoir chimérique qu'il pourrait l'obtenir de Rome comme archevêque.
Mieux que personne cependant, il savait que le pontife romain ne pouvait le trans-
férer d'un siège à un autre sans violer une loi ecclésiastique établie par plusieurs
conciles, et qui, à Rome plus que partout ailleurs, demeurait en vigueur. C'était
même,à ce qu'il semble, pour ce motif, que le pape Nicolas Ier, peu de temps avant
sa mort, avait mis fin à la mission de Formose en Bulgarie. Liber pontificalis,
édit. Duchesne, Vita Nicolai, c. lxxiv-lxxv, t. n, p. 165. Mais celui-ci, au lieu
de profiter de l'occasion pour rompre un lien dangereux, s'en était servi au con-
traire pour le resserrer davantage. Avant de reprendre le chemin de Rome, de
solennels serments avaient été échangés entre Boris et lui : Boris jurant qu'il
n'accepterait jamais d'autre archevêque que Formose, Formose jurant qu'il
reviendrait vers Boris le plus promptement possible. Sententia I in Formosum,
P. L., t. cxxvi, col. 676. Le résultat de cet imprudent serment fut que, pendant
près d'un an encore, le roi bulgare s'obstina à demander au Saint-Siège le retour
479. CONCILIABULE DE PHOTIUS EN 867 443
donien, qui, nommé d'abord co-régent, fut ensuite, à la Pen-
tecôte de 866, solennellement sacré et intronisé par Photius.
Basile, homme de basse extraction, né dans un bourg près d'An-
drinople, et surnommé pour ce motif le Macédonien, avait, par sa
force corporelle et, son adresse à monter et à dresser les chevaux,
attiré sur lui l'attention de l'empereur 1, L'empereur nomma
premier écuyer, puis premier chambellan Basile, qui se montrait
toujours joyeux compère dans les grands festins et les orgies
du palais. L'empereur était fatigué d'une de ses maîtresses nom-
mée Ingérina Eudoxie; Basile pour l'épouser répudia sa femme
légitime 2 ; en revanche, l'empereur épousait Thècle, sœur de Basile.
de l'évêque de Porto, tandis que, de son côté, le pape Hadrien II, à l'exemple de
son prédécesseur Nicolas, persistait à le lui refuser, Liber pontificalis, Vita
Hadriani, c. lxii, t. n, p. 185. Or, toutes ces lenteurs donnèrent le temps à une
révolution de s'accomplir à Byzance. Le 23 septembre de l'année 867, l'incapable
empereur Michel III tombait sous le poignard d'assassins armés par Basile.»
A. Lapôtre, L'Europe et le Saint-Siège à l'époque carolingienne. I. Le pape
Jean VIII, in-8, Paris, 1895, p. 56-58. (H. L.)
1. Sur la généalogie et les origines de Basile, cf. A. Vogt, Basile IeT empereur
de Byzance (867-886) et la civilisation byzantine à la fin du ixe siècle, in-8, Paris,
1908, p. 21 sq. Basile était né aux environs de l'année 812 ; tout enfant en 813 >
il était, avec ses parents et une douzaine de mille d'habitants d'Andrinople, em-
mené en captivité chez les Bulgares. Il grandit là, élevé à la dure, mais par des
parents incultes ; aussi fut-il toujours ignorant. Il ne sut jamais écrire, et, après
être monté sur le trône, ce fut au prix d'un travail acharné qu'il put acquérir quel-
ques connaissances indispensables. Au point de vue moral, ses parents ne purent
lui mettre l'empreinte de leur foi ardente. Basile avait vingt-cinq ans quand il
revint en Macédoine, chargé de fournir aux besoins de sa famille depuis la mort
du père. La vie matérielle lui parut trop pénible et il alla chercher à Byzance
l'emploi de sa force, de son intelligence, de son ambition. Il semble qu'il entra
sans trop attendre au service d'un grand seigneur, parent de l'empereur et en peu
de temps son adresse et sa vigueur commencèrent à le signaler. Sa fortune com-
mençait, il y aidait de son mieux en déblayant la route de l'obstacle que des scru-
pules intempestifs eussent pu y élever. Ses succès sont ceux d'un Hercule de
foire et d'un hardi maquignon ; mais tels quels ils lui suffisent pour se faire une
réputation. Pendant ce temps il se glisse petit à petit dans l'intimité de l'empe-
reur avec d'autant plus de souplesse qu'il lui fallait tromper la défiance du César
Bardas. Celui-ci exerça le pouvoir absolu pendant dix ans tandis que Basile
s'élevait peu à peu des écuries au rang déjà recherché de prostrator et bientôt
à celui de patrice. La conspiration qui devait aboutir au renversement du César
Bardas fut habilement préparée, sans faiblesse, comme sans précipitation. Basile
porta à son rival d'influence le premier coup de couteau. Basile fut en récompense
créé « magistros et fds adoptif », puis, quelques jours plus tard, co-empereur
(26 mai. (H. L.)
2. A. Vogt, op. cit.. p. 56-57. (H. L.)
444 LIVRE XXIII
Photius parut tout ignorer, bénit et sacra le pieux césar 1. Assuré
de l'appui de la cour, le patriarche intrus de Constantinople
persécuta plus que jamais ses adversaires, et n'épargna, dit Nicétas,
ni les brutalités ni les cruautés 2. Invoquant une ordonnance de
l'empereur, il se fit remettre toutes les donations ou héritages
laissés aux pauvres, et devint ainsi la providence non seulement
des pauvres, mais aussi de beaucoup d'autres personnes qui
avaient jusque-là refusé d'entrer en communion avec lui, et qui [353]
se virent obligées d'avoir des rapports avec le grand aumônier
impérial. Il fonda une école dont chaque auditeur devait au préa-
lable se déclarer, par écrit, en communion ecclésiastique avec le
patriarche 3. Autrefois, encore laïque, il avait exigé de ses disci-
ples une protestation écrite d'attachement à sa doctrine, et on le lui
reprocha au VIIIe concile œcuménique (can. 9.). Photius pensa le
moment venu de jeter le masque de politesse qu'il avait gardé
vis-à-vis de Rome, et de se venger du pape. Les succès des mission-
naires romains en Bulgarie avaient été comme de l'huile jetée
sur le feu de sa colère. Il était surtout irrité de ce que les mis-
sionnaires romains avaient regardé comme invalide et partout
renouvelé la confirmation octroyée par ses prêtres en Bulga-
rie 4. Aussi conçut-il le projet de réunir un grand concile qui
prononcerait la déposition du pape Nicolas. Nous possédons en-
core sa lettre aux patriarches d'Orient ; elle est pleine des ac-
cusations les plus passionnées contre Rome et l'Eglise latine 5.
Satan, y est-il dit, n'a pas assez de tant de plaies faites à l'Eglise
depuis Simon le Magicien partant d'hérésies. Après avoir vaincu
lous ces ennemis, on pouvait espérer vivre en paix, d'autant
mieux que les Arméniens étaient revenus dernièrement à l'Eglise
et que les Bulgares s'étaient faits chrétiens. Mais, ô douleur ! à
1. A, Vogt, op. cit., p. 39. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 981.
3. Anastasii. Interpret. synodi VIII, Prsefat., dans Hardouin, op. cit., t. v,
col. 732; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 5; P. L., t. cxxix, col. 13.
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1113 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 418.
5. Photius, Epist. encycl, P. G., t. en, col. 724-732. Le patriarche Beccos, De
unione ecclesiarum, P. G., t. cxli, col. 936, plaçait à tort la composition de cette
lettre à la suite du dépit éprouvé par Photius de sa condamnation à Rome sous
Hadrien II. C'est à la suite de la mission romaine en Bulgarie que cette invective
a été écrite, comme l'ont bien vu Hefele, Hergenrôther, Photius, t. i, p. 642;
A. Lapôtre, Le pape Jean VIII, p. 56. (H. L.)
479. CONCILIABULE DE PHOTIUS EN 867 445
peine ceux-ci étaient-ils initiés depuis deux ans 1 à la foi que les
hommes de ténèbres, c'est-à-dire les Occidentaux, se sont pré-
cipités sur ce peuple comme des bêtes féroces, afin de dévaster par
leurs fausses doctrines et leurs mœurs dépravées cette vigne de
Dieu nouvellement plantée. « Ils ont engagé les Bulgares à
jeûner le jour du sabbat 2, ce qui est défendu par le 66e ca-
non apostolique. Ils séparent du temps consacré au jeûne la pre-
mière semaine du carême, pendant laquelle ils permettent de boire
du lait et de manger du fromage... Ils sont la cause que des prê-
tres légitimement mariés ne sont plus estimés; voilà ce qu'ont fait
[oo4J ces hommes qui prennent pour femmes plusieurs filles sans maris
et les rendent mères d'enfants dont les pères sont inconnus. Ils
n'ont pas rougi de confirmer de nouveau les personnes ointes du
chrême par un prêtre, sous prétexte que c'était là l'office de l'évê-
que. Peut-on faire des choses plus insensées?... Ils sont allés jusqu'à
l'extrême limite du mal, et ils ont falsifié le symbole en y in-
troduisant le Filioque. Quel serpent tortueux a mis cela dans leur
cœur ? Ils ont par là introduit deux principes dans la Trinité (dé-
veloppement). Telles sont les impiétés que ces évêques de ténèbres
ont répandues parmi les Bulgares. Cette nouvelle a mortellement
blessé mon âme ; elle m'a frappé comme si j'avais vu mes fils déchi-
rés par des serpents et des bêtes féroces. Aussi avons-nous condam-
né ces malfaiteurs par des décisions synodales, non pas en ren-
dant de nouveaux décrets, mais en remettant en vigueur des canons
apostoliques ou d'autres canons de l'antiquité (can. 64, 66 des apô-
tres ; can. 13 et 55 in Trullo; can. 4 de Gangres). Nous portons à
votre connaissance tous ces faits suivant l'ancienne coutume, vous
priant de nous envoyer des députés qui nous aident à arracher
cette ivraie. J'espère que les Bulgares se laisseront regagner,
car il n'est pas jusqu'au cruel Ruthène qui ne se soit converti. Vos
députés doivent être munis de pleins pouvoirs bien en règle. Il
m'est aussi venu d'Italie des plaintes contre Nicolas (de Thietgaud,
Gûnther et d'autres 3). Ils sollicitent aide contre la tyrannie du pape,
dont nous ont aussi parlé les moines Basile. Zozime et Métrophanes.
1. En moins de, deux uns; cet apostolat de la Bulgarie avait été mené avec
une rapidité telle que Photius lui-même ne trouve à lui comparer que la mar-
che de la foudre. P. G., t. en, col. 724-732. (H. L.)
2. Le pape Nicolas ne disait rien de semblable, cf. Hergenrôther, Photius, Pa-
triarch von Constantinopel, in-8, Ratisbonne, 1867, t. i, p. 643.
3. Cf. Lammer, Papst Nicolaus I, p. 29 ; Hergenrôther, op. cit., p. 547.
446 LIVRE XXIII
Je vous envoie ci-joint copie de la lettre des latins, parce que le
concile général qui va se tenir aura à juger ce document. Enfin
vous devez regarder comme œcuménique le VIIe concile général
et l'ajouter aux autres, car j'apprends que cela ne se fait pas
encore chez vous 1. »
Au moment où Photius combinait ces plans, arrivèrent sur
les limites de l'empire de Byzance les légats du pape se rendant à
Constantinople, accompagnés des ambassadeurs du roi des Bul-
gares ; mais l'officier impérial Théodore, gardien de ce poste,
leur barra le passage. On chassa leurs chevaux à coups de fouet
et on les poursuivit eux-mêmes avec des injures. Les Bulgares
furent seuls autorisés à faire route jusqu'à Constantinople, où [355]
ils espéraient s'employer pour les légats du pape. Mais l'empe-
reur, très mécontent de ce que le roi des Bulgares eût laissé tra-
verser son pays par ces légats, déclara ouvertement que «si ces
derniers avaient traversé ses provinces, ils n'eussent jamais revu
Rome. »
Après quarante jours d'attente à la frontière de l'empire, les
légats reçurent enfin de Constantinople l'avis de ne se montrer
qu'après avoir signé une profession de foi par laquelle ils recon-
naîtraient comme très fondées les attaques de Photius contre les
latins et entreraient en communion avec lui. Ils repoussèrent ces
demandes, et revinrent près du roi des Bulgares, à qui l'empereur
avait envoyé un mémoire évidemment composé par Photius, afin
de le déterminer à rejeter la communion des latins. Ce mé-
moire renfermait contre l'Église occidentale les mêmes repro-
ches que la circulaire de Photius aux patriarches orientaux, et
leur ressemblance est facile à établir, quoique la lettre aux Bulgares
comprenne deux accusations de plus. Cette lettre est perdue, mais
nous en connaissons le contenu par le pape Nicolas (epist. lxx), au-
quel les Bulgares, dévoués à Rome, en adressèrent une copie par
l'entremise des trois légats 2. Avec eux partit probablement l'am-
bassade bulgare, chargée de solliciter l'envoi de nouveaux mis-
sionnaires et la nomination de Formose comme archevêque des
1. Photii, Epist. n, éd. Montaigu, p. M, ; en latin, dans Baronius, Annales, ad
ann. 863, n. 34. Cf. Lâmmer, op. cit., p. 44 sq. ; Hergenrôther, op. cit., p. 639-
648.
2. Baronius, Annales, ad ann. 867, n. 4, 43 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 307;
Mansi, op. cit., t. xv, col. 157, 355 ; Liber ponlif., Vita Nicolaï I, dans P. L.t
t. cxxviii, col. 1374.
479. CONCILIABULE DE PHOTIUS EN 867 447
Bulgares. Le pape ne put accéder à celte dernière prière, les
canons défendant les translations épiscopales. Jusqu'alors, on
n'avait jamais élu, même pour pape, un candidat déjà évêcpue;
quinze ans plus tard Marin fut le premier; en 891 Formose lui-
même fut le second pour qui on s'écarta de la règle ancienne.
Le papeNicolas désigna les évêquesDominique deTriventum près
de Bénévent, et Grimoald de Polimartium, avec plusieurs prêtres,
pour fortifier la mission de Bulgarie; ils devaient éclairer les Bul-
gares sur la situation de Formose, et leur dire que le pape était
disposé à nommer archevêque l'un des prêtres qui avaient tra-
[356] vaille à leur conversion. Grimoald et Formose reçurent mission
de se rendre comme légats à Constantinople, du moins de faire
une tentative dans ce sens 1. Mais Nicolas mourut le 13 novem-
bre 867, avant le départ de Dominique, de Grimoald et de leurs
collègues. Un des premiers actes de son successeur Hadrien II fut
de hâter leur départ pour la Bulgarie 2. Cette circonstance four-
nit un solide point de repère chronologique pour prouver que
ces faits so passaient vers la fin de l'année 867.
Pendant les derniers mois de la vie du pape Nicolas, c'est-à-dire
dans la seconde moitié de l'année 687, Photius réunit à Constanti-
nople le concile projeté, auquel il chercha par tous moyens à don-
ner le plus de crédit possible. Après la chute de Photius, les quel-
ques exemplaires contenant les actes de cette assemblée furent
détruits, sur l'ordre du pape, parce que, du propre aveu des
grecs, et en particulier de Basile le Macédonien, ils étaient gra-
vement falsifiés et interpolés; le concile tel que le dépeignaient
les actes n'avait jamais existé. Il est fâcheux que nous n'ayons
sur cette assemblée que des renseignements fournis par les adver-
saires de Photius; aussi ne peut-on ici entendre les deux parties3.
D'après eux l'empereur Michel et le César Basile présidèrent le con-
cile auquel tout le sénat impérial assista, tandis que trois moines
choisis par Photius y figurèrent comme vicaires des patriarches
1. Baronius, Annales, ad ann. 867, n. 1-3 ; Liber ponlif., Vita Nicolai I,
dans Mansi, op. cit., t. xv, col. 157; P. L., t. ccxxviii, col. 1375.
2. Baronius, Annales, ad ann. 868, n. 1 ; P. L., t. ccxxviii, col. 1383.
3. Nous avons des renseignements sur cette assemblée par Anastase dans sa
traduction des actes du VIIIe concile œcuménique, dans Mansi, op. cit., t. xvi,
col. 5 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 752 ; de plus dans Nicetas, Vita Ignatii, dans
Mansi, op. cit., t. xvi, col. 256 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 981 ; Metrophanes,
dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 418 ; Hardouin, op. cit., t. v: col. 1114, et le Syno-
448 LIVRE XXlll
orientaux. Tous s'étant assis, il se présenta des~accusateurs qui re-
prochèrent au pape Nicolas divers méfaits et demandèrent au con-
cile protection et justice. Des témoins apos tés confirmèrent leurs
dépositions, tandis que Photius, jouant le rôle d'un canoniste im-
partial, fit remarquer qu'on ne pouvait juger un absent (c'était le
cas du pape Nicolas). Mais ses fidèles évcques réfutèrent si bien
les scrupules du rusé patriarche, qu'il se décida enfin à laisser [357]
produire les plaintes contre Nicolas et à les examiner. La session
se termina par une sentence de déposition contre le pape et
une menace d'excommunication contre tous ceux qui accepte-
raient sa communion 1. Dans sa traduction des actes du VIIIe
concile œcuménique, Anastase assure que vingt et un évêques
signèrent cette sentence, tous les autres s'y refusèrent ; mais
Photius n'hésita pas à y apposer plus de mille signatures. En mon-
tant sur le trône, Basile le Macédonien fit officiellement notifier au
pape ses protestations disant que son nom propre n'y avait été
introduit que par ruse; il n'avait pas signé le protocole du concile;
la signature de Michel n'avait pas été donnée dans l'assemblée sy-
nodale, elle avait été extorquée par Photius tandis que l'empe-
reur était plongé dans l'ivresse. Bien d'autres signatures s'offraient
frauduleuses ; ainsi, Photius avait fait signer, au lieu de l'évêque,
quelque diocésain même fugitif ou banni. En employant des plu-
mes et des écritures différentes, on avait tenté de donner l'im-
pression que les signatures venaient d'hommes d'âges très-divers,
en réalité elles étaient toutes du même faussaire.
On essaya de gagner Louis le Germanique pour faire exécu-
ter la sentence portée contre Nicolas. Par un procédé nouveau,
Photius fit prononcer dans son concile des acclamations en
l'honneur de l'empereur Louis II et de l'impératrice Ingel-
berge, que l'on décora, dans ces acclamations, des mêmes titres
que l'empereur grec 2. Ingelberge fut proclamée une nouvelle
dicon dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 1557, et Fabricii, Biblioth. grxca, éd.,
Harles. t. xi, p. 803.
1. Hergenrôther, op. cit., p. 649 n'est pas absolument sûr que ce concile ait
eu lieu. [A. Vogt, Basile Ier, p. 210, note 2: «Ce concile sur lequel nous avons
1res peu de renseignements et qui ne se tint peut-être même pas, doit se placer
entre le mois de mai et le mois de septembre 867. On soupçonna toujours Pho-
tius d'avoir fabriqué pièces et signatures, mais cela n'est pas prouvé.» (H. L.)]
2. C'était une flatterie à laquelle l'empereur ne pouvait manquer d'être sen-
sible. Les Grecs, fidèles à leurs traditions, refusaient de reconnaître en lui autre
iSO. CHUTE DE [/"EMPEREUR MICHEL ET DE PHOTIUS 449
Pulchérie. Photius chargea en même temps Zacharie xwçbç (muet),
archevêque de Chalcédoine, et Théodore, transféré de la Carie sur
le siège de Laodicée 1, de porter à l'empereur Louis un exemplaire
des actes synodaux et de remettre de riches présents à la cupide
impératrice Ingelberge, afin qu'elle usât de son influence sur son
ro-gi mari pour faire chasser le pape 2.
480. Chute de l'empereur Michel et de Photius. occasionnée par
Basile le Macédonien, septembre 867.
La situation changea subitement à Constantinople : depuis quel-
que temps, le césar Basile se montrait plus sérieux, ne prenait
plus part, comme auparavant, aux grandes orgies impériales,
et. se permettait même des représentations à l'empereur. Celui-ci
irrité lui infligea publiquement les plus grands affronts, et en par-
ticulier il nomma second césar un joyeux rameur nommé Basi-
liskianos, dont les plaisanteries déplacées l'avaient amusé : il
le présenta au sénat, disant qu'il avait cette fois fait un meilleur
choix que lors de l'élection de Basile 3. « Ce dernier ne fut bientôt
chose que le roi d'Italie. Depuis la capitulation consentie, en 813, à Aix-la-Cha-
pelle, aucun souverain depuis Charlemagne ne recevait des Orientaux le titre de
bosileus. Louis le Débonnaire avait obtenu ce titre accompagné de réticences
qui détruisaient l'effet de cette reconnaissance. Louis le Germanique, qui était
bien loin de détenir la puissance territoriale dont son père et son aïeul avaient
joui, n'en devait être que plus avide à se parer d'un titre qui l'égalait en apparen-
ce à ses prédécesseurs. Des relations s'établirent donc entre le patriarche Pho-
tius et le roi d'Italie à qui on promit la reconnaissance solennelle avec le titre
de basileis pour lui et pour la reine Ingelberge, s'ils usaient de leur influence
pour faire exécuter contre le pape la sentence du conciliabule. Nicétas le Paphîa-
gonien, de qui nous tenons le détail de cette intrigue, assure que l'engagement fut
pris et les promesses échangées de part et d'autre. Vita Ignatii, P. G., t. cv,
col. 507. Dûmmler, op. cit.. 1. III, c. ix, avance sans preuves que Photius pro-
mettait à Louis II le trône d'Orient. (H. L.)
1. Il est connu comme théologien sous le nom de Théodore Abukara, c'est-à-
dire père de Cara. V. Hergenrôther, op. cit., p. 403, note 65.
2. Métrophanes de Smyrne et les autres sources, cf. A. Gasquet, L'empire by-
zantin et la monarchie franque, in-8, Paris, 1888, p. 386. (H. L.)
3. Sur cette révolution de palais, cf. Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 1 sq. :
A. Vogt, op. cit., p. 40-42. (H. L.)
CONCII-ES - IV — 29
450
LIVRE XXIII
plus sûr de sa propre vie : dans une chasse on aurait, paraît-il,
tiré sur lui par ordre de l'empereur : tel est du moins le récit
de son petit-fils et biographe Constantin Porphyrogénète. Basile
n'eut, dès lors, d'autre ressource que de renverser l'empereur ;
le 23 septembre 867, Michel s'étant enivré dans le palais de Saint-
Mamas et ayant été porté dans son lit, Basile le fit saisir et
tuer, après lui avoir hypocritement baisé la main en l'appelant
son père. Le césar Basiliskianos, également pris de vin, fut égorgé
non loin de Michel. Dans la même nuit Basile s'empara du
pouvoir; le lendemain il se rendit en grande pompe à Sainte-
Sophie pour se faire proclamer seul empereur et se faire in Ironi-
ser. Il afficha dans cette circonstance une grande dévotion, se
prosterna devant l'image de la croix et promit de se consacrer
à Dieu lui et sa couronne. Le peuple, vivement impressionné,
espéra qu'un homme si énergique aurait un gouvernement intel-
ligent l. De riches aumônes, des grâces, la délivrance de prison-
niers, etc., gagnèrent les esprits et tous les citoyens de toutes
les conditions acclamèrent Basile. L'empereur Michel, complète-
ment oublié, fut enterré dans un monastère comme un mendiant,
sans aucune solennité 2. Zonaras et Léon Grammaticus préten-
dent que Photius aurait refusé la sainte eucharistie au nou-
vel empereur lorsque, après avoir commis tous ces meurtres,
il se rendit dans l'église de Sainte-Sophie pour se faire accla-
mer 3, et plusieurs historiens modernes ont accueilli cette tra-
dition et cherché à la faire prévaloir en l'honneur de Photius 4.
Mais ces historiens n'ont pas lu les propres lettres de Photius, [359]
qui écrivait de son exil à l'empereur Basile : « Je ne veux pas te
rappeler que c'est moi qui t'ai sacré pour être souverain et que
tu as reçu de ma main les saints mystères 5. »
1. Sur le changement qui se produisit chez Basile depuis son avènement réel,
sa piété, sa modération, sa bonté, les bienfaits de tout genre dont il commença
à combler son peuple, cf. A. Vogt, op. cit., p. 48-51 ; sur sa théorie de gouver-
nement chrétien, p. 52-56. (H. L.)
2. Au monastère de Chrysopolis (== Scutari). (H. L.)
3. Zonaras, Annal., lib. XVI, c. vin, t. u, éd. Paris, p. 167; éd. Venet.,p. 131;
Léon Gramm, Chronograph. éd. Paris, p. 471; éd. Bonn, p. 254 Voir Lâmmer,
Papst Nicolaus I, p. 50.
4. Néander. t. iv, p. 423, paraît tout disposé à le faire; il linil cependant par
mettre en doute le récit de Zonaras.
5. « Photius était trop intelligent pour s'imaginer, quoiqu'il l'ait écrit plus
480. CHUTE DE L'EMPEREUR MICHEL ET DE PHOTIUS 451
Mais aussitôt après cette communion et ce sacre solennel, et
dès le lendemain 25 septembre 867, Photius fut renversé 1. Le
nouvel empereur pensa probablement que le meilleur moyen de
se faire aimer du peuple était de réintégrer Ignace 2. Aussi Photius
fut-il relégué dans le couvent de Sképé 3, tandis qu'on rappelait
solennellement Ignace de son exil et qu'on lui assignait pour
demeure, jusqu'à sa réintégration formelle, le palais Magdola,
qui faisait partie de son domaine privé. Quelques jours après,
l'empereur envoya un fonctionnaire, nommé Baanès 4, à Sképé,
pour intimer à Photius l'ordre de rendre tous les documents qu'il
avait emportés du patriarcheion. Photius jura n'avoir rien em-
porté, ayant été trop rapidement emmené ; mais l'escorte de
Baanès surprit les serviteurs de Photius en train de cacher, dans
une jachère, voisine, sept poches ou sacs scellés, dans lesquels on
trouva deux protocoles falsifiés d'assemblées synodales. Le pre-
mier contenait les actes d'un concile en sept sessions pour la
condamnation d'Ignace. L'exemplaire était d'une fort belle
écriture, relié précieusement et orné de sept dessins injurieux
pour Ignace, de la main de Grégoire Asbesta. L'une d'elles repré-
sentait, par exemple, la manière dont Ignace avait été dépossédé
de son siège, avec cette inscription : « Le fils de perdition. » Le
même document contenait cinquante-deux actes d'accusation
contre Ignace, et, après chaque chef d'accusation, on avait
laissé une ligne en blanc, pour la signature du témoin chargé de
tard, qu'il allait acquérir sur Basile une influence quelconque par le seul fait qu'il
l'avait sacré et avait participé avec lui aux saints mystères. Photius, Epist.,
xvi, P. G., t. en, col. 76. Non, jusqu'à la mort de Michel, le nouvel empe-
reur, vraisemblablement aussi peu soucieux des choses religieuses qu'il l'était
des choses morales, ne lit pas difficulté de se ranger à l'avis de son impérial
associé. Après la mort de Michel, Basile, il est vrai, protesta bien auprès du Sou-
verain Pontife contre l'abus que fit de son nom le patriarche déchu, mais qui disait
la vérité de Photius ou de Basile ? Nul ne pourrait le dire : la moralité des deux
accusés n'étant pas à coup sûr un plus sérieux garant de leur parole que le fait
contesté. » A. Vogt, Basile /er, p. 210. (H. L.)
1. A. Vogt, op. cit., p. 211. Ce ne fut que le dimanche 23 novembre 867
qu'Ignace remonta sur son siège patriarcal. Nicétas dit que Photius fut disgracié
« au lendemain » du couronnement de Basile. (H. L.)
2. Sur la popularité persistante d'Ignace, et les raisons qu'avait Basile de lui
sacrifier Photius, cf. A. Vogt, op. cit., p. 211-213. (H. L.)
3. Vita Ignatii, P. G., t. cv, col. 540. (H. L.)
4. Nous le retrouverons plus tard comme commissaire impérial au VIIIe con-
cile œcuménique.
452 LIVRE XXIII
la soutenir. La seconde partie des actes contenait le protocole
falsifié du conciliabule pour la déposition du pape Nicolas : il
était rempli de calomnies et d'accusations odieuses. Nicétas, de
qui nous tenons ces détails, ajoute que tous ces documents
étaient complètement faux et que les conciles dont ils parlaient
ne s'étaient jamais tenus. Il a raison dans ce sens que réellement
ce n'étaient pas des actes conciliaires, mais des remaniements |«"^J
faits par Photius sur des protocoles synodaux. Tout porte à croire
que la partie concernant la déposition du pape n'était autre que
cette falsification, signalée, des actes du dernier conciliabule de
Photius, tandis que l'autre se rapportait au conciliabule tenu en
mai 861 pour la déposition d'Ignace 1. Nicétas fournit une preuve
à l'appui de cette hypothèse, lorsqu'il ajoute que Photius ayant
envoyé un second exemplaire de ces actes falsifiés à l'empereur
Louis II en Italie, par l'intermédiaire des évêques Zacharie et
Théodore, l'empereur Basile fit courir après eux, et leur fit en-
lever ces écrits 2. Il les avait également communiqués au sénat
et chacun avait pu se convaincre de sa fourberie 3.
481. Réintégration d'Ignace. Reprise des relations avec Rome.
On attendit pour réintégrer solennellement Ignace jusqu'au
23 novembre, jour anniversaire de son expulsion et de son départ
pour Térébinthe 4. Il avait, pendant dix ans 5, souffert avec la
fermeté et la constance d'un martyr. L'empereur le présenta avec
les plus grands éloges à la grande assemblée d'Etat (silentium),
réunie [le dimanche] 23 novembre 867 au palais de Magnaure,
ensuite il le fit conduire en procession à l'église cathédrale 6.
1. Voir § 464.
2. Vita Ignatii, P. G., t. cv, col. 540. Cf. A. Gasquet, L'empire byzantin et la
monarchie franque, in-8, Paris, 1888, p. 392-393. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 981 sq.;Mansi, op. cit., t. xvi, col. 257 sq. ; Her-
genrôther, op. cit., t. n, p. 18 sq.
4. Voir § 464.
5. D'après la chronologie de M. A. Vo<rt, p. 32, note 5 ; p. 212, « neuf ans. »
(H. L.)
G. Vita Ignatii, P. G., t. cv, col. 544. (H. L.)
481. RÉINTÉGRATION d'igNACE 453
Lorsqu'il entra, le prêtre qui célébrait èv déSlxotç (c'est-à-dire
derrière l'iconostase) prononçait précisément ces mots de la pré-
face : EûxapiaTTQaw^îv xw Xup[a> (Gratias agamus), et tout le
peuple répondit : "A£tov xat ocxacov ce qui fut regardé comme
d'un heureux présage, et Ignace reprit, à la grande joie des gens
de bien, possession de son siège. L'empereur Basile fit connaître
ces événements au pape Nicolas par le spathaire Euthymios x.
La lettre remise par le spathaire est perdue, mais en décem-
bre 867 l'empereur écrivit au pape une seconde lettre 2, dans
laquelle il résumait la première. Il dépeint le triste état où il
[oblj avaft trouvé l'Église de Constantinople lorsqu'il était monté sur
le trône («lorsque, à la suite de tes prières, Dieu m'eut confié
les rênes du gouvernement » ). Il a lui-même ordonné certaines
mesures nécessaires au salut de l'Eglise et il laisse au pape
le soin d'ordonner les autres. Il a voulu écarter Photius, coupable
à l'égard de la vérité et à l'égard de Rome ; il a réintégré le
pasteur légitime, auquel, d'après les déclarations du pape lui-
même, on avait fait une injustice. D'ailleurs les lettres des papes
concernant toute cette affaire avaient été tenues secrètes par ses
prédécesseurs. C'est maintenant au pape à confirmer la réinté-
gration d'Ignace et à juger les clercs très nombreux ordonnés
par Photius ou qui avaient pris parti pour lui. » Ce fut proba-
blement cette dernière demande de l'empereur qui donna lieu à
une nouvelle missive impériale et à l'envoi d'une nouvelle
ambassade. Nicétas prétend, qu'à peine réintégré, Ignace avait
prononcé l'anathème contre Photius et ses partisans et leur
avait interdit toute fonction ecclésiastique. Mais le soin de por-
ter cette sentence ayant été, comme on l'a dit, réservé au pape,
il faut sans doute entendre cette condamnation prononcée par
Ignace dans le sens d'une suspense provisoire contre les parti-
sans de Photius ; c'est-à-dire la défense d'exercer les fonctions
ecclésiastiques, et même l'excommunication jusqu'à la sentence
définitive prononcée par le pape. Il est probable que les parti-
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 862, 986 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. '122, 262.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 790 ; Mansi, op. cit., t. xvi , col. 46. Que cette
lettre soit de décembre 867 et non 868, ainsi que le suppose Damberger, op. cit.,
p. 237, ce qui résulte de cela que, lorsque cette lettre fut rédigée, on ne con-
naissait pas à Constantinople la mort du pape Nicolas, survenue le 13 novem-
bre 867.
454 LIVRE XXIII
sans de Photius demandèrent que l'affaire fût jugée à Rome, ce
qui décida l'empereur à y envoyer des représentants des deux
partis, pour que le pape pût juger en connaissance de cause.
Du reste, même si les amis de Photius n'avaient pas fait cette
demande, l'empereur devait agir de la même manière, à cause
de la lettre du pape à l'empereur Michel en 865 (epist. vm).
Ignace choisit pour représentant le métropolitain Jean de Sy-
laeum 1, et Photius choisit Pierre, archevêque de Sardes. L'em-
pereur leur adjoignit le spathaire Basile, informa par lettre le
pape de ces faits, le priant d'être miséricordieux à l'égard des
partisans de Photius qui se montreraient prêts à faire pénitence,
enfin lui demanda d'envoyer des apocrisiaires à Constantinople, [302]
pour le règlement de ce qui intéressait l'ordre ecclésiastique et
1' ' 9.
union a.
Ignace écrivit en même temps au pape Nicolas : « Tandis qu'il
y a beaucoup de médecins pour les maladies du corps, il n'y en a
qu'un seul, qui est le pape, pour le corps du Christ qui est l'Eglise.
Nicolas avait abattu Photius par sa sentence, et le pieux empereur,
se conformant à la décision du pape, vient de rétablir Ignace.
On est maintenant indécis sur la conduite à tenir à l'égard
des évêques et des clercs qui avaient été longtemps en relations
plus ou moins intimes avec Photius. Ils ne sont pas tous égale-
ment coupables. En particulier Paul, archevêque de Césarée en
Cappadoce, ordonné par Photius, s'était d'abord montré son par-
tisan, mais ensuite lui avait courageusement résisté et il en avait
beaucoup souffert. Ignace envoie au pape Jean de Sylseum et
Pierre de Sardes, le questionner sur ce point. C'est donc à Nico-
las à décider et à envoyer des légats 3.
1. Jean, métropolitain de Sylœum, autrefois évêque de Perge. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 790 ; Mansi, op. cit., t. xvr, col. 46 ; Hergenrô-
ther, op. cit., t. ir, p. 22 sq.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 791 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 47 ; Hergenrô-
ther, op. cit., t. n, p. 25 sq.
482. l'épiscopat franc et les grecs 455
482. L'épiscopat franc et les Grecs.
On ne connaissait pas encore à Constantinople la mort du pape
Nicolas ; ce grand homme avait terminé sa carrière le 13 novem-
bre 867. Quelques jours auparavant, le 23 octobre, il avait
communiqué à Hincmar et aux autres évoques francs les accu-
sations des grecs contre les latins et en avait demandé une
réfutation. Il avait connu ces accusations par la lettre de l'empe-
reur Michel au prince des Bulgares, lettre que les légats avaient
rapportée de Bulgarie à Rome. Cette lettre portant, avec la
signature de l'empereur Michel, celle du césar Basile, le pape
se plaint également de ce dernier. Il pense que les accusations
des grecs sont nées d'un sentiment de haine et de jalousie :
[363] de haine, à cause de la sentence pontificale contre Photius ; de
jalousie, à cause de l'union du roi des Bulgares avec Rome.
Aussi s'efïorçait-on d'inspirer aux Bulgares de la défiance à l'é-
gard de Rome et de les pousser à l'apostasie. Le pape raconte
ensuite toute sa conduite dès le début dans l'affaire de Pho-
tius. « Ses derniers légats ont été éconduits, et le roi des Bul-
gares lui a communiqué une lettre des empereurs grecs débordante
d'injures. Non seulement l'Eglise romaine, mais toute l'Eglise
latine y est blâmée : elle jeûne le jour du sabbat, elle enseigne
que le Saint-Esprit procède du Fils, elle défend le mariage des
prêtres, elle interdit aux prêtres de donner la confirmation, elle
prépare le chrême avec de l'eau (ce qui était faux), enfin elle ne
défend pas de manger de la viande pendant huit semaines
avant Pâques, et du laitage pendant sept semaines avant cette
fête. L'Eglise latine est encore accusée de consacrer et d'offrir
le jour de Pâques, à la manière des juifs, un agneau sur l'autel
à côté de l'hostie. On reproche à ses clercs de se couper la barbe
et de passer du diaconat à l'épiscopat, sans avoir reçu auparavant
l'ordination sacerdotale. Contrairement à tous les droits et à toutes
les traditions, les grecs ont demandé aux légats de signer une
profession de foi et de reconnaître Photius pour être admis auprès
de l'empereur. C'est maintenant aux évêques francs à soutenir
le pape dans sa lutte contre les grecs. Chaque métropolitain
devrait délibérer sur ces questions avec ses suffragants et faire
connaître à Rome, aussi rapidement que possible, le résultat
456
LIVRE XXIII
de ces délibérations. Les reproches des grecs portent sur 1rs
usages vénérables de l'Eglise latine contre lesquels aucun des
anciens docteurs grecs n'avait protesté. Les grecs ont dé-
passé la mesure en soutenant que la translation de la résidence
impériale à Constantinople avait transféré à cette dernière ville
tous les privilèges ecclésiastiques de Rome. Photius prend le
titre de « patriarche œcuménique ». Est-ce tolérable ? Le pape
réunirait en un grand synode les évoques francs et le reste de
l'épiscopat, si les malheurs du temps ne l'en empêchaient. Mais
les évêques peuvent faire chez eux ce qu'ils viendraient faire
à Rome. Autrefois les grecs ont reconnu à plusieurs reprises la
primauté de Rome, et ils ont tant loué le pape qu'ils ont espéré
le gagner à leur cause ; mais dès qu'il s'est prononcé contre l'in-
justice, leur langage a complètement changé. Ils ont communiqué
leurs sentiments aux autres patriarches orientaux, espérant
obtenir leur" approbation, laquelle serait déplorable. Mais dans [364]
la triste situation de ces patriarches, sous la domination des Sar-
rasins, il est à craindre que les Orientaux ne soient induits en
erreur. C'est pourquoi les évêques francs doivent exprimer, de la
manière la plus formelle et la plus nette, leur union avec le Siège
apostolique. Enfin Hincmar est chargé de communiquer cette
lettre aux autres archevêques du royaume de Charles le Chauve
qui se réuniront avec leurs sufïragants pour examiner toute cette
affaire 1.
Flodoard, historien de l'Église de Reims, rapporte qu' Hinc-
mar lut la lettre du pape in palatio Corbonaco (Corbeny, près de
Laon) au roi Charles et à un grand nombre d'évêques, et qu'il en
envoya des copies aux autres évêques 2. Hincmar engagea ses
sufïragants à réfuter les accusations des grecs, et en effet Odon,
évêque de Beauvais, envoya une dissertation sur ce sujet 3. Ra-
tramn, moine de Corbie (province de Sens), composa un écrit
analogue et, parmi les sufïragants de Reims, Enée, évêque de
Paris, se chargea de cette réfutation ; son travail nous est parvenu,
ainsi que celui de Ratramn. Après une introduction verbeuse,
Enée de Paris trouve surprenant que les grecs, qui se préten-
1. Hardouin, op. cit., t. v. col. 307 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 355 ; Hergenro-
iher, op. cit., t. i, p. 667 sq. [H. Schrœrs, Hifikmar, p. 289. (H. L.)]
2. Hist. Eccles. Remensis, 1. III, c. xvu.
3. H., 1. III, c. xxiii.
482. l'épiscopat franc et les grecs 457
dent si avancés en toutes choses, aient si longtemps discuté
sur des questions de peu d'importance, par exemple, la ques-
tion des images, sur laquelle ils pourraient s'adresser aux
Occidentaux *. Mais de tout temps les hérésies sont venues
des grecs, et le siège de Constantinople a été à plusieurs
reprises occupé par des hérétiques, tandis que le siège de Rome
est resté constamment fidèle à la foi. Le pape Libère lui-même
n'a pas dévié de la foi ; on peut seulement lui reprocher de
n'avoir pas assez résisté aux ariens. Enée, si diffus dans la pré-
face, ne dit à peu près rien lorsqu'il aborde le sujet lui-même ;
il se contente de citer, en deux cent vingt chapitres, une longue
série de passages des Pères en faveur des latins, ainsi du c. i-xciv
sur le F Moque; c. xcv-clxviii sur le célibat; c. clxix-clxxvii sur
le jeûne : il remarque alors qu'il existe sur ce point divers usages
suivant les contrées ; en Germanie, par exemple, on fait
[365] usage de lait, de beurre et de fromage pendant tout le carême,
et si on s'en abstient, c'est volontairement et sans aucune
prescription ecclésiastique. Aux c. ci.xxviii-clxxxv, viennent les
témoignages en faveur de la pratique de l'Eglise latine touchant
la confirmation : le c. clxxxvi explique pourquoi les clercs se cou-
pent la barbe et les cheveux. Les c. clxxxvii-ccxix traitent de la
primauté de Rome. Il y est encore question des empiétements
des évêques de Constantinople, mais Enée s'abuse, lorsqu'il sup-
pose que Photius avait été marié et était passé pour ainsi dire
du lit conjugal sur le siège épiscopal. Dans le c. ccxx, Enée avoue
ne savoir comment expliquer la coutume assez fréquente à Rome
d'ordonner évêques des diacres sans ordination presbytérale.
« Peut-être agit-on ainsi parce que l'ordination épiscopale im-
plique l'ordination sacerdotale, et que la fonction principale,
c'est-à-dire la confectio corporis et sanguinis Christi, est commune
aux évêques et aux prêtres; peut-être aussi par ce que, d'après
saint Jérôme, les évêques et les prêtres ne se distinguaient
pas entre eux à l'origine 2. »
1. On voit qu'Énée se place encore au point de vue des Libri Carolini, avec
lesquels il regarde, la doctrine et la pratique des Grecs à l'égard des images com-
me entachées de superstition.
2. iEneae Parisiensis Liber adv. Grsscos, dans d'Achery, Spicileg., t. i (t. vu de
la lre édition); P. L., t. cxxi, col. 685-762; Mansi, op. cit., t. xv, col. 362; Har-
douin, op. cil., t. v, col. 314, ne donnent que la préface de ce mémoire.
458 LIVRE XXIII
Le mémoire de Ratramn est plus important et mieux composé,
surtout pour la question dogmatique. Dès le début, Ratramn
déclare fausses les deux accusations des grecs soutenant qu'en
Occident on consacre un agneau à côté de l'hostie 1, et que l'on
confectionne le chrême avec de l'eau ; il énumère ensuite les
autres chefs d'accusation, et dit qu'en les soutenant les empe-
reurs Michel et Basile ont dépassé leur pouvoir et empiété
sur le terrain de l'Eglise. Il défend ensuite l'Eglise latine au sujet
de la procession du Saint-Esprit, alléguant des textes de la sainte
Ecriture, des conciles et des Pères, et consacre au développement
de cette thèse les trois quarts de son ouvrage, c'est-à-dire les trois
premiers livres 2. Le quatrième et le dernier livre est consacré
à la réfutation d'autres points, et Ratramn y déclare calomnieuse
l'accusation d'une promotio per saltum du diaconat à l'épiscopat 3.
Ratramn avait raison pour son temps ; mais on sait, par les
lettres des papes Zozime et Célestin, qu'il y avait eu autrefois de [366]
pareilles ordinations per saltum dans les Gaules et en Espagne.
Seulement Photius n'aurait pas dû oublier que cette pratique
existait aussi dans les Eglises d'Orient 4.
483. Le concile de Worms en 868 et son sentiment
sur les grecs.
On vient de voir les évêques du royaume de Charles le Chauve
invités par le pape Nicolas à réunir des conciles pour dis-
cuter les accusations portées par les grecs contre les latins.
Les Annales de Fulda 5 avancent, avec raison semble-t-il,
1. L'agneau pascal, que l'on bénissait dans plusieurs églises de l'Occident,
était mangé comme eulogie, mais n'était nullement regardé comme sacrement ;
on ne l'offrait pas non plus à l'autel comme une hostie.
2. Ratramni, Contra Grsecorum opposita, Rotnanam Ecclesiam infamantia,
libri IV, dans P. L., t. cxxi, col. 223-346 ; Hergenrôther, op. cit., t. i, p. 675 sq.
3. Sur les ordinations per saltum, cf. Histoire des conciles, t. u, p. 431.
(H. L.)
4. Cf. Binterim, Deutsche Concilien, t. i, p. 413, et Bingham, Origines, 1. II,
c. x, § 5.
5. Annal. Fuld., dans Pertz, op. cit., t. i, p. 380.
483. LE CONCILE DE WORMS EN 868 459
que les évêques du royaume de Louis le Germanique avaient reçu
des lettres et exhortations semblables, en même temps que le
décret du pape du 31 octobre 867, blâmant leur intervention
en faveur de Gunther et de Thieutgaud 1. En conséquence, les
évêques germains s'assemblèrent à Worms, le 16 mai 868,
sous la présidence de leur roi Louis, afin, disent les Annales de
Fulda, de rédiger quelques capitula de utilitate Ecclesiœ et de
faire aux ineptise grsecorum les réponses les plus pertinentes 2.
Le principal document de ce concile, c'est-à-dire le mémoire
rédigé ou du moins approuvé par lui, et qui est le pendant des
œuvres d'Enée de Paris et du moine Ratramn, manque dans toutes
les collections des conciles; il a été édité au commencement du
xixe siècle par Trudpert Neugart, savant bénédictin de Saint-
Biaise, dans la Forêt Noire 3. Il a pour titre : Imprimis responsio
contra Grsecorum, hseresim de fide S. Trinitatis, et en effet, il s'ef-
force surtout de défendre la doctrine de l'Eglise latine sur la pro-
cession du Saint-Esprit. Il traite ensuite rapidement des autres
accusations des grecs. Les évêques réunis à Worms disent dans
la première partie de leur mémoire : « Nous ne pourrions suffire à
recueillir toutes les autorités des Pères contre les grecs ; nous
[367] nous sommes bornés à leur opposer un seul Père de l'Église,
saint Augustin. » Ils citent alors une série de passages de ce
docteur sur la Trinité, dont ils veulent déduire le Filioque; mais
la véritable déduction n'y est pas formulée et l'auteur ne dé-
montre pas entièrement, quoi qu'il eût promis au début : quo-
modo ab utroque Spiritus sanctus veridice et seternaliter procedit.
Les principales pensées extraites de saint Augustin sont les sui-
vantes : a) On ne peut dire de l' Esprit-Saint ce qu'il est pos-
1. Voir § 473.
2. Coll. regia, t. xxiii, col. 87 ; Labbe, Concilia^, vm, col. 941-960 ; Hardouin
Coll. conc, t. v, col. 733 ; Coleti, Concilia, t. x, col. 453 ; Martène, Script, veter.
coll., 1733, t. vm, col. 49-50 ; Hartzheim, Conc. German., t. n, p. 311 ; Mansi,
op. cit., t. xv, col. 866 ; Binterim, Deutsche Concilien, t. ni, p. 163; Bôhmer-
Mùhlbacher, Reg. Karolinor., 1886, p. 566 ; Bull, ecclés. de Strasbourg, 1886, t. v,
p. 151-159; A. Verminghofï, Verzeichnis, dans Neues Archiv, 1903, t. xxvi,
p. 639-640. (H. L.)
3. Trudpert Neugart, Episcopatus Constantiensis Allemannicus, sub metro-
poli Moguntina, cum Vindonissensi, cui successit, in Burgundia Transjurana
Provincise Vesonlinae olim fundato chronologice et diplomatice illustratus, in-4,
Friburgi Brisgoviœ, 1803-1862. t. i, p. 520, cf. p. 124. (H. L.)
460 LIVRE XXIII
sible de dire du Père et du Fils. Le Père n'est pas en même
temps le Père du Fils et de l'Esprit, le Fils n'est pas en même
temps le Fils du Père et de l'Esprit, mais le Saint-Esprit est
en, même temps l'Esprit du Père et du Fils, comme en témoi-
gne la sainte Ecriture (par conséquent, il procède ex utroque). b)
Ce qui prouve que l'Esprit procède du Père et du Fils, c'est
que, dans la Trinité, toutes les personnes agissent en commun ;
ainsi la naissance du Christ et sa résurrection sont à la fois
œuvre du Fils et œuvre du Père, c) Les trois personnes sont
égales entre elles, et chacune est véritablement Dieu, et par
l'expression « Dieu » il faut toujours entendre les trois per-
sonnes (qu'en déduire pour la question présente ? peut-être les
évoques germains accusaient- ils les grecs d'arianisme et de
pneumatomachisme). d) Le Saint-Esprit est désigné comme
l'Esprit du Père et du Fils et comme un présent de Dieu (aux
hommes, il procède donc du Père et du Fils) ; il est encore dési-
gné comme la charité par laquelle la Trinité demeure en nous
(ce qui implique sa procession du Père et du Fils). Sur les
autres points : jeûne, célibat, etc., le concile cite surtout saint
Augustin, parfois aussi saint Ambroise, saint Jérôme, Bède,
les anciens papes et les conciles, et même les décrétales pseudo-
isidoriennes de Melchiade et de Télesphore. Quant à l'ordination
per saltum des diacres à l'épiscopat, l'oblation à Pâque d'un
agneau à côté du corps et du sang du Christ, et la composition
du chrême avec de l'eau, le concile déclare que ce sont de pures
calomnies 1. On ne connaît pas l'auteur de ce document, mais
on voit sans peine qu'il s'est inspiré d'Enée et de Ratramn.
Les autres actes du concile de Worms, qui ont trouvé place
dans les collections conciliaires, comprennent, après une
courte préface qui contient une belle profession de foi, qua-
tre-vingts canons et une confirmation du monastère de nonnes
à Erézée, dans le diocèse de Paderborn. La profession de foi [368]
contient un ample exposé de la doctrine sur les trois person-
nes divines et leurs relations mutuelles, surtout en ce qui con-
cerne le Saint-Esprit : Spiritum enim sanctum, qui est tertia in
Trinitate persona, unam atque sequalem cum Deo Pâtre et Filio
credimus esse Deum, unius substantise, unius quoque naturse; nec
tamen genitum, sed a Pâtre Filioque procedentem, amborum esse
1. V. Hergenrôther, op. cit., t. i, p. 682 sq.
483. LE CONCILE DE WORMS EN 868 461
Spiritum. Nec enim procedit de Pâtre in Filium, nec de Filio
tantum procedit ad sanctificandam creaturam, sed ab utrisque proce-
dere monstratur, quia caritas sive sanctitas amborum esse agnosci-
tur. Et nec Patris tantum, nec Filii tantum, sed simul Patris et
Filii Spiritus dicitur. In relativis vero personarum nominibus Pater
ad Filium, Filius ad Patrem, Spiritus sanctus ad utrosque refertur.
Le concile passe ensuite à l'incarnation et à la personne du Christ
(Dei enim Filius non personam hominis accepit,sed naturam), et'
pour la suite, il se rapproche beaucoup plus du laconisme du
symbole des apôtres *. Trudpert Neugart a retrouvé cette
profession de foi dans un manuscrit de Vienne, qui contenait
aussi les noms des évêques présents au concile de Worms, tandis
que jusqu'alors on n'en possédait qu'une liste incomplète dans
le document relatif au monastère d'Erézée 2. La présidence fut
certainement exercée par Liutbert, archevêque de Mayence,
nommé le premier dans le document pour Erézée, tandis que dans
la liste publiée par Neugart Adalwin de Salzbourg occupe la
première place. Outre ces deux archevêques, Rembert, archevê-
que de Hambourg, était présent 3. En comparant les deux listes,
on voit que Liutbert de Mayence était escorté de ses douze
suffragants : Alfrid d'Hildesheim, Salomon de Constance, Gunzo
de Worms. Arno de Wùrzbourg, Witgar d'Augsbourg, Otgar
d'Eichstàdt. Gebhard de Spire, Ratolf de Strasbourg, Hessi de
Coire, Hildegrim d'Halberstadt, Erolf de Verden et Luithard
de Paderborn. Tous les évêques de la province de Salzbourg
assistaient également au concile; c'étaient, avec le métropolitain
Adalwin, les évêques Arno de Freising, Ambrico de Ratisbonne,
[369] Enrich de Passau et Lantfrid deSebenet Brixen. L'archevêque
Rembert de Hambourg était présent, mais seul, parce qu'il n'y
avait encore aucun siège sufîragant dans sa province ecclésias-
tique. Il y avait enfin trois évêques delà province de Cologne,
qui appartenaient au royaume de Louis : Théodoric de Minden,
1. Mansi, op. cit., col. 867 ; Hardouin. op. cit., t. v, col. 736 ; Hartzheim, Conc.
Germ., t. n, p. 309.
2. Mansi, op. cit., col. 883 : Hartzheim, op. cit., col. 321 ; manque dans Har-
douin.
3. Binterini (Deutsche Conciliai, t. ni, p. 18), suppose que les trois archevêques
Adalwin, Liutbert et Rembert siégeaient ensemble, et que Liutbert, comme le
plus vénérable, était entre les deux autres. C'est pourquoi la liste des noms
mentionne le sien entre ceux des deux autres métropolitains.
462 LIVRE XXIII
Luitbert de Munster et Egibert d'Osnabruek. L'assemblée com-
prenait encore plusieurs chorévêques et abbés, notamment Théoto
de Fulda, Hetto de Reichenau et Aschéric d'Ellwangen.
Il est difficile d'avoir des renseignements précis au sujet des
canons du concile de Worms. Les nouvelles collections des con-
ciles en donnent 80, mais la manière dont les anciens manus-
crits présentent les 44 premiers et les 36 derniers permet de
croire que ces deux séries proviennent de deux conciles diffé-
rents tenus à Worms, d'autant mieux que la seconde série renfer-
me plusieurs choses qui se trouvent déjà dans la première. La nu-
mération et l'ordre des canons ne sont pas non plus les mêmes
dans les deux séries. Observons encore que, dans les anciennes
éditions et dans les extraits des actes de Worms, on a ajouté
ces mots ex parte reprobatum 1, sans que l'on sache sur quelle
autorité s'appuie cette remarque. On peut seulement conjectu-
rer que saint Thomas d'Aquin 2 y aura donné occasion; sans doute
il ne nomme pas le concile de Worms, mais il cite, d'après le Décret
de Gratien 3, deux canons (can. 10 et 15) de cette assemblée qui
prescrivent en certains cas l'épreuve de la sainte eucharistie, et
dit que ces décrets ont été abrogés par des ordonnances ultérieures
des papes. Et sans doute plusieurs auteurs, entre autres le savant
jésuite Possevin, sont allés beaucoup trop loin, en soutenant,
d'après ce texte de saint Thomas, que le concile de Worms avait
été formellement condamné 4.
De ces 80 canons, dont la plupart se bornent à renouveler d'an-
ciennes ordonnances, nous ne mentionnerons que les suivants :
2 et 8. Les évêques doivent être seuls à préparer le chrême; les
prêtres ne peuvent ni consacrer les vierges, ni bénir et consacrer un
autel, ni consacrer une église, ni donner la confirmation, ni oindre du
chrême les baptisés, ni enfin réconcilier publiquement les pénitents à
la messe. 4. On ne doit offrir à l'autel que du pain et du vin, et le
vin doit être mêlé à l'eau. Ce mélange est un symbole de l'union des
fidèles avec le sang du Christ, car l'eau signifie la réunion des [370]
fidèles. 5. On peut faire au baptême soit une soit trois immer-
sions : trois en raison de la Trinité des personnes, une seule en
1. Mansi. op. cit., col. 866.
2. Summa, part. III, quœst. lxxx, art. 6.
3. C aus. II, quest. v, c. 26; Dist. L, c. 33.
4. Dans son Apparat, sac, t. n, p. 544 ; Binterim, op. cit., p. 159.
483. LE CONCILE DE WORMS EN 868 463
raison de l'unité de substance. 9. Les évêques, prêtres, diacres
et sous-diacres doivent s'abstenir de leurs femmes, sous peine
d'être déposés. 10. Si un évêque ou un prêtre est accusé d'un
crime capital : meurtre, adultère, vol ou sorcellerie, il doit, pour
chacune de ces accusations, célébrer publiquement la messe,
lire tout haut le canon (secretœ), et prouver son innocence
par la communion (épreuve par la sainte eucharistie), conformé-
ment aux anciens canons, sinon il sera exclu de l'Église pendant
cinq ans. 11. Un prêtre convaincu de fornication sera déposé.
12. Si le crime n'est pas prouvé, on observera le c. 9 de Néocé-
sarée. Néanmoins il pourra se purger par serment : et de même
le diacre. 15. Il se produit souvent dans les monastères des vols
dont on ne peut découvrir les auteurs. Dans ce cas on obligera,
s'il est nécessaire, les moines à se justifier par l'épreuve de la
sainte eucharistie. 20. Les femmes consacrées à Dieu par le
voile, ne doivent pas le rejeter, si elles tombent dans une faute
charnelle, mais elles auront soin de faire pénitence afin d'obtenir
leur pardon. 21. Si une veuve, après avoir pris le voile et promis
de ne plus le quitter, le rejette plus tard, elle sera exclue de
l'Eglise jusqu'à ce qu'elle se soit amendée. 22, 23. L'enfant,
offert dans son bas âge à un monastère, ne doit pas en sortir
plus tard. 25. Pour imposer la pénitence, il faut considérer les
diverses circonstances : l'origine et la gravité de la faute, la dou-
leur ou l'endurcissement du pénitent, la qualité de la personne,
le lieu, l'âge, la qualité du délit, la contrition du pécheur.
26. Le meurtrier volontaire d'un prêtre doit, sa vie durant, ne
plus manger de viande et ne plus boire de vin, jeûner tous les
jours jusqu'au soir, sauf les dimanches et jours de fêtes. Il ne
pourra ni porter les armes, ni voyager, ni chevaucher ; il se
tiendra pendant cinq ans à la porte de l'église, sera admis phi s
tard parmi les audientes et ne pourra communier qu'au bout
de dix ans. Dès lors il pourra chevaucher, mais il sera toujours
tenu aux autres pratiques de pénitence, sauf qu'il ne jeûnera
que trois fois par semaine. 27. Il n'est pas permis de tuer un
païen. 30. Punition de ceux qui tuent leurs parents ou leurs frères
(ils peuvent continuer la vie conjugale ou se marier, ce qui
est un adoucissement à l'ancienne pratique). 32. Pour les mariages,
[371] nous n'indiquons pas de degré de parenté ; mais tant que l'on ne
connaît pas exactement le degré de parenté entre deux person-
nes, c'est une raison suffisante pour surseoir au mariage. 33. Celui
464 LIVRE XXIII
qui a péché avec les deux sœurs ou avec des personnes avec,
lesquelles l'Ancien Testament défendait déjà le mariage, pourra,
après une pénitence suffisante, se remarier (ce qui était aupara-
vant défendu). 35. Les femmes qui se font avorter doivent être
punies comme infanticides ; celles qui, par mégarde, étouffent
leurs enfants pendant le sommeil, on les traitera avec moins
de rigueur (cette faute a été plus tard sévèrement punie) \ 37.
On ne doit pas défendre aux pénitents d'user du mariage, de peur
de les inviter à la débauche. 38. Celui qui, sans la permission
du juge, tue son esclave, même coupable d'une faute capitale,
sera soumis à deux ans de pénitence. 40. Si un évêque or-
donne prêtre ou diacre un esclave dont il connaît la condi-
tion, l'esclave demeurera clerc, mais l' évêque paiera au
maître le double de la valeur de l'esclave. Si l'évêque ignorait la
condition servile, ceux qui ont attesté la condition libre de cet
esclave ou qui ont demandé son ordination, paieront cette double
amende. 43. Le traître à sa patrie sera excommunié pour le reste
de sa vie. On ne lui donnera la communion qu'au lit de mort.
50. Toute église doit avoir une mense complètement libre. 60.
Identique au can. 3 de Vaison 2. 63. Identique au can. 17 de Com-
piègne 3. 64. On peut manger la chair d'un animal tué par un
homme et ensuite partiellement dévoré par des animaux, mais
on ne peut manger d'un animal mort de maladie. Si des abeilles
ont tué un homme, on doit les tuer, mais on peut manger de leur
miel. 65. On ne mangera pas la chair des animaux déchirés par
les dents des chiens ou des loups, mais on pourra en donner à
manger aux porcs et aux chiens. On ne mangera pas non plus
des cerfs ou des chèvres trouvés morts. On peut manger d'un
porc qui a léché du sang humain, mais il est défendu de toucher
à celui qui aurait mangé d'un cadavre, à moins qu'on ne le tue
qu'un an après 4. On peut manger du poisson, mais non des oi-
seaux ou autres animaux étouffés dans leur nid 6. 68. Les lecteurs
1. Corp. jur. can., Décret., lib. V, tit. x, De his, qui fil. occid., c. 3 et l'ordonnance
de saint Charles Borromée dans Hardouin, op. cit., t. x, col. 1112.
2. Voir § 163.
3. Voir § 378.
4. Macerare, abattre, cf. Du Cange, Glossarium, à ce mot ; Binterim, op. cit. ,
t. in, p. 174; a entendu ce mot dans le sens de « saler».
5. Binterim, loc. cit., fait remarquer que ces ordonnances ne représentent pas
1 8 î . LETTRE Dl PAPE AUX BYZANTINS 405
[372] arrivés à l'âge de puberté, doivent se marier ou faire vœu de
chasteté *. 77. Contre le rapt des femmes (identique au eau. 27
de Chalcédoine). 80. Lorsqu'un condamné à mort a été exécuté
après une bonne confession et une sincère contrition, son corps
sera porté à l'église et on célébrera la messe pour lui 2.
4S4. Lettre du pape aux Byzantins (868) : concile
au sujet cTAnastase.
Le spathaire impérial Euthyme, envoyé à Rome par Basile le
Macédonien en novembre 867, s'y rendit assez rapidement ; par
contre, la seconde ambassade comprenant les députés de Pho-
tius et d'Ignace, avec un spathaire impérial, n'y était pas encore
rendue le 1er août 868, ainsi que le prouvent les deux lettres
du pape Hadrien II à l'empereur Basile et au patriarche Ignace
datées de ce jour 3. Sans doute les rigueurs de l'hiver ne per-
mirent pas à cette seconde ambassade de quitter Constantino-
ple en décembre 867 ; de plus la traversée fut très mauvaise,
et un navire tout neuf, que le député de Photius avait choisi pour
lui et pour sa suite, sombra dans la tempête; de toute l'ambassade
de Photius seul le moine Méthode fut sauvé 4.
Des deux lettres du pape datées du 1er août 868, la première
félicite l'empereur de l'expulsion de Photius et de la réintégration
du pasteur légitime Ignace. Hadrien souhaite à l'empereur toute
l'ancienne discipline franque, mais plutôt l'ancienne discipline grecque, par
ta raison que le compilateur des canons de Worms a puisé ces décrets dans le
pénitentiel de Théodore de Cantorbéry.
1. Damberger, Krilikheft, t. ni, p. 234, s'étonne de ce canon qui n'est cependant
que la reproduction du canon 18 d'Hippone. Voir § 109.
2. Sur les autres prétendues ordonnances de Worms découvertes par Augustin
Theiner, cf. Binterim, Deutsche Concilien, p. 220.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 860 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 120.
4. Mansi, op. cit., t. xv, col. 810. Voyez Anastasii Interpret. synodi, vin,
prsefat., dans P. L., t. cxxix, col. 15 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 7 ; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 753 . [L' histoire du voyage de cette ambassade est des plus
accidentées. Les représentants d'Ignace et de Photius ne purent se résoudre
à voyager ensemble, mal en prit à ces derniers. En vue des côtes dalmates, le légat
de Photius et son escorte de moines firent naufrage, tous périrent sauf un seul ,
CONCILES — [V — 30
466 LIVRE XXIII
sorte de bonheur, s'il persiste dans le droit chemin. Il promet, [373]
de son côté, de rester fidèle aux décisions portées sur cette
affaire par son prédécesseur Nicolas. Il demande à l'empereur qui
rappelait les exilés de rendre aussi ses bonnes grâces à Théo-
gnoste depuis sept ans à Rome, où Ignace avait envoyé ce
fidèle serviteur, que le pape renvoie maintenant à Constantino-
ple. Dans sa seconde lettre, le pape reproche à Ignace de ne pas
lui avoir encore notifié sa réintégration (ainsi le député d'Ignace
n'était pas encore arrivé à Rome). Hadrien maintiendra les déci-
sions de Nicolas concernant Ignace et ses compagnons d'infor-
tune, ainsi que l'Église de Constantinople. Il lui envoie Théo-
gnoste qui s'est constamment employé pour l'Eglise de Cons-
tantinople auprès de lui comme auprès de son prédécesseur
Xicolas ; il espère qu'après avoir pris part aux malheurs d'I-
gnace, Théognoste participera à ses consolations. En termi-
nant, le pape recommande Théognoste el Euthyme (il n'est
pas question des autres députés) et désire « à sa sainteté »
(Ignace) toute sorte de bonheur 1.
Sur ces entrefaites, le [12] octobre 868, le pape réunit le concile
romain qui excommunia une fois de plus le cardinal-prêtre Anas-
tase, gracié lors de l'avènement du pontife 2. Eleuthère, fils de
l'évêque Arsène, dont nous avons parlé, avait enlevé, en mars
868, la fille du pape Hadrien qui, tout comme Arsène, avait été
marié avant son ordination. Quoique déjà fiancé à une autre,
Eleuthère avait épousé la fille du pape. Arsène, craignant pour
lui-même, se réfugia avec ses trésors à Bénévent auprès de l'em-
pereur Louis II, et y mourut sans avoir reçu la communion 3.
De son côté, le pape obtint que l'empereur portât une sentence
contre Eleuthère qui, pour se venger, tua la fille et la femme du
pape nommée Stéphanie ; par contre il fut lui-même condamné
Méthode, qu'Anastase appelle dédaigneusement monachulus. Vital gnatii, P. G.,
t. cv, col. 544 ; Liber pontificalis, édit. Duchesne, t. n, p. 178. (H. L.)]
1. Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 28 sq.
2. Voir § 473. A. Verminghofî, Verzeichnis der Akten frânkischer Synoden von
843-918, dans Neues Archw der Gesellschaft fur ait. deutsche Geschichtskunde,
1901, t. xxvi, p. 640-641. Hefele fixait ce concile au 4 octobre; Verminghofî
le recule jusqu'au 12 du même mois. (H. L.)
ci. Sur cette mort qu'on représente sous l'aspect le plus effrayant, De exemplis
mortis Arsenii miserrimi episcopi, dans Bibliolheca Casinensis, t. m, p. 139-140,
cf. A. Lapôtre, Le pape Jean VIII, p. 41 et note 4. (H. L.)
484. LETTRE DU PAPE AUX BYZANTINS 467
à mort par les missi impériaux 1. Le cardinal Anastase son frère 2
1. Grégorovius, Gesch. der Stadt Rom, 1870, t. m, p. 170, fait remarquer avec
raison que ces événements montrent quelle était déjà l'insolence de la noblesse
romaine. Bien que bridée par l'autorité impériale elle devait chercher à acca-
parer le pouvoir au détriment du siège pontifical aussitôt que la puissance de
ce dernier se trouverait amoindrie à Rome.
2. Au début du pontificat d'Hadrien II deux hommes accaparent l'influence :
Arsène et Anastase. Agents dévoués du parti impérial, ce sont eux qui gouvernent
la curie romaine, provoquent l'accord temporaire de la papauté et de l'empire
et mènent la réaction contre l'œuvre du pape Nicolas. Arsène est suffisamment
connu et il n'y gagne guère. Anastase est demeuré longtemps énigmatique et la
multiplicité des rôles tenus par ce personnage a longtemps conduit les historiens
à le dédoubler et à imaginer deux Anastase, contemporains l'un et l'autre, dont
la vie s'enchevêtre au point qu'à certains moments on ne parvient plus à discer-
ner ce qui appartient en propre à l'un et à l'autre ; l'un, l'abbé Anastase, biblio-
thécaire du Saint-Siège, auteur présumé de quelques notices pontificales, traduc-
teur des actes du VIIIe concile œcuménique, ami d'Hincmar et. plus tard, corres-
pondant de Photius ; l'autre, le cardinal-prêtre Anastase. Hergenrôther et
A. Lapôtre ont apporté tous leurs soins et leur perspicacité à éclaircir cette
question des Anastase romains. Photius, Patriarch von Constanlinopel, 1. V,
c. m ; De Anastasio bibliolhecario Sedis apostolicœ, in-8, Paris. Il faut avec eux
conclure à l'identité des deux Anastase. Seul survivant d'une famille trop long-
temps influente à Rome, Anastase le Bibliothécaire, à qui nous ne devons pas
le Liber pontificalis, sauf la vie de Nicolas Ier, Liber pontificalis, édit. Duchesne,
t. ii, Introduction, p. vu, s'était signalé sous les pontificats précédents par des
services de nature fort diverse. Instruit pour son temps et habile dans tous les
sens de ce mot, il avait été choisi par Nicolas Ier en qualité de secrétaire et, à ce
titre, avait rédigé les lettres pontificales. Dans le débat théologique avec Photius,
l'érudit consommé, c'était sur Anastase qu'on s'en était reposé ; il nous l'a appris
lui-même, Préf. au VIIIe concile, P. L., t. cxxix, col. 17. On avait eu alors, écrit
le P. Lapôtre, le curieux spectacle de l'usurpation byzantine combattue par un
homme qui lui-même avait cherché à s'emparer violemment du souverain ponti-
ficat, qui trois fois avait déjà subi les anathèmes du Saint-Siège, et devait plus
tard les subir encore. En effet, Anastase le Bibliothécaire et Anastase, piètre
du titre de Saint-Marcel, ne sont qu'un seul et même personnage, d'abord dé-
posé et excommunié par Léon IV, Mansi, op. cit., t. xiv, col. 1017 sq., puis
antipape à l'avènement de Benoît III, Liber pontificalis, édit. Duchesne,
t. ii, p. 141 sq., enfin déposé de nouveau mais temporairement par Hadrien II.
Hincmar, Ann. Bertin., ad ann. 868, dans Pertz, Mon. Germ. hist., Script., t. i,
p. 477-479. Anastase était, non pas neveu, mais iils d'Arsène, évêque d'Orta.
C'est ce qu'affirme un passage très clair d'Hincmar, Annales, ad ann. S08, [>. 477,
contre un passage interpolé d'une lettre du Bibliothécaire à Adon de Vienne.
P. L., t. cxxix, col. 472. Au mois d'août 868, Arsène était mort et sa dispari-
tion avait failli compromettre un instant la fortune politique de son lils devenu
bibliothécaire en titre de l'Eglise romaine. Or, en cette même année Hincmar
nous fait le récit suivant : « A l'instigation d'Arsène, son lils Ejeuthère séduisit
468 LIVRE XXIII
fut aussi excommunié par ce concile, pour avoir conseillé tous
ces meurtres et causé d'autres injustices. Nous tenons ces détails
d'Hincmar, dans les Annales de Saint- Bertin1, où Anastase est [374]
désigné à tort comme bibliothécaire, c'est-à-dire qu'il est con-
fondu avec le savant abbé auquel nous devons des Vies des
papes et la traduction du VIIIe concile œcuménique, et autres
ouvrages.
485. Concile dans 1 église de Saint Pierre, en 869. Prélude
du VIIIe concile œcuménique.
Lorsque la seconde ambassade de Byzance fut enfin arrivée
à Rome (le représentant de Photius, Méthode, ne voulut cepen-
dant pas se laisser voir), le pape Hadrien II réunit un concile
dans l'église de Saint-Pierre. Mansi 2 et d'autres historiens placent
à tort ce synode avant le 1er août 868, sous prétexte que les lettres
du pape qui portent cette date ont dû être la conséquence de
cette assemblée. Mais tous les documents s'accordent à le re-
mettre après l'arrivée de la seconde ambassade de Byzance,
par conséquent après le 1er août 868 ; au reste, une lettre du
pape à Ignace montre qu'il a dû se tenir peu de jours avant le
et enleva la fille du pape Hadrien, fiancée à un autre époux. Le pape fut vive-
ment contristé. Arsène s'enfuit près de l'empereur Louis à Bénévent, confia ses
trésors à l'impératrice Ingelberge, et pris de la fièvre, conversant avec le diable,
ii s'en alla, sans communion, le rejoindre. Après sa mort le pape Hadrien demanda à
l'empereur qu'Éleuthère fût jugé d'après la loi romaine. Mais cet Éleuthère, par
le conseil, dit-on, de son frère Anastase, qu'Hadrien avait nommé au début de
son pontificat bibliothécaire du Saint-Siège, tua Stéphanie, la femme du pape,
et sa fille qu'il avait ravie. Il fut lui-même mis à mort par les envoyés de l'em-
pereur. Le pape réunit un concile et fit condamner Anastase, déjà frappé par
plusieurs jugements précédents. » Toutefois, le Bibliothécaire en fut quitte, la
faveur impériale aidant, pour une déposition passagère et promptement révo-
quée. Du vivant même du pape Hadrien II, cet homme reparut au Latran dans
les Archives et reprit sa besogne de styliste et d'érudit. (H. L.)
1. Pertz, op. cit., t. i, p. 477.
2. Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xv, col. 862, 886; Jafî é, [Regesta pont, rom.,
p. 256-257; Lapôtre, Hadrien II et les fausses décrétâtes, dans la Rev. des quest.
hist., 1880, t. xxvii, p. 384, note 2, tiennent que ce concile s'est réuni dans les
premiers juins de juin. (H. L.)
485. CONCILE DANS l' EGLISE DK SAINT-PIERRE 469
1er juin 869 1. Dans une autre lettre écrite à la même époque à
l'empereur de Byzance, le pape dit que les ambassadeurs de Cons-
tantinople avaient demandé presque tous les jours l'instruction
de leur affaire, mais (pie la multitude des questions pendantes
n'avait pas permis de les satisfaire, c'est-à-dire de réunir plus tôt
un concile 2. On lit dans la Vita Hadriani : « Les ambassadeurs de
l'empereur grec et du patriarche Ignace remirent au pape,
dans le secretarium de Sainte-Marie-Majeure, les présents et
les lettres qui leur avaient été confiés ; ils remercièrent ensuite
l'Eglise romaine de ce que, grâce à ses efforts, l'Eglise de Constan-
tinople avait été de nouveau délivrée du schisme, et ils ajoutèrent
qu'on avait trouvé dans les archives de Photius tout un livre
faux, plein d'injures contre Rome et contre le pape Nicolas, et
qu'après l'avoir scellé l'empereur l'envoyait au pape (c'étaient
les prétendus actes du conciliabule de 867)... Le député d'I-
gnace apporta ce livre qu'il jeta à terre en disant : Tu as déjà
été maudit à Constantinople (probablement par un concile tenu
sous Ignace, ou encore dans le silentium du 23 novembre) ; sois
[375"j aussi maudit à Rome. Puis l'ambassadeur impérial frappa le livre
du pied et du glaive, et dit : Je crois que le diable est caché dans
ce livre ; la signature de l'empereur Basile qui s'y trouve est
fausse, je puis l'attester par serment, et la réintégration d'Ignace
le prouve surabondamment. Quant à l'empereur Michel, Photius
l'a fait signer une nuit où Michel était ivre-mort. En outre, les
signatures d'un grand nombre d'évêques sont fausses; seuls quel-
ques partisans de Photius ont signé. Beaucoup de ces signatures ne
viennent pas des évêques eux-mêmes, mais de certains de leurs dio-
césains, que Photius a décidés à signer en lieu et place de leurs
évêques. Pour donner à ces faux une apparence d'authenticité,
on a employé différentes plumes, les unes plus grosses, d'autres
plus fines. » Le pape remit ensuite ce livre à l'examen de quel-
ques personne habiles dans la langue grecque, et bientôt après,
il réunit un concile dans l'église Saint-Pierre. Il y fit d'abord lire
les lettres de son prédécesseur sur cette affaire, afin de réfuter
les bruits répandus sur son compte (qu'il voulait suivre une autre
voie que son prédécesseur) ; il prononça ensuite l'anathème
contre Photius, son conciliabule et ses amis, et après que tous les
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 793 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 50.
2. Hardouin, op.cit., t. v, col. 770; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 24.
470 LIVRE XXIII
assistants eurent foulé aux pieds le livre de Photius, il le fit brû-
ler. Ce livre brûla très rapidement, quoiqu'il tombât alors une
grande pluie qui eût dû éteindre le feu; au contraire, chaque
goutte d'eau était comme de l'huile tombant sur la flamme.
Tous les assistants, grecs et latins, frappés de ce spectacle, s'u-
nirent au pape pour louer Dieu. Enfin le pape envoya à Constan-
tinople en qualité de légats l'évcque Donat d'Ostie et le diacre
Marin, déjà désignés par son prédécesseur, mais qui n'avaient
pu remplir leur mission ; Hadrien leur rendit les lettres de Nicolas,
se bornant à substituer son nom à celui de son prédécesseur. Il
leur adjoignit comme troisième ambassadeur Etienne, évêque
de Népi1. A tous il recommanda de rétablir la paix clans l'Eglise
de Constantinople, de réintégrer les évêques qui, ordonnés par
Ignace et son prédécesseur Méthode, avaient pris parti pour
Photius, après qu'ils auraient signé les formules de satisfaction
prescrites par Rome. Quant à ceux qui avaient été ordonnés par
Photius, le pape Hadrien persistait dans la détermination prise
par Nicolas ; toutefois les légats devaient différer à leur égard
l'exécution de la sentence des évêques, jusqu'à ce que le Siège
apostolique eût statué définitivement 2. R7fil
Nous retrouvons ces détails, mais abrégés, dans la préface dont
Anastase a fait précéder sa traduction latine des actes du VIIIe
1. L'ambassade partit de Rome vers le 10 juin 869; c'est ce que prouvent suffi-
samment les deux lettres d'Hadrien II à Ignace, P. L., t. cxxn, col. 1282 ; et à
l'empereur Basile, P. L., t. cxx, col. 1285.
2. Mansi, op. cit., t. xv, col. 810 sq. ; P. L., t. cxxviii, col. 1386 sq. « On le
voit, malgré les protestations d'Hadrien, il y avait quelque chose de changé dans
la conduite du pape. Par ce synode, Hadrien, contrairement à ce qu'avait tou-
jours dit son prédécesseur Nicolas, terminait le débat en condamnant Photius
sans l'avoir entendu ; il absolvait Ignace sur le rapport de ses seuls partisans ;
il délivrait à Basile un certificat d'orthodoxie et d'innocence qui allait rendre ie
nouvel empereur maître de la situation. Ainsi, à la faveur de cette sentence,
chacun gagnait ou espérait gagner quelque chose. Indépendamment de l'im-
pression morale qu'allait faire sur les esprits le rôle joué par Rome dans l'affaire
du schisme, le pape faisait reconnaître à toute l'Église byzantine son absolue au-
torité et s'attachait par des liens de reconnaissance le patriarche et l'empereur
qu'il comptait bien utiliser à bref délai. Basile était absous, Ignace recouvrait
son trône et Photius lui-même, tout sacrifié qu'il fût, pouvait lire entre les lignes
qui le condamnaient la promesse d'une sentence future qui le réhabiliterait. »
A. Vogt, Basile Ie1, empereur de Byzance, et la civilisation byzantine à la fin du
IXe siècle, in-8, Paris, 1908, p. 216. (H. L.)
485. CONCILE DANS L ÉGLISE DE SAINT-PIERRE 471
concile œcuménique ; parmi ces actes se trouvent plusieurs docu-
ments relatifs au concile tenu à Saint-Pierre l. Le premier est un
discours du pape au concile, lu par l'archidiacre Jean ; c'est
d'abord une courte relation des événements de Constantinople
depuis la déposition d'Ignace, on y relève en particulier que
Photius avait insulté Nicolas ainsi que le pape actuel. On se de-
mande quand et comment il l'aurait fait ; peut-être en mettant
en circulation le bruit que le pape Hadrien pensait sur son affaire
tout autrement que le pape Nicolas. Dans cette même allocution,
Hadrien fait les plus grands éloges de Nicolas, et se déclare prêt
à mourir, s'il le faut, pour maintenir les principes de son prédéces-
seur. Il termine en demandant au concile de faire connaître son
sentiment sur le conciliabule de Photius et sur ceux qui y ont pris
part.
En réponse au discours du pape, Gauderich, évêque de Velletri,
lut une déclaration du concile ; après une sortie énergique
contre Photius, ce second Ananie, on demandait au pape de
condamner un conciliabule analogue au concile de Rimini et
au brigandage d'Ephèse, de sorte qu'il n'en restât plus trace.
On devait également excommunier et exclure même de la com-
munion laïque tous ceux qui avaient assisté à ce conciliabule, qui
en avaient signé les actes, ou qui, à l'avenir, le défendraient ou
cacheraient des exemplaires des actes ; on les obligerait, s'ils
voulaient venir à récipiscence, à anathématiser de vive voix et.
par écrit les décisions du conciliabule.
Dans un autre document lu par le diacre Marin, le pape déclare
partager les sentiments du concile, mais il faut, à son avis, brûler
publiquement l'exemplaire des actes du conciliabule apporté par
les ambassadeurs grecs. Le concile déclara son adhésion, par l'in-
termédiaire de Formose, évêque de Porto, et le diacre Pierre lui
alors la troisième allocution du pape, dirigée contre la prétention
de Photius de déposer un pape. Hadrien y disait : Romanum pon-
tificem de omnium Ecclesiarum prsesulibus judicasse legimus, de
T3771 eo çero au^mauam judicasse non legimus. Sans doute, continue-
t-il, Honorius fut anathématisé après sa mort par les Orientaux,
1. Coll. regia, t. xxm, col. 304; Labbe, Concilia, t. vin, col. 1087; Coleti,
Concilia, t. x, col. 593 ; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 862 ; Mansi, Conc. am-
pliss. coll., t. xvi, col. 122; P. L., t. cxxix, col. 105 ; Hergenrôther, Photius,
t. il, p. 36 ; A. Verminghoff, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 641. (H. L.)
472 LIVRE XXIII
mais il faut remarquer qu'il était accusé d'hérésie, c'est-à-dire
du crime qui seul permet aux inférieurs de résister à leurs supé-
rieurs 1, et même dans ce cas aucun patriarche ni personne
n'aurait pu porter de sentence contre lui, si le Siège de Rome
n'y avait auparavant consenti. De même lorsque Théodoric,
roi des Ostrogoths, voulut faire juger par un concile romain le
pape Symmaque accusé de plusieurs méfaits, les évêques réunis
et à leur tête les archevêques de Milan et de Ravenne déclarè-
rent cette prétention inadmissible 2. Si Photius ignorait ces
faits, il aurait cependant dû savoir que le troisième concile à
Éphèse avait condamné le patriarche Jean d'Antioche, qui
avait osé juger Cyrille, son supérieur par le rang 3. Le concile
adhéra une fois de plus à la déclaration du pape, et sollicita
seulement, dans un amendement lu par le notaire Beftoît, la
grâce de ceux qui avaient été trompés par Photius, s'ils s'amen-
daient et faisaient une pénitence convenable. Hadrien prononça
la sentence finale dans les cinq chapitres suivants : « 1. Nous
comparons au « Brigandage d' Éphèse » le conciliabule réuni il y
a quelque temps par Photius et par le tyran Michel, nous décla-
rons tous ses décrets sans valeur, et ordonnons que tous les exem-
plaires en soient brûlés avec tous les documents écrits par Pho-
tius et par Michel contre le Saint-Siège. 2. Nous condamnons de
même les deux conventicules parricides réunis contre Ignace par
Photius et Michel. 3. Nous condamnons et anathématisons de
nouveau, et comparons à Dioscore, Photius, déjà justement
condamné par notre prédécesseur, qui à ses anciens crimes a
ajouté des attaques scandaleuses contre les privilèges du Siège
apostolique, qui a fabriqué de nouveaux dogmes, répandu par-
tout des calomnies et lancé de fausses imputations contre Nicolas
et contre nous. S'il se soumet sans restriction et condamne
avec grand repentir les décrets de son conciliabule, il sera admis
de nouveau à la communion laïque. 4. Ceux qui ont adhéré à
son conciliabule et en ont signé les actes, seront admis à la com-
munion, s'ils observent les décrets de mon prédécesseur, s'ils
entrent en communion avec Ignace, anathématisent ce concilia-
bule et en brûlent tous les exemplaires. Quant à l'empereur Basile,
1. Voir § 324.
2. Voir § 220.
3. Hardouin, op. cit., t. t, co]. 151.
485. CONCILE DANS L EGLISE DE SAINT-PIERRE 473
[378] dont le nom a été faussement inséré dans les actes de ce con-
ciliabule, nous l'exemptons de cette sentence, et le comptons
au nombre des pieux et orthodoxes empereurs. 5. Celui qui
cachera les actes de ce conciliabule sera excommunié, et. s'il esl
clerc, il sera déposé. La même peine atteindra celui qui tiendra
secrètes les présentes ordonnances ou ne voudra pas s'y confor-
mer, et cela non seulement pour l'Église de Constantinople, mais
encore pour celles d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem.» A
la suite du pape, trente évêques signèrent cette sentence, parmi
lesquels le député d'Ignace, un diacre, qui signa comme repré-
sentant de son évêque, neuf cardinaux-prêtres et cinq diacres
romains ayant à leur tête l'archidiacre Jean, le futur pape
Jean VIII1.
Avec ces décisions Hadrien transmit aux Byzantins par ses
trois légats deux lettres datées du 10 juin 869 et répondant aux
questions de l'empereur et d'Ignace. Dans la lettre à Ignace le
pape dit que son prédécesseur Nicolas avait soutenu pour l'église
de Constantinople des combats sans nombre ; personnellement il
est prêt à l'imiter en cela tout comme il lui succède dans sa
charge. La nouvelle de la réintégration d'Ignace l'a comblé
de joie. Ignace peut voir par les lettres de Nicolas les décisions
prises au sujet de Photius et de ses partisans; il a confié à
ses légats une copie de ces lettres pour le cas où Ignace ne les
posséderait pas. Lui-même s'en tiendra fidèlement aux décisions
de son prédécesseur, et il s'y conforme en prononçant les sen-
tences suivantes : a) la déposition de Photius, de Grégoire de
Syracuse et de ceux qui avaient été ordonnés par Photius. b) Paul
de Césarée, dont parle Ignace, sera déposé de l'épiscopat, avec
tous ceux qui avaient été ordonnés par Photius; toutefois, à cause
de ses grands services, on lui accordera de nombreux béné-
lices ecclésiastiques, et les honneurs qu'il mérite, c) Ceux qui.
après avoir été ordonnés par Ignace, l'ont abandonné, pourront
être graciés, s'ils signent le libellus satisfactionis apporté par
les légats 2. Sur ceux qui, outre cette défection, sont accusés
d'autres crimes, Ignace ordonnera une enquête. Ceux qui ont spon-
[379] tanément signé les actes du conciliabule ne méritent aucun pardon
1. Hardouin, op. cit., t. iv, col. 869 sq. ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 128 sq. Au
sujet de ce concile voir Hergenrôther, Photius, t. n, p. 26 sq.
2. A. Vogt, op. cit., p. 216, note 1. (H. L.)
474 LIVRE XXIII
à moins que le Saint-Siège, qu'ils ont offensé, ne leur fasse misé-
ricorde (c'est-à-dire que le pape seul, et non Ignace, pourra les
réintégrer). Les ennemis d'Ignace l'accusaient d'avoir refusé
autrefois, à l'exemple de Dioscore, de recevoir une lettre du
pape Benoît III ; il montrera la fausseté de cette accusation, en
s'employant activement à faire signer par tous, dans un con-
cile grec, les capitula du présent concile romain, et en les fai-
sant placer dans toutes les archives épiscopales l.
Hadrien écrit à l'empereur qu'il a reçu l'ambassade envoyée
à son prédécesseur, et qu'il remercie Dieu de ce qui s'était passé
à Constantinople. L'empereur est digne de tous éloges parce que,
pour guérir l'Eglise de Constantinople, il s'est adressé au Siège
apostolique. A l'égard de Photius et d'Ignace il a fait ce que
le pape et toute l'Église d'Occident avaient décrété depuis long-
temps. Quant aux autres perturbateurs de l'unité de l'Église,
on les traitera suivant la gravité de leurs fautes, et les légats du
pape prendront sur ce point les décisions opportunes d'accord avec
Ignace. Sur le désir de l'empereur et malgré la gravité de leur
péché, le pape consent à user de miséricorde envers ceux qui ont
été ordonnés par Photius, mais leur sacre est sans valeur. Le
spathaire Basile a intercédé avec instance en leur faveur, mais
il n'est pas possible de les reconnaître comme légitimement ordon-
nés. Le pape se réserve le droit d'user plus tard de condescen-
dance. Il désire que l'empereur réunisse sous la présidence de ses
légats, un grand concile qui jugera les coupables selon leurs fautes
et fera brûler tous les exemplaires des actes du conciliabule.
Les capitula du récent concile romain devront être signés par
tous les membres de ce concile grec et placés ensuite dans les
archives épiscopales. On renverra à Rome les moines Basile,
Zozime, Pierre, Métrophanes et un autre Basile (qui s'était enfui
de Rome pour aller trouver Photius). Enfin le pape recommande
à l'empereur ses légats Donat, Etienne et Marin 2.
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 793 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 50.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 766 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 20 ; Hergenrô-
ther, op. cit., p. 2 sq.
486. CONCILES DE VERBERIE, DE PI8TRES, ETC. 475
486. Conciles de Verberie, de Pistres et de Metz, en 869.
[380] Discussion entre les deux Hincmar.
Avant de suivre les légats envoyés par Hadrien à Constanti-
nople, c'est-à-dire avant de passer à l'histoire du VIIIe concile
œcuménique, nous avons à nous occuper de quelques conciles
francs qui. comme le VIIIe concile œcuménique, appartien-
nent à l'année 869, mais ont. été tenus quelques mois avant
le concile. Le premier est celui de Verberie (Vermeria), qui
nous amène à parler de la discussion survenue entre les deux
Hincmar. Hincmar le jeune, évêque de Laon, était un neveu par
sa mère du célèbre Hincmar, archevêque de Reims, sur les recom-
mandations duquel, et aussi grâce à la bienveillance de Charles
le Chauve, il avait obtenu, étant encore très jeune et dès avant
858, l'évêché de Laon dans la province de Reims, avec une ab-
baye et une charge de cour 1. Mais bientôt il se montra récalci-
trant et hautain, non seulement vis-à-vis de son oncle et
métropolitain, mais même vis-à-vis du roi ; aussi, en 868, ce
dernier le cita devant un tribunal civil, lui enleva sa charge de
cour, son abbaye et mit sous séquestre les revenus de son évêché.
Mais Hincmar de Reims défendit immédiatement les immunités
1. On trouve dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 688, une biographie de cet évêque
faite par Cellot, Vita Hincmari junioris episcopi Laudunensis, dans Conc.
Duziacum I (1658), p. 1-60, réimprimée dans Labbe, Concilia, t. vin, col. 1664-
1702 ; P. L., t. cxxiv, col. 967-978. Cf. Ellies du Pin, Bibliothèque des auteurs
ecclésiastiques, 1697, t. ix, p. 131-172; D. Rivet, Hist. littér. de la France, 1740
t. v, p. 522-527 ; D.R. Ceillier, Histoire générale des auteurs ecclésiastiques, lre édit..
t. xix, p. 274-278 ; 2e édit., t. xn, p. 635-637. Sur le caractère et le personnage
d' Hincmar de Laon, cf. H. Scbrœrs, Hinkmar Erzbischof von Reims, p. 317 ;
E. Lesne, La hiérarchie épiscopale : Provinces, métropolitains, primats en Gaule
et en Germanie depuis la réforme de saint Boniface, jusqu'à la mort d'Hincmar,
in-8, Paris, 1905, p. 221 sq. : « Ce personnage, vaniteux, présomptueux, impa-
tient de toute règle, était porté par son seul caractère à entrer en révolte, sans que
personne ait besoin de l'y engager, contre le gouvernement autoritaire d'Hincmar.
Ses malheurs sont-ils causés, comme on l'a cru, par sa fidélité aux idées pseudo-
isidoriennes et réformatrices qui l'obligent à s'opposer à l'ingérence des séculiers
et à résister au roi comme à son archevêque ? N'est-ce pas plutôt son humeur
inconstante et brouillonne et, comme l'en accuse l'archevêque de Reims, l'amour
du siècle qui l'ont perdu ? » (H. L.)
476 LIVRE XXIII
du clergé, soutenant qu'un évêque ne pouvait être jugé que par
ses pairs et qu'on ne pouvait mettre le séquestre sur ses biens.
Il cita en preuve des décrétales pseudo-isidoriennes des papes
Urbain, Lucius et Etienne, de l'authenticité desquelles il ne doutait
pas. Grâce à son intervention, le roi et Hincrnar de Laon se récon-
cilièrent dès cette même année 868, dans une diète tenue à Pistres 1.
L'évêque demanda grâce, et le roi retira les peines édictées contre
lui 2. Mais bientôt survint un nouveau conflit. Sur le désir du
roi, Hincrnar de Laon avait donné au comte Nordmann un iief
ecclésiastique de son diocèse; il le lui enleva sans motif et bru- [381]
talement ; puis il raconta la chose au pape Hadrien II en lui
présentant l'affaire sous un faux jour. Il fut, pour ce motif,
invité à se présenter, le 24 avril 869, devant un concile tenu à
Verberie-sur-Oise, au diocèse de Soissons ; avant de s'y rendre il
tint à Laon, le 19 avril 869, un synode diocésain dans lequel il
fit promettre à son clergé d'interrompre partout le service
divin s'il lui arrivait quelque désagrément à Verberie et si, au
lieu de lui permettre d'aller à Rome, on le retenait prisonnier.
Nous n'avons que très peu de détails sur ce qui s'est passé à
Verberie; nous savons seulement qu'on y compta vingt-neuf évê-
ques, dont huit métropolitains, qu' Hincrnar de Reims y exerça
les fonctions de président, et qu'on y confirma la donation de trois
monastères faite par le roi Charles le Chauve au monastère de
Charroux en Poitou 3. Hincrnar le jeune fut, paraît-il, mécontent
des décisions prises à son égard, et en appela au pape, sans toute-
fois faire connaître son appel 4 ; mais, ainsi qu'il l'avait prévu,
1. A. Verminghoff, op. cit., 1901, t. xxvi, p. 640. (H. L.)
2. Le mémoire d'Hincmar l'ancien pro ecclesiastica libertate tuenda in causa
Laudunensis episcopi, qu'il remit dans l'assemblée de Pistres au roi Charles le
Chauve, se trouve avec des additions, des appendices et des notes du jésuite
Cellot dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 755 sq., et, sans ces notes, dans Hardouin,
op. cit., t. v, col. 1328 sq., dans Hincrnar, P. L., t. cxxv, col. 1035, ett. cxxvi,
p. 94, et Hincrnar, Laudun., P. L., t. cxxiv, col. 1025 sq.
3. Sirmond, Conc. Gall., t. ni, col. 374 ; Coll. regia, t. xxin, col. 775; Lalande,
Conc. Galliœ, p. 186 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 865-868, 1527-1531 ; Marca,
Concordia, 1663, t. i, col. 215-216 ; 2e édit., col. 192-194 ; Hardouin, op. cit.,
t. v, col. 1211; Miraeus, Cod. diplom. Belg., 1734, p. xxn; Coleti, Concilia, t. x,
col. 1033 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 551; A. Verminghoff, dans Neues Archiv,
1901, t. xxvi, p. 641. (H. L.)
4. C'est du moins ce que dit son oncle. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1242; Mansi,
op cit., t. xvi, col. 598.
486. CONCILES DE VERBER1K. DE PISTRES, ETC. 477
il fut emprisonné par ordre de Charles le Chauve et enfermé à
Silvacum dans le diocèse de Laon. Auparavant, il avait eu le
temps de réitérer à son clergé l'ordre de faire durer l'interdit
aussi longtemps que sa captivité 1 ; heureusement qu'en qualité
de métropolitain, son oncle rapporta immédiatement cette ordon-
nance, aussi injuste que périlleuse pour le salut des âmes ; en
même temps il communiqua à son neveu ainsi qu'à ses clercs
les documents relatifs à cette question ; c'étaient des passages
de la sainte Écriture, des décrets des papes et des canons. Il
engagea jusqu'à cinq fois, soit de vive voix, soit par écrit, son
neveu à revenir sur l'injustice commise 2, mais avec si peu de
succès qu'Hincmar le jeune, ayant bientôt recouvré sa liberté,
fit composer une autre collection des passages des Pères et des
lois de l'Eglise, pour l'opposer à son oncle 3. C'étaient des ex-
traits pseudo-isidoriens dirigés contre l'autorité des métropolitains
et des conciles provinciaux.
Il se tint, en cette même année 869, un autre concile à Pistres
(Pistes); nous le connaissons par un document dans lequel l'as-
[382] semblée confirme la fondation d'un monastère par Égilon, arche-
vêque de Sens 4. On voit par ce document qu'outre Egilon trois
autres métropolitains assistèrent à l'assemblée : Hincmar de Reims,
Wulfade de Bourges et Hérard de Tours, avec plusieurs évê-
ques. C'est probablement cette assemblée de Pistres qui a rendu
les treize canons suivants : 1, 2. Les églises, les clercs et les reli-
gieuses doivent être protégés dans leurs possessions, droits et
immunités, mais ils doivent à leur tour rendre au roi l'obéissance
et les services qui lui sont dus. 3. On doit également respecter
les droits de tous les autres fidèles. 4, 5. Les employés royaux
doivent soutenir les évêques, etc., et réciproquement. 6, 7. Si un
1. Hincmar, Annales S. Bertini, dans Pertz, t. i, p. 479-480 ; Hardouin, op.
cit., t. v, col. 1211 ; Mansi, op. cit., t. xv, col. 887; t. xvi, col. 551.
2. P. L., t. cxxvi, col. 511-534 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1361-1379 ; Mansi,
op. cit., t. xvi, col. 809-829 ; Noorden, Hincmar, p. 241 .
3. Hincmar de Laon, P. L.. t. cxxiv, col. 993.
4. Lalande, Concil. Gallise, p. 198 ; L. d'Achery, Spicileg., 1664, t. u, p. 712-
714 ; Concilia, t. vm, col. 1535-1537; Baluze, Capitul. reg. Francor., 1877, t. u,
col. 209-216 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1215; Bessin, Conc. Rotomag., 1717,
t. i, p. 24 ; Coleti, Concilia, t. x, col. 1041 ; Bouquet, Rec. des hist. de la France,
t. vin, col. 675 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 560 ; Walter, Corp. fur. an*., 1824,
t. m, p. 167 ; Duru, Bill. hist. de l'Yonne, 1863, t. n, p. 588-589; A. Verminghoff ,
Verzeichniss, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 642. (H. L.)
478 LIVRE XXIII
évêque fait tort à un ecclésiastique, ceux-là doivent faire l'enquête
qui sont chargés par les canons de remplir cette mission ; mais
si l'évêque a fait tort à un laïque, le roi peut obliger l'évêque à
réparer sa faute. 8. Les clercs des paroisses doivent témoigner
respect et obéissance à leurs supérieurs (seniores); sinon les senio-
res doivent en informer l'évêque. 9. Les évêques et les vicaires
ne doivent pas refuser les clercs qui leur sont présentés par les
abbés, les comtes, ou par d'autres laïques, si ces clercs sont réelle-
ment dignes ; mais on ne doit confier aucune place à un clerc
sans l'assentiment de l'évêque. Les supérieurs ne doivent pas
trop exiger de leurs clercs et ils doivent éviter toute espèce de
simonie. 10. Aucun évêque ou prêtre ne doit excommunier un
fidèle dont la faute n'est pas prouvée, et sans avoir auparavant
exhorté le coupable à s'amender. 11. Les comtes, les missi et les
ministérielles du roi doivent exercer la justice. 12. La concorde doit
régner entre les évêques, les abbés, les comtes, les serviteurs
du roi et tous les laïques. 13. Les évêques doivent défendre les
privilèges concédés à leurs églises par Rome et par le roi. Dans
les quatre numéros suivants, le roi Charles résumait ces décrets
afin de pouvoir les publier *.
Enfin, on compte au nombre des conciles une grande diète
tenue à Metz, le 9 septembre 869, dans laquelle, après la mort
de Lothaire de Lorraine, Charles le Chauve se mit, de fait, mais
contre tous les droits, en possession de l'héritage de son neveu
et fut solennellement sacré roi de Lorraine par Hincmar deReims 2.
Les évêques, même ceux de Lorraine, adhérèrent à cet acte, et
Advence de Metz se fit dans cette circonstance l'interprète de
ses collègues. Dans son discours, Hincmar chercha à se justifier [383]
d'avoir exercé des fonctions ecclésiastiques dans une province
étrangère 3. Il existait depuis longtemps, dit-il en résumé, une
sorte d'union fraternelle entre les métropoles de Reims et de
Trêves (dont Metz faisait partie), et le plus ancien des deux
métropolitains avait toujours eu le pas sur l'autre. Le siège
1. Pertz, op. cit., t. m, Leg., t. i, p.509; Mansi, op.'cit., t. xvii,Append., col.114.
2. Coll. regia, t. xxin, col. 777 ; Labbe, Concilia, t. vin, col. 1531-1535 ; Har-
douin, op. cit., t. v, col. 1211; Coleti, op. cit., t. x, col. 1037 ; Mansi, op. cit.,
t. xvi, col. 556 ; Dùmmler, Geschichte des ostjrànkischen Reiches, t. h, p. 282,
315 ; R. Parisot, Le royaume de Lorraine, p. 171 ; E. Lesne, La hiérarchie épisco-
pale, p. 270-271 ; A. Vermingkofï, dans Neues Archiv, 1901, t. xxvi, p. 642.
3. E Lesne, La hiérarchie épiscopale, p. 100.
486. CONCILES DE VERBERIE, DE PISTRES, ETC. 479
de Trêves était présentement vacant, aussi était-il d'autant plus
autorisé à exercer ces fonctions. Les autres évêques lui don-
nèrent leur consentement. Il ajouta que le roi Clovis avait été
baptisé par Rémi, évêque de Reims, et oint d'une huile venue
du ciel et dont on possédait encore une partie 1. Pendant
qu'Hincmar accomplissait le sacre au milieu des prières, les autres
évêques placèrent la couronne de Lorraine sur la tête de Charles.
Les documents originaux fournissent de longs détails sur toute
cette cérémonie 2 ; mais l'assemblée ne rendit aucun décret sur
1. Pertz, op. cit., t. i, p. 483, Leg., i, p. 512 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col.
555 ; Hardouin, op. cit., t. v. col. 1211 sq. Cf. Noorden, op. cit., p. 249 sq., 253 ;
Dûmmler, Gesch. des ostfrànk. Reichs, t. i, p. 720. [Ed. de Barthélémy, La sainte
Ampoule, dans la Revue indépendante, 1866, t. iv, p. 800-804; Cavalli, dans Zacca-
ria, Raccolta di dissertazioni, 1795, t. xiv, p. 148-170 ; J.-J. Chifïet, De ampulla
Remensi nova et accurata disquisitio, ad dirimendam litem de prserogativa ordinis
inter reges ; ace. parer gon de unctione regum, in-fol., Antwerpiae, 1651 ; Lacatte-
Joltrois, Recherches historiques sur la sainte Ampoule, accompagnées d'un dessin
lithographique représentant celte précieuse relique telle qu'elle était avant sa des-
truction, in-8, Reims, 1825 ; J. Hager et J. G. Speckner, De unctione regum, in-4,
Wittembergœ, 1736; L. Ph. Haller, De unctione Remensi, in-4, Trajecti ad Rhe-
num, 1722; F. Lacointa, Du sacre des rois de France, de son origine et de la sainte
Ampoule, in-8, Paris, 1825 ; Lelong, Bibl. France, 1769, t. n, n. 25979-25986 ;
J. Limmeus, Notitia regni Francise, 1685, t. i ; H. Moro, De sacris unctionibus
libri très, in quibus de sacra ampulla et Francorum regum consecratione, in-8,
Paris, 1593 ; C. G. von Murr, Ueber die fabelhafte sogenannte heil. Ampulla
oder Salbbl. im Reims, welches 1794 zerlrochen wurde, in-8, Nuremberg, 1801,
cf. Magasin encyclopédique, 1803, t. xlix, p. 275-276; A. A. Pallavi, cini, Ra-
gionamento intorno l'ampolla del crisma avutesi miracolosamenle nel ballesimo
del re Clodoseo, dans Calogera Raccolta d'opuscoli, 1758, t. iv, p. 171-203 ;
Pluche, Lettre sur la sainte Ampoule et sur le sacre de nos rois à Reims, in-
12, Paris, 1775 ; Le Tenner, De sacra ampulla Remensi tractatus apologelicus;
ace. respons. ad parer gum, in-4, Parisiis, 1652 ; de Vertot, Dissertation au sujet
de la sainte Ampoule conservée à Rheims pour le sacre de nos rois, dans les Mém. de
l'Acad. des inscr. et belles-lettres, 1736, t. n, p. 619-633; t. iv, p. 350-369. Outre
cette bibliographie on peut consulter les nombreux ouvrages relatifs au sacre
des rois de France, principalement ceux auxquels donnèrent occasion les sacres
de Louis XVI (1775) et de Charles X (1825), les historiens de Reims et les re-
cueils académiques de cette ville. Le récit de la sainte Ampoule, tel qu'Hincmar
le donne, servait trop bien les intérêts de son Église et de son parti politique pour
qu'on n'ait pas manqué de dire que la légende avait été inventée par lui. Ni Gré-
goire de Tours ni les contemporains de Clovis ne font mention de cet épisode
dont le caractère miraculeux a suffi pour faire nier la réalité. Ces jugements
à priori n'ont rien de commun avec l'histoire impartiale. (H. L.)
2. H. Schrœrs, Hinkmar, p. 307, note 48. (H. L.)
480 LIVRE XXIÎI
des matières ecclésiastiques. Les protestations et exhortations du
pape Hadrien, qui voulait assurer le royaume de Lothaire à l'empe-
reur Louis II, frère du défunt, arrivèrent trop tard *.
1. P. L., t. cxxvi, col. 174; H. Schrœrs, Hinkmar, p. 306 ; Ampère, Histoire
littéraire de la France sous Charlemagne et durant les xe et xie siècles, p. 184.(H.L.)
[384] LIVRE VINGT-QUATRIÈME
LE HUITIÈME CONCILE ŒCUMÉNIQUE TENU EN 869
487. Arrivée des légats du pape à Constantinople. Actes
du VIII concile œcuménique.
A la nouvelle que les légats du pape, Donat, Etienne et Marin
venaient à Constantinople pour y faire célébrer le nouveau concile 1,
l'empereur Basile le Macédonien envoya à leur rencontre jusqu'à
Thessalonique son spathaire Eustache, pour les recevoir et,
les accompagner pendant le reste du voyage. A Sélymbria 2 eut
lieu leur réception officielle, par le protospathaire Sisinnios et
l'higoumène Théognoste que nous avons vu faire à Rome un séjour
prolongé. On mit à leur disposition quarante chevaux des écuries
impériales, de la vaisselle plate et de nombreux serviteurs. Le
samedi 24 septembre, ils arrivèrent à Strongylon, devant la porte
ouest de Constantinople. et y passèrent la nuit. Le lendemain 3
ml lieu l'entrée solennelle dans Constantinople (par la porte d'Or),
parmi les employés de la cour, le clergé et une grande foule de
peuple, qui les accompagna jusqu'à leur palais de Magnaure
[domus magna aurea) 4. L'anniversaire de la naissance de l'empe-
reur lonibanl le lundi suivant (26 septembre), les ambassadeurs
ne lurent reçus que le mardi dans le Chrysotriclinium, où ils remi-
1. L'ambassade byzantine et les légats romains firent route de conserve ;
ils partirent de Rome aux environs du 10 juin 8G9. (H. L.)
2. Sélymbria est à neuf milles géographiques de Constantinople.
3. Dans la Vita Hadriani 11 qui nous sert ici de guide, on lit, il est vrai,
XV sept. ; mais il faut lire XXV, car en 869, ce n'est pas le 15, mais le 25,
qui tombait un dimanche,
4. A. Vogt, Basile Ier empereur de Byzance et la civilisation byzantine à la
fin ilu ixe siècle, in-8, Paris, 1908, p. 217. (II. L.)
CONCILES - IV :'. 1
482 LIVRE XXIV
rent la lettre du pape. L'empereur baisa la lettre, s'entretint [385]
amicalement avec les légats de la santé du pape, du clergé et du
sénat romains, embrassa les légats et les fit conduire au patriar-
che Ignace, pour lequel ils avaient aussi une lettre apostolique 1.
Le lendemain (27), nouvelle audience de l'empereur, qui parla
en ces termes2: « Il résulte des lettres du très saint seigneur
et pape universel Nicolas, que l'Eglise romaine, mère de toutes
les autres Eglises, s'est occupée avec diligence de l'Église de Cons-
tantinople, déchirée par l'ambition de Photius. C'est pour ces
motifs que, depuis déjà deux ans, nous et tous les patriarches,
métropolitains et éveques orientaux sollicitons de l'Église romaine
un jugement définitif (Basile était en effet seul souverain depuis
deux ans) ; aussi nous prions Dieu, que les scandales de Photius
soient maintenant réparés, grâce à l'autorité de votre saint collège
(le concile), et que l'unité et le repos longtemps désirés soient
rétablis conformément aux décrets du pape Nicolas 3. » Les légats
répondirent : « Nous avons en effet été envoyés dans ce but, mais
nous ne pouvons admettre aucun Oriental dans le concile, s'il
ne signe auparavant le Libellus satisfactionis apporté de Rome. »
L'empereur et le patriarche Ignace dirent alors : « Ceci est nouveau,
1. Nous devons ces détails circonstanciés au Liber pontificalis composé, pour
cette partie, par des contemporains, probablement même par des témoins
oculaires. (H. L.)
2. Liber pontificalis, édit. Duchesne, t. n, p. 181. (H. L.)
3. « Il y a dans ces mots tout le programme que dut se tracer Basile au début
de son règne et qu'il remplit officiellement jusqu'au moment où l'affaire des Bul-
gares et, peut-être, les incitations de Photius le décidèrent à modifier ouverte-
ment la conduite qu'il s'était imposée, jusqu'au moment aussi où il s'aperçut
que les ordres donnés par Rome aux légats étaient en complet désaccord avec
sa propre manière de voir. Il serait, en effet, assez puéril de s'imaginer avec les
latins du ixe siècle que Basile agit dans toute cette affaire d'une façon absolu
ment désintéressée et ne se laissa guider que par des motifs d'ordre purement
religieux. D'abord, une telle conception des choses ne pouvait entrer dans l'es-
prit d'un basileus byzantin, si pieux qu'il fût. Entre Rome et Constantinople,
il y avait trop de rivalités et trop de méfiance pour qu'un empereur allât s'hu-
milier devant un pape sans regrets et sans calculs ; Basile, ensuite, n'était
pas homme à sacrifier ses droits et ses prérogatives à la légère et par scrupule
religieux. Bien d'autres idées et bien d'autres projets hantaient alors son esprit.
Non, en réalité, la politique ecclésiastique de Basile lut tout autre que ne le
crurent et Hadrien et les légats. Officiellement il voulut être irréprochable,
soumis et conciliant durant, tout le concile : niais en secret il agissait, et c'est sur-
tout par la conduite et la parole de ses délégués que nous pouvons saisir sa véri-
table politique. » A. Vogt, op. cit., p. 218. (H. L.)
487. ACTES DU HUITIÈME CONCILE ŒCUMENIQUE 483
il est donc nécessaire de lire d'abord ce document. » Traduit en
grec sur-le-champ on en donna lecture devant tous. Les uns y
souscrivirent et furent admis au concile, d'autres s'y refusèrent ;
mais plus tard ils se ravisèrent et, après avoir signé, furent égale-
ment admis.
Nous avons tiré ce qui précède du Liber pontificalis ; pour
ce qui suit nous nous inspirons des actes mêmes du VIIIe concile
œcuménique. Nous devons ces actes à Anastase, dont nous
avons déjà parlé ; vers cette époque en effet, il fut envoyé avec
d'autres personnages de l'entourage de l'empereur Louis II à la
cour de Byzance, pour y conclure les fiançailles d'une liile de
Louis II avec le césar Constantin, iils aîné de l'empereur Basile,
encore enfant 1. Il fut chargé par le pape Hadrien de traduire
roon-É en latin les actes du concile comme il traduisait, depuis des
années, les documents grecs envoyés à Rome et en particulier
ceux de l'affaire de Photius. Le Bibliothécaire put donc servir
bien des lois d'interprète aux légats du pape à Constantinople
et il se trouva avec eux en relations très intimes. A l'issue du
VIIIe concile œcuménique, on expédia à Rome, par l'intermé-
diaire des légats, un exemplaire authentique des actes du con-
cile, dont Anastase garda une copie intégrale, qui nous a été
conservée, tandis que l'exemplaire des légats avec beaucoup
d'autres pièces furent volés aux envoyés du pape à leur retour
à Rome. Sur l'ordre d'Hadrien II, Anastase fit alors une tra-
duction latine de ces actes synodaux ; il assure avoir apporté
le plus grand soir, traduisant littéralement sans se permettre
d'autres changements que ceux qui étaient exigés par le génie
de la langue et sans aucune altération du sens. « Il enrichit son
texte de notes pour le rendre plus intelligible. Certaines lettres
autrefois envoyées de Rome avaient été infidèlement traduites
en grec à Constantinople, faute de bons interprètes. 11 a cor-
rigé plusieurs de ces documents, mais faute de temps il en a
accepté d'autres sans modifications. Du reste, le concile n'avail
décrété que ce que contenaient sou manuscrit el s;i traduc-
1. Encore enfant n'est pas trop dire. Constantin pouvait être né aux envi-
rons de 859, peut-être un peu plus tôt. En 869, les légats de Louis II vinrent trai-
ter du mariage du petit prince avec Ermengarde. A. Gasquet, L'empire byzantin
et la monarchie franque, in-8, Paris, 1888, p. 412 : A. Vogt, Basile Ier, |>. 58.
IH.L.j
484 LIVRE XXIV
tion, ni plus ni moins. C'est là ce qu'ont signé et scellé les repré-
sentants des patriarches orientaux, les deux empereurs Basile et
son fils Constantin 1 et tous les évoques. Les lettres du concile,
de l'empereur et du patriarche au pape, ajoutées aux actes du
concile sont également authentiques, il faut le remarquer parce que
les grecs ont ajouté aux actes du VIIIe concile, comme ils l'a-
vaient fait pour d'autres conciles, un document faux relatif à
la Bulgarie (nous reviendrons plus tard sur ce point). Quant à
lui, ce qu'il donne est authentique 2. »
Outre cette traduction latine qui comprend tous les actes du
concile, on possède encore un long extrait de l'original grec, par
un anonyme; le jésuite Matthieu Raderl'a publié en 1604, à In-
golstadt, d'après plusieurs manuscrits et l'a fait suivre d'une
traduction latine 3.
L'extrait grec et la traduction latine d'Anastase contiennent L J
également, mais avec des proportions différentes, une intro-
duction rédigée à la fin du concile par les Grecs et placée en
tête des procès-verbaux de chaque session ; en voici le résumé :
Déjà la sainte Ecriture a parlé des faux prophètes, des loups revêtus
de la peau des brebis, des arbres qui ne portent pas de bons fruits.
Photius est un de ces prophètes, etc., mais le pape Nicolas, ce nou-
1. Ce jeune prince, qui donnait de grandes espérances, avait été associé à
l'empire par son père Basile aux environs de 870 ; son nom figure, avec celui
de Basile, en tête du Prochiron. Constantin mourut vers la fin de l'année 879.
(H. L.)
2. Anastase, Préface au VIIIe concile ; Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 755 ;
Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xvi, col. 8 sq. ; ce même document a été réimprimé
dans P. L., t. cxxix. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 1-16, préface d'Anastase au
VIIIe concile; col. 16-207, traduction intégrale des actes; col. 308-420, abrégé
grec. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1025 sq. ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 307 sq.
C'est s'abuser que de voir, avec Walch, Ketzerhist., t. x, p. 816, 'dans cet ex-
trait grec le texte original et d'en conclure que le texte d'Anastase est interpolé.
Il est facile de se convaincre, par une multitude de passages, que le texte grec
n'est qu'un extrait. Que l'on compare, par exemple, le décret impérial lu dans la
première session, tel qu'il est donné par Anastase, avec les quelques lignes de
l'extrait grec. Il en est de même pour la lettre du pape Hadrien lue dans cette
même session. Les discours et répliques des membres du concile tels qu'ils se
trouvent dans le texte grec, sont plus que laconiques. Jos. Simon Assémani,
Biblioth. juris orient., t. i, col. 261 sq. On trouve également dans Assémani,
op. cit., col. 259-323, une édition complète de tous les documents ayant trait
aux discussions de Photius, et contenus dans le manuscrit du Vatican, Ottoboni.
487. ACTES DU HUITIÈME CONCILE ŒCUMÉNIQUE '180
vel Élie, l'a vaincu, et tué le loup, abattu l'arbre stérile ; l'em-
pereur Basile a coopéré à cette œuvre, il a convoqué le présent
concile général et mis en pratique les décisions du Saint-Esprit
(ces décisions sont ici en abrégé). Photius, ainsi nommé par
antiphrase (Photius signifie « homme de lumière »), a été déposé,
avec tous ceux qu'il avait ordonnés. De ces derniers ceux qui
avaient déjà rompu avec leur consécrateur, ont simplement
perdu leurs charges; les autres ont été de plus exclus de la com-
munion de l'Eglise. Le même sort a frappé les iconomaques,
et Ignace a été réintégré sur son siège 1.
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 763, 1025 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 16, 307.
Au sujet des actes du VIIIe concile œcuménique, cf. Hergenrôther, Photius, t. 11,
p. 63. sq. ; Fr. Turrianus,Z)e actis verissextse synodi deque canonibus qui ejusdem
sextse synodi falso esse feruntur. et de septima atque multiplici octava... liber, in-4,
Florentise, 1551 ; M. Raderus, Acta sacrosancti et œcumenici concilii oclavi,
Constantinopoli quarti, nunc primum ex manuscriptis codicibus illuslr. biblioth.
Maximil. Boior. et Augusl. Vindelic. grsece cum latina interpretatione édita notis-
que passim illustrata, in-4, Ingolstadii, 1604; Binius, Concilia, 1618, t. ni, col. 830-
831, 852-919 ; Coll. regia, t. xxiii, col. 118 ; Léo Allatius, De octava synodo Pho-
tiana, ace. J. H. Hottingueri de Ecclesise Orient, atque Occident, tam in dogmate
quam in rilibus dissensu et Juv. Almensis... refutatio, in-8, Romse, 1662; Haukins,
Byzant. rer. script., 167'/, p. 396-397; Labbe, Concilia, t. vin, col. 961-1526 ;
Hardouin, Coll. concil., t. v, col. 749; Coleti, Concilia, t. x, col. 471 ; Mansi,
Conc. ampliss. coll., t. xvi, col. 1 sq. ; Alexander, Hist. eccles., in-fol., Venetiis,
1778, t. vi, p. 326-359 ; Damberger, Synchron. Geschichte, 1851, t. ni, p. 537-
879; Krit., p. 237-399; Nicolas Ier, Epistolae et décréta, P. L., t. exix, col. 771 sq ;
Hadrien II, Epistolœ et décréta, P. L., t. cxxn, col. 1276 sq. ; Anastase le Biblio-
thécaire, Pnefatio et Interprétatif synodi VIII generalis, P. L., t. cxxix.col. 9-195 ;
Nicetas David, Vita Ignatii, P. G., t. cv, col. 487-575; Liber pontificalis, in-4,
Paris, 1884, t. 11, Vita Hadriani II ; Baronius, Annales ecclesiastici, édit. Mansi,
Lucques, ad ann. 869 , n. 1-92, t. xv, p. 161-191 ; L. Thomassin, Ancienne et
nouvelle discipline de V Église, part. I, 1. I, c. xiii, n. 7 ; part. II, 1. II, c. 1, 11,
xxvi, in-4, Barri-Ducis, 1864, t. 1, p. 83; t. iv, p. 194,199,303; Assemani, Biblio-
theca juris orienlalis, t. 1, p. 261 ; P. Jafïé, Regest. pont, rom., n. 2205 ; Jager,
Photius, p. 157-218; Hergenrôther, Photius, Patriarch von Constantinopel,
in-8, Ratisbonne, 1867, t. 11, p. 7-166; M. Jugie, IVe concile de Conslantinople,
dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. m, col. 1273-1307; A. Vogt, BasileIeT
empereur de Byzance et lu civilisation byzantine à la fin du ixe siècle, 1908. p. 218-
230.
On trouve dans Hergenrôther, op. cil., t. n, p. 65-70, une étude attentive de
l'abrégé grec des actes. D'après lui toutes les omissions qu'on relève dans ce texte
peuvent s'expliquer par la préoccupation de ne donner que l'essentiel des actes
du concile ; rien ne prouve la volonté de causer quelque préjudice au siège de
Rome. L'omission de quelques passages particulièrement explicites en faveur
486 LIVRE XXIV
488. Première session du VIIIe concile œcuménique.
Tous les préparatifs terminés, le concile fut solennellement
ouvert, le 5 octobre 869, dans l'église Sainte-Sophie 1. Les membres [388]
prirent place sur le côté droit de ce qu'on appelait les catéchu-
ménies 2 ; pour rehausser la solennité, on plaça au milieu de l'as-
de la primauté romaine ne peut être attribuée à un sentiment d'hostilité, puis-
que d'autres passages non moins favorables à cette primauté ont été mainte-
nus. L'auteur de l'abrégé n'est pas connu. Tandis que Assémaui, Bibliolheca
juris orientalis, t. i, p. 308-310, 323-325, et Le Quien, Panoplia, p. 169, proposent
Nicetas David biographe de saint Ignace, Hergenrôther, Photius, t. n, p. 73-75,
propose Théophane Phrénodémon, que Photius nomma évêque de Césarée
lors de son second patriarcat. En réalité, on n'en sait rien. L'abréviateur est
aussi un compilateur, car les manuscrits qui contiennent les extraits des actes
renferment d'autres documents se rapportant plus ou moins directement au
concile lui-même. On les trouve dans la Conc. ampliss.colL, t. xvi : 1° Vie d'Ignace
par Nicetas David, col. 209-292. — 2° Éloge d'Ignace par le syncelle Michel,
composé peu de temps après la mort du patriarche, col. 292-294. — 3° Extraits
de trois lettres du pape Nicolas, adressées l'une à tous les patriarches, archevê-
ques et évêques, leur faisant connaître les décisions du synode romain de863con"
tre Photius et Rodoald, l'autre à Ignace en 866, et la troisième aux sénateurs,
également en 866, col. 295-308. — ■ 4° La lettre d'Epiphane de Chypre à Ignace
après sa réintégration, col. 307-308. — 5° la lettre du pape Etienne V à Basile
col. 240-246. - 6° La lettre de Stylien de Néoeésarée à Etienne V, col. 426-436*
— 7° L'encyclique d'Etienne V au clergé du monde entier, col. 436-432. — 8°
Une autre lettre de Stylien à Etienne V (885-890), col. 438-440. — 9° Réponse
du pape Formose à Stylien, col. 440-442. — 10° Relations des parjures commis par
les évêques grecs pendant la querelle photienne, col. 442-446. — 11° Extraits
de la synodique de Nicolas Ier (865) et de celle d'Hadrien 11(869), col. 446-450. —
12° Résumé du VIIIe concile suivi de quelques réflexions du compilateur»
col. 450-458. (H. L.)
1. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 16 sq., 310 sq.; Hardouio, op. cit., t. v, col. 763 sq.,
1026 sq.La traduction latine d'Anastase donne, à tort, comme date chronologique le
troisième consulat de Constantin. En 869, l'empereur Basile le Macédonien était,
il est vrai, consul pour la troisième fois, mais son fils Constantin ne l'était que pour
la seconde, ainsi qu'Anastase le dit avec raison au sujet, des autres sessions. L'ex-
trait grec est aussi dans le vrai sur ce point. Cf. Pagi, Critica, ad ann. 869, n. 5.
2. On entendait par catéchuménies les galeries supérieures où se plaçaient les
femmes pour entendre les prières et les chants; c'était là aussi qu'on instruisait
les catéchumènes. Cf. Du Gange, Constantinopolis christiana, I. III, § 38, p. 22.
Les actes n'indiquent pas le local où s'est tenue la première session ; pour les
autres ils se contentent d'indiquer le côté droit de l'église de Sainte-Sophie; »
488. PREMIÈRE SESSION DU HUITIEME CONCILE 487
semblée, les saints Évangiles el la vraie croix de Nuire- Seigneur.
Parmi les Pères venaient d'abord les trois légats du pape, Douai
d'Ostie, Etienne de Népi et le diacre Marin; puis Ignace, patriar-
che de Constantinople, Thomas, archevêque de Tyr, représentant
du patriarcal d'Antioche, alors vacant, e1 le prêtre et syncelle
Elie, représentant de Théodose patriarche de Jérusalem ; venaient
ensuite douze patrices3 et employés représentant le sénal impé-
rial 2. Ce nombre douze résulte des données fournies par l'extrait
grec et par la traduction latine.
Lorsque tous furent réunis, on introduisit, à la demande des
légats du pape cl des vicaires orientaux, les évêques persécutés pour
leur fidélité à Ignace ; eux seuls furent d'abord tenus pour membres
légitimes du concile, car les partisans de Photius devaient signer
le Libellus satisfactionis pour pouvoir être admis3. On comptait
d'abord parmi ces évêques restés fidèles à la cause du droit
cinq métropolitains : Nicéphore d'Amasie, Jean de Syllseum,
Nicétas d'Athènes. Métrophanès de Smyrne 4. Michel de Rho-
des ; puis sept évêques : Georges d' Héliopolis, Pierre de Troas,
Xicétas de Céfalù en Sicile, Anastase (Athanase) de Magnésie,
Nicéphore de Crotone, Antoine d'Alision cl Michel de Corcyre.
Quand tous eurent pris place suivant leur rang d'ordination,
le patrice Baanès, qui, en qualité de procureur impérial, dirigeait
les travaux du concile, fit lire avec l'assentiment des légats,
par le secrétaire Théodore, un message impérial, Epanagnos-
ticon. L'empereur Basile y affirmait d'abord son zèle pour la
mais toutes les sessions se sont certainement tenues au même endroit, c'est-
à-dire au côté droit des catéchuménies de l'église Sainte-Sophie. Voir Dic-
tionn.d' archéol. chrét., au mot Byzance. (H. L.)
1. Ces patrices avaient à leur tête Baanès. (H. L.)
2. Voir § 188.
3. Le Libellus satisfactionis, sous son air bénin, avait plus d'importance qu'il
n'en laissait paraître; il confirmait la déposition de Photius, condamnait les conci-
liabules tenus contre Ignace et Nicolas Ier et, surtout/établissait la prépondérance
du pape. Basile, qui avait l'œil ouvert sur tout empiétement, fut mis en éveil
et demanda quelques explications sur cette « nouveauté » (Liber pontifîcalis,
t. ii, p. 181) ; il exigea que le Libellus fût traduit en grec. On pouvait s'attendre
à ce qu'il en fît édulcorer un peu la teneur, mais il n'en fit rien ; sans doute, il
jugea que cette paperasse irait s'engloutir parmi tant d'autres actes et que lui,
empereur, trouverait bien le moyen de faire prévaloir sa volonté à la commission
de laïques introduite dans le concile. (H. L.)
4. Voir § 464.
488 LIVRE XXIV
restauration do Tordre dans l'Église ; il exhortait les Pères à s'en-
tendre, à écarter toute haine et toute partialité, ce qui, disait-il,
lui tenait, fort à cœur 1. Tous les membres présents approuve- [389]
rent cet écrit ; mais lorsque, au nom du sénat et des évêques
grecs présents, Baanès réclama des légats romains et des vicai-
res des Orientaux, lecture de leurs lettres de créance, les légats
protestèrent, alléguant qu'on n'avait jamais agi ainsi à l'égard
des représentants de Rome; ils se calmèrent néanmoins, lors-
qu'on leur représenta que ce n'était pas une mesure de défiance
à l'égard du Siège apostolique, mais que Rodoald et Zacharie
avaient agi autrefois en contradiction avec leurs instructions.
Le diacre romain Marin lut alors en latin la lettre du pape
apportée par les légats à l'empereur Basile, et le chapelain de
la cour et interprète, Damien, en donna une traduction grec-
que 2. Cette lecture terminée, Ignace et tous les assistants s'écriè-
rent : « Dieu soit loué, qui a pris soin de nous par l'intermé-
diaire de Votre Sainteté. » Élie, représentant du patriarche
de Jérusalem, déclara alors que son collègue Thomas, archevêque
de Tyr. n'avait aucun document établissant ses pleins pouvoirs,
le siège d'Antioche étant vacant et lui-même administrateur du
patriarcat. Il faisait cette déclaration parce que Thomas ne s'ex-
primait pas facilement en grec. Lui-même (Elie) était muni d'une
lettre de son patriarche Théodose, dont il demandait la lecture
ainsi que de son vote écrit sur les questions pendantes, vote pré-
paré sur l'ordre de l'empereur, dans le cas où il aurait dû rentrer
chez lui sans attendre l'arrivée des légats. On lut ensuite la
lettre du patriarche Théoclose de Jérusalem à Ignace, « patriar-
che œcuménique », réponse à la lettre par laquelle celui-ci
annonçait à son collègue sa réintégration et l'invitait au con-
cile. Théodose y exprimait sa joie de la réintégration d'Ignace,
dont il déplorait interminablement les malheurs. Il n'avait
pu lui écrire plus lui pour ne pas éveiller les soupçons des Sarra-
sins, sous la puissance desquels il se trouvait. Cependant, sur
l'ordre de son émir 3, et conformément à la demande (de l'em- [390]
1. Mansi, «/<. <i/.. i. xvi, roi. l'.l. (H. L.)
■2. Voir $ i85; Mansi, op. cil., i. xvi, col. l'.l. (H. L.)
::. V.\\ effet, l'empereur Basile, au rapport de Nicolas dans sa Vita Ignatii
avait gagné à sa cause, par des lettres et par des présents, le gouverneur
sarrasin de la Syrie, Achmed do Tulunido, qui gouvernait également l'Egypte, et
'i8S. PREMIÈRE SESSION DU HUITIEME CONCILE 489
pereur et d'Ignace), il envoyai! son syncelle et représentant Élie
prendre part aux délibérations prochaines. Le prince des Sarra-
sins (Achmed) avait adjoint à Élie. Thomas, archevêque de Tyr,
administrateur du siège d'Antioche, dont les Byzantins avaient
souhaité la présence à Constantin ople. Le prétexle invoqué était
la délivrance des Sarrasins détenus chez les Byzantins 1. On solli-
citait l'entremise d'Ignace pour obtenir de l'empereur la déli-
vrance des prisonniers, sinon la situation des chrétiens en Orienl
deviendrait très critique. Dans la conviction qu'il déploierait le
plus grand zèle dans cette affaire, Théodose lui envoyait la
tunique, l'humerai, la mitre et l'étole de l'apôtre saint Jacques,
premier évêque de Jérusalem, et un calice d'argent ciselé tiré du
trésor de l'église du Saint-Sépulcre.
A la demande des légats du pape, on lui alors en latin et en
grec le Libellus satisfactionis, que tous les anciens partisans de
Photius avaient dû signer ; ce libellus était ainsi conçu : « La
foi n'a jamais été altérée dans l'Eglise romaine. Nous y adhé-
rons, suivant en tout les décisions des Pères et en particulier
des papes; nous anathématisons tous les hérétiques, y com-
pris les iconomaques et Photius... et nous adhérons au saint
concile que le pape Nicolas, de pieuse mémoire, a tenu au tombeau
des apôtres Pierre et Paul, et que toi aussi, évêque suprême,
Hadrien, tu as signé. Nous adhérons aussi au récent concile,
nous condamnons ce qu'il condamne, c'est-à-dire Photius, Gré-
goire de Syracuse et leurs partisans obstinés dans le schisme
et restés en communion avec lui. Nous frappons d'un anathème
éternel les détestables conventicules (conciliabules) tenus sous
l'empereur Michel, à deux reprises contre Ignace et une fois contre
le primat du Siège apostolique ; nous anathématisons également
tous ceux qui ont défendu les conclusions de ce concile, qui en
cachent les actes et ne les brûlent pas. Quant à Ignace et à ses
partisans, nous nous conformons absolument à ce qui a été décidé
par le Siège apostolique, et les noms de tous ceux qui ne sont pas
d'accord avec ce Siège seront omis au service divin 2. »
qui, dans son ardent désir de se rendre indépendant des khalifes, comptait bien
mettre à profit l'amitié de l'empereur de Byzance.
1. Il était nécessaire de recourir à un pareil prétexte, sinon pour les kha-
lifes, du moins pour les soldais et le peuple sarrasin qui étaient animés d'un
violent fanatisme.
2. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 27 sq., 315 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 773 sq.,
490 LIVRE XXIV
Sur la demande de Baanès, tout le concile approuva ce document rqg/i t
déclaré juste et acceptable. Anastase remarque à ce sujet, dans sa
traduction des actes du concile, qu'après que tous les évoques,
prêtres et laïques eurent signé le Libellus, quelques-uns repro-
chèrent à l'empereur d'y avoir souscrit par une démarche qui,
disaient-ils, plaçait l'Eglise de Constantinople sous la dépendance
de l'Église de Rome 1. L'empereur impressionné lit soustraire
par leurs serviteurs grecs tous les exemplaires du Libellus satis-
factionis qui se trouvaient dans les mains des légats, et y réussit
en partie2. Lorsque les légats s'en aperçurent, ils adressèrent
leurs plaintes à l'empereur, avec cette déclaration : « Il nous est
défendu, sire, de revenir à Rome sans ces libelli; de ton côté,
tu ne retireras aucun profit de ce qui s'est déjà fait pour la restau-
ration de l'ordre dans l'Église » (c'est-à-dire que nous devons
déclarer sans valeur tout ce qui s'est fait jusqu'ici). Les ambassa-
deurs venus à Constantinople à l'occasion du projet de mariage
entre Ermengarde et le jeune empereur Constantin, firent à Basile
les plus sérieuses remontrances ; ils lui représentèrent « qu'il ne
convenait pas à la dignité impériale d'abroger une ordonnance
rendue, et surtout de s'y prendre de cette manière. Si l'empereur
regrettait son adhésion au libellus, il n'avait qu'à le déclarer
ouvertement ; sinon, il ne devait pas faire ainsi enlever les exem-
plaires. Si tout s'était fait sans son ordre, le meilleur moyen de le
prouver était d'ordonner la restitution des exemplaires. » Ces
conseils furent suivis et les légats confièrent les manuscrits
restitués à Anastase, qui les apporta heureusement à Rome.
A leur retour les légats furent complètement dépouillés par des
pirates entre Dyrrachium et Aucune, et on leur enleva tous leurs
papiers.
Dans la première session encore, on lut la déclaration annon-
1030. V. Hergenrôther, Photius, t. n, p. 78 sq., qui a reproduit en regard le
texte latin et le texte grec de ce document.
1. Le biographe du pape Hadrien, P. L.. t. r.xxvm, toi. 1391, a mal compris
ce passage ; d'après lui on aurait représenta à l'empereur que la manière dont
les légats avaient signé les actes synodaux, c'est-à-dire la clause usque ad
volunlatem, etc., qu'ils avaient ajoutée à leurs signatures (ils voulaient dire que
ces documents ne conserveraient de la valeur qu'aussi longtemps que le pape le
voudrait), tenait en suspens toute l'œuvre de conciliation pour l'Eglise grecque
et pouvait la détruire d'un moment à l'autre.
2. Voir § 492, p. 514, note 4, une conjecture très vraisemblable de M. Vogt sur
l'époque à laquelle se rapporte cette indélicatesse. (H. L.)
488. PREMIÈRE SESSION DU HUITIEME CONCILE 49i
cée par Élie, rédigée par lui et son collègue Thomas. Il y était
[392] dit que les deux vicaires de l'Orient étaient venus à Constantino-
ple, sur le désir de l'empereur, pour travailler au rétablissement
de l'ordre dans cette Kglise. « On attend impatiemment l'arrivée
des légats du pape (on a vu (pic le document était composé déjà
depuis longtemps) ; ils ne peuvent sans imprudence prolonger
à Constantinople un séjour qui pourrait éveiller les soupçons
des Sarrasins. Ils n'ont pas besoin d'attendre les légats
romains, car ils possèdent les décisions du pape Nicolas et la lettre
d'Hadrien, e1 ils y adhérent entièrement. » Acceptant les six
capitula du concile romain de 863, ils les renouvelaient dans
les six capitula suivants : « 1. Ignace est patriarche légitime. 2.
Tous ceux qui ont été chassés à cause de leur attachement pour
lui doivent être réintégrés. 3. Les clercs ordonnés par Méthode
et Ignace et passés au parti de Photius, mais rentrés dans l'Eglise
lors de la déposition de Photius, ne doivent pas être excommu-
niés, mais punis selon le degré de leurs fautes, suivant la déci-
sion du pape Nicolas. Photius, Grégoire de Syracuse, et ceux qui
ont été ordonnés par Photius, sont condamnés définitivement;
le soin de punir les autres est laissé à Ignace. 4. Photius est à
tout jamais dégradé du sacerdoce, et ne sera même plus admis
à la communion laïque, s'il ne se soumet à notre jugement et à
celui du pape. 5. Grégoire de Syracuse est de même déposé et
condamne. Ceux qui ont été consacrés par Photius perdent
leurs dignités, ainsi que l'a décidé le pape Nicolas. 6. Si quelqu'un
résiste à ces décisions, qu'il soit anathème. »
Interpellés par les légats du pape, les deux vicaires orientaux
assurèrent que le document était bien leur œuvre à eux, et
le concile l'approuva. Mais Baanès demanda aux légats, au
nom du sénat, d'expliquer comment on avait pu condamner, à
Rome, Photius absent 1. Les légats répondirent que. si Photius
1. Les débats qui eurent lieu lors île la ive session font mieux comprendre la
nature de l'objection soulevée par les commissaires impériaux. Hefele ne paraît
pas avoir remarqué, comme l'a fait M. A. Vogt, op. cit., p. 219, cette secrète et
persistante action de l'empereur qui, à trois reprises , dans cette première session,
mettait les Romains dans le cas de fournir des explications. La première fois il
leur avait fallu expliquer la « nouveauté » du Libellas ; la deuxième fois on leur avait
réclamé communication publique de leurs pouvoirs; la troisième fois, la bles-
sure était plus habile, elle visait la procédure romaine à l'égard de Pho-
tius. Cette lois Basile se découvrait et revendiquait la défense de son sujet
402 LIVRE XXIV
n'était pas venu à Rome en personne, il y avait défendu sa
cause par ses écrits et ses fondés de pouvoir, et ils racontè-
rent brièvement toute cette affaire: «Après l'expulsion d'Igna-
ce, le ministre impérial, Arsaber, avec quatre évoques et une
lettre de l'empereur, était venu trouver le pape Nicolas qui
avait consenti à envoyer Rodoald et Zacharie, en qualité de légats [393]
à Constantinople. Mais ces légats avaient eu la faiblesse de par-
ticiper à un nouveau brigandage, à la suite duquel l'empereur
avait envoyé à Rome son secrétaire Léon porteur des lettres impé-
riales et de celles de Photius ; le pape, ayant découvert toute
la supercherie, avait convoqué un concile, dans lequel Photius
et son conciliabule avaient été condamnés et les légats punis (tout
s'était donc passé de la manière la plus régulière). » Baanès deman-
da ensuite aux vicaires orientaux pourquoi, pendant leur long
séjour à Constantinople et tandis qu'ils étaient si près de Photius,
ils ne l'avaient pas invité, mais s'étaient bornés à le condamner.
Elie répondit aussitôt au nom de ses collègues : « Photius n'a
jamais été reconnu évêque légitime pas plus par le pape que par
les patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem ; tous
les patriarches ont constamment regardé Ignace comme le véri-
table évêque de Constantinople. Or, on n'est tenu de convoquer
l'accusé en personne avant le jugement que lorsqu'il s'agit d'un
évêque légitime. On conna ssait du reste, sinon, par Photius du
moins par ses amis, son système de défense qui était sans valeur-
Photius avait donné lui-même la preuve qu'il n'avait jamais
été reconnu par les patriarches orientaux, en demandant à Tho-
mas, évêque de Tyr, à son arrivée à Constantinople, de le faire
reconnaître par l'Eglise d'Antioche. » Les commissaires im-
périaux n'insistèrent pas et, vu l'heure avancée, les légats, inter-
rogés par Baanès, ne voulurent pas laisser soulever d'autres
Photius contre une sentence qu'on pouvait soupçonner de précipitation, sinon
d'injustice. Photius avait été condamné à Rome sans être entendu ; ce
n'était pas la première fois ni la seule que les formes de la justice étaient
un peu bousculées; le fait était sans conséquence d'ordinaire quand il s'agis-
sait d'accusés occidentaux qu'on parvenait à calmer tant bien que mal ; avec
ces Byzantins très vétilleux et peu endurants l'aventure était plus risquée et
on s'en aperçut cette fois. Les légats, pris de court, donnèrent une explication
qui ne put satisfaire qu'eux seuls, mais ce n'était que partie remise. Baanès
aurait pu pousser l'affaire, mais il n'en fit rien sur l'heure, parut satisfait et
leva la séance. Les légats, s'ils se jugèrent 1res habiles, durent s'apercevoir
au cours de la ive session qu'ils avaient trop tôt chaulé victoire. (H. L.)
4 8 9. DEUXIÈME ET TROISIEME SESSIONS 493
questions. Le sénat se leva en disant : « Dieu soil loué, de nous
avoir laissé voir un tel jour T» Alors le diacre Etienne de Constan-
tinople entonna les acclamations habituelles : « Longue vie
aux empereurs Basile et Constantin ! longue vie à l'impératrice
Eudoxie ! éternel souvenir au pape Nicolas ! longue vie au pape
Hadrien, aux patriarches de l'Orient, au sénat orthodoxe ! éternel
souvenir au saint concile général * ! » Toutes les autres sessions
se terminèrent par des acclamations analogues.
[394] 489. Deuxième et troisième sessions.
Dans la seconde session (7 octobre), on introduisit, sur leur
demande, les évêques ordonnés par Ignace et par son prédécesseur
Méthode, qui avaient embrassé le parti de Photius. A leur tête
se trouvait Théodore, métropolitain de Laodicée (autrefois de
Carie) 2. Ils se prosternèrent et, sur la question posée par les légats
du pape, déclarèrent qu'ils reconnaissaient leur faute et voulaient
faire pénitence ; ils sollicitaient la lecture publique de leur pro-
fession de foi, ce qui fut fait. Cette profession de foi adressée
aux légats disait : « Les supercheries et brutalités de Photius
sont si connues à Rome, qu'il serait superflu de les exposer en
détail. Il s'est attaqué au pape Nicolas et au patriarche Ignace,
les a calomniés et déposés. Sa fourberie à l'égard d'Ignace, qu'il
avait promis de reconnaître 3, est connue de tous, mais ceux
qui l'ont dévoilée ont été exilés et maltraités, et Ignace a
en particulier été poursuivi cruellement. Photius s'étant
ainsi conduit à l'égard d'Ignace, fils d'un empereur, et à
l'égard du pape, on s'explique ses procédés à notre endroit.
Plusieurs d'entre nous ont été punis dans le prétoire, livrés à
la faim, à la soif et à toutes sortes de privations, condamnés aux
mines et frappés à coups de sabre, comme si on avait eu affaire
non à des prêtres et à des vivants, mais à des cadavres. On nous
a chargés de chaînes et nourris de foin. Vaincus par ces violences,
1. Hardouin. op. cit., t. v, col. 764 sq., 1025 sq. ;Mansi, op. cit., t. xvi, col. 16-36,
310-319 ; Hergenrôther, Photius, t. n, p. 80 sq.
2. Voir § 480.
3. Voir § 464.
494 LIVRE XXIV
nous avons plié, nous avons fait ce que nous n'approuvions pas
et ce que nous avons toujours déploré. Aujourd'hui, notre seul
espoir est qu'à l'exemple de Dieu et conformément à la parabole
de l'enfant prodigue, etc., vous nous ferez grâce. C'est dans ces
sentiments que nous vous remettons en toute humilité et avec
une vive douleur cet écrit ; Dieu est témoin de notre sincérité.
Nous comptons sur votre miséricorde, sur l'intercession de la
Vierge, des saints apôtres et du saint pape Nicolas, sur les prières
de notre saint évêque Ignace, sur les vôtres (celles des légats) et
celles des vicaires de l'Orient. Vous nous tendrez la main pour
nous relever, afin de défendre l'Église jusqu'au sang, si cela est
nécessaire, et d'obtenir le pardon de nos fautes. Nous n'aurons
aucune communication avec Photius et ses partisans, tant qu'ils
s'obstineront dans leur malédiction, et nous accepterons volontiers rnqr-i
la peine qu'Ignace nous infligera 1. » Les légats répondirent :
« Conformément aux ordres du pape Hadrien, nous vous recevons
en conséquence de cette profession de foi. » Tous les évêques
louèrent cette sentence et reconnurent les légats, en toute cette
affaire, comme juges légitimes. Les légats firent alors relire,
en latin et en grec, le Libellus satisfactionis, qui fut signé par tous
ces évêques admis à l'instant : Théodore, Euthymius de Catane,
Photius de Nacolia, Etienne de Chypre, Etienne de Cilyra, Théo-
dore de Sinope, Eustache d'Akmonia, Xénophon de Mylassum,
Léon de Daphnusa et Paul de Mêle. On plaça alors sur la croix
du Christ et sur les saints Evangiles leur profession de foi qui fut
ensuite remise à Ignace ; celui-ci imposa à chacun de ces évêques
un surhuméral, c'est-à-dire une sorte de pallium, et leur annonça
leur pardon 2. Les prêtres, diacres et sous-diacres ordonnés par
Ignace ou par son prédécesseur, et qui avaient faibli devant
Photius, furent introduits à leur tour devant le concile. Ils remi-
1. On voit sans peine, au sujet de ce document, que le texte grec n'est qu'un
abrégé.
2. A partir de ce moment, ces évêques furent, on le comprend, membres du
concile ; mais on apprit plus tard que Théodore avait signé les actes du concilia-
bule de Photius, dans lequel on avait prononcé la déposition du pape Nicolas. Les
légats du pape lui défendirent, pour ce motif, d'exercer les fonctions sacerdotales,
et en effet, à partir de la ixe session, Théodore ne paraît plus comme membre du
concile. Les actes ne mentionnent pas sa nouvelle exclusion ; mais nous connais-
sons ce fait par une note d'Anastase sur la me session et par une lettre écrite
plus tard au pape par Ignace. Mansi, op. cit., col. 205 ; Hardouin, op. cit., col. 938.
489. DEUXIÈME ET TROISIEME SESSIONS 495
rent la même profession de foi que les évêques el furent graciés
après avoir signé le Libellus satisfactionis. Comme pénitence,
Ignace imposa à lous des jeûnes et, des prières, et les suspendit
de toute fonction ecclésiastique jusqu'à la prochaine fête de Noël.
La session se termina par les mêmes acclamations que la précé-
dente *. Dans sa biographie de saint Ignace, Xicétas blâme forte-
ment cette trop grande indulgence du concile à l'égard de Théo-
dore el de ses amis, et déclare qu'elle fui la cause de tous les mal-
[390] heurs et désordres qui suivirent. Le concile, dit-il, aurail dû,
conformément au 31e canon apostolique, déposer à loul ja-
mais les partisans de Photius, mais au contraire on en avail fail
des membres du concile, c'est-à-dire qu'on les avait admis comme
juges de Photius, et c'est grâce à leur secours que l'intrus s'empara
de nouveau du siège de Constantinople. La responsabilité de ce1 te
indulgence ne retombait pas sur Ignace, qui avait laisse aux
Romains le pouvoir de juger. Eux et l'empereur étaient seuls res-
ponsables. Nicétas voit aussi dans les tremblements de terre et clans
les tempêtes qui eurent, lieu avant et pendant le concile.de funestes
présages pour le succès de cette assemblée 2.
Dans la troisième session (11 octobre), on compta, outre les
légats romains, le patriarche Ignace, les vicaires orientaux, les
sénateurs de l'empire et vingt-trois évèques, dont trois, Basile
de Pyrgium, Grégoire de Mésina et Samuel d'Antron n'avaient
assisté ni à la première ni à la seconde session. Ils n'avaient pro-
bablement signé le libellus qu'après la clôture de la seconde ses-
sion. Par contre, il manque cette fois deux évêques, Jean de
Syllaeum et Paul de Mêle ; le premier admis dans la première
session et le second dans la deuxième. Au début, les légats du pape
déclarèrent que. par erreur, certains évêques ordonnés par Ignace
ou par Méthode n'avaient pas signé le Libellus satisfactionis :
c'étaient les deux métropolitains Théodule d'Ancyre et Nicéphore
de Nicée. On leur députa aussitôt le métropolitain Métrophanès
de Smyrne avec deux autres évêques, mais ils répondirent qu'à
cause des mauvaises e1 bonnes signatures dont on avait tant parlé
dans ces derniers temps, ils s'étaient fait une loi de ne plus rien
1. Mansi, op. cit., col. 37 sq., 319 sq. ; Hardouin, op. cit., col. 781 sq., 1034 sq. Cf.
Hergenrother, op. cit., p. 82 sq.
2. Hardouin, op. cit., col. 987 ; Mansi, op. cit., col. 37-44, 319-322. D'après
M. A. Vogt, op. cit., p. 220, note 1, l'empereur Basile eut dans cette trop indul-
gente solution un rôle beaucoup plus important que celui des légats. (H. L.)
496 LIVRE XXIV
signer, et ils demandèrent qu'on s'en rapportât à Ja profession
de foi qu'ils avaient donnée lors de leur sacre et qui se trouvait
dans les archives patriarcales 1. Cette réponse fut communiquée
au concile, et on en prit note jusqu'à nouvelle décision. On lut
ensuite les lettres de l'empereur et du patriarche Ignace au pape
Nicolas, lettres confiées à la seconde ambassade envoyée à Rome
et qui avaient pour but d'obtenir du pape une décision sur l'affaire
des partisans de Photius.On lut alors la lettre du pape Hadrien [397]
à Ignace, du 10 juin 869 2, dans laquelle le pape, se conformant
aux décisions de son prédécesseur, indiquait la conduite à tenir
à l'égard de Photius et de ses partisans, et exhortait Ignace à faire
souscrire par les Grecs les capitula du concile romain de 869. Le
concile œcuménique accéda à ces demandes, et la session se termi-
na par des acclamations en l'honneur du pape et de l'empereur 3.
490. Quatrième et cinquième sessions.
Dans la ive session (18 octobre), le commissaire impérial
Baanès proposa de citer devant le concile et déjuger les deux évê-
ques Théophile et Zacharie, ordonnés par Méthode et passés
au parti de Photius; après avoir fait partie avec Arsaber de la
première ambassade envoyée à Rome en faveur de Photius, ils
avaient publié que le pape Nicolas avait reconnu Photius, indui-
sant ainsi en erreur bien des personnes 4. Les légats du pape et
les vicaires orientaux voulaient au contraire éviter la comparu-
tion devant le concile des partisans de Photius ; aussi envoyèrent-ils
immédiatement des députés interroger les deux accusés, qui décla-
1. Pagi, Critica, ad ann. 869, n. 8, croit que ces deux évêques étaient ceux dont
Anastase disait qu'ils voyaient dans la signature du Libellus satisfaclionis
l'acceptation d'une excessive sujétion de l'Église de Constantinople à l'Église
romaine.
2. Hardouin, op. cil., t. v, col. 793.
3. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 44-53, 322-327 : Hardouin, op. cit., t. v, col 788
sq., 1035 sq. Cf. Hergenrôther, op. cit., p. 85 sq. Les trois documents lus dans
cette session sont notablement abrégés dans le texte grec.
4. Anastase les appelle à plusieurs reprises les « anciens » évêques, et le texte
grec dit de son côté olizo-z ÈTnV/.OTro'. ; ils étaient probablement suspendus. Mansi.
op. cit., t. xvi, col. 54.
'i'.'O. QUATRIÈME ET CINQUIEME SESSIOMS \ \ I /
rèrent ne vouloir |»;is abandonner la communion de I Mm luis -, à
quoi le concile reprit : « En ce cas ils partageront son sort. » Baanès
ajouta au nom du séna! 1 : « Si le sénat doit souscrire les actes
l.« C'est alors que Baanès se leva et commença le plus curieux discours qui soit.
Insensiblement il laisse deviner toute la politique cachée de Basile et le point
faible sur lequel va porter toute la discussion : le jugement prononcé par Rome
en l'absence des accusés. Sans ambages Baanès confessa qu'il était envoyé au
concile ainsi que ses collègues — « C'est ce qu'on appelle le Sénat, «Mansi, op.
cit., t. xvi, col. 55 — pour être les auditeurs sévères des choses qui s'y font,
ut simus districti eorum quse geruntur auditores. Si donc les Pères veulent que le
saint synode soit sanctionné par la signature des empereurs, il faut que Photius
et les évêques coupables entendent leur jugement et puissent se défendre à l'oc-
casion. En cas contraire, il sera inutile de demander des signatures : Si hoc
autem jactum non fuerit,scimus quia nostri non egetis ad scribendum in fine a vobis
gestorum. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 55. Ce que Basile voulait donc, c'était une
seconde discussion et un second jugement. Or, il savait très bien qu'à cela il y
avait de graves difficultés et que les légats n'allaient pas revenir sur le jugement
porté par le pape. Néanmoins, par condescendance, les apocrisiaires acceptèrent la
demande de Baanès, non sans faire remarquer de quelle hypocrisie toute cette
alfaire était empreinte : Excusationem quserunt, dirent-ils, ils cherchent une ex-
cuse, ils veulent fuir le jugement, fugere volunt judicium. Et il semble bien, en
effet, qu'il y avait quelque chose de fondé dans cette observation. En tous
cas, toute la scène paraît avoir été arrangée d'avance, car, dès que les deux évê-
ques se trouvèrent devant le concile et qu'on leur eut parlé du Libellus, ils se ré-
crièrent : « Nous ne désirons pas entendre la réponse du Libellus, dirent-ils, et
aiious ne voulions pas venir ici. L'empereur nous a ordonné de nous rendre au
« palais et en sa présence, et c'est ainsi que nous nous trouvons ici. » Mansi, op. cit.,
t. xvi, col. 58. Baanès leur répondit alors : « N'avez-vous pas dit au palais que
ic vous pouviez prouver que vous aviez officié, comministravimus, comme prêtres
« avec le très saint pape Nicolas? C'était — il importe de le remarquer — changer
la question première. Cette fois, il ne s'agissait plus des bruits qu'ils avaient pu
répandre sur les rapports du pape et de Photius, mais bien d'eux-mêmes. Naturel-
lement ils maintinrent leur affirmation et les légats la repoussèrent. II fallut lire
les deux lettres du pape Nicolas à l'empereur Michel — celles de septembre 8G0
et de mars [862] — pour rendre évidente aux yeux du concile l'erreur des deux
vêques. Il n'y avait pas, en effet, grand'chose à répondre aux deux lettres. Com-
me Théodore de Carie le fit remarquer à Théophile, du moment que le pape
appelait Photius « adultère », c'était bien la preuve qu'il ne l'avait pas reçu.
Quant à eux, quelles preuves pouvaient-ils alléguer en faveur de leur dire ? Théo-
phile ne répondit pas à la question, mais, chose étrange, il en appela à l'empereur.
Si celui-ci l'autorisait par écrit a parler, il le ferait avec clarté. Mansi, op. cit.,,
t. xvi, col. 68, 73. N'était-ce pas avouer la complicité de Basile en toutes ces ter-
giversations ? Aussi, les légats ne s'y laissèrent-ils pas prendre et, profitant de
l'effet produit par la lecture des lettres sur un certain nombre d'assistants com-
me Théodore, métropolitain de Carie, s'empressèrent-ils d'affirmer que Photius,
CONCILES -IV- 32
498
LIVRE XXIV
du concile, comme le veut la coutume, Photius et ses adhérents
doivent être entendus par le concile et réfutés en notre présence
par les citations des canons. Ils doivent entendre ici, devant nous,
le jugement de Rome, et s'ils n'y peuvent rien opposer, le monde
sera par le fait même guéri. Mais comment pourrons-nous, dans le
cas contraire, signer un jugement, si ceux-ci peuvent crier : Nous
voulons entendre nous-mêmes notre propre déposition, et la jus-
tice demande qu'on nous entende avant de nous condamner ?
Nous ne pensons pas qu'une pareille manière de faire (une eondani- [oJoj
nation sans avoir entendu les accusés) soit légale. Tel était notre
sentiment, c'est-à-dire telle était la manière dont nous appré-
ciions, avant notre arrivée, la sentence du pape Nicolas et sa réi-
tération par le pape Hadrien (mais vos déclarations dans la pre-
mière session nous ont tranquillisés). Dès votre arrivée, nous vous
a \ons reçus comme de saints apôtres (parce que cette arrivée
rendait possibles la célébration d'un concile et par conséquent
une procédure beaucoup plus régulière). Nous vous le demandons
donc avec instance, guérissez ceux qui sont malades, mais si on
ne consent pas à entendre les accusés, les consciences ne seront
pas guéries 1. »
Métrophanès de Smyrne chercha à s'entremettre ; il déclara
fondée la demande du sénat, mais fui .d'avis qu'il fallait deman-
der à ceux que l'on voulait interroger, s'ils consentaient à se
soumettre au concile et à sa sentence. Cette proposition n'eut
pas l'approbation des légats du pape, qui déclarèrent : « Rome a
parlé, la question est résolue ; ce n'est pas au concile à prononcer
un nouveau jugement; sa mission est uniquement de faire connaî-
tre partout le jugement de Rome. Quiconque est déjà positive-
ment informé de ce jugement est, par le fait, même lié par
lui. » Aussi posèrenl-ils la question suivante : « Ces évêques
ne connaissent-ils pas déjà le jugement rendu par Rome ? » Et
a été suspendu, obligatus, repoussé et réprouvé, Mansi, op. cit., t. xvi, col. 73.
Le coup portait droit. Baauès posa encore quelques questions, demanda quelques
éclaircissements, avant de lever la séance ; en fait, il était bal lu. Pour la première
fois, il n'approuva pas de sa parole le langage des apocrisiaires. Une gêne évi-
dente s'aperçoit du côté des sénateurs, même au travers des actes assez secs du
concile. » A. Vogt, Basile Ier, p. 221-222. (H. L.)
1. Le discours de Baanès présente plusieurs passages difficiles, que j'ai essayé
d'éclaircir en mettant des explications entre parenthèses, tandis que Jager,
Fleury et d'autres historiens ont mieux aimé éluder ces passages.
490. QUATRIÈME ET CINQUIEME SESSIONS 499
Baanès répondit : « Non, car ils n'étaient pas à Rome en personne,
et ils n'ont pas entendu leur jugement de leurs propres oreilles. »
(Us avaient été à Rome, avec Arsaber, mais n'y étaient plus en
863, lors de la sentence rendue en concile par Nicolas.) Les lé-
gats répondirent : « Nous ne pouvons abroger une sentence ren-
due par Rome, ce serait agir contre les canons. Les partisans de
Photius étaient du moins représentés à Rome par leurs dépu-
tés1, et ils ont appris la sentence prononcée contre eux. S'ils
veulent maintenant que le jugement soit porté à leur connais-
sance d'une manière formelle et publique, ils peuvent venir. »
Les légats cherchaient par ce moyen à sauver le principe Ruina
locuta, res decisa. loui en paraissant accéder aux demandes des
commissaires. Ceux-ci donnèrent leur approbation et parurent
aussi reconnaître ce principe, car ils dirent :« Ils peuvent par
conséquent entrer pour entendre le jugement de Rome. » Mais
[399"] presque aussitôt ils remirent le principe en doute, disant: « S'ils
onl quelques raisons à opposer à la décision romaine, ils pourront
les faire connaître ; s'ils n'en ont pas, ils devront se tenir tran-
quilles. » Les légats firent justement remarquer « qu'ils cher-
chaient uniquement des faux-fuyants, car le monde entier sa-
vait que le jugement avait déjà été prononcé contre eux, et
tout leur calcul était de ne pas s'y soumettre. » Les sénateurs
répliquèrent : « Non, ils ne veulent pas éviter le jugement, mais
ils demandent, comme chacun le sait, une enquête minutieuse
suivie d'une décision. » Cette réplique ne fait pas honneur aux
sénateurs byzantins, elle renfermait un piège et un sophisme :
le jugement demandé par les partisans de Photius n'étant pas
du tout celui que demandaient les légats du pape. On tomba
enfin d'accord pour introduire dans l'espace réservé aux laï-
ques Théophile, Zacharie et cinq autres partisans de Photius,
auquels on lirait la première lettre du pape Nicolas à l'empereur
Michel. Mais les autres partisans de Photius étaient déjà partis.
et on ne trouva plus que Théophile et Zacharie. Les commissaires
impériaux représentèrent de nouveau que ces deux person-
nages faisaient grande impression parmi le peuple, en soute-
nant que, pendant leur séjour à Rome en qualité de mandatai-
1. Ainsi le secrétaire impérial et ambassadeur Léon assista ;iu concile tenu
Rome en 862.
500 LIVRE XXIV
res de Photius, le pape Nicolas les avait admis à sa communion, et
parla médiatement Photius dont ils étaient les représentants. Les
légats avaient accepté l'admission devant le concile de Théophile
et Zacharie, mais alors on se demanda qui devait les convoquer.
Les commissaires demandèrent que cette convocation fût faite par
les légats, puisqu'ils l'avaient faite pour les évêques repentants,
car ces évêques n'avaient pas refusé de signer le Libellus satisfactio-
nis qu'ils ne connaissaient même pas. Les légats y consentirent, et
lorsqueThéophile et Zacharie eurent été introduits, on leur demanda
s'il était vrai que le pape Nicolas les eût admis à sa communion.
Ils l'affirmèrent, mais les légats nièrent, surtout le diacre Marin,
qui exerçait ses fonctions auprès du pape Nicolas, dans l'église
de Sancta Maria ad Prœsepe (Sainte-Marie-Majeure), lors du
séjour à Rome de Théophile et Zacharie. Marin assura que loin de
leur avoir donné la communion dans le rang des évêques, Nicolas
ne les avait admis à la communion (laïque), qu'après leur avoir
fait prêter serment et remettre une satisfactio écrite. (Nous au-
rons d'autres détails sur ce point à la fin de cette même session.)
Pour mieux réfuter cette prétention, que le pape Nicolas avait
reconnu Photius (même indirectement), on lut, à la demande [400]
des légats la lettre à l'empereur, que Nicolas avait envoyée en
860 par ses légats Rodoald et Zacharie à Constantinople. Les
commissaires impériaux déclarèrent que cette lettre montrait en
effet que le pape Nicolas n'avait pas reconnu Photius et avait
regardé comme nulles ses ordinations ; ils firent ensuite relire la
seconde lettre du pape à l'empereur Michel, datée du 19 mars 862,
dont nous avons parlé plus haut. Théophile dit alors : « Si Pho-
tius est condamné, on doit condamner aussi ceux qui l'ont or-
donné ; quant à moi, je n'ai pas assisté à son ordination. »
Théodore, archevêque de Carie, dit que, sur les rapports de
Théodore et de Zacharie, il avait tenu en suspicion le pape
Nicolas jusqu'à une époque assez récente. Il croyait que Nicolas
avait d'ahord reconnu Photius et puis avait cherché à le renverser.
En même temps il mit Théophile en demeure de prouver qu'il
avait communié avec Nicuhis (à Rome), et avait même exercé les
fonctions ecclésiastiques aux côtés du pape pendant les cérémo-
nies du culte. Théophile renouvela alors sa déclaration écrite,
mais ajouta qu'il attendait une permission de l'empereur pour
donner les preuves demandées.
Sur la demande du concile, le diacre el notaire Etienne lut
490. QUATRIEME ET CINQUIEME SESSIONS
;,m
la lettre du pape à Photius, de mars 862. A peine la lecture
achevée, Théophile affirma de nouveau que Rome avait reconnu
Photius. On lui répondit que les lettres de Nicolas lui donnaient
tort, et que Photius n'y était nullement appelé patriarche, mais
simplement moine. Théodore de Carie se déclara convaincu que
Photius n'avait jamais été reconnu à Rome. A la demande des
légats, les vicaires orientaux assurèrent que, ni dans le patriarcat
d'Antioche ni dans celui de Jérusalem, on n'avait reconnu Photius
pour évêque de Constantinople, ni entretenu de relations avec
lui. Élie, vicaire de Jérusalem, ajouta que les apocrisiaires envoyés
à Jérusalem par l'empereur, en vue du présent concile, pouvaient
confirmer ce fait. Métrophanès conclut qu'en résumé Photius
n'avait été reconnu ni à Rome ni en Orient, et Théodore de Carie
déplora son erreur.
A la lin les commissaires impériaux insinuèrent que Théophile
r4011 et Zacharie avaient dû signer à Rome un document, et on rappela
que, d'après une coutume romaine, tout étranger qui venait
visiter l'église devait fournir un témoignage écrit de son ortho-
doxie; Théophile et Zacharie (ils ne pouvaient le nier) avaient
donc dans un document de ce genre, exprimé leur orthodoxie et
leur adhésion à V Église romaine. Or s'expliquait que, nanti d'une
pareille profession de foi, le pape Nicolas leur eût accordé la com-
munion. Néanmoins, ils refusèrent d'entendre la lecture du Libel-
las satisfactionis qu'on leur demandait de signer ; on prononça
donc leur exclusion du concile qui remit à une autre session la
suite de cette affaire *.
A l'occasion des actes de la cinquième session, Anastase remarque
que le nombre des membres du synode allait toujours en augmen-
tant. Plusieurs évêques étaient arrivés en retard à Constanti-
nople, d'autres n'avaient pas voulu signer dès le début le Libellas
satisfactionis. C'est ainsi que, dans la cinquième session, nous
constatons pour la première fois la présenee de deux métropolitains,
Basile d'Éphèse et Barnabe de Cyzique.
Uépitome grec et la traduction latine des actes disent ex-
pressément que la cinquième session s'est tenue xm Kal. nov.
(20 octobre) ; c'est par distraction que Baronius l'a placée au
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 797 sq., 1042 sq. ; Ma?isi. op. rit., t. xvi, col. 53-
74, 327-339; Hergenrôther, op. cit., p. 86-92.
502 LIVRE XXIV
« 19 octobre », erreur reproduite par de nombreux historiens.
Dès l'ouverture de la session, le chartophylax Paul de Cons-
tantinople l, que Photius avait élevé à la dignité d'archevêque
de Césarée, qui avait ensuite pris parti pour Ignace, et qui main-
tenant se trouvait au concile comme employé, annonça que
Photius, mandé par l'empereur, se trouvait non loin du concile,
attendant d'être introduit 2. Les légats du pape demandèrent
si lui-même le désirait, et comme personne ne put répondre,
ils envoyèrent une députation exclusivement composée de laïques
chargée de l'interroger. Il répondit : « On ne m'a jamais invité à
ce concile et je suis surpris de ce qui se passe maintenant ; je ne
m'y rends pas de plein gré, et je dis avec le psalmiste : Tai placé
une garde sur ma bouche (Ps. xxxvm, 2). Lisez vous-mêmes la
suite du passage dans la Bible. » Or la suite du passage est : « parce
que l'impie est contre moi. » Il voulait dire : « J'ai pris la réso- [402]
lution de ne pas parler devant votre société impie. » Les légats
du pape, ayant ouï cette réponse, répondirent : « Nous ne le con-
voquons pas pour apprendre de lui quoi que ce soit (qu'il se taise
donc, s'il le veut), mais pour mettre fin à tous les soucis que Rome
et les Églises d'Orient ont éprouvés à cause de lui.» Anastase
remarque que les légats parlaient ici de l'Orient par politesse,
car, en fait l'Orient ne s'était jamais occupé de Photius avant
la célébration du concile. A la demande d'Élie de Jérusalem, le
concile répondit à Photius par un autre passage du psalmiste :
« Par la bride et le frein, tu maîtriseras la bouche de celui qui ne
1. Sur ce dignitaire et ses fonctions, cf. E. Beurlier, Le chartophylax de la
grande Église de Constantinople, dans le Compte rendu du IIIe congrès scienti-
fique international des catholiques tenu à Bruxelles du 3 au S septembre 1894,
Ve section, Sciences historiques, p. 253 sq. (H. L.)
2. L'empereur manda Photius, Mansi, op. cit., t. xvi, col. 75. Basile avait
très habilement et très sagement aussi choisi pour terrain de son intervention
personnelle, la légalité absolue. Il avait beau jeu, puisque Rome s'en était écartée
plus ou moins ; c'était une manière de faire la leçon à laquelle on n'avait rien à
répondre. On peut croire qu'outre le souci de mortifier un peu les Romains qui
prétendaient détenir le jugement en leur rappelant les règles immuables de la
procédure, Basile, qui ne se refusait pas cette malice presque inolfensive, avait une
vue plus haute de la situation et inspirait d'après elle sa conduite. Il comprenait
que rien ne serait terminé tant qu'on laisserai a Photius et aux siens le droit
d'invoquer quelque vice de forme ; or, à tout prix, Basile voulait en finir avec
ces disputes de gens d'Église qui menaçaient, en s 'éternisant, de préjudicier gra-
vement aux intérêts de l'empire. (H. L.)
490. QUATRIÈME ET CINQUIEME SESSIONS 503
veut pas s'approcher de toi:» on le prévenait qu'avec le secours
de l'empereur, ce texte s'accomplirait pour lui. Photius ayant
déclaré de nouveau qu'il ne comparaîtrait pas de plein gré, le
concile lui lil dire qu'on l'avait d'abord cité à comparaître confor-
mément aux règles de l'Église, mais puisque, conscient de sa faute,
il se montrait contumace, l'assemblée ordonnait qu'il fût intro-
duit. Ce qui eut lieu. Après le constat d'identité fait pour la forme
par les légats et les réponses des commissaires, les légats dirent
à Photius : « Acceptes-tu les décisions du pape, en particulier
celles du pape Nicolas ? » Il ne répondit rien, pas plus qu'à la
seconde question, s'il reconnaissait les décisions du pape Hadrien.
Les légats l'ayant traité de malfaiteur et d'adultère, Photius dit :
« Dieu m'entend, quoique je me taise. » Les légats l'assurèrent
que son silence ne le sauverait pas, il répondit : « Jésus n'a pas
davantage évité sa condamnation par son silence.» Cette compa-
raison avec le Christ indigna l'assemblée. Photius refusa dès lors
de répondre à toute question, et même aux exhortations des
vicaires orientaux, qui lui demandèrent de condamner sa conduite
antérieure et ses conciles contre Ignace. On relut les trois lettres
du pape à l'empereur Michel et à Photius, déjà lues dans la qua-
trième session, et la première lettre du pape Nicolas à Photius,
écrite en 860.
[403] Élie de Jérusalem, en son nom et au nom de son collègue d'An-
tioche, parla alors en ces termes : « Comme les anciens empe-
reurs avaient convoqué les conciles (généraux), ainsi l'empereur
a convoqué le présent concile. Pendant un séjour de près de
deux ans à Constantinople, Elie a sans cesse exhorté l'empe-
reur et ses collègues de l'épiscopat à faire preuve d'impartialité,
et il voit que ses conseils ont été écoutés. Il n'avance que la vérité
en soutenant que Photius n'a jamais écrit aux patriarcats d'An-
tioche et de Jérusalem et n'a jamais reçu de lettres de ces patriar-
cats. Aussi est-il tenu pour intrus en Orient comme à Rome ;
tout le monde sait qu'il a usurpé, au mépris de tous droits, le siège
de Constantinople. Le seul conseil à lui donner est de reconnaître
ses fautes et de faire pénitence, afin d'être admis dans l'Église
comme laïque et d'y faire son salut. » Après que Baanès eut
exprimé le même avis, les légats du pape déclarèrent : « Cha-
cun voit qu'il n'est pas possible de reconnaître l'élévation de Pho-
lius et la déposition d'Ignace. Les légats ne rendront aucun nou-
veau jugement, parce que ce jugement a été rendu depuis des
04 LIVRE XXIV
OV't
années par le pape Nicolas et confirmé par Hadrien \ On a
appris en outre, des vicaires orientaux, que Photius n'a jamais
été reconnu en Orient. Aucun chrétien ne peut donc le recon-
naître et. les légats anathématisent ses tentatives pour s'emparer
du siège de Constantinople, de peur qu'on ne renouvelle en d'au-
tres diocèses, l'expulsion de l'évoque légitime. Cette sentence
des légats et de leurs sièges plaît-elle au concile ? Ne lui plût-
elle pas. les légats sont décidés à la publier. » Le concile donna
son plein assentiment à cette résolution ; les légats et Baanès
engagèrent Photius à se soumettre, lui disant que toute l'E-
glise, Rome et l'Orient l'ayant exclu, il n'avait plus où faire valoir
son prétendu droit. Photius, sentencieux comme le fut phi s
lard Jean Huss, répondit : « Mon droit n'est pas sur la terre. »
Le concile lui accorda un délai pour rentrer en lui-même, et, en lin
le renvoya, après de nouvelles exhortations de Baanès. La ses-
sion était terminée 2.
1. Tandis que l'empereur Basile saisissait toutes les occasions pour faire sen-
tir aux légats romains l'incorrection de la procédure antérieure et la nécessité de
la désavouer par un débat conduit sur d'autres bases, principalement en interro-
geant l'accusé et en lui donnant le droit et la facilité de présenter sa défense ;
ces légats estimaient bien fait ce qui avait été fait et n'entendaient pas rouvrir
une cause jugée par le pape. Leur mission n'était donc pas du tout de satisfaire
au désir de Basile, mais de s'y opposer. Ils venaient, non pour disputer, mais pour
promulguer. Il était impossible qu'une fois sorti de la phase protocolaire le con-
cile ne fît surgir cette opposition de vue sous laquelle se trouvait une opposition
de principes. Tout le secret de l'échec final du VIIIe concile est là ; il ne faut le
chercher nulle part ailleurs. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 817, 1050 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 74-81,
339-344 ; Hergenrother, op. cit., p. 92. «De cette session, les légats sortaient appa-
remment vainqueurs; mais chacun sentait bien que l'affaire n'était pas terminée.
D'abord, il fallait exécuter la sentence romaine, puis, en supposant qu'elle
pût ramener à l'Église les partisans du patriarche déchu, il n'en demeurait pas
moins qu'un recours était toujours possible contre elle, puisqu'en fait Photius
pourrait arguer en sa faveur qu'il ne fut pas jugé. Néanmoins, pour l'heure,
la situation s'éclaircissait. Ignace était définitivement reconnu et Photius ex-
pulsé.» A. Vogt, op. cit., p. 223. (H. L.)
491. SIXIÈME, SEPTIÈME ET HUITIÈME SESSIONS 505
[404] 491. Sixième, septième et huitième sessions.
A la sixième session (25 octobre) 1, assistèrent l'empereur, les
légats du pape, le patriarche de Constantinople. les vicaires orien-
taux et trente-sept évèques dont quatorze métropolitains. Métro-
phanès de Smyrne l'ouvrit par un discours, dans lequel il compa-
rait les patriarches aux grands luminaires des cieux, le concile
au paradis et à l'arche ; l'empereur était le nouveau Noé qui avait
préparé cette arche, etc. On lut ensuite un Epanagnosticon des
légats romains exposant les services rendus par l'empereur à
la cause de l'Église : l'expulsion de Photius, la réintégration
d'Ignace et l'envoi d'une ambassade à Rome. « Le pape Ha-
drien avait réuni dans l'église de Saint-Pierre un concile qui
avait confirmé les décisions prises par son prédécesseur, et
envoyé des légats à Constantinople. Ceux-ci avaient dans les
sessions précédentes — c'est par cette transition qu'ils abor-
daient leur sujet - - l'ait connaître les décisions prises depuis long-
temps au sujet de Photius, et demandaient à l'empereur de n'en
pas retarder l'exécution. (Le concile n'avait donc aucune déci-
sion à rendre, mais simplement à faire exécuter les décisions
prises de Rome.) Photius n'avait jamais été reconnu en Orient
comme patriarche.
L'empereur ordonna d'introduire les évêques ordonnés par
Photius: on leur lut. comme aux autres, les deux lettres écrites
en 860 par le pape Nicolas à l'empereur Michel et à Photius,
Elie de Jérusalem discourut sur l'illégitimité de la déposition
d'Ignace et de l'élévation de Photius. Les partisans de ce der-
nier avaient tort de prétendre qu'Ignace avait abdiqué de lui-
un" me : P eût-il fait, cette abdication extorquée serait sans
valeur. Le second argument des partisans de Photius, disant que,
si on le déposait, on devait déposer tous les évèques qui l'avaient
ordonné, était également faux. Celle mesure n'était pas néces-
[405] saire. car ces évêques avaient été mis dans l'obligation d'agir
ainsi par le pouvoir impérial : au reste lors du second concile
1. La traduction d'Anastase porte à tort VIII kal. octobr. au lieu de no-
vembr. ; le texte grec est ici très exact.
506
LIVRE XXIV
général on n'avait pas déposé Timothée d'Alexandrie et ses
évêques, mais simplement Maxime, ordonné par eux \ Parmi les
évêques consécrateurs de Photius, seul Grégoire de Syracuse
serait déposé, et il l'était pour d'autres fautes 2. Plusieurs des
anciens partisans de Photius avaient déjà recouru au concile et
obtenu leur pardon; mais comme d'autres hésitaient aies imiter,
à cause des promesses, des serments et des signatures par les-
quels ils s'étaient engagés vis-à-vis de Photius, les légats ro-
mains et les évêques d'Orient en vertu de la puissance qu'avait
l'Eglise de lier et de délier, avaient déclaré sans valeur ces pro-
messes, serments et signatures. »
Afin d'ajouter à l'importance de cette décision, l'empereur lui-
même engagea les évêques de Photius à se soumettre, discutant
avec eux, notamment avec Euthymios, que Photius avait fait
évêque de Césarée en Cappadoce et qui niait la valeur de la sen-
tence de Rome et des vicaires orientaux. L'empereur répondit :
« Si tu crois que cette sentence vient des patriarches, tu dois t'y
soumettre ; si tu en doutes, tu dois t'adresser toi-même aux sièges
patriarcaux pour savoir à quoi t'en tenir. » Pour aider ses collègues
à échapper à ce dilemme, Zacharie, élevé sur le siège de Chalcé-
doine par Photius dont il était un des disciples favoris, répondit :
« Les canons sont au-dessus du pape et des patriarches; il est
souvent arrivé qu'une décision du pape ait été ensuite infirmée.
C'est ainsi que le pape Jules a proclamé innocent Marcel d'An-
cyre que tout le monde tient aujourd'hui pour hérétique. Si,
dans le cas présent, la décision du pape Nicolas s'accordait avec
les canons, il s'y conformerait, mais il n'en est pas ainsi. Les deux
arguments allégués par le pape contre Photius ne prouvent pas que
celui qui a été ordonné, puisse ensuite être déposé. En disant
qu'on ne doit plus élever un laïque à l'épiscopat, on veut sim-
plement recommander la prudence à ceux qui feront l'ordination;
mais on ne songe pas à condamner celui qui est déjà ordonné :
on sait, du reste, que plusieurs sont passés de Trial de laïque
à l'épiscopat, par exemple Nectaire, Ambroise, etc. Ce qui clait [406]
1. Voir § 100.
2. Il résulte de là qu'Eulampius d'Apamée et Pierre de Sardes, qui avaient
été déposés par Ignace en même temps que Grégoire et qui le furent plus tard
par Rome, n'avaient pas pris part au sacre de Photius. Sans cela, le nombre des
ordinatores deposili aurait été trop grand.
491. SIXIÈME, SEPTIÈME ET HUITIEME SESSIONS 507
valide pour eux doit l'être pour Photius. Que s'il a été
ordonné par des évêques déposés, ces évêques n'avaient pas
été déposés pour divers méfaits, mais pour avoir troublé (anté-
rieurement) la paix de l'Eglise ; or, on doit toujours admettre
de pareils évêques, lorsqu'ils se réconcilient et cessent leur résis-
tance (c'était là en effet le cas de Grégoire de Syracuse). A
supposer que Grégoire eût été condamné, la faute n'en retombe
pas sur Photius. mais sur ceux qui l'ont amené à Grégoire
(pour le luire ordonner par lui)1 ; or ceux-là mêmes n'étaient
]>;is coupables, car ce fut ainsi, par exemple, qu' Anatole de Cons-
tantinople admit Eutychès, quoique Flavien l'eût déjà con-
damné, et cependant Anatole ne fut pas puni par le IVe concile
œcuménique. » Zacharie ajouta deux autres exemples, taisant
avec soin la vraie raison, à savoir que Rome avait annulé l'éléva-
tion de Photius, parce que le siège de Constantinople n'était pas
vacant.
L'empereur répondit: «Les exemples cités sont sans valeur;
ils tendent à prouver que dans diverses circonstances un patriar-
che, sur de bons motifs, a jugé différemment une question ; mais
vous êtes condamnés par tous les patriarches, et c'est seule-
ment par esprit de miséricorde que je travaille à vous faire obte-
nir grâce de la part du concile. Nous savons tous que vous n'êtes
que des laïques (c'est-à-dire que votre sacre par Photius est sans
valeur) 2, et je ne vous ai pas fait venir ici pour vous entendre
aboyer ou parler d'une manière désordonnée, car tout ce que vous
dites n'est que fourberie et mensonge. » Ils s'écrièrent : « Le
démon lui-même n'oserait parler ainsi. » L'empereur leur demanda
1. Tel est le sens que me paraît avoir ici npoâyza ; il ne signifie pas promo-
vere, ainsi qu'avait traduit Anastase ; 7tpo"àvsiv a souvent le sens de con-
duire. Ce sens est en efïet le seul qui rende intelligible ce passage, que l'abrévia-
teur grec a presque complètement passé sous silence.
2. Ignace demandant à Rome la grâce de Paul, archevêque de Césarée de Cap-
padoce, ordonné par Photius, nous montre clairement qu'on considérait les ordi-
nations faites par l'intrus comme illicites et non comme invalides. Ignace, Epist.
ad Nicolaum papam, dans Hardouin, Coll. conc.,t. v, col. 792. S'il faut toujours
faire la part des vivacités de langage, remarque M. L. Saltet, Les réordinations,
1907, p. 143, c'est bien spécialement le cas à propos des discussions assez vives
qui eurent lieu dans la session sixième du VIIIe concile œcuménique. On avait
fail comparaître quelques-uns des évêques ordonnés par Photius, et, comme ils
se défendaient âpremenl . mi les traita de laïques. Hardouin, op. cit., t. v, col. 380.
(H. L.)
o(J8 JUVRK XXIV
leurs preuves ; alors Eulampios d'Apamée déclara qu'Ignace avait
volontairement abdiqué; mais les légats exprimèrent leur mécon-
tentement de ce que l'empereur s'entretînt avec Eulampios,
déposé et anathématisé par la sainte Eglise de Rome, et de-
mandèrent que l'on interrogeât les évêques ordonnés par Photius.
pour savoir s'ils voulaient se soumettre à la sentence rendue par
Rome. L'empereur y consentit, et les légats posèrent la question
aux trois évêques d'Héraclée, de Crète et de Célenderis (en Isaurie).
Ils déclarèrent qu'ils ne se soumettraient pas, et le concile n'in-
sista pas. Métrophanès s'attaqua ensuite à Zacharie de Chalcé-
doine dont il s'attacha à réfuter le discours. « D'abord il est
inadmissible que les partisans de Photius, qui avaient eux-mêmes
réclamé la juridiction du pape Nicolas, songeassent mainte-
nant à ne pas se soumettre à sa décision. En second lieu, les
exemples de Nectaire, d'Ambroise, de Tarasius, sont mal choi-
sis, la situation de chacun ayant été très différente de celle de
l'hotius, usurpant un siège qui n'était pas vacant ; son élection,
imposée par l'empereur, n'a été reconnue par aucun patriarche. On
ne peut attacher plus de valeur aux exemples allégués par Zacha-
rie pour prouver que souvent celui qui avait été excommunié
par un évêque, avait été reçu par d'autres. Sans doute, Marcel
d'Ancyre, admis par le pape Jules et par le concile de Sardique.
avait été plus tard condamné par tous ; mais parce qu'il avait
enseigné dans la suite des erreurs qui l'avaient fait anathéma-
tiser par Silvanus et ses amis, et le pape Libère avait adhéré
à cette condamnation 1. » Zacharie voulut répondre, mais les
légats du pape mirent fin à ces discours inutiles et engagèrent
les partisans de Photius à se soumettre au concile et à la décision
romaine de 863. Ces exhortations furent appuyées par un très
chaleureux Epanagtiosticon, de l'empereur, dont il fit donner
lecture; il exhortait, de la manière la plus instante et la plus
louchante, ceux qui étaient dans l'erreur à ne pas laisser passer
en vain le temps de grâce et de miséricorde. Son désir le plus
ardent était que personne ne restât en dehors de l'Eglise et ne se
perdît ; aussi avait-il demandé aux légats de Rome et aux
patriarches orientaux de lui venir en aide en cette circonstance.
Ceux-ci protestèrent de leur meilleure volonté, et l'empereur ter-
1. Voir § 111.
[407]
491. SIXIÈME. SEPTIÈME ET HUITIÈME SESSION S 509
mina en déclaranl que, si les partisans de Photius ne voulaient
pas accepter immédiatement le moyen de salut qui leur était
offert, ils auraient un délai de sept jours pour réfléchir à leur con-
duite, et s'ils persistaient dans leur résolution, ils devaient reve-
nir le vendredi suivant devant le concile pour y entendre leur
jugement 1.
Par ordre de l'empereur présent à la septième session (samedi
2! • octobre). Baanès demanda aux légats et aux vicaires orientaux
si l'on devait introduire Photius, puisque le délai accordé était
[4081 écoulé. Sur l'affirmative, Photius entra avec Grégoire de Syracuse.
A la demande du légat Marin, Photius fut obligé de déposer la
crosse, insigne de sa dignité épiscopale, et Baanès lui demanda,
au nom des légats et des vicaires orientaux, s'il était prêt à signer
la déclaration contenant l'aveu de ses injustices, qui lui avait
été déjà présentée dans la session précédente. Il répondit : « Gré-
goire et moi, nous répondrons à l'empereur, non aux vicaires. »
Et tous deux ajoutèrent : « C'est aux légats à faire pénitence. »
Ceux-ci répondirent brièvement et avec dignité à cette effron-
terie; les vicaires orientaux se montrèrent plus vifs et plus pro-
lixes, et Photius se hâta de déclarer qu'il n'était pas venu pour
se faire injurier. On introduisit ensuite les évèques ordonnés par
lui, à qui on demanda s'ils étaient prêts à signer le libellus.
Quelques-uns refusèrent immédiatement, d'autres demandèrent
de quel libellus il s'agissait, et lorsque les légats leur répondirent :
« Celui que nous avons apporté de Rome, » deux partisans de
Photius protestèrent énergiquement qu'ils n'en feraient rien.
Baanès leur dit : « A-t-on jamais entendu dire qu'un parti qui
avait contre lui tous les patriarches, eût le dessus ? Tel est votre
cas. Qui donc vient à votre secours? » Les partisans de Photius
répliquèrent : « Les canons des apôtres et des conciles. » Baanès :
« Où donc Dieu a-t-il fait connaître les saints canons ? Est-ce
dans les Églises ou ailleurs, et y a-t-il des Eglises en dehors des
cinq patriarcats ici représentés ? » Les partisans de Photius ar-
guèrent que l'empereur leur avait promis qu'ils pourraient parler
en toute liberté. Mauvaise raison, remarqua Baanès : « Sans dou-
te l'empereur leur accordait la liberté de parler, mais comme ils
n'avaient proféré que des injures, les juges (c'est-à-dire les légats
1. Hardouin, op. cit., col. 823 sq., 1054 sq. ; Mansi, opr cit., t. xvi, col. 81-96,
344-358; Hergenrôther, op. cit., p. 97 sq. ; [A. Vogt, op. cit., p. 224. (H. L.)]
510 T.IVRF XXIV
et les vicaires orientaux) n'étaient pas disposés à les entendre
plus longtemps. » Photius et ses h mis protestèrent alors contre
ces juges, soutenant qu'ils agissaient en opposition avec les canons
et avec leurs propres patriarches. L'empereur dit : « Si tel est votre
sentiment, consultez les sièges patriarcaux, pour savoir leur déci-
sion. » Mais les partisans de Photius se contentèrent de demander
que touie leur affaire fût examinée de nouveau à Constantinople.
Les légal s s'y refusèrent, déclarant, que, dès 863, le pape Nico-
las avait condamné Photius pour avoir chassé Ignace, condam-
nation à laquelle Photius avait répondu en prononçant i'ana-
thème contre le pape. Aussi devait-on lire les actes du concile
romain tenu sous Nicolas, de même que les documents d'Hadrien
et de ses conciles. Cette lecture commença par la lettre du pape
Nicolas adressée à tous les évêques et à tous les clercs du patriar- [409]
cat de Constantinople, en date du 13 novembre 866, et contenant
les décrets du concile romain de 863 contre Photius et ses
partisans, contre Grégoire de Syracuse et les iconoclastes. Vin-
rent ensuite les deux lettres d'Hadrien au nouvel empereur
Basile le Macédonien et à Ignace après sa réintégration, en date du
1er août 868; c'étaient les premières que Rome eût envoyées à
Constantinople après les grands événements survenus dans celle
ville, et le pape exprimait toute la joie que lui causait la déposi-
tion de Photius, etc. On relut également les deux lettres du pape
Hadrien à l'empereur et à Ignace, apportées par les légats au
présent VIIIe concile, et déjà lues dans la première et dans la
troisième session. On termina par la lecture des six documents du
concile romain de StiV, contenant une nouvelle condamnation
de Photius et de ses partisans.
Les légats demandèrent une nouvelle publication de la
sentence du pape Nicolas, car la mission de ce concile général
ne pouvait être d'infirmer un jugement porté par Rome ; à la
siiite d'un discours d'Ignace, op prononça, par l'intermédiaire du
notaire et diacre Etienne, l'anathème sur Photius : « Anathème
au courtisan et à l'intrus ! Anathème au schismatique, à Photius
déjà condamné ! Anathème à l'adultère et au parricide Photius !
Anathème au fabricant de mensonges ! Anathème à l'inventeur
de fausses doctrines !... Anathème à tous ses partisans et protec-
teurs ! Anathème à Grégoire, ancien é\è<jue de Syracuse ! Ana-
thème à Euiampius, déjà déposé et schismatique ! » Vinrent
ensuite les acclamations habituelles, plus complètes cette fois,
[410]
491. SIXIÈME. SEPTIÈME ET HUITIEME SESSIONS 5ii
en l'honneur de l'empereur, de l'impératrice, des papes Nicolas
et Hadrien, des autres patriarches, des légats romains, des vicaires
orientaux, du sénat impérial et de tout le concile \
La vne session (5 novembre) compta quelques nouveaux
membres de l'épiscopat grec ; sur l'ordre de l'empereur présenl .
Baanès ouvrit la délibération : « Antérieurement (sous Photius),
le clergé, le sénat et le peuple ont, sous le coup de la violence,
souscrit à beaucoup d'injustices, mais aujourd'hui l'empereur
veut que tous ces documents soient brûlés, afin que Dieu pardonne
à ceux qui ont participé à leur rédaction. » Les légats louèrent
cette résolution de l'empereur, qui réalisait ainsi une demande.
du pape et prièrent Dieu de conserver ce |>ie ex empereur (,111
gouvernait ses États. Les évêques grecs qui avaient signé les docu-
ments en question déclarèrent adhérer à cette proposition ; en
conséquence, sur Tordre de l'empereur, on apporta au centre de
la salle des séances un vase de bronze, avec des charbons ardents.
En même temps, Théophylacte, diacre de Constantinople, apporta
dans un sac les documents que Photius avait l'ait souscrire par
divers procédés illégitimes, à tous les clercs et laïques, dans des
positions supérieures ou inférieures, et les actes faux du concile
tenu contre Ignace et contre le pape Nicolas. Tout fut jeté au
feu et anéanti.
L'empereur dit ensuite qu'il avait mandé ces faux vicaires des
patriarches, que les actes (falsifiés) du conciliabule de Pho-
tius donnaient comme présents. Ils furent introduits, et on
demanda d'abord au moine Pierre s'il avait réellement assisté à
cette réunion, et remis un écrit contre le pape Nicolas. Il nia
l'un et l'autre, disant : « Suis-je donc le seul Pierre arrivé de Rome
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 837 sq., 1065 sq. ; Mansi, t. xvi, col. 96-133,
357-382; Hergenrôther, op. cit., p. 105 sq. [Nicetas, Vita Ignatii, dans Mansi,
op. cit., t. xvi, col. 264, assure tenir de témoins dignes de foi que « les Pères du
concile, pour manifester l'horreur profonde que leur inspirait la conduite de Pho-
tius, signèrent les anathèmes prononcés contre lui, non avec de l'encre, mais,
ce qui fait frissonner, avec le sang de Jésus-Christ.» On trouve un fait semblable
lors de la condamnation du monothélite Pyrrhus par le pape Théodore; Baronius,
Annales, ad ann. 864, n. 14, 15. D'après Hergenrôther, Photius, t. 11, p. 109,
la chose est très douteuse dans le cas présent. Les actes du concile ne laissent
rien soupçonner de semblable. A la vne session, pas plus que dans les deux ses-
sions suivantes, aucune pièce ne fut signée. On ne souscrivit à l'ensemble qu'à la
fin de la xe session. (H. L.)
512 LIVRE XXIV
ici, et n'y a-l-il pas plusieurs milliers de personnes qui portent
ce même nom ? » Il demanda la lecture publique d'un mémoire
apologétique qu'il avait apporté, et dans lequel il disait en résumé :
« Sans doute, son nom figure dans les actes du conciliabule, mais
il n'a jamais remis de mémoire contre le pape, il n'a jamais impor-
tuné l'empereur Michel, enfin il n'a jamais assisté à ce synode,
si tant est qu'il se soit tenu. Il sollicite la permission de retourner
à Rome. » D'après cela, ce Pierre, moine romain, figurant dans
les actes du conciliabule comme représentant de l'Occident, c'est-
à-dire d'un parti en opposition avec le pape Nicolas, était doue
un personnage imaginaire. Basile, cité aussi dans ces actes comme
vicaire du patriarche de Jérusalem, nia avoir remis un écrit con-
tre Rome, et afin de donner plus de force à ses paroles, il pro-
nonça l'anathème contre l'auteur de cette supercherie. A d'autres
questions à lui faites, Basile répondit : « Il est allé de Jéru-
salem à Tripoli, et de là à Rome, pour y faire ses dévotions ;
mais, étant tombé malade, il s'est rendu de Venise à Constanti-
nople, où il a séjourné pendant vingt mois sous le pape Benoît ;
le manque de ressources l'avait obligé à quitter cette ville.
Plus tard, à l'époque de la déposition d'Ignace, il est revenu à
Rome, pour retourner ensuite à Constautinople, mais il n'a remis
aucun mémoire et ne sait rien de ce prétendu synode (le concilia-
bule grec). Du reste, il n'a pas connu intimement le pape Nicolas
(de façon à pouvoir composer un mémoire contre lui). » Vint
ensuite le tour de Léonce, prétendu vicaire du siège d'Alexandrie.
Celui-ci reconnut avoir remis, à la demande de son patriarche,
une lettre à l'empereur (Michel), mais par cela n'avoir reçu
aucune mission de son évèque et n'avoir pris aucune part à l'as-
semblée en question. Baanès demanda que faire de ces gens-là,
qui semblaient être plutôt des marchands que des vicaires ; les
légats du pape proposèrent de leur faire prononcer par écrit l'ana-
thème contre l'auteur de ces faux documents (contre Photius). Ils
répondirent : « Nous ne connaissons pas ces documents, et leur
inventeur est déjà, par le fait même, anathématisé 1. » Ils sem-
blaient donc résister; on les menaça d'anathème, et ils se décidè-
rent à faire ce qu'on exigeait d'eux.
Un demanda ensuite aux métropolitains, dont les noms se trou-
1. Tel est le véritable sens de cette phrase et le seul qui s'accommode avec le
contexte.
[411]
191. SIXIEME. SEPTIEME ET HUITIEME vissions . t I .' !
vaientTégalemenl dans les procès-verbaux du conciliabule de
Photius, s'ils avaient réellement signé ces procès-verbaux. Ils
le nièrent de la manière la plus énergique, et on lut alors, à la
demande des légats, le 20e canon du concile de Latran, tenu en
649, frappant d'un ana thème éternel quiconque ayant composé
des documents apocryphes, simulé des vicaires, forgé des témoi-
gnages, etc. (c'était le cas de Photius). Métrophanès exprima
alors d'une manière très pathétique la joie profonde que lui cau-
sait cette nouvelle victoire de la vérité.
L'empereur attira ensuite pour quelque temps l'attention de
l'assemblée sur la question des images, et demanda ce qu'il fallait
faire de Théodore Crithinus 1, le chef actuel des iconoclastes,
qu'il avait mandé. Les légats proposèrent de lui envoyer, à lui et
à ses amis, quelques-uns des employés impériaux présents au
synode, pour les engager à se saisir de la planche de salut qui
leur était tendue et à quitter leurs erreurs ; sinon ils seraient
ixcommuniés. Les vicaires orientaux se rangèrent à cet avis,
et, sur l'ordre de l'empereur, Baanès se rendit avec le patrice
Léon auprès de Théodore Crithinus, pour lui communiquer cette
décision. Théodore n'ayant rien répondu, Baanès se confor-
mant à la recommandation de l'empereur lui remit une pièce
[412] d'argent frappée à l'image du souverain. L'iconoclaste la reçut
avec beaucoup de respect et témoigna sa vénération à l'image
de l'empereur ; Baanès lui dit alors : « L'empereur te fait deman-
der comment tu peux refuser d'honorer l'image de Notre-Seigneur.
de sa sainte Mère, etc., puisque tu ne refuses pas ta vénération
à son image, c'est-à-dire à celle d'un prince mortel. » Théodore
répondit qu' « il devait une reconnaissance éternelle à l'empe-
reur qui l'avait délivré de l'exil et de la misère. Il avait reçu avec
respect l'effigie de l'empereur, parce que celui-ci l'avait ainsi
ordonné, et il était également prêt à vénérer l'image du Christ, si
on lui prouvait que le Christ l'avait ordonné. » Baanès l'exhorta
à se soumettre, puisque les cinq patriarches s'étaient tous pronon-
cés contre les iconoclastes, et rapporta au concile les paroles de
Théodore. On lut alors le sixième capitulum du pape Nicolas
(et de son concile de 803) ~, contre les iconoclastes. Sur ces entre-
1. De/oi'Jr, c'est-à-dire orge. Anaslase remarque à ce sujet : quod interpretatur
hordeaceus, qui videlicet est irralionabilium.
2. Voir § 470.
CONCILES - IV 33
514 LIVRE XXIV
faites trois de ces derniers, le clerc Nicétas, le laïque Théophile
et le jurisconsulte Théophanes furent introduits, abjurèrent pu-
bliquement leurs anciennes erreurs, et jetèrent l'anathème sur les
chefs des iconoclastes, c'est-à-dire Théodotus (Cassitera) 1, An-
toine de Silœum et Jean Grammaticus, et enfin Théodore Crithi-
nus. L'empereur les embrassa comme des membres nouveaux
de l'Église2. Élie de Jérusalem et les légats du pape dirent alors
quelques paroles en l'honneur de l'empereur et de son zèle or-
thodoxe, ils firent ensuite prononcer par le diacre Etienne une
sentence contre les iconoclastes dans les nombreux anathèmes
suivants : « Anathème à tous les hérétiques ! Anathème à la secte
qui s'acharne après les saintes images ! Anathème à quiconque
accepte ces faux principes ! Anathème à ceux qui appliquent
aux images les textes de la sainte Ecriture contre les idoles ! Ana-
1 hème à ceux qui appellent les saintes images, des idoles ! Anathème
à ceux qui disent qu'en dehors du Christ un autre (Léon l'Isaurien,
etc.,) nous a délivrés du culte des idoles ! Anathème à ceux qui pré-
tendent que l'Eglise a jamais vénéré les idoles ! Anathème à
Anastase, à Constantin et à Nicétas, chefs de l'hérésie sous les
Isauriens (comme évêques de Constantinople) ! Anathème à
Théodote, à Antoine et à Jean ! » On réitéra ensuite les anathè-
mes déjà prononcés contre Photius dans la séance précédente 3.
492. Neuvième session, le 12 février 810. [413]
Après une interruption de près de trois mois, le concile tint,
le 12 février 870, sa ixe session 4. Dans l'intervalle, le se-
1. Voir § 415.
2. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 141. « A partir de ce moment, Basile ne rencontra
plus, sans doute, de difficultés sérieuses de la part des iconoclastes. Leur nom
s'en alla tomber dans l'oubli. Les uns se soumirent, les autres fusionnèrent
avec les diverses communautés hétérodoxes de l'empire. » A. Vogt, Basile IeT,
p. 297. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., col. 874 sq., 1086 sq. ; Mansi, op. cil., t. xvi, col. 134, 143,
382-390; Hergenrôther, op. cit., p. 100 sq.
4. « Pourquoi ? se demande M. A. Vogt, op. cit., p. 225. Il est probable que
c'est au sortir de la vme session, après la condamnation de Photius, qu'éclata
dans le clergé le mécontentement qui devait forcément se produire contre les
'i92. NEUVIÈME SESSION .')15
cond fils de l'empereur Léon (qui devint plus tard empereur
sous le nom de LéonVI ou Léon le Sage), ayant été nommé augusle,
son nom paraît pour la première lois à cette session. Nous y ren-
controns également pour la première fois un fondé de pouvoirs
de Michel, patriarche d'Alexandrie, le moine et archidiacre Joseph.
Outre Ignace et les vicaires patriarcaux, le nombre des évèques
légats. Déjà, beaucoup avaient vu de mauvais œil le Libellas apporté par les am-
bassadeurs du pape ; mais quand le jugement contre Photius fut rendu public,
la colère des partisans du patriarche ne connut plus de bornes. Ils se rendirent
auprès de l'empereur et lui reprochèrent amèrement sa condescendance et sa
faiblesse qui rendaient, disaient-ils, l'Église grecque dépendante de l'Église ro-
maine. Peut-être s'avisèrent-ils aussi qu'il serait prudent, en vue d'événements
futurs toujours possibles, de ne pas laisser de traces compromettantes de leur
conduite présente. Quoiqu'il en soit, un certain nombre d'évêques et de prêtres
demandèrent qu'on s'emparât des exemplaires du Llbellus sur lesquels leur nom
figurait. L'empereur mécontent des légats, heureux sans doute, de se ménager des
amis pour le jour où ses intérêts lui commanderaient une autre politique, acquies-
ça à la demande qui lui était faite et, sans vergogne, par les domestiques grecs
des légats, fit reprendre, en secret, tous les exemplaires qui se trouvaient en la
possession des Romains. Voir§ 488. Une telle conduite n'avait rien de très noble.
Si elle montrait avec évidence combien était mécontent l'empereur, elle prouvait
aussi qu'il était capable de ne reculer devant aucun moyen pour arriver à ses
fins et que la loyauté n'était pas la première de ses qualités. L'affaire, naturelle-
ment, fit grand bruit et, sans doute, les légats n'auraient à eux seuls, et malgré
toute leur éloquence, obtenu qu'un refus de rendre les précieux papiers, si Anas-
tase le Bibliothécaire ne s'était trouvé fort à propos à Constantinople, à la tête
de l'ambassade qui venait conclure un mariage entre Constantin et la fille de
Louis IL Les légats firent immédiatement intervenir les ambassadeurs auprès
de Basile et ce fut grâce à eux — car il y allait pour l'empereur de sa loyauté
et des succès des négociations — que les signatures furent rendues. Anastase en
reçut le dépôt et les emporta à Rome avec le texte du concile, mais ce ne fut pas
sans encourir la colère de Basile qui le lui lit payer peu de temps après. Anastase
raconte ces événements dans une note assez courte insérée dans les actes de la
ire session à l'occasion du Libellus, Mansi, op. cit., t. xvi, col. 29, mais il ne s'en-
suit pas pour autant qu'ils aient eu lieu à ce moment. L'intervention d'Anas-
tase qui ne put s'exercer qu'à la fin du concile suffirait à le prouver. D'autre part,
le Liber pontificalis, t. n, p. 182, place ces événements à la fin du concile à pro-
pos des signatures des légats ; mais la dernière séance eut lieu un peu après la
neuvième, le 28 février, et comme la fameuse clause : Usque ad voluntatem, sou-
leva beaucoup de diflicultes, Liber pontificalis, t. ii, p. 184, note 4, il est probable
que le protocole avait déjà été soumis avant la dixième et dernière séance. Du
reste, au début du concile, Basile n'aurait jamais agi de la sorte avec les légats.
Je crois donc qu'il faut placer cette histoire entre la viue et la ixe session. Elle
explique bien l'arrêt momentané des séances et la conduite de Basile alors très
profondément blessé de l'attitude intransigeante des légats. » (H. L.)
516
LIVRE XXIV
grecs présents était monté jusqu'à 60. L'empereur n'assistait pas
à la réunion. Tout le monde se réjouit de voir un fondé de pouvoirs
du patriarcat d'Alexandrie, et on lut le document qui établissait
la mission de Joseph; c'était une lettre écrite à l'empereur par le
patriarche Michel. « Depuis longtemps, disait-il, je désirais, sire,
écrire à Ta Magnificence ; mais la crainte d'un peuple étranger
(les Sarrasins, qui, depuis le vne siècle, dominaient en Egypte),
m'en a détourné. Toutefois, il y a quelque temps, le gouverneur
de la Palestine, de Tibériade, de Tyr et de l'Egypte (Achmed
de Tulinide), m'a mandé avoir reçu une lettre dans laquelle Ta
Magnificence m'engageait à envoyer à Constantinople, avec une
lettre, un fondé de pouvoirs du siège d'Alexandrie, à cause de
la division provoquée à Constantinople par les deux patriarches.
L'empereur tenait à consulter sur ce point même des étrangers.
J'ai alors demandé au gouverneur de m'envoyer le moine Joseph
autrefois mon clerc, mais vivant par goût depuis de longues années
dans la solitude; c'est ce qu'il a fait. Par l'intermédiaire du moine
Joseph je t'envoie, sire, cette lettre indigne de toi, si je ne savais
que tu imites le Christ, qui a attaché un très grand prix au
denier de la veuve. (Suit une citation inintelligible d'un poète;
Anastase, qui avait cependant le texte original sous les yeux, n'a
pu l'expliquer et l'abréviateur grec l'a omise.) Quant aux deux
patriarches de Constantinople, je ne puis, vu mon éloignement
et l'ignorance complète où je suis sur toute cette affaire, émettre
un jugement. Mais il y a parmi vous un très grand nombre d'évê- [414]
ques, d'abbés, de clercs et de moines (a^uyeq, célibataires)
gens sages et prudents, dont tu es, sire, le chef et premier docteur.
Vous qui voyez l'affaire de près, pouvez mieux que moi connaître
ce qui est juste et agréable à Dieu. Nous lisons, dans l'histoire
du moine Alexandre, que Jérusalem a eu autrefois deux patriar-
ches en même temps. Entraîné, en effet, par son amour pour l'as-
cétisme, le trentième patriarche Narcisse s'était retiré dans la
solitude, et s'était si bien caché qu'on choisit à sa place Dius,
puis Germain, et enfin Gordien. Sur ces entrefaites reparut Nar-
cisse, qui vécut dans les meilleurs termes avec Gordien. Je te
demande enfin, sire, de te montrer bienveillant pour ceux qui te
sont envoyés d'ici (Joseph et sa suite), et pour tous les chré-
tiens qui s'occuperont avec eux du rachat des prisonniers, afin
qu'eux et nous-mêmes nous ne devenions pas suspects. » (Nous
avons déjà vu les vicaires d'Antioche et de Jérusalem s'occuper
192. NEUVIÈME SESSION ■"' 1 /
aussi du rachat des Sarrasins captifs.) Cette lettre ayant satis-
fait tout le monde, les commissaires impériaux demandèrent à
Joseph s'il connaissait les décisions du concile, c'est-à-dire la
réintégration d'Ignace et la déposition de Photius, et s'il y adhé-
rait. Il répondit affirmativement avec une grande énergie et
répondit de même dans une déclaration écrite dont il réclama
la lecture, et ({ui contenait également de vives louanges à l'a-
dresse de l'empereur, des légats et des vicaires orientaux. « Il
connaissait, disait-il, très exactement les décisions prises et
approuvait ce que les légats et les vicaires avaient jugé et déci-
dé. » C'étaient donc eux, et non le concile, qu'il regardait
comme juges ; et l'assemblée répéta son opinion sans objection
aucune, du moins d'après la traduction d'Anastase. L'abréviateur
grec fait au contraire dire au concile : « Nous voyons qu'il adhère
à notre jugement. » Joseph fut donc officiellement reconnu
comme vicaire d'Alexandrie, et, à la demande des légats, le sy-
node passa à une autre affaire.
On introduisit ceux qui avaient autrefois témoigné contre Ignace
en présence des légats du pape Rodoald et Zacharie (conciliabule
[415] de 861) *, et ils furent interrogés par les légats. Le protospathaire
Théodore dit : « L'empereur Michel m'avait forcé d'attester par
serment que je n'avais rien vu de Y élection d'Ignace. Cette affir-
mation était matériellement vraie, car ce jour-là j'étais de ser-
vice à la cour, cependant j'avais très bien su qu'Ignace était
l'évêque légitime, et pendant douze ans j'avais été en commu-
nion ecclésiastique avec lui. Je confessai ensuite ma faute à un
chartularius, qui était moine et a vécu quarante ans sur une
colonne, et fis la pénitence qui me fut alors imposée. Je recon-
nais la réintégration d'Ignace, ainsi que le présent concile e! ses
décrets. »
Le consul Léon, qui, sur un ordre pareil de l'empereur Michel,
avait affirmé dans le conciliabule n'avoir rien vu de l'élection
d'Ignace, fit une déposition semblable. Il exposa que le jour de
l'élection il ne se trouvait pas à Constantinople. « Comme il
n'avait pas encore confessé sa faute et n'en avait pas fait pé-
nitence, les légats du pape lui demandèrent s'il était décidé à
accepter une pénitence. Il répondit affirmativement, mais il
se refusait à prononcer l'anathème contre Photius, soutenant
1. Voir § 464.
518 LIVRE XXIV
qu'on n'anathématisait que les hérétiques, tandis que Photius
était orthodoxe. Quand on lui dit qu'on pouvait aussi frapper
d'anathème ceux qui étaient tombés dans d'autres fautes, il
anathématisa tous ceux que le saint concile général anathéma-
tisait. » Les légats du pape interrogèrent ensuite onze autres
personnages, tous employés impériaux, à l'exception d'un diacre;
parmi eux se trouvait Arsaber ' ; ils avouèrent s'être laissé
entraîner, sous la menace d'amendes énormes et d'exil, à rendre
de faux témoignages contre Ignace. Les légats demandèrent que
tous ceux qui étaient coupables de la même faute fussent cités
devant le concile, mais les commissaires impériaux démontrèrent
l'impossibilité d'une telle mesure, vu le grand nombre de ces
faux témoins et la difficulté de les réunir; c'était, dirent-ils, à
Ignace et aux autres métropolitains à les convoquer. On y consen-
tit, et on publia Y Epitimium, c'est-à-dire la pénitence de sept ans
imposée par les légats et par le concile à ceux qui avaient rendu
faux témoignage contre Ignace et qui n'avaient pas encore fait
pénitence. Ils demeureraient deux ans au dernier degré des péni-
tents, deux ans parmi les « écoutants » , et pendant ce temps s'abs-
tiendraient de vin et de viande, sauf le dimanche et les jours de fête
du Seigneur. Ils passeraient ensuite trois ans dans les rangs des
fidèles, s'abstenant de viande et de vin tous les lundis, mercredis
et vendredis ; par contre, ils pourraient recevoir la communion
les jours de fêtes du Seigneur. Celui qui ne s'avouerait pas sponta-
nément coupable, devait être à tout jamais exclu de l'Eglise et ana-
thématisé. Ignace reçut pleins pouvoirs pour adoucir cette péna- [416]
lité selon les circonstances.
Cela fait, les légats du pape demandèrent que l'on citât les laï-
ques qui avaient accepté de jouer des rôles ecclésiastiques dans
les orgies de l'empereur Michel, et qui avaient revêtu des orne-
ments sacerdotaux. Le spatharocandidat Marin et d'autres racon-
tèrent, à la demande des légats, ce qu'étaient ces orgies, et cher-
chèrent à s'excuser, en disant que la moindre résistance aux
volontés de l'empereur leur aurait valu la mort. En effet, quelques
personnes qui n'avaient pas voulu prendre part à ces grossières
plaisanteries, avaient été mises à mort. Ils avaient, du reste,
confessé leur faute à Ignace, qui leur avait imposé une pénitence.
Les légats romains déclarèrent néanmoins qu'on leur infligerait
1. Voir S 464.
492. NEUVIÈME SESSION 519
une autre pénitence dans la session suivante ; ce qui fut fait dans
le 16e canon. Interrogés, si Photius avait assisté aux orgies
impériales, dans lesquelles on outrageait le Très-Haut, les cou-
pables ne purent donner aucun nouvel éclaircissement, mais
ajoutèrent-ils, le monde entier sait ce qui s'est passé. Ils ter
minèrent en disant que le protospathaire Théophile, qui jouait
dans ces représentations le rôle de patriarche, était mort.
Lis légats demandèrent enfin que les personnes désignées
faussement par Photius comme vicaires des patriarches orientaux
comparussent une fois de plus devant le concile, pour que Joseph,
le représentant nouvellement arrivé du siège d'Alexandrie, pût
juger des fourberies de Photius. On introduisit en effet Léonce,
Grégoire (Georges) et Serge. Ces deux derniers n'avaient pas été
interrogés pendant la vme session ; par contre, nous ne voyons
pas reparaître Pierre et Basile qui y avaient déjà figuré ; proba-
blement on estimait n'avoir rien de plus à apprendre en ce qui
les concernait. On tenait au contraire à ce que Léonce, que
Photius avait donné comme vicaire d'Alexandrie, fût examiné
de plus près par Joseph, le véritable envoyé de ce siège. Léonce
parla ainsi : « Je suis Grec d'origine. Venu en qualité d'es-
clave à Alexandrie, j'y ai été acheté et affranchi par le patriar-
che Michel, puis je suis venu ici pour vivre. J'ai déjà dit que
je n'ai pas été envoyé à Constantinople par le patriarche Michel
(dans la vme session il avait dit que le patriarche lui avait
remis une lettre), mais Photius m'a envoyé à Rome pour faire
dans cette ville ce dont les métropolitains (les amis de Photius)
m'avaient chargé. Dieu m'en est témoin, j'ai accompli cette mis-
L^l'J sion comme un inconscient et un ignorant. » Georges et Serge,
envoyés également à Rome par Photius, pour y publier ses décrets
contre le pape Nicolas, prétendirent n'être que des hommes gros-
siers parfaitement ignorants de cette affaire, et obéissant à la
force. Ils nièrent avoir signé le mémoire contre le pape Nicolas,
c'est-à-dire les actes falsifiés du conciliabule de Photius, dé-
clarèrent se soumettre au concile, et après avoir anathématisé
Photius, ils obtinrent leur pardon 1.
1. Hardouin, op. cit., col. 882 sq. 1091, sq. ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 143-157,
389-390; Hergenrôther, op. cit., p. 115 sq.
520
I.IYRK XXIV
493. Dixième et dernière session.
L'empereur Basile le Macédonien et son fils aîné Constantin
présidèrent la xe et dernière session (28 février 870), à la-
quelle assistaient les trois ambassadeurs de l'empereur Louis II *.
Anastase le Bibliothécaire, Suppo, parent de l'impératrice et minis-
tre, et Evrard, majordome impérial; en outre, dix ou onze députés
du roi des Bulgares, dont Anastase a déformé, dans sa traduc-
tion latine des actes du concile, les noms barbares. Quand tous
eurent pris place, Baanès pria, au nom de l'empereur, les
légats romains et les vicaires des autres patriarcats, de faire con-
naître l'ordre du jour de la présente session. Ils répondirent :
« Avant tout, on doit lire les canons approuvés par le concile,»
ce qui fut fait : on lut donc vingt-sept canons (l'abréviateur
grec n'en a donné que quatorze) 2. Le diacre Etienne fit cette
lecture à haute voix dans la partie supérieure du local des sessions
et le diacre Thomas dans la partie inférieure. Plusieurs de ces
canons sont dirigés contre Photius et contre ses partisans.
Comme ils sont d'une rédaction très diffuse, il nous suffira d'en
donner le sens sans les traduire mot à mot 3.
1. Voir § 487.
2. Les canons qui manquent dans le grec sont les suivants : can. 9, 12, 13, 15,
16, 18, 20, 22, 26. Le 9e grec correspond au 10e latin , le 10e au 11e, le 11e au 15e,
le 12e au 17e, le 13e au 21e, le 14e au 27e. Au dire de Schrors, Concilienge-
schichte, t. xxiv, p. 170, et Gfrœrer, Conciliengeschichte, t. m, p. 278, tous les ca-
nons avaient été rédigés à Rome et furent proposés au concile par les légats.
C'est sans doute le cas du plus grand nombre, non cependant de tous. En par-
ticulier, les canons 17e et 21e, relatifs à l'ordre de préséance et aux droits des
cinq patriarches, doivent être d'inspiration, peut-être même de rédaction
byzantine ; de même le canon 15e, qui reproduit le canon 7e du conciliabule
de 861, défendant aux évêques de bâtir des monastères avec les revenus de l'É-
glise, et le canon 26e sur le droit d'appel des prêtres et des diacres au métropoli-
tain, et des évêques aux patriarches. Cf. Hergenrôther, Photius, t. it, p. 68-69.
(H. L.)
3. Sur ces canons, cf. Assemani, Biblioth. juris Orient., t. i, p. 325 sq. Quelques-
uns des canons (1, 3, 11 [== 10 gr.], 12, 17 [= 12 gr.], 21 [= 13 gr.), 22), ont
été l'objet d'un commentaire très étudié dans Jugie, IVe Concile de Constanti-
nople, dans le Dictionn. de théologie catholique, t. m, col. 1284 sq. (H. L.)
493. DIXIÈME ET DERNIÈRE SESSION .Vil
Can. 1.
Tyjv eùôeïav xal p'aaiAtxYjv oobv tyjç Oetaç Btxatoaùvïjç àxpoaxô'xTMç (3a8t-
Çetv lôéXovTeç, otov Tivaç xupaoùç âetXau-xeîç toùç twv âyi'wv xaTepwv opou;
xpaxeïv ôçe(Xou.ev" Totyapoûv toùç Iv ty) xaÔoXtXY] xal âxoaToXtxY] 'ExxXy;-
at'a xapaSoôévTaç 0eau.oùç xapà Te tûv àyt'wv xal xaveuçY)^o>v àxoaToXojv.
xapà Te ôp6oS6^wv auvoBwv otxou^evcxwv Te xat toxixûv, y) xal xpoç Ttvoç
ÔeYjyopou xaTpbç otoaaxàXou tyjç 'ExxAYjat'aç, TYjpeîv xat çuXaTTecv 6\ko-
Xoyoû[jt.ev" xpaTetv yàp Tàç xapaSocretç, Sç xapeXà6o^iev, erre 8tà Xoyou, e'tTe
oV IxicjtoXmv tô»v xpoyeveareptoç BtaXau4"*VT(,)V àytorv, xapeyyuâ BcapiYjOYjv
IlaûXoç ô [xéyaç àxocToXoç.
[4181 Les anciennes règles des apôtres, des synodes généraux et particuliers,
que celles des Pères et des docteurs de l'Eglise, doivent être maintenues
(allusions à l'élévation de Photius, faite au mépris des canons).
Can. 2.
Tbv ^.axaptwTaTov xàxav NtxoXaov, àç àpyavov toû àyt'ou Ilveû^aToç
I^ovTeç, xat tov Ixetvou Btàooxov tôv àytWTaTOV xâxav 'ABptavbv, ôptÇo
u.ev xat 6eaxt'Ço[jt.ev xâvTa Ta xap' aÙTwv IxTeOévTa xal auvoôtxwç IxcpwvY]-
OévTa xaTà otacpopouç xatpoùç ùxèp IxStxYjaetoç xat ffucràaeoiç tyjç àyt'aç
KwvcTavTtvouxoXtTÛv 'ExxXYjat'aç xat toû àytou aÙTYjç àpytepéwç'IyvaTt'ou,
xat tyjç <Î>wtîou é^toôïîaewç Te xat xaTaxpt'a-etoç, TYjpeta0at xat <puXaTTea-
ôat xàvTOTe <rùv toïç IxTeôetat xeçaXatoiç,, xat u.Y)Beva twv otouBYjTivoç
TayjxaToç àv0p(î>xG>v â0eTY]crat TOA^tâv ' et 81 Ttç fxeTa toûtov tquxôv tov
opov çwpaOetïj àGeTÔJv Tt twv xap' exetvotç IxTeGévTWv xeçaXat'wv, tepeùç
u.èv wv y) xXYjptxbç, IxxtxTeTG) tyjç t'Siaç ti^yjç xal TaHecoç" [^ovaxbç Se y)
Xaïxbç à<poptÇla0«, u-éxptç av u.eTavoYiaYj.
Toutes les décisions synodales des papes Nicolas et Hadrien au sujet
d'Iyxiace et de Photius doivent être exactement observées.
Can. 3.
Tyjv tepàv et'xéva toû xuptou y^wv 'ÏYjaoû XptaTOÛ ô^oTtfJiwç tyj §t6Xcp tcôv
âyt'wv eùayyeXtwv xpocxuvetaGat 0eaxtÇo(Jiev. coaxep yàp Scà twv IfjLcpepo^evwv
év aÛTïj cuXXaôûv tyjç awTYjpt'aç IxtTuyxàvouatv àxavTeç, outco oià tyjç twv
7portAàTO)v etxovpupytaç xat aoçot xat tôtonat xàvTeç tyjç (ôçeXet'aç Ix toû xpo-
"/etpou xapaxoAaûoucjtv' àxep yàp 6 Iv cruXXaÔY] Xdyoç, TaÛTa xat y) Iv
Xpw^aut ypaçïj xaTayyéXXet Te xat xapt'aTYjatv. e't Ttç ouv où xpoaxuvet ttjv
et'xova toû cr(.)TT^poç XçtffTOÛ, \ift t'Sfj Iv tt) oeuTepa xapoujfa tyjv toutou
522 LIVRE XXIV
txopçiqv" ô^ofwç Se xoù tyjv eîx6va ty]ç âxpavxou u,Y)xpbç aûxoû, xac xàç
ecxovaç xûv àyt'wv ày-Y/ÉAtov, xaôcaç aûxoùç xaPaxTYÎPt's£' âtà xà>v Aoyi'uv y) àyi'a
ypaçTj, xal xpoaéxi xûv âytwv xavxwv, xaï Tt^wixev xal xpoaxuvoûu.ev xat oc
tJt-T) ooxcoç exovteç âvà6eu,a ecxwaav.
La sainte image de Notre-Seigneur Jésus-Christ doit être vénérée
(xpoaxuveîaôat) à l'instar du saint livre des Evangiles ; car de même
que les paroles de la sainte Ecriture nous conduisent au salut, de même
les images agissent sur nous par leurs couleurs, et tous, savants ou igno-
rants, en tirent profit. Ce que l'Ecriture nous dit par des mots, l'image
nous l'annonce cl nous le rend présent par des couleurs. Comme l'honneur
revient au principal (c'est-à-dire à celui qui est représenté), on doit, ainsi
que nous l'enseignent la raison et les anciennes traditions, vénérer les
images, de même que nous vénérons le livre des saints Evangiles et l'ima-
ge de la précieuse Croix. Celui qui n'honore pas maintenant l'image du
Christ, ne le verra pas non plus lorsqu'il viendra pour vénérer ses saints.
Nous représentons aussi les images de la sainte Vierge et des anges, parce
que la sainte Ecriture nous les représente aussi par ses paroles ; il en est
de même pour les apôtres, les prophètes, les martyrs et tous les saints.
Can. 4.
Tyjv <pcÀapxt'av oîov xtva xovrjpàv pc'Çav xwv xaxwv xavxwv xopptÇov âxoxéu.-
vovxeç, xbv xpoxexwç xal âôsa^wç, ot6v xtva Xûxov (iapùvecçxb xoû Xptaxoû
xo(u.vtov staxY]OY]aavxa <ï>amov, xat xapax^ç tyjv ocxou^évYjv lu.xAYjaavxa,
otxatw Aoyw àxo9atvôu.e0a u,Y]8éxoxs yeyovévat xpoxspov r\ vûv Ixt'axoxov
[xyjxs xoùç ùx' aûxoû xetpoxovYjGévxaç Iv o((pOY5xoxe §a0u,ô) tepaxtxô), év (p xpoe-
Xetpfaôïjaav, u.évsiv" xoùç Se xap' aûxoû etç Yjyouu.svst'av xpoxetptôévxaç, xyjç
xotaûxnjç xpocxaataç âxelpyotxev. Xéyet yàp à xwv o*A(i)v Oebç Stà xoû xpo-
çtjxou "Oxe au éxiyvwatv âxaxjto, xiyà) âxaxrotiaf ce xoû u.yj tepaxeûetv ixot.
Nous déclarons que Photius n'a jamais été évêque et ne l'est pas aujour-
d'hui ; ceux qui ont été ordonnés ou promus par lui ne retireront aucun
avantage de cette ordination ou promotion ; ceux qui ont été placés
par lui commme supérieurs de monastères ont perdu leurs places 1, et
enfin les églises ou les autels consacrés ou érigés par lui, ou par les évêques
ordonnés par lui, doivent être de nouveau consacrés et érigés.
Can. 5.
Kavcov loxtv o Xiyiùv' M y; oecv èxtaxoxov xopxetptÇeaOat xtva ve6cpuxov yj
xaxà xyjv xt'axtv, Y) xaxà xbv lepaxtxbv xXfjpov ûxàpxovxa. "va ^.yj xutpwôetç etç
1. Le texte grec est le seul qui apporte ici quelque clarté.
493. DIXIÈME ET DERNIÈRE SESSION 523
xpffjuz l^ncéa-f) xal xay(8a toû 8ca64Xo'j, x20à çtjct'.v 6 riaûXoç, aufxçwvuç
xofvuv xoûxcp Xéyou.sv, jnrjBéva xwv àxb xf,s ffuyfcXijxtxfjç â£(aç xal xo(ty.t5d)ç
àywyf^ xpojçàxwç xapfvxa, xal xaxà crxoxbv xal xpoaBoxtav àpxtêpax'.XYjç
fj xaxptapyjxfjç xijrrjç ysyovéxa xXïjpixbv r, ^ovay^bv, ete "kv tocoûxov àvaSt-
6àÇecv @a6u.bv, xav é<p' èxàcxç) xàyu.axt ttjç ôetaç lepcoaûviqç xXe(ova -/povov
xocrçqj Soxcuailo^svoç. oùBè yàp oY eùXàBetav, àXXà ctà çiXapyiav xéxapxat.
ëxc Se xXéov xoûxov àxec'pyou.ev, et xapà (3acnXixY)ç è£ou<r(aç elç xoûxo cruvo')-
6ï)xca. Eî 3é xcç xax' oùBeu.tav ùxotjn'av xfjç etpr;uivY)ç èxiôu^t'aç xal xpoaBoxc'aç
éxâp-f), âXXà otà xb xaXbv xfjç xaxà Xpiaxbv xoXixelaç yéyove xXïjpixbç t}
[xovor/bç xal xàvxa pa6(xôv IxxXïjatacjxixbv fjiexeXOwv xaxà xoùç wpia^évouç
ypôvouç àvcx:Xï]xxoç sûpéGï] xpoSiôaaô-rçxo) et'ç xyjv àpyjepfojijvTqv, <"axe Iv
xw (3a0u.(I> xoû àvayvwaxou èvtauxbv xXYjpûaat, ev oè xw xoû ûxoocaxôvou Bûo,
xal év xw xoû Btaxovou xpelç, xal xéaaapeç év x<ô xoû xpscrôuxépou" Ixt oè xtôv
ypoviaàvxtov £ÙXa6û)ç x<|) xày^axi xâ>v xXïjpcxwv xs xal ^ovayûv 6 xpoecprr
[xévo? ypovoç aucrxaX^asxac xapà xwv xaxà xaipoùç éxtaxoxwv. E! oè xapà
xoûxov xbv bpov xpoayÔsaj xtç et'ç xyjv eipïjixévrjv ùxepxàxïjv xi(jlïjv, àxoBoxi-
[xaaÔTQXo) xavxàxaatv.
Aucun sénateur, et en général aucun laïque qui reçoit la tonsure dans
l'espoir d'arriver à un prêché ou à un patriarcat et devient ainsi clerc
ou moine, ne doit être promu à cette dignité qu'il ambitionne, ou
bien on attendra qu'il ait passé un temps d'épreuves suffisant, dans tous
les degrés et fonctions ecclésiastiques. Nous défendons surtout de pareilles
promotions, si elles sont faites au nom de l'empereur. Par contre, celui
qui, sans aucune ambition, abandonne une haute dignité du monde, de-
vient clerc ou moine et passe dans chaque degré le temps requis, c'est-à-
dire, qui est un an lecteur, deux ans sous-diacre, trois ans diacre, et quatre
ans prêtre, peul être élevé à l'épiscopat. Pour ceux qui, n'étant que
simples clercs ou moines, se sont pendant longtemps acquittés de leurs
fonctions d'une manière exemplaire, et qui paraissent dignes de l'épisco-
pat, les évêques (qui ont à faire l'ordination épiscopale) pourront abréger
le temps d'épreuves prescrit par les canons.
Can. 6.
'Exefxep xaxeço)pâ0Y) «ÎVÔxioç ^exà xtjv é£evex0eîaav xax' aùxoû ocxaioxàxïjv
àxéçaciv xapà xoû àycwxàxou xàxa NtxoXàou, StàxYjv â6sa;j(.oxàxï]v lxt'6aatv
xfjç KwvaxavxcvouxoXtxwv 'ExxXïjctaç, xovïjpoûç xivaç àvopaç âxb xwv Xew-
çopwv àyuiwv eùp-rçxwç, xal xoxoxY)piqxàç aûxoùç xwv àytwxàxwv xaxpcapyi-
xwv ôpôvwv xaxovo[xàaaç, xal aùv xoùxocç èxxXïjffc'av a-uaxTjaàtievoç xovïjpsu-
oyivwv, xaôatpsxtxàç auxoçavxlaç xal 8ta6oXàç xaxà xoû ^axapfou xàxa
NcxoXàoii xupsjciaç, xal xb àvâ6e^a Xa6pa(wç xax' aûxoû xal xwv xoivwvoùvxwv
524 LIVRE XXIV
aÙT<p âxoçYjvà^evoç, <ov xà §Y)0ev uxou.VYJu.aTa auvoStxûç xupt'xauTa yéyove*
toutou ^âptv xpbç àcjçâXeiav tyjç éxxXiqataaTCXY)ç xaTaaTàaetoç àva0eu.aTtÇo-
u,ev tov etpTQLiévov 4>a>Ttov, xat Btà tyjv aÙTYjv atTt'av, xat toùç àxb toûvûv
TotoÛTov Tt ToXp]aovTaç TÔ) aùrû âvaôéu-aTt ùxo6aXXou.ev, xaôùç xat ô tyjç
eùae6efaç âOXfjTYjç MapTtvoç éxavovtaev.
Coniinc Photius a voulu faire passer pour des vicaires des patriarches [419]
orientaux quelques hommes ramassés dans la rue, et s'en est servi dans le
conciliabule contre le pape Nicolas, conciliabule dont les actes ont été
condamnés au feu, nous l'anathématisons de nouveau pour ce motif, ainsi
que tous ceux qui l'ont aidé dans sa fourberie, c'est-à-dire les faux vicaires
des patriarches et ceux qui ont fabriqué les écrits mensongers (contre
Nicolas) ; nous les anathématisons conformément au canon de Martin Ier.
Can. 7.
Tb Tàç àyfaç xat asxTàç etxôvaç àvaaTYjXoûv xat toùç xXy)<ji'ov BiSâuxeiv Ta
u.a0Yju.aTa tyjç 0efotç Te xai àvOpwxtvYjç coçt'aç, Xtav ovYjatçopov" ou xaXbv Se
toûto jjiy) xapà twv âijtwv yc'vecOai* toutou x<*Ptv u-YjoauUôç etxovoupyeïv év
toZç tepotç vaoïç toùç àva0eu.aTta0évTaç 0ecxtÇou.ev, u.y]ts u.yjv év oiw 8Y]xoTe
ToxarBtBàcxetv, ^é^pcç av éxtffTpacpûctv év tyjç lot'aç dxarYjç. Et Ttç
ouv \xexà toûtov tqjjlwv tov opov xpbç ÇtoypacptXYjv àyt'wv etxôvwv év êxxXy]-
ac'a y) SiSacxaXtXYjv auToùç ôxwaoûv xapaoéçotTO xpâçtv' et u.èv xXYjptxôç
éuTtv, etç tov iStov xtvSuveuÉTW ^a0u.6v: et Se Xatxbç, àçoptÇéa0w, xaï oTepe-
ta0(i) TÛV 0e(d)V {XUQTTJptWV.
Ceux qui ont été anathématisés par ce saint concile général, ne doivent
ni faire des images ni enseigner.
Can. 8.
'HX0e çiqu.Y) Tatç àxoatç tqu-wv, wç où u:ovov atpsTtxot xat xapav6u.oc tyjç
àyfaç KwvaTavTtvouxoXtTwv éxxXïjGt'aç xpoeBpeuetv Xa^ovTeç, àXXà xat
ôpOoooç'ot xaTptap^at xetpôypaçov xotetv àxatToûat xpbç ï'Stov auvaaxta-
u.6v. êSoçev oùv ty; àyta TaÛTfl xat oixouu-evixYJ cruvôSto, u.Y}3au.â)ç àxb vûv
yt'vea0at toûto, xXyjv toû xaTà tùxov xat auvY)0etav ùxèp tyjç et'Xtxptvoûç xtaTewç
Y)U.â)V àxatTOU^évou xaTà xatpbv tyjç éxiaxoxwv ^etpoTovtaç" s" Ttç oùv toX-
u.Y)aet xapaXûaat toûtov y]u.ô>v tov bpov, tyjç tSfaç éxxtxTÉTW tcu.yjç.
Il est venu à notre connaissance que, non seulement les hérétiques et
les malfaiteurs qui s'emparent du siège de Constantinople, mais encore
les patriarches orthodoxes et légitimes, exigeaient, pour leur sûreté, des
déclarations écrites d'attachement qui devaient être fournies par leur
193. DIXIÈME ET DERNIÈRE SESSION T)25
clergé (ainsi que par les évêques qui étaient suus leur juridiction); nous
défendons à tout jamais cette manière d'agir. Nous exceptons néanmoins
le document par lequel les évêques témoignent de leur orthodoxie lors de
leur sacre, d'après un formulaire déterminé et conforme aux anciennes
traditions.
Can. 9'.
Comme, longtemps avant son intrusion sur le siège patriarcal. Photius
s'était rattaché ses partisans par des déclarations écrites, sous prétexte
de leur enseigner une nouvelle sagesse, qui est folie devant Dieu, nous
déclarons tous ces documents sans valeur 2.
Can. 10 (en grec 9).
Tfjç 6e(aç àvaçavSbv Qoécrqç ypaçvjç, xpb é^exàjewç p) ^é^.^^, Stxacwç
xal au^çpepovTtoç Y} ayca xal otxouu,evtx7] qcuty) cûvoBoç opt^et u,Tr)Séva [lovot/ov
r, Xaïxbv, y] Ttva toû xaTaXoyou tûv xXïjptxûv xpb tyjç àxptSoûç eçeTaaecoç
xal auvoBixTJç àxoçàcretoç àxb ttjç xoivwvt'aç lauTov âçopt'Çetv toû c'Btou xarpt-
apxou, xav eyxXYju.aTtxov tc yivcoaxeiv StaTecvYjTat xpâyu,a" xapaxXYjatwç 8 s
xal toùç êv I^WTtxatç xoXeat xal ycopatç éxtaxoxouç xal tepeîç StaTt6ea9ai
xpbç toùç tStouç jjLT]TpoxoX(Taç ôptçou-ev, wcxep xal toùç jxY]TpoxoXtTaç xpbç
xbv "Btov xaTptâpyjjv. El Se tiç IvavTt'a Tf] oÊxou^evtxij Taûrj) auvoSa> cpwpa-
0etY) StaxpaTTÔu.evoç, et u.èv Ixfaxoxoç êa-rcv y) xXïjptxbç, IxxtxTeTd) xàarjç
lepaTtxYJç lvepye(aç Te xal Ttu.f)ç* si Se {JtovàÇwv t} Xaïxbç, àçopiÇeaGa) xaa-rçç
lxxXTjata<JTtxf]ç xotvwvtaç xal auvrà^ewç, ^éyptç &v èxtaTpétpaç êv peravofa
SsxOt).
Aucun laïque, aucun moine ou clerc ne doivent se séparer de leur pa-
triarche et cesser de prononcer son nom dans le service divin, avant
un jugement synodal. Les évêques et les prêtres qui sont au dehors
(de la capitale) doivent observer cette même règle à l'égard de leurs
métropolitains, et ceux-ci doivent l'observer à l'égard de leurs patriar-
ches.
Can. 11 (en grec 10).
Ty)ç xaXatâç Te xal xatvrjç BcaÔYjxYjç jjitav ^u^yjv Xoytxïjv Te xal voepàv
StSaG-xoùcrnç eyetv tov avfjpwxov, xal xàvTtov twv fJeYjyôpwv xarspwv xal StSa-
axàXwv TYjç 'ExxXYjccaç tyjv aÙTTjv So^av xaTSfjLxeSoûvTtov, état Ttveç ot 86o
1. Ce canon 9e manque dans le grec.
2. Nous avons déjà vu par Anastase, qu'après son élévation, Photius avait
exigé de ses évêques qu'ils lui remissent des protestations de leur attachement.
526 LIVRE XXIV
4iu^àç exeiv aûxov ÔoÇâÇovxeç xoà xtacv àauXXoyt'aTotç éiuxeip%aff' ttjv îStav
xpaxuvouctv oupeaiv. y) xofvuv «Yt'a xat oîxouu.?v:x-?) aux?] cûvoSoç xoùç xfjç
xoiauxrjç dcceêefaç yevvrçxopaç, xal xoùç ô[xoçpovoûvxaç aûxotç àvaGe^axt'tet
fjLsyaXoçwvwç, e! Se xiç xà êvavxca xoû Xoticoû xoX^TQcei ^éyeiv, àvà0eu.a
s'axw.
Tandis que l'Ancien et le Nouveau Testament enseignent que l'homme
n'a qu'une âme raisonnable, et que tous les Pères et les docteurs de l'Eglise
confirment cette doctrine, i|uelques-uns prétendent d'une manière impie
que l'homme a deux âmes (Photius par exemple1). Ce saint concile général
anathématise les auteurs de ce sentiment, ainsi que leurs partisans 2. [420]
Can. 12 ».
Conformément au canon apostolique (le 31e), nous ordonnons que qui-
conque aura obtenu un évêché par la ruse ou par le pouvoir d'un prince,
soit déposé,
Can. 13.
On doit promouvoir aux hautes dignités de l'Eglise les clercs de l'église
cathédrale, et non les étrangers (c'est-à-dire des laïques comme Pho-
tius) ; les administrateurs des biens et des maisons des princes ne doivent
pas être admis dans le clergé de l'église cathédrale.
1. Voir § 476.
2. Ce canon a été vivement discuté dans ces derniers temps, au sujet des théo-
ries de Gunther ; aussi avons-nous tenu à en donner le texte latin aussi bien que
le texte grec : Veteri et novo testamenlo unam animam rationabilem et inlellectualem
habere hominem docente, et omnibus deiloquis Patribus et magistris Ecclesise eam-
dem opinionem asseverantibus, in tantum impietatis quidam, malorum inventio-
nibus dantes operam, devenerunl, ut duas eum habere animas impudenter dogma-
tizare et quibusdam irralionabilibus conatibus per sapientiam, quse stulta fada
est, propriam hseresim confîrmare perlentent. Itaque sancta hsec et unwersalis sy-
nodus, veluti quoddam pessimum zizanium nunc germinantem nequam opinio-
nem evellere festinans, immo vero ventilabrum, in manu veritatis portans, et igni
inextinguibili transmittere omnem paleam, et aream Christi mundam exhibere vo-
lens, talis impietatis inventores et patratores, et his similia sentientes magna voce
anathematizat, et définit atque promulgat, neminem prorsus habere vel servare quo-
quomodo statuta hujus impietatis auctorum. Si autem quis contraria gerere prsesum-
pserit huic sanclse et magnse synodo, anathema sit, et a fide atque cultura Christiano-
rum alienus.
3. Ce canon et le suivant manquent dans l'abrégé grec.
493. DIXIÈME ET DERNIÈRE SESSION 527
Can. 14 (en grec 11).
Toùç ùxb ttjç 8ec'aç y^âpiioç e?ç t^v IxiaxoxtxYjv xpoxAY)6svTaç oiaxovcav,
(i>ç ec'xova xal tuxov çépovxaç tûv àyfwv xal oùpavtwv lepap^cûv, xgcotjç
tc^ç âÇtoûcOat xapà xavxcov tô>v àpxovxwv xal àp^onévcov OeaxcÇo[ji.ev, xal
jj.T]3ajJtâJ<; r) arpax^yolç r) tcœcv aXXotç ap^oujc xpoiïxavtâv x6ppa)0ev tûv
îSfcov IxxXïjatwv, ^tqts twv Yxxwv T] iQa.i6v(i)v èauToùç àxopptxToûvxaç aùv
<pô6w xal Tpô^w xpoaxiXTeiv xal xpoaxuvecv" e! ce uç sxc'axoxoç u,sxà tov
opov Tijç àyc'aç auvdSou ttjç 6<petAOuivY]s aÙTw xaTaçpovrçaoi ti^yjç xal xata-
Sé^otxô Tt xoifjaac xapà ta vûv topiau^éva à<popt307}T(o éxl ivtamov eva" xal
o ap^cov éxelvoç éxl hûo Ixsai ^.tq xataçiwô?; rrjç u,eTaAr,<psu)ç ':(^v àifcao^à-
TtoV.
Les évèques doivent être honorés, ainsi qu'il convient, par les grands
du monde : ils ne devron! |>lus aller an-devant de ces poissants à une.
certaine distance de leurs églises, ni descendre de cheval lorsqu'ils les ren-
contrent, et les saluer en pliant le genou. Ils doivent plutôt avoir le cou-
rage de blâmer, s'il est nécessaire, ces personnages en vue de leur cor-
rection.
Can. 15 \
Aucun évêque ne doit vendre les objets précieux de l'église et les vases
sacrés, sinon dans le cas prévu par les anciens canons, c'est-à-dire pour
le rachat des prisonniers. Il ne doit pas non plus donner les biens des
églises, ni les céder en emphytéose.
,AN.
1U 2,
Ceux qui, sous l'empereur Michel, se sont moqués des cérémonies de
l'Église, ont joué le rôle d'évêques, etc., et qui n'ont pas encore confessé
leur faute et n'en ont pas fait pénitence, seront excommuniés pendant trois
ans. Ils seront pendant un an au nombre des fientes, la seconde année
au rancr des audientes, et la troisième, à celui des consistentes. Si à l'ave-
nir un empereur ou un grand voulait recommencer de pareilles repré-
sentations, le patriarche et les évêques placés auprès de lui devront le
blâmer et l'exclure des mystères, et, s'il ne s'empresse pas de faire péni-
[4211 tence, il sera frappé d'anathème. Si le patriarche et les évêques se montrent
négligents dans une affaire de ce genre, ils devront être déposés.
1. Manque dans l'abrégé grec.
2. Manque en grec.
528 LIVRE XXIV
Can. 17 (en grec 12).
'HXOsv sîç Tàç •rçu.wv àx,oàç, to u.7] SùvocaOai aveu àpxovTixijç xapouataç
cuvoSov YevécGat' oùoau,oû Se oî 6etot xavôveç auvépyeaôat xotr^tx.oùç apyov-
Taç Iv toccç auv6Socç vo^oÔetoûcjiv, àAAa u,6vouçtoùç sxcaxoxouç' oôev oûSè,
xayjv twv otxoi»[xsvtxâ)V auvoSwv, tïjv xapouac'av qcijtwv yeYTqvrjuiv sôpc'cxo-
txsv" oûSè yàp 0I[XIt6v Ictc yiveuGat Oeaxàç toùç xoc^tx,oùç ap^ovraç twv
toïç lepeûat to Osoû <iuu,6aiv6vTwv xpayu,àTwv.
Le concile déclare que les patriarches ont le droit de convoquer au syno-
de patriarcal tous les métropolitains institués par eux, soit qu'ils les
aient ordonnés, soit qu'ils leur aient envoyé le pallium, s'il est nécessaire,
les patriarches pourront les punir. Les métropolitains ne pourront plus
justifier leur absence du synode patriarcal par la raison qu'ils tiennent
eux-mêmes des synodes métropolitains. Quoique le concile général ne
défende pas ces synodes métropolitains, les synodes patriarcaux sont cepen-
dant beaucoup plus importants. Il est aussi très faux qu'on ne puisse
tenir aucun synode, si ce n'est en présence du prince. Les canons ne disent
pas que les laïques, mais que les évêques doivent se réunir en synode.
Dans l'antiquité, il n'y avait aucun laïque dans les synodes, si ce n'est
dans les synodes généraux, car il ne convient pas que les laïques voient ce
qui arrive à des clercs, twv tocç tepsjat <juu)6aivÔTWV xpay y.aTWV,
c'est-à-dire assistent à leur punition. Le métropolitain qui, à l'avenir,
ne se rendra pas à l'appel du patriarche, sera suspendu, si pendant deux
mois il diffère de répondre, et il sera déposé s'il diffère pendant un an.
Can. 18 1.
Les biens et les privilèges que possède une église depuis trente ans,
ne peuvent plus lui être enlevés par l'autorité laïque.
Can. 19.
Aucun métropolitain ne doit importuner par ses visites les églises de
ses évêques suffragants, sous prétexte qu'il a un droit d'inspection.
Can. 20.
Aucun évêque ne doit enlever de force un bien possédé en emphyté-
ose ; il doit seulement informer le possesseur qu'il perdra son bien s'il
reste trois ans sans payer le census. S'il est resté tout ce temps sans
1. Ce canon et les deux suivants manquent en grec.
l'.'.'i. DIXIEME II DERNIERE SESSION t)29
payer ses redevances, I évêque doil porter sa plainte devanl le tribunal
et redemander le bien de l'Eglise.
('.an. 21 (en grec loj.
Et tcç ToaaÛTfl toX^yj yp-rçaaiTO, coûts xcczà xov 4>o>tiov y.oà Atôaxopov,
i'/ypâçtoç r] àyp&pwç xapotvc'aç Tcvàç xaxà tyjç xaôéSpaç IléTpoii toû y.opu-
©ac'ou Ttov âxocTÔXwv xtveîv, ty;v aÔTïjv êxecvotç osysaOto xarà^purtv" e! oè,
<juy*/.po'.Y)6£ta7]ç ôuvôoou ocxouu,svtxfjç, ylvYjTat tcç y.al xept tïjç 'Ey.xXr/Œcaç
tmv 'Pw^acwv âjjupiêoXta, ££e<mv sûXaôwç -/.ai ^exà tyjç xpoaïjxoucnjç atooûç
ciaxuvôâvssôai xepl toû xpoxoi;j(ivoti '£7)TY]u,aToç xat BéyecOat tïjv Xûciv z,a(
7) a><psXeîc6at r, axpsXeîv* p,Y] uivToc Opaaéwç âxo<pspe<70ac -/.atà twv tyjç xpcj-
Surépaç 'Pok^ïjç ispapyûv.
Aucun puissant ne doit traiter d'une manière déshonorante l'un des cinq
patriarches ni chercher aie faire déposer ; au contraire on doit [leur
rendre les plus grands honneurs, surtout au pape de l'ancienne Rome,
pois aux patriarches de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, et de
.li rusalem. Nul ne doit rédiger un écrit accusateur ou calomnieux contre
le pape de l'ancienne Rome, ainsi que l'ont fait dernièrement Photius et
autrefois Dioscore. Si un puissant du monde s'efforce de chasser le pape
ou un autre patriarche, qu'il soit anathème. Si une plainte vient à
[422] être portée dans un synode général contre Rome, on doit l'examiner avec
le respect voulu et porter ensuite un jugement, mais on ne doit pas
prononcer sans aucun égard une sentence contre l' évêque supérieur qui
réside à Rome.
Can. 22 \
Ainsi que l'exigent les canons, l'installation d'un évêque doit avoir
lieu en vertu de l'élection et d'un décret du collège des évêques, et au-
cun grand du monde ne doit, sous peine d'ana thème, se mêler de cette
élection, à moins d'y être invité par l'Eglise elle-même.
Can. 23.
V l'avenir, les évêques ne devront plus donner des biens appartenant à
d'autres diocèses, ni installer des clercs pour des églises situées dans des
iliocèses étrangers.
Can. 24.
Certains métropolitains sont assez négligents pour confier indifïérem-
1 . Ce canon et les quatre suivants manquent dans l'abrégé grec.
CONG1 LES - IV 3 S
530
LIVRE XXIV
ment à un de leurs sufîragants le soin de célébrer le service dans leur pro-
pre église. Quiconque agira ainsi à l'avenir sera puni par le patriarche.
Can. 25.
Tous les clercs de l'église cathédrale de Constantinople ordonnés par
Ignace ou par Méthode, mais qui appartiennent encore au parti de
Photius et ne veulent pas adhérer à ce saint synode, sont déposés, suivant
la décision du pape Nicolas , et ne pourront plus être admis dans le cler-
gé, quand même ils se convertiraient. Toutefois, par esprit de miséri-
corde, nous permettrons qu'ils reçoivent, dès qu'ils se convertiroiit, les
saints mystères, mais au rang des laïques.
Can. 26.
Si un prêtre ou un diacre est déposé par son évêque, il peut en appeler
au métropolitain, qui aura ensuite à juger ce procès dans un synode pro-
vincial. De même, un évêque peut en appeler au patriarche de la décision
d'un métropolitain, et, dans ce cas, le patriarche aura à juger l'affaire
avec les autres métropolitains qui lui sont soumis.
Can. 27 (en grec 14).
®e<TX*'Ço[j.ev toùç ôptaOévraç to^oçopscv êxtaxoxouç éxc tcci xacpotç àxoxexXi]-
pwuivotç, sv tocçtoioijtoiç TrsptSsS'XfjaOai taûta xatpotç xal toxoiç, xal u.tj
xaraxexp^Oat tyj toiccut/j xaTacToXr; Btà tjçov xal xevoSo^fav, xal Iv xavrl
xatpw Tfjç 0ecaç ^uaraytoycaç, xal xàjï)ç aXXijç éxxXïjacaaTixYJç XsiToupy'aç
TaÙTa tpopelv' àXXà xal toùç u.st'.ovxaç sûXa6wç tov ^ovrjpfj p^ov, xal tyjç Ixc-
axoxtxTJç â^twOsvtaç ttu.YJç, tpuXàxTctv to Qyr\\x,a. xa' tï)v cttoXïjv tûv \xovayy
xwv àu.9taffu.âxci)v 6ptÇo[j.ev" xal [XTjSéva xoXu.âv âxafJuptévvuaOat to elpiquivov
ayr^oi ctà t 'cpov xal àXaÇwvcxïjv yvoipjv, xâvTeûOev eùpc'jxsaOac xapaêaTYjv
twv lauToû ffuv0Y)xô)v' s? tcç oôv êxcaxoxoç xapà toùç tbpia[j.évouç aÙTÔ) syypà-
çouç ï] aypà<pouç .xaipoùç xepcxàXoiTO to (ôu-ôcpopov r\ twv u-ova^ixcôv dfyupta-
a[xaTWV àxo6àXoi to cyj)[xot. r\ âtop0ata0w r, xa0atpeca0w.
On aura soin de ne pas déroger aux signes traditionnels pour indiquer
les diverses dignités. Ainsi, les évêques qui on1 reçu le pallium ne doivent
le porter qu'à certaines époques e1 en certains lieux. Les moines qui de-
viennent évêques, doivent, sous peine de déposition, conserver l'habit
monacal 1.
1. Hardouin, op. cit., col. 896 sq., 1098 sq. ; Mansi, op. cit., col. 157 sq., 397 sq. ;
Hergenrôther, op. cit., p. 119 sq. Dans Gratien, c. 15 = C. XII, q. n, c. 13;
- c. 18 - C. XVI, q. m, c. 8; - - c. 21 = D. XXII, c. 7; — c. 22 = D.
LXIII. c. 8.
493. DIXIÈME ET DERNIÈRE SESSION 531
Selon la coutume des anciens conciles généraux, on lut à la fin de
la dernière session du VIIIe concile œcuménique sur la demande
[423] des légats du pape, un opo;, c'est-à-dire un décret principal résu-
mant toutes les décisions prises par l'assemblée. « De tous temps,
y était-il dit, le Fils de Dieu a pris soin d'arracher les mauvaises
herbes de son champ. C'est ce qu'il a fait encore dans ces derniers
temps, en inspirant à ce pieux empereur de réunir le présent con-
cile général, lequel a renouvelé les terminos pietatis et décidé sui-
vant le droit et la vérité. Confirmant donc la doctrine orthodoxe,
nous croyons en Dieu, etc. » Suit une profession de foi détaillée,
reconnaissant explicitement les sepl conciles oecuméniques, et
anathématisanl les hérétiques et autres déjà anathématisés
par ces conciles; le pape Honorius n'y est pas oublié1. Le sym-
bole du VIIIe concile œcuménique s'appesantit surtout sur la
question des images : il établit le culte des images du Christ
sur celle considération, que chacune des deux natures du
Christ a sou activité et son opération propres, de sorte qu'en repré-
sentant la vie et les actions du Christ, on ne tombe pas dans l'erreur
de la confusion des natures. Suit la confirmation expresse du VIIe
concile œcuménique, l'anathème contre les chefs des iconoclastes,
contre Théodore Crithinus. leur nouveau chef, et tous leurs par-
tisans, y compris les docètes, car l'hérésie des iconoclastes repose
à proprement parler sur l'erreur du docétisme. En effet, « il n'y
a que deux sortes d'êtres qui ne puissent être représentés en
images : a) ceux qui n'existent pas réellement, c'est-à-dire des
êtres purement imaginaires, b) ceux qui ne sont pas corporels. Celui
qui langerait l'Emmanuel dans cette seconde catégorie, serait en
opposition avec l'Ecriture. Ce serait raisonner en manichéen
que de se servir contre les images de ce passage du psalrniste :
Le soleil est sa tente'2. » L'ipoç s'occupe ensuite de Photius, qui
n'était pas entré dans la bergerie par la porte, el y avait com-
mis tant de ravages dont suit l'énumération. Mais Dieu a sus-
cité contre lui, entre autres, le pape Nicolas, juslemenl nommé
vainqueur » (vtxâv), qui, comme un second Phinées, a tué
l'israélite adultère 3. L'empereur, marchant sur ces traces, a
exilé Photius, ramené Ignace et convoqué le concile qui a
1. Voir § 324.
2. Ps. xvni, G.
3. Num., xxv, 7.
532 LIVRE XXIV
déraciné l'ivraie et le scandale, confirmé l'innocence d'Ignace
et condamné Photius et ses partisans. Celui-ci s'est rendu coupa-
ble à l'égard du pape Nicolas, par son conciliabule, par l'anathè-
me prononcé contre ce pape, contre tous ceux de sa communion,
contre tous les prêtres, évêques et patriarches du monde. Mais
ce saint et œcuménique concile a confirmé la sentence du pape
Nicolas et de son successeur Hadrien, et a frappé d'anathème
Photius, déposant à tout jamais les clercs de son parti, excom- [424]
muniant les moines et les laïques 1.
L'empereur ayant demandé si cet opoç avait l'approbation
générale, le concile s'écria : « Nous pensons tous ainsi ; tous
nous enseignons ainsi; c'est le jugement de la vérité, le décret
de la justice, etc. Dieu a réuni ce synode... Longue vie aux em-
pereurs Constantin, Basile et Léon2... Longue vie à l'impératrice
Eudoxie... Anathème à Photius, à Grégoire de Syracuse, à Eu-
lampios d'Apamée ! Eternel souvenir au pape Hadrien Ier et
au VIIe concile œcuménique de Nicée ! Eternel souvenir aux
patriarches (amis des images) de Constantinople : Germain, Tara-
sius, Nicéphore et Méthode ! Eternel souvenir au pape Nicolas,
le champion de la vérité ! Longue vie au pape Hadrien II et
aux patriarches Ignace de Constantinople, Théodore de Jéru-
salem et Michel d'Alexandrie, ainsi qu'aux vicaires de Rome
et des sièges orientaux ! Eternel souvenir à ce saint et grand con-
cile général ! » L'empereur promit aux évoques sa protection
sur eux et leurs églises, en retour de leurs travaux, et fit lire
un décret reconnaissant leur zèle et leur esprit de sacrifice,
leur souhaitant comme récompense les bienfaits de Dieu, et
engageant chacun des assistants à parler maintenant avec
franchise, s'il avait quelque communication à faire au présent
concile. Cette permission s'étendait même aux laïques, quoique
ce ne fût pas à eux à s'occuper des affaires de l'Eglise. L'empe-
reur déclarait en même temps vouloir punir sévèrement ceux qui,
après la clôture du concile, n'obéiraient pas à ses décrets, et enga-
geait les évêques et tout le clergé, à extirper l'hérésie et à faire
régner la concorde. A la fin, le souverain avertissait les laïques,
1. Hardouin, op. cit., col. 912, 1103;"Mansi, op. cit., col. 179, 407. L'abrévia-
teur grec ne mentionne l'opoç qu'en quelques mots.
2. Sur ce personnage, que nous retrouverons, cf. A. Vogt, Basile Ier, p. 59-61.
(H- L.)
493. DIXIÈME ET DERNIÈRE SESSION 533
qu'il leur convenait moins qu'à personne de faire opposition au
concile, parce qu'ils n'étaient point pasteurs, mais brebis.
Personne ne s'étant présenté pour parler contre l'assemblée,
mais tous ayant manifesté leur adhésion, les légats demandèrent
que les actes fussent signés d'abord par l'empereur ensuite
par le concile. Basile répondit que, suivant l'exemple de ses pré-
décesseurs Constantin le Grand, Théodose et Marcien, il avait
[425J eu l'intention de signer après tous les évêques ; mais pour déférer
dans une certaine mesure au désir des légats, il consentait à
signer après les légats et les vicaires orientaux. C'est ce qui eut
lieu, et cinq exemplaires des actes synodaux destinés aux cinq
patriarches \ furent signés par les légats, les vicaires orientaux,
les trois empereurs et tous les évêques au nombre de cent deux. Les
commissaires impériaux présents déclarèrent solennellement
dans le procès-verbal leur adhésion aux décisions du concile, sans
apposer leurs signatures 2. Un seul des employés impériaux, le
premier secrétaire Christophe, contresigna, selon l'usage, le para-
phe de l'empereur. Nicétas prétend avoir entendu dire qu'au lieu
de tremper leur plume dans l'encre, les évêques l'avaient trem-
pée dans le sang du Seigneur, mais lui-même est le premier à
déclarer que cette tradition le surprend beaucoup. On avait vu
cependant 3 Pyrrhus, patriarche de Constantinople, agir de !la
sorte, lorsqu'il avait remis à Rome une profession de foi ortho-
doxe. Quant à l'ordre des signatures et à la question de préséance,
nous en avons suffisamment traité dans l'introduction de cette His-
toire des conciles 4. Dans ses notes à la traduction des actes du
\ IIIe concile œcuménique, Anastase explique le nombre réduit
de cent deux évêques, par l'exclusion de tous les évêques ordon-
nés par Photius, et le petit nombre des survivants ordonnés par
Méthode et Ignace. Avant de passer à la signature des actes, les
légats avaient eu soin de les remettre à Anastase, le chargeant
d'examiner, grâce à sa connaissance des deux langues, si tout
était en règle et si ces actes ne contenaient aucune falsification 5.
1. Voir § 322.
2. Hardouin, op. cit., t. v. col. 918 sq., 1103 sq. ; Mansi, op. cit., t. xvi, col.
15, 7-196, 397-410.
3. Voir § 304.
4. Voir t. i, p. 43.
5. A. Vogt, Basile 7er, p. 226-227. (H. L.)
534 LIVRE XXIV
Anastase remarqua qu'une lettre du pape Hadrien avait été muti-
lée à l'endroit où le pape faisait l'éloge de l'empereur Louis II.
Aussitôt les légats déclarèrent qu'ils ne signeraient pas. Les
grecs firent, observer qu'un concile ne se tenait pas pour célé-
brer les louanges d'un prince, mais bien celles de Dieu 1, et ils se
montrèrent si obstinés que les légats finirent par céder, tout en
ayant soin d'ajouter à leurs signatures cette réserve : usque ad
voluntatem ejusdem eximii prsesulis, qui en subordonnait la valeur
à l'approbation du pape 2. La signature des légats fut donc la [426]
suivante : Ego... locum obtinens domini mei Hadriani summi
pontificis et universalis papse, oninia quse superius leguntur,
huic sanctir et universali synodo prœsidens, usque ad volunta-
tem ejusdem eximii prsesulis promulgavi, et manu propria sub-
scripsi. Les autres patriarches et vicaires patriarcaux (Ignace de
Constantinople, etc.) écrivirent : omnibus, quse ab ea (synodo)
judieata et scripta sunt, concordans et definiens subscripsi manu
propria. L'empereur omit, comme on le pense bien, le mot defi-
niens, et les évêques écrivirent : liber suscipiens (les décisions
du synode) subscripsi manu propria.
Le concile publia ensuite une longue lettre encyclique adres-
sée à tous les fidèles; on y énumérait les méfaits de Photius, les
mesures prises par l'empereur, et les décisions du concile con-
tre lui et contre ceux qui avaient été ordonnés par lui. On y
rappelait aussi l'anathème prononcé contre l'iconoclaste Théo-
dore Crithinus ; enfin la lettre engageait tous les clercs et les
laïques à se soumettre à la décision du saint concile général 3.
I ne seconde lettre, adressée au pape, contenait beaucoup d'éloges
à l'adresse des légats, des papes Nicolas et Hadrien, et aussi
de l'empereur, dont on vantait les mœurs ( !); on priait le pape
de publier les décisions du concile général, qui, au fond, étaient
1. « N'était-il pas étonnant qu'un concile qui, d'un bout à l'autre de sa durée,
avait lancé à tous les échos du monde la gloire et les vertus d'un souverain meur-
trier refusât, sous le vain prétexte de religion, de rapporter en entier la lettre
d'un pape qui, accidentellement, louait un autre roi ?» A. Vogt, op. cit., p. 27.
(H. L.)
2. Tel est le récit du Liber pontificalis, dans P. L., t. cxxvm, col. 1390, et cette
clause se trouve en effet à la suite de la signature des légats.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 929 sq., 1107 sq. ; Mansi, op. cit.. t. xvi, col. 196,
200, 410-412.
4(Jo. DIXIÈME El DERNIÈRE SESSION 535
les siennes, de Jes confirmer et de les faire connaître à lou les
les autres Églises l.
Dans la traduction d'Anastase, on lit, après cette lettre adres-
sée au pape : //.<< epistola missa est ad omîtes patriarchales sedes.
Fleury e1 Jager en ont conclu qu'elle avait été également envoyée
a tous les patriarches. Outre que le texte de la lettre ne favorise
pas celle manière de voir, il esl facile de constater <|ue la remar-
que d'Anastase vise le document qui suit immédiatement une
lettre de remerciements, à savoir aux trois patriarches de l'O-
rient, où l'empereur et ses fils exposent comment les légats de
[427] Rome ont extirpé l'ivraie d'accord avec les vicaires orientaux2.
Cette lettre impériale est datée de la troisième indiction, c'est-
à-dire de l'année 870; ce n'est nullement une circulaire adres-
sée à huis les évoques, comme l'a soutenu Fleury, et après lui
Jager toujours empressé à le copier. De même, si l'abréviateur
grec avait examiné de plus près ce document, il n'aurait pas écrit
que, n'en connaissant pas le destinataire, il l'omettait 3.
Les actes synodaux se terminent par deux lettres de l'empereur
et du patriarche Ignace au pape Hadrien, et la réponse de ce
dernier. Théognoste, cet abbé du couvent de Marie-à-la-Source
(xïjyt)), près de Constantinople, dont nous avons déjà eu occa-
sion de parler, ayant voulu se rendre à Rome pour accomplir
un vœu, l'empereur lui remit pour le pape une lettre de recomman-
dation dans laquelle il s'étonnait d'être sans nouvelles des légats,
depuis longtemps partis de Constantinople. Puis il priait le pape
de gracier les nombreux lecteurs ordonnés par Photius, le charto-
phylax Paul et Théodore, archevêque de Carie, afin qu'ils pussent
reprendre leurs anciens emplois ou être promus à des emplois
supérieurs. Selon l'usage, l'empereur accompagnait sa lettre de
très beaux ornements sacerdotaux 4. Dans sa propre lettre Ignace
formulait la même prière au sujet de Paul, de Théodore et des lec-
teurs ordonnés par Photius; il y joignait également des présents, en
particulier un Evangéliaire grec et latin et un horarium orné d'or 6.
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 933 sq., 1110 sq. ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 200,
202: 412-419.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 935 ; Mansi, op. cit., col. xvi, 202.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1110 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 414.
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 936 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 203.
5. Hardouin, op. cit., t. v, col. 937; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 204.
53 (J
LIVRE XXIV
Le pape répondit le 10 novembre 871 ; il se plaignait du long retard
subi par ses légats attaqués et dévalisés en route par des voleurs.
11 déplorait l'incurie de l'empereur qui n'avait pu leur fournir
une escorte. Pareil fait ne s'était jamais produit. Michel lui-même
avait été plus soucieux du sort des légats romains. L'ancienne
bienveillance de l'empereur Basile à l'égard du Saint-Siège de Rome
semblait disparue, sinon Ignace eût-il jamais osé ordonner un évoque
(un archevêque) pour les Bulgares ? Le pape priait donc l'empe-
reur d'obtenir du patriarche qu'il s'abstînt désormais d'exercer
une juridiction sur ces contrées. Quant aux tria capitula, c'est-à-
dire l'affaire des lecteurs ordonnés par Photius, celles de Paul
et de Théodore de Carie, il s'en tenait aux anciennes décisions, anx-
«I uelles on ne pouvait apporter aucune modification x. [428]
Cette lettre dénonce le différend qui existait, presque aussitôt
après le concile, entre le pape et le patriarche Ignace au sujet des
Bulgares. Nous avons raconté comment Boris-Michel, roi des Bul-
gares, très satisfait des missionnaires romains, avait congédié, en
867, tous les autres, en particulier les grecs, et envoyé à Rome
une seconde ambassade, chargée de solliciter l'envoi de nou-
veaux missionnaires et la nomination de Formose comme arche-
vêque des Bulgares. Le pape Nicolas, tout en accédant à la pre-
mière demande, n'avait pu satisfaire à la seconde, et Hadrien II
avait en effet envoyé de nouveaux missionnaires. Il faut distinguer
cette seconde ambassade des Bulgares d'une troisième, dont parle
le Liber pontificalis, et qui n'a guère pu arriver à Rome avant
869, c'est-à-dire lorsque Marin était déjà désigné comme légat
du pape pour le VIIIe concile œcuménique. L'ambassadeur bul-
gare Pierre était accompagné des deux évêques italiens, For-
mose et Paul, qui avaient déjà travaillé en Bulgarie ; ils remirent
des présents et des lettres du roi Michel, et demandèrent au pape
(puisqu'ils refusait de donner Formose comme archevêque de Bul-
garie) d'accorder ce titre au cardinal-diacre Marin, qu'un séjour
en Bulgarie avait fait connaître du roi, ou de leur envoyer un autre
cardinal-clerc, intelligent, qu'ils pussent plus tard demander au
pape, si ce clerc savait gagner leurs sympathies. Marin ayant une
autre mission à remplir, le pape Hadrien leur envoya Sylvestre
(alors sous-diacre), dont les Bulgares ne furent pas contents,
H qu ils renvoyèrenl ainsi que Dominique, évêque de Triventum.
1. Hardouin, op. cil., col. 0fî8 ; Mansi, op. cil., ml. 206.
494. ADDITION ILLÉGALE FAITE AU CONClLIi .J.'j7
et Léopard d'Ancône donl il n'a pas encore été question).
Sylvestre revint clone bientôt, porteur de nouvelles lettres des
Bulgares qui demandaient à grands cris un archevêque, ou récla-
maient le retour de Formose. Telle est, à mon sens, la signification
d'un passage assez obscur et rendu confus par les \ triantes, du
[429] Liber pontificalis *, d'après lequel le pape Hadrien aurait cher-
ché à contenter les Bulgares, en leur promettant de sacrer arche-
vêque celui que leur roi désignerait. Mais celui-ci, impatient du
délai, s'était de nouveau rapproché des Byzantins et avait
envoyé à Constantinople l'ambassade, qui y arriva le 28 février
870, lors de la xe et dernière session. A sa tête se trouvait ce même
Pierre qui avait fait à Rome un long cl inutile séjour, en qualité
d'ambassadeur.
494. Addition illégale faite au concile, concernant
les Bulgares.
Trois jours après la clôture du concile, et les actes signés, l'em-
pereur convoqua les légats dans son palais, où s'étaient déjà
réunis les vicaires orientaux, le patriarche Ignace et d'autres
personnages 2. Après que tous eurent pris place, on pria les am-
bassadeurs bulgares de remettre les lettres et les présents qu'ils
avaient apportés, et. sur les instances de l'empereur, les légats con-
sentirent à ce que l'on donnât audience aux Bulgares. Ceux-ci
étant entrés et ayant salué l'assemblée, Pierre s'exprima en ces
termes : « Notre maître Michel, prince des Bulgares, a" appris
avec joie qu'en vertu de l'autorité apostolique, vous vous êtes
réunis ici de tous les pays pour le bien de l'Eglise, et il nous charge
de vous féliciter en particulier, vous, ambassadeurs du Siège apos-
tolique, parce que, en vous rendant ici, vous l'avez honoré de votre
visite et lui avez remis des lettres. » Les légats répondirent :
a Nous ne pouvions et nous ne voulions pas passer au milieu de
1. P. L.. t. cxxvui, col. 1395; Baronius, Annales, ad ann. 869, n. 92. Ces deux
auteurs donnent le texte d'une manière très différente.
2. Anastase n'avait pas été invité, ce qui l'humilia profondément, Préface
au VTTIe concile, dans Mansi, op. cit., t. xvt. col. 11. (11. t..)
538 LIVRE XXIV
vous sans vous saluer, car nous vous savons fils de la sainte
Église romaine l. » Ces derniers mots donnèrent aux Bulgares
occasion de faire connaître le plan perfide qu'ils avaient conçu
pour se détacher du patriarcat romain. « Il y a peu de temps encore,
dirent-ils, nous étions païens, mais depuis nous avons été rendus
participants de la grâce du christianisme. Afin de n'errer sur au-
cun point, nous désirons savoir de vous, représentants de tous les
patriarches, à quelle Eglise nous devons être soumis (c'est-à-dire
à quel patriarcat nous appartenons).» Les légats répondirent :
« A l'Eglise romaine, car c'est à elle que s'est donné votre prince
avec son royaume, et c'est précisément par toi, Pierre, qu'il l'a
fait ; aussi a-t-il reçu du pape Nicolas des instructions sur la vie
chrétienne, des évêques et des prêtres. Vous avez vous-mêmes
prouvé votre appartenance à l'Église romaine en nous demandant [4301
des prêtres qui travaillent encore au milieu de vous. » Les Bulga-
res en convinrent et déclarèrent vouloir obéir en tout à l'Église
romaine; mais ils n'en continuèrent pas moins à demander que,
d'accord avec les députés des autres patriarches, les légats déci-
dassent maintenant si les Bulgares appartenaient juridiquement
à l'Eglise romaine ou à celle de Constantinople. Les légats dirent
fort justement : « La mission que le Siège apostolique nous avait
chargés de remplir en union avec les vicaires de l'Orient, est, par
la grâce de Dieu, terminée ; quant à votre affaire, nous ne pou-
vons vous donner aucune décision, parce qu'elle vient à peine
de surgir et que nous n'avons aucun ordre pour l'instruire. Néan-
moins nous déclarons solennellement, autant qu'il est en nous,
que vous appartenez à l'Eglise romaine. » Les vicaires de l'Orient
prenant parti pour l'Église de Constantinople, demandèrent
aux Bulgares : « A qui donc appartenait le pays lorsque vous
1, Au dire d'Anastase, (Mansi, op. cit., t. xvi, col. 11), «les légats d'Orient et
les ambassadeurs bulgares ne comprenaient pas ce que disaient les Romains et»
à leur tour, les Romains et les Bulgares n'entendaient rien à ce que disaient les
Orientaux. » L'idée de faire choix d'ambassadeurs ne comprenant pas le latin indi-
querait bien peu de prévoyance, l'absence d'interprètes est invraisemblable. Dans
la salle où se passait l'audience, il ne s'en trouvait qu'un, simple fonctionnaire
impérial. Il est possible que ce soit lui qui traduisit le salut des Bulgares et la
réponse immédiate des légats. Ce qui est douteux, c'est que pour cette séance sup-
plémentaire que l'on pouvait pressentir comme un traquenard, les légats romains
n'eussent pas amené leur interprète à eux. Il se pourrait bien qu'Anastase ait
accommodé tout l'incident à son gré. (H. L.)
494. ADDITION ILLÉGALE FAITE AU CONCILE 539
vous en êtes emparés? avait-il, à cette époque, des prêtres grecs
ou des prêtres latins ? » Ils répondirent : «Nous l'avons pris aux
Grecs par droit de conquête, et nous n'y avons trouvé que des
prêtres grées. » Sur cette réponse, les vicaires orientaux décidè-
rent ce qui paraît juste à première vue, que le pays apparte-
nait donc à l'Eglise de Constantinople. Ils ignoraient ou voulurenl
ignorer que ces pays, c'est-à-dire l'Épire ancienne et nouvelle,
la Dardanic. etc., bien qu'appartenanl à Yempire de Byzance,
avaient cependanl toujours fail partie du patriarcat romain, donc
encore à l'époque où les Bulgares s'étaient emparés d'une par-
tie de ces pays l. La partie qui resta à l'empire grec ne fut reti-
rée du patriarcat de Rome qu'en 732, par l'empereur Léon
l'Isaurien, lorsque, au milieu de la discussion sur les images,
ce prince la rattacha brusquement au patriarcal de Constanti-
nople 2. Les légats romains répliquèrent justement que la diffé-
rence des langues n'impliquait pas une appartenance ecclésias-
tique différente, et que d'autres pays régis par des prêtres grecs
relevaient néanmoins du patriarcat de Rome. Sans doute la
Bulgarie avait fait partie du royaume de Byzance, mais on
pouvait prouver par plusieurs raisons qu'elle ne laissait pas d'ap-
partenir au patriarcat romain. Voici ces arguments :
1) Les décrétales des papes prouvaient que, depuis l'antiquité,
le Siège apostolique avait sous sa juridiction l'ancienne et la nou-
velle Épire, toute la Thessalie et la Dardanie. c'est-à-dire le pays
qui porte maintenant le nom de Bulgarie ; par conséquent, Rome
n'avait pas enlevé, comme on le soutenait, au siège de Constan-
tinople. cri le juridiction «pie l'invasion des Bulgares lui avait
fait perdre momentanément ; elle n'avait fait que la recouvrer,
lors de la conversion de ces mêmes Bulgares.
2) Ceux-ci s'étaient d'ailleurs volontairement soumis au Siège
[431] apostolique et à son gouvernement.
3) C'est le Siège apostolique quia converti les Bulgares après
beaucoup de labeurs, et les gouverne en fait depuis trois ans.
snil par quelques-uns d'entre nous qui sommes ici (Douât e1 Marin
qui avaient travaillé quelque temps en Bulgarie, lorsqu'ils étaient
déjà nommés légats pour Constantinople), soit par les évêques
Paul, Dominique, Léopard et Formose (qui avaient demeuré dans
1. Cf. Dictionn. de théologie catholique, t. n, col. 1177 ; t. ni, col. 1350-1354.
2: Voir § 333.
M VUE XXIV
le pays), soit par l'éveque Grimoald qui se trouve encore en Bul-
garie avec plusieurs de nos prêtres, ainsi que les Bulgares eux-
mêmes l'avouent.
Les vicaires orientaux prétendirent examiner en détail cha-
cune de ces trois raisons, mais les légats du pape protestèrent :
« Le Saint-Siège apostolique ne vous a pas choisis, vous ses
inférieurs, pour juger cette affaire, et nous nous le sommes inter-
dit nous-mêmes, car seul il a le droit de juger les autres Eglises.
Il ne nous a pas chargés de donner une solution à cette question
que nous réservons tout entière à son jugement. Il a assez de
documents pour défendre son droit, et la facilité avec laquelle
il abrogera votre sentence, égalera la légèreté avec laquelle vous
l'avez portée. » Dès lors, les débats devinrent plus vifs et plus
aigres. Les vicaires orientaux s'écrièrent : « Il est insoutenable
que vous, qui vous êtes séparés de l'empire grec, qui avez con-
clu des alliances avec les Francs, vous vouliez avoir le droit de
faire des ordinations dans le territoire de l'empereur grec notre
maître ; aussi décidons-nous que la Bulgarie, qui appartenait à
l'empire grec, revienne à l'Église de Constantinople, dont le pa-
ganisme l'avait séparée (faux), et que le christianisme lui a
rendue ». Les légats crièrent plus haut :« Par l'autorité du Saint-
Esprit et jusqu'à décision du Siège apostolique, nous déclarons
que la sentence que vous venez de rendre sans avoir été choisis
pour juges, sans être reconnus comme tels, que vous n'avez même
pas rendue, mais que l'orgueil et la perversité vous ont arrachée,
est nulle de plein droit. Quant à toi, patriarche Ignace, nous t'adju-
rons devant Dieu, devant ses anges et devant tous les assistants,
de t'abstenir, conformément à la lettre du pape Hadrien qui t'a
réintégré, et que nous te remettons (ils avaient donc en réserve
une lettre du pape concernant la Bulgarie, qu'ils étaient chargés
de remettre si la nécessité l'exigeait), de sacrer un évêque
pour la Bulgarie ou d'envoyer dans ce pays quelqu'un des
tiens. Si tu crois avoir des motifs de plainte, tu dois les faire
connaître en toute légalité à l'Eglise romaine, cette grande pro-
tectrice. » Ignace reçut immédiatement la lettre du pape, tout en
différant de la lire séance tenante, et répondit de façon assez
ambiguë qu' « il se garderait certainement d'accomplir une démar-
che qui fût contre l'honneur du Siège apostolique : il n'était [432]
ni assez étourdi pour se laisser ainsi entraîner ni assez affaibli
pour qu'on lui fît faire ce qui paraîtrai! répréhensible chez les
494. ADDITION ILLÉGALE FAITE AL' CONCILE 541
autres (je lis committam au lieu de omittam). » Ainsi la réunion se
termina 1.
Afin de mieux mettre en relief l'injustice des Grecs, Anastase
ajoute, dans la préface de sa traduction des actes du concile :
«A celte réunion tenue au sujet de l'Église bulgare, ne se trouvai!
qu'un seul interprète, choisi par l'empereur, lequel traduisail
toujours les paroles des deux partis dans un sens agréable à
l'empereur, en sorte que les légats romains n'ont jamais pu bien
comprendre les discours des vicaires orientaux et des Bulgares
ni réciproquement. » On remit, en outre, aux Bulgares un docu-
ment grec déclarant que les vicaires orientaux ayant été établis
arbitres entre les légats romains et le patriarche Ignace, ont décidé
que la Bulgarie appartenait au diocèse de Constantinople 2. Ce
document est évidemment l'appendice aux actes synodaux
qu' Anastase, accuse les Grecs d'avoir frauduleusement ajouté aux
actes authentiques du VIIIe concile. Ce document contenait aussi
probablement les discours et répliques des légats, des vicaires
orientaux et des ambassadeurs de Bulgarie, sous la forme que
l'interprète impérial avait voulu leur donner, tandis que la rela-
tion utilisée plus haut, empruntée à la biographie d'Hadrien II,
provient évidemment des légats du pape, qui, à l'issue de la
séance, auront certainement écrit leurs propres paroles avec les
réponses de leurs adversaires, telles qu'ils les avaient comprises
sans le secours de l'interprète. C'est là qu' Anastase a dû puiser les
détails qui se trouvent dans la préface de sa traduction des actes.
1. Vita Hadriani II, dans P. L., t. cxxviii, col. 1391 sq. ; Baronius, Annales,
ad ann. 869, n. 68 sq. [Les missionnaires latins, expulsés par Boris, se replièrent
sur l'Italie, pendant que l'archevêque Joseph et une dizaine d'évêques grecs,
prenaient officiellement, au nom d'Ignace, possession de l'Église bulgare, 870.
Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xvi, col. 10-13 ; Hadrien II, Epist. ad Basilium,
P. L., t. cxxn, col. 1310; Epislolse Johannis VIII, dans Neues Archiv, t. v, p. 300;
Vita Basilii imperatoris, P. G., t. cix, col. 357; Hergenrôther, Photius, Patriar-
che von Constanlinopel, in-8, Ratisbonne, 1867, t. n, p. 149-166. (H. L.)]
2. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 11 ; Hardouin. op. cit., t. v, col. 758'; P. L.,
t. cxxix, col. 21 sq. ; Baronius, Annales, ad ann. 869, n. 75; Hergenrôther, op.
cit., p. 149-187.
542 LIVRE XXIV
495. Retour et déboires des légats. Autorité du VIIIe concile
œcuménique.
On devine le mécontentement de l'empereur à l'égard des légats [433]
du pape : néanmoins il les invita à sa table et les renvoya avec
des présents. Le spathaire Théodore les accompagna jusqu'à
Dyrrachium, mais à partir de cette ville, on ne veilla plus à leur-
sécurité 1 ; tandis qu'ils traversaient la mer Adriatique, ils tombè-
rent entre les mains de pirates slaves, qui les dépouillèrent et les
auraienl même tués, si quelques personnes de la suite des légats
élanl parvenues à s'échapper, les piratés n'avaient craint d'être
découverts. Délivrés grâce aux lettres du pape et de l'empereur
d'Occident, les légats arrivèrent à Rome le 22 décembre 870, n'ayant
plus avec eux que quelques documents négligés par les pirates 2.
Quoique, pendant et après la célébration du concile, les Grecs
eussent loué et exalté cette assemblée, la reconnaissant com-
me sainte et œcuménique, ils se laissèrent entraîner, quelques
années plus tard, lorsque Photius se lut de nouveau emparé du
siège de Constantinople, à donner le titre de VIIIe concile œcu-
ménique au concile réuni en 879, par le patriarche intrus, et cette
dénomination est restée en usage chez les Grecs schismatiques,
tandis que beaucoup d'entre eux ne reconnaissent que sept con-
ciles oénéraux 3. C'est en effet dans ce premier sens que parla le cé-
1. Anastase regagna Rome par Bénévent, les légats firent voile vers Ancône.
(H. L.)
2. Baronius, Annales, ad ann. 869, n. 86 ; Liber pontificalis, édit. Duchesne,
t. ii, p. 182 ; Hergenrôther, Photius, p. 160 ; A. Vogt, Basile IeT, p. 230 . Les lé-
gats avaient mis neuf mois pour accomplir leur voyage. De leur mission, il ne
leur restait rien, sinon un livre concernant les affaires d'Ignace, Librum actionis
Ignalii, et des Libelli, sans doute ceux que les évêques signèrent en entrant
au concile. Heureusement qu'Anastase avait emporté les actes du concile et les
papiers volés par les grecs et récupérés comme nous l'avons dit, sans quoi Rome
eût été singulièrement en peine de savoir ce qui s'était passé au cours des ses-
sions d'un concile œcuménique. (H. L.)
3. Pagi, Critica, ad ann. 869, n. 16. Le fait de l'œcuménicité du concile
est hors de question. La convocation par le patriarche Ignace et l'empereur Basile
fut librement approuvée par Hadrien II : Fraternitas tua curet necesse est ut seti-
tentiarum capitula quœ synodice Romse... communi consonantia promulgavimus,
495. RETOUR ET DEBOIRES DES LÉGATS 54 3
lèbre Marc Eugenicus, archevêque d'Ephèse, dans la vie session
de Ferrare, tenue le 20 octobre 1438. Le cardinal Julien Cesarini,
l'un des principaux orateurs latins, dans le concile d'union de
Ferrare-Florence, avait demandé aux grecs de lui prêter le livre
contenant les actes du VIIIe concile œcuménique, afin de s'en
servir pour développer ses preuves ; car, des deux côtés, on avait
décidé de se prêter mutuellement les documents qui pouvaient
être de quelque secours. Le cardinal Julien n'ayant pas obtenu
l'ouvrage demandé, s'en plaignit à l'ouverture Je cette vie session.
Marc Eugenicus lui répondit d'une manière équivoque, essayant
d'abord de faire croire aux latins que 1rs grecs n'avaient pas le
livre demandé. Puis il continua : « Mais l'eussions-nous (sr/o[JLsv),
on ne peut cependanl pas nous forcer à compter comme œcumé-
nique ce concile, qui n'est pas reconnu et qui esl même rejeté.
Le concile auquel vous faites allusion, s'est tenu contre Photius
à l'époque de Jean (!) et d'Hadrien. Mais, peu de temps après,
[4341 il s'est tenu un second concile qui a réintégré Photius e1 annulé
les actes de la précédente assemblée, et ce concile porte aussi le
titre de VIIIe œcuménique. ..L'Eglise de Constantinople est ferme-
ment décidée à anathématiser tout ce qui a été dit. ou écrit, aussi
apud vos in synodo cunctorum subscriplione roborentur, Mansi, op. cit., i. xvi,
col. 52. Les légats du pape présidèrent le concile dont ils signèrent les actes en
son nom. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 157, voir la formule plus haut p. 532.
Enfin, la lettre d'Hadrien II à Basile (10 novembre 871) confirme explicitement
ce qui s'est fait : Gratiarum multimodas actiones summse divinitati, et in colligendo
magno sanctoque collegio piurn studium et desiderium ostendistis, in quo definitio
rectae fidei et calholiese ac paternse traditionis atque jura Ecclesise perpetuis ssecu-
lis profutura, et satis idonea fixa sunt et firmata. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 206.
Jean VIII consentit à faire fléchir en faveur de Photius certaines prescriptions
du concile, mais en maintenant intacte l'autorité de l'assemblée : Omnis Ma
mala consuetudo amputetur, juxta capitulum, quod super hac re venerabili synodo
tempore scilicet decessoris nostri Hadriani junioris papse Constantinopoli habita,
est congruentissime promulgalum. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 305. On sait que
cette lettre de Jean VIII fut falsifiée par Photius au conciliabule de 879, de ma-
nière à lui faire signifier sur ce point tout le contraire de ce qu'elle contenait :
Quse vero synodus in urbe ista contra reverentiam vestram habita est, eam nos irri-
larn fecimus atque omnino abrogavirnus et rejecimus. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 510.
Après Jean VIII l'œcuménicité du VIIIe concile ne fut jamais mise en doute
dans l'Église romaine, comme le prouve la profession de foi que les papes réci-
taient le jour de leur consécration. Ego N... profileor... sancta oclo universalia
concilia, id est Nicœnum, etc — , et septimum item Nicsenum, octavum quoque
item Conslantinopolitanum usque ad unum apicem immutilate servare. Mansi,
op. cit., t. xvi, col. 517. (H. L).
544
LIVRE XVI V
bien contre Photius que contre Ignace 1. » Soit qu'il ne se
rendît pas compte de la question, soit qu'il crût plus prudent
d'éviter une controverse sur ce sujet, afin de ne pas entraver
l'œuvre d'union, le cardinal Julien Cesarini, au lieu de prendre la
défense du VIIIe concile oecuménique, se borna à l'aire la réponse
suivante : « Nous ne vous demandons pas ce livre pour extraire
ii ii passage du VIIIe concile œcuménique, mais simplement
parce que nous avons besoin de quelques passages des VIe et
VIIe conciles œcuméniques » (dont les actes se trouvaient dans
le même volume). Marc Eugenicus parut alors disposé à céder
le volume réclamé 2.
D'après ce qui précède, on voit que les grecs ont été, à l'égard
de ce concile, inconséquents avec eux-mêmes; en Occident, au
contraire, il a été tenu jusqu'à présent pour œcuménique 3,
et, d'après la formule donnée par Baronius 4, les papes eux-mê-
mes devaient, avant leur consécration, reconnaître comme œcu-
ménique, le VIIIe concile général tenu à Constantinople 5.
1. Hardouin, op. cit., t. ix, col. 67 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 518-520.
2. Baronius, Annales, ad ann. 869, n. 63, blâme le cardinal Julien Cesarini
d'avoir traité toute cette affaire avec tant de légèreté ; il faut cependant recon-
naître qu'il a eu pleinement raison de ne pas insister sur ce point, s'il voulait
éviter une difficulté secondaire.
o. Nous avons mentionné plus haut les attestations officielles d'Hadrien II
et de Jean VIII. Quelques dissidences qui se produisent sur divers points ne sau-
raient infirmer la reconnaissance faite par les papes et par l'Église de Rome.
En France, Hincmar est mal disposé à l'égard de ce concile qui a renouvelé les
décisions du VIIe concile œcuménique concernant le culte des images ; Aymon
n'en pense et n'en parle guère plus avantageusement qu'Hincmar. Le cardinal
Deusdedit appelle le concile synodus pro Ignatio quse a quibusdam octava dicitur.
Mai, Nova bibl. Patrum, t. vin, p. 92. D'autres n'ont pas voulu le mettre au
nombre des conciles généraux, sous prétexte qu'il ne se serait pas occupé de ques-
tions touchant à la foi. Cette idée se fait jour dans un traité de controverse con-
tre les Grecs composé par des dominicains au xme siècle, Tractalus de conciliis
generalibus, [dans Biblioth. Patrum Lugdunen., t. xxvn, p. 613. Ces opinions
privées ne purent prévaloir contre l'acceptation faite par les Eglises occidentales
de ce concile au même titre que les conciles généraux. Les canons furent insérés
dans les collections canoniques composées, soit avant soit après Gratien ; le
22e canon, en particulier, fut souvent cité au cours de la querelle des investi-
tures au xie siècle, Hergenrôther, Photius, t. xi, p. 130-131; Jugie, dans Dict. de
théol. calhol., t. ni, col. 1305. (H. L.)
4. Baronius, Annales, ad ann. 869, n. 59.
5. Sur la reconnaissance de ce synode comme œcuménique, cf. N. Alexander,
Hist. eccl., sœc. ix et x, dissert. IV, § 24, Venetiis, 1778, t. vi, p. 3'i8.
195. RETOUR r: I DÉBOIRES DES LEG A I s 545
D'autre part, avons-nous dit, beaucoup «le grecs ne reconnais-
saient que sept conciles œcuméniques. C'esl pourquoi Abraham
de Crète, le traducteur el premier éditeur des actes du concile
de Ferrare- Florence, donna à cette dernière assemblée le tilre
de « VIIIe concile œcuménique ». C'était en effet le rang qui lui
revenait aux yeux des grecs, qui avaient accepté l'union con-
clue à Florence et n'avaient compté jusque-là que sept con-
ciles œcuméniques. Dans la bulle de confirmation donnée à l'édi-
tion d'Abraham, le pape Clément VII accepta le titre de l'ouvrage,
par conséquent les mots octava œcumenica synodus, lesquels dis-
parurent cependant dans la seconde édition sous Paul V \ Noël
Alexandre2 et Pagi 3 combattirent Abraham de Crète, et le pre-
L435] mier n'hésite pas à dire que l'antique adage KpyjTeç àec d>eû<JTat /..
t. a. 4 s'était vérifié une fois de plus. Mansi prétend, au con-
traire, dans ses notes sur ce passage de Noël Alexandre, justifier de
I out reproche, Abraham de Crète et le pape Clément VII, car les
grecs-unis, même les plus orthodoxes et animés des sentiments
les plus bienveillants à l'égard de Rome, avaient coutume de ne
compter que sept anciens conciles œcuméniques 5 et de regarder
celui de Florence comme le VIIIe, sans pour cela mettre en question
1. Cf. Histoire des conciles, t. i, p. 79.
'1. hoc. cit., t. vi, p. 348.
;{. Pagi, Crilica, ad ann. 869, n. 16.
k Tit., i, 12.
ô. De même l'occidental Ariald (chef des Patares) dans une assemblée
tenue à Milan en 1059 ne parle que de sept conciles œcuméniques. Voir Pierre
Damien, Opéra, t. ni, opusc. III, v, p. 41. [ « Que les grecs-unis eussent une ten-
dance à ne considérer comme conciles œcuméniques que les sept premiers, cela
ne doit pas nous surprendre, puisqu'ils étaient en relations constantes avec les
schismatiques qui ne juraient que par les sept conciles. De nos jours, l'Église
orthodoxe gréco-slave s'intitule toujours l'Église des sept conciles.En cela, elle n'est
pas tout à fait d'accord avec plusieurs de ses anciens théologiens ou canonistes. Par-
mi ceux-ci les uns, comme Théodore Balsamon, P. G., t. cxxxvn, col. 1004, ont con-
sidéré comme VIIIe concile œcuménique le conciliabule de 861 qui déposa Ignace;
d'autres, plus nombreux, ont réservé ce titre au conciliabule de 879 qui condamna
solennellement, dans sa me session, le concile de 869-870. Tels sont Nil de Thes-
salonique, Responsum ad xlix Latin., Cod. Monacensis, 28, fol. 264 ; Siméon de
Thessalonique, Dialog. adv. hser., P. G., t. clv, col. 97; Macaire d'Ancyre, cité par
Léon Allatius, De synodo Photiana, p. 182; Nil de Rhodes, dansVoet et Justell,
t. ii, p. 1158-1160; Marc d'Éphèse, Confessio, c. xv, P. G., t. clx, col. 85; Georges
Scholarios, De additione ad symbolum, P. G., t. clx, col. 720. Quant au véritable
VIIIe concile, les seuls grecs qui le reconnurent au début furent les partisans
d' limace, parmi lesquels il faut citer Métrophanes de Smyrne. Mansi, op. cit.,
ONCILES — IV — 35
546 LIVRE XXIV
le synode tenu contre Photius ni les autres conciles généraux
célébrés plus tard en Occident. C'est ainsi qu'au xie siècle beau-
coup de latins, par exemple saint Gualbert, ne parlaient que
de quatre conciles généraux (c'est-à-dire des quatre premiers).
t. xvi, col. 420 ; Stylien de Néocésarée, ibid., col. 429 ; Nicetas David, ibid.,
col. 261, 265. Les canons de ce concile ne figurent dans aucune collection grec-
que, aucun économiste byzantin ne les a commentés, les actes eux-mêmes ne nous
sont parvenus qu'à l'état de résumé. Ces faits trouvent leur explication dans la
haine tenace que Photius voua au concile qui l'avait condamné. Il s'efforça d'en
l'aire disparaître toute trace, d'en détruire tous les exemplaires, comme le prouve
la déception du conciliabule de 879 ordonnant d'anéantir tous les écrits dirigés
contre lui. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 304, 505, 517; M. Jugie,dans le Dictionnaire
de théol. cathol, t. m, col. 1306-1307. (H. L.)
LIVRE VINGT-CINQUIÈME
RÉINTÉGRATION ET SECONDE DÉPOSITION
DE PHOTIUS i
496. Continuation du différend de l'Église grecque
et de l'Église bulgare jusqu à la mort d'Ignace, en 877 ou 818.
Après le VIIIe concile œcuménique, Ignace gouverna l'Eglise,
au rapport de Nicétas, d'une manière plus remarquable encore
1. A Byzance, les révolutions de palais dont nous venons de rencontrer deux
mémorables exemples — Irène et Nicéphore, Michel III et Basile — avaient
une répercussion nécessaire sur les affaires religieuses à raison de l'étroite liaison
qui existait entre la politique et la croyance. Ces brusques renversements de si-
tuation pouvaient compromettre les entreprises les plus habilement préparées;
en tous cas, ils demeuraient comme une menace perpétuellement suspendue sur
les combinaisons et les intrigues les plus patiemment ourdies. Photius n'avait
rien entrepris qu'assuré du concours de Bardas et en vue du caractère du pape
Nicolas Ier; et voici que le soutien et l'adversaire avaient disparu. A ce dernier
avait succédé Hadrien II: c'était la conciliation faite homme succédant à l'in-
transigeance incarnée. Nous avons dit dans le livre précédent le revirement qui
se produisit alors, les solutions bénignes données aux questions aiguës, la dé-
tente générale et l'évolution de la politique pontificale. Ces concessions prodi-
guées avec une indulgence qui peut ressembler à de la faiblesse et qui s'affiche
comme un blâme de l'inflexible rigueur du pape défunt ont surtout pour but,
sinon pour effet, de procurer l'apaisement en Occident afin de pouvoir à loisir
s'appliquer au conflit qui sépare Borne de Byzance. La réconciliation de ces
deux Églises et la célébration du VIIIe concile œcuménique furent la négocia-
tion la plus importance du patriarcat d'Hadrien II. La suite des événements
peut être ainsi marquée : Arrivée à Borne, peu de jours après l'élection dupape;
des ambassadeurs de Basile et d'Ignace, on se rappelle que les envoyés de Photius
avaient tous péri à l'exception d'un moine. Présentation et harangue des am-
bassadeurs qui exhibent l'exemplaire du conciliabule de Photius, arguent delà
fausseté des signatures. Le pape fait brûler l'exemplaire en question. Envoi des
légats Donat d'Ostie, Etienne de Nepi et du diacre Marin, à Constaiitinople. Bécep_
548
f.lVKE XXV
qu'auparavant ; il- s'illustra par sa libéralité, sa douceur et sa
piété, et s'acquitta des diverses fonctions de sa charge avec autant
de charité que de zèle. On lui attribua même plusieurs miracles;
ainsi la croix placée au-dessus de l'autel aurait souvent été
ébranlée lorsque Ignace élevait l'hostie, provoquant des cris de joie
dans l'assemblée étonnée 1. Malgré ses éminentes qualités, Ignace
ne parvint pas, à regagner à l'Église et à sa cause les évêques
du parti de Photius, qui s'obstinaient, avec une ténacité inouïe,
dans le parti vaincu, en sorte que pas un seul de tous les prélats
ordonnés par Photius ne se rangea du côté d'Ignace. Photius
représenta comme une sorte de miracle et une preuve de la jus-
tice de sa cause 2 cet attachement que beaucoup imputaient à
quelque sortilège. Quant à moi, je serais disposé à expliquer
cette obstination par l'excessive sévérité déployée à l'égard
des partisans de Photius 3. En ne reconnaissant pas leur or-
dination et en les déclarant inhabiles aux fonctions ecclésiasti-
ques, on leur avait fermé la voie du retour. L'Église n'avait pas [437J
fait preuve d'une semblable sévérité à toutes les époques ;
ainsi le Ier concile de Nicée s'était montré plus conciliant à l'égard
des mélétiens et des novatiens, dont les évêques et les clercs
continuaient à remplir les fonctions ecclésiastiques, en ren-
trant dans l'Église 4. D'après le droit canon en vigueur à notre
époque, les ordinations faites par Photius, et sa propre ordination
par Grégoire de Syracuse, devaient être tenues pour illicites,
mais non pour invalides, tandis que le VIIIe concile œcumé-
nique regarda comme de simples laïques ceux qui avaient été
ainsi ordonnés par Photius, et le pape Nicolas Ier prononça leur
tion solennelle des légats, sessions du VIIIe concile. Résistances à propos du
Libellus satisfactionis. Difficultés à l'occasion des Bulgares. Retour des légats.
Cf. A. Gasquet, Le pape Adrien II et l'empereur Basile, Le pape Jean VIII et
l'empereur Basile, dans Études byzantines. L'empire byzantin et la monarchie
franque, in-8, Paris, 1888, p. 387-407, 471-481. (H. L.)
1. Nicetas, Vita S. Ignatii, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 267 ; Hardouin,
op. cit., t. v, col. 990.
2. Photius, Epist., 1. I, n. xiv, JP. G., t. en, col. 741. Cf* Baronius, Annales,
ad ann. 871, n. 41.
3. Cette sévérité s'affirmera de nouveau dans la lettre d'Hadrien II à Basile,
datée du 10 novembre 871, dans laquelle le pape refusera tout pardon aux évê-
ques en faveur desquels Basile et Ignace avaient intercédé. Mansi, op. cit., t. xvi,
col. 206 ; Jafïé, Regest. pont, rom., t. i, p. 374. (H. L.)
4. Voir § 40.
496. DIFFÉREND DES ÉGLISES GRECQUE ET BULGARE 549
déposition formelle et irrévocable \ Les partisans de Photius
durent en être d'autant plus irrités qu'ils ne pouvaient ignorer
que le VIIe concile œcuménique avait interprété le 8e canon
de Nicée dans ce sens, que les clercs quittant une secte n'avaient
pas besoin d'une nouvelle ordination pour reprendre leurs fonc-
tions 2. La tentative d'Ignace pour faire adoucir, dans une cer-
taine mesure, cette sévérité à l'égard des partisans de Photius,
et gagner du moins les très nombreux lecteurs ordonnés par
l'intrus, en leur procurant de l'avancement, avait échoué contre
la résistance de Rome. La manière dont on s'était conduit à l'égard
de Paid de Césarée et de Théodore de Carie, avait dû également
effrayer les partisans de Photius et leur prouver l'inutilité de
toute démarche de réconciliation avec Ignace.
Celui-ci eut à subir bien d'autres ennuis, à raison de son atti-
tude vis-à-vis de la Bulgarie. Se conformant à la décision prise
après le récent concile œcuménique, Ignace déféra aux désirs
des Bulgares, et leur envoya sans délai un archevêque grec, qui
ordonna plusieurs évêques pour le pays. On lui adjoignit un
grand nombre de prêtres et de moines grecs et l'on expulsa de
Bulgarie tous les missionnaires latins. Nous avons vu le pape
Hadrien se plaindre, dans une lettre à l'empereur Basile, de cet
envoi d'un archevêque grec 3. Quant au renvoi des latins, Ignace
le justifia, dans une lettre au pape aujourd'hui perdue, sur ce
que Rome avait de son côté interdit toute fonction aux prêtres
[438] grecs qui s'étaient trouvés en Bulgarie. Le pape Hadrien lui
répondit avec logique, que « ces prêtres grecs ayant été ordon-
nés par Photius, et donc invalidement, on avait dû les traiter
en Bulgarie de la même façon que dans le reste de l'empire de
Byzance » (avec l'assentiment d'Ignace) 4.
L'expulsion de Bulgarie des prêtres latins fut d'autant plus
aisée que Grimoald, évoque de Bomarzo, leur chef, se laissa,
1. Sur cette question des ordinations faites par Photius, voir plus haut
p. 421 n. 2. (H. L.)
2. Hardouin, op. cit., t. iv, col. 51 et § 349.
3. Voir § 493.
4. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 413 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1110. Dans
la traduction latine de ce fragment, Rader, après ces mots : ut nostri pres-
byteri, a placé à tort les mots : Constantinopolitani scilicet. Le pape parle de
prêtres latins. Hardouin avait rayé cette interpolation, mais Mansi l'a repro-
duite.
550
LIVRE XXV
paraît-il, gagner, et sans attendre ni les ordres du pape, ni
l'emploi de la force, s'en alla avec son monde. On l'accusa
de trahison, et les grandes sommes d'argent qu'il emporta
semblèrent justifier ces soupçons 1. Dans la lettre que Grimo-
ald eut à remettre au pape de la part du prince des Bulgares,
on ne mentionnait pas l'expulsion des latins, mais on citait la
prétendue décision du VIIIe concile œcuménique pour démon-
trer que la Bulgarie devait relever du patriarche de Constanti-
nople.
On ne sait si le pape Hadrien s'esl occupé encore de cette affaire
de la Bulgarie, mais nous verrons plus tard les démarches faites,
à ce sujet, par Jean VIII, son successeur depuis le 14 décembre
872 2.
Photius ne s'étant pas soumis à la décision du VIIIe concile
œcuménique, fut exilé par l'empereur [dans un couvent du Bos-
phore, à Sképi], et traité en prisonnier d'Etat 3. Mais l'histoire
l.VitaHadriani II, dans P. L., t. cxxvn, col. 1395; édit. Duchesne, t. n,
p. 185 : Ditissimus remeavit. « Ce que tout le monde put dire, parce que le rap-
prochement sautait aux yeux, c'est que le Saint-Siège perdait la Bulgarie par la
faute des deux hommes qui représentaient avec plus d'éclat, l'un à Rome l'autre
à Byzance, l'hostilité contre Photius, par Formose et par Ignace ; Ignace surtout,
que la papauté avait si rigoureusement soutenu contre son redoutable rival,
pour lequel elle avait pour ainsi dire soulevé la chrétienté tout entière. » Lapôtre,
Le pape Jean VIII, p. 59. (H. L.)
2. P. Balnn, Il pontifîcato di Giovanni VIII, dans Gli studi in Italia, 1880,
t. m, part. 1, p. 146-167, 365-376, 494-507, 898-906; part. 2, p. 261-269, 340-
352 ; in-8, Rome, 1880 ; P. Ewald, dans Neues Archiv der Gesellschaft fiir altère
deutsche Geschichtskunde, 1880, t. v, p. 295-326; A. Gasquet, Jean VIII et la
fin de l'empire carolingien, in-8, Clermont-Ferrand, 1886; réimprimé dans L'em-
pire byzantin et la monarchie franque, in-8, Paris, 1888, p. 432-482; A. Lapôtre,
Études d'histoire pontificale : le pape Jean VIII (872-882), dans les Études relig.,
1891-1895, t. liii-lxv; réimprimé dans L'Europe et le Saint-Siège à l'époque
carolingienne. I. Le pape Jean VIII (872-882), in-8, Paris, 1895 ; A. Zaccaria,
De palrimoniis sanclce Romanœ Ecclesise ad Johannem VIII, dans Dissertai,
lat. hisl. antiq. eccl., 1781, t. n, p. 68-108. (H. L.)
3. Stylianos, Epist. ad Stephanum papam, dans Mansi, Conc. ampliss. coll.,
t. xvi, col. 431 ; Hardouin, Coll. conc, t. v, col. 1125. La mention du couvent
de Sképi est faite par M. A. Vogt, Basile IeT, empereur de Byzance (867-886), et
la Civilisation byzantine à la fin du IXe siècle, in-8, Paris, 1908, p. 232. Hefele
disait «à Stenon » et expliquait en note que«par ttsvov (détroit), on a d'abord
entendu le Bosphore, puis les rivages qui l'avoisinaient des deux côtés, et surtout
le rivage du côté de l'Europe, où se trouvaient plusieurs couvents. Cf. Du Cange,
Constanlinopolis chrisliana, 1. IV, p. 116. (H. L.)
496. DIFFÉREND DES ÉGLISES GRECQUE ET BULGARE 551
de Constantinople lui présentait tant d'exemples de retours
de fortune inouïs pour les gens d'Église comme pour les hommes
d'État, qu'il ne désespéra pas de l'avenir et chercha à le prépa-
rer par d'éloquentes lettres. Je ne connais personne qui mieux
que Photius dans sa lettre ex Ponto ail su se poser en victime,
exciter la compassion, loucher les cœurs, électriser ses partisans
cl noircir ses adversaires, 11 se compare tour à tour au Christ, à
saint Etienne et aux martyrs ; ses adversaires sont au contraire
[439] Caïphe, Anne. Pilate ; il appelle les vicaires orientaux des esclaves
des Ismaélites (des Sarrasins), et trouve naturel qu'une assemblée
telle que le VIIIe concile œcuménique ait choisi pour la présider
les députés de ces ennemis mortels du christianisme 1. Il écrivit
en particulier à plusieurs de ses amis et de ses adversaires, pour
consoler et exhorter ses lidèles 2, raffermir les hésitants, alarmer
les transfuges 3, menacer les ennemis 4 du jugement de Dieu. Il
s'adressa aussi à des grands, à des courtisans, prenant, pour les
attendrir par la description de ses souffrances, les tons les plus di-
vers. Tantôt il se compare à un prophète de l' AncienTestament prê-
chant la pénitence, tantôt il se donne pour un modèle de douceur,
tantôt c'est un père plein de sollicitude pour ses enfants, tantôt
un frère passionné pour ses autres frères ; tour à tour sérieux,
ému, inquiet, aimable, éloquent, enjoué même, par exemple
dans ce début de lettre à Zacharie de Chalcédoine :« Je m'oublie-
rais moi-même, si je ne me souvenais plus de mon cher Zacharie 5. »
La lettre de Photius à ses partisans, après qu'on eut répandu le
bruit qu'il abandonnait ses amis et se disposait à faire soumis-
sion, est particulièrement éloquente. « Il ne nommera pas le
malheureux qui a ainsi prétendu lire dans son âme pour l'accuser
de folie. Les souffrances de son exil sont, à coup sûr, terribles :
1. Baronius, Annales, ad ann. 870, n. 53 sq. ; Photius, Epist., 1. III, n. lxvi,
lxvii, lxxxiii, lxxxiv, jP. G., t. en, col. 877, 833, 884. Si les vicaires orientaux
présents au VIIIe concile œcuménique peuvent être appelés « les députés des Sar-
rasins », parce que les Sarrasins, leur avaient en effet confié une mission (pour les
prisonniers de guerre), cette dénomination doit s'appliquer aux députés orien-
taux qui assistèrent au conciliabule réuni par Photius en 879. Cf. infra, § 498,
la ive session de ce conciliabule réuni par Photius.
2. Photius, Epist., 1. I, n. xv, P. G., t. eu, col. 764.
3. Photius, Epist., 1. II, n. xxvi, P. G., t. eu, col. 840.
4. Photius, Epist., 1. III, n. xlv, lx, P. G., t. eu, col. 956, 968.
5. Photius, Epist., 1. II, n. xiv, P. G., t. en, col. 829.
552
LIVRE XXV
captivité, isolement, privation de ses livres, etc. ; mais l'accu-
sation d'un de ses amis les plus anciens lui est plus douloureuse que
toutes les épreuves physiques. Du reste, rattachement à sa cause
de tous les évêques ordonnés par lui prouverait à lui seul la jus-
tice de cette cause 1. » Mais le modèle du genre me semble être
cette lettre à Basile : « ... Écoute-moi, sire, je ne te rappellerai
l>as notre ancienne amitié et les serments sacrés ; je ne te rappelle-
rai pas que je t'ai sacré empereur et donné de ma main les saints
mystères, et qu'il y a entre nous un lien indissoluble, établi
lorsque j'ai adopté ton illustre fils 2. Je ne dirai rien de tout cela, t-4401
je ne veux revendiquer que les droits qui appartiennent à tout
homme. Les Barbares et les Grecs tuent ceux qui leur parais-
sent avoir mérité la mort, mais s'ils laissent la vie à quelqu'un
ils ne cherchent pas ensuite à la lui disputer par la faim et mille
autres souffrances. Ma vie est pire que la mort. Je suis prisonnier,
séparé de tous mes parents, de mes amis et de mes serviteurs,
et privé de toute consolation humaine. L'apôtre Paul jeté dans
les fers et conduit à la mort était plus heureux que moi : ses amis
et ses disciples pouvaient l'approcher et le secourir. Les païens,
les ennemis du Christ, ne lui avaient pas refusé ces adoucisse-
ments, tandis que depuis longtemps déjà je suis en butte à
des souffrances qu'on rougirait d'infliger, je ne dis pas seulement
à un évêque, mais même à un grand criminel. Par un raffinement
de cruauté inouïe et jusqu'ici inconnu, on est allé jusqu'à me pren-
dre mes livres. Et dans quel but ? Afin que je ne puisse plus lire
la parole de Dieu. Que de pareils attentats ne se commettent jamais
dans ton empire !... Les empereurs hérétiques n'ont jamais traité
ainsi les orthodoxes, et les empereurs orthodoxes n'ont jamais
traité ainsi les hérétiques. Non, Athanase, Eustathe, Chry-
sostome, etc., n'ont pas été maltraités de cette façon, pas
plus que Nestorius, Dioscore, Sévère, etc. Léon 3, cet impie qui
tenait plus de la bête que de l'homme et dont se souviennent
1. Baronius, Annales, ad ami. 871, n. 27 sq. ; Photius, Epist., 1. I, n. xiv, P. G.,
t. en, col. 741.
2. Photius avait été parrain do l'un des fds de l'empereur. Cf. Pagi, Critica,
ad ami. 870, n. 25.
3. L'Arménien et non pas l'Isaurien, comme le suppose Jager, p. 255. Léon
l'Isaurien était mort depuis déjà cent trente mis, lorsque Léon l'Arménien
chassa le patriarche Nicéphore. Voir § i!5.
496. DIFFÉREND DES ÉGLISES GRECQUE ET BULGARE 553
beaucoup de gens encore en vie, n'a pas traité aussi cruellement
le patriarche Nicéphore;en l'exilant, il ne lui a pas fait enlever
ses livres, il ne l'a pas fait mourir de faim, tandis qu'à mon égard
on n'a gardé aucune mesure. Les malfaiteurs ne sont châtiés
que dans leur corps, moi je suis également maltraité dans mon
corps et dans mon âme... Si ta conscience te le permet, ajoute donc
de nouvelles souffrances à celles-ci ; si elle te l'interdit, ne t'en-
durcis pas jusqu'à l'heure où tu te trouveras devant le tribunal
en face duquel il n'est plus temps de faire pénitence. Pareille
prière à la mienne est chose inouïe, mais j'y suis amené par tout
ce qu'il me faut endurer. Et maintenant. Sire, mets fin à tous ces
maux, ("est ton désir, je le sais : ou tue-moi sans plus de souffrances
ou adoucis ma situation intolérable. Réfléchis que rois et sujets
ont même chair, même nature, même maître, même Créateur,
et qu'ils auront même juge. Pourquoi ne pas vouloir que je parti-
cipe à ta bienveillance et à ta bonté, connues de tous ? Je
ne demande pas les dignités, la gloire, le bonheur et le plaisir, je ne
[441] demande que le droit commun des prisonniers et des malfaiteurs.
Et qu'est-ce que je demande, après tout ? La mort, ou une vie
qui ne soit pas plus intolérable que la mort. Ne permets pas,
sire, qu'on puisse dire plus tard d'un empereur : il s'est distingué
par sa douceur et par sa bienveillance, cependant il a fait mourir
en exil, dans le supplice de la faim et de tortures sans nombre,
un évêque jadis son ami, le parrain de son fils, le consécrateur
de sa femme et de lui-même, auquel il avait juré, sous les serments
les plus sacrés, une amitié éternelle ; or F évêque, sur le point de
mourir, priait encore pour son empereur *. »
Photius écrivit à la même époque à Baanès, cet officier du palais
très influent «pie nous avons vu remplir la fonction de commissaire
impérial au \ IIIe concile œcuménique. Il se plaint encore des
épouvantables traitements qu'on lui fait subir et qui dépassent
tout ce que l'on raconte des barbares et des païens. « Malade
depuis trente jours, il réclame en vain un médecin. Baanès est le
véritable auteur de ces rigueurs; il invente des tortures jusque-
là inconnues, et veut que son nom reste acquis à l'histoire comme
plus odieux que celui d'un barbare «m d'une bête féroce 2. »
1. Baronius, Annales, ad ann. 871. n. 18; Photius. F.pisf.. 1. I, n. xvi, P. C.
t. en, col. 765 ; Hergenrôther, Photius, t. n, p. 187 sq.
2. Photius, Epist., 1. III. n. xxxvin, P. G., t. eu, col. 052.
554 LIVRE XXV
Plus tard Photius écrivit à Baanès une seconde lettre d'un ton
très différent *. Il le compare cette fois à Joseph d'Arimathie,
l'engage à faire enfin acte de courage, à se présenter hardiment
comme l'avait fait Joseph d'Arimathie pour détacher de la croix
le corps du Christ, et à le délivrer pareillement des mille tor-
tures et des souffrances sans nombre qui l'assaillent et lui sont une
mort perpétuelle. » Quelque temps auparavant, Baanès avait fait
assurer Photius qu'il travaillait secrètement pour lui, mais qu'il
n'osait encore le faire ouvertement.
Photius écrivit à l'empereur une seconde lettre, probablement
pour le remercier des adoucissements apportés à sa situation ;
c'est du moins le sens qui me paraît résulter de cette
lettre assez difficile à déchiffrer. Photius avait cru que, du-
rant tout son règne, l'empereur lui accorderait de nouveaux
bienfaits. Son amour pour l'empereur et les nombreux ser-
ments de celui-ci autorisaient un pareil espoir. Espoir bien
vain, puisqu'il n'a encore à remercier l'empereur que d'une
seule chose, tardivement accordée, un adoucissement aux mau-
vais traitements qu'il avait jusque-là subis de la part des [442]
scélérats 2. Photius s'adresse ensuite à l'empereur comme ami,
quoique celui-ci n'entende peut-être pas ses paroles avec plai-
sir, enfin il lui rappelle que les causes défendables devant un
tribunal humain, ne sont cependant pas toujours justes devant
Dieu, et que Dieu châtie quelquefois ce qui sur la terrre avait
semblé permis 3.
La correspondance de Photius avec le bibliothécaire romain
Anastase, correspondance dont nous possédons un fragment,
prouve que Photius chercha également à se faire des alliés à Rome 4.
1. Photius, Epist., xci, 1. III, n. xxxn, P. G., t. en, col. 949.
2. Jager, op. cit., p. 259, pense que cette lettre ne renferme que les féli-
citations de Photius à l'empereur pour sa victoire sur les Sarrasins, lesquels
sont ces scélérats qui auraient opprimé Photius. Interprétation insou-
tenable !
3. Baronius, Annales, ad ann. 871, n. 23 ; Photius, Epist., 1. I, n. xvn,
P. G., t. en, col. 772.
4. Baronius, Annales, ad ann. 878, n . 9 ; Photius, Epist., 1. II, n. lxvi, P. G.,
t. eu, col. 877. [Cette intervention subite d'Anastase, écrit M. A. Vogt, op. cit.,
p. 233, note 1, est assez curieuse, après sa conduite à l'égard de Photius. Voici
en réalité ce qui dut probablement se passer. On sait que Photius avait noué de
bonne heure des relations assez intimes avec Louis IL II chercha même àl'asso-
496. DIFFÉREND DES ÉGLISES GRECQUE ET BULGARE 555
Photius et Anastase s'étaient connus à Constantinople, lorsque
ce dernier y était venu en qualité d'ambassadeur de l'empereur
d'Occident Louis II, et, savants distingués, s'étaient trouvés en
rapports assez intimes. Après plusieurs appels de Photius, Anas-
iase imagina pour secourir son ami vin plan, que Photius approuva
dans ce fragmenl de lettre en question. Il ajoutait: « on a déjà
perdu beaucoup de temps, malgré le proverbe disant que l'occa-
sion n'a de cheveux que sur le devant de la tête, tandis que par
derrière elle est chauve, c'est pourquoi il faut la saisir lorsqu'elle
vient, et non lorsqu'elle s'en va. Il est bon, du reste, qu' Anastase
soit enfin devenu miséricordieux, quoiqu'il le soit devenu un
peu tard 1. » Quant au plan d 'Anastase, nous ne le connais-
sons pas ; peut-être consistait-il à irriter le pape contre Ignace
à l'occasion des Bulgares, car nous voyons à cette époque le
(tape engager par deux fois Ignace à cesser ses empiétements du
côté de la Bulgarie, et comme Ignace n'obéissait pas, le pape
Jean VIII alla, dans une troisième lettre écrite en 878, jusqu'à le
menacer de la suspense et de la déposition 2.
Les pitoyables détails donnés par Photius sur son exil ne s'ac-
cordent pas avec le récit de l'empereur Constantin Porphyrogénète
dans la biographie de son aïeul Basile le Macédonien. « On n'avait
rien négligé pour rendre plus supportable le sort de Photius ;
[443] l'empereur lui avait assigné un palais pour demeure et l'avait fait
précepteur de ses enfants 3. » On s'explique cette diversité si on
tient compte des temps. La description lamentable de Photius
est évidemment exagérée, elle a trait d'ailleurs à la première
période de son exil, mais sa situation s'adoucit bientôt, bien au
delà de ce que Photius veut bien reconnaître dans sa seconde
lettre à l'empereur. On ne tarda pas, en effet, à rappeler Pho-
tius qui revint à Constantinople, et put de nouveau visiter
cier à sa campagne contre Nicolas Ier. Or, Anastase était, lui aussi, en excel-
lents termes avec l'empereur franc et ne manquait aucune occasion de lui être
agréable. Il est probable que c'est à l'instigation de Louis II, ou du moins
pour lui faire plaisir, qu'Anastase essaya de s'entremettre en faveur de Photius.
(H. L.) '
1. Hergenrôther, Photius, p. 228-241.
2. Voir § 496.
3. Constantin VII Porphyrogénète, Historia de vita et rébus gestis Basilii
inclyti imper atoris, c. xliv, dans P. G., t. cix, et dans Historiée Byzant. script-
ores pust Theophanem, Venetiis, 1729, t. vin, p. 127.
55(J LIVRE XXV
l'empereur. Il demeura dès lors au palais Magnaura, ce qui
montre assez le changement d'attitude à son égard 1. Quant et
comment s'était opéré ce changement, nous l'ignorons. Les con-
temporains eux-mêmes le trouvèrent si surprenant qu'ils lui cher-
chèrent toutes sortes d'explications. D'après Nicétas, Photius
aurait gagné l'empereur par un procédé qui réussit très souvent
auprès d'un parvenu. Il aurait imaginé un arbre généalogique
qui faisait descendre Basile le Macédonien de Tiridate (l'Arsacide),
premier roi chrétien d'Arménie. Avec sa ruse habituelle, il ne
se donna pas comme l'auteur de cette généalogie, il préféra la
représenter comme un très ancien document et une prophétie
mystérieuse et énigmatique sur la maison des Arsacides. Il com-
bina ce qu'il savait sur les ancêtres de l'empereur avec différents
faits relatifs à cette ancienne maison royale, évitant de donner aux
ancêtres de l'empereur et à lui-même leurs vrais noms, préférant
les désigner, en style de prophétie, sous des appellations symbo-
liques et allégoriques. On y lisait, par exemple, à propos du père
de Basile qu'il aurait un fils du nom de Béclas, qui à travers tels
et tels événements deviendrait un prince grand et illustre. Or,
Béclas était un anagramme formé parles initiales des noms de
chacun des membres de la famille impériale : Basile, Eudoxie,
Constantin, Léon, Alexandre et Stéphanos. Afin de donner
une patine bien antique à son invention, Photius l'écrivit en
caractères alexandrins sur des vieux papiers qu'il introduisit
sous la reliure d'un antique manuscrit, et fit déposer le tout dans
la bibliothèque impériale, par les soins de Théophanes, chapelain
de la cour. L'empereur étant venu visiter sa bibliothèque, [444J
Théophanes attira son attention sur le document mystérieux,
se déclarant incapable de l'expliquer, tandis que Photius, sans
aucun doute avec sa science si vaste, en viendrait à bout. L'em-
pereur, intrigué, fit venir Photius, et fut si ravi de ses expli-
cations qu'il le garda désormais auprès de lui 2. Quant à Théo-
1. Nicétas, Vila Ignatii, P. G., t. cv, col. 565, Hardouin, op. cit., t. v, col. 1003;
Mansi, op. cit., t. xvi, col. 283 ; Stylianos, Epist. ad Stephanum, dans Hardouin,
op. cit.,t.v, col. 1125; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 432 ; Sym. Magister, Annales*
dans P. G., t. cix, col. 752 ; A. Vogt, Basile ier, p. 233. (H. L.)
2. Basile envoya de suite l'ouvrage mystérieux à l'ancien patriarche qui dé-
clara la prophétie personnelle à l'empereur el ne pouvant être développée qu'en
sa présence. C'était un truc (on ne trouve guère d'autre mot pour qualifier pa-
496. 'différend des églises grecque et bulgare 557
phanes, on récompensa ses services en le faisanl nommer
plus tard par Photius archevêque de Césarée en Cappadoce 1.
L'explication fournie par Stylianos, évêque de Néocésarée,
est encore plus hasardée : d'après lui, sur le conseil de son ami,
le faux abbé Théodore Santabaren, Photius gagna un serviteur
de l'empereur appelé Nicétas Klaiusa, pour qu'il mêlât aux mets
destinés à l'empereur un philtre préparé par Santabaren; ce philtre
réveilla les sentiments d'amitié de l'empereur pour Photius 2.
Il n'est guère possible d'expliquer l'origine de cette dernière
légende, mais en comparant deux lettres de Photius 3, on trouve
l'explication du récit de Nicétas. Parmi les clercs de Constanti-
nople qui, sur l'ordre de l'empereur, se séparèrent de Photius,
se trouvait le diacre et protonotaire Théophanes, employé à la
bibliothèque impériale. Quoique foncièrement dévoué à Photius,
Théophanes accommoda sa conduite aux circonstances et s'abstint
de tout rapport avec le patriarche intrus, jusqu'à ce que plus tard,
ainsi que le prouve une lettre de Photius 4, il s'adressa à l'exilé
pour avoir des explications sur deux passages de l'Ancien Testa-
ment 5. Dans sa réponse Photius s'étonne de ce que Théophanes,
après un si long silence et un si cruel oubli, vienne questionner
un homme à demi mort comme on s'adresse à des gens heureux.
Peut-être veut-il entendre une voix sortir du tombeau, ou bien
cette question n'est-elle qu'un piège... Il répond toutefois, mais
brièvement, à la difficulté et termine en engageant Théopha-
nes à ne pas servir plus longtemps l'enfer. D'après la suscription
de cette lettre, Théophanes aurait questionné Photius au nom
de l'empereur, et il est bien probable, en effet, que la science re-
connue de Photius fournit le prétexte à la reprise des relations.
[445] Dès ce moment, l'union de Théophanes et de Photius devient de
plus en plus intime et celui-ci assure Théophanes d'un complet
reille habileté), et il réussit; Photius vint au palais et lut son travail à l'empereur
qui lui confia l'éducation de ses enfants. (H. L.)
1. Nicétas, Vita Ignatii, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 1003 ; Mansi, op. cit.,
t. xvi, col. 283. Hergenrôther, Photius, t. n, p. 258 sq., admet le récit de Nicé-
tas comme digne de foi.
2. Stylianos, Epist. ad Stephanum, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 1126;
Mansi, op. cit., t. xvi, col. 431; Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 263.
3. Photius, Epist., 1. II, n. lv, P. G., t. en, col. 869, q. cxv, P. G., t. ci, col. 684.
4. Photius, q. cxv, P. G., t. ci, col. 684.
5. Par exemple III Reg., iv, 31.
558 LTVRE XXV
pardon car il juge que son ami n'a cédé qu'à la violence , affec-
tant un éloignement qui n'était pas dans son cœur 1. D'où il
résulte que les relations de l'empereur avec Photius ont été
renouées a) par l'intermédiaire de Théophanes, b) à la suite d'une
explication fournie par Photius sur un texte obscur. Ce sont
précisément là les deux points qui composent le fond de la narra-
tion de Nicétas. Tout le resLe nous paraît n'être que légende
composée sur une donnée véridique par des ennemis de Photius 2.
Quant au changement survenu dans l'attitude de l'empe-
reur envers Photius, voici notre explication. Après le juge-
ment du VIIIe concile œcuménique, et l'exil de Photius, l'empe-
reur s'attendait à la disparition rapide du parti du faux patriar-
che et à la pacification religieuse dont l'empire avait si grand
besoin. Voyant ses prévisions déçues, convaincu de l'inébranlable
obstination des partisans de Photius, de leur attachement à leur
maître, de leur union indissoluble et du zèle incessant et opiniâtre
qu'ils déployaient pour leur cause, constatant que leur nom-
bre ne diminuait pas, il comprit que, dans l'intérêt de l'Etat,
il ne devait plus user d'une rigueur qui n'avait donné jusque-là
aucun résultat favorable, mais, au contraire, de douceur et de
condescendance. Il dut craindre que le parti ne fût poussé à de
fâcheuses extrémités, si on continuait à lui tenir rigueur ; aussi
songea-t-il à réconcilier entre eux les partisans de Photius et
ceux d'Ignace. Il s'appliqua à représenter leurs anciens dissenti-
ments comme des griefs purement personnels qu'il fallait oublier
et nous verrons, en effet, qu'après la réintégration de Photius
on abrogea et annula tout ce que les deux partis avaient fait et
décrété l'un contre l'autre. Photius et Ignace devaient tous les
deux être également honorés. La conduite postérieure de l'em-
pereur prouve qu'il agit aussi sous l'impulsion de raisons ecclé-
siastiques et canoniques ; il avait certainement dès lors conçu le
projet de faire succéder Photius à Ignace, âgé de quatre-vingts [446]
ans, sur le trône patriarcal de Constantinople; c'était là, à ses
yeux, le meilleur moyen de réconcilier les deux partis.
Quant au retour de Photius et à son séjour à Constantinople
jusqu'à la mort d'Ignace, nous ne savons rien, sinon ce qu'il en
1. Photius, Episl., 1. II, n. lv, P. G., t. en, col. 869.
2. Sur ce récit de Nicétas cf. A. Vogt, Basile Ier, p. 234, qui place le retour de
Photius à Constantinople en 875 ou 876. (H. L.)
496. DIFFÉREND DES ÉGLISES GRECQUE ET BULGARE 559
dit dans la deuxième session de son conciliabule tenu en 879 :
«Contre toute attente et sans qu'un seul de mes amis* ait in-
tercédé auprès de l'empereur, celui-ci me rappela avec bienveil-
lance de l'exil dans la capitale, parce que Dieu avait tourné son
cœur vers la miséricorde, non pas tant à mon égard qu'à l'é-
gard de la sainte Eglise du Christ. Tant qu'Ignace a vécu, je n'ai
fait aucune démarche pour m'emparer du siège de Constantino-
ple, quoique plusieurs m'y engageassent el voulussent m'y forcer,
el quoique, ce qui était beaucoup plus important, la situation de
mes amis toujours dépossédés de leurs sièges semblât me faire
un devoir de suivre les conseils qu'on me donnait. Je vécus,
au contraire, en bon accord avec Ignace, et il manifesta lui-
même notre entente, lorsqu'il me visita dans le palais impérial.
Dans cette rencontre, nous tombâmes aux pieds l'un de l'autre
et nous pardonnâmes mutuellement les torts que nous pouvions
avoir l'un vis-à-vis de l'autre. Ignace, étant tombé malade, mani-
festa le désir de recevoir ma visite; je me rendis plusieurs fois à
sa demande, cherchant à le soulager par tous moyens (Photius
était aussi médecin). Enfin, au moment de mourir, Ignace me
recommanda ses familiers et ses serviteurs, et j'ai tenu scrupuleu-
sement compte de ses recommandations 1. »
Nicétas et Stylianos parlent dans un sens tout différent. Ils
racontent qu'après la mort d'Ignace, Photius marqua la plus
grande cruauté contre tous les partisans, et en particulier contre
les familiers et les serviteurs de l'ancien patriarche ; d'après eux,
il se serait efforcé, dès son retour dans la capitale, d'obtenir la
reconnaissance de sa dignité épiscopale (sans siège spécial) et l'en-
trée dans sa communion avec lui. Une première tentative dans
ce sens faite auprès d'Ignace, par l'intermédiaire de Théodore
Santabaren, n'aboutit pas, mais en revanche Photius fut plus
heureux auprès des autres, et acquit bientôt une telle influence
qu'il sembla gouverner l'Eglise patriarcale, au point de se per-
mettre de faire des ordinations et de conférer des emplois. Un
jour que ses adversaires étaient réunis en nombre dans l'église
de Sainte-Sophie pour célébrer un service divin, il parut subite-
ment dans l'église avec une escorte armée, pour assister à la céré-
monie, c'est-à-dire pour forcer ses adversaires à entrer en commu-
nion ecclésiastique avec lui. La plupart de ceux-ci voulurent
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 422 ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1, col. 255,
560 LIVRE XXV
interrompre le service commencé et s'éloigner, mais Photius
les retint, et sauf Stylianos et quelques autres qui parvinrent
à s'échapper, tous consentirent à continuer le service divin
et à faire acte de communion ecclésiastique avec l'intrus. Enfin
Stylianos prétend que Photius voulut attenter à la vie d'I- [447]
gnace l.
En supposant exagérés les renseignements fournis par les ad-
versaires de Photius, ils nous autorisent cependant à mettre
en doute les données par trop idylliques que Photius nous fournit
sur sa propre conduite ; on peut affirmer sans crainte de rien ou-
trer qu'après son retour à Constantinople, Photius voulut exercer
les fonctions épiscopales et causa à Ignace bien des désagréments.
On voit que, tout en acceptant son affirmation de n'avoir jamais
cherché à déposer Ignace, nous pensons néanmoins qu'il a su
arracher, aux mains débiles de ce vieillard déjà si âgé et si près
de la mort, le pouvoir qui allait bientôt lui échapper tout à
fait.
Si l'empereur avait agi en vue d'une réconciliation entre Ignace
et Photius, il vit sans peine qu'il n'arriverait à rétablir com-
plètement la paix de l'Église et à calmer les nombreux parti-
sans de Photius, qu'après avoir rendu leurs charges à ceux
qui en avaient été dépossédés. Afin d'en venir là, il écrivit deux
fois à Rome, demandant l'envoi de légats pontificaux qu'il dési-
gnait ; on devine que son choix tombait sur ceux qui lui parais-
saient les plus aptes à entrer dans ses vues. Malheureusement,
nous ne possédons plus ses deux lettres au pape à ce sujet ;
nous savons seulement qu'en avril 878, Jean VIII envoya en
effet deux légats à Constantinople, les évêques Paul d'Ancône
et Eugène d'Ostie, à qui il confia sept lettres, toutes datées du
16 avril 878 2. Les trois premières sont adressées aux Bulgares,
1. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 283 sq., 431 sq.; Hardouin, op. cit., t. v, col.
1003 sq., 1123 sq. [Sur cette lettre de Stylianos qui est, en général, très exacte
et' résume les faits dans leur ordre chronologique, tels que nous les connais-
sons par ailleurs et sans les exagérer, A. Vogt, op. cit., p. 235, n. 4. (H. L.)]
2. Les lettres dont les légats étaient porteurs étaient datées du 26 février et
du 26 avril 878. Jafïé-Ewald, n. 3118, 3135. Jafîé maintient la double lecture
de IV halendas martii pour l'une et d'avril pour l'autre. Cette dernière a pour
simple date indictione XI et fait partie des lettres datées du 16 avril 678. Il est
probable qu'elle était écrite quand arriva la lettre de Basile aujourd'hui perdue.
Elle répondait vraisemblablement à l'une des deux lettres de l'empereur. Ton-
496. DIFFEREND DES EGLISES (ÎRECQUE ET BULGARE 5bl
c'est-à-dire à leur roi Michel, à son ministre Pierre dont nous
avons déjà parlé, et au frère du roi de Bulgarie 1. Le pape les
engage à revenir à l'Église romaine, qui seule peut leur donner
toute garantie contre les hérésies. «L'Église de Rome n'a ja-
mais été souillée de l'erreur, tandis que de nombreux évêques
de Constantinople ont été hérétiques ; en s'unissant à l'Eglise
[448] de Constantinople, les Bulgares courent le danger de tomber
lui ou tard dans l'hérésie2. » Une quatrième lettre adressée aux
ecclésiastiques grecs alors en Bulgarie leur notifie l'excommunica-
tion que suivra la déposition formelle, s'ils ne quittent pas le pays
dans un délai de trente jours. Ceux qui obéiront à ces ordres
pourront recouvrer dans l'Église grecque l'évèché qu'ils y
possédaient auparavant et s'ils n'en avaient pas, on leur en
donnera un 3. La cinquième lettre adressée à l'empereur Basile
répond aux siennes, aujourd'hui perdues. Le pape déplore que
l'Église de Constantinople soit déjà privée de cette paix que le
Siège apostolique eut tant de peine à établir (il y avait donc eu
des rixes entre les partisans d'Ignace et de Photius, et tout ne
se passait pas d'une manière aussi sereine et aussi idyllique que
l'assure Photius). Plusieurs moines avaient été chassés et fort
maltraités; on avait infligé à certains évèques toutes sortes de
désagréments. Le pape ne peut envoyer comme légats les per-
sonnes désignées par l'empereur, ces personnes ayant déjà reçu
d'autres destinations; il envoie donc en leur place deux hom-
mes dignes et intelligents, les évêques Paul et Eugène, auxquels
il a commandé de visiter le roi des Bulgares. Le pape demande
enfin à l'empereur de fournir une escorte à ses légats à l'aller
et au retour 4.
tes deux partirent en même temps; car par l'une le pape répond au sujet de la
Bulgarie, par l'autre au sujet des troubles de l'Eglise byzantine. (H. L.)
1. On touebait à l'épilogue de l'imbroglio bulgare, aucpicl nous allons revenir
dans peu d'instants. (H. L.)
2. Jean VIII, Epist. ad Michaelem Bulg.regcm ail Pelrum, etc. P. L., t. cxxi,
col. 758 sq. ; Mansi, <>p. cit., L xvn, col. 66 ; Hardouin, op.cil., t. vi, part. 1, col.
19. [Jafïé,dans Neùes Archw, t. v, p. 308 ; Jafïé-Ewald, n. 2962. (IT. L.)]
3. Peut-être dans cette lettre maintenant perdue, l'empereur avait-il accepté
au sujet de la Bulgarie ces stipulations qu'énonce maintenant le pape, lui
donnant ainsi des satisfactions partielles, afin de pouvoir mieux le gagner pour
le motif principal de ses négociations.
4. Jean VIII, Epist. ad. Basil, imp., dans P. L.. t. cxxvi, col. 765; Mansi,
CONCILES — I V — 36
562 LIVRE XXV
Dans la sixième lettre également destinée à l'empereur, le
pape exprime l'espoir que Basile n'abandonnera pas l'Eglise ro-
maine clans la détresse et le besoin de l'heure présente 1. Les légats
lui diront de vive voix la grande calamité qui a dernièrement
frappé cette Église 2. Enfin la dernière lettre est adressée au
patriarche Ignace 3, lui rappelant le double avertissement déjà
donné de ne pas étendre, au mépris des canons, les droits du siège
de Constantinople, qu'il n'avait recouvré que grâce à l'autorité
de Rome. « Chacun sait que le pays des Bulgares fait partie du
patriarcat de Rome. Ignace l'a oublié ainsi que tous les bien-
faits du Siège apostolique, envers lequel il s'étail montré
ingrat et dont il avait usurpé le territoire. Après ces deux
exhortations sans effet, le pape aurait dû rompre avec Ignace ;
mais, il veut user de condescendance, et l'avertit une troi- [449]
sième fois. Ignace devra envoyer en Bulgarie des mandataires qui
ramèneront tous les clercs grecs installés dans ce pays. Faute
de se conformer à cet ordre dans le délai de trente jours, Ignace
sera exclu de la communion eucharistique jusqu'à ce qu'il
consente à obéir. S'il s'obstinait, il serait dégradé du pa-
triarcat, qu'il ne possédait que grâce à la bienveillance de
Rome 4. »
Ignace était mort, lorsque les légats du pape arrivèrent à Cons-
tantinople avec cette lettre comminatoire 5 ; aussi Baronius 6
et d'autres historiens sont-ils dans l'erreur, lorsqu'ils soutiennent
que Photius n'avait repris courage et recommencé ses intrigues
contre Ignace qu'à la suite de cette lettre de Jean VIII. Nicétas
dit formellement qu'Ignace est mort le 23 octobre, et on admet
généralement qu'il s'agit de l'année 878, tandis que Pagi 7 et Her-
op. cit., t. xvn, col. 69; Hardouin, op. cit,t.vi, part. 1, col. 23 ; Hergenrôther,
op. cit., p. 298 sq. ; Neues Archw, t. v, p. 309.
1. Il s'agissait de la menace des invasions sarrasines.
2. Engagement pris par le pape de payer un tribut annuel aux Sarrasins.
3. Voir au début du présent paragraphe.
4. Hardouin, op. cit., t. vi, col. 20 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 67; P. L.,
t. cxxvi, col. 763. [Ewald, dans Neues Archw, t. v, p. 307 ; Jafïé-Ewald, n. 2999.
(H. L.)]
5. Styliani, dans Hardouin, op. cit., t. v, col. 1126; Mansi, op. cit., t. xvi,
col. 431.
6. Baronius, Annales, ad ann. 878, n. 8.
7. Pagi, Critica, ad ann. 878, n. 11 sq.
496. DIFFÉKEND DES EGLISES GRECQUE ET BULGARE 563
genrôther 1 se prononcent avec raison pour l'année 877. Quoi-
qu'il fût en démêlé avec Rome, Ignace n'est cependant pas
mort en dehors de la communion de l'Eglise ; on ne doit donc
pas s'étonner qu'il ait reçu dans la suite les honneurs réservés
aux saints. Baronius le premier 2 a excusé les discussions d'Ignace
avec le Siège apostolique, sur ce qu'il avait cru soutenir dans
l'affaire des Bulgares les intérêts de son Eglise, qu'il avait juré
de sauvegarder lors de son ordination. Baronius compromet
gravement son apologie lorsqu'il suppose, à tort du reste,
qu'Ignace vivait encore lorsque arrivèrent à Constantinople
les lettres du pape, et qu'il a refusé d'y obéir. Nicétas raconte
ainsi la mort du patriarche Ignace. Il était minuit, et le diacre
chargé de lire, au pied du lit d'Ignace gravement malade, les
prières de l'Eglise (Vofficium), dit à haute voix la formule rituelle
Jubé Domne benedicere (en grec, bien entendu). Ignace fit alors,
sans rien répondre, le signe de la croix sur sa bouche, et demanda
d'une voix très faible le nom du saint qu'on honorait ce jour-là.
On lui répondit : « Jacques, le frère du Seigneur, ton ami. » Il
répliqua : « De mon maître, oui, mais non pas de mon ami. » Il
fit ses adieux et dit : « Que béni soit notre Dieu en tout temps,
[450] maintenant et dans toute l'éternité, amen ! » On le revêtit, après
sa mort et selon ses ordres, du manteau de ce même apôtre saint
Jacques, précieuse relique cju'il avait reçue de Jérusalem 3, et son
corps fut d'abord porté dans l'église de Sainte-Sophie, et ensuite
exposé dans l'église de Saint-Mennas. Comme tous voulaient
posséder des reliques d'Ignace, on déchira en mille pièces le
drap qui recouvrait le cadavre ; le corps fut transporté au monas-
tère de Saint-Michel qu'il avait fait restaurer, de l'autre
côté du Bosphore 4. La mer, raconte Nicétas, était à ce mo-
1. Hergenrother, op. cit., t. i, p. 285 sq. [A. Vogt, op. cit., p. 237. (H. L.)]
2. Baronius, Annales, ad ann. 878, n. 42.
3. Voir § 488. Voici le Cursus lionorum d'Ignace : naissance, 797 ; élévation
au patriarcat, juillet 847 ; déposition, novembre 858 (ou 857) ; exil et rétablis-
sement au patriarcat; 23 novembre 867 ; mort, 23 octobre 877, cf. Nicétas,
Vita Ignatii, P. C, t. cv, col. 512, 544, 560. (H. L.)
4. Cette église, située sur la côte asiatique du Bosphore, avait été construite
par Justinien, mais Ignace l'avait restaurée et y avait ajouté un monastère ;
cf. Du Cange, Constantinopolis Christ., 1. IV, p. 131. [Pargoire, Le monastère
de saint Ignace et les cinq plus petits îlots de l'archipel des Princes, dans le Bulle'
tin de l'Institut archéol. russe de Constantinople, 1901, t. vu, part. l,p. 69. (H.L.)
564 Livre xxv
ment très agitée, mais se calma subitement, lorsque la barque
portant la précieuse dépouille quitta le rivage. Si cette tradition
est vraie, les éléments auraient montré plus de sentiment et
de respect que les hommes pour les restes de l'ancien pa-
triarche, car, sur l'ordre de Photius, le sacellaire Lydus chassa,
avec des injures et des coups, les malades qui venaient chercher
leur guérison au tombeau d'Ignace. On dit qu'on vit à ce tom-
beau des guérisons miraculeuses ; sous prétexte de découvrir
des trésors cachés en cet endroit, Lydus bouleversa complète-
ment le tombeau et les environs. Le vrai motif était de pour-
suivre-jusque dans sa tombe l'illustre mort1.
497. Réintégration de Photius que le pape Jean VIII
consent à reconnaître sous certaines conditions.
Dès le troisième jour qui suivit la mort d'Ignace, Photius re-
monta sur le trône patriarcal, avec l'assentiment de l'empereur 2.
Toute sa conduite depuis des années préparait ce retour et on ne
peut s'empêcher de sourire en l'entendant protester de sa longue
résistance à l'empereur, pour ne pas reprendre la dignité de patriar-
che 3. Une partie des évêques et des clercs lui était acquise, et,
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 995 sq.; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 275 sq.
2. Nicétas, Vita Ignatii, P. G., t. ex, col. 569.
3. Hardouin, op. cit., t. vi, col. 255; Mansi, op. cit., t. xvn, col. 426. A. Lapôtre,
Le pape Jean VIII, p. 64, a trop voulu, croyons-nous, découvrir un Photius in-
connu. Néanmoins, nous ne prétendons pas imposer le caractère que nous avons
présenté plus haut (p. 256, note 2) ; d'ailleurs, au seuil de cette nouvelle période
de gouvernement il est bon de montrer le personnage sous un jour qui, pour
être trop habilement disposé, ne laisse pas d'être utile pour aider à comprendre le
célèbre patriarche.
« A parler rigoureusement, c'est fausser l'histoire de Photius, que de lui donner
l'ambition pour principal ressort : Photius n'a pas été, au vrai sens du mot,
un ambitieux. Ce n'est pas précisément la convoitise du pouvoir, le besoin im-
périeux d'occuper la première dignité dans l'Eglise qui amis en mouvement ses
puissantes facultés. Il n'v a eu sûrement qu'une grande passion dans cette âme, la
passion d'être admiré et estimé des hommes, non pas pour l'éclat de sa situation
extérieure, mais pour son mérite personnel, pour la prééminence de son savoir
et de ses mœurs. Et cette passion ne fut si forte que parce qu'elle tirait son ali-
ment, je dirai presque sa sincérité, de la foi robuste qu'avait Photius dans l'in-
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 565
au rapport de Nicétas, il gagna l'autre en promettant de riches
évêchés et de hautes dignités. Quiconque repoussa la communion
de Photius fut persécuté; aussi plusieurs de ses anciens adversaires
[451] finirent-ils par céder. La veille encore il avait odieusement qua-
lifié tous ces adversaires de larrons et d'adultères, que la défec-
tion transforme subitement en frères et vénérables serviteurs
de Dieu. Quant à ceux qui tinrent ferme, on les livra à Léon
Catacalos, commandant des gardes du corps et gendre de Photius,
qui les traita avec une brutalité inouïe 1 ; plusieurs d'entre eux
en moururent. Photius. continue Nicétas, désirait déposer, immé-
diatement après sa réintégration, tous les clercs ordonnés par
Ignace, mais cette mesure était en opposition avec la politique
de conciliation de l'empereur, et le projet de réordination n'étant
pas approuvé, Photius se résigna à un moyen terme : il consacra
faillibilité de sa science, comme dans l'impeccabilité de sa conduite. Toute sa
vie est là, avec ses apparentes contradictions, ses excès et ses mérites. Il n'est
pas le moins du monde prouvé que Photius ait menti autant qu'on le pense, lors-
qu'il affirme n'avoir accepté la dignité patriarcale qu'à son corps défendant.
P. G., t. eu, col. 1019 ; Actes du synode de 879, Coleti, Concilia, t. xi, col. 389.
Quand on a conscience de briller par soi-même, on se soucie moins d'emprunter
à des titres officiels un reflet inutile et d'essence inférieure. Il semble même que,
pour les orgueilleux de grande race, à qui les honneurs n'agréent qu'autant
qu ils s'adressent à leur seul mérite, il y ait plus à perdre qu'à gagner dans ces
hautes charges qui attirent à elles toute la considération, et servent moins
à mettre en relief qu'à faire oublier la valeur de la personne. Photius s'est vanté
dans ses lettres de n'aimer ni le faste ni l'argent. Epist., xiv, P. G., t. eu,
col. 745; epist. xvi, col. 769. On peut l'en croire, car ce n'était pas par cet endroit-
là que le venin perçait. Pour expliquer le renom d'humilité qu'il a conquis par-
mi beaucoup de ses contemporains, et dont le pape Jean VIII lui-même s'est
fait l'écho, P. G., t. cxxvi, col. 911, il n'est pas nécessaire non plus de recourir
aux calculs profonds d'une incomparable hypocrisie. Comme tous les hommes
chez qui la passion s'est concentrée sur un point unique, Photius eut par ailleurs
des renoncements faciles peut-être, mais sincères. S'il se cramponna énergique-
ment à son siège patriarcal, sous le feu des anathèmes lancés par le pape Nico-
las Ier; si plus tard, dépouillé de sa charge, il aspira sans cesse à la reprendre, ce
fut moins pour jouir du pouvoir suprême que pour établir son bon droit, pour
qu'il devînt évident aux yeux de tous qu'on avait frappé en lui un innocent,
le plus innocent et le plus juste des condamnés après Jésus-Christ. Son mépris
des jugements du Saint-Siège avait été plus apparent que réel. Il ne s'était tant
ingénié à les déprécier que parce qu'il en sentait mieux le prix. Rien ne lui eût
été plus agréable au contraire, que de pouvoir se recommander de l'appro-
bation du pontife romain. (H. L.)
1. Nicétas, Vita S. Ignatii, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 286 sq. ; Hardouin,
op. cit.t t. v, col. 1006.
566
LIVRE XXV
des omophores, des oraria, et d'autres vêtements et insignes sacer-
dotaux, dont il fit présent à ceux qui avaient été ordonnés par
Ignace 1. A toute ordination, à toute collation de charge, Pho-
tius exigeait un serment de fidélité de vive voix et par écrit. Il
favorisait de tout son pouvoir ceux qui l'avaient secouru dans
ses malheurs et aidé dans ses intrigues, et parmi eux il n'eut
garde d'oublier Théodore Santabaren 2. Dès avant son réta-
blissement sur le siège patriarcal, Photius l'avait sacré métro-
politain de Patras (les moqueurs disaient d'Aphantopolis, « la
ville invisible »); mais redevenu patriarche de Constantinople, il
lui donna le siège d'Euchaïta, dans le Pont, après en avoir chassé
l'évêque légitime Euphémion. Il soumit ensuite à ce siège plu-
sieurs évêchés relevant d'autres provinces ecclésiastiques, et
donna enfin à Santabaren le titre de prolothronus et la pre-
mière place à côté du patriarche. Amphiloque de Cyzique reçut
le titre d'archevêque de Nicée, et Nicéphore, qui occupait, ce
siège, dut se contenter de la direction d'une maison d'orphelins.
Amphiloque étant mort quelque temps après, Photius lui donna
pour successeur Grégoire de Syracuse, et, à la mort de celui-ci,
il lui composa une épitaphe dans laquelle il le comparait aux
Pères de l'Eglise. Nicétas, à qui nous devons tous ces détails, voit
dans la mort subite de Constantin, fils aîné de l'empereur 3,
1. Une ancienne tradition, recueillie dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 446, et
Hardouin, op. cit., t. v, col. 1138, porte cependant qu'il avait réordonné plu-
sieurs de ceux qui avaient reçu d'Ignace leur ordination, et imposé une péni-
tence de quinze ans à ceux qui, après avoir été ses partisans, étaient passés
du côté d'Ignace, et revenaient maintenant à lui.
2. Malgré l'affirmation de Nicetas et de Stylianos qui veulent que Théodore
Santabarenos ait ménagé dans l'esprit de Basile les voies du retour de Photius,
M. A. Vogt, op. cit., p. 236, note 2, tient cette action pour «peu probable». Basile
avait été dur pour les amis de Photius et les avait impitoyablement éloignés.
Théodore, moins que tout autre, ne dut pas faire exception. En tout cas, il n'au-
rait pas permis qu'un ami aussi fidèle, tenant du patriarche déchu, eût grande
autorité à la cour. Il est beaucoup plus probable que ce fut après la mort de Cons-
tantin que Théodore acquit sur l'esprit de Basile la grande autorité que nous
savons. Néanmoins, il est bien sûr que Basile connaissait Théodore dès avant
880-881. Le moine avait été évêque de Patras, archevêque d'Euchaïtes, ambas-
sadeur de Photius à Rome, trop de choses importantes pour que Basile ne con-
nût pas ce personnage. » Sur ce Théodore, cf. A. Vogt, op. cit., p. 154-155. (H. L)
3. Constantin mourut vers la fin de 879, dans toute la fleur, de la jeunesse :
âv 7r, ày.ij./, tr,: vsotvo:, nous dit la Vila Basilii, c. xcvm, P. G., t. cix, col.
36li (H. L.)
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 567
et dans la destruction de Syracuse par les Sarrasins 1, le châti-
ment providentiel de pareilles impiétés. D'après le même Nicétas,
Photius décidé à tout pour flatter l'empereur, osa placer le jeune
prince défunt au nombre des saints et consacrer des églises et
des monastères sous son invocation 2.
[452] A l'arrivée des légats du pape, Paul d'Ancône et Eugène, Photius
était rétabli sur le siège patriarcal ; en conséquence les légats
crurent se conformer aux intentions de Rome en refusant, dès
le début, d'entrer en communion avec le patriarche intrus 3.
Stylianos dit que, par ses présents et les menaces de l'empereur,
Photius décida les légats à déclarer en présence des évoques,
du clergé et du peuple, que « le pape Jean les avait envoyés
anathématiser Ignace et réintégrer Photius sur le siège patriar-
cal 4. » Le fait est exact, à condition d'être retardé jusqu'à une
date plus récente, celle du conciliabule tenu par Photius 5. La
vérité est qu'au début, les légats se tinrent si bien à l'écart de
Photius, que celui-ci se plaignit au pape 6. En effet, les légats
refusant d'entrer en communion avec Photius, celui-ci ne pou-
vant espérer être reconnu de tous sans l'approbation du pape,
expédia à Rome son ami Théodore Santabaren 7, avec une lettre
où il disait que, cédant aux prières de tout le clergé et de tout
le peuple, ou, pour mieux dire, à la violence qu'ils lui avaient
faite, il s'était décidé à remonter sur le siège patriarcal. Tel
est le résumé que Nicétas nous donne de cette lettre aujour-
d'hui perdue, et les réponses du pape à Photius et à l'empereur
1. 21 mai 878, cf. A. Vogt, Basile /er, p. 330. (H. L.)
2. A. Vogt, op. cit., p. 155. (H. L.)
3. La réintégration de Photius au patriarcat est antérieure à la mort du jeune
Constantin. En agissant de la sorte, Basile ne s'écartait qu'en apparence de sa
politique religieuse qui n'avait cessé de tendre à la pacification. La contra-
diction n'était pas trop humiliante. Basile avait alors autant de gloire militaire
qu'il en pouvait souhaiter ; le clergé de Constantinople était soumis ; ainsi donc
en rappelant le patriarche disgracié, exilé, persécuté, déconsidéré et en le repla-
çant au sommet de la hiérarchie ecclésiastique, Basile faisait preuve de force ;
il imposait celui qu'il avait rejeté, et sa volonté, dans les deux cas, devait témoi-
gner à tous que la question religieuse était désormais résolue. (H. L)
4. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1126; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 431.
5. Conciliabule auquel assistèrent les légats et dont nous parlerons bientôt.
6. Stylianos, dans sa lettre au pape Etienne, accuse véhémentement 'es
légats de s'être laissé corrompre par Photius. (H. L.)
7. Nicétas, Vita Ignatii, P. G., t. en, col. 572. (H. L.)
568 LIVRE XXV
prouvent que tel en était le sens. Pour apuyer la demande
de Photius d'être reconnu par Rome, les métropolitains relevant
du siège de Constantinople durent aussi écrire au pape, et
Nicétas prétend que Photius trompa ces métropolitains en leur
demandant de signer sans le lire un document relatif à un con-
trat secrel d'achat en faveur d'une église. En outre, le secré-
taire Pierre étant parvenu à se mettre en possession des sceaux
des métropolitains, scella cette pièce, qui est aussi perdue. Au
dire de Stylianos, Photius aurait adressé à Rome un mémoire en
sa faveur, mis faussement sous le nom d'Ignace et de ses parti-
sans *. Il esl exact que les métropolitains et les évêques dépendant
du patriarcat de Constantinople ont intercédé à Rome en faveur
de Photius, mais il est faux que leur pétition porte, comme l'avan-
ce Stylianos. le nom d'Ignace ; car le pape Jean VIII, qui
dans sa réponse relève tout ce qui est favorable à Photius, n'au-
rait certainement pas omis ce point important. Ces mêmes [^o]
lettres de Jean VIII et le conciliabule de 879 nous apprennent
que Photius avait également obtenu des lettres de reconnais-
sance des patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusa-
lem, et les avait envoyées à Rome. L'empereur aussi l'appuya
de son mieux par ses lettres et par ses ambassadeurs 2. Lors-
que, au printemps de 879, ces ambassadeurs arrivèrent dans la
Basse- Italie, le primicier Grégoire, gouverneur du pays au
nom de l'empereur, se hâta d'envoyer un messager au pape,
priant de seconder les efforts de l'empereur en vue du réta-
blissement de la paix dans l'Eglise. Le pape répondit le 3 avril
879 promettant d'agir en ce sens, et assurant aux ambassadeurs
byzantins une réception honorable. Il leur demandait de hâter
leur arrivée, lui-même comptant bientôt entreprendre un voyage
dans la Basse-Italie 3. Le même jour, le pape écrivant au comte
Pandenulf, commandant de Capoue, par l'intermédiaire du-
quel était arrivé le message du gouverneur byzantin, le pria
de fournir une escorte suffisante aux ambassadeurs impé-
riaux qui devaient passer par Capoue 4. Peu après (2 mai 879),
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1 126 : Mansi, op. cit., t. xvn, col. 431.
2. Hergenrôther, Photius, t. n, p. 308 sq.
S. Joannis VIII, Epist., clxix, dans Mansi, op. cit., t. xvn, col. 115; Epist., lxi,
dans Hardouin. op. cit. t. vi, col. 49 ; Epist., ccxi, dans P. L., t. cxxvi, col. 828.
4. Joannis VIII, Epist., clxviii, dans Mansi, op. cit., t. xvn, col. 114;J5pis/.,
CCVii, dans P. L., loc. cit.; manque dans Hardouin.
'i!>7. REINTEGRATION DE PHOTIUS
569
les trois moines, envoyés à Rome l'année précédente par Théo-
dose, patriarche de Jérusalem, regagnèrent l'Orient, empor-
lanl des présents et une lettre du pape pour leur patriarche l.
Baronius suppose 2 (pie ces moines avaient aussi intercédé en
laveur de Photius, mais la lettre du pape n'autorise en aucune
manière celte supposition. Dans une lettre du 6 mai 879, le pape
réitère au primicier Grégoire l'avis de faire passer les ambassa-
deurs impériaux se rendanl à Rome par la route de Bénévent
el de Capoue. « Il remettait son propre voyage dans la Basse-
Italie, pour attendre l'arrivée à Rome du roi des Francs ;
aussitôt après il se porterait, avec une armée importante, au
secours du gouverneur impérial 3.
[454] Les ambassadeurs byzantins ne purent guère arriver à Rome
que vers la fin de mai 879. peut-être plus tard. A leur départ,
au mois d'août, le pape envoya de son côté à- Constantinople
le cardinal-prêtre Pierre avec cinq lettres et un sixième docu-
ment, le Commonitorium, le tout daté du 16 août 879 4. Ces
documents sont devenus célèbres dans l'histoire de l'Eglise,
parce que Photius les a falsifiés de la manière la plus éhontée ;
heureusement que, pour cinq de ces documents, nous possé-
dons encore le texte latin original, et comme, pour les plus
importants nous avons, l'excellente traduction de Photius,
il est permis de faire entre ces divers textes d'intéressants
rapprochements. Le premier de ces documents 5, la lettre du
1. Joannis VIII, Epist., clxx, dans Mansi; Episl., ccxiii, dans P. L.; manque
dans Hardouin.
2. Baronius, Annales, ad ann. 879, n. 3.
3. Epist., clxxviii, dans Mansi; Epist. clxxix, dans Hardouin; Epist., ccxx,
dans P. L., Hergenrother, op. cit., p. 380.
4. Ces lettres étaient adressées à l'empereur, aux évêques de la province de
Constantinople et à ceux des patriarcats d'Orient, Jérusalem, Antioche, Alexan-
drie, à Photius, aux chefs de l'opposition contre le patriarche e1 aux légats.
Jaffé-Ewald, n. 3271-3275. (H. L.)
5. Le texte latin authentique se trouve dans Mansi, op. cit., t. xvn, col. 136 sq.
comme episl. cxcix; dans Hardouin, t. vi, part. 1, col. 63 sq., comme epist. xciii;
dans P. L.. t. cxxvi, col. 853, comme epist. ccxliii ; Baronius, Annales,
ad ann. 879, n. 7 ; il se trouve aussi en latin avec une exacte traduction grecque
dans l'appendice édité pour la première fois par Bader (pars III) aux actes
du VIIIe concile œcuménique, dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 479 : Hardouin,
op. cit., t. v, col. 1166. L'intelligente traduction grecque faite par Photius
se trouve, avec la traduction latine faite sur cette traduction grecque, dans
570
LIVRE XXV
pape à l'empereur et à ses fils 1, commence par l'éloge de leur
respect à l'égard du Siège apostolique, de l'autorité duquel ils
avaient fait tout dépendre. Le Seigneur a dit, en effet, au
fondateur de ce Siège, au prince des apôtres : « Pais mes brebis. »
Les anciens Pères, les statuts de tous les princes orthodoxes, ceux
de l'empereur Basile lui-même, ont reconnu que ce Siège est
le chef de toutes les Églises. ( Ce début parut à Photius trop [455]
romain, il le paraphrasa ; faisant d'abord louer verbeusement
par le pape, la sagesse et la vertu de l'empereur et de ses fils.
Quant au passage sur la primauté, il n'en reste que ceci : « Par
amour pour la concorde, vous vous êtes adressés à la sainte
ce même appendice de Rader. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 487 ; Hardouin, op. cit.,
t. v, col. 1171. On la trouve également dans les actes du conciliabule tenu par
Photius en 879. Mansi, op. cit., t. xvu, col. 395; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1,
col. 231; seulement en latin dans Mansi, op. cit., col. 141 ; Hardouin, op. cit.,
col. 67 ; P. h., col. 858 ; Baronius, 879, n. 20. Il est très surprenant qu'au xne
siècle Yves de Chartres, citant un long fragment de cette lettre du pape à l'empe-
reur, donne un texte qui se rapproche beaucoup plus du texte falsifié par Pho-
tius, sans lui être cependant absolument identique, que du texte latin authen-
tique. Mansi, op. cit., t. xvu, col. 527, en conclut, ou bien qu'il a existé dès le
xne siècle une traduction latine de la version de Photius, ou bien que le pape
Jean VIII a rédigé deux, projets de lettres à l'empereur, et qu'il a réellement en-
voyé celle que Photius avait ensuite traduite (traduction assez fidèle, dans ce
cas). Mansi penche pour cette dernière hypothèse : mais nous ferons obser-
ver que les autres lettres du pape écrites à cette même date ont été également
falsifiées par Photius.
1. Le texte latin nomme les princes Constantin et Alexandre en omettant
Léon; la traduction de Photius au contraire nomme Léon et Alexandre, et
avec raison, car Constantin était déjà mort. Par conséquent, ou bien il y a
dans le texte authentique une faute de copiste, ou bien le rédacteur du
texte a cru à tort que Léon était mort, tandis que c'était le prince Constantin.
Cf. Pagi, Critica, ad ann. 879, n. 11. [M. A. Vogt, Basile Ie1, p. 240 note 4,
fait « remarquer que la lettre du pape porte mention de « Basile, Constantin,
«Alexandre,» tandis que l'apocryphe de Photius donne « Basile, Léon, Alexan-
«dre. » Pour expliquer cette différence, pas n'est besoin de recourir à une faute
de copiste. La vérité est que lorsque Jean VIII écrivit, en août 879, Constantin,
n'était point mort. Basile avait relégué dans l'ombre le fils de Michel et les ambas-
sadeurs ne firent probablement connaître au pape que le nom des enfants légi-
times de Basile, bien que Léon ne fût pas un inconnu, puisque le concile de 869
le mentionne dans ses acclamations à côté de ses frères et que les lettres de
Basile à Rome, datées de cette époque, le signalent elles aussi. Quand, au con-
traire, Photius falsifia le pièce, Constantin était mort et force était bien à By-
zance d'indiquer la personnalité de Léon qu'on n'avait pas encore songé à
évincer. » (H. L.)
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 571
Église romaine, attendant de sa part une aide énergique. Vos
prédécesseurs ont agi de même, et le Christ vous a tracé cette
ligne de conduite, lorsqu'il a dit à Pierre : Pais mes brebis. Les
saints conciles, etc. vous en avaient également instruit, ainsi
que le témoigne votre lettre. » ) Dans le texte authentique, le
pape poursuit : « Vous demandez au Siège apostolique de dilater,
pour ainsi parler, ses miséricordieuses entrailles, et d'admettre
dans la communauté du collège ecclésiastique le très digne Pho-
tius, avec la dignité patriarcale. Vous en attendez pour l'Eglise
de Dieu la fin de ses divisions et de ses scandales. Nous avons pris
votre demande en considération, et le patriarche Ignace, de pieuse
mémoire, étant mort, nous déclarons, eu égard aux circonstances,
pardonner à Photius son usurpation, sans l'assentiment de notre
Siège, de la charge qui lui avait été interdite. » (Photius passe
sous silence la mort d'Ignace et la vacance du siège de Constanti-
nople ; il omet les mots : « eu égard aux circonstances, » et dit
que le désir déjà ancien du pape était de rencontrer une aussi
favorable occasion de le réintégrer, enfin il remplace le reproche
d'usurpation, par ces mots : « Quoique Votre Piété ait fait vio-
lence à Photius et l'ait réintégré avant l'arrivée de nos légats. »)
Le pape continue : « Sans préjudice des statuts ecclésiastiques,
sans violer les règles des Pères, mais plutôt en nous fondant
sur de nombreuses autorités, en particulier sur le can. 2 de Ni-
cée, etc. 1, considérant le vœu unanime des patriarches d'A-
[456] lexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, et des métropolitains,
évêques et clercs du diocèse de Constantinople, pour la paix et
l'utilité de l'Église, nous recevrons comme frère et collègue
dans le sacerdoce, Photius qui a demandé pardon par-devant un
1. Le concile de Nicée s'était trouvé à peu près dans la même situation que le
pape Jean. Vu les circonstances, il ne voulait pas annuler le fait accompli, et
cependant son intention était qu'on ne fît pas à l'avenir de pareilles promotions
de laïques. Les trois autres autorités citées par le pape, citations de Léon le
Grand, Gélase et Félix, se résument à dire que, dans les cas de nécessité, on
peut faire une exception aux règles ; le c. 35 du concile africain! (c. 2 du
VIe concile de Carthage en septembre 401 (voir § 113), assurait, au rapport
du pape, que les clercs donatistes qui reviendraient à l'Eglise, pourraient con-
server leurs fonctions, quoique un concile tenu outremer eût déclaré que ces
clercs donatistes n'étaient que des laïques. Enfin le pape Innocent avait usé de
la même condescendance à l'égard des clercs ordonnés par Bonosus, parce qu'il
tenait surtout à éviter un schisme.
572 LIVRE XXV
synode en la manière accoutumée, el satisfait pour sa con-
duite antérieure. Vous avez, sire, intercédé pour le rétablissement,
de la paix dans l'Eglise, et nous, à qui selon les paroles de l'Apô-
tre, est confié le soin de l'Eglise universelle, nous désirons vive-
ment n'y laisser subsister aucune cause de division. Nous absol-
vons donc le susdit patriarche, de même que tous les évêques
censurés, de tous les liens de la sentence ecclésiastique portée
contre eux, et décidons que ce même Photius peut occuper
de nouveau le siège de la sainte Eglise de Constantinople. Nous
agissons ainsi en vertu de cette puissance qui, suivant l'accord
de toute l'Eglise, nous a été donnée par le Seigneur, en la personne
du prince des apôtres, lorsqu'il lui dit : Tout ce que tu délieras, etc
Ces paroles n'admettent aucune exception; par conséquent nous
pouvons tout lier et tout délier. C'est pourquoi, au VIIIe concile
œcuménique, les légats du pape Hadrien ont signé la condamna-
tion de Photius, avec cette clause : aussi longtemps quil plaira
au pape 1... Le Siège de Pierre peut délier ce que les évêques ont
lié, et il a réintégré des patriarches : Athanase, Cyrille d'Alexan-
drie, Polychronius de Jérusalem 2. » (Photius a altéré ce passage,
citant les noms d' Athanase, etc., immédiatement après les can. 2
de Nicée, que le pape allègue en sa faveur. Quant à la satisfaction
et à l'amende honorable à lui prescrites par-devant un concile,
il n'en souffle par mot, mais il insère, en revanche, divers éloges
à sa propre adresse, et va jusqu'à faire taxer d'injustice par
le pape les conciles qui l'ont condamné, y compris le VIIIe
œcuménique. Le rusé patriarche insère encore cette phrase menson- [457]
songère : nul ne peut en appeler contre lui aux décrets de
Nicolas et d'Hadrien, qui n'avaient approuvé ni l'un ni l'autre
les intrigues ourdies contre lui.) Le texte authentique de
la lettre du pape demande ensuite qu'après la mort de Photius
on ne choisisse pour lui succéder qu'un des cardinaux-prêtres
ou diacres de Constantinople, et non un laïque ou un employé
de la cour, de telles promotions n'étant pas permises. (Photius
déplace cette phrase et ajoute qu'on n'a toléré d'exceptions que
pour quelques personnes, par exemple pour lui-même). Le pape
ajoute : « Nous avons porté cette ordonnance, sur votre prière,
1. Voir § 493.
2. L'assertion du pape au sujet de Polychronius est erronée et repose sui-
des acles synodaux apocryphes. Cf. Hardouin, op. cit.. t. i, col. 1742.
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 573
à la condition que Photius s'interdise d'exercer une juridiction
ecclésiastique sur la Bulgarie, n'ordonne aucun évêque pour ce
pays, n'envoie aucun pallium, etc. » Photius, dans sa traduc-
tion, change cette condition en une simple prière, et fait même
dire au pape que les évêques (grecs) actuellement en Bulgarie
peuvent y rester. Le texte latin original, exhorte alors l'empereur
d'honorer en Photius son père spirituel et le principal média-
teur entre Dieu ( !) et lui et de n'accorder aucune créance à ses
calomniateurs. (Photius a développé ce passage après avoir fait
dire au pape qu'on ne doit plus élever un laïque sur le siège pa-
triarcal.) Le pape termine ainsi : « Nous vous demandons en outre
de ramener avec bienveillance à l'unité de l'Eglise tous les évê-
ques, prêtres et clercs ordonnés par Ignace, présents à Constan-
tinople, ou expulsés de cette ville : recevez-les affectueuse-
ment et rendez leur leur emploi... Si quelques personnes ne
voulaient pas être en communion avec le patriarche, on les aver-
tira jusqu'à deux et trois fois ; si ces avertissements restent inu-
tiles et qu'ils persistent dans leur obstination, nous ordonnons
à nos légats de les excommunier, en concile, jusqu'à ce qu'ils
reviennent à résipiscence (lacune). Si le patriarche recevait dans
sa communion des évêques excommuniés par nous, lui-même
serait, par ce fait, hors de notre communion. Donné le 16 août
de la XIIe indiction. » (Photius a entièrement supprimé cet
avertissement qui limite sa liberté d'action; il conclut la lettre
du pape en disant que Pierre, apocrisiaire du pape, avait remis
aux légats Paul et Eugène un commonitorium contenant des ins-
tructions supplémentaires; enfin il a changé ces mots : « s'ils per-
sistent dans leur obstination,» en ceux-ci : « s'ils persistent dans
leur ancienne ligne de conduite et dans leur obstination, » afin
[458] de faire blâmer par le pape la conduite antérieure de ces évê-
ques, cependant très régulière ; tandis qu'en réalité le pape vou-
lait simplement parler de l'obstination qui se produirait après la
réception de la lettre 1.
La faiblesse dont Jean VIII fit preuve à l'égard de Photius
a élé sévèrement blâmée par les historiens 2. En agissant comme
1. Hergenrôther, op. cit., p. 383 sq. Hergenrôther expose dans un appendice
spécial la falsification des lettres papales, op. cit., p. 39 sq., tandis que nous
avons confronté ces faux à la suite de chaque passage cité.
2. Cette faiblesse de Jean VIII est devenue proverbiale et a donné naissance
574
LIVRE XXV
il le fit, le pape s'écartait de la voie suivie par ses prédéces-
seurs Nicolas Ier et Hadrien II, et ruinait leur sentence contre
à la fameuse légende de la papesse Jeanne sur laquelle nous reviendrons.
Jean VIII a partagé les historiens. Tandis que les uns font de lui le type achevé
de la loyauté cl de la grandeur d'âme, Y. Balan, // pontificato di Giovanni VIII,
p. 103 ; Guglielmotli, Storia délia marina pontificia net inedio evo, t. i, p. 109 ;
d'autres le considèrent comme un politique aussi habile que peu scrupuleux,
Gregorovius, Geschichie der Stadt Rom, 4e édit., t. v, p. 205, actif, mais brouil-
lon et faux, A. Gasquet, L'emp. byz. cl la mon. franq., 1888, préf., p. xi, éner-
gique, niais jusqu'à la cruauté, Amari, Storia dei musulmani di Sicilia, t. i,
p. 434 ; enfin, un historien averti et perspicace, A. Lapôtre, s'est attaché avec
un rare bonheur à retrouver les traits justes de celte physionomie défigurée.
Jean VIII avait fait sa carrière dans les affaires romaines et s'y était rompu
à toutes les finesses, sans doute en taisant plus qu'un rôle d'observateur. On
ignore la date de sa promotion aux fonctions d'archidiacre, mais dès l'année 835,
on le rencontre dans le concile romain dirigé contre Photius, Allocutio lladria ni
ab Joanne archidiacono relecla, dans Mansi, op. cit., l. xvi, col. 122. Lors de son
élection (décemhre 872), il exerçait depuis vingt ans au moins les fonctions d'ar-
chidiacre, il était certainement très âgé et, de plus, malade, Jean VIII, Epist.,
lviii, Ad Aionem,P. L., t. cxxvi, col. 710; Epiai., civ, Ad Lamberlum, col. 754;
Epist. ccvn, Ad Pandenuljnm, col. 827; Epist., ceci, Ad Carolumregem, col. 914;
Epist. cccxxxiv, Ad Ludov. imper, et Engelbergem cjus conjugem, col. 939; Epist.
ccxn,-4eZ Bosonem ducem, col. 835. Mais c'était un malade tel que les médecins
en virent rarement, qui, sortant du ht où il grelottait de la fièvre, courait sus
aux pirates sarrasins, leur prenait dix-huit vaisseaux, une partie de leurs équi-
pages et six cents captifs de leurs prises. Jean VIII, Epist. ad Ludov. imper.,
P. L., t. cxxvi, col. 939. Les politiques devaient en être pour leurs pronostics
comme les médecins pour les médicaments, Jean VIII allait dérouter les uns et
les autres. Romain de naissance et probablement aussi de race, il avait manié
tant d'affaires et tant d'individus d'honorabilité généralement suspecte que
n'étant pas vénal il était devenu d'autant plus honnête qu'il s'était habitué
à n'envisager les causes que dans leur justice propre sans considération pour
les intérêts individuels. C'était une probité un peu empirique, mais du moins
existait-elle et son plus utile résultat avait été d'élever Jean VIII fort au-
dessus des convenances personnelles, pour le conduire à n'envisager que
les intérêts généraux. « Les hommes furent surtout pour lui des instruments,
qu'il utilisait ou rejetait dans la mesure où ils pouvaient servir ou nuire
à ses desseins. Peut-être même, à les voir de trop près, avait-il contracté à l'en-
droit de leur valeur morale, cette pointe légère de scepticisme si fréquente
chez ceux qui sont restés longtemps au gouvernement. S'il n'estimait pas que,
moralement, tous les hommes se valent, si personne, mieux que lui, n'a su faire
le discernement de l'oppresseur et de l'opprimé, aucune réputation de vertu,
si hautement célébrée fût-elle, n'était capable de lui imposer, quand on vou-
lait s'en faire une arme contre lui, pas plus du reste que ne l'effrayaient, (liez
les instruments moins rebelles, les scandales connus de leur vie. » Lapôtre,
Le pape Jean VIII, p. 33. Bon financier, autant qu'adroit politique, Jean VIII
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 575
Photius, sentence qu'il avait lui-même signée en qualité d'archi-
aura toujours dans ses coffres tout l'argent dont il a besoin en vue de soutenir
des dépenses multiples et très lourdes. On le prendrait, à le voir subventionner
les services officiels, la politique extérieure et ses agents, la marine d'Amalfi,
les ducs de Naples, pour quelque ministre puissant à l'aise dans les « fonds
secrets ». L'intérieur n'a rien à souffrir de ces dépenses faites à l'extérieur ; on
entreprend des travaux considérables : constructions navales, enceinte fortifiée,
solde des troupes, achats dispendieux de grandes orgues. Le pape a pour
lui-même un grand train de maison, vaisselle plate, domesticité, écuries nom-
breuses et bien entretenues, tout cela attentivement surveillé et défendu par
une menace d'excommunication qui plane sur les serviteurs négligents ou inli-
dèles. Ce pape diligent et perspicace était, de sa propre volonté, entouré d'un
personnel de coquins et de fripons : tout le personnel des pontificats d'Hadrien II
et de Nicolas Ier demeuré en charge et en faveur. L'apocrisiaire Grégoire recevra
plus tard ce témoignage de Jean VIII lui-même que ses huit années d'adminis-
tration n'avaient été qu'une suite de rapines et de malversations, Sententia 1
in Gregorium, P. L., t. cxxvi, col. 677; les maîtres de la milice Serge et Georges
de Aventino marchent de pair. Serge a volé les caisses des bonnes œuvres pen-
dant que son oncle par alliance, Nicolas Ier, agonisait au Latran, Sententia I
in Sergium, P. L., t. cxxvi, col. 678; Georges avait empoisonné son frère et
assassiné sa propre femme ; gardien du trésor pontifical il le volera en partie et
pour le mettre hors d'état de nuire, on finira par lui crever les yeux, Sententia
in Georgium, P. L., t. cxxvi, col. 677-678; enfin Anastase le Bibliothécaire,
pape toujours disponible, déjà excommunié trois fois et qui continuera de l'être.
C'est avec ces gredins-là que le pape qui les connaît tous par cœur depuis long-
temps inaugure son règne et entame son œuvre politique. On s'attendait à voir
balayer tout ce monde interlope, on se fût presque accommodé du népotisme
prévu au profit de Léon et Farnulf, neveux de Jean VIII; il n'en fut rien, tout
le monde demeura en place. Le pape savait le degré exact de corruption de cha-
cun de ces agents ; il connaissait d'avance ce qu'il pouvait attendre et tirer de
chacun d'eux, c'étaient autant d'expériences acquises qu'un renouvellement
de personnel l'eût contraint de recommencer sur nouveaux frais et cela seul
devait le porter au statu quo. Il s'y détermina pour une autre raison. Les instru-
ments dont il usait pour atteindre son but étaient chose négligeable, leur indi-
gnité importait peu au résultat poursuivi. Or, dans le cas présent, les scélérats
en fonctions étaient des agents éprouvés et personnellement agréables à l'em-
pereur Louis le Germanique à l'égard duquel le précédent pontificat avait
lamentablement affirmé la sujétion de la papauté, Libellus de imperatoria
potestate in urbe Roma, dans Pertz, Monum. Genn. hist., Scriptores, t. in, p. 721.
Puisque pour le moment on ne pouvait même songer à secouer ce joug récem-
ment appesanti, mieux valait éviter les coups qui pouvaient se produire si on
employait des instruments nouveaux pour continuer sans changement une poli-
tique qui devait forcément rester la même.
D'ailleurs l'aptitude ou la manie politique de Jean VIII ne le tournaient
pas vers l'Occident, mais vers l'Orient, et non pas même vers cette hypnotisante
Byzance dont la proverbiale finesse était devenue comme la pierre de touche
5/(3 LIVRE XX\
des réputations diplomatiques en Occident ; mais vers un coin de terre méconnu,
dédaigné, que le génie politique du pape Jean avait distingué comme le champ
clos des luttes futures où se trouvait l'enjeu de la destinée politique et reli-
gieuse de la plus nombreuse famille des peuples de l'Europe. Les Slaves
occupaient, à l'avènement de Jean VIII, une situation analogue à celle d'au-
jourd'hui. Les Slaves arrivaient encore jusqu'à l'Elbe qu'ils dépassaient même
dans son cours supérieur ; mais entre la rive droite du Danube et la Drave une
vaste contrée isolait les Slaves en deux agglomérations privées de contact et
bientôt l'occupation de ce pays, alors délaissé, par la race germanique allait
dresser un obstacle peut-être toujours insurmontable à l'unité géographique
de la race et du territoire slave. Ce fut la destinée du pape Jean VIII d'arriver
juste au moment où la lutte entre l'élément slave et l'élément germanique
venait d'entrer dans sa période la plus aiguë ; on s'était aperçu que, tout près
d'eux, dans la jeune nation morave, se formait peu à peu, sous l'action d'un
prince habile, le noyau d'une fédération puissante, les Allemands redoublaient
d'efforts pour briser cette force naissante qui les inquiétait. L'intervention de
Jean VIII dans ce duel des deux races, la position qu'il a prise entre Slaves et
Germains, constituerait l'épisode le plus attachant de son pontificat, si, à l'au-
tre extrémité du monde slave, dans la péninsule balkanique, sa politique ne
s'était manifestée sous une forme du même genre. » Bulgares et Moraves vont
ainsi faire leur entrée sur la scène politique et dans l'histoire ecclésiastique,
donnant à la diplomatie pontificale de nouvelles occasions de conflit avec
la politique byzantine. Nous avons rencontré déjà les Bulgares à l'occasion de
leur conversion au christianisme et montré les fluctuations qui portèrent tour
à tour le prince Boris vers le patriarcat romain et vers le byzantin ; fluctuations
pernicieuses en ce qu'elles ont contribué à détourner la nation bulgare de la
voie qui l'eût amenée à sa pleine et rapide expansion. Au nombre des péripéties
de la lutte de quinze années entre la Bulgarie et la Papauté, une des plus ins-
tructives est celle qui se passa sous le pontificat de Jean VIII dont toute la sou-
plesse ne parvint cependant pas à ramener le roi bulgare de Byzance à Borne.
Cet échec, on peut le croire, dut être particulièrement sensible au pape qui
s'était fait, à sa manière, une spécialité de ce qui était alors « la question d'O-
rient », qu'il se réservait à lui seul.
A peine installé au pouvoir, Jean VIII entreprit de corriger une situation
vieille de deux années. « Dès le premier jour, sa politique prenait une triple di-
rection et se portait à la fois en Bulgarie, à Byzance et à Borne. En même temps
que par des lettres répétées et menaçantes, Jean VIII essayait d'agir directe-
ment sur Boris, Jafîé-Ewald, n. 2962 ; Neues Archiv, t. v, p. 308, Ignace
recevait à Byzance l'ordre de se mettre en route, malgré son grand âge, et de
venir rendre compte de sa conduite au Saint-Siège, Jean VIII, Episi. ad imper.
Basil., dans Neues Archiv, t. v, p. o09. A Borne, où la situation était plus déli-
cate*, où Jean VIII, pour ne point se créer d'embarras avec l'empereur Louis II,
tenait à maintenir les partis dans leurs positions acquises, l'évêquc de Porto
[Formose] ne ressentit tout d'abord que faiblement le contre-coup de ce
changement d'allures dans la politique pontificale. On se contenta de lui en-
lever l'envie et les moyens de se mêler dorénavant des affaires bulgares. S'é-
tant présenté un jour devant Jean VIII pour lui demander la permission
de retourner en Bulgarie et l'argent nécessaire à son voyage, Formose reçut
'i'.l7. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 577
l'ordre de se tenir en repos, Senlentia I in Formosum, P. L., t. cxxvi, col. 676.
Le pape saurait bien se tirer d'affaire sans lui. Malheureusement il ne s'en tirait
pas : Boris continuait à fermer l'oreille aux prières comme aux menaces qui lui
venaient de Rome. Cependant Jean VIII ne pouvait se résigner à voir la Bul-
garie échapper pour toujours à l'influence romaine. Débarrassé de Formose
par la déposition et l'excommunication (9 avril 876), il songeait à frapper un
coup décisif à Byzance. Après avoir longtemps hésité, il s'y décida à la fin, dans
le mois d'avril de l'année 878. Deux légats, Eugène d'Ostie et Paul d'Ancône,
partirent pour Constantinople, avec l'ordre formel de procéder à la déposition
d'Ignace s'il refusait de rappeler de Bulgarie le clergé grec qu'il y avait envoyé.
La mort sauva le vieux patriarche de ce suprême déshonneur :« Il n'était plus,
lorsque les légats du pape arrivèrent à Byzance, et Photius réconcilié avec
l'empereur Basile avait repris possession du siège patriarcal. » Lapôtre, op. cil ,
p. 61-629.
Dès que la nouvelle de cet événement arriva à Rome, Jean VIII l'aperçut
sous l'aspect de ses conséquences pour « la question d'Orient », à laquelle, déplus
en plus, il va rapporter toutes choses. C'est sur ce terrain spécial que le pape en-
visageait le redoutable concurrent byzantin beaucoup plus que sous celui du
siège patriarcal. Le vieil Ignace, authentique successeur des patriarches enva-
hisseurs des siècles passés, avait mis la main sur la province en litige et ne s'en
était plus dépris. Photius, moins âpre, moins entier et très occupé par de gros
intérêts, avait montré peu d'empressement pour une annexion, qui s'offrait
sans gros avantages; il avait accueilli les avances de Boris sans beaucoup se gê-
ner, répondu à ses lettres, promis des dignitaires et envoyé simplement le fre-
tin de la cléricature. Jean VIII savait tout cela de reste — on avait eu l'adresse
à Rome d'en tirer parti — et se disait que Photius pourrait bien, si on savait le
prendre, laisser le champ libre en Bulgarie à laquelle il devait tenir évidemment
fort peu. Jean VIII, un peu imprudemment, en avait fait la remarque à Boris
(Neues Archiv, t. v, p. 308) et Photius, toujours bien renseigné, ne manquera
pas d'entretenir cette illusion, s'abstenant dans ce but de faire aucune ordina-
tion dans l'Église bulgare, depuis sa reprise de possession du siège patriarcal.
Au reste, la perspective de recouvrer l'autorité religieuse sur les Bulgares ne dé-
cidait pas seule de la conduite de Jean VIII à l'égard de Photius, indépendam-
ment de la conviction où il était qu'une restauration de l'ancien patriarche dé-
posé était le meilleur, le plus sûr et peut-être l'unique moyen de pacifier l'Église
byzantine. Ainsi tout concourait à affermir Jean VIII dans la ligne politique
qu'il s'était tracée. D'une part, il voulait reconquérir la Bulgarie ; d'autre part,
il ne voulait pas rompre avec Byzance. En définitive, si le pape Jean VIII
s'est décidé à absoudre l'intrus tant de fois condamné par ses prédécesseurs,
c'est qu'il a jugé possible d'atteindre les deux fins en traitant avec ce patriar-
che que son passé devait rendre moins intraitable que le vieil Ignace. Bien li-
gotté par les restrictions d'un compromis, Photius était moins à redouter que
tout autre, on pouvait espérer s'entendre avec lui au prix où l'on s'entend pres-
que toujours avec les gens de sa sorte.
Jean VIII se décida donc à rétablir Photius, comptant que les avantages dé-
passeraient les inconvénients ou même les périls. Il avait trop escompté de
l'avenir quand il avait attendu de Photius un aveu public de ses fautes passées
[Episl., ccxvi, P. G., t. cxxvi, col. 866) qu'il n'obtint jamais. Peut-on supposer
CONCILES — IV — 37
578
LIVRE XXV
diacre de l'Église romaine *, et que le VIIIe concile œcuménique
avait confirmée. Baronius, qui cherche à l'excuser, suppose
que cette faiblesse du pape fut l'occasion de la légende d'aqrès
laquelle une femme aurait occupé le siège de saint Pierre 2.
Cette explication n'est pas sans quelque vraisemblance, car,
dans son écrit De S piritus S. mystagogia, Photius qualifie à trois
reprises et avec emphase le pape Jean de caractère viril, ce qui
qu'il attendait ce refus pour en tirer parti lorsqu'il jugerait avoir suffisamment
patienté ? C'est possible, comme avec ces politiques retors tout est possible.
Jean VIII, cela est incontestable, ne trouva pas suffisante la vague profession
d'humilité, que Photius avait faite dans le concile byzantin de 879 (Coleti,
Concilia, t. xi, col. 384. La lettre où il s'en plaint au patriarche, amicalement
du reste, est encore au registre. P. L., t. cxxvi, col. 910-911. Quelques mois plus
tard, autant pour remplir son devoir que pour calmer les exigences d'une oppo-
sition violente, que son alliance avec les Byzantins avait soulevée dans certains
milieux romains, et à qui l'avènement à l'empire du prince carolingien Charles
le Gros (9 février 881) venait de donner une audace nouvelle, le pontife
accentuait davantage ses réclamations. P. L., t. cxxvi, col. 908. Les légats
pontificaux qui avaient présidé à la réintégration de Photius se voyaient publi-
quement censurés pour n'avoir pas exécuté rigoureusement leurs instructions.
Coleti, Concilia, t. xi, col. 927. L'évêque Marius aurait même été envoyé à
Byzance avec la mission d'amener le patriarche à une satisfaction plus explicite.
Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 576-577 ; Coleti, Concilia, t. xi, col. 899. Mais ce
qui doit également demeurer incontestable, c'est que Jean VIII ne jugea pas
nécessaire de défaire son œuvre de pacification ; c'est que, par ailleurs, les
calculs que le pontife avait fondés sur le caractère du patriarche byzantin se sont
trouvés exacts. Non seulement Photius ne tira pas occasion de sa rentrée en
charge pour renouveler la guerre contre Borne ; non seulement, tant que vécut
Jean VIII, la papauté fut par lui respectée, mais, si l'on était parvenu à
mieux déterminer la date de chacun de ses ouvrages, on aurait constaté que le
patriarche byzantin ne reprit la plume, pour attaquer les Occidentaux, que
lorsque le pape Marin Ier, lorsque le pape Formose surtout, trop peu oublieux
peut-être des injures reçues par l'évêque de Porto, eurent remis en vigueur
contre lui et ses ordinations toutes les anciennes sentences et tous les anathèmes
d'autrefois. Pour extraordinaire que paraisse le fait, il faut reconnaître que c'est
à l'orgueilleux Photius que Borne dut l'abandon des prétentions byzantines
sur l'Église bulgare. Photius et le synode de 879, inspiré par lui, avaient promis
de s'entendre à ce sujet avec l'empereur. Sess. i et iv, Coleti, Concilia, t. xi,
col. 386, 460-641. La promesse fut tenue et l'année suivante Jean VIII pouvait
écrire à Basile : Je vous rends de nombreuses actions de grâces de ce que, par
amour pour nous, et comme le demandait la justice, vous nous avez permis de
posséder le diocèse des Bulgares. Episl., ccxlvi, P. L., t. cxxvi, col. 909-910.
(H. L.)
1. Voir § 485.
2. Baronius, Annales, ad ann. 879, n. 5.
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 579
permettrait de penser que d'autres avaient traité ce pape de
femme 1. Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que Jean VIII,
il le dit lui-même, a cru de son devoir de plier devant les circons-
tances. L'existence des Etats de l'Eglise était menacée tout à
la fois par les Sarrasins, par la défection des Capouans et parles
attaques des princes chrétiens. Le pape ne pouvait espérer de
secours et de salut que du côté de Basile 2. Il devait donc s'effor-
cer, dans les limites de son devoir, de rester en bonne intelligence
avec lui. La mort d'Ignace avait modifié essentiellement la ques-
tion canonique relativement au siège de Constantinople. Ce
siège était alors véritablement vacant, et le fait que Photius avait
reçu illicitement les ordres, n'était pas de nature à rendre sa
réintégration à jamais impossible. Le concile de Nicée avait cédé
dans des circonstances analogues, et le pape Jean avait pleine-
ment raison, en ne demandant aucune nouvelle ordination des
évêques et des clercs ordonnés par Photius 3. Le pape Jean pou-
vait réintégrer légitimement Photius, à la condition qu'il fît péni-
tence pour sa conduite passée : or, ce qu'il pouvait faire lui parut
très opportun et très sage à réaliser, d'autant mieux que, grâce
[459] aux fourberies de Photius, tous les patriarches orientaux, ainsi
que les métropolitains du siège de Constantinople, semblaient
lui demander d'agir de cette manière. Il pouvait espérer éviter
ainsi un schisme, regagner la Bulgarie et obtenir des secours
pour la défense des Etats de l'Eglise. La condescendance du
pape eut, il est vrai, des suites fâcheuses, mais alors impossibles à
prévoir 4.
1. Photius, De Spirilus Sancti mystagogia, c. lxxxix, P. G., t. en, col. 279 sq. ;
cet ouvrage a été écrit après l'année 896. Le P. A. Lapôtre a consacré quelques
pages alertes d'un Appendice de son livre sur Le pape Jean VIII, à la question
de La papesse Jeanne, p. 359-369. L'interprétation abusive donnée au passage
de Photius qu'on vient de lire par Angelo Mai, Hergenrôther et Hefele, n'offre
rien d'historique. Au reste toute cette légende, qui confine parfois aux imagina-
tions libidineuses, est vraiment trop étrangère à l'histoire conciliaire pour nous
arrêter plus longtemps. On trouvera dans U. Chevalier, Répertoire des sources
historiques du moyen âge, Bio-bibliographie, 2e édit. 1907, col. 2553-2557, une
abondante bibliographie. (H. L.)
2. Voir A. Lapôtre, Le pape Jean VIII, p. 63 ; P. G., t. cxxvr col. 909;
A. Vogt, Basile 7er, p. 237, 336. (H. L.)
3. P. L., t. cxxvi, col. 855 ; L. Saltet, Les réordinations, Étude sur le sacre-
ment de l'Ordre, in-8, Paris, 1907, p. 143 sq. (H. L )
4. Hergenrôther, Photius, t. n, p. 381 sq., 391 sq.
580 LiVhE xxv
La seconde lettre du pape en faveur de Photius, également
datée du mois d'août 879, est adressée à tous les évêques du patriar-
cal de Constantinople, ainsi qu'aux trois patriarches orien-
taux 1. Le pape dit que les lettres de plusieurs d'entre eux lui ont
montré leurs sentiments unanimes à l'égard de Photius. Son désir
est de les voir toujours unis comme ils le sont sur cette question,
afin d'éviter les schismes. Il consent, dans l'intérêt de l'Eglise
et du peuple chrétien, à reconnaître sans délai, en vertu de l'auto-
rité de saint Pierre, Photius comme patriarche de Constantinople.
Ce faisant il se rappelle la lettre d'Hadrien Ier à l'impératrice
Irène et à son fils Constantin, où ce pape, bien que voyant avec
peine l'élévation soudaine de Tarasius simple laïque au pa-
triarcat de Constantinople, reconnaissait, sous certaines condi-
tions, cette nomination 2. Jean pose aussi ses conditions : A
l'avenir, aucun laïque ne sera fait évoque de Constantinople;
la Bulgarie sera restituée ; ceux qui ont envoyé des adresses
au pape chercheront à réconcilier avec Photius les évêques dépo-
sés (les évêques d'Ignace), et satisferont pour leur conduite con-
traire à Dieu et aux canons (ce que Photius traduit ainsi : entre
autres bonnes œuvres, ils s'emploieront à cette réconciliation).
Photius ne sera reconnu patriarche et rendu à la communion de
Rome qu'après avoir sollicité son pardon en présence d'un con-
cile (ce que l'intéressé traduit : Photius, notre très saint et très
pieux frère, fera dans un concile l'éloge de notre bienveillance
à son égard, ou plutôt celui de la miséricorde de l'Eglise ro-
maine). En terminant, le pape rappelle la conduite d'Inno-
cent Ier, rendant aux Macédoniens Aétius, auparavant déposé.
(Photius omet ce passage, et se contente de placer dans la
bouche du pape une éloquente exhortation à la concorde.) [460]
Le pape écrivit à Photius 3 : « Comme ta lettre prouve sura-
1. Le texte latin authentique dans Mansi, op. cit., t. xvii, col. 146 ; t. xvi,
col. 499; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1, col. 72; t. v, col. 1182; P. L., t. cxxvi,
col. 865; le texte grec falsifié, auquel est jointe une traduction latine faite
sur ce même texte grec, se trouve dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 510; t.
xvn, col. 450; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1191 ; t. vi, part. 1. col. 278.
2. Voir § 345.
3. Le texte latin authentique dans Mansi, op. cit., t. xvn, col. 148; Hardouin,
op. cit., t. vi, part. 1, col. 73; P. L., t. cxxvi, col. 870 ; Baronius, Annales, ad ann.
897, n. 33 ; en latin et en grec dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 502; Hardouin,
0p. cit., t. v, col. 1186; la traduction falsifiée dans Mansi, op. cit., t. xvi, col. 506;
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 581
bondamment ta prudence (ton retour dans le droit chemin), nous
en remercions le Dieu qui fait retentir son tonnerre dans les cieux
et donne la sagesse à tous ceux qui la lui demandent.» (Dérobant
à Dieu cette épithète d'altitonans, Photius se l'applique à lui-même
et traduit : « Nous avons appris à connaître ta sagesse, qui, sem-
blable au tonnerre du Seigneur, retentit dans le monde entier. »)
« Les éloges que tu nous adresses dans ta lettre, nous ont fait
voir tes sentiments à notre égard et combien maintenant tu nous
es dévoué (Photius passe le mot maintenant) ; mais nous ne
méritons pas ces louanges, qui nous rappellent notre faiblesse. »
(Photius paraphrase ce passage.) Tu nous affirmes l'union qui
règne dans l'Eglise de Constantinople en ce qui te concerne et
tu nous mandes le refus de nos légats de prendre part à ton ser-
vice divin. Nous remercions Dieu de cette union ; quant à nos
légats, nous ne leur avions donné aucune instruction, dans l'i-
gnorance où nous étions de la situation véritable 1. » Dans sa
traduction Photius fait dire au pape : « Je me réjouis de ta réin-
tégration sur le siège qui te revenait. » (Jean VIII exprime sim-
plement sa satisfaction du rétablissement de l'unité, sans dire
que s'il avait connu le rétablissement de Photius il eût chargé
ses légats de l'en féliciter. ) Le pape poursuit : « De même que
nous nous sommes réjoui de la paix et de l'union, de même nous
nous attristons de voir des dissidents refuser de se joindre à
vous», (les partisans d'Ignace). (Photius accentue ainsi ce pas-
sage : « Nous avons appris qu'il existe parmi vous des schis-
matiques incapables de repos et acharnés à poursuivre un
461] combat diabolique... nous en sommes fort attristé.) « Du reste,
continue le texte authentique (et Photius omet cette phrase),
nous aurions dû être averti avant ta reprise de possession. » « Tou-
tefois, Ignace, notre frère et collègue dans l'épiscopat, étant
mort lorsque tu as repris le siège, nous remercions Dieu du réta-
blissement de la paix et de la fin des conflits. De ton côté, efforce-
toi de gagner par bienveillance ceux qui sont dispersés et éloi-
gnés de toi. » (Photius introduit l'éloge de sa sagesse. ) « Comme
t. xvii, col. 150, 411; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1187; t. vi, part. 1, col. 75; Ba-
rouius, Annales, ad ann. 879, n. 38.
1. C'est-à-dire que, lors de l'envoi des légats, le pape ignorait la mort du pa-
triarche Ignace et la conduite que tiendrait celui-ci devant la menace d'excom-
munication qui allait lui être faite.
582 LIVRE XXV
on ne saurait blâmer la miséricorde vis-à-vis de celui qui
s'est amendé, tu devras, en la forme accoutumée, donner
satisfaction devant un concile et demander miséricorde! » (Pho-
tius traduit : « Tu ne rougiras pas de faire devant un concile
l'éloge de la miséricorde de Dieu à ton égard et de la bonté du
Siège apostolique.») «Si tu t'amendes complètement, tu ne cher-
cheras à nuire à personne (c'est-à-dire aux partisans d'Ignace) ;
tu l'appliqueras au contraire, à ramener d'exil tes prétendus
ennemis, tu les rétabliras dans leurs dignités, et puisque tous sans
exception désirent ta propre réintégration, nous te pardonnons,
afin que l'Eglise de Constantinople jouisse de la paix; nous te rece-
vons dans la communion de l'Eglise et te rendons la charge ecclé-
siastique, si tu consens à demander pardon par-devant un concile.
Mais à l'avenir, conformément à la décision du vénérable concile
tenu à Constantinople à l'époque d'Hadrien le Jeune (c'est-à-
dire du VIIIe concile œcuménique), aucun laïque ne pourra
être élevé sur le siège de cette Eglise. » (Photius use ici d'équi-
voque ; après avoir omis tout ce qui a trait au pardon à
solliciter devant un concile, il change Hadrien II en Hadrien Ier,
évitant par ce moyen de reconnaître le VIIIe concile œcuménique,
et insère cette phrase : « Quant aux conciles tenus contre toi
dans cette même ville, nous les annulons et nous les déclarons sans
valeur pour divers motifs, et particulièrement parce que notre
prédécesseur Hadrien ne les a pas signés. ») Le pape continue :
« Quant à l'autre décision que tu réclames, nous avons donné,
de vive voix et par écrit, des instructions à notre légat, le cardinal-
prêtre Pierre, et à nos conseillers déjà présents à Constantinople;
les instructions écrites sont contenues dans un commonitorium.
Elles permettent ce qui peut être permis et corrigent ce qui
appelle correction. » (Photius a, ici encore, altéré le texte et même
omis les derniers mots.) « Si tu veux que nous favorisions tes désirs,
restitue la Bulgarie à l'Eglise romaine... Si, au contraire, tu en-
voies le pallium aux évêques de ce pays, si tu leur confères les or- [4621
dres, ou si tu communiques avec eux avant qu'ils ne nous obéis-
sent, tu seras excommunié tout comme eux. » (Photius omet
ce passage qu'il remplace par ces mots : « Que Dieu te conserve
jusqu'à la fin, bien-aimé frère et très digne collègue dans le sacer-
doce. »)
Non content de cela, le pape écrivit une lettre commune aux
ennemis de Photius, les patrices Jean, Léon et Paul, et les métro-
497. RÉINTÉGRATION DE PHOTIUS 583
politains Stylianos, Jean et Métrophanes : « Si vous avez souci
du salut de votre âme, leur disait-il, soyez en communion avec
votre patriarche Photius, que reconnaît le Siège apostolique.
Si vous vous y refusez, les légats du pape ont mission de vous
exclure de la communion de l'Église, jusqu'à ce que vous obéis-
siez. Nul ne doit prétendre excuser sa désobéissance sur le docu-
mentqu'ila singé (le VIIIe concile œcuménique); l'Eglise a le
pouvoir de délier tous les liens1. » L'original latin étant perdu,
on ne sait si Photius a également falsifié, en la traduisant, cette
lettre du pape, il en est de même du cinquième document, la
lettre aux légats Paul et Eugène. La première phrase de cette
lettre est incomplète au point de vue grammatical, elle blâme les
légats de n'avoir pas obéi à la volonté du pape. Lorsque, à leur
arrivée à Constantinople, ils avaient trouvé Photius rétabli sur
son siège, ils auraient dû étudier la situation, et revenir à
Rome rendre compte. Le pape continue : « Après vous être si
médiocrement acquittés d'une première mission, vous ne devriez
pas être chargés d'une seconde. Nous voulons cependant vous
témoigner cette confiance et nous vous adjoignons, pour que
cette seconde mission soit exactement remplie, le cardinal-prêtre
Pierre, en qui nous avons toute confiance, afin que, conformé-
ment à notre décret et au contenu de notre commonitorium,
vous n'omettiez rien de ce qui peut procurer la paix et l'union de
l'Église 2. »
Malheureusement, le texte latin original de ce commonitorium,
rédigé dans un concile romain du mois d'août 879, est perdu,
et nous ne possédons que la traduction de Photius lue dans la
[463] troisième session du conciliabule de 879. Les onze paragraphes
sont visiblement calqués sur les instructions du pape Hormisdas
en 515, à ses ambassadeurs à Constantinople 3. Le commonitorium
peut se résumer ainsi :
1. Les légats habiteront à Constantinople la demeure à eux
assignée par l'empereur ; ils ne remettront à personne les lettres
apostoliques, avant l'audience de l'empereur à qui ils présente-
ront ces lettres en disant : « Votre père spirituel, le pape apos-
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 153; Hardpuin, op. cit., t. vi, part. 1, col. 77; P.
h., t. cxxvi, col. 863.
2. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 154; Hardouin, op. cit., t. vi. part. l,col. 78;
P. h., t. cxxvi, col. 867 ; Baronius, Annales, ad ann. 879, n. 46.
3. Baronius, Annales, ad ann. 515, n. 24.
584 LIVRE XXV
tolique Jean, vous salue, prince établi par Dieu, etc. » 2. Si, avant,
la remise des lettres, l'empereur interroge les légats sur le but
de leur mission, ils le prieront de lire les lettres, et si l'empereur
questionne sur leur contenu les légats répondront : « Elles con-
tiennent des salutations pour vous, et des instructions pour le
rétablissement de la paix de l'Église. » 3. Le lendemain ils iront
saluer Photius, ils diront en lui remettant la lettre du pape : « Notre
maître, le pape apostolique Jean, te salue, et consent à te recon-
naître comme son frère et son collègue dans le sacerdoce. »
4. Photius comparaîtra devant un concile et en présence des légats,
Ion le l'Église conformément à nos instructions, le reconnaîtra,
et lui de son côté manifestera sa reconnaissance et louera la misé-
corde de l'Église romaine. (Ici il y a évidemment falsification :
dans ses lettres précédentes, le pape exigeait de Photius une
satisfaction suffisante et la demande de pardon devant un con-
cile ; Photius a défiguré ce passage.) 5. Lorsqu'ils prendront
congé de Photius, les légats diront : « Le pape ordonne que tu
t'efforces de ramener à l'unité les évêques et les clercs exilés qui
ne veulent pas être en communion avec toi. » Quant à ceux qui
embrassent le parti de Photius, on leur rendra leurs charges s'ils
ont été ordonnés avant ceux qui occupent actuellement leurs
sièges; s'ils ont été ordonnés plus tard, les évêques auront soin
de leur fournir ce qui est nécessaire pour leur entretien; en d'au-
tres termes, si l'ancien partisan d'Ignace revenant au parti de
Photius est, par son ordination, plus ancien que le possesseur
actuel de son siège, il recouvrera ce siège. Si au contraire il
est moins ancien, s'il a été ordonné par Ignace dans les der-
nières années de son pontificat tandis que le partisan de Pho-
tius l'avait été dans les premières années du pontificat de
celui-ci, le siège épiscopal restera au partisan de Photius. 6.
Dans le concile que les légats célébreront d'accord avec Photius,
on lira d'abord la lettre du pape à l'empereur, et on deman-
dera au concile s'il en accepte les prescriptions (par exemple,
au sujet de la Bulgarie). 7. Ceux qui rejetteront la communion
de Photius seront avertis jusqu'à deux et trois fois par les lé-
gats et par le concile; si ces avertissements ne sont pas écou-
tés, ils seront excommuniés jusqu'à ce qu'ils s'amendent. 8.
Après la mort de Photius, on ne devra plus élever un laïque [4641
sur le siège patriarcal. 9. Les légats engageront Photius, en pré-
sence du concile, à ne plus s'arroger désormais une juridiction
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 585
sur la Bulgarie, sous la menace de peines canoniques (d'après le
texte authentique des lettres, le pape n'entendait pas se borner
à une pure exhortation). 10. Les légats déclareront devant un con-
cile que les conciles tenus sous le pape Hadrien, à Rome et à
Constantinople, contre Photius, sont rejetés et annulés (falsifi-
cation certaine de Photius). 11. Les légats ne doivent se laisser
ni corrompre ni épouvanter 1.
498. Conciliabule de Photius en 879 et 880.
En possession de la lettre du pape qu'il traduisit comme
nous avons vu, Photius réunit, au mois de novembre 879, un con-
ciliabule, destiné dans sa pensée à réfuter le VIIIe concile œcu-
ménique dont il revendiquerait pour lui seul le nom et le titre.
Les anciennes collections des conciles, même celle de Labbe,
n'avaient publié que les canons de ce conciliabule ; Beveridge
fut le premier à publier quelques fragments des actes 2. Ba-
ronius 3 avait inséré dans ses Annales de courts extraits latins
de ces actes rédigés d'après deux anciens exemplaires conservés
à Rome et contenant, en grec, les procès-verbaux complets de
l'assemblée. Le pape Clément XI fit faire plus tard une .copie
de l'exemplaire de la bibliothèque du Vatican 4, pour le Père
Hardouin qui la publia en 1714 5. L'Occident connut alors pour
la première fois les actes de ce célèbre conciliabule. Je dis l'Occi-
dent, car huit ans auparavant on avait publié en Valachie un
L^,,0I ouvrage intitulé Tiu,oç 7<zpâç contenant une copie des actes
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 467 ; Hardouin, op. cit., t. vi, col. 294; Baronius,
Annales, ad ann. 879. n. 'i7 ; P. h., t. cxxvi, col. 867. La falsification de ce com-
monitoriufn a été mise en évidence par J. S. Assemani dans sa Biblioth. juris
Orient., t. t. p. 180, au moins pour ce qui concerne le n. 10, et Néander, Kirchen-
gesch., t. iv, |>. 435, croit aussi qu'il y a eu falsification.
1. Beveridge, Pandecta canonum, t. n, part. 2, n. 273 sq.
'■'>. liaionius, Annales, ad ann. 879, n. 64 sq.
4. Hardouin, Coll concil., t. vi, pari. 1, col. 214 sq.
5. Ainsi que le dit J. S. Assemani, op. cil., p. 162, la bibliothèque du Vatican
possède plusieurs manuscrits de ces actes ; ils se trouvent aussi dans un ms.
de la bibliothèque de Saint-Marc à Venise. Mais ces mss. diffèrent beaucoup
les uns des autres.
586 LIVRE XXV
d'après un manuscrit grec *. Fleury nous aprend que Baluze
possédait aussi une copie de l'un des manuscrits romains, dont
il a publié un fragment 2, dès avant l'édition de la collection
Hardouin. L'authenticité de ces actes, mise en question par
Baronius et par Léon Allatius, a été défendue par d'autres histo-
riens, par exemple Joseph-Simon Assemani 3 et Néander 4. Ces
derniers cependant sont obligés d'avouer que tout n'y est juis
aulhentique ; en particulier, la traduction des lettres du pape et
du commonitorium est faussée en plusieurs endroits, et on a abusé
de l'insuffisante connaissance qu'avaient les légats de la langue
grecque 5. Photius s'était plaint tout d'abord de l'hostilité que
lui témoignaient les légats, mais cette situation changea dès l'arri-
vée du cardinal Pierre. Le pape s'étant prononcé pour Photius,
les légats crurent devoir l'imiter. Stylianos prétend qu'ils s'étaient
laissé gagner par des présents. On a peine à admettre qu'ils se
soient conduits d'une manière aussi peu honorable que le suppo-
sent les actes synodaux ; on est plutôt porté à croire que leurs
discours ont été falsifiés, soit sur les notes, soit dans la traduc-
tion qui en fut faite.
Le procès verbal de la première session ne porte pas de date,
celui de la seconde est daté du 17 novembre 879 6, enfin la der-
nière et septième session s'est tenue le 13 mars 880 7. La première
session fut célébrée dans le secretarium de Sainte-Sophie, d'autres
1. Jager, Hist. de Photius, p. 320.
2. Fleury, Hist. de V Église, 1. LUI, c. xn.
3. J. S. Assemani, op. cit., p. 232.
4. Néander, op. cit., t. iv, p. 430, 432.
5. Id. t. iv, p. 434.
6. Ce conciliabule de 879 ne se fût. probablement pas passé, comme nous le
verrons, sans un grave événement survenu très peu de temps auparavant, la
mort du jeune empereur Constantin, fils aîné de Basile et son associé à l'empire.
Cette mort eut pour contre-coup l'amoindrissement intellectuel de Basile dont
l'esprit, jusque-là si lucide, s'obscurcit soudain et dont la volonté énergique
s'affaiblit rapidement. A partir de ce moment, les intrigants et les habiles se
substitueront au prince, et gouverneront en son nom. Photius trouvait par une
nouvelle et soudaine surprise, une position à peu près aussi forte qu'au temps
de Bardas ; il sut en tirer parti. Ce qui montre à quel point Basile était affaibli,
c'est qu'il ne parut pas au concile, lui qui, dix ans auparavant, avait, peut-on
dire sans exagération, dirigé le concile de 869. (H. L.)
7. De ces sept réunions, nous allons voir que les cinq premières seulement
paraissent avoir été réellement tenues. (H. L.)
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 587
sessions à droite de l'église et dans les catéchuménies, quelques-
unes enfin dans le palais impérial. Les actes disent formellement
que Photius, « patriarche œcuménique, » présida toutes les ses-
sions. Les légats ne prirent place qu'après lui et à ses côtés.
Quant aux autres patriarches, celui de Jérusalem était seul repré-
senté au débul par le prêtre Elie 1, mais dès la deuxième session
le prêtre Cosmas, apocrisiaire d'Alexandrie, représenta ce siège;
[466] enfin, dans la quatrième session, Basile, archevêque de Marty-
ropolis, siégea en qualité de député du siège d'Antioche 2. Les
trois cent quatre-vingt-trois autres évêques qui, d'après les actes,
assistèrent à la première session, appartenaient tous au patriar-
cat de Constantinople, alors le plus étendu de tous. A leur
tête étaient les archevêques Procope de Césarée en Cappadoce,
Grégoire d'Éphèse, Jean d'Héraclée, Grégoire de Cyzique, Zacha-
rie de Chalcédoine, Théodore de Thessalonique, etc. ; plusieurs
avaient assisté au VIIIe concile œcuménique. Pour augmen-
ter le nombre de ses partisans, Photius n'aurait-il pas imaginé
d'ordonner des évêques pour des localités insignifiantes ? dans
les actes de ce conciliabule, nous trouvons des sièges épiscopaux
qui ne sont nommés nulle part ailleurs 3.
Tous les membres ayant pris place, le diacre et protonotaire
Pierre de Constantinople, exerçant les fonctions d'employé du
synode, annonça l'arrivée des trois légats du pape, le cardinal
Pierre et les deux évêques Paul et Eugène ; Pierre était porteur
des lettres du pape Jean. Photius les reçut avec bienveillance, les
embrassa, et leur parla d'une façon pieuse et éloquente. Le cardi-
nal Pierre, orateur au nom des légats, rivalisa de politesse, remer-
ciant Dieu d'avoir trouvé en si bonne santé, Sa Sainteté qu'il
assurait de l'amitié du pape son frère et son collègue dans le
sacerdoce. Photius répondit : « Nous aussi nous le reconnais-
sons pour frère, coopérateur et père spirituel. » Le cardinal Pierre
1. Il ne faut pas confondre cet Élie avec un autre Élie, qui assista au VIIIe
concile œcuménique en qualité de vicaire de Jérusalem. Cet Élie était déjà
mort.
2. Au sujet de ces prétendus vicaires des patriarches orientaux, cf. Hergen-
rother, Photius, t. u, p. 447 sq.
3. Hardouin avait déjà fait cette remarque dans son Index geograph. du
xie volume, par exemple, Dulse, p. 717; cf. Hergenrôther, op. cit., p. 449 sq.,
qui traite en détail la question des membres de ce conciliabule.
588
LIVRE XXV
ayant fait allusion à ses lettres qui témoignaient de la sollici-
tude du pape pour Constantinople, Photius vanta cette sollicitude
et compara le pape à Jésus-Christ. « De même que le Christ ne
s'est pas contenté du ciel, mais est descendu sur la terre pour
faire le bonheur des hommes, de même le pape ne s'est pas con-
tenté de voir sa propre Eglise jouir de la paix, il a aussi voulu
engager les schismatiques étrangers (c'est-à-dire les partisans
d'Ignace) à s'amender. »
Par là Photius montrait clairement qu'il ne tenait le pape
que comme patriarche d'Occident; c'est ce qu'il fit également
en demandant : « Comment se porte le pape ? dans quel état
se trouve l'Eglise à laquelle il préside, et comment vont ses
évêques ?» Ce à quoi le cardinal Pierre répondit : « Le pape et [467]
tous les évêques, grâce à tes saintes prières, vont bien, et sont tous
bien intentionnés à ton égard, ainsi que tu le verras dans les
lettres du pape. » Photius éluda adroitement la demande du légat,
de lire sans délai les lettres de son maître. Le cardinal Pierre
s'adressant au concile parla alors en véritable représentant du
primat de Rome : « De même, dit-il, qu'un père va à la recher-
che de ses enfants perdus, de même qu'un pasteur court après
ses brebis égarées ; ainsi le pape ne se fatiguera jamais de
vous avertir par ses lettres et par ses légats, et de faire tout ce
qui dépendra de lui pour vous ramener dans le droit sentier. »
Jean, métropolitain d'Héraclée, répondit aussitôt: «L'union est
déjà rétablie, car nous n'avons qu'un seul pasteur, le très saint
seigneur et patriarche œcuménique Photius. » Zacharie de Chal-
cédoine, ami de Photius, prononça alors un discours trahissant
beaucoup d'hostilité contre Rome, mais en même temps prudent
et perfide, comme s'il eût été l'œuvre même de Photius. « Il est
vrai, dit-il, que la paix a été troublée dans l'Eglise de Constanti-
nople, à cause de la simplicité (âxXôxï);) de son ancien pasteur.
Il veut exposer la véritable raison de cette situation. Cela
paraîtra invraisemblable, mais il n'hésite pas à le dire, parce
que c'est la vérité : la cause de tout le mal est l'incomparable
excellence de Photius, qui avait provoqué l'envie. On l'a
traité comme on a traité le Christ, et l'envie avait poussé les juifs
aux dernières extrémités. Photius en a tant souffert, qu'il vaut
mieux ne pas insister. Mais l'empereur a arrêté le mal. dévoilé
les mensonges importés d'Orient à Rome, tandis que le pape Jean
renonçait à s'obstiner dans la ligne de conduite si funeste à l'Eglise
198. CONCILIABULE DE PHOTIUS 589
(la ligne de conduite de ses prédécesseurs). On a rendu à
l'Église son bien, elle a recouvré son fiancé. Tout ce qui s'est
fait contre elle est nul et sans valeur. Plusieurs évêques ont
accepté sur-le-champ ce nouvel état de choses, d'autres s'y sont
ralliés plus tard, et, à l'heure présente, il ne restait que de rares
récalcitrants. Quand on leur demande le motif de leur obstina-
tion, ils répondent : l'Église romaine l'a ordonné. Un voleur
et un meurtrier pourraient aussi bien dire : Les Romains
m'ont permis d'agir de cette manière ( ! ). C'est ainsi que l'Église
romaine, ordinairement pacificatrice, a causé beaucoup de mal
dans toute cette affaire ; du moins c'est elle qu'on avait mise
en avant. Pour ce motif, l'empereur a mandé les légats ro-
mains, qui réfuteront les accusations élevées de tous côtés contre
Rome. Pour parler sans détours, le présent concile se tient
[468] p0ur l'honneur de l'Église romaine, afin qu'à l'avenir les schis-
mes ne puissent lui imputer ce rôle de discorde. Néanmoins,
grâce aux mesures prises par l'empereur et aux prières du pape
Jean, tout se trouve dans le meilleur ordre ; il n'est donc be-
soin de Photius ni de personne pour rétablir la paix. Tel
est son sentiment, tel est aussi le sentiment de tout le con-
cile \ »
1. Débarrassé de l'empereur alors tout à sa douleur paternelle, Photius pou-
vait craindre de ne plus rencontrer un ensemble de circonstances aussi favo-
rables à ses projets. Tout le monde en Orient comme en Occident le reconnais-
sait ; l'opposition était discréditée, à supposer qu'elle ne fût pas complètement
insignifiante ; quant aux légats, ils ne déparaient pas dans la longue liste d'in-
capables et de fripons qui composent pendant des siècles la représentation
pontificale à Byzance et ailleurs. Ignorant le grec, asservis à leurs interprètes,
d'une probité qui laisse songeur, les deux évêques et le cardinal se laissèrent
circonvenir par le patriarche et acceptèrent, ou peu s'en faut, tout ce que Pho-
tius voulut. « Or, non seulement, au cours du concile, le patriarche n'accomplit
aucune des formalités canoniques exigées par Jean VIII et refusa de prendre les
engagements solennels que le pape lui demandait au sujet de la Bulgarie et de
l'élévation possible, à l'avenir, d'un laïc au trône patriarcal, mais de concert avec
ses amis et par leur intermédiaire, très résolument il rejeta la suprême autorité
du siège apostolique, fit annuler et anathématiser les actes de Nicolas et d'Ha-
drien ainsi que le VIIIe concile œcuménique, celui de 869, et sur les ruines de
la puissance romaine ainsi définitivement brisée, exalté par le concile pour ses
vertus et ses mérites, fièrement, il éleva sa propre gloire en se faisant reconnaî-
tre comme le premier de tous, ayant pouvoir de lier et de délier. » A, Vogt,
Basile I™, p. 243-244. (H. L.) ..........
590
LIVRE XXV
Ce discours équivalait à la négation formelle de l'intervention
papale dont le rôle possible était complètement dénaturé. Au
lieu de porter une sentence, il ne restait plus au pape qu'à se dis-
culper et à désavouer toute sa conduite antérieure au sujet de
Photius. Cet audacieux discours de Zaeharie * fut approuvé par
toute l'assemblée, qui se déclara inébranlablement fidèle à Photius,
prête à verser son sang pour lui et à lui tout sacrifier. Zaeharie
reprit la parole: « il déplore fort que les schismatiques (les parti-
sans d'Ignace) causent un si notable préjudice à l'Église romaine.
Ils acceptent les actes des papes Nicolas et Hadrien, et repoussent
ceux du très saint pape Jean, ce qui prouve leur volonté non
d'obéir au pape, mais de voir le pape se régler d'après eux. La
mission des légats doit être de délivrer au plus tôt l'Église ro-
maine de cet esclavage humiliant et de la purger de toute accu-
sation et de toute honte. »
Le cardinal Pierre répondit : « Remercions Dieu de tout, c'est
lui qui rétablira toutes choses.» Celte réponse s'ajuste bien mal
à ce que l'on vient de lire et on peut supposer que le discours de
Zaeharie fut mal rendu par l'interprète au cardinal Pierre, lequel,
d'après le procès- verbal de la deuxième session, avait besoin d'un
truchement.
Plusieurs orateurs exprimèrent ensuite leur joie du rétablisse-
ment de l'unité de l'Eglise, et parmi eux le député de Jérusalem,
Elie, assura que son Eglise avait constamment reconnu Photius,
depuis l'envoi de sa lettre au patriarche Théodose. Le cardinal
Pierre protesta de nouveau que le pape avait envoyé les légats
pour mettre fin aux scandales qui troublaient l'Eglise de Cons-
tantinople et rétablir l'unité, mais ses paroles passèrent ina-
perçues. En revanche, les présents du pape à Photius, à savoir :
une étole, un omophorium, un sticharion, un phelonion (chasuble)
et des sandales furent l'objet d'une vive attention. L'évêque
Eugène d'Ostie, légat du pape, insista sur ce que « l'âme du pape [469]
était si intimement unie à celle de Photius, qu'elles ne formaient
pour ainsi dire qu'une seule âme, et de même que le pape dési-
rait d'être uni avec Dieu, de même il désirait dêtre uni avec
Photius » (si le légat a parlé ainsi, il a blasphémé). On remit
à un autre jour la lecture des lettres du pape; le cardinal Pierre
insista pour que cette lecture eût lieu le lendemain, mais Photius,
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 384. (H. L.)
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 591
avec sa présence d'esprit ordinaire, écarta cette demande, sous pré-
texte» que les légats avaient besoin d'un plus long délai pour se
remettre des fatigues du voyage.» Probablement que sa traduc-
tion n'était pas prête. Le cardinal Pierre fit aux dissidents une
exhortation assez prolixe, déclarant à ceux qui se trouveraient
dans l'assemblée, qu'ils devaient revenir à l'unité. Pendant ce
temps, Elie de Jérusalem les menaçait du feu de l'enfer. La session
se termina par les acclamations habituelles, adressées à l'empereur,
à sa femme, à ses fils et aux patriarches Jean (le pape) et Photius 1.
Photius ouvrit la seconde session (17 novembre), par des excla-
mations pieuses. Le cardinal Pierre s'adressa ensuite au concile,
par l'intermédiaire du protospathaire Léon qui lui servait d'inter-
prète :« L'empereur, dit-il, et les patriarches d'Antioche, d'Alexan-
drie et de Jérusalem, ont sollicité du pape la confirmation de la
paix de l'Eglise rétablie à Constantinople; en conséquence le pape
les a envoyés porteurs de lettres dont il demande la lecture. »
Le concile y consentit et le protospathaire lut d'abord la traduc-
tion faite par Photius de la lettre du pape à l'empereur et à ses
fils, traduction qui, on se le rappelle, différait du texte latin
original, volontairement falsifié. Même sous cette forme adoucie,
la lettre du pape parut trop romaine aux amis de Photius ; et
Procope, archevêque de Cappadoce, dit, aussitôt la lecture termi-
née : «On l'a dit et répété: dès avant votre arrivée, par consé-
quent avant toute exhortation du pape, nous avons reconnu
Photius (et rétabli la paix de l'Eglise). Le pape Jean a sagement
agi en se conformant à la volonté de l'empereur, et en vous en-
voyant, vous qui êtes en tout d'accord avec lui.» Après quelques
[470] paroles insignifiantes d'EIie de Jérusalem et du cardinal Pierre,
Procope engagea les légats à exhorter ceux qui s'obstinaient à
ne pas reconnaître Photius, à se rallier à lui. Le seul obstacle qui
les arrêtait était une signature malencontreuse ; quelques mem-
bres de l'assemblée s'étaient séparés momentanément de Photius
à cause de cette signature (des décrets du VIIIe concile œcumé-
nique). Le pape Jean avait déjà déclaré par écrit que la signature
de ces actes n'obligeait plus, mais il importait aux partisans de
Photius d'arracher aux légats des déclarations portant atteinte
à l'autorité du VIIIe concile œcuménique. Le cardinal Pierre pro-
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 374-394 ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1,
col. 214-230; Hergenrother, op. cit., t. n, p. 363-471.
5!)2 LIVRE XXV
mit d'exhorter les dissidents, et, au besoin, de les punir.
Toutefois, il ne dit rien du VIIIe concile œcuménique et de la
signature des actes de ce concile: il se contenta de demander
au concile s'il approuvait la lettre du pape à l'empereur. On répon-
dit : « Nous acceptons ce qui a trait aux sentiments bienveillants
à l'adresse de l'Eglise de Constantinople et de Photius et à sa
réintégration. Quant à la partie concernant l'empereur et sa con-
duite, nous lui en laissons l'appréciation.»
Le diacre et protonotaire Pierre lut ensuite la lettre du pape à
Photius, naturellement dans la traduction grecque falsifiée par
Photius. Sur la demande du cardinal Pierre, Photius se déclara
prêt à en accepter le contenu et à donner satisfaction. Quant
aux adversaires auxquels on l'engageait à pardonner, après leur
avoir rendu leurs charges, il faisait remarquer que deux d'entre
eux avaient été exilés par l'empereur, non pour des affaires
ecclésiastiques, mais pour avoir participé à des troubles et
injurié le pape Jean. Il consentait du reste à intercéder pour
eux auprès de l'empereur. Le cardinal Pierre l'ayant interrogé
sur ses dispositions touchant la Bulgarie, il se déclara sur ce
point prêt à céder ainsi qu'il l'avait écrit au pape Nicolas 1, ajou-
tant qu'aujourd'hui comme alors cette affaire dépendait moins
de lui que de l'empereur. Ses amis, Procope de Césarée (en Cappa-
doce) et Grégoire d'Ephèse, mirent fin à la discussion par cette
remarque ironique : « La délimitation des diocèses ne relève
pas de ce concile ; si, comme on doit, l'espérer, l'empereur
soumet toutes les provinces de l'Orient et de l'Occident, il sera
temps alors de faire une nouvelle division des patriarcats et de
convoquer un concile spécial dans ce but. » Le cardinal Pierre
n'insista pas, et, conformément à ses instructions, demanda com-
ment s'était passée la réintégration de Photius, à laquelle on avait
eu le tort de procéder avant l'arrivée des légats. Elie de Jérusalem
«lit que Rome n'avait rien à voir à cela ; mais les légats réitérant [471]
leur question, on leur répondit : « Photius est remonté sur
le siège patriarcal de l'assentiment des trois patriarches orien-
taux, sur les instances d'un très grand nombre, ou, pour mieux
• lire, par l'effet de la violence de l'empereur, et surtout pour
obéir au désir unanime de l'Église de Constantinople. » On pro-
1. Voir § 464.
498. CONCILIÂBl LE DE l'iioilis 593
teslu que la force n'y avait eu aucune part, e.t le cardinal Pierre
crut devoir remercier Dieu de ce qui s'était passé. Photius, pre-
nant la parole, assura n'avoir jamais ambitionné le siège patriar-
cal; la première fois l'empereur Michel, (Bardas) son second et les
évêques l'avaient forcé à accepter cette charge. Malgré sa résis-
tance, on l'avait maîtrisé, et c'est en dépit de ses larmes et de sa
volonté qu'il était monté sur le siège de Constantinople. Tout
le concile s'écria que telle était bien l'exacte vérité. Photius
ajouta : « Après ma chute, Dieu sait par quel jugement, je n'ai
causé aucun trouble, je n'ai pas cherché à recouvrer ma charge,
j'ai pris mon sort en patience et je n'ai pas importuné les oreilles
de l'empereur ( !). Je n'avais du reste aucun espoir de réintégra-
tion. Mais Dieu a tourné le cœur de l'empereur à la miséricorde,
moins à mon égard qu'à l'égard du troupeau du Christ; j'ai donc
été rappelé d'exil et traité avec bienveillance. Tant que le bien-
heureux Ignace a vécu, je l'appelle bienheureux parce que déjà
je lui étais dévoué, je n'ai pas voulu remonter sur le siège patriar-
cal, malgré les exhortations et les instances d'un grand nombre.
La situation de mes partisans, traqués et dépouillés de leurs char-
ges, semblait cependant me faire une obligation de chercher à ren-
verser Ignace. Néanmoins j'ai voulu vivre en paix avec lui, ce
qui a eu lieu, car Ignace est venu me visiter au palais. Nous
nous sommes jetés aux pieds l'un de l'autre et demandé
pardon, dans le cas où l'un des deux aurait nui à l'autre. Peu
après, il tomba malade, je le visitai plusieurs fois selon son désir,
je le consolai et le soutins autant qu'il était en moi, et je gagnai si
bien ses bonnes grâces qu'il me recommanda de prendre soin
de ses familiers après sa mort. Je me suis conformé à son désir.
Aussitôt après la mort d'Ignace, l'empereur m'a demandé de
[472] reprendre ma charge de patriarche. Les députés impériaux sont
venus me trouver deux fois dans ce but, je ne leur ai rien promis,
j'ai borné mes demandes à ce que mes partisans fussent rappelés
d'exil. L'empereur vint me trouver, et, après beaucoup d'insis-
tance, a triomphé de mes refus. Ce n'est pas le moment de
développer les motifs qu'il a fait valoir. Comme tous demandaient
mon élévation, que les trois patriarches orientaux m'invitaient
à remonter sur le siège de Constantinople, que le pape dans sa
lettre à l'empereur promettait de faire ce qu'on lui demandait, j'ai
cessé toute résistance et j'ai repris ma charge. » Le concile approu-
va Photius, et le cardinal légat Pierre déclara, à plusieurs reprises,
CONCILES _ i v 38
594
LIVRE XXV
que le pape Jean réintégrait Photius et le reconnaissait pour son
hère. Photius et tout le concile acceptèrent avec joie ces déclara-
tions , et toute l'assemblée fit entendre des acclamations en l'hon-
neur de Photius.
A la demande des légats, on lut les deux lettres de Michel,
patriarche d'Alexandrie, apportées par son député Cosmas. La
première, adressée à l'empereur, exalte avec grande éloquence les
services par lui rendus à l'Etat et à l'Eglise, et en particulier
l'union procurée à cette dernière. L'empereur a fait connaître
aux patriarches celle joyeuse nouvelle, par l'excellent prêtre et
moine Cosmas. l'un des successeurs de saint Marc (on voit par là
(|ii il était d'Alexandrie cl si; trouvait à Constantinople) ; lui
eût-on envoyé dix métropolitains, ils n'auraient pas fait naître
dans son âme .un plus grand amour pour Photius, le patriarche
œcuménique, que ne l'avail fait Cosmas. Il aurait voulu garder
près de lui ce dernier qui s'y est refusé. Cosmas aime passion-
nément la vérité, il ne ressemble pas à ce maudit Joseph qui
(lois du VIIIe concile œcuménique) s'était faussement donné
pour un député de l'ancien patriarche, et avait été déposé pour
ce motif. On avait agi de même au sujet de cet impie
Elie, qui s'était aussi donné pour le représentant de Serge, patriar-
che de Jérusalem. Il a appris de Cosmas que Photius, cette
grande lumière, avait été réintégré par l'empereur, sur le siège
de Constantinople ; il -le reconnaît pour son collègue dansl'épis-
copat, comme il avait reconnu son prédécesseur Ignace, et
déclare que quiconque ne le reconnaît pas pour patriarche,
doit partager le sort des déicides. La fin de la lettre trahit le
secret du patriarche d'Alexandrie et laisse voir la raison d'être
de sa missive et de ses compliments à l'empereur : « Que l'em-
pereur, dit-il, ait la bonté d'envoyer, comme l'a fait son prédé-
cesseur, de l'argent à Alexandrie par l'intermédiaire de Cosmas,
car personne n'est plus sûr que lui. »
Dans la seconde lettre, adressée à Photius, le patriarche Michel
exprime la joie éprouvée à la nouvelle de sa réintégration ;
il voit dans cet événement une preuve de la sollicitude de Dieu
pour son Eglise, et revient à plusieurs reprises sur les excellentes [473]
qualités de Photius, cette lumière. Il proteste, une fois de plus,
que son prédécesseur avait reconnu Photius, et rapporte que
le concile réuni par lui avait fait à tous un devoir, sous peine
d'anathème, de communiquer avec Photius à qui il souhaite
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 595
1outc sorte de prospérités. Michel remarque ensuite qu'Elie et
Joseph, qui s'étaient mal conduits à l'égard de Photius, sont morts
en punition de leur faute; que Thomas de Béryte, évêque de Tyr l,
a reconnu ses torts, demande pardon et envoie à Photius le présent
libellus p.senitentise ?. En terminant, il remercie Photius des pré-
sents envoyés par l'entremise de Cosmas, et sollicite de nou-
velles aumônes.
A la demande du concile, un lut le Libellus pn-jiilenliœ de Tho-
mas de Tyr, que Photius se hâta de proclamer un véritable vase
idu Saint-Esprit ; Thomas rejetait sur Élie et sur Joseph la faute
de tout ce qui s'étail passé. Le concile sollicita le pardon de
Thomas, mais les légats du pape déclarèrent sa faute trop grande
devanl Dieu, et réservèrent cette grâce au pape seul. Le concile
protesta disant que si Thomas s'était mal conduit à l'égard de
Photius, c'était à celui-ci de lui faire grâce, et Photius lui par-
donna sur-le-champ, ajoutant (pie si le pape vendait adhérer à
cette absolution, tout n'en serait que mieux. Les légats acceptè-
rent cette solution.
Photiua ajouta que Théodose de Jérusalem avait écrit par l'in-
termédiaire du moine André et de son frère le prêtre Elie; sa lettre
:iv;iil clé lue dans une réunion antérieure (de Photius et de ses
évèques), en présence de la majorité des membres du concile,
mais il en demandait l'insertion dans les actes de la présente as-
semblée. Le chartophylax Photinus lut alors la lettre, longue
lamentation sur la triste situation du patriarche de Jérusalem
sous la domination des infidèles; Théodose demandait du secours
et concluait : « Que celui qui ne te reconnaît pas, Photius, comme
patriarche de la résidence impériale, soit anathème et déposé.
Telle est la décision prise par notre concile. » On voit par ce
[474] même document qu'Elie, vicaire de Jérusalem et stylite, se trou-
vait depuis longtemps à Constantinople, auprès de Photius, et
que son frère André lui avait apporté récemment cette missive de
Théodose.
Aussitôt après, le même chartophylax lut la courte lettre du
patriarche d'Antioche. L'Alexandrin Cosmas avait aussi annoncé
la réintégration de Photius à ce patriarche qui s'en réjouissait
1. Voir § 488.
2. Assemani suppose que cette dernière phrase est une addition de Photius.
Bibliolh. juris Orient., t. i, col. 172.
596 LIVRE XXV
intercédait également pour Thomas de Tyr et déplorait sa propre
conduite (au VIIIe concile œcuménique). Cette lettre se terminait
par la phrase obligée : « Que celui qui ne te reconnaît pas comme
patriarche soit maudit par le Père, le Fils et le Saint-Esprit. »
Cosmas avait poursuivi son voyage en faveur de Photius jusque
dans la Mésopotamie et l'Arménie, et visité le métropolitain
Abraham d'Amida et de Samosate. Il lui montra les lettres des
patriarches d'Antioche et d'Alexandrie, de sorte qu'Abraham
envoya à Photius une lettre de félicitations et de reconnaissance
dont la lecture clôtura la deuxième session 1.
Dans la troisième session (19 novembre), on lut, à la demande
du cardinal Pierre, la lettre du pape aux évêques du patriarcat
de Constantinople et aux trois patriarches orientaux, naturelle-
ment dans la traduction infidèle de Photius. On demanda ensuite
au concile s'il acceptait cette lettre. La réponse de l'assem-
blée fut, comme la première fois, une protestation évidente con-
tre la primauté romaine ; on refusait au pape le droit de porter
une décision dans cette affaire, ne lui accordant que d'apporter
à l'œuvre commune une coopération dont on pouvait se passer
mais qu'on tolérait cependant avec plaisir. Sans plus insister, le
cardinal Pierre demanda au concile s'il était disposé à faire tout
ce que prescrivait la lettre du pape. Le concile répondit « qu'il
était prêt à faire tout ce qui intéressait l'honneur de l'Eglise,
mais il laissait à la sagesse de l'empereur le soin de décider sur
ce qui le concernait personnellement. »
Procope de Césarée et Zacharie de Chalcédoine s'appliquèrent
alors à démontrer qu'il n'existait aucune interdiction absolue
d'élever un laïque à l'épiscopat ; qu'on avait vu plusieurs pro-
motions de ce genre, même dans l'Eglise romaine, que d'ailleurs
la coutume pouvait faire tomber peu à peu un canon en désuétude.
« Les anciens canons défendaient simplement d'élever à cette
dignité des personnes entraînées dans ïe tourbillon du monde ; or, [475]
Photius avait toujours vécu pour la science et la vertu ; aussi,
lors de l'élection, l'avait-on préféré à tous les clercs et moines ses
concurrents; il avait éclairé le monde par ses écrits et gagné des
multitudes à la foi en Arménie et en Mésopotamie, et même
des peuples entiers (Bulgares et Russes). »
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 394-450 ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1, col.
230-278; Hergenrother, op. cit., t. n, p. 471-483.
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 597
Le cardinal Pierre ajouta d'insignifiantes actions de grâces,
et, sur son désir, on lut une lettre adressée à l'empereur par le
patriarche de Jérusalem, lettre arrivée depuis peu et lue dans une
réunion des partisans de Photius. Le patriarche Théodose y féli-
citait d'abord l'empereur de sa victoire, lui souhaitant de s'em-
parer aussi de la Palestine et de délivrer les chrétiens de ce pays
de la tyrannie des infidèles. Il lui demandait instamment des
secours en argent, surtout pour l'église de la Résurrection qui
tombait en ruines. D'accord avec son concile, il avait menacé
de l'anathème et de la déposition quiconque ne reconnaîtrait
pas Photius. Sur une autre question du légat Pierre, Elie ajouta
que le concile en question s'était tenu à Jérusalem pendant son
séjour dans cette ville, et que le patriarche avait tout dernière-
ment envoyé cette lettre par André. Le cardinal justifia ses ques-
tions aux députés de l'Orient par son désir de prouver la réa-
lité de leur mission, car on prétendait généralement que les an-
ciens vicaires orientaux n'avaient été que les mandataires des
Sarrasins (pour la délivrance de leurs compatriotes prisonniers
de guerre). Les deux autres légats du pape manifestèrent leur
ferme conviction, que ces vicaires étaient véritables députés de
l'Orient, tandis que les premiers n'étaient que des fourbes.
Photius profita de l'occasion pour accuser le VIIIe concile
œcuménique de cruauté envers lui et ses amis. Elie et les légats
romains protestèrent que, s'ils s'étaient rangés au parti de Pho-
tius, ce n'était pas pour s'être laissé gagner par des présents,
mais uniquement en considération de ses vertus. Photius voulut
aussitôt se dérober à toute louange, et le légat crut pouvoir
[476] lui appliquer les paroles du Christ : Non qusero gloriam meam 1.
Photius fit lire ensuite sa traduction grecque du commonitorium
remis aux légats; il n'est pas surprenant que le document falsifié
ait reçu l'approbation des partisans de Photius 2.
1. Joh., vin, 50.
2. Mansi, op. cit., t. xvn, col. /i50-474 ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. l,coI.
278-299. Hergenrôther, op. cit.. p. 483-492. En entendant lire le n. 10 du com-
monitorium, Élie, métropolitain de Martyropolis, se serait écrié au rapport du
procès-verbal : « Comment peut-on appeler concile une pareille assemblée
(c'est-à-dire le VIIIe concile œcuménique) ? » Il y a là évidemment une in-
terpolation dans le procès-verbal, car le métropolitain de Martyropolis n'as-
sista qu'à la ive session ; de plus il ne s'appelait pas Elie, mais Basile.
598 LIVRE XXV
La quatrième session se tint la veille de Noël, dans le grand
secretarium ; Basile, métropolitain de Martyropolis, y prit
part, comme député d'Antioche et aussi de Jérusalem. Il assura
que son patriarche, Théodose, avait, dès le début de son ponti-
ficat, reconnu Photius, et qu'Élie, le nouveau patriarche de
Jérusalem, n'avait jamais approuvé ce qui s'était fait contre
Photius. Les deux lettres des patriarches, d'Antioche et de Jéru-
salem, apportées par Basile étaient adressées à Photius ; dans
la première, le patriarche d'Antioche le félicite de sa réinté-
gration, le salue comme un frère et un père, et déplore que son
ancien ambassadeur Thomas se soit laissé corrompre par le
sacrilège Élie ; il n'a pu se rendre à la demande de l'empereur
et de Photius et venir en personne à Constantinople, parce que
ce voyage lui aurait attiré les soupçons des Sarrasins, mais il a
envoyé à sa place, avec les pouvoirs les plus étendus, le métro-
politain de Martyropolis. Enfin il demande que l'on mène à
bonne fin l'affaire des Sarrasins prisonniers de guerre, parce qu'il
en résultera un grand bien pour les chrétiens d'Orient.
Le cardinal Pierre se réjouit de ce que les sièges orientaux
avaient fait leur devoir et suivi l'Église de Rome ; mais, sans
faire plus attention à cette revendication en faveur du Siège de
Rome, on passa à la lecture de la lettre par laquelle le nouveau
patriarche de Jérusalem, confirmant les instructions de son pré-
décesseur au vicaire Élie, prononçait l'excommunication contre
quiconque se séparait de Photius. Il remercie d'un envoi de se-
cours pour la restauration de l'église de la Résurrection à Jéru-
salem, et en demande la continuation.
Pour réduire un peu les prétentions du patriarche d'Orient,
le concile répondit que Photius aurait été, même sans lui, reconnu
patriarche de Constantinople ; Élie parut n'avoir rien entendu, [477]
et calma les esprits par de grands éloges de Photius, dont les ver-
tus, dit-il, étaient si connues en Orient, que les Sarrasins eux-
mêmes lui avaient écrit pour lui demander le baptême, etc.
Les légats du pape revinrent aux louanges de Photius, « qui,
semblable au soleil, illuminait le monde ; » sur leur demande,
on reçut à la pénitence deux officiers byzantins qui avaient
refusé jusqu'alors de reconnaître Photius. Ils revinrent ensuite
sur les points principaux de la lettre (falsifiée) du pape à l'em-
pereur, demandant si le concile y adhérait ; la première ques-
tion qui se présenta fut celle de la Bulgarie. On leur répondit,
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 599
comme précédemment, que le moment n'était pas venu de mar-
quer les limites des diocèses ; le concile consentait à s'employer
auprès de l'empereur en faveur de la demande du pape, et Nicétas
de Smyrne dit avec une teinte d'ironie : « Si, comme on l'a dit,
le pape et Photius s'aiment au point de ne former qu'une âme,
ils peuvent posséder des provinces en commun. » On repoussa
avec plus de décision les seconde et troisième demandes du pape,
relativement à l'interdiction portée contre les laïques d'être élus
au patriarcat de Constantinople, charge réservée à un cardinal-
pi rire ou à un cardinal-diacre de Constantinople; on répondit
que « le Christ n'était pas seulement venu pour les clercs, et
que les sièges orientaux auraient grandement à souffrir, si on
ne pouvait les conlier parfois à des laïques intelligents. » En re-
vanche, le concile accepta sans difficulté le quatrième point.
« Les conciles tenus à Rome et à Constantinople contre Pho-
tius sont annulés et ne peuvent être comptés au nombre des
conciles. » On accepta de même le n. 5, menaçant de l'excom-
munication tous ceux qui ne voulaient pas reconnaître Photius;
en terminant, les légats du pape proposèrent une preuve d'u-
nion plus manifeste encore, car ils demandèrent que tous ceux
qui étaient présents reçussent la sainte eucharistie avec Pho-
tius 1.
Au commencement de la ve session (2(3 janvier 880), Photius
dit que le second concile célébré à Nicée était universellement
reconnu par les Grecs comme VIIe concile œcuménique, tandis
que l'Église romaine et les patriarcats orientaux, tout en accep-
tant ses décisions, hésitaient à le compter au nombre des conciles
[478] généraux. Maintenant que l'union était accomplie, tous devaient
reconnaître ce caractère et cette dignité de concile œcuménique
au VIIe concile. Le cardinal Pierre accepta complètement cette
proposition, et menaça d'anathème quiconque ne reconnaîtrait
pas ce concile comme VIIe œcuménique. Les vicaires orientaux
se prononcèrent dans le même sens. Les légats du pape propo-
sèrent ensuite l'envoi d'une députation à Métrophanes, arche-
vêque de Smyrne et fidèle ami d'Ignace, pour l'interroger sur
l'union. On lui députa, en effet, trois archevêques, qui lui de-
mandèrent au nom du légat et du concile, pourquoi il ne se
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 475-492 ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1,
col. 299-314 ; Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 492-501.
600
LIVUE XXV
joignait pas à ses collègues. Il répondit « que sans la maladie,
il se rendrait volontiers au concile et donnerait des explica-
tions ; il sollicitait un délai jusqu'à ce qu'il eût repris des forces. »
Pour cette réponse, les légats du pape prononcèrent son exclu-
sion de l'Eglise, jusqu'à ce qu'il changeât de conduite. Ils ne
s'étaient pas contentés à son égard d'un oti deux avertissements,
niais, conformément aux instructions du pape, les avaient renou-
velés à plusieurs reprises. Ces admonestations étant demeurées sans
résultat, ils devaient maintenant, pour obéir aux ordres du pape,
agir contre lui. En même temps ils demandèrent au concile de pro-
mulguer, comme premier canon, la décision suivante : «Tous les
clercs et laïques italiens déposés ou anathématisés par le pape
Jean doivenl être tenus pour tels par Photius ; de même le pape et
l'Eglise romaine reconnaîtront toutes les peines infligées par Pho-
tius, sans préjudice des privilèges de l'Eglise romaine et de son
évêque. » Si le texte du procès-verbal est authentique, les
légats auraient ainsi placé i'évêque de Constantinople sur le
même rang que le pape ; aussi leur proposition fut-elle admise
à l'instant. Basile de Martyropolis dit : « Photius peut agir à
sa guise à l'égard de ceux qui se séparent de l'Eglise (c'est-à-dire
de lui), puisqu'il y est pleinement autorisé par les sièges orientaux
et — on vient de l'entendre — par l'Eglise romaine, d'autant
mieux qu'étant le plus grand pontife (àp^tspeùç ^éyicToç), il a,
de par Dieu, la priorité. » Les légats du pape ne protestèrent
|>;is contre cette monstruosité d'un primat byzantin ; ils ne surent
que louer Dieu en présence d'une si belle union, et, au nom du
pape, donnèrenl à Photius plein pouvoir de gracier ses adver-
saires à leur retour, enfin ils décidèrent l'envoi à Métrophanes
d'une nouvelle députation porteur de la sentence rendue contre
lui par le concile. Métrophanes refusa de la reconnaître, disant
que la maladie l'avait empêché d'exposer sa défense ; mais les
légats et le concile tinrent bon. Photius demanda ensuite s'il
était convenable qu'un évêque moine gardât la charge d'arche-
vêque. Les légats du [tape et les vicaires orientaux répondirent
négativement, parce que l'état de moine est un état de péni- [479]
tenee. Le second canon du conciliabule proclama donc qu'à
l'avenir on n'agirait plus de cette manière 1. Aussitôt après on
1. Gratien a, par erreur, attribué ce canon an VIIIe concile œcuméni-
que, causa VII, q. I, can. 45.
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 601
publia Je troisième canon, qui anathématisait tout laïque qui,
avec ou sans motif, frappait ou emprisonnait un évèque.
Photius déclara épuisés tous les sujets soumis au concile, et
les légats demandèrent que l'on signât les décisions prises en fa-
veur de Photius. Le légat Paul, évoque d'Ancône, signa le premier
en ces termes : Je reconnais le vénérable Photius comme pa-
triarche légitime e1 eanoniquement élu, et, conformément aux
lettres du pape et au commonitorium, je me déclare en union
avec lui. En même temps, je condamne et j'anathêmatise le concile
tenu contre lui à Constantinople (le VIIIe œcuménique), ainsi
que tout ce qui s'est l'ait contre lui à l'époque d'Hadrien. Qui-
conque se sépare de lui se sépare de l'Eglise. Je reconnais en outre
le second concile de Nicée comme le VIIe œcuménique. » Les
deux autres légats et les vicaires orientaux s'exprimèrent de même,
et après eux signèrent tous les autres évêques, à l'exception de
Photius (parce qu'il s'agissait de lui). La session se termina par
des acclamations en l'honneur de l'empereur, de sa famille, du
pape Jean et de Photius 1.
Le conciliabule était clos, à proprement parler ; mais les actes
grecs contiennent encore les procès-verbaux de deux autres ses-
sions, dont l'authenticité a été mise en doute pour divers motifs 2.
Un Grec anonyme a déjà remarqué, en marge du manuscrit
du Vatican, que ces sessions ne se sont jamais tenues et avaient
été imaginées par Photius. Il avait voulu, ajoutait cet anonyme,
proposer au concile le rejet du Filioque, afin de donner une base
dogmatique au conflit (qui allait bientôt éclater), mais il
avait craint l'irritation des légats romains, et des dissentiments
sur d'autres points. Aussi ne dit-il rien de cette affaire au con-
ciliabule, et préféra-t-il ajouter aux actes de l'assemblée deux
[480] procès-verbaux imaginés par lui. En même temps, pour déga-
ger sa responsabilité vis-à-vis du pape, et tout rejeter sur l'em-
pereur, il présenta l'affaire comme imposée par l'empereur qui
avait ordonné les deux sessions et la déclaration au sujet du
Filioque.
La première de ces deux sessions, la vie d'après les actes,
se tint, au rapport du procès-verbal, le 10 ou le 12 mars
1. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 494-511 ; Hardouin, op. cit.. t. vi, part. 1,
col. 315-330; Hergenrôther, op. cit., p. 501-514.
2. Cf. Assemani, Biblioth. iuris Orient., t. i, col. 222, 22G.
602 LIVRE XXV
880 1, non clans l'église, mais au palais impérial, dans le Chry-
sotriclinium. L'empereur la présida, en compagnie de ses fils 2.
Outre Photius, on cite parmi les assistants les légats du pape,
les vicaires orientaux et clix-lmil métropolitains. L'empereur
ouvrit la session par ce discours : « [1 était peut-être convenable
pour nous d'assister au saint concile général, nous ne l'avons pas
fait, afin d'enlever aux mauvaises langues occasion d'injurier
le concile et de dire que nous avions forcé ses membres à re-
connaître Photius ; aujourd'hui que tout est terminé, nous
croyons juste de confirmer les décrets du saint concile et d'y
souscrire. On doit en même temps, puisque tous sont d'accord,
indiquer une règle de foi. Non qu'on en fasse une nouvelle, car
nous avons simplement en vue la règle de foi de Nicée, que les
autres synodes ont développée. » Fort de l'approbation générale
qui suivil ce discours, Photius fit lire cette formule : « Fidèles
à la vénérable et céleste doctrine de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
aux saintes ordonnances des apôtres, avix prescriptions canoniques
et aux décrets des sept 3 synodes œcuméniques, nous rejetons
ceux qui se séparent de l'Eglise, et accueillons ceux qui la res-
pectent ; d'après ces maximes, nous reconnaissons et professons
hautement la formule de foi venue de nos pères, sans retran-
chement ni addition sans changement ni altération d'aucune
sorte. En effet, toute addition ou tout retranchement suppose
un jugemeni sur des matières non encore jugées 4. C'est une atten-
tat contre les Pères ; enfin toute altération est la plus grave des
fautes. Aussi le saint concile, attaché à l'ancien symbole et fon- [481]
dant sur lui l'œuvre du salut, répète à tous : Je crois en un seul
Dieu, etc., (suit le symbole de Nicée sans le Filioque). Nous pensons
tous ainsi. Si quelqu'un rédige une autre formule, ou s'il ajoute
à ce symbole des mots nouveaux et le propose comme règle de foi
1. Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 517.
2. Constantin était mort depuis plusieurs mois, il ne restait que Léon,
mais, depuis son avènement, Basile avait eu un fils légitime nommé Alexan-
dre, enfin Etienne né en 870, fait clerc et devenu patriarche de Constantino-
ple sous le règne de Léon VI, à Noël de 886. (H. L.)
3. La traduction latine porte à tort sex ; Hergenrôther, op. cit., t. n. n.
518.
4. Cette phrase est mal rendue dans la traduction latine ; il ne doit pas
y avoir de virgule après le mot -Kooibiaiz, et le génitif tn-.SsiMx; etc. ne dépend
pas de npô<jbî<jiz, mais bien de xaTivvwnv.
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS 603
aux infidèles ou aux nouveaux convertis (les Wisigoths d'Espa-
gne par exemple), s'il ose ainsi altérer l'ancien et vénérable sym-
bole par des mots, des additions ou des coupures de son choix,
(ju'il soit déposé s'il est clerc, excommunié s'il est laïque.» Tous
adhérèrent à ces paroles 1. L'empereur Basile et ses fils Léon.
Alexandre et même le plus jeune, nommé Etienne, pour lors sous-
diacre, signèrent les décisions du conciliabule, et la session se
termina par de joyeuses acclamations en l'honneur de l'em-
pereur. En particulier « comme récompense du rétablissement de
l'union dans l'Eglise, on demandait à Dieu pour lui la soumission
de tous les peuples barbares, et le rétablissement des anciennes
limites de l'empire romain. »
Le 13 mars 880. tous les évêques, mais cette fois sans l'empe-
reur, se rendirent de nouveau dans les catéchuménies de Sainte-
Sophie pour la vne session, et la lecture du procès-verbal de la
vie session, en présence de quelques personnes seulement. On
commença par confirmer le décret de foi, et on prononça les plus
terribles anathèmes contre les insensés qui oseraient faire au
symbole quelque addition ou retranchement. On lut la formule
dont l'empereur s'était servi en signant, et elle fut acceptée avec
joie. Les légats du pape crurent devoir encore une fois louer Pho-
tius, célébrer sa sagesse, son esprit de conciliation, son humilité:
d'où Procope de Césarée prit occasion de répéter que l'évêque
de Constantinople était primat de l'Eglise : « Quel que soit le
portrait que vous fassiez de Photius. dit-il. il faut qu'en réalité
celui-là possède de grandes qualités, qui a une priorité spirituelle
sur tout le monde. » Les légats répondirent : « Tu dis vrai :
nous aussi qui demeurons à l'extrémité du monde, nous avons
entendu de pareilles choses (l'éloge de Photius)... Que celui qui
n'est pas en communion avec lui ait le même sort que Judas. Lon-
gues années à l'empereur 2 ! »
[482] Ainsi se terminent les actes de Photius sanctionnant deux énor-
1. Le procès-verbal ne fait ici aucune mention des légats du pape ; mais
on voit par la Mystagogia de Photius, p. 127, éd. Hergenrôther, qu'ils ont éga-
lement signé cette formule.
2. Mansi, op. cit., t. xvn, col. 519 sq. ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1, col.
337 sq. ; Hergenrôther, op. cit., t. n, p. 514-524. Il réfute, p. 528 sq., l'opinion
émise par certains que ce conciliabule n'a pas été réellement tenu, mais que
les actes en ont été purement et simplement fabriqués.
604
LIVRE XXV
mités : le rejet du Filioque et la déclaration de la primauté by-
zantine.
De la môme fabrique de documents apocryphes sort une pré-
tendue lettre du pape Jean à Photius, placée à la suite des actes
du conciliabule, dans laquelle le pape se plaint de la fâcheuse opi-
nion que Photius a de lui et lui demande de ne pas ajouter foi aux
calomnies. « In député de Photius, venu à Rome peu auparavant,
pour connaître l'opinion du pape au sujet du Filioque, a constaté
qu'il n'avait fait en réalité aucune addition au symbole. Le pape
assure formellement que les choses sont bien ainsi ; il repousse
ceux qui ont osé faire pareille addition et les voue au sort de
Judas. Photius peut comprendre, cependant, quelles difficultés
rencontrait le pape pour obtenir des évêques l'abandon d'une
addition qu'ils avaient acceptée. Le mieux est donc de procéder
avec beaucoup de prudence, et d'éviter tout ce qui ressemblerait
à l'emploi de la'force 1. »
Je ne saurais admettre que Jean VIII ait pu écrire pareille
lettre. S'il l'a fait, avouons que jamais pape n'a oublié plus que
lui ses devoirs. On n'y trouve plus trace de la primauté ro-
maine ; la supériorité de Photius est explicitement reconnue et
le pape y déplore, presque avec larmes, l'opinion désavanta-
geuse que le patriarche de Constantinople a de lui. Déjà le con-
tenu de cette lettre conclut contre son authenticité ; de plus,
dans sa lettre à l'archevêque d'Aquilée, rédigée après la mort
du pape Jean 2, Photius ne mentionne pas cette lettre du pape
dont le contenu eût été pour lui de la plus haute importance.
Il y avance que les légats du pape avaient signé à Constantinople
le symbole sans le Filioque ; or, il n'eût pas omis de tirer avan-
tage des assertions positives contre le Filioque, données par le
pape clans cette lettre, s'il l'avait réellement reçue. Une troi- [483]
sième présomption contre l'authenticité de cette pièce se tire
du principal écrit de Photius 3, insistant avec emphase sur ce
i
1. Mansi, op. cit.., t. xvn, col. 523 ; Hardouin, op. cit., t. vi, part. 1, col.
342 ; Baronius, Annales, ad ami. 879, n. 54.
2. Baronius, Annales, ad ann. 883, n. 5. Cette lettre a été éditée en grec
dans VAucluar. noviss. de Combefis et par Jager, op. cit., p. 452. [P. L., t. en,
col. 794-822, écrite sous Marin Ier (882-884) d'après Lapôtre. op. cit.,
p. 9. n. 1. (H. L.)]
3. Photius, Spiritus Sancti mystagogia, c. lxxxix, P. G., t. en, col. 377
sq. (H. L.)
498. CONCILIABULE DE PHOTIUS G05
que son cher Jean a souscrit le symbole sans le Filioque, dans
ht personne de ses légats (par conséquent, non par lui-même et
par une lettre particulière) 1.
A leur retour de Constantinople, les légats emportèrent des
Lettres (maintenant perdues) de Photius et de l'empereur; mais
on a peine à comprendre qu'ils aient emporté également un exem-
plaire complet des actes du conciliabule, car ces documents au-
raient témoigné contre eux2. Ils ne purent cependant, clans leur
rapport verbal, dissimuler tout ce qui était à leur charge et à celle
de Photius. C'est ce qu'on peut conclure d'abord du méconten-
tement du pape, ensuite de sa réponse à l'empereur e1 à Pho-
lius3. Dans sa lettre à l'empereur datée du 13 août 880. le pape
.Ican loue sa sollicitude pour le rétablissement de l'unité ecclésiasti-
que, et ses bonnes intentions à l'égard de Rome, prouvées par
ses paroles et par ses œuvres. Il avait envoyé au pape plusieurs
dromons qui devaient rester à son service pour la défense des
États de l'Église ; il avait rendu à l'Église romaine le monas-
tère de Saint-Serge à Constantinople, enfin, il avait restitué à l'E-
glise romaine la Bulgarie (sur ce dernier point, le pape paraît
s'être laissé tromper par des expressions équivoques et de pure
politesse; en réalité les grecs conservèrent la Bulgarie). Le pape
prie l'empereur de demeurer le soutien inébranlable de l'Eglise
romaine en ces temps périlleux ; il consent, par esprit de miséri-
corde, à admettre ce décret de Constantinople sur la réintégra-
tion de Photius (d'après le pape, Photius n'aurait donc eu au-
cun droit à être réintégré ; de plus le pape n'acceptait pas les
autres décisions du conciliabule, du moins n'en dit-il rien). Dans
le cas où ses légats auraient agi en opposition avec leurs ins-
tructions, il déclare leurs actes frappés de nullité 4.
1. Au sujet de la fausseté de cette prétendue lettre du pape, cf. Hergenrô-
ther, op. cit., t. n, p. 541-551.
2. Hergenrôther, op. cit., t. u, p. 573, note 25, révoque en doute cette opi-
nion et émet l'avis que l'ancienne traduction latine des actes de ce concile
fut faite sur l'exemplaire grec rapporté par les légats.
3. « Nous ne savons pas quel fut exactement l'accueil que le pape réserva
aux légats. Les lettres de Jean YIII postérieures au concile semblent montrer
qu'il ne connut jamais complètement ce qui s'était fait à Constantinople ;
mais visiblement il se doutait de quelque chose, car les deux lettres qui nous
sont parvenues signées de son nom et datées du 13 août 880 sont pleines de
restrictions. » A. Vogt, Basile Ier, p. 244 (H. L.)
4. Epist., ccli, dans Mansi, op. cit., t. xvn, col. 186 ; Epist., cix, dans
606
LIVRE XXV
Le pape Jean s'exprime avec plus d'énergie et de clarté dans
sa lettre à Photius : « Plus il s'est montré à son égard plein
de miséricorde, plus il a droit de s'étonner de voir ses prescrip- [484]
tions méconnues et violées ; il ignore à qui incombe cette faute
dans la conduite de l'assemblée. Photius a dit de lui-même clans^
sa lettre au pape (aujourd'hui perdue) : Seuls les malfaiteurs
doivent implorer miséricorde (il voulait éluder la condition mise
à sa réintégration, à savoir, le pardon à solliciter devant un con-
cile). Le pape ne veut pas attacher d'importance à ces paroles,
qui appelleraient nue sanction pénale. Toutefois, ce n'est pas
ainsi qu'on doit se disculper car le Christ a dit : Vous vous jus-
tifiez devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs, et ce qui
est glorieux devant, les hommes est une abomination aux yeux
de Dieu 2. Si Photius joignait à sa sagesse une véritable humi-
lité, il ne trouverait pas trop dure cette condition d'implorer la
miséricorde de l'Église de Dieu. S'il rendait l'honneur dû à l'É-
glise romaine, le pape l'embrasserait comme un frère. 11 accepte
donc en esprit de miséricorde ce qui a été fait par le concile de
Constantinople pour le réintégrer. » En terminant, le pape pro-
teste encore, comme dans sa lettre à l'empereur, qu'il frappe de
nullité tout ce que ses légats auraient fait en opposition avec
leurs instructions 3.
Hardouin, op. cit., t. vi, part. 2, col. 88 ; Baronius, Annales, ad ann. 880,
n. 5.
2. Luc, xvi, 15.
3.Epist., ccl, dans Mansi, op. cit., t. xvn, col. 184; Epist.. cvm, dans Hardouin,
op. cit., t. vi, part. 1, col. 87; Baronius, Annales, ad ann. 880, n. 2. Etsi forsan
noslri legati in eadem synodo contra apostolicam prxceptionem egerunt, non
recipimus, nec judicamus alicujus existere firmitatis, preuve évidente que le pape
n'avait pas sous les yeux les actes du concile. A leur retour, les légats eurent
le sort de ceux qui, les premiers, s'occupèrent sous Nicolas Ier des affaires de
Photius. Ils furent censurés publiquement et ce fut Marin, son futur succes-
seur, que Jean VIII chargea de porter à Constantinople les deux lettres
dont nous venons de parler. A. Vogt, Basile Ier, p. 244-245. (H. L.)
499. PHOTIUS DE NOUVEAU REJETE PAR ROME 607
499. Photius, de nouveau rejeté par Rome, est déposé
une seconde fois par 1 empereur Léon.
Le pape envoya ces lettres à Constantinople, probablement
par le cardinal Marin. Il est certain que Marin, légat au VIIIe
concile œcuménique, fut envoyé une seconde fois (après le conci-
liabule) à la cour de Byzance, où il se déclara si énergiquement
contre Photius, que l'empereur le fit saisir et tenir un mois en-
tier dans un cachot, sans pouvoir vaincre sa fermeté 1. C'est ce
que nous dit le second successeur de Marin, le pape Etienne VI (V),
dans sa lettre à l'empereur Basile, datée de 885 2. Evidemment
le légat Marin n'avait agi que d'après les instructions du
[485] pape Jean VIII, ce qui prouve que ce dernier avait de nou-
veau condamné Photius et réparé sa faiblesse. Une tradition
rapporte que le pape ayant eu des preuves positives que Pho-
tius avait corrompu les derniers légats Paul, Eugène et Pierre,
comme autrefois Rodoald et Zacharie, monta à l'ambon, dans
une solennité, et, tenant à la main le livre des Évangiles, pro-
nonça à haute voix, en présence de tout le peuple, l'anathème
contre Photius, comme l'avaient fait autrefois ses prédécesseurs,
Nicolas et Hadrien 3.
Cet anathème, jeté par Jean VIII sur Photius et répété par
ses successeurs, est encore attesté par une ancienne inscription
1. Une lettre d'Etienne à Basile, écrite en 885, et à laquelle Hefele emprunte
ces détails, est très obscure. A lire attentivement le texte, écrit M. A. Vogt,
op. cit., p. 245, note 1, on peut se demander si le fait ne se rapporte pas au pre-
mier voyage de Marin, en 869, car dans tout le passage il s'agit de Nicolas Ier,
et des premiers événements qui suivirent le concile. (H. L.)
2. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 423; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1119; Baronius,
Annales, ad ann. 885, n. 9.
3. Cette notice se trouve dans les Appendices au VIIIe concile œcuménique;
Rader l'a éditée d'après un ancien manuscrit grec, et l'a donnée comme
appendice à un ancien extrait d'une lettre du pape Hadrien II dans Mansi,
op. cit.., t. xvi, col. 448 sq. ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1139; Baronius, Anna-
les, ad ann. 880, n. 11, a, par erreur, regardé ce document comme une partie
de VEpistola Formosi, parce que, dans le codex Colummensis, il vouait immédia-
tement après cette lettre. Il n'appartient cependant pas à la lettre du pape For-
mose, dont nous aurons bientôt à parler.
G08
LIVRE XXV
placée sur le portique de Sainte-Sophie, à Constantinople,
du côté droit, et reproduite dans les collections des conciles.
Cette inscription montre que Jean VIII a également frappé
d'anathème ses légats corrompus par Photius 1. En outre, dès
cette époque, on ne rencontre plus aucune mention de Photius*
dans les lettres de Jean VIII, ce qui fait croire à Baronius que
le pape avait rompu avec lui tout rapport ecclésiastique. De-
puis lors Photius attaqua également sans relâche l'Église ro-
maine, au sujet du Filioqiie, l'accusant d'hérésie en divers écrits
et de nombreuses lettres. Ces entreprises contre l'Occident lui
paraissaient le meilleur moyen d'enlever toute valeur aux anathè-
mes prononcés à Rome contre lui. Parmi ses principaux ouvrages
pendant cette période, il faut citer sa longue lettre à l'archevê-
que schismatique d'Aquilée 2, écrite en 883, et son traité De
mystagogia Spiritus sancti, composé vers l'année 885.
1. M^nsi, op. cit., t. xvi, col. 451 ; Hardouin, op. cit., t. vi, col. 442. Léon
Allatius a prouvé, Epist., ii, De templis Grœcor. hodiern., § 4, p. 42, que cette
inscription se trouvait sur le portique à droite, comme l'indiquaient ces mots
de l'inscription : èv £ = :'.<;> â^ôXo).
2. Nous ne savons pas le nom de cet archevêque, ni la nature de son schisme.
Jager, op. cit., p. 345, se trompe, en supposant qu'il faisait partie du schisme
occasionné par la querelle des trois chapitres. Ce schisme n'existait plus depuis
150 ans. Cette lettre de Photius se trouve en grec dans Jager, op. cit., p. 452;
en latin dans Baronius, Annales, ad ann. 883, n. 5 ; Hergenrother en parle avec
beaucoup de détails, Photius, t. n, p. 634 sq. [Le P. Lapôtre, L'Europe et le Saint-
Siège à l'époque carolingienne. Le pape Jean VIII, in-8, Paris, 1895, p. 68-69,
est d'un avis tout différent. Selon lui l'accord régna toujours entre Photius et
Jean VIII. Longtemps après la mort de Jean VIII, Photius se réclamait encore
de l'autorité de ce pape, dont-il vantait, non sans raison, l'intrépidité et
l'esprit politique : ôeffjiotç 7io>.iri/.otç £7îap-/ïîv ôv/dcixïvo; . De mystagogia, P. G.,
t. en, col. 380. S'il eût été excommunié finalement et publiquement déposé
par Jean VIII, Photius n'aurait sans doute pas fait cet éloge du pape. Si,
d'après le P. Lapôtre, on était parvenu à mieux déterminer la date de chacun
de ses ouvrages, on aurait constaté que la reprise des hostilités ne date que du
pontificat de Marin Ier. La Lettre au patriarche d'Aquilée, P. G., t. en. col. 974-
822 se place dans l'intervalle entre les pontificats de Jean VIII et d'Hadrien III.
En effet, Photius dit de Jean VIII qu'il est £■/ âycotç, formule consacrée dans
le style ecclésiastique pour désigner les défunts (P. G., t. en, col. 289) ; d'au-
tre part, Photius néglige de tirer argument en faveur de sa théorie sur le Saint-
Esprit de la lettre synodique d'Hadrien III. Il n'y manquera pas dans sa Mys-
tagogia (P. G., t. en, col. 381), mais il ne peut en faire autant cette fois, car il
n'a pas encore reçu la lettre et son futur auteur n'est pas encore pape. Quant
au traité De Spiritus Sancti mystagogia, P. G., t. eu, col. 279 sq., la date de ggc
499. PHOTIUS DE NOUVEAU REJETE PAR HOME 609
[486] Au pape Jean, mort le 15 décembre 882, succéda Marin, doni
fun des premiers actes fut de renouveler l'anathème contre
Photius. Ce fait, constaté par l'inscription du portique de Sainte-
Sophie, se déduit également de la haine particulière dont Photius
poursuivit Marin, allant jusqu'à nier la validité de son élévation
sur le siège pontifical, parce que Marin avait été auparav;nil
évoque 1, et que les canons défendaient les translations épisco-
pales. Photius avait mauvaise grâce à alléguer pareille raison,
lui qui avait, nous l'avons vu, transféré sur d'autres sièges épis-
eopaux beaucoup de ses amis : Théodore Santabaren, Zacharie
de Chalcédoine, Théodore de Carie, etc. Il finit par déterminer
l'empereur Basile à écrire dans ce sens à Marin et à contester
son élévation à la papauté. Comme sa lettre n'arriva qu'après
la mort de Marin (mai 884), le pape Etienne VI (V) y répondit
en 885. Mais lorsque cette réponse arriva à Constantinople, Basile
à son tour était mort (1er mars 886), et elle fut remise à son fils
et succcesseur Léon le Sage, qui paraît s'en être servi pour chasser
Photius du siège patriarcal et y faire monter à sa place son plus
jeune frère, le prince Etienne, que nous avons déjà rencontré 2.
fixée par Hergenrôther, op. cit., t. u, p. 708, fondée sur l'allusion du ch. lxxxviit,
P. G., t. en, col. 377, est fautive, car cette allusion ne vise pas Nicolas Ier,
mais le pape Formose et le tragique concile qui s'assembla pour le juger. La pu-
blication du traité se trouve donc reportée de 885 après l'année 896. (H. L.)
1. A Céré en Étrurie, ainsi que l'a prouvé Mansi dans ses notes sur Baro-
nius, Annales, ad ann. 882, n. 12.
2. Léon avait à se venger de Photius qui pendant les sept années du règne
de Basile (779-886) avait été le véritable maître de l'Église et de l'État.
C'est, en effet, à partir de la mort de Constantin et du grand affaiblissement phy-
sique et intellectuel de Basile que Photius et Théodore de Santabaren, son
âme damnée, organisèrent le complot qui devait porter le patriarche, ou, à
son défaut, un de ses proches, au souverain pouvoir. Le conciliabule de 879-
880 avait rendu à Photius plus qu'il n'en attendait ; grâce à la lâcheté des légats
du pape et à leur sottise, l'Orient avait entendu proclamer en grec, devant ces
latins muets parce qu'ignares, l'omnipotence religieuse de Byzance au détri-
ment de Rome et l'égalité absolue de son patriarche avec le pape romain.
Fort de ce premier et décisif triomphe, Photius se préoccupa d'atteindre le
second qui, plus brillant, était cependant plus aisé à obtenir. U eût alors réalisé
le véritable but de sa vie et l'aspiration byzantine qu'il incarnait ; il eût créé
en Orient un autre État pontifical dans lequel il eût été à la fois pape et roi. Il
échoua. Pour l'œuvre religieuse de Léon le Sage, je regrette de n'avoir pu utiliser
un travail annoncé depuis 1903 sous le titre de Recherches sur le gouvernement
(le personnel et son œuvre politique), les institutions politiques et administratives
610 LIVRE XXV
Photius dut se retirer dans un monastère et le jeune patriarche
impérial fut reconnu sans conteste (Noël 886). Afin de gagner les
anciens partisans d'Ignace, toujours privés de leurs charges, à
cause de leur hostilité à Photius, l'empereur Léon les fit venir
à Couslantinople, et déclara que s'ils hésitaient à reconnaître
son frère ordonné diacre par Photius, le mieux serait de s'adresser
tous ensemble au | » i » | » * - -, afin d'obtenir ta grâce de ceux qui avaient
été ordonnés par Photius1. La lettre de l'empereur est malheu-
reusement perdue, mais on possède celle de Slylianos. arche-
vêque de Néurésarée, au pape Etienne VI (V) 2 ; elle contient
un aperçu eompiel de l'histoire de Photius, et nous l'avons sou-
venl utilisée dans le récit qu'on vient de lire. Slylianus parle,
au nom de tous les partisans d'Ignace, évêques, prêtres e.1 dia-
cres qui n'ont jamais embrassé les genoux de Photius, il appuie
la demande faite au pape, cl affirme que la grande majorilé
de ceux qui avaient consenti à recevoir l'ordination de Photius.
y avaient été déterminés par les légats du pape, Rodoald et
Zacharie d'abord, puis Eugène et Paul 3. Le pape Etienne VI
(V) répondit : « Vous avez bien fait d'exclure de l'Eglise
Photius qui a déshonoré la croix du Christ4. » La lettre deL1
Stylianos et de ses amis ne s'accordait pas complètement
avec celle de l'empereur, d'après laquelle Photius avait volontaire-
ment abdiqué, tandis que la leur ne parlait que de déposition.
de VEmpire byzantin pendant le règne de Léon VI le Sage (886-912), par M. Ma-
ximil. Milard, cf. Byzantinische Zeitschrift, 1903, t. xn, p. 585, note 1. (FI. L.)
1. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 426; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1119; Hergen-
rôther, op. cit., p. 660 sq., 583 sq.
2. «Cette lettre écrite après la mort de Basile, sous le règne de Léon VI
(Mansi, Conc. ampliss. coll., t. xvi. col. 434), probablement dès 886 ou 887, a
pour but de demander au pape le pardon officiel du peuple de Byzance. En
réalité, son auteur veut informer le nouveau pape, tant de ce qui s'est passé
au sujet de Photius avant son avènement, que des raisons de sa définitive
déposition. Nous avons vraisemblablement là un écho du procès intenté à
Photius au lendemain de la mort de Basile. » A. Vogt, Basile Ier, p. 235,
note 4. (H. L.)
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1127 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 434.
4. Pour comprendre cette dernière phrase, il faut savoir qu'alors, comme
aujourd'hui, les évêques traçaient toujours une croix devant leur signature.
Aussi toute signature coupable, par exemple celle donnée dans un conciliabule,
ou toute signature apposée au bas d'obligations non remplies, était regardée
comme une profanation de la sainte croix.
499. PHOTIUS DE NOUVEAU REJETE PAR ROME 611
Le pape réclamait de plus amples explications avant de porter
un jugement ; aussi l'empereur et Stylianos devaient-ils envoyer
des ambassadeurs à Rome 1. Il est vrai que cette demande ne
reçut satisfaction que trois ans après. L'empereur envoya un
métropolitain et un fonctionnaire impérial auxquels il remit une
lettre 2, aujourd'hui perdue. Par contre, on possède encore la
lettre du parti de Stylianos ; elle nous apprend que « cette
contradiction apparente provenait de ce que les uns regar-
daient encore Photius comme prêtre, sans toutefois le regarder
comme patriarche, tandis que les autres (par exemple, Stylia-
nos et son parti), s'en tenant à la décision des papes Nicolas et
Hadrien, ne lui reconnaissaient aucun caractère sacerdotal. »
L'empereur avait donc- forcé Photius à résigner sa charge de pa-
triarche, mais celui-ci, pour sauver les apparences, avait paru
abdiquer volontairement, et c'est dans ce sens que l'empereur
avait écrit au pape. En outre, Photius était encore reconnu par
les uns comme prêtre, tandis que les partisans d'Ignace, à l'exem-
ple des anciens papes (et Etienne V lui-même se place à ce point
de vue, dans sa lettre à l'empereur Basile) ne le regardaient que
comme laïque, et se contentèrent, lorsqu'il fut éloigné de son
[488] siège, de renouveler contre lui la sentence antérieure. Stylianos
s'étonne, en outre, qu'à la fin de sa lettre le pape Etienne parle
comme si Photius avait été patriarche légitime, et comme si on
avait eu besoin d'une nouvelle enquête pour le déposer (fausse
interprétation des paroles du pape), tandis qu'au début il disait
lui-même que Photius avait été rejeté du rocher (de l'Eglise).
En terminant, il renouvelle sa prière pour ceux qui, cédant à
la force, avaient embrassé le parti de Photius 3.
Après la mort d'Etienne (891), son successeur Formose, dans
une lettre à Stylianos et à ses amis, regrette leurs efforts en faveur
de certaines gens, sans même prendre la peine d'indiquer s'ils
sont prêtres ou laïques. On peut pardonner à des laïques, mais
non à des prêtres, Photius n'ayant pu conférer à personne la di-
gnité sacerdotale qu'il ne possède pas lui-même. Il n'a pu com-
muniquer que sa propre malédiction qu'il avait lui-même reçue,
1. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1130 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 438.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1130 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 438 ; Hergen-
rôther, op. cit., p. 691 sq.
3. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1131 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 439.
012
LIVRE XXV
avec une sacrilège imposition des mains. Le pape consentait à
user de miséricorde et à envoyer des légats qui, d'accord avec
Stylianos, résoudraient les cas particuliers et admettraient à la
communion de l'Eglise, comme laïques, ceux qui signeraient les
libellas l. Une tradition rapporte que Stylianos lui-même faiblit
plus lard, et sept ans après avoir reçu cette lettre de Formose,
rechercha à Rome la communion des partisans de Photius, récla-
mant la restitution d'un document autrefois envoyé à Rome
par lui 2. -Mais le pape Jean IX rejeta sa demande, sans même
lui faire l'honneur d'une lettre de sa main3. Ceci se passait en
900, longtemps après la mort de Photius. survenue [non,] d'après
Pagi 4, en 891 [en réalité en 897 ou 898].
1. On voit par la lettre du pape qu'il faut lire /sipo-'payov, au lieu de
^eipoTOVi'av.
2. Hardouin, op. cit., t. v, col. 1130; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 435.
3. Mansi, op. cit., t. xvi, col. 455 ; Hardouin, op. cit., t. v, col. 1146 ; Baro-
nius, Annales, ad ann. 905, n. 9 ; Hergenrôther, op. cit., p. 702 sq.
4. Pagi, Critica, ad ann. 886, n. 5. Lapôtre donne la date 898, Papado-
poulos Kerameus donne 897. (H. L.)
Imprimerie M.-R. Leroy, 185, rue de Vanves,
Paris.
LETOUZEY ET ANE, Éditeurs, 76 **, rue des Saints-Pères. PARIS
DOCUMENTS POUR SERY1R A L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE
Vient de paraître :
NESTORIUS
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LE LIVRE DHÉRACLIDE
DE DAMAS
Traduit en français par F. NAU
PROFESSEUR A L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
Avec le concours du R. P. BEDJAN et de M. BRIÈRE
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DU TEXTE GREC DES TROIS HOMÉLIES DE NESTORIUS
SUR LES TENTATIONS DE NOTRE-SEIGNEUR
ET DE TROIS APPENDICES
1° LETTRE A COSME ; 2° PRÉSENTS ENVOYÉS D'ALEXANDRIE ;
3° LETTRE DE NESTORIUS AUX HABITANTS DE CONSTANT1NOPLE
r
Beau volume in-8 raisin de xxvm-402 pages - Prix : 10 francs.
Dans le Livre d'Héraclide, écrit en 541, Nestorius expose sa théorie philosophique de Pin-
carnation (1-88) et commente ensuite les Actes du concile d'Éphèse : il en critique la forme,
il explique l'un après l'autre tous les textes tirés de ses ouvrages que l'on y a cité, il com-
mente la lettre de Cyrille à Acace de Mélitène au sujet de son union avec les Orientaux
(88-290). Toute cette contrepartie des Actes, provenant de la bouche du principal intéressé,
condamné jadis par coutumace sans avoir été entendu, est de la plus grande importance
pour l'historien et pour le théologien. La fin (290-332) commente les événements qui ont
précédé le concile de Chalcédoine. Nestorius s'identifie avec Flavien, il affirme que leur doc-
trine est la même; dans son sort il reconnaît le sien et 0 applaudit saint Léon qui s'avance
pour les venger tous deux..
Les trois homélies sur les tentations de Notre-Seigneur sont publiées en entier pour la
première fois. Nestorius y donne à la Vierge le titre de « Mère de Dieu ». La f lettre à Cosme >
est un court exposé de la vie de Nestorius. La lettre de Nestorius aux habitants de Constan-
tinople est traduite pour la première fois ; l'auteur y affirme à nouveau son accord avec
saint Flavien et saint Léon.
Le traducteur a ajouté les notes nécessaires; il a résumé dans sa courte introduction, les
données nouvelles relatives à la vie et aux écrits de Nestorius ; il s'est interdit l'examen des
doctrines, mais des tables (alphabétiques et analytiques) permettront au lecteur de se
diriger et de se faire une opinion personnelle. Le présent ouvrage semble donc renouveler
l'histoire ecclésiastique et les traditions théologiques, pour la période qui s'étend du Concile
d'Ephèse au Concile de Chalcédoine.
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J
GE.STE&IERTA&J
(ALFRED HtFNER) ;
NEW YORK!
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